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O U V E R T U R E S
DE
CASSATION,
1*
POUR
F rançois
C H A LU S
et
. C l a u d in e
M A ZU EL
Prétendu homicide par fam ine.
A p r è s avoir langui long-tem s, la femme de Chalus
à perdu la vie : il fallait accuser la maladie et la n a
ture, et l’on a accusé le mari et la personne à qui il
avait confié le gouvernement de sa maison.
O n a inventé que des alimens avaient été refusés à
a malheureuse dont l’heure fatale venait de sonner
et la faim a été le couteau dont on a armé ses assassins.
Quelle a été la source de ces reproches si graves en
eux-mêmes , et si légèrement faits?
U n avide héritier n’avait pas ratifié la donation d'usu
fruit qui avait été faite à Chalus par s a f e m m e il a
voulu l’annuller.
-
Q uelques domestiques n 'av aien t pas pardonné à ClauA ,
�< o
dine M a z u e l, regardée par eux comme leur égale , l’au- torité qu’elle avait exercée sur eux; la jalousie a tenu
des propos, et les propos ont enfanté une accusation.
Des passions étaient en m ouvem ent; un texte avait
été fourni à leurs commentaires, lorsque , Clialus vou
lant assurer une récompense à Claudine M a z u e l, l ’inep
tie d’un notaire avait laissé ridiculement prendre à
l ’acte rénumératoire ,
mariage.
la
forme
d’un
contrat
de
On a expliqué la mort d’ une femme débile , à la
quelle on devait s’attendre , par un crime tellement
nouveau dans son atrocité , qu’ il avait échappé à la
prévoyance de la lo ij par un forfait répandu,pour ainsi
dire, sur on ne sait quel nombre ou de mois ou de jours ,
commis et renouvelle à tous les instans et se multipliant
parles heures et par les minutes.
Ce qu’avaient controuvé de petites passions, on a fini
par le répéter et par le croire : une prévention s’est
établie , qui a tenu lieu de conviction , qui a résisté à
toutes les preuves, d’autant plus inflexible qu’elle était
plus extraordinaire et plus contraire à toute vraisem
blance.
Enfin Chalus a été condamné à vingt ans de fers
et Claudine Mazuel â la m ort, résultat é t r a n g e d'une
accusation fantastique o ù , en supposant le crim e, ce
�(3 )
que la qualité d’époux y a jo u ta it, est oublié et la peine
est attenuée sur la tete la plus coupable.
Il faudra dérouler les feuilles de la procédure, pour
en manifester les vices j éplucher la déclaration des
jurés, pour en décéler l ’incertitude et l ’insuffisance}
•cçinparer le jugement à la lo i, pour en reconnaître
la déplorable inconsistance ; mais il importe de etter
d’abord sur l’accusation mêmejun’eoup-d’œil explorateur.
Telle est la nature de l ’aftaire, que la demande en
cassation ne peut être séparée des élémens qui en com
posent le fond , sans perdre beaucoup de son évidence
et de son energie.
Jeanne-Marie Authier femme Chai us , avait abusé
de la v i e , commis des excès et altéré son tempérainment.
Quand elle fit, le 3 ventôse an 6 , en faveur de son
m a r i, la disposition qui assurait à. ce dernier la jouis
sance de tous ses biens , déjà elle voyait le terme fatal
s’approcher pour elle.
Dès-lors elle sentait les atteintes de la maladie qui
devait la conduire au tombeau : bientôt à la perte des
forces du corps,s’ajouta celle des facultés intellectuelles,
et on la vit décheoir dans une effrayante progression.
On tint ce discours d’elle , à Martin-Gilbert Gomot
A 2
L e fo n d de
l'a ffa ir e .
�(4 )
l ’un des témoins dont les déclarations ont été écrites ,
que « c ’était une femme perdue, au physique comme
»-au m oral, et au moral comme au physique ».
Chalus appeîla en l ’an 8 , auprès de lu i, Claudine
Mazuel dont la famille n ’était pas étrangère à la sienne:
il la chargea, dans son m énage, des soins dont la maî
tresse de la maison n ’était plus capable. Les domestiques
s’etaient accoutumés à l’indépendance et au désordre
ils supportèrent impatiemment la supériorité de la nou
velle ven u e, et plus impatiemment la réforme.
Ils furent ses détracteurs quand elle régla la dépense
et mit fin au dégât ; e t , quand il fallut venir à les
congédier, ils devinrent ses ennemis déclarés.
Cependant l ’état de la malade allait empirant, avec ,
une affligeante rapidité.
»Son appétit dépravé repoussa les alimens auxquels
elle avait été a c c o u t u m é e . Elle ne prit que du pain ,
des racines, du la it , du fromage j elle mangea de la
terre et du plâtre j elle soutint opiniâtrément de
longues abstinences.
Son estomac cessa de faire ses fonctions. Les alimens
ne firent que passer dans un corps où tout ressort était
détendu , et p a r-to u t elle porta avec elle l ’ordure et
l ’infection.
Elle fut sujette à des défaillances dont les paroxisrnes
se rapprochèrent, et durant lesquelles sa bouche rendit
une sale écume.
�Plus rapidement encore elle perdit la mémoire et
1 in
telligence.
N e reconnaissant personne , elle allait disant piteuse
ment , j e n ’ a i rien , j e n ’ a i rien , à tous ceux qui se
présentaient à elle., et savait à peine proférer d’autres
mots.
Errant dans la cuisine, elle jettait des immondices
dans les vases où la nourriture de la maison était pré
parée.
U ne manie s’ empara d’elle, plus dangereuse pour ellemême et pour les autres 5 elle joua avec le feu^ empoi
gna ds-s tisons ardens, les porta sur ses habillemens et
dans ses poclies, et fit craindre l ’embràsement de la
maison.
'
Par respect pour son infortune, on supporta long-tems
le§ inconvéniens de sa situation et le spectacle rebutant
de sa maladie.
Il fallut bien se résoudre à la traiter d’ une autre ma
nière : on choisit une chambre vaste, bien placée , où
l ’air se renouvellait facilement , et on l’y déposa.
E lle cessa d’être libre et non d’être soignée. U ne jeune
servante fut chargée de ppurvoir à sa nourriture , et C lau
dine M azuel, de veiller à ce qu’elle fût tenue aussi pro
prement qu’il était possible.
Insen sible à
cette espèce de captivité , parce qu’elle
n’avait plus la faculté ni de sentir ni de comparer , elle
11e fit entendre aucune p l a i n t e .
/
�(6 )
On lui porta du p a in , du vin ? du lait et du fromage :
elle mangea comme auparavant, ne digéra pas mieux f
ne fut pas moins prompte à répandre l ’ordure sur elle et
autour d’elle»
Si l’on alluma du feu pour la réchauffer quand il fai
sait froid, on fut obligé de ne pas la quitter; car en se
brûlant elle-m êm e, elle aurait incendié la maison.
Elle était entrée dans cette chambre avec une lueur de
vie qui s’éteignit un mois après.
On peut dire q u e , long-tems imprudente et puis victiine,inalade de l’esprit e( du corps,privée d ’intelligence
' et de force, nulle pour elle*mêine et pénible pour les autres^et perdant , chaque jour , un lambeau de ce qui lui
restait d’existence j elle acheva enfin de mourir le 27
prairial an 9.
E l l e f ut sai si e p a r s a d e r n i è r e d é f a i l l a n c e ; e l l e v o m i t
sa dernière éc u m e.
Il
est reconnu, il a été déclaré par tous les témoins
qui ont é.é entendus, que Chalus n’avait cessé de s’oc
cuper affectueusement du sort de sa fem me, de lui
donner personnellement des soins et de la recomman
der à ceux de ses domestiques.
On voit .»ussi qu’ une jeune servante était chargée de
portera la captive ses alimens, et l ’on ne dit pas qu’elle
ail manqué à ce devoir.
\
�‘
7 ^
Aucun soin ne peut prévenir un assassinat ou
empoisonnement ; un instant y suffit : la fairn , au
contraire, est un moyen lent dont le moindre secours
interrompt l’action et prévient l’effet et, s*il est vrai ,
comme les témoins l ’ont dit f que Chalus ait souvent
porté à sa femme le pain , le fromage et le vin de son
déjeûner ^ oxi peut hardiment nier que la faim ait été
la cause de sa mort.
E t il est Lien plus certain que la mort a eu une
autre cfiuse que la faim } si la jeune servante a , même
avec n égligence, accompli son service.
Pourquoi donc Chalus et Claudine Mazuel avaientils donné à l ’acté passé entre eux , le 8 g erm in al, la
forme d’ un contrat de mariage? Ce fait extrêmement
singulier ne peut être expliqué que par la simplicité
d';s deux parties et l ’ignorance grossière du notaire.
Si un projet de mariage avait été lié à celui d ’ un
meurtre , il est évident que celui-là aurait été différé.
Outre qu’ il n’y aurait eu aucnn intérêt de commencer
par la , quelque stupide que l ’on fût , il ¿toit impossi
ble de ne pas voir que, dans cette inutile précipitation >
on fournirait une preuve du crime concerté.
Ce ridicule contrat de mariage est presque un moven
justificatif j il est incompatible
l ’homicide.
avec le complot de
Claudine Mazuel avait passé un an dans la maison
�(
8
)
de Clialus et parmi les peines et les dégoûts : elle n ’v
était pas salariée , et pourtant il était naturel qu’ une
récompense lui fût assurée.
U n e donation que Chalus avait faite à' son frère le
gênait 5 ce fut sa pensée que la forme du contrat de
mariage levait cet obstacle et l ’on prit cette forme.
C ’est ainsi que les parties ont uniformément rendu raison
de ce qu’elles avaient fait.
C ’était une bévue sans doute ; mais elle pouvdit fort
bien entrer dans la tête d ’un ci-devant gentilhomme de
campague et d’une paysanne de vingt-cinq ans.
Il n ’est pas clair qu’elle ne soit pas entrée dans celle
du Notaire qui fit l'acte j et, après tout, elle n ’était pas
plus grossière que celle de constater le dessein d’ un se
cond m ariage,lorsqu’on aurait complotté la dissolution
du premier par un meurtre.
Quand le Notaire a été interrogé
l ’ébruitement de
l ’affaire et ce qu’il en avait entendu dire l ’avaient aver
ti de sa lourde sottise , et il a dit q u’il avait cru les
parties également libres j mais avouant que Chalus était
connu de l u i , comment ne savait-il pas qu’il avait une
femme ? Mais avouant qu’ il ne connaissait pas Claudine
Mazuel , comment prêtait-il son ministère à un acte de
cette importance,, sans prendre aucune information
Il y a une bon-homrnic qui est presque la caution
dç la vérité , dans ce qu’en a déclaré Chalus à son pre
mier
�mier interrogatoire , » qu’il avait dit à cette dernière
» (Claudine M azu el) qu’il voulait lui reconnaître quel» que chose pour la, dédommager de ses peines ; m us
» qu’il ne savait comment s’y prendre , ayant donné a
» son frere tous les biens dont il mourrait vôtu et saisi j
» qu’ alors ladite Mazuel lui dit qu’il pourrait lui recon» naître quelque chose par contrat de mariage...... Qu’ il
» observa.au Notaire que son épouse n’ était pas morte j
» mais qu’elle était dans line si déplorable situation y
» qu’ elle pouvait être considérée comme telle ; qu’à
» cette observation le Notaire rêva un in s ta n t } et puis
» dit au répondant que cela n’ y faisait rien. «
'V o ilà l’incident tout entier de ce contrat de maringe.
I l fut écrit le 8 germinal, et ce fut le 28 floréal que
Clialus fit conduire sa femme dans la chambre où l’on
fut enfin forcé de la retenir et où elle vécut encore un
mois.
Il est cruel d’avoir à faire des calculs de cette nature j
il faut pourtant le remarquer ; dans le plan d’ un crim e,
une telle convention de mariage aurait été trop p r é c o c e ,
ou bien la catastrophe t r op differée.
On avait t e n u d e s d i s c o u r s d ’ a p r è s les domestiques
mécontentés et congédias ; quand,Chalus laissant sa fem
me
errante
dans sa mai on , elle vivait de pommes de
terre , de pain et de fromage 5 quand, retenue dans une
chambre , elle n’y avait p a s d ’auties alimens; quand on
B
�( 10 )
l ’avait entendu répéter , presque pour toute conversa
tion , ces mots qui entraient dans sa manie , j e n ’ a i r ie n ,
j e n ’ a i rien ; ces discours se renouvellerent quand la ma
lade eut fermé les yeux : ce fut un torrent que rien ne con
tint et qui entraîna la crédulité publique , toujours d’au
tant plus facile que les choses le sont moins.
. Tout le monde savait que cette femme infortunée avait
été accablée de symptômes graves et croissans journel
lement en fréquence et en intensité j il était naturel de
voir , dans ce déclin gradu el, la cause de son trépas j la
multitude aima mieux , l'expliquant par un crime f ima
giner ce qui était affreux, mais extraordinaire , que de
rechercher ce qui était v r a i , mais simple.
U n e lettre du maire de Pontaumur informa le juge de
paix de cette mort et de la rumeur dont elle était le sujet,
et le juge de paix assisté de son greffier qui joua depuis
dans cette affaire un autre rôle et de ses assesseurs qui
n'en devaient jouer aucun , alla reconnaître le cadavre
le 28 prairial lendemain de la mort.
Deux chirurgiens procèdent à Couverture et à la véri
fication et ne décident rien. Réunis le 29 avec trois au- 1
très , ils remarquent clans l'œSophage f l’estomac et le
duodœnum, quelques signes d'inflammation ; dans l'es
tomac en particulier l’absence de la tunique veloutée;
dans l e s intestins sept à huit corps de matière argilleusc
�C 1* )
et pierreuse j à cela près v a cu ité totale (c'est leur ex
pression) et , d’ailleurs , tout dans son état naturel.
C
rs
corps argilleuxet pierreux
trouvés
dans les intes
tins , prouvaient cette inanie qu’elle avait eue , de man
ger de la terre et du plâtre.
Cette va cu ité totale pouvait être lV ffet du relâche
ment extrême dont sa continuelle malpropreté avait été
l'indice. Les chirurgiens déposeront depuis avoir apperçu quelques restes de fromage et de beurre, et l'un
d'eux avoir vu dans le rectum, un morceau entier de fro
mage et la v a cu ité totale était un symptôme d'autant
plus équivoque.
*
Cette inflammation des viscères , effet commun de
plusieurs causes , ne dénotait rien par elle-même.
Enfin cette absence de la tunique veloutée, imputée
par eux à la matière argilleuse et pierreuse trouvée dans
les intestins, ainsi expliquée , prouvait seulement que
la défunte avait avalé cette même matière, dont la pré
sence le prouvait encore mieux.
Dans tout cela, la v a cu ité exceptée, qui n’était pas
totale , puisque l’on avait reconnu quelques restes de
fromage et de beurre, i! n’ y avait rien qui dût faire
soupçonner l’action de la faim.
A u moins les chirurgiens n'expliquèrent pas comment
les auties signes par eux énumérés,, concouraient à en
produire le soupçon.
B a
�( 12 )
Et pourtant ils ôtaient appelés , non pas pour d o n n e r
une décision dogmatique sur les causes de la mort ; mais
pour déduire les raisoiis de croire à certaine cause plu
tôt qu’à certaine autre.
En lisant la description imparfaite qui constitue tout
leur rapport, on n’apprend rien. Ils n’allèguent ni prin
cipes ni expérience , la rumeur est leur guide ; ils o n t
entendu crier dans le pays , que l ’on a fait mourir de
faim la femme de Chalus, et ils déclarent que la femme
de Chalus est morte de faim.
Pourquoi n ’ont-ils pris aucune information ? Ils au
raient appris qu’ une longue maladie avait tourmenté la
malheureuse femme dont ils visitaient les restes j qu’elle
avait perdu la santé dans l ’inconduite et dans l ’intempé- *
rance j qu’elle avait été, d ’esprit et de corps, la proie
d ’ une décrépitude prématurée j et tout cela les eût éclai"
rés sur les phénomènes observés par eux.
I ls
auraient
syncopes , elle
appris q u e , sujelte depuis long-tems à des
vomissait dans leurs accès, de l ’écume,
et que sa mort s’était confondue avec un accident du
même genre, signalé par les mêmes symptômes} et peutêtre eussent-ils été amenés à confesser un appauvrisse
ment su ccessf, annonçant ses progrès par cres pâmoi
sons subites et a yan t, dans la dernière, son période
extrême.
G’est ainsi qu’ un rapport de chirurgien
aurait été
�( i3 ")
utile à la manifestation de la vérité ; mais quand ceux
qui ont été appelés, font une opération purement ma
nuelle , ne discutent rien et prononcent d’après un
bruit populaire, il n’y a point de rapport, il n’y a que
le vain et insignifiant récit d’ une inutile décTiiqueture.
On fit comparaître des témoins, tant alors que
depuis, devant le juge de paix, devant le directeur du
jury et devant le tribunal criminel : leurs déclarations
peuvent être rangées dans trois classes.
Il y a d’abord celles des domestiques et habitués de
la maison que le gouvernement de Claudine Mazuel avait mécontentés et qui furent expulsés par elle ou
d’après ses conseils ; ils la chargent de tout leur pou
vo ir, et pourtant tout se réduit aux reproches d’avoir
manqué aux égards et au respect qu’ elle devait à la
défunte, d’avoir engagé Chalus à l ’exclure de sa table
et ensuite à la renfermer dans une chambre , d’avoir
repoussé les personnes qui voulaient la visiter; e t , sur
le refus des alimens , rien que ce discours habituel de la
malade, j e n?ai rien , j e n’ a i rien , et la vague alléga
tion de la mort causée par la faim.
Ensuite il y a les déclarations des personnes qui avaient
donné plus ou moins de confiance à la censure p o p u
laire dont Claudine M azuel avait été l’objet soit a v an t,
soit après la mort de la femme C halus. Celles-ci prouvent
l ’existence d’ une rum eur dont la source était probable-
�( i4 )
menl dans les détractions des domestiques expulsés j
c’est la rumeur elle-même ) mais seulement la rumeur
juridiquement constatée.
On distingue enfin la déclaration des témoins qui, ne
cédant à aucune passion et connoissant le bruit popu
laire sans être entraînés , ont articulé des faits précis, et
affirmé ce qu’ils avaient vu.
C ’est dans cette dernière espèce de déclarations q u e ,
remontant à quelques années et descendant jusqu’au
jour du trépas de la femme Chalus , on trouve le tableau
de sa vie et les causes qui en précipitèrent la fin.
On y apprend comment cette femme éprouva et détrui
sit son tempérament, devint insensée et malade et, de
chute en chûte^ arriva au point extrême de la démence et
do la caducité et aux symptômes déplorables de ce der
nier mois durant lequel, il fut nécessaire de la confiner
dans une chambre.
encore l ’histoire des soins dont elle fut l ’ob
jet. On la voit recommandée par son m ari, mangeant
L à est
à sa table tant que l ’infeçtion qu’elle porte après elle
est supportable,
patiemment épiée lorsqu’elle a la
double manie de couvrir d’immondices la nourriture
des autres, et elle-même de feu , conduite dans une
chambre quand sa liberté est devenue trop rebutante
et t r o p dangereuse, pourvue^ quant aux aliniens, par
une domestique, et, quant à l’habillement, par une autre,
�( iS )
et enfin mourant parce qu’elle n’ était pas immortelle,
non surprenante en ce qu’elle expire alors , mais en ce
qu’elle a traîné si long-tems une si misérable existence.
Ces détails sont l ’extrait fidèle de tous les témoi
gnages qui ont été écrits.
Quand on a tout lu avec attention et avec c a lm e , on
se demande si, destinée à mourir de faim , la femme
Clialus aurait été placée dans une cliambre à deux fe
n êtres, d’où ses plaintes pouvaient se faire entendre audeliors et qui auraient ouvert une issue à. son dé
sespoir.
On se demande si Claudine M a z u e l, ayant résolu cet
homicide barbare , aurait permis qu’ une autre qu’ elle
fût chargée de porter à la prisonnière le pain f le vin et le
fromage dont elle était nourrie.
On se demande si Clialus , complice d’ un affreux com
plot, n’aurait pas pris d’autres mesures pour se dérober à
tous les regards ou s i , attentif à prescrire les soins né
cessaires a sa femme, il n’aurait pas été informé de
1 inexécution de ses ordres.
On se demande si les alimens apportés à la malade
par son mari et par la jeune fille qui en avait l’e m p lo i,
pouvaient lui être enlevés assez promptement par d’au
tres mains et si la pins mince quantité
suffi pour l’empêcher'de mourir de faim.
n’aurait pas
�( 16 )
On se demande s’il se peut que la mort de la femme
Clialus ait été tramée, préparée et causée par ce pro
cédé lent de la faim , sans que non-seulement Chalus
et Claudine Mazuel aient été d ’accord j niais encore
que les deux autres filles qui étaient au service du pre
mier j mais encore que le domestique, ou les domestiques
mâles j mais encore que toutes les personnes qui fré
quentaient la maison aient été complices du crime sans
cesse présent, sans cesse commis , qui n ’aurait pas excité les cris de leur indignation.
O n se demande enfin si le terme naturel d’ une lan
gueur prolongée n’est pas la mort,' et s’il est permis
d ’attribuer à une cause extraordinaire , ce qui a dans
soi-même, son explication.
Toutes ces considérations ont été omises dans la
poursuite dirigée contre Chalus et contre Claudine M a
zuel , et dans le jugement qui les a condamnés : c’est
justement à ce qui était extraordinaire, difficile,impos
sible à co n c e v o ir, qu’ une inconcevable persuasion s’est
aheurtée.
L’accusation.
On form a, le 7 thermidor, la liste d’ un juré spé
cial d’accusation , et Bois , greffier de la justice de paix
de Pontaumur , compris dans cette liste , ne s’excusa
pas : on ne vit pas qu’après avoir pris part , comme
officier,, aux premiers actes de l’instruction , il ne pou
vait
_
�(
17
)
^
-
vait intervenir comme juré dan s l ’exament de 1 ac
cusation.
En lisant l ’acte d’ accusation , on voit la mort préten
due violente de la femme Cholus,en être le m otif uni
que et, depuis, quand la loi le défendait , on ajouta un
prétendu fait de bigamie et une prétendue atteinte a
l ’honnêteté publique.
Bientôt on prépare le jugement défin itif: un premier
tableau de jurés est annullé ; m ais, dans le tableau
nouveau, se trouvent les noms de deux hommes qui
n ’avaient été compris ni dans, la liste des jurés spé
ciaux, ni même dans la liste commune des jurés.
On remplace deux jurés actifs par deux hommes sans
caractère , et l’on remplace un juré adjoint par un
li'Mniue inscrit sur la liste des jurés spéciaux; comme
si la primauté n’avait pas été due au tableau des jurés
actifs.
Ensuite a une première liste de témoins , une se
conde est substituée: des témoins sont retranchés ; un
témoin est ajouté.
Arrive le moment critique où le jury doit s’expli
quer ; il est interrogé sur deux chefs , et il n 'y avait
qu’ un chef d’accusation.
v
U n e tentative de bigamie est niée, ce qui a rapport La .léchn«™
à cet acte réaiunurutoire que Chalus avait fujt Sm
(î" J,lr«
«le-jugement,
c
�( i8 )
la forme d’ un contrat demariage • mais les<jurés affir- .
ment qu’il y a eu action déslionnête et attentat publi
quement fait aux bonnes mœurs.
C ’est ensuite sur un plan et dans des termes singuliers
qu’est établie la déclaration du ju r y , relative à la mort
de la femme Clialus.
Il est constant
9 fait-on dire aux jurés , que cette
femme fut quelquefois maltraitée j
Qu’elle fut enfermée dans une chambre j
Que cette mesure ne fut pas commandée par la né
cessité j
Que Chalus et Marguerite Mazuel ont pris part à
cette mesure j
Que la femme ,Chalus est décédée peu de tems après
dans cette chambre j
«
Q u’ elle n’ est pas décédée de mort naturelle j
Que cette mort est due à une privation d ’ alim ens j
Que cette privation ne fut pas volontaire j
Q u ’elle fut l ’ effe t de manoeuvres étrangères à la
fe m m e Chalus ;
Que François Chalus est convaincu d'avoir concouru
à cette p rivation d 'a lim en s ;
Qu’il y a concouru sciem m ent ;
�0 9 )
Qu'il n 'y a pas concouru avec préméditation j
Que Claudine Mazuel est convaincue d 'avoir concouiu
à cette privation (Valimens ;
Qu’elle y a concouru sciem m ent ;
Qu'elle y a concouru avec prém éditation.
Enfin le tribunal prononce : Clialus est condamné à
la peine de vingt années de fers pour avoir concouru,
sciem m ent et sans prém éditation à la privation d’alimens à laquelle est due la inort de sa fem m e, en vertu
de l’art. 8. sect. 1. tit. 2. part. 2. du code p é n a l, suivant
lequel » l'homicide commis sans préméditation est puni
» ainsi. «
Et Claudine Mazuel est condamnée à la peine de mort
pour avoir concouru à cette privation d'alimens scient*
nient et avec prém éditation , en vertu de l'art. 1 1 por
tant que » l’ homicide commis avec préméditation sera
» qualifie d’assassinat et puni de mort «
Quelle obscurité et quelle indétermination là où la
loi desire tant de précision et tant de clarté !
U ne femme q u e l q u e f o i s maltraitée , enfermée dans
une chambre, par une mesure sans nécessité, à laquelle
on a pris p a r t , décédée dans cette chambre d’ une mort
non naturelle due h une privation d ’alimens non vo
lontaire , effet de manœuvres ; des accusés qui ont co n
couru à cette privation d’alimens , qui y ont concouru
sciemment l'un avec, l'autre sans préméditation !
C 2
I
�( 20 )
Il n 'y a pas un m o t dans cet entortillement qui ne soit
la matière d'un doute et d'un commentaire. Q u ’ e s t - c e
que prendre p a r t à une mesure ? Comment la m o r t
est-elle due à une privation d'aliinens ? Q u ’ e n t e n d - o n
par ces manœuvres dont la privation d’alimens a e t e
l ’effet? Que signifie le mot cojicourir , appliqué à une
privation d’alimens? D e quelle manière Chai us et C lau
dine Mazuel y ont-ils concouru , etc. etc. etc. ?
Et c’est ensuite de cette déclaration vague , quand il
reste tant de sujets de d o u te, et d’après des i n c u l p a
tions qui ne sont pas définies , qu’ un Tribunal r é s o u t
une condamnation à vingt ans de fers et une condam
nation à la mort !
Après avoir tracé ce tableau des faits , de l'instruc
tion , de la p r o c é d u r e , de l ’examen et du j n g e m e n t ,
on est p r e s q u e tenté de s’arrêter là e t, sans discussion ?
de livrer cet incohérent assemblage à la justice et à la
raison des Magistrats qui doivent juger la demande en
cassation.
Pour faire annuller et cette procédure et ce
ju gem en t,
fout-il autre chose que les exposer à nud dans
le u r
pro
pre défectuosité ?
L e s 011 vet lurps
(Je cassation.
C ’est en les renfermant dans le cercle d’ une démons-
�( 21 )
tration abrégée, que l ’ on va indiquer les ouvertures qui
doivent assurer le succès de la demande en cassation.
et
Il faut distinguer la procédure >la déclaration du Jury
le j u g e m e n t e t les vices qui leur s o n t r e s p e c t i v e m e n t
propres.
D e nombreux reproches pourraient être adressés à la La procédure,
procédure ; on ne dira pas tout.
Il y a sur les procès-verbaux du 28 et du 29 prairial
qui en sont la pièce fondamentale , cette premiere re
marque à faire , que des officiers sans compétence y ont
concouru. L e juge-de-paix à qui la loi donnait isolément
le titre d’officier de police ( loi de brumaire an 4 , art.
21 et s u iv .— loi du 7 pluviôse an 9 , art. 4 . ) , le juge-depaix s’ y fit assister de ses assesseurs, adjoints nécessaires
de ses fonctions civiles, étrangers à ses fonctions de po
lice ; et leur présence hétérogène priva ces actes de tout
caractère légal.
a dit q u e ces p r o c è s - v e r b a u x f u r e n t la p i è c e fon
damentale de la p r o c é d u r e . La l o i ne v e u t - e l l e p a s en
effet que » lorsqu’il a été commis un délit dont l’existence
» peut être constatée par un procès-verbal } le juge-deOn
» paix se transporte sur les lieux pour y décrire en détail
» le corps du délit ? «
Telle était la nature du fait , qu’il exigeait le trans\
. •
�'.( aa )
'
port et le procès-verbal ; et si l’acte est n u l, il ne reste
rien de la poursuite dont il fut le principe.
Si les procès-verbaux sont le fondement de la procé
dure, la déclaration affirmative du jury d ’accusation
est la base de toute poursuite déterminée devant le tri
bunal criminel.
Celle que l’on fit donner contre Clialus et contre C lau
dine M azu el, fut rendue défectueuse par la participa
tio n , en qualité de ju r é , du greffier de la justice de
paix de Pontaumur.
Il avait écrit et dû écrire les procès-verbaux du 28 et
du 29 prairial : le premier de ces actes faisait mention de
sa présence et de sa signature j il était terminé par ceg
mots , « et avons signé avec notre secrétaire-greffier. »
O n trouve établie, dans la loi, une incompatibilité pré
cise entre le titre de juge et les fonctions de juré ( loi de
brumaire, art. 484)5 et elle garde le silence à l ’égard du
titre de greffier.
Il s’ensuit qu’absolum ent, un greffier n ’est pas inca
pable j mais il est contre la nature des choses que dans la
même affaire il soit juré, étant ou ayant été greffier. Les
fonctions publiques ont été départies séparément et
une telle confusion n’y peut être reçue.
�(
*3 )
On voit que les accusés furent présentes deux fois au
débat» U ne liste de témoins leur avait été signifiée le
18 fructidor. On leur en signifia une nouvelle le 9 ven
démiaire , où les mêmes témoins ne furent pas tous com
pris , et ensuite on produit au débat un témoin dont le
nom n’ y avait pas été. Contravention à. laloidebrum airej
art. 346.
,
Quand il s’agit de former le tableau du jury de ju
gement, on y inscrit en remplacement de deux jurés qui
t
manquent, deux hommes qui n’ étaient n i sur la liste
spéciale , ni sur la liste com m une, et l’on remplace un
juré adjoint par un homme appartenant à la liste. Con
travention à l’art. 5 i 8 d e là loi de brumaire an 4 , e$ à
la loi du 6 germinal an 8, art. 4 et 5.
V oilà ce qui regarde la procédure.
Il faut passer maintenant à la déclaration du juré
de jugement.
On remarque d’ abord que l’acte d’accusation avait
eu pour objet un seul d élit, celui que l’on supposait
avoir eu pour eifet la mort de la femme Clialus , et il
fallait s’arrêter là; car, selon la lo i, les jurés ne peu
vent prononcer sur d’autres délits que ceux qui sont
portés dans l’acte d’accusation. ( L o i de brumaire
046.)
\
art
Déclaration
du J u ry .
�( H )
On se fait une autre règle : les jurés sont interro
gés, et s’expliquent en premier lieu sur le fuit de ce
ridicule contrat que le notaire Chevalier avait écrit
entre elles.
Dirait-on que la loi ne prononce pas la nullité de la
déclaration où les bornes de l’acte d’accusation sont
ainsi franchies? La nullité est de droit quand on a fait ce
qui était interdit expressément.
Dirait-on que cette partie de la déclaration n’a donné
lieu à l’application d’aucune peine, et qu’il n’y a point
d ’intérêt de s’en plaindre? Il y a toujours un intérêt de
demander que des actes non conformes à la loi ne soient
pas entretenus, et puis n ’y a-t-il pas lieu de soupçonner
que si l’attention des jurés n ’avait pas été partagée, ils
auraient mieux examiné le ch e f d’accusation qui devait
véritablement les occuper ?
,
Relativement à ce ch e f d’accusation, toutes les règles
ont été blessées dans la déclaration des jurés : tout ce
q u ’ il
y fallait essentiellement faire entrer y a été om is,
tout ce qu’il importait d ’éviter y a été employé.
Où est,dans l’ordre tracé pour cette déclaration par le
tribunal, la première question tendant essentielIement
« à savoir si le fait qui forme l’objet de l’accusation
» est constant? (L o i de brumaire , art. 374 ) ”
Pour qu’il y eût un d élit, il fallait, selon le thème de
l ’accusation *
�( 25 )
l’accusation, que la mort cle la femme Chalus fût arri
vée par l ’effet de la faim , des alimens lui étant refu.
ses , et des obstacles étant rnis à ce qu’ elle en reçût.
G’ est à cette définition du délit qee la premiere ques
tion devait répondre.
Que la femme Clialus eÆt été quelquefois maltraitéej
qu’elle eût été enfermée dans une chambre ; qu’ elle fût
morte dans cette chambre ; que sa mort eût été l’effet
d’ une privation d ’ a lin ien s; tout cela pouvait ê tr e ,
sans qu’il y eût un délit, et n ’était par conséquent pas
le fait formant l’oî jet de l ’accusation.
Il est fiit mention ensuite de manœuvres étrangè
res à la Ja n in e ( halus , dont cette privation d }alim ens
fut l’effet ; et c’est dans ces manœuvres que le délit a
dû consister , et que doit être le f a i t qui J'orine l ’ objet
de Vaccusation ; mais quelle idée les jurés ont-ils atta
chée à ces expressions?
Proprement le mot manœuvre signifie l ’attirail d’ un
vaisseau ou l’ action de son équipage et encore le m ou
vement d’ une armée : on l’emploie, au figuré, pour
exprimer des procédés et des moyens appliqués à de
certains desseins ou la conduite qui a été tenue pour
arriver à un certain but j et alors il est vague et par
conséquent équivoque P abstrait
et
par conséquent
obscur.
D
�( *6 )
Il ne convient à des jurés ni de parler au figuré ni de
faire des déclarations abstruses ou énigmatiques. Les
questions qui leur sont faites doivent, comme leurs ré
ponses , se réduire aux termes les plus simples , les plus
facilement intelligibles. Si leur pensée a besoin de tra
vail pour comprendre ce qu’ils ont à vérifier, s’il faut
ensuite que l’on étudie ce qu’ils ont déclaré, ce ne sont
plus des hommes d’entre le peuple appelés pour recevoir
une impression et la manifester $ ce sont des juges char
gés de discuter et les arguties prennent la place de la
conviction«
Quelle est la grande attention de la loi lorsqu’elle règle
la marche de l ’examen par jurés? N ’est-ce pas de faire
en sorte que les résultats soient exempts de toute combi
naison ? Pourquoi distingue-t-elle les questions sur le
f a i t , sur ses auteurs , sur sa m oralité , sur la gravité du
d é lit, sur ses circonstances, sur l’intention qui y fut
apportée, sur les excuses des accusés ( d it art. 3 7 4 ) , si
ce n'est afin que les jurés , à chaque fois qu’on les inter
roge , n ’aient à percevoir qu'un point sim p le, facile à
saisir, et sur lequel il y ait dans l ’affirmation ou la ne
gation , une explication suffisante et pleine ?
!N’est-ce pas encore dans le même objet , que la loi
défend
( art.
les questions
et les déclarations
complexes
3 77 ) ?
Faire consister un délit ou le fait qui fo r m e Vobjet
�( 27 )
d ’ une accusation dans des ‘manœuvres ^c’estne pas fane
aboutir l’examen à ce résultat simple et exempt de corn
lunaison que la loi désire, et contrevenir à ^institution
. des jurés dans son essence. Sur une telle interrogation ,
affirmer ou nier né suffit p a s pour qu’il y ait une expli
cation pleine.
Il reste à Savoir quelles ont été ces manœuvres , quel
rapport elles ont eu avec l ’effet qui a été produit , et
comment elles ontcontracté la nature du délit.
On voit b ie n , pour terminer la discussion de ce pre
mier p o in t, qu’ en énonçant ces manœuvres , dont la
privatiàn d'alim ens fut l’ effet pour là femme Chalus ,
le tribunal a eu la volonté de provoquer, et les jurés
celle de donner une déclaration sur un f a i t f o r m a n t
l’ objet de Vaccusation j mais on eàt forcé en même tems
de reconnaître que cette volonté n’ a pas été accomplie.
Et il- s’ ensuit qu’ il y a eu contravention à. la loi qui
prescrivait une première question, tendant essentiellement a savoir si le fait qui formait l’objet de l ’ accusatioilj était constant ou non.
Selon la méthode de la l o i , la seconde question et la
seconde déclaration devaient avoir lieu sur la conviction
des accusés : avaient-ils commis le délit ou y avaient-ils
coopéré ? voilà ce qu’il y avait à éclaircir. Et l’on a
�\
( *8 ) •
■
continué d’être hérissé d’ambiguité et enveloppé de
ténèbres.
'
Après dénonciation de cette espèce de fait principal
que la femme Chalus fut enfermée dans une c h a m b r e ,
l ’ un» et l’autre accusé est déclaré convaincu d’avoir
p r is p a r t à cette mesure.
Après l ’énonciation de l'autre fait principal des
manœuvres étrangères à la fem m e Chalus d o n t l ’ e f f e t
fut la privation cValimens , l ’ un et l ’autre accusé est
encore déclare convaincu d ’ avoir concouru à cette p r ivation d ’ a lim e n s.
P ren d re p a r t ou
co n co u rir ,
c ’est ,
à
quelques
nuances p r è s, la même chose j mais ces mots , em
ployés ab solum en t, expriment encore des abstractions
qui ont besoin d'être déterminées. Il n ’y a rien de pré
cis jusqu’à ce qu’il soit dit comment il a été p ris p a rt
et comment il a été concouru.
I l se peut que,, sans être coupable } l ’on ait p r is p a r t
ou concouru au fait qui constitue le plus grand crim e,
par des procédés éloignés qui viennent accidentelle
ment s’y rattacher.
Celui qui a retenu violemment un v o y a g e u r, afin
que l ’assassin l’atteignît et le frappât ; a p ris p a r t ,
a concouru au fait du d é l i t , et il est coupable : c e l u i
qui a arrêté le voyageur par quelque acte fortuit sc
�( a9 ) .
trouve fatalement avoir pi'is p a r t , avoir concouru au
fait j et il est innocent.
Il y a cela de remarquable que la privation d ’a limens dans laquelle on place la cause de la mort , est
attribuée à des m anœ uvres, et que ce n ’ est pas à ces
manœuvres que les accusés sont déclarés convaincus
d’avoir concouru ; et l’on sait que l’ action la plus in
nocente peut se trouver en concours avec la plus cri
minelle.
A i n s i , la seconde question prescrite par la loi,m an
que comme la première. On ne v o i t , aucun fait cons
tant dont les accusés aient pu être reconnus les auteurs j
mais sur-tout les accusés ne sont déclarés convaincus
d’avoir commis aucune action déterminée , ni d’avoir
coopéré à aucun fait précis , par aucun procédé défini.
I l y a donc encore contravention à la loi d’après la
quelle une seconde question devait être posée , ten
dante a savoir si les accusés étaient convaincus d’avoir
commis le délit ou d’ y avoir coopéré.
V oilà la déclaration du juré d e j u g e m e n t destituée de
ses deux élémens essentiels ; la, loi n’a pas été mieux
accomplie dans les détails.
Il a été reconnu que la femme C h alu s fut enfermée
dans une chambre , et les jurés ont dit ensuite que
�( 3° )
cette mesure ne fut pas commandée par une indispen
s a b l e nécessité. L a défense des accusés avait consi&té à
objecter l’état d’infection et d’imbécillité de la malade
et son habitude dangereuse de jouer avec le feu. Pour
quoi ces représentations n ’ont-elles été la matière d ’au
cunes questions ? L rs jurés n’auraient pu nier ni l’in
fection , ni l ’im bécillité, ni la risquable habitude; e t ,
d ’après ces circonstances reconnues , qui auraient dû
être considérées en premier lieu comme plus favórables
aux accusés ( dit art. 3 7 4 ) , les jurés auraient été
moins positifs sur la nécessité de la mesure.
Ceci appartenait à la moralité du fait et se trouvait
dans la cause et l ’omission fut une contravention à la
loi qui voulait qu’après les questions principales , on
f î t aux jurés celles « qui , sur la moralité du f a i t , ré» sultaient de l’acte d’accusation , de la défense des
» accusés et du débat , en commençant par les plus
» favorables aux accusés, ( d it art. 374. )
D e même sous le rapport du fait prétendu de la p r i
v a tio n d ’a lim e n s, il avait été allégué, pour la défense
des accusés , que la femme Chalus était parvenue à un
tel point d ’appauvrissement, que son estomac recevait
et renvoyait la nourriture sans la digérer ; que souvent,
par caprice ou par dégoût, elle s’était abstenue de man
ger; qu’elle avait cessé de vouloir d’autres alimens que
du p a i n , du l a i t , du fromage et du v i n ; que tout
�(
3i )
cela lui était porté journellement en plus ou moins
grande quantité; que les recommandations de son mari
étaient à cet égard aussi fréquentes qu’affectueuses ;
qu'une domestique avait été particulièrement chargée
de ce soin , et que le mari le remplissait souvent luimême.
Si l’on avait mis les jurés à portée de s’expliquer su®
ces particularités , après les avoir vérifiées dans les élémens du débat, il eût été difficile qu’ils attribuassent
la mort de cette femme à cette privation d’alimens , à
laquelle leur déclaration s’arrêta si absolument.
D e même encore,, les accusés avaient invité les juges
et les jurés à considérer les syncopes dont la femme:
Chalus avait été travaillée à différens intervalles , longtems avant l’époque où elle fut enfermée dans une
chambre i dans lesquelles , parmi d’autres symptômçs
semblables , elle avait vomi de l’écume comme dans la
pâmoison , qui s’était confondue avec sa mort ; et si
les jurés avaient été avertis par une question positive
de l’attention que méritait cette conformité d’attaques
xnultipliees , ils auraient été moins légers A caractériser
cette mort et ses causes.
C ’est parce qu’il n’y a point de délit là où il n’ y a
point d’intention de mal faire , que la loi a exigé
l’examen et la définition de ce qu’elje appelle la mo*
�( 32 )
r a lité du fait. Les jurés doivent être interrogés sur
l ’intention dans laquelle les accusés ont agi : la néces
sité de cette question fut dans l ’esprit de la loi de bru
maire ( dit art. 374 ) ; elle avait été littéralement
établie dans la loi du 14 vendémiaire an 3 .
On ne trouve dans la déclaration donnée contre Cha
lus et contre Claudine Mazuel f aucune explication sur
l ’intention qu’ils apportèrent dans leur conduite à l ’égard
de la femme Chalus.
A la vérité , les jurés ont dit que les accusés avaient
concouru sciem m ent à la privation d’alimens imposée
à cette femme , et même que Claudine Mazuel y avait
concouru avec prém éditation y mais pour avoir su ce
que l ’on faisait et pour l ’avoir prémédité , on n ’a pas
nécessairement eu la pensée qu’on commettait un
crime.
Si jamais une déclaration relative à l ’intention des
accusés dût être désirée, ce fut dans l ’affaire de Chalus
et de Claudine Mazuel. Aucun fait n ’y était articulé
dont la nature ne fût équivoque.
Même en reconnaissant.qu’il n’avait pas été indispensablement nécessaire de renfermer la femme Chalus
dans une chambre , on pouvait découvrir que les accu
sés , croyant à cette nécessité f s’étaient mépris et
n ’avaient été guidés par aucune pensée criminelle.
M êm e en reconnaissant que la privation d ’ alim cns
avait
�( 33 ) }' “
avait causé la m ort, on pouvait saisir, dans les circons
tances , des raisons de cro ire , si les accusés y avaient
concouru, qu’ ils ne s’étaient pas attendu au résultat
d’une privation qu’ on n’affirmait pas avoir été totale.
En un m o t , la loi voulait que l’on posât la question
relative à l’intention, et que les jurés fussent tenus
« d’y prononcer par une déclaration formelle et dis» tincte, et ce à peine de nullité ; » et la contravention
qui ne saurait être plus évidente , ne doit pas être
impunie.
On a vu que les déclarations principales données
par les jurés contre Chalus et contre Claudine Mazuel
ne remplissaient pas l’objet de la l o i , faute d’avoir leur
sens simple et déterminé ; il suit de là qu’ un autre
principe y a été blessé ; celui qui interdit les déclara
tions complexes , et le même reproche doit être fait
aux jurés à l’égard des articles accessoires.
Sont-ce des questions simples que celles-ci, si la me
sure d’ enfermer la femme Chalus fut commandée par
une indispensable nécessité , et si les accusés sont con
vaincus d’avoir pris part à cette mesure? Les jurés ne
sont-ils pas obligés de combiner, relativement à la pre
mière , la position dans laquelle était la malade et ce
qu’il y avait de raisonnable à faire ; et relativem ent à la
seconde , ce que firent les accusés pt ce que leurs proE
�(34)
cédés eurent de rapport avec la résolution d’enfermer
la femme C h alu s, et avec l’accomplissement de.cette
résolution ?
E t les questions si la femme Chalus est décédée de
iliort naturelle, si cette mort est due à une privation
d ’ a lim e n s , si cette privation fut l ’effet de manœuvres
étrangères à la femme Chalus , si les accusés concou
rurent à cette privation cPalimens , n ’offrent-elles pas
chacune en elle-même , plusieurs points à considérer ?
N e faut-il pas , pour répondre à la première , après
avoir conçu l’idée de ce qu’on appelle une mort natu
re lle , se représenter l ’idée contraire et
faire
com
paraison ?
N ’est-on pas obligé , à l ’égard de la seconde, de v é
rifier d’abord s’il y a eu privation d ’ a lim e n s, ensuite
de se rendre raison de la durée qui put rendre cette
privation mortelle , et enfin de voir si tel fut le cas
et si l ’événement ne peut être rapporté à aucune autre
cause ?
Quand on passe à la troisièm e, n ’a-t-on pas besoin
ds définir les m anœ uvres, d ’en rechercher l’existence
dans les faits , et d’établir le point par lequel ces m a
nœuvres se rattachent àf la privation d*alimens dont
il s’agit ?
Enfin , n ’entre-t-il pas dans la nature de la qua
trième, que, pour la résoudre, on ait à se rendre raison
�(3 5 )
en général de ce qui peut constituer le concours de
quelqu’ un à quelque évén e m en t, ensuite d’ un fait qui
ait constitué ce concours et en dernier terme du rap
port qui lie le fait à l’événement?
C ’est dans l’article 377 de la loi de brumaire qu’ est
cette disposition formelle , qu’ il ne peut être posé aucune
question com plexe, et il est bien clair qu’on ne s’y est
pas conformé dans la déclaration prise et xdonnée
contre Contre Chalus et contre Claudine Mozuel.
On avait annoncé que cette déclaration était contraire
aux règles dont L’observation y était ordonnée j mainte
nant ce reproche est démontré.
Reste le jugement.
Le jugement.
Qu’est-ce qu’ un jugement en matière criminelle? C ’est
l’acte par lequel le tribunal, après avoir comparé au fait
qui a été déclaré, les dispositions de la lo i, applique le
précepte qui y co n vien t, et en ordonne l ’exécution.
C est pour préparer la comparaison et sa conséquence,
que les jurés ont dû déclarer le fait qui a été rendu cons
tant, la conviction q u ia été,acquise contre les accusés
et les circonstances qui déterminent la nature du délit j
ensuite le juge n’ est que l’instrument de la lo i, dont il
prononce les paroles sur l'affaire et sur les accusés.
Et l’application du précepte de la loi qui convient au
E 2
�(3
6
)
cas ainsi défini, est si bien l ’objet unique du jugement
et la seule chose que les juges aient à faire, q u e , si le pré
cepte a été mal choisi dans la loi et ne se trouve pas ré
pondre au délit f il y a ouverture de cassation.
Il y a ouverture de cassation \ dit la loi'de brum aire,
i° . lorsqu’il y a eu fausse application des lois pénales
(art. 456 ).
,
Pour apprécier le jugement rendu contre Chalus et
contre Claudine Mazuel , il faut faire la comparaison
dont il dût être le résultat.
—
Ce n ’est ni de la chambre dans laquelle la femme
Chalus fut enferm ée, ni de cette mesure de l ’enfermer,
ni de la part que les accusés y avaient prise , que la
raison de punir a été tirée.
D u reste, quel est le fait constaté et quelle est la con
viction définie? La femme Chalus est décédée non de
m ort naturelle , mais d’une mort due à une privation
d ’ alim ent qui ne f u t p a s volontaire de la p a rt de la
fe m m e C h a lu s , qui f u t au contraire V effet de m a
nœ uvres étrangères à e lle , et les accusés ont été con
v a i n c u s d ’ a v o ir concouru à cette p riv a tio n d ’ a lim en sy
sciem m en t, et l ’un des deux a v e c prém éditation.
Quelles ont été les dispositions pénales que le tribunal
a regardées comme répondant à ce fait ? Voici celles
qu’il a .transcrites et appliquées.
�( 37 )
Il est dit dans la loi que « l’homicide commis vo» lontairement avec quelques armes , instrumens et
» par quelques moyens que ce soit , sera qualifié et
» puni selon le caractère e t les circonstances du crime. »
(Code pénal,, part. 2 , tit. 2, sect. 1 , art. 7 . )
Que « commis sans préméditation il sera qualifié
» meurtre, et puni de la peine de vingt années de fers,
» (art. 8 .) »
Que « commis avec préméditation il
sera qualifié
» assassinat, et puni de mort, (art. 1 1 .) »
Trouvait-on dans la déclaration des jurés le fait
d’ un hom icide commis volontairem ent avec quelque-S
armes , instrumens et p a r quelque moyen que ce f û t ,
sans prém éditation par l’ un des accusés, et avec p ré
m éditation par l’autre? Alors le tribunal criminel a bien
comparé et bien ju g é , puisqu’il a condamné l’ un des
accusés à vingt ans de fers, (art. 8 , ) et l’autre à la
mort, (art. 11 ) j mais dans le cas contraire il a mal
comparé et mal jugé.
Il y a hom icide lorsqu'une personne a été tuée par une
ou plusieurs autres en employant des a r m e s , des ins
trumens ou d’autres moyens , et cela suppose une ac
tion sans laquelle par conséquent le fait de l ’homicide
ne peut être affirmé.
U n e privation d*alim ens avait été la cause du tré
pas de la femme Chalus, Il n’ y a là point d’action , et par
�(
38 )
dans le sens de la lo i, point d’hom icide.
Les jurisconsultes disent, en matière civile, pour rendre
odieuse la personne qui refuse les alimens qu’elle doit
à une autre, que celle-là semble tuer celle-ci, necare
'videtur; niais en matière criminelle ce n’est pas d’après
ce qu’ un accusé est censé avoir f a i t , c’est sur ce qu’il
a fait réellement qu’on le condamne.
conséquent,
Il s’ensuit de l’adage des jurisconsultes que la per
sonne à qui des alimens sont d u s , a une action relative j
que cette action est urgente, provisoire et favorable;
mais la personne qui la doit est condamnée à la déli—
v ia n c e , et non pas aux fers ou à la mort.
Cette action civile en délivrance d’alimens ne peut
être intentée ni par le pu p ile, ni par l ’insensé incapable
de vouloir j elle appartient, pour eux , à leurs familles.
Pourquoi le frère de la femme C h a lu s, si ardent depuis à
poursuivre son beau-frère, ne s’occupa-t-il point du sort
de sa sœur vivante ?
N e voit-on pas qu’au moyen de ces actions données
pour les alimens , la loi n’ admet pas la possibilité de
l ’homicide par famine? C ’est ainsi que la définition d ’ un
tel homicide ne se trouve pas dans ses dispositions
Dirait-on que la disposition générale embrasse toutj
que la famine est l’un de ces quelques moyens que ce
�( 39 )
io iid o n t il y est fait mention? Cette disposition générale
n’est rien par elle-même ; elle réserve la qualification et
la déclaration de la peine qui en dépend pour les dis
positions suivantes , et c’ est là qu’est véritablement ex
primée la volonté de la loi.
Si la disposition générale avait par elle - même quel
que consistance, tout aurait été expliqué par la distinc
tion de la non préméditation et de la préméditation,
(art. 8 et 1 1 ) } et après avoir dit que l ’homicide com
mis avec préméditation serait qualifié d’assassinat et puni
de m ort, (art. 1 1 ) , on n’aurait pas eu besoin d’ajou
ter que « l’homicide commis volontairement par poison
,J serait qualifié de crime d’empoisonnement et puni de
» mort, (art. 1 2 ) . On n’ajouta pas une qualification
pour l’homicide commis par famine , parce qu’ un crime
ainsi qualifié n ’était pas dans l ’ordre des choses
possible^,.
Quand il y a accusation prouvée d'assassinat, les
juges appliquent l’art. 11 j quand il y accusation prou
vée d empoisonnement , i l s a p p l i q u e n t l ’art. 12 ; ce
n est jamais sur l’art. 7 , dans lequel il n ’ y a a u c u n
précepte pénal, que la c o n d a m n a t i o n est fondée. Quand
il y a accusation d’homicide par famine , alors mêmequ’elle pourrait être prouvée,
les juges ne trouvent
dans la loi aucun texte à appliquer.
Contre Chalus et contre Claudine M a zu e l, on a appli-
�( 4°)
que l’art. 8 et l’art. 11 ; mais il n’y avait déclaration d’au
cun faitauquel l ’ un ni l’autre se rapportât. On reprochait
aux accusés, non d’avoir commis , mais d’avoir omis;
non d’avoir tué 7 mais de n’avoir pas nourri ; et la nature
du fait n’admettait aucune comparaison avec des textes
de lo i, où l’action est toujours supposée.
I l ne peut être nié cependant que l ’homicide } de quel
que inaniere qu’il soit com m is, est un crim e , et que l’a
nalogie des cas prévus et des cas non prévus dans la l o i ,'
donne matiere à argumenter des uns aux autres. C ’est ce
que l’on aurait fait dans l’ancienne jurisprudence , lors
que l’on condamnait pour les cas résultans du procès;
mais la jurisprudence nouvelle ne permet aucune argu
mentation , aucune application de peine par analogie.
Sans doute , il importe que le crim e, de quelque li
vrée qu’il s’enveloppe , soit puni; mais il importe encore
plus que la loi seule punisse et que les juges soient
vmuets quand elle n’a pas parlé.
Dans le fait principal déclaré constant par la
d é c la
ration des ju r é s, de la mort de la femme C h a lu s,
par suite d 'u n e p r iv a tio n da U m ens , il est donc clair
qu’il n ’y avait rien qui pût autoriser la comparaison
avec les textes dans lesquels la loi définit et qualifie
l ’ h o m i c i d e ; c’est ce qui n’est pas moins manifeste lors
qu’on descend aux détails dans lesquels ce fait devient
p e r s o n n e l à Chalus et à Claudine Mazuel.
C ’est
�(4 0
C ’est l’ accusé qui a commis , sans préméditation , ce
que la loi définit un homicide que l’on doit condamner
à vingt ans de fers; c’est à l’accusé, qui a commis avec
préméditation le même homicide , que doit être appli
quée la peine de mort j quand on a lu la déclaration
de jurés donnée contre Chalus et contre Claudine Mazuel , il reste que ni l ’ un ni l’autre n’a rien commis
et que la prétendue mort par p r iv a tio n d ’ alim ens leur
est étrangère.
Des m anœ uvres ont été la cause de cette p riv a tio n
d ’ alim ens. Les jurés ont-ils reconnu que les accusés
aient été les auteurs de ces m anœ uvres ? Nullem ent.
Ont-ils reconnu que,de quelque manière, les accusés y
soient intervenus, y aient pris part? Nullement encore.
Comment entend-on, dans la déclaration, qu’il y a ,
des accusés , au fait dont il s’agit quelque rapport ?
C ’e s t, disent les ju rés, qu'ils ont co n cou ru , non pas
aux manœuvres qui sont le véritable délit ; mais à la
p riv a tio n d ’a lim en s, qui est l ’effet de ces manœuvres*
En sorte que toute cette déclaration, en mettant de
l ’ordre dans les idées qu’elle exp rim e, se réduit à ce ci,
que la femme Chalus est morte pour avoir été privée
d’alimens par l’effet de certaines m an œ uvres, et que
les accusés, sans que ces m anœuvres aient aucunement
été les le u r s, se trouvent cependant avoir concouru
d’ailleurs,on ne sait par quelle co-incidence , avec ces
m anœ uvres 7 un fait de la privation d’alimens.
F
�(40
Vous avez fermé une porte , par laquelle l ’homme
qui a été assassiné uu quart-d’heure après dans la rue,
a u r a i t pu se réfugier chez vous ; vous avez laissé sur
line table le couteau dont l’assassin s’est saisi ; vous
avez concouru à la mort; mais vous n^avez pas con
couru au crime. D e même , la femme Chalus a péri
par l ’effet de certaines m a n œ u v res, e t , sans avoir
été acteurs dans ces manœuvres , Chalus et Claudine
Mazuel ont co n co u ru t la mort qui en a été le produit«
V oilà tout ce qu’il y a à dire d’après la déclaration des
jurés , ce qui diffère grandement de la conviction d’être
auteurs ou complices du fait et d ’avoir commis le crime
d ’homicide avec ou sans préméditation.
Ain si la déclaration , considérée dans son point prin
cipal ou dans ses détails^articuliers , ne peut être mise
à côté des dispositions de la loi ( art. 7 , 8 et 11 ) que
l ’on ne reconnaisse la dissemblance des cas ; et il y a
ouverture de cassation ( loi de brumaire , art. ^56 ) ;
puisque des dispositions pénales ont été tirées hors de
leur cas précis et que c ’est ce déplacement qui consti
tue la fausse application.
Il
est tems de terminer ce développement des raisons
d’annuller et le procès et le jugement dont Chalus et
Claudine Mazuel ont si justement à se ptaindre. Les
ouvertures de cassation qu’ils proposent ne sont pas in-
�( 43 )
certaines j des préventions n ’auront pas atteint le T r i
bunal devant lequel ils sont enfin parvenus \ et c est
avec confiance qu’ils déposent devant lui leur demande
et leur légitime espérance.
' Des préventions ! il est trop vrai que jusqu’à ce jour
elles ont tout fait dans cette malheureuse affaire.
Claudine Mazuel a fait jalouser l’autorité que Clialus
lui avait donnée dans sa maison , et des domestiques
mécontens ont répandu une diffamation vague et té
nébreuse.
•
U n héritier a été intéressé à laisser subsister un pré
jugé qui pouvait un jour lui fournir des armes contre
la donation d’usufruit qu’ il se proposait d’irnpugner.
Dans le public on aime à s’entretenir des faits qui
sortent de l ’ordre commun et même à y croire.
A force de répéter que l ’on faisait mourir de faim la
femme Chalus , on a fini par faire de ces vains discours
une opiuion enracinée.
Ces bruits répandus tireront de la consistance de cette
imprudente bêtise d’ un contrat de mariage passé lors
qu’ un mariage n’était pas permis.
U n .murmure universel établi sur des rapports vagues
qu’on ne vérifia point, précéda et suivit l’événement du
trépas de la femme Chalus. On n’examina rien j on se
l
�(
44 )
plut à croire e t , comme une contagion , cette persua
sion sans cause se communiqua aux Jurés et aux Juges.
O ù était cependant la raison d’expliquer par une cause
si extraordinaire un événement si naturel ?
A près des années de maladie , lorsque , de progrès
en progrès , tous les principes de la vie avaient disparu ,
ne fallait-il pas que la femme Chalus arrivât au terme
fatal ?
Elle mourut parce qu’étant m ala d e,la crise fatale la
surprit : elle aurait pû. expirer plutôt sans que l ’on dût
en être étonné.
Dans sa situation il n’y avait point d’instant qui ne
fût l’ instant possible de la mort.
C H A B R O U D , Défenseur.
D e l ’ im p r im e r ie d e R e n a u d ie r e , r u e d e s P ro m v a ircs t n , 5 6 4
�
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The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
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Factums Marie
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Description
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Title
A name given to the resource
[Factum. Chalus, François. An 8?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Chabroud
Subject
The topic of the resource
homicide par famine
démence
autopsies
médecine légale
jury d'accusation
condamnation à mort d'une femme
homicides
rumeurs
Description
An account of the resource
Ouverture de cassation, pour François Chalus et Claudine Mazuel ; Prétendu homicide par famine.
Publisher
An entity responsible for making the resource available
De l'imprimerie de Renaudière (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa An 8
1798-Circa An 8
1789-1799 : Révolution
1799-1804 : Consulat
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
44 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_M0711
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Marie
Language
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fre
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Pontaumur (63283)
Rights
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Domaine public
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autopsies
condamnation à mort d'une femme
démence
homicide par famine
homicides
jury d'accusation
médecine légale
rumeurs
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8f7dff595c074bf570c7bbd84e3d3e9c
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Text
PIECES JUSTIFICATIVES.
*
P
rocès-verbal
de M . le Ju g e de P a i x .
C e j o u r d ’ h u i , h u i t septembre mil h u it cent d i x-sept, sur les sept heures
du m atin,
nous,
A n t o in e - B e n o ît - h
T éo p h ile D u fa u r e -D e c itr e s ,
ju g e
d e paix du canton de M ontfaucon , d épartem ent de la H a u t e - L o i r e ,
d ’après l ’avis q u i nous a été d on né par M . l ’adjo in t à la mairie de
la co m m u n e de D u n iè res, portant que le sieur Jean C o u rb o n , fils a în é ,
d u lieu des M azets, de cette c o m m u n e , âgé d ’environ trente-sept ans,
venait d ’être trouvé mort tout près des bâtim en s d u sieur Jacques
M assardier, aubergiste audit Du n ières, avec prière de nous transporter
su r les lieux p o u r o rdonner ce q u e de droit ;
Nous étant transporté de suite, avec notre greffier,
vers le lieu
in d iq u é , avons rencontré la personne dudit Courbon dans une position
extraordinaire, ay ant la tête courbée sur la poitrin e , le bas d u corps
portant sur ses pieds, de manière à ne pas toucher terre, tellement
que tout le poids du corps portait sur le cou , la tète étant reployée ,
ce que la nature du terrein pourrait peut-être expliquer, ledit Courbon
étant tombé dans une espèce de fossé adhérant aux bâtimens du dit
Massardier, formant un quarré équilatéral d’ un diamètre d’environ
quatre pieds sur deux et demi de hauteur, N ’ayant à notre disposition
aucune personne de l’a rt, avons ordonné au nommé Duclos-Clocheron
de chercher à donner au corps dudit Courbon une position plus natu
relle , ce qu’il a fait sans aucun succès. L a figure, qui était courbée
contre terre, nous ayant paruc hideuse et décomposée, les membres
généralement roides ; cependant un rente de chaleur nous ayant donné
encore quelques espérances, on a cherché à réveiller ses sens à l'aide
d' eaux spiritueuses introduites par le nez et par la b o u ch e , et dont
la tête lui a été lavée, ce qui a été encore inu tile, ainsi que les autres
Soi ns
qu ont commandé sa malheureuse position.
Désespérant de le r a m e ner à la v ie , nous avons ordonné que son
corps serait déposé dans le clocher dudit Dunières, en attendant l’arrivée de M. le docteur Thomas , de Saint-D id ie r , appelé en remplace
ment de M. Bergeron, absent, q ui avait été pvévenu depuis euviron
i
�deux heurés, lequel étant survenu peu de moraens après,
nous a
rapporté q ue, d ’après l ’inspection du cadavre, et les reclierclies inté
rieures qu ’il a pu y faire, on doit croire que ledit Jean Courhon est
décédé de mort n aturelle, à la suite d’excès de v i n , ce qui a provoqué
une attaque
d ’apoplexie , qui
a été reconnue par l ’ouverture d u
cadavre, qui a présenté les sinus gorgés de sang, ce que l ’on verra
plus en détail dans le rapport écrit de M. le docteur.
.
Désirant cependant savoir si la v o ix publique était en concordance
avec la manière de voir de M . le d o c te u r , et si elle ne désignait per
sonne comme a u te u r , fauteur et complice de la fin malheureuse dudit
C o u r b o n , avons appris qu’elle disait que le décédé était généralement
aimé de tous ceux qui l’approcliaient, et que le malheureux état où il
avait été trouvé était la suite d ’ un ex cès de vin j où il s’était livré dans
le jour avec quelques a m is, ce qui nous a pani prouvé par l ’état d u
cad avre, qui a jeté du vin sur ses liabits, et qui d’ ailleurs était souvent
en état d’ ivresse.
F o u la n t cependant établir ju squ 'à l ’évidence,le genre de mort d u d it
C o u rb o n , avons fait comparaître devant nous Pierre Sellie r, chau
dronnier a m b u la n t, âgé d ’environ quarante-cinq ans , domicilié à
M arsenat, arrondissement de M u r â t , département du C a n ta l, lequel
nous a déclaré que cejourd’liu i, vers les cinq heures du m atin, sortant
de la grange de Massardier., d e D u n iè r e s , où il avait co u c h é , ses y e u x
avaient rencontré un homme qui lui avait paru dans une position
extraordinaire, co qui lui avait fait dire à Claude R o c h e , beau-frère
dudit Massardier : Cet homme est peut-être malade ; a p p e l o n s - l e ; "“co
q u ’ il avait fuit, en disant plusieurs fois : C a m a ra d e! cam arade! en
répétant ces mots d ’une voix très-forte; mais que ne r e c e v a n t aucune
réponse , ils avaient p e n s e qu ’ il é ta it m o r t . E t a n t r e n t r é d e suite dans
la maison de Massardier, il l ’avait engagé à en prévenir l’adjoint de
la comm une; que M. Digonnct, adjoint, étant arrivé, avait reconnu
ledit cadavre pour être celui de Jean Courbon, fils aîné, du lieu des
Mazets. Les signes de mort lui ayant paru évidens, ledit adjoint avait
ordonné (pie l ’individu ne fût pas to u ch é, et que le juge de paix fût
prévenu , pour ordonner ce que de droit.
D( :mandé audit Sellier s’il n’est pas porteur do papiers qui établissent
sa moralité, nous a répondu en nous présentant un passc-port eu
bonne forme.
�C3 )
A l u i dem andé s’ il n’ a e n te n d u crier n i gém ir dans la n u it , a
rép o n d u que non.
Demandé s’il a à sa connaissance quelque indice sur la cause de la
mort de l ’individu dont est question, a répondu que n o n , lequel a
affirmé par serment. Lecture à lui faite de sa déclaration , a dit icelle
contenir vérité , y persister, et a déclaré ne savoir sign er, de ce requis.
Avons aussi fait appeler les nommés Jean Duclos, cloclieron, Claude
Roche et Jacques Massardier, son gendre, le premier commis à la garde
du cadavre par M. l ’adjoint, et les seconds habitant la maison près
laquelle ledit Courbon a été trouvé, lesquels entendus se sont accordés
à dire ce qui est rapporté par le nonuné S e llie r, assurant, les uns et
les autres, que la inort dudit Courbott ne peut ¿Ire attribuée qu’à un
excès de vin, désignant Pierre Courbon, frère du décéd é, comme étant
la dernière personne qui l’ait approché vers les n e u f heures du soir de
la journée du sept septem bre, lequel avait fait des efforts inutiles pour
le ramener avec lui dans son domicile ;
A joutant encore que Courbon avait bu avec Mathieu T a v e m ie r ,
domicilié à J o n zie u x , envers lequel il s’était libéré de certaine s o m m e ,
et avait reçu dudit Tavcrnier son l>iïïet relatif à sa crean ce} qu il I avait
déchiré en présence de Louis Ilispal , de D u n ièrc s, et de Jacques
Galtând , de INIaletavernc ; qu’ il avait remis les morceaux dudit billet
dans sa p oche, que nous avons fait inutilement chercher par le sieur
D uclos, qui n ’a trouvé dans les habits du décédé qu’ un sac de toile
contenant trente-trois francs quatre-vingts centimes, un couteau et uno
c le f , que nous avons remis aux parens dudit Courbon.
Ces renseignemens nous ayant paru suffisamment prouver le genre
de m o r t , et notre zele à le constater, avons ordonné que le corps dudit
Courbon serait remis à sa famille , pour recevoir les honneurs de la
sépulture dus à sa m émoire, ayant été dans sa trop com te vie le soutien
des malheureux indigens, sur-tout dans l ’année calamiteuse d ’où nous
sortons.
Do tout quoi nous avons fait et clos le présent
p r o c è s - ve rb a l,
pour
Être envoyé à ]\J. le procureur du Iloi près le tribunal civil de première
instance séant {, Yssingeanx, que nous avons signé n toutes les pages,
avec le greffier de Dm iièrcs, les jour et an susdits. Signé Dui’iuBE
p e CiTHES , juge de paix , et IionMET, greffier,
�(4 )
R a p p o r t de M .. T h o m a s ,
médecin.
Nous soussigné, m é d e c i n , ha bita n t la v ille de S a in t-D id icr -la -S é a u v e ,
c h e f - lie u d e canton de l ’arrondissement d ’Y s s in g e a u x , en vertu d ’ un
réquisitoire en date de ce j o u r , d e M . le ju g e de paix d u canton do
M o n t f a u c o n , nous sommes transporté au h o u r g de D u u iè r e s , canton d e
M o n t f a u c o n , p o u r constater le genre de m ort d u sieur Jean C o u rb o n ,
des M azets , co m m u n e de Dunières.
A p rès nous être assuré de sa m o r t , avons procédé à l ’autopsie cada-'
vé riq u e. L a
surface externe nous a d ém on tré les caractères suivnns r
C o n stitu tio n a th létiq u e , épaules la r g e s , co u c o u r t , tête grosse ( causes
prédisposantes à l ’a p o p l e x i e ) , figure l i v i d e ,
vaisseaux de la t u n i q u e
a lh u g in ée , les d e u x y e u x injectés , lan gu e g o n f l é e , regorgem ent par ht
L o u c h e d ’ un m élan ge de liq u e u rs fermentées. N ’y ayant trouvé d ’autres
indices de m ort v i o l e n t e , avons fait l ’ ou v ertu re de diverses c a v it é s ,
1° de la tû te, d o n t les vaisseaux q u i abreu v en t son intérieur gorgés de'
S a n g , sans altération de la substance de l ’organe en céph aliqu e , ni epanch c m e n t ; 2° de la cavité t b o r a c h i q u e , d on t nous avons reco nn u le?
viscères dans l’état sain ; 3 ° la cavité p elvien n e o u abdom inale o u v e r t e ,
avons tro u vé Festomac co nten an t u n e assez grande qu antité de liq u e u rs
f e r m e n t é e s , sain d ’a ille u r s , ainsi qu e scs autres viscères y contenus.
D ’après l ’é n o u cé ci- d e s s u s , on d oit rapporter la m ort d u sujet à unef
a tta q u e d ’ a p o p le x i e , d o n t il était m enacé par sa forte c o n s titu tio n , et
d o n t l ’ intem pérance sans cesse répétée a été la cause efficiente,
en;
d éte rm in a n t au cerveau u ne plus' grande affluence de sa n g , ce q u i a;
p r o d u it à cet organe un colaps d on t s’ en est suivi la m ort.
E n foi de quoi nous avons dressé le p ré se n t, à D unières, le lniiC
septembre mil h uit cent dix-sept. Signé Thomas»
E
xtra it
du rapport à M . le Procureur du R oi.
M o n s i e u r , dans la jou rnée du h u i t septembre m il h u it cent <lix-scpt}
j ’ui constaté par un procès-verbal la m ort du sieur Jean C o u r b o n s
tro u vé sans vio vers le p o in t du jour d u h u i t , près la maison de Jacques
M a s s a r d i e r , aubergiste du b o u rg de D unières. C e l l e pièce a di\ vous
tra n q u illis e r sur le genre de m ort de cet in d ivid u ; et le rapport d u
d octeu r Thom as a sans d o u te ach evé d ’élo ig n er d e votre pensée tout
�(55
soupçon àem ort v io len te; c’était aussi, Monsieur, mon intime croyance
et celle de tout ce q ui ni?entoura dans le cours de cette malheureuse
journée : le «lire du chirurgien acheva d’éloigner tous les doutes de ma
conscience. Cette manière de voir était d’ailleurs justifiée par Fétat du
cad avre, qui ne présentait pas même une légère égratignure, et par
F état des •vêtemens nullement en désordre.
L ’ intérieur du corps, étudié avec soin, n’ ayant offert qu ’ un engor
gement vers les vaisseaux qui aboutissent au cerveau , tout concourut à
persuader que l ’excès du vin avait déterminé une attaque d ’apoplexie.
Ce fut le jugement général. U n e seule chose cependant embarrassait
et présentait quelques observations à faire : c ’était la position d u
cadavre, trouvé dans une attitude très-extraordinaire, n ’étant appuyé
que sur la n u q u e , les pieds et un genou. O n se demandait comment
était-il arrivé q u e , dans les angoisses de la m o r t , ce corps ne se fût pas
rapproché de la terre. O n croyait que la nature , en succom b ant, devait
laisser l ’ individu dans un tel état de déb ilité, qu’ il eût dû se jeter vers
la droite ou vers la gauche. On pensait que C ou rb on , venant du midi
et faisant la culbute dans la fosse oii il a été trouvé, devait heurter vers
le m ur opposé , et non a v o i r le corps tourné au sud. On devait s’attendre
aussi à voir sa tête mutilée par le m u r , et le chapeau éloigné de sa
p lace, et non sur la figure, qu ’il couvrait entièrement. Enfin on devait
croire que C o u r b o n , étant tombé du lieu où on a trouvé scs pieds,
devait avoir une partie du corps hors du creux où il était; mais ces
- réflexions s'effacèrent prom p tem ent, et on crut qu ’ il n’y avait rien de
tragique clans la mort de Jcau C o u rb on , et son corps fut livre à sa
famille.
. .
�MÉMOIRE MÉDICO-LÉGAL,
P ar A dolphe R I C H O N D ,
du P u y ( Ifa u te -L o ir e ), sous-aitic-major
à l ’hôpital militaire d ’instruction de Strasbourg, maintenant nommé
chirurgien à l ’hôpital du V a l- d e -G r â c e , à P a r is , _ex~élève intenta
des h ô p ita u x civils et de l ’école-pratique de la même v ille , sur le
genre de mort de J e a n C oo r b o n , de la commune de Dunières ,
département de la Haute-Loire.
Ce Mémoire
•
est
approu vé
,
t
i ° P a r M . E . FODER.E, professeur de médecine légale et de maladies
épidémiques à la fa c u lté de médecine de Strasbourg, membre de
l ’académ ie de m édecine, etc. etc. e t c .;
a° P a r M . C A I Z E F IG U E S , professeur de médecine légale à la fa c u lté
d e M o n t p e lli e r , e t c .
etc. ;
3 ° P a r M . C . C. IN'. M A R C , membre titulaire de F académie royale
de m édecine, médecin de S . A . S . M onseigneur le Duc d ’Orléans ,
membre du conseil de sa lu brité, directeur du secours a u x noyés
e t a sp h ixiés, médecin ju ré-exp ert près la Cour royale du département
de la Seine ;
4 8 E t enfin par M . J. A u g . L U C A S , membre titulaire de Vacadémie
royale de m édecine, chevalier des Ordres de -Saint-Michel et de la
Légion d ’h o n n eu r, premier médecin
de Son A . R .
M
adam e
,
Duchesse d 'A u g o u lê m e , inspecteur des e a u x minérales d e V ic h y ,
L ' a m o ü A «lu m e r v e i l l e u x , o n l e <l<-»ir <lc t r o u v e r d e s c o u p a b le s
n® fa it q n o t r o p
s o u v e n t v o i r «les faits e x tra o rd in a ire ® d a n s l e »
¿ « ¿ n c i n e i i s l e i p lu s s im p le s . C e p e n d a n t , ô v o u s , m ag istra ts c o m m it
p o u r la p r e m iè r e i m i r u c t i o n <Ut p r o c é d u r e s c r im in e lle » j e t v o u s ,
p i é d e c i n s , v o u s n e d e v e z pas i g n o r e r q u e l V s p r i l d e p r c v c u l i o i i
l i e n t u n o p r e m iè r e p la c e p a rm i le s fa ib le s s e s h u m a in e s !
F odsré.
A
p r
¿
s
avoir lu atlcntivcment les diflerenles pitaes relativos
1’aíTaire de C o u rb o n , ¡o n’ ai pas hesité á premlre la plutne,
a
bien
persuade <juc je defendáis ¡’¡n u g ecu ce, et <jue c ’était rendre un scrvico
�(7 )
aux juges, à l'humanité entière, que de faire ressortir dans cette cir
constance l ’énormité de l ’erreur que l ’on a commise en jugeant légè
rement de malheureux pères de famille. E n effet, le jugement qui a
été porté contre eux repose sur des hypothèses gratuites, qu ’ il me sera
facile de renverser, et qui n’auraient jamais dû servir de hase à la con
damnation des accusés. En procédure criminelle, il fa u t, pour pouvoir
condamner un individ u, qu’ il y ait un corps de délit bien manifeste,
et ce n ’est pas sur des probabilités, des demi-preuves, qu ’on s’expose à
flétrir et à rayer de la société des personnes innocentes. Je dis inno
centes; car il ne peut y avoir de coupables, dès qu’il est démontré qu ’ il
n ’y a pas eu de délit ; et c’est là le p o i n t q u ’il me sera facile de rendre
aussi clair que le jour.
D ’après le procès-verbal de M . le juge de paix de M o n tfa u co n , il
conste que Jean Courbon , âgé de trente-sept ans, fut trouvé mort ,
le 8 septembre 1817 , dans un fossé attenant aux bâtimens du sieur
Massardier ; que la position était t e l l e , que la tête était courbée sur
la p o itrin e , le bas du corps portant sur les pieds et un g e n o u , do
manière h ne p a s t o u c h e r t e r r e , t e l l e m e n t que le poids du c o r p s re
posait sur le cou. L a nature du terrein , y est-il d i t , pourrait p eutêtre expliquer celle position bizarre ; les babils étaient en bon ordre ,
la coiffure nullement dérangée, le chapeau placé sur la figure. I l existait
un état de roideur rem arqu ab le, et un reste de chaleur t e l , que des
soins furent prodigués au malheureux : du vin fut trouvé répandu sur
ses habits. L ’ enquête faite par M . le juge de p a i x , sur les habitudes et
les mœurs de C o u r b o n , lui apprit q u ’il était enclin à l ’ivrognerie, et
q u ’ il commettait presque journellement des excès de boissons alkooliqucs ; que d ’ailleurs il était fort aimé dans le p a y s , et n ’avait pas
d ’ennemis connus.
M . le docteur T h o m a s , appelé pour examiner le cadavre de Courbon,
dit que celui-ci était d ’ une constitution athlétique ; qu ’il avait les
épaules larges, le cou c o u r t, la tête grosse, la figure liv id e , les y e u x
injectes, la langue gonflée; qu ’ il y avait^un regorgement, par la bouche,
de liqueurs fermentóos : le corps ne présentait d ’uilleurs aucune traefl
de violence extérieure. L a lô te, ouverte, lui offrit les vaisseaux qui
abreuvent l’ intérieur du crime gorgés de sang, sans altération de l ’or
gane encéph alique, ni épanchcinent. L es organes contenus dans 1«
poitrine lui parurent très-sains; enfin•Tuuvcrlurc de la cavité abdc-
�(•>
minale ne luì fit trouver aucune altération. D ’après tous ces faits','
M. Thomas e n >c o n c lu t , avec beaucoup d é r a is o n , que Courbon était
mort apoplectique; et tous les phénomènes mentionnés dans son rapport
appartiennent réellement à celte affection.
O r , d ’après les faits énoncés dans les procès-verbaux, pouvait-il
ótre intente une accusation contre G a l la n d , Rispai et Tavernier? Lo
rapport du médecin ne devait-il pas être pris en sonsidéràlion ? Les
faits sur lesquels est basée la condamnation étaient-ils prouvés? Avait-on
fait exhumer le cadavre? Avait-on suivi le conseil de M. Bergeron , qui
dit qu’après trois mois il aurait pu encore reconnaître la luxation?
Telles sont les questions que l’on serait en droit de faire, et auxquelles
•
on ne pourrait pas répondre d ’ une manière satisfaisante...........
Mnis, puisque l’erreur a été commise, il importe de la rectifier, et
pour cela de prouver, i° que Courbon est mort apoplectique; 2° qu il
Il y a pas eu cle luxation; 3° qu ’eût-elle existé, elle ne prouvait pas un
m eurtre; 4° i 110 l a position n’avait rien de si extraordinaire, qu ’on no ,
puisse bien l'expliquer ; 5° enfin que la strangulation , la suffocation ne
peuvent avoir eu lieu.
•
*
• Après avoir démontré ces différentes propositions, il me semble qu ’ il
sera prouvé que la mort de Courbon a été naturelle, qu ’ il n ’y a eu
aucune violence extérieure, et que par conséquent les accusés sont
innocens.
’
i° Il sera démontré que Courbon est mort apoplectique, si on a
reconnu en lui toutes les causes prédisposantes à cette affection , el si
sur le cadavre on a trouvé toutes les lésions propres à la caractériser, et
rien autre que ces lésions. O r , le fait est te l, et il sera facile de s’en
convaincre, si on consulto les auteurs qui ont
écrit
sur celle maladie.
C'est ainsi q n H offm an , sJlbinus , P in o t, M. Fodere , P o r ta i, T u ilier ,
frin ito vi, et tousles auteurs le plus justement recommatiilnbles, placent
nu rang des causes prédisposantes, la constitution robuste, le cou court ,
les épaules larg es, le régime succulent, e t c . , et que tous insistent
principalement sur les excès dt\ boissons alcooliques. L ’ivrcss'e en effet
entretient l’engorgement des vaisseaux cérébraux; elle a été cornparéo
à un« demi-apoplexie ; et quand les individus qui se livrent à l'ivrognerio
sont en outre doués do la constitution qu ’on peut appeler apoplectique*
il est ordinaire qu’ ils finissimi leur carrière en succombant h cetlo
Maladie. O n pourra juger de l'importance qu ’on doit donner u l'examen
�(9)
des causés prédisposantes, en faisant attention aux soins qu'ont pris
L o u is, A m broise-P aré, Lancisi, e t c . , de les mentionner dans les rapporta
q u ’ils ont faits en justice , pour faire connaître le genre de mort auquel
avaient succombé des personnes qu ’on supposait assassinées. Les causea
dans lesquelles ils ont été consultés ont trop de rapport avec celle qui
nous occupe , pour que je ne les mentionne pas , et même n’ eu
transcrive des passages entiers.
Mais avant tou t, continuons l ’examen de Courbon. Son cadavre ne
présenta rien qui pût faire supposer une violence extérieure ; l'autopsie,
faite avec soin, ne fît reconnaître qu ’ une injection d e la fa c e et des
y e u x , un engorgement de la langue , un regorgement de liqueurs
ferm en tées, un engorgement des va issea u x céréb ra u x, et tous les
autres organes sains.
O r , toutes ces lésions sont réellement celles qu’ on doit rencontrer
ebez un apoplectique. Voici ce que dit à ce sujet l’auteur de l'article
niort, au Dictionnaire des Sciences médicales :
« De toutes les causes de mort subite, la plus fréquente e6t l ’apo« plexic. II est bien e s s e n t i e l tï’eii connaître les caractères, q u a n d ,
« appelé près d ’ un ca d a v re , on doit constater le genre de m ort a u q u e l
« il a'succom bé ; niais l ’apoplexie laisse après elle des traces évidentes,.
« On trouve souvent un épanchement sanguin dans le crd n e, ou b ie n
« un engorgement des v a isseaux qui s’y trouvent ; le visage est rouge (
v tum éfié, livide ; la langue est gonflée, les j e u x in jectés, la boucha
et écumeuse ou contournée ; la chaleur se conserve long-tems ». O r , ces
phénomènes prennent plus de consistance, quand la personue morte
jouissait de la constitution apoplectique.
,
M orgagny, dans son excellent ouvrage D e Causis ctSedibws morborum,
donne absolument les mêmes caractères. M . F o d é r é , Belloc et tous
les praticiens sont du même avis.
11 est facile de rem arqu er toute la parité qui existe entre les p h én o
m ènes observés ch ez C o u rb o n , et ceu x qu e tous les m édecins rapp ortent
a 1 apoplexie. A u c u n e éq u ivo q u e ne p e u t e x iste r , a u c u n d ou te ne d o it
rester dans 1 esprit ; et il faudrait être bien p r é v e n u , p o u r v o i r dans sa
m ort autre chose q u ’ iu,0 a p o p le x ie , occasionnée par l'in tcn ip éra n ce at
l ’ ivresse, et à laqu elle sa constitution l ’avait prédisposé. L a position
q u e la ch u te lui fit p r e n d r e , en em p ê ch a n t la l ib r e circu la tio n d u sang
venant de la l é t o , d u t e n c o r e
2
favo riser
sa stase dans les vaisseaux
�( 10 )
c é r é b r a u x , et toutes ces causés réunies firent éclater cette m aladie q u i
termina en p eu d ’ instaris sa vie.
Dans le rapport du m édecin , il n ’y avait aucun fait, aucune cir—
constance qui pût donner lieu à l ’instruction d ’ une procédure crimi
nelle ; et il me semble qu ’on ne peut et qu ’on ne doit jamais accuser
des individus de meurtre , avant d ’avoir trouvé au moins q uelque
lésion cadavérique qui puisse donner des soupçons et faire élever dca
doutes.
Mais rien ne prouve qu’ ils fussent ici fondés. A ucune marque do
violence extérieure n ’a été reconnue ; et il n’existait pas même la plus
légère ègratignure ( d i t M. le juge de paix). E t devait-on , dans un cas
aussi important, recourir à des suppositions, à des hypothèses gratuites T
à l’appui desquelles on n’apportait aucun fait? N o n , sans do u te; car
cût-il existe des ecchymoses, des meurtrissures, des plaies même, cela ne
suffisait pas p o u r faire n a îtr e l’ idée d ’ un meurtre , puisqu’il y a v a it des
faits suflîsans pour faire reconnaître l ’apoplexie.
L a lecture des causes célèbres, dans lesquelles Louis et Lancisi ont
rédigé des mémoires justificatifs des accusés, servira, je crois encore , à
¿claircir le fait qui nous occupe.
P
r e m ie r
E
xem ple
.
« C hassagn eux, de M ontbrison, fut un jour trouvé
ic mort dans un chemin public, la face tournée contre terre. Les premières
* personnes qui le virent le mirent sur le dos. L é chirurgien , appi lé
« pour constater son genre de m ort, trouva une plaie contusc sur le nez,
«< avec fracture des os propres, des ecchymoses sur le cou , sur les lombes»
* il trouva un engorgement considérable de la langue, et crut recou«i naître que la plaie du nez avait fourni beaucoup de sang. Satisfait de
« ces signes, il se dispensa d ’ ouvrir le crâne, et en conclut qu il y avait
« eu compression sur le c o u , et q u e , réunie à l'hémorragie occasionnée
« par la plaie, elle avait pu occasionner une mort violente.
n L a voix p ublique, qui appelle toujours une victim e, accusa le fils
* et la b e lle -fille , qui furent condamnés au supplice des parricides.
« Appel au parlement, qui ne vit pas l’allaiie aussi claire que les
« premiers juges, et posa au célèbre Louis les questions suivantes,
« savoir : i° si le rapport (lu médecin avait clé fait convenablement?
« a 0 si des f.iits itHMiliomiés ou pouvait tirer des inductions défavorables
« aux accusés? Le professeur Louis répondit qu'il était de toute nullité.
e L ’exposé des faits, dit cet lioimno illustre, établit que le sujet
�o
>
if était d’ une fo r te constitution; qu ’il était d a n s lc moment échauffé par
« l ’ivresse, et par un violent accès de colcre. Les vaisseaux cérébraux )
te d it- il, sont toujours fort dilatés chez les personnes.sujettes à l'ivresse
h
et à la colère ; ces deux causes avaient produit depuis long-teins.uno
a disposition habituelle, par laquelle, au moment de la c h u te , il sa
« sera fait un refoulement du sang dans les vaisseaux, d u c erveau , et
« leur crevasse par la commotion de ce viscère.
.
, •
;
« L ’ouverture du crâne aurait infailliblement fait reconnaître l’épan-i
« chemeut ou l'engorgement des vaisseaux
cérébraux ,
résultat do
k l'apoplexie. L e crime ne. se présume p a s , a jou te-t-il; il. faut q u ’iL
« soit prouvé; et le médecin , chargé du r a p p o r t , a été bien imprudent f
k p o u r n e pas dire co u p a b le , dans ses assertions hasardées..11 attribua
« la plaie à la ch u te, et les ecchymose»à l’apoplexie ou à une exaltation,
cc sanguine, faite sur le cad a vre, comme cela arrive fré q u e m m e n t« .
Les accusés furent mis en liberté.
I l est facile de remarquer combien cette cause est analogue à celle
qui nous .occupe. Elles diffèrent pourtant l’ une de l’autre, en ce q u e ,
dans la première, il pouvait y avoir des soupçons bases sur les lésions
cadavériques, tandis q u e , dans la dernière, il n ’aurait jamais dû s’en
élever.
Dkuxikme E x c u r t n . rc L a veuve M ontJ)ailly, de Saint-Om er, âgée
« de soixante a n s , d’ un embonpoint extraordinaire, fort adonnée a u x
« liqueurs fortes, avec lesquelles elle s’enivrait journellem ent, fut un
« jour trouvée morte dans sa cham bre, sur un coflrc à angles aigus. L e
« chirurgien appelé observa des ecchymoses au bras droit, au bras gauche,
« à lu poitrine, a la.gorge ; une plaie au-dessous du sourcil : les parties,
a internes furent trouvées dans l’état sain. Il en conclut que la dnmc
« Montbailly avait reçu des cou p s, et était morte d'hémorragie. Son filsi
« et sa belie-fille, accusés d ’assassinat, furent condamnés au supplice
« <le la roue. L e premier subit sa peine; et on ne sursit à l’exécution
« de la deuxième sentence, quo vu la grossesse de la lielle-fille. Pendant
« ce letns-là, nppel fut fuiI au parlement, et le procès fut révisé. L o u is ,
a consulte sur co suj0i f répondit que le rapport <lu médecin était do
i< toute nullité. Il so récria avec raison de ce que le chirurgien n’avait
« pas fait moution , dans son rapport, de la constitution , des habitudes
« de la personne supposée assassinée (chose e ssentielle); c ar, «lit-il,
ff ccltc personne était adonnec ou vin j et a pu mourir dans un état
�( » )
*
d ’ivrésse a ctu e lle , ou dans un état d ’apoplexie, dont l ’habitude d é
« s’ enivrer est reconnue comme une des causes les plus fréquentes ». I l
attribua la plaie à la chute faite sur le coffre, les ecchymoses a l ’apo*
p le x ie ; e t , eu égard à sa décision, la mémoire de Montbailly fut
réhabilitée ; mais , hélas I le crime était consommé !.......,
O n voit ici qu’ il y avait
des lésions propres à faire naître des
soupçons , et que l ’on n’avait pas trouvé le principal caractère de
l ’apoplexie : l ’engorgement
des vaisseaux cérébraux.
jugement fut cassé.
T
r o is iè m e
E
xem ple
Cependant le
7
« Morgagny rapporte l ’exemple d’ un liommo
.
rc âgé de cinquante-cinq ans , q u i , reconduit dans un état d’ivresse, le
k soir du 16 janvier
, fut trouvé le surlendemain mort dans la
« ruelle de son lit. Ce savant professeur en fil la dissection , et trouva
« les vaisseaux de la pie-mère ( enveloppe du cerveau ) et le plexus
« choroiûe excessivement gorgés. C e t h o m m e , q u i s’ en iv ra it souvent r
fc d it- il, d e v a it a vo ir le s v a is s e a u x de l ’intérieur du crd n o tr è s -d ila té s }
« ce qui est, ajo u te -t-il, une disposition à l ’a p o p lexie, à laquelle il a
« succom bé,»
Q
u a t r iè m e
'
E
xem ple
,
,
a Lancisi parle d ’ un homme replet, adonné
« au vin , qui mourut subitement; et il n’omet pas de parler, dans son
<t rapport, ni de l’obésité, ni du penchant à l ’ivrognerie du s u je t,
« q u ’il dit être elle-môme un commencement d ’apoplexie. »
Je pourrais citer encore bien des exemples, qui pourraient fairô
ressortir davantage l’évidence du genre de mort auquel a succombé
Courbon ; mais il paraît que la chose doit ôtre maintenant bien claire
et je crois pouvoir in’abstenir de nouvelles citations.
Je crois donc pouvoir conclure ( e n sûreté de conscience), de tousles faits (pie j’ai rapportés et rapprochés entr’e u x , i° que Courbon
réunissait toutes les causes prédisposantes à l’apoplexie; 20 qu’ il y a
réellement succombé ; 3 ° enfin que l’accusation intentée contre T a v e r nier, et autres, n’est basée sur lieu de positif, sur rien qui puiisa
soutenir l’examen le plus léger.
Mais comme jo ne veux laisser aucun doute sur l ’affaire dont il
s’ a git, que je veux prévenir toutes les suppositions qu’on pourrait faire,
jo vais examiner successivement la position de C ourb on, et les genre*
Je mort violente auxqueU il pourrait avoir succombé.
1° La position de Courbon , ù laquelle on parait avoir attaché beau-*
�C ’
3 )
feoup d ’importance, et qui paraît seule avoir donné lieu à des soupçons
d ’assassinat, ne méritait pas la moindre attention. E n effet, q U’y a-t-il
de si extraordinaire, que cet homme iv r e , chancelant, revenant p eutêtre sur ses pas, se soit précipité tète première dans ce fossé? L a tête
se trouvant la partie la plus déclive , l ’engorgement des vaisseaux céré
b r a u x , déjà occasionné par l ’ivresse, a etc augm enté, et l ’apoplexie
s’en est suivie...........
A u moment de l ’accident, Courbon dut tenter de se relever; mais
comme la tête était pour ainsi dire enclavée , qu’ elle portait contre le
parois opposé du fossé, l ’effort dut se propager aux extrémités. O r ,
comme l ’a démontré le professeur Richerand , les muscles fléchisseurs
étant plus nombreux et plus forts que les extenseurs, la contraction dut
occasionner la flexion des g e n o u x , leur rapprochement du t r o n c , qui
ainsi sera resté en l ’air. T elle est l ’explication bien naturelle et bien
simple de ce qui dut se passer dans ce moment fatal. L a mort survenant
au moment où les muscles étaient en contraction , le corps conserva la
position qu’ il avait au moment où l ’apoplexie se manifesta, et l’équilibrç
l u t conservé.
L a mort par apoplexie, loin de s’accompagner de convulsions , d ’agi
tations, comme le suppose M. le juge de p a ix , est extrêmement tran
quille ; elle s’opère sans douleurs et sans mouvemens. O n ne doit pas
^rouver extraordinaire que le cadavre ne soit pas tombé d’un côté ou
d ’un autre. î ie connaît-on pas, en effet, toutes les positions bizarres
que prennent les ivrognes dans les chutes qu ’ils f o n t , et qui occasionnent
souvent leur mort? De ce qu’ un fait est inexplicable, doit-on l'attribuer
à une cause non naturelle? N o n , sans doute. L ’expérience démontre
tous les jours que les phénomènes vitaux, sont susceptibles d ’ un grand
nombre de variations extraordinaires*
Mais je vais plus loin ; je crois que c’ est précisément parce que la
position de Courbon était b iza r r e , parce que son corps ne s’est pas
ttiïiiisiic, qu’on devait en conclure q u ’il n'y avait pas eu luxation. Ërç
ellet » la luxation de la colonne vertébrale occasionne la compression oi\
l'altération do ln moelle épinière. O r , comme l e s membres, le tronc, etc.,
reçoivent leurs n erfs tic celle partie, il doit en résulter imlispensablem enl suspension des fo n d io n s , et paralysie complète des membres; mais
si cela eût élé , les muscles ne pouvant se contracter, le corps n’eût jms
p u être ainsi soutenu ; île lo u lç niccssilc il {c u r n il iucliuv d ’mi cOté
�ou d'u n autre ; et par conséquent ces phénomènes m an q u a n t, l ’idé«
de luxation devrait nécessairement s’évanouir. Mais je reviendrai encore
sur cet article. Il serait l)ien plus difficile , je crois , de concevoir qu ’ un
cadavre, obéissant à l’impulsion communiquée, pût prendre et conserver
une position semblable : il est encore plus déraisonnable de supposer
que des assassins la lui aient donnée après-la mort. En effet, des meur
triers, à supposer q u ’ils conservassent assez de sang-froid pour recourir
à une pareille r u s e , se seraient bien gardés de rester si long-tems près
de leur victime , dans le voisinage d’ une habitation. D ’ailleu rs, eu
supposant qu ’ ils eussent été assez raffinés dans le crim e, quelle aurait
pu être leur intention, sinon de faire croire à une mort naturelle?
Mais n’est-il pas évident que la position de C o u r b o n , à raison de sa
bizarrerie, devait éveiller l ’attention des magistrats? IN’étail-il pas plus
simplo do l ’étendre tout de son long sur la voie p ublique? ]Vaurait-on
pas cru plus faciloinment à une mort naturçllc? D ’ailleurs, le bon état
des vétemens , de la coiffure de Courbon , tout concourt à prouver qu ’il
s’est précipité de lui-m ém e dans le fossé, et qu ’il y est mort.
Q ue nous reste-t-il donc maintenant à faire , pour mettre au joue
toute la vérité ?
D é m o n trer q u ’ il no p e u t pas y avoir eu luxatio n , strangulation ni
suffocation.
i° L a luxation de la colonne vertébrale parait être le genre de mort
auquel on suppose que Courbon a succombé ; mais sur quoi repose cette
supposition? L ’a -t-o n trouvée sur le cadavre? a -t-o n fait exhumer lo
corps? avait-on enfin quelque fait qui pût y faire croire? K on : l’idée do
luxation était une pure hypothèse; et c ’est sur un fait semblable qu ’est
bâtie une condamnation !.......
Mais eut-elle clé démontrée, M. lo médecin l ’eût-il parfaitement
fcc o n n u c , eût-elle été accompagnée de toutes les lésions propres à cctto
affection , je dis et je démontrerai q u ’on ne pouvait en tirer aucune
induction défavorable aux accusés.
PiinMiKnr. Q
u estio n.
L a l u x a t i o n d e la c o l o n n e v e r t é b r a l e e x i s t a i t - e l l e ?
Non. L ’ union des pièces osseuses qui composent cette colonne est
tcllcmont fortifiée« par des ligamens solides, que leur déplacement exigo
des efforts, destructions considérables, sur-tout pour la produire par
la (lésion de la tôle. O r , comment supposer q u e , pendant que lo
malheureux Courbon luttait avec ses m eurtriers, ou du moins qu ’ U
�c Ï5 )
faisait des efforts pour résistera leur vio lence, il n’ ait éprouvé aucun
désordre dans ses vêtem ens, dans sa coiffure ? C om m ent son cliapeau
n'a-t-il pas été éloigné? Ses cris n’ auraient-ils pas été entendus des
personnes qui couchaient dansila grange voisine? Des assassins eussent-ils
choisi un pareil lieu pour la scène tragique?
Mais supposons que la luxation ait pu être opérée sans b ru it et sans
désordre, dans quel sens aurait-elle été produite ? E n a v a n t, puisque
la tète était fléchie sur la poitrine? mais cette luxation est des plus rares;
elle ne se remarque guère que sur les jeunes enfans; elle ne peut s’opérer
que par le déchirement ou le relâchement des ligamens odontoïdiens ;
e t , dans ce c a s , la t ê t e , loin de rester fléchie et de ne pouvoir pas être'
ramenée à sa rectitude naturelle, peut de plus être portée fortement
en arrière, comme le prouvent les observations d'A n to in e P etit eC
Bohn. L a luxation , dans ce sens, n’existait donc pas ;
2° C e lle par d ép lace m e n t des apophyses a rticu la ires, et q u i s’ o p è r e
p lu s aisément par un m o u v em en t d e t o r s io n , n ’«xistait pas encore. E n
e ffe t, ici la tête est in clin é e d u côté opposé à la lu x a t io n , et ne p e u t “
pas être ramen<5©à sa rootîtndo n a t u r e l l e , tandis q u e chez C o u r b o n lit
tête était directem en t fléchie sur la p o itrine ;
3 ° Enfin la luxation de la colonne vertébrale, quelle qu ’elle f u t , no
pouvait pas exister; car, dans ce c a s , il y aurait eu affaissement, renver
sement du corps , pour les raisons que j ’ai déjà données ; e t , d’ailleurs,
comme la circulation et les autres fonctions sont instantanément sus
pendues, il en résulte « que le cadavre présente line pâleur remarquable ;
« qu ’il n’y a pas de bouffissure; que la face ni les membres ne sont in« jectés, et que l’engorgement cérébral ne se remarque pas ». (Fod ûré).
( J e ne partage pas l ’opinion de M. Bergeron, qui dit que la luxation
peut avoir lieu avec les phénomènes de l ’apoplexie ).
O r , chez C ou rb on , il y avait engorgement des vaisseaux cérébraux,
bouflissure, injection de la face, état de contraction des muscles; doue
il u est pas mort par suite d'une luxation.
S i , contro les expériences de Legallois, su rira principes de la v i e ,
on veut supposer
i c cœur , recevant «les nerfs du cerveau , peut se
contracter, tandis (j«e les autres fonctions sont anéanties, il devrait en
résulter engorgement dos vaisseaux du p ou m on , et dus cavités droites
du cccur ; et on voit que Coin bon n’a pas présenté cet engorgement ;
• 4 ° Mais C ourb on’ fût-il réellement çiort par suite de la luxation d»
�la colonne Vertébrale ( c e que j ’ai prouvé n’élrc p a s ) , je dis qu’on nô
pourrait en tirer aucune induction contre les accusés.
E u effet, d’ une p a r t , nous avons vu les difficultés qu’ il y avait à
opérer ces luxations par des efforts, e t , de l ’autre , nous allons voir qua
les chutes, les culbutes en sont les causes plus fréquentes. « M . D e lp ech ,>
te dans ses Œ u v r e s Chirurgicales , dit que la luxation dont il s’agit peut
fc quelquefois être le résultat de tractions, de torsions considérables ,*
« mais que de toutes les causes, les plus fréquentes étaient les chutes
« sur la n u q u e , la culbute. »
M . Fodérc , ce célèbre médecin légiste, d i t , en parlant de la manière
dont on doit faire les autopsies, « qu ’ il faut bien faire attention aux
« plaies, aux contusions, aux luxations de la colonne vertébrale ; car
« ces accidens, d i t - i l , ne peuvent pas toujours être considérés comme
« une preuve d ’a tten ta t, vu qu ’ils succèdent souvent à la chute *
et résultat d ’ u n e apoplexie. »
A in s i, l ’on voit qu ’à supposer que la luxation eût été démontrée
elle ne prouvait r ie n , puisque Courbon pouvait^se l ’être occasionnéo
par sa chute ; mais elle n ’existait p a s , comme je l’ai démontré ; et
certainement M . Thomas parait être trop bon observateur, pour avoic
laissé échapper une semblable altération , si elle eut existé. A in s i , on
ne pouvait rien conclure , d ’après l ’idée de luxation ; e t , eût-<elle existé,
qn ne pouvait pas condamner les accusés.
Passons maintenant à la question relative à la strangulation.
D
e u x iè m e
Q
u e s t io n
.
L a strangulation peut-elle avoir lieu , sans qu ’ij
en reste des traces extérieures, et sans que les lésions cadavériques
puissent en faire connaître l ’existence? T e lle est la question que je mo
suis proposé de résoudre , et à laquelle je réponds par la négative.
Il est impossible , dit M. le professeur F o d éré, q u e la vie soit enlevée,
Sans qu’ une violence extérieure, exercée par les innins ou des lacs , no
laisse des traces d ’ecchymoses et de lésions profondes. L a partie sur laquelle
la violence a été exercée se présente vio le tte , rouge ; il y a une dépres
sion considérable, correspondant au corps comprimant; la peau e st,
comme l’observe A m b v oisc-P a rè, rid ée, excoriée. O r ,
là-o ù on 110
trouve aucune lésion extérieure, on ne peut pas supposer existence do
s t r a n g u la t i o n . Mais outre ces phénomènes lo ca u x, il est îles caractères
de lésions internes,
fo u t reconnaître ce g e n r e do in o r t, ou plutôt
«jui füitiGent les soupçons que peuvent faire naître les ecchymoses pu
�(
J7
)
dépression du cou. Ces phénomènes sont la couleur bleuâtre de la faCc/
les lèvres, les yeu x livides, la teinte violàcce de la peau , mais princi
palement l’engorgement considérable
des
vaisseaux pulmonaires et
cérébraux.
v Les poumons so n t, clans ce cas, dit M. F o d é r é , gorgés de sang
« livide ; le poumon droit sur-tout en regorge; les cellules pulmonaires
« sont distendues. »
« Ambroise-Paré d i t , à ce sujet, q u e, si l'etranglement a lieu pen
te dant la v ie , la tête et la poitrine sont remplies de sang. »
Littre rapporte, dans les Mémoires de l ’Académie des Sciences, en
qu’ une fem m e,
qui fut étranglée par deux liommes qui lu i
serrèrent la gorge avec les mains, présenta à l ’autopsie les poumons
extrêmement distendus par l’a ir, et la membrane qui les enveloppe
gorgée de sang.
Il est bien évident que si Courbon avait succombé à ce genre dé
m o r t , on aurait trouvé un engorgement considérable des vaisseaux
pulmonaires , des impressions sur le cou , des ecchymoses , etc. O r , tout
ceci n’a pas etc* rencontré ; donc on ne peut pas raisonnablement supposer
q u ’ il ait clé étranglé ou pendu (car les phénomènes sont les mêmes dans
les deux cas).
E n rédigeant cet article , je ne puis m’empêclicr de blâmer les sugges
tions que fait un médecin au substitut du procureur du Roi. Courbon
ne p u t - il pas, d i t - il , être suffoqué p a r u n mouchoir ou autre corpâ
tenu long-tcms sur la bouche et sur le nez? Ce médecin n’ ignorait p a s,
sans d o u te , qu’ un homme de loi est trop étranger aux phénomènes do
la vie , pour pouvoir apprecier les diflerenccs que l’ on doit trouver dans
tel ou tel genre de mort. Il devait bien savoir lui-même ,
que les
caractères de l'apoplexie ne sont pas du tout semblables à ceux de la
luxation , de la strangulation ou de la suffocation ; et , s’ il eut fait
attention au rapport de M. T h o m as, il aurait vu qu ’ il n’y avait rien
qui piU s’ollier à l’idée de suffocation ou de strangulation.
M a i s passons h la d e r n i è r e s u p p o s i ti o n q u e l ’ on p o u r r a i t faire ,
c ’ es t - a - d irc , a c e llo r c l a t i v o à u n e s u f fo c a tio n p r o d u i t e p a r u u c o r p s
m a i n t e n u su r la b o u c h e et su r le n e z.
L ’état du cadavre de C o u r b o n , les phénomènes q u ’ il a p r é s e n t é s ,
p e uvent-ils, en quelque m anière, être alliés à l’ idée de suffocation?
l'io n , sans doute. Ce genre de moit e u tra iu e , duus l’état des organes
3
�(
>8
)
intérieurs, <ïes changemcns si remarquables, qu ’il est impossible de s 'f
méprendre. E n effet, ici l ’engorgement des vaisseaux du poumon est
extrêmement remarquable; les cavités droites du cœur sont gorgées de
sang ; les vaisseaux arrosant les viscères abdominaux sont eux-mêmes;
distendus; les vaisseaux cérébraux sont le plus ordinairement, engorges ;
cependant ils ne le sont pas toujours, comme l’a démontré D chue.
« Dans l ’asphysie, dit B ello c, médecin légiste , on trouve les vaisseaux
« cérébraux et pulmonaires engorgés de sang; la teinte générale est
« liv id e , etc. ; enfin on observe presque tous les phénomènes propres
« à la strangulation (les locaux exceptés). »
O r , à l ’autopsie de C o u r b o n , 011 n’a remarqué aucun engorgement
du p ou m on , du cœur ou des vaisseaux abdominaux; doue il n’est pas
mort suffoque.
Il me semble incontestablement p rouvé, i° que Courbon a succomba
a 1 a p o p l e x i e , à l a q u e l l e sa c o n s t i t u t i o n et ses h a b i t u d e s l ’a va ient p r é
disposé; 2° que la p >sition d u c a t la v ie 11’ é t a it pas i n e x p l i c a b l e . et n(l
devait pas faire présumer un crim e; 3 ° qu ’ il n’a éprouvé ni l u x a t i o n , ,
ni strangulation , ni suffocation ; 4° que par conséquent il n ’y a pas eu
de d é l i t , et qu’ il n’y a pas de coupables.
Puissent les ju g e s , sous les yeu x desquels ce mémoire doit être placéj
partager la conviction intime que j ’a i , qu ’il n ’y a pas eu de d é l i t , et
rendre à leurs familles des m alheureux, victimes d ’ une erreur judi
ciaire !
’
Fait par nous soussigné, Adolphe Richond , du P u y ( lla u l c - L o i r e ) ,
sous-aidc-major à l’hôpital militaire d ’ instruction de Strasbourg.
A Strasbourg, le i 5 uovembre 1820.
Signii A .
R
ic h o n d
.
V u pour la légalisation de la signature «le M. Richond, chirurgien
sous-aide à l ’hôpital militaire de Strasbourg. L e sous-intendant militaire,,
«igné Siot'jiLi'W.
I.r. professeur, soussigné, de médecine légale et des maladies épidé
m iques, à la faculté de médecine de Strasbourg, après avoir pris
c o n n a is sa n c e ,iu Mémoire ci-dessus, en approuve en entier le contenu ;
e t , après avoir examiné les procès-verbaux de MM. 1« j"g e de paix et le
médecin , relalils à l étal où ils onl trouvé le corps de Courbon , il estime
�pa re illem en t q u e c e lu i-c i est m ort a p o p le c t i q u e , et q u ’ il n 'y a a u c u n e
raison pour recourir à une autre cause.
Strasbourg,, le 19 novembre 1820.
Signe F , E . F o d l r é .
V u à la mairie de la ville de S tras b o u rg , p o u r légalisation de la
signature de M . E . F o d é r é , apposée d ’ autre part.
A S tr a s b o u r g , le 20 novem bre 1820, Signe T lacii , adjoint.
V u p o u r légalisation de la signature de M . F l a c l i , adjoint du maire
de la ville de Strasbourg. A S tr a s b o u r g , le 20 n o vem b re 1820. P o u r le
p r é f e t , le secrétaire général d élégu é , signé V i l d e r u e l t .
C
onsultation
de M .
C aizeu gu es.
L e so u ssign é, professeur de m édecine légale à la fa culté de médecinô
d e M o n tp e llie r , a pris une connaissance approfondie des
diverses
pièces
précil élis ; il a m û rem en t réfléchi sur toutes 1rs circonstances qui Oilt
précéd é la mort de C o u rb o n ; il a sur-tout pris en considération l’état
et la position dans lesquels le cadavre a été trouvé ; il a lu avec la plus
grande attention le M ém oire de M . A d o lp h e R ich o n d ; il a analisé ,
avec l’exactitude la plus sc ru p u le u se , tous les faits qui y sont exposés
avec autant de m éthode qu e de précision , ainsi q u e les motifs q u i
a p p u ye n t le jugem ent qu e M . R ic lio n d a émis sur le genre de m ort
du nommé C o u rb o n .
D ’après toutes ces co nsidératio ns, le soussigné
estime
:
Q u e îles preuves m u ltipliées autorisent à reconnaître q u e le nom m é
C >nrbon a succom bé à une m ort natu relle d éte rm in ée par une nttaqun
d ’.ip o p lex ie, occasionnée ellc-in èm e par un excès eu liqueurs spiritueiisf>$, et q u ’ il n’ existe a ucun in d ice qui puisse porter à attrib ue r
ce lle mort à des violences extérieures.
L e sous,i{rm'. sc permettra d 'a jo u ter aux preuves q u ’ 011 a d éjà établies
de l’apoplovii) vineuse chez C o u rb o n , celles q u ’on peut tirer de l’état
de contraction ou d«> rigidité q u 'o n t oil'cil les membres du c a d a v r e , qu f
co iuervait encore un reste de c h a le u r , d ’après le p ro c ès-veib a l de M. lo
ju g e de paix.
Ou lil dans ce procès-verbal, cju’ on a tcaté saus succès de douncr au
�1
{ ‘c
(..)
corps de CourLon une position plus naturelle ( q u e celle qu’il avait dans
sa cliutc ) ; que les membres étaient généralement roides..............
Il est reconnu, en effet, que dans l ’apoplexie qui est la suite de
l ’ivresse, les membres sont affectés d’un état de roideur convulsive. Ce
sym p tôm e, l ’état convulsif, qui est propre à cette espèce d’apoplexie ,
est parfaitement décrit dans cet aphorisme du père de la médecine, q u i
dit :
S i q ui s e x ebrielate voce prive tu r , coiwulsus moritur................
Ai'ii. v , sect. 5 .
O n sait que la perte de la v o i x , ou l ’a p h o n ie , est une expression'
synonime d’apoplexie, dans les Œ u v r e s d’ IIippoerate.
O n sait aussi, et une observation constante nous l ’a appris, que les
muscles conservent de la rigidité à la suite des morts subites et con
vulsives.
V o y e z les T lp ist. a n a t. m e d . d e M o r g a g n y .
O n peut donc assurer que'la rigidité des membres, qu’on a observée'
dans le cadavre de C o u r b o n , rigidité qui peut rendre raison de la
situation singulière de ce c o rp s, doit servir à corroborer les preuves de
la mort par apoplexie vineuse, et à éloigner toute idée de luxation des
vertèbres cervicales. Cette luxation , que l ’on a supposée sans aucun
indice qui pût en justifier le moindre soupçon, loin d ’amener la rigidité
et l’état de contraction des m uscles, détermine nécessairement un état
tout opposé dans ces organes, c’ est-à-dire le relâchement et la paralysie.
Ce (ju’on pourrait objecter de l’état d ’crection de la verge, qu’on a.
remarqué chez les pendus et chez les individus qui ont r e ç u une lésion
insolite et subite de la moelle épinière , ne saurait infirmer notre
assertion, fondée sur l’expérience, puisqu'on même tems qu’ il se ma
nifeste un état spasinodiquc des organes génitaux cliez les sujets qui
éprouvent de fortes compressions ou autres lésions de la moelle de
l ’é p in e , il existe un relâchement paralytique des muscles et des autres
parties situés au-dessous de l’endroit de la moelle épinière, qui reçut
la lésion.
Consultez, sur ce phénomène, M arcellus D onalu s, Pechlin, Iluiscli j
Rain.iz7.iui, l’acch ioni, Sam. Musgravc , etc.
Délibéré à M ontpellier, le i 5 février 1821.
CAIZEnCVES.
�C o n s u l t a t io n s
et
C.
de
C.
M M .
II.
J.
A u g.
Lucas
M arc.
J. Atig. L tjc a s , membre titulaire de l’académie royale de médecine y
clievalier des Ordres de Saint-Micliel et de la L é gio n d ’iio n n e u r ,
premier médecin de S. A . R .
M
adam e
, duclicsse d A n g o u le m e , ins
pecteur des eaux de V icliy ;
E t C. C. H. M a k c , membre titulaire de l ’académie royale de méde
c i n e , médecin ordinaire de S. A . S. Monseigneur le duc d ’OiiLLANs,'
membre du conseil de salubrité, directeur des secours aux noyés et
asphyxiés, médecin juré-expert près la Cour royale du département de
la S e i n e ,
A
vons
e x a m in é
Av e c
i .a
n/us
g ran de
a t t e n t io n
,
i° U n e copie d u
procès-verbal dressé, le 8 septembre 1 8 1 7 , par M . le juge de paix du
canton de Montfaucon, département de la Ilau te-L oire, constatant l ’état
dans lequel on a trouvé le cadavre du nommé Courbon, que l’on a
p r é t e n d u a v o i r é t é assassiné ;
2 0 (Jne copie du rapport du médecin qui a été chargé d’examiner
le cadavre ;
3° U11 dessin représentant l ’attitude dans laquelle on a trouvé 1q
cadavre de C ourb on, dessin exécuté par ordre de l ’autorité judiciaire ;
4 ° U n e notice sur ce qui a suivi la condamnation des nommés
G alla n d , Rispal et Tavernicr ;
5° Enfin une copie d ’ iiu mémoire m édico-légal, concernant celle
affaire, rédigé par M. l l i c h o n d , sous-aidc-major à l ’hôpital militaire
d ’ instruction de Strasbourg, et approuvé par M. F o d é r é , professeur
d e médecine légale a Strasbourg.
C ’est sur ces matériaux, que M. M o n te llic r , avoué-licencié prés lo
tribunal de première instance séant au l*u y ,
ancien défenseur à la
C o u r ciimiiielly du département «le la Ila u le-L o ire , désire que les
médecins soussignés fondent leur o p inion, et déterm inent,
i° Si la mort du nommé Courbon a été naturelle , ou s'il y a eu
homicide ;
20 Quel a été le genre do mort du nommé C ourbon?
L es médecins soussignés se seraient livrés à une discussion détaillée
et approfondie des faits de leur com pétence, dont sc compose c e tu
�'(
22
)
malheureuse affaire, si ce travail n’avait déjà été exécuté avec un véri
table talent, et sur-tout avec beaucoup de clarté, par M. Richond,
E n effet, ils ne peuvent rien ajouter à ce qu ’a dit ce jeune m édecin,
qui a épuisé les argutnens les plus incontestables pour faire valoir son
opinion; ils sc borneront en conséquence à établir la leur d ’une manière
plus sommaire sur ces mômes argum ens, dont ils essaieront de faire
ressortir les plus saillans.
L a cause dont il s’ agit leur présente, avant to u t, une particularité
dont les annales de notre jurisprudence criminelle n’ offrent peut-être
p a s, jusqu’à ce j o u r , un second exemple : c’est l ’absence de tout corps
de délit.
Les causes criminelles où une accusation érronée d ’homicide a été
accueillie, et quelquefois même confirmée p a r le s tribunaux, ne sont
malheureusement pas rares ; mais dans toutes les causes, l ’opinion
matérielle des j u g e s ¿ t a i t du moins c o n s t a m m e n t en h a r m o n i e a v e c les
résultats de l’expertise m é d i c a l e ; e t si d es persécutions, si même des
meurtres juridiques ont été commis , c ’est à l’ignorance, à la légèreté,
en un m o t, aux erreurs des premiers experts qu ’ il faut les attribuer.
Ainsi , pour nous en tenir à un seul des exemples rapportés par
M . Richond, les enfans de Chassagncux , de Montbrison , n’eussent
pas subi une première condamnation, si le chirurgien chargé de cons
tater le genre de mort de leur père n’eùt pas déclaré qu ’il y avait eu
mort violente.
Dans l’affaire qui nous o c c u p e , tout le contraire a ou lieu. M. le
docteur Thom as, seul homme de l’art qui ail examiné le cadavre d'uue
manière formelle, déclare non seulement qu ’il n’a découvert aucune
trace de violence extérieure, mais il indique en outre la véritable cause
de la mort, q u ’ il regarde comme n a t u r e l l e . C e p e n d a n t , bien q ue, pur
cette déclaration, tout corps de délit soit e x c lu , deux pères de famille
sont condamnés à la plus forte des peines allliclives et infamantes, après
la peine capitale , et un
troisième à une peine aillictivc. Quelle
monstruosité ! ...........
Jusque-là notre cœur seul a p urlé, et la source de nos raisonnemens
a été ce bon sens, apanage do tous les hommes doués d’un jugement
sain. INous nous sommes dit : U n premier expert, le seul qui ait
examiné le cadavre, „ ‘y u p„s découvert de traces de mort viólenle;
donc il »’y a Pas <1° corps de délit; donc personne ne peut être acçuscr
�et encore moins convaincu d ’avoir commis un crime dont il n’exislc
aucune trace physique.
Mais il "«»s reste maintenant à examiner, sous le rapport de l ’a rt,
si celte absence d’ un corps de délit a ¿lé réellement établie par les faits
observés et par les inductions que l ’on a tirées de ces faits. Cet examen
sera trèt.-sommaire , et n’offrira principalement que les corollaires des
.travaux des hommes de l ’art, qui, dans l ’espece, ont observé et prononcé
avant nous.
Les phénomènes qui excluent toute supposition d’ une violence exté
rieure et mortelle sur C o u r b o n , sont essentiellement ceux-ci :
i° LVhsence de toute trace de compression, de contusions ou do
lésion quelconque à la surface du-cadavre.
2° L ’absence d’ un désordre quelconque dans les vélemens du défunt J
il es t en effet impossible qu’ un homme doué sur-tout, tel que lui ,
d une constitution athlétique, n’ oppose pas à ses assassins une résistance
quelconque , résistance dont tou jours il se manifeste des vestiges par le
désordre des vêtemens. Cette résistance, quelque faible que soit l ’iudiv i d u , a constamment lie u , à moins rji»e l’iioniiuiclo ne s’opère par un
m oyen i n s t a n t a n é m e n t m o r t e l , com m e, par exemple, un coup de feu ,
un coup de poignard, un coup de massue, etc .; mais, dans l ’espèce,
il n'a jamais été question de pareils m oyens; on a parlé, au contraire,
de l ’exécution du plus difficile de tous, de celui qui exige le plus do
force et d’adresse étrangères, en même teins qu’ il suppose le plus do
résistance de la part de la victime : nous voulons parler de la luxation
des vertèbres cervicales.
3 ° U n concours de phénomènes cadavériques, indiquant d’ une ma
nière non équivoque que Courbon est mort par l’effet d ’ une apoplexie ;
ces phénomènes sont la lividité de la face , l ’ injeclion des vaisseaux do
lu tunique albuginee des deux y e u x , le gonûemcnt de la langue, l'e n
gorgement des vaisseaux cérébraux.
4 " I/alisenee <le tout aulrc désordre intérieur auquel la morl aurait
pu être at tri|>uée.
5° Un ensemble de causes prédisposantes et occasionnelles propres h
déterm iner l'apoplexie».
Aux premières appartiennent la constitution athlétique du défunt, lu
largeur de scs épaules, le peu de longueur de son cou et la grosseur d«
sa téle.
�(
4
)
Parmi les secondes il faut compter l ’intcmpérancc habituelle dô
C ou rb on , intempérance q u i , il ne faut pas en dou ter, a été une des
occasions principales de sa m o rt, puisque son estomac contenait unu
assez grande quantité de liqueurs fennentées, et qu ’il y avait eu régur
gitation de cette liqueur par la cavité buccale, et jusque sur les vêtemens
du défunt.
U n e autre des occasions principales de la mort de Courbon a été la
position dans laquelle on a trouvé son corps. Cette circonstance est
digne d ’ une attention d’autant plus grande, qu ’elle paraît avoir donné
lieu à des inductions funestes aux malheureux condamnés, bien qu ’elle
concorde parfaitement avec la totalité des faits qui établissent quo
Courbon a succombé à une attaque d’apoplexie.
Cette position effectivement était telle, qu’elle devait augmenter les
obstacles au retour du sang de la tête , puisque celle-ci était plus basse
que le reste du corps ; que le poids de ce dernier portait sur le cou , et
que la téte était courbée sur la poitrine.
Si maintenant nous nous enquérons des causes qui ont pu déterminer
l'attitude dans laquelle a été trouve C ourbon, il faut d ’abord en excluro
toute supposition qui tendrait à établir que cette attitude lui aurait été
donnée après la mort. 31. Richond en a trop bien exposé la raison ,
pour qu’ il soit nécessaire de nous arrêter plus long-tcms sur co point.
Mais s i , au contraire, on compare cette position avec celle que l’on
est à même d ’observer tous les jours sur des individus q u i, dans un état
d ’ivresse c o in p le tlc , ont le malheur de faire une c h u te , on s’explique
parfaitement,
et de la manière la plus naturelle, la situation dans
laquelle a été trouvé le cadavre de Courbon.
Lorsqu en effet un individu
ivre tombe la face contre terre , il
cherche a se relev er, cl 011 le voit alors ( q u ’ o n n o u s passe celte ex
pression triviale, mais pittoresque), marcher à quatre pattes, à reculons,
et faire des efforts pour soulever son tronc et sa tête. Si l’ ivresse est
com plettc, il arrive alors q u e , scs efforts devenant vains, l ’ ivrogne fait
de sa tête un point d ’a p p u i , tandis que les muscles des lombes et des
extrémités inférieures agissent seuls, de sorte que le corps entier formo
un angle plus ou moins a i g u , dont le bassin est le so m m et, et dont
la tête et les genoux, ou bien les pieds, sont les extrémités inférieures
des cotes. Si dans ente* posture, qui n é c e ssa ire m e n t d o it augmenter
Vulllux du sang vers le cerveau , il survient une apoplexie foudroyante,
�(»5 )
l a corps peut rester dans la posture où la mort l ’a surpris (t). C ’est bien
certainement ce qui est arrivé à C o u r b o n , soit q u e , tombé accidentel
lem ent, et la tête en avant dans le fossé , il ait tente sans succès de se
relever, soit q u e , descendu dans une intention quelconque dans le
fossé, il y ait fait une chute. D ’ailleurs, en consultant le dessin joiut
aux pièces, ainsi que le procès-verbal du juge de p a ix , on trouve que
îa nature du sol a dû favoriser cette posture; il était m o urant, et la
partie supérieure et postérieure de la tête s enfonçant un p e u , et por
ta n t, ainsi que le c o u , sur une des parois du fossé, cette circonstance
a dû rendre le point d’appui plus fix e , et en augmenter la solidité.
Dans les pièces qui nous ont été soumises, nous trouvons qu ’ il a été
supposé qu ’ une luxation des vertèbres cervicales avait eu lieu. 11 paraît
m ê m e , d ’après un passage du Mémoire de M . R i c h o n d , que c’ est
principalement sur celte supposition que la condamnation a etc basée.
•
Mais., outre que le rapport du médecin qui a examiné le cadavre ne
fait aucune mention d’une luxation p a re ille , eût-elle même existé, il
faudrait encore ne l a c o n s i d é r e r <jne c o m m e u n eflet de l a c h u te ; car
elle n’ e û t pu ê tre effectuée par des mains homicides , chez un sujet
aussi robuste que C ourb on , sans laisser des traces de résistance de la
part de la victim e, et d’efforts violens de la part de ses meurtriers.
Toutefois, l ’état dans lequel a été trouvé le cadavre de Courbon
établit incontestablement qu ’il n’y a eu de luxation sur aucun point
de la colonne vertébrale. S i, en cfl’e t , ce genre de lésion avait eu lieu ,
la paralysie générale qui s’en serait suivie eût déterminé instantanément
un affaissement de tout le corps,
qui n’ eut pu alors conserver la
position dans laquelle il a été découvert ; et le
ballotcmcnt des
membres, de la tête sur-tout, eût élé d’ autant plus sensible, lor;q u ’on a relevé le cad avre, qu’ il conservait encore de la chaleur. Cette
vérité est tellement démontrée par les faits, et entr’autres par les
recherches du c é l è b r e L o u i s ( M é m o i r e sur une q u e s t i o n de jurispru
d e n c e , e t c .,
( 1) L e »
ra rc».
17 6 3 ), qu ’elle seule suffit pour nous dispenser d’insisler
e x e m p le » d e c o p e n r e , «prJ-s île » a p o p le x ie » f o u d r o y a n t e s ,
N ous
c ite ro n »
e n t r ’ n u tie s
f a m i l l e , a v a it a p p ity c s o n
c e lu i
il’ un
> ic illa n l
fr o n t .u r ses m a in » c r o i s é e ) ,
q u i,
n e s o n t pa s t r è » -
é t a n t an s p e c t a c le
l o g e . O 11 c r u t q u 'il »’ éta it e n d o r m i ; m ais a p rè s la fin d e la r e p r é s e n t a t i o n ,
« 'a g it d e s’ e n a l l e r , o n s ’ a p e r r u t «ju’ il » y a jt ç ç s s g
4
«T e c »a
e t s c s c o u d e s su r le b o n i <!<■ >«
il’ ç ji s i e j- ,
e t lo r s q u 'il
�plus longuement sur l'examen d ’un point que M . Richond a ¿ ’ailleurs
discuté de la manière la plus satisfaisante.
,:..0
Nous ne nous arrêterons pas à examiner si Courbon a pu périr p a r
suffocation ou par strangulation ; r i e n , dans les pièces qui nous ont
été soumises , n’en établit même le plus léger indice. A u reste ,
M . R ic h o n d , qui a surabondamment posé ces questions, les a résolues
négativement par des argumens irrésistibles, et auxquels nous ne pour
rions rien ajouter.
*
* A in s i, tout bien considéré, les médecins soussignés concluent de la
manière la plus positive, et avec une certitude mathématique ,
i ° Q u e la mort de Courbon a été naturelle, c’est-à-dire qu’elle n ’a
pas été le résultat de violences quelconques exercées, par des mains
étrangères, sur sa personne ;
20 Q u e la mort de Courbon est uniquement due à une attaque
d ’apoplexie, laquelle attaque a été probablement foudroyante, et pro»
y o q u é e , d ’une p a r t , par une disposition naturelle de son organisation r
e t , d ’ une autre p a rt, par un état d'ivresse, ainsi que par la position
de son c o rp s, position q u i a été une suite de la chute déterminée pas
ledit ctat d ’ivresse.
P aris, le i 3 mars 1821.
Signé M a rc .
A u g . L ucas.
�(
L e ttr e
27
)
d e 3 1 . R ic h o n d à 3 1 . 3I o n te lh e r .
M o n s ie u r ,
E n même tems que les diverses pièces que volts m’avez fait l ’honneur
<le m’adresser, j’ai reçu une note contenant quelques réflexions relatives
4 la position de Courbon. Vous ine demandez la solution d ’ une question^q u e vous craignez qu'on vous adresse, qu’on vous a déjà faite, et qui est
celle-ci : Savoir si Courbon, homicide, aurait pu recevoir de la main de ses
assassins, et conserver la position dans laquelle on l ’a trouvé. Je croyais
avoir suffisamment dém ontré, par mon M ém o ire , que nulle autre causa
.que l ’apoplexie n’avait pu mettre fin à l’existence de Courbon ; e t , en
supposant successivement les derniers genres de niort violente auxquels
i l pouvait avoir succom bé, j ’ai fait voir que des phénomènes, autres que
Ceux qu’on a trouvés, eussent été observés dans ces cas. A l ’article assez
long relatif à la position de C o u rb o n , je croyais avoir prouvé-que la
lu x a tio n des vertèbres cervicales , en paralysant les muscles de presque
toutes les parties, aurait dû s’opposer à cet état de roideur qu ’on
o b se r v a , et lequel était incompatible avec l ’existence d’ une luxation :
je croyais donc avoir prévu toutes les objections. D ’ailleurs, après la
\ lecture attentive des mémoires, par lesquels la mort naturelle de Courbon
est démontrée m athém atiquement, je ne conçois pas qu ’on puisse pré
senter de pareilles objections, qui tendraient à remettre en question le
point généralement adopte. Q ue nous importe , en e ffe t, qu ’ un cadavre
p û t ou non prendre, la position qu’avait C ourbon? Q uelle induction
pourrait-on tirer de cette concession? Pourrait-on en conclure q u ’il y a
eu homicide? U n e supposition gratuite, vide de sens, pourrait-elle
c o n t r e b a la n c e r, dans l'esprit des ju g e s , les preuves si nombreuses qui
.constatent In vérité? P u isq u e le ju g e m e n t i n i q u e , qui a ravi à trois
pères de famille les biens les plus précieux, l ’honneur cl la lib e rté , a
été porte sans p r e u v e s , sans corps de d élit ; puisqu’au mépris de l’avis
du médecin-expert et des autres consultans, l ’idée d’ un crime u’a pu
it r e détruite ; qu’elle a résisté, dans l’esprit des hommes p r é v e n u s, i
toutes les preuves les plus convaiucanles, il ne serait pus impossible qu®
�l ’erreur trouvât aujourd'hui des prosélites ; que le hon sens et I’équîté
fussent foulés aux pieds , et qu ’au mépris de tout ce qui est sacré,
l'injustice prévalût. L a prévention tien t, en e ffe t, la premier rang
parm i les faiblesses humaines ; e t , comme le dit M . C h o m el, la vérité
n'a p lus'de charmes pour celui h q ui l'erreur a su plaire.
Mais quel
puissant m o tif pourrait porter à employer toutes les
ressources de la chicane , et à ne vouloir apercevoir la vérité , que quand
on sera ébloui par son flambeau?
> Serait-ce pour assurer la perte des malheureuses victimes de l ’oppres
sion? P our s'étre tro m p é, croirait-on devoir défendre l'erreur? P ou r
avoir été trom p é, faudrait-il devenir coupable? INon ; j’écarte loin de
moi ces idées affligeantes ; je me plais h croire q u e les juges, commis à
l ’examen de l’affaire à laquelle je m ’intéresse si v iv e m e n t, seront équi
tables , e n n e m i s de l ’oppression , et qu'ils se rappelleront q u ’ in t e r p r è t e s
de la loi , ils n e d o i v e n t user d u g la iv e v e n g e u r , q u e q u a n d ils ont pebO
avec soin toutes les p r e u v e s ; q u a n d , a près a v o ir e x a m i n é scrupuleuse
ment les f a i t s i l s ont acquis une certitude mathématique ; et sur-tout
q u ’ ils sauront se prémunir de cet esprit de prévention, qui fait qu ’ore
considère presque toujours coupable celui qui n’est encore qu’accusé.
s
S o n » l e c o u p a b le e ffo r t d 'u n e n o ir e i n s o le n c e ,
T h cm L s a v u c e n t fo is c h a n c e le r sa b a l a n c c -
T)it Despréaux. Osons espérer que nous n ’aurons pas d’ application &
^ faire de ces vers, et que bientôt une réhabilitation entière permettra»
aux malheureux accusés de goûter le repos et le bonheur.
Mais dans une aiTairc si i m p o r t a n t e , qui doit si vivement intéresser
les amiâ de l’h u m a n ité, on serait coupable , je crois, de négliger un seul
des nombreux moyens propres à faire ressortir la vérité, à détruire le
prestige de l’erreur, et à briser le prisme de la prévention*
C ’est pour cela q u e , quoique les preuves que j ’ai déjà données ailleurs
me paraissent assez fortes pour établir la non culpabilité des accusés, jo
crois devoir uborder la question relative à la position , et tâcher do
démontrer q u e , dans aucuu cas, cllo ne peut être alliée à l'idée d ’ un
homicide.
�( 2i) )
L a question se r é d u it , je cro is, à celle-ci :
C o u r b o n , assassiné, aurait-il pu recevoir des mains*de ses assassins,
et conserver la position dans laquelle il a été trouvé ?
Je réponds par la négative. Je crois entièrement impossible q u ’ un
cadavre puisse conserver une position semblable, liors les cas analogues
à ceux de Courbon ; c'est-à-dire que celte position ne peut pas être
conservée, après avoir élé donnée après la m ort, si tant il est vrai qu’on
eut pu la donner. L ’ observation de ce qui se passe sur les cadavres suflira
pour convaincre de la vérité de ma proposition.
Après la m ort, c’est-à-dire après l ’extinction de celte propriété, en
vertu de laquelle le corps qui en jouissait était soustrait à l ’empire
absolu des lois physiques ordinaires, le corps humain partage les attributs
des autres co rps, et rentre sous l ’empire des lois physiques.
E n o u tr e , après la m o r t , il se développe de la r o id e u r , laquelle
présente cela de particulier et de différentiel, qu ’ une fois détruite, elle
ne reparaît plus. Ce phénomène paraît à des époques variables, suivant
le genre de m ort, l ’â ge, la c o n s t i t u t i o n d u sujet, l ’état atmosphérique ,
la disparition plus ou moins rapide de la chaleur. Quelques professeurs,
et entr’autres M M . Louis et F o d é r é , admettent que la rigidité cadavé
rique commence à se développer immédiatement après la m ort, malgré
l ’existence de la chaleur; mais en lisant attentivement divers autres
passages de l ’excellent Traité de ce dernier professeur, on voit qu’ il
admet que ce phénomène est susceptible de beaucoup de variations, et
q u ’ il est subordonné aux circonstances dont j ’ ai déjà parlé. O n peut
opposer à l’opinion exclusive de Louis , celle du nouveau professeur de
médecine légale de Paris,
M. Oriîla 7 q u i , dans les cours p ub lics,
enseigne que la rigidité cadavérique ne commence jamais à paraître
qu ’après la cessation de la ch aleur, à moins qu ’elle ne soit le résultat
immédiat de la m o r t , et qu ’elle n’ait paru avec elle , comme dans
quelques apoplexies, catalepsies, etc. Je pourrais rappeler l’avis d u
célèbre fheh a t, qui prétend, dans quelques circonstances , n’avoir pas
vu se développer ce phénomène, et celui de l’ illustre phisiologiste H uiler,
q u i , dans son xxx*
liv re ,
I)e M o rte , s'exprime de la manière suivante :
Sæ pè antô rigorem mors perfeetn est; et in proprio v iili puero nullunl
esse rigorem citm tertio jwst morlcm die sepcliretur. Mais on d o i t , je
�crois, rejeter toute opinion exclusive ; et l'examen d ’ un grand nombre
de cadavres m’a permis d'observer que l ’invasion de la roideur >arie
beaucoup ; qu ’elle se manifeste à des époques différentes chez des sujets
de môme con stitution , et placés dans les mêmes circonstances ; mpis
q u e , dans presque tous les c a s , la chaleur et la roideur étaient en raison
inverse l ’une de l ’autre ; qu ’ainsi la roideur augmentait à mesure que la
chaleur diminuait. Mais ce que je dis ici n ’est relatif qu ’aux sujets
morts de maladies plus ou moins’ longues; car la cause de mort subite
fait varier ce phénomène ; et c ’est sur ce point que tous les auteurs sont
d ’accord. M. Fodéré dit que souvent on voit des sujets morts,d’hémor
ragies, de vo m iqu es, présenter instantanément une roideur extrê m e,
et conserver la position qu’ ils occupaient dans des chaises, etc. Morgagny,
dans son ouvrage D e sed. et caus, M o r b ., présente beaucoup de faits
semblables ; et M M . Marc et L ucas en ont cité un exemple dans leur
Mémoire. lïippocrate dit qu ’après les apoplexies , pt sur-tout celles qui
succèdent à l ’ivresse, il existe souvent un ctat de contraction spasmodique
des membres, et l’observation journalière vient appuyer ces faits. A i n s i ,
on observe cette roideur spontanée chez les cataleptiques, chez les
asphixiés; m ais, comme je viens de le dire , elle est instantanée, parait
aussitôt après la m o r t , et ne doit pas être considérée comme un phéno
mène cadavérique : elle est en effet le résultat d ’ une dernière et forte
contraction des muscles, laquelle se prolonge et se confond plus tard
avec la véritable roideur cadayérique ; c ’est dans ce cas , ainsi que dans
le tétanos, que pourrait être admise l ’opinion de feu M . Nystcn , qui
prétendait que la roideur cadavérique était le résultat d ’ une action
vitale.
Mais quand la mort a ¿té le résultat d ’ une cause qui a agi en portant
ptteinte au principe de la contractililé m usculaire, telle que la luxation
des vertèbres, la comm otion, etc. , les muscles restent beaucoup plus
lon"-tems à devenir roides, et ne le restent que pejj de tems. L es
membres deviennent mous et flasques au moment de la m o r t, cornmo
l ’a observé J^ouis, sur les suppliciés par la co rd e , qui succombaient
presque toujours à une luxation des vertèbres, quand ils étaient exécuté»
par le bourreau de Paris,
Dans les asphixics qui ne sont pas suivies de roideur spontanée, Jn
p â l e u r restant assez forte pendant lo n g -tein s, il c*1 résulte quo la
�roideur cadavérique ne doit se manifester aussi que très-tard ; et crest ce
que l ’observation démontre.............
O r , faisons l ’application de ces faits à l ’examen de la position du
corps de Courbon.
E n supposant qu'il a été assassiné (chose que j ’ai démontrée impossible),
il faudrait admettre qu’il a succombé à la luxation des vertèbres, ou à
l ’aspliixie par suffocation.
O r , dans ces deux c a s , la roideur cadavérique n’aurait dû se montrer
que très-tard ; et, à l ’époque à laquelle on trouva le cadavre de Courbon ,
elle n’aurait pas p u être com plète, puisqu’il était encore chaud. I l
aurait donc été absolument impossible aux assassins de faire conserver à
Courbon la position que sa flexibilité pouvait permettre de donner. O n
a v u , en effet, quelle était cette position : elle est des plus forcées ; le
poids du corps repose sur la n u q u e , tandis que le bassin, les extrémités
inférieures sont soutenues par l ’extrémité d’ un pied fortement tendû et
u n genou. O r , cette position exigeait de fortes contractions, et le
consensus d ’action de p r e s q u e tou s les m u s c les p o u v a i t s e u le la faire
conserver. U n cadavre flexible, obéissant à la pesanteur, ne pouvait
donc pas être placé de la sorte et y rester; l ’affaissement du corps vers
le sol se serait infailliblement opéré, et la chute se fût opérée en avant
ou sur les côtés. T o u t le monde a sans doute éprouvé ce fourm illem ent
et cette pesanteur dans la )ambc , après la compression des nerfs qui s’y
distribuent. S i , dans cette circonstance, on veut prendre un point
d ’appui sur ce m em b re, il fléch it, ne peut soutenir le poids du corps ;
et la chute s’opérerait, si le centre de gravité n’était aussitôt transporté
sur l ’autre membre.
O r , ici il n’ existe qu’ une paralysie momentanée et partielle des
muscles de la jambe ; et combien plus marqué doit être cet affaissement,
q u a n d , par la m o rt, toutes les puissances musculaires sont privées de la
contractilito I
D ’nilleurs, pour pouvoir supposer la conservation de cette p o sitio n ,
il faudrait admettre dans le cadavre des manières d ’être qui se détruisent
et sont opposées>Huno à l’autre; il faudrait q n’il existât en même teins
flexibilité et roideur; flexibilité, pour pouvoir trousser ainsi le cadavre;
roideur, pour que la position donnée pùt être conservée. O r , non«
savons déjà qu’ une fois la roideur détruite par les efforts qu’on a faits, et
�( 3* )
les tractions exercées sur les membres., elle ne reparait plus. Il est donc
impossible, en supposant flexibilité .ou roideur du cadavre, que la
position eût pu être donnée et conservée. D ’ailleu rs, si le cadavre
n ’avait été p la c é , dans cette position d éclive, qu’ après un assassinat,
011 n'aurait pas dû trouver cette lividité de la fac e, cette injection deç
y e u x , ce gonflement de la lan g u e ,
qui attestent que la mort s’est
effectuée dans cette position.
Veut-on admettre j malgré toute l ’absurdité d ’une semblable suppo
sition , que les assassins, après avoir placé le cadavre dans le fossé1,
l ’aient maintenu en équilibre et dans la position observée, jusqu’à co
que la roideur survenant l ’ait ainsi fixé. Mais, comme nous l’avons d i t ,
en admettant l’h o m icide, la roideur aurait dû se manifester plus tard ;
et peut-on raisonnablement admettre que des assassins aient reste pen
dant aussi long-tems p r è s de leur victime , froids o b s e r v a te u r s des
phénomènes c a d a v é r i q u e s ? P c u t - o n p e n s e r q u e d es paysans, étrangers il
toutes les connaissances médicales, aient pu présumer que la position
donnée à Courbon ferait naître l’ idée d ’apoplexie, et écarterait cello
de meurtre? A u mépris des dangers qu !ils couraient, auraient-ils été
transporter ayec effort le cadavre, précisément contre une h abitation,
dans uu fosse attenant à une g ra n g e , dans laquelle étaiaut couchées
plusieurs personnes? Pendant Je transport, les vêtem ens, la coiffurc
n’auraient-ils pas été dérangés? L ’idée de chercher à déguiser un crime
par un moyen si difficile, aurait supposé une préméditation. O r , la
préméditation a été éloignée dans le jugem ent, et on a pensé q u ’ il »’y
avait eu que meurtre : c’eût donc été par inspiration, qu’ils se seraient
avisés d ’ un procédé semblable! L e bon sen^ ne devait-il pas au contraire
leur faire s a i l l i r , que plus la position serait b iz a r r e et u x lr a o r d i n a i r e ,
plutôt elle devrait éveiller l'attention des magistrats. S'ils avaient été
aussi rusés qu ’ il faudrait l’admettre , ils auraient tout simplement étendu
le cadavre sur la voie publique , ou bien ils l’auraient pendu , pour faire
naître l’idée d ’un suicide. Mais, pour adopter toutes ces suppositions, il
faudrait admettre un sang-froid qui est incompatible avec l’ idée d ’ un
meurtre ! un raffin em en t dans le crime, qu’on ne pouvait pas trouver chez
des paysans q u i , jusqu’ alors, avaient joui de la considération publique!
E l puisque,
par su ito «lu genre de mort qu'ils a u r a i e n t d o n ne, il no
restait pas de traces de leur crime , d ’iiulices extérieurs , ils auraient dty
�(33
)
être tranquilles, ignorant qu’ un médecin habile doit Interroger les restes
inanimés de la victime , faire parler ses organes , et lire , dans leur alté
ration , l ’accusation , l ’arrêt des coupables !
Toutes ces preuves morales sont bien suffisantes, je crois, pour dis
siper toute incertitude et détruire l’objection; mais en supposant encore
(car je ne
raisonne
toujours que sur des suppositions) que les assassins
soient restés près de leur victime , aient eu le courage et la patience
d ’ûttctidrc, croit-on que la position eut etc conservee? ^ on , sans
doute j car à mcsui’o que la roideur se m anifesteiait, 1 état des parties
devrait changer, l’équilibre serait détruit, et le corps obéirait sans
cesse à la pesanteur. Il aurait f a l lu , pour pouvoir conserver la position ,
soutenir pendant plusieurs heures .'le cadavre, ne pas l’abandonner d ’ un
m oment, pour remédier aux eifets de la roideur;.et il eût fallu attendre
jusqu’à ce que celle-ci eût été com plclte; cela n’ a pas eu lieu ; car la
roideur augmente jusqu’à la disparition de la chaleur, et il est certain
q u ’ici elle était conservée. Il n’ est donc rien , rien du t o u t , qui puisse
faire croire à un hom icide; tous les faits sont opposés à celle i d é e ,
tandis que tous se r a t t a c h e n t n a t u r e l l e m e n t à l 'a p o p l e x i e , et la dé
mon tren t c l a i r e m e n t , ^ ous avons v u , en eifet, que dans les apoplexies,
les catalepsies, il arrive quelquefois une roideur spasmodique plus pro
noncée que celle qui ne se développe que plus la r d ; qu’elle est instan
tanée ; qu’elle peut rendre raison de toutes les positions bizarres
affectées par les cadavres; qu’elle peut coïncider avec la chaleur; d'autre
p a r t , j ’ai démontré que tout ce qui était propre à la faire admettre
avait été trouvé, et rien autre que cela» Il doit donc rester bien dé
montré que Courbon a succombé a une mort naturelle , et qu’en con
séquence il n’y avait pas lieu à une accusation, encore moins à une
condamnation.
Je crois inutile do m’ appesantir davantage sur ces faits de roideur ;
«t il ine semble qu ’ il n’est aucun m o jc n raisonnable de n luler les
nombreuses preuves de la mort naturelle de Courbon : par conséquent
je bornerai ü ,ncs réflexions. Vous voyez , Monsieur, qu ’elles sont
absolument les mêmes que celles dont vous me faisiez paît. Kous ne
différons que sur quelques points théoriques , et j’aurais pu me dis
penser de vous adresser ces lignes, dans lesquelles vous ne pouvez
puiser aucun argument bien puissant.
J ’ espèro recevoir avant peu la n o u velle de l ’ entière réhabilitation de
�O 4 5
ces malheureux accusas, et j ’attends ce jour comme devant ¿tre un dc3 •
plus beaux de ma vie.
V e u ille z , M onsieur, agréer l ’assurance de la haute considération
avec laquelle j ’ai bien l ’honneur d’être ,
V o tre très-humble et obéissant serviteur,
A. MCIIOND,
Sous-aide à l'hôpital militaire de Strasbourg.
Strasbourg, 3 mai 1821.
L e professeur, soussigné, ayant pris connaissance de ce nouveau
M ém o ire, relatif à la position qu ’ayait conservée le corps de Courbon,.
déclare être entièrement du môme avis, et en approuver le contenu
dans sa totalité.
Strasbourg, le l\ mai 1821,
Signé F
C 'eit
' Le
par E rreu r, q u e
le
r a p p o r t t u iv a n t
a étc
im p r im é
le c t e u r r e m a r q u e r a f a c ile m e n t la p l a c e q u e
c n su iv a n t l ’ o r d r e c h r o n o l o g i q u e .
cet
k la Cn
o d Ér L
d e » p iè c e s ju s t ific a tiv e s .
a cte d e v a it O c c u p e r d a n s l e r e c u e i l^
( N o t e Je l ’ imp rimeur)-
�R apport
de
Messieurs D a r le s et D e b r y e ,
à
médecins
Yssingeaux.
N ous, soussignés, François-Paul Césaire Darles, médecin de l'hospice
e t (les prisons de la ville d’ Yssingeaux , et Laurent-Marie D e b r y e , aussi
médecin de cette v ille , d’ après l’invitation qui nous a été faite par
RI. P u r a y , substitut du procureur du Roi près le tribunal de cette v ille ,
h l ’effet d ’émettre notre opinion sur la question de savoir si la situation
dans laquelle a été trouvé le cadavre de Jean C o u r b o n , du lieu du
M azet, commune de D unièrcs, arrondissement d’ Y ssingeaux, résulte
nécessairement de violence extérieure, ou si elle est plutôt l ’effet naturel
d ’ un accident, laquelle invitation est contenue dans un Mémoire à
consulter, signé de M . le substitut, et accompagné de pièces à l ’a p p u i ,
Déclarons qu ’après avoir pris connaissance de ce Mémoire et des
p ièces, qui consistent principalement dans le procùs-verbal du juge do
p a ix , le rapport du médecin , l ’extrait d ’une lettre du même juge do
paix , les dépositions de divers témoins , etc. , il nous parait co n sta n t,
en fait, que Jean C ourbon, ûgé de trente-cinq à trente-six ans, homme
d ’une haute et large stature, ayant la figure livide, le cou court, la tète
grosse, et l ’habitude de s’enivrer, a été trouvé sans v i e , dans la ma
tinée du 8 septembre 18 1^ , dans une fosse placée derrière la maison de
Jacques Massàrttier, aubergiste à Dunières (celte fosse, de quatre à cinq
pieds quarrés en tout sens, sur deux pieds et demi de profondeur, était
attenante à la maison , ot placée tout près de la porte de la g ra n g e , à
droite) ; que dans cette fosse, où étaient quatre ou cinq excrémens h u
mains non écrasés, so trouvait aussi de. la paille peu froissée ; que cet
endroit communiquait à la rue principale d e D u u iè r c s c l à une auberge,
par un sentier très-usité, et était aussi accessible à tout venant; que
Jean C o u rb o n , q u i , la v e i l le , était ivre, ou à peu prés, était placé
dans cette fosse, lorsqu’ on l’y a trouvé le dos en l ’a ir, et suspendu ou
porté uniquement sur ln nuque ( la tûte étant totalement repliée), sur
la pointe du pied gauclie, qui était te n d u , et sur la pointe du pied
droit, et du genou dro it, sur lequel était aussi appuyé« sa main droite;
/juc le chapeau dudit Courbon était placé sur «es épaules; que ses liabits
�(36}
n ’étaient nullement déranges; que l ’aulopsic cadavérique, faite par
M. Th om as, officier de santé, n ’a présenté aucune violence'extérieure,
ni aucune contusion à l a . t ê t e ; que les vaisseaux qui fournissent du
sang au cerveau étaient entièrement engorgés, la langue très-volumi
neuse, les yeu x très-rouges, et les vaisseaux de la sclérotique injectés ;
q u ’ il sortait de la bouche des liqueurs fermentées, qui regorgeaient de
l ’estomac; que le visçère ayant été mis à découvert, ainsi que ceux de
l ’nbdomcn , étaient tous parfaitement sains; que l ’estomac contenait,
dans son intérieur, des liqueurs fermentées; q u e , d ’après des témoins^
contre l’opinion de M. T h o m a s , médecin , la tête était très-mobile t
mouvante, comme une boule sur un b âton ; et q u ’enfin, suivant ces
Jémoins , le cou présentait des taches ou ecchymoses.
D ’après tous ces faits, et un pareil état de choses,
Nous déclarons que la mort de Jean Courhon a pu être l ’effet de la
conjestion du sang au cerveau , remarquée «le l'officier de santé , dans
l ’autopsie cadavérique > soit que cette conjestion• résulte , comme le
prétend M. Thom as, d ’ une attaque d ’apoplexie, soit q u e, effet pure
ment physique, elle résulte des-lois de la pesanteur, et dérive de la
position de l’individu , q u i , ayant la tête plus basse que le corps , et
placée sur la poitrine, a dù succomber à l ’accumulation du sang au
çerveau ,. dont la circulation était moins gênée dans les artères carotides,
que dans la veine ju gulaire, qui participent, davantage à la courbure’
de la tête et aux plis de la peau h à cause de leur position superficielle ÿ
et cette dernière hypothèse nous paraît plus probable, q u ’ une attaque
d ’apoplexie, q u i, étant une fonction maladive ^ n’arrive que par casfo rtu it, et nécessite un concours de circonstances propres à sa mani
festation. ■
,1 : y. ... •
N o u s déclarons ég alem ent q u e la position fiti-a n rd m a ire do cet indi
v id u s’e x p liq u e très-facilement jiar la luxationf<Io» vertèbres cervicales,
luxation d o n t les dépositions de q u e lq u c s 'lé m 6 iiis nous d o n n e n t une1
idée , lorsqu’ ils rapportent q u e la tête était très-mobile sur les épaules.
L es vertèbres n’ o n t p a l p u sc lu x e r sans occasionner des tirnilleinens
iiibiîs dans la m oelle épinière', tira illem en t q u i , a leur t o u r , ont p r o d u it
injtnnt<<n<:mont 1;V'contraction téUiu'iqiie d(|>l'iudivi(lu (dont lVflî*t a étw
la position ex tra o rd in a ire'd u sujet ) j et d l- te n n ilié in mort , 'en p e r m e t la-At ch luôfiic tenv» l’aUlux d u-tdtjg ati corve-iu.
1
�(
)
37
Boyer admet la possibilité de la luxation complète des vertèbres cer
vicales, lorsqu'on citant l’exemple de luxation incomplète des vertèbres
cervicales, dont l’une eut lieu sur un enfant qui faisait des culbutes suï
1111 l i t , il ajoute que ces sortes de luxations, dont on n’ a pas d ’exemple ,
sont très-possibles, et qu ’il doit exister des tiraillemens dans la m oelle
épinière ( V o y e z le Traite des maladies chirurgicales, 2 e éd ition , 18 1 8 ,
page 1 1 7 .)-
(
.
Jean Courbon se sera luxé la vertèbre cervicale en tombant dans la
fosse , ou plutôt en cherchant à se relever. Sa position , comme celle de
tous les ivrognes, devant être celle d’ un homme qui se place pour faite
une cu lb u te , il sera tom b é, par la lassitude des efforts qu’ il aura faits
pour se relever, de tout son poids sur la tète ; et celle-ci se trouvant
engagée sous la poitrine , alors lien n’cmpêche , ou plutôt tout fait pré
sumer que Courbon se sera luxé les vertèbres. On sait que l ’apophyse
oblique des vertèbres cervicales a une position horizontale, et qué 1?
courbure de la tète permet aisément leur luxation. D'ailleurs il est,
comme le dit Fodéré (édition de 1 3 13 , vol. 3 , n os 0 4 1 cl 642) certaines
positions organiques ( Çt ccllos- là peuvent être supposées clif* Jiiau
Courbon, que nous avons connu , et qui avait les fibres lâches et le corps
usé par le y i n ) , où les ligamens sont telloinent relâchés, que le moindre
cfl’ort peut Ici rompre.
On peut prétendre que des assassins ont pu placer un cadavre , devenu
róide , dails la position où 011 a trouvé' Courbon ; mais , outre qu ’il faut
supposer cétte lu x a tio n , cornine nous vénons de le faire, on ne peut»
sans cette supposition, expliquer la mort de Courbon par la congestion
du sang au cerveau, si 011 avait seulement tordu le cou à Courbon., à
moins qu’ il n'y eut en même teins étranglem ent; mais alors les signes
extérieurs do l’étranglement auraient été évidens ; car on 11e doit pa?
prendre pour signe de violence extérieure
quelques taches ou ecchy
moses reconnues par quelques témoins, mais par d ’a u tr e s q u i , appréciés
a leur juste valeur, indiq uen t, par cela seul, qu ’ellcs n ’ont pas été
aperçues par certaines personnes ; q u ’elles 11e devaient pas être très-pro
noncées , et qu ’elles peuvent, en les a d op tan t, être regardées collimo
l’eflet de la luxation «les vertèbres.
O u t r e que ceux q u i m uaient fait subir u n e mort violente à JoaO
C o u rb o n pouvaient trouver un lieu m ieux choisi (¡ne c e l t e fosse, pou r
éviter d'élrc aperçus , et des positions plus convenables
, pour,
faire m p -
�(
33
)
poser une mort n a tu re lle , comment auraient-ils pu déposer le cadavre
dans cette fosse, et l’y arranger dans la position extraordinaire et téta
nique où on l’a trouvé , sans écraser les excrémens qui étaient au fond ,
et sans froisser la paille ?
D ’après toutes les considérations que nous venons d’exposer, et la
discussion dans laquelle nous sommes entrés, nous déclarons, en répon
dant à la question u n iq u e , quoique d o u b le , qu’a posée M. le substitut,
à la fin de son Mémoire à consulter , et qui est conçue en ces termes :
« L a mort de Jean Courbon et sa position extraordinaire dans la fosse
« de Massardier ne peuvent-elles être expliquées que par le fait d’ un
« crime?
« O u b i e n , ne pourrait-on pas plutôt trouver la cause de cette mort
a et de cette position dans un accident n a tu re l, provenant de la ch ute
« de Courbon dans la fosse, et de ses efforts à se r e lev e r, sa tête appuyant
« a te r r e , comme font les ivrognes ? »
Nous déclarons , diso n s-n o u s , q u e la m o r t d e J e a n C o u r b o n et sa posi
tion extraordinaire dans la fosse de Jacques Massardier , p e u ve n t et
d o iv e n t s’e x p liq u e r par t o u t autre fait q u e celu i d ’ un c r i m e ,
E t qu’ il est plus probable que Jean Courbon a péri par congestion du
sang au cerveau , résultant de l ’ivresse et de sa position, et peut-être
aussi en même tems par luxation des vertèbres cervicales, produite par
sa ch ute ou ses efforts à se relever (luxation qui explique très-bien
la contraction tétanique de l ’individu , dont l ’effet instantané aura é té ,
entr’autres, la roideur de la jambe gauebe et la main sur la cu isse),
que par le fait de violence exercée sur sa personne ;
E t enfin nous pensons qu’au lieu de se livrer à des suppositions,
e t a des hypothèses, on doit plutôt s’arrêter aux signes qui in d iq u en t,
d une manière si evidente , la mort naturelle de Jean Courbon.
f a i t à Yssingea u x , le 11 juillet 1820.
S ig n é
D a r le s.
D ebrye,
A R IO M ,
chez J . C
SALLES, IMPRIMEUR. DE LA COUR ROYALE ET DU BARREAU,
,
�
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Title
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Factums Godemel
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Description
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Title
A name given to the resource
[Factum. Rispal, Régis. 1821?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Subject
The topic of the resource
faux témoignages
travaux forcés
condamnation à mort
homicides
médecine légale
flétrissure
obésité
cabaret
ivresse
alcoolisme
autopsies
rumeurs
juge de paix
témoins
affaire Fualdès
erreur judiciaire
Description
An account of the resource
Titre complet : Pièces justificatives.
Table Godemel : Révision : de procédure et arrêt, au grand criminel. - innocents condamnés.
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Chez J.-C. Salles (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa 1821
1817-1821
1814-1830 : Restauration
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
38 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G2518
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Relation
A related resource
BCU_Factums_G2517
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/6/53504/BCU_Factums_G2518.jpg
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Dunières (43087)
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MÉMOIRE
POUR
R é g is R I S P A L , propriétaire3 habitant du
de Dunières, canton de M ontfaucon ;
Et
lieu
G A L L A N D , propriétaire, habitant du
Maltaverne , mêmes commune et canton.
J a c q u e s
lie u d e
Tous les d eu x condamnés, le 9 mars 18 19 , p a r arrêt
de la Cour d ’assises séant au P u y , département
de la H aute-Loire , a u x travaux forcés à perpé
tu ité à la flétrissure , et exécutés , le 16 ju in
suivant, comme coupables d ’homicide volontaire,
et sans prém éditation, sur la personne de Jean
C ou rbon
■
E t adm is , p a r arrêt de la Cour de cassation , après
condamnation définitive d ’un f a u x témoin , et
annullation de l ’arrêt de la Cour d ’assises de la
H aute-Loire 3 à être jugés de nouveau, sur même
acte d 'a ccusation , pa r la Cour d ’assises du dépar
tement de la Loire , séant à Montbrison.
S a p e oculi et aures v u lg i sunt testes mali.
PubLIE Sxnr seiUculia.-.
17
E n c o r e une méprise de la justice! encore un exemple
effrayant de l 'effet de la prévention! encore une occa
sion de déplorer l ’erreur des jugemens h u m a in s, et de
gémir sur la triste condition des magistrats et des jurés!
Deux citoyens, deux pères de famille ont été arra
chés pour toujours à la société et à leurs affections ;
�( 2 )
un arrêt les a condamnés aux travaux forcés à perpé
tuité et à la flétrissure; cet arrêt a été exécuté; et cesdeux malheureux, livrés aux bourreaux, ne sont des
cendus de l ’échafaud que pour être précipités dans un
bagne, et livrés aux horreurs et aux tourmens de cet
enfer anticipé.
Il est vrai que le crime dont ils étaient et sont
encore accusés est horrible. Ils n ’étaient mus par
aucune espèce de passion ; ils n’avaient aucune haine
à assouvir, aucune vengeance k exercer, aucun intérêt
à conserver; cependant ils auraient entraîné dans leur
propre maison un homme estimé de toute la contrée ,
le soutien et le bienfaiteur des malheureux et des
indigens, 1 ami de tous ses concitoyens ; lh , ils auraient
froidement calculé les moyens de lu i donner la mort;
e t, après avoir essayé différens genres de supplice, ils
auraient étouffé le malheureux C o u rb o n , lui auraient
rompu la colonne vertébrale , et auraient ensuite
transporté leur victime dans une fosse, et placé son
cadavre dans la position qui pouvait le mieux cacher
leur forfait. A h ! si un crime aussi cruel et aussi inu
tile a été commis; si les accusés en sont les auteurs,
pourquoi d’aussi vils assassins existent-ils encore ?
Combien est blâmable l ’indulgence du jury dont la
déclaration leur a conservé la vie !
Mais, dès l’origine des poursuites, les accusés ont
protesté de leur innocence.
« Il n’y a point de crime! se sont-ils écrié; pourquoi
« chercher (les criminels?
«
«
«
«
«
« Courbon n ’a point été assassiné; il est mort d’apoplexie : le procès-verbal du juge de paix l'atteste,'
le rapport du médecin le prouve; sa constitution
physique, les excès auxquels il se livrait habituelleinenl, l’inspection de son cadavre, le lieu où il a
été trouvé, la position dans laquelle il éta it, toutes
�( 3 )
les circonstances de la cause se réunissent pour
confirmer cette vérité.
« S’il n ’y a point de crime; s’il n ’y a point d ’excès
à venger, quels criminels espérez-vous donc décou
vrir? N ’est-ce point assez cjue nous ayons eu à sup
porter une instruction téméraire et inutile ; que
nous ayons été poursuivis lorsque la vérité fonda
mentale, le point essentiel, le fait le plus préalable
de tous les faits, le seul qui puisse servir de base k
une accusation, était prouvé en notre faveur-, lorsq u ’enfîn la non existence dù délit était établie ?
Faudra-t-il encore que vous couriez après l ’om b re ,
dans le tems que vous pouvez saisir et arrêter le
corps ; que vous négligiez la vérité pour chercher la
figure ; q u ’enfin vous préfériez un fantôme qui.
échappe, à une réalité qui s’offre et qui se présented ’elle-même aux yeux de la justice?
« Vous nous opposez des dépositions de témoins ,
des indices, des présomptions ; nous les détruisons
d ’un seul mot : il n ’y a pas eu de crime commis,
donc il ne peut y avoir de coupables.
« Mais faut-il confondre la malice de ces témoins ?
faut-il vous prouver que nous sommes victimes
d’une horrible calomnie? A notre tour nous les
accusons, ces tém oins........... L e tems, les lieux et
les hommes se réuniront pour les convaincre de
m ensonge........ Suspendez votre jugem ent............
Sachez douter encore, et vous n ’aurez bientôt que
des calomniateurs à punir. »
Vaines prières, efforts inutiles......... Les malheureux
descendent vivans dans la to m b e !.........
Mais des cris se font encore entendre ; la société en
est troublée : « Nous sommes innocens ! nous sommes
« innocens ! s’écrient les condamnés ; des témoins
« pervers ont égaré le glaive de la justice : q u ’à leur
« tour ils eu soient frappes j nous renouvelons la
�( 4
)
« plainte que nous avons déjà portée contr’eux : q u ’ils
« soient soumis à une instruction; q u ’ils soient jugés,
« et l ’erreur dont nous sommes victimes sera reconnue ! »
Quelle est cette femme qui vient joindre ses géné
reux efforts aux prières des deux condamnés ? Elle
appartient à une des classes les plus obscures de la
société; l ’éducation n ’a point développé en elle les
dons de la nature; ses mœurs sont simples; ses paroles,
rustiques comme les habits qui la couvrent. Quel faible
appui! Comment parviendra-t-elle à détruire les pré
ventions qui assiègent le temple de la Justice?
Mais elle est sœur., elle est épouse, elle est mère ;
elle reposait auprès de son époux au moment et dans
la même maison où l ’on prétend que Courbon a été
assassiné; elle était encore auprès des condamnés à
l ’instant où un vil imposteur soutient avoir entendu
l ’aveu de leur crime; elle est donc sure de leur inno
cence, et son ame généreuse ne peut que s’indigner de
la malice des hommes.
Par ses soins, la procédure en faux témoignage
commence ; elle ose pénétrer dans cet abîmé et en
sonder la profondeur : elle y porte enfin la lum ière,
et bientôt l ’on apprend,
'
.
. ■
i° Q u ’il n ’y a point eu dô crime commis;
2° Que tous les indices qui s’élevaient contre les
condamnés s’expliquent en leur faveur;
3 ° Enfin que les dépositions qui ont égaré la conscience
du jury sont mensongères et fausses.
CJn faux témoin est traduit aux assises : la femme
Rispal s’y présente; elle est accompagnée de l ’épouse,
non moins courageuse, de Galland : l ’une et l ’autre
viennent couvrir de leur protection des victimes si
chères, et demander la condamnation de l’auteur de
tant de maux. Leurs vœux sont exaucés; elles p e u v e n t
enfin concevoir l’espérance de retrouver des époux.
�(S )
dignes d’elles, (le rendre un père à leurs enfans , ci
des citoyens à la société.
Quelle p itié , quel intérêt, quel attendrissement ne
sont pas en droit d ’attendre def toute ame sensible ces
deux épouses, ces deux mères infortunées! Cependant
elles ne demandent q u ’un examen impartial et réfléchi;
elles se sont imposé la glorieuse tache de faire passer
dans l ’ame de leurs juges la conviction qui les anime.
L ’accomplissement de ce devoir sera facile et aura ses
douceurs, si ceux qui sont appelés à décider d ’aussi
grands intérêts se rappellent que l ’homme qui déclare
l ’homme coupable, et le punit à ce titre , résout un
problème, et exerce un droit où D ieu seul est assuré *
de ne point faillir-, que tous les jugemens seront ju gés5
q u ’ainsi toutes les passions, quelles q u ’elles soient ,
doivent s’en retirer, l ’homme a yan t, dans sa faiblesse
native, bien assez de chances d ’erreur.
.:
F A IT S.
1
L e sieur Jean C ourbon, habitant a:u lieu du M a z e t,
commune de Dunières, appartenait à une famille recommandable; il était riche, et père de trois en fans}
honoré de l ’estime publique, juste récompense de ses
vertus. Il était le protecteur du faible-, et l’indigent,
objet constant de ses sollicitudes , ne réclamait jamais
en vain ses secours} d ’ailleurs, doux et affable avec
tout le monde, fidèle à l ’am itié, observateur exact de
ses engagemens, C ourbon, chéri et respecté de tous scs
concitoyens, n ’avait et 11c pouvait avoir que des amis.
'La constitution physique de Courbon est aussi à
remarquer : il avait les'épaules larges, le cou court et
la tête grosse; son embonpoint élait e xt raordi nair e.
Courbon pesait au moins deux cents livres, et a j oui a it
aux dangcis de cette cou formation , tous ceux qui
naissent de 1 exces habituel des liqueurs iermentees
�(M
;
de toute espèce : aussi, a chaque instant pouvait-on
craindre q u ’ un accident trop facile à prévoir ne vint
enlever ce bon citoyen à sa fam ille, à l’affection de
ses amis, et k la reconnaissance publique.
Tel est l ’homme que l ’on soutient avoir été la
victime d ’un assassinat : la possibilité d ’un autre genre,
de mort a été repoussée avec in d ign ation !,...
Mais quels sont les accusés? Il faut les faire con-*
naître, et ne leur donner d ’autres traits, que ceux
que présentent, et la procédure et les documens les
plus certains.
,
.G alland, Rispal, et Tavernier sont beaux-frères ;
leur sort a été bien différent. Ils étaient accusés du
même crime; cependant Galland et Rispal ont été
condamnés aux travaux forcés k perpétuité, tandis que
Tavernier n’a eu à subir q u ’une année d ’emprisonne-T
ment. Les deu* malheureux, qui figurent aujourd’ hui
seuls dans le procès,, ont dû. se féliciter, au moment
de leur condamnation, de ce que leur beau-frère
n ’était pas obligé à partager leur misère. L ’erreur
ycnait de frapper des têtes; également innocentes; e t ,
si les peines étaient inégales 3 le public pouvait y
Attacher le même degré d ’infamie, llispal et Galland
ont été cependant seuls autorisés, k se pourvoir en
révision de leur arrêt; ils tiennent cette faculté de la
nature de la peine qui a été prononcée c o n tre u x ;
mais si la loi l ’interdit à Tavernier, condamné correctionnellem ent, il trouvera sa réhabilitation dans
justification de ses beaux-frères. Rispal et G a lla n d ,
,en prouvant leur innocence, démontreront également
la. sienne; et si quelque chose pouvait ajouter au
bonheur de leur triomphe, ce serait la douce idée de
le partager avec, cet autre infortuné, dont le front est
resté si long-teins courbé dans la poussière.
Reprenons les,faits.
G alland, habitant du lieu de M altavcnie, commune
�(7 )
rie Dunières, appartient à une famille honnête, et qui
n ’est connue que sous les rapports les plus avantageux.
Cet homme vivait dans une heureuse médiocrité.
Après avoir payé sa dette à la patrie, il s?était retiré
du service, et habitait avec sa femme le lieu qui l ’avait
vu naître5 il y cultivait un domaine qui lui avait été
transmis par sa famille, et qui peut être évalué k
3o,ooo francs.
G a lla n d , satisfait de son humble fortune , était
connu par sa franchise, son désintéressement, son
honnêteté; il aimait à rendre service, et la calomnie
n ’a jamais essayé de flétrir son caractère, en l ’accusant,
ou même en le Soupçonnant capable d’aucun acte de
bassesse.
:c>
G alland joignait à la franchise d’un so ld a t, la brus
querie et l ’orgueil qui en sont les compagnes ordïâaires;
il pouvait lui être difficile de supporter froidement
vin caprice ou une insulte ; peut-être encore q u ’il aima
Si partager avec ses amis les plaisirs de la table ‘r mais
en était-ce assez pour le dépeindre comme un homme
violent, adonné au v in , un querelleur et un mauvais
époux I
.
1
?
Galland a répondu a plusieurs dè ces reproches, en
rapportant les certificats les plus honorables. Ils attestent
q u e , comme soldat, sa conduite était tellement régu
lière , q u ’il n a jamais été condamné à la peine de
police la plus légère; et q u e , comme citoyen^ il<n’â
jamais inspiré aucune crainte h personne, ni provoqué
la surveillance ou les sollicittides de l ’autorité. Son
épouse, h Son to u r, est venue le venger de l ’injure
qui pesait le plus sur son cœur. On l’a VUe aux assises
(le Riom répondre li la calomnie, ■
>en pressant son
époux dans ses bras, et en le baignant de ses larmes.
Régis llispal, autre accusé, habitait Dunières; sa
famille est honnête, et si sa fortune était médiocre, il
y suppléait par sou économie, son industrie et son
�(8 )
activité. L a confiance q u ’il s’était acquise dans . son
état de boulanger lui donnait l ’espoir d ’élever sa fa
mille et d ’augmenter son faible patrimoine. La mora
lité dejcet homme n’est point douteuse; elle est attestée
par le juge de paix. Ce juge, qui veut ensuite que la
maison Rispal soit devenue un repaire d ’assassins, nous
apprend» « que l ’on peut dire de Rispal plutôt du bien
« que du m a l ......... y que l ’on se tait sur son compte j
« que généralement l ’on pense q u ’zï a été trompé ;
« q u ’on dit même q u ’il avait fait entendre des paroles
« de vie. »
Ainsi Rispal est un citoyen honnête; mais faudraitil parler de ses qualités domestiques? Le dévouement
de son épouse n ’est-il pas connu ? ces voyages nom
breux , ces sollicitations pressantes, ces larmes si sou
ven t répandues, ces accens si déchirans du désespoir,
cette abnégation de l ’avenir, qui lui fait abandonner
le soin de sa fortune , sacrifier sa d o t , l ’existence
même de ses e n f a n s c e t héroïsme enfin de l ’amour
conjugal n ’attestent-ils pas que Rispal est le meilleur
des époux comme le plus tendre des pères? • .
U n troisième accusé était présenté aux assises de la
llautc-Loire : c’est Tavernier. L ’instruction n ’apprend
rien de désavantageux sur son compte; 011 y
(IU ^
habite l ’arrondissement de Saint-Etienne, où il est à
la tête d une fabrique de soie, dont il est propriétaire.
Son caractère et ses mœurs sont d ’ailleurs extrêmement
douces; et, depuis sa condamnation, il a toujours pro
testé de son innocence et de celle de ses deux beauxfrères, qui ne l ’avaient point quitté un seul instant.
Il faut ajouter que Tavernier était le seul des trois
beaux-frères, qui eut des relations d ’intérêt avec .lean
Courbon. Ce dernier était son débiteur, par billet,
d ’une somme assez modique, et la lui remboursa la
veille de sa mort.
Ce tableau fidèle de la position sociale, des mœurs,
�(9
)
du caractère et des habitudes du malheureux Coilrboii
et des accusés était indispensable, pour mettre les lec
teurs en état d ’apprécier les faits de cet étrange procès;
et déjà l ’on se demande :
Comment Courbon aurait-il été victime d ’ un assas
sinat? quelle main impie se serait chargée, sans y être
poussée par un vil intérêt, de trancher le iil d ’ une si
belle vie? D ’un autre côté, les accusés n ’ayant aucun
intérêt à la mort de Courbon; n ’étant mus par au
cune passion; n’ayant aucune injure à venger; aimant
Courbon comme tous les habitans de la contrée l ’ai
maient; présentant d ’ailleurs les plus fortes garanties
sociales, auraient-ils tout d ’un coup cessé d ’être sem
blables à eux-mêmes, jusqu’au point d’entrer dans la
carrière du crime par le plus abominable des forfaits?
E t si Ion veut que Galland soit, dans ses emportemens , capable d’excès, llispal et T a v e r n i e r ne sont-ils
pas étrangers à ces (lisposil ions? 11’au rai ent -i l s pas modéré
et c o n t e n u . G al l aï u l? llispal sur-tout aurait-il prêté
sa maison pour en faire .le théâtre d ’un assassinat ?......
Voilà bien des présomptions d’innocence; mais elles
peuvent être détruites par des preuves positives. E x a
minons le fait,
L e 7 septembre 1817 (jour de dimanche), Jean
Courbon était à Dunières : son frère Pierre y était
aussi. On a déjà fait remarquer que Jean Courbon
avait la triste habitude de se livrer aux excès du vin :
c était son seul défaut; mais il lui était impossible do
le vaincre.
Il exisic au lieu de Dunières trois cabarets, l ’ un
tenu par M a u g i e r , l ’autre par Massardier, et le troi
sième par le nommé Samuel. Le 7 septembre Jean
Courbon, après avoir bu chez Massardier, s’est/rendu
chez Maugier; de l’auberge Maugier il est allé dans
celle tenue par Samuel, et u ’u quitté le cabaret de ce
2
�( 10 )
dernier, que pour retourner chez M augier, d ’où
il n’est sorti q u ’à neuf heures du soir, environ. Ainsi
Jean Courbon a employé cette journée entière à fré
quenter les cabarets, et il a été vu par-tout buvant avec
excès du vin et des liqueurs fermentées de toute es
pèce. Sa compagnie habituelle pendant cette journée
a été tantôt les deux accusés et Tavernier, tantôt un.
ou d’eux d ’entr’eux , auxquels il faut ajouter les
sieurs Marnas frères, l ’un notaire et l ’autre percep
teur au lieu de Dunières; enfin Pierre C ou rbo n , frère
de-Jean.
Il est inutile de suivre Jean Courbon dans tous les*
instans de cette journée; mais il est essentiel de fixer
Son attention sur deux points importans, celui de son
entree à 1 auberge Massardier, et celui de sa dernière
sortie de l ’auberge Maugier.
Jean Courbon était descendu chez Massardier avec
le sieur Fourboule de la Brugère, son oncle; là il
trouva les deux accusés, et Tavernier leur beau-frère.
C e dernier, comme on l ’a v u , était créancier de Jean
Courbon du montant d ’un billet à échéance dans
quinzaine; il pria Courbon d ’en anticiper le paiement :
Cou rbon, naturellement obligeaut, y consentit avec
plaisir; il parait même q u ’il emprunta quelqu’argent
pour se libérer. Enfin il paya, retira son b ille t, le
lacéra , et en mit les morceaux dans sa p o ch e, où ils
ont été retrouvés lors de la découverte de son cadavre.
M. le juge de paix avait négligé de constater ce der
nier fait; mais cette omission a été réparée aux assises
par la déclaration de deux témoins, auxquelles il faut
joindre celle du juge de paix lui-même.
Ce procédé de Jean Courbon n ’était sans doute pas
fait pour exciter en Tavernier de mauvaises disposi
tions. Cette obligeance, jointe à la circonstance esserw
Iicilo que Courbon a été vu sou ven t, pendant la
journée du 7 septembre, avec les trois beaux-ii’èrcs,
�* ( 11 )
prouverait même plutôt q u ’il existait entr’eux une
intimité assez étroite, ou q u ’au moins Jean Courbon
fréquentait avec plaisir les deux accusés et Tavernier.
Il est vrai qu ’on a voulu dire que Courbon voyait
Galland avec peine; que sa présence le gênait ; q u e ,
dans la journée du 7 septembre, il cherchait à le fu ir 5
q u ’il y avait eu entr’eux querelle, échange d ’injures,
même des menaces de la part de G allan d ; mais ces
bruits ne sont confirmés ni par les dépositions écrites,
ni par les dépositions orales; au contraire, les témoins
les plus importans, Pierre Courbon lui-mêm e, font
des déclarations tout opposées k cette assertion, et
la détruisent entièrement.
On a vu que Jean C ou rbon , étant entré pour la
seconde fois dans le cabaret Maugier, s’y trouvait
encore a neuf heures du soir : il était avec Pierre
Courbon son frère; les deux accusés et Tavernier b u
vaient aussi dans le mèine lieu. A l ’heure que l ’on
vient d ’indiquer, Pierre Courbon engage son frère k
se retirer; ils sortent ensemble, traversent la place
publique qui conduit du cabaret k la rue principale
de Dunières, et suivent cette rue, k l ’extrémité de
laquelle se trouve, sur la droite, le chemin du Mazet
(lieu où habitent les Courbon) , traçant une ligne un
peu oblique.
Mais k peine les deux frères Courbon ont-ils fait
quelques pas dans la rue, que Jean Courbon veut
s’arrêter. Ils arrivent auprès d ’une forge appartenant
îi Maugier : un char est devant; Jean s’y assied : il
ne veut plus suivre son frère; il résisie k ses instances,
enfin il ue veut point partir, et une discussion assez
vive s engage entre les deux frères.
Pierre C o u rb o n , ne pouvant vaincre la résistance
de son frère, résistance qui pouvait lui paraître l’efFet
de l ’ivresse, et voulant éviter' q u ’il ue se livrât de
nouveau k son intempérance dont il devait craindre
�(
12
)
les suites, retourne précipitamment sur ses pas, pour
défendre à Maugier de servir encore du vin à Jean
Courbon. Ces ordres donnés, Pierre Courbon se hâte
de revenir auprès de son frère; mais, ne le trouvant
plus au lieu où il l ’avait laissé, il pense q u ’il a pris
la-route du Mazet. Alors Pierre continue son chemin
en chantant, dans l ’espoir sans. cloute d ’attirer son
frère, q u ’il supposait être en avant de lui. Tous ces
faits sont fidèlement extraits de l ’instruction et des
débats qui ont eu lieu devant la Cour d ’assises du Puy*
Il e s t . également certain que les trois beaux-frères,
R isp al, Galland et Tavernier , étaient au cabaret
M augier, au moment où les deux frères Courbon en
sont sortis $ q u ’ils y étaient encore au retour de Pierre,
et qu ils ne l ’ont quitté que cinq minutes après le
départ de ce dernier : aussi n’a-t-il jamais été contesté
que Jean Courbon avait disparu du point où Pierre
l ’avait q u itté , et que Pierre avait eu lui-même le
lems de traverser le lieu de D unières, avant que les
trois beaux-frères fussent sortis de la maison Maugier.
C ’est ici le lieu de fixer l ’attention sur les circons
tances qui ressortent du précis des dépositions des
témoins. La vie agitée de Jean Courbon pendant toute
cette journée ; cette fréquentation répétée des trois
seuls cabarets qui existent au lieu de Dunières; ^es
excès auxquels il se livre; les efforts de son frère pour
le ramener a son d o m i c i l e ; le jugement que porte ce
frère sur l’état de Jean, en allant défendre à Maugier
de lui donner encore du vin ; enfin cette manière
extraordinaire d ’cchappcr aux soins et a la vigilance
de l’am itié, tout ne prouve-t-il pas que ce malheureux
était dans un état d ’ivresse tel, q u ’il n ’avait plus le
libre exercice de ses facultés; et déjà ne peut-on pas
prévoir ou craindre quelque accident, si on l'aban
donne un instant à lui-même ?
D ’un autre coté, si l ’on ajoute q u e , p e n d a n t toute
�O
)
celte même journée, Jean Courbon a vu les accusés
sans q u ’il y ait eu entr eux la plus legere dispute; q u e
T av e r n i e r en a au contraire reçu, u n service, comment
supposera-t-on que les trois beaux-frères aient conçu
de mauvais deseins .contre Jean Courbon ?; Comment
sur-tout voudrait-on les. rendre responsables de son
sort, quel q u ’il soit, si l ’on considère que Jean Courbon
était livré aux soins de son irère; que les accusés étaient
au cabaret Maugier, lorsque les deux Courbon en
sont sortis; q u ’ils y étaient encore lorsque Pierre y est
revenu, et q u ’enfin ils n ’ont quitté ce cabaret, que
quelques instans après que Jean Courbon a d isp aru,
et s’est soustrait à la surveillance toute bienveillante
de son frère? E n effet, à quel instant les accusés
au raien t-ils conçu le dessein de leur crime? Quels
étaient leurs moyens d ’exécution? Où attendaient-ils
leur victime? Jean Courbon n ’était-il pas pour eux
livré à la garde de son f rère? l i t existe-t-il un seul
témoignage , une seule prévention de laquelle on
puisse induire que les accusés aient rencontré Jean
Courbon après sa dernière sortie du cabaret Maugier?
Mais continuons. On se souvient de la ]*sition de
Jean Courbon, q u i, le 7 septembre, a neuf heures
du soir environ, était assis sur un char placé an-devant
de la forge Maugier. Depuis cet instant il a disparu,
et son cadavre a ete découvert le lendemain , 8 sep
tem bre, à cinq heures du m atin, gisant dans une fosse
placée derrière la maison de l ’aubergiste Massardier.
Pour se faire une idée juste des conséquences à tirer
de cette découverte, il faut examiner, avec la plus
sein puleuse a tten tion , la situation île la maison
Massardier, celle do la fosse, dont la description inté
rieure et extérieure d o i L être laite avec soin enfin l:i
position et l’éiat du cadavre du malheureux Courbon.
Si l ’on veut connaître la situation de la m a i s o n
Massardier, qui est l ’auberge où Jean C o u r b o n s’est
�(
)
*4
d ’abord présenté lors de son arrivée à Dunières, il faut
pren d re, pour point de d ép art, le cabaret M augier,
situé à une des extrémités du b o u rg , et sur une place
p u b liq u e, qui le sépare de l ’église et du cimetière*
E n sortant de ce cabaret , on traverse la place pu^blique; à la droite se présente ensuite la rue principale,
ou plutôt l ’ unique rue de Dunières, qui se prolonge
jusqu’à l ’autre extrémité du bourg. Si l ’on suit cette
ru e , on trouve à sa gauche la forge Maugier, au-devant
de laquelle était placé le char. E n avan çan t, on arrive
au-devant de la maison L e m o in e , qui est la dernière
du bo u rg, à gauche, et l ’on a en face la maison
Massardier, placée dans un enfoncement, et sur une
place ou terrain vacant , qui la sépare de la r u e , à.
droite.
La maison Rispal est placée à la droite et k l ’extré
mité de cette rue; elle borde la place ou le terrain
vacant sur lequel est située la maison Marrardier; elle
a des jours, soit sur la rue, soit sur cette place, et
d écrit, avec la maison Massardier, un angle droit; de
manière que celui qui se trouverait à l ’extrémité de
la maison Rispal, se rendrait directement de ce point
h. la porte de la maison Massardier, en traçant une
diagonale, qui serait la base d ’un angle décrit, sur la
place pu blique, par les maisons Rispal et Massardier,
et dont le point de jonction de ces deux maisons, sur
cette même place, est le sommet.
Cette description fait déjà pressentir que la princi
pale façade de la maison Massardier est sur la place
publique , qui borde la r u e , à droite ; là est la porte
d ’entrée de l ’auberge, et à cette porte peut commencer
un sentier q u i, longeant la maison Massardier et tour
nant à droite, conduit sur les derrières du bourg de
D u n iè re s, et sert de communication de l'auberge
Massardier 11 l ’auberge Samuel. Ce même sentier, qui
a SOU débouché sur la route de Montfaucon , peut
�( i5 ) _
aussi conduire à l ’auberge Maugier'; de manière q u ’en
revenant au point de départ que l ’on s’est fix é , c’està-dire à la place publique, où est située la maison
M augier, et en suivant la rue de Dunières jusqu’à son
extrémité, on trouve à droite l ’auberge Massardier,
aussi située sur une place publique; tournant ensuite
cette maison à droite, et longeant ses derrières, on
revient sur la place p u b liq u e, qui est au-devant de là
maison Maugier, en laissant à droite l ’auberge Sam uel,
et à .gauche l ’auberge Maugier.
On voit que ce sentier est un moyen cle circulation
bien important pour le bourg de Dunières, et q u ’il
doit être très-fréquenté, sur-tout les dimanches et
autres jours où les habitans des environs se réunissent
dans ce lieu.
Il faut actuellement isoler la maison Massardier et
ses dépendances, et y porter exclusivement son a t
tention.
On connaît sa façade sur la place publique; sur le
derrière est une autre façade parallèle à la première,
donnant sur un hangard, au-devant duquel est encore
un petit vacant limité par le sentier dont on vient
de parler.
L e hangard, au-dessous duquel se trouvent deux fe
nêtres, commence à l’une des extrémités de la maison, et
à la droite de l ’observateur; il se prolonge jusqu’à la ren
contre do la fosse où le cadavre de l ’infortuné Courbon
a été trouvé. Cette fosse est elle-même immédiatement
placée au niveau d ’une fenêtre à quatre carreaux, ser
vant à éclairer l ’évier de la maison Massardier. U n de
ces carreaux était cassé à l ’époque de l ’événement.
Cette fosse, q.ui est limitée à droite par le hangard
de lace par la maison Massardier, l ’est, à gauche^
par la grange de la même maison grange q u i, faisant
suite à la maison Ihspal, et se prolongeant, décrit ,
avec la maison a laquelle elle appartient, un angle
�( 1(5 )
droit renfermant, dans ses deux côtés, le hangard^ la
fosse , et le terrain vacant qui est au-devant. Ce terrain
sert à faciliter l ’entrée de la grange, dont les portes,
tenant presqu’immédiatement à la fosse, sont placées
à une des extrémtés de la grange , et près du sentier
public.
Ainsi la fosse où le cadavre a été découvert tient
à une auberge5 elle est placée dans un village, près
d ’un sentier ou rue publique extrêmement fréquentée,
sur-tout un jour de dimanche; enfin elle est entourée
de fenêtres et de portes qui la mettent entièrement à
découvert.
Cette fosse forme un quarre équilatéral de quatre
pieds de diamètre sur deux de hauteur; et dans son
intérieur 011 remarquait quatre ou cinq excrémens
humains non écrasés, et de la paille peu froissée.
Le cadavre de Jean Courbon gisait dans cette fosse.
Pour connaître sa position , il faut consulter les procèsverbaux, et ce que les dépositions des témoins ont
ensuite appris.
Les vêtemens du malheureux Courbon n ’étaient
dérangés en aucune façon.
Son dos était en l’air, et la tête en bas, de ma
nière que le corps, étant dans une ligne presque per
pendiculaire, n’a v a it , pour ainsi d ir e , de point
d ’appui que sur la nuque, les pieds, et le genou
droit : la main droite du cadavre était sous ce genou.
L a cuisse et la jambe gauches étaient tendues, et se
soutenaient sur la pointe du pied; la main gauche
appuyait à terre; et la tête, recourbée sur la poitrine,
paraissait être entre les cuisses. Au reste, les pieds et
Jes jambes de Courbon étaient tournés du coté du mur
de la maison Massardier., et le corps du coté du chemin';
enfm le chapeau était placé sur le cou ou sur les
épaules.
XjC procès-verbal du juge de paix est de ce jou r,
�V'i))
$ septembre 1817. C et officier'de police judiciaiVe
apprend que la position du cadavre, quelque extraordi
naire q u ’elle puisse paraître, peut être expliquée pai
la nature du terrain et par la chute de Courbon; ih
ordonne de donner au corps une position plus n atu
relle, ce qui est vainement essayé; mais il peut re-r
marquer que la figure est hideuse et décomposée; q u er
les membres sont généralement roides, et que le earps>
a un reste cle.*chcileur Getté>dernière observation le.
frappe même si fortement, q u ’il fait administrer au>
malheureux Courbon des .eaux spiritueuses, que l ’on
introduit dans le n ë z , d a n s la bouche, et dont on lui
lave la tête, pour tâcher, mais vainement, de le rap
peler à la vie.
•iLej cadavre}),transporté au clocher du b o u r g , est
soumis.'a l ’examen du médecin, qui fait de suite le
rapport de son opération à M. le juge de paix. Ce
de rnier consigne, dans son procès-verbal, que le. mé
decin lui a déclaré que, d ’après l ’inspection du ca
davre, et les recherches fintérieures auxquelles il s’est
livré , il est certain que Jean'Courbon est décédé de
mort naturelle, suito d ’un excès de vin; que cet excès
a provoqué une apoplexie p dont l ’existence lui »¡est
prouvée par. l ’examen des sinus, >qui se sont trouvés
gorgés do!sa*ng.
’>
•
;
INI. le juge de paix veut ensuite savoir si la voix
publique s’accorde avec l ’opinion:de l ’homme de l ’art,
sur le genre de mort auquel Jean Courbon a succombé:
il 1 interroge et apprend,
-1 ,
■
Que C ou rbo n était généralement aimé de tout
le monde;
i
• 2 Que Jean Courbon était souvent dans un état
d ’ivresse absolu ; , . \
,
.. ,, .
3 ° Q ue «a mort devait être la suite de» fcxcès de
vin auxquels ce m alheureux s’était livré le jour même
de son décès.
�L e juge de paix adopté cette opinion, et la fortifie
par une observation qui lui est particulière ; il ditq u ’il a effectivement remarqué que le cadavre je ta it
du vin s u t ses habits. >
Enfin cet officier de police judiciaire, ne voulant
rien négliger, entend plus particulièrement cinq té
moins, insère leurs déclarations dans son procès-verbal;
et, tons assurant que la mort de Courbon ne peut être
attribuée q u ’à un excès de v in , il d it , dans la clôture
de cet acte important, que les renseignemens lux ayant
paru suffisamment prouver le genre de nîort de Courboni, et son zèle à le constater y il ordonne que les
restes de cet estimable citoyen seront remis à sa
famille.
L e rapport du docteur, qui a p r o c é d é à l ’autopsie
cadavérique,. ne contient autre chose que. le dévelop
pement de l ’opinion déjà manifestée à M. le juge do
p a ix , et que ce dernier a consignée dans son procèsverbal. r
L e médecin examine d ’abord la surface externe du
cadavre. La constitution physique de Courbon pré
sentait la réunion de toutes les.causes prédisposantes k
l ’apoplexie; et l ’examen extérieur de son corps n’offre
aucun autre indice de mort vio len te, que ceux qui
servent à indiquer’cette espèce d ’accident. L'homme de
l ’art confirme même une des obsèrvatîons du j ngc de
paix , et dit que le cadavre regorgeait, par la'bouch e,
'
un mélange de liqueurs fernientées.
Le médecin procède ensuite à l'ouverture des trois
Cavités qui existent dans l ’organisation de l ’homme.
La l ê i e , les cavités thorachiques, pelviennes ou abdo
minales, sont successivement l ’objet de son attention;
cl après l’examen le plus scrupuleux, et avoir remarqué
que l ’estoniac contenait une assez grande quantité de
liqueurs fermentées., il n ’hésite pas à déclarer qne
Cuuibou est mort d ’attaque d ’apoplexie, accident que
�C*9 )
sa forte constitution pouvait à chaque instant faire
craindre, et qui a été déterminé par les excès répétés
devin et de liqueurs, auxquels ce malheureux se livrait
journellement (i).
C e rapport ne forme q u ’un seul et même acte avec
le procès-verbal du juge de paix. Ces deux pièces sont
si intimement unies, que l ’on peut dire du rap p o rt,
q u ’il n’est que l ’explication du procès-verbal. Il ne
contient en effet autre chose que des développemens
étrangers aux connaissances d ’un juge de paix, et q u ’uu
homme de l’art pouvait seul donner. Il faut ajouter
que l ’examen du ju ge, ses recherches sur la cause de
la mort de C ou rbon, son interrogatoire de diflerens
témoins, ont eu lieu en même tems que l ’autopsie
cadavérique; que tout cela se faisait dans la matinée
nieme du jour où le cadavre avait été découvert; q u e ,
dans cet in stan t, il ne s’élevait a u c u n soupçon, sur la
nature de la mort de C o u r b o n ; q u ’a u c u n coupable
n ’était signalé; q u ’ainsi jiersonne ne pouvait avoir
intérêt à cacher les causes de cette m ort; et q u ’en
supposant que quelqu’un put en être l ’a u t e u r , le soin
de sa conservation l ’obligeait à s’abstenir de toutes
démarches ou sollicitations qui auraient pu le faire
soupçonner. Tout cela ne prouve-t-il pas que le juge
de paix et le médecin agissaient également de bonne
lo i; q u ’ils ne cédaient ni à la crainte ni à l’intérêt que
pouvaient leur inspirer des coupables présumés; mais
q u ’en interrogeant les faits et en en tirant les consé
quences inévitables qui se présentaient naturellement
et sans effort , ils ne faisaient q u ’obéir au sentiment
de leur d evo ir et à l’impulsion de leur conscience?
Il faut donc le dire ici : non-seulement il u ’y a point
( 0 V oyez, à la page \ des piiVcs justificatives, ce rapport, qui est <îft
môme p u r que le procès-verbal d u juge de p a ix , et qui c o u t i e u l tous
les détails de l’autopsie cadavérique dç Courbon.
�•
•
,
» .
jusqu’à présent de crime pro u vé, mais encore Iesi
procès-verbaux excluent la possibilité de l ’existence d’un
corps de délit; et s i, par la pensée, l ’on énumère les
autres faits déjà connus, faits qui jaillissent de l ’ins
truction , et dont M. le juge de paix pouvait être
in stru it, ou dont au moins il lui était si facile de
s’in stru ire , ne sera-t-on pas convaincu q u ’à cette
époque le juge de .paix avait la certitude que Jean
Courbon était décédé de mort naturelle; que si la
société pouvait avoir un accident à déplorer, au moins
il n ’y avait aucun crime à venger; et si dans la suite
quelques combinaisons fortuites, quelques circons
tances difficiles à expliquer semblaient accuser queliqu’un. de ce crime imaginaire et impossible , ces
malheureuses victimes du soupçon et de l ’erreur ne
devaient-elles pas s’attendre à trouver protection et
appui dans l ’autorité toute tutélaire de M. le juge
de paix ?
Cependant des ignorans et des oisifs; des femmes
d ’une imagination faible; le peuple crédule et ami
des nouveautésj pourvu qu'elles aient un caractèreextraordinaire et présentent à l ’esprit des images
effrayantes; toute cette tourbe enfin dont l ’honune
sage dédaigne les opinions, comme étant le produit
de l ’erreur, s’empare de cet événement, le travestit
bientôt en assassinat, et n ’est pas long-tems à en in
diquer les auteurs. Quelques jours sont à peine écoulés,
que le peuple de Duniôres croit aussi fermement à la
mort violente de Courbon , et à la culpabilité de
G a lla n d , llispal et Tavernier, q u ’il peut encore croire
aux revenans, «i ln. sorcellerie et à la magie.
La mort tragique du malheureux Fualdès occupait
alors la France; les détails de cet horrible procès cir
culaient dans les villes et dans les hameaux, sous les
lambris dorés comme sous le chaume : elle était l'objet
de toutes les conversations j et s’il eût été possible d ’y
�( 31 )
ajouter quelque nouvelle horreur, produit d ’une ima
gination vicieuse ou déréglée, le peuple l ’aurait saisie
avec avidité, tout invraisemble d ’ailleurs q u ’elle pût
être.,
L ’accident arrivé au malheureux Courbon appelait
des victimes. Ses parens, ses am is, ceux sur-tout qui
avaient éprouvé les effets de son obligeance et de sa
charité, brûlaient d ’offrir à ses mânes une hécatombe
humaine.
B i e n t ô t l ’assassinat de Courbon parait certain. Il a
cté enlevé, le 7 septembre au soir, à sa sortie du
cabaret Maugier; on l’a entraîné dans la maison Rispal;
là , il a été couché sur un b a n c, et une voix s’est fait
entendre pour demander une hachasse ^ b. l ’effet de
recevoir le sang de la victime. Plus tard, 011 dira que
ce moyen n ’ayant pas réussi, Courbon a été étouffé,
et que les assassins lui o n t rompu la colonne verté
brale; mais toujours ce sera dans la maison Rispal, que
l ’assassinat aura eu lieu. Les inventeurs du crime de
JJunières ne feront autre chose que de s’approprier les
détails du crime de Rhodez, commis dans la maison
Bancal, qu ’ils copieront, corrigeront et augmenteront
suivant les circonstances.
Q u ’est devenu ensuite le cadavre? Les assassins l ’ont
transporté dans la fosse où il a été découvert. Ils
avaient d ’abord le projet de le déposer dans la grange
Massardier, située près de celte fosse; mais, contre
' l ’habitude, la porte de cette grange étant fermée, ils
ont été contraints de le placer dans la fosse, et de lui
d o n n e r la position qui pouvait le mieux faire croire à
une mort nat ur el l e.
Les preuves du l’a it sont le b ru it public; l ’état du.
cadavre; les choses extraordinaires qui se sont passées
pendant la nuit ; les hurlemens lugubres d ’un chien qui
paraissait prévoir quelquesm al lieu rs ; les révéla lions d ’un.
être m ystérieux, d ’un pèlerin q u i aurait pour ainsi dire
�.
. .
(
3 2 )
assisté aux derniers instans de C ou rbon, et entendu ce
malheureux demander la vie à ses féroces assassins. Q u ’à
cela l ’on ajoute tout ce q u ’une imagination fantastique
peut produire; quelques taches de sang observées sur
la terre*, la découverte de cheveux épars ou en toufte;
les inquiétudes occasionnées par l ’insomnie à quelques
habitans de D unières, et l ’on se fera une idée juste de
la fermentation que la crédulité, les passions, l ’amour
du merveilleux, et sur-tout le désir de trouver des
coupables avaient dû exciter dans ce lieu.
Mais tout cela n’était encore q u ’absurde; les procèSverbaux répondaient à toutes les objections : il ne
s’agissait pas, en effet, de suppléer à leur incerti
tu d e; mais il fa llait, contre leur contenu, prouver
le fait d ’un assassinat.
Cette fermentation de propos indiscrets et de bruits
populaires frappe l ’esprit de M. le juge de paix. On
dit que son caractère est naturellement porté aux
affections douces; on lui accorde beaucoup d ’instruc
tio n , jointe à un esprit b rillan t; mais ces qualités
ne suffisent pas toujours pour garantir l’homme qui
en est pourvu, de la prévention, maladie contagieuse
de l’esprit humain; il faut encore une ame forte et
un jugement exquis pour interroger les faits et tic pas
se laisser induire en erreur, en mettant des hypothèses
pompeuses à la place de la vérité.
Ce juge, d ’ailleurs estimable, mais peu accoutumé,
sans doute, à rinstruction des causes criminelles, re
jette sa propre conviction. Plus aveuglé que celui q u i,
à force de fixer une place vid e, où il lui semblerait
voir un objet qui n’y existe pas, finirait par le re
garder comme réel, ce magistrat voit un crime et un
corps de délit constant dans le fait q u ’il avait d ’abord
jugé et démontré en être exclusif; il recueille les ap
parences les plus légères, les indices les plus équi
voques} il accumule renseignement sur r ens ei gne me nt ,
�Ç ?3 )
écoute des personnes bornées ou mal instruites, prêt«
même l’oreille à des témoins pervers,, q u i, en déposant
de ce q u ’ils n ’ont ni vu ni entendu, et en inspirant à
M. le juge de paix des craintes personnelles, amassent
à-la-fois des nuages funestes sur le fait à exam iner,
et excitent la prévention et la haine du juge contre
ceux qui en sont présumés les auteurs.
.. M. le juge de paix ne pouyait se garantir de tant
de pièges; il se décida à devenir , auprès de l ’autorité,
l ’organe d ’une .opinion q u ’il .avait déjà adoptée. Ses
lettres ou rapports sont nombreux ; ils appartiennent
aux accusés, puisqu’il leur en a été délivré copie ; et
.ces derniers, en en donnant l ’extrait, pourraient y
faire remarquer des expressions, des pensées, des désirs,
des suppositions, des phrases entières qui ne peuvent
Ê accorder avec la dignité d ’un magistrat et l ’impassi
bilité qui doit le caractériser. Mais ils restreindront
leurs observations, sur ce jio in t, à faire remarquer,
i°,Q u e chaque information de M. le juge d ’instruc
tion était.précédée d ’une lettre de M. le juge de paix,
contenant des notices sur le personnel des témoins et
sur les dépositions q u ’ils devaient faire; que constam
ment les faits contenus dans ces lettres ont été in
firmés ou adoucis par les dépositions des témoins ;
20 Que ces rapports révèlent des faits d ’ une haute
gravité, et dont les témoins ne parlent pas;
3 ° E n f in , que M. le juge de pai* croyait devoir at
tribuer les réticences ou le silence des témoins à la
terreur que. leur inspirait l ’état de liberté, des trois
beaux-frères; que cependant, depuis l'arrestation de
.ces malheureux, et aux assises même, aucune dépo
sition xi a été changée ni modifiée, si l ’on en excepte
.celle d un seul témoin, qui sera l ’o b je t.d ’un examen
particulier..
Les premiers rapports, en forme de lettres, de M. le
juge de paix, commencent au 24 novembre 1817. Ce
�(»4 5
juge convient que le procès-verbal q u ’il a rédigé , et
celui du médecin , devaient tranquilliser et éloigner
tout soupçon sur le genre de mort de Courbon ; que
sa croyance, alors partagée par tous ceux qui l ’entouraient, était d ’ailleurs justifiée par l ’inspection du
cadavre, qui ne présentait pas même une légère
égratignure , et par l ’état des vêtemeus, qui n'étaient
nullem ent en désordre. Il énonce ensuite dans ce rap
p o r t , et dans deux autres, qui sont sous les dates des
2 et 3 octobre, différens faits qui peuvent se réduire
à ceux-ci :
:
i° Une querelle s’est élevée au cabaret, entre Galland et Courbon ; elle a été suivie de menaces de la
part de Galland;
2° Rispal, Galland et Tavernier n ’ont point établi
l ’emploi de leur tems dans la soirée du 7 septembre,
depuis neuf heures ctdemie du soir jusqu’à onzeheuresj
3 ° Dans cette même soirée, et près de la fosse oii le
cadavre de Courbon a été découvert, on a entendu
une voix s’écriant : « Ne serai-je pas bientôt à cette
« f ...... porte ! » U n instant après, quelque chose de
pesant a été jeté dans la fosse ;
4 ° Galland ayant quitté le bourg de Dunières à
m inuit passé, pour se rendre au lieu <Je M altavcrne,
lieu de son domicile, aurait d it, le 8 septembre 1 8 1 7 ,
à la pointe du jo u r, en allant de Maltaverne au lieu
de Cublaise, oii était son épouse, et eu passant au
lieu de G uignebaude, domicile d e là nommée Colomb e tte, que Courbon avait été trouvé étouffé par le
vin , derrière la maison Massardicr.
M. le juge de paix insistait spécialement sur les
difficultés q u e, suivant lu i, les trois beaux-frères
éprouvaient à justifier de l'emploi de leur teins, depuis
neuf heures du soir jusqu’à onze, et sur la conversa
tion que Galland aurait eue avec la Colombette, dans
Ja mtlliuée du 8 ; conversation contenant un aveu q u i,
�( * s )
vu-les distances, ne pourrait avoir été fait que par
celui qui aurait participé à l ’assassinat de Courbon.
Cependant la justice gardait le silence. Cette
autorité, à la fois vengeresse et tutélaire, recevait
les renseiguemens qui lui étaient donnés; mais elle
n ’en usait q u ’avec la circonspection qui est la pre
mière garantie de la liberté des citoyens. Aucun acte
n ’était encore émané d ’elle, lorsque, le 4 septembre
18 18 , le maréchal des logis de la gendarmerie, en ré
sidence à M ontfaucon, agissant d ’après les ordres de
son lieutenant, ordres délivrés d ’après la clameur
publique, arrête Rispal et Tavernier. G allan d , ins
truit de l ’arrestation de ses deux beaux-frères, vient
de lui-même se remettre entre les mains des gendarmes,
qui les transfèrent à Yssingeaux. Il n ’est pas inutile
de faire observer q u e , soit dans les choses, soit dans
les expressions, l ’ordre de l ’officier de gendarmerie
n ’est que le résumé exact des lettres ou rapports du
juge de paix à M. le juge d ’instruction.
A peine traduits à Yssingeaux, Rispal, Galland et
Tavernier sont séparés et mis au secret-, ils sont in
terrogés isolément, et répondent, d ’une manière aussi
simple q u ’ uniforme, aux différentes questions qui
leur sont proposées, questions qui étaient sans doute
rédigées sur les notes et renseignemens transmis par
M. le juge de paix.
Leurs réponses sur l ’emploi du tems qui s’est écoulé
de neuf heures et demie à onze heures du soir, dans la
soirée du 7 septembre, sont sur-tout remarquables.
Suivant eu x, ils sont sortis du cabaret Maugier à
neuf heures; ils ont parcouru ensemble la rue de
Dumèrcs; mais arrivés au-devant de la maison Rispal,
ce dernier a q u iu é ses deux beaux-frères, est rentré
dans son domicile, s’y est couché, et n ’en est plus
sorti.
Galland et Tavernier ont continué leur route. A
4
�( 26 ) t
neuf heures et demie, ils sontarrivésaucabaretLyonnel,
situé à quelque distance de Dunières; ils ont soupe
dans ce lieu : Tavernier y a même couché; mais Gal
land en est parti pour se rendre à M altaverne, en
passant par Cublaise, où il avait l ’espoir de rencontrer
son épouse.
Ces explications devaient paraître suffisantes; aussi
la chambre d ’instruction signa, le 8 octobre, l ’ordon
nance de mise en liberté de ces trois prévenus. Dans
la même soirée, ces trois malheureux se retirèrent à
l ’auberge Perrot , située à Yssingeaux. La femme
Rispal , portant au bras un enfant q u ’elle allaitait
encore, était venue donner à son mari des secours et
des consolations : elle était aussi descendue à l’auberge
Perrot. Quelle joie d ’y retrouver libre l’époux q u ’elle
croyait dans les fers! que d ’expressions de tendresse!
que de félicitations réciproques ! Les momens de la
douleur sont bientôt oubliés ! — Imprudens! ! ! modérez
ces transports......... Vous êtes libres; mais vos ennemis
sont-ils désarmés? la calomnie n ’a-t-elle plus de traits à
lancer contre vous? ne viendra-t-elle pas vous frapper
au sein même de la joie la plus innocente?.........
Mais il ne faut point anticiper sur les faits; et il
suffit ici de dire que Tavernier et G alland, Rispal r
son épouse^ et leur jeune enfant, passèrent a Yssin
geaux la nuit du 8 au 9 octobre, et couchèrent
ensemble à l’auberge Perrot, dans une chambre à
deux lits.
Le 9 octobre, cette famille rentra dans son domi
cile; elle venait de payer à la société le tribut le plus
cruel q u ’elle puisse imposer : ne devait-elle pas espérer
quelques consolations, sur-tout du magistrat q u i, sui
de simples soupçons, avait momentanément exposé la
réputation, et sacrifié la libçrlé de trois citoyens, de
trois pères de lain il le ?
Mais M. le juge de paix, que sa trop grande promp
�( 37 )
titude avait entraîné dans l ’erreur, la chérissait trop
pour la reconnaître. Par une lettre du in octobre, il
témoigne son déplaisir de l ’ordonnance qui a rendu la
liberté aux prévenus. Les 1 1 , il\, *8, 21 novembre
et 7 décembre, autres lettres, où il expose de nouveau
les circonstances q u ’il regarde comme accusatrices; il
y ajoute des révélations q u ’il prétend avoir été laites
par la mère de llispal; il a grand soin sur-tout de
prémunir le juge d ’instruction contre les témoins ,
q u ’il assure avoir été carressés et corrompus ; et si
son heureuse mémoire lui rappelle « qu a u x gens
« a i s é s les vertus sont fa ciles » la réflexion lui
fait de suite ajouter « que h s témoins sont indigens 3
« et que les accusés ne le sont pas. »
E n fin , les premières informations commencent; les
procès-verbaux sont sous les dates des 2 1 , a5 no
vembre et 9 décembre, et précédés c h a c u n d ’une ou
de plusieurs lettres de M. le juge de paix.
Ces informations apprennent comme faits essentiels:
i° Que Gallaïul et Tavernier, au lieu d ’arriver au
cabaret Lyonnet à neuf heures et demie de la soirée
du 7 septembre, comme ils l ’avaient déclaré dans
leurs interrogatoires, n ’y seraient venus q u ’à onze
heures ;
20 Q u ’il serait vrai que, le B septembre au m atin,
G a lla n d , passant au lieu de Guignebaude, aurait
annoncé à une femme, nommée Colom bette, la mort
de Gourbon. Ce fait n ’était point déposé par la Colom betie, mais semblait ressortir de la déposition de
trois autres témoins;
3 ° Que la nièce de R ispal, enfant alors âgée de qua
torze ans, aurait tenu une conversation qui accusait
son oncle;
4°
pendant la nuit du 7 au 8 septembre, 011
avait entendu des chiens aboyer, des disputes et des
géinissemens ;
�-( =8 )
5° E n fin , une fille de quatorze ans déposait des
on dit qui circulaient dans le bourg de Dunières, et
des projets que l ’on supposait avoir été conçus, de
faire subir à Courbon une mort semblable à celle
du malheureux Fualdès.
Tels sont tous les faits à charge qui ressortent ,
contre les accusés, de ces trois premières informations;
elles apprennent d ’ailleurs que Galland et Courbon
n ’ont point eu de dispute dans la journée du 7 sep
tembre; que ce dernier était dans un état complet
d ’ivresse; enfin, ces informations relatent ou confirment
la majeure partie des faits qui ont déjà été exposés.
O11 doit remarquer aussi un fait essentiel dans cette
première instruction. On voulait que Courbon eût
succombé à une mort violente; mais, dans rincertitude où l ’on était sur le genre de cette m ort, on s’était
enfin arrêté à la rupture de la colonne vertébrale et à
l ’étouiFcment. M. Bergeron, médecin à Mont faucon.,
interpellé sur ce fait, avait répondu que la luxation
des vertèbres pouvait se reconnaître sur le cadavre ,
même après trois mois de sa mort; q u ’il était encore
possible de l ’exhumer; et l ’on avait négligé ce ren
seignement, jusqu’au point de 11e faire aucune re
cherche pour constater un fait que l’on jugeait si
important dans le système de l’accusation.
M. le procureur du lloi et le juge d ’instruction
avaient enfin épuisé tous les renseignemens qui leur
avaient été transmis par M. le juge tie paix. M. le
procureur du Roi avait requis un mandat d ’arrêt
contre les trois beaux-frères; mais le juge d’instruction
ayant fait son rapport à la chambre du conseil, il y
intervint, le 17 décembre 1 8 1 7 , une ordonnance, qui
déclare q u ’ il n’y a lieu à faire droit sur le réquisitoire
de INI. le procureur du Roi, parce q u ’il 11e résulte, des
in formations , ni des preuves ni des présomptions
suffisantes pour priver des citoyens de leur liberté;
�( 2<> )
que d ’ailleurs les bruits publics sont à dédaigner,
lorsque sur-tout il n ’existe aucune preuve m atérielle
du délit.
Cette ordonnance était un hommage rendu aux
principes les plus vrais, et dont le magistrat ne doit
jamais s’écarter dans l ’instruction des affaires criminelles.
Comment, en effet, rechercher des coupables, s’il n ’y a
point de crime constaté? Ne serait-ce pas se jouer des
choses les plus sacrées, et compromettre arbiti’airement
la sûreté, la liberté et la vie des hommes?......
Cet acte, aussi sage que respectable, irrite encore
M. le juge de paix. L a résistance du tribunal à faire
arrêter les prévenus, peut, suivant lu i, faire manquer
l ’effet des poursuites : « L ’affaire de llh o d e z , s’écrie« t-il, n’est cependant pas plus horrible? Le canton
« de Montfaucon n’aurait-il pas les mêmes droits à Ja
« sollicitude de l'autorité? » Il imliquc ensuite de
nouveaux témoins, et recommande spécialement A n n e
Colom bette, dont la m oralité est p lu s que fa ib l e / il
pense même que la crainte d ’être poursuivie p eu t seide
fa ir e p a rler c e t t e i n f e r n a l e f e m m e . . . (Lettres des 5
et 6 janvier 1817 ).
L e 18 février 1818, M. le juge de paix écrit que 1a
famille Courbon-croit le rapport du médecin inexact;
q u ’elle lui reproche de ne l ’avoir livré que six jours
après la visite du cadavre. Ainsi ce juge infirme luimême son propre témoignage; il veut s’être trompé au
, moment où il pouvait tout vo ir, tout examiner et tout
apprécier : peu lui importe q u ’on l ’accuse d ’irréflexion
lorsqu’il dressait son procès-verbal, pourvu que les
bruits populaires et les renseignemens q u ’il recueille
lassent connaître les coupables du crime q u ’il suppose.
Il are et louable modeslie, qui fait abnégation de tout
amour-propre, jusqu’au point de renoncer à une vérité
démontrée, pour s attacher a des apparences étran
gères, et s’efforcer de l^s établir! L a société, qui est
�C 30 )
obligée de rechercher des coupables, mais qui se réjouit
lorsqu'elle découvre des inuocens, lui tiendra-t-elle
compte d’un aussi noble dévouement?
On ne s’arrête point aux autres lettres qui sont
nombreuses, et contiennent des détails exagérés ou
inexacts; il faut seulement dire q u e , dans celle du
i 3 aoi\t 18 1 8 , Peyrache est indiqué comme tém oin,
et devant déposer des excès que Q alland avait exercés
sur sa personne.
L ’instruction se continue. U ne information du 7
janvier 1818 apprend :
i° Q u ’Anne Colom bette, qui était au-devant de la
porte de sa maison au moment de sa conversation avec
G allan d , ne dépose pas q u e ce dernier lui ait parlé de
la mort de Courbon ; ainsi elle i nfirme ou au moins
rend problématiques les dépositions des témoins qui
ont déchiré avoir entendu cette conversation et cet
veu de Galland à la Colombette ;
20 Que le soir du 7 septembre, et sur les neuf
heures, quelqu’un est venu heurter à la porte d ’en li ée
de l’auberge Massardier ; que ne recevant pas de ré
ponse , cet individu est alors monté du coté où
Courbon a été trouvé morl ;
3 ° Que quelqu’ u n , qui couchait auprès de la fosse
où le cadavre de Courbon a été déoouvert, a entendu
dans la soirée , ou pendant la nuit du 7 au 8 septembre,
une voix s’écrier : « Ksl-ce que je n y suis pas encore ! »
4° Que lors de la visite et de l ’autopsie cadavérique
du malheureux Courbon, on a fait inutilement observer
au m édecin, que le mal qui avait causé sa mort n’était
point dans la tête^ mais bien au cou.
L'instruction a ensuite été suspendue pendant sept
mois; elle a été reprise dans le courant du mois
d ’août suivant; et sous les-dates des i/j, o.!\ et 2 (> de
ce mois, se trouvent trois procès-verbaux d ’information 3
( p i appieiiiieul :
�( 31
)
i° Que Galland s’était, à différentes reprises, liv ré ,,
contre plusieurs individus, à des excès et à des actes
de violence; que Courbon avait é té , comme plusieurs
autres, exposé à ces excès; et q u e , dans la journée
du 7 septembre , T avern ier, étant au cabaret avec
C ou rbon, l ’aurait appelé cochonj en proférant cette
épitliète avec un ton colère;
. 2° Que lors de la visite du cadavre, on s’est aperçu
que la tète de Courbon était mobile et tournait en
tout sens; que des taches noires et violettes se faisaient
remarquer vers le cou ; que l ’os du gosier était plus
saillant q u ’à l ’ordinaire; q u ’enfin Je médecin a avoué
que Courbon n ’était pas mort d ’apoplexie;
3 ° Q u e , le 8 septembre, Rispal, s’expliquant sur
la mort de Courbon , a tenu des propos de mauvaise
plaisanterie; que cet homme, se voyant fixé par le
juge de paix, a pâli ; que sa pâleur a s u r - t o u t a u g m e n t é ,
lorsque, sur l' i n t e rp el l a t i o n du juge de paix., l ’auber
giste Massardier a nié avoir vu déchirer par Courbon
le billet q u ’il devait à T avernier, et dont il venait de
se libérer.
Enfin , pour compléter les idées sur ce qui ressort
de ces diverses informations, il faut ajouter q u ’elles
font aussi conntaitre les bruits qui circulaient dans
le bourgo de Dunières. On vc disait :
Que Galland et Tavernier , après avoir étouffé
Courbon, s’étaient réfugiés dans l ’auberge de Lyonnet;
Q u ’ un nommé Saignard avait aidé llispal à porter
le cadavre dans la fosse;
Q u ’enfin un inconnu avait dit que INI. Dufaurc
(le juge de paix) eut à prendre-garde à lu i, Galland
ayant a n n o n c é <ftt’il lu i fe ra it comme à Courbon.
Le tribunal d ’Yssingcaux, pensant que la procédure
était complète, renvoya, par ordonnance du 27 août
1 8 1 8 , cette affaire a la chambre des mises en accusa
tion de lu C o u r royale de Riom.
�(3 0
L e jour même de ce renvoi, M. le juge de paix
écrivait encore. 11 faut extraire de cette dernière lettre
un fait essentiel. 11 annonce que Peyrache , témoin
déjà entendu, lui a rapporté q u ’étant à Yssingeaux ,
et logé à l'auberge Perrot_, il a pu entendre les trois
beaux-frères s’entretenant de leur crime-, q u ’un d ’eux
disait : « N ous avons trop enfoncé le m ouchoir} ce
/< qui a fa it enfler le cou et a éveillé les soupçons »
que si Peyrache n ’a pas révélé plutôt ces propos, c’est
q u ’il a peur de ces coquins, et parce que d ’ailleurs il
n ’a pas été interrogé sur l ’assassinat.
Toutes les lettres de M. le juge de paix étaient
jointes à la procédure : elles semblaient même en faire
par ti e ; elles p o u v a i e n t donc fixer l ’a t t e n t i o n de la
Cour. Cette correspondance a q u e l q u e chose de si
positif; les faits q u ’elle contient sont si graves; les
personnes y sont traitées avec si peu de ménagement ;
la conviction de M. le juge de paix paraissait enfin si
profonde, que la chambre d ’accusation crut devoir,
dans sa haute sagesse, soumettre cette affaire aux
débats des assises. U n des motifs de son arrêt d ’accu
sation, qui est du 2 octobre 18 18 , énonce clairement
la pensée de la C o u r; ce m otif dit textuellement q ue ,
s i les fa its articulés p a r le ju g e de p a ix avaient été
déposés j les indices seraient plus graves ; mais que
les témoins ont été intimidés p a r la fé ro c ité des j)révenus; qu enfin elle espéra <pie les débats des assises
étant dirigés dans le sens des indications du ju g e de
p a ix , fournies avec soin, fero n t ja illir la lumière.
Les informations 11e sont donc pas ce qui décide
positivement la C o u r; elle a constamment son atten
tion fixée sur les faits articulés par le juge de p aix ,
faits qui ne sont pas encore prouvés, mais qui peuvent
l ’être; elle s’indigne, avec raison, de ce que la férocité
des prévenus a pu tenir si long-tems la vérité captive;
plie espère que, lorsque ces hommes dangereux seront sous
�( 33 )
la main de la justice, les témoins s’expliqueront, justi
fieront, par leurs dépositions, les indications données
par M. le juge de paix , et que la société n ’aura plus à
gémir sur l'impUnité du plus horrible attentat.
L ’arrêt d ’accusation renvoie là connaissance de cette
affaire à la Cour d ’assises du P u y , département de la
H aute-Loire; e t , le 27 octobre, l ’acte d ’accusation.
€st dressé ; il ne contient autre chose que le développe
ment des présomptions et des indices qui avaient
motivé la mise en accusation.
C ’est à peu près à cette époque, que G a lla n d , un
des accusés, fut arrêté, et traduit dans la maison de
justice du Puy. Rispal et Tavernier, pensant que leur
procès serait jugé aux assises de décembre, vinrent
joindre leur beau-frère • ils passèrent avec lui une
journée en prison; mais ayant appris q u ’ils étaient
renvoyés aux assises de mars, ils se retirèrent dans leur
dom icile, après eu avoir prévenu, par écrit, M. le
procureur du Roi.
.
■
Cependant la justice faisait de nouvelles recherches.
Le président des assises donne des commissions rogatoires; et des procès-verbaux d’information, sous les
dates des 22 novembre 1818 et 27 janvier 1 8 1 9 , font
connaître,
i° Que de nouvelles conversations de la jeune nièce
de Régis Rispal semblaient prouver que ce dernier était
auteur de la mort de Courbon ;
9.0
Q u e, dans la nuit du 8 au 9 octobre, les accusés,
couchant àYssingeaux, dans l ’auberge Perrot, auraient
lait l ’aveu de leur crime, aveu qui aurait.été entendu
et recueilli par Peyrache, qui se trouvait dans la mêmp
auberge;
3 ° Q u e , pendant la
près de la losse où le
couvert, 011 a entendu
* nous n ’y sommes
nuit dti 7 an 8"Septembre, et
cadavre de Courbon a été dé
une voix, disant : « Est-ce que
pas encore ? >> et une autre
�( 34 )
répondre : « O u i, nous y sommes » 5 que presqu’aussitôt
on a entendu le bruit d’un corps pesant q u ’on jetait.
On arrive au mois de mars 1819.
Les accusés Rispal et Tavernier s’étaient constitués
prisonniers. La simplicité de leurs réponses, la douce
sérénité de leur physionomie, leur attitude à-la-fois
modeste et assurée, tout faisait présumer leur innocence.
Ces accusés furent présentés aux assises; ils étaient
assistés, dans leur défense, de Me M andet, a v o c a t,
et de Me Montellier, avoué, tous les deux si avanta
geusement connus par leurs talens et par la beauté de
leur caractère. Ces deux généreux défenseurs, d ’ailleurs
convaincus de l ’innocence de leurs cliens, venaient ré
clamer justice, et l ’attendaient avec la plus grande
sécurité.
;
On leur avait bien parlé d’intrigues, de témoins
pervers ou corrompus; ils 11e voulaient pas y croire.
« Quel homme oserait, disaient-ils, en imposer à Dieu
« et à la Justice? Quel imposteur assez atroce entre« prendrait d ’égarer la conscience du jury, et ne
« craindrait pas d ’attirer, par une fausse déclaration,
« le glaive de la loi sur des têtes innocentes? L ’igno« rance et là légèreté ont bien pu entraîner quelques
« témoins hors des bornes de la vérité; mais la sain« teté du serment, la solennité de l ’andicnce, la vue
« du mal q u ’ils vont faire, suffiront sans doute pour
h les rendre à eux-rnOmes, et ils avoueront leurs
mensonges. »
On leur-faisait aussi craindre les effets de la Pré
vention, celle ennemie mortelle de la Justice , qui
quelquefois s’assied auprès du magistrat à son insu,
excite son zèle, assiège constamment son esprit, donne
aux erreurs q u e lle lui inspire le caractère de la vérité,
et lui dicte'souvent des arrêts q u ’il voudrait ensuite
eflacer. avec son sang, llien ne peut intimider le cou
rage des deux défenseurs; d ’ailleurs, que peuvent-ils
�(35 )
Craindre devant un tribunal juste, éclairé et impar
tia l, devant un jury attentif et équitable?
Cependant, le 4 mars, les débats sont ouverts.
Trente-trois témoins sont ajoutés à ceux déjà entendus
dans les diverses informations. Voici ce que le procèsverbal, tenu par le greffier, apprend d’essentiel :
Le docteur Thomas persiste dans les faits énoncés
dans son rapport-, il déclare que les lèvres du cadavre
étaient teintes de v in ; il dit q u ’il est faux q u ’on lui
ait fait observer que le mal était au cou; qu ’il est
également faux qu ’il ait déclaré que Courbon n ’était
pas mort d’une attaque d ’apoplexie. Il convient cepen
dant ensuite n’avoir pas visité le cou du défunt.
M. D ufaurc, juge de paix, déclare q u ’il ne croyait
pas à un assassinat, et quelesdires dudocteurThom as
lui firent rédiger son procès-verbal avec trop de légè
reté; il ajoute q u ’tt/i morceau de b illo t, oh était la
signature de Courbon , a été trouvé dans une des
poches de l'habit du défunt. Cette découverte , qui
explique ce q u ’est devenu le billet que Courbon avait
acquitté à Tavernier, le 7 septembre, est encore at
testé par un autre témoin produit aux débats.
Anne Colombette avait déjà été entendue; sa dé
position, contenue dans un cahier des informations ,
était insignifiante : elle anéantissait même la décla
ration de trois autres témoins; mais cette fe m m e,
produite aux débats, dit que, dans la conversation
q u ’elle avait eue avec G alla n d , au lieu de Guignebau d e, et au commencement de la matinée du jour
du 8 septembre, cet accusé lui avait annoncé la mort
de Courbon. Cette déposition s’accordait avec celle de
trois autres témoins, qui déclaraient avoir entendu
cette conversation; et leur force était telle, que l ’on
pouvait en induire que Galland avait eu connaissance
de la mort de C o u r b o n , dans uu instant où il devait
�( 36 )
absolument l ’ignorer, s’il n’en avait été ni l ’auteur ni
le complice.
A l ’audience du 6 mars , Me Montellier requit
que Lardon et la Colom bette, qui déposaient plus
particulièrement de ce fait, fussent conduits hors de
l ’enceinte de la C ou r; que là , en présence des voisins
et d’un de MM. les jurés, qui assisteraient à l ’expé
rience, on fit la démonstration du lieu où était placé
Lardon, respectivement à la Colombette et à G alland,
lorsque Lardon aurait entendu l ’annonce que Galland
faisait à la C o lo m b e tte ,. de la mort de Courbon.
La Cour rejeta ce moyen d ’instruction, comme
Inutile et n’ayant d’autre but que d ’allonger les débats.
L a déposition de Peyraclie donna lieu à un nouvel
incident. Cet homme avait été entendu deux fois;
d ’abord il n ’avait été produit que comme pouvant
déposer d ’excès que Galland aurait exercés sur sa per
sonne : ainsi la nature même de la déclaration q u ’il
devait faire annonçait déjà q u ’il était l ’ennemi de
Galland.
Quoi q u ’il en soit, sa première déclaration est dit
26 août 1818. On a vu que les prévenus ayant été mis
en liberté, le 8 octobre 1 8 1 7 , avaient passé-la nuit
du 8 au 9 à Yssingeaux, dans l ’auberge Perrot; cepen
dant ce n’est q u ’au mois de novembre 18 18 , que
Peyraclie vient apprendre q u ’il était lui-même a ^tssingeaux , dans l’auberge de Perrot, pendant la nuit du
8 au 9 octobre 1818, et q u ’il a entendu les prévenus
faire l’aveu de leur crime. Peyraclie répéta cette dépo
sition aux assises du P u y ; et comme 011 lui opposait
q u ’il n’était point à Yssingeaux les 8 et 9 octobre;
que conséqueimrient il n ’avait point paru à l'hôtel
Perrot; que Perrot et les gens de sa maison déclaraient
même ne l’y avoir jamais v u ; pour appuyer sa déposi
tion, Peyraclie présenta, comme étant sous la date
du 8 septembre 1 8 17 , une quittance do M. L abatie,
�( 37 )
avoué, et soutint que cette pièce prouvait sa présence
à Yssingeaux, au jour q u ’il indiquait. L a rapidité et
la chaleur des débats empêchèrent de donner à l ’examen
de cette quittance toute l ’attention q u ’elle exigeait;
son inspection suffisait cependant pour convaincre
Peyrache d ’imposture. E n effet, cette pièce était bien
du 8 septembre, mais de l ’année mil huit cent d ix h u it , au lieu d ’être de l ’année m il huit cent dix-sept.
Mais ce fait si important n’a été découvert q u ’aux
assises de R iom , où Peyrache osa encore produire cette
quittance, pour soutenir son imposture.
Les choses en cet état^ Me Manclet dit que la dépo
sition de Peyrache était fausse, et requit l ’arrestation
de ce témoin. Il demanda en même tems que la Cour
nommât des commissaires, à l ’effet de vérifier si P e y
rache avait pu entendre, dans l ’auberge Perrot, la
conversation q u ’il -supposait y avoir été tenue par les
accusés, et si Lardon avait aussi pu entendre celle de
Gallantl et de la Colombette, au lieu de Guignebaude.
Cet incident s’était élevé h l ’audience du 9 mars; mais
la Cour., par son arrêt du même jo u r, refusa d ’obtem
pérer à cette réquisition, en déclarant que rien ne
justifiait la fausseté de la déposition de Peyrache, et
'que la vérification demandée 11e pouvait produire
aucun résultat.
Il est très-important de faire observer que les réqui
sitions des accusés étaient autorisées par l ’article 33o
du Code d ’instruction criminelle , qui dispose q u e ,
« si, d’après les débats, la déposition d ’un témoin parait
« fausse le président pourra, sur la réquisition soit
« du procureur général, soit de la partie civile', soit
<1 de l accusé, et même d ’office, faire mettre le témoin
« en élat d ’arrestation...... Dans ce cas, dit l’art. 33 1
« les mêmes parties pourront requérir, et la Cour
« ordonner, même d ’office, le renvoi de i affaire à la
* prochaine session. »
�( 38 )
Les accusés avaient fait leur réquisition; les déposi
tions de Peyrache, de la Colombette et de Lardou
leur paraissaient fausses; mais la C our n’obtempérant
point à ces réquisitions, ju g ea que ces dépositions lui
paraissaient v r a i e s , et leur donna, par son arrêt,
j)lus d ’influence sur l ’esprit des jurés, q u ’elles n’en
auraient peut-être eu, si leur véracité ou leur fausseté
n ’avait pas fait l ’objet d ’une discussion très-vive, et
sur laquelle la Cour était appelée à décider. Ainsi on
ne peut se dissimuler que ces dépositions n’aient puis
samment servi à former la conviction des jurés.
Si l’on parcourt le procès-verbal des assises et toutes
les informations, pour y découvrir les autres charges
qui se présentaient contre les accusés, on y voit :
D ’abord que le jury devait être incertain sur le fait
de savoir ce q u ’était devenu Jean C o u rb o n , après sa
sortie du cabaret Maugier. Il était déposé q u ’à neuf
heures du soir, quelqu'un avait heurté ou loqueté à
la porte d ’entrée de l ’auberge Massardier; que la même
personne s’était ensuite dirigée derrière la maison, et
vers le lieu où le cadavre a été trouvé ; que ce même
soir une personne, couchant dans une chambre don
nant sur le derrière de la maison Massardier, avait
entendu, une voix s’écrier : « Est-ce que je n’y suis pas
encore ? » et bientôt après un bruit semblable à celui
d ’un corps pesant que l ’on jette ou q u ’on laisse tomber.
Il faut même ajouter que, dans la suite, ces expres
sions, « est-ce que je n’y suis pas encore? » avaient été
traduites en celles-ci : « Est-ce que nous n ’y sommes
pas encore? » en y ajoutant la réponse : « O u i, nous
y sommes », qui ferait supposer la présence de plusieurs
personnes près de la fosse.
Deux inductions forcées naissaient de ces faits : ou
C o u rb o n , , cherchant la porte de la grange Massardier,
avait appuyé trop à droite, et s’était laissé tomber
dans la fos;e, placée à une distance de deux pieds do
�( 39 )
cette porte; ou les assassins, qui voulaient déposer le
cadavre dans la grange, ne la trouvant plus ouverté,
l ’avaient jeté dans la fosse, et arrangé comme on l ’a
vu plus h a u t , pour induire en erreur sur les causes de
la mort.
A laquelle de ces deux inductions les jurés s’arrête
ront-ils? L eur choix n’était-il pas forcé, s’ils ajoutaient
quelque confiance aux dépositions de la Colombette et
de L a rd o n , et sur-tout de Peyrache ? E n effet, les
assassins ne s’étaient-ils pas fait connaître par leurs
propres aveux?.........
MM. les jurés avaient ensuite un autre point de
fait à exam iner, l ’emploi du tems des trois accusés
pendant la soirée du 7 septembre.
Il était ce rta in , au procès, que les accusés étaient
sortis du cabaret Maugier quatre h cinq minutes après
les frères C ourb on. Rispal disait q u ’il était de suite
rentré dans son dom icile; G alland et Tavernier sou
tenaient q u ’ils s’étaient rendus au cabaret L y o n n e t,
où ils étaient arrivés à n e u f heures et d em ie, plus ou
moins.
Mais les dépositions de trois témoins semblaient
combattre et détiuire ces assertions; l ’un disait être
arrivé chez Lyonnet à dix heures du soir; y avoir fait
ferrer son cheval; être allé ensuite à Dunières pour
affaires; être revenu, à onze heures et demie, chez
L y o n n et, où il avait trouvé Galland et Tavernier, qui
n ’y étaient entrés que depuis un petit quart d ’heure.
Cette déclaration paraissait en harmonie avec la dé
position de celui qui avait tenu le pied du cheval, et
ineme avec celle du cabaretier Lyonnet.
A in si, sur l ’emploi du tems, on pouvait remarquer
une contradiction entre les interrogatoires des accusés
et les dépositions des témoins, et se demander ce
qu avaient fait Galland et Tavernier pendant l e s sept
quarts d ’heure q u i s’étaieut écoulés depuis n e u f heure»
�......................................( 4o )
jusqu’à dix heures trois quarts; et si on se rappelle
l'influence que devaient avoir les dépositions de la Colorabette et de Peyrache, on croira facilement que
cette circonstance a été interprétée contre les accusés,
et que MM. les jurés ont été convaincus que c’était
pendant ce teins, que Rispal, Galland et Tavernier
avaient exécuté et consommé le crime dont ils sont
accusés.
; Il est vrai que tous graves que ces faits pussent pa
raître, ils ne pouvaient suppléer au défaut de preuves
de l ’existence d ’un corps de d élit, ou plutôt à la preuve
positive q u ’il n’existait pas de crime ; mais lorsque
l ’imagination est frappée d ’une idée q u ’elle adopte
comme pi’incipale, il est difficile q u ’elle ne regarde
pas également comme vrai tout ce qui lui parait n être
que l ’accessoire ou la conséquence de cette première
idée. Ainsi, MM. les jurés étant convaincus, par les
dépositions de Peyrache et de la Colombette, de la
culpabilité des accusés, n ’ont pu supposer q u ’il n exis^tàt pas de crime-, ils ont regardé les indices et les
présomptions, qui ressortaient des dépositions de quel
ques témoins, comme suffisantes pour le démontrer,
et détruire les preuves matérielles et positives contenues
soit au procès-verbal du juge de paix, soit au rapport
du médecin.
E n réduisant tout ce que l ’on vient de dire , on
voit que la preuve de l ’existence du corps do délit est
résultée de la déposition de quelques témoins , qui
miraient déposé de la luxation de la colonne verté
brale, de quelques taches noires ou violettes qui au
raient été remarquées auprès du cou, et sur-tout de
la.position extraordinaire du cadavre de Courbon dans
la .fosse où il a été trouvé;
Que la culpabilité des accusés serait ressortie ,
>
i° De ce que les accusés étaient hors (l’état de rendre
Compte de l ’emploi du teins q u i s’est écoulé depuis
�(40
n eu f heures et demie jusqu’à onze heùres passées de
la soirée du 7 septembre ;
20 De ce que Galland a annoncé, le 8 septembre,
> et avant le lever du jour, k Anne Colom bette , la
mort de Jean Courbon, annonce qui aurait été faite
dans un tems et dans un lieu qui font supposer que
Galland était l ’auteur de cette m ort;
>
3 ° De ce que, dans la nuit du 8 au 9 octobre, les
accusés étant à Yssingeaux, et logés dans l ’aubel^e
P e r ro t, ont fait, dans une conversation particulière,
et q u ’ils croyaient secrète, l ’aveu de leur crime, aveu.'
qui a été entendu par le nommé Peyrache.
Toutes les autres circonstances n’étaient que des
adminicules insignifians^ telles étaient les expressions :
« Est-ce què je n ’y suis pas encore? » traduites en
celles-ci : « Est-ce que nous n ’y sommes pas encore?»
augmentées de la réponse : « O u i, nous y sommes. >»
Les débats de ce tt e affaire o nt duré depuis le 4
jusqu’au 9 mars inclusivement.
^ A cette dernière audience, le jury ayant déclaré
que les accusés Galland et Rispal étaient coupables
d ’avoir commis, sur la personne de Jean C o u rb o n ,
un homicide volontaire, et sans préméditation; d ’avoir
transporté son cadavre dans une fosse attenant k l ’au
berge Massardier; et Tavernier ayant été déclaré com
plice des mêmes faits, mais avec les circonstances
atténuantes , q u ’il avait agi non volontairement
l ’arrêt de la Cour d ’assises du P u y condamna
Galland et Rispal aux travaux forcés k perpétuité ,
et k la flétrissure;
E t ravernier k une année d ’emprisonnement.
Galland et Rispal se pourvurent en cassation. Les
eiForts généreux de M° Odillcm-Barrot, si avantageu
sement connu par des talens qui le plaçent au premier
rang du barreau français, n ’ayant pu réussir, les
condamnés implorèrent la clémence du Roi. Mais uu
�(
4
2
.
monarque aussi éclairé ne p o u v a io u b lie r que le droit
de faire grâce serait nuisible à la société, si le Sou-?
verain n ’en usait avec sagesse; aussi, comme le crime
dont les condamhés étaient convaincus ne pouvait être
excusé; q u ’il portait, au contraire, avec lui tous les
caractères de la plus froide .perversité, leur requête eii
grâce fut rejetée, et l ’arrêt exécuté dans toute sa rigueur*
t..
On arrive à un nouvel ordre de faits.
Les accusés soulevèrent la pierre de la tombe qui
semblait devoir les ensevelir à jamais; leurs gémissemens, répétés par une sœur, une cpouse aussi sensibleque courageuse, fuient entendus de la Justice, et une
nouvelle procédure commença.
Rispal et Gallantl renouvelèrent la plainte q u ’ils
avaient portéedevantia Cour d’assises du P u y . Ils dirent :
: i° Q u ’Anne Colombètte-avait déposé faussement r
çn déclarant que G alland'lui avait d it, le 8 septembre
1 8 1 7 , et à la pointe du jour, q u ’il s’était levé plus
matin q u ’elle, et q u ’on avait trouvé Tainé Courbon,
du Mazet, mort derrière la maison Massardier ;
2° Q u ’Etienne Lardon en avait aussi imposé , en
disant q u ’il avait entendu, le même jour, à la même
heure, et lorsqu’il labouraitT la conversation tenue’
entre Galland et la Coloinbelte •;
3 " Que Joseph Auianier et Pierre Celette avaient
également 'm enti, lorsqu'ils avaient déposé q u e , le
même jou r, à six heures .du matin , Lardon leur avait
annoncé, chez lu i, ce que.Galland vpnait de*dire à la
Colombette;
:
4ÜE n fin , que Peyrarhe avait faussement déposé aux
assises du P u y , en soutenant avoir couché, pendant
la nuit du 8 au 9 octobre, d a n s! l’auberge 'de Perrot,
à Ys.singeau* , e t 'y avoir entendu les'trois condamnés
parler de leur crime-, et en faire l ’aveu. • '
. Le 20 décembre i 8 i y , » l a chambre du conseil du
�'(
43 5
tribunal d ’Yssingeaux ordonna q u ’il serait poursuivi
et informé sur cette plainte,, et que le tribunal pro
céderait, ep corps, aux opérations nécessaires pour
vérifier les dépositions de la Colom bette, Lardon et
Pey radie.
^
L e 20 janvier 1820, la dame Rispal, née G allan d ,
■épouse et sœur des.condamnés, demanda, par une re
quête , à être autorisée à faire toutes les observations
nécessaires dans l ’intérêt de son frère et de son époux.
Cette autorisation lui ayant été accordée, la procédure
én faux témoignage commença ; e t , par suite de l'ins
truction qui a eu lieu , P.eyràche a été condamné
comme faux témoin.
Tout est précieux dans cette procédure, qui a été
faite avec un soin particulier. L e juge d ’instruction,
réuni au magistrat du parquet , a pris les moyens
propres à.expliquer tout ce qui pouvait paraître dou
teux o u i é q u i v o q u e . L es plans des localités o nt étc levés
av eci soin; les experts et les hommes de l ’art ont opéré
en présence des magistrats et des prévenus; les prévenus
et les témoins ont été entendus sur les lieux; on a tenu
note de tous les détails et des moindres explications,
de manière que Ton peut dire que rien n ’a été négligé
pour parvenir à la découverte de la vérité.
L e besoin de la cause pourrait peut-être exiger un
examen approfondi de toutes les pièces de cette volumi?
neuse instruction. Il ne serait pas sans intérêt de
connaître comment la justice est parvenue à soulever
successivement les voiles plus ou moins t?pais qui
couvraient la vérité ; mais comme le teins pourrait
manquer pour un travail aussi long, on se réduira à
exposer, dans quelques paragraphes, ce qui lient le
plus directement à la cause, et à faire connaître les
nouvelles découvertes, qui ont anéanti les faits qui
semblaient avoir entraîné la conviction de MM. les
jurés de la Ilaute-Loire.
�( 44 >
Chacun de ces paragraphes servira à-la-fois à détruire
une erreur de fa it, et à prouver une vérité contraire.
Ainsi l ’analise de cette procédure établira :
i° Que non-seulement Jean Courbon n ’est pas mort
assassiné, mais encore q u ’il a succombé à une attaque
d ’apoplexie ;
2° Q u e , loin q u ’il y ait du doute sur la conduite
des trois beaux-frères, dans la soirée du 7 septembre r
et pendant le tems qui s’est écoulé de neuf heures à
onze heures, les localités, les faits et les témoins se
réunissent pour montrer que ce tems a été employé,
par les trois beaux-frères, d ’une manière si innocente,
que l ’on ne pourrait leur imputer la mort de Courbon
lors m ê m e q u ’il serait établi que ce malheureux a éLc
■victime d ’ u n assassinat;
3 ° Que la déclaration de la femme Colombette n ’esü
pas vraie ; q u ’elle est repoussée par l ’examen des loca
lité s, et par les dépositions des témoins; que la dépo
sition de Lardon est tout aussi fausse; que cette
fausseté est démontrée par les distances, la position
des lieux , et celle des interlocuteurs;
4 ° E n fin , que le condamné Peyrache est un vit
im posteur, qui n ’a rien entendu et ne pouvait rien
entendre, puisqu’il n ’était ni à l ’auberge P e r r o t , ni
même à Yssingeaux, dans la journée et dans la nuit
du 7 au 8 octobre.
Il f a u t se liàter de d évelopper ces p r o p o s i t i o n s , dont
la réunion démontre complettement l ’erreur de MM. les
jurés de la Ilaute-Loire.
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NON
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EXISTENCE
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CORPS DE
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DÉLI T.
I c i , il faut se remettre sous les yeux le procès-verbal
de M. le. juge de paix et le rapport du m édecin, qui
sont, l ’un et l ’autre, sous la date du 8 septembre 1817.
( V o ir les pièces justificatives). Ces deux pièces se
réunissent, comme on le sait, pour établir que Jean
Courbon était décédé des suites d ’une attaque d ’apo
plexie. Lorsque, plus tard, on a voulu équivoquer
sur la preuve qui résultait de ces deux procès-verbaux,
M. le procureur du Roi a consulté le docteur Bergeron,
qui a répondu que si Courbon était mort par suite de
la rupture de la colonne vertébrale, ce point de faiç.
pouvait encore être vérifié , quoique le cadavre fut
inhumé depuis trois mois. L a justice a négligé ce
moyen d ’i n s t r u c t i o n , et s’en est t en u e à. la dépositi on
de q u e l q u e s t é mo in s , qui soutenaient avoir observé des
choses propres k anéantir les résultats établis par les
procès-verbaux.
Lors de la procédure en faux témoignage, M. le
substitut du procureur du R o i, à Yssingeaux, spécia
lement chargé de cette instruction, réunit tous ces
documens. Le procès-verbal } le ra,pport, les dépositions
<le tous les témoins entendus dans la première instruction
ou aux assises, un dessin figuratif de la position de Cour
bon sont transmis, par ce magistrat, aux docteurs Darle
et D ebrie, médecins à Yssingeaux, avec un Mémoire à
consulter, explicatif de tous les faits., où M. le pro
cureur du I\oi demande, « si la mort de Courbon et
« la position extraordinaire de son cadavre, dans la
« fosse où il a été trouvé, ne peuvent s'expliquer que
« p a r le f a i t d'un crim e} ou bien si on 11e pourrait
« pas trouver la cause de cette mort et de cette posi« tio n , dans un accident naturel, p r o v e n a n t ^ 1*
1
�« chute de Courbon dans la fosse, et de ses efforts à se
« relever, sa tête appuyant à terre, comme font les
« ivrognes. »
L e i i juillet 1820, les deux docteurs font leur
rapport, et répondent,
Que la mort et la position de Courbon peuvent et
doivent s’expliquer par tout autre fa i t que par celui
■d’un crim e;
Que Courbon est probablement mort ou par l ’effet
de la congestion du sang au cerveau 3 résultat de
Vivresse et de sa position, ou par suite de la luxation
des vertèbres, qui aurait été produite par la chute de
Courbon, ou par ses efforts pour se relever ;
Q u ’ il est certain q u ’il n ’y a point eu de violences
exercées sur la personne de Courbon*, q u ’il f a ut s’abste-nir de se livrer aux suppositions et aux hypothèses,
pour ne s’arrêter q u ’aux signes qui indiquent si é v i
d e m m e n t u n e MORT NATURELLE (V o ir les pièces
■justificatives.)
’
' C e rapport, fait par ordre de la justice, prouvait
tout ce q u ’il était nécessaire de connaître sur ce point
de •fait; il faisait cesser tous les équivoques que M. le
'juge de paix et quelques témoins s’étaient permis
d ’élever sur les opérations du docteur Thomas. Désor
mais il n’était plus permis de soutenir, • au moins
légalement, que Courbon eût été victime d’un as
sassinat.
Mais la prévention jette des racines si profondes ,
ses fruits sont si amers, que les épouses et les conseils
des condamnés crurent 11e devoir négliger aucun effort
pour la détruire, ou au moins pour la combattre avec
avantage.
1
’
Des Mémoires îi consulter sont rédigés avec soin; on
y joint les pièces et documeus que’ lés docteurs Darle
et Debrie avaient eus sous1 les yeux; on les transmet
autf médecins de notre teins-les plus verstH dans 1 art
�( 47 )
cle la médecine légale, et on les interroge sur les causes
de la mort de Courbon.
M. Fodéré, professeur de médecine légale à Stras
bourg, et auteur d ’un Traité qui est à-la-fois le i'ésumé de la science sur cette matière, et un recueil
d ’observations nouvelles aussi justes que profondes ,
adopte et approuve une consultation rédigée par le
docteur R ichond, sous-aide-major à l ’hôpital militaire
d ’instruction de Strasbourg.
. Ce jeune docteur, dans deux Mémoires étincelans
de beautés, examine les causes réelles de la mort de
Courbon : il déclare d ’abord q u ’il est mort d ’apo
plexie. Portant ensuite ses regards investigateurs sur
les faits avancés par les tém oins, et sur les autrescauses présumées de cet événement, la science, les
exemples et le raisonnement lui servent à démontrer
q u ’il est impossible que la mort de cet homme soit
la suite de la •s t r a n g u l a t i o n , de la suf fo cat io n, ou de
la l ux a t i o n des vertèbres; il prouve enfin que la p o
sition du cadavre de Courbon ne peut être l’effet d ’une
impulsion communiquée; elle e s t , au contraire, une
de celles que C ou rbon, succombant à une attaque
d ’apoplexie, pouvait prendre; et cette position est ellemême une preuve q u ’il n ’y a point eu de luxation des
vertèbres (V oir les pièces justificatives.).
, Ce travail si précieux, «l qui.doit être placé à côte
des consultations médico-légales données par les plus
grands maîtres., est ensuite soumis à l ’examen du doc
teur Caizergues, professeur à l ’école de médecine de
Montpellier. Ce savant observateur, en déclarant ,
dans sa consultation du 15 février iB -ai, que Courbon
est mort d ’apoplexie, ajoute qu'elle a été causée par
un exces do liqueurs; que le genre de mort et s^cause
sont également prouvés par la contraction ou la rigi
dité des membres, et par le reste de chaleur qui se
laisuit remarquer dans le cadavre au moment
1)11
�ï ’a découvert ; q u ’enfin l ’état de rigidité des membres
rend raison de la situation du corps, et éloigne toute
idée de luxation, q u i, loin d ’opérer une contraction,
au ra it, au contraire, laissé le cadavre dans un état
de relâchement et de paralysie (V o ir les pièces justi
ficatives).
Les docteurs Lucas et Marc, tous les deux membres
de l ’académie royale de Montpellier*, le premier, ins
pecteur des eaux minérales de V ic h y , et le second,
ihédecin-juré-expert à P aris, examinent à leur tour
toutes les pièces, rapports, documens, et opinions dont
on vient de donner l ’extrait.
L e u r consultation, qui est du 11 mars 1821 , est
au-dessus des éloges. Que d ire, en effet, qui puisse
rendre di gn em en t les impressions q u e ce b e au tra va il
fait, éprouver, lorsqu’on t ro uve l ’a m o u r de l ’humanité
réuni à la science qui éclaire l ’esprit : il faut admirer
et se taire ! Dans cette consultation, qui doit être lue
avec la plus grande attention, les docteurs concluent,
DE LA MANIÈRE LA TLUS POSITIVE, et AVEC UNE CERTITUDE
m a t h é m at i qu e , que Courbon est décédé de mort natu
relle, et q u ’il n ’y a point eu de violence exercée sur
sa personne; que cet infortuné est mort d ’apoplexie;
ce qui est prouvé par son organisation, par l’état
d ’ivresse dans lequel il était, et par la position de son
corps dans la fosse où il a été trouvé (V oir les pièces
justificatives).
S i , plus ta rd , les condamnés ou leurs conseils désirent
encore qnelques explications sur la position du cadavre
de C o u rb o n , le docteur Lucas répond, le 4 mai 18 2 1,
« que cette position n ’a pu être acquise et conservée
« que par une mort apoplectique ; q u ’il s’était pénétré
« de l ’importance de la mission qui lui était confiée,
« et des devoirs que lui imposait sa conscience; q u ’il
« avait senti le danger de la légèreté, dans l'examen
« d ’une question qui doit rendre à la société des
�C 49 >
« assassins s ou délivrer d ’un jugement... d es innôcens.
Cette lettre se termine ainsi : «Nous protestons , devant
« D ieu et la J u s t i c e , de notre conviction de la mort
« naturelle et apoplectique de J ean C ourbon . »
Voici cependant la chimère que l ’on a poursuivie :
le crime qui a été créé par l ’ignorance et la précipi
tation. Il n’existe pas, ce.crime; mais les malheureuses
victimes de cette cruelle supposition sont flétries et
languissent encore dans les fers! Que de maux évités,
si une sage prévoyance eût inspiré aux magistrats l ’heu
reuse idée de dissiper les doutes qui paraissaient
s’élever sur l ’existence du corps de délit; si du moins
une louable circonspection eût arrêté le glaive de la
justice, au moment où les accusés protestaient de leur
innocence, et accusaient à leur tour des témoins de
fausseté! IS'ulla uncjiiàm de morte hominis cunctatio
longa est.. J uv é n a l , sat. 6 , ,v. 139..
S II*
EMPLOI DU TEMS DES TROIS BEAUX-FRÈRES.
Pour comprendre la démonstration qui doit faire
l ’objet de ce paragraphe , il est indispensable de se
rcmettrc'sous les yeux ce qui a déjà été dit sur certains
points de localités du bourg de Dunières, et cl’y ajouter
les explications suivantes :
S i , partant du cabaret Maugier et en suivant la rue
de Dunières, on s’arrête à la porte d ’entrée de fa maison
llisp a l, située à l'an ire extrémité et à droite de cette
nie , 011 p e u t, en se fixant sur un point auprès de ccitte
p o r t e s e faire l ’idée de d^ux s e n t i e r s l ’un ¿1 droite
et aboutissant au chemin du Mazet, suivi par Pierre
Courbon, qui cheminait en chantant , lorsque son
frère eut quitté le char qui était au-devant de la forge
�C 5o )
Maugier; l ’autre à gauche, aboutissant au chemin deDunières h Saint-Etienne, et que les accusés déclarent
avoir suivi pour se rendre au cabaret Lyonnet^ situé
sur cette route, et à quelque distance de Dunières..
U ne cro ix, placés à soixante pas de ce bou rg, est le
sommet de l ’angle que décrivent ces deux routes, à
partir de ce point.
La forge Maugier est à gauche de la rue de Dunières;
sur la droite de cette forge, et en descendant de ce
point pour se rendre sur la place publique, où est
située la maison M augier, se trouve la maison de
Françoise Colombette; sur la gauche de la même iorge,
et en suivant la rue pour arriver à la maison Rispal,
se t r o u v e n t la mais on du sieur M a r n a s , p e r c e p t e u r ,
et une grange a t t e n a n t à cette m a i s o n , et placée dans
un enfoncement. Cette grange était, en 1817 , habitée
par Catherine Barlet. L a place publique, sur laquelle
est situé le cabaret M augier, la maison Colombette,
la forge Maugier, la maison Marnas et la maison Rispal,
sont disposés de telle manière, que de la maison C o
lombette 011 peut voir, d ’un côté, ce qui se passe au
point occupé par la forge Maugier, e t, de l ’autre, à
celui de la place p u b liq u e , qui correspond le plus di
rectement à l ’auberge Maugier; q u e , de l ’extrémité
de la maison Marnas, on peut également voir ce qui
se passe à la forge Maugier, et, d ’un autre côté, suivre
de l’œil le passant q u i parcourrait la rue, jusqu’à l'ex
trémité de la maison Rispal; point où commencerait
la diagonale tracée sur la place publique, et qui con
duirait, de l ’angle de cette dernière maison, à la porte
d ’entrée de la maison Massardicr.
C ’est le moment d ’extraire les dépositions des té
moins qui étaient placés à ces divers points, et à
l’anberge Lyonnet.
O n y apprend les faits suivans :
\° Les deux frères Courbou ont été vus sortant
�( 5- )
ensemble du cabaret Maugier , et allant jusqu’à la
forge Maugier, où ils se sont arrêtés;
20 Après que Pierre Courbon eut quitté son frère
pour retourner au cabaret Maugier, Jean Courbon a
été vu passant devant un témoin, et se dirigeant vers
la maison Massardier;
3 ° Pierre Courbon a été va revenant de l’auberge
Maugier, marchant assez vite, et faisant, comme il
l ’a dit lui-même, son chemin en chaulant ;
4 ° Le chant de Pierre Courbon a été entendu vers
la maison Lemoine, située à l’extrémité du village,
et près de la route de Saint-Etienne; il a été entendu
quelques petits momens après que l ’on fut venu heur
ter à la porte d ’entrée de la maison Massardier, et
q u ’on se fut dirigé sur le derrière de cette maison; il
a enfin été entendu sur la route du Maz.et, et à un
point qui n ’est distant que de ticnte-Imit pas de la
maison Lyonnct. Da ns ce moment, Lyonnet faisait
boire son cheval à la rivière.
Si l ’on interroge les enquêtes relativement aux ac
cusés, elles apprennent,
i° Que les trois beaux-frères, qui étaient restés chez
Maugier après la sortie des frères Courbon, ne q u it
tèrent ce cabaret q u ’après la seconde sortie de Pierre
Courbon, qui y était venu recommander de ne plus
donner de vin à Jean son frère;
a0 Que les trois beaux-irères, qui étaient accom
pagnés de l’enfant de Rispal, marchaient doucement;
q u ’arrivés à la maison Rispal, on a entendu ce dernier
dire aclieu à ses deux beaux-frères ; q u ’on l’a vu inimédiaiement rentrer chez lui avec son enfant, et
'fermer sa porte-,
3 U Que Calland et Tavcrnier ont continué leur
chemin; q u ’ils ont été vus ayant dépassé les maisons
Lemoine et Massardier (qui sont, à droite et à gauche
de la n ie, les deux dernières de Dunières, et attenant
�C5 0
aux routes (lu Mazet et de Saint-Etienne) , et se diri
geant vers le cabaret L y o n n e t, en prenant la route
de Saint-Etienne;
4 ° Que Galland et Tavernier sont arrives chez
Lyonnet moins d ’/i/z quart heure après que ce dernier
aurait entendu le chant de Pierre Courbon, fait q u ’il
aurait raconté à deux témoins avant l ’entrée des deux
beaux-frères ;
5 ° Q u ’arrivés chez L yo n n et, les deux beaux-frères
ont bu ensemble près de deux heures, au moins; q u ’en
suite Tavernier est resté chez L yo n n et, oii il a couché,
et que Galland est parti pour Maltaverne.
On peut déduire de ces faits des conséquences aussi
simples q u ’évidentes.
L e s trois beaux-frères accusés é ta i ent à l' a ub er ge
Maugier, lorsque les deux frères C o u r b o n en sont sortis
pour la première lois. Ces malheureux étaient encore
dans ce cabaret au moment que Pierre Courbon est
venu défendre à Maugier de donner encore du vin à
Jean : ils n ’ont point suivi Pierre Courbon lors de
cette seconde sortie; donc ils n ’avaient point le des
sein de rechercher , de rencontrer, et encore moins
(Vattaquer Jean Courbon , qu’ils devaient supposer
être sous la garde de son frère.
Jean Courbon avait profité de l ’absence de son frère
pour se relever du char qui était placé devant la
forge Maugier; il s’était immédiatement dirigé sur la
maison Massardier; il avait loqueté a la porte (l’entrée
de celle maison; il s’était même rendu sur le derrière
de ce cabarel, et s’élait probablement laissé tomber
dans la fosse au moment que Pierre Cou rbon, reve
nant de chez Maugier, traversait le village, et coniinnaii sa roule sur le Mazet, en chantant pour attirer
Irère; donc Pierre Courbon n ’avait été assailli
p a r personne ; // s'était raidit de son plein gré à la.
maison SSIassardwry sa chute et sa mort n étaient et
�( 53 )
lie pouvaient être que l ’effet et la suite ¿l’un accident.
Rispal, Galland et Tavernier n ’avaient quitté le
cabaret Maugier que cinq 011 six minutes après la se
conde sortie de Pierre Courbon. Dans ce moment, Jean
Courbon avait disparu ; il était derrière la maison
Massardier, où son cadavre a été retrouvé le lende
m ain; donc les accusés ne l ’ont point rencontré, ne
Vont point attiré ou conduit dans la maison Rispal
pour lui donner la m ort, et ne Vont point transporté
dans la fosse où il a été retrouvé.
Les trois.accusés sont sortis du cabaret Maugier avec
l ’enfant Rispal. Rispal, après avoir salué ses dëux
beaux-frères, est rentré dans son domicile. Galland et
lavernier ont pris la route de S a in t-L lien n e, et sont
arrives a la maison Lyonnet peu de tems après que les
chants de Pierre Courbon s’étaient fait entendre ;
donc Rispal était d a n s sa m aison lo rsqu e J e a n C o u r bon éta it derrière V auberge M a s s a r d ie r ; donc G alland
et T a v e rn ie r étaient su r la route qui conduit chez
J.yonnet, au moment où Pierre Courbon , venant de
quitter son frère , se rendait, en chantant , de D unières au M azet; et comme il est établi (pie Tavernier
a couché chez ly o n n e t, cl cpie G alland n’a quitté
ce lieu que pour se rendre à M a l taverne , il est aussi
évident que les accuses 11 ont pu se réunir h Dunières}
fie n e u f heures et demie à onze heures du soir, pour
concevoir cl exéculer un crime.
I./emploi du tems des trois beaux-frères est bien
justifié. Le chant de Piei Me Courbon, rapproché des
«'îrconsianccs moins -connues, dissipe toutes le>) obscu
rités <|ui pourraient les enveloppe! ; et s'il s’est. élevé
quelques doutes sur ce point important.,- cela tient ,
d une/part, a la difficulté que les habilans de la cam
pagne éprouvent. à énoncer, d ’ une manière positive .
i heure fixe de la nuit; et, de l’autre., au peu d ’atieul
lion que 1 011 a mise a rapprocher les dépositions do>-
�( 54 )
témoins du fait constant et avoué, le chant de Pierre
Courhon.
Ces vérités sont si simples, que ce n’est pas sans
déplaisir que l ’on se voit obligé de les démontrer:
Comment ont-elles pu échapper aussi long-tems à l ’œil
vigilant de la justice? comment, sur-tout, M. le juge
de paix, q u i, dans cette trop célèbre affaire, a donné
tant de renseignemens; q u i, à chaque instant, pou
vait interroger les lieux, les circonstances et les hommes,
n ’est-il parvenu à découvrir que des éléinens d ’erreur,
lorsque la vérité était si facile à saisir? M. le juge de
paix insistait fortement sur le non emploi du terns*
Cette circonstance, si souvent rappelée et commentée
dans toutes ses lettres, était, par la confiance q u ’il
devait i n s p i r e r , regardée c o m m e chose c onst ant e. Si
Cependant ce Fait faux a pu influer sur la conviction
d u ju r y , quel regret 11e doit point avoir celui qui
pouvait si facilement le rectifier, et q u i, pour se con
vaincre de l ’innocence des accusés, n’avait, en se rap
pelant le si ju d ica s, c o g n o s c e q u ’à donner à l ’examen
de la défense et de leurs moyens de justification, uri
des nombreux instans q u ’il accordait avec tant de
bienveillance à leurs ennemis et à leurs accusateurs!'
S III.
PKPOSIXIONS DE J E ANNE
COLOM 1JF.TTE , LARDON ,
EX
ATJLANIEÏl
CI.LKTTE.
L a femme Colombette avait déposé q u ’à la pointe
du jour du 8 septembre 1 8 1 7 , l ’accusé Gallaml ,
passant par G uignebaude, lieu où elle demeure, lui
avait annoncé la mort de C ourbon, en ces termes :
« L ’ainé C ourbon, du M a/et, a été trouvé mort
« derrière la maison Massardier. »
C e lle déposilion; qui n’uvail élé faite q u ’à l ’an
�c. 5 5 }
dience de la Cour d ’assises, quoique la Colombette
eût été entendue dans l ’instruction, pouvait paraître
suspecte , soit par les circonstances qui l ’accompa
gnaient, soit par la mauvaise réputation du témoin;
mais elle était soutenue,
Par Etienne L ard on , qui déclarait avoir entendu,
en labourant, la conversation de Galland et de la
Colombette ,
E t par Joseph Aulanier et Pierre C elette, qui dépo
saient que Lardon leur avait an noncé, sur les six
heures du matin du 8 septembre, et dans sa propre
maison, ce que Galland venait de dire à la Colombette.
C ’est ce corps de preuves, que la plainte en faux
témoignage des condamnés soumettait à l'examen de
la justice. Mais avant de^suivre l ’instruction, il faut
essayer de donner une idée des localités, en c o n s u l t a n t
un plan qui a été levé en v er t u d ’o r d o n n a n c e d u juge.
L e lieu de G u i g n e b a u d e est situé dans la commune
de D u n i è r e s ; la maison de la Colombette est placée
dans le petit vallon qui porte ce nom*, h une certaine
distance, et sur les derrières de cette maison, est une
cote ou monticule qui sépare deux vallons; et au-delà
du second vallon, existe encore un autre monticule,
ou est situé le village de Cublaisc.
Près de la maison de la Colom bette, et au-devant
de sa porte d ’entrée, passe un chemin conduisant
de Guignebaude à M altaverne, domicile de l’accusé
Galland.
La femme Colombette, suivant sa déposition devant
la Cour d ’assises, était au-devant de la porte d ’entrée
de sa maison , lorsqu’elle a eu avec Galland la conver
sation dont elle a déposé 5 et Lardon aurait entendu
celle moine conversation, en labciurant dans une terre
de la Colombette est placée.
Le 28 janvier, une première ordonnance esl rendue;
�elle porle q u ’il sera ‘procédé à la vérification des posi
tions' respectives de la femme Colom bette, Galland et
L ard on , au moment de la conversation présumée, et
que MM. le juge d ’instruction et le procureur du Roi
se transporteront sur les lieux, pour y recevoir les
déclarations de la Colombette et de Lardon.
Ce transport a lieu le 29 janvier, et le procès-verbal
atteste :
Que la Colombelle s’est placée à neuf pas de sa
maison, sur le derrière, et a indiqué la position de
G allan d , à vingt-huit pas d ’elle.
On voit déjà que cette femme se mettait en contra
diction avec elle-même; que non-seulement elle quittait
la porle de sa m ai s on , et se pl aça it sur le derrière, pour
SC mettre en v u e de L a r d o n , mais encore q u ’elle,
s'éloignait de neuf pas du derrière de sa maison , pour
se rapprocher de cet homme. Elle avait aussi grand
soin, en éloignant Galland du chemin de Guignebaude
à Maltaverne, de lui donner une position qui le rap
prochât le plus possible do Lardon.
Cet homme , à son tour , indiqua le point q u ’il
occupait sur la terre de la cime de la còte, lors
q u ’il avait entendu la conversation de Galland et de
la Colombette. Il déclara q u ’il attelait ses vaches,
lorsque Galland passa et parla. ïl avoua cependant
11’avoir pas1 vu Galland. La distance de Lardon à
G allan d , si l’on s’en rapporte aux indications données
par la Colombelle et Lardon , serait de deux cents
mètres, et còlle de la Colombelle à Galland, de vingtqualre mètres.
Les indications données par la Colombelle el Lardon
pouvaient être vérifiées. Difl’érenles personnes étaient'
011 état de donner des renseignemens précieux sur ce qui
s’était passé dans la malinée du 8 septembre. Les unes,
en cil et., travaillaient des terres au-dessous de celles
de Lardon, cl sur un point plus rapproché du vallon
�c 57 )
ou est située la maison de la C olo m bette, tandis que
d ’autres labouraient sur un terrain bien plus éloigné,
et sur la côte, où est situé le village de Cublaise; mais
q u i , étant plus élevées, avaient nécessairement vue
sur la côte où labourait Lardon.
Des informations devenant indispensables, des té
moins sont entendus, les 10, 1 1 , 14? L8 , 22, 23 J
février, et i 3 mars 1820. Il faut en faire connaître
les résultats, en les rapportant à chacun des individus
q u ’elles regardent.
Relativement à J.nne Colombette , ces enquêtes
apprennent :
i° Que cette femme, causant avec sa famille, au
moment où elle a quitté G alland, ne lui a pas rapporté
le propos q u ’elle a ensuite imputé à cet homme ;
20 Que la fille de la Colombette lui a reproché la
déposition q u ’elle avait faite à la C o u r d ’assises du
P u y ; que d ’ailleurs G a l l a n d n ’avait jamais démandé
autre chose à la Colom bette, que de dire la vérité;
3 ° Q ue, jusqu’à la veille de sa déposition devant la
C o u r d ’assises, la Colombette a assuré à plusieurs té
moins, que jamais Galland ne lui avait parlé de la
mort de Courbon, dans la matinée du 8 septembre.
Quant à Lardon , on lit dans les mêmes informations :
i° Que dans la matinée du 8 septembre, cet homme
ne labourait point à l’endroit q u ’il a indiqué, mais
bien dans une terre plus éloignée ;
20 Que Lardon n’a appris la mort de Courbon que
chez un nomme Escofiier, où il travaillait; que cette
nouvelle ne lui a été donnée q u ’à dix heures du matin.
Quant à A ulanicr et Colette, les dépositions an
noncent :
i° Q u ’un témoin leur a appris, le 8 septembre, à
neuf heures du soir, la mort de C o u rb o n , tandis q u ’ils
disent que Lardon la leur avait annoncée à six heures
de la matinée du même jour;
tf/j
'<
�.
( 58 )
_
.
2° Que L ard on , avant d ’aller déposer à Yssingeaux,
était allé voir Aulanier; que leur entrevue leva tou»
les doutes que Lardon se faisait sur ce q u ’il avait
à dire.
On doit placer i c i , comme remarque essentielle,
que ce dernier fait s’accorde parfaitemeut avec le
contenu en une des lettres de M. le juge de paix, e t
q u ’il paraît certain que L ard on , avant sa conversation
avec Aulanier, avait constamment déclaré q u ’il n ’avait
rien en ten d u , ou q u ’au moins il refusait de s’expli
quer. Il faut aussi dire que L a rd o n , ayant été arrêté
et interrogé, avoua que, le jour même où il devait se
rendre à Yssingeaux, et avant sa déposition, il était
allé chez A u lan ier, pour s’assurer de ce q u ’il avait d it
à ce dernier.
Des réflexions propres à faire sentir combien devaient
paraître suspectes les dépositions de ces quatre indi
vid us, seraient ici inutiles et oiseuses.
L e 27 avril 1820, la chambre du conseil ordonna
q u e , le 4 m ai su ivan t, la justice se transporterait au
lieu de G uignebaùde, à l ’eifet de vérifier si Lardon
avait pu entendre la conversation tenue par G alland
et la Colombette; elle voulut en même tems que trois
experts, les sieurs M onnet, de Retournac; M athieu,
de Bas, et B renas, d ’Yssingeaux, procédassent à cette
expérience ; enfin l ’ordonnanee porte que M. le juge
de paix de Montfaucon sera appelé h cette visite.
U ne question se présente ici d ’elle-même : Q u ’avait
à faire le juge de paix dans cette opération? Elle était
ordonnée par une autorité bien supérieure à la sienne.
MM. le juge d ’instruction et le procureur du Roi
devaient y assister ; elle devait être faite par trois
hommes de l’a r t , ayant la confiance du tribunal et
du public : la présence de M. le juge de paix était
doue au moins superflue.
�( 59 ) _ _
.Mais cet officier de police judiciaire avait cru devoir
donner de nouvelles preuves de son zèle.
L e 26 août 1 8 1 9 , il s’était transporté à Guignebaude; et là., sans mission, sans réfléchir q u ’il n ’avait
aucune compétence pour agir, il s’était permis une
opération dont il annonçait les résultats, comme étant
■entièrement avantageux à Lardon et à la femme Colombette. Cela ne paraîtra point extraordinaire, lorsque
l ’on saura que M. le juge de paix, sans doute pour
assurer le succès de son opération, avait arrangé les
choses de telle manière, q u e , d ’une p a r t , l ’interlocuteur qui représentait Galland adressait la parole à
L ard o n , au lieu de parler à la C olom bette, et q u e ,
de l ’autre, le représentant de Galland s’était placé à
soixante pas de la Colom bette, tandis q u ’il ne devait
en être q u ’à dix-huit. C e moyen ingénieux donnait à
Lardon toutes les facilités possibles p o u r e n t e n d r e ,
p u i sq u e c’était à lui que l ’on parlait; puisqu’il en
était p révenu ; puisqu’enfin l ’interlocuteur avait été
placé à une distance, d ’où Lardon pouvait facilement
saisir ses pensées et ses expressions. Il faut eii convenir :
M. le juge de paix réunit à l ’art d ’assembler les pré
somptions et les indices qui accusen t, c e l u i , plus
difficile peut-être, de préparer les moyens qui peuvent
paralyser et détruire l'accusation la mieux fondée.
Quoi q u ’il en s o it, le transport à G uignebau d e, qui
de vait avoir lieu le l\ m ai, fut précédé d ’une nouvelle
information; et l ’on peut extraire du procès-verbal
d ’audition des témoins, qui est sous la date du 29 avril
1 8 2 0 , le fait essentiel :
Que 'Galland, q u i , le 8 septembre, et à l ’aube du
j o u r , aurait parlé à la Colombette de la mort de
C ourbon, n ’en aurait rien dit un quart-d’heure après,
causant avec un de ses amis, et que ce dernier n ’au rai t
lu i-même appris cette nouvelle à Gublaise, q u ’à neuf
heures du matin du même jour.
-
�( 60 )
Le 4 mai 1820, les expériences qui'(levaient être
faites au lieu cle Guignebaude commencèrent. M. le
juge d ’instruction avait eu le soin d ’y faire trouver les
témoins qui pouvaient faire connaître la vraie position
de L a r d o n , et l ’instant précis où cet homme aurait
appris la mort de Courbon.
Ces témoins furent entendus sur les lieux , et
confrontés avec Lardon. Les uns soutinrent que ce
dernier ne travaillait pas à la terre de la cime de la
côte, et au point q u ’il avait indiqué aux magistrats,
le 29 janvier, mais bien à la terre du P r a t , et à un
point plus élevé et plus éloigné que le prem ier, de
quarante-cinq mètres de celui supposé occupé par
Galland.
L ’opération des experts ap pr en d ensuite q u ’entre le
point indiqué par L a rd o n , comme occupé par lui au
moment de la conversation de Galland et de la Colomb e tte , et celui où les témoins le placent, il existe un
rocher et une pente qui interceptent la v u e , de ma
nière à empêcher de voir G uignebaude, à l ’endroit
sur-tout où Lardon et la Colombette faisaient placer
G alland.
U n autre témoin assure q u ’il avait employé Lardon
à travailler, pendant la journée du 8 s e p t e m b r e , et
que. c’est dans la maison de ce témoin, que Lardon a
appris, ii dix heures du m atin, la n ouv el le de la mort
de Courbon.
Il est ensuite procédé aux opérations qui étaient
l ’objet du transport de la justice et des experts. On a
grand soin de conserver les positions que la Colombette
avait indiquées, comme occupées par elle et Galland
dans l ’instant de leur conversation. On place aussi
successivement Lardon sur le point q u ’il disait avoir
occupé pendant cette conversation, et sur celui désigné
p a rle s témoins, et on se convainc bientôt q u ’à quelq u ’eiidroit que Lardon se place, il est impossible q u ’il
�( 6r )
&it entendu
Colombette.
la conversation
de
Galland et de la
Com m ent, en effet, supposer que celui qui adresse
la parole à un interlocuteur placé à trente pas de l u i ,
prendra, sans nécessité, un ton de voix assez élevé
pour être entendu à deux cents pas , c’est-à-dire sept
fois plus loin? Ne sait-on pas que la vo ix, cet organe
si flexible, se modifie suivant les distances, et q u ’il est
rare q u ’elle s’élève beaucoup au-dessus' de ce qui est
nécessaire pour être entendu? D ’un autre côté, il ne
suffit pas toujours d ’avoir des oreilles pour entendre,
il faut encore prêter son attention à ce q u ’on dit-, et
l ’homine qui est sérieusement occupé d ’un o b je t ,
n ’entend pas le plus souvent ce qui se dit à côté de lui.
L a r d o n , pressé par ces dépositions de témoins et
par les vérifications a u x q ue l l es il assistait c o m m e p a r t i e ,
c h e r ch a i t à en repousser les conséquences i n é v i t a b l e s ,
en d is ant q u ’au moment où il avait entendu la con
versation de Galland et de la C olom bette, le soleil
n ’était point encore levé; que le teins était calme et
serein ; tandis que l ’expérience n ’avait lieu q u ’à dix
ou onze heures du m a tin , et que dans cet instant il
faisait vent. Mais ces différences, si elles existaient
ne trouvaient-elles point leur compensation dans la
circonstance, q u ’au moment de l ’expérience*, Lardon
savait ce q u ’on voulait faire, et était prévenu de tout
à mesure que l ’on opérait*, tandis q u ’au moment où
il aurait entendu la conversation de G alland, il était
occupé de son travail, et que rien rte p o u v a i t fixer son
attention sur l ’arrivée et la présence de cet homme
auprès de la C o l o m b e t t e .
On ne peut que rendre hommage à la sagesse et à
la prévoyance des magistrats qui ont dirigé cette ins
truction ; mais ce qui vient d ’être dit conduit, à l ’idée
que la justice pouvait adopter un mode d ’opérations
�( 6» )
bien plus conforme aux intérêts de la plainte qui avait
été portée par les condamnés.
E n effet, étant acquis au procès, que Lardon liait
ou attelait ses vaches au moment où il a entendu la
conversation de Galland (qu’il ne voyait pas) avec la
C olo m b ette, la véritable expérience à faire pour s’as^
surer de la v é rité , ou même de la possibilité du fait
déposé, n ’était-elle pas de placer, sans les prévenir,
trois individus, l ’un liant des vaches au point sup
posé occupé par Lardon , et les deux autres aux points
supposés occupés par Galland et par la Colombette ;
d ’engager ensuite ces deux derniers à ouvrir entr’eux
u n e conversation à haute voix; et, dans cette liypo-»
thèse, croira-t-on q u e le représentant de L a r d o n pût
entendre cette c o n v e rs a t i o n j lo r s q u e , dans u n e ex p é
rience toute favorable à L ard on , on le voit lui-même,
quoique bien prévenu de ce qui allait se passer, être
obligé d ’avouer q u ’il n ’avait pu saisir le moindre mot
de ce qui se disait aux lieux occupés, suivant l u i, par
G alland et la Colombette,
De nouvelles informations succèdent à cette opéra
tion. Il faut encore extraire des procès-verbaux, qui
se trouvent sous les dates des 1 9 , 20 et 24 du même
mois, les faits suivans :
i° Que lu Colombette a une très-mauvaise répu tation ;
2° Que cette femme n ’était pas, le. 8 septembre, au
point q u ’elle a indiqué, sur le derrière de sa maison;
q u ’elle se trouvait, au contraire, placée, toute désha^
b illé e , à un autre point in d iq u é, sur le devant de la
même maison ;
3 ° Que la conversation de Galland et de la Colom
bette a été écoutée par la sœur de cette dernière, qui
n’a pas entendu Galland parler de la mort de Courbon.
Le second fait était propre à rappeler une circons-.
tance bien précieuse, et q u i, jusqu’à ce moment, pa-r
raissait avoir échappé à l'attention des magistrats }
�( » }
on veut parler de la déposition é c r it e / d e la Colombette, sous la date du 7 janvier 1 8 1 8 , qui se réunit à
une lettre de M. le juge de paix, du 24 novembre
18 17 ? pour prouver que cette femme était devant sa
porte au moment de la conversation q u ’elle avait eue
avec Galland.
• Les conséquences immédiates à déduire de ce fait
positif étaient,
Que la Colombette ne pouvant être placée derrière
sa maison, et au point qu ’on avait indiqué à M. le
juge d ’instruction, Galland d evait, à son t o u r , être
mis dans une position qui le rapprochât de la Colom
bette ;
Que le nouveau point où il devenait indispensable
de placer G allan d , l ’éloignant de L ard on , rendait l ’au
dition de sa conversation encore pins impossible ;
Q u ’ainsi tout cela p r o u v a i t q u e lés positions indi
quées à M. le juge d ’instruction , lors de son transport,
du 29 janvier 1820, étaient fausses, et avaient été
combinées avec la Colombette et L ard on , pour essayer
de rendre leurs dépositions probables*
Cette nouvelle découverte exigeait un examen plus
approfondi-, aussi M. le substitut du procureur du
Ilo i, accompagné de l ’expert Brenas, se tran&porlèrentils de nouveau au lieu de Guignebaude.
Il y fut vérifié,
Q u ’en adoptant les indications données par la C o
lombette à M . le juge d’instruction, le 39 janvier, il
n existait ni chemin ni sentier qui pùt conduire au
point prétendu occupé par Galland;
Qu en s’arrêtant, au contraire, au fait que les der
nières informations avaiont révél«7 fait d ’ailleurs con
forme aux renseignemens donnés par M. le juge de
paix, et confirmé par la déclaration de la Colombette,
011 tiouvait que Galland avait pu s’arrêter à un point
où existe uu sentier q u i débouche au-devant de la
�( 64 5
maison Colom belte, et a bo u tit au chemin de Guignebaude à. Maltaverne.
Mais., dans cette dernière position, qui était la seule
possible, G allan d, se trouvant à une distance de huit
pas de la C olo m b ette, était beaucoup plus éloigné de
L a r d o n , ce qui ren d a it, pour ce dernier, l ’impossi
bilité d ’entendre, déjà démontrée, plus grande encore.
Tout ce qui vient d ’être dit prouve jusqu’à l ’évi
dence la fausseté des quatre dépositions examinées dans
çe paragraphe, Les l o c a l i t é s v u e s avec l ’attention la
plus scrupuleuse, se réunisssent en effet aux déposi
tions des témoins, aux hésitations de la Colombette et
de Lardon, aux aveux enfin de ces quatre individus ,
p o u r les accuser et les convain cre d ’ imposture.
Cependant q u ’ é t a i e n t ces q u a t r e m a l h e u r e u x ? Un<£
femme perdue de réputation, ayant tous les défauts ,
et entachée de tous les vices q u ’accoinpagne' 1 habi
tude de la débauche la plus crapuleuse
Des hommes inconnus , sans considération , sans f o r
tu n e , des prolétaires vivant chaque jour des travaux
de leur journée,
'
j
Tous jgnorans, et d ’une faiblesse d ’esprit extrême,
pouvaient-ils se garantir des pièges1 de la séduction ?
ne devaient-ils pas également céder aux impulsions de
l ’espérance et de la crainte? prévoyaient-ils sur-tout
les suites funestes que leurs dépositions pouvaient avoir
pour autrui et pour eu x?...... Les imprudens! . . . ., L a
C our les a mis hors d ’accusation; mais l ’instruction
j-este dans toute sa force pour faire rejeter leur té
moignage......... Q u ’ils se repentent ! q u ’ils appaisfent
celui qui scrute si profondément les consciences des
hommes
Les accusés leur pardonnent.
�(■65
)
S IV.
DÉPOSITION DE PEYRACIIE.
Quant à Peyraclie, si cet homme jouissait encore
d ’une existence sociale; s’il pouvait être présenté à. la
Justice comme témoin; si sa déposition sur-tout devait
avoir la moindre influence sur le sort des accusés, il
faudrait examiner les nombreuses preuves de faux té
moignage qui s’élevaient contre lu i, et prouver q u ’il
avait été excité au crime par la haine q u ’il portait à
G alland, et par les récompenses q u ’il avait reçues et
espérait recevoir encore de la famille Coui-bon, dont
il était l ’agent le plus actif. L ’étude du caractère de
Peyraclie pourrait même être de quelque u tilité; ses
fourberies, ses vices habituels, son esprit toujours in
quiet, le besoin q u ’il é prouvait à chaque instant de
s’éloigner de sa famille, pour porter le desordre et le
trouble chez les personnes qui avaient le malheur de
]e recevoir; son empressement à se mêler des affaires
des autres, pour vivre à leurs dépens; enfin, chacun des
traits de cet homme singulier fournirait une leçon à
suivre et un exemple à éviter.
Ma is la j ustice l’a frappé : Peyraclie n ’a plus ni fa
mille ni concitoyens; son nom, attaché au crim e, 11e
peut plus être prononcé que pour épouvanter ceux qui
seraient tentés de l ’imiter. Peut-être son supplice a-t-il
commencé au fond de son a m e !.............. Respect au.
m alheur, même m érité!
L ’arrèi qui condamne Peyraclie est du 26 mai 1821.
Ija condamnation de cet homme donnait ouverture à
la révision du procès criminel dans lequel Galland et
Rispal avaient succombé.
TJ11 arrêt de la Cour de cassation, du 9 août 18?. 1,
9
�• 6 ^ ''r
(66)
annulant celui rendu par la Cour d’assises du P u y , le
9 mars 18 19 , ordonne que les accusés seront jugés sur
même arrêt d ’accusation, et les renvoie, à cet effet,
devant la Cour d ’assises du département de la L o ire ,
séant à Montbrison.
■
T e l est Fétat de ce procès.
;i '<i
(
�( 61
)
DISCUSSION.
L ’examen détaille et raisonne des faits de ce procès
a prouvé deux propositions, dont la vérité est aujour
d ’hui évidente. La première, q u e, n’existant point de
c rim e , on ne pouvait rechercher des criminels ; la
seconde, q u ’en supposant un corps de délit établi, les
accusés ne pouvaient en être présumés et encore moins
jugés les auteurs.
Les faits seuls et les conséquences q u ’on en doit
déduire suffisant pour démontrer l ’erreur du jury de
la H aute-Loire, et pour dissiper les obscurités dont
la prévention avait entouré cette malheureuse affaire,
il semblerait que toute discussion ultérieure est inutile,
si l’on ne savait que celte erreur est autant de droit
que de fait,,et que MM. les jurés ne se sont t r om pé s ,
q u e parce q u ’ils n ’ont pas assez réfléchi sur les condi
tions nécessaires à la preuve de l ’existence d ’un crim e,
s u r - t o u t lorsqu’il s’agit de meurtre et d ’homicide.
Ce point de droit est cependant d ’une haute impor
tance; il intéresse éminemment la société entière; et
la moindre erreur ou la plus légqre méprise, sur une
vérité aussi fondamentale, est d ’autant plus funeste,
q u ’elle peut à chaque instant compromettre la liberté,
l ’honneur et même la vie des citoyens.
Il faudra donc fixer, sur cette question, l’attention
de MM. les jurés, e t , en en'recherchait les principes,
dans l ’ancienne législation criminelle , leur prouver
que le texte de nos Codes actuels, l’esprit du législa
teur, l’éq ni té et la raison, sans, lesquelles il n’y.aurait
qu arbitraire et despotisme, leur imposent l ’obligation
de s’occuper, avant tout, de l ’existence du corps de
d élit, et que, dans certains cas, ce|,le existence doit
être pioiiAcc par des actes Auxquels il ne peut êtr&
permis de suppléer.
�(C8)_
Mais avant d ’aborder cette discussion, et pour sim
plifier toutes les idées qui se présentent dans ce procès,
il n ’est pas inutile de donner quelques explications sur
la révision des procès criminels, action que nos Codes
ont cru devoir admettre.
L a révision des procès crim inels, autorisée par
l ’ordonnance de 1670 , fut supprimée par les lois de
l ’assemblée constituante. Ayant été rétablie par la loi
du i 5 mars 17 9 3 , pour le cas seulement où deux
condamnations seraient inconciliables , elle fut de
nouveau anéantie par la mise en activité du Code
criminel du i 3 brumaire an 4> q u i , en gardant la
silence sur la révision, déclare abolie toute forme de
procéder et de juger, qui n ’y serait pas t e x t u e l l e m e n t
r appelée. L e s mo tif s de cette omission é t a i e n t , d ’une
p a rt, la crainte que la confiance que devait inspirer
l ’institulion du ju ry ne se trouvât affaiblie, par la
seule supposition q u ’il pourrait tomber dans l ’erreur y
e t, de l ’autre, la crainte que le respect dû aux organes
de la loi et aux arrêts de la justice ne reçût quelque
atteinte d ’une disposition qui , après l ’accomplisse
ment de toutes les formalités, et l ’épuisement de tous
les degrés de ju rid iction , offrirait encore un moyen
d ’attaquer et de faire anéantir un arrêt définitif de
condamnation.
Ces considérations étaient importantes. Soumises h
l ’examen du législateur, elles devaient le porter h fixer
avec circonspection les règles auxquelles serait assujétie
l'a révision ; mais il n ’en était pas moins indispensable
(le rétablir une barrière contre les erreurs possibles,
des jurés et (les juges. E n effet, « tant que les hommes,
« dit un jurisconsulte étranger, n ’auront aucun carac« 1ère certain pour distinguer le vrai du faux , une
« des premières sûretés qu ’ils se doivent réciproque«- m en t, c ’est de 11e point'admettre, sans une nécessite
« démontrée 3 (les peines absolument irréparables.
�C «9 )
« N ’a-t-on pas vu toutes les apparences du crime
« s’amonceler sur la tête d ’ un accusé , dont l ’innocence
« était démontrée, quand il ne restait plus q u ’à gémir
« sur les erreurs d ’une précipitation présomptueuse?
« Faibles et inconséquens que nous sommes ! nous
« jugeons comme des êti’es bornés, et nous punissons
« comme des êtres infaillibles (i). »
L'exercice du droit de faire grâce, rétabli par le
sénatus-consulte du i/j. thermidor an 10 , ne devaitil pas même paraître insuffisant, en faveur de celui
qui aurait été victime d’apparences trompeuses ou de
fausses dénonciations ?
L a révision fut donc de nouveau consacrée par nos
Codes; mais elle fut réduite aux cas où elle paraissait
réclamée par l ’intérêt même de la justice, et sans que
celui de la société p u t e n recevoir atteinte.
Ai n s i , la révision n ’est autorisée q u ’en mat ièr e
c ri m i ne l l e, et jamais en mat ièr e de police c o r r e c t i o n
nelle et de si mple police.
- Cette faculté ne peut être exercée en matière cri
m inelle, que dans trois cas.
11 y a lieu à révision :
• i° Si l ’accusé a été condamné pour un crime à raison,
duquel un autre condamné a été déjà condamné,
lorsque les deux condamnations ne peuvent se conci
lier (art. l\4 3 );
■2° S ’il résulte, des pièces communiquées, des indices
suffisans de l’existencc de la personne prétendue homicidée, et dont la mort supposée a déterminé la con
damnation ;
3 ° Dans le cas de condamnation portée dans un
débat, dans lequel des témoins à charge ont été pré
venus de faux témoignage,-et depuis condamnés pour
raison de ce crime (art. 44 5 ).
(1) Jérémie Bcntham.— Traité de la législation civile ot crimineli*.
\
�( 7d )
C ’est dans ce troisième cas de révision , que les
Condamnés Galland et Rispal ont été placés par la
condamnation du faux témoin P ey radie,
M. Berlier, après avoir fait observer que l ’espèce
prévue par l ’article 44^ était exactement celle qui
forma , il y a plusieurs années, le sujet de la récla-r
mation élevée dans les intérêts des nommés PetitR e y n a u d , condamnés à Besançon , disait q u e , si dans
ce cas l ’erreur de la condamnation ne se montrait pas
avec la même évidence que dans les autres espèces
citées; s’il était strictement possible que le faux témoi
gnage n’eût pas seul dicté la déclaration du ju r y ,
qu ’enfin si Verreur de la condamnation n en résultait
pas évidem m ent, du moins il fallait convenir q u e ce
fait est'assez grave, p o u r é ta b lir une su ffisa n te pré
_
somption (jue l ’accusé a été victim e d ’une horrible
calomnie.
« Dans une telle position, ce serait, disait l ’orateur,
« être sourd à la voix de l ’iuimanité, que de ne pas
« recourir à une nouvelle instruction , dégagée des
« funestes éléniens qui ont corrompu la première (i) ».
C ’est donc d’après une nouvelle instruction , que
MM. les jurés du département de la Loire sont appelés
à prononcer sur le sort de Galland et de R ispal, qui
actuellement ne sont plus ([\i accusés ; et dans les dé
liais qui vont s’ouvrir, chacune des charges doit être
considérée avec la même a t te n t i o n que si elle n ’avait
pas déjà été soumise à l’examen de la justice. MM. les
jurés doivent sur-tout se garantir de l’impression que
pourrait faire sur eux l ’idée q u ’il y a choso jugée. Ce
sentiment, s’il existait, serait un préjugé et une erreur
d ’autant plus condamnables, q u ’il est établi, d ’une
p a r t , que les accusés ont été victimes d ’une horrible
calomnie, et que, de l ’a u tre, il est aussi certain quo
(i) Expose (les jnotifs doM. le Couspillcr d’Elat Bcrlicr, liy. a , tit, 3,
�( 71 5
la décision des jurés de la Haute-Loire a été influencée
par des élémens corrupteurs, q u i, en dénaturant toutes
les circonstances du l'ait, ont puissamment agi sur la
conviction.
Ces idées préliminaires étant expliquées, il faut
examiner ce que c’est q u ’un corps de délit, et comment
il doit être établi pour donner lieu à des poursuites,
et sur-tout pour légitimer une condamnation.
« Si l ’accusé, dit l ’illustre chancelier d ’Aguesseau,
« soutient q u ’il n’y a eu ni assassinat ni meurtre ;
« que le corps mort de celui q u ’on l ’accuse d ’avoir
« assassiné ne porte aucunes marques de blessures ,
« aucuns vestiges de violen ce, aucun caractère de
« l ’assassinat; si saint Athanase, accusé d ’a-voir coupé
« la main d ’Arsène, demande à représenter Arsène à
« ses accusateurs étonnés; s’il oifre de confondre leur
« malice , en l ’obligeant à l e u r m o n t r e r ses deux
«< mains, qui pourra soutenir que de pareils faits ne
« doivent pas être examinés isolément par rapport à
« l ’accusé, par rapport à l ’accusateur, par rapport à
« la justice elle-même, qui ne doit jam ais entrer dans
« ïinstruction d ’un crim e , dont l ’existence peut être
« justem ent révoquée en doute? (i) »
Ce passage si éloquent, inspiré par lTiumanite et
dicté par la raison, n ’est autre chose que le plus heu
reux développement de la Loi S i délietum probatum
fu e r it , et des principes consacrés par l ’ordonnance de
16 7 0 , sur la preuve en matière criminelle.
E n effet,
Sous celte ordonnance , tous les auteurs étaient
d accord que la preuve en matière criminelle devait
avoir nécessairement deux objets q u ’il ne fallait point
diviser, Y u n , de s'assurer de l'existence du crim e,
c est-a-diie, établir le lait particulier, que le crime s
(1)
D ’A g u e s s e à t j , 5 i b
plaidoyer, affaire du LopiyarJiiw.
�( 72 )
«Hé commis, ce que les criminalistes appelaient cons
tater le corps de d élit; l ’autre, de convaincre la per
sonne qui en est accusée , d ’en être l ’auteur ou le
complice.
L e premier soin qui devait occuper le juge était
de s’assurer si le crime avait été effectivement commis;
et cette preuve, dans la plupart des cas, ne pouvait
s’acquérir que par des procès^verhaux du juge et par
des rapports des médecins et chirurgiens.
Relativement à la preuve , on distinguait deux
sortes de crimes, les un s, q u i, comme l ’h o m icid e ,
laissent des traces après e u x , et que les docteurs ap
pellent delicta fa c ti perm anentis; les autres, qui ,
comme le b l as p hè me et les injures verbales, ne laissent
fiucune trace, et pour cela sont appelés delicta fa c ti
transeuntis.
Pour les premiers, la preuve de l ’existence du corps
de délit ne pouvait ressortir que des procès-verbaux
(les ju g es et des rapports d ’experts , parce que ces
crimes laissent des impressions durables, qui les rendent
susceptibles de l ’inspection des yeux. Pour les autres,
il était permis de recourir aux informations et aux
interrogatoires, parce que le corps du délit ne tombait
point sous les sens.
D ans les crimes qui laissent des traces après e u x ,
on distinguait.cn outre ceux dont le corps devait être
constaté par le concours des r a p p o r t s d e x p e r t s
avec les procès-verbaux des juges, tels que Yhomicide
et le poison, crimes dont l ’existence devait être établie
suivant les règles de l ’a rt, de ceux dont le corps pou
vait être constaté par le seul procès-verbal du ju ge,
comme le vol avec effraction, l’incendie, e tc ., dont
tout le monde peut juger à. la simple inspection des
yeux.
'
Ces règles étaient absolues, et n’admettaient d ’ex
ception que dans un seul cas; celui où les traces du
�C ’ 3 ')
crime auraient cessé d ’exister, par le fait de l ’auteur
même, qui en aurait dérobé la connaissance, en jetant
dans la rivière ou en brûlant le cadavre de la personne
q u ’il avait assassinée. Il fallait bien alors recourir aux
informations et aux interrogatoires; mais constamment
l ’aveu de l ’accusé était repoussé, comme insuffisant
pour constater le corps du délit, à moins q u ’il ne se
trouvât d ’ailleurs appuyé par les dépositions des té
moins, ou par quelques-uns de ces indices prochains,
que l ’on connaît en droit sous la dénomination de’
témoins muets.
Ces principes étaient le résultat de l ’expériencè.’
Les erreurs trop fréquentes de la justice avaient enfin
ramené les criminalistes, même les plus farouches,
au respect et à l ’observation de cette maxime : Q u'il
v a u t m ieux risquer cle laisser un crime im puni, que
de s’exposer à cojidamncr un innocent; enfin il n’était*
plus douteux que le délit devait être constant pour
que l ’accusé pût être condamné à la torture; et que
les « rapports des médecins et chirurgiens sont si'
« nécessaires dans les procès où il s’agit d’ homicide
« qu e, faute de pareils rapports de visite, soit q u ’il.
« n’eu ait point été f a it , ou q u ’ils ne soient point
« rapportés, ou q u ’ils soient nuls, on pourrait inférer
« que le blessé n’a point été blessé, et que la personne
« blessée serait morte p a r un autre accident qu ’à
« cause de blessures; en un m ot, en ces sortes d ’oc« casions, c’est le procès-verbal qui établit le corps de
« délit. Différons arrêts ont enjoint à des juges de
<« dresser des procès-verbaux en pareils cas (r). »
Ainsi , sous l ’ordonnance de 1670, il faut tenir
pour certain :
(1) Voir Muynrd tic Vonglnns, de la Division de la P re u v e , lit. 3 ;
François Serpillon, sur le titre 19, article i er do l’ordonnance cle 1670;
r.ny du Rousseau dcL acom bc, T raité des m atières crim inelles, 3e part.,
cliap, 3 , n° 11.
10
�( 74 )
i° Que si un caclavre était découvert, le genre de
mort devait être constaté par la réunion du procèsverbal du juge et le rapport du médecin;
2° Que la preuve de l ’homicide ou l ’existence du
corps du délit ne pouvait résulter que du rapport du
médecin ou chirurgien;
3 ° Q u ’un homme ne pouvait être poursuivi ou mis
en jugem ent, comme prévenu d ’homicide, que lorsque
le fait matériel était établi suivant les formes pres
crites.
,
Qu/aurait-on pensé, sous cette législation, des pour
suites exercées et de la condamnation prononcée contre
deux malheureux, jugés coupables d ’un crime dont
1 existence était prouvée impossible dès l’origine même
d e la procédure ?
Si l’on s’arrête un m o m e n t pour recueillir les leçons*
de l’expérience et consulter la sagesse des siècles, on
lie peut s’empêcher d ’admirer la prévoyance du légis
lateur, qui a cru devoir confier à la médecine seule le.
soin de résoudre les problèmes, plus ou moins diffi
ciles , que l'existence ou la mort de l ’hoinme peuvent
présenter.
L ’étude de la médecine embrasse tant de connais
sances diverses; elle exige un esprit si essentiellement
observateur, des aperçus à-la-fois si profonds et si in
génieux, un cœur si ami de l ’ humanité, que l’on doit
convenir, que s’ il existe quelques moyens de rendre
les hommes plus sages et meilleurs q u ’ils ne l’ont
encore été, ce doit être dans celle science q u ’on doit
les chercher. N ’esl-ce pas, en eftet, à la médecine que
nous devons nos premières lois? Les sages de l’ancienne
Grèce ne réunissaient-ils point à la science de la légis
lation et de la morale, celle des lois de la physique
animale et la connaissance du cœur humain? K t si
l’on parcourt l'immense recueil du Droit romain ; si
l'un étudie sur-tout les règnes des Sévère, des A drien,
�( 75 )
des Antonin j des M arc-Aurèle, ne se convaincra-t-on
pas que ces empereurs, amis des médecins et des phi
losophes, avaient également consulté les écrits d ’Aristote
.et d ’Hippocrate, pour établir leurs décisions sur l ’état
des citoyens et la classification des délits?
L a jurisprudence apprend que par-tout où le Droit
romain était r e »ç u /, les savans et les médecins étaient"
consultés dans les cas extraordinaires; et ort ne peut
s’empêcher de penser que Charlemagne n ’eût cet usage'
en vu e, lorsqu’il dictait ce beau capitulaire, « q u ’un
« juge ne condamne jamais sans être sûr de l’équité
« de son jugement; q u ’il ne décide pas de la vie des
« hommes par des présomptions, mais par des preuves
« aussi claires que le jour; q u ’il sache que ce n’est
« pas celui qui est accusé qui est coupable, mais bien
« celui qui est convaincu; q u ’il n ’y a rien de si dan« gereux et de si inj ust e que de hasarder un jugement
« sur des c o n j e c t u r e s q u e toutes les affaires où la
« preuve ne consiste q u ’en indices, et ne peuvent tout
« au plus former q u ’un d o u te , doivent être réservées1
« au souverain jugement de Dieu ( i) . »
O r , dans les choses qui appartiennent à l ’état ana
tom ique, physiologique et pathologique de l ’homme,
comment le magistrat serait-il sûr de son jugem ent,
sans recourir aux lumières des personnes de l ’a rt? ....
L ’exercice de la médecine dans les Cours de justice,
d a te , en France, du siècle de François I". Bientôt
les ordonnances (le nos Rois érigèrent en lois ce qui
n avait commencé par n ’être q u ’une coutume. La mé
decine, associée aux fonctions de la justice, rendit
des services importans, et contribua puissamment h
détruire des préjugés ou des erreurs nés de l ’état de
( i ) Capitul. , liv. 7— 107.
�( 76 )
crédulité où l ’on vivait alors (x). Il est vrai que les
décisions des médecins n ’ont pas toujours été des
oracles irrévocables ; que plusieurs d ’entr’e u x , dé
pourvus des connaissances indispensables à cette pro
fession, ou du jugement q u i, les mettant en œuvre,,
les dirige vers un but utile, avaient donné lieu à des
scènes ridicules ou sanglantes, dans les tems où les
tribunaux étaient moins éclairés (2). Mais fallait-il
rejeter la science, parce q u ’elle était appliquée par
des hommes inhabiles? Ne valait-il pas mieux s’atta
cher à en régler l ’usage?
C ’est ce qui fut fait; et on trouve, dans les recueils,
sous la date de 1606, des'letlres-patentes , données
par Henri iv à son premier médecin, lui conférant le
droit de nommer deux chirurgiens dans chaque ville,
pour faire les rapports. V in t ensuite l'ordonnance
de 1667, q u i, dans l ’article 3 du t i t r e S , veut que
les rapports soient faits par detrx chirurgiens, nommés
par le premier médecin du Roi. Enfin intervinrent deux
arrêts du Conseil d ’E l a t , en 1G92 et i 6 t)3 , qui
réunirent ces offices aux communautés de médecins et
chirurgiens.
O11 arrive au dix-huitième siècle, à cette é poque où
1 étude des choses sérieuses e t des s c i e n c e s exactes succéda
à l ’enthousiasme des lettres, de la poésie et des beauxarts. On connut alors le doute p h i l o s o ph i qu e. Une
heureuse rivalité, inspirée par le désir d ’être utile aux
hommes, s’établit entre l ’académie de chirurgie cl la
«société de médecine. Bientôt la nature n’eut plus de
secrets; les faits, sagement interrogés, dévoilèrent ses
mystères; e t , à l ’aide d ’obscrvalions souvent répétées
et faites avec la plus grande exactitude, on parvint
(1) Voir Pigray , cTiirurgica (l'Henri n i, et contemporain (l’Antoine
Parié.
(a) Voir Malion , mçJcciuo légale, tome i er, page 2.^
�( 11 )
enfin à expliquer, avec une précision et u'tie,'certitude
presque mathématiques, les phénomènes de la vie et
de la mort.
Il
faut placer à cette époque les travaux du célèbre
Louis. Cet ami si éclairé de l’humanité fut le premier
qui enseigna publiquement l ’art de résoudre certaines
questions médico-légales ; et bientôt des mémoires
consultatifs imprimés , discutant la forme et le fond
des rapports, furent accueillis par les magistrats. L a
publicité a y a n t ensuite fait sentir combien il était
nécessaire d ’apporter du soin a la rédaction de ces
mémoires, l ’on vit l ’éloquence, réunie au savoir, arra
cher à la mort et à l’infamie des accusés qui parais
saient devoir succomber. C ’est alors que l ’on a pu dire,
avec B alde, q u e , dans ces matières/ les- assertions des
médecins ne sont pas un témoignage , mais bien p lu tô t
un ju g em en t .
'''
. . r ..
E a effet, personne n ’ignore les exemples fournis par
les affaires trop célèbres de Montbailly et de Sirven, et
sur-tout par celle de Chassagneux, de Montbrison \ qui
a tant de points de ressemblance'avec celle de Rispal
et G a lla n d , aujourd’ hui soumise à l ’examen du ju ry
de la Loire. Mais, si l ’on étend ses recherches sur des,
espèces moins connues; si l ’on consulte les arrêts de
l ’ancienne jurisprudence; plus on les étudiera, et plus
on sera frappé de cette vérité importante, que ja m a is ‘
aucun accusé n a été convaincu d'un crim e , lorsque
le corps de délit n était point constaté ; que les erreurs
judiciaires naissaient toujours de ce que les premiets^
rapports ayant constaté le corps de d é lit, les déposi
tions, entendues dans l ’instruction, en désignaient, le
coupable. Ma is constamment,, s ’il s'élevait des d iffi
cultés sur ¡‘existence du crim e, ou si un médecin
plus éclairé que le premier montrait que le délit
n ’existait pas ou même était d o u te u x , la justire, dédaignaut et rejetant les preuves qui semblaient con-
�( 78 )
vaincre un coupable, repoussait l'accusation d ’un seul
mot — . L e crime n ’ existe p a s ! ...... L e corps de dél i t
EST INCERTAIN !
Des principes aussi conservateurs dè la vie des
hommes, de l ’honneur et du repos des familles,
auraientrils éprouvé quelque changement , ou subi
quelque altération par l ’émission de nos nouveaux
Codes ? Us étaient la règle du m agistrat, sous une
législation toute défavorable aux accusés; ils les pro
tégeaient, lorsque, privés de communications, livrés^
à eux-mêmes, et plongés dans l ’obscurité d ’un cachot,
ils ignoraient souvent jusqu’à la nature de leur crime;
ils leur servaient encore de bou clier, lorsque, sans
d é f e n s e u r s , ils restaient exposés seuls à la mal ice de
leurs ennemis. C e s principes seraient-ils anéant is ou
méconnus, aujourd’hui que notre législation criminelle
a fait un si grand pas vers le b ie n , en accordant un
défenseur aux accusés, en confiant l ’application des
lois à des juges civils, et en couronnant ce bel oeuvre
par la sublime institution du ju r y ? Est-ce dans le
tems que l ’accusé doit être jugé par ses pairs, par des
hommes non versés dans les subtilités de la procédure,
et dont la règle unique doit être le bon sens et
l ’équité, que quelques novateurs imprudens v o u d r a i e n t
soutenir que le jugement des affaires criminell es ne
devant avoir d ’a u t r e règle que la conviction morale
du ju r y , il lui a p p a r t i e n t de rester c o n v a i n c u du corps
de d é lit, contre le contenu aux procès-verbaux et aux
rapports des médecins ; do prendre pour règle de son
jugement l'ignorance, aussi vaine que présomptueuse,
du quelques témoins; de dédaigner les témoignages des
faits recueillis, interrogés et jugés par les hommes de
l ’art; q u ’enfin les jurés, cédant à une croyance légère,
que l'irréflexion peut confondre avec la" conviction t
in tim e , ont reçu de la loi le pouvoir de créer à-là-foi?
Je crime et le crimiuel?
�, s
( 79 )
66o.
Ali ! s’il en ¿tait ainsi, que le législateur retire hcs
funestes présens : il nous a trompés ! Il s'est égaré
lui-même en croyant établir une innovation favorable
aux accusés : q u ’il nous rende les secrets, le s tortures,
toutes les horreurs enfin de l ’ancienne procédure cri
minelle. Elles faisaient gémir l’humanité; mais le
calcul mathématique des preuves, auquel l ’ordonnance
soumettait le jugement des affaires criminelles, serait
plus favorable à l ’ i nnocent accusé , que la nouvelle
forme qui lui a été substituée.
L a raison repousse un système anti-social, et d ’au
tant plus dangereux , que son effet le plus immédiat
serait de substituer l ’arbitraire à la justice.; et quel
despote que celui qui ne connailrait d ’autre règle que
ses caprices ou son ignorance !
Aussi n’est-ce point ce que la loi a voulu; et l ’en
semble de notre législation prouve clairement que ,
plus que jamais, la jurisprudence doit être spéciale
ment éclairée par la médecine.
E n effet, lesrapports.de la médecine avec le Droit
commencent à se manifester dans le Code civil; et la
plupart des articles renfermés dans les livres I er et 3 e
ne sont que la réunion des décisions médico-légales
consacrées par le lems. Mais, pour 11e pas trop s’éloigner
de son sujet, on se borne à faire remarquer que si la
médecine a été consultée pour établir les règles con
servatrices des biens, des qualités et des litres des
citoyens, dans la jurisprudence criminelle, l ’union de
la médecine aux lois est d ’autant plus nécessaire pour
1 exercice plein et entier de la jnstice, que cetle union
est le seul garant de l ’honneur et de la vie compromis
injustement.
La première idée qui s’est présentée h la pensée du
législateur, lorsqu’il s’est occupé de la réforme des loi*
pénales, a clé d ’aviser aux moyens de donner plus dt*
développement aux connaissances en médecine légale,
�( 8o )
et de rendre cette science populaire. Pour cela, il créa,
par la loi du 1 4 frimaire an 3 , des chaires de méde
cine légale dans toutes les facultés dè médecine; créa
tion qui fit de cette science, dont l ’enseignement était
originairement restreint à l’école de P a r is , un objet
général d ’étude pour tous les français qui se destinaient
h. la profession de médecin.
L e Code des délits et des peines parut bientôt après :
on sait q u ’il est du 3 brumaire an 4 '•>et ses dispositions
s’accordent parfaitement avec les idées que le législa
teur s’était faites de la nécessité de l ’étude de la mé
decine légale j élude d ’ailleurs dont il voulait uiiliser
les fruits.
L ’ article 102 impose au juge de p a i x , aussitôt q u ’il
est informe d ’ u n d élit d o n t l ’existence p e u t être cons
tatée par procès-verbal, de se transporter sur les lieux
pour y décrire en détail le corps du d é lit, avec toutes
ses circonstances et tout ce qui peut servir à convic
tion ou à décharge.
L ’article io 3 veut q u ’au besoin le juge de paix se
fasse accom pagner d ’une ou de deux personnes p ré
sum ées , par leur art ou profession, capables à ’appré
cier la nature et les circonstances d u délit.
E n fin , l ’article 104 est ainsi conçu : « S’il s’agit
» d ’un meurtre ou d ’ une mort dont la cause esi in« connue ou suspecte, le juge de paix d o i t se iairo
« ASSISTER d ’un ou de deux officiers de santé. »
Ainsi, dans ce code, point de délit sans procèsverbal qui le constate; et, dans les cas ordinaires, le
juge de paix doit décrire le corps du délit avec toutes
les circonstances à conviction ou à décharge; les hommes
de l’art peuvent apprécier la nature et les circonstances
du lait; mais s’ il s’agit de meurtre ou de m ort, l’obli
gation imposée au juge de paix devient formelle : il
non’ se luire assister de doux officiers de s a u le , qni
�( 8 .)
Sont appelés seuls à prononcer sur la cause de la mort,
si elle est inconnue ou suspecte.
Ces procès-verbaux et rapports étaient indispen
sables, non seulement pour la poursuite et l ’instruction
de l'affaire, mais encore pour le jugement. « Les jurés,
« dit la l o i , doivent d ’abord examiner l ’acte d ’accu« sation, les procès-verbaux, et toutes les autres pièces
« du procès, à l ’exception des déclarations écrites des
« témoins ». Après cette instruction , qui est en pleine
harmonie avec la procédure exigée, l ’arLiclc 3 7 4 or
donne que la première question tende essentiellement
à savoir si le f a i t qui J'arme le f o n d de l ’accusation
est constant ou non ; et la seconde, à savoir si l ’accusé
est convaincu de l’avoir commis, ou d ’y avoir coopéré.
L ’instruction et le jugement avaient donc en vue
un premier objet préalable à tout autre, celui de s’as
surer de l ’existence du corps de délit. La première
opération du j u r y était de former sa conviction sili
ce point; il ne pouvait rechercher le coupable que
lorsqu’il s’était rendu certain de l ’existence du fait
formant le fond de l'accusation; et sa Conviction de
vait avoir pour unique fondement les procès-verbaux
rédigés par les hommes de l’art. L e Code des délits et
des peines, du 3 brumaire an 4 > était donc en tout
conforme aux principes consacrés par Fordonnance de
1670. Comme celte ordonnance, il ne reconnaissait
d ’homicide et de meurtre que lorsque ces crimes
étaient établis par les rapports des médecins.
Lorsque l ’intérêt p u b lic, le développement de l'in
dustrie, <mi ne peut avoir lieu que lorsque les citoyens
jouissent d ’ un état de liberté, toujours incompatible
avec les pi'<»hibitions, quelles q u ’elles soient, eurent
rendu la suppression des corporations nécessaire ou
vit des hommes sans mission, comme sans études préa
lables, exercer, moyennant patente, Fart de g u é r i r ,
et apporter, dans l ’exercice de la médecine légale, les
11
�( 8a )
malheureux fruits de leur inexpérience, de leur igncw
rance et de leur légèreté ; mais les maux q ui résul
taient de cet abus ayant fixé l ’attention du législateur,
furent aussitôt réparés par la loi du 19 ventôse an 1 1 ,
qui exigea, à peine de n u l l i t é , que les gens de l ’a r t ,
commis aux rapports, eussent été reçus docteurs dans
l ’une des facultés de médecine.
L a médecine légale avait été rendue à sa dignité j
on avait déjà pu apprécier ses heureux effets , lors
q u ’on 1808, le Code d ’instruction criminelle fut pro
mulgué.
Il faut en examiner les dispositions.
L ’ensemble de cette loi fait sentir la nécessité de
dresser des procès-verbaux, à l ’cflet de constater le
corps de délit.
L ’article 3 a exige des procès-verbaux dans tous les
cas.
L ’arlicle 43 veut que le procureur du Roi se fasse
accompagner, au besoin } d ’ une ou de deux personnes
présum ées 3 p a r leur art ou profession , capables d ’ap
précier la nature ou les circonstances du délit.
C e t article est conçu en termes facultatifs; mais
les expressions de la loi deviennent obligatoires, lors
q u' il s’agit de constater une mort violente, ou une
mort dont la cause serait inconnue ou suspecte.
Dans ce cas , dit l ’article 44 1 (<1° procureur du Roi'
« se FF, ha AssisTF.n d ’ un ou de doux officiais de santé,
« q u i f e r o n t leur rapport sur les causes de la mort
a et sur l'état du cadavre. »
On retrouve ici les principes consacrés par l ’ordon
nance de
et adoptés par le Code du 3 brumaire
an 4. Pour constater le d é l i t , d ’ une p a r t , obligation
imposée à l’officier de police judicia ire , de se faire
assister de médecins; de l ’a u t r e , charge à ces méde
cins de constater l ’état du cadavre et les causas de
la mort. L e rapport de Ces derniers est la seule pièce
�q u i puisse inspirer de la confiance à la justice , et
former sa conviction sur l’existence du crime.
Pour faciliter l’intelligence de la lo i, et s’assurer
de la rectitude des idées q u ’elle présente, veut-on
avoir recours aux auteurs les plus graves? que l ’on
consúlteles tra it és, é ga l em ent estimés, de M M . Carriol,
Legraverend et Desquiron.
L e premier, conseiller en la C ou r de cassation , s’ex
pliquant sur l ’article i 4 a du Code d ’instruction cri
minelle, dit :
« Cet article n’est pas simplement fa c u lta tif , comme
« le précédent; il fait un devoir au procureur du lloi
« de se faire assister d’ un ou de deux officiers de santé,
« dans tous les cas de mort violente, ou de mort dont
* la cause est inconnue et suspecte.
« Cela devait être ainsi ordonné; il faut nécessaire« ment un homme de l ’art pour bien apprécier les
« circonstances d ’un pareil événement ; elles ne peu« vent l ’être souvent que p a r Vouverture du cadavre ,
« ou par les procédés q u ’un oilicier de san té , bien
« versé dans Vanatomie , peut seul employer.
<' C ’est pour celle raison, que l ’article 44 charge les
« officiers de sanié d ’être eux-mêmes les rédacteurs
« de leur procès-verbal , qui doit devenir , dans ht
« discussion , la pièce la plus im portante y d ’oii il
« suit que ces officiers doivent apporter la p lu s grande
«< attention à ce qu'il soit rédigé avec cette préci« sion et celle clarté que ne pourrait lui donner le
« procureur du Roi. »
On peut aussi extraire les passages suivans, de
1 excellent. Traité de M. Legraverend, directeur des
affaires criminelles et des grâces, au ministère de la
justice (i).
(i) L e g r a v e r e n d ,
r- 1B2.
T r a ité de la législation
criminelle en France,
t.
i rr,,
�( ?4 )
«
«
«
«
«
o
«
«
«
«
«
« Il arrive fréquemment que des crimes ou de£
délits sont de telle nature que pour être vérifiés }
constatés et appréciés dans leur caractère distinctif
et dans leurs circonstances, on doit employer le
ministère de gens de l ’art. Tous les officiers de
police'judiciaire, tous ceux que la loi a chargé de
dresser des procès-verbaux de ces crimes ou délits,
doivent avoir le plu s grand soin de s ’entourer alors
des lumières nécessaires pour découvrir la vérité, et
d ’appeler de suite auprès d ’eux les hommes q u i ,
par leur profession, sont présumés avoir les connaissances q u ’exigent respectivement chaque espèce
« d ’affaires.
« Ainsi , par exemple , s’a g it - i l d ’un homicide
« consommé ou non, il faut faire vérifier, par des
« officiers de santé, l ’état du cadavre...... Les officiers
<i de santé doivent fa ire leur rapport , suivant q u ’il
« y a lie u , sur les causes de la mort et sur l ’état du
« cadavre ........ L a déclaration des gens de l ’art a et
« doit avoir une influence décisive sur l’instruction
« et sur le résultat de la procédure . » N
Enfin M. Desquiron , jurisconsulte estimé , et
membre de plusieurs sociétés savantes de l’Europe (i) ,
combat l ’opinion des personnes qui ne regardent que
comme incertaine ou nulle, la preuve qui résulte des
rapports - d e s ' m é d e c i n s ou chirurgiens. Il pense an
contraire q u ’un chirurgien habile p e u t éclairer la
religion des magistrats, et préparer ainsi l ’arrêt qui
doit prononcer sur le sort des accusés.
>
Passant ensuite aux preuves de son opinion , il
s’appuie de différons rapports du docteur L ou is; e t,
empruntant les expressions de ce savant chirurgien,
il dit « que les connaissances acquises par l ’étude et
( i ) Desfjuiron , T r a ité de la preuve par témoins en matière crim inelle,
p. i a 7 .
�C 85 )
« l ’exercicè de l ’art ont une utile application dans
« l ’ordre moral. L ’é ta t, la fortune et l ’honneur des
« citoyens ne sont que trop souvent compromis; per« sonne n ’est à l ’abri d ’une imputation calomnieuse,
« que des circonstances singulières pourraient accré« diter; on est exposé à l ’infamie et même au supplice,
« sans l ’avoir m érité, par l ’inattention on par l ’erreur
« de ceux qui ont le droit de prononcer sur le sort de
« leurs semblables. »
L ’a u t e u r reconnaît bien q u e , sur-toïit dans les
petites villes et dans les campagnes, les rapports des
chirurgiens sont écrits quelquefois d ’une manière si
obscure, q u e , dans les débats, ils ne peuvent servir
à fixer l’opinion ; mais il conseille aux officiers de
police judiciaire d ’ user de la faculté qui leur est
accordéej pour 11e faire t o m b e r l eu r choix q u e su r des
h o m m e s d o n t la sagesse et l'expérience puissent donner
Tine gar anti e îi la société, sur-tout quand il s’agit de
constater une mort violente, ou une mort dont la
cause est inconnue ou suspecte ; « car , s’écrie-t-il ,
« l ’histoire des tribunaux contient un grand nombre
« de pages tracées avec du sang, versé par suite des
« erreurs des experts et médecins, »
Les autorités les plus imposantes se réunissent, donc
aux lumières de la raison, à l’esprit et à la lettre de la
lo i, pour apprendre que le corps du délit doit être
constaté par des rapports de médecins et chirurgiens;
que ces rapports sont si indispensables, s u r - t o u t en
inatiere de« meurtre ou d ’ homicide, qu'il ne peut y
etre suppléé par aucun autre genre de preuve; que si
les medecins peuvent èt re su jets à l’erreur, en établis
sant. la culpabilité ou l'innocence, les premiers rapports
peuvent être rectifiés par un second ex am en , confié h
des hommes de l’art pltis instruits ou pins dignes de
la confiance de la justice; mais qu e, sons quelque
point de vue que Tou examine la question, les travaux
�et les opérations des médecins ne peuvent être soumis
à la critique de témoins ignorans ou pervers, aveuglés
par la passion, ou excités, par la haine, à désirer et
préparer, par leurs dépositions, la condamnation d ’un
accusé.
Mais quelle doit être l ’influence de ces procèsverbaux , lorsque le jour du jugement est arrivé ;
lorsque l ’accusé est présenté aux assises, et que le jury
a à examiner le fait qui lui est soumis, et sur lequel
doit porter sa déclaration ? Poser cette question ,
11'est-ce pas, en d ’autres termes, demandersi un homme
peut être convaincu d ’un crime qui n’existe pas? E t
d e v r a i t - o n se l ivrer à l'examen d ’un aussi singulier
paradoxe, si les n o u v e a u x r a i s o n n e m e n s , q u i servent
à le com battre, ne devaient en même tems présenter,
gous un nouveau jour , une vérité tant de fois dé
montrée ?
L ’article 337
Code d ’instruction criminelle dis
pose : « L a question résultant de l ’acte d ’accusation
« sera posée en ces termes : L ’accusé est-il coupable
d ’avoir commis tel m eurtre, tel vol ou tel autre
« crim e, avec toutes les circonstances comprises dans
« le résumé de l ’acte d ’accusation. »
La simplicité de cette question a pour objet de faire
cesser la complication de celles que le Code de brumaire
an l\ exigeait que l’on posât au ju r y ; mais si le Code
d ’instruction criminelle a simplifié les formules, il n’a
point dérogé aux principe.? q u ’il importait de main
tenir. L e jury continue d ’être interrogé sur tous les
points de fait; mais il n’est, interrogé que sur le fait,
et on ne pose plus de questions abstraites, (fui ne ten
daient q u ’à l ’induire eu erreur, et à le luire tomber
en contradiction avec lui-même.
Mais dans chaque lait, le jury doit établir une
division naturelle : c’est1 de connaître si le fait est
constant; et s’il ne trouve pas la constatation du crime
�( ô7 3
suffisamment établie, il doit répondre que l’accusé
n ’est pas coupable : ce u ’est que lorsque le crime est
suffisamment constaté, q u ’il a à examiner la culpabi
lité de l ’accusé.
C ette distinction ressort clairement des dispositions
de l ’article 4 4 ^ du Gode d ’instruction criminelle. C et
article porte :
« L e chef du jury les interrogera, d ’après les ques« tions posées, et chacun d ’eux répondra ainsi q u ’il
« suit :
« i° Si le juré pense que le f a i t n ’est pas constant}
« ou que V accusé n’en est pas convaincu , il dira i
^ « N o n , Vaccusé n’est pas coupable ;
« 2° S ’il pense que le f a i t est con sta n t , et que
« l ’a ccusé en est con vain cu , il dira * O u i , l ’accusé
« est coupable, etc......... »
I Ainsi l ’exam en de la co nsta ta ti on du fait doit être
to uj o ur s séparé de l'e xam en fie la c u l p a b i l i t é de
l ’accusé. L ’accusé doit être a c q u i t t é , si le f ai t jn’ est
pas c on s ta n t , O U s'il n’est pas convaincu d ’en être
Vauteur. L ’accusé ne peut être condamné, que lorsque
le f ai t est co ns t an t , et qu ’il en est d écla ré convaincu.
Mais quelles sont les preuves propres à convaincre le
juré de la réalité et de l ’existence d ’un corps de délit?
On a déjà répondu à cette question : dans les crimes
ordinaires, lés rapports cl les procès-verbaux y lors
q u ’il- s’agit d'homicide ou de m eurtre, les rapports
SEULS DES MÉDECINS*
M. Carnot ( i) établit une distinction entre la preuve
qui est nécessaire pour constater le corps de délit, et
celle qui peut servir à établir la culpabilité de l ’accusé.
II s’explique ainsi :
« C est d ’abord sur la réalité du crim e, que doit
« porter l ’examen du ju r y ; car il ne peut y avoir de
( i ) De l'instru ction c r im in e lle , to m e 2 , page 200.
�lî
(88)
i« coupables, si le crime n ’a pas été commis; et lors« q u ’il n’existe pas un corps de d é lit , comment avoir
« l ’assurance que le crime a été réellement commis?
« Presque toutes les erreurs de la justice ont été
« fondées sur la supposition de Y existence d ’un crime,
« d ’après ‘des apparences trompeuses; ce qui prouve
« mieux que tous les raisonnemens, la nécessité de
« ne s’occuper des preuves à la charge de l ’accusé,
« que lorsque le crime a été commis, de manière à ne
« laisser aucun doute sur sa réalité.
• « Nous pourrions rapporter des exemples"nombreux
« de pareilles erreurs; mais ils se trouvent dans tous
« les livres, et nous ne ferions q u ’user de redites
« inutiles. Nous nous bornerons à observer q u ’il ne
« p e u t y avoir entière c o nv i c t i o n de la c u l p a b i l i t é Je
« l ’accusé, m algré tous les indices, toutes lespreuves qui
« peuvent résulter, à sa charge, de l ’information et des
« débats, tant que le corps du délit n ’est pas constaté,
« de manière à ne laisser aucune incertitude dans
« l ’esprit sur son existence.
« I)e simples traces de délit peuvent bien suffire
« pour faire mettre le prévenu en accusation; mais
« pour le fa ire condam ner, il ne suffit pas d ’une
« simple probabilité que le crime a été commis , il
« FAUT EN AVOIR LA CERTITUDE.,))
L ’auteur examine ensuite quelles 6ont les preuyes
qui doivent démontrer la culpabilité d ’uU accusé.
Elles peuvent être positives> ou ne reposer que sur
des présomptions.
La preuve'positive doit avoir une grande influence;
cependant il faut que les actes et les témoignages,
desquels elle résulte, méritent une pleine confiance.
Quant aux indices, 'quelques graves q u ’ils soien t,
on doit s’en défier; et pour q u ’ ils soient de nature à
établir nue certitude, il fa u t qu'ils excluent la pos
sibilité de l'in n o c e n c e s’ ils n’établissent q u ’une preuve
�( « 9 )'
im parfaite; s’ils n ’excluent pas cette possibilité , ils
.sont insuffîsans; car il faut une preuve parfaite pour
que la condamnation de l ’accusé doive être prononcée.
C e serait, en effet, une grande erreur, de croire que
c ’est une simple possibilité de culpabilité que le jury
doit chercher; ce n’est pas sur la possibilité que l ’rtccusé soit c o u p a b l e q u ’il peut être condamné, mais
sur l ’ IMPOSSIBILITÉ qu ’ il NU LE SOIT PAS.
Ces principes étant certains, la raison de décider
se présente d ’elle-même : Jean Courbon est mort le
7 septembre 18 17; le 8, il a été dressé procès-verbal
de l ’état de son cadavre, et lin rapport de médecin a
fait connaître les détails de son autopsie cadavérique.
Si ce procès-verbal et ce rapport eussent laissé des
doutes ou des incertitudes sur le genre de mort de
Courbon , la justice, en r ec ue il l ant les renseignemens
propres à les lever ou à les Taire cesser, devait com
m e n c er une instruction à l ’effet de connaître quels
pouvaient être les auteurs de cette mort incertaine
mais si, dans la suite, un autre rapport de médecin
11e venait démontrer la réalité du corps de d é lit, ces
poursuites devaient cesser; ou au moins, si des accusés
étaient présentés aux assises, ils devaient être acquit
tés, par cela seul que le corps de délit n'était pas
constant.
Mais dans ce malheureux procès, non seulement il
n ’y a point de corps de délit constant, mais il est
constant q u ’il n ’existe pas de crime. C ’est par le procèsverbal du juge de paix et le rapport du médecin, que ce
point de fait se trouve établi d ’une manière absolue.
Cette vérité si importante était connue dès le 8 sep
tembre au matin : quel est donc le lait qui a pxi
donner lieu à une instruction?........... quels criminels
espérait-on de découvrir, lorsqu’on était certain q u ' i l
¿^’existait point de crime? Pourquoi Kispal, Üulland
12
�Xoo)
et Tavernier ont-ils été poursuivis? comment sur-tout
ont-ils etc condamnés ?
S i , pendant les débats qui ont eu lieu devant les
assises de la H aute-Loire, les dépositions de quelques
témoins ont pu élever quelques doutes sur les causes
de la mort de Courbon, ces doutes pouvaient-ils se
changer en réalité contre le contenu au procès-verbal
et au rapport? Mais aujourd’hui ils n ’existent plus,
ces doutes*, un rapport de médecins, fait par ordre de
la justice, des mémoires consultatifs, demandés par les
accusés, contiennent un nouvel examen des faits con
tenus dans le rapport du médecin Thomas, et dans les
dépositions des témoins, destinés à combattre ce rap
port. C e s f a i t s , consultés et appréciés de n o u v e a u , ,
n ’ont fait que confirmer cette vérité : C o u r b o n n ’ e s t
POINT
MORT
d ’ apoplexie
ASSASSINÉ
IL A SUCCOMBÉ
A UNE
ATTAQUE
: LA SOCIÉTÉ n ’ av a i t NI CRIME A VENGER
NI COUPABLE A PUNIR.
U n cri trop long-tems contenu s’échappe enfin de
tous les coeurs honnêtes : ils sont innocens ! Ils sont
innocens ! et les malheureux , condamnés, flétris ,,
confondus dans un bagne avec les pins vils criminels,
ne sont sortis de ce sépulcre vivant, que pour reprendre
leurs fers, et être présentés de nouveau à la justice.
Hâtez-vous! réparez, réparez p r o m p t e m e n t des maux
aussi grands et si peu mérités! Des jurés peuvent se
tromper; mais ils doivent à la société, à la sainteté
d ’une institution avouée par les idées les plus pures,
digne d ’ailleurs du respect et de l ’amour de tous les
Français, de reconnaître franchement leur erreur.
E t vous tous, qui êtes appelés à décider de la vie
des hommes, appreuez à maîtriser vos émotions et vos
passions; sachez que vous serez toujours placés entre
le plaisir d’avoir été justes et le remords de n ’avoir pas
assez consulté les lumières de votre conscience ; ins
truisez-vous sur-tout : les hommes éclairés sont les
�( 91 )
meilleurs ; eux seuls rendront toujours des décisions
équitables.
Cette cause doit être un grand exemple pour tous les
jurés français; et si la condamnation a la peine capitale,
qui fut prononcée contre le malheureux boulanger de
Venise, de cet innocent qui se trouvait entouré des
présomptions les plus accablantes, fit une impression,
si profonde sur l ’esprit du sénat, q u ’il enjoignit au
greffier de dire aux magistrats, toutes les fois q u ’ils
seraient assemblés pour juger un accusé à. mort , ces
paroles foudroyantes :
« Recordate v i del polvero fornaro, »
u n avocat fidèle a ses devoirs qui pensera que, dansle court espace de l ’existence, il ne peut se présenter
une plus grande chance de bonheur, que de sauver
l ’ honneur ou la vie à u n h o m m e innocent, n ’aurat-il pas le droit, en s’élevant à la dignité de sa pro
fession , de s’écrier désormais :
« Jurés, avant de vous décider, souvenez-vous de
« la condamnation des malheureux Rispal et Gal« land ! ! 1 »
Jn.-Ch. B A Y L E aîné, ancien A vo ca t, à R io m j
»
-
Conseil et Défenseurt des accusés*
ils o n t é té a c q u ité s
�
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Title
A name given to the resource
Factums Godemel
Relation
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/files/factum-remarquables/BCU_Factums_G0301_0007.jpg
Description
An account of the resource
<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. Rispal, Régis. 1821?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bayle, Jean-Ch.
Subject
The topic of the resource
faux témoignages
travaux forcés
condamnation à mort
homicides
médecine légale
flétrissure
obésité
cabaret
ivresse
alcoolisme
autopsies
rumeurs
juge de paix
témoins
affaire Fualdès
erreur judiciaire
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire pour Régis Rispal, propriétaire, habitant du lieu de Dunières, canton de Montfaucon ; et Jacques Galland, propriétaire, habitant du lieu de Maltaverne, mêmes commune et canton, tous les deux condamnés, le 9 mars 1819, par arrêt de la Cour d'assises séant au Puy, département de la Haute-Loire, aux travaux forcés à perpétuité, à la flétrissure, et exécutés, le 16 juin suivant, comme coupables d'homicide volontaire, et sans préméditation, sur la personne de Jean Courbon ; et admis, par arrêt de la Cour de cassation, après condamnation définitive d'un faux témoin, et annulation de l'arrêt de la Cour d'assises de la haute-Loire, à être jugés de nouveau, sur même acte d'accusation, par la Cour d'assises du département de la Loire, séant à Montbrison.
note manuscrite : « Ils ont été acquittés »
Table Godemel : Révision : de procédure et arrêt, au grand criminel. - innocents condamnés.
Publisher
An entity responsible for making the resource available
s.n.
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa 1821
1817-1821
1814-1830 : Restauration
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
91 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G2517
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Relation
A related resource
BCU_Factums_G2518
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/6/53503/BCU_Factums_G2517.jpg
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Dunières (43087)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
affaire Fualdès
alcoolisme
autopsies
cabaret
condamnation à mort
erreur judiciaire
faux témoignages
flétrissure
homicides
ivresse
juge de Paix
médecine légale
obésité
rumeurs
témoins
travaux forcés