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f70cd495f8620ec58848de7c26c8e5cb
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MÉMOIRE
POUR
L e Sieur F é l i x T O U R N A D R E de N O A L H A T ,
Propriétaire , habitant de la Ville de Cebazat ; et
D am e M a r i e T O U R N A D R E , procédant sous
L'autorisation du Sieur Baron Simmers, son ép o u x,
Officier de l’Ordre royal de la Légion d’h o n n eu r,
Chevalier de L'Ordre royal de Saint-Louis, Maréchal
de Cam p des Armées du R o i ,, habitant de la Ville
de Clermont-Ferrand ; iceux en qualité d’héritiers
d’Antoine T o u r n a d r e , leur père; et, par repré
sentation d’icelui, d’autre Antoine T o u r n a d r e et
de Marie J u g e , leurs ayeul et a y e u le , appelans;
CONTRE
D am e
M a rg u e rite
T O U R N A D R E , veuve
du
sieur R o d e * d e L a m a r g e ■A n n e - B e r n a r d i n e ~
A m a b l e T O U R N A D R E , épouse du sieur C h â
teau
; dame
M a rg u erite
T O U R N A D R E , veuve
�d u sieur J o u R D E j dam e M a r i e - G a b r i e l l e
T O U R N A D R E , épouse d u sieur T r é n io l e ; ei
dem oiselle M a r g u e r it e T O U R N A D R E , fid e
m a je u re , toutes héritières lég itim a ire s d ’A n to in e
T o u r n a d r e et de M a rie J
uge,
leurs père et m ère,
in tim é s .
C
e t t e
cause présentait, en première instance,
plusieurs questions dont la solution semblait d’abord
assez facile, mais q u i, s'étant compliquées de plusieurs
incidens et de difïérens faits nés on avancés à l’au
dience, n’ont pu être décidées avec toute la maturité
qu’elles exigeaient, faute peut-être d’explicalîon. Les
appelans ont été obligés de déférer ce jugement à
l ’examen de la Cour; ils sont dans la nécessité de faire
connaître tous les faits du procès, mais ils en élagueront
toutes les difficultés qui paraîtraient d’un faible intérêt,
et ne se plaindront du jugement que dans les chefs où
Terreur des premiers juges leur paraît évidente.
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Il s’agît d elà succession de M. Antoine Tournadre ,
ancien magistrat, auteur commun des parties; il avait
survécu à la dame Marie Ju ge , son épouse; et la dot de
cette dernière est restée confondue dans sa succession.
Les appelans, comme représentant le sieur Antoine
Tournadre leur père, héritier institué de M. Antoine
Tournadre et de Marie Juge, demandent à prélever
la dot de leur ayeule sur la succession de leur ayeuL
�Jjes intimés * héritiers légitimaires de M . Antoine
Tournadre et de Marie J u g e , soutiennent qu’il n’y a
point de prélèvement à faire de la part de l’héritier
institué, ou de ses représentans, parce qu e, d’une part,
la dame Juge avait employé et épuisé sa dot en dotant
ses filles, et que, de l’autre, l’héritier avait re çu , au
décès de sa m ère, tous les biens alors existans, dotaux
ou paraphernaux, et qui n’avaient pas été aliénés par
elle.
D e ces prétentions respectives naissent différentes
questions en fait et en droit.
EN
D R O IT .
L a fem m e, en pays de droit écrit d’A u v e r g n e , peutelle aliéner sa dot pour doter ses filles, lorsque le père
a des moyens suffisans pour les établir suivant son
état ?
En a-t-elle sur-tout la faculté lorsqu’elle peut établir
ses filles en employant ses biens paraphernaux, et sans
recourir à l'aliénation de sa dot?
E N F A I T E T S U B S ID IA IR E M E N T .
L a m ère, en mariant ses filles, a-t-elle disposé de sa
dot en leur f a v e u r , et sur quels objets porte cetto
disposition ?
lies effets dotaux dont la mère n’a point disposé ontils, k l’ époque de son décès, été remis à son héritier?
�Quel est le prélèvement que les appelans ont le droit
de demander sur la succession de leur ayeul?
L e contrat de mariage du sieur Antoine Tournadre,
père des appelans, présente un second objet de dis
cussion.
M . Antoine Tournadre , de c u ju s , était propriétaire
d’ un office de Conseiller en la Cour des aides. Par le
contrat de mariage de son fils, du 2 mars 1783, il
lui transmet celle charge moyennant la somme de
3 o,ooo francs, en avancem ent de sa fu tu re succession,
est-il dit; cependant la clause termine en ces termes :
u4.il m oyen de qu oi te f u t u r demeure pleinem ent p r o
p riéta ire d u d it office.
Les intimés demandent le rapport des 3o,ooo francs,
ce qui leur a été accordé.
Les appelans soutiennent qu’ils ne doivent que le
rapport de la valeur réelle de la charge, c’est-à-dire
le montant du remboursement qui en a été fait lors de
la suppression.
D ’où naît la question de savoir si le sieur Tournadre
était, par la clause de son contrat de mariage, donataire
de l’office de manière à ce qu’il en dût la valeur réelle
au tems de la donation?
Ou si, au contraire, n ’ayant reçu cet office qu’en
avancement d’hoirie, et conséquemment à la charge
de le rapporter à la succession, il doit autre chose que
la valeur a 1 époque de l’ouverture, c’est-à-dire la valeur
du remboursement qui en a été fait après la suppression?
�Une troisième difficulté naît entre les parties,du tes
tament olographe de M . Antoine Tournadre, de cujus.
Il a été jugé que ce testament contient plusieurs
avantages indirects en faveur des légitimaires; cepen
dant il les admet h la preuve que l’héritier a reçu de
son père la somme de 5o,ooo francs, employée à
l’acquisition du bien de Cebazat.
Les intimés demandent ce rapport; ils soutiennent
qu’ils ont le droit de l’exiger, soit en vertu de la dis
position testamentaire, soit parce qu’il existe un acte
émané du père des appelans, qui est un com mence
ment de preuve par écrit de la réception qu’il a faite
de cetle somme de 5o,ooo francs. Ils ont été admis à
la preuve de ce fait.
Les appelans refusent ce rapport. Après avoir dé
claré quils n’ont aucune connaissance de cette récep
tion de la somme de 5o,ooo francs, ils soutiennent que
la déclaration contenue au testament de leur ayeul
n’étant justifiée par aucun titre, ne peut produire aucun
e ffet, et qu’elle n’est elle-même qu'un moyen employé
par le père, ou plutôt par ceux qui maîtrisaient ses
volontés dans les derniers momens de sa v i e , pour
anéantir l’institution d’héritier. Ils combattent cette
déclaration en prouvant, par les actes de famille d ’abord,
qu Antoine T o u rn ad re, de c u ju s , ne s'est jamais pré
tendu créancier de son fils; ensuite, que le bien de
Cebazat a été acquitté avec d’autres deniers que les
5o,ooo francs réclamés. Ils soutiennent que l’écrit
émané de leur père n’est point un commencement de
�preuve, et qu’il ne porte ni directement ni indirecte
ment sur le fait qu’il s’agit d’établir ; enfin ils prétendent
que leurs adversaires s’en étant référés, sur ce point,
à un interrogatoire sur faits et articles, qui a été prêté,
ne peuvent aujourd’hui être admis à le prouver par
témoins.
DE
LA
PLU SIEU RS
QUESTIONS :
En principe : quel effet peut produire la déclaration
contenue au testament de M. Antoine T o urn ad re,
de eu j u s ?
Est-elle justifiée par titres? n'est-elle pas, au con
traire, contredite par les actes de famille et les faits
constans de la cause?
Les intimés s’en étant référés à un interrogatoire sur
faits et articles, sur la réception des 5o,ooo francs ,
peuvent-ils être admis à la preuve testimoniale?
L ’écrit du 22 pluviôse an i 3 est-il le com m en ce
ment de preuve par écrit, exigé par la loi, pour être
admis à la compléter par témoins?
Une quatrième difficulté divise les parties.
Il est reconnu que les légitimaires, et notamment
demoiselle Marguerite T o u rn a d re , ont habité avec
l’auteur commun jusqu’ à son décès. Il a été soutenu
que ce dernier avait un porte-feuille d’une grande
valeur, et des sommes en argent provenant du prix
de la vente de diiFérens im meubles, du prix desquels
grt ne voit pas l’emploi. Il est certain que pendant la
�dernière année de sa v ie , l'état de maladie et de fai
blesse du sieur Tournadre ne lui permettait pas de gérer
ses affaires, et que l'administration en était entièrement
confiée à la demoiselle Tournadre, q u i , suivant ses
affections, faisait participer ses sœurs aux bénéfices
qu’elle pouvait faire. A u décès du sieur T o u rn a d re ,
de c u ju s , et lors de l’inventaire, il ne s’est tro u vé ,
excepté deux obligations et un billet de 10,000 francs,
souscrit par le sieur F é lix , ni argent, ni effets de porte
feuille ayant quelque valeur; il était naturel de sup
poser que ces objets étaient au pouvoir de ceux de ses
enfans qui n’avaient cessé d’habiter avec lui. Les ap
pelans leur en ont demandé le rapport. Un interroga
toire sur faits et articles a été prêté; il en est résulté
l ’aveu que la demoiselle Tournadre a reçu du père
une somme de 6000 francs, .pour la transmettre à la
demoiselle Zélie Tréniole, sa-petite-fille. Les appelans,
en déférant le serment dérisoire sur la partie de leurs
réclamations quia été désavouée, ont au moins réclamé
le rapport des 6000 fr. Il ne leur a point été accordé.
D e là deux questions.
L e père, ayant fait une institution d’héritier avec
réserve, pouVait-il disposer, en faveur de qui que ce
fu t, d’antre chose que de sa réserve?
Jetant reconnu que la. demoiselle Tournadre a à sa
disposilion une somme de 6000 francs, provenue de la
succession du père, n’est-elle pas tenue d’en faire le
rapport, sauf à Zélie Tténiole à prendre sur la réserve
le don qui Jui a été fait par son grand-père?
�T e l est l ’ensemble de cette cause, dont il faut ex
poser les détails.
F A IT S .
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Six enfans sont nés du mariage d’Antoine Tournadre
et de Marie Juge.
A n toin e, héritier institué de ses père et m ère, re
présenté par les appelans ;
M arguerite, veu ve du sieur R od e-L a marge; AnneBernardine-Am able, épouse du sieur Château ; M ar
guerite, veuve du sieur Jourde; M arguerite-Gabrielle,
dame T rén iole, intim ée; et demoiselle M arguerite,
in tim ée, et incidemment appelante.
L e contrat de mariage d'Antoine T o u rn a d re , de
c iiju s , est du 6 juillet 1760. A cette époque, la mère
de la future était décédée. Son père lui constitua, ou Ire
un trousseau évalué
bration devait tenir
48,000 francs, dont
ternel, et 41,000 du
2000 francs, dont l’acle de célé
lieu de qu ittan ce, une dot de
7000 provenaient du ch e f m a
c h e f paternel.
L e paiement de cette dot fut effe ctu é , ou devait
avoir lieu ainsi qu’il suit :
L e contrat porte quittance de 12,020 francs, payés
en argent, et de 15,980 francs payés en contrais de
rente, scrupuleusement énumérés et détaillés, les
deux sommes montant ensemble à 28,000 fr.
11 est dit que les 20,000 fr. restant ne seront exigibles
qu au décès du père, et payables à cette époquef sans
intérêts, en fonds et effets de la succession.
�Suivant le co n lra t, la conslilulion de dol n’eniportait
renonciation à la succession du père, qui se ré
servait, au contraire, la faculté d'en disposer.
point
Il y eut entre les époux stipulation d’un gain de
survie m utuel, de la somme de 3ooo fran cs, avec
convention que le mari gagnerait en outre le trousseau.
L e sieur Juge père est décédé le 26 janvier 1772.
L e partage de ses biens, qui est du 14 mars suivant,
contient différens faits qu’il est important d’analyser.
.
.
.
L e sieur Juge laissait deux enfans, Marguerite,, qui ,
le 3 o décembre 1770 , avait épousé le sieur PicotL a co m b e , et la dame Tournadre.
Les constitutions de dot des deux filles étaient égales.
A l’époque de leur mariage, elles avaient reçu 28,000 {r.
chacune, mais il y avait différence dans le mode de
paiement : la constitution de la dame Picot-Lacom be
lui avait été payée par le délaissement du domaine de
Ternan. lie père lui abandonna en outre les meubles
meublant la maison et la chapelle de cette propriété,
moyennant la somme de 1200 francs, que la dame
Picot fut chargée de rapporter au partage.
L e sieur Juge avait fait un testament olographe,
contenant legs, en faveur de la dame Picot-Laçon1^ »
de sa maison, grange et jardin situés à Clermontj de
son argenterie, et tous ses meubles* même de quatre
charges de vin, à condition que la dame Picot-La^*
combe payerait à la daine T o u rn a d re, ça sœur^ la
somn^e de i 3ooo lianes. *
......... , -] . ,
.»,1*'
�( IO )
• L e sieur Juge institua d’ailleurs ses deux filles hé
ritières universelles, et par égales portions.
C ’est en cet état de choses que les dames PicotLacom be et Tournadre procèdent à leur partage.
Elles conviennent d’abord qu ’elles ne rapporteront
point ce qu’elles ont reçu par contrat de mariage, et
conserveront la propriété irrévocable des objets qui y
sont compris.
Il est ensuite dit que la dame Picot-Lacom be rap
portera les 1200 francs de mobilier qu’elle a reçu en
excédant de la dot constituée à la dame Tournadre.
L a masse est composée.
D e u x lots en valeur égale, de 48,000 francs chacun,
sont formés; le premier , composé du domaine de
N oalhat, estimé 27,000 francs, et de trois rentes,
montant ensemble à 21,200 francs, est attribué à la
dame Tournadre.
L e second, composé de différens im m eubles, de
huit contrats de rente, et d'un retour de lot de 200 fr.
dû par la dame Tournadre, est attribué à la damePicotLacom be.
Cette dernière, pour s’acquitter envers la dame
Tournadre des i 3,ooo francs qu’elle était chargée de
lui payer par le testament de son père , lui délaisse
deux contrats de rente qui étaient échus à son lot ;
savoir, celui dû par le sieur L è l a r g e , au capital de
10,000 francs, et celui dû par D u fau t, au capital de
3 ooo irancs.
Les copartageans finissent par reconnaître que les
�dettes de la succession ont été payées en com m u n ,
et qu'antérieurement à l'acte, il y avait eu partage
de l’argent com ptant, qui avait produit 3ooo francs
pour chacun. Il est reconnu que la dame Tournadre a
reçu cette somme.
Il est à propos de composer ici la fortune de la dame
Tournadre, et d’établir, s’il est possible, la distinction
et la valeur de ses biens paraphernaux.
Son contrat de mariage apprend que sa constitution
dotale était de 48,000 francs, outre son trousseau; que
sur cette somme elle avait reçu 28,000 francs en argent
ou contrats; que les 20,000 restant devaient lui être
payés au décès de son père; ainsi il n ’est pas douteux
que 20,000 francs des biens advenus à la dame Tou r
nadre, p a rle partage du 14 mars 1 7 7 2 , devaient servir
à compléter la dot qui lui avait été constituée par son
contrat de mariage.
Il est convenu que le domaine de Noalhat était
paraphernal à la dame Tournadre; elle en a toujours
perçu les revenus. L a rente au capital de 17,000 f r . ,
due par le sieur J a b y , lui était aussi paraphernale; elle
en a joui depuis 1 7 7 2 , et a fini par en recevoir le
remboursement îl la fin de 179^*
Ainsi il ne restait dans le lot de la dame Tournadre,
que deux rentes, montant ensemble à 4200 francs en
capital, qui pussent être confondues dans sa dot; mais
on doit la compléter avec les contrats de rente dus
par les sieurs Lelarge et D ufaut, que la dame PicotLacombe lui avait délaissés en paiement, et une partie
�(
des 3 q o o
partage.
)
franGs argent q u ’elle avait reçus avant le
‘
: ■'>
O r, la dot de la dame Tournadre mère se compose :
i° des objets compris au contrat de mariage; savoir :
4'vl ; i f <t
i° Argent comptant. . . . . . . .
1 ‘ à 0 Effets ou contrats......................
üOi, -)!!! '.ïÀ\>
2° Des objets compris au pait.ige :
• *:
12,020 fr.
i 5,o 8 o
i° Rentes Tronet et Fou niai. . .
noi.m.»
«
20 Rentes Lelarse et Dufaut. . .
i 3,ooo
3 ° 2800 francs d’argent pai tagé. .
2,800
oi;p :
i
°
4,200
48,000 fr.
Les biens paraphernaux se composent du restant des
objets compris dans le partage; savoir :
11° L e domaine de Noalhat.
20 L a rente due par le sieur Jaby.
3 ° 200 francs, restant de l’argent partagé.
Il est aussi important de se faire une idée des revenus
para plier nauk de la dame Tournadre.
L e domaine de N oalhat, échu à son l o t , est estimé
27,000 francs, valeur partage; mais celte estimation
n ’avait rien de réel, si ce n’est qu’elle était en rapport
avec les autres biens de la succession; sa valeur vénale
était bien plus considérable, même en 17 7 2 , puisqu’il
est prouvé, par les baux à ferm e, notamment par celui
de l’année
1793 , que ce domaine a constamment
rapporté . . . . . . . . . . . . . . .
L a rente J aby donnait un revenu de
3 100 fr.) 3 8 5 o fr.J
On pourrait ajouter à ce calcul le produit du reslant
�( *3 )
de l’argent partagé; mais s'il convient de négliger ces
détails, il est au moins très-vrai de dire que madame
Tournadre avait, en. paraphernal, un revenu de plus
de 3 ooo francs, dont, elle a joui pendant trente-quatre
à, treqle-cinq ans, c’est-à-dire depuis 1 7 7 2 , date du
partage, jusqu’en 1807, époque de son décès.
L e but de ces observations est de prouver que la
dame Tournadre avait, dans ses biens paraphernaux,
des ressources suffisantes pour marier ses filles, sans
être obligé d’y employer ses biens dotaux. Mais cette
vérité deviendra plus sensible encore, si l ’on considère
que la dame Tournadre avait l'habitude d’une éco
nomie rigoureuse; que tous ses plaisirs se bornaient à
faire des capitaux de ses revenus; que cependant il ne
s’est trouvé, à son décès, aucune trace de cette jouis
sance si fructueuse , si Ton en excepte une bourse
contenant une somme assez considérable, qu’elle
donna, la veille de sa mort , à la demoiselle Marguerite
Tournadre, sa fille, après en avoir prévenu son héritier
institué, par une lettre que les appelans sont en état
de représenter.
L e premier contrat de mariage des enfans T o u r
nadre est du 3 i août 17 7 9 ; c ’est celui de Marguerite
avec le sieur Rode-La marge.
A cette épo qu e, la dame T o u r n a d r e mère avait
joui pendant six ans de ses biens paraphernaux. Cette
jouissance avait produit plus de i&,ooo francs. Ainsi
ces ressources la mettaient à même d e c o n c o u r r i r à
�( *4 )
l'établissement de ses filles, sans qu’il fût nécessaire de
toucher à sa dot.
Cependant les père et mère de la future lui « cons«- tituèrent respectivement, et par moitié, pour toute
« légitime paternelle et maternelle, et pour tout ce
« qu’elle pourrait espérer et prétendre dans leur suc* cession * , i° un trousseau non évalué ; 20 une dot
de 3o,ooo francs, sur laquelle 20,000 francs sont payés
comptant, savoir, 17,780 francs en contrats de rente,
et 2,320 francs en argent, compté par moitié par les
deux conslituans. L es 10,000 fr. restant sont payables
sans intérêt, après le décès des père et m ère, toujours
par moitié.
L a dame Tournadre dit ensuite qu’elle veut em
ployer à la dotation de sa fille 10,000 francs de ses
biens paraphernaux, et 5,000 francs de ses biens dola u x , de manière que la succession du père doit né
cessairement compte delà somme excédant les 5,ooofr.
dotaux, pour lesquels la mère entendait contribuer à
l’établissement de la dame Lamarge.
Une contre-lettre du m êm e jour ( 3 i août 1779 )
apprend que la dame Tournadre s’engagea envers son
gendre à lui payer, sur ses biens paraphernaux, et en
cinq paiemens é ga u x, dans Tannée d e là majorité, les
10,000 francs restant de la d o t, et qui ne pouvaient
être exigés qu’après le décès des deux constituans. C e
paiement a été effectué. L a quittance pour solde est
du i 1 novembre 1789.
Ainsi le mode de paiement de la dot de la dame
�Lamarge se réunit aux termes du contrat, pour con
firmer cette vérité, que la dame Tournadre n’entendait
employer que 5,ooo francs de ses biens dotaux pour
l’établissement de sa fille.
E n effet, la dot avait été constituée par les père et
m ère, et par moitié; la mère n’était donc obligée que
pour 1 5,ooo francs. O r, au moyen de 10,000 francs
qu’elle acquittait avec ses biens parapbernaux, elle
ne pouvait être tenue de fournir sur sa dot que les
5,ooo francs restant.
Ces résultats sont certains; cependant, si l’on examine
le paiement de la partie de la dot qui a été fait le jour
du contrat, on voit que sur 17,780 francs de contrais
de rente délaissés, 14,400 fr. appartiennent à la mère;
savoir, le contrat Lelarge, montant à 10,000 francs;
celui du sieur Tronet à 2400 francs, et celui des Beraud
et Mallet à 2000 francs. On voit également que la
dame Tournadre a payé 1160 francs argent, ce qui
fait en total i 5, 56 o francs. Or ^ comme la mère ne
devait, pour sa portion de cette dot, que 5 ooo francs,
au moyen du paiement qu’elle avait fait avec ses biens
parapbernaux, il est évident qu'elle a acquitté la dette
de son mari jusqu’à i o , 56 o francs, dont ce dernier ou
sa succession doit compte.
1 .. ,
eu
Ce contrat se réunit aux actes qui sont déjà connus^
pour prouver que les contrats de rente Lelarge et
Tronet avaient été extraits du partage des dames PicotLacom be et T ournadre, pour concourir à compléter
la dot de cette dernière, et être mis à la disposition du
�mari, comme maître des biens dotaux de sa femme.
Sous ce rapport, c’est M. Tournadre qui en a disposé,
qui les a employés au paiement de sa dette person
nelle, et qui conséquemment en doit la valeur à la
dame Tournadre, ou à sa succession. Enfin, si l’on
pouvait supposer que ces contrats de rente fussent paraphernaux à la dame Tournadre, ayant servi à ac
quitter la dette personnelle du m ari, ce dernier n’en
devrait pas moins la valeur.
Ainsi il est évident jusqu’ici ^ et en fait, que la suc
cession du sieur Tournadre est débitrice de la succession
de la dame Tournadre m ère, de i o , 56 o francs, pour
la dot constituée, par m oitié, à la dame Rode de
L a m arge, et p a y é e , en majeure partie, par la dame
Tournadre seule.
L e 2 mars 1 7 8 3 , îe sieur Bernard-Antoine-M arie
Tournadre contracta mariage avec demoiselle Marie
Lucas.
Les père et mère du futur l’instituèrent leurhéritier,
à la charge de payer à leurs autres enfans 3 o,ooo francs
ch a cu n , pour légitime paternelle et maternelle, moitié
de l’irn et l’autre ch ef, si fait n’a été de leur vivant,
en deniers, fonds, contrats de re n te , ou effets des suc
cessions, bien et dûment garantis.
L é p&re se T éserve , même à l'égard de son üls^ l ’ usu
fruit légal des biens de son épouse.
L e p6re e t }a mère se font une réserve de 10,000 fr.
éhacun, avec convention que le survivant pourra dis—
.......
! » • !'.*;> r;
;dëux:
’
�( i7 )
L e père transmet au futur l’ofTice de Conseiller à la
Cour des aides. Com m e le rapport de cet office esl un
des objets de la contestation, il est essentiel de faire
connaître textuellement les termes du contrat sur ce
point.
« E t en avancement de sa fu tu r e succession, le sieur
» Tournadre donne au futur la finance de l’office de
« Conseiller en la Cour des aides, acheté de ses deniers,
« et touteslessommesqu’il a fournieset déboursées pour
« ses provisions et réception, montant à 3 o,ooo f r . ,
«• au moyen de quoi le futur demeure pleinement proprié taire dudit office. »
D eu x remarques se placent naturellement ici : la
première est que le père exigeait plu' que la valeur de
la charge qu’il délaissait en avancement d’hoirie à son
fils, puisqu’elle ne lui avait coûté que 22,000 francs; la
seconde, que la mère ne donnaiL absolument rien de
son chef, quoiqu’elle eût à sa disposition des sommes
considérables provenant de ses biens paraphernaux.
On arrive au troisième contrat de mariage; c'est
celui d'Anne-Bernardine-Amable Tournadre avec le
sieur Pierre-Charles Chateau. Il est sous la date du
3 r décembre 1786.
Huit années s'étaient écoulées, du contrat de ma
riage de la dame L a m a r g e ¿1 celui de la dame Chateau.
I^a jouissance qu’avait faite la dame Tournadre m ère,
de ses biens paraphernaux, avait singulièrement aug
menté ses ressources. 11 serait facile de prouver qu'elle
pouvait alors disposer de plus de 40,000 francs. Ainsi
3
�( 18 )
elle n ’avait pas besoin de recourir à l’aliénation de sa
dot pour l’établissement de sa fille.
Quoi qu’il en soit, la constitution de la dameChateau,
comme celle de la dame Lam arge, est moitié paternelle
et moitié maternelle.
L e trousseau est évalué à 2000 francs, la dot fixée
à 3o,ooo francs, y compris le trousseau, dont 20,000 fr.
sont quittancés p a rle contrat, e lle s 10,000 fr. restant
payables au décès des deux constiluans.
Les 20,000 francs payés le son !, savoir, 12,980 fr.
en contrats de rente appartenant à M. Tournadre père,
et 7,064 francs en argent.
Les 10,000 francs, qui n'étaient exigibles q u ’au décès
des deux constituans, ont été payés au décès de la mère.
Les appelans rapportent une quittance du i 3 floréal
an i 3 , établissant que leur père a payé à la dame
Chateau les 5ooo francs qu’elle pouvait exiger de l’estoc
maternel.
L a dame Tournadre n’a disposé d’aucun de ses effets
dotaux pour marier sa fille ; elle n’a point non plus
manifesté l’intention de les employer pour cela. Elle
avait alors des moyens personnels plus que suffisans
pour remplir le devoir qu'elle s'était imposé. Comme
il a été rem arqué, les revenus de ses biens paraphernaux lui avaient produit des capitaux considérables,
qui lui permettaient de payer en argent la portion de
la dot qu’elle avait constituée; et peu importe qu’il pa
raisse qu’au moyen du délaissement des contrats de
rente appartenant au père, ce dernier aurait payé une
�C 19 )
somme un peu plus forte que son épouse, puisqu'il
résulte des termes du contrat que la dot a été acquittée
par moitié, et que tout tend à prouver que le père a
été remboursé de la différence que l’on peut remar
quer dans les paiemens.
Cinq ans se sont écoulés, de ce contrat de mariage
à celui de Marie-Gabrielle Tournadre avec PierreJoseph de T rén iole, qui est sous la date du a 3 mars
1791. Il est sensible que les jouissances que la dame
Tournadre mère avait perçues de ses biens paraphernaux pendant ce laps de tems, devaient avoir singu
lièrement accru ses ressources, et qu’elles étaient suf
fisantes pour l’établissement de sa fille.
Aussi voit-on, comme dans le précédent con trat,
que le père et la mère constituent la dot par moitié;
qu’elle est de 3o,ooô fr. , savoir, 20,000 francs, dont
le contrat porte quitlance, et 10,000 francs payables
après le décès des deux constituans; mais la mère
n’oblige point sa dot au paiement de la constitution
qu elle fait à sa iille; le contrat n’énonce aucun effet
dotal à la m ère, qui ait servi à l’acquitter; de manière
qu’il est certain que cette constitution a été faite et
payée avec les biens paraphernaux de la dame Tour
nadre.
v II faut d ire, pour l’explication des f a i t s q u e les
10,000 francs exigibles au décès dés deux constituans,
ont été payés aussitôt après la mort de la mère; et les
appelans rapportent, sous la date du 21 juillet 1 8 1 3 ,
�( 20 )
la quittance des 5ooo francs qu'ils ont donnés pour
Cet objet.
|;
, •
; ,
!'
A l’époque du mariage de Marguerite Tournadre
avec Jean-Baptiste Jourde, du 2 5 thermidor an 6, les
facultés pécuniaires de la mère étaient encore de beau
coup au g me n té es, puisqu'elle avait cumulé les jouis
sances de ses biens paraphernaux pendant cinq autres
années. Cependant elle ne paya à celte dernière fille,
que mille francs sur sa constitution dotale , qui était
de 3o,ooo fr., y compris le trousseau; et les 14,000 fr.
restant du chef maternel ont été acquittés par l’héritier
institué, après le décès de la m ère, ainsi que l’établit
la quittance du 14 novembre 1814/
La dame Tournadre mère est décédée en 1807. Les
revenus de ses biens paraphernaux sont connus ; elle
en avait joui pendant plus de trente-quatre ans; ses
habitudes et ses goûts ne lui permettaient point de les
dissiper : elle les a v a it, au contraire, constamment
accumulés. Cependant , à l’exception de la somme
qu’elle remit à la demoiselle Tournadre, sa fille, il ne
s’esL trouvé à son décès ni porte-feuille ni argent.
M. Tournadre père se croyait usufruitier des biens
de sa fem m e, soi 1 en vertu de la coutum e, soit en
Vertü de la disposition du'contrat de mariage de son
lils, où il s’était réservé l’usufruit légal de ces biens. 11
paraissait disposé à soutenir cette prétention. Quelque
peu fondée qu elle fût, son fils, héritier institué, crut
devoir y acquiescer, et consentit, en recevant l’aban
don du domaine de N oalhat, à laisser à sou père la
�( 21 )
jouissance de la dot maternelle, et à payer de suite tout
ce qui pouvgit être dû sur les dots constituées à ses
4 & ^ M r i o œ l'sîtdqqn?. il*
;;;iÎ0
Cette convention était très-avantageuse aux intimés,
puisqu’elle mettait à leur disposition des sommes qu'elles
ne pouvaient exiger qu’au décès du père, et sans in
térêt; elle privait l’héritier institué du bénéfice des
termes et des intérêts des sommes qu’il s’engageait à
payer p a r anticipation ; aussi fut - elle promptement
acceptée. Les intimés voulureni bien se contenter de
leur légitime; et au moyen du paiement qui en a été
fait, même à la demoiselle Tournadre, qui, le 2 avril
1807, a fourni quittance de i 5,ooo francs, l’héritier
i n s t i t u é s’est trouvé irrévocablement saisi d e là totalité
de la succession 1. maternelle.
. fT)(T, ' .
/;
*v, ^ j 'v>^
. »i
Il contient de placer ici deux états, celui des sommes
payées par l’héritier aux légitimâmes, et celui des
sommes employées par la mère sur ses biens parapliernaux ; leur rapprochement: fera sentir combien il est
invraisemblable que la dot de la dame Tournadre ait
été absorbée pour rétablissement de ses filles? sur-tout
si l’on considère et la valeur de ses biens paraphernaux,
et le soin qu’elle a pris de ne consentir à j ’aliénation
de sa dot que dans un seul contrat, et pour une somme
déterminée de 5oûo' franCs.
L a jouissance que là mère aVaïf faite, pendant trentequatre ans, de ses biens parapherriàufc,' avait produit
ï o o ^oqo,;fiapcs
au moin,9; elle nedépensait absolument
rien,: cette somme n q .^ va it donc être employée qu'à
�( Sî )
la dotation de ses filles. L a dame Tournadre avait cinq
enfans légitimantes ; leur dot était de 3 o,ooo francs
chacune, dont la mère devait supporter moitié, c'està-dire 75,000 francs pour les cinq enfans. Ses biens
paraphernaux étaient donc sufïïsans.
Cependant qu’a-t-elle payé sur ses biens parapher
naux ?
i° A la dam eLam arge.
20 A la dame Chateau.
« *1 1
rr. , - ,
3 ° A la dame Tremole.
40 A la dame Jourde. .
.
.
.
.
. 10,000 fr.]
. iO,ooofr.| _
^
r > 3 1,000 francs.
. 10,000 fr.l
. 1,000 fr.)
Q u ’a payé l’héritier?
i° A la dame Chateau. . . 5,ooofr.]
2 0 A la dame Tréniole. . . 5 ,000 fr.l
3 ° A la dame Jourde. . . . 14,000 fr.i ^9’° 00 ^rancs'
4° A D 1Ie Marguerite. . . i 5,ooofr.J
T o t a l . ......................... 70,000 francs.
A quoi il convient d’ajouter les
5ooo francs de biens dotaux aliénés
par la mère pour l’établissement de la
,
dame L a m a r g e l ......................................
5 ,000 francs.
1 ■ 1■■1
1
,
Ce qui donne pour total.............. 75,000 francs ,
montant des cinq constitutions dotales faites par la mère
en faveur de ses filles.
L e rapprochement de ces faits prouve qu'il est im
possible que les biens paraphernaux et dotaufc de la
�mère aient été épuisés pour l’établissement de ses enfans. Tout concourt également à démontrer que l ’hériiier institué n’a reçu de sa mère que le domaine de
N oalhat, qui lui était paraphernal. Les biens dotaux
sont restés confondus dans la succession paternelle, à
l ’exception de la rente Fournial, qui a été reçue par
les appelans, et par eux donnée à demoiselle M ar
guerite Tournadre, pour le paiement de sa légitime.
Com ment donc pourrait-on refuser à l ’héritier institué
de la mère la faculté de prélever ceux dont elle n’a
pas disposé ?
L ’exposé de ces faits était indispensable pour faire
apprécier la demande en prélèvement des appelans;
mais on a dû élaguer quelques détails qui trouveront
leur place dans la discussion.
Pour rendre intelligible la demande en rapport de
5o,ooo francs, formée par les intimés contre les ap
p e l a i , il convient d’interrompre le récit des faits, pour
les reprendre un peu plus haut, et exposer dans leur
ordre ceux qui s’appliquent directement à cette de
mande.
M. Tournadre, de c u ju s , était propriétaire d’un
domaine situé dans les appartenances de Blanzat ,
Cebazat et Nohanent ; le sieur Antoine T o u r n a d r e ,
son fils, y avait fait quelques annexes, montant en
semble à la somme de 2,5oo francs.
L e 4 frimaire an 7 , M M . Tournadre père et fils,
réunis, vendent au sieur Pierre L egay cette propriété,
moyennant la somme de 44,000 francs, payable en
�( *4 )
trois termes; le premier de 20,000 francs, à échéance
le i er prairial suivant; les deux autres, de 12,000 fr.
chacun, payables de n e u f mois en neuf mois, à dater
du I er prairial, époque du p r e m i e r p a i e m e n t .
U n des articles de cette vente est ainsi conçu :
flf Déclarent lesdits vendeurs que T ou rn adre J i l s ne
» doit toucher, sur le prix de la présente vente, que
« la som m e de ssôoo francs en principal, ensemble
«
te
ir
«
les intérêts d ’icelle, ainsi qu’ils auront lieu, pou r
raison d a cq u isitio n qu’il a f a ite d ’objets d a n s les
dépendances de Blan% at, q u i sont de la com prise de
la présente vente. L e surplus du prix sera touché par
« le sieur Antoine Tournadre père , comme proprié« taire du restant.-»
Ainsi le fils ne figurait dans la vente que pour la
portion qui lui appartenait dans le domaine vendu, et
11e devait en toucher le prix que jusqu’à concurrence
de son droit de propriété.
L es quittances confirment les idées claires et précises
que fait naître le contrat de vente.
L e 4 messidor an 8, le sieur L e g a y paye la somme
de 7,3^i francs 35 c., à imputer sur les intérêls.et lo
capital de la ven te; la quittance qu’il reçoit est de
l’écriture dü sieur Tournadre fils, et signée par son
père et lui; mais pour qu’il ne reste aucun doute sur
celui des deux qui a reçu les fonds, le père ajoute de
sa m ain, au bas de la quittance : « J ’approuve la pré« sente quittance, comme ayant reçu la sommes, Celte
déclaration est signée de lui.
li* •.
�L e i 3 vendémiaire an 9 , le sieur L e ga y fait encore
un à-compte de la somme de 3652 francs, et reçoit
une quittance écrite de la main du père, et signée de
lui.
Enfin, le 6 frimaire an 10, M. Tournadre père
donne au sieur L egay quittance finale des 44,000 fr.',
prix de la ven te, et il est dit que toutes quittances
antérieures ne serviront, avec celle-ci, que d ’un seul
et même acquit.
Ainsi, en consultant les titres relatifs à la vente du
domaine de Blanzat, en lisant les écrits et déclarations
émanés du père lui-m êm e, on acquiert la certitude
que le prix de cetle vente a été reçu par lui; il faut
m ê m e convenir q u ’il ne se présente aucun moyen pour
détruire des résultats aussi évidens.
Cependant les intimés invoquent à l’appui de leurs
prétentions un écrit émané du sieur Tournadre fils ?
et dont les appelans ne connaissent ni l’origine , ni
l ’objet. Il est à propos de le détailler.
Cet écrit est du 22 pluviôse an 1 3 , c ’est-à-dire postérieur de six ans et quelques mois à la vente de
Blanzat, et de plus de trois ans à la quittance finale.
L e fils s'y exprime ainsi :
«■Antoine G o y , fermier de N o a lh a t, paiera à mon
« père 700 francs sur le terme de sa fe rm e , qui échoira
r au 9 niai prochain.
<r 2° Sur les termes à venir, pendant tout le tenu du
« b a il, celle de 1,200 francs, et lui délivrera, en outre,
K toutes les réserves échues et à écheoir qui sont
4
�( 26 )
« portées, tant dans le bail ancien que nouveau , y
«• compris la moitié des bois morts, à la seule excep
te tion des échaias. Je tiendrai compte du tout sur la
« quittance de mon père. »
A u dos de cet écrit se trouve de la main du père :
«■J ’ai reçu assez exactement les réserves d’autre part ;
« mais depuis quelques années, les 1200 fr. ne m’ont
« point été payés. »
Après la signature, le père ajoute r
«■C ’est un compte à faire sur le rapport des quit<r tances. •»
Il est difficile de trouver dans cet écrit quelque chose
de favorable au rapport du prix de la vente du do
maine de Blanzat, demandé par les intimés. La dis
tance des dates, la propriété sur la ferme de laquelle
portait la convention, la durée qu’elle devait a v o ir,
le montant du revenu cé d é, mis en rapport avec le
capital dem andé, tout s’oppose à ce que Ton puisse
penser que cet écrit a une relation direcle ou indirecte
avec la vente de Blanzat.
En eifeî, !* vente de Blanzat est du 4 frimaire an 7;
la quittance finale du prix de cette ven is est du 6 fri
maire an 10. Pour qu’il y eût affinité entre ces actes et
l ’écrit produit, il faudrait qu’il y eût concordance de
date; o r, la distance de l’écrit ¿1 la vente est de plus
de six ans; elle est de trois ans entre l ’écrit et la quit
tance tinale. A in s i, sous le premier rapport, aucun
rapprochement à faire.
Les intimés soutiennent que le prix de la vente de
�( 27 )
Blanzat a été employé à payer Facquisilion faite, par
le fils, du domaine de Cebazat. Pour que l’écrit rendit
cette assertion probable, il faudrait que la convention
portât sur les revenus de Cebaz=at; or, elle s’applique
au bail à ferme du domaine de N oalhat, propriété
paraphernale à la mère : donc, bien loin de justifier
l’allégation des intimés, cet écrit la repousse.
L a durée de la convention est aussi contraire à ce
système. Si M. Tournadre père eût donné à son fils le
prix de Blanzat, il se fût assuré un revenu pour tout
le tems de sa vie. Cependant l’écrit ne contient un
délaissement de revenu que pendant tout le cours d u
bail de Noalhat. L a durée de cette convention n’a
donc aucune espèce de rapport avec le don du prix de
Blanzat.
Enfin, si l’on compare le capital donné avec le re
venu cédé , il n’y a aucun rapprochement à f a ir e ,
aucun équilibre à établir. D ’après la ven te, ce capital
serait de 44,000 francs; les intimés et les premiers
juges le portent de 5o à 60,000 francs; le revenu cédé
par l’écrit est de 1200 francs : il ne peut donc se rap
porter au prix de la vente de Blanzat.
Il paraît donc impossible de regarder l’écrit du 22
pluviôse an i 3 comme la présomption ou le com men
cement de preuve que le sieur Tournadre fils ait reçu
le prix de la vente du 4 frimaire an 7 ; mais l’exam en
de quelques faits subséquens détruit absolument les
doutes que les intimés ont cherché à faire naître.
M . Tournadre père a survécu a son fils. Ce dernier
�( 28 )
est décédé le i 5 juin 1808. Il était naturel que le
père fît valoir ses préteniions contre la succession, ou
qu’au moins il demandât le règlement de compte qui
est indiqué au verso de l’écrit du 22 pluviôse an i 3 ;
le père garde le silence : de là deux inductions forcées:
la première, que tout avait été consommé entre le
père et le fils avant la mort de ce dernier, relative
ment à la convention du 22 pluviôse an i 3 , et au
compte auquel elle pouvait donner lieu; la seconde,
que cet écrit ne se rapportait point à la vente de
Blanzatj puisque le père n’ayant point été remboursé
du vivant de son fils du prix de celle vente, l’aurait
réclamé contre les appelans, ou au moins aurait exigé
qu’ils continuassent d’exécuter la convention du 22
pluviôse an i 3 , si elle eût représenté le revenu de la
somme donnée par le sieur Tournadre père.
Il ne faut pas que Ton puisse penser que si M. T o u r
nadre père n’a rien dem andé, c’est ou parce que Toccasion de réclamer ne s’est point présentée, ou par
négligence de ses propres intérêts. Un acte de famille
et un fait particulier au sieur Bernard-Félix Tournadre,
appelant, ne laissent aucun équivoque sur ce point.
L e 19 septembre i 8 i o , l a famille se réunit; il était
question de régler les droits de Marie Lucas, veuve
Tournadre, mère des appelans, et usufruitière de la
moitié des biens de son mari. Bernard-Félix était mi
neur, et procédait en présence et sous l’autorité d’A n
toine Tournadre, son ayenl et son curateur. La mère
des appelans réclamait ses reprises contre la succession
�de son mari., et notamment i 3o?ooo francs, prix de
la vente de ses propriétés dotales, qui avait été em
ployé à l'acquisition du domaine de Cebazat. Cet acte
règle ces reprises et la jouissance que feront les enfans
des biens paternels. Pour cela il fallut composer la
masse de la succession en a c t i f et en passif. M. T o u r
nadre, ayeu l, était présent à tout; c’ était bien, sans
doute, le moment de faire connaître ses prétentions.
IL signe sans rien réclamer.
Il n ’y avait point de négligence de la part de
M. Tournadre père; il était très-soigneux de ses in
térêts, même vis-à-vis ses proches. M. Bernard-Félix
Tournadre, appelant, eut, à l ’époque de son mariage,
besoin d’une somme de 10,000 francs; il s'adressa à
son ayeul : celui-ci fit d’abord beaucoup de difficultés
pour les lui prêter. Enfin il céd a , mais il lui fit sous
crire, sous la caution de son beau-frere, un billet,
qui, avec les deux obligations, sont les seules créances
de valeur réelle qui se soient trouvées à l'ouverture
de la succession.
Il n’existe donc dans la cause aucune circonstance,
aucune présomption, aucun indice, aucune adminicule
même qui puissent iaire naître 1 idee que M. Tournadre,
de c u ju s , avait donne ou conlié a son fils le prix du do
maine de Blanzat. T o u t, au contraire, se réunit pour
détruire cette étrange assertion. Comment donc se
trouve-t-elle consignée dans le testament de M. T o u r
nadre père? Il serait facile de répondre, dès l’instant
m ê m e , à celte question j mais il vaul mieux laisser au
�( 3o )
lecteur le soin de la résoudre, et continuer l'exposé
des faits et des circonstances qui ont entouré le tes
tament.
Depuis l’époque du décès de la mère * M. T o u r
nadre, d& ca ju s y fat livré aux soins de demoiselle
M arguerite, sa fille, qui n’a cessé d’habiter avec lui.
Cette demoiselle se trouva bientôt à la tête des affaires
de la maison, et dut sans peine maîtriser la volonté
d’un vieillard infirm e, dont la mémoire et les facultés
intellectuelles étaient sensiblement altérées.
L ’influence de Marguerite se fit bientôt sentir d’ une
manière très-avantageuse pour ses sœurs.
L a dame de Tréniole vint dans la maison paternelle;
elle y conduisit ses deux enfans, qui y ont reçu une
éducation soignée et brillante. Z é lie, Tune d’elles, a ,
même de l’aveu de mademoiselle Tournadre, pris part
aux bienfaits de son ayeul.
L a dame Rode vint bientôt, avec ses quatre enfans,
chercher un asyle chez son père. L a dame Jourde, à
son tour, après y avoir fait, à différentes époques, des
séjours très-prolongés, a fini par s’y établir depuis le
décès de son époux.
Si ces dames n’avaient été réunies sous le toit pa
ternel que pour y trouver des consolations ou des se
cours, les appelans ne leur feraient aucun reproche.
L a demoiselle Tournadre mériterait même des éloges
pour avoir ainsi consolé ou secouru ses soeurs.
Mais si, abusant de l'influence qu’elle avait toujours
eue sur l’esprit de son père, la demoiselle Tournadre
�n’a appelé ses sœurs auprès d’elle que pour servir h
l'exécution de ses projels; si ces dames, esclaves des
volontés de leur bienfaitrice, ont, par nécessilé peutêtre, contribué à maîtriser la volonté d’un vieillard
débile et souffrant; si, pendant leur cohabitation, le
sieurTournadre père a été dépouillé de Tadministralion
de ses biens; si la demoiselle Tournadre a eu à sa dis
position un porle-feuille considérable, dont l’existence
et la valeur étaient publiquement connues; si cette
riche partie de la fortune mobiliaire du sieur T o u r
nadre a disparu dans le tems m êm e où la demoiselle
Tournadre gérait en maîtresse absolue toute la fortune
de son p ère; si le sieur T ou r n ad r e, parvenu au der
nier degré d'infirmité, livré à un état de faiblesse
morale qui ne lui permettait de reconnaître et distin
guer ni les personnes, ni les objets, incapable de m a
nifester aucune volonté, a cependant copié un tesment ayant pour objet d'anéantir l’institution d’héritier
qu’il avait faite en faveur de son fils, institution qui,
peut-être, était effacée de sa m ém oire; si tout cela a
pu être connu des sœurs de la demoiselle Tournadre;
si, depuis le procès, elles ont refusé de répondre sur
des fails aussi pertinens, et que leur sœur devait désirer
si ardemment voir ensevelis dans l’oubli; si enfin, de
venues parlies au procès, elles ont négligé leurs in
térêts vis-à-vis de leur sœur, et se sont jointes à elle
pour demander que la déclaration contenue au testa
ment du p ère, destructive de l’institution d’héritier^
eut son effet ! . . . . comment les appelans p o u r r a i e n l - i l s
�( 32 )
supposer que les dames T ré n io le, Lamarge et Jourde
ont été étrangères aux moyens employés par la de
moiselle Tournadre pour se rendre la maîtresse et la
dispensatrice de la fortune du père? comment pourraiton les blâmer de faire connaître l’objet d'une réunion
si préjudiciable à leurs intérêts?
Il faut placer ici une anecdote de fam ille, person
nelle à la demoiselle Tournadre et au sieur F é lix , son
neveu; elle pourra servir à donner une idée de la va
leur du porte-feuille. Il a été dit que le sieur Félix
voulut , h l ’époque de son mariage, emprunter à son
ayeul une somme de 10,000 francs; le père refusait,
et donnait pour excuse que ce p rêt déran gererait Le
com pte ro n d de 100,000 f r a n c s com pris d a n s
son
porte-feuLUe. Il fallut s’adresser à la demoiselle T o u r
nadre, qui tout aussitôt releva l’erreur de son p è re ,
et lui prouva, au contraire, qu’au moyen de ce prêt
il réduisait son porte - feuille au compte rond de
100.000 francs. Il n’en fallut pas davantage : les
10.000 francs furent prêtés.
Il était donc certain, pour le public et pour la fa
m ille, que le sieur Tournadre père avait une fortune
mobiliaire très-considérable, et qui, depuis long-tems,
était livrée à la surveillance et à la discrétion de ma
demoiselle Tournadre ; mais personne ne pouvait penser
qu’elle fût capable d en abuser; sa délicatesse et ses
sentimens religieux repoussaient toute idée de dé
fiance : on aurait craint de lui faire injure en prenant
la plus simple précaution.
�L ’époque du décès de M. Tournadre père est du
I er octobre 18 16 ; il est mort, ou plutôt s’est éteint,
entre les bras de ses filles, qui ont continué d’habiter
la maison paternelle. On peut penser qu’il n'y eut
point d’apposition de scellés : tous les effets mobiliers
restèrent ¿1 la disposition de la demoiselle Tournadre et
de ses sœurs jusqu’à l’inventaire.
Cet acte apprit bientôt que le porte-feuille avait dis
paru 011 avait été enlevé; pas un seul effet de com
m erce, pas un seul billet, pas une seule créance active
n’est énumérée dans cet inventaire, si l’on en excepte
les obligations qui ne pouvaient être dissimulées, et
les billets de 10,000 francs dont le sieur Félix est dé
biteur. Ce dernier, présent au procès-verbal, y lit con
signer ses protestations.
Cet inventaire fit découvrir une nouvelle preuve de
l’influence que les demoiselles Tournadre exerçaient
sur l’esprit de leur père : c’est le testament olographe
du 19 avril 1 8 1 1 ; toutes ses dispositions annoncent
qu’il n ’est pas l’ouvrage de M. Tournadre; la faiblesse
de son esprit s’opposait à ce qu’il manifestât aucune
volonté, et il est certain que s'il eût été en état de le
f a i r e , son testament aurait été enharm onie avec l'ins
titution d’héritier, contenue dans le contrat de mariage
de son fils, et bien loin de l’anéantir, aurait contribué
à en assurer Texécution.
Que dicte-t-on, ou plutôt que fait-on copier à ce
vieillard?
i° Il reconnaît devoir aux dames B œ uf et Bergier
5
�une somme de 5,000 francs, outre ce qu'elles ont reçu,
pour le logement, la nourriture et l’entretien de sa
sœur ;
2° On lui fait disposer par égalité, et en faveur de
ses cinq filles, de sa réserve et de celle de sa fem m e;
3° On lui fait écrire : « Je veux et entends que les
rr enfans de mon fils prédécédé rapportent à la masse
«■de ma succession la somme de 5o,ooo francs, que
« je Lui a i avancée pour l’acquisition du bien de C e
rf bazat. Ne prévoyant pas que je Lut survivrais, j e n a i
« point pris de reconnaissance ,* mais ses enfans et
« Leur mere ne L’ignorent pas : ils sont incapables de le
«• désavouer ( i ) ;
4° L e père veut que la maison de Clermont, jouie
par son fils, soit comptée dans la succession pour la
somme de 8ooo francs, en déclarant toutefois que les
réparations qui y ont été faites appartiennent au fils;
5° L a demoiselle Marguerite reçoit pour sa légitime
le domaine de Varennes. L e père estime cette propriété
à 70,000 fr., et veut que Marguerite paye aux autres
enfans, dans les trois ans de son décès, la somme ex
cédant sa légitim e, avec intérêts (2);
6° L e père fait différens legs qui doivent: être pris
ft' «ùicin ■
.'»* 5rviifto').oi -iiiiD ‘v *ii j ’ *iO')
- .n »' fiOîti. y.
(1) l ° C ’est le premi er acte où il «oit question d 'avances.
a 0 L a raison d on n é e du défaut de reconnai s sance, est des plus mauvai ses.
C ’ est préci sément parce que le père ne prévoyait pa^ q u ’i l survivrait à
son f i l s , q u ’ il devait prendre une reconnai ssance de lui.
3°
C o m m e n t les appelans ont-ils pu connaître ce f a i t , lorsque tous les
actes de famille le repoussent? M . T o u r n a d r e père n’ a jamais rien récl amé,
(a) I l suf f i t, pour se c onvai nc re de l'avantage indirect que renf erme
�et prélevés sur la masse de sa succession, et termine
par inviter ses enfans à soumettre les difficultés qui
pourraient s’élever entre eux, à la décision des juris
consultes de leur famille.
Les appelans suivirent cette direction; ils ne pou
vaient penser que le rapport du porte-feuille fût sé
rieusement contesté;ils imaginaient,au contraire^ qu’il
serait suffisant de le réclamer pour l'obtenir. Ils eurent
un instant l’espoir de réussir; l’intermédiaire qu'ils
avaient e m p l o y é croyait arriver à des résullats heureux :
il se trompait, et fut bientôt obligé de déclarer que la
demoiselle Tournadre ne voulait pas se rendre justice.
Il
était dès-lors impossible d ’éviter un procès. Les
appelans avaient beaucoup de renseignemens sur l’exis
tence et la valeur du porte-feuille. La renommée s’ex
pliquait à cet égard d’ une manière non équivoque; ils
pouvaient même prouver ces faits par une foule de
circonstances particulières et pertinentes : il leur ré
pugna d’employer ce moyen contre une parente qu’ils
avaient l’habitude de respecter, et ils aimèrent mieux
s’en rapporter à son serment. Ils pensaient, et croient
encore que la sainteté du serment sera suffisante pour
.
celte dest i nati on, de se mettre sous les y e u x l’extrait du bail du 2 2 ' a v r i l
i
8i 5
C e d o m a i n e , qui est pourvu de k â t i me ns de maîtres et de m é t ay e r s »
en bon é t a t , bien s i i u é j et très-agréable, pr odui t , impôts payés :
C e n t cinquante septiers froment., vingt septiers s e i gl e, dix septicis orge ,
dix septiers a v o i n e , vingt quintaux de l o i n , trente pots de vin , cinquante
livres d ’h u i l e , vingt hottées de p o t n m e s , huit paires de poulets, huit paires
iie c ha p o n s , six paires de d i nd on s , huit douzai nes d’ œufs.
�( 36 )
obtenir de la demoiselle Tournadre une déclaration
qu’elle ne peut refuser en sûreté de conscience.
L a demande en partage du sieur B e rn a rd -F élix
Tournadre et de la dame Simmers sa sœur , est du
mois de décembre 1816. Ils demandent, enlre aulres
choses, i° qu’il soit fait distraction de la dot malernelle
sur la succession du père; 20 que la demoiselle T o u r
nadre et ses sœurs rapportent au partage la somme
de 100,000 francs, pour la valeur du porte-feuille ap
partenant ¡1 la succession du sieur Antoine Tournadre *
de eu j u s .
Les appelans présentèrent une requête ayant pour
objet de faire interroger leurs adversaires sur faits et
articles pertinens. Cet interrogatoire fut prêté le 27
février 1 8 1 7 , par tous les intimés; et quoiqu’il porte
sur des faits nombreux et qui tendent lous à établir
l’existence du porte-feuille, dont le rapport est de
m an dé, le j iige-commissaire ne put obtenir que des
réponses insignifiantes, dont il serait inutile de parler?
s’il n’en était résulté l’aveu que la demoiselle T o u r
nadre avait reçu de son père une somme de 6000 fr,
pour la remettre à Zélie T rén io le, sa petite-fille.
Celte cause fut plaidée au tribunal civil de Clerniont
pendant plusieurs audiences. Les intimés ont comparu
par le ministère de trois avoués. 11 faut se faire une
idée exacte des conclusions respectivement prises.
A la première audience, les appelans (demandeurs)
conclurent, i° à ce qu’il fût fait distraction, en leur
�faveur, sur la succession paternelle, de la dot de la
mère, avec intérêts depuis son décès.
2° Ils demandèrent le partage de la succession pa
ternelle offrirent de rapporter l’office, suivant la va
leur des assignats à l’époque de son remboursement,
et la valeur de l’emplacement de la maison.
Ils conclurent à ce que les défendeurs fussent tenus
de rapporter, pour la valeur du porte-feuille., la somme
de 60,000 francs, en argent ou effets, avec intérêts
depuis l’ouverture de la succession; en cas de déné
gation , et subsidiairement, ils leur déféraient le serment
dérisoire,en demandant toutefois le rapport des 6000 fr.
reconnus avoir été confiés à la demoiselle Tournadre,
pour être remis à Zélie Tréniole, sa nièce.
3 ° Ils conclurent à ce que les legs compris au tes
tament fussent, prélevés sur le revenu du père; h ce
q u e , sans avoir égard aux attributions d ’immeubles,
faites en faveur de demoiselle T o urn ad re, tous les biens
composant la succession fussent partagés suivant les
dispositions du Code civil; et enfin, à ce que les dé
fendeurs fussent déboutés de leur demande en rapport
de la somme de 64,000 fr ., nonobstant la déclaration
consignée au testament du père.
Les dames Lamarge et C h ateau , réunies, conclurent
au débouté de la demande en distraction de la dot de
la mère.
E n donnant les mains au partage, elles offrirent de
Apporter la moitié de la dot qu’elles avaient
demandèrent leur portion dans la réserve.
re çu e ,
et
�Venant ensuite aux rapports respectivement de
mandés, elles s'en remirent à droit sur le rapport du
porte-feuille^ exigé de la demoiselle Tourn adre, et
conclurent à ce que les r e p r é s e n ta i de Fhéritier fussent
tenus de rapporter à la succession du père : i° le
trousseau de la mère et les 3 ooo fr. que le père avait
gagnés pour sa survie; 2° 3o,ooo fr., prix de l’office de
Conseiller; 3 ° 64,000 fr. provenus du prix d elà vente
de Blanzat, et reçus par l'héritier, suivant la déclara
tion testamentaire du père;. 40 8000 fr. pour la valeur
de la maison ; 5° elles demandèrent contre le sieur Félix
Tournadre personnellement, la somme de 10,000 fr.,
qui lui avait été prêtée par son ayeul.
Passant au testament,. elles demandèrent qu e, sans
avoir égard à la désignation faite par le père, le do
maine de Varennes fût compris dans la masse des biens
à partager, et conclurent à ce que tous les legs parti
culiers fussent prélevés sur la masse de la succession.
Pendant les plaidoiries, ces deux dames ajoutèrent
à leurs conclusions l’offre de la preuve que 5o,ooo fr.
ou une plus forte somme, provenant de la vente de
Blanzat, avait été versée par le sieur L e g a y , acqué
reur desdits biens, par les ordres du sieur Tournadre,
de e u j lis, entre les mains de son iils, héritier institué,
et que ce versement avait été fait à diverses reprises,
il y a environ vingt ans.
L a dame Tréniole et demoiselle Marguerite Tour
nadre, comparant par un même avoué, prirent, sur
différens chefs, les mêmes conclusions que les dames
�( 39 )
Chaieau et Lam arge, mais elles demandèrent positique les appelans fussent déclarés non recevables dans leur demande en rapport de la valeur du
tivem ent
porte-feuille; que le testament du père fût exécuté,
et que conséquemment le domaine de Varennes fût
attribué au lot de la demoiselle Tournadre. Cette der
nière demanda à être autorisée à payer à Zélie T r é niole la somme de 6000 francs., qui lui a été donnée
par son ayeul.
Enfin , sur le rapport de la somme de 5o^ooo francs,
demandé contre les appelans, en cas de dénégation,
elle conclut à ce qu ’ils fussent interrogés sur faits et
articles pertinens (1).
L e j u g e m e n t qui statue sur toutes ces demandes est
du 28 j u i n 1817. Il faut l’analyser exactement.
10
77 déboute Les appeLans de Leur demande en d is
traction de la dot de Marie J u g e , Leur ayeule, sur Les
biens composant La succession du sieur A ntoine Tour
nadre, de eu jus.
( 1 ) Il faut r emarquer que l’ interrogatoire sur faits et articles fut de m a nd é
par la demoi sel l e T o u r na dr e aux premières a u d i e n c e s , et q u e ce ne fut
qu’ après plusieurs plaidoiries que les dames Chat ea u et L a m a r g e p r o p o
sèrent la pr euv e par témoins. L e s appelans soutinrent que l’ interrogatoire
était excl usi f de la preuve 5 qu’ en admettant l’ un 011 devai t rejeter l’a u t r e ,
et q u e , dans l’e s p è c e , tous les i nti més ayant un intérêt c o m m u n , étant de
la m ê m e f a mi l l e, et ayant une égale connaissance des f aits, ne pouvai ent
recourir à une pr euv e par t é moi ns, qui serait o d i e u s e , puisqu’ elle tendrait
à anéantir les eitiels de l’ interrogatoire sur faits et art i c l es , dont le suppl é
ment nécessaire est le s erment
décisoire,
ex c l usi f de toute autre preuve.
C e fut la matière d’ 1111 incident qui fut v i dé par un j ugement ordonna»*
1interrogatoire. L e
j ugeai ent définitif a ensuite a dmi s la p r e u v e p a r témoins*
�Les motifs sont ;
Que la mère peut, sur-tout en pays de droit écrit,
disposer de ses biens dotaux et paraphernaux pour
doter ses filles ;
Que l’héritier institué a été astreint, par son contrat
de mariage, à payer à chacune de ses sœurs une dot
de 1 5,ooo francs; que le père s’est, en outre, fait une
réserve de 10,000 francs, que la loi et le testament du
père ont transmis aux légitimâmes ;
Q u ’au décès de la m è r e , il a été fait remise à l ’héritier de tous les biens maternels existans et non trans
mis, à la charge de payer ce qui restait dû. sur les
légitimes ;
Que le fils héritier a acquitté ces légitimes; qu’il n’a
rien réclamé de son père au-delà des biens qui lui ont
été remis; qu ’ainsi il a entre les mains tous les biens
maternels, et qu'aucun d’eux n’est resté confondu dans
la succession paternelle. — Il y a appel de cette dis
position.
20 L e partage est ordonné, et les rapports fixés ainsi
qu’il suit :
R apports
de
l ’h é r i t i e r
:
i° Trente miite fra n cs pour Le p rix de La charge,
Parce que son contrat de mariage lui en transmet
la propriété moyennant cette somme; qu’ainsi le rap
port est dû suivant l’estimation du contrat.— -rll y a
appel sur ce chef.
20 Rapport de 8000 f r . pour La valeur de La m aison}
�si m ieux a aime Les rapporter en nature; e t, en ce c a s ,
il prélèvera, suivant Cestimation, La plus-value des
reconstructions q u il ij a faites.
Parce que la maison n’ a point élé aliénée, et que
la valeur en a été augmentée par les constructions et
réparations de l'héritier;
Parce que le père n’a p u , par son testament, fixer
irrévocablement à 8000 francs la valeur de cet objet.
3° L es dames Lam arge et Ckateau sont admises à
prouver que la somme de 5 0,000 fr a n c s, et même plus
f o r t e , a été versée, par ordre du père, et de ses deniers
propres, entre les mains du f i l s héritier, par le sieur
Legai/ de B Lafixâ t, et ce, à diverses reprises, il y a
entour vingt ans.
Les motifs sont : Q u ’aucun titre n’établit que cette
somme fût due à la succession; que l’interrogatoire des
enfans de l’héritier ne prouve rien ;
Que la preuve offerte par la veuve Lamarge et la
dame Chateau se fortifie par un acte émané de l'hé
ritier, contenant, en faveur de son père, mandement
de la somme de 1,200 francs et des réserves à percevoir
sur le domaine de Noalhat, sans que cet acte indique
l ’origine de la dette;
Que l’héritier a joui du domaine de Blanzat depuis
la Cession qui lui en avait été faite parson père, jusqu'à
la vente consentie au sieur L e g a y ; que celle jouissance
u eu lieu sans que lien n’apprenne quelle portion de
revenu le iils devait rapporter au père, ni quelle in-
6
�( 42 >
demnité il a reçue quand, par l’effet d e l à vente, il a
été privé de celte jouissance ;
Que le mandement donné par le fils étant postérieur
à la vente consentie à L e g a y , et les héritiers n’élablissant en aucune manière l’origine de la dette qui en est
l'objet, se réunit aux autres circonstances pour fortifier
la déclaration consignée au testament du père, et faire
ordonner la preuve du fait qui y est énoncé.
Il y a appel de cette disposition.
4° Ordonne le rapport des 3ooo f rancs gagnés par
le pèreypar le fa it de sa survie.
5° Ordonne que le sieur Bernard-Félicc Tournadre
rapportera personneUement la somme de io ;ooo fran cs
q u il avait empruntée à son aijeul, avec intérêts depuis
la demande.
R apports
des
lég itim air es
:
1° Chacun rapportera à la masse la moitié de sa
constitution dotale.
2.° L es appelans sont déboutés de leur demande en
rapport de 60,000 fr a n c s , s a u f l’affirmation de leurs
cohéritiers.
Les motifs sont : Que l’on ne rapporte aucune preuve
de l’existence de cette somme en argent ou effets; qu ’il
n ’est résulté des interrogatoires aucun aveu qui pût la
faire supposer; qu’enfin, sur ce point, les appelans ont
déféré le serment décisoire à leurs adversaires.
�C 43 )
3 ° Les appelans sont également déboutés de leur
demande en rapport de 6000 fra n cs, confiés par le
sieur lo u rn a d re, de cujus, à demoiselle Tournadre,
sa fille , pour être remis à Zélie Tréniole, sa petitefille .
Les motifs sont : Que ce fait n'étant prouvé que
par l’interrogatoire sur faits et articles, et notamment
par celui prêté parla demoiselle Tournadre, son a v e u ,
à cet égard, est indivisible;
Qu’il résulte de cette déclaration que cette somme
lui avait été confiée cinq ou six ans avant le décès du
père ; qu ’ainsi elle n’avait jamais fait partie de sa
succession ;
Que d’ailleurs ce don était d’une somme modique,
fruit des économies du père, et la récompense des soins
que lui avait donnés sa petite-fille ;
Q u’enfin ce don, qui n ’avait pas eu lieu en faveur
d’ un successible, ne pouvait être regardé comme fait
en fraude de l’institution.
11 y a appel sur ce point.
P rélèvement
en
faveur
des
l é g it im â m e s
:
Orc/onne que la réserve du père sera prélevée sur la
masse de ta succession ,• et pour la reserve maternelle,
condamne les appelans à payer à chacun des intimés
la somme de 2o o o jr a n c s , avec intérêts à compter du
décès.
�Prélèvement
des
legs
particuliers
:
filtr a Lieu sur La masse de La succession.
D om ain e de
V arennes :
L a demoiseLLe Tournadre est déboutée de sa demande
en attribution du domaine de Varennes à son lot.
Par les molifs : Que cette estimation et attribution
sont querellées, tant par les représenlans de l ’héritier
institué;, que par les légitimaires ;
Que le père ayant épuisé la quotité disponible, par
l ’institution d ’héritier, ne p o u v a it , par testament,
former un lot d'attribution en faveur de l’un de ses
enfans, au préjudice de l ’égalité de droits acquise à
chacun des autres.
L a demoiselle Tournadre a interjeté appel incident
de ce ch ef de jugement.
Enfin, ce jugement surseoit pour les opérations de
partage, jusqu’après l’enquête ordonnée; compense
les trois quarts des dépens; réserve l’autre quart pour
y être statué en définitif.
Il y a appel de ce jugement sur les difïérens chefs
qui ont été indiqués. T e l est l’état de la cause»
�D ISCU SSION.
demande
DE
A
ET
LA
LA
en
rapport
DOT DE
MARIE
SUCCESSION
AYEUL.
, f o r m é e p a r les a p p e l a n s ,
d
JUGE,
’ANTOINE
BIERE E T A Y E U L E ,
TOURNADRE,
PERE
V
PREMIÈRE QUESTION EN DROIT.
L a fem m e, en pays de droit écrit d ’Auvergne, peutetie aliéner sa dot pour doter ses f il le s , lorsque le
père a des moyens sujfisans pour les établir suivant
son état ?
L e droit romain, dans sa pureté, ne laisse aucun
doute sur cette question. Il répond négativement, soit
que l’on considère celui des ascendans auquel l'obliga
tion de doter est imposée, soit que l’on fixe son atten
tion sur les règles qui prohibent l’aliénation de la dot.
En effet, la loi 1 9 , ff. de ritu nuptiarum , impose
au père le devoir de doter sa fille. L a même loi ap
prend que s’il refuse, sans juste cause, de la marier et
de la doter, il doit y être contraint par le magistrat.
L a mère, au contraire, n'est astreinte à aucune obli
gation pareille, si ce n’est en certains cas, et pour des
causes d’une nécessité absolue, ou prévues par une loi
expresse : Neque mater pro JiUa dotem dare cogitur,
m si est tnagnâ et probabili causa, vel lege speaaUtcr
expressa, 1. 14? au code de ju r e dotium.
�{ 46 )
On sait que les causes qui nécessitent la dotation des
filles de la part des mères, sont l’état de pauvreté des
ascendans paternels, et l’impossibilité où se trouve la
fille de se doter elle-me me ; Ergo dotes ojjicium est
m aternum, si pater sit inops.
Celte maxime a été adoptée dans la coutume d ’A u
vergne, et a servi de fondement à l’art. 6 du chap. 14:
« F e m m e , constant le mariage, peut disposer, par
« contrat entre-vifs, de la quarte partie de ses biens
« dotaux pour le mariagp........ Là où te mari ri aurait
«■de quoi marier ses dites filles........ suivant son état.»
Ainsi le droit ro m a iu , comme la coutume, impose
au père seul le devoir de doter ses filles.
L e droit romain, comme la coutume, 11e permet à
la mère de participer à cette dotation, que dans le cas
où la tille ne pourrait, sans ce secours, s’établir suivant
son état.
D o n c , en pays de droit écrit d’A u v e r g n e , il faut ,
comme en pays coutumier, reconnaître que la mère ne
peut employer sa dot à rétablissement de ses filles, que
lorsque le père est dans l’impossibilité de les marier
convenablement.
Ces idées, qui naissent de l’examen des obligations
différentes imposées par les lois aux pères et mères, se
fortifient au point de devenir des vérités évidentes, si
l’on fixe son attention sur les principes relatifs à Tinaliénabilité de la dot.
On sait que la loi JuU a défend d’aliéner le fonds
dotal sans le consentement de la fe m m e , et de l’by^
�polhéquer, quand même elle y consentirait. Justinieri
r e n d i t générale celte prohibition, qui d’abord n’avait
eu lieu que pour l ’Italie, et ajouta que le mari ne pou
vait aliéner le fonds dotal, même avec le consentement
de la femme. Ce sont les termes de la loi i 5 , au cod.
de rei actione.
Les motifs de cette loi sont des plus respectables; il
fallait garantir les femmes des dangers de leur propre
faiblesse : N e seociLs muliebris fra g ilita s in perriiciem
substanlice earum convertatur j il fallait sur-tout m é
nager une ressource aux familles dans les événemens
malheureux, et, sous ce rapport, la conservation des
dots est d’intérêt public : Reipublicce interest muLieres
dotes saLvas habere. .Aussi le droit romain frappe-t-il
de nullité toutes les conventions, tous les actes à titre
onéreux ou gratuits, qui ont pour objet l’aliénalion
du bien dotal; il les comprend dans la même défini
tion, et les prohibe tous également : E s t autem alié
na tio omnis actus per quem dom inium transferetur,
1. i y au code de fu n d o d o ta li; et pour qu'il ne reste
aucun doute sur la donation en elle-même, la loi 7 ,
ff. de doriationibus, définit ainsi la donation : Donare
est perdere.
•
•
•
%
Comment pourrait-on résister h des principes aussi
certains ?
L e droit romain prohibe en termes absolus 1 aliéna
tion du bien dotal : cette prohibition frappe tous les
actes qui transfèrent la propriété ; la donation est com
prise, puisque son efïet est de faire perdre la dot de
�la femm e; donc elle ne peut ni vendre ni donner qu’a
vec la permission de la loi; o r , la loi ne lui permet
d’aliéner sa dot pour l’établissement de ses filles, que
lorsqu'elles ne peuvent se doter elles-mêmes, et que
leur père est dans l’impossibilité de les marier conve
nablement.
Ces maximes conservatrices doivent sur-tout être
admises en pays de droit écrit d’Auvergne. Les dispo
sitions de la coutume étant rédigées dans le même
esprit, elles se prêtent un mutuel secours, et se servent
réciproquement de règles d’interprétation. Cette sage
combinaison établit aussi une jurisprudence uniforme,
dont les heureux effets se font bientôt sentir à une
population réunie sur le même sol, vivant sous le même
climat, et ayant les mêmes intérêts et les mêmes ha
bitudes.
Cependant quelques jurisconsultes ont voulu établir
une différence entre le pays de coutume et le pays de
droit écrit d’Auvergne, et ont pensé qu’en pays de droit
écrit, les femmes peuvent aliéner leur dot pour l ’éta
blissement de leurs filles. Les raisons qu’ils donnent à
l ’appui de leur opinion ne peuvent convaincre; elles
se réduisent à des considérations plus ou moins puis
santes, et qui ont pour objet d’écarter les applications
d’une loi qu ’ils trouvent trop rigoureuse; mais si ces
considérations ont pu prévaloir dans des pays de droit
écrit, voisins de pays coutumiers, où les époux , vivant
en communauté, étaient par cela même chaigés de
contribuer également à l’établissement de leurs enfans,
�( 49 )
elles ne peuvent produire aucun effet dans les pays de
droit écrit, entourés de coutumes où le régime dotal
est exclusivement établi, avec les lègles relatives à
l ’inaliénabililé de la dot. On doit même dire que pour
ces contrées, ce système serait dangereux , puisqu’il
contrarierait les habitudes et les principes les plus gé
néralement reçus; il faudrari donc des règles bien po
sitives pour l’y faire admettre.
Ou sont ces règles? Les lois, bien loin de faire naître
ces idées, les repoussent absolument; la jurisprudence
est à peu près muette sur ce point. L ’on trouve avec
peine deux arrêts rendus sur cette question par le par
lement de Paris, et encore aucun n’est applicable au
pays de droit écrit d’Auvergne. L e dernier, qui est de
37 76, et rapporté par M. Bergier sur Ricard, pag. 4 1 9 ,
a été rendu pour le Lyonnais; or, on sait que la d é
claration du 21 avril 1664 abroge la loi Jutia dans les
provinces du Lyonnais, F o re z, Maçonnais, Beaujolais,
et autorise les femmes à engager et hypothéquer leurs
biens dotaux, tandis que dans le pays de droit écrit
d'A u vergn e, celle loi subsiste dans toute sa vigueur.
Il paraîtrait donc que le sieur Tournadre, de cu ju s,
ayant des moyens suffisans pour établir ses filles cl une
manière couvenable et suivant leur état, son épouse
ne pouvait aliéner sa dot pour cet objet, el que son
engagement à cet égard, lors même qu’il aurait été des
plus
positifs, ne pouvait produire aucun effet.
Mais tous les doutes se dissipent, si l’on considère
7
�( 5® )
que ïa mère avnit, dans l’espèce, des biens paraphernaux plus que sufBsans pour doter.1
.
, -■*
?
1
'7
*
DEUXIÈME QUESTION EN DROIT.
L a fem m e, en patjs de droit écrit d ’Auvergne, peut-elle
employer ses biens dotaux à Cétablissement de ses
f ille s , lorsquelte a a sa disposition des biens parapkernaux suffisans ?
L a négative de cette question ne peut souffrir de
difficultés. On a développé les motifs qui ont fait ad
mettre de la manière la plus absolue la prohibition de
l’aliénation du bien dotal.
Ils se reproduisent ici avec plus de force.
En effet, la mere n e st admise à doter sesJ illes que
lorsque le pere est dans Cimpuissance de le faire. Or y
plus fortement encore, si la femme a à sa disposition
des biens paraphernaux, ne doit-elle pas les épuiser
avant de loucher h sa dot?
L a loi a voulu garantir la femme des effetsfu n estes
de sa
propre
faiblesse.
Ne
serait-ce pos lui faire entière
ment manquer son but, que de permettre l aliénation
de
la d o t ,
là où les biens paraphernaux peuvent suffire?
Ainsi la femme, en même tems qu’elle pourrait dissiper
ses biens paraphernaux, les a n é a n t i r suivant ses ca
prices, les employer
in d irectem en t
au profit de son
mari, aurait encore l a f a c u l t é de disposer d e ses biens
dotaux pour rétablissement de ses filles ; elle pourrait,
cédant à des idées peu réfléchies, à des impulsions
�( 51 )
étrangères, au d o l , peut-être même à la violence,
consommer elle-même sa ruine, et arriver à l ’âge des
infirmités, dénuée de toutes des ressources que sa fa
mille lui avait préparées, et que la loi lui avait ga
ranties........Un pareil système se détruit lui-même.
E n fin La dot est ta ressource des fa m illes dans les
événemens malheureux ; sous ce -rapport, leur conser
va tion intéresse Co r d r e pubUc: pourquoi donc permet Ire
d'en disposer pour les événemens les plus ordinaires ?
Pourquoi ne pas conserver pour l’instant du naufrage
cette planche que la loi a placée dans les familles comme
la dernière ressource contre les périls auxquels elles
peuvent être exposées? Que la femm e use de ses biens
paraphernaux, qu’elle les utilise pour l’établissement
de ses eufans, cet emploi est aussi honorable que na
turel; mais qu’elle conserve sa dot, ou si elle doit en
disposer, qu’elle y soit contrainte par la nécessité, et
qu'il n’y ait pas d’autre moyen de se secourir ou de
sauver sa famille.
Mais encore , de quel droit la femme disposerait-elle
de sa dot, lorsqu’elle a des biens paraphernaux? L a
dot est établie pour supporter les charges du mariage;
l ’administration et les revenus en appartiennent au
mari, qui ne peut en être privé que par les moyens
et dans les circonstances que la loi indique. Plus la
fortune du mari est b o r n é e , plus les revenus d e l à dot
de son épouse lui sont nécessaires; et sei ait-il juste de
l’en
priver légèrement, lorsque la loi ne lui donne
aucune indemnité, laissant à la femm e la libre dispo-
�sifion de ses biens paraphernaux, la faculté d'en user
et d ’en abuser, et ne lui en demandant aucun compte»
si Temploi qu’elle en a pu faire n’a point tourné au
bénéfice du mari.
Ainsi tous les principes, toutes les considérations se
réunissent pour .exclure l’idée que la femme puisse
aliéner sa dot, même pour l’établissement de ses filles,
lorsqu’elle a des biens paraphernaux à sa disposition.
L a dame Tournadre avait-elle de cette espèce de
biens? étaient-ils suffisans pour lui permettre de doter
ses filles ?
Les faits ont répondu. La dame Tournadre jouissait
d’ un revenu considérable. A u mariage du premier de
sesenfans, elle avait des capitaux d’ une grande valeur;
les établissemens successifs de ses autres filles ont eu
lieu à des époques assez éloignées les unes des autres,
pourque ses économies pussent suffireà les doter. Fn(in r
la jouissance de ses biens paraphernaux pendant plus
de trente-quatre ans lui avait produit un capital de plus
de 140,000 francs; elle nra cependant employé que
3 1,000 f'r. au paiement de la dot de ses filles; comment
concevoir que ses biens dotaux seraient encore ab
sorbés ?
Mais l’examen des questions de fait prouve qu’ils
existent encore, et qu'elle n ’en a point disposé.
,
�PREMIÈRE QUESTION DE F A IT.
L a dame Tournadre a-t-elle disposé de sa dot pour
marier ses f ille s , et sur quels objets porte cette dis
position ?
Si l’on ne s'éloigne pas des principes qui viennent
d’être établis, et si l’on fixe son attention sur la po
sition de la dame Tournadre, cette question est facile
à résoudre.
Celte dame avait des biens parapbernaux et desbiens
dotaux; elle ne pouvait disposer des seconds qu’après
avoir épuisé les premiers. Il faut donc que l’on accorde
qu’ayant des ressources autres que sa dot, elle n’est
censée l’avoir aliénée que lorsqu’elle l’a expressément
d é c l a r é e t que cette aliénation ne peut s’étendre audelà de la quotité qu’elle a elle-même fixée.
Ainsi , il faut tenir pour règle certaine que l’aliéna
tion de la dot ne peut résulter que d’une déclaration
expresse de la part de la mère; que sans cette circons
tance, les constitutions dotales de ses filles sont censées
faites et acquittées avec ses biens parapbernaux.
Si l’on applique cette règle aux difïérens c o n tr a ts de
mariage, on voit que celui de la dame L a m a r g e est le
seul où la mère ait employé une portion de sa dot a
l’établissement de ses filles; elle a eu même grand soin
d’indiquer jusqu’à quelle somme elle l’aliénait.
I-a constitution dotale de la dame Lamarge était de
3 o;ooo francs, moitié paternelle9 moitié maternelle;
�ainsi la mère était débitrice de i 5;ooo fr. Elle paye
10,000 fr. avec ses bi ^ns paraphernaux; il ne restait
donc que 5ooo francs à prendre sur sa dot; mais comme
le mari disposait des effets dotaux pour acquitler sa
propre dette, et qu’il donnait pour 14,400 francs de
contrats de renie appartenant à la mère, celle-ci a
grand soin de dire qu'elle n’entendait les aliéner que
jusqu’à concurrence de 5ooo francs, ce qui se réunit
aux termes de la constitution dotale et au mode de
paiement fait par la dame Tournadre , pour apprendre
que le père, ou sa succession , devait restituer la valeur
des contrats de rente excédant les 5ooo francs pour
lesquels la mère avait restriclivement obligé sa dot.
Les contrats de mariage des autres enfans 11e con
tiennent^ de la part de la mère, ni déclaration qu’elle
entend employer sa dot à leur établissement, ni dé
laissement d’effets dolaux. Les constitutions sont faites
par moitié, et partie de la p o r t i o n à la charge de la
dame Tournadre a été payée en argent provenant des
revenus de ses biens paraphernaux. On a en effet vu
que la mère ne s’étail libérée de ses dots que jusqu'à
concurrence de 3 i,ooo francs, el que les 39,000 francs
restant avaient été acquittés9 après son décès, par son
héritier.
Ainsi il est évident que la dame Tournadre 11’a aliéné
que 5 ooo francs de sa dot pour établir ses filles; que
le surplus a été constitué sur ses biens paraphernaux.
S ' i l fallait ajouter à la preuve de ce fait, il serait au
besoin confirmé par le tableau , qui prouve que le
�( 55 )
montant de la moitié des cinq constitutions dotales à
la charge de la dame T o u rn a d re a été p a y é , savoir,
3 1.000 fr. du vivant de la mère,, et en argent prove
nant des revenus de ses biens p ar ap h ern au x, 09,000 J'r.
après son décès; c e q u i , joint aux 5ooo francs de biens
dotaux aliénés par le contrat de mariage de la dame
L a m a r g e , complète les 75,000 francs dont la dame
Tou rn ad re était tenue.
Cette dot existe donc; et comment se soustraire au
prélèvement
demandé par les appelans, s’il ne peut
être établi que ces Liens sont en leur pouvoir?
DEUXIEME QUESTION DE FAIT.
L es effets d ota u x dont ta mère n a point disposé,
o n t-ils, à l'époque de son décès, été remis à son
héritier ?
Il ne peut s’élever de doute sur la quotité de la dot,
ni sur le fait de la réception de la part du mari.
L e contrat de mariage établit que la dot est de
48.000 francs; il prouve également que la majeure
partie en a été p a y é e comptant.
L e s principes établissent c o m m e p r é s o m p t i o n d e
droit que dix a n s 7 écoulés depuis le m a r i a g e , suffisent
pour que la dot soit censée r e ç u e ; de manière q u ’à
dater de celte é p o q u e , le mari en est responsable; il
est tenu d e l à restituer, q u ’il l ’ait touchée 011 n o n ,
devant supporter tous les effets et toutes les suites de
sa n egligçuce . Exceptiô non numeratœ dotis cessât
�advarsùs securitates dotlutn fa cta s , post confectLonem
dotaUian ¿nstrumentorum, dit la loi 1 4 , au cod. de
non numerata pecunia.
Ainsi les appelans trouvent dans le contrat de ma
riage, et dans les principes, un double titre servant à
prouver que la dot constituée à la mère a été reçue
par son mari; et s’il en était besoin, ils peuvent encore
établir cette réception par un rapprochement qui a
déjà eu lieu; l’on veut parler du contrat de mariage de
la mère, du 6 juillet 1760, combiné avec le partage
du 26 janvier 1772^ qui, rapprochés du contrat de
mariage de la dame Rode-Lamarge , établissent in
vinciblement la quotité de la dot, les objets qui la
composent, la réception et l’emploi que le père en a
fails.
Cette quotité et cette réception étant établies par
tilres, il est certain que le père était tenu à la restitution
envers sa femme ou ses héritiers. Il est également évi
dent qu ’il ne pouvait se libérer que de la même ma
nière qu’il s'était obligé, et qu’élant, par son contrat
de mariage, débiteur et responsable de la dot, il ne
peut être libéré et dégagé de sa responsabilité que par
le rapport d’une quittance qui établisse que la restitution
a été effectuée.
O r , les intimés sont bien loin de cette preuve. Ils
ne rapportent aucune quittance, Depuis la mort du
père, et bien antérieurement à son décès, tous les titres
de la famille étaient à leur disposition; ils en ont été
les gardiens nécessaires : ils ne peuvent prétendre qu’ils
�aient été confiés un seul instant aux pppelans ; et
cependant ils ne produisent aucun écrit, aucune men
tion établissant même que celle dot a été remise à
l’héritier.
Ce n’est pas tout : on peut encore , à l ’aide de
quelques réflexions, se convaincre de l ’impossibilité
que la restitution ait eu lieu.
En effet, le contrat de mariage de la mère prouve
qu’il y avait eu 2 8 , 0 0 0 fr. de payés sur la dot, savoir,
1 2 , 0 2 0 francs en argent, et 1 6 , 9 8 0 lrancs en contrats
de rente, qui sont énumérés. O r , comment établir,
autrement que par une quittance, que l’argent a été
restitué? L a remise des contrats pouvait laisser quel
ques traces, mais le paiement du numéraire ne pouvait
être établi que par un écrit; et le sieur Tournadre,
de c u ju s 3^n’aurait pas omis de retirer quittance, s’il se
fût libéré de cette somme envers son fils.
Pour les contrats de rente, il est certain qu’ils n’ont
point été restitués; il ne faut pas d’autre preuve de ce
fait, que le contrat de mariage de la dame Rode-Lamarge. Il lui a été constitué 1 7 , 7 8 0 francs de contrats
de rente appartenant à la mère, et énumérés, soit dans
son propre contrat de mariage, soit dans le p a r t a g e du
janvier 1 7 7 2 . Il est prouvé que la m è r e n ’avait
employé que 5ooo francs de ces c o n t r a t s à l a dotation
de sa fille; que le reste avait été constitué par le père
en acquittement de sa propre dette. Comment donc
26
la restitution de ces objets aurait-elle eu lieu? Comment
les appelons auraient-ils reçu des contrats qui sont lu
8
�( 58 )
propriété de la dame La m a rg e, et qu’elle a à sa dis
position ?
Les appelans ayant prouvé que la mère n’avait pas
disposé de sa dot, devaient en exiger la restitution; et,
pour l’obtenir, la production du contrat de mariage,
et l ’application de quelques principes devaient suffire.
C ’était aux intimés à prouver leur libération, puisqu’ils
étaient constitués débiteurs; cependant, par l’inter
version la plus singulière, les rôles ont été changés., et
on a voulu astreindre les appelans, non seulement à
prouver qu ’ils sont créanciers, mais encore qu ils n’ont
reçu n i pu recevoir le montant de leur créance. Celte
idée, nouvelle en jurisprudence, imposait aux appelans
une tâche difficile à exécuter; ils sont cependant par
venus à le faire, et à prouver que leur père n’a reçu,
ni pu recevoir la dot qu’ils réclament. Si donc ils exa
minent les présomptions qui ont servi de motifs au x
premiers juges pour les débouter de leur demande ,
c ’est moins dans l’intérêt de leur cause, que pour faire
remarquer les égaremens auxquels l’oubli des principes
peut quelquefois entraîner les meilleurs esprits.
L e premierde ces motifs consiste à dire, que Chéritier
était astreint par les contrats de manage à payer à cha
cune de ses sœurs i 5 ,ooo fr . pour la succession ma
ternelle, et qu en outre la loi et le testament du père
attribuaient à ces dernières le revenu de lo^ooo jr a n c s .
Comment l’énumération des droits des légilimaires
pourrait-elle servira la recherche qu ’il s’agit de faire?
L ’héritier a rempli ses obligations : il a payé tout ce
�qui pouvait encore être dû au décès de la mère, sur
la légitime de ses sœurs ; les dames Tournadre ne ré
clament rien pour cet objet; si l’on veut que l’héri
tier soit obligé de respecter et de remplir les engagemens pris par sa mère, comme il est évident qu’elle
n ’a aliéné que 5ooo francs de la dot pour l’établis
sement delà dame R o d e - L a m a r g e , il est aussi certain
que les appelans ont le droit de demander la restitu
tion de cette dot, moins les 5ooo fr. aliénés.
L e jugement dit ensuite, qu’ au décès de la mcre, il
a été/ait remise à l’héritier, de tous les biens mater
nels} existant et non transm is, à la charge par Lui de
payer Le restant des légitimes.
Il est vrai que le restant des légitimes, dû aux
demoiselles Tournadre a été payé; les appelans sont
porteurs des quittances qui établissent ce fait; mais
comment est-il prouvé que la dot maternelle lui a
été restituée? a-t-on produit quelques quittances, quel
ques titres ou même quelques documens, qui puissent
permettre de regarder ce fait de remise delà dot comme
certain?....R ie n , absolument rien.
Mais les premiers juges continuent : le j i l s héritier
n a rien réclamé de ce qu il a reçu au décès de sa mère;
il a entre les mains tous les biens qui s o n t provenus de
cette succession ; rien ri est donc d e m e u r é confondu dans
les biens p a t e r n e l s ; il n ' e s t donc aujourd h u i recevable
à présenter aucune réclamation.
: L a réponse est facile : il n’est pas établi que l’hé
ritier oit reçu
les biens maternels, et il a franchement
, j
�( 6o )
déclaré qu'à l’époque du décès de sa mère , il ne lui
avait élé fait remise que du domaine de Noalhat. Bien
loin que Ton ail prouvé qu’il ait reçu autre chose, il
résulte au contraire des faits qui ont été exposés que
le sieur Tournadre, de cu ju s, avait disposé des deniers
dotaux, et que la plus grande partie des effets qui
composaient la dot, se trouvent entre les mains de la
dame R o d e - L a m a r g e ; ainsi le motif porte à faux,
puisqu’il repose sur une erreur de fait évidente. L e dé
faut de réclamation est aussi insignifiant dans la cause,
puisqu’il a été expliqué que par respect pour son père,
et pour éviter les contestations qui pouvaient naître
entr’e u x, le sieur Tournadre fils se contenta de la re
mise du domaine de Noalhat, et laissa à son père la
disposition de la dot maternelle.
Ainsi, les faits ne laissent aucun doute sur le point
qu ’il s’agit d’éclaircir : la dot a été reçue par le père,
et n’a point été restituée; ses héritiers sont obligés de
faire la preuve de la reslilution ; ils ne rapportaient au
cune quittance ^ils sont donc dans la nécessité de libérer
la succession paternelle de celte dette sacrée; et il ne
peut plus être question que de régler ce qui est dû pour
cet objet.
�TROISIÈME QUESTION I)E FAIT.
Quel est te prélèvement que les appelans ont le droit de
demander sur la succession de leur ayeuL?
Un simple calcul résout celte question :
On a vu que la dot maternelle se portait à 48,000 fr.;
les faits ont aussi appris de quels objets se co m
posait cette dot. L a discussion établit que la succession
paternelle doit compte de tout ce qui n’a point été
aliéné par la mère, et que les appelans ont le droit de
prélever, ou les effets dotaux, ou leur valeur.
La mère n’a disposé sur la dot que de 5 ooo fr. pour
l ’établissement de la dame L a m a r g e ; le sieur T o u rnadre, de eu j u s , devait, en cas de survie, gagner
3ooo fr. ; ces deux sommes réunies donnent un total de
8000 fr. qui doit être déduit sur la dot maternelle;
ainsi le prélèvement des appellans sur la succession
paternelle est de la somme de 40,000 fr.
Il est aussi évident que les intérêts de cette dot sont
dus depuis le décès de la mère; elle est décédée sous
le Code civil; et l'usufruit légal qui était établi par
l’art. 2 du titre I I de la coutume d’Auvergne en faveur
du père , étant un statut personnel, a été abrogé par les
lois qui ont aboli la puissance paternelle.
• Ainsi, sur ce point de la cause, il est prouvé que
la dame Tournadre mère, dans la circonstance sur-tout
où elle avait des biens parapliernaux suffisans pour
doter ses filles, ne p o u v a it , même en pays de droit
�( 62 )
écrit d’A u ve r gn e , aliéner sa dot, ou qu’au moins elle
ne l’a aliénée que jusqu’à concurrence de 5 ooo fr. ;
que le restant est demeuré au pouvoir du sieur Tour
nadre , de eu /u s; qu’ainsi sa succession en doit compte
aux appelans.
Il faut actuellement s’occuper des autres difficultés
qui se présentent.
R apport
de
l ’o f f i c e
de
DES AIDES DE
conseiller
en
la
cour
CLERMONT.
L es appelans doivent-ils rapporter sa valeur réelle au
te/ns de la donation, ou à £ époque de l'ouverture
de la succession ?
Cet office a été supprimé et remboursé en assignats;
de manière que le mode du rapport n’est pas indiffé
rent dans les intérêts des parties. Il faut se rappeler ici
les termes du contrat de mariage du sieur Tournadre
héritier; les premières lignes attestent que son père
lui avait délaissé celte charge en avancement de sa
future succession, d’où naîtrait l’idée qu’elle n’avait
point cessé d’en faire partie; qu’ainsi,suivant la maxime
res périt dom ino, la perte devait en être supportée
par la succession elle-même.
Mais la stipulation finit en des termes qui annon
ceraient que la propriété en a été irrévocablement
transmise à l'héritier; au moyen de quoi, est-il dit, le
fu tu r demeure pleinement propriétaire d u d it office.
�L a raison de ce mode de transmission se trouve dans
l ’état de la famille à cette époque. Les filles étaient
forcloses; le sieur Tournadre, leur frère, était héri
tier, et n’était tenu que des légitimes de ses sœurs : il
n’était donc pas étonnant que, même à titre d’avance
ment d’hoirie, on le déclarât propriétaire d’un des ob
jets
d’ une succession qui lui était destinée en totalité,
et exclusivement. 11 faut même ici convenir que si
les dames Tournadre s’en étaient tenues à leur Iégitim%ftOiiventionnelIe, les appelans n’auraient point le
dioit
de demander aucune réduction, sous le prétexte
qu’ une partie de la succession aurait péri, ou qu'il se
rait arrivé des pertes considérables depuis l'institution
d’héritier ou la constitution des légitimes; dans ce cas,
les appelans n’auraient d’autre moyen que celui de
renoncer à l’institution, si elle leur paraissait oné
reuse , et se ranger parmi les légitimâmes, pour partager
par égalité.
Mais les demoiselles Tournadre ne s’en tiennent point
à leur légitime conventionnelle ; elles usent de la faculté
qui leur a été accordée par la loi, et viennent prendre
leur légitime eu corps héréditaire. Pour connaître leurs
droits, il iaut donc former la succession; et sa compo
sition ne peut avoir lieu qu'au moment du décès; c ’est
le principe général; dès-lors, les ter ni es du contiat de
mariage du sieur Tournadre, père des appelans, doivent
être entendus en ce sens, que l'office dont il s’agit ne
lui avait clé donné qu’en avancement d ’hoirie ; que.cet
office n’avait jamais cessé de faire partie de la succès-
�sion du sieur Tournadre, de c u ju s , et que conséquent
ment les appelans ne doivent y rapporter que ce qui
représente réellement cet office, c'est-à-dire, la valeur
du remboursement qui en a été fait.
Celte difficulté avait été résolue dans ce sens par
l’ancienne jurisprudence; deux arrêts, Fun du parlement de Bretagne, sous la date du 17 octobre 1 6 5 4 ,
et l'autre du parlement de R o u e n , sous la date du i 5
septembre 1699, ont jugé
que le rapport d’un of
fice devait se faire d’après sa valeur au tems\ou La
succession s'était ouverte\ ainsi les anciens principes ne
laissaient aucun doute sur cette question.
Il faut cependant convenir que le Code civil a fait
naître à cet égard des difficultés assez sérieuses. L ’ar
ticle 8 5 1 dit que le rapport est dû de ce qui a été em
ployé pour rétablissement d’ un des cohéritiers, ou pour
le paiement de ses dettes ; quelques arrêts et quelques
auteurs ont pensé que les offices et charges n’étant don
nés que pour l’établissement des enfans, ces derniers
devaient le rapport de leur valeur à l’époque de la
donation.
Il semble que l’on s’est mépris sur le sens de cet ar
ticle. H ne veut ..en effet., parler que d’une somme d’argent
ou autre chose fongible, qui n'est pas susceptible de
changer de valeur, et qui^ d ailleurs, a été consommé
D
. . . .
par le donataire; mais ici il s’agit d’un office, d’un
être moral physiquement non JongibLe, et q u i , lors de
la donation, était réputé immeuble ■or, ne serait-ce
pas le cas d’appliquer le principe consacré par l'article
�cle 855 du code qui enseigne que l’immeuble qni a
péii par cas fortuit et sans la faute du donataiie, n'est
pas sujeI à rapport.
Dans l’espèce actuelle, il est évident que l'office a
péii en partie; que cette perte a eu lieu par force ma
jeure; qu’il n’y a aucune faute à imputer au sieur Tournadre, héritier, el que conséquemment, dans les règles
de l’équité, il ne peut être tenu de rapporter à ses co
héritiers que ce g u i reste de cette charge, c’est-à-dire,
la
valeur
réelle du remboursement qui en a été fait à
l’époque de sa suppression.
R
apport
IN TIM ÉS
de
5 o,ooo
AUX
francs
APPELANS,
DÉCLARATION EAITE
de
demandés
par
ET R E S U L T A N T
les
DE L A
P A R LE SIEUR T O U R N A D R E ,
Cil JU S , DANS SON T E S T AM E N T .
PREMIÈRE QUESTION.
Q uel e jje t peut p rodu ire La déclaration contenue a n
testam ent d u sieur Tournaclre, de eu jus ?
11 faut se rappeler que le sieur Tournadre de c u j u s ,
avait fait en faveur de son fils une institution d’hé
ritier, et que celle institution, enlr’aulres charges, élait
grevée d’une réserve; or, c ’est un principe certain en
seigné par L e brun, Atiroux, sur la coutume de Bour
bonnais, cl Chabrol, sur l’article 26 du chapitre 14 de
bi coutume d’A u vergn e, que celui qui s’est fait une ré
serve ne peut l’excéder; il s’est imposé des bornes, il
9
�ne pent les dépasser, ce qui fait dire à ces auteurs qu’il
est quelquefois plus avantageux à un instituant de n'a
voir pas fait de réserve,puisque souvent elle restreint
plus la liberté qu’elle ne ré te n d ; ainsi le sieur T o u r nadre de cu ju s ne pouvait donc faire aucune dispo
sition au-delà de la réserve; il ne lui était pas permis
d’avantager ses légitimâmes, au préjudice de son h é
ritier, et tous les actes émanés de lui qui feraient naître
l ’idée qu’il a voulu amoindrir l’institution qu ’il avait
faite en faveur de son fils, doivent être rejetés par la
justice.
L a déclaration contenue en son testament l’établitelle créancier de son fils? Pour que cela fût, il faudrait
rapporter un titre ou une reconnaissance émanée de
ce dernier; autrement, la* déclaration ne peut être re
gardée que comme une avantage indirect, puisqu’elle
est censée n’avoir eu d’autre objet que d ’anéantir l’ins
titution d’héritier, et de transmettre la meilleure partie
de sa fortune à ses légitimâmes, au détriment de son
fils. 11 est évident que si de pareilles déclarations pou
vaient faire titre en faveur de ceux qui les ob tiennent,
le père pourrait constamment se jouer de ses promesses,
disposer de sa fortune tout autrement qu ’il ne se serait
engagé à le faire, et éluder toutes les prohibitions de
la loi.
Dans cette cause, les faits se réunissent aux consi
dérations générales, pour empêcher que la justice n’ait
aucun égard à la déclaration du sieur Tournadre, de
cu ju s. Il n’avait aucuu titre de son fils; au décès de
�ce dernier., il n’a rien réclam é, il ne s’est trouvé dans
les papiers de leurs successions respectives, aucunes
notes, aucuns renseignemens qui puissent faire supposer
que le père des appelans fût débiteur; les appelans ont
constamment déclaré qu’ils n’avaient aucune connais
sance de ce fait : comment une dette aussi considérable
serait-elle restée inconnue à toute la famille, et com
ment le sieur Tournadre, de euj u s , ne s’en serait-il
rappelé qu’à l’époque de son testament? Tout concourt
à faire penser que cette déclaration n’a rien de sincère,
et qu’elle a été dictée à un homme infirme, dont les
facullésintellectuelles étaient absorbées et anéanties par
ceux qui s’étaient emparée de lui pendant les dernières
années de sa vie , qui géraient sa fortune et maîtrisaient
sa volonté, au point de le porter, au mépris de ses
propres engagemens^ è leur faire des avantages que
les actes de fa milles et la loi leur défendaient d'accepter.
Ainsi la déclaration du p è r e , isolée, ne peut être
la
preuve de ce qu’elle contient, ni même un com
mencement de preuve; réduite à e lle - m ê m e , elle ne
montre autre chose que l’état de faiblesse d’esprit du
disposant. Pour qu’elle pût avoir quelque valeur, il
faudrait qu ’elle eût pour soutien une reconnaissance
émanée du père des appelans; or, on ne rapporte rien
de pareil.
Les intimés ont voulu y ’ suppléer de différentes ma
nières; ils ont d’abord demandé que les appelans fus
sent interrogés sur faits et aiticles pertinens; cet inter
rogatoire a été prêté; mais les appelans n’ayant aucune
�( 68 )
connaissance de l’objet sur lequel on les interrogeait,
ce mo ye n n'a produit aucun efFet.
Les intimés ont ensuite proposé une preuve : elle a
élé accueillie par le jugement dont est appel, mais il
faut voir si l'interrogatoire sur fails et articles, n’est
point exclusif: de la preuve par témoins.
%
DEUXIÈME QUESTION.
L
intim és s ’en étan t référés à un interrogatoire su r
f a i t s et articles , peuvent-ils être a d m is à la preuve
testim oniale ?
es
L a loi a établi pour les conventions, différens genres
de preuves; celle qui résulte d’un titre est la seule qui
lui inspire une confiance entière, et elle n’admet la
preuve par témoins qu’avec beaucoup de répugnance;
ii défaut de titre, le législateur a permis de recourir à
l ’interrogatoire sur faits et articles, qui peut être suivi
du serment décisoire; il était naturel que là où une des
parties conlractanles avait négligé d’assurer ses droits
par un titre, là où elle s’en était rapportée à la bonne
foi de celui avec lequel elle stipulait, elle eût la faculté
de l’interpeller sur les faits et circonstances relatives à
leurs conventions.
Mais lorsqu elle a use de cette iacully^ elle ne peut
plusêlre admise à la preuvepar témoins; en emploj'ant
cette mesure, elle reconnaît qu'elle n'a d’autre moyen
pour justifier sa prétention; et com ment, après s eu
�être référée à la bonne foi de son adversaire, pourraitelle venir prouver contre une déclaration qu’elle a ellemême provoquée; et à l’aide de quelques témoins
suspects, attaquer ainsi la moralité de celui auquel elle
s’en est entièrement rapportée? Il est facile de voir
combien un pareil système serait immoral, et quelles
conséquences fâcheuses pourraient en résulter ; la justice
ne saurait se prêter à ce que l’on se tende des pièges;
elle ne peut permettre que Ton épuise simultanément
des genres de preuves exclusives les unes des autres.
Cette opinion est celle de Boiceau, dans son Traité
de la preuve par témoins. Elle est trop conforme aux
idées les plus saines de morale et de législation, pour
que l’on ne pense pas que l’interrogatoire sur faits et
articles ne peut avoir d’autre complément que le ser
ment décisoire, et que, dans aucun cas, il ne peut être
permis d’en détruire les effets par la preuve testimo
niale.
Ainsi il faut dire que celui qui n’a pas de titre peu t,
ou invoquer la preuve par témoins, s’il a un commen
cement de preuve par écrit, ou faire interroger son
adversaire sur faits et articles, et lui déférer ensuite le
serment décisoire; mais que lorsqu’il s’est a r r ê t é à ce
de rnier parti; que déjà , sur sa réquisition, son adver
saire a répondu à la justice, il esl impossible qu’il soit
admis à une preuve testimoniale, à laquelle il a ainsi
implicitement renoncé.
Mais il faut d’ailleurs examiner si les intimés rap
portent le commencement de preuve exigé par la loi.
�TROISIÈME QUESTION.
L é c r it du 22 pluviôse an i 3 présente-t-il les conditions
exigées par la Loi, pour être considéré comme com
mencement de preuve par écrit ?
Il faut se fixer sur les principes. L ’ordonnance de
Moulins et celle de 1667 on* été conçues dans le même
esprit ; et pour éviter les inconvéniens des p re u v e s,
elles ont exigé qu’il soit* passé acte par-devant notaire,
de toute chose excédant la valeur de 100 francs. L ’or
donnance de 1667 ajoute à celle de Moulins que lors
qu ’il y aura un commencement de preuve par écrit,
la preuve par témoins sera reçue. Celle de Moulins
n’avait pas fait cette restriction en termes si précis; mais
elle n’excluait pas la preuve des conventions sous signa
ture privée.
D a n t y , sur Boiceau , exam ine ce que c ’est q u ’ un
com m en cem en t de preuve par écrit. « Il est ce rta in ,
« dit-il, que toute écriture p r iv é e , de l'un de ceux qui
<r ont intérêt dans le fait q u ’il s'agit de p r o u v e r , quand
« celte écriture concerne précisément le f a i t en question,
« est un com m en cem en t de preuve par é c rit, supposé
« néanmoins qu on puisse présumer quelle a été écrite
« avec réjlexion .......... a
« En effet, à bien examiner l’esprit de l’ordonnance
« de 1 6 6 7 , il semble, dit cet auteur, qu’on peut re« garder un commencement de preuve par écrit au
« moins comme une demi-preuve, ou une preuve im -
�( 7r )
<r parfaite du fait dont il s’a g i t , c’est-à-dire comme
« quelque chose de plus qu'une simple présomption
<r de droit, parce qu’ une simple présomption de droit
<r n’esl pas un commencement de p re u v e , à proprement
« parler; ce n’est qu’ une conjecture qui peut être, et
« qui est souvent fausse; mais qui dit un commence« ment de preuve marque déjà quelque chose de cer« ta in , et sur ta vérité duquel ou peut compter, quoi<r qu'il n'y en ait pas assez pour se déterminer; c’est
« pourquoi l’ordonnance a voulu qu'il y eût déjà une
<r preuve de commencée, et que celte preuve fût par
<f
fr
«*•
«
écrit; elle a laissé seulement aux juges à déterminer
de quelle qualité devait être ce com me nce me nt de
preuve; et bien loin que la ligueur de l’ordonnance
doive être adoucie comme odieuse,, sa disposition
contraire, est toute favorable, et lesera toujours,
«■tant qu’il y aura à craindre delà facilité des témoins.»
a
au
L ’auteur s’applique ensuite à déterminer ce qui doit
passer pour un commencement de preuve par écrit; il
exige quatre conditions principales; la première, que
le commencement de preuve soit écrit de la main de
quelqu’un de ceux qui ont quelque intérêt dans la con
testation; la seconde, que l’écrit concerne le fa it dont
il s’a g it , ou du moins que quelques circonstances dé
cisives y soient énoncées,• la troisième, qu il ne contienne
rien dopposé et de contraire à Cintention de celui qui
s’en sert; enfin, la quatrième, qu’il s’accorde avec les
circonstances manifestes du f a i t , parce que la vérité
est une, et ne se peut diviser.
�( 72 )
Pour donner encore une idée plus précise de ce qu’on
doit appeler un commencement de preuve par écrit,
l’auteur regarde celte exception de l’ordonnance de
1 6 6 7 , comme les jurisconsultes regardent la déposition
d’ un témoin en matière criminelle ; quand elle est
unique, ils conviennent tous que cette déposition seule,
quelque précise qu'elle soit, ne fait point une preuve
entière, mais ce qu ’ils appellent une demi-preuve ; et
que quand elle est soutenue par d’autres présomptions,
si elles sont du nombre de celles que l’on appelle de
d ro it, et autorisées par Le d r o it, elles suffisent pour
décider. Si, au contraire, ce sont de simples présomp
tions, celte déposition 11e suffit pas; il faut informer
plus amplement; mais au moins cette déposition seule
d’un témoin suffit toujours pour donner lieu aux juges
de prononcer un plus ample informé, quand il nJy au
rait môme aucune autre présomption, ni d’autre preuve
du fait que cette déposition.
Mais pour cela il faut, i° que ce témoin parie préci
sément du f a i t en question, de telle sorte qu’il y ait
lieu de présumer que la chose s’est passée ainsi qu’il la
rapporte; 20 il faut que sa déposition ne soit pas dé
truite par quelque circonstance certaine et manifestement
contraire. Enfin, il faut que ce témoin ne soit point
suspect, et que ce qu'il dépose soit vraisemblable, et
ne se détruise point lui-même par sa variation. Ainsi
est-il du commencement de preuve par écrit. Il faut
que l’écrit qu ’on rapporte parte
p r é c is é m e n t
duJ'ait
qu il s’agit de prouver j car s’il ne ..parle que d ’un f a i t
�( 73 )
étranger, duquel, par induction, on prétend tirer la
vérité de celui dont il s’agit, cela ne suffirait pas, parce
que ce serait admettre toutes sortes d’écrits vagues et
indéfinis, et ouvrir la porte à la multiplicité des faits
que le raisonnement pourrait trouver pour faire voir
la liaison et la dépendance de ce fait étranger, avec
celui qu’il s'agit de prouver. 11 faut également que ce
que porte cet écrit ne soit pas manifestement contraire
aux circonstances certaines du fait; car c o m m e il ne
fait qu’ une présomption, et qu’ une présomption est
aisément détruite par une autre, si cet écrit est con
traire à un fait certain et évident, il ne mérite plus
aucune foi. Il ne doit aussi avoir rien d'opposé dans les
termes de cette énonciation; car la vérité ne peut se
diviser, puisqu'elle ne consiste que dans l’unité du
fait.
Telles sont les conditions exigées par les auteurs du
traité de la preuve par témoins, pour que le commen
cement de preuve par écrit soit suffisant pour faire ad
mettre la preuve par témoins; ce sont aussi celles qui
nous sont indiquées par Pothier, aux n0s 767 et suivans
de son traité des obligations. Enfin, le code civil nous
ramène à ces principes dans son article 4 7 , en définis
sant le commencement de preuve par écrif : t o u t
qui
est é m a n é
jo rm ée ,
ou
d e c e lu i contre lequ el la
de
v r a is e m b la b le
c e l u i q u i le r e p r é se n te
dem ande
e t
q u i
acte
est
r end
le / a U a l l é g u é .
11 faut appliquer ces principes à l’écrit que les intimés
10
�( 74 )
veulent faire regarder comme un commencement de
preuve.
Et d’abord il s’agit de savoir si le prix du domaine
de Blanzat a été reçu par le sieur Tournadre de cu ju s,
ou par son fils.La vente de ce domaine et les quittances
se réunissent pour établir que la vente a été consentie
par le sieur Tournadre de e u ju s , et le prix touché par
lui j il en a fait la déclaration expresse, de manière qu’en
consultant ces premiers élémens, il y a certitude que
le père des appelans n’a rien reçu pour cet objet.
Cependant on invoque un écrit du 22 pluviôse an 1 3 ;
et déjà si on le rapproche de la vente et des quittances
du domaine de Blanzat, on est convaincu qu’il ne peut
point s’y rapporter, puisque l’écrit est postérieur de
six
ans et quelques mois à la vente, et de plus de trois ans
à la quittance finale, qui est du 6 frimaire an 10. Ainsi
première présomption que l’écrit dont il s’agit ne peut
s’appliquer au prix provenu de la vente de Blanzat.
Cet écrit ne rappelle en aucune manière la vente
dont il s’agit : pas un seul mot qui la concerne; il n'é
nonce aucune circonstance décisive qui puisse la faire
supposer; il ne s’occupe que d’ un fait absolument étran
ger à la vente et aux quittances; donc impossible d ’en
tirer aucune induction applicable au fait qu'il s’agit de
prouver.
En effets le système des intimés est de soutenir que
le prix de la vente de Blanzat a payé l’acquisition du
domaine de Cebazat, faite par le père des appelans ;
�( 75 )
or, l’écrit no dit point un mot de cela : il n’énonce ni
capilai ni emploi ; fl ne se rapporte donc pas aux faits
gissant en preuve ; il ne se rapporte point non plus à
l ’acquisition du domaine de C e b a z a l , puisque il ne parle
que des fermages du domaine de N oalhal, propriélé parapbernale à la mère; ainsi bien loin de justifier les pré
tentions des intimés, il les repousse.
C o m m e n t , sous ce premier rapport , parviendrait-on
à appliquer au prix de la vente de Blanzat, l'écrit dont
il s'agit ? comment pourrait-il servir à prouver que
ce prix a élé employé au paiement de Cebazat, lors
qu ’il ne contient aucune mention qui puisse s’appli
quer à ces faits? et s’il fallait se livrer à des raisonnemens
ou à des inductions, ne serait-il pas plus probable que
cet écrit qui ne concerne que les fermes du domaine
de Noalhat,pour un tems déterminé, n’a été consenti
par le sieur Tournadre fils ¿1 son père, que par suite et
comme convention du délaissement que ce dernier lui
avait fait des biens paraphernaux de sa mère?
Si l’on examine de plus près : la durée de la conven
tion exprimée en cet écrit, détruit également le sys
tème des inlimés; il faut au moins qu’ils conviennent
que si le revenu qui y est indiqué devait représenter
un capital donné par le père au fils, le père se serait
assuré ce revenu pour tout le tems de sa vie. Cepen
dant l'écrit se réduit à la perception de quelques fer
mages pendant le cours du bail, ainsi il ne peut se
rapporter au don d’une somme aussi considérable que
celle qui est réclamée; il annonce une convention qui
�( 76 )
lie peut s’appliquer qu’à un objet peu important et
qui doit finir à une époque positivement déterminée.
Enfin, quel rapprochement à faire entre le prix du
bail à fe rm e , cédé par l’écrit dont il s’agit, et le ca
pital demandé? Que peut avoir de commun un revenu
de 1200 francs avec un capital de 5 o à 60,000 francs ?
Pour établir quelques rapports entre des choses aussi
différentes, ne faudrait-il point que l’intention des par
ties fut clairement énoncée? et s’il était permis de se
livrer à des inductions et à des raisonnemens là où la
loi et la raison se réunissent pour les exclure, ne fau
drait-il pas convenir que bien loin que l’écrit qui est
produit puisse être considéré comme un commence
ment de preuve du fait qu’il s’agit d’établir, il est au
contraire la preuve complète que ce fait n’a jamais
existé ?
Ainsi cet écrit ne rend pas vraisemblable le fait allé
gué ; il ne renferme aucun des caractères qui nous sont
indiqués par les auteurs; il ne concerne ni le fait ni
aucune circonstance décisive de ce fait ; il contient des
conventions opposées et contraires à l’intention de ceux
qui veulent s’en servir; il ne s’accorde avec aucune des
circonstances qui seraient propres à manifester le (ait
qu’il s’agit de prouver; il doit donc être rejeté, puisque
les tribunaux ne peuvent admet lie comme commen
cement de preuve des écrits vagues et indéfinis; ouvrir
la porte à la multiplicité des faits que le raisonnement
pourrait trouver, pour Faire voir la liaison et la d é p e n
dance de ce fait étranger avec celui qu ’il s’agit d’éla-
�( 77 )
blir : abus que les ordonnances et les lois ont voulu
prévenir.
Mais si l’on examine les faits postérieurs au décès du
sieur Tournadre fils^ on y verra que son père n’a élevé
aucune prétention contre sa succession; qu’il a gardé
un silence absolu, quoique l’écrit dont il s’agit an
nonçât quelque règlement à faire entre son fils et lui.,
ce qui prouve tout à-la-fois et que l’écrit ne concerne
point la vente du domaine de Blanzat et que tout ce
qui était relatif entre le père et le fils, avait été con
sommé entr’eux avant le décès de ce dernier.
Les appelans n'en sont pas réduits à invoquer le si
lence de leur ayeul; le récit des faits a appris que le
sieur Tournadre, d e c u j u s , avait assisté et pris part
à un acte de famille qui avait pour objet de régler
les droits et les reprises de dame Marie Lucas, veuve
Tournad re, de composer la masse de la succession
de son fils en actif et passif. Il y a figuré comme
curateur
du sieur
Bernard - Félix
Tournadre ; et
pourrait-on supposer qu ’il eût à cette époque né
gligé de faire connaître ses prétentions, s’il eût été
réellement créancier d'une somme aussi considérable?
et sa signature apposée à cet acte de famille sans ré
clamation, sans protestation, sans réserve aucune,
n’est-elle pas destructive de Ut déclaration faite ensuite
dans sou testament, et une lin de non-recevoir invin
cible contre la demande des intimés?
Ainsi, il n’existe donc en droit aucun moyen pour
faire admettre la preuve demandée; elle est détruite
�( 78 )
par toutes les circonstances da fait et les inductions
qui naissent soit de l’écrit du 22 pluviôse an i 3 , soit
de la conduite du père, postérieurement au décès de
son fils.
Ce serait ici le moment d’examiner ce que doit de
venir la somme de 6000 francs que la demoiselle
Tournadre reconnaît avoir à sa disposition, comme
provenant de la succession de leur père, et qu’elle pré
tend devoir être remise à Zélie Tiéniole.
Il est trop clair qne le père ayant lait une institution
d’héritier avec réserve, ne pouvait disposer en faveur
de qui que ce fût, d’autre chose que de la somme ré
servée , pour qu’il puisse être douteux que la demoi
selle Tournadre soit tenue de rapporter à la succession
une somme qu’elle reconnaît devoir en faire partie.
Il
faut terminer la discussion. Il est évident que la
mère ne pouvait disposer de sa dot; sa disposition ne
porte d’ailleurs que sur une somme de 5 ooo francs; il
serait i n j u s t e que les appela us rapportassent à la suc
cession le prix d’une charge dont i l n’ont point profité,
et que la force majeure a anéanti entre leurs mains.
To ut repousse la preuve testimoniale que les appelans
veulent faire admettre. Dans la position où se trouver t
les parties, elle serait immorale; les principes la ré
prouvent; les circonstances du fait l’excluent.
Mais s'il était permis de se fixer sur la position du père,
à l’époque de son testament, on le verrait entouré de
séduction ; incapable de manifester aucune volonté;
livré aux insinuations de ses héritiers légitimâmes, qui
�( 79 )
ont abusé de sa faiblesse d’esprit et de son état de ma
pour captiver sa confiance, et arracher des dis
positions qu'il s’était interdites par le contrat de mariage
ladie,
de son fils; à son décès, on retrouverait les mêmes per
sonnes dansla maison , s’emparant des objets qui étaient
le plus à leur convenance ; l’on verrait un homme
opulent, connu pour avoir un riche porte - feuille,
mourir sans arge nt, et sans aucun effet actif; toutes ces
circonstances réunies ne prouvent-elles point que les
raisons d ’équité viennent donner une nouvelle force
aux moyens de droit invoqués en faveur des appelans?
et n’est-il pas de justice que l’on rétablisse les choses
dans la position où le père les avait mises lors du con
trat de mariage de son fils, et que la cour anéantisse
les dispositions d’un jugement à-la-fois contraire aux
principes, aux actes de familles et aux faits les plus
certains ?
J
Ch. B À Y L E , aîné, ancien A v o ca t
M e GARRON, Avoué-licencié.
A RIOM,
DE
L’IMPRIMERIE DE J.-C. SALLES, IMPRIMEUR
DU
PALAIS.
�
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The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Factums fonds privés
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Description
An account of the resource
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Text
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Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. Tournadre de Noalhat, Félix. 1817?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
J.- Ch. Bayle ainé
Garron
Subject
The topic of the resource
successions
ventes
dot
droit écrit
domaines agricoles
doctrine
contrats de mariage
testaments
gain de survie
biens paraphernaux
témoins
gardes particuliers
émigrés
forêts
Description
An account of the resource
Mémoire pour le sieur Félix Tournadre de Noalhat, propriétaire, habitant de la ville de Cébazat; et dame Marie Tournadre, procédant sous l'autorisation du sieur Baron Simmers, son époux, officier de l'Ordre royal de la Légion d'Honneur, chevalier de l'Ordre Royal de Saint-Louis, Maréchal de camp des armées du Roi, habitant de la ville de Clermont-Ferrand; iceux en qualité d'héritiers d'Antoine Tournadre, leur père; et, par représentation d'icelui, d'autre Antoine Tournadre et de Marie Juge, leurs ayeul et ayeule, appelans; contre dame Marguerite Tournadre, veuve du sieur Rode de Lamarge; Anne-Bernardine-Amable Tournadre, épouse du sieur Chateau ; dame Marguerite Tournadre, veuve du sieur Jourde, dame Marie-Gabrielle Tournadre, épouse du sieur Tréniole; et demoiselle Marguerite Tournadre, fille majeure, toutes héritières légitimaires d'Antoine Tournadre et de Marie Juge, leurs père et mère, intimés.
Publisher
An entity responsible for making the resource available
J.-C Salles (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
circa 1817
1760-1817
1716-1774 : Règne de Louis XV
1774-1789 : Règne de Louis XVI -Fin de l’Ancien Régime
1789-1799 : Révolution
1799-1804 : Consulat
1804-1814 : 1er Empire
1814-1830 : Restauration
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
79 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_DVV26
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Don Vendrand-Voyer
Language
A language of the resource
fre
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Cébazat (63063)
Noalhat (domaine de)
Malintrat (63204)
Blanzat (63042)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
Relation
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biens paraphernaux
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Successions
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