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MÉMOIRE A CONSULTER
ET
CONSULTATION
Pour MM. MICHEL DE ROTROU et Cie
Propriétaires des Coches,
Contre M . LE PRÉFET D E L A SE IN E7
Représentant l’Etat.
L e 8 mars 1837,
lecoche de Nogent, chargé de marchandises,
et appartenant aux consultants, rencontra sous l’e a u , près de
Charenton, un bateau précédemment mis à fo n d , et fit nau
frage.
Le maire de Charenton dressa procès-verbal de l’événement
en présence des consultants et du sieur P a r is , préposé de la na
vigation. Dans ce procès v e rb a l, cet agent déclare a que le ba~
�» teau lavandière qui gisait au fond de l’eau, et qui a •produit le» naufrage du coche, appartient au sieur Georges, tireur de sable,
» demeurant à P a ris , rue Contrescarpe-Saint-A ntoine, n. 3 6 ;
» qu’il avait été mis à fond le i a février dernier par suite de gros
» vents ; que vainement il avait fait sommation à ce sieur Georges
» de retirer cette lavandière du fond de l’eau , à cause des dangers
» qu’elle pouvait faire courir à la navigation, qu’il n’avait pu y
» parvenir; ajoutant ledit sieur Paris, qu’i l avait rendu compte, le
y> i3 dudit mois defévrier, à il/. Vinspecteur général de la naviga
nt tion , du séjour de cette lavandière au fond de Veau\ comme
aussi q iiil avait fait d'inutiles efforts auprès du sieur Geor» ges pour qu’i l plaçât une flamme avec ja lo n s , afin d’ avertir la
» marine. «
I l résulte de cette déclaration de l’agent de la navigation :
i° Que le naufrage du coche a été produit par la lavandière
mise à fond; a° que le séjour de cette lavandière au fond de
l’eau était connu de l’adm inistration; 5° que cependant les agents,
de la navigation ne l’avaient pas fait retirer de l’eau, et qu’ils,
n’avaient même pas signalé l’ccucil à la marine par les signes
d’usage.
Les c o n s u lta n t, après avoir fait procéder régulièrement au
sauvetage des marchandises et à ¡’estimation des pertes, qui s’éle
vèrent à près de dix mille francs, assignèrent l’E ta l, en la per
sonne de M. le préfet de la S ein e, comme civilem ent responsa
ble de la négligence de ses agents.
L e propriétaire de la lavandière , cause du sinistre , eiait no
toirement insolvable.
Sur cette assignation, M. le préfet de la Seine a opposé une
fin de non-recevoir, tirée de ce qu’il n’avait pas qualité pour dé
fendre à l’action, le préfet de police étant seul chargé, par l’arrê
�te du 12 messidor an 8 , de tout ce qui concerne la navigation
dans le département de la Seine.
E n cet état, le tribunal de première instance s’est déclaré d'of
fice incompétent par un jugement du 1er août 1837 , dont voici
le texte :
« Attendu , en fait, qu’il s’agit d’apprécier une demande qui a
» pour objet des dommages - intérêts pour torts et dommages
y> causés par l’administration pour omission de la part' d’ un de
» ses subordonnés d’avoir fait enlever un obstacle à la navigay> lion sur un cours d’eau navigable; — A tte n d u , il est v r a i,
» que l’art.
de l’ordonnance de 1669 ordonne, sous peine d’a-
» monde de 5oo f r . , même contre les fonctionnaires publics qui
» auraient négligé de le faire, d’enlever tout amas de matières
y> nuisibles au cours de l’eau dans les fleuves et rivières naviga» blcs et flottables ; qu’on peut soutenir que ce qui fait obstacle
y> à la navigation ou peut causer un dommage aux bateaux de
» ceux qui naviguent nuit au cours de l’eau , et tombe par con» séquent sous l’application de l’article précité; — ■
Attendu qu’il
» est vrai également qu’aux termes de la loi du 21 septembre
» 17 9 3 , jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné, les lois
» non abrogées seront provisoirement exécutées ; que l’a rt. 4 2 de
» l’ordonnance de 1669 n’a pas été abrogé, et que même un ar
ia rête du directoire exécutif l’a visé pour en faire l’application;
»
Mais attendu que la loi du 16 août 1790 a appelé les adm i-
î) nisirations des départements à veiller aux moyens de procurer
» le libre cours des eaux , et l’arrêté du i/j octobre de la même
» année leur a confié tout ce qui touche à la vo irie, et que la loi
» du 29 floréal an 10 a confirmé cette attribution adm in istrai » v c ; — * Attendu que le pouvoir qui seul peut enjoindre ds
» faire peut seul infliger des dommages - intérêts pour n’avoir
�» pas fait y que le pouvoir judiciaire, essentiellement distinct du
» pouvoir adm inistratif, empiéterait évidemment sur les attrï» butions de celui-ci, s’il s’ingérait d e lui enjoindre telle mesure,
r ou , ce qui revient au m êm e, de le condamner à des dom m a» ges - intérêts pour n’avoir pas pris la mesure jugée nécessaire j
■
» ,— Que, si l’administration active t o m b e quelquefois, en pareil
» cas, sous l’empire d’une juridiction qui a sur elle une puissan» ce coactive, cette juridiction n’est elle-même qu’un dém em » b r e m e n t de l’adm inistration, et constitue des tribunaux d’e x y) ception sous le nom de Conseils de préfecture ; — Que c’est
» ainsi qu’aux termes de l’art. 4 de la loi du 28 pluviôse an 8 et
» de l ’art. t\ de la loi précitée du 29 floréal an 10 , le conseil de
» préfecture doit prononcer sur les difficultés qui pourront s’éley> ver en matière de grande v o irie ;— Qu’en certains cas , et lors» que l’administration porte atteinte à la propriété mobilière , et
» surtout à la propriété im m obilière, les tribunaux ordinaires
y> peuvent être appelés à statuer sur les indemnités ducs aux c i7) toyens qui ont souffert; mais si des torts et dommages, même» passagers,peuvent tomber sous l’appréciation de ces tribunaux,
» quand ils sont la suite de faits adm inistratifs, il n’en peut
» être ainsi quand il s’agit de torts causés pour simples om is» sions de mesures adm inistratives; — Qu’en définitive, les dom» mages - intérêts devraient retomber en pareil cas sur les fonc» tionnaires publics coupables de l’omission, puisque l’E lat 116
» peut en répondre que comme garant de son préposé : o r , à ce
» titre, le conseil d’E tat, c’est-à-dire l’adm inistration, serait en» core juge, aux termes de l’art. 75 de la constitution de l’an 8,
» de l’ o p p o r t u n it é des poursuites dirigées contre son agent; à
» plus forte raison, le pouvoir adm inistratif, appréciateur de la
» conduite de l’agen t, peut-il seul apprécier la responsabilité du
�—
s
—
•> pouvoir directeur; — Que les principes les plus élevés dans
» l’ordre public ont présidé à l’établissement de la doctrine con» slitutive d’un pareil résultat, qui garantit à la haute adm ini» stration l’indépendance et la liberté de ses mouvements , né» cessité d’intérêt général, auquel tout intérêt privé est de droit
» subordonné;
» Sans avoir égard à la demande de Rotrou , le trib u n a l, sans
y> qu’il soit besoin de statuer sur les moyens invoqués par le doy> maine , se déclare d’office incom pétent, renvoie les parties de» vant qui de d ro it, et condamne Rotrou aux dépens , etc. »
Les consultants demandent i° si leur action était de la compé
tence des tribunaux ordinaires, ou de celle de l’autorité adm ini
strative ; 20 si l’Etat a été valablement assigné en la personne do
M. le préfet du département.
CONSULTATION.
Le conseil soussigné , quia pris lecture dum ém oirc qui p ré
cède et des pièces à l’a p p u i, estime qu’il faut d’abord exam iner
s i , en principe général, l’Etat peut être déclaré responsable du
dommage causé par ses agents dans l’exercice de leurs fonc
tions : car, si l’Etat était affranchi de ce genre de responsabi
lité , comme il n’appartiendrait à aucune autorité de statuer sur
la dem ande, il deviendrait inutile d’exam iner la question de
compétence, ainsi que la nullité opposée par M. le préfet du dé
partement.
�E st d’ a vis,
Sur cette question préjudicielle,
r
Que l’E tat est civilem ent responsable du dommage causé par
ses agents dans l’exercice de leurs fonctions, lorsque ce dommage
provient d’une faute de leur part y
Sur la question de compétence ,
i° Q u e , lorsque le fait dommageable reproché aux agents ad
ministratifs ne peut être ju stifié ou condamné que comme conforme
ou comme contraire aux règles d’ une bonne administration , l’au
torité administrative est seule compétente pour statuer sur l’ac
tion en réparation du dommage intentée contre l’Etat ;
2° Q ue, lorsque le fait dommageable reproché aux agents adm i
nistratifs a été prévu et p u n i par la l o i , l’action en responsabi
lité civile dirigée contre l’E tat est de la compétence exclusive des
tribunaux, soit que l’autorité administrative ou que les trib u
naux de répression ordinaires soient chargés d’appliquer la peine
aux agents adm inistratifs; et que, de plu s, les tribunaux civils
ne sont, dans ce cas, obligés de surseoir au jugement de la de
mande, que lorsque l’action publique contre les agents adminis
tratifs a déjà été intentée ;
5° Que , spécialement, dans l’espèce, 1e fait dommageable re
proché aux agents administratifs a été prévu et puni par l’ordon
nance de iG6g et l’arrêté du 19 vent, an G;
Qu’en conséquence, l’action de MINI, de Rotrou et compagnie
e s t de la compétence exclusive de l’autorité jud iciaire, et que le
tribunal de la Seine aurait dû y faire d r o it, puisque l’action pu
blique en répression de la contravention, n’ayant pas été intentée,
ne pouvait arrêter le jugement de l’action civ ile;
Sur la fin de non-recevoir,
Que l’ Etat a été valablement assigné en la personne de M. Ic j
préfet du département.
�P R O P O S IT IO N P R É J U D IC IE L L E ,
L ’Etat est responsable du dommage causé par ses agents dans
l ’ exercice de leurs fonctions, lorsque le dommage provient d’une
faute de leur part.
Si l’on s’en tient à la lettre de la l o i , la responsabilité de l'E tat
ne paraît pas douteuse , car l’art. 1 384 du Code civ il porte que
cc les maîtres et commettants (sont responsables) des dommages
causes par leurs domestiques et préposés dans les fonctions aux
quelles ils les ont employés. » V is-à-vis de ses agents, l’Etat est
un m aître, ou tout au moins un commettant.
Mais l’Etat n’ést pas un commettant ordinaire, et il faut se
pénétrer de l’esprit de la loi pour reconnaître si la règle peut
lui être appliquée. Si les fautes des domestiques ou préposés
réfléchissent contre leurs maîtres ou com m ettants, c’est parce que
c e u x -c i, en choisissant des serviteurs ou préposés négligents ou
incapables, sont eux-m êm es répréhensibles. T e l e6t le m otif
particulier de la responsabilité prévue dans le
5 de l’art. 1584
du Code civil : « ce qui a été éta b li, dit Pothier (T ra ité des
» obligations), pour rendre les maîtres attentifs à ne se servit
» que de bons domestiques. » L a loi romaine reconnaissait le
même principe : S i servos obnoxios h a b u it, dam nieutn injuria
. ien eri, cur taies habuit (ff. 1. a 7 , § 1 1 , A d leg. aquil.).
Ce m otif de la loi tient a 1 ordre même des idées politiques î
car, plus les maîtres et commettants sont attentifs au choix de
leurs serviteurs et préposes , plus ceux-ci sont eux-métues in té
ressés a rem plir exactement leurs devoirs ; par conséquent, plus
le maintien du bon ordre public devient facile.
�■\
—
8
—
Ces réflexions suffisent pour établir que l’art. 1 384
Code
civil est applicable à l’Etat : car le choix des agents administratifs
intéresse l’ordre p u b lic , bien plus gravement encore que celui
des serviteurs ou préposés des particuliers.
L es agents administratifs sont investis d’une certaine portion
de l’autorité publique : plus puissants que les agents des particu
liers , ils ont plus de facilités et d’occasions pour nuire. Le mau
vais usage ou l’abus qu’ils feraient de leurs pouvoirs serait un
malheur public.
Or, puisque la loi ne considère pas comme une garantie suffi
sante pour l’ordre public la responsabilité personnelle des ser
viteurs et préposés des particuliers, à plus forte raison en est-il
de même à l’égard des agents administratifs.
En vain l’on dirait que l’E ta t, être co llectif,n e peut encourir
qu’une responsabilité morale à raison du choix qu’il fait de ses
agents.
Considéré comme propriétaire, l’E tat est soumis aux règles de
droit commun.
Considéré comme dépositaire et régulateur suprême de la for
tune publique, l’E ta t, représenté par des administrations publi
ques préposées à chaque espèce de service, doit se conformer
aux lois qui protègent les droits privés de chacun. Si ses agents
violent ces d ro its, la faute en est à l’E ta t, qui les a choisis pour
mandataires. En pareil cas la responsabilité morale serait tout à
fait insuffisante. Ce genre de responsabilité ne s’applique qu’aux
actes purement administratifs pris par les administrateurs dans
les limites de leurs pouvoirs.
La question a d’ailleurs été résolue assez fréquemment par la
jurisprudence. Les tribunaux n’hésitent pas à condamner les ad
ministrations publiques à la réparation des dommages causés par .
�— 9 —
leurs préposes dans l’exercice de leurs fonctions. O r ces adm ini
strations ne sont elles-mêmes qu’un dém em brem ent, une per
sonnification partielle de l’Etre collectif appelé l’état ( i) .
Objecterait-on que cette responsabilité com prom ettrait la for
tune publique ?
Nous répondrions que le danger n’est pas réel.
Car la responsabilité des maîtres et commettants ne résulte
pas de cela seul que le dommage a été causé par leurs domesti
ques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont em
ployés; il faut de plus que le f a i t dommageable constitue une
faute imputable à ces derniers. E n effet, c’est parce qu’ils ont mal
choisi leurs domestiques ou préposés , que les maîtres et com
mettants sont soumis à la responsabilité civile ; or on ne peut
leur faire ce reproche, ni dès lors les rendre responsables, lors
que le dommage ne provient pas d’une faute de leurs domestiques
et proposés.
Il en est de même de la responsabilité à laquelle l’ Etat est sou
mis à raison du dommage causé par ses agents dans l’exercice de
leurs fonctions. L ’Etat doit être déchargé de toute responsabilité
s’il prouve que ses agents sont exempts de faute.
Ainsi les cas de responsabilité civile ne seront point assez m u l
tipliés pour compromettre la fortune publique. L ’Etat trouvera
dans les juges ordinaires ou administratifs toutes les garanties
possibles; de plus, armé vis-à-vis de scs agents de toute l’autorité
d un maître, il pourra facilement se faire indemniser par eux de
(1) \ o ir notam m ent a rrê ts de la cour de cassation des 19 juillet 1826
(S . 2 7 , i. 1 3 2 ), et 30 janv. 1833(S. 33, i. 99). V oir aussi la loi du 6 août
1791, a rt. 19, titre 13.
�10
toutes les pertes qu’ils lui auront fait supporter ; ressource qui
—
—
manque trop souvent aux maîtres et commettants ordinaires.
D ’ailleurs si les condamnations prononcées contre l’Etat pou
vaient devenir assez fréquentes pour compromettre le patrim oi ne public , un pareil fait indiquerait des désordres déplorables
dans le corps adm inistratif ; et le seul remède efficace contre ces
désordres serait précisément de forcer l’E tat, par une application
sévère de la règle de la responsabilité, à choisir des agents plus
éclairés et plus dévoués à l’intérêt public.
Il nous parait suffisamment établi qu’en principe, l’E tatest res
ponsable du dommage causé par ses agents dans l’exercice de leurs
fonctions, lorsque ce dommage est arrivé par leur faute ou par
leur négligence.
Nous ajouterons q u e , particulièrement lorsqu’il s’agit d’acci
dents arrivés sur les rivières navigables par la faute ou par la
égligencc des agents adm inistratifs, l’E lat est responsable par
un double m otif: d’abord en vertu du principe général que nous
venons d’étab lir, ensuite en vertu de la règle posée dans le 1 er $
de l’art. i 58 /f, d’après laquelle « on est responsable non seule
ment du dommage que l’on cause par son propre f a it , mais en
core de celui qui est causé par le fait des personnes dont on
doit répondre ou des choses que l ’on a sous sa garde ». L ’Etat,
comme propriétaire des fleuves et rivières navigables, a la gar
de et la surveillance de ces rivières : à ce titre, il est donc encore
responsable des accidents qui y a rriv en t, sauf les cas de force ma
jeure.
A u surplus, le principe a été implicitement consacré par un
arrêt de la Cour de cassation du 27 juin 1852 (S. 52 . 1. 838 ), qui
porte : «. Attendu que, s’il est constant que le bateau du deman)» deur a cchouc à son entrée dans le canal de Somme , e t , par
�—
11
—
» suite , éprouvé des avaries dans sa cargaison , il ne résulte ni
» de la déclaration du m arinier qui le m o n ta it, ni des procès » verbaux d’expertise faits depuis , qiCil faille Fattribuer à la
y> faute ou à la négligence des préposés à Ventretien du canal
ïi navigable ; que, cependant, VEtat n'aurait pu être astreint à
y) la réparation du dommage qu’autant qu'il aurait été imputable
y> à ses agents; que la preuve étant à la charge du demandeur,
» et celui-ci ne l’ayant pas faite , ainsi qu’il est déclaré par l’ar» r ê t , la demande en indemnité n’a pu être accueillie. »
Ce principe posé, il reste à exam iner quelle autorité est char
gée par la loi de l’appliquer.
P R E M IÈ R E Q U E S T IO N .
v
Vaction intentée contre VEtat par M M . de Rotrou et compa
gnie est-elle de la compétence des tribun au x, ou de celle de l’ au
torité administrative ?
Cette question ne peut être résolue qu’à l’aide des deux propo
sitions suivantes :
P r e m iè r e
p r o p o s it io n .
Lorsque le fait dommageable reproché aux agents administra
tifs ne peut être condamné ou justifie rque comme contraire ou
comme conforme aux règles d'une bonne administration , l'auto
rité administrative est seule compétente pour statuer sur l’ action
en dommages-intérets intentée contre VEtat.
Cette proposition n’offre point de difficultés.
D après le principe général qui a posé la séparation des auto
rités administrative et judiciaire , les tribunaux ne peuvent s’im
miscer dans la connaissance des actes administratifs.
�12 —
A insi lorsque le fait dommageable reproché aux agents adm i
nistratifs est une mesure purement administrative, dont l’utilité
ou l’opportunité ne peut être appréciée que conformément aux
règles de tadm inistration ; lorsque ce fa it, en admettant même
qu’il pût être considéré comme une faute des agents administra
tifs, ne peut constituer qu’une faute adm inistrative, il est évi
dent qu’en pareil cas les tribunaux n’ont point le pouvoir d’en
apprécier le caractère : car ils ne sont point administrateurs 5 la
connaissance des règles administratives leur est étrangère, et la
loi leur défend d’en faire l’application.
O r, l’E tat n’est responsable du dommage causé par ses agents
dans l’exercice de leurs fonctions qu'autant que ce dommage
provient d’ une faute de leur p a r t, donc les tribunaux ordinaires,
lo r s q u ’ils ne peuvent point exam iner si le fait dommageable con
stitue ou ne constitue point une faute des agents adm inistratifs,
sont incompétents pour statuer sur l’action en réparation du dom
—
mage.
C ’est dans cette hypothèse qu’il serait permis d’appliquer ce
principe du jugem ent de première instance , « que le pouvoir qui
» seul peut enjoindre de faire peut seul infliger des dommages» intérêts pour n'avoir pas fait. » C ar l’administration , seul
pouvoir qui peut adm inistrer, peut seule apprécier un acte de
mauvaise administration , et adjuger des dommages-intérêts aux
parties qui ont souffert de cet acte.
Mais la règle établie par le tribunal n’est pas vraie dans toutes
les hypothèses. La proposition suivante va le prouver.
D
e u x iè m e
p r o p o s it io n .
n
Lorsque le fait dommageable reproché aux agents administratifs
a été prévu et p u n i par la l o i , l ’action en responsabilité civile
�—
13
—
dirigée contre l’ E ta t est de là compétence exclusive des tribunaux,
soit que l’ autorité administrative ou que les tribunaux de ré
pression ordinaires soient chargés d’appliquer la peine aux
agents adm inistratifs. D ép lu s le jugement de la demande ne peut
être arrêté que dans un 1seul cas; c'est lorsque l’ action publique
contre les agents administratifs a été intentée avant'ou pendant
l'instance à fins civiles dirigée contre l’ Etat.
:lil
L o r s q u e le fait dommageable reproché aux agents adm inistra
tifs est un fait prévu*et puni par la -ld i, il n’appartient pliis à
l’administration d’en apprécier le caractère : ca r, dans ce c a s , le
fa it, une fois légalement p ro u vé , constitue nécessairement1} non
pas une faute adm inistrative, mais une violation des lois de
de police, c’est-à-dire un crime , un délit ou une contravention.
Dès lors les tribunaux ordinaires , en appréciant'le fait dom
mageable, ne s’im m iscent'point dans les attributions de l’adm i^ nistration ; ils restent dans les lim ites de leur juridiction1, ils in terprètent'et appliquent la loi.
D o n c, l’action à fins civiles dirigée*contre l’E tat comme te sponsable du faitde'ses agents est'dans c e c a s de leur compétence
exclusive.
Cependant l’application de cette règle soulève quelques diffi
cultés.
D eux hypothèses se présentent.
Ou le fait dommageable reproché aux agents administratifs
constitue un délit dont'le jugem ent est déféré par des lois spé
ciales à l’autorité administrative , comme , par exem ple , lors
qu’il s’agit d’une contravention de grande voirie ;
Ou ce fait constitue un d é lit, dont le jugement appartient aux
tribunaux de répression ordinaires.
Dans la première h ypothèse, on objecte d’abord que l’action
�— 14 —
dirigée contre'l’E tal comme responsable du fait de ses agents ne
peut être de la compétence des tribunaux o rd in aires, parce
que l’appréciation du délit est exclusivement réservée à l’autorité
adm inistrative. Puis l’on ajoute que tout au moins le jugement de
cette action doit être suspendu, soit jusqu’à ce que le Conseil d’E tat ait autorisé le demandeur à poursuivre à fins civiles l’agent
adm inistratif auteur du dommage ( car cette autorisation seule
permet au tribunal civil d’apprécier le fait dommageable ) , soit
jusqu’à ce que l’action publique en répression du délit ail été jugée
(car c’est alors seulement que le tribunal civil peut savoir si le fait
dommageable est imputable à l’agent adm inistratif ).
Dans la seconde hypothèse, on reconnaît que les magistrats
de l’ordre judiciaire sont exclusivem ent appelés à juger le délit;
mais on fait remarquer que, si l’action civile eût été dirigée per
sonnellement contre l’agent adm inistratif inculpé, ces magistrats
n’auraient pu apprécier le d é lit, soit sous le rapport de la péna
lité qu’il entraîne, soit sous le rapport du dommage dont la. par
tie civile réclame la réparation, avant que le 4Conseil d’Etat
eût autorisé l’une et l’autre espèce de poursuites; d’où l’on con
clut que le jugement de l’action en responsabilité civile dirigée
contre l’E tatcst suspendu jusqu’à ce que le demandeur ait obte
nu cette autorisation.
On va examiner successivement l’une et l’autre de ces h y p o
thèses, et les objections qui s’y rattachent.
Première hypothèse.— Lorsque le fait dommageable reproché
aux agents administratifs constitue un délit dont le jugemenA j
est déféré par une loi spéciale à l’autorité adm inistrative , il est
incontestable que cette autorité seule a le droit de réprim er le
délit, et d’appliquer aux délinquants les peines établies par les
lois ou par les règlements.
�— 15 —
Mais de ce que cette autorité est seule com pétente, dans cette
hypothèse, pour statuer sur Vaction publique en répression de la
contravention , il ne s’ensuit nullement ¡qu’elle ait le droit de
statuer sur Faction privée en réparation du dommage. La liaison
plus ou moins intim e de ces deux actions n’est pas une raison
su ffisa n te i pour les attribuer conjointement à ¡l’autorité adm ini
strative. Il arrive en effet très fréquemment que des questions
qui doivent être résolues exclusivement par l’autorité adm initrative sont préjudicielles à des questions du ressort de l ’a u t o
rité ju d iciaire, et réciproquement. Dans ces cas , la question ju
diciaire ne devient pas adm inistrative, ni la question ad m in i
strative , judiciaire ; chaque autorité conserve la juridiction qui
lui est propre.
De môme , lorsqu’une contravention de grande voirie est dé
férée au conseil de préfecture, ce conseil, quoique saisi de l’ac
tion en répression de la contravention, n’en est-pas moins in
compétent pour adjuger des doinmages-inlérêts à la partie p ri
vée qui a souffert de la contravention : car les^attributions des
conseils de préfecture sont tout à fait spéciales, et doivent être
rigoureusement circonscrites dans les limites de la loi qui les a
fixées. O r , ni la loi du 29 iloréal an 10 , ni aucune autre lo i,
n’attribue à ces conseils le pouvoir de prononcer, même acces
soirement à la répression d’un délit de v o ir ie , sur la demande
en dommages-intérêts.
De p lu s , si les cours d’assises et les tribunaux correctionnels
sont régulièrement saisis, conformément aux art. 35 g , 191 et 192
du code d instruction crim inelle , des demandes en dommagesinterets accessoires à la repression des crimes et des délits , c’est
par uuc exception toute spéciale; mais au moins ces tribunaux
ne sont pas eux-mêmes exceptionnels ; ils sont composés, coin-
�16 —
me les tribunaux civils , de magistrats de l’ordre judiciaire ; ils
sont, e n un m ot, les juges naturels des citoyens, l i e n est tout
différemment des conseils de préfecture, et l’on peut les as
sim iler, sous ce rapport.* aux tribunaux crim inels spéciaux
qu’avait institués la loi du 18 pluviôse an 9 ; tribunaux q u i ,
comme on s a it , ne pouvaient pas même juger les demandes en
dommages-intérêts accessoires aux procès dont la connaissance
leur était attribuée. (V o ir arrêt de la cour de cassation du 6 fruc
—
tidor an 9 , S . 2 ,1 . 26.)
Enfin cette question est .décidée par les principes consacrés
depuis long-temps en jurisprudence. A in s i, d’une p a r t , la cour
de cassation a décidéu°ique lcSitribunaux de repression, ne con
naissant de l’action civile qu’accessoirement à l’action p u bliqu e,
sont incompétents pour statuer sur l’action en dommages-inté
rêts s’ils rejettent l’action publique. (A rrêts des 27 juin 1812. S.
i5 . i . 23g . — 12 février 1808. S. 9. 1. 254 - — i er a vril i 8 i 5 .
S. i 5 . 1. 3 i 8 . — ao févrierti828. S. 28. 1. 8 i 5 . — 3 o a vril
i 8 i 3 , S. i 3 . 1. 349. — i 3 juillet 1810. S. 10. 1. 297*)
D ’où la conséquence qu’ un .tribunal de justice répressive, m ê
me un tribunal de police, est incom pétent pour statuer sur une
demande en dommages-intérêts dirigée contre la personne civ ile
ment responsable tant qu’ i l n’ est pas sa isi de Vaction publique
pour Vapplication de.la peine. ( A rrêt du 1 1 sept. 1818. S. 19.
î . 117 . — 2 6 juillet i 8 i 3 . S . i 5 . i . 1 1 7 .)
Ainsi les tribunaux de justice répressive, quels qu’ils soient,
ne sont qu’accidentellement compétents à l’égard des demandes
en dommages-intérêts.i E n principe, c’est aux tribunaux civils
exclusivement qu’appartient la connaissance de ces demandes.
> O n peut donc conclure que l’autorité adm inistrative, lors
même qu’elle est compétente pour statuer sur la répression du
�— 17 —
délit , est incompétente pour juger la demande en réparation du
dommage.
A plus forte raison cette autorité est-elle incompétente pour
statuer sur la demande formée directement contre la personne
civilem ent responsable : car cette demande est encore plus indé
pendante de l’action publique que ne l’est la demande en dom
m ages-intérêts dirigée personnellement contre l’auteur même
du délit.
Mais un autre genre d’objections s’élève. O n admet qwe les
tribunaux ordinaires sont compétents pour statuer sur les de
mandes en responsabilité civile dirigées contre l’E tat à raison
du délit d’un de ses agents; mais l’on soutient que leur compétence
est suspendue i° tant que le Conseil d’ Etat n’a pas autorisé le
demandeur à poursuivre à fins civiles l’agent adm inistratif au
teur du dommage ; 20 tant que l’action publique en répression
du délit n’a point été, jugée.
Ces objections ne nous paraissent pas mieux fondées que la
précédente.
i° S’il était vrai que la partie civile ne peut demander direc
tement à l’Etat la réparation du dommage que lui a causé le dé
lit d’un de ses agents, sans obtenir du Conseil d’E tat l’autorisa
tion de poursuivre cet agent lui-m êm e, il en résulterait d’abord
que lE t a t aurait la faculté d’opposer à l’action dirigée contre lui
une exception qui est exclusivement attachée à la personne de l’a
gent adm inistratif; ensuite que la partie civile serait privée
de son recours contre l’ E tat toutes les fois qu’elle n’aurait pas
mis en cause l’agent adm inistratif lui-même.
O r , ce résultat serait en contradiction manifeste avec la loi.
En effet, il est incontestable que l’ E ta t, personne civilem ent
responsable, est obligé solidairement avec son agent, auteur du
3
�—
18
—
dommage , à la réparation civile de ce dommage : caria respon
sabilité civile embrasse l’intégralité des restitutions. C ’est ainsi
qu’il a été jugé par arrêt de la cour de cassation du 27 février
1827 ( S. 27. 1. 228 ) que le m a ri, déclaré civilem ent responsa
ble du dommage causé par sa fem m e, est tenu solidairement a vcc celle-ci au paiement des doinmages-inlérêts adjugés à la
partie civile. Ainsi l’E tat et son agent sont deux codébiteurs so
lidaires.
O r, l’art. 1208 du Code civil porte : « Le codébiteur so li
daire peut opposer toutes les exceptions qui résultent de la na
ture de l'obligation et toutes celles qui sont communes à tous
les codébiteurs. 11 ne peut opposer les exceptions qui sont pure
ment personnelles à quelques uns des autres codébiteurs. »
L ’é ta t, codébiteur solidaire , poursuivi par la partie civile ,
11e peut donc opposer les exceptions qui sont purement person
nelles à l’agent administratif, auteur du délit ; les seules excep
tions qu’il lui est permis d’invoquer sont celles qui résultent de
la nature de l'obligation, celles qui lu i sont personnelles , celles
enfin qui sont communes à lui-m ême et A son agent.
S ’il en est ainsi, l’E tat ne peut se prévaloir de l’exception tirée
du défaut d’autorisation , car cette exception est purement per
sonnelle à l’agent administratif. En effet, il est essentiel de re
marquer que la garantie accordée aux agents administratifs par
l’art. 75 de la constitution de l’ an 8 n’a pas pour but de préve
nir les usurpations de l’autorité judiciaire sur l’autorité adminis
trative. Celle-ci est armée du droit d’élever les conflits : cette
arme lui suffit pour réprim er ces usurpations. Riais à côté de ce
danger, il en existait un autre, dont la loi devait également pré
server l’administration. 11 était à craindre que les administra
teurs 11e fussent trop légèrement traduits devant les tribunaux
�ih
— 19 —
p a rle s susceptibilités de l’intérêt privé. Pour assurer à l’ad m i
nistration toute la liberté d’action qui lui est nécessaire, il fallait
donc conférer à une autorité supérieure le pouvoir de soustraire
les administrateurs aux tracasseries de l'esprit processif. T e l est
le but de la garantie constitutionnelle , q u i, comme on le v o i t ,
est exclusivement attachée à la personne des agents adm inistra
tifs. L ’Etat ne peut donc s’ en prévaloir.
D ’un autre c ô té , obliger la partie civile qui exerce contre
l’Etat l’action en responsabilité que la loi lui donne à se pour
voir devant le Conseil d’Etat pour obtenir l’autorisation de met
tre en cause l’agent adm inistratif auteur du d é lit, c’est priver
cette partie d’un droit que lui attribue d’une manière absolue
l’art. ia o 3 du Code civil, d’après lequel le créancier d’une ob li
gation contractée solidairement peut s’ adresser à celui des
débiteurs qu’ i l veut choisir. » C a r , dans ce système , le de
mandeur serait obligé de mettre à la fois en cause , et la
personne civilem ent responsable et l’auteur principal du dom
mage.
Ces conséquences étant inadmissibles, le principe d’où elles
dérivent est évidemment faux. Aussi la cour royale de Grenoble
a -t-elle décidé, par arrêt du i 5 mars 1854 (D. 34. 2. 197), que
la partie lesee peut s’adresser directement à la personne civile
ment responsable, sans être assujettie à appeler en jugement l’au
teur lui-m êm e du fait dommageable.
Il s’agissait précisément dans l’espèce de cet arrêt d’une action
en responsabilité civile dirigée contre l’Etat représenté par l’ad
ministration des douanes.
Enfin une dernière réflexion nous paraît digne d’atten ••
tion.
L es directeurs généraux de certaines administrations publi-
‘i ■
•4
�20
ques sont investis du droit d’autoriser la mise en jugement des
préposés qui leur sont subordonnés. T e l, par exem ple, le direc
teur général des douanes.
O r, si l’autorisation nécessaire pour pousuivre les agents de ces
administrations était indispensable pour l’exercice de l’action en
responsabilité civile elle-mêm e, il est probable que les directeurs
généraux s’abstiendraient de prononcer sur les demandes en au
torisation, et rendraient ainsi complètement illusoire la respon
sabilité à laquelle la loi a déclaré soumettre ces administrations,
2° Si le jugement de l’action en responsabilité civile dirigée
contre l’E lat n’est pas suspendu jusqu’à ce que le demandeur ait
obtenu du pouvoir supérieur l’autorisation de poursuivre à fins
civiles l’agent adm inistratif auteur du dom m age, il est égale
ment certain que le jugement de celte action n’est pas subor
donné à l’exercice de l’action publique en érpression du délit.
En effet, d'après l’art. 5 du Code d’inst. cria», l’action en ré
paration du dommage peut être poursuivie séparément de l’ac
tion publique en répression du délit. Il est vrai que cet ar
ticle ajoute q u e , dans ce cas, l ’ exercice en est suspendu tant
qu’ i l n’ a pas été prononcé définitivement sur l’ action publique
—
—
intentée avant ou pendant la poursuite de Paction civile ; mais
ces term es, loin de prouver que l’aclion civile doit être sus
pendue dans tous les cas jusqu'au jugement de l’action publi
que , prouvent au contraire que le sursis ne doit être prononcé
que dans un seul cas : c’est lorsque l’action publique a été inten
tée avant ou pendant la poursuite de l’action civile ; si l’aclion
publique n’est pas exercée, l’action civile , qui en est indépen
dante , ne peut êlre paralysée. ( Arrêts de la cour de cassation
des 11 juin i 8 i 3 . S. 16. i , îGg ; et a(i ju illet t 8 i 5 , S. i 5 . i.
*>7-
�21
Il résulte de là que les tribunaux civ ils, incom pétents, il est
v ra i, pour apprécier le fait dommageable sous le rapport de la
pénalité qu’il entraîne, ont cependant le droit d’apprécier ce
fait sous le rapport des réparations pécuniaires que réclame la
partie lésée.
A in s i, dans l’hypothèse spéciale où un agent adm inistratif est
poursuivi en réparations civiles à raison d’un délit qu’il a commis,
s’il n’a point encore été traduit devant le tribunal de répression
com pétent, les juges civils saisis de la demande en réparation
du dommage doivent passer outre au jugement de cette de
mande , sauf l’exception personnelle que peut invoquer l’agent
adm inistratif, dans le cas où les poursuites dirigées contre lui
n’auraient point été autorisées par le pouvoir compétent.
S ’il en est ainsi, à plus forte raison le sursis ne doit-il point
être prononcé lorsqu’il s’agit d’une demande en réparation civile
dirigée contre l:E tat, comme responsable de ses agents. C a r l’ac
tion dirigée contre une personne civilem ent responsable du fa it
d'autrui est encore plus indépendante de l’action publique que
l’action en réparation civile dirigée personnellement contre l’au
teur du dommage.
—
—
Seconde hypothèse. — Lorsque le fait dommageable repro
ché à l’agent, adm inistratif constitue un délit dont le jugem ent
appartient aux tribunaux de répression ordinaire, et non à l’autorite adm inistrative, on reconnaît que l’action en responsabili
té civile dirigée contre l’ Etat est de la compétence exclusive des
tribunaux civils; m aison objecte encore que ces tribunaux d o i
vent surseoir jusqu’à ce que le Conseil d’E tat ait autorisé les
poursuites, soit publiques, soit civiles.
Il a été établi précédemment que, même dans le cas où l’action
publique est de la compétence de l’autorité adm in istrative, l’Etat
�22 —
ne peut forcer la partie lésée à demander au Conseil d’E tat l’au
torisation de poursuivre à fins civiles l’agent adm inistratif au
teur du dom m age, et qu’ain si, même en ce cas, le jugement de
l’action en responsabilité civile dirigée contre l’Etat n’est pas sus
pendu par le défaut de cette autorisation ; à plus forte raison en
doit-il être de même lorsque l’action publique est de la compé
tence des tribunaux de répression ordinaires.
Il reste donc à prouver dans cette nouvelle hypothèse que ce
jugement n’est passubordonné à l’autorisation des poursuites pu
bliques.
O r cette preuve est facile. En effet, s’il est vrai que le jugement
de l’action en responsabilité civile dirigée contre l’E tat n’est pas
suspendu par le défaut d’autorisation des poursuites civ iles ; à
plus forte raison est-il vrai que ce jugement n’est pas suspendu
par le défaut d’autorisation des poursuites publiques. C a r é v i
demment l’action en responsabilité civile dirigée contre l’Etat
est encore plus indépendante de l’action publique à laquelle est
soumis son agent que de l’action en réparations civiles à laquelle
cet agent est également exposé.
—
Ainsi aucune des objections prévues n’est fondée, et la vérité de
notre seconde proposition reste démontrée.
A pplication des principes précédents à l’ espèce.
MM. de Rotrou et compagnie reprochent aux agents de la
navigation de n:avoir point fait enlever du fond de l’eau le b a
teau lavandière qui a causé le naufrage de leur coche.
Il est évident que c’est là une faute grave de la part des agents
de la navigation.
�— 23 —
Mais cette faute est - elle purement adm inistrative? C ’e st-à dire , le fait qui la constitue est-il simplement une violation des
règles d’une bonne administration , ou , au contraire, est-il un
véritable délit prévu par les lois?
L ’arrêté du 19 ventôse an 6 répond péremptoirement à cette
question.
Y o ic i en effet ce qu’il porte :
« Le directoire exécu tif, vu i° les art. 42 , 43 et 44 ■
>t*1* 27 de
» l’ordonnance des eaux et forêts du mois d’août 1669 >portant :
cc A rt. 42. N u l, soit propriétaire , soitengagiste , ne pourra faire
yy m oulins, batardeaux...... ni autres édifices , ou empêchements
» nuisibles au cours de Veau dans les fleuves et rivières navigables
» et flottables , ni même y jeter aucunes ordures , immondices ,
» ou les amasser sur les quais et rivages, à peine d’amendes a rb iy> tra ires....; enjoignons à toutes personnes de les ôter dans trois
» m ois; et si aucunes se trouvent subsister après ce tem ps, vou» Ions quelles soient incessamment àte'es et levées aux fra is et
» dépens de ceux qui les auront faites et causées , sur peine de
» 5oo livres d’ amende tant contre les particuliers que contre les
y> fonctionnaires publics qui auront négligé de le faire , etc. » En
» vertu de l’art. i4 4 d o la constitution, ordonne que les lois ci» dessus transcrites seront exécutées selon leur forme et teneur. »
D après ces dispositions, qui sont encore en vigueur aujourd h u i, il y a contravention punissable, non seulement de la part
des particuliers qui occasionnent quelque obstacle nuisible au
cours de l’eau , mais encore d e j
part des fonctionnaires jniblics
q u i, chargés de faire enlever ces obstacles , ont négligé de le faire.
O r, il résulte des déclarations du sieur Paris , agent de la na
vigation , déclarations consignées dans le procès-verbal du sinistre
dressé par le maire de Charenton , a que c’est le bateau layau-
�— 24 —
» dière gisant au fond de l’e a u , qui a produit le naufrage du
» coche. »
D onc le fait dommageable , c’est-à-clire le séjour de ce bateau
au fond de la rivière, constitue la contravention prévue et punie
par les dispositions précitées de l’ordonnance de 1669 et de l’a r
rêté du 19 ventôse an 6.
L e tribunal objecte que , l’enlèvement du bateau lavandière
étant une mesure de pure administration , l’opportunité de cette
mesure ne peut être appréciée que par l’autorité administra
tive.
Cette objection serait juste si la loi permettait aux agents
de la navigation d’enlever ou de ne pas enlever les obstacles nui
sibles au cours de l’e a u , suivant le degré <Putilité qu’ ils atta
cheraient eux-mêmes d Vune ou à Vautre de ces mesures.
Mais le texte elst précis. La loi qui ordonne impérativement
l’enlèvement des empêchements nuisibles au cours de l'eau punit
l’omission de cette mesure de 5oo fr. d’amende : donc celte om is
sion est une véritable contravention, et non pas sim plem ent une
faute adm inistrative.
Sans doute l’application de la peine appartient aux Conseils de
préfecture , puisqu’il s’agit d’une contravention de grande voirie.
Mais ces conseils , n’étant pas compétents pour statuer sur les de
mandes en d o m m ages-in térêts accessoires à l’action publique ,
sont, à plus forte raison , incompétents pour statuer sur une de
mande en responsabilité civile dirigée contre l’E tat par voie d i
recte et principale.
Sans doute encore, si l’ageutde la navigation eût été poursuivi
devant le conseil de préfecture en répression de la contravention ,
le tribunal aurait été obligé de surseoir au jugement de l’action
dirigée contre l’E tat, jusqu’à la décision duconscil de préfecture.
�— 23 —
Mais l’action publique n’ayant point été exercée, rien ne suspen
dait son jugement.
Enfin M M . de Rotrou et compagnie avaient le droit d’action
ner directement l’E tat, sans être obligés de demauder au Conseil
d’E tat l’autorisation de poursuivre l’agent de la navigation à
fins civiles: c a rils ont une action solidaire contre l’E tat et contre
cet agent; e t, dès lors , les art. i2 o 3 et 1208 du code c iv il doi
vent leur profiter.
A insi du’ne part le fait dommageable reproché par M M . de
Rotrou et compagnie aux agents de la navigation constitue une
contravention, dont l’appréciation, loin d’être interdite aux tr i
bunaux civ ils, sous le rapport de l’action civile qui en résulte ,
est au contraire formellement interdite, sous ce m êm e rapport ,
aux conseils de préfecture ; et d’autre p a r t , l’action publique en
répression de la contravention n’a point été exercée contre les
agents de la navigation.
D onc le tribunal c iv il de la Seine était compétent pour statuer
sur la demande , et de p lu s, il devait y faire droit en l’état du
procès.
S E C O N D E Q U E S T IO N .
L'Etat a-t-il été valablement assigné en la personne de il/, le préfet du
département ?
M. le préfet de la Seine oppose une Gn de non-recevoir à la de
mande de M M . de Rotrou et com pagnie; il a soutenu devant
les premiers juges que l’assignation aurait dû être donnée au pré
fet de police, in v e sti, par l’arrêté du l a messidor an 8 , d elà surh
�20
veillance et de la police de la navigation dans le département
de la Seine.
Cette fin de non-recevoir serait valable , si le préfet de polico
avait été in v e sti, par l’arrêté du 12 messidor ou par quelque
autre disposition des lois ou ordonnances , du droit de représen
ter FEtat en ju stic e ; mais il n’en est pas ainsi, et l’arrêté du la
messidor se borne à énumérer les attributions de police de ce
fonctionnaire, au nombre desquelles se trouve le droit de surveiller la rivière , les quais, berges, etc.
Au contraire, la loi des 28 octobre -5 novembre 1790 ( art.
i 3 , 14 et 15 du titre 5) et celle des 15-27 mars 1791 (art. 14)
déclarent formellement que les actions qui intéressent l’E tat
doivent être intentées ou soutenues au norn des procureurs gé
néraux syndics des départem ents, qui depuis ont été remplacés
par les préfets.
D ’un autre côté, la disposition de l’art. 69 du code de procé
dure civile , d’après laquelle les administrations publiques d oi
vent être assignées en leur bureau dans le lieu où réside le siège
de l’administration , ne doit être observée que dans le cas où les
demandes contre l’Etat intéressent spécialement une branche de
l’administration générale représentée par quelqu'une de ces admi
nistrations publiques.
O r, il n’existe point d’administration générale des fleuves et ri
vières navigables et flottables du royaum e. L ’Etat est propriétaire
de ces fleuves , et le roi en est lesuprême adm inistrateur. Dans lo
département de la Seine , comme dans les autres départements ,
les agents de la navigation ne sont que les délégués du r o i , ad
ministrant au nom de l’ Etat les fleuves et rivières navigables.
Ces agents 11e forment donc point une administration publique,
et la disposition précitée do l’art. 69 du code de procédure civile
�2 7
n’est point applicable à la demande de MM. de Rotrou et compa
gnie.
En un m ot, le préfet de police est un agent adm in istratif,
qui a tout pouvoir pour représenter l’E t a t , en ce qui concerne
la police administrative des fleuves et rivières navigables.
Le préfet du département est le représentant légal de l’E tat en
justice.
La fin de non-recevoir n’est pas sérieuse.
Délibéré à Paris, le 3 avril 1 838 , par les avocats à la C our de
cassation et à la Cour royale soussignés.
Ph. B E L A M Y ,
P IE T ,
M A N D A R O U X -V E R TA M Y ,
L IO U V IL L E .
« I
C^* /(X
¿LbyaJ»
imprimerie de giraudet et jouaust rue saint honore 315
�
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Title
A name given to the resource
Factums Godemel
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/files/factum-remarquables/BCU_Factums_G0301_0007.jpg
Description
An account of the resource
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Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. De Routrou, Michel. 1838?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Belamy
Piet
Mandaroux-Vertamy
Liouville
Subject
The topic of the resource
compétence de juridiction
responsabilité des agents administratifs
responsabilité de l'Etat
négligence
article 1384 du code civil
faute administrative
actions contre l’État
dommages et intérêts
bateau lavandière
conseil d’État
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire a consulter et consultation pour MM. Michel de Rotrou et compagnie, propriétaires des coches, contre M. le préfet de la seine, représentant de l’État.
Annotations manuscrites : « 18 mai 1838, arrêt confirmatif de la cour royal de Paris, 1er chambre sirey 1838-2-214 ».
Table Godemel : Etat. (nation).
1. L’état est-il responsable des dommages causés par ses agens dans l’exercice de leurs fonctions, lorsque le dommage provient d’une faute de leur part ?
2. L’action en dommages-intérêts intentée contre l’Etat est-elle de la compétence des tribunaux ou de celle de l’autorité administrative ?
lorsque le fait dommageable reproché aux agens administratifs ne peut être condamné ou justifié que comme contraire ou comme conforme aux règles d’une bonne administration, l’autorité administrative est-elle seule compétente pour statuer sur l’action en dommages intérêts intentée contre l’Etat ?
Lorsque le fait dommageable reproché aux agens administratifs a été prévu et puni par la loi, l’action en responsabilité civile dirigée contre l’Etat est-elle de la compétence exclusive des tribunaux, soit que l’autorité administrative ou que les tribunaux de répression ordinaire soient chargés d’appliquer la peine aux agens administratifs ? de plus, le jugement de la demande ne peut-il être arrêté que dans un seul cas ; c’est lorsque l’action publique contre les agens administratifs a été intentée avant ou pendant l’instance à fins civiles dirigée contre l’état ?
3. L’Etat est-il valablement assigné, sur la demande en dommages intérêts, en la personne du préfet du département ? Compétence. v. action possessoire.
7. l’action en dommages intérêts intentée contre l’Etat est-elle de la compétence des tribunaux ou de celle de l’autorité administrative ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Imprimerie de Cuiraudet et Jouaust (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa 1838
1837-1838
1830-1848 : Monarchie de Juillet
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
27 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G2804
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Charenton-le-Pont (94018)
Paris (75056)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
Relation
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actions contre l’État
article 1384 du code civil
bateau lavandière
compétence de juridiction
Conseil d’État
dommages et intérêts
faute administrative
négligence
responsabilité de l'Etat
responsabilité des agents administratifs