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4»
MÉMOIRE A CONSULTER
E T
CONSULTATION
PO UR dame F l e u r i e t t e - L o u i s e - F r a n ç o i s e
D ’A R G O U G E S , veuve d’Antoine-Philippe
de la Tremouille-Talmond;
CONTRE le Directeur de la Régie de l’Enregistrement et des Domaines.
M a r i e - S uzan n e - F rançoise d 'A rgou ges mourut à Paris le
9 brum aire an 2.
Son héritière fut madame de Talm ond , qui accepta la suc
cession , prit qualité dans l’inventaire fait à sa requête, et se
trouva dès lors en possession, de droit, des biens héréditaires.
'
�[
( 2 )'
Elle acquit également la possession de fait de ces b iens, nonobs
tant son inscription sur la liste des émigrés.
Madame de Talm ond avait en effet réclamé contre cette ins
cription aussitôt qu’elle en avait eu connaissance. Les motifs
qu’elle fit valoir furent d ’une évidence si frappante , qu’elle ob
tint sa radiation provisoire dans le mois de vendémiaire an 4Mais l ’injustice de son inscription était tellement notoire,
que l ’on n’avait mis aucun séquestre sur les biens de madame
d ’Argouges.
Sa radiation provisoire confirma sa possession de fait -, elle
continua sa jouissance.
L a loi du 19 fructidor an 5 l ’obligea de sortir de F ran ce,
'p a r suite de la mesure générale qui'atteignit tous les prévenus
d’émigration sans distinction.
L e séquestre fut alors apposé sur tous ses biens , en con‘ formité de la circulaire du ministre des finances, du 27 fruc
tidor ; alors seulement les immeubles de la succession de ma
dame d ’Argouges furent frappés du séquestre.
»
Parmi ces immeubles se trouve la terre de Mézières , située
dans l’arrondissement de Blanc, département de l ’Indre.
L e fondé de pouvoir de madame de Talm ond n’avait point
fa it, dans le tem s, la déclaration prescrite pour le paiement
des droits de mutation -, et les orages révolutionnaires , h la
suite desquels il p érit, l ’en empêchèrent vraisemblablement.
Madame de Talm ond ignorait cette omission , e t , pendant tout
le teins qu’elle a joui de ses b ien s, la régie des domaines
n ’a fait aucune démarche pour l ’en avertir.
Par l’effet du séquestre , le préposé de la régie a administré
ses propriétés , pendant environ trois ans, sans faire lui-même
cette déclaration.
L a radiation définitive de madame de Talm ond ayaut enfin
�•***
(3)
été prononcée, elle'est rentrée en possession le premier flo
réal an 8.
C'est depuis, après sept années d ’un silence absolu, et sous
la date du g frimaire an g , que la régie des domaines a dé
cerné contre madame de Talm ond une contrainte de ig , 4 i 9
fr. , pour le droit simple résultant de la déclaration à fournir
pour les biens de la succession de mademoiselle d’A rgouges,
situés dans l’arrondissement de Mézières.
Cette contrainte a été visée par le juge de paix de M ézières,
le x x frimaire an g.
L e même jour , elle a élé signifiée au domicile de madame
de Talm ond à C orbançon, avec commandement.
Le
du même m o is, nouvelle contrainte pour la même
somme et le mèjne objet.
L e x4 , visa du juge de paix de Mézières.
L e 3 nivôse suivant, signification au domicile de madame
de Talm ond à Paris.
L e 6 germ inal, elle a formé son opposition motivée. Toutes
poursuites de la part de la régie ont resté suspendues jus
qu’au 2 germinal an io.
A celte époqu e, madame de Talm ond a été cités devant le
tribunal de première instance de Blanc / en déboutement de
son opposition.
La régie a même , par son exploit, amplié sa demande
primitive ; elle préleud aujourd’hui faire condamner madame
de Talm ond au paiement du demi-droit en su s, et en con
séquence, au liou de i g ,4.19 fr. , elle réclame la somme de
a 7 ,186 fr.
Jugement par défaut , ajljudicatif des conclusions prises par
la régie, sous la date du iG lloréul an xo.
�( 4 )
Opposition à ce jugement d e l a rpart de madame d e-T a lmond.
L ’instance est liée , et il s’agit de faire prononcer.
Madame de X’alinond oppose à la demande de la régie deux
fins de non-recevoir établies sur la prescription que la loi pro
nonce , et quo la régie a encourue.
L a loi du 22 frimaire an 7 contient sur ce point des dispo
sitions précises. L ’article 6 est conçu en ces termes :
« Il y a prescription pour la demande des droits, après cinq
années , ¿1 compter du jou r du décès pour les successions nondëclarëes.
« Les prescriptions ci-dessus seront suspendues par des de« mandes signifiées et enregistrées avant l ’expiration des délais.
< Mais elles seront acquises irrévocablem ent, si les poursuites
« com mencées sont interrompues pendant une a n n é e , sans
«. f/u’il y ait d'instance devant les ju g es com pétèns , quand
« môine le premier délai pour la prescription ne serait pas ex« pire. »
On soutient que la régie a encouru la déchéance de son
action sous ce double l’apport.
D ’une p a r t, le droit de mutation était ac juis à compter du
jour du décès de mademoiselle d ’A rgou ges, époque de l ’ou
verture de la succession.
O r , du 9 brumaire an 3 , au 9 frimaire an 9 , il s'est écoulé
s ix ans et onze mois. La prescription de cinq ans était donc
acquise..
D ’autre part , la régie a même encouru la déchéance irré
vocable de son action, en ne faisant aucunes poursuites sur
�4 V
(3)
son commandement du 12 frimaire an g , et en laissant éconlev ,
depuis cette cpocjue jusques au 2 germinal an 1 0 , date de sa
demande ju d iciaire, un délai de quinze mois et vingt jours ,
c’est à dire trois mois et vingt jours au-delà du terme ilxé
par la loi.
Les dispositions de la loi sont trop précises pour étrç mé
connues.
Les faits sont certains, et ne peuvent ctre désavoués.
L ’exception proposée mérite toute la faveur duc à un moyen
légal , qui tend à repousser une action rigoureuse , et en faveur
d ’une mère de fam ille, déjà trop infortunée, à qui, les évène*
mens de la révolution ont enlevé les objets les plus chers, à
son cœ u r, une fortune considérable, le repos qui la fuit de
puis dix a n s, l ’espoir même d ’une existence conforme à scs
habitudes et à ses. besoins.
A ces principes , à ces faits et à ces considérations , la régie
oppose , pour toute défense , que la prescription a été inter
rompue par le séquestre apposé sur les biens de madame de
Talm ond, Supposant que ce séquestre aurait opéré la confis
cation des b ien s, elle soutient que le receveur du domaine
n’a pu faire une déclai'ation sur des biens acquis à la nation
et qui n’ont appartenu à madame de Talm ond que depuis sa
radiation définitive.
L a régie n’a proposé encoi’e aucun moyeu de défense sur la
déchéance qu'on lui oppose.
C ’est en cet état de choses, d ’après les faits et les moyens
réciproquement allégués, que madame de Talm ond dçmaude
l’avis de ses Conseils.
�I
( 6)
CONSULTATION.
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V u ' le mémoire ci-dessus et les pièces y jointes,
L E COIS S El L SOU SSIG N É estime que la résistance de madame
de Talm ond aux prétentions de la régie est fondée sur des moyens
de droit et sur des considérations extrêmement favorables. L e
texte précis de la loi du 22 frimaire an 7 justifie les fins de
non-recevoir qu’elle oppose , et ne peut être éludé par les faits
dont on cherche à so prévaloir.
Discutons séparément les deux moyens.
Quant au premier , il est incontestable ,
En principe , que la régie encourt la déchéance pour le
paiement des droits de m utation, après cinq ans , à compter,
du jour du décès.
En fa it, qu’il s’est écoulé plus de cinq ans depuis le décès
de mademoiselle d ’Argouges jusqu'à l ’époque du premier
commandement.
La ré"k‘ ne peut nier le principe.
Elle n’échapperait à son application qu’en prouvant qu’il
11e s’est pas écoulé cinq ans depuis le moment où il y a eu
ouverture au paiement des droits.
C ’est ausii là le but de scs efforts.
�4**
(7)
Son système se réduit à confondre l'époque à laquelle il y
eut ouverture au paiement des droits par le décès de made
moiselle d ’ A rgougcs, et par la translation de la propi’iété sur
la tête de l ’iiéritière , avec l ’époque où madame de Talm ond
a été irrévocablement maintenue dans son titre de propriété.
Suivant ce système , le paiement des droits a dû avoir lieu
non à l ’époque du décès , mais à l’époque où H iérilier a été
définitivement rayé de la liste des émigrés.
L a régie le prétend a in si, parce qu’elle suppose que l ’ins
cription sur la liste a dépouillé madame de Talm ond de ses
biens pour en investir la nation.
D ’où l ’on conclut que les droits n’ont pu cire payés à la na
tion par ses propres agens, et qu’il n’a été, dès lors , nécessaire
de faire des poursuites qu’au moment où la nation s’est désinvestie de ces propriétés pour les céder à madame de T a l
m ond, réintégrée dans ses droits politiques et civils.
L e résultat de cette prétention est de faire établir
Que la prévention seule d ’émigration a opéré la confisca
tion •,
Q u’elle a dépouillé de leurs biens les propriétaires l’éputés
émigrés , malgré leurs réclamations solem uelles, leur radiation
provisoire , et l’adoption définitive de leurs réclamations.
Que la restitution des biens aux prévenus d ’émigration étant
un acte spontanée de bienfaisance, non un acte rigoureux et
indispensable de justice, les droits de l'émigré ne peuvent
commencer qu’à l'époque où la restitution a été consentie par
un acte public et irrévocable.
T o u t est erroné dans ce système , et principalement dans
l ’application que l'on veut en faire à la consultante.
Les faits particuliers de la cause la repoussent.
Les principes s’élèvent contre une prétention opposée aux
�(8 )
premières règles de la m orale, de l'équité , d ’une sage poli
tiq u e, et. aux dispositions littérales de toutes les lois rendues
sur la matière.
i°. Et , d’abord , il n’est point exact de dire en fait que
madame de Talm ond n’a été investie de ses droits et de sa
propriété q u ’à l ’époque de sa radiation définitive.
Il est certain , au contraire , que la propriété des biens lui
a été transférée par tous les moyens qui pouvaient en opérer
la transmission et la consolider.
A u jnoment di,i décès , elle appréhende la succession par
les actes q u i, suivant l’usage, investissent l ’héritier , constituent
son acceptation , consomment la m utation, et rendent le suc
cesseur passible de toutes les charges d ’une hérédité , eu même
tems q u ’ils lui en acquièrent tous les avantages.
Ces actes sont la réquisition du scellé, la confection de l ’in
ventaire, l ’acceptation expresse de la qualité d 'h éritière, la
prise de possession des biens de la succession.
Ces actes sont de telle, nature, ils sont si bien constitutifs
du droit de propriété, ils sont tellement irrévocables , indépendans des évènemens u ltérieurs, personnels à l’héritier, et
favorables aux tiers, que , dans aucun tems , madame de Tâlmond ne serait admise à répudier l ’hoirie qu’elle a ainsi ac
ceptée •, qu’elle est pour toujours tenue des dettes •, qu’elle n’eût
pas été admise à délibérer à l ’époque de sa radiation défini
tive -, qu’elle ne pourrait argumenter de l'interruption qu’elle
a éprouvée dans sa possession; en un m ot, que ses.droits et
ses obligations prennent leur source dans la transmission pri
mitive et réelle qui s’opéra à son égard au moment du décès
de mademoiselle d ’Argouges.
T o u t a concouru d ’ailleurs à confirmer cette investiture de
propriété.
�(9 )
Depuis le 9 brumaire an a , jusqu’en l ’an 6 , la terre Je
Mézières n’est point mise sous le séquestre^ quatre ans s’écou
lent sans que la possession de la consultante soit troublée.
Sa radiation provisoire , prononcée au mois de vendémiaire
an 4 , consolidé sa jouissance.
Dès 1793 , le ministre des finances avait défendu l’aliénation
de ses biens séquestrés. Cette m esure, que l ’on a malheureuse
ment meconuue pour ses biens propres , dont une grande.partie
a etc aliénée, nonobstant les défenses/indique assez l'opinion
q u ’avait l’autorité de l ’injuste prévention d ’émigration qui
pesait sur sa tête.
Cette mesuré m ettait, à plus forte raison, hors de la main
mise nationale les biens qui n’ avaient pas même été frappés
du séquestre.
'
jt.
El s i, en l ’an 6 , par suite de la mesure générale prise envers
tous les prévenus d ’émigration, les biens provenant de la suc
cession d ’Argouges furent compris dans le séquestre, la lettre
du ministre des finances , du 27 fructidor an 5 , qui provoqi a
cette formalité , annonça suffisamment qu’elle n’était que pro
visoire , momentanée, et à litre purement conservatoire.
Observons en passant qu’elle devait l’être , d ’autant plus que
nulle disposition de la loi du 19 fructidor an 5 ne l ’avait
ordonnée à .l’égard des prévenus porteurs de radiation provi
soire , et que cette disposition, purement ministérielle , déjà in
compétente et hors du cercle des attributions du m inistre, n’a
jaïnais pu acquérir la force et la stabilité d ’un acte législatif.
Peut-on dire , lorsque des faits de cette espèce sont constatés,
que madame de Talm ond n’a été investie de sa propriélé que le
premier floréal an 8 ? E li! comment pouvait-elle l ’être pour
que la transmission s’opérât d’une manière plus certaine, plus
solem uellc, plus légale? Eùt-elle été autrement investie de ses
a
�d ro its, et posséderait-elle à tout autre titr e , si le séquestre
n’eût jamais éié apposé sur ses biens? Lui contesterait-on au
jourd’hui sa qualité d ’h éritière, son acceptation form elle, son
investiture de d r o it, et sa possession de fait ?
Les évènemens ultérieurs ont pu troubler sa jouissance , mais
ils n’ont pu effacer un fait positif. Ce qui a existé peut cesser
d ’ètre ; mais rien ne peut ’aire que ce qui fut n ’ait pas existé.
E t , dès lors , tout ce que l ’on peut d ir e , c’est que la posses
sion de madame de Talm ond a été interrompue-, que son droit a
été suspendu ; qu’il lui a été momentanément ravi pour lui
être rendu ensuite ; qu’elle a été privée des biens de la suc
cession d’A rgouges, comme elle l’a été de ses biens personnels,
dont on ne peut pas soutenir que la propriété ne lui fût plei
nement acquise avant le séquestre.
Cela étant, le tems de la déchéance a nécessairement couru
au préjudice du fisc*, et pour le dém ontrer, il nous reste à éta
blir que l ’apposition du séquestre n'a pu suspendre la prescrip
tion. C ’est le moyen principal de la légie qu’il faut attaquer
dans sa b ase, et dans toutes ses conséquences.
2°. Dans le système de la régie , la déchéance ne serait
point encourue , parce qu’on suppose que la nation a été pro
priétaire des biens de mademoiselle d ’Argouges jusqu'au
premier lloréal an 8 , époque de la radiation do madame de
Talm ond.
Nous disons , au contraire , que la propriété et la possession
de madame de Talm ond ont pris leur date au moment du décès ;
mais ou ne peut disconvenir que cette possession a été inter
rompue de fait pendant le séquestre.
L a question se réduit alors à savoir si le délai de la dé
chéance n'a commencé qu’après la main levée du séquestre,
ou si l’apposition intermédiaire du séquestre a interrompu les
�•M l
( ” )
délais -, si madame de Talm ond n ’a jamais acquis la pro
priété , ou si elle en a clé dépouillée par l’effet de la mesure
qui lui en a enlevé momentanément la possession.
'
Sous les deux rapports , la question est la même -, il s’agit tou
jours de savoir si la main mise nationale sur les biens d ’un pré
venu d ’émigration est une véritable confiscation.
Nous sommes bien loin de le croire; et pour démontrer le con
traire , il suffit d’exposer les principes reçus de tous les tems sur
les confiscations, les dispositions des lois relatives aux émigrés ,
la jurisprudence établie sur ce point contre la régie , la propre
opinion de la régie elle-même, manifestée par la conduite de scs
agens.
D ’après les principes, il ne peut y avoir lieu à confiscation
qu’autant qu’il y a prononciation d ’une peine contre le coupable,
emportant mort civile.
O r , il est constant que la mort civile n ’a lieu qu’au moment
de la condamnation prononcée et exécutée , ou après les cinq
ans de la contumace. C ’est cc que nous attestent tous les auteurs ,
et notamment Le prêtre , cent, i , cliap. 84 ", Lacoinbe, en ses
matières crim inelles , part. 1 , n°. 24 ; et Lebrun , T ra ité des
S u ccessio n s, liv. 1 , chap. 1 , sect. 3 , qui rapporte à ce sujet un
arrêt soleinncl du parlement de Paris , du 24 mars i 6 o 3 .
)
On connaissait bien , dans la jurisprudence française, des
cas où la morl civile était encourue par le seul fa it, lorsqu’il s’a
gissait, par exemple ,.des crimes de lèse-majesté , de d u el; de
parricide , etc. On pensait, à cet é^ard, non que la conviction et
le jugement ne fussent toujours et dans toutes les circonstances
d ’absolutinécessité, mais seulement que l’accusé étant convaincu,
les effets de la mort civile remontaient au jour où le crime avait
�( 12 )
été commis, et que la mort iüême (lu coupable ne pouvail le sous
traire à un jugement.
De là , cet!e maxime établie par Loyscau , en son T raité des
O ffices , liv. i , cliap. i 3 , n°. 5 o .• qu ’en France nul n ’est in
fâm e ipso jure •, mais c ’ est une règle "endraie que tout ce
qui avait heu ipso facto , et ipso jure au droit romain , re
quiert à nous sentence de'claratoire.
D e là , les règles éïablies par l'ordonnance de 1670, titre 2 2 ,
poxir.faire le pi’ocès au cadavre ou à la mémoire de l'accusé d'un
crime capital.
Ces principes sont fondés sur les premières inspirations de l ’é
quité naturelle , consacrée par le droit positif. Une accusation
ne peut jamais opérer l’eiFet d ’une conviction légale. Le soupçon
qui peut atteindre avec une égale facilité et le criminel que la no
toriété publique accuse, et l ’innocent que la haine , la calom nie,
et des indices trompeurs peuvent injustement diffamer ; ce soup
çon , qui provoque les recherches, qui appelle la justification, qui
autorise les rigueurs , qui nécessite un jugem ent, n’est pas luimême un titre absolu de condamnation, et par conséquent un titre
de peine.
Aussi voyons-nous que toutes les lois ont protégé , avec une
égale sollicitude , le maintien de l ’ordre public et l ’élat civil des
citoyens. Elles poursuivent l’accusé , mais elles ne flétrissent que
le coupable. Elles impriment à l’opinion définitive du magistrat
le caractère d elà vérité, mais elles autorisent lon^-’. emsle doute.
L e jugement môme reste sans effet, si l ’accusé meurt avant son
exécution. L ’absence du coupable appelle aussi dos mesures d ’in
dulgence , et le tenis que la loi lui donne pour se représenter et
sc défendre appartient tout entier aux présomptions de l'inno
cence.
�, ( ,1i 3 )
Ce sont les mêmes principes de raison et d ’iiumanilé qui ont de
tous les tems ré.,i les questions relatives aux coniiscations.
L à législation romaine a'jsur ce po^nt des règles que nous
avons adoptées , comme les érhànations de la sagesse , qui fit ap
peler le droit romain la raison écrite.
Un accusé était absent : ses biens étaient annotés : mais s’il se
représentait, et était absous , ses biens lui étaient rendus. L . i ,
et 5 fTT. de requir. v e l absent. damnai. — h . i , a et 4. — Cod. de
requir. reis.
,n
1
Pendant cette main mise de l ’autorité publique, tout était en
suspens ; et bien loin de considérer cette'mesure comme une
pein e, la loi ne la présentait elle-même que comme une invitation
à l ’accusé de venir se justifier : Cu n absenti reo , nous disent les
lois, gravia crimina intentantur, sententia festin a rin o n s o lc t,
sed annotari, ut requiratur , non utique ad pœ nàhï , sed ut
potestas c i sit purgandisc', si-potuerit.'
Aussi conservait-il tous les caractères du citoyen et du père de
famille pour les biens dont le fisc ne s’était pas donné l ’adminis
tration.
Aussi, la prescription , qui ne peut jamais avoir lieu lorsqu’il
s’agit d ’une confiscation absolue , avait-elle lieu pour les biens
sujets à Y annotation, et que le fisc n'avait pas revendiqués,
ainsi qu’on le recueille de la loi 2 , § 1 , cod. de requir, reis.
Cette annotation n’était que l ’eflet de l'absence , et ne précé
dait jamais la condamnation , quand l’accusé se présentait pour
se défendre.. Dans ce cas , la loi lui laissait l’administration de
tous ses biens : ni reatu constïtutus bona sua adrninislrare po
te si' ; eique debitor rectè bond fu ie j olvit. — L. 46 , § 6 , ff. de
ju re fisci.
|
¿Tous «es actes étaient valides à l ’égard des tiers.
�( *4 )
L e débiteur se libérait valideraient en ses mains. L . 4 *, ff. de
solut.
L e créancier avait le droit de le ppursuivre. L . 4 ^ , ff. cod.
Ces maximes ont é té , comme nous l ’avons d it, adoptées par
notre jurisprudence, et appliquées surtout aux confiscations.
Il a toujours été l'eçu parmi nous que la confiscation n ’était
acquise d ’une manière définitive et irrévocable qu’en vertu d ’une
condamnation prononcée et meine exécutée , tellement que les
biens du condam né, mort dans le teins intermédiaire à Ja pro
nonciation et à l’exécution , n ’étaient point soumis à la confisca
tion. C ’est ce qu’ont jugé les arrêts rapportés par Larocheflavin ,
liv. 6 , titre a 3 , art. 5 , et par M eyn ard, ltv. 4 t cliap. 52.
L ’article 28 de l ’ordonnance de Moulins , en déçlarant le con
dam né, par jugem ent, dépouillé de ses biens, voulait cependant
que les cp\iiiscataires ne pussent en. disposer pendant les cinq ans
de îa contumace. Alors seulement, et après l ’expiration de ce délai,
la propriété était consolidée dans leurs mains.
L ’ordonnance de 1G70 a été plus loin encore :
L ’article 3o du titre 17 veut que, pendant les cinq ans de la
contumace, les.confiscataircs se bornent à percevoir les fr u it$ et
revenus des biens des condamnés, et n e puissen t s'en mettre en
possession.
Par l’article 3 i , le législateur s’interdisait à lui-même le don
de tous les biens confisqués pendant le même délai.
E t , enfin , l ’article 3 a veut qu’après le délai de la contumace
les confiscataires 11e puissent se mettre en possession effective des
biens qu*après s*être pourvus en ju stice pour en obtenir la per
mission , et après avoir fait faire un procès-verbal de l ’état de
tous les biens confisqués.
Notre législation a môme été sur ce point plus indulgente que la
loi rom aine, qui maintenait la confiscation, après l ’exp rU u m
�( 15 )
du délai d ’un an , lors même que l ’accusé parvenait à se faire
absoudre , post sententiam latam et cinnam, in pcenam contumacice.
Mais de toutes ces lo is, dont les différences sont peu impor
tantes à relever i c i , résultent ces points certains et fondamen
taux pour toutes les législations d ’un peuple sage , humain et
éclairé:
Q u ’il ne peut y avoir de mort civile sans un jugement ;
Q u’il ne peut y avoir lieu à confiscation sans qu’il existe de
mort c iv ile ,
E t , par conséquent, sans qu’il soit intervenu un jugement qui
applique celte peine.
C ’est ce que Loyseau nous atteste dans son T ra ité des Offices,
liv. 1 , chap. i 3 , n°. 92 et suivans.
1
C el auteur, examinant ’toutes les questions relatives à l ’accu
sation qu’on peut intenter contre un officier, soutient que nonseulement la confiscation de l ’oflîce 11e peut être que la suite
du jugement , mais il nous donne aussi pour maximes :
i°. Que la suspension même de l ’officiér pendant l ’accu
sation n’entraîne pas note d]infam ie, e t , à plus forte raison ,
privation des droits civ ils , dans lesquels il faut mettre au pre
mier rang le droit de propriété;
3°. Que l ’infamie résultant d’une amende 11e résulte pas de
la peine en elle-même , mais de la conviction acquise par
la condamnation : non milita , sed causd , dit la loi , ff. de
pœ nis.
Ces principes , applicables à toutes les espèces de délits , ne
Sont point étrangers à celui de l ’émigration.
M ille circonstances peuvent ¡.jouter à la sévérité des peines
contre ce délit politique. Rien ne peut en rendre l’application
arbitraire, barbare, et contraire aux premiers sentimens de la
�( '6 )
morale et de l ’humanité. L a poursuite de ce délit egt subor
d onnée, .comme celle de t us !es a u t'e s .a u x formes protectrices
de l'innocence, aux règles de prudence et de circonspection, q u i,
sans blesser, les intérêts d ’un gouvernement qui veille à sa con
servation , respectent et protègent les droits de tous les citoyens,
dont eljes sont la garautie.
Nous ne devons pas aller chercher dans les anciennes législa
tions les règles qui doiyent nous gouverner aujourd'hui sur
cette matièip ; nous les trouverons toutes dans les lois rendues
depuis 1792.
Ce n’est pas que les lois antérieures ne pussent nous offrir des
principes d'une vérité éternelle, et des exemples utiles à ap
pliquer.
Nous verrions dans les états libres des tems anciens l ’érrçigrar
tion d’un citoyen rangée au nombre des droits attachés à sa* qua
lité d ’honune libre.
Athènes donnait à ses citoyens le droit d ’examiner les lois et
les coutumes , de s’éloigner et d ’emporter leurs biens,
,
Rome république proclam ait, par l ’orgaue de C ic é ro n , ce
droit de tous les citoyens, comme la plj.is belle prérogative des
membres d ’un état conseryateur des véritables maximes de la li
berté : O Jura prœclara.... ne quis in civitate maneat invitus.
Ou sent aisément qu’à ces époques la législation ne pouvait
que marcher d'accord avec les maximes de la politique, et que
des peines telles que la mort, civile et la confiscation ne pou»
vaient être appliquées à l’usage d ’un droit naturel, respecté çt
autorisé.
M a is, lors même que les principes politiques changèrent avec
la constitution de l ’état , les peines prononcées contre l ’éipigration ne furenj; jamais étendues jusqu’à entraîner, la. mort çivile de l ’absent.
<
1
�4
<i>>
( «7 )
Même , en distinguant l’émigration p er fugam , qui n’était
autre chose qu’un changement de dom icile, de la fuite vers
l ’ennem i, qui constituait la trahison et l’état de révolte , malo
consilio et proditoris animo , les lois n’avaient prononcé, dans
l ’un et l’autre cas, que la privation des droits de cité, civitatem
etfam iliam . C ’était la peine connue, dans le d roit, sous le nom de
mediam capitis diminutionem , qui n’entrainait d ’autre consé
quence que celle de la peine connue sous le nom de aquœ. et
ignis interdictio.
Rome , maîtresse du monde par ses armes et par ses lois , ne
comptait pas le nombre de ses ennemis. Sa majesté ne pouvait
être offensée par l ’abandon de quelques individus , dont la dé
sertion lui paraissait excusable , si elle n’était pas crim inelle, peu
redoutable, si elle était le fruit de la rebellion , e t , dans tous les
cas , indifférente pour le salut du corps politique. Elle se bornait
à ne plus regarder comme citoyen celui qui voulaitcesser de l ’être,
même celui qui se présentait comme son ennemi. M ais, dans toutes
les hypothèses , la privation du droit de cité n’allait point jus
q u ’à dépouiller un particulier de la faculté d’acheter, de ven dre,
de donner et de passer tous les contrats qui dérivent du droit des
gens. C ’est ce qu’annonce clairement la loi i 5 , ff. de interdict. et
relegat ; et c'est ce que Cujas a savamment démontré dans sa dis
sertation 9 , liv. 4 >sur la loi 19 , $ 4 * ^ de Capt. etc.
Ainsi , dans le droit romain , point de mort civile dans le cas
d ’émigration reconnue et de rébellion ouverte. A.plus forte rai
son ne l’eût-il pas autorisée sur une simple accusation, sur des
soupçons vagues , et malgré les réclamations du citoyen accusé
de de ection ou de révolte contre son pays.
Notre ancienne législation française 11e contient aucune loi
précise' contre l'émigratlon. C e n’est pas que des exemples, fa
meux n’aient présenté au législateur cette importante question à
3
�résoudre , et que des circonstances difficiles , telles quo celles- qui
suivirent la révocation de l ’édit de Nantes , n ’eussent dû appeler
sa sollicitude et môme sa sévérité. «Mais , comme l’observe M. de
« Bret dans scs plaidoyers / liv . 3 , décis. 7 , il est permis aux
« Français d’aller chercher une meilleure fortune , en quoi con« siste principalement la liberté naturelle des hommes -, et de là
« vient (ajoute ce magistrat) que les anciennes formules des con« cessions qui se faisaient de la liberté, contenaient ces paroles ex« presses : eam denique pergat partent quantumque volens,
i< elcgcrit.y>
Aussi tous les auteurs nous attestent que nulle peine n’a ja
mais été portée en France contre ceux qui vont demeurer en
pays étranger. On peut consulter sur ce point B acquet, T raité
du droit d’A u b a in e, chap. 4 ° > n°. 4 > C h o p in , du D om aine
de la F r a n c e , liv. 2 , tit. 2 , n°. 29-, P ap ou , not. 3 , liv. 6-,
titre des L ettres de N atu ralitê , etc. , etc.
Cependant, lorsque, dans des cas graves , le ministère public
s*est élevé contre des Français accusés de s’être rendus coupa
bles de rebellion et de félonie , en passant à l ’ennem i, 011 a tou
jours tenu en principes que l ’accusation seule, que les jugemens
mêmes qui ordonnaient des saisies et prononçaient des décrets
de pi'isc-dc-corps, ne pouvaient entraîner ni mort civile , ni
confiscation -, c’est ce qui fut reconnu dans l'affaire célèbre du
cardinal de Bouillon, lors des arrêts rendus en 1710 et 1711.
Les biens du cardinal avaient été saisis, et tous ses revenus sé*
questrés ; mais 011 regarda ce séquestre, non comme une confis
cation absolue , qui ne pouvait être le résultat que d’un juge
ment définitif, mais comme une simple saisie-annotation , dont
reflet , suivant le droit f n’est autre que celui d'une mesure
provisionnelle, conservatoire, qui 11e dépouille pas de la pro
p riété, et ne la transporte point au saisissant) et observons ca-
�4 ^
.
( «9 )
core que , dans ce cas , il ne s’agissait pas seulement d ’un
simple abandon de domicile , d ’ une fuite momentanée que
d e malheureuses circonstances pouvaient justifier ; il s’agissait
de la prévention d ’un crime de lèse-majesté , pour lequel la
confiscation remonte au teins du délit.
Ces maximes tutélaires de l ’innocence, ces lois qui ne sont
que l ’expression de la justice naturelle, ne sont point étran
gères aux dispositions que les évènemens de la révolution out
entraînées contre les émigrés. Notre b u t, en rappelant des vé
rités reconnues par tous les gouvernemcns, des principes essen
tiellement attachés à la législation de tous les peuples civilisés, -a
été de démontrer que tel est leur em pire, q u e , malgré la sé
vérité de notre code pénal contre les ém igrés, on ne les a pas
même méconnus en France à une époque où le choc de toutes
les passions exagérées devait étouffer le langage de la raison
et de la justice.
Les lois rendues depuis 1792 contre les émigrés sont extrê
mement rigoureuses. Mais nous osons dire qu’elles le paraissent
bien davantage encore par la manière dont on a souvent voulu
les exécuter , que par leurs dispositions littérales prises dans
le sens qu’elles doivent a v o ir, et dans les conséqueuces qu’elles
doivent entraîner.
L a régie des domaines en donne dans cette cause un dé
plorable exemple : elle veut faire juger par les tribunaux que
le séquestre apposé sur les biens d ’un prévenu d ’émigralion
doit avoir le même effet qu’un jugement de confiscation ) de
telle sorte qu’en cette matière l’accusation seule doit être assi
milée à un jugement de p ein e, et devenir un titre de convic
tion.
C e système résiste, comme 011 le v o it, à toutes les lois
naturelles et positives ; mais il est diamétralement opposé aus*
�aux lois de la m atière, qui sc trouvent précisément cîdquées,
à cet égard , sur les usages de tous les lems et de tous les lieux.
L a loi du 27 septembre 1792 fut la première qui prononça
la confiscation et la vente des biens des émigrés.
L ’article 6 de celle du 38 mars 179^ définit ce que l’on
entend par émigrés : elle annonce que ce sont les Français qui
ont quitté le territoire de la république depuis le premier
juillet 1789, et ceux q u i, absens de leur domicile, ne justifie
raient pas de leur résidence en France depuis le 9 mai 1792.
L ’article premier du titre premier de la loi du a5 brumaire
an 3 contient les mêmes dispositions. Elle prononce ensuite les
mêmes peines contre les coupables.
Mais de ces dispositions générales contre les émigrés , de la
fixation des mesures répressives ou afllictives déterminées contre
•un délit caractérisé par la lo i, il ne s’ensuit pas que leur applica
tion ait dû être faite d ’une manière absolue, arbitraire, sans exa
men , et sans aucune espèce de recours de la part des individus in
justement accusés. On 11e peut pas le dire davantage des lois sur
l ’émigration , qu'on n’oserait le soutenir de toutes les lois pénales
q u i, en prononçant sur tous les crimes qui peuvent troubler
l’ordre social, n ’ont jamais entendu que leur rigueur s’éten
drait , ipso fa cto et sans conviction , sur tous les malheureux
qu’une accusation capitale menacerait de leur application.
T o u t ce qui résulte des dispositions qui ont prononcé les
peines de bannissement, de mort civile, de confiscation contre
les émigrés , c’est que ceux qui seraient reconnus coupables d ’un
délit jusqu’alors inconnu et alors caractérisé, subiraient le sort
qu’ ils auraient encouru par leur désobéissance.
C e «pie l’on peut en conclure encore, c’est que , dans la pour
suite de ce délit, la loi a manifesté une sévérité plus grande que
pour tous les autres. Notre code pénal n ’oifrait point encore
�A«) >
'( 21 )
d’exemple d ’une saisie des biens de l’accusé , à l ’instant même
de l ’accusalion , et d ’une privation de ses revenus pendaut l ’ins
truction du procès : on n'avait jamais prononcé l ’interdiction pro
visoire des actions civiles contre un prévenu constitué in rcatu.
M ais, de ce que les mesures dans la poursuite ont été plus sé
vères , on ne peut en induire que leurs effets doivent être ab
solus et assimilés à ceux d ’un jugement contradictoire, sans
lequel il ne peut y avoir de conviction légale, et de condam
nation définitive.
Les lois mêmes que l’on invoque établissent, au contraire,
comme positives ,
L a possibilité d ’uue accusation injuste ;
L a faculté de réclam er;
L a réintégration de l ’accusé dans tous ses droits politiques et
civils provisoirement suspendus.
La loi du z 5 brumaire an 3 contient un titre exp rès, re
latif a u x réclamations contre l ’ inscription sur la liste.
Les articles 17 et 18 du titre 3 fixent les délais dans les
quels les réclamations doivent être faites.
L ’article 20 porte qu’/Z ne pourra être procédé à la vente
des m eubles et immeubles d es citoyens portés sur des listes
d’ émigrés , avant le jugem ent de leurs réclamations fa ites
en terns utile.
Les articles 2 1 , 22 et 23 déterminent le mode de jugement
sur les réclamations.
«
«
«
«
L ’article 26 veut que «les décisions du comité de législation soient exécutées sans, recours , soit qu’elles prononcent
la radiation , soit qu'elles renvoient aux tribunaux criminels
pour l’application des peines , soit qu’elles l’ejelleut les demandes. »
�.W
*\
( aa )
Les articles 27 et 28 déterminent le mode de publication
des jugeinens de radiation.
L ’article 3o et autres statuent sur les réclamations formées
à l ’époque de la promulgation de la loi.
L ’article 33 ordonne la réintégration dans leurs biens de ceux
qui seront rayés.
'
Enfin , l ’article 34 assure même le remboursement du capital
des ventes faites dans l ’intervalle, à ceux qui n’auraient pas ré
clam é en teins utile , et qui n’auraient pu , par conséquent, jouir
de la suspension provisoire ordonnée par l ’article 20.
Et ce n ’est qu’après avoir ainsi réglé toutes les mesures re
latives à la défense des accusés, au jugement de leurs récla
mations , à la conservation, de leurs droits pendant l ’instruc
tion , que la loi du a 5 brumaire s’occupe du tableau des peines
dans un titre subséquent. C ’est là que } présupposant que toutes
les formes ont été remplies , elle fixe le sort des individus q u i,
par un jugement contradictoire , ou par la conviction résultante
de la contumace encourue par leur silence dans les délais pres
crits , se trouvent soumis à la peine qui devient alors l ’effet de
l ’application de la l o i , application expresse ou tacite, mais tou
jours directe , positive et individuelle.
Comment peut-on soutenir , après des dispositions aussi pré
cises , que l’ inscription seule sur la liste a opéré le même effet
que celui d’ un jugement? La loi ne s’est-elle pas expliquée assez
clairement ?
L ’inscription sur la liste n ’est par elle-même qu’une accusa
tion , d ’autant moins grave en s o i, qu’elle n ’a pas présenté au
dénonciateur les risques qu’il court dans les accusations ordi
naires ; et qu’une triste expérience nous a prouvé que les pas
sions haineuses ou spoliatrices avaient fait surgir plus de dénon-
�( *3 )
cîatîons fausses, que l ’amour de la patrie n’en a produit de
fond ées.
Mais cette accusation établie nécessite un jugem ent, d’après le
texte même de la l o i , et jusque-là le sort de l ’accusé a resté en
suspens.
O r , le confiscalaire, définitivement investi, a ie di'oit d’aliéner,
et on ne songe pas à le lui interdire.
L a loi nous a dit que l ’on jugerait les réclamations faites dans
le délai lixé , et que toutes les mesures de saisie , séquestre, etc.,
ne seraient que conservatoires , puisque l ’aliénation des biens resr
terait suspendue.
Elle a dit qu’en cas d ’absolution le citoyen absent resterait
dans la possession de ses biens. O r , une confiscation provisoire
n’est pas une véritable confiscation translative de propriété. L e
droit de propriété ne peut pas rester en suspens ; il faut qu’il se
fixe et se consolide i o r , ce n’est pas donner la propriété que de
restituer.
L a loi a annoncé que l ’autorité compétente ne condamnerait
que ceux qui seraient convaincus , ou ceux contre lesquels leur
silence ou le refus de comparaître tiendraient lieu de conviction.
N ’est-ce pas dire assez que , jusqu’au ju gem ent, tous ceux
qui ont comparu, obéi à la lo i , réclamé leurs d roits, justifié
leurs plaintes , ont pu être accusés, mais n’ont été ni convaincus ,
«i jugés?
•;
N ’est-ce pas dire assez que celui sur le sort duquel il n’a pas
été statué , ou vis-à-vis duquel il n’existe qu’une prononciation
provisoire, subordonnée à une décision définitive, n ’a pu en
courir la p ein e, qui 11e serait que le résultat de la conviction
opérée par le jugement ou par la contumace ?
N ’est-ce pas là avoir consacré tous les principes reçus en ma
tière d ’accusation ?
�*^<V'
( 24 )
N ’esl-ce pas , en fin, avoir conservé aux citoyens leur existence
civ ile , la propriété et le domaine incorporel de leurs biens , tant
qu’ils n’en ont pas été définitivement dépouillés par le voeu du
juge , ou par la présomption de la loi , présomption que ne peut
jamais suppléer celle de l’homme , et surtout de l ’homme qui ac
cuse , et qui ne peut être à-la-fois accusateur et juge?
Toutes les lois postérieures n’ont rien changé à ces principes
gravés au coeur de tous les hommes , avant que le législateur les
consacrât dans ses codes , principes inaltérables , qui traversent
les siècles et le torrent des passions humaines, et surnagent audessus d ’elles.
Il est important même de remarquer que, lorsque la loi du 19
fructidor an 5 établit, contre les émigrés rayés provisoirement,
des mesures extraordinaires, 'elle garda un silence absolu sur le
séquestre de leurs biens, dont la jouissance leur avait été rendue,
en attendant leur radiation définitive. Une secousse révolution
naire exaspéra tous les esprits, et éveilla toutes les défiances. Les
dispositions sévères contre les individus furent reproduites, mais
les principes furent respectés. ’
::
/l;
L ’opinion seule du ministre en ordonna autrement. Mais alors
même q u e , par sa circulaire du 37 fru ctid or, il alla plus loin
que la l o i , et qu’il disposa du sort et de la subsistance de tant
d ’infortunés , il sentit bien qu’il ne lui appartenait pas de pro
noncer une peine , et que sa volonté 11e pouvait s’exprimer dans
les formes législatives ou judiciaires. C ’est sous íes rapports ad
ministratifs qu’il annonça cette mesure. Alors même l ’intérêt na
tional parut moins l ’occiiper que le sort des individus que la
loi c o n d a m n a i t à une absence et enlevait au soin de leurs pro
pres affaires. C e ne fut point à titre de peine , mais comme'une
mesure d’ordre et de protection pour les prévenus, qu’il ordonna le
séquestre : il voulut faire remplacer leur gestion par celle d ’un !
�( 2 5 }
préposé du gouvernement'; nwis il se garda bien de prononcer
une saisie , moins encore une confiscation que ‘là loi ne pro
nonçait pas.
Ne jugeons pas ici la ÿégularité de cette m esure, sa justice
et ses'résultats ; ne considérons que l’opinion qui l’a dictée, et
les motifs qui1,-servirent à l ’étayer. Ils prouvent suffisamment
que le séquestre apposé en l ’an 6 , aii préjudice des émigres
en réclamation , ou-rayés provisoirement , n ’a jamais été consi
déré comme une confiscation qui dépouillât absolument le con
fisqué de sa propriété , pour en investir le confiscataire.
»
T elle est la position de la consultante , et l’application de
tous nos raisonnemens Se fait facilement à sa cause.
I
Madame de Talm ond était inscrite sur la liste des émigrés.
Cela n ’empêcha point sa mise en possession des biens de
la succession d ’Argougcs, et sa jouissance: paisible pendant quatre .
ans. •' *•* J • '
.
- ;•
i: ■
' ' •'
" ■*
Elle avait réclamé en tems utile.
i>
’■Une défense particulière d ’aliéner ses biens lui avait appliqué
honiinàtivcment la disposition générale de la loi. ' •
: iwi
Sa [radiation provisoire fut prononcée. ■-g»
»nos
Scs biens lui furent rendus.’ 1 iJ;
J/iob ;;ir- „ ; j 'if-:
“ Lorsque le séquestre ordonné par la lettre dû ministre soumit
à l'annotation ceux de ses biens qui n ’en avaient jamais été
frappés ,j : il est absurde de-soutenir que la nation s'cii em para,
et en a joui comme propriétaire jusqu’au moment de la radiatioii définitive, et qu’elle ne les’ a' rendus à cette éjioquc
que |iàr lun don dèrenu Jlé fprincipC de Jla propriété de la con
sultante. r'
¡- •_«[ *1!t'.IÎ. f’fr: : , • ,.Vi
Là' régie ne pourra jamais le soutenir d?après les lois que
nous venons d ’examiner. Elles résistent trop1à cette ùnlerprétation forcée.
Ifo J.'i'ib o t u io w i o'i'V" *„•*> i;l
�v y v -n ,
( 26 )
Mais elle cherchera â sc prévaloir sans doute d'une dispo*
sition de la loi du 22 frimaire an 7 , dont il est facile d ’écarter
l ’application.
L ’article 24 de celte loi porte que « le délai de six mois
« ne courra que du jour de ,1a mise en possession , pour la
« succession d ’un absent •, celle d ’un condamné, si ses biens sont
« séquestrés -, celle qui aurait été séquestrée pour toute autre
« cause y celle d ’un défenseur de la patrie , s’il est mort en acn tivité de service hors de son département ; ou enfin celle qui
« serait recueillie par indivis avec la nation. »
On voudra conclure de cet article que , puisque le délai
pour l ’héritier n’a couru que du jour de sa mise en posses
sion , la prescription contre la régie n ’a pu courir que de la
même époque.
Voici notre réponse:
i°. Si la régie réduit la question à ce point, elle recon
naît donc la justice de tous les principes que nous venons
d ’établir. Il est donc vrai que le séquestre ne peut être par
lui-même assimilé.à une confiscation , et que l ’on a eu tort de
soutenir que les agens de la nation n ’ont pas dû se faire payer
sur des biens dont la nation elle-même était propriétaire. L e
séquestre, d ’après cet article , lie deviendra une cause d ’in
terruption que parce que la loi du 22 frimaire l ’aura ainsi
déterm iné, et non parce qu’il a dépouillé le prévenu d’émi
gration.
.(
' . n; |
Mais alors il s’agit de savoir si cet article s’applique vérita
blement aux délais de Iti prescription j car si cela n ’est, point , la
régie , abandonnant le principe général qu’elle avait d ’abord
établi 4 ne pouvant'»plus soutenir que les mots séquestre et
confiscation sont (-synonymes , n’aura pas même à sou appui
la dci'nière ressource dont elle se prévaut.
�J
( *7 )
O r , nous pensons que les dispositions de la loi du aa fr i
maire ne s’appliquent nullement aux délais de la prescription *,
et la conséquence que la régie veut en tirer est également con
traire à la lettre et au sens de cette loi.
w
Quant au texte de la lo i , il est absolument muet sur la pres
cription que la régie peut encourir par son silence. L ’article 24
ne statue que sur lçs délais dont jouira l ’héritier séquestré •, il
détermine seulement que ces délais ne prendront cours que du
jour de sa mise en possession effective. 11 ne prononce nulle
ment sur les obligations et les droits de la régie-, rien n’indique
que la loi ait eu pour objet de statuer sur ce p o in t, et cepen
d a n t, dans le système adverse, et d ’après le principe de récU
.procité dont on veut faire une conséquence nécessaire de la lo i,
il eût été tout simple d’ajouter que les délais pour la pres
cription contre la régie ne com menceraient égalem ent à cou' rir que du jo u r de la mise en possession d e l ’h é r itier , et
seraient suspendus pendant le séquestre.
L e législateur ne l ’a pas d it, parce qu’il n’a pas voulu et n’a
pas dû le dire 5 et c’est en le démontrant ,qiie noya prouverons 5
que le raisonnement de la régie est en contradiction avec le sens
de la lo i, et le but qu’elle se propose. — Tâchons de nous expli
quer clairement.
,
A u dpçès dç chaque citoyen un droit de mutation est acquis
au trésor public.
^
,
D e l'établissement dp ce droit naissent diverses obligations
prescrites par la lo i, et qui doivent être remplies dans les formes
et sous les peines qu’elle a déterminées.
Elle impose aux héritiers l ’obligation de déclarer la valeur
des biens recueillis, d ’en payer le droit, et de faire cette dé
claration et ce paiement dans un délai de six mois^à peine de
6uppoi’ter uu double droit. !
-ny>n »; in.
j
�I '•'* w
(28 V
Elle impose à la régie l’obligation de demander le paiement
des droits dans- un délai de cinq ans , à peine cl.e déchéance.
Ces obligations sont distincles *indépendantcS'l’une de l ’autre;
elles ont également pour but d’assurer le paiement1des droits.
Mais l ’une prononce une peine contre le redevable ; l’autre lui
fournit une exception contre le lise. L a raison en est simple :
l’une est le fait du redevable lui-même , tenu de fournir la décla
ration ; l'autre est ld : fait de la ré g ie , tenue de le poursuivre.
L e redevable et l ’agent du fisc ont chacun les moyens de se
conformer à la loi :
-I;
Le prem ier, en sacrifiant une portion de la propriété qu’il
acquiert à la libération d’une charge qui la grève ;
Le,.second, en'faisant des poursuites dans le tems requis ,
et en usant de tous les moyens de contrainte que la loi met à
sa disposition.
'
".rv
.
On voit assez q u e , dans le cours ordinaire des choses, ces
deux obligations n’ont aucune dépendance/aucune liaison en-tr’elles , et qu’il est’ possible de les gouverner par des principes
qui ne soient .pas les mêmes.
> 1
;
L e cas est arrivé qiie des biens ont été momentanément en
levés à leurs propriétaires , et mis dans les mains dé la régie >'
à titre provisoire, par forme de garantie et de nantissem ent,
pour les administrer et jouir des fru its, au lieu et place des
propriétaires , et jusqu’à leur réintégration.
.
"'{ 1
n <:
■Nous avons déj'ufprouvé ([u(iccllc\saisic-anno(ation n ’a pu
dépouillerlle propriétaire pour''investir la nation : N e c aufferre
proprielatcm , nec transferre dominiutm
*>
Les individus ainsi dépossédés sont donc restés propriétaires,
mais sans jouissance de leurs biens.^ i
•>
'
'
C ’est.à foison dei;cctte circonstance extraordinaire , et dans
l'objet de venir ù leur secours, que lu loi-du 22 frimaire a.été
rendue.
�( *9 )
L e .législateur a senti qu’il n'élait pas. juste
D e . soumettre au paiement des droits des particuliers privés
de leurs biens -,
.
;
D e faire courir un délai fatal contre des citoyens dont les ac
tions civiles étaient suspendues •,
D e prononcer des peines contre celui pour lequel la privation
même provisoire de ses biens était déjà une peine assez forte.
C'est à ces propriétaires sans action , sans moyens et sans
qualité que l ’on a appliqué l’axiome de droit : Contra non
valentem agere non currit prcescriptio.
Mais* les mêmes considérations n’ont pu faire appliquer cette
exception à la régie.
L ’action de la régie a toujours été ouverte , et n ’a jamais élé
suspendue, ni de fait ni de droit.
Cette action n’est point une action directe et personnelle
contre l’heritier ; elle est réelle , hypothécaire et privilégiée j
elle s’exerce sur les biens, dans quelque mains-qu’ils viennent
à passer.- On ne peut pas dire qu’elle est vaine , parce que le re
cours contre la personne peut être illusoire ; elle est toujours
utile, parce que l ’objet sur lequel elle porte ne peut lui échapper.
Elle prend sa source dans un droit certain et incontestable.
Il est dès-lors bien évident que le séquestre, qui a pu devenir
pour le propriétaire un motif de ne pas payer , et autoriser une
exception en sa faveur, n’a'pas dù , par cela seul, introduire la
même exception au profit de la régie , qui a du et pu se faire
payer , ou du moins en former la demande.
Elle l ’a du , parce qu'il n’y avait aucun inconvénient à le
fa ire , et aucun m otif pour l ’en empêcher. La propriété était
grevée du paiement des droits : cette propriété a-t-elle dù rester
dans lçs mains de la nation ? La formalité du paiement des droits
n’était plus qu’une mesure d ’ordre et de comptabilité : devait-
�i
( 3o )
elle retourner à son premier propriétaire? Les droits se trouvaient
acquittés à sa décharge, sans dommage pour l u i , et .par le fait
du représentant que la loi lui avait d onné, et qui devait ad
ministrer en son nom , comme il aurait administré lui-même.
El , dans le fa it, la régie a tellement pu se faire payer,
qu’elle n ’a eu qu’à faire une simple application des revenus
à une charge préexistante et préférable à toute jouissance de
la part de l’héritier et de ses représentans.
Aucune raison plausible n’aurait donc pu faire suspendre
l’action de la régie pendant le séquestre, dès q u ’il est prouvé
qu’elle pouvait l ’exercer justement et utilement.
Toutes les raisons de convenance, de justice et d ’humanité
tendaient, au contraire, à faire introduire en faveur de l ’héri
tier séquestré la prorogation d ’un délai qui n’a pu raison
nablement commencer qu’avec sa jouissance.
—
T e l a donc été le but de la loi que nous discutons, q u e ,
sans arrêter l ’action de la régie qui ne pouvait pas l’ê tre ,
elle a soustrait l ’héritier à des peines qu’il n’avait pu en
courir.
L a position d ’un héritier séquestré a dès lors été celle-ci
à son entrée en jouissance:
L a régie avait-elle perçu les droits ? il s’est trouvé libéré.
N e les avait-elle pas fait percevoir? a lo rs, de deux choses
l’une :
Ou l ’action de la régie était encore ouverte, et alors l ’héri
tier a eu six mois pour faire sa déclaration;
Ou l ’action de la régie était prescrite, et alors on n’a plus
eu rien à lui demander.
1
■
T e lle est , suivant nous , la seule manière raisonnable d'in
terpréter la lo i, et l ’on voit que notre interprétation 6e con-
�Soi
( 3. )
cille parfaitement avec le silence qu’elle a gardé sur le cours
de la prescription.
A in s i, concluons, sous ce premier rap p ort, que c’est inu
tilement que la régie invoquerait une disposition qui ne la
concerne pas.
2°. Mais allons plus loin , et supposons que la fausse in
duction que l ’on veut tirer de l ’article 34 puisse être ac
cueillie.
Dans ce cas même la régie ne pourrait l’appliquer à la
cause de madame de Talinond.
L ’article 73 , titre 12 de la loi du 22 frimaire an 7 , n ’abroge
les lois alors existantes que pour l’avenir.
Ce n’est donc que pour l ’avenir que la loi du 22 frimaire
a statué. Elle n’a pu avoir d ’effet rétroactif.
L a prescription de cinq ans contre la régie était prononcée
par une loi antérieure , celle du 19 décembre 1790. L ’article
18 contient sur ce point la même disposition que l ’article 61
de la loi du 22 frimaire an 7.
Mais la loi du 19 décembre 1790 ne renferme aucune dispo
sition semblable à celle de l ’art. 24 de la loi dvi 22 frimaire.
11 est- dès lors bien évident^ que la régie ne pourrait se pré
valoir de la disposition d ’une loi qui n ’existait point encore
à l’époque où la prescription était déjà pleinement acquise
contre elle.
Le décès de mademoiselle d ’Argouges ayant eu lieu le 9
brumaire an 2 , les cinq ans ont été révolus le 9 brumaire
an 7 > deux mois environ avant la publication de la loi du
22 frimaire.
L a conséquence est inévitable.
L a régie n’a pu justifier sou inaction par une disposition
�t
( 32 )
qui n ’existait pas. Elle ne peut invoquer une exception qui
n ’a pu lui servir de règle.
C e ne sera plus , si l ’on veut , la prescription prononcée
par l ’article 61 de la loi du 22 frimaire an 7 que madame
de Talm ond lui opposera -, ce sera le môme moyen pris
dans le voeu de l ’article 18 de la loi du 19 décembre ï 7i)°Mais alors nous avons eu raison de p ro u ver, comme nous l ’a
vons fait en commençant, que le séquestre n ’était pas par luimême suspensif des droits de propriété. La cause se trouve ainsi
réduite à cette première question , sur laquelle nous pouvons in
voquer même à notre appui la jurisprudence du tribunal de cassa
tion.
tE lle résulte principalement d ’un jugement rendu le 26 frimaire
an 8 , dont nous allons rapporter les circonstances et les motifs ,
tçls qu’ils sont consignés sur les registres du tribunal.
. Jeanne-M arguerite-Charlotte Sabourin , veuve Morisseau ,,
dpcéda à Fontenay-le-Peuple le i 5 brumaire an 2 , laissant un
grand nombre d ’héritiers.
Quelques-uns de ces héritiers étant émigrés , le séquestre fut
apposé sur tous les biens de la succession , généralement et sans
distiuction.
Un arrêté du département de la* Vendée , du 24 germinal an
5 , régla enfin les droits respectifs de la nation et des co-héritiers républicoles.
Les droits d’enregistrement pour la mutation intervenue n’a•
f. /
/
f
valent pas ete payes.
Les 2.5 frimaire et 19 pluviôse an 7 , saisie et contrainte de la
part de la ré g ie , pour une sbmmc'de 2.r5,ioo livres.
Sur l’opposition des héritiers , la contestation fut-portée de
vant le tribunal civil de la Vendée. •
Les héritiers prétendirent que la demande de la régie élAit
�S a
(33)
proscrite, ait en du qu’elle avait été formée après les cinq ans de
puis le décès de la veuve Morisseau.
L e 25 germinal an 7 , jugement du tribunal civil de la V en
dée , qui rejeta la demande de la régie comme prescrite.
Ce jugement fut fondé sur l ’article 18 de la loi du ig décem
bre 1790, et sur l ’article Gi de la loi du 21 frimaire an 7.
Pourvoi en cassation d e là part de la régie.
Elle prétendait que cette prescription s’appliquait uniquement
au cas où les choses allaient suivant le cours ordinaire, et où
aucun obstacle ri’empêchait les héritiers de se mettre en posses
sion ; que c’était aussi à ce cas que s’appliquait le mode d ’in
terrompre la prescription , en signifiant une demande ; mais
q u e , lorsqu’une succession 11’était encore entre les mains de
persojine, et qu’il était incertain s’il y aurait des héritiers,
comme dans le cas d ’un séquestre, il était évident qu’aucun
droit n’était ouvert ; qu’on ne pouvait rien dem ander, rien si
gnifier à personne ; que le faire serait une témérité ; qu’il fal
lait donc attendre l ’époque de l ’ouverture des droits par la mise
en possession de fait des héritiers.
C e système , absolument conforme à celui que la régie sou
tient aujourd’h u i, fut rejeté par le tribunal de cassation.
On argumenterait inutilement de quelques décisions rendues
par le même tribunal dan6 une hypothèse qui ne ressemble nulle
ment à celle de la cause actuelle. Pour prévenir l ’abus que l’on
pourrait en fa ire , il est bon de les rappeler, et de fixer ici une
distinction importante qui consolidera même les principes que
nous invoquons.
L e tribunal de cassation a j ugé le 22 vendémiaire an 9 ,
dans la cause de la veuve Bonol , héritière du C en C u illeau,
condamné révolutionnaireinent dans le mois de prairial an 2 ,
que les délais de la prescription n’avaient commencé à courir
�( 34 )
contre la régie qu’à dater du 21 prairial an 3 , époque de la
restitution des biens des condamnés à leur famille , et non à
l ’époque de la mort du condamné.
Une semblable décision est intervenue , le 30 prairial an 10 y
dans la cause des sœurs D éfieux, héritières du C en Servanteau de
l’Échasserie , condamné en 1793 par le tribunal révolution
naire.
Il est facile- d'apercevoir tout de suite les motifs de ces jugemens.
Dans l’hypothèse où ils ont été ren d u s, il existait des jugemens de confiscation. Ces jugemens , dont il ne faut pas cher
cher à discuter la. justice et la régularité , n’étaient pas uno
am ple accusation -, ils ne constituaient pas simplement l ’accusé en
état de prévention-, ils l’avaient jugé coupable-, ils avaient laforme d ’un acte judiciaire, contradictoire , solemnel et définitif ;
ils. avaient été exécutés -, quelle que fût la nature du pouvoir ter
rible duquel ils émanaient , ils avaient dû produire tous le&
effets attachés aux actes portant le caractère d ’un jugement , et'
par conséquent investir le confiscataire des biens« déclarés con
fisqués.
A lo rs, véritablem ent, il; n'y avait eu ni héritiers , ni trans
mission do p ropriété, puisqu'il n’y avait pas de succession.
A lo r s , enfim, les agens de la nation, devenue propriétaire
ipso fa c to , n’avaient pu remplir aucune formalité vis-à-vis des
héritiers qui ne possédaient les biens du condamné ni par
le d roit, ni par le fait , et qui les reçurent véritablement des
mains du gouvernem ent, à l ’époque du 31 prairial an 3 , par
un acte spontanée de la bienfaisance* nationale, éclairée et d i
rigée par la«, justice.
Mais toutes ces considérations , rapprochées de uotro h y
p o th è s e ju s tifie n t, d’autant plus le sy6tômc que nous soute-
�( 35 )
nous -, elles prouvent que la propriété d ’un citoyen ne peut
jamais lui être ravie que par la volonté qui le dépossède, ou
par un jugement qui le dépouille.
.
.
Les conséquences de tous nos raisonnemens sont bien simples :
Si madame de Talm ond n’a jamais perdu la propriété des
biens séquestrés, si sa dépossession passagère n ’a pu avoir
l’effet d ’une confiscation absolue , la régie , qui administrait
pour elle , et provisoirem ent, aurait'dû faire ce que madame
de Talm ond eût fait elle-même si sa jouissance n ’eut pas été
interrompue.
A défaut de déclaration de la part du préposé chargé de
l ’administration des biens , l’administration générale devait*
conserver les droits de la nation par une demande.
Cette double qualité d ’administrateur redevable et d ’agent*
de la nation , chargé des recouvremens des droits b u rsau x, ne
présente aucune espèce d ’incompatibilité.
L a régie elle-même a tracé à' ses préposés , dans sa' circu
laire dü mois d ’août 1793, la marche qu’ils' devaient süivVe',
et le mbdé de- comptabilité auquel ils devaient' se cotifûnnér
dahs cé cas.
Mais dans le xiombrc dés’ pièces qui ribtis' ont été représen
tées par madame de T a lm o n d , il s’en trouve une qui nous
fournit un exemple frappant de la contradiction qui existe
entre la prétention actuelle de la ré g ie , et l ’opinion qu’elle a
solcmnellement manifestée pendant la durée môme du sé
questre.
On a mis sous nos yeux , et l ’on présentera au tribunal
un état des inscriptions que la régie a prises sur la terre môme
de M ézières, pour la conservation des droits de la nation , à
raison de diverses rentes dont çelte terre était1 grevtîd' au
profit de plusicii’rs établisseriienY ecclésiastiques stippriiilés.
�( 35 )
Ces inscriptions sont au nombre de s ix , et pour un princi
pal de 25,465 livres.
Elles ont été prises le 24 floréal an 7 , pendant la durée
du séquestre , et un an avant la radiation définitive de madame
de Talm ond.
C e fait éclaircit suffisamment tous les doutes : il range en
faveur de noti’e système l ’opinion môme de l ’adminisU'ation,
qui n’a pu cx’oire tout à la fois que les droits de la nation
devaient être conservés sur les biens, et q u e , cependant, la na
tion en était propriétaire ; qu’elle a dû agir pour la conservation
des hyp othèques, et ne pas agir pour le paiement des droits
d ’enregistrement ; enfin , qu’il y avait dépossession envers ma
dame de T a lm o n d , dans un cas, et propriété grevée des charges
constituées par les actes , dans un autre.
C ’est par-là que nous terminerons une discussion qui nous
parait portée au dernier degré d’évidence , et sur laquelle nous
n ’avons cru devoir insister que pour éta b lir, une fois pour
toutes, des principes sur lesquels les agens du gouvernem ent,
chargés de l ’exécution des lo is, ne devraient pas répandre les
incertitudes d ’un doute qu’ils ne partagent même pas.
L e second moyen de madame de Talm ond est aussi décisif
que le premier.
11 repose également sur des principes et sur des faits cer
tains.
En principe, la régie encourt la déchéance lorsqu’elle né
glige de former sa demande daqs l’année qui suit le commande-
�■Soy
( 37 )
ment : le texte de la loi est précis -, le jugement du 2G frimaire
an 8 , que nous avons cité plus hau t, l ’a formellement con
sacré.
En fa it, la demande n’a été formée que quinze mois et vingt
jours après le commandement du 12 frimaire an g.
L a conséquence est inévitable.
L a régie ne s’étant pas encore expliquée sur ce point , il se
rait difficile de prévoir comment elle pourra échapper à un
moyen aussi tranchant.
Dira-t-elle que madame de Talm ond s’est adressée au ministre
des finances, et que la régie a été tenue de s’expliquer sur scs
réclamations ?
’
On lui répondra:
i° . Que le recours de madame de T a lm o n d , à la protection
du gouvernement, contre les injustices de ses agens , n’empê
chait point lu suite de l ’action judiciaire, que rien ne pouvait
interrompre, et que la loi soumettait à un délai fatal;
20. Que les représentations de madame de Talm ond auprès
du ministre n’ont donné lieu à aucun sursis, à aucun obstacle
qui ait paralysé les poursuites de la régie ;
3 °. QuO, bien lofth de là , le rÀ nistre, reconnaissant la compé
tence et l’indépendance du pouvoir judiciaire , n’a pas voulu
prononcer lui-même , et a laissé le ' soin aux parties de faire
statuer par les' tribunaux ; 4
4 °. Et enfin, que la régie a si peu imaginé que le recours de
la consultante auprès du ministre dût arrêter l'action judiciaire ,
q u e lle s’est p ou rvu e, quoique trop tard , par devant le tribu
nal de Blanc , avant même que le ministre eût prononce.
Ces considérations 11e permettent pas de croire que la régie
puisse échapper à la déchéance qu’elle a encourue.
Le tribunal observera , d ’ailleurs , qu’il s’agit ici de protéger
�débris d’ une fortune que l ’autorité même des lois n’a pu sauve
garder. Les malheurs de madame de Talm ond sont connus •, ils
sont irréparables : mais si rien ne peut effacer ses douleurs , il
est au pouvoir des magistrats de ne pas les aggraver en core,
lo rsq u ’ un moyen légal , favorable et décisif, permet à la jus
tice de venir au secours de l’infortune. D éjà assez de sacrifi
ces ont été imposés à la consultante ; elle a payé plus que sa
dette aux besoins de la patrie. L a patrie a contracte a son tour
une dette aussi sacrée envers les victimes d ’un régime dont le
souvenir ne peut être effacé que par la loyauté , la bienfaisance,
et le désintéressement d ’un gouvernement généreux et répa
rateur.
Délibéré à Paris le 23 thermidor an I I .
M. M ÉJAN .
j
ssZ d > / z/ '/ / l^
D E L 'I M P R I M E R I E D E B R A S S E U R
N o ta .
A IN E , R U E D E L A H A R P E , N °. 477.
O n t ’ engage , dan» c ette im prim erie , à
donner , dans l e co u rt espace de
quatre h e u re s, sans frais extra ord in aires, l ’épreuve d’ une feu ille d'im pression , pourvu
que lesi feu illets de m anuscrit ne soient écrits que d’ un côté.
�
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Factums Godemel
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Description
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Text
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Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. D'Argouges, Fleuriette-Louise-Françoise. An 11?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Méjan
Subject
The topic of the resource
biens nationaux
régie des domaines
successions
émigrés
séquestre
prescription
droits de mutation
confiscations
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire à consulter et consultation pour dame Fleuriette-Louise-Françoise d'Argouges, veuve d'Antoine-Philippe de la Trémouille-Talmond ; Contre le directeur de la régie de l'enregistrement et des domaines.
notes sur les engagements de l'imprimeur à imprimer dans des délais de 4 heures après dépôt des feuillets du manuscrit.
notes sur les engagements de l'imprimeur à imprimer dans des délais de 4 heures après dépôt des feuillets du manuscrit.
Table Godemel : Mutation (droit de) : 2. de quelle époque a lieu l’ouverture du paiement des droits de mutation pour décès, à l’égard de l’héritier inscrit sur la liste des émigrés ? est-ce du jour du décès de celui auquel il succède, ou, seulement, de celui où l’héritier a été saisi de la propriété par sa radiation définitive ?
le séquestre des biens, par la nation, a-t-il interrompu le cours de la prescription établie par l’article 6 de la loi du 22 frimaire an 7 ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
de l'imprimerie de Brasseur aîné (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa An 11
1793-Circa An 11
1789-1799 : Révolution
1799-1804 : Consulat
1804-1814 : 1er Empire
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
38 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G1312
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Le Blanc (36018)
Mézières (terre de)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
Relation
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