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-«O »-
EN
DEFENSE
POU R
La Dame
BOIROT et le sieur
LAPLANCHE, son m ari,
S o p h ie -M a t h il d e
dE
G il b e r t
ca x T M ir .
Le sieur L o u is -P ierre B O I R O T .
Une adoption consommée du vivant de l’adoptant peut-elle être
attaquée par les tiers ?
L’adoption d ’un enfant naturel reconnu est-elle prohibée par
le Code civil?
Telles sont les questions que la cause présente à juger.
La Cour royale de Riom a résolu la seconde par la négative, le 14
mai 1838.
M. Boirot attaque c e t a rrêt à l’aide d ’a rg u m ens q u ’il prétend
puiser dans le texte de la loi et dans les considérations morales.
C' est aussi avec la morale et la loi que nous allons le défendre,
après avoir exposé en peu de mots les faits qui ont donné lieu
au procès , et après avoir discuté la première question.
F A IT S .
Le 27 mai 1798, Anne-Pétronille Boirot, l i b r e a l o r s , donna le jo u r
à une fille qui fut inscrite à Riom comme née de père et mère in
connus, reçut les noms de Sophie Gordon, et, plus tard, fut connue
sous ceux de Sophie-M athilde Boirot.
�V
— 2 —
En ISOi, Pétronille Boirot épousa en secondes noces le sieur
Duval.
Dans le contrai qui contenait les conventions civiles de ce ma
riage, contrat passé en présence de plusieurs parens et amis, et.
entre autres, du sieur Jean-Jacques Boirot de la Ruas, père du
d em andeur en cassation, il fut dit que la jeune Mathilde, désignée
d ’ailleurs comme fille de la future épouse, et dem eurant avec elle,
aurait dans la succession de sa m ère les mêmes droits que les enfans à naître de l’union projetée. Du reste, aucun enfant n’est
issu de-'cé mariage.
En 1816, et s u r la dem ande de la dame Boirot, alors femme
Duval, le tribunal de Riom ordonna la rectification de l’acte de
naissance de la je u n e Mathilde. Les parens fu rent mis en cause;
le sieur Jean-Jacques Boirot était du nombre : ils déclarèrent tous
que Mathilde Boirot était bien la même que celle qui avait été in
scrite à R iom , le 28 mai 1798, sous les noms de Sophie Gordon. —
L 'acte de naissance fut donc rectifié en vertu d ’un ju g e m en t, et
Mathilde Boirot lut légalement re c o n n u e pou r fille naturelle de
Pétronille Boirot, épouse du sieur Duval.
Au mois de février 1817, Mathilde Boirot épousa le sieur Gilbert
de Laplanche. P a r son con trat de mariage, dans lequel on la qua
lifia fille naturelle de Pétronille Boirot, elle lut instituée héritière
universelle de tous les biens meubles et immeubles qui com pose
raient la succession de sa m ère.— La famille entière applaudit à cet
acte. M. Jean-Jacques Boirot de la Ruas, qui était présent à la pas
sation du contrat, y apposa sa signature.
La dame Duval, voyant avec peine que la voie de la légitimation
avait été fermée à sa fille par des circonstances indépendantes de
sa volonté, crut de son devoir de lui conférer au moins l’ado p
tion.
�Après l’accomplissement des formes prescrites par le C o d e , le
tribunal de Gannat déclara qu’il y avait lieu à adoption, et, le 14
mai, la Cour royale de Riom confirma le jugem ent du tribunal de
Gannat.
Ce jugem ent et cet arrêt fu ren t rendus su r les conclusions con
formes du ministère public, qui n ’ignorait pas plus que les juges la
filiation de l ’adoptée, puisque cette filiation était rappelée dans
tous les actes mis sous les yeux des magistrats appelés à prononcer
sur l’adoption.
Peu de temps après l’adoption, la dame Duval d é c é d a ; sa fille ,
la dame de Laplanche, se mit en possession de l’universalité de ¡a
succession, et liquida amiablement les droits du sieur Duval.
Mais, par exploit du 10 septembre 1835, Boirot d e l à Ruas as
signa les époux de Laplanche devant le tribunal civil de G an nat,
pou r se voir condam ner à faire le délaissement, soit de la totalité
de la succession de la dame Duval, pour être procédé plus tard à
la délivrance de ce qui pourrait revenir à la dame de L aplanche,
comme fille naturelle de la dame Duval ; soit, s'ils l’aimaient mieux,
au délaissement, en faveur du sieur Boirot de la Ruas, du huitième
de ladite.succession mobilière et immobilière qui lui appartenait,
disait-il, aux term es d u d r o it, avec restitution des fruits et jouis
sances, a com pter du jo u r d u décès de ladite dame Duval.
Les époux de Laplanche répondirent que ce n'était pas comme
en fan t naturel reconnu par sa mère q u e la dam e de Laplanche
avait recueilli l’universalité de la succession de la dame D u v a l,
mais bien en vertu de l’adoption qui lui avait été conférée par cette
dernière, adoption admise et consacrée par ju gem ent et arrêt irré
vocables.
Le sieur Boirot de la Ruas so u tin t alors que l’adoption conférée
à madame de Laplanche par la dame D uval n ’avait pas pu lui at
tribuer l i qualité d ’héritière universelle de sa mère adoptive, parce
�que, comme fille naturelle de celte dernière, elle ne p o u v a it, aux
termes de la loi, am ender que les trois q u a rts de la succession.
Plus lard, il demanda la nullité de l’adoption, en soutenant qu'il
m anquait à la dame Duval une des six conditions voulues par la
loif c’est-à-dire la jouissance d’une bonne réputation, pour être
apte à adopter sa fille naturelle reconnue, ou l’enfant d’autrui.
La dam e de Laplanche opposa d ’ab o rd l'autorité de la cliose j u
gée, résultant de l’a rrêt d’adoption.
Puis, elle soutint lu validité de l’adoption.
Ce fut en cet étal q u ’intervint, le <7 juillet 1837, au tribunal de
G a n n a t , un jugement q u i, sans avoir égard à la fin «Je non-recevoir, rejeta, au fond, les injustes prétentions du sieur Boirot.
On y lit les motifs suivans :
« E n ce qui touche la demande en nullité de l’adoption de la dame
« de Lâplancke pour inobservation des formalités prescrites par les
« art. 343 et suivans du Code civil, et notamment de celles exigées
« par l ’art. 355 :
« Attendu qu’il a été re c o n n u par le tribunal et par la Cour
« royale de Riom que toutes les formalités imposées à l’adoptant
« au tit. 8 du Code civil, sur l’adoption, avaient été remplies; que,
« par suite de cette reconnaissance, l’adoption de la dame de La« planche a été accueillie;
« Attendu que le sieur Boirot ne reproduit, à l’appui de sa de« mande, d'autres faits que ceux qui existaient avant l’adoption,
« faits qui ont été appréciés soit par le tribunal, soit par la C our
« royale, que dès lors une telle demande, faite sans intérêt, a eu
o évidemment pour but de calomnier la mémoire de l ’adoptante, lors« qu’au contraire il est de notoriété publique que ladite dame, depuis
« son second mariage, s’est toujours comportée de manière à m ériter
* Caffection de son m ari et l ’estime publique.
« lin ^ce qui touche la fin de n o n-recevoir, opposée à la de?.
�6*°)
y
o -« mande principale sur le fondement que l’arrêt d’adoption a ac« quis l'autorité de la chose jugée;
« Attendu que cet arrêt, rendu hors la présence des parties in
et téressées, peut être contesté comme tout a u tre contrat ; que I’ac« tion en nullité reste entière et doit être introduite par la voie or« dinaire, ainsi que l’ont décidé plusieurs arrêts de Cours royales
« et de C o ur de cassation ;
« E n ce qui touche la nullité soulevée contre l’adoption d’un enfant
« naturel reconnu;
« Attendu que l’adoption des enfans naturels reconnus n ’est pas
« défendue par la loi ; q u ’on ne trouve dans le Code civil aucune
« disposition dont on puisse conclure que l’intention du législateur
« ail été de la prohiber.
« Attendu q u o n ne peut pas créer des exceptions qui ne sont pas
a dans la loi, d’où naît l’application de ce principe, que ce qui
« n ’est pas défendu est permis ;
« Attendu q u ’en se reportant à l’opinion des auteiirs, qui ont
« écrit sur la matière et à la jurisprudence la plus m odern e su r
« l’adoption des enfans naturels reconnus, notam m ent à deux
« derniers arrêts de la Cour royale de Paris, la question cesse
« d’être douteuse et se résout en faveur de l’adoption des enfans
« naturels, surto ut d'après l’avis de M. Dalloz qui a écrit le der« nier et qui se trouvait en position de voir sous toutes les faces
« une question si souviint d é b attu e, et qui a déduit les raisons noino breuses qui militent en faveur de l’adoption avec une force irré« sistible. »
Ce jugem ent, frappé d ’appel par le sieur Boirot, a été confirmé,
en audience solennelle et sous la présidence de M. Brion, par a rrê t
de la Cour royale de Riom , du 14 mai 1838, conçu en ces term es :
*
Considérant que l’on ne trouve dans le Code civil, au litre de
« l’adoption ni ailleurs, aucune disposition prohibitive de la faculté*
�— 6 —
« d ’adopter les enfans naturels par le père et la mère qui les ont
« reconnus;
« Que l’on ne pourrait donc déclarer que celte faculté a été inter« dite, qu’en adm ettant une incapacité et une défense qui n ’o nt
« point été prononcées par la loi ;
« Considérant que c’est inutilement que l’on prétend, pour établir
« cette incapacité, que les principes qui déterm inent la n atu re de
« l’adoption s’opposent à ce que les enfans naturels reconnus
« puissent en recevoir le bénéfice;
« Q ue l’on ne retro uv e dans le Code civil, ni les règles, ni les
« défenses du droit romaVp, et q u 'o n y chercherait vainement les
« conditions qui établiraient q u ’on a voulu faire de l’adoption une
® imitation exacte de la n atu re ;
« Que, d’après les dispositions q u ’il renferme, loin de s’identifier
« avec la famille nouvelle dans laquelle il est admis, de manière à
« devenir étranger à celle qu’il avait, l’adopié reste au contraire
« dans cette dernière, y conserve tous ses anciens droits, et ne
« fait q u ’ajouter le nom de l’adoptant à celui qu’il avait déjà;
« Q u’il n’est pas exact de dire que l’adoption ne confère à l ’enfant
a natu rel rien de plus que ce que lui avait donné la reconnaissance
* faite par son père;
« Que les liens qui l’unissent à ce dernier après l’adoption, sont
« et plus étendus et plus resserrés en môme temps ; qu’à la place d’une
« filiation naturelle, il s’est établi une filiation nouvelle, plus avan« tageuse et plus honorable aux yeux de la société, et que, dès
« lors, au lieu d ’être indiqué dans les actes de l’état civil et dans
« les relations ordinaires de la vie sous le nom de fils naturel, il
« ne le sera plus que sous celui de fils adoptif;
a Considérant q u ’on ne peut invoquer les art. 346, 347 et 348
« du même Code, pour en induire la conséquence que si la défense
« d ’adopter les enfans naturels reconnus n ’a pas été faite au père
�« ou à la mère de ces enfans d’une manière expresse, elle se trouve
« du moins implicitement dans la loi;
« Que les expressions dans lesquelles ces articles sont conçus
« n ’ont rien d’exclusif des personnes qui n ’y seraient pas indi« quées ;
« Que la loi, qui n’était pas uniquement faite po ur les enfans
« naturels, n’a d û s’y occuper que des cas ordinaires, laissant sous
« l’empire du droit commun et de ses dispositions générales ceux
• qu’elle n’a pas désignés ;
*
Qu’on ne p o u rrait donc conclure de la maniere d o n t elle s’est
« exprimée, q u ’elle a défendu l’adoption des enfans naturels, à
« moins d’établir q u ’elle a créé une exception toute particulière
« contre cette classe d’individus;
« Considérant que la défense d'adopter les enfans naturels re« co nn us n’existe pas davantage dans les dispositions du Code
« civil su r la légitimation;
« Qu’il y a des différences essentielles et capitales e n tre les
« effets de l’adoption et ceux de la légitimation, qui ne permet«
«
«
a
«
«
«
«
«
«
«
tent pas de confondre l’une avec l’a u tre ; q u e s i , pour la prem ière, l’enfant reçoit une vie nouvelle et des avantages qu’il
n ’avait pas a u p ara v an t, les rapports civils et les droits q u ’il acq u ie rt sont cependant bornés à u n cercle étroit, dans lequel la
loi n’a pas restreint l’enfant légitimé, qui est considéré par elle
com m e l’enfant légitime et traite comme tel ;
« Que l ’adoption ne conférant ni les droits, ni le titre d’enfant
légitime, on doit nécessairem ent en conclure q u ’elle ne se confond point avec la légitimation, et que, par là même, elle n'est
pas un m oyen détourné d’appeler l’enfant naturel aux avantages
d ’une légitimation, qui ne peuvent lui être assurés que par le
mariage de ses père et mère ;
« Considérant que l’adoption ayant p our but principal et direct
�de créer un étatcivil entre l’adoptant eLl’adopté, en les unissant
par des rapports de parenté et de famille, et les droits de successlbilité réciproque qui en dérivent n ’en étant q u ’une consé
quence nécessaire, c’est le titre du Code civil qui a déterminé
le» règles de cet état eL la successibilité même qui en résulte,
q u ’il faut interroger p o u r savoir quels so nt ceux qui peuvent
être adoptés ;
« Que dès que l’incapacité q u ’on oppose au x enfans naturels
reconn us ne s ’y trouve ni d ’une m an ière expresse, ni d ’une
manière implicite, on ne peu t la ch e rc h e r dans les art. 75G,
757, 908 et autres sur les successions, qui n ’ont staLué sur la
dévolution des biens que d ’après les principes e t les règles pré
cédemment établis s u r l'état des personnes, sans aucun r e to u r
sur ces principes et ces règles auxquels le législateur n’a pas
songé à to uch er;
« Que les dispositions invoquées uniquem ent relatives aux enfans naturels, comme celle de l’art. 338, ne se sont point occu
pées des enfans qui auraient été adoptés; q u ’ainsi, p o u r les e n
tendre, et les appliquer sainement, il ne faut pas les séparer de
la qualité des personnes p o u r lesquelles elles ont été faites;
que c'est pour les enfans naturels reconnus, mais restés tels,
q u ’elles ont été créées; que si elles son t prohibitives, ce n ’est
évidemment que des droits qui dépasseraient, en faveur de ces
enfans, ceux q u ’elles leur accordent, et non des droits dont elles
ne parlent pas et qui seraient la conséquence d ’u n e qualité ou
d’u n titre sur lesquels elles n ’avaient pas à s’expliquer ;
« Que ce serait donc manifestement en éten dre l'application et
les effets à des personnes et à des cas auxquels elles n 'o n t pas
pensé, que d'y voir la défense d ’adopter les enfans naturels recon
nus, et de leur donner p ar là les droits de s u c c e s s ib ilit é que con
féré l’adoption ;
�« Considérant q u ’on ne pourrait adm ettre que les dispositions du
Code civil, qui bornent les droits des enfans naturels sur la suc
cession du père et de la mère qui les ont reco n n u s, renferm ent
la défense à ces derniers de les adopter, q u ’autant q u ’il existerait
e n tre l’état d ’enfant naturel reconnu e tc e lu id ’enfantadoptif, une
opposition diamétrale, qui ne perm ettrait pas de les confondre en
passant du premier au second ;
« Que celte opposition n ’existe pas ; q u ’il ne répugne ni à la n a
t u r e , n i a la raison, n ià la loi, que des liens de famille plus étroits,
que des rapports civils plus intimes et plus étendus s’établissent
entre le père et le (ils naturel ; q u ’en u sant du bénéfice de l’adop
tion, le père fait plus q u ’il n'avait fait par la reconnaissance,
mais qu’il ne fait rien de contradictoire à ce p rem ier acte qui ne
pouv ait avoir p o u r effet de l’en ch a în er si irrévocablement, qu'il
lui fût défendu d ’améliorer, par les moyens que la loi indique
elle-mème, l’état de son enfant;
« Considérant encore, sur les arl icles relatifs aux droits des enfans
naturels s u r la succession de leur père et mère, que la loi leur ac
corde, dans le cas où il n ’y a ni enfans légitimes, ni ascendans,
ni h éritiers collatéraux, tous les biens de cette succession ;
« Q u’alors l’incapacité q u ’on fait principalement résulter contre
eux, pour l’adoption, de la restriction apportée à leurs droits sur
ce point, devrait nécessairement disparaître, puisque la base fon
damentale donnée à cette incapacité n ’existerait plus;
« Qu’il faut donc conclure de cette application de la loi d o n t la
justesse ne peut être contestée, que des prohibitions, qui ne sont
ni générales, ni absolues, ne peuvent renfermer la défense que l’on
veut en faire résu lter;
« Considérant que l’argumentation que l’on a tirée, contre l’adop2
�« lion des enfans naturels reconnus, de l’art. 911 du Code civil, ne
« p ré s e n te , p o u r raison de décider, que la question même q u ’il s’a« git de résoudre ;
«
«
«
«
« Qu’en adm ettant, en effet, q u ’on p ût faire l’application des dispositions qu’il renferm e à un co n tra t aussi solennel que l’adoption, il faudrait toujours dém ontrer l’incapacité de l'enfant naturel reconnu à être admis au bénéfice de l’adoption p ar ses père
et m ère;
« Considérant que l’art. 36G du Code civil, qu’on a également in« voqué, en le rapprochant des art. 908 et 9 11, établit, dans le cas
« to u t particulier q u ’il prévoit, non une manière nouvelle de dont n e r ou de transm ettre par testam ent les biens de l’adoptant à l’a« dopté, mais bien un mode nouveau d’adoption que réclamaient
» l’intérêt de l’enfant et la position dans laquelle pouvait se trouver
« placé celui qui voudrait l'ado pter ; que si, alors, l’enfant acquiert
c des droits de snccessibilité sur les biens de ce dernier, c'est p ar
« une suite naturelle etnécessaire de l’adoplion exceptionnelle dont
t il a été l’objet, et non pas parce que le testament où elle se trouve
« renferme en sa faveur une disposition de scs biens ;
t Qu’on ne pourrait donc lui appliquer les dispositions des art.
« 908 et 911, et que ce serait encore la question de savoir s’il a pu
« être adopté ;
«
■
«
«
t
c Considérant, en fin, que si, malgré le silence de la loi et la généralité de ses dispositions, on proscrivait l’adoption des enfans naturelspar le père ella mère q u i les ont reco nnu s, on n'aurait aucun
moyen, sauf le pouvoir discrétionnairedestribunaux, de prévenir
celle des enfans naturels non reconnus, ou celle d e s enfans adultérins et incestueux, dont l’origine ne serait pas aitcstcc par des
■ faits incontestables ;
« Que s'il était immoral, cependant, de permettre l’adoption des
�c enfans naturels reconnus, il ne le serait pas moins de laisser la li*
«yb^rté d ’appeler, par des moyens détournés, ceux qui n ’ont pas
<r été reconnus, ou ceux qui ont une origine plus vicieuse, au béné« fifte de l'adoption, et qu’il serait tout h la fois inconséquent et
« injuste de repousser sur ce point les premiers, parce que leur
« naissance est connue, et d’accueillir les seconds parce que la leur
a est ignorée ;
« Qu’on ne peutopposer, pour justifier une semblable distinction,
« que les enfans naturels n o n reconnus sont, dans le sens légal,
« des étrangers aux yeux de la loi et de la justice;
« Que le vice de leur naissance n’en est pas moins réel pour n ’a« voir pas été révélé ;
« Que c’est, non d e l'ignorance où l’on peut être de cette ori« gine, mais de son existence même, que l ’incapacité q u ’on en fait
« résu lter dépend ;
«
«
«
*
« Q u’il arrivera néanmoins journellement que les enfans qui en
sont frappés éluderont les dispositions prohibitives de la loi, par
cela seul que le secret de leur naissance aura été soigneusement
caché, tandis q u e ceux qu’on aura reconnus en subiront toutes
les rigueurs;
« Q u ’un système qui se prêterait si aisément à la violation de
« la loi et qui consacrerait des effets si contraires à la raison et à
« une exacte justice, ne peut être admis;
« Adoptant au surplus, et sur les autres questions q u ’a présen« tées la contestation, les motifs des premiers juges ;
« La cour a mis cl met l’appellation au néant; ordonne que le ju* gement dont est appel sortira son plein et entier effet, et con« damne l’appelant à l’amende et aux dépens. »
Tel est l’arrêt q u ’attaque le sieur Boirot, et que n o us défen
dons.
�DISCUSSION.
Nous diviserons noire discussion en deux paragraphes.
Dans l’un nous traiterons la question de recevabilité de l’action
des tiers en m atière d’adoption.
Dans l’autre nous réfuterons le moyen invoqué par le d em an
deur à l’appui de son pourvoi.
§ I".
NON-RECEVABILITÉ DE l/ACTlON.
Une adoption consommée avec les solennités prescrites par la
loi, p en d an t la vie de l’adoptant, est-elle attaquable par les tiers
après la m o rt de celui-ci ? Les tiers peuvent-ils contester l’état qui
en résulte?
Si celte question paraît, h la Cour comme h no us, devoir être ré
solue négativem ent, il est manifeste que le dispositif de l’arrèl at
taqué, qui rejette la demande du sieu r Boirot, devra être maintenu,
puisqu’il se trouvera conforme d la loi, q u e lq u e soit, d’ailleurs, le
m érite des motifs donnés par la c o u r de Riom à l ’appui de sa déci
sion.
O r, ou nous nous abusons fort, ou le législateur n ’a entendu
so um ettre à aucun recours, à aucun examen ultérieur le» actcs
solennels qui autorisent l’adoption, après q u ’ils ont clé consom
més du vivant de l’ad o p tan t.
Sans doute, au premier aperçu, les m agistrats et les ju r is c o n
sultes, préoccupés d e l à maxime rcs itilcr nliosjuih'cata vcl acta,
�— 13 —
aliis nec nocçre, nec prodesse polest, sont portés à adopter l’opi
nion contraire, qui nous avait d’abord séduit nous-même.
Mais nous croyons q u ’un examen approfondi de l’esprit et des
termes de la loi doit conduire à reconnaître que le législateur a
voulu interdire to ute action aux liers dans la matière spéciale qui
nous occupe.
Cette interdiction ne tient ni à la chose jugée, ni à un défaut de
qualité; mais à un o rd re d ’idées plus élévé; à la nature de l’acte, qui
n’a de judiciaire que les formes; aux exigences de l’institution qui
exige, pour ne pas être frappée de stérilité, u n secret incompatible
avec la procédure ordinaire, et qui, p ou r qu’un acte de bienfai
sance ne devienne pas une cause de diffamation, renferm e lout
dans les mystères de la cham bre d u conseil, n ’admet de confldens
que les magistrats, de co ntradicteu r que le ministère public rep ré
sentant la société entière.
Le Conseil d’Etat,en discutant le titre de l’adoption, avait voulu,
dans le principe, confier les déclarations d ’adoption, soit au pou
voir législatif, soit au gouvernement.
Certes, s'il eût persisté dans cette pensée, il ne fût venu à l’idée
de personne q u ’un pareil acte eut été susceptible d ’un recours
quelconque devant les trib u n a u x !
La n atu re de l’acte a-t-elle changé, parce que des raisons tirées
de ce que les tribunaux auraient plus de facilité pour se p ro cu rer
des renscignemens, et seraient plus aisément abordables que le pou
voir législatif et le gouvernem ent, o nt fait préférer à ces deux
pouvoirs l’autorité judiciaire ? .
Evidemment non.
o
La déclaration d ’adoption n ’en est pas moins restée ce q u ’elle
devait être dès l’origine, un acte souverain, un acte administratif
�d’une nature particulière, re n d u en connaissance de cause, avec le
ministère public, représentant les intérêts de tous, et sous la ga
rantie d ’un double examen parles magistrats les mieux placés pour
apprécier la moralité et l'intérêt social de l'adoption.
Une fois constituée par l'arrêt d’adoption et l’inscription sur les
registres de l’E lat civil, la nouvelle famille, composée de l’adoptant
et de l’adopté, ne devait donc avoir rien à craindre des héritiers de
l’adoptant, pas plus que celle que crée un acte de reconnaissance
d’enfant naturel ou l’absence de désaveu d’un enfant contre lequel
le désaveu eut été possible.
Vainement l’héritier vient-il dire que l’adoption le lèse, q u ’il
n'a pas été partie dans le contrat, et que l'adoption reste à son égard
res inter alios acta.
L a reconnaissance d’u n enfant n aturel lèse aussi les intérêts des
ascendans d o n t elle diminue la réserve, des collatéraux ou des lé
gataires auxquels elle enlève une partie de la succession ; le défaut
de désaveu, dans les circonstances où la preuve exigée par la loi
peut être faite, diminue aussi la part héréditaire et la réserve des
autres enfans légitimes ; et cependant qui oserait prétendre que la
reconnaissance ou la déclaration de paternité peuvent être a tta
quées par les héritiers lésés, sous prétexte q u ’elles s o n t res inter
alios acta ?
Personne assurément, parce que la constitution des familles est
protégée par des règles spéciales qui la mettent à l’abri des actions
ordinaires fondées sur de simples intérêts d’argent, et ne la sou
m ettent q u ’aux seules actions expressément et textuellement ou
vertes contre elles par le législateur.
C’est ainsi que le chapitre 4 du titre du mariage a spécifié les seu
les causes qui donneraient ouverture à l’action en nullité.
La loi a été plus sévère encor« pour Ica déclarations de pater.
nilé.
�Elle a refusé aux héritiers du père tout droit de contester comme
mensongère la reconnaissance émanée de lui, ou de désavouer
l’enfant qu’il a u rait avoué par son silence.
Elle a fait de même p o u r l'adoption opérce suivant les formes
prescrites. Elle y trouvait des garanties bien autrem ent rassuran
tes que celles résultant des formalités qui précèdent le mariage.
Au lieu de l’intervention d ’un simple ofiicier de l’état civil, elle avait
appelé sur l’adoption l’investigation du ministère public, et un dou
ble examen de la p a rt des magistrats ; elle a vu dans cette accumulalion de précautions, un gage suffisant pour l’intérêt social q u i do
mine et fait taire tous les autres, et, en conséquence, elle a ren d u
l’acte d’adoption aussi inattaquable po ur les héritiers de l’adoptant
que la reconnaissance d ’un enfant naturel ou la déclaration de pa
ternité dans l’acte de naissance d’un enfant légitime.
L ’adoption est donc to u t autre chose qu’un jug em ent, quJnn
contrat; c ’est un acte de l’autorité souveraine déléguée exception
nellement à l’autorité judiciaire.
Combien cette volonté d u législateur ne devient-elle pas plus
manifeste encore, lorsqu’on songe aux conséquences q u ’aurait
l’action en n u llité, si elle était ouverte aux tiers.
Toute l’économie de la loi serait bouleversée.
Elle a voulu que l’instruction fût secrète, co m prenant bien que
personne ne voudrait plus adop ter, si, pour être autorisé à faire
un acte de bienfaisance, il fallait s’exposer à voir toute sa vie fouil
lée par la malveillance, et toutes ses actions livrées aux apprécia
tions scandaleuses d’héritiers cupides et mécontens!
O r, le système qu’on veut faire prévaloir aurait pour effet in
évitable de rend re publique toute cette discussion de moralité que le
législateur a renfermée dans le secret de la chambre d u conseil!
Ce danger, certes, n ’a rien de chim érique, et l’exemple n ’est
�pas loin; car, dans l’espèce même, M. Boirol a c ru pouvoir livrer
au scandale d ’une discussion publique la mémoire de celle dont il
dem an dait l’hérilage! E trange système que celui qui prête au lé
gislateur celte immorale pensée de n’accord er à l’héritier la succes
sion qu’il convoite, qu’à la condition de déshonorer son auteur.
La moralité de l'adoptant trouvée suffisante aujourd’hui par le
ministère public, le tribunal c l la Cour royale, pou rrait être d is
cutée de nouveau dans cinquante ans ; c a r , une lois ouvert, le rc-cours rem ettrait en question toutes les conditions de l’adoption ,
puisque nulle limite tic serait (ixée par le législateur; et alors, en
l’absence de l’adoptant décédé, en l’absence des preuves cl des ex
plications que lui seul pouvait fournir, la justification de la m o ra
lité serait peul-elre jugée incomplète ! L’adoptant se trouverait
puni par la (lélrissurc souvent injuste, qui ¡¿’attacherait, par la pu
blicité, ii sa mémoire, des sentimens généreux qui l’auraient animé
pendant sa vie. — El to u t ec qui se serait fait pendant ce demisièclc sur la foi de l'adoption, les m ariages, les arrangem ens de
famille, les p a r t a g e s , to u t serait anéanti; et l’adopté n’aurait pas
même la ressource de réclamer po ur lui et sa famille le bénéfice de
la bonne foi, q u e la loi n’accorde q u ’à l’époux et à scs descen
dais !
Evidemment il faut reculer devant de pareilles conséquences!
ÎS'on, l’adoption ne peut pas être attaquée, après la sanction
qu'elle a reçue du Tribunal de première instance cl de la Cour
royale, su r les conclusions du m inistère public.
Kcgulicr en la forme, le lilre fait présumer l'accomplissement de
lontcs les conditions ; c ’est là une présomption ju r is et de ju r e ,
qui n’adinel aucune preuve contraire.
Par son te x te , la loi n'adinct l'intervention des héritiers
ijnYit un leul c a s , celui où l’iulopi-mt m eurt avant que le* tri
�bunaux aient définitivement p r o n o n c é ; et dans ce cas même, £lle
n ’autorise les héritiers qu’à remettre des mémoires et des observa*
#
t
»
lions au procureur,du roi. (A rt. 3G0 C. civ. )
Si le législateur n’eût pas entendu proscrire l'action des tiers,
après l'adoption consommée, concevrait-on qu’il n ’eût pas orga
nisé une procédure spéciale; qu’il n 'e û t pas exigé le sccrel des discus
sions, indiqué les tiers auxquels le recours sérail ouvert, les con
ditions, les restrictions sous lesquelles ils pourraient en user, les
délais dans lesquels ils devraient l’exerccr!
Le législateur aurait-il donc permis de livrer à la publicité,
après la vie de l’adoptant, les débals plus ou moins diffamatoires
que des collatéraux avides ne sc feraient aucun scrupule de susciter,
alors surtout que les preuves manqueraient pour leur ré p o n d re ,
lui qui avait exige le sccrel, alors même que l’adoptant était là pour
détruire les allégations mensongères?
Aurait-il admis" l'intervention des collatéraux après l’adoption
consommée, lui qui n’avait pas cru devoir l’adm ettre avant la sanc
tion des T ribun au x, parce qu e, disait-on dans la discussion au
Conseil d ’Étal, leur intérêt d ’arg en t ne devait être d ’a u c u n e considéiation en pareille circonstance ?
Aurait-il voulu laisser l’état des adoptés incertain pendant un
temps illimité ? et le livrer non seulem ent aux collatéraux, mais
encore à tous les tiers, donataires, débiteurs ou a u tre s, qui auraient
in térêt à contester la validité de l’adoption?
S’il en était ainsi, qu e de familles dont la position serait en sus
pens ou compromise, et dont les auteurs auraient à subir des actions
qu'on hasarderait souvent, 11e fût-ce que pour obtenir des sacrifices
par crainte d’un scandale public.
�— 18 —
Jusqu’à présent l’opinion générale a protégé les intérêts de toute
nature, engagés dans l’adoption, parce que généralement on a r e
gardé les actes qui la consacraient comme étant hors de toute a t
teinte.
Que la Cour ouvre la brèche et l’on verra à l’instant la foule s’y
précipiter, non par amour d e là morale, mais par 1111 sentiment qui
se devine assez à une époque où la cupidité semble avoir re m
placé tout autre mobile !
L’adoption, d ’abord objet de préventions, a été bientôt mieux coin
prise.
Elle a pris racines en France, où elle produit d ’heureux ef
fets.
Les actes d'adoption se sont fort multipliés depuis trente ans.
Des milliers de familles ont contracté des alliances, des engagemens sous la foi de le u r irrévocabilité.
Ces familles seront-elles trompées pour avoir placé leur co n
fiance dans la logique, la raison, le texte et l’esprit de la loi ?
Nous ne pouvons le craindre, car nous connaissons la sagesse
de la Cour.
Au surplus, si nous avons insisté sur l’inviolabilité des adoptions
consommées, c'est plutôt dans l’inlcrct général que pour le besoin
de la cause de la daine de Laplanche ; car il nous sera facile de
prouver qu’au fond l’arrêt de la Cour de ltiom repose s u r des motifs
conformes to u t à la fois à la loi et à la morale.
�— 19 —
rt
§2.
RÉFUTATION DU MOYEN DE CASSATION.
Suivant le dem andeur en cassation, la cour de Riom aurait, par
cet arrêt, violé les art. 757 et 908 du Code civil, et faussement ap
pliqué l’art 343 du même Code.
P ou r justifier ce rep ro c h e , il a examiné la législation romaine,
celle qui en France a précédé le Code civil, et enfin la législation
qu i nous régit aujourd’hui.
Nous suivrons le même o rd re de discussion.
D roit romain.
P our bien com prendre ce que pouvait être à Rome l’adoption
des enfans naturels, il faut se rappeler qu’elle était dans l’ancien
droit romain la constitution de la famille.
Les enfans d’un même père pouvaient se trouver dans deux posi
tions distinctes; — ou bien sous sa puissance, ou bien hors de sa
puissance.
Il ne pouvait évidemment être question d’adoption q u ’en ce qui
concernait ces derniers ; — les fils de familles, jouissant de toutes
les prérogatives de la légitimité, n ’en avaient pas besoin.
Les enfans placés hors de la puissance de leur père, — pouvaient
se trouver dans cette position par trois causes différentes:
1° Lorsque, nés sous sa puissance, ils en étaient sorti», soit par
émancipation, soit parce q u ’il les avait donnés en adoption ;
2° Lorsqu’ils étaient issus de l’union nomm ée chez les Romains
concubinat, — ils étaient alors appelés filiinaturales par opposition
�> o L r \
~
20 —
aux jilii fa m ilia s, et naissaient sui ju ris et chefs de famille euxmêmes ;
3° Enfin lorsqu’ils étaient nés pendant l’esclavage de leur père,
— quœsiti in servitute patris. Le père esclave, ne jouissant d'aucun
droit civil, n ’avait pas la puissance paternelle; l’unique effet de la
paternité, dans ce cas, était d’interdire entre le père esclave et sa
fille le contubernium tant q u ’ils étaient esclaves, et le mariage, si plus
lard ils devenaient affranchis.
Hors de ces cas, les enfans, n ’ayant pas de père connu, ou en
ayant un que les lois ne permettaient pas d ’avouer, c’est-à-dire un
père adultérin ou incestueux, étaienl nom m és vulgo eoncepti,et la
paternité restait dans ce cas toujours incertaine; — nam nec hipatrem
habere intclliguntur, cum his el etiam (pater) est incertus. (Institutos,
de nuptiis, § 12.)
Des trois classes d ’enfans placés hors de la puissance d e leur
père, il n ’en était pas une dans laquelle celui-ci ne put aller c h e r
c h e r des enfans adoptifs.
Q uanta ceux qui étaienl nés sous sa puissance, el qui en étaienl
sortis, ils y pouvaient re n tre r par l’adoption. Qui patria poteslate
liberatus est, dit Ulpien (1. 12, ff. de A dop.), el postea in potestatem
honeste revertí non polest, nisi adoptione.
Q uant aux enfans natu rels issus du co ncu binat, inviti filii na
turales vel emancipati, dit Modestin (I. 11. § de his qui sui), non rediguntur in patriam potestatem . Divers modes de légitimation, in
dépendam m ent du mariage s u b s é q u e n t, les faisaient passer de
l ’état d ’enfans naturels à celui d’enfans légitimes, el conslituaicnl
à vrai dire, non pas des légitimations dans le sens actuel de ce
mot, mais de véritables adoptions. (C. de N aturalibns liberis. Nov.
12, cap. 4. Nov. 74, cap. 1 cl 2. Nov. 89, cap. 9 cl 10.)
Q u a n ta l’enfant né pendant l’esclavage de son père, la loi 4G,
�fil de Adoptionibus, s’exprim e ainsi : In servitut'e mea quœsitus mihi
filius in potestatem m eam redigi bénéficia principis potest ; libertinnm cum manere non dubitatar.
•
*
« A ssurém ent, dit AI. D uranton, t. 3, p. 284, l’enfant né pendant
« l’esclavage de son père était u n enfant n a tu re l; et cependant
« après l’affranchissement du père, il a pu être adopté par re s e n t
« du prince, c ’est-à-dire adrogé. »
Et, plus bas, le même auteur ajoute que l’adrogation. seul mode r
d ’adoption qui fût compatible avec la qualité de personnes su iju ris.'
qui appartenait aux enfans naturels, était très fréquente du père
naturel à son enfant.
k ces textes si positifs q u ’oppose-t-on ?
1° La maxime quod meurn est, amplius m eum jleri non polest. Le
père naturel, dit-on, ne peut pas devenir par l ’adoplion plus père
q u ’il n e l’est déjà.
L ’argument prouve trop ; car s’il est applicable à l’adoption, il le
sera à la légitimation. Et cependant on ne niera pas que le père
naturel ne put', à Rome aussi bien que chez nous, devenir plus père
par celte voie. '
'
2° La loi 37 au Digeste, de Adoptionibus, laquelle déclare q u ’on
ne pourra pas adopter de nouveau l'enfant adoptif q u ’on aura
émancipé ou donné en adoption à un autre.
Le simple énoncé de cette loi dém ontre q u ’elle est com plète
ment étran gère à la question qui nous occupe. Il n ’y a donc pas
lieu de s’y arrêter.
3° La loi 23, If. de Lib. et<posth., dans laquelle on lit : In omni
ju r e sic observari convenit ut veri patris adoptione filius m n q u a m
inlelligatur, ne imagine naturœ veritas adumbretur.
�— 22 —
Mais il suffit de lire les dix lignes dont se compose cette loi pour
s'apercevoir qu’on prend pour une règle générale ce que Papinien
entend appliquer seulement à un cas particulier. 11 s’agit, en effet,
dans cette loi, de savoir si l’exhérédation formulée contre le fils
de famille, par son père, devra être considérée comme anéantie,
si, depuis, ce fils de famille a été émancipé par son père, puis est
ren tré par l’adrogation sous sa puissance.— Non, répond Papinien ;
car l'adoption ne peut pas diminuer les droits qu ’il a comme enfant
légitime ; il n'a pas acquis un état nouveau, c’est son ancien état
qu’il a repris; videlicel^ ajoute-t-il, pour lever tous les doutes ,
quod non translatus, sed reddilus videretar.
L ’adage que l’on cite veut donc dire que la fiction ne peut rien
enlever à l’enfaut des droits que la réalité lui donne, et nullement
que la fiction ne puisse rien ajouter à ces droits, ce qui est tout
autre chose.
Ce texte doit donc être encore écarté comme les précédens.
Ainsi, dans l’ancien droit romain, il est hors de doute que l’exis
tence du lien naturel ne mettait obstacle ni à l’adoption , ni à la
légitimation même par une autre voie que par mariage subséquent;
ce qui n’élait, à vrai dire, que l’adoption telle que nous l’entendons
aujourd’hui, adoption créée spécialement à Rome p o u r les enfans
naturels.
Mais la question changea de face et acquit un intérêt tout n o u
veau quand l’influence du christianisme eût fait proscrire le concu
binage, et enlevé ainsi aux enfans naturels les droits civils que leur
assurait l’ancienne législation.
La législation sur l’adoption des enfans naturels subit alors de
fréquentes variations.
�— 23 —
,
On voit, en effet, dans la loi 6, au Code de N aturalibus libcris
l’em pereur Anastase donner aux enfans naturels adrogés tous les
droits d ’enfans légitimes, et notam m ent la faculté de recevoir par
donation, par testament, et meme üb intestat, les biens de leurs
pères naturels.
Puis, dans la loi 7 (ibid), l’empereur Ju stin interpréter cette loi
d’une manière restrictive pour le passé, et l’abroger po ur l’avenir.
Puis, Justinien (dans sa Novelle 89, ch. 7), se prononcer contre
l’opinion d’Anastase, quœ naturelles adoptare contribuit, et pour
celle de Justin quœ adoptiones naturalium prohibuit. Justinien re
connaît au reste (Novelle 74, ch. 3 de Legitimatione per adoptionem), que l’ancienne législation était favorable à ces sortes d ’adop
tions. E t nos non latuit, dit-il en effet, quia etiam adoptionis modus
erat antiquités ante nos imperatoribus super naturales ad legüimos
transferendos non improbabilis existim atus
.
Et lui -même, comme le fait observer Godefroy sur la loi 6, au
Code, de Naturalibus liberis, revient plus tard, par voie indirecte,
à l’opinion d’Anastase, lorsque, par sa Novelle 117, il déclare légitime
l’enfant que le père avait appelé son enfant dans un acte public ou
privé, sans ajouter la qualification de naturel.
Nous ferons observer au surplus que la différence entre les ef
fets que l’adoption produisait chez les Romains, et ceux q u ’elle
produit chez nous, ôte presque tout son intérêt à l’examen histo
rique des variations que la législation sur l’adoption des enfans na
turels a pu subir dans le droit romain. Un des résultats principaux
de l’adoption était en effet de conférer à l’adopté les droits d’agnat
dans la famille de l’adoptant, et l’on conçoit sans peine combien le
caractère politique de l ’agnalion a du exercer d’influence sur les
conditions de capacité exigées de l’adopté aux diverses époques.
�-■"’S ■
—
24“ ^-
-
Lé droit romain ne fournit donc rien de décisif su r la questiôn;
et nous ne nous y arrêterons pas davantage, le dem andeur n ’ayant
pas nié lui-même les tergiversations de la loi romaine s u r ce point,
et le peu d ’influence qu’elle doit exercer sur la solution de la dif
ficulté.
Législation intermédiaire.
*-
Avant la révolution de 1789, l’adoption proprement dite était
inconnue en F rance. Ce n ’est que le 18 ja n v ie r 1792 q u ’elle fui
introd uite dans la législation par un décret de l’assemblée législa
tive, qui ordonnait de c o m p re n d re dans le plan général des lois
civiles celles relatives à Yadoption.
Le principe se trouvait ainsi posé.
II fut consacré de nouveau :
P a r la constitution de 1793, qui déclarait « citoyen tout homme
qui adoptait u n enfant. »
P a r le décret de la Convention d u 7 mars 17J3, * qui chargeait
« le com ité de législation de lui p résen te r un proji t de loi s u r les
« enfans appelés naturels et sur Y adoption. »
«
«
«
«
«
Par le décret du 4-6 juin 1793, qui posait en principe que « les
enfans nés hors mariage succéderaient à leurs père et m ère dans
la forme qui serait déterm inée, et ajournait la discussion sur ce
point ju s q u ’a ce que la convention eût e n te n d u son comité de
législation, tant sur le mode d’adoption qu e sur lessuccessions
en général. »
Par le décret du 15-1G frimaire an III, qui réglait provisoirem ent
les effets des adoptions faites antérieurem ent h la promulgation dû
Code civil, q u ’on croyait alors prochaine.
r
�Edfin, par l’a rrê té du gouvernement du 10 floréal an V III, dont
Tari. 10 prescrivait au ministre de l’intérieur d ’envoyer aux pré
fets, po ur les faire passer aux maires, des modèles, conformes à ceux
annexés à l’arrêté, des atctes de naissances, décès, mariages, d iv o r
ces et adoptions, p our assurer l’uniformilé des actes de l’état cjvil
dans to u te la république.
En attendant la loi organique annoncée par tous ces actes .légis
latifs, un grand nombre d ’adoptions eurent lieu. En l’absence de
toute règle légale, on se contentait de déclarer, par acte authen ti
que, qu'on adoptait tel individu pour son enfant, et cette adoption
produisait effet.
Lorsque le titre du Code civil s u r l’adoption eût été prom ulgué,
le 2 germinal an X I, il suscita de graves inquiétudes chez ceux dont
l’adoplion antérieure au Code ne satisfaisait pas aux conditions.qu’il
était v e n u e x ig é r. C'est pour calmer ces inquiétudes que fut ren
due la loi du 29 germinal an X I, don t l’art. Ier est ainsi conçu :
« Toutes adoptions faites par acte authentique, depuis le 17 jan« vier 1792 jusqu’à la publication d u Code civij,, relatives à l’a• doption, seron t valables quand .^elles n ’auraient été accompa« gnées d’aucune des conditions depuis exigées pour adopter,et
« être adopté. »
.i
De 1792 à 1803, il s’était fait un grand nombre d ’adoptions
d ’^nfans naturels. La yalidité.de ces adoptions ne pouvait être d o u
teuse ; l’esprit de la „législation, tout favorable pendant cette
période aux eniàns naturels, ne permettait même pas que la ques
tion fut soulevée. La loi du 25 germinal an XI vint encore confir
mer ces adoptions. Aussi la Cour de cassation déclara-t-elle valables
les adoptions d ’enfans naturels faites avant le Code civil , par
q u a tre arrêts des :
•24 novembre 1806. (Sirey 6,1 ; 586.)
J? ^
/
A
�f
24 juillet 1811. (Sirey 11, 1 ,3 2 9 .)
12 novembre 1811. (Sirey 13, l *j424.)
E t 9 février 1824. (Sirey 24, 1, 195.)
Ainsi, nul doute q u ’au moment de la promulgation d u Codet
l’adoption des enfans naturels ne fut permise par la loi.
1 C’est donc l’abrogation de la loi antérieure que les demandeurs
en cassation ont à faire ressortir du Code civil.
Prononce-t-il en effet cette abrogation ? C’est là ce qu’il nous
reste à exam iner. '
:f!’
' '•
i
f
i
Droit actuel.
R em arquons, avant tout, com m ent la question se présentedevant
la C o u r suprêm e.
Elle n’a pas à exam iner si, dans telles ou telles circonstances,
l’adoption ne doit pas être interdite plutôt que permise au père
naturel.
1
Les considérations d ’espèces ne peuvent être pesées e t appréciées
que par les'Cours royales.
- P ar cela seul qu’ici deux arrêts de Cour royale o nt c ru devoir
l’un autoriser'l’a u tre maintenir l’adoption, il est manifeste que les
circonstances de l’espècc étaient favorables.
L'arrêt attaqué ne pourra donc être cassé q u ’au tan t qu'on devra
poser, dans ses termes les plus absolus, ce principe de droit q ue,
par cela seul q u u ti enfant naturel a été reconnu, il ne peut dans
aucun cas, et quelles que soient les circonstances, être adopté par
celui ou celle de qui émane la reconnaissance.
O r, ce système absolu et tranché nous 'parait en' contradiction
directe a r e c le texte e t l’esprit de la loi.
En principe, tout individu peut adopter et être adopté.
�Ainsi, l’incapacité ne peut résulter que d’une prohibition spé
ciale de la loi.
Celte prohibition existc-t-elle contre l’enfant n atu re l?
Elle n ’est pas écrite dans le texte ; on en convient. Le Code,
dans les articles 340 h 3 4 6 , énum ère toutes les incapacités ; celle
résultant de la filiation naturelle n ’y figure pas.
C’est donc dans l'esprit de la loi qu’il faut l’aller cherch er. ,
Mais d ’abord, en matière d’incapacités, de prohibitions, de pei
n e s , il n ’est point permis de suppléer au silence du texte par des
déductions tirées de l’esprit.de la loi.
Ensuite peut-on prétendre1q u e l’esprit du Code civil repousse
l’adoption des enfans naturels?
Il suffira, p o u r répondre à cette qu estio n , de rappeler ce qui
s ’est passé1dans la/discussion du conseil d ’Etat su r le titre de l’a
doption:1
Lorsqu’on ne connaissait encore de cette discussion que ce qu i
en avait été imprimé dans le recueil des procès-verbaux, il était pos
sible d ’élever des doutes sur l’intention du législateur. Il semblait,
en effet,, que la question ne l'adoption des enlans naturels eût été
seulement effleurée en quelques mots, et q u ’elle n’eût été l’objet
ni d ’un examen sérieux, ni d ’une solution précise. On pouvait s’é
tonner q u ’une question de cette importance e û t été traitée avec
tant de légèreté, et'que les deux partis qui, dans le conseil, soute
naient et com battaient l’adoption en général, se fussent en quelque
sorte entendus pour négliger, ceux-ci leur objection la plus grave,
ceux-là leu r m eilleur argument. L’explication de l’énigme a été
donnée par M. Locré, lors de la publication d u 4me'vohihie dé son
livre sur l’Esprit du Code civil. Ce n ’élait pas la discussion qui
avait été in c o m p lè te , c’était le recueil imprimé des procès-ver
baux qui avait été tronqué. La lacune se trouvait comblée par des
�procès-verbaux dont M. Locré donnait le texte, et qui levaient
toutes difficultés sur la solution adoptée par le conseil.
Voici, en effet, ce qu'on lit dans ces procès-verbaux (voir Locré,
E sprit du Code civil, nouvelle éd itio n , tome 5, page 379):
« Dans la séance du 6 frimaire an X, un article fut mis en dis« cussion, qu i réglait les mesures à prendre préalablement à l’adop« lion d’un enfant qui n aurait pas de parensconnus; que M. Tron« chet attaquü cette disposition comme facilitant l’adoption des
« b âtard s, faisanl'remârquér qu'il ne suffirait p a s , p o u r prévenir
« cet in c o n v én ien t, de ne perm ettre l’adoption que des enfans
« nés de père et de mère inconnus, parce qu’il n é dépendait que
« du père de se ménager la facilité d’adopter son enfant n a t u r e l ,
« en s’abstenant de le reconnaître.
. "i <•
« Le prem ier consul répondit que cependant l’article était
• avantageux sous le point de vue que considérait JM.Tronchet.
« Il répugne à la bonne morale qu’un père, line mère, m êm e pau« vres, se dépouillent de leur qualité et fassent passer leur en« fànt dans une famille étrangère ; mais c ’est au contraire une
• conception heureuse de venir par l'adoption au secours d’un en« fant abandonné, et de l’arraclier à la, dépravation à laquelle son
« .état d ’abandon l ’expose. Mais, d it-o n, il faut craindre de faciliter
« l’adoption des bâtards. Il serait au con traire heureux que l’injus« tice de l’homme qui, par ses déréglemens, a fa it naître un enfant
* dans la honte, pût être réparée sans que les mœurs fussent bles« sées. ,
«
«
*
«
a M. T ronchel répondit q u e les principes de la saine morale
ont fait exclure les bâtards des successions ; q u ’il y aurait de
l’inconséquence à leur imprimer, d ’un côté, cette incapacité, et
à placer, de l ’autre, un moyen de l’éluder. . t,¡ ... .
« Le premier consul dit q u ’il pensait aussi que d o n n er aux bâtards la capacité de succéder, ce serait offenser les mœ urs; mais i
�«
«
«
«
«
«
«
que les m œurs ne sont plus outragées si celle capacité leur est
rendue indirectement par l’adoption. La loi, en les privant du
droit de succéder, n’a pas voulu punir ces infortunés des fautes
de leur père : elle n ’a voulu que faire respecter les m œurs et la
dignité du mariage. Le moyen, ingénieux de les faire succéder
comme tnfans adoptifs, et non comme bâtards, concilie don c
la ju stice et l'intérêt des m œ urs. '
« M. Réal rappelle à Tappuj de ce que vient de dire le premier
« consul que, dans une discussion précédente, le conseil a été plus
« sévère sur les reconnaissances d’enfant , dans la supposition
« que le préjudice q ue les dispositions sur cetté matière pourraient
« causer aux enfans n atu re ls, serait réparé par l’adoption.
« M. Ti;prichet ayant insisté s u r la contradiction q u ’il y aurait
« entre la faculté d’adopter les enfans naturels et la limitation de
< la faculté de disposer à leur égard, M. Bérenger dit que c’était
« dans l’intérêt de la morale q u ’il appuyait l'adoption des bâ« tards.
La discussion se prolongea s u r d ’autres points, et l’article pro
posé fut en définitive adopté.
La question se représenta in terminis quelques jours après.
La section de législation avait p résen té, dans , la séance du
14 frimaire au X, un article ainsi conçu : ;j.
•
..« Celui qui a reconnu, dans les form es établies par la loi, un
* enfant né hors mariage nk peut l’adopter, ni lui conférer d’autres
« droits que ceux qui ré s u lte n t,d e son acte de naissance.; mais,
« hors ce cas, il ne sera admis aucune action tendant à prouver,
•< que l’enfant ad opté est l’enfant naturel de l’adoptant. »
Cet article fut soumis à la discussion, le 16 frimaire an X , et le
procès-verbal de cette séance reud compte de cette discussion en
ces term es:
'
« M. Marmont dit que cette disposition peut com prom ettre l’é-
�\
— 30 —
«
«
«
«
tat dès enfans naturels. Il pourrait arriver, en effet, que, pour
se ménager la faculté de les adopter, leur père différât de les
reconnaître, et que cependant il mourut sans les avoir ni adoptes, ni reconnus.
« M .'Berlier (rapporteur) convient que cet article est trop sé« vère ; le motif qui l’à fait adop ter à la section a été la crainte de
« co n tred ire le projet de loi qui né donne aux enfans naturels
« reco n n u s qu'une créance sur lés biens de leur père.
« M. Em m ery o b s e r v e qu e la créance est le droit com m un, et
« l’adoption le cas particulier. Il dem ande la suppression de
* l’article.
« M. Regnauld, de Saint-Jean d’Angely, dit que la disposition
« rappelée par M. Berlier n 'a p o u r objet que de détruire la légist lation antérieure qui d o n n a it’aux enfanà illégitimes des d ro its
« beaucoup plus' étendus q u ’une simple créaticé.
« L’article est supprimé. »
Aucun doute n ’est possible en présence de cette discussion.'En
p rovoquant la suppression d e l'article qui prohibait l’adoption de
l ’enfant naturel, M. Em m ery a soin d ’expliquer sa pensée : c’est
la prohibition elle-même q u ’il entend repousser; l’in ten tio n du
conseil, en supprim ant l'article, n ’a d o n c rien d ’équivoque. Il a
voulu autoriser l'adoption tout à l a ’fois dans la crain te d’em p ê
ch er, s’il la p r o h ib a it, la reconnaissance des enfans naturels, et
dan's l’intérêt de la justice e t'd e s mœurs.
Aussi, lorsque ces procès-verbaux e u re n t été publiés, presque
tous ceux des jurisconsultes'qui s'étaient jusque-là prononcés con
tre la v a l i d i t é dfe l’adoption1, s’empressèrent-ils de revenir sur une
opinion si évidemment, repoussée par le législateur.
O n'lit dans le Traité d e ' l’Adoptiôn, de M .'Grenier, que lors
q u ’on connaissait seulem ent la discussion telle qu’elle avait été
impriméci^les raisons ne manquaient pas pour repousser l’adop-
�—
31
—
tion ; mais que, depuis la publication faite par M. Locré, ce qui
y est contenu sur' l’adoption a fait les plus vives impressions, le
rejet de l’article proposé par la section de législation prouvant
que la loi a été conçue en ce sens qu’elle n’emportait pas une p ro
hibition textuelle d ’adopter un en fan t naturel q u ’on aurait légale
ment reconnu.
11 '
M. Merlin, avant la publication de l’Esprit d u Code civil, s’é
tait prononcé contre l'adoptioB. Mais la question de la validité
d ’une adoption antérieure au Code civil s’étant présentée le 24 no
vembre 1806 à la Cour de cassation , il saisit cette occasion pou r
r' déclarer q u ’i/ revenait sur sa première opinion, ei que le silence du
Code se trou vant désormais expliqué par le retranchem en t d ’u n
article prohibitif, il ne croyait plus permis de reg arder la recon*
naissance d ’un enfant naturel comme faisant obstacle à l ’adop
tion (voir D alloz, 1806, 1 ,6 7 2 ). Il reproduisit la même opinion
dans l’édition q u ’il d o nn a de son R épertoire, èn 1812. Après
avoir, en effet, rappelé (v° Adoption, § 4) les raisons 'qui avaient
motivé son prem ier avis, il rendit compte des discussions du con
seil d’E lat, publiées par M. L ocré, et ajouta : « Cette partie du
« procès-verbal du Code N apoléon, qui n ’est pas imprimée, ré« pond, comme on le voit, de la manière la plità tranchante', à to u « tes les raisons q u i, du premier ab o rd ,'sem b laien t ap p u y e r l'o« pinion adoptée par les qu atre arrêts ci-dessus rappelés ; et l’on
« doit croire que, si elle e u t été connue plus tôt, ces quatre arrêts
« auraient admis les ad options qu’ils o n t rejetées. »
'
.
11. Merlin, à la vérité, est revenu depuis à cette opinion, qu’en
1812 il trouvait repoussée de la m anière la plus tranchante ; nous
examinerons to u t à l’heure les motifs de ce retour.
Ainsi l’enfant natu re l reco n n u peut être adopté.
Ce droit ne résulte pas seulement pour lui du principe général
�*^=..'32 —
qui l’accorde à tous ceux que la loi n’en a pas 'expressément dé
pouillés.
ûr?f , .1
■
Il résulte encore de rintcntion'ispëcialement manifestée par le
législateur de lui laisser ce droit.
*
' ' ’
11 '
'•
Le silence du législateur aurait suffi ; mais le législateur ne s’est
pas contenté de com prendre d ’un e manière générale l’adoption
des enfans naturels au nom bre de celles q u ’il n ’entendait pas in
terdire ; il en a fait l’objet d ’une discussion particulière, et il a
repoussé la prohibition demandée, en s’appuyant sur les principes
du droit et s u r l’intérêt de la justice et des mœurs.
C e p e n d a n t, en présence du principe général, en présence d e la
discussion du conseil d ’É l a t , o n ù’a pas désespéré de p arv en ir à
faire créer par les tribunaux une incapacité d ’adoption contre l’e n
fant naturel; et, p o u r y arriv er, on a cherché d ’abord à ébranler
l’autorité de cette discussion; puis, supposant l'intention du légis
la te u r incertaine, on a tenté de faire ressortir la prohibition de
l’ensemble des dispositions du C o de, à l’aide d ’une prétendue in
compatibilité entre elles et l’adoption de l'enfant naturel; enfin, on
a essayé de justifier par des considérations de morale et d ’ordre
public cette prohibition si laborieusement établie.
Nous suivrons l’objection dans chacune de ses branches et nous
d ém ontrerons q u ’elle n’est pas plus fondée en fait q u ’en -d ro it, en
droit qu’en morale.
Et d ’a b o r d , quant à l’autorité de la discussion que nous avons
rappelée.
.
•
.)■
.
"
•
O n dit :
1° Rien ne garantit l’authenticité des procès-verbaux rapportés
par Al. Locré ; •
r'
*•2° Dans tous les cas, la séance où fut'repoussé l’article pro
�hibitif de l’adoption des enfans naturels n’était qu'une 'petite séance;
3° Plusieurs faits te n d e n t’à d é m o n tre r que le conseil serait re
venu depuis sur sa première opinion;
4° Enfin, le corps législatif n’ayant connu que les procès-verbaux
imprimés, a dû voter la loi en lui donnant le sens que ces procèsverbaux semblaient lui attribuer.
. Quant au p rétendu défaut d’authenticité : il nous suffit de répon-,
dre que les m inutes de ces procès-verbaux sont aux archives du
conseil d'Etat, où chacun peut les vérifier; elles sont revêtues de
la signature de M. Locré, alors secrétaire-général.
La seconde objection, qui distingue les séances du conseil d ’É lal
en grandes et. petites séances', appartient à M. le procureur-géné
ral Mourre. C ’est lui q u i , le 14 novembre 1815, ayant, à donner *
des conclusions sur un pourvoi forme contre un a rrê t non motivé,
qui avait refusé d’autoriser une adoption d’enfant »naturel, saisit,
cette occasion pour attaquer la validité de ces adoptions, et prétendit-que, quatre membres seulement ayant pris la parole dans la
séance du 16 frimaire an X , c’était bien ce que l’on pouvait appeler
une petite séance.
Nous ferons d 'ab o rd r e m a rq u e r , avec M. Merlin ( Additions
au Répertoire publiées en 1824, voir Adoption), « q u ’il ne résulte
« pas de ce que q u atre membres du conseil d ’Etat seulement ont
« parlé à cette séance s u r la question, que cette séance lut moins
« nombreuse que les autres; encore moins qu’il ne s’y trouvât que
« quatre conseillers d ’E tat, nom bre infiniment au dessous de,cel:ii
« qui était nécessaire pour qu’une délibération pût s’établir. »
Nous ajouterons que la lecture du procès-verbal auth entiq ue de
la séance dont il s’agit, prouve clairement que dix-huit m e m b re s '
au moins y assistaient, puisque dix-huit personnes y ont pris la pa-'"
rôle sur les diverses questions qu’on y a traitées.
•
�M. Mourre s’est donc trom pé et en fait et en droit.
La troisième objection consiste h dire que le conseil d ’Etat serait
revenu, en l ’an XI, sur l’opinion favorable à l’adoption des enfans
naturels q u ’il avait manifestée au commencement de l’a n X , et, pour
établir ce changement d’opinion, on invoque:
1° La circonstance que les procès-verbaux qui constataient l’o
pinion favorable aux enfans naturels o n t été supprimés du Recueil
officiel;
*2° Quelques mots prononcés par M. Treilhard dans la séance du
2 7 brum aire an XI ;
3° Une phrase de l’exposé des motifs présenté par M. Berlier.
Cette objection, plus spécieuse que les autres, lorsqu’on ne l’ap
profondit pas, ne résiste point à un examen attentif.
Quant à Vomission des procès-verbaux : alors même qu’elle n'au
rait porté que s u r ceux qui traitaient spécialement de l’adoption
des enfans naturels, on serait encore peu fondéà y voir une preuve
d ’un changement d ’opinion du conseil. C’est en elfet un procédé
assez inusité dans les assemblées délibérantes, pour constater un
changement d ’opinion, que d’om ettre certains procès-verbaux dans
le Recueil imprimé. L’usage et la raison veulentque ccchangement
soit constaté par les procès-verbaux de la séance où il s’est
manifesté.
Mais l’ob ection tombe complètement devant ce fait qu’on a omis
dans le Recueil, n o n ,p as spécialement les quatre procès-verbaux
relatifs à l ’adoption des enfans naturels; mais vingt et un procès-ver
baux relatifs à toutes les matières du prem ier livre du Code civil
sans d is tin c tio n , c’est-à-dire les procès-verbaux de toutes les
séances tenues par le conseil d ’É tat depuis le 24 brumaire an X ,
jo u r où l’on décida que tous les procès-verbaux antérieurs seraient
imprimés, ju s q u ’au 22 fructidor an X, jo u r où l’on reprit la discus
sion du Code civil après les conférences avec le tribunal.
�M. Locré explique (dans sa législation civile et commerciale,
t. 1er, p. 91), les causes de cette lacune. — D’une part, Napoléon
craignit, surtout après la levée de boucliers du tribunal qui avait
amené la suspension des discussions du Code civil, de livrer aux
commentaires du public les paroles par lesquelles il av ait, dans la
discussion s u r le divorce et sur Je principe de l’adoption, laissé
percer, devant les membres du conseil d ’É ta t, ses préoccupations
sur l’avenir de sa dynastie; — d’a u tre part, ce but même se fut trop
clairement révélé, si les seuls procès-verbaux relatifs au divorce et
à l’adoption eussent été omis ; et, en conséquence, on prit prétexte
de la révision a laquelle donnaient lieu les prem ières conférences
avec le trib u n at, pour ne faire partir l’impression du 2me vol. du
recueil que du procès-verbal de la séance du 22 fructidorvan X ,
•dans laquelle celte révision avait été commencée.
On voit que la mesure était générale, et n’avait nullem ent pour
cause un changement d’opinion du conseil sur telle ou telle ques
tion spéciale.
Mais il y a p lu s; en ce qui concerne l ’adoption, la discussion im
primée a cela de particulier qu’elle se réfère de la manière la plus
formelle à la discussion inédite.
Un effet, le procès-verbal du 27 brumaire an XI (lequel est im prim é), s’ouvre par la présentation du titre de l’adoption par
Berlier, rapporteur. Aucun article prohibitif de l’adoption des enfans naturels reconnus ne figure dans cette rédaction, conformé
ment à la décision prise dans la séance du 1G Irimairc an X.
« Le citoyen Berlier fait o b server, ajoute le procès-verbal, que
« cette rédaction a paru à la section de législation rendre assez
« exactem ent les idées résultant de la discussion établie sur celte
m atière d a n s je s séances des (i, 14 e t . IG f r i m a i r e , et 4 nivôse
« d e r n ie r . »
,,,
,
Il est donc bien évident que loin de vouloir effacer les discussions
i
i
�antérieures sur l’adoption, la section de législation s’était appliquée
à en reproduire l’esprit.
Ce premier argument esl donc complètement dénué de fonde
ment.
Q uant aux paroles de M. Treilhard, une courte explication suf
fira pour réduire à leur ju s te valeur les inductions que l’on
prétend en tirer.
Dans la séance du 27 brum aire an X I, M. T reilhard, répondant à
une objection q u ’on avait souvent faite à l’infetitution du divorce ,■
mais qui ne se reproduisait p l u s ‘dans le sein d u conseil d’E t a t,
parce q u ’elle y avait été Pôbjet d'une discussion, spéciale et d’une
solution définitive, s’exprima ainsi : « L ’inconvénient d é c o u v r i r
« les avantages q u 'u n père veut faire à ses enfans naturels n’a rien
«
«
€
•
de réel. En effet si les enfans sont re c o n n u s , ils ne peuvent être
adoptés; s’il ne le sont pas, le u r origine est incertaine. Pourquoi d’ailleurs l ’auteur de leurs jo u rs serait-il privé de réparer
a i quelque m anière le vice de leur naissance?»
Le regret q u ’exprim ait M. Treilhard de ce que la reconnaissance
mettait obstacle à l’ad o p tio n , s’explique par cette circonstance que
M. Treilhard n’était entré au conseil d ’E tat que le 22 fructidor
an X , et q u ’il ign orait, comme le fait rem arquer M. M erlin, ce
qui s’y était passé dans lé mois de frimaire de la même annce. Mais
la discussion ne pouvait plus s’engager s u r ce point; la question
était épuisée et résolue. Aussi personne, dans cette séance du 27
brum aire an X I, n ’avait fait l’objection à laquelle M. Treilhard ré
pondait, et il y eut comme un accord tacite po ur ne pas le suivre
sur le terrain où il croyait devoir porter le débat. Il aurait suffi d’un
m o t pour le m ettre au fait de ce qui c’était passé avant son entrée
au conseil, et pour lui faire connaître que le désir q u ’il avait ex«
■ primé se trouvait déjà satisfait.
' Il n’y fci donc là q u 'u n incident de discussion, comme il s’en
�-
31
_
prod uirai souvent” clans toutes les assemblées délibérantes.* Si le"
conseil avait eu l’intention de ¡revenir sur sa première décision,
certes les paroles de M. Treilhard lui fournissaient l’occasion de
s’en exp liquer; si personne ne les a relevées, ni dans un sens , ni
dans l’autre, c’est que tout le m onde savait, excepté lui, que la
question était résolue.
Arrivons m aintenant à la troisième objection, prise des paroles
de M. Berlier.
On lit dans l’exposé des motifs du titre de l’adoption : « Cette
« ôondition des services préalables (rendus à l’adopté pendant sa
« minorité' a paru si essentielle dans le principe du co n tra t, et si
« heureuse dans ses effets, q u ’on n ’a pas cru devoir en dispenser
« l’oncle vis-à-vis du n e v e u , comme cela était demandé par quel«• ques personnes. »
Comment a d m e ttre , dit-on, q u ’on n ’ait pas reclamé en faveur
du père ou de la m ère, à l’égard de leur enfant, la dispense quron
réclamait en faveur de l’oncle ?
5‘ La' réponse est bien simple: c’est que les: motifs qui pouvaient
exister en faveur de l’oncle, n ’existaient pas en faveur-du père
naturel.
■
L’oncle, en effet, n ’a légalement aucune obligation à remplir'envers son neveu, su rto u t si celui-ci a conservé son père et sa mère.
On ne peut donc pas, lorsqu’il se présente pour adopter son neveu
devenu majeur, lui faire un reproche de ce qu’il ne lui aurait pas
rendu pendant sa minorité des services dont celui-ci peut-être n’a
vait pas besoin. Mais en est-il ainsi du père et de la mère naturels?"
Le premier et le plus sacré de leurs devoirs, n ’est-il pas de su r
veiller, de nourrir, de protéger leur enfant, surtout pendant la
période de sa vie où il a le plus besoin de leurs secours et de leur
surveillance? De quel droit, s’ils ont manqué à ce devoir, vien
draient-ils demander à la justice la faveur d’être admis à l’adopter?
�Parmi les partisans de l'adoption des enfans natu rels, il n ’est per
sonne qui prétende faire de cette adoption un droit pour le père ou
la mère. Cette adoption perdrait son caractère d ’utilité et de m o
ralité, si elle cessait d ’être une faveur accordée seulement en ré
compense de l’accomplissement de tous les devoirs. Que la recon
naissance soit un droit, rien de plus simple, elle ne fait que constater
un fait dont la vérité est indépendante du plus ou moins de mora
lité des individus. Mais l’adoption n ’est un droit pour personne.
La loi n e la perm et qu’à celui q u i , par sa conduite, a donné des
gages à la société; qui, par ses bienfaits, a donné des gages à l’en
fant. Si donc quelqu’un devait être rigoureusement astreint à la
condition des services préalables , c’était le père ou la mère natu
rels ; de leur p a rt, ces services ne sont pas un bienfait, mais le
paiement d’une dette. Les en dispenser, c’eut été les dispenser
d ’accomplir un devoir.
Ainsi, le trib u n a ta p u , sans inconséquence, réclam er pour l’oncle
une faveur qu’il ne pouvait pas réclam er pour le père naturel.
L’argum ent q u ’on tire des paroles de Berlier dans l’exposé des
motifs, pèche donc p a r sa base.
« Reste cnün la quatrième objection, tirée de ce que le défaut de
« publicité des procès-verbaux relatifs à l’adoption des enfans natu« rels n ’a permis au corps législatif de voir le titr e d e l’adoption que
« tel q u ’il était conçu; que par conséquent il a dû le considérer comme
<t renferm ant, de la part du conseil d’état, des indices non équivoques
« de l’intention de ne pas p erm ettre l’adoption des enfans naturels ;
« et que des lors rien ne garantit q u ’il l’eùt décrété, s ’il l ’eut cru ré« digé dans un au tre sens, «
Cette objection appartient à M. Merlin, et elle seule a motivé son
changem en t d ’opinion en 18 2 i. (Açldit. au Répertoire, v°Adopiion.)
.. Mais com m ent adm ettre que, su rto u ta p rè s les conférences du tri.
Inmat avec la s e c tio n n e législation du conseil d ’Elat, les membres
�— 39 —
du corps legislalif aient pu ignorer la solution donnée par le conseil
à la plus importante des questions que soulevait le titre soumis à son
examen? Et, quand même on l’adm eltrait, comment penser que le
corps législatif ait pu croire qu’il proscrivait l'adoption des enfans
naturels en votant un titre qui posait en principe général la fa
culté d ’ad o p tio n , et ne faisait pour eux aucune exception au droit
commun ?
Ainsi, l’au torité des discussions que nous avons rapportées reste
entière; rien n ’appuie l’opinion que le conseil d ’Etat soit revenu su r
sa première décision toute favorable à l’adoption des enfans naturels;
tout dém ontre, au contraire, q u e , reg ard an t ce point comme défini
tivement résolu, il n’a pas voulu le soumettre à une nouvelle discus
sion.
Aussi n o us sera-t-il aisé d ’établir (et nous entrons ici dans la
seconde partie de l’objection), que rien n ’est plus chimérique que
la prétendue incompatibilité que l’on croit voir entre l’adoption des
enfans naturels et quelques dispositions du Code civil.
Cette incompatibilité, on la cherche dans deux ordres de disposi
tions :
I o Celles relatives aux enfans naturels;
2° Celles relatives à l’adoption.
Occupons-nous d ’abord des premières.
L’objection que l’on prétend tirer de ces dispositions consiste à
dire que l’adoption de l’enfant naturel aurait p o u r résu ltat d ’é lu
der à la fois, et celles qui ont p ou r bu t de placer l’enfant natu rel
dans une position inférieure à celle qu’il aurait eue s’il eût été légi
time, elles prohibitions par lesquelles le lé g islateu rav o u lu leréd u ire
à une position moins favorable que la position même d’u n étranger.
En effet, dit-on, quant à la différence entre l’enfant légitime et
l’enfant, naturel, elle se trouve établie par les art. 3 3 8 ,7 5 6 et 757.
�L’art* 33§ porte : « L’enfant natu rel reconnu ne pourra réclame^
« les droits d’enfant légitime. Les droits des enfans naturels seront
« réglés au titre des successions. »
On trouve ensuite, au titre des s u c c e s io n s , les art. 756 et .757 r
d o n t le premier p o rte: « Les enfans natu rels ne son t point héri■ tiers ; la loi. ne leur accorde de droits s u r les biens de leurs père et
« mère décédés que lo rsqu’ils o n t été légalement reconnus. Elle ne
« leur accorde aucun droit su r les biens des parens de leurs père et
« mère. » E t dont le secoqd règle à, une p a r t moindre que celle de
l'enfant légitime, la p a rt de l’enfant naturel dans la succession du.
père ou de la mère qui l’ont reconnu.
.
j,
>D’autre part, d ’après l’article 908, l’enfant n a tu re l’« ne peut par
« donation e n tre vifs ou par testament, rien recevoir au delà de ce
« qui lui est accordé au litre des successions. •
r *Or, ajoute-t-on, l’adoptioir ayant pour effet de rendre l'enfant
naturel héritier de son père et de lui co nférer capacité pour recevoir
tout ce qui po urrait ê tre donné, soit à un enfant légitime, soit à un
étranger, le do ub le but de la loi se trouve m anqué, si le père n a tu
rel peut adopter son enfant. Ou l’adoption viole l’art. 908, si elle est
un con trat à titre g ra tu il;o u bien,elle l'élude, si elleest un contrat
à titre onéreux. Dans l’un et l’a u tre cas, l'art. 911 la frappe de
nullité.
Nous répondrons à la foisaux deux parties de l’objeelion.
Nous laissons de côlé les argumens que pourraient fournir les
textes mêmes q u ’on invoque. Nous ne voulons pas faire rem arquer
que l’adoption n ’est ni une donation entre vifs, ni un testam ent, et
q u ’elle n ’a pas pour effet de conférer les droits d ’enfant légitim e,
puisqu’elle ne donne q u ’un père ou une mère, sans donner une fa
mille, comme le ferait'la légitimation.
Nous ne voulons pas davantage faire rem a rq u er que ce n ’est pas
dans les lois qui n ’ont pour but que de régler la dévolution des’
�Biens q.i’il faudrait aller chercher, à l’aide d ’inductions, une prohi
bition relative à un changement d 'é t a t , et que si elle n’est pas écrite
dans les lois sur les personnes, c’est qu’en réalité elle n ’existe pas.
Deux réponses plus catégoriques nous paraissent pouvoir être
faites à l’objection.
1° Cette objection ne s’appliquerait qu’à u ne partie seulement
des enfans naturels.
En effet, certains enfans naturels ont capacité pour recevoir,
soit par surcession, soit par donation entre vifs, soit par testament,
la totalité des biens de leur père ou de leur mère; ce sont ceux qui
ne se trouvent en présence d’aucun parent au de£ré successiblc. A
ceux-là, bien évidemment, on ne pourrait pas opposer que les p r o
hibitions légale^ vont être indirectement éludées par l’ad o p tio n ,
p u isq u ’aucurie prohibition légale n e pèse s u r eux. Si donc la ques
tion d ’adoption devait, comme on le prétend, être résolue d ’après les
articles dont on cherche h se prévaloir, il faudrait adm ettre que cer
tains enfans naturels peuvent être adoptés quoique reco n n u s, et
que d ’autres ne le peuvent pas, et que l’incapacité dépendra de la
qualité des parens de leur auteur. A coup sur nos adversaires, qui
prétendent étayer l e u r système par des considérations de morale et
d ’ordre public, repousseraient eux-mêmes cette singulière transac
tion. Donc les argumens tirés des prohibitions relatives à la dévolu
tion des biens, manquent de portée, et ne peuvent servir à r é
soudre la question de princip e, p uisq u’ils ne s’appliqueraient qu’à
certains cas spéciaux.
,
La successibilité, d ’ailleurs, n’est qu’un des effets de radoptiojq,
et ne saurait être confondue avec l’adoption elle-même. Cela est
si vrai que l’adoption peut être interdite, même dans des cas où la
successibilité existerait ; comme l’a décidé la C o ur de cassation en
jugeant, le 5 août 1823 et le 7 ju in 1826, q u ’un étran g er ne peut
jamais être adopté p ar un Français, quoiqùe admis à lui succéder
depuis l’abolition du droit d’aubaine.
6
/
�— 42 —
2° Les articles q u ’on veut opposer n’onl nullem ent le sens qu’on
leur prête.
.
,
,
Sans doute, l’enfant naturel, tant qu il garde ce titre, reste frappé
des prohibitions portées par les art. 767 et 908, et toutes les fois
q u ’il invoquera ses droits d'enfant naturel il les tro uv era restreints
par ces prohibitions.
Mais ces prohibitions q u i limitent les droits dans un certain état
l'empêchent-elles d’acquérir un état nouveau qui lui confère dési
droits plus étendus?
Voilà la véritable question.
O r, cette question est positivement résolue par la loi elle-même.
Non, le vice de naissance de l’enfant naturel n’est pas indélébile;
— non, la loi ne s’oppose pas à ce q u e de l'état d'enfant naturel il
passe à un état plus clev é; — non les prohibitions des a rt. 757 et
908 ne l’em pêchent pas de devenir héritier et de recueillir tous les
biens de ses auteurs, soit par succession, soit par donation, dès
qu’il ne les recueille plus à l’état d ’enfant naturel. — C’est ce qu e
le'C ode répond lui-même à la question posée, en perm ettant la
légitimation.
Ainsi, l’enfanl naturel n ’est pas irrévocablement attach é à son
état d’enfant naturel ; — ainsi, il peut acquérir un état nou
veau; — ainsi d a n s ce nouvel état il est dégagé des re s tric
tions et des incapacités qu'il subissait dans son étal d ’enfant
naturel, sans q u ’on ait îi se dem ander si la légitimation con
stitue u n co n tra t à litre gratuit ou à titre o n éreux , et si elle viole
ou élude des prohibitions q u ’en réalité elle ne viole ni n ’élude, par
la raison q u ’elle les anéantit de plein droit.
C ’est là la différence essentielle et radicale qui sépare l’enfant
naturel de l’en fan t adultérin et in cestueux, à qu i l’a rt. 331 refuse
�— 43 —
la faculté de légitimation, q u ’il accorde au contraire à l’enfant na
turel, interdisant ainsi à l’un une sorte de réhabilitation dont ¡1
ouvre l’accès à l’autre.
Cela posé, il est manifeste que, lorsque l’enfant naturel voudra
s'élever de cet état à im état plus honorable, on ne sera pas admis
à lui opposer que l’état auquel il aspire dev an t avoir p o u r effet de
lever les prohibitions dont il é tait frappé dans son élat d ’enfant
n a tu re l, ces proh ib itions m e tten t obstacle à un changem ent de
position. Il répondrait avec raison q ue si celle objection était fon
dée, elle s ’opposerait à la légitimation tout aussi bien q u ’à l'adop
tion, l’une ayant, to u t com me l ’autre, pour résu ltat de le sous
traire à ces prohibitions ; et q u ’une fois établi que ces prohibitions
disparaissent devant un changem ent d ’état, il ne s’agit'plus que de
savoir si d ’autres raisons s’o pposent à ce changem ent d'état^, —
mais q u ’évidemment ce n ’est pas dans les prohibitions elles-mêmes
q u ’il faut chercher la raison de re n v e rs e r l’état d o n t elles ne sont
q u ’une conséquence.
■’
!1,
. *>if’L
Au surplus, l’enfant naturel, en raiso nn ant a in s;, ne ferait que
r é c la m e r'l’applicalion du principe général qui permet de se rele
ver par un changem ent d ’é la t des incapacités do nt on^peut être
frappé. La Cour suprêm e a fait l’application réitérée de ce prin
cipe, en décidant le 11 janvier 1820(Dalloz, 20, 1, 65), et le
21 août 1822 (Dalloz, 22, 1, 482), .quelle médecin qui épouse
sa malade p en d a n t le cours de sa d ernière maladie, se relève, par
ce ch an g em en td ’état, de l'incapacité dont il est frappé par Kart.909
du Code civil, el devient ainsi capable de recevoir de sa malade
une donation à titre universel. Le médecin à la vérité n ’est re
levé q u ’a u tan t que le ch a n g e m e n t d’étal, n’a pas élé opéré par
lui dan9 le but unique d ’éch a p p er a la prohibition, mais on co m
prend que, devant la C o u r su p rêm e, cette question ne peut pas
�même être soulevée en ce qui concerne l'enfant naturel, le motif
qui a fait dem ander l’adoption étan t-p résu m é légilime, par cela
seul que la Cour royale, qui seule était appelée à l'a p p ré c ie r, a
cru devoir autoriser l’adoption.
Que si, m aintenant, on oppose que la légitimation a été permise
p^r une disposition expresse delà loi,— et q u ’il n ’en est pas de même
.de l’adoption, — nous répondrons par celte raison bien simple que
la légitimation ne pouvant s'appliquer q u ’aux enfans naturels ex
clusivement, il fallait bien q u ’une disposition spéciale vint l’auto
riser pour eux, tandis que l’adoption pouvant s'appliquer et à eux
e t à d’autres, il suffisait q u ’ils ne fussent pas exclus de la disposi
tion générale p o u r qu'ils y fussent com pris.
Que si l’on objecte que les motifs qui ont pu décider le législa
te u r à p erm ettre à ,l’enfant naturel d’a rriv e r à un m eilleur état par
la roie,de la légitimation, ne militaient pas en faveur de l’adoption,
— nous répondrons que le débat sur ce p o in t appartient à l’o r
d re des considérations morales que nous allons examiner tout à
l’heure, et que, q u ant à présent, ne répondant qu’à l’objection
puisée dans les dispositions du Code qui restreignent les droits
des enfans naturels, il nous suffit d ’avoir dém ontré q u ’en principe
ces restrictions ne s’opposent pas à un changem ent d’état, et que
c’est ailleurs, par conséquent, q u ’il faut aller ch e rc h e r les raisons
qui pourraient mettre obstacle à l’acquisition de tel état en parti
culier.
En résumé sur ce point, l’objection tirée dés art. 767 et 908 est
sans p o rté e , et comme applicable à certains enfans naturels seule
m e n t, et comme n’attaq u an t q u ’un des effets de l’adoption au lieu
d’attaq u er l’adoption elle-même, et, de plus, elle est sans fonde
m e n t, comme opposant à un changement d ’état des restrictions
q u e la loi fait disparaître avec l’état ancien d o n t elles étaient la
conséquence.
�Ainsi aucune incompatibilité entre ces restrictions attachées à
l’état de l’enfant n atu re l, et le changem ent d'état qui doit l’y sous
traire.
Abordons maintenant la deuxièm e partie de l’objeclion, — celle,
qui prétend tro u v er une incompatibilité entre l’adoption de l’en
fant naturel et les dispositions du Code civil relatives à l’adop
tion en général.
Celte incompatibilité résulterait, suivant nos adversaires, —
1° des conditions de l’adoption; — 2° des effets que la loi y attache.
Quant a u x conditions : com m ent ad m ettre , dit-on, que la loi
n ’ait pas dispensé'le père natu rel des conditions d’âge, de services
préalables, de moralité q u ’elle imposait aux autres adoptans ?
Nous avons déjà répondu en discutant les paroles de M. Berlier
au corps législatif. Non seulement le législateur, posant les c o n
ditions générales de l’adoption, n ’a pas vu de motifs suffisans pour
en dispenser le père n atu rel,— mais il a vu des raisons particulières
pour l'y soumettre. Il n’a pas voulu faire de l’adoption un d ro it,
mais une récompense.
Quant aux effets de l’adoption: ils sont presque to u s, dit-on, ac
quis à l’enfant naturel par le seul fait de la reconnaissance. Le nom ,
il le porte; les aiimens, il les doit; les prohibitions de mariage , elles
existent. Le seul effet que l’adoption puisse produire , c’est donc la
successibilité.
Nous répondront que dans l’énumération des effets produits par
l’adoption, on oublie le plus important de to u s , et le plus précieux,
sans aucun doute, pour l’enfant naturel ; c’est-à-dire, le passage d’un
étal réprouvé et flétri par la loi à un état honorable el respecté. La
successibilité elle-même peut être acquise à l’enfant naturel avant
l’adoplion; c’est ce qui aura lieu toutes les fois que son père n’aura
pas de parens au degré successible. Qui oserait dire que, dans ce cas,
l'adoption serait sans-intérêt pour l’enfant naturel ?
�— 46 -
L ’argument qu’on prétend tirer contre l’adoption de ce q u ’une
partie de ses effets se trouve acquise par avance, argument déjà si
faible par lui-même, pèche donc par sa base et manque en fait. L ’a
doption a pour l’enfant naturel un intérêt de plus que pour tout
autre ; un intérêt qui subsiste alors même qu’il n ’a pas besoin de l’a
doption pour acquérir la successibilité.
Les prétendues incompatibilités entre l’adoption de Tentant na
turel et les dispositions du Code civil, relatives soit aux droits des
enfans naturels , soit aux conditions et aux effets de l’adoption en gé
néral , sont donc purement imaginaires. Ces dispositions n’ont rien
qui ne se concilie parfaitement avec l’intention manifestée par le lé
gislateur de permettre celte adoption,el nulle inconséquence ne s a u
rait lui être imputée.
Nous pourrions nous arrêter là ; car, après avoir démontré que i’adoption des enfans naturels a pour elle, et le droit commun , et la vo
lonté spécialement manifestée du législateur, nous avons suffisam
ment justifié le rejet du pourvoi.
¡Mais nous ne voulons pas laisser peser sur l’adoption des enfans
naturels le reproche d’immoralité q u ’on lui adresse.
Ce reproche peut se formuler ainsi :
La possibilité pour le père naturel d’adopter son enfant, aura ce
triple résultat :
1° De pousser au désordre par la perspective d ’une réparation fa
cile el assurée ; ;
j
2° La faute une fois commise, de détourner du mariage et même
de la légitimation, par l’espoir d ’avoir les jouissances de la famille
sans en supporter les charges;
■ 3° Enfin , l’adoption une fois faite, de porter atteinte à l’institution
uième du mariage, en m ontrant à tous l’enfant naturel placé sur le
même rang , jouissant des mêmes prérogatives que reniant légitime.
Nous n’hésitons pas à dire que rien n’est moins fonde que ce triple
�reproche, el que la morale, loin de condamner l’adoption des enfans
naturels, y est au contraire toulè favorable.
■ i!
■ i
Elle encouragerait le désordre, dit-on, par la perspective d’une
réparation facile et assurée?
Peut-être concevrions-nous ce reproche, si, au lieu de s’adresser à
la disposition de la loi qui permet au père naturel d’adopter son en
fant, il s’adressait à celle qui'lui permet de le légitimer.
1
Peut-être alors, en effel, serait-on en droit de dire que le désordre
pourra naître de la possibilité même de le réparer sur-le-champ; que
quiconque reculera devant un lien indissoluble, ou même rencon
trera un obstacle momentané à un mariage désiré, formera provisoi
rement une union illégitime q u ’il dépendra toujours de lui de régu
lariser ; que le fils auquel le consentement paternel aura élé refusé,
pourra , s’il peut se flatter de réhab ilitera son gré des relations con
damnées par la loi, vouloir attendre dans le concubinage l’âge où la
loi lui permettra de se passer de ce consentement ; et que le désordre
amenant le d é g o û t, la légitimation ne viendra pas rép arer le mal que
la perspective de la légitimation aura produit.
Nous concevrions ces reproches adressés à la légitimation. Pour
quoi ? C’est que, là, la réparation peut venir immédiatement après la
faute ; c’csl que ceux qui vivent dans le désordre peuvent se dire que
d em ain , aujourd’h u i , s’il leur p la ît, leur position sera régula
risée par leur volonté seule, et sans que personne y puisse mettre
obstacle. C’est, enfin, que cette pensée peut entraîner aisément à
des désordres qui n’emportent avec eux (le conséquences fâcheuses
qu’auLuil q u ’on veut bien accepter ces conséquences.
C ’est précisément cette facilité de réparation el la crainte du d a n
ger q u ’elle entraîne qui a déterminé le législateur à interdire au père
naturel l’espoir de réparer sa faule par des libéralités envers son
enfant.
Mais le danger q u ’aurait présenté la faculté pour le père de donner
�—
48
—
tous ses biens à son enfant n a tu re l, et qui la lui a fait interdire ; ce
danger q u ’offrait la perspective de la légitimation, et qui cependant
n’a pas empêché le législateur de la perm ettre, existe-t-il dans la
perspective de l’adoption ?
N on, évidemment. Quel est l’h o m m e, en effet, qui se senti
rait encouragé au désordre par la perspective si lointaine d ’une
adoption soumise à des conditions si rigoureuses? Cette adoption,
il ne sera peut-être pas en son pouvoir de la consom m er; car les
conditions légales l’assujettissent à des éventualités de plus d’une
nature; à l'autorisation des tribunaux, dont le pouvoir discrétionnaire
peut l’interdire sans même motiver ce refus; aux délais nécessaires
pour que l’adoptant ait 50 a n s , et que l’adopté soit majeur, ce qui
met au minimum à peu près 22 ans entre la réparation et la faute!
On objecte que le père emploiera la voie de la tutelle officieuse,
et pourra ainsi conférer à l’enfant l’adoption par testament même
''
pendant sa minorité.
Mais, p our dem ander la tutelle officieuse de son en fan t, il fau
drait que le père attendît d’avoir lui-même 50 a n s , et q u ’à ce mo
ment, l’enfant n ’eut pas encore atteint 15 ans (art. 3 6 f et 3 6 4 );
il faudrait, de plus, que le père attendît encore 5 ans après le jo u r
où la tutelle lui aurait été conférée, pour adopter l’enfant par acte
testamentaire (art. 366). Et tout cela pourquoi? P o ur rester encore
ju sq u ’à la majorité de l’enfant, non pas dans la position d’un pèré
adoptif, mais dans la position d’un tuteur officieux, qui a bien con
tracté des obligations envers son pupille, mais qui n’a acquis sur lui
aucun d r o it, puisqu’il suffit d’un caprice de l’enfant, à sa majorité,
pour repousser l’adoption , objet de tant de soins et de sacrifices!
De bonne foi, est-ce bien dans cette perspective si lointaine, sou
mise à tant d ’éventualités et d’inquiétudes, au pouvoir discrétion
naire des tribunaux , au caprice de l’en fan t, qu’on prétend trouver
un encouragement au d é s o r d r e ?
�— 49 —
Non , sans doule ; celte perspective préviendrait la faute au lieu
d ’y pousser, si les passions pouvaient prévoir et calculer.
Nous avons donc le droit de dire que l’éloignemenl et la diffi
culté de l’adoption sont plus faits p o u r détourner de la faute que
pour encourager au désordre. L’affection du père s’effraiera plus,
sans aucun doute, des épreuves et des éventualités de l’avenir
q u ’elle ne se rassurera par l’espérance de réaliser un acte soumis à
tant de chances.
Ainsi le danger auquel la prohibition veut parer n ’existe pas.
Mais nous ajoutons q ue, si le danger existait, il faudrait y c h e r
cher un autre remède que la défense d ’adopter les enfans naturels
reconnus.
Le système des adversaires, en effet, frappe h côté du b u t q u ’il
veut atteindre.
Si la possibilité d ’adopter son enfant naturel doit multiplier le
nombre des naissances hors mariage, c’est cette possibilité qu’il
f’auL faire disparaître de la loi.
Mais pour arriver à ce but quel moyen prendre ?
Est-ce, comme on le propose, de proscrire l’adoption de ceux
des enfans naturels qui auraient été reconnus antérieurement par
l’a d o p ta n t?
Evidemment n o n ; le moyen d’éluder la loi serait tro p simple;
pour se conserver la possibilité de l’adoption, on rie ferait pas la
reconnaissance.
Cela fut compris par tout le monde au conseil d’Etal. Aussi un
ou deux orateurs, plus conséquens que nos adversaires avec le
principe d’où ils parlaient, proposèrent-ils de défendre l’adoption
de tout enfant dont le père et la inèrc ne seraient pas connus. C’est
là, en réalité, le seul moyen d ’em pècherun père naturel d ’adopter
son en fan t; c ’est, par conséquent, le seul moyen de décourager le
désordre qu’exciterait, dit-on, la perspective de l’adoption.
Proscrire seulement l’adoption des enfans reconnus, c ’est per7
�— 50 —
mettre l’adoption ap père n aturel, à la condition q u ’il ne reconnaî. tra pas son enfant; c ’est punir la reconnaissance quand on voulait
.punir la paternité elle-même; c’est, en un m ot, laisser à la faute la
perspective qui l’encQurage, en frappant à coté d’elle l’acte de ré
paration c|u’on devrait seul encourager!
Mais ce système, s’il était conséquenlvavec lui-mème, avait le tort
d ’être en contradiction directe avec deux principes qu’admettait
la majorité du conseil d ’état. D’une part, en effet, c'était précisé
ment l ’adoption des enfans sans parens connus qu’elle voulait fa
voriser et propager; d ’a u tre part, loin de voir u n inconvénient et
un danger dans la possibilité pour un père naturel d ’adopter son
enfant, elle n’hésitait pas h y voir un acte digne d’encouragement
et de faveur. « Il serait heureux, disait Napoléon, que l’injustice
« de l’homme qui, par ses déréglemens, à fait naître u n enfant
« dans la honte, p u t être réparée sans que les m œ urs fussent bles« sées ; le moyen ingénieux de les faire succéder comme enfans
« adoptifs, et non comme bâtards, concilie la ju stice et l'intérêt
« des m œurs.» Aussi la majorité se récria-t-elle contre la proposi
tion qui fut en conséquence repoussée.
Le législateur a témoigné par là q u ’il désirait, loin de la crain
dre, l’adoption des enfans naturels par leur père, et q u ’il y voyait,
au lieu d ’un encouragem ent au désordre, la réparation d ’une in
justice.
La morale q u ’invoquent les adversaires est donc précisément cv
qui co n d am n e leur système.
Abordons maintenant le deuxième reproche.
La faute u n e fois commise, dit-on, la faculté d’adopter son e n
fant naturel aura pour résultat de détourner et du mariage, cl
même de la légitimation?
D’abord, en ce qui concerne le mariage, nous dem anderons si
la société doit d ésirer q u ’un homme qui a déjà un en fan t naturel
�cherche à co ntracter un mariage qui le placera entre la nécessité
d ’exclure cet enfant de sa maison, et le danger de le faire asseoir à ,
sa table avec sa femme et ses enfans légitimes.
Quant à la légitimation, de deux choses l’une :
On bien la légitimation sera possible, et alors les tribunaux n’au
toriseront pas l’adoption.
O u bien, la légitimation sera devenue impossible par la m'ort ou
par le mariage soit du père, soit de la mère, ou dangereuse par l’inconduile de l’un o u d e l ’autre ; alors la voie de l’adoption resieseule,
et dans toutes ces circonstances l’objection est sans fondement.
Reste, enfin, le troisième reproche, q u i consiste à dire que ce se
rait porter atleinle à l’institution même du mariage, que de pré
senter à la société un enfan t naturel élevé au rang et investi des
prérogatives de l’en fan t légitime.
’ ’ 1‘
Nous avons déjà signalé dans le co urs de la discussion la co n
fusion dans laquelle on tombe ici.
O n semble croire que la tache de la naissance est indélébile,
et on oublie que la loi elle-même perm et d e ^ ’effacer par la voie de
la légitimation, et d ’élever ainsi réellement les enfans naturels au
ra n g d’enfans légitimes, en leur donnant une famille, avantage,,
(pie n’a pas l’adoption.
O u i, dit-on, mais la légitimation elle-même est un hommag^
rendu à l’institution du m ariage, tandis que l’adoption est un
moyen de s’y soustraire en se donnant pourtant toutes les jo u is
sances de la paternité.
,
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« . •
i t i r • j < I i i *i
Nous avons ré p o n d u : Toutes les foi$ que la légitimation sera
possible, l’adoption sera refusée.
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A ces argumens qui tro uv ent leur réfutation dans la loi
même, nous pouvons opposer une considération qui a été aussi* si
gnalée au conseil d’Elat, et qui suffirait, suivant nous, p p u r(rç1
'IMll
h".
• . l l l l l ! » 1|||
)
�pousser le système que nous com batlons; c'est qu’il au rait po ur
conséquence d’em pêcher les reconnaissances d ’enfans naturels.
La défense d ’ado pter son en fan t se trouvant, en eiîet, dans ce
système, devenir la peine de la reconnaissance, on ne reconnaîtra
pas l’enfant, afin de se réserver la chance de l’adoption.
Cependant, l’o rd re public est intéressé de près à ce que le plus
grand nom bre possible d’enfans naturels soit reconnu.
L’enfant, qui n ’a point de parens, est exposé à tous les dangers
et à tous les vices; personne n ’a intérêt à le défendre et à le guid er,
car ses m alheurs et ses fautes n’atteignent et ne com prom ettent
que lui.
Mais l’enfant que son père a reconnu et qui porte son nom, a un
guide intéressé à surveiller sa conduite. La reconnaissance a le
double effet de le m ettre à l’abri de la misère, qui conduit au vice;
e t de lui assurer une éducation et des conseils, qui le préservent des
fautes d o n t la h o n te réjaillirait sur le nom de son père.
C’est là, pour l’ordre public, une' puissante garantie que le légis
lateur ne pouvait pas négliger. Tout ce qui peut te n d re à maintenir
les enfans naturels dans l’état d ’isolement et d ’abandon o ù les
laisserait le système que nous c o m b atto n s, doit être considéré
comme essentiellement contraire à l’esprit de la loi.
O n p art d'un faux principe quand on suppose qne le législateur
a pu vouloir rendre inabordables p ou r les enfans naturels les p o
sitions régulières et normales de la société. Il n ’en est rien, et
c’est le contraire qui est vrai; son vœu est et doit être q u ’il y ait le
moins possible dans le pays de ces positions équivoques, qui sont
toujours plus ou moins menaçantes p our l’o rd re public. Aussi se
montre-t-il en toute occasion plus empressé de rég ulariser une de
ces positions anormales que de punir la faute qui l’a créée. C’est
p o u r cela q u ’il veut que l’enfant né hors mariage soit légitimé,
quand il p eut l’ê t r e ; qu e si la légitimation est impossible, il soitj
adopte; et q u ’enfin, dans tous leseas, il soit re c o n n u .
'
�Voilà les devoirs que la loi et la morale imposent. Il n ’est pas p er
mis de dire q u ’on viole l’u n e ou l’a u tre en les accomplissant.
Ainsi, soit q u ’on veuille consulter le droit strict, soit q u ’on
s’attache aux considérations générales qui ont dû déterm iner le
législateur à ne pas créer d’exception, à ne pas exclure de l’adop
tion les enfans naturels, on arrive à ce résultat, que le législateur
a perm is l’adoption des enfans naturels.
Il nous reste maintenant un mol à dire de la doctrine et dè la
jurisprudence.
Les auteurs les plus recommandables ont traité la question, et
ils se sont divisés en deux camps.
L ’adoption des enfans naturels est com b attue par MM. Malleville,
Delvincourl, Favard de Langlade et Chabot. Il faut aujourd’hui
ajouter à ces noms ceux de MM. Merlin et Toullier.
. Nous avons eu occasion, dans le cours de la discussion, de r e
lever les changemens d’opinion de M. Merlin. Nous n ’y reviendrons
pas; nous ferons seulement rem arquer que ce jurisconsulte semble
p lutôt émellre des d o u te s, indiquer des difficultés qu’adopter un
avis bien arrêté.
M. Toullier, en fondant su r deux faits , qui se trouvent tous
d e u x erronés, son re to u r s u r l’opinion q u ’il avait d’abord pro
fessée, nous donne le droit d ’écarter d u débat l’autorité o rd in ai
rem ent si grave de son nom.
Il motive ainsi, en effet, son ch an gem ent d’opinion (t. 2, page
260). «L’adoption des enfans par leurs pères et mères naturels étant
« aussi contraire aux principes de l’adoption q u ’à la m orale et aux
« dispositions bien entendues du Code, a été rejetée et proscrite
« par l’a rrê t de la C o u r de cassation du 14 novem bre 1815, sur
« le s conclusions que d o n n a M. Merlin à cette occasion ; elles s o n t
« avec l’arrêt, rapportées par Sirey, t. 16, 1, 45. »
�M. M erlin, dans les Additions h son l\ép erloire, qui o nl paru
en 1824, signale la confusion dans laquelle tombe M. T o u llie r:
« 11 y a , dit-il, dans ce passage deux erreurs de fait : « 1° l’arrêt
« d e l à G o u r d e cassation du 14 novembre 1815, ne proscrit pas
« celte opinion; il déclare au contraire formellement, q u ’il est
« inutile de s’occu p e r de la question, parce que l’a rrê t attaqué
* n ’était ni ne devait être molivé; 2° je n ’étais plus au parquet de
« la Cour de cassation le 14 novembre 1815. »
Qui peut assurer que M. Toullier e û t changé d ’opinion, s’il
avait su que l’opinion nouvelle q u ’il embrassait, s u r la foi de la
Cour suprêm e et de M. Merlin, n’avait eu en réalité p our elle, ni
M. Merlin, ni la C our su p rêm e?
A l’autorité des noms que nous venons de citer, nous avons à
opposer celle de MM. Grenier (n. 85j, D uranton (t. 3, p. 381 ,
Proudhon (Cours de droit civil, t. 2, p. 139), Locré (Esprit d u
Code civil, t. 4, p. 310), Rolland de Villorgnes (Trailé des enfans
naturels, édition de 1811, n. 145 et 14G), L oiscau(Trailédes enfans
naturels), et D alloz (Jurisprudence générale, t. 1er, p. 293 et 294).
Nous appelons surtout l ’attention de la Cour sur l'opinion déve
loppée par ces trois derniers auleurs.
O n lit en outre dans le Dictionnaire des arrêts m odernes, p u
blié en 1814 (V° Adoption): « M. Locré ayant donné l’analyse
« exacte de tonies les discussions du conseil d’E lat su r les enfans
a naturels, il a été dém ontré qu'il n ’était conform e, ni à l’esprit du
« législateur, ni au texte de ses dispositions, de prohiber l’adop« tion des enfans naturels reconnus. »
Quant à la ju risp ru d en ce, celle des Cours royales est presque
unanime en faveur de l’adoption.
Les arrêts des C ours royales, en matière d ’adoption, se parta
gent en deux classes, suivant q u ’ils sont ou non motivés.
Parmi les arrêts non motivés , ceux qui autorisent l’adoption
�d ’un enfan t par son père n atu re l, manifestent, de la part d e l à
Cour dont ils émanent, une opinion nécessairement favorable à
l’adoption desenfans naturels.
(.eux, au contraire, qui relusenl d’autoriser une pareille adop
tion, ne prouvent rien. Nous l’avons déjà dit, l’adoption d ’un e n
fanl par son père naturel n ’est pas un droit, c ’est une récompense
que celui-ci doit avoir méritée par sa conduite ; c’est de plus une
faveur qui ne doit jamais lui être accordée quand la légitimation
est possible et désirable p our l’enfant. Rejeter sans motifs une de
mande .d'adoption formée p a r un père naturel, ce n ’est donc nulle
ment en contester la légalité, c'est refuser d ’appliquer le principe
à une espèce donnée.
Il ne faut donc com pter comme opposées au principe même
de l’adoption des enfans naturels, que les Cours qui oru rendu
des arrêts motivés su r la question de validité d ’adoptions déjà fai
tes. La seule qui se soil ainsi prononcée à n o tre connaissance est
la C our d’Angers, le 21 août 1839.
L'adoplion des enfans naturels a pou r elle, au contraire,
1° Des arrêts non motivés des Cours de Lyon, Rennes, Poitiers,
Bordeaux, G renoble, D ouai, C aen, R o u en , Bruxelles, cités daus
le Dictionnaire général d ’Armand Dalloz, v° Adoption, n» 31, aux
quels nous ajouterons ceux des Cours d ’O rléans (Dalloz, 1839, 2,
205), de Bordeaux (Dalloz, 38, 2, 10G), et la jurisprudence déjà
ancienne et aujourd’hui bien iixéc de la Cour de Paris ;
2° L’a rrê t si bien motivé de la C our de Riom, qui fait l’objet du
pourvoi que nous discutons.
Quant à la Cour suprême, elle n'a jamais été appelée à fo rm u
ler son opinion sur la question d ’une manière positive. Mais s’il
est permis de tirer quelques inductions des décisions qu’elle a
ren du es en matière d’adoption d ’en fans naturels, peut-être sera-ton autorisé à penser que son opinion est favorable à c ettea d o p tio n .
�Le 24 novem bre 1806, en effet, la Cour de cassation avait à
Statuer su r un pourvoi dirigé contre un arrêt qui avait déclaré va
lable une adoption d ’enfant naturel antérieure au Code civil. M. Mer
lin avait conclu au rejet, en se fondant, e n tre au tre s motifs, sur
ce que cette adoption était perm ise, même sous le Code civil; le si
lence du Code et le rejet de l’article prohibitif proposé au conseil
d’E tat ne permettant pas le doute sur l’in tention du législateur. La
Cour n ’avait pas besoin, pour justifier le rejet du pourvoi, d'invo
q u er les dispositions du Code civil, la loi transitoire du 25 germ i
nal an XI lui suffisait. Cependant elle ne voulut pas laisser échap
per celte occasion de manifester sa pensée s u r l’adoption des enfans natu re ls ; et, aux motifs de son arrêt, puisés dans la loi tran
sitoire, elle en ajouta un ainsi co n çu :
'
« Considérant que la loi qui réduit l’enfant naturel à une por« tion de l’hérédité, et porte q u ’il ne pourra, par donation entre
«
<
«
«
vifs ou par testam ent, rien recevoir au delà de ce qui lui est
accordé à titre de s u ccessio n , n empêcherait pas qu’il ne pût
être plus avantagé par l ’effet de l’adoption si elle a lieu , q u ’ainsi
l’a rrê t a ttaq u é n ’a violé aucune loi ; — Rejette. »
31. Denevers qui, à cette ép o q u e, était greffier de la sec
tion civile de la Cour de cassation , en rapportant cet a rrêt
(1806, 1, 672), déclare, dans une note, que plusieurs membres de
la Cour, et notam m en t le r a p p o rte u r , M Lasaudadc, lui on t
assuré q u e la grande majo rité partageait la nouvelle opinion de
M . le procureur-général M e rlin , et que la C our aurait consacré
cette opinion s’il avait été question d ’une adoption postérieure au
Code civil.
Celte disposition de la Cour peut seule expliquer, en effet, l'in
sertion dans l’arrêt du motif que nous venons de rapporter. On ne
concevrait pas a u tre m e n t le soin que prend la C our suprém p
�de réfuter Ja seule objection spécieuse q u ’on oppose à l’adoption
des enfans naturels sous l’empire d u Code.
Au surplus, et c ’est par là que nous term inons, la Cour s’était
formelli-ment prononcée, même a v a n t les discussions du conseil
d ’E tat, pour l'adoption des enfans naturels.
La commission chargée par le gouvernement de rédiger le pro
jet de Code civil, n ’y avait pas fait figurer, comme on sait, le titre
de l’adoption. Le projet fut ainsi soumis à l’examen du tribunal
de cassation et des Cours d'appel.
Le tribunal de cassation choisit dans son sein u-ne commission
q u ’il chargea de rédiger ses observations s u r le projet présenté.
Ce fui celte commission qui proposa d ’ajouter au titre de la
paternité et de la filiation un chapitre 4, intitulé: des Enfans
adoptifs. Le chapitre se composait des articles 34 à 50 du titre
de la paternité. Le 37e fixait l’âge au dessus duquel on ne pourrait
plus être adopté ; puis il ajoutait : « S o n t exceptés, 1° les enfans,
« abandonnés on sans famille co n n u e; 2» les enfans naturels
« des adoptans par eux re c o n n u s ; 3° ceux q ui sont adoptés
« conjointement par deux époux. Les individus compris dans
« ces trois exceptions peuvent être adoptés à quelque âge q u ’ils
« soient p arvenus, pourvu, dans ce cas, que le père ou la mère
« adoplans aient fourni aux frais de leur éducation, nourriture et
« entretien, au moins pendant les cinq ans qui ont immédiatement
« précédé l’adoption, ce qu i sera constaté par un acte de noto« riété, etc. »
Ainsi, c’est au tribunal de cassation q u ’apparlient l’initiative de ,
la proposition de consacrer, non seulement l’adoption en général,
mais encore l’adoption des enfans naturels en particulier.
L ’enfant naturel r e c o n n u , dans le système du tribunal de cas
sation, pouvait également être adopté, soit par son père,, soit
par sa m ère, et passer ainsi de l’état d’enfant naturel à l’étax
8,
�'
_
58 —
. d'enfant a d o p tif, malgré la prohibition de recevoir qui se tro u
vait déjà dans l’article 13 du titre des Donations, prohibition repro
duite dans l’article 908 du Code civil. La portée de cette p ro
hibition n’est pas là ju g é e par la C o u rs u p rê m e comme nous l’a
vons jugée nous-mêmes, et la présence des deux dispositions dans
le même Code ne fait-elle pas justice de leur prétendue incompati
bilité?
'
'
Ainsi, les seuls précédens de la Cour suprême, sur cette qu es
tion, sont : 1° la proposition de permettre l'adoption des enfans
naturels, en accordan t même à cette adoption une faveur p a r ti
culière, la dispense de la condition d ’âge imposée à toute autre
adoption ; 2° un e réfutation, dans l’arrêt du 2 4 novem bre 1805, de
l’argum ent par lequel on cherchait à établir q u e, depuis le Code
civil, l’adoption des enfans naturels reconnus était interdite.
Nous sommes donc en droit d 'esp érer que ce qui lui a paru moral
autrefois lui paraîtra moral aujourd’hui ; que ce q u ’elle a trouvé
légal, en 1806, ne lui semblera pas prohibé an 1840.
En'résnm é l'adoption n’est pas un droit pour le père ou la mère
aaturels qui veulent l’e x e rc e r ;
Mais elle ne leur est pas interdite.
C ’est aux tribunaux qu’il appartient d ’apprécier les circ o n sta n
ces, et d ’autoriser ou de refuser l’adoption, suivant que l’intérêt
de» m œ u rs, l’intérêt de la société, l’intérêt de l’enfant lui paraîtront
devoir faire pencher la balance d ’un côté ou de l’autre.
C’est assez dire que l’adoption sera refusée toutes les fois que la
légitimation sera possiblë'ou désirable ; m a is q u ’elle devra être p e r
mise toutes les fois que, par sa conduite, le père a u ra mérité cette
faveur.
1f"
�La loi, en effet, conséquente avec elle-même, après avoir
frappé la faute du père dans son affection p o u r l’enfant, a bien com
pris qu’elle pouvait se servir de cette affection même pour obtenir
du père la réparation de ses torts envers la société. La réhabilitation de l’en fan t, offerte comme récom pense à la bonne conduite
du père pendant de longues années, atteignait ce but. Les inca
pacités dont la loi frappe l’e n f a n t'n a tu r e l, et la permission de
l’adopter à des conditions sévères, procèdent donc du même
principe.
Q uant aux objections co n tre l’adoption des enfans naturels re
connus, elles se rangent en deux classes :
1° Les prohibitions formulées par la loi contre l’enfant n atu re l ;
Mais elles,tombent toutes, on est forcé d 'e n convenir, d ev an t un
changement d ’E ta t ; elles s’attachent p ar conséquent au titre d ’en
fant naturel et ne su bsistent q u 'a u ta n t que lui. Elles sont, en un
mot, la punition de celui q u i n’a pas voulu ré p a re r sa faute envers
la société, soit en légitimant son en fan t, soit en m éritant d ’être
admis à l'adopter.
2» Les prétendus dangers de l’adoption ;
Nous avons dém ontré q u ’ils sont chim ériques, et que, d ’ailleurs,
s’ils pouvaient exister, le pouvoir discrétionnaire laissé aux trib u
naux en matière d’adoption d'enfans naturels aurait p o u r infail
lible résu ltat de les p révenir.
Il
faut donc reconnaître que, dans la pensée du législateur, le
p r e m i e r devoir q u ’impose la morale à celui qui a donné le jour à
un enfant naturel, c’est de d o n n e r à son enfant la position la plus
régulière, la plus norm ale qu'il soit possible de lui conférer ; que,
s’il peut le légitimer, il doit le faire ; que, si la légitimation n’est
pas possible, il doil l’ad o p te r; qu’enfin, et dans tous les cas, il
do it le reconnaître.
est l’intérêt de la société to u t aussi bien que celui de la
morale.
�j
Cette pensée du législateur, elle s'est manifestée, soit d an s les
discussions préparatoires du Code civil, par le rejet d'une exception
proposée au principe général qui perm et à tous l’adoption, soit
dans le texte de la loi, par la permission donnée, d ’une m anière
spéciale, de légitimer les enfans naturels, et d’une manière géné
rale, de les adopter, différence qui s’explique par cette considéra
tion que la légitimation ne s’applique qu’à eux seuls, tandis que
l’adoption s’applique à tous. -'i
‘
L’adoption des enfans naturels est donc permise, sinon encou
ragée, par la loi.
i
|
Aussi les exposans et et tous ceux, en fort grand nom bre, qui
se trouvent dans la même position, ne do utent-ils point que la Cour
n e maintienne l’arrêt qui consacre la validité d ’une telle adoption.
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Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Factums Godemel
Relation
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/files/factum-remarquables/BCU_Factums_G0301_0007.jpg
Description
An account of the resource
<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. Boirot, Sophie-Mathilde. ?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Mandaroux-Vertamy
Subject
The topic of the resource
successions
adoption
enfants naturels
successions collatérales
généalogie
divorces
Pater is est
accouchement
enfants adultérins
doctrine
adultères
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire en défense pour la dame Sophie-Mathilde Boirot et le sieur Gilbert de Laplanche, son mari, contre le sieur Louis-Pierre Boirot.
Annotations manuscrites.
Table Godemel : Adoption : consommée du vivant de l’adoptant peut-elle être attaquée par des tiers ? l’enfant naturel antérieurement reconnu par sa mère, peut-il, dans la suite, être adopté par elle ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Imprimerie et lithographie de Maulte et Renou (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa 1842
1798-1842
1789-1799 : Révolution
1799-1804 : Consulat
1804-1814 : 1er Empire
1814-1830 : Restauration
1830-1848 : Monarchie de Juillet
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
60 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G2821
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Relation
A related resource
BCU_Factums_G2818
BCU_Factums_G2819
BCU_Factums_G2820
BCU_Factums_G2819
BCU_Factums_G2820
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/6/53577/BCU_Factums_G2821.jpg
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Theneuille (03282)
Bellenaves (03022)
Riom (63300)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
accouchement
adoption
adultères
divorces
doctrine
enfants adultérins
enfants naturels
généalogie
Pater is est
Successions
successions collatérales
-
https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/original/6/53576/BCU_Factums_G2820.pdf
3756d33791b77191c5add45e999d57f8
PDF Text
Text
COUR DE CASSATION.
rO •*
\o
chambre des requetes,
M. L E B E A U ,
MÉMOIRE
POUR
L o u is - P ie r r e
B O I R O T D E L A R U A S , p ro p riéta ire ;
CONTRE
D am e S o p iiie - M a t h i l d e B O I R O T , et le sieur G I L B E R T
DE L A P L A N C I I E , son m a r i ; ladite dam e B o iro t,
fille n atu relle et adoptive de demoiselle P étro n ille
B o ir o t, décédée épouse Duval.
Q U ESTIO N .
L ’enfant naturel, antérieurement reconnu par sa mère, peut-il
être, dans la suite, par elle adopté?
La Cour royale de R iom, dans l’arrêt dénoncé à la Cour, s’est
prononcée pour l’aff irmativc. Félicitons-nous que cette importante
question, objet de si vives controverses, soit destinée cette fois à
recevoir une solution, qui fixera les incertitudes de la jurispru
c o n s e ille r r a p p o r t e u r
�(2)
dence, car elle ne pouvait se présenter à la Cour posée dans des
ternies plus explicites.
Les faits de la cause sont, du reste, fort simples.
FAITS.
Dix mois environ après un divorce prononcé pour incompatibilité
d’humeur, Anne-Pétronille Boirot donna le jour à une fille qui fut
inscrite, aux actes de l’état civil, sous le faux nom de Sophie
G ordon, née de père et mère inconnus.
Cet enfant,
d ’abord
élevé clandestinement, f u t , quatre ans
après sa naissance, placé dans la maison de sa m ère, et reçut le
nouveau nom de M alhilde.
En 1804, Pétronille' Boirot épousa en secondes noces le sieur
Duval. Dans le contrat, réglant les conventions civiles de ce ma
r ia g e , il est d it, entre autres choses, que la jeune Mathilde,
désignée d’ailleurs comme fd le de Pétronille Boirot, aura, dans la
succession de sa m è r e , les mêmes droits que les enfans à naître
de Vunion projetée.
E n 1 8 1 6 , jugement du tribunal de lliom q u i, sur la demande de
Pétronille Boirot, pour lors épouse Duval, ordonne la rectification
de l’acte (le naissance de la jeune Mathilde, et qu’aux noms de
Sophie Gordon restent substitués ceux de M athilde Boirot.
En 1817, mariage de Mathilde Doirotavcc le sieur de Laplanche.
Mathilde reçoit de nouveau la qualification de fille naturelle; puis
clic est gratifiée d ’une institution générale (l’héritier, par sa mère,
'
la dame D u v a l, née Boirot.
Il devait en être de cette institution comme de la clause du
contrat de mariage de i8o/j; la dame Duval avait sans doute ce
�(5)
pressentiment, quand elle s’est décidée à aviser à un dernier expé
dient, dans le but d’assurer à sa fille la pleine transmission de scs
biens.
L e 9,5 avril i 834 , elle s’est présentée devant le ju ge de paix de
son domicile, et y a déclaré vouloir adopter Mathilde Boirot, sa
fille naturelle. Un ju gem ent, depuis confirmé par la Cour royale de
K iom , a accueilli cette adoption. Dans ces deux actes on attribue
formellement à l’adoptée le titre de fille naturelle de l’adoptante.
L e décès de la dame Uuval est survenu peu de temps après. La
prétendue fille adoptive s’est mise en possession des biens dépen
dant de la succession, évalués, dit-on , à 400,000 fr. environ.
Le sieur Pierre Boirot de L a r u a s , héritier du côté paternel, a
cru devoir réclamer la part de la succession revenant à cette ligne ;
de là la question du procès.
Le tribunal de Gannat a résolu cette question en faveur de l ’en
fant naturel. L a Cour de Riom a embrassé la même doctrine. Nous
nous bornerons donc à donner le texte de cet arrêt. Il porte :
« Considérant que l’on ne trouve dans le Code c i v i l, au titre de
« l’adoption, ni ailleurs, aucune disposition prohibitive de la fa « cuité d’adopter les enfans naturels par le père et la mère qui les
« ont reconnus; — • Que l’on ne pourrait donc déclarer que cette
« faculté a été interdite qu’en admettant une incapacité et une dé
te fensequi n’ont point été prononcées par la loi;
11 Considérant que c ’est inutilement que l’on prétend, pour éta*’
11 blir cette incapacité, que les principes qui déterminent la nature
h
de l’adoption s’opposent à ce que les enfans naturels reconnus
« puissent en recevoir le bénéfice; — ■Q ue l ’on ne retrouve dans le
« Code civil ni les règles ni les défenstís du droit romain, et qu’on
« y chercherait vainement les conditions qui établissaient q u ’on
« a voulu faire de l'adoption une imitation exacte de la n a t u r e ; _
h
Q u e , d’après les dispositions q u ’il renferme, loin de s’identifier
�6
( )
« avec la Camille nouvelle dans laquelle il est admis de manière à
« devenir étranger à celle qu’il avait, l’adopté reste, au contraire,
« dans cette dernière, y conserve tous ses anciens droits, et ne fait
« q u ’ajouter le nom de l’adoptant à celui q u ’il avait déjà : — Qu’il
« n’est pas exact de dire que l’adoption ne confère à l ’enfant na« turel rien de pfus que ce que lui avait donné la reconnaissance
« faite par son père; que les liens qui l’unissent h ce dernier après
« l'adoption, sont et plus étendus et plus resserrés en même temps;
« — Q u ’à la place d'une filiation naturelle, il s’est établi une filiation
« nouvelle, plus avantageuse et plus honorable aux yeux de la so« cié ié , et que, dès lors, an lieu d’être indiqué dans les actes de
« l’état civil et dans les relations ordinaires de la vie sous le nom
« de (ils naturel, l’adopté ne le sera plus que sous celui de fils
« adoptif;
« Considérant qu’on ne peut invoquer les articles 546 , 347 et
u 348 du même Code pour en induire la conséquence que si la
« défense d ’adopter les enfans naturels reconnus, n’a pas été faite
« au père ou à la mère de ces enfans d’une manière expresse, elle
« sc trouve du moins implicitement dans la loi; — Que les expres« sions dans lesquelles ces articles sont conçus n’ont rien qui soit
« exclusif des personnes qui n’y seraient pas indiquées; — Que la
« lo i, qui n’était pas uniquement faite pour les enfans naturels,
k n’a dû s’y occuper que des cas ordinaires, laissant sous l’empire
« du droit commun et de ces dispositions générales, ceux q u ’elle
<> n’a pas désignés ; — Q u’on ne pourrait donc conclure de la ma« nicre dont elle s’est exprimée, q u ’elle a défendu l’adoption des
« enfans naturels, à moins d ’élablir qu’elle a créé une ex ception
« toute particulière contre cette classe d ’individus;
« Considérant que la défense d’adopter les enfans naturels re« connus n’existe pas davantage dans les dispositions du Code civil
« sur la légitimation, qui ne permettent pas de c o n fo n d r e l’une
« avec l’autre; que si, par la première, l’enfant reçoit une vie nou-
�( s )
« vellc et des avantages qu’il n’avait pas auparavant, les rapports
« civils et les droits qu’il acquiert sont cependant bornés à un
« cercle étroit dans lequel la loi n’a pas restreint l’enfant légitim é,
« qui est considéré par elle comme l’enfant légitime et traité comme
« tel; — Que l’adoption ne conférant ni les droits ni le titre d’en« fant légitime, on doit nécessairement en conclure q u ’elle ne se
« confond point avec la légitimation, et que, par là même, elle n’est
« pas un moyen détourné d ’appeler l’enfant naturel aux avantages
« d ’une légitimation qui ne peuvent lui être assurés que par le ma« riage de ses père et mère ;
a Considérant que l’adoption ayant pour but principal et direct
« de créer un état civil entre l’adoptant et l’adopté, en les unissant
« par des rapports de parenté et de famille, et les droits de succes« sibilité réciproque qui en dérivent n’en étant q u ’une conséquence
» nécessaire, c’est le Code civ il, qui a déterminé les règles de cet
« état et de la successibilité même qui en résulte, qu’il faut inter« roger pour savoir quels sont ceux qui peuvent être adoptés ; —
« Que, dès que l ’incapacité que l’on oppose aux enfans naturels
tf reconnus ne s’y trouve ni d ’une manière expresse ni d’une raa« nière implicite, on ne peut la chercher dans les articles j 56 ,
a 7 5 7 , 908 et autres sur les successions qui n’ont statué sur la
« dévolution des biens que d ’après les principes et les règles pré« cédemment établis sur l’état des personnes, sans aucun retour
« sur ces principes et ces règles auxquels la législation n ’a pas
« songé à toucher; — Que les dispositions invoquées, uniquement
« relatives aux enfans naturels comme celles de l ’article 558 , 11c se
« sont point occupés des enfans qui auraient été adoptés; qu’ainsi,
« pour les entendre et les appliquer sainem ent, il ne faut pas les
« séparer de la qualité des personnes pour lesquelles elles ont été
« faites; que c’est pour les enfans naturels r e c o n n u s , mais restés
h tels, qu’elles ont été créées; que si elles sont prohibitives, ce n’est
h évidemment que des droits qui dépasseraient en faveur de ces
�(6)
<t eniàns ceux qu ’elles leur accordent, et non des droits dont elles
« ne parlent pas et qui seraient la conséquence d ’une qualité ou
« d ’un titre sur lequel elles n ’avaient pas à s’expliquer; — Que ce
« serait donc manifestement en étendre l’application et les eiï’ets à
u des personnes et h des cas auxquels elles n’ont pas p en sé, que
« d’y voir la défense d ’adopter les enfans naturels reconnus, et de
« leur donner par là les droits de successibilité que confère
« l’adoption ;
« Considérant qu’on ne pourrait admettre que les dispositions
« du Code civil qui bornent les droits des enfans naturels sur la
« succession du père qui les a reconnus, renferment la défense, à
u ce dernier, de les adopter q u ’autanr q u ’il existerait entre l’état
« d’enfant naturel reconnu et celui d’enfant adoptif, une opposition
« q u i ne permettrait pas de les confondre en passant du premier
« au second ; — Que cette opposition n’existe pas; qu’il ne répugne
« ni à la nature, ni à la raison, ni h la loi que des liens de famille
« plus étroits, que des rapports civils plus intimes et plus étendus
« s’établissent entre le père et le fils naturel ; qu’en usant du béné« fice de l’adoption, le père fait plus q u ’il n’avait fait par la recon« naissance; mais q u ’il ne fait rien de contradictoire à ce premier
« acte qui ne pourrait avoir pour cllet de l’enchaîner si irrévoca« bleinent, qu’il lui fût défendu d’améliorer, par les moyens que la
« loi indique elle-même, l’élat de son enfant;
(( Considérant encore, sur les articles relatifs aux droits des enfans
if naturels sur la succession de leurs père et m ère, que la loi leur
n accorde dans le cas où il n’y a ni enfans légitimes ni héritiers
« collatéraux, tous les biens de cette succession; — Qu’alors l’inca« pacité, q u ’on fait principalement résulter contre eux, pour l’adop« (ion, de la restriction apportée h leurs droits sur ce point, devrait
« nécessairement disparaître, puisque la base fondamentale donner
(f it cette incapacité n’existerait p lu s ; — Qu’il faut donc conclure
<t de cette application de la loi , dont la justesse ne peut être con-
�(7)
« testée, que des prohibitions, qui ne sont ni générales ni abso« lues, ne peuvent renfermer la défense que l’on veut en faire
« résulter;
« Considérant que l’argumentation que l’on a tirée contre l’a« doption des enfans naturels reconnus, de l’article 9 11 du Code
« civil, ne présente pour raison de décider que la question même
« q u ’il s’agit de résoudre ; — Qu’en admettant, en effet, q u ’on pût
« faire l’application des dispositions q u ’il renferme h un contrat
« aussi solennel que l’adoption, il faudrait toujours démontrer l’in« capacité de l’enfant naturel reconnu à être admis au bénéfice de
« l’adoption par ses père et mère;
« Considérant que l’article 366 du Code civil qu ’on a également
« invoqué en le rapprochant des articles 90S et 9 1 1 , établit dans le
« cas tout particulier qu’il prévoit, non une manière nouvelle de
«
«
«
«
donner ou de transmettre par testament les biens de l’adoptant à
l’adopté, mais bien un mode nouveau d ’adoption que réclamaient
l’intérêt de l’enfant et la position dans laquelle pouvait se trouver
placé celui qui voudrait l’adopter; que si, alors, l’enfant acquiert
t( des droits de successibilité sur les biens de ce d ern ier, c’est par
« une suite naturelle et nécessaire de l’adoption exceptionnelle
« dont il a été l’objet, et non parce que le testament où elle se
<( trouve renferme en sa faveur une disposition de ces biens; —
« Qu’on ne pourrait donc lui appliquer les dispositions des ar« ticles 908 et 9 1 1 , et que ce serait encore la question de savoir
« s’il a pu être adopté ;
« Considérant enfin que s i , malgré le silence de la loi et la g é « péralité de scs dispositions , on proscrivait l’adoption des enfans
« naturels par le père et la mère qui les ont reconnus , on n ’aurait
« aucun moyen, sauf le pouvoir discrétionnaire des tribunaux, de
« prévenir celle des enfans naturels non reconnus, ou celle des
w enfans adultérins, incestueux, dont l’origine ne serait pas attestée
�(8)
« par des faits incontestables; — Que s’il était immoral cependant
(f de permettre l’adoption des enfans naturels reconnus , il ne le se« rait pas moins de laisser la liberté d’appeler, par des moyens dé« tournés, ceux qui n ’ont pas été reconnus ou même ceux qui ont
« une origine plus vicieuse, au bénéfice de l’adoption, et q u ’il
« serait tout à la fois inconséquent et injuste de repousser sur ce
« point les premiers, parce que leur naissance est connue, et d ’ac« cueillir les seconds, parce que la leur est ignorée; — Q u’on ne
« peut opposer, pour justifier une semblable distinction, que les
« enfans naturels non reconnus sont dans le sens légal des étrau« gers aux yeux de la loi et de la justice ; — Que le vice de leur
« naissance n’est pas moins réel, pour n’avoir pas ci'- révélé ; —
« Que c’est non de l’ignorance où l'on peut être de c lie origine ,
« niais de son existence même que l’incapacité q u ’on en fait ré« sulter, dépend; — Q u’il arrivera néanmoins journellement que
« les enfans qui en sont frappés éluderont les dispositions prolii—
« bitives de la loi, par cela seul que le secret de leur naissance
« aura été soigneusement cach é, tandis que ceux qu’on aura re« reconnus en subiront toutes les rigueurs ; — Q u ’un système qui
« se prêterait si aisément à la violation de la loi et qui consacrerait
« des effets si contraires à la raison et à une exacte justice ne peut
« être admis ;
« Adoptant au surplus et sur les autres questions qu ’a présentées
« la contestation les motifs des premiers juges ;
« La Cour a mis et met l’appellation au néant; ordonne que le
« jugem ent dont est appel sortira son plein et entier effet, et cono damne l’appelant à l’amende et aux dépens. »
Cet a rrê t, suivant nous, a faussement appliqué l’art. 5/|S du
Code c i v i l, et il a formellement contrevenu aux d is p o sitio n s des
art. ? 5 y et y o 8 du même Code. Telles sont les deux propositions
que nous avons à justifier.
�(9)
DISCUSSION.
On a dit de l’adoption qu’elle était une imitation de la nature.
Nous répondons hardiment qu’elle en est à coup sîir une imitation
pâle et décolorée. Elle se glissa dans nos lois en 1792. Nous
n'avons pas à en rechercher la raison; mais on peut dire qu’assez
étrangère à nos moeurs, elle a fini par se trouver réduite h ce qu’elle
doit être le don ‘irrévocable de la succession. L ’adoption n’est
rien de plus, selon nous, quant au fond des choses, et pour peu
qu’on veuille écarter la magie des mots.
Assurément nous n’entreprendrons pas de Caire l’historique de
celte instituton appliquée au peuple de Rome. Toutefois, puis
qu'elle a été présentée parmi nous comme ayant sa principale source
dans les lois rom aines, nous croyons utile de mettre sous les yeux
des magistrats un exposé sommaire de cette législation , relative
ment au point de vue qui nous occupe.
La question de savoir si l’enfant naturel pouvait être adopté par
ses père et mère fut agitée et diversement résolue sous la législation
romaine.
L'adoption , chez les Romains, était une imitation de la nature.
« Klle a été imaginée , dit Théophile, comme un moyen de con
solation pour ceux auxquels la nature a refusé le bonheur d’avoir
des
en fans, ou qui ont eu le malheur de les perdre. »
De cette idée semblaient découler deux conséquences :
La première, que celui qui avait déjà une postérité, soit civile,
suit naturelle, mais néanmoins constante, ne pouvait pas adopter ;
la loi romaine cependant n’allait pas jusque-là; seulement elle di
sait : N on (lebet (juis p/ures adrngare nisi ea jdsta causa (D. de
sfdopt. y 1. ‘ 5 . § 3).
�( ‘10 )
La deuxième conséquence était que le père ou la mère ne pou»
vait pas adopter, soit un fils légitime, soit un fils naturel} car
l’adoption était destinée à suppléer la nature, irais nullement à
resserrer des liens que la nature aurait déjà formés.
Ce dernier point nous paraît avoir été positivement admis par
le droit romain ; on trouve au Digeste des textes qui prouvent
celte vérité. A in s i, la loi 57 de A doplionibus dispose : eum quem
quis adoptant, em ancipatum vel in adoptionem datum non potest
adoptare.
Aucun autre texte à notre connaissance ne contredit celui de
la loi ci-dessus.
On a prétendu le contraire. M. Duranton, tom. 3 , n. 293, a émis
l’opinion que la loi romaine permettait d’adopter son fils n a tu re l,
et ce jurisconsulte s’est fondé sur la loi 46, au Digeste de Adoplio~
nibus, ainsi conçue :
l n servitale mea quœsitus m i/iifdius in poteslatem meam redigi
beneficio principis p o test, libertinum tamen eum m anere non
dubitatur.
On peut se demander si ce n’est pas de l’adoption p er légitima-*
lionem q u ’il est question dans cette loi. L ’aflîrmativc, soutenue
par M. le procureur général près la Cour de cassation, dans une
cause où il combattait l'adoption de l’enfant naturel, est encore
corroborée par le texte des Novelles 74 et 89.
Mais il est une autre réponse à faire à l’argument tiré de la
loi 4 6 , au D. de A d o p t. Si l’esclave, devenu libre, peut, d ’après
cette loi, légitimer ou même adopter le fils q u ’il a eu dans l’escla
vage, c ’est que la loi romaine ne considérait pas l’esclave c o m m e
père; elle ne reconnaissait point la paternité servile : le père esclave
était à peu de chose près réputé étranger.
Donc, suivant la législation du Digeste, un père ne pouvait adopter
ion fils naturel quand la paternité cl la filiation étaient légalement
�( «
)
consentes. Ces principes ont-ils été modifiés par la législation du
Code et des Novelles? 11 est facile de s’assurer que non.
Des auteurs ont prétendu que l’empereur Anastase avait d’une
manière générale autorisé l’adoption des enfans naturels. Cette
assertion n’est q u ’une e rreu r, et voici les faits qui ont pu l'accré
diter.
De telles adoptions avaient eu lieu dans des temps antérieurs à
Anastase, et elles avaient été confirmées par l’empereur Zénon
(JSovelle 82, quibus moclis naturalis ejficiantur sui).
Anastase ( Cocl. de nciluralibus Liberis) avait décidé que ceux
q u i, n’ayant pas d ’enfans légitimes, vivaient dans le concubinage,
avaient ou auraient à l’avenir des enfans issus de ce commerce,
les auraient sous leur puissance comme siens, et pourraient les
investir de leurs biens, par dernière volonté, par donation, ou
par tout autre mode de la loi. Il avait étendu le bénéfice de cette
constitution aux fils et filles déjà adoptés par leurs pères.
E11 ce qui concernait ces d erniers, la constitution avait pour
objet de respecter des laits accomplis, beaucoup plus que d’auto
riser de telles adoptions pour l’avenir. Cependant elle fut inter
prétée dans ce dernier sens, et il est vrai de dire que depuis la
constitution d’Anastase comme antérieurem ent, on avait vu des
pères adopter leurs enfans naturels.
L ’empereur Jullien voulut arrêter ce désordre, et ramener à
des principes plus sains : par la loi 7, C od. de naturahbus, il
confirma d ’une manière générale
la constitution d ’Anastase en
ce qui concernait les droits acquis. Il excepta seulement du bé n é
fice de ses dispositions les fruits de l’inceste et de. l’adultère ,
nefarium et infeslum conjugium . Quant aux simples enfans na
turels, il déclara maintenir de telles adoptions, touché, disait-il,
«l’une compassion dont n’étaient pas indignes qui vitio non suo
faborabant.
�(1*2)
T o u t e f o i s il eut soin d ’a jo u t e r : l a posleruni vero sciant om nest
légitimés malrimoniis legilim am sibi posteritatem quærendam , non
adrogationum vel adoptionum p relextu s y quæ u l t e r i u s minime
fèrendæ sunt.
O n peut lire cette consti t uti on. L e s t e rme s en sont r e m a r q u a b l e s ;
l’e m p e r e u r a p p u i e ses p r e s c r i p t i on s , non pas s u r les pr i nci pes qui
r ég i ss a ie nt la famil l e r o m a i n e , et q u i , n ou s en c o n v e n o n s , ne sont
pas t ous a ppl ic abl es d e nos j o u r s ; mai s il les a p p u i e s u r les règl es
d e la . mor a l e, et celles-là sont ét ernel l es. Il ne veut pas q u e par un
s u b t e r f u g e b l â m a b l e 011 p r e n n e la q u a li té d e p è r e , l o r sq u e la loi
s ’y r efuse.
L ’e m p e r e u r Ju st ini en ( Nove lie 7 4 , cap. 3 , de Légitima tione
p er adaptioneni) d écl ar a e x p r e s s é m e n t m a in t e ni r la constitution
qui précède.
N é a n m o i n s , c o m m e l’e m p e r e u r Just i n (N ovelle 8 9 ) , il c o n s e r v a ,
s e u l e m e n t p o u r le passé, la cons ti tuti on d e l’e m p e r e u r Z e n o n , ut illos
quibus ea fo r te constitutio prodest, non hac utilitate privaremus ;
il a gi t d e m ê m e et par d e s e mb l a bl e s mot i fs à l’é g a r d d e celle d e
l’e m p e r e u r A n u s t a s c , d éc l ar ant au s u r p l us a p p r o u v e r la constitution
d e son p èr e adopt i f.
N o n c ont ent d e ces d isposi tions si f o r m e l l e s , il a j oute : N ovelle 8 i ) ,
Quibus rnodis naturales cfficiuntur su i, e t c . , ca p. X I , § a ;
adoptionis autern modum qui f u i t olim a quibusdam ante nos
im peratoribus super naturalibus probatus non improbus > inve
nientes., secundum
paternas constitutonis virtutem, et nos sicuti
dictum e s t , encladim us , quoniam castitatem non perfecto consideravit cl nqn erit dolc/is ut quæ b e n b e x c l u s a , s u ï s t , in rem p u
blica ni rursus introducán tur.
Tel
est,
n ou s
le c r o y o n s
du
moins,
l ' h i st or i qu e (idèle de
la législation r o m a i n e s u r la qu es ti o n s o u m i s e en ce m o m e n t
à
la C o u r ; c ’est au n o m d e la m o r a l e , .au nom d e la d é c e n c e , q u e
�( 13 )
les empereurs Justin cl Justinicn ont proscrit l'adoption des eufans
naturels; ils n’ont pas voulu q u ’elle pût devenir un prétexte pour
introduire des étrangers dans la famille ; enfin ils n’ont pas voulu
qu’on couronnât, par une adoption q u ’ils vont ju sq u ’à qualifier
d'absurde , des désordres qu ’ils appelaient flag ilia .
Peut-on établir que lorsque l’adoption a été admise dans notre
droit, il y ait eu la moindre pensée de dérogation aux règles qui
p ré c è d e n t ? C ’est ce que nous devons rechercher. Dans une question
de cette gravité, On nous permettra de jeter un coup d ’œil sur
l’historique de cette institution parmi
nous. L es magistrats de la
Cour ne verront, nous l’espérons, dans ce soin, que le simple
désir de ne rien omettre.
On sait à quel propos l’adoption fut tirée du droit romain pour
prendre place dans nos lois.
L e 18 janvier 1 7 9 2 , l’assemblée législative avait décrété que
son comité de législation comprendrait dans son plan général des
lois civiles, celles relatives à l'adoption.
Le 16 frimaire an 5 , la Convention nationale, à l’occasion d’une
difficulté qui lui était soumise par un ju ge de paix, déclara que l’a
doption avait été solennellement consacrée, et q u ’elle assurait un
droit dans la succession de l’adoptant. Voilà tout ce qui fut fait à
cctle époque, nous négligeons les détails inutiles.
Les lois du temps avaient admis le principe de
l’adoption ;
mais elles n’étaient pas allées plus loin ; aussi lorsque les rédac
teurs du Code civil abordèrent cette matière, ils n’avaient d’autre
précédent, on peut le d i r e , que les constitutions des empereurs
Justin et Justinicn. Ces constitutions,on lésait, prohibaient, comme
a bsu rd e, indécente et im m orale, l’adoption des enfans naturels par
leurs père et mère.
Un premier projet d'adoption fut présenté au conseil, le 6 frimaire
an 10; on y agita la question de savoir si l’adoption serait une
�I"
( \h )
institution politique, une faveur accordée par exception h la loi
co m m u n e ,« titre de récompense, aux citoyens qui auraient rendu
de grands services à l’E tat, ou si elle serait au contraire une insti
tution de droit commun : ce dernier parti obtint la préférence.
Le projet présenté fut l’objet de nombreuses critiques; on lui
reprochait, notamment, de ne pas interdire l’adoption des enf'ans
naturels, de l’autoriser par le silence, et d ’éluder ainsi les dispo
sitions de la lo i , qui réduisaient cette classe d ’enfans à une simple
créance sur la succession de leurs père et mère.
Ces objections reproduisaient le fond des idées de la loi romaine.
INI. L o c r é , qui était, à ce q u ’il paraît, contraire à la prohibition,
a produit plus tard , il l’appui de sa propre opinion, de prétendus
procès-verbaux non imprimés des séances du conseil d’Etat, et il
a induit de la teneur de ces documens qu’il n’y avait eu de prohi
bition convenue qu ’à l ’égard des seuls célibataires; mais q u e, pour
l’homme marié, la prohibition ne lui serait point applicable. C’était
une singulière distinction à notre avis. M. Locré a soutenu néan
moins qu’elle avait été ainsi comprise.
Enfin, a-t-il dit, une rédaction nouvelle fut présentée le 1 4 fri
maire; elle contenait un article ainsi conçu : « Celui qui a reconnu
« dans les termes établis par la loi un enfant né hors mariage,
« ne peut l’adopter ni lui conférer d ’autres droits que ceux qui ré« sultent de cette reconnaissance; mais, hors ce ca s, il ne sera
« admis aucune action tendant à prouver que l’enfant adopté est
« l’enfant naturel de l’adoptant. »
Or,
cet article, qui interdisait,
ajoute-t-on, implicitement du moins, l’adoption des enfans
naturels
reconnus, ayant été repoussé, il est permis de conclure que de
telles adoptions sont restées permises.
T el est le fond du système de AI. Locré. Nous n’en parlons q u ’à
cause du crédit qu’a pu lui prêter la position toute spéciale de son
�( «
)
auteur. Nous repondons à ce système q u ’en admettant l’existence
très contestable de ces procès-verbaux, en admettant même leur
force probante, ce qui est encore très contestable, on est toujours
en droit de se demander d'où vient que l'article en question a été
repoussé. E s t -c e
comme trop rigoureux, ainsi que le prétend
INI. L o c r é ? Est-ce tout simplement comme superflu, ainsi que le
soutient RI. Favard de Langlade?
Cette dernière opinion nous parait la plus admissible.
Quoi q u ’il en soit, le premier projet avait clé critiq u é, parce
q u ’il gardait le silence sur l’adoption des enfans naturels reconnus.
Les critiques furent renouvelées; le 4 nivôse, M. Tronchet fit la
proposition formelle d’exclure de l’adoption les enfans naturels re
connus; M. Portalis proposa de garder le silence sur ces adop
tions, et l’on doit convenir que le silence ici était très suffisant.
Les travaux furent suspendus et repris le 27 brumaire an 11 ;
les divers projets furent de nouveau débattus, et, dans cette même
séance,M . T reilh a rd , au sujet des enfans naturels,fit entendre ces
paroles remarquables : S 'ils sont reco n n u s , ils ne peuvent être
adoptés; s’ ils ne le sont p a s 3 leur origine est incertaine.
Celte opinion ne fut combattue par personne ; elle fut pleine
ment embrassée par M. Malleville : Je suis convaincu, ajouta ce
judicieux magistrat, que si la paternité a été reconnue , les ju g e s
ne peuvent n i ne doivent adm ettre Vadoption. (Favard de Lan
glade, Répertoire de législation, v° Adoption, section 2 , § 1 " . )
Après de longues discussions, dans lesquelles des opinions sou
vent opposées se croisèrent et se com battirent, opinions dont
nous n’avons dû produire que le court a b r é g é , la loi du 29 g e r
minal an 1 1 , lit. 8 du liv. 1 " du Code civil, sur l’Adoption, fut
adoptée et publiée le 12 du même mois. Les assertions de M. Locré
tombent, à notre avis, devant ces explications comme aussi devant
l’cconomic de la loi, car elle organise l'adoption de manière à la
�f 16 )
rendre incompatible avec les dispositions qui règlent le sort de
l’enfant naturel reconnu.
Observons q u e , depuis le 18 janvier 1792 jusqu’au 12 germinal
an 1 1 , un grand nombre d ’adoptions avaient eu lieu , avec des
formes et dans des conditions diverses, sans régularité, capri
cieusement, comme dans les temps antérieurs aux empereurs Justin
et Justinien. Il fallait régler le sort de ces adoptions. Ce fut l’objet
de la loi des 25 germ inal, 5 floréal an 1 1.
Cette loi, dans son article premier, dispose : « Toutes adop« tions faites par actes authentiques, depuis le 18 janvier 1 7 9 2 ,
* ju squ’à la publication des dispositions du Code civil relatives à
« l’adoption, seront valables, quand elles n ’auraient été accompa« gnées d’aucune des conditions imposées depuis |>our adopter et
« être adopté. »
Elle peut être comparée aux constitutions des empereurs Justin
et Justinien; celles-ci maintenaient les adoptions faites avant ou
depuis les constitutions de Zenon et d’Anastase, par respect pour
des droits acquis, et tout en flétrissant l’origine des droits q u ’elles
conféraient. L a loi des 25 germ inal, 5 floréal an 1 1 , maintint de
même les adoptions faites depuis le 18 janvier 179 2, par respect
aussi pour des droits acquis, et sans méconnaître que l’origine de
ces droits se trouvait en opposition avec les principes du nouveau
Code. Ce point est tellement incontestable, q u ’une jurisprudence,
à peu de chose près un iform e, déclara, par la suite, valables,
comme faites depuis le 18 ja n vier 1792 : i° l’adoption d ’un enfant
naturel reconnu; 20 l’adoption par un individu ayant des enfans
légitimes; 3° l’adoption d ’un enfant adultérin par son père ou sa
mère. Cour de cassation, 24 novembre 1806, — ¡¿4 juillet 1 8 1 1 , —
2 3 décembre 1 8 1 6 , — 9 février 1824.
Toutefois la législation devait tendre à s’épurer, et le nouveau
Code devait, à l’instar des constitutions de Justin et Justinien,
tendre à faire cesser le désordre; pour cela, il (allait repousser, du
�(17)
moins, form a negandi l’adoption des enfans naturels reconnus.
C est, selon nous, ce qui a eu lieu.
Tel a été, pour noire législation, le résumé historique de l’adop
lion; quant aux enfans naturels reconnus, nous avons cherché à
le donner avec le plus de concision possible, tout en désirant
néanmoins le présenter complet.
Passons maintenant à l’examen des textes de la loi, c’est-à-dire
aux moyens de cassation.
Les auteurs qui ont embrassé la doctrine de l’arrêt de Riom ont
été subjugués, on peut le dire, par celle idée unique, q u ’aucune
disposition, dans le Code civil ou ailleurs, ne prohibant l’adop
tion, admettre celte prohibition, serait établir une incapacité qui
pourtant n’est prononcée nulle part. C’est là tout le fond de leur
système.
Nous convenons que nulle part on ne rencontre une disposition
qui interdise littéralement l’adoption des enfans naturels; mais
est-il vrai qu’on puisse affirmer, d’une manière absolue, que les
actes qui ne sonl pas littéralement défendus par la loi sont par
cela même permis? A in si, pour ne pas prendre des exemples en
dehors de notre sujet, la loi n a sûrement dit nulle part que les
enfans incestueux ou adultérins ne pourront être adoptés, et ce
pendant les auteurs, sans exception, ne décident-ils pas qu ’ une
telle prohibition est plus qu’évidente? C’est que la loi se borne h
indiquer la règle et à poser les principes; ensuite elle laisse à ses
interprètes le soin d’en déduire les justes conséquences. Comme le
dit avec raison, sur ce p o in t, l’arrêt de R iom , la loi s’occupe des
cas ordinaires, puis elle laisse sous l’empire du droit commun et
de ses dispositions générales ceux q u ’elle n’a pas pris la peine de
spécifier.
Cela posé, si l’on parvient à démontrer que le but de l’adoption
et les principes qui la régissent, que le droit commun et les dispo3
�( '18 )
sitions générales du Code en celte matière répugnent h (’adoption
de l’eniánt naturel recon nu, si l’on rencontre enfin dans le Code
d’autres dispositions tout-à-fait inconciliables avec l’idée d ’une
pareille adoption, il faudra décider que la prohibition existe, tout
aussi bien que si elle était littéralement écrite dans le Code; car
tenir alors pour la prohibition, c’est tout simplement demeurci'
fidèle à l’esprit de la législation * et s’incliner devant Fniitorité de
la maxime si souvent appliquée, pro expressis habenlur qaœ ne*
cessario descendant ab expressis.
Jet ons u n c o u p d ’œi l s u r q u e l q u e s disposi tions g é né r al e s .
On a répété pour le Code civil, d ’après le droit romain : L ’adop
tion est une imitation de la nature, sinon complète, au moins aussi
exacte q u ’il a été permis de 1imaginer. Partant de ces idées, l’a
doptant doit être plus âgé que l’adopté; en principe, il doit avoir
quinze ans de plus (C o d e c iv il, art. 343 , 345) , c ’est-à-dire l’âge
rigoureux de la puberté. De même, nul ne peut être adopté par
plusieurs personnes; ces dispositions sont calquées sur les lois de
la nature sur le développement de la puberté, sur les conditions
physiques requises pour être père cl m ère, eniin sur celles de la
paternité et de la filiation qui sont une et indivisible.
Dans le Code civil comme dans le droit romain, l’adoption es!
envisagée comme une consolation offerte à ceux qui n’ont jamais eu
d’enfans, ont perdu les enfans q u ’ils avaient et n’ont plus l’espoir
d’en avoir d ’autres. L e but de l’adoption est de suppléer au défaut
de la nature, bien plus encore que de créer* ainsi que l’a prétendu
la Cour royale de Iliom , un état qui lie l’adoptant à l’adoptéi en les
unissant par des rapports de parenté et de famille.
Cela est si vrai que les art. 5 4 3 et 5 6 1 du Code civil d é c la re n t
q u e, soit pour adopter,, soit pour être tuteur ollicicux, il faut n’a
voir ni enfans ni descendans légitimes. A la vérité, la loi se sert
des mots cni'am légitimes t expression qui, d ’une p art, necontredil
�( <9 )
nullement l’adoption de l’enfant naturel reconnu, et qui, de l’autre,
semble autoriser le fait d’adoption envers un étranger en cas
d ’existence d’ un enfant naturel, issu de celui qui veut adopter.
Cependant il est douteux qu’une adoption quelconque pût être
permise à celui qui a déjà un enfant naturel reconnu. M. Rerlier, lors
de la présentation au corps législatif du titre de l’adoption, se servit
simplement du mot e n fa n t, sans ajouter de qualification; il est
donc permis de penser que les mots enfans légitimes, dans les ar
ticles précités, signifient enfans dont la filiation est constante ;
d’ailleurs personne n’oserait dire que ceux qui n’ont q u ’un enfant
naturel reconnu aient besoin de demander à la loi la consolation
d’une paternité fictive. Quant à la question d ’adoption par rapport
à l’enfant naturel, nous dirons que M. Dclvincourt, t. 1, p. 99 et
, définit l’adoption : un acte civil qui établit entre deux per
sonnes des rapports de parenté et de filiation qui n’existaient pas
naturellement; que M. Favard d c L a n g la d c , Répert. de législ., 1"
Adoption, f° 2, § 1, la définit : le choix pour enfant de celui qui
n’est pas tel par la nature.
La Cour royale de Riotn objecte que, d ’après les dispositions du
Code civ il, loin de s’identifier avec la famille nouvelle dans la
quelle il est admis, l’adopté reste, au contraire, dans sa famille
naturelle, y conserve scs droits, et ne fait q u ’en acquérir de nou
veaux, qu’il ajoute à ceux q u ’il possédait déjà.
Cela est v r a i , sans d o u t e ; mai s le Code civil n ’en s u p p o s e pas
m o i n s q u e l’a d o p t é a d éj à sa p r o p r e f a mi l l e ; q u e sa fami l le 11 est
pas la m ê m e q u e cel l e o ù l’adopt i on va le l ai re e n t r e r ;
le C o d e
parle d e p èr e et m è r e n a t u r e l s , et i mpos e l ’obli gati on d e r a p p o r t e r
l e u r co ns e nt e me n t à l’ado pt ion ( a r t .
3 /|6 ) ; d e plus il d i s po s e q u e le
nom d e l ’a do pt é vi e n dr a se j o i n d r e à celui d e l’a d o pt an t ( a r t . ^ 7 ) ;
enlin q u e l ’a do pt é restera d a n s sa famille na t urel le, et y c o n s e r v e r a
,$es droits.
�( 20 )
Si on essaie d'appliquer ces diverses dispositions à l’adoption
d’un enfant naturel déjà reconnu, on trouvera i° que la mère qui
doit consentir à l’adoption est la même que celle qui demande
à adopter; 20 que le nom de l’adopté est précisément celui q u ’il a
reçu de la personne môme qui va l'adopter; 3° que le nom d ’adop
tion est celui de la famille à laquelle appartient l’adopté, et que
cette famille, où il est déjà, est encore celle où pourtant l’adoption
a pour objet de le faire entrer. Ainsi la mère naturelle va devenir
la mère adoptive ; le nom de famille que l’on porte déjà deviendra
un nom d ’adoption, et la famille où l’on est déjà aussi va se trans
former en famille d’adoption. L e Code a-t-il voulu consacrer de
pareilles anomalies? Une adoption, faite dans de telles conditions,
ne présente-t-elle pas, légalement parlant, une véritable confusion,
une sorte de monstruosité, niullam absurditatem h a ben s, comme
disait Justinien? N’est—il pas permis de conclure que si les rédac
teurs du Code civil ont supprimé un article qui avait pour unique
objet de repousser de pareilles étrangetés, c ’est qu ’ils trouvaient
dans l’ensemble de la loi, au titre des successions, tout ce qui était
nécessaire pour les réputer proscrites?
On fait valoir q u ’en proscrivant l’adoption des enfans naturels, à
cause du fait antérieur de sa reconnaissance, on enlève le moyen
d ’empêcher l’adoption des enfans naturels non reconnus, fussent-ils
des enfans adultérins ou incestueux, et l’on ajoute que s’il est con
traire a la morale que l’adoption des enfans naturels reconnus soit
autorisée, il l’est bien plus assurément de laisser une telle latitude
a 1 égard des enfans non reconnus, qui ne seraient pas suscep
tibles d ’être avoués. Enfin qu’il y a de l’inconséquence à repousser
l’adoption pour les uns, parce que leur origine est constante, quand
on l’admet par rapport aux autres, par cela seul que la leur est
incertaine.
On ajoute encore q u ’il ne suffit pas, pour justifier une pareille
distinction faite entre personnes d ’une origine également vicieuse,
�(21 )
d ’alléguer que l’enfant naturel non reconnu est, dans le,sçns légal,
un étranger h sa famille; que le vice de la naissance n’en est pas
moins réel, quoique non révélé; que ce n’est pas de l’ignorançe
où l’on peut être des rapports qui lient l’enfant et le père naturel
que naît l’incapacité, si cette incapacité existe, mais q u ’elle tient au
fond des choses; d’où il suit que l’adoption de l’enfant non reconnu
n’est ni plus ni moins vicieuse que celle de l’enfant reconnu, et
que si l’on ne peut arriver à proscrire l’une, on ne doit pas tenter
de proscrire l’autre?
De tout quoi on conclut q u ’un système qui se prêterait si aisé
ment, à de telles contradictions, et consacrerait des résultats à la
fois si contraires à la raison et à la justice, ne peut manquer d e tre
repoussé.
La réponse à toutes ces espèces d ’objections se trouve dans ce peu
de mots prononcés par M. Treilhard à la séance du 27 brumaire
an i i : Les enfans n a turels , s’ils sont reconnus, ne peuvent être
a dop tés; s’ ils ne le sont p a s , leur origine est incertaine.
A insi, l’enfant naturel reconnu ne peut être adopté par celui
qui l ’a reconnu, précisément h cause de cette reconnaissance,
précisément parce q u ’à cause d ’elle la parenté et la filiation sont,
aux yeux de la loi, devenues constantes, d’ignorées qu'elles étaient.
Voilà pourquoi, dans un tel cas, les magistrats peuvent se refuser
et doivent le faire, à consacrer une adoption qui établirait une
double paternité, une double maternité, une double filiation entre
les mêmes personnes.
Il n ’en est pas de même quand il s’agit d’enfans naturels non
reconnus. Aux yeux de la loi, leurs père et mère sont incertains.
Eux-m êm c sont, par rapport à la famille à laquelle ils appartien
nent, réputés étrangers, advenæy comme disait Justinien, ce
q u ’admet sans doute le Code civil, qui ne leur accorde en pareil
cas aucun droit successif, pas même un droit aux alimens.
�Voilà tout le secret de ces prétendues inconséquences, de cette
injustice et de cette immoralité qui semblent offusquer si vivement
les magistrats de la Cour royale de Riom. Dans un cas, il y a ori
gine avouée reconnue par la loi. D ’un côté, il y a un enfant naturel,
de l’autre le père naturel, le père reconnu et avoué de ce même
enfant. Dans l’hypothèse contraire, la filiation est incertaine; il n’v
a de certain que le fait de bâtardise; quant à savoir quel est le
père de l’enfant, légalement parlant, il est inconnu.
Il est donc certain que l’enfant naturel reconnu ne peut passer
de cet état 'a celui d ’enfant adoptif. Ces deux qualités s’entrecho
qu en t, et rien n’autorise à penser qu ’il ait été dans l’esprit du lé
gislateur q u ’elles aient pu se confondre dans la même personne.
Il y a mieux ; il répugne à la raison, il répugne à la loi, que
des liens de famille plus étroits, que des rapports civils plus in
times qu’une filiation à un nouveau titre puissent s’établir entre
la mère et l’enfant reconnu. Disons même qu’en appelant à son aide
l’expédient de l’adoption, la mère qui a précédemment reconnu
l’enfant naturel q u ’elle veut s’attacher à titre d ’adoptante, fait quel
que chose de visiblement contradictoire avec son premier a c t e , et
ce premier acte, elle ne peut cependant le révoquer.
Poursuivons le cours de la discussion.
L ’adoption a pour objet, dit-o n, de conférer à l’enfant naturel
quelque chose de plus que ce que lui avait donné la simple re
connaissance; les liens qui l’unissaient à sa mère vont devenir
plus étendus et lui créer de nouveaux droits; à la place d’une
filiation naturelle, il va s’établir une filiation différente, plus avan
tageuse aux intérêts de l’adopté. C’est le langage île ia Cour r o y al e
de Riom ; elle aurait pu ajouter que cette filiation va c o n fé re r a
l’adopté l’aptitude à succéder, aptitude que sa qualité d ’enfant na
turel semblait exclure à jamais, sauf le cas de légitimation.
Puis la Cour ajoute que l’adoption n’est point une voie de Irans-
�( 23 )
mission des biens, niais au contraire un acte qui change I état
civil de l’enfant naturel et le place dans une condition sociale plus
élevée; qu ’à la vérité cet acte exerce une influence sur les droits de ,
successibilité en faveur de l’adopté, mais que c ’est un effet secon-*
daire qui ne peut altérer le caractère principal de l’adoption, en
core moins la faire proscrire à l’égard de l’enfant naturel quand un
pareil changement d ’état n’est prohibé par aucune disposition de loi.
A cette théorie, suivant nous purement subtile, nous ferons les
réponses suivantes. L ’adoption a quatre principaux effets :
i° Elle confère à l’adopté le nom de l’adoptant. C. civ., 547 *
Or l’adopté, c’est-à-dire l'enfant naturel reconnu* porte déjà le
nom q u ’il va être question de lui concéder.
2° L ’adoption établit entre l’adoptant et l’adopté l’obligation de
se fournir des alimens. C. civ., 34gOr cette obligation existe déjà du père à l’enfant naturel, par lé
àeul fait de la reconnaissance; l’adoption, sur ce point, n’ajoute
rien de plus, et ne diminue rien au caractère de l’obligation.
3° L ’adoption rend tout mariage prohibé entre l’adoptant et l’a
dopté. C. civ., 348 .
Ce t te p r oh i b i t i o n e xi st ant d é j à , il est i nu t il e d e la c r é e r .
Reste le quatrième et dernier effet de l’adoption. Elle rend l’a
dopté habile à succéder à l’adoptant aussi pleinement que s’il
était né en mariage. C. civ., 3'5o.
Nous convenons, par exem ple, que cette capacité n'existait pas
au profit de l’enfant .naturel avant l’adoption, et nous ajoutons
même que la loijveillait activement à ce q u ’elle île lui fût point con
férée par des voies indirectes.
Voyons si tel n’a pas été cependant le but et l'effet de l’adoption.
E lle , q u i, dans les cas ordinaires, est destinée à produire
xjualre effets principaux, n’en produira ici qu’un seul, et c’est
justement celui que la loi prohibe avec le plus de sévérité, purs-
�( 24 )
qu’elle porte ses prohibitions jusques sur les institutions directes,
indirectes, ou par interpositions de personnes.
On se borne à dire qu’en cas d ’adoption, la transmission des
biéhs ne dôit plus être considérée que comme un effet secondaire,
lequel ne peut influer s ù r la cause qui l’a produit, c’est-à-dire sur
l'adoption. Nous répondons que la cause et l’effet se touchent par
les côtés les plus intimes; et si le résultat que l'adoption amène à
sa suite est inadmissible, c’est que la cause elle-même l’est aussi.
En f a it , l’adoption n ’a dans ce cas spécial d’autre but que d’as
surer là transmission des biens; c’est, au surplus, en général, son
caractère dominant. -Le premier consul, après avoir échoué dans
son projet d ’assimiler l’adoption à la nature, au point que l’adopté
devînt étranger à sa propre fam ille, proposait de ne donner à l’a
doption d ’autre effet que celui d ’opérer une addition de nom cl une
transmission de biens, sans déranger les rapports formés par la na
ture entre l’adopté et sa famille naturelle. C ’est là, suivant nous,
l’idée qui a prévalu?
Ici l’adoption de l’enfant naturel doit donc être envisagée eu égard
au seul effet qu’elle a produit, le seul d ’ailleurs q u ’on ait voulu
obtenir; et, en revenant sur les faits de la cause, on peut ajouter
que c’est vers ce but unique que la dame Boirot a marché obsti
nément.
Ce but, c’était la transmission de ses biens. L a loi autorisaitelle cette transmission? Voilà toute la question. Un autre coup
d’œil jeté sur quelques autres dispositions du Code suffira pour
compléter la démonstration.
Le Code régie avec soin le sort des enfans naturels; il prend un
terme moyen entre une'sévérité ou une indulgence excessives;
il refuse aux enfans naturels la qualité d ’héritiers, et ne
accorde de droits que sur les biens d e leurs père et mère décédés.
Ces droits, sans changer de nature, varient de quotité, selon que
�(25)
les héritiers légitimes sont à un degré plus ou moins éloigné ;
enfin, ils s’élèvent à la totalité des biens s’il arrive que les père
et mère de reniant naturel ne laissent aucun parent au degré successible.
L e législateur croyait avoir assez fait pour cette classe de per
sonnes; il n’ignorait pas que souvent les fruits d ’un commerce illi
cite usurpent dans l’affection de leurs père et mère une place qui
ne doit point leur appartenir. Il a donc pris de sages mesures pour
comprimer les effets d’une générosité exercée en fraude de la fa
mille. V oilà pourquoi ont été établie^ mais q u ’on pent ne pas at
teindre ^ S c s l u n i t e s q u i l e n i n t ê r m t de dépasser.
Ainsi il a été admis que l’enfant naturel ou ses descendans se
raient tenus d ’imputer, sur les droits qui peuvent leur revenir, tout
cc qu’ils ont reçu de leurs père et mère (C. civ., art. 760) ;
Que les enfans naturels susceptibles, sous certaines conditions,
d’être réduits au-dessous de la part réglée par la loi, ne pourraient
néanmoins dans aucun cas recevoir, soit par donation entre-vifs,
soit par testament, rien au-delà de cette portion fixe ;
Enfin que toute disposition au profit d ’un incapable serait nulle,
soit q u ’on la déguisât sous la forme d ’un contrat onéreux, soit
qu ’on la fit sous le nom de personnes interposées (C. civ., art. 9 1 1 ) .
De telles dispositions sont sévères; mais elles étaient commandées
par le besoin d ’assurer la prééminence due au mariage. Elles ont
été admises dans ce but. En tout cas, elles révèlent l’esprit dans le
quel est conçue la législation.
Cela posé, voyons où l’on arrive par l’adoption faite au prolit
d’un enfant naturel reconnu. Il était simple successeur a titre sin
gulier d’une partie des biens; l’adoption en fait un héritier dans
toute l’étendue du mot. 11 recueillera la totalité du patrimoine, et
il exclura ni plus, ni moins, ni autrement que ne le ferait l’enfant
légitime, les héritiers du sang 011 l’héritier institué. Avec un tel
4
�systèm e, que deviennent les art. 767 et 908 du Gode civil? Que
devient l’art, g n qui déclare nulle toute disposition faite au profit
d ’un incapable, quel que soit le subterfuge em ployé, et quelle que
soit la dénomination q u ’on ait donnée à la libéralité ? — Revenons
donc aux vrais principes. L ’enfant naturel était-il incapable de
recevoir? Son incapacité, si elle existait, ne tenait-elle pas h son
origin e? en un mol au vice de sa naissance? Si telles étaient les
causes, ce double accident a-t-il été effacé par l’adoption?En est-il
moins un enfant naturel ? est-il enfant légitimé ? Voilà toujours à
quoi il faut en revenir.
Sou tiendrai t-on que l’adoption a ici un but plus élev^ÿ q u ’une
simple et matérielle transmission de patrimoine? Mais q u ’on y
prenne ga rd e, déjà il porte le nom de la personne qui l’a adopté,
déjà il est membre de la famille , déjà il est pour sa mère une
consolation à laquelle l’adoption n’ajoutera
certainement rien ;
seulement il n était pas héritier de sa mère , et partie du patrimoine
de celle-ci devait aller à la famille légitime.
Et voilà ce q u ’on a
voulu empêcher.
On le pouvait à l’aide d’une légitimation par mariage subséquent.
On a rejeté et on rejette cette voie. C ’est à l’adoption q u ’on s’ar
rête, et pourquoi à une adoption ? Parce que cet expédient assure,
avec moins de gêne personnelle pour l’adoptant, une aussi pleine
transmission de son hérédité que le ferail| une légitimation par
mariage subséquent. A vrai dire, elle n’a d ’autre objet que cette
transmission. N ’est-elle pas dès-lors une donation déguisée? Et que
servira d ’avoir prohibé les autres, si 011 tolère celle-ci?
La Cour royale de Riom fait à cet égard une distinction qui
est un pur sophisme. Suivant elle : « Les expressions dans les« quelles les articles 7 56 , 757 et y 58 sont conçus n’ont rien qui
« soit exclusif des personnes qui n ’y sont pas indiquées. Les dis« positions de ces articles sont uniquement relatives aux enfans
« naturels qui auraient été adoptés ; pour les entendre et les ap-
�(27)
« pliquer sainement, il ne faut pas les séparer de la qualité des
« personnes pour lesquelles elles ont été faites, c ’est-à-dire pour
« les enfans naturels reconnus, mais restés tels : si elles sont pro« hibitives, ce n’est évidemment que des droits qui dépasseraient
« en faveur de ces enfans ceux q u ’elles leur accordent, et non des
« droits dont elles ne parlent pas, et qui seraient la conséquence
« d’un titre sur lequel elles n’avaient pas à s’expliquer. »
Ce raisonnement, comme les précédens, repose sur une véritable
pétition de principes; il ne s’agit pas de savoir si l’on devra faire
application des articles précités à une adoption préjugée valable.
Il ne s’agit pas davantage de disserter sur l'étendue des droits de
l’enfant adoptif en thèse générale; l’unique question, au contraire,
est de savoir si l’enfant naturel est apte à devenir enfant adoptif,
et si une semblable adoption n ’est pas, dans l’exactitude du mot,
un moyen détourné dont le but est d’investir l’adopté de droits
qu’une qualité indélébile le rendait incapable de recueillir.
Est-il besoin de s’arrêter à cette objection, que si la prohibition
eût été dans les prévisions de la loi, on n ’eût pas mariqué!de la
placer au titre même de l’adoption, tandis que c ’est par la simple
voie des inductions qu’on l’a fait résulter de la combinaison des
art. 756, 757 et 908 au titre des Successions, où il n’y a de réglé
que la dévolution des biens?
Nous répondons que le Code civ il, dans le titre sur l’état des
personnes, se borne à régler la capacité des enfans naturels sans
distinction; et, quant aux droits qui leur appartiennent, il renvoie
à un autre titre, celui relatif aux différentes manières d’acquérir
la propriété; et c’est justement dans ce titre que se trouvent et les
art. 7 5 6 , 75 7, 768 et les art. 908 et 9 1 1 . L a Cour royale de Riom
feint toujours de délibérer sur les effets habituels de l’adoption,
quand, au contraire, le point mis en question était celui de savoir si
l’adoption dont il s’agit avait été une adoption valable.
Il reste, pour compléter celte discussion, peut-être déjà trop
�( 28 )
prolongée, à examiner un dernier argument reproduit également
dans l ’arrêt.
La Cour de Riom prétend que la défense d ’adopter l’enfant na
turel reconnu ne résulterait pas davantage des dispositions du
Code, touchant la légitimation ; q u ’il y a des différences telles, entre
les effets de l’adoption et ceux de la légitimation, qu’il n’est pas
possible de confondre l’une avec l’autre.
Que, comme l’adoption ne confère ni les droits ni le titre d’enfant
légitime, on devait en conclure q u ’elle ne se confond point avec
la légitimation, et que, par là même, elle n’est pas un moyen dé
tourné d ’appeler l’enfant naturel aux avantages d’une légitimation
qui ne peuvent lui être assurés que par le mariage de ses père et
mère.
Ce raisonnement, qui prouve peu de choses en soi, nous fournit
l’occasion d ’une remarque qui a son importance.
La loi, pour maintenir la faveur due au m ariage, déclare que
les enfans naturels, autres que les incestueux ou adultérins, pour
ront être légitimés par mariage subséquent, lorsqu’ ils auront été
légalement reconnus' avant le m a r ia g e , ou qu ils le seront dans
l’acte même de célébration.
Elle ajoute que les enfans légitimés par le mariage subséquent
auront les mêmes droits que s’ils étaient nés de cc mariage.
Il résulte de ces articles et de ceux qui suivent q u ’on ne peut
compter que quatre classes d’enfans naturels, ni plus ni moins :
i° Les enfans incestueux ou adultérins;
2° Les enfans naturels non reconnus;
5° Les enfans naturels reconnus, mais non légitimés;
4° Enfin les enfans naturels reconnus et puis légitimés par le ma
riage subséquent de leurs père et mère.
Voilà la nomenclature; mais, ni dans ces articles, ni ailleurs, il
n’est dit q u ’il y aura une cinquième classe d ’en fans naturels, classe
�(29)
qu i, avec le système que nous combattons, deviendrait peut*être
plus nombreuse que celle des enfans légitim es, tant les adoptions
deviendraient alors fréquentes, classe mixte qui prendra place entre
les enfans reconnus et les enfans légitimés, pour recueillir des avan
tages plus étendus que les premiers, quoique au-dessous de ceux at
tribués aux enfans légitimés. La loi n’a rien prévu de semblable,
et même à titre d ’induction, rien de pareil ne résulte de ses dispo
sitions.
Est-ce bien sérieusement, d'ailleurs, que l’on prétend établir une
différence entre l’adoption et la légitimation , quant au fait de trans
mission des biens paternels ou maternels? Les effets de l’une et
de l’autre sont, au contraire, à cet égard, pleinement identiques.
L ’eflet principal de la légitimation, c’est de réparer le vice de nais
sance et de rendre l’enfant légitimé apte à hériter de ses père e l
m ère, tout aussi bien que s'il était légitime; l’effet principal, et,
disons m ieux, l’efFet à peu près unique de l’adoption appliquée à
l’enfant naturel, c’est de le rendre apte à recueillir, dans la succes
sion de scs père et mère, les mêmes droits que s’il était légitime.
Par la légitimation et par l’adoption, c ’est donc toujours à une
question de transmission qu’on arrive.
Concluons : L’enfant légitime,
L ’ enfant lé g itim é ,
L’enfant adoptif recueillent égalem ent. la succession de leurs
père et m è r e ; l’enfant naturel reconnu est, au contraire, formel
lement exclu de cette faveur.
i
.
‘¡t »..*
L ’en investir par la voie détournée d ’une adoption, c ’est mettre a
la merci du père naturel le p o u v o ir d’effacer, quand il lui plaît,
dans la personne de son fils, et le vice de naissance et ^incapacité,
légale que de hautes considérations de décence publique ont fait
attacher à ce v ice ; c ’est rendre,pour l’avenir presque sans objet,
le titre de la légitimation par mariage subséquent. Pour assurer le
�sort de l’enfant n a tu re l, au lieu de le légitimer et de subir ainsi le
jo u g pesant d ’ une union mal assortie, on conférera l’adoption 011
l’on attendra pour la conférer qu’il y ait survenance quelcon
que d ’impossibilités au mariage subséquent. Ajoutons que s’il est
admis par la Cour suprême q u fil est licite d ’adopter son enfant
naturel quoique reconnu; q u ’ainsi l’a voulu et entendu le Code
civil, c’est q u ’alors de telles adoptions deviendront une règle com
m u n e , et les magistrats q u i , en cette m atière, sont investis d ’ un
pouvoir discrétionnaire, ne pourront même en user, dans de telles
circonstances, que de la manière la plus restreinte. Il suffira que le
père naturel vienne étaler ses titres pour que la toute-puissance
du magistrat soitcontrainte de s’humilier. Conçoit-on, en effet, que
sous l’empire d ’une loi qui serait déclarée avoir formellement au
torisé l’adoption de l’enfant naturel, un magistrat pût prendre sur
lui de priver le père et l’enfant d’un bénéfice q u ’ils tiennent de la
lo i? Ce serait une véritable sentence d’exhérédation.
- Quant à nous, nous le disons avec sincérité, notre conviction est
intime. L e Code a proscrit l’adoption des enfans naturels; mais si
le contraire était d é cid é , nous n’hésiterions pas à penser que pas
ijme seule de ces adoptions puisse être refusée. Sous quel pjrétexte le
serait-elle, dès q u ’il serait admis que l’adoption peut être revendi
quée par le père, comme l’exercice d’un droit et même l’accomplis
sement d ’un devoir? Avec un tel système que vont devenir, nous
ne dirbns pas la légitimation par mariage subséquent, mais même
l’institution sacrée du mariage ? — La Cour, nous osons l’espérer,
nc^fMüdra point aojisacrer une doctrine aussi funeste à la morale.
Elle n’a point eu h se prononcer jusqu’ici d ’ une manière déci
sive. L ors de l’arrêt du a/| novembre i 8 i 5 (Sirey, t. 16, t, p. 45),
' il's’a g issa itd ’un refus d’adoptiôn. On s’était pourvu contre l’arrêt
qui constatait ce refus. La Cour déclara le pourvoi non
recevablc,
•et fit très bien selon nous, car il in’y . avait nulle nécessité d’antici
per sur la solution du fond.
�( 51 >
La Cour y était cependant vivement sollicitée parle savant et digne
ch ef du parquet. « Cette audience serait à jamais mémorable* d i« sait ce magistrat, si la Cour pouvait placer du moins incidem« ment ou hypothétiquement dans ses motifs la déclaration du
« principe dont elle est animée. Quel beau jour pour la société!
« quel triomphe pour la morale! etc., etc. »
M. le procureur-général, après avoir rappelé q u e , lors de la dis
cussion du Code au sein du,,conseil d'Etat, le ch ef du gouverne
ment, le second consul, MM. Tronchet et Portalis s’étaient élevés
avec force contre l’adoption des enfans naturels,(ajoute ces propres
paroles : « D e u x conseillers d’Etat, MM. Treilhard et Jaubert,
« in’ont souvent dit : Soutenez, soutenez, celte opinion, elle finira
« par triompher devant tous les tribunaux. »
Son savant prédécesseur, M. Merlin, après s’être élevé de même
contre la doctrine aujourd’hui admise par la Cour de R i o m , ter
mine la lumineuse discussion qui se trouve au Répertoire (v° Adoption) , , p » » i ù u â l ^ r J f e r a n d
_^
é to f^ ç jr ie ijt^ '^ u t^ jjlljj)
sem ble, comme « r e g r e t , humilier sa raison sous le' joug d’y ne
nécessité mystérieuse.
-'
».v '
f
'
« Voilà, je c’r o is, tout ce q u ’on peut dire deVplus fort pour justi« fier les arrêts ci-dessus cités des Ç ^ iy^ d ’appel (^c^ari^^de
« et de Besançon. Il ne manquenflP inffhe rien, M ? ur j u s t i f i S m S \ \
a complète, s’il était bien constant que, dans la discussion du projet
"
Ic^ onAci,i ^
iV | ^
re3^ 2 jÉ \
« laissé entrevoie l’intention de-ne-pas autoriser l’allopnon l e s en« fans naturels Ifou bm ^it recqn iÿs.
. -• <
■
't.r
« Mais, sur ce point, on 1mmWgbrat^va*iri dmen t le recueil inti« tu 16 : Proccs-vcrbal de la discussion du projet d e C od e civil au
« conseil d 'J ït a t..»
Voilà devant quels prétextes s’incline M® M erlin, après avoir,
• v
�& «sb
( 32 )
nous osons le d ire, fait justice complète des argumens que nous
combattons avec lui.
Enfin la majorité, nous dirions presque l’unanimité des auteurs
c o n n u s, ont proscrit l’adoption des enfans naturels reconnus. De
nombreux arrêts aussi sont intervenus sur la question, et ils sont,
il est v r a i , en sens contraire; mais ceux q u ’on peut nous opposer
ont été rendus particulièrement depuis que le silence de la Cour
suprême a été expliqué comme favorable à l’adoption. Ces arrêts
se multiplient. Il est temps qu’un remède soit apporté, et ce re
m ède, nous l’implorons avec confiance de la sagesse de la Cour.
MANDAROUX V E R T A M Y ,
%
Avocat à la C ou r de cassation.
e u m li n i \
ff . do. Ajujdc' à
A "“*" (A ,
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l£ M V M
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IMPR IME RIE DE
M AD AM E POUSSIN RUE
MI GNO N, 2 .
�
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The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
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A name given to the resource
Factums Godemel
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Description
An account of the resource
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A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
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Title
A name given to the resource
[Factum. Boirot De Laruas, Louis-Pierre. 1841?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Mandaroux-Vertamy
Subject
The topic of the resource
successions
adoption
enfants naturels
successions collatérales
généalogie
divorces
Pater is est
accouchement
enfants adultérins
doctrine
adultères
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire pour Louis-Pierre Boirot de Laruas, propriétaire ; contre dame Sophie-Mathilde Boirot, et le sieur Gilbert de Laplanche, son mari ; ladite dame Boirot, fille naturelle et adoptive de demoiselle Pétronille Boirot, décédée épouse Duval.
Annotations manuscrites. « 28 avril 1841, arrêt de la Cour de Cassation, chambre civile, rejette le pourvoi. Journal de la Magistrature et du Barreau, tome 9, p. 290. Sirey, tome 41, p. 273. 16 mars 1843. Arrêt contraire de la chambre civile, après partage. Sirey, 1843-1-177 ».
Table Godemel : Adoption : consommée du vivant de l’adoptant peut-elle être attaquée par des tiers ? l’enfant naturel antérieurement reconnu par sa mère, peut-il, dans la suite, être adopté par elle ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Imprimerie de Madame Poussin (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa 1841
1798-1841
1789-1799 : Révolution
1799-1804 : Consulat
1804-1814 : 1er Empire
1814-1830 : Restauration
1830-1848 : Monarchie de Juillet
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
32 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G2820
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Relation
A related resource
BCU_Factums_G2818
BCU_Factums_G2821
BCU_Factums_G2819
BCU_Factums_G2819
BCU_Factums_G2821
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/6/53576/BCU_Factums_G2820.jpg
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Theneuille (03282)
Bellenaves (03022)
Riom (63300)
Rights
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adoption
adultères
divorces
doctrine
enfants adultérins
enfants naturels
généalogie
Pater is est
Successions
successions collatérales
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07c5ea67f5e53dc9e814536e74a8c0cb
PDF Text
Text
COUR DE CASSATION.
CHAMBRË
MÉMOIRE
POUR
L ouis- P ierre BOIROT DE LARUAS, propriétaire;
CONTRE
Dame S ophie-M athilde B O IR O T , et le sieur GILBERT
DE L A PLA N C IIE, son m ari; ladite dame Boirot,
fille naturelle et adoptive de demoiselle Pétronille
Boirot, décédée épouse Duval.
QUESTION.
L ’enfant naturel, antérieurement reconnu par sa mère, peut-il
être, dans la suite, par elle adopté?
La Cour royale de R iom, dans l’arrêt dénoncé à la Cour, s’est
prononcée pour l’aff irmative . Félicitons-nous que cette importante
question , objet de si vives controverses, soit destinée cette fois à
recevoir une solution, qui fixera les incertitudes de la jurispru
DKS
REQUETES.
M. L E B E A U ,
C onseiller-R apporteur.
�( 2)
dence, car elle ne pouvait se présenter à la Cour posée dans des
ternies plus explicites.
Les laits de la cause sont, du reste, fort simples.
FAITS.
Dix mois environ après un divorce prononcé pour incompatibilité
d ’humeur, Anne-Pétronille Boirot donna le jour à une fille qui fut
inscrite, aux actes de l’état civil, sous le faux nom de Sophie
G ordon, née de père et mère inconnus.
Cet e n fa n t, d ’abord
élevé clandestinement, f u t , quatre ans
après sa naissance, placé dans la maison de sa m ère, et reçut le
nouveau nom de Mcilhilcle.
En 1804, Pétronille Boirot épousa en secondes noces le sieur
Duval. Dans le contrat, réglant les conventions civiles de ce ma
r ia g e , il est d it, entre autres choses,
que la jeune Mathilde,
désignée d’ailleurs comme fd le de Pétronille Boirot, aura, dans la
succession de sa m è r e , les mêmes droits que les erifans à naître
de l ’union projetée.
En 1 8 1 6 , jugement du tribunal de Riom q u i, sur la demande de
Pétronille Boirot, pour lors épouse Duval, ordonne la rectification
de l’acte de naissance de la jeune Malhilde, et qu’aux noms de
Sophie Gordon restent substitués ceux de M athilde Boirot.
J En 1817, mariage de Mathilde lîoirotavec le sieur de Laplanche.
Mathilde reçoit de nouveau la qualification de fille naturelle; puis
elle est gratifiée d ’une institution générale d’héritier, par sa mère,
la dame D u v a l, née Boirot.
Il devait en être de cette institution comme de la clause du
contrat de mariage de i8o/|; la dame Duval avait sans doute ce
�(5 )
pressentiment, quand elle s’est décidée à aviser à un dernier expé
dient, dans le but d’assurer à sa fille la pleine transmission de ses
biens.
L e 9.5 avril i
834 , elle s’est présentée devant
le juge de paix de
son domicile, et y a déclaré vouloir adopter Mathilde Boirot, sa
fille naturelle. Un ju gem ent, depuis confirmé par la Cour royale de
llio m , a accueilli cette adoption. Dans ces deux actes.on attribue
formellement à l’adoptée le titre de fille naturelle de l’adoptante.
L e décès de la dame Duval est survenu peu de temps après. La
prétendue fille adoptive s'est mise en possession des biens dépen
dant de la succession, évalués, dit-on , à /¡oo.ooo fr. environ.
Le sieur Pierre Boirot de L a r u a s , héritier du côté paternel, a
cru devoir réclamer la part de la succession revenant à cette ligne ;
de là la question du procès.
Le tribunal de Gannat a résolu celte question en faveur de l’e n
fant naturel. L a Cour de Riom a embrassé la même doctrine. Nous
nous bornerons donc à donner le texte fie cet arrêt. 11 porte :
« Considérant que l’on ne trouve dans le Code civil, au titre de
« l’adoption, ni ailleurs, aucune disposition prohibitive de la fa « culté d’adopter les enfans naturels par le père et la mère qui les
<( ont reconnus; —
Que l’on ne pourrait donc déclarer que cette
<* faculté a été interdite qu’en admettant une incapacité et une dé
fi fense qui n’ont point été prononcées par la loi ;
« Considérant que c ’est inutilement que l’on prétend, pour éta-« blir cette incapacité, (pie les principes qui déterminent la nature
« de l’adoption s’opposent à ce (pie les enfans naturels reconnus
k puissent en recevoir le bénéfice; — Que l ’on ne retrouve dans le
« Code civil ni les règles ni les défenses du droit romain, et q u ’on
« y chercherait vainement les conditions qui établissaient q u ’on
« a voulu faire de l’adoption une imilation exacte de la nature; —
« Q u e , d’après les dispositions q u ’il renferme, loin de s’identifier
�(*
)
« avec la famille nouvelle dans laquelle il est admis de manière à
« devenir étranger à celle qu’il avait, l’adopté reste, au contraire,
« dans cette dernière, y conserve tous scs anciens droits, et ne l'ait
« q u ’ajouter le nom de l’adoptant à celui q u ’il avait déjà : — Qu’il
n’est pas exact de dire que l’adoption ne confère à l’enfant wa
tt turel rien de plus que ce que lui avait donné la reconnaissance
« faite par son père; que les liens qui l’unissent à ce dernier après
« l'adoption, sont et plus étendus et plus resserrés en même temps;
« — Q u ’à la place d'une filiation naturelle, il s’est établi une filiation
« nouvelle, plus avantageuse et plus honorable aux yeux de la so
rt c i é î é , et que, dès lors, au lieu d’être indiqué dans les actes de
« l’état civil et dans les relations ordinaires de la vie sous le nom
r< de fils naturel, l’adopté ne le sera plus que sous celui de fils
« adoptif;
(t Considérant qu’on ne peut invoquer les articles
((
548
5/|6 , 347
et
du même Code pour en induire la conséquence que si la
« défense d ’adopter les enfans naturels reconnus, n’a pas été faite
« au père ou à la mère de ces enfans d’ une manière expresse, elle
<< se trouve du moins implicitement dans la loi; — Que les expres« sions dans lesquelles ces articles sont conçus n’ont rien qui soit
« exclusif des personnes qui n’y seraient pas indiquées; — Que la
« lo i, qui n’était pas uniquement faite pour les enfans naturels,
« n’a dû s’y occuper que des cas ordinaires, laissant sous l’empire
« du droit commun et de ces dispositions générales, ceux q u ’elle
v n’a pas désignés ; — ■
Q u ’on 11e pourrait donc conclure de la ma« nière dont elle s’est exprim ée, q u ’elle a défendu l’adoption des
« enfans naturels, à moins d ’établir qu’elle a créé une exception
« toute particulière contre celte classe d ’ individus;
«■Considérant que la défense d’adopter les enfans naturels re« connus n’existe pas davantage dans les dispositions du Code civil
« sur la légitimation, qui ne permettent pas de c o n f o n d r e l’une
« avec l’autre; que si, par la première, l’enfant reçoit une vie nou-
�( s )
« velle et des avantages qu’ il n’avait pas auparavant, les rapports
« civils et les droits q u ’il acquiert sont cependant bornés à un
« cercle étroit dans lequel la loi n’a pas restreint l’enfant légitimé,
« qui est considéré par elle comme l’enfant légitime et traité comme
« tel ; — Que l'adoption ne conférant ni les droits ni le titre d’en« fant légitime, on doit nécessairement en conclure q u ’elle ne se
« confond point avec la légitimation, et que, par là même, elle n’est
« pas un moyen détourné d ’appeler l’enfant naturel aux avantages
« d ’une légitimation qui ne peuvent lui être assurés que par le nia
it
riage de ses père et mère ;
« Considérant que l’adoption ayant pour but principal et direct
« de créer un état civil entre l’adoptant et l’adopté, en les unissant
« par des rapports de parenté et de famille, et les droits de succes« sibilité réciproque qui en dérivent n’en étant q u ’une conséquence
* « nécessaire, c’est le Code civil, qui a déterminé les règles de cet
« état et de la successibilité même qui en résulte, qu’ il faut inter« roger pour savoir quels sont ceux qui peuvent être adoptés; —
« Que, dès que l ’incapacité que l’on oppose aux enfans naturels
(( reconnus ne s’y trouve ni d ’une manière expresse ni d’une m a« nière implicite, on ne peut la chercher dans les articles 7 5 6 ,
« 7 5 7 , 908 et autres sur les successions qui n’ont statué sur la
« dévolution des biens que d ’après les principes et les règles pré« cédemment établis sur l’état des personnes, sans aucun retour
« sur ces principes et ces règles auxquels la législation n ’a pas
« songé à toucher; — Que les dispositions invoquées, uniquement
« relatives aux enfans naturels comme celles de l ’article
538 , 11e se
« sont point occupés des enfans qui auraient été adoptés; qu’ainsi,
« pour les entendre et les appliquer sainem ent, il ne faut pas les
« séparer de la qualité des personnes pour lesquelles elles ont été
« faites; que c ’est pour les enfans naturels r e c o n n u s , mais restés
« t e l s , qu’elles ont été créées; que si elles sont prohibitives, ce n’est
« évidemment que des droits qui dépasseraient en faveur de ces
�( « )
enfans ceux qu’elles leur accordent, et non des droits dont elles
ne parlent pas et qui seraient la conséquence d ’une qualité ou
d ’un litre sur lequel elles n ’avaient pas h s’expliquer; — Que ce
serait donc manifestement en étendre l’application et les effets à
des personnes et à des cas auxquels elles n’ont pas pensé, que
d’y voir la défense d ’adopter les enfans naturels reconnus, et de
leur donner par là les droits de successibilité que confère
l’adoption ;
« Considérant qu’on ne pourrait admettre que les dispositions
du Code civil qui bornent les droits des enfans naturels sur la
succession du père qui les a reconnus, renferment la défense, à
ce dernier, de les adopter qu'autant q u ’il existerait entre l’état
d’enfant naturel reconnu et celui d’enfant adoptif, une opposition
qui ne permettrait pas de les confondre en passant du premier
au second ; — Que cette opposilion n’ existe pas; qu’il ne répugne *
ni à la nature, ni à la raison, ni à la loi que des liens de famille
plus étroits, que des rapports civils plus intimes et plus étendus
s’établissent entre le père et le (ils naturel; qu’en usant du béné
fice de l’adoption, le père fait plus q u ’il n’avait fait par la recon
naissance; mais q u ’il ne fait rien de contradictoire à cc premier
acte qui ne pourrait avoir pour effet de l’enchaîner si irrévoca
blement, qu’il lui fût défendu d’améliorer, par les moyens que la
loi indique elle-même, l’état de son enfant;
« Considérant encore, sur les articles relatifs aux droits des enfans
naturels sur la succession de leurs père et m ère, que la loi leur
accorde dons le cas où il n’y a ni enfans légitimes ni héritiers
collatéraux, tons les biens de cette succession ; — Qu’alors l’ inca
pacité, q u ’on fait principalement résulter contre eux, pour l’adop
tion, de la restriction apportée h leurs droits sur ce point, d e v r a i t
nécessairement disparaître, puisque la base fondamentale donnee
à cette incapacité n’existerait p l u s ; — Qu’il faut donc conclure
de cette application de la loi , dont la justesse n e peut être con-
�(7 )
« tcslée, que des prohibitions, qui ne sont ni générales ni abso« lues, ne peuvent renfermer la défense que l’on veut en faire
« résulter;
« Considérant que l’argumentation que l’on a tirée contre l’a« doption des enfans naturels reconnus, de l’article 9 11 du Code
« civil, 11e présente pour raison de décider que la question même
t( q u ’il s’agit de résoudre ; — Qu’en admettant, en effet, q u ’on pût
« faire l'application des dispositions q u ’il renferme à un contrat
« aussi solennel que l’adoption, il faudrait toujours démontrer l’in« capacité de l’enfant naturel reconnu h être admis au bénéfice de
« l’adoption par ses père et mère ;
« Considérant que l'article
366 du
Code civil qu ’on a également
<t invoqué en le rapprochant des articles 90S et g i 1, établit dans le
« cas tout particulier qu’il prévoit, non une manière nouvelle de
« donner ou de transmettre par testament les biens de l’adoptant à
« l’adopté, mais bien un mode nouveau d’adoption que réclamaient
« l’intérêt de l’enfant et la position dans laquelle pouvait se trouver
« placé celui qui voudrait l’adopter; que si, alors, l’enfant acquiert
« des droits de successibilité sur les biens de ce d ern ier, c’est par
« une suite naturelle et nécessaire de l’adoption exceptionnelle
« dont il a été l’objet, et non parce que le testament où elle se
« trouve renferme en sa faveur une disposition de ces biens; —
« Qu’on ne pourrait donc lui appliquer les dispositions des ar« ticles 908 et 9 1 1 , et que ce serait encore la question de savoir
« s’il a pu être adopté ;
« Considérant enfin q u e s i , m algré le silence de la loi et la g é « néralité de ses dispositions , on proscrivait l’adoption des enfans
« naturels par le père et la m ère q ui les ont re c o n n u s , on n ’aurait
« aucun m o ye n , s a u f le pouvoir discrétionnaire des tr ib u n a u x , de
« prévenir celle des enfans naturels non re co n n u s, ou celle des
« enfans adultérins, in c e s tu e u x , dont l’origine ne serait pas attestée
�(8)
« par des faits incontestables; — Que s’il était immoral cependant
u de permettre l’adoption des enfans naturels reconnus , il ne le so« rait pas moins de laisser la liberté d ’appeler, par des moyens dé« tournés , ceux qui n ’ont pas été reconnus ou même ceux qui ont
« une origine plus vicieuse, au bénéfice de l’adoption, et q u ’il
« serait tout à la fois inconséquent et injuste de repousser sur ce
« point les premiers, parce que leur naissance est connue, et d ’ac« cueillir les seconds, parce que la leur est ignoi’ée; — Q u’on ne
« peut opposer, pour justifier une semblable distinction, que les
« enfans naturels non reconnus sont dans le sens légal des étran« gers aux yeux de la loi et de la justice ; — Que le vice de leur
u naissance n’est pas moins réel, pour n’avoir pas été révélé; —
« Que c’est non de l’ignorance où l’on peut être de cette origine ,
k niais de son existence même que l’incapacité qu ’on en fait ré« sulter, dépend; — Q u ’il arrivera néanmoins journellement que
« les enfans qui en sont frappés éluderont les dispositions probi« bitives de la lo i, par cela seul que le secret de leur naissance
« aura été soigneusement c a c h é , tandis que ceux qu’on aura re« reconnus en subiront toutes les rigueurs ; — Q u ’un système qui
« se prêterait si aisément à la violation de la loi et qui consacrerait
« des effets si contraires h la raison et à une exacte justice ne peut
« être admis ;
« Adoptant au surplus et sur les autres questions q u ’a présentées
« la contestation les motifs des premiers juges ;
« L a Cour a mis et met l’appellation au néant; ordonne que le
« jugem ent dont est appel sortira son plein et entier effet, et cou« damne l’appelant à l’amende et aux dépens. »
Cet a rrê t, suivant nous, a faussement appliqué l’art.
5/|3
du
Code c i v i l , et il a formellement contrevenu aux dispositions des
art. 757 cl yo8 du même Code. Telles sont les deux propositions
que nous avons à justifier.
�(9)
DISCUSSION.
On a dit de l’adoption q u ’elle était une imitation de la nature.
Nous répondons hard im ent q u ’elle en est à coup sûr une imitation
pâle et décolorée. Elle se glissa dans nos lois en 17 9 2. Nous
n’avons pas à en re ch e rch e r la raison ; mais on peut dire q u ’asse/.
étrangère à nos m œ u rs, elle a fini par se trouver réduite à ce q u ’elle
doit être
le don irrévocable de la succession.
L ’adoption n’est
rien de plus, selon n o u s , q u a n t au fond des ch ose s, et pour peu
q u ’on veuille écarter la m agie des mots.
Assurém ent nous n’entreprendron s pas de faire l’historique de
celte instituton appliquée au p eup le de R o m e . T o u te fo is , p u is
qu'elle a été présentée parm i nous com m e ayant sa principale source
dans les lois r o m a in e s , nous croyons utile de m ettre sous les yeu x
des m agistrats un exposé som m aire d e celte législation , relative
ment au point de vue q ui nous occupe.
L a question de savoir si l’enfant naturel pouvait être adopté par
ses père et m ère fut agitée et diversem ent résolue sous la législation
romaine.
L’adoption , ch ez les R o m a in s, était une imitation de la nature.
u Elle a clé im a g in é e , dit T h é o p h ile , com m e un m o ye n de con
s o l a t i o n p our ceux auxquels la nature a refusé le b onh eu r d’avoir
des t-ulans, ou q ui ont eu le m alh eur d e les perdre. »
De cette idée semblaient décou ler deux conséquences :
La p r e m iè r e , que celui qui avait déjà une postérité, soit c iv ile ,
soit naturelle, m;us néanmoins constante, 11e pouvait pas a d o p te r;
la loi romaine cependant n ’allait pas j u s q u e -là ; seulement elle d i
sait : N on débet quis p lu ies adrogarc nisi ea ju s ta causa (D. de
5
J d o p t . , I. * , §
5).
2
�( 10 )
La deuxième conséquence était que le père ou la mère ne pou
vait pas adopter, soit un (ils légitime, soit un fils naturel; cai
l’adoption était destinée à suppléer la nature, :r>ais nullement :•
resserrer des liens que la nature aurait déjà formés.
Ce dernier [joint nous paraît avoir été positivement admis par
le droit romain ; on trouve au Digeste des textes qui prouvent
cette vérité. Ainsi , la loi
de Adopdonibus dispose : eurri quem
qv.is adoptant t em ancipatum v eiia adoptionem datum non potest
adopiare.
Aucun autre lexte à notre connaissance ne contredit celui de
la loi ci-dessus.
On a prétendu le contraire. INI. Duranlon, tom.
3 , n. 293, a émis
l’opinion que la loi romaine permettait d’adopter son lils naturel,
et ce jurisconsulte s’est fondé sur la loi 46, au Digeste de ddoptionibus, ainsi conçue :
[ n seivitute me a qucesitu.s m iki fdius in polestalem m eam rédige
beneficio principis p o test, liberlinum t'ameri eam manere non
dubitatur.
On peut se demander si ce n’est pas de l’adoption p er legilimationem q u ’il est question dans cette loi. L ’aiTirmative, soutenue
par M. le procureur général près la Cour lie cassation, dans une
cause 011 il combattait l ’adoption de i’enfant naturel, est encore
corroborée par le texte des Novclles "/| et 8g.
Mais il est une autre réponse a faire à l’argument tiré de la
loi 4 6 , au D- de A d op t. Si l’esclave, devenu libre, peut, d ’après
cette loi, légitimer ou même adopter le fils qu’ il a eu dans l’escla
vage, c ’est que la loi romaine ne considérait pas l’esclave c o m m e
père; elle 11e reconnaissait point la paternité servile : le
père
e s c l a ve
était à peu de chose près réputé étranger.
Donc, suivant la législation du Digeste, un père ne pouvait adopter
son fils naturel quand la paternité et la filiation étaient légalement
�( U
)
constantes. ' Ces principes ont-ils été modifiés par la législation du
Code et des Novelles? Il est facile de s’assurer que non.
Des auteurs ont prétendu que l’empereur Anastnse avait d ’une
manière générale autorisé l’adoption des enfans naturels. Cette
assertion n’est q u ’une erreu r, et voici les faits qui ont pu l’accré
diter.
De telles adoptions avaient eu lieu dans des temps antérieurs à
An aslase, et elles avaient été confirmées p r l'empereur Zénun
(N Welle 8 a, quibus mollis naluralis ejftciantur m i).
Anastase (Cad. de naturalibus Liberis) avait décidé que ceux
q u i, n’ayant pas d ’erfans légitimes, vivaient dans le concubinage,
avaient 011 auraient à l’avenir des enfans issus de ce commerce,
les auraient sous leur puissance comme siens 3 et pourraient les
investir de leurs biens, par dernière volonté, par donation, ou
par tout autre mode de la loi. Il avait étendu le bénéfice de cette
constitution aux fils et filles déjà adoptés par leurs pères.
En ce qui concernait ces derniers, la constitution avait pour
objet de respecter des faits accomplis, beaucoup plus que d’auto
riser de telles adoptions pour l’avenir. Cependant elle fut inter
prétée dans ce dernier sens, et il est vrai de dire que depuis la
constitution d’Anastase comme antérieurement, on avait vu des
pères adopter leurs enfans naturels.
L ’empereur JuMicn voulut arrêter ce désordre, et ramener à
les principes plus sains : par la loi 7, Cod. de naturalibus, il
îonfirma d ’une manière générale
la constitution d ’Anastase en
'.c qui concernait les droits acquis. Il excepta seulement du bénéice de ses dispositions les fruits de l’inceste et de l’adultère ,
lefarium et infestum conjugium . Quant aux simples enfans na
turels, il déclara maintenir de telles adoptions, touché, disait-il,
d’une compassion dont n’étaient pas indignes qui vitio non suo
�( 12 )
Toutefois il eut soin d’ajouter : i n posterum vero sciant omnes,
legitimis matrimoniis legitim am sibiposteritatem quæ rendam , non
adrogationum vel adoptionum pretextus ; quæ u l t e r i u s minime
feren d œ sunl.
On peut lire cette constitution. Les termes en sont remarquables;
l’empereur appuie ses prescriptions, non pas sur les principes qui
régissaient la famille rom aine, et qui, nous en convenons, ne sont
pas tous applicables de nos jours; mais il les appuie sur les règles
de la m orale, et celles-là sont éternelles. Il ne veut pas que par un
subterfuge blâmable on prenne la qualité de père, lorsque la loi
s’y refuse.
3
L ’empereur Justinien ( Novelle 7 4 , ca p.
, de Legilim alione
p e r a d a p lio n em ) déclara expressément maintenir la constitution
qui précède.
8
Néanmoins, comme l’empereur Justin ( JSovelle g ) , il conserva,
seulement pour le passé, la constitution de l’empereur Zenon, ut. illos
quibus ea forte constitutio prodest, non h a c utilitate privaremus ;
il agit de même et par de semblables motifs h l’égard de celle de
l’empereur Anastase, déclarant au surplus approuver la constitution
de son père adoptif.
Non content de ces dispositions si formelles, il ajoute : N ovellc 89 ,
Quibus modis naturales cfficiuntur s u i, e t c . , cap. X I , § 2 ;
adoptionis aulem modum qu i f u i t olim a quibusdam ante nos
im peratoribus super naturalibus probatus non improbus t inve
nientes, secundum
paterna constitutonis virtutem, et nos sicuti
dictum e s t , encladim us , quoniam castitatem non perfecte consideravit et non erit dolens ut quæ
bene
e x c lu sa
su in t
, in rempu-
blicam rursus introducantur.
T el e s t , nous
le croyons du moins , l’historique fidèle de
la législation romaine sur la question soumise en ce moment ¡1
la Cour ; c ’est au nom de la morale, au nom de la décence, que
�( 13 )
les empereurs Justin cl Justinien ont proscrit l’adoption des milans
naturels; ils n’ont pas voulu q u ’elle pût devenir un prétexte pour
introduire des étrangers dans la famille ; enfin ils n’ont pas voulu
qu’on couronnât, par une adoption q u ’ils vont ju sq u ’à qualifier
A'absurde , des désordres qu’ils appelaient fla g itia .
Peut-on établir que lorsque l ’adoption a é t é admise dans noire
droit, il y ait eu la moindre pensée de dérogation aux règles qui
p r é c è d e n t ? C ’est ce que nous devons rechercher. Dans une question
de celte gravité, on nous permettra de jeter un coup d ’œil sur
l’historique de cette institution parmi nous. L es magistrats de la
Cour ne verront, nous l’espérons, dans ce soin, que le simple
désir de ne rien omettre.
On sait à quel propos l ’adoption fut tirée du droit romain pour
prendre place dans nos lois.
L e 18 janvier 1 7 9 2 , l’assemblée législative avait décrété que
son comité de législation comprendrait dans son plan général des
lois civiles* celles relatives à l’adoption.
Le 16 frimaire an
5,
la Convention nationale, à l’occasion d’une
difficulté qui lui était soumise par un ju ge de paix, déclara que l’a
doption avait été solennellement consacrée, et q u ’elle assurait un
droit dans la succession de l’adoptant. Voilà tout ce qui fut fait à
cette époque, nous négligeons les détails inutiles.
Les lois du temps avaient admis le principe de
l’adoption ;
mais elles n ’étaient pas allées plus loin ; aussi lorsque les rédac
teurs du Code civil abordèrent cette matière, ils n’avaient d’autre
précédent, on peut le d i r e , que les constitutions des empereurs
Justinet Justinien. Ces constitutions, on le sait, prohibaient, comme
a b su rd e, indécente et im m orale, l’adoption des enfans naturels par
leurs père et mère.
Un premier projet d'adoption fut présenté au conseil, le 6 frimaire
<m 10 ; 011 y agita la question de savoir si l ’adoption serait une
�i f {S
( 14 )
institut ion politique, une faveur accordée par exception à la loi
commune,;» titre de récompense, aux citoyens qui auraient rendu
de grands services à l’E t a t , ou si elle serait au contraire une insti
tution de droit commun : ce dernier parti obtint la préférence.
Le projet présenté fut l’objet de nombreuses critiques; on lui
reprochait, notamment, de ne pas interdire l’adoption des enfans
naturels, de l’autoriser p a rle silence, et d ’éluder ainsi les dispo
sitions de la lo i , qui réduisaient cette classe d ’enfans h une simple
créance sur la succession de leurs père et mère.
Ces objections reproduisaient le fond des idées de la loi romaine.
iVl. L o c r é , qui était, à ce q u ’il paraît, contraire à la prohibition,
a produit plus lard , à l’appui de sa propre opinion, de prétendus
procès-verbaux non imprimés des séances du conseil d’Etat, et il
a induit de la teneur de ces documeiïs qu'il n ’y avait eu de prohi
bition convenue qu'à l’égard des seuls célibataires; mais q u e , pour
l’homme marié, la prohibition ne lui serait point applicable. C’était
une singulière distinction à notre avis. ¡VI. Locré a soutenu néan
moins qu ’elle avail été ainsi comprise.
E nfin, a-t-il dit, une rédaction nouvelle fut présentée le ] f\ fri
maire; elle contenait un article ainsi conçu : « Celui qui a reconnu
i< dans les termes établis par
la loi un enfant né hors mariage.
*
O ’
« ne peut l’adopter ni lui conférer d ’autres droits que ceux qui ré« sultent de celte reconnaissance; mais, hors ce ca s, il ne sera
« admis aucune action tendant à prouver que l'enfant adopté est
« l’enfant naturel de l’adoptant. » O r, cet article, qui interdisait,
ajoute-t-on, implicitement du moins, l'adoption des enfans naturels
reconnus,, ayant été repoussé, il est permis de conclure que de
telles adoptions sont restées permises.
Tel est le fond du système de M. Locré. Nous n’en parlons q u a
cause du crédit qu’a pu lui prêter la position toute spéciale de son
�( '«5 )
auteur. Nous répondons à ce système q u ’en admettant l’existence
très contestable de ces procès-verbaux , en admettant mênii' leur
lbrce probante, ce qui est encore très contestable, on est toujours
en droit de se demander d où vient que 1 article en question a été
repoussé. E s t-c e
comme trop rigoureux, ainsi que le prétend
M. L o c r é ? Est-ce tout simplement comme superllu, ainsi que le
soutient M. Favard de Langlade?
Cette dernière opinion nous paraît la plus admissible.
Quoi qu’ il en soit, le premier projet avait été critiq u é, parce
q u ’ il gardait le silence sur l’adoption des enfans naturels reconnus.
Les critiques furent renouvelées; le l\ nivôse, M. Tronchet fil la
proposition formelle d’exclure de l’adoption les eafans naturels re
connus; M. Portalis proposa de garder le silence sur ces adop
tions, et l’on doit convenir que le silence ici était très suffisant.
Les travaux furent suspendus et repris le 27 brumaire an 11 ;
les divers projets fnrent de nouveau débattus, et, dans cette même
séance, M. Treilhard , au sujet des enfans naturels, fit entendre ces
paroles remarquables : S 'ils sont reconnus , ils ne peuvent être
adoptés; s'ils ne le sont p a s, leur origine est incertaine.
Cette opinion ne fut combattue par personne ; elle fut pleine
ment embrassée par M. Mallcville : J e suis convaincu, ajouta ce
judicieux magistrat, que si la paternité a été reconnue, les ju g e s
ne peuvent n i ne doivent admettre l'adoption. (Favard de Langlade, Répertoire de législation, v° Adoption, section 2 , § i ,r.)
Après de iongues discussions, dans lesquelles des opinions sou
vent opposées se croisèrent et se com battirent, opinions dont
nous n’avons dû produire que le court a b r é g é , la loi du 29 ger¡niiii.i an 1 1, tit. 8 du liv. 1 " du Code civil, sur l’Adoplion, fut
adoptée et publiée le 12 du même mois. Les assertions de M. Locré
tombent, à notre avis, devant ces explications comme aussi devant
l’économie de la loi, car elle organise l’adoption de manière à la
�( ™ )
rendre incompatible avec les dispositions qui règlent le sort de
l’enfant naturel reconnu.
Observons q u e , depuis le 18 janvier 1792 jusqu’au 12 germinal
an 11 , un grand nombre d ’adoptions avaient eu lieu , avec des
formes et dans des conditions diverses, sans régularité, capri
cieusement, comme dans les temps antérieurs aux empereurs Justin
et Justinien. Il fallait régler le sort de ces adoptions. Ce fut l’objet
de la loi des a
5 germinal, 5 floréal an
11.
Celte loi, dans son article premier, dispose : « Toutes adop« tions faites par actes authentiques, depuis le 18 janvier 1792 ,
« ju squ’à la publication des dispositions du Code civil relatives à
« l’adoption, seront valables, quand elles n ’auraient été accompa« gnées d’aucune des conditions imposées depuis pour adopter et
« être adopté. •
Elle peut êlre comparée aux constitutions des empereurs Justin
et Justinien; celles-ci maintenaient les adoptions faites avant ou
depuis les constitutions de Zénon et d’Anastase, par respect pour
des droits acquis, et tout en flétrissant l’origine des droits q u ’elles
conféraient. La loi des a
5 germ inal, 5 floréal an
1 1 , maintint de
même les adoptions faites depuis le 18 janvier 179 2 , par respect
aussi pour des droits acquis, et sans méconnaître que l’origine de
ces droits se trouvait en opposition avec les principes du nouveau
Code. Ce point est tellement incontestable, q u ’une jurisprudence,
à peu de chose près un iform e, déclara, par la suite, valables,
comme faites depuis le 18 ja n vier 1792 : i° l'adoption d ’un enfant
naturel reconnu; 2° l’adoption par un individu ayant des enfans
légitimes;
3° l’adoption d ’un enfant adultérin
par son père ou sa
mère. Cour de cassation, 24 novembre 1 8 0 6 ,— 24 juillet 1 8 1 1 , —
3
2 décembre 1 8 1 6 , — 9 février 1824.
Toutefois la législation devait tendre à s’épurer, et le nouveau
Code devait, à l’instar des constitutions de Justin et Justinien,
tendre h faire cesser le désordre; pour cela, il fallait repousser, d u
�Cw
)
moins, form a negandi l’adoption des enfans naturels reconnus.
G est, selon nous, ce qui a eu lieu.
Tel a été, pour noire législation, le résumé historique de l’adop
tion; quant aux enfans naturels reconnus, nous avons cherché à
le donner avec le plus de concision possible, tout en désirant
néanmoins le présenter complet.
Passons maintenant h l'examen des textes de la loi, c’est-à-dire
aux moyens de cassation.
Les auteurs qui ont embrassé la doctrine de l’arrêt de Riom ont
été subjugués, on peut le dire, par celte idée unique, q u ’aucune
disposition, dans le Code civil ou ailleurs, ne prohibant l’adop
tion, admettre cette prohibition, serait établir une incapacité qui
pourtant n’est prononcée nulle part. C’est là tout le fond de leur
système.
Nous convenons que nulle part on ne rencontre une disposition
qui interdise littéralement l'adoption des enfans naturels ; mais
est-il vrai qu’on puisse affirmer, d’une manière absolue, que les
actes qui ne sont pas littéralement défendus par la loi sont par
cela même permis? A in si, pour ne pas prendre des exemples en
dehors de notre sujet, la loi n’ a sûrement dit nulle part que les
enfans incestueux ou adultérins ne pourront être adoptés, et ce
pendant les auteurs, sans exception, ne décident-ils pas q u ’une
telle prohibition est plus qu’évidente? C’est que la loi se borne à
indiquer la règle et à poser les principes ; ensuite elle laisse à ses
interprètes le soin d’en déduire les justes conséquences. Comme le
dit avec raison, sur ce point, l’arrêt de R iom , la loi s’occupe des
cas ordinaires, puis elle laisse sous l’empire du droit commun et
de ses dispositions générales ceux q u ’elle n’a pas pris la peine de
spécifier.
Cela posé, si l’on parvient à démontrer que le but de l’adoption
et les principes qui la régissent, que le droit commun et les dispo
�sitions générales du Code en celte matière répugnent à l'adoption
de l’enf’ant naturel reconnu, si l’on rencontre enfin dans le Code
d’autres dispositions tout-à-fait inconciliables avec l’idée d ’une
pareille adoption, il faudra décider que la prohibition existe, tout
aussi bien que si elle était littéralement écrite dans le Code; car
tenir alors pour la prohibition, c’est tout simplement demeurer
fidèle à l’esprit de la législation, et s’incliner devant l’autorité de
la maxime si souvent appliquée, p ro erpressis habentur qnœ ne*
eessario descendant ah expressis.
Jetons un coup d’œil sur quelques dispositions générales.
On a répété pour le Code civil, d ’après le droit romain : L ’adop
tion est une imitation de la nature, sinon complète, au moins aussi
exacte qu'il a été permis de l’imaginer. Partant de ces idées, l'a
doptant doit être plus âgé que l’adopté; en principe, il doit avoir
quinze ans de plus (C o d e c i v i l , art. /f ,
), c ’est-à-dire l’âge
5 3 345
rigoureux de la puberté. De même, nul ne peut être adopté par
plusieurs personnes; ces dispositions sont calquées sur les lois de
la nature sur le développement de la puberté, sur les conditions
physiques requises pour être père et m ère, enfin sur celles de la
paternité et de la filiation qui sont une et indivisible.
Dans le Code civil comme dans le droit romain, l’adoption est
envisagée comme une consolation offerte à ceux qui n’ont jamais eu
d’enfans, ont perdu les enf’ans q u ’ils avaient et n'ont plus l’espoir
d’en avoir d ’autres. L e but de l’adoption est de suppléer au défaut
de la nature, bien plus encore que de créer, ainsi que l’a prétendu
la Cour royale de Uiom , un état qui lie l’adoptant à l’adopté, en les
unissant par des rapports de parenté et de famille.
Cela est si vrai que les art.
345 et 56 1
du Code civil d é c l a r e n t
q u e, soit pour adopter, soit pour être tuteur oflicieux, il faut u’avoir ni enfaus ni descerulans légitimes. A la vérité, la loi se sert
des mots enfans légitim es, expression qui, d ’une part, ne contredit
�( -19 )
nullement l'adoption de l’enfant naturel reconnu, et qui, de l’autre,
semble autoriser le fait d’adoption envers un étranger en cas
d ’existence d’ un enfant naturel, issu de celui qui veut adopter.
Cependant il est douteux qu ’une adoption quelconque pût être
permise à celui qui a déjà un enfant naturel reconnu. M. Berlier, lors
de la présentation au corps législatif du titre de l’adoption, se servit
simplement du mot e n ja n t, sans ajouter de qualification; il est
donc permis de penser que les mots enfans légitimes, dans les ar
ticles précités, signifient enfans dont la filiation est constante ;
d’ailleurs personne n’oserait dire que ceux qui n’ont q u ’un enfant
naturel reconnu aient besoin de demander à la loi la consolation
d’ une paternité fictive. Quant à la question d ’adoption par rapport
à ]’e::fant naturel, nous dirons que M. Delvincourt, t. 1, p. 99 et
5
ü a , définit l’adoption : un acte civil qui établit entre deux per
sonnes des rapports de parenté et de filiation qui n’existaient pas
naturellement; que M. Favard d e L a n g la d e , Répert. de législ., \°
Adoption, f° 2, § 1, la définit : le choix pour enfant de celui qui
n’est pas tel par la nature.
La C o u r royale de R iom objecte q u e , d ’après les dispositions du
Code c i v i l , loin de s’identifier avec la famille nouvelle dans la
quelle il est a d m is, l’adopté re ste, au contraire, dans sa famille
naturelle, y conserve scs d ro its , et ne fait q u ’en a cq u érir de nou
veaux, q u ’il ajoute à ceux q u ’il possédait déjà.
Cela est v r a i, sans doute; mais le Code civil n’en suppose pas
moins que l’adopté a déjà sa propre famille; que sa famille n’est
pas la même que celle où l’adoption va le faire entrer; le Code
parle de père et mère naturels, et impose l’obligation de rapporter
leur consentement à l'adoption (art.
546 );
de plus il dispose que le
nom de l’adopté viendra se joindre à celui de l’adoptant (art. 5 4 7 );
enfin que l'adopté restera dans sa famille naturelle, et y conservera
fses droits.
�( 20 )
Si on essaie d’appliquer ces diverses dispositions à l’adoplion
d’un enfant naturel déjà reconnu, on trouvera i° que la mère qui
doit consentir à l’adoption est la même que celle qui demande
à adopter; 20 que le nom de l’adopté est précisément celui qu’ il a
reçu de la personne même qui va l’adopter;
3° que
le nom d ’adop
tion est celui de la famille à laquelle appartient l’adopté, et. que
cette famille, où il est déjà, est encore celle où pourtant l’adoption
a pour objet de le faire entrer. Ainsi la mère naturelle va devenir
la mère adoptive; le nom de famille que l’on porte déjà deviendra
un nom d’adoption, et la famille où l’on est déjà aussi va se trans
former en famille d’adoption. L e Code a-t-il voulu consacrer de
pareilles anomalies? Une adoption, faite dans de telles conditions,
ne présente-t-elle pas, légalement parlant, une véritable confusion,
une sorte de monstruosité, m ultam absurditatem h aben s, comme
disait Justinien ? N’est-il pas permis de conclure que si les rédac
teurs du Code civil ont supprimé un article qui avait pour unique
objet de repousser de pareilles étrangetés, c’est q u ’ils trouvaient,
dans l’ensemble de la loi, au titre des successions, tout ce qui était
nécessaire pour les réputer proscrites ?
On fait valoir q u ’en proscrivant l’adoption des enfans naturels, à
cause du.fait antérieur de sa reconnaissance, on enlève le moyen
d ’empêcher l’adoption des eniàns naturels non reconnus, fussent-ils
des enfans adultérins ou incestueux, et l ’on ajoute que s’il est con
traire à la morale que l’adoption des enfans naturels reconnus soit
autorisée, il l’est bien plus assurément de laisser une telle latitude
à l’égard des enfans non reconnus, qui ne seraient pas suscep
tibles d ’être avoués. Enfin qu’il y a de l’inconséquence à repousser
l’adoption pour les uns, parce que leur origine est constante, quand
on l’admet par rapport aux autres, par cela seul que la leur est
incertaine.
On ajoute encore q u ’il ne suflit pas, pour justifier une pareille
distinction faite entre personnes d’une origine é g a l e m e n t vicieuse,
�(21 )
d ’iilléguer que l’enfant naturel non reconnu est, dans le sens légal,
un étranger h sa famille; que le vice de la naissance n’en est pas
moins réel, quoique non révélé; que ce n’est pas de l’ignorance
où l’on peut être des rapports qui lient l’enfant et le père naturel
que naît l’incapacité, si cette incapacité existe, mais q u ’elle tient au
fond des choses; d’où il suit que l’adoption de l’enfant non reconnu
n'est ni plus ni moins vicieuse que celle de l’enfant reconnu, et
que si l’on ne peut arriver à proscrire l’une, on ne doit pas tenter
de proscrire l’autre Í
De tout quoi on conclut q u ’un système qui se prêterait si aisé
ment à de telles contradictions, et consacrerait des résultats à la
fois si contraires h la raison et à la justice, ne peut manquer d ’être
repoussé.
La réponse à toutes ces espèces d ’objections se trouve dans ce peu
de mots prononcés par M. Treilhard à la séance du 27 brumaire
an 11 : Les enfans naturels, s'ils sont reconnus, ne peuvent être
a dop tés y s’ ils ne le sont p a s , leur origine est incertaine.
A in si, l’enfant naturel reconnu ne peut être adopté par celui
qui l’a reconnu, précisément à cause de cette reconnaissance,
précisément parce qu’à cause d’elle la parenté et la filiation sont,
aux yeux de la loi, devenues constantes, d’ignorées qivelles étaient.
Voilà pourquoi, dans un tel cas, les magistrats peuvent se refuser
et doivent le faire, à consacrer une adoption qui établirait une
double paternité, une double maternité, une double filiation entre
les mêmes personnes.
Il n’en est pas de même quand il s’agit d’enfans naturels non
reconnus. Aux yeux de la loi, leurs père et mère sont incertains.
Eux-m ême sont, par rapport à la famille à laquelle ils appartien
nent, réputés étrangers, advenœ, comme disait Justinien, ce
q u ’admet sans doute le Code civil, qui ne leur accorde en pareil
«as aucun droit successif, pas même un droit aux alimens.
�4A :"\
( 22)
Voilà tout le secret de ces prétendues inconséquences, de celle
injustice et de cette immoralité qui semblent offusquer si vivement
les magistrats de la Cour royale de Riom. Dans un cas, il y a ori
gine avouée reconnue par la loi. D ’un côté, il y a un enfant naturel,
de l'autre le père naturel, le père reconnu et avoué de ce même
enfant. Dans l’hypothèse contraire, la filiation est incertaine; il n'v
a de certain que le fait de bâtardise; quant à savoir quel est le
père de l’enfant, légalement parlant, il est inconnu.
Il est donc certain que l’enfant naturel reconnu ne peut passer
de cet état à celui d ’enfant adoptif. Ces deux qualités s’entrecho
quen t, et rien n’autorise à penser qu’il ait été dans l’esprit du lé
gislateur q u ’elles aient pu se confondre dans la même personne.
Il y a mieux ; il répugne à la ra iso n , il répugne à la lo i, que
des liens de famille plus étroits, que des rapports civils plus in
times qu’une filiation à un nouveau titre puissent s’établir entre
la mère et l’enfant reconnu. Disons même qu’en appelant à son aide
l’expédient de l’adoption, la mère qui a précédemment reconnu
l’enfant naturel q u ’elle veut s’attacher à titre d ’adoptante, fait quel
que chose de visiblement contradictoire avec son premier a c te , et
ce premier acte, elle ne peut cependant le révoquer.
Poursuivons le cours de la discussion.
L ’adoption a pour objet, dit-o n , de conférer à l’enfant naturel
quelque chose de plus que ce que lui avait donné la simple re
connaissance; les liens qui l’unissaient à sa mère vont devenir
plus étendus et lui créer de nouveaux droits; à la place d ’une
filiation naturelle, il va s’établir une filiation différente, plus avan
tageuse aux intérêts de l’adopté. C’est le langage de la Cour royale
de Riom ; elle aurait pu ajouter que celle filiation va conférer à
l’adopté l’aptitude à succéder, aptitude que sa qualité d ’ e n f a n t na
turel semblait exclure à jamais, sauf le cas de légitimation.
Puis la Cour ajoute que l’adoption n’est point une voie de Irans*
�(23)
mission des biens, mais au contraire un acte qui change l'état
civil de l’enfant naturel et le place dans une condition sociale plus
élevée; qu’à la vérité cet acte exerce une influence sur les droits de
successibilité en faveur de l’adopté, mais que c’est un effet secon*
«faire qui ne peut altérer le caractère principal de l’adoption, en
core moins la faire proscrire à l’égard de l’enfant naturel quand un
pareil changement d ’étal n'est prohibé par aucune disposition de loi.
A cette théorie, suivant nous purement subtile, nous ferons les
réponses suivantes. L ’adoption a quatre principaux effets :
i° Elle confère à l’adopté le nom de l’adoptant. C. civ., 347.
Or l'adopté, c ’esl-à-dire l'enfant naturel reconnu, porte déjà le
nom q u ’il va être question de lui concéder.
y.° L ’adoption établit entre l’adoptant et l’adopté l’obligation de
se fournir des alimeiib. C. civ.,
349-
Or cette obligation existe déjà du père à l’enfant naturel, par le
seul fait de la reconnaissance; l’adoption, sur ce point, n’ajoute
rien «le plus, et ne diminue rien au caractère île l’obligation.
3° L ’adoption
rend tout mariage prohibé entre l’adoptant et l’a
dopté. C. civ., 348.
Cette prohibition existant déjà, d est inutile de la créer.
Reste le quatrième et dernier effet de l’adoption. Elle rend l’a
dopté habile à succéder à l’adoptant aussi pleinement que s’il
était né en mariage. C. c i v . ,
35o.
Nous convenons, par exem ple, que celte capacité n’existait pas
au profit de l’enfant naturel avant l’adoption, et nous a j o u t o n s
même que la foi ¿veillait activement à ce qu’elle 11e lui fût point con
férée par des voies indirectes.
Voyons si tel n’a pas été cependant le but et l’eflet de l’adoption.
E lle, q u i , dans les cas ordinaires, est destinée a produire
quatre effets principaux, n’en produira ici qu’un seul, et e’esl
justement celui que la loi prohibe avec le plus de sévérité, puis-
�qu’elle porte ses prohibitions jusques sur les institutions directes,
indirectes, ou par interpositions de personnes.
On se borne à dire qu’en cas d ’adoption, la transmission des
biens ne doit plus être considérée que comme un effet secondaire,
lequel ne peut influer sur la cause qui l’a produit, c’est-à-dire sur
l’adoption. Nous répondons que la cause et l’effet se touchent par
les côtés les plus intimes; et si le résultat que l'adoption amène à
sa suite est inadmissible, c'est que la cause elle-même l’est aussi.
En fait , l’adoption n ’a dans ce cas spécial d’autre but que d’as
surer la transmission des biens; c’est, au surplus, en général, son
caractère dominant. Le premier c o n su l, après avoir échoué dans
son projet d’assimiler l’adoption à la nature, au point que l’adopté
devînt étranger à sa propre famille, proposait de ne donner à l’a
doption d ’autre effet que celui d ’opérer une addition de nom et une
transmission de biens, sans déranger les rapports formés par la na
ture entre l’adopté et sa. famille naturelle. C ’est l à , suivant nous,
l ’idée qui a prévalu?
Ici l’adoption de l’enfant naturel doit donc être envisagée eu égard
au seul effet qu’elle a produit , le seul d ’ailleurs q u ’on ait voulu
obtenir; et, en revenant sur les faits de la cause, on peut ajouter
que c’est vers ce but unique que la dame Boirot a marché obsti
nément.
Ce b u t, c’était la transmission de ses biens. L a loi autorisaitelle cette transmission? Voilà toute la question. Un autre coup
d’œil jeté sur quelques autres dispositions du Code suffira pour
compléter la démonstration.
Le Code régie avec soin le sort des enfans naturels; il prend un
terme moyen entre une sévérité ou une indulgence e x c e s s i v e s ;
il refuse aux enfans naturels la qualité d ’héritiers, et ne leur
accorde de droits (pie sur les biens de leurs père et mère décédés.
Ces d ro its, sans changer de nature, varient de quotité, selon que
�( 25 )
les héritiers légitimes sont à un degré plus ou moins éloigné ;
enfin, ils s’élèvent à la totalité des biens s'il arrive que les père
et mère de l’enfant naturel ne laissent aucun parent au degré successible.
L e législateur croyait avoir assez fait pour cette classe de per
sonnes; il n’ignorait pas que souvent les fruits d ’un commerce illi
cite usurpent dans l'affection de leurs père et mère une place qui
ne doit point leur appartenir. Il a donc pris de sages mesures pour
comprimer les effets d'une générosité exercée en fraude de la fa
mille. Voilà pourquoi ont été établies/mais qu ’on peut ne pas at
teindre, ^ e sjim ite sc p ^ ilje stir^ rd it de dépasser^
Ainsi il a été admis que l’enfant naturel ou ses descendans seraient tenus d ’imputer, sur les droits qui peuvent leur revenir, tout
ce qu’ils ont reçu de leurs père et mère (C. civ\, art. 760) ;
Que les enfans naturels susceptibles, sous certaines conditions ,
d’être réduits au-dessous de la part réglée par la loi, ne pourraient
néanmoins dans aucun cas recevoir, soit par donation entre-vifs
soit par testament, rien au-delà de celte portion fixe;
Enfin que toute disposition au profit d ’un incapable serait nulle,
soit q u ’on la déguisât sous la forme d ’un contrat onéreux, soi
qu'on la fit sous le nom de personnes interposées (C. civ., art. g i 1)
De telles dispositions sont sévères; mais elles étaient commandée;
par le besoin d ’assurer la prééminence due au mariage. Elles oui
été admises dans ce but. En tout cas, elles révèlent l’esprit dans le
quel est conçue la législation.
Cela posé, voyons où l’on arrive par l’adoption faite au prolit
d'un enfant naturel reconnu. Il était simple successeur à titre sin
gulier d’une partie des biens; l’adoption en fait un héritier dans
toute l’étendue du mot. Il recueillera la totalité du patrimoine, et
il exclura ni plus, ni moins, ni autrement que ne le ferait l’enfant
légitime, les héritiers du sang 011 l’héritier institué. Avec un tel
4
�( 26)
système, que deviennent les art. '¡S'] et 908 du Code civil? Que
devient l’art, g i 1 qui déclare nulle toute disposition faite au profit
d ’un incapable, quel que soit le subterfuge em ployé, et quelle que
soit la dénomination q u ’on ait donnée à la libéralité i — Revenons
donc aux vrais principes. L ’enfant naturel était-il incapable de
recevoir? Son incapacité, si elle existait, ne tenait-elle pas à son
origine? en un mot au vice de sa naissance? Si telles étaient les
causes, ce double accident a-t-il été effacé par l’adoption? En est-il
moins un enfant naturel ? est-il enfant légitimé ? Voilà toujours à
quoi il faut en revenir.
-
------
Soutiendrait-on'^p.ic.l’adoption a-ici un but plus élevé q u ’une
simple et matérielle transmission de patrimoine? Mais q u ’on y
prenne g ard e, déjà il porte le nom de la personne qui l’a adopté,
déjà il est membre de la famille , déjà il est pour sa mère une
consolation à laquelle l’adoption n’ajoutera certainement rien ;
seulement il n’était pas héritier de sa m è re , et partie du patrimoine
de celle-ci devait aller à la famille légitime. Et voilà ce q u ’on a
voulu empêcher.
On le pouvait à l’aide d’une légitimation par mariage subséquent.
On a rejeté et on rejette cette voie. C ’est à l’adoption q u ’on s’ar
rête, et pourquoi à une adoption? Parce que cet expédient assure,
avec moins de gêne personnelle pour l’adoptant, une aussi pleine
transmission de son hérédité que le ferait] une légitimation par
mariage subséquent. A vrai dire, elle n’a d ’autre objet que cette
transmission. N ’est-elle pas dès-lors une donation déguisée? Et que
servira d ’avoir prohibé les autres, si on tolère celle-ci?
La Cour royale de Riom fait à cet égard une distinction qui
est un pur sophisme. Suivant elle : « Les expressions dans les« quelles les articles
756 , ^5^ et
758 sont conçus n’ont rien qui
« soit exclusif des personnes qui n ’y sont pas indiquées. Les dis« positions de ces articles sont uniquement relatives aux enfans
« naturels qui auraient été adoptés ; pour les entendre et les ap-
�(27)
« pliquer sainement, il ne faut pas les séparer de la qualité des
« personnes pour lesquelles elles ont été faites, c’est-à-dire pour
« les enfans naturels recon n us, mais restés tels : si elles sont pro« hibitives, ce n’est évidemment que des droits qui dépasseraient
« en faveur de ces enfans ceux q u ’elles leur accordent, et non des
« droits dont elles ne parlent pas, et qui seraient la conséquence
« d’un titre sur lequel elles n’avaient pas à s’expliquer. »
Ce raisonnement, comme les précédens,repose sur une véritable
pétition de principes ; il ne s’agit pas de savoir si l’on devra faire
application des articles précités à une adoption préjugée valable.
Il ne s’agit pas davantage de disserter sur l’étendue des droits de
l’enfant adoptif en thèse générale; l’unique question, au contraire,
est de savoir si l’enfant naturel est apte à devenir enfant adoptif,
et si une semblable adoption n ’est pas, dans l’exactitude du mot,
un moyen détourné dont le but est d’investir l’adopté de droits
qu’une qualité indélébile le rendait incapable de recueillir.
Est-il besoin de s’arrêter à cette objection, que si la prohibition
eût été dans les prévisions de la loi, on n’eût pas manqué de la
placer au titre même de l’adoption, tandis que c ’est par la simple
voie des inductions qu’on l’a fait irésulter de la combinaison des
art. 756, 757 et 908 au titre des Successions, où il n’y a de réglé
que la dévolution des biens?
Nous répondons que le Code civil, dans le titre sur l’état des
personnes, se borne à régler la capacité des enfans naturels sans
distinction; et, quant aux droits qui leur appartiennent, il renvoie
à un autre titre, celui relatif aux différentes manières d’acquérir
la propriété; et c’est justement dans ce titre que se trouvent et les
56 , 757,
art. ^
758 et les art. 908 et 9 1 1 . L a Cour royale de Riom
feint toujours de délibérer sur les effets habituels de l’adoption,
quand, au contraire, le point mis en question était celui de savoir si
l’adoption dont il s’agit avait été une adoption valable.
Il reste, pour compléter cette discussion, peut-être déjà trop
�( 28 )
prolongée, à examiner un dernier argument reproduit également
dans l ’arrêt.
La Cour de Riom prétend que la défense d ’adopter l’enfant na
turel reconnu ne résulterait pas davantage des dispositions du
Code, touchant la légitimation ; q u ’il y a des différences telles, entre
les effets de l’adoption et ceux de la légitimation, qu’il n’est pas
possible de confondre l’une avec l’autre.
Que, comme l’adoption ne confère ni les droits ni le titre d'enfant
légitime, on devait en conclure q u ’elle ne se confond point avec
la légitimation, et qu e, par là même, elle n’est pas un moyen dé
tourné d ’appeler l’enfant naturel aux avantages d’une légitimation
qui ne peuvent lui être assurés que par le mariage de ses père et
mère.
Ce raisonnement, qui prouve peu de choses en soi, nous fournit
l’occasion d ’une remarque qui a son importance.
La loi, pour maintenir la faveur due au m ariage, déclare que
les enfans naturels, autres que les incestueux ou adultérins, pour
ront être légitimés par mariage subséquent, lorsqu’ils auront été
légalement reconnus avant le m a ria g e , ou qu’ils le seront dans
l’acte même de célébration.
Elle ajoute que les enfans légitimés par le nlariage subséquent .
auront les mêmes droits que s’ils étaient nés de ce mariage.
Il résulte de ces articles et de ceux qui suivent q u ’on rie peut
compter que quatre classes d’enfans naturels, ni plus ni moins :
i° Les enfans incestueux ou adultérins;
2° L es enfans naturels non reconnus;
3° Les enfans naturels reconnus, mais non légitimés;
4 ° Enfin les enfans naturels reconnus et puis légitimés par le ma
riage subséquent de leurs père et mère.
Voilà la nomenclature; mais, ni dans ces articles, ni ailleurs, il
n’est dit q u ’il y aura une cinquième classe d ’enfans naturels, classe
�(29)
qu i, avec le système que nous combattons, deviendrait peut-être
plus nombreuse que celle des cnfans légitim es, tant les adoptions
deviendraient alors fréquentes, classe mixte qui prendra place entre
les enfans reconnus et les enfans légitimés, pour recueillir des avan
tages plus étendus que les premiers, quoique au-dessous de ceux at
tribués aux enfans légitimés. La loi n ’a rien prévu de semblable,
et même à titre d ’inductiou, rien de pareil ne résulte de ses dispo
sitions.
Est ce bien sérieusement, d ’ailleurs, que l’on prétend établir une
différence entre l’adoption et la légitimation, quant au fait de trans
mission des biens paternels ou maternels ? Les eflets de l’une et
de l’autre sont, au contraire, à cet égard, pleinement identiques.
L ’eflet principal de la légitimation, c’est de réparer le vice de nais
sance et de rendre l’enfant légitimé apte à hériter de ses père e l
m ère, tout aussi bien que s’il était légitime; l’effet principal, et,
disons m ieux, l’efFet à peu près unique de l’adoption appliquée à
l’enfant naturel, c’est de le rendre apte à recueillir, dans la succes
sion de ses père et mère, les mêmes droits que s’il était légitime.
Par la légitimation et par l’adoption, c ’est donc toujours à une
question de transmission qu’on arrive:
Concluons : L ’enfant légitim e,
L ’ enfant lé g itim é,
L’enfant adoptif recueillent également la succession de leurs
père et m è r e ; l’enfant naturel reconnu est, au contraire, formel
lement exclu de cette faveur.
L ’en investir par la voie détournée d ’une adoption, c’est mettre à
la merci du père naturel le pouvoir d’effacer, quand il lui plaît,
dans la personne de son fils, et le vice de naissance et l’incapacité
légale que de hautes considérations de décence publique ont fait
attacher à ce vice ; c ’est rendre pour l’avenir presque sans objet,
le titre de la légitimation par mariage subséquent. Pour assurer le
�V x f\
(30)
sort de l’enfant n aturel, au lieu de le légitimer cl de subir ainsi le
jo u g pesant d ’ une union mal assortie, on conférera l’adoption 011
l’on attendra
pour la conférer qu’ il y ait survenance quelcon
que d ’impossibilités au mariage subséquent. Ajoutons que s’il est
admis par la Cour suprême q u ’il est licite d ’adopter son enfant
naturel quoique reconnu; q u ’ainsi la voulu et entendu le Code
civil, c’est qu ’alors de telles adoptions deviendront une règle com
m u n e , et les magistrats q u i , en cette m atière, sont investis d ’un
pouvoir discrétionnaire, ne pourront même en user, dans de telles
circonstances, que de la manière la plus restreinte. II suffira que le
s*1 *
•'
• 1:
•
père naturel vienne étaler ses titres pour que la toute-puissance
du magistrat soit contrainte de s’humilier. Conçoit-on, en effet, que
sous l'empire d ’une loi qui serait déclarée avoir formellement au
torisé l’adoption de l'enfant naturel, un magistrat pût prendre sur
lui de priver le père et l’enfant d ’ u n bénéfice q u ’ils tiennent de la
loi? Ce serait une véritable sentence d’exhérédation.
Quant à nous, nous le disons avec sincérité, notre conviction est
intime. Le Code a proscrit l’adoption des enfans naturels; mais si
le contraire était d écid é, nous n’hésiterions pas à penser que pas
une seule de ces adoptions puisse être refusée. Sous quel prétexte le
serait-elle, des q u ’il serait admis que l’adoption peut être revendi
quée par le père, comme l’exercice d’un droit et même l’accomplis
sement d ’un devoir? Avec un tel système que vont devenir, nous
ne dirons pas la légitimation par mariage subséquent, mais même
l’institution sacrée du mariage ? — La Cour, nous osons l’espérer,
ne voudra point consacrer une doctrine aussi funeste à la morale.
Elle n’a point eu à se prononcer jusqu’ ici d ’une manière déci
8 5 (Sirey, t.
sive. Lors de l’arrêt du i(\ novembre i i
16, 1, p.
45),
il s’agissait d’un refus d’adpption. On s’était pourvu contre l’arrêt
qui constatait ce refus. La Cour déclara le pourvoi non recevable,
et fit très bien selon nous, car il n’y avait nulle nécessité d’antici
per sur la solution du fond.
�La Cour y était cependant vivement sollicitée parle savant et digne
ch e f du parquet. « Cette audience serait à jamais mémorablé, d i« sait ce magistrat, si la Cour pouvait placer du moins ineîdem« ment ou hypothétiquement dans ses motifs la déclaration du
« principe dont elle est animée. Quel beau jour pour la société!
« quel triomphe pour la morale! etc., etc. »
M. le procureur-général, après avoir rappelé q u e , lors de ià dis
cussion du Code au sein du “conseil d’Etat, le ch ef (fu gouverne
ment, le second consul, MM. Tronchet et Portalis s’étaient élevés
avec force contre l’adoption des enfans naturels, ajoute ces propres
paroles : « Deux conseillers d ’Etat, MM. Treilhard et Jaubert,
« m’ont souvent dit : Soutenez * soutenez cette opinion, elle finira
« par triompher devant tous les tribunaux. »
Son savant prédécesseur, M. Merlin, après s’être élevé de même
contre la doctrine aujourd’hui admise par la Cour de R io m , ter
mine la lumineuse discussion qui seHrouve au Répertoire (v° Adop
tio n ), par ce passage o ù , à notre grand étonnement, l’auteur
se m b le , comme à r e g r e t , humilier sa raison sous le joug d’une
nécessité mystérieuse.
Voici comment s’exprime M. Merlin :
« Voilà, je c r o is, tout ce q u ’on peut dire de plus fort pour justi« fier les arrêts ci-dessus cités des Cours d ’appel de Paris, de Nîmes
« et de Besançon. Il ne manquerait même rien à leur justification
(f complète, s’il était bien constant que, dans la discussion du projet
« de Code civil, le conseil d ’Etat eût, sinon manifesté, du moins
« laissé entrevoir l’intention de ne pas autoriser l’adoption des cn« fans naturels légalement reconnus.
« Mais, sur ce point, on interrogerait vainement le recued inti« tulé : Procès-verbal de la discussion du projet de C ode civil au
« conseil d 'E ta t. u
Voilà devant quels prétextes s’incline Me Merlin, après avoir,
�( 32 )
nous osons le d ire, fait justice complète des argumens que nous
combattons avec lui.
Enfin la majorité, nous dirions presque l’unanimité des auteurs
co nnu s, ont proscrit l’adoption des enfans naturels reconnus. De
nombreux arrêts aussi sont intervenus sur la question, et ils sont,
il est v r a i , en sens contraire; mais ceux q u ’on peut nous opposer
ont été rendus particulièrement depuis que le silence de la Cour
suprême a été expliqué comme favorable à l’adoption. Ces arrêts
se multiplient. Il est temps qu’un remède soit apporté, et ce re
mède, nous l’implorons avec confiance de la sagesse de la Cour.
M A N D ARO U X V E R T A M Y ,
A v o c a t à la C o u r d e c a s s a t io n .
IM PRIM ERIE D E
MADAME
PO U SSIN ,
RUE
M IGN O N ,
2.
�
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[Factum. Boirot De Laruas, Louis-Pierre. 1841?]
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Mandaroux-Vertamy
Subject
The topic of the resource
successions
adoption
enfants naturels
successions collatérales
généalogie
divorces
Pater is est
accouchement
enfants adultérins
doctrine
adultères
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire pour Louis-Pierre Boirot de Laruas, propriétaire ; contre dame Sophie-Mathilde Boirot, et le sieur Gilbert de Laplanche, son mari ; ladite dame Boirot, fille naturelle et adoptive de demoiselle Pétronille Boirot, décédée épouse Duval.
Table Godemel : Adoption : consommée du vivant de l’adoptant peut-elle être attaquée par des tiers ? l’enfant naturel antérieurement reconnu par sa mère, peut-il, dans la suite, être adopté par elle ?
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Imprimerie de Madame Poussin (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa 1841
1798-1841
1789-1799 : Révolution
1799-1804 : Consulat
1804-1814 : 1er Empire
1814-1830 : Restauration
1830-1848 : Monarchie de Juillet
Type
The nature or genre of the resource
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Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
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32 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G2819
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Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
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BCU_Factums_G2818
BCU_Factums_G2820
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BCU_Factums_G2820
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The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Theneuille (03282)
Bellenaves (03022)
Riom (63300)
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accouchement
adoption
adultères
divorces
doctrine
enfants adultérins
enfants naturels
généalogie
Pater is est
Successions
successions collatérales
-
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115c84b6bbb1a3de273139fa48ce271c
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MÉMOIRE
A L’APPUI D E LA
DU
LOUIS-PIERRE
DEMANDE
SIE U R
BOIROT
DE
LARUAS,
PROPRIÉTAIRE, MAIRE DE LA COMMUNE DE THENEUILLE
CONTRE
1 ° dam e
S o p h ie -M a th ild e
s i o n , É P O U S E D U S IE U R G
DEM EURANT
AVEC
LUI
BOIROT , s a n s p r o f e s
i l b e r t DELAPLANCÏIE ,
AU
C H E F -L IE U
DE
LA
CO M
m une d e B e l l e n a v e s
2°
e t
le
p r ié ta ir e
s ie u r
G ilb e r t
e n L A D IT E
PERSONNEL QUE POUR
■I
DELAPLANCHE,
COM M U N E ,
T A N T EN
p ro
SO N NOM
A U T O R IS E R SON É P O U S E .
lt«®«<c=rri-n ■
C e n’est qu’après avoir épuisé tous les moyens possibles de concilia
tion que le sieur Boirot de Laruas se voit réduit à la pénible
néces-
sité de demander aux tribunaux la justice qu’ils ne sauraient lui refuser.
�C'est en vain q u e, pour
ne pas faire retentir clans le public des dis
cussions qui n’auraient pas dii sortir du sein de la fam ille, il a offert
de terminer h l’am iable, an prix d’immenses sacrifices de sa p a rt, au
prix de l’abandon d’une immense partie de scs droits, une contestation
fâcheuse; c'est en vain qu’il a offert de remettre la décision dune affaire
aussi importante, où son bon droit est évident, à des arbitres nommés
avec plein pouvoir de décider, non-seulement d’après les règles rigoureuses
du droit, mais encore de l’équité.
Toutes ces offres de conciliation o n télé repoussées d’une manière in
jurieuse : les époux Delaplanclie ont exigé du sieur Boirot de Laruas tous
les sacrifices et n’ont voulu en faire aucun. Ils ont refusé constamment
d’acccder h toute proposition d’un arrangement amiable. L e sieur Boirot
de Laruas avait espéré que la réflexion, que des conseils plus sages les
amèneraient à sentir combien ses propositions étaient conciliantes et qu’elles
devaient être acceptées avec empressement; mais le temps n’a rien chan
gé à leur première détermination : ils veulent absolument plaider; ils veu
lent absolument que la malignité publique ait à s’occuper de détails qui
auraient du rester oubliés : ils seront satisfaits.
F A I T S ET G E N E A L O G I E
DES
PARTIES.
L a dame Anne-Pétronille B oirot, épouse en secondes noces de M . Louis
D u ra i, est décédée le n
juin
i 83 /{, laissant une fortune considérable,
tjui peut être évaluée à quatre cents mille francs. Aucun enfant n’est issu
de son premier ni de- son second mariage ; seulement elle a laissé une Jtîle
naturelle qu'elle a légalement reconnue : c'est la dame Sopliic-Matliilde
B o iro t, épouse dit sieur G ilbert Delaplanclie , fils aîné.
�Aux termes de l’article 757 (1) du~code c iv il, la dame Sophie-Mathilde
B o iro t, épouse Delaplanclie, n’a pu recueillir que les trois quarts de la suc
cession de sa m ère, l’autre q u ait a été dévolu, pour m oitié, à la ligne
paternelle de feue madame D u v a l, représentée par le sieur Louis-Pierre
Boirot de L aru as, demandeur, et pour l’autre moitié à la ligne maternelle
de ladite dame.
Les époux Delaplanclie se sont emparés de l’entière succession de feue
madame D u v al. Ji&ur échapper à la prescription de la lo i, et priver le
sieur Boirot de Laruas d’un droit dont maintes fois ils avaient été les
premiers à reconnaître la légimité ; ils ont imaginé de se faire délivrer
par leur m ère, à son lit de m o it , un acte d’adoption q u i, loin de changer
leur position d’une manière favorable, n’aura fait que l’aggraver.
tyfais revenons ¡.uix faits :
De Pierre Boirot de Laruas sont descendues, en ligne directe, les parties
au procès.
( ' ) « Art. 7 5 7 . Le d r o it d e V e n fa n l n a tu rel , sur le s L ien s'd o ses père ou m ère d é c c J è s , est
« r ég lé ainsi qu’il su it : — Si le père ou la m ère a laissé des descendants lé g itim e s , ce droit est
* d ’un tiers d e là portion héréd itaire que V en fa n t n a tu re l a u ra it eue s’il eut été lé g itim e ; il est
“ de la m o itié lorsque le s père ou m ère n e laissent pas d e d escen d an ts, mais bien des ascendants,
* ou des frères ou sœurs ; il est d es tro is q u a rts lorsq ue le s père ou m ère no laissent n i d escen « d a n ts, ni ascend ants, ni frères, ni sœ urs. »
OBSERVATION. L'enfant naturel n’étant p o in t h é r itie r , aux term es d e l'article 7 5 6 du cod e
Clv* l, il n’a qu’un droit r é e l , ju s in r i , à la succession d e scs père ou m ère ; c ’e st-à -d ir e , un
droit qui pèse sur la
p o rtio n due à l ’enfant naturel et dont il est propriélaire du m om ent o ù la
«ucccssion »'ouvre. Mais com m e il n’a pas la sa isin e lé g a le , sa lvo j u r e , il doit aux term es d e l ’artic ,e 7 2 1 du co d e c i v i l , se faire envoyer en possession d e la portion qui lu i revien t dans la su ccès, parce quo la possession d u défunt ne se continue
I enfant naturel.
^
plein droit dans la personne d®
�PIERRE B01R0T
de
jean - jacques
B O IR O T DE L A R U A S ,
marié à élisabetii P E R R IN ,
LARUAS.
c i.aude B O I R O T , marié
à mahie F O U S S A T .
Louis-riERRE B O IR O T de L A R U A S ,
demandeur.
a n n e - fé to o n ille B O IR O T ,
de Cujus.
: r
soriiiE- imatiiilde B O IR O T , fille
naturelle , épouse du sieur G ilb e rt
J
D E L A P L A N C IIE , fils aîné.
Louis-Pierre Boirot de Laruns, demandeur, est fils de Jean-Jacques ,
et petit-fils de P ierre. Anne Pélronille B o iro t, décédée épouse D u v a l, de
C u ju s ,é tait aussi petite-fille de P ie r r e , et fille de Claude.
Il
résulte de cet aperçu que Louis-Pierre Boirot de L aru as, deman
deur , est le seul représentant de la ligne paternelle qui ait des droits dans
la succession de feue Annc-Pétronille Boirot.
Anne-Petronille Boirot se m aria, en premières noces, le I er floréal an
IV (20 avril 17 9 6 ), avec le sieur G ilbert
Esmelin-Deuxaigues. Unique
héritière de Claude , décédé, jouissant de scs droits palerne's, à la
tele
d’une belle foi tune et ayant encore de belles espérances, elle se m ariait, à
l’âge de vingt et un an , avec le fils du premier magistrat de la contrée ,
jeune et liclic comme elle. Ayant reçu une éducation conforme à sa for
tune, connaissant l’imporlance du lien sacré
q uelle allait contracter et
l ’époux auquel elle s’unissait, elle avait (ouïes les chances de bonheur
que peut présenter un mariage bien assorti.
Cependant de tristes divisions ne tardèrent pas à éclater entre les deux
époux. Q uel est celui qui y donne lieu ? La conduite de la dame Esm elinDeuxaigues fut-elle irréprochable? C ’est ce qu'expliqueront les faits suivants.
Quinze mois s’étaient h peine écoulés et les choses en étaient venues
au point qu’ils eurent recours au divorce. Ce fut la dame Esmelin-D< u xaigues qui en poursuivit la demande, sous prétexte d incompatibilité
d’humeur cl de caractère. En exécution de la loi du 20 décembre 1793 >
et par défaut contre le sieur Esm elin-Deuxaigues , l’oilicier de l’état
�civil de la commune de Bellenaves, prononça le 26 messidor, a n V , ( 1 4
juillet 1 7 9 7 ) , la dissolution d’un nuriage contracté quinze mois aupara
va n t, sous des auspices si heureux. (1)
(1 ) Lorsque la dame A m e -P é tr o iiille B o ir o t, épouse du sieu r E sm elin-D euxaigues a déclaré
1
l agent num icipal, faisant fonction d ’officier pu blic d e la com m une de B e llen a v es, par uu acte
d e J a cq u e s, huissier à M ontluçon en date du 11 n ïv o s e , an V , enregistré à C h a m e lle , le 15 du
’«enie m o is , qu’e lle avait provoqué devant lui une a ssem b lée de fam ille sur la dem ande en di"
'vorce avec le sieur G ilbert E sm elin -D eu xaigu es, demeurant à B e lle n a v e s , pour incom patibilité
<1 humeur et de caractère, la dam e E sm elin-D euxaigues qu oiqu’ayant son d o n ic ilc à B e lleu a v es*
habitait alors publiquem ent la v ille de M ontlu ron, avec l'instigateur d e son divorce.
I-. assem blée de faniiile eut lieu en c lfe t, et le divorce
fut prononcé en l ’absence du sieur
E sm elin-D euxaigues, c ’eU -à -d ire p a r d i f a u t , quoiqu’il ait é té sjm m é par acte de
Martin , hu is
s ie r , enregistré à C h a n teile, le 17 m e ssid o r, an V , de «2 trouver le t d m e ssid o r, an Y , à la
m aison com m une de B ellen a v es, pour voir prononcer la dissolution de son mariage.
Mais il im porté de remarquer i c i , que le sieur J a c q u e s , huissier à Montluçon , n’avait pas le
droit d ’i istruïnenter dans l'arrondissem ent de C annai. Ce droit do:it était d ép o u illé son m inistère
a donc dû imprimer à l’acte civil d e divorcé un caractère de n u llit é , ainsi qu’on va le prouver.
« La déclaration du U o i, du prem ier mars 1751 , restreint les huissiers à n’exercer leurs fonc“ lion s que dans l’étendue d e s juridictions où ils sont im m a tr ic u lé s, à p e in e de n u llité et de
“ 5 0 0 livres d'am ande. »
K T rois arrêts de
la cour
de cassation
du
16
floréal , an I X ,
li
vendém iaire
et
12
” nivose an X , ont déclaré nuls d es e x p lo its fait par des hu issiers hors de leurs arrondissement'.
” En c e l a , la cour de cassation a consacré le principe formulé dans la déclaration du R oi. »
Or 1 il résulte bien évidem m ent que d ’après cette déclaralio.l du U o i, le sieur J a cq u e s, liu isSler à M outluçon, n’avait pas le droit d ’exercer ses fonctions dans l ’étendue de la juridiction
de G annat, o ù il n’était pat im m a tricu lé, m ais seu lem en t da:<s la juridiction de M a n tlu çjn , où
était im m atriculé. 11 faut donc en tirer cette conséq uence vraie que son acte du 11 nivose»
1111 V , donné à l ’agent m unicipal de B elle Javes , est radicalem ent nul.
^ y a eucore d eux argum ents à tirer de c e tte circonstance saillante :
k e p re m ie r , c ’est que les huissiers de
Montlùçon , n'ayant pas a lo r s , pas plus qu’aujourd’hui»
t droit d'instrumenter à B e lle n a v e s, c ’est-à -d iro dans le ressort de G annat, l'acte de divorce
Cst nul de pleiu d r o it, parce que le sieur Jucqucs n’avait pas le caractère néceisairo pour venir
déclarer dam son acte du 11 nivose , an V ,
à l’agent m unicipal de la com m une d e B ellenaves >
tI'lc la d a m i E sin elin-D euxaigàes avait p r o v o q u é, devant l u i , une assem b lée
d e fam ille sur sa
da"wa,fc ell ,Jlï01.,a
**u m om ent où l ’acte de divorcé e st nul par c i fa it, le m ariage n’ayant pas cessé d e s u la islc r * on doit eu c o n c lu r e , rationnellem ent, que la naissance
0 |r o t, c sl a u i uuj ll8 culac|^.e d 'a d u l'é r in ité , pour 11e pas
de m ad em oiselle
dire p lu s , ce
Sop hie-M athilde
qui est uti obstacle
Vlllc|l ’le à ce q u ’e lle puisse être adop tée.
^ Lo second a rg u m en t, c ’est la co-inciden.:e singulière de la résidence de l ’h u isû er
de M ont-
’ ayec le fait que la dam e E sm elin-D euxaigucs avait quitté le dom icile conjugal et s ’était
c ,|fuie, avant le divorce pronon cé, avec l'instigateur de sou d iv o ic e , au dom icile de ce d ernier
4 M nitluçou. Cc'tle circnnsin'icc grftvc ex p liq u e
’
pourquoi
la dam e E sm elin-D euxaigucs
rv' ’ ^ uu hu issier de M outluçon et non d ’uu huissier du ressort de Gauuat.
ü’i'Xt
�~G~
'
Anne - Pétronille B o iro t, devint a in si, une fois encore, libre de sa
jœrsonnc, à un Age où l’expérience d'un premier mariage malheureux ,
( elle avait près de a3 ans) , devait lui donner de graves sujets de ré
flexion ,
et la délivrer de] toutes les illu sion s, de toutes les fautes
excusables , jusqu’à un certain p o in t, dans une jeune fdle , mais qui ne
le sont pas chez une femme de 23 ans, sortie des liens d'un premier
mariage , par le divorce. Avec sa fortune et dans sa position sociale ,
elle pouvait faire choix d’un époux digne d’elle , et en remplissant re
ligieusement les devoirs d'épouse et de mère , elle aurait imposé silence à la
*nédisance et prouvé que si son union avec le sieur Esmelin-Deuxaigues,
n’avait pas été heureuse , la faute ne devait pas lui en être attribuée.
Cependant il n’en fut rien. L ibre qu’elle était de tous liens du ma
ria g e , elle devint bientôt m ère. Le 9 p rairial, an v i , (29 mai 1798)5
c’est-à-dire dix mois et quatorze jours, seulement, après son divo rce,
elle accoucha clandestinement, à R io m , dans la maison du sieur V iclo r
D u c h e r , officier de santé, d’un enfant du sexe fém inin, auquel furent
donnés les noms de Sophie Cordon. L e
sieur D uché, qui présenta
l’enfant à l’officier de l'état c iv il, déclara
que Sophie Cordon , était
née d’une fille à lui inconnue , venue depuis quelques temps chez lui.
Sans doute , en quittant son pays , en se rendant sous un nom in
connu dans la ville de R iom , en cachant sous un nom
su p p o sé
l'enfant
à qui elle venait de donner le jour , la dame Anne-Pétronille Boirot avait
pour but de cach er, autant que possible, et son inconduite et sa honte;
niais ce n'était pas son seul but.
L a loi du 20 septembre 1792 , qui avait permis le divorce , p a r con
sentement mutuel , n’avait rien statué sur le sort des enfans qui naî
traient dans un temps plus ou moins rapproché du divorce. En l'absence
de toutes dispositions nouvelles, les règles de l 'a n c i e n n e législation et
de la jurisprudence des parlemens , continuaient à régir leur état. O r ,
dans l'application de ce grand principe : P a ler is e s t , il n’y avait pas ,
comme
aujourd’h u i, une présomption dillég ilim ilè mathématiquement
fixée pour l’enfant , né trois cents jours, ( d ix mois ) , après la dis
�solution du mariage (A rticles 3 i2 et 3 i,5 dit code civ il) ( i) . Suivant les
circonstances les parlements de'claraient légitimes , adultc'rins on naturels,
les enfants ne's de neuf à douze mois après la dissolution du mariage.
L e sieur Esmelin-Deuxaigues pouvait réclam er, comme étant son en
fant le'gitime, sous l’ancienne législation ( i l le pourrait même sons le codé
c iv il) , l’enfant dont la femme divorcée venait d’accoucher clandestinement
V
f
à R io m ,d ix mois et quatorze jours après le divorce. P ar un jugement
contraire sans répliqué, si 1^ naissance lui eut été' connue, il pouvait le
faire déclarer adultérin, et c’est aussi sans doute la crainte d’exposer elle
et son enfant à une action de cette natu re, de la part du sieur EsmelinDeuxaigues , qui détermina la dame Anne-Pétronille Boirot à accoucher
clandestinem ent, et à cacher le nom et le lieu de la naissance^ de sa fille.
, Q uoiqu’il en soit, l’enfant né à Riom le 9 prairial an V I ( 29-mai 1798),
fut mis en nourrice à Bcauregard-Vendon, et élevé par les soins de sa
mère. Bientôt sa mère fit plus encoie : lorsque l’enfant eut atteint l’âge de
quatre ans , elle le retira chez elle, l’avoua et l’éleva publiquement sous le
nom de M aihilde.
L e 12 pluviôse ah X I (2 février 1804 ) , la dame Anne-Pétronille Boirot,
qui avait abandonné celui que l’opinion publiqu eetla dame Anne-Pétronille
Boi rot elle-même déclaraient le père de son enfant, qui était libre et cé
libataire, convola en secondes noces avec le sieur D uval. C ’est ainsi que
volontairement elle s’enleva tous les moyens de légitimer sa fille , et de
réparer une faute désormais irréparable. Dans son contrat de m ariage,
eIle reconnut solennellement Sophie Gordon , élevée par elle sous le nom
de M alhilde , pour sa fille nalurelle.
0 ) A r t . 3 12 du code civ il, « L ’enfant conçu pendant le m ariage a pou», p ir e le m .iri. N éan* •noms cclui-ci pourra désavouer l'enfant s ’il prouve q u e , pendant le temps q u ia couru depuis Ja
* trou c e n t im e ju sq u ’au cent quatre-vingtièm e jou r »vaut la naissance
de cet enfant, il était,-
"Sou pour cause d 'é lo ig n em eiit, soit pnr l'effet de quelque accidunt, dans l'im possibilité p h ysiq ue do
* ro liabilcr avec sa fem m e. »
Art. 3 15 du co d é civ il. « L a 'lé g itim ité de l’en fa n t, né trois cents jours après la dissnlnlion du
"•ai¡lige, l’ourra être contestée. »
�'^ E n 18 16 , Sophie Gordon ^r ou plutôt M alhilde Boirot,:tnv ait atteint
1âge de 18 ans. L ’dfFection de sa m è re , qui n’avait pas eu d’enfant de son
second mariage, dut nécessairement, quoique un peu ta rd , se concentrer
toute entière sur elle. On songea sérieusement à son établissement, mais
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Sophie Gordon avait été nourrie et élevée sous le nom de Màthiidc ;
'elle était co n n u ?d an s'le‘ monde que sous ce'd ern ier nom1.1 Commént la
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|
qualifier rlans'un acte p u b lic, dans un acte de mariage ? Ceci n’étàit sans
doute qu’une difficulté de formén: on pouvait recourir h'un acte de noto
riété en négligeant l’acte de naissance' de Sophie Gordon. Màis ‘ce qui
eïait plus grave, c'est q'ü’on savait dans le public , et mieux encore dans
la Camille de la dame Arine-Pétrônille B oirot. épouse D u v a l, tous les
'détails clë*la naissance de M a îh ild è , sà 'fille : 011 savait qu'elle était née
a Rióni; que sa naissance et le nom de sa mère avaient été soigneuse
ment cachés ; on savait que cette naissance avait eu lieu dans un 'temps
si rapproche1’d u 'd ivo rce, que plus1 tard une contestation sérieuse, sur
v
1 état de Sophie Gordon , pouvait s’élevér, notamment"de la part des pa
rents au degré successible de la dame Anne-Pétronillc Boirot, épouse
D u v a l, qui viendraient peut-être un jour lui disputer l’entière succession
de cette dame , en prétendant q uelle n’avait droit qu’à des aliments comme
enfanLadullérin, Alorsjon résolut de couper court a jo u te s craintes ul
térieures sous ce rapport , soit dans l’intérêt positif de la demoiselle
M alhilde D o ir o l , soit pour rassurer ceux qui auraient l’intention de de
mander sa main,
,
* On connaissait les bonnes dispositions des parcntsl patcrhels les plus in
téressés , principalement de M . Jcan-Jacques Boirot de L a r u a s , chez le
quel madame Anne-Pétronillc B o iro t, sa nièce, avait t r o u v é un asyle dans
les temps les plus orageux de sa vit*. On s a v a i t que ce respectable vieil
lard tenait à cœur de donner, autant qu’il s e r a i t en l u i , un nom et une
/ainillc à mademoiselle M aihilde Boirot.
Pour parvenir au but que l’on sc proposait, on
, ,
pensa qu il
fallait
faire rectifier l’ncte de naissance du 9 prairial an V I (2 9 mai 1798)5
�On présenta donc requête , à cet ciTet, au tribunal de Hiom. Dans celte
icquête la dame Anne-Petronillc Boirot exposait toutes les circonstances
de la naissance de sa fille, disait comment, dans l’acte de naissance de cette
enfant, le sieur D uclier avait déclaré q uelle était née chez lui d’une
mère inconnue, et lui avait donné le nom de Sophie Gordon . E lle disait
comment elle l’avait fait nourrir et gardée ensuite chez elle; comment
elle Tarait reconnue solennellement pour sa fille naturelle dans son con
t â t de mariage avec le sieur Louis D u rai. E lle demandait enfin que
dans l’acte de naissance du 9 prairial, an , V I , les noms de Sophie-M a-
thildc B o iro t , fussent substitués à ceux de Sophie Gordon , et qu'il fut
dit que Sophie -M a iliild e B oirot , avait pour mère Anne - P et rouille
Boirot.
L e tribunal de Riom rendit un premier jugement par lequel il ordonna
fjue toutes les parties intéressées à contester la rectification seraient mises
cn cause. Parm i ers parties intéressés, devait nécessairement figurer le
s*eur Jcan-Jacqucs Boirot de L aru as, (père du demandeur au procès).
^ intervint, e t, dans les conclusions qu’il prit avec les autres parents
appelés, il dit que toutes les particularités de la naissance, «le l'éducahon de Sophie Gordon , étaient à sa connaissance et déclara « consentir
expressément à ce qu'il f u t dit 'que ladite demoiselle est jille natii3> relle de ladite dame D urai née B o iro t , cl qu'il lui soit donné le
)J prénom de M athilde et le nom de B o ir o t , afin de pouvoir jouir
)} des noms , droits , qualités en résultant , reconnaissant formellement
J> 1l‘ e ladite demoiselle M athilde est l individu né à Riom de la dame
3> I^uval le f) prairial , an V I. »
^ arso n jugement du 28 septembre 181G, le tribunal de ïiioiu ayant *
*811rd aux dires et consentement des tiers intéressés mis en ca u se, et
disant droit à la requête présentée, ordonne que l’acte de naissance du
9 prairial an V I, constatant la naissance d'un enfant du sexe féminin»
c°Wnic né d'une fille inconnue, auquel le sicnr D u ch er, avait donné le
l)lénom tic SQpfrif. C( lu surnom de Gordon , sera rectifié ainsi qu’il suit:
” i° L a Mère de cette fille est Anne-Pétronille B o iro t , fille majeure
d« feu Claude , et de dame Marie-Thér esc F oussat ; 20 Au prénom
de Sophie , on ajoutera celui de M athilde, 3 ° Le surnom de Guidon
cst changé pour le nom de Boirot. Ainsi, la fille naturelle de la partie:
........ s'appellera sophie-Malhildc Boirot, »
�Peu de temps après que l’état de la demoiselle M alhildç B o ir o l , eut
été ainsi fixé d’une manière irrévocable, elle ne tarda pas h se m arier,
avec le sieur G ilbert Delaplanclie, fils aîné. — Les conventions civiles
du mariage furent reçues le 18 février 18 17, par M e Giraudet, notaire
h Bellenaves.
Pendant longues années, la dame D uval, sa fille et son gendre, se mon
trèrent reconnaissants envers le sieur Jean-Jacques Boirot de L aru as, da
cç.qu'i.1 avait donné les mains à assurer l’état et la fortune de la demoi
selle M alhildç Boirot. Aussi, dans toutes les circonstances, soit pendant
la vjedcce respectable vieillard, soit aprèsson décès, ils disaientet répétaient
et à Jacques Boirot et à son fils, (demandeur au procès): « Vous avez
» droit à un huitième dans la succession de madame D urai, nous fa
» savons bien ; nous sçmmes les premiers à le reconnritre; soyez bien
» assurés qu'il n'y aura jam ais de difficulté entre nous à cet égard,
” tout s arrangera ¿1 l amiable et comme vous tentendez . »
Mais lorsque le moment est venu de mettre à exécution ces intentions
,
conciliantes, les époux Delaplanclie oubliant leurs promesses, et surtout
les actes et les événements qui ne changent pas comme les intentions, ont
vou,lu enlever au sieur Boirot de Laruas, la part qui lui revenait dans la suc
cession de la dame D uval. Pour parvenir h ce b u t, ils ont imaginé de
faire adopter par la dame D u val, à son lit de m ort, sa Jillc naturelle •
L e projet, une fois arrêté, à été exécuté avec une incioyable rapidité et
dans le plus profond silence, tant on craignait que le sieur Boirot ins
truit de ce qui se machinait contre lu i, ne portât la lumière jusque dans
la conscience des magistrats.
Le 20 avril 1 834 » l’acte d’adoption fut dresse par monsieur le juge
de paix du canton d'K hreuil, q u i se transporta au domicile de la dame
Annc-Pétronillc B oirot, épouse D uval, alors mourante. L'homologation
de cet acte d’adoption fut surprise h la religion du tribunal de Gannat
Je 2 mai i 83 /j , et de la 'c o u r royale de Riom le
du même mois.
,
�---II —
-A in si en moins de vingt jo u r s , fut consomme devant trois juridictions
différentes, cet acte <jui ne soutiendra pas un seul instant les regards de
t ..^ .................. _
la justice mieux éclairée. ( i)
( I ) II j a , à cet é g a rd , und Irèmarque î:ii[>oila:ite à :ai:e sur la différence qu i e xiste elitre
les résultats d ’un ju gem en t contradictoire
prononcé a jr è s la plaidoirie d es parties et ceu x d'un
jugem ent prononcé sur sim p le req uête.
f-n e ffe t, il arrive qu elq ue fois qu’une partie o’ lient sur requête et sans appeler
p e r so n n e ,
jugem ent qui préjudicie à une autre partie. Far exem p le : un jugem ent qui accorde mal à
propos .la recti'ication d ’un acte d e l ’état civil d ’après l ’ariicle 0 9 du c o d e civil ; uu jugem ent
4 U1» sur l ’allégation fausse de l ’aLseuce d ’une p e is o n h e , non absente , ordonne que d ’après l’ar *
tlcle 112 du c o d j civil et l ’article 8 5 0 du code de procédure c iv ile , qu’il sera pourvu à l ’ad
ministration de scs b ie n s , ou d ’après l ’article 1 1 5 (lu co d e ci vil , q u ’il sera com m is un notaire
r°u r la représenter dans un in v en ta ire, c o m p te, partage ou liq u id a tio n , ou d ’après l ’arlicle 120
*^u c °d e c iv il qiii accorde l ’elivoi en possession.
Sous l’em pire du l'ordonnance de tü ü 7 , la partie qui voulait faire révoquer un jugem ent rendu
Sjr r e q u ê te , devait y former opposition , suivant l ’a n ic le 2 du titre 5 5 . Mais ce m ode d ’action
n C it pas nécessaires a u jo u rd 'h u i, puisque le code c iv il eu obrogeant l'ordonnance (le 1GG7, à
- W i c elte voie et n’en a établi aucune pour ce cas.
Il
faut donc reconnaître quo fi la code de procédure à institué la ti^ c e -o p p o s itio n , c’est en
fjV(-'ur de ceu x qui sont lé sé s par un jugem ent rendu entre d ’autres personnes sur contestation
l'Htre e l l e s , com m e on le voit dans l’a r tù lc
471 du
co d e de procédure civile et v o n p o u r cîux
l ' ù so n t h'scs p a r un ju g e m e n t sur rvquc'tc.
Au surplus Tarliclo 1 0 0 du code c iv i l , ayant d écid é dans une dos esp èces c i-d e s s u s , quo le
j11 geniejit derecliG cation ne peut dans aucun te m p s, ciré opp osé aux parties iu tércs.écs qui c e
d u r a ie n t jo in t r e q u is , ou qui n’y auraient pas été a p p e lé e s, il résu lte évidem m ent q u e , dans ce
CJs> la partie lé sé e peut faire valoir sc9 droiîspar
une sim p le d e m a h d e , eans attaquer le ju g e -
n,ci|t i lequel est r e g a r d é , à son é g a r d , com m e non a v e n u , et l’on d o i t , p u r m ia lo y ie , appli"
'l"ei la m im e d écisio n aux a u ties cas ci-d essas spécifiés , t t ù to u t c e u x oit il a rtc rendu jti./‘-'»iî'uî su r rcqHa C' — A in s i, on pourra dans ces divers c a s , former une dem ande tendante ou
•X'talil.ft.emont d s l'acte dan» «on [rein ier é t a t , ou à la n u llité d e tout t e qui a été fa it, en
C U cu l|oti d» jugem ent rendu dai.s la lautsa supposltiou d'ûLscnce; le tout sans j a ilcr de ce
Juoe» ie u t, ni nK'm e y fui mer opposition.
0an" ,ln jugement q'ii liomologuu 111 acte d'adoption ,• il iljit eu être tic m êm e, c a r t e ju g e
a n t ii é ta u pas contradictoire, puisqu’ il est rendu sur simple requ ête,
les pai lies qui ont un
fr'teiot réel « conte ter l'adoption n’étaiil point eii cd eie non p lu s , 11e peuvent former la sim ple
t l'l>,‘Silion ,
ni |a t>ue-opi'<>itiuu à ce m ’ inc ju gem en t, pareeque «¡icoi-o une fo is, ce j igemoiH
l,c l’eut |,as être op p jsé à d 'S parties qui n'y ont |>.is été appelées. 11 s’ ensuit dé» lors que
!Mr une sf,r(L. d 'cxiep lio li au code de pro céd u re, ces
mêmes
parties n'ayant
|l,rnier tierce opposition , t e jugotnent est à leur ég nd comme »'il
pas lu s J .i d ’y
n’existait p a s, c l à [dus
J,ll? raison, ne so i! e'L-s paî dam l’ uMigation d’ en appeler.
11
est évident qu'il
n’en est p is .a i.iîi des
j igem eus contradictoires,- car on in r p e i t dans
aUUU-‘ caJ former d'opposition à d e Ici 1 jn gem en s : b'ils sont injustes 011 peut en dem ander la
tror"iatiun par a p p e l, s'ils sont en prem ier rcs e u t , et la rétraction ja r req u é;e ciw lo ou c a s|(J.|
,
» s ils s m t en dt'i'nîer itsm rl.
Cette doctrine que la raison d'sccrnc , s.-ulem eut analysée ic i, c il c u s e ij'îc e 'par d eux ju ri» uu*,'iltes c é l é l r c s , I ^ e a u et U o y o u .
�L a dam e-Duval est décédée le onze juin 1834 , et les fe'poux Delaplanche se sont emparés de son entière succession. De nombreuses tentati
ves de rapprochement ont été faites parle sieur Boirotde Laruas; elles ont
été repoussées. C ’est alors qu’après avoir rembli les préliminaires de la con
ciliation qui n’a pu s’opérer, il h fait assigner par acte du 10 septembre
1 835 , les époux Delaplanche devant le tiibunal de Gannat, aux fins de
se voir condamner à lui fuira le délaissement d’un huitième de l’entière
succession mobilière et immobilière de la dame D uval, dont ils se sont
indûment emparés à son préjudice, avec restitution de fiuits et jouissance
|
depuis, le décès de ladite dame.
|
Tels sont les faits , dont l’exactitude sur aucun point ne pourra être
i
|
révoquée en doute , car ils sont tous consignés dans des actes a u t h e n t i q u e s
émanés des adversaires, ou de leurs a u teu rs, ou de jugemens
dans
lesquels ils ont figurés.
Nous allons maintenant examiner les questions qui se présentent na
turellement à juger. Elles se résumentdans lesqua'.rc propositionssuivantes:
i ° L a clio n du sieur Boirol de Laruas est régulière, li a v u la lle m c n l
saisi le tribunal de Gannat de sa demande en délaissement contre lcs
époux Delaplanche. On ne peut lui opposer l'exception tirée de
laulorite de la chose jugée.
a 0 L a loi ne permet pas l'adoption
de l'enfant naturel par le5
père cl mère qui l'ont reconnu. P a r suite est nulle l'adoption fa ilc
le a 5 avril i 834 , au profit de. Iépouse Delaplanche.
3 ° Dans le cas où en thèse générale , ladoption de l'enfant na
turel par les père et mère qui l'ont reconnu , serait perm ise , H n'y a
pas lieu, darrs l'espèce , à l adoption de la dame M athilde B o iro t ,
épouse Delaplanche par sa mère la dame Duval.
4° Enfin , / adoption de lenfant naturel serait i Ue permise et y
aurait il lieu , dans lespèce, « ladoption de la dame Delaplanche ,
le sieur Boirot de L.aruas n'en aurait pas moins droit au huitième
de la succession de la dame Duval.
P R E M IE R E
P R O P O S IT IO N
.,
(
Lj'action du sieur Boirot de Taruas est réguliere. — Il a valablement
saisi le tribunal de Cannai de sa demande en délaissement contre les
époux
Delaplanche. — On ne peut lui opposer l exception tirée df
f fiulorilé de la chose jugée.
fr*
�—-13 —=
Sans
doute les époux Dclaplanchc n’ont pas
fait dresser un aci*
(l’adoption pour ne pas s’en servir. Cependant s’ils ont change d’avis ,
si mieux éclairés sur leurs véritables intérêts , ils ne l’opposent pas au sieur
Boirotde L aru as, alors point de difficulté ; celui-ci est appelé par la loi à
recueillir le huitième d elà succession de la dame Duval; ses conclusions doi
vent nécessairement être accueillies. Le sieur Boirot de L aru as ignorant
et devant ignorer si les époux Dclaplanchc veulent ou non user de cet
acte d’adoption, qui lui est entièrement étranger, et qu'aux termes du
<lroit, il est même censé ne pas connaître , n’a pas dû l’attaquer directe
ment , mais attendre qu’on le lui opposât pour en discuter le mérité.
Pour agir prudemment il s’est borné à dem ander, par action principale,
le délaissement du huitième de la succession de la dame Duval , que la
loi lui attribue.
Ainsi l’action du sieur Boirot de Laruas est régulière dans son principe.
Q ue si les époux Dclaplanchc opposent h ses prétentions l’acte iVadoption du
avril 1 834 î alors le sieur Boirotde L a ru a s, avantde se faire attribuer
la part de la succession de la dame D uval qu’il prétend lui revenir, se mettra
en devoir de faire déclarer accessoirement à l'action principale, ladop
tion nulle et non aeenuc , quant à lu i, de même que dans toute action
en délaissement d’immeubles on en partage , le demandeur connaissant
■ou no connaissant pas , ( peu importe ) , un testament préjudiciable ù
scs in térêts, intente son action principale, comme si le testament n'eXîstait pas , sauf ensuite à demander incidemment devant le tribunal saisi
de son action prim itive, la nullité du testament lorsque cet acte lui est
réellement opposé.
C ’est donc ici que se présente la question de savoir, dans le cas où l'acte
^adoption du n’j
avril i 83 /j, serait sérieusement opposé, si le tribunal
*1° Cannât qui a homologué cet acte d'adoption, peut décider aujour(lh u i qu'il n’y a pas lieu à adoption, après avoir décidé avec la cour
loyale de Ilium qu’il y avait lieu. En d’autres termes: il s’agit de savoir
Ion peut opposer au sieur
Boirot de Laruas l'exception tirée
de
1Hutorité de lr.chose ju g ée, non seulement par le tribunal de Gannat ,
111
rûs encore pur la cour royale de Ilium.
ttn thèse générale, il est de principe incontestable , qu’un tribunal ne
l'eut se réformer lui m êm e, et encore moins réformer un an et d’un
hibunul ou d une cour supérieure; mais ce principe ne reçoit ici aucune
�' application. Les jugemens qui interviennent lors de l ’adoption appar
tiennent à une juridiction toute volontaire , toute gracieuse , qui n’a
pas besoin d’être motivée , et qui est sollicitée et obtenue par ceux-là
seuls qui ont intérêt à l’invoquer en l’absence de tout contradicteur. Ces
jugeiriens ne
terminent aucun p ro cès, aucune contestation , puisqu’il
n’en existe pas ; il ne font que mettre le sceau- légal à l'adoption sans
rien statuer sur sa validité ; ils ne jugent véritablement
rien. Aussi
dès que ces jugemens ne statuent sur aucune contestation ; dès que ces
jugemens ne jugent rien , on ne peut opposer aux tieis qui y sont en
tièrement étrangers , et qui ont intérêt à quereller l'acte d’adoption,
l ’exception de la chose jugée.
Ces principes professés par M e G ren ier, (traité de l'adoption,page G29),
ont été consacrés de la manière la plus formelle , par la jurisprudence
de trois cours royales et do la cour de cassation, notammeut dans la
cause de Sander C . Dugicd , ou la contestation sur la validité de l’adop
tion s’engagea de la même manière que dans l’espèce.
Ces arrêts des cours royales de Colm ar et de D ijon, et lés deux de
la cour de cassation sont rapportés par Dalloz en son
îèpertoire au
mot adoption , page a 8 i , et ail volume de l'année 182G * page 8. —
Ceux de la cour de cassation sont à la date du 5 août 1 8 a 3 et 22 no
vembre i 8 s 5 . E nfin, celui de la cour royale de Nancy , à la date du
i 3 juin 18 2 6 , et rapporté par D a llo z , année 182G, page 200.
Après avoir ainsi établi que rien ne s’oppose à ce que le tribunal de
G an n a t, soit appelé à apprécier la validité de l'acte d’adoption d o n t il
s’a g it, et même que toute autre manièie de procéder eut été i r r é g u l i è r e ,
nous allons passer à l’exapien de notre seconde proposition.
a e P R O P O S IT IO N .
La loi ne permet pas l adoption de îen fan t naturel par les père et
mere qui lotit reconnu. - - P a r suite est nulle ladoption fa ite l^ ¡¿5
avril 1 834 , au profit de la dame Delaplanche.
Quoique celte question ait déjà été résolue dans 1111 sens contraire par
ie tribunal de Gannat et par la cour royale de Ilioin , il est utile de
�— 15*—
l’examiner de nouveau. Grande est la différence de l’examen que font
les magistrats les plus éclairés, les plus consciencieux , d’uns question
discutée dans des intérêts opposés, ou d’ une question qui n’est pas en
d éb ats, qui n’excitent aucune contradiction , et dont la solution no
leur est demandée que comme un acte de juridiction gracieuse.
Dans ce dernier cas , les magistrats ne voyant aucun préjudice à
causer à qui que ce soit, et désireux do renvoyer satisfaits ceux qui
s adressent plutôtàleu r bienveillance qu'à leur justice, se laissent facilement
entraîner à faire fléchir la rigueur des principes en faveur des personnes.
C ’est ce qui explique pourquoi le tribunal de G an n a t, pourquoi la
cour royale de Tîiom , n’ont pas déjà d éclaré, lorsquela question leur a été
£oumise qu'il n’y avait pas lieu à adoption ; c’est ce qui explique pour-:
c[uoi l’on découvre dans les recueils de jurisprudence , un certain nombre
de jugemens et d’arrêts qui ont consacré cette opinion que l'adoption
de lenfant na turel , par le père ou la mère qui l’ont reconnu , est per
mise. Celte observation est si v ra ie ,q u ’on ne,trouve pas un seul exemple,
dans aucun de ces jugemens ou a rrê ts ,d ’une adoption denfant naturel,
par scs père ou m ère, prononcée et maintenue malgré la contradiction,
des tiers intéressés à conte.iter.
Mais l’examen des magistrats est bien différent lorsqu’ils s’agit d’une
Huestion, dont la solution entraîne pour l'une et pour l’autre des parties
contondante, la perte ou le gain d'une somme plus ou-moins considé
rable. On h beau dire que quelle que soit la somme en contestation»
Huellcs que soient les personnes; qu'il y ait ou non des intérêts opposés
Ctl présence, les. principe.) sont toujours les. mêmes; icela)est: vrai sans
doute. M ais lorsqu’ils; ne s’agit que d’accorder une faveur sans aùcuu
Préjudice possible, pour qui q u i ce soit, quoique les principes soient^
^cs mêmes, on ne peut en l’abscncc de toute contradiction:,: en Üabsencc
des parties argumentant d'intérêts opposés, en faire une ctiulci aussinapr
Profondie et une application aussi sévère, que lprsqu'aprcj une discussion
^ clle de personnes et d intérêts, le m agistrat, sait que sa décision va
necessairement enlever à l'une des parties, tout co q uelle attribuera à
‘ autre. 11 ne s’agit ¡dus alors de faveur sans préjudice possible; il ne
Sngit plus de juridiction gracieuse; d s’agit de justice; il s’agit de la
et le jugement n’est rendu qu'après un jugement aussi consciencieux
(111 éclairé.
�— 16 —
Que si l'on prétendait qu'il y à présomption Je la part du sieur Boirot
de Laruas de vouloir faire changer l'opinion du tribunal de G anuat, sur
une question qu’il à déjà décidée, il serait facile de répondre que la cour su
prême a donné plus d’une fois l'exemple d'un pareil changement; qu’il
en est de même pour les auteurs les plus rccommandables, et pour n’en
citer que d eu x, et sur la question même en discussion, (au moins on ne
niera pas l'a-propos) , nous voulons parler de deux jurisconsultes les plus
savants et les plus profonds que notre siècle ait produit. M M . Merlin
et T o u lie r , lorsque la question s’est présentée pour la première fois r
étaient d'avis que l adoption de l'enfant naturel par les père et mère
qui lo n t reconnu était permise. E t cependant, ils sont revenus à une
opinion diamétralement opposée, et même M . Merlin après avoir sou
tenu d’abord l’opinion que nous deflendons, l’avait abandonnée pour re
venir en définitive à sa première manière de voir.
( T o u lie r , 2e édition N ° 988. — M erlin, à son répertoire, toin. 16..
E t D alloz, au mot adoption, page 293. )
Après ces quelques réflexions , examinons la question en elle même :
elle n'est pas neuve ; presque tout a été dit pour ou contre. Aussi tous
nos arguments n'auront pas le mérite d'être présentés pour la première fois,
On
sait que l'adoption qui était en usage chez le peuple romain ,
mais avec des formes et des conditions
qui ne convenaient pas à nos
mœurs et h nos usages, a été introduite, en principe général, dans notre
législation le 18 janvier 1792 par l’assemblée législative. Cette assemblée
célèbre décréta seulement que l’adoption aurait lieu
tracer aucune des règles qui devaient régir la
principe général eut
en F ran ce,
sans
matière» Dès que ce
été in tro d u it, jusques à la promulgation du code
c iv il, grâce à l’anarchie qui , des lois, était passée dans leur application
et surtout dans les m œ u rs, les tribunaux sans consulter la loi romaine
qui ne permettait l’adoption ni des enfans naturels ni des cnftns adul
térins, consacraient, dans presque tous les. cas, la validité de pareilles
adoplioas,.
t
' ''1
,
t
/
,
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u
�- 1 7 -
Cc scandale eut un terme. L e code civil parut et sans donner une
définition de l’adoption , il permit en g én éral, ( art. 343 et 3{5 , C . C . )
l’adoption aux personnes âgées déplus de 5 o ans, qui n’auraient ni enfants
ni descendants légitimes, en faiveurde l’individu à qui l'adoptant aurait
pendant six ans au m oins, fourni des secours et des soins non inter
rompus , ou encore en faveur de l’individu qui aurait sauvé la vie de
l’adoptant, ( i)
Dans tout le code, les partisans de l’opinion contraire h la nôtre ne
voulurent voir que les articles 343 et 345 ; ils s’emparèrent de ces deux
articles, et soutinrent que si l'enfant naturel et le père qui l’avait re
connu réunissaient les conditions exigées par ces deux a rticles, rien no
s opposait à l'adoption .
En effet, voici le raisonnement que font M M . G ren ier, Dalloz et Dur anton, qui sont les seuls auteurs qui pensent que ladoption de lenfant
naturel par les père
et mère qui l’ont reconnu, est permise: ils sou
tiennent qu’aucune prohibition absolue, qu’aucune exception n’étant faile
dans les articles 343 et 345 , ni ailleurs, à l’égard de l’enfant naturel
%
ct que la loi permettant tout ce qu'elle ne prohibe pas expressément, si
celui qui veut adopter son enfant naturel, a cinquante ans, s’il a donné
Pendant six ans des soins non interrompus h son enfant naturel, si celui-ci
a quinze ans de moins que l'adoptant, rien ne s’oppose à l’adoption.
T el est le seul argument un peu spécieux de ce système, argument
doit découlent plusieurs autres arguments secondaires.
Nous ne voyons pas que ces mêmes articles 343 , 345 et autres, ex
priment formellement que ladoption de ienfant adultérin par ses père
(*) Ar|.
C. C. « I.’adoption n’est perm ise qu’aux personnes J e l’un ou île l ’autre sexe ig é e »
* l'Ius de cinquante ans , qui 11 auront , A I ép o q u e de l'adoption , ni enfants ni descendants lé g i—
1 et qui auront ati m oins quinze ans de plus qu e les individus qu’e lle s se proposent
* d'adopter, ..
d 15 c - C- •• I.a faculté d'adop'cr ne pourra être e x er c é 3 qu’envers l'individu à qui l'on
a"r a > dans sa m inorité et pendant six ans au m o iin , fourni d e s fccours et donné des soin»
10n '" lor>,ompus , ou envers celui qui aurait sauvé la vie à l'adoptant soit dans un c o m b a t,
S°H on *° •■font dos dam mes ou des (lots. — 11 suffira, dans ce d eu xièm e c m , que l'adoptant
0lt ,n:'ic,,,'> plus Agé que l ’a d o p té , sans e n fa n ts, ni descendant» lé g it im e s , et s’il est m arié»
1 UC ,o n c “"joint consente A l ’adoption. »
�_ _ I fr
et m ère, est défendue, pas1plus que pour l'enfant naturel, et cependant
M M . G renier, Dalloz et Duranton sont unanimes pour repousser cette
espèce d’adoption; ils proclament que lenfant adultérin ne peut cire
adopté.
Pourquoi celle différence?'La loi n'est-elle pas aussi muelte pour l’adop
tion de îenfant adultérin , quô pour l'adoption de l'enfant naturels
Pourquoi admettre que l’une de ces adoptions est permise, tandis que
l’autre ne l'est pas ?'
‘ M ais, dit M . D alloz, l’argument d'ànalbgie est essentiellement vicieux:
les erifans'adultérins ne peuvent jamais être légitim és, tandis que les
enfans naturels peuvent l’être-, ( A rt. 33 1 , C . C . ) , ( i) . On reconnaît
donc que ce n’est pas seulement au titre de ladoption , qu’il faut s’ar
rê te r , et que ce n’est pas lh que l’on trouve la raison de décider !... E li !
quoi ! parce que les enfans adultérins ne peuvent être légitimés , ils ne
pourraient être adoptés , et parce que les enfans naturels peuvent être
légitim és, ils pourraient être adoptés !... Mais est-ce que l’adoption et
la légitimaliori sont' choses identiques ? — E st-ce que l’adoption et la
légitimation donnent les mêmes droits ? — Q ue devient donc ce grand prin
cipe que la loi permet tout ce quelle ne défend pas expressément ? Est-
ce que la loi a déclaré tacitement ou expressément que tous ceux qui
pourraient être légitim és, ou ceux-là seuls qui pourraient être légitim és,
pourraient être adoptés ? Il n’en est rien.
Quand on argumente du silence de la loi en faveur des enfans naturels
pourquoi argumenter de ce silence contre les enfans adultérins ? Cela
prouve seulement qu’il’ est impossble aux partisans de ce système d’êtro
conséquents avec eux-mêmes , et qu’il faut admettre ou rejeter ensemble
ces deux sortes d'adoptions. Les adm ettre, cela est impossible. Il ne s’est
pas élevé encore une seule voix en faveur des enfans adultérins .
Il
nous paraît donc démontré que le silence gardé par le législateur
ou chapitre de l'adoption , n’est pas plus prohibitif pour tenfant aduh
( | ) Voy. l'article 331 ci-conlrc , j>agc 19.
�ièrin , que pour l'enfant naturel ", il nous paraît démontré que ce n’est
pas , dans tous les cas ,
au
chapitre seul de l adoption , qu’il faut
s’arrêter pour trouver des motifs tranchants de solution ; mais bien dans
les dispositions spéciales où le législateur a tracé toutes les règles ap
plicables à l’état des en/ans naturels et des enfans adultérins , com
binées avec celles relatives à l'adoption.
E n effet, avant le titre de ladop tion , qu’avait déjà prescrit le légis
lateur pour les enfants adultérins ? Q u ’ils ne pourraient être reconnus
(A rt. 335 , C . C .) ( i) qu’ils ne pourraient être légitimés (A rt. 3 3 1 ,
C* C .) (2) et postérieurement au chapitre des successions irrégulières
qui leur est commun avec les enfans naturels , qu’ils n’auront droit qu’à
des aliments. (A rt. 762 et 7 6 3 , C . C .) . ( 3)
Q u ’avait déjà prescrit le législateur, avant le titre de [adoption^ pour
les enfants naturels, aux mêmes chapitres particuliers et sous les mêmes
rubriques que pour les enfans adultérins? qu’ils ne pourraient être lé
gitimés que par mariage subséquent et antérieurement au m ariage, (A rt.
33 1 et 3 3 3 , C . C .) ( 4) qu’ils ne pourraient être reconnus que par acte
authentique, (A rt. 3 3 4 5 C . C .) ( 5) que reconnus q a ils seraient, ils ne
pourraient réclamer les droits denfants légitim es’, que leurs droits sc-
( I ) Art. 3 3 5 . - - « Cette reconnaissance ne pourra avoir lie u au profit d e s enfans nés d'un
* com m erce incestueux ou adultérin. »
( i ) Art. 3 3 1 . — « I.C8 e iitin i nés hors, m a r ia g e , autres que ceu x nés J ’uu com m erce in ees* tueux ou adultérin , pourront être légitim é» par le m ariage subséquent do leurs père et m è r e
* lorsque ceu x -ci le s auront légalem ent reconnus avant leur m ariage, ou qu’il» le s reconnaîtront
* dans l’acte m ém o d e céléb ration. »
(3 ) Art. 7G2. — » L es dispositions des articles 7 5 7 et 7 3 8 ne sont pas
applicables aux cir:
* fcuis adullérius et incestueux. — I.a lo i ne leur accorde qu e des alim ents. »
Art 7fi3 . _
a Ces alim ents sont r é g l é s , en égard aux facultés du père ou île la m è r e , au
» nom bre et à la qualité des héritiers lé g itim es. »
(* ) Art. 333 . — « L es etifan» Iégilinics par le mariage subséquent auront les m éw cs droits qno
* » ils étaien t nés de ce m ariage. »
(ï>) A it. 3 3 t . -
« J.a reconnaissance d ’un enfant naturel fora faite par un aci« au th en tiq u e,
l lorsq u'elle ue l’aura pas é té dans sou «(.te d e naissance, »
�f r'
— û o—
raient réglés au titre des successions (A rt. 338 , C . C .) ( i ) et enfin,
au chapitre des successions irrégulières , qu’ils ne sont point héritiers
qu’ils n’ont qu’un droit qu’à une quote-part de'termine'e sur les biens des
père et mère qui les ont reconnus, (A rt. 756 et 7 3 7 , C . C .) (a) et qu’ils
ne peuvent par donation ou testament rien recevoir au-delà de ce qui
leur est accordé au titre des successions. (A rt. 908, C . C .) ( 3)
Dans toutes ces despositions, placées parallèlement dans les mêmes
chapitres spéciaux, et pour les en/ans naturels et pour les enfans adul
térins , pas un mot pour les enfans naturels, ni pour les enfans adulté
rins , à l’égard de l’adoption. Ce silence n’indique-t-il pas évidemment
pour les unes et pour les autres, que le législateur s’étant
longuement
occupé , dans des chapitres particuliers et avant celui de l’adoption , de
l ’état des enfans naturels , et des enfans adultérins, et des droits que
les uns et lçs autres pourraient avoir sur la succession de leurs parents,
il a tracé des règles particulières exceptionnelles pour eux, et que par con
séquent les autres règles générales qui régissent l’état des personnes et
leurs droits aux successions de leurs auteurs, ne sont point applicables
ni aux enfans adultérins , ni aux enfans naturels. E n effet, tout est
cxccptionel pour les enfans ncs hors mariage : leur naissance, leur c t a t ,
Jours droits , comme les règles qui régissent le tout.
(1 ) Art. Ï 3 8 . — « l ’enfant naturel reconnu no pourra réclam er les droits d ’enfant légitim e.
» Los droits des enfants naturels seront réglés au titre des successions. »
(2 ) Art. 7 5 0 .
« Los enfants naturels no sont point héritiers ; la loi ne leur accorde de droit
« sur les biens do leur père ou m ère d é c é d é s , que lorsqu’ils ont été légalem ent reconnus. Ello
» ne leur accorde aucun droit sur le» liions d es parents de leur père ou m ére. »
Art 7 5 7 . — « Le droit de l’enfant naturel sur les liiens du scs père ou more d écéd és est rég!»
»• ainsi (|ii il suit : — Si le péro ou la méro a laissé d es descendants légitim es , ce droit est d ’un
» tiers d e la portion héréditaire que l’enfaüt naturel 'aurait eue s ’il *‘ut été légitim e ; il rst do
»
la m oitié lorsque les péro ou piére ne laissent pas de
d e s c e n d a n ts,
m;üs hic» de« ascendants ou
» des frères ou sœurs ; il est des troiw quarts lorsque les père ou inére no laissent ni descendants
» ni ascen d a n ts, ni frères ni scrur*. a
(3 ) Art. 908* — >< I.cs enfans natm els no pourront par donation entre-vifs ou
ff rien recevoir au-delù do co qui leur est accordé au titre des successions* y
par testament j
�0r
tn
— 2 1 —'
M a is, dit encore M . Dalloz : si le législateur avait voulu prohiber
l’adoption des enfans naturels par les père et mère qui les ont reconnus,
il l’aurait fa it, non pas d’une manière indirecte aux litres des successions,
par l’article 908 , C . C .. , qui est inapplicable à l’enfant naturel adopte,
qui a changé d’état, qui cesse d'être enfant n atu rel; mais au titre des
Personnes , par une disposition spéciale.
La réponse à toutes ses objections est facile: nous disons d’abord
que tous les arguments qu’on présente en faveur de l'enfant naturel,
°n peut aussi les faire dans l’intérêt de lenfant adultérin. L e législateur,
au titre des personnes , ne prohibe en aucune façon l’adoption des en-
fa n s adultérins ; ce 11’est qu’au titre des successions que les articles
762 et 76 3 , leurs accordent des aliments, comme les articles 75G, 767 et
9o8, (1) n’accordent qu’une quotité restreinte dans l’hérédité de leurs
auteurs aux enfans naturels reconnus.
Pourquoi, si lenfant adultérin était adopté ne cesserait-il pas, comme
lenfant naturel , d’êlrc enfant adultérin aux yeux de la lo i? Pourquoi
s°n étal ayant changé, ne recevrail-il pas au lieu d’aliments seulement,
la portion qui revient à l’enfant adopté? la raison de décider est abso
lument la même: on résout la question par la question, voilh tout. On
aj°ute en vain que les enfants adultérins ne peuvent jamais devenir lé
s â m e s ; que leur état, leurs droits sont fixés d’une manière irrévocable.
Mais ils sont fixes de la même manière que pour les enfants naturels, dans
les mêmes chapitres spéciaux, sous les mêmes rubriques. Seulement ces
prohibitions sont plus sévères pour les enfants adultérins; seulement ces
prohibitions sont moins étendues pour les enfants naturels, que pour les
enfants adultérins. Le législateur a élé plus favorable aux uns qu’aux
autres, en raison de leur origine plus ou moins scandaleuse, plus ou
moins attentatoire aux bonnes mœurs, et h la sainteté et à la paix du
mariage. Mais quoique moins étendues , ces prohibitions ne sont pas
moins aussi formelles, pour les enfans naturels, que pour les enfanls adul
térins, et l’on ne doit porter atteinte à aucune.
(*) V oy, Ica articles 7 0 2 , 7G 3, 7 5 0 , 7 5 7 et 0 0 8 C. C. pages 1D et 2 3 .
�—22—:
Sous ce premier point de v u e , il y a complète analogie entre les
enfants adultérins et les enfants naturels, et admettre les uns au bénéfice
de l'adoption et rejetter les autres, c’est commettre une erreur qui tient
presque du caprice; c ’est se montrer tout-s-fait inconséquent.
E st-il bien vrai ensuite, que ce soit au titre des successions seule
ment , qu’il y ait prohibition pour l’enfant naturel de rien recevoir audelà de ce que les articles 75G , 757 et 908 (1) lui accordent, et que cette
prohibition ne soit faite que pour l’enfant naturel reconnu , mais non
adopté ? Est-il bien vrai que l’enfant naturel adopté change d’état et
cesse d’être enfant naturel ?
Il
suffit de lire l’article 338 du code c iv il, qui dispose que , « l’en-
» fant naturel reconnu ne pourra réclamer les droits d’enfant légitime ,
» et qui ajoute que ces droits seront réglés au titre des successions , »
pour se convaincre que c’est au titre des personnes que la prohibition
formelle de rien recevoir au-delà de ce qui est attribué par les articles
7 5 6 , 757 et 908 j prend son origine, et est exprimée de la manière la
plus expresse. (1)
L a prohibition frappe do^nc , sans distinction aucune , l'enfant natu
rel reconnu , et s’attache a sa personne. Il suffit encore de lire l’ar
ticle 348 , (2) pour se convaincre qu’alors mèinc l’enfant naturel reconnu
serait adopté, il ne changerait pas d’état, parce que cet article dispose
que l’adopté reste dans sa fa m ille naturelle. S ’il conserve tous scs droits
dans sa famille naturelle, l'enfant naturel , adopté qu'il serait , ne ces
serait doue pas d etre enfant naturel reconnu , mais il ajouterait à cette
première q u a lité, celle denfant adoptif. Les articles 338 , 756 , 7 ^7 1
et 908 ne cesseraient donc pas de lui être applicables, avec d’autant
plus de raison que la prohibition faite à lenfant naturel re c o n n u , de
rien recevoir au-delà de la portion restreinte qui lui est accordée et au
titre des personnes et au litre des successions , a paru- si formelle au
législateur, que quoiqu’il eut disposé (A rt, 3 3 1 et 33 a , C . G . ) , q u e / f« -
fa n t naturel pouvail être légitimé par ^mariage subséquent, lorsqu il
aurait été reconnu, pour éviter l'application des articles 3 3 8 , 75 (J, 757
et 908 à l'enfant naturel reconnu qui a u r a it été légitim é , le législateur
disons nous, a cru dc"voir ajouter, art. 333 , C , C . , que les enfans légi
times par mariage subséquent, auraient les mêmes droits que s ils étaient
nés de ce mariage, (1)
(1 ) Yoy» les art. 331 t 3jt2 y 33*> * 3 3 3 *
(2)
Art.
3(9
j ¿->7 i*t 0 0 4 t
«L 'aibpLo rcslcra dans ta lam illc u alu rcllu .
C, |*0£Cs lij * l ■ t'I
y c o a sc n c r a toiu scs d a / l s ; eter»;
�-23Ce soin si extraordinaire du législateur à régler dans les moindres
détails, tout ce qui touche à la personne et aux droits de succession
conférés aux enfans naturels, rie prouve-t-il pas d’abord que s’il eut été
dans l’intention du législatéur de crée r, outre la reconnaissance et la lé
gitim ation, un troisième moyen en faveur de l'enfant naturel pour acquérir
Un état, une famille et des droits successifs qui lui appartiennent, non
par l'effet seu l, de sa naissance, mais accidenfellement, il eut déclaré
formellement que lès enfants naturels pouvaient être adoptés? Ne prouve-t-il
pas encore qu’alors même que le législateur eut tacitement souffert que
les enfants naturels rentrassent dans leur famille par la porte de l’adoptio n , il n’a pas eu l’intention, dans ce cas, d'attribuer d’autres droits aux
enfcinis naturels reconnus et adoptés , qu’aux enfans naturels reconnus
non adoptés , parccqu'il n’eut pas manqué de cléclàrer, comme pour les
enfants naturels reconnus et légitimés ^que ces enfants naturels adoptés,
auraient sur la succession de l’adoptant, les mêmes droits que s'ils n’étaient
Pas enfants naturels reconnus.
Il
n’eut pas manqué de déclarér que pour eu x, il y avait éxe^ptioti
aux articles 338 , 908 (1) et autres du code civ il, et certes cette déclaratiôii
l’absence de toute prescription de la l o i , autorisant l’adoption des
enfants naturels, était bien plus nécessaire, que dans le cas de la lé
gitimation, où la loi trace elle même les règles de cette légitim ation, q uelle
favorise, q uelle autorise de la manière la plus formelle.
Tou t concourt donc à établir que jamais il n’est entré dans l'intention
du législateur de permettre qué les enfants naturels reconnus, pas plus
que les enfants adultérins, puissent être adoptés. Le silence seul du législa
teur à l'égard des uns et deS autres, au titre de l'adoption , nous semble
décisif.
Les enfantfe nés hors mariage sont dans une position toute exception
nelle: ils n’ont pas de fam ille; ils n’ont aucun droit à la succession de
‘lui que ce soit; ils n’ont pas d’état, nec fam iliam , nec gcnlcm liaient ;
ds ne peuvent sortir de cette position toute exceptionnelle, toute parti
culière, qu'e de la manière formellement prévue, formellement exprimée
par le législateur, Par le fait seul de leur naissance hors m ariage, ils
lle sont pas, comme les enfants légitim es, saisis |de plein droit d'une fa
i l l e ; au contraire, ils sont exclus de toute famille. Pour y rentrer il
�- 24leur faut la permission expresse du législateur, réunie à la volonté aussi
expresse de leurs parents; il leur faut le concours formel et simultané
des parents et du législateur. Le législateur n’a ouvert en faveur des
enfants naturels, eu égard à leurs auteurs, que la reconnaissance et la
légitimation ; il n’a pas parlé de ladoption', les deux premières voies
leur sont ouvertes, l’adoption leur est interdite.
M ais, est-il bien vrai de dire que la loi soit silencieuse, et quelle ne
prohibe pas expressément et littéralement l’adoption des enfans naturels
reconnus. A cet é g a rd , il suffit pour se convaincre du contraire de lire
la loi avec attention , et d’en rapprocher les différentes expressions.
Lorsque le législateur a permis l’adoption , et qu’il a dit que celte
ndoption ne pourrait être faite que par des personnes âgées de cinquante
ans qui n’auraient ni enfants ni descendants légitimes, n’a-t-il pas clai
rement exprim é, suivant l’inlention d e là loi rom aine, suivant la défini
tion de C u ja s , qu’il voulait donner une consolation aux vieillards qui
n’auraient pas eu le bonlicur d’avoir et de conserver des enfants légi
tim es , par le bienfait d’une paternité factice, en l’absence d'une pater
nité réelle. ( L e législateur a dit légitimes , pareeque s'ils sont naturels
il les considère comme n’ayant aucune existence.) En prescrivant que
cette adoption ne pourrait avoir lieu qu’en faveur d’individus auxquels
l'adoptant aurait fourni des soins pendant six ans au moins, ou parce
que sa vie aurait été sauvée, soit dans un com bat, soit dans les flammes,
soit dans les eaux, n’a -t-il pas voulu autant que possible remplacer l’af
fection naturelle qui provient des liens du sang, par celle qui nait de
l'habitude ou de la reconnaissance ?
Ces différentes expressions »'indiquent-elles pas q u e, dans la pensée
du législateu r, l'adoption ne peut avoir lieu qu’entre personnes complè.
tement étrangères l’une envers l’autre, aux liens de la paternité et de la
filiation, comme le prescrivait le dernier état de la législation romaine?
N ’indiqucnt-cllc pas, suivant cet axiome de droit: quod rneum est non
amplius rneum fie r i p o test , que c’est faire jurer les idées et bouleverser
les simples notions du bon sens, que dc«supposcr que celui qui a un fils
naturel légalement reconnu, peut faire absorber, au moyen d’une fiction,
cette qualité de fils naturel , par celle de fils adoptif , et peut ajouter
l'une de ces qualités h l’autre?
�L -a5Est-il besoin de donner une démonstration mathém atique, que telle a
été la volonté bien expresse, l'intention bien formelle du législateur?
Q u’on jette les yeux sur les articles 346 , 347 et 348 du code civil ( i ) ,
on y verra que l’adopté est tenu de rapporter le consentement donné h l’a
doption par ses père et m ère, ou le survivant, ou de requérir leur conseil;
°n y verra que l’adoption confère le nom de l’adoptant à l’adopté en l’ajou
tant au nom propre de ce dernier; que l'adopté reste dans sa famille natu
relle et y conserve tous ses droits; qu’enfin, l’adoplion n’est permise qu’à ce
lui qui jouit ci’une bonne réputation.
S i le législateur n’avait pas entendu que l'adoption ne pourrait avoir lieu
qu’entre personnes complètement étrangères entr’elles, aux qualités de fils
et de père, toutes les prescriptions de la loi seraient ridicules, absurdes j
et d’une application impossible entre l’adoptant et son fils naturel reconnu.
Com m ent, en effet, l’enfant naturel déjà reconnu pourra-t-àl rapporter
le consentement ou le conseil des père ou mère qui l’ontrreconnu, puisqu il n’en a d’autre que l’adoptant? L e père ou la mère qui voudra adopter
sou enfant naturel, jouerait donc dans l’adoption deux rôles différents,
comme 1c cuisinier-cocher dans lA va re de M olière? Comment l’enfant
*1;*turel pourra-t-il ajouter à son nom le nom de l’adoptant,puisque la recon
naissance le hii a déjà conféré ? Comment restera-t-il dans sa famille natu
relle et y conservera-t-il scs droits, puisqu'il n’a d'autre famille que celle
de l’adoptant? Comment pourra-t-il rester à la fois enfant naturil recon-
nn •>et devenir enfant a d op tif du même p ère, les droits dè l’un et de
1autre étant tout-à-fait différents, tou tàfait contradictoires? Comment
Çnfiu le père et surtout la mère de l’enfant naturel, d'un,enfant conçu
^ * 6 . — » I* adoption ne pou rra, en aucun c a s , avoir listi avanl la m ojorité de l'adopté,
^ a lo p iü # ayant encore scs pere et m ò re, ou l ’un des d e u x , n'a point accom pli sa vingtT ninfe a n n é e , il sofa lenii de rapporter le consentem ent donné A l'adoption
par «es père
è ' e , ou par le su r v iv a n t} e t , s il est majeur dû vingt-i'inq a n s , de requérir teur c o n s e il.n 1' ■
3 4 7 . — « Ij’adoption conférera le nom dé l’adoptant à PadoJjté, en rajoutant au non» propre
" d e c e dern ier.»
^ r1, ^ 4 8 . — « 1,’adopté resiera dans sa fam ille naturelle, et y conservera tous scs droits : néan,n , > le mariage est proliilié entre l’adoptant , l’adopté et scs descendants ; entro le s enfants
p i.» du nivino in d iv id u , entro l’adopté et les enfants nui pourraient survenir à l’ilo p ta n t •
" l ’a i
81 “l’1“ c l 1° conjoint de l ’adoptant, et réciproquem ent entre l ’adoptant et le conjoint de
�lidrs m ariage, peuvent* ils jouir d’une bonne réputation? car il ne s’agit
pas ici (l'une réputation de.'probité^ mais de réputation de moeurs pures
et à l’abri de toute espèce de soupçons ; car ce'n’est qu’à des vieillards de
mœurs pures, et dont la vie n’a été marquée , sous ce rapport, par au
cune tâche , que le législateur n voulu'conférer le bienfait de l’adoption .
ce n’est qu’à eux qu’il a voulu confier des enfants que la nature ne leur
- avait >pas donnes!..',..
A insi, quand oh veut examiner les conséquences du principe professé
p a rle s partisans de l’adoption des enfants naturels, on arrive à l’impossi
bilité, e lle législateur n’a pas voulu exprimer des choses impossibles. Pour
faire toucher du doigt l’impossibilité qu’il faudrait nécessairement imputer
aux prescriptions du législateur, si l’on admettait qu’il a permis l’adoption
.des enfants naturels , nous terminerons ^ sur'cette question , par deux rap
prochements bien simples.
Le législateur .a voulu que l’adopté reste dans sa famille naturelle et
y conserve
tous' scs di-oils': si l’adopté est un enfant naturel reconnu , et
qu’a u x ’ termes de l’article 348 du code civil , ril conserve tous ses droits
dans sa'fam ille naturelle, il ne pourra, par suite des combinaisons des
articles 338, 348 et 908, réclam er, dans aucun cas, les droits d’enfant
légitim é, et obtenir , par la donation ou le testament du pète qui l’aura re
connu, rien'àu-delà de ce qui lui est accordé au titre des successions !...
Cependant aux termes de l’article 35o , l’adopté a , sur la succession de
l’adoptant, lès mêmes droits que ceux qui compèteraient à l’enfant né du
mariage ; de telle so rte, que d’un côté l’erifànt naturel reconnu e t 1adopté ne
pourrait obtenir les droits d’cilfant légitim e, et *jue'de 'l’autre ‘il anrait*los
droits d’un enfunt légitime.
L article 35o est donc matériellement inconciliable dans le sens où l’a
doption des enfants naturels serait permise avec les articles 338, 348 et
908 combinés; et qu’on ne vienne pas dire que l’article 35o dérogea l’ar
ticle 908 dans ce cas spécial.
\
Il
ne s agit pas seulement
de dérogation à l’article 9°8 qui est au
litre des successions , mais aux articles 338 et 348 qui sont au litre des
personnes , et à celui même de / adoption (O* IJ'on scra‘ l donc obligé de
soutenir que les dispositions concernant l'adoption ne sont pas co-rcla*
Y oy. les art. 3 3 3 et 9 0 3 r a8 ° 2 0 , l ’art. 3 4 8 page 2 3 , c l l ’art. 3 3 0 page 2 7 .
�— p , i y -r-
- tivos, nd sont pas, Ofjgées;simultanémentet sont-.destructives les nnes djcs
' auti-es ,.[ce qui^n’e s t pas lpgique ; mais ce qui le, serait, encoie-m oins ,
c’est que si ledégislateur permettait Tadoplion de l’enfant naturel reconnu,
i'il détruirait complètement l’esprit et la conséquence des articles, 33 1 et 33 a.
' Ces [articles ne -permettent la légitimation des enfants naturels que parole
mariage ! subséquent, «t: par l'acte ■
m ôme-de 'célébration dm mariage tics
père et m èie qui les ont reconnus, et nonf postérieurement. O r , si l’adop
tion de l’enfant naturel était permiso et qu'ellei lui donnât les droits d’en■fknt légitim e (ni t. 35 o C . C . ) , ( 0 on pourrait donc, autrement .que. par
l,n mariage subséquent et postérieurement à. ce m ariage, rendre légitim e,
Par l'adoption * celui qu’il ne serait plus permis de'rendre légitime par la
légitimation /seule voie que le code a ouverte, ce; qui est une contradic
tion manifeste à ajouter' h tant d’autres.
A rriver à. celte conclusion c’est avoir établi que jamais il n’est entré
dans l’cspiit du législateur, comme dans l’expression de sa volonté, de
permettre l’adoption de l’enfant naturel, par les pèreiou mère qui l’ont re
connu.
Si l’on veut examiner la question d’un peu plus haut sans s'arrêter* au
texte de tel ou te l-a rticle, on voit que le législateur sYst(occupé , dans
chapitre sp écial, de tous les enfants nés hors m ariage;'qu’il a indiqué
dans. une série de dispositions.'bicn précises, bien formelles, les seuls mo
yens qui ne s’appliquent qu’à eux d’acquérir, de trouver une famille
(i” e leur naissance ne leur donnait pas; que: placés ainsi hors du.droit
c°innuiri , hors rdc toute fam ille, les enfants nés hors mariage sont plus
01,1 moins favorisés: par la d o i, eu égard à leu n naissance, plus- ou moins
,8Çn*KUlensc ; ,que‘ cette loi-est moins sévère pour les enfants1 naturels
pour les enfants adultérins; m ais-qu'elle.est égide.pour tous en ce
s<,nsv quc ces prohibitions, que ces exceptions sont aussi formelles pour les
'mscjuq pour les autres; en ce sens que, dans cette position toute excop'^onndlpj les e n fa n ts adultérins ne peuvent jamais obU nir que des aliments,
et.. l'is Qiifmls naturbls la reconnaissance et la, It;gil ¡million, seulement
Ui,1>s les formes; et'oux conditions- indiquées , prescrites, par la lo i , et, ja-
(1) .A n . 3 S 0 . « I.'adopté ri’oc piorra aucun «lroil île sudcéflsli.iU té'siir t w 't t c n s : .! « - p a r e u »
" 1 "'lopirim ;
do
il aura im- la *ueriiSioi», <V 1’ddoptmit ics.‘im>n'Jps droits Irjur ce iv q i ’y .« ir a it
" 1 « fa u t né on m a r â g e , iniimc .<pond il y îmniit d a u !rcs eitfo n li'd c t c 'lc . dotujcrr • q u a lité , nùj
“■'Jojmis l'ailijp'ion. »
�-
28-
înais l'adoption, parce que non-seulement le législateur n’a pas dit expres
sément que cette voie leur est ouverte ( ce qui était indispensable dans la
position toute exceptionnelle où se trouvent les enfants hors m ariage),
• mais encore parce qu’il résulte d’une foule de dispositions que nous avons
énumérées, que l’adoption de l’enfant naturel par les père et inèrc qui l’ont
reconnu est interdite de la manière la plus formelle. Notre législateuia proscrit cette espèce d’adoption, parce qu’elle encouragerait la dé
pravation des mœurs, et tendrait à augmenter, d’une manière effrayante,
le nombre des enfants nés hors m ariage, déjà si considérable, et qui fini
rait par envahir tous les rangs de la société.
S i, de l’examen de la question en elle-m ême, nous passons aux autorités
qui ont appuyé l’une et l’autre opinion, nous voyons d’un côté, et pour l’a
doption : MM. Grenier et Duranton qui s’expliquent plutôt d’une ma
nière dubitative que positive, e tM . Dalloz ; tandis que nous voyons de
l’autre, et contre l’adoption : M M . T o u lier, M erlin, M alleville v Delvincourt, Loiseau, C h a b o t, Favard de l’Anglade, Rogron ; enfin, tous ceux
qui ont écrit ou exprimé leur opinion sur la m atière, mais notamment
M . Magnin ,dont le traité spécial est tout récent.
M . Favard de l’Anglade, qui traite la question avec quelque étendue
au mot adoption, en son répertoire , rapporte l’opinion de M M . Treilhard
et M alleville, attaché à la commission chargée de rédiger le code civil,
et de laquelle il résulte,de la manière la plus positive, que «les rédac« leurs du code civil n’ont jamais entendu autoriser l’adoption des enfants
« naturels par les père et mère qui les auraient reconnus. » E t, chose re
m arquable, c’est un prétendu p rocès-verbal, découvert par M. L ocré, pro
cès-verbal qui pouvait faire supposer une opinion contraire de la part des
lédactcurs du code c iv il, qui a entraîné, en faveur de l’adoption des enfants
naturels, MM. Merlin, Toulier, Grenier etun grand nombre de cours royales,
unanimes contre eux avant celle découverte. Aujourd’hui que MM. Favard
de l’Anglade, Treilhard et M alleville; M erlin, et T ou lier, et M. le pro
cureur-général Mourre ont fait justice de ce prétendu procès-verbal , les
cours et tribunaux feront comme Toulier et M erlin, et reviendront à leu*'
première unanimité.
Si, de l’opinion des auteurs nouspassonsà la jurisprudence, nous trouvons
un assez grand nombre de cours royales «lui ont consacré l’un et l’auti0
système : les cours de Paris, Nismes , Besançon, Pau, B ourges, Amiens ,
ont constamment refusé d’admettre l adoption des enfants naturels r t '
�_ 2 9-
connus. Les cours de Grenoble , C aën , D ou ai, Rennes , Poitiers, L yo n ,
o n t, aucontraire, admis que celte adoption pouvait avoir lieu. Mais il y
a cela de remarquable que dans aucun des arrêts qui ont admis l’adop
tion , cette adoption n’e'tait contestée par des tiers intéressés. D’où il est
permis d’inférer que la question n’a pas été sérieusement agitée, et que
les cours ont fait acte de juridiction gracieuse, plutôt qu’application des
principes sévères.
Une seule fois la cour de cassation a été saisie d e ’ cette question: on
lui déférait un arrêt de la cour de Nismes qui avait refusé d’admettre
l’adoption. E lle x-ejeta le pourvoi parce que l’arrêt n’étant pas m otivé, et
ne pouvant pas l’être, la cour de Nismes avait pu être déterminée par
les circonstances spécifiées dans l’article 355 du code c iv il, et non parce
que l’adopté était un enfant naturel reconnu. D ’où elle tira la conséquence
qu’il était inutile de s’occuper de la question en elle-même. Cet arrêt.:
est rapporté par MM. F avard d e l’Ànglade et D allozen leurs répertoires
au mot: adoption. Il est h la date du
i 4 novembre i 8 i 5 . M. Boslon-
Castellam oute, conseiller rapporteur dans cette affaire, exprima dans son
rapport une opinion contraire à l’adoption de l’enfant naturel, et M . Fa*
Vard de l’A nglade, président de cliambre à la cour de cassation, qui
devait connaître l’opinion de ses collègues, après avoir rapporté cet arrêt,
ajoute que la décision de la cour de cassation autorise à penser que
l’arrêt d’une cour royale q u i, dans ce cas, approuverait l’adoption, ne
pourrait échapper à la cassation, comme contraire à l’esprit et à la lettre
de la loi.
Nous pensons qu’il est inutile d’insister d’avantage sur cette question:
elle mérite toute l’attention du tribunal; elle a besoin d’être longuement
méditée, car ce n’est qu’après plusieurs années de discussion que M M . Toulier et Merlin qui étaient d’abord d’un avis favorable à l'adoption , ont
passé à une opinion contraire. Le tribunal de G annat, si sa conviction
l’y appelle ne reculera pas devant un pareil exemple donné par de pareils
hom m es!,...
�3mc PROPOSITION.
Dans le cas oh en thcze générale l'adoption de l'enfant n a tu r tt
par les pcre et mère qui lo n t reconnu serait perm ise , il n'y à pas
lieu dans l'espèce à l'adoption de la dame Sophie-M athilde B o ir o t ,
épouse Delaplanche , par sa m ère , la dame B u val.
Nos adversaires, par leur refus obstine de toute conciliation nous ont
amené sur un terrain où la discussion touche directement aux personnes.
Q u’ils s’en prennent donc à eux-mêm es, à eux seuls, si nous invoquons
des souvenirs et des actes, dont la mémoire de leur mère pourrait être
offensée!'.... Quelque pénible que soit la tâche qu’ils nous ont imposée,
nous ne reculerons pas. Mais en nous rappelant que l’on ne doit aux morts
que la vérité, nous nous rappelerons que nous nous devons à nous, d’être
calmes et réserves dans notre langage, même en présence d’injustes adver
saires. Les magistrats sauront apprécier notre modération et jusques à
notre silence.
Tou s les auteurs qui soutiennent que l’adoption de l'enfant naturel par
les père et mère qui l’ont reconnu, est permise, sont les premiers à pro
clamer qu’il faut mettre dans l’application de ce principe de justes ternpéramment. C ’est ainsi que M. Grenier fait des vœux pour que les exem
ples de ces adoptions ne se présentent jamais; c’cst ainsi que M . Dalloz
désire que l’adoption ne soit permise que lorsque les magistrats sont con
vaincus de l'impossibilité de la légitimation par mariage subséquent ; c’est
ainsi que ce dernier auteur pense que l’adoption des enfants naturels ne
Saurait causer de vives alarmes pour les mœurs, puisque les tribunaux >
dispensés, en cette m atière, dém otiver leurs jugements, se trouvent in
vestis par la loi du pouvoir d’empêcher les exemples de ces adoptions de se multiplier aux dépens de la morale publique, et que le pouvoir sa
lutaire et illimité qui leur a été 1ém is-par le législateur, est dénaturé h '
prévenir tous les dangers et à faire cesser toutes les craintes. C ’est encore
ainsi que M M . Grenier et Dalloz s’accordent à proscrire toute adoption !
en faveur de l'enfant entaché d’adultère.
Si jamais ce pouvoir discrétionnaire, illim ité ,
sans motifs à expri
mer comme sans contrôle, fut facile à exercer; si jamais la conscience
�a fait un devoir aux magistrats de déclarer qu’il n’y a pas lieu à adop
tion, certes, c’est dans l’espèce qui est soumise à leur appréciation. Nous
ne craignons pas de dire que si lorsque la familleDelaplanclie voulutemporter
au pas de course , l'homologation de cet acte d’adoption ( arraché à l’a
gonie de leur mère , et qu’elle leur aurait refusé si elle avait conservé le
libre usage de ses facultés et de ses souvenirs ) , les faits avaient été ex
posés fidèlement, tels qu’ils ressortent des actes authentiques, la religion
du tribunal n’aurait pas été surprise d’une manière si étrange.
O n conçoit qu’il est des positions tellement intéressantes, que la rigeur des principes doit en leur faveur faire quelques concessions. Ainsi
une jeune fille de mœurs pures , d’une éducation peu avancée, aura dans
un âge et dans une position où la crédulité est si facile à se laisser en*
traîner , cédé aux solicitations d’un séducteur, riche et adroit , elle aura
cru dans son inexpérience aux promesses si souvent répétées d'une union
prochaine. Mais bientôt elle est détrompée; le séducteur meurt ou l'aban
donne, et il ne reste à la pauvre fille de toutes ses brillantes illusions que
la honte et un malheureux enfant ? ... Q ue si elle remplit alors avec une
noble résignation tous ses devoirs de m ère; que si à force de vertu elle répare
Sa
faute en consacrant sa vie entière, son affection, sa fortune sans, aucun
partage à l’enfant qui fait tour-à-tour sa honte et son bonheur; que si
elle repousse tout autre hymen que celui qui peut légitimer son enfant,
c ’est alors qu’après des épreuves aussi certaines, les magistrats bien con
vaincus qu'il y a eu faute, mais qu’il n’y a pas eu v ic e , qu’il n’y a pas
eu crim e; bien convaincus que cette faute a été réparée, a été expiée
autant que possible, peuvent déclarer qu’il y a lieu à adoption.
Mais ici rien de semblable :
C ’est une femme âgée de vingt-trois ar»s, riche, d’une éducation et
■
d’un rang élevés, qui f.»il prononcer après quinze mois d’un premier malla ge contracté sous les auspices les plus heureux, avec un jeune homme
d u n rang et d une fortune égaux aux siens, un divorce qu’elle poursuit
dans des intentions faciles a ap précier!... C ’est une femme qui n’allcnd
l )ns que ce divorce soit prononcé pour quitter son domicile , et aller
s'établir dans une ville voisine avec l’instigateur du divorce et vivre pu
diquem ent avec celui-ci dans sa m aison!... C ’est une femme qui dix
iinois et quatorze jours seulement après le divorce, met au monde un
�enfant dont elle cache la naissance et ie nom , parce que 'sa conception
ayant pu avoir lieu pendant l’existence du premier m ariage, elle est exposée
à voir déclarer cet enfant, adultérin , aux ternies d*s anciennes lois et
de la jurispiudence des parlements, tant sur les poursuites du sieur Esmelin-D euxaigues, son premier m ari, que sur celles de ses propres parents
intéressés h le repousser de sa fam ille!... C e st une femme qui sentant
combien cette tâche d’adultérinité est difficile à détruire, soit aux yeux
de la lo i, soit aux yeux du p ub lic, fait intervenir plus tard devant les
tribunaux ses parenls, et les fait consentir expressément à ce qu'il soit
dit que cet enfant est son enfant naturel !... C ’est une femme qui dé
laisse l’instigateur de son divorce, celui avec qui pendant l’action en d i
vorce, elle avait fui de son dom icile; celui qu’elle avait déclaré être le
père de son enfant1, qui le délaisse, quoiqu’il fut resté célibataire, quoiqu’il
soit mort postérieurement célibataire, ou qui délaissée par lu i, elle jeune,
riche et belle songe à une autre hym en!... C ’est une femme qui convole
après sept ans d’une liberté dont elle avait si mal profité, en secondes
noces avec le sieur D uval, et renonce ainsi volontairement, d’elle-m êm e,
à toutes les voies qui lui étaient ouvertes pour réparer le vice de la nais
sance de sa fille. C ’est elle qui renonce à la légitimation par mariage
subséquent,puisqu’en épousant un autre que le père de sa fille, elle renonce
à l’adoption, et qu’en outre elle ne se mariait avec le sieur Duval qu’avec
l’espérance d’avoir des enfants légitim es!... C ’est une femme qui n’a fait
aucune espèce de sacrifice, h ses goûts, à ses passions, h ses désirs pour ré
parer sa faute, et qui n’a été ramenée h une tendresse exclusive pour sa
fille que par l’âge et par le hazard !......
A insi, divorce, fuite de l’epouse divorcée avec l’instigateur du divorce,
naissance cachée , naissance d ix mois cl quatorze jours seulement après
le divorce , d’un enfant entaché d'adultérinité, et d’une manière indélébile,
reconnaissance de cet enfant, renonciation volontaire h le faire légitime ,
et même h pouvoir l’adopter , par un convoi en secondes noces avec un
autre que le père de cet enfant, resté célibataire. 'J elles sont les cir
constances accumulées que présente la
cause,
et dont une seule suffit aux
yeux des auteurs pai lisants de l’adoption des enfants naturels pour faire
déclarer, dans l’espèce, cette adoption impossible.
�— 33—
E n présence de pareils faits , et tous ces faits sont prouve's par actes au
thentiques, excepté un seul, celui d e là fuite delà dam cEsmelin-Deuxaigues
avec son séducteur; En présence des articles 355 et 356 du code c i v i l , estil possible de déclarer qu’il y a lieu à adoption , de la part de la dame
D u v al, nous ne disons pas en faveur de la dame Delaplanche, son en
fant n a tu re l, mais en faveur d’utv étranger, en faveur de qui que ce
soit ? E st-il possible de décider que le législateur ait voulu conférer le
bénéfice de l’adoption à celui dont la vie aurait été signalée par de pareils
actes, et qui aurait de pareils préceptes, de pareils exemples à léguer
à son enfant adop tif? Non jamais les magistrats ne consentiront à
porter une pareille atteinte aux lois , aux mœurs et à leur conscience !...
4e PROPOSITION.
l!adoption de lenfant naturel reconnu serait elle perm ise , et y
aurai t - il lieu dans lesp èce, à l'adoption de la dame Delaplanche , le
sieur Doirot de Laruas n'en aurait pas moins droit au huitième ùe la
succession de la dame D ut al.
On doit sentir que nous n’examinons celte proposition que pour épuiser
entièrement la matière* d’autant plus que nous l’avons déjà agitée inci
demment.
Nous avons dit et nous soutenons que l’article 338 , C . C . combiné
*vec les articles 756 , 757 et 908 contiennent une prohibition absolue,
indélébile, attachée h la personne des enfants naturels reconnus , de rien
Recevoir au-delà de ce qui leur est attribué au titre des successions.
Nous avons dit que celte prohibition demeure adhérente à l ’enfant
naturel reconnu, comme la robe de Nessus, h- moins que la main du lé -
8'slateur ne vienne l’ai rad ier !....
Nous avons dit que cette prohibition n’était pas détruite par l’articlo
35 o qui confère à l’adopté les mêmes droits dans la succession de l’adop*ant, que ceux qu’y aurait l’enfant né du m ariage, parce que cet article
^5o est en contradiction formelle avec les
articles 348 cl 3 3 8 , et par
suitc avec les articles 7 5 6 , 757 et 908 du code c iv il, desquels derniers
^ ticles, il résulte que l’adopté ne change pas d’état, veste dans sa famille
naturelle et y conserve tous ses droits.
Nous avons dit que dans celte contradiction palpable entre deux textes
lo i, il était impossible de supposer que les articles 3 4 8 , 3 3 8 , 756 ,
257 et 908 fussent absorbés par l’article 35 o ; qu’il faut donc s’en teniv
�■à la prohibition expressément faite à l’enfant naturel reconnu de rien re
cevoir au-delà de ce que la loi lui accorde, qu’il soit ou nom adopté;
que cela est si rationnel, si positif, que cette prohibition est tellement
adhérente à l a personnne de l’enfant naturel r e c o n n u qu’il faut une excep
tion écrite et formelle du législateur pour l’en débarrasser.
E n effet, le législateur ayant disposé art. 3 3 1 et 332 du code c iv il, que
l’enfant naturel reconnu pouvait être légitimé par mariage subséquent, a
ajouté pour éviter l’application desdits articles 338 , 756 , 757 et 908, à
l’enfant naturel reconnu qui aurait été légitim é, que les enfants légitimés
par mariage subséquent auraient les mêmes droits que s’ils étaient nés
de ce mariage.
Q u ’ainsi pour attribuer, contrairement aux articles p ré cité s, à l’enfant
naturel reconnu, la portion qui revient à l’enfant adopté qui n’est pas
naturel, il faudrait que le législateur eût dit comme pour l’enfant légitimé:
« l 'e nfant naturel reconnu et adopté aura sur la succession de l'adop 3) ta n t , les mêmes droits que s'il n'était pas enfant naturel reconnu. »
Inutile d’insister d’avantage sur cette dernière question. Nous finirons
par une seule réflexion: c’est que dans la moitié de la F ran ce; c ’est-àd ire, dans le ressort des cours royales de P aris, Bourges etc, etc, le procès
actuel n’aurait pas même eu l’occasion de naître. Le sieur Boirot a donc
la conviction que quoiqu’il se trouve justiciable de cette partie de la F ran ce
où un pareil procès a pu commencer, il n’aura d’autre désagrément, que
celui d’avoir été obligé de demander justice.
Par ces différents motifs, le tribunal de Gannat ne fera aucune dif
ficulté de condamner les époux Delaplanche à délaisser au sieur Boirot
de L aru as, le huitième de la succession mobilière et im m obilière de feue
la dame D u val, dont ils se sont indûment em parés, avec restitution de
fruits et de jouissances, à compter du jour du décès et aux dépens.
BOIROT
de
LARUAS.
Me B. P E IG U E , avocat.
• Me GODEMEL avoué.
GANNAT , IMPRIMERIE DE GONINFAURE -A RTHAUD,
�
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Factums Godemel
Relation
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/files/factum-remarquables/BCU_Factums_G0301_0007.jpg
Description
An account of the resource
<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. Boirot de Laruas. 1840?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
B. Peigue
Godemel
Subject
The topic of the resource
successions
adoption
enfants naturels
successions collatérales
généalogie
divorces
Pater is est
accouchement
enfants adultérins
doctrine
adultères
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire a l'appui de la demande du sieur Louis-Pierre Boirot de Laruas, propriétaire, maire de la commune de Theneuille, contre 1° dame Sophie-Mathilde Boirot, sans profession, épouse du sieur Gilbert Delaplanche, demeurant avec lui au chef-lieu de la commune de Bellenaves ; 2° et le sieur Gilbert Delaplanche, propriétaire en ladite commune, tant en son nom personnel que pour autoriser son épouse.
Annotations manuscrites.
Arbre généalogique.
Table Godemel : Adoption : consommée du vivant de l’adoptant peut-elle être attaquée par des tiers ? l’enfant naturel antérieurement reconnu par sa mère, peut-il, dans la suite, être adopté par elle ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Imprimerie de Goninfaure-Arthaud (Gannat)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa 1840
1798-1840
1789-1799 : Révolution
1799-1804 : Consulat
1804-1814 : 1er Empire
1814-1830 : Restauration
1830-1848 : Monarchie de Juillet
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
34 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G2818
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Relation
A related resource
BCU_Factums_G2819
BCU_Factums_G2820
BCU_Factums_G2821
BCU_Factums_G2820
BCU_Factums_G2821
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/6/53574/BCU_Factums_G2818.jpg
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Theneuille (03282)
Bellenaves (03022)
Riom (63300)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
accouchement
adoption
adultères
divorces
doctrine
enfants adultérins
enfants naturels
généalogie
Pater is est
Successions
successions collatérales
-
https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/original/6/53562/BCU_Factums_G2806.pdf
9ca31f846da26b4ceb581b1b44c98f1c
PDF Text
Text
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MEMOIRE
C O U R iA R O Y A L E
DE
R IOM.
EN RÉPONSE
1er C H A M B R E .
POUR
P R É C E P T E U R , INTIMÉ ;
CONTRE
et L o u i s - E t i e n n e G U E S T O N , Pro
priétaires; F r a n ç o i s e G U E S T O N et J e a n
C A U S S E , son mari, Docteur en médecine;
Appelants d’un jugement rendu par le Tri
bunal de Moulins, le 28 avril 1836.
G ilb ert
t ¡ t tfi
L
es héritiers légitimes du sieur Gueston , en s’adressant à la publi
cité, ont plutôt consulté leurs intérêts matériels, dont la conserva
tion les a toujours vivement préoccupés, que les devoirs de la piété
filiale , dont l'accomplissement était pour eux sans bénéfice. Dans le
but d ’expliquer en leur faveur les actes et les faits de la contestation
qu’ ils ont so u le vé e , ils n’ont pas craint d ’outrager la mémoire de
leur p è r e , en imprimant que la seule présence de ses enfants lui
�faisait ombrage, et q u ’il allait jusqu’à les menacer de faire disparaître
sa fortune, en le représentant comme un liomme faib le, livré à la
domination d ’une femme entièrement illétrée, et dupe des plus gros
sières mystifications. Son fds naturel accepte comme une portion
précieuse de son héritage le soin de venger sa mémoire. Il lui suffira
d ’exposer fidèlement la conduite que son père a tenue, pour le jus
tifier des reproches immérités qui lui ont été adressés, et faire res
sortir l’ingratitude de ceux q u i, après avoir partagé pendant sa vie
son riche patrim oine, ne craignent pas de Taccuser après sa mort.
Dans ces débats, qu ’il est obligé de soutenir seul contre des adver
saires opulents, sans autre appui que la bonté de sa cause, sans autre
ressource que le produit de son travail de tous les jours, il aura du
moins la consolation, en défendant ses d ro its, de remplir un pieux
devoir, et de seconder les bienveillantes intentions de son père.
Déjà le tribunal de Moulins, dont la Cour a souvent eu l’occasion
d ’apprécier les décisions empreintes de sagesse , lui a rendu justice.
Il a répudié la responsabilité q u ’on voulait lui faire encourir, en l’as
sociant à des actes dont il n’avait pu juger la portée sans débats con
tradictoires ; il n’a pas voulu q u ’arrachés à la faiblesse d ’une tutrice,
ces actes devinssent pour un mineur une'cause de dommage et de
ruine, et il l’a réintégré dans la plénitude de ses droits. Bientôt, il
l’espère , la Cour partagera les mêmes convictions , et ratifiera, après
un examen consciencieux , cette œuvre d e sagesse et de réparation.
FAITS.
Le sieur François Gucston a contracté mariage avec mademoiselle
' >
•
lîarathon-Desgranges le i juin 1790. Cette union fut de courte du
4
rée. : madame Gucston mourut en 1 7 9 7 , laissant trois enfants en
bas âge. Par son testament, en date du 21 mars 1797 , elle avait lé
gué à son mari l’usufruit de tous ses biens. Devenu veuf dans la force
de lago ,llíe sieur Gucston q u i , dans l’intérêt de scs enfants, n’avait
pas voulu contracter un second mariage, ne put cependant vivre
�dons l’isolement où l ’avait placé la perte prématurée de'sonl épouse.
H jeta les yeux suri une jeune fille de dix-neuf ans, qui était, à son
service, é t q u i ,. simple et naïve,-ne sut'résister. à lia «séduction d ’un
homme qui'avait sur-elle l’avantage de l’éducation et l’ajitorité d ’un
maître-, Marie Brun et, dans sa nouvelle position
se dévoua entière-
mentià la personne ;du sietlr Gueston ; l'attachement q u ’elle lui por
tait ;rejaillit‘sur. saijeune fam ille, dont elle soigna l’enfance avec une
tendrosse;touf;e maternelle;;D’un désintéressement à toute épreuve\
jamais, elleune, songea à tireraprofit de l'affection et de la confiance
que luv témoignait sopi maître. Pari son active surveillance’ , par soii
économie soutenue, elle contribua puissamment à l ’amélioration no
table que le sieur Gueston apporta à: sa fortune. Depuis la mort de
sa fe m m e , il avait *(! en ‘ éfiet'J »acqu is, des .propriétés considérable«;,
dont il avait ientièremerii payé1Le prixv> malgré les dépenses occa
sionnées par l ’éducation de sesjeiifantsyjeti les sacrifices qu.’iî était
obligé de faire pour les exempter.du service militaire. L e remplace
ment de' l’un d ’eux ,i notamment, s’était élevé à la somme de dix
mille franc?,! poiir laquelle il avait souscrit uneiobligatio.O:en faveur
de .lean Alibert.ùCett«: sage administration^ loin d'imposer à ses «fin
fants la recodnaissanccjqu’elle devait leur inspirer^ jne fit :qu’exciter
leur cupidités L e sieur ¡G ueston, domicilié en jB ourboun ais, avait
adopté le régime et les usages consacrés dans cette!province. A d é i
faut d’inventaire, la communauté avait continué de Subsister après
le décès dolson épouse ; ! et toutes les; acquisitions' qü’il avait faites,?
appartonaientipour moitié à ses enfants.) Impatient d !çn;profiterV.>le
sieur Gilbert Gueston , son fibtaîné, à peine parvenu,àisa majorité ,
lit brusquement apposer les scellés dans le domicile.de sOn.pèreJ et
un inventaire fut dressé’, les 28 et 29 avril
i
8i 3 ,
par le notaire Bou-
caumont. Cet inventaire constate que les seules valeurs mobilières
dépendant de la commnnaulé s'élèvent a lla som m e;de 60,000 fr.
Malgré le chagrin qu un procédé aussi violentjdùtucauser a)i sieur
Gueston, il ne contesta.pas lés droits rigoureux de son fils; i^fit
plus , il se montra à son égard généreux et bienveillant : un partage
�\.
-
X-
de tous les biens composant la communauté fut p assé , le
5
3o
avril
18 1 , entre le sieur Gueston p ère , son fils aîné m ajeur, et le cura
teur à l’émancipation du sieur Louis-Etienne Gueston.et de la demoi
selle Française Gueston, encore dans les Hens.de la minorité. On
procéda d ’abord au partage du mobilier, estimé 60,000 francs.'Il fut
convenu q u e , sur cette valeur, le sieur*Gueston père se retiendrait
dix mille francs pour solder le prix du remplacement: encore dû à
Jean Alibert. Les reprises du.'sieur Gueston p ère, soit pour les som
mes q u ’il avait recueillies dans plusieurs s u c c e s s io n s s o it pour les
dettes q u ’il avait payées dans l’intérêt de son épouse , furent réglées
à 55,891 fr. , qu ’il fut également autorisé à prélever sur les valeurs
mobilières. La portion revenant aux enfants’, soit pour les prélève
ments q u ’ils avaient à exercer, soit à titré de communistes, fut fixée
à 1
1,644 fr- 5°
cent. M. Gueston leur délivra immédiatement pour
2,265 fr. de mobilier, et paya comptant à son fils aîné la somme de
3 ,1 2 6 fr.
5o c c n t ., complétant son amendement, et s’engagea à payer
une pareille somme à chacun de ses deux autres enfants, lorsqu’ils
seraient arrivés à leur majorité. On procéda ensuite au partage des
immeubles acquis pendant la communauté. Deux lots égaux furent
form és, et attribués, par la voie du sort, l’un aux enfants, l’autre
au sieur Gueston père. Celui échu aux enfants se composait de la
5
propriété des Salles, garnie de son cheptel estimé 6,002 fr.T o c. ;
celui échu au sieur Gueston père comprenait : i* le domaine des
Veaux ; 2* celui de Loulaigue ;
mêm e-nom ;
46 ta locatcrie de
3®celui
de la Faye et la locatcrie du
Loulaigue;
5° les bestiaux
attachés ;»
l’exploitation de ces diverses propriétés.
Enfin, M. Gueston ren on ça , en faveur de ses enfants, à la jouis
sance des biens de son é p o u se , qui lui avait été assurée par le tes
tament de cette dernière.
>
:i;
■
Gct acte nous donne des renseignements précieux sur la cousislance do la fortune personnelle du sieur Gueston. Nous y trouvons
la preuve que les seules valeurs mobilières dépendant de la commu
nauté s’élevaient à 60,000 l r . , et qn’ù l'exception de 1 i,6/j4 francs
�5o cent,
—5—
reconnus appartenir à ses enfants, tout le surplus avait'été
retenu par le père comme étant sa propriété exclusive. Nous'y trou
vons aussi un indice qui peutrservir à apprécier la valeur corrélative
des immeublesisoùmis au partage ; et dont l’exploitation rd !un seul
domaine nécessitait pour plus de 6,060 fr. de bestiaux. Nous'terrons
plusitard l'estimation q u ’en ont faite les héritiers Güeston .’’ Idrsqn’ils
ont voulu liquider les droits de leur frère naturel.
1,1
Cette, conduite loyale et généreuse du sieur Gueston était de na
ture à satisfaire lesiexigences de ses enfants; e lle >ne fit que donner
plus d ’aclivité à leur ambition, ils exploitèrent habilement'une oc
casion favorable qui se.présenta dans la famille. Marie B ru n et, qui
s’était retirée à Tagnères pendant les opérations que: nécessitèrent
l’apposition des scellés et le partage de la communauté, fut bientôt
rappelée par le sieur G u e sto n , qui l’envoya chercher par la femme
Chavillat, sa locataire. Elle rentra au domicile de son m aître, dont
elle ne s’était pas séparée depuis 1808, au commencement de juin
8 3 , et non dans les
premiers mois de 1 S 1 4 , comme l’ont avancé
les héritiers Gueston dans une intention q u ’il est facile d e compren
dre. Par suite de ses relations avec le sieur Gueston; elle devint en
i
i
4
ceinte. Au mois de juillet 18 1 » celui-ci la fit conduire à M oulins,
chez les dames B o r d e t , accoucheuses, o ù , le 18 octobre 1814 , elle
donna le jour à un Gis qui fu t, le lendemain 1 9 , dépoSé à l’hospice
5
de Moulins. L e môme jour 19 octo bre, et non le a , l’enfant fut
présenté à l’officier de l’état civil, et reçut les noms d ’Éléonard Canu.
Il fut baptisé le 20 , dans l’église de Notre-Dame. Une nourrice du
lieu de T ré v o l, indiquée par la m ère, reçut de l'administration cet
enfant q u i , pendant son séjour chez sa nourrice , fut souvent visité
soit par Marie B ru n et, soit par le sieur Gueston lui-même , dont la
paternité n était un mystère pour personne. L e 11 janvier i
8i5 ,
Marie B ru n et, qui était sur le point de contracter mariage avec un
nomme Gilbert l'ratissier, récemment revenu du service, déclara à
1administration^qu elle
entendait rester chargée de son enfant. Un
acte constatant la r e m is e d ’Éléonard lui fut délivré par la sœur Bartit.
�L attachement.que lersieur Gueston portait à son enfant naturel, et
qui .cependant oe j e t a i t manifesté que par des caresses ou deilégers
présepjt£,faits à*-£a;:npumce> dor(na de,;ripquiétude.à ¡son fils aîné ,
dont prt(a déjà pu apprécier ln cpnduite.iütéressécdà l’égard.de son
pèrp.-II.ejsagéra sesci<aintçs:, et manifesta une défiance que.'lê sieur
Çiiestonlcrut devoir dissiper en faisant-encore de< nouveaux sacrifices
personnels. L e ]
4 ¡janvier 18 i 5
par afcle reçu Boncaiitpont
il icôn-
sgplijí, en*'iayeur-de ses'deux fils majeurs'et de îsatfilleiencôre xninpureij une donation , sous la forme de- vente',: de’ la majeure partie
de, ses biens.rneubleSiiet immeubles. Cette':ventc comprend : i® le
château et la,réserve[de :Sciàuve; 2,".Je domaineidei Sciauve et ses
3
dépendances ; ° le moulin des Y e a u x e t j e s dépendances » consistant
pu jardin, chenevjpres* prés et Ierres;
5° le domaine dçs.y.çaux ; 6° le domaine
4? la locatcrie
d e Bôuchon ;
de la Faye- e t la locaterie y
attenant ;'7°ile domaine d e i o u l a i g u e ; 8®-.tojJs les bestiaux garnissant
lesdils domaines ; ç)° tous, lep .meubles m eublants, à l'exception de
ceux,garnissant;]^chambre habitée par le sieur Gueston j et de quel
ques objets réservés, tçls q u ’ils:ont été.estimés datas l’inventaire des
83
28 et 2 9 ,avril j i ;i io° toutes les récoltes engrangée'siet tous les
grains écossés qui sont daris les .greniers. Vu'.'. ¡
uÀ
. Cettç vente fut consentie à la charge par les acquéreurs de payer :
1» n n f somme de 48,000 fr. au sienr de Boisrcnaud, sur le prix de
la vente qti’ile v a it consentie au sieur Gueston ; 2».collé de lo ,o o o f:
onçoni di\e ail Remplaçant A libert, e t ,’ en outre., ¡Via'charge de serjvir une rente, viagère de
5,-000 fr.
annuellement au sieur Gueston l
<•1 de quelques.prestations en nature;
¡;*ui «
1•
i-
1
8 5 , les (rois enfantsGueston souscri*-
■
Le même joui% il\ janvier i i
virpnt un acte soüs seing .’privé par lequel ils reconnurent devoir à
Marie Brunei une somme de 2 ,o o q frnnfcs pour^el)e;et>son eilfant
naturel , et 'ce par don et par forme de récompense «le ses services*.
Ils s’engagèrent solidairement à la paver au moyen d ’une rente an
5
nuelle et viagère de ôo francs, dorft Mario Brtinct profiterait jusqu’il
('A* rjUc Jiléonard \Cariu, 1son fils naturel", ne le 18 âclnbrc 1 8 1 4 > cl
�qu elle'avait retiréi le 1 1,janvier, auraitiatteinV l ’âge d eh S 'û n s], atrü
quel cas ils s’obligeaient à la payer en totalité audit Éléonard
jusqu’après son décès.- , ?o}os ai h
‘)iliir.ri( î:;jrnr>ri toinqr.i r>-f
En présence d ’un pareil a c t e y l e s héritiers Gueston peuvent-ils
encore balbutier quelques articulations, contre! l ’identité d’Éléônard ')
^Dansce moment où ils triomphaient de leur pfere ¿'où ils obtenaient
l’abandon gratuit de la presque totalité de saifortune, ils n'hésitaient
pas à reconnaître que l’enfant auquel ils promettaient une rente
3
viagère de, oOt iVàiics était l)ien réellement le fils de Marie Brunet ;
e t.c ’est parce q u ’ils.redoutaient lei concours de c e f enfant dans les-aflections et'dans le ¡partage des biens duipère co m m u n , qu ’ils con
voitaient et s’assuraient à l’avance son riche patrimoine.
Peuvent-ils également s’en prévaloir pour insinuer que Marie
Brunet exerçait un empire absolu sur l ’esprit du ^sieiir Gueston ?
Cette femme crédule et confiante allait bientôt qiiitter pour toujours
le domicile de son ancien m aître, et devenir l ’épouse^ d'un autre ;
elle n’avait même plus à cette époque les avantages de la jeunesse.
D ’ailleurs ; elle ne demandait et n’obtenait rien pour elle.1 La faible
pension constituée au profit de son fils, n ’était, de la part des en
fants G u eston , que l’acquittement d ’une dette légitime et sacrée ; et
cependant cetteprom esse si sainte, que l’h onueur, à défaut de lien ,
aurait;du laire respecter, n’a été de leur part q u ’une promesse trom
peuse, et décevante! Ils n’ont pas rougj de la.briser,' en prétendant
qu’elle était.une donation sans valeur, pour n ’avoir pas été passée
devant notaire avec.les solennités requises pour ces sortes de contrats.
Si quelqu’un exerçait une influence intéressée sur l’esprit du sieur
Gueston, que l’on prononce entre lesisieursGueston fils, q u i , après
avoir.obtenu la jouissance immédiate des biens de leur m è r e ,- Ici
partage des acquêts de la communauté, se font encore délaisser gra
tuitement pour trois cent mille francs d ’immeubles ou de valeurs
mobilières, et la femme objet de leur rivalité, q u i, après avoir sa
crifie son honneur c l vingt années de sa v ie , s’éloigne, en emportant
pour subvenir aux premiers besoins de son enfant, une promesse
�—8—
illusoire que le caprice ou’la mauvaise foi pouvaient à chaque instant
anéantir !
Ce rapprochemeut justifié par des a c te s , suffit pour faire justice
des allégations imaginées par les héritiers Gueston.
5
iij
Deux jours après, et le 16 janvier x8 1 , Marie B ru n et, contracta
mariage avec Gilbert Fratissier. Dans cet acte solennel elle reconnut
Éléonard Canu pour son fils, et l’institua son unique héritier, dans
le cas où il ne naîtrait pas d ’enfant de son mariage. Cette reconnais
sance isolée est restée complètement étrangère à Fratissier, absent à
l’époque de la conception et de l’accouchement. Les héritiers Gues
ton ont cru devoir signaler la constitution faite par Marie Brunet
comme un indice des bénéfices q u ’elle avait pu faire pendant sa lon
gue cohabitation avec le sieur Gueston. Cette observation de leur
pari ne prouve q u ’une ch o se , c ’est que le temps n’a pas amorti chez
eux cette ardeur d ’ambition intéressée qui caractérise toute leur
conduite. Eux seuls peuvent s’exclamer en effet devant un pécule de
a,
35o francs et de 200 francs de mobilier.
Après vingt années de ser
vices, certes Marie B run et, qui avait recueilli la succession de sa
mère , a bien pu réaliser ces faibles économies sans recevoir du sieur
Gueston autre chose que les gages annuels qui lui étaient légitime
ment dus. Bien loin de trouver dans cette constitution un prétexte
de blâme contre e l l e , on y puise la conviction de son désintéresse
ment et de sa loyauté. Il est. vrai que' dans son mobilier , elle n’y
comprend passes hardes et ses habillements personnels, q u ’elle n ’a
point voulu faire détailler ni estimer, et l’on s’empare de cette cir
constance pour y voir une réticence , une dissimulation coupable.
Nous y trouvons au contraire la preuve que ces objets exclusivement
destinés à son usage, ne valaient pas la peine d ’une estimation. ¡Ne
sait-on pas, du reste, que pour ne pas en transférer la propriété au
m a ri, il arrive souvent que l’on omet un détail estimatif pour se
ré-server la faculté de les conserver en nature? D ’ailleurs, ces robes et
bardes d ’une paysanne ne pouvaient pas appartenir à la famille Gues
ton. La précaution q u ’ils avaient prise depuis 1 8 1
3 de
faire tout in-
�veulorier ; cl la vente faite deux jours avant de tous les meubles
oompris dans l’inventaire, sont des actes qui doivent dissiper toutes
l<2urs inquiétudes.
Le sieur Gueston père , après s’être dépouillé d ’une fortune con
sidérable en faveur de ses enfants légitimes, se croyait quitte envers
eux. La locaterie de Loulaigue, la pension de
3 ,ooo francs,
le loge
ment et les prestations en nature q u ’il s’était réservés, les 3oofrancs
de rente créés en faveur de Marie Brunet et de son fils, lui parais
saient des éléments suffisants pour assurer l’avenir du jeune Éléonard ,
auquel il portait toute l’affection d ’un père. Accoutumé à des habi
tudes d ’ordre, de travail et d ’économ ie, il espérait, avec ces res
sources, lui créer un patrimoine convenable, et s'acquitter à cet
égard de la dette qu ’il avait contractée. Mais ce n’était pas la seule
obligation q u ’il eût à remplir. Il devait à son fils naturel un nom et
une position sociale que l ’on n’obtient pas avec de l’argent seulement.
Marie B run et, depuis son mariage, ne résidait plus avec lu i; il était
à l’abri de toute influence, si elle avait été capable d ’en exercer.
Mais le cri de l’honneur et de la conscience , plus fort que toutes les
sollicitations, s’était fait entendre, et devait trouver de l’écho auprès
du sieur Gueston. Il n ’y fut pas insensible. Le
3o mars i 8 i 5 , il
se
transporta devant M" Place , notaire , e t , en présence de tém oins,
il reconnut liléonard Canu , né à Moulins, suivant son acte de nais
sance en date du 19 octobre 1814 > pour être son fds naturel et celui
de Marie B r u n e t , et déclara que cédant à l ’ impulsion de la nature,
el voulant rendre sa reconnaissance publique et authentique, il requé
rait le notaire de la recevoir, afin que ce mime enfant pût recueillir,
dans sa succession, l'intégralité des droits que les lois accordent aux
enfants naturels reconnus t it ce sans préjudice des autres dispositions
qui peuvent avoir été faites en sa faveur.
Marie Brunet comparut également dans le même a c t e , et'renouvela la reconnaissance et la donation déjà insérées dans son contrat
de mariage.
L e sieur Gueston ne se borna pas à l’accomplissement de ce de
2
�—
10
—
voir; il prit aussi des précautions pour donner à-son fils naturel ¡es
4
85
moyens de faire respecter ses droits. Le
juillet t i !, il déposa.en
l’étude du notaire P la ce , qui en constata la rem ise, un paquet ca
cheté portant cette suscription, entièrement écrite de) sa main.et
signée par lui : « Sous cette enveloppe, sont les papiers rjai conccrncnt
Eléonard, mon fils naturel* » Sous cette enveloppe étaient : i° J’acte
1 4
de naissance d ’El^onard, du
octobre 8 i 'î 2° l’acte deJreinise
faite à sa mère le 1i janvier s8 l ; ° la promesse relative it la cons
5 3
3oo fr. ; 4° ie contrat de mariage d e
Marie Brunet ; 5 ° la reconnaissance du 5o mars 18 1.5. Pensant que
titution d ’une rente viagère de
ces actes pouvaient être utiles à son üls, craignant q u ’ils ne lui fus
sent pas fidèlement remis s’ils restaient parmiises papiers domesti
q u e s , connaissant le caractère faible et l ’inexpérience de sa mère
il avait chargé le.notaire de ne les remettre q u ’à Eléonard , lorsqu’il
serait m ajeur, ou au tuteur qui lui serait nommé.
L ’espoir que le sieur Gueston avait conçu de créer à son fils na
turel un patrimoine par son travail intelligent et scs économ ies, ne
put se réaliser. Encore jeu n e, le sieur Gueston succomba le 1er mai
1 8 1G. Sa mort tragique priva Eléonard du seul protecteur qui pût le
défendre des embûches qui furent tendues à la faiblesse imprévoyante
de sa mère.
Les scellés ne furent pas apposés après le décès du sieur Gueston.
Ses héritiers se bornèrent à faire procéder sans contradiction à la
prisée et ù l ’inventaire des objets mobiliers q u ’ils indiquèrent comme
appartenant à leur père. Ceux représentés à son domicile lurent es
65 cent. ; ceux
i’ureut évalués 58 y fr.
timés 4*209 fr.
trouvés dans sa résidence de Moulins
L e 12 juin ¡ 8 1 6 , un conseil de famille fut convoqué pour nom
mer un tuteur au mineur Eléonard. Les sieurs Gueston furent con
voqués» ils comparurent; et sans contester ni l’identité ni la recon
naissance d ’Eléonard, en l'acceptant au contraire implicitement-, ils
soutinrent que la loi n’accordait à l’enfant naturel que des droits
réels sur les biens du père qui l’avait reconnu ; mais qu’il n’existait
�—
11 —
entre lui et la famille de son père aucune parente légale. En consé
quence , ils s’abstinrent de prendre part à la délibération. L e conseil
nomma Marie Brunet tutrice, et Fratissier, son m ari, co-tnteur.
En sa qualité de tutrice, Marie Brunet retira le dépôt confié à
M® P la c e , et se disposait à faire valoir les droits de son fils, ou plu
tôt les héritiers Gueston, alarmés d ’une action judiciaire, cherchè
rent à la prévenir. A l’aide de l'influence q u ’ils avaient conservée sur
l’esprit de cette femme incapable de leur résister, et des moyens
qu ’ils employèrent auprès de Fratissier, ils les déterminèrent à sa
crifier tous les droits d ’Eléonard moyennant une somme de
3 ,ooo f.
Un partage en justice aurait révélé, par ses formes protectrices, le
préjudice qu ’uni pareil abandon causait au m ineur; une cession de
droits ex ig e a it, pour être valable , des précautions également dan
gereuses: pour ceux q u i, à vil p rix , voulaient dépouiller Eléonard ;
on eut recours à la voie détournée et plus facile d ’une transaction.
Le
5 août 1 8 1 6 , un
conseil de famille fut formé devant M. le juge
de paix du Montet-aux-Moines, arrondissement de Moulins; Il fut
composé d’étrangers, sous prétexte que l’enfant naturel n’avait aucun
parent. On leur exposanlongnement une savante dissertation , dans
laquelle les époux Fratissier d ém ontren t, comme des jurisconsultes,
que les droits d ’Eléonard sont incontestables, q u ’ils s’élèvent à un
seizième des biens composant la succession du sieur Gueston père ,
q u e , d ’après la liquidation q u ’ils ont fait faire des forces actives et
passives de la succession, la part héréditaire du mineur s’élève ¡à
3
2,887 fr- 29 «eut» q u i, étant inférieure à celle de ,ooo fr. , il est
avantageux de transiger pour le prix proposé. Comme on s’en doute
b ie n , le conseil répondit : Benè. Il déclara même qu’il était à sa con
naissance personnelle que les biens avaient été estimés au-dessus do #
leur valeur, quoique aucun des membres ne connût ni la consistance,
ni même la situation des propriétés du sieur Gueston , et qu ’aucun
nioyen de s’en assurer n ’ait été fourni. Munis de cette autorisation ,
les tuteurs présentèrent à M. le procureur du roi de Moulins une
requête à l’effet d’obtenir la nomination de trois jurisconsultes. L ’or-
�^
K 'l
— 1 2 ---donnanee portant nomination de MM. Jutier, Ossavv et Iîoyron , fut
rendue le 10 août, e t , le même jo u r , ces honorables jurisconsultesdonnèrent line consultation dans laquelle ils établirent que , sous
aucun rapport, l’on ne pouvait critiquer la qualité du mineur Klénuard; que son amendement dans la succession de son père devait ,
à raison de la quotité disponible absorbée par la donation du 14- jan
8 5 , être du tiers dans les trois quarts, ou d ’un seizième dans
vier i i
la totalité. Ils visèrent ensuite le projet de liquidation qui fait suite
au: règlement des droits de l’enfant naturel, duquel il résulte que la
succession de François Gueston tant en meubles q u ’immeubles , dé
duction faite des dettes, ne s’élève q u ’à 4^,196 fr.
65 cent. , dont
le
seizième , revenant à Eléonard C a n u , est de 2,887 fr, 29 cent. , et
pensèrent que la transaction projetée était avantageuse au mineur
puisqu’elle avait lieu moyennant un prix supérieur à son amen
dement.
;
Le 12 août 1 8 1 6 , ce projet de transaction fut réalisé : il importe
de faire connaître par une analise co m p lè te , les principales dispo
sitions de cet acte, dont le mérite fait l’objet du procès.
-, Dans un exposé préliminaire , on fait connaître l’état de la famille
du sieur Gueston p è r e , 011 rappelle l ’acte de vente du i!\ janvier
i8 i.‘j ; mais on garde le silence sur l’inventaire et le partage de
communauté du mois d ’avril i
8i3,
dont la communication aurait
servi à faire connaître la fortune du sieur Gueston. On unalisc en
suite la,promesse d’une rente viagère de
3oo francs,
la reconnaissance
4 juillet 1 8 1 5 r
faite par le sieur Gueston d ’KIéonard, le dépôt fait le
les pièces comprises sous l’enveloppe ca ch etée, et l’on d i t : Les
choses étaient dans cet é t a t , lorsque les sieur et, dame Fratissier,
^voulant s’éclairer sur les effets de la reconnaissance du 3o mars 181J»
et sur la nature «t l’étendue des droits q u ’Éléonard pouvait exercer
sur la succession de son- p è r e s ’adressèrent à des jurisconsultes qui
déclarèrent ;
i* Que b reconnaissance du 3o mars 1 8 1 S était valable en la.
forme et au fond.
.
.
�a» One l’on ne pouvail révoquer en doule l’identité de l'enfant ,
parce qu’en pareille matière, des'üllégalions ne peuvent tenir lieu de
preuve.
3°
*
Q u e , suivant l’article 757 . le droit de l’enfant naturel, lorsque
le père a laissé des descendants légitimes, est d’un tiers d e là por
tion q u ’il aurait eue s’il eût été légitime.
4° Que l’enfant naturel adroit à une réserve légale,
de môme que
l’enfant légitime, sauf la différence de quotité.
5°
Que pour fixer cette quotité , il faut l’admettre momentané
ment au nombre des enfants légitimes., et le faire concourir figura
tivement avec eux.
J
6° Q u e, par une conséquence de ces principes, l’enfant naturel
qui ne trouve pas sa réserve dans les biens de la succession , peut
demander la réduction des dispositions entre-vifs qui ont excédé la
quotité disponible.
7° Que la valeur en pleine propriété des objets aliénés par l'acte
5
du 14 janvier 1 8 1 , doit être imputée sur la quotité disponible , et
l’excédant rapporté ii la masse.
8° Q u ’il importe peu que la reconnaissance ait eu lieu après la
vente, par la raison que le droit de l’enfant est acquis par sa nais
sance et non par la reconnaissance qui ne fait que le déclarer.
9° Q u e , d ’après ces principes, le sieur Gueston ayant laissé trois
enlants légitimes et un enfant naturel, il ne pouvait disposer que du
quart de ses biens; en sorte que si Éléonard était légitime , sa pari
serait du quart des trois quarts ; que la loi lui attribuant le tiers de
cette portion héréditaire, il a droit de réclamer un seizième de la
succession.
io° Que la cté sous seing privé du 14 janvier 181 J> est nul.
On ajoute que les sieur et dame Fratissier se disposaient à former ,
au nom de leur pupille, une demande en justice contre les enfants
8 5,
Gueston, en réduction de la donation de i i
et en partage des
cinq sixièmes de la locaterie de Loulaigue , et de tout le mobilier
dépendant de la succession, pour en ôtre attribué un seizième du
�- 1-i tout à Eléonard, ’orsque les sieurs et demoiselle Gueston ont pro
posé de transiger sur tous les droits dudit enfant naturel moyennant
3 ,ooo
la somme de
francs, q u ’ils disaient supérieure à celle qui
pourrait lui revenir, en admettant ( c e qui selon eux pouvait être
contesté) que les diverses questions précédemment agitées fussent
résolues en sa faveur.
On expose que sur cette proposition, les sieur et dame Fratissier,
s’étant fait remettre les litres et papiers concernant la succession, les
ont communiqués à leurs conseils, qui ont procédé à la liquidation des
droits d ’Éléonard de la manière suivante :
i° La terre de Sciauve, telle qu ’elle a été vendue par l ’acte du 14
8 5 , a été portée pour une valeur estimative de cent mille
janvier i i
francs, c i *
• • • «
. *, 1« * > « •
20 Les cin q sixièmes de la locaterie de L o u Jaigue............................................................................
5° L e
x.00,000 fr. ®# c*
;l;
5
Z|, 5c)6
. a , o o *ij r» :
65
T o t a l ........................107,096 fr. 65 c.
mobilier constaté par les inventaires .
Arrêtons-nous un moment sur cette évaluation. La terre de
Sciauve, si vaguement désignée, ne comprend pas seulement les
objets vendus par M. de Boisrenaud , au moins 48,000 francs, puis
que cette somme était encore duc an vendeur lors de l’ouverlure
de la succession ; elle comprend encore tous les domaines attribués
au sieur Gueston par le partage du
3o avril
181
3 , dont nous avons
déjà fait connaître la consistance et la désigation.
Tous ces immeubles réunis donnaient et donnent encore un re
venu annuel de 10,700 francs, savoir : le clifiteau et la réserve de
Sciau ve, 2,000 francs; le domaine de Sciauve, a,5oo francs; le
domaine des Y c a u x , 2,3oo francs; celui de la P a ye , 1,800 francs;
celui de Loulaiguc , 1,600 francs ; le moulin des Veaux , üoo francs ;
et toutes ces propriétés sont estimées en bloc cent mille francs! Ce
n ’est pas tout, on y comprend encore tous les objets vendus le 14
janvier i
3
8i5,
c ’est-h-dire, les meubles énumérés dans l’inventaire
«le 18 1 , d ’une valeur de 60,000 fr ^ c s . Il est vrai cju*îl faut retran-
�—
lâ
cher de celle estimation la portion qu e les enfants Crueston iimendaicnt dans le partage.de La comnuinaulé, et la valè-ur des^objcts
réservés au père. La portion*des héritiérS (iiueslon datïs l'c'tfiobilier
dépendant de~la communauté, javait été réglée à 1 1 ,
6/(4 francs 5o
centimes, sur laquelle le père avait p a jé co m p ta it à son fils aîné
3,12(5 francs, ce qui fa réduisait h
8 , 5 i'8 francs r5ô 'centimes.
Les
meubles réservés, d’après"Testlination de l'inventaire* f'ait9laprès le
décès du sieur Gueston, s’élevaient à
3 , ' j e f î francs ¿5 centimes.
En
reLranchant'ces deux sdmmes de l'eValualiüti porlée dans l'inventaire
de i 8 i 3 , i l en résulte q u ’indépendamment1dés ¡¡niheuliles, les seuls’
8 5 , -et'par consé
objets mobiliers compris dans la donation de i i
quent dans l’article i cr de la liquidation, étaient d ’une valeur de
47,688 francs.
1
i,
!Tii■r
■
■r
t
Q u’on ajoute maintenant la valeur des bestiaux attachés à ex
ploitation de ces diverses propriétés , celle des récoltes engrangées,
celle du blé renfermé dans les greniers, et q u i, à cette é p o q u e ,
était d ’un prix très-élevé, et l’on aura une idée de l’exactitude de
cette estimation véritablement dérisoire.
•i
Les mêmes observations s’appliquent à la locatcrie de Loulaigue ,
d’un produit annuel de
3oo francs, et que l’on a estimée 2 , 5oo francs.
Dans le cas où les héritiers Gueston soutiendraient que les va
8 3,
leurs mobilières constatées par l’inventaire de ,i i
ne sont pas
comprises dans la vente faite à leur profit', il faudrait tirer de cette
allégation , fondée ou n o n , une conclusion encore plus directe contre
la sincérité des éléments qui ont servi à la composition de l’actif. En
e llet, ces valeurs qui formaient une partie essentielle du patrimoine
du sieur Gueston, et qui existaient à son décès, auraient été sciem
ment dissimulées par les héritiers légitimes ; et cette omission de
leur part suffirait pour caractériser la moralité de celle prétendue
transaction.
Après avoir composé l’actif de la succession , on établit son passif
ainsi q u ’il suit :
�— 16 —
i° Il était dû à SI. de Boisrenaud . ........................
2° Au nommé Alibert . j ........................................ .
3° Les frais de l’acte du
‘
:i
:l:
1
i/j janvier
T o t a l ’.
i
48 >ooo
.
fr.
jo ,o o o
8 i 5 i .................. 2,900
. . . . . .
Go.qoo
fr.
Les héritiers Gueston, qui dissimulent avec tant de soin les forces
actives de, la succession , sont plus ingénieux lorsqu’il s’agit de com
poser la masse des dettes. Les dix mille francs dus à Jean Alibert
avaient pour cause le remplacement de l’un d ’eux : cet engagement
contracté dans son intérêt personnel l’obligeait à le supporter entièrem ent,
et pouvait d ’autant moins grever la succession, que la
quotité disponible avait été épuisée. Les frais d e là donation du i
janvier 18 1
4
5 étaient une charge exclusive des donataires , avec d ’au
tant plus de raison q u ’ils conservaient les propriétés dont la mutation
Jes avait occasionnés.
Après avoir ainsi apprécié , au détriment dn m ineur, l ’actif et le
passif de la succession, on arrive à cette conclusion q u e , balance
faite, elle se compose de biens meubles et immeubles d ’une valeur
de 4 6 ,196 francs
65
centimes. On en retranche 11,5 4 9 francs 16
centimes pour le quart formant la quotité disponible , et l’excédant
montant à
partage.
Si
36,647
francs /j9 centimes devient
la
matière
du
Éléonard C a n u , est-il d it, avait été légitim e, il aurait eu le
quart de cette somme , qui est de 8,661 francs 87 centimes ; comme
enfant naturel, il ne doit avoir que le tiers, qui est de 2,887 francs
29 centimes.
'
On rappelle ensuite les diverses formalités remplies pour parvenir
à une transaction, et on termine en stipulant que pour satisfaire
au vœu de la famille, cl d ’après l ’avis des jurisconsultes commis à
cet effet, les parties ont résolu de transiger, comme de fait, elles
tra n sig en t
par forme de transaction sur procès pour tous les droits
que peut prétendre Élconard Canu dans la succession du sieur F ra n
çois Gueston , son père naturel, pour une somme de
3.,00c» fra n cs, que
�les sieurs et demoiselle GueUon s ’engagent' solidairement à payer à son\
émancipation ou à sà majorité. >»*:/.. ¡».‘nflrt'If îjH -N • n:.¡o. -...i
11
4
est surabondamment reconnu que la: prétendue- donation-faite
le ' i janvier i'SïS à Marie Brunetlet à son fils,'Jsera.nulle iet ré
putée comme 'non avenue. " :hoN
‘ïi-au ni) h i..:„u ¿i;ui
T el est en substance l ’acte idu 1 1 août 1 8 1 6 , dont il s’agit d ’ap
précier le caractère et les'effets.>On'y trotove réunis tous les «ÿémentSi
1
qui constituent un partage : il est intervenu entre'les divers ayants
droit à la succession du sieur Gueston ; il a pour objet de faire cesser
entre eux l’indivision, et de déterm iner, par voie d ’attribution ,i
l'amendement du mineur. On procède comme dans toutes les opéra
tions q u ’une liquidation exige : ’après avoir fixé , d ’aP ^ s ^avis ^es
1
jurisconsultes , les droits d ’Eléonard, on eompose la masse active des
biens meubles et immeubles ;>on en retranche-les dettes, qui sont
rappelées en détail ; on prélève sur cette masse, ainsi réduite , le
quart formant la quotité disponible ; e t , par ce travail préparatoire ,
on parvient à une liquidation rigoureuse, et en apparence exacte ,
de la portion héréditaire d ’Eléohard. Malgré le noni* donné à ce
Iruilé , il est bien constant qu ’étant entre les' parties le premier aètë
qui ait lait cesser l’indivision, il réunit tous les caractères d ’un par
tage véritable.
11 est bien
certain que les formes''employées n'ont eu
d ’autre but que d’éluder celles plus efficaces que le législateur a
tracées dans l’intérêt d u ’miri'our.
‘
I'
>r:
Cette transaction fut homologuée le 19 août. Les héritiers Guèston étaient tellement impatients d ’arriver au but qu'ils s’ôtaient pro
pose, que , dans moins de quinze jours, touteé'les formalités exîgéés
p a r la loi avaient été remplie^. A peine Eléonard était-il parvenu h
sa majorité, q u e , dand'rtspoir!U!obtienîr un,acqüiesccment'à ieéfc acte
luineux poiir l u i , ils ‘lui firerit offrir, par expldrt du 16 janvier 1636,
la somme de
3 ,000 fr. en capital, et
IcsMnlérÔt^ échus. Eléonard re-
fusa , e t, par le même acte,! il fût assigné en validité devant le1 tri
bunal dé Moulins. De son côté , il forma contre les héritiers GùeSton
une demande! en partage qtii fut portée devant le tribundl db Mont-
�— 18 —
luçon , dans l’arrondissement duquel la succession s’était ouverte.
La demande en validité d ’ofl'res avait pour, but de foire décider que
la transaction) du ,12 août était) irrévocable , letndevait,.interdire à
Kléonard toute actiontrelative àjl’exercifce de ses droits comme en
fant naturel du sieur Gueston. Pour la com battre, il a d ’abord ré
clame un sursis jusqu’à Ja décision à intervenir sur la demande en
partage pendante, devant lei tribunal de M onllüçon; e t , au fon d , il
a soutenu-que la transaction-n’étant autre chose q u ’un partage n u l,
ou du moins provisionnel^ et- dans tous les cas susceptible d ’ôtie
rescindai pour cause de lésion , ne pouvait avoir la force de paralyser
son action, et de.produire à son égard des effets déGnitifs. Sa défense
a été accueillie par un jugementrcontradictoife du 28 avril i
836 ,
textuellement rapporté dans le mémoirefde nos adversaires, et dont
nous reproduirons lesjprincipa,ux motifs en discutant son mérite.
’’T i ;
DISCUSSION. 5
.1
Avant d ’aborder la discussion du fo n d , il est nécessaire d ’écarter
immédiatement une objection présentée au nom des héritiers Gues
ton , qui aurait les effets d ’yne fin de non-recevoir, quoiqu’ils ne
1
l’aient,pas.ainsi formulée. P ’aprèseux , le jugement du i g aûut 1 8 1 >
qui a homologué la prétendue transaction du 12 aôut, est une déci
sion irrévocable qui a épuisé la juridiction du tribunal, et q u ’aucune
autre jnç peut Réformer. L e caractère de transaction q u ’il a reconnu
dans çet acte lui a été définitivement imprimé ; il n’est plus permis,
1
de , e contester. Etrange doctrine que celle qui attribuerait à un
jugement rendu sans débats j. sans conste^tation, des eil’e ts aussi
désastrçux^AinÊi l’erçeur,, d ’un tribunal ;trompé p a r le s apparences
dont op aurait revêtu un contrat ser£tl,f irréparable ; la justice res
terait,, impuissante, et désarmée pour, venir au sçcours d ’un mineur
dont,les,jintérêts ¡auraient été nûïçonnus. et sacrifiés! Sous le nom
de.transaction, un tuteur iqûdèlc|aurai^ aliéné ses biens, aurait pro
cédé à un partage /Çnns .rcjuplir aucune ,dcs formalités prescrites par
�— 19 —
la lo i, et cette œuvre de'spoliation serait à tout jamais consacrée
par le jugement d'homologation’ que le tuteur aurait’obtenu ! Ras-1
surons-nous , la loi n’a pas voulu Être complice*d’une injustice aussi
révoltante.
r'
.......’’
Pour qu’une'décision judiciaire produise' des effets irrévocables,
il faut qu’elle ait obtenu l’autorité de la chose ju^ée. Parmi les carac
tères de la chose jugée ,* définis par l’article 1
35 1 ,
lés principaux
sont que la demande soit, entre les mêmes 'parties, formée par
elles et contre elles en la même qualité. II faut donc que le jugement
ait prononcé sur des prétentions contradictoires, sur des intérêts
opposés et débattus devant la justice par diverses parties , xpour q u ’il
puisse attribuer à l’une d ’elles un bénéfice quelconque 'qui devient
définitif s’il n’ est pas attaque dans les formes et dans les délais fixés
par là loi. Un jugëm ent'd’homologation n’a aucun de ces caractères ;
rendu sur requête sur la demande isolée d ’une partie, il ne peut
conférer aucun droit à celui qui n’y figure pas ; fil manque d’un des
éléments essentiels qui constituent la chose jugée. C ’est' ce qui a
été positivement décidé par un arrêt de la Cour royale de Bordeaux,
( D a llo z , i
a , p. i
, deuxième p a rtie).
du 22 novembre i
832
83
58
T out jugement qui statue sur des intérêts d ’une nature déterminée
est susceptible d ’être réformé par l’autorité
supérieure, sur la
plainte de la partie lésée. Celui du 19 août, s’il avait les caractères
d ’un jugement contradictoire, serait encore susceptible d ’être frappé
d ’a p p e l, puisqu’il n’a jamais été signifié ni h la tutrice ni au subrogé
tuteur; et cependant com m ent, dans ce c a s , devrait procéder le
mineur Éléonard? Intimerait-il devant la Cour les héritiers Gueston?
Mais c e u x -c i répondraient : Nous n’avons pas été parties dans le
jugement de première instance ; vous ne p o u v e z, par ce m o y e n .
nous enlever le bénéfice du premier degré de juridiction. Inter
jetterait-il appel contre la tutrice? Mais e n c o r e , l’arrêt infirmatif
serait sans influence contre les héritiers Gueston. Etrangers à ces‘
nouveaux débats, par quels moyens donc obtenir la nullité de la
prétendue transaction homologuée? Par voie d ’action en nullité,
�ou par voie d ’e xception, comme l!a fait Eléonnrd, sans s’inquiéter
du jugement d ’homologation. Cette approbation donnée par la jus
tice à la tutrice qui le réclamait, est l’accomplissement d ’une for
malité exigée par la loi ; sans elle , l’acte du 12 aôut serait resté dans
le néant : soif intervention a eu poui^ effet de lui donner une valeur
comme transaction , e t d e relever la tutrice de son incapacité à con
sommer un acte dev cette nature. Mais si le mineur démontre que
cet acte n ’est pas \ine transaction , que la tutrice a excédé les,
limites de ses pouvoirs, q u e lle a stipulé une cession de droits suc
cessifs pu opéré, un véritable partage définitif,(il lui suffira d ’attaquer
le traité sîins faire réforme^séparément le jugement d ’homologation
qui-en est. J’acces^oire , et qui n’a pu ni éfpndre les pouvoirs de la
tutrice au delà des bornes fixées par la lo i, ni dépouiller le mineur
«les garanties qui le protègent,,, En faisantj.prononcer la nullité de
L’acte du 12 aôut 1 8 1 6 , ou en restreignant ^es effets à ceu xjd ’un
partage provisionnel, il fera tomber eu môme t e m p s ,o u il restrein
dra aux mêmes proportions le jugemqnt, d'homologation qui. lait
corps avec lui. De nombreuses décisions judiciaires rendues dans
des espèces analogues ♦ont ju gé que c ’était la seule marche à suivre.
Ainsi la.Gour,dc cassation , par un arrêt du i g floréal an x u ( Dencçcrsf an .x i iy p. 447 ) » a décidé en matière de v^nte de biens de
mineurs, qufil n ’était pas nécessaire d ’attaquer les jugements qui
l ’ayaient. ordonnée. En cas de vente de biens dotaux, la Cour de
Caeiv, p a r flrrÇ't (^u
4
G renoble, par arrêt du
Juillet 1826 ( D . 1827 , p. 47 ) •; la Cour de
4 aôut
1802 ( J). i
833 , p.
102 ) ont jugé
que la fonirae dç^ait ¡directement agir par voie de nullité contre les
acquéreurs,, njalg^ les jugements rendus sur requête qui avaient
autorisé v,c,s aliénations. La Cour.de Turin a consacré le même prin
cipe en nmtièrç de transaction passée par un tuteur en vertu d ’un
jugement
. p.y66.).
1
», ,’homologation.
[ T u r in , 29 ju illet
1 8 0 9 , lome 10,
pouvons donc sans crainte aborder la discussion du
et lech^rchqf dç quel c ô té s e trouve le bon droit.
,Le,traité dn ti 2 a ô u t ^ S i ô est-il une transaction ou uu partage,?
i
�Telle est la question dominante.
Les héritiers Gucston se sont
efforcés d ’établir que cet acte méritait la qualification qui lui avait été
d o n n ée, e t, q u ’à ce titre, il était irrévocable comme ayant reçu la
sanction spéciale que la loi exige pour les contrats de cette nature.
Nous allons, au contraire, cherchera d ém ontrer, i° que ce traité,
malgré sa dénomination vicieuse, est un véritable partage, dont la
nullité doit être prononcée pour n ’avoir pas été revêtu de toutes les
formalités prescrites par la l o i , ou dont les effets provisoires doivent
cesser sur la demande d ’un partage définitif; 2° que lors même q u ’il
participerait en même temps et de la transaction et du partage, il
faudrait e n co re, s’il était possible , distinguer ce qui tiendrait à l’un
ou à l’autre de ces deux contrats, et rejeter la partie du traité qui
serait relative aux stipulations d ’un partage définitif et aux opérations
qui en seraient le complément.
La dénomination que les parties donnent à un contrat est abso
lument insignifiante pour.en assigner le véritable caractère. Il se ré
vèle exclusivement par les conventions qu’il renferme , par l’objet
qui en fait la matière , par les effets q u ’il doit produire. A cet égard,
le fond l’emporte sur la form e, la chose est plus significative que le
n o m , la réalité est plus forte que l’apparence. Peu importe donc que
le traité de 1816 ait été qualifié transaction; cette appellation est
sans influence pour en juger la nature. 11 faut, pour l’apprécier, pé
nétrer plus intimçment dans les entrailles de cet acte. Les héritiers
Gueston en ont reconnu la nécessité ; aussi ont-ils cherché à faire
ressortir tout ce qui pouvait servir à lui conserver non-seulement la
form e, mais encore la réalité d ’une transaction pure et simple. Pour
y parvenir avec plus de facilité, ils ont supposé que cet acte
avait etc passé avec un majeur, et ils ont demandé si, dans cette
hypothèse, le traité intervenu ne serait pas à l'abri de toute critique,
et ne participerait pas de. l’irrévocabilité des transactions, dont il
présentait tous l»[s caractères. Nous accepterons volontiers le terrain
sur lequel la discussion a été portée ; mais il faudra bien alors con
venir qu’en admettant ce raisonnement, la conclusion sera toute con
�— 22 —
traire , si nous parvenons à démontrer que lorsque ce traité aurait
été passé avec un majeur, il ne serait pas réellement une transaction,
mais un véritable partage.
L e caractère spécial, distinctif de la transaction, est de ne pou
voir être attaqué pour cause de lésion. A r t.
2o 52.
L ’acte de partage, au contraire, destiné à consacrer l’égalité
entre chaque héritier, est toujours rescindable pour cause de lésion.
Prouver que l’acte du 12 août 1816 aurait pu être rescindé pour
cause de lésion, sur la demande d ’Eléonard Gueston , qui l’aurait
consenti en m ajorité, sera donc prouver que cet acte, aux yeux de
la lo i, était réellement un acte de partage.
O r , d ’après l’art. 888 du Code civil, est réputé partage tout acte
qui a pour objet de faire cesser l’indivision entre cohéritiers, encore
q u ’il soit qualifié de v e n te , d ’éch an ge, de transaction, ou de toute
autre manière.
Cette disposition du Code civil ne fait que confirmer les principes
anciens.
M o rn ac, sur le titre du digeste : Familiœ erciscundœ, s’exprime
ainsi : E o ju re utimur ut quocumque nomine denominetur contractus ,
scu transactio vocetur , seu non, tamen pro divisione hœrcditatis rcrumque communium accipi debeat.
Nous tenons pour maxime au palais, dit également L e p restre, que
le premier acte qui se fait entre les h éritiers, quoiqu’il soit déguisé
sous le nom de contrat d ’éch an ge, môme de transaction , est néan
moins tenu pour partage.
Bretonnier sur Ilenrys, t. 2 , p. 944» confirme cette doctrine gé
néralement admise. C ’est une maxime constante dans tous les tribu
naux, d it-il, que l’on peut revenir contre le partage quoique fait par
transaction, et quoique la transaction soit intervenue sur un procès
intenté pour parvenir au partage. Car l’acte qui finit cette discus
sion, quelque nom q u ’on lui d o n n e , est toujours un partage.
Tous nos auteurs m o dernes, sans exception, proclament les m ê
mes principes. Seulement M. Chabot, dans son Commentaire sur les
�Successions, t.
3 , p.
7 0 g , a pensé que si des contestations réelles
et sérieuses s’étaient éleyées relativement aux droits respectifs des
prétendants à la succession , sur la quotité de la portion qui doit ap
partenir à chacun, sur la validité des dons et legs, sur l’obligation
ou la dispense du rapp ort, l’acte par lequel on aurait traité sur tou
tes ces questions, et réglé les droits de tous par une attribution spé
ciale de biens déterminés, devrait être considéré comme une tran
saction , et produire tous les effets attachés à la nature de ce contrat.
Mais cette opinion contraire à la définition du partage, qui est
l ’acte qui fait cesser l’indivision, quel que soit le nom q u ’on lui
donne, et la forme adoptée pour y parvenir, est repoussée par B e leurie, t.
3 , p. 455. Tout premier acte entre
cohéritiers, dit-il, est
considéré comme un partage , et résoluble dans les mêmes cas , de
quelque nature et gravité q u ’aient été les difficultés qui s’élevaient
entre les coparlageants. M. Yazeille combat victorieusement l’opi
nion de Chabot. À ses y e u x , la transaction ne peut rester ferme que
lorsqu’elle est isolée et distincte du partage , soit en nature , soit par
attribution. S ’il y a confusion, la rescision du partage doit emporter
la nullité de la transaction. {Com . sur les Succrss. t p.
o.)
54
C ’est dans ce dernier sens que s’est prononcée la Cour de cassa
tion. Après plusieurs difficultés et môme plusieurs jugements sur le
partage de la communauté dissoute par la séparation de c o r p s , les
époux Ramonet firent, le 6 juin 1 8 2 5 , une transaction par laquelle
le mari s’engage, pour terminer toute contestation, à payer à sa
femme une somme de 80,000 francs. Au moyen du payement de
cette somme, ¡1 devait rester seul propriétaire de tout l’actif de la
communauté. Sur la demande en rescision de cet acte , formée par
la dame Ramonet, la Cour d ’Aix jugea q u ’à raison des questions
épineuses, des difficultés réelles qui s’étaient éleyées entre les par
ties, le traite du 6 juin 1825 avait tous les caractères d ’une vérir
*able transaction. Mais sur le pourvoi dirigé contre cet arrêt , la
Cour suprême en prononça la cassation par les motifs suivants :
• Considérant, en droit, que la loi déclare tout premier acte passé
�-
2i -
enlre cohéritiers on communistes, rescindable dans les cas p révus,
lorsque cet acte fait cesser l’indivision, quand même cet acle serait
qualifié transaction ;
''
’'
’
*
s Considérant que la loi ne distingue pas des autres cas ceux
où il existerait des difficultés graves et réelles, môme des procédures
et jugements antérieurs ;
» Considérant, en fait, que l’acte du 6 juin 1825 est un premier
acte entre les deux communistes; que cet acte a eu pour objet de
faire cesser l’indivision enlre eux, et qu’il avait en effet opéré le par
tage par attribution à forfait d ’une partie de l ’actif de la commu
nauté. » ( Cour de cassation, 12 août 18 2 9 ; D . 1829 , p.
332. )
On
peut encore citer, dans le môme Sens, un arrêt de la Cour de Pau ,
du 12 janvier 1826. (D . 1 8 2 6 , p. 114 .)
Toutefois, une sage distinction a été faite : il peut arriver q u ’avant
de déterminer la part afférente à un cohéritier ou à tout autre co
propriétaire, il soit nécessaire de régler des difficultés préalables ,
dont la gravité ou les chances incertaines sont de nature à engager
les parties à une transaction. Dans ce cas, l’acte peut alors réunir le
double caractère de transaction et de partage. Toutes les questions
qui se rattachent à la qualité des parties, à l ’étendue de leurs droits,
à l’appréciation des actes qu ’elles s’opposent mutuellement, sont ir
révocablement jugées par le traité qui intervient ; mais ensuite le rè
glement qui est fait en conséquence du droit reconnu de la quotité
déterminée, est un partage véritable, susceptible de rescision, si
l’un des copartageants n’a pas obtenu tout ce q u ’il devait avoir d ’a
près les bases adoptées.
Cette distinction est enseignée par M. Chabot lui-même comme
modification à l’opinion q u ’il vient d’ém ettre; il ajoute : « Mais il
s est bien important de remarquer que l’acte ne peut être considéré
; comme transaction, et non comme un simple partage, que dans
» le cas seulement où les contestations et les difficultés sur lesquel> les il'à été transigé étaient rée lle s, étaient sérieuses, et présen» taient des questions dont la solution pouvait être incertaine.........
�—
25
—
» 11 faut ajouter que même dans le cas d ’une transaction réelle.,.si,
» on avait fixé d ’abord la quotité de la portion que devait avoir cha» cun des héritiers, et q u e , d’après cette fixation, il eût été procédé
» au partage de la masse, celui des héritiers qui n’aurait pas eU|Ia
» totalité de la portion déterminée, et qui éprouverait à cet égard
» une lésion , serait encore fondé à se pourvoir en rescision. L ’acte
» vaudrait bien comme transaction quant à la fixation de la quotité
» des parts pour chacun des héritiers; sons ce rapport il ne pourrait
» être attaqué : chacun des héritiers ne pourrait réclamer que la
» quotité qui a été réglée ; mais s i , dans la distribution des parts ,
» un des héritiers avait eu moins des trois quarts de la quotité qui
» devait lui revenir d ’après les bases adoptées, il aurait le droit de
» se pourvoir contre l’opération du partage, sans toucher aux autres
» conventions ; l’acte, dans ce cas, ayant deux parties très-distinctes ,
» la transaction sur la fixation de la quotité, et le partage qui aurait
» déterminé chaque part séparément. » ( Chabot, Comment, sur les
Success. , p. 7 11 et suiv.)
Cette distinction est approuvée par MM. Duranton (Coursde droit
français, t. y , n°
o) ; et Yazeille ( Comm. sur les Succ. , p.
o).
£11 e est consacrée par un arrêt de la Cour de Nîmes, du o juin 1819
58
( D . 1 8 2 1 , p.
54
3
35 ) ; et par un arrêt de la Cour d ’Amiens,
du 10 mars*
1 8 2 1 { D . 18 23 , p. 1 1/| ).
Ces principes posés, faisons-en l'application à la cause. Comme
nous l’avons fait remarquer dans l ’exposé des faits, les prétendues
questions graves, rée lle s, que les héritiers Gueston mettent en avant
pour donner à l’acte du 12 août 1816 les apparences d ’une transac
tion , n’avaient ni gravité ni réalité.
Ils auraient pu contester l’identité d ’Eléonard comme le fils de
Marie Iîriinét! Pure allégation, ridicule et grossier m ensonge, qui
ne pouvaient faire illusion à personne. L ’acte de dépôt h l’h osp ice ,
1 acte de naissance, 1 acte de remise , la reconnaissance insérée dans
1<‘ contrat de
mariage de Marie B r u n e i, témoignage de son affection
maternelle, protestent contre une si étrange prétention. Qui aurait
4
�cru , sur le dire des héritiers Gueston , q u ’une mère affiche, son
déshonneur, s’impose des sacrifices de tous genres, pour se prêter
à une spéculation aussi immorale? La reconnaissance du sieur Gueslo n , les soins minutieux q u ’il prend pour assurer ît son>fils naturel
les actes et les moyens nécessaires de
conserver son é ta t , ne
viennent-ils pas donner encore un démenti énergique à dés alléga
tions dictées par la cupidité? Enfin, l’acte volontaire contracté par
4
les héritiers Gueston , le 1 janvier
i
8 i 5 , en faveur de Marie Brunct
et de son fils, n ’est-il pas de leur part une reconnaissance positive et
formelle?
Le droit de réserve, disent-ils e n c o r e , était contestable à l’égard
de l’enfant naturel. Sans d o u te , on peut tout contester, même l’é
vidence ; mais celte contestation ne pouvait créer une difficulté sé
rieuse et réelle. Que l’on consulte sur cette question MM. Merlin,
G ren ier, Touliier, Duranton, Loisoau, F avard, Malpel, Dalloz,
Yazeille , Delvineourt, Levasseur ; ils enseignent tous quo l’art. 761
du Code civil attribue à l’enfant naturel un droit de réserve sur les
biens du père ou de la mère qui l ’a reconnu. La jurisprudence des
Cours royales et de la Cour de cassation est également uniforme sur
la solution de cette question.
Mais, ajoutent-ils, ils auraient pu oontester le droit de réduction
pour composer cette réserve sur les biens compris dans la donation
déguisée du \l\ janvier
i
8 i 5 ; mais si l’enfant naturel a une réserve,
s’il doit com p ter, suivant les termes de l’arrêt de la Cour de cassa
tion du 26 juin ¡80 9, comme une fraction d ’enfant légitime, il doit
bien avoir les moyens de l’obtenir; et ces moyens ne doivent pas
être différents de ceux qui ont été organisés par la loi pour complé-.
1er la léserve des enfants légitimes.
Rem arquons, d’ailleurs, que cette question de réduction était
*ans inlluenco sur la détermination de la tutrice, et q u e , sous ce
rapp ort, elle n’a pu rien sacrifier pour éviter les chances d ’uno
discussion judiciaire qui aurait pu tourner contre son pupille. Eu
effet, la question do réduction des immeubles précédemment dun,-»
�nés, n’aurait pu s’agiter que dans le cas où les Liens libres provenant
de la succession du sieur Gueston n’auraient pu faire face aux droits
que la loi attribue à l’enfant naturel. Il est bien sensible que si les
héritiers Gueston avaient voulu y prendre part, ils auraient été
obligés de rapporter ceux q u ’ils avaient antérieurement reçus. Or ,
les biens libres et dont le sieur Gueston n’avait pas disposé, consis
taient: i° dans les cinq sixièmes de lalocaterie de Loulaigue, estimés
dans l’acte du 12 août i 8 i 6 à ........................................... 2,5oo fr.
2° Dans le mobilier du sieur G ueston, porté dans les
inventaires et le traité à........................................................ 4 ^ 9 6
T o t a l ...................................... 75096 fr.
Ces valeurs, malgré la dissimulation qui a été faite de celles énu
8 3 , étaient supérieures à la somme de
mérées dans l’inventaire de p i
3 ,ooo
francs attribuée à Éléonard. La question de réduction était
donc sans intérêt pour l u i , et ne pouvait porter la tutrice h accep
ter une pareille transaction.
M ais, d’ailleurs, est-ce qu ’on peut dire sérieusement que ces pré
tendues difficultés sont entrées pour quelque chose dans le règle
ment des droits d ’Éléonard? Les jurisconsultes consultés avaient ils
sur leur solution laissé à la famille, aux tuteurs, la plus légère incer
titude? IVavaient-ils pas, à l’unanimité, déclaré q u e , sous tous les
rapports, les droits du mineur Gueston étaient à l’abri d ’une contro
verse dangereuse ? Les héritiers Gueston eux-mêmes demandaientils un sacrifice-pour prix de leur renonciation à soulever ces contes
tations , dont ils connaissaient bien
le peu de fondement et de
consistance? Non. Dans l’acte du 12 août 1 8 1 6 , ils proposent3 à
lilrc de transaction, une somme de 3,000 francs supérieure à celle
qui pourrait revenir à l'enfant naturel, en admettant (ce q u i, selon
e u x , pouvait être contesté ) <juc. 1rs diverses questions agitées fussent
résolues en leur faveur, lo u te leur contestations se réduit h une
possibilité indiquée entre deux parenthèses. Loin de se prévaloir de
la ressource d ’un procès injuste pour obtenir une réduction sur
�l'étendue des droits du mineur G ueston, ils offrent, pour le désin
téresser, line somme supérieure à la valeur de son amendement. Ils
reconnaissent d o n c , par cette offre ainsi formulée, q u ’Eléonard est
bien fondé à obtenir au moins sa portion héréditaire dans la suc
cession de son père. Autrement celte supposition de leur part n’au
rait été q u ’un mensonge d ’autant plus coupable, qu’il aurait eu pour
but de tromper un frère mineur
en se donnant les avantages d ’une
apparente générosité.
A u ssi, sans s’inquiéter des prétendues questions graves et sérieuses
que l’on voudrait faire revivre, procède-t-on immédiatement à la
liquidation des droits d'Eléonard. Pour y parvenir, on compose la
succession du sieur Gueston. On récapitule les dettes qui la grèvent,
dans lesquelles on fait figurer 2,900 francs, montant des droits
85
d ’enregistrement de la vente du il\ janvier i o ; il en résulte que
l’actif est réduit à 4 6 ,1 9 6 francs. Sur celte somme , on détermine le
seizième revenant à l ’enfant naturel.
2,887
Ce
seizième est
porté à
fr” 29 c * C ’ est pour remplir Élconard de tous scs droits dans.
la succession du sieur François Gueston, son père naturel, que les
héritiers légitimes s’engagent à lui payer à>sa majorité la somme de
1
3 ,ooo francs.
f t ’est-j’ l pas évident que cet acte a eu pour effet de faire cesser
l ’indivision? ÎN’est-il pas évident que la somme de
3 ,000
francs était
l ’amendement d ’Éléonard dans la succession de son père naturel ? A
l’exceplioi) do la qualification donnée à cette prétendue transaction,
11e remontre-t-on pas dans cet acte tous les éléments, tous les caractères
qui sont propres au partage? Sa forme , son b u t, ses résultats permcttent-ilsde se méprendre sur la nature véritable de celte conven
tion? Si donc Éléonard Gueston avait passé cet acte en majorité,
il pourrait sans contredit en demander la rescision pour cause du
lésion. En démontrant que les 0,000 francs qu ’on lui offre ne sont
pas la sixième partie de ce qui lui revient dans la succession de son
p è r e , nul doute que ses adversaires seraient réduits à l’impuissanco
de combattre cette action. En vain parleraient-ils des difficultés
�i
—
29
—
sérieuses qui s’élevaient au moment où le traité'à élé passé; ii leur
répondrait victorieusement qu ’elles n’étaient pas s é r i e u s e s ‘qui;
d ’ailleurs elles ont été sans influence sur la fixation de son amende
ment.
11 leur
répondrait, avec la Cour de cassation, queT existency
de contestations réelles justifiées au besoin par des débats judiciaires,
est insignifiante pour déterminer le véritable caractère d ’une tran
saction ou d ’un partage ; q u ’il suffit que ce soit un premier acte
intervenu entre des communistes sur des biens indivis, pour qu’il
soit considéré par la justice comme un véritable partage, malgré la
dénomination que lui ont donnée les parties.
Il
leur dirait, au besoin , que si la renonciation des héritiers
Gueston à contester son droit, et la renonciation de la part de la
tutrice à se prévaloir de la promesse du 14 février, peuvent consti
tuer une transaction définitive, il n’en est pas de môme du règle
m ent, qui avait pour objet de lui attribuer auimoins le seizième de
la succession de son père. A l’aide de la distinction émise par MM.
Chabot, Duranton et Vazeillé, il leur répliquerait : Cet acte alors
renferme deux parties distinctes : d ’une part, la (reconnaissance de
mes droits, la fixation de mon amendement , l’abandon par ma
mère de ses prétentions à la somme de 2,000 francs que vous lui
aviez volontairement promise , forment, si vous le v o u le z , un traité
irrévocable; j’admets avec vous que l’on ne puisse pas faire revivre»
ces prétendues question^ préliminaires dont la solution est restée
complètement indépendante de mes droits; mais il:n’en est pas de
même de la seconde partie de cet acte , dans laquelle une somme de
3 ,ooo francs est promise pour tenir lieu de
tons mes droits dans la
succession de mon père naturel. Cette attribution, qui est calculée
sur mon amendement, est le lot que vous m’avez fait; elle n’a eu
d autre but que de faire cesser l’indivision. Dans l’intention com
mune des parties contractantes, il est bien certain q u e lle devait re
présenter le Seizième qui me revenait. Son règlement a été déter
miné d ’après les forces actives et passives de la succession et d ’après
1étendue
et la quolilé de mes droits comme enfant naturel. C e lle
�seconde partie de l’a c te , entièrement indépendante des autres dis
positions, est donc un partage soumis àitoutes les règles, à tontes
les conditions résolutoires des conventions de cetteinature. Eh bien !
je demande à prouver que',cette fixation à
3 ,ooo
francs que vous
disiez dépasser m o n 'a m e n d e m e n t, est une fixation mensongère et
décevante : je demande à prouver que je n’ai pas été lésé d ’un quart,
mais de plus des cinq sixièmes. La loi, l’é q u i t é , la nature des con
ventions se réunissent pour justifier ma réclamation.
Les conséquences légales qui dérivent des principes que nous ve
nons d ’établir sont faciles à tirer. L ’action en rescision que le sieur
Gueston serait fondé à introduire , dans le cas où il aurait passé en
majorité le traité du 12 août, ne pourrait être accueillie que parce
q u ’aux yeux de la justice cet iacte serait un véritable partage. C a r ,
aux termes de l’art. 2 o 5 2 , il serait, . comme transaction, à l’abri de
tout grief de lésion. L e caractère de cet acte une<fois légalement
fixé, ne peut pas changer; il'doit rester le même dans toutes les h y
pothèses; et la minorité d ’EIéonard, loin d ’être une raison de le dé
naturer, est au contraire une considération puissante, qui doit en
gager les magistrats à lui conserver sa véritable physionomie.
Comme partage, le traité du 12 août, malgré l’intervention de la
justice , et les formalités qui ont été remplies, est sans valeur, ou du
moins ne peut produire que des elTets.’ provisoires. Aux termes de
l’art. 466 duiCode c iv il, pour obtenir, à l’égard du mineur, tous les
effets q u ’il aurait entre majeurs, le partage doit être fait en justice ,
et précédé d ’une estimation faite par experts nommés par le tribunal
du lieu de l’ouverture de la succession. Les experts do iv en t, après
avoir prêté serment, pro cédera la division des héritages et à la for
mation des lots, qui sont tirés au sort. Tout autre partage est consi
déré seulement comme provisionnel. Les mêmes dispositions! sont
reproduites dans l’nrt. 8/|0. Dans sa sollicitude pour le mineur,'dont
les intérêts peuvent être si facilement compromis par des cohéritiers
cupides, des tuteurs inhabiles ou infidèles, le législateur a multiplié
les précautions qui doivent lui servir de garantie. l\on-seulemcnt la
�—
jl
—
justice est chargée de.veiller, mais encore elle doit êtreiéclairée par
des hommes dont les études spéciales lui font connaître d ’une ma
nière certaine la valeur et la consistance des immeubles.:¡Trois ex
perts choisis par le tribunal du lieu doTottvérture de lafsuccession ,'
après un serment quilenehaînHéuricdnsciencey sont tenus d ’estimer
les biens , et de faire connaître les bases de léiir estimation ; et y dans
la crainte encore que celte estimation soit vicieuse ou erro n é e , la
loi pousse plus loin sa sage prévoyance1: elle rejette toute combinai'
sou par voie d'attribution qui pourrait être iunq'occasion de dom
mage pour le m ineur; elle veut que devantttti’ mènibrc du tribunal:,f
ou devant un fonctionnaire public désigné iti'cét 'effetvles lois soient
tirés au s o r t , afin que l’incertitude d e 'ce litage sbit"utle"te'conimandation efficace auprès des experts et môme dos parties majeures, de
se conformer à la plus scrupuleuse égalité. :l
•
Toutes ces garanties ont manqué au mineur Gueston. Peuventelles être remplacées par l’avis d ’un conseil de famille composé d eirangers q u ’aucun lien d ’affection ne rattachait à un enfant de dixhuit mois, et qui déclarent que des biens situés dans un autre
arrondissement, et qu ’ils n’avaient même jamais vus, sont estimés
au-dessus de leur valeur, sur une indication sommaire et incomplète !
C ’est cependant le seul document qui’ ait été fourni à la justice. Les
honorables jurisconsultes qui ont été appelés à rédiger la consulta
tion , n’ont pas dû s’occuper de la valeur réelle des biens : leur mis*
sion se bornait à: examiner quelle était, en d roit, la quotité de
I amendement du m ineur, et si les actes qui servaient de fondement
à la demande en partage projetée par la tutrice, étaient réguliers. Sur
toutes ces questions, ils ont été unanimes pourldécider que les in
térêts du mineur étaient à l'abri de toute contestation. Mais, quant
a la valeur des, biens, qui leur élail entièrement inconnue, ils ont
déclaré s’en remettro a l’opinion exprimée- par le conseil de famille,
be tribunal lui-même, toul en homologuant la prétendue transaction,
II a pris aucune mesure préalable pour s’assurer légalement de la
consistance et de la valeur de la fortune immobilière du sieur G ués-
�ton.-L’omission de ces formalités importantes , et dont l’accomplis
sement est indispensable pour donner une valeur définitive au par
tage qui, in t é r e s s e r a m in e u r, né permet pas de regarder comme
irrévocable leiréglement arrOlé par le traité d u -¡12[août ¿816.1 Tout
au plus p e u t - a n lui faire produire les effets d ’un partage provisoire,
qui
mettrait ¡ le s h é r i t ie r s Gueston à l’abri d ’une restitution de!
jouissances perçues pendant plus dé vingt ans au détriment du mi-i
neur. Mais consacrer la spoliation dont se plaint Eléonard, décider,'
au t mépris des dispositions les-.plus formelles de la lo i, que ce
traité qui lui' est étranger, consommé par uneLtutrice ignorante,
illétrée ; par ùu co-tuteur soumis à l'influence des héritiers Gueston ,
a pu le lier pour toujours et lui interdire une nouvelle action en
partage, serait une monstruosité que la justice ne sanctionnera
jamais. E h ! comment pourrait-elle s y résigner, lorsqu’elle est spé
cialement chargée du soin de protéger les intérêts sacrés du mineur ;
lorsque toutes les dispositions de notre Code» témoignent de la
sollicitude éclairée du législateur, qui'; par toutes les voies possibles ;
a voulu lui fournir les moyens d ’obtenir la réparation des illégalités
ou des injustices dont il aurait été la victime? En e f fe t , pour le
inineur, il n ’y aipas de contrat qui puisse lui causer préjudice. La
simple lésion suffit pour q u ’il soit fondé à obtenir la rescision des
conventions qui auraient été passées en son nom , malgré toutes les
précautions et toutes les formalités dont on aurait pris soin de les
35
environner. L ’article i o
du Code civil porte : La simple lésion
donne lieu à la rescision en faveur du mineur non émancipé.contre}
toutes sortes de conventions. Cette disposition ne s’applique pas aux
contrats passés par le.mineur seul ; car ils seraient frappés de nullité
à raison de son incapacité personnelle; elle est spéciale aux conven
tions qui auraient obligé le mineur malgré son incapacité, c ’est-àdire , à celles passées par,le tuteur dans les limites de ses pouvoirs,
avec le concours du co n se il, lorsque son intervention est nécessaire ,
et l’autorisât ion de la justice, lorsqu’élle.'fst exigée p a rla loi. Quant
53
à c<ilie,v- ci » 'J’article 1 o
2
ne distingue p a s , i l s’applique i toutes
�sortes de conventions d ’une'manière générale, absolue. C’est dans ce
sens que cette disposition a été interprétée par M. Merlin : <? Il
» importe peu , dit-il, que les transactions avec un mineur aient été
» homologuées par la justice après toutes les formalités prescrites
» par l’article 467 , ce n ’est qu’à l’égard des aliénations d’immeubles,
» ou des partagés de successions, que l’article 1
314 ferme aux mi-
» neurs la voie de la rescision , lorsque les formalités requises à rai» son de la faiblesse de leur âge ont été remplies ; les transactions
35
» restent sous l’empire de la règle générale qu ’établit l’art. i o . »
( M erlin3 Rrp., v. Transaction, § Y , n°
8 . ) Cette opinion est égale
ment professée par M. Toullier.
Il
resterait donc à Eléonard la ressource de faire rescinder pour
simple lésion l'acte du 12 août, s’il était possible de le considérer
comme une transaction dans toutes ses parties; mais celte ressource
subsidiaire et incomplète serait loin de réparer le préjudice qu’il a
souffert: fort de son bon droit, convaincu que malgré lafausse qualifi
cation donnée au traité du i 2 a ô u t , la justice ne peut en mécon
naître le caractère, le but et la p o rté e , il persiste à réclamer
l'intégralité de ses droits, et à demander q u ’on lui attribue la part qui
lui revient dans l'héritage paternel.
Le tribunal de première instance, dont la décision est empreinte
d un caractère remarquable de sagesse et de circonspection, a consacré
ces principes par le jugement q u ’il a rendu. Il n ’est p e u t-ê tr e pas
inutile de remettre sous les yeux de la Cour les motifs principaux de
cette décision, sauf à examiner ensuite le mérite de deux considé
rants dont on a fait une critique particulière:
« Attendu que l’acte du 12 août i 8 i 6 ,b i e n q u ’il soitqualifié tran
saction , équivaut à un partage à l’égard de Canu , puisqu’il en pro
duit tous les effets pour lui ;
» Q11 il conlient, en effet, l’énumération des biens formant la tota
lité de la succession de l'rançois G ueston, leur
estimation,
la
composition de la niasse, la liquidation de la succession, enfin la
determination de la quotité revenant à Cauu , en sa qualité d ’enfant
�34
-
naturel, laquelle y est fixée à un seizièm e, par suite de la réduction
opérée par l’exercice de scs droits -, de la donation déguisée du 14
8 i 5 ; qu ’il contient évaluation de celte qu o tité àu n e somme
peu inférieure à 3 , 00a f r . , et portée ensuite à la somme de
janvier î
un
3,ooo fr. pour désintéresser complètement C a n u , et pour ( est-il dit
dans l’acte) tous les droits que peut prétendre Eléonard Canu dans
la succession de François Gueston ; d ’où il suit qüe cet acte ren
ferme tous les éléments d ’un partage , qu ’il en a , en outre , le carac
tère essentiel et distinctif , celui de faire cesser l’indivision ;
» Q u ’enfin, s’il pouvait exister quelque doute sur ce point de doc
trine et de d roit, il serait levé textuellement par l ’article 888 du
Code c i v i l, disposition dans laquelle le législateur, par une sagesse
remarquable, évite avec un soin évident de se servir du mot partage,
et dit : Tout acte ayant pour objet de faire cesser l’indivision , encore
q u ’il fût qualiûé de v e n te , d ’échange et de transaction, ou de toute
autre manière;
?
» Attendu qu ’en matière de partage intéressant dès m ineurs, la
loi a établi des règles et déterminé des formes spéciales dont elle
prescrit l’observation rigoureuse, sous peine de ne laisser à l’acte
dans lequel elles n’auraient pas été scrupuleusement observées, que
le simple caractère et la seule force d ’un partage purement provi
sionnel ;
» Attendu que si quelques monuments de jurisprudence
con
sacrent la validité d ’un partage par voie de transaction entre ma
jeurs et mineuis, môme avec attribution de part ( arrêt de rejet,
(Jour de cassation j du
3o
aôut 18 1
5 ),
on doit y signaler que le
partage élail alors attaqué par les majeurs, tandis que l’inobserva
tion des articles/jGo 840 du Code civil ne peut être invoquée que
pur les mineurs;
>
2” Que les biens avaient été estimés en justice , et que celte
seconde garantie des intérêts protégés du mineur manque dans les*
pècc dont il s’agit ;
�» D ’où il suit que cet acte du 12 août 1816 V' q u i ’ sert dé base à
la demande, est nul en tant qu ’il détermine d ’une manière définitive
la part afférente à» Canu comme enfant naturel’, et qu’il fait cesser
pour lu i, l’indivision dans la succession de François Gueston. » '
Des raisons aussi logiques n’ont pas besoin de justification.’ Les
héritiers Gueston n’ont pas cherché à les combattre autrement
q u ’en déplaçant la question, et en dénaturant le véritable caractère
du traité de 1816. Ont-ils été plus heureux dans les critiques de
détail qu’ils ont faites de deux considérants, dans lesquels ils ont cru
voir des erreurs de droit et des contradictions manifestes. Il nous
sera facile de montrer que dans le jugement du tribunal de Mou
lins , il n’y a ni erreur de droit, ni contradictions, et que toutes ses
dispositions s’enchaînent, se coordonnent, et répondent victorieu
sement aux objections des héritiers Gueston.
Nos adversaires, dans leur m ém oire, ont cherché à éluder l’ap-'
plication de l'article 888 du Code civil : ils ont voulu se placer sous
la protection de l’article 88g qui porte : * L ’action en rescision n’est
» pas admise contre une vente de droits successifs faite sans fraude
» à l’un des cohéritiers à ses risques et périls, par ses autres co » héritiers ou par l’un d ’eux. Ainsi, disent-ils, les droits de Canu
» supposés certains, sa qualité reconnue , le traité sur ces droits par
» un majeur, moyennant une somme G xe, serait^une véritable
» cession de cette espèce, inattaquable de sa nature, parce que
» c ’est encore sur la quotité et la valeur des droits une sorte d e '
» transaction. »
L emploi de ce moyen était dangereux dans la bouche des héri
tiers Gueston. D ’une p a r t, c ’était considérablement affaiblir le ca
ractère exclusif de transaction que l’on voulait conserver au traité
«le 181G. D un autre côté , présenter cet acte comme une cession de
droits successifs, c était reconnaître qu ’il rentrait'nécessairement
dans la catégorie des actes qui font cesser l’indivision , et dont s'oc
cupe l’art. 888, si l’on n’établissait pas q u ’il fût compris dans l’excep
tion prévue par l’article 88g. Aussi l’habile interprète des intérêts
�—
5G-—
des héritiers Gueston., tont en développant ce moyen avec étendue ,
prend-il la précaution d ’indiquer quç s ’ il aborde,,cette question fort<
inutile, à sa cause, c ’ est uniqiwment parce que Je tribunal l'a mis sur
cette voie. .
h, ,
tL ’objection avait été en effet présentée devant le tribunal de Mou
lins^,et le jugement y répond par les motifs suivants
« Attendu
» que l ’acte du 12 août i 8 i Ü 'n e peut être considéré comme reu» fermant une vente de., droits successifs, lorsque l’on considère
» également le caraclèfe propre ;et distinctif de ce genre d ’aliéna» tion.
*
ft.
v,, . ,
,t, 4.
En effet, le vendeur de droits,successifs ne vend et ne garantit
» que . sa [qualité d ’héritier ou d ’ayant droit ; du ¡reste , il n’eit pas
1» garant de la moindre pu de la plus grande étendue de ses droits ;
p il ne vend que ce qui se .trouve ou peut se trouver dans la suc3 cession : dans l ’acte du 12 août, Canu a vendu nonrseulement des
» droits certains, mais des droits liquidés, déterminés , une quolc
» part enGn, attributive d ’une valeur fixée; en un m o t, le résultat
» d ’un partage préexistant. »
Ces motifs répondent parfaitement à l’argumentation des héritiers
Gueston. Par une exception au principe proclamé par l ’article 888 ,
le législateur déclare qije la vente des droit successifs laite aux ris
ques et périls de l ’acheteur , était à l’abri de l’action, en rescision.
Pourquoi? parce que, dans ce cas, les forces de la succession n’étant
pas connues, les dettes qui la grèvent étant ignorées, il y a pour
les deux parties chances aléatoires dans le contrat qui intervient.«
C ’est, disent Lebrun et P o th ie r , parce que l ’ incertitude sur la quotité
de Ca ctif de la succession et sur la quotité ¡des dettes et des charges,
rend également incertaine la valeur des droits successifs. L e caractère
distinctif de cette convention est d'ailleurs, assigné par l’article 889 ,
qui exige que .la vente soit faite,«!/# risques et périls de l ’acheteur,
c ’e$t-à-dire, suivant l’opinion générale des auteurs, q u ’il reste seul
expressément chargé d ’acquitter toutes les dettes.
D a n i-le traité de 181Ü, trouve-t-pu les éléments d ’un contrat
�aléatoire'.résultant dé l ’incertitude^dans laquelle toutes les" parties!
auraient été sur la quotité des biens et sur la*quotit<*i des dettes et
descharges? Mon : l ’actif est rappelé toutes lesdettessonténumorées ;
nulle part il est indiqué qu ’elles resteront à la charge des.cessionnai*
res; loin dé là , on fait.paÿer au mineur sa part contributive , en re
tranchant ide l’actif de la succession les dettes, qui. la grevaient. C e
n ’est pas une part incertaine., ignorée des parties, et dont-: la con
sistance pCit dépendre d ’un passif inconnu:,» que se fonticéder les
héritiers Gueston , mais un seizième déterminée d ’après les droits
reconnus d’Éléonard, et les forces d e <la succession soigneusement
énumérées.
Le tribunal a donc eu parfaitement raison lorsqu’il a décidé que
le traité du 12 août ne pouvait, sous aucun rapport, être assimilé à
la cession aléatoire dont s’occupe l’article 88g , et que la vente con
sentie au nom d ’Éléonard portait sur des droits certains, liquidés,
déterminés, enfin sur le résultat d ’un partage auquel toutes les par
ties avaient réellement procédé.
Où conduisait d ’ailleurs l’objection? Quand il serait vrai que la
cession consentie au nom d ’Éléonard fût un contrat aléatoire q u i,
par sa nature m ê m e, ne peut jamais être ni autorisé ni consommé
lorsqu’un mineur y est intéressé, elle n’en resterait pas moins une
cession de droits successifs dont la nullité serait évidente. En ellet’,
I aliénation des immeubles appartenant à un .mineur ne peut avoir
lieu qu’après l’accomplissement de nombreuses formalités qui témoi
gnent de la vigilance du législateur. Ces formalités sont indiquées
par les articles
4 ^7 » 4 ^®» ^ 9
Gode civil , g
56 et
suivants du
Code de procédure. Il faut q u ’il y ait nécessité absolue , ou avantage
«•vident reconnu par le conseil de famille et par le tribunal. Il faut,
encore que le subrogé tuteur soit appelé à la vente, q u ’elle soit
précédée d ’aiTichcs , d une estimation préalable par experts , et con
sommée publiquement sur des enchères reçues par un magistrat ou
un notaire. Ces dispositions sont communes à une cession de droits*
successifs, qui comprend nécessairement aliénation d ’immeubles,
�lorsque la succession est principalement immobilière. Sous la forme
d ’une transaction, et en se conformant aux prescriptions de l’article
¿¡G"1 , il n ’est pas plus permis au tuteur de faire un partage.;qu’une
cession de droits successifs qui puisse lier son pupille; autrement
toutes les garanties dont la loi a voulu l’environner lui seraient ravies.
En matière de .transaction, elle a seulement exigé le concours de
trois jurisconsultes, parce que la nature du débat sur lequel une
convention de cette nature est provoquée, exige plutôt l’appréciation
d ’une question de droit que l’appréciation de la consistance et de
la valeur des biens immeubles ; mais toutes les fois que les droits
immobiliers d ’un mineur sont en litige, elle a pris des mesures spé
ciales et plus appropriées à la nature même des droits q u ’il s’agit de
protéger.
11
ne nous reste plus q u ’à justifier le jugement attaqué du reproche
de contradiction que lui adressent les héritiers Gueston. Après avoir
fortement démontré que l’acte de 1816 était un partage réel qui ne
devait produire que des effets provisoires, le tribunal ajoute : « At» tendu que l ’acte dont il s’a g it, contenant transaction sur d ’autres
» points litigieux, les héritiers Gueston pourraient alléguer, peut» être , que l’admission de Canu à prendre part à la succession de
» leur père dans la proportion qui s’y trouve déterminée . n’a été que
» la condition par forme de transaction , de la renonciation de leur
» part à différents droits, et notamment h celui de contester la qua>
» lité d ’enfant naturel. »
• Très-bien ! s’écrient les héritiers Gueston , le tribunal en dit plus
» q u ’il n’en faut pour détruire tout l’effet des précédents motifs; il
» reconnaît que l’acte du )2 août contient transaction sur des points
» litigieux...... ; il reconnaît qu ’un de ces points litigieux était le droit
» de contester à Canu sa qualité d ’onfimt naturel ; d o n c, d ’après le
» jugement lui-même . il y avait contestation , et il v a eu transaction
* sur ce point important, fondamental, en même temps que sur
» d ’autre.'. »
Le tribunal de Moulins avait été saisi par la demande en validité
�—
39
—
<les offres faites par les héritiers Gueston d ’une somme de
3 ,ooo l i . ,
qui devait, selon e u x , désintéresser complètement leur frère natu
rel. Pour déterminer si ces offres étaient suffisantes , il était néces
sairement amené à examiner le caractère définitif que l’on voulait
imprimer au traité de 1 8 1 6 ; mais il n’avait pas à s’occuper du par
tage, qui était pendant devant le tribunal de M ontluçon, dans le
ressort duquel la succession s’était ouverte. Il aurait pu cep en d a n t,
en appréciant toute la portée de l’acte du 12 août, décider que les
héritiers Gueston, en reconnaissant la qualité de leur frère naturel,
en ne conlestant ni'sesdroits à une réserve, ni l’action en réduction
qu’il pouvait form er, et dont le mérite avait été sanctionné par l’avis
des trois jurisconsultes, ne pourraient plus, dans l’avenir, présenter
de pareilles objections; qu e, sous ce rapport, il y avait eu de leur
part renonciation formelle ; que celte renonciation , accompagnée
de la paît de la tutrice de l’abandon des droits que lui conférait l’acte
5
sous seing privé du 14 janvier 18 1 , constituait une transaction qui
devait être respectée par toutes les parties. En le jugeant ainsi , le
tribunal n’aurait pas été en contradiction avec les précédents motifs
q u ’il avait donnés. Suivant la distinction établie par MM. C h a b o t,
Duranton et Y azeille, et d ’après la doctrine des Cours d ’Amiens et
de ¡Nîmes, il aurait pu reconnaître q u e , dans celte partie de l’acte ,
>1 y avait transaction, et dans l’autre partage q u i, à raison de la mi
norité et de l’inaccomplissement des formalités prescrites, devait se
borner à des effets provisoires; et cette décision aurait été logique ,
conséquente; et le tribunal n’aurait pas, en l’adoptant, donné 1111
démenti à 1 interprétation qu ’il avait dé,à faite du règlement de 181 (5.
Mais il 11 est pas allé jusque l à , il a été plus circonspect : après avoir
constate le fait, ¡1 s’est b o rn é , en rejetant la demande eu validité
d o llre s, à faire réserve à toutes les parties de leurs droits respec
tifs, à 1 ellet soit de procéder à un nouveau partage, soit d'exercer
lesdils droits ainsi qu elles aviseront. Les héritiers Gueston peuventils s en plaindre? S ils attachent quelque importance à ces misérables
contestations, libre à eux de les reproduire à leurs risques et périls|;
leur frère naturel 11c les redoute pas.
�-40
-
!
Q u ’on ne dise pas surtout que le tribunal a reconuu q u ’un des
points litigieux était la qualité d ’enfant naturel, et qu ’il y avait con
testation sur ce point important, fondamental. Pour motiver la ré
serve générale faite aux parties, réserve que nos adversaires récla
maient positivement dans leurs conclusions, il dit seulement que les
héritiers Gueston pourraient alléguer peut-être. Certes, traduireainsi
leur prétention, était suffisamment en apprécier la valeur. Jamais,
en e ffe t, les héritiers Gueston n’ont contesté la qualité d ’Eléonard.
Indépendamment des actes nombreux qui l’établissent, eux-mêmes
l’avaient reconnue, soit dans l’acte du 14 janvier i
8 i 5 , soit dans la
délibération du conseil de famille du 12 juin 1 8 1 6 , soit enfin dans
le traité de 1 8 1 6 , où toujours Eléonard est indiqué comme fils na
turel du sieur Gueston. Aussi le tribunal dit-il qu’aucun doute ne
saurait s’élever sur cette qualité d ’enfant naturel du sieur Gueston.
Sous tous ces rapports, les premiers juges ont fait une apprécia
tion exacte et judicieuse des questions qui étaient soumises à leur
examen. L ’erreur involontaire commise parleurs devanciers ne les a
point égarés; ils ont su la réparer au moins pour l’avenir, en lais
sant le passé sous la protection du traité de 1816 et du jugement
qui l’avait homologué. Malgré la fausse qualification donnée à cet
acte , ils lui ont restitué son véritable caractère, révélé par les prin
cipes les plus certains de notre législation , par la nature des conven
tions qu'il renferm e, et les résultats qu ’il était destiné à produire.
La C o u r, dans sa haute sagesse, n ’hésitera pas à donner une nou
velle consécration aux droits imprescriptibles d ’un enfant mineur,
que des cohéritiers malveillants et cupides ont voulu compromettre,
et qu ’une faible fem m e, dominée par leur ascendant, n’a pas su
défendre. Dans cette lutte décisive , elle prêtera son appui tutélaire
à celui que la loi a placé sous sa protection spéciale, et dont les in
térêts ont été l’objet de sa constante sollicitude. L ’arrêt que pom Miit Eléonard, et q u ’il attend avec confiance, doit fixer son avenir.
Jusq.i’à présent, malgré tous les obstacles suscités par le besoin et
la détresse , il est parvenu , secondé par un travail opiniâtre , soutenu
�4
1
par l'intérêt qu’il a su inspirer, à terminer ses études. l ' instruction
qu ’il a r e çu e , et qu ’il donne en échange pour acquitter sa d e tte, lui
permet de suivre une carrière h on o rab le, s' il parvient à recueillir
l’héritage paternel. Toutes ses espérances, tous ses eff orts viendrontils se briser dans le sanctuaire de la ju stice, où il a cherché un
refuge ?
Me L. R O U H E T , Avocat.
Me T A IL H A N D , Avoué-Licencié.
RIOM.— IMPRIMERIE DE E. THIBAUD.
�
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Factums Godemel
Relation
A related resource
/files/factum-remarquables/BCU_Factums_G0301_0007.jpg
Description
An account of the resource
<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. Gueston, Eléonard. 1836?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Rouher
Tailhand
Subject
The topic of the resource
successions
partage
enfants naturels
coutume du Bourbonnais
exposition
abandon d'enfant
fausse identité
reconnaissance de paternité
transactions
partage
domestiques
conscription
jurisprudence
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire en réponse pour Eléonard Gueston, précepteur, intimé ; contre Gilbert et Louis-Etienne Gueston, propriétaires ; Françoise Gueston et Jean Causse, son mari, Docteur en médecine ; appelants d'un jugement rendu par le tribunal de Moulins, le 28 avril 1836.
Annotations manuscrites.
Table Godemel : Enfant naturel.
6. lorsqu’après la reconnaissance authentique d’un enfant naturel et le décès du reconnaissant, les héritiers légitimes de ce dernier ont confirmé la reconnaissance, dans un acte passé avec le tuteur autorisé par une délibération du conseil de famille, en admettant l’enfant naturel à l’exercice de ses droits, en cette qualité, dans la succession de leur père, et que, dans cet acte, qualifié transaction, après l’énumération de tous les biens de la succession, leur estimation, la composition de la masse, la liquidation et enfin, la détermination de la quotité revenant à l’enfant naturel avec évaluation d’une somme fixe, on lui abandonne une somme un peu plus forte pour le désintéresser plus complétement et pour tous les droits qu’il peut prétendre dans la succession du défunt ; cet acte bien qu’il ait été homologué en justice, à la diligence du tuteur, et sans contradiction doit-il être considéré comme vente de droits successifs et transaction, ou au contraire comme partage ?
l’enfant naturel après sa majorité, peut-il, en invoquant le véritable caractère de l’acte, s’il a réellement fait cesser l’indivision, et en excipant de ce que les formes prescrites par la loi, pour l’efficacité des partages avec des mineurs, n’ont pas été observées, en demander la nullité, ou la rescision pour cause de lésion, et conclure à un nouveau partage ?
peut-on lui opposer, comme fins de non-recevoir, l’autorité de la chose jugée, résultant, soit de la décision judiciaire qui avait homologué l’acte réglant à une somme fixe ses droits dans la succession de son père naturel ? soit du caractère et des effets de la transaction ayant eu pour objet de trancher, entre parties, des difficultés nombreuses sur la qualité du réclamant, sur le règlement de ses droits, sur les conséquences des libéralités et dispositions antérieures faites à son profit ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Imprimerie de E. Thibaud (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa 1836
1814-1836
1814-1830 : Restauration
1830-1848 : Monarchie de Juillet
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
41 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G2806
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Relation
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^
iff:
—
COUR R O Y A L E
MÉMOIRE
DE
RIOM.
POUR
PR EM IÈRE c h a m b r e .
G ilb e rt et Louis-Etienne GUESTON, Pro
priétaires; Françoise GUESTON, et JeanPourçain CAUSSE, son mari,
Proprié
taire et Docteur en médecine, Appelans de
jugement rendu par le Tribunal civil de
Moulins, le 28 avril 1 8 3 6 ;
CONTRE
L éonard CANU, Intimé.
D e u x jugemens du tribunal civil de Moulins sont en présence d ans
cette cause ; l'un du 19 août 1816, qui, après l’emploi des fo rm a lités
prescrites par l’art. 467 du Code civil, homologue une t ra n sa ctio n
faite par un tuteur; l'autre t de 1 8 3 6 qui annule cet acte , parce
que , d it-il, c était un partage et non une transaction.
A insi, deux jugemens du m ême tribunal ont différemment qua
lifié l'acte qui fait le fondement du procès : le premier y a reconnu
une transaction et l’a hom ologuée, à une époque où le tribunal était
�*
V
— 2 —
chargé par la loi d ’en examiner les caractères, de le qualifier com m e
il devait l’ê t r e , et de n’y mettre le sceau de son autorité que lors
qu’il aurait reconnu que le mineur avait avantage à transiger ; le se
cond , mettant à l’écart le jugement d ’homologation , et ne voyant
qu’u a simple acte de la juridiction volontaire, en a prononcé la
nullité , à une époque où il semble que , d’après les lois , il n ’avait
aucune autorilé pour examiner les caractères déjà fixés et reconnus
de cet acte, et ne pouvait l’annuler q u ’aulant q u ’il n’aurait pas été
accompagné des formalités prescrites par la loi pour l’espèce d ’acte
qu ’on avait voulu faire, et que le tribunal de
i 8 jG
avait autorisé.
Ce n’est pas la seule erreur de ce jugement.
Léonard Canu réclame une part de succession y comme enfant na
turel du sieur Gueston. O r , en reconnaissant que les droits de l’in
tim é , comme enfant naturel, étaient contestés; que son id e n tité ,
sa qualité, elle-m êm e, était en litige; q u ’en la supposant ré e lle , on
lui contestait, encore, le droit de critiquer des actes passés antérieu
rement et de bonne foi entre le père et ses enfans légitimes , le tri
bunal de Moulins n ’a pas voulu voir une transaction dans le traité
par lequel on-lui accordait une somme de 3 ,ooo fr. pour éviter un
procès sur ces questions graves, q u i , en compromettant les intérêts
desparties, tendaient à accuser, d ’une part, et à justifier, d<^l’a u tre ,
la mémoire du sieur Gueston.
Allant plus loin enco#re , il a décidé que toute transaction, fût-elle
sincère et de bonne fo i, ne pouvait être considérée que comme un
partage, si elle faisait cesser l’indivision; que la cession de droits
successifs, elle-même, perdait son caractère, d ’après l’article 888 du
Code civ il, touLes les fois que le vendeur demeurait garant d ’autre
chose que de sa qualité d ’héritier.
Enfin., et quoique , dans l’espèce , Léonard Canu , pour lequel 011
a a ccep té, avçc autorisation régulière, 3^000 fr. par forme de tran
saction, n\iût garanti, ni la qualité du droit, ni le droit' lui-même ,
ni,la qualité qui lili était contestée, et quoique tout cela résultât du
niêwe î)cto i le tribunal a décidé q u ’on devait y supposer ou y voir
�— 3 —
la vente des droits* certains déterminés 3 et le résultat d’un .partage
préexistant.
S ’arrogeant ainsi nne autorité supérieure à la sienne p r o p r e , et le
droit de contredire ce que lui, ou ses devanciers, avaient fait en 18 16,
il a déclaré nulle la transaction faite avec un mineur ;
Q uoiqu’il y eût matière à transaction , et transaction réelle sur des
points en litige , lesquels portaient sur les fondemens même du
droit prétendu pour le mineur ;
Quoique le besoin et les avantages de cette transaction eussent été
reconnus par un conseil de fam ille, et par trois jurisconsultes nom
més par le procureur du roi ;
Q u o iq u e , enfin , le tribunal co m p étent, le même tribunal, il faut
le dire , alors chargé par la loi d ’apprécier le mérite de cet acte , de
l’autoriser ou de l’empècher , l’eût homologué purement et simple
ment comme transaction, après l’observation de toutes les forma
lités prescrites.
De si graves erreurs devaient être signalées à la haute sagesse de
la C o u r, et nous lui en soumettons l’examen avec confiance. Les
faits et les actes nombreux qui constituent cette cause , les questions
assez piquantes qu’elle fait naître ou apercevoir, nous entraîneront
dans quelques détails. ¡Nous tâcherons de les abréger et de les pré
senter clairement. Elle a d ’ailleurs pour les intimés une importance
morale qui réclame spécialement l’attention.
FAITS.
I'rançois Gueston , père et beau-père des appelans, avait contracté
mariage avec Françoise lîarathon-Desgranges le 14 juin 1790. Ils se
soumirent au régime de la communauté, q u i , d ’ailleurs, à cette
époque , était la loi établie par la Coutume du Bourbonnais. La femme
avait des biens assez considérable^
Françoise Barathon décéda en 1 7 9 6 , l a i s s a n t e s trois enfans en
bas âge. Le m a ri, survivant, ne fit ni inventaire ni acte equipollent,
�— 4 —
et la communauté continua avec ses enfans , conformément à la
Coutume.
François Gueston resta ve u f, dans la force de l ’âge. Ses enfans
n ’ont pas à rechercher si les passions de la jeunesse l ’entraînèrent à
quelques écarts; ils mettraient bien plutôt du prix à couvrir de leur
respect des faiblesses qui ne sont que trop dans la nature, si la nais
sance d'un enfant naturel reconnu par lui à une époque plus recu
lée , et dont l ’origine est encore un mystère, n ’était la cause unique
de ce procès.
Marie Brunet était entrée chez lui assez jeune. Deux fois elle avait
été renvoyée et reprise. Sans nous jeter dans des conjectures, sans
adopter comme vrais des bruits publics plus ou moins vraisem
blables , et dont le souvenir existe encore dans le p a y s , nous nous
arrêterons à des faits matériels résultant des actes qui constituent le
procès , et nous ne remonterons pas plus haut que le fait qui lui a
donné naissance. Nous nous bornerons à dire q u ’après avoir ren
voyé Marie Brunet, une première fois, de son service, en 1808, Fran
çois Gueston la reprit en 1 8 1 0 , et la garda très-peu de temps.
Jusque l à , il n’avait pas manqué de tendresse envers ses enfans;
ils s’empressent de reconnaître qu ’il leur avait donné tous les soins
q u ’exigeait leur âge, et n’avait rien négligé pour leur éducation.
Mais leur retour des pensions dans la maison paternelle , leur âge
plus avancé, leur intelligence plus développ ée, qui pouvaient deve
nir un peu gênans pour lui ; enfin , l’approche de leur majorité , au
moins celle du fils aîné, qui faisait apercevoir la possibilité qu ’il eût,
bientôt, à rendre un compte de tutelle et de communauté, ame
nèrent chez lui quelques inquiétudes qui changèrent sa manière
d ’être envers ses enfans. Les moindres ch ose s, leur seule présence
lui faisait ombrage ; et en certains momens, où son esprit ne pouvait
pas être c a lm e , il allait jusqu’à menacer de faire disparaître sa for
tune , q u i, d isa it-il, lui apparjenait d ’autant plus exclusivement
qu ’elle était le fr& t de son industrie.
I ù n 8 i a , le fils aîné, devenu majeur, fut effrayé de cet état de choses.
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Il pensa à réclamer ses droits ; mais les menaces q u ’il avait enten
dues , l’empire qu ’on exerçait sur son père , la facilité qu ’on avait
d’influencer, surtout dans certains niomens, un homme qui autre
fois était un exemple de re te n u e , lui firent craindre que s il formait
une demande sans autre précaution, sa fortune mobilière ne disparût
d ’un coup de main. Copropriétaire par suite de la continuation de
communauté , il requit une apposition de scellés. Cette démarche
un peu bru sq u e , peut-être, à raison de sa qualité de fils, dut empi
rer la situation respective.
Au commencement de i 8 i 4 > Marie Brunet demeurait au Montetaux-Moines; elle y avait fait connaissance avec Gilbert Fratissier,
qu’elle épousa plus tard. Dans le cours de la même année , elle ren
tra chez le sieur Gueston. Â.lors elle était en ce in te , c ’est un fait po
sitif, soit que l’enfant dont elle accoucha plus tard fû t , en réalité,
Léonard C anu, dont la naissance fut constatée le 23 octobre 1 8 1 4 *
ou que son enfant fût né mort à une date différente , comme on le
croyait dans le pays. Quoi q u ’il en soit, les î g et 23 octobre, deux
actes indiquèrent légalement la naissance d’un enfant dont l ’origine
fut laissée dans les ténèbres.
Sur le registre matricule des enfans trouvés de l’hôpital-général
de Moulins, ou trouve cette insertion :
« IS'° 797. Léonard C a n u , apporté au berceau le 19 octobre 1 8 1 4 ,
» âgé d ’ un jo u r , confié le 19 dit h Françoise L o m e t, femme de Jean
» ll é n a u d , commune de Trévol. »
Et sur le registre double des naissances de la ville de. Moulins ,
pour 1 8 1 4 * on tro u ve , à la date du 23 o c to b r e , un acte qui constate
q u e , ce jour-là m ê m e, 23 octobre, Catherine ll i b i e r , préposée de
l’hôpital-général, a présenté un enfant nommé Léonard C a n u , dgé
d un jo u r , trouve exposé dans le berceau dudit hospice ; en sorte
que ce serait le infime enfant qui était âgé d ’un jour le 19 , et envoyé
le i g à l r e v o l , qui est présenté à la mairie de Moulins le 2 0 , comme
âgé d ’ un jour.
Nous oc relevons cette circonstance que comme étant le commen-
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cernent des singularités qui ont accompagné tous les actes dont ce
Léonard Canu a été l’objet. Au reste, on y remarque que cet en
fant n ’est reconnu par personne ; q u ’il a été exposé sans aucune
marque distinctive , comme le dit le procès verbal. S ’il était l’enfant
de Marie Bru net ; s i , ce qui était bien plus douteux encore , il était
celui de François G ueston, il faut convenir que ce prétendu père
n’avait pas eu la pensée de le réclamer un jour. L e procès v e r b a l,
en indiquant minutieusement tout ce qui avait été trouvé sur l ’enjfant : un drapeau, une bourrasse, une chemise 3 une brassière et deux
bonnets t sans autres marques distinctives qui puissent donner des renseignemens sur sa naissance, démontre que le nom Léonard Canu
ne lui avait été donné q u ’à l’hospice ; en sorte q u ’il ne restait aux
véritables parens de cet enfant aucun moyen de le reconnaître parmi
ceux qui pouvaient avoir été déposés à la même époque.
Peu de temps après, et au mois de janvier 1 8 1 5 , nous trouvons
des actes qu ’il faut nécessairement connaître, et surtout bien ap
précier. Que Léonard Canu fût l’enfant de Marie B run et, ou qu ’elle
l ’eût supposé ; qu’il fût le produit des œuvres du sieur Gueston , ou
de tout a u tre , il est certain, il est notoire dans le p a y s , que le sieur
Gueston était vivement persécuté par Marie B r u n e t, pour en obtenir
quelque chose; q u ’il y avait eu entre eux des scènes violentes ( on le
prouverait au b e so in ); q u ’enfin le sieur Gueston avait fini par aper
cevoir qu'on l ’irritait mal à propos, q u ’on l’entretenait dans de
fausses et déplorables démarches contre ses enfans, et q u ’en deve
nant injuste à leur égard, il s’éloignait pour lui-mcrne de tout ce
qui fait le bonheur de la v i e , en se laissant captiver par Marie Bru
net. 11 sentit le besoin de sc défendre et des violences et des sé
ductions qui l ’entouraient.
Au mois de septembre 1 8 1 4 • H avait acheté du sieur Renaud de
B o i s r e n a u d la propriété de Sciauve. Il n ’en avait pas payé le prix
(4 8 ,oo o fr. ) , et le devait en totalité; il ne p o u v a it pas le payer avec
ses ressources personnelles, surtout à la compagnie de Marie Bru
net. Le i 4 janvier i 8 i 5 , il en lit la vente à ses enfans, en même
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temps que (le ses autres biens. Les deux frères majeurs y assistèrent
Françoise Gueston, leur sœur, mineure émancipée, e t , se P5Uj¿atlt
torts pour elle, promirent sa ratification à sa majorité. La vemfe fut
laite moyennant certaines réserves de jouissance, pour la vie du
vendeur, et à la charge de p ay e r, 1*48,000 francs au sieur de
Boisrenaud et les intérêts depuis l’acquisition; 2° 10,000 fr. au sieur
Alibert; 3° 3,ooo fr. de pension viagère au vendeur, et sa provision
de bois à brûler. E n fin , le sieur Gueston y impose à ses enfans une
condition que nous devons transcrire littéralement.
« A la condition très-expresse que lesdits biens cédés seront par» tagés avec ceux de la mère des acquéreurs , et ce par égalité entre
» ses trois enfans; qu ’à cet effet, il en sera fait trois lots les plus
» justes et les plus égaux possibles , de manière que les deux lots qui
» comprendront, l’ un, le château et la réserve de Sciauve; et l ’autre,
» la terre des S a lles, seront attribués aux deux garçons, vo ulan t,
» ledit sieur Gueston p è r e , que si l’un des enfans contrevient à cette
» clause, et q u e , dans l’année de la majorité de sa demoiselle, ses
» enfans ne lui rapportent pas l’acte de partage portant attribution
» des deux lots ci-dessus, le présent demeurera nul et non avenu ;
» e t , dans ce cas, ledit sieur François Gueston dispose au préjudice
» du contrevenant à cette clause, et au profit des non contrevenans,
» de la portion disponible de ses b ien s, en meilleure forme que
» donation puisse valoir, la présente clause étant acceptée par ses
» enfans. *
On voit parfaitement ici le but et 1esprit de cet acte. L e sieur
Gueston voulait transmettre à ses enfans une propriété dont il devait
le prix et qu’il ne pouvait pas payer; il voulait qu ’ils acquittassent,
pour lui, une somme de 10,000 francs ù un, tiers; enfin, il voulait
faire entre eux une sorte de partage et attribution de lo ts, autant,
cependant, que pouvaient le permettre les conditions onéreuses q u ’il
leur im posait, et qui ôtaient h sa disposition le caractère de pure
libéralité. Il faisait, d ailleurs, cette disposition entre scs■
enfans, ses
deux garçons, sa fiUc» comme u a homme qui n’avait pas d ’autre
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enfant ayant droit à une réserv e, ni qui pût porter la moindre at
teints à la distribution q u ’il faisait de sa fortune. Il ne connaissait
pas
en effet , il ne pouvait pas connaître Léonard Canu , cet
enfant exposé au bac de l’hospice de Moulins, à une grande dis
tance de son dom icile, sans aucune marque distinctive, et sans que
rien pût lui indiquer qu ’il était le sien ni même celui de Marie Bru
net. S ’il fallait d ’ailleurs s’en référer aux bruits qui coururent alors,
Marie Brunet se serait accouchée sur les lieux et non pas à Moulins ;
l’accouchement aurait eu lieu à une époque postérieure au 18 oc
tobre ; enfin, elle aurait mis au monde un enfant m o r t- n é , ou né
m o rt, et non Léonard C a n u , vivant depuis le 18 ou le 23 o c to b r e ,
comme on voudra. Il ne faut donc pas s’étonner que le sieur Gueslon ne pût ni ne voulût le reconnaître. D ’ailleurs, l ’ acte du i 4 jan
vier est reçu par le sieur Boucaumont-Marzat, notaire de la famille,
au château de Sciauve, avec tous les caractères de l’authenticité.
Toutefois, placé dans cette position difficile d ’un homme qui a ,
d ’un côté , ses onfans légitimes pour lesquels il éprouve le sentiment
du père de fam ille, e t , de l ’autre, une personne du sexe vers la
quelle il a été entraîné par son isolem ent, et qui exerce encore sur
lui une sorte d’e m p ire, il ne p ut, en rendant justice à ses enfans , et
en se mettant lui-même dans l’heureuse impossibilité de les priver
de sa fortune, se défendre de subir et de leur imposer quelqnes co n
ditions. Ici se présente un fait que nous ne devons pas laisser ignorer.
Trois jours avant cet a cte, et le 11 du même mois de ja n v ier,
Marie Brunet s’était présentée à l’hospice de Moulins; elle y avait
réclamé Léonard Canu comme étant son enfant, et il lui avait été
remis par une sœur de l’hospice. Rien n ’était plus facile : l'adminis
tration publique comme celle de l’hospice y trouvaient tout h la fois
l ’intérêt de l’enfant et le le u r ; celui de l ’enfant, puisque, obligé q u ’on
était de le livrer àdes mains mercenaires, une femme qui se présentait
comme sa mère était préférable; l’intérêt de l’administration, puis
q u ’elle était déchargée des frais de nourriture , d ’entretien et d ’édu
cation. On sait, d ’ailleürs) combien l’administratiou prcnd de soins
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pour connaître les parens qui font déposer des enfans 'au berceau
des hospices, et pour les forcer à les reprendre. A plus forte raison
autorise-t-elle à les leur remettre , lorsqu’ils se présentent d’euxmêmes, et que ce no sont pas des gens sans aveu. La commission
administrative de l’hospice n’avait donc pas dû hésiter, sans avoir b e
soin de demander à Marie Brunet des preuves de son assertion.
Celle-ci avait pu , au surplus, choisir cet enfant comme tout autre
parmi ceux déposés satis aucune marque distinctive ; et si, en géné
ral , il y a beaucoup plus de ceux qui cherchent à se débarrasser de
ces fruits du libertinage que de ceux qui cherchent à se les appro
p rier, il n’est pas sans exemple q u ’ils deviennent un objet de spécu
lation. Cela put arriver dans l ’espèce; et nous verrons, par la suite
des faits, qu ’on en eut la p en sée, et qu ’on en éleva la question lors
de la transaction qui a donné lieu au procès.
Si Léonard Canu était l’enfant de Marie B r u n e t , il y avait quel
que chose d’extraordinaire à le lui voir retirer de l’hospice moins
de trois mois après l’y avoir déposé; aussi pensait-on généralement,
alors , qu ’elle avait pris un enfant à l’hospice pour s’en faire un
moyen à l’égard du sieur Gueston. 11 y avait quelque chose d’ingé
nieux à cette manœuvre pendant qu’on préparait les élémens de
l’acte ; et c ’était une adroite diversion, au moment même où il allait
être consommé, que de jeter au milieu de ces négociations un enfant
que Marie Brunet s’appropriait. 11 servait merveilleusement scs vues
en embarrassant le sieur Gueston de sa présence en même temps
que de ses réclamations. Quoi qu ’il en soit, le même jo ur, i 4 jan
vier, les enfans donnaient la déclaration suivante :
« Nous soussignés, Gilbert etLouis-Llienne G ueston, demeurant
» dans la commune de Meillet, et demoiselle Françoise G ueston,
® dememant en la commune de Saint-IIj'laire , reconnaissons devoir
» à M arie Brunett hlle majeure , demeurant en la commune de
» M urât, la somme de deux mille lrancs pour elle et son enfant na» tu re l, seulem ent, aux conditions ci-après, et ce par pur don et
• » par forme de récompense de ses services, pour laquelle somme
2
�— 10 —
» nous sommes convenus de lui servir et faire une pension viagère
» de trois cents francs, tant à sou profit q u ’au profit de Léonard Canu,
» son fils n a tu re l, né le 18 octobre 1 8 14 > lequel elle a retiré de
» l'hospice, le i l janvier présent mots, avec convention que si ledit
» enfant parvient à la g e de d ix - h u it a n s , ladite pension cessera
» d’avoir lieu sur la tète de Marie B r u n e t, et appartiendra en totalité
* raudit Léonard C anu, auquel cas nous nous obligeons de la payer ;
» mais s’il décède sans s’établir, après les dix-huit a n s, et que Marie
» Brunet, sa m è r e , vive, nous nous obligeons de continuer ladite rente
» sur la tête de M arie Brunet ju sq u ’ à son décès............ « Cette décla
ration est ensuite approuvée par les trois enfans, quoique écrite d ’ au
tre main.
11 n ’est pas difficile de découvrir la pensée qui a présidé à cet
acte. Ou on n’ose pas demander au sieur Gueston qu ’il reconnaisse
cet enfant dont l’origine est couverte de ténèbres, ou si on le de
mande, il le refuse. II estentouré de sa famille, de ses enfans, moins
exposé à la séduction, à la contrainte. T ou tefo is, à la suite de quel
ques familiarités avec Marie Brunet, et sans examiner si' 1enfant q u ’elle
présente comme le sien, est ou non celui du sieur G ueston, ni lui
ni ses enfans ne reculent devant un sacrifice purement pécuniaire.
Cette déclaration peut d ’autant moins avoir un autre b u t, que per
sonne n y intervient, pas mèinc Marie Brunet, pour y donner un état
à cet enfant. Elle-même n’accepte pas la disposition, qui demeure
avec le simple caractère d ’acte unilatéraf, sous seing prive, quoique
contenant un don purement gratuit’, qui renferme , par co n séqu en t,
une simple obligation morale plutôt qu'un contrat réel et légalement
consenti. Reconnaissons ici que si François .Gueston eut cru que
cet enfant était le sien, et q u ’il eût voulu le reconnaître , il n ’a u ra it
pas manqué d’ajouter q iw l entendait le réduire à cette pen sion,
conformément à l'article
t
du Code
civil. On ne peut pas
en douter; et l’acte témoigne assez nettement de cette volonté. 11
prouve plus, encore , puisqu’il est exclusif d ’une reconnaissance
que François. Gueston îuÎ refuse. D eux jours après, un no uvel'acte *
�— il —
se passe; nous devons encore en faire apercevoir les singularités.
. Nous avons dit qu ’au commencement de 1814 » Marie Brunet de
meurait au M ontet, et y avait connu Gilbert Fratissier. L e 16 jan
vier i 8 i 5 , elle passe avec lui son contrat de mariage; il constate
que son père était encore vivant, et qu elle n ’avait pas recueilli sa
succession.
« Elle se constitue les biens et droits qui lui sont échus par le décès
» de Marie M ica u d , sa mère ;
v E t , de son ch ef, une somme de deux mille cinq cent cinquante
* francs; savoir : 2 ,3 5 o fr. numéraire, par elle à Cinstant comptés
» et réalisés en espèces d ’or et d'argent ; et 200 francs de meubles
» consistant en un lit de plume et couverture avec traversin, une
» armoire en cerisier, quatorze draps de lit, deux nappes, neuf ser» vieltes et treize aunes de toile b la n c h e , au petit étroit. Dans l’ar» moire ci-dessus sont les rob es, habillemens, linges et bardes de
» la future é p o u se , non compris dans les sommes ci-dessus ¿et qu elle
* n ’ a voulu détailler ni faire estimer par les présentes. ■
>
Elle déclare que le tout provient de ses épargnes , gages et écono
mies. Elle déclare , en o u tr e , avoir une petite pièce de terre en jar
din , située à Mural, en valeur de 200 fr.
On voit q u ’indépendamment des 5 oo fr. de rente viagère promis à
Marie Brunet et à l’enfant, le sieur Gueston ne faisait pas trop mal
les honneurs du contrat de mariage, qui, toutefois, se passait hors sa
présence, devant M‘ P la ce , notaire au Montet. 2 , 35 o francs et des
meubles, d’une part, 3 oofr. de rente viagère de l’autre, une quantité
de linge qui demeure inconnue, parce que Marie Brunet n'a voulu
ni le detailler ni le faire estimer. Dans toute supposition, il n’avait
pas été déraisonnable.
Après cette constitution, le contrat renferme la clause suivante :
« La future epouse nous a requis de déclarer en ces présentes
» qu’elle est m è r e , depuis environ trois m ois, d ’un enfant mâle
» nommé Léonard C anu, suivant l’acte de naissance dudit enfant,
» constaté par M. le juge de paix du canton de Moulins, partie de
�— 12 —
i l’ouest, le 19 octobre 1814 5 extrait duquel acte lui a été délivré le
» 10 janvier, présent m o is, par M. Ripoud l’aîné, adjoint à la mairie
» de Moulins; voulant ladite future que ledit enfant soit, par cespré» sentes, et ainsi qu’ elle se propose de le réitérer par l ’acte civil de
» son m ariage, légalement et authentiquement reconnu comme son
» enfant légitime, et qu'il lui succède conjointement et par égales
» portions j avec les autres enfans quelle pourra avoir du mariage q u ’elle
a se propose de contracter ; voulant q u e , dans le cas où elle 11’en
» aurait pas d'autres, ledit Léonard Canu lui succède en totalité, et
» soit reconnu pour son iicritier universel de tous les biens dont elle
s mourra vêtue et saisie. »
Il faut en convenir : le futur époux qui consentait à une pareille
insertion dans son contrat de m ariage, si cet enfant ne provenait pas
de ses œuvres , n'était pas dominé par le respect humain. Tout
homme du p eu ple, si bas placé qu’il fût par la fortune , et s’il avait
conservé quelque chose de l'hom m e, 'n’aurait pas voulu constater
ainsi, par l’acte môme de son mariage , le déshonneur de celle à la
quelle il allait s’un ir, et sa propre immoralité ; car il y avait immo
ralité notable, si cet enfant n’était pas le sien, à consigner ce té
moignage dans cet acte solennel, pour que ses enfans et sa famille
l ’y retrouvassent à jamais. Cela n ’est pas dans la nature de l’hom m e
honnête. Dans cette supposition, quel jugement faudrait-il donc por
ter et de l’homme qui accepte une pareille condition, et de la femme
q u i, avec 0,000 fr. au m oins, des im meubles, du m obilier, un via
ger de 5 oo fr. et des droits successifs, ne trouve q u ’un pareil époux?
Où trouvera-t-elle le droit de dire à un tiers q u ’un enfant q u ’elle
vient de retirer d ’un hospice lui appartient, s i , d ’ailleurs, il n ’existe
pas de signes certains auxquels on puisse le reconnaître?
Mais cet acte fait plutôt croire que le futur époux était le père de l’en
fant, à supposer, toutefois, q u ’il pût s’en assurer. C ’est à cette pen sée’
plus morale que tendent toutes les expressions de la clause que nous
venons de transcrire. Comment, en elfet, si elle n’avait pas dominé les
esprits, y aurait-oa écrit que Marie Brunct reconnaissait Léonard
«I
�Canu comme son enfant légitim e? Comment y aurait-on stipulé qu’il
lui succéderait conjointement et par égale portion, avec les autres
enfans q u ’elle pourrait avoir du m ariage, et q u ’au cas où elle n’en
aurait pas d'autres, il lui succéderait pour le tout, et serait son hé
ritier universel? Com m ent, sans ce la , le futur époux aurait-il con
senti à le mettre sur la môme ligne de légitimité et de droits successifs
que ses propres enfans? Y a-t-il rien de plus expressif que ces ter
mes : Son enfant légitime............ .. qui succédera par égalité avec les
autres en fa n s.............. du mariage? Il n’y avait que la paternité de
Fratissier qui pût produire de semblables résultats ; et aussi s’em
presse-t-on de dire que la reconnaissance sera réitérée par l ’acte civil
du mariage ; pensée monstrueuse, si ce n ’était pas pour l’attribuer
au futur époux.
Celte réitération, il est v r a i , n ’a pas eu lieu dans l’acte civil de
célébration, et Fratissier n’a jamais reconnu l’enfant. Un instant de
réiléxion avait suffi à Marie Brunet pour en écarter la pensée. Elle
songea que quelque moment se présenterait o ù , trouvant le sieur
Ciucston livré à lu i-m ê m e , elle pourrait reprendre/ses moyens de
séduction, et l’amener à une reconnaissance , moins sans doute dans
l’intérêt moral de Léonard Canu, que pour en tirer quelque chose de
p lu s , soit pour l u i , soit pour elle-même ; car elle savait très-bien
stipuler les conditions à son profit. Poursuivons.
Le 16 février, elle se présente devant Boucanm ont, notaire. Elle
lui dépose l’acte sous seing privé du i4 janvier, et en fait acte d’ac
ceptation authentique ; acceptation complètement inutile sous deux
rapports différons ;
Inutile dans toute supposition, si elle ne comptait pas sur la fidé
lité des enfans Gueston à tenir leur promesse, puisque l'acte n’était
pas valable légalement ;
Inutile e n c o r e , si on pouvait obtenir plus tard la reconnaissance
du sieur G ueston; car, en ce cas, on était bien obligé de recon
naître qu ¡1 faudrait abandonner la pension, ou l’imputer sur la por
tion réservée par la loi à l’enfant naturel reconnu.
�-
H -
Cet acte n ’était donc q u ’une précaution pour s’assurer la pension',
au cas où on ne pourrait pas obtenir la reconnaissance. Cette pré
voyance est demeurée sans effet. L e 5 o mars
i
8 i 5 , moins de six se
maines après, Marie Brunet parvint à obtenir la reconnaissance du
sieur Gueston.La forme de cet acte est encore bonne à considérer. Le
sieur Gueston n ’y figure pas seul : Marie Brunet y comparaît avec lui
pour y répéter une reconnaissance désormais inutile, après l’avoir
faite dans le plus solennel et le plus authentique de tous les actes ;
mais sa présence était nécessaire pour que François Gueston accom
plît ce qu ’on voulait de lui. Aussi n ’est-ce plus le notaire de la fa
m ille, à Montmaraut, qui la reçoit, mais bien celui qui avait reçu
Je contrat de mariage des époux Fratissier ; e t, pour cela, le sieur
Gueston se transporte au Montet. I c i , on ne peut s’empêcher de re
marquer q u ’après une reconnaissance formelle et très - suffisante,
faite dans cet acte même par Gueston et Marie B run et, « qu’ ils ont
» donné l ’ un et l ’autre le jou r à Léonard Canu , suivant l’acte de nais» sance dudit enfant, du 19 octobre 1 8 1 4 >dont copie a été délivrée
» par Ripoud, adjoint, » on met dans la bouche de chacun d ’eux une
déclaration particulière ;
D ’abord, par Marie B ru n et, une réitération expresse de la recon
naissance portée dans son contrat de mariage ; chose fort inutile as
surément , si ce n'est pour amener celle qui la suit.
■ Et, enfin, une réquisition spéciale, par le sieur Gueston au notaire,
de recevoir sa déclaration publique et authentique, et de la rédiger
par acte en forme , chose pour le moins superflue , à côté de cette
déclaration en forme déjà écrite par le notaire, et qui serait absurde,
si immédiatement on n ’avait ajouté, o u , pour mieux dire , échappé
Je véritable motif de cette répétition surabondante :
»
A fin que ce môme enfant put recueillir dans sa succession l’ intégra <■
litédes droits que les lois accordent aux enfans naturels reconnust
s a n s rn É J U D icE d e s a u t r e s d i s p o s i t i o n s
e t ce
qui peuvent avoir été faites en
sa faveur. »
A insi, toujours le même but de la part de Marie B run et, prendre,
�recevoir et tirer à soi. A rg e n t, m obilier, r e n t e , tout cela ne suffira
pas ; il faudra d’autres promesses. Elle a voulu, par son propre contrat
de mariage, que l ’enfant qu ’elle a v a i t auparavant fût considéré comme
légitime; qu ’il partageât par égalité avec tes autres enfans q u e lle
pourrait avoir de son mariage; aujourd'hui, elle n’ose pas le quali
fier légitime à l’égard du sieur Gueston , ce qui serait absurde ; mais
elle veut, et elle lui fait dire qu ’il aura l ’ intégralité des droits de
l’ enfant naturel} en outre, et sans préjudice des autres dispositions
déjà faites en sa faveur ; tout comme si un enfant naturel reconnu
pouvait, par des dispositions directes ou indirectes, obtenir des préciputs au delà de la part que lui réserve la loi ! Q u o n dise mainte
nant que Marie Brunet a négligé les droits et les intérêts de son fils,
et q u e , quelques mois aprèst elle les a sacrifiés par un traité dé
savantageux !
Évidemment, celte déclaration était écrite dans l’acte pour porter
atteinte, autant que possible, aux dispositions que le sieur Gueston
avait faites de sa fortune au profit de ses trois enfans. Mais ceux-ci
pouvaient attaquer la reconnaissance ; ils pouvaient la critiquer comme
frauduleuse, s’ils croyaient y reconnaître ce caractère; Personne ne
savait mieux que Marie Brunet si la vérité des faits devait lui inspirer
des craintes à ce sujet. La suite va nous prouver q u ’elle en concevait
de très-sérieuses.
Certes , après une reconnaissance aussi authentique , deux ou trois
fois constatée dans le même acte, en termes géminés, elle n’avait b e
soin d’aucune autre précaution, à moins qu’un sentiment intérieur,
dicté par une vérité q u elle seule, peut-être-,, pouvait connaître tout
entierc, ne lui inspirât des doutes sur son efficacité. Dans la perplexité
ou la mettait la crainte que cette vérité ne fut connue, elle dicta au
sieur Gueston une démarche qui décèle scs inquiétudes et son em
barras.
Le 4 juillet 18 1 5 , François Gueston se présente encore au Montet
devant le notaire Place , 1homme de confiance des époux Fratissier.
11 lui dépose un paquet de papiers cacheté t concernant Léonard, son
�— 16 —
*
fils naturel. Il le requiert d ’en recevoir Je d é p ô t, se réservant de le
retirer à sa volonté, en donnant décharge ; ajoutant que « dans le cas
» où il ne retirerait pas lui-même l’objet de ce d ép ô t, il voulait et
* entendaitqu’il fûtrem is soit audit Le'onard, son fds naturel, lors de
» sa majorité, soit au tuteur qui pourrait lui être nommé ; mais à
» condition q u ’en ce dernier cas, il en sera (ait ouverture par le no» taire dépositaire, lequel constatera, de suite, en .présence du tu» teu r, l’existence des pièces contenues audit paquet, par un inven» taire détaillé. »
Lorsqu’on connaît les pièces qui étaient contenues dans ce paquet,
on se demande pourquoi tout ce mystère , si ce n ’est pour p arven ir,
par un moyen indirect, à faire répéter e n c o r e , et consolider par le
sieur Gueston , une reconnaissance dont on se défiait? C ’était tout
bonnem ent, i° l’acte de naissance de Léonard Canu ; 2®.une note
du reirait de l’hospice, par Marie Brunet ; 3° une expédition du con
trat de mariage des époux Fratissier, qu’assurément le sieur Gueston
n’avait pas retirée de son propre mouvement ; 4®l’acte d ’acceptation
de la rente viagère, en date du 16 février; 5®enfin, une expédition
de l’acte de reconnaissance du 3 o mars i 8 i 5 . Assurément, tout
cela n’exigeait pas ce dépôt mysLériéux, et il avait nécessairement
une autre cause, que tout le monde peut apercevoir, la confirmation
d ’une reconnaissance qui n’avait pas été assez spontanée pour inspirerune entière confiance. Aussi, après la mort de François Gueston,
lorsque ces enfans connurent ce d é p ô t , leur inspira-t-il la crainte
que ce paquet ne renfermât quelque chose d ’injurieux, et exigèrentils que l’ouverture du paquet fût faite en leur présence.
T outefois, Marie Brunet n’était pas encore pleinement rassurée.
Toujours pleine de sollicitude pour les intérêts matériels de Léonard
C a n u , et les siens propres, elle chercha à se tranquilliser par d ’au
tres moyens; et, n’importe que ce soit avant ou après la mort de
F ra n ç o is Gueston, arrivée le 1er mai i 8 i G , elle communiqua scs
craintes à des jurisconsultes, en leur demandant un avis. Dans un
' mémoire qui indiquerait que le sieur Gueston vivait e n co re, et on
�— 17 —
on parle beaucoup de son attachement sans bornes pour son quatrième
enfant, on dit qu’ il voudrait lui assurer une existence honnête, mais
q u ’il craint de ne pouvoir seconder l’intention de la nature , i° parce
q u ’il a vendu tous scs biens à ses trois premiers enfans, le i/( janvier
1 8 1 5 ; 2° parce qu’t'/ craint qu'on ne conteste l’identité de l ’ enfant,
qui a resté, en quelque sorte, inconnu depuis sa naissance jusqu’à la re
mise qui en fut faite à sa mère par une sœur de l’hospice de Moulins;
3° parce qu’il craint que la reconnaissance ne soit tardive ou q u ’elle
soit contestée.
Puis,
on fait observer que l’acte de pension viagère, qui
désigne Léonard Canu , fils de la B ru n et, devrait valoir comme ap
probation de la part des enfans, et faire remonter la reconnaissance
au jour de la naissance. Enfin, on demande d ’indiquer, s’il peut en
core en être temps, lotit ce qu’il est possible de faire dans l'intérêt
de Léonard Cami. Là-dessus, les jurisconsultes s’e x p liq u e n t, et
après quelques hésitations sur une question q u ’ils reconnaissent dif
ficile par rapport aux droits de l’en fan t, ils se prononcent sur tous
les points en sa faveur. Nous n ’entrerons dans aucun détail sur celte
consultation; cela n’est pas nécessaire à la cause.
Aussitôt après le décès du sieur G ueston, ses enfans firent procéder
régulièrement à l’inventaire de son mobilier*, soit à la Sciauve, où il
était décédé , soit à Moulins, où il avait une chambre à loyer. De son
cô té , Marie Brunet provoqua la réunion d’un conseil de famille, qui
lui confirma la tutelle de Léonard C a n u , lui donna pour cotuteur
Fratissicr, son mari ; pour subrogé tu te u r, G ilb e rt'C o u rre t, c l l ’aulorisa à faire ouvrir le paquet déposé chez M* Place. L e i o ju ille l,
il fut procédé à cette ouverture, qui ne produisit autre chose que les*
cinq pièces que nous venons de désigner e t, immédiatem ent, Marie
Brunet se mit en mesure de connaître et de faire effectuer les droits
qui îesultaient, au profit de Léonard Canu , de la reconnaissance et
des autres pièces renfermecs dans ce paquet. Au moins , cela servit ’
*le pretexte avant tout, elle chercha à se procurer des consulta
tions.
I c i , nous parlerons avec une délibération de famille du 5 août
3
�•=.*8
1 8 1 6 , quî est, en quelque so rte, l’ouvrage des intimés, et qui ne
saurait être suspecte à leur égard.
Sur quoi les avocats furent-ils consultés ? Quelles questions eu
rent-ils à résoudre? C ’est là ce q u ’il faut bien expliquer; car c’est le
point d e départ de toutes les opérations ultérieures; c ’est ce qui'
peut seul nous montrer parfaitement quels é taien t, i° la position
«les parties; 2° leurs prétentions respectives,. et nous apprendre si
elles ont voulu faire,, si elles ont effectué , et si la- justice a homo
logué le partage, non contesté, d ’une succession, ou une transaction
sur des difficultés réelles, plus ou moins graves, opposées à celte pré
tention.
Après avoir fait procéder à la reconnaissance des pièces déposées
chez M' P la c e , les époux Fralissier, désirant s ’éclairer sur leurs ef
fets ( c ’est la délibération du conseil de famille qui parle ) , s ’adres
sèrent à des jurisconsultes , q u i, après un mûr examen des pièces , dé
cidèrent :
« i° Que la reconnaissance du 3 o mars i 8 i 5 était valable en la.
forme et au fond......
« a® Que si, dans les termes de l’article 33 (), l ’intérêt suffit pour
» q u ’on soit admis à contester la reconnaissance d ’un enfant naturel,
» on ne voit, dans l ’e sp èce, aucune raison de craindre que les hé» riliers légitimes pussent faire accueillir une action qui tendrait à
» faire révoquer en doute l'identité de l ’ enfant reconnu,
b
Après avoir fixé, d ’après la loi., les droits de l ’enfant naturel re
connu , les jurisconsultes ajoutent :
•
« 6® Que s’il ne trouve s i réserve dans les biens de la succession,
* il peut demander la réduction des dispositions entre-vifs qui ont ex~
» cédé la quotité disponible ; »
7° Q uc > dans l’espèce , et d ’après l’artide 9 1 8 , qui exige l'impu
tation cl rapport de la valeur des dons faits, à charge de rente via
g è re , à des succcssiblcs en ligne d irecte, L éonard Canu était fondi
à demander le bénéfice de cet article ;
8* Q u ’il importait peu que la reconnaissance fût postérieure à 1&
�vente , parce que le droit résultait de la qualité do l’enfant n a tu r e l,
que le père pouvait toujours reconnaître.
Ils déterminent ensuite c e qui. doit lui revenir dans leur opi
nion.
¡'
Faisons ici une remarque essentielle. Nous n’avons pas à rechercher
si ces jurisconsultes étaient dans l’erreur pour le tout ou pour partie,
ou s’ils avaient complètement raison en décidant toutes ces ques
tions en faveur de Léonard Canu ; une seule chose nous occupe et
doit nous occuper : celle de savoir s’il s’élevait ou non des question:1
qui missent en litige le droit de Léonard Canu ; si les enfans Gueston
approuvaient toutes ces décisions, ou se mettaient en mesure de les contester. O r , deux choses demeurent constantes :
L ’une , qu ’il s’élevait des questions plus ou moins graves ;
L ’autre, que ces questions ne naissaient pas sur les détails d’un
partage dont le droit serait re co n n u , mais bien sur ce droit en luimême ; tellement que, les jurisconsultes examinent le droit au par
tage bien plus que les questions secondaires qui pouvaient naître de
l ’exercice de ce droit.
O r , à supposer même que ces questions eussent peu de gravité ,
cela demeurait sans importance; car il suffisait qu’elles existassent ,
qu’elles fussent ou qu’elles pussent être élevées, pour qu ’elles de
vinssent matière à transaction.
C ’est là, nous devons le dire, toute la question du procès.
S i , d’ailleurs , on considère ces difficultés soit isolém ent, soit dans
leur ensemble, on sera forcé de reconnaître q u ’elles étaient graves
et sérieuses.
Fasse qu ’une reconnaissance d’enfant naturel soit valable à quelq u ’époque qu’elle soit faite ; qu ’en général, il soit difficile à des enfans légitimes de contester utilement l’identité d ’un enfant naturel
que leur pere a reconnu librement ; passe encore que l’enfant ait
droit à une reserve et à la réduction de toutes d isp o sitio n s gratuites
antérieures; mais, quelle que fût là-dessus la force de l’opinion des
jurisconsultes, leur consultation ne témoigne pas moins que ces
�questions étaient élevées, et q u ’il fallait les franchir avant d ’arriver
au partage. E t , en outre, deux questions fort graves ne s’étaient pas
présentées aux conseils avec toutes leurs circon*tqjnces.
Et d ’abord, s’ils avaient examiné, dans les termes ordinaires, la pos
sibilité de contester l’identité, ils ne l’avaient pas fait par application
aux faits particuliers. Remarquons bien q u ’ils n’étaient consultés que
pat Léonard Canu ou ses tuteurs, q u i, en témoignant la crainte
qu ’on ne contestât l ’identité, ne leur avaient pas fait connaître les
motifs spéciaux de celte crainte, tous les actes, toutes les circons
tances que nous avons rappelées ci-dessus, et qui laissent apercevoir
non une volonté froide et peu croyable, de la part d ’un p è r e , de
supposer 1’cxisterhce d ’un enfant naturel, mais un système fallacieux
dont il était plutôt, lui-môme , la victime que l’artisan. A lors, il était
‘ n otoire, on étail en état de prouver, et on le serait encore anjour“d ’h u i, que l’enfant de Marie Bninet était m o rt; que la reconnais
sance du 3 o mars i 8 i 5 avait élé arrachée au sieur Gueslon par des
manœuvres honteuses; qu’il avait été dépouillé de toute liberté d ’es
prit, et subjugué par tous les moyens de séduction et de contrainte.
Les faits que nous venons d ’exposer ne le faisaient que trop pres
sentir. Les actes antérieurs h la reconnaissance prouvent que Marie
Brunet n'espérait pas faire accepter par le sieur Gueston l ’enfant
q u ’elle avait choisi à l'hospice. Il suiïit, pour cela, de lire et l'acte
constitutif de la pension du i/j janvier, et le contrat de mariage
de Marie B n in e t, du surlendemain 16. Ceux postérieurs démon
tren t, à n'en pas do uter, combien peu elle se fiait à cette reconnais
sance, qu’elle tachait de faire confirmer par des actes indirects q u ’elle
faisait faire successivement, et qui, sans cela, eussent été sans objet.
Tout cela même écarté, il fallait encore examiner une question grave
et important*:. L ’atl. ()iS, quiserait tout le litre de l'enfant naturel,
oblige seulement le successible qui a accepté une vente à fonds
perdu , à imputer ou rapporter la rnlriir de l'immeuble ainsi aliéné.
O r , ici deu* choses se rencontraient :
i* Les biens avaient été vendus non-seulement pour une rente
�viagère, mais encore pour un capital de 58 ,ooo fr., délégué aux ven
deurs de ces mêmes b ie n s, pour le prix des acquisitions, d’où on
pouvait conclure qii’il n’y avait rien à réclamer à ce sujet , spéciale
ment pour le bien d e là Sciauve, sur lequel il n’avait pas été payé une
obole par François Gueston ;
2° Et dans le cas même où il y aurait eu lieu à rapport pour le sur
plus, il était question de savoir si ce rapport pouvait s’appliquer aux
immeubles m ôm es, ou seulement à leur valeur ; o r , c ’était une ques
tion élevée.
Enfin, si on abandonnait la position présente, si on élevait en
justice de semblables prétentions contre les enfans légitimes, on
pouvait courir le grave danger de les voir retirer le pur don de 3oo f.
de rente viagère q u ’ils avaient promis par l’acte sous seing privé du
*4 février i 8 i 5 , puisque tout le monde reconnaissait qu’il était ra
dicalement* nul.
*
D où il était évident qu ’avant de former en justice une demande
c n partage, et d’en courir la responsabilité, les tuteurs de Léonard
Canu avaient de graves réflexions à faire. O r , c ’est ce qui les porta à
demander des conseils avant d ’ouvrir un litige, pour le moins incer
tain, sur les droits de l’enfant naturel à un partage de succession.
Jusque l à , il n ’y avait de débats avec personne
les tuteurs seuls
examinaient et faisaient examiner les droits de leur pupille liors la
presence des intéressés. Ils exposaient la question à leur guise; mais
quelle que fùl la décision ou l’opinion de leurs conseils, les enfans
légitimes restaient les maîtres de leurs droits et de leurs m oyens,
qu ils n ont abandonnes dans aucun temps. Pendant q u ’on se mettait en
garde contre leurs contestations, cn les prévoyant, avant môme q u ’ils
les eussent élevées, ils conservaient leur propre position. Voyons la
suite des laits, toujours dans la délibération du conseil de f a m i l l e ,
provoquée par les époux Fratissier.
Ceux-ci ajoutent « qu après avoir pris ces éclaircissemcns............ ..
* Us se proposaient de former en justice une demande en réduction de
» la donation faite cn forme de vente le i/f janvier i 8 i 5 , et en par-
�✓/
•t
*
— 22 —
» tage des cinq sixièmes d ’une locaterie qu i formait, avec la terre
» de la Sciauve j la totalité des immeubles de la succession.... , lorsque
» les enfans légitimes du sieur Gueston ont proposé de transiger sur
» lotis les droits dudit enfant naturel, moyennant une somme de
» trois mille fr a n c s, q u ’ils disaient supérieure à celle qui pouvait lui
» revenir, en admettant, ce qui t o l t a i t êtiie c o n t e s t é , selon e u x ,
» que les diverses questions précédemment agitées fussent résolues en sa
» faveur. »
Nous devons insister là-dessus, parce que ces détails fixent nette
ment la position des parties.
Au milieu de toutes les prévisions des tuteurs et de leurs conseils,
de tout ce q u ’ils disaient de favorable pour Léonard Canu , les enfans
du sieur Gueston, menacés d'un procès, se présentent. Ils leur di
sent : a Tous élevez des prétentions que nous pouvons combattre ; vos
conseils vous donnent raison sur toutes les questions agitées; nous
sommes fondés à le contester. Ils prétendent que votre identité ne
peut être révoquée en doute, que vous avez droit de critiquer la
vente de 1 8 1 5 , d ’exiger le rapport des biens ,*etc., etc. Nous pou
vons contester tout cela, repousser votre action, e t , qui plus e st,
vous refuser jusqu’aux 5 oo fr. de rente viagère promis par un acte
n u l, en 18 1 5 . Çi vous voulez ouvrir cette lu tte, nous nous défen
drons. T outefois, même e n .su cco m b a n t, vous nous aurez fait sou
tenir un procès fâcheux, peu honorable pour la mémoire de notre
auteur ; et nous préférons faire un sacrifice pour laisser ces questions
enfouies. Youlcz-vous renoncer à entrer sur ce terrain? nous renon
cerons h nous y défendre; et pour éviter toute discussion sur ces dé-'
tails fâcheu x, nous vous offrons 3 ,000 fr. Si vous examinez bien ,
vous verrez que nous vous offrons, en numéraire, plus qu’il ne vous
reviendrait en supposant tout, et que nous faisons un sacrifice réel
pour éviter un procès. Les acceptez-vous? Tout est fini. An cas con
traire, nous restons avec nosdroits, et nous les ferons valoir, assurés de
ne jamais vous devoir davantage, quand vous réussiriez , mais avec la
çhance de ne pas vous devoir une o b o le, pas inème la pension que
�nous avions promise, si vous succombez. a Voilà le véritable sujet dit
litige, le droit et la qualité môme de l’enfant naturel mis en ques
tion , et non pas seulement les détails d’un partage auquel on lui
contestait toute espèce de droit. Cette situation est dessinée autant
que possible dans cette délibération , puisqu’il n’y avait aucun procès
commencé , et que la question était de savoir si on devait s’exposer
a l introduire.
La délibération ajoute que, sur celte proposition* les tuteurs avaient
eu de nouveau recours à leurs conseils, et que ceux-ci, après avoir
pris connaissance de la valeur des biens, et en persistant à décider
en faveur de l’enfant naturel toutes les questions déjà résolues par
e» x , reconnaissent encore qu’il est avantageux à l ’ enfant naturel que
les tuteurs transigent moyennant te p rix propotc. Q u ’eussent-ils donc
d it, s’ils avaient entrevu des doutes sur les questions qu ’ils avaient
soulevées?
Pour s’en convaincre, les conseils avaient fait ou fait faire l’esti
mation des biens. Déduction faite dés dettes, ils n ’étaient en valeur
^ e de 4 6 , 196 fr. G5 cent. *, et comme , dans toutes les suppositions,
Ie mineur n ’amendait q u ’un seizième, il ne pouvait obtenir que
2*887 fr* En recevant 3 ,000 fr., il avait donc plus que ce à quoi
*1 pouvait prétendre.
D où il résultait que les enfans Gueston faisaient, en réalité, uir
sacrifice à la mémoire de leur p ère , et qu ’ils étaient à l’abri de tout
soupçon d ’injustice envers Garni, supposé môme son enfant naturel.
Voulant se conformer à l ’art. 4G7 du Code C iv il, les tuteurs de
mandent ensuite l’avis du conseil de famille. Le juge de paix com
pose ce conseil d ’amis et de voisins, attendu que l ’enfant naturel n ’ a
d autres parens que ses pire et m ère, et que , d ’ailleurs , les pareils du
pire naturel seraient trop souvent portes à sacrifier les intérêt» de l ’en
fant ne hors mariage. L e conseil de fam ille, ainsi com posé, co n si
dère que toutes les questions sont résolues en faveur du mineur. Il
deelare qtt il est à lu connaissance particulière de chacun de ses mem
bres que Us immeubles de la succession sont estimés au-dessus de tetir
�- 2 1 raleur; e t , e n fin , reconnaissant que l'arrangement proposé ne peut
qu’être avantageux au m ineur, il autorise à transiger comme il est
proposé.
L e 10 a o û t, les tuteurs présentent une requête au procureur du
roi; e t , poursuivant l’exécution de l’article 46 7, ils réclament la no
mination de trois jurisconsultes.
L e procureur du roi ne
sq
'
v
méprend pas ; il ne voit là que ce qui
y était, c ’est-à-dire un projet de transaction sur des prétentions op
posées, et non un projet de partage, qui aurait exigé d ’autres forma
lités et des mesures différentes, et il rend l’ordonnance suivante :
« Yu la présente r e q u ê te , et l ’article 467 du Code de procédure
» civile, nous commettons MM. Jutier o n cle , Ossavy et Boÿron
» fils, jurisconsultes , à l ’effet de donner leur avis su r'le projet de
b transaction dont il s’agit. Fait à Moulins , le
10 août 1816.
» Meilheurat. »
I c i , remarquons encore que les enfans Gueston , après leur pro
position faite, demeuraient étrangers à toutes ces investigations; que
les jurisconsultes rccommandables, commis par le procureur du roi,
n ’avaient, comme les conseils des tuteurs, d ’autres lumières, sur
les faits, que celles que les époux Fratissier jugeaient convenable
de leur donner. L eur consultation démontre toute l’attention
qu’ils mirent à cet examen. Faute d ’une discussion contradictoire,
ils pensent que les décisions prises par les conseils du mineur « sont
» en harmonie avec les lois nouvelles et la jurisprudence de la Cour
» de cassation ;
» Que s’il y avait des doutes............ le mineur ne pourrait s’en
* plaindre, puisque toutes les questions ont été résolues en sa fa* veür;
*
Q u ’il est reconnu, en fa it , par le conseil de famille, que les
» biens de la succession se trouvent portes à une estimation supérieure
* à leur valeur réelle. »
Q u ’e n fin , « il importe d ’éviter à l ’enfant naturel un procès qui no
» tendrait q u ’à faire naître pour lui des chances incertaines, et à rc-
�— 23 —
» m ettre en question ce qui est résolu en sa faveur, en 1 exposant a des
* frais considérables qui pourraient consommer sa ruine. »
Ainsi, les jurisconsultes ne s’occupent pas d un partage, mais bien
d ’une transaction, pour prévenir un procès qui présenterait <les chances
incertaines ; et aussi, après un mûr exam en, ils estiment qu il y a
Heu d ’ autoriser l ’enfant naturel A t r a n s i g e r pour tous les droits à lui
afférens dans la succession , moyennant la somme de 0,000 fr.
Après cette consultation, les tuteurs firent dresser la transaction
par M" G ueulettc, notaire à Moulins. Elle ne fu t, pour ainsi dire ,
qu une copie de la délibération du conseil de famille. Elle énonce ,
comme la délibération , les questions qui pouvaient s’élever sur
l’ identité de l ’ enfant, sur la validité de la vente du pere , sur la ré
duction de cet acte considérée comme donation , etc. ; e t , enfin ,
on déclare qu’on a résolu de transiger, par forme de transaction sur
procès, pour tous les droits que prétend Léonard Canu. Les enfans le
gitimes ne mettent aucune importance à ce qu on qualifie I'rançois
Cueston père naturel de Léonard Canu , puisque celui-ci ne pouvait
rien prétendre q u ’à ce titre ; cela entrait dans la transaction comme
le reste. Les enfans renonçaient à le contester, en môme temps que
les tuteurs de Canu renonçaient à demander quoi que ce soit au
delà de5 3 ,ooo fr. olferls par forme de transaction. Après cela, les tu
teurs soumettent le tout à l'homologation du tribunal. La-dessus ,
après les formalités voulues en matière de transaction , le tribun a l , sur le rapport de son p résident, et sur ics conclusions conformes
de
l\r., le procureur
du roi, prononce ainsi q u ’il suit»:
« Attendu que toutes les formalités prescrites pour la validité des
» transactions laites au nom des mineurs ont été scrupuleusement ol>» servées ;
» Attendu que le conseil de famille du mineur Canu , ainsi que
» les trois jurisconsultes désignés par M. le procureur du r o i , ont
» reconnu qu’ il était très-avantageux pour le mineur de traiter et tran-
* siger aux conditions fixées par l’acte du 12 août ;
* Le tribunal homologue la transaction passée entre les cotuteurs
4
�\ S V
.
— 20 —'
» du mineur Leonard Canu et les enfans légitimes de François Cues» to n , le 12 août présent m ois, pour ladite transaction Être exé» entée selon sa forme et teneur. »
Croira-t-on que le magistrat éclairé qui tenait le p arqu et, et le
tribunal lui-m êm e, se soient mépris sur ce q u ’ils faisaient et sur ce
qu ’il y avait à faire ? Q u ’ils aient cru apercevoir un procès avec des
chances incertaines, là
oh
il y aurait eu un droit certain et reconnu'
( car il aurait fallu qu’il fût reconnu ), et seulement un partage à ef
fectuer? Comment prêter une erreur si grossière aux magistrats de
cette époque, au jurisconsulte qui préside aujourd’hui le tribunal d e
Moulins, et q u i, avec ses' deux collègues, commis par le procureur
du roi, avait préparé et la transaction et la décision du tribunal?.
Toutefois, et en le supposant, en tenant pour certain ce qui n’ost
ni vrai m possible , la question serait encore de savoir'si on ne doit
pas prendre les choses telles q u elle s sont; si ce n’est pas une véri
table transaction qu’on a faite , une transaction que le tribunal a ho
mologuée , alors même qu’il aurait pu ou dû ne pas le fa ire , et si cen ’est pas seulement une transaction dont il faut examiner la validité.
Vingt ans se sont écoulés pendant lesquels cette transaction a été
exécutée par le payement annuel des intérêts. Nous ne disons pas
cela pour en tirer un moyen de fin de non-recevoir contre’ Canu ,
qui était mineur, niais pour montrer comment l’acte a été apprécié
par.les tuteurs, qui, mieux que personne, pouvaient en connaître la
p o r té e , par la nature des faits qui l’avaient amené. La majorité de
Léonard Garni ¿tant arrivée, les enfans Gueston lui ont offert le
payement du capital. Il l’a refusé, prétendant avoir de plus amples
droits. Le iG janvier i 8 3 6 , il lui a été fait, en personne, un acte
d ’offres; et sur son refus constaté, il a été .assigné devant le tribunalîle Moulins , pour en voir prononeçr la validité.
Le iG février, pour faire diversion, Léonard Canu a assigné les
enfans Gueston devant le tribunal de Montluçon ; il a demandé le
partage de la succession du sieur Gueston, ouverte dans l ’étendue d e
sa juridiction.
�— 27 —
L e 24 mars, il a signifié des défenses sur la demande en validité
, «l'offres, et a conclu , i° à ce que le tribunal de Moulins se déclarât
incompétent, et renvoyât les parties devant le tribunal de Montluçon ; 20 subsidiairement, à ce qi/il sursît jusqu’après le jugement de
la demande en partage. Il s’est fondé sur ce que l’acte de 1816 était
Un véritable partage sous la forme de transaction ; q u ’il était qualifié
tel par l’art. 888 du Code civil ; que les formalités du partage n ’ayant
pas été observées.à l’égard du mineur., il n ’était que provisionnel ;
<îue , dans tous les cas, il serait nul ou sujet à rescision. Il a ajouté
qu’en excipant de ce m o ye n , même devant le tribunal de M oulins,
il devenait; par exception, demandeur en partage; et que , dès lors,
le tribu n al de M o n tlu ç o n , q u ’il avait saisi par a ctio n principale , pou
vait seul prononcer §ur le litige ; que , dans tous les cas, l’action en
validité des offres était subordonnée à ce qui serait jugé sur l’action
en partage.
En venant plaider la cause , Léonard Canu a étendu ses conclu
sions : il a demandé principalement le sursis, et subsidiairement,
sans s’arrêter à l’acte du 12 août 1 8 1 6 , qui serait declatc nul
t l subsidiairement rescindable , les demandeurs fussent déclarés non
recevables, ou mal fondés dans leur demande.
Sur cette exception, le tribunal de Moulins a prononcé comme il
suit, par jugement du 8 avril i 836 :
« En fait, attendu que la qualité d’enfant naturel de Canu a été
reconnue par François Gueston et Marie lî r u n e t , suivant l’acte au
thentique du 3 o mars 181 G; que celle reconnaissance a été confirmée
dans l’acte du 12 août suivant, par l'admission, de la part des cnlans légitimes de Gueston , à l’exercice de ses droits, en cette qualité,
dans la succession île leur père ; d ’où il suit qu'aucun doute ne sau
rait s elevcr sur cette qualité de Canu comme enfant naturel de
Gueston;
*
» Attendu que la demande des héritiers Gueston contre Canu est
uniquement fondée sur 1 acte du 12 août 1 8 1 6 , d'où résulte la nécescilui d’apprécier la nature et les effets de cet acte au respect dudit
Canu ;
�» Attendu que cet a c t e , bien qu'il soit qualifié transaction, équi
vaut à un partage à l’égard de C a n u , puisqu’il en produit tous l e s .
effets pour lui ;
*
•
» Q u’il contient, en effet,«rémunération de tous les biens formant
la totalité de la succession de François Gueston, leur estimation, la
composition de la masse, la liquidation de la succession , enfin , la
détermination de la quotit^* revenant à Canu en sa qualité d ’enfant
naturel, laquelle y est fixée à un seizième par suite de la réduction
op érée, par l’exercice de ses droits, de la donation déguisée du
14 janvier l 8 j 5 ; q u ’il contient évaluation de cette quotité à une
somme un peu inférieure à 3 ,ooo f r . , et portée ensuite .à la somme
de 3 ,ooo fr. , pour désintéresser plus complètement Canu , et pour
(est-il dit à la fin dudit acte) tous les droits que peut prétendre Léo
nard Canu dans la succession de François Gueston; d ’où il suit que
cet acte renferme tous le’s élémens d ’nn p artag e, q u ’il en a , en
«jutre, le caractère essentiel et distinctif, celui dé faire cesser l’indi
vision ;
» Attendu que si l'acte du 12 août 1 8 1 6 n’est pas un partage pro
prement dit, en ce sens q u ’il n’est pas susceptible des conséquences
légales des partages ordinaires , énoncés notamment dans les art. 883
et 884 du Code c iv il, c ’est uniquement parce qu’il n’y a pas eu at
tribution , délivrance et mise en possession réelle de la portion en
nature de la succession revenant à Canu ; niais que cette partie de
l’acte de partage en est plutôt la conséquence et le résultat qu’elle
n’en est l’eQet principal et le caractère essentiel, lesquels résident
seuls dans ce double point de faire cesser l’indivision et de déter
miner la quotité ;
» Attendu que cet acte du 12 août 1 8 1 G ne peut être considéré
comme renfermant jtnc vente de droits successifs, lorsqu’on considère
également le caracterc propre et distinctif de ce genre d'aliénation ;
» En effet, le vendeur de droits successifs ne vend et ne garantit
que sa qualité d'héritier ou d’ayant-droit ; du reste, il n ’est pas ga
rant de la moindre ouîdc la plus grande étendue de ses droits; il ne
�vend que ce qui se trouve ou peut se trouver dans la succession ; o r ,
dans l ’acte du 12 août, Canu a vendu non-seulement des droits cer
tains , mais des droits liquidés, déterminés, une quote p art, enfin ,
attributive d ’une valeur fixée; en un m o t , le résultat d u n partage
Préexistant;
» D ’où il suit que l ’acte du 12 août 18 16 tient lieu de partage,
puisqu’il a fait cesser, à son respect, l’indivision de la succession à
laquelle il avait des droits et une quotité d ’ailleurs non conlestée ;
» Q u’enfin , s’il pouvait exister quelque doute sur ce point de doc
trine et de droit, il serait levé textuellement par l’art. 888 du Code
civil, disposition dans laquelle le législateur, par une sagesse remar
quable, évite avec un soin évident de se servir du mot partage, et
dit : « Tout acte ayant pour objet de faire cesser l'indivision, encore
* qu’il fût qualifié de v e n t e y d ’échange et de transaction, ou de toute
* autre manière. »
* En d ro it, attendu qu'en matière de partage intéressant des mi
neurs , la loi a établi des règles et déterminé des formes spéciales,
dont elle prescrit l’observation rigoureuse, sous peine de ne laisser
a ‘l’acte dans lequel elles n’auraient pas été scrupuleusement obser
vées, que le simple caractère et la seule force d ’un partage purement
provisionnel (articles 466 et 8/|0 du Gode civil) ;
* Attendu que l ’acte dont il s’agit, contenant transaction sur d ’au- •
très points litigieux, 'les héritiers Gueston pourraient alléguer, peutêtre , que l’admission de Canu à prendre part H a succession de leur
pure dans la proportion qui s’y trouve déterm inée, n ’a été que la
condition, par forme de transaction, de la renonciation de leur part
à dillérens droits, et notamment à celui de contester la qualité d ’enfant
naturel;
» Mais attendu que cotte considération, toutefois, noterait rien
au résiliât de lacté du 12 août 18 16 pour C a n u , et 11c s a u r a i t en
changer la nature et îles effots ;
* Attendu que si quelques inonnmens de jurisprudencecons.lcront
la validitu d\un partage par voie de ¡transaction cuire majeucs;cfjm -
�— 30 —
neurs, même avec attribution cle parts (arrêt do rejet de la Cour de
cassation, du 3 o août i 8 t 5 ) , ou doit y signaler que le partage était
alors attaqué par les majeurs, tandis que l ’inobservation des art, [\QQ
et 84 o du Code civil ne peut être invoquée que par les mineurs ;
» Deuxièmement, que les biens avaient été estimés en ju stice , et
que cette seconde garantie des intérêts protégés du mineur manque
dans l’espèce dont il s’agit ;
■
« D ’où il suit que cet acte du 12 août 1 8 1 6 , qui sert de base à la
demande, est nul en tant q u ’il détermine d ’une manière définitive la
part afférente à C a n u , comme enfant naturel, et q u ’il fait cesser
pour lui l’indivision dans la succession de François Gueston.
» En ce qui touche la surséance dem andée,
» Attendu q u ’il n ’y a lieu de surseoir à statuer sur la demande des
héritiers Gueston jusqu’après la décision de la demande en partage
formée par Canu au tribunal de Montluçon ;
» Q u’il y a nécessité, au contraire, de prononcer préalablement
sur celle dont il s’agit, parce q u ’avant de procéder sur un nouveau
partage, il est de raison, autant que de justice , de décider d ’abord
sur l’effet ou l ’invalidité d ’un partage antérieur, objet de l’acte du
1 2 août 1816 ;
» Statuant et faisant d r o i t ,
» Déclare les héritiers Gueston mal fondés en leur dem ande, les
déboute d ’ic e lle , en renvoie Léonard Canu ; fait réserve à toutes les
parties de leurs droits respectifs, à l'effet soit de procéder à un nou
veau partage , soit d ’exercer lesdits droits ainsi q u ’elles aviseront ; or*donne qu ’il sera fait masse des dépens, qui seront supportés par
quart ^ar chacune des parties. »
DISCUSSION.
En déférant aux lumières supérieures de la Cour l’examen de cfcttc
décision, les appelans n’ont pas à craindre l'influence d ’un préjugé.
S ’ils ont à critiquer au jugement de première instance , ils invoquent
�— 51 —
une autre décision du même tribunal, et en demandent la mainte
nue ; et il leur serait permis de dire q u e , pendant que la dernière
de ces décisions est sujette à l’a p p e l, la première en était affranchie
par ses caractères propres, et que le tribunal de Moulins était incom
pétent pour se réformer lui-mètne. Aussi le ministère public avait-il
Pris des conclusions diamétralement opposées.
Le tribunal était saisi d ’une demande en validité d ’offres , et il était
essentiellement compétent pour y statuer, puisque c ’était une de
mande personnelle, et que le défendeur était domicilié dans l’étendne de sa juridiction. Tout le monde, au reste, l’a reconnu ; mais
avait-i[ la capacité pour annuler, sur.une question incidente, la dé
cision judiciaire du 19 août 1816,? Nous n ’hésitons pas à dire que
n°n ; mais nous devons, tout à la fois, expliquer notre pensée et la
prouver.
Si la décision du tribunal de Moulins, du 19 août 1 8 1 6 , était un
v^ritable jugement rendu en matière conten lieuse, entre deux partlcs soutenant des propositions contraires et des intérêts opposés,
lo»t le inonde avancerait que le tribunal de Moulins, ayant epuise
*a juridiction , n ’avait plus aucune capacité pour réviser son propre
)ugeinent. L e tribunal n’a pas abordé cette question; il a cru n’avoir
P0"^ à s’occuper de la décision rendue le 19 août ib iG . l i a proC(!(lé comme si elle n ’existait pas ; il n’a vu qu’ un aclc passé devant
Gueulclic , notaire, le 12 août 1,816, et a déclaré cet acte nul.
^ ’«st donc un simple acte que le tribunal a voulu annuler; mais ,
s°us ce rapport, il est tombé dahs une erreur tout aussi grave.
■Pour que la réfutation soit plus claire, représentons-nous le sysletnc du jugement. 11 se résume en ce peu de mots :
l * Le sieur Cuestou avait reconnu Léonard Canu par IVcte du
12 août 1 8 1 6 ; cette reconnaissance a été confirmée par l’acte du
*9 août. Sa qualité était donc certaine.
Cet aclc du 19 août est le fondement de la. dem ande, et il faut
* apprécier.
Or» bien que qualifie transaction, il équivaut à un partage , et en
�— 52 —
produit toüsdcs effets; il en a d’ailleurs le caractère essentiel et dis
tinctif, celui de faire cesser l ’indivision.
Ce n’est pas, à la vérité , un partagé proprement d it, puisqu’il n’y
a point attribution de part à Léonard Canu ; mais ce n ’est pas non
pins une cession de.droits successifs : car le caractère de cette es
pèce d ’acte est que le vendeur ne demeure garant de rien. O r , ici,
Cànu à vendu non-seulement des droits certains, mais des droits liqui
dés, déterminés, une quote part attributive d ’ une valeur fix é e , en un
VlOt,
LE RÉSULTAT » ’ UN r A R Î A G E PRÉEXISTANT.
A cela vient se joindre l’art. 888 , qui veut qu ’un a c t e , qui fait
cesser l’indivision, ne puisse jamais être considéré que comme un
véritable* partage.
3° Les formalités prescrites pour les partages avec les m ineurs,
n’ayant pas été observées, l ’acte est demeuré purement provisionnel,
Nous omettons le dernier motif, qiii nous suffira plus lard pour
démontrct combien le tribunal s’est Vu embarrassé dans ce système ;
nous le prenons tel q u ’il e s t , et ne croyons pas difficile de le réfu
ter. Tout consiste, sous ce rapport, à apprécier les caractères de
l’acte du i g août 18 16.
Oublions pour un instant, quoique ce soit un moyen tranchant
dans la cause, que cet acte était passé pour un m ineur, et que la
justice y avait présidé avec sa gravité»et ses formes régulières ;
qu’elle l’avait couvert de son autorité, reconnu et déclaré valable,
en la forme qui lui était donnée ; qu ’enfin , elle en avait fixé défini
tivement les caractères, alors q u ’elld en avait le droit et le pouvoir;
supposons que Léonard Canu était majeur; que c ’est lui seul, en
personne, qui a’ Cônsenti l’acte tel qu’il est présenté, et q u ’aujour
d ’hui, il en demande pnrement et simplement la nullité, il no fau
drait qu’ouvrir la loi pour lui répondre :
« Les transactions ont, entre les parties, l’autorité do la chose jugée
» en dernier ressort. Elles ne peuvent être attaquées ni pour cause
» d ’erreur de droit, ni pour cause de lésion ( art. 2032 ). » Elles
ne peuvent l’ôtre que par suite d'crreür dans la personne ou sur l ’ objet
de la contestation , pour cause de dol et de violence ( art. 2o53 )•
�O r , lui dirait-on, vous étiez majeur, libre (le vos droits , vous les
avez réglés volontairement, et en connaissancedecauso; vous n’argu
mentez ni d ’erreur dans la personne ou sur l ’objet de la contestation ,
n<-de dol ou de violence. L ’acte demeure donc inattaquable.
Vous dites que ce n ’est pas une transaction ! Mais celui qui a
passe un acte, dans une qualification et avec des caractères qui lui
sont propres, n’est jamais recevable à le dénaturer, à lui supposer
Une autre volonté, une autre intention que celle q u ’il y a formelle
ment écrite; e t, d ’ailleurs, qu ’importerait? N’est-il pas vrai q u e ,
quels que soient ses caractères, pourvu qu’il n’y ait rien d ’illicite ,
les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les
°nt faites ? Q u ’elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement
Mutuel, ou pour des causes que la loi autorise? ( Art. 1 1 3 'j. ) L ’acte
6eriut donc valable sous une forme comme sous une autre, soit comme
transaction, soit comme vente ou cession ou autrement, puisqu’il
a °té volontairement consenti.
t ^ *a vérité, la loi ne tient pas compte de la qualification , lorsqu’il
San>t de tout acte qui a pour objet de faire cesser Vindivision e n t r e
^H éritiers ; et le tribunal a dit que le titre de l’enfant naturel étant
reconiui, il avait un droit incontestable au partage ; que l’acte ne
P°uvait pas même être considéré comme cession de droits succèsc|r,
bî mais c’est ici q u ’il est à peine besoin de signaler les erreurs de
C° sysletne, tant elles sont nombreuses et évidentes.
du
^ > d a b o r d , il n’v avait ici ni indivision ni cohéritiers. Dans l’acte
»
*
< r
*2 août 1 8 1 6 , comme dans la délibération du conseil deiam ille
(ÎU| lavait p récédé, il a été reconnu q u ’il y avait seulem ent, à cet
c‘nai d , prétention des tuteurs, appuyée par l’avis de leurs conseils,
j?a,s c°ntestée par les enfans Gueston , soit quant à la qualité de
anu, soit quant à sa prétention de contester la vente de 1 8 1 5 , d ’en
mander la réduction comme don à rente viager«;, d ’exiger le
Apport dos immeubles, etc. Avant d’arriver au partage, il fallait
^ r c d accord de tout cela , il fallait avoir franchi toutes ces difficultés,
a*t résoudre toutes ces questions; et c ’est sur tout cela qu’on a
�transigé, pour etouffer un procès dans sa naissance. Ni l’une ni
les autres parties ne sont donc admissibles à soulever aujourd’hui
toutes cesquestions. Inutilement on argumente de ce qu’il y avait eu
reconnaissance par le p è r e , le 3 o mars 1816. D ’une part, la recon
naissance d’un enfant n’empêchait pas de contester l’identité de celui
qui voulait se l’approprier. O r , une contestation grave s’élevait sur
ce point, et les circonstances que nous avons signalées y répandaient
des difficultés sérieuses; de l ’autre, les enfans légitimes
pouvaient
être admis à critiquer cette reconnaissance, comme frauduleuse ellem ê m e, autant q u ’on voudrait s’en servir pour porter atteinte aux
droits qui leur étaient acquis par des actes antérieurs.
„
Supposé même que les droits de l’enfant fussent reconnus,
et
qu ’il ne restât qu’à les régler, il y aurait eu encore, sur ce règlement,
matière à contestation sur laquelle on pouvait traiter. E11 ce ca s,
l ’acte de 1816 serait une véritable cession de ses droits aux héritiers
légitimes. O r , si l’article 888 veut q u ’on n’ait pas ég ard , dans le cas
q u ’il suppose., à la qualification de transaction, ce n’est pas pour
annuler l’acte ainsi qualifié, mais uniquement pour le soumettre à
à la rescision, comme acte qui a pour objet de faire cesser l ’ indivision
entre cohéritiers; -mais, e n co re, celte disposition n’est ni générale
ni absolue; la loi 11e veut pas soumettre à la rescision tous les actes
qui font cesser l’indivision entre cohéritiers ; elle reconnaît q u ’il est
de ces actes qui doivent en être affranchis par leur caractère propre ;
c l , aussi, elle s’empresse d ’a jo u te r, art. 88g :
« L ’action ( en rescision ) n ’cst*pas admise contre une vente de
» droits successifs faite sans fraude à l’un des héritiers par les autres
» cohéritiers ou par l’un d ’eux. »
E l , ainsi, lesdroiis de Canu supposés certains, sa qualité recon
nue, le traité sur ces droits, par 1111 majeur, moyennant une somme
fixe, serait une véritable cession de celle e s p e c ¿ , inattaquable de
sa nature, parce que c’est encore , sur la quotité et la valeur des
droits, une sorte de transaction où tous les hasards restent d ’un
�s
35 —
L e tribunal a abordé cette objection ; et si nous l’examinons* à
notre tour, quoique fort inutile à la c a u se , c ’est uniquement parce
qu’il nous a mis sur cette voie. Voyons donc comment il la re
pousse.
« Dans la vente de droits successif» ( dit-il ) , le vendeur ne ga* ranlit que sa qualité d ’héritier ou ayant-droit ; il n’est pas garant
* de la moindre ou de la plus grande étendue de ses droils; il ne
* vend que ce qui se trouve ou peut se trouver dans la succession.
* O r , dans la vente du 12 août, Canu a vendu non-seulement des
* droits certains, mais des droits liquides et détermines, une quote
* part attributive d ’une valeur fixée, en un m o t, le résultat d ’ un
* partage préexistant. »
On ne peut pas errer plus complètement et en droit et en fait.
En droit, et q u clq u’indifférent que cela soit à la question qui nous
°ccupe, il est certain qu’une cession de droils successifs peut avoir
des bases diverses sans perdre ses caractères, ni le bénéfice de l’ar
m e 889. •
Ou peut céder une quote part déterminée dans une succession ;
quoique le cédant demeure garant q u ’il y avait droit pour la qu oqu’il a v e n d u e , il sufiit que cette part soit cédée pour un prix
certain et à la charge par le cédataire de payer les dctles , pour quo
lacté soit une véritable cession de droits successifs qui résiste à l’arlicle 888.
On peut, encore, céder simplement son droit à la succession, lorsqu ¡1 y a 1itige sur la quotité, lîn ce cas, la quotité elle-même reste
aux périls du cessionnaire ; mais le cédant demeure garant q u ’il était
héritier; car la ce*ssion suppose qu ’il avait un litre; et cependant,
n)nlgré celte garantie, l’acte échappe encore à l'application de l’ar
ticle 888.
E nfin, on peut céder son droit alors même qu ’il y a litige sur sou
existence, cas auquel le cédant ne vend q u ’une chance, et 11e demeure
garant de rien. C ’est à celle dernière espèce seule que le tribunal
dont est appel a voulu réduire l’application de l’art. 889 ; erreur ma»
�— oG —
nifeste, que condamnent les principes, les lois positives et la juris
prudence de tous les temps. IN’est-il pas certain, en effet, et l’ex
périence
des affaires, comme la simple intelligence des actes,
n’apprend-elle pas à tout le monde que toutes ces espèces de con
ventions renferment ce que ^
lois qualifient jaclus relis, c ’est-à-
dire, que le cédant transforme en une somme fixe, ou une chose
certaine , des droits plus ou moins contestés, pour rejeter sur le cédataire toutes les incertitudes de son droit, de la quotité ou de
l’étendue de ce d ro it, en un m o t , tous les hasards de la succession?
Que , par cela s e u l, et n’y eut-il que la condition imposée de payer
la généralité des dettes connues ou inconnues, il n’y a jamais lieu à
rescision, parce que les parties ne pourraient reconnaître soit une
matière certaine et déterminée, soit un prix fixe et invariable , aux
quels elles pussent s’arrêter, et qu'alors il n’y a jamais possibilité de
prouver la lésion?
Au reste , remarquons bien l’antithèse qui existe entre les deux
articles 888 et 889. L e premier refuse toute conséquence à la quali
fication de transaction, lorsqu’elle est donnée à un véritable partage;
à tout acte qui fait cesser l’indivision entre cohéritiers, lorsqu’il pro
duit lotis les résultats du partage, garantie réciproque , etc. Il n’a
q u ’un b u t , celui de m a i n t e n i r l’action e n rescision qu’il introduit,
et à laquelle, sans celte disposition, 011 aurait.toujours pu échapper
par la forme et la qualification des actes. Mais la loi ne veut, et n’a
besoin de cette exception, que lorsqu’il s’agit d ’un véritable partage,
et que la qualification est donnée dans une intention frauduleuse. Il
11’esl p as, en cilet, défendu de transiger sur la matière des partages
Tpas plus que sur toute autre , lorsqu’il existe line malière quelconque
à transaction; l’art. 888 n ’a pas ce sens absolu. On peut indépen
damment de la raison , qui semblerait suffire
consulter tous les doc
teurs qui ont écrit sur cette m alière, notamment M. Chabot de l’Allie r , sur l’arlicle 888. llien de plus formel que leur doctrine. Au
surplus, tout cela n ’est autre chose que l’application spéciale de ce
grand principe de l’art. 1 l 5 G , que la nature des actes se détermine
�— 57 —
plus par l’intenlion que par le sens littéral des termes. Aussi le lé
gislateur s’empresse-t-il d ’ajouter que cette exception cessera, et q u ’il
11 y aura pas lieu à rescision contre la vente de droits successifs. Pour
quoi cela? parce q u ’une cession de celle nature (q uoiqu e premier
acte entre cohéritiers) , faite par celui qui prétend un droit à celui
qui le co n teste , soit dans sa réalité, soit dans son étendue , et alors
même qu’il ne contesterait que sur la valeur, est une véritable tran
saction entre deux parties qui ont des intérêts opposés; e t , alors,
n’importe que la transaction porte sur des difficultés fondamentales
ou sur des questions de quotité ou de détail, il y a toujours une vé
ritable transaction. En d r o it , le tribunal a donc évidemment erré.
En fait, nous ne concevons pas qu’il ait pu dire sérieusement q u e ,
« dans la vente du 12 a o û t , Canu a vendu non-seulement des droits
certains, mais encore des droits liquidés et déterminés. »
*
Quoi ! ses droits étaient certains , lorsqu’il s’était empressé de
constater lui-même qu ’il craignait contestation sur son identité? lors
que ses conseils ayant décidé que cette identité était'suiïisamment
établie , ses adversaires lui répondaient que cela pouvait être contesté,
et q u ’on l’insérait dans l ’acte même? lorsqu’enfin 011 soutenait que
la reconnaissance étant postérieure à l ’acte du 14 janvier i 8 i 5 , elle
ne pouvait y porter atteinte?
Q u o i! scs droits étaient liquides cl déterminés, lorsqu’on lui con
testait celui d ’exiger le rapport des biens attribués aux enfans, par
l ’acte du i4 janvier, et l’application 'de l’art. 9 1 8 , à raison du prix
considérable et des conditions onéreuses attachées à cet acte !
E t , enfin, où était donc ce partage préexistant, que le tribunal
voit partout, q u ’il ne peut cependant pas signaler, et q u ’on n’aper
çoit nulle part? Q u ’importe q u e , pour savoir si 011 avait intérêt *i
transiger et pour quel prix, la partie eut examiné, par l ’estimation
des b ien s, si elle aurait des chances plus ou moins avantageuses à
courir en cas de succès dans une lutte judiciaire, et voulu connaître
ce qui lui reviendrait, toutes suppositions fuites en sa faveur? Cela
cm pêchc-t-il q u ’elle ait réellement transigé sur des difficultés eiijr-
�lantes, et qui pouvaient être décidées contre elle, si elle soutenait le
procès? Q u’importe, enfin , qu’il y ait une valeur fixée, dés qu’il n’y
en a pas d ’aufre que celle de la transaction? Sans doute si, avant de
transiger, et en dehors de la transaction, on eût reconnu les droits
de Léonard Canu ; si on en eût fixé la nature, la quotité, l’étendue
et la valeur, et q u ’ensuite on lui eût attribué une somme moindre,
sous prétexte de transiger, l’argumentation du tribunal pourrait être
vraie. Mais ici, en estimant les biens et la part qui en serait revenue
à Canu en supposant son droit, on lui contestait ce droit, et on n’a
vait d ’autre but que de mettre cette valeur en regard de la somme
offerte , pour prouver q u ’on faisait une proposition avantageuse. Au
r e s te , sans raisonner nous-mêmes, nous n ’avons qu’à laisser argu
menter le tribunal dont est appel : il a senti le besoin d ’un partage
préexistant à la transaction, d ’une valeur fixée en dehors de cette
transaction ; et il nous suffit de nous reposer là-dessus, en démon
trant q u ’il ne se rencontre aucune de ces conditions que lui-même a
jugées nécessaires, et qui le seraient en effet.
A la v érité, on a dit dans la transaction que Léonard Canu était
le fils naturel de François Gueston ; mais qu’importe ? Cela résultait,
bien ou m a l, de l’acte de reconnaissance du père ; et en le répétant
dans la transaction , les enfans disaient qu'ils pouvaient contester cette
reconnaissance, postérieure à l’acte du i/j janvier
i
8 i5,
comme
faite ou surprise à leur père en fraude de leurs droits. L e tribunal
ajoute encore que cela résulte même de ce que les enfans Gueston
Vont admis à l’ exercice de ses droits en cette qualité. Mais on ne veut
pas voir que c ’est seulement par la transaction, c l en transigeant,
q u ’il a élé admis, non à exercer scs droits comme héritier, mais à
recevoir 3 ,o o o fr. par transaction. O r , dès que les enfans Gueston
sc résignaient à donner 3 ,ooo fr. , il était impossible de ne pas sup
poser à Canu un titre pour les recevoir; e t , dès lors , il fallait néces
sairement transiger sur le titre comme sur la somme ; e t , clans leur
ensemble, toutes ces conventions ne faisaient toujours q u ’une tran«action unique, où chacun renonçait à de plus grandes prétentions1,
�et "où l’admission de Canu à prendre 3 ,ooo fr. , comme enfant na
t u r e l, n ’était écrite qu’à côté de sa promesse de ne pas faire valoir
sa reconnaissance pour réclamer quoi que ce soit au delà de ces
3 ,ooo fr. , et pour accuser devant les tribunaux la mémoire du sieur
Gueston.
M ais, là-dessus, nous serons bien plus forts en laissant raisonner
le tribunal lui-même. 11 en dit plus q u ’il n’en faut, dans un motif
subséquent, pour détruire tout l’effet des p récéd en s, quand son ar
gumentation serait vraie, jutant q u ’elle manque de justesse.
« Attendu que l’acte dont il s’a g it , contenant transaction sur d ’au» très points litigieux, les héritiers Gueston pourraient alléguer, peut» être, que /’admission de Canu à prendre part à [a succession de leur
» père, dans la proportion qui s’y trouve déterm inée, n ’ a été que la
« condition, par forme de transaction, delà renonciation de leur part à
* différons droits, et notamment à celui de contester la qualité d ’enfant
» naturel.
» Mais, attendu que cette considération, toutefois, n ’ôterait rien
» au résultat de l’acte du 12 août, pour en changer la nature et les
» effets. »
Très-bien : le tribunal reconnaît rtettement que l ’acte du 12 août
contenait transaction sur des points litigieux. Ce n’était donc pas une
qualification fausse réclamant l’application de l’art. 888. Seulement,
le tribunal dit que celte transaction portait sur d ’autres points : il
aurait été fort embarrassé, sans doute , d ’en désigner d ’autres , c ’està-dire des points de litige étrangers à la question et aux droits de
Léonard Canu ; mais il s’empresse de nous rassurer à cet égard ; luimême il efface immédiatement celte qualification :
A
utres
, qu'il
vient d ’écrire, et il reconnaît qu’ un de ccs points litigieux était le
droit de contester à Canu la qualité d ’enfant naturel. D o n c , d ’après
le jugement lui-m êm e, il y avait contestation, et il y a eu transac
tion sur ce point important, fondamental , en même temps que sur
d ’autres; et l ’admission de Canu à prendre part à la succession a été
le résultat, l'effet et uue des conditions de cette transaction. Q u ’avions-
�-
4
0
-
nous donc besoin d ’examiner nous-mêmes les caractères de cet acte',
de rechercher s’il contenait ou non transaction ; et com m ent, à côté
de ce m otif, tous ceux qui précèdent peuvent-ils se soutenir ? N'estil pas désormais incontestable qu’ un de ces d roits, auxquels les héri
tiers Gueston ont renoncé, était celui de contester la qualité de Canu
comme enfant naturel de leur père , et q u ’ils l’ont fait en regard des
conditions qui ont accompagné cette renonciation? Q u ’enfin, la pro
messe de payer 3 ,ooo fr. n ’a été que la conséquence de cette re
nonciation, qui n’était faite elle-même que parce que Canu ou ses
tuteurs, pour l u i , renonçaient à toute prétention autre que celle de
ces 3 ,ooo fr. ? L e jugement le reconnaît.
Au r e s te , convenons que les enfans Gueston auraient joué une
partie de dupes, s’ils avaient consenti à reconnaître sans retour une
qualité q u ’ils contestaient, une identité q u ’ils contestaient e n co re,
des droits de réduction qu’ils ne voulaient pas souffrir, et tout cela
sans prendre aucune précaution pour lie r , à leur égard, Léonard
Canu. Evidemment, ils n’ont pas abandonné leurs m oyens; et au
jourd’h u i, si on pouvait annuler le traité, et aborder la demande en
partage, il y aurait toutes ces questions à juger. O r , ces questions,
avec un majeur surtout, seraient matière à transaction, llien n ’est
plus évident. Pourquoi donc ne l’auraient-elles pas été en 1 8 1 6 ?
Iist-ce qu’elles n’étaient pas les mêmes ?
II est donc bien évident que l ’acte de 1 8 1 6 , supposé fait entre
majeurs, ne serait pas susceptible d ’ôtre anéanti; qu ’aucun moyen
de nullité écrit dans les lois pourrait l’atteindre , et qu’en le consi
dérant même comme ayant, au fond, les caraclères d ’un acte qui fait
cesser l ’indivision, il serait inattaquable , parce q u ’il ne serait pas
moins une véritable transaction ; e t , d é jà , il demeurerait démontré
que ni le procureur du roi de 181 G, ni les jurisconsultes qu ’il avait
n o m m é s, ni le conseil de famille qui avait autorisé la transaction , ni
le tribunal qui l’a homologuée, n ’ont été si mal avisés q u ’on le sup
pose.
L a minorité de Léonard Canu, en 181G, forcerait-elle d ’adopter une
�décision, contraire ? Non-seulement nous repoussons cette proposi
tion , mais nous allons prouver que la position des enfans Gueston
devient plus favorable, et encore plus ¡également fixée par cette seule
circonstance ; et on va reconnaître q u ’alors même qu ’un majeur
pourrait encore, quoique sans avantage, agiter la question de res
cision , et un tribunal la. ju g e r , cas auquel il serait obligé de la re
je te r, comme nous venons de l’établir , tous les tribunaux sont
incompétens pour examiner le mérite et les caractères de la transac
tion judiciaire de 1 8 1 6 , et que le mineur, lui-m êm e, demeure dé
pourvu, e t , pour mieux dire, dépouillé par Ja loi même de toute
capacité pour la critiquer, parce qu ’elle a pris du jugement d ho
mologation un caractère irrévocable et une validité qui ne peut plus
être mise en question. Ici se présente une question grav e, qui tient
à l’honneur même de la justice.
Avant le Code civil, la législation n’offrait aucun moyen de faire
une transaction solide avec les mineurs; et comme on le voit dans
l’exposé des motifs de la l o i , par M. B e rlie r, sur l’article 4^7 » Ie
Code a voulu créer cette faculté dans un intérêt général.
<t Les principes admis jusqu’alors, dit M. Berlier , sans repousser
ces transactions, en rendaient l’usage impraticable; car elles ne pou
vaient valoir qu ’autant q u ’elles profitaient au pupille , et que celui-ci
s’en contentait ; si hoc pupillo expédiât ; et ce point de fait, toujours
subordonné à la volonté future du mineur, écartait nécessairement
un contrat aussi peu solide.
» De cette manière, toutes les difficultés dans lesquelles un mi
neur était engagé devenaient un dédale d ’où l’on ne pouvait sortir
q u ’à grands frais, parce que les issues conciliatoircs étaient fermées,
et que si le tuteur n’osait rien faire qui eût l’air d ’altérer un droit
équivoque, de son c ô t é , l ’adversaire du pupille ne voulait point
traiter avec un homme dont le caractère ne lui offrait aucune ga
rantie.
» De là, ruine de plus d’un m ineur; de là , aussi, de nombreuses
entraves pour beaucoup de majeurs.
v
6
�-
ni -
_ ti II convenait de mettre un terme à de si grands inconvénient,
et le projet y a pourvu en imprimant un caractère durable aux tran
sactions pour lesquelles le tuteur aura été autorisé par le conseil de
l'amille, de l'avis de trois jurisconsultes désignés par le commissaire
du gouvernement, et après que le tribunal civil aura homologué la
transaction sur les conclusions du môme commissaire.
i Tant de précautions écartent toute espèce de danger ; elles sub
viennent aussi aux besoins de la société, q u i , en accordant une juste
sollicitude aux mineurs, doit aussi considérer les majeurs ; elles don
nent enfin à l’administration du tuteur son vrai complément. Que serait-ce , en effet, q u ’un administrateur qui ne trouverait pas dans la
législation un moyen d ’éviter un mauvais procès, ni de faire un ar
rangement utile. ?»
Ces considérations, qui ont une haute portée , et qu'on trouve
reproduites dans les discours prononcés sur les art. 20S2 et 2o53
du Code civil, ont amené la disposition de l’art. 4 ^7 - Avec ce la , i)
est facile d en saisir les caractères et d ’en déterminer les effets. La loi,
toujours prévoyante, a voulu imprimer aux transactions qui seraient
faites en la forme q u e lle prescrit, le caractère de l’irrévocabilité , no
nobstant la minorité d'une 011 de plusieurs parties; et elle en a con
fié le pouvoir aux ministres de la justice. Sous leurs ailes , et avec
leur protection , les mineurs peuvent tfaire les actes qui les intéressent aussi valablement que les majeurs.
E t , aussi, dans cette nouvelle création , ne retrouve-t-on plus,
comme principô applicable à tous les cas, la hiérarchie des divers
degrés de juridiction. 11 ne s’agît plus, en effet, do ces discussions
qui naissent de la diversité des intérêts entre des parties opposées,
lesquelles peuvent élever des questions subtiles , faire naître des
doutes, embarrasser les esprits. L;\ les magistrats sont appelés à pro
noncer sur des questions souvent difficiles ; ils peuvent se méprendre
sur le sens des actes, sur la véritable volonté des parties, sur l’appli»
cation des lois; et il faut au législateur des garanties contre l’erreur
des juges oux-môincs. C ’est pour cela q u ’il établit divers degrés de
�— 43 —
juridiction comme une sauvegarde pour les intérêts privés qui sont
en présence.
- Mais lorsqu’il s’agit seulement de suppléer à l’incapacité des per
sonnes, et d ’environner les incapables d ’une autorité tutélaire qui
veille à la conservation de leurs droits, le législateur ne pense plus, il
ne peut plus admettre la nécessité des divers degrés de juridiction. L e
ministère du juge n’est plu^le même ; il n’est'plus q u ’un surveillant*
que la loi charge de protéger le mineur, et à qui elle donne toute
autorité pour mettre la sanction à ses actes, lorsqu’ils sont faits avec
les formes régulières , et qn’il y a reconnu.de l’avantage ; mais, aussi,
après qu’il les a homologués, la loi leur donne-t-elle .tout lu carac
tère d ’irrévocabilité q u ’ils auraient, si toiiLes les parties eussent été
majeures et libres de leurs droits; c ’est ce que le Code civil nous
enseigne
O dans une foule d ’arlicles.
~ i
m
Nous avons rapporté plus haut les articles 2o 5 a et 2o 5 3 * sur l’eEfet
des transactions entre personnes capables de contracter ; à cela il
faut ajouter diverses dispositions, soit générales, soit particulières,
sur les personnes incapables;
L ’art. 1123 : « Toute personne peut contracter si elle n’est pas
déclarée incapable par la loi. j
’
,
L ’art. 1 1 2 4 : « Les incapables de contracter sont les mineurs , —
» les interdits , — les femmes mariées, dans les cas exprimés. »
L ’art. 1 1 25 : « Le mineur , l’in terd it, la femme mariée, ne peu> vent attaquer leurs engagemens que dans les cas prévus parla loi. »
D ’où il résulte que leurs engagemens sont valables toutes les fois
que la loi ne les autorise pas expressément à les attaquer.
O r , tous ces articles sont coordonnés avec l’art. 467 , qui autorise
le tuteur * à transiger après autorisation du conseil de famille, et
» l’avis de trois jurisconsultes commis par le procureur du roi. »
Il ajoute que « la transaction ne sqra valable q u ’autant q u ’elle aura
» été homologuée par le tribunal de première instance. »
Quoique cette disposition ne soit exprimée q u ’en termes négatifs,
«lie ne renferme pas moins la règle que l’homologaliou du tribunal
�-
«
-
¿tiiTîra pour valider la transaction faite par le mineur} ou , pour l u i ,
par son tuteur, Elle est1-, d ’ailleurs, confirmée par l’art. 2o/f5.
Enfin , on peut y ajoutèr l’art. 1 3 1 4 :
t Lorsque les formalités requises à l’égard des mineurs, soit pour
» aliénation d ’immeubles, soit dans un partage de succession> ont
» été remplies , ils so n t, relativement à ces a ctes, considérés comme
4» s ’ ils les avaient faits en majorité. »
*
Cet article semble* ne parler que de deux cas spéciaux, la vente
des immeubles et le partage ; mais il est évident que sa disposition
est générale, o u , tout au m oins, qu’elle le devient par une inévi
table analogie.
D ’une p art, il est placé sous la rubrique générale de l ’action en
■nullité des conventions.
•i
O r , en ^ ra p p ro ch a n t des art. 1 1 23 , 1 124 et 1 1 2 5 , sur les nul
lités résultant de la minorité, et de l'art. 467 > qui autorise la tran
saction entre m ineurs, avec les formes prescrites, on demeure con
vaincu que l’ art. i 3 i 4 s’applique à toutes les conventions permises
au m ineur, lorsque les formalités requises ont ctè remplies, et que ne
lut-il pas écrit dans le Code, il faudrait l’y suppléer.
E t , aussi, dans le rapport de M. Jaubert au T ribu nal, trouve-ton ce passage décisif :
a Hors les cas spécialement exprim és, les mineurs ne peuvent être
admis à la restitution. La restitution est un bénéfice extraordinaire
et une exception. Toute exception doit &tre fondée sur une loi pré
cise.
» Cependant, il était convenable de rassurer pleinement ceux qui
traiteraient avec des mineurs, en suivant les formalités prescrites.
Cette précaution , si elle n’était pas nécessaire, est du moins u tile , à
cause de cette idée si invétérée, et qui s’est si souvent réalisée , q u ’il
n’y avait pas de sûreté à traiter avec les mineurs.
» Pour les partages, l ’opinion générale était q u ’ils ne pouvaient
être que provisdires ; quant aux ventes, toutes les formalités possi
bles n’empêchaient pas que l’acquéreur ne fût inquiété sous prétexte
de la moindre lésion.
•
�* » Il fallait souvent des demi-siècles pour savoiï si une affaire traité^
avec un minenr pouvait être regardée comme absolument con
sommée.
*
5 L ’intérêt des mineurs, celui des familles, le respect dû à là mo
rale publique, exigeaient que la personne et les biens des mineurs
Fussent environnés de toute la protection de la loi.
r » Mais enfin , an est souvent forcé de traiter avec les mineurs, et
des mineurs ont souvent besoin qu’on traite avec eux. Il faut donc
que l ’ intérêt des tiers soit garanti, lorsque les tiers ont suivi les for
mes prescrites par la loi. »
'• Evidemment celte doctrine, qui est le fondement de la lo i, s’ap' plique aux transactions comme à toute autre espèce d’acle qu’elle a
autorisés avec des formalités diverses. D ’ailleurs, cela est d ’autant
plus
évident
j que la transaction ne peut jamais avoir trait q u ’à des
meubles ou ii des immeubles. Dans le premier cas, elle est presque
toujours dans le domaine du tuteur 011 du mineur émancipé ; dans le
l’art. i 3 i/j y est expressément applicable; il l’est surtout
dans le cas particulier : car de quoi se plaint-on? de ce q u ’au lieu
d ’ouvrir un partage au mineur, et d ’o r d o n n e r une estimation judi
Second,
ciaire d'immeubles, le tribunal a autorisé le mineur à recevoir une
simple indemnité de 3 ,ooo fr. IVest-il pas évident que plus cela se
rait
Il
vrai,
plus l’art. 13 14- serait applicable?
est donc démontré qu ’une fois l’avis dit conseil de famille et des
troiâ jurisconsultes obtenu, et l’homologation du tribunal prononcée,
l’acte est irrévocable comme s’il avait été fait entre majeurs; nous
osons ajouter qu’il est cent fois plus respectable , parce q u ’il est cou
vert de la protection de la justice.
Un majeur, en effet, peut se tromper, agir avec légèreté, se lais
ser préoccuper par des apparences, par quelques entrainemens ; et
il tie faut pas moins sanctionner ce qu ’il a fait librement, alors môme
qu’il ne le voudrait plus. La justice, au contraire, ne se préoccupe
t>as; olle n'agit ptiS légèrement; elle ne dément jarrriis la gravité de
fion ministère ; et lorsqu'elle a observé les formes exigées pour tel ou
G.
�-
46 -
tel acte, toute garantie est acquise aux intérêts de l’incapable, parce
que son incapacité, suffisamment suppléée, a totalement disparu. . ,
Ici une réflexion se présente, que nous ne devons pas laisser ina
perçue.
Saisi du pouvoir d’accorder ou de refuser l’homologation , le tri
bunal de première instance est nécessairement investi du droit de
déterminer la nature de l’acte qu ’on lui p résente, et les formalités
qui lui conviennent. O r , il est et il doit être de l’essence de sa dé
cision d ’être aussi-bien irrévocable dans cette partie que sur le fond
même de l’intérêt du mineur.
î
Eh quoi ! il aurait le pouvoir d ’homologuer une transaction , et
l’obligation de l’examiner avec scrupule avant de statuer, et ¡1 n’au
rait pas le droit et le pouvoir de décider si l’acte q u ’on lui présente
est une véritable transaction !
. Qui d o n c, lorsqu’il l’a reconnu, serait compétent pour décider le
, .
«
contraire?
Serait-ce lui-m êm e, comme le juge'naturel des parties? Mais estce qu ’il pourrait proroger sa juridiction pour détruire ce q u ’il a fait?
- On comprend*bien que si l’acte a été fait sans les formalités pres
crites, il puisse en prononcer la nullité; mais pourquoi cela? C ’est
que , dans cette hypothèse, l’acte a été fait sans pouvoir, hors des
termes de la loi, et il reste sans valeur; e t, en ce ca s, le tribunal
ne fait qu’appliquer la loi dans les bornes de son autorité, en décla
rant nul un acte fait en contravention aux lo is, et qui ne se trouve
plus souscrit que par un mineur dont l’incapacité n ’a pas été légale
ment suppléée. Mais dans le cas, au contraire , où les formalités re
quises ont été observées, et l’homologation prononcée , le juge a agi
légalement; il a consommé un acte de son ministère. O r , il n’a pu
Je, faire ainsi sans fixer définitivement les caractères du contrat, et
déterminer le genre de formalités qui lui était propre. Si donc elles
o n t
été remplies, l’homologation de l’acte a épuisé sa juridiction : il
ne serait plus admissible ensuite h décider, et aucfiiî autre tribunal
ilu serait compétent pour dire qu ’il s’est trompé , q u ’il a mal apprécié
�-
47 -
'
l’acte qui lui était soumis. Il était juge , clans le cercle de ses fonc
tio n s, la première fois, comme il l’est la seconde, et il n’est pas au
torisé à se réformer.
Toute cette doctrine se résume en deux mots.
•
L é jugement qui intervient sur la demande de l’incapable, et qui
homologue l’acte qualifié transaction, n’est autre chose que la con
sommation du contrat, l’acte nécessaire pour q u ’il soit valable et
parfait, en donnant au mineur pleine et entière capacité pour le
consommer ; et si celui au nom duquel Pacte a été fait et le jugement
rendu veut se plaindre, i^faut qu ’il attaque l’acte lui-même par les
moyens ordinaires de nullité. O r , il ne lui su (Tira pas de dire que la
justice a prononcé légèrement, qu ’elle n’a pas assez examiné , il fau
dra qu’il prouve qu’èlle a été surprise , q u ’on a amené la consomma
tion de l’acte par des moyens frauduleux, exercés au préjudice de
lui mineur ou interdit, et que le tuteur qui a provoqué l’acte a par
ticipé à la fraude, ou a été lui-même trompé et surpris par le dol
d ’un tiers qui a profilé de l’acte. C ’est donc , dans cette supposition ,
une action en nullité qu’il faut exercer contre les autours de la
fraude, et q u i, en certains cas, peut amener la révocation de l’au
torisation judiciaire ; mais lorsque le mineur ne pourra citer aucun
fait de dol exercé par des tiers, et q u ’il se bornera à dire qu ’il a mal
à propos demandé l’autorisation de faire un a c t e , et q u ’on ne devait
pas riiomologuer, son action s’anéantira devant l’autorité des lois,
qui protègent les contrats régulièrement consommés, et les actes des
corps judiciaires qui les ont autorisés ou confirmés. Toute autre
doctrine serait dérisoire pour la justice. A in si, le tribunal de 18 1G a
pu decider que c ’était une transaction, il l’a fait valablement, ir
révocablement, et il n’y a plus à y revenir. Iîl comment, dans l’es
p è c e , hésiter à le reconnaître? On veut qu’en 18 1G le tribunal de
Moulins eut du employer les formalités du partage; mais c ’eût été
refuser au mineur la faculté de transigea, le forcer à p l a i d e r ' malgré
lui, l’obliger à soulever des questions, et à provoquer une décision
qui pouvait détruire jscs_espéranccs ; tourner enfin contre lui ce qui
�4 + 1
♦*
*
*
*
'* •
î
était établi en si» faveur. Mais quoi! on voudrait donc ^refuser au tri—
bùnal compétent eh 1 8 1 6 , le droit de juger ce qui était plus avan
tageux au mineur! On 11e fait pas attention qu’avant d'ordonnôr
l’emploi des formalités du partage, le tribunal de. Moulins Voyait des
questions à juger, et qu ’il a reconnu préférable au mineur qu ’elles
ne fussent pas agitées. C ’est donc avec une intention bien méditée
q u ’il a eu recours aux formes de la transaction. Est-ce q u ’il n’en avait
pas le pouvoir? E t , d ’ailleurs, quel est donc ce grief si fâcheux qui
doit soulever aujourd’hui le zèle de la justice? Il se borne à dire quô
l’estimation des biens n’a pas été faite par trois experts commis. Ou
nVa pas fait attention, e n co re , que le tribunal n’a ordonné d ’estima
tion d ’aucune espace ; q u ’il était le juge du besoin de cette estima*
t i o n , et q u ’évidemment elle n’était pas nécessaire!, puisqu’il ne fai
sait pas un partage.
Mais pourquoi tant raisonner sur des hypothèses, en droit, aloM
que le fait est positif, certain , et d’une telle évidence , quJil apparaît
de lui-mème à tous ies yeux? Est-ce q u ’il peut s’élever le moindre
doute sur la question de savoir si l’acte était une véritable transac
tion? Nous en avons assez dit ci-desSus, pages 18 et suivant., et 3 g ,
pour qu’il ne puisse pus subsister (le doutes, et iious il’y reviendrons
pas. L e tribunal dont est appel lui-mème s’est vu obligé de le recon
naître et de le consigner dans son jugement; eu sorte que ce n’est
plus seulement avec des autorités étrangères, mai .4 avec le jugement
dont est appel lu i-m è m e , que nous détruisons le système des pre
miers juges, et le fait sur lequel il est établi.
Mais ce n’est pas là seulement que nous pouvons mettre ce juge
ment en contradiction avec lui-mème ; ne dit-il pas encore que
l’acte de i 8 1 5 , portant cession de ses biens , par le sieur Gueston
père à ses enfans , était tine donation déguisée ?
Quoi ! c ’est le tribunal doi^t est appel qui juge celte question , et
qui décide en même tem fs
q u ’il
n’y avait en 1816 ni litige ni ma
tière à transaction ! Est-ce qu’il a vu quelque part que les enfans
Gueston eussent renoncé à se sfcrvir de cet acte authentique, et doftt
�— 49 —
l’exécution était depuis long-temps consommée? Est-ce q u ’il’ n’a pas
lu dans la délibération du conseil de famille , et dans la consultation
judiciaire , que les enfans Gueston entendaient en soutenir la vali
dité et se refuser à la réduction? Est-ce que cela n’y est pas exprimé
assez clairement lorsqu’on y lit ce motif des trois jurisconsultes :
« Considérant q u ’il importe d ’éviter à l ’enfant naturel un procès
» qui ne tendrait q u ’à faire naître pour lui des chances incertaines,
» et à remettre en question ce qui est résolu en sa faveur, en l’expo» sant à des frais considérables qui pourraient consommer sa ruine. »
E t , enfin, e s t - c e q u e , aujourd’hui m ô m e , cette question se
trouve jugée quelque part ?
Ce n’est pas tout encore ; lisons la disposition finale du jugement,
et nous verrons q u e , là comme dans ses motifs, le tribunal détruit,
de ses propres mains, tout le système q u ’il avait édifié.
C ’est après avoir reconnu q u ’il y avait transaction sur des points
liti gieu x, fondamentaux, q u ’il prononce sur la demande en validité
d ’offres. Considérant l’acte de 1816 comine n u l, parce q u ’il n’était
q u ’un partage, y appliquant l’art. 888 du Code civil, qui est évidem
ment étranger à cette question de nullité, il rejette la dem ande,
puis il ajoute :
« Fait réserve à toutes les parties de leurs droits respectifs, à l’effet
» soit de procéder à un nouveau partage, soit d ’ exercer lesdits droits ,
» ainsi q u ’elles aviseront. Ordonne qu ’il sera fait masse des d é p e n s,
» qui seront supportés par quart par chacune des parties.
L e tribunal savait très-bien que Léonard Canu, avait formé une
demande en partage devant le tribunal de Montluçon, dans le ressort
duquel la succession s’est ouverte , et que cette demande faisait re
vivre toutes les questions soulevées et éteintes en 1816. O r , n ’osant
pas les juger directement, il réserve aux parties tous leurs droits,
soit pour faire un nouveau partage, soit pour exercer lesdits droitsPuisque de ces deux hypothèses il fait une alternative, il a donc la
pensée, il reconnaît donc que l ’exercicc desdits droits p o u rrait écarter
la demande en partage; e t, en effet, c ’est une position inévitable,
�qui résulte de ce q u e , en annulant la transaction , il ne pouvait pas
s’empêcher de remettre chacune des parties dans la position où elle
était auparavant. Ainsi, il délaisse toutes les parties à se présenter
devant le tribunal de Montluçon , l’une pour suivre sa demande en
partage, les autres pour s’en défendre, y faire valoir leurs droits, et
faire rejeter, si elles peuvent, cette dem ande, par leurs moyens
préjudiciels. On en reviendra donc devant le tribunal de Montluçon,
pour agiter toutes les questions qui sVilevaient en 1 8 1 6 , sauf, toute
fois, la difficulté que trouveraient, peut-être, les enfans Gueston à
établir, après un intervalle de vingt années, certains points de fait
qui étaient notoires à cette époque. L à , nous aurions à examiner,
avant tout, la question d ’identité du dem andeur, celle de savoir si
la reconnaissance du 3o mars 1816 a été faite librement et avec con
naissance de cause ; ;si elle n ’était pas, au contraire, le produit du dol
exercé sur le sieur Gueston, comme on offrait de le prouver; si elle
pouvait, dans tous les cas, porter atteinte à la vente de i 8 i 5 , faite
par le père à scs trois enfans, etc., etc.
.
Sans d o u te , e n co re , le tribunal a eu la conviction que les enfans
Gueston avaient pu soutenir, sans injustice, que l’acte de 1816 était
une transaction ; c ’est le seul motif qui ait pu autoriser la compensa
tion des dépens'. O r , celte conviction a dû résulter nécessairement
de ce que le tribunal reconnaissait q u ’il y avait eu transaction sur
des points litigieux q u e , d ’abord, il qualifiait autres; qu ’ensuite, il
reconnaissait s’appliquer aux prétentions de Canu. Mais c ’est évi
demment avouer q u ’en 181.6, il y avait, comme aujourd’hui, matière
à transaction ; et comment le tribunal n’a-t-il pas aperçu q u ’en se
refusant, à lui-même (tribunal de *81G) , le. droit de reconnaître,
dans l’acte , une véritable transaction , et de l’homologuer comme
te lle , alors que la loi lui en donnait le pouvoir, il faisait lui-m êm e,
sans le d ire, en i 836 , et 6ans en avoir le droit, une véritable tran
saction, pleine, toutefois, d’inconséquences ?
Mous ne pousserons pas plus loin cette discussion. C ’est déjà trop,
sans doute. Si quelque chose est respectable au monde, ce sont les
�— 51 —
actes des corps judiciaires lorsqu’ils sont faits dans les limites de leur
autorité, et environnés de toutes les solennités prescrites par la loi.
I c i , en 1 8 1 6 , des prétentions opposées faisaient pressentir une
lutte vive, animée, chanceuse; un mineur y était intéressé. Pour en
prévenir les dangers, il a réclamé l’autorisation de transiger; un
conseil de famille y a reconnu d ’incontestables avantages; trois ju
risconsultes , régulièrement com m is, en ont démontré l’utilité pour
le m ineur, et ont signalé le danger q u ’il y aurait pour lui à ne pas
le faire. Légalement éclairé, le tribunal a couvert de sa protection
tutélaire les intérêts du mineur, et l’a relevé de son incapacité. Ainsi
couvert de son autorité souveraine, ce contrat a reçu toute sa perfection ; il demeure donc inébranlable; et c ’est honorer à la fois la
justice et son ministère, que de prononcer la maintenue d ’une con
vention fait loyalement, en connaissance de cause et avec pleine li
berté , sous la foi de la législation qui nous régit.
**
»
Me DE VISSAC avocat.
Me V EYSSET, avoué-licencié.
RIOM, IMPRIMERIE DE E. T HIBAUD
�
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Title
A name given to the resource
Factums Godemel
Relation
A related resource
/files/factum-remarquables/BCU_Factums_G0301_0007.jpg
Description
An account of the resource
<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
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A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
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Title
A name given to the resource
[Factum. Gueston, Gilbert. 1836]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
De Vissac
Veysset
Subject
The topic of the resource
successions
partage
enfants naturels
coutume du Bourbonnais
exposition
abandon d'enfant
fausse identité
reconnaissance de paternité
transactions
partage
domestiques
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire pour Gilbert et Louis-Etienne Gueston, propriétaires ; Françoise Gueston, et Jean-Pourçain Causse, son mari, propriétaire et Docteur en médecine, appelans de jugement rendu par le tribunal civil de Moulins, le 28 avril 1836 ; contre Léonard Canu, Intimé.
Annotations manuscrites.
Table Godemel : Enfant naturel.
6. lorsqu’après la reconnaissance authentique d’un enfant naturel et le décès du reconnaissant, les héritiers légitimes de ce dernier ont confirmé la reconnaissance, dans un acte passé avec le tuteur autorisé par une délibération du conseil de famille, en admettant l’enfant naturel à l’exercice de ses droits, en cette qualité, dans la succession de leur père, et que, dans cet acte, qualifié transaction, après l’énumération de tous les biens de la succession, leur estimation, la composition de la masse, la liquidation et enfin, la détermination de la quotité revenant à l’enfant naturel avec évaluation d’une somme fixe, on lui abandonne une somme un peu plus forte pour le désintéresser plus complétement et pour tous les droits qu’il peut prétendre dans la succession du défunt ; cet acte bien qu’il ait été homologué en justice, à la diligence du tuteur, et sans contradiction doit-il être considéré comme vente de droits successifs et transaction, ou au contraire comme partage ?
l’enfant naturel après sa majorité, peut-il, en invoquant le véritable caractère de l’acte, s’il a réellement fait cesser l’indivision, et en excipant de ce que les formes prescrites par la loi, pour l’efficacité des partages avec des mineurs, n’ont pas été observées, en demander la nullité, ou la rescision pour cause de lésion, et conclure à un nouveau partage ?
peut-on lui opposer, comme fins de non-recevoir, l’autorité de la chose jugée, résultant, soit de la décision judiciaire qui avait homologué l’acte réglant à une somme fixe ses droits dans la succession de son père naturel ? soit du caractère et des effets de la transaction ayant eu pour objet de trancher, entre parties, des difficultés nombreuses sur la qualité du réclamant, sur le règlement de ses droits, sur les conséquences des libéralités et dispositions antérieures faites à son profit ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Imprimerie de E. Thibaud (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1836
1814-1836
1814-1830 : Restauration
1830-1848 : Monarchie de Juillet
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
51 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G2805
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Relation
A related resource
BCU_Factums_G2806
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/6/53561/BCU_Factums_G2805.jpg
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Le Montet (03183)
Moulins (03190)
Trévol (03290)
Sciauve (château de)
Salles (terre de)
Saint-Hilaire (03238)
Saint-Silvain-Bas-le-Roc (23240)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
abandon d'enfant
coutume du Bourbonnais
domestiques
enfants naturels
exposition
fausse identité
partage
reconnaissance de paternité
Successions
transactions
-
https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/original/6/53533/BCU_Factums_G2618.pdf
a6913de896476b92bc3405d7b1f26403
PDF Text
Text
%
M E M O IR E
A CONSULTER
ET CONSULTATION
�r
4M AmVÎ ^K4luutf(
A CONSULTER
ET CONSULTATION A w ‘
POUR
Les S rs P O Y A , RO M E, dame V e ABRAHAM
et consorts, héritiers ou légataires de l’estoc
paternel de J e a n - L o u is C a r r a u d d ’U r b i s e ,
CONTRE
Les enfans d’HÉLÈNE DUROIS, se disant fille
de J e a n - P i e r r e CARRAUD , frère du sieur
d ’URBISE.
f
L e 27 août 1 7 5 1 , une fille est exposée à la porte de l’hôpital
de la ville de RIOM : son extrait baptistaire la nomme simple
ment H é l è n e , sans désignation de père ni de mère.
Jean-Pierre Carraud, fils d’un conseiller en la sénéchaussée
de Riom, à qui on voudrait déférer la paternité, a contracté ma
riage, le 23 novembre 17 5 2 , avec Marguerite Mercier, issue
�( 3)
d’une riche et ancienne famille. On lit dans cet acte réglant
CiC«\ w«\ «lejirs conventions matrimoniales, les clauses suivantes :
((*Ë^fiiveur du présent mariage, ladite Mercier a donné cl
•»'*¿îiHin(î audit futur époux acceptant, par donation entre-vifs,
tous «les biens qui lui appartiennent présentement, meubles et
“ immeubles, desquels le futur époux fera la recherche comme*
« il avisera.
« En second lieu, la future se réserve, en cas de viduité, la
« jouissance et usufruit des biens donnés, et même la réversion,
« en cas de prédécès du futur époux sans enfan s.
« Ladite donation tiendra lieu au futur époux de gain de
« survie. »
Nulle mention de l’enfant prétendu né de leur commerce an
térieur.
Le mariage a duré trente ans. Pendant tout ce temps, nulle
reconnaissance, ni de la part de dame Mercier, ni de J.-I\ Car
ra ud.
Il importe de remarquer (et c’est ce qui rend le silence sur
Pélal de l’enfant plus étonnant), qu’il n’y en a point eu du mariage.
Hélène, âgée de vingt-huit ans, s’est mariée le 12 mai 1779 ,
à Martin Valleix, cultivateur, habitant le village d’Ardeyrolles,
*
paroisse de St-Pierre-lloche, distant de plusieurs lieues de la
ville de Riom. La future prend dans le contrat la simple qualité
d’Ui'xÙNE Üuuois, iille majeure, habitante du village de l\eyvialle, même paroisse.
Elle s’y constitue, d’elle-meme, divers objets mobiliers à son
usage, d’une très-mince valeurj la moitié d’un pré appelé Loche;
cl cinq quartelées de terre appelée la Clope, qu’elle a acquises,
est-il dit, par acte du jour d’hier, reçu le même notaire, moyen
nant la somme de 700 francs.
�( 3)
La vente de ces héritages peu considérables, avait eu lieu
en effet le 1 1 mai 1779 , veille du contrat de mariage, parm i
fondé de pouvoir du sieur Jean-Pierre Carraud, en faveur
d’Hélène; mais le sieur Carraud n’était point intervenu au
contrat de mariage et avait réellement consenti vente par un
fondé de pouvoir.
Jean-Pierre Carraud est décédé en 17 8 1. Nul écrit encore,
nulle parole, nul signe, même an dernier moment, dont on
puisse induire cjii’il ait jamais imaginé être le père de l’enfant
([u’on lui attribue aujourd’hui.
11 décède, et Hélène Dubois ne paraît pas pour recueillir sa
succession. C’est Jean-Louis Carraud d’Urbise, frère du défunl,
q ni se présente.
Ce frère répudie la succession par acte au greffe du 1 janvier
1783. Sur cette répudiation, la veuve, Mmc Mercier, fait nom
mer un curateur a la succession vacante. Jacques Labat est
nommé par procès-vcrbal du 7 du même mois de janvier.
Le 10 janvier, la veuve requiert l’apposition des scellés, et,
dans sa requête, elle expose que Jean -Louis Carraud d ’Urbise}
seul habile a succéder, a répudié la succession, etc., etc.
Elle demande et obtient, par sentence du 18 mars 17 8 3, de
la ci-devant sénéchausssée de liiom, la condamnation contre le
curateur du payement de scs reprises.
Des poursuites rigoureuses ont lieu au nom de la veuve, et
enfin vente et ajudication, toujours sur le curateur à la succes
sion vacante.
Jean-Louis Carraud d ’Urbise, qui avait répudié la succession
de son frère, est décédé aussi sans enfans, le 1 1 février 1783,
laissant aux collatéraux une succession considérable, dont la
propriété et remise sont réclamées aujourd’hui par les héritiers
�ou légataires de l’estoc paternel, et par les héritiers d’Hélène
Dubois.
A ce moment (en 1783) Mmc Mercier devait sans doute re
connaître l’état de sa fille, mais elle garde le silence.
Un procès s’entame; les poursuites sont suspendues. Le 10
Iructidor an 2, après plus de l\.o ans de silence, et i3 ans après
le décès de son mari, Mmo Mercier, alors octogénaire (aux temps
orageux de la révolution), déclare, dev ant notaire, (\\i Hélène
Dubois est sa fille et de Jean-Pierre Carraud, née du commerce
qu’ils avaient eu avant leur mariage ; c’est sur celle déclaration
([u Hélène Dubois a fondé sa métamorphose•, en voici les termes:
« Dame Mercier, veuve du sieur Pierre Carraud, habitant à
« lliom, reconnaît qu Hélène Dubois, femme à Martin Yalleix,
«■ cultivateur, du lieu cl’Ardeyrolles, commune de Saint-Pierreu IW he, est sa fille naturelle, née du commerce qu’elle avait eu
K avec ledit Pierre Carraud, avant leur mariage. Voulant lui
« rendre une existence légale et le droit de successibilité, aux
« termes de la loi du 12 brumaire an 2, elle déclare qn Hélène
« Dubois, baptisée le 17 aoiit 17 ^ 1, sous le nom Hélène,
(( nouvellement née et exposée, à minuit, à la porte de l’hô« pital de cette commune, sans billet, est la fille d’elle déela« rante et dudit Pierre Carraud, et la reconnaît pour telle; et
« même ledit Pierre Carraud lui a donné, en tout temps,' des
«• preuves de paternité, soit en fournissant à son éducation, en<( trelien, soit en lui constituant une dot lors de son contrat de
« mariage avec Martin Yalleix, le 12 mai 177g.»
Marguerite Mercier est décédée en l’an 8. Le 12 mai 1800, .
clic avait fait un testament portant différons legs à des ecclé
siastiques et à des serviteurs. Il n’est point question d'Hélène
Dubois. Six jours après, Marguerite Mercier fait encore un co-
�(5)
dicille. Elle nomme la dame de Frétât, sa belle-sœur, son
exécutrice testamentaire; mais elle garde le même silence sur
Ilclene.
La dame Mercier meurt; Ilélène assure qu’après son décès,
elle s’est mise en possession de sa succession sans aucun obstacle
de la famille Mercier : c’est ce qu’on ignore.
Hélène prétend aujourd’hui avoir également droit à la suc
cession de Jean-Louis Garraud d’Urbisc.
A la déclaration de l’an 2, elle réunit les présomptions résul
tant de l’acte de vente du 1 1 mai 1779, de son contrat de mariace.
et,/ au besoin, elle a offert la preuve de differens faits:
o /
cette preuve a été admise par un jugement du tribunal civil de
lliom, en date du 3o juillet 1828, conçu en ces termes :
« En ce qui touche les demandes en intervention des héri« tiers Home et Abraham, parties de Mcs Parry et Tailliand;
« Attendu qu’elles ne sont pas contestées et que ces parties
<' sont intéressées au jugement en contestation.
« En ce qui touche le fonds :
« Attendu que, dans les anciens principes et suivant la dé« crétale d’Alexandre III, cliap. 6, la légitimation des enfans
« nés avant le mariage s’opérait par la seule force du mariage,
« et qu’il n’était pas nécessaire, ainsi que l’enseigne Pothier,
« que le consentement du père et de la mère intervînt pour
« cette légitimation ;
« Attendu qu’il est déjà établi et prouvé, par l’acte notarié
c< du 2 fructidor an 2, que la dame Mercier avait mis au monde,
« quinze mois avant son mariage avec le sieur Garraud, une
« fille qui fut d’abord portée à l’hôpital, sous le nom d'H élène;
cc Attendu qu'il est constant que cette fille a succédé à la dame
« Mercier, veuve Garraud, sa mère, et que si la déclaration
�(c)
<< faite par cette dernière, dans l’acte de reconnaissance du
« ï fructidor an 2, qu’elle avait eii cet enfant du sieur Carraud,
« ne peut lier la famille du mari, ni même être regardée comme
« un commencement (le preuve par écrit; néanmoins la circons« tance du mariage qui a suivi, rend vraisemblable le fait allé« gué, que c’était le sieur Carraud qui était le père de l’enfant
« dont était accouchée ladite dame Mercier;
« Atlendu que ce fait deviendrait encore plus certain, s’il
» était vrai, ainsi que l’ajoute la dame Carraud, dans sa re
te connaissance, que les mois de nourrice furent payés par le
« sieur Carraud lui-meme, et que ce fut par scs soins que l’en« fant fut élevé et transporté dans un domaine à lui appar<< tenant, oh il a ensuite été marié par le sieur Carraud;
« Que toutes ccs circonstances sont graves et concordantes :
« Par ces motifs,
« Le tribunal reçoit les parties de Parry et Tailband inter« venantes, et, avant laii-e droit au fonds, ordonne que, par
ti devant M. Mandat, juge, les parties de llouher feront preuve,
« tant par titres que par témoins,
« i". Que Marguerite Mercier avait eu, avant son mariage,
« iin commerce charnel avec Jean-Pierre Carraud, et (pie de
« ce commerce était née Hélène, dite Dubois} du nom de la
« mère du sieur Carraud;
«
Que ladite Hélène Dubois passait publiquement dans
« Kiom pour être la fille de Jean-Pierre Carraud, et qu’elle a
« passé pour telle dans les lieux oh le sieur Carraud lui a fait
«■ passer sa jeunesse;
o 3°. Que c’est lui qui a payé les mois de la nourrice et lui
« avait recommandé cet enfant;
« /|°. Qu’après qu’elle fut sevrée, il la fit transporter dans
�(7)
« son domaine à Reyvialle, et chargea ses fermiers ou métayers
« de pourvoir îi sa subsistance et à son entretien, leur en four« uissant tous les Irais;
—
« 5°. Qu’il avait avoué dans diverses circonstances et devant
<f plusieurs personnes qu’il était le père de cette iille, et qu’il
« 1avait eue de la demoiselle Mercier avant son mariage;
« 6°. Enfin, (pie le sieur Carraud vint lui-même à Reyvialle
« pour régler les conditions du mariage d’Hélène-, qu’il lui donna
« des héritages pour composer sa dot, et que si l’acte fut coloré
« du nom de vente, il est certain qu’il n’en reçut pas le prix.
x Sauf la preuve contraire,
« Pour les enquêtes faites et rapportées, être statué ce qu’il
« appartiendra : tous moyens et dépens réservés. »
Un demande au conseil quel doit être devant la Cour de
Kioin le mérite et effet de ce jugement?
�(8)
CONSULTATION
TOUR
Les Héritiers ou Légataires de la ligne pater
nelle de J e a n - L o u is C a r r a u d d ’ U r r i s e .
I ue conseil soussigné,
Vu le dispositif d’un jugement rendu au tribunal civil de
Rioin, le 3o juillet 1828, contradictoirement entre les consullans, et les enfans d’Hélène Dubois, femme Yalleix, se disant
fille de Jean-Pierre Carraud, et en celte qualité héritière eu
partie dudit sieur Carraud d’Urbisc.
Par lequel jugement, ce tribunal se fondant sur une dér ré talc d’Alexandre III, chapitre V I, et les anciens principes
en matière de légitimation des enfans naturels par le ma
riage subséquent de leur père et mère naturels, a décidé qu’il
V* avait des présomptions suffisamment graves, précises et
concordantes pour décider qu’llélène Dubois, femme Vallcix,
est née en 17 /ïi, de la cohabitation supposée entre Jean-Pierre
Carraud et Marguerite Mercier, depuis unis en mariage (en
17Í)?.), sans avoir ni alors, ni pendant sa durée, reconnu la
dite paternité, et qu’il y avait lieu d’admettre la preuve de
la paternité dudit Jean-Pierre Carraud.
�(9)
Yu le Mémoire à Consulter, par lequel les héritiers et lé
gataires de Carraud-d’ Urbise, en contestant l’état que l’on at
tribue à Hélène Dubois, demandent si l’appel qu’ils ont inter
jette de ce jugement, devant la Cour de Riom, est bien fondé :
Est d’avis de l’affirmative;
Le Code civil, dans le titre de la Paternité et de la Filiation,
promulgué le 2 avril i 8o3, permet aux enfans nés de deux
individus, unis par le mariage, de demander à prouver par
témoins leur filiation contre les auteurs de leurs jours, lors
qu’ils ont été inscrits comme nés de père et mère inconnus,
ou sous de faux noms; mais, d’après l’article 3a3, la preuve;
ne peut être admise que lorsqu’il existe un commencement de
preuves par écrit, émané de celui dont on invoque la pater
nité, ou lorsque des présomptions ou indices résultans des faits
dès-lors constans, sont assez graves pour déterminer l’ad
mission.
L ’action en réclamation d’état est imprescriptible à l’égard
de l’enfant (art. 328); ainsi elle peut être exercée contre ses
parens décédés; l’action ne peut être intentée par les héritiers
de l’enfant qui n’a pas réclamé, qu’autant qu’il est décédé
mineur, ou dans les cinq années après sa majorité, ou qu’il
a commencé cette action, et qu’il n’a pas laissé trois années
sans poursuites, à compter du dernier acte de la procédure.
(Art. 329, 33o).
Voila pour les enfans nés de deux personnes unies par le
mariage. La présomption de droit P aler is est quem justœ nupliœ
demonstran!, les protège contre la suppression de leur état.
À l’égard des enfans nés des individus non mariés, la re
cherche de la paternité est interdite (art. 34o); ils ne sont
�( 10)
légitimés par le mariage subséquent de leurs père et mère,
qu’autant qu’ils sont formellement reconnus (art. 331).
Dans l’espèce, il paraît qu’llélène, avant sa mort, a intro
duit l’instance dont il s’agit, puisqu’aucune fin de non-recevoir
n’est opposée à ses héritiers; il est présumable toutefois, que
cette demande a été faite, depuis la promulgation du Code civil,
bien que nous ayons sous les yeux une consultation en faveur
d’Hélène, du iG ventôse an 10 , qui relate une opposition à
scellés de sa part, un procès-verbal de non conciliation, puis
une instance.
Ces premières poursuites ont du être interrompues pendant
au moins trois années, et dès-lors il faut en conclure que l’ac
tion a été introduite sous l’empire du Code civil.
Si ce point de fait est constant, la première question qui
se présente au fonds, est celle de savoir si cette action est
régie par le Code civil 011 par les lois antérieures.
Les lois n’ont pas d’eiïet rétroactif, en ce sens que celui
qui a un droit acquis au terme des lois, ne peut le perdre par
l’effet de la promulgation d’autres lois.
Hélène avait-elle à cette époque un droit acquis a se dire
enfant, soit légitime, soit même naturel du sieur Carraud?
non assurément-, son acte de naissance ne lui donnait aucun
droit; elle n’avait aucune possession d’état; elle n’avait formé
aucune demande en justice; ou, si elle en avait commencé
une, elle y a renoncé, en n’y donnant aucune suite depuis la
consultation du ^() ventôse an 10 (7 mars 1802).
C’est l'aimée suivante (en avril i 8o3) que fut promulguée la
loi qui défend la recherche tde la paternité.
Celte loi lut faite en vue de mettre fin à des scandales dont
la société et la morale avaient à souffrir, et à des décisions
�( IX)
toujours incertaines, où le mystère, dont le Créateur
a enveloppé la paternité, devait, dans la pensée de ses auteurs,
régir tous ceux qui n’avaient pas alors des droits acquis.
La loi ne distingue pas entre les enfans nés sous l’empire
des législations antérieures, et ceux nés depuis le Code civil.
La loi exige la reconnaissance du père, a dit M. Troncliet,
dans la séance du Conseil d’Etat du i 5 novembre 180 1 (24 bru
maire an 10), séance inédite, et que vient de publier M. Locré
(pag. 95 de sa Législation civile, t. v i.) « La loi l’exige, parce
« que le père seul peut juger si l’enfant lui appartient; or lors« qu’il n’a voulu le reconnaître, ni avant, ni au moment du
« m ariage, c’est une preuve qu’il doutait alors de la paternité. »
Dans la séance également inédite du 17 novembre 18 0 1, où
l’on discuta spécialement la question de la recherche de la pa
ternité, on fit l’observation que, si autrefois cette recherche
était admise à raison de la fréquentation d’une personne du
sexe, l’enfant naturel n’avait droit qu’à des alimens; qu’on doit
être plus sévère quand il s’agit d’attribuer à l’enfant naturel
des droits dans la famille; et qu’enfin la loi du 12 brumaire
an 2, si favorable aux enfans naturels, avait interdit la re
cherche de la paternité non avouée.
M. Troncliet fit la remarque qu’autrefois, une fille était libre
de faire tomber la paternité sur qui elle voulait, et qu’elle
choisissait ordinairement le plus riche de ceux qui l’avaient
fréqucntee; cette manœuvre était presque toujours heureuse;
cependant, dans la vérité, il restait des doutes sur la qualité
exclusive du père, et, indépendamment du danger d’admettre
une preuve aussi incertaine que la preuve testimoniale, c’était
donner trop de poids à la déclaration de la fille. ( V oy. pages
12 0 , 12 1) .
judiciaires
�M. Thibeaudcau ajouta que l’usage de cette action était au
trefois scandaleux et arbitraire: les lois qui y ont mis un terme
ont servi les mœurs. (Ibid, page 122).
Dans l’exposé des motifs de cette loi fait au Corps-Législatif
le 1 1 mars i 8o3, par M. Bigot-Préameneu, il s’exprime ainsi
(page 2 12 ) : Depuis long-temps, dans l’ancien régime, un cri
général s’était élevé contre les recherches de paternité; elles
exposaient les tribunaux aux débats les plus scandaleux, aux
jugemens les plus arbitraires, à la jurisprudence la plus va
riable; l’homme dont la conduite était la plus pure, celui
dont les cheveux avaient blanchi dans l’exercice de toutes les
vertus, n’étaient point à l’abri de l’attaque d’une femme im
pudente, ou d’enfans qui lui étaient étrangers; ce genre de
calomnie laissait toujours des traces affligeantes. »
Ici, l’orateur invoque la prohibition de la loi de l’an 2. «Dans
la loi proposée, ajoute-t-il, celle sage disposition qui interdit
les recherches (le la palernile cl elc* m aintenue; elle ne pourra
jamais être établie contre le père (pie par sa propre recon
naissance, et encore faudra-t-il pour que les familles soient
à cet égard à l’abri de toutes surprises, que celte reconnais
sance ait été laite par acte authentique, ou par l’acte même
de naissance. »
Le tribun Lahary, dans son llapport au tribunal, du 19 mars
8o3, après avoir rappelé tous les débats rapportés dans les
auses célèbres, s’écriait : « Llle cessera enfin celle lutte scan
daleuse et trop funeste aux mœurs; la recherche de la paterternité est interdite.» 11 invoquait aussi l’opinion émise par
le consul Cambacérès, dans le Discours préliminaire à son
projet du Code civil. (l*ag. 2G7 et 268.)
Le tribun Duveyrier, dans le Discours qu’il prononça au
�0 3 )
nom du trilwnat, devant le Corps-Législatif, dans la séance
du 3 mars i 8o3, s’élevait aussi contre l’admission de la re
cherche de paternité.
« On convenait, dit-il (pag. 3 i 8), que la nature avait cou« vert la paternité d’un voile impénétrable $ on convenait que
« le mariage était établi pour montrer, à défaut du signe na« turel, cette,paternité mystérieuse; et c’était précisément hors
« du mariage, qu’on prétendait percer le mystère et découvrir
« la paternité.
« Ces procès étaient la honte de la justice et la désolation
« de la société. Les présomptions, les indices, les conjectures
« étaient érigées en preuves et l’arbitraire en principe.«
Yoilà les égaremens auxquels la loi du 12 brumaire an 2
avait déjà remédié par des mesures efficaces, et que la légis
lation de i 8o3, à une majorité de 2 16 voix contre G, a proscrits
pour toujours. Et c’est 2^ ans après la promulgation d’une loi
aussi sage, que le tribunal de l\iom a admis cette scandaleuse
recherche, sous prétexte de l’existence des anciens principes
et sur la foi de la décrétale d’un pape qui n’a jamais joui de laulorité législative en France!
On se fonde sur un droit acquis, quand il est évident
qu’il n’en existe aucun; on transforme l’action qui eût pu être
exercée par Hélène Dubois, avant la loi de l’an 2, en 1111 droit
sur lequel ni cette loi de l’an 2, ni le Code civil, ne peuvent
avoir d’iniluence sans encourir le reproche de rétroactivité.
Mais les lois (pii déterminent la recevabilité des actions,
saisissent à l’instant même de leur-' promulgation ceux qui
pouvaient avoir droit de les exercer.
M. M erlin, dans scs additions au Nouveau Répertoire>
/. xvi 3 v° E ffet rétroactifsection 3 , agite celte question : Si
�( *4)
toute loi nouvelle, qui ne rétroagit pas expressément, est, par
cela seul, inapplicable à tout ce qui s’est passé avant le mo
ment de sa promulgation et à tout ce qui existe en ce moment.
Le principe de la non-rétroactivité repose sur la garantie due
aux membres de la société contre les caprices du législateur,
pour l’empêcher, soit de violer leur sûreté individuelle, en les
faisant punir aujourd’hui à raison dit fait d’hier, qui n’était pas
défendu, soit d’attenter à leur propriété en les dépouillant de
biens 011 de droits qu’ils avaient acquis sous le nom de lois pré
cédentes; 011 chercherait vainement ailleurs le motif de ce
grand principe. Il faut donc, pour qu’il y ait rétroactivité dans
le sens du Code civil, le concours de deux conditions: la pre
mière, que la loi revienne sur le passé et le change; la seconde,
qu’elle y revienne et le change au préjudice des personnes qui
sont l’objet de scs dispositions.
Telles sont les limites du principe de non-rétroactivité, et ou
voit de suite qu’ils ne s’appliquent pas à l’action des héritiers
$ Hélène.
D’une part, celle-ci ne trouvait pas, dans les anciennes lois,
de texte qui lui garantît le droit de rechercher le mystère de la
paternité*, en sorte qu’un tribunal qui eût rejet té son action,
n’eût pas encouru la cassation. Elle n’avait donc aucun droit
absolu, c’e st-à -d ire , garanti par la loi. La décrétale d’A
lexandre III, quand même elle serait une loi de notre patrie, ne
statue pas sur la légitimation par mariage subséquent. Elle
suppose la reconnaissance de la paternité. Il s’en faut qu’elle, ni
aucune loi d’origine ecclésiastique, autorise cette recherche.
L ’admission de ces actions tenait au pouvoir arbitraire, que
s’attribuaient alors les tribunaux, en l’abscncc de lois écrites;
et l’erreur qui avait entraîné les tribunaux ne pouvait pas se
�( i 5)
justifier. Car, si d'un côte, une femme délaissée et un enfant
abandonné inspirent de l’intérêt, de l’autre c’était une entre
prise téméraire cpie de vouloir percer le mystère de la pater
nité, et d’attribuer, par jugement, à un homme, un enfant qu’il
savait n’être pas le sien. L ’erreur, en pareil cas, était déplo
rable et de nature à soulever les honnêtes gens.
Ainsi, en premier lieu, Hélène n’avait pas de droit pour re
chercher la preuve d’un fait de paternité improuvable et qu’au
cune loi ne l’autorisait à attribuer au sieur Carraud.
D’autre part, elle n’avait pas de droit acquis en vertu des
concessions imprudentes de l’ancienne jurisprudence, lorsque
les lois de l’an 2 et de i 8o3 sont venues fixer un principe si
important dans l’ordre social 5 puisque long-temps après sa ma
jorité elle n’a pas réclamé, et pendant qu’elle pouvait agir;
puisqu’au décès de son père putatif, en 17 8 1 et depuis, elle a
gardé le silence, quoiqu’elle eut droit à la succession, si elle est
ce quelle prétend.
*
Son silence est d’autant plus inexplicable, que la reconnais
sance de maternité faite à son profit, le i 5 fructidor an 2 ,
sous l’empire de la loi du 12 brumaire precedent, la conviait a
rechercher la paternité, au moins dans les limites établies par
cette loi.
Au décès de sa mère naturelle, en 1800, elle a élevé des
prétentions; elle a su qu’une loi était proposée pour régler
l’état des enl'ans naturels; elle a laissé promulguer cette loi
(celle du i/f. iloréal an 1 1 ) sans régulariser son action; elle a
laissé également promulguer le Code civil, dont la prohibition
absolue devait détruire toutes ses espérances; et l’on prétend
encore quelle pouvait dormir en sécurité sur la foi de ses droits
�( IÔ)
acquisj quand aucun droit ne lui était reconnu dans le sens
qu’on prétend aujourd’hui l’exercer!
La loi 7, au Code de Legibus, dit que les constitutions don
nent la forme et l’existence aux affaires futures, mais non aux
faits consommés*, non ad facta p ne teri la revocariy à moins que
le législateur n’y statue spécialement, nisi nominatim et de
prœterito tempore et adliuc pendentibus negotiis cautuni sit.
Il
est évident qu’il n’y avait rien d’accompli ni de consommé
dans l’état d’Hélène, avant la promulgation du Code civil; qu’au
contraire cet état était incertain; que, par conséquent, c’était
une affaire pendante, adhuc pendentibus negotiis.
Maintenant, il sera facile de démontrer que, non-seulement
cette affaire a été soumise à l’empire du Code civil, j>ar cela
seul qu’elle était pendante, mais encore que, par deux lois spé
ciales, elle a été expressément soumise à l’empire des lois suc
cessivement promulguées sur l’état des enfans naturels.
Le décret du 1 2 brumaire an 2 .^ 2 novembre 179 3), par son
article I er, admet les enfans nés hors mariage, et alors eæistans
aux successions de leur père et mere, ouvertes depuis le i/j
juillet 1789. Comme il leur conférait un droit d’hérédité supé
rieur à la quotité admise par les lois antérieures, il y avait ré
troactivité, puisque le sort de ces successions était définitivement
fixé par le décès de leurs auteurs. Aussi la partie rétroactive
de celte loi fut-elle bientôt rapportée (loi du i 5 thermidor an 4,
1 août 1796) mais le principe relatif à la question d’état reste
intact, et la preuve que le droit à établir une filiation laissée in
certaine par l’acte de naissance, n’était pas régi par les lois
existantes à cette époque, quoiqu’il prenne sa source dans la
naissance, c’est que l’article 8 dit : » Pour être admis à l’exercice
« des droits ci-dessus dans la succession de leur père décédé,
�if y V
(*7)
« les enfans, nés liors du mariage, sont tenus de prouver leur
« possession d’état. Cette preuve ne pourra résulter que de
<f la représentation d’écrits publics et privés du père, ou de la
« suite des soins donnés à titre de paternité et sans interruption,
« tant à leur entretien qu’à leur éducation: la même disposition
« aura lieu pour la succession de la mère. »
C’est ce mode restrictif de preuve que l’on appèle la prohibi
tion de la recherche de la paternité, autre que celle avouée par
des actes directs ou indirects. Voyez l’arrêt de la Cour de cas
sation, du 3 ventôse an 10 , sur le rapport de M. Rupérou, pré
sident M. Malleville. (Sirey, 3 -- i ~ i 85, et le Recueil pério
dique de M . D alloz, vol. 1791^ l ’an in , première partie, p. 60G.
Cet arrêt décide positivement et après une discussion solen
nelle, que la loi du 12 brumaire n’a pas seulement réglé les
droits héréditaires des enfans naturels, mais aussi leur état.
C’est de cet article qu’on est parti, quand on a rédigé le Code
civil*, on voit par le projet, que la recherche de la paternité,
autre que la paternité avouée, avait été proposée pour être in
terdite. Le Code civil n’admet pas, comme la loi de l’an 2 , la
preuve de filiation résultant des soins donnés et des écrits pri
vés-, mais à part la forme de la preuve, à l’une comme h l’autre
époque, le législateur s’est cru autorisé à régler la filiation des
enfans alors vivans, qui n’avaient pas obtenu la reconnaissance
de la paternité et de la maternité. Et la preuve, sans réplique,
que telle fut la volonté du législateur, se trouve dans le décret
d’ordre du jour du 4 pluviôse an 2 (23 janvier 17 9 4 ), ainsi
conçu :
« La convention nationale après avoir entendu le rapport de
« son comité de législation sur la pétition de la citoyenne Ber« trand, tendant à ce qu’il soit rendu un décret qui autorise les
3
»
�( 18)
«
«
«
«
«
tribunaux à juger définitivement les procès en déclaration de
paternité, dans lesquels la preuve testimoniale a été ordonnée et faite antérieurement aux lois nouvelles sur les enfants nés hors mariage, passe à l’ordre du jour motivé sur ce
que les lois n’ont pas d’eiFet rétroactif. »
En exerçant l’action en déclaration de paternité et en se
faisant admettre h la preuve, dans les formes admises antérieu
rement à la loi du i :ï brumaire, la pétitionnaire avait réelle
ment un droit acquis, dont elle ne pouvait plus être dépouillée,
qu'autant que la loi nouvelle aurait formellement aimullé ces
procédures et les aurait mises au néant; iiisi nomhialim et adluic
pendentibus negotiis. C’est en effet ce qu’on aurait pu soutenir,
en vertu de l’article 17 de la loi de brumaire; mais cet article
s’appliquait, non à la question d’état, mais au mode de partage
des successions.
Du reste, il résulte Irès-évidcmment de ce décret, d’ordre du
jour, que la loi du ta brumaire a saisi tous les enfans naturels,
qui n’avaient pas formé encore de demandes en déclaration de
paternité, dans l’état oii ils se trouvaient, et les a soumis à
son empire. L ’article <8 ne laisse aucun doute sur sa généralité,
et son applicabilité a l’espèce, puisqu’il s’occupe expressément
de la recherche de la paternité à l’égard des individus alors dé
cédés, et la succession de Jean-Pierre Carraud se trouvait dans
ce cas, puisqu'il est décédé eu 17 8 1.
Or, à cette époque, Hélène n’avait introduit aucune action en
justice, ni contre son père supposé, ni même contre sa mère;
celle-ci ne l’a reconnue qu’en fructidor de la même année.
Cette reconnaissance est, sans doute valide à l’égard de la
mere, quoiqu'elle n’ait pas été passée chez l’ofiieier de l’etat
civil, puisqu’elle a été passée en forme authentique, et que
�( I9 )
l’arrêté du Directoire, du 12 ventôse an 5, n’a proposé l’annullation que des reconnaissances sous signature privée. Le
rejet de cet arrêté, prononcé par le conseil des anciens, le 12
thermidor an 6 (3o juillet 1798), laisse même à penser qu’une
reconnaissance privée, conforme à l’article 8 de la loi du 12
brumaire, a sufli jusqu’au Code civil de i 8o3. Au reste, la re
connaissance de la mère n’a pas été attaquée comme émanant
d’une personne qui avait perdu l’exercice de sa volonté (elle
avait 80 ans), et qui avait cédé à la crainte d’un procès scan
daleux; mais elle n’a aucun effet relativement à la succession
du père, à cause du mystère de la paternité.
La loi du 13 brumaire rejette la preuve de fréquentation de
la mère, et 11’admct comme preuve de paternité qu’un aveu
formel, ou une suite de soins non interrompus, donnés à titre
de paternité, tant à l’entretien qu’à l’éducation de l’enfant na
turel.
Si nous avions à examiner le jugement du 3o juillet 1828,
dans ses rapports avec la loi du 12 brumaire, nous dirions que
le tribunal a erré en autorisant Hélène ou ses héritiers à
prouver le commerce charnel du sieur Carraud avec Margue
rite Mercier, à l’époque de la conception de l’enfant, puisque
ce genre de recherche, si arbitraire et si scandaleux, est for
mellement interdit par la loi du 12 brumaire, ainsi que l’a jugé
l’arret déjà cité de la Cour de cassation, du 3 ventôse an 10.
Sous ce premier rapport, il devrait être nécessairement réformé.
Ce même jugement admet, comme deuxième chef à prouver
la commune renommée, sur les rapports de paternité qui pa
raissaient exister entre Hélène et Carraud, ce qui est encore
une extension donnée a la rl. 8 de la loi de brumaire.
En troisième lieu, le tribunal admet à la preuve d’aveux ver
�H
c
(2°)
baux émanés du père, tandis que la loi de brumaire exige des
aveux écrits, publics ou privés.
En cpiatrième lieu, quant à la preuve des soins ou des frais
d’entretien et d’éducation, le tribunal ne s’explique pas sur la
circonstance de la non-interruption, ce qui était un point capital
sous l’empire de la loi de brumaire.
Si ce genre de preuve était admis par la Cour royale de
Kiom, les consul “ans seraient donc autorisés à se pourvoir en
violation de l’art. 8 de la loi du 12 brumaire an 2, qui, comme
l’a observé M. Bigot-Préameneu, dans son Discours législatif,
(page 2 1 3), a réglé tout le passé.
Quant à l’avenir, a-t-ilajouté, « l’état et les droits des enfans
« naturels, dont le père et la mère étaient encore cxistans lors
« de la promulgation du Code civil, il fut statué qu’ils seraient
« en tous points réglés par les dispositions de ce Code, et que
« néanmoins, en cas de mort de la mère avant la promulgation,
« la reconnaissance du pere, laite devant un officier public,
(t suffirait pour constater l’état de ces erifans. »
Telle est en effet la disposition de l’art. 1 1 de la loi ; il
est clair que ce décret statuait aussi bien sur l’état que sur
les droits successifs des enfans nés hors mariage, et les pre
nait dans l’état ou il les trouvait.
Il
est aussi singulièrement à remarquer, (pic le décret de
brumaire, en autorisant la preuve de la filiation par des écrits,
même privés, émanés du père, ou par les soins non interrompus
donnés à 1’enfant, lui refusait expressément tout droit dans la
succession des pareils collatéraux; en sorte qu’011 n’aurait pu
s’autoriser des anciens principes sur la légitimation tacite par
mariage subséqnent, pour prétendre à ces successions dès qu’il
existe une disposition prohibitive dans la loi.
�L ’article q est ainsi conçu :
u Les enfans nés hors du mariage, dont la filiation sera
« prouvée de la manière qui vient d’être déterminée par l’ar« ticle 8, ne pourront prétendre aucun droit dans les succes« sions de leurs parens collatéraux, ouvertes depuis le i!\ juillet
« 1789 ’, mais, à compter de ce jour, il y aura successibilité ré« ciproque entre eux et leurs parens collatéraux, à défaut d'hét< ritiers directs. »
A insi, malgré la faveur avec laquelle le législateur de cette
époque traitait les enfans naturels, il ne voulait pas que, par
un genre de preuve si incertain de paternité, ces enfans eussent
les m êm es droits que ceux nés dans le mariage; surtout il n’a
pas voulu qu’ils vinssent dans les successions collatérales ou
vertes avant la promulgation de sc.r décret du 12 brumaire,
et c’est ce que décide virtuellement la loi du i 5 thermidor an 4
(2 août 1796), dont l’article 4 est ainsi conçu: « Le droit de
« successibilité réciproque entre les enfans liés hors le mariage
« et leurs parens collatéraux, et celui donné à ces enfans et
« leurs descendans, de représenter leur père et mère, n’auront
« d’effet que par le décès de ces derniers, postérieurement à la
« publication de la loi du 4 jnin 179^?
seulement sur les suc« cessions ouvertes depuis la publication de celle du 12 bru
maire. »
Or, la succession Carraud d’Urbise, frère du père putatif
d’IIélène, s’est ouverte depuis 1783.
Quant à la question de rétroactivité, le législateur a si bien
cru que l’état des enfans existans, dont le sort n’était pas fixé,
serait réglé par les lois à venir, que par l’art. 10 de celle du
12 brumaire, il a voulu, non - seulement que la quotité de
leurs droits successifs, mais que leur état fut réglé par un Gode
it
�civil qui n’était pas fait, et qui n’a été promulgué que dix ans
après; de telle sorte que les droits de ces enfans ont été sus
pendus pendant cet intervalle; et c’est en vertu de cette dis
position, déjà exhorbitante, que la Cour de cassation, par ses
arrêts des 21 juin 1 8 1 5 (affaire Lanclière) et 12 avril 1820
(affaire Salomon), a annullé des reconnaissances de paternité,
dans des cas non prohibés par les lois de la naissance des enfans et qui l’étaient devenus par les nouvelles. ( Voy. le Recueil
périodique de M . Dalloz} vol. 1820, i re partie, pag. 4o6.)
Venons à la loi du 14 floréal an 1 1 (4 mai i 8o3), contempo
raine du Code civil. On y lit, article i cr, que l’état et les droits
des enfans nés hors mariage, dont les père et mère sont morts
depuis la promulgation de la loi du 12 brumaire an 2 jusqu’à
la promulgation du Code civil, sont réglés par ce Code.
Dans le système contraire à celui que nous soutenons, il y
aurait donc encore ici rétroactivité, non-seulement en matière
de succession, mais en matière lYétat, puisque les droits des en
fans nés hors mariage, avant la promulgation du Code civil,
sont, par un acte de puissance absolue, places sous la règle
établie parce Code, tandis qu’ils devraient l’être par les lois in
termédiaires.
Le reproche, en effet, serait fondé, surtout sous le rapport
successif, si la loi de brumaire an 2, n’avait pas elle-même averti
tous les Français que leur succesion serait régie par la loi alors
en projet.
Quant à Yctal de ces enfans, nul reproche de rétroactivité ne
peut être imputé au législateur, puisque cet état n’étant pas en
core détermine par jugement ou transaction, il n’y avait pas
droit acquis.
�( a3)
Voyons maintenant l’objection soulevée par M. Merlin, loco
cilatOj sect. 3, art. 7, n° 3, oii il examine spécialement ce qu’il
faut penser de la rétroactivité des lois, dans le cas de paternité
ou filiation naturelle.
« Les qualités de père et d’enfant naturel (dit ce jurisconsulte,
page 235), lorsqu’elles sont établies par des preuves que la loi
reconnaît, produisent en faveur de l’enfant, une action pour se
faire donner des alimens par son père; et comme cette action a
son fondement dans le droit naturel, il est évident que, dès
qu’une fois elle est acquise, une loi postérieure peut bien en
étendre ou en resserrer les effets, soit quant à leur quantum, soit
quant à leur durée, mais non pas la détruire complètement.
Ce que la loi ne peut faire directement à cet égard, peut-elle le
faire, et est-elle jamais censée le faire indirectement? En d’au
tres termes, lorsqu’à une loi qui admettait l’enfant naturel à
prouver sa filiation, soit par témoins, soit par des présomptions
plus ou moins graves, succède une loi qui exige des preuves
d’un autre genre, celle-ci est-elle applicable aux enfans naturels
qui sont nés avant celle-là?
« D’après ce que nous venons de dire sur le mode de preuve
du mariage ou de la filiation légitime, la négative ne paraît pas
douteuse. »
Ici M. Merlin élève une doctrine en opposition manifeste avec
l’art. 8 de la loi du 12 brumaire an 2,/ et avec l’art. i crde
celle
♦
du i4 fi°i'éal an 1 1 ; car ces lois n’ont fait autre chose que
statuer sur le mode de preuve de filiation des enfans nés hors
mariage, existans lors de leur promulgation.
Le décret d’ordre du jour de l’an 2 prouve clairement que
ne sont exceptés des dispositions de la loi, que ceux qui avaient
�ic o
(4)
antérieurement formé leur action selon les lois et la jurispru
dence existantes.
Que prétend donc M. Merlin, quand il veut que l’enfant
soit admis, apparemment d’après la loi existante, au moment de
sa naissance, à prouver sa filiation ?
Si les hommes étaient ainsi régis par les lois qui gouvernent
le pays, au moment où ils ouvrent leur carrière, sans que les lois
postérieures puissent régler un état non encore assis, le législa
teur serait impuissant pour déterminer l’ordre de la société et
réprimer les abus.
Que la prestation des alimens soit de droit naturel, lorsque
l’état est constaté, rien de plus juste; mais qu’il soit de droit
naturel de prouver le mystère de la paternité par la seule fré
quentation de la mère, ou par des actes que la charité seule a
pu motiver, voilà ce qu’on ne prouvera jamais. C’est parce que
la paternité est un mystère, que la loi a sagement voulu qu’elle
ne pût résulter que d’un aveu authentique du père, et qu’elle
a proscrit l’arbitraire des présomptions.
M. Merlin argumente des principes qui régissent les enfans nés dans le mariage; mais le fait du mariage est un fait
public, d’oii résulte la présomption de paternité. Cette pré
somption, le mari a voulu la subir et elle n’a rien de déraison
nable; il n’y a pas d’incertitude sur le père, quand la femme
n’est pas accusée d’avoir fréquenté un autre que son mari.
La filiation des enfans nés dans le mariage repose donc pré
cisément sur le principe opposé au concubinage; la femme,
dans ce cas, étant libre, il n’y a pas de raison d’attribuer la pa
ternité à l’un plutôt qu’à L’autre.
31. Merlin a été si embarassé qu’il a commencé par dire: Ces
qualités de père et d’enfant naturel, lorsqu'elles sont établies par
�1
( , 5)
des preuves (pie la loi reconnaît, etc. Oui, sans doute, quand elles
sont établies, le législateur ne peut plus, par des lois posté
rieures, remettre l’état en question-, il ne peut que régler la
qualité du droit héréditaire dans les successions non ouvertes.
Mais lorsque ces qualités ne sont pas établies au profit de
l’enfant naturel, dans les formes voulues par les lois, lorsque
par conséquent, il n’existe pas de droits acquis, la loi nouvelle
saisit l’individu qui n’a pas fait constater sa qualité, dans l’état
ou il se trouve; et telle est l’opinion du célèbre publiciste et ju
risconsulte d’Amsterdam, Meyer, auteur du savant et profond
ouvrage sur les Institutions judiciaires des principaux pays de
l’Europe, dans ses Questions transitoires. (Pag. •206 et 207.)
Ses raisons sont, que l’action en déclaration de paternité n’é
tait pas, pour les enl’ans naturels, la suite nécessaire d’un événe
ment antérieur à la loi (pii la prohibe, lorsqu’elle n’est pas fondée
sur la reconnaissance formelle et par écrit du père; qu’elle pou
vait être intentée ou abandonnée au gré des intéressés; qu’elle
dépendait d’un jugement incertain en soi, sans lequel la de
mande aurait été comme non avenue; qu’elle ne peut donc être
considérée comme un droit acquis irrévocablement, à moins (pie
celte action ne soit déjà intentée} que l’intention formelle et po
sitive du demandeur se soit ainsi manifestée, et qu’elle 11e soit
devenue sa propriété irrévocable.
Nous ne connaissons pas l’opinion de Meyer autrement (pie
par ce quen rapporte 31. Merlin. Celui-ci prétend que, dans la
page 94, Meyer ne conteste pas le principe que, sur l’admissi
bilité de tel ou tel mode de preuve d’un fait, il n’y ait pas à
consulter d’autres lois que celles du temps oii le fait s’est passé.
S ’il ne le conteste pas formellement, nous 11e voyons pas qu’il
l’admette; il faudrait avoir le texte sous les yeux pour s’assurer
4
�(a6)
que la contradiction reprochée par M. Merlin à Meyer, existe
réellement.
Quoi qu’il en soit, voyons les raisonnemens que M. Merlin
oppose au passage très-formel de M. Meyer sur la non-rétroac
tivité des lois, au fait dont il s’agit.
« Quel est l’objet direct de l’action en déclaration de pater« nité?C’est principalement, c’est même uniquement, dansbeau« coup de pays, de faire déclarer le père assujetti à l’obligation
« de fournir des alimens à l’enfant qui lui devait le jour.
« Cette obligation, et par conséquent l’action tendante à en
« faire déclarer l’existence, sont-elles la suite nécessaire de la
« conception de l’enfant? Comment ne le seraient-elles pas?
« Nourrir l’enfant à qui on a donné l’être, jusqu’à ce qu’il puisse
« se procurer à lui-même sa subsistance, c’est la première dette
« de la nature; et elle lient tellement à l’essence de la pater« nité, que les animaux e u x - mêmes mettent à s’en acquitter
<( une sollicitude qui leur fait oublier leur propre conservation
« et braver tous les périls. »
Nous répondons : Sans contredit, c’est le premier devoir d un
homme, quand il a donné le jour à un enfant, de reconnaître
sa paternité, et de subir les obligations qu’elle lui impose; mais
si sa conviction intime repousse cette paternité; si, sachant qu’il
n’a existé aucun lien charnel entre lui et la mère, il refuse de
reconnaître celle paternité, et de prendre aux yeux de la société
une responsabilité morale, qui ne sera pas sans influence sur
son avenir, sur le bonheur et les droits d’une épouse délicate et
d enlans parfaitement légitimes, dira-t-on qu’ici le droit naturel
soit pour quelque chose? Et si une loi intervient, qui, pour laire
cesser 1 abus de la recherche de paternités aussi aventureuses,
prohibe la preuve de la seule fréquentation ou la preuve par
�6« !
( 27 )
témoins, quel droit naturel aura été violé? Le législateur aurat-il fait autre chose qu’user d’un droit légitime?
De quoi auront à se plaindre, la mère naturelle qui, pendant
la minorité de son enfant, ou l’enfant lui-même qui, depuis sa
majorité, n’auront pas invoqué la licence du genre de preuve
autorisé par une jurisprudence mensongère, abusive et scan
daleuse, si on les repousse en leur disant: La recherche de pa
ternité, entre personnes libres, est interdite, hors les cas parti
culiers spécifiés dans la loi-, ces cas sont précisément ceux oii il
y a un fait public, comme le rapt équivalent à un mariage
légal.
« Qu’importe, dit 31. Merlin, que cette action puisse être
« intentée ou abandonnée, au gré des intéressés ? De ce que je
« puis renoncer à une action, s’ensuit-il que ce n’est qu’en Fin
it tentant que j ’acquiers le droit de la poursuivre ? »
Oui, sans doute, quand la filiation est un fait plus qu incer
tain-, si on ne le prouve pas selon la forme admise par les lois,
on perd le droit qu’elle donnerait si elle était prouvée.
Deux arrêts de la Cour de cassation, des G juin 1820 et
12 juin 18 25, ont proclamé en principe: « Les lois qui règlent
« l’état des personnes, a dit le premier, saisissent l’individu
« au moment même de leur émission, et le rendent, dès ce mo« ment, capable ou incapable, selon leur détermination. Les
« lois qui régissent la capacité civile des personnes, a répété le
« second, saisissent l’individu et ont effet du jour de leur pro« mulgation. » En cela, elles n’ont aucun effet rétroactif, parce
(pie l’état civil des personnes étant subordonné à l’intérêt
public, il est au pouvoir du législateur de le changer ou de
le modifier, scion les besoins de la société.
M. Merlin pense que ces principes pèchent par trop de géne-
o
�te a
(>8)
ralité. Sans doute, si on les appliquait à des droits acquis par
transaction, jugement ou par action légalement intentée, avant
la loi nouvelle, à cause de la maxime : Qui liabet actionem ad
rem recuperandam, ipsam rem habere videtur.
Mais ces principes s’appliquent évidemment à un état de
meuré incertain.
M. Merlin lui même le concède :
Lorsqu'il s’agit d ’une action que la loi m’accorde par pure
faveur, et a titre de simple faculté.
Telle est bien la recherche de la paternité, hors mariage,
puisqu’il n’y a rien de plus incertain sans l’aveu volontaire du
père; et la preuve que c’était une faveur exhorbitante, ou plutôt
un abus de l’ancienne jurisprudence, c’est qu’aucune loi n’avait
consacré le principe de cette action, et que la Convention, au
moment mémo oh elle appelait les enfans naturels aux mêmes
droits que les enfans legitimes, a réglé le mode de preuve tant
pour le passé, que pour l’avenir, en prohibant la recherche de
la paternité, ailleurs que. dans les actes écrits du père, ou dans
•les faits personnels de lui à l’enfant, en rejetant les preuves
de fréquentation de la mère, etc., etc.
Au surplus, dit M. Merlin, notre question n’en est pas une
pour la France. Le législateur l’a tranchée lui-même de la ma
nière que je l’ai expliqué dans des conclusions du 9 novembre
1809, rapportées au § -x de l’art. Légitimité de 111011 Recueil des
Questions de Droit.
En se reportant surtout à l’arrêt intervenu, au rapport de
M. Cochard, le 9 novembre 1809, on voit que la Cour de cassa
tion n’a approuvé ni désapprouvé la doctrine que Fauteur des
Questions avait professée dans ce long réquisitoire.
�6 o^
( 29 )
Ce savant magistrat a prétendu alors, qu’il fallait distinguer
dans l’état des enfans nés liors mariage, ceux dont les pères
étaient décédés sous l’empire de la loi du 12 brumaire, ceux
dont les pères étaient décédés dans l’intervalle du décret du 4
juin 1793 au 12 brumaire, et ceux qui étaient décédés avant
1793. À l’égard des premiers, il dit qu’on était en droit d’exiger
d’eux une preuve authentique de l’aveu de paternité, bien que
l’art. 8 de la loi du 12 brumaire se contente d’une reconnais
sance privée. Comme on le voit, c’est la reproduction du sys
tème exposé par le ministre de la justice, dans son Rapport au
Directoire, lé 1 3 ventôse an 5, système rejeté par le conseil des
anciens, le 12 thermidor an 6. Ce rejet n’a pas convaincu
31. Merlin de son erreur, il n’en persiste pas moins à soutenir
(pie lui seul a bien interprété la loi.
L ’art. 8 du décret du 12 brumaire an 2, statue sur la preuve
de filiation des enfans dont les pères étaient décédés, sans dis
tinction entre ceux qui étaient décédés avant ou depuis le
decret du 4 J l,iu 1 7d3- Cela n’empêche pas 31. Merlin de sou
tenir sa distinction, et de prétendre que la preuve de la filia
tion, pour les premiers, pouvait encore se faire par la fré
quentation de la mère, en 1111 mot, par la voie scandaleuse
de la recherche indéfinie, tandis que la loi dit expressément
le contraire.
On sait que 31. 3Ierlin avait un rare talent pour soutenir
des griefs de ce genre, à l’aide d’une argumentation très-subtile*,
en discutant ainsi, il se fondait sur ce qu’autrement, la loi du
t 2 brumaire aurait eu 1111 effet rétroactif trop étendu. 3Iais,
soit qu’il s’agisse de pères décédés sous l’empire du décret du
4 juin 179^5 soit qu il s agisse d individus décédés auparavant,
l’effet rétroactif serait le même, si réellement la loi était ré-
%
�(3o)
Iroactive, quand elle règle l’état encore incertain d’individus
nés hors mariage.
L ’article 8, de la loi de brumaire an a, a fait cesser un abus
de jurisprudence qui n’aurait pas dû exister, et qui n’existait
pas partout. C’est donc une loi déclaratoire, plutôt qu’innovatoire. Elle disposait sur une matière non réglée, et il est de
principe que les lois qui statuent ainsi, ne sont jamais censées
rétroagir, puisqu’elles n’enlèvent pas de droits acquis. Les droits
acquis 11e sont que ceux qui sont garantis par des lois expresses.
On peut, il est vrai, appuyer l’opinion de M. Merlin d’un arrêt
rendu le 14 thermidor an 8; mais des arrêts aussi anciens ont
peu d’autorité aujourd’hui, surtout lorsqu’ils se trouvent contre
dits par des arrêts postérieurs, tels que ceux des 3 ventôse an
10, 26 mars 180G, 6 juin 18 10 , 12 juin i 8 i 5.
La manière tranchante dont est terminé le § 3 de l’art. 8,
sect. 3, de la Dissertation de M. Merlin, qui va jusqu’à dire
que la question agitée ne fait plus de doute, parce cjue le légis^lateur l’avait tranchée de la manière qu’il avait dite, ne doit
donc pas en imposer à ceux qui veulent se reporter aux preuves.
Au reste, les tribunaux se sont plus d’une fois écartés de
l’opinion de M. Merlin; l’ascendant qu’il exerçait par sa logique
et sa science a cessé depuis long-temps, et l’on n’examine plus
aujourd’hui que ses preuves.
Il
a soutenu, dans une Note additionnelle à ses Questions de
Droit, v° Testament, § G, pag. 2G9, que depuis le Code civil, il
n’y avait pas de doute sur ce que le testament mystique, nul
pour défaut de formes, ne pouvait valoir comme testament ologiaphe; mais malgré cette assertion, la chambre des requêtes
de la Cour de cassation, par arrêt du u3 décembre, rapporté
�6II
(30
dans la Gazette des Tribunaux, a rejette le pourvoi des héri
tiers Gauthey, sans délibérer.
On pourrait citer beaucoup d’autres exemples, non pour éta
blir que l’opinion de ce grand jurisconsulte est de peu de poids,
mais pour prouver que, comme un autre, il paye tribut à l’er
reur, et que ses opinions doivent être appréciées d’après la na
ture des argumens et non d’après l’autorité de son nom.
Au reste, même dans l’opinion de M. Merlin, la latitude de
preuve admise par l’ancien droit, pour la filiation des enfans
nés hors mariage, tenait à ce qu’il ne pouvait leur être accordé
que des alimens; du moment qu’on veut établir cette filiation
pour obtenir des droits d’hérédité et même de légitimité, nonseulement dans la succession du père supposé, mais encore dans
celle des parens collatéraux, des actions de cette nature doivent
être assujetties à la rigueur des formes introduites par les lois
postérieures.
Or,rllélène est décédée; elle n’a donc plus besoin d’aliinens*,
ce qu’on réclame aujourd’hui, de son chef, est la succession de
Jean-Louis Carraud d’Urbise, frère de celui dont la paternité
est recherchée. L ’action dont il s’agit est repoussée, quant au
fonds, par le texte formel de l’art, g de la loi du 12 brumaire
an 2 et par l’art. 4 de la loi spéciale du i 5 thermidor an 4*Quant
a la forme, cette action a été successivement régie par l’art. 8
de la loi de brumaire an 2, par l’art. 1 " de celle du 14 floréal
an 1 1 , et par la prohibition absolue du Code civil.
Les héritiers d’Hélène, fussent-ils recevables dans leur ac
tion et fondés dans leur revendication, d’après la jurisprudence
antérieure aux lois de 17 9 3, resterait a examiner si réellement
Hélène, après avoir prouvé quelle était enfant naturel du sieur
�Uo
( 3. )
Jean - Pierre Carraud, se serait trouvée légitimée, de plein
droit, par le mariage subséquent de ses père et mère.
On invoque encore sur ce point les anciens principes et la
dccrétalc d’Alexandre III. Il est bien vrai que, d’après une opi
nion généralement adoptée, le mariage subséquent des père et
mère d’un enfant naturel, avait pour effet de le légitimer; mais
il fallait certaines formalités, telles que de passer sous le poêle 3
s’il n’y avait eu une reconnaissance antérieure. Voilà ce qui
fut exposé au Conseil d’Etat, dans la séance du i 5 novembre
18 0 1, et ce qui lit rejeter la proposition d’admettre la légiti
mation tacite, ou par reconnaissance postérieure au mariage.
La décrétale d’Alexandre III, qui d’ailleurs est une loi étran
gère, ainsi que Potliier le reconnaît, 11c dit pas que le mariage
aura pour effet de légitimer des enfans naturels, non reconnus
comme tels : c’eut été singulièrement encourager le concubinage,
et accorder une prime à une chose qui était déjà de pure fa
veur, puisque la légitimation par le mariage subséquent, intro
duite dans la législation par Constantin, restreinte par Zénon,
rétablie par la Novelle X IX de Justinien, a toujours été con
sidérée comme faveur.
Potliier dit, il est vrai, que la légitimation s’opère par la
seule lin du mariage, sans que le consentement des père et
mère soit exprimé; mais il ajoute en parlant de l’inutilité de la
cérémonie du poêle: « Quelle n’est pas nécessaire, lorsque
<r les époux les ont reconnus pour leurs enfans, de quelqu’autre
» manière que soit, soit avant, soit depuis leur mariage; en un
« mot, lorsque ces enfans peuvent, de quelque manière que ce
a soit, justifier leur état. »
Potliier ne dit pas «pie, pour jouir de la faveur de la légi-
�(jl'S
(33)
timation, on peut faire un procès en reconnaissance de pater
nité, mais seulement qu’il fallait justifier d’une reconnaissance
de cet état.
Nous ne connaissons aucune décision judiciaire qui ait fa
vorisé les bâtards, au point d’ajouter au scandale de la recherche
d’une paternité toujours incertaine, celui de leur attribuer tous
les honneurs de la légitimité. C’eût été un moyen d’éluder les
lois du temps, qui, de l’aveu de M. Merlin, ne leur accordaient
d’action que pour leur assurer des alimens.
Ce serait créer un moyen d’éluder les prohibitions des lois
de l’an 2 et de l’an 4, dans ce qu’elles ont de salutaire, pour
empêcher les enfans naturels de revendiquer des droits de suc
cession dans les familles collatérales; ce serait renverser tous
les principes de moralité et d’ordre social.
Dès que l’action des héritiers d’Hélène a ce but, elle doit être
proscrite d’autant plus fortement.
Nous n’avons pas relevé, dans le cours de cette discussion, la
circonstance que l’action n’a été intentée que long-temps après
la mort du père, et que les consultans sont fondés à repousser
une calomnie; que le père supposé, loin de vouloir reconnaître
cet enfant, a fait des dispositions qui excluent toute idée de pa
ternité.
Nous n’avons pas, non plus, relevé la bizarrerie qu’il y a d’ad
mettre aujourd’hui, sur une déclaration faite par une femme
octogénaire, dans un temps oh la terreur devait paralyser toute
résistance de sa part, l’application de la maxime : Credilur
virgini.
* !À
�(34)
Mais nous disons avec une grande conviction, que le tri
bunal de Riom, par son jugement du 3o juillet 1828, a faus
sement appliqué la décrétale d’Alexandre III, et les anciens
principes sur la légitimation par mariage subséquent; qu’il a
violé l’art. 8 de la loi du 12 brumaire an 2, applicable aux re
cherches de paternité dirigées contre ceux qui étaient décédés
sous l’empire des lois antérieures, l’art. 9 de cette loi et l’art. 4
de celle de l’an 4 5 qui défendent l’admission de ces actions ten
dantes à attribuer des droits aux enfans naturels dans la suc
cession des parens collatéraux ;
Que, d’ailleurs, la question est régie par le Code civil; qu’ap
pliquer ce Code à une action née sous son empire, pour un état
non fixé auparavant, et ou il n’existait pas de droit acquis, sera
ne pas violer le principe de la non-rétroactivité des lois et faire
au contraire une juste application de ces lois, de l’art. 1 cr de
celle du 14 floréal an 1 1 , du décret d’ordre du jour du 4 plu
viôse an 2, de l’art. 8 de la loi du 12 brumaire an 2, et des
principes fixés par les arrêts de la Cour de cassation, de l’an
10 , de 1806, de 1 81 0 et 1 8 1 5, précités.
Délibéré à Paris, ce 28 décembre 1828, par les avocats au
Conseil du Roi, et a la Cour de cassation, soussignés:
IS A M B E R T , H E N N E Q U IN , D A L L O Z .
C L E R M O N T-F E R R A N D , DE I.’ IM P R IM E R IE . DE J . - J . V A I S S I E R E ,
rue des G ras, n* 15, maison boisson . 1820.
�
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Title
A name given to the resource
Factums Godemel
Relation
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/files/factum-remarquables/BCU_Factums_G0301_0007.jpg
Description
An account of the resource
<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
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Title
A name given to the resource
[Factum. Poya. 1829]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Isambert
Hennequin
Dalloz
Subject
The topic of the resource
abandon d'enfant
renonciation à succession
successions
estoc
successions collatérales
enfants naturels
testaments
reconnaissance de paternité
conflit de lois
recherche de paternité
loi du 10 novembre 1803 (travaux préparatoires de la)
rétroactivité de la loi
doctrine
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire à consulter et consultation pour les Sieurs Poya, Rome, dame veuve Abraham et consorts, héritiers ou légataires de l'estoc paternel de Jean-Louis Carraud d'Urbise, contre Les enfans d'Hélène Dubois, se disant fille de Jean-Pierre Carraud, frère du sieur d'Urbise.
Annotations manuscrites. « 19 février 1829, arrêt infirmatif en audience solennelle. Journal des audiences, 1829, p. 337 ? »
[suivi de] Consultation pour les héritiers ou légataires de la ligne paternelle de Jean-Louis Carraud d'Urbise.
Table Godemel : Enfant naturel : 5. l’enfant naturel, né en 1751, baptisé sans désignation de père ni de mère, mais produisant, plus tard, une reconnaissance émanée de sa mère, sans en rapporter une de son père putatif, peut-il prétendre qu’il a été légitimé de plein droit, par le mariage subséquent de ce dernier avec sa mère ?
pour réclamer les effets d’une pareille légitimation n’est-il pas nécessaire de prouver la filiation antérieure au mariage ?
les dispositions des lois romaines sur cette matière s’appliquant à des mœurs et à des usages qui rendaient d’ailleurs, inutile toute reconnaissance, peuvent-elles être invoquées ?
a défaut de la cérémonie du poêle, qui sous l’ancienne législation, tenait lieu, en France, de reconnaissance des enfants nés avant le mariage, et qui était tombée en désuétude, doit-on chercher des éléments de décision dans la jurisprudence antérieure aux lois intermédiaires et au code civil ?
l’ancienne jurisprudence ne présentant, en l’absence d’une loi positive sur la matière, que variation et contradiction, ne doit-elle pas être regardée comme inapplicable ?
ne doit-il pas en être de même de la loi du 12 brumaire an 2, et de celles qui l’ont suivie, quant à son exécution, soit en ce que cette loi de brumaire n’avait trait qu’aux enfants naturels existant alors et agissant en réclamation de paternité ou de maternité contre un individu pris isolément, soit en ce qu’elle n’admettait que le droit de prétendre aux successions ouvertes depuis 1789 ?
n’est-ce pas le cas, au milieu de cette incertitude, et s’agissant de déférer la paternité à un individu décédé en 1781, de recourir au principe consacré par l’article 331 du code civil, considéré, sur ce point, comme l’expression d’une raison générale ?
tout effet rétroactif ne doit-il pas cesser, dès le moment qu’il est reconnu que l’enfant naturel n’avait aucun droit acquis, au moment de la publication du code civil ?
si, dans tous les cas, l’ancienne jurisprudence pouvait être invoquée pour l’enfant naturel, soit à raison de sa naissance (1751), soit à raison du décès de son père putatif (1781), ne devait-il pas alors s’appuyer sur des commencements de preuve par écrit, sur des indices et présomptions graves établissant sa filiation, et rendant admissible la preuve des faits articulés ?
spécialement, pourrait-on admettre, sous l’empire du code civil, une recherche de paternité, à l’occasion d’une naissance arrivée en 1751, et de la part des héritiers de celle qui ayant intérêt à l’existence de cette paternité, ne rapporte aucune reconnaissance, aucun écrit de son père putatif, et qui n’a elle-même intenté son action en réclamation qu’en 1802, c’est-à-dire 51 ans après sa naissance et 21 ans après le décès du père putatif ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
De l'imprimerie de J.-J. Vaissière (Clermont-Ferrand)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1829
1751-1829
1716-1774 : Règne de Louis XV
1774-1789 : Règne de Louis XVI -Fin de l’Ancien Régime
1789-1799 : Révolution
1799-1804 : Consulat
1804-1814 : 1er Empire
1814-1830 : Restauration
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
34 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G2618
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Riom (63300)
Saint-Pierre-Roche (63386)
Ardeyrolles (village de)
Reyvialle (village de)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
Relation
A related resource
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abandon d'enfant
conflit de lois
doctrine
enfants naturels
estoc
loi du 10 novembre 1803 (travaux préparatoires de la)
Recherche de paternité
reconnaissance de paternité
renonciation à succession
rétroactivité de la loi
Successions
successions collatérales
testaments
-
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MEMOIRE
EN
P O U R le sieur
Ju lien
RÉPONSE,
J O U V A I N R O U X , propriétaire,
en qualité de père et légitime administrateur de
C
l a u d i n e
- F
JO U V A IN R O U X ,
l a v i e
sa f i l l e,
intim é
.
.
i •
CONTRE
1
~
L e sieur L o ui s L E G R O I N G j chevalier de ju stic e
de l ' Ordre de Saint-Jean de Jérusalem , chevalier
de l ' Ordre royal et
militaire de S a in t-L o u is
appelant.
sieur Jean -B aptiste, comte L e g r o i n g , maître
d ’une fortune q u ’il ne tenait p o i n t de sa fam ille,
L
e
n ’ayant pour héritiers naturels que des collatéraux,
a fa it, le 24 décembre 1 8 1 6 , un te s ta m e n t olographe.
�( 2 )
Ce testament contient une institution d ’héritier en
faveur de Claudine-Flavie Jouvainroux, alors âgée de
cinq ans. Ce jeune enfant est chargée de payer à sa
mère une pension viagère de 800 f r . , et de lui laisser
la jouissance de quelque mobilier.
Le testateur ne se borne point à remplir les forma
lités exigées par l ’article 970 du Code civil, pour
assurer la validité de ses dispositions ; toutes les pages
de son testament sont encore numérotées et signées par
l u i } il le met sous enveloppe 7 le cachète au sceau de
ses arm es, et écrit : « Ceci est mon testament olo« graphe,
déposé de confiance entre les mains de
]\ï- E spiaiasse „ n o taire- ro y a l, à C le r m o n t. — C e 2 4
« novembre
f8 i 6
». Il signe cette suscription.
Le sieur Legroing décède en août 18 17. Pendant
ces huit mois de survie > non seulement il ne montre
aucun regret, mais encore, le 17 mai suivant, il ac
quiert, au profit, de Claudine-Flavie Jouvainroux, une
propriété assez considérable j et bientôt après, craignant
que. ses volontés ne fussent pas pleinement exécutées,
il passe à cet enfant l ’ordre de différentes lettres de
changes dues par le chevalier, son frère.
Il était difficile de penser que ce testament serait
attaqué; jamais, en effet, la volonté d’un testateur
11’avait été plus régulièrement manifestée \ jamais l ’in
tention de persister- dans des dispositions faites avec
liberté, m’était re^sor^ d ’actes austsi positifs.
Aussi, aaidécC'S du comte, l’on put remarquer un
�( 3 5
contraste assez frappant dans la conduite de ses héri
tiers naturels.
i
L a dame chanoinesse Legroing, sa sœur, et le che
valier, son frère, étaient également appelés à lui suc
céder ab intestat. L a sœur a respecté les volontés
du comte : quoique réduite à une fortune modique ,
si on la met en comparaison avec celle du chevalier,
elle a pensé qu’il ne lui convenait pas de s’associer à
ce dernier, pour outrager la mémoire de celui q u ’elle
avait l ’habitude de respecter} elle a voulu conserver
intact l ’honneur de la fam ille, et ne point s’exposer
à rougir d ’une augmentation de fortune, q u ’elle n ’au
rait pu essayer d ’o b ten ir, qu ’en méprisant une vo
lonté qui lui -était con n ue, et en élevant une voix
sacrilège pour insulter aux mânes de son frère.
L e chevalier, au contraire, célibataire, comblé de
richesses, a cru devoir , dans l ’intérêt de la morale
publique ( \ ) , et pour resserrer les liens de la société
et d e s fa m ille s , attaquer ce testament, q u i, suivant
lu i, prouve Valiénation mentale ou Vabrutissement
de Vauteur. U n mémoire de 58 pages, signé par le
chevalier, distribué en première instance avec profusion
et sans nécessité, devait apprendre au public que le
comte, réputé par tous pour homme d ’ honneur, d’une
probité austère } sur dans ses principes, ami c h a u d ,
citoyen écla iré} sujet f i d è l e , était devenu l ’esclave
( i) T o u t ce qui est en caractères italiques est textuellem ent extrait
du Mémoire du chevalier.
�C4 )
d ’iine
f il l e
de
p e in e
cVune servante sans éducation ,
et qui ne possédait aucun des charmes de son sexe y
que , sexagénaire et malade j ce débile amant, dont
des attaques réitérées d ’apoplexie avaient paralysé
une partie de la bouche, et affaibli les ja m b e s, avait
cédé à la captation et à la suggestionne sa concubine
(qu i avait déjà, en sa faveur, un premier testament
authentique, du 28 avril 1807), pour écrire un tes
tament olographe, qui fait passer sa succession, à qui? à
Claudiue-Flavie Jouvainroux, enfant âgée de cinq ans,
que le chevalier suppose être la personne interposée
de sa mère.
Jouvainroux avait épousé F r a n
çoise Boudon. Cet homme adroit et rusé 3 convoite
Ma i s le sieur J u l ie n
les trésors de son maître j i l est le père p u ta tif
d ’une f i l l e q u ’il a eue de son mariage $ i l V instruit à
em ployer toutes les ruses qu i peuvent toucher un
'Vieillard im bécille ; et comme i l 11 avait ja m a is eu
personnellement aucune espèce de crédit sur l ’esprit
de son m aître, q u ’il mangeait même toujours à la
cuisine (1), et que la femme, en changeant de véteteuiens et d ’état} en se form ant une société nouvelle ,
en négligeant son maître et le laissant dans un état
d ’abandon 3 dont tous les voisins étaient indignés, en
fa isa n t des dettes } suite du lu x e auquel elle se l i
vra itj et qui excédait ses moyens a c tu e ls, avait in
disposé le comte qui manifestait sa colère par des
(1) Conclusions signifiées.
�( 5 )
im précations f o r t énergiques et q u ï l répétait avec
fo r c e ; Jouvainroux q u i, en outre, s’apercevait depuis
quelques tems que le com te L eg roin g tém oignait de
l ’hum eur et de la colère contre la m ère, q u ’il résistait
peut-être à fa ir e un testament en sa fa v e u r , lu i f i t
entendre q u ’il valait mieux faire porter le legs uni
versel sur sa fille que sur elle.
Mais A P R È S L E T E S T A M E N T O L O G R A P H E , JUSf/u’ ail décès
du co m te , on ne v o it p lu s q u ’ horreurs , menaces et
mauvais traitemens de la part de Jouvainroux............
d ’où le chevalier, induit que la violence a été jointe à
la captation et à la suggestion, pour arracher à la
faiblesse du comte, la disposition'testamentaire dont
il s’agit.
Il faut convenir que l ’a t t a q u e d u c hevalier ne p o u
vait présenter aucun m otif de crainte à l ’héritière d u
comte; les idées de captation et de suggestion , non
seulement devenaient invraisemblables , mais encore
s’évanouissaient entièrement, si on voulait les appli
quer à Jouvainroux et à son épouse; il était même
avoué que l ’un et l’autre avaient perdu toute leur
influence sur l ’esprit du testateur; de manière que la
captation et la suggestion étant reconnues l ’ouvrage
d ’un enfant de c i n q ans_, il était peu dangereux de ne
pas repondre aux plaintes du chevalier à cet égard.
Que dire également d ’actes de violences exercés après
le testam ent? N ’était-il pas é v i d e n t , d ’une part,
q u ’ils ne pouvaient être
impuiés à
Claudine-F lavie
Jouvainroux, seule partie dans la cause; et de l’autre,
�s’ils eussent existé, loin d ’être propres à obtenir les
dispositions testamentaires du comte, ne devaient-ils
pas, au contraire, le porter à les révoquer ou à les
anéantir ?
L e chevalier disait encore qüe le testament de son
frère était l ’ouvrage de la haine et de la colère ; mais
le rapprochement de différens passages de son Mémoire
prouvait que le comte et le chevalier, d ’un caractère
absolument opposé, ne pouvaient avoir une vive affec
tion l ’un pour l ’autre. L e com te, sur dans ses prin
cip es, alliant l'honneur à la fie r té } avait cru devoir
s ’expatrier et suivre le sort de nos princes. Il était
rentré dans sa p a t r i e ; mais sa s a n té é ta it a lté r é e 3 et
son humeur changée , ce qui était sans doute l'effet
d e ses longs voya g es, de ses souffrances, et des pertes
q u ’il avait éprouvées.
Le chevalier , au contraire , moins sûr dans ses
principes , tenant moins à d ’anciens souvenirs , et
appréciant mieux les avantages de la fortu n e, avait
rendu le fo j't Saint-Ange au conquérant de M alte. I l
suivit le vainqueur en E g y p te, et rentra en France
avec des cap itaux considérables , débris d'un service
a c t if et de ses spéculations maritimes, à l ’aide desquels
il acheta à son profit une partie des biens qui avaient
appartenu à sa fam ille, et se créa une existence plus
douce et plus indépendante que celle q u ’il pouvait
espérer avant la révolution.
'
‘
Cette différence de principes devait éloigner les
deux frères. L e comte no manifestait contre le chevn-
�( 7 )
lier ni Haine ni colère ; mais sa froideur et son indiffé
r e n c e , lorsqu’il en était question , pouvaient facilement
faire deviner quel sentiment il lui inspirait........
Ainsi le Mémoire du chevalier apprenait tout ce
qu’il était nécessaire de savoir pour apprécier sa de
mande : aussi le p u b lic , ses amis même l’avaient jugce.
avant qu ’elle fût présentée au tribunal de Clermont.
Il était dès-lors inutile d ’ajouter à ce que le sieur
Legroing avait écrit ; on pouvait, par reconnaissance,
ne pas lui demander compte de certains principes
légèrement avancés , et lui faire remise du ton de
supériorité et d’audace qu ’il avait pris clans sa défense j
dédaigner ses outrages, et mépriser même ses calomnies.
Le chevalier fut laissé à lui-même, l ’héritière du comte
garcla le silence,, et le t es t a m e n t f u t conf irmé.
Mais sur appel, le sieur Legroing réunit tons, ses,
moyens et renouvelle ses efforts. Il a fait un voyage à
Paris : il y a obtenu une consultation signée de cinq
jurisconsultes, qui lu i permettent d ’espérer de faire
annuller le jugement de Clermont. Fort de ces suffrages,
le chevalier jouit déjà de son triomphe, et il ne re, connaît pour amis que ceux qui le complimenlent à
l’avance sur le gain futur de son procès.
Il faut détruire cette illusion : l ’intérêt de la léga
taire du comte Legroing lui impose a u j o u r d ’ h u i le
devoir de publier sa défense. E lle aurait v o u l u ne point
rompre le silence j mais déjà sa r é s e r v e est présentée
comme l ’effet de la crainte. Ne
pouvant
plus se taire
sans d a n g e r, elle expliquera du moins avec modération
�( 8 )
es circonstances et les moyens de sa cause. Forte de
son d r o it , c’est au magistrat seul qu ’elle prétend
s’adresser. E lle doit dédaigner les vains efforts de l ’in
trigue, et mépriser les passions de certaines coteries,
q u ’à défaut d ’autres moyens le chevalier cherche à
exciter, et appelle à son aide.
/
F A IT S.
L e sieur comte Legroing avait épousé la dame
Demadeau; elle lui porta une grande fortune, et lui
assura des reprises considérables en cas de survie.
L e c o m te émi gr a : tous le§ biens provenus de son
père furent soumissionnés et ven d u s, de manière qu ’à
son retour de l ’émigration, qui eut lieu en 1804, il
ne lui restait d’autres ressources que de faire liquider
les reprises q u ’il avait sur la succession de la dame
son épouse. Ces reprises, réunies à quelques sommes
peu considérables provenues de la succession de sa
mère, composent toute la fortune du comte.
A u retour de l ’émigration, le comte Legroing vint
dans la maison paternelle : l ’état de sa santé exjgeait
un service continuel 5 sa mère, qui l ’ a v ai t a c c u e illi avec
bonté, le confia aux soins de Françoise B ou d on , dont
les qualités lui étaient oonnuesj depuis, cette do
mestique ne l ’a plus quitté.
Le chevalier était à Malte en 1798 : il rendit le
fort Saint-Ange, où. il avait l’ honneur de commanderj
«’embarqua sur l’escadre du vainqueur 5 assista à
�( 9 )
l ’expédition d ’E g y p t e , et revint en France comblé des
dons de la fortune, et honoré secrètement, d it-o n , de
la faveur de son nouveau maître.
Dès leur première entrevue, les deux frères purent
se juger*, le comte Legroing crut s’apercevoir que le
chevalier s’éloignait un peu des principes q u ’il jugeait
ne pouvoir être abandonnés sans d é s h o n n e u r - , il v it,
sans l ’envier, mais peut-être avec pein e, l ’état d ’opu
lence de son frère. On apercevait, en effet, dans leur
position , un contraste si p a rfa it, qu ’il eût été difficile
de deviner q u ’ils avaient servi sous les mêmes dra
peaux, et combattu pour la même cause.
Le chevalier, de son c ô té , pouvait par fois être
blessé de la fierté de son frère. Au tems où il vivait,
sa fidélité à ses anciens
souvenirs d e v a i t ¿-tonner celui
qui savait avec art se plier aux circonstances.
Le
comte n’était plus q u ’un censeur chagrin et incommode :
le chevalier dut s’en éloigner et ne plus penser q u ’à
utiliser les capitaux que son séjour chez Vétranger et
un service a c tif lui avaient procuré.
L e chevalier s’entremit dans les affaires de la fa
mille : il est inutile d ’examiner s’il agit dans ses in
térêts ou dans celui de ses proches ; mais l ’on doit
remarquer que cette circonstance ne fit q u ’augmenter
le refroidissement des deux frères, et que bientôt ils
cessèrent de se rechercher et de se voir.
Le comte avait pris un logement particulier5 il y
habita pendant trois ans : b o r n é à la société intime
de quelques personnes, il ne s o r t a i t de sa maison que
�pour rendre fréquemment ses devoirs, à sa respectable
mère.
Cependant la santé du comte était altérée; son
état d ’infirmité l ’alarmait. Dans cette position, il
crut, devoir disposer de ses biens : en conséquence, il
f[t, le 8 avril 1807, un testament par acte public;,
[)ar lequel il donna à Françoise B oudon, sa. gouver
nante, la propriété de tous les biens meubles et im
meubles dont il mourrait vêtu, et saisi. Ce-testam ent,
très-régulier en sa forme, fut
reçu par Me Cailhe ,
notaire R io m , en présence de quatre témoins.
Cependant le comte sentait la nécessité de se pro
curer q u e l q u e s distract ions et de se créer un genre de
v.ie plus conforme à ses goûts. Il fut se fixer à» Clerm o n t ,. où il avait beaucoup de connaissances , et
çomptait. quelques amis; il y fréquenta plusieurs
maisons quix l ’accueillirent avec égards et am itié , et
fi.tj ijienje long-tems partie d’une société connue à
Çlermont sous la dénomination de Salon delà Poterne.
lin 1 8 1 1 , Frajiçoise Boudon fut recherchée en
niftriçtge«par Julien Jouvainroux; cet homme, né dans
u»p classeï industrieuse et utile de la. société, était
alo^s sacrjstajn,de; latcathédrale; la surveillance et la
conservation, des orneinens et des trésors de l ’église
lui étaient confiées; son honnêteté, sa fidélité à remplir
ses devoirs, et ses vertus modestes lui avaient concilié
l’estime et; la., confiance des ecclésiastiques dont il
dépendait, d e:mnnièrc que le comte Legroing dut voir
avec satisfaction) une union
qui
lui promettait de
�( lï )
nouveàux secours, et q u i , d ’ailleurs, était devenue
indispensable.
L e mariage est du 17 septembre 18 11. ClaudineFlavie Jouvainroux est née le 4 mars 1 8 1 2 , et a été
présentée à l ’officier de l ’état civil par son père, qui
a signé son acte de naissance.
Cette enfant devint bientôt l ’objet de l'affection du
comte. La douce symphatie qui existe entre l ’enfance '
et la vieillesse, les rendit nécessaires l ’un à l ’autre ;
les jeux et les caresses de Flavie charmaient les ennuis
et calmaient les souffrances du vieillard. Les petits
cadeaux et les empressemens de ce dernier captivaient
h. leur tour la légèreté de l ’enfant, qui ne quittait
plus .ton bon ami y le séclitisait à ehacjue instant dll
jour par de nouvellés preuves d ’attachem ent, se joi
gnait h ceux qui lüi prodiguaient des secours, et
appaisait, par ses énipressemeris et ses innocentes pré
venances , les plaintes et les emportemens que la
douleur pouvait lui arracher. C ’est ainsi que Flavie
devint, par les qualités aimables de son âge, si chère
au comte Legroing, q u ’il l’a présentait comme son
héritière à tous ses amis et îi toutes ses connaissances;
ne dissimulait ni l’attachemént q u ’il avait pour elle,
ni la sollicitude dont elle était l ’objet, et ne se plai
gnait des pertes q u ’il avait éprouvées et des dépenses
que nécessitait son état de maladie, q iic parce q u ’il
craignait ne pouvoir assurer à c e t t e enfant une existence
aussi douce qu ’il l ’aurait désiré.
Le testament du comte est du 24 décembre 181G.
�( 13 )
Claudine-Flavie est la seule personne qui occupe sa
pensce; il l ’institue son héritière universelle, et ne
lui impose d ’autre charge que celle de payer à sa
mère une pension alimentaire de 800 francs, et de
lui laisser la jouissance de quelque m obilier; i l ré
voque, au r e s t e t o u s testamens anciens, et même
tous codicilles.
Ainsi l ’institution d ’héritier, de 1807, est complète
ment anéantie, et Françoise Boudon ne reçoit, dans
ce dernier testament, que la récompense due à ses
longs servicesL a forme de ce testament est également remarquable.
L article 970 du Gode civil fuit dépendre la v a l i d i t é
des testamens olographes de l ’accomplissement de for
malités extrêmement simples; la disposition, la signa
tu re, et la date écrite de la main du testateur, sont
les trois seules choses nécessaires et exigées; mais le
comte Legroin g, se complaisant dans son ouvrage, et
voulant donner à sa volonté un caractère d’authenticité
qui lui fut propre, ajoute à la volonté de la lo i; ainsi
toutes les pages de son testament seront numérotées et
signées par lui ; cet acte se trouvera sous une enveloppe
cachetée au sceau des armes du testateur, et déposé
dans l ’étude d ’un notaire, avec cette suscription datée
et signee: « Ceci est mon testament, déposé de confiance
« entre les mains de M. Espinasse, notaire royal à
« Clerm ont-Ferrand, le 2/, décembre 181G. »
La suggestion et la captation, sur-tout la violence,
exigent-elles des soins aussi minutieux pour la coufec-
�9 3
( .3 )
tion des actes arrachés aux malheureùx q u ’elles dé
pouillent...... ? Non : presque toujours la contrainte sé
décèle par l ’omission de quelques formalités essen
tielles.
Mais poursuivons : ce testament n ’était q u ’un acte
de précaution. L e comte Legroing, familiarisé avec
ses m aux, et accoutumé à souffrir, espérait encore
vivre assez long-tems pour assurer la fortuné de son
héritière de prédilection, en réalisant en immeubles
les capitaux q u ’il lui destinait 5 il paraît même que
ce projet aurait été promptement *et pleinement exé
cuté , si le comte avait encore vécu quelques années ,
et si, sur-tout, il eût pu être certain de la rentrée
prochaine cle fonds considérables prêtés avec générosité
mais dont le recouvrement devenait
difficile.
L e 17 mai 1 8 1 7 , c’est-à-dire, cinq mois après le
testament olographe, déposé chez Me Espinasse , le
comte L e g ro in g , Julien Jouvainroux et Françoise
Boudon, son épouse, stipulant pour F la v ie , le u r f ille ,
acquièrent de Marien C ou steix, différens immeubles
situés a Laroche-Blanche, moyennant la somme de
33 ,Goo francs. Cet acte assure ¿1 F la vie la nue pro
p riété de ces im m eubles, moyennant 20,000 fr a n c s/
le comte doit en avoir la jouissance ¿a vie durant ;
et le p r ix de cet usufruit entre dans la vcnie pour
1 3 , 6 oo francs.
Cet acte manifeste bien é v i d e m m e n t la volonté il il
comte. Comment résister aux inductions qui s’en
déduisent naturellement? D ’abord on no cl ira point
‘v
�0 4 )
q u ’il a été arraché par la suggestion, la captation ou
la violence. L a nature de l ’acte repousse.cette idée;
ensuite, s’il n ’eut pas été consenti librem ent, Jouvainroux et sa femme seraient seuls acquéreurs ; ils
n ’auraient point acquis pou r le compte de F la v ie , et
M. Legroing ne se serait pas réservé Vusufruit des biens
compris dans cette acquisition.
Il est évident que la même voloulé qui avait dicté
le testament du 24 décembre, a présidé à la- vente
du 17 m ai; le comte Legroing ne fait rien dans les
intérêts de Jouvainroux et de son épouse; il acquiert
pour J^lavie 3 leur f i l l e . Dans ses intentions, l ’ u s u f r u i t
des biens ne d o it p o i n t leur a p p a r t e n i r , il s 'en réserve
la jo u issa n ce, et y met un p rix, qui prouve q u ’il
conservait l ’espérance d ’élever, et peut-être d ’établir
lui-même cette enfant. Enfin, Jouvainroux et sa femme
ne sont rien dans la pensée du comte; Flavie est la
seule personne dont il s’occupe; elle seule sera pro
priétaire lorsque son usufruit aura cessé.
Peu de tems après, les infirmités du comte devinrent,
plus graves : une maladie cruelle, des plaies q u i s’élaicnt formées aux jambes et qui
exigeaient
des pan-
scineus aussi multipliés que douloureux, rendirent les
soins de plusieurs médecins nécessaires, et obligèrent
d ’appeler une garde-malade. MM. Monestier, Voiret et
Blatin lui donnèrent successivement , et ensemble ,
leurs soins; ils l ’ont vu jusqu’à sa mort. L a nommée
Terrasse, gerde-malade, n’a point, quitté le chevet de
son lit. Les uns el les autres ont éié témoins de l ’af-
«
�( >5 )
fection du comte pour Flavie; il la désignait constam
ment comme son héritière ; recommandait la plti£
stricte économie, et se lo u a it, d ’ailleurs, des soins et
des services de ceux qui l ’entouraient.
F l a v i e était, en effet, 'constamment présente à la
pensée du comte. Les douleurs les plus vives ne pou
vaient le distraire de cette idée unique qui le m aî
trisait entièrement, et q u i, parfois, l’aidait à supporter
ses maux. S’il s’agissait de cette e n fa n t, il devenait
soupçonneux et défiant; les précautions q u ’il avait
prises pour lui assurer sa fortune, lui paraissaient, par
fois, insuffisantes; il aurait désiré pouvoir imprimer
à chacun dés objets qui devaient composer sa succession,
un signe tellement ineffaçable, q u ’ilr fut propre à les
faire reconnaître par tous, c o m m e apj-ïartenant: à son
héritière, et à rendre toute soustraction impossible.
L e comte Legroing était créancier de son frère d'une
somme àssei considérable : il était porteur de tiois
lettres de change; il ne voulut point en laisser la
disposition au sieur Jouvainroux. Se défiait-il de lui?
Avait-il le pressentiment que lés circonstances pourraient.'
lui faire désirer d ’acheter la paix au prix de quelques
sacrifices...... ? Quoi q u ’il en soit, il signala ces effets,
et en passa l ’ordre h Claudinc-Flavie.
Cette précaution du comte sera-t-elle aussi regardee
comme l’effet de la suggestion et de la violence ? Mais
quel avantage présentait-elle à Jouvainroux et à sa
fem m e.....? F ile n ’ajoutait rien à 1» force de la dis->
position faite par le com te, en faveur de Flavie; Îe
�( i6 )
testament était suffisant pour la rendre propriétaire
de la succession, et en exclure le chevalier*, le comte
n ’avait donc, en écrivant cet ordre, d’autre but que
celui d ’assurer la propriété de Flavie contre ses propres
parens, et d ’ôter u ces derniers la possibilité d ’abuser
du dépôt que la loi leur confiait. Les père et mère de
Flavie n ’ont pu désirer cet acte : il est évident q u ’ils
n ’ont point employé la suggestion et la violence contre
leurs propres intérêts; il est aussi certain que le testa
m ent, la vente et les ordres émanent de la même per
sonne, ne forment, pour ainsi dire, q u ’un seul acte, dont
l’objet est d ’assurer à F la v ie s e u le , et au détriment
de ses ascendans 3 la propriété des biens du c omte .
Comment d onc p our r ai t -o n diviser u n ensemble de
faits si propres à manifester une volonté libre et éclairée?
Ne prouve-t-il pas, au contraire, de la part du testa
te u r,
une
anéantit
à
persévérance dans
ses dispositions, qui
l ’avance les reproches de captation et de
violence que le chevalier a osé articuler?
A u mois d ’août, l’état du comte Legroing était
devenu
plus inquiétant; sa maladie avait
fait des
progrès rapides; il était livré à des souffrances cruelles;
il eut recours aux douces consolations de la religion.
MM. C aban e, curé des Carmes, et M o u lh o t, vicaire
de Notre-Dame-du-Port, étaient venus constamment
le voir pendant les 1 5 derniers jour de sa maladie ; il
s’entretenait avec l ’un d ’eux au moins deux fois par
jo u r; il remplit tous ses devoirs avec une respectueuse
soumission, çt mourut en chrétien résigné. Les mal
�heureux espérait peut-être que samémoire serait honorée,
ou q u ’au moins ses héritiers se respecteraient assez
eux-mêmes pour ne pas attaquer les dispositions d ’un
frère auquel, depuis long-tems, ils étaient devenus
étrangers.
Flavie ne pouvait apprécier combien était grande la
perte q u ’elle venait de faire ; cependant ses regrets
furent amers. Mais Jouvainroux et sa femme sentirent
ce q u ’ils devaient à la mémoire du comte. Ses obsèques
furent magnifiques ; sa dépouille mortelle repose dans
un terrain acquis par Jouvainroux, et consacré à con
server le souvenir du bienfaiteur de Flavie.
Les faits principaux qui ont entouré le testament
du comte Legroing étant connus, il convient de tracer
rapidement l ’esquisse de la p r o c é d u r e , d ’i n d i q u e r la
marche tenue par le chevalier, et de mettre sous les
yeux de la C ou r les dispositions du jugement qui a
rejeté ses prétentions.
On a dit que le comte était mort le i 3 août 1 8 1 7 ,
c’est-à-dire huit mois après la confection et le dépôt de
son testament.
L e 1 4 , M® Espinasse, notaire, assisté du
sieur
Julien
Jouvainroux, présenta ce testament à M. le président
du tribunal civil de C lerm on t, qui dressa procès-vcrbal
de son ouverture et de sa forme e x t é r i e u r e , e t rendit
une ordonnance qui en continua le dépôt chez le no
taire Espinasse.
Il a fallu parler de celte
circonstance
pour détruire
les allégations que le chevalier Legroing a osé se per-
3
�svp
(' 18 )
mettre clans son mémoire imprimé (pages 24?
et 2^)Suivant lu i, le testament a été déposé par Jouvainroux
seul; donc il est demeuré, contre la volonté du comte,
possesseur de cet acte important jusqu’au décès de ce
dernier. La signature de M. le président n’est pas suf
fisante pour le rassurer sur la sincérité d’un renvoi qui
indique Me Espinasse comme étant celui qui a présenté
le testament, « parce q u ’on n ’ignore pas ce qui se passe
« à l ’hotel, lorsqu’on vient demander des signatures.
« On présente ordinairement une foule d ’actes rédigés
«■la veille ou le jour même; le président, qui en a
« connaissance,
signe avec confiance , apostille les
« r e n v o i s sa n s a u t r e m e n t y
r e g a r d e r ............. »
Que répondre à une pareille imputation consignée
dans un Mémoire signifié, et que l ’on a osé faire ré
péter dans une consultation?......... E lle est fausse : le
magistrat respectable et éclairé auquel elle était adressée
a cru devoir la dédaigner; et l’héritière du comte ne
doit plus s’en occuper que pour manifester ses regrets
d’avoir été privée, par ce fait, de l ’autorité q u ’aurait
pu ajouter au jugement q u ’elle a obtenu, le suffrage
de M. le président, qui crut devoir
s’ abst eni r.
Le i 5 août, le sieur Jouvainroux, tuteur de Flavie,
lit apposer les scellés sur le mobilier du défunt.
Le 19 , le chevalier Legroing forma opposition à la
rémotion.
U ne ordonnance du
août 1817 avait envoyé le
sieur Jouvainroux en possession des biens ayant appar
tenu au comte Legroing, conformément aux art. 1006
«
�V
( *9 )
et 1008 du Code civil. L a rémotion dös scellés avait
eu lieu , et l'inventaire était même presqu’achevé ,
lorsque le chevalier crut pouvoir prétendre que le mo
bilier d evait'lui être remis, comme héritier naturel,
sauf à le représenter, et déclara q u ’il formait opposition
à l ’ordonnance du 2 3 août.
Une ordonnance rendue en référé, le 2 6 , donna
au chevalier acte de son opposition, et renvoya à l ’au
dience du 27 pour y être statué.
Le chevalier présenta alors une requête où , sans
préciser aucuns faits, il soutint que le testament était
n u l, comme étant l ’eifet de la captation, de la vio
lence,’ de l ’obsession, du d ol, et fait ab ircito. 11 de
manda en conséquence à être envoyé provisoirement en
possession 5 mais le j u g e m e n t d u 27 le déclare non
recevable dans son opposition à l ’ordonnance du a 3 5
maintient, en conséquence, l’envoi en possession pro
noncé en faveur de Jouvainroux, et ordonne q u ’au
fonds les parties procéderont en la manière ordinaire.
Bientôt le chevalier
fait signifier et publier un
mémoire.
Suivant lui ,
i°.L e testament est fait ob irato : il est l ’ouvrage de ■
la haine et de la colère \
20 II est l’ouvrage de la captation et de la suggestion
de la part d ’une concubine.
Pas un seul mot de la v i o l e n c e comme cause de
nullité du testament; ce moyen n ’a même jamais été
présenté au tribunal de Clerm ont, et ne l’est pas
f
�( 20 )
encore dans les consultations distribuées en la Cour.
Ce mémoire est suivi d ’une requête signifiée le 28
mars 1818.
Le chevalier y demande la nullité du testament de
son irère, sous un double point de v u e ,
1" Comme fait en faveur d ’ une f i l l e naturelle du
sieur comte Legroing et -de Françoise Boudon,
sa
gouvernante, laquelle f i l l e naturelle ne s t pas légalement reconnue, et ne p e u t, à ce titr e , espérer que
des alimens;
20 Com me fait ab irato,
co n tre
sa
fa m ille ,
et
comme étant l ’effet de l ’obsession, de la captation et
de
la
s u g g e s t i o n d e la . p a r t d e
JU LIEN
F ra n ço ise
boudon
e t de
JO U V A IN R O U X .
Passant ensuite à la preuve de ces propositions, il
soutient que C laudin a-F la vie Jouvainroux est née du
concubinage de la dame Jouvainroux avec le comte
Legroing.
Parce qu e, i° il est prouvé (suivant lui) que Fran
çoise Boudon est devenue enceinte une première fois,
en 18065 que son enfant, nommée Joséphine, a été re
connue par le comte Legroing, tant dans son acte de
naissance que dans celui de décès;
20 Que Françoise Boudon a continué de cohabiter
avec son m aître, et de vivre avec lu i, soit à Riom ,
soit à C le rm o n t, notoirement et publiquement en
concubinage 5
3 ° Que Françoise Boudon est devenue enceinte une
deuxième fois en 18115 que sa grossesse était de plus
�( 21 )
de trois mois, lorsque M . Legroing a p ig é à propos
de la marier avec Julien Jouvainroux. Q u e, conséquemment, Claudine-Flavie est le fruit du concubi
nage ; ce qui est, au surplus, confirmé par la présomption
de la loi, suivant la maxime : A n cilla m prœgnantem
in dubio vid eri prœgnantem à domino m axim e ;
4 ° Que ces faits se trouvent justifiés par les circons
tances de cohabitation du mari et de la femme avec le
comte,
Par la différence q u ’il mettait entre e u x, faisant
manger la femme avec lu i, et le mari à la cuisine-, par
les soins q u ’il avait pour Flavie : il l ’appelait habi
tuellement sa fille , et celle-ci lui répondait en lui
d o n n a n t le n om de papa.
Enfin, par la tendresse que le comte avait pour cette
enfant. « E lle était si grande, que lorsqu’il s’élevait
« des querelles entre lui et les Jouvainroux, ce qui
« arrivait souvent 3 on le menaçait de lui ôter la petite
« Flavie, pour l ’appaiser et obtenir dé lui tout ce q u ’on
« désirait. »
E n conséquence, le chevalier conclut à ce que C lau
dine-Flavie Jouvainroux soit déclarée enfant naturel
non reconnu du comte Legroing; à ce que l ’institution
contenue au testament du 24 décembre 1 81 6 , et te
donation indirecte faite par la vente du 17 mai 1817,
ainsi que la donation indirecte r é s u l t a n t des ordres
qui se trouvent au dos des lettres de change souscrites
par le chevalier, soient annullées; à ce que toute la
succession lui soient remise, s’en rapportant d’ailleurs
�• f(
22 )
à la prudence du tribunal sur la quotité de la pension
alimentaire qui doit être accordée à C laudin e-F lavie.
Il faut convenir que le chevalier ne pouvait créer
un système qui outrageât plus ouvertement les mœurs
et la dignité du mariage. Ainsi c’est vainement que
les rapports qui existent entre le père et l ’enfant sont
liés à l ’institution la plus sainte et consacrée par les
lois les plus positives : un étranger, mu par un vil
intérêt, peut, en invoquant les. mœurs, troubler le
repos des familles, tenter de détruire l ’état d ’un enfant
légitime, pour le classer parmi les enfans naturels non
reconnus; e t, se jouant de la religion et des lois, les
i n v o q u e r p o u r d ét ru ir e ce q u ’elles ont de pl us sacre,
à l’eiFet de se rendre maître de la succession d ’un frère
dont il ne craint point de flétrir la mémoire.
Tel était cependant le moyen principal employé par
le chevalier en première instance. Les faits de capta
tion et de suggestion, ceux même q u i, suivant l ui ,
tendaient à prouver que le testament du comte avait
été dicté par la colère, n ’étaient articulés que subsidiaireinent.
Les voici :
i u Françoise Boudon a vécu en concubinage avec le
sieur Lcgroing depuis q u ’elle est entrée à son service;
2° A compter de cette époque, elle a mis tous ses
soins pour séparer et éloigner son maître de toute sa
famille. F ile et son mari ont em pêché toute commu
nication avec son frère, ses parens et ses amis ;
3 " F ile avait inspiré à son maître une telle haine
�9*3
( ’3 )
contre ses proches, et notamment contre~le chevalier,
que lorsque le nommé Ghantelot emporta, dans le
mois de juillet 1 81 7 , 8000 francs, de la part du che
valier, à-compte de ce q u ’il lui devait, le comte refusa
de les recevoir, en désavouant le chevalier pour son
frère, et en tenant contre lui les propos les plus inju
rieux ;
4° Que le chevalier s’étant présenté chez le comte,
le 12 du même mois de ju ille t, pour régler ses comptes
avec lui et lui payer une partie de ce q u ’il lui devait,
il ne p ut pas parvenir ju s q u ’ à lu i; q u ’il fut en con
séquence obligé d ’avoir recours à des tiers, et spécia
lement à un jurisconsulte de C le rm o n t, qui se trans
le c o m t e , rédigea la quittance des sommes
q u ’il recevait, et du mo de de p a i e m e n t de ce q u i res
tait d û ; que ce jurisconsulte lui ayant fait lecture de
po rt a chez
cette quittance, dans laquelle il lui faisait dire q u ’il
avait reçu telle somme de son frère, il se mit en fu
reu r, se leva sur son séant, quoique dans un état qui
le privait, en quelque sorte, de tout mouvement; dit
que le chevalier n ’était pas son frère, vomit contre lui
toute espèce d’injure , et ne consentit à signer la
quittance, que lorsque le jurisconsulte présent, qui
l ’avait rédigée, «ut rayé ces mois : Mon frère ;
5 ° La dame Jouvainroux était toujours présente
toutes les Ibis q u ’il arrivait quelques personnes auprès
de son maître. Lorsqu’elle sortait, elle l ’enfermait sous
clef, pour q u ’il y eût impossibilité de sortir ou de
communiquer avec qui que ce fût;
�Fvo
( H )
6° E lle a souvent maltraité son m aître, qui a fait
entendre ses plaintes, et se mêttait à la fenêtre , en
criant au secours! à Vassassin! que ses cris ont attiré
les voisins, le p ub lic, et même la police;
7° Q u ’elle s’emparait des lettres qui venaient de la
fa m ille , et spécialement du chevalier, pour que son
maître n ’en eût aucune connaissance; et q u ’une de
ces lettres a été trouvée dans la commode de la dame
Jouvainroux, lors du proccs-verbal du juge de paix ;
8° Que le comte était absolument dans la dépenda nce de' sa domestique-gouvèrnante, qui s’était em
parée de tous ses biens et facultés, et que le comte
é ta i t t o m b é dans u n é t at de faiblesse et d ’ i mb éc il li tC
tel, q u ’il ne lui restait ni volonté, ni discernement.
L e vague et l ’insuffisance de ces faits se laissent
facilement apercevoir : aucune circonstance n ’y est
déterminée; ils sont d ’ailleurs anéantis par le rappro
chement que l ’on peut en faire des faits connus et
constans au procès.
Les premiers juges les ont appréciés; ils ont examiné
cette cause dans son ensemble et dans tous ses détails.
Il convient de faire connaître leur jugement. }
P remière question : en la forme ;
L e testament du comte L egroin g est-il valable?
A tten d u q u e , conform ém ent à l ’article n eu f cent soixante-dix du
Code c iv il, il a <He écrit en entier, daté et signé de la main du testateur;
que la loi ne l ’assujétissait à aucune autre form alité ; qu ’il n’est môme
pas attaqué en ce point.
D euxièm e question : au fond ;
L e comte L egroing avait-il capacité pour disposer par tostament?
�(
25 )
A ttendu q û e , d'après l ’article n eu f cent deux du Code c iv il, toutes
personnes peuvent disposer, par testa m en t, excepté celles que la loi en
déclare incapables ;
A ttendu que le comte Legroing n’était dans aucun des cas de l'article
guatre cent quatre-vingt n eu f du Code civ il ; qu’il est m ort iiitegri
statds, et que son testament même prouve qu ’il était sain d’esprit.
Troisième question.
L e comte Legroing a-t-il pu disposer de l ’universalité de ses Liens?
A ttendu que le comte L egroing n’avait ni ascendans ni descendans ;
Q u ’a in si, et aux termes de l ’article n eu f cent seize du Code c iv il, ses
dispositions testamentaires ont pu épuiser la totalité de ses biens.
Q uatrièm e question.
L e comte Legroing a -t-il fait son testament par colère et en haine do
sa fam ille ?
A tten d u q u e , quoique le Code civil ne dise rien du cas où un testa
m ent serait attaqué pour cette cause, il faudrait examiner s’ il peut
encore y avoir lieu à l ’action en n u llité admise par l'ancienne jurispru
dence , dans q u e l q u e s - u n s de c e s c a s ;
Mais attendu q u e , quand les faits allégués par le dem andeur seraient
é ta b lis, il n’en résulterait aucune preuve que ce testament a été reflet
de la haine et de la colère du comte L egroing contre sa fum ille, ou ,
pour m ieux d ir e , contfe le dem andeur ; car la dame L e g ro in g , leur
sœ u r, a pensé qu’elle n’avait pas le droit de s’en plaindre.
Ces faits de haine et de colère seraient :
L e p rem ier, un rëfus de la part du comte L egroing de recevoir une
somme de huit m ille francs, que le dem andeur lui aurait envoyée par
le sieur C lia n telo t, le premier ju illet m il h u it cent d ix -sep t, et d’avoir
accompagné Ce refus d’injures contre le demandeur.
L e dem andeur ne dit pas quelles furent ces injures , ni le m otif dû
refus.
L e deuxièm e fait serait que le dem andeur s’étant
p ré s e n té
Iui-mômc,
le douze du mémo m ois, chez son frè re, pour r é g i« 'ses comptes et
payer une partie de ce q u ’ il lu i d e v a it, il ne put pas parvenir jusqu’il
!«»•
L e dem andeur ne dit pas non p lu s pourquoi et par qui il fut empêché
de parvenir jusqu’à son frère,
4
�L e troisième fait est que le dem andeur ayant alors invité un juris
consulte à porter pour lui la somme à. son frère, de rédiger la quittance,
et de régler le mode du paiement de ce qui resterait dû , et le jurisconsulte
ayant fait lecture de la quittance au comte L e g r o in g , celu i-ci se m it
en fu re u r, parce qu ’il y était dit que le chevalier Legroing était son
frère; il vom it contre lui toutes sortes d’in ju res, et ne signa la q u it
tance que lorsque le jurisconsulte eut rayé les mots : M on frère.
L e dem andeur a laissé également ignorer quelles furent ces injures ,
/
et cependant il serait possible que les expressions du comte L egroing ne
fussent pas reconnues injurieuses ; le dem andeur aurait pu regarder
comme injures quelques paroles seulem ent désobligeantes , qu ’un mo
ment d’hum eur ou le m écontentem ent aurait pu p ro d u ire, sans que le
coeur du comte L egroing y prît aucune part.
A u surplus, les frères L egroing auraient pu vivre en m ésintelligence r
ne pas s’aimer ; mais entre la haine et l ’amitié il y a tant d’autres sentim e n s q u i n e t r o u l i l c n t n i l'esprit n i la r a i s o n , q u i ne s o n t n i de la
haine ni de la colère !
E t s i , par de semblables motifs , il était possible d ’annuller les testamens faits au préjudice des collatérau x, il serait presque inu tile d’en
faire.
Enfin , et cette observation serait seule décisive sur ce point :
'A ttendu que le testament dont il s'agit est du vingt-quatre décembre
m il huit cent s e iz e , et que les fa its de colère et de haine allégués ne
seraient que du mois de ju ille t mil huit cent d ix - s e p t;
Q u ’a in s i, ils n ’auraient pas pu influer sur des dispositions testa
mentaires fa ite s sept mois avant leur existence.
Cinquièm e question.
Si ce testament n’a pas élé l ’effet de la haine et de .la co lerc, a-t-il
été celui de la captation et de la suggestion ?
il'
A tten d u que U\s moyens de captation et de suggestion sont comme
ceux de hnine et de coli-rc , méconnus par le Code c iv il; q u e, néanm oins,
s'il en existait, il faudrait encore examiner .aussi s’ils peuvent encore
fonder l’action en nullité, d’ un testament: olographe ;
Mais attendu qu’ il serait ridicule de prétendre qu'un enfant de cinq
ans a employé lu r u se , l'artifice, la mauvaise f o i , lés insinuations per
fides, pour tromper le comte L e g ro in g , lui rendre sa fam ille odieuse,
�V
)
le faire changer de volonté, et surprendre, en sa faveur, des dispositions
qu’il aurait eu l ’intention de faire en faveur du dem andeur;
A ttendu qu’il n'est pas vraisemblable que la force d’esp rit, la fierté
du caractère du comte Legroing aient jamais cédé aux volontés de Fran
çoise B o u d o n , au point sur-tout de faire ce q u ’il n’aurait pas voulu
faire ;
Q u ’il n’est pas presumable que la femme Jouvainroux eût tenté ce
triom phe; elle eût cra in t, sans d ou te, de déplaire à son m aître, et
m ême de l ’offenser ; s’il eût pensé qu ’elle vonlait le dom iner, elle eût
craint
d'achever de perdre une confiance déjà tant affaiblie par son
mariage ;
A ttendu , q u ’en supposant même que la femme Jouvainronx eût
quelque pouvoir sur l ’esprit de son maître , il n'est pas vraisemblable
qu’ elle Veût em ployé pour fa ir e exercer envers sa f i lle une libéralité
qu'elle eut désiré conserver en vertu du testament de m il huit cent sept >
ou fa ir e renouveler pour elle ;
,
A ttendu qu ’il e s t, au contraire , tout naturel de croire que c’ est par ses
caresses , par ses assiduités, par s e s s o in s , e x c i t a s peut-âtre par de petits
cadeaux que l ’âge mûr et la vieillesse ont coutum e de faire à l ’en fan ce,
que Claudine-Flavie a o b te n u , sans le savoir ni le d ésirer, cette marque
de sensibilité , d ’affection et de toute la bienveillance du comte L egro in g ;
q u e , ce dernier a pu penser qu’il ne devait aucun témoignage d’aflcction
ni de reconnaissance au chevalier Legroing , son frère , q u i , célibataire
comme l u i , ne transmettrait qu’à des étrangers ou à des collatéraux
éloignés les biens qu’ il lui laisserait ;
A ttendu q u e , comme le disent les auteurs, le testament olographe
est celui qui dépose avec plus de sûreté de la volonté du testateur;
A ttendu que les précautions surérogatoires que le comte Legroing a
prises pour assurer et conserver saine et entière l ’existence du sien, en le
cotant, et signant à chaque page , et en le mettant sous une enveloppe
cachetée au sceau de scs arm es, avec une inscription
sa main ;
Q ue la facilité qu’ il avait de révoquer d’un
é c r ite
m om ent
et signee de
à l’autre ces dis
positions, d’en faire de nouvelles, ou de n ’en pas laire du tout , et dç
c o n fie r
l’écrit de sa dernière volonté, soit à un des médecins qui lui
prodiguaient des soins pour prolonger ses jo u r s , soit ¿1 un des ministres
�c
( »8 )
q u i lu i portaient souvent les consolations de la religion, et le préparaient
à bien m o u rir, soit à toute autre personne qu ’il aurait choisie pour eu
être le dépositaire, fa cilité q u i, comme le dit R ica r d } a v a itfa it établir,
comme m a x im e indubitable au palais , que les fa its de suggestion n'é
taient pas recevables contre un testamen t olographe ;
Q u e , Vacquisition qui fu t faite au nom de C laudine-Flavic Jouv a in r o u x , le dix-sept mai m il h u it cent d ix -se p t, environ cinq mois
après le testam ent,
Q u e l ’ordre passé par le comte L e g r o in g , en sa faveur , sur lçs effets
de commerce à lu i consentis ;
Q ue le silence du comte L e g r o in g , ou p lu tôt sa persévérance pendant
les huit mois qui s’écoulèrent entre le testament et son d écès,
P ro u ve n t, d ’une m anière incontestable, que le comte L egroin g u ’a
été subjugué par personne ; qu’ il n’a cédé ni à l ’obsession ni aux solli
citations ; qu’ il n’ a été entraîné par aucune volonté étrangère ;
Q u il
h'u
a g i ( ju e p a r
l ’ im p u ls io n d e so n c œ u r d ’ a p r is
s e s s e f lt i m e n S
et ses affections personnelles.
L e dem andeur a lui-m êm e reconnu les affections du com te pour
F la v ie , en disant : « Q u e , quand le comte avait des momens de colère
« et d ’ im patience, elle allait se jeter dans ses b ras, et que ce petit
« manège calm ait sur-le-cham p le maître em porté. »
L e choix de F lavie pour son héritière a donc été l ’effet de sa volonté
lib r e , ferme et constante.
A ttendu que l’ acte qui le renferme , contient la preuve aussi que le
comte Legroing l ’a fait avec réflexion et tranquillité d ’esprit et de raison ;
Q ue l’ordre mis par le comte L egroin g sur les effets de com m erce,
n’a sans doute été imagine par lui , que pour conserver 1« valeur de ces
effets à C la u d in c-F la v ie , et em pêcher que son père et sa mère pussent
les lui soustraire, «t s’en approprier le montant.
l) ’où s’en suivrait une nouvelle preuve que rien n’a été fait ni suggéré
par la femme Jouvainroux , ni par son mari.
E t une observation qui ne laisse aucun doute à cet égard , c’est que
le dem andeur est lui-m ônic convenu que la mère de F lavie n’u v a it, h
l’époque du testam ent, aucune influence sur l’esprit de son m nître, en
disant : « Q u e , depuis quelque tems avant ce testam ent, le comte
t Legroing témoignait de l'hum eur et de la colère contre elle. »
�( =9 )
'A tte n d u q u e , quand il serait vrai que le comte Legroing se fût
procuré un modèle pour rem plir les formes d u testament qu ’il voulait
fa ire , cette circonstance serait absolum ent insignifiante, et ne pourrait
pas autoriser la critique des dispositions ;
Q ue d’officiers publics ont souvent recours aux formulaires !
Sixièm e question.
Claudine-Flavie Jouvainroux était-elle capable de rece v o ir, par testa
ment , le legs universel que lui a fait le comte Legroing ?
A ttendu q u e , d’après l ’article n e u f cent six du C o d e , il su ffit, pour
être capable de recevoir par testam en t, d ’être conçu au décès du tes
tateur ;
E t attendu qu’au décès du comte L e g r o in g , C laudine-Flavie Jou
vainroux était âgée de près de six ans ;
A tten d u que C laudine-Flavie Jo u va in ro u x, née le cent soixanteonzième jour du mariage de Françoise Boudon sa mère et de Julien
Jo u vain ro u x, ne peut pas être considérée comme enfant naturel du
c o m te L e g r o in g ;
Q ue le mariage fait présum er que Jouvainroux était l’nnteur de la
grossesse de Françoise B o u d o n , avec l ’intention réciproque de s’unir
par le mariage ;
Q ue le dem andeur n’a pas été exact dans sa citation de la maxime
suivie dans l ’ancienne ju risp ru d en ce, et justement abolie par nos lois
nouvelles ; en voici les termes : Crcditur virgini ju ra n ti se ah aliquo
cognitam et e x eo prœgnantcm.
E lle n’établissait, comme l ’a prétendu le dem andeur, aucune pré
somption , pas même les soupçons contre le m a ître , sur l ’état de la
grossesse de sa servante ; et le serment qu ’était obligée de faire la fille
en cein te, avait seulement l ’cflet de faire contraindre celui qu’elle avait
déclaré l ’auteur de sa grossesse, à lu i payer une somme modique pour
frais de gésine.
Q ue la présomption que Jouvainroux était l ’auteur de la grossesse de
Françoise Boudon , c'est q u ’au lieu de désavouer V evfun t, c’est Jou
vainroux lui-m êm e q u i l'a f a it inscrire
s u r
h registre de l ’état c iv il ,
comme étant son enfant d'avec Françoise B ou don, et qui en a signé
l'a cte ;
E t q u e , d’après les articles trois cent dix-neuf et trois cent vingt du
�( 3o )
Code c iv il, cet acte seul eût suffi pour constituer Claudine-Flavie ênfant
légitim e d u dit Jouvainroux ;
Q ue C laudine-Flavie a en outre obtenu la possession d’état d ’enfant
légitim e de Jouvainroux , par tous les faits que l ’article trois cent vingtun du Code désire ,
Puisqu’elle a toujours été regardée comme te lle , soit par sa fa m ille ,
soit par le public ;
Q u ’elle en a toujours porté le nom , et que Jouvainroux l’a toujours
traitée comme son enfant.
A ttendu q u e, d’après l’article trois cent v in g t, cette possession aurait
elle-m êm e suffi pour constituer cet état ;
A ttend u q u e , d’après l ’article trois cent vingt-deu x, nu l ne peut
contester l ’état de celui qui a une possession conforme à son titre de
naissance ;
Q u ’ainsi il n’est pas permis d’examiner com m ent Françoise Boudon a
v é c u a v a n t so n m a r ia g e ;
Q u ’ainsi il n’est pas permis d’alléguer que C laud in e-F lavie est le fruit
d ’un concubinage de sa mère avec le comte L egroing ;
Q ue la loi ne reconnaît même pas de concubinage après le mariage ;
Q ue le commerce illicite d’ une épouse avec tout autre que son ép oux,
est qualifié adultère ;
E t que le mari a seul droit de s’en plaindre.
A ttendu que l ’article trois cent tren te-n eu f du C o d e , qui autorise
tous ceux qui auraient intérêt à contester toute reconnaissance de la
part du père et de la mère , ne s’applique qu’aux enfans nés hors
mariage ;
,
Q ue toutes les dispositions qui composent la section 2“ du chapitre
des enfans naturels, et particulièrem ent celles de l’article trois cent
trente-sept, sont positives à cet égard ;
Q u ’ainsi la disposition universelle eut pu être valablem ent faite en
faveur de la fem m e, après le mariage ;
Q u ’ainsi l’on ne peut considérer C laudin e-F lavie Jouvainroux comme
personne interposée pour faire passer la libéralité sur la tête de sa inere.
Eh ! pourquoi aurait-on conçu celte idée plulAt en faveur de la mère
qu ’en faveur du père ? et cependant l’on n’ allègue aucune iucopacitü
contre le père..
�( 3i )
Comment concevoir aussi qu ’un en fa n t, q u i, dans l ’ordre de la n a tu re,
¿Levait survivre à ses père et m è re , eût etc choisi pour leu r transmettre
une libéralité?
Q u ’ainsi, et quand on supposerait que le maître ne peut pas faire un
legs universel à son domestique , l ’état de domesticité de la mère n’ in
fluerait en rien sur les dispositions testamentaires faites en faveur de
Claudine-Flavic Jouvainroux ;
Q ue l ’article m ille vingt-trois du C ode permettant de disposer en
faveur d’un dom estique, et ne lim itant pas la disposition, elle peut
s’étendre pour l u i , comme en faveur de toute autre personne non
prohibée ;
Q u ’ainsi la raison, la m orale, l ’honnêteté p u b liq u e , la sainteté du
m ariage, l ’ordre s o c ia l, le repos et la tranquillité des familles sont ici
en harmonie avec la loi pour assurer à C laudin e-F lavie Jouvainroux son
état d’enfant légitim e et le legs qu’elle a reçu ;
A ttendu que les faits allégués par le dem andeur sont ou vagues ou
insignifians, et ne seraient pas suffisans pour fonder l ’ action en nullité
d u te s ta m e n t ;
Q u ’ainsi la preuve offerte est non recevable et inadmissible , d ’après
la maxime : Frustrà probatur quod probatum non relevât.
L e tr ib u n a l, sans s’arrêter
à
la preuve offerte par le dem andeur,
ni
avoir égard à la demande en nullité par lui fo rm ée, le déboule de
toutes
ses
demandes, et reçoit les parties de Bayle opposantes
à
l ’ordon
nance obtenue par le dem andeur, partie de Pages; fait m ain-levée de
la surseance, et ordonne qu’ elle demeurera sans effet; leur fait m ain
levée des saisies-arrêts faites à la requête du dem andeur ; met hors de
cause sur les autres demandes des parties de B ayle, et condamne celle
de Pagês aux dépens ; et attendu que la partie de Bayle est fondée en
titres, ordonne que le
présent
jugem ent sera exccule provisoirem ent,
nonobstant et sans préjudice de l ’ a p p el, et sans qu’ il soit besoin de
donner caution.
X
■ '
?
■
L ’appel interjeté par le chevalier Legroing a soumis
les questions que présente cette cause,.et le jugement
Je
Clerm ont, à l ’examen de la Cour.
�( 3= )
D ISC U SSIO N .
L ’exposition du fait a déjà donné tous les élémens
nécessaires pour apprécier les prétentions du sieur
chevalier Legroing.
Que demande-t-il ?
L a nullité de toutes les dispositions directes ou in
directes faites par le comte Legroing, son frère, en
faveur de Claudine-Flavie Jouvainroux. Le testament
du 24 décembre 1 81 6 , la vente du 17 mai 1 8 1 7 ,
et
les ordres passés en faveur de Flavie , des lettres de
change dues par le chevalier, sont à-la-fois et égale
ment attaqués par lui.
Il convient que le testament est régulier en sa forme;
que le comte pouvait disposer de l ’universalité de ses
biens.
Quels sont donc ses moyens ?
Il répond :
i ° Q u e Claudine-Flavie Jouvainroux était incapable
de recevoir une institution du comte Legroing, parce
q u ’elle est son enfant naturel non reconnu, et q u ’en
cette qualité elle n ’avait droit q u ’à des alimens ;
20 Que le comte Legroing lui-même était incapable
de donner, parce q u ’il était en état d ’imbécillité ;
3 ° Que le testament du comte a été fait ab irato,
et en haine do ses proches, notamment de lui chevalier,
et que cette haine a été inspirée au comte par les
manœuvres de Jouvainroux et de sa femme;
%
�( 33 )
4 ° E n fin , que ce testam ent, et les actes qui l ’ont
suivi, ont été arrachés à la faiblesse du comte, par
l ’obsession, la suggestion, la captation, et même la
violence, également pratiquées ou exercées^par les père
et mère de Claudine-Flavie Jouvainroux.
Les moyens employés par le sieur chevalier Legroing
tracent naturellement l ’ordre de la défense de l ’héiitière du comte; elle doit les examiner successivement,
mais elle ne fera q u ’indiquer sés m oyens, et tâchera
de les resserrer dans le cadre le plus étroit.
Claudine-Flavie Jouvainroux était-elle incapable
de recevoir ?
Pour faire admettre l ’affirmative, il faudrait que le
chevalier Legroing put prouver :
Q u ’il est reeevable à a t t a q u e r l ’état d ’enfant légi
time de Claudine-Flavie Jouvainroux, état cjui est
établi et lui est assuré, soit par son acte de naissance,
soit par sa possession ;
Il faudrait q u ’il eût la faculté de substituer un état
incertaiu à un état acquis;
Q u ’il pût faire descendre un enfant légitime dans
la classe des enfans naturels, et prouver même que
Claudine-Flavie est l’enfant naturel du comte ; car
sans cette condition elle aurait été également capable
de recevoir.
Il faudrait enfin que le chevalier put , pour servir
ses intérêts, faire tout ce que les lois défendent, tout
ce que la religion et les moeurs réprouvent; q u ’il pût
outrager la dignité du mariage, détruire les rapports
5
�( 34 )
qui existent entre les enfans et les pères, rompre enfin
les liens les plus sacrés de la société.
Il est inutile d’insister sur le premier m oyen; il ne
doit rester dans la cause que pour apprendre q u ’il n ’est
rien de respectable aux yeux de celui q u ’un vil intérêt
aveugle; que, quels que soient d’ailleurs son rang, ses
lumières et sa réputation, l ’ambition peut l ’égarer,
jusqu’au point de lui faire manquer aux devoirs les
plus saints, en l ’obligeant à soutenir un système scan
daleux , que tous les amis de l ’ordre doivent repousser,
et q u ’il rejetterait lui-même avec une noble indigna
tion , si les passions qui l ’égarent lui permettaient d ’en
calculer les conséquences.
L e C o m te e tcn t - i l i n c a p a b l e cle d o n n e r ?
L e chevalier déduit cette incapacité de l ’état d ’im
bécillité de son frère; il ne cote aucun fait propre à
prouver son assertion : il se contente d’alléguer que le
comte était tombé dans un état de faiblesse et d ’imbé
cillité, tel q u ’il ne lui restait ni volonté ni discernement.
Quels sont les principes?
L a première condition pour la validité d ’un testa
ment est que le testateur soit sain d ’esprit (Code c i v i l ,
art 901).
Ce principe général, commun à tons les actes, à
tous les contrats, e s t , pour les testamens et donations,
iine disposition spéciale qui les régit particulièrement,;
de manière que l’article 5o 4 du Code 11e leur est point
applicable;
q u ’ils sont spécialement régis par l ’ar
ticle 901; et q u ’en conséquence ceux qui veulent at-
«
�/ ô û / ï,
( 33 )
laquer
un testament peuvent articuler et être admis
à prouver tous les faits qui sont de nature à établir
que le testateur dont l ’interdiction n’avait pas été
prononcée de son vivant, n ’était pas sain d ’esprit à
l ’époque du testament. Cette preuve est même admise,
quoique les notaires aient inséré dans l ’acte la clause
inutile que le testateur était sain d ’esprit ( i).
Mais pour pouvoir user de cette faculté, il faut
alléguer et prouver des faits de démence positifs et
concluans, parce que la présomption est toujours en
fa'veur de l’acte, et que la démence ne se présume ja
mais. Ce principe est si certain, que la Cour de cas
sation, par arrêt du 18 octobre 1809,
a jugé que
l ’dge a va n cé d u d on a teu r, l ’o u b li de sa f a m ille ,
l ’im portance d u le g s , la q u a lité p e u élevée d u d o
nataire , ne suffisaient pas pour faire décider que le
donateur n’était pas sain d ’esprit. Il s’agissait du tes
tament du sieur Leguerney de Sourdeval, qui avait
été jugé valable par la Cour royale de C aen; le testa
teur était âgé de quatre-vingt-six ans : ses légataires
universels étaient ses dom estiques , et les biens légués
excédaient
i
, 5 o o , ooq francs ( a ) . U n arrêt de la Cour
royale de Paris, du 26 mai 1 8 1 5 , a consacré ces prin
cipes en termes même plus absolus, et a maintenu le
testament du sieur Debermont, quoique le testateur
\
(1) Arrêt de cassation, du 22 novembre 1 8 1 0 . — Conclusions de
M. Merlin.— S i r c y , 1 8 1 1 , pag. 7 3 .
(2) Sircy, 1810, page $7.— Denevers, 1809, page/J^-
�(36)
eut été pourvu d ’un conseil, et que l ’on alléguât des
faits qui tendaient à prouver qu e, depuis 1788 jus
q u ’au 21 février 1809, il était dans un état habituel
de démence, facile à reconnaître par l'affaiblissement
de ses organes, son défaut de mémoire, et la facilité
de lui suggérer des opinions qui auraient pu compro
mettre sa fortune et sa liberté (1).
Ces principes s’appliquent spécialement aux testamens rapportés par des notaires; mais si le testament
est olographe, la présomption de sagesse augmente;,
elle est toute entière en faveur du testateur*, qui prend
le soin d ’écrire ses dernières volontés : dans ce cas, il
faut que le testament fasse naître par lui-même des
soupçons de faiblesse et d ’égarement d ’esprit; autre
m ent, il doit être respecté.
Tels sont les principes : sont-ils favorables aux pré
tentions du chevalier...... ?
D ’abord , il n’allègue aucun fait dont la preuve puisse
être ordonnée. L ’état de faiblesse d ’esprit et d ’imbé
cillité de son frère, aurait du se manifester par des
signes propres à le caractériser et à le faire reconnaître;
le chevalier n’arlicule rien , et cependant ses recherches
oiit été faites avec trop de soin, trop d ’ardeur et de
passion peut-être, pour que l ’on puisse supposer que
tous les faits ne sont point parvenus à sa connaissance.
Mais que pourrait-il prouver? L a solidité d ’esprit
du testateur n ’est-elle pas connue?
( 1) S iro y, 1 8 1 G, 2 e p artie, page a 38.
'
�fO ù ï
( 37 )
Au retour de rém igration, il liquide les reprises
qu’il pouvait avoir sur les biens de la dame son
cpouse; il en conserve seul l ’administration, jusqu’à
l ’instant de son décès; surveille ses nombreux débiteurs,
et écrit lui-même aux gens d ’affaire chargés de ses in
térêts , pour stimuler leur zèle ou leur indiquer la
marche q u ’ils ont à tenir.
E n 1807, il veut disposer de ses biens : un testament
fait par acte public, les transmet à Françoise Boudon,
sa gouvernante; il persiste dans cette disposition jus
q u ’en 181 G; mais , à cette époque , ses affections
changent d ’objet; sa volonté se manifeste de nouveau;
un testament olographe indique Claudine-Flavie .Touvainroux pour l ’ héritière du comte : une vente vient
b i e n t ô t après a ppr end re q u ’il persiste d an s cette vo
lonté, et il donne une dernière preuve de sa p r é vo y an c e,
en passant , au profit de son héritière, l ’ordre d«
certains effets, dont il pouvait craindre le mauvais
emploi.
Ces faits rendent toute autre explication superflue;
le comte pouvait disposer; son testament émane d’une
volonté éclairée; ainsi, l’étrange allégation du chevalier
est dénuée de fondement, et les conséquences s’en
rétorquent contre lui.
L e testament d u co m te a - t - i l é t é f a i t a b i r a t o ,
et en haine de ses proches ^ notamment du chevalier
L eg ro in g ?— Cette haine a-t-elle é té inspirée au com te
^ b
”
par les manœuvres de Jouvainroux et “ e sa fem m e?
On sait que les coutumes reconnaissaient un moyen
�( 38 )
d ’attaquer les testamens lorsqu’ils étaient faits en Iiainc
des présomptifs héritiers; l ’aversion générale des cou
tumes pour
les donations, avait
fait imaginer
ce
m oye n , à l ’exemple de la querelle d ’inofficiosité inventée
par les préteurs ro m ains, en faveur des enfans oubliés
ou prétérits dans l e te sta m en t de
l e u r s ascendans,
ou même exhérédés injustement. On appelait disposi
tions ab ir a to , celles qui étaient faites entre-vifs ou
par te s t a m e n t , par une personne injustem ent irritée
contre u n ea u tre; et action ab ir a to , la demande formée
pour annuller cette disposition. Tous ceux q u i se livrent
à. l ’étude des lois savent aussi que cette action faisait
naître une foule de procès scandaleux, dont la décision,
par la nature même
de
la d e m a n d e , était presque
nécessairement arbitraire.
L e C o d e garde le silence sur cette ac tio n , et de ce
que l ’article du projet q ui portait que la loi n ’admet
point la p r e u v e , que la disposition n ’a été faite que
par haine, colère, suggestion et cap tatio n, a été omise,
en faudrait-il
conclure que l ’action ab ir a to , do'ive
continuer d ’être
admise ? Bien
évidemment non :
puisque d ’ un côté, le Code permet les testamens ,|sans
permettre aux juges de créer d ’autres nullités que
celles qui existent dans la l o i , et que de l ’a u t r e , la loi
du
3o
ventôse an 12 abroge les coutumes q ui a u t o
risaient l ’action ab irato.
Dirait-on que celui dont les dispositions sont déter
minées par la haine et la colère, n’est pas sain d*esprit^
et que l ’article 901 exige celle co n d iti o n , po u r que la
�/Û
( 39 )
donation ou le testament soit valable? Mais doit-on y
en jurisprudence, rechercher la moralité des actions?
Le testament du célèbre lieutenant civil le Cam us,
fut annullé en 1712 , comme dicté par la haine et la
colère; qui aurait osé dire que ce magistrat, qui fu t ,
ju s q u ’à sa m o rt, l ’oracle le plus sûr de la justice, dans
la capitale du royaum e, n’était pas néanmoins sain
d ’esprit? On doit dire, avec M. Toullier, q u ’annuller
un testament, sous un prétexte aussi visiblement faux,
ce serait imiter les préteurs romains, q u i, dans l'im
puissance de faire des lois nouvelles, imaginèrent la
querelle d’inofiiciosité, sur le prétexte reconnu faux
par les jurisconsultes, que le testateur 11’était pas sain
d ’esprit.
pourrait-elle être
intentée? Appartiendrait-elle aux collatéraux, en fa
D ' a i l l e u r s , par q u i
c et t e ac t io n
veur de qui la loi ne fait point de réserve...? Faudraitil que les motifs de haine fussent écrits dans l ’acte ?
Quels caractères devraient avoir les faits, pour servir
de base à l ’action? De quelle manière la haine devraitelle être prouvéee— ?
Plus on réfléchira, plus on louera la sagesse du lé
gislateur, qui a écarté cette action de notre jurispru
dence (1).
Les arrêts des Cours sont conformes à ces idées. Trois
arrêts, l ’un du 3 i août 1810, de la Cour royale de
Limoges, l’autre du 16 janvier 1808, de la Cour royale
(1) Toullier, tome 5 , pages 7 1 4 et suiv.
�( 4o )
d ’A ix , et le troisième, du 2 5 juillet 18 16 , de la Cour
royale de L y o n , jugent uniformément que l ’action ah
irato n’est pas formellement conservée par le C o d e ,
q u ’elle ne peut être exercée que comme suite du prin
cipe q u ’il faut être sain d ’esprit pour disposer ; que la
disposition est valable, quoique faite par une personne
en c o l è r e si cet état ne lui a pas ôté la liberté d ’esprit
et atténué sa raison ; q u ’enfin , il faudrait que la haine
et la colère eussent été assez fortes pour occasionner
l ’aliénation des facultés intellectuelles du testateur (1).
Ces principes pourraient rendre inutile l ’examen
des faits. L e chevalier n ’avait autun droit à la succes
sion de son frère; e t , dans l ’ancienne jurisprudence,
1 action ab irato n ’ ét ai t admise cjii’cn f av eur des descendans en ligne directe (1).
D ’un autre côté,
le
testament ne laisse apercevoir aucun m otif de haine;
il est écrit avec sagesse; le chevalier Legroing n’y est
pas même nommé : comment
donc pourrait-il se
plaindre d ’un acte où le testateur ne s’est pas occupé
de lui ?
Mais le système d ’attaque, adopté par le chevalier
Legroing, repousse l’action q u ’il a intentée. Il a soutenu
que le comte avait une vive affection pour ClaudineFlavie Jouvainroux; c’est cette affection qui lui a fait
dire que Claudine-Flavie était la fille naturelle du
(i)Sir<*y, tome 10,
partie,page 5 a i ;torné i l , a* partie, page f\Qi ;
tome 17, a* partie, page i 3 .j.
(a)
Ricard, partie i r% cliap.
3,
section i 4 *
�comte; ce sont les preuves de cette affection, que le
chevalier voulait employer pour ôter à Claudine-Flavie
son état d ’enfant légitime. Les tribunaux ne peuvent*
point admettre ce genre de preuve, que la loi repousse;
mais les assertions du chevalier demeurent, pour ap-,
prendre que le comte avait pour Claudine-Flavie Une
préférence si marquée, q u ’il ne peut être permis de
s’étonner q u ’il ait voulu être son bienfaiteur.
Pourquoi donc chercher de la haine, là où il est
prouvé que l ’affection a dicté le testament ? Quelle est
la loi qui oblige de disposer en faveur d ’un parent in
différent, au préjudice de l ’étranger que l ’on préfère?
Comment serait-il perm is, sur-tout à un collatéral,
d ’outrager la mémoire d’un parent décédé, pour spo
lier l ’ héritière de son c h o i x ?
Mais encore il serait peu important que le testament
du comte eut été dicté par la haine, si elle avait été
conçue par le disposant lu i- m ê m e ,, et si elle était
fondée sur ses idées personnelles. Ce sentiment aurait
pu diriger sa volonté , sans que pour cela le chevalier
eût une action, parce q u ’en matière de testament, la
volonté assurée du disposant fait loi.
Si l'on supposait cette haine, qui oserait décider
qu ’elle fût injuste? qui oserait indiquer le caractère
q u ’elle devrait avoir, pour servir de base à.une action?
qui oserait enfin imposer à un testateur l ’obligation
de choisir, pour son héritier, celui q u ’il aurait sujet
de haïr?
Les faits ont appris que le
6
com te
et le chevalier son
�( 4a )
Irène devaient vivre dans une espèce d’éloignem etit;Le
niémoirè du chevalier donne les raisons qui pouvaient
légitimer la froideur du comte envers lu i; la différence
de lèivr conduite dans des tems difficiles; l ’entremise
du chevalier dans les affaires de la fam ille, pour de
venir le propriétaire des débris d ’une fortune, auxquels
lé comte croyait avoir des droits; une foule de nuances
q u ’ il ne peut être permis d ’indiquer : tout devait
l'aire désirer au comte de vivre éloigné de son frère.
Lorsque sa mémoire lui rappelait certaines circons
tances, il pouvait même se livrer U quelques emportemens:
1
.
,
s
^ Mills q u ’a de co m mu n cette haine avec Cl au d in e-
Flavie Jouvainroux? Ce n ’est point elle qui l ’a excitée;
on ne peut pas plus justement prétendre q u ’elle serait
** -
\f
'
l ’ouvrage de ses père et m ère, puisque le testament
qui institue Claudine-Flavie héritière du com te, ré
voque l ’institution fa ite , en 1807, en faveur de la
dame
Jouyainroux.
On
pourrait
donc
croire que
ce dernier testament a été fait non point en haine du
sieur chevalier"LegrQing, qui n ’avait pas un seul ins
tant été appelé à la sucqession de son frère, mais bien
en haine de celle que le comte
a v a it
honorée d ’une
institution, q u ’ uu changement d ’affection lui a ensuite
fait anéantir.
Q u e penser d ’ailleurs d ’une action ah ir a lo , intentée
contre un testament fait en 1 8 1 6 , et dont les causes
remonteraient à une époque antérieure à 1 8 0 7 ? ....
�( 43 )
JJi5Si l ’on examine les faits cotés par le chevalier,
quel eifet peuvent-ils produire?
Peut-on supposer que Françoise Boudon ait eu assea
d ’influence sur le, comte pour l ’éloigner de toute sa
fam ille?f
' •'
^ ■
Mais le chevalier convient, dans son mémoire, que
son frère avait eu des relations avec tous ses parens; il
convient q u ’il est accouru pour rendre ses devoirs à sa "
respectable mère , lorsqu’elle devint sérieusement ma
lade; q u ’il se montra’ pénétré, et donna des marques
de sensibilité dans ces dernières et touchantes en
trevues.
n ’est donc-point" contre sa famille q u ’il avait de
la haine : aussi la dame chanoinesse Legroing iie'se
plaint pas d ’avoir inspiré cet odieux sentiment à sou
frère.
•
L e décès de la dame Legroing mère est du 12 juillet
1 8 1 6 ; le testament est du 24 décembre suivant : il n ’a
donc eu lieu q u ’après une entrevufc assez touchante,
pour changer les intentions du com te, si sa volonté
n’eut été aussi ferme q u ’irrévocable.
Sous un autre point de v u e , de quelle importance
peuvent être les faits qui ont eu lieu en 1817 ? N ’est-il
pas insignifiant que le comte ait refusé *dé recevoir une
somme plus ou moins considérable des main s de Chantelot? q u ’il ait montré plus ou moins d ’impatience au
jurisconsulte qui lui présentait une quittance à signer?
tous ces faits seraient au moins personnels au testateur.
11 pouvait arriver que cette circonstance lui rappelât
�( 44 )
certains souvenirs peu favorables au chevalier; mais au
moins cette colère ne lui était inspirée par personne :
c ’était la
présence des intermédiaires
du
chevalier
qui l’excitait , et elle ne peut être regardée comme
suggérée par Jouvainroux ou son épouse. D ’ailleurs ces
faits étant postérieurs au testament et aux autres dis
positions du comte,
ne pourraient influer sur sa
validité.
Mais le chevalier n ’avait pu être admis auprès de
son frère! Une lettre écrite par lui n ’a point été-lue ;
elle n’a même pas été remise! Q u ’importerait à la
cause? Le sieur Legroing serait-il en état de prouver
que son frère désirait de le vo i r ; que les domestiques
s’étaient opposés à leur entrevue ; q u ’ils avaient sous
trait les lettres du chevalier, pour lui créer des torts
auprès de son frèré?
L e chevalier ne peut répondre affirmativement à
aucune de ces questions : tous ceux qui connaissaient
les deux frères savaient q u ’ils vivaient dans un éloi
gnement absolu, que le comte ne craignait point de
manifester. Les explications q u ’il a eues avec Chantelot
et le jurisconsulte chargé de la confiance du chevalier,
prouvent invinciblement que la présence de ce dernier
ne pouvait lui être agréable. Pourquoi donc rejeter
sur le compte de Jouvainroux et de sa femme la haine
dont il s’est plaint? Ces derniers devaient-ils faire vio
lence à la volonté de leur m aître, et le contraindre h
recevoir le chevalier, ou à lire ses lettres?...... Non; le
chevalier est réduit à se demander compte à lui-même
�( 45 )
d ’un sentiment dont les motifs lui sont connus. Il a
dédaigné l ’indifférence de son frère , tout le tems
q u ’elle n ’a pu lui être désavantageuse. Comment oset-il aujourd’ hui en faire reproche à sa mémoire, et
s’en créer un moyen pour arracher un bienfait q u i,
dans tous les cas, ne lui aurait été refusé, que parce
que le disposant l ’en aurait jugé indigne?
E n f a it , le testament du comte est une preuve de
son affection pour Claudine-Flavie ; il
ne montre
aucune haine contre le chevalier : son indifférence pour
lui a toujours été la même. Si le testament de 1816
est fait ab irato contre quelqu’un , c’est contre la
dame Jouvainroux.
du chevalier? Ce sentiment
est né des idées personnelles que le comte p o u v a i t avoir
sur son frère. Les faits qui peuvent l ’indiquer seraient
S e r a i t - i l fait on haine
postérieurs au testament. Ils ne peuvent donc influer
sur sa validité, ni être imputés à Jouvainroux et h
son épouse.
�I ( A V'
( 46 )
; . .
•
‘
L e testament et les actes r/ui l ’ ont suivi ont-ils été
arrachés p ar suggestion et captation ?—^L e chevalier
est-il recevable à proposer ces m oyens? — E xam en
des faits.
!
à
L a captation est l ’action de celui qui parvient II
s’emparer de la volonté d ’ un autre, à s’en rendre
m a ître , à la captiver ; elle s’opère par des démonstra
tions d ’attachement et d ’am itié, par des soins assidus*^
par des complaisances et des prévenances affectueuses,
des services, en un mot par tous les moyens qui peuvent
nous rendre agréables aux autres. L a captation . est
donc lcmaljle en cllc-meme j clic entretient l !umon
dans les familles et dans la société; elle ne peut être
vicieuse que par l ’intention, que par le but q u ’on sé
propose, et par l ’abus q u ’on en fait.
Aussi Furgole a-t-il remarqué que le mot captare ,
d ’où nous vient celui de captation , n ’était pas
toujours pris en mauvaise part ( i) . Dans le droit
romain, les institutions capta toires y étaient défendues;
mais cette prohibition ne concernait que les disposi
tions conditionnelles qui tendaient à s’attirer à soimême, ou ;i une autre personne, des libéralités de même
nature que celles que faisait le testateur; au reste, les
lois romaines permettaient des’atlirer des libéralités par
des caresses, des services, même par des prières (2).
(1) Fu rg o le , des T cs la mc n s , clxap. 5 , scct. 3 , n° 9.
(2) F ur gole , n° 19.
%
�/ û / b J è-j
( 47 )
L a suggestion suit la captation-, elle consiste en ce
que celui qui est parvenu à captiver la volonté d ’un
autr e, use de l ’ascendant q u ’il a pris sur son esprit, pour
lu i faire faire des dispositions q u ’il n ’aurait pas fa ite s,
s’il avait été abandonné à lui-même.
L e mot suggestion 3 qui vient du latin suggestio 3
et qui dérive du verbe suggerere 3 signifie proprement
avertir, inspirer, faire ressouvenir. Ainsi suggérer un
testament, c’est donc avertir, conseiller, persuader de
le faire (i).
L a suggestion par elle-même n’a rien de vicieux. Les
jurisconsultes romains, qui suivaient les austères prin
cipes d uP o rtique, n ’en tenaient pas moins pour maxime
q u ’il n ’est pas d é f e n d u de se
par des soins, des caresses, des
des prières (2).
des libéralités
c o mpl ai sanc es, et même
procurer
Cependant l ’on sait q u ’à Rome, plus que chez aucun
autre peuple, on abusait de la captation et de la sug
gestion; q u ’on en avait fait une sorte d’a r t, que culti
vaient avec fruit une foule d’ hommes méprisables ,
flétris du nom d ’ hére'dipètcs.
Mais comme la jurisprudence ne s’occupe que des
actions extérieures, et q u ’elle 11e doit ni rechercher,
ni juger rin tem ion des hommes, les viles pratiques des
(1) L a b b c , sur B cr r y, titre 18 , part. 8 , dit : « Suggerere cnim
est
« indicate, monerc. »
(2) F ur g ol c, ubi suprà, et n°
— Domat, 2e partie, Iiy. 3 , tit. 1 " ,
sect. 5 , u° a 5 , à la note ; et n° ^7.
�10** : ' ô .
1
( 48 )
hérédipètes n'étaient réprimées par aucune l o i , lors
q u ’on n ’avait à leur reprocher ni violence, ni dol, ni
surprise. On trouve même des lois formelles qui con
firment les dispositions provoquées par des soins, des
complaisances, et même des prières (i).
L e principe consacré par les lois romaines n ’est donc
pas douteux ; la suggestion et la captation simples
n ’entrainent point la nullité des dispositions testamen
taires, parce q u ’elles ne détruisent point la volonté du
testateur, à moins q u ’elles n ’aient le dol pour fon
dement.
Plusieurs coutumes de France proscrivaient les testamens faits par suggestion ; mais ce mot y était pris
par opposition à. l ’ a ct ion de dict er Çu) , c o m m e si 7 a u
moment de l ’acte, il y avait eu auprès du testateur
une personne qui lui suggérât les dispositions q u ’il
devait dicter; car ces coutumes exigeaient, comme le
Code civ il, que le testateur dictât son testament.
Bientôt quelques auteurs allèrent
plus loin , et
soutinrent que la captation et la suggestion, dégagées
de violences, de dol et de surprises, suffisaient pour
faire annuller les donations entre-vifsou testamentaires.
On
peut même dire que l ’ordonnance de i y 35 parut
favoriser cette opinion, q u a n d , après avoir ordonné,
sous peine de n u llité , l’observation des formes q u ’elle
prescrit, elle ajouta (article l\7) : « Sans préjudice des
( 3) Fnrgolc, ubi suprà, n° a 5 .
(1) Voyez Furgole cl le Nouveau Deni sai t, au mot Captation,
�C 49 )
IÛ
« autres moyens tirés de la suggestion ou de la capta^
« tion desdits actes ». Dès-lors il n ’y eut plus de règle
certaine;, ce moyen vague devint un prétexte pour at
taquer ^les testamens auxquels on n’avait à opposer
aucun yice réel ; et bientôt naquirent rune foule de
procès, scandaleux, dans lesquels des héritiers peu dé
licats
cherchaient
parens
i
* à flétrir la mémoire
1
I*de
/ leurs A
descendus dans la ]tombe, pour disputpij les dons q u ’ils
avaient faits à des.^légataires dont on ne manquait
jamais-def noircir , plus ou moins. gri^yement la répu
tation.
•
...•• i l; 1, {r jxr
.. . \j *%j ^ .il.
,
....
»
. Les .rédacteurs du projet du C od e-cjvil voulaient
prévenir ces abusjj;^ et .i}nr,article portait : « L a loi
« n’admet point la pr^uve^que la disposition n V é t ç
« fuite :<jue par , haine , ¡suggestion.! OU. captation. » ...
L e conseil d!Etat fut arrêté par la crainte d ’e n c o u
rager la cupidité. L ’article fut supprim é, mais avec
regret. i:«iLa ’ loi V 1 dit’ Forateur du Gouvernement ,
«' garde le silen ce'su r'lè défaut de 'liberté qui peut
« résulter de la suggestion et de la captation, et sur
« le vice d ’une volonté déterminée par là colère ou
« par la h a in e............. Peut-être vaudrait-il mieux ,
« pour Y intérêt g é n é r a l,r que cette source de procès
« ru in eu x et sca n d a leu x f û t ta rie, en déclarant que,
u ces causes de n u llité ne seraient pci s qçlm isesj mais
« alors la fr a u d e et les passions auraient cru »avoir
'
' ' -r '
•
a dans la loi même un titre d ’impunité. Les circons« tances peuvent être telles, que la v o lo n té de celui
disposé n 'a it, p a s é té libre ,, ou q u ’il ait
« qui a
7
�"
C
50 )
« été clolîiiné éntièrcnient par une passion injuste. »
L e m otif du silence de la loi prouve q u ’elle n 'au
torise point l ’action en nullité d ’un testament pour
cause de captation et de suggestion. L e Code exige
que lie tëstateui^ ait Tesprit sain , que sa volonté soit
lib r e , q u ’il n’ait pas été surpris où induit en errëUr:
cés principes sont fondés sur la raison^ Mais comment
la suggestion , qui rie consiste que dans la simple per
suasion tîégagée1 de fraude et de dol, pourrait-elle être
. un moyen ‘d'attaquer un acte? Détruit^élle la liberté,
lors même que les caresses et les prières seraient vive^,
pressantes et réitérées, et même importunés? Il n ’y a
que les moyens frauduleux: qui soient réprouvés par
la justice et lu morale j dans tous les attires V:as ‘ tbut
se réduit au point clé savoir si le testateur ¡n’était point
inibécille, ou si sa volonté tétait libre (r).
A in si, la captation et la suggestion nre pont pas, dans
notre d r o it , des ¡moyens différons du d o l, de la fraude
et de l ’erreur. La preuve n ’en peut être admise,, que
lorsque les faits tendent à prouver le dol* Ces1maximes sont célleâ de notre jurisprudence. Ôn
peut consulter lès arrêts rendus sur celle matière* on
y ven'a (pie la captation n’est cause de nullité d ’un
testament, qu'autan i q u ’elle est empreinte de d o l et
de fr a u d e / qu autant q u ’elle a tendu à tromper le
(r) Furgolc,'t<&i suprà, n° i S . — Mallevillc, torao a , p^go
�7èstctïeûr', et à 'anéànlir sa v o lo n té'( i j . j E lî s^écartant
rfe’ ces''principes-, ori retomberait nécessairement-dans
-l’arbitraire.
!
| e L
uJiipoùi’ être admis ti la'preuve d ’une suggestiou artb■ficieùsb, il faut encore poser des' faits précis j ’des faits
qui caractérisent des machinations, des artifices^ des
fourberies*, en un m ot, le dol et la fraude.
~ De simples présomptions, telles que celles que définit
l ’art. i 353 du C o d e , ne suffisent pas. On a déjà v u ,
"dans un arrêt de la'C o ur de cassation, du 18 novembre
1809^(2) , que l ’importance du. legs, l ’oubli de sa
"fam ille, la qualité1des légataires , qui les tenait perpé
tuellement attachés ‘à la personne du testateur1, en
qualité de domestiques, ne pouvaient être^une preuve
<que-le testateur ¡fût en c lémence, et que le .testament
lui eut-été artificieusement suggéré.
; ■
Mais la difficulté augmente , si l ’on veut prouver
la suggestion et la captation contre un testament
olographe. Tous les auteurs conviennent q^u’il çst, plus
difficile d’attaquer un testament olographe , q u ’un
testament notarié^ Dans /celui-ci on ne trouve, que la
s i g n a t u r e du testateur : c’est la.seule part, qiie l ’acte
prouve q u ’il y ait eue; le reste est une pr^spnrçtjlon. iy.e
. testament olographe, au co n tra ire ,.\est parUçuÎièvèWtiHt
et tout entier l ’ouvrage du testateur; iL pst ontit^ement
(1) Bruxelles, 21 ’avril 1808.— Si re y, 2* partie, pag. »46 el suiv.— •
Poitiers, 27 mai 1809. ■
— Si rey, , 1 81 0, a ” partie, pag. 23 et suiv.—
Agen , 18 juin 1812.— Si rey, tome
i rc partie, pag. 219.
�écrit’, -daté et . signé de sa main : ce f acte est consé»
quemment moins exposé aux surprises; et il est difficile
de supposer dans un homme faible d ’esp rit, ou qui
agit contre sa volonté, assez de patience, de docilité
et' de Soumission , pour écrire de sa main son testa
ment (i).
Aussi la forme olographe d ’un testament forme-t-elle
une fin de non-recevoir contre le reproche de sugges
tion et de captation.
Les auteurs les plus recommandables nous appren
nent q u ’il a passé comme maxime au palais, que les
faits de suggestion et de captation ne sont pas recevables contre les testamens olographes.
O n p e u t c onsult er le J o u rn a l d u P a l a i s d e P a r i s ,
itom. i er, pag. 907. — Ricard, part. 3 e, chap. i«r,
n° 49 * — B a rd e t, tom. 1 " , liv. 2 , chap. 67. —
Basnage, art. 7 3 , sur la coutume de Normandie. —
Soëfve, tom. i er, centurie 4 ? chap. 8 4 La jurisprudence nouvelle est aussi conforme h ces
maximes. L ’arrêt de la C our d ’A g e n , du 18 juillet
1812 , confirmé par arrêt de la C ou r de cassation,
du 6 janvier 1814 > a consacré, en principe, que la
fo r m e olographe d u testam ent, la survie du testateur
p en dan t un tems m o r a l, son éloignem ent et son in
d ifféren ce envers ses su cccssib le s , étaient autant de
présomptions exclusives de suggestion et de captation,
contre lesquelles elles élevaient une fin de non-recevoir.
[ ( 1 ) Œ u v re s de d’Agucsscau, lome 3 , page 3 6 8 .
�(
«3 )
Ces principe^ établis, le chevalier Legroing est-il
recevable à opposer (les moyens de suggestion et de
captation contre le testament de son frère?
Ce testament est olographe ; non seulement
il
est écrit en entier, daté et signé par le testateur, mais
encore toutes les pages en sont signées et numérotées -,
il est sous enveloppe et cacheté au sceau de armes du
comte : la suscription est écrite et signée par lui -, le
dépôt est aussi de son fait : tous ces caractères ne
sont-ils point autant de preuves de la liberté et de la
volonté du testateur ? ne détruisent-ils point à l ’avance
toutes les allégations du chevalier?
L e testateur a survécu pendant huit mois à son tes
tament. Cette survie n ’est-elle point encore une nou
velle p r e u v e de sa v ol onl d ? C h a q u e jo u r, chaque
moment n ’en sont-ils point une ratification s o le n n e lle ?
L e comte avait mille moyens pour changer ou dé
truire ses dispositions; il n ’en a employé aucun; il est
entouré de trois médecins et d ’une garde-malade; il
reçoit les consolations de la religion; pas un seul mot
de regret dans ses derniers instans; il ne manifeste
q u ’ u n e seule volonté, celle de
maintenir l'institution
d ’héritière faite en faveur de Claudine-Flavie Jouvainroux; q u ’un seul regret, celui de ne pouvoir lui
une fortune plus considérable.
Les avocats généraux les. plus célèbres, les oracles
de la justice et les docteurs, consacrent la survie du
tra n sm ettre
testateur pendant un teins moral, comme une fin de
non-reccvoir insurmontable : nu arrêt a même décidé
�q u ’ un espace de trois semaines était une présomption
qui devait faire rejeter la preuve ( i). :‘f
A insi, le simple silence du testateur*serait suffisant
pour faire rejeter les moyens de suggestion et de cap
tation; mais Claudine-Flavie peut encore prouver que
son bienfaiteur a persisté dans ses volontés d ’une ma
nière très-expresse. E n effet, la vente du 17 mai 1817
et les ordres des lettres de change sont autant d ’ap
probations du testament de 1816 : ces actes démontrent
aussi que la volonté et l ’intention du comte d ’exercer
ses libéralités envers tout autre qtie le chevalier, ont
été immuables; et il est impossible, depuis 18 0 7, de
t ro uve r
aient
un seul instant où les dispositions du comte
p a r u f a vor ab le s à sou frère.
Il importe peu que le testament olographe ne reçoive
de date que par le décès du te stateur, et que rien ne
prouve que le testament soit antérieur à la vente et
aux ordres: d ’abord ce moyen ne serait pas exact ,
puisque l ’acte de dépôt fait preuve de la date du tes
tam en t; mais le fut-il? il serait insignifiant. De quelque
manière q u ’on place ces actes, les conséquences sont
les mêmes; en effet, si la vente et les ordres sont an
térieurs au testa m en t, ils prouveront
que
l ’intention
du comte a toujours été d ’être libéral envers Claudine(1) Arrêts du parlement de Paris, du iG janvier 16G4; a 3 avril 1709.
Journal des Audiences, tome
, livre 3 , chapitre t\ . — To me 5 ,
partie a ” , livre 9 , chapitre 19.— Soëfvu, tome a , centurie a , clinp. 19.
Arrêts du parlement de Toulouse , 3 o août 1735 ; 11 septembre 1722 ;
ao aoûl 1726 , etc.
�(55)
'
fldvie Jouvainroux, et que son testament* n’est que
l ’accomplissement de sa volonté déjà manifestée; si,
au' contraire, ces actes sont postérieurs au testament,
ils en seront la ratification et l ’approbation la plus
complette.
xi Que l ’on se fixe actuellement sur la suggestion et
captation reprochées à Jouvainroux et à son épouse :
la plus légère ¡attention convaincra de la faiblesse et
de la nullité de ce moyen.
h
D ’abord , il était contre l ’intérêt de la mère de
suggérer ,un testament olographe qui anéantissait son
institution d ’héritier; si elle avait eu quelque influence
sur l ’esprit du. com te, elle s’en serait servie pour fixer
ses dispositions en sa faveur; si elle avait dicté le tes
t a m e n t olographe de 18 16 , il ne serait autre, chose
que la confirmation de celui du 18 avril 1807.
Le chevalier répond par un moyen d ’incapacité.
Suivant l u i, la mère de Claudine-Flavie Jouvainroux
vivait en concubinage ayçc le comte; depuis,.,qu’julle
était entrée k son service, elle ne( pouvait recevoir, de
lui : Claudine-Flavie Jouvainroux est donc la personne
interposée de sa mère incapable. .
j
.
M ais, d’une part, si l ’ancienne législation rejetait
les dispositions faites entre personnes qui avaient vécu
dans un commerce illicite; si on y tenait pour maxime
que don de concubin à concubine ne v a u t , il est cer
tain aujourd’hui que cette prohibition n’existe plus;
qu e, suivant l ’article 902 du Code, toutes ¡personnes
peuvent disposer et recevoir, excepté celles que la loi
�( S6 )
en déclare incapables. Gom m ent, avec un texte aussi
formel, les juges pourraient-ils, sans excéder leurs
pouvoirs, faire revivre une incapacité prononcée par
l ’ancienne loi? Plusieurs arrêts ont fixé la jurisprudence
sur ce point (i).
D ’un autre côté, comment proposer un pareil moyen
contre une épouse et une mère! La preuve d ’un pareil
fait blesserait à-la-fois la morale publique et la dignité
du mariage ; il est évident q u ’elle serait plus scanda
leuse que le fait lui-même.
Il n ’y a donc point d ’incapacité, conséquemment
point d ’interposition de personne; et l ’idée de concubi
comme celle de l ’illégitimité de la naissance de
Claudine-Flavie Jouvaiuroux ne restent « q u e pour
nage
« apprendre q u ’il ne faut pas confondre la captation
« qui inspire, par ruse ou par fraude, une volonté dif« férentedecellequ’auraiteueledisposant,quisubstitue
« une volonté étrangère à la sienne, avec le motif qui
« dirige une volonté qui lui est propre. Dans le pre« mier cas, la volonté est dirigée par le fait d ’autrui ;
« dans le second, il ne peut y avoir du fait d’autrui :
« c’est la volonté du disposant qui agit » (M. Grenier,
« Traité des donations).
Ainsi les moyens les plus puissans du chevalier se
( i ) Arrôt de la Cour île Tïlincs , du 29 tlicrinidor an i a . — Jurispru
dence du Code c i v i l , loinc S , page 198.
Arr6t de la Cour de T u r i n , du 9 juin 1 8 0 9 . — Voyez M. Grenier,
des D onation s, tome i ,T, p»g(,s 3q3 cl suiv.
�rétorquent contre lu i, et viennent l ’accabler. La loi
repousse la preuve des faits q u ’il allègue ; s’ils conservent
quelque vraisemblance, c’est pour manifester la vo
lonté' du testateur; prouver q u ’il n’a point agi par
le fait d ’autrui, mais bien par une détermination qui
lui était propre, et par des motifs dont la loi ne de
mande aucun compte.
Que reste-t-il donc au chevalier? Dira-t-il encore
que la dame Jouvainroux était toujours auprès de son
maître? que celui-ci était dans sa dépendance? q u ’elle
s’était emparée de tous ses biens et facultés?
Mais que signifient de pareilles imputations? Quels
sont les faits précis? les faits propres à caractériser les
machinations, les artifices, les fourberies, en un mot,
le tlol et la f raude <jue la loi a v o u l u réprimer? L e
chevalier ne cote pas un seul fait dont la preuve puisse
être ordonnée.
Toutes ces allégations seraient même insignifiantes,
si elles étaient prouvées. E n effet, le comte Legroing
était malade et infirme : il était naturel q u ’il désirât
la présence de ceux qui devaient lui accorder des soins;
et si le besoin de son service obligeait ses domestiques
à le laisser momentanément livré à lui-m êm e, il était
aussi convenable de fermer son appartement, pendant
ces courts instans, pour le soustraire à des visites que
son état de souffrance pouvait lui rendre importunes,
et lui éviter le désagrément d ’aller ouvrir aux étran
gers , ce que d ’ailleurs il était hors d’état de faire dans
J.a dernière année de sa vie.
�( 58 )
E n fin , la suggestion et la captation ne peuvent être
produites que par les prévenances et les conseils de la
personne que l ’on aime : elles ne sauraient être imputées
à celui qui n ’aurait ni la confiance, ni l ’amitié du
testateur au moment où il écrit ses dernières volontés.
O r , que l'on suive, dans le mémoire et les conclu
sions signifiées du chevalier, l ’état de l ’in térieu r; du
comte.
Jouvainroux nravait aucune influence sur l ’esprit de
son maître; le comte le tenait éloigné de lui : il man
geait à la cuisine.
L a femme, depuis son mariage, méconnaissait son
état; elle s’était fait des sociétés nouvelles; elle négli
geait son maî t re , le laissait dans u n é t a t d ’a b a n d o n ,
faisait des dettes, excitait enfin sa mauvaise h u m eu r,
qui se manifestaiti fréquemment par des imprécations
énergiques et souvent répétées.
Claudine-Flavie Jouvainroux, au contraire , était
l robjet de toutes les caresses du comte. Sa tendresse
pour cette enfant était si grande, q u ’une prière, une
prévenance de Flavie pouvaient appaiser sa colère, et
que le chevalier n’a pu la dépeindre, q u ’en la compa
rant aux effets de la tendresse paternelle.
Si la captation e f l a suggestion ont été pratiquées, il
serait dès-lors évident q u ’elles ne peuvent être imputées
à Jouvainroux et à son épouse. L 'u n avait toujours été
indifférent au comte; rautre s’était attiré sa haine. L e
comte lui donnait même des preuves de son ressenti
m e n t, en anéantissant le testament q u ’il avait fait en
�¡ ( ù 'k ?
(i 59 )'
¡¿a laveur.
L ’auteur dé ces manœuvres serait donc
Claudine-Flavie Jouvainroux!...... Son jeune âge inté
ressait le comte : les caresses, les tendres soins del ’enfant soulageaient les douleurs du vieillard. Les empressemens de Claudine-Flavie ne pouvaient ressembler
aux démonstrations d ’ une amitié feinte; ses complai
sances n’avaient point un sordide intérêt pour mobile
la récompense q u ’elle en a reçue doit donc être sacrée
pour les tribunaux. La religion, la morale et la loi se
réunissent pour approuver et faire respecter le testa
ment du comte Legroing.
* Il faut dire un mot de la violence prétendue exercée'
sur la personne du testateur.
Les principes sont simples. Des excès réels , de
mauvais traitemens , la soustraction des a l imens ou
*
des services au testateur malade, la menace même de
le laisser sans alimens ou sans service , ou d ’user
d ’excès réels sur sa personne , pourraient être des
raisons suffisantes pour annuller un testament.
Mais il faudrait que la violence fût intervenue
et que les faits propres
& la prouver fussent articulés; car elle ne doit pas être
avan t
la
faction
du t e st a m e n t
,
présumée (i).
E n fait : les reproches du chevalier sont dénués de
vraisemblance. On supposera difficilement que la fierte
de caractère du comte se fût abaissée jusqu’au point
de souffrir de mauvais traitemens de la part de ses
I
(1) F u rg o lc , l'e s t. , cliap. 6 , scct. i ” , n°* 4 > 5 , 6 , 8 çt io.
í-l¿}
�11^
1
( 6o
gens. Il n ’est pas plus possible de croire que Jouvainr o u x , que l ’on se plaît à peindre comme un homme
a d ro it, ru sé, dissim ulé, ne perdant ja m a is de vu e
son o b jet, ait essayé de l ’atteindre en employant la
violence.
E t où aurait-elle été pratiquée? A Clerm ont! dans
une ville populeuse, dans une maison où habitaient
d ’autres locataires!
Dans quel t e m s P A p R È s
du
te sta te u r
!
le
testam en t
, ju sq u ’a u décès
Ainsi Jouvainroux et sa femme auraient
cherché à anéantir, par la violence, une disposition
q u ’ils s’étaient attirée par la suggestion et la cap
tation !
T out ce système est inconcevable; il n ’y a point
eu de violence, puisque , d ’après le chevalier luiméme, loin d ’être une cause impulsive du testament,
elle aurait été exercée dans un tems où elle ne pou
vait avoir d ’autre objet que d ’en provoquer la révo
cation ; et si elle eût existé, elle prouverait plus
fortement
encore l ’attachement que le comte avait
pour Claudine-Flavie Jouvainroux, puisqu’il aurait
persisté dans ses dispositions bienfaisantes, malgré les
justes motifs de plainte q u ’il pouvait avoir contre les
père et mère de sa légataire.
Mais toutes ces imputations ne sont qu'un roman
monstrueux, odieux, enfant de l ’imagination du che
valier. Le comte a reçu, tous les secours et toutes les
consolations que son état pouvait exiger : les souilrànces
ont pu lui arracher quelques cris de douleur; des voi-
�( 61 )'
éîns, la police même ont bien pu s’introduire dans son
domicile : q u ’y a-t-on vu ? le m alade dans les bras
de ses dom estiques, q u i le caressent, le d ésh a b illen t,
et prennent les p lu s grandes précautions p o u r soulager
ses m a u x ........ I ( i )
Il faut terminer :
i
• i
Claudine-FlavieJouvainrouxaremplila tâche q u ’elle
s’était imposée.
■
>
Elle était capable de recevoir, et ne doit point être
regardée comme la personne interposée de ses père et
m ère, puisqu’on ne peut leur reprocher à eux-mêmes
aucune espèce d ’incapacité.
Le comte, de son côté, était capable de disposer;
s o n t e s t a m e n t a é t é d i c t é par 1’afïection ; aucune trace
de haine ne s’y fait remarquer ; lors même q ù ’il au
rait eu de l ’éloignement pour son frère, ce ne pourrait
être un m otif pour annuller ses dispositions.
Les faits de suggestion, de captation et de violence
sont dénués de vraisemblance; ils sont vagues et insignifians; ils sont même détruits par les aveux du che
valier : en point de d ro it, la preuve en est inadmis
sible.
Que peut donc espérer le chevalier Legroing?.........
Fallait-il outrager la mémoire de son
frère
? Essayer
d anéantir 1 état d u n j eu ne enfant? Se montrer si peu
difficile dans le choix de ses moyens, pour n’en obtenir
aucun résultat ? Convenait-il sur-tout de descendre
( i) Mémoire du chevalier, page 1 5 .
' v
1,1
�(6 2 )
jusqu’à la calomnie pour capter la fa v e u r ,e t inspirer
un intérêt qui devait si .promptement être remplacé
par la plus juste indignation:
...
L e chevalier s’est abusé; il s’est même exposé à de
justes représailles; mais la légataire d u co m te . doit.
oublier que le chevalier n’a respecté n i son âge, ni sa
faiblesse. Son devoir est. de consoler ses parens des
chagrins q u ’ils ont éprouvés, et dont elle est la cause
innocente.
E lle attendra d o n c , avec confiance et respect,
l ’arrêt qui doit statuer sur ses plus chers intérêts;
mais il peut lui être permis de désirer que le chevalier
n e sente jamais que les faiblesses, produites par l’ambi
tion et l ’avidité des richesses , peuvent quelquefois
avilir et dégrader un homme d ’honneur; et que les
excès auxquels peuvent entraîner c e s p assions ne
sauraient, en aucun tems, trouver d ’excuse auprès des
hommes qui ont quelques vertus ou quelque générosité
dans le caractère.
'
‘
J u lie n
J O U V A IN R O U X .
Jn - C h . B A Y L E ain é, ancien A vocat.
B R E S C H A R D , A vo u é.
RIOM, IMPRIMERIE DE SALLES, PRÈS LE PALAIS DE JUSTICE.
�
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The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Factums Godemel
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/files/factum-remarquables/BCU_Factums_G0301_0007.jpg
Description
An account of the resource
<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. Jouvainroux, Julien. 1819?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bayle
Breschard
Subject
The topic of the resource
testaments
abus de faiblesse
domestiques
servante-maîtresse
enfants naturels
créances
séquestration
mobilier
maltraitance
émigrés
ordre Saint-Jean de Jérusalem
fraudes
fisc
inventaires
lettres de change
doctrine
nullité du testament
captation d'héritage
testament olographe
jurisprudence
concubinage
legs universels
egyptologie
code civil
bedeau
vie intellectuelle
garde-malade
atteintes aux bonnes mœurs
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire en réponse, pour le sieur Julien Jouvainroux, propriétaire, en qualité de père et légitime administrateur de Claudine Favie Jouvainroux, sa fille, intimé ; contre le sieur Louis Legroing, chevalier de justice de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, chevalier de l'Ordre royal et militaire de Saint-Louis, appelant.
Table Godemel : ab irato : 2. l’action ab irato contre les testaments est-elle admise par le code civil ? peut-elle appartenir à l’héritier collatéral ? Etat (question d') : 3. l’héritier du sang a-t-il le droit, pour prouver l’interposition de personne, de rechercher si le légataire, qui a dans une famille le titre et possession d’état d’enfant légitime, est, ou non, l’enfant naturel du disposant, surtout, lorsque cette recherche conduirait à la preuve d’un commerce adultère ? Sanité d'esprit : d’après quels principes se résout la question de savoir si le testateur était sain d’esprit ? Suggestion : La suggestion et captation sont-elles moyens de nullité pour la législation actuelle ? peuvent-elles être opposées contre un testament olographe ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
De l'imprimerie de J.-C. Salles (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa 1819
1807-1819
1804-1814 : 1er Empire
1814-1830 : Restauration
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
62 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G2431
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Relation
A related resource
BCU_Factums_G2429
BCU_Factums_G2430
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/6/53485/BCU_Factums_G2431.jpg
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Riom (63300)
Clermont-Ferrand (63113)
Biozat (03030)
Fontnoble (terre de)
La Roche-Blanche (63302)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
abus de faiblesse
atteintes aux bonnes mœurs
bedeau
captation d'héritage
Code civil
concubinage
Créances
doctrine
domestiques
egyptologie
émigrés
enfants naturels
fisc
fraudes
garde-malade
inventaires
jurisprudence
legs universels
lettres de change
maltraitance
mobilier
nullité du testament
ordre Saint-jean de Jérusalem
séquestration
servante-maîtresse
Testament olographe
testaments
vie intellectuelle
-
https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/original/6/53484/BCU_Factums_G2430.pdf
37bcf9e52774cffcac992e7f1aaf5206
PDF Text
Text
L ’ANCIEN AVOCAT SOUSSIGNÉ,
V u le mémoire imprimé à Riom, pour le chevalier
Legroing, contre Julien Jouvainroux, Françoise Boudon, e t c .
V u aussi les pièces jointes, et notamment copie du
jugement rendu sur cette affaire, au tribunal civil de
C lermont-Ferrand, le 11 mai 1 8 1 8
E S T IM E , en droit, que le double moyen de capta
tion et de suggestion , contre les testamens, peut tou
jours être légalement opposé depuis la promulgation
du Code civil ;
t
E t en fa it, que les circonstances qui ont précédé,
accompagné et suivi le testament de Jean-Baptiste ,
comte Legroing, du 24 décembre 1816, sont denature
à être articulées et admises en preuve qu e, si elles
sont prouvées, elles devront faire prononcer la nullité
de la disposition testamentaire dont il s’agit.
Dans le droit, d’abord, on a tout lieu de s’étonner
que le tribunal de première instance ait mis en doute
que, dans les principes du Code civil, l’action en nul
lité des testamens en général, fondée sur la captation
et la suggestion, ait été conservée. La seule nature des
choses ne permettait pas de controverse sur ce point de
jurisprudence ; et les discussions au conseil d ’E tat ,
�( 2 )
dont il y a tradition, impriment à cet égard, au juge
ment attaqué, le caractère d ’un pyrronisme into
lérable.
Suivant la définition du droit romain, le testament
est un jugement réfléchi, conforme à la loi, que l’homme
prononce sur ce q u ’il entend être exécuté après lui ;
c’est une ordonnance de sa dernière volonté, exempte
de toute iniluen.ce étrangère.
T esta m en tu m est ju s ta v o lu n ta tis nostrœ sententia
de eo q u o d q u i p o st m ortem "suani f i e r i v e l i t .
On a dû dès-lors considérer comme nulle et non
.avenue, dans tous les teins, la disposition, à cause de
inort ,
f £ ui
était
le
fru it
é v i d e n t , t i e l a c a p t a t i o n , SOlt
des artifices frauduleusement employés pour dominer
les facultés morales des testateurs, soit des mauvaises
voies pratiquées par des tiers pour substituer leur
propre volonté à celle des disposans.
Aussi la loi- romaine s’en était-elle expliquée caté
goriquement en plusieurs endroits 5 elle avait statué
que tous ceux qui avait dissuadé l’auteur de la dispo
sition de tester comme il l’aurait v o u l u , (.levaient être
déchus des. avantages q u ’ils s’étaient fait concéder; elle
avait même réputé crime toute violence employée pour
faire écrire à un testateur rien de contraire à ses in
tentions.
Q ui j du/n copiât hœ reditatem lé g itim a n t, v e l e x
tostfïnientos p ro h ib u it teslam entarium introire3 volente
�(
3
)
eo fa c e r e testa m en tu m , v e l m u ta r e
,
e i denegaritur
acliones.
E t crim en a d ju n g itu r , s i testa to r, non su d sponte
testam entum f e c i t ,
se d
co m p u lsu s 3 (juos
,
n o tu e n t
s c r ip ù t hœ redes.
Ces principes, comme raison écrite, avaient été
universellement reçus parmi nous 5 ils ont été pi'ofessés
par tous nos auteurs, et consacrés par des monumens
nombreux de notre ancienne jurisprudence.
»
Lors de la rédaction du Code civil, on avait d ’abord
été tenté d ’abolir l ’action en nullité des test.amens,,
pour cause de captation et de suggestion, sous prétexte
que ces exceptions faisaient naître.une foule de procès
fâ c h e u x d o n t il importait de tarir la source. On avait,
dans c et t e v u e , inséré au projet du Code un article
ainsi conçu :
« L a loi n’admet pis la preuve que la disposition n’a
« été faite que par haine, colère, suggestion et cap:i :i
« tation. »
1
Mais de toutes parts on réclama contre rimmoralité
' i l
•J)
et le danger d’une semblable proposition.
)
#
Plusieurs
Cours souveraines observèrent sur-tout q u e lle livrerait
la fortune des personnes laibles au crim e, à la fraude:
« Que de m aux, que de brigandages, s’ écrièrent-elles,
« pour éviterdes procès et d e s poursuites dont la cramte
« arrêtait le crime! N e serait-il pas p l u s juste., plus
« digne de la sainteté de la loi, de laisser aux tribunaux
�( 4 )
« le jugement des faits, des circonstances qui pourront
« donner lieu à admettre la preuve que des gens cupides
« ont su , par leurs artifices, substituer leur volonté
« à celle du donateur ? »
Ces considérations prévalurent, et déterminèrent à
retrancher du projet l ’article qui abolissait les argumens de captation et de suggestion.
E n conséquence , l ’orateur du Gouvernement ,
j
s’adressant au Corps législatif, s’exprima ainsi : « La
« loi garde le silence sur le défaut de liberté qui peut
« résulter de la suggestion et de la captation, et sur
« le vice d’une volonté déterminée par la haine ou par
« la colè re................... E n d éc lar ant q u e ces causes de
« nullité ne seraient pas admises, la fraude et les
« passions auraient cru voir, dans la loi même, un
« titre d ’impunité.
Les circonstances peuvent être
« telles, que la volonté de celui qui a disposé n ’ait
« pas été lib r e , ou qu ’il ait été dominé par une passion
« injuste. C ’est la sagesse des tribunaux qui pourra.
« seule apprécier les faits et tenir la balance entre la
« foi due aux actes et l ’intérêt des familles-, ils empê« chcront q u ’elles ne soient dépouillées par les gens
« avides qui subjuguent lesmourans, ou par l’effet d ’une
« haine que la raison et la nature condamnent. »
D ’apres des déclarations aussi solennelles du légis
lateur, n ’est-il pas éirangcquele tribunal de Clermont
ait affecté des doutes sur le point de droit, et q u ’il
�(
5
)
a it , en quelque sorte, disputé aux tribunaux cette
puissance qui leur fut si positivement attribuée ?
Pour achever la réfutation de sa doctrine, on pour
rait invoquer le suffrage de tous ceux qui ont écrit sur
le Code civil ; tous s’accordent à maintenir que les
causes de captation et de suggestion sont toujours
admissibles en matière de testament. Il suffit d ’en
indiquer deux dont le nom fait plus particulièrement
autorité : M. Toullier, avocat de Rennes; M. Grenier,
en son T ra ité des D onations,
M. Toullier professe que tous les vices d’erreur, de
crainte, de violence, de dol et de fraude, que l ’on peut
opposer aux contrats, peuvent être objectés contre les
testamens. Il donne la définition dés mots captation
et suggestion, il rappelle, en j"KirtiG, le discours ¿m
Corps législatif, de l’orateur du Gouvernement, que
nous avons transcrit. Il relève, dans l’article 901 du
Code, la condition que le testateur doit être sain d 'es
p rit ; il pèse sur-tout, avec M. M alleville, sur les moyens
frauduleux, tels que les calomnies employées auprès
du testateur contre ses héritiers naturels.
:
M. Grenier, page 33 g , tome i er, dit à son tour :
«
«
«
«
L a crainte de voir triompher l’artifice et la fraude,
qui se montreraient avec d’autant plus d ’audace ,
que la loi ne leur opposerait plus de frein , empêche
de se* rendre Iv l ’idée de la suppression »le cette
« action : elle existe sans être é tay.ee d ’une disposition
�« positive de; la loi, On la ¡mise dans ces principes de
« justice, .que le silence de la loi ne peut détruire,
« que ce qui est l ’ouvrage du dol et de la fraude ne
-u"p eu t Subsister. Lors même que la^Ioi dispose, les
« cas de fraude, en général, sont exceptés. >>
1
A toutes ces autorités vient se joindre, sur le^ oint
de droit, pour le confirmer, l ’arrêt de la Cour royale
de Paris, du 3 i janvier i 8 i 4 > dont le chevalier, ¡Legroing s’était, aidé dans son mémoire.
. , . j » wn
■ 'y
Y w :». it‘:
Ayant tergiversé sur la doctrine, les premiers juges
se sont donné libre carrière sur les.faits; ils ¡n'en, ont
trouvé aucun pertinent ni admissible, .Jl faut convenir
q u e , sous ce d e ux iè me aspect de la c a u s e , leur tolerance a été loin-, Car, sans vouloir ni S’appesantir sur
les détails qui appartiennent plus spécialement à la
plaidoirie, il était difficile de rencontrer un cadre plus
repoussant que celui des dispositions prétendues du feu
comte Legroing.
TJn legs universel très-considérable, fait au profit
d ’un enfant de quatre ans et dem i, fille de sa domes
tiqu e, avec laquelle il avait vécu en c o n c u b i n a g e , et
d o n t il .avait eu lui-même une au tr e fille pai’j. lui
r e c o n n u e mais décédée le 11 janvier 1807 ! Quelle
affection légitime le comte Legroiïig jmuvait-il avoir
pour cette fille de quatre ans, qui,lui élait étrangère,
étant née du mariage de sa d o m o t iq u e , Françoise
Bûtidon > avec Julien Jmivainroux. ? Aucuns soins ,
�( ( 7 ;)
aucuns services encore ne pouvaient l'attacher à la
Claudine Jouvainroux, qui était évideriinïént
ici une personne interposée , pour parer à l ’inconVénient de tester au profit de la mère , Son ancienne
petite
concubine, et restée vis-à-vis de
la domesticité.
lui
dan& leS liens de
Cette tournure, imaginée dans la vue manifesté de
m asquer, de déguiser le véritable objet d’une telle
libéralité, n’est-elle pas la preuve que le testateur a
été dominé pas ses alentours ?
Un
fait non moins pertinent pour proclamer la
suggestion à laquelle le testateur était livré, est celui
de l’acquisition immobilière de 40,000 fr. au nom
de la petite Jouvainroux ; celui encore de lettres de
change pour fortes sommes , passées h son ordre.
Quoique ce soient dès- actes entre-vifs, leur' Singularité
est telle, que l ’état d’assujétissement du testateur aux
volontés de ceux qui l ’entouraient, en ressort avec la
plus grande évidence : rien de plus insolite, notam
ment, que cette négociation des lettres de change, dont
il est impossible que la petite Jouvainroux ait fourni
la valeur.
U n troisième fait déterminant est dans l ’articula
tion des calomnies journellement débitées par les
Jouvainroux, auprès du testateur, contre lé chevalier
TLegroing, son frère ; les odieuses suppositions, que
celui-ci voulait attenter à ses j ours, ou le faire inier-
�( 8 )
dire, etc. : toutes impostures, dont les suites sont
signalées par l’aversion que le testateur avait conçue
contre son frère , et dont il a donné une preuve si
frappante, en supprimant la qualité de frère qui lui
était donnée dans une quittance.
;
Une quatrième articulation , digne de toute la
sollicitude de la justice , est celle des violences , des
mauvais traitemens sous lesquels gémissait le comte
Legroin g, et dont la manifestation avait été te lle , que
plusieurs fois des officiers publics avaient été appelés
pour faire cesser l ’oppression des Jouvainroux.
*.,;U lie cinquième circonstance, quoiqu’extérieure au
testament , q u o i q u e su rv en u e s e u le m en t depuis , et
assez difficile à établir judiciairement, est sans con
tredit celle relative au dépôt du testament. La volonté
du testateur avait été q u ’il fut déposé entre les mains
du notaire Espinasse ; il l ’avait à cet effet renfermé
dans une enveloppe cachetée, et il avait couvert cette
enveloppe d ’une suscription indicative du dépôt, datée
du ït\ décembre, dix jours après la confection du titre,
et signée.
11 parait cependant que le d é p ô t, aussi rigoureuse
ment vouluj n’a jamais été effectué; que Julien Jouvainroux s’est emparé du testament, et que c’est lui
qu i, après la mort du testateur, l ’a présenté en justice.
Cette particularité est remarquable , en ce q u ’elle
donne la mesure de l’ascendant dç$ Jouvainroux sur
�( 9 )•
(
l ’esprit du testateur, et des abus de confiance q u ’ils se
permettaient. Qui dira que si le testament avait été
Jivré à la foi d ’un officier public dépositaire, le comte
Legroing , alors qu ’il s’est vu le jouet de la famille
Jouvainroux, n ’aurait pas donné l ’ordre de le sup
primer? au lieu que, la pièce étant au pouvoir des
domestiques du testateur, dans l ’état de paralysie et
d ’incapacité où il était tom bé, ils se sont mis à l ’abri
de toute révocation.
On regrette de ne trouver au jugement de première
instance, sur ces diverses articulations, que de vains
palliatifs ou pointilleries, comme quand les premiers
juges reprochent au chevalier Legroing de n ’avoir pas
précisé les injures débitées sur son compte , à son
frère, par les Jouvainroux. Y avait-il rien à préciser
au -d el a des supposit ions d ' e m p o i s o n n e m e n t ,
d ’assas-
sinat, de plan d’interdiction, etc. ?
Que signifient encore les réflexions glissées au juge
m ent, sur la fierté du caractère du comte Legroing,
pour en induire q u 'il n ’avait pu s’abaisser jusqu’à
condescendre aux désirs de Françoise B oudon , sa do
mestique? lorsqu’il est prouvé q u ’il avait vécu avec elle
en concubinage. Que signifie cette invraisemblance ,
que la domestique ait jamais songé à dominer son
maître ? lorsqu’il est si bien avéré, si notoire, q u ’elle
faisait de ce vieillard tout ce qu ’elle v o u l a i t ; q u ’elle
l’accompagnait par-tout; q u ’elle ne laissait approcher
de lui que qui bon lui semblait.
�E t ces huit mois de persévérance, écoulés depuis la
confection du testament ? lorsqu’il est de notoriété
p u b liq u e , que l ’état physique et moral du testateur,
k celle du période de Sa v i e , était celui d’une débilité
excessive , et de l ’aiFaissement extrême de toutes ses
facultés.
‘
t
Des juges qui avaient débuté par réduire en pro
blème toute pertinence , toute admissibilité des faits
de captation et de suggestion, ont dù naturellement
se donner libre carrière sur l ’appréciation de ces faits.
Il était difficile q u ’a leurs yeux aucun de ces faits
conservât la couleur qui lui était propre.
Il n ’ en peut pas être de même devant une C o u r
souveraine, impassible, mieux pénétrée de la vraie
doctrine, plus éminemment placée pour le maintien
des règles qui protègent la morale-publique, les pro
priétés des fam illes, et qui répriment les iniques
combinaisons de la domesticité, incessamment dirigées
vers la spoliation, dans les derniers momens de l ’exis
tence d ’un maître q u ’elle a su cerner et subjuguer.
Délibéré à Paris, le 4 avril 1819.
BERRYER.
�I - Æ S C O N S E IL S S O U SS IG N É S, qui ont pris lecture
d ’un jugement du tribunal de Clerm ont-Ferrand, du
i i
mai 1818, lequel, sans s’arrêter à la preuve offerte
par le chevalier Legroing, ni avoir égard à la nullité,
par lui demandée, du testament du comte Legroing ,
son frère, portant legs universel en faveur deClaudineFlavie Jouvainroux, fille de sa domestique, l ’a débouté
de toutes ses demandes ,
que M. le chevalier Legroing doit espérer
de faire annuller, sur l ’appel, ce jugement qui met en
doute si un testament peut être annullé pour des
E
stim ent
causes qui, quoique non exprimées dans le Code civil,
parmi celles qui emportent nullité des testamens ,
résultent évidemment de l ’esprit de ses dispositions,
et qui tippiecic, de la manicre la plus otriingGj des
faits articulés pour justifier que le testateur n ’avait
pas, disposé librement et par l ’effet de sa propre
volonté.
Le comte L egro in g, par testament olographe du
24 décembre 18 16 , a nommé légataire universelle de
ses biens, qui peuvent se monter de 3 à 400,000 fr.^
Claudine-FlavieJouvainroux, déclarée, à la naissance,
fille de Françoise Boudon, sa domestique, et de Julien
Jouvainroux, bedeau de la cathédrale de Clermont ,
son mari. Cette disposition compose tout le testament
avec celle du legs d ’ une rente viagère de 800 francs,
et d ’un
mobilier assez considérable, en faveur de
Françoise Boudon elle-même.
�( 12 )
Françoise Boudon, sous le nom de Claudine, était
fille de peine dans la maison de madame la comtesse
Legroing, mère; le comte Legroing, son fils, l ’avait
prise à son service, où elle était encore à son décès,
arrivé le i 3 août 1817.
v
Cette fille vivait en concubinage avec son maître.
De ce commerce est né %le 7 septembre 1806, un enfant
du sexe féminin, présenté à l ’officier de l ’état civil ,
par le comte Legroing lui-m êm e, qui lui a donné le
nom de J o sé p h in e , et q u ’il a déclaré avoir eue de
Françoise Boudon, s’en reconnaissant le père. C e t
enfant est décédée le 11 janvier 1807; l ’acte mortuaire
la dénomme Joséphine L egro in g, fille de J- B. Legroing
et de F ra nç oi s e B o u d o n .
Françoise Boudon , lorsqu’elle s’est mariée avec
Jouvainroux, était enceinte ; son mariage est du 16 sep
tembre i'811 j et la naissance de Claudine-Flavie, du
5 mars 1812.
O11 a prétendu que cet enfant provenait des œuvres
du comte L egro in g, et q u e , pour la rendre capable
d’une disposition universelle, que sa mère méditait
de lui faire faire par son maître, elle avait préféré lui
donner un père étranger.
La sainteté des nœuds du mariage et la foi due aux
actes qui constituent l ’état des familles, ne nous per
mettent pas d ’insister sur cette présomption, lorsque
sur-tout le concubinage est suffisamment prouvé par
l ’acte authentique de la naissance du premier enfant.
�( i3 )
Quoi qu ’il en soit, le chevalier Legroing a attaqué
le testament de son frère, comme une suite du con
cubinage, comme fait dans la démence, comme l’effet
de la haine et de la colère suggérées au testateur envers
sa fam ille, et comme le fruit de sa suggestion et de la
captation.
Il a articulé divers faits analogues à ces causes, et
il a demandé à en faire preuve.
,
Le jugement du tribunal de Clermont décide net
tement que le concubinage n’est point une cause de
nullité des testamens; il le décide aussi, mais avec
l ’expression du doute, pour la démence, la haine et
la colère, et la suggestion et la captation; et cepen
dant, en en supposant l ’efficacité possible, il discute
les faits articulés et les déclare insuffisans.
Il faut donc exa mi ne r d a b o rd si les causes sur les
quelles M. le chevalier Legroing fondait son attaque
contre le testament de son frère, sont admissibles,
sous l’empire de la législation du Code civil.
On fera ensuite quelques réflexions sur le mérite des
faits articulés, et des motifs sur lesquels le tribunal
les a écartés.
j
�\
( «4 )
EXAM EN DES CAU SES D E N U LLITÉ .
Une liaison illégitime entre un donateur ou un
testateur, et la personne en faveur de laquelle il a '
disposé; sa démence au tems de la disposition; la haine
et la colère q u ’il aurait manifestées envers son héritier,
et la suggestion et captation étaie n t, dans l ’ancienne
législation , considérées, comme autant de causes de
nullité des dispositions à titre gratuit; du concubinage
ressortait, dans l ’intérêt des mœurs, une incapacité
de donner et de recevoir; et l ’on jugeait que les autres
causes produisaient, sur l ’esprit d ’un disposant, une
in.ilu.ence cjui ne laissait pas à sa v o l o n t é le caractere
de liberté requis pour disposer.
Les auteurs du Code civil n ’étaient pas sans doute
moins zélés pour la cause des mœurs que les anciens
magistrats, mais ils ont cru les mieux servir en effaçant
une incapacité qui donnait toujours lieu à des discussions
scandaleuses, dont les mœurs étaient plus offensées que
de la chose même.
L e Code civil ne fait donc pas, du concubinage,
une cause de nullité des testainens.
Au
contraire ,
lorsque, par l ’article 9 0 2 , il est dit q u e toutes personnes
peuvent disposer et recevoir, soit par donation entre
vifs, soit par testament, excepté celles que la loi en
déclare incapables, et qu'immédiatement, signalantles
incapacités, il n ’exprime rien par rapport aux liaisons
illégitimes, il en faut
nécessairement conclure que
�(
>5
)
Ceux mêmes qui ont des rapports que les mœurs
improuvent, ne sont point dans une exception quant
au pouvoir de donner et de recevoir.
Cependant si, de ce fait seul, il n ’est pas permis de
tirer une nullité contre un testament, il faut convenir,
q u e , lorsque, justiiié par un acte public, il se joint à
d ’autres causes qui agissent sur la volonté du disposant,
il est un point de départ probab le, et favorise la
preuve de l ’influence étrangère qui a contraint cette
volonté.
Parmi ces causes qui agissent sur la volonté, se
rangent incontestablement la haine et la colère du
disposant envers les siens, la suggestion et la captation,
même la faiblesse d’esprit, et à plus forte raison la
démence.
L a c o l e re , prise i s o l e m e n t , serait, sans effet
sur un
testament; c’est un mouvement impétueux de l a m e ,
qui se calme comme il s’élève; mais uni avec la haine,
la colère en devient une conséquence; son mouvement
se répète toutes les fois que l ’objet haï se représente
à l ’imagination, et par là elle se constitue en passion
d urable, q u i , nécessairement détourne de la personne
qui en est l ’objet, tous les sentimens de bienveillance^
même de justice, et lui fait préférer, dans l ’esprit du
testateur, des individus auxquels, autrement, il n’eût,
pas pensé.
Il faut cependant convenir que cette cause de nul
lité dégénérerait en arbitraire, si elle était légèrement
adoptée; s’il suffisait à celui que la loi donnait pour
�( >6 )'
héritier à un testateur, d’articuler, de prouver même
q u ’il était pour lui un objet de haine et de colère ,
il faudrait encore établir que le testateur a ya n t, par
la loi, le pouvoir absolu de disposer, n’a pas été dé
terminé par un juste m otif, en faveur de la personne
q u ’il a préférée.
Mais où la haine et la colère peuvent devenir un
moyen puissant contre la disposition, c’est lorsque ce
sentiment ne s’est formé dans l ’ame du testateur que
par des rapports, des manœuvres, des suggestions in
téressées de la part de celui en faveur duquel la dis
position est faite.
Cette cause alors rentre dans le suggestion et la
c apt a ti on , et en forme un des moyens les plus efficaces.
Que la suggestion et la captation soient des causes
de nullité des dispositions à titre gratu it, point de
doute. Sans entrer dans la différence que les anciens
auteurs mettaient entre la suggestion et la captation ,
il faut les entendre dans le sens de manœuvres em
ployées pour captiver la volonté d ’autrui à son profit,
pour séduire et tromper le disposant, suivant l ’expres
sion de INI. Grenier, dans la vue d ’attirer ses biens au
préjudice de sa famille, et pour enfin substituer une
volonté étrangère à la sienne.
S i , dans les moyens pratiqués pour séduire la volonté
du disposant, est entré celui de lui donner de l ’éloignement, et de lui inspirer de la haine et de la colère
pour sa fam ille, alors la captation et la suggestion
prennent un caractère de dol et de fraude ? qui ne
�V *7 )
permet pas de laisser subsister la disposition; car,
outre que le dol et la fraude ne peuvent jamais
produire des effets légitimes, comme le testament doit
être l ’effet de la volonté libre du testateur, il s’en suit
q u e , quand il a cédé à des manœuvres frauduleuses,
il n’a pas suivi sa volonté; et par conséquent sa dis
position est viciée dans son essence.
Cette doctrine a été professée par tous les bous es
prits qui se sont occupés de cette matière ; elle est
disertement développée dans l ’excellent Traité des
Donations de M. Grenier; elle est partagée par M. Toullier, dans son ouvrage estimé sur le Code civil.
Des arrêts l ’ont consacrée; il en existe un du i 4
avril 1806, de la Cour de Grenoble; un du 14 juin
de la même année, de la Cour de Bruxelles; et un
dernier, de la même C o u r, du 21 avril 1808 , qui
tous ont reconnu que la cause de nu llité, résultant de
la suggestion et captation, n ’est point abrogée.
Le Code civil ne s’en explique pas. Mais il a été
remarqué que le premier projet de ce grand ouvrage
avait un article portant que la loi n’admet pas la
preuve que la disposition n ’a été faite que par haine,
colère , suggestion et captation , et que cet article ,
dans la discussion, a été supprimé.
L ’orateur chargé de présenter le Titre des Donations
et Testamens au corps législatif, s’est exprimé de
manière à faire connaître quel a été l ’objet de la sup
pression de l ’article.
« L a loi garde le silence, disait-il, sur le défaut de
3
�liberté qui peut résulter de la suggestion et de
la c a p ta tio n , et sur \e vice d’une volonté déterminée
p a r la colère ou p a r la haine. Ceux qui ont entre
pris de faire annuller des dispositions pour de
semblables motifs, n ’ont presque jamais réussi à
trouver des preuves suffisantes pour faire rejeter des
titres positifs; et peut-être vaudrait-il m ieux, pour
l’intérêt général, que cette source de procès ruineux
et scandaleux fut ta rie , en déclarant que ces causes
de nullité ne seraient pas admises; mais alors la
fraude et les passions auraient cru avoir, dans la
loi-même, un titre d’impunité. Les circonstances
peuvent être telles, que la volonté de celui qui a
disposé, n ’ait pas été libre, ou q u ’il ait été e n ti è
rement d o m in é par u ne passion injuste. C ’est la
sagesse des trib u n a u x , qui pourra seule apprécier ces
faits, et tenir la balance entre la foi due aux actes
et l’intérêt des familles. Ils empêcheront q u ’elles ne
soient dépouillées par les gens avides qui subjuguent
les mourans, et par l'effet d ’une haine que la nature
et la raison condamnent. »
Il faut s’en rapporter à l’orateur du gouvernement y
qui n’eût point pris sur lui de suppléer au silence
du projet q u ’il venait proposer au corps législatif de
convertir eu lo i, et qui n’a du dire que ce qui avait
été dans l ’esprit de la rédaction.
Il faut donc regarder comme certain, que l ’action
en nullité pour haine et colère, pour captation et
suggestion subsiste, mais que seulement le mérite de
�( ]9 )
cette action et l’appréciation des faits sur lesquels on
la fonde, sont abandonnés à la sagesse des tribunaux.
Quant à la démence du testateur, elle doit être
aussi une cause de nullité des testamens. L ’article g o i
du Code civil, d ’accord en cela avec le droit romain
et les coutumes qui régissaient la France avant lui ,
dispose « que pour faire une donation entre-vifs ou
« un testament, il faut être sain d ’esprit. » Il y aurait
contradiction entre cette disposition et son applica
tio n , si le testament cI’u r c personne en démence pou
vait avoir son effet.
L ’article 5 o/|. du même Code porte : « Q u ’après la
« mort d ’un in d ivid u , les actes par lui faits ne peu« vent être attaqués pour cause de démence, q u ’autant
■
« que feon interdiction aurait été prononcée ou pro« v o q u é e a v a n t son décès, à moins que la preuve de
« la démence ne résulte de l ’acte même qui est at« taqué; »
Cet article fera-t-il obstacle à l ’action en nullité
pour cause de démence, lorsque le testateur sera dé
cédé integri s ta tu s , lorsque l ’interdiction n’aura été
ni prononcée ni provoquée avant le décès?
Non : il est généralement reconnu aujourd’hui que
l ’article 5 o 4 ne s’applique point aux testamens.
« Q uoiqu’avant la disposition , dit M. Grenier ,
« T ra ité des D o n a tio n sy il n’y ait point eu , contre
« le disposant, une prononciation ou une provocation
« d’interdiction, il faut, pour juger de sa capacité
« morale, se reporter uniquement à l ’mstant de la
�( 20 )
« disposition, abstraction faite de toutes autres cir« constances. Il est aisé de comprendre les motifs de
« l ’article 901. Le législateur n ’a pas dù considérer
« les dispositions gratuites, du même œil que
les
« autres actes. L a loi redouble de prévoyance, pour
« prémunir l ’homme contre les pièges de la cupidité
« qui peut épier un instant de faiblesse, ou le pro« voquer, pour extorquer une libéralité5 or, ce mo« ment peut exister, quand il aurait même un usage
« habituel de la raison. »
L ’auteur étaye son sentiment du résultat qui eut
lieu au conseil d’É t a t , lors de la discussion de l ’ar
ticle 901 , dont le projet ajoutait à ce que l ’article
c o nt i ent aujourd’hui « que ces actes (les donations
« entre-vifs et les t es tame ns) ne p our r ai ent être atta« qués pour cause de démence, que dans les cas et de
« la même manière prescrite par l ’article 5 o 4 du
« Titre de la majorité et de l ’interdiction. »
Plusieurs conseillers d’É tat s’élevèrent contre la se
conde partie de l’article. Il fut reconnu que l ’art. 5 o 4
ne pouvait pas s’appliquer aux donations entre-vifs et
aux testamens 5 et l ’article 901 fut réduit à ce qui en
reste dans le Code.
Plusieurs arrêts l ’ont décidé ainsi , et notamment
un arrêt de la Cour de cassation, d u 22 novembre 181 o ,
qui a rejeté le pourvoi formé contre un arrêt de la
Cour de Poitiers, par un m otif ainsi conçu : « Con«
sidérant
que Particle 5 o 4 du Code civil n ’est point
,< applicable aux donations entre-vifs ni aux testamens
«
�«
«
«
«
«
régis par l ’article 901 du même C o d e , qui a été
définitivement adopté et promulgué en ces termes
(Pour faire une donation entre-vifs ou un testament,
il faut être sain d ’e s p r i t : q u ’il résulte de la généralité d’expression de cet article, que, nonobstant
« les articles 1 3 4 1 ? ^ 4 7 ? i 352 et 1 353 dudit Code,
« il est permis aux parties d ’articuler, et aux tribu•« naux de les admettre à prouver tous les faits qui
« sont de nature à établir que l ’auteur d’une dona« tion entre-vifs ou d’un testam ent, n ’était pas sain
« d ’esprit., à l’époque de la confection de ces actes ,
« sans distinguer si ces faits ont ou n ’ont pas constitué
« un état permanent de démence. »
L a jurisprudence est donc bien établie sur ce point.
Il est incontestable, en d roit, q u ’un testament peut
être a t t a q u é de n u l l i t é p our cause de démence du tes
tateur , quoi q u ’il soit mort integri s ta tu s , sans inter
diction prononcée ou provoquée, comme pour cause
de haine et de colère, de suggestion et captation; et
la décision du tribunal de Clermont et ses doutes en
droit, sont en opposition avec la doctrine générale
ment adoptée par les jurisconsultes et par les arrêts.
A la vérité, il ne suffit pas de la cause; il faut
q u ’elle soit soutenue par des faits qui la justifient,
qui prouvent que la disposition en a été l ’effet.
M. le chevalier Legroing attaquait le testament de
son frère par les causes réunies de la haine et de la
colère, de la suggestion et captation et de la démence ;
�( 22 )
il a rticu la it, sur. ch a cu n , des faits que le tribunal de
Clermont ne l ’a point admis, à prouver.
Il faut passer à l ’examen de ces faits, et des motifs
par lesquels ils ont été écartés.
E X A M E N D E S F A IT S E T D E S M OTIFS.
C om m e f a i t s p ro b a tifs de haine et de colère étaient
a rticu lés:
PREMIER
FAIT.
U n refus , de la part du comte L egroin g, de rece
voir une somme de 8000 f r . , que son frère lui avait
envoyée p a r le sieur C h an telot, le
avait a c c o m p a g n é l e r e f u s d ’ i n j u r e s
Legroing.
juillet 1 8 1 7 ; i l
c o n t r e le chevalier
I er
« L e demandeur , porte le jugement , ne dit pas
« quelles furent ces injures. »
In ju r e est un mot générique qui exprime un outrage ;
des injures proférées sont des paroles outrageantes contre
une personne. Quant à l ’espèce de ces paroles, c’est à
celui qui les a entendues à les déclarer. Il a suffi d ’arti
culer le fait, l ’occasion, l ’époque, et de dénommer le
tém oin, pour que l ’articulation soit pertinente et
complète.
SECOND
FAIT.
Le chevalier Legroing s’étant présenté lu i-m êm e,
le l2 du même mois , chez son frère, pour régler ses
1
�( ¿3 )
comptes, et lui payer une partie de ce q u ’il lui devait,
il ne put parvenir jusqu’à lui.
« Le demandeur, dit le jugement, ne dit pas non
« plus p o u rq u o i et p a r q u i il fut empêche de parvenir
« à son frère. »
L e p o u rq u o i est nécessairement connu, puisque le
fait est articulé pour établir l ’indisposition et l ’éloignement de son frère contre sa famille.
P a r q u i! l ’information le dira; d ’ailleurs le p a r
q u i il fut empêché de parvenir jusqu’à son frère est
assez indifférent, quand il ne s’agit que du fait de
l ’éloignement. Il suffira q u ’il soit prouve que le sieur
Legroing ne pouvait pas voir son frère ; que sa porte
lui était fermée. Le comte Legroing était infirme, ne
sortait pas : ce n’était donc pas une cause accidentelle
q u i p o u v a i t e m p ê ch e r son frère de le v oi r chez l ui .
TRO I S I ÈME
FAIT.
L e chevalier Legroing ayant invité un jurisconsulte
à porter pour lui la somme à son frère , de rédiger la
quittance, et de régler le mode de paiement de ce qui
restait d û ; et le jurisconsulte ayant fait la lecture de
la quittance au comte L egroin g, celui-ci se mit en
fu re u r, parce q u ’il y était dit que le chevalier Legroing
¿tait son fr è r e . Il vomit contre lui toutes sortes d ’in"
jures, et ne signa la quittance que lorsque le juris
consulte eut rayé cet mots : M o n fr è r e .
Le jugement répond : « Le demandeur a laissé
�(* 4 )
« également ignorer quelles furent ces injures ; et
« cependant il serait possible que les expressions du
« comte Legroingne fussent p a s reconnues injurieuses.
« L e demandeur aurait pu regarder comme injures
« quelques paroles seulem ent désobligeantes , q u ’un
« moment d ’humeur ou de mécontentement aurait pu
« produire , sans que le cœur du comte Legroing y
« prit aucune part. Au surplus , les frères Legroing
« auraient pu vivre en mésintelligence et ne pas
« s’aimer ; mais entre la haine et V a m itié il y a tant
« d 'a u tres sentim ens qui ne troublent ni l ’esprit ni la
« raison, qui ne sont ni de la haine ni de la colère I
« S i, par de semblables motifs, il était possible d ’an« nuller les testamens faits au préj udice des c ol l at ér aux ,
« il serait p re sq n’ i n u t i l e cl’ en faire. E n f i n le testament
« dont il s’agit est du i!\ décembre 1 8 1 6 , et les faits
« de colère et de haine allégués seraient du mois de
« juillet 1817. »
Quelles furent les injures? Ne sont-elles pas assez
caractérisées, quand elles viennent à la suite du fait
que le comte Legroing entra en fureur, quand il
s’e n t e n d i t
qualifié fr è r e du chevalier?
Les juges qui ont pénétré dans les replis du cœur
h u m ain ,'q u i ont creusé la m éthaphysique, pour dé
couvrir qu ’il y a tant d’autres sentimens entre la haine
et l ’am itié, que jusqu’ici on avait cru 11’avoir d ’in-termédiaire que l’indifférence, n ’ont pas pu calculer
les effets de la fureur; ils n ’ont pas senti ce q u ’a de
dénaturé le mouvement d ’un homme qui renie, qui
�( *5 )
méconnaît, qui repousse son frère, qui s’emporte sur
le titre de frère, que lui donne celüt qui l’est: en effet.
E t ils veulent que, dans l ’état de fureur, il ait prononcé
des paroles seulem ent d éso b lig ea n tes, auxquelles le
cœur n?a point de part!' S’il est un fait révoltant qui
caractérise la haine et la colère, c’est celui-là ; et;
certes, pour l ’honneur de la nature, dans l ’intérêt des
moeui's et de l ’ordre social-, les tribunaux doivent s’em
presser d’anéantir un testament fait sous de tels aus
pices.
Q u ’importe que le fait articulé soit antérieur ou
postérieur au testament attaqué? D ’abord un- testament
olographe n’a point de date jusqu’au décès du testateur ;
mais ensuite, q u ’a-t-on à prouver? la passion furieuse
que l ’on avait suggérée au comte Legroing, sa haine
p o ur son frère. U n s e n t i m e n t , une passion, ne sont
pas des choses matérielles qui se distinguent ;Y la
vue ou au toucher; ils se manifestent par des effets
que des occasions produisent ; or , un effet aussi
marquant que la fureur qui' s’empare d ’un frère>
parce que son frère l ’appelle son- frère dans une q u it
tance, et qui ne veut recevoir l ’argent qui lui' est
offert, que quand cette qualification (q u i lui» est
odieuse) est effacée de l ’écrit; cet effet, qui:vient à la
suite de deux autres, ne peut être accidentel; il dé
montre nécessairement la disposition habituelle de
l ’ame et la passion, dont, elle est occupée. Il faUt donc
reconnaître que cette passion doit avoir une influence*
pour ainsi dire exclusive, sur des dispositions testa-
4
�méntaires, consacrées sur-tout à la bienveillance, et
dont l ’idée réveille les haines comme les affections.
De la haine et de la colère, le jugement passe à la
suggestion et captation.
L e chevalier Legroing articulait des faits : i 0 de
suggérée par Jouvainroux et sa femme, soit à
l’occasion du partage du mobilier de la succession de
liaine
la mère commune, soit lorsque le comte, se plaignant
de l ’obsession dans laquelle il était tenu, et menaçant
de son frère, le mari et la femme lui disaient : « A
« qui vous adresseriez-vous? A votre plus mortel en« n e m i, qui n’en veut q u ’à.vos biens, cherche à vous
« faire passer pour fou , et veut vous faire interdire? »
20 D e chartre privée : le comte, éloigné de tout ce qu i
n’est pas la cotterie des J o u va i n ro u x ; le chevalier, son
frère, qui ne peut pas parvenir jusqu’à lu i; l ’abbé
Legroing de la Romagère, son parent et son ami, et
la demoiselle Henriette Legroing, chanoinesse, sa cou
sine, qui ne sont point admis à le voir; 3 ° de Vob
session p erp étu ellem en t p ratiquée su r l u i , résultant
de l ’empire que donnent naturellement à une femme
jeune, sur un vieillard, une intimité avérée et des
familiarités habituelles; de ce que le comte ne voit
que les Jouvainroux , n’est entouré que de leur famille,
n’a de distraction que par l ’e n fa n t dressé à l ’appeller
p a p a 3 à le rechercher, à le caresser, et dont on lui a
persuadé q u ’il était le père; de ce q u ’on lui a fait re
tirer un testament où, ne suivant que sa volonté et son
penchant, il transmettait sa fortune à sa famille; et
�(< 27 )
enfin de ce q u e , non content d ’une disposition uni
verselle au profit de l ’enfant, on lui a fait acquérir,
sous le nom de celle-ci, une propriété de 40,000 f r . ,
et on lui a fait passer des lettres de change à son
3^5
ordre.
!
1
Le jugement ne discute pas ces divers faits articulés;
il les élude et s’attache à diverses considérations.
« Ainsi l ’enfant a été incapable, par son âge, d ’em« ployer la ruse', l ’artifice, la mauvaise foi^des insi« nuations perfides, pour tromper le comte Legroing,
« lui rendre sa famille odieuse, le* faire changer de
« volonté, et surprendre en sa faveur des dispositions. »
Comme si toutes ces manœuvres étaient imputées à cet
enfant; comme si elles n ’étaient pas visiblement l’œuvre
des Jouvainroux; comme si enfin il n ’y avait pas eu
plus d ’art et (le perfidie à diriger sur un enfant l ’effet
de toute l ’intrigue, que de l ’avoir applique aux père
et mère eux-mêmes !
« Il n’est pas vraisemblable, dit le jugem ent, q re
« la fo r c e d ’esprit , la f i e r t é d u caractère du'comte
« Legroing, aient jamais cédé aux volontés de Fran« çoise Boudon, au point sur-tout de faire ce q u ’il
« n’aurait pas voulu faire. Il n’est pas présumable que
« la femme Jouvainroux eût tenté ce triomphe; elle
« eût craint sans doute de déplaire à son maître , et
« même de l' offenser, s’il eût pensé
v oulait le
« dominer; elle eût craint d ’achever de perdre une
q
« confiance déjà lant affaiblie par
son
u
’ e l l e
mariage. »
C ’est une fort mauvaise manière de. raisonner et de
�( =8 )
conclure;, que cle tirer cjes inductions de laits contestés ,
et des conséquences de principes qui sont précisément
en question. On demande k prouver, d ’un côté, que
le comtç Legroing n’ayait ni force d ’esprit, ni -fierté
de caractère; et d ’autre côté, que la femme Jouvainroux le dominait m4 me tyranniquement. Où trouve-t-on
fie la forpe d ’.esprit et de la fierté de caractère dans un
homme d ’upe naissance distinguée, qui ne craint pas
de s'abandonner à une fille des derniers rangs de la dor
mesticité^ q u i, pour se consacrer à elle tout entier ,
quitte et abjure sa fam ille; qui ne craint pas d ’avouer
publiquement un enfant q u ’il a eu de son commerce
honteux avec elle y et q u i, frustrant ses propres parens *
m e t sa f or t une sur la tète
d ’ u n e n fa n t q u i
a p our
mère sa domestique, et pour père, le bedeau de la
pathédrale? Comment supposer à cette fille, sa con
cubine, la crainte de déplaire à son maître? lorsqu’elle
le tient en chartre privée; lorsqu’elle le dérobe à la
famille et à gps amis; lorsque, pour le dom iner, elle
le m altraite, et que les voisins et l’officier de police
peuvent attester que, las de sa position , il crie par la
croisée : au sçcQifrs / à l ’assassin !
. L e jugement continue ; « E n supposant même que
« Ja femme Jouvainroux eut q u e l q u e pouvoir sur l’es« prit de son inaiiro, il n ’est pas vraisemblable q u ’elle
<î l'eut employé pour faire exercer envers sa fille une
» libéralité qu'elle ei\t désiré conserver en vertu du
« testampnt de 1807; q u ’il est,
au contraire, plus
( naturel de crpjre que c’est par ses caresses? par ses
�(
«
assiduités,
29
)
par ses soins excitéé peu t-être par de
„ petits cadeaux, que l ’âge mûr et la vieillesse ont
« coutume de faire à l ’enfance, que Claudine-Flavie
« a obtenu, sans le savoir ni le désirer, cette marque
« ide sensibilité, d ’affection et de toute la bienveillance
« du comte Legroing; que ce dernier a pu penser q u ’il
« ne devait aucun témoignage d ’aiFec-tion ni de recon« naissance au chevalier L egro in g, son frère, q u i, cé« libataire comme lu i, ne transmettrait q u ’à des
« étrangers ou à des collatéraux éloignés, les biens
« qu ’il lui laisserait. »
Ici ce sont encore des inductions et des suppositions
morales ^ qui sont opposées à des faits dont la preuve
est offerte.
. On ne peut mettre en doute que la femme Jouvainroux ait eu un gra nd p o u v o i r sur l ’esprit de son
maître , q u ’autant que la preuve par témoins offerte
ne répondrait pas à la conséquence des faits articulés.
Pourquoi n ’est-il pas vraisemblable que cette femme
eût fait substituer un testament en faveur de sa iille, à
celui qui avait été fait en sa faveur en 1807? E lle y a vu
apparemment quelqu’intérêt. N ’a-t-elle pas pu penser
que la critique en serait moins facile? et 11e serait-elle
pas confirmée dans l ’utilité de cette prévoyance, par le
jugement de Clerm ont, qui se sert du nom de reniant,
pour écarter les justes reproches faits à la mère? N al-elle pas pu croire aussi lier davantage le comte
Legroing, par une disposition en faveur de l’enfant,
sur-tout si elle lui avait persuadé q u ’il en était le père?
�( 3° )
\ne
»
Déjà elle avait fait retirer le testament que le comte
avait fait pour sa famille : elle a pu craindre un retour
dans sa volonté. D ’ailleurs Jouvainroux , son m ari,
avait aussi ses vues; et il a pu espérer, pour son propre
compte, plus de chances de la disposition faite en
faveur de son en fan t, que de celle qui aurait donné
la fortune exclusivement à sa femme.
Il n ’y a , en cela , que des conjectures; mais elles
sont aussi
exprime.
probables que
celles que
le
jugement
N ’est -ce pas outrer toutes les vraisemblances, que
de prétendre que l ’enfant aura tout fait par ses ca
resses , par ses assiduités et par ses soins ? Des assiduités
et cles soins de la part d ’un enfant de cinq ans ! Ses
assiduités et ses soins ne peuvent convenir q u ’à ses
père et mère. Les caresses, à la bonne heure : encore
sont-elles l ’eifet de la direction donnée à son jeune
âge. Les caresses d ’un enfant étranger peuvent bien
porter l ’àge mûr et la vieillesse à de petits cadeaux ;
mais il n’y a que la démence qui peut payer ces caresses
du legs d ’une fortune de 3 à 400,000 francs, enlevée
à une famille.
s
« Le chevalier Legroing, dit le jugement, est céli« bataire comme le comte l ’était : il transmettrait lui« même à des étrangers ou à des collatéraux éloignés. »
L a morale 11e peut pas avouer une conjecture aussi
hasardée, pour justifier un fait déraisonnable.
Le chevalier est célibataire, mais il peut encore se
marier. Il a de proches parons, qui l’étaient aussi du
�( 3x )
comte, et qui portent leur nom. De tels collatéraux,
qui sont l ’espoir cl’une famille honorable, ne peuvent
point être assimilés à des étrangers. Si le comte eût
disposé pour eu x, toute la famille eût applaudi à son
choix , et eût béni sa mémoire ; mais prendre pour
héritière un enfant qui n ’avait aucun titre personnel
à une telle libéralité, la fille de sa domestique, de sa
concubine! c’est l’oubli de tous les devoirs de famille,
et de toutes les convenances sociales.
Il faut donc convenir que le jugement de Clermont
n ’a point détruit les faits de suggestion et de captation-,
il ne les a pas même appréciés , puisqu’il ne s’est
attaché à les combattre que par des considérations
fondées sur des suppositions.
Ce jugement n’est pas plus convaincant , lorsqu’il
s a t ta ch e a la forme d u t e s t a m e n t , au soin que le
comte Legroing a pris de le signer à. toutes les pages,
et de le mettre sous enveloppe cachetée au sceau de ses
armes, et à la facilité q u ’il aurait eue de révoquer
son testament et d’en faire un au tre, qu’il eût confié
à son médecin ou à son confesseur.
Ricard a bien prétendu que l’action en suggestion
n’était pas recevable contre les testamens olographes;
mais il est resté seul de son avis : des arrêts contraires
ont prouvé q u ’il s’était trompé. U n arrêt récent de la
Cour royale de Paris, du 3 i janvier i 8 i 4 > a annulle,
pour cause de suggestion et captation, 1« testament
olographe d’une demoiselle Lefèvre.
E t pourquoi le testament olographe serait-il excepté
�( 3a )•.
de la règle commune? Le testament olographe, écrit,
signé el mis sous envoloppe cachetée du sceau du tes
tateu r, n ’offre pas plus de garantie que le testament
p u b lic , qui porte au moins celle de la présence de
notaires et de témoins.
L ’influence qui fait écrire le testament en dirige
les autres circonstances; et l ’enveloppe et le sceau
peuvent être Touvrage d ’une autre main que celle du
testateur.
Cette même influence s’exerce sur les démarches
ultérieures^ et protège le testament contre la révoca
t io n , q u i , parce q u ’elle est possible, est exactement
surveillée; et il n’y a pas médecin ou confesseur qui
t i e n n e , lorsque le malade est subjugué, que sa raison1
est perd ue, que les parties intéressées ne le quittent
pas.
*
Le jugement enfin propose, comme preuve de la
volonté libre du testateur, l’acquisition q u ’il a faite,,
sous le nom de Flavie Jouvaiuroux, le 17 mai 181-7 >
cinq mois après le testament; l ’ordre q u ’il a passé plus
ta r d , à cet enfant de cinq a n s , d ’effets de commerce;
à lui consentis, et enfin sa persévérance dans son tes
tam ent, pendant les huit mois qui se
sont
écoulés
entre cet acte et son décès.
Il n’est pas bien certain que le testament soit de la
date q u ’il porto. Les deux actes cités comme subséq;liens
déposeraient que le testament n ’était pas encore fait;
car le legs universel fait à la jeune Flavie comprenant
tous les biens, il devenait inutile de faire une acqui
�(33
)
sition sous son nom , et de lui passer l ’ordre des billets.
L ’ordre était, suivant le jugem ent, une précaution du
testateur pour empêcher que les billets ne fussent
soustraits par les père et mère. Mais aurait-on pu sous
traire des billets à l ’ordre du comte, qui ne pouvaient
être touchés que par lui ou par son ayant-cause ?
Cet ordre, au contraire, ne porte-t-il pas l ’empreinte
de l ’absence de la raison ? Il est absurde d’avoir passé
un ordre au profit d ’un enfant de cinq ans, p o u r
v a le u r reçue com ptant. La démence seule peut donner
la raison d ’un'tel fa it, comme la démence seule a pu
porter le comte Legroing, q u i, dans les tems de sa
raison, avait, ainsi que le jugement le déclare, de la
force d’esprit et de la fierté de caractère, à mettre sur
la tête d’un enfant étranger, à qui il ne devait rie n ,
une fortune de 3 a 4ooj°o0 francs dont il prive sa
famille.
Une telle disposition sera sans doute reconnue par
la C ou r, saisie de 1 appel du jugement du tribunal de
C le rm o n t, comme 1 œuvre ténébreuse de la suggestion,
de la captation, du dol et de la fraude réunis, pour
abuser d ’un vieillard qui n ’avait plus sa raison.
L a société est intéressée au succès de la réclamation
du chevalier Legroing. Il importe à l ’ordre public,
au repos et à la prospérité des familles, q u ’il soit mis
un frein à la cupidité des gens qui spéculent sur les
successions. Les plus dangereux sont les domestiques,
les femmes sur-tout, q u i, par l'habitude de leur pré
sence et de leurs soins, plus encore par les familiarités
5
�q u ’elles perm ettent, ou q u ’elles exciten t, acquièrent
un ascendant sur l ’esprit de leur maître, que l’âge et
les infirmités ne font q u ’accroître. Devenues néces
saires, elles l ’indisposent contre ses parens q u ’elles
écartent de sa maison ; et quand l ’affaiblissement des
organes ne lui laisse plus de volonté, elles le font
disposer, et la fortune est envahie.
L e legs d ’une fortune opulente, en totalité, en
faveur d ’un domestique., porte en lui-même un ca
ractère de séduction de la part de celui-ci et d ’as
servissement de la part du maître. Il n'est pas naturel
q u ’un homme raisonnable se porte
à
laisser de grands
biens à un individu étranger, que ni son éducation,
ni ses habitudes n’ont préparé à la richesse, et dont
il peut récompenser les services l a r g e m e n t , sans man
quer aux convenances et aux devoirs que les biens de
famille imposent. Les tribunaux ne sauraient être
trop attentifs
à
de tels excès, qui sont toujours un
abus de la loi.
Délibéré par nous , anciens avocats, ce 18 avril 1819.
C H A M P IO N - V IL L E N E U V E .
BONNET.
D E L A C R O IX -F R A IN V I L L E .
T R IP IE R jeune.
RIOM, IMPRIMERIE
de
SALL E S , PRÈS LE P AL A I S DE J USTI C E .
�
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Factums Godemel
Relation
A related resource
/files/factum-remarquables/BCU_Factums_G0301_0007.jpg
Description
An account of the resource
<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. Legroing, Louis. 1819]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Berryer
Champion-Villeneuve
Bonnet
Delacroix-Frainville
Tripier jeune
Subject
The topic of the resource
testaments
abus de faiblesse
domestiques
servante-maîtresse
enfants naturels
créances
séquestration
mobilier
maltraitance
émigrés
ordre Saint-Jean de Jérusalem
fraudes
fisc
inventaires
lettres de change
doctrine
nullité du testament
captation d'héritage
testament olographe
jurisprudence
concubinage
legs universels
egyptologie
code civil
bedeau
Description
An account of the resource
Titre complet : [consultation]
Table Godemel : ab irato : 2. l’action ab irato contre les testaments est-elle admise par le code civil ? peut-elle appartenir à l’héritier collatéral ? Etat (question d') : 3. l’héritier du sang a-t-il le droit, pour prouver l’interposition de personne, de rechercher si le légataire, qui a dans une famille le titre et possession d’état d’enfant légitime, est, ou non, l’enfant naturel du disposant, surtout, lorsque cette recherche conduirait à la preuve d’un commerce adultère ? Sanité d'esprit : d’après quels principes se résout la question de savoir si le testateur était sain d’esprit ? Suggestion : La suggestion et captation sont-elles moyens de nullité pour la législation actuelle ? peuvent-elles être opposées contre un testament olographe ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
De l'imprimerie de J.-C. Salles (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1819
1807-1819
1804-1814 : 1er Empire
1814-1830 : Restauration
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
34 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G2430
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Relation
A related resource
BCU_Factums_G2429
BCU_Factums_G2431
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/6/53484/BCU_Factums_G2430.jpg
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Riom (63300)
Clermont-Ferrand (63113)
Biozat (03030)
Fontnoble (terre de)
Egypte
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
abus de faiblesse
bedeau
captation d'héritage
Code civil
concubinage
Créances
doctrine
domestiques
egyptologie
émigrés
enfants naturels
fisc
fraudes
inventaires
jurisprudence
legs universels
lettres de change
maltraitance
mobilier
nullité du testament
ordre Saint-jean de Jérusalem
séquestration
servante-maîtresse
Testament olographe
testaments
-
https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/original/6/53483/BCU_Factums_G2429.pdf
38d5071a225b8a7916f9cb3f8f6975b1
PDF Text
Text
M. L o u i s
MÉMOI RE
f 4AA*4 r * '%
POUR
o m ît .
L E G R O I N G , Chevalier de justice de J
l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, Chevalier de
l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis , demandeur ;
CONTRE
J u lie n
J O U V A IN R O U X
Cathédrale, et Cordonnier
,ancien Bedeau de La
F ra n ço ise
sa femme et encore contre Ledit
BOUDON,
J u lie n
JO U -
V A I N R O U X , en qualité de père et légitime ad
ministrateur de Claudine-F lavie J o u vain ro u x, sa
f i l l e , mineure, défendeurs.
Gvavius agendum cum servis, quam cum alus.
(Maxime duDroit.)L
e
chevalier Legroing dénonce à la justice un acte
de ténèbres, fruit de la violence, d e la haine, et de la
plus honteuse débauche; un acte arraché par la plus
I
�(2 )
vile et la plus dangereuse séduction ; un acte scandaleux
qui blesse la morale publique et rompt tous les liens de
la société; un acte qui est la récompense du crime et
de l’opprobre, qui dépouille un frère et une sœur d’un
antique patrimoine, pour leur substituer les personnes
les plus abjectes; un testament enfin portant legs uni
versel et sans réserve d’une succession de plus de
, 3 oo,ooo francs au profit d’ un enfant de six ans, lille
de la domestique, de la concubine du feu comte L e groing.
Qui osera élever la voix pour faire maintenir une
libéralité exorbitante, qui ne peut être que l'effet de
la démencfe, ou la suite d ’hàbitudos crapuleuses qui
'énervent, avilissent et détrüièent la Volonté? Toutes
les familles, la société entière est intéressée à faire
proscrire ces libéralités abusives arrachées à la faiblesse,
et qui prouvent l’aliénation m entale, ou l’abrutissenient de l’auteur. L o in de nous ces philosophes du jour,
qui ont si souvent outragé les mœurs, sous le piélexte
de venger la nature; qui vantent avec tant d’éclat cetle
liberté indéfinie dans les dispositions, ne voient dans
ces spoliations criminelles qu'un simple mouvement de
fortune. L o in de nous ces praticiens officieux et vils,
dont la complaisance servile, mais largement p a y é e ,
facilite ces odieuses manœuvres, et choisit avec ait le
moment opportun pour en présenter le modèle.
, A quel d fgi’é de dépravation serions-nous donc par
venus, s’il était vrai q u e T a c t e dénoncé trouvât des
partisans? Dans quelle classe pourrait-on rencontrer
�( 3 )
des hommes assez déhontés pour.maintenir un testa
ment qui,est un scandale ,public, çt que la,société re
pousse avec indignation?
Serait-il vrai que le Code civil proscrit les attaques
de l’hérilier du sang? qu’il exclut toute action en nullilé pour cause.de suggestion?(q u ’il a déclaré les ser
viteurs capables de recevoir un.legs universel, à l’ex
clusion des héritiers?
On ne trouve rien dans le Code qui puisse appuyer
celte assertion; on ne voit pas.que le législateur ait
voulu être im moral, qu’il ait dérogé aux anciens prin
cipes, à l'ancienne jurisprudence ^o.n sait, au contraire,
qu’une section avait voulu proposer d’abolir l’action en
suggestion, et que cette propositioniut rejetée.
L e Code civil n’a rien changé à ce qui s’observait
autrefois dans cette matière; il a voulu qu’un testament
ne fût valable qu’autant qu'il serait l’expression des
dernières volontés de l’auteur; il le rejette toutes les
fois quJil est établi que cette volonté a été captée, sur
tout parles personnes qui, parleur état, ont un empire
trop grand sur l’esprit du testateur.
Les questions de cette nature ont toujours été aban
données ù la sagacité et à la sagesse du magistrat, qui
se détermine suivant les circonstances et les présomp
tions plus ou moins graves de captation et d’obsession.
L e chevalier Legroing ne doit donc pas redouter ces""
impuissantes clameurs; il peut user de tous ses moyens;
la loi les protège, la justice les.réclame et l’encourage;
�( 4 )
et il encourrait le blâme de tous les hommes de bien, *
s’il ne cherchait à venger un aussi grand outrage à la
morale publique.
F A ITS.
J ean -B ap tiste, comte L e g ro in g , ancien capitaine
au régiment de dragons d’Artois, avait épousé la de
moiselle de Madeau , qui lui porta une grande fortune,
et lui assura des reprises considérables en cas de survie.
Ses père et m è r e , le marquis et la marquise L e groin g, l’instituèrent leur héritier universel, à la charge
d’une légitime modique envers ses frères et sœurs. Ses
deux frères, suivant l’anlique usage de celte illustre
m aison, étaient entrés dans l’ordre de M alte ; deux
sœurs, dont l’une est décédée, avaient été nommées
chanoinesses de l ’ordre.
L a révolution a détruit les espérances des deux frères,
et les prébendes des deux sœurs. Ils étaient donc ré
duits à leur légitime.
L e comte Legroin g, connu par ses sentimens de fidé
lité à la dynastie régnante, crut devoir s’expatrier, et
suivre le sort de nos princes. L a marquise L e g r o in g ,
sa mère, vint s’établir à R iom ; elle conserva la propriétédela terre deF ontnoble, qui venait de son estoc,
seul reste de l’opulence de la famille : tout ce qui pro
venait du père avait été soumissionné et vendu.
L e sieur comte Legroing avait eu le malheur de
perdre son épouse. D e retour de l’ém igralion, en 1804,
il vint se réunir, à sa famille. Il retrouva une mère
�( 5 )
octogénaire, qui le reçut avec la plus vive tendresse.
Ses deux frères et sa sœur aînée cherchèrent à lui offrir
toutes les consolations de l’amitié.
On crut s'apercevoir que sa santé était altérée et son
hum eur changée. C ’était, sans doute, l’effet de ses longs
voyages, de ses souffrances, et des pertes qu'il avait
éprouvé.
r,J
L e sieur comte Legroing était hom m e d’honneur,
d ’une probité austère, sûr dans ses principes, ami
chaud, citoyen éclairé, sujet fidèle; on pouvait peutêtre lui reprocher une certaine fierté qui tenait à d’an
ciens souvenirs, à une haute naissance, et à tous les
avantages de la fortune.
Mais bientôt des infirmités qui devançaient la vieil
lesse , des attaques réitérées d ’apop le xi e, le réduisent h
un état d’inanition et de débilité qui le mettent dans
la dépendance de tout ce qui l’approche ou l’environne.
Il avait alors tout ce qui peut tenter la cupidité; il
avait récupéré des capitaux considérables; il tran
sigea avec les héritiers de sa fem m e, et recouvra des
effets d’un grand prix. Il se retrouvait encore à la têt©
d’ une brillante fortune, toute mobilière, qui pouvait
aisément devenir la proie du plus vil intrigant.
,
Si le comte Legroing avait joui de toutes ses facultés,
s’il avait pu consulter son cœur et ses anciennes affec
tions, il eût jeté un regard d’amiliéisur deux frères
dépouillés de toutes ressources, privés des pensionsque
leur avaient mérité leurs longs services dans les armées,
�(
6
)
ét des récompenses q u i n ’échappaiehf jamaisiaux che
valiers i dé Malte. - - >rv,,:iîr- ' j-.. ■i - .
Mais qui pourrait le croire? c’estidans les plus vils
emplpis'de la cuisine-qu’il va chercher des consolations;
et cette-circonstances va faire paraître celle qui.Revint
l’objet de ses'affections, et qui depuis a e u , non-seu
lement la plus grande influence>mais un empire absolu
sur _s.es volontés,
f•
. »/
#
Françoise-Boudon, née à Effiat, d’ un pauvre jour
nalier hors d’état de nourrir sa nombreuse, famille ,
*
avait quitté de bonne heure la chaumière paternelle
p()ur.fse mejtre e n (servicô; elle ne paraissait pas douée
d’ une gronde int elligence , car elle ne s’est jamais élevée
au-dessus des derniers emplois de la domesticité telle
fut toujours ce. qu’on appelle vulgairement fille de
peine.
Quelles ressources pouvait donc trouver le comte
Legroing, sexagénaire, malade, à la compagnie d’une
servante sans! éducation, et qui ne possédait aucun des
charmés de son sexe. Cependant cette fille rusée, lourà-tour complaisante et grossière, esclave et maîtresse
attentive’ou mënacahlfe,a su Conserver son empire jus
qu’à la m'oit ilë celui dont elle avait séduit les sens et
capté les volontés.
On sent que pour tout obtenir, il fallait ne rien re
fuser. Survint un enfant, dont le comte Legroing se
crut le
p è r e , 'dont
il prit soin , mais qui n’a vécu que
quelques années. L a naissunce et la mort de celle iille
6onl constatées au procès. .
.
�( 7 )
C ’est après la mort de cet' en fan t, que Françoise
-Boudon voulut faire le premier essai de son autorité,
et obtint de son débile amant un premier testam ent,
reçu Cailhe, notaire ¿1 R i o m , sous la date du 18 avril
i8oy_, par lequel le comte Legroing institue sa gou
vernante son héritière universelle de tous les biens dont
il mourra saisi.
Ce testament fut l’efîet d’ une adresse qui annonçait
que cette fille avait l’esprit plus fin et plus délié qu’on
ne le supposait. L e comte Legroing avait éprouvé du
chagrin de la mort de l’enfant qu'il avait eu de Fran
çoise Boudon. On voit par les détails que lui donne le
chirurgien qui l’avait soigné, qu’il répond à plusieurs
questions précédentes, lui assure que sa fille a eu tous
les soins possibles. L e chirurgien n ’oublie pas ses salu
tations à mademoiselle Fanchette, cette mère malheu
reuse.
Cette lettre est sous la dale du 5 février 1807. File
a été trouvée à R io m , après le départ du comte L e
groing.
Il fallait bien consoler une mère affligée qui perdait
-toutes ses espérances, et qui était sur le point de faire
■reconnaître cet enfant par son maître. On ne put tarir
la source de ses larmes qu'avec un testament qui lui
assurait la succession entière du sieur comte Legroing.
11 se contenta de demander le secret. Il ét;iit de la
•plus grande importance pour Françoise Boudon , et
par conséquent elle devait être discrète. Personne de
la famille n ’aurait osé en concevoir l’idée. On con-
�'T?*( 8 )
■naissait bien le singulier et nouveau penchant du comte
Legroing; on s’apercevait de ses habitudes et des fa.miliarités qu’il avait avec cette fille : on le plaignait,
maison ne se permettait aucunes remontrances. Fran
çoise Boudon, enhardie par la protection du c o m te,
fut quelquefois audacieuse, insolente m êm e envers
quelques personnes de la famille; on dissimula, on.
méprisa ces grossières incartades.
Une affaire plus sérieuse porta l’allarme dans la fa
mille. La terre de Fonlnoble, son berceau, était la seule
propriété qui eut échappée à la rapacité nationale.
C ’était l’unique ressource d elà m ère, qui en partageait
le produit avec ses enfans. Tout-à-cou p ce seul m oyen
d’existence va lui être enlevé.
L a baronie du Jaun et, achetée en 1 7 6 5 , par le
marquis Legroing père , n’avait pas été entièrement
acquittée; une partie notable du prix restait d u e ; les
intérêts;avaient cessé d’êlre payés pendant rém igra
tion du comte Legroing : celui-ci, héritier de son père,
donataire de la terre d e F o n tn o b le, sauf l’usufruit de
la m ère, était tenu personnellement et hypothécaire
ment du paiement de celle dette. Les créanciers, pen
dant la révolution, avaient gardé le silence, et n’avaient
fait aucunes démarches pour la liquidalion de leurs
créances. Une loi du 3o ventôse an 12 les autorisait ¿1
prendre des inscriptions sur les biens que possédaient
encore les débiteurs émigrés. Les inscriptions sont prises ;
les poursuites com m encent, le commandement est
lancé: on va faire vendre la nue propriété deFontnoble.
�( 9 )
L e comte Legroing, affaibli par ses maux, tout occupé
de celle qu’il appelait sa Fanchette, ne voyant, n’écoutant qu’elle, apprend l’événement avec indifférence,
el déclare netlement qu’il ne veut pas s’en occuper, ni
faire le plus J é g e r sacrifice. Fanchette était de cet
avis; une terre ne lui convenait pas; elle ^préférait
une succession mobilière, dont elle disposait en maî
tresse, qui élait toute sous sa main.
Cependant il fallait prendre un parti; la chose était
urgente : il n 'y avait pas un moment à perdre. Il res
tait au chevalier Louis Legroing quelques capitaux,
les débris d’un service actif, de ses spéculations mari
times dans un long séjour chez l’étranger; il se déter
mine à traiter avec sa famille, et à se charger de l’é v é
nem ent; il paye les dettes de sa m ère, lui assure une
rente viagère de 6,000 francs, en constitue une de
3.000 francs à l’aîné de ses frères, et un capital de
3 0.000 francs payable au décès de sa mère ; prend des
engagemens personnels de payer les légitimes de sa
sœur et de son frère le chevalier, qui existait alors;
vend la terre de F ontnoble, et fait face à tous ses en
gagemens avec la plus scrupuleuse exactitude.
Il fallait autant d’activité que d’honneur et de cou
ra ge , pour déterminer le chevalier Legroing à se char
ger d ’un aussi pesant fardeau, qui ne lui a pas laissé
un moment de repos pendant dix années, qui sont
encore une longue période dans la vie; mais il fut le
bienfaiteur, le sauveur de sa famille, et le comte L e
groing se réveilla parfois de son apathie, pour lui té2
�( 1° )
moigner qu’il lai savait quelque gré de cette conduite
généreuse.
Les choses ont bien changé. Françoise Boudon , ou
plutôt Fanchette, voulait se débarrasser de ceux qu’elle
regardait comme des surveillans incommodes. Elle fait
entendre à son maître qu’il avait autrefois habité la
ville de Clerinont, qu’il y avait des amis, que sa santé
avait toujours été meilleure dans cette ville; elle lui
fait bien vite prendre celte résolution; et malgré les
larmes d’une mère octogénaire, l’empressement de ses
frères et de sa sœur, il quitte le toit m aternel,'et se re
tire à Çlermont.
Dans les premiers momens, le comte Legroing vi
sitait ses anciens a m i s , allait à la ca m pa gn e; il visita
même son frère Louis dans son habitation, distante de
vingt lieues de Clermont, où le chevalier avait l’habi
tude de passer la belletsaison. Mais ce genre de vie fut
rapidement changé; il devint taciturne, sédentaire; sa
porte est fermée à ses amis; Fanchette introduit deux
de ses sœurs dans la maison de son maître : il n’a plus
d’autre société; ses amis le plaignent ; on savait l’em
pire que ses domestiques avaient sur lui. Il arrivait
m êm e souvent des scènes singulières, qui ont parfois
attiré dans son domicile la visite des commissaires de
police. On aura occasion d’en parler plus en détail.
Fanchette fait doter par son maître scs deux sœurs;
elles sont mariées par ses largesses. Fanchette veut aussi
prendre un établissement ; elle a besoin de secours pour
soigner les infirmités du comte Legroing. Elle avait
�V i f
(II
)
distingué Julien Jôuvainroux, bedeau de la!cathédrale,
et cordotinier'de profession.
C ’est un personnage qu’un bedeau de paroisse! Il
fait commodément placer les personnes qu’il affec
tionne; iTse vantait d’avoir la 'protéction des'prêtres,
qui tous agiraient en ;sa faveur :>bref, il épouse Fran
çoise .Boudon, et vint grossir le ménage du comte L e groing. *11 n?avait plus besoin de *son métier.
Mais Fanchctte disparaît ; c’est madame Julien ;
d’autres vêtemens annoncent son changement d’état ;
elle affecte la réserve et l’austérité qui conviennent à sa
nouvelle condition; plus de 'liaison avec les domestiqu es'; elle forme une société n ouvelle, vante sa for
tune à venir, néglige sonYnaître, et le laisse dans un
état d ’abandon dont tous les voisins sont indignés. Elle
se livre à un luxe qui excédait ses moyens actuels; elle
fait des dettes; les créanciers importuns ne veulent pas
attendre, parviennent jusqu’au m aître, q u i, malgré
son asservissement, n ’entendait pas raillerie lorsqu’il
fallait donner de l’argent; delà deà imprécations fort
énergiques, et répétées avec tant de fo rce, que les
voisins et le public en étaient toujours informé.
M adam e Julien fut imprudente; son époux craignit
les suites des boutades de son maître : il chercha à cal
mer l’ôrnge; il avait les talens nécessaires pour y par
venir.
Julien est adroit et rusé; pale, taciturne, dissimulé,
les yeux toujours fixés en terre, lie perdant jamais de
vue son objet, il convoitait les trésors de son maître;
�( 1 2 ')
mais il n’était pas asse2 maladroit pour en gratifier sa
fem m e; dont l’humeur dissipatrice commençait à l’in
quiéter.
Il avait eu une fille de son mariage, ou du moins il
en était le père putatif; il conçut le projet de faire
tourner au profit de cet enfant toute la fortune de son
m a ître; il y parvint par son adresse, et sut employer
toutes les ruses qui peuvent toucher un vieillard imbécille.
Cet enfant fut instruit à prodiguer ses caresses au
sieur Legroing : elle l’appelait papa; elle ne manquait
jamais d’aller se jeter dans ses bras quand il avait des
mouvemens de colère ou d’impatience, et ce petit ma
nège calmait sur-le-champ le maître emporté.
Mais le comte Legroing ne disait rien encore. Un
événement funeste sembla, pour un m om ent, sus
pendre cet acte si désiré, et donna les plus grandes
inquiétudes. L a marquise Legroing devient sérieuse
m ent malade; son grand â ge , ses infirmités font craindre
une fin prochaine : elle a en effet succombée après de
longues souffrances. Elle est morte le 12 juillet 1816.
L e comte Legroing, instruit du fâcheux état de sa
m è re , donne encore des preuves de sensibilité ; il ac
court pour lui rendre ses devoirs :Fanchette l’accom
pagne. Ces dernières entrevues furent touchantes. L e
comte Legroing se montra pénétré; il semblait faire
une nouvelle connaissance avec sa famille : le cri du
sang se fait entendre; un regard sur lui-m êm e, sur
l’état d’avilissement dans lequel il était tombé, lui ar-
�( i3 )
•rache des larmes; il rougit de lionte et* d’effroi. On
l ’emmène bien vite; on ne le laisse pas m êm eren d re
les derniers devoirs à sa m ère; et alors ses tyrans, ses
serviteurs, devenusses maîtres, mettent tousleurs soins,
-emploient tous les mouvemens pour le séquestrer à tous
les regards, pour l ’empêcher sur-tout de voir personne
de sa famille. On calomnie son frère, on le noircit dans
son esprit, on va jusqu’à lui prêter des vues ambitieuses
et criminelles. Il n’a pas été possible au chevalier L e groing de parvenir jusqu’à son frère. U n respectable
ecclésiastique, M. l’abbé Legroing de la R o m agère,
parent et ami des parties, que le roi vient d'élever à
l’épiscopat, n’a pas pu être admis. L a porte a été fer
mée à madame Henriette L e g io in g , chanoinesse, cou
sine du d éfun t, à qui il payait annuellement une pension
de 200 francs, et qu'il a depuis oublié.
Enfin tout fut consommé le 24 décembre 1 8 1 6. Jouvainroux fit entendre à sa femme qu'il valait mieux
faire porter le legs universel sur sa fille que sur elle;
que depuis quelque tems le comte Legroing témoignait
de l’humeur et de la colère contre la m ère; qu’il résis
terait p e u t- ê tr e , et qu’on courrait le risque de tout
perdre.
Les batteries étaient dressées, le modèle du testa
ment tout prêt ; les sollicitations sont pressantes; on
redouble de soins, on fait entendre au sieur L e g r o i n g
qu'il est le père de cet enfant. L e comte Legroing
prend le modèle, le co p ie, et le signe. 11 a la maladresse
de laisser tomber son encrier sur lu feuille, mais on ne
�(■14
)
i,veut, pas lui donner Jarpeine de le-transcrire de nou
v e a u i:; on le prend; tel qii’iliest. Jouvainroux s’en emcpare, le fermecsoigneusement.illne.s’agit plus que do
.surveiller,-et dïempêeher qu’il en soit fait un autre.
iPour prouverque le comte Legroingin’estipas l'au
teur; de. ceitestainent, et,qu’on^ui aiprésenté un modela
tout prêt, iffa u t faire.connaître cet acte dans toute sa
, teneur.; -u
r<
- « Je' soussigné , 'Jean-Baptiste , • comte Legroing ,
je ancien capitaine de dragons.au régiment d’A rto is ,
p« dem eurant à Clerm ont, ai fait mon testament oloif< graphe, ainsi qu’il ¡suit :
« Je ,n omme et .institue pour mon héritière géné■
r raie et universelle de tous les biens meubles et im,*< meu,bles, d ro its, raisons et actions-dont je mourrai
« vêtu et saisi, Claudine^Flavie Jouvainroux, fille de
<r Julien et de Françoise Boudon, aux charges hérédi* tai.res, ,e,t de plus, de payer annuellement à sa mère
« la somm eide .800 francs, moitié de six mois en six
jk m ois, et d’avance, sans aucune retenue, pendant la
« vie de,la^dame Boudon , de laquelle somme annuelle
« je lui ‘fais don et legs, par forme de pension alimen
te taire; plus, sa chambre bien garnie pour elle, et une
« chambre! pour: sa domestique; plus, la jouissance de
six couverts et une écuelle d ’argent pendant sa vie;
« plus., quinze paires de draps, tant de maître que do
« domestique; douze douzaines de serviettes, et de la
«r batterie de cuisine., Je révoque tous testamens antérieurs, même loul codicille. T e l est mou testament
�(
»5
)
* ¡olographe, q u é 'j’ai écril de m a'm ain, et signé; le-1
« quel j’ai déposé ès-m ains de M e Espinasse, notaire r
« royal à Clermont-Ferrand. Je prie M. le président du ’
« tribunal de celte ville de lui confier ce dépôt. Fait à
«■ Clerm ont-Ferra nd, dans ma m a i s o n , l e i 4 d é c e m b r e ,;
«■1816. Sign é, J e a n - B À p t i s t e , comte L E G R O I N G .J» '
Sur l’enveloppe étaiUécrit :<
«■Ceci est‘mon testament olographe, déposé d e c o n <r fiance entre les mains de M e Espinasse,1 nôtaire ro ya l'1
« à Clermont, ce 24 décembre 1816. Signé', J . - 'B y «r comte ’L egRoitîG.-» *
•1
■- : i.< )
Tiff comlç LegrOing1n avait aucune Connaissance dans
les affaires; i l ‘ignorait1 sur-tout les term'ës techhrqu'ës
du m étier, et la rédaCtiôn d e ’ce testament’ annonce*'1
plutôt un praticien à protocole,: qu’un hom m e r'du"i
m onde; le préambule sur-ibüPést d’une^oridilé peu
commune. *11 est’ rare que l’hom m e'bien né ne fasse
précéder un acte aussi important de quelques réflëxiohsir*
morales, des motifs qui' le déterminent ; mais qüand
011 lit, Les droits, raisons et-dotions, les biens meublés ;
et immeubles; quoique le comte Legroing n ’eût'pas ’
d’im m eubles, ces mots'ès-m ains, qui ne Sont’ pa's une '
locution de société, on est bientôt convaincu qiid ‘cér''
ne fut pas son ouvrage, et qu’il en copia'Servilerrieïit’
le mod<Me;quJon lui a présenté. On dit servilenlent, car ‘
on a remarqué qu il était tout d’üne;:suifé^ sans £iccens:,
et sanfc'ponctuation.
On suspend pour un liiomént la discussion de cet ’
acte, dans lequel on répète si souvent le mot oldgraphè,
�(
16 )
sans doute parce qu’o n y attachait quelqueimporfance,
pour revenir sur des faits antérieurs bien importons à
connaître.
L a dame marquise Legroing m ère, peu de tems
avant son décès, avait fait quelques dispositions au
profit de la dame sa fille, et des dons à ses domestiques.
.Après sa mort, les scellés furent apposés, à raison de
l’absence du chevalier Louis Legroing. Les choses traî
nèrent en longueur, et le frère aîné s’occupait peu de
ces détails; mais madame Julien s’en occupait beau
coup; elle convoitait le mobilier, qui devait revenir à
son maître : elle le tourmentait; son mari se joignait à
elle pour le contrarier, et souvent on allait jusqu’aux
mauvais traitemens; alors l’infortuné menaçait de son
frère, qui mettrait ordre à tout, et punirait leur inso
lence. A qui vous adresseriez-vous, s’écriait-on? A votre
plus mortel ennem i, qui n’en veut qu’à vos b ien s,
cherche à vous faire passer pour un fou, et veut vous
faire interdire, peut-être pis encore.........On exaspère
par ces calomnies le frère aîné. On se rappelle qu’a
près le décès de la m ère, le chevalier devait compter
h son frère un capital de 3o,ooo francs, indépendam
ment de la rente viagère de 3 ooo francs : le comte les
exige sur-le-champ; il menace par écrit de prendre
tous les moyens de l’y contraindre, de faire enregistrer
les actes qui contenaient les arrangemens de famille;
il injurie sou frère dans toutes les lettres qu’il écrit à
son conseil. L e frère veut se présenter; il ne veut rien
entendre; enfin le chevalier est obligé de payer de suite
�( I? )
uno partie, et de faire des lettres de change à termes
très - rapprochés ; il n’obtient c e court délai que par
riulermédiaire d’un jurisconsulte estimable, qui voulut
bien interposer un ministère de paix, mais q u i , ne
connaissant pas le comte L egroing, crut, en l’écoutant,
que son frère avait eut envers lui les torts les plus
graves. Son étonnement augmenta encore, lorsqu'en
lui présentant à signer la quittance des sommes qu'il
recevait, s’étant aperçu qu’il y était dit : R eçu d u
chevalier Legroing, mon fr è r e , il raya ces derniers
mots avec la plus grande violence.
En vertu des actes de famille, le chevalier Legroing
devait aussi remettre à son frère une certaine quantité
de mobilier désigné, comme faisant partie du mobilier
paternel, mais en Cétat où ces meubles se trouveraient.
M . et madame Julien arrivent pour faire l’enlève
ment de ces meubles; ils prétendent avoir le choix des
articles sur la totalité du mobilier, e t, comme déraison,
ils prennent le meilleur. L e chevalier garde le silence;
mais les autres paraissent fort mécontens de ce que les
lits et les couches n’étaient pas neufs, et de ce que le
linge était usé. D e retour à Clermont avec leur proie,
ils recommencent leurs imprécations ordinaires contre
le chevalier, disent à l’aîné qu’ils n ’ont pu obtenir que
le rebut : l’aîu6 s’emporte en vociférations; et ce mo
ment est choisi pour présenter le modèle du testament.
11 a été copié à cette époque.
Com me le comte Legroing a survécu encore longtems à cet acte de démence et de colère, on craignait
3
*
�V, *' ( 18 )
toujours un retour de sa part, et de meilleurs sentimens
pour sa famille, il fallait s’assurer une planche dans le
naufrage. Il avait des capitaux très-considérables placés
dans des maisons opulentes et respectables. Les débi
teurs , la plupart ses anciens amis, sont sommés devenir
s’acquitter; on se refuse c'i tous renouvellemens.
L a majeure partie rentre. On fait acquérir par le
comte Legroing une propriété de 40,000 francs, payés
de suite, sous le nom de la petite Flavie. On fait plus,
on pousse l’impudeur jusqu’il faire passer à l’ordre de
cet enfant les lettres de change non encore acquittées,
et notamment celles qui avaient été souscrites par le
chevalier T^egroing à son frère. On ve rra dans un mo
ment l’usage qu’en a fait le tuteur.
Mais M. Julien n’a ara-t-il pas fait une maladresse ?
L e comte Legroing n’a donné à Flavie que les objets
dont il mourra saisi et vêtu. Bien certainement il n’est
pas mort saisi et vêtu des lettres de change qu’il a
transmises, par son ordre, à Flavie Jouvainroux. Celleci en est évidemment propriétaire, au moyen de l’ordre
passé à son profit; M. Julien ne voudra pas prétendre
que Flavie ait fait les fonds de ces lettres de change :
ce ne serait donc alors qu’un don m an u el, une libé
ralité indirecte, nulle dans son essence, puisqu’elle
ne serait pas dans la forme des donations entre-vjfs
ou à cause de mort; e t, dans ce cas, ces lettres de
change 11e feraient pas partie de la succession du feu
comte Legroing : il faudrait les rapporter aux héritiers
du sang.
�( I9 )
Revenant au récit de ce qui s’est passé après le tes
tament olographe jusqu’au décès du sieur Legroin g,
on ne voit plus qu’horreurs, m enaces, et mauvais
traitemens; on fait peser une verge de fer sur un mal
heureux moribond privé de toutes ses facultés p h y
siques et morales, ne pouvant se donner aucun m ou
vem ent, et dans la dépendance la plus absolue de ses
tyrans.
l i s e révolte parfois; on entend des cris concentrés
de fureur : M alheureux! vil cordonnier ! tu veux être
mon héritier; tu m ’as trom pé, trahi. Il se traîne jusqu’à
la croisée, crie au secours! à l ’assa ssin ! Les voisins
s’assemblent, le commissaire de police, les gendarmes
s’introduisent dans son domicile; on trouve le malade
dans les bras de ses domestiques, qui le caressent , le
déshabillent, prennent les plus grandes précaulions
pour soulager ses maux. 11 est va in cu , déclare qu’il a
pardonné, et renvoie la force publique qu’il venait
d’invoquer à grands cris.
Ces scènes se sont renouvelées souvent, et terminées
d e là même m anière;au point que ses cris deviennent
impuissans et vains : on y est accoutum é; on le regarde
comme un maniaque, un insensé qui revient à luimême lorsque sa colère est calmée.
Ses derniers momens ne sont pas plus paisibles. Il
renouvelle encore ses crisdécliirans, il répète les mêmes
menaces, manifeste son repentir. Des amis de Jouvainroux sont témoins, et lui entendent proférer les injures
�;
.......
(
)
les plus atroces contre le moribond, les menaces de s’en
débarrasser., et de Le jeter par les fenêtres.
C e n’est pas seulement ici un emportement brutal,
ou la menace d’ un homme grossier : peut-être que
l ’agonie dans laquelle le malade était entré, la certitude
d’ une mort prochaine, ont empêché un grand crime.
Iiabitans de Clermont! vous en avez vu un cruel et
funeste exemple. Il est trop récent pour être oublié.
Leçon terrible pour les malheureux célibataires livrés
à des domestiques ambitieux et infidèles !
j
L e sieur Legroing est mort le i 3 août 1817. L e len
demain 14 , Jouvainroux se présente à l’hôtel du pré
sident , porteur du testament olographe de son maître ,
que J o u v a in ro u x avait toujours gardé en sa puissance,
quoiqu’il soit dit que le comte Legroing en avait fait le
dépôt chez M e Espinasse; que cette déclaration fait
partie de la disposition, et même est répétée sur l'enve
loppe portant suscription du testament.
L e président, après avoir dressé procès-verbal de
l'acte, le remet ès-mains du greffier, qui en devient
dépositaire, pour le rendre à M e Espinasse, notaire.
Julien avait caché la mort de son maître pendant toute
la journée du i 3 . Personne de la famille n'avait été
averti : le chevalier arrive plusieurs jours après. Il ap
prend qu’on avait posé les scellés chez son frère le
i 5 août, qu ainsi on avait eu le teins, pendant trois
jours, de dévaster et d’enlever tout ce qu’il y avait de
précieux; qu’en effet il y avait eu spoliation complète
à côté du corps, qui reposait encore dans la maison.
�(
21)
On ne doit pas omettre une anecdote précieuse que
fournit cette apposition descellés du i 5 août. L e juge
de paix était absent; le suppléant fut appelé. C e sup
pléant se trouve l’avoué des Jouvainroux. 11 met les
scellés sur tout ce qui est apparent ; mais lorsqu’on ar
rive à l’appartement occupé par Monsieur et madame
Jou va in roux, on s’incline respectueusement. Com m ent
mettre les scellés sur le boudoir de madame? Et pour
rait-on sans crime gêner la maîtresse de la maison dans
ses habitudes et dans son secret asyle? B ref, cet appar
tement , où il y avait des placards et un secrétaire, reste
intact.
L e juge de paix se transporte, le 25 août, pour pro
céd era la rémotion; et la première chose qu’il aperçoit,
c ’est que cet appartement est resté libre ; il demande
pourquoi cet oubli ou ce ménagement? On lui répond
que c’est ici l’appartement de M a d a m e . — Mais des
valets ont-ils quelque chose à eux chez leurs maîtres?
Huissier, je vous confie cet appartement; vous le garde
rez jusqu’à ce que mon opération soit terminée: je vous
l ’ordonne; tout est sous votre responsabilité. Madame
Jouvainroux tombe en syncope.Pendant qu’on emploie
à grands îlots l’eau de Cologne et qu’on fait flairer des sels
pour rappeler les sensde madame Julien, le juge de paix
continue, et se met en devoir de poser ses scellés sur
/
l ’appartement. L ’évanouissement avait cessé. M ad am e
s’oppose à ce que les scellés soient mis, et demande
un référé chez le président. Il est ordonné; on se rend,
h près de neuf heures de relevée, chez le président, qui
�( 22 )
renvoie l’incident à l’audience du lendem ain, sans rien
ordonner sur l’objet principal. L e juge de paix, informé
de ce qui s’est passé à l’hôtel, croit qu’il est de son de
voir d’aller en avant, et appose ce scellé fatal...........
Proh doLor. Lorsqu’il a fallu les lever, on trouve dans
un des tiroirs du secrétaire cinquante jetons d’argent,
sur cent qu’en avait le comte Legroing, et qui avaient
été réclamés lors de l’inventaire. Madame Julien dit
agréablement que ces jetons sont le jouet de sa fille j
que le comte les a livrés à cet enfant, à peine âgé de
six ans, pour son amusement.
On continue les recherches. Dans un des tiroirs se
trouvent huit sclials de prix, destinés à la parure de
madame Julien. On lève ces scl i al s, et tout-à-coup sort
de l’un d’eux des papiers qui se trouvaient renfermés
dans les replis; on examine ces papiers : il n’y avait
que pour 23 , 8 oo francs de lettres de change, parmi
lesquelles figure une lettre de change du modeste
notaire de confiance.
Pourquoi ces lettres de change sont-elles cachées si
soigneusement dans un schal? Jouvainroux, seul pré
sent, avec toute la pilleur et la lividité qui caractérisent
sa physionomie anguleuse, r é p o n d à cet interrogat sé
v è r e , qu’il ne veut faire tort à personne, el qu’il avait
détourné ces effets par de bonnes vues, pour diminuer
d’autant les frais delà régie, pourles droits de mutation.
Survient nindame Julien. Malheureusement , elle
n’avait pas entendu la réponse de son mari ; elle répond
à son tour que son maître lui avait fait personnellement
�( *3 )
cadeau de ces effets. L e procès-verbal du juge de paix
contient le récit de l’incident, les interrogáis, et les
réponses.
Louis Legroing, habile à succéder à son frère, forme
opposition à la rémotion des scellés le 19 du même
mois d’août. L e 2 1 , Jouvainroux présente requête au
président, pour demander la rémotion des scellés : or
donnance conforme. L e juge de paix du canton fixe
au 2 3 août la levée des scellés; le mêm e jou r, Jou
vainroux fait notifier au chevalier Legroing , et au
subrogé-tuteur, le testament du défu n t, le procès-verbal
d’ouverture, et acte du dépôt d’icelui, la requête et
l’ordonnance, avec sommation d’être présens à la ré
motion des scellés et à l’inventaire du mobilier.
L e 2,3 août, nouvelle requête du lu leur, pour.de
mander l'envoi en possession de la succession du comte
Legroin g, en conformité, est-il dit, des articles 1006
et 1008 du Code civil. Il obtient ; ne ordonnance qui,,
sur le vu du testament et de l’acte de dépôt, envoie la
mineure en possession.
On procède a 1 inventaire. L e chevalier demande ;i
y faire des dires, et il déclare qu'il entend attaquer le
testament de nullité, par tous les moyens de droit, et
qu’il forme opposition à l’ordonnance qui envoie Jou
vainroux en possession de la succession ; il soutien! q u ê
tant habile ¿V succéder, comme héritier du sang, le
mobilier doit lui être remis, sauf à le représenter. Il
demande, dans tous les cas, qu’il soit nommé un sé
questre judiciaire; il se plaint principalement des en-
�( H )
lèvemens, des spoliations qui ont été commises, des
transports qui ont étéfaitsen main tierce, qu’il indique,
de ce qu’il y avait de plus précieux, en diamans, o r 7
argent et effets ; il insiste sur son opposiiion, et demande
qu’il en soit référé à l’hôtel du président.
Il est remarquable que le chevalier Legroing, qui ne
fut instruit de la mort de son frère que trois jours après,
se transporta, en arrivant à Clerm ont, au greffe du
- tribunal, où il prit connaissance de l’acte de dépôt, qui
avait été fait par Jouvainroux, du prétendu testament
olographe, le 14 août, c’est-à-dire le lendemain du
décès.
I l avait principalement observé que J o u v a in ro u x
seul s’était présenté, quoique, d’après ce testam ent,
•le comte Legroing déclarât qu'il avait déposé son tes
tament ès-mains d’Espinasse, et priât M . le président
de confirmer ce dépôt.
E n conséquence,. après avoir obtenu le référé qu’il
demandait, il présente sa requête au tribunal le 27
août. On y lit l’exposé suivant :
« L a présentation faite par Jouvainroux, porteur de
« ce prétendu testam ent, est d’autant plus remar« quable, qu’on lit en termes exprès, dans le corps du
« testament , ces lignes : Suit La mention du, dépôt èsk m ains d ’E sp in asse, etc.-«
I l ajoute : « On voit ici une condition d’autant plus
r essentielle, qu’elle est dans la disposition, et en fait
ce partie. L e défunt y avait attaché la preuve de la nia
it niieslation de sa volonté et do sa confiance. Il était
�-(*5)
« heureux encore qu’il eut obtenu celte faculté de ceux
« qui exerçaient leur empire et leur violence sur son
* esprit. Ce dépôt chez un notaire de confiance lui lais« sait au moins l’espoir de pouvoir révoquer ou changer
«• ses dispositions, qui, dans un moment lucide ou l i b r e , .
«• lui auraient paru extraordinaires et bizarres.
«■Il paraît que le défunt tenait d’autant plus à ce
« dépôt, que sur l’enveloppe qui contient la suscription
«■du testament, il répète comme chose fa ite que ce
« testament est déposé de confiance entre les mains de
« M e Espinasse. »
L e demandeur atteste, sur son honneur, que cet
exposé n'a eu’lieu que sur le vu de la m in u le, qui ne
contenait aucun renvoi. Il en avait pris une co p ie , et
c ’est sur celte copie qu’il avait cru pouvoir invoquer ce
m oyen en sa faveur.
Mais bientôt il apprend que la minute n’est plus dans
le même état , que la marge contient plusieurs renvois,
et qu’il résulte notamment de ces renvois que M e Espinasse aurait présenté lui-même le testament, accompagné de Jouvainroux.
/• '
•’
.-j s • *-i
11 y a plus, dans la copie qu'on lui a fuit signifier;
le 23 août, de cet acte de dépôt, à la requête de Jou- ,
vainroux, il paraîtrait q u e M e Espinasse seul a présenté
le testament au président; il n’y est pas même clïl qu'il
était accompagné de Jouvainroux; et quoique le gref
fier Fauverteix eût été personnellement dépositaire,
et chargé de remettre le testament à Espinasse, cq
4
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20)'
n’ést^lusqLÎeCombétj'cômmisdugrëiïej'qui comparaît
dëvànt Espinàsse pour effectuer cette remise.
'L é ‘ ¿hëvâlier L e g ro in g , instruit, et sur-tout fort
étonhé ^ e bes vàriaritesldaris uïi'dépôt publient sacré,
a vdlila;iâVbir tinè expédition vidiméë*ét[figurée de cet
acte de défiât qui üV£Îïtusübi cette métamorphose. Il
est) porteur d e ’ceite exp éd ition ;‘on fy voit sans inter
ligne , ique Jôuvainroux seul a présentéde testament ;
mais>par ûn'renvoi quiippécèdé le prénom tel le nom
de Jouvainroux^-on «ajbute.,*à la m arge, ces mots :
M ‘ E sp in a sse, notaire en cette ville, assisté de , etc.;
ce qui ferait croire qu’Espinasse était porteur de l’acte,
et qu’il était seulement accompagné de Jo uvain ro ux.
A la fin , le président ren voie le dépôt à Espinasse ^en
ajoutant :« E t-a vo n s signé-avec ledit comparant el lo
« greffier ». On a surchargé le mot ledit, et m êm egrossièrement, pour y ajouter Lesdits. L e greffier n’a pas
nianqüe‘'dèafaire menfion clé*cette surcharge dans l’exjiédi lion1figurée‘qu’il a délivrée.
~ Q u e ll e ^ é s t dO’ric la fàlalilé'qùi'règne dans celle afflure^'Jouvàinroüx né Sait doncêniployer que des voies
tortueuses? et ne peui-on pas croire que le doigt de
jD itu ub'stJtâl‘ jj)du redécouvrir les f r a u d e s et les rusés?
JtjtivnirticMx^a è u 'p e u r ; il a traint l’obsirvalion du
sidur Légm itig; il y a remédié |iiir‘ 'un renvoi q u ’il a
dbl&hu■
ou^hiit1 insérer bn 'he' sdit comment ; ‘mais le
jytge- è,st°grb^ier.* Si PEs[JiH;i's^e/ élail pOrlëur du lesiamefit j s’il Pa1 p'réiëhlé, ^oüYquoiie président a-l-il rejiiis la- pièce1au gréflibr?’ 11 élïiil si ¿impie de lit rétidre
�( 27 )
à Espinasse, et d’en faire mention dans le procèsv e r b a l ? Pourquoi a^tron surchargé ledit, popr mettre
le singulier au pluriel? Pourquoi
Qh! combien
de questions il y aurait à fa ir e , et auxquelles on ne
répondrait rien de raisonnable !
On ne manquera pas de dire que ce renvoi est pa
raphé par le président, des lettres iniliales de son nom.
A Dieu ne plaise, que le chevalier Legroing ou son
conseil veuillent adresser ici le plus léger reproche à
ce vénérable magistrat; ils se plaisent, au contraire, à
rendre un hommage public h ses lum ières} sa sagacité,
ses vertus, et à son inaltérable probité. .
Mais on ,n’ignore pas ce qui se passe à l ’hôtel j lors
qu’on vient demander des signatures. On présente or
dinairement une i'o^le d ’actes rédigés la veille ou le
jour m êm e; le président,, qui en,a çonnaissance, signe
avec confiance, apostille les renvois sans autrement y
rpgarder, parce qu'il doit avoir la plus entière confiance
dans les fonctionnaires qu’il emploi,ç. Il est trop juste
et 1rop généreux pour vouloir priver le chevalier d’un
de ses principaux moyens de.dé£ep,se, et pour ne .pas
reconnaître la justesse de cette observation.
Quoi qu’il en soit, sur Je référé qu’avait demandé
Louis Legroing, le,président renvpya à l’audience; et
le 27 août 1 8 1 7 , le tribunal, prqnpn.cymt sur l’incident,
ordonna qu’au principal, sur la demande en nullité,
les iparties procéderait en la manière ordinaire ; mais
débouta l e . chevalier I-egroing .d.e ,(son opposition h
l'ordonnance d’envoi en/possessiçn, pav le m qtif qu’on
�( *8 )
ne pouvait annuller par provision un litre, et q u e ,
d’après ce titre, Jouvainroux, jusqu’au jugement du
fo n d , avait un droit universel à la succession.
L a chose était toute simple. C'est sans doule une
fatalité et une lacune dans la loi, qu’il n’y ait pas de
moyens d’empêcher l’exécution provisoire d’un litre,
sur-tout lorsqu’il y a péril dans la dem eure, que les
nantis n’offrent aucune responsabilité; mais ce n’estlà qu’un inconvénient particulier qui doit céder à
l’intérêt général.
Néanmoins, on croit pouvoir dire que si le président
et le procureur du roi eussent eu connaissance de
l ’anecdote de l ’appartement , de la soustraction des
jetons et des effets, le président n’eût pas envoyé en
possession un tuteur infidèle; il eût nommé un sé
questre; et le procureur du roi aurait sans doute requis
la destitution de la tutelle, dans l’intérêt même de la
mineure. Malheureusement, on n’en fut pas informé;
le procès-verbal qui constate l’enlèvement fut ignoré.
Les Jouvainroux ont cru avoir une pleine victoire;
ils se sont livrés à la plus insolente jactance. On ne ré
pétera pas leurs expressions grossières; on devine assez
tout ce que peut dire celte classe d’hommes, vile hotninuni genus. L e chevalier Legroing a pris le seul parti
qui lui convenait; il a gnrdé le silence.
Il n’ignorait pas même avec quelle joie brutale les
Jouvainroux jouissaient de leur bonne fortune; il savait
que madame Julien avait étalé la plus ridicule parure
au spectacle, et aux premières loges, le i 5 ao û t, le
�'
( 29 )
surlendemain de la mort de son maître; que son époux
avait passé la même journée au cabaret, et que peu
de jours après, ils avaient fait nommer leur fille reine
d ’une fête baladoire, où elle parut revêtue de brillans
ajustemens qui annonçaient sa nouvelle fortune. M al
heureux frère! dans quelles mains avez-vous placé vos
bienfaits !
Reste un dernier épisode pour embellir cette narra
tion. On se rappelle que le chevalier Legroing était
débiteur envers son frère d’ün capital de 3 o,ooo f r . ,
payable après le décès de la mère commune. Il sem
blait, sur-tout entre frères, et d’après toutes les cir
constances qui avaient accompagné le traité de famille ,
que le chevalier pouvait espérer un délai moral pour
s’acquitter de cette def le. 11 est difficile de penser qu’on
puisse avoir dans le moment même un capital aussi
important; et la justice lui aurait accordé un terme
raisonnable, s’il l’avait demandé. Mais l’aîné était tel
lement excité et irrité contre lui, qu’il se vit obligé de
prendre les moyens les plus prompts pour l’appaiser,
et éviter des droits énormes. Il était à Clermonf ; il
souscrivit différentes lettres de change qui furent datées
de R io m , tirées sur D om ergue, banquier. Ces lettres
sont sous la date du 12 juillet 181 y 5 l’une d’elles., de
la somme de 4997 francs, était à échéance le i 2 oc
tobre, lors prochain. L ’ordre, comme on l’a dil, était
passe au profit de Flavie Jouv ain roux, voleur reçue
comptant. (/<>1 une véritable jonglerie; mais ce qui
est sérieux, c ’est qu'à l’échéance, il y a eu protêt à
�( 3o)
la requête du tuteur, très-soigneux, de Flavie; signifi
cation du protêt au domicile du tireur ^ jugement par
défaut, du tribunal de commerce de Clerm orit, qui
n’y regarde pas de si près sur la forme des lettres de
change. L e chevalier Legroing en a interjeté appel en
la Cou r, tant de juge incompétent qu’autrement. L ’ap
pel est pendant en la Cour; il sera l ’objet d’ une dis
cussion très-sérieuse; et c’est ici que se termine le récit
des faits. On a cru devoir abréger des détails minutieux
qui ne sont d’aucune im portance, pour ne pas dimi
nuer l’intérêt qu’inspire naturellement une cause qui
est celle de toutes les familles.
'Le chevalier Legroin g s’oblige à établir différentes
propositions pour démontrer que le prétendu testament
olographe ne peut avoir aucun effet.
i° Il démontrera que le testament dont il s’agit est
ab iratoj qu’il a été dicté par la colère, qui tient de si
-près à la dém en ce;
2° Q u ’il est le fruit de la captation et de la sugges
tion; qu’il a eu lieu au profit d’une concubine et d’une
fem m e adultère;
3° Que le Code civ^il laisse subsister les actions ab
irato, et les moyens de captation et de suggestion;
4° Que les domestiques sont incapables de recevoir
un legs universel;
5° Et très - subsidiaireinent, que l’acquisition faite
sous le nom de F la v ie , et les lettres de change passées
ù son ordre, ne font pas partie de la succession du
�( 3i )
comte L egro in g, et ne sont pas comprises dans son
testament.
§ I er.
L e testament est fa it ab irato. IL est l’ouvrage de La
haine et de La colère.
Tous les interprètes du droit sont d’accord qu’un
testament est vicié par la liaine et la colère; on en trouve
plusieurs textes de droit au Code de inojf. test. Personne
n ’a mieux traité cette question que le célèbre Cotliin,
dans son plaidoyer pour'JVL le duc de Richelieu, contre
M . l’abbé de Laval. Il n’avait pas dans cette cause les
mêm esavantagesqu’a aujourd’huile chevalierLegroing.
Mais celui-ci n’a pas les mêmes talens pour le défendre.
M . Cochin demandait la n u l l i t é du t e s t a m e n t delà dem oiselle D acigné, tante de M. le duc de Richelieu, qui avait
institué pour son légataire universel le sieur abbé de
Laval,hom m e'dequalité. Mais le testament était attaqué
pour cau^e de haine, de colère et de suggestion, comme
fait d’ailleurs au profit d’un agent. La haine est ainsi
définie : «C’est un mouvement du cœ ur, inspiré par une
« mauvaise volonté contre l’héritier présomptif, qui
* h’éçoule plus ni la voix du sang, ni les impressions de
« la nature.« D ’argent ré l’avait déjà dit fort énergique-'
ment sur l’article 218 delà coutum ede Bretagne: Motus
anim i contra . prœsumptum hœredem ex rnalevolencïa
prœterqjficuan riaturœ et charitatem uulitam sanguine.
I-ie testament fait par une personne en colère n’est
�( 32 )
pas plus valable : il ne suffit pas que l’auteur ait lesté
recle, il faut aussi qu’il ait testé ex ojjicio pietatis; sans _
quoi son testament est comparé à celui du furieux et de
l ’homme en dém ence, quasi non sanœ mentis fu isset.
C ’est encore ce qui est répandu en différentes lois du
titre de inojjicioso testamento. On peul aussi voir Ilenrys
sur celle matière, tom. 2 ,li v . 6 , queslion 7.
11 est vrai, et 011 ne doit pas le dissimuler, quoique
tous les docteurs soient d’accord sur ce principe général,
que la colère et la haine annullent le testament; que
plusieurs ont douté qu'il pût être attaqué, sur ce motif,
en ligne collatérale; on s'est principalement attaché à
établir que ces moyens avaient plus de force contre ceux
faits par le père ou la m è r e , ou m ê m e le iils, en haine
de son ascendant. Mais les auteurs qui ont adopté cette
distinction y ont cependant apporté une modification ,
et ont pensé que les moyens ab irato reprenaient toute
leur force, même en faveur des collatéraux, lorsque le
testateur avait institué une personne vile, n isi turpis
persona sit instituía ; c ’est ce qui est enseigné par
.Boniface, tom. 4 , liv. 1 ., cliap. 1.
Cocliin n’a pas embrassé cette opinion; il pense, au
contraire, fortement que ces motifs doivent faire annuller le testam ent, tant en ligne collatérale qu’en
Jigne directe. Mais quand on ferait celle concession ¿i
Ja fem m e Julien, on se trouverait dans l’exception do
toutes les manières, turpis persona f u it instituía. E n
effet, sur qui le comte Legroing a - t - i l répandu ses
bienfaits? Sur un enfant de six ans, pour qui il no
�( 33 )
pouvait éprouver aucun mouvement d’affection, ou s’il
en éprouvait, ils étaient criminels; c'était la suite d’un
adultère honteux, d'un concubinage qui le dégradait,
q u ’il manifestait par des familiarités publiques et indé
centes, qui ont si souvent fait rougir ses anciens amis,
témoins du dégré d’avilissement dans lequel était tombé
un homme d’honneur, qui jusqu’ici ne s’était jamais
oublié, et n’avait eu aucunes faiblesses.
Sur qui a-t-il versé ses largesses? Sur la fille d’une
servante, d’un domestique, devenus tous deux ses
tyrans et ses m aîtres, dont les moindres volontés
étaient des ordres pour cet infortuné. L e chevalier
Legroing n’a pas besoin de descendre à aucune preuve
pour établir la haine et la colère du testateur, dont le
frère a été tout à-la-fois l ’objet et la victime. Ces mouvemens de haine et de colère sont prouvés par les lel 1res
qu’il a écrites après la mort de sa m ère; par la rature
injurieuse qu’il s'est permise sur la quittance, en ne
voulant pas reconnaître son frère, par les propos et
les injures qu’il a proférées en présence de lém oins,
dans des emportemens tels qu’il ressemblait à un furieux
et à un insensé, quasi non sanœ mentis / ulsset. L e
chevalier est, au surplus, en état de faire la preuve de
tous ces faits d’emportemens çt de colère.
5
�( 34 )
§ II.
L e testament est Couvrage de la captation et de la
suggestion de la part d ’une concubine.
Cet article ne donne point matière à une longue
discussion. Un testament doit être l’expression d ’une
volonté libre et éclairée; toutes les fois qu’il est prouvé
que cette volonté a été enchaînée, que les dispositions
à cause de mort ont été suggérées, alors le testament
est déclaré nul;, le texte des lois, la doctrine des au
teurs, la jurisprudence des arrêts sont également uni
formes, sur le point de droit.
Il ne s’agit donc que de prouver la. suggestion; et
pourrait-elle être douteuse dans l’espèce particulière?
L a notoriété publique apprend que peu de teins après
le retour du comte Legroing auprès de sa mère, à R io m ,
il eut des attaques réitérées d ’appoplexie. Ces atteintes
successives avaient paralysé une partie de la b o u c h e ,
affaibli les jambes, et surtout affecté le m oral; ce
ij’était,plus le m êm e hpmrpe; faible et pusillanime,
il< n ’exprimait, que difficilement sa pensée, com men
çait une phrase sans pouvoir la finir, perdait la m é' m o ire, répétait dans le même moment ce qu’il venait
de dire , confondait les noms et les choses, en un m ot,
était parvenu h cet état de débilité sénile, qui rap
proche de l’enfance, et réduit à une sorte de dégra
dation l’homme q u i , peu de tems a v a n t, avait des
%
�connaissances agréables, s’exprimait avec pureté, an
nonçait des principes et des sèritimens d'honneur.
On sait que ces attaqués d’appoplexie, l’ennemi lè
plus cruel du genre hum ain , réduisent à un état pas
sif, lorsqu’elles ne sont pas foudroyantes, pardonnent
rarem ent, font toujours craindre de nouvelles secousses,
et prévoir une fin prochaine.
L e comte Legroing était dans cet état, lorsqu’il se
livre à Une fille de peine, domestique de sa mère. Se
serait-il oublié à ce point, lui connu par des sentimens
d'honneur et de fierté, qu'il poussait quelquefois trop
loin ? Quels charmes aurait-il trouvé
dans les bras
d’une fille grossière qui n’offrait aucun agrém ent? Il
fallait bien, sans doute, que le moral fût affaibli, pour
excuser cette eâpèce de dégradation que rien ne jus
tifie. Cette fïiie prend sur son maître un empire absolu;
elle devient mère : l’enfant est éloigné; on l’envoie
dans une terre qui appartient au sieur de l’Estrangës,
ancien ami du comte. On l’élève comme la fillè de‘ ce
dernier; elle est soignée, entretenue suivant la condi
tion du père. Elle tombe malade ; les médecins sont
appelés : le père s’informe de son état avec une grande
sollicitude, apprend sa mort avec chagrin.
Privé de cet enfant, et p ou f consoler la m è r e , il
fuit un testament secret, portant institution universeïÎe
au profit de sa concubine, qui l’avait maîtrisé au point
de lui faire faire cet acte de démence. Si dans la suite
il a changé ses dispositions, ce n’est que par une ruse
du mari, qui a fuit tomber le bienfait' sur son enfant,
�( 36 )
parce qu’il en aura l’ usufruit jusqu’à ce que sa fille
aura d ix -h u it ans, et que s’il venait h la perdre, il
lui succéderait pour moitié; il n ’a pas voulu laisser
entre les mains de sa femme une succession opulente,
toute extra-dotale, et dont elle eût été maîtresse. Ainsi
la femm e avait sous sa dépendance le maître; elle
f ■
*
élait aussi sous la dépendance de son époux , plus
rusé qu’elle ; mais ces deux personnages règlent la
destinée de celui qu’ils opprim ent, qu’ils maltrailent,
qui ne peut se passer d’e u x , et qu’ils tiennent sé
questré à tous les regards. Il ne lui était permis de
recevoir aucune visite. Ses parens, ses amis ne peuvent
s’introduire, et ils se contentent de gémir sur son sort;
parfois il résiste , appelle du secours, soutient qu’on
veut l’assassiner. L a police arrive; on l’a caressé, ama
doué : il pardonne. Ces scènes se renouvellent; elles
ne font plus de sensation; on le considère comme un
homm e aliéné, qui a les caprices d’un enfant ou d’un
furieux : on ne croit plus devoir s’en occuper.
T e l est le triste état dans lequel il a consumé le reste
d’ une vie languissante et douloureuse. Son testament
lui-m êm e n’esl-il pas l’ouvrage de la captalion? Il a
servilement copié le modèle d’un praticien à proto
c o l e , d ’une aridité et d’ une sécheresse qui ne peut
émaner d’ un hom m e qui réfléchit dans le silence et
la solitude, et qui se met en présence de l’Être suprême,
lorsqu’il n’attend plus rien des hommes, qu’il va payer
le dernier tribut à la nature. Un individu qui lienl à
une classe élevée, qui a goûté les douceurs delà société,
�( 37 )
et joui des plaisirs que donnent le luxe et l’o p u len ce,
ne va pas prendre son testament dans le Praticien
fr a n ç a is , s’occupe peu des mois raisons, droits et
actions, mots techniques et barbares qu'on n'entend
qu’au barreau, et qu’on ne lit que chez les notaires
de campagne, ou dans les actes du siècle dernier; c’est
une copie mecanique qu’il a faite avec langueur, sans
soin, sans ponctuation, versant son encrier dans des
momens d ’impatience,, et sentant qu'il signe sa honte.,
qu’il va se couvrir d’opprobre; si on fait attention
qu’on lui recommande sur-tout de déposer cet acte
chez Espinasse, notaire, qui ne peut plus é c rire , et
par conséquent ne peut recevoir un testament; que
ce dépôt lait partie essentielle d e l à disposition;
esl répété dans la suscriplion , et que cependant il
en la puissance de Jouvainroux, qui veillait à ce
n’en pût faire un autre.
qu’il
reste
qu’il
^
Que lout-à-coup on oublie la disposition du dépôt,
que Jouvainroux a l’impudence de présenter seul ce
testament au président; que l’acte de dépôt est dressé
en conséquence; que la minute en est connue; qu’on
lé remarque dans la demande du chevalier Legroing,
qui s’est aperçu de la maladresse, qui a fait usage du
m o y e n , après avoir lu et tenu l’acte, l ’avoir lait lire
à plusieurs personnes, et que cependant on trouve dans
la suite un renvoi aussi gauchement exprimé, qui an
noncerait tantôt que c ’est l’Espinasse accompagné de
Julien Jouvainroux, tantôt que c ’est l’Espinasse seul,
suivant la copie qui en a été notifiée; que Ledit com
�( 38 )
parant est métamorphosé par une surcharge, pour y
substituer lesdits comparans,• que malgré la présence
de l’Espinasse, on remet le testament au greffier, lors
qu’il était si simple de le rendre à Espinasse présent;
on demeure inlimément convaincu que ce testament
n’est pas l’ouvrage de celui qu’on en dit l’ auteur; qu’il
a été gê n é , tyrannisé dans ses dispositions, et que le
doigt de Dieu a marqué du sceau de la réprobation
cet acte scandaleux.
Qu'on vante maintenant les testamens dits olo
graphes! qu’on vienne soutenir qu’un acte de cette
nature est le fruit d’une mûre réflexion ! Ce n’est pas
ainsi que Justinien l'avait pensé, lorsqu’il bnnnit cette
form e de tester dti code de ses lois; qu’il révoqua
expressément la disposition du code Théodorien , qui
autorisait ce mode ou cette form e; ce n’est pas ainsi
qu’ont pensé tous les auteurs du droit écrit, qui ensei
gnaient que les testamens olographes n'étaient pas
valables, et qu’il fallait la solennité de sept témoins
pour un testament, qui est le dernier acte de la puis
sance , de l’affection, et d’une volonté qui doit survivre
h l’auteur.
C e n’est pas ainsi que pensait M* Terrasson, dans
un éloquent mémoire pour le sieur d’E p in ay, où il
fit annuller un testament olographe de Louis d’E p in a y,
en faveur de sa femme : « Il y a des acles si importans,
c< disait-il, pour l’intérêt des familles, qu’on ne peut
« y apporter trop de solennité et d’exactitude. Les
* dernières dispositions, reste précieux des m ourans.
�( 39 )
«• sont du nombre de ces actes solennels que les diffék
rentes lois ont assujéti à diverses formalités; on pré-
« tendra que toutes les formalités n’ont été introduites
«• que pour assurer les preuyes de la volonté; qu’011
« est aussi sûr de l’intention du testateur par le témoi« gnage de six personnes que par celui de sept; qu’on
«■Test encore plus par l'écriture et signature du testa« teur, que par la présence des témoins. Tous les paror ticuliers s’érigeront en critiques des lois établies; et
<r par la licence des raisonnemens, les règles perdront
«- leur autorité, et la jurisprudence deviendra arbi« traire. »
L e lestament olographe e st-il donc si recom m andable? doit - il avoir la préférence sur un testament
solennel? quel pourrait en être le m otif? T e l homm e
dans la solitude, et dans la fougue de ses passions, écrit
rapidement cinq à six lignes, qui dépouillent, déshé
ritent les héritiers dursang ; t e l autre se permettra des
dispositions bizarres, ridicules, honteuses, qui le désho
norent, et qu’il n’aurait pas osé faire devant un officier
public et des témoins; tel autre encore sera forcé par
un misérable, un audacieux intrigant, d’écrire quelques
mots qui transmettentrà son ennem i, son tyran , une
fortune qu’il destinait à sa famille, tandis que devant
notaire1il eût été parfaitement libre, il eût dicté ses
volontés hors la présence de celui qui en gênait 1 exer
cice, ou osait donner ses ordres absolus.
Disons au contraire, malgré tout le respect qu’on
doit à la loi qui autorise cette form e de tester, qu’elle
7
�u
( 4° )
n ’est ni plus précieuse, ni plus favorable; qu'elle n'est
pas une preuve de la volonté du testateur, qu'elle peut
être commandée par la crainte ou la tyrannie; qu'elle
étouffe le sentiment et anéantit la^volonté, favorise
le caprice d’un homme im m oral, et que sous lousles
rapports les solennités sont plus recommandables, as
surent la volonté, et préviennent souvent de grands
'
crimes.
Fanckette d ir a - t - e ll e qu’en tout cas il existe, en
faveur de La gouvernante, un testament ancien et
solennel qui reprendrait toute sa force; mais ce pre
mier testament, fait dans les premiers momens d’ une
passion v éh ém en t e et grossière, qui agissait encore
avec plus de force dans un hom m e qui se trouvait
dans un état d’aliénation m entale, prouverait la sug
gestion d’une concubine devenue m ère , et qui avait
alors les plus puissans moyens de séduction.
Ceci conduit naturellement à l’état de concubinage,
dans lequel a constamment vécu Fanckette avec le
comte Legroing. Sa grossesse, ses couches, les familia
rités indécentes qu’elle autorisait, qu’elle provoquait
m êm e en public, ne sont ignorées d ’aucun de ceux
'
qui fréquentaient la maison de la dame Legroing m ère,
et ont souvent servi d’alimens à la malignité.
D écriée par ses cam arades, méprisée par les per
sonnes au-dessus d’elle, elle a bravée l’opinion publique
pour parvenir à ses fin s, et ce concubinage si cons
ta n t, si notoire, est encore un des plus grands vices
pour annuller les dispositions dont elle est l’objet.
�( 4i ) '
L e maintien des bonnes mœurs exige que les parens
des personnes que leur passion a aveuglées au point
de préférer les objets de leur attachement criminel à
ceux à qui ils tiennent par les liens du sang, soient
admis à prouver le désordre. Lorsque la preuve en est
faite, les dispositions qui ont eu lieu au profit des
concubines1sont annullées, ou réduites à de simples
alimens. Un arrêt du 2 5 février i 6 6 5 , rendu sur les
conclusions de M. l’avocat général T a lo n , prononce
la nullité des ventes, et d’un bail à rente, consenties par
le baron de Saint - G em m es, au profit de Jacqueline
R ig o f, sa concubine et sa servante. U n second, du
2.2. août 16 7 4 , annulle deux contrais de constitution
de deux rentes j|au principal de 1900 francs, créées, par
l’abbé Lapinardière, au profit de sa domestique, qui
était aussi sa concubine; ces arrêts sont rapportés
dans le dernier recueil de jurisprudence, au mot Con
cubinage. On en trouve un troisième au Journal des
Audiences, du 3 juillet i 6 8 5 , q u ia annullé une obli
gation de 3 , 5 oo francs, souscrite par la dame F au veau ,
au profit d'un sieur L atou r, avec lequel elle vivait en
mauvais commerce. Un autre, de 17 2 4 , qui a annullé
les billets du chevalier de Graville, au profit de la fille
T rico t, etc.; en un m o t, les recueils sont remplis de
semblables décisions, et la jurisprudence est uniforme
sur ce point. I>e concubinage ne peut avoir que les
suites les plus funestes; il altère les sens et détrrit la
raison; et celui qui a le malheur de se livrer à cette,
passion, méconnaît, dans son délire, les obligations les
�( 42 )
plus sacrées, pour suivre sans pudeur le penchant ir
résistible qui l’entraîne. Comment 'dès-lors les tribunaux
pourraient-ils laisser subsister un acte qui est l’ouvrage
de la débauche et le monument honteux d’ une passion
criminelle ?
Elle le devient bien davantage lorsqu’il y a adultère;
lorsqu'un mari pervers n’est qu’un manteau pour cou
vrir le désordre; lorsque sur-tout sa bassesse tend à
faire supposer, à attribuer la paternité à celui qu’on
dépouille.
L e chevalier offre la preuve de tous les faits de
suggestion qu’il vient d’annoncer, ainsi que les faits
de concubinage et d’adultère. Qu'on ne dise pas que
le Code çiyil a abrogé les peines que les lois anciennes
prononçaient contre le concubinage, plus encore contre
l’adultère, puisque, dans ce cas, elles refusaient même
des alimens. L e silence du Code sur les effets de ce
désordre, n’est pas une abrogation des anciennes lois.
C ’est ce qu'on va établir dans le chapitre suivant.
§
III.
L e Code civil Laisse subsister les actions ab irato, ainsi
,que les moyens de captation et de suggestion.
Tous les auteurs sont d’avis que pour abroger une
l.pi reçue, il faut une abrogation spéciale. L e silence
d’une loi nouvelle, sur certaine matière de çlroil, n’en
est pas une dérogation. L e savant Dumoulin, dont
�( 43 )
l'autorité est si grande parmi les docteurs, a d it , sur
l’ancien style du parlement, partie 7, n° i c 5 : Constitatlo générales non derogat speciali legi. Il prend
pour exemple la loi si pater puellœ cod. de inojf. test.,
avec la loi quoniam , du mêm e titre. Par la prem ière,
l ’empereur Alexandre décide que la substitution réci
proque entre deux enfans fait cesser la plainte d’inofficiosité. Par la deuxièm e, Justinien ordonne que
même dans ce cas, la légitime soit laissée pleine et
entière aux enfans, sans aucunes charges. C e savant
auteur examine si la deuxième loi déroge à la pre
m iè r e , et tient pour la n é g a tiv e, parce que la loi
quoniam, ne contient pas une abrogation spéciale de
la loi si pater. Cependant cette séconde loi paraissait
bien contraire à la pr em iè re; car en voulant conserver
la légitime entière, on donne à l'enfant, m êm e appelé
à une subslitution réciproque, le droit d’attaquer le
testament d’inofïiciosité pour obtenir sa légitime ;
néanmoins la première ne laisse pas de subsister.
O r , s’il faut une dérogation spéciale pour anéantir
une loi précédente, comment vouloir que le silence
d’une législation nouvelle, qui n’a pu embrasser tous
les cas, puisse déroger aux anciens principes sur les
points qu’elle n’a pas prévus? On sait bien que dans
ces premiers instans d’engouement sur le bienfait d’une
législation uniforme , quelques novateurs orft pense
que tout ce qui n’était pas prévu dans le Code, cessait
d’exister; qu’ils en ont m êm e conclu que l’action ab
irato, celle en suggestion, e tc ., étaient abrogées. Mais
�( 44 )
bientôt la réflexion et la raison ont fait place à cet
instant de délire , et peut-être d’immoralité. N ’est-il
pas, en effet., immoral de soutenir ou de protéger des
actes qui sont la récompense du crim e, bouleversent
l’ordre social, outragent les mœurs, la religion, et tout
ce que les hommes ont de plus saint et de plus sacré ?
Quant à l’action ab Lrato, deux arrêts, l’un du 28
frimaire an 1 4 , rendu par la Cour de Paris, dans la
cause des enfans de Farges ; l’autre par la Cour de L y o n ,
du 2,5 juin 1 8 1 6 , tous deux rapportés dans la collec
tion de Denevers et Jalbert, le premier an 1806, le
deuxième an 1 8 1 6 , ont décidé en principe que Fac
tion ab irato n’était pas abrogée. 11 est vrai que dans
les deux, la demande a été r e j e t é e , parce que les
circonstances n’ont pas paru assez graves; et les ma
gistrats ont observé que le silence du législateur sur
cette action, démontre assez qu’elle n’est pas proscrite,
mais qu’il faut en restreindre les effets pour le repos
des familles.
L ’auteur du nouveau Traité des Donations professe
sur celte matière une sage doctrine, tome 1 , png. 286
et suivantes. Il examine si le sentiment d’aversion
qu’on prétend avoir dicté la disposition, aurait été
conçu par le testateur lu i-m ê m e , ou si ce sentiment
de haine aurait été produit par des insinuations étran
gères, par des moyens de fraude et de calomnie mis
en œuvre par ceuxr-mêmes qui profiteraient de la dis
position , et qui auraient rendu odieux au disposant
l ’héritier appelé par la loi.
�_ A u premier cas, il pense que loufe action devrait
être interdite; mais au second cas, il décide que l’ac
tion doit être admise; et pourquoi? «-C’est qu’alors il
« n’y a plus, à proprement parler, une volonté de la
« part du disposant ; des manœuvres odieuses ont substi«r tué une volonté étrangère à la sienne. L ’action rentre
« alors dans celle de captation ou suggestion, etc. »
Cet auteur,, comme on le vo it, ne tranche pas d ’une
manière absolue sur la première hypothèse, et il y '
aurait bien des observations à faire; car la colère et
la haine, quelque soit le m otif qui les aient inspiré,
détruisent la raison et la volonté, et doivent vicier le
testament. Ce n’est pas tester ex officio c h a rita tis,
pour se servir du langage de la loi. Mais le chevalier
Legroi ng n ’a nul besoin de discuter sur la première,
et se place naturellement dans la seconde.
11 est victime des insinuations perfides de cette gou
vernante; c’est ainsi qu’elle est qualifiée dans le pre
mier testament. C ’est elle qui a fait entendre à son
maître que son frère voulait le faire passer pour fou,
et le faire interdire; qu’il en voulait à sa fortune; c’est
elle qui a excité son maître à poursuivre le chevalier,
dans les premiers tems du décès de la mère; c’est elle
qui, par les plus odieuses manœuvres, a fait fermer
la porte au chevalier Legroing, lorsqu’il voulait s’ap
procher de son frère; c ’est elle enfin q u ia p r o f i t é , par
la plus abominable calomnie, de toute une fortune, au
préjudice des héritiers du sang.
L e chevalier Legroing a également offert la preuve
�( 46 )
de ces faits, e tc e tle preuve est incontestablement ad
missible.
Quant aux faits de captation et de suggestion, il y
a encore bien moins de doute que cette action est con
servée sous l’empire du Code civil. Un arrêt de la Cour
de Grenoble, du 14 avril 1806, a jugé contre les héri
tiers du sieur Denis M on tlevin , que la preuve des faits
de captation et desuggestion n’était point expressément
réservée par le Code civil; il a , par conséquent, laissé
aux juges la liberté d’admettre ou de rejeter cette
preuve suivant les circonstances (D en evers, an 1806,
pag. i 52 , sup.). U n arrêt plus ré ce n t, rendu en la Cour
de Paris le 3 i janvier 18 14 , rapporté dans le même
recueil, an 1 8 1 6 , pag. 2.6 et suiv., a jugé en ihèse que
les téstameos faits depuis le Code ne pouvaient être
annullés pour cause de suggestion, et que ce moyen
de nullité était admissible contre un testament olo
graphe. Il s’agissait du testament olographe d’une de
moiselle L e fè v r e , âgée de trente-quatre ans, portant
institution universelle au profit d’un sieur M o u tie r,
jeune homme de dix-sept ans, àvéc lequel elle avait
vécu en concubinage. 11 est delà plus haute importance, ,
pour la cause, d éfaire connaître lès principaux motifâ
de cet arrêt. La Côur considère ¿que 1 état de concu« binage où elle vivait avec celui qu’elle a institué son
« héritier universel, est une présomption immédiate h
i la suggestion; que cet état où la passion aveugle, où
«■l’acne, subjuguée par un sentiment im périeux, n’est
* plus à soi, et où les docteurs, lorsqu’il s’agit de dons
�C 47 )
9
« faits par les concubins l’un à l’autre, ont unanime« ment reconnu, non-seulement un motil et un m oyen,
« mais l’indice le plus violent et une présomption légi«■time de séduction.,..
«
«
«•
«
« Qu’il est hors de doute que la captation et la suggestion annulle le testament sous l’empire du C ode,
comme dans la législation ancienne; que le Code n’en
contient pas de texte form el, mais que cela résulte
manifestement de son esprit et de l’ensemble de ses
c dispositions; que ce Code proscrit tout ce qui est te
« fruit du dol et de la fraude, et qu’il n’y a point de
« dol plus caractérisé, de fraude plus certaine, quoi« qu’en même tems la plus fine et la plus délipe, et
* par cela même la plus dangereuse, que la caplation
<r et la suggestion; que suivant le Code civil, etd apiès
<r tous les Codes, un testament est la déclaration que
«• fait un homme de ses dernières volontés sur la dis—
« position de ses biens; qu’il doit être conséquemment
«■l’expression pure et franche de sa volonté, et non de
« celle d’un autre; qu’enfin on a rem a rq u é, dans le
* projet du Code civil, qu’il y avait un article, qui, du
« nombre des moyens admis pour attaquer un tesfa« ment, retranchait celui de caplation et de sugges<r tiou, et que dans la discussion et la rédaction défi« n iliv e , l’arliclç a été. supprimé. Ce qui fait voir que
« 1 intention du législateur a été que ce moyen demeurât
« toujours ouvert, et ffit soumis à la prudence des juges
«r pour y avoir., selon les circonstances, tel égard ç^e
«• de raison. »
�( 48 )
« P a r ces MOTIFS, la Cour, en infirmant le jugement
<r du tribunal civil de Paris, déclare le testament 0/0«• graphe de la fille L efèvre , en date du 9 octobre 1 8 1 1 ,
« nul et de nul effet. »
M adam e
moyens de
cipes, sont
m êm e n’est
Julien d ir a - t - e lle m aintenant, que ces
suggestion sont exhumés des anciens prin
abrogés par le C od e, que le concubinage
pas un motif de captation,une présomption
de fraude, etc. Mais, dans cette cause, nous n’en
sommes pas réduits à de simples présomptions. L a
notoriété publique accuse la fem m e Julien; il y a
séduction, concubinage, adultère, captation, oppres
sion, co lère, haine, suggérées par ses calomnies; en
un m o t, on trouve i c i , dans le sens le plus propre,
et avec des caractères qui peut-être ne se sont jamais
rencontrés au même d é g r é , tout ce que les juriscon
sultes ont qualifié de captation et de suggestion.
§
IV.
L e s domestiques sont incapables de recevoir un legs
universel.
U n ancien au teu r, Brillon, dans son Dictionnaire
d e s Arrêts, au mot domestiques, les traite avec sévé
rité.
« D o m e s t i q u e s , serviteu rs
<r q u e f o i s
a
des p a r t i c u l i e r s , e t q u e l -
leurs maîtres. Il y a b i e n d e s c h o s e s à d i r e
contre cette n a l i o n i n f i d è l e et i n g r a t e » .
�ï 4 9)
Il est dans la justice d’arrêter ce m ouvem ent, qi i
n’est que trop appuyé sur des exemples sinistres.
Mais il est des exceptions honorables!
Dans ces leras malheureux de désordres et de crimes,
dont on voudrait perdre le souvenir, on a vu des do
mestiques fidèles, respectables par leur courage et leur
généreux dévouement.
Qui ont bravé la mort pour sauver la fortune et la
vie de leurs maîtres, et se sont quelquefois immolés
pour eux.
Hom m age et respect à ces hommes rares et précieux
qui ont su ennoblir les offices d e là servitude, et dont
les noms devraient passer à la postérité.
Mais ces serviteurs si recommandables ont reçu un
legs modique, une pension exiguë qui les met à peine
au-dessus des besoins de la v ie , plus souvent n'ont ob
tenu aucune récompense.
Tandis que Fanckette, par ses déportemens, désho
nore le ch ef d’une famille illustre, et arrache un legs
universel de plus de 3 oo,ooo francs ! !
Pour revenir h l’auteur c i t é , lorsqu’il rappelle le
texte des lois qui les concernent , il invite à par
courir celles des Institules et du Code, au titre de
JNoxaUbus aciionibus. 11 rappelle la maxime du
droit, gravius cigendum cum servis. 11 ne balance pas
à déclarer qu’ils sont incapables de recevoir un legs
universel; il cite plusieurs exemples, parmi lesquels eu
choisira un arrêt rendu en la grand’ehambre du p ai-
7.
�(
)
Jement de Paris, le i er juillet 17I17, dans l’espèce
suivante :
«•Un maître de pension de cette ville de Paris, dit-il,
avait fait un legs de 12,000 francs au profit de sa gou
vernante, rpar un premier testament.
« Par un second testament, il lui avait fait un legs
universel. Les héritiers offrirent les 12,000 francs du
premier legs; ils contestèrent le legs universel.
« Sentence du Châtelet, qui fait délivrance du legs
universel. Par l’arrêt, la sentence fut infirm ée, et la
gouvernante déboutée de sa demande. TVL Joly de
ï l e u r y observa que si les héritiers n'avaient pas offert
les 12,000 francs, il aurait eu de la peine à se déter
miner pour un pareil legs, qui paraît être l’ouvrage
de l’autorité et de la séduction, suivant les ordon
nances ».
R icard, Traité des D o n a tio n s, partie i re, chap. 3 ,
section 9, pense également que les domestiques ne
peuvent recevoir de leurs maîtres .un legs univèrsel.
'Le dernier annotateur de Ricard a dit sur celte ma
tière les choses les plus justes et les plus raisonnables,
dl remarque v que les dispositions faites aux domes« tiques sont favorables quand elles ne sont pas exces« sives; mais que l’homme sage ne doit récompenser
* qu’avec mesure : l'excès est une présomption pres
te qu irrésistible de suggestions de la part des domes« tiques. Ils savent quelquefois prendre sur l’esprit de
« leurs, maîtres.un ascendant qu’il serait dangereux de
« favoriser, j*
�( 5i )
• 11 rapporte un arrêt du n août t 7 i 3 , que l’on
trouve au Journal des A u d ien ces, qui refusa la déli
vrance d’un legs universel d’environ 30,000 francs ,
fait au profit du valet de chambre du testateur, et ne
lui accorda que 3 oo francs de pension viagère, pour
récompense de ses services.
Autre arrêt du 22 avril 1 7 6 6 , réduit un legs universel,
fait par le sieur Potier en faveur de sa domestique, à
6,000 fr. une fois p a y é e , et 200 francs de pension.
O11 regarde, en général, les domestiques comme
incapables de recevoir des libéralités trop considérables
de leurs maîtres. Quand elles sont trop fortes, la justice
les réduit ordinairement à une valeur proportionnée
à la qualité des domestiques, à l’importance des ser
vices q u ’ils ont rendus, à l ’état et à la fortune des
maîtres. Il est du devoir des magistrats de mettre un
frein à ces libéralités excessives qui dépouillent les
familles, et qui peuvent raisonnablement faire soup
çonner que les volontés des testateurs ont été captées.
Personne, sans doute, ne contestera ces principes;
mais on s’attend à cette perpétuelle objection, que ce
sont des principes gothiques, et que toutes ces règles,
qui gênent la liberté des donateurs, ont été abrogées
par le Code civil. On dira que sous l’empire du Code
les domestiques sont capables de recevoir de leurs
maîtres des legs universels, puisque l’article 902 du
Code fait rémunération des i n c a p a c i t é s qu’il déclare,
et n’en prononce aucunes contre les domestiques ; que
l’article i o a 3 détermine que le legs fait au domestique
�( 52 )
ne se compense pas avec les gages qui lui sont dus;
d’où il suit qu’ils sont capables de recevoir un legs
universel.
Eh quoi! parce que la loi a cité ou a fait ré n u m é
ration de certaines incapacités, il en résultera qu’on
ne peut pas les étendre à un autre cas? L a loi écarte
les médecins, les confesseurs, les conseils, les notaires,
parce qu’ils sont présumés avoir trop d’influence sur
l ’esprit de leurs malades ou de leurs cliens; et les do
mestiques seraient exempts de cette suspicion, eux qui
savent prendre sur l’esprit de leurs maîtres un empire
absolu, qui peuvent dans tous les instans emplo}7er tous
les m oye ns de séduction! C e serait supposer une ab
surdité dans la lo i, qui cile des exem ples, mais qui
n ’est pas limitative; qui établit des incapacités absolues,
et laisse à la prudence des juges les incapacités relatives
qui naissent dés circonstances; et il faut sans doute tirer
une conséquence toute contraire à la prétention des
domestiques, de la disposition de l’article 1023 du
C ode; car si le Code dit que le legs fait aux domes
tiques ne se compense pas avec les gages qui leur sont
dus, la loi, bien certainem ent, n’a entendu parler que
du legs particulier, n’a supposé dans aucun cas un legs
universel, puisqu’il aurait bien fallu alors que les gages
fussent compensés forcément.
On ne prétendra pas, sans doute, que le legs uni
versel n’étant pas fait au profit de la domestique, mais
h sa lille, l’incapacité cesse.
On répondrait péremptoirement à celte objection
�( 53 )
avec l’article 9 1 1 du Code. Il n’y aurait ici qu’une
interposition de personnes, et le legs fait à la fille est
censé fait à la mère.
§ V
ET
DERNIER.
L'acquisition' fa ite sous Le nom de F la vie, les lettres
de change passées à son ordre ne fo n t pas partie
du legs universel, et doivent être restituées a u x héri
tiers du sang.
\
Ce n’est' que très-subsidiairement que le chevalier
Legroing donne quelques détails sur ce singulier inci
dent. Il ne l’aurait pas même discuté dans le moment
actuel, s'il n ’y trouvait une nouvelle p re uve de la haine
et de la colère du testateur contre lui„ des insinuations
perfides, et de l’infidélité des Jouvainroux.
Il est p ro u vé, p a rle procès-verbal du juge de paix,
que les lettres du chevalier Legroing ne parvenaient
pas à son frère.
1
On voit dans le procès-veabal, que dans le même
endroit où on avait caché les effets soustraits, se trou*
vait une lettre du chevalier, du 3 décembre 1 8 16 , à
son frère le com te, dans laquelle il lui marquait «-que
»
«
«
«
ne voulant ni l’aigrir, ni lui donner des su jets de
m écontentem ent, étant m alade, il lui e n v o i e son
domestique pour savoir positivement ses intentions,
et les époques des paiemens du c api ta l qu’il lui doit
«■après la mort de sa m ère, et à qui il veut que ces*
�( 54 )
<r sommes soit pdyées, quand, et dans combien d?é « poques. »
Cette lettre est cachée avec soin dans*les sclials; et
aussitôt après la mort du frère^ les Jouvainroux ont
l’insolence de
traduire le chevalier au tribunal de
commerce !
Mais quelle est donc la sottise ét la' maladresse de
ces ambitieux? Ce n’était pas assez d’avoir arraché un
legs universel, d’être porteur de cet acte d ’iniquité,
dont Julien s’est emparé du moment qu’il a contraint
le feu comte Legroing d’écrire et signer le modèle qu’il
lui a présenté, on veut encore ajouter aux odieuses
manœuvres qu’on a emplo yées; on’ ne v e u t lui laisser
aucuns effets disponibles dans les mains ; on le dépouille
à l’avance, on entoure son lit de m ort, sicut vuLtus
cadaver expectàns ; on fait acheter par lu i, sous le nom
de F la v ie ,u n e propriété de 40,000 francs; ou le force
de passer son ordre au profit de cet enfant de six ans,
sur les lettres de change qu’il a dans son porte-feuille.
E h quoi! c ’est lorsqu’on l’excife contre son frère, qu’on
force ce dernier à s ’acquitter d’une dette qui devient
exigible après le décès de la m è r e , et lorsque sa d é - ‘
pouille mortelle fumait e n c o r e ,le chevalier n’obtient.,
n ’arrête les poursuites q u ’en souscrivant dos billets sous:
la forme de lettres de change; on lui tient le pied sur
la gorge, il ne peut quil 1er d’un instant; il y a suppo
sition de lieu, puisqu’ il les souscrit à Clerm ont, datées
d e B i o m ; e t ¿1 peine a-t-il signé, q u e , sans intervalle,
ceseflets passent dans les mains de Flavie ; qu’à récliéance1
�( 55 )
.du premier, on traduit le chevalier, sous le nom de cet
enfant, au tribunal de com m erce, pour obtenir contre
lui une condamnation par corps.
N ’est-ce pas le comble de l’infamie! et que doit-on
attendre de gens de cette espèce, qui veulent s’élever
jusqu’à une famille dont ils ont dépouillé le c h e f3 tout
autre à leur place .aurait usé de procédés, aurait attendu
au moins qu'il ait été statué sur la demande en nullité
du testament. Jusques-là les Jouvainroux ,n’ont qu’un
titre précaire, q u i‘va s’évanouir et s’échapper de leurs
mains infidèles et avides. Les moyens du chevalier ¡sont
victorieux ; tous ceux qui ont quelques principes d’hon,neur se réunissent à sa voix pour demander justice et
«vengeance contre une spoliai ion dévastatrice, contre
le vol le plus dangereux^ et contre les auleurs, qui sont
•le plus cruel iléau de la société.
En attendant, le chevalier Legroing s’est rendu
appelant en la C ou r, du jugement par défaut qu’on a
surpris contre lui. Il l’atlaque, tant de juge inçom pé-tenl qu’autrement. Il établira devant la C ou r, qu^l
n’y a ici aucune spéculation de com m erce,.qu e des
lettres de change souscrites de frère à frère, pour des
co n v e n io n s de famille, ne sont que de simples billets;
qu’il n’y a pas eu de change ni de remise de place en
place, qu’il y a supposition de lieu, erreur dans la
dénomination de l’effet.
A u fond, il prouvera que Flavie n ’est pas proprié
taire de ces effets, malgré l’ordre valeur reçue comptant.
-Qu’il est impossible qu-un4enfant de six ans ait fourni les
�( 56 )
fonds; que cet ordre n ’est autre chose qu’une'libéralité
indirecte, un don manuel que les lois annullent, une
donation entre-vifs qui n’est pas revêtue de la forme
prescrite par le C od e; enfin que ces effets et les im
meubles acquis sous son nom , ne font pas partie de la
succession du sieur comte L egro in g; que celui-ci n’a
légué que ce dont il mourrait vêtu et saisi, et qu’il
n ’est mort saisi, ni des immeubles, ni des prétendues
lettres de change. Cet incident donnera la mesure de
la moralité des Jouvainroux, et fera connaître à la
Cour leurs odieuses manœuvres. Ce sera un épisode,
le prélude de l’action principale ; on verra si l’ancien
b edeau dé la cathédrale aura la protection des prêtres,
s’ils agiront en sa faveur. Misérable! qui s’avise de
comprometlre les ministres d’ un D ieu vengeur, dont
la justice doit s’appesantir sur des têtes coupables! Ce "
serait un sacrilège.
C e Jouvainroux ne laisse pas’ aussi que d’avoir sa
malignité. L e chevalier Legroing est informé que cet
individu se permet de répandre contre lui des calom
nies, qu’il s’avise de critiquer sa conduite politique;
il insinue adroitement qu’il était à Malte lors de l’in
vasion de l’île; qu’il a peut-être facilité la reddition
de lu. ville; qu’il a suivi en E gypte l’armée fran
çaise, etc.
N e sutor ultra crepidani. Sans d o u te , le chevalier
Legroing devrait mépriser ces insinuations ou^ ces
calomnies; mais il est ])ien aise de saisir l ’occasion de
rendre compte de sa conduite ù celte époque mémo-
�( 5? )
rabie, et de rappeler des faits qui sont connus de
l ’ordre e n tier, ainsi que de l’armée française.
O u i, sans doute, le clievalier Legroing était à M¿ilte
lors de l’invasion. Renferm é dans le fort S a in t-A n ge,
il voulait vaincre on mourir. Ce fort inexpugnable
domine l ’entrée du port ; de triples batteries s’oppo
saient à l’entrée de l’escadre de débarquement. L e
chevalier sut comprimer l’insurrection de la garnison,
résister aux sommations du vainqueur, et ne se rendit
ensuite que sur les pressantes sollicitations ,■l’ordre
exprès du grand-maître , qui' avait déjà fait son traité.
L e chevalier Legroing suivit les Français en E gypte!
que pouvait-il faire de m ieux? Inscrit sur la liste’fatale
des émigrés, tous ses biens ayant été vendus, il n’avait
plus de patxiej il ne devait pas, sans d o u t e , se confier
au Directoire, qui renouvelait ses proscriptions contre
les émigrés, et faisait encore périr une loule de vic
times.
. L e chevalier eut l’honneur d’être aggrêgé à la
commission des arts et des sciences faisant partie de
l ’institut d ’Egypte ¿^il chercha ù se consoler de son
espoir déçu, parcourant une terre classique et visitant
les monumens, et vit enfin arriver le moment où il
pourrait revoir sa patrie.
Pourrait-on d’ailleurs suspecter la conduite politique
d’ un chevalier français qui a su défendre l’ordre dont
il est membre, et de sa plume et de son épée, et q u i,
dans les premiers m o in en s, s’est rallié autour des
défenseurs du trône?
8
�( 58)
On répand encore avec adresse que le chevalier
Legroing est célibataire comme son frère, qu'il aura
les mêmes faiblesses, et que ce n'est pas la peine do
lui rendre une fortune que la.nature et la loi lui attri
buent, pour la transmettre peut-être en des mains qui
ne seront pas plus pures.
D e quel droit Jouvainroux vient-il attaquer le che
valier L eg ro in g , et calomnier ses habitudes? Q u’il soit
célibataire ou n on , n’en e s t-il pas moins le frère et
le plus proche héritier du défunt? A-t-il un reproche
à se faire dans son intérieur, et son existence dans la
société n’est-elle pas honorable? S’il avait des faiblesses,
il sait comment un h o m m e d’ honneur les ré pare , mais
on ne le verra jamais s’avilir ou se dégrader.
Signé le Chevalier L o u is L E G R O IN G .
M e P A G E S , Bâtonnier des A vocats à La Cour royale.
F L E U R Y , A v o u é licencié.
A RIOM , DE L’IMPRIMERIE DE J.-C. SALLES, IMPRIMEUR DU PALAIS.
�
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Title
A name given to the resource
Factums Godemel
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Description
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Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
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Title
A name given to the resource
[Factum. Legroing, Louis. 1819?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Pagès
Fleury
Subject
The topic of the resource
testaments
abus de faiblesse
domestiques
servante-maîtresse
enfants naturels
créances
séquestration
mobilier
maltraitance
émigrés
ordre Saint-Jean de Jérusalem
fraudes
fisc
inventaires
lettres de change
doctrine
nullité du testament
captation d'héritage
testament olographe
jurisprudence
concubinage
legs universels
egyptologie
code civil
bedeau
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire pour M. Louis Legroing, Chevalier de justice de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, Chevalier de l'Ordre royal et militaire de Saint-Louis, demandeur ; contre Julien Jouvainroux, ancien bedeau de la Cathédrale, et cordonnier ; Françoise Boudon, sa femme ; et encore contre ledit Julien Jouvainroux, en qualité de père et légitime administrateur de Claudine-Flavie Jouvainroux, sa fille, mineure, défendeurs.
note manuscrite : « 28 juin 1819, chambres réunies, arrêt, journal des audiences, p. 493 ».
Table Godemel : ab irato : 2. l’action ab irato contre les testaments est-elle admise par le code civil ? peut-elle appartenir à l’héritier collatéral ? Etat (question d') : 3. l’héritier du sang a-t-il le droit, pour prouver l’interposition de personne, de rechercher si le légataire, qui a dans une famille le titre et possession d’état d’enfant légitime, est, ou non, l’enfant naturel du disposant, surtout, lorsque cette recherche conduirait à la preuve d’un commerce adultère ? Sanité d'esprit : d’après quels principes se résout la question de savoir si le testateur était sain d’esprit ? Suggestion : La suggestion et captation sont-elles moyens de nullité pour la législation actuelle ? peuvent-elles être opposées contre un testament olographe ?
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De l'imprimerie de J.-C. Salles (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa 1819
1807-1819
1804-1814 : 1er Empire
1814-1830 : Restauration
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
58 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G2429
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Relation
A related resource
BCU_Factums_G2430
BCU_Factums_G2431
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/6/53483/BCU_Factums_G2429.jpg
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Riom (63300)
Clermont-Ferrand (63113)
Biozat (03030)
Fontnoble (terre de)
Egypte
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
abus de faiblesse
bedeau
captation d'héritage
Code civil
concubinage
Créances
doctrine
domestiques
egyptologie
émigrés
enfants naturels
fisc
fraudes
inventaires
jurisprudence
legs universels
lettres de change
maltraitance
mobilier
nullité du testament
ordre Saint-jean de Jérusalem
séquestration
servante-maîtresse
Testament olographe
testaments
-
https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/original/6/53374/BCU_Factums_G2004.pdf
314e002e28e3b0d9066159ff242c18af
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Text
MEMOIRE
POU R
Dame M a r i e - A n t o i n e t t e - G e n e v i è v e
STR A ZY, femme GUILBERT en qualité
de tutrice d’ A n n e - F r a n ç o i s e - H e n r i e t t e
DRELON , sa fille naturelle, demanderesse,
CONTRE
La Dame D R E L O N et le Sieur T H O M E U F
son mari, la Dame D R E L O N et le Sieur
T O U V IN son mari, la Dame D R E L O N
et le Sieur B O Y E R son mari, autre Dame
D R E L O N et le Sieur L A G R A N G E son
mari, défendeurs. .
Q U E S T IO N ..
P e u t-o n
reconnoitre un enfant naturel avant sa naissance,
spécialem ent dans la circonstance où le père est obligé de partir
pour les arm ées, avant que la m ère soit arrivée à term e?
S
sd o u t e il n’y a d’unions avouées par les lois et
n
a
par les m œ u rs, que celles qu’elles ont sanctifiées par
des rites sacrés, et auxquelles elles ont im prim é , par
le serment un caractère religieux et durable s a n s doute
A
�-■¡■¿A-
(2 )
l
aussi que les fruits de ces unions légitimes sont les seuls
enfans chéris des lo is, com m e,ils sont les seuls enfans
adoptifs des mœurs : mais les lois n’ont frappé de toute
leur malédiction que les fruits de l'adultère et de l’iuceste, et se montrant indulgentes pour les foiblesses des
hom m es, elles tendent une main secourable aux infor
tunés qui doivent le jour à ec charme puissant,par lequel
deux personnes libres sont entraînées hors des limites
du devoir.
C ’est bien assez pour ces malheureuses victimes de
l’eireur et de l’am our, d’avoir ù lutter sans cesse contre
des préjugés sévères, et d’être toute leur vie attachées
nu pilori de l’opinion ; il est bien juste au moins qu’elles
en soient dédommagées, en prenant quelque part à la
fortune de ceux qui leur ont fait le don funeste de
l’existence.
L orsqu’un homme foiblc rougit d’être p è re , et aggrave
encore sa faute en ne la î-cconnoissant p a s , q u e son en
fant abandonné a i l l e p o u r t o u j o u r s c a c h e r ses larmes et
sa honte dans le sein de sa m ère 5 les lois ne le reconnoîtront p o in t, puisque son père n^a point voulu le
j-econnoître , et ih n e trouvera ,que des lois inflexibles,
après avoir trouvé un père barbare. M ais si la nature
lui a donné un père'assez généreux pour avouer son
erreur après l’avoir com m ise, et pour la consacrer sur
un papier bienfaisant et solen n el, qu’il se console : les
lois ne s o n t plus sourdes à .ses cris, et elles lui pro
clament une p ro tectio n , une fortune et un père.
L ’humanité doit applaudir ù l’homme courageux qui
sacrifie l’opinion à l’h o n n eu r, et ce qu’o n ,appelle sa
�(3 )
réputation à ses devoirs 5 ce dévoûment est une amendehonorable faite aux mœurs outragées, une réparation
donnée aux lois, un triomphe accordé à la naturej et
la nature, les lois et les mœurs ne doivent-elles pas être
justement indignées, en voyant l’avidité s'opposer à tant
de bienfaits , et vouloir fermer le sanctuaire de la justice
à l’infortuné qui s’y présente, tenant d’une main le titre
authentique de son état, de l’autre le livre de nos lois
qui le protège ?
Assez et trop souvent on a vu l’état d’un citoyen
dépendre d’un mot, de la moindre formalité, du plus
léger trait d’écriture omis ou mal employé dans l’acte
qui le constitue : mais aujourd’hui, que reproclie-t-on
à celui que l’on conteste P Les formalités , même les
plus minutieuses, ont-elles été oubliées? n on , elles y
sont observées avec un soin scrupuleux. Cette reconnoissance a-t-elle été arrachée par la violence, enlevée
par l’adresse, ou obtenue par la séduction? n on , elle
est l'expression de la plus libre volonté , comme du plus
généreux sentiment. Donne-t-elle lieu à des doutes sur
les liens de filiation entre celui qui s’en prévaut et celui
qui l’a faite ? A-t-elle été accompagnée de la plus légère
hésitation , ou suivie du plus léger repentir ? Non , les
rapports de paternité sont incontestables , et cette reconnoissance fut l’élan d’un cœur qui ne s’est jamais dé
menti. Que vient-on donc lui reprocher ? On vient lui
reprocher d’avoir été faite trop tôt. Trop tôt ! Est-il
jamais trop tôt pour faire la plus noble et la plus im
portante des actions ? Est-il jamais trop tôt pour assurer
a son enfant un nom, une légitime, un état? Que dis-je,
A 2
�V >0.
( 4 )
pour prononcer l’arrêt qui doit faire de lui, ou un être
fortuné, ou le rebut de la société entière? L ’événement
lie le lui a que trop appris : si celte reconnoissance
avoit été différée, c’en étoit fait, le malheureux n’auroit jamais eu de père !.... Trop tôt ! Mais qu’importe
que cette reconnoissance ait précédé ou suivi la nais
sance! ne suffit-il pas qu’elle existe et qu’il n’y ait aucune
équivoque sur l’intention de celui qui l’a faite, et sur
l’identité de celui qui en est l’objet ? Si un homme
bienfaisant, et qui me tient par les liens les plus sacrés
du sang, est pressé de faire en ma faveur un acte de
générosité d’où dépendent mon rang , mon honneur,
ma fortune, qu’importe que je sois encore pour un
instant éloigné de lu i, et n’est-il pas indifférent à la
loi que son bienfait ait précédé ou suivi immédiate
ment mon arrivée ?
Ne l’outrageons point, cette loi protectrice, en lui
prêtant une sévérité qui l’offense *, et soyons bien con
vaincus que toutes les fois que le mallieur et l’innocence
se présentent devant elle, elle est indulgente et favorable,
connue elle est rigide et sans pitié, loisqu elle poursuit le
crime et la mauvaise foi. L ’orpheline qui implore
aujourd’hui son appui, peut donc se jeter avec confiance
dans le sein de ceux qui en sont les organes. Gomme
magistrats, ils sauront pénétrer le sens de la loi; et s’il se
cache dans l’ambiguité ou dans l'insuffisance des termes,
ils sauront fouiller l’intention de cette loi, et découvrir
son esprit jusque dans son silence même. Comme hommes,
ils feront parler leur cœur, si la loi se tait, et ne verront
point, sans être touchés, l’infortunée qui tend vers eux
�(5 )
ses mains innocentes, et qui leur demande du pain pour
subsister, et un nom pour subsister sans opprobre. L ’erreur
d’un moment, et qui ne fut point la sienne, ne sera point
le supplice de toute sa vie, et elle ose espérer qu’elle re
trouvera dans ses juges un père dont elle n’a connu que
les bienfaits, et qu’une moi't prématurée a moissonné au
champ d’honneur.
C’est dans cette ville, et le 7 octobre 1780 , que naquit
François Drelon. L ’humeur chagrine et sévère de son
père lui fit trouver peu de charmes à la maison paternelle,
et il la quitta pour suivre la carrière des armes. Il s’enrôla
dans le 9 e régiment de hussards, dans le courant de l’an
douze. Bientôt il fut fait bi’igadier.
Son régiment, qui faisoit partie de la grande armée
envoyée, en l’an i3, sur les côtes, pour l’expédition que
le gouvernement projetoit contre les Anglais, étoit en
garnison à Calais.
Drelon étoit logé dans la maison d’un particulier
nommé Leleu, qui avoit chez lui une jeune orpheline
à laquelle il servoit de père. Geneviève Strazy et Drelon
vivoient sous le même toit, à la même table; ils se
voyoient à chaque instant de la joui-née. Entre deux per
sonnes jeunes, la séduction est prompte, puisqu’elle est
réciproque , et bientôt il exista entr’eux l’attachement
le plus intime , et on ne craint pas de dire aussi le plus
sincère. Mais combien Drelon le sentit a u g m e n t e r , lors
qu’il apprit que son amante portoit dans son sein le gage
trop certain de leur amour! ou plutôt, ce n’étoit plus
l’amante qu’il idolâlroit ; c’étoit la dépositaire de son
�•
■
( 6 ).
enfant, de sa nouvelle existence, de l’objet de toutes ses
affections.
Déjà Geneviève Strazy étoit grosse de plus de sept
mois, et Drelon attendoit, avec une sollicitude impatiente,
le moment où il alloit se voir renaître, quand son régi
ment reçut l’ordre de partir pour les campagnes d’Alle
magne. Cette nouvelle fut sans doute un coup funeste
pour son amour; mais un soin plus cher, plus important,
l ’ o c c u p o i t . Il laisse sa maîtresse enceinte, et va courir les
chances périlleuses de la guerre!..... Son enfant va-t-il
être exposé à n’avoir jamais eu de père ? Sera-t-il destiné
à grossir la foule de ces infortunés qui ne reçoivent le
jour que pour le détester, et qu’une naissance honteuse
condamne à traîner toute leur vie la misère et l’igno
minie P.......Rassurons-nous ; les sentimens de la nature
et de l’honneur ont des droits sur Drelon : il va être père,
et veut mériter ce titre.
Pressé par le besoin de son cœ ur, et par un pres
sentiment que n’ont que trop justifié les circonstances,
il conduit, le s3 f r u c t i d o r an i 3 , jour même de son
départ, Geneviève Strazy chez un notaire , et là, il
fait une déclaration publique et solennelle, dans un
acte authentique ainsi conçu :
« Par-devant Nous Jean-Louis-Dominique François et
» son collègue , notaires publics à la résidence de Calais,
« soussignés, fut présent Monsieur François Drelon ( i ) ,
( i ) Il est ici nommé François, quoique véritablement il ait été baptisé sous
le prénom de Michel ; mais nos adversaires ne peuvent tirer de cette différence
aucune induction contro l’iden tité, i° . parce que l ’acto de reconnoissance est
�v £>
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
( 7 )
brigadier au 9e régiment de hussards, en garnison à
Calais, fils de feu François Drelon, négociant à Clerm ont, P u y -d e -D ô m e , et d’encore vivante Dame
Destera } lequel, en présence de Demoiselle MarieAntoinette-Geneviève Slrazy, fille mineure, demeuraxit h Calais , et pour ce comparant que l’enfant
dont ladite Strazy est enceinte est des œuvres dudit
sieur Drelon: laquelle déclaration il a affirmé sincère
et véritable, ainsi que ladite demoiselle Strazy. Ils nous
ont requis acte, que nous leur avons octroyé pour servir
et valoir ce que de raison, et assurer l’état civil dudit
enfant h naître; car ainsi, etc. Signé F r a n ç o is ,
»
R
oberval
, D
relon
. »
Cette reconnoissance adoucit à Drelon l’amertume de
son départ, et il s’éloigna avec la douce persuasion que,
s’il mouroit au service de sa patrie, il avoit assuré du
moins un nom et un état à son enfant.
Le régiment dont il faisoit partie quitta Calais le même
jour, 23 fructidor an i3. Ce fait est attesté par un cer
tificat de M . le commissaire des guerres résidant h Calais,
Geneviève Strazy accoucha, le 11 brumaire an i4>
d’une fille qui fut inscrite le surlendemain sur les registres
signé de la maio do D relon ; 2°. l ’indication du gra d e, du régim ent, du lieu
de naissance, des noms des père et mère de D relon , lève toute espèce do
doute ; 3°. il a été toujours connu sous le nom de F ra n çois, et dans tous les
actes de famille , il a été désigné sous ce nom , notamment dans les contrats
de mariago des dames Boyer et T h o m e u f, ses sœurs ; dans le testament de
François Drelon son pèro ; dans deux procurations données au sieur D relon Feuillade ; dans le partage de la succession du pèro com m un , et dans une
quittance donnée au sieur Drelon-Feuillade par les adversaires eux-mèmes.
<•
�( 8 )
de l’état civil.. On lui donna les prénoms d'Anne-Françoise-Henriette.
L ’éloignement ne refroidit point les sentimens de
Drelon. Il écrivit plusieurs fois, soit à Monsieur Leléu,
soit à Mademoiselle Strazy , des lettres pleines de ten
dresse, et où il exprimoit de nouveau les dispositions
paternelles où il étoit toujours envers son enfant.
Dès les premières campagnes, il fut nommé maréchaldes-logis , et après avoir fait les dernières guerres
d’Autriche et dTIongrie, il fut tué à la bataille de R.aab,
le premier juillet 1809.
Aussitôt après sa mort, ses quatre sœurs se partagèrent
sa succession. Chacune retira en nature le mobilier échu
à son lot; les immeubles furent vendus, et le prix divisé
entre elles.
Aujourd’hui, Geneviève Strazy vient réclamer, pour
son enfant, les droits que la loi accorde aux enfans na
turels reconnus ; c’est-à-dire, dans la circonstance où nous
sommes , la moitié des biens du père. ( C. N. art. 55^).
Les héritiers collatéraux repoussent cette demande,
sous le prétexte que la reconnoissance d’Henriette Drelon
est nulle, comme ayant été faite avant sa naissance; ils
s’appuient de l’article 334 du code N apoléon, ainsi
conçu :
u L a reconnoissance d’un enfant naturel sera faite
» par un acte authentique, lorsqu’elle ne l’aura pas été
» dans son acte de naissance, »
Et ils se renferment dans ce raisonnement : La loi ne
s’est exprimée que sur les reconnoissances postérieures
à la
�(9)'
à la naissance de l’enfant -, donc elle n’en permet point
avant que l’enfant ait reçu le jour.
Etablir que l’argument à contrario sensu ( d’ailleurs
rarement concluant, et presque toujoui’s dangereux dans
l’interprétation des lois) ne peut point servir à l’applicacation de l’article 334 \ prouver que lorsque les lois
contiennent des dispositions favorables, elles doivent
s’interpréter par l’équité, et' l’intérêt des personnes
qu’elles ont voulu favoriser; justifier le principe si hu
main et si connu, que toutes les fois qu’il s’agit de l’in
térêt d’un enfant conçu, il est réputé vivant. Tels sont les
objets que l’on se propose dans la discussion de cette
affaire.
Si l’art. 334 avoit exprimé qu’il n’y a de reconnoissances
valables que celles qui sont postérieures à la naissance,
alors les héritiers pourroient raisonner par les contraires.
Mais qu’on ne se méprenne point sur le sens de cet
article,
L ’article 334 admet deux modes de reconnoissance,
qui produisent les mêmes effets : le premier, est l'acte de
naissance ; le second, est un acte authentique. A la vérité,
le second mode devient inutile, lorsqu’on s’est servi du
premier, parce qu’en effet il seroit superflu de répéter
devant un notaire une déclaration précédemment faite
devant l’olficier de l’état civil : mais ce seroit une erreur
bien grave de penser que l’acte authentique est sans effet,
lorsqu’il précède l’acte de naissance; car il s’ensuivroit
de que si le père, après la naissance de l’enfant, l’avoit
B
�.v,V42-
( 10 )
reconnu par un acte authentique, avant de faire dresser
l’acte de naissance, la reconnoissance seroit nulle; ce qui
seroit une opinion bien étrange, puisqu’il est évident,
au contraire, que l’article 334 admet indistinctement l’un
et l’autre m od e, et que c’est comme s’il eût dit : Un
enfant naturel pourra être reconnu par son acte de
naissance ou par un acte authentique.
Le législateur ne s’est occupé dans cet article que du
cas le plus ordinaire, de celui où la reconnoissance est
faite après la naissance, et il n’a pas cru nécessaire de
s’expliquer sur les déclarations antérieures : la faveur
attachée aux reconnoissances, les principes semés dans*
plusieurs endroits du code, sur les enfans conçus, décidoient assez qu’il les admettait; et s’il eût voulu les prohi
ber, il en auroit fait une disposition expresse.
Ce qu’il s’est proposé dans l’article 334, a été de pres
crire formellement que la reconnoissance d’un enfant
naturel De pourrait être faite que dans son acte de nais
sance , ou par un acte authentique ; et par cette pré
caution salutaire, il a v o u l u écarter tous les actes sous
seings privés, q u ’ il a u r o i t été trop facile, daus une matière
aussi importante, de se procurer par des voies de fraude
ou de séduction. L ’article est en termes impératifs, pour
le cas qu’il a prévu, et non en termes prohibitifs pour
les autres cas.
L a loi ne s’expliquant point sur les reconnoissances
antérieures à la naissance de l’enfant, la prohibition de
ces reconnoissances ne peut se présum er, d’abord, parce
que le code seroit en contradiction manifeste avec cette
règle de droit qu’il a consacrée lui-meme dans plusieurs
�( ” )
de ses articles : Qui in utero est, jam pro nato habetur,
quoties de commodis agitur; il suffit que l’enfant soit
conçu, pour être capable de tous les avantages qui peu
vent lui être faits après sa naissance. Cette prohibition
ne peut pas se présumer non plus, parce qu’il faudroit
admettre que la loi a eu l’intention d’interdire à un père
prêt à expirer la consolation d’assurer, avant sa mort, un
état à l’enfant qui lui devra bientôt le jour*, intention qui
auroit été cruelle et sans motifs.
Telle est l’intei'prétation donnée par Locré , par
Chabot ( de l’Allier ) , et par tous les auteurs qui ont
écrit sur cette partie du code (i).
Telle est aussi l’opinion consacrée par la jurisprudence
des cours impériales de Paris, d’A ix et de Bruxelles.
Il ne faut donc point s’arrêter au sens spécieux que
présente au premier aperçu l’article 334; c’est une lueur
(i)
On dit tous les auteurs. N ous devons avouer cependant que M . G ira u d,
substitut du procureur général près la cour de cassation paroît avoir émis une
opinion contraire, en établissant au surplus une distinction entre une reconnoissance faite par un homme bien portan t, et qui survit à la naissance de son
enfant, et la reconnoissance faite par un liomme menacé de la mort. « Je ne
» me permettrai pas, d it-il, de décider ce qu’il faudroit prononcer sur la vali» dité d’une reconnoissance faite avant la naissance de l’enfant, par un homme
» attaqué d’ une maladio sérieuse, et qui verrait sa mort prochaine. » On sent
assez que la position où se trouvoit D relon , lorsqu’il fit sa déclaration do pater
n ité, c lo it , sous certain ra p p ort, à peu près semblable à celle d ’un homme
atteint d’une maladie sérieuse.
.Sur les autres cas, on doit observer que la question n’avoit point été élevée
dans la cause. M . Giraud nu la traita que par occasion et en passant; et
l’arrêtisto ajouto : « La cou r n’a point a p p 'é cié sous ce rapport la reconnois» sance do paternité ; mais si elle n’avoit pu se dispenser de résoudre lu question
» élevée par M. Giraud, nous croyons qu’elle n’auroit pas consacre l’opinion
9 de ce magistrat. » Sibet , tome 0 , page 584*
�V\ m a .
( 12 )
trompeuse, qui ne peut éblouir que les yeux de l’intérêt,
et sur laquelle on ne doit point se fixer pour découvrir
la véritable intention du législateur.
Pour saisir avec justesse l’esprit d’une loi, il faut bien
se pénétrer de son intention et des motifs qui la dictèrent.
Lorsque le législateur a permis la reconnoissance des
enfans naturels, et leur a donné, par une innovation
bienfaisante, quelques droits à la succession de leur père,,
que s’est-il proposé? deux choses: 1a première, d’accorder
à un père la douce faculté d’avouer un enfant auquel il est
persuadé d’avoir donné l’être \ la seconde, d’assurer à cet
enfant des moyens de subsistance, sur les biens de celui
qui s’est déclaré authentiquement son père. Cette loi fut
donc inspirée par le double intérêt du père et de l’ enfant;
elle est donc favorable sous tous les points de vue; et en
la supposant équivoque ou insuffisante dans ses termes,
on doit s’attacher plus à son intention qu’à sa lettre, et
l’interpréter par l’intérêt de ceux qu’elle a voulu favoriser.
« Les lois qui f a v o r i s e n t , d i s e n t les légistes, ce que
» l’intérêt public, l’humanité, la religion, la liberté des
» conventions, et d’autres motifs de ce genre, rendent
» favorable, et celles dont les dispositions sont en faveur
» de quelques personnes, doivent s’interpréter avec l’é» tendue que peut donner la nature de ces motifs, jointe
» à l’équité, et ne doivent pas s’interpréter durement, ni
» s’appliquer d’une manière qui puisse préjudiciel' aux
» personnes que ces lois ont voulu favoriser, u Gvyot,
Rép. de jurisp. (i).
( j ) Nulla juris ratio , aut œfjuitatis benignitas patitur, ut tjua; salubriter
�(
)
Appliquons ces règles à l’espèce qui nous occu pe, et
toujours dans la supposition que nous voulons bien faire
de l’arabiguito de la loi ; voyons si Vintérêt public, Vhu
manité , la religion , la liberté des conventions nous
donnent des titres pour la faire interpréter en notre
faveur.
L ’intérêt public : toute la société est intéressée lorsqu’il
sJagit de l’application d’une loi d’où dépend l’ état d un
de ses citoyens; et irest de son avantage, que les lois
favorables ne soient point restreintes dans une rigueur
dont elle souffre, et de son honneur, qu’on ne lui donne
point un membre dont elle ait à rougir.
Ifhumanité : c’est à ce titre surtout, que l’orpheline que
nous défendons, a des droits à toute la faveur, à toute la
bienveillance de la loi. D e l’interprétation de cette loi
dépendent ses intérêts les plus chers. Elle combat pour
son n om , pour son bien ; disons plus, pour n’être pas
réduite à mourir de faim ou de honte. Elle combat, et
contre qui ? Fille de l’adultère, vient-elle lutter contre
des enfans légitimes ? A h ! si c’étoit ainsi, elle ne se présenteroit qu’en tremblant ; elle redouteroit un parallèle
qui la couvriroit d’humiliation, et ce ne seroit qu’en
rougissant, qu’elle viendrait disputer aux enfans du ma
riage les alimens que la loi jette avec mépris aux enfans
du vice. Mais non , elle est née de parens libres, et c’est
contre des collatéraux qu’elle vient réclamer ses droits;
contre des collatéraux, pour qui lessentimens delà nature
4
T.
pro utilitate hominum introducunlur, ea nos duriore interpretalione contra
ipsorum commodum producamus ad severitatem » L o i 25 > D . do logibus,
�'■/â 6-
C i4 )
ne sont rien, et l’argent tout; ceux-ci ne sont guidés que
par la cupidité, elle est conduite par l’honneur -, ils ne
demandent que de l’or , elle demande plus, elle réclame,
le nom et l’état que lui laissa son père. Si l’on pouvoit
ci’oire un moment que l’intention de la loi fût douteuse,
l’intérêt et la pitié qu’inspire Henriette Drelon, mettroient dans la balance \in poids qui auroit bientôt rompu
l’équilibre.
,
, La religion : non, la religion n’est point étrangère à
l’intérêt que nous agitons. Lorsque nous sommes menacés
de la mort j n’est-ce pas elle qui nous prescrit le repentir,
qui exige l’expiation de nos eri’eurs, qui nous enjoint de
réparer, autant qu’il est en nous, le mal que nous avons
lait? C’est un motif de religion qui a fait admettre les
mariagesz« extremis dans notre législation. C’est le même
motif qui doit faire accorder à un père mourant la con
solation de reconnoître l’enfant qui va lui devoir l’exis
tence. On doit respecter le cri de la conscience, surtout
lorsqirïl est aussi celui de la natui-e.
La liberté des conventions : si l’on entend par là la favèur, le respect dûs aux volontés exprimées dans un acte,
quelle faveur, quel respect ne méritera pas la profession
de foi échappée à D relon, avec tant d’effusion , consacrée
avec tant d’énergie dans un titre solennel ! Qu’on se rap
pelle les termes de la reconnoissance du 23 fructidor
an i 3 ; qu’on se rappelle les sentimens qui l’ont dictée;
qu’on se rappelle la situation critique de celui qui l’a
faite, et qu’on dise que cet acte n’est pas digne de toute
la faveur, bien plus, de tout le respect des interprètes de
la loi !
' .
�(
)
Mais pourquoi n’implorer que la faveur et la commisé
ration , lorsque nous pouvons réclamer la justice au nom
de la loi même ? Pourquoi nous livrer à l’arbitraire d’une
interprétation, lorsque nous pouvons nous appuyer de
textes précis et d’autorités respectables ?
La législation de tous les temps a consacré ce principe
dicté par l’équité, que lorsqu’il y va de l’intérêt d’un
enfant conçu, il est réputé vivant : qui in utero est, jatn
pro nato habetur, quoties de commodis agitur, disent les
Institutes ; et l’on poussa si loin a Rom e la faveur de ce
principe, qu’il suffisoit que la mère esclave eût été libre
un seul moment pendant sa grossesse , pour conférer la
liberté à son enfant.
La maxime qui in utero a été adoptée par le Code Na
poléon. L ’article 725 déclare capable de succéder celui
qui est conçu à l’ouverture de la succession ; l’art. 906
déclare également capable de recevoir, par donation ou
par testament, celui qui est simplement conçu, pourvu
qu’il naisse viable.
Ce principe, en faveur des enfans simplement conçus,
est inséré au titre des Successions ; c’est aussi au titre des
Successions que sont fixés les droits attribués aux enfans
naturels. La loi française a donc voulu qu’ils jouissent,
comme les légitimes, de la faveur de la maxime.
Puisque les enfans naturels, simplement conçus, peu
vent profiter du bénéfice d’une donation ou d’un testa
ment, à plus forte raison ils pourront profiter du bénéfice
bien plus grand d’une reconnoissance ; car plus l’avantage
est important, plus devient applicable la maxime, qui in
�\/4*
C 16 )
utero est, jam pro nato habetur,
q tjo tie s
de
c o m m o d is
A .G I T U R .
Dans le silence de la lo i, cette maxime devroit seule
suffire à décider la question ; mais si l’art. 334 présente
encore du louche aux yeux de quelques personnes, où
peut-on mieux trouver le véritable esprit de cet article,
que dans l’ouvrage, justement célèbre, intitulé Esprit du
Code Napoléon? Voici comment s’exprime Locré ( 1) :
« L a reconnoissance peut-elle être faite avant ou après
» la naissance de l’enfant ?
» L a commission vouloit qu’elle fût valable dans les
« d eyx cas (2).
» Ce système a passé dans l’art, 334 du c°de , lequel ne
» contenant point de restriction, et ne fixant pas l’époque
» où la reconnoissance devra être faite, l’admet dans tous
»> les cas,
» Pourquoi, en effet, refuseroit-on à un homme qui a
»> Ja conviction de sa paternité, le droit d’obéir à sa cons« cience , même avant que l’enfant ne soit né ? Les cir»
» c o n s t a n c e s p e u v e n t l’obliger à s’éloigner avant ce terme»
*> u n e m a l a d i e grave peut l e sui*prendre, et ne pas lui
»> laisser le temps d’attendre l’accouchement de la mère. »
V o ilà l’esprit de la lo i; voilà le sens que lui donne celui
q u i a coopéré à la faire, et q u i, comme secrétaire du con
seil d’état, a assisté à chaque discussion , a vu à découvert
l ’intention du législateu r, et a recueilli ses savantes
( 1) Esp. du C. N . tom . 4 , pag. 177.
( 2) Proj. de C. C. liv» i er* > tit. 8, art. 28«
observations
�( Î1 )
observations dans un livre profond, où l’on va puiser,
comme à la véritable source, l’esprit de la loi dans toute
sa pureté.
M. Chabot s’exprime de même. Après avoir traité la
question fort au long et sous tous les points de vue, il finit
par conclure qu’une reconnoissance faite avant la nais
sance de l’enfant, a le même effet que celle qui est faite
après*, « car, dit-il, s’il falloit s’enténir rigoureusement au
» texte de l’art. 334 du C ode, dans l’interprétation qui
» feroit considérer l’acte de naissance comme le premier
» acte où puisse être faite la reconnoissance , il en résul» teroit qu’un homme atteint d’une maladie grave, et
» qui verroit sa mort prochaine, ne pourroit reconnoître
» valablement un enfant naturel, seulement conçu, dont
» il sauroit êti*e le père.
» M ais nous avons déjà prouvé qu’on ne peut supposer
» à la loi une telle injustice , que repoussent également
*> et la nature et la morale.
» Il faut donc penser avec raison que l’art. 334 n’a eu
» pour objet que de statuer sur les reconnoissances faites
» après la naissance, qu’il n’a point embrassé les recon» noissances faites antérieurement, et qu’ainsi, à l’égard
» de ces dernières reconnoissances, il faut en revenir à
» la maxime de justice, proclamée par les lois romaines ,
» et consignée dans le Code , qui in utero e st, jàm pro
» nalo habetur, quolies de commodis illius agitur (i). »
En considérant l’intérêt que présente cette affaire , on
auroit désiré , en quelque sorte, avoir au moins le mérite
( 0 Quest.-trans. V erb . Enfans naturels.
c
�ISO ■
( 18 )
de traiter une question entièrement neuve, et le tribunal
de Clermont auroit sans doute été jaloux de fixer le pre
mier sa jurisprudence sur un point de droit aussi impor
tant ; mais nous devons avouer que déjà il a été prévenu,
et quatre arrêts ont déterminé à jamais la véritable inter
prétation de l’article 334 du Code Napoléon.
La cour impériale de Paris a jugé en principe, par son
arrêt du 25 prairial an ij^qu’ime reconnoissance antérieure
îi la naissance de l’enfant naturel, étoit suffisante.
Par ax-rêt du 10 février 1806 , la cour impériale d’A ix a
aussi jugé expressement qu’une pareille reconnoissance
étoit valable, quoiqu’elle n’eût pas été réitérée postérieu
rement à la naissance de l’enfant, et que le père, absolu
ment libre, eût survécu plusieurs années. Les circonstances
étoient cependant bien moins favorables que celles dans
lesquelles nous sommes; carie père n’avoit qu’une con
viction très-imparfaite de sa paternité. Il avoit exprimé
qu’il se repentoit d’avoir fait cette reconnoissance, et avoit
exigé que l’on mit dans l’acte de naissance de l’enfant, né
de parens inconnus. Cette volonté fut justifiée par une
note écrite de sa inain , que l’on trouva après sa mort, et
où il disoit : « je recommande ma fille ù mon frère, décla
rant que cet enfant peut être à m oi, mais que l’inconduite
de la mère m’a persuadé du contraire; c’est pourquoi je la
fis baptiser comme de père et mère inconnus. » Néanmoins
la reconnoissance fut déclarée bonne, et les nombreux
considérans de l’arrêt sont ù remarquer par la force des
motifs.
L a même cour a rendu une décision p areille, par arrêt
du 3 décembre 1807.
�( 19 )
Celle de Bruxelles a aussi, par arrêt du 12 janvier i 8 t$,
déclaré valable une reconnoissance d’enfant naturel,faite
avant la naissance de l’enfant, quoique le père eût sur
vécu pendant cinq ans , sur les lieux, sans avoir réitéré la
reconnoissance.
Jusques-là la jurisprudence a été unanime sur ce point
de droit, et sans doute elle le sera toujours, non seu
lement parce que la loi est muette, non seulement parce
que les lois romaines, l’humanité,notre code ont consacré
ce principe d’équité , que l’enfant conçu étoit suscep
tible des mêmes prérogatives que s’il étoit né; mais encore
( et l’on 11e cessera de le dire, ) par la considération mo
rale et si puissante, que le système contraire auroit la
cruauté gratuite d’ôter à un homme expirant la con
solante faculté de reconnoître son enfant posthume.
Quelles suites funestes auroit cette doctrine ! Quel tableau
affligeant oiTi'iroit une aussi injuste sévérité! Un homme
vertueux , mais qui fut foible un m om ent, est étendu
sur son lit de mort. Son heure est marquée ; dans un
instant il n’existera plus : auprès de lui est celle qui par
tagea son amour et ses erreurs; elle est sur le point de
mettre au jour le fruit de leur affection mutuelle. Ce
père infortuné n’aura-t-il pas la consolation, en mourant,
d’expier un égarement qui empoisonne les derniers momens de sa vie ? Ne lui permettra-t-on pas, à cette heure
futaie, un acte de vertu qu’il pourroit. faire c aus quel
ques jours, dans quelques instans peut-être, si la mort
vouloit différer ? Descendra-t-il dans la tombe avec le
remords déchirant d’abandonner une posténté innocente
à toutes les horreurs de la pauvreté et de l’oppTobre ?
C 2
�iôX.
( 20 )
Sa mémoire sera-t-elle étei’nellement outragée par les in
fortunés qui lui reprocheront sans cesse leur misère et
leur naissance ?....A h ! loin de nous un tableau aussi
aiiligeant ! loin de nous une supposition qui offense la
loi et révolte l’humanité ! Non , la loi ne sera jamais un
gibet où l’on étouffera cruellement la nature. Il sera
permis de consacrer son repentir dans un moment où
l’on a tant besoin de miséricorde ; et celui qu’une erreur
alloit rendre père pourra toujours se dire en mourant:
j’étois homme et je fus foible ; j’outrageai les mœurs,
mais il me reste la douce consolation de pouvoir réparer
mon offense, et, en quittant la v ie, j’ai l’espoir que
mon enfant me pardonnera la sienne : sa naissance ne
sera point légitime , il est vrai, mais en se rappelant
mon repentir et mes bienfaits, il pourra encore bénir
ma mémoire.
Ici l’on nous fera peut-être une objection. Il est dange^
reux , dira-t-on , de permettre les reconnoissances d’en
fant, à l’heure de la mort. Il est à craindre qu’une femme
adroite n’abuse de son e m p i r e , pour faire consentir à son
amant mourant une déclaration qui sera plutôt le fruit
de la séduction que d’une libre volonté. — Cela peut
arriver : mais pour un inconvénient possible , se prive
ra-t-on de cent bienfaits assurés ? Pour un homme séduit
( séduction , au surplus, qui tourne au profit de la société
et de la morale ) , en piivera-t-on cent autres de céder
à l’impulsion de leur cœur et au cri de leur conscience ?
Ce n’est pas d’ailleurs dans notre nouvelle législation
que l’on peut émettre de pareilles considérations, puis^
qu’elle a permis les mariages à l’extrémité de la vie.
�/J'S.
(
21
)
La séduction étoit cependant bien plus à redouter ,
parce que dans ce cas elle est directe , et qu’elle agit
pour elle-même. « M a i s pourquoi, dit M . Portalis, des
enfans qui ont fixé la tendresse d’un p è re , et une com
pagne qui a mérité sa reconnoissance, ne pourroientils pas, avant de recueillir ses derniers soupirs, faire
un appel à sa justice ?....En contemplant la ci'uelle situa
tion de ce père , on se dit que la loi ne peut ni ne
doit aussi barbarement immoler la nature. »
Mais ces considérations générales, toutes vraies qu’elles
sont, s’éloignent du cas particulier où se trouvoit Drelo n , lorsqu’il fit l’acte du
fructidor an i3. Le corps
aussi sain que l’esprit, voué à un état où l’on se joue
également et des .craintes chimériques et des manœuvres
de la séduction, n’écoutant d’autre règle que l’inspira
tion de la nature, d’autre voix que celle de son cœ ur,
il v o l e au-devant de ses devoirs plutôt qu’il ne cède
î\ des considérations étrangères, et sa déclaration porte
le caractère du sentiment le plus tendre et de la vo
lonté la plus déterminée.
;
; >
XiOrsqu’un homme de tout autre état que celui que
professoit Drelon se trouvera dans une occurrence pa
reille, la reconnoissance qu’il fera peut satisfaire la loi 5
mais elle laissera encore quelque chose à désirer pour
les mœurs, et l’on sera toujours en droit de lui dire:
une simple déclaration de paternité n’est point une
expiation suffisante, et puisque vous aimez une femme,
puisqu’elle*vous a tout sacrifié, que ne sacrifiez-vous
¿ votre tour votre indépendance à son honneur et au
vôtre? que ne l’ épousez - vous ? Mais cette ressource
�.(J//
( 22 )
n’est point offerte aux militaires ; et l’on sait que le
Gouvernement, qui veut dans ses armées des hommes
dégagés de tous les liens qui peuvent les attacher à la
vie, leur a presqu’entièrement interdit le mariage par
le décret plus politique que moral du 16 juin 1808.
Quelle satisfaction leur restera-t-il donc à donner aux
mœurs et à leurs plus douces affections? Livrés à une
profession nomade qui les oblige d’abandonner, à l’irnproviste et sans délai, le lieu où ils peuvent contrac
ter des inclinations, les placera-t-on dans cette alternative,
de n’être point hommes, ou d’être hommes dénaturés ?
. On pourroit dire aussi de cet habitant sédentaire d’ une
ville , qui auroit reconnu son enfant avant sa naissance :
Sa déclaration peut être valable, mais elle laisse du doute
sur la persévérance de sa volonté. Il a vécu long-temps et
paisibe auprès de celui dont il vouloit se proclamer le
père il pouvoit confirmer sa déclaration dans son acte de
naissance, ou la renouveler dans un acte postérieur. Il
sufiisoit quC sa reconnoissance laissât la moindre prise à la
controverse , pour lui faire un devoir de lui imprimer
toute (’authenticité que lui suggéroitla prudence. Lors
qu’ une volonté è^t constante , elle ne croit jamais s’entou
rer d’assez de précautions. Mais a-t-on pu tenir ce langage
à Drclon ? On n’a point oublié qu’il n’a fait sa déclaration
:avant là nnissahde de son enfant, que parce qu’un ordre
impérieux lui ôtoit la faculté de la faire plus tard. Aussitôt
après avoir satisfait ;\ ce devoir, il s’éloigne sans retour;
et ce n’étoit point dans les champs de la Pologne et de
l’IIongrie, à 4 ou ^00 lieu(‘s de sa patrie, au milieu des
camps et du tumulte des combats, qu’il pouvoit trouver
�( 23 )
des juristes pointilleux, des hommes de loi assez pré
voyons pour lui faire apercevoir la possibilité des diffi
cultés que l’on élève aujourd’hui.
Il croyoit, il devoit croire, avec raison, qu’il avoit
tout fait pour sa tendresse et pour la loi. Pour sa ten
dresse ! n on , il n’avoit point tout fait : il lui restoit
encore à y imprimer le sceau de la religion et de l'hon
neur ; il se le promettoit, et lui-même l’a révélé dans
une lettre ; mais un éloignement précipité et un décret
impérial lui interdirent pour jamais cette consolation,
et il est mort avec le regret de n’avoir pas accompli
le plus doux de ses vœux.
A-t-il tout fait pour la loi ? Résumons.
Nos adversaires, fiers d’un refuge qu’ils croient trou
ver dans l’art. 334 du Code, s’y renferment comme dans
un fort imprenable, et répondent à nos attaques par ce
cri de ralliement, la lo i, la l o i , rien que la loi. Eh bien ,
c’est aussi la loi que nous invoquons ! La raison, l’impar
tialité n’y verront jamais que ces mots : un enfant naturel
sera reconnu par son acte de naissance ou par un acte
authentique. Qu’on la lise, qu’on l’approfondisse, qu’on
pénètre ses motifs et son intention, on se convaincra
qu’elle s’est proposé une précaution salutaire, et non
une rigueur inutile et cruelle.
C’est aussi la loi que nous invoquons ! Partout elle a
consacré la maxime qu’un enfant conçu est capable des
mômes avantages que s’il étoit né. Ce principe, tiré du
droit naturel, écrit dans tous les Codes de d r o i t positif, ne
peut être renversé que par une disposition expresse de la
loi.
�(.
XH)
Nous l’invoquons encore cette loi, parce que nous la
croyons jnste, et qu’elle n’a point voulu -, non elle ne
voudra jamais (et le législateur l’a dit. lui-même en termes
énergiques) « qu’ un père mourant , dont le cœur est
»> déchiré par le remords, soit privé, en quittant la vie,
» d’assurer l’état d’une compagne qui ne l’a jamais aban» donné, ou celui d’une postérité innocente dont il
» prévoit la misère et le malheur (i). »
Faut-il des interprètes à cette loi ? Chabot, Locré ont
prononcé. Faut-il des arrêts ? La question s’est présentée
devant trois cours impériales, aucune n’a varié.
Si nous n’étions point forts de tant d’autorités , et que
cette cause fût de celles où les considérations morales , la
situation particulière des parties influent sur la décision,
à combien de titres, Henriette Drelon devtoit intéresser!
Victime innocente de l’erreur de ses parens \ privée
presqu’en naissant de celui qui devoit être son soutien ;
le premier pas qu’elle fait dans la vie est marqué par une
démarche qui lui fait déjà sentir la honte de sa naissance ;
et combien le fardeau de la vie lui seroit encore plus
odieux , si la tendre prévoyance de son père n’étoit point
confirm ée’par la justice ! Frappée^ dès le berceau des
rigueurs dé la fortune et de l’opiuion ; sans nom , sans
biens, obligée de lutter sans relâche contre les besoins,
le vice n’attendroit que le moment favorable pour en
faire sa proie, et peut-être n’auroit-elle été appelée h
l’existence que pour la consumer dans les horreurs de
la misère et de l’infamie.......... Mais rassurons-la. Le
( i ) M. Püi-talis, discours sur le mariage.
titre
�( 25 )
titre qu’elle présente lui confère un n om , un état et une
fortune qui seront ses sauve-gardes contre les besoins et
l’opprobre ; et ses juges sauront apprécier la déclaration
franche et généreuse d’ un guerrier, qui ne mit de la pré
cipitation à remplir les devoirs de la nature, que parce
qu’il fut forcé d’obéir à ceux de son état.
:
B E S S E (de Beauregard), avocat.
•
'. n
.
T R É B U C H E T , avoué.
. »j
.i ;
rnm
m
—m—
. . 1
i)
L e CONSEIL SOUSSIGN É, qui a vu et examiné
le Mémoire ci-dessus, et les pièces;
que la déclaration de paternité, faite par le
sieur Drelon, avant la naissance d’Henriette D relon, est
aussi valable que si elle avoit été faite dans son acte de
naissance, ou depuis.
Dans l’ancienne jurisprudence, on suivoit la maxime,
Creditur virgini ’ juranti se ab aliquo cognitam, et e x eo
prœgnantem.
A l’ombre de cette maxime, une fille pou voit choisir
dans toutes les classes de la société le père qu’elle vouloit
donner à l’enfant dont elle étoit enceinte. Le magistrat
dont les mœurs étoient le plus'sévères, n’en étoit pas plus
a l’abri que le jeune débauché; et le plus souvent la dési
gnation frappoit sur celui qui y étoit le plus étranger.
Le code Napoléon :a aboli cette dangereuse législation,
D
E
s t im e
�ISS.
( 26 )
et y a substitué des principes puisés dans la saine raison.
Il a interdit aux enfans naturels la recherche de la pa
ternité , parce qu’elle est toujours couverte d’un voile
impénétrable.
Il a voulu qu’on ne reconnût pour père que celui qui
croyoit l’être, et qui en faisoit l’aveu dans un acte authen
tique.
La loi ne s’est attachée qu’à ces deux points :
La rejcherche de la paternité est interdite.
La loi ne reconnoît que celle qui est avouée par acte
authentique.
Il importe peu que cet aveu soit fait avant la naissance
de l’enfant, dans l’acte civil qui constate sa naissance, ou
dans les temps postérieurs.
L ’art. 334 dit, à la vérité, que « La reconnoissance d’un
» enfant naturel sera faite par un acte authentique, lors» qu’elle ne l’aura pas été dans son acte de naissance. »
Mais cet article ne dit pas dans quel temps il faut que
soit fait cet a c t e authentique. Qu’il soit fait avant ou après
la naissance, le v œ u de la loi est également rempli.
C’est comme si la loi avoit dit : Le silence de l’acte de
naissance d’un enfant naturel ne peut être suppléé que
par la reconnoissance faite par le père dans un acte au
thentique.
1 L ’unique but de la loi, c’est qu’on ne soit pas père mal
gré soi, et qu’on le soit toutes les fois qu’on reçonnoît
l’être, dans les formes reçues.
Toute autre manière d’interpréter cet article 334 du
cod e, n’est q u e subtilité et pointillerie.
La raison, d’ailleurs, ne dit-elle pas qu’il n’y,a aucune
�( 27 )
espèce de différence entre une déclaration faite par le
père pendant la grossesse, et celle faite après la naissance
de l’enfant ; que l’une et l’autre méritent le même degré
de confiance; que si la loi admet l’une, elle ne peut pas
être assez inconséquente pour rejeter l’autre , surtout
d’après cette maxime tirée des lois romaines, et consacrée
par plusieurs articles du code : Qui in utero est, jam prç,
nato habetur, quoties de commodis agitur.
En prenant même cette maxime à la lettre, pro nato
habetur, il s’ensuit que cette déclaration du père doit être
considérée comme si elle étoit faite après la naissance de
l’enfant, puisqu’il est censé né, dès qu’il est conçu, et qu’il
s’agit de ses intérêts : pro nato habetur, quoties de com
modis agitur : ce qui rentreroit rigoureusement dans le
texte comme dans l’esprit de l’art. 334 du code.
Mais d’ailleui-s l’absurdité des conséquences qui résulteroient du système des héritiers D reïon , suffiroit pour
faire sentir l’absurdité du principe qu’ils invoquent
Le sieur Drelon étoit- militaire ; son corps est obligé
de quitter Calais, pour se rendre en Allemagne. Il laisse
Geneviève Strazy enceinte de sept mois ; il lui est impos
sible d’être présent à l’acte de naissance de son enfant. Il
va courir les hasards des combats; la mort l’attend sur le
champ de bataille. Il n’aura désormais à sa disposition ni
notaire, ni officier public, qui puisse recevoir sa décla
ration , et lui donner les formes légales : et on veut que
dans cette position il lui soit interdit de c o n s i g n e r , avant
son départ, sa déclaration dans un acte aulhentique, qu’il
se reconnoîl le père de l’enfant dont Geneviève Strazy est
enceinte, et qu’il laisse cet enfant livré à toute l’huiuilia-
�'‘
Pà* ■
( 28 )
tion d’une naissance dont les auteurs sont inconnus, et à
toutes les horreurs de la misère !
C’est calomnier la loi, que de l’interpréter d’une ma
nière aussi contraire aux premières notions de la justice
et de l’humanité.
Mais s’il pouvoit rester quelques doutes sur ce point,
ils seroient bientôt dissipés par ce que nous dit à cet égard
Locré, qui a assisté aux délibérations des célèbres juris
consultes qui ont rédigé cette loi, et qui tenoit la plume
sous leur dictée;
Par l’opinion de Chabot, de l’Allier, ancien législateur,
membre de la cour de cassation ;
Et par quatre arrets des cours souveraines de Paris,
d’A ix et de Bruxelles, qui ne permettent plus d’agiter
cette question, qui n’auroit jamais dû l’être.
. Délibéré à Clermont-Ferrand, le 18 avril 1811.
BOIROT.
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A C L E R M O N T , de l’Imprimerie de LANDRIOT, Imprimeur-libraire.
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Factums Godemel
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A name given to the resource
[Factum. Strazy, Marie-Antoinette-Geneviève. 1811]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Besse
Trébuchet
Boirot
Subject
The topic of the resource
enfants naturels
successions
reconnaissance avant naissance
code civil
mariage des militaires
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire pour dame Marie-Antoinette-Geneviève Strazy, femme Guilbert, en qualité de tutrice d'Anne-Françoise-Henriette Drelon, sa fille naturelle, demanderesse ; contre la dame Drelon et le sieur Thomeuf son mari, la dame Drelon et le sieur Touvin son mari, la dame Drelon et le sieur Boyer son mari, autre dame Drelon et le sieur Lagrange son mari, défendeurs. Question. Peut-on reconnaître un enfant naturel avant sa naissance, spécialement dans la circonstance où le père est obligé de partir pour les armées, avant que la mère soit arrivée à terme ?
Note manuscrite : « 6 juin 1811, jugement du tribunal de Clermont déclare la réconnaissance valable. 23 août 1811, audience solennelle : confirme pour les motifs. »
Table Godemel : Reconnaissance d’enfant naturel : 1. peut-on reconnaître un enfant naturel avant sa naissance, spécialement dans la circonstance où le père est obligé de partir pour les armées avant que la mère soit arrivée à terme ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
De l'Imprimerie de Landriot (Clermont)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1811
1780-1811
1774-1789 : Règne de Louis XVI -Fin de l’Ancien Régime
1789-1799 : Révolution
1799-1804 : Consulat
1804-1814 : 1er Empire
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
28 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G2004
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Clermont-Ferrand (63113)
Calais (62193)
Rights
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Domaine public
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Code civil
enfants naturels
mariage des militaires
reconnaissance avant naissance
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Text
MÉ MO IRE
D E C H A R D O N ; M a r g u er ite D E
C H A R D O N , et Jacques M O N T A N IE R , son mari;
P e r r e t t e D E C H A R D O N , veuve d e R o c h e v e r t ; et
A n n e D E C H A R D O N , fille majeure -,
M a r i e - A n n e - H é l è n e D U B O I S D E L A M O T H E , veuve
de Fre t a t ; Marguerite D U B O I S D E L A M O T H E ,
veuve Forget;
E l i z a b e t i i D E R E C L E S N E , veuve de G a s p a r d d e L i g o n d è s ;
M a r i e - T h é r è s e D E R E C L E S N E , ex-religieuse;
A n n e- M a r ie - J oseph - G arr iel- J e a n - J a c q u e s V I D A U D D E
L A T O U R et ses frères et sœurs;
F r a n ç o i s D U R A N D , de Pérignat ; G a b r i e l l e D U R A N D ,
de Pérignat; M a r i e D U R A N D , de St. Cirgues; M a r i e A n n e - F é l i c i t é F R E D E F O N D , et J e a n - J a c q u e s R O C H E T T E son mari; M a r i e - T h é r è s e B E L L A I G U E , et
autres héritiers testamentaires ou ab intestat, médiats
ou immédiats, d ’A NNE D E L A I R E , épouse de J e a n C h a r l e s C l a r y , p r é s i d e n t en la cour des Aides de Clermont-Ferrand, défendeurs;
E t e n c o r e p o u r J e a n - P i e r r e D E C L A R Y , de M u rat;
M a r i e D A U P H I N , épouse de J e a n R o d d e , de Chalagnat; E t i e n n e C H A B R E , et A n t o i n e C H A B R E , héri
tiers dudit J e a n - C h a r l e s d e C l a r y , aussi défendeurs ;
P our C la u d e - A nto in e
F É L I X , et Louis M A R L E T , son mari,
coutelier à Clermont, demandeur.
C ontre A nne
C
ette
affaire est née on 1794, a u m ilieu des orages révolutionnaires.
L a femme M arlet se prétendit alors fille naturelle adultérine
de la dame de C l a r y , et réclama à ce titre le tiers de sa succession.
�( a )
-
Elle demnnrlc aujourd'hui, après dix ans de silence, à être re
connue pour fille légitimé de M . et M mp- de C l a r y , el à recueillir
à ce titre l’universalité des deux successions.
Elle a sans doute en sa faveur les titres, la possession?
N i l’un , ni l’autre.
L a possession est contraire.
T o u s 1rs titres la condamnent.
Elle n ’a pas même pour elle la plus légère présomption , la
moindre probabilité morale ; rien enfin , qui puisse laisser un
instant en suspens l’opinion du magistrat et celle du public.
Son entreprise n ’est donc pas seulement téméraire,- elle est
l ’excès de l’audace.
Elle est l’excès de l’ingratitude; c ’est le serpent gelé, réchauffe
par le villageois.
Elle est l’excès de la mauvaise foi.
L a femme M arlet, en usurpant un nom distingué, en aspirant
à dépouiller d ’uno grande fortune des héritiers légitim es, n ’a pas
m em e pour excuse 1 ignorance <ie son sort
Pincert.itude de son
origine; il est prouve q u e lle doit le
jo u r
à une servante de la
Chapelle-Agnon.
F A I T S .
L a d a m e d e C la r y avoit de grandes propriétés dans les environs
d ’Arnbert ; elle avoit une maison dans cette ville , où elle passa les
années 1761 el 17G2.
D égoûtée du séjour d ’ A m b o r t , elle se retira à L y o n .
Naturellement sensible* et bienfaisante, elle cberclioit tous les
moyens de soulager l’infortune; et elle crut
ne
pouvoir laire un meil
leur usage de son aisance, que de l'employer à élever de jeunes filles
orphelines ou abandonnées.
Son premier mouvem ent fut d ’en prendre à l’hôpilal de L y o n ;
mais ne les ayant pas trouvées assez saines, elle préféra d ’en faire
venir d ’A m b c r t , lui paroissanl d ’ailleurs juste de répandre ses bien
�( 3 )
faits dans un pays qui étoit le berceau de scs pères et le principal
siège de sa fortune.
Elle s’adressa pour cela au sieur M adur, procureur fiscal à A m b e r t,
qui lui envoya successivement et en différens temps plusieurs jeu
nes filles, les unes tirées de l ’hôpital, les autres de chez les nourrices
dont les mois éloient payés par l'hôpital.
L a femme M arlet eut le bonheur d ’être du nombre de ces jeunes
filles envoyées par le sieur M adur à la dame de C la r y .
Elle étoit alors âgée de cinq à six ans; elle avoit été nourrie aux
frais de l’hôpital par la nommée Louvau fruitière vis-à-vis l’église
paroissiale d ’A m b e r t , où elle avoit été trouvée exposée à l’ûge d ’en
viron six m ois, pliée dans un mauvais sac et couverte des haillons
de la misère.
Arrivée à L y o n , l a d a m e de C la r y la fit baptiser, parce qu’on ignoroit si elle l ’avoit été, n ’ayant été exposée que lo n g -te m p s après sa
naissance; elle voulut être sa marraine.
Elle ajouta à son nom de baptême celui de F é lix , et elle a toujours
été connue depuis sous ce nom dans la maison de la dam e de C la ry .
Elle a été élevée, nourrie et entretenue par la dame de C l a r y ,
com m e les autres élèves ses compagnes.
P arvenue à l’àge de n e u f a n s ,
dame de C la r y crut devoir lui
faire apprendre un m étier; elle la plaça , ainsi q u ’A n n e P errier,
qui étoit aussi du nombre de ses élèves, chez le no m m é H ibaud
boutonnier; m ais, après six semaines d ’essai, elle la r e lira , parce
que sa trop grande jeunesse ne la rendoit pas propre à cet état.
• Elle la plaça ensuite, à l’âge de treize à quatorze a n s, avec une
autre de ses élèves nom m ée Catherine P errier, chez la dame Pinel
lingère dans l’allée des Images, où elle demeura deux ans.
L a dame de C la ry ayant pris le parti de fixer sa demeure à sa
terre de G o n d o lle , elle revint de L y o n avec A n n e F élix , et la
nom m ée J a n y , autre élève qu ’elle a mariée depuis avec le sieur
C o t i n , de M o n l-F erran d .
Elle envoya peu de temps après A n n e F é lix
A m b ert.
au
couvent
A 2
à
�(4 )
Pondant qu'elle éloit dans ce c o u v e n t , elle fut recherchée en
mariage par un nom m é A c lia rd , garçon menuisier et vitrier : la
dame de C la r y vouloit lui donner 600 francs de dot et un trousseau:
mais A n ne F élix ayant témoigné quelque répugnance pour ce
m a ria g e , il n'en lut plus question.
D e retour à G o n d o lle , elle eut occasion de faire connoissancc
avec Louis M a rle t, coutelier.
L a dam e de C ln ry éloit très-attacliée à la famille M arlet.
M a rlet p ire avoit servi le sieur Delaire son frère avec beaucoup
de zèle et de fidélité; elle lui d«voit même personnellement de la
reconnoissance pour les soins q u ’il avoit pris de veiller à ses intérêts
dans les derniers moraens du sieur Delaire.
D éjà elle avoit donne 600 francs à l’une des filles M a r le t , lors
de son mariage avrc Pons.
Elle avoit aussi donné une pareille som m e de six cents francs
à une autre des filles M a ile t établie à Paris.
L a recherche de Louis M arlet pour A n n e F élix ne pouvoit donc
que lui cire agrôalile.
INon seulement elle y donna les m a i n s , mais elle voulut faire
plus pour cet établissement, qui éloit dans son g o iu , rpiV-lle 11’avoit
fait pour ses aulres elèves; elle porta la dot d ’A n n e Félix à 3 ooo fr.
au lieu de 600 fr. q u ’elle étoit en usage de leur donner.
O n lit d,afl,s son contrat de mariage passé devant C h asso g ay ,
notaire à M o n t-F e rra n d , le 5 o janvier 1 7 7 9 , q u ’elle y est dénom
mée M a rte-A n n e F é l i x , originaire de la ville d ’ A m b e r l;
Q u ’elle procède de l’agrément et sous l ’autorité d ’A n n e D elaire,
épouse de M . Charles de C l a r y , sa marraine;
Q u e la dame de C la r y fait donation à la future sa filleu le de la
som m e de 5 ooo fr a n c s , qu’ elle promet payer dans des termes.
On lit les mêm es noms de M a rie-A n n e F é l i x , dans l’acte de
célébration , sans indication de père et in è r e , comme dans le
contrat de mariage.
L a dame de C l a r y , après avoir établi ses élèves, ne les perdoit
pas de vue.
�(5 )
A y a n t quitté G on d o lle , pour se Fixer à M o ttt-F e rra n d , elle visitoit souvent soit la J a n y , qu ’elle avoit mariée au sieur C o t in , et
à laquelle elle avoit constitué une dot de 1400 fra n cs, soit la femme
M a r le t , qui étoit mariée à Clerm ont : si elles étoient malades,
elle les faisoit soigner à ses frais par son m édecin, et par fois elle
ne dédaignoit pas de les soigner elle-même.
Scs premiers bienfaits étoient des titres auprès d ’elle pour en
obtenir de nouveaux.
L e 12 mars 1783 , elle fit donation d ’une rente viagère de 200 fr.
payable sur la tète de Louis M a rle t, de M cirie-Aim e F é li x , sa
f e m m e , et de Rose M a r le t , leur fille m in e u re , jusqu’au dernier
vivant d ’eux.
Cependant cette rente ne fut pas entièrement gratuite; on y lit
qu ’elle est faite « à la charge néanm oins, et non autrem ent, que
» ladite dame donanle demeurera quitte envers lesdils sieur et
» dame M a r le t , i°. de la somme de 5 oo fran cs, à eux restée due
» -de celle de 3 ooo fr a n c s , donnée par le contrat de mariage du
» 3 o janvier 1 7 7 9 ; 20. de celle de 5 oo francs, aussi due par ladite
» dame audit M a rle t, pour cause de prêt. »
L a dame de C la r y a payé exactem ent cette rente tant q u ’ elle a
v é c u ; mais elle n ’a rien f.n’i de plus pour la fem m e M a rle t.
Elle a fait son testament olographe le 20 juin 178g.
Elle f a it , p a r c e testament, pour environ 25 o,ooo francs de legs
aux hôpitaux, aux établissemens de charité, à des communautés
religieuses e t à des particuliers q u ’elle connoissoit à peine.
E t elle ne donne pas la plus légère marque de souvenir à la
fem m e Marlet.
Cepend an t, toujours conséquente dans ses principes, elle met
■une si grande importance à ce genre de charité q u ’elle avoit exercée
pendant une grande partie de sa vie, q u ’elle fait un legs de 3 6 ,000
francs à l'hôpital d ’ A m b e r t , « pour l’établissement de trois filles
» de charité de l’institut de St. V in cen t de Paule, pour l’éducation
» e.t entretien de 12 orphelines, légitimes ou n o n , qui s e r o n t reçues
» dans ledit h ô p ita l, pour y être nourries, logées, soignées et iu-
�( G)
» struîtes : elles y seront gardées jusqu’à l ’âge de 18 a n s ; elles y
» seront reçues dans le premier âge ou plus t a r d , suivant que la
» charité le requerrera ; et elles seront remplacées successivement
» à mesure que les places viendront à vaquer. »
Elle a vécu plus de deux ans après ce testa m e n t, sans q u ’il lui
soit venu en idée d ’y faire aucun changement.
E tan t au lit de la m o r t, le 27 octobre 1 7 9 1 , elle a fait un codi
cille par lequel elle a fait différons legs, tous à des personnes quilui étoient étrangères; et elle ne s’est pas plus occupée de la femme
M arlet et de sa fille dans ce codicille, que dans son testament..
L a dame de C la r y est décédée le lendemain 28 octobre..
C e d écès a été suivi d ’apposition de scellés, d ’inventaire; et la
fem m e M arlet ne s’y est pas présentée.
Plusieurs années se sont écoulées dans un'silence absolu de sa
part.
.v
L a loi d u 12 brumaire an 2 , rendue en faveur des enfans natu
re ls, a sans doute exalté scs idées; elle a cru que n ’ayant point de
p aren s, elle pouvoit
donner au gré de son ambition.
L e s circonstances étoient heureuses pour la fem m e Marlet : l ’illé
gitimité de la naissance étoit en honneur; l ’immoraiitô ¿toit érigée
en principe ; la désorganisation sociale étoit à son comble..
L a succession de la dame de C la r y étoit d ’ailleurs entre les m ains
d’une religieuse sexagénaire hors d ’état de se défendre d ’une pareille
attaque, qui n ’étoit elle-même appelée à recueillir cette opulente
succession que par une loi révolutionnaire, et qui dans tous les cas
ne pouvoit inspirer aucun intérêt.
Pou r faciliter de plus en plus aux enfans naturels l ’usurpation
de la place et de lii fortune des héritiers légitimes, on avoit interdit
la connoissance de ces sortes de contestations aux magistrats établis
par la loi, pour la d é fé re r ,, en.dernier ressort, à fies arbitres qui
dévoient être munis de certificats »le civisme ; formalité qui n e
laissoit ni latitude dans le ch o ix , ni sécurité dans la confiance.
C ’est dans cet état de choses que la femmo M arlet a paru pour
la première fois sur la scène, le i 5 ventóse>an 2.
�C7 )
( O n vo it, dans le premier acte juridique qu'elle a signifié à la dame
D e laire , sœur et héritière de la dame de C la r y , qu’elle prend le
nom d ’ Anne-M arie jDe/a/Ve, dite F é lix;
« Q u ’elle entend form er demande en délivrance du tiers à elle
j) attribué par l ’art. i3 de la loi du 12 brumaire an 2 , dans les
» biens et successions d ’A n n e - M a r ie D elaire, décédée femme du
» citoyen Charles C la r y , de laquelle la requérante est née, dans
» le temps que ladite citoyenne A n n e-M a rie Delaire étoit engagée
» dans les liens du mariage. »
L ’objet de ce premier acte est de nommer deux arbitres, et de
som m er la dame Delaire d ’en nommer de sa part.
L e tribunal arbitral fo r m é , la fem m e M arlet assigne la dame
D e la ir e , le i 5 prairial an 2 , « pour 'voir reconnoitre la requérante
« f i lle naturelle de défunte A n n e -M a r ie D e la ire , à son décès
» fem m e de Charles Clary ; en conséquence lu i voir adjuger le
» tiers de sa su ccession , qui lu i est attribué par Varticle 1 3 de
»> la lo i du 12 brumaire dernier; voir dire que pour parvenir au
» partage les parties conviendront d ’experts, etc. »
L e s arbitres assemblés, et le tribunal f o r m é , le 4 messidor, la
fem m e M a r le t, se disant toujours M a r i e - A n n e D ela ire, a exposé
« qu’étant fille d ’A n n e Marie D elaire, à son décès femme de Charles
» C l a r y , et née hors du mariage, elle réclame l'exécution de la
» loi du 12 brumaire an 2; et par les différens actes qu ’elle a signi» fiés à la dame Delaire les 16 floréal, i 5 prairial dernier, et autres
» portant nomination d ’arbitres pour e lle , elle a dem andé, en
» exécution de Varticle i 5 de ladite lo i, que délivrance lu i soit
» fa ite seulement du tiers de la succession de la défunte A n n e » M arie D elaire.
»>E l d ans le cas où sa possession d ’état seroit contestée, elle offre
» de la prouver, tant par représentation d’écrits publics et privés
» de sa m è re ,
que
par suite des soins qu’elle lui a donnés à titre de
» m atern ité, et sans interruption, tant à son entretien qu'à son
)> éducation, et demande à faire ladite preuve
.» loi. »
co n fo rm ém en t
à la
�‘( 8 )
L a dame Delaire a répondu que la prétention de la fem m e M arleï
est loul à la fois une calomnie atroce contre la mémoire de la dame
de C la r y , et un trait monstrueux d ’ingratitude;
Q u ’elle sait m ieux que personne, que « la dame de C la r y a é t é ,
M pendant tout le temps de sa v i e , dans l’usage de prendre des
» enfans de l’hôpital par m o tif d ’hum an ité, de les. élever, de les
» é ta b lir, et de leur donner une petite dot pour faciliter leur m a» riage et leur état ; »
Q u e c ’est par un heureux hasard q u ’elle s’est trouvée de ce
nom bre;
Q u ’elle a retiré com m e elle de l’hôpital la nommée Perrier, qui
est au service de la veuve T e y r a s ;
L a nommée C atherine, qui est établie dans la ville d ’A m b e r t ,
à qui elle a fait une dot ;,
L a nom m ée J a n y , qu’elle a établie avec le nom m é C o t i n , à qui
elle a fait aussi une dot ;
Que la dame de C la r y a encore élevé plusieurs autres enfans
de 1 hôpital d A m b e r t , tpj’eiie tenoit dans une des salles dudithô-pital, à qui elle fournissoit la nourriture et l’entretien,, et payoit
les personnes chargées d’en avoir soin ;
Q ue s’il étoit aussi vrai qu’ il est faux que la dame C la r y fû t la
mère de ladite fem m e M a r le t, elle ne l ’auroit pas réduite à une
dot modique de 3 ooo liv. , pour laisser Ja totalité de sa fortune à
des héritiers collatéraux.
E lle a ajouté que la preuve de sa possession d ’é ta t, qu ’offroit la
fe m m e M a r le t , indépendamment qu ’elle étoit vague , indétermi
n ée, et incapable dans tous les cas de satisfaire au vœu de la loi,
n ’étoit pas admissible, dès qu’elle se présentoit comme bâtarde
adultérine, parce que celte preuve étoit scandaleuse, qu’elle o ffensoit l’honnêleté publique, et ne tendoit à rien moins q u ’à trou
bler toutes les fa m ille s } et à renverser les premières bases de l’ordre
social.
M ais h quoi pouvoit servir alors ce genre de défense ? tout étoit
entraîné par le torrent révolutionnaire; et les arbitres, cn>admettant
�( 9 )
lant par leur jugement la preuve testimoniale offerte par la
fem m e M a r l e t , ne firent sans doute que céder à regret à l’impul
sion irrésistible du moment.
C'est encore à l’empire des circonstances qu ’il faut attribuer le
soin qu'ils prirent dans ce jugement de stipuler les intérêts de la
fem m e M a r le t, et de lui indiquer les changemens qu ’elle devoit
faire dans son plan d ’attaque.
Elle n ’avoit osé jusque-là usurper que le nom de M a r ie - A n n e
D ela ire ; elle ne s’étoit présentée que com m e fille naturelle née
d’ une autre union (¡ne celle d’ sin n e-M a rie IDelairc avec Charles
Clary , c’est-à-dire, comme fille naturelle adultérine :
O n lui insinue que se prétendant née pendant le mariage de
M arie-A nne Delaire avec Charles C l a r y , elle a droit d ’aspirer à
la qualité de leur fille légitime.
E lle avoit jusque-là borné son ambition au tiers de la succes
sion de M a rie -A n n e D elaire, qu ’elle réclamoit en vertu de l ’articlei 3 de la loi du 12 brumaire an 2 :
O n lui apprend q u ’elle a droit de prétendre à la totalité de cette
succession é c h u e , et à la totalité de celle de M . de C la r y , à échoir.
E n co n séqu en ce, et d ’après des considérans qui développent
toute la théorie de ce nouveau plan, « le tribunal d arbitres ordonne,
» avan t faire d r o i t , que la demanderesse, conform ém ent à L’ar» ticle 8 de la loi du 12 brumaire , prouvera sa possession de l ’état
» par elle réclamé d ’enfant d ’A n n e-M arie D e la ire , p a r la repré» sentation d ’écrits publics et privés de ladite Anne-Marie Delaire ,
» ou par la suite des6oinsà elle donnés à titre de maternité et sans
» interruption, tant à son entretien qu ’à son éducation : autorise
» à cet effet la demanderesse à faire entendre témoins en pré» sence du tribunal, sa u f la preuve contraire de la même manière.
» O rdonne en outre que la demanderesse sera tenue, lant par ti» très que par tém oins, d'éclaircir le fait de la présence de Charles
» C la r y auprès de son épouse, ou de son absence, lors et à l’é» poque de la naissance d ’elle demanderesse; et en cas d absence,
D dan6 quel éloignement de son épouse se trouvoit Charles C la r y à
B
�( IO )
)> ladite époque; tous moyens de fa ite t de d r o it, ainsi que les dépena,,
» réservés aux parties: L'étal et les droits de la demanderesse lu i
)) demeurant aussi réservés , tant envers Charles C la ry , que sur
» la totalité de la succession d’ A n n e-M a rie D e l aire. »
C e jugement étoit rendu en l’absence de Charles C la r y ; on
disposoit à son insu de tout ce que l ’homm e a de plus sacré sur
la terre , d ’une prétendue paternité q u ’il devoit repousser avec
h o r r e u r , de son n o m , de sa fortune.
L a fem m e M arlet cependant n ’eut pas le courage de su iv re , dans
les premiers instans, la marche que sembloient lui tracer ses arbi
tr e s ; elle avoit sans doute de la peine à se familiariser avec l ’idée
d ’une entreprise aussi hardie : elle se contenta d o n c , sans appeler
M . de C la r y dans la, cause, de suivre l’exécution de son jugement
controla religieuse sexagénaire, q u ’ellecroyoit trouver sans défense.
Elle fit entendre tre n te -d e u x tém oin s, dont presque toutes les
dépositions, quoique préparées et combinées avec art par les m o
teurs et les agens de cette intrigue révolutionnaire, ne sont qu ’un
tissu de contradictions, e.t 8o réduisent d ’ailleurs à des o u ï-d ir e
insignifians, dont il est facile de trouver la source dans l ’intérêt
q u ’avoit la fem m e M arlet de les répandre et faire répandre par ses
nom breux émissaires, pour form er l ’opinion publique qui dirigeoit
tout alors;
A des so in s, à des caresses que la dame de C la r y prodiguoit
indifférem m ent à toutes ses élèves, et surtout aux plus jeunes, et
qui n ’étoient de sa part que l'e ffe t de la compassion, de la cha
r ité , de la bienveillance q u ’inspirent aux âmes tendres et sensibles
l ’enfance et le m alh eur, et dont l ’habitude de la bienfaisance fait
un besoin.
*
Enfin ces dépositions se réduisent à une prétendue ressemblance,
qui scroit indifférente quand elle seroit véritable, mais qui est
d ’une iausscté telle cpi'il seroit peut-être impossible de trouver
entre deux fem m es une dissemblance plus co m p lète, soit dans les
traits de la figure, soit dans la taille et la constitution; la dam e de
C la r y étant d ’une taille avantageuse, c l réunissant tous les traits
�( Il
)
^
et toutes les formes de la beauté, tandis que la fem m e M arlet joint
à une maigreur qui lient de la momie une constitution si frêle et si
mesquine , q u ’on y retrouve encore les tristes effets du brsoin et de
la misère qui ont assiégé les premières années de son enfance.
L a dame D elaire, de son cô té , a fait entendre dix-huit tém oins,
qui ont attesté unanimement l'habitude où étoit la dame de C la r y
de prendre chez elle, dès leur enfance, de jeunes filles orphelines
ou abandonnées, de les élever, de les nourrir, de les entretenir, de
leur procurer des états, de les doter et de les établir; et cela sans
autre m o tif que la charité, l'h um an ité, et par suite d ’une bienfai
sance naturelle qui dirigeoit toutes ses actions.
Il résulte encore des dépositions d'un grand nombre de ces té
m o in s, i eaf-, que la femme M arlet a été nourrie dans son enfance
■chez la fem m e L o u v a u , à A m b e r t ;
2eot-, que la fille nourrie chez la fem m e L ouvau a été exposée
à la porte de l'église paroissiale d 'A m b e r t , à l’àge d ’environ six:
mois, pliée dans un mauvais sac ;
5 Pnt-,
que cette
fille exposée à la porte de l ’église paroissiale
d ’A m b e rt , est une fille n a tu re lle , née au village de la B âtisse,
de la n o m m é e Jeanne M io la n e , servante de L o u is E c r l a n , bo u
langer à la C h a pelle-A gno n .
O n sent q u e , dès que cette enquête a été connue de la femme
M a r l e t , son ardeur à poursuivre sa prétendue possession d ’état
a dû s’attiédir.
C e qui a dû l ’attiédir encore , c ’est la loi du
nivôse an 3 .
D e s p lain tess’étoient élevées de toutes les parties de la F r a n c e ,
contre l’abus introduit p a r la loi du 12 brumaire an 2 , de confier
a de prétendus arbitres,
p ris
indistinctement dans toutes lesclasses
«le la société, le droit de décider en dernier ressort, et sans le
concours du ministère p u b lic , sur les réclamations des en fans na
turels, et généralement sur toutes les questions d ’elat que
ces
récla
m ations pouvaient faire naître.
Cette loi a lait cesser cet a b us; elle a abrogé la disposition de
l ’ article 18 de la loi du 22 b ru m a ire , et a statué q u ’à l'avenir
15 2
�toutes les contestations de ce genre seroienl jugées par les triLo.naux de district.
Depuis cette loi, il n ’a été fait aucun acte de procédure de la
part de la fem m e M a rle t, jusqu’au 17 floréal an 3 .
A cette é p o q u e , elle a fait citer au bureau de conciliation la
dame Delaire et M . de C la r y :
C e l u i - c i , « à ce qu'il eût à assister dans la cause, pour voir dé» clarer le jugement à intervenir com m un contre l u i , pour être exé» cuté à son cgard suivant sa form e et teneur ; en conséquence ,
» voir dire que la requérante sera reconnue sa fille , née de son
» mariage avec défunte An ne-M arie D elaire ; que son acte de bap» tême sera r é fo r m é , ainsi que tous les actes civils où elle auroit
» pu être ci-devant qualifiée sous le nom de F é l i x , et q u ’il y sera
» ajouté le nom de C l a r y , fille de Jean-Charles de C la r y et d ’Ànne» M arie Delaire; q u ’elle sera envoyée en possession de tous les
» droits, biens et actions à elle appartenans à ce titre : et ladite
» dame D clairo, u ce q U’en rectifiant et augmentant les conclusions
» prises d abord par la rufjUttrante^ ene soi(; condamnée à lui re» mettre et abandonner la totalité de lu succession de ladite défunts
» Delaire de C la r y . »
C e tt e citation en conciliation n ’a pas eu de suite;, et non seu
lement la fe m m e M arlet s’est depuis cet instant condamnée au
silence, mais elle a mêm e formellement abandonné sa prétention.
C e t abandon résulte d ’une procédure faite en son n o m , en l’an 6 ,
pour raison de la rente viagère de 200 francs , créée le 12 mars
1783 par la dame de C l a r y , sur sa tête , sur celle de M arlet et
sur celle de leur fille.
A celte époque de l’an 6 , e l l e 17 vend ém iaire, M a r le t , agissant
tant en som qu ’en qualité de mari d ’sin u e F élioc, et encore en
qualité de père et légitime administrateur de R o s e Marlet sa fille ,
tous donataires de défunte sln n e D ela ire fem m e C la ry , fil citer
au tribunal civil du département du P u y -d e -D ô m e , séant à R io m ,
Je sieur C h a r d o n , pour voir déclarer « exécutoire contre lu i, en
» qualité d’ héritier d 'A n n e D ela ire fem m e Clary, l ’acte du
�( >3 )
» mars 1783 , portant création d ’une rente viagère de 200 francs
» en sa faveur et en celle de sa fe m m e et de sa fille. »
Il dem ande, en conséquence, le payement des arrérages de cette
rente en deniers ou quittances valables, et provisoirement un
payement de 600 francs à compte.
C e provisoire a été accordé par jugement du 4 brumaire an 6.
L e s 6 0 0 francs ont été p ayés, et la pension viagère a été servie
exactement depuis, sur les quittances tantôt du m a r i, tantôt de
la fe m m e , indifféremment.
On a dit que la fem m e M arlet avoit, par cette procédure , aban
donne form ellem ent son action en possession d ’é ta t; i ent-, parce
q u e , dans cette procédure, la fem m e M arlet a cessé de prendre
le nom de D e la ir e , qu’elle avoit usurpé, et qu’elle avoit pris dans
tous les actes de la procédure, pour reprendre modestem ent celui
d ’A n n e F é lix ;
2eu t, parce qu ’elle a dirigé son action contre le sieur C h a r d o n ,
en qualité d’ héritier d ’A n n e D ela ire femme de Charles Clary ,
et qu’en le reconnoissant ainsi pour héritier, elle renoncoit ellem êm e formellement à toute espèce de prétentions sur cette héré
d ité , surtout donnant celte q ualité d ’héritier à M . de C h a r d o n ,
apiès s^être prétendue fille légitime de IYlme- de C l a r y , et avoir
réclam é l’universalité de sa succession, com m e elle l ’avoit fait par
sa citation du 17 floréal an 3 .
C ’est après cet abandon a b so lu , perpétué et renouvelé pendant
dix années, et sept à huit ans après le décès de M . de C l a r y , que
la femme M a r le t , mue par, on ne sait quel esprit de vertige, a cru
pouvoir faire revivre sa scandaleuse recherche,
qui étoit déjà
oubliée dans le p ublic, et que les deux familles Delaire et de C la r y
avoient bien voulu elles-mêmes oublier ou dédaigner.
L e 1". prairial an 1 2 , elle a fait citer en conciliation M . de C la r y
de M u r â t , frère et héritier de M . Charles de C la ry .
J u s q u e - l à , elle n ’avoit usurpé que le nom de la dame D elaire ;
elle n avoit pas même osé prendre celui de C l a r y , dans la citation
q u ’elle avoit donnée à M . de C la r y , le 17 floréal an 5 .
�\ *
(
14
)
M a is, dans celte nouvelle citalion, elle ne croitplus devoir garder
de m esure; elle se nom m e sJ nne-M arie F é li x de C la ry , dite
F é lix .
Elle expose q u ’elle étoit en instance avec Jeanne-Marie D elaire,
sœur d 'A n n e D elaire, relativement à son état civil, et à sa reven
dication de tous les d roits, biens et actions de ladite A n n e D e la ir e ,
decedt-e épouse de Jean-Cliarles C la r y , sa m ère;
Que d'abord cette instance étoit pendante devant un tribunal
de famille ( i ) , et a ensuite été portée au ci-devant tribunal de dis
trict de cette ville (2) ;
Q u e depu is, soit à cause des cliangemens dans l’ordre judiciaire,
soit à cause des cliangemens des qualités des parties, et autres
rnolifs puissans, celte instance est restée impoursuivie et indécise;
Q u ’a y a n l intérêt d e là voir finir, elle se propose de la poursuivre
au tribunal de première intance de celle ville.
D ’après ce préambule, elle cite M . de C la r y de M u r â t , com m e
s étant cinparii <1<_* la succession de M . Charles de C l a r y , son frère,
poui etre conciliée av<-c
sul, ja (]em am ]e qu ’elle se propose de
fo r m e r , tendante « à ce q u ’il soit t c „ „ . v>?ssister dans la causc dont
» il s ’a g it, ii l’effet de voir déclarer le jugement rju’c-iio va pour» suivrecontre les prétendans droits et détenteurs d e là succession
« de la dame Delaire femme C l a r y , com m un avec l u i, pour être
« exécuté selon sa forme et teneur; pour voir dire que l’exposante,
v fille légitime desdils leu Jean-Cliarles de C l a r y , et A n n e D e la ir e ,
» comme étant née de leur m ariage, sera reconnue en ladite qua» lilé , q u ’en conséquence son acte de baptême sera ré fo rm é , ainsi
» que tous les actes civils où elle auroil pu élre ci-d e va n t qualifiée
» seulement sous le nom de Félix , et q u ’il y sera ajouté le nom de
» C l a r y , fille de Jean-Cliarles C la ry et d ’ A n n e D elaire; que com m e
(1) C’est 11110 erreur; il n'y a jamais eu do tribunal do famille, niais lin trilnniul arbitral, composé do quairo citoyens absolument étrangers aux deux
familles Delaire et de Gary.
( ? ) A u tre e r r e u r ; il n ’y a jam ais eu d'assign atio n a u trib u n a l tic d is tric t.
�■( i5 )
»
véritable, seule
et
unique héritière de sesdits père et m è r e , elle
») sera envoyée en possession de tous les droits, biens meubles
et
» immeubles et actions généralement quelconques, dudit feu de
» C la ry , son père, et ledit de C la r y de M urât tenu de se désis)> ter de tout ce qu’ il retient de ladite succession, avec restitution
» des jouissances, d é g r a d a t i o n s , détériorations et intérêts du tout. »
M . de C la r y de M u r â t a paru par son fondé de p o u v o ir, sur
cette citation , et a demandé à son tour à être concilié sur la de
m ande qu’il se proposoit de former contre la fem m e M arlet et son
mari , en 20,000 francs de dommages-intérêts , pour les punir de
l ’infàme calom nie, à laquelle ils n ’avoient pas craint de se livrer
contre la mémoire de M . et de M nîp. de C la ry.
L e procès verbal de non-conciliation a été suivi d ’une assigna
tion à l’audience du 16 messidor.
Pareille assignation a été donnée à M M . de C h a rd o n , V id a u d '
de L a t o u r , et autres héritiers testamentaires ou ab intestat , m é
diats ou immédiats de la dame de C la r y : elle a également conclu
contre e u x , à être reconnue pour fille légitime d ’A n n e D elaire,
com m e née de son mariage avec Charles C l a r y , et à être envoyée
à ce titre en possession de l'universalité de ses biens.
T e l est l’ordre des faits et l'état de la procédure.
MOYENS.
L a fem m e M arlet a paru successivement dans cette cause sous
deux titres opposés et qui s’entre-détruisent :
C o m m e fille naturelle adultérine d ’A n n e Delaire , épouse de
Charlés de C la r y ;
E t com m e fille légitime de l ’un et de l ’autre.
Sous le premier titre, elle a conclu à être maintenue dans sa
possession d ’état : elle a demandé à être envoyée en possession du
tiers des biens d ’A n n e D e la ir e , conform ém ent à l’article i 3 de
la loi du 12 brumaire an 2.
Sous le second, elle revendique un état q u ’elle convient n ’avo:r
�( 16 )
jamais possédé , et clic demande à êlre envoyée en possession de
l'universalité des deux successions de M . et M m=. de C la ry.
D e l à , la division naturelle de la discussion en deux paragraphes.
§• I er,
E xa m en de la demande de la femme Marlet, comme
se disant jille naturelle adultérine d'Anne D e la ire ,
épouse de Clary,
L a première loi de la révolution, rendue en faveur des enfans
n a tu rels, est le décret de la C on ventio n, du 4 juin 179s.
C e decret est conçu en ces termes :
« L a Convention nationale, après avoir entendu le rapport de
» son com ité de législation, décrète que les enfans nés hors le
» m a ria g e , succéderont à leurs père et m è r e , dans la form e qui
« sera déterminée j>ur \„ i0;
C o lle form e a été déterminée par , a loi d(J I2 b r u m a ;re an a ,
qui est ainsi conçue, article I ." :
« Les enfans actuellement existans, nés hors du m ariage, seront
» admis aux successions de leurs père et m è re , ouvertes depuis le
» 7 4 j u ille t 1789. »
L a dame de C la r y est décédée le 28 octobre 1 7 9 1 ; dès-lors la
fe m m e M arlet se Irouvoit appelée, par celle loi, à recueillir le
tiers de sa succession, si, en e ffe t, elle é to it, com m e elle le préten d o it, sa fille naturelle adultérine.
L e 5 vendémiaire an 4 » il est survenu une aulre loi ainsi conçue,
art. X I I I :
« L a loi du 12 brumaire an 2 , concernant le droit de succéder
» des enfans nés hors m ariage, n’aura d’ effet qu’ à compter du
» jour de sa publication. »
D ès-lors, plus de moyens de succéder à la dame de C l a r y , dé
cédée en 179* >quanti la femme Marlet auroit été reconnue pour sa
fille
�C 17)
fille naturelle adultérine, et qu ’elle auroit eu en sa faveur toutes les
espèces de preuves écrites ou testim oniales, qui peuvent mettre ce
genre de filiation à l ’abri de contradiction.
II ne lui resteroit pas mêm e la ressource de réclamer des alimens
contre ceLte succession , à ce titre de fille naturelle adultérine, parce
q u ’elle a reçu 3 ,000 francs de d o t; q u ’elle touche annuellement
200 francs de rente viagère; qu’elle a été d ’ailleurs mise en état de
gagner sa vie; et qu’aux termes de l ’article 764 du nouveau C o d e ,
« lorsque le père ou la mère de l'enfant adultérin ou incestueux
» lui auront fait apprendre un art mécanique, ou lorsque l’un d ’eux
m lui aura assuré des alimens de son v iv a n t , l’ enfcint ne pourra
» élever aucune réclamation contre leur succession, »
A i n s i , tout seroit terminé sous ce premier point de v u e ; et la
réclamation de la fem m e M arlet seroit repoussée par une fin de
non-recevoir insurm ontable, sans avoir besoin d ’entrer dans l’exa
men de la réalité ou de la fausseté du titre de fille naturelle adul
térine qu'elle a voulu se donner.
II ne reste donc qu’à savoir si elle peut être plus heureuse, en se
présentant aujourd’hui com m e fille légitime de M . et de M “»- de
C la r y .
S.
II-
Exam en de Vaction de la femme Marlet, comme se disant
Jille légitime de M. et de M me- de Clary.
I l s’élève d ’abord contre cette action deux fins de non-recevoir
également décisives.
L a première résulte de ce que la fem m e M arlet a com m encé
par se dire fille naturelle adultérine de la dame D e la ir e , et née
d’ une autre union qu’avec Charles Clary ; qu ’elle a demandé à
¿Ire maintenue dans sa possession d ’état à ce titre, et que , dans le
cas où sa possession d ’état seroit contestée, elle a
o f f e r t
d e
la prouver
tant par représentation d'écrits publics et privés de sa m è r e , que
G
�< ’T
( 18)
par la suite des soins q u ’elle lui a donnés à titre de m atern ité, et
sans interruption, tant à son entretien qu ’à son éducation.
O n a v u , dans les tribunaux, des individus commencer par récla
m er le titre d ’enfant légitime, et, après avoir échoué dans cette pre
mière tentative, se réduire à la condition d ’enfant naturel adul
térin , pour obtenir du moins des alimens sur les successions de
leurs père et mère.
T e l étoit le prétendu Jean D u r o u r e , qui a d o n n é lieu au 17*.
plaidoyer du célèbre M . d ’Aguesseau.
T e l est encore le prétendu Jean Neuville , qui a donné lieu à
Parrêt de la cour d ’appel, du i 5 prairial dernier, dont il sera parlé
ci-après.
M ais il est sans exem ple, qu ’après s’être avoué bâtard a d u ltérin ,
on ait osé prétendre au titre d ’enfant lé g itim e , et en réclamer le
ra n g , les honneurs et les droits.
Cette fin de non-recevoir , au surplus , est textuellement écrite
dans le nouveau C od e civ il, art. 3 a 5 .
L e s articles precea<;ns « r,IiqUent les différens genres de preuves
qui peuvent être admises en faveur t u l’enfant qui se prétend né en
légitime m a riag e, pour établir sa possession d ’état, ou pour récla
m e r un état dont il auroit été dépouillé.
L ’article 325 détermine ensuite quelles sont les preuves con
traires, qu ’on peut opposer à la preuve directe q u ’offre le prétendu
enfant légitime.
C e t article est conçu en ces termes :
« L a preuve contraire pourra se faire par tous les m oyens
» propres à établir que le réclamant n ’est pas l’enfant de la mère
» qu ’il prétend avoir, ou m êm e , la maternité prouvée, qu’ il n’est
» p as l’ enfant du mari de la mère. »
O r , celte dernière preuve est déjà acquise par le fait de la fem m e
M a r le t elle-même.
Elle a formé sa première demande com m e fille adultérine d 'A n n e
D e l a i r e , épouse de Charles C la r y ; elle a consigné dans tous les
actes de la procédure, «t dans le jugement arbitral d u 4 messidor,
�C J9 )
(
q u e lle étoit née d’ une autre union que celle d’A n n e D elaire
avec son mari.
Elle ne peut donc être admise à se dire aujourd’hui fille légitime
de M . et M mc. de C l a r y , puisque lors même qu'elle parviendroit
à acquérir la preuve de la m a te rn ité , cette preuve seroit écartée
par la preuve contraire émanée d ’e ll e - m ê m e , qu’ elle n’ est pas
l’enfant du mari de la mère.
Cette première fin de non-recevoir ne permet pas de réplique.
L a seconde fin de non-recevoir , qui s'élève contre cette, nouvelle
prétention de la fem m e M a r le t, résulte de ce qu’après avoir annoncé
par sa cédule du 17 floréal an 3 , qu ’elle étoit dans l’intention d ’ac
tionner M . de C la r y , pour voir déclarer com m un aveclui le jugement
qu’elle se proposoit d ’obtenir contre la dame D e laire , ex-religieuse,
et pour voir dire qu’elle seroit reconnue fille légitime de M . et M me- de
C la ry, comme née pendant leur mariage, elle n ’a donné dans le temps
aucune suite à cette cédule, et de ce q u ’elle s’est m êm e départie
depuis, non-seulement de toute prétention à ce titre de fille légi
time de M . et M m*. de C la r y , mais encore de toute prétention au
titre de fille naturelle adultérine de M»e- de C la r y .
On vo it, en e ffe t, dans la procédure tenue au tribunal de d e parlem ent, à R iom , dans le cours de l ’an 6 , pour raison de la
rente viagère de 200 f r a n c s , que la fem m e M a r le t , qui avoit con
stam m en t usurpé le nom de M a rie-A n n e D ela ire , depuis les pre
miers actes juridiques faits dans la cause, ne se nom m e plus
qu ’A n n e F é lix ;
Q u ’au lieu de se dire héritière de la dame de C l a r y , cette pro
cédure est dirigée contre M . de C h a rd o n , à titre d ’héritier;
Q u ’au lieu de prétendre droit à cette succession,
titre d ’héri
tière, elle ne réclame des droits, et le jugement ne lui en accorde,
contre cette succession, qu’à titre de créancière;
Q u ’en fin , elle n ’a cessé, pendant dix ans consécutifs, de ne se
considérer que sous ce point de vue de créancière de celte suc
cession, puisqu’elle a touché constam m ent, depuis, celte rente via
gère des mains des héritiers de M m0, de C lary.
C a
�( 20 )
M a 's quelque décisives que soient ces fins de n o n -re ce vo ir, les
représentans de M . et de
de C la r y n ’en ont fait usage que
pour l’honneur des règles, et parce que , d ’ailleurs, elles n ’auroient
pas échappé à la sévérité du ministère public; ils veulent bien les
oublier un instant pour se livrer à l’examen de cette nouvelle pré
tention de la femme M a r l e t , qui a pour objet de se faire reconnoître
pour fille légitime de M . et de M me' de C la r y ,
et de se faire
en vo ye r, à ce tilre , en possession de l ’universalité de leurs deux
SUCCi SSioHS.
L e premier pas à f a ir e , dans cette discussion, est de mettre
à
l ’écart la procédure faite en l ’an 2 et en l’an 3 , devant les arbitres.
Cette procédure doit être rejetée de la cause, i ent-, à raison de
son o b je t;
a eDt*, à raison du temps où elle a été faite ;
3 ent-, à raison de son irrégularité.
E lle doit être rejetée de la cause, à raison de son o b je t, parce
qu il s’ a g<ssolt alors d ’une demande en possession d ’é ta t, formée
par la f e m m e M a r i c t , « m m e fille naturelle adultérine de la dame
de C l a r y , et que 1 institution des a u t r e s n ’avoit pour objet que
les contestations qui pourroient s’élever sur i v ^ clll;on ¿ e ]a i0i
du 12 brumaire an 2;
Q u ’il ne s’agit plus aujourd’hui de l ’exécution de cette lo i, ni
de statuer sur une question d ’é ta t, élevée par un enfant né hors
m a riag e , mais par une fille soi-disant légitime; question qui n ’a
jam ais pu être de la compétence des tribunaux d'arbitres institués
par celte loi.
2enti, elle doit être rejetée de la cause, à raison du temps ou
elle a été fa ite , parce qu ’elle a eu sa source dans l'effet rétroactif
de la loi du 12 brumaire an 2 , qui faisoit remonter les droits de«
enfans naturels aux successions de leurs père et m e r e , ouvertes
depuis le i/( ju ille t 1789 ;
Q u e cet effet rétroactif a été aboli par l’ art. XIII de la loi du
3 vendémiaire an/j., qui a ordonné que la loi du 12 brumaire an a
ji'auroit d’effet qu'à compter du jour de sa publications
�( 31 )
Q uecette
même loi a aboli et annullé tous les actes et toutes les pro
cédures qui avoient eu leur Fondement dans cet e ffe t rétroactif, et
par conséquent cette procédure faite pour une succession ouverte
en 1791*
C 'est ce qui résulte formellement du II*. paragraphe de cet ar
ticle X III, qui est ainsi conçu :
« Les règles d ’exécution du présent a r tic le , seront les mêmes
» que celles établies ci-dessus, relativement à Tabolition de l’effet
» rétroactif des lois du 5 brumaire et du 17 nivôse. »
O r , on lit dans l’article X I , qui précède, que « tous procès
» e x is to n s , même ceux pendans au tribunal de cassation, tous
» arrêts de deniers, toutes saisies ou oppositions, tous fugemens
» intervenus, partages ou autres actes et clauses qui ont leur l’on» dement dans les dispositions rétroactives desdites lois des 5 bruw maire et 17 nivôse an 2 , ( p a r conséquent de celle du 12 b r u -
» m a i r e ) , ou dans les dispositions des lois subséquentes rendues en
j) interprétation, sont abolis et annuités. »
5cnt. t celte procédure doit encore être rejetée de la cause, à
raison de son irrégularité.
Q u 'o n suppose, si l’on v e u t , que la fem m e M arlet ait pu in
tenter contre l’héritière de la da m e de C l a r y une action tendante
à se faire déclarer sa fille naturelle adultérine, sans appeler dans la
cause M . de C la ry, qui étoit si essentiellement intéressé, sous tous
les ra p p orts, à repousser les traits de la calomnie qui cherchoit à
remuer les cendres de son épouse et à flétrir sa mémoire : on ne
pourra du moins disconvenir que le tribunal arbitral ne p ouvoit,
sans le concours de M . de C l a r y , « ordonner que la demanderesse
» seroit tenue, tant par litres que pur témoins, d ’éçjaircir le tait
» de la présence de Charles C la r y auprès de son épouse, lors et à
» l’époque de la naissance d ’elle demanderesse; et, en cas d ’absence,
» dans quel éloignement de son épouse se trouvoit Charles C la r y
» à ladite é p o q u e ; ...................................... l’état et les droits de là
» demanderesse lui demeurant réservés > tant envers Charles Clary
�« que sur la totalité de la succession d ’A n n e - M a r i e Delaire. »
C e jugem ent seroit donc évidemm ent n u l , sous ce point de v u e ,
com m e rendu sans y avoir appelé la principale partie intéressée.
A u surplus, ce jugement a été attaqué par la voie de la tierce
opposition, soit par M . de C la r y de M urât et les autres héritiers
représentans de M . Charles de C la r y , soit par les héritiers testa
mentaires ou ah intestat de la dam e de C l a r y , qui n ’avoient pas
été appelés dans la cause : ainsi il ne peut plus y avoir de prétexte
ci’en faire usage à l ’avenir; et dès-lors les enquêtes qui en ont été
le produit ne doivent pas être lues.
C ’est ainsi que l’a décidé la cour d ’ appel de R io m , par son arrêt
du i 5 prairial dernier, rendu dans la cause de Jean Neuville dit
V ille fo rt, contre M a r ie -A n n e R o u stan g, veu v e d e Gilbert N euville.
Jean N euville, se prétendant filsnaturelde Gilbert N euville, dé
cédé le i " . nivôse an 9 , avoit fo rm é , au mois de ventôse su iva n t,
contre M arie-A n n e R o u s t a n g , sa veuve et son héritière, une de
m ande temíante à ce qu’elle fu t tenue de lui abandonner la tota
lité de sa succession.
U s’est ensuite restreint au rang dW î m t naturel adultérin, et
xl a demandé à ce titre le tiers de celte succession.
Il o ffr o it , dans le cas où son état seroit contesté , de prouver les
soins q u ’il avoit reçus de Gilbert N euville, pendant 18 ans, à titre de
paternité.
L e tribunal de première instance de L y o n , par jugement du i*\
germinal an g , sans s’arrêter à la preuve des faits articulés par Jean
N e u v ille , dans laqùélle il aVoit été déclaré non-recevable, avoit
renvoyé la veuve de G ilbert N euville de l’instance.
C e jugement avoit été infirmé sur l’appel par arrêt du i/¡ floréal
an i o , et la preuve offerte avoit été ordonnée.
L a veuve de G ilbert Neuville s’étoit pourvue en cassation ; m'dis,
pendant l'instance en cassation, Jean Neuville avoit fait procéder
il l ’enquête.
.............................
V !L e jugement de la cour d ’appel de L y o n ayant été cassé, et los
�í
( =5 )
parties renvoyées à la cour d ’appel d e R i o m , il s’est élevé un inci
d e n t, sur la question de savoir si les enquêtes seroient Iues.
M . le procureur général a été d ’avis qu’elles ne pouvoient être lues.
L a cour a ordonné q u e , sans lire les enquêtes, il seroit passé
outre au jugement de la cause; et le jugement du tribunal de pre
mière instance de L y o n , a été confirmé avec amende et dépens.
A combien plus forte raison la lecture des enquêtes doit-elle être
interdite dans la cause actuelle, où non-seulement ces enquêtes ont
etc faites en vertu du jugement le plus nul et le plus irrégulier qui
fu t jam ais, mais lorsqu’elles ont été abolies, ainsi que toute la pro
cédure qui les a précédées, par le texte formel de la loi du 3 ven
démiaire an 4 , qui a rapporté l’effet rétroactif de la loi du 12
brumaire an 2 ; et q u ’enfin, ces enquêtes sont non-seulement étran
gères à la ca u se , mais inconciliables avec l’état actuel de la cause,
puisqu’elles avoient pour objet d ’établir une filiation adultérine,
et q u ’il s’agit aujourd’hui d ’établir une filiation légitime !
Si les représentans de M . et de M me* de C la r y insistent sur ce
p o i n t , ce n ’est encore que pour l’honneur des règles : ils sont loin
d ’avoir à redouter la lecture de ces enquêtes; c a r , quoique faites dans
les temps les plus orageux de la révolution, et dans les circonstances
les plus favorables à la fe m m e M a r l e t, elles ne prouvent rien pour
elle, qui avoit tout à prouver, et prouvent to u t, au contraire, pour
les représentans de M . et de M me- de C la r y , qui n ’avoient rien à
prouver.
Quoi qu’il en soit: s i, après avoir oublié les fins de non-recevoir,
après avoir mis à l’écart la procédure arbitrale et les enquêtes, on en
vient à l’objet de la cause, on ne trouve plus qu ’une question d'état,
dégagée de tout ce qui a précédé, qui se réduit aux idées les
plus simples, et à l’application des principes fondam entaux du droit
et de la morale de toutes les nations.
L ’état des hommes porte sur deux genres de p reu ves, les titres
et la possession.
r
« Q u a n d on a en sa faveur l’ autorité des titres publics et de
�( 24 )
'
» la possession, dit M . C o c h in , dans l ’affaire de M me> de F r u i x ,
» tom. II, pag. 3 /,6 , on jouit d ’un état inébranlable; et par la même
» ra iso n , quand on n ’a en sa faveur ni l’une ni l’autre de ces preuves,
» les tentatives que J on fait pour s'arroger un état dont on n ’a
» jamais jo u i, ne peuvent tourner qU’à la confusion de ceux qui
» s’engagent dans des démarches aussi téméraires. »
L a femme M arlet demande à être reconnue pour fdle légitime
de M . et de Mme. <je C la r y ; à jouir, à ce titre, du n o m , des dro its,
du ra n g , des prérogatives qui y sont attachées, et à être envoyée
en possession de l’universalité de leurs deux successions.
E lle convient n ’avoir pas la possession de cet état de fille légi
time de M . et de M me- de C l a r y , et n ’en avoir jamais joui.
E h ! com m ent pourroit-elle en effet avoir cette possession d ’état
de fille lé g itim e , après s’être prétendue elle-m êm e, quoiqu’avec
aussi peu de fondem ent, fille naturelle adultérine de M me- de C la r y ,
et née d'une autre union qu ’avec son m a r i , et avoir demandé à ce
titre le uors de sa succession, en vertu de l’art. i5 de la loi du 12
brumaire an 2 , r c n , i Ul, OT1 f a v e u r (]es enfans naturels?
M ais si la fem m e M arlet n ’a
^ sa faveur la posse6siori de
l ’état de fille légitime q u ’elle réclame dans
..,om e n t, a-t-elle
du moins quelques titres qui lui donnent le droit d ’y prétendre?
C e n ’est pas son extrait baptistère, qui est ordinairement le monu
m ent le plus précieux dans ces matières ; il n ’est pas dans ses pièces:
d ’où l’on peut conclure avec confiance q u ’ il ne peut être représenté
sans nuire !x sa prétention.
C e n ’est pas son co ntrat de mariage avec Louis M a rle t; elle y
est dénommée A n n e F é l i x , originaire de la ville d ’A m b e r t , sans
indication de père ni de mère.
L a dam e de C la r y y intervient com m e sa marraine ; elle lui con
stitue une dot com m e elle étoit dans l'usage de faire à toutes ses
élèves, avec quelque augmentation, p a r c e q u ’elle étoit sa f ille u le
,
et q u ’elle avoit dailleurs un attachement particulier pour la famille
M arlet,
Cq
�(¡.5)
C e n ’est pas l ’acte de célébration de son mariage; e]ie n >y csj.
encore désignée que sous le nom d ’A n n e F é lix .
C e ne sont pas les actes baptistères de scs enfans; elle n ’y
encore désignée que sous le nom de M a rie-A im e h é lix .
C e n’est pas l’acte constitutif de la pension viagère de 200 francs,
où la fem m e M arlet n ’est encore dénommée q u A n n e h é lix .
C ’est encore moins sans doute dans le testament et dans le codi
cille de la dame de C la ry qu’elle espère trouver ces titres solennels,
qui doivent Pélever au nom , au ra n g , à la fortune auxquels elle
aspire.
L a dame de C la r y fait son testament olographe en pleine santé
en 178g : elle semble dans ce testament être embarrassée de sa for
tune; elle comble de biens tous les hôpitaux de Clerm ont et d ’A m b c r t , différons établissemens de charité des campagnes; elle fait
des legs à des maisons religieuses, à des cu rés, à des particuliers;
ces legs sont au nombre de 19, et montent à environ 25 o,ooo francs;
et il n ’y a pas une ligne, pas un m o t, pour la fem m e M a r le t, ni
pour personne de sa famille.
U n e pareille conduite n ’ est pas dans la nature ; on ne croira
jamais q u ’une mère ait étouffé tous 1ps sentimens cJe la tendresse
m a ternelle, nu point <lc prodiguer sa fortune et de la verser a plei
nes mains dans les établissemens publics, ou pour enrichir des per
sonnes qui lui sont étrangères, pendant qu’elle laisse son enfant
en proie au besoin et luttant contre la misère. Num quid oblivisci
potest niulier infanlem suum , ut non misereatur f i l i i uteri su i?
Mais si la dame de C la ry a oublié la femme M arlet dans son
testament olographe, quoique fait dans le silence de la réflexion,
on croira peut-être q u ’elle aura réparé cet oubli dans son codicille
fait au lit de la m o rt, dans un temps où elle n ’avoit plus rien à
craindre ni à espérer des hom m es, et où les seuls remords de la
conscience a uroientdû l’obliger à rendre témoignage à la vérité.
M êm e silence dans ce codicille que dans le testament, sur le
compte de lu fem m e M arlet : la daine de C la r y prodigue cncorç
D
<
�V JÎK -
( 26 )
âcs dons à un grand nombre d ’individus qui lui sont absolument
étrangers ; et ce codicille ne contient pas pour elle le legs d ’une
obole.
A in s i, de tous les titres écrits qui sont destinés par leur nature à
constater l’état des h o m m e s, extrait baptistère, contrat de ma
riag e, testam ent, codicille; pas un ne laisse apercevoir la plus lé
gère présomption en faveur de la fem m e M a rle t, et tous au con
traire s’élèvent contre elle et form en t, réunis, un témoignage irré
cusable contre sa prétention.
M ais sera-t-il du moins permis à la fem m e M a rle t de suppléer
par la preuve testimoniale, soit à la possession qui lui m a n q u e ,
soit au silence des a ctes, et au- défaut de preuves é c rite s , dont elle
est absolument dépourvue ?
Ecoutons sur cette question M . C ocliin , dans l ’affaire de la *
dam e de Bruix , tome 4 , p age ^4^*
« \Jn citoyen veut se donner entrée dans une fam ille: il n ’a pour
» y p arve n ir, m \0 »<«ours jg g rnonumens publics, ni l ’avantage
» de la possession: arrêté par ccaoW acle8 invincibles, qu'il articule
h des faits , qu’il demande permission d'et, îy.;..«, preuve ; cette voie
» inconnue à la l o i , funeste à la société, sera nécessairement rC» jetée dans tous les tribunaux. »
» Quand les titres et la possession , dit-il plus b a s , page 5 5 i ,
» sont d ’accord sur l’état d 'u n citoyen , la preuve testimoniale qui
» a pour objet de les co m b a ttre , ne peut jamais être a d m ise ;
« i° . parce q u ’elle est nécessairement impuissante; 2°. parce qu ’elle
» est infiniment dangereuse. «
Elle est nécessairement impuissante, parce que, quelles que soient
les déclarations des tém oins, elles ne peuvent jamais être mises en
balance avec le poids des preuves q u ’administrent les titres et la
possession.
Elle est infiniment dangereuse, parce q u e, dit encore M . C ocliin ,
« l’état des h om m es, ce bien précieux qui fait, pour ainsi dire, une
*> portion de nous-m êm es, et auquel nous sommes attachés par des
\
�4
( 27 )
» liens si sacrés , n ’aura plus rien de certain; on le verra tous les
» jours exposé aux plus étranges révolutions.
» L ’homme qui jouit d ’un nom illustre et d ’un rang distingué
» sera renversé et précipité, pour ainsi d ire, dans le n éa n t, parce
» qu ’on entreprendra de lui prouver, par tém oins, qu’ il n ’est point
» né des père et mère qui lui ont été donnés dans son acte de bap» têm e, et qui l ’ont élevé publiquement comme leur enfant: on
» supposera des faits auxquels on donnera un extérieur de vraisem» b la n ce ................................D ’un autre côté, un enfant de ténè» bres, qui ne trouve dans son sort que dégoût et que misère , en» treprendra tout pour en sortir: plus sa destinée sera obscure et
» inconnue au public, et plus il lui sera facile de se donner un nom
» et un rang distingués, s’il lui est permis d’y aspirer avec le se» cours de quelques témoins disposés à soutenir son imposture, n
L es lois romaines ont un grand nombre de textes qui consacrent
ce principe.
S i tib i controversia ingenuitatis fia t, clefende causam tuam
instrumenlis et argumentis quibus p otes; s o li enfm testes ad in
genuitatis probationem non suffichint. L o i 2 , au C o d e , de Testib.
Probationes qitœ de JUifs dantur, non in sold affirmatione
testium consistunt. L oi 24» au D i g . , de Prob.
L a législation française a toujours été animée du même esprit :
elle a voulu que la preuve de la naissance fut faite par les registres
publics: en cas de perle de ces registres publics, elle a voulu q u ’on
eût recours aux registres et papiers domestiques des père et mère
décédés , pour ne pas faire dépendre l 'é t a t , la filiation , l ’ordre et
l ’harmonie des familles , de preuves équivoques et dangereuses,
telles que la preuve testimoniale dont l ’incertitude a toujours
effrayé les législateurs.
C ’est par suite de ces principes q u e, dans la cause jugée par l’ar
rêt du 7 mars 1641
,
M arie D a m itié , ayant demandé
p e rm issio n
de faire preuve par témoins, q u ’elle éloit s œ u r d ’Élizabeth et Anne
R o u ssel, elle fut déboutée de sa demande, sur les conclusions de
M . l’avocat général T a l o n , qui « soutint comme une maxime m D a
�N (vV t j
( 28 )
)) dubifable q u ’il ¿toit Hc périlleuse conséquence d ’admettre cette
)) p reu ve, parce q u ’il seroit facile à toute sorte de personnes de
» se dire de quelle famille il lui pluiroit; d ’où pourroienl naître
* de grands inconvéniens. »
INI. T a lo n , en portant la parole en i 65y , dans l ’affaire de
Georges de Lacroix , se disant fils de M . de L a p o r t e , soutint en
core en principe q u e , « comme l’état et la naissance ne se pouvoient
» vérifier par tém oins, mais seulement par titres, pour lo rs, à
» l ’égard de celui qui se prétend d ’une condition dont il ne rap>) porte point de titres, ne pouvant prouver son état par tém oin s,
» sa prétention passe pour une imposture et pour une usurpation ,
» qui font un crime pour lequel il a pu être poursuivi : » et sur
ses conclusions, Georges de L acroix fut condamné en des peines
très-graves, pour avoir usurpé le nom de M . de L a p o r t e , et s’être
dit son fils.
M - T a l o n disoit encore dans l ’affaire de M a r s a n t , jugée par
afret du 13 janvier tc.gf; ^ (( qUe ja seu|e preuve par témoins n ’étoit
„ pas suffisante dans les quesu«,,. r,,é t a t . que les disposilions tie
» droit en avoient été rapportées, qui étou-.,i r >^;scs et formelles:
)> que si cette voie étoit admise , elle seroit d ’une conséquence- ¡n-
« finie dans le public, et il n ’y auroit plus de sûreté dans les
w f a m ille s } que les plus sages peuples de la terre ont voulu q u ’il
» y eût des témoignages publics de la naissance des en fans. »
L ’arrêt de S a c illy , rendu sur les conclusions de M . l’avocat gé-»
ïîéral C bguvelin , a encore maintenu ce principe avec sévérité.
Les premiers juges avoient ordonné la preuve , et elle étoit même
faite et concluante; mais la cour, inflexible sur des règles qui peu
vent seules maintenir l’ordre et la tranquillité p u b liq u e , ne crut
pas mêm e devoir entrer dans le mérite de la preuve ; et, en infir
m ant ln sentence qui l’ avoit admise, débouta le prétendu Sacilly
Je sa demande,
E n fin , ce principe vient encore d être solennellement consacré
par l’arrêt de la cour d appel de f lio t n , rendu contre le prétendu
Jean N e u v ille , le i 5 prairial dernier,
�( 29 )
Les enquêtes étoient faites; mais com m e le prétendu Jean N eu„
•ville n ’avoit en sa faveur ni titre ni possession, la cour a déridé
q u ’elles ne scroient pas lues, et a confirmé purement et simplement
le jugement du tribunal de p r e m i è r e instance de L y o n , q u i, sans
s’arrêter à la preuve des faits articulés par Jean N e u ville, dans la
quelle il avoit été déclaré non-recevable, avoit renvoyé la veuve
Neuville de l’instance.
M a is, au surplus, c ’est ici lutter contre une chim ère, que de
s’occuper de l ’admissibilité ou de l’inadmissibilité de la preuve
testimoniale.
L a fem m e M arlet a f o r m é , depuis plus d ’un an, sa d e m a n d e ,
tendante à être reconnue pour fille légitime de M . et M me- de C la r y ,
sans avoir, en sa faveur, ni titres, ni possession ; et elle n ’a pas
encore articulé un seul f a it , qui tende, sinon à justifier, au moins
à colorer sa prétention:
C a r on ne peut pas regarder com m e des faits articulés pour la
cause actuelle, ceux qui l’ont été en l’an 2.
- D ’une p a rt, on a démontré que tout ce qui a été fait alors ne
subsiste plus, soit comme ayant son fondement dans Felfet ré
tro actif de la loi du 12 bru m a ire , qui a été abolie, soit com m e
ayant été fait sans le concours de M . de C l a r y , qui étoit la partie
la plus intéressée, et celle qu ’on devoit le moins oublier dans une
pareille cause.
D ’autre p art, la fem m e M arlet ne prétendoit alors qu’au rang
de fille nalureîie adultérine; et quoique la preuve des faits qu’elle
articuloit ne dût pas être admise, parce que la loi du 12 brumaire
ne l’aulorisoit que pour les enfans nés de personnes libres, et qu'elle
exceptoit formellement les enfans naturels adultérins, ces f a it s ,
quand ils seroient articulés de nouveau aujourd’h ui, seroient ab
solument indifférais.
Ils consistent uniquem ent, en effet, dans l’ articulation
vague
des
joins que M me- d e C la r y avoit pris (l’elle dans son e n f a n c e .
O r , ces soins 11’ont pas besoin d ’être prouvés; ils sont avoués
dans la cause : ils lui ont été donnés par M me- de C la r y , comme à
�(5p)
Leaucoup d'autres jeunes filles, orphelines ou abandonnées, qui
cloient l’objet continuel de sa charité et de sa bienfaisance.
(f C ’ est abuser des choses les plus in n o ce n tes, disoit encore
» M . C o c h i n , de vouloir que les soins et la tendresse deviennent
» des preuves de m atern ité: c ’est bannir de la société toutes ces
» communications qui peuvent la rendre si douce et si agréable, si
» l ’on est en droit d ’en tirer de si funestes conséquences : c'est se
» servir des propres bienfaits d’ une personne tendre et charitable,
» pour la déshonorer ; en un m o t, c’ est corrompre, c’ est em » poisonner ce q u 'il y a de plus pur et de p lu s sacre’. »
O n ne parlera pas ici de sa prétendue ressemblance avec la
dame de C la ry : indépendamment q u ’il n’y a pas de signe de filia
tion plus équivoque, elle n ’a pas osé l’articuler en l’an a : ce fait
n ’étoit pas du nombre de ceux dont le jugement du 4 messidor ordonnoit la preuve; si plusieurs de ses témoins en ont pari«!, c ’est
d ’office, et dans la vue de donner de la faveur à sa
cause, t.t «Mo »
;<;)S pa r tic u |cr aujourd’h ui, pour ne pas cho
quer trop ouvertement 1.«
paraison qui la couvriroit de ridicule.
¿ viicr cl’aillcurs une co m
M ais il y a m ie u x : supposons q u ’on articule ici 1rs laiis n-» ,,i„»
précis, les plus propres à porter la conviction dans tous les esprits ;
supposons q u ’en renversant tous les principes, on admette la
preuve de ces fa its, et que cette preuve soit si forte, si co n cluan te,
que personne ne puisse se refuser à l ’évidence q u ’elle présentera;
on n ’aura beso in, pour renverser tout CCI édifice, que de rappeler la
disposition de Part. 5 a 5 du C o d e civil, que nous avons déjà cité,
qui porte q u e, <« la preuve contraire pourra se faire par tous les
» m dycns propres à établir que le réclamant n ’est pas lYnfant de la
>» mère qu'il prétend avoir, et tnerne , la maternité prouvée , qu*il
» n’rst ¡Hts /*enfant du mari de la rnrrr. »
Ici, celle p rrm o co n tra ire, *i elle ctoit jamais nécessaire, *e trouveroit f.iite d ’avance, et par l'aveu mêm e de |j fem m e M a r le t ,
q u e lle n ’est pas l'enfant du nuiri île la mèrr, puisqu'elle a f.iir tous
«es e ffo rts, en l’an a , pour prouver q u ’clJc ctoit fille adultérine de
�( 3i )
la dame de C la r y , et née d'une autre union qu'avec Charles Clary,
son mari.
Jusqu’ici les représentons de M . et de M me- de C la r y ont parlé
le langage des lois ; ils n ’ont vu que leurs juges ; ils ne sc sont occupés
q u ’à les convaincre : ils ont actuellement une autre lâche à remplir;
, c ’est celle d ’éclairer le public, qui n’est jamais indifférent sur les
questions d ’état, et qui croit aussi pouvoir s’ériger en juge.
L a prétention de la femme Murlet ne seroit-elle, aux y eu x do la
ju stice , que l’effet du délire d ’une imagination déréglée; elle peut
laisser dans l’opinion des impressions désavantageuses, q u ’il est in
téressait t de dissiper.
L a femme Marlet s’est d ’abord annoncée, dans la cause, com m e
fille naturelle adultérine de la d a m cD e la ire , épouse de M . de C l a r y ;
clic sc dit aujourd'hui fille légitime de l’un et de l’autre.
La première réflexion qui so présente, c ’cst q u ’ il ne tombe pas
cous les sens que la fem m e M arlet ait pu hasarder un« prétention
aussi extraordinaire, si elle n'a pas du moins r u s a faveur des pré
som ptions, dos probabilités mor*»!«’« , qui i i f i u r n t «on erreur; et
dès-lors, on sent cnmMen ¡1 «»» difficile de vaincre les préjugés que
cette première n llexion, si simple, si naturelle, peut faire naître
dans tous les esprits.
Il n ’y avoit peut-être pour c e la , q u ’un seul moyen , c ’étoit de ro*
monter à l’origine de la femme M a r le t, et d ’etablir sa naissance ; et
la famille Dcl.iire y est parvenue.
O n diroil en vain q u ’il y a »le l'inconséquence
faire usage des
enquêtes, après avoir démontré qu elle s dévoient être rejetées de
la cause.
D 'une p a r t , on ne doit pas oublier que nous parlons ici au pu
blic, qui r.*t étranger aux form es ju rid iqu es, et qui ne doit 'o i r ,
d ans ce* >n q u c tr s , que les preuics qui m résultent ;
D autrr purt , quoique ce* enquêtes ne doivent | H cire lues
�r
*'■ r
Y 5a )
com m e pièces juridiques de la cause, et q u ’elles ne puissent être
d'aucune utilité à la fem m e M a r l e t , on n ’â pas moins le droit d ’en
user contre e ll e , parce que c ’est elle qui y a donné lieu, et q u ’on
doit les considérer com m e son ouvrage.
O r , il résulte de ces enquêtes plusieurs faits essentiels et qui
répandent le plus grand jour sur celte affaire.
L e prem ier, qu ’une servante de la Cliapelle-Agnon , nommée
Jeanne M iolan e, s ’est accouchée d'une fille vers l’année J 7 6 2 .
L e second, que Jeanne M io lan e, étant morte après l’avoir allaitée
pendant cinq à six m o is , elle a été portée à A m b e r t , où elle a
été exposée à la porte de l ’église paroissiale.
L e troisième, que celle fille exposée a été nourrie jusqu’à l ’âge
de 4 à 5 ans, chez la nom m ée L o u v a u , qui habitoit à A m b e r t , visà vis la porte de l’église.
L e q u atriè m e , que c ’est cette même fille nourrie chez la L ouvau ,
qui a été envoyée à L y o n , chez la dame de C la r y , et qui csl au
jo urd’hui ltt fem m e M a r le |i
I
our établir ces fau& , 0lt ^ s’arrêtera q u ’à des dépositions posi
tives et à l ’abri de toute contradicU oi..
C ô m e B e rtu i, tisserand, de la C hap elle-A gnon , i \ , „ <1^ ^
moins entendus à la requête de Jeanne-Marie D e l a i r e , sœur de
la dame de C la ry,
« Dépose qu ’il est parent du nom m é Berlan , boulanger de la
» Chapelle-A gnon : il y a environ 3 o ans, que revenant du P u y
» en V e l a y , à la C h ap e lle -A g n on , il entendit dire que la nommée
» M iolan e,servan te chez Berlan, a v o lt f a i t u n e nfant; q u ’A n lo ine
» B e rla n , fils de L o u is , en étoit le père; que la mère, qui nourris» soit cet enfant au village de la Bâtisse, étant décédée, l’enfant
» fut porté chez B e rla n ; q u ’alors le déposant fut invité par l’un
» dos Berlan , d ’aller chercher q uelqu’ un qui se chargeât d ’aller
» porter l ’en fant ;’» A m b e rt : le déposant fit en effet son marché
» avec le nom m é M o u r le v a u , qui sera un des témoins à entendre,
» et qui portu en effet à A m b e r t 1 enfant dont il s’agit, qui étoit
une
�( 33 )
» une fille : le père du déposant fut chercher chez Berlan le chej) val qui porta à la fois le commissionnaire et l'enfant.
Jeanne C h ain b ad e, fem m e d ’A n n e t M io ia n e , tisserand cle I3
C h ap e lle -A g n o n ,
« Dépose q u ’il y a environ 32 ans , la nommée M io ia n e , sœur de
» son m a r i, demeurant à la Chapelle-Agnon, chez Ber 1an , y
h devint grosse; ses maîtres la firent sortir; ladite M ioiane vint
« alors dans la maison oùdem euroit la déposante , qui n ’étoit pas
» encore sa belle-sœ ur, et elle y fit ses couches; qu’après la mort
» de la M ioiane, rncre de l’e n f a n t , la nommée Chegne porta l ’en»^fant chez Berlan , boulanger. »
A n n e t M ioiane , frère de Jeanne ,
'( Dépose, q u ’il y a environ 5 o ou 3 i ans, que Jeanne M ioiane,
» sa sœur, s’accoucha chez lui d ’ un enfant femelle , q u ’elle avoit
» eu des faits d ’Antoine Berlan , fils à Louis , boulangera la C h a -
» pelle-Agnon, chez lequel elle derneuroit com m e domestique; que
» sadite sœur étant m orte, ses parens ne pouvant se charger de
» la nourriture de cet en fa n t, il fut porté dans la maison de Louis
» Berlan, grand-père, et qu ’il ne sait pas ce q u ’il est devenu, et
» où Berlan m il ensuite cet en fa n t.»
Jean M io ia n e , neveu du précédent,
« Dépose q u ’il est fils naturel de Jeanne M io ia n e , qui reslo it,
« il y a environ trente-trois ans, en service chez L ouis B e rla n ,
» boulanger à la C h a p e lle -A g n o n ; que lui restoit au village de la
» Bâtisse, dans la maison deses auteurs maternels; qu’à cetteépoque,
» sa mère sortit de service de chez Berlan , et vint s'accouchcr
» dans la maison où lui déposant derneuroit, d ’une fille qu ’elle
« avoit eu avec J3e r la n , fils audit L o u is ; que sa mère nourrit cet
» enfant jusqu’à sa m ort, et q u ’ensuite, ni le déposant, ni sespa» rens ne pouvant lui continuer les mêmes soins, il fut porté chez
» Louis Berlan ; que cet enfant y demeura quelques jours ; et qu’il
» a ouï dire, dans le temps, que Berlan avoit fait porter cet enfant à
»
A in b e rt ; le déposant n ’a pas SU depuis ce qu'il étoit devenu. »
A n toin e M ourlevau, Tisserand au village du M a s , commune
de la Chapelle-Agnon ,
�( 54 )
« Dépose qu’il y a environ 5 i ans q u ’il lui fut proposé par L ouis
» Berlan , de mener un on f¡in t <I’en\¡ron 12 ou i 3 mois ( * ), d e là
» Cliapelle-Agnon à Arnbert. Le déposant y consentit; cl en effet
» C ó m e Boriili , père de l’un des témoins qui a déposé, alla
j) chercher le cheval de Louis B e rla n , et accompagna le déposant
j) et l’en faut jusqu’à environ une lieue : ¡] (‘toit alors n u it , et
» c ’étoit à l'époque des environs de la Saint-Martin d ’é t é , qui se
» trouve dans le mois de juillet. C ò m e Berlui , après une lieue
» de c h e m in , laissa le déposant à pied , chargé dudit e n f a n t, et
» emm ena le cheval. L e déposant arriva à A m b e r t à la pointe
)> du jo ur, et au m om ent où l’on sonnoit la cloche: il laissa l’en» fa n l à la porte de l ’église, sur Pescalier, à un endroit que l’on
» appeloit alors vis-à-vis la rue de chez Mandarol. L e déposant se
» retira , et depuis n’a plus ouï parler de cel enfant. Ajou te le dé» posant q u ’il est de sa connoissance que l’enfant dont il vient de
» pnrler, est l’enfant d ’une nom m ée
M i o l a n e , habitante de la
» Cl.apoUcî-Agnôn , et qu ’il est sorti de chez Berlan; mais il ignore
;> qui en étoit le
^ j oulc encore qUe l’enfant avoit une coeffe
» de cotonnade b leue, et
, olic jjjeue unie,e£e£o/£ enveloppé
» dans un sac qui lu i tenoit jusqu’ au
„
V o ilà donc la fille de Jeanne M io la n e , exposée a
p erle de
l ’église d ’A m b e r t : il ne reste q u ’à savoir ce q u ’elle est deven u e,
et si celte fille est la mêm e que la fem m e M arlet. O r , c ’est co
qui est encore établi jusqu’à la démonstration.
L a fem m e M arlet a fait entendre dans son enquête M arcellin
L o u v a u , qui dépose « q u ’il ne sait autre chose relativement à la
» naissance de la dem anderesse, si ce n ’esL que le père de lui dé-
» posant, l ’ayant trouvée exposée au-devant de l’église d ’A m b e r t ,
» la conduisit dans sa m aison, où elle a resté l'espace de plusieurs
» années.
II
y3
ici e rre u r s u r les
m ois
<lo l ’eiifuiit > mQis il ne üiut piis p erd re do
Vue qu’on a remis au témoin cet enfant la n u it , plié dans un sac j que l’Ago do
l’enfant ¿toit étranger à sa mission., et qu’il dépose de faits qui remontent à
plus do
5 o uns.
�(35)
» L e déposant, dans ce temps-lù , avoit ouï dire que c ’étoit une
» bâtarde de la Chapelle-Agnon. »
A n n e L o u v a u , sœur du précédent tém oin, entendue dans l ’enquête contraire,
« Dépose qu’à une époque qui remonte à plus de trente ans,
» le père d ’elle déposante, revenant le malin de l’église d ’A m b o r t ,
» d i t , en rentrant chez l u i , I l y ci ci la porte de l’ église un paquet;
» mais sans dire ce que conlenoit ce paquet; qu’elle déposante,
)) mue par un sentiment de curiosité, se rendit au-devant de l ’église,
» trouva, en e ffe t, un s'ac dans lequel ètoit un enfant de cinq
)> mois ou environ, ledit sac ayant une petite ouverture qui cor» respondoit au visage de l’ enfant ; que la déposante fut aussitôt
» avertir un nom m é Perrier, avec lequel elle se rendit chez un
» boulanger voisin, pour faire chauffer cet enfant; q u e lle quitta
)) ledit Perrier pour aller chez le cit. M a d u r, alors procureur d ’office
» du bailliage d ’A m b e r t , le prévenir de l ’exposition de cet en» f a u t ; .................. qu’il envoya la déposante chez le cit. M a lh ia s,
» qui étoit, à ce qu’elle croit, greffier; que M athias et M a d u r furent
» ensemble constater l ’exposition de cet enfant; q u ’après cette opé» ration, ils dirent à l’exposante de porter cet enfant à 1 hôpital
» d ’A m b e r t; q u ’ o n e f f e t , c l i c s ’y r e n d it; que le sieur V i m a l , ad» ministraleur dudit h ô p ita l, lui dit de l ’emporter chez elle pour
» quelques jo u r s , et q u ’on lui trouveroit une nourrice ; qu ’en.
» effet la déposante porta cet enfant dans la maison de son père ;
» que son père étant revenu le soir, se fâcha contre elle déposante,
)i mais que sa mère l’engagea à garder cette p e tite , en disant q u ’on
» avoit promis de payer les mois (Je nourrice ; que le père de la dé» posante embrassa cette peLile et consentit de la garder ; q u ’il est •
» de sa connoissance que le sieur V im a l a depuis payé au père de
» la déposante cinq ou six mois de pension, à raison , h ce q u ’elle
» c r o i t , de 5 à /t liv. par m o is , et qu’elle ignore si son père a
» été payé du surplus du temps où cet enfant y a dem euré, et par
» qui il a été payé. »
Plusieurs autres témoins déposent encore de l ’identité de cette
E 2
�( 36 )
fille, exposée à la porte de l ’église d ’A m b e r t , avec la fille née de
Jeanne Miolane.
Jeanne C h ain b ad e, belle-sœur de Jeanne iVTiolane, dépose avoir
vu cet enfant chez des filles revendeuses de fruits, qui deineuroient
vis-à-vis la porte de l’église d ^ A m b ert, lesquelles filles revendeuses
de fruits étoient les deux filles Louvau.
A n to in e tte L av a n d ier, veuve de Pierre P a cr o s, « dépose qu ’elle
» se rappelle l ’époque où un enfant fut expose au-devant de la
» porte de l’église d ’A r n b c rt, et amené ensuite chez la L o u v a u ;
)> q u ’alors elle demeuroit chez la darne de C la r y . »
E lle ajoute qu’elle alla voir l’enfant qui avoit été e x p o s ', et
qui attiroit la curiosité debeaucoup de personnes; elle remarqua,
qu’il étoit enveloppé dans un mauvais sac.
A n n e P e r rie r , l ’une des élèves de la darne de C la r y , u dépose,
» q u ’elle se rappelle parfaitement l ’époque où la demanderesse fut
» exposée au-devant de l’église d ’A m b e r t , qu’elle y f u i trouvée p liée
» dans un sac ; elle ajoute, q u ’elle fu t portée chez un nom m é L o u » v a u , où elle a
.... . ;nsqu,. r «ge (Je 4 ans< „ O n voit dans la déposition de j Ca ,.„ 0 M a re in at, fem m e d 'A n n e t
B â tisse , qu ’elle a ouï dire par son m a ri, « f|tlt u boulanger de la
» C hapelle-A gnon avoit fait un enfant avec sa servante, et que
» l’enfant qui étoit chez la L o u v a u , éloit ledit e n fa n t.»
11
ne reste donc plus q u ’à savoir s’il est prouvé que cet enfant de
Jeanne M i o l a n e , exposée devant la porte de l'église d ’A m b e r t ,
p lié dans un mauvais sac , et nourri depuis par la fem m e L o u
v a u , est identiquement le même individu qire la fem m e M arlet.
O r , c ’est un fait avéré dans la cause , qui est d ’ailleurs établi par
une multitude de dépositions.
Marcellin L o u v a u , témoin entendu à la requête de la fem m e
M a r le t , dépose en parlant de la demanderesse , q u ’il qualifie a in si,
« que la dame de C la ry la fit retirer , et conduire chez elle à L y o n ,
)) et observe que si son père avoit vécu, la darne de C la r y auroit
» éprouvé des obstacles. »
M arie J a n y , fe m m e C o t i n , l ’une des élèves de la dame de
�( 57 )
C
C l a r y , pareillement entendue à la requête de la fem m e M a r le t,
« dépose , qu ’il est à sa connoissance que la citoyenne M arlet a
» été recueillie par la citoyenne C l a r y , sur l’invitation qui lui en
» avoit été fuite par une citoyenne Perrier, qui a\oit été élevée
» elle-même par ladite dame de C la ry. »
Elle ajoute encore q u e , « dans un temps où la dame C la r y se
» plaignoit de la haine qui exisloit entre la demanderesse et la
» nommée P e r rie r , la darne C la ry dit à elle déposante, que la de» mandoresse avoit tort , parce que sans ladite Perrier elle ne
» seroit pas venue cliez la dame C la ry. >>
A n t o i n e Buisson , autre témoin de la fe m m e M a r le t , d é p o se ,
que la demanderesse a demeuré chez la nom m ée A n n e L o u v a u ,
jusqu’à la fin de 17G4 ou au com m encem ent de iyG S, q u e l a ie m m e
L o u v a u la conduisit à L yo n , chez la dame C la ry.
A n n e Louvau dépose, que la demanderesse a resté chez son pere
jusqu'à sa mort , arrivée quatre ou cinq ans après son exposition ;
que ce fut à celte époque que la dame de C la r y , qui étoit à L y o n ,
manda à défunt sieur M aclur, de faire venir cet
enfant
auprès
d'elle, et que ce fut elle-même qui la conduisit avec sa sœur.
Antoinette Lavandier, fem m e de Pierre* Pacros, dépose de m êm e,
quela dame de C la r y a retiré I entant qui élojt chez la Louvau.
A n n e Perrier, dont on a rappelé ci-devant la déposition , après
avoir dit que la demanderesse, qui avoit été exposée à la porte
de l ’église, fut portée chez un nom m é L o u v a u , ajoute que c ’est
sur son indication, q u ’il y avoit une petite fille élevée chez les
L o u v au , c tq u e c e s g e n s -là étoient très-pauvres,que la dam ede C la r y
écrivit au sieur D ulac - M a d u r , d ’A n ib e rt, pour faire venir cette
petite, qui en effet fut amenée à L y o n par la nommée L ouvau.
L a déposante, qui étoit a lo rs, com m e e l l e , chez la d a m e d e
C l a r y , la suit dans tous les instans :
Ch ez le marchand bonlonnier , où elles ont resté ensemble;
Chez la lin^ère de l ’allée des Im ages, où elle fut placée avec
Catherine Perrier, autre élève de la dam e de C la ry ;
A u couvent d ’A m b e r t , où elle a été recherchée en mariage
par le nomme A c h a r d , garçon menuisier et vitrier ;
�( 38 )
Et enfin , jusqu’à son mariage avec M a r le t , qui fut p ré fé r é ,
dit-elle, par la daine de C la r y , p;trce q u ’elle éloil atluchée à sa
fa m ille , ce qui la détermina à augmenter sa dot.
Catherine Perrier , autre élève de la dame de C la r y , dépose
« qu'elle a plusieurs fois oui d ir e , soit par la dame C l a r y , soit
» par la Perrier , que si la demanderesse éloil auprès d ’elle, c ’éloit
» à la Perrier q u ’elle en éloit redevable. »
Elle répète plus bas que ce fut sur l’ invitalion que lui avoit
faite la Perrier île prendre un enfant fort pauvre, qui étoit à A m hert chez des gens peu fortunés, qu'elle consentit à prendre cet
enfant dont il s'agissoit, qui est la demanderesse.
E lle ajoute encore , « avoir ouï dire par la dame de C la r y à la
» demanderesse, q u ’elle ne pouvoit pas souffrir la Perrier, et q u ’elle
» avoit bien t o r t , puisque c'étoil à elle q u ’elle étoit redevable de
» l ’avantage d ’avoir été reçue dans sa maison. L a dame de C la r y
» ajouioît q u ’elle ne comprenoit pas l’orgueil de la demanderesse,
« puisqu’elle ctou ,liV à la ci,a p e llc-A g n on , et q u ’elle étoit fille
„ d ’un boulanger nom m e ^ 1;<n qu Mlolane> „
Elle rend compte ensuite, com m e
p errjer t de la recher
che du n o m m é A chard , menuisier el vitrier, pcm iam ,pio \a j emanderesse étoit au couvent à A m b e r t ; des offres de la dame de
C la r y , de lui donner fioo francs de dot pour ce mariage ; de la
préférence qu ’elle a donnée depuis à Mari e t , el de l’augmentation
de dot q u ’elle a donnée à la demanderesse , à raison de son atta
chem ent pour la famille M arlet , dont le père avoit servi son
frère avec un zèle et une fidélité dont elle avoit toujours conservé
le souvenir.
C ’est donc un fait c o n s t a n t , et qui d ’ailleurs ne sera pas désa
voué par la fem m e M a r l e t , qu ’elle est identiquement la même
que celte petite fille nourrie et élevée chez la L ouvau jusqu’à l’Agc
de /f à 5 ans , et conduite à L y o n chez la dame de Clary.
O r , il a été établi précédemment que celte petite fille nourrie
et élevée chez la L o u v au est identiquement la mêm e que celle
qui a été exposée à la porte de l’église d ’A m b e r t , pliée dans un
mauvais sac.
�(Sq )
E n fin , ¡1 ost établi que ccl enfant , expose à ln porte d e T M i s c ,
plié (Iîiiis un mauvais sa c , est né de Jeanne IYlioLn0
servante
du boulanger de la Chapelle Agnon.
D ’où il résulte que la prétention d e l à femme M.'irlet, do se
faire reconnoître pour fille de la dame de C l a r y , soit q u ’ello se
présente com m e sa fille naturelle adultérine, et com m e née d'une
autre union q u ’avec M . de C lary , soit q u ’elle se présente com m e
fille légitime de l’un et de l’a u tre , est une ingratitude d ’autant
plus monstrueuse, et une calomnie d ’autant plus criminelle contre
la mémoire de sa bienfaitrice, q u ’elle n ’a même pas l’excuse de
l ’ignorance et de l ’obscurité sur son sort, que ses parens sont con
n u s, et son origine mise au grand jour.
A u surplus, pour effacer jusqu’aux dernières traces des cica
trices que la calomnie de la femme Mariet a pu laisser après elle,
il suffit de rappeler que dans l’une et l’autre des enquêtes, ou
trouve un grand nom bre de témoins qui déposent de la bienfai
s a n c e , de la charité de la dame de C la r y , de l ’usage habituel où
elle étoit de retirer de jeunes filles de r h û p ila l, de les n o u rrir, de
lis entretenir, de les élever, de leur donner des états ou des dois
pour les établir.
Q ue non contente d ’avoir toujours auprès d ’elle un certain n o m
bre de ces filles orphelines ou abandonnées, elle répandoil encore
«es bienfaits sur celles qui lui étoient inconnues; qu’elle avoit re
com m andé à François B o uch on -M alm en ayde, son chargé d ’affaires
à A m b e r t , de procurer des nourrices aux filles qui se trouveroient
exposées , d ’en payer provisoirement les mois , q u ’elle lui en tiendroit compte sur ses revenus, et q u ’elie avoit fait un établisse
ment. à l’hôpital d ’A i n b e r t , pour fournir à l’entietien d ’un certain
n om bre de filles de celte classe.
E t ce qui prouve jusqu'à quel point ce genre de charité étoit
dans ses habitudes et dans ses goûts , c ’est la disposition q u ’elle
fait par son testament d ’une somme de 56 ,ooo francs en faveur
de l’hôpital d ’A m b e r t , pour rétablissement de trois filles de cha
rité
,
pour l’éducation et entretien de
douze
orphelines
,
légitimes
ou n o n , qu elle veut être reçues dans cet hôpital pour y etre lo
�C4o)
g é e s , nourries ,e t instruites , et y être gardées jusqu’à l’âge de
18 ans.
Vouloir , d ’après cela, présenter com m e des preuves de m ater
n ité, les soins q u ’a pris la dame de C la r y des filles orphelines ou
abandonnées q u ’elle a retirées du séjour de l ’infortune et de la
m isère, et q u ’elle a élevées auprès d ’elle; c ’est, com m e nous l’avons
déjà d it, d ’après M . Cochin , se servir des propres bienfaits d’ une
personne tendre et charitable , pour la déshonorer; en un m o t ,
c ’ est corrompre, c ’est empoisonner ce qu’ il y a de plus pur et
de p lus sacre.
U n pareil attentat ne doit pas demeurer impuni.
L a fem m e M arlet s’est livrée à une supposition calomnieuse
contre la mémoire de la dame de C l a r y , sa bienfaitrice ; elle a
cherché à porter le trouble et le déshonneur dans un grand nom
bre de familles qui ont un rang distingué dans la société : elle a
usé de ruse et d ’artifice pour conquérir une grande fortune , et
en dépouiller les vrais propriétaires.
L e s bornes d u civil n e permettent pas aux représentans de M .
et M m de C l a r y , de co n clu re co n tre la fe m m e M arlet à d ’autres
peines qu'à des Dommages-intérêts applicables aux pauvres
Ils laissent au zèle du Magistrat chargé du maintien de
l’ordre
s o c ia l, de venger la morale publique outragée, et d ’appeler sur
sa tête toute la sévérité des lois.
BO I R O T ,
ancien jurisconsulte.
C H ASSAING,
LEBLANC,
> avoués.
G R IM A R D ,
A
de l'imprimerie de L a n d r io t , imprimeur de la Préfecture,
place du Vieux-Marché, maison Viallanes anciennement.
CLERM O N T ,
�
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Title
A name given to the resource
Factums Godemel
Relation
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/files/factum-remarquables/BCU_Factums_G0301_0007.jpg
Description
An account of the resource
<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. De Chardon, Claude-Antoine. An 12?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Boirot
Chassaing
Leblanc
Grimard
Subject
The topic of the resource
enfants naturels
abandon d'enfant
legs charitables
hôpitaux
arbitrages
successions
témoins
jurisprudence
preuves
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire pour Claude-Antoine de Chardon ; Marguerite De Chardon, et Jacques Montanier son mari ; Perrette De Chardon, veuve de Rochevert ; Et Anne De Chardon, fille majeure ; Marie-Anne-Hélène Dubois de Lamothe, veuve Forget ; Elizabeth Dereclesne, veuve de Gaspard de Ligondès ; Marie-Thérèse Dereclesne, ex-religieuse ; Anne-Marie-Joseph-Gabriel-Jean-Jacques Vidaud de Latour et ses frères et sœurs ; François Durand, de Pérignat ; Gabriel Durand, de Pérignat ; Marie Durand de Saint-Cirgues ; Marie-Anne-Félicité Fredefond, et Jean-Jacques Rochette son mari ; Marie-Thérèse Bellaigue, et autres héritiers testamentaires ou ab intestat, médiats ou immédiats, d'Anne Delaire, épouse de Jean-Charles Clary, président en la Cour des Aides de Clermont-Ferrand, défendeurs ; Et encore pour Jean-Pierre De Clary, de Murat ; Marie Dauphin, épouse de JeanRodde, de Chalagnat ; Etienne Chabre, et Antoine Chabre, héritiers dudit Jean-Charles De Clary, aussi défendeurs ; Contre Anne Félix, et Louis Marlet, son mari, coutelier à Clermont, demandeur.
Table Godemel : Enfant naturel : 2. la femme Marlet, après avoir formé une demande tendant à être reconnue fille naturelle adultérine de défunte Anne Delaire, épouse de Charles de Clary, et à être envoyée en possession du tiers de ses biens, conformément à l’article 13 de la loi du 12 brumaire an 2, a-t-elle pu, dans la même cause, prétendre au titre d’enfant légitime de la dite dame et du sieur Clary, et demandeur à être admise à prouver sa filiation par témoin ? n’y a-t-il pas là recherche de paternité ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
De l'Imprimerie de Landriot (Clermont)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
An 12
1794-An 12
1789-1799 : Révolution
1799-1804 : Consulat
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
40 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G1622
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Ambert (63003)
La Chapelle-Agnon (63086)
Le Cendre (63069)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
Relation
A related resource
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abandon d'enfant
arbitrages
enfants naturels
hôpitaux
jurisprudence
legs charitables
preuves
Successions
témoins
-
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909b27e6f454feb8207dae025e0f2c10
PDF Text
Text
ai
COUR
D ’A P P E L
SÉANT
%»' » iu<«k iir
A RI OM.
J a c q u e s C H A V E , appelant ;
C O N T R E
Jeanne
L
A
VALLA, et E l i s a b e t h FERRIER,
sa fille , majeure intimées.
,
recherche de la paternité est interdite , et c’est
dans nos mœurs un scandale de moins. D ans ce secret de
la nature , le législateur ne p o u v o it que s’en rapporter à
la crédulité de l’ h o m m e , ou se jeter dans le vagu e des
conjectures : le prem ier parti seul étoit juste; la loi l’adopte;
et aucun enfant naturel n’a le droit de nom m er son p è re
que celui qui a vo ulu se déclarer tel.
N ul acte ne doit donc être plus lé g a l, plus lib r e , que
cette déclaration. L e soupçon seul de contrainte est incomA
�1
( o
patible avec elle ; car si elle n’est pas clairement l ’eiTet
^
spontané de la réflexion , le bu t m oral de la loi n’existe
plus.
* - *'* -uXLî^ g\
L ’appelant réclam e contre l ’oubli de ces p rin c ip e s, et se
place sous la protection de la c o u r , p o u r faire annuller un
***'
acte in fo r m e , auquel on l’a fait participer par la violence ;
4
il demande à n’être par foi’pè île rçcpnnqître un enfant. ' ',
•
y* " '
■
U fX«rilÉi)
qui ne fut jamais le sien.
-y*
^
^
L es premiers juges n ’ont pas vo u lu admettre là jîreuve*«'^ >*u
q u ’il étoit à m êm e d ’o ff r ir ; et si cette o p in io p ,'p o y v o it ^ .*
p ré v a lo ir , il en résulteroit que , contx;e ,le-*vœu'de i« l a i f
un h o m m e donneroit son nom m algré lui à u n 'e n fa n t
**••?
n a tu r e l, seroit contraint de prendre soin d’un étrtfng^r,-' *- >
et de lui laisser sa succession.
. ;
*" '
F A I T S .
Jeanne Valla^ et Elisabeth F e rrie r, sa fille, habitent le
lieu de M a z e t , m airie de Cham bon. L eu rs habitudes et
leurs mœurs étoient à peine connues de Jacques C h a v e ,
qui demeure à la distance d ’environ une lieue de leur
domicile.
Son â g e , plus avancé m ôm e que celui de la m ère, ne lui
eût donné aucun prétexte de se rapprocher de la fille. U n
séducteur à ch e v e u x blancs est ra re ; au village il ne connoît pas l’oisiveté qui nourrit les illusions, et la m onotonie
de ses travaux rustiques avance l’amortissement de ses
sensations, en occupant toute son existence.
Ces femmes étoient donc absolument étrangères à Clia ver
lorsque tout d’ uu coup il s’est trouvé m êlé à leur destinée
**
�(3)
SU
p ar une de ces sourdes m anœuvres que l ’enfer seul peut
faire concevoir.
U n matin à huit heures ( le 21 germ inal an 9 ) , Jacques
C have , m a la d e , est brusquem ent arraché de son lit par
deux frères de la fille F errier , suivis de trois autres jeunes
gens armés de bâtons ou de fourches. Il se disent envoyés
par le sieur de B an n es, m aire de C h a m b o n , et comman
dent i'i C have de les suivre dans la maison de ce sieur de
Bannes. Il s’habille et les suit.
L à il trouve Jeanne V a lla qui paroit en grande ç o l e r e ,
l ’accueille par des injures grossières , lui dit que sa fille est
a c c o u c h é e , depuis quinze j o u r s , d’un garçon dont il est
le p è r e , suivant le récit de sa fille et de M . le m aire de
C ham bon , et q u ’il faut signer sur le cham p l’acte de
naissance.
C h a ve , étourdi d ’une vespérie aussi in a tten d u e, pressé
entre les cris de la m ère , les coups de poings des f r è r e s ,
et les menaces de leurs trois hom m es d’esco rte, veut éle ver
la v o i x , et in v o q u er la notoriété p u b liq u e; des bâtons sont
levés contre lui p o u r toute réponse : il sollicite la justice
du m aire , mais le m aire le pren d à part p o u r lui dire
q u ’ il falloit céder à la circonstance, et que sa v i e .n etoit
pas en sûreté. L ’avenir a appris à C h a v e quel interet pres
sant le m aire lu i- m ê in e avoit a ce que la calom nie eut
une direction certaine.
O n com prend alors que cette derniere insinuation a
ébranlé le courage de Chave. L e sieur de Bannes prend
aussitôt le registre des actes, y efFace quelques mots, en subs
titue d’a u tre s , et remet une plum e à C h ave : une seconde
résistance am ène de nouvelles violences. I l fait enfin ce
q u ’ on exige ; il signe.
�(4)
E n sortant de chez le m a ire , les satellites le mènent au
cabaret, se font donner ù b o ire , le forcent à p a y e r, mettent
l ’enfant dans ses bras , lui font les pins horribles menaces
s’il dit un m ot ; et se retirent.
Sans doute il m an gu e à ces faits beaucoup de circons
tances
importantes ; mais C h a v e , glacé d’épouvante ,
étoit-il libre de r é flé c h ir ? L a plupart de ces détails ont
échappé à sa m é m o ire , ou plutôt à son attention».
Enfin C h a y e , revenu de son étourdissem ent, p ut réflé
ch ir sur les conséquences de l ’acte qu ’on venoit de lui
e x t o r q u e r , et sur le parti q u ’il avoit à prendre.
L a dém arche la plus pressée et la plus indispensable,
étoit de se débarrasser de l ’innocente créature q u ’une
m ère dénaturée avoit rejetée de ses bras p o u r l'aban
don ner aux. soins d ’un étranger. C h a v e hésita s’il la
r d p p o r te r o it, dans la n u i t , à la porte des F e rrie r : cepen
dant la l’e l i g i o n , l’hum anité , peut-être la terreur pourlu i-m è m e , l’em p ortèren t sur son d é g o û t , et il fit porter
l’enfant à une nourrice.
M a is aussitôt, et en signe de sa protestation, il rendit
plainte au juge de p a ix de T e n c e ; le juge de p a ix le
ren voya au magistrat de sûreté : mais com m e la plainteéloit dirigée aussi contre le m a ir e , les autorités délibé r è r e n t , et ne résolurent rien.
C h a v e in q u ie t , et ne voulant pas que son silence p ût
d éroger a son d r o i t , se décida à citer, le floréal an 9 ,
5
tant Jeanne V a lla et sa fille , que le m aire lui - même-,
p o u r v o ir dire q u ’il seroit restitué contre la reeonnoissince de paternité qui lui avoit élé extorquée p:ir la
v io lé iit e , et que le m aire seroit tenu de rayer du registre
�3ï
XO>
( 5 >
ce qui concernôit ladite reconnoissance •, et la m ere et
la iille p our être condamnées à reprendre l’e n f a n t , payer
ses alimens chez la n ourrice , avec dommages-intérets.
O n pense bien qu’au bureau de p aix la fille F e rrie r
ne manqua pas de faire la réponse d’ u sag e, qu ’elle avoit
été séduite et abusée sous promesse de m ariage , et q u ’elle
seroit en état de p ro u v e r les familiarités de C h ave avec
elle ; celui-ci l ’en d é fia , et ajouta m êm e q u ’il offroit de
p ro u v e r c e u x avec qu i elle avoit eu fréquentation.
T o u t cela étoit de trop de part et d ’a u t r e , puisqu’il
n’èst permis de rien p ro u v e r
et la fille F e rrie r ne
risquoit rien à faire b onn e contenance. Q u o i qu'il
en
s o it, un p rem ier ju g e m e n t, du 28 p luviôse an 1 0 , m it
le m aire hors de p ro cès, com m e ne p o u v a n t être juge
sans au torisation , et a p p o in ta les autres parties en droit.
Cet appointement ne fournit pas plus d’éclaircisse
ment. C h a ve persista toujours à offrir la p reu ve de la
violence exercée contre lui -, et les femmes F e r r i e r , q u i ,
au bureau de p a i x , n’a voien t paru a vo ir aucune crainte,
firent leurs efforts p o u r soutenir cette p reu v e inadmis
sible. L e u r système p r é v a lu t ; et le 14 fructidor an 1 0 ,
le tribunal d ’-Yssengeaux rendit le jugem ent qui suit.
.1
« Considérant que l'article 2 du titre 20 de l'ordonnance de 1GG7
défend de recevoir la preuve par témoins contre et outre le contenu
aux actes publics; qu'à la vérité la force, la violence, sont un
moyen pour les faire rescinder, mais qu’en ce cas il faut articuler
de menaces graves, qui feroient craindre pour la vie nietus rnortis,
ou que la partie obligée auroit souffert ‘cliarte privée, ainsi que*
Renseignent Domat en ses Lois civiles, et Potlûtr en son T ra ité
des obligations;
�7
( 6 )
» Considérant que Jacques Chave n ’a articulé qu’il lui ait été
fait aucune menace, ni qu’il ait été commis aucun excès sur sa
personne, ni dans son domicile, ni dans celui du maire où il s’étoit
rendu pour reconnoilre pour lui appartenir reniant d o n t s’éloit
accouchée Jsabeau Ferrier; et qu’étant dans ce dernier domicile,
il pouvoit articuler sans crainte les excès ou menaces qu’il auroit
éprouvés, contre ceux qui s’cn seroient rendus coupables envers
sa personne. »
Jacques Chave est débouté de toutes ses demandes tant princi
pales que subsidiaires, et il est condamné aux dépens.
Cependant C h ave avoit offert expressément de faire
p reu v e de menaces et violences : ses écritures en font foi.
Il étoit p riv é alors d ’un m oyen important. L ’expédition
de l’acte de naissance produite aloi*s au procès, ne mentionnoit ni les surcharges ni les ratures ; elle étoit délivrée
par le sieur de B a n n es, m a ire , qui avoit trop d ’intérêt
à en cacher l’irrégularité p o u r la faire soupçonner. A u
reste, C have s’est p o u rv u en la cour contre le jugem ent,
et il sera question d’exam iner de quelle influence la form e
de cet acte doit être p o u r la décision du procès.
M O Y E N S .
L ’ancienne législation française étoit extrêm em ent dure
contre les enfans naturels; et cependant, par une étrange
inconséquence., elle admettoit les preuves de paternité
sans distinction. A u jo u r d ’hui la loi a fait p o u r eu x
davantage : mais sans v o u lo ir percer le mystère qu i
cou vre leur naissance, elle rejette désormais les proba
bilités et les fausses conséquences; .elle ne vo it dans
l ’enfant né hors le mariage q u ’ une innocente créature
�^ / 7
/
digne de la pitié de tout le m o n d e , mais ne tenant à la
société que par celle qu i lui a donné le jour. Si cepen
dant un hom m e , gu id é par des apparences q u ’il a ie droit
djapprécier lui - m êm e , et cédant à l’impulsion de sa
conscience,
veut se don ner le titre de p è r e , la loi le
lui p erm et, s’ il n’est engagé dans les liens du mai’iage :
mais com ptant p o u r rien aujourd’hui toutes les démons
trations exté rie u re s, elle exige une déclaration authenti
que et non éq u iv o q u e ; elle prescrit à l’acte une solen
nité plus grande que p o u r la naissance m êm e de l ’enfant
légitim e.
L ’intention du législateur étoit si claire, q u ’elle a ôté
tout prétexte à l ’astuce, et n’a laissé de voies q u ’au faux
ou à la violence. M ais à q u i peut être réservée l ’une ou
l ’autre de ces vo ie s criminelles ? Ce n’est pas à la fille tim ide
q u i , rougissant encore d ’ une prem ière foiblesse, et par
tagée entre l’am ou r de son enfant et la honte de sa nais
sance, n’en ose no m m er le père que dans le secret de son
c œ u r, et se fait l ’illusion de penser que le mystère dont
elle s’en velop p e la p rotégera contre l ’o pin ion qui fait
son supplice.
M ais que feront ces femmes d é b o u t é e s , qui ne voient
dans la prostitution qu ’ une h a b itu d e , dans leur avilisse
ment q u ’ un éta t, et dans leur fécondité qu’ un acciden t?
Incertaines elles-mêmes d’ une paternité q u ’elles déféroient
naguères suivant leurs convenances, elles n’en arrachoient
pas moins des sacriiices pécuniaires aux homm es qui leur
étoient souvent les plus étrangers , mais q u ’ép ouvanloit
la perspective d’ une honteuse et p ublique discussion. Si
on leur laisse en trevo ir aujourd’hu i une tolérance queU
�(; » )
c o n q u e, que leu r coûtera-t-il de tenter d’autres voies p ou r
en ven ir aux mêmes lins? E t s’ il est près de leur demeure
un citoyen paisible, q u i, p ar ses mœurs douces et réglées,
puisse passer p o u r pusillanim e, quelle difficulté y aura-fc-il
de répandre adroitement que c’est là le c o u p a b le , d’ip téresser contre lui qu elqu e personne c r é d u le , de l’effrayer
lu i-m êm e sur les dangers de sa résistance, d’ameuter s’il
le faut ceu x qui ont un intérêt réel <iu succès de la n é g o
ciation ! Jadis il falloit des témoins,«aujourd'hui il ne faut
q u ’une simple signature; tout cela p eu t s’exécuter avec
rapidité : ce n’est q u ’un changem ent de com plot.
Heureusem ent cette rapidité m êm e ne laisse pas au
crim inel le calm e de la réflexion : souvent scs fautes le
trahissent, e t , quelques légères qu ’ elles soient, il faut les
com pter avec scrupule; car on est bien assuré qu’ ellesne
sont pas un simple résultat de sa n égligen ce, mais q u ’elles
ont é c h a p p é à l’excès de sa précipitation.
C e u x qu i ont gu id é la fille F e rrié r dans ses démarches
n ’ont pas visé à l’exactitude ; la co u r en sera convaincue
bientôt par la form e de l’acte de naissance qui fait son titre.
U n e seconde décou verte la convaincra encore q u ’il ne
s’agit point ici de ré p a r e r , envers une fille s é d u ite , des
torts que la m alignité suppose toujours. L a fille F errier
a , le 20 prairial an n , donné une n ouvelle p reu v e de
sa con tinence, en faisant baptiser un fils sous les auspices
de son frère et de sa m è r e , que l’acte apprend m êm e avoir
été sage-femme en cette circonstance.
Il ne paroît pas que p our cette fois la m ère et la fille
Fen-ier aient jugé à propos de réunir un conseil p o u r
disposer du nouveau n é , et lui élire un père ù la p lu
ralité
�(?)
ralité des suffrages; il est vraisem blable que la précédente
tentative les avoit intimidées.
• Q u o i q u ’il en soit, et soumettant cette découverte p ré
cieuse aux réflexions de la cou r , l’appelant ne s’en occu
pera pas plus lo n g -te m p s , et se contentera d’observer
q u ’ il n’y a rien de légal dans la prétendue déclaration de
paternité q u ’on lui a fait sig n er, et au surplus que les faits
-de violences articulés suffiront p ou r la détruire. C ’est à
l ’examen de ces deux propositions que l’appelant réduit
sa défense.
i ° . L a d éclaration de "paternité n e s t pa s légale.
Ija lo i du 12 bru m aire an 2. s’occupoit de trois espèces
d ’enfans naturels, après a vo ir décrété en principe qu ’ils
^toient successibles.
i° . C e u x dont le p è r e é t o it d é céd é , et il leu r suffisoit
de p ro u v e r une possession d’ é t a t , par des soins donnés
à titre de p a te rn ité , et sans in terru p tion ; 2°. xles enfans
d ont le père et la m ère seroient encore vivans lors du
C o d e c i v i l , et leur état civ il y étoit re n v o y é ; 3 0. de ceu x
dont la m ère seule seroit décédée lors de la publication
d u C o d e , et alors la reconnoissance du p è r e , faite devant
l ’oilicier p u b l i c , rendoit l’enfant successible.
Il s’agit ici d’ un enfant de la seconde espèce ; et le p ré
tendu p ère , quel qu ’il s o i t , de m êm e que la m è r e , sont
dits vivans.
O r , quelle nécessité, quelle
urgence y a v o i t - i l de
p réve n ir la publication du Code civ il , en faisant faire
une déclaration que la loi ne demandoit p a s , et q u ’ello
B
�ajournent au contraire ? N ’a percevroit - on pas déjà le
do l dans cette extraordinaire p révoyance ?
D ira -t-o n que le Gode civ il prescrit aussi une décla
ration au th en tiqu e, et q u ’ on n’a pas v io lé la loi en la
devançant ? M ais qui blâm era les législateurs de l’an 2 ^
d ’a vo ir vo u lu p r é v o ir q u e leur système ne seroit peutêtre pns celui du C o d e civ il ? qu i leur reprochera d’a v o ir
supposé que les dispositions de ce code seroient déli
bérées avec plus de maturité , et de s’être défiés de le u r
p rem ie r système sur une innovation aussi im p o rtan te?
Ils vo u lu ren t rég le r le passé seulement ; et les débats
qui ont eu lieu sur la lo i transitoire du 14 floréal an 11 ,
nous apprennent assez q u ’il n’y a eu , dans l ’intervalle d e
l ’an 2 à l ’an 1 1 , aucune législation touchant les enfans
naturels. L es bulletins de la c o u r de cassation sont aussi
rem plis d’arrêts qu i ont cassé tous les jugeinens dans lestjuels les tribunaux avoient vo u lu r é g l e r , m êm e p r o v i
soirem ent , le sort de quelques enfans n a tu re ls, pendant
cette lacune d e n e u f ans.
Il ne p o u v o it donc être question d e fixer l ’état d e
l’enfant d ’Elisabeth F e rrie r q u ’après le Code c i v i l , dont
l ’art. 334 p orte que la recounoissauce sera faite par un acte
a uthentiqu e, si elle ne l’a pas été par l ’acte de naissance.
M ais fût-il indifférent q u e la rcconnoissance contestée’ „
•ait été faite avant ou après le Code c iv il, m algré la sus
pension totale e x ig é e par la cou r d e cassation , et rappelée
par la loi transitoire; cette reconnoissance n ’en est pas
moins ir r é g u liè r e , car elle n ’est faite ni par l’acte d e
naissance lu i-m êm e, ni par un acte séparé authentique*
V oici com m ent cet acte est littéralement écrit au registre*
�c » î
A c T I
D I
N à Î S S A S C I i
rt D u huitième jour du mois de germinal, l’an 9 de la répu« blique française. A cte de naissance de Jacques^ f i l l e ( Ce mot
» est effacé, et on y a substitué au-dessus, dans Vinterligne,
» F e r r i e u , que l’ on a encore effacé, et l ’on a écrit à côté G11 a v e . ),
» né hors de mariage, né le septième jour du mois de germinal,
» à sept heures du soir, fils d ’isabeiu Ferrier, non mariée, domi» ciliée du lieu de la Marette, susdite commune, et Isabeau Ferrier,
» non mariée; le sexe de l’enfant a été reconnu u n e ( On a couvert
» d’encre la lettre e . ) f i l s , né hors de mariage : premier témoin,
» Jean-Pierre Ferrier, demeurant à C iiam bon , département de
» la H a u te - L o ir e , profession de cultivateur, âgé de irente-neuf
» ans; second témoin, Pierre Rue], demeurant à C h a m b o n , dé-*
u partement de la H a u t e - L o ir e , profession de tailleur d ’habits,
» âgé de cinquante-quatre ans. Sur la réquisition à nous faite par
» Marie R u e l, sage-fem m e de ladite accouchée, avons inscrit le
» sus-nommé Jacques Feuuieu ( C e mot est raturé, et l’ on a mis
y> au-dessus, dans l’ interligne, C iia v e. ), portant l e n o m d e sa
» m è r e ( Ces mots ont été rayés, et l ’on y a substitué ces mots :
» l e n o m d u p è r e . ); et ont la déclarante ne savoir signer, et les
» témoins signé. Ferrier, R u e l, signé à l'original. »
« Ledit Jacques Chave père reconnolt ledit Jacques son fils, de
» ladite déclaration de la présente, acte; le reconnoit pour son
»> véritable fils, avoir droit à tous ses biens, en présence de Jean» Louis Riou. ( -f* Ici est un renvoi. ) Constaté suivant la loi, par
» moi Annet de Bannes, maire de la commune de Cham bon, fai» sant les fonctions d ’officier public de l’état civil. Ledit maire
» approuve toutes les ratures ci-dessus. D e Bannes, maire, signé.
“
Et de Pierre C allon , et de Jean-Pierre Fresclict, et de Jeanw Pierre Ferrier ; et dit Jacques Ghavd a signé avec les tcmoin$.
13 2
�_»
t
(
)
» Ont signé, ledit Pierre Callon a déclaré ne savoir signer , C liave,
» R io u , Freschet, Fcrrier. D e Bannes, m aire, signé. »
( Nota. L ed it renvoi est en marge, en travers. )
■
Pour copie figurée :
L e secrétaire général de la préfecture
de la Haute-Loire ,
BARRÉS.
Il est aussi ¿vident q u ’il puisse l ’ê t r e , que cet acte se
compose de deux parties Lien distinctes , qui në sont pas
d ’un m êm e c o n t e x t e , ne sont pas l’ouvrage du m ê m e
m o m e n t , et cependant ne sont pas deux actes absolu
m ent séparés.
i° . A c t e de naissance bien parfait et très en r è g le , d’un
enfant né dyls a b e a u F e r r ie r , s a n s m en tion d u p ère.
O n lu i donne le nom de sa mère. Il y a deu x témoins
de cct a c te , Josep h F e rrie r et M a rie R u el. L ’acte est
donc com plet : le v œ u de la lo i d u 20 septembre 1792
est rem pli.
,
2°. V ie n t ensuite une déclaration de C h a v e , qui est à
la suite du p rem ie r a c t e , et qui a exigé des surcharges.
M a is p e u t - o n , de bonne f o i , y v o ir un acte authen
t i q u e , une reeonnoissance de paternité telle q u e la loi
la com m ande et que la raison la c o n ç o it ?
Cet acte n’a aucune date , parce q u ’en effet il a eu
lie u
le 21 g e r m i n a l, et a été ajouté a un acte terminé depuis
le 8. Com m ent supposer en effet q u e celte déclaration
finale fait partie de l’acte du 8 ? Les témoins dénommés au
.prem ier u c signent pas la déclaration.
�/
37
( 13 )
O n a raturé et interligné le prem ier acte de naissance,
sans faire i*ien ap p ro u ver aux prem iers témoins. L e maire
se u l ap p ro u ve t o u t , m êm e ce q u ’il lui plaira de raturer
e n c o re ; les autres t é m o in s , C h a v e l u i - m ê m e , ne font
aucune approbation. O r , il est de p rin cipe que les ratures
et interlignes sont inutiles dans les actes, s’il n ’y a appro
bation des parties et témoins.
Il est un autre p rin cipe élémentaire en rédaction d’actes,
quelque peu d’ importance q u ’ils aient; c’est que les tém oins
dénommés en l’acte signent à la fin : ici la sage-femme et
le f r è r e , qui ont déclaré la naissance le 8 , n ’ont pas signé
à la fin. Si c’est un seul et m êm e acte, les uns l’ont signé
au m ilie u , et d’autres à la fin : chose bizarre et rid ic u le ,
qui ne peut s’a llie r avec la g r a v ite de l ’acte qu’on prétend
maintenir.
Q u e p e u t - i l résulter d’un acte de cette e s p è c e , si ce
n ’est de la pitié p o u r ses ré d a c te u r s , et une conviction
intime que ce n’est pas C h a v e qu i est allé déclarer la n a is
san ce d’un enfant com m e s’en disant le père ?
L e but de la lo i n’est donc pas rem pli ; car dans qu elqu e
form e que dût être une reconnoissance de p a te r n ité , il la
falloit dans l’acte m êm e portant la déclaration de naissance,
ou bien il falloit un acte p a rtic u lie r, daté lu i- m ê m e , et
qui 11e fût pas réd igé dans une form e ayant p o u r but de le
rattacher à un autre acte, auquel il ne peut appartenir.
Car rappelons-nous q u e l ’article 334 du Code civ il dilt
que la reconnoissance sera faite p a r l’acte de naissance,
«u p a r un acte ath en tiqu e; à qu oi l’article 62 ajoute que
la c té de reconnoissance sera inscrit sur les registres n sa
date y et q u ’il en sera lait m ention en m arge de l’acle de
naissance.
f-V
�7
C «*
B.appelons-nous encore que le but bien positif de la loi
est de ne com pter p o u r rien les reconnoissauces antérieures
au c o d e , quand l ’auteur est vivant. Il en est de cela com m e
des testamens antérieurs à l’an 2, q u ’ il falloit refaire p o u r
les circonscrire dans les termes du droit nouveau. L a loi
a eu ici un but plus m oral : les changernens apportés au
système passé justifient sa mesure dilatoire.
E t ne nous abusons pas sur l ’im portance des formes
dans une matière aussi délicate : on est si scrupuleux
p o u r tant d’autres actes! U n seul m o t é q u iv o q u e en un
testam ent, détruit toute la volon té d’ un père de fam ille;
u n e donation exige encore des formes plus m ultipliées.
Ces actes sont-ils donc aussi importans qu e celui où il s’agit
de transmettre sou nom et sa fortune ; où il s’agit de plus
e n c o r e , de vaincre l ’opinion et de surm onter sa p ro p re
répugnance ? D ’ailleurs , p o u rq u o i 11e p ourrion s - nous
pas dire p o u r un tel acte ce que R ica rd dit des tcstam ens,
« q u e toute leur force consiste dans leur solennité, et toute
« leu r solennité consiste dans les formes ? »
A u jo u r d ’hui il faut y ajouter une v é rité bien c e r t a in e ,
c'est que la seule supposition q u ’un h o m m e est tenu et
obligé de se charger d ’ un enfant naturel sans sa libre
v o l o n t é , est incom patible avec le système indubitablem ent
reçu sur la législation des enfans naturels.
20. Cette d écla ra tion de p a tern ité est n ulle , s 'il y
a
violen ce. L e s f a i t s a rticu lés suffisent. L a preuve en
est a d m issible.
On est extrêmement sévère dans le monde pour ju ger
�5
( i
)
des eiTets de la p eu r d’autrui ; e t , quand on en com
mente les p articu larités, on détaille très-ponctuellement
la conduite qu ’ on auroit tenue en pareille occurrence.
Cependant rien n’est plus difficile à rég ler p o u r soi-m êm e;
c a r , en d e u x cas semblables , le m êm e in d ividu se c o n dui roit rarem ent deux fois de la m êm e manière. M ais
celui q u i raisonne ainsi est de sang-froid , par cela seul
qu’il ra is o n n e , tandis que le p rem ier elfet de la terreur
est d ’absorber toutes les réflexions / p o u r ne laisser place
q u ’à une seule id éed om in an te, la conservation de soi-même.
Q uelques auteurs , partageant sur ce point les idées du
v u lg a ir e , sem bleraient aussi se m on trer difficiles à ad
m ettre la p lup art des excuses fondées sur la crainte. 11
faut d is t in g u e r , d is e n t - ils , la cra in te gra ve et la crainte
l é g è r e , et on ne peut tro u v e r de m oyen rescisoire q u e
dans celle qui su ffiro itp o ur ébranler la ferm eté de l’h o m m e
le plus in tré p id e , m etus n o n v a n i h o m in is , sed q u i in
1
h om in etn co n sta n iissim u m c a d a i, . 6 , fF. Q u o d m etus
causa.
Ces a u te u rs, s’en tenant à une lo i isolée démentie p a r
beaucoup d’autres, n’ ont pas v o u lu ap ercev o ir, dans cette
rigueur étrange, un m on u m ent de la iierté romaine plutôt
qu’une règ le générale. Ce p e u p le , qu i avoit détruit le
tem ple é le v é p ar T u llu s à la C ra in te , n’ éto it, en la pros
crivant p ar ses lois, que conséquent avec lu i-m êm e . Sous;
un système de conquêtes sans b o rn e s, et avec une consti
tution toute m ilitaire, quel rom ain p ou vo it allégu er u n e
crainte lé g è re ! E le v é dans les carpps, son excuse m êm e
eut consacré sa houle , et la loi étoit rigoureusement juste
en exigeant de lui l’intrépidité d ’uu soldat.
�L a France militaire ne réprouvera pas cette législation
sévère ; elle l ?c*ût créée e lle -m ê m e , s’il falloit un code au
courage. M ais les actes civils des simples particuliers ne
se règlent pas par des m axim es nationales; la théorie
principale des lois consiste à les a p pro p rier au x mœurs
de ceux q u ’elles doivent régir.
G ardons-nous donc de l’exaltation , quand elle est hors
de m esure; ne nous obstinons pas à tro uver un Scévola
dans un laboureur tim id e , qui ne connut depuis sa nais
sance que sa charrue et le hameau de ses pères.
L es auteurs les plus judicieux du droit n’ont eu garde
aussi d’appliquer sans distinction la sévérité des principes
romains. D o rn a t surtout, à qui les premiers juges ont fait
Finjure de prêter une opinion si contraire à son discer
n e m e n t, D om at , dont l’ouvrage im m ortel n ’est que le
précis des lois rom aines, bien loin de se fonder sur la
loi 6 , ne la signale que p o u r en blâm er la rudesse.
« N ous avons v o u l u , d it-il, rétablir les principes na« tu rels, et rendre raison de ce que nous n’avons pas mis
« cette règle du droit rom ain parmi celles de cette sec« t i o n ......... T o u tes les voies de fait, toutes les violen ces,
■
v toutes les m enaces, sont illicites; et les lois condam« lient non-seulement celles qu i mettent en p éril de la
k vie ou de quelque tourm ent , mais toutes sortes de
« voies défait et mauvais traitemens. E t il faut rem arquer
« que com m e toutes les personnes n ’ont pas la m êm e
« fermeté p o u r résister à des violences et â des menaces,
ce et que plusieurs sont si foibles et si tim ides, q u ’ils 11e
« peuvent se soutenir contre les moindres impressions,
« un n e d oit pas b o rn er la p rotection des lo is con tre les
« m en a ces
�/-«
4 ^
( ij )
« m enaces et les v io le n c e s , à ne réprim er que celles
« q u i so n t capables d ’abattre les personnes les plus
« intrépides ; mais il est juste de p rotéger aussi les plus
« tim id es............
« 11 est t r è s - j u s t e , et c ’est -nôtre u sa g e , que toute
« violence étant illic ite , on réprim e celles m êm e qui
« ne v o n t pas à de tels ex c è s, et qu’ on répare tout le
« préjudice que peu ven t causer des violences qui enga« gent les plus foibles à qu elqu e chose d’injuste et de con« traire à leur intérêt : ce qu i se tro u ve m êm e fondé sur
« quelques règles du droit r o m a i n ............et ces règles
« sont tellement du d ro it n a t u r e l, q u ’zV ne p o u rro it y
« a v o ir d ’ordre dans la so ciété des h o m m e s , s i les
« m oin dres violen ces
étaien t réprim ées. » ( Sect. 2 ,
des vices des c o n v e n t i o n s , p ré a m b u le .)
•’
Il est peut-être inu tile, après a vo ir cité D o m a t , de faire
d’autres recherches ; mais les prem iers juges ont encore
fait l’ injure à P o th ie r de lui prêter des principes qui ne '
sont pas lës siens.
•
Cet auteur cite les lois ro m a in e s , et par conséquent
les rappelle
lelles q u ’elles sont. M ais il termine son
article de la crainte par dire que « le p rincipe qui ne
« connoît d’autre crainte sufTisante p o u r faire pécher un
« contrat par défaut de lib erté, que celle qui est capable
« de faire impression sur l’hom m e le plus c o u r a g e u x , est
« trop r ig id e , et ne doit pas être suivi parmi nous à la
« lettre ; on d o it, en cette m a tiè r e , a v o ir égard à l'â g e,
« an se x e et à la con d itio n des personnes ( i) ; et telle
( «) Expressions copiées mot pour mot en l'art. 111 a du Code civil.
c
�C 18 )
« crainte q u i ne seroit pas jugée suffisante p o u r a vo ir
« intim idé l ’esprit d’un hom m e d ’un âge m û r ou d’un
« m ilita ire , et p o u r faire rescinder le contrat qu ’ il aura
« f a i t , peut être jugée suffisante à l’égard d ’ une fem m e .
« ou d ’ un v ie illa r d , etc. » ( T ra ité des
page i re. , cliap. I er. , n°. 2 5 , in fin .)
obligations,
Si l’opinion respectable de ces auteurs avoit besoin d’être
fortifiée par d ’autres citations, on les puiseroit dans les lois
romaines elles-m êm es, q u ’il ne faut pas juger par un
fragm ent u n iq u e , et q u i, au c o n traire, nous enseignent
ce que D om a t et P o th ie r vien nen t de nous apprendre.
T o u t consentement doit être l i b r e , disent plusieurs
lo is; e t, p o u r être restitué, il n’est p is besoin d’une v i o
lence c o r p o re lle , mais seulement d’ une crainte inspirée
à celui qui contracte; q u p a d ju sta m restitu tio n is ca u
sa/n n ih il refert u tràm y i an inetu q u is c o g a tu r . . , .
et q u o a d effecturn ju r is u tro b i deest c o n s e n s u s , a c
libéra volu n tas p a tie n tis , ut velle Ji,on videatur. L . 1 , 3 ,
7 e t ü , ff. q u o d m et. C. L . 1 1 6 , de r e g .ju r. ( in C o rv in o .)
Ces lois étoient bien- inoin§ dures, que nç l ’pnt sup
posé les premiers juges; car elles ordonnoient de recevoir
la preuve de la c ra in te , quand m êm e C h a ve auroit été
hors d’état de désigner aucun de ceux qui la lui avoit
inspirée;, n on tatne/i ne cesse est des ig n a r e, perso n am
q u œ m etum in t a lit, sed s u jjic it p r o u a r e in c tiu n , q u ia
7/ietus habet in se ignorantiar//. f , . 14. ff. eod.
En lin , ce qui achève de convaincre que ces lois savole,nt
aussi se mettre à la portée de la foi blesse des h o m m es,
cYst q u ’elles expliquent q u ’ il 11’étoit pas nécessaire de
p ro u v e r l'existence d’un danger- r é e l , mais seulement
�4 $
*
(* 9 )
'.
.
,
.
.
la crainte de ce d a n g e r , qui en elTet devoit detruire le
i)
consentement. S i ca u sa f u is s e t , c ü r p ericu lu m tim eret\
q u am vis p ericu lu m uerb n on f u i s s e t . . . . non con sid é-.
ra tu r e v e n tu s, sed ju s ta opin io.
e0l^‘
1
L e tribunal d’Yssengeaux avoit donc un guide bien sûr:1
A u lieu d’adopter l’antique rig u e u r d ’une lo i oubliée par*
les Rom ains e u x -m ê m e s , il a 4jugé que la crainte inspirée
à C h a ve n’avoit pas été un m o tif suffisant p o u r le con
traindre ; e t cependant il ig n o ro it jusqu’à q u e l'p o in tC h ave avoit été contraint ou menacé ; il l’ ignoroit ët ai
v o u lu l ’ignorer to u jo u r s , en refusant de s’ éclairer par uné'
p reu ve : cependant les faits articulés étoient graves. C h a v e
ofl’r oit et o iïïe encore de p ro u v e r ces f a i t s articulés", etnotam m ent,, i° . que le 21 g e rm in a l îcs frères F e r r ie r ’et*
d ’autres h o m m e s arm és de bâtons SOLlt'Venus c h e z 'l u i
2°. q u ’ils l ’ont forcé de se lev er et de les s u iv r e ,'e n le
m en açan t;
3 0.
que chez de Bannes ils se sont opposés
toute e x p lica tio n , l ’ont in ju rié, menacé et frappé*,
4°.
à*
que1
de Bannes l’a pris à part pour: l ’exhorter à céder à la fo r c e 1
et éviter un plus grand m a l; °. qu’on l’a fd rc é'd e Vëriir'
5
dans un cabaret, où on lui a remis un e n fa n t, avec de
nouvelles menaces.
M a is , a dit le tribunal d’Yssengeaux/, C lia v e 5, soiti dé'
sa m aison.et conduit chez le m aire, p o ù vü it récltfifrér.
■
C e seroit une réflexion b ieiyn atu rèlle, si les faits même'de la caiise n’ étoient déjà venus la détruire ; car ce m aire
lu i-m êm e étoit si peu disposé à user de son a u t o r ité ,'
qu’ il est difficile de ne pas le juger au contraire intéressé1
à l’événem ent.
’
I
1'
il
Muis à quelle protection , il faut' le d ire , auroit pu
�( ' 2 °- )
s’attendre un m alheureux à la m erci de c in q :individus ,
dans le domicile isolé d ’un m aire de v illa g e ? Battu à ses
y e u x , Chave p o u vo it-il se croire dans un asile in viola
b l e ? L e maire lu i-m êm e, l ’e x h o rta n t'à céder à la fo r c e ,
m.ettoit le com ble à sa terreu r, et déclaroit, ou sa p ro p re
c o m p lic ité , ou au moins son impuissance.
L ’acte le m oins im portant d e là v ie seroit vicié par une
semblable v i o l e n c e , à plus forte raison celui de tous les
actes le plus incom patible avec la m oindre contrainte. U n
p ère de famille a contracté un engagement sacré envers
m*s enfans par son m a ria g e; mais c e l u i- l à m êm e qu i
auroit p rocréé des enfans naturels, ne tient à eux par
aucun lien c iv il :.so n h o n neur et les sentimens de la
nature deviennent leu r unique titre , si la paternité lui
a semblé certaine. L es enfans naturels n ’ont point de
fam ille; tel est le langage d e là lo i : elle ne veut pas qu ’ils
en aient une. Q u an d leur père se nom m eroit hautem ent
dans le m o n d e , il ne seroit tenu à rien; la loi lui perm et
seulement de se. déclarer tel par un écrit libre et authen
tique : forcer sa volon té seroit donc se croire plus sage
qu ’elle.
M ais si la loi n’exige rien d’ un père , si elle consi
dère com m e un vice m oral de lui don ner un iils que
sa prop re vo lo n té cependant n’a pas désavoué , peut-on
soutenir l’ idée révoltante q u ’ un h o m m e sera contraint
m algré lui^d’adopter un enfant dont il n’est pas le p è r e ?
Q u i lui donnera la force de supporter , dans sa de
m e u r e , la vue habituelle d ’une créaLure si étra n g è re,
placée là p ou r sa honte im m u a b le, sans aucune com pensatioU'SatisiaisantQ ? et qui oseroit répondre que dans
�4 > '
( 21 )
^
cette situation de d é sesp o ir, aigri p a r u n sentiment d’in
justice , il p û t assez maîtriser une fu re u r c o n v u ls iv e ,
q u i seroit tout à la fois le tourm ent de l’innocence
et
son p ro p re Supplice ?
E loign on s plutôt de vagues suppositions fondées sur une
p u re chim ère. L a p révo ya n ce des magistrats distinguera
la v é rité et les convenances , et éloignera d’aussi sinis
tres présages. O n ne donne p o in t à u n h o m m e l ’enfant
q u ’il repousse avec m épris , qu and la lo i n’en fait pas
un devoir. L a c o u r doit p ron o n cer ici sur les consé
quences d ’un acte l i b r e , et tout p r o u v e q u ’il n’y a pas
eu de liberté dans celui qu i donne lieu au procès. C h a v e ,
con d uit p a r la f o r c e , m enacé dans sa r o u t e , a signé
sous le bâton ; et, p o u r se s e r v ir des expressions de D o m a t,
si un consentement de cette espèce étoit jugé validç , ce
■seroit un a tten ta t a u d ro it n a tu re l ; i l n y a u r o it p lu s
d ’ ordre dans la so cié té des hom m es.
L a conduite d’Isabeau F e rrie r , l ’ép oque de ses co u -ches, c’est-à-dire, de celles qu i donnent lieu au procès,,
le c h o ix de ses croupiers , le lieu de la scèn e , la cir
constance q u ’ un acte de naissance a été c h a n g é , e t c . , tout
cela donneroit lieu à des réflexions beaucoup plus éten
dues , m a is.q u i sei’oient oiseuses, tant que la p reu ve
de la violen ce ne sera pas ordonnée.
Cette p r e u v e , sans con tred it, est adm issible; aucune
ordonnance ne la p r o h i b e ; et ce qui é to n n e , c’est que
les prem iers juges n ’aient pas v o u lu p ronon cer en connoissance de cause.
Il est possible que la m alignité toujours nvide de calom
nie , et toujours difficile ù d é t r o m p e r , prétende que C h a v e
�%
,
. .
( 22 )
n ’a pas été tout à fait innocent envers Elisabeth F errier
de ce dont on l ’accuse : mais il en prend le ciel à tém o in ,
cette fem m e lui fut toujours étrangère.
C h a v e , maître de ses actions , célibataire , feroit sa
jouissance principale de se v o ir re v iv r e dans un fils qu ’il
croiroit le sien ; à son âge, et avec ses principes re lig ie u x ,
il s’en feroit un devoir. Ces deux puissans m obiles ne
peuven t donc être vaincus 'q u e par quelque chose de
plus puissant e n c o r e , une conviction in tim e , une insur
m ontable répugnance.
Il ne demande pas à être cru sur p arole ; et si son
p rem ie r m oyen ne suffit p a s , il offre la p reu ve des v i o
lences qu i l ’ont forcé à donn er sa signature : et certes,
quand la cou r se sera assurée que C h a ve a été forcé de
sortir de son d o m ic ile , mené chez le m aire par cinq
h o m m e s , menacé et battu , elle a p p réc ie ra alors toute
la valeu r d’ une signature donnée dans de telles circons
tances ; et lorsque la vertueuse Elisabeth F e rrie r sera
convaincue q u ’il ne lui est plus libre de faire de sa p ro
géniture une charge p u b liq u e , peut-être s’e fforcera-t-elle
d e mettre un terme a sa féco ndité et au scandale de sa
conduite.
M . G I R O T , rapporteur.
M e. D E L A P C H I E R , avocat,
M e . M A R I E , lic e n c ié avoué.
~
A R IO M , de l'imprimerie de L andriot , seul imprimeur de la
Cour d ’appel. — Therm idor an 15.
�
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Factums Godemel
Relation
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/files/factum-remarquables/BCU_Factums_G0301_0007.jpg
Description
An account of the resource
<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
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Title
A name given to the resource
[Factum. Chave, Jacques. An 13]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Girot
Delapchier
Marie
Subject
The topic of the resource
enfants naturels
faux
menaces de mort
reconnaissance de paternité
code civil
actes de naissance
violences sur autrui
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire pour Jacques Chave, appelant ; contre Jeanne Valla, et Elisabeth Ferrier, sa fille, majeure, intimées.
Table Godemel : Paternité : 1. la déclaration de paternité d’un enfant naturel est nulle, si elle a été arrachée par la violence. quels caractères doivent avoir les faits de violence ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
De l'Imprimerie de Landriot (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
An 13
1801-An 13
1804-1814 : 1er Empire
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
22 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G1502
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Relation
A related resource
BCU_Factums_M0705
BCU_Factums_M0307
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/6/53242/BCU_Factums_G1502.jpg
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Le Chambon-sur-Lignon (43051)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
actes de naissance
Code civil
enfants naturels
Faux
menaces de mort
reconnaissance de paternité
violences sur autrui
-
https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/original/6/53237/BCU_Factums_G1423.pdf
a88884e31c51389cbe502f32824340cf
PDF Text
Text
M
POUR
É
G
M
eneviève
C lau d e
O
C
I
hauder on
C H A U D E R ON,
e t
R
E
, tu trice de M
arie
et
C lau d e V illach on ,
cu ra te u r des m êm es e n f a n s , défendeurs ;
CO N TRE
A N N E - R OS E L a n g l o i s - R a m a n t i è r e s ,
J e a n L a n g l o i s - R a m a n t i è r e s , procédant sous l'autorité du
citoyen Fournier , et N i c o l a s S e m in , tuteur de l 'enfant mineur
de défunte Geneviève Langlois-Ramantières, veuve Salvert,
demandeurs en cassation.
Q U E S T I O N
D’ É T A T .
D a n s notre nouvelle législation, des enfans nés hors du mariage
sont-ils admissible à succéder à leur père quand ils ont été re
connus par lui dan» un acte authentique ?
L a loi ne permet pas de doute sur une pareille question; elle
a prononcé l'affirmative, Elle a dissipé nos anciens préjugés qui
p u n i s s eiont les enfans naturels des écarts de ceux qui le u r avoient
donné le jour: el quelle que soit encore la faveur des parens, aux
ye u x de ceux qui ont intérêt de regretter ces préjugés, cette loi doit
être consacrée par les tribunaux comme un triomphe de la nature
sur des institutions barbares.
Sans doute le législateur a dû poser des barrières capables d’arr êter l'intrigant qui pourroit tenter de s’introduire dans une famille
à laquelle il seroit étranger; et il en a élevé de telles, qu’il est
presque impossible que la plupart des enfans naturels ne regrettent
pus l ’aucienne jurisprudence.
A
�•,'V.I
( 2 )
Dans l’espèce, si le tribunal du Puy-de-Dôme ne les à pas franchies
en faveur des enfans Chauderon, si au contraire il les a religieu
sement respectées, c’est en vain que les héritiers collatéraux du
citoyen Langlois - Ramantières auront dénoncé son jugement au
tribunal vengeur des lois violées.
L e fait s’explique en peu de mots ; il est tout entier dans deux
actes dont aucune des parties ne peut dissimuler le contexte.
L e premier de ces actes , passé en l’absence des parties
intéressées, et par cela seul plus digne de foi que le second,
parce qu’on ne peut le soupçonner être le fruit d’aucune cap
tation , est conçu en ces termes :
« Aujourd’hui vingt-deux Fructidor de l’an 2 , heure de huit
après midi, je Claude Delacodre , notaire public à la résidente
de Saint-Pourçain , district de G a n n a t, département de l’Allier,
à la réquisition de L ou is-Jean -P ierre Langlois - Ramantières,
citoyen de la commune de C h a re il, me suis transporté au do
micile de Marc R o y e t , aubergiste, demeurant au faubourg de
P a lle c o t, de celte commune de Saint-Pourçain , où étant dans
une chambre haute, j’y ai trouvé ledit Louis-Jean-Pierre LangloisRamantières gissant au lit m alade, néanmoins sain d'esprit et
d’ entendement, ainsi qu’ il m’ a apparu et au x témoins ci-après
nommés et qualifiés ; lequel, de son bon gré et bonne volonté,
m ’a dit et déclaré, en présence desdits témoins, qu’il a un enfant
naturel âgé d’environ neuf à dix mois, issu de ses œuvres avec
Geneviève Chauderon ; que cet enfant est une fille , à laquelle a
été donné le nom de Marie Chauderon ; et que ladite Geneviève
sa mère est actuellement enceinte aussi de ses œuvres; qu’il ré
clame lesdits enfans comme étant réellement les sien s, et qu’il
veut et entend qu’ils en exercent les droits comme s’ils étoient
nés en légitime mariage.
» M ’a déclaré de plus ledit Langlois qu’il doit à Michel
Fournier une sounne de iooo livres, prêtée depuis environ deux
�( 3 )
J
mois ? et qu’il doit aussi à la commune de Chareil une somme
de zy liv r e s , provenant d’une confiscation de grains,
» Ledit Langlois-Ramantières m’a requis a c t e , ce que je lui
ai octroyé l e d i t s jour et an que dessus, heuie de n e u f après
m i d i , en présence de . . . . . . etc ».
Voici le second acte, reçu par le même notaire le lendemain
de très-grand matin , en présence de la m ère, qui fut amenée là
par des moyens qui seront dévoilés dans un instant.
« Aujourd?bui vingt-trois Fructidor de l’an d eux, heure de six
avant m idi, je Claude D elacodre, notaire public , e tc ,, à la
réquisition de Louis-Jean-Pierre Langlois-Ramanlière8, me suis
transporté au domicile de Marc Iloyel, aubergine, où étant dans
une c h a m b r e .. . . j'y ai frouvé ledit Louis-Jean-Pierre LangloisRamanlières gissant au lit m alade, néanmoins sain d’esprit et
d'entendement, ainsi qu’il m’a apparu et aux. témoins ci-après
nommés; lequel, de sou bon gré et bonne volonté, m’a dit et
déclaré, en présence desdits témoin», que se rappellant eonfu^
sèment que le jour d’hier il m’a fait une déclaration dont je lui
ai octroyé acte pardevant témoins, et craignant qu’elle soit l’effet
de la crise dans laquelle il se trouvait alors, il me requéroit de
vouloir lui en faire lecture; ce qu’ayant fait a haute et intelli
gible v o ix , et Payant bien entendue et comprise, ainsi qu’il me
l ’a certifié, il a dit et déclaré que c’eft «nul à propos qu'il m’a
fait ladite déelaraiion, attendu qu’il n’a jamais eu d’enfant avec
Geneviève Cliauderon, et (pie son intention n’a jamais été dès*lors
que l’enfant «jn’elle peut avoir et celui dont elle peut être en
ceinte soient regardés comme ù lu i, et tju’ ils en exercent les
droits; <|ue s’il m’a dit le contrairo le jour d’hier, il me l’a dit
sans reli gion , dans un moment sans doute où la force de sa
maladie lui ôtoit toute connoissance ; qu’il rétracte cette décla
ration , comme contraire à la vérité, attendu qu’il n’a jamais eu
A ij
�commerce avec ladite Geneviève Chauderon , qu’il ignore même
si elle a eu un enfant, et si elle est enceinte actuellement.
« Et à l’instant est comparue ladite Geneviève Cliuuderon ,
laquelle ayant pris connoisnance de ce que dessus, m’a dit et
d éclaré, aussi en présence desdits témoins, que la iG radation
dudit Langlois-Ramantières est juste en ce qu’elle n’a jamais eu
de commerce avec lui , et qu’elle a lieu de croire que s’il a dit
le contraire , ce n’a été que dans la force de son mal qui , sans
doute le privoit alors de toute réflexion. Desquels dires, décla
rations et rétractations ledit Langlois-Ilamantières et ladite Chau
dron m’ont demandé, acte, ce que je leur ai octroyé ».
Si ces deux actes avoient aux yeux de la loi la même force;
si , dans cette hypothèse, il falloit les comparer et les juger sut*
leur contexte , qu’il seroit facile de démontrer que le premier a
tous les caractères de la vérité , tandis que le second respire le
mensonge à chaque ligne !
Dans le premier, le citoyen Langlois-Ramantières est sain d’es
prit et d’entendement ; cela a paru au notaire comme aux témoins :
ni le notaire, ni les témoins n’attestent qu’il fut dans un de ces
accès de douleur qui privent un malade de l’ usage de sa mémoire
et de sa raison ; et cependant rien n’est moins équivoque qu’un
pareil état.
Dans le deuxième il est également attesté sain d’esprit et d’en
tendement. Si l’on veut croire à cette seconde attestation , pour
quelle raison ne croiroit-on pas la première ?
Mais comment croire au deuxième a c te , quand on y lit que
le citoyen Langlois-Ramantières déclare qu’il ignore si Geneviève
Chauderon a eu un enfant, et si elle est enceinte actuellement;
comment croire que , s’il avoit ignoré ces deux circonstances, il
les auroit déclarées la veille avec tant de précision et de justesse?
L e délire et le transport donnent-ils le talent de la divination ?
�C« )
Comment croire que la déclaration écrite dans le premier acte
ait été faite dans un moment de délire , quand elle porte sur
d’autres faits exacts et non rétractés? Le citoyen Langlois y con
fesse en effet deux dettes qu’il ne dénie pas dans le second acte.
A l’égard de l ’intervention delà mère que les adversaires regardent
comme d’ un grand poids , elle ne prouve à l ’homme qui réfléchit
qu’une c h o s e ; c’est qu’elle a été provoquée, et que cette femme,
soit qu’elle ait cédé à la crainte , soit qu’elle ait été séduite par
des promesses et des dons, a trahi dans ce moment la nature et
la vérité.
Mais c’est trop s’arrêter à comparer ces deux actes, quand la
loi ne peut en reconnoître qu’un seul, le premier, ainsi que nous
le démontrerons dans un instant. Poursuivons le récit des faits.
L e citoyen Langlois-Ramantières mourut le 26 Fructidor, trois
jours après ces d e u x actes.
Dès le 25 Vendemiaire, Geneviève Chauderon se présente chez
le juge-de-paix pour y déclarer sa grossesse, des œuvres du citoyen
Langlois, dont elle étoit la domestique, et dont, dit-elle, elle
seroit devenue l’épouse.
L e 22 du même mois, elle provoqua la formation d’un tribunal
arbitral pour statuer sur les droits des enfans reconnus par le
premier acte.
Un jugement du 19 Brumaire ordonna qu’un curateur seroit
nommé à ces enfans. II en fut nommé un , et bientôt après la
loi renvoya ces sortes d’affaires devant les tribunaux de district.
Celui de Ganriat qui fut saisi de celle qui nous occupe , rendit
le 18 Messidor un jugement contradictoire, dont voici les motifs
et les dispositions :
« Attendu que la loi du 12 Brumaire de l’an 2 , relative aux
droits des enfans nés hors le mariage, dans la preuve de la posses-
�m
sïon d’état ordonnée par l ’article 8 n’a pour objet que des en fans
actuellement existans lors de la publication de ladite loi; que ceux
de ladite Ghauderon et pour lesquels elle agit, sont nés postérieu
rement à ladite publication; que d’aiileùrs la reconnoîssance des*
dits en fans faite par Louis-Jean-Pierre Langlois^Ramantières le
22 Fructidor, a été par lui rétractée le lendemain a 3 , rétracta
tion appuyée et confirmée par ladite Geneviève Ghauderon ; que
d’après ce la , et aux termes de ladite lo i, il n’existe et ne peut
exister aucune preuve de paternité ni de possession d’état desdits
enfans, le tribunal déclare les demandeurs ès qualités qu’ils pro
cèdent non-recevables et mal fondés en leur demande.
Sur l’appel de ce jugement porté au tribunal civil du dépar
tement du Puy-de-Dôme, Geneviève Ghauderon articula subsidiai'
rement les faits cjue voici :
« Qu’en Novembre 1792 elle accoucha d’une fille dans la maison
du citoyen Langlois ; que celui-ci assista à l’accoucheuient et fit
donner à l’enfant tous les soins pécestsaim.
» Qu’il donna un parain et une maraine à l’enfant.
» Qu’il envoya chercher la nourrice dont il s’étolt assuré d’a
vance, lui donna dès étrennes et la paya tous les mois.
» Que souvent il visitoit l’enfant, et que lors dq sa mort il a
payé tous les frais de sépulture.
« Qu’à la naissance de M arie, deuxième enfant, le père a eu
le* mêines soins, la même conduite, les jjiCme3 procédés, qu’il
a payé la nourriture et l’enlretien.
» Qu’aprc*s la reconnoîssance du 22 Fructidor, la mère du cit,
Langlois et sa sœur, la femme de Dar qui avoient été présentes à
la reconnoîssance, se rendirent très pressantes et très-importunes
auprès du malade; que la mère et la to ur voulurent absolument
qu’elle allât se reposer daus la nuit du 22 nu 20; que toute cette
�à o s
S & ,'
C 7 )
nuit fut employée par la mère et la sœur à obtenir la rétracta
tion; (ju’el les pleurerent, firent des représentations et des promesses,
di.-oient que c’étoit une action digne de la colère divine d’incor
porer dans leur famille des billards, et de leur assurer sa succes
sion au préjudice des vrais héritiers.
» Qu’on la fit ensuite appeller ; qu’on parla de l’incertitude,
de la durée de la révolution , de la versatilité des lois ; qu’on
promit la nourriture et l ’entretien cfes enfans, 6000 livres pour
la mère.
» Que le notaire parut; que Langlois fit plusieurs fois jurer
sa mère et sa soeur 3 que l’on auroit soin des enfans ; que Ge
neviève Chauderon seroit logée, auroit 6000 livres, etc., etc.
» Que le citoyen Langlois vouloit que les 6000 livres fussent
assurées à Cencviève Chauderon par un biilet : ce que l ’on éluda
au moyen de beaucoup de protestations qu’on ne s’y refuseroil pas.
» Que le citoyen Langlois perdit connoissance le a 3 Fructi
dor vers midi, et ne la recouvra pas.
» Qu’aussitôt sa m o r t , Geneviève Chauderon fut emmenée
chez lanière du défunt, où elle fut reçue très-affectueusement,
admise à sa table, et traitée avec amitié , etc., ctc.
L e tribunal ne crut pas avoir besoin de la preuve de ces faits;
et il rendit son jugement contradictoire le 9 Nivôse dernier, en
ces termes :
« Attendu que l ’article X I de la loi du' 12 Brumaire an 2 ,
porte , qu’ en cas de mort de la mère avant la publication du
code civil, la reconnaissance du père , faite pardevant un officier
public, suffira pour constater, à. son égard, l’état de l’enfant né
hors du mariage et le rendre habile à succéder.
» Attendu que Louis-Jean-Pierre L a n g lois, par l’acte du 2
Fructidor, a déclaré, etc.
�o
f
(8 )
» Attendu que cette déclaration circonstanciée est accotnpa«
gnée da reconnoissance d’une dette de j q o o livres au profit du
citoyen Fournier, et d’une autre dette de 29 livres envers la eom»
roune de Chareil, pour confiscation de grains, porte le carac
tère et l’impreinte de la vérité ;
» Attendu qu’en question d’état la déclaration de paternité
est irrévocable ;
» Attendu que la rétractation du 23 , loin d’anéantir la décla
ration de la veille, ne peut même pas l’atténuer, dès q u e , par
essence, son irrévocabilité est incontestable;
». Attendu que cette même rétractation est accompagnée de ca
ractères de Fausseté , en c e qu’ el l o c on t r e d i t et d é m e n t des faits
dont la véracité se montre à la simple lecture de la déclaration
du 22 Fructidor, faits qui sont matériellement avoués dans la
cause quant à la naissance de l’en Faut et à la grossese de Geneviève ;
» Attendu que les enfans nés hors du mariage o n t , suivant les
lois nouvelles , le môme droit de successibilité que les enfans
légitimes, et excluent les héritiers collatéraux;
» L e tribunal, sans s’arrêter à la rétractation du 23
an 2«., qui est déclarée nulle et frauduleuse , dit qu’il
jugé e t c . , autori.se les deux enfans à porter le nom
Rmiiuuiu*rt*s , et les déclare seuls et uniques héritiers,
en possession de la succession,
Fructidor
a été mal
Langloisles envoie
C ’est do ce jugement que la cassation e6t demandée.
Prouvons que cette demande ne peut être accuiellie.
M O Y E N S .
Trois moyens sont présentés par les demandeurs : voici leur
moyen principal.
« Il
�( 9 )
» Il y a , disent-ils, fausse application de la loi du 12 Brum eire, en ce que le jugement a déféré une succession paternelle
à des enfans nés hors du mariage , sans reconnoissauce légale
de paternité, et a appliqué l’article VIII de la loi du 12 Bru
maire à un cas où le père présumé est mort antérieurement à
la promulgation de la l o i , tandis que la disposition de cet article
n ’eït a pplicable qu’au cas où le père est décédé antérieurement à
la loi ».
R É P O N S E .
Il seroit difficile de concevoir comment le jugement attaqué
auroit fait une fausse application de l ’article V I I I de la loi du
12 Brumaire an 2, puisqu’il n’est, et n’a pas dû être basé sur
cet article.
II n’a pas été basé sur cet article : car le tribunal du Puy-deDôme n’a invoqué dans ses motifs que l’article I I , et n’a rien
jugé que conformément à ce dernier article.
<
Il n’a pas dû être basé sur l’article V III : car cet article n’est
applicable qu’aux enfans naturels qui réclameront la succession
de leur père , décédé avant le ia Brumaire an 2 , et que le ci
toyen Laiiglois-Ramantières n’est décédé que 10 mois après.
Ce jugement, disons-nous, est Basé sur l’article 11 de la lo i,
et ses dispositions ont dû y être conformes.
L ’article premier de la loi porte que les enfans nés hors du
mariage seront admis aux successions ouvertes depuis le 14 Juillet
1789 ; et J’arlicle ü règle la manière dont iis devront exercer
des droits nouveaux. '
L e même article premier porte qu’ils seront également admis
à celles qui s’ouvriront à l’aveuir > sous lu réserve portée par
l’article io.
B
�t *i , '
C .i» )
€et article X est conçu en ce» termes :
: «
« A l'égard des enfans nés hors du mariage dnnt l é père e f
la mèrt* seront rnrore exisl'ans lors de la promulgation du code
civil , leur état et leurs droits seront en tout point réglés par
les dépositions du code
Mais en attendant ce code c i v i l , il falloit pourvoir au sort
des enfuns dont le père et la mère vivraient’ encore ef décéderoient cependant avant la promulgation dé ce codé si lohg-tempsattcndu. C'est ce que la loi de Brumaire a fait par l’urticle X I ,.
ainsi qu’en conviennent nos adversaires.
E l que veut celtè loi ? En voici'les dispositions littérales :
« N é a n m o i n s , en c as d e mort d e l a m è r e , a v a n t la publica«tion de la loi , la recnnnoissance du père, faite devant un offi
cier p u blic, suffira pour constater, à son cgard, l’état de l’eufant
né liors du m ariage, e t le rendre habile à lui succéder ».
E lle consacre donc en principe que Penfant né hors du ma»riage , quand il est reconnu par son père, devant un officier
public , peut recueillir sa succession.
E t voilà précisément ce qu’a décidé le jugement attaqué , quiest basé sur ce t article X I de la loi du 12 Brumaire.
Mais il faut entendre les subtilités des adversaires.
Suivant eux , I o . la mère n ’ é t o i t pas décédée ; des-lors sesenfans devoient avuir sa reconnoissance : car la loi ne se con
tente de celle du p ère, qu’en cas de mort de la m ère, elle
a clairement manifesté que l’une et l’autre étoient nécessaires*
quand le père et la mère vivoiënt.
a°. L a reconnoissance du père devoit être faite devant l’ofHcier public que laloireconnoît pour recevoir les actes de l’état civil..
Qui ne reconnoît , à de pareils moyens , l’embarras qu’on
éprouve à soutenir un systôine erronné ?
�C í* )
*°.
loi a manifesté sans doute, que pour qu’un enfant na
turel pût être admis & recueillir la succession de son père cl
de sa mère , i l devroit rapporter la reconnoissauce de l’un et
4 e l’ autre»
Aussi a-t-elle distingué clairement, que lorsque l’enfant na
turel ne rapporterait que la reconnoiasance du p ère , il ne pourroit réclamer que la succession do son père.« L a reconnoissance
du père, a-t*elle d it , suffira pour constater, à son égard, l’état
de l’eniant né hors du mariage et le rendre habile à lui succéder ».
O r , il ne s’agit ici que de la succession du père j il ne s’agit
pas de la succession de la mère qui vit encore. Il suffit donc
aux enfans Langlois de rapporter la reconnaissance de leur père ,
pour être habile aà lui succéder t,i).
a". Pourquoi faire tenir à la loi un langage qu’elle n’a pas
tenu ? Pourquoi vouloir exiger que la rcconnois«ance du père soit
faite autrement que le veut la loi ? L a loi veut qu’elle soit faite
devant un officier public. O r , c ’est un officier public qui a reçu
la reconnaissance du citoyen Langlois ; car on ne peut pas ha
sarder de dire qu’un notaire n’est pas un officier public«;
M a is , ce n’est p a s , d it-on , l'officier public qui doit consta
ter l’état civil.
Nous convenons qu’un enfant né dans le mariage doit être présenté
à l’officier civil à qui la loi a confié le soin de constater sa naissauoe.
Mais d’un côté, il ne s’agit pas ici d’un enfant né dans le|marîage.
D ’un autre côté, il s’agit encore moins de constater l’état civil
( i ) S ’ ils «voient besoin de la reconnoissance de leur m è r e , ils la tro u v e roient dans l'action que la m ère a intentée pour eu x , laquelle est bien uue
reconnoissunce q u ’iti sont nés du citoyen L an g’ois-R am antières. E t n’ ont-ils pas
d'uilleurs sa déclaration devant le juge de p a ix » qu’ils avoient pour p ère le
citü_yca L o n ^ lo is-llam u a liètes ?
B ij
�( 12
et la naissance d’nn enfanl ; il n’est question que de constater
qu’un père reconnoît un en Tant pour être né de lui C elle reconnuîï-sance qui n'est p ¡s un acte public, lin acte qui intéresse
l'ordre .social, ne dispense pas l’enfant qui se présente dans la
société, pour y prendre sa plare et y déterminer ses rapports,
de ju.sti'ier d’un acte de naissance qui aura été reçu par l’oiïicier de l’état civil.
L a recontioissance du père est un acte qui n’intéresse que
l ’individu au profit de qui elle est faite, et ceux qu’elle exclut
de la succession à laquelle ils auroient été appelés sans cet écrit;
dè.s-Iors elle peut être reçue par l’officier public qui reçoit toutes
les autres transactions entre particuliers*
E t croira-t-on que si le législateur eût voulu que ces sortes
de reconnoissances Fussent f a i t e s d e v a n t l ' o f f i c i e r d e l’ é l a t c i v i l r
il se fût contenté de dire quelles se feroient devant un officier
public ? Se seroit-il servi de cette expression générique, quand
il avoit à exprimer une idée spéciale? croira-t-on qu’il n’eût
pas dit que la reconnoissarice du père seroit faite devant l’of
ficier de l’état civil? n’est-il pas enfin bien extraordinaire qu’ou
équivoque sur un point de cette nature ? ignore-t-on ce que la
loi a eu pour objet ? ignore-t-on qu’elle a voulu éviter le scandale
qui suit toujours une recherche de paternité ? qu’elle a voulu
l’aveu du père , ou rejetter la réclamation de l’enfant ? qu’im
porte, d'après cela, que la reconnoissance du père soit faite devant
un notaire , ou devant un juge de paix , ou devant l’officier dé
l’état civil ? Le fuit dont la loi veut que le juge soit assuré, sera-t-il
plus certain , attesté devant tel ou tel homme ? l’essentiel n’est-il
pas que celui qui reçoit la déclaration soit revêtu par la loi d’un
caractère qui commande la confiance? Et encore une fois, cette
reconnoissance n’est pas l’acte qui introduit un enfant dans l’ordre
social ; elle ne"fait que l’ introduire dans une fam ille, et ne le
dispense de l’acte qui constate et son rang dans la société , et
l'époque de sa naissance.
�Ce n’est donc qu’ en confondant^ foutes les idées , qu’on a pu
hasarder Je système que nous combattons.
Tout étrange qu’il e s t , nos adversaires en poussent plus loin
le développement.
'
Ils disent qu’il n’y a pas de reconnoissance , parce qu’il y a
u n e rét ract at i on.
i
.i i
i
Mais si c’est làj leur dernière ressource, l’affaire est jugée au
tribunal de cassation.
L e tribunal du Puy-de-Dôme'a d écid é , conformément à l’ar
ticle a du 12 Brumaire , que les enfans de Geneviève Chauderon , reconnus par le Citoyen L a n g lois, leur père , devoient
lui succéder. Il a donc rendu .hommage à la loi : son jugement
est donc à l ’abri de toute censure.
On opposoit la rétractation du citoyen Langlois ; c’étoit une
nouvelle question.
Qu’a - t - i l jugé ? il a jugé que la reconnoissance de paternité
étoit irrévocable, j
Y a-t-il une loi dans notre code qui décide le conlraire ?
Si nos adversaires sont forcés de corivenir qu’il n’efi existe
pas, comment ce jugement pourroit-il en avoir violé ? et s’il n’en
a pas v io lé , où donc est le moyen de cassation ?
Il pourroit avoir mal jugé; mais un mal-jugé n’est pas un moyen
pour faire unnuller un jugement.
Mais il faut le venger même de ce soupçon : il a consacré tous
les principes reçus , les lois romaines, qui seules se sont expli
quées sur la question.
Ou n’a jamais douté qu’un a c t e , q u a n d il avoit reçu tous les
caractères qui le constituent , ne pouvoit être anéanti sans le
consentement de ceux à qui il donnoit un droit quelconque.
�CM 3
E t qu'on nç„dise pais que la xeqonnoîssance du père étant faîte,
sans l’intervention de *es enfans ^ a , , volonté seule ajant con
couru pour la fo r m e r, sa volonté seule a dû sufUre pour la
détruire.
¡v bi.
On répondroit que la volonté seule du père forme Taote civil
qui établi! la naissance de l'enfant qui est présenté à la mu
nicipalité. Cependant il ne peut pas la rétracter. Ce contrat qui
paroit unilatéral est sjllanagmatique : il se passe entre le père
qui d éclare, et la société représentée "par son officier qui accepte
la déclaration pour l’enfant. Cet a cte , comme les autres, libre
dans son principe, devient forcé et irrévocable, lorsqu’il est con
sommé. Voilà les vrais principes.
Ils sont professés par tous les jurisconsultes; et pour ne citer
que Daguesseau, voici ce qu’il établit dans son trente-quatrième
p laidoyer;
K\
.
.’ ■
i
i ; . .. î
« Il y a long-temps qu’on a demandé si l’on pouvait regarder
la déclaration du père et de la mère comme un jugement domes
tique, toujours également décisif, soit qu’il fût contraire ou favo
rable aux enfans. L e nom sacré de père et de m ère,'et la tendresse
que la nature le u r inspire pour leur propre sang, ne eembloient
pas pouvoir permettre que l’on doutât de la vérité de leur suffrage.
'i; ; i
') : l'i
r'i
.'
» On voit dans les lois romaines que la reconnoissance du père
c6t un grand préjugé pour assurer l’état de son fil» : Grande prcejudicium ad/crt pro J ilio con/essio patris. L . i , §. 12 , if. de
agnosc. et ùlcud. lib. On y voit en môme temps que quelque
déclaration que la mère ait faite contre l’état de ses enfans, la
vérité conserve toujours ses droits, et on la recherche par toutes
sortes de vo ie s, môme après le serment de la mère ».
Ce magistrat examine ensuite la jurisprudence française, et
après en avoir cité différons inonumens tous conformes à ce prin
cipe , il termine eu ces termes :
I
�(i5)
« Vous'avez donc établi ce principe général aussi eonvenablè
à l’équité naturelle qu’à l’utilité de la société civile qu’«« père
et une mère peuvent bien assurer par leur suffrage l'éta t de leurs
enfans r mais qu’ils ne peuvent jam ais le détruire ».
A in s i, loin que le tribunal du Puy-de-DÔme ait violé les prin
cipes, il les a au contraire consacrés en jugeant que le père ne
pouvoit pas rétracter sa déclaration.
E t que seroiit-ce, si nous discutions cette rétractation qui a paru
aux j e u x de ce tribunal comme un monument de surprise, d’er
reur et de mensonge ? N’y verroit-on pas à chaque ligne des traces
non équivoques de tous ces vices.
On y fait dire au père qu’ il a fait sa reconnoîssance dans un
moment où l ’accès de la douleur le privoit de sa raison : et cepen
dant tout annonce dans ce premier acte qu’il jouissoit en effet de
la plénitude de sa raison et de sa mémoire. Il y confesse deux
dettes dont il n’existoit pas de titres : il y confesse deux faits constans, c’est que Geneviève avoit un premier enfant vivant et qu’elle
étoit enceinte dix second.Dans la rétractation, au contraire, on remarque un esprit en
di'lire ou esclave de la volonté des personnes q u i l ’entouroient.
On y lit qu’ il ne sait pas si Geneviève a eu un enfant, si elle étoit
enceinle d’un second, comme si un maître pouvoit ignorer des
faits de celle nature , de la part d’une fille qui est h ses gages
et à son service; comme s i , les ignorant dans le calme de sa raison,
il pouvoit les deviner quand son esprit est troublé par l’ardeur de
la fièvre. Tout ne décèle-t-il pas le mensongç et l’artifice ?
Nous pourrions pousser plus loin l’analyse; mais c’en est assez.
•Le tribunal de cassation n’a pas à juger le fond de ce second acle.
(Quoiqu’ il en soit, il n’a pas pu détruire le premier qui étoit irré
v o c a b le ; et quand on pourroit aller jusqu’à prétendre que le tri
bunal du Puy-de-Dôme a mal jugé en rejettant celte rétractation,.,
�Il
'C *6 i)
ce ne sçroit pas un moyen capable d’opérer l ’anéaqtisçenient, de son
jugement : car il n’existe pas uneiseule, loi qui permette de révo
quer l’aveu de la paternité : et dès-lurs ce jugement ne peut avoir
violé aucune loi.
>
Examinons maintenant et avec rapidité les deux moyens auxi
liaires que les adversaires invoquent.
Voici le premier. « L a fille Chauderon est sans qualité pour
soutenir le procès ».
; T ’ "o ■
On répond avec la loi : L ’article 175 de la coutume du Bourbonuois, qui régit les parties est conçu en ces termes :
« L a m è r e est t ut r i c e et l é g i t i m e a d m i ni s t r a t r i c e de ses enfans
mineurs, tant qu’elle demeure en v id u ité ’».
M a is , disent les adversaires , cette tutelle narurelle n’est dé
férée qu’à la inère devenue yeuve : or la fille Chauderon ne peut
pas se dire veuve.
Misérable subtilité ! la fille Chauderon est veuve maintenant
sans avoir eu d ’époux. L a loi appelle veuve la mère qui a perdu
le père de ses enfans. C ’est ici une tutelle naturelle, et la loi
naturelle qui ne reconnoît pas de plus sûr soutien de l’enfanco
que la mère quand elle est séparée du père de ses enfans, est
bien loin de prononcer la distinction injurieuse imaginée par les
adversaires. L a loi civile elle-même n’a pas une institution aussi
barbare. L a tutelle appartieut à ceux qui ont le plus d’intérêt
de conserver les enfans : sous ce rapport, qui peut méeonnoîtrc
les droits d’une mère à être tutrice de ses enfans, qu’ ils soient
nés dans le mariage ou hors do cette union légitime ?
L a loi ne lui refuseroit rette qualité qu’autant qu’elle pordrnit
son état en se mariant. Mais elle est aujourd’hui dans l’état où
elle étoit ù la mort du père de ses enfans.
Au
�C *7 )
A u surplus comment peut-on se permettre aujourd’hui de co n
tester cette qualité à la fille Chauderon , quand on la lui a recon
nue et donnée ? Les adversaires ont-ils oublié qu’en luî signi
fiant le jugement de première instance, ils lui ont donné la qualité
de mère et tutrice naturelle de ses enfans mineurs:1Ont-ils ignoré
qu’ils la lui ont donnée, en les citant au bureau de p a ix, sur
l ’appel et dans tous les actes qui ont suivi ?
Ils seroient donc non-recevablés aujourd’hui à proposer ce moy en’ •
quand d’ailleurs il ne leur seroit pas enlevé par la loi elle-même.
L e deuxième moyen se détruit par une discussion aussi rapide.
Les adversaires le fondent sur ce que l’article 14 du titre 5 de
la loi du 16 Août 1790 ne permet pas d’interjetter appel d’un juge-,
ment contradictoire , après trois mois écoulés depuis la signifi
cation du jugement : or, ajoutent-ils , trois mois sont composés
de quatre-vingt-dix jours, et l'appei a ¿té signifié quatre-vingtquinze jours après la signification du jugement.
On répond, i°. que les jours complémentaires sont compris
dans ces q ua tre-vin g t-q u in ze jours, et qu’ils n’appartiennent,
d’après l’article 7 de la loi du 4 Frimaire an 2, à aucun des mois
qui composent l ’année républicaine , suivant la computation
actuelle.
On répond , z°. que les jours complémentaires forment une
fraction qui ne compte pas, lorsqu’il faut calculer par mois, mais
seulement lorsqu’il faut calculer par jour.
T e lle est la décision portée par différentes lois : celle du 19
Fructidor an 2 , sur les appointemens et traitemens, art. 1 et 2 ;
celle du 18 Frimaire an 3 , sur l ’intérêt annuel; celle du 3 Plu
viôse suivant, pour l’exposition des contrats à l’affiche des hypo
thèques ; celle sur le recours en cassation; enfin, celle du 21
ï ’ructidor an 4 >sur les vacances des tribunaux.
G
�Ce sont , disent enfin nos adversaires, des lois d’exception qui
ne peuvent être ¿tendues aux cas dont elles n’ont pas parlé.
*•
Ce n’est encore là qu'une subtilité. Il est généralement reconnu
que ces jours n’apparliennent à aucun mois, et ce ne peut être
sérieusement qu'ou hasarde un pareil moyen : aussi ne lui a-t-on
donné aucun développement daus le mémoire auquel nous ré
pondons.
O
A in si, en nous résumant .sur le moyen principal :
L a loi n’admet point la recherche de la paternité; elle exige
que l’enfant qui réclame une succession ouverte avant la promul
gation du code c iv il, vienne avec une reconnoissance de son père,
fai te d e v a n t u n o j f i c i e r p u b l i c .
Un notaire est un officier public : et la loi n’ayant pas dit que
la reconnoissance seroit faite devant l’ofHcier de l’ctat civil, celle
qui est reçue par un notaire est valable.
Cet acte n’a rien de commun avec l’acte de naissance qui doit
être inscrit sur les registres de la municipalité, et le premier ne
dispense pas du second.
C elle reconnoissance, unilatérale en apparence, est réellement
synallagmatique, et dès-lors elle est irrévocable.
L a rétractation c.st l’ouvrage de la séduction : le mensonge qui
y règne attesle qu’ une volonté étrangère l ’a dictée.
&
Voilà ce qu’a décidé le tribunal du Puy-de-Dôme.
Il faut donc consacrer son jugement, qui a rendu un hommage
si pur à la loi et aux principes.
S ’il est dur pour des héritiers collatéraux de se voir privés
I
�(19 )
d’une succession dont l’espoir avoit flatté long-temps leur ambi
tion , il est juste que des enfans qui ne sont pas coupables du
vice de leur naissance, recueillent les biens de leur père, puisque
leur père l ’a vo u lu , et que la loi l’a permis.
Le
citoyen B A R R I S ,
L e citoy en
rapporteur.
commissaire.
L e citoy en C o u r m o l ,
défenseur officieux.
•s.
-------- ---
- '
D e l'imprimerie de H o n n e r t
1
, rue du Colombier,
n°. 1160,
�
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The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
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A name given to the resource
Factums Godemel
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Description
An account of the resource
<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
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Title
A name given to the resource
[Factum. Chauderon, Geneviève. An 4?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Barris
Cournol
Subject
The topic of the resource
enfants naturels
successions
droit intermédiaire
reconnaissance de paternité
témoins
domestiques
rétractation
officier public
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire pour Geneviève Chauderon, tutrice de Marie et Claude Chauderon, et Claude Villachon, curateur des mêmes enfans, défendeurs ; Contre Anne-Rose Langlois-Ramantières, JeanLanglois-Ramantières, procédant sous l'autorité du citoyen Fournier, et Nicolas Semin, tuteur de l'enfant mineur de défunte Geneviève Langlois-Ramantières, veuve Salvert, demandeurs en cassation.
Table Godemel : Enfant naturel : 1. des enfants nés hors mariage sont-ils admissibles à succéder, au préjudice des héritiers collatéraux, à leur père, décédé après la loi du 12 brumaire an 2, quand ils ont été reconnus par lui dans un acte authentique ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
De l'imprimerie de Honnert (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
circa An 4
Circa An 2-Circa An 4
1789-1799 : Révolution
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
19 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G1423
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Saint-Pourçain-sur-Sioule (03254)
Rights
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Domaine public
Relation
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domestiques
droit intermédiaire
enfants naturels
officier public
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rétractation
Successions
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4 ^
RÉCLAMATION
D’ É T A T .
U n pere voulant ravir à fa fille unique & légitime
la fucceffion de fa mère lui conteft efa légitimité :
il lui f uppofe une fauffe mère dans une famille
étrangère : il lui refufe les alimens qu elle demande
en attendant la décifion de fon état
,
.
N ecare videtur non tantum is qui partum perfocat ; fed & is qui abjicit
& qui alim onia denegat.......... Leg. I V , Lib. x x v , f f. de agnofeendis , &
alendis liberis.
U ' tj f k.
A
P A R I S
M.
-
D C C.
<&■— — — =—■
'¿oeo'Zy
,
D e l'imprimerie de P. G . S i m o n , & N. H. N
Imprimeurs du Parlement, rue Mignon .
i
J
■—
L X X X I V.
y o n
=^ï-
,
�4
B
DE MANDE
E
'
n
m aintenue p ro vif oire en la poffe ffîon d 'é t a t ,
& provif ion alimentaire.
P O U R C a t h e r i n e - V i c t o i r e G r o m e a u , fille mineure ,
procédant fous l’affiftance &: autorité de M e C arlier, fon
Curateur ad hoc , & pour ledit M e C a r l i e r audit nom ;
C O N T R E N ic o la s - J e a n - B a p t is t e G r o m e a u , intéreffé
dans les affaires du R o i, fon pere.
Q u e l fort que celui d'une fille unique & légitime, qui
après avoir reçu de fon pere l’éducation la plus diftinguée,
& toutes les marques de l’amour paternel, fe voit tout-àcoup l’objet de fa fureur & de fa haine, repouff ee de fon
fein , & releguée dans la claffe de ces enfans défavoués
& malheureux, qui femblent ne refpirer que pour déplorer
le moment fatal de leur naiffance
Le fieur Grom eau, pour éluder le compte qu’à fa ma
jorité prochaine il devra à fa fille , prétend lui enlever
l’honneur de la légitimité dont elle a joui depuis fon ber
ceau , & qui lui eft affuré par les titres les plus authen
tiques & les plus refpectables. Il lui refufe les alimens dans
un Monaftere où elle a été obligée de fe retirer pour fe
A
j
Ch a t e l e t t
ARC CiriL'
rapport de m.
D uval , Coït-
fcillcF
�1
dérober à fa colere, à fes traitemens affreux. Quel eit fon
prétexte, fur le refus des alimens ? c’eil encore la bâtardife , comme fi un pere naturel ne devoit rien à fes enfans l
ainfi il foule à fes pieds la premiere de toutes les lo ix , celle
de la nature.
Que d’avides collatéraux viennent fouiller la mémoire
d’un parent & difputer la légitimité à fes enfans pour enva
hir fa fucceffion , c’eil un trait aiTez ordinaire dans les fartes
de l’humanité. Mais qu’un pere , loin de rougir d’avoir créé
dans le crime , proclame fans néceiïïté fa propre honte, fe
vante même d’un fcandale qu’il n’a pas commis, deshonore
une fille unique qu’il a reconnu légitime fur les fonds de
baptême , & aux pieds des Autels où il a été prêt de la con
duire dans deux mariages projettés ; qu’il refuie à cet enfant
des alimens dans une retraite religieufe, quand il vit dans
l’aifance & félon fes goûts j qu’il la diffame, la calomnie,
vomifle mille outrages j enfin qu’il lui fuppofe une fauffe
m ere, par le plus coupable attentat à l’honneur d’une fa
mille étragere, c’eil un exemple rare de la perverfité du cœur
humain. Il étoit réfervé à notre fiecle , à notre Capitale, où
la licence des mœurs s’affiche impunément fur nos Théâtres,
de voir un citoyen & un pere" porter cette même licence
jufques dans le faniluaire de la Juilice , y braver l’honnêteté
publique, & s’imputer des crimes pour ôter à fa fille unique
l’honneur de fa naiffance légitime , dont il femble ne faire
pour fon compte aucun cas j ce mépris public des mœurs ,
cette fouillure du Temple des Loix annonce le dernier degré
de corruption & de calamité.
Les Minières de la Juftice ne tarderont pas fans doute à
rçpoufler de leur Sanéluaire un fcandale auifi effrayant ; &
en confacrantpar provifion une poiTe/fion d’état appuyée fur
�3
les titres les plus facrés , ils apprendront à ce pere indifcret
à refpe&er les mœurs, la tranquillité des familles, l’honneur
de fa fille ; & à fe refpe&er lui-même.
Viftoire-Catherine Gromeau naquit à Paris rue B etizy, ^
le 3 Août 1 7 6 0 , du légitime mariage de Jean - Baptifte
Gromeau , alors Employé aux affaires du R o i , & de Ca
therine Calon , fon époufe. Elle fut baptifée en l’églife de
S. Germain-l’Auxerrois , fon pere préfent. L ’afte de baptême
eft iigné de lui ( 1 ) . C ’eft lui-même , qui loin de rougir de
la naiiTance d’un enfant qui feroit le fruit de fa débauche, le
reconnoît au contraire à la face de l’E g life , comme le gage
précieux de fon union , & vient dépofer fon état dans les
regiftres publics deftinés à fixer l’état des hommes.
Cet enfant perdit fa mere dans un âge trop tendre pour
avoir pu la connoître. Elle fut élevée depuis le berceau
dans la maifon paternelle. A l’âge de fept ans fon pere la
mit à Ruelle au Couvent des Dames de la Croix. Il la rappella au bout de deux ans.
Elle entroit dans fa onzieme année lorfque fon pere tra
vailla à perfectionner fon éducation chrétienne. Il lui donna
des maîtres dans les talens agréables. Le fieur Lejeune lui
enfeignoit le Deflin & la Peinture.
( 1 ) E x t r a i t d e s r e g iflr e s d e l ’ E g l i f e R o y a l e & P a r o if f i a le d e S a ïn t - G c r m a i n - V A u x e r r o i s i
L e 3 A o û t 1 7 6 0 , fu t b a p t ifé e V ïE lo ir e - C a t h e n n e , f i l l e d e N i c o l a s - J e a n - B a p t i f l e G r o m e a u ,
E m p l o y é a u x a ffa ir e s d u R o i t £ d e C a th e r in e Ç a lo n f o n é p o u f e , ru e B é t i ^ y ; le P a r r e i n ,
L o u i s B o n a r d , B o u r g e o is d e P a r i s ; l a M a r r e i n e , P ie r r e t t e N i c o t , f i m m t d e A r d r i - L a u *
re n t C h a l o i t B o u r g e o is d e P a r t s . L ’ e n fa n t t j l n è a u jo u r d ’h u i , & o n t f i g n e à l a m in u te .
S i S n e s ’ B ° n a rd y N i c o t , G r o m e a u . C o lla t io n n c à l ’ o r i g in a l p a r m o i f o n jp g n ê C u t i d e l a
P a r o i j f e , A P a r i s t « p J a n v i e r 1 7 8 4 » S ig n é , R i s G A R D .
A ij
�Elle viiitoit fouvent une tante, fœur de fon pere j elle
en étoit traitée avec des égards, des foins & une amitié
que des parens collatéraux ne prodiguent guère à un
enfant né de la débauche & du libertinage. Cette tante,
que la demoifelle Gromeau a encore eu le malheui
de perdre , étoit fouvent fa médiatrice auprès de fon
p e re , foit pour calmer fa févérité ,, foit pour obtenir de
fa tendreiîe paternelle ces légeres fatisfa&ions de la parure,
qui plaifent tant à la jeuneflc , & qui étoient le prix mérité
de fon application tk. de fon avancement.
Son goût pour la Peinture étoit déclaré j il devenoit même
une paiTion. Le fieur Gromeau qui s’en apperçut remercia
fon maître , & dit à fa fille que n’ayant pas befoin.de ce
talent pour v iv r e , il ne voùloit pas qu’elle le portât trop
loin.
Elle entroit alors dans cet âge où les femmes font
capables des foins de la maifon , & d’y procurer la féli
cité domeftique. Elle en fit fa principale occupation, &
fon unique gloire ; elle s’acquittoit par mille tendres
foins, envers celui qui avoit foulagé avec bonté les incom
modités de fon enfance importune , qui avoit guidé fa jeunefîe, & qui lui avoit fourni les talens , & les moyens
néceflaires pour fe dérober à l’ennui , & aux vices dont
on voit tant de vi£times dans un fexe foible & inoccu
pé. L a demoifelle Gromeau reconnoiiTante , méprifant les
charmes d’une figure qui pouvoit la rendre vaine , s’honora
d’être la premiere domeitique de fon pere , dans une infirmité
qui le menaçoit de perdre la vue. On la vit fubitement
paiTer de la vivacité de l’enfance & de la jeuneife, à un cara&ere folide , & devenir la compagne de fon pere, & fon
�4 ^
■
S
unique confolation. Elle avoit atteint l’âge de 1 9 ans }
n’ayant jamais cefle de jouir au milieu de la fociété de ion
état légitime.
A cette époque remarquable, le fieur A * * * * , ami de
Ton p ere, la demanda en mariage. Ce jeune homme pourvu
d’un état honnête & lu cratif, fe contentoit d’une modique
dot de 6 0 0 0 liv. On vit un moment où le fieur Gromeau
étoit prêt de confentir -, puis changeant tout-à-coup de fentiment il renvoya avec humeur ce prétendant qui s’étoit
montré avec le plus noble déiintéreiTement, & comporté
avec la plus grande décence.
La jeune perfonne ne murmura point contre cette con
duite de fon pere : cependant il la tint renfermée pen
dant trois m ois, à l’expiration defquels il la fit partir pour
Chartres nuitamment & à l’improvifte , & la mit au
Couvent de l’Union , comme ii elle eût été coupable. Il
foupçonnoit que fon cœur étoit bleiïe, & vouloit, difoit-il,
y ramener lô calme de l’indifférence. Falloit-il pour cela fe
porter à une démarche aufli inconfidérée, qui tenoit plus
de la diffamation & de la tyrannie , que de la follicitude &
tendre prévoyance d’un pere ?
Le 4 Mars 1 7 8 3 , la demoifelle Gromeau fut rappellée
dans la maifon paternelle, où le malheur l’attendoit. Elle n’y
trouva plus un pere ", les fentimens du iieur Gromeau avoient
été aliénés en fon abfence par une affeftion étrangère
dont les fuites ne furent que trop publiques. L ’objet de cette
affeftion ofoit publier qu’il étoit pere naturel & non légi
time de- fa fille. La diffamation étoit d’autant plus langlante
qu elle partoitde la bouche d’une commenfale de la maifon,
qui avoit pris un empire redoutable fur l’efprit du fieur
Gromeau. Les mauvais traitemens étoient toute la fatisfaç*
�1 .* •
6
tion qu’il donnoit à fa fille fur ces difcours infolens , aux
quels il n’ajoutoit, difoit-il, aucune foi ; & la protégée nioit
le cas.
Cette calomnie parut refter affoupie pendant un certain
tems : elle fe réveilla dans une circonftance bien cruelle ,
mais bien intéreflante pour la caufe.
Vers la fin de Juillet 1 7 B 3 , le fieur Gromeau fit appeller le fieur M .. . . , Profefleur d’Anatomie , en qui il
avoit confiance , pour la guérifon de fes yeux. Ce jeune
Praticien devint bientôt l’ami de la maifon : il plut au fieur
Gromeau, au point qu’ayant conçu de l’inclination pour fa
fille , elle lui fut accordée.
L a favorite voulant mettre obftacle à cette union , fit
parvenir au jeune Médecin les propos qu’elle avoit ofé en
fanter. Celui-ci alla trouver le fieur Gromeau chez le fieur
M auduit, un jour qu’il s’y faifoit éle&rifer. Il lui fit part
des difcours qui lui étoient parvenus fur l’état de fa fille.
V oici la lettre que le lendemain il lui écrivit^ à ce fujet.
•C’étoît l’ex;
„ y ous trouverez ci-joint * , Monfieur , la réponfe à la
trait de b a p '
7
7
•
u
%jr
tême
de fa >» converfation que vous m’avez tenue hier matin chez M .
rn
1
e‘
» M auduit} vous pouvez même en faire part aux gens de
» la ville , & même à ceux de la campagne qui ont part
»aux propos infâmes tenus fur ma fille. Je fuis même en
» état dç donner d’autres preuves authentiques de la validité
»de mon mariage, lorfque les circonftances& les honnêtes
» gens l’exigeront. Vous n’avez pas beaucoup différé à
» réalifer. ce que vous m’avez dit il y a quelques jours que
» l’on cherchoit à noircir la réputation de ma fille : mais jç
»vous préviens que j’attends de pied ferme les canailles
»>qui oferont dire quelque chofe , parce que je fuis fon dét»fenfeur. Je fu is, & c .
G ro m eau ,
�4ÿ
i
7
» P . S . Vous voudrez bien me renvoyer cet extrait
» quand vous en aurez pris copie , & même fait la vérifi» cation. ».
Cette lettre du fieur Gromeau , rapportée en original,
parce que le iieur M ** * * a bien voulu la communiquer ,
porte une déclaration que les Loix ne permettent pas à un
pere de retra&er. Jointe à Faéte de baptême , émanée de
fa main à la fuite de la poiTeflion publique d’enfant légitime
pendant plus de vingt ans , c’eft le complément de tout ce
qui peut aiTurer l’état de la demoifelle Gromeau dans la
fociété civile.
Cependant des troubles d’un autre genre vinrent affliger
cette fille infortunée. Le cœur de fon pere fe, changea tout—à
coup ÿ il ne voulut plus confentir à aucun mariage, ni que fa
fille le quittât d’un feul inftant. Etoit-ce excès de tendreffe,
ou une véritable haine ? C ’étoit l’un & l’autre enfemble. Les
foins empreifés de cette fille auprès de fon pere menacé
de perdre la v u e , étoient fouvent reçus par des traitemens
ignobles, mêlés de difcours étranges. Elle fe retiroit dans
fa chambre en verfant des larmes ; elle y étôit pourfuivie
avec fureur.
Vingt fois elle fupplia fon pere de la reléguer dans un
C ouvent, puifque fa piété filiale & fes fervices domeftiques
ne lui étoient point agréables. Elle follicita même une dot
dans un Monaftere , pour y paifer toute fa vie. Il répondit
à cette priere en lui reprochant fon ingratitude. Vous
voule^ donc , difoit - il 9 m'abandonner dans mon infirmité à
des foins étrangers ?' Cette infirmité eft une vue obfcurcie.
Le fieur Gromeau, dans un âge peu avancé , jouit d’ailleurs
dune fante parfaite : les couleurs de la jeuneiTe nuancent
encore fon vifage •, aucunes rides ne couvrent fon front.
�8
'
Un jour qu’elle infifta pour la retraite , forcée par fes
tiraitemens extraordinaires , il entra en fureur , & lui dit
qu’il ne lui devoit rien , qu’il n’gvoit jamais rien reçu de
fa mere. — Eh 1 n’êtes-vous pas mon pere ? — N on j je ne
te connois pas : tu n’es qu’une ingrate , indigne de ma
tendreiTe & de mes bienfaits.
Bientôt les mauvais traitemens devinrent plus violens ;
les injures & les menaces étoient à leur comble : cette
malheureufe fille étoit même le jouet d’une domeftique audacieufe , qui avoit acquis ' cet empire par de viles complaifances.
L a demoifelle Gromeau ne put réfifter à tant d’outrages ;
elle fentit bientôt les atteintes d’une maladie mortelle. Elle
pria le Médecin de fon pere de lui procurer un afyle , en
attendant qu’elle pût fe rendre dans un Couvent. Elle y fut
reçue malade , & fut prefqu’auffitôt attaquée d’une fluxion
de poitrine , qui fit long-tems craindre pour fes jours.
Dans cet état de maladie & d’abandon , enyain fit-elle
folliciter fon pere de la fecourir ; les inftances furent in
utiles. Les fecours les plus preilans furent refufés , fous le
prétexte que la malade n’étoit qu’un.e bâtarde , à laquelle
fon pere naturel avoit donné un talent pour fubfifter ;
qu’après l’avoir nourrie & élevée jufqu’à l’âge de 24 ans, il
ne lui devoit plus rien.
Après fa convalefcence, la demoifelle Gromeau fit en?
core prier le fieur fon pere de lui indiquer un Couvent.
Il promit de faire réponfe , & garda le filence lé plus froid.
On fut obligé d’intérefler la religion & la charité des ames
honnêtes pour procurer à fa fille un Couvent.
Pans cette extrémité , elle fe vit forcée d’implorer le
fecours
�9
fecours des Loix. Elle forma fa demande au Chàtelet ,
en proviiion , d’une fomme de 1 2 0 0 0 liv. , en attendant
qu’il pût être ftatué fur fes droits légitimes & fur fon état c iv il,
& que par proviiion les termes injurieux de bâtardife fuiTent
fupprimés. Au fond, elle demanda que le fieur fon pere fût
condamné à lui communiquer l’inventaire qui a dû être fait
après le décès de Catherine Calon , fa mere , & les pieces
inventoriées , & de rendre le compte de la communauté
qui a dû exifter entre lui & ladite défunte dame fon époufe ;
finon , à lui payer la fomme de 6 0 ,0 0 0 liv.
Le fieur Gromeau crut oppofer une défenfe légitime à
cette demande en difant » que fa fille étoit bâtarde, qu’il ne
»lui devoit rien, & qu’elle devoit fe contenter d’avoir reçu
» chez lui des foins & une éducation que le vice de fa naif» fance ne la mettoit pas en droit d’attendre ni d’exiger. »
N ’efi: - ce pas infulter à un être malheureux que de lui
reprocher même fon éducation ? Nous ferions tentés de
penfer que quand la naiffance eft fouillée par l’incontinence
d’un pere , par fon mépris pour la Religion & pour les
Loix , les foins & l’éducation qu’il doit au fruit de fon
crime femblent mériter de fa part plus d’attentions & de
foins, afin d’expier fa faute ,• & d’effacer , s’il lui eft poffible , une tache dont un enfant innocent n’eit pas coupable ,
en procurant à cet enfant au moins la confidération &
l’eftime que les gens de bien accordent toujours au mérite
perfonnel.
Le fieur Gromeau ajouta » que la demande formée contre
»lui avoit tous les caraéteres de l’a&ion qu’intente une fille
» naturelle contre fon pere ; que fe prétendant légitime ,
»»elle devoit convoquer fa famille en l’hôtel du M agiftrat,
» s y faire nommer un tuteur pour s’aiTurer le fuffrage de
B
�» cette famille dans laquelle elle avoit deiTein de fe faire
» admettre : que pour établir fon état, elle devoit rapporter
» l’a&e de célébration de mariage de fes pere & mere ;
» qu’il n’y a qu’un pareil a£le qui puiiTe aiTurer l’état d’un
» enfant légitime. »
Il prétendit enfin que la mere de fa fille étoit encore exiftante, fe nommoit Marie-Catherine Calon; & quelle époufa à
Saint Euftache, le 19 Novembre 1 7 6 4 , le fieur Lacroix.
Il donne 'en effet la copie de fon extrait de mariage.
Mais ce n’eft-Ià qu’une affertion hardie ; car l’extrait de
baptême de la demoifelle Gromeau porte qu’elle effc fille de
Catherine Calon, époufe de Nicolas-Jean-Baptifte Gromeau.
O r , Catherine Calon & _Marie- Catherine Calon font évi
demment deux individus très - diftinéls par la défignation
des noms de baptême. Et quand Catherine & Marie-Catherine
Calon feroient un feul & même individu, le mariage que
Marie-Catherine auroit contra&é en 1 7 6 4 feroit-il abfolument la preuve qu’elle n’en auroit pas contraélé un premier
avec le fieur Gromeau ? Ce font de ces évencmens trop peu
rares pour en nier la poiïibilité. Mais fans éclaircir ce myftere , il fera aifé de démontrer qu’à la faveur de cet a£le
de mariage controuvé, le fieur Gromeau ne peut enlever à
fa fille l’honneur de la légitimité.
Cette queftion de légitimité ne peut être jugée défini
tivement en ce moment. Il ne s’agit aujourd’hui que de la
maintenue provifoire en la pofleifion d’é ta t, & d’une provifion alimentaire. Comme cette provifion doit être d’autant
plus confidérable fi elle eft adjugée à une fille que la Juftice
préjuge légitime, il eft neccfiaire d’établir la légitimité de la
demoifelle Gromeau. On ne l’établiroit pas , qu’il n’y auroit
encore aucun doute que fon pere fût condamné à lui
�payer également une. provifion alimentaire ; fk. en définitif,
une dot quelconque pour fon établiffement , félon le rang
dans lequel il l’auroit élevée.
Les principes fur cette matiere ne font plus chancelaos.
L ’illuftre d’Agueffeau & le célébré Cochin les ont fixés
dans leurs Plaidoyers immortels, & la Cour les a confacrés
par fes Arrêts. La légitimité des enfans , d’après ces deux
grands Orateurs , peut s’établir par la feule poffeilion d’état,
ne fût-elle accompagnée d’aucuns titres. C ’étoit autrefois la
feule marque, la feule régie qui diftinguoit les hommes & les
citoyens entr’eux. Les enfans étoient élevés dans la maifon
cles peres & m eres, comme les fruits précieux de l’union
conjugale. Les rapports des différens membres d’une famille
fe confirmoient , fe reiTerroient de jour en jour par la
notoriété publique. C ’étoit enfin la poileffion feule qui fixoit
l’état des hommes -, c’étoit l’unique efpece de preuve qui fût
connue j & quiconque auroit voulu troubler cette pofleiïion,
auroit troublé toute l’harmonie du genre humain.
Quoique nos Légiflateurs aient ajouté un nouveau genre
de preuves à la pofleffion d’état, elle n’en eft pas moins encore
feule fuffifante pour fixer parmi nous l’état d’un citoyen.
Nos Ordonnances ont introduit l’ufage des regiftres publics *
ce genre de preuves n’ajoute qu’un degré de force à l’état
qui doit être établi dans la fuite par la poiTeffion. L ’auto
rité que forme le concours de ces peuves eft inébranlable j
quand celle de la pofleifion & celle des regiftres publics
fe prêtent un mutuel fecours, tous les doutes difparoiflent.
Le genre d’éducation, dans nos mœurs, eft encore une
preuve , ou au moins un indice violent de l’état légitimé
d un enfant. L a voix de la nature & celle du feutiment
B ij
�s’expliquent par leS circonftances de l’éducation j c’eft une
fécondé naiffance : la premiere eft la naturelle ; celle-ci eft
pour ainii dire une naiffance civile & fociale.
Que iî la négligence d’un pere refufe à fes enfans cette
preuve de leur légitimité , la loi ne les abandonne pas pour
cela ; la moindre déclaration, émanée de lu i, opere une
parfaite conviftion contre lui jufqu’à ce qu’il montre manifeftement qu’il a été trompé. Développons tous ces prin
cipes.
§. Ier.
Pojfejjlon d’état fondée fu r le titre primordial de la
légitimité.
Il n’y a point de peuple fur la terre chez lequel l’homme
foit affuré de fon origine, & de fa qualité de fils légi
time.-En vain les nations les plus civilifées ont-elles cher
ché une maniéré certaine de juger du véritable état des
citoyens ; c’eft un fujet qui n’admet que des conje£hires >
des préfomptions & des probabilités. Les Légiilateurs R o
mains ont pofé pour réglé que celui qui nait hors du
légitime mariage s’attache à la m ere, félon la loi de la
nature ( i ) ; de-là, ils ont préfumé que celui qui a été élevé
par fon pere eft légitime. C ’eft fur ce fondement conje&ural
que la poffeffion d’état s’eft établie.
Cette pqffeilion ainfi acquife, l’Empereur Titus voulut
quelle eût l’effet de re&ifier même les titres de la naiffance
quand ils étoient défeftueux, afin, que l’état des enfans n’en
—i
(1)
1
"■■■ 1
—
—
Lex naturœ hac ejl, ut qui nafcitur Jint légitima matrimtnio, matrtm fequaturi
Leg. 24, de ihtu hom, ff. Q.
tit. 5.
�13
pût être blefîe, y fuiTent-ils déiîgnés fous le titre d’efclaves ou de bâtards ( i ) .
La difpoiition teftamentaire de Lucitis Tititts , citoyen
Romain , fournit un exemple remarquable de la poiTeffion
d’état chez les anciens. Son teftament étoit conçu en ces ter
mes : « Si Aurelius prouve au Juge qu’il eftmon fils, qu’il foit
» mon héritier » . La queftion débattue par les Jurifconfultes,
le Juge difpenfa de la preuve ; Aurelius fut déclaré fils lé
gitime , & fuccéda au teilateur (2). Tel étoit l’effet de la
iimple poiTeffion d’état chez ces Légiilateurs.
C ’efi: auffi l’efprit de nos Loix & de notre Jurifprudence.
Chez une nation foumife aux loix de l’Evangile la fociété
n’eft pas intéreffée à nourrir des bâtards dans fon fein ,
elle l’eft beaucoup au contraire à n’y rencontrer, & à n’y
reconnoître que des enfans légitimes , pour l’exemple des
mœurs. Un pere q u i, de fon vivant proclame bâtarde fa
fille unique , fe couvre parmi nous de' honte & d’infamie ;
& fa déclaration n’eil d’aucun poids. La poiTeffion d’état
fuffit à fa fille , fans juitifier même de fon extrait de bap
tême , ni de l’a&e de célébration de mariage de fes pere
& mere.
« D e toutes les preuves qui affurent l’état des hommes
»>dit le célébré C ochin, il n’y en a point de plus folides,
»de plus puiffantes que celles de la poiTeffion publique.
» L ’état n’eil autre chofe que le rang & la place que cha» cun tient dans la fociété générale des hommes ; & quelle
» preuve plus décifiye pour fixer cette place que la poffef( 1 ) Imperator Titus Antoninus rtfcripjit non lotiï ftatum liberorum ob tenorem
injlrurncnti'malèconcepti, ff. deftat.hom. tit 5. i. 8. Godeftoy, fur cette lo i, ajoûte;
Ut fi fervi , fpv.nl apptllaù fint.
(2) Loi 83 , ff, dt eçnvic, €•' dtmonft.
�V ^ V14
» iion publique où l’on eft d’en occuper une depuis que l’on
» eit au monde ?
» Celui qui l’a en fa faveur n’eft point obligé de remon
t e r à d’autres preuves: elle tient lieu de tous les titres
» que les Ordonnances deiirent ; elle fupplée aux aftes de
» célébration de mariage , aux extraits baptiftaires, & à
h tous les ailes qui font ordinairement employés pour fixer
» l’état des hommes.
» Mais il ce principe eft ii néceflaire en lui-même, ajoute
» ce célébré Jurifconfulte , il devient encore plus facré quand
» on oppofe aux enfans qu’ils ne rapportent pas l’a&e de
» célébration de mariage de leurs pere & mere. La raifon
» décilîve eft que ce titre n’eft point perfonnel aux enfans.
» Les titres qui leur font propres font leurs extraits bap» tiftaires. Ils font obligés d’en juftifier , ou de fuppléer à
» ces titres eifentiels par d’autres aétes , ou papiers domef» tiques. Et ii tout cela leur manque, la poffeifion publique
» de l’état vient à leur fecours j mais il n’y a jamais eu ni
» Loi ni Ordonnance qui ait exigé qu’ils portent la preuve
»jufqu’à établir que la qualité de mari & femme prife par
» leurs pere & m ere, leur a appartenu légitimement. Elle
» feroit réduire très-fouvent les enfans à l’impoffible. Com» bien y en a-t-il qui élevés tranquillement fous les yeux de
» leurs parens, n’ont jamais penfé à demander où leur pere
» avoit été m arié, & qui interrogés fur ce point après la
» mort de leur pere , feroient abfolument hors d’état d’y ré» pondre ? Combien y en a-t-il qui ne favent pas même où
» leur pere demeuroit dans le tems de fon mariage ?
»Jam ais, s écrie plus loin. l’Orateur, on a porté l’inqui» fition à de tels exces ; on s’eft toujours repofé fur la foi
vpublique, dans toutes les circonftances où la légitimité eil;
�*>néceiTaire : jamais elle ne s’établit que par l’extrait baptif» taire de celui qui fe préfente. S’agit-il de recevoir un Ma» giftrat, d’ordonner un Prêtre ? Son extrait baptiftaire fuffit,
» & jamais on n’a demandé Pà&e de mariage des pere &
»mere. Pourquoi cela ? C ’eit que l’enfant dont l’etat eft
>>aiTuré parles titres qui lui font perfonnels , ne peut
» être obligé de rapporter les titres de fes auteurs ; c’eft que
» l’autorité des titres perfonnels de l’enfant & de leur exé»>cution , prouve par elle-même Pexiftcnce des titres de fes
» auteurs, quoiqu’ils ne foient pas rapportés ; ôc pour tout
» dire , en un m ot, c’eit que la pofleilion publique fuffit par
» elle-même «.
Ces principes ont été adoptés par une foule d’Arrêts. Le
premier eil celui d’André Dohin, que Cochin rapporte. Par
fon contrat de mariage avec Colette Raquelot, il lui avoit
fait une donation univerfelle de tous fes biens. A fon décès ,
fes collatéraux contefterent la donation ,' fur le• fondement
qu’il n’y avoit point eu de mariage. La veuve déclara le
jour où elle avoit été mariée en la paroifle Saint - Jacques
de la Boucherie.On confulta les regiftres qui fe trouvèrent en
bonne forme, & l’afte de célébration de mariage ne s’y trouva
point: cependant par Arrêt du 7 Juin 1 6 7 6 , fur la foi de
la poiTeiîion publique de femme légitime où elle avoit longtems vécu , fon état fut maintenu, & la donation confirmée.
On trouve au Journal des Audiences, tom. 5 , un fécond
Arrêt du 1 7 Janvier 16 9 2 , qui a jugé que l’enfant n’étoit
point obligé de rapporter l’a&e de célébration de mariage
de fes pere & mere, & que la preuve de la p o fle ilio n d’état
lui fuffifoit.
En 1 7 1 1 , le fieur Miotte , accufé de bâtardife , fut
déclaré fils légitim é, quoiqu’on ne pût rapporter l’aile de
célébration de mariage de fes pere & mere j mais il avoit
�t')l
*
Ï<V
vécu dans la poiTeffion de la qualité d’enfant légitime.
En 1 7 2 5 , Marie-Anne Porchet fut déclarée légitime par
Arrêt de la C o u r, nonobftant la Déclaration de 1 6 8 o , qui
déclaroit nuls les mariages des Proteftans avec les Catho
liques. Louis Porchet fon pere étoit dans le cas ; & l’on ne
rapportoit pas l’extrait de fon mariage , qui devoit avoir été
contra&é depuis la prohibition de la Loi. On le préfuma
antérieur, & l’état de l’enfant fut confirmé.
Qui ne connoît PArrêt deBourgelat, plaidant M e Cochin?
Bourgelat étoit fils d’un premier lit. Sa veuve demandoit à
partager la fuccefïion de fon beau-pere, avec les enfans du
Îecond lit. Ceux-ci foutinrent qu’il étoit bâtard ; on ne rapportoit point en effet d’extrait de mariage : cependant l’on
jugea que fans remonter aux titres primordiaux, la poiTeffion
publique de l’état du fils fuffifoit pour le déclarer légitime.
Appliquons ces principes. Un enfant vient de naître au
fieur Gromeau ; il s’empreffe de le faire infcrire fur les monumens facrés qui affurent en même tems fon entrée dans
le fein de l’E g life, & fa-place dans la Société civile. C ’eil
un pere qui s’applaudit, & reçoit cet enfant^ comme un gage
précieux de la fidélité conjugale.
Catherine -Vi&oire n’a d’autre afyle que la maifon où
elle eit née. Le fein maternel eil la fource pure où elle
puife la vie fous les yeux d’un pere qui s attendrit à ce
fpe&acle. L ’époufe s’occupe des foins de fon enfance : elle
d^cede ; fon époux la remplace, & fa fille ne ceffe d’être
l'objet de fes foins & de fes complaifances, comme le feul
gage qui pût adoucir la douleur que lui caufe la perte d’une
époufe chérie.
Le pnoment de l’éducation morale arrive. Le Sr Gromeau
conduit
�JO I
17
conduit fa fille unique dans une Maifon Religieufe, où elle
fe prépare à Te rendre digne de s’unir à ion Créateur par
la nourriture myftérieufe qui purifie l’ame 'des vrais Chré
tiens. Eniuite il s’occupe à embellir Tes qualités naturelles
par des talens agréables. Le deffin & la peinture n’cft,
dit-il, qu’un métier qu’il a voulu lui donner pour gagner
fa vie ; mais le fait dément cette aiTertion. La demoifelle
Gromeau a z 4 ans, & jamais elle n’a fait la moindre dé
marche pour faire connoître au Public fon talent dans ces
arts libéraux. Il y a même plufieurs années que fon pere lui
fit abandonner fes travaux fur cet o b jet, afin de porter
toute fon application aux foins de fa m aifon, dont il lui
donna le gouvernement.
Enfin il a voulu deux fois la m arier, comme fa fille lé
gitime -, & cette inculpation atroce de fille naturelle n’eil
que le fruit de l’imagination d’une intriguante qui eit venue
à bout de pervertir le cœur d’un pere. Faites un pas dans
le crime , vous êtes entraîné dans un autre. Infenfiblement
le fieur Gromeau s’eft laiiTé fubjuguer au point que l’intérêt
le plus vil l’a porté enfin à nier l’état de fa fille pour lui
ravir fes droits & fa légitime. Tel eft lVffet des pafiions
malheureufes qui fouvent dénaturent les cœurs foibles.
Mais avant que le fieur Gromeau eût reçu ces impreflions
funeiles, avec quelle force ne s’élevoit-il pas contre les
ferpens de l’en vie, qui jettoient leur venin fur fa fille unique ?
J ’attends 3 diioit-il, les canailles qui ofent fe pei mettre ces
propos infâmes. J e f uis en ¿tat de donner des preuves authen
tiques de la validité de mon mariage, lorfque les circonflances
£ les honnêtes gens Vexigeront. Donnez-les donc, malheu
reux pere 1 Ces preuves authentiques qui d o iv e n t rétablir
votre honneur & celui de votre enfant ! Les circonflances
C
�/
i8
l’exigent ! la Juftice vous en fait un devoir ! & ii vous êtes
fenfible à l’eftime des honnêtes gens & à votre propre gloire,
vous ne tarderez pas à défavouer votre impofture. Si vous
y perfiftez , vous ne recueillerez de votre crime que la
honte & le défefpoir j car les Loix vous condamnent. Ecou
tez le langage d’un grand Magiftrat.
« Quand un pere feroit coupable, dit M. d’AgueiTeau ,
» quand il auroit l’indifcrétion de s’accufer lui-même, il
» n’eft point l’arbitre de l’état & de la deftinée de fon fils.
» La Loi rejette fon témoignage, & les Arrêts n’ont jamais
» eu d’égard à ces vaines déclarations fuggerées par la co» lere ou l’intérêt, infpirées par la haine, toujours fufpeftes ,
» foit de la part de celui qui les fait, foit de la patt de
» ceux qui les écoutent & qui en rendent témoignage «.
Le témoignage du iieur Gromeau eft fu fp eft, puifqu’il
ne doit le jour qu’au befoin de fe défendre contre l’aftion
en reddition de compte de fa fille : il eft fau x, puifqu’il eft
démenti par fa lettre datée du i Septembre i 7 8 3. Voilà donc
l’époque du premier trouble que fa fille a éprouvé dans la
poiTeifion de fon é tat, fi toutefois l’on peut appeller trouble
des difcours étrangers émanés de gens que fon pere appelle
des canailles. Elle a donc vingt-trois années de poifeiïïon
publique de fille légitime dans la maifon paternelle, confir
mée par ld déclaration du fieur Gromeau lui-même, qui
l’avoit reconnue en 1 7 6 0 fur les fonts de baptême. O r, elle
ne peut être dépouillée de cet état par provifion ; & au
contraire, par provifion , elle y doit être gardée & main
tenue : fpoliatus ante çmnia rejlituendus ejl. Autrement, un
enfant élevé dans la maifon de fes pere & m ere, comme
le fruit légitime de leur mariage, courroit tous les jours
le rifque d’être dégradé.
�19
En matiere provisoire, l’examen des titres qui femblent
combattre la pofleffion publique, fe renvoie lors de la difcuffion du fond de la queflion. Ainii la demoifelle Gromeau
pourroit fe renfermer dans fa feule pofleffion d’état certifiée
par fon pere. Elle lui fuffiroit pour obtenir des Magiftrats
la provifion alimentaire, & la radiation des termes de bâtardife^ comme injurieux & diffamatoires. Mais des intérêts
aufïi précieux exigent que nous traitions la matiere dans
toute fon étendue, comme s’il étoit queftion d’une décifion
définitive fur l’état de la réclamante. Nous ne faurions trop
difîiper les nuages & éclairer la religion des Magiflrats : il
n’eft pas moins important de porter la lumiere dansTefprit..
du fieur Gromeau, afin de le faire-rentrer en lui-même.
Détruifons fa confiance aveugle ; arrachons-lui fans vio
lence , &; par la feule voie de la perfuafion, les armes qu’il
s’eft forgées, & qu’il regarde comme capables d’afTurer le
triomphe du crime contre les efforts de l’innocence.
§.
I I.
Que le titre de la naijfance de la demoifelle Gromeau n e jl
détruit par aucun titre produit, &-ne peut letre par aucun
témoignage.
Si la pofleffion d’état d’un citoyen étoit équivoque, le
titre primordial en répareroit les vices. Il viendroit au
fecours d’une infortunée qui feroit privée des avantages
d’une reconnoiflance folemnelle. Mais la demoifelle Gro
meau a non feulement la pofleffion publique & non équi
voque de fon état ; elle a encore le titre qu’exigent les
5
C ij
/
�Loix civiles ( i ) & nos Ordonnances pour affurer la légi
timité des enfans. Son extrait de baptême, du 3 Août 1 7 6 0 ,
porte que Catherine Calon fa mere , eft l’époufe du iieur
Gromeau : il étoit préfent à la réda&ion de cet a ft e , & il
l’a figné. Voilà donc une preuve folemnelle, authentique
& invincible de fa naiifance légitime.
Cette reconnoiiTance du fieur Gromeau lors du baptême y
fait naître une préfomption de fon m ariage, telle qu’on ne
peut recevoir de preuve du contraire. C ’eft une Jurifprudence établie par les Décrétales : prœfumptum matrimonium
videtur. Contra pmfumptionem hujufmodi non ejl probado'
admittenda (2 ).
. Nous avons vu plus haut que les enfans ne font point
aiTujettis à rapporter l’afte de célébration de mariage de
leurs peres & meres. Il n’y a donc plus rien à deiirer d’après
l’a&e de baptême de la réclamante.
« Il ne peut jam ais, dit C ochin , fe former une queflion
» férieufe fur l’état d’un citoyen , quand le titre & la pof» feffion font d’accord à fon égard.. . . En vain articuleroit» on alors des faits, & demanderoit-on la permiffion d’en
» faire preuve , on feroit néceifairement accablé par le poids ’
» de ces deux preuves réunies.'.. . . L ’autorité que forme le
» concours de ces preuves eft: inébranlable. La p r e u v e tef» timoniale n’efl: pas d’un poids & d’un caraftere qui puiife
» leur être oppofé : autrement, il n’y auroit perfonne qui
» pût être affuré un feul inftant de fon état, n’ayant pour
» garant de fon fort que les regiftres publics & la poifef*
» iîon <♦.
( 1) Voyez la Loi 2 , cod. de tijlibus, & la Loi 2 4 , ff. de probat.
( i ) Cap. j ç , extrà de fponfalibut & matri 71,
�/ ô /
1
Si l’on a quelquefois emprunté le fecours de la preuve ■
teftimoniale dans les queftions d’état, c’eft lorfqu’il y avoit
une contradi£Uon palpable entre la poiTeffion & les regiftres
1
publics ; parce que la vérité n’étant pas marquée à ces caraéleres dont les Loix exigent le concours, il faut fe prêter
à tous les éclairciiTemens qui peuvent la développer. Mais
quand le titre de la naiffance paroît, aucune preuve néga
tive n’eft admiffible. En cas de perte de regiftres publics }
les Ordonnances du Royaume ont voulu qu’on eût recours
aux regiftres & papiers domeftiques des pere & m ere, pour
ne pas faire dépendre l’état de citoyen de preuves équivoques
& dangereufes, telle que la preuve teftimoniale, dont l’in
certitude a toujours effrayé les Légiilateurs.
Les pere & mere eux-mêmes ne peuvent oppofer leurs
propres témoignages contre l’a&e de baptême de leurs
enfans. Envain diroit-on de la part du iieur Gromeau, que
l’on doit regarder la déclaration d’un pere comme un ju
gement domeftique, toujours également décifif, foit qu’il
foit contraire ou favorable aux enfans ; que les noms facrés
& de pere & de m ere, & la tendrefTe que la nature leur
infpire pour leur propre fang , ne femblent pas pouvoir
permettre que l’on doute de la vérité de leur fuffrage*. Que
ce fut par ces raifons que les Romains accordèrent aux
pères la puiffance de vie & de mort fur leurs enfans, Sc
les ont affranchis de la peine des parricides „ ne préfumant
pas que jamais un pere put abufer de fon autorité , &
rien faire contre l’honneur & l’avantage de fes enfans.
Ce fyftême étoit à la vérité celui d’une ancienne nation
de la Grece j la déclaration de la mere faifoit la loi fouveraine de l’état des enfans, & quoique l’autorité du perene fut pa,s fi grande, néanmoins l’on y déféroit.
"À
�Mais il eil faux que ces maximes aient été accueillies
par les Légiflateurs Rom ains, quoiqu’en dife Bodin dans'
fa république. On a vu des peres condamner à mort leurs
enfans pour le foutien de la difcipline militaire : mais aucun
pere n’a été le Juge Souverain de la naiifance & de la
légitimité de fes enfans. Nous voyons dans leurs L o ix, que
quelque déclaration qu’une mere ait faite contre l’état de
fes enfans, la vérité confervoit toujours fes droits ; on la
cherchoit par toutes fortes de v o y e s, même après le ferment
de la mere.
Voici en effet ce que porte la Loi 29 , ff. de probat. &
præfumpt. « Les preuves de l’état des enfans ne coniiilent
» pas dans la feule affirmation des témoins ; & même les
» lettres .qui feroient émanées des meres ne pourroient
» avoir aucune force de preuve contre leur état ( 1 ) » . r
La même Loi propofe cette queilion. « Une mere en» ceinte eil répudiée par fon mari ; accouchant en fon ab» fence , elle déclare fon enfant batard adultérin dans un
»âéle particulier j elle décédé enfuite ab intejlat. L ’on de» mande il fon enfant tombe dans la puiffance du pere, fi,
»de fon ordre, il peut réclamer la fucceffion de fa m ere,
» & ii la déclaration de la défunte, faite dans un mou» vement de fa colere, peut nuire à fon état. Le Jurifconfulte
»>Scœvola répond que non; & que la vérité a confervé tout
» fes droits ( 2 ) » .
[ed
( 1 ) Probatìones qua de filìis dantur, non in fola ajfìrmaiione ttflium confijlunt,
& epiJìoUs qua uxonbus mijfx allegarentut , f i de fide eatum confluii ,
nonnullam v ic m
inftrumtntorum obtinere decretum eft. Leg. 29 ff. de prob. S i
prajfumpt.
( i ) M ulìtr gravida repudiata . filiurn enixa abfente marito , ut fpurium in ailit
pròf i f a
e/l, Quafiium efl : an is in proteflate patris f i t , 0 maire inteflatà mortud.ì
�Jo ï
2y
' Non-feulement les pere & mere ne peuvent ôter l’état cle
leurs enfans ; mais même ceux-ci ne peuvent s’en tenir à
leur déclaration & abandonner leur état légitime dont ils
doivent compte à la fociété. Deux Princes d’Italie furent
blâmés d’ignorance & regardés comme des lâches pour avoir
abdiqué leurs Etats, par une déférence fotement fcrupuleufe,
pour la déclaration de leur m ere, qui en mourant avoit ‘
aiTuré qu’ils n’étoient pas enfans de fon mari. Qu’une mere,
au lit de la mort, expie dans le fein de la Religion , par
de triftes aveux, l’adultere qu’elle a commis; le repentir eil
légitime: mais qu’elle décide que le complice de fon crime
foit le pere de fes enfans plutôt que fon mari ; c’eft vouloir
pénétrer aveuglement le myftere impénétrable de la nature ;
c’eft juger fans néceifité & fans droit contre l’autorité des
Loix ( 1 ) ; c’eft bleifer les droits d’autrui, qu’il n’eft permis à
perfonne de compromettre. Et des hommes qui adoptent un tel
jugement d’une mere expirante font dans l’ordre civil ce que
des fuicides font dans l’ordre naturel. La demoifelle Gromeau
fe doit donc à elle-même, & elle doit à la mémoire de celle
qui l’a portée dans fon fein , & qui l’a nourrie de fon la it,
de foutenir le titre honorable de fa légitimité. Combattre
fon pere en pareil c a s, c’eft le refpe&er, le forcer à fe
refpefter, & non lui faire injure.
La Jurifprudence Romaine fur les déclarations des peres
& meres contre leurs enfans, nous a fervie de modele.
«Q u i ignore, dit l’Orateur françois ( 2 ) , que les parens
jujfu '¡u s f hcreditatem matris adîri pajjlt ; ntc otßt yrofcjjio à maire irrita ß S Jre/pondu : veritati locum' fuperfore.
(1)
Pater 6- quem nujpùm démontrant.
( a ) C ochin. Plaidoyer de B o u rg ela t, canoniit par un A rrêt notable^
�24
» ne peuvent détruire l’état de leurs enfans quand il eft une
» fois établi ? C ’eft un préfent de la nature, ou plutôt de
» la Providence dont ils ne peuvent difpofer; il eft vrai
» qu’ils en font les premiers témoins : mais quand une fois
» ils ont rendu ( comme a fait le iieur Gromeau ) un témoi» gnage éclatant à une vérité ii précieufe, quand ils l’ont
» confirmé par une longue fuite d’aftes, & par le fait public
» de l’éducation, il ne leur eft plus permis de varier : il n’eft
» plus tems, lorfqu’un fils eft parvenu jufqu’à l’âge de trente
» ans avec tous les honneur d’une naiflance pure , de vouloir
» le faire paffer pour le fruit de la débauche & de la cor» ruption. L ’état eft form é, la poÎfeiTion eft acquife, rien
» ne p e u t l’ébranler » .
« C ’eft un principe général, dit M. d’AgueiTeau, auffi
» convenable à l’équité naturelle qu’à l’utilité de la fociété
»civile: qu’un pere & une mere peuvent bien aiïurer par
» leur fufïrage l’état de leurs enfans, mais qu’ils ne peuvent
»jamais le détruire».
Ce principe a été confacré par une foule d’Arrêts ; nous
n’en citerons que deux, rendus fur les conclufions de ce
M agiftrat, les i 5 Juin 1 6 9 3 & 16 Juillet 1 6 9 5 . Dans
l’efpece du premier Arrêt, la mere étoit accufée d’adultere;
elle avoit avoué en Ju ftice, dans fon interrogatoire , que
fon fils ne devoit la vie qu’à fon crime * & néanmoins après
une déclaration fi authentique, on déclara l’enfant légitime;
èc pourquoi ? Parce que le mari n’avoit été abfent que trois
m ois, enforte que l’adultere de la femme n’empêchoit pas
qu’on ne pût penfer qu’il fût pere ; & parce qu’encore ,
comme nous 1 avons obfervé, la nature dans fes produétions
eft impénétrable aux etres meme dont elle employé les or
ganes fecrçts, comme des inftrumens dont elle fe fert pour
opérer
�25
.
^
opérer fes prodiges. Il ne fuffit pas même , dit le favant
Magiftrat , de prouver l’infidélité de la mere pour en
conclure que le fils eft illégitime. La Loi s’oppofe à cette
conféquence injufte ; & elle fe déclare en faveur du fils
par ces paroles fameufes fi fouvent citées dans ces ma
tières : non crimen adulterii quod mulieri objicitur, infanri
prœjudicat ; cum p o jjit & ilia adultéra ejfe, & impubes defunctum patrem habuijfe. ( L o i i i . §. 9. ff. ad leg. Juliam de
adulteriis. )
Dans l’efpece du fécond Arrêt, Firmin-Alexandre Delatre,
méconnu par fon pere, étoit né trois mois après le mariage.
Le pere prétendoit qu’il n’y avoit pas eu de confommation,
& qu’il étoit impuiffant. La mere étoit accouchée fecrétement
à l’infçu de tout le Public, & même de toute fa Maifon. La
Sage-Femme fit baptifer l’enfant, & le confia à une blanchiifeufe qui fut dépofitaire de fa deftinée. Aucun témoin,
ni parent, ni étranger n’avoit aififté au baptême ; il étoit fait
mention dans le regiftre que le pere étoit abfent; l’enfant
n’avoit aucune pofleflion d’état ; fa naiiîance feu le, trois
mois après le mariage du fieur Delatre avec fa mere, étoit
certaine. L ’on préfuma qu’il étoit le fruit de la fréquentation
du fieur Delatre avant fon mariage; on le jugea légitimé
par ce fubféquent mariage , malgré le defaveu du mari &&
fon impuiifance dont il offroit la preuve.
Y a - t - il la moindre préfomption favorable à l’état d’un
enfant? les Loix la faififfent. Eft-il poflible qu’il foit né légi
time ? Elles le déclarent tel j elles veulent que ce qui n’eft:
que poifible foit réel & pafle pour confiant. Chœf-d’oeuvrc
admirable de légiflation, ce principe établi par la fageife Sc
1 expérience humaine, eft le fondement le plus folide de la
tranquillité
du repos des familles. Il faut être bien aveuglé
D
�iio
I \ »,
.
16
par Ta vanité pour ofer prétendre renverfer un principe
auili précieux
la fociété civile.
Majs quand l’homme eft aiTez méchant & corrompu poui
s’élever au-deffus des mœurs , des bienféances & des lo ix ,
dans quels excès ne tombe-t-il pas ? Qu’on en juge par ce
trait de la défenfe de notre Adverfaire.
Il oppofe contre l’aéle de baptême de fa fille , l’afte de
mariage d’une Marie-Catherine Calon, q u i, le i 9 Novembre
1 7 6 4 , époufa le fieur Lacroix en l’Eglife Saint-Euftache.
« Voilà votre m ere, dit-il à fa fille : vous l’avez crue dans
» le tombeau dès votre plus tendre enfance ; elle couloit
» fes jours dans les bras d’un époux légitime dont elle a
» aujourd’hui plufieurs enfans. Si votre naiffance eût été le
» fruit d’une union contrariée aux pieds des autels, & non
» pas celui de ma fédu&ion & de mon libertinage, Marie» Catherine Calon , mon époufe, n’eût pas pu fe marier de
w mon vivant. Elle l’a fait ; donc vous êtes bâtarde ; donc
» votre afte de baptême eft fau x, & j’étois alors moi-même un
» vil fauffaire fur vos fonts de baptême, me jouant de tout
» ce que les loix & la religion ont de plus facré » .
» Qui vous a indiqué , ou communiqué cet extrait de
mariage de ma prétendue mere, répond la demoifelle Groîneau à fon pere ? Eft-ce cette époufe légitime du fieur La
croix que je n’ai jamais vue dans votre maifon, que vous
ne m’avez jamais fait connoître , & dont j’ai ignoré toute
ma vie le nom que vous n’avez jamais prononcé ? Quelle
relation avez-vous pu conferver avec une femme dont vous
dites avoir féduit & trompé la jeuneflc ? Après un laps de
tetns de vingt-quatre années , vous avez donc.été vous préfenter chez cette époufe légitimé d’un citoyen , & vous lui
avez propofé de reconnoitre fa prétendue foiblcfle, de cer-
�î?
tifier l'illégitimité de ma naiffance , & de vous donner une
arme contre moi ? Mais eft - il dans l’ordre des vraifemblances, que il véritablement cette femme étoit ma mere ,
elle eût eu pour ion fédu&eur une ii lâche complailance ;
qu’elle fe fût expofée à découvrir fa honte à fon époux ,
au public , & fur-tout à fes enfans ? L ’avez-vous trompé fur
l’ufage que vous vouliez faire de fon' afte de célébration de
mariage ? Eft-il dans fon intention de produire cet afte pour
prouver qu’elle n’a jamais été votre époufe légitime ? J ’ad
mettrai cette conféquence ; mais prétend-elle que je fuis fa
fille ? Non. Son a £ e de mariage , loin d’établir ce fait , le
dément. Elle y eft nommée Marie-Catherine Calon, ck mon
a&e de baptême porte que je fuis née de Catherine Calon,
rotre époufe. L ’identité des noms vous manque par un effet
de la Providence , qui démafque le crime. Vous rapporte
riez la déclaration de la dame Lacroix qu’elle me reconnoît
pour fa fille naturelle, les M agiftrats, dépoiitaires de mon
honneur & de mon état , ne pourroient l’en croire. Le
doux nom de mere feroit fans doute fait pour m’attendrir ôc
me faire voler dans les bras de celle qui prendroit ce pré
cieux titre : mais pourrois-jereconnoître pour mere une femme
que je n’ai jamais connue, qui n’a pris aucun foin de mon
enfance &■ de mon éducation, & qui ne m’a jamais donné
le moindre figne de maternité ? Pourrois-je traiter en mere
celle qui viendroit prêter fon nom à un pere qui me refufe
des alimens qu’elle ne m’offre pas? Celle qui ne fe feroil;
connoître que pour m’ôter l’honneur , l’exiftence civile &
la vie même? Ainii,malheureux enfant, je ne trouverois donc
dans les deux auteurs de mes jours que des tigres qui fe
preteroient un mutuel fecours pour me déchirer le fein &
me couvrir de honte & d’opprobre ! O douleur ! O défefD ij
�;t{
18
poir ! Ah ! je ne puis retenir mes larmes.."».. O vo u s, mes
défenfeurs & mes Juges ! Ayez pitiez de mon fo r t, fauvezmoi de ma propre foibleiTe.... Armée contre un pere qui
me fuppofe une mere , je tombe évanouie à ce nom refpe&able. Je pouffe des cris & des fanglots , je ne puis plus
me défendre.....»
Soutenez votre courage , fille infortunée 1la fenfibilité de
votre ame pourroit vous tromper & abufer la nature : l’il—
luiîon nous arrache des larmes tout ainii que la vérité. Cette
fauffe mere ne vous reclame pas. Attendez donc qu’elle parle
pour confulter votre cœur. Il n’eft pas tems encore de vous
abandonner aux mouvemens de la tendreffe filiale >de verfer
ces larmes délicieufes capables de vous confoler un moment
d’une naiffance illégitime: non, il n’eft pas tems de décider
cette grande queftion d’état & de maternité.
Si cette mere de famille vient vous réclamer & vous appeller au nombre de fes enfans, vous demanderez à la voir},
vous chercherez à reconnoître dans fes traks fi les vôtres n >
font pas confondus ; & fi la nature parle, vous entendrez,
fon langage , & vous obéirez à fa voix. Par un mouvement
fubit & réciproque , vous ne formerez plus alors qu’un
feul être par vos embraffemens ; car la nature ne fauroit
tromper. Ce témoignage de l’ame , ces mouvemens prcffés,
ne font pas de ces accens que fait entendre l’impoiture, ni
de ces preftiges que l’erreur enfante ; c eft la force de la
nature qui les produit : c’eft fa loi fuprême qui commande
& fe lait obéir. Ainfi vous feule pouvez diiïiper les ténebres
dont on voudroit obfcurcir votre naiffance; & vos Juges *
m uets, ne prononceront que quand la voix de la nature fe
fera fait entendre.
Que fi elle garde un profond filence, la loi civile ne
�f (3
29
pourra vous forcer à rendre hommage à celle que vous
n’aurez pu reconnoître. Les circonilances de votre état font
telles , que l’éclat de la vérité ne peut briller que dans votre
ame , & ne peut fortir que de votre propre conieffion.
Prenez bien garde que les loix rendent le titre de votre
naiiTance inébranlable ^ indeftru&ible, & qu’il doit provi
soirement & définitivement triompher d’un a£te de mariage
q ui , rapproché de votre a£te de baptême , n’annonce pas
que l’époufe du iîeur Lacroix foit l’individu de qui vous
tenez la naiiTance.
L ’Ordonnance de 1 6 6 7 , art. 7 , tit. 2 0 , a é t a b l i que les
baptêmes, mariages &fépultures feroient fixés par des regis
tres en bonne forme qui feront fo i & preuve en Jujlice. Chaque
a&e fait donc foi & preuve de fon contenu. Que prouve l’ex
trait de baptême de la demoifelle Gromeau ? Qu’elle eft née
de Nicolas-Jean-Baptifle Gromeau & de Catherine Calon fon
époufe. Eit-ce Catherine Calon q u i, le i 9 Novembre 1 7 6 4 ,
a époufé le fieur Lacroix ? Si le fait étoit v r a i , il ne détruiroit pas encore la poifibilité d’un premier mariage avec
le Sr Gromeau : & non feulement ce premier mariage feroit
dans l’ordre des poffibles ; mais il feroit réel & conilaté par
l’extrait de baptême de l’enfant ; les loix canoniques & ci
viles le fuppoferoint ; elles n’obligeroient pas l’enfant d’en
rapporter d’autre preuve ; les Arrêts l’ont décidé. Donc fi
. c’étoit Catherine Calon , mere de la demoifelle Grom eau,
.qui eût époufé le fieur Lacroix, ce dernier mariage ferot
.nul; les enfans Lacroix feroient des bâtards adultérins , &
la réclamante feroit le feul 'enfant légitime de Catherine
Calon , époufe du Jieur Gromeau , par la force de fon a&e
de baptême, auquel la foi feroit due, & qui feroit preuve
complette aux termes de la loi.
�Mais il eil démontré fa u x , par l’a&e môme de mariage
que Catherine Calon ait époufé le iîeur Lacroix : c’eil un autre
individu, qui porte à la vérité le même nom de famille Calon,
mais non pas le même nom de baptême. Marie-Catherine
n’eil pas le même nom que Catherine. La différence eil pe
tite à la vérité : mais qui ne fait que ce font ces petites &
imperceptibles différences qui diilinguent les perfonnes dans
la fociété civ ile, les peres d’avec leurs enfans mâles les
freres d’avec les freres, les fœurs d’avec les fœurs, les tantes
d’avec les nieces , & même les êtres étrangers qui portent
fouvent le même nom de famille. On connoit à Paris Jean
Lefebvre ,Je a n -B aptiße Lefebvre , Nicolas-Alex andre Lefebvre ,
8c Nicolas Lefebvre-. ces quatre perfonnages font abfoluinent
étrangers entre eux.
Pourquoi les Ordonnances du Royaume ont-elles prefcrit
l’établiiTement des regiilres dans les ParoifTes, & ont-elles
voulu que les noms des citoyens recevant le baptême & la
fépulture* & contraélant m ariag e ,y fuifent infcrits avec la
plus grande exaétitude ? c’eil pour aifurer fans confufion
l’état des hommes. Le nom de famille eil celui qui appar
tient à toute la ra c e , qui fe continue de pere en fils, &
pafle à toutes les branches. Le nom de baptême eil celui
qui eil infcrit pour différencier ceux qui font de la même
famille, & qui doivent fo r m e r différentes branches de l’arbre
généalogique. Si vous ne diilinguez pas Jean de Jean-Baptiile , Catherine de M arie-C ath erin e , les individus ne pour
ront plus être diilingués que par les figures & la poifeifion
d’état; & les regiilres publics fi néceilaires, fi fagement éta
blis , auxquels les Loix & les Magiilrats veillent avec un fi
grand fcrupule , loin d’être d’aucun fecours, ne feront plus
�31
s u
que des monumeus inutiles, incertains , d’où fortiront les
ténébres les plus épaiffes, qui répandront au loin Terreur ,
le trouble & la confuiion.
Nous pourrions rapporter ici une foule d’autorités &
d’exemples j mais la matiere nous meneroit trop loin dans
une caufe où il ne s’agit que de ftatuer fur la maintenue
provifoire en la polTeiTion d’é ta t, & fur une provifion ali
mentaire. Nous finirons cette partie'de notre difcuifion par.
une réflexion fimple qui va faire fentir que Fa&e de
mariage des fieur & dame Lacroix , produit par le fieur
Gromeau , ne peut être d’aucune influence , • fur-tout au
provifoire.
Il eil de principe que nul ne peut nuire à un tie rs, ni fe
mêler du droit d’un tiers. Or le fieur Gromeau ne peut pas
attribuer à la dame Lacroix un enfant qu’elle ne reclame
ni ne reconnoît. En vain lui attribue-t-il cet enfant ; fa feule
déclaration ne fuffit pas. Il faut favoir fi la dame Lacroix
reconnoîtra cette propriété, & la maternité criminelle dont
on l’honore. Eh 1qui fait fi cette femme calomniée ne rendra
pas plainte contre le fieur Gromeau en diffamation de fa perfonne ; & fi fon mari & fes enfans ne reclameront pas dans les
Tribunaux l’honneur d’une époufe & d’une mere , & la
vengeance qui leur eft dûe contre leur détra&eur. E h ! de
quel droit le fieur Gromeau va-t-il lever dans les dépôts
publics l’extrait de mariage du fieur Lacroix , pour venir
flétrir la réputation de fa femme & l’honneur de fes
enfans ?
Le fieur Gromeau eft non-recevable à argumenter d’un
titre qui ne lui eft point perfonnel, & d’où il ne peut faire
refulter que la honte 6c l’opprobre d’une famille étrangère-
�3*
La dame Lacroix n’ayant fait aucune déclaration , aucun
a v e u , & n’étant pas dans la caufe , on doit ignorer qui elle
eft. En attendant quelle s’explique ou qu’elle paroifTe, la
proviiîon eft due au titre de la demoifelle Gromeau ; elle
doit être maintenue en la poffeffion de fon état, & obtenir
fa proviiîon alimentaire.
Quand il fera queilion du fond de la caufe, on pourra
y appeller la dame Lacroix, pour déclarer fi elle reconnoît
Vi&oire-Catherine pour fa fille naturelle : alors nous établi
rons avec plus de force & d’étendue les grands principes
fur la différence des noms de baptême : alors nous décou
vrirons le complot, & alors s’élevera cette grande queilion
de la fauffe mere que Salomon décida fi ingénieufement.
Mais il y a lieu de penfer dès-à-préfent que le fieur Gro
meau fera défavoué, & ne recueillera de fa témérité que
le blâme des Magistrats, & l’indignation publique.
§.
I I I.
Que la provijion alimentaire ejl due , quel que foit l’état de
la réclamante.
Dans toutes les caufes d’E ta t, jufqu’à ce qu’elles foient
terminées , le pere eft obligé de fournir des aliméns à celle
qui fe dit fa fille , ne le fût-elle pas , pourvu cependant
qu’elle foit en pofleiîion de fa filiation. C ’eft un principe
confacré par une foule d’A rrêts, tous fondés fur cette ma
xime : qu’il vaut mieux que celui qui peut être un enfant
fuppofé , foit alimenté ; que celui qui peut être véritable,
meure de faim. Satins eft eum qui forte filius non eft, ali ,
quam eum qui forte filius eft , famé necari,
Au
�Au mépris de notre Jurifprudence , qui eft confiante fur
ce point, le iieur Gromeau foutient fa fille non-recevable
dans fa demande en provifion alimentaire fur ces trois mo
tifs: i ° . que fa fille eft bâtarde ; z°. qu’ayant été élevée
dans fa maifon jufqu’à l’âge de 2 4 ans , & lui ayant procuré
le talent de la peinture, il ne lui doit plus rien; 3 0. quelle
peut revenir dans fa maifon, prendre foin de fa perfonne
infirme , & qu’elle y trouvera la v i e , l’entretien & l’hon
neur.
Il eft d’abord faux que la reclamante foit bâtarde. Mais
fuppofons qu’en caufe définitive elle puiffe être déclarée
telle , ce que perfonne n’imaginera ; du moins quant à préfent elle a titré & poffeiTion de légitimité , que l’on ne peut
lui ôter par provifion. Or il s’agit uniquement de cette même
provifion : ainfi l’allégation de bâtardife ne peut pas mettre
d’obftacle à la demande des alimens provifoires.
Allons plus loin : la demoifelle Gromeau n’auroit ni titre
ni pofleflion de légitimité, elle feroit bâtarde , Si fon pere
un concubinaire, où feroit encore le doute fur les alimens ?
il eft de jurifprudence confiante au Châtelet , & dans les
autres Tribunaux du Royaume , confacrée par les Arrêts de
toutes les Cours Souveraines, que non-feulement les peres
naturels doivent des alimens à leurs enfans, & une dot pour
leur établiffement félon leur éducation primitive , mais
même^que les héritiers de ceux-là en font tenus, modo
emolumenti.
Dans la foule des Arrêts nous ne citerons que celui de la
Grand’Chambre du Parlement de Paris, du 1 7 Juillet 1 7 5 2 »
qui , en confirmant une Sentence du même Tribunal où la
deBioifelle Groîneau attend fon fo rt, a adjugé une penfion
�34'
alimentaire de $ 0 0 livres à la demoifelle Bonnièr , fille na
turelle du fieur Bonnier de la MoiiTon. Elle avoit été oubliée
dans le teftament de fon pere. Les héritiers ont été condamnés
à lui payer une fomme de 2 0 , 0 0 0 livres, payable lors de
fon établiffement.
2 0. Ce traitement, dit-on, n’efl: point dû à la demoifelle
Gromeau. Son pere lui a donné un talent dont elle peut vivre
honorablement.
Jamais le fieur Gromeau n’a été dans l’intention que fa
fille vécut du Deifin & de Ja Peinture qu’il lui a fait apprendre.
C ’eit au feul'titre d’éducation qu’il lui a donné des Maîtres
dans ces Arts agréables ; il l’a avoué lui-même dans fa propre
défenfe. « Je lui ai donné , dit-il , des foins & une éducation
» que le vice de fa naiffance ne la mettoit pas en droit d’exi» ger de moi » . Ce n’étoit donc pas dans la vue de lui pro
curer les moyens de fubfifter que vous lui donniez cette
éducation , fi peu faite , dites-vous , pour quadrer avec
le vice de fa naiffance. Si au contraire votre intention
étoit que cette éducation la mît en état de gagner fa v i e ,
comme une fille qui n’a ni parens , ni patrimoine , cette
même naiffance1 vicieufe exigeoit donc de vous cette utile
éducation ?
Quel efi le traitement ordinaire des enfans, dont la nai£
fance illégitime fait rougir leurs auteurs ? ce n’eil point dans
la maifon du pere qu’ils font élevés * ils fuivent l’état & la
condition de leur mere j c’eft à celle-ci que leur éducation eft
déférée. Le pere ne doit qu’une penfion alimentaire à l’en
fant , & quelquefois une indemnité confidérable à la mere,
ou des dommages-intérêts, félon les circonihnces. Elle éleve
alors fon enfant félon fa condition ; elle lui fait apprendre
un métier, ou lui donne un talent honnête, félon fes moyens.
�*»*—
t
3t
Que fi la mere meurt, ou l’abandonne , le pere alors en cil
chargé : mais ce n’eft point dans fa maiton qu’ordinairement
il éleve ion enfant naturel : il le met dans une peniion ; bientôt
par l’éducation vulgaire qu’il lui donne, il lui fait ientir le
vice de fa naiiTance, & l’éleve de maniéré à lui apprendre,
que quand il fera parvenu à un certain âge , il doit gagner fa
v i e , puifque nos Loix veulent que les bâtards n’aient ni
parens ni patrimoine.
Un enfant naturel ainfi élevé , pourvu d’un métier ou
d’un talent dont il efl en plein exercice, à l’âge de z 5 ou
3 o ans , pourroit bien n’obtenir qu’une légere faveur en
Juftice fur une demande en alimens, fauf pourtant la dot ,
qu’en cas de mariage & d’établiffement, un pere naturel d’un
état ordinaire doit à fon enfant.
Mais une fille , prétendue naturelle , élevée chez fon
pere: depuis fon berceau , comme une fille unique & légi
time , traitée avec toutes les attentions, les foins & le s égards
dûs à ces deux titres précieux , une fille à laquelle fon pere
a donné des talens agréables , fans jamais lui faire fentir
qu’elle en dût, un jour fubfifter ; qui a partagé les avan
tages de fon rang & de fa fortune ; qui avoit été accordée en
mariage à deux citoyens honnêtes que le feul caprice du S r Gromeau a éloignés ; une fille qui a tous ces cara&eres n'aura
aucun droit 1 c’eft un enfant de cette claife particulière qu’un
pere prétendra obliger de fe faire un état & une profeifion
publique des foibles talens qui ont fait partie de fon éduca
tion ! un art que la réclamante n’a pas pu perfe&ionner, par
foumiiTion à la volonté de fon pere , il faudra aujourd’hui
qu elle en vive 1fi le fieur Gromeau vouloit que fa filie profefsat le Deflin & la Peinture , il ne falloit donc pas, il y a
quatre ans , la priver de fes Maîtres 7 & l’employer au fervice
E ij
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continuel de fa maifon ( i ) . S’il prétend aujourd’hui qu’elle
reprenne les crayons , la palette & le pinceau , dont elle
ne rougiroit pas fans doute , qu’il lui donne donc les meubles
& effets qui étoient à fon ufage dans fa maifon, les moyens
de vivre , la provifion qu’elle lui demande , en attendant
que fes talens fe faffent connoître, & puiffent lui procurer
une fubfiilance honorable. Veut-il que fa fille aille implorer
des fecours étrangers , & proftitue fa perfonne dans un fiecle
corrompu ? « On tue fon enfant, dit la L o i , non-feulement
» lorfqu’on l’étouffe, mais encore lorfqu’on l’abandonne ;
» lorfqu’on lui refufe la nourriture, & lorfqu’on l’expofe dans
» un lieu public, afin qu’il trouve dans les autres une com» paffion , dont on n’a point été touché foi-même envers lui » .
Necare videtur non tantum is qui partum perfocat : fed & is
qui abjicit ; & qui alimonia denegat ; & is qui publicis locis
mifericordiæ caufa exponit, quam ipfe non habet. ( Leg. 4.
lib. 2 5. tit. 3 , ff. de agnofcendis & alendis liberis ).
3 °. Que ma fille revienne chez mo i , s’écrie le fieur Gromeau en fureur 5 elle y trouvera la vie, l’entretien, & l’honneur.
L ’honneur ! Eh ! déjà vous le lui avez ravi ! ou du
moins tous vos efforts y tendent. Une fille légitime ne peut être
contrainte à rentrer dans une maifon où l’on répand fur fa
naiffance des doutes honteux , & où l’infolence des valets
fe joint au mépris du maître.
D ’ailleurs , la reclamante ayant des droits à exercer
contre fon pere , ne peut être contrainte à aller vivre dans
( 1 ) Il avoit une cuifm iere, & un la q u a is ; il renvoya fa cuifiniere lorfque fa fille
eut vingt ans. Il ne vouloit voir fur fa table que ce qui ¿toit apprêté par les mains de
fa fille ; il en avoit le d r o it, car les enfans font les premiers ferviteurs du pere de
fam ille. L es domeftiques ne font que des aides qu’il veut bien leur d o n n e r, foit
pour alléger leur p e in e , foit pour les occuper de chofes plus importantes,
�’ 37
fa maifon. Jamais en pareille conjon&ure les Jugemens n’ont
forcé les enfans à aller recevoir les alimens chez leurs
parens. L ’incompatibilité *d’humeurs , par exemple , n’eft
point un motif légitime de' refufer d’aller vivre avec fon
pere ; cela eft jugé par un Arrêt du 2 7 Juillet 1 6 0 9 :
mais le choc des a&ions juridiques fur l’état & les intérêts
civils répugne à l’afyle commun.
Il eft encore d’autres motifs de féparation que nous
enfeigne le Jurifconfulte de la Normandie , cet oracle dont
les fages maximes retendirent tous les jours dans nos Tri
bunaux } & même aux pieds du Trône. »Les enfans , dit
» le célébré Houard , en recevant de leur pere même les
w alimens , ( nom fous lequel il faut toujours comprendre
» toute efpece de befoins, en fanté comme en maladie , )
» peuvent être contraints à réfider chez e u x , fi ce n’eft dans
>»le cas o ù , par exemple , les moeurs d’une fille ne feroient
»pas en fûreté avec une belle-mere débauchée , ou dans
» celui qui expoferoit un fils tendre & honnête à des violences
» de la part d’un pere barbare & injujle. »
Ce ne font pas feulement les injures atroces & la néceiTité d’exercer fes droits qui ont forcé la Réclamante de
quitter la maifon paternelle. Des traitemens ignominieux &
déteftables lui en ont fait un devoir j s’il eft v r a i , comme
on n’en peut douter, que tout être foit obligé de veiller à
fa fûreté & à ia confervation. Ces mauvais traitemens ont
été dépofés dans le fein des Miniftres du Roi & de l’Eglife.
La Juftice ne forcera pas fans doute une fille trop malheureufe à s’en plaindre ; elle les a oubliés. Le refus des ali-*
mens • n’a donc ici d’autre caufe que le plaifir inhumain
d affliger'l’innocence. ’
Réfumons , en peu de mots , les objets fur lefquels les
�3*
Magiftrats doivent prononcer dans cette caufe importante."
L a demoifelie Gromeau s’occupoit de fon émancipation
& de FaiTemblée de fes parens & amis , qu’elle vouloit
provoquer en l’hôtel de M. le Lieutenant C ivil , pour s’y
.faire, ¿nommer un tuteur à fes aâions immobiliaires , lorfque
la maladie qui fuivit les mauvais traitemens de fon pere
l’arrêta dans cette opération.
Si l’humanité foigna fes jours,, la charité chrétienne lui
fit ouvrir les portes d’un Monaftere pour faire ceiTer les
_difcours injurieux de fon pere, qui, loin de la couvrir de
fon manteau , lança contr’elle les premiers traits de la ca
lomnie. Il fe garda bien de fe rendre à nos inftances de
mettre lui-même fa fille au Couvent ; il fe feroit ôté le doux
plaifir de la diffamer & de fe venger. Mais on y a pourvu
fans fon fecours.
Elle s’eft vue dans la néceifité de former une demande en
proviiîon alimentaire. Le fieur Gromeau y a défendu par
l’atroce inculpation de bâtardife \ ce qui a donné lieu à la
demande incidente en la poffeifion d’état , par proviiîon.
Ainfi , maintenue provifoire en la qualité de fille légitime j
provifion alimentaire d’une fotnme de i 2 , 0 0 0 l i v . , ou de
telle autre qu’il plaira à la Juftice de fixer , félon l’état &
la fortune du iieur Gromeau , laquelle fomme doit être
employée non rfeulement aux alimens de la Réclamante ,
mais encore aux frais de pourfuite de fes a&ions juridiques ;
enfin , fuppreifion de termes injurieux , avec dépens. Tels
font les objets fur lefquels la Juftice doit ftatuer.
Il
ne s’agit point de juger définitivement la queftion
d’état. La caufe au fond n’eft point encore portée au
dégré d’évidence dont elle eft fufceptible ; car l’extrait de
fnariage de la dame Lacroix femble y répandre quelques
|£nçbres, qui nç tarderont pas ¿1 fe diiHper entièrement
�X ?3
à la tueur des inftruâions que le terns pourra procurer.
Quelle eft donc en ce moment la lîtuation critique &
touchante de la demoifelle Gromeau ? Que fes Juges dai
gnent la confidérer d’après le tableau qu’elle a trace ellemême à nos yeux attendris, dans fes initruéUons fur les faits.
Contrainte de combattre un pere qu’elle voudroit
défendre , d’expofer au blâme celui qu’elle voudroit ho
norer, fon cœur eft déchiré par les mouvemens- divers de'
la tendrefle filiale, 8c de la jufte colere qui vient troubler un'
ii beau fentiment, fans y porter pourtant aucune altération1
réelle. Le feu de l’indignation1 nuancé fon vifage.... furieufe
un inftant.... mais bientôt vingt années de foins ,-de bontés
& d’affe&ions vraiment paternels viennent tout - à - coup
émouvoir fes entrailles, & exciter f a v i v e reconnoiiTance.
Elle voit comme encore préfentes à fes yeux , ces
mains dHm* pere toujours pleines de ce qui pouvoif
flatter les goûts dé fon'enfance &T de fa jeuneiTe ; elle’
fe rappelle avec attendriffement1• cette générofité fansbornes , ces riens fi précieux qui font le charme
des coeurs vraiment uni s , & fur-tout cette aimable égalité
où un pere femble laifler flotter les rênes de fon autorité ,
& à1travers laquelle une fille fage TaiiTe entrevoir fon refpeft
& fa foumiflion.... Hélas ! qu’êtes- vous devenus, ô doux
inftians-de l’amour paternel ! ô précieufes années- de paix
& de félicité l
Fille fenfiblë'! cœur fublime & reconnoiflant ! vous
vous attendriffez encore : je vois-! vos yeux mouillés de
larmes vous brûlez d’aller vous abandonner à la pitié d’un
pere
de vous jetter dans fon fein!.... Allez ,. fi vous
.croyez trouver un pere 5. volez dans» fes; bras ; la Juftice
va fufpendre fes oracles..,. M ais, hélas î vous vous flattez
�40
envain : il eft un âge &: des fituations où l’homme eft im
placable ; fes fibres endurcies ne portent plus à l’ame ces
fublimes impreffions qui ne font faites que pour la tendre
jeuneffe , ou pour des coeurs privilégiés de la nature. Vous
ferez repouffée , malheureux enfant !
Ah ! dites plutôt avec le Roi Prophète : » Un lion raviff eur
& rugiffant s’eft jetté fur moi : le confeil des méchans m’a
» affiégée ; il ont déjà partagé mes vêtemens. Je vous implore , ,o mes Juges ! vous êtes mes défenfeurs dès le
» ventre de ma mere : ne m’abandonnez pas , car la tribu» lation eft très-prochaine. » E h ! ne fentons nous pas qu’elle
vous accable en ce moment même ? Le devoir , l’am our,
la nature & la loi font violés en votre perfonne ; les moeurs,
l’honnêteté publique , l’honneur perfonnel, ce bien le plus
précieux du citoyen , ce frein des gens de bi en, tout eft
bravé , tout eft facrifié pour vous perdre. L ’audace de vos
ennemis va même jufqu’à. porter la défolation dans une famille
étrangère, au fein de laquelle ils vous fuppofent une fauff e
mere ; s’ils la couvrent d’opprobre , c’eft afin qu’il rejalliff e
fur vous. Mais votre état eft confervé dans les monumens
publics : vous êtes fous la garde des Loix & des Magiftrats ,
& bientôt vos Juges apprendront à ces perturbateurs du repos
des familles, qu’ils ne peuvent fe jouer impunément ni de la
foibleffe des pupilles, ni de la majefté des Tribunaux.
S ig n é , C a t h e r i n e - V ic t q ir e
G ro m eau &
C a r lie r ,
curateur.
Monf i eur D U V A L , Rapporteur.
M e H U B E R T , Avocat,
C A R L I E R , Procureur,
À PARIS, chez P. G, SiMOM, & N. H. Nyon , lmp. duParl., rue Mignon, 1784
�
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Title
A name given to the resource
Factums Godemel
Relation
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Description
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Text
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Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. Gromeau, Catherine-Victoire. 1784]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Duval
Hubert
Carlier
Subject
The topic of the resource
successions
légitime
enfants naturels
refus d'aliment
abus de faiblesse
diffamation
maltraitance
faux
vie monastique
Description
An account of the resource
Titre complet : Demande en maintenue provisoire en la possession d'état, et provision alimentaire. Pour Catherine-Victoire Gromeau, fille mineure, procédent sous l'assistance et autorité de Maître Carlier, son curateur ad hoc, et pour ledit Maître Carlier au dit nom ; Contre Nicolas Jean-Baptiste Gromeau, intéressé dans les affaires du Roi, son père.
Annotations manuscrites.
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Chez P. G. Simon et N. Nyon (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1784
1783-1784
1774-1789 : Règne de Louis XVI -Fin de l’Ancien Régime
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
40 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G0809
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Paris (75056)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
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abus de faiblesse
diffamation
enfants naturels
Faux
légitime
maltraitance
refus d'aliment
Successions
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