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MEMOIRE
EN
P O U R le sieur
Ju lien
RÉPONSE,
J O U V A I N R O U X , propriétaire,
en qualité de père et légitime administrateur de
C
l a u d i n e
- F
JO U V A IN R O U X ,
l a v i e
sa f i l l e,
intim é
.
.
i •
CONTRE
1
~
L e sieur L o ui s L E G R O I N G j chevalier de ju stic e
de l ' Ordre de Saint-Jean de Jérusalem , chevalier
de l ' Ordre royal et
militaire de S a in t-L o u is
appelant.
sieur Jean -B aptiste, comte L e g r o i n g , maître
d ’une fortune q u ’il ne tenait p o i n t de sa fam ille,
L
e
n ’ayant pour héritiers naturels que des collatéraux,
a fa it, le 24 décembre 1 8 1 6 , un te s ta m e n t olographe.
�( 2 )
Ce testament contient une institution d ’héritier en
faveur de Claudine-Flavie Jouvainroux, alors âgée de
cinq ans. Ce jeune enfant est chargée de payer à sa
mère une pension viagère de 800 f r . , et de lui laisser
la jouissance de quelque mobilier.
Le testateur ne se borne point à remplir les forma
lités exigées par l ’article 970 du Code civil, pour
assurer la validité de ses dispositions ; toutes les pages
de son testament sont encore numérotées et signées par
l u i } il le met sous enveloppe 7 le cachète au sceau de
ses arm es, et écrit : « Ceci est mon testament olo« graphe,
déposé de confiance entre les mains de
]\ï- E spiaiasse „ n o taire- ro y a l, à C le r m o n t. — C e 2 4
« novembre
f8 i 6
». Il signe cette suscription.
Le sieur Legroing décède en août 18 17. Pendant
ces huit mois de survie > non seulement il ne montre
aucun regret, mais encore, le 17 mai suivant, il ac
quiert, au profit, de Claudine-Flavie Jouvainroux, une
propriété assez considérable j et bientôt après, craignant
que. ses volontés ne fussent pas pleinement exécutées,
il passe à cet enfant l ’ordre de différentes lettres de
changes dues par le chevalier, son frère.
Il était difficile de penser que ce testament serait
attaqué; jamais, en effet, la volonté d’un testateur
11’avait été plus régulièrement manifestée \ jamais l ’in
tention de persister- dans des dispositions faites avec
liberté, m’était re^sor^ d ’actes austsi positifs.
Aussi, aaidécC'S du comte, l’on put remarquer un
�( 3 5
contraste assez frappant dans la conduite de ses héri
tiers naturels.
i
L a dame chanoinesse Legroing, sa sœur, et le che
valier, son frère, étaient également appelés à lui suc
céder ab intestat. L a sœur a respecté les volontés
du comte : quoique réduite à une fortune modique ,
si on la met en comparaison avec celle du chevalier,
elle a pensé qu’il ne lui convenait pas de s’associer à
ce dernier, pour outrager la mémoire de celui q u ’elle
avait l ’habitude de respecter} elle a voulu conserver
intact l ’honneur de la fam ille, et ne point s’exposer
à rougir d ’une augmentation de fortune, q u ’elle n ’au
rait pu essayer d ’o b ten ir, qu ’en méprisant une vo
lonté qui lui -était con n ue, et en élevant une voix
sacrilège pour insulter aux mânes de son frère.
L e chevalier, au contraire, célibataire, comblé de
richesses, a cru devoir , dans l ’intérêt de la morale
publique ( \ ) , et pour resserrer les liens de la société
et d e s fa m ille s , attaquer ce testament, q u i, suivant
lu i, prouve Valiénation mentale ou Vabrutissement
de Vauteur. U n mémoire de 58 pages, signé par le
chevalier, distribué en première instance avec profusion
et sans nécessité, devait apprendre au public que le
comte, réputé par tous pour homme d ’ honneur, d’une
probité austère } sur dans ses principes, ami c h a u d ,
citoyen écla iré} sujet f i d è l e , était devenu l ’esclave
( i) T o u t ce qui est en caractères italiques est textuellem ent extrait
du Mémoire du chevalier.
�C4 )
d ’iine
f il l e
de
p e in e
cVune servante sans éducation ,
et qui ne possédait aucun des charmes de son sexe y
que , sexagénaire et malade j ce débile amant, dont
des attaques réitérées d ’apoplexie avaient paralysé
une partie de la bouche, et affaibli les ja m b e s, avait
cédé à la captation et à la suggestionne sa concubine
(qu i avait déjà, en sa faveur, un premier testament
authentique, du 28 avril 1807), pour écrire un tes
tament olographe, qui fait passer sa succession, à qui? à
Claudiue-Flavie Jouvainroux, enfant âgée de cinq ans,
que le chevalier suppose être la personne interposée
de sa mère.
Jouvainroux avait épousé F r a n
çoise Boudon. Cet homme adroit et rusé 3 convoite
Ma i s le sieur J u l ie n
les trésors de son maître j i l est le père p u ta tif
d ’une f i l l e q u ’il a eue de son mariage $ i l V instruit à
em ployer toutes les ruses qu i peuvent toucher un
'Vieillard im bécille ; et comme i l 11 avait ja m a is eu
personnellement aucune espèce de crédit sur l ’esprit
de son m aître, q u ’il mangeait même toujours à la
cuisine (1), et que la femme, en changeant de véteteuiens et d ’état} en se form ant une société nouvelle ,
en négligeant son maître et le laissant dans un état
d ’abandon 3 dont tous les voisins étaient indignés, en
fa isa n t des dettes } suite du lu x e auquel elle se l i
vra itj et qui excédait ses moyens a c tu e ls, avait in
disposé le comte qui manifestait sa colère par des
(1) Conclusions signifiées.
�( 5 )
im précations f o r t énergiques et q u ï l répétait avec
fo r c e ; Jouvainroux q u i, en outre, s’apercevait depuis
quelques tems que le com te L eg roin g tém oignait de
l ’hum eur et de la colère contre la m ère, q u ’il résistait
peut-être à fa ir e un testament en sa fa v e u r , lu i f i t
entendre q u ’il valait mieux faire porter le legs uni
versel sur sa fille que sur elle.
Mais A P R È S L E T E S T A M E N T O L O G R A P H E , JUSf/u’ ail décès
du co m te , on ne v o it p lu s q u ’ horreurs , menaces et
mauvais traitemens de la part de Jouvainroux............
d ’où le chevalier, induit que la violence a été jointe à
la captation et à la suggestion, pour arracher à la
faiblesse du comte, la disposition'testamentaire dont
il s’agit.
Il faut convenir que l ’a t t a q u e d u c hevalier ne p o u
vait présenter aucun m otif de crainte à l ’héritière d u
comte; les idées de captation et de suggestion , non
seulement devenaient invraisemblables , mais encore
s’évanouissaient entièrement, si on voulait les appli
quer à Jouvainroux et à son épouse; il était même
avoué que l ’un et l’autre avaient perdu toute leur
influence sur l ’esprit du testateur; de manière que la
captation et la suggestion étant reconnues l ’ouvrage
d ’un enfant de c i n q ans_, il était peu dangereux de ne
pas repondre aux plaintes du chevalier à cet égard.
Que dire également d ’actes de violences exercés après
le testam ent? N ’était-il pas é v i d e n t , d ’une part,
q u ’ils ne pouvaient être
impuiés à
Claudine-F lavie
Jouvainroux, seule partie dans la cause; et de l’autre,
�s’ils eussent existé, loin d ’être propres à obtenir les
dispositions testamentaires du comte, ne devaient-ils
pas, au contraire, le porter à les révoquer ou à les
anéantir ?
L e chevalier disait encore qüe le testament de son
frère était l ’ouvrage de la haine et de la colère ; mais
le rapprochement de différens passages de son Mémoire
prouvait que le comte et le chevalier, d ’un caractère
absolument opposé, ne pouvaient avoir une vive affec
tion l ’un pour l ’autre. L e com te, sur dans ses prin
cip es, alliant l'honneur à la fie r té } avait cru devoir
s ’expatrier et suivre le sort de nos princes. Il était
rentré dans sa p a t r i e ; mais sa s a n té é ta it a lté r é e 3 et
son humeur changée , ce qui était sans doute l'effet
d e ses longs voya g es, de ses souffrances, et des pertes
q u ’il avait éprouvées.
Le chevalier , au contraire , moins sûr dans ses
principes , tenant moins à d ’anciens souvenirs , et
appréciant mieux les avantages de la fortu n e, avait
rendu le fo j't Saint-Ange au conquérant de M alte. I l
suivit le vainqueur en E g y p te, et rentra en France
avec des cap itaux considérables , débris d'un service
a c t if et de ses spéculations maritimes, à l ’aide desquels
il acheta à son profit une partie des biens qui avaient
appartenu à sa fam ille, et se créa une existence plus
douce et plus indépendante que celle q u ’il pouvait
espérer avant la révolution.
'
‘
Cette différence de principes devait éloigner les
deux frères. L e comte no manifestait contre le chevn-
�( 7 )
lier ni Haine ni colère ; mais sa froideur et son indiffé
r e n c e , lorsqu’il en était question , pouvaient facilement
faire deviner quel sentiment il lui inspirait........
Ainsi le Mémoire du chevalier apprenait tout ce
qu’il était nécessaire de savoir pour apprécier sa de
mande : aussi le p u b lic , ses amis même l’avaient jugce.
avant qu ’elle fût présentée au tribunal de Clermont.
Il était dès-lors inutile d ’ajouter à ce que le sieur
Legroing avait écrit ; on pouvait, par reconnaissance,
ne pas lui demander compte de certains principes
légèrement avancés , et lui faire remise du ton de
supériorité et d’audace qu ’il avait pris clans sa défense j
dédaigner ses outrages, et mépriser même ses calomnies.
Le chevalier fut laissé à lui-même, l ’héritière du comte
garcla le silence,, et le t es t a m e n t f u t conf irmé.
Mais sur appel, le sieur Legroing réunit tons, ses,
moyens et renouvelle ses efforts. Il a fait un voyage à
Paris : il y a obtenu une consultation signée de cinq
jurisconsultes, qui lu i permettent d ’espérer de faire
annuller le jugement de Clermont. Fort de ces suffrages,
le chevalier jouit déjà de son triomphe, et il ne re, connaît pour amis que ceux qui le complimenlent à
l’avance sur le gain futur de son procès.
Il faut détruire cette illusion : l ’intérêt de la léga
taire du comte Legroing lui impose a u j o u r d ’ h u i le
devoir de publier sa défense. E lle aurait v o u l u ne point
rompre le silence j mais déjà sa r é s e r v e est présentée
comme l ’effet de la crainte. Ne
pouvant
plus se taire
sans d a n g e r, elle expliquera du moins avec modération
�( 8 )
es circonstances et les moyens de sa cause. Forte de
son d r o it , c’est au magistrat seul qu ’elle prétend
s’adresser. E lle doit dédaigner les vains efforts de l ’in
trigue, et mépriser les passions de certaines coteries,
q u ’à défaut d ’autres moyens le chevalier cherche à
exciter, et appelle à son aide.
/
F A IT S.
L e sieur comte Legroing avait épousé la dame
Demadeau; elle lui porta une grande fortune, et lui
assura des reprises considérables en cas de survie.
L e c o m te émi gr a : tous le§ biens provenus de son
père furent soumissionnés et ven d u s, de manière qu ’à
son retour de l ’émigration, qui eut lieu en 1804, il
ne lui restait d’autres ressources que de faire liquider
les reprises q u ’il avait sur la succession de la dame
son épouse. Ces reprises, réunies à quelques sommes
peu considérables provenues de la succession de sa
mère, composent toute la fortune du comte.
A u retour de l ’émigration, le comte Legroing vint
dans la maison paternelle : l ’état de sa santé exjgeait
un service continuel 5 sa mère, qui l ’ a v ai t a c c u e illi avec
bonté, le confia aux soins de Françoise B ou d on , dont
les qualités lui étaient oonnuesj depuis, cette do
mestique ne l ’a plus quitté.
Le chevalier était à Malte en 1798 : il rendit le
fort Saint-Ange, où. il avait l’ honneur de commanderj
«’embarqua sur l’escadre du vainqueur 5 assista à
�( 9 )
l ’expédition d ’E g y p t e , et revint en France comblé des
dons de la fortune, et honoré secrètement, d it-o n , de
la faveur de son nouveau maître.
Dès leur première entrevue, les deux frères purent
se juger*, le comte Legroing crut s’apercevoir que le
chevalier s’éloignait un peu des principes q u ’il jugeait
ne pouvoir être abandonnés sans d é s h o n n e u r - , il v it,
sans l ’envier, mais peut-être avec pein e, l ’état d ’opu
lence de son frère. On apercevait, en effet, dans leur
position , un contraste si p a rfa it, qu ’il eût été difficile
de deviner q u ’ils avaient servi sous les mêmes dra
peaux, et combattu pour la même cause.
Le chevalier, de son c ô té , pouvait par fois être
blessé de la fierté de son frère. Au tems où il vivait,
sa fidélité à ses anciens
souvenirs d e v a i t ¿-tonner celui
qui savait avec art se plier aux circonstances.
Le
comte n’était plus q u ’un censeur chagrin et incommode :
le chevalier dut s’en éloigner et ne plus penser q u ’à
utiliser les capitaux que son séjour chez Vétranger et
un service a c tif lui avaient procuré.
L e chevalier s’entremit dans les affaires de la fa
mille : il est inutile d ’examiner s’il agit dans ses in
térêts ou dans celui de ses proches ; mais l ’on doit
remarquer que cette circonstance ne fit q u ’augmenter
le refroidissement des deux frères, et que bientôt ils
cessèrent de se rechercher et de se voir.
Le comte avait pris un logement particulier5 il y
habita pendant trois ans : b o r n é à la société intime
de quelques personnes, il ne s o r t a i t de sa maison que
�pour rendre fréquemment ses devoirs, à sa respectable
mère.
Cependant la santé du comte était altérée; son
état d ’infirmité l ’alarmait. Dans cette position, il
crut, devoir disposer de ses biens : en conséquence, il
f[t, le 8 avril 1807, un testament par acte public;,
[)ar lequel il donna à Françoise B oudon, sa. gouver
nante, la propriété de tous les biens meubles et im
meubles dont il mourrait vêtu, et saisi. Ce-testam ent,
très-régulier en sa forme, fut
reçu par Me Cailhe ,
notaire R io m , en présence de quatre témoins.
Cependant le comte sentait la nécessité de se pro
curer q u e l q u e s distract ions et de se créer un genre de
v.ie plus conforme à ses goûts. Il fut se fixer à» Clerm o n t ,. où il avait beaucoup de connaissances , et
çomptait. quelques amis; il y fréquenta plusieurs
maisons quix l ’accueillirent avec égards et am itié , et
fi.tj ijienje long-tems partie d’une société connue à
Çlermont sous la dénomination de Salon delà Poterne.
lin 1 8 1 1 , Frajiçoise Boudon fut recherchée en
niftriçtge«par Julien Jouvainroux; cet homme, né dans
u»p classeï industrieuse et utile de la. société, était
alo^s sacrjstajn,de; latcathédrale; la surveillance et la
conservation, des orneinens et des trésors de l ’église
lui étaient confiées; son honnêteté, sa fidélité à remplir
ses devoirs, et ses vertus modestes lui avaient concilié
l’estime et; la., confiance des ecclésiastiques dont il
dépendait, d e:mnnièrc que le comte Legroing dut voir
avec satisfaction) une union
qui
lui promettait de
�( lï )
nouveàux secours, et q u i , d ’ailleurs, était devenue
indispensable.
L e mariage est du 17 septembre 18 11. ClaudineFlavie Jouvainroux est née le 4 mars 1 8 1 2 , et a été
présentée à l ’officier de l ’état civil par son père, qui
a signé son acte de naissance.
Cette enfant devint bientôt l ’objet de l'affection du
comte. La douce symphatie qui existe entre l ’enfance '
et la vieillesse, les rendit nécessaires l ’un à l ’autre ;
les jeux et les caresses de Flavie charmaient les ennuis
et calmaient les souffrances du vieillard. Les petits
cadeaux et les empressemens de ce dernier captivaient
h. leur tour la légèreté de l ’enfant, qui ne quittait
plus .ton bon ami y le séclitisait à ehacjue instant dll
jour par de nouvellés preuves d ’attachem ent, se joi
gnait h ceux qui lüi prodiguaient des secours, et
appaisait, par ses énipressemeris et ses innocentes pré
venances , les plaintes et les emportemens que la
douleur pouvait lui arracher. C ’est ainsi que Flavie
devint, par les qualités aimables de son âge, si chère
au comte Legroing, q u ’il l’a présentait comme son
héritière à tous ses amis et îi toutes ses connaissances;
ne dissimulait ni l’attachemént q u ’il avait pour elle,
ni la sollicitude dont elle était l ’objet, et ne se plai
gnait des pertes q u ’il avait éprouvées et des dépenses
que nécessitait son état de maladie, q iic parce q u ’il
craignait ne pouvoir assurer à c e t t e enfant une existence
aussi douce qu ’il l ’aurait désiré.
Le testament du comte est du 24 décembre 181G.
�( 13 )
Claudine-Flavie est la seule personne qui occupe sa
pensce; il l ’institue son héritière universelle, et ne
lui impose d ’autre charge que celle de payer à sa
mère une pension alimentaire de 800 francs, et de
lui laisser la jouissance de quelque m obilier; i l ré
voque, au r e s t e t o u s testamens anciens, et même
tous codicilles.
Ainsi l ’institution d ’héritier, de 1807, est complète
ment anéantie, et Françoise Boudon ne reçoit, dans
ce dernier testament, que la récompense due à ses
longs servicesL a forme de ce testament est également remarquable.
L article 970 du Gode civil fuit dépendre la v a l i d i t é
des testamens olographes de l ’accomplissement de for
malités extrêmement simples; la disposition, la signa
tu re, et la date écrite de la main du testateur, sont
les trois seules choses nécessaires et exigées; mais le
comte Legroin g, se complaisant dans son ouvrage, et
voulant donner à sa volonté un caractère d’authenticité
qui lui fut propre, ajoute à la volonté de la lo i; ainsi
toutes les pages de son testament seront numérotées et
signées par lui ; cet acte se trouvera sous une enveloppe
cachetée au sceau des armes du testateur, et déposé
dans l ’étude d ’un notaire, avec cette suscription datée
et signee: « Ceci est mon testament, déposé de confiance
« entre les mains de M. Espinasse, notaire royal à
« Clerm ont-Ferrand, le 2/, décembre 181G. »
La suggestion et la captation, sur-tout la violence,
exigent-elles des soins aussi minutieux pour la coufec-
�9 3
( .3 )
tion des actes arrachés aux malheureùx q u ’elles dé
pouillent...... ? Non : presque toujours la contrainte sé
décèle par l ’omission de quelques formalités essen
tielles.
Mais poursuivons : ce testament n ’était q u ’un acte
de précaution. L e comte Legroing, familiarisé avec
ses m aux, et accoutumé à souffrir, espérait encore
vivre assez long-tems pour assurer la fortuné de son
héritière de prédilection, en réalisant en immeubles
les capitaux q u ’il lui destinait 5 il paraît même que
ce projet aurait été promptement *et pleinement exé
cuté , si le comte avait encore vécu quelques années ,
et si, sur-tout, il eût pu être certain de la rentrée
prochaine cle fonds considérables prêtés avec générosité
mais dont le recouvrement devenait
difficile.
L e 17 mai 1 8 1 7 , c’est-à-dire, cinq mois après le
testament olographe, déposé chez Me Espinasse , le
comte L e g ro in g , Julien Jouvainroux et Françoise
Boudon, son épouse, stipulant pour F la v ie , le u r f ille ,
acquièrent de Marien C ou steix, différens immeubles
situés a Laroche-Blanche, moyennant la somme de
33 ,Goo francs. Cet acte assure ¿1 F la vie la nue pro
p riété de ces im m eubles, moyennant 20,000 fr a n c s/
le comte doit en avoir la jouissance ¿a vie durant ;
et le p r ix de cet usufruit entre dans la vcnie pour
1 3 , 6 oo francs.
Cet acte manifeste bien é v i d e m m e n t la volonté il il
comte. Comment résister aux inductions qui s’en
déduisent naturellement? D ’abord on no cl ira point
‘v
�0 4 )
q u ’il a été arraché par la suggestion, la captation ou
la violence. L a nature de l ’acte repousse.cette idée;
ensuite, s’il n ’eut pas été consenti librem ent, Jouvainroux et sa femme seraient seuls acquéreurs ; ils
n ’auraient point acquis pou r le compte de F la v ie , et
M. Legroing ne se serait pas réservé Vusufruit des biens
compris dans cette acquisition.
Il est évident que la même voloulé qui avait dicté
le testament du 24 décembre, a présidé à la- vente
du 17 m ai; le comte Legroing ne fait rien dans les
intérêts de Jouvainroux et de son épouse; il acquiert
pour J^lavie 3 leur f i l l e . Dans ses intentions, l ’ u s u f r u i t
des biens ne d o it p o i n t leur a p p a r t e n i r , il s 'en réserve
la jo u issa n ce, et y met un p rix, qui prouve q u ’il
conservait l ’espérance d ’élever, et peut-être d ’établir
lui-même cette enfant. Enfin, Jouvainroux et sa femme
ne sont rien dans la pensée du comte; Flavie est la
seule personne dont il s’occupe; elle seule sera pro
priétaire lorsque son usufruit aura cessé.
Peu de tems après, les infirmités du comte devinrent,
plus graves : une maladie cruelle, des plaies q u i s’élaicnt formées aux jambes et qui
exigeaient
des pan-
scineus aussi multipliés que douloureux, rendirent les
soins de plusieurs médecins nécessaires, et obligèrent
d ’appeler une garde-malade. MM. Monestier, Voiret et
Blatin lui donnèrent successivement , et ensemble ,
leurs soins; ils l ’ont vu jusqu’à sa mort. L a nommée
Terrasse, gerde-malade, n’a point, quitté le chevet de
son lit. Les uns el les autres ont éié témoins de l ’af-
«
�( >5 )
fection du comte pour Flavie; il la désignait constam
ment comme son héritière ; recommandait la plti£
stricte économie, et se lo u a it, d ’ailleurs, des soins et
des services de ceux qui l ’entouraient.
F l a v i e était, en effet, 'constamment présente à la
pensée du comte. Les douleurs les plus vives ne pou
vaient le distraire de cette idée unique qui le m aî
trisait entièrement, et q u i, parfois, l’aidait à supporter
ses maux. S’il s’agissait de cette e n fa n t, il devenait
soupçonneux et défiant; les précautions q u ’il avait
prises pour lui assurer sa fortune, lui paraissaient, par
fois, insuffisantes; il aurait désiré pouvoir imprimer
à chacun dés objets qui devaient composer sa succession,
un signe tellement ineffaçable, q u ’ilr fut propre à les
faire reconnaître par tous, c o m m e apj-ïartenant: à son
héritière, et à rendre toute soustraction impossible.
L e comte Legroing était créancier de son frère d'une
somme àssei considérable : il était porteur de tiois
lettres de change; il ne voulut point en laisser la
disposition au sieur Jouvainroux. Se défiait-il de lui?
Avait-il le pressentiment que lés circonstances pourraient.'
lui faire désirer d ’acheter la paix au prix de quelques
sacrifices...... ? Quoi q u ’il en soit, il signala ces effets,
et en passa l ’ordre h Claudinc-Flavie.
Cette précaution du comte sera-t-elle aussi regardee
comme l’effet de la suggestion et de la violence ? Mais
quel avantage présentait-elle à Jouvainroux et à sa
fem m e.....? F ile n ’ajoutait rien à 1» force de la dis->
position faite par le com te, en faveur de Flavie; Îe
�( i6 )
testament était suffisant pour la rendre propriétaire
de la succession, et en exclure le chevalier*, le comte
n ’avait donc, en écrivant cet ordre, d’autre but que
celui d ’assurer la propriété de Flavie contre ses propres
parens, et d ’ôter u ces derniers la possibilité d ’abuser
du dépôt que la loi leur confiait. Les père et mère de
Flavie n ’ont pu désirer cet acte : il est évident q u ’ils
n ’ont point employé la suggestion et la violence contre
leurs propres intérêts; il est aussi certain que le testa
m ent, la vente et les ordres émanent de la même per
sonne, ne forment, pour ainsi dire, q u ’un seul acte, dont
l’objet est d ’assurer à F la v ie s e u le , et au détriment
de ses ascendans 3 la propriété des biens du c omte .
Comment d onc p our r ai t -o n diviser u n ensemble de
faits si propres à manifester une volonté libre et éclairée?
Ne prouve-t-il pas, au contraire, de la part du testa
te u r,
une
anéantit
à
persévérance dans
ses dispositions, qui
l ’avance les reproches de captation et de
violence que le chevalier a osé articuler?
A u mois d ’août, l’état du comte Legroing était
devenu
plus inquiétant; sa maladie avait
fait des
progrès rapides; il était livré à des souffrances cruelles;
il eut recours aux douces consolations de la religion.
MM. C aban e, curé des Carmes, et M o u lh o t, vicaire
de Notre-Dame-du-Port, étaient venus constamment
le voir pendant les 1 5 derniers jour de sa maladie ; il
s’entretenait avec l ’un d ’eux au moins deux fois par
jo u r; il remplit tous ses devoirs avec une respectueuse
soumission, çt mourut en chrétien résigné. Les mal
�heureux espérait peut-être que samémoire serait honorée,
ou q u ’au moins ses héritiers se respecteraient assez
eux-mêmes pour ne pas attaquer les dispositions d ’un
frère auquel, depuis long-tems, ils étaient devenus
étrangers.
Flavie ne pouvait apprécier combien était grande la
perte q u ’elle venait de faire ; cependant ses regrets
furent amers. Mais Jouvainroux et sa femme sentirent
ce q u ’ils devaient à la mémoire du comte. Ses obsèques
furent magnifiques ; sa dépouille mortelle repose dans
un terrain acquis par Jouvainroux, et consacré à con
server le souvenir du bienfaiteur de Flavie.
Les faits principaux qui ont entouré le testament
du comte Legroing étant connus, il convient de tracer
rapidement l ’esquisse de la p r o c é d u r e , d ’i n d i q u e r la
marche tenue par le chevalier, et de mettre sous les
yeux de la C ou r les dispositions du jugement qui a
rejeté ses prétentions.
On a dit que le comte était mort le i 3 août 1 8 1 7 ,
c’est-à-dire huit mois après la confection et le dépôt de
son testament.
L e 1 4 , M® Espinasse, notaire, assisté du
sieur
Julien
Jouvainroux, présenta ce testament à M. le président
du tribunal civil de C lerm on t, qui dressa procès-vcrbal
de son ouverture et de sa forme e x t é r i e u r e , e t rendit
une ordonnance qui en continua le dépôt chez le no
taire Espinasse.
Il a fallu parler de celte
circonstance
pour détruire
les allégations que le chevalier Legroing a osé se per-
3
�svp
(' 18 )
mettre clans son mémoire imprimé (pages 24?
et 2^)Suivant lu i, le testament a été déposé par Jouvainroux
seul; donc il est demeuré, contre la volonté du comte,
possesseur de cet acte important jusqu’au décès de ce
dernier. La signature de M. le président n’est pas suf
fisante pour le rassurer sur la sincérité d’un renvoi qui
indique Me Espinasse comme étant celui qui a présenté
le testament, « parce q u ’on n ’ignore pas ce qui se passe
« à l ’hotel, lorsqu’on vient demander des signatures.
« On présente ordinairement une foule d ’actes rédigés
«■la veille ou le jour même; le président, qui en a
« connaissance,
signe avec confiance , apostille les
« r e n v o i s sa n s a u t r e m e n t y
r e g a r d e r ............. »
Que répondre à une pareille imputation consignée
dans un Mémoire signifié, et que l ’on a osé faire ré
péter dans une consultation?......... E lle est fausse : le
magistrat respectable et éclairé auquel elle était adressée
a cru devoir la dédaigner; et l’héritière du comte ne
doit plus s’en occuper que pour manifester ses regrets
d’avoir été privée, par ce fait, de l ’autorité q u ’aurait
pu ajouter au jugement q u ’elle a obtenu, le suffrage
de M. le président, qui crut devoir
s’ abst eni r.
Le i 5 août, le sieur Jouvainroux, tuteur de Flavie,
lit apposer les scellés sur le mobilier du défunt.
Le 19 , le chevalier Legroing forma opposition à la
rémotion.
U ne ordonnance du
août 1817 avait envoyé le
sieur Jouvainroux en possession des biens ayant appar
tenu au comte Legroing, conformément aux art. 1006
«
�V
( *9 )
et 1008 du Code civil. L a rémotion dös scellés avait
eu lieu , et l'inventaire était même presqu’achevé ,
lorsque le chevalier crut pouvoir prétendre que le mo
bilier d evait'lui être remis, comme héritier naturel,
sauf à le représenter, et déclara q u ’il formait opposition
à l ’ordonnance du 2 3 août.
Une ordonnance rendue en référé, le 2 6 , donna
au chevalier acte de son opposition, et renvoya à l ’au
dience du 27 pour y être statué.
Le chevalier présenta alors une requête où , sans
préciser aucuns faits, il soutint que le testament était
n u l, comme étant l ’eifet de la captation, de la vio
lence,’ de l ’obsession, du d ol, et fait ab ircito. 11 de
manda en conséquence à être envoyé provisoirement en
possession 5 mais le j u g e m e n t d u 27 le déclare non
recevable dans son opposition à l ’ordonnance du a 3 5
maintient, en conséquence, l’envoi en possession pro
noncé en faveur de Jouvainroux, et ordonne q u ’au
fonds les parties procéderont en la manière ordinaire.
Bientôt le chevalier
fait signifier et publier un
mémoire.
Suivant lui ,
i°.L e testament est fait ob irato : il est l ’ouvrage de ■
la haine et de la colère \
20 II est l’ouvrage de la captation et de la suggestion
de la part d ’une concubine.
Pas un seul mot de la v i o l e n c e comme cause de
nullité du testament; ce moyen n ’a même jamais été
présenté au tribunal de Clerm ont, et ne l’est pas
f
�( 20 )
encore dans les consultations distribuées en la Cour.
Ce mémoire est suivi d ’une requête signifiée le 28
mars 1818.
Le chevalier y demande la nullité du testament de
son irère, sous un double point de v u e ,
1" Comme fait en faveur d ’ une f i l l e naturelle du
sieur comte Legroing et -de Françoise Boudon,
sa
gouvernante, laquelle f i l l e naturelle ne s t pas légalement reconnue, et ne p e u t, à ce titr e , espérer que
des alimens;
20 Com me fait ab irato,
co n tre
sa
fa m ille ,
et
comme étant l ’effet de l ’obsession, de la captation et
de
la
s u g g e s t i o n d e la . p a r t d e
JU LIEN
F ra n ço ise
boudon
e t de
JO U V A IN R O U X .
Passant ensuite à la preuve de ces propositions, il
soutient que C laudin a-F la vie Jouvainroux est née du
concubinage de la dame Jouvainroux avec le comte
Legroing.
Parce qu e, i° il est prouvé (suivant lui) que Fran
çoise Boudon est devenue enceinte une première fois,
en 18065 que son enfant, nommée Joséphine, a été re
connue par le comte Legroing, tant dans son acte de
naissance que dans celui de décès;
20 Que Françoise Boudon a continué de cohabiter
avec son m aître, et de vivre avec lu i, soit à Riom ,
soit à C le rm o n t, notoirement et publiquement en
concubinage 5
3 ° Que Françoise Boudon est devenue enceinte une
deuxième fois en 18115 que sa grossesse était de plus
�( 21 )
de trois mois, lorsque M . Legroing a p ig é à propos
de la marier avec Julien Jouvainroux. Q u e, conséquemment, Claudine-Flavie est le fruit du concubi
nage ; ce qui est, au surplus, confirmé par la présomption
de la loi, suivant la maxime : A n cilla m prœgnantem
in dubio vid eri prœgnantem à domino m axim e ;
4 ° Que ces faits se trouvent justifiés par les circons
tances de cohabitation du mari et de la femme avec le
comte,
Par la différence q u ’il mettait entre e u x, faisant
manger la femme avec lu i, et le mari à la cuisine-, par
les soins q u ’il avait pour Flavie : il l ’appelait habi
tuellement sa fille , et celle-ci lui répondait en lui
d o n n a n t le n om de papa.
Enfin, par la tendresse que le comte avait pour cette
enfant. « E lle était si grande, que lorsqu’il s’élevait
« des querelles entre lui et les Jouvainroux, ce qui
« arrivait souvent 3 on le menaçait de lui ôter la petite
« Flavie, pour l ’appaiser et obtenir dé lui tout ce q u ’on
« désirait. »
E n conséquence, le chevalier conclut à ce que C lau
dine-Flavie Jouvainroux soit déclarée enfant naturel
non reconnu du comte Legroing; à ce que l ’institution
contenue au testament du 24 décembre 1 81 6 , et te
donation indirecte faite par la vente du 17 mai 1817,
ainsi que la donation indirecte r é s u l t a n t des ordres
qui se trouvent au dos des lettres de change souscrites
par le chevalier, soient annullées; à ce que toute la
succession lui soient remise, s’en rapportant d’ailleurs
�• f(
22 )
à la prudence du tribunal sur la quotité de la pension
alimentaire qui doit être accordée à C laudin e-F lavie.
Il faut convenir que le chevalier ne pouvait créer
un système qui outrageât plus ouvertement les mœurs
et la dignité du mariage. Ainsi c’est vainement que
les rapports qui existent entre le père et l ’enfant sont
liés à l ’institution la plus sainte et consacrée par les
lois les plus positives : un étranger, mu par un vil
intérêt, peut, en invoquant les. mœurs, troubler le
repos des familles, tenter de détruire l ’état d ’un enfant
légitime, pour le classer parmi les enfans naturels non
reconnus; e t, se jouant de la religion et des lois, les
i n v o q u e r p o u r d ét ru ir e ce q u ’elles ont de pl us sacre,
à l’eiFet de se rendre maître de la succession d ’un frère
dont il ne craint point de flétrir la mémoire.
Tel était cependant le moyen principal employé par
le chevalier en première instance. Les faits de capta
tion et de suggestion, ceux même q u i, suivant l ui ,
tendaient à prouver que le testament du comte avait
été dicté par la colère, n ’étaient articulés que subsidiaireinent.
Les voici :
i u Françoise Boudon a vécu en concubinage avec le
sieur Lcgroing depuis q u ’elle est entrée à son service;
2° A compter de cette époque, elle a mis tous ses
soins pour séparer et éloigner son maître de toute sa
famille. F ile et son mari ont em pêché toute commu
nication avec son frère, ses parens et ses amis ;
3 " F ile avait inspiré à son maître une telle haine
�9*3
( ’3 )
contre ses proches, et notamment contre~le chevalier,
que lorsque le nommé Ghantelot emporta, dans le
mois de juillet 1 81 7 , 8000 francs, de la part du che
valier, à-compte de ce q u ’il lui devait, le comte refusa
de les recevoir, en désavouant le chevalier pour son
frère, et en tenant contre lui les propos les plus inju
rieux ;
4° Que le chevalier s’étant présenté chez le comte,
le 12 du même mois de ju ille t, pour régler ses comptes
avec lui et lui payer une partie de ce q u ’il lui devait,
il ne p ut pas parvenir ju s q u ’ à lu i; q u ’il fut en con
séquence obligé d ’avoir recours à des tiers, et spécia
lement à un jurisconsulte de C le rm o n t, qui se trans
le c o m t e , rédigea la quittance des sommes
q u ’il recevait, et du mo de de p a i e m e n t de ce q u i res
tait d û ; que ce jurisconsulte lui ayant fait lecture de
po rt a chez
cette quittance, dans laquelle il lui faisait dire q u ’il
avait reçu telle somme de son frère, il se mit en fu
reu r, se leva sur son séant, quoique dans un état qui
le privait, en quelque sorte, de tout mouvement; dit
que le chevalier n ’était pas son frère, vomit contre lui
toute espèce d’injure , et ne consentit à signer la
quittance, que lorsque le jurisconsulte présent, qui
l ’avait rédigée, «ut rayé ces mois : Mon frère ;
5 ° La dame Jouvainroux était toujours présente
toutes les Ibis q u ’il arrivait quelques personnes auprès
de son maître. Lorsqu’elle sortait, elle l ’enfermait sous
clef, pour q u ’il y eût impossibilité de sortir ou de
communiquer avec qui que ce fût;
�Fvo
( H )
6° E lle a souvent maltraité son m aître, qui a fait
entendre ses plaintes, et se mêttait à la fenêtre , en
criant au secours! à Vassassin! que ses cris ont attiré
les voisins, le p ub lic, et même la police;
7° Q u ’elle s’emparait des lettres qui venaient de la
fa m ille , et spécialement du chevalier, pour que son
maître n ’en eût aucune connaissance; et q u ’une de
ces lettres a été trouvée dans la commode de la dame
Jouvainroux, lors du proccs-verbal du juge de paix ;
8° Que le comte était absolument dans la dépenda nce de' sa domestique-gouvèrnante, qui s’était em
parée de tous ses biens et facultés, et que le comte
é ta i t t o m b é dans u n é t at de faiblesse et d ’ i mb éc il li tC
tel, q u ’il ne lui restait ni volonté, ni discernement.
L e vague et l ’insuffisance de ces faits se laissent
facilement apercevoir : aucune circonstance n ’y est
déterminée; ils sont d ’ailleurs anéantis par le rappro
chement que l ’on peut en faire des faits connus et
constans au procès.
Les premiers juges les ont appréciés; ils ont examiné
cette cause dans son ensemble et dans tous ses détails.
Il convient de faire connaître leur jugement. }
P remière question : en la forme ;
L e testament du comte L egroin g est-il valable?
A tten d u q u e , conform ém ent à l ’article n eu f cent soixante-dix du
Code c iv il, il a <He écrit en entier, daté et signé de la main du testateur;
que la loi ne l ’assujétissait à aucune autre form alité ; qu ’il n’est môme
pas attaqué en ce point.
D euxièm e question : au fond ;
L e comte L egroing avait-il capacité pour disposer par tostament?
�(
25 )
A ttendu q û e , d'après l ’article n eu f cent deux du Code c iv il, toutes
personnes peuvent disposer, par testa m en t, excepté celles que la loi en
déclare incapables ;
A ttendu que le comte Legroing n’était dans aucun des cas de l'article
guatre cent quatre-vingt n eu f du Code civ il ; qu’il est m ort iiitegri
statds, et que son testament même prouve qu ’il était sain d’esprit.
Troisième question.
L e comte Legroing a-t-il pu disposer de l ’universalité de ses Liens?
A ttendu que le comte L egroing n’avait ni ascendans ni descendans ;
Q u ’a in si, et aux termes de l ’article n eu f cent seize du Code c iv il, ses
dispositions testamentaires ont pu épuiser la totalité de ses biens.
Q uatrièm e question.
L e comte Legroing a -t-il fait son testament par colère et en haine do
sa fam ille ?
A tten d u q u e , quoique le Code civil ne dise rien du cas où un testa
m ent serait attaqué pour cette cause, il faudrait examiner s’ il peut
encore y avoir lieu à l ’action en n u llité admise par l'ancienne jurispru
dence , dans q u e l q u e s - u n s de c e s c a s ;
Mais attendu q u e , quand les faits allégués par le dem andeur seraient
é ta b lis, il n’en résulterait aucune preuve que ce testament a été reflet
de la haine et de la colère du comte L egroing contre sa fum ille, ou ,
pour m ieux d ir e , contfe le dem andeur ; car la dame L e g ro in g , leur
sœ u r, a pensé qu’elle n’avait pas le droit de s’en plaindre.
Ces faits de haine et de colère seraient :
L e p rem ier, un rëfus de la part du comte L egroing de recevoir une
somme de huit m ille francs, que le dem andeur lui aurait envoyée par
le sieur C lia n telo t, le premier ju illet m il h u it cent d ix -sep t, et d’avoir
accompagné Ce refus d’injures contre le demandeur.
L e dem andeur ne dit pas quelles furent ces injures , ni le m otif dû
refus.
L e deuxièm e fait serait que le dem andeur s’étant
p ré s e n té
Iui-mômc,
le douze du mémo m ois, chez son frè re, pour r é g i« 'ses comptes et
payer une partie de ce q u ’ il lu i d e v a it, il ne put pas parvenir jusqu’il
!«»•
L e dem andeur ne dit pas non p lu s pourquoi et par qui il fut empêché
de parvenir jusqu’à son frère,
4
�L e troisième fait est que le dem andeur ayant alors invité un juris
consulte à porter pour lui la somme à. son frère, de rédiger la quittance,
et de régler le mode du paiement de ce qui resterait dû , et le jurisconsulte
ayant fait lecture de la quittance au comte L e g r o in g , celu i-ci se m it
en fu re u r, parce qu ’il y était dit que le chevalier Legroing était son
frère; il vom it contre lui toutes sortes d’in ju res, et ne signa la q u it
tance que lorsque le jurisconsulte eut rayé les mots : M on frère.
L e dem andeur a laissé également ignorer quelles furent ces injures ,
/
et cependant il serait possible que les expressions du comte L egroing ne
fussent pas reconnues injurieuses ; le dem andeur aurait pu regarder
comme injures quelques paroles seulem ent désobligeantes , qu ’un mo
ment d’hum eur ou le m écontentem ent aurait pu p ro d u ire, sans que le
coeur du comte L egroing y prît aucune part.
A u surplus, les frères L egroing auraient pu vivre en m ésintelligence r
ne pas s’aimer ; mais entre la haine et l ’amitié il y a tant d’autres sentim e n s q u i n e t r o u l i l c n t n i l'esprit n i la r a i s o n , q u i ne s o n t n i de la
haine ni de la colère !
E t s i , par de semblables motifs , il était possible d ’annuller les testamens faits au préjudice des collatérau x, il serait presque inu tile d’en
faire.
Enfin , et cette observation serait seule décisive sur ce point :
'A ttendu que le testament dont il s'agit est du vingt-quatre décembre
m il huit cent s e iz e , et que les fa its de colère et de haine allégués ne
seraient que du mois de ju ille t mil huit cent d ix - s e p t;
Q u ’a in s i, ils n ’auraient pas pu influer sur des dispositions testa
mentaires fa ite s sept mois avant leur existence.
Cinquièm e question.
Si ce testament n’a pas élé l ’effet de la haine et de .la co lerc, a-t-il
été celui de la captation et de la suggestion ?
il'
A tten d u que U\s moyens de captation et de suggestion sont comme
ceux de hnine et de coli-rc , méconnus par le Code c iv il; q u e, néanm oins,
s'il en existait, il faudrait encore examiner .aussi s’ils peuvent encore
fonder l’action en nullité, d’ un testament: olographe ;
Mais attendu qu’ il serait ridicule de prétendre qu'un enfant de cinq
ans a employé lu r u se , l'artifice, la mauvaise f o i , lés insinuations per
fides, pour tromper le comte L e g ro in g , lui rendre sa fam ille odieuse,
�V
)
le faire changer de volonté, et surprendre, en sa faveur, des dispositions
qu’il aurait eu l ’intention de faire en faveur du dem andeur;
A ttendu qu’il n'est pas vraisemblable que la force d’esp rit, la fierté
du caractère du comte Legroing aient jamais cédé aux volontés de Fran
çoise B o u d o n , au point sur-tout de faire ce q u ’il n’aurait pas voulu
faire ;
Q u ’il n’est pas presumable que la femme Jouvainroux eût tenté ce
triom phe; elle eût cra in t, sans d ou te, de déplaire à son m aître, et
m ême de l ’offenser ; s’il eût pensé qu ’elle vonlait le dom iner, elle eût
craint
d'achever de perdre une confiance déjà tant affaiblie par son
mariage ;
A ttendu , q u ’en supposant même que la femme Jouvainronx eût
quelque pouvoir sur l ’esprit de son maître , il n'est pas vraisemblable
qu’ elle Veût em ployé pour fa ir e exercer envers sa f i lle une libéralité
qu'elle eut désiré conserver en vertu du testament de m il huit cent sept >
ou fa ir e renouveler pour elle ;
,
A ttendu qu ’il e s t, au contraire , tout naturel de croire que c’ est par ses
caresses , par ses assiduités, par s e s s o in s , e x c i t a s peut-âtre par de petits
cadeaux que l ’âge mûr et la vieillesse ont coutum e de faire à l ’en fan ce,
que Claudine-Flavie a o b te n u , sans le savoir ni le d ésirer, cette marque
de sensibilité , d ’affection et de toute la bienveillance du comte L egro in g ;
q u e , ce dernier a pu penser qu’il ne devait aucun témoignage d’aflcction
ni de reconnaissance au chevalier Legroing , son frère , q u i , célibataire
comme l u i , ne transmettrait qu’à des étrangers ou à des collatéraux
éloignés les biens qu’ il lui laisserait ;
A ttendu q u e , comme le disent les auteurs, le testament olographe
est celui qui dépose avec plus de sûreté de la volonté du testateur;
A ttendu que les précautions surérogatoires que le comte Legroing a
prises pour assurer et conserver saine et entière l ’existence du sien, en le
cotant, et signant à chaque page , et en le mettant sous une enveloppe
cachetée au sceau de scs arm es, avec une inscription
sa main ;
Q ue la facilité qu’ il avait de révoquer d’un
é c r ite
m om ent
et signee de
à l’autre ces dis
positions, d’en faire de nouvelles, ou de n ’en pas laire du tout , et dç
c o n fie r
l’écrit de sa dernière volonté, soit à un des médecins qui lui
prodiguaient des soins pour prolonger ses jo u r s , soit ¿1 un des ministres
�c
( »8 )
q u i lu i portaient souvent les consolations de la religion, et le préparaient
à bien m o u rir, soit à toute autre personne qu ’il aurait choisie pour eu
être le dépositaire, fa cilité q u i, comme le dit R ica r d } a v a itfa it établir,
comme m a x im e indubitable au palais , que les fa its de suggestion n'é
taient pas recevables contre un testamen t olographe ;
Q u e , Vacquisition qui fu t faite au nom de C laudine-Flavic Jouv a in r o u x , le dix-sept mai m il h u it cent d ix -se p t, environ cinq mois
après le testam ent,
Q u e l ’ordre passé par le comte L e g r o in g , en sa faveur , sur lçs effets
de commerce à lu i consentis ;
Q ue le silence du comte L e g r o in g , ou p lu tôt sa persévérance pendant
les huit mois qui s’écoulèrent entre le testament et son d écès,
P ro u ve n t, d ’une m anière incontestable, que le comte L egroin g u ’a
été subjugué par personne ; qu’ il n’a cédé ni à l ’obsession ni aux solli
citations ; qu’ il n’ a été entraîné par aucune volonté étrangère ;
Q u il
h'u
a g i ( ju e p a r
l ’ im p u ls io n d e so n c œ u r d ’ a p r is
s e s s e f lt i m e n S
et ses affections personnelles.
L e dem andeur a lui-m êm e reconnu les affections du com te pour
F la v ie , en disant : « Q u e , quand le comte avait des momens de colère
« et d ’ im patience, elle allait se jeter dans ses b ras, et que ce petit
« manège calm ait sur-le-cham p le maître em porté. »
L e choix de F lavie pour son héritière a donc été l ’effet de sa volonté
lib r e , ferme et constante.
A ttendu que l’ acte qui le renferme , contient la preuve aussi que le
comte Legroing l ’a fait avec réflexion et tranquillité d ’esprit et de raison ;
Q ue l’ordre mis par le comte L egroin g sur les effets de com m erce,
n’a sans doute été imagine par lui , que pour conserver 1« valeur de ces
effets à C la u d in c-F la v ie , et em pêcher que son père et sa mère pussent
les lui soustraire, «t s’en approprier le montant.
l) ’où s’en suivrait une nouvelle preuve que rien n’a été fait ni suggéré
par la femme Jouvainroux , ni par son mari.
E t une observation qui ne laisse aucun doute à cet égard , c’est que
le dem andeur est lui-m ônic convenu que la mère de F lavie n’u v a it, h
l’époque du testam ent, aucune influence sur l’esprit de son m nître, en
disant : « Q u e , depuis quelque tems avant ce testam ent, le comte
t Legroing témoignait de l'hum eur et de la colère contre elle. »
�( =9 )
'A tte n d u q u e , quand il serait vrai que le comte Legroing se fût
procuré un modèle pour rem plir les formes d u testament qu ’il voulait
fa ire , cette circonstance serait absolum ent insignifiante, et ne pourrait
pas autoriser la critique des dispositions ;
Q ue d’officiers publics ont souvent recours aux formulaires !
Sixièm e question.
Claudine-Flavie Jouvainroux était-elle capable de rece v o ir, par testa
ment , le legs universel que lui a fait le comte Legroing ?
A ttendu q u e , d’après l ’article n e u f cent six du C o d e , il su ffit, pour
être capable de recevoir par testam en t, d ’être conçu au décès du tes
tateur ;
E t attendu qu’au décès du comte L e g r o in g , C laudine-Flavie Jou
vainroux était âgée de près de six ans ;
A tten d u que C laudine-Flavie Jo u va in ro u x, née le cent soixanteonzième jour du mariage de Françoise Boudon sa mère et de Julien
Jo u vain ro u x, ne peut pas être considérée comme enfant naturel du
c o m te L e g r o in g ;
Q ue le mariage fait présum er que Jouvainroux était l’nnteur de la
grossesse de Françoise B o u d o n , avec l ’intention réciproque de s’unir
par le mariage ;
Q ue le dem andeur n’a pas été exact dans sa citation de la maxime
suivie dans l ’ancienne ju risp ru d en ce, et justement abolie par nos lois
nouvelles ; en voici les termes : Crcditur virgini ju ra n ti se ah aliquo
cognitam et e x eo prœgnantcm.
E lle n’établissait, comme l ’a prétendu le dem andeur, aucune pré
somption , pas même les soupçons contre le m a ître , sur l ’état de la
grossesse de sa servante ; et le serment qu ’était obligée de faire la fille
en cein te, avait seulement l ’cflet de faire contraindre celui qu’elle avait
déclaré l ’auteur de sa grossesse, à lu i payer une somme modique pour
frais de gésine.
Q ue la présomption que Jouvainroux était l ’auteur de la grossesse de
Françoise Boudon , c'est q u ’au lieu de désavouer V evfun t, c’est Jou
vainroux lui-m êm e q u i l'a f a it inscrire
s u r
h registre de l ’état c iv il ,
comme étant son enfant d'avec Françoise B ou don, et qui en a signé
l'a cte ;
E t q u e , d’après les articles trois cent dix-neuf et trois cent vingt du
�( 3o )
Code c iv il, cet acte seul eût suffi pour constituer Claudine-Flavie ênfant
légitim e d u dit Jouvainroux ;
Q ue C laudine-Flavie a en outre obtenu la possession d’état d ’enfant
légitim e de Jouvainroux , par tous les faits que l ’article trois cent vingtun du Code désire ,
Puisqu’elle a toujours été regardée comme te lle , soit par sa fa m ille ,
soit par le public ;
Q u ’elle en a toujours porté le nom , et que Jouvainroux l’a toujours
traitée comme son enfant.
A ttendu q u e, d’après l’article trois cent v in g t, cette possession aurait
elle-m êm e suffi pour constituer cet état ;
A ttend u q u e , d’après l ’article trois cent vingt-deu x, nu l ne peut
contester l ’état de celui qui a une possession conforme à son titre de
naissance ;
Q u ’ainsi il n’est pas permis d’examiner com m ent Françoise Boudon a
v é c u a v a n t so n m a r ia g e ;
Q u ’ainsi il n’est pas permis d’alléguer que C laud in e-F lavie est le fruit
d ’un concubinage de sa mère avec le comte L egroing ;
Q ue la loi ne reconnaît même pas de concubinage après le mariage ;
Q ue le commerce illicite d’ une épouse avec tout autre que son ép oux,
est qualifié adultère ;
E t que le mari a seul droit de s’en plaindre.
A ttendu que l ’article trois cent tren te-n eu f du C o d e , qui autorise
tous ceux qui auraient intérêt à contester toute reconnaissance de la
part du père et de la mère , ne s’applique qu’aux enfans nés hors
mariage ;
,
Q ue toutes les dispositions qui composent la section 2“ du chapitre
des enfans naturels, et particulièrem ent celles de l’article trois cent
trente-sept, sont positives à cet égard ;
Q u ’ainsi la disposition universelle eut pu être valablem ent faite en
faveur de la fem m e, après le mariage ;
Q u ’ainsi l’on ne peut considérer C laudin e-F lavie Jouvainroux comme
personne interposée pour faire passer la libéralité sur la tête de sa inere.
Eh ! pourquoi aurait-on conçu celte idée plulAt en faveur de la mère
qu ’en faveur du père ? et cependant l’on n’ allègue aucune iucopacitü
contre le père..
�( 3i )
Comment concevoir aussi qu ’un en fa n t, q u i, dans l ’ordre de la n a tu re,
¿Levait survivre à ses père et m è re , eût etc choisi pour leu r transmettre
une libéralité?
Q u ’ainsi, et quand on supposerait que le maître ne peut pas faire un
legs universel à son domestique , l ’état de domesticité de la mère n’ in
fluerait en rien sur les dispositions testamentaires faites en faveur de
Claudine-Flavic Jouvainroux ;
Q ue l ’article m ille vingt-trois du C ode permettant de disposer en
faveur d’un dom estique, et ne lim itant pas la disposition, elle peut
s’étendre pour l u i , comme en faveur de toute autre personne non
prohibée ;
Q u ’ainsi la raison, la m orale, l ’honnêteté p u b liq u e , la sainteté du
m ariage, l ’ordre s o c ia l, le repos et la tranquillité des familles sont ici
en harmonie avec la loi pour assurer à C laudin e-F lavie Jouvainroux son
état d’enfant légitim e et le legs qu’elle a reçu ;
A ttendu que les faits allégués par le dem andeur sont ou vagues ou
insignifians, et ne seraient pas suffisans pour fonder l ’ action en nullité
d u te s ta m e n t ;
Q u ’ainsi la preuve offerte est non recevable et inadmissible , d ’après
la maxime : Frustrà probatur quod probatum non relevât.
L e tr ib u n a l, sans s’arrêter
à
la preuve offerte par le dem andeur,
ni
avoir égard à la demande en nullité par lui fo rm ée, le déboule de
toutes
ses
demandes, et reçoit les parties de Bayle opposantes
à
l ’ordon
nance obtenue par le dem andeur, partie de Pages; fait m ain-levée de
la surseance, et ordonne qu’ elle demeurera sans effet; leur fait m ain
levée des saisies-arrêts faites à la requête du dem andeur ; met hors de
cause sur les autres demandes des parties de B ayle, et condamne celle
de Pagês aux dépens ; et attendu que la partie de Bayle est fondée en
titres, ordonne que le
présent
jugem ent sera exccule provisoirem ent,
nonobstant et sans préjudice de l ’ a p p el, et sans qu’ il soit besoin de
donner caution.
X
■ '
?
■
L ’appel interjeté par le chevalier Legroing a soumis
les questions que présente cette cause,.et le jugement
Je
Clerm ont, à l ’examen de la Cour.
�( 3= )
D ISC U SSIO N .
L ’exposition du fait a déjà donné tous les élémens
nécessaires pour apprécier les prétentions du sieur
chevalier Legroing.
Que demande-t-il ?
L a nullité de toutes les dispositions directes ou in
directes faites par le comte Legroing, son frère, en
faveur de Claudine-Flavie Jouvainroux. Le testament
du 24 décembre 1 81 6 , la vente du 17 mai 1 8 1 7 ,
et
les ordres passés en faveur de Flavie , des lettres de
change dues par le chevalier, sont à-la-fois et égale
ment attaqués par lui.
Il convient que le testament est régulier en sa forme;
que le comte pouvait disposer de l ’universalité de ses
biens.
Quels sont donc ses moyens ?
Il répond :
i ° Q u e Claudine-Flavie Jouvainroux était incapable
de recevoir une institution du comte Legroing, parce
q u ’elle est son enfant naturel non reconnu, et q u ’en
cette qualité elle n ’avait droit q u ’à des alimens ;
20 Que le comte Legroing lui-même était incapable
de donner, parce q u ’il était en état d ’imbécillité ;
3 ° Que le testament du comte a été fait ab irato,
et en haine do ses proches, notamment de lui chevalier,
et que cette haine a été inspirée au comte par les
manœuvres de Jouvainroux et de sa femme;
%
�( 33 )
4 ° E n fin , que ce testam ent, et les actes qui l ’ont
suivi, ont été arrachés à la faiblesse du comte, par
l ’obsession, la suggestion, la captation, et même la
violence, également pratiquées ou exercées^par les père
et mère de Claudine-Flavie Jouvainroux.
Les moyens employés par le sieur chevalier Legroing
tracent naturellement l ’ordre de la défense de l ’héiitière du comte; elle doit les examiner successivement,
mais elle ne fera q u ’indiquer sés m oyens, et tâchera
de les resserrer dans le cadre le plus étroit.
Claudine-Flavie Jouvainroux était-elle incapable
de recevoir ?
Pour faire admettre l ’affirmative, il faudrait que le
chevalier Legroing put prouver :
Q u ’il est reeevable à a t t a q u e r l ’état d ’enfant légi
time de Claudine-Flavie Jouvainroux, état cjui est
établi et lui est assuré, soit par son acte de naissance,
soit par sa possession ;
Il faudrait q u ’il eût la faculté de substituer un état
incertaiu à un état acquis;
Q u ’il pût faire descendre un enfant légitime dans
la classe des enfans naturels, et prouver même que
Claudine-Flavie est l’enfant naturel du comte ; car
sans cette condition elle aurait été également capable
de recevoir.
Il faudrait enfin que le chevalier put , pour servir
ses intérêts, faire tout ce que les lois défendent, tout
ce que la religion et les moeurs réprouvent; q u ’il pût
outrager la dignité du mariage, détruire les rapports
5
�( 34 )
qui existent entre les enfans et les pères, rompre enfin
les liens les plus sacrés de la société.
Il est inutile d’insister sur le premier m oyen; il ne
doit rester dans la cause que pour apprendre q u ’il n ’est
rien de respectable aux yeux de celui q u ’un vil intérêt
aveugle; que, quels que soient d’ailleurs son rang, ses
lumières et sa réputation, l ’ambition peut l ’égarer,
jusqu’au point de lui faire manquer aux devoirs les
plus saints, en l ’obligeant à soutenir un système scan
daleux , que tous les amis de l ’ordre doivent repousser,
et q u ’il rejetterait lui-même avec une noble indigna
tion , si les passions qui l ’égarent lui permettaient d ’en
calculer les conséquences.
L e C o m te e tcn t - i l i n c a p a b l e cle d o n n e r ?
L e chevalier déduit cette incapacité de l ’état d ’im
bécillité de son frère; il ne cote aucun fait propre à
prouver son assertion : il se contente d’alléguer que le
comte était tombé dans un état de faiblesse et d ’imbé
cillité, tel q u ’il ne lui restait ni volonté ni discernement.
Quels sont les principes?
L a première condition pour la validité d ’un testa
ment est que le testateur soit sain d ’esprit (Code c i v i l ,
art 901).
Ce principe général, commun à tons les actes, à
tous les contrats, e s t , pour les testamens et donations,
iine disposition spéciale qui les régit particulièrement,;
de manière que l’article 5o 4 du Code 11e leur est point
applicable;
q u ’ils sont spécialement régis par l ’ar
ticle 901; et q u ’en conséquence ceux qui veulent at-
«
�/ ô û / ï,
( 33 )
laquer
un testament peuvent articuler et être admis
à prouver tous les faits qui sont de nature à établir
que le testateur dont l ’interdiction n’avait pas été
prononcée de son vivant, n ’était pas sain d ’esprit à
l ’époque du testament. Cette preuve est même admise,
quoique les notaires aient inséré dans l ’acte la clause
inutile que le testateur était sain d ’esprit ( i).
Mais pour pouvoir user de cette faculté, il faut
alléguer et prouver des faits de démence positifs et
concluans, parce que la présomption est toujours en
fa'veur de l’acte, et que la démence ne se présume ja
mais. Ce principe est si certain, que la Cour de cas
sation, par arrêt du 18 octobre 1809,
a jugé que
l ’dge a va n cé d u d on a teu r, l ’o u b li de sa f a m ille ,
l ’im portance d u le g s , la q u a lité p e u élevée d u d o
nataire , ne suffisaient pas pour faire décider que le
donateur n’était pas sain d ’esprit. Il s’agissait du tes
tament du sieur Leguerney de Sourdeval, qui avait
été jugé valable par la Cour royale de C aen; le testa
teur était âgé de quatre-vingt-six ans : ses légataires
universels étaient ses dom estiques , et les biens légués
excédaient
i
, 5 o o , ooq francs ( a ) . U n arrêt de la Cour
royale de Paris, du 26 mai 1 8 1 5 , a consacré ces prin
cipes en termes même plus absolus, et a maintenu le
testament du sieur Debermont, quoique le testateur
\
(1) Arrêt de cassation, du 22 novembre 1 8 1 0 . — Conclusions de
M. Merlin.— S i r c y , 1 8 1 1 , pag. 7 3 .
(2) Sircy, 1810, page $7.— Denevers, 1809, page/J^-
�(36)
eut été pourvu d ’un conseil, et que l ’on alléguât des
faits qui tendaient à prouver qu e, depuis 1788 jus
q u ’au 21 février 1809, il était dans un état habituel
de démence, facile à reconnaître par l'affaiblissement
de ses organes, son défaut de mémoire, et la facilité
de lui suggérer des opinions qui auraient pu compro
mettre sa fortune et sa liberté (1).
Ces principes s’appliquent spécialement aux testamens rapportés par des notaires; mais si le testament
est olographe, la présomption de sagesse augmente;,
elle est toute entière en faveur du testateur*, qui prend
le soin d ’écrire ses dernières volontés : dans ce cas, il
faut que le testament fasse naître par lui-même des
soupçons de faiblesse et d ’égarement d ’esprit; autre
m ent, il doit être respecté.
Tels sont les principes : sont-ils favorables aux pré
tentions du chevalier...... ?
D ’abord , il n’allègue aucun fait dont la preuve puisse
être ordonnée. L ’état de faiblesse d ’esprit et d ’imbé
cillité de son frère, aurait du se manifester par des
signes propres à le caractériser et à le faire reconnaître;
le chevalier n’arlicule rien , et cependant ses recherches
oiit été faites avec trop de soin, trop d ’ardeur et de
passion peut-être, pour que l ’on puisse supposer que
tous les faits ne sont point parvenus à sa connaissance.
Mais que pourrait-il prouver? L a solidité d ’esprit
du testateur n ’est-elle pas connue?
( 1) S iro y, 1 8 1 G, 2 e p artie, page a 38.
'
�fO ù ï
( 37 )
Au retour de rém igration, il liquide les reprises
qu’il pouvait avoir sur les biens de la dame son
cpouse; il en conserve seul l ’administration, jusqu’à
l ’instant de son décès; surveille ses nombreux débiteurs,
et écrit lui-même aux gens d ’affaire chargés de ses in
térêts , pour stimuler leur zèle ou leur indiquer la
marche q u ’ils ont à tenir.
E n 1807, il veut disposer de ses biens : un testament
fait par acte public, les transmet à Françoise Boudon,
sa gouvernante; il persiste dans cette disposition jus
q u ’en 181 G; mais , à cette époque , ses affections
changent d ’objet; sa volonté se manifeste de nouveau;
un testament olographe indique Claudine-Flavie .Touvainroux pour l ’ héritière du comte : une vente vient
b i e n t ô t après a ppr end re q u ’il persiste d an s cette vo
lonté, et il donne une dernière preuve de sa p r é vo y an c e,
en passant , au profit de son héritière, l ’ordre d«
certains effets, dont il pouvait craindre le mauvais
emploi.
Ces faits rendent toute autre explication superflue;
le comte pouvait disposer; son testament émane d’une
volonté éclairée; ainsi, l’étrange allégation du chevalier
est dénuée de fondement, et les conséquences s’en
rétorquent contre lui.
L e testament d u co m te a - t - i l é t é f a i t a b i r a t o ,
et en haine de ses proches ^ notamment du chevalier
L eg ro in g ?— Cette haine a-t-elle é té inspirée au com te
^ b
”
par les manœuvres de Jouvainroux et “ e sa fem m e?
On sait que les coutumes reconnaissaient un moyen
�( 38 )
d ’attaquer les testamens lorsqu’ils étaient faits en Iiainc
des présomptifs héritiers; l ’aversion générale des cou
tumes pour
les donations, avait
fait imaginer
ce
m oye n , à l ’exemple de la querelle d ’inofficiosité inventée
par les préteurs ro m ains, en faveur des enfans oubliés
ou prétérits dans l e te sta m en t de
l e u r s ascendans,
ou même exhérédés injustement. On appelait disposi
tions ab ir a to , celles qui étaient faites entre-vifs ou
par te s t a m e n t , par une personne injustem ent irritée
contre u n ea u tre; et action ab ir a to , la demande formée
pour annuller cette disposition. Tous ceux q u i se livrent
à. l ’étude des lois savent aussi que cette action faisait
naître une foule de procès scandaleux, dont la décision,
par la nature même
de
la d e m a n d e , était presque
nécessairement arbitraire.
L e C o d e garde le silence sur cette ac tio n , et de ce
que l ’article du projet q ui portait que la loi n ’admet
point la p r e u v e , que la disposition n ’a été faite que
par haine, colère, suggestion et cap tatio n, a été omise,
en faudrait-il
conclure que l ’action ab ir a to , do'ive
continuer d ’être
admise ? Bien
évidemment non :
puisque d ’ un côté, le Code permet les testamens ,|sans
permettre aux juges de créer d ’autres nullités que
celles qui existent dans la l o i , et que de l ’a u t r e , la loi
du
3o
ventôse an 12 abroge les coutumes q ui a u t o
risaient l ’action ab irato.
Dirait-on que celui dont les dispositions sont déter
minées par la haine et la colère, n’est pas sain d*esprit^
et que l ’article 901 exige celle co n d iti o n , po u r que la
�/Û
( 39 )
donation ou le testament soit valable? Mais doit-on y
en jurisprudence, rechercher la moralité des actions?
Le testament du célèbre lieutenant civil le Cam us,
fut annullé en 1712 , comme dicté par la haine et la
colère; qui aurait osé dire que ce magistrat, qui fu t ,
ju s q u ’à sa m o rt, l ’oracle le plus sûr de la justice, dans
la capitale du royaum e, n’était pas néanmoins sain
d ’esprit? On doit dire, avec M. Toullier, q u ’annuller
un testament, sous un prétexte aussi visiblement faux,
ce serait imiter les préteurs romains, q u i, dans l'im
puissance de faire des lois nouvelles, imaginèrent la
querelle d’inofiiciosité, sur le prétexte reconnu faux
par les jurisconsultes, que le testateur 11’était pas sain
d ’esprit.
pourrait-elle être
intentée? Appartiendrait-elle aux collatéraux, en fa
D ' a i l l e u r s , par q u i
c et t e ac t io n
veur de qui la loi ne fait point de réserve...? Faudraitil que les motifs de haine fussent écrits dans l ’acte ?
Quels caractères devraient avoir les faits, pour servir
de base à l ’action? De quelle manière la haine devraitelle être prouvéee— ?
Plus on réfléchira, plus on louera la sagesse du lé
gislateur, qui a écarté cette action de notre jurispru
dence (1).
Les arrêts des Cours sont conformes à ces idées. Trois
arrêts, l ’un du 3 i août 1810, de la Cour royale de
Limoges, l’autre du 16 janvier 1808, de la Cour royale
(1) Toullier, tome 5 , pages 7 1 4 et suiv.
�( 4o )
d ’A ix , et le troisième, du 2 5 juillet 18 16 , de la Cour
royale de L y o n , jugent uniformément que l ’action ah
irato n’est pas formellement conservée par le C o d e ,
q u ’elle ne peut être exercée que comme suite du prin
cipe q u ’il faut être sain d ’esprit pour disposer ; que la
disposition est valable, quoique faite par une personne
en c o l è r e si cet état ne lui a pas ôté la liberté d ’esprit
et atténué sa raison ; q u ’enfin , il faudrait que la haine
et la colère eussent été assez fortes pour occasionner
l ’aliénation des facultés intellectuelles du testateur (1).
Ces principes pourraient rendre inutile l ’examen
des faits. L e chevalier n ’avait autun droit à la succes
sion de son frère; e t , dans l ’ancienne jurisprudence,
1 action ab irato n ’ ét ai t admise cjii’cn f av eur des descendans en ligne directe (1).
D ’un autre côté,
le
testament ne laisse apercevoir aucun m otif de haine;
il est écrit avec sagesse; le chevalier Legroing n’y est
pas même nommé : comment
donc pourrait-il se
plaindre d ’un acte où le testateur ne s’est pas occupé
de lui ?
Mais le système d ’attaque, adopté par le chevalier
Legroing, repousse l’action q u ’il a intentée. Il a soutenu
que le comte avait une vive affection pour ClaudineFlavie Jouvainroux; c’est cette affection qui lui a fait
dire que Claudine-Flavie était la fille naturelle du
(i)Sir<*y, tome 10,
partie,page 5 a i ;torné i l , a* partie, page f\Qi ;
tome 17, a* partie, page i 3 .j.
(a)
Ricard, partie i r% cliap.
3,
section i 4 *
�comte; ce sont les preuves de cette affection, que le
chevalier voulait employer pour ôter à Claudine-Flavie
son état d ’enfant légitime. Les tribunaux ne peuvent*
point admettre ce genre de preuve, que la loi repousse;
mais les assertions du chevalier demeurent, pour ap-,
prendre que le comte avait pour Claudine-Flavie Une
préférence si marquée, q u ’il ne peut être permis de
s’étonner q u ’il ait voulu être son bienfaiteur.
Pourquoi donc chercher de la haine, là où il est
prouvé que l ’affection a dicté le testament ? Quelle est
la loi qui oblige de disposer en faveur d ’un parent in
différent, au préjudice de l ’étranger que l ’on préfère?
Comment serait-il perm is, sur-tout à un collatéral,
d ’outrager la mémoire d’un parent décédé, pour spo
lier l ’ héritière de son c h o i x ?
Mais encore il serait peu important que le testament
du comte eut été dicté par la haine, si elle avait été
conçue par le disposant lu i- m ê m e ,, et si elle était
fondée sur ses idées personnelles. Ce sentiment aurait
pu diriger sa volonté , sans que pour cela le chevalier
eût une action, parce q u ’en matière de testament, la
volonté assurée du disposant fait loi.
Si l'on supposait cette haine, qui oserait décider
qu ’elle fût injuste? qui oserait indiquer le caractère
q u ’elle devrait avoir, pour servir de base à.une action?
qui oserait enfin imposer à un testateur l ’obligation
de choisir, pour son héritier, celui q u ’il aurait sujet
de haïr?
Les faits ont appris que le
6
com te
et le chevalier son
�( 4a )
Irène devaient vivre dans une espèce d’éloignem etit;Le
niémoirè du chevalier donne les raisons qui pouvaient
légitimer la froideur du comte envers lu i; la différence
de lèivr conduite dans des tems difficiles; l ’entremise
du chevalier dans les affaires de la fam ille, pour de
venir le propriétaire des débris d ’une fortune, auxquels
lé comte croyait avoir des droits; une foule de nuances
q u ’ il ne peut être permis d ’indiquer : tout devait
l'aire désirer au comte de vivre éloigné de son frère.
Lorsque sa mémoire lui rappelait certaines circons
tances, il pouvait même se livrer U quelques emportemens:
1
.
,
s
^ Mills q u ’a de co m mu n cette haine avec Cl au d in e-
Flavie Jouvainroux? Ce n ’est point elle qui l ’a excitée;
on ne peut pas plus justement prétendre q u ’elle serait
** -
\f
'
l ’ouvrage de ses père et m ère, puisque le testament
qui institue Claudine-Flavie héritière du com te, ré
voque l ’institution fa ite , en 1807, en faveur de la
dame
Jouyainroux.
On
pourrait
donc
croire que
ce dernier testament a été fait non point en haine du
sieur chevalier"LegrQing, qui n ’avait pas un seul ins
tant été appelé à la sucqession de son frère, mais bien
en haine de celle que le comte
a v a it
honorée d ’une
institution, q u ’ uu changement d ’affection lui a ensuite
fait anéantir.
Q u e penser d ’ailleurs d ’une action ah ir a lo , intentée
contre un testament fait en 1 8 1 6 , et dont les causes
remonteraient à une époque antérieure à 1 8 0 7 ? ....
�( 43 )
JJi5Si l ’on examine les faits cotés par le chevalier,
quel eifet peuvent-ils produire?
Peut-on supposer que Françoise Boudon ait eu assea
d ’influence sur le, comte pour l ’éloigner de toute sa
fam ille?f
' •'
^ ■
Mais le chevalier convient, dans son mémoire, que
son frère avait eu des relations avec tous ses parens; il
convient q u ’il est accouru pour rendre ses devoirs à sa "
respectable mère , lorsqu’elle devint sérieusement ma
lade; q u ’il se montra’ pénétré, et donna des marques
de sensibilité dans ces dernières et touchantes en
trevues.
n ’est donc-point" contre sa famille q u ’il avait de
la haine : aussi la dame chanoinesse Legroing iie'se
plaint pas d ’avoir inspiré cet odieux sentiment à sou
frère.
•
L e décès de la dame Legroing mère est du 12 juillet
1 8 1 6 ; le testament est du 24 décembre suivant : il n ’a
donc eu lieu q u ’après une entrevufc assez touchante,
pour changer les intentions du com te, si sa volonté
n’eut été aussi ferme q u ’irrévocable.
Sous un autre point de v u e , de quelle importance
peuvent être les faits qui ont eu lieu en 1817 ? N ’est-il
pas insignifiant que le comte ait refusé *dé recevoir une
somme plus ou moins considérable des main s de Chantelot? q u ’il ait montré plus ou moins d ’impatience au
jurisconsulte qui lui présentait une quittance à signer?
tous ces faits seraient au moins personnels au testateur.
11 pouvait arriver que cette circonstance lui rappelât
�( 44 )
certains souvenirs peu favorables au chevalier; mais au
moins cette colère ne lui était inspirée par personne :
c ’était la
présence des intermédiaires
du
chevalier
qui l’excitait , et elle ne peut être regardée comme
suggérée par Jouvainroux ou son épouse. D ’ailleurs ces
faits étant postérieurs au testament et aux autres dis
positions du comte,
ne pourraient influer sur sa
validité.
Mais le chevalier n ’avait pu être admis auprès de
son frère! Une lettre écrite par lui n ’a point été-lue ;
elle n’a même pas été remise! Q u ’importerait à la
cause? Le sieur Legroing serait-il en état de prouver
que son frère désirait de le vo i r ; que les domestiques
s’étaient opposés à leur entrevue ; q u ’ils avaient sous
trait les lettres du chevalier, pour lui créer des torts
auprès de son frèré?
L e chevalier ne peut répondre affirmativement à
aucune de ces questions : tous ceux qui connaissaient
les deux frères savaient q u ’ils vivaient dans un éloi
gnement absolu, que le comte ne craignait point de
manifester. Les explications q u ’il a eues avec Chantelot
et le jurisconsulte chargé de la confiance du chevalier,
prouvent invinciblement que la présence de ce dernier
ne pouvait lui être agréable. Pourquoi donc rejeter
sur le compte de Jouvainroux et de sa femme la haine
dont il s’est plaint? Ces derniers devaient-ils faire vio
lence à la volonté de leur m aître, et le contraindre h
recevoir le chevalier, ou à lire ses lettres?...... Non; le
chevalier est réduit à se demander compte à lui-même
�( 45 )
d ’un sentiment dont les motifs lui sont connus. Il a
dédaigné l ’indifférence de son frère , tout le tems
q u ’elle n ’a pu lui être désavantageuse. Comment oset-il aujourd’ hui en faire reproche à sa mémoire, et
s’en créer un moyen pour arracher un bienfait q u i,
dans tous les cas, ne lui aurait été refusé, que parce
que le disposant l ’en aurait jugé indigne?
E n f a it , le testament du comte est une preuve de
son affection pour Claudine-Flavie ; il
ne montre
aucune haine contre le chevalier : son indifférence pour
lui a toujours été la même. Si le testament de 1816
est fait ab irato contre quelqu’un , c’est contre la
dame Jouvainroux.
du chevalier? Ce sentiment
est né des idées personnelles que le comte p o u v a i t avoir
sur son frère. Les faits qui peuvent l ’indiquer seraient
S e r a i t - i l fait on haine
postérieurs au testament. Ils ne peuvent donc influer
sur sa validité, ni être imputés à Jouvainroux et h
son épouse.
�I ( A V'
( 46 )
; . .
•
‘
L e testament et les actes r/ui l ’ ont suivi ont-ils été
arrachés p ar suggestion et captation ?—^L e chevalier
est-il recevable à proposer ces m oyens? — E xam en
des faits.
!
à
L a captation est l ’action de celui qui parvient II
s’emparer de la volonté d ’ un autre, à s’en rendre
m a ître , à la captiver ; elle s’opère par des démonstra
tions d ’attachement et d ’am itié, par des soins assidus*^
par des complaisances et des prévenances affectueuses,
des services, en un mot par tous les moyens qui peuvent
nous rendre agréables aux autres. L a captation . est
donc lcmaljle en cllc-meme j clic entretient l !umon
dans les familles et dans la société; elle ne peut être
vicieuse que par l ’intention, que par le but q u ’on sé
propose, et par l ’abus q u ’on en fait.
Aussi Furgole a-t-il remarqué que le mot captare ,
d ’où nous vient celui de captation , n ’était pas
toujours pris en mauvaise part ( i) . Dans le droit
romain, les institutions capta toires y étaient défendues;
mais cette prohibition ne concernait que les disposi
tions conditionnelles qui tendaient à s’attirer à soimême, ou ;i une autre personne, des libéralités de même
nature que celles que faisait le testateur; au reste, les
lois romaines permettaient des’atlirer des libéralités par
des caresses, des services, même par des prières (2).
(1) Fu rg o le , des T cs la mc n s , clxap. 5 , scct. 3 , n° 9.
(2) F ur gole , n° 19.
%
�/ û / b J è-j
( 47 )
L a suggestion suit la captation-, elle consiste en ce
que celui qui est parvenu à captiver la volonté d ’un
autr e, use de l ’ascendant q u ’il a pris sur son esprit, pour
lu i faire faire des dispositions q u ’il n ’aurait pas fa ite s,
s’il avait été abandonné à lui-même.
L e mot suggestion 3 qui vient du latin suggestio 3
et qui dérive du verbe suggerere 3 signifie proprement
avertir, inspirer, faire ressouvenir. Ainsi suggérer un
testament, c’est donc avertir, conseiller, persuader de
le faire (i).
L a suggestion par elle-même n’a rien de vicieux. Les
jurisconsultes romains, qui suivaient les austères prin
cipes d uP o rtique, n ’en tenaient pas moins pour maxime
q u ’il n ’est pas d é f e n d u de se
par des soins, des caresses, des
des prières (2).
des libéralités
c o mpl ai sanc es, et même
procurer
Cependant l ’on sait q u ’à Rome, plus que chez aucun
autre peuple, on abusait de la captation et de la sug
gestion; q u ’on en avait fait une sorte d’a r t, que culti
vaient avec fruit une foule d’ hommes méprisables ,
flétris du nom d ’ hére'dipètcs.
Mais comme la jurisprudence ne s’occupe que des
actions extérieures, et q u ’elle 11e doit ni rechercher,
ni juger rin tem ion des hommes, les viles pratiques des
(1) L a b b c , sur B cr r y, titre 18 , part. 8 , dit : « Suggerere cnim
est
« indicate, monerc. »
(2) F ur g ol c, ubi suprà, et n°
— Domat, 2e partie, Iiy. 3 , tit. 1 " ,
sect. 5 , u° a 5 , à la note ; et n° ^7.
�10** : ' ô .
1
( 48 )
hérédipètes n'étaient réprimées par aucune l o i , lors
q u ’on n ’avait à leur reprocher ni violence, ni dol, ni
surprise. On trouve même des lois formelles qui con
firment les dispositions provoquées par des soins, des
complaisances, et même des prières (i).
L e principe consacré par les lois romaines n ’est donc
pas douteux ; la suggestion et la captation simples
n ’entrainent point la nullité des dispositions testamen
taires, parce q u ’elles ne détruisent point la volonté du
testateur, à moins q u ’elles n ’aient le dol pour fon
dement.
Plusieurs coutumes de France proscrivaient les testamens faits par suggestion ; mais ce mot y était pris
par opposition à. l ’ a ct ion de dict er Çu) , c o m m e si 7 a u
moment de l ’acte, il y avait eu auprès du testateur
une personne qui lui suggérât les dispositions q u ’il
devait dicter; car ces coutumes exigeaient, comme le
Code civ il, que le testateur dictât son testament.
Bientôt quelques auteurs allèrent
plus loin , et
soutinrent que la captation et la suggestion, dégagées
de violences, de dol et de surprises, suffisaient pour
faire annuller les donations entre-vifsou testamentaires.
On
peut même dire que l ’ordonnance de i y 35 parut
favoriser cette opinion, q u a n d , après avoir ordonné,
sous peine de n u llité , l’observation des formes q u ’elle
prescrit, elle ajouta (article l\7) : « Sans préjudice des
( 3) Fnrgolc, ubi suprà, n° a 5 .
(1) Voyez Furgole cl le Nouveau Deni sai t, au mot Captation,
�C 49 )
IÛ
« autres moyens tirés de la suggestion ou de la capta^
« tion desdits actes ». Dès-lors il n ’y eut plus de règle
certaine;, ce moyen vague devint un prétexte pour at
taquer ^les testamens auxquels on n’avait à opposer
aucun yice réel ; et bientôt naquirent rune foule de
procès, scandaleux, dans lesquels des héritiers peu dé
licats
cherchaient
parens
i
* à flétrir la mémoire
1
I*de
/ leurs A
descendus dans la ]tombe, pour disputpij les dons q u ’ils
avaient faits à des.^légataires dont on ne manquait
jamais-def noircir , plus ou moins. gri^yement la répu
tation.
•
...•• i l; 1, {r jxr
.. . \j *%j ^ .il.
,
....
»
. Les .rédacteurs du projet du C od e-cjvil voulaient
prévenir ces abusjj;^ et .i}nr,article portait : « L a loi
« n’admet point la pr^uve^que la disposition n V é t ç
« fuite :<jue par , haine , ¡suggestion.! OU. captation. » ...
L e conseil d!Etat fut arrêté par la crainte d ’e n c o u
rager la cupidité. L ’article fut supprim é, mais avec
regret. i:«iLa ’ loi V 1 dit’ Forateur du Gouvernement ,
«' garde le silen ce'su r'lè défaut de 'liberté qui peut
« résulter de la suggestion et de la captation, et sur
« le vice d ’une volonté déterminée par là colère ou
« par la h a in e............. Peut-être vaudrait-il mieux ,
« pour Y intérêt g é n é r a l,r que cette source de procès
« ru in eu x et sca n d a leu x f û t ta rie, en déclarant que,
u ces causes de n u llité ne seraient pci s qçlm isesj mais
« alors la fr a u d e et les passions auraient cru »avoir
'
' ' -r '
•
a dans la loi même un titre d ’impunité. Les circons« tances peuvent être telles, que la v o lo n té de celui
disposé n 'a it, p a s é té libre ,, ou q u ’il ait
« qui a
7
�"
C
50 )
« été clolîiiné éntièrcnient par une passion injuste. »
L e m otif du silence de la loi prouve q u ’elle n 'au
torise point l ’action en nullité d ’un testament pour
cause de captation et de suggestion. L e Code exige
que lie tëstateui^ ait Tesprit sain , que sa volonté soit
lib r e , q u ’il n’ait pas été surpris où induit en errëUr:
cés principes sont fondés sur la raison^ Mais comment
la suggestion , qui rie consiste que dans la simple per
suasion tîégagée1 de fraude et de dol, pourrait-elle être
. un moyen ‘d'attaquer un acte? Détruit^élle la liberté,
lors même que les caresses et les prières seraient vive^,
pressantes et réitérées, et même importunés? Il n ’y a
que les moyens frauduleux: qui soient réprouvés par
la justice et lu morale j dans tous les attires V:as ‘ tbut
se réduit au point clé savoir si le testateur ¡n’était point
inibécille, ou si sa volonté tétait libre (r).
A in si, la captation et la suggestion nre pont pas, dans
notre d r o it , des ¡moyens différons du d o l, de la fraude
et de l ’erreur. La preuve n ’en peut être admise,, que
lorsque les faits tendent à prouver le dol* Ces1maximes sont célleâ de notre jurisprudence. Ôn
peut consulter lès arrêts rendus sur celle matière* on
y ven'a (pie la captation n’est cause de nullité d ’un
testament, qu'autan i q u ’elle est empreinte de d o l et
de fr a u d e / qu autant q u ’elle a tendu à tromper le
(r) Furgolc,'t<&i suprà, n° i S . — Mallevillc, torao a , p^go
�7èstctïeûr', et à 'anéànlir sa v o lo n té'( i j . j E lî s^écartant
rfe’ ces''principes-, ori retomberait nécessairement-dans
-l’arbitraire.
!
| e L
uJiipoùi’ être admis ti la'preuve d ’une suggestiou artb■ficieùsb, il faut encore poser des' faits précis j ’des faits
qui caractérisent des machinations, des artifices^ des
fourberies*, en un m ot, le dol et la fraude.
~ De simples présomptions, telles que celles que définit
l ’art. i 353 du C o d e , ne suffisent pas. On a déjà v u ,
"dans un arrêt de la'C o ur de cassation, du 18 novembre
1809^(2) , que l ’importance du. legs, l ’oubli de sa
"fam ille, la qualité1des légataires , qui les tenait perpé
tuellement attachés ‘à la personne du testateur1, en
qualité de domestiques, ne pouvaient être^une preuve
<que-le testateur ¡fût en c lémence, et que le .testament
lui eut-été artificieusement suggéré.
; ■
Mais la difficulté augmente , si l ’on veut prouver
la suggestion et la captation contre un testament
olographe. Tous les auteurs conviennent q^u’il çst, plus
difficile d’attaquer un testament olographe , q u ’un
testament notarié^ Dans /celui-ci on ne trouve, que la
s i g n a t u r e du testateur : c’est la.seule part, qiie l ’acte
prouve q u ’il y ait eue; le reste est une pr^spnrçtjlon. iy.e
. testament olographe, au co n tra ire ,.\est parUçuÎièvèWtiHt
et tout entier l ’ouvrage du testateur; iL pst ontit^ement
(1) Bruxelles, 21 ’avril 1808.— Si re y, 2* partie, pag. »46 el suiv.— •
Poitiers, 27 mai 1809. ■
— Si rey, , 1 81 0, a ” partie, pag. 23 et suiv.—
Agen , 18 juin 1812.— Si rey, tome
i rc partie, pag. 219.
�écrit’, -daté et . signé de sa main : ce f acte est consé»
quemment moins exposé aux surprises; et il est difficile
de supposer dans un homme faible d ’esp rit, ou qui
agit contre sa volonté, assez de patience, de docilité
et' de Soumission , pour écrire de sa main son testa
ment (i).
Aussi la forme olographe d ’un testament forme-t-elle
une fin de non-recevoir contre le reproche de sugges
tion et de captation.
Les auteurs les plus recommandables nous appren
nent q u ’il a passé comme maxime au palais, que les
faits de suggestion et de captation ne sont pas recevables contre les testamens olographes.
O n p e u t c onsult er le J o u rn a l d u P a l a i s d e P a r i s ,
itom. i er, pag. 907. — Ricard, part. 3 e, chap. i«r,
n° 49 * — B a rd e t, tom. 1 " , liv. 2 , chap. 67. —
Basnage, art. 7 3 , sur la coutume de Normandie. —
Soëfve, tom. i er, centurie 4 ? chap. 8 4 La jurisprudence nouvelle est aussi conforme h ces
maximes. L ’arrêt de la C our d ’A g e n , du 18 juillet
1812 , confirmé par arrêt de la C ou r de cassation,
du 6 janvier 1814 > a consacré, en principe, que la
fo r m e olographe d u testam ent, la survie du testateur
p en dan t un tems m o r a l, son éloignem ent et son in
d ifféren ce envers ses su cccssib le s , étaient autant de
présomptions exclusives de suggestion et de captation,
contre lesquelles elles élevaient une fin de non-recevoir.
[ ( 1 ) Œ u v re s de d’Agucsscau, lome 3 , page 3 6 8 .
�(
«3 )
Ces principe^ établis, le chevalier Legroing est-il
recevable à opposer (les moyens de suggestion et de
captation contre le testament de son frère?
Ce testament est olographe ; non seulement
il
est écrit en entier, daté et signé par le testateur, mais
encore toutes les pages en sont signées et numérotées -,
il est sous enveloppe et cacheté au sceau de armes du
comte : la suscription est écrite et signée par lui -, le
dépôt est aussi de son fait : tous ces caractères ne
sont-ils point autant de preuves de la liberté et de la
volonté du testateur ? ne détruisent-ils point à l ’avance
toutes les allégations du chevalier?
L e testateur a survécu pendant huit mois à son tes
tament. Cette survie n ’est-elle point encore une nou
velle p r e u v e de sa v ol onl d ? C h a q u e jo u r, chaque
moment n ’en sont-ils point une ratification s o le n n e lle ?
L e comte avait mille moyens pour changer ou dé
truire ses dispositions; il n ’en a employé aucun; il est
entouré de trois médecins et d ’une garde-malade; il
reçoit les consolations de la religion; pas un seul mot
de regret dans ses derniers instans; il ne manifeste
q u ’ u n e seule volonté, celle de
maintenir l'institution
d ’héritière faite en faveur de Claudine-Flavie Jouvainroux; q u ’un seul regret, celui de ne pouvoir lui
une fortune plus considérable.
Les avocats généraux les. plus célèbres, les oracles
de la justice et les docteurs, consacrent la survie du
tra n sm ettre
testateur pendant un teins moral, comme une fin de
non-reccvoir insurmontable : nu arrêt a même décidé
�q u ’ un espace de trois semaines était une présomption
qui devait faire rejeter la preuve ( i). :‘f
A insi, le simple silence du testateur*serait suffisant
pour faire rejeter les moyens de suggestion et de cap
tation; mais Claudine-Flavie peut encore prouver que
son bienfaiteur a persisté dans ses volontés d ’une ma
nière très-expresse. E n effet, la vente du 17 mai 1817
et les ordres des lettres de change sont autant d ’ap
probations du testament de 1816 : ces actes démontrent
aussi que la volonté et l ’intention du comte d ’exercer
ses libéralités envers tout autre qtie le chevalier, ont
été immuables; et il est impossible, depuis 18 0 7, de
t ro uve r
aient
un seul instant où les dispositions du comte
p a r u f a vor ab le s à sou frère.
Il importe peu que le testament olographe ne reçoive
de date que par le décès du te stateur, et que rien ne
prouve que le testament soit antérieur à la vente et
aux ordres: d ’abord ce moyen ne serait pas exact ,
puisque l ’acte de dépôt fait preuve de la date du tes
tam en t; mais le fut-il? il serait insignifiant. De quelque
manière q u ’on place ces actes, les conséquences sont
les mêmes; en effet, si la vente et les ordres sont an
térieurs au testa m en t, ils prouveront
que
l ’intention
du comte a toujours été d ’être libéral envers Claudine(1) Arrêts du parlement de Paris, du iG janvier 16G4; a 3 avril 1709.
Journal des Audiences, tome
, livre 3 , chapitre t\ . — To me 5 ,
partie a ” , livre 9 , chapitre 19.— Soëfvu, tome a , centurie a , clinp. 19.
Arrêts du parlement de Toulouse , 3 o août 1735 ; 11 septembre 1722 ;
ao aoûl 1726 , etc.
�(55)
'
fldvie Jouvainroux, et que son testament* n’est que
l ’accomplissement de sa volonté déjà manifestée; si,
au' contraire, ces actes sont postérieurs au testament,
ils en seront la ratification et l ’approbation la plus
complette.
xi Que l ’on se fixe actuellement sur la suggestion et
captation reprochées à Jouvainroux et à son épouse :
la plus légère ¡attention convaincra de la faiblesse et
de la nullité de ce moyen.
h
D ’abord , il était contre l ’intérêt de la mère de
suggérer ,un testament olographe qui anéantissait son
institution d ’héritier; si elle avait eu quelque influence
sur l ’esprit du. com te, elle s’en serait servie pour fixer
ses dispositions en sa faveur; si elle avait dicté le tes
t a m e n t olographe de 18 16 , il ne serait autre, chose
que la confirmation de celui du 18 avril 1807.
Le chevalier répond par un moyen d ’incapacité.
Suivant l u i, la mère de Claudine-Flavie Jouvainroux
vivait en concubinage ayçc le comte; depuis,.,qu’julle
était entrée k son service, elle ne( pouvait recevoir, de
lui : Claudine-Flavie Jouvainroux est donc la personne
interposée de sa mère incapable. .
j
.
M ais, d’une part, si l ’ancienne législation rejetait
les dispositions faites entre personnes qui avaient vécu
dans un commerce illicite; si on y tenait pour maxime
que don de concubin à concubine ne v a u t , il est cer
tain aujourd’hui que cette prohibition n’existe plus;
qu e, suivant l ’article 902 du Code, toutes ¡personnes
peuvent disposer et recevoir, excepté celles que la loi
�( S6 )
en déclare incapables. Gom m ent, avec un texte aussi
formel, les juges pourraient-ils, sans excéder leurs
pouvoirs, faire revivre une incapacité prononcée par
l ’ancienne loi? Plusieurs arrêts ont fixé la jurisprudence
sur ce point (i).
D ’un autre côté, comment proposer un pareil moyen
contre une épouse et une mère! La preuve d ’un pareil
fait blesserait à-la-fois la morale publique et la dignité
du mariage ; il est évident q u ’elle serait plus scanda
leuse que le fait lui-même.
Il n ’y a donc point d ’incapacité, conséquemment
point d ’interposition de personne; et l ’idée de concubi
comme celle de l ’illégitimité de la naissance de
Claudine-Flavie Jouvaiuroux ne restent « q u e pour
nage
« apprendre q u ’il ne faut pas confondre la captation
« qui inspire, par ruse ou par fraude, une volonté dif« férentedecellequ’auraiteueledisposant,quisubstitue
« une volonté étrangère à la sienne, avec le motif qui
« dirige une volonté qui lui est propre. Dans le pre« mier cas, la volonté est dirigée par le fait d ’autrui ;
« dans le second, il ne peut y avoir du fait d’autrui :
« c’est la volonté du disposant qui agit » (M. Grenier,
« Traité des donations).
Ainsi les moyens les plus puissans du chevalier se
( i ) Arrôt de la Cour île Tïlincs , du 29 tlicrinidor an i a . — Jurispru
dence du Code c i v i l , loinc S , page 198.
Arr6t de la Cour de T u r i n , du 9 juin 1 8 0 9 . — Voyez M. Grenier,
des D onation s, tome i ,T, p»g(,s 3q3 cl suiv.
�rétorquent contre lu i, et viennent l ’accabler. La loi
repousse la preuve des faits q u ’il allègue ; s’ils conservent
quelque vraisemblance, c’est pour manifester la vo
lonté' du testateur; prouver q u ’il n’a point agi par
le fait d ’autrui, mais bien par une détermination qui
lui était propre, et par des motifs dont la loi ne de
mande aucun compte.
Que reste-t-il donc au chevalier? Dira-t-il encore
que la dame Jouvainroux était toujours auprès de son
maître? que celui-ci était dans sa dépendance? q u ’elle
s’était emparée de tous ses biens et facultés?
Mais que signifient de pareilles imputations? Quels
sont les faits précis? les faits propres à caractériser les
machinations, les artifices, les fourberies, en un mot,
le tlol et la f raude <jue la loi a v o u l u réprimer? L e
chevalier ne cote pas un seul fait dont la preuve puisse
être ordonnée.
Toutes ces allégations seraient même insignifiantes,
si elles étaient prouvées. E n effet, le comte Legroing
était malade et infirme : il était naturel q u ’il désirât
la présence de ceux qui devaient lui accorder des soins;
et si le besoin de son service obligeait ses domestiques
à le laisser momentanément livré à lui-m êm e, il était
aussi convenable de fermer son appartement, pendant
ces courts instans, pour le soustraire à des visites que
son état de souffrance pouvait lui rendre importunes,
et lui éviter le désagrément d ’aller ouvrir aux étran
gers , ce que d ’ailleurs il était hors d’état de faire dans
J.a dernière année de sa vie.
�( 58 )
E n fin , la suggestion et la captation ne peuvent être
produites que par les prévenances et les conseils de la
personne que l ’on aime : elles ne sauraient être imputées
à celui qui n ’aurait ni la confiance, ni l ’amitié du
testateur au moment où il écrit ses dernières volontés.
O r , que l'on suive, dans le mémoire et les conclu
sions signifiées du chevalier, l ’état de l ’in térieu r; du
comte.
Jouvainroux nravait aucune influence sur l ’esprit de
son maître; le comte le tenait éloigné de lui : il man
geait à la cuisine.
L a femme, depuis son mariage, méconnaissait son
état; elle s’était fait des sociétés nouvelles; elle négli
geait son maî t re , le laissait dans u n é t a t d ’a b a n d o n ,
faisait des dettes, excitait enfin sa mauvaise h u m eu r,
qui se manifestaiti fréquemment par des imprécations
énergiques et souvent répétées.
Claudine-Flavie Jouvainroux, au contraire , était
l robjet de toutes les caresses du comte. Sa tendresse
pour cette enfant était si grande, q u ’une prière, une
prévenance de Flavie pouvaient appaiser sa colère, et
que le chevalier n’a pu la dépeindre, q u ’en la compa
rant aux effets de la tendresse paternelle.
Si la captation e f l a suggestion ont été pratiquées, il
serait dès-lors évident q u ’elles ne peuvent être imputées
à Jouvainroux et à son épouse. L 'u n avait toujours été
indifférent au comte; rautre s’était attiré sa haine. L e
comte lui donnait même des preuves de son ressenti
m e n t, en anéantissant le testament q u ’il avait fait en
�¡ ( ù 'k ?
(i 59 )'
¡¿a laveur.
L ’auteur dé ces manœuvres serait donc
Claudine-Flavie Jouvainroux!...... Son jeune âge inté
ressait le comte : les caresses, les tendres soins del ’enfant soulageaient les douleurs du vieillard. Les empressemens de Claudine-Flavie ne pouvaient ressembler
aux démonstrations d ’ une amitié feinte; ses complai
sances n’avaient point un sordide intérêt pour mobile
la récompense q u ’elle en a reçue doit donc être sacrée
pour les tribunaux. La religion, la morale et la loi se
réunissent pour approuver et faire respecter le testa
ment du comte Legroing.
* Il faut dire un mot de la violence prétendue exercée'
sur la personne du testateur.
Les principes sont simples. Des excès réels , de
mauvais traitemens , la soustraction des a l imens ou
*
des services au testateur malade, la menace même de
le laisser sans alimens ou sans service , ou d ’user
d ’excès réels sur sa personne , pourraient être des
raisons suffisantes pour annuller un testament.
Mais il faudrait que la violence fût intervenue
et que les faits propres
& la prouver fussent articulés; car elle ne doit pas être
avan t
la
faction
du t e st a m e n t
,
présumée (i).
E n fait : les reproches du chevalier sont dénués de
vraisemblance. On supposera difficilement que la fierte
de caractère du comte se fût abaissée jusqu’au point
de souffrir de mauvais traitemens de la part de ses
I
(1) F u rg o lc , l'e s t. , cliap. 6 , scct. i ” , n°* 4 > 5 , 6 , 8 çt io.
í-l¿}
�11^
1
( 6o
gens. Il n ’est pas plus possible de croire que Jouvainr o u x , que l ’on se plaît à peindre comme un homme
a d ro it, ru sé, dissim ulé, ne perdant ja m a is de vu e
son o b jet, ait essayé de l ’atteindre en employant la
violence.
E t où aurait-elle été pratiquée? A Clerm ont! dans
une ville populeuse, dans une maison où habitaient
d ’autres locataires!
Dans quel t e m s P A p R È s
du
te sta te u r
!
le
testam en t
, ju sq u ’a u décès
Ainsi Jouvainroux et sa femme auraient
cherché à anéantir, par la violence, une disposition
q u ’ils s’étaient attirée par la suggestion et la cap
tation !
T out ce système est inconcevable; il n ’y a point
eu de violence, puisque , d ’après le chevalier luiméme, loin d ’être une cause impulsive du testament,
elle aurait été exercée dans un tems où elle ne pou
vait avoir d ’autre objet que d ’en provoquer la révo
cation ; et si elle eût existé, elle prouverait plus
fortement
encore l ’attachement que le comte avait
pour Claudine-Flavie Jouvainroux, puisqu’il aurait
persisté dans ses dispositions bienfaisantes, malgré les
justes motifs de plainte q u ’il pouvait avoir contre les
père et mère de sa légataire.
Mais toutes ces imputations ne sont qu'un roman
monstrueux, odieux, enfant de l ’imagination du che
valier. Le comte a reçu, tous les secours et toutes les
consolations que son état pouvait exiger : les souilrànces
ont pu lui arracher quelques cris de douleur; des voi-
�( 61 )'
éîns, la police même ont bien pu s’introduire dans son
domicile : q u ’y a-t-on vu ? le m alade dans les bras
de ses dom estiques, q u i le caressent, le d ésh a b illen t,
et prennent les p lu s grandes précautions p o u r soulager
ses m a u x ........ I ( i )
Il faut terminer :
i
• i
Claudine-FlavieJouvainrouxaremplila tâche q u ’elle
s’était imposée.
■
>
Elle était capable de recevoir, et ne doit point être
regardée comme la personne interposée de ses père et
m ère, puisqu’on ne peut leur reprocher à eux-mêmes
aucune espèce d ’incapacité.
Le comte, de son côté, était capable de disposer;
s o n t e s t a m e n t a é t é d i c t é par 1’afïection ; aucune trace
de haine ne s’y fait remarquer ; lors même q ù ’il au
rait eu de l ’éloignement pour son frère, ce ne pourrait
être un m otif pour annuller ses dispositions.
Les faits de suggestion, de captation et de violence
sont dénués de vraisemblance; ils sont vagues et insignifians; ils sont même détruits par les aveux du che
valier : en point de d ro it, la preuve en est inadmis
sible.
Que peut donc espérer le chevalier Legroing?.........
Fallait-il outrager la mémoire de son
frère
? Essayer
d anéantir 1 état d u n j eu ne enfant? Se montrer si peu
difficile dans le choix de ses moyens, pour n’en obtenir
aucun résultat ? Convenait-il sur-tout de descendre
( i) Mémoire du chevalier, page 1 5 .
' v
1,1
�(6 2 )
jusqu’à la calomnie pour capter la fa v e u r ,e t inspirer
un intérêt qui devait si .promptement être remplacé
par la plus juste indignation:
...
L e chevalier s’est abusé; il s’est même exposé à de
justes représailles; mais la légataire d u co m te . doit.
oublier que le chevalier n’a respecté n i son âge, ni sa
faiblesse. Son devoir est. de consoler ses parens des
chagrins q u ’ils ont éprouvés, et dont elle est la cause
innocente.
E lle attendra d o n c , avec confiance et respect,
l ’arrêt qui doit statuer sur ses plus chers intérêts;
mais il peut lui être permis de désirer que le chevalier
n e sente jamais que les faiblesses, produites par l’ambi
tion et l ’avidité des richesses , peuvent quelquefois
avilir et dégrader un homme d ’honneur; et que les
excès auxquels peuvent entraîner c e s p assions ne
sauraient, en aucun tems, trouver d ’excuse auprès des
hommes qui ont quelques vertus ou quelque générosité
dans le caractère.
'
‘
J u lie n
J O U V A IN R O U X .
Jn - C h . B A Y L E ain é, ancien A vocat.
B R E S C H A R D , A vo u é.
RIOM, IMPRIMERIE DE SALLES, PRÈS LE PALAIS DE JUSTICE.
�
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The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Factums Godemel
Relation
A related resource
/files/factum-remarquables/BCU_Factums_G0301_0007.jpg
Description
An account of the resource
<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. Jouvainroux, Julien. 1819?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bayle
Breschard
Subject
The topic of the resource
testaments
abus de faiblesse
domestiques
servante-maîtresse
enfants naturels
créances
séquestration
mobilier
maltraitance
émigrés
ordre Saint-Jean de Jérusalem
fraudes
fisc
inventaires
lettres de change
doctrine
nullité du testament
captation d'héritage
testament olographe
jurisprudence
concubinage
legs universels
egyptologie
code civil
bedeau
vie intellectuelle
garde-malade
atteintes aux bonnes mœurs
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire en réponse, pour le sieur Julien Jouvainroux, propriétaire, en qualité de père et légitime administrateur de Claudine Favie Jouvainroux, sa fille, intimé ; contre le sieur Louis Legroing, chevalier de justice de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, chevalier de l'Ordre royal et militaire de Saint-Louis, appelant.
Table Godemel : ab irato : 2. l’action ab irato contre les testaments est-elle admise par le code civil ? peut-elle appartenir à l’héritier collatéral ? Etat (question d') : 3. l’héritier du sang a-t-il le droit, pour prouver l’interposition de personne, de rechercher si le légataire, qui a dans une famille le titre et possession d’état d’enfant légitime, est, ou non, l’enfant naturel du disposant, surtout, lorsque cette recherche conduirait à la preuve d’un commerce adultère ? Sanité d'esprit : d’après quels principes se résout la question de savoir si le testateur était sain d’esprit ? Suggestion : La suggestion et captation sont-elles moyens de nullité pour la législation actuelle ? peuvent-elles être opposées contre un testament olographe ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
De l'imprimerie de J.-C. Salles (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa 1819
1807-1819
1804-1814 : 1er Empire
1814-1830 : Restauration
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
62 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G2431
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Relation
A related resource
BCU_Factums_G2429
BCU_Factums_G2430
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/6/53485/BCU_Factums_G2431.jpg
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Riom (63300)
Clermont-Ferrand (63113)
Biozat (03030)
Fontnoble (terre de)
La Roche-Blanche (63302)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
abus de faiblesse
atteintes aux bonnes mœurs
bedeau
captation d'héritage
Code civil
concubinage
Créances
doctrine
domestiques
egyptologie
émigrés
enfants naturels
fisc
fraudes
garde-malade
inventaires
jurisprudence
legs universels
lettres de change
maltraitance
mobilier
nullité du testament
ordre Saint-jean de Jérusalem
séquestration
servante-maîtresse
Testament olographe
testaments
vie intellectuelle
-
https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/original/6/53484/BCU_Factums_G2430.pdf
37bcf9e52774cffcac992e7f1aaf5206
PDF Text
Text
L ’ANCIEN AVOCAT SOUSSIGNÉ,
V u le mémoire imprimé à Riom, pour le chevalier
Legroing, contre Julien Jouvainroux, Françoise Boudon, e t c .
V u aussi les pièces jointes, et notamment copie du
jugement rendu sur cette affaire, au tribunal civil de
C lermont-Ferrand, le 11 mai 1 8 1 8
E S T IM E , en droit, que le double moyen de capta
tion et de suggestion , contre les testamens, peut tou
jours être légalement opposé depuis la promulgation
du Code civil ;
t
E t en fa it, que les circonstances qui ont précédé,
accompagné et suivi le testament de Jean-Baptiste ,
comte Legroing, du 24 décembre 1816, sont denature
à être articulées et admises en preuve qu e, si elles
sont prouvées, elles devront faire prononcer la nullité
de la disposition testamentaire dont il s’agit.
Dans le droit, d’abord, on a tout lieu de s’étonner
que le tribunal de première instance ait mis en doute
que, dans les principes du Code civil, l’action en nul
lité des testamens en général, fondée sur la captation
et la suggestion, ait été conservée. La seule nature des
choses ne permettait pas de controverse sur ce point de
jurisprudence ; et les discussions au conseil d ’E tat ,
�( 2 )
dont il y a tradition, impriment à cet égard, au juge
ment attaqué, le caractère d ’un pyrronisme into
lérable.
Suivant la définition du droit romain, le testament
est un jugement réfléchi, conforme à la loi, que l’homme
prononce sur ce q u ’il entend être exécuté après lui ;
c’est une ordonnance de sa dernière volonté, exempte
de toute iniluen.ce étrangère.
T esta m en tu m est ju s ta v o lu n ta tis nostrœ sententia
de eo q u o d q u i p o st m ortem "suani f i e r i v e l i t .
On a dû dès-lors considérer comme nulle et non
.avenue, dans tous les teins, la disposition, à cause de
inort ,
f £ ui
était
le
fru it
é v i d e n t , t i e l a c a p t a t i o n , SOlt
des artifices frauduleusement employés pour dominer
les facultés morales des testateurs, soit des mauvaises
voies pratiquées par des tiers pour substituer leur
propre volonté à celle des disposans.
Aussi la loi- romaine s’en était-elle expliquée caté
goriquement en plusieurs endroits 5 elle avait statué
que tous ceux qui avait dissuadé l’auteur de la dispo
sition de tester comme il l’aurait v o u l u , (.levaient être
déchus des. avantages q u ’ils s’étaient fait concéder; elle
avait même réputé crime toute violence employée pour
faire écrire à un testateur rien de contraire à ses in
tentions.
Q ui j du/n copiât hœ reditatem lé g itim a n t, v e l e x
tostfïnientos p ro h ib u it teslam entarium introire3 volente
�(
3
)
eo fa c e r e testa m en tu m , v e l m u ta r e
,
e i denegaritur
acliones.
E t crim en a d ju n g itu r , s i testa to r, non su d sponte
testam entum f e c i t ,
se d
co m p u lsu s 3 (juos
,
n o tu e n t
s c r ip ù t hœ redes.
Ces principes, comme raison écrite, avaient été
universellement reçus parmi nous 5 ils ont été pi'ofessés
par tous nos auteurs, et consacrés par des monumens
nombreux de notre ancienne jurisprudence.
»
Lors de la rédaction du Code civil, on avait d ’abord
été tenté d ’abolir l ’action en nullité des test.amens,,
pour cause de captation et de suggestion, sous prétexte
que ces exceptions faisaient naître.une foule de procès
fâ c h e u x d o n t il importait de tarir la source. On avait,
dans c et t e v u e , inséré au projet du Code un article
ainsi conçu :
« L a loi n’admet pis la preuve que la disposition n’a
« été faite que par haine, colère, suggestion et cap:i :i
« tation. »
1
Mais de toutes parts on réclama contre rimmoralité
' i l
•J)
et le danger d’une semblable proposition.
)
#
Plusieurs
Cours souveraines observèrent sur-tout q u e lle livrerait
la fortune des personnes laibles au crim e, à la fraude:
« Que de m aux, que de brigandages, s’ écrièrent-elles,
« pour éviterdes procès et d e s poursuites dont la cramte
« arrêtait le crime! N e serait-il pas p l u s juste., plus
« digne de la sainteté de la loi, de laisser aux tribunaux
�( 4 )
« le jugement des faits, des circonstances qui pourront
« donner lieu à admettre la preuve que des gens cupides
« ont su , par leurs artifices, substituer leur volonté
« à celle du donateur ? »
Ces considérations prévalurent, et déterminèrent à
retrancher du projet l ’article qui abolissait les argumens de captation et de suggestion.
E n conséquence , l ’orateur du Gouvernement ,
j
s’adressant au Corps législatif, s’exprima ainsi : « La
« loi garde le silence sur le défaut de liberté qui peut
« résulter de la suggestion et de la captation, et sur
« le vice d’une volonté déterminée par la haine ou par
« la colè re................... E n d éc lar ant q u e ces causes de
« nullité ne seraient pas admises, la fraude et les
« passions auraient cru voir, dans la loi même, un
« titre d ’impunité.
Les circonstances peuvent être
« telles, que la volonté de celui qui a disposé n ’ait
« pas été lib r e , ou qu ’il ait été dominé par une passion
« injuste. C ’est la sagesse des tribunaux qui pourra.
« seule apprécier les faits et tenir la balance entre la
« foi due aux actes et l ’intérêt des familles-, ils empê« chcront q u ’elles ne soient dépouillées par les gens
« avides qui subjuguent lesmourans, ou par l’effet d ’une
« haine que la raison et la nature condamnent. »
D ’apres des déclarations aussi solennelles du légis
lateur, n ’est-il pas éirangcquele tribunal de Clermont
ait affecté des doutes sur le point de droit, et q u ’il
�(
5
)
a it , en quelque sorte, disputé aux tribunaux cette
puissance qui leur fut si positivement attribuée ?
Pour achever la réfutation de sa doctrine, on pour
rait invoquer le suffrage de tous ceux qui ont écrit sur
le Code civil ; tous s’accordent à maintenir que les
causes de captation et de suggestion sont toujours
admissibles en matière de testament. Il suffit d ’en
indiquer deux dont le nom fait plus particulièrement
autorité : M. Toullier, avocat de Rennes; M. Grenier,
en son T ra ité des D onations,
M. Toullier professe que tous les vices d’erreur, de
crainte, de violence, de dol et de fraude, que l ’on peut
opposer aux contrats, peuvent être objectés contre les
testamens. Il donne la définition dés mots captation
et suggestion, il rappelle, en j"KirtiG, le discours ¿m
Corps législatif, de l’orateur du Gouvernement, que
nous avons transcrit. Il relève, dans l’article 901 du
Code, la condition que le testateur doit être sain d 'es
p rit ; il pèse sur-tout, avec M. M alleville, sur les moyens
frauduleux, tels que les calomnies employées auprès
du testateur contre ses héritiers naturels.
:
M. Grenier, page 33 g , tome i er, dit à son tour :
«
«
«
«
L a crainte de voir triompher l’artifice et la fraude,
qui se montreraient avec d’autant plus d ’audace ,
que la loi ne leur opposerait plus de frein , empêche
de se* rendre Iv l ’idée de la suppression »le cette
« action : elle existe sans être é tay.ee d ’une disposition
�« positive de; la loi, On la ¡mise dans ces principes de
« justice, .que le silence de la loi ne peut détruire,
« que ce qui est l ’ouvrage du dol et de la fraude ne
-u"p eu t Subsister. Lors même que la^Ioi dispose, les
« cas de fraude, en général, sont exceptés. >>
1
A toutes ces autorités vient se joindre, sur le^ oint
de droit, pour le confirmer, l ’arrêt de la Cour royale
de Paris, du 3 i janvier i 8 i 4 > dont le chevalier, ¡Legroing s’était, aidé dans son mémoire.
. , . j » wn
■ 'y
Y w :». it‘:
Ayant tergiversé sur la doctrine, les premiers juges
se sont donné libre carrière sur les.faits; ils ¡n'en, ont
trouvé aucun pertinent ni admissible, .Jl faut convenir
q u e , sous ce d e ux iè me aspect de la c a u s e , leur tolerance a été loin-, Car, sans vouloir ni S’appesantir sur
les détails qui appartiennent plus spécialement à la
plaidoirie, il était difficile de rencontrer un cadre plus
repoussant que celui des dispositions prétendues du feu
comte Legroing.
TJn legs universel très-considérable, fait au profit
d ’un enfant de quatre ans et dem i, fille de sa domes
tiqu e, avec laquelle il avait vécu en c o n c u b i n a g e , et
d o n t il .avait eu lui-même une au tr e fille pai’j. lui
r e c o n n u e mais décédée le 11 janvier 1807 ! Quelle
affection légitime le comte Legroiïig jmuvait-il avoir
pour cette fille de quatre ans, qui,lui élait étrangère,
étant née du mariage de sa d o m o t iq u e , Françoise
Bûtidon > avec Julien Jmivainroux. ? Aucuns soins ,
�( ( 7 ;)
aucuns services encore ne pouvaient l'attacher à la
Claudine Jouvainroux, qui était évideriinïént
ici une personne interposée , pour parer à l ’inconVénient de tester au profit de la mère , Son ancienne
petite
concubine, et restée vis-à-vis de
la domesticité.
lui
dan& leS liens de
Cette tournure, imaginée dans la vue manifesté de
m asquer, de déguiser le véritable objet d’une telle
libéralité, n’est-elle pas la preuve que le testateur a
été dominé pas ses alentours ?
Un
fait non moins pertinent pour proclamer la
suggestion à laquelle le testateur était livré, est celui
de l’acquisition immobilière de 40,000 fr. au nom
de la petite Jouvainroux ; celui encore de lettres de
change pour fortes sommes , passées h son ordre.
Quoique ce soient dès- actes entre-vifs, leur' Singularité
est telle, que l ’état d’assujétissement du testateur aux
volontés de ceux qui l ’entouraient, en ressort avec la
plus grande évidence : rien de plus insolite, notam
ment, que cette négociation des lettres de change, dont
il est impossible que la petite Jouvainroux ait fourni
la valeur.
U n troisième fait déterminant est dans l ’articula
tion des calomnies journellement débitées par les
Jouvainroux, auprès du testateur, contre lé chevalier
TLegroing, son frère ; les odieuses suppositions, que
celui-ci voulait attenter à ses j ours, ou le faire inier-
�( 8 )
dire, etc. : toutes impostures, dont les suites sont
signalées par l’aversion que le testateur avait conçue
contre son frère , et dont il a donné une preuve si
frappante, en supprimant la qualité de frère qui lui
était donnée dans une quittance.
;
Une quatrième articulation , digne de toute la
sollicitude de la justice , est celle des violences , des
mauvais traitemens sous lesquels gémissait le comte
Legroin g, et dont la manifestation avait été te lle , que
plusieurs fois des officiers publics avaient été appelés
pour faire cesser l ’oppression des Jouvainroux.
*.,;U lie cinquième circonstance, quoiqu’extérieure au
testament , q u o i q u e su rv en u e s e u le m en t depuis , et
assez difficile à établir judiciairement, est sans con
tredit celle relative au dépôt du testament. La volonté
du testateur avait été q u ’il fut déposé entre les mains
du notaire Espinasse ; il l ’avait à cet effet renfermé
dans une enveloppe cachetée, et il avait couvert cette
enveloppe d ’une suscription indicative du dépôt, datée
du ït\ décembre, dix jours après la confection du titre,
et signée.
11 parait cependant que le d é p ô t, aussi rigoureuse
ment vouluj n’a jamais été effectué; que Julien Jouvainroux s’est emparé du testament, et que c’est lui
qu i, après la mort du testateur, l ’a présenté en justice.
Cette particularité est remarquable , en ce q u ’elle
donne la mesure de l’ascendant dç$ Jouvainroux sur
�( 9 )•
(
l ’esprit du testateur, et des abus de confiance q u ’ils se
permettaient. Qui dira que si le testament avait été
Jivré à la foi d ’un officier public dépositaire, le comte
Legroing , alors qu ’il s’est vu le jouet de la famille
Jouvainroux, n ’aurait pas donné l ’ordre de le sup
primer? au lieu que, la pièce étant au pouvoir des
domestiques du testateur, dans l ’état de paralysie et
d ’incapacité où il était tom bé, ils se sont mis à l ’abri
de toute révocation.
On regrette de ne trouver au jugement de première
instance, sur ces diverses articulations, que de vains
palliatifs ou pointilleries, comme quand les premiers
juges reprochent au chevalier Legroing de n ’avoir pas
précisé les injures débitées sur son compte , à son
frère, par les Jouvainroux. Y avait-il rien à préciser
au -d el a des supposit ions d ' e m p o i s o n n e m e n t ,
d ’assas-
sinat, de plan d’interdiction, etc. ?
Que signifient encore les réflexions glissées au juge
m ent, sur la fierté du caractère du comte Legroing,
pour en induire q u 'il n ’avait pu s’abaisser jusqu’à
condescendre aux désirs de Françoise B oudon , sa do
mestique? lorsqu’il est prouvé q u ’il avait vécu avec elle
en concubinage. Que signifie cette invraisemblance ,
que la domestique ait jamais songé à dominer son
maître ? lorsqu’il est si bien avéré, si notoire, q u ’elle
faisait de ce vieillard tout ce qu ’elle v o u l a i t ; q u ’elle
l’accompagnait par-tout; q u ’elle ne laissait approcher
de lui que qui bon lui semblait.
�E t ces huit mois de persévérance, écoulés depuis la
confection du testament ? lorsqu’il est de notoriété
p u b liq u e , que l ’état physique et moral du testateur,
k celle du période de Sa v i e , était celui d’une débilité
excessive , et de l ’aiFaissement extrême de toutes ses
facultés.
‘
t
Des juges qui avaient débuté par réduire en pro
blème toute pertinence , toute admissibilité des faits
de captation et de suggestion, ont dù naturellement
se donner libre carrière sur l ’appréciation de ces faits.
Il était difficile q u ’a leurs yeux aucun de ces faits
conservât la couleur qui lui était propre.
Il n ’ en peut pas être de même devant une C o u r
souveraine, impassible, mieux pénétrée de la vraie
doctrine, plus éminemment placée pour le maintien
des règles qui protègent la morale-publique, les pro
priétés des fam illes, et qui répriment les iniques
combinaisons de la domesticité, incessamment dirigées
vers la spoliation, dans les derniers momens de l ’exis
tence d ’un maître q u ’elle a su cerner et subjuguer.
Délibéré à Paris, le 4 avril 1819.
BERRYER.
�I - Æ S C O N S E IL S S O U SS IG N É S, qui ont pris lecture
d ’un jugement du tribunal de Clerm ont-Ferrand, du
i i
mai 1818, lequel, sans s’arrêter à la preuve offerte
par le chevalier Legroing, ni avoir égard à la nullité,
par lui demandée, du testament du comte Legroing ,
son frère, portant legs universel en faveur deClaudineFlavie Jouvainroux, fille de sa domestique, l ’a débouté
de toutes ses demandes ,
que M. le chevalier Legroing doit espérer
de faire annuller, sur l ’appel, ce jugement qui met en
doute si un testament peut être annullé pour des
E
stim ent
causes qui, quoique non exprimées dans le Code civil,
parmi celles qui emportent nullité des testamens ,
résultent évidemment de l ’esprit de ses dispositions,
et qui tippiecic, de la manicre la plus otriingGj des
faits articulés pour justifier que le testateur n ’avait
pas, disposé librement et par l ’effet de sa propre
volonté.
Le comte L egro in g, par testament olographe du
24 décembre 18 16 , a nommé légataire universelle de
ses biens, qui peuvent se monter de 3 à 400,000 fr.^
Claudine-FlavieJouvainroux, déclarée, à la naissance,
fille de Françoise Boudon, sa domestique, et de Julien
Jouvainroux, bedeau de la cathédrale de Clermont ,
son mari. Cette disposition compose tout le testament
avec celle du legs d ’ une rente viagère de 800 francs,
et d ’un
mobilier assez considérable, en faveur de
Françoise Boudon elle-même.
�( 12 )
Françoise Boudon, sous le nom de Claudine, était
fille de peine dans la maison de madame la comtesse
Legroing, mère; le comte Legroing, son fils, l ’avait
prise à son service, où elle était encore à son décès,
arrivé le i 3 août 1817.
v
Cette fille vivait en concubinage avec son maître.
De ce commerce est né %le 7 septembre 1806, un enfant
du sexe féminin, présenté à l ’officier de l ’état civil ,
par le comte Legroing lui-m êm e, qui lui a donné le
nom de J o sé p h in e , et q u ’il a déclaré avoir eue de
Françoise Boudon, s’en reconnaissant le père. C e t
enfant est décédée le 11 janvier 1807; l ’acte mortuaire
la dénomme Joséphine L egro in g, fille de J- B. Legroing
et de F ra nç oi s e B o u d o n .
Françoise Boudon , lorsqu’elle s’est mariée avec
Jouvainroux, était enceinte ; son mariage est du 16 sep
tembre i'811 j et la naissance de Claudine-Flavie, du
5 mars 1812.
O11 a prétendu que cet enfant provenait des œuvres
du comte L egro in g, et q u e , pour la rendre capable
d’une disposition universelle, que sa mère méditait
de lui faire faire par son maître, elle avait préféré lui
donner un père étranger.
La sainteté des nœuds du mariage et la foi due aux
actes qui constituent l ’état des familles, ne nous per
mettent pas d ’insister sur cette présomption, lorsque
sur-tout le concubinage est suffisamment prouvé par
l ’acte authentique de la naissance du premier enfant.
�( i3 )
Quoi qu ’il en soit, le chevalier Legroing a attaqué
le testament de son frère, comme une suite du con
cubinage, comme fait dans la démence, comme l’effet
de la haine et de la colère suggérées au testateur envers
sa fam ille, et comme le fruit de sa suggestion et de la
captation.
Il a articulé divers faits analogues à ces causes, et
il a demandé à en faire preuve.
,
Le jugement du tribunal de Clermont décide net
tement que le concubinage n’est point une cause de
nullité des testamens; il le décide aussi, mais avec
l ’expression du doute, pour la démence, la haine et
la colère, et la suggestion et la captation; et cepen
dant, en en supposant l ’efficacité possible, il discute
les faits articulés et les déclare insuffisans.
Il faut donc exa mi ne r d a b o rd si les causes sur les
quelles M. le chevalier Legroing fondait son attaque
contre le testament de son frère, sont admissibles,
sous l’empire de la législation du Code civil.
On fera ensuite quelques réflexions sur le mérite des
faits articulés, et des motifs sur lesquels le tribunal
les a écartés.
j
�\
( «4 )
EXAM EN DES CAU SES D E N U LLITÉ .
Une liaison illégitime entre un donateur ou un
testateur, et la personne en faveur de laquelle il a '
disposé; sa démence au tems de la disposition; la haine
et la colère q u ’il aurait manifestées envers son héritier,
et la suggestion et captation étaie n t, dans l ’ancienne
législation , considérées, comme autant de causes de
nullité des dispositions à titre gratuit; du concubinage
ressortait, dans l ’intérêt des mœurs, une incapacité
de donner et de recevoir; et l ’on jugeait que les autres
causes produisaient, sur l ’esprit d ’un disposant, une
in.ilu.ence cjui ne laissait pas à sa v o l o n t é le caractere
de liberté requis pour disposer.
Les auteurs du Code civil n ’étaient pas sans doute
moins zélés pour la cause des mœurs que les anciens
magistrats, mais ils ont cru les mieux servir en effaçant
une incapacité qui donnait toujours lieu à des discussions
scandaleuses, dont les mœurs étaient plus offensées que
de la chose même.
L e Code civil ne fait donc pas, du concubinage,
une cause de nullité des testainens.
Au
contraire ,
lorsque, par l ’article 9 0 2 , il est dit q u e toutes personnes
peuvent disposer et recevoir, soit par donation entre
vifs, soit par testament, excepté celles que la loi en
déclare incapables, et qu'immédiatement, signalantles
incapacités, il n ’exprime rien par rapport aux liaisons
illégitimes, il en faut
nécessairement conclure que
�(
>5
)
Ceux mêmes qui ont des rapports que les mœurs
improuvent, ne sont point dans une exception quant
au pouvoir de donner et de recevoir.
Cependant si, de ce fait seul, il n ’est pas permis de
tirer une nullité contre un testament, il faut convenir,
q u e , lorsque, justiiié par un acte public, il se joint à
d ’autres causes qui agissent sur la volonté du disposant,
il est un point de départ probab le, et favorise la
preuve de l ’influence étrangère qui a contraint cette
volonté.
Parmi ces causes qui agissent sur la volonté, se
rangent incontestablement la haine et la colère du
disposant envers les siens, la suggestion et la captation,
même la faiblesse d’esprit, et à plus forte raison la
démence.
L a c o l e re , prise i s o l e m e n t , serait, sans effet
sur un
testament; c’est un mouvement impétueux de l a m e ,
qui se calme comme il s’élève; mais uni avec la haine,
la colère en devient une conséquence; son mouvement
se répète toutes les fois que l ’objet haï se représente
à l ’imagination, et par là elle se constitue en passion
d urable, q u i , nécessairement détourne de la personne
qui en est l ’objet, tous les sentimens de bienveillance^
même de justice, et lui fait préférer, dans l ’esprit du
testateur, des individus auxquels, autrement, il n’eût,
pas pensé.
Il faut cependant convenir que cette cause de nul
lité dégénérerait en arbitraire, si elle était légèrement
adoptée; s’il suffisait à celui que la loi donnait pour
�( >6 )'
héritier à un testateur, d’articuler, de prouver même
q u ’il était pour lui un objet de haine et de colère ,
il faudrait encore établir que le testateur a ya n t, par
la loi, le pouvoir absolu de disposer, n’a pas été dé
terminé par un juste m otif, en faveur de la personne
q u ’il a préférée.
Mais où la haine et la colère peuvent devenir un
moyen puissant contre la disposition, c’est lorsque ce
sentiment ne s’est formé dans l ’ame du testateur que
par des rapports, des manœuvres, des suggestions in
téressées de la part de celui en faveur duquel la dis
position est faite.
Cette cause alors rentre dans le suggestion et la
c apt a ti on , et en forme un des moyens les plus efficaces.
Que la suggestion et la captation soient des causes
de nullité des dispositions à titre gratu it, point de
doute. Sans entrer dans la différence que les anciens
auteurs mettaient entre la suggestion et la captation ,
il faut les entendre dans le sens de manœuvres em
ployées pour captiver la volonté d ’autrui à son profit,
pour séduire et tromper le disposant, suivant l ’expres
sion de INI. Grenier, dans la vue d ’attirer ses biens au
préjudice de sa famille, et pour enfin substituer une
volonté étrangère à la sienne.
S i , dans les moyens pratiqués pour séduire la volonté
du disposant, est entré celui de lui donner de l ’éloignement, et de lui inspirer de la haine et de la colère
pour sa fam ille, alors la captation et la suggestion
prennent un caractère de dol et de fraude ? qui ne
�V *7 )
permet pas de laisser subsister la disposition; car,
outre que le dol et la fraude ne peuvent jamais
produire des effets légitimes, comme le testament doit
être l ’effet de la volonté libre du testateur, il s’en suit
q u e , quand il a cédé à des manœuvres frauduleuses,
il n’a pas suivi sa volonté; et par conséquent sa dis
position est viciée dans son essence.
Cette doctrine a été professée par tous les bous es
prits qui se sont occupés de cette matière ; elle est
disertement développée dans l ’excellent Traité des
Donations de M. Grenier; elle est partagée par M. Toullier, dans son ouvrage estimé sur le Code civil.
Des arrêts l ’ont consacrée; il en existe un du i 4
avril 1806, de la Cour de Grenoble; un du 14 juin
de la même année, de la Cour de Bruxelles; et un
dernier, de la même C o u r, du 21 avril 1808 , qui
tous ont reconnu que la cause de nu llité, résultant de
la suggestion et captation, n ’est point abrogée.
Le Code civil ne s’en explique pas. Mais il a été
remarqué que le premier projet de ce grand ouvrage
avait un article portant que la loi n’admet pas la
preuve que la disposition n ’a été faite que par haine,
colère , suggestion et captation , et que cet article ,
dans la discussion, a été supprimé.
L ’orateur chargé de présenter le Titre des Donations
et Testamens au corps législatif, s’est exprimé de
manière à faire connaître quel a été l ’objet de la sup
pression de l ’article.
« L a loi garde le silence, disait-il, sur le défaut de
3
�liberté qui peut résulter de la suggestion et de
la c a p ta tio n , et sur \e vice d’une volonté déterminée
p a r la colère ou p a r la haine. Ceux qui ont entre
pris de faire annuller des dispositions pour de
semblables motifs, n ’ont presque jamais réussi à
trouver des preuves suffisantes pour faire rejeter des
titres positifs; et peut-être vaudrait-il m ieux, pour
l’intérêt général, que cette source de procès ruineux
et scandaleux fut ta rie , en déclarant que ces causes
de nullité ne seraient pas admises; mais alors la
fraude et les passions auraient cru avoir, dans la
loi-même, un titre d’impunité. Les circonstances
peuvent être telles, que la volonté de celui qui a
disposé, n ’ait pas été libre, ou q u ’il ait été e n ti è
rement d o m in é par u ne passion injuste. C ’est la
sagesse des trib u n a u x , qui pourra seule apprécier ces
faits, et tenir la balance entre la foi due aux actes
et l’intérêt des familles. Ils empêcheront q u ’elles ne
soient dépouillées par les gens avides qui subjuguent
les mourans, et par l'effet d ’une haine que la nature
et la raison condamnent. »
Il faut s’en rapporter à l’orateur du gouvernement y
qui n’eût point pris sur lui de suppléer au silence
du projet q u ’il venait proposer au corps législatif de
convertir eu lo i, et qui n’a du dire que ce qui avait
été dans l ’esprit de la rédaction.
Il faut donc regarder comme certain, que l ’action
en nullité pour haine et colère, pour captation et
suggestion subsiste, mais que seulement le mérite de
�( ]9 )
cette action et l’appréciation des faits sur lesquels on
la fonde, sont abandonnés à la sagesse des tribunaux.
Quant à la démence du testateur, elle doit être
aussi une cause de nullité des testamens. L ’article g o i
du Code civil, d ’accord en cela avec le droit romain
et les coutumes qui régissaient la France avant lui ,
dispose « que pour faire une donation entre-vifs ou
« un testament, il faut être sain d ’esprit. » Il y aurait
contradiction entre cette disposition et son applica
tio n , si le testament cI’u r c personne en démence pou
vait avoir son effet.
L ’article 5 o/|. du même Code porte : « Q u ’après la
« mort d ’un in d ivid u , les actes par lui faits ne peu« vent être attaqués pour cause de démence, q u ’autant
■
« que feon interdiction aurait été prononcée ou pro« v o q u é e a v a n t son décès, à moins que la preuve de
« la démence ne résulte de l ’acte même qui est at« taqué; »
Cet article fera-t-il obstacle à l ’action en nullité
pour cause de démence, lorsque le testateur sera dé
cédé integri s ta tu s , lorsque l ’interdiction n’aura été
ni prononcée ni provoquée avant le décès?
Non : il est généralement reconnu aujourd’hui que
l ’article 5 o 4 ne s’applique point aux testamens.
« Q uoiqu’avant la disposition , dit M. Grenier ,
« T ra ité des D o n a tio n sy il n’y ait point eu , contre
« le disposant, une prononciation ou une provocation
« d’interdiction, il faut, pour juger de sa capacité
« morale, se reporter uniquement à l ’mstant de la
�( 20 )
« disposition, abstraction faite de toutes autres cir« constances. Il est aisé de comprendre les motifs de
« l ’article 901. Le législateur n ’a pas dù considérer
« les dispositions gratuites, du même œil que
les
« autres actes. L a loi redouble de prévoyance, pour
« prémunir l ’homme contre les pièges de la cupidité
« qui peut épier un instant de faiblesse, ou le pro« voquer, pour extorquer une libéralité5 or, ce mo« ment peut exister, quand il aurait même un usage
« habituel de la raison. »
L ’auteur étaye son sentiment du résultat qui eut
lieu au conseil d’É t a t , lors de la discussion de l ’ar
ticle 901 , dont le projet ajoutait à ce que l ’article
c o nt i ent aujourd’hui « que ces actes (les donations
« entre-vifs et les t es tame ns) ne p our r ai ent être atta« qués pour cause de démence, que dans les cas et de
« la même manière prescrite par l ’article 5 o 4 du
« Titre de la majorité et de l ’interdiction. »
Plusieurs conseillers d’É tat s’élevèrent contre la se
conde partie de l’article. Il fut reconnu que l ’art. 5 o 4
ne pouvait pas s’appliquer aux donations entre-vifs et
aux testamens 5 et l ’article 901 fut réduit à ce qui en
reste dans le Code.
Plusieurs arrêts l ’ont décidé ainsi , et notamment
un arrêt de la Cour de cassation, d u 22 novembre 181 o ,
qui a rejeté le pourvoi formé contre un arrêt de la
Cour de Poitiers, par un m otif ainsi conçu : « Con«
sidérant
que Particle 5 o 4 du Code civil n ’est point
,< applicable aux donations entre-vifs ni aux testamens
«
�«
«
«
«
«
régis par l ’article 901 du même C o d e , qui a été
définitivement adopté et promulgué en ces termes
(Pour faire une donation entre-vifs ou un testament,
il faut être sain d ’e s p r i t : q u ’il résulte de la généralité d’expression de cet article, que, nonobstant
« les articles 1 3 4 1 ? ^ 4 7 ? i 352 et 1 353 dudit Code,
« il est permis aux parties d ’articuler, et aux tribu•« naux de les admettre à prouver tous les faits qui
« sont de nature à établir que l ’auteur d’une dona« tion entre-vifs ou d’un testam ent, n ’était pas sain
« d ’esprit., à l’époque de la confection de ces actes ,
« sans distinguer si ces faits ont ou n ’ont pas constitué
« un état permanent de démence. »
L a jurisprudence est donc bien établie sur ce point.
Il est incontestable, en d roit, q u ’un testament peut
être a t t a q u é de n u l l i t é p our cause de démence du tes
tateur , quoi q u ’il soit mort integri s ta tu s , sans inter
diction prononcée ou provoquée, comme pour cause
de haine et de colère, de suggestion et captation; et
la décision du tribunal de Clermont et ses doutes en
droit, sont en opposition avec la doctrine générale
ment adoptée par les jurisconsultes et par les arrêts.
A la vérité, il ne suffit pas de la cause; il faut
q u ’elle soit soutenue par des faits qui la justifient,
qui prouvent que la disposition en a été l ’effet.
M. le chevalier Legroing attaquait le testament de
son frère par les causes réunies de la haine et de la
colère, de la suggestion et captation et de la démence ;
�( 22 )
il a rticu la it, sur. ch a cu n , des faits que le tribunal de
Clermont ne l ’a point admis, à prouver.
Il faut passer à l ’examen de ces faits, et des motifs
par lesquels ils ont été écartés.
E X A M E N D E S F A IT S E T D E S M OTIFS.
C om m e f a i t s p ro b a tifs de haine et de colère étaient
a rticu lés:
PREMIER
FAIT.
U n refus , de la part du comte L egroin g, de rece
voir une somme de 8000 f r . , que son frère lui avait
envoyée p a r le sieur C h an telot, le
avait a c c o m p a g n é l e r e f u s d ’ i n j u r e s
Legroing.
juillet 1 8 1 7 ; i l
c o n t r e le chevalier
I er
« L e demandeur , porte le jugement , ne dit pas
« quelles furent ces injures. »
In ju r e est un mot générique qui exprime un outrage ;
des injures proférées sont des paroles outrageantes contre
une personne. Quant à l ’espèce de ces paroles, c’est à
celui qui les a entendues à les déclarer. Il a suffi d ’arti
culer le fait, l ’occasion, l ’époque, et de dénommer le
tém oin, pour que l ’articulation soit pertinente et
complète.
SECOND
FAIT.
Le chevalier Legroing s’étant présenté lu i-m êm e,
le l2 du même mois , chez son frère, pour régler ses
1
�( ¿3 )
comptes, et lui payer une partie de ce q u ’il lui devait,
il ne put parvenir jusqu’à lui.
« Le demandeur, dit le jugement, ne dit pas non
« plus p o u rq u o i et p a r q u i il fut empêche de parvenir
« à son frère. »
L e p o u rq u o i est nécessairement connu, puisque le
fait est articulé pour établir l ’indisposition et l ’éloignement de son frère contre sa famille.
P a r q u i! l ’information le dira; d ’ailleurs le p a r
q u i il fut empêché de parvenir jusqu’à son frère est
assez indifférent, quand il ne s’agit que du fait de
l ’éloignement. Il suffira q u ’il soit prouve que le sieur
Legroing ne pouvait pas voir son frère ; que sa porte
lui était fermée. Le comte Legroing était infirme, ne
sortait pas : ce n’était donc pas une cause accidentelle
q u i p o u v a i t e m p ê ch e r son frère de le v oi r chez l ui .
TRO I S I ÈME
FAIT.
L e chevalier Legroing ayant invité un jurisconsulte
à porter pour lui la somme à son frère , de rédiger la
quittance, et de régler le mode de paiement de ce qui
restait d û ; et le jurisconsulte ayant fait la lecture de
la quittance au comte L egroin g, celui-ci se mit en
fu re u r, parce q u ’il y était dit que le chevalier Legroing
¿tait son fr è r e . Il vomit contre lui toutes sortes d ’in"
jures, et ne signa la quittance que lorsque le juris
consulte eut rayé cet mots : M o n fr è r e .
Le jugement répond : « Le demandeur a laissé
�(* 4 )
« également ignorer quelles furent ces injures ; et
« cependant il serait possible que les expressions du
« comte Legroingne fussent p a s reconnues injurieuses.
« L e demandeur aurait pu regarder comme injures
« quelques paroles seulem ent désobligeantes , q u ’un
« moment d ’humeur ou de mécontentement aurait pu
« produire , sans que le cœur du comte Legroing y
« prit aucune part. Au surplus , les frères Legroing
« auraient pu vivre en mésintelligence et ne pas
« s’aimer ; mais entre la haine et V a m itié il y a tant
« d 'a u tres sentim ens qui ne troublent ni l ’esprit ni la
« raison, qui ne sont ni de la haine ni de la colère I
« S i, par de semblables motifs, il était possible d ’an« nuller les testamens faits au préj udice des c ol l at ér aux ,
« il serait p re sq n’ i n u t i l e cl’ en faire. E n f i n le testament
« dont il s’agit est du i!\ décembre 1 8 1 6 , et les faits
« de colère et de haine allégués seraient du mois de
« juillet 1817. »
Quelles furent les injures? Ne sont-elles pas assez
caractérisées, quand elles viennent à la suite du fait
que le comte Legroing entra en fureur, quand il
s’e n t e n d i t
qualifié fr è r e du chevalier?
Les juges qui ont pénétré dans les replis du cœur
h u m ain ,'q u i ont creusé la m éthaphysique, pour dé
couvrir qu ’il y a tant d’autres sentimens entre la haine
et l ’am itié, que jusqu’ici on avait cru 11’avoir d ’in-termédiaire que l’indifférence, n ’ont pas pu calculer
les effets de la fureur; ils n ’ont pas senti ce q u ’a de
dénaturé le mouvement d ’un homme qui renie, qui
�( *5 )
méconnaît, qui repousse son frère, qui s’emporte sur
le titre de frère, que lui donne celüt qui l’est: en effet.
E t ils veulent que, dans l ’état de fureur, il ait prononcé
des paroles seulem ent d éso b lig ea n tes, auxquelles le
cœur n?a point de part!' S’il est un fait révoltant qui
caractérise la haine et la colère, c’est celui-là ; et;
certes, pour l ’honneur de la nature, dans l ’intérêt des
moeui's et de l ’ordre social-, les tribunaux doivent s’em
presser d’anéantir un testament fait sous de tels aus
pices.
Q u ’importe que le fait articulé soit antérieur ou
postérieur au testament attaqué? D ’abord un- testament
olographe n’a point de date jusqu’au décès du testateur ;
mais ensuite, q u ’a-t-on à prouver? la passion furieuse
que l ’on avait suggérée au comte Legroing, sa haine
p o ur son frère. U n s e n t i m e n t , une passion, ne sont
pas des choses matérielles qui se distinguent ;Y la
vue ou au toucher; ils se manifestent par des effets
que des occasions produisent ; or , un effet aussi
marquant que la fureur qui' s’empare d ’un frère>
parce que son frère l ’appelle son- frère dans une q u it
tance, et qui ne veut recevoir l ’argent qui lui' est
offert, que quand cette qualification (q u i lui» est
odieuse) est effacée de l ’écrit; cet effet, qui:vient à la
suite de deux autres, ne peut être accidentel; il dé
montre nécessairement la disposition habituelle de
l ’ame et la passion, dont, elle est occupée. Il faUt donc
reconnaître que cette passion doit avoir une influence*
pour ainsi dire exclusive, sur des dispositions testa-
4
�méntaires, consacrées sur-tout à la bienveillance, et
dont l ’idée réveille les haines comme les affections.
De la haine et de la colère, le jugement passe à la
suggestion et captation.
L e chevalier Legroing articulait des faits : i 0 de
suggérée par Jouvainroux et sa femme, soit à
l’occasion du partage du mobilier de la succession de
liaine
la mère commune, soit lorsque le comte, se plaignant
de l ’obsession dans laquelle il était tenu, et menaçant
de son frère, le mari et la femme lui disaient : « A
« qui vous adresseriez-vous? A votre plus mortel en« n e m i, qui n’en veut q u ’à.vos biens, cherche à vous
« faire passer pour fou , et veut vous faire interdire? »
20 D e chartre privée : le comte, éloigné de tout ce qu i
n’est pas la cotterie des J o u va i n ro u x ; le chevalier, son
frère, qui ne peut pas parvenir jusqu’à lu i; l ’abbé
Legroing de la Romagère, son parent et son ami, et
la demoiselle Henriette Legroing, chanoinesse, sa cou
sine, qui ne sont point admis à le voir; 3 ° de Vob
session p erp étu ellem en t p ratiquée su r l u i , résultant
de l ’empire que donnent naturellement à une femme
jeune, sur un vieillard, une intimité avérée et des
familiarités habituelles; de ce que le comte ne voit
que les Jouvainroux , n’est entouré que de leur famille,
n’a de distraction que par l ’e n fa n t dressé à l ’appeller
p a p a 3 à le rechercher, à le caresser, et dont on lui a
persuadé q u ’il était le père; de ce q u ’on lui a fait re
tirer un testament où, ne suivant que sa volonté et son
penchant, il transmettait sa fortune à sa famille; et
�(< 27 )
enfin de ce q u e , non content d ’une disposition uni
verselle au profit de l ’enfant, on lui a fait acquérir,
sous le nom de celle-ci, une propriété de 40,000 f r . ,
et on lui a fait passer des lettres de change à son
3^5
ordre.
!
1
Le jugement ne discute pas ces divers faits articulés;
il les élude et s’attache à diverses considérations.
« Ainsi l ’enfant a été incapable, par son âge, d ’em« ployer la ruse', l ’artifice, la mauvaise foi^des insi« nuations perfides, pour tromper le comte Legroing,
« lui rendre sa famille odieuse, le* faire changer de
« volonté, et surprendre en sa faveur des dispositions. »
Comme si toutes ces manœuvres étaient imputées à cet
enfant; comme si elles n ’étaient pas visiblement l’œuvre
des Jouvainroux; comme si enfin il n ’y avait pas eu
plus d ’art et (le perfidie à diriger sur un enfant l ’effet
de toute l ’intrigue, que de l ’avoir applique aux père
et mère eux-mêmes !
« Il n’est pas vraisemblable, dit le jugem ent, q re
« la fo r c e d ’esprit , la f i e r t é d u caractère du'comte
« Legroing, aient jamais cédé aux volontés de Fran« çoise Boudon, au point sur-tout de faire ce q u ’il
« n’aurait pas voulu faire. Il n’est pas présumable que
« la femme Jouvainroux eût tenté ce triomphe; elle
« eût craint sans doute de déplaire à son maître , et
« même de l' offenser, s’il eût pensé
v oulait le
« dominer; elle eût craint d ’achever de perdre une
q
« confiance déjà lant affaiblie par
son
u
’ e l l e
mariage. »
C ’est une fort mauvaise manière de. raisonner et de
�( =8 )
conclure;, que cle tirer cjes inductions de laits contestés ,
et des conséquences de principes qui sont précisément
en question. On demande k prouver, d ’un côté, que
le comtç Legroing n’ayait ni force d ’esprit, ni -fierté
de caractère; et d ’autre côté, que la femme Jouvainroux le dominait m4 me tyranniquement. Où trouve-t-on
fie la forpe d ’.esprit et de la fierté de caractère dans un
homme d ’upe naissance distinguée, qui ne craint pas
de s'abandonner à une fille des derniers rangs de la dor
mesticité^ q u i, pour se consacrer à elle tout entier ,
quitte et abjure sa fam ille; qui ne craint pas d ’avouer
publiquement un enfant q u ’il a eu de son commerce
honteux avec elle y et q u i, frustrant ses propres parens *
m e t sa f or t une sur la tète
d ’ u n e n fa n t q u i
a p our
mère sa domestique, et pour père, le bedeau de la
pathédrale? Comment supposer à cette fille, sa con
cubine, la crainte de déplaire à son maître? lorsqu’elle
le tient en chartre privée; lorsqu’elle le dérobe à la
famille et à gps amis; lorsque, pour le dom iner, elle
le m altraite, et que les voisins et l’officier de police
peuvent attester que, las de sa position , il crie par la
croisée : au sçcQifrs / à l ’assassin !
. L e jugement continue ; « E n supposant même que
« Ja femme Jouvainroux eut q u e l q u e pouvoir sur l’es« prit de son inaiiro, il n ’est pas vraisemblable q u ’elle
<î l'eut employé pour faire exercer envers sa fille une
» libéralité qu'elle ei\t désiré conserver en vertu du
« testampnt de 1807; q u ’il est,
au contraire, plus
( naturel de crpjre que c’est par ses caresses? par ses
�(
«
assiduités,
29
)
par ses soins excitéé peu t-être par de
„ petits cadeaux, que l ’âge mûr et la vieillesse ont
« coutume de faire à l ’enfance, que Claudine-Flavie
« a obtenu, sans le savoir ni le désirer, cette marque
« ide sensibilité, d ’affection et de toute la bienveillance
« du comte Legroing; que ce dernier a pu penser q u ’il
« ne devait aucun témoignage d ’aiFec-tion ni de recon« naissance au chevalier L egro in g, son frère, q u i, cé« libataire comme lu i, ne transmettrait q u ’à des
« étrangers ou à des collatéraux éloignés, les biens
« qu ’il lui laisserait. »
Ici ce sont encore des inductions et des suppositions
morales ^ qui sont opposées à des faits dont la preuve
est offerte.
. On ne peut mettre en doute que la femme Jouvainroux ait eu un gra nd p o u v o i r sur l ’esprit de son
maître , q u ’autant que la preuve par témoins offerte
ne répondrait pas à la conséquence des faits articulés.
Pourquoi n ’est-il pas vraisemblable que cette femme
eût fait substituer un testament en faveur de sa iille, à
celui qui avait été fait en sa faveur en 1807? E lle y a vu
apparemment quelqu’intérêt. N ’a-t-elle pas pu penser
que la critique en serait moins facile? et 11e serait-elle
pas confirmée dans l ’utilité de cette prévoyance, par le
jugement de Clerm ont, qui se sert du nom de reniant,
pour écarter les justes reproches faits à la mère? N al-elle pas pu croire aussi lier davantage le comte
Legroing, par une disposition en faveur de l’enfant,
sur-tout si elle lui avait persuadé q u ’il en était le père?
�( 3° )
\ne
»
Déjà elle avait fait retirer le testament que le comte
avait fait pour sa famille : elle a pu craindre un retour
dans sa volonté. D ’ailleurs Jouvainroux , son m ari,
avait aussi ses vues; et il a pu espérer, pour son propre
compte, plus de chances de la disposition faite en
faveur de son en fan t, que de celle qui aurait donné
la fortune exclusivement à sa femme.
Il n ’y a , en cela , que des conjectures; mais elles
sont aussi
exprime.
probables que
celles que
le
jugement
N ’est -ce pas outrer toutes les vraisemblances, que
de prétendre que l ’enfant aura tout fait par ses ca
resses , par ses assiduités et par ses soins ? Des assiduités
et cles soins de la part d ’un enfant de cinq ans ! Ses
assiduités et ses soins ne peuvent convenir q u ’à ses
père et mère. Les caresses, à la bonne heure : encore
sont-elles l ’eifet de la direction donnée à son jeune
âge. Les caresses d ’un enfant étranger peuvent bien
porter l ’àge mûr et la vieillesse à de petits cadeaux ;
mais il n’y a que la démence qui peut payer ces caresses
du legs d ’une fortune de 3 à 400,000 francs, enlevée
à une famille.
s
« Le chevalier Legroing, dit le jugement, est céli« bataire comme le comte l ’était : il transmettrait lui« même à des étrangers ou à des collatéraux éloignés. »
L a morale 11e peut pas avouer une conjecture aussi
hasardée, pour justifier un fait déraisonnable.
Le chevalier est célibataire, mais il peut encore se
marier. Il a de proches parons, qui l’étaient aussi du
�( 3x )
comte, et qui portent leur nom. De tels collatéraux,
qui sont l ’espoir cl’une famille honorable, ne peuvent
point être assimilés à des étrangers. Si le comte eût
disposé pour eu x, toute la famille eût applaudi à son
choix , et eût béni sa mémoire ; mais prendre pour
héritière un enfant qui n ’avait aucun titre personnel
à une telle libéralité, la fille de sa domestique, de sa
concubine! c’est l’oubli de tous les devoirs de famille,
et de toutes les convenances sociales.
Il faut donc convenir que le jugement de Clermont
n ’a point détruit les faits de suggestion et de captation-,
il ne les a pas même appréciés , puisqu’il ne s’est
attaché à les combattre que par des considérations
fondées sur des suppositions.
Ce jugement n’est pas plus convaincant , lorsqu’il
s a t ta ch e a la forme d u t e s t a m e n t , au soin que le
comte Legroing a pris de le signer à. toutes les pages,
et de le mettre sous enveloppe cachetée au sceau de ses
armes, et à la facilité q u ’il aurait eue de révoquer
son testament et d’en faire un au tre, qu’il eût confié
à son médecin ou à son confesseur.
Ricard a bien prétendu que l’action en suggestion
n’était pas recevable contre les testamens olographes;
mais il est resté seul de son avis : des arrêts contraires
ont prouvé q u ’il s’était trompé. U n arrêt récent de la
Cour royale de Paris, du 3 i janvier i 8 i 4 > a annulle,
pour cause de suggestion et captation, 1« testament
olographe d’une demoiselle Lefèvre.
E t pourquoi le testament olographe serait-il excepté
�( 3a )•.
de la règle commune? Le testament olographe, écrit,
signé el mis sous envoloppe cachetée du sceau du tes
tateu r, n ’offre pas plus de garantie que le testament
p u b lic , qui porte au moins celle de la présence de
notaires et de témoins.
L ’influence qui fait écrire le testament en dirige
les autres circonstances; et l ’enveloppe et le sceau
peuvent être Touvrage d ’une autre main que celle du
testateur.
Cette même influence s’exerce sur les démarches
ultérieures^ et protège le testament contre la révoca
t io n , q u i , parce q u ’elle est possible, est exactement
surveillée; et il n’y a pas médecin ou confesseur qui
t i e n n e , lorsque le malade est subjugué, que sa raison1
est perd ue, que les parties intéressées ne le quittent
pas.
*
Le jugement enfin propose, comme preuve de la
volonté libre du testateur, l’acquisition q u ’il a faite,,
sous le nom de Flavie Jouvaiuroux, le 17 mai 181-7 >
cinq mois après le testament; l ’ordre q u ’il a passé plus
ta r d , à cet enfant de cinq a n s , d ’effets de commerce;
à lui consentis, et enfin sa persévérance dans son tes
tam ent, pendant les huit mois qui se
sont
écoulés
entre cet acte et son décès.
Il n’est pas bien certain que le testament soit de la
date q u ’il porto. Les deux actes cités comme subséq;liens
déposeraient que le testament n ’était pas encore fait;
car le legs universel fait à la jeune Flavie comprenant
tous les biens, il devenait inutile de faire une acqui
�(33
)
sition sous son nom , et de lui passer l ’ordre des billets.
L ’ordre était, suivant le jugem ent, une précaution du
testateur pour empêcher que les billets ne fussent
soustraits par les père et mère. Mais aurait-on pu sous
traire des billets à l ’ordre du comte, qui ne pouvaient
être touchés que par lui ou par son ayant-cause ?
Cet ordre, au contraire, ne porte-t-il pas l ’empreinte
de l ’absence de la raison ? Il est absurde d’avoir passé
un ordre au profit d ’un enfant de cinq ans, p o u r
v a le u r reçue com ptant. La démence seule peut donner
la raison d ’un'tel fa it, comme la démence seule a pu
porter le comte Legroing, q u i, dans les tems de sa
raison, avait, ainsi que le jugement le déclare, de la
force d’esprit et de la fierté de caractère, à mettre sur
la tête d’un enfant étranger, à qui il ne devait rie n ,
une fortune de 3 a 4ooj°o0 francs dont il prive sa
famille.
Une telle disposition sera sans doute reconnue par
la C ou r, saisie de 1 appel du jugement du tribunal de
C le rm o n t, comme 1 œuvre ténébreuse de la suggestion,
de la captation, du dol et de la fraude réunis, pour
abuser d ’un vieillard qui n ’avait plus sa raison.
L a société est intéressée au succès de la réclamation
du chevalier Legroing. Il importe à l ’ordre public,
au repos et à la prospérité des familles, q u ’il soit mis
un frein à la cupidité des gens qui spéculent sur les
successions. Les plus dangereux sont les domestiques,
les femmes sur-tout, q u i, par l'habitude de leur pré
sence et de leurs soins, plus encore par les familiarités
5
�q u ’elles perm ettent, ou q u ’elles exciten t, acquièrent
un ascendant sur l ’esprit de leur maître, que l’âge et
les infirmités ne font q u ’accroître. Devenues néces
saires, elles l ’indisposent contre ses parens q u ’elles
écartent de sa maison ; et quand l ’affaiblissement des
organes ne lui laisse plus de volonté, elles le font
disposer, et la fortune est envahie.
L e legs d ’une fortune opulente, en totalité, en
faveur d ’un domestique., porte en lui-même un ca
ractère de séduction de la part de celui-ci et d ’as
servissement de la part du maître. Il n'est pas naturel
q u ’un homme raisonnable se porte
à
laisser de grands
biens à un individu étranger, que ni son éducation,
ni ses habitudes n’ont préparé à la richesse, et dont
il peut récompenser les services l a r g e m e n t , sans man
quer aux convenances et aux devoirs que les biens de
famille imposent. Les tribunaux ne sauraient être
trop attentifs
à
de tels excès, qui sont toujours un
abus de la loi.
Délibéré par nous , anciens avocats, ce 18 avril 1819.
C H A M P IO N - V IL L E N E U V E .
BONNET.
D E L A C R O IX -F R A IN V I L L E .
T R IP IE R jeune.
RIOM, IMPRIMERIE
de
SALL E S , PRÈS LE P AL A I S DE J USTI C E .
�
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Title
A name given to the resource
Factums Godemel
Relation
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/files/factum-remarquables/BCU_Factums_G0301_0007.jpg
Description
An account of the resource
<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
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Title
A name given to the resource
[Factum. Legroing, Louis. 1819]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Berryer
Champion-Villeneuve
Bonnet
Delacroix-Frainville
Tripier jeune
Subject
The topic of the resource
testaments
abus de faiblesse
domestiques
servante-maîtresse
enfants naturels
créances
séquestration
mobilier
maltraitance
émigrés
ordre Saint-Jean de Jérusalem
fraudes
fisc
inventaires
lettres de change
doctrine
nullité du testament
captation d'héritage
testament olographe
jurisprudence
concubinage
legs universels
egyptologie
code civil
bedeau
Description
An account of the resource
Titre complet : [consultation]
Table Godemel : ab irato : 2. l’action ab irato contre les testaments est-elle admise par le code civil ? peut-elle appartenir à l’héritier collatéral ? Etat (question d') : 3. l’héritier du sang a-t-il le droit, pour prouver l’interposition de personne, de rechercher si le légataire, qui a dans une famille le titre et possession d’état d’enfant légitime, est, ou non, l’enfant naturel du disposant, surtout, lorsque cette recherche conduirait à la preuve d’un commerce adultère ? Sanité d'esprit : d’après quels principes se résout la question de savoir si le testateur était sain d’esprit ? Suggestion : La suggestion et captation sont-elles moyens de nullité pour la législation actuelle ? peuvent-elles être opposées contre un testament olographe ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
De l'imprimerie de J.-C. Salles (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1819
1807-1819
1804-1814 : 1er Empire
1814-1830 : Restauration
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
34 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G2430
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Relation
A related resource
BCU_Factums_G2429
BCU_Factums_G2431
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/6/53484/BCU_Factums_G2430.jpg
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Riom (63300)
Clermont-Ferrand (63113)
Biozat (03030)
Fontnoble (terre de)
Egypte
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
abus de faiblesse
bedeau
captation d'héritage
Code civil
concubinage
Créances
doctrine
domestiques
egyptologie
émigrés
enfants naturels
fisc
fraudes
inventaires
jurisprudence
legs universels
lettres de change
maltraitance
mobilier
nullité du testament
ordre Saint-jean de Jérusalem
séquestration
servante-maîtresse
Testament olographe
testaments
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M. L o u i s
MÉMOI RE
f 4AA*4 r * '%
POUR
o m ît .
L E G R O I N G , Chevalier de justice de J
l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, Chevalier de
l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis , demandeur ;
CONTRE
J u lie n
J O U V A IN R O U X
Cathédrale, et Cordonnier
,ancien Bedeau de La
F ra n ço ise
sa femme et encore contre Ledit
BOUDON,
J u lie n
JO U -
V A I N R O U X , en qualité de père et légitime ad
ministrateur de Claudine-F lavie J o u vain ro u x, sa
f i l l e , mineure, défendeurs.
Gvavius agendum cum servis, quam cum alus.
(Maxime duDroit.)L
e
chevalier Legroing dénonce à la justice un acte
de ténèbres, fruit de la violence, d e la haine, et de la
plus honteuse débauche; un acte arraché par la plus
I
�(2 )
vile et la plus dangereuse séduction ; un acte scandaleux
qui blesse la morale publique et rompt tous les liens de
la société; un acte qui est la récompense du crime et
de l’opprobre, qui dépouille un frère et une sœur d’un
antique patrimoine, pour leur substituer les personnes
les plus abjectes; un testament enfin portant legs uni
versel et sans réserve d’une succession de plus de
, 3 oo,ooo francs au profit d’ un enfant de six ans, lille
de la domestique, de la concubine du feu comte L e groing.
Qui osera élever la voix pour faire maintenir une
libéralité exorbitante, qui ne peut être que l'effet de
la démencfe, ou la suite d ’hàbitudos crapuleuses qui
'énervent, avilissent et détrüièent la Volonté? Toutes
les familles, la société entière est intéressée à faire
proscrire ces libéralités abusives arrachées à la faiblesse,
et qui prouvent l’aliénation m entale, ou l’abrutissenient de l’auteur. L o in de nous ces philosophes du jour,
qui ont si souvent outragé les mœurs, sous le piélexte
de venger la nature; qui vantent avec tant d’éclat cetle
liberté indéfinie dans les dispositions, ne voient dans
ces spoliations criminelles qu'un simple mouvement de
fortune. L o in de nous ces praticiens officieux et vils,
dont la complaisance servile, mais largement p a y é e ,
facilite ces odieuses manœuvres, et choisit avec ait le
moment opportun pour en présenter le modèle.
, A quel d fgi’é de dépravation serions-nous donc par
venus, s’il était vrai q u e T a c t e dénoncé trouvât des
partisans? Dans quelle classe pourrait-on rencontrer
�( 3 )
des hommes assez déhontés pour.maintenir un testa
ment qui,est un scandale ,public, çt que la,société re
pousse avec indignation?
Serait-il vrai que le Code civil proscrit les attaques
de l’hérilier du sang? qu’il exclut toute action en nullilé pour cause.de suggestion?(q u ’il a déclaré les ser
viteurs capables de recevoir un.legs universel, à l’ex
clusion des héritiers?
On ne trouve rien dans le Code qui puisse appuyer
celte assertion; on ne voit pas.que le législateur ait
voulu être im moral, qu’il ait dérogé aux anciens prin
cipes, à l'ancienne jurisprudence ^o.n sait, au contraire,
qu’une section avait voulu proposer d’abolir l’action en
suggestion, et que cette propositioniut rejetée.
L e Code civil n’a rien changé à ce qui s’observait
autrefois dans cette matière; il a voulu qu’un testament
ne fût valable qu’autant qu'il serait l’expression des
dernières volontés de l’auteur; il le rejette toutes les
fois quJil est établi que cette volonté a été captée, sur
tout parles personnes qui, parleur état, ont un empire
trop grand sur l’esprit du testateur.
Les questions de cette nature ont toujours été aban
données ù la sagacité et à la sagesse du magistrat, qui
se détermine suivant les circonstances et les présomp
tions plus ou moins graves de captation et d’obsession.
L e chevalier Legroing ne doit donc pas redouter ces""
impuissantes clameurs; il peut user de tous ses moyens;
la loi les protège, la justice les.réclame et l’encourage;
�( 4 )
et il encourrait le blâme de tous les hommes de bien, *
s’il ne cherchait à venger un aussi grand outrage à la
morale publique.
F A ITS.
J ean -B ap tiste, comte L e g ro in g , ancien capitaine
au régiment de dragons d’Artois, avait épousé la de
moiselle de Madeau , qui lui porta une grande fortune,
et lui assura des reprises considérables en cas de survie.
Ses père et m è r e , le marquis et la marquise L e groin g, l’instituèrent leur héritier universel, à la charge
d’une légitime modique envers ses frères et sœurs. Ses
deux frères, suivant l’anlique usage de celte illustre
m aison, étaient entrés dans l’ordre de M alte ; deux
sœurs, dont l’une est décédée, avaient été nommées
chanoinesses de l ’ordre.
L a révolution a détruit les espérances des deux frères,
et les prébendes des deux sœurs. Ils étaient donc ré
duits à leur légitime.
L e comte Legroin g, connu par ses sentimens de fidé
lité à la dynastie régnante, crut devoir s’expatrier, et
suivre le sort de nos princes. L a marquise L e g r o in g ,
sa mère, vint s’établir à R iom ; elle conserva la propriétédela terre deF ontnoble, qui venait de son estoc,
seul reste de l’opulence de la famille : tout ce qui pro
venait du père avait été soumissionné et vendu.
L e sieur comte Legroing avait eu le malheur de
perdre son épouse. D e retour de l’ém igralion, en 1804,
il vint se réunir, à sa famille. Il retrouva une mère
�( 5 )
octogénaire, qui le reçut avec la plus vive tendresse.
Ses deux frères et sa sœur aînée cherchèrent à lui offrir
toutes les consolations de l’amitié.
On crut s'apercevoir que sa santé était altérée et son
hum eur changée. C ’était, sans doute, l’effet de ses longs
voyages, de ses souffrances, et des pertes qu'il avait
éprouvé.
r,J
L e sieur comte Legroing était hom m e d’honneur,
d ’une probité austère, sûr dans ses principes, ami
chaud, citoyen éclairé, sujet fidèle; on pouvait peutêtre lui reprocher une certaine fierté qui tenait à d’an
ciens souvenirs, à une haute naissance, et à tous les
avantages de la fortune.
Mais bientôt des infirmités qui devançaient la vieil
lesse , des attaques réitérées d ’apop le xi e, le réduisent h
un état d’inanition et de débilité qui le mettent dans
la dépendance de tout ce qui l’approche ou l’environne.
Il avait alors tout ce qui peut tenter la cupidité; il
avait récupéré des capitaux considérables; il tran
sigea avec les héritiers de sa fem m e, et recouvra des
effets d’un grand prix. Il se retrouvait encore à la têt©
d’ une brillante fortune, toute mobilière, qui pouvait
aisément devenir la proie du plus vil intrigant.
,
Si le comte Legroing avait joui de toutes ses facultés,
s’il avait pu consulter son cœur et ses anciennes affec
tions, il eût jeté un regard d’amiliéisur deux frères
dépouillés de toutes ressources, privés des pensionsque
leur avaient mérité leurs longs services dans les armées,
�(
6
)
ét des récompenses q u i n ’échappaiehf jamaisiaux che
valiers i dé Malte. - - >rv,,:iîr- ' j-.. ■i - .
Mais qui pourrait le croire? c’estidans les plus vils
emplpis'de la cuisine-qu’il va chercher des consolations;
et cette-circonstances va faire paraître celle qui.Revint
l’objet de ses'affections, et qui depuis a e u , non-seu
lement la plus grande influence>mais un empire absolu
sur _s.es volontés,
f•
. »/
#
Françoise-Boudon, née à Effiat, d’ un pauvre jour
nalier hors d’état de nourrir sa nombreuse, famille ,
*
avait quitté de bonne heure la chaumière paternelle
p()ur.fse mejtre e n (servicô; elle ne paraissait pas douée
d’ une gronde int elligence , car elle ne s’est jamais élevée
au-dessus des derniers emplois de la domesticité telle
fut toujours ce. qu’on appelle vulgairement fille de
peine.
Quelles ressources pouvait donc trouver le comte
Legroing, sexagénaire, malade, à la compagnie d’une
servante sans! éducation, et qui ne possédait aucun des
charmés de son sexe. Cependant cette fille rusée, lourà-tour complaisante et grossière, esclave et maîtresse
attentive’ou mënacahlfe,a su Conserver son empire jus
qu’à la m'oit ilë celui dont elle avait séduit les sens et
capté les volontés.
On sent que pour tout obtenir, il fallait ne rien re
fuser. Survint un enfant, dont le comte Legroing se
crut le
p è r e , 'dont
il prit soin , mais qui n’a vécu que
quelques années. L a naissunce et la mort de celle iille
6onl constatées au procès. .
.
�( 7 )
C ’est après la mort de cet' en fan t, que Françoise
-Boudon voulut faire le premier essai de son autorité,
et obtint de son débile amant un premier testam ent,
reçu Cailhe, notaire ¿1 R i o m , sous la date du 18 avril
i8oy_, par lequel le comte Legroing institue sa gou
vernante son héritière universelle de tous les biens dont
il mourra saisi.
Ce testament fut l’efîet d’ une adresse qui annonçait
que cette fille avait l’esprit plus fin et plus délié qu’on
ne le supposait. L e comte Legroing avait éprouvé du
chagrin de la mort de l’enfant qu'il avait eu de Fran
çoise Boudon. On voit par les détails que lui donne le
chirurgien qui l’avait soigné, qu’il répond à plusieurs
questions précédentes, lui assure que sa fille a eu tous
les soins possibles. L e chirurgien n ’oublie pas ses salu
tations à mademoiselle Fanchette, cette mère malheu
reuse.
Cette lettre est sous la dale du 5 février 1807. File
a été trouvée à R io m , après le départ du comte L e
groing.
Il fallait bien consoler une mère affligée qui perdait
-toutes ses espérances, et qui était sur le point de faire
■reconnaître cet enfant par son maître. On ne put tarir
la source de ses larmes qu'avec un testament qui lui
assurait la succession entière du sieur comte Legroing.
11 se contenta de demander le secret. Il ét;iit de la
•plus grande importance pour Françoise Boudon , et
par conséquent elle devait être discrète. Personne de
la famille n ’aurait osé en concevoir l’idée. On con-
�'T?*( 8 )
■naissait bien le singulier et nouveau penchant du comte
Legroing; on s’apercevait de ses habitudes et des fa.miliarités qu’il avait avec cette fille : on le plaignait,
maison ne se permettait aucunes remontrances. Fran
çoise Boudon, enhardie par la protection du c o m te,
fut quelquefois audacieuse, insolente m êm e envers
quelques personnes de la famille; on dissimula, on.
méprisa ces grossières incartades.
Une affaire plus sérieuse porta l’allarme dans la fa
mille. La terre de Fonlnoble, son berceau, était la seule
propriété qui eut échappée à la rapacité nationale.
C ’était l’unique ressource d elà m ère, qui en partageait
le produit avec ses enfans. Tout-à-cou p ce seul m oyen
d’existence va lui être enlevé.
L a baronie du Jaun et, achetée en 1 7 6 5 , par le
marquis Legroing père , n’avait pas été entièrement
acquittée; une partie notable du prix restait d u e ; les
intérêts;avaient cessé d’êlre payés pendant rém igra
tion du comte Legroing : celui-ci, héritier de son père,
donataire de la terre d e F o n tn o b le, sauf l’usufruit de
la m ère, était tenu personnellement et hypothécaire
ment du paiement de celle dette. Les créanciers, pen
dant la révolution, avaient gardé le silence, et n’avaient
fait aucunes démarches pour la liquidalion de leurs
créances. Une loi du 3o ventôse an 12 les autorisait ¿1
prendre des inscriptions sur les biens que possédaient
encore les débiteurs émigrés. Les inscriptions sont prises ;
les poursuites com m encent, le commandement est
lancé: on va faire vendre la nue propriété deFontnoble.
�( 9 )
L e comte Legroing, affaibli par ses maux, tout occupé
de celle qu’il appelait sa Fanchette, ne voyant, n’écoutant qu’elle, apprend l’événement avec indifférence,
el déclare netlement qu’il ne veut pas s’en occuper, ni
faire le plus J é g e r sacrifice. Fanchette était de cet
avis; une terre ne lui convenait pas; elle ^préférait
une succession mobilière, dont elle disposait en maî
tresse, qui élait toute sous sa main.
Cependant il fallait prendre un parti; la chose était
urgente : il n 'y avait pas un moment à perdre. Il res
tait au chevalier Louis Legroing quelques capitaux,
les débris d’un service actif, de ses spéculations mari
times dans un long séjour chez l’étranger; il se déter
mine à traiter avec sa famille, et à se charger de l’é v é
nem ent; il paye les dettes de sa m ère, lui assure une
rente viagère de 6,000 francs, en constitue une de
3.000 francs à l’aîné de ses frères, et un capital de
3 0.000 francs payable au décès de sa mère ; prend des
engagemens personnels de payer les légitimes de sa
sœur et de son frère le chevalier, qui existait alors;
vend la terre de F ontnoble, et fait face à tous ses en
gagemens avec la plus scrupuleuse exactitude.
Il fallait autant d’activité que d’honneur et de cou
ra ge , pour déterminer le chevalier Legroing à se char
ger d ’un aussi pesant fardeau, qui ne lui a pas laissé
un moment de repos pendant dix années, qui sont
encore une longue période dans la vie; mais il fut le
bienfaiteur, le sauveur de sa famille, et le comte L e
groing se réveilla parfois de son apathie, pour lui té2
�( 1° )
moigner qu’il lai savait quelque gré de cette conduite
généreuse.
Les choses ont bien changé. Françoise Boudon , ou
plutôt Fanchette, voulait se débarrasser de ceux qu’elle
regardait comme des surveillans incommodes. Elle fait
entendre à son maître qu’il avait autrefois habité la
ville de Clerinont, qu’il y avait des amis, que sa santé
avait toujours été meilleure dans cette ville; elle lui
fait bien vite prendre celte résolution; et malgré les
larmes d’une mère octogénaire, l’empressement de ses
frères et de sa sœur, il quitte le toit m aternel,'et se re
tire à Çlermont.
Dans les premiers momens, le comte Legroing vi
sitait ses anciens a m i s , allait à la ca m pa gn e; il visita
même son frère Louis dans son habitation, distante de
vingt lieues de Clermont, où le chevalier avait l’habi
tude de passer la belletsaison. Mais ce genre de vie fut
rapidement changé; il devint taciturne, sédentaire; sa
porte est fermée à ses amis; Fanchette introduit deux
de ses sœurs dans la maison de son maître : il n’a plus
d’autre société; ses amis le plaignent ; on savait l’em
pire que ses domestiques avaient sur lui. Il arrivait
m êm e souvent des scènes singulières, qui ont parfois
attiré dans son domicile la visite des commissaires de
police. On aura occasion d’en parler plus en détail.
Fanchette fait doter par son maître scs deux sœurs;
elles sont mariées par ses largesses. Fanchette veut aussi
prendre un établissement ; elle a besoin de secours pour
soigner les infirmités du comte Legroing. Elle avait
�V i f
(II
)
distingué Julien Jôuvainroux, bedeau de la!cathédrale,
et cordotinier'de profession.
C ’est un personnage qu’un bedeau de paroisse! Il
fait commodément placer les personnes qu’il affec
tionne; iTse vantait d’avoir la 'protéction des'prêtres,
qui tous agiraient en ;sa faveur :>bref, il épouse Fran
çoise .Boudon, et vint grossir le ménage du comte L e groing. *11 n?avait plus besoin de *son métier.
Mais Fanchctte disparaît ; c’est madame Julien ;
d’autres vêtemens annoncent son changement d’état ;
elle affecte la réserve et l’austérité qui conviennent à sa
nouvelle condition; plus de 'liaison avec les domestiqu es'; elle forme une société n ouvelle, vante sa for
tune à venir, néglige sonYnaître, et le laisse dans un
état d ’abandon dont tous les voisins sont indignés. Elle
se livre à un luxe qui excédait ses moyens actuels; elle
fait des dettes; les créanciers importuns ne veulent pas
attendre, parviennent jusqu’au m aître, q u i, malgré
son asservissement, n ’entendait pas raillerie lorsqu’il
fallait donner de l’argent; delà deà imprécations fort
énergiques, et répétées avec tant de fo rce, que les
voisins et le public en étaient toujours informé.
M adam e Julien fut imprudente; son époux craignit
les suites des boutades de son maître : il chercha à cal
mer l’ôrnge; il avait les talens nécessaires pour y par
venir.
Julien est adroit et rusé; pale, taciturne, dissimulé,
les yeux toujours fixés en terre, lie perdant jamais de
vue son objet, il convoitait les trésors de son maître;
�( 1 2 ')
mais il n’était pas asse2 maladroit pour en gratifier sa
fem m e; dont l’humeur dissipatrice commençait à l’in
quiéter.
Il avait eu une fille de son mariage, ou du moins il
en était le père putatif; il conçut le projet de faire
tourner au profit de cet enfant toute la fortune de son
m a ître; il y parvint par son adresse, et sut employer
toutes les ruses qui peuvent toucher un vieillard imbécille.
Cet enfant fut instruit à prodiguer ses caresses au
sieur Legroing : elle l’appelait papa; elle ne manquait
jamais d’aller se jeter dans ses bras quand il avait des
mouvemens de colère ou d’impatience, et ce petit ma
nège calmait sur-le-champ le maître emporté.
Mais le comte Legroing ne disait rien encore. Un
événement funeste sembla, pour un m om ent, sus
pendre cet acte si désiré, et donna les plus grandes
inquiétudes. L a marquise Legroing devient sérieuse
m ent malade; son grand â ge , ses infirmités font craindre
une fin prochaine : elle a en effet succombée après de
longues souffrances. Elle est morte le 12 juillet 1816.
L e comte Legroing, instruit du fâcheux état de sa
m è re , donne encore des preuves de sensibilité ; il ac
court pour lui rendre ses devoirs :Fanchette l’accom
pagne. Ces dernières entrevues furent touchantes. L e
comte Legroing se montra pénétré; il semblait faire
une nouvelle connaissance avec sa famille : le cri du
sang se fait entendre; un regard sur lui-m êm e, sur
l’état d’avilissement dans lequel il était tombé, lui ar-
�( i3 )
•rache des larmes; il rougit de lionte et* d’effroi. On
l ’emmène bien vite; on ne le laisse pas m êm eren d re
les derniers devoirs à sa m ère; et alors ses tyrans, ses
serviteurs, devenusses maîtres, mettent tousleurs soins,
-emploient tous les mouvemens pour le séquestrer à tous
les regards, pour l ’empêcher sur-tout de voir personne
de sa famille. On calomnie son frère, on le noircit dans
son esprit, on va jusqu’à lui prêter des vues ambitieuses
et criminelles. Il n’a pas été possible au chevalier L e groing de parvenir jusqu’à son frère. U n respectable
ecclésiastique, M. l’abbé Legroing de la R o m agère,
parent et ami des parties, que le roi vient d'élever à
l’épiscopat, n’a pas pu être admis. L a porte a été fer
mée à madame Henriette L e g io in g , chanoinesse, cou
sine du d éfun t, à qui il payait annuellement une pension
de 200 francs, et qu'il a depuis oublié.
Enfin tout fut consommé le 24 décembre 1 8 1 6. Jouvainroux fit entendre à sa femme qu'il valait mieux
faire porter le legs universel sur sa fille que sur elle;
que depuis quelque tems le comte Legroing témoignait
de l’humeur et de la colère contre la m ère; qu’il résis
terait p e u t- ê tr e , et qu’on courrait le risque de tout
perdre.
Les batteries étaient dressées, le modèle du testa
ment tout prêt ; les sollicitations sont pressantes; on
redouble de soins, on fait entendre au sieur L e g r o i n g
qu'il est le père de cet enfant. L e comte Legroing
prend le modèle, le co p ie, et le signe. 11 a la maladresse
de laisser tomber son encrier sur lu feuille, mais on ne
�(■14
)
i,veut, pas lui donner Jarpeine de le-transcrire de nou
v e a u i:; on le prend; tel qii’iliest. Jouvainroux s’en emcpare, le fermecsoigneusement.illne.s’agit plus que do
.surveiller,-et dïempêeher qu’il en soit fait un autre.
iPour prouverque le comte Legroingin’estipas l'au
teur; de. ceitestainent, et,qu’on^ui aiprésenté un modela
tout prêt, iffa u t faire.connaître cet acte dans toute sa
, teneur.; -u
r<
- « Je' soussigné , 'Jean-Baptiste , • comte Legroing ,
je ancien capitaine de dragons.au régiment d’A rto is ,
p« dem eurant à Clerm ont, ai fait mon testament oloif< graphe, ainsi qu’il ¡suit :
« Je ,n omme et .institue pour mon héritière géné■
r raie et universelle de tous les biens meubles et im,*< meu,bles, d ro its, raisons et actions-dont je mourrai
« vêtu et saisi, Claudine^Flavie Jouvainroux, fille de
<r Julien et de Françoise Boudon, aux charges hérédi* tai.res, ,e,t de plus, de payer annuellement à sa mère
« la somm eide .800 francs, moitié de six mois en six
jk m ois, et d’avance, sans aucune retenue, pendant la
« vie de,la^dame Boudon , de laquelle somme annuelle
« je lui ‘fais don et legs, par forme de pension alimen
te taire; plus, sa chambre bien garnie pour elle, et une
« chambre! pour: sa domestique; plus, la jouissance de
six couverts et une écuelle d ’argent pendant sa vie;
« plus., quinze paires de draps, tant de maître que do
« domestique; douze douzaines de serviettes, et de la
«r batterie de cuisine., Je révoque tous testamens antérieurs, même loul codicille. T e l est mou testament
�(
»5
)
* ¡olographe, q u é 'j’ai écril de m a'm ain, et signé; le-1
« quel j’ai déposé ès-m ains de M e Espinasse, notaire r
« royal à Clermont-Ferrand. Je prie M. le président du ’
« tribunal de celte ville de lui confier ce dépôt. Fait à
«■ Clerm ont-Ferra nd, dans ma m a i s o n , l e i 4 d é c e m b r e ,;
«■1816. Sign é, J e a n - B À p t i s t e , comte L E G R O I N G .J» '
Sur l’enveloppe étaiUécrit :<
«■Ceci est‘mon testament olographe, déposé d e c o n <r fiance entre les mains de M e Espinasse,1 nôtaire ro ya l'1
« à Clermont, ce 24 décembre 1816. Signé', J . - 'B y «r comte ’L egRoitîG.-» *
•1
■- : i.< )
Tiff comlç LegrOing1n avait aucune Connaissance dans
les affaires; i l ‘ignorait1 sur-tout les term'ës techhrqu'ës
du m étier, et la rédaCtiôn d e ’ce testament’ annonce*'1
plutôt un praticien à protocole,: qu’un hom m e r'du"i
m onde; le préambule sur-ibüPést d’une^oridilé peu
commune. *11 est’ rare que l’hom m e'bien né ne fasse
précéder un acte aussi important de quelques réflëxiohsir*
morales, des motifs qui' le déterminent ; mais qüand
011 lit, Les droits, raisons et-dotions, les biens meublés ;
et immeubles; quoique le comte Legroing n ’eût'pas ’
d’im m eubles, ces mots'ès-m ains, qui ne Sont’ pa's une '
locution de société, on est bientôt convaincu qiid ‘cér''
ne fut pas son ouvrage, et qu’il en copia'Servilerrieïit’
le mod<Me;quJon lui a présenté. On dit servilenlent, car ‘
on a remarqué qu il était tout d’üne;:suifé^ sans £iccens:,
et sanfc'ponctuation.
On suspend pour un liiomént la discussion de cet ’
acte, dans lequel on répète si souvent le mot oldgraphè,
�(
16 )
sans doute parce qu’o n y attachait quelqueimporfance,
pour revenir sur des faits antérieurs bien importons à
connaître.
L a dame marquise Legroing m ère, peu de tems
avant son décès, avait fait quelques dispositions au
profit de la dame sa fille, et des dons à ses domestiques.
.Après sa mort, les scellés furent apposés, à raison de
l’absence du chevalier Louis Legroing. Les choses traî
nèrent en longueur, et le frère aîné s’occupait peu de
ces détails; mais madame Julien s’en occupait beau
coup; elle convoitait le mobilier, qui devait revenir à
son maître : elle le tourmentait; son mari se joignait à
elle pour le contrarier, et souvent on allait jusqu’aux
mauvais traitemens; alors l’infortuné menaçait de son
frère, qui mettrait ordre à tout, et punirait leur inso
lence. A qui vous adresseriez-vous, s’écriait-on? A votre
plus mortel ennem i, qui n’en veut qu’à vos b ien s,
cherche à vous faire passer pour un fou, et veut vous
faire interdire, peut-être pis encore.........On exaspère
par ces calomnies le frère aîné. On se rappelle qu’a
près le décès de la m ère, le chevalier devait compter
h son frère un capital de 3o,ooo francs, indépendam
ment de la rente viagère de 3 ooo francs : le comte les
exige sur-le-champ; il menace par écrit de prendre
tous les moyens de l’y contraindre, de faire enregistrer
les actes qui contenaient les arrangemens de famille;
il injurie sou frère dans toutes les lettres qu’il écrit à
son conseil. L e frère veut se présenter; il ne veut rien
entendre; enfin le chevalier est obligé de payer de suite
�( I? )
uno partie, et de faire des lettres de change à termes
très - rapprochés ; il n’obtient c e court délai que par
riulermédiaire d’un jurisconsulte estimable, qui voulut
bien interposer un ministère de paix, mais q u i , ne
connaissant pas le comte L egroing, crut, en l’écoutant,
que son frère avait eut envers lui les torts les plus
graves. Son étonnement augmenta encore, lorsqu'en
lui présentant à signer la quittance des sommes qu'il
recevait, s’étant aperçu qu’il y était dit : R eçu d u
chevalier Legroing, mon fr è r e , il raya ces derniers
mots avec la plus grande violence.
En vertu des actes de famille, le chevalier Legroing
devait aussi remettre à son frère une certaine quantité
de mobilier désigné, comme faisant partie du mobilier
paternel, mais en Cétat où ces meubles se trouveraient.
M . et madame Julien arrivent pour faire l’enlève
ment de ces meubles; ils prétendent avoir le choix des
articles sur la totalité du mobilier, e t, comme déraison,
ils prennent le meilleur. L e chevalier garde le silence;
mais les autres paraissent fort mécontens de ce que les
lits et les couches n’étaient pas neufs, et de ce que le
linge était usé. D e retour à Clermont avec leur proie,
ils recommencent leurs imprécations ordinaires contre
le chevalier, disent à l’aîné qu’ils n ’ont pu obtenir que
le rebut : l’aîu6 s’emporte en vociférations; et ce mo
ment est choisi pour présenter le modèle du testament.
11 a été copié à cette époque.
Com me le comte Legroing a survécu encore longtems à cet acte de démence et de colère, on craignait
3
*
�V, *' ( 18 )
toujours un retour de sa part, et de meilleurs sentimens
pour sa famille, il fallait s’assurer une planche dans le
naufrage. Il avait des capitaux très-considérables placés
dans des maisons opulentes et respectables. Les débi
teurs , la plupart ses anciens amis, sont sommés devenir
s’acquitter; on se refuse c'i tous renouvellemens.
L a majeure partie rentre. On fait acquérir par le
comte Legroing une propriété de 40,000 francs, payés
de suite, sous le nom de la petite Flavie. On fait plus,
on pousse l’impudeur jusqu’il faire passer à l’ordre de
cet enfant les lettres de change non encore acquittées,
et notamment celles qui avaient été souscrites par le
chevalier T^egroing à son frère. On ve rra dans un mo
ment l’usage qu’en a fait le tuteur.
Mais M. Julien n’a ara-t-il pas fait une maladresse ?
L e comte Legroing n’a donné à Flavie que les objets
dont il mourra saisi et vêtu. Bien certainement il n’est
pas mort saisi et vêtu des lettres de change qu’il a
transmises, par son ordre, à Flavie Jouvainroux. Celleci en est évidemment propriétaire, au moyen de l’ordre
passé à son profit; M. Julien ne voudra pas prétendre
que Flavie ait fait les fonds de ces lettres de change :
ce ne serait donc alors qu’un don m an u el, une libé
ralité indirecte, nulle dans son essence, puisqu’elle
ne serait pas dans la forme des donations entre-vjfs
ou à cause de mort; e t, dans ce cas, ces lettres de
change 11e feraient pas partie de la succession du feu
comte Legroing : il faudrait les rapporter aux héritiers
du sang.
�( I9 )
Revenant au récit de ce qui s’est passé après le tes
tament olographe jusqu’au décès du sieur Legroin g,
on ne voit plus qu’horreurs, m enaces, et mauvais
traitemens; on fait peser une verge de fer sur un mal
heureux moribond privé de toutes ses facultés p h y
siques et morales, ne pouvant se donner aucun m ou
vem ent, et dans la dépendance la plus absolue de ses
tyrans.
l i s e révolte parfois; on entend des cris concentrés
de fureur : M alheureux! vil cordonnier ! tu veux être
mon héritier; tu m ’as trom pé, trahi. Il se traîne jusqu’à
la croisée, crie au secours! à l ’assa ssin ! Les voisins
s’assemblent, le commissaire de police, les gendarmes
s’introduisent dans son domicile; on trouve le malade
dans les bras de ses domestiques, qui le caressent , le
déshabillent, prennent les plus grandes précaulions
pour soulager ses maux. 11 est va in cu , déclare qu’il a
pardonné, et renvoie la force publique qu’il venait
d’invoquer à grands cris.
Ces scènes se sont renouvelées souvent, et terminées
d e là même m anière;au point que ses cris deviennent
impuissans et vains : on y est accoutum é; on le regarde
comme un maniaque, un insensé qui revient à luimême lorsque sa colère est calmée.
Ses derniers momens ne sont pas plus paisibles. Il
renouvelle encore ses crisdécliirans, il répète les mêmes
menaces, manifeste son repentir. Des amis de Jouvainroux sont témoins, et lui entendent proférer les injures
�;
.......
(
)
les plus atroces contre le moribond, les menaces de s’en
débarrasser., et de Le jeter par les fenêtres.
C e n’est pas seulement ici un emportement brutal,
ou la menace d’ un homme grossier : peut-être que
l ’agonie dans laquelle le malade était entré, la certitude
d’ une mort prochaine, ont empêché un grand crime.
Iiabitans de Clermont! vous en avez vu un cruel et
funeste exemple. Il est trop récent pour être oublié.
Leçon terrible pour les malheureux célibataires livrés
à des domestiques ambitieux et infidèles !
j
L e sieur Legroing est mort le i 3 août 1817. L e len
demain 14 , Jouvainroux se présente à l’hôtel du pré
sident , porteur du testament olographe de son maître ,
que J o u v a in ro u x avait toujours gardé en sa puissance,
quoiqu’il soit dit que le comte Legroing en avait fait le
dépôt chez M e Espinasse; que cette déclaration fait
partie de la disposition, et même est répétée sur l'enve
loppe portant suscription du testament.
L e président, après avoir dressé procès-verbal de
l'acte, le remet ès-mains du greffier, qui en devient
dépositaire, pour le rendre à M e Espinasse, notaire.
Julien avait caché la mort de son maître pendant toute
la journée du i 3 . Personne de la famille n'avait été
averti : le chevalier arrive plusieurs jours après. Il ap
prend qu’on avait posé les scellés chez son frère le
i 5 août, qu ainsi on avait eu le teins, pendant trois
jours, de dévaster et d’enlever tout ce qu’il y avait de
précieux; qu’en effet il y avait eu spoliation complète
à côté du corps, qui reposait encore dans la maison.
�(
21)
On ne doit pas omettre une anecdote précieuse que
fournit cette apposition descellés du i 5 août. L e juge
de paix était absent; le suppléant fut appelé. C e sup
pléant se trouve l’avoué des Jouvainroux. 11 met les
scellés sur tout ce qui est apparent ; mais lorsqu’on ar
rive à l’appartement occupé par Monsieur et madame
Jou va in roux, on s’incline respectueusement. Com m ent
mettre les scellés sur le boudoir de madame? Et pour
rait-on sans crime gêner la maîtresse de la maison dans
ses habitudes et dans son secret asyle? B ref, cet appar
tement , où il y avait des placards et un secrétaire, reste
intact.
L e juge de paix se transporte, le 25 août, pour pro
céd era la rémotion; et la première chose qu’il aperçoit,
c ’est que cet appartement est resté libre ; il demande
pourquoi cet oubli ou ce ménagement? On lui répond
que c’est ici l’appartement de M a d a m e . — Mais des
valets ont-ils quelque chose à eux chez leurs maîtres?
Huissier, je vous confie cet appartement; vous le garde
rez jusqu’à ce que mon opération soit terminée: je vous
l ’ordonne; tout est sous votre responsabilité. Madame
Jouvainroux tombe en syncope.Pendant qu’on emploie
à grands îlots l’eau de Cologne et qu’on fait flairer des sels
pour rappeler les sensde madame Julien, le juge de paix
continue, et se met en devoir de poser ses scellés sur
/
l ’appartement. L ’évanouissement avait cessé. M ad am e
s’oppose à ce que les scellés soient mis, et demande
un référé chez le président. Il est ordonné; on se rend,
h près de neuf heures de relevée, chez le président, qui
�( 22 )
renvoie l’incident à l’audience du lendem ain, sans rien
ordonner sur l’objet principal. L e juge de paix, informé
de ce qui s’est passé à l’hôtel, croit qu’il est de son de
voir d’aller en avant, et appose ce scellé fatal...........
Proh doLor. Lorsqu’il a fallu les lever, on trouve dans
un des tiroirs du secrétaire cinquante jetons d’argent,
sur cent qu’en avait le comte Legroing, et qui avaient
été réclamés lors de l’inventaire. Madame Julien dit
agréablement que ces jetons sont le jouet de sa fille j
que le comte les a livrés à cet enfant, à peine âgé de
six ans, pour son amusement.
On continue les recherches. Dans un des tiroirs se
trouvent huit sclials de prix, destinés à la parure de
madame Julien. On lève ces scl i al s, et tout-à-coup sort
de l’un d’eux des papiers qui se trouvaient renfermés
dans les replis; on examine ces papiers : il n’y avait
que pour 23 , 8 oo francs de lettres de change, parmi
lesquelles figure une lettre de change du modeste
notaire de confiance.
Pourquoi ces lettres de change sont-elles cachées si
soigneusement dans un schal? Jouvainroux, seul pré
sent, avec toute la pilleur et la lividité qui caractérisent
sa physionomie anguleuse, r é p o n d à cet interrogat sé
v è r e , qu’il ne veut faire tort à personne, el qu’il avait
détourné ces effets par de bonnes vues, pour diminuer
d’autant les frais delà régie, pourles droits de mutation.
Survient nindame Julien. Malheureusement , elle
n’avait pas entendu la réponse de son mari ; elle répond
à son tour que son maître lui avait fait personnellement
�( *3 )
cadeau de ces effets. L e procès-verbal du juge de paix
contient le récit de l’incident, les interrogáis, et les
réponses.
Louis Legroing, habile à succéder à son frère, forme
opposition à la rémotion des scellés le 19 du même
mois d’août. L e 2 1 , Jouvainroux présente requête au
président, pour demander la rémotion des scellés : or
donnance conforme. L e juge de paix du canton fixe
au 2 3 août la levée des scellés; le mêm e jou r, Jou
vainroux fait notifier au chevalier Legroing , et au
subrogé-tuteur, le testament du défu n t, le procès-verbal
d’ouverture, et acte du dépôt d’icelui, la requête et
l’ordonnance, avec sommation d’être présens à la ré
motion des scellés et à l’inventaire du mobilier.
L e 2,3 août, nouvelle requête du lu leur, pour.de
mander l'envoi en possession de la succession du comte
Legroin g, en conformité, est-il dit, des articles 1006
et 1008 du Code civil. Il obtient ; ne ordonnance qui,,
sur le vu du testament et de l’acte de dépôt, envoie la
mineure en possession.
On procède a 1 inventaire. L e chevalier demande ;i
y faire des dires, et il déclare qu'il entend attaquer le
testament de nullité, par tous les moyens de droit, et
qu’il forme opposition à l’ordonnance qui envoie Jou
vainroux en possession de la succession ; il soutien! q u ê
tant habile ¿V succéder, comme héritier du sang, le
mobilier doit lui être remis, sauf à le représenter. Il
demande, dans tous les cas, qu’il soit nommé un sé
questre judiciaire; il se plaint principalement des en-
�( H )
lèvemens, des spoliations qui ont été commises, des
transports qui ont étéfaitsen main tierce, qu’il indique,
de ce qu’il y avait de plus précieux, en diamans, o r 7
argent et effets ; il insiste sur son opposiiion, et demande
qu’il en soit référé à l’hôtel du président.
Il est remarquable que le chevalier Legroing, qui ne
fut instruit de la mort de son frère que trois jours après,
se transporta, en arrivant à Clerm ont, au greffe du
- tribunal, où il prit connaissance de l’acte de dépôt, qui
avait été fait par Jouvainroux, du prétendu testament
olographe, le 14 août, c’est-à-dire le lendemain du
décès.
I l avait principalement observé que J o u v a in ro u x
seul s’était présenté, quoique, d’après ce testam ent,
•le comte Legroing déclarât qu'il avait déposé son tes
tament ès-mains d’Espinasse, et priât M . le président
de confirmer ce dépôt.
E n conséquence,. après avoir obtenu le référé qu’il
demandait, il présente sa requête au tribunal le 27
août. On y lit l’exposé suivant :
« L a présentation faite par Jouvainroux, porteur de
« ce prétendu testam ent, est d’autant plus remar« quable, qu’on lit en termes exprès, dans le corps du
« testament , ces lignes : Suit La mention du, dépôt èsk m ains d ’E sp in asse, etc.-«
I l ajoute : « On voit ici une condition d’autant plus
r essentielle, qu’elle est dans la disposition, et en fait
ce partie. L e défunt y avait attaché la preuve de la nia
it niieslation de sa volonté et do sa confiance. Il était
�-(*5)
« heureux encore qu’il eut obtenu celte faculté de ceux
« qui exerçaient leur empire et leur violence sur son
* esprit. Ce dépôt chez un notaire de confiance lui lais« sait au moins l’espoir de pouvoir révoquer ou changer
«• ses dispositions, qui, dans un moment lucide ou l i b r e , .
«• lui auraient paru extraordinaires et bizarres.
«■Il paraît que le défunt tenait d’autant plus à ce
« dépôt, que sur l’enveloppe qui contient la suscription
«■du testament, il répète comme chose fa ite que ce
« testament est déposé de confiance entre les mains de
« M e Espinasse. »
L e demandeur atteste, sur son honneur, que cet
exposé n'a eu’lieu que sur le vu de la m in u le, qui ne
contenait aucun renvoi. Il en avait pris une co p ie , et
c ’est sur celte copie qu’il avait cru pouvoir invoquer ce
m oyen en sa faveur.
Mais bientôt il apprend que la minute n’est plus dans
le même état , que la marge contient plusieurs renvois,
et qu’il résulte notamment de ces renvois que M e Espinasse aurait présenté lui-même le testament, accompagné de Jouvainroux.
/• '
•’
.-j s • *-i
11 y a plus, dans la copie qu'on lui a fuit signifier;
le 23 août, de cet acte de dépôt, à la requête de Jou- ,
vainroux, il paraîtrait q u e M e Espinasse seul a présenté
le testament au président; il n’y est pas même clïl qu'il
était accompagné de Jouvainroux; et quoique le gref
fier Fauverteix eût été personnellement dépositaire,
et chargé de remettre le testament à Espinasse, cq
4
�'(
20)'
n’ést^lusqLÎeCombétj'cômmisdugrëiïej'qui comparaît
dëvànt Espinàsse pour effectuer cette remise.
'L é ‘ ¿hëvâlier L e g ro in g , instruit, et sur-tout fort
étonhé ^ e bes vàriaritesldaris uïi'dépôt publient sacré,
a vdlila;iâVbir tinè expédition vidiméë*ét[figurée de cet
acte de défiât qui üV£Îïtusübi cette métamorphose. Il
est) porteur d e ’ceite exp éd ition ;‘on fy voit sans inter
ligne , ique Jôuvainroux seul a présentéde testament ;
mais>par ûn'renvoi quiippécèdé le prénom tel le nom
de Jouvainroux^-on «ajbute.,*à la m arge, ces mots :
M ‘ E sp in a sse, notaire en cette ville, assisté de , etc.;
ce qui ferait croire qu’Espinasse était porteur de l’acte,
et qu’il était seulement accompagné de Jo uvain ro ux.
A la fin , le président ren voie le dépôt à Espinasse ^en
ajoutant :« E t-a vo n s signé-avec ledit comparant el lo
« greffier ». On a surchargé le mot ledit, et m êm egrossièrement, pour y ajouter Lesdits. L e greffier n’a pas
nianqüe‘'dèafaire menfion clé*cette surcharge dans l’exjiédi lion1figurée‘qu’il a délivrée.
~ Q u e ll e ^ é s t dO’ric la fàlalilé'qùi'règne dans celle afflure^'Jouvàinroüx né Sait doncêniployer que des voies
tortueuses? et ne peui-on pas croire que le doigt de
jD itu ub'stJtâl‘ jj)du redécouvrir les f r a u d e s et les rusés?
JtjtivnirticMx^a è u 'p e u r ; il a traint l’obsirvalion du
sidur Légm itig; il y a remédié |iiir‘ 'un renvoi q u ’il a
dbl&hu■
ou^hiit1 insérer bn 'he' sdit comment ; ‘mais le
jytge- è,st°grb^ier.* Si PEs[JiH;i's^e/ élail pOrlëur du lesiamefit j s’il Pa1 p'réiëhlé, ^oüYquoiie président a-l-il rejiiis la- pièce1au gréflibr?’ 11 élïiil si ¿impie de lit rétidre
�( 27 )
à Espinasse, et d’en faire mention dans le procèsv e r b a l ? Pourquoi a^tron surchargé ledit, popr mettre
le singulier au pluriel? Pourquoi
Qh! combien
de questions il y aurait à fa ir e , et auxquelles on ne
répondrait rien de raisonnable !
On ne manquera pas de dire que ce renvoi est pa
raphé par le président, des lettres iniliales de son nom.
A Dieu ne plaise, que le chevalier Legroing ou son
conseil veuillent adresser ici le plus léger reproche à
ce vénérable magistrat; ils se plaisent, au contraire, à
rendre un hommage public h ses lum ières} sa sagacité,
ses vertus, et à son inaltérable probité. .
Mais on ,n’ignore pas ce qui se passe à l ’hôtel j lors
qu’on vient demander des signatures. On présente or
dinairement une i'o^le d ’actes rédigés la veille ou le
jour m êm e; le président,, qui en,a çonnaissance, signe
avec confiance, apostille les renvois sans autrement y
rpgarder, parce qu'il doit avoir la plus entière confiance
dans les fonctionnaires qu’il emploi,ç. Il est trop juste
et 1rop généreux pour vouloir priver le chevalier d’un
de ses principaux moyens de.dé£ep,se, et pour ne .pas
reconnaître la justesse de cette observation.
Quoi qu’il en soit, sur Je référé qu’avait demandé
Louis Legroing, le,président renvpya à l’audience; et
le 27 août 1 8 1 7 , le tribunal, prqnpn.cymt sur l’incident,
ordonna qu’au principal, sur la demande en nullité,
les iparties procéderait en la manière ordinaire ; mais
débouta l e . chevalier I-egroing .d.e ,(son opposition h
l'ordonnance d’envoi en/possessiçn, pav le m qtif qu’on
�( *8 )
ne pouvait annuller par provision un litre, et q u e ,
d’après ce titre, Jouvainroux, jusqu’au jugement du
fo n d , avait un droit universel à la succession.
L a chose était toute simple. C'est sans doule une
fatalité et une lacune dans la loi, qu’il n’y ait pas de
moyens d’empêcher l’exécution provisoire d’un litre,
sur-tout lorsqu’il y a péril dans la dem eure, que les
nantis n’offrent aucune responsabilité; mais ce n’estlà qu’un inconvénient particulier qui doit céder à
l’intérêt général.
Néanmoins, on croit pouvoir dire que si le président
et le procureur du roi eussent eu connaissance de
l ’anecdote de l ’appartement , de la soustraction des
jetons et des effets, le président n’eût pas envoyé en
possession un tuteur infidèle; il eût nommé un sé
questre; et le procureur du roi aurait sans doute requis
la destitution de la tutelle, dans l’intérêt même de la
mineure. Malheureusement, on n’en fut pas informé;
le procès-verbal qui constate l’enlèvement fut ignoré.
Les Jouvainroux ont cru avoir une pleine victoire;
ils se sont livrés à la plus insolente jactance. On ne ré
pétera pas leurs expressions grossières; on devine assez
tout ce que peut dire celte classe d’hommes, vile hotninuni genus. L e chevalier Legroing a pris le seul parti
qui lui convenait; il a gnrdé le silence.
Il n’ignorait pas même avec quelle joie brutale les
Jouvainroux jouissaient de leur bonne fortune; il savait
que madame Julien avait étalé la plus ridicule parure
au spectacle, et aux premières loges, le i 5 ao û t, le
�'
( 29 )
surlendemain de la mort de son maître; que son époux
avait passé la même journée au cabaret, et que peu
de jours après, ils avaient fait nommer leur fille reine
d ’une fête baladoire, où elle parut revêtue de brillans
ajustemens qui annonçaient sa nouvelle fortune. M al
heureux frère! dans quelles mains avez-vous placé vos
bienfaits !
Reste un dernier épisode pour embellir cette narra
tion. On se rappelle que le chevalier Legroing était
débiteur envers son frère d’ün capital de 3 o,ooo f r . ,
payable après le décès de la mère commune. Il sem
blait, sur-tout entre frères, et d’après toutes les cir
constances qui avaient accompagné le traité de famille ,
que le chevalier pouvait espérer un délai moral pour
s’acquitter de cette def le. 11 est difficile de penser qu’on
puisse avoir dans le moment même un capital aussi
important; et la justice lui aurait accordé un terme
raisonnable, s’il l’avait demandé. Mais l’aîné était tel
lement excité et irrité contre lui, qu’il se vit obligé de
prendre les moyens les plus prompts pour l’appaiser,
et éviter des droits énormes. Il était à Clermonf ; il
souscrivit différentes lettres de change qui furent datées
de R io m , tirées sur D om ergue, banquier. Ces lettres
sont sous la date du 12 juillet 181 y 5 l’une d’elles., de
la somme de 4997 francs, était à échéance le i 2 oc
tobre, lors prochain. L ’ordre, comme on l’a dil, était
passe au profit de Flavie Jouv ain roux, voleur reçue
comptant. (/<>1 une véritable jonglerie; mais ce qui
est sérieux, c ’est qu'à l’échéance, il y a eu protêt à
�( 3o)
la requête du tuteur, très-soigneux, de Flavie; signifi
cation du protêt au domicile du tireur ^ jugement par
défaut, du tribunal de commerce de Clerm orit, qui
n’y regarde pas de si près sur la forme des lettres de
change. L e chevalier Legroing en a interjeté appel en
la Cou r, tant de juge incompétent qu’autrement. L ’ap
pel est pendant en la Cour; il sera l ’objet d’ une dis
cussion très-sérieuse; et c’est ici que se termine le récit
des faits. On a cru devoir abréger des détails minutieux
qui ne sont d’aucune im portance, pour ne pas dimi
nuer l’intérêt qu’inspire naturellement une cause qui
est celle de toutes les familles.
'Le chevalier Legroin g s’oblige à établir différentes
propositions pour démontrer que le prétendu testament
olographe ne peut avoir aucun effet.
i° Il démontrera que le testament dont il s’agit est
ab iratoj qu’il a été dicté par la colère, qui tient de si
-près à la dém en ce;
2° Q u ’il est le fruit de la captation et de la sugges
tion; qu’il a eu lieu au profit d’une concubine et d’une
fem m e adultère;
3° Que le Code civ^il laisse subsister les actions ab
irato, et les moyens de captation et de suggestion;
4° Que les domestiques sont incapables de recevoir
un legs universel;
5° Et très - subsidiaireinent, que l’acquisition faite
sous le nom de F la v ie , et les lettres de change passées
ù son ordre, ne font pas partie de la succession du
�( 3i )
comte L egro in g, et ne sont pas comprises dans son
testament.
§ I er.
L e testament est fa it ab irato. IL est l’ouvrage de La
haine et de La colère.
Tous les interprètes du droit sont d’accord qu’un
testament est vicié par la liaine et la colère; on en trouve
plusieurs textes de droit au Code de inojf. test. Personne
n ’a mieux traité cette question que le célèbre Cotliin,
dans son plaidoyer pour'JVL le duc de Richelieu, contre
M . l’abbé de Laval. Il n’avait pas dans cette cause les
mêm esavantagesqu’a aujourd’huile chevalierLegroing.
Mais celui-ci n’a pas les mêmes talens pour le défendre.
M . Cochin demandait la n u l l i t é du t e s t a m e n t delà dem oiselle D acigné, tante de M. le duc de Richelieu, qui avait
institué pour son légataire universel le sieur abbé de
Laval,hom m e'dequalité. Mais le testament était attaqué
pour cau^e de haine, de colère et de suggestion, comme
fait d’ailleurs au profit d’un agent. La haine est ainsi
définie : «C’est un mouvement du cœ ur, inspiré par une
« mauvaise volonté contre l’héritier présomptif, qui
* h’éçoule plus ni la voix du sang, ni les impressions de
« la nature.« D ’argent ré l’avait déjà dit fort énergique-'
ment sur l’article 218 delà coutum ede Bretagne: Motus
anim i contra . prœsumptum hœredem ex rnalevolencïa
prœterqjficuan riaturœ et charitatem uulitam sanguine.
I-ie testament fait par une personne en colère n’est
�( 32 )
pas plus valable : il ne suffit pas que l’auteur ait lesté
recle, il faut aussi qu’il ait testé ex ojjicio pietatis; sans _
quoi son testament est comparé à celui du furieux et de
l ’homme en dém ence, quasi non sanœ mentis fu isset.
C ’est encore ce qui est répandu en différentes lois du
titre de inojjicioso testamento. On peul aussi voir Ilenrys
sur celle matière, tom. 2 ,li v . 6 , queslion 7.
11 est vrai, et 011 ne doit pas le dissimuler, quoique
tous les docteurs soient d’accord sur ce principe général,
que la colère et la haine annullent le testament; que
plusieurs ont douté qu'il pût être attaqué, sur ce motif,
en ligne collatérale; on s'est principalement attaché à
établir que ces moyens avaient plus de force contre ceux
faits par le père ou la m è r e , ou m ê m e le iils, en haine
de son ascendant. Mais les auteurs qui ont adopté cette
distinction y ont cependant apporté une modification ,
et ont pensé que les moyens ab irato reprenaient toute
leur force, même en faveur des collatéraux, lorsque le
testateur avait institué une personne vile, n isi turpis
persona sit instituía ; c ’est ce qui est enseigné par
.Boniface, tom. 4 , liv. 1 ., cliap. 1.
Cocliin n’a pas embrassé cette opinion; il pense, au
contraire, fortement que ces motifs doivent faire annuller le testam ent, tant en ligne collatérale qu’en
Jigne directe. Mais quand on ferait celle concession ¿i
Ja fem m e Julien, on se trouverait dans l’exception do
toutes les manières, turpis persona f u it instituía. E n
effet, sur qui le comte Legroing a - t - i l répandu ses
bienfaits? Sur un enfant de six ans, pour qui il no
�( 33 )
pouvait éprouver aucun mouvement d’affection, ou s’il
en éprouvait, ils étaient criminels; c'était la suite d’un
adultère honteux, d'un concubinage qui le dégradait,
q u ’il manifestait par des familiarités publiques et indé
centes, qui ont si souvent fait rougir ses anciens amis,
témoins du dégré d’avilissement dans lequel était tombé
un homme d’honneur, qui jusqu’ici ne s’était jamais
oublié, et n’avait eu aucunes faiblesses.
Sur qui a-t-il versé ses largesses? Sur la fille d’une
servante, d’un domestique, devenus tous deux ses
tyrans et ses m aîtres, dont les moindres volontés
étaient des ordres pour cet infortuné. L e chevalier
Legroing n’a pas besoin de descendre à aucune preuve
pour établir la haine et la colère du testateur, dont le
frère a été tout à-la-fois l ’objet et la victime. Ces mouvemens de haine et de colère sont prouvés par les lel 1res
qu’il a écrites après la mort de sa m ère; par la rature
injurieuse qu’il s'est permise sur la quittance, en ne
voulant pas reconnaître son frère, par les propos et
les injures qu’il a proférées en présence de lém oins,
dans des emportemens tels qu’il ressemblait à un furieux
et à un insensé, quasi non sanœ mentis / ulsset. L e
chevalier est, au surplus, en état de faire la preuve de
tous ces faits d’emportemens çt de colère.
5
�( 34 )
§ II.
L e testament est Couvrage de la captation et de la
suggestion de la part d ’une concubine.
Cet article ne donne point matière à une longue
discussion. Un testament doit être l’expression d ’une
volonté libre et éclairée; toutes les fois qu’il est prouvé
que cette volonté a été enchaînée, que les dispositions
à cause de mort ont été suggérées, alors le testament
est déclaré nul;, le texte des lois, la doctrine des au
teurs, la jurisprudence des arrêts sont également uni
formes, sur le point de droit.
Il ne s’agit donc que de prouver la. suggestion; et
pourrait-elle être douteuse dans l’espèce particulière?
L a notoriété publique apprend que peu de teins après
le retour du comte Legroing auprès de sa mère, à R io m ,
il eut des attaques réitérées d ’appoplexie. Ces atteintes
successives avaient paralysé une partie de la b o u c h e ,
affaibli les jambes, et surtout affecté le m oral; ce
ij’était,plus le m êm e hpmrpe; faible et pusillanime,
il< n ’exprimait, que difficilement sa pensée, com men
çait une phrase sans pouvoir la finir, perdait la m é' m o ire, répétait dans le même moment ce qu’il venait
de dire , confondait les noms et les choses, en un m ot,
était parvenu h cet état de débilité sénile, qui rap
proche de l’enfance, et réduit à une sorte de dégra
dation l’homme q u i , peu de tems a v a n t, avait des
%
�connaissances agréables, s’exprimait avec pureté, an
nonçait des principes et des sèritimens d'honneur.
On sait que ces attaqués d’appoplexie, l’ennemi lè
plus cruel du genre hum ain , réduisent à un état pas
sif, lorsqu’elles ne sont pas foudroyantes, pardonnent
rarem ent, font toujours craindre de nouvelles secousses,
et prévoir une fin prochaine.
L e comte Legroing était dans cet état, lorsqu’il se
livre à Une fille de peine, domestique de sa mère. Se
serait-il oublié à ce point, lui connu par des sentimens
d'honneur et de fierté, qu'il poussait quelquefois trop
loin ? Quels charmes aurait-il trouvé
dans les bras
d’une fille grossière qui n’offrait aucun agrém ent? Il
fallait bien, sans doute, que le moral fût affaibli, pour
excuser cette eâpèce de dégradation que rien ne jus
tifie. Cette fïiie prend sur son maître un empire absolu;
elle devient mère : l’enfant est éloigné; on l’envoie
dans une terre qui appartient au sieur de l’Estrangës,
ancien ami du comte. On l’élève comme la fillè de‘ ce
dernier; elle est soignée, entretenue suivant la condi
tion du père. Elle tombe malade ; les médecins sont
appelés : le père s’informe de son état avec une grande
sollicitude, apprend sa mort avec chagrin.
Privé de cet enfant, et p ou f consoler la m è r e , il
fuit un testament secret, portant institution universeïÎe
au profit de sa concubine, qui l’avait maîtrisé au point
de lui faire faire cet acte de démence. Si dans la suite
il a changé ses dispositions, ce n’est que par une ruse
du mari, qui a fuit tomber le bienfait' sur son enfant,
�( 36 )
parce qu’il en aura l’ usufruit jusqu’à ce que sa fille
aura d ix -h u it ans, et que s’il venait h la perdre, il
lui succéderait pour moitié; il n ’a pas voulu laisser
entre les mains de sa femme une succession opulente,
toute extra-dotale, et dont elle eût été maîtresse. Ainsi
la femm e avait sous sa dépendance le maître; elle
f ■
*
élait aussi sous la dépendance de son époux , plus
rusé qu’elle ; mais ces deux personnages règlent la
destinée de celui qu’ils opprim ent, qu’ils maltrailent,
qui ne peut se passer d’e u x , et qu’ils tiennent sé
questré à tous les regards. Il ne lui était permis de
recevoir aucune visite. Ses parens, ses amis ne peuvent
s’introduire, et ils se contentent de gémir sur son sort;
parfois il résiste , appelle du secours, soutient qu’on
veut l’assassiner. L a police arrive; on l’a caressé, ama
doué : il pardonne. Ces scènes se renouvellent; elles
ne font plus de sensation; on le considère comme un
homm e aliéné, qui a les caprices d’un enfant ou d’un
furieux : on ne croit plus devoir s’en occuper.
T e l est le triste état dans lequel il a consumé le reste
d’ une vie languissante et douloureuse. Son testament
lui-m êm e n’esl-il pas l’ouvrage de la captalion? Il a
servilement copié le modèle d’un praticien à proto
c o l e , d ’une aridité et d’ une sécheresse qui ne peut
émaner d’ un hom m e qui réfléchit dans le silence et
la solitude, et qui se met en présence de l’Être suprême,
lorsqu’il n’attend plus rien des hommes, qu’il va payer
le dernier tribut à la nature. Un individu qui lienl à
une classe élevée, qui a goûté les douceurs delà société,
�( 37 )
et joui des plaisirs que donnent le luxe et l’o p u len ce,
ne va pas prendre son testament dans le Praticien
fr a n ç a is , s’occupe peu des mois raisons, droits et
actions, mots techniques et barbares qu'on n'entend
qu’au barreau, et qu’on ne lit que chez les notaires
de campagne, ou dans les actes du siècle dernier; c’est
une copie mecanique qu’il a faite avec langueur, sans
soin, sans ponctuation, versant son encrier dans des
momens d ’impatience,, et sentant qu'il signe sa honte.,
qu’il va se couvrir d’opprobre; si on fait attention
qu’on lui recommande sur-tout de déposer cet acte
chez Espinasse, notaire, qui ne peut plus é c rire , et
par conséquent ne peut recevoir un testament; que
ce dépôt lait partie essentielle d e l à disposition;
esl répété dans la suscriplion , et que cependant il
en la puissance de Jouvainroux, qui veillait à ce
n’en pût faire un autre.
qu’il
reste
qu’il
^
Que lout-à-coup on oublie la disposition du dépôt,
que Jouvainroux a l’impudence de présenter seul ce
testament au président; que l’acte de dépôt est dressé
en conséquence; que la minute en est connue; qu’on
lé remarque dans la demande du chevalier Legroing,
qui s’est aperçu de la maladresse, qui a fait usage du
m o y e n , après avoir lu et tenu l’acte, l ’avoir lait lire
à plusieurs personnes, et que cependant on trouve dans
la suite un renvoi aussi gauchement exprimé, qui an
noncerait tantôt que c ’est l’Espinasse accompagné de
Julien Jouvainroux, tantôt que c ’est l’Espinasse seul,
suivant la copie qui en a été notifiée; que Ledit com
�( 38 )
parant est métamorphosé par une surcharge, pour y
substituer lesdits comparans,• que malgré la présence
de l’Espinasse, on remet le testament au greffier, lors
qu’il était si simple de le rendre à Espinasse présent;
on demeure inlimément convaincu que ce testament
n’est pas l’ouvrage de celui qu’on en dit l’ auteur; qu’il
a été gê n é , tyrannisé dans ses dispositions, et que le
doigt de Dieu a marqué du sceau de la réprobation
cet acte scandaleux.
Qu'on vante maintenant les testamens dits olo
graphes! qu’on vienne soutenir qu’un acte de cette
nature est le fruit d’une mûre réflexion ! Ce n’est pas
ainsi que Justinien l'avait pensé, lorsqu’il bnnnit cette
form e de tester dti code de ses lois; qu’il révoqua
expressément la disposition du code Théodorien , qui
autorisait ce mode ou cette form e; ce n’est pas ainsi
qu’ont pensé tous les auteurs du droit écrit, qui ensei
gnaient que les testamens olographes n'étaient pas
valables, et qu’il fallait la solennité de sept témoins
pour un testament, qui est le dernier acte de la puis
sance , de l’affection, et d’une volonté qui doit survivre
h l’auteur.
C e n’est pas ainsi que pensait M* Terrasson, dans
un éloquent mémoire pour le sieur d’E p in ay, où il
fit annuller un testament olographe de Louis d’E p in a y,
en faveur de sa femme : « Il y a des acles si importans,
c< disait-il, pour l’intérêt des familles, qu’on ne peut
« y apporter trop de solennité et d’exactitude. Les
* dernières dispositions, reste précieux des m ourans.
�( 39 )
«• sont du nombre de ces actes solennels que les diffék
rentes lois ont assujéti à diverses formalités; on pré-
« tendra que toutes les formalités n’ont été introduites
«• que pour assurer les preuyes de la volonté; qu’011
« est aussi sûr de l’intention du testateur par le témoi« gnage de six personnes que par celui de sept; qu’on
«■Test encore plus par l'écriture et signature du testa« teur, que par la présence des témoins. Tous les paror ticuliers s’érigeront en critiques des lois établies; et
<r par la licence des raisonnemens, les règles perdront
«- leur autorité, et la jurisprudence deviendra arbi« traire. »
L e lestament olographe e st-il donc si recom m andable? doit - il avoir la préférence sur un testament
solennel? quel pourrait en être le m otif? T e l homm e
dans la solitude, et dans la fougue de ses passions, écrit
rapidement cinq à six lignes, qui dépouillent, déshé
ritent les héritiers dursang ; t e l autre se permettra des
dispositions bizarres, ridicules, honteuses, qui le désho
norent, et qu’il n’aurait pas osé faire devant un officier
public et des témoins; tel autre encore sera forcé par
un misérable, un audacieux intrigant, d’écrire quelques
mots qui transmettentrà son ennem i, son tyran , une
fortune qu’il destinait à sa famille, tandis que devant
notaire1il eût été parfaitement libre, il eût dicté ses
volontés hors la présence de celui qui en gênait 1 exer
cice, ou osait donner ses ordres absolus.
Disons au contraire, malgré tout le respect qu’on
doit à la loi qui autorise cette form e de tester, qu’elle
7
�u
( 4° )
n ’est ni plus précieuse, ni plus favorable; qu'elle n'est
pas une preuve de la volonté du testateur, qu'elle peut
être commandée par la crainte ou la tyrannie; qu'elle
étouffe le sentiment et anéantit la^volonté, favorise
le caprice d’un homme im m oral, et que sous lousles
rapports les solennités sont plus recommandables, as
surent la volonté, et préviennent souvent de grands
'
crimes.
Fanckette d ir a - t - e ll e qu’en tout cas il existe, en
faveur de La gouvernante, un testament ancien et
solennel qui reprendrait toute sa force; mais ce pre
mier testament, fait dans les premiers momens d’ une
passion v éh ém en t e et grossière, qui agissait encore
avec plus de force dans un hom m e qui se trouvait
dans un état d’aliénation m entale, prouverait la sug
gestion d’une concubine devenue m ère , et qui avait
alors les plus puissans moyens de séduction.
Ceci conduit naturellement à l’état de concubinage,
dans lequel a constamment vécu Fanckette avec le
comte Legroing. Sa grossesse, ses couches, les familia
rités indécentes qu’elle autorisait, qu’elle provoquait
m êm e en public, ne sont ignorées d ’aucun de ceux
'
qui fréquentaient la maison de la dame Legroing m ère,
et ont souvent servi d’alimens à la malignité.
D écriée par ses cam arades, méprisée par les per
sonnes au-dessus d’elle, elle a bravée l’opinion publique
pour parvenir à ses fin s, et ce concubinage si cons
ta n t, si notoire, est encore un des plus grands vices
pour annuller les dispositions dont elle est l’objet.
�( 4i ) '
L e maintien des bonnes mœurs exige que les parens
des personnes que leur passion a aveuglées au point
de préférer les objets de leur attachement criminel à
ceux à qui ils tiennent par les liens du sang, soient
admis à prouver le désordre. Lorsque la preuve en est
faite, les dispositions qui ont eu lieu au profit des
concubines1sont annullées, ou réduites à de simples
alimens. Un arrêt du 2 5 février i 6 6 5 , rendu sur les
conclusions de M. l’avocat général T a lo n , prononce
la nullité des ventes, et d’un bail à rente, consenties par
le baron de Saint - G em m es, au profit de Jacqueline
R ig o f, sa concubine et sa servante. U n second, du
2.2. août 16 7 4 , annulle deux contrais de constitution
de deux rentes j|au principal de 1900 francs, créées, par
l’abbé Lapinardière, au profit de sa domestique, qui
était aussi sa concubine; ces arrêts sont rapportés
dans le dernier recueil de jurisprudence, au mot Con
cubinage. On en trouve un troisième au Journal des
Audiences, du 3 juillet i 6 8 5 , q u ia annullé une obli
gation de 3 , 5 oo francs, souscrite par la dame F au veau ,
au profit d'un sieur L atou r, avec lequel elle vivait en
mauvais commerce. Un autre, de 17 2 4 , qui a annullé
les billets du chevalier de Graville, au profit de la fille
T rico t, etc.; en un m o t, les recueils sont remplis de
semblables décisions, et la jurisprudence est uniforme
sur ce point. I>e concubinage ne peut avoir que les
suites les plus funestes; il altère les sens et détrrit la
raison; et celui qui a le malheur de se livrer à cette,
passion, méconnaît, dans son délire, les obligations les
�( 42 )
plus sacrées, pour suivre sans pudeur le penchant ir
résistible qui l’entraîne. Comment 'dès-lors les tribunaux
pourraient-ils laisser subsister un acte qui est l’ouvrage
de la débauche et le monument honteux d’ une passion
criminelle ?
Elle le devient bien davantage lorsqu’il y a adultère;
lorsqu'un mari pervers n’est qu’un manteau pour cou
vrir le désordre; lorsque sur-tout sa bassesse tend à
faire supposer, à attribuer la paternité à celui qu’on
dépouille.
L e chevalier offre la preuve de tous les faits de
suggestion qu’il vient d’annoncer, ainsi que les faits
de concubinage et d’adultère. Qu'on ne dise pas que
le Code çiyil a abrogé les peines que les lois anciennes
prononçaient contre le concubinage, plus encore contre
l’adultère, puisque, dans ce cas, elles refusaient même
des alimens. L e silence du Code sur les effets de ce
désordre, n’est pas une abrogation des anciennes lois.
C ’est ce qu'on va établir dans le chapitre suivant.
§
III.
L e Code civil Laisse subsister les actions ab irato, ainsi
,que les moyens de captation et de suggestion.
Tous les auteurs sont d’avis que pour abroger une
l.pi reçue, il faut une abrogation spéciale. L e silence
d’une loi nouvelle, sur certaine matière de çlroil, n’en
est pas une dérogation. L e savant Dumoulin, dont
�( 43 )
l'autorité est si grande parmi les docteurs, a d it , sur
l’ancien style du parlement, partie 7, n° i c 5 : Constitatlo générales non derogat speciali legi. Il prend
pour exemple la loi si pater puellœ cod. de inojf. test.,
avec la loi quoniam , du mêm e titre. Par la prem ière,
l ’empereur Alexandre décide que la substitution réci
proque entre deux enfans fait cesser la plainte d’inofficiosité. Par la deuxièm e, Justinien ordonne que
même dans ce cas, la légitime soit laissée pleine et
entière aux enfans, sans aucunes charges. C e savant
auteur examine si la deuxième loi déroge à la pre
m iè r e , et tient pour la n é g a tiv e, parce que la loi
quoniam, ne contient pas une abrogation spéciale de
la loi si pater. Cependant cette séconde loi paraissait
bien contraire à la pr em iè re; car en voulant conserver
la légitime entière, on donne à l'enfant, m êm e appelé
à une subslitution réciproque, le droit d’attaquer le
testament d’inofïiciosité pour obtenir sa légitime ;
néanmoins la première ne laisse pas de subsister.
O r , s’il faut une dérogation spéciale pour anéantir
une loi précédente, comment vouloir que le silence
d’une législation nouvelle, qui n’a pu embrasser tous
les cas, puisse déroger aux anciens principes sur les
points qu’elle n’a pas prévus? On sait bien que dans
ces premiers instans d’engouement sur le bienfait d’une
législation uniforme , quelques novateurs orft pense
que tout ce qui n’était pas prévu dans le Code, cessait
d’exister; qu’ils en ont m êm e conclu que l’action ab
irato, celle en suggestion, e tc ., étaient abrogées. Mais
�( 44 )
bientôt la réflexion et la raison ont fait place à cet
instant de délire , et peut-être d’immoralité. N ’est-il
pas, en effet., immoral de soutenir ou de protéger des
actes qui sont la récompense du crim e, bouleversent
l’ordre social, outragent les mœurs, la religion, et tout
ce que les hommes ont de plus saint et de plus sacré ?
Quant à l’action ab Lrato, deux arrêts, l’un du 28
frimaire an 1 4 , rendu par la Cour de Paris, dans la
cause des enfans de Farges ; l’autre par la Cour de L y o n ,
du 2,5 juin 1 8 1 6 , tous deux rapportés dans la collec
tion de Denevers et Jalbert, le premier an 1806, le
deuxième an 1 8 1 6 , ont décidé en principe que Fac
tion ab irato n’était pas abrogée. 11 est vrai que dans
les deux, la demande a été r e j e t é e , parce que les
circonstances n’ont pas paru assez graves; et les ma
gistrats ont observé que le silence du législateur sur
cette action, démontre assez qu’elle n’est pas proscrite,
mais qu’il faut en restreindre les effets pour le repos
des familles.
L ’auteur du nouveau Traité des Donations professe
sur celte matière une sage doctrine, tome 1 , png. 286
et suivantes. Il examine si le sentiment d’aversion
qu’on prétend avoir dicté la disposition, aurait été
conçu par le testateur lu i-m ê m e , ou si ce sentiment
de haine aurait été produit par des insinuations étran
gères, par des moyens de fraude et de calomnie mis
en œuvre par ceuxr-mêmes qui profiteraient de la dis
position , et qui auraient rendu odieux au disposant
l ’héritier appelé par la loi.
�_ A u premier cas, il pense que loufe action devrait
être interdite; mais au second cas, il décide que l’ac
tion doit être admise; et pourquoi? «-C’est qu’alors il
« n’y a plus, à proprement parler, une volonté de la
« part du disposant ; des manœuvres odieuses ont substi«r tué une volonté étrangère à la sienne. L ’action rentre
« alors dans celle de captation ou suggestion, etc. »
Cet auteur,, comme on le vo it, ne tranche pas d ’une
manière absolue sur la première hypothèse, et il y '
aurait bien des observations à faire; car la colère et
la haine, quelque soit le m otif qui les aient inspiré,
détruisent la raison et la volonté, et doivent vicier le
testament. Ce n’est pas tester ex officio c h a rita tis,
pour se servir du langage de la loi. Mais le chevalier
Legroi ng n ’a nul besoin de discuter sur la première,
et se place naturellement dans la seconde.
11 est victime des insinuations perfides de cette gou
vernante; c’est ainsi qu’elle est qualifiée dans le pre
mier testament. C ’est elle qui a fait entendre à son
maître que son frère voulait le faire passer pour fou,
et le faire interdire; qu’il en voulait à sa fortune; c’est
elle qui a excité son maître à poursuivre le chevalier,
dans les premiers tems du décès de la mère; c’est elle
qui, par les plus odieuses manœuvres, a fait fermer
la porte au chevalier Legroing, lorsqu’il voulait s’ap
procher de son frère; c ’est elle enfin q u ia p r o f i t é , par
la plus abominable calomnie, de toute une fortune, au
préjudice des héritiers du sang.
L e chevalier Legroing a également offert la preuve
�( 46 )
de ces faits, e tc e tle preuve est incontestablement ad
missible.
Quant aux faits de captation et de suggestion, il y
a encore bien moins de doute que cette action est con
servée sous l’empire du Code civil. Un arrêt de la Cour
de Grenoble, du 14 avril 1806, a jugé contre les héri
tiers du sieur Denis M on tlevin , que la preuve des faits
de captation et desuggestion n’était point expressément
réservée par le Code civil; il a , par conséquent, laissé
aux juges la liberté d’admettre ou de rejeter cette
preuve suivant les circonstances (D en evers, an 1806,
pag. i 52 , sup.). U n arrêt plus ré ce n t, rendu en la Cour
de Paris le 3 i janvier 18 14 , rapporté dans le même
recueil, an 1 8 1 6 , pag. 2.6 et suiv., a jugé en ihèse que
les téstameos faits depuis le Code ne pouvaient être
annullés pour cause de suggestion, et que ce moyen
de nullité était admissible contre un testament olo
graphe. Il s’agissait du testament olographe d’une de
moiselle L e fè v r e , âgée de trente-quatre ans, portant
institution universelle au profit d’un sieur M o u tie r,
jeune homme de dix-sept ans, àvéc lequel elle avait
vécu en concubinage. 11 est delà plus haute importance, ,
pour la cause, d éfaire connaître lès principaux motifâ
de cet arrêt. La Côur considère ¿que 1 état de concu« binage où elle vivait avec celui qu’elle a institué son
« héritier universel, est une présomption immédiate h
i la suggestion; que cet état où la passion aveugle, où
«■l’acne, subjuguée par un sentiment im périeux, n’est
* plus à soi, et où les docteurs, lorsqu’il s’agit de dons
�C 47 )
9
« faits par les concubins l’un à l’autre, ont unanime« ment reconnu, non-seulement un motil et un m oyen,
« mais l’indice le plus violent et une présomption légi«■time de séduction.,..
«
«
«•
«
« Qu’il est hors de doute que la captation et la suggestion annulle le testament sous l’empire du C ode,
comme dans la législation ancienne; que le Code n’en
contient pas de texte form el, mais que cela résulte
manifestement de son esprit et de l’ensemble de ses
c dispositions; que ce Code proscrit tout ce qui est te
« fruit du dol et de la fraude, et qu’il n’y a point de
« dol plus caractérisé, de fraude plus certaine, quoi« qu’en même tems la plus fine et la plus délipe, et
* par cela même la plus dangereuse, que la caplation
<r et la suggestion; que suivant le Code civil, etd apiès
<r tous les Codes, un testament est la déclaration que
«• fait un homme de ses dernières volontés sur la dis—
« position de ses biens; qu’il doit être conséquemment
«■l’expression pure et franche de sa volonté, et non de
« celle d’un autre; qu’enfin on a rem a rq u é, dans le
* projet du Code civil, qu’il y avait un article, qui, du
« nombre des moyens admis pour attaquer un tesfa« ment, retranchait celui de caplation et de sugges<r tiou, et que dans la discussion et la rédaction défi« n iliv e , l’arliclç a été. supprimé. Ce qui fait voir que
« 1 intention du législateur a été que ce moyen demeurât
« toujours ouvert, et ffit soumis à la prudence des juges
«r pour y avoir., selon les circonstances, tel égard ç^e
«• de raison. »
�( 48 )
« P a r ces MOTIFS, la Cour, en infirmant le jugement
<r du tribunal civil de Paris, déclare le testament 0/0«• graphe de la fille L efèvre , en date du 9 octobre 1 8 1 1 ,
« nul et de nul effet. »
M adam e
moyens de
cipes, sont
m êm e n’est
Julien d ir a - t - e lle m aintenant, que ces
suggestion sont exhumés des anciens prin
abrogés par le C od e, que le concubinage
pas un motif de captation,une présomption
de fraude, etc. Mais, dans cette cause, nous n’en
sommes pas réduits à de simples présomptions. L a
notoriété publique accuse la fem m e Julien; il y a
séduction, concubinage, adultère, captation, oppres
sion, co lère, haine, suggérées par ses calomnies; en
un m o t, on trouve i c i , dans le sens le plus propre,
et avec des caractères qui peut-être ne se sont jamais
rencontrés au même d é g r é , tout ce que les juriscon
sultes ont qualifié de captation et de suggestion.
§
IV.
L e s domestiques sont incapables de recevoir un legs
universel.
U n ancien au teu r, Brillon, dans son Dictionnaire
d e s Arrêts, au mot domestiques, les traite avec sévé
rité.
« D o m e s t i q u e s , serviteu rs
<r q u e f o i s
a
des p a r t i c u l i e r s , e t q u e l -
leurs maîtres. Il y a b i e n d e s c h o s e s à d i r e
contre cette n a l i o n i n f i d è l e et i n g r a t e » .
�ï 4 9)
Il est dans la justice d’arrêter ce m ouvem ent, qi i
n’est que trop appuyé sur des exemples sinistres.
Mais il est des exceptions honorables!
Dans ces leras malheureux de désordres et de crimes,
dont on voudrait perdre le souvenir, on a vu des do
mestiques fidèles, respectables par leur courage et leur
généreux dévouement.
Qui ont bravé la mort pour sauver la fortune et la
vie de leurs maîtres, et se sont quelquefois immolés
pour eux.
Hom m age et respect à ces hommes rares et précieux
qui ont su ennoblir les offices d e là servitude, et dont
les noms devraient passer à la postérité.
Mais ces serviteurs si recommandables ont reçu un
legs modique, une pension exiguë qui les met à peine
au-dessus des besoins de la v ie , plus souvent n'ont ob
tenu aucune récompense.
Tandis que Fanckette, par ses déportemens, désho
nore le ch ef d’une famille illustre, et arrache un legs
universel de plus de 3 oo,ooo francs ! !
Pour revenir h l’auteur c i t é , lorsqu’il rappelle le
texte des lois qui les concernent , il invite à par
courir celles des Institules et du Code, au titre de
JNoxaUbus aciionibus. 11 rappelle la maxime du
droit, gravius cigendum cum servis. 11 ne balance pas
à déclarer qu’ils sont incapables de recevoir un legs
universel; il cite plusieurs exemples, parmi lesquels eu
choisira un arrêt rendu en la grand’ehambre du p ai-
7.
�(
)
Jement de Paris, le i er juillet 17I17, dans l’espèce
suivante :
«•Un maître de pension de cette ville de Paris, dit-il,
avait fait un legs de 12,000 francs au profit de sa gou
vernante, rpar un premier testament.
« Par un second testament, il lui avait fait un legs
universel. Les héritiers offrirent les 12,000 francs du
premier legs; ils contestèrent le legs universel.
« Sentence du Châtelet, qui fait délivrance du legs
universel. Par l’arrêt, la sentence fut infirm ée, et la
gouvernante déboutée de sa demande. TVL Joly de
ï l e u r y observa que si les héritiers n'avaient pas offert
les 12,000 francs, il aurait eu de la peine à se déter
miner pour un pareil legs, qui paraît être l’ouvrage
de l’autorité et de la séduction, suivant les ordon
nances ».
R icard, Traité des D o n a tio n s, partie i re, chap. 3 ,
section 9, pense également que les domestiques ne
peuvent recevoir de leurs maîtres .un legs univèrsel.
'Le dernier annotateur de Ricard a dit sur celte ma
tière les choses les plus justes et les plus raisonnables,
dl remarque v que les dispositions faites aux domes« tiques sont favorables quand elles ne sont pas exces« sives; mais que l’homme sage ne doit récompenser
* qu’avec mesure : l'excès est une présomption pres
te qu irrésistible de suggestions de la part des domes« tiques. Ils savent quelquefois prendre sur l’esprit de
« leurs, maîtres.un ascendant qu’il serait dangereux de
« favoriser, j*
�( 5i )
• 11 rapporte un arrêt du n août t 7 i 3 , que l’on
trouve au Journal des A u d ien ces, qui refusa la déli
vrance d’un legs universel d’environ 30,000 francs ,
fait au profit du valet de chambre du testateur, et ne
lui accorda que 3 oo francs de pension viagère, pour
récompense de ses services.
Autre arrêt du 22 avril 1 7 6 6 , réduit un legs universel,
fait par le sieur Potier en faveur de sa domestique, à
6,000 fr. une fois p a y é e , et 200 francs de pension.
O11 regarde, en général, les domestiques comme
incapables de recevoir des libéralités trop considérables
de leurs maîtres. Quand elles sont trop fortes, la justice
les réduit ordinairement à une valeur proportionnée
à la qualité des domestiques, à l’importance des ser
vices q u ’ils ont rendus, à l ’état et à la fortune des
maîtres. Il est du devoir des magistrats de mettre un
frein à ces libéralités excessives qui dépouillent les
familles, et qui peuvent raisonnablement faire soup
çonner que les volontés des testateurs ont été captées.
Personne, sans doute, ne contestera ces principes;
mais on s’attend à cette perpétuelle objection, que ce
sont des principes gothiques, et que toutes ces règles,
qui gênent la liberté des donateurs, ont été abrogées
par le Code civil. On dira que sous l’empire du Code
les domestiques sont capables de recevoir de leurs
maîtres des legs universels, puisque l’article 902 du
Code fait rémunération des i n c a p a c i t é s qu’il déclare,
et n’en prononce aucunes contre les domestiques ; que
l’article i o a 3 détermine que le legs fait au domestique
�( 52 )
ne se compense pas avec les gages qui lui sont dus;
d’où il suit qu’ils sont capables de recevoir un legs
universel.
Eh quoi! parce que la loi a cité ou a fait ré n u m é
ration de certaines incapacités, il en résultera qu’on
ne peut pas les étendre à un autre cas? L a loi écarte
les médecins, les confesseurs, les conseils, les notaires,
parce qu’ils sont présumés avoir trop d’influence sur
l ’esprit de leurs malades ou de leurs cliens; et les do
mestiques seraient exempts de cette suspicion, eux qui
savent prendre sur l’esprit de leurs maîtres un empire
absolu, qui peuvent dans tous les instans emplo}7er tous
les m oye ns de séduction! C e serait supposer une ab
surdité dans la lo i, qui cile des exem ples, mais qui
n ’est pas limitative; qui établit des incapacités absolues,
et laisse à la prudence des juges les incapacités relatives
qui naissent dés circonstances; et il faut sans doute tirer
une conséquence toute contraire à la prétention des
domestiques, de la disposition de l’article 1023 du
C ode; car si le Code dit que le legs fait aux domes
tiques ne se compense pas avec les gages qui leur sont
dus, la loi, bien certainem ent, n’a entendu parler que
du legs particulier, n’a supposé dans aucun cas un legs
universel, puisqu’il aurait bien fallu alors que les gages
fussent compensés forcément.
On ne prétendra pas, sans doute, que le legs uni
versel n’étant pas fait au profit de la domestique, mais
h sa lille, l’incapacité cesse.
On répondrait péremptoirement à celte objection
�( 53 )
avec l’article 9 1 1 du Code. Il n’y aurait ici qu’une
interposition de personnes, et le legs fait à la fille est
censé fait à la mère.
§ V
ET
DERNIER.
L'acquisition' fa ite sous Le nom de F la vie, les lettres
de change passées à son ordre ne fo n t pas partie
du legs universel, et doivent être restituées a u x héri
tiers du sang.
\
Ce n’est' que très-subsidiairement que le chevalier
Legroing donne quelques détails sur ce singulier inci
dent. Il ne l’aurait pas même discuté dans le moment
actuel, s'il n ’y trouvait une nouvelle p re uve de la haine
et de la colère du testateur contre lui„ des insinuations
perfides, et de l’infidélité des Jouvainroux.
Il est p ro u vé, p a rle procès-verbal du juge de paix,
que les lettres du chevalier Legroing ne parvenaient
pas à son frère.
1
On voit dans le procès-veabal, que dans le même
endroit où on avait caché les effets soustraits, se trou*
vait une lettre du chevalier, du 3 décembre 1 8 16 , à
son frère le com te, dans laquelle il lui marquait «-que
»
«
«
«
ne voulant ni l’aigrir, ni lui donner des su jets de
m écontentem ent, étant m alade, il lui e n v o i e son
domestique pour savoir positivement ses intentions,
et les époques des paiemens du c api ta l qu’il lui doit
«■après la mort de sa m ère, et à qui il veut que ces*
�( 54 )
<r sommes soit pdyées, quand, et dans combien d?é « poques. »
Cette lettre est cachée avec soin dans*les sclials; et
aussitôt après la mort du frère^ les Jouvainroux ont
l’insolence de
traduire le chevalier au tribunal de
commerce !
Mais quelle est donc la sottise ét la' maladresse de
ces ambitieux? Ce n’était pas assez d’avoir arraché un
legs universel, d’être porteur de cet acte d ’iniquité,
dont Julien s’est emparé du moment qu’il a contraint
le feu comte Legroing d’écrire et signer le modèle qu’il
lui a présenté, on veut encore ajouter aux odieuses
manœuvres qu’on a emplo yées; on’ ne v e u t lui laisser
aucuns effets disponibles dans les mains ; on le dépouille
à l’avance, on entoure son lit de m ort, sicut vuLtus
cadaver expectàns ; on fait acheter par lu i, sous le nom
de F la v ie ,u n e propriété de 40,000 francs; ou le force
de passer son ordre au profit de cet enfant de six ans,
sur les lettres de change qu’il a dans son porte-feuille.
E h quoi! c ’est lorsqu’on l’excife contre son frère, qu’on
force ce dernier à s ’acquitter d’une dette qui devient
exigible après le décès de la m è r e , et lorsque sa d é - ‘
pouille mortelle fumait e n c o r e ,le chevalier n’obtient.,
n ’arrête les poursuites q u ’en souscrivant dos billets sous:
la forme de lettres de change; on lui tient le pied sur
la gorge, il ne peut quil 1er d’un instant; il y a suppo
sition de lieu, puisqu’ il les souscrit à Clerm ont, datées
d e B i o m ; e t ¿1 peine a-t-il signé, q u e , sans intervalle,
ceseflets passent dans les mains de Flavie ; qu’à récliéance1
�( 55 )
.du premier, on traduit le chevalier, sous le nom de cet
enfant, au tribunal de com m erce, pour obtenir contre
lui une condamnation par corps.
N ’est-ce pas le comble de l’infamie! et que doit-on
attendre de gens de cette espèce, qui veulent s’élever
jusqu’à une famille dont ils ont dépouillé le c h e f3 tout
autre à leur place .aurait usé de procédés, aurait attendu
au moins qu'il ait été statué sur la demande en nullité
du testament. Jusques-là les Jouvainroux ,n’ont qu’un
titre précaire, q u i‘va s’évanouir et s’échapper de leurs
mains infidèles et avides. Les moyens du chevalier ¡sont
victorieux ; tous ceux qui ont quelques principes d’hon,neur se réunissent à sa voix pour demander justice et
«vengeance contre une spoliai ion dévastatrice, contre
le vol le plus dangereux^ et contre les auleurs, qui sont
•le plus cruel iléau de la société.
En attendant, le chevalier Legroing s’est rendu
appelant en la C ou r, du jugement par défaut qu’on a
surpris contre lui. Il l’atlaque, tant de juge inçom pé-tenl qu’autrement. Il établira devant la C ou r, qu^l
n’y a ici aucune spéculation de com m erce,.qu e des
lettres de change souscrites de frère à frère, pour des
co n v e n io n s de famille, ne sont que de simples billets;
qu’il n’y a pas eu de change ni de remise de place en
place, qu’il y a supposition de lieu, erreur dans la
dénomination de l’effet.
A u fond, il prouvera que Flavie n ’est pas proprié
taire de ces effets, malgré l’ordre valeur reçue comptant.
-Qu’il est impossible qu-un4enfant de six ans ait fourni les
�( 56 )
fonds; que cet ordre n ’est autre chose qu’une'libéralité
indirecte, un don manuel que les lois annullent, une
donation entre-vifs qui n’est pas revêtue de la forme
prescrite par le C od e; enfin que ces effets et les im
meubles acquis sous son nom , ne font pas partie de la
succession du sieur comte L egro in g; que celui-ci n’a
légué que ce dont il mourrait vêtu et saisi, et qu’il
n ’est mort saisi, ni des immeubles, ni des prétendues
lettres de change. Cet incident donnera la mesure de
la moralité des Jouvainroux, et fera connaître à la
Cour leurs odieuses manœuvres. Ce sera un épisode,
le prélude de l’action principale ; on verra si l’ancien
b edeau dé la cathédrale aura la protection des prêtres,
s’ils agiront en sa faveur. Misérable! qui s’avise de
comprometlre les ministres d’ un D ieu vengeur, dont
la justice doit s’appesantir sur des têtes coupables! Ce "
serait un sacrilège.
C e Jouvainroux ne laisse pas’ aussi que d’avoir sa
malignité. L e chevalier Legroing est informé que cet
individu se permet de répandre contre lui des calom
nies, qu’il s’avise de critiquer sa conduite politique;
il insinue adroitement qu’il était à Malte lors de l’in
vasion de l’île; qu’il a peut-être facilité la reddition
de lu. ville; qu’il a suivi en E gypte l’armée fran
çaise, etc.
N e sutor ultra crepidani. Sans d o u te , le chevalier
Legroing devrait mépriser ces insinuations ou^ ces
calomnies; mais il est ])ien aise de saisir l ’occasion de
rendre compte de sa conduite ù celte époque mémo-
�( 5? )
rabie, et de rappeler des faits qui sont connus de
l ’ordre e n tier, ainsi que de l’armée française.
O u i, sans doute, le clievalier Legroing était à M¿ilte
lors de l’invasion. Renferm é dans le fort S a in t-A n ge,
il voulait vaincre on mourir. Ce fort inexpugnable
domine l ’entrée du port ; de triples batteries s’oppo
saient à l’entrée de l’escadre de débarquement. L e
chevalier sut comprimer l’insurrection de la garnison,
résister aux sommations du vainqueur, et ne se rendit
ensuite que sur les pressantes sollicitations ,■l’ordre
exprès du grand-maître , qui' avait déjà fait son traité.
L e chevalier Legroing suivit les Français en E gypte!
que pouvait-il faire de m ieux? Inscrit sur la liste’fatale
des émigrés, tous ses biens ayant été vendus, il n’avait
plus de patxiej il ne devait pas, sans d o u t e , se confier
au Directoire, qui renouvelait ses proscriptions contre
les émigrés, et faisait encore périr une loule de vic
times.
. L e chevalier eut l’honneur d’être aggrêgé à la
commission des arts et des sciences faisant partie de
l ’institut d ’Egypte ¿^il chercha ù se consoler de son
espoir déçu, parcourant une terre classique et visitant
les monumens, et vit enfin arriver le moment où il
pourrait revoir sa patrie.
Pourrait-on d’ailleurs suspecter la conduite politique
d’ un chevalier français qui a su défendre l’ordre dont
il est membre, et de sa plume et de son épée, et q u i,
dans les premiers m o in en s, s’est rallié autour des
défenseurs du trône?
8
�( 58)
On répand encore avec adresse que le chevalier
Legroing est célibataire comme son frère, qu'il aura
les mêmes faiblesses, et que ce n'est pas la peine do
lui rendre une fortune que la.nature et la loi lui attri
buent, pour la transmettre peut-être en des mains qui
ne seront pas plus pures.
D e quel droit Jouvainroux vient-il attaquer le che
valier L eg ro in g , et calomnier ses habitudes? Q u’il soit
célibataire ou n on , n’en e s t-il pas moins le frère et
le plus proche héritier du défunt? A-t-il un reproche
à se faire dans son intérieur, et son existence dans la
société n’est-elle pas honorable? S’il avait des faiblesses,
il sait comment un h o m m e d’ honneur les ré pare , mais
on ne le verra jamais s’avilir ou se dégrader.
Signé le Chevalier L o u is L E G R O IN G .
M e P A G E S , Bâtonnier des A vocats à La Cour royale.
F L E U R Y , A v o u é licencié.
A RIOM , DE L’IMPRIMERIE DE J.-C. SALLES, IMPRIMEUR DU PALAIS.
�
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The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Factums Godemel
Relation
A related resource
/files/factum-remarquables/BCU_Factums_G0301_0007.jpg
Description
An account of the resource
<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. Legroing, Louis. 1819?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Pagès
Fleury
Subject
The topic of the resource
testaments
abus de faiblesse
domestiques
servante-maîtresse
enfants naturels
créances
séquestration
mobilier
maltraitance
émigrés
ordre Saint-Jean de Jérusalem
fraudes
fisc
inventaires
lettres de change
doctrine
nullité du testament
captation d'héritage
testament olographe
jurisprudence
concubinage
legs universels
egyptologie
code civil
bedeau
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire pour M. Louis Legroing, Chevalier de justice de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, Chevalier de l'Ordre royal et militaire de Saint-Louis, demandeur ; contre Julien Jouvainroux, ancien bedeau de la Cathédrale, et cordonnier ; Françoise Boudon, sa femme ; et encore contre ledit Julien Jouvainroux, en qualité de père et légitime administrateur de Claudine-Flavie Jouvainroux, sa fille, mineure, défendeurs.
note manuscrite : « 28 juin 1819, chambres réunies, arrêt, journal des audiences, p. 493 ».
Table Godemel : ab irato : 2. l’action ab irato contre les testaments est-elle admise par le code civil ? peut-elle appartenir à l’héritier collatéral ? Etat (question d') : 3. l’héritier du sang a-t-il le droit, pour prouver l’interposition de personne, de rechercher si le légataire, qui a dans une famille le titre et possession d’état d’enfant légitime, est, ou non, l’enfant naturel du disposant, surtout, lorsque cette recherche conduirait à la preuve d’un commerce adultère ? Sanité d'esprit : d’après quels principes se résout la question de savoir si le testateur était sain d’esprit ? Suggestion : La suggestion et captation sont-elles moyens de nullité pour la législation actuelle ? peuvent-elles être opposées contre un testament olographe ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
De l'imprimerie de J.-C. Salles (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa 1819
1807-1819
1804-1814 : 1er Empire
1814-1830 : Restauration
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
58 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G2429
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Relation
A related resource
BCU_Factums_G2430
BCU_Factums_G2431
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/6/53483/BCU_Factums_G2429.jpg
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Riom (63300)
Clermont-Ferrand (63113)
Biozat (03030)
Fontnoble (terre de)
Egypte
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
abus de faiblesse
bedeau
captation d'héritage
Code civil
concubinage
Créances
doctrine
domestiques
egyptologie
émigrés
enfants naturels
fisc
fraudes
inventaires
jurisprudence
legs universels
lettres de change
maltraitance
mobilier
nullité du testament
ordre Saint-jean de Jérusalem
séquestration
servante-maîtresse
Testament olographe
testaments
-
https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/original/6/53297/BCU_Factums_G1623.pdf
5eb393156c7ae40667eb887f427c39d5
PDF Text
Text
P R É C I S
POU R
Jean -A n d re B R U N E L ,
prêtre, vicaire de
C h au d e s-A igu e s, en qualité d’héritier bénéfi
ciaire de J ea n , son p ère, appelant d 'un juge
ment rendu au tribunal civil du P u y , le 22,
ventôse an 1 2
CONTRE
E X P E R T O N fille majeure,
habitante de la ville du Puy intimée.
T o u ssa in te
L
,
’ o r d r e social et les mœurs sont intéressés dans cette
cause ; cette circonstance la rend importante et digne de
l’attention de la justice.
Une fille qui n’a point respecté l’honnêteté publique
qui a eu une même demeure, une cohabitation scandaA
�leuse avec un homme marié ; qui a passé avec lui un
contrat de mariage avant qu’il eût fait rompre ses pre
miers nœuds ; qui l’a épousé quatre heures après la pro
nonciation de son divorce avec sa femme légitime : cette
fille étoit-elle de bonne foi en l’épousant? doit-on lui
restituer la dot qu’elle s’est fait reconnoître ?
L e tribunal civil du Puy a jugé l’affirmative. L ’appelant
demande que le jugement soit infirm é, que la cour annulle
la quittance de dot et la reconnoissance postérieure, comme
simulées et frauduleuses, épuisant tout le patrimoine de
son père pour le faire passer à sa concubine.
Un exposé sincère de la conduite de l’intim ée, et les
principes qu’on y appliquera, lui enleveront la libéralité
dont elle est indigne, et qui n’est due qu’à la vertu.
F A I T
S.
Toussainte E xperton, intim ée, est fille d’un pauvre
charpentier de la ville du Puy. Des idées de plaisir et
de liberté lui firent abandonner de bonne heure la maison
paternelle. D e ce moment, elle n’eut que des affections
malhonnêtes; toute la ville du Puy a retenti de ses avantures galantes, de sa débauche avec un nommé D ****,
perruquier, dont elle a eu un enfant.
L e hasard ayant conduit chez elle Jean Brunei, père
de l’appelant, cette fille, consommée dans l’art de séduire,
l’attira par ses caresses, et lui inspira une passion dont
il ne put se défendre.
Aveuglé par cette passion , Jean Brunei réalise une
partie de sa fortune, quitte le séjour de M onlet, lieu de
�( 3)
70/
son origine, abandonne son épouse, et va au Puy faire
un mêrae ménage avec Toussainte Experton. .
Alarmée de cette connoissance, sa famille emploie
inutilement les remontrances, les sollicitations pour l’en
détacher; il n’écoute rien. On conseille à son épouse de
provoquer une demande en divorce, pour cause d’incom
patibilité d’humeur : elle l’entame et ne la suit point.
Toussainte Experton, s’apercevant des suites qui ré
sultaient de sa cohabitation avec Jean Brunei, conçoit le
projet de le faire divorcer pour l’épouser après.
Elle commence par lui faire signer un contrat de ma
riage dans lequel il reconnoît avoir reçu d’elle, ci-devant,
et à son contentement, une somme de douze mille liv.
Après cette clause, vient une donation réciproque de
tous leurs biens, pour le dernier mourant en jo u ir en
toute propriété et fr u its .
Ce contrat est du 27 vendémiaii’e an 3.
L a publication de mariage, du lendemain 28.
Le 29, on appelle chez un notaire quatre citoyens de
la ville du P u y , pour déclarer que Jean B runei, leur
voisin, habite cette ville depuis environ trois ans, et qu’il
y a vécu seul et sans fem m e.
A vec cette déclaration, Jean Brunei se présente à la
municipalité, le 2 brumaire suivant, et requiert l’officier
civil de prononcer son divorce , sur le motif cinq dé
terminé dans l’article 4 du §. i^r. de la loi du 20 sep
tembre 1792 , qui est l’abandon de la femme par le mari,
ou du mari par la femme.
Pour obtenir le divorce sur ce m otif, l’article 18 du
g. 2 de la même loi prescrit de se pourvoir devant d o s
A 2
�( 4)
arbitres de fam ille, en la forme indiquée dans le code de l’or
dre judiciaire, pour les contestations d’entre mari et femme.
Jean Brunei n’avoit pas rempli cette form alité; mais
l’officier civil ne s’arrête point à ce défaut, il prononce
le divorce de Jean Brunei avec Marie-Jeanne Reboul
à onze heures du matin ; à trois heures après m id i, il
l’unit en mariage avec Toussainte E xperton, qui accoucha
quatre ou cinq mois après.
Cette fille s’est fait consentir pendant le mariage deux
reconnoissances ; l’une de la somme de 300 liv ., l’autre
du mobilier et des ustensiles qui garnissoient sa chambx*e.
Jean Brunei est décédé le 14 pluviôse an 9. Toussainte
Experton a commencé par expolier sa succession ; ensuite
elle a formé demande en restitution de la dot qui lui a
été reconnue.
,
L ’appelant lui a opposé son indignité résultante du
concubinage dans lequel elle a vécu avec son p è r e , la
simulation de la reconnoissance de 12000livres, prouvée
par les termes dont on s’est servi pour en exprimer le
prétendu payement ; il en a demandé la n u llité, ainsi
que du d ivorce, du second m ariage, du don mutuel
stipulé dans leur contrat, et des deux reconnoissances
postérieures.
Sur ces demandes respectives, le tribunal civil du Puy
a rendu un jugement qui déclare nuls le divorce de Jenn
Brunei avec Marie-Jeanne R eboul, son second mariage
avec Toussainte E xperton, le don mutuel et la reconnois
sance des meubles.
M iis attendu ce qui résulte tant du contrat de mariage
de l’intimée que de la reconnoissance de 300 livres en
�ï o S
(S >
numéraire ; condamne l’appelant, eiÿ.sa qualité, d’héritier
bénéficiaire.de sou père, à rendre et rembourser à Toussainte.) Experton la somme'de 12000. livres d’une part,
suivant la réduction d’après l’échelle, celle de 300 livres
d’autre , sans réduction, à la charge par elle de rendre
le mobilier énoncé dans l’inventaire qui en a été fait,
ou d’en compenser le montant jusqu’à due concurrence, etc.
Les premiers juges ont motive cette condamnation sur ce
que le père de l’appelant paroissoit avoir abusé de k
crédulité de l’intim ée, en s’annonçant r dans leur con
trat de mariage, comme libre et majeur j
Sur ce qu’il l’avoit trompée en lui laissant ignorer les
empêchemens qui devoient rendre nulle l’union qu’il se
proposoit de contracter avec elle;;).
• .v
Sur ce qu’elle a voit été induite en erreur sur lj£tat dù
Jean Brunei , par une note écrite au dos de la citation
que lui avoit fait donner Marie-Jeanne R eb ou l, sa pre
mière femme.
Cette noie est ainsi conçue ; . .
« L e citoyen Brunei, depuis’plus de trots~âns~fiaTn tà111
» de cette commune du Puy , a paru suivant la citation
» ci-dessus, et a déclaré n’avoir ni titre , ni avoir passé
» aucun acte qui puisse prouver qu'il a été m atic
»"devant aucun notaire. La citoyejnne Reboul a paru
« le 29 ventôse,.et a déclaré de même n’avoir passé an» cun acte devantaucun notaire, qui puisse prouver qu’elle
» étoit mariée avec .le citoyen Brunei : les parties ren» voyées libres , et le divorce n’ayant pas lieu ,.en pré« sence de Matthieu Bertrand., maire , du citoyen M ich e,
« et de Berlioux , oilicier municipal j ainsi ù;Toi’iginul. »
A 3
�:p 4
* .< & •
(« )
* L e fils de’ Jean -Brunei ést appelant rde ce jugement \
quant au ‘chef qui le condamne à rembourser à l’intimée
la dot qu’elle s’est fait reconnoitre avant et après son
mariage.c
:u Jouir'î
iui;v 1:
' ^ ol.
t
i-v
;w ¡ l ’J
•
M-'i -
. t/ i'n n
M O Y E N S. •*»•. ' v/hu--
<
(
Trois questions se présentent, et doivent être discutées
séparém ent.':!r,7,; 1
:rtrn '> »crqi. i
> mûr ol
‘ ■i®. L ’intimée à-t-elle vécu en concubinage avec Jean
Brunei?
■
: ^2 °. A v o it - e lle , avant de l’épouser, connoissance de
son premier m ariage?
;l
1 f‘
3°. D oit-on considérer comme simulées et’frauduleuses
la quittance de dot et lai reconnoissance postérieure ?
Il I
P
r e m i è r e
q u k s t i o
N:
L e concubinage est certain. ' M *' ■
' 11
^',n
^
Il est de notoriété dans la ville du Puy que Toussainte Ekperton et Jean Brunei ont i habité ensemble
avant' leur mariage : ce >fait, articulé devant les premiers
juges, n’a pas été désavoué ; et c’est la raison qui en a
Jfait faire mention dans l’exposé des faits q u i précèdent
“les m o t i f s du jugement dont est appel. ' '
Ü n e cohabitation aussi publique , et qui avoit causé
du scandale , mérite sans doute le nom odieux de con
cubinage.
IJné dernière preuve1,ts’il en falloit* encore, c’est la
'grosséàsè 'de Toussàinte Experton ;>avant son mariage.
�( 7)
Après cela , on ne doit plus doüter du ' mauvais àoifc+‘
merce que l’appelant lui oppose.- '1 ! - : : 1
ru, J.
:u. :
•
:'.r
f ,
Si E
^ «rj ) • • i r n r m Ji i r. vy’; . i M ' - v
vIj •'
C O N D E/<Î Q' t f - ErS T I O NT. 01'1 Hi’ ‘ j i , ‘ c a q
. Jdi;.ioq : ,10;:
Toussainte Experton conn8'iss6it le, premier mariage
de Jean B ru n ei, avant qu’elle l’é p o u s â t . 11
Jean Brunei et Marie-Jeaiine< Reboùl étoiërit: connu.«,,
dans la ville d u P u y -pour mari çt fémmô'v ité y ‘H^enoient assez; fréquemment poTur un- coïnmêi'CeJ'dé ttën-*
telles que faisoit la femm e, ou'pour y voir'sa'>sϟir qu i
y est'établie. Leur uiiion h’a;pu!être ignoi'ée de iT ous
sainte E xpertoh.:)' f.'.vi: -:3£>0‘m : ■!•(;!' . . ■
. 1 i
Diroit-elle , comme les! premiers juges^ qu’eHé')a été
trompée par la noter 'écrite au dos ü e 'la 'citatîdi* domi
née à Jean Brunei à la'requête de’ Marie-Jéànnë Réboûl ?
On lui répondroit que cette note devoit plutôt l’éclairer que : l’induire en -erreu r, puisqu’elle lui'apprenoit:
que si M arie-JeanneoReboul n’étoit pas l’épouse'de Jean
B ru n ei, du moins elle prétendoit,l’être;-G’dil’ éfoif :a'ssez
pourVqùé Toussainte- Experton dût prendre:des infor
mations ¿urr l’état de celui qu’elle’devoit époüsCr; elle
pouvoit s’en procurer facilement,:en s’adressant à ia sœiii*
de Marie-Jeânne R eb o ü l, à la •,rimnicip:a litéy ou au jugé
de paix du canton de M onlet $‘¡qui' in’est éloigné de1 làville du Puy que de quatre petites lieSufcs. pt ;r - v eiljr
Que Toussainte E xperton :eût été trompée par <iette
note , quoiqu'elle *n’eût aucun c a r a c t è r e d’authenticité ,
et qu’elle né .présentât qu’une déclaration ridicule ; quoi-J’
A 4
�. ( 8 )
q.u on ue put ciïr induire autre chose , si ce n’est què
Jean Brunei et Marie-Jeanne Rëboul n’a voien t point
passé cîe contrat par-devant notaire ( ce qui n’empêclioit
pas qu’ils ne, fussent unis en légitime mariage ) , la chose
seroit possible.
o'Mais que les juges du Puy s’en soient servis pour en
Taire un des"motifs de leur jugem ent, cela ne se conçoit
pa&;/d’iiiUant qu’ils '«avoient, £our se garantir de cette
faute y Jd certitude que Toussainte Exportons avant, dé
slit nfy b ;-Jpai%rBrunei r*;p.v.oi t . e u con noissance, de.,son d iMpree; avec Mârie-JeanneiJReboul.
- Cer'divorce détruisoit tout-l’effet de la>.note ; d’ailleurs»
l’absence des signatures nécessaires pour la faire ^présu
mer véritabj^ en dém oritiwtj la fausseté.
iioi^
_{Xia qualification,de.//¿re donnée à Jeun ‘B ru n ei, étant»
insolite dans les contrats' de m ariage, devoit inspirer à
Toussainte Experton plus de défiance que de sécurité •
ellç^a^di^vpir ,;dans ,çétte mention /extraordinaire , .unepryoautipajpy.udtmmçiit' ménagée pour mettre' le ,Notaire.
à ;.çq^vp)*t, de/tputq rpçpôn&abilité; '¡if-. , ,:ii ;,o , >
■
t.;Mais quand, on supposeroit que' cette fille d'été réelle-ment induite en erreur, y et fondée croire que Jean Bnrnql ,étoit'libre , sron crvcuii‘a,,dû .cëssciri& l’instant où l’oir,
ficipv civil .lui a;;ii|itileptui^j de l’acte 'de dissolution du
mariage de pet hpmmejayeciMàrierJeîmnc R e b o u l, de
puis quelques heures seiil.ejn.ient. i:
>
Apri\s la lecture de cet
, une fille qui auroit eu
de l’honnctç.té et des moeurs^ devoit renoncer à ;s’unir à
Jean Brunei',.et provoquer confi e lui lu sévérité des lo is,
�69 0 :
pour s’être permis de faire publier leur mariage ? de lui
en faire passer le contrat, quand il étoit encore retenu
dans les liens d’un premier engagement.
Il n’appartenoit qu’à une fille débauchée de prendre
pour ép o u x, au mépris des lois et de toutes les bienséances ,•
un homme q u i, quatre heures auparavant, étoit le mari,
légitime de Marie-Jeanne R eboul, avec lequel par consé
quent il ne pouvoit y avoir de mariage valable. En pas-)
sant dans ses bras, malgré ces considérations, Toussainte
Experton a fait preuve de mauvaise conduite. C’est le cas
de dire que, dans son union avec Jean Brunei', il n’y a
pas eu mariage, mais continuation du commerce adultérin
qu’ils avoient auparavant.
Q u’on.ne fasse donc plus valoir qu’elle a été induite en
erreur, qu’on lui a caché les empôchemens■
qui s’opposoientà ce qu’elle contractât un mariage valable. 11 est
évident que les moyens qu’on reproche à Jean Brunei
d’avoir e m p l o y é s pour tromper cette fille, ont été inven
tés par elle, ou d’accord avec elle, pour parvenir au ma
riage qu’elle désiroit.
;
T
r o i s i è m e
q u e s t i o n
.
L a quittance de dot est une donation en ofraude de
la loi.
Une quittance de dot n’est pas toujours un acte qu’on ne
puisse attaquer avec succès; son maintien dépend de la qua->
lité des personnes \ qui elle a été donnée. Si c’est à une con
cubine , on exige la preuve qu’elle a fourni les deniers.
�V?\
( 10 )
Cette .jurisprudence est fondée sur la défense de don
ner aux concubines, à quelque titre que cc soit. D e quel
que voile qu’on couvre les dons, sous quelque forme qu’on
lesidéguise, ils sont réputés simulés et frauduleux : la loi
les rejette et les anéantit, si on n’étabit pas qu’ils ont eu
une cause juste et légitime.
L a défense est écrite textuellement dans l’ordonnance
de 1629 •, l’article. 132 déclare toutes donations fa ites à
concubines nulles et de nul effet. = t
e: Cette ordonnance a été enregistrée librement au parle
ment de Toulouse , dans le ressort duquel étoit la ville
du Puy. L a sagesse et la pureté des motifs qui avoient
dicté l’article 132, le firent adopter dans tous les parle
m ent Nous pourrions en citer une foule d’arrêts , qui ont
déclaré nuls des actes de toute espèce, passés au profit de
concubines; nous nous bornerons à ceux qui ont annuité
des quittances de dot.
-¡L e 16 mars 1723 , Le parlement de Paris déclara nulle
une quittance de dot de 60000 livres , consentie îui profit
d’Elizabetli Tricot par le ci-devant marquis deSàintp-Eoy,
dont elle avoit été la concubine.
La quittance portoit que le sieiir de Sainte-Foy avoit
reçu les 60000 livres, tant en effets mobiliei's qu’en im
meubles : elle ne pouvoit indiquer un seul contrat, ni un
seul bien-fonds dont elle eût jamais été propriétaire.
Un second arrêt, du 24 janvier 1767 , au rapport de
M .l’akbé Tudert, et rapporté par Deni^ard au mot dot, a.
débouté Marguerite Massuet de sa demande en -restitua
tion d’une dot de 3000 livres, dont le sieur Borton luii
nvaitidonné quittance.
(j ' -i-_'
flr .. .i
�C h )
11 résultait des circonstances particulières de l’affaire,
que la dot n’avoit été ni pu être fournie au sieur Borton.
L e grand conseil a voit adopté la même jurisprudence.
Par arrêt du 13 mars 1743, la demoiselle Payen fut dé
boutée de sa demande en payement d’une dot de 5 ooooliv.
que le ci-devant marquis de Vieux-Bourg lui avoit
reconnue.
L e m otif de l’arrêt fut que la demoiselle Payen n’avoit
pas été en état de fournir une pareille d o t, et qu’elle avoit
varié sur les effets qui avoient, selon e lle , servi à la former.
En 1778 , un contrat de mariage sous seing privé fut
passé entre la demoiselle Leprêtre et le sieur Toutesmesnil, qui reconnut avoir reçu d’elle une somme de
, i 5 ooo livres. Toutesmesnil mourut avant le jour indiqué
pour la célébration du mariage.
Demande en restitution de la dot de lôooo livres.
L ’héritier de Toutesmesnil répondit à cette demande
que la reconnoissance portée au contrat de mariage n’étoit
qu’une donation déguisée, faite à une concubine qui n’avoit
aucun bien ; il demanda à faire preuve que depuis plusieurs
années elle vivoit en concubinage avec son futur.
La demoiselle Leprêtre soutint l’héritier non recevable
dans la preuve qu’il demandoit à faire , i°. faute de com
mencement de preuve par écrit ; 20. faute de’ circons
tanciel' suffisamment les faits, et de leur donner des épo
ques fixes, etc.
Ces raisons ne firent point impression ; et la sentence
qui avoit admis la preuve des faits de concubinage , fut
confirmée par arrêt du parlement de Normandie.
Dans l’espèce de tous ces ai’rêts, il n’y. avoit que con-
�'-
.
( 12 )
cubinage , et les concubines n’établissoient pas d’où leur
ctoit venue la dot dont elles demandoient la restitution.
Dans la nôtre, il y a concubinage et adultère, et nulle
preuve que l’intimée ait apporté les 12000 livres dont
elle s’est fait donner quittance.
La manière dont la quittance est conçue suffiroit pour
en prouver la simulation.
« La future s’est constituée en dot la somme de 12000 1.
» que Jean Brunei a déclaré avoir ci-devant reçue et à
» contentement. »
Ce langage n’est pas enigmatique ; il annonce claire
ment que Jean Brunei n’avoit rien touclié, et qu’il en
a été content.
Toussainte Experton étoit hors d’état de fournir les
12000 livres, valant en numéraire 4380 livres.
Son frère et clic n’a voient recueilli de la succession de
leurs pere et mère qu’ un champ qui fut vendu , en
l’an 2 , moyennant 600 livres.
C ’est apparemment cette vente quia servi de prétexte
à la reconnoissance de la somme de 300 livres en nu
méraire, au payement de laquelle l’appelant a été aussi
condamné.
lia reconnoissance porte que Toussainte Experton a
“'délivré , du vu du n otaire, à Jean B runei, la somme de
"'300 livres, provenant dé deux actes de ratification de
vente par elle consentis , les 5 ventôse an 2 , et 1 i nivôse
an 6.
Comment les premiers juges ont-ils p u , sur la simple
déclaration d’une fille , au moins suspecte, se déterminer
" à lui adjuger ces 300 livres ? 110 devoient-ils pas l’obliger
�( 13 )
à rapporter et les ventes et les ratifications ? leiir rapport
auroit pu prouver la fausseté de la déclaration, et ré
pandre quelque lumière sur les 12000 livresque l’inti
mée prétend avoir apportées en dot. L ’appelant demande
que tous ces actes soient produits ; il a le droit de l’exiger.
.
C O N'CLUSION.
Les trois questions que l ’appelant a proposées pour sa
défense, se décident en sa faveur.
i°. Toussainte Experton a* été la concubine de Jean
Brunei, et n’a été que cela, malgré leur prétendu mariage.
L e concubinage est prouvé par la notoriété publique,
par son silence au reproche qui lui en a été fa it, par la
mention insérée dans l’exposé des faits qui précèdent les
motifs du jugement dont est appel ; et sa grossesse avant
son mariage en est une preuve démonstrative.
L ’appelant offre de prouver, s’il en est besoin, tous les
faits qui constatent la débauche et le concubinage de
Toussainte Experton.
20. Cette concubine savoit que Jean Brunei étoit ma
rié à Marie - Jeanne Reboul ; c’est elle qui a forcé cet
homme à divorcer; c’est elle seule qui a tout dirigé pour
faire prononcer le d ivo rce, parce qu’il n’y avoit qu’elle
qui y fut intéressée; et la connoissance qu’on lui a don
née de ce divorce, avant de l’unir à Jean Brunei, répond
à tout ce qu’on pourroit dire pour excuser le désordre
de sa conduite.
3°. La preuve de la simulation de la quittance de dot
résulte du concubinage qui a existé entre Jean Brunei
�( 14 )
et Toussainte Experton. D e là la conséquence que cette
fille, pour obtenir la restitution des sommes qu’elle dit
avoir apportées en se m ariant, doit établir d’où elles lui
étoient venues.
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. T elle a été la jurisprudence de tous les temps. L ’ordre
public, le repos des familles se réunissent ici pour deman
der que la cour la confirme par son arrêt.
M e , G I S C L O N , avocat.
M e M A R I E , avoué licencié.
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Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Factums Godemel
Relation
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/files/factum-remarquables/BCU_Factums_G0301_0007.jpg
Description
An account of the resource
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Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. Brunel, Jean-André. An 13]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Gisclon
Marie
Subject
The topic of the resource
divorces
remariage hâtif
nullité du mariage
restitution de dot
concubinage
contrats de mariage
donations à concubine
fraudes
donations
Description
An account of the resource
Titre complet : Précis pour Jean-André Brunel, prêtre, vicaire de Claudes-Aigues, en qualité d'héritier bénéficiaire de Jean, son père, appelant d'un jugement rendu au tribunal civil du Puy, le 22 ventôse an 12 ; Contre Toussainte Experton, fille majeure, habitante de la ville du Puy, intimée.
Table Godemel : Dot : 2. la dot reconnue dans un contrat de mariage, du 27 ventôse an trois, en faveur de la future qui était en état de concubinage avec le futur, et lorsque le mariage civil n’a été célébré que le 2 brumaire suivant, quelques heures après la prononciation du divorce du futur avec sa première femme, et par le même officier public, doit-elle, ainsi qu’une reconnaissance postérieure au mariage, faire titre contre l’héritier du mari, ou n’être considérées, l’une et l’autre, que comme un avantage déguisé, frauduleux et prohibé par la loi contre la concubine, surtout si le divorce et le second mariage sont déclarés nuls ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
De l'Imprimerie de Landriot (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
An 13
An 3-An 13
1789-1799 : Révolution
1799-1804 : Consulat
1804-1814 : 1er Empire
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
14 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G1623
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Le Puy-en-Velay (43157)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
Relation
A related resource
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/6/53297/BCU_Factums_G1623.jpg
concubinage
contrats de mariage
divorces
donations
donations à concubine
fraudes
nullité du mariage
remariage hâtif
restitution de dot