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3 -9
P R EC I S
I
POUR
M arie
G A N I L , intimée ;
•
'
»
CO N TR E
J a c q u e s B E N O I T , garçon remercié, appelant ;
o u
E x a m e n du droit qu'ont les fille s de refuser
les garçons avec lesquels elles ont passé contrat
de mariage.
_
_
r
I l est rare, et plaisant à la fois, de voir un garçon
demander de l’argent à une fille, comme un dédomma
gement du refus qu’elle a fait de l’épouser, après un
contrat de mariage.,Depuis long-temps, sans doute, l'accord le plus difficile à faire , c’est celui des intérêts ; mais
personne n’ignore que l’acte qui les règle n’enchaîne point
encore les é p o u x , et que jusqu’au pied des autels , chacun
d’eux est libre de retourner sur ses pas. '
Si la galanterie française a quelquefois puni, par des
dommages-intérêts, des hommes qui refusoient d’exécuter
un contrat de mariage, ce sont d’innocentes victimes im
molées de temps en temps à l’honneur ombrageux du
beau sexe, fleur délicate que le plus léger souffle peut
ternir. La réputation des garçons est plus robuste ; et
l'appelant, qui se fait aujourd’hui leur chevalier, n’aura
de son côté ni les rieurs, ni les juges.
�I
( O
F A I T S .
Jacques Benoît, c’est son n o m , fils d’un cultivateur
des environs de M u râ t, fit cohnoissance , il y a quatre
ans, avec un laboureur de Chalinargues, village voisin,
père d’une fille de vingt-cieux ans, nommée Marie Ganil.
Jeune, riche et jolie, Mariepax-ut à ses yeux un parti digne
de ses recherches. L ’âge lui convénoit, la figure le tento.t;
la fortune décida sa mère. Elle demanda Marie pour son
fils, etU?obtint. L e père consentit, la iille se tut*, c’est
la règle.
L e contrat de mariage fut passé le 18 août 1801.L ’époux
reçut en don, de sa mère , le quart de ses biens en pro
priété et en usufruit. L e beau-père donna ■
à sa fille, en
avancement d’hoirie , quelques meubles, et une somme
de 2000 ^ , dont son gendre reçut la moitié le jour même
du contrat. Les frais de l’acte furent payés par le futur
époux , suivant l’usage; ils's’élevoient à 280 tt.
^ Il ne s’agissoit plus que de fixer le jour de la célé
bration. Elle fut remise, d’un commun accord , au 24
août', six jours après le contrat.
Cependant le beau-père faisoit des prépara tifs immen
ses. Cette circonstance n’est pas à négliger. Tous les fours du
'village étoient chauffés pour la noce; une vach e, ( le diraije! cette profusion est-elle croyable? ) une superbe vache,
est achetée. Déjà le couteau fatal étoit levé sur sa tête,
lorsqu’une nouvelle imprévue vient suspendre les prépa
ratifs d’une fête dont le héros menace d’être absent. On
dit que Benoît est infidèle; on remarque qu’il n’est point
venu chez sa prétendue depuis le jour du contrat; point
de lettre de sa part ; point d’ami chargé de ses excuses.
L e 24 août, jour fixé pour la célébration, le 2 5 , le 26,
un mois entier s’é c o u le .. . . Benoît ne paroît point.
Autant qu’on en peiit juger par les pièces de la procé
dure , quelque nuage s’étoit élevé entre les familles,
�»0*
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depuis le jour où fut dressé lp contrat de mariage. La
fille vouloit être mariée pur les prêtres de sa paroisse ;
1 (? mari n’uvoit foi qu’à ceux de la sienne. Chacun prêchoit pour son saint. 11 paroît que celui de Benoît eut tort.
La fille, déjà piquée de se voir contrariée, s’offensa d’être
négligée. Son père lui avoit dit qu’elle vouloit se marier ;
son cœur lui dit qu'elle ne le vouloit plus. On assure que les
énormes provisions qu’il avoit faites, et surtout la vache
déjà achetée, firent long-temps hésiter le père. Mais la
fille ayant mis sa mère dans son parti, la gloire l’emporta
sur l’intérêt; le pain fut partagé avec les voisins, et la
vache qui avoit coûté 72 ***, ven d u e, à 12 ^ d,e perte,
aux bouchers de Murât.
Que faisoit cependant Benoît? Benoît, indifférent tant
qu’il se crut sûr d’être préféré, devint pressant dès qu’il
craignit de perdre sa conquête. T o ut à coup il se présente
pour réclamer les prétendus droits que lui donnoit son
contrat de mariage : il étoit trop tard; il avoit laissé passer
l ’heure du berger.
En pareil cas, on se tait, d’ordinaire: Benoît juge à
propos de mettre tout le monde dans la confidence de
sa disgrâce; il veut épouser par force, ou être refusé
devant témoins.
Le 28 septembre 1801, suivi d’un notaire et de deux
témoins, il se rend chez sa prétendue; il la somme, ainsi
que son père et sa mère ( ou diroit qu’il veut les épouser
tous trois), de procéder à la célébration du mariage. L e
père, la mère et la fille s’effrayent d’abord, et répondent
que « c’est la faute personnelle de Benoît, si le mariage
a n’est pas encore célébré ; que s’il veut attendre jusqu’au
K printemps, et se marier devant les prêtres de leur
” paroisse, ils donneront leur consentement au mariage. »
Mais^ tout à coup la fille prend du' c œ u r, et ajoute
« qu elle ne veut plus épouser Benoît, et qu’elle consent
« que leur contrat de mariage soit dès à présent annullé
« comme non avenu. » Et Benoît réplique à ce gracieux
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�( 4 )
compliment « qu’il ne veut point différer la célébration
« du mariage, ni attendre le printemps; » et il proteste
de se pourvoir en justice. Voilà l’extrait fidèle de l’acte
de sommation qui existe au procès. *
Benoît a tenu parole : assez simple pour en appeler aux
hommes de l’injustice d’une femme, ne pouvant lui faire
autre chose, il a voulu du moins lui faire un procès.
A van t les hostilités il y a eu, suivant l’usage, un pourparler au bureau de paix, entre les puissances belligé
rantes. Ces pourparlers , comme on sait, sont à peu
près aussi utiles que les déclarations de guerre qui se
publient quand les deux peuples se sont déjà battus pen
dant six mois. .
11 est curieux d’entendre parler la fille au bureau de
paix. « Benoit, dit-elle, ne s’est pas présenté le 18 août,
« jour fixé pour la noce; il s’est fait attendre jusqu’au 11
« septembre. Pendant ce délai sa prétendue n’a aucune
« faute à se reprocher. L e retard de Benoît est pour elle
« un affront et une injure dont elle a lieu de se plaindre ;
cc ayant été rebutée par lu i, ainsi que l’ i n d i q u e c e long
« délai, elle a eu le temps de sentir une pareille inconduite
« qui va nuire à son établissement; elle déclare qu’elle
« compromettroit son honneur d’épouser celui qui l’a
cc ainsi dédaignée. Il n’ignoroit pas que c’est le garçon
« qui fait tort à la fille, et non la fille au garçon. Elle
« étoit si bien disposée à se marier à l’époque fixée ,
« qu’elle avoit acheté 72
une vache qu’il a fallu re« vendre aux boucliers de M u r â t, sur laquelle elle a
« perdu 12 ttr. Elle avoit en outre fait cuire le pain et
« acheté une foule d’autres provisions , etc. »
Quant à Benoît* il ne répond rien, il ne désavoue rien
au bureau de paix ; il se réservoit sans doute cette res
source devant la cour.
Bientôt il assigne Marie et son pore devant lc$ juges
de Murât;mais ce n'est plus pour la forcer de l’épouser*
c’est pour lui faire payer la rançon de sa liberté. Parlons
�vrai ; c’est pour se dispenser de lui rendre cette somme
de iooo ,h qu’il avoit reçue ù compte de sa dot, et qu’il
retient encore. T el est le motif de son assignation, de son
appel, de toutes ses poursuites.
il demande modestement à ses juges 3000 ^ de d.çmimages-intérèls pour répai-er la perte de son temps, et le
tort causé à sa réputation par le refus qu’il a éprouvé ;
3000
pour le dédommager de la perte des avantages
que lui faisoit sa mère en faveur de son mariage; 280
pour les frais de son contrat de mariage qu’il a payés au
notaire; enfin 19
iy J pour le coût de l’acte par lequel
il a sommé le p è r e , la mère et la fille de l’épouser.
Marie réclame, de son côté, la*-restitution de sa dot,
et demande à son tour ( pour montrer sans doute qu’elle
étoit fâchée tout de bon plutôt que sérieusement) 300
de dommnges-intérêts en réparation du mépris de Benoît,
et de l’affront qu’il lui a fait , en refusant le premier
d’exécuter le contrat de mariage qu’il avoit signé.
La décision des-premiers juges est fort sage: « Il
« paroitbien, disent-ils, que c’est Marie et non Benoît
« qui a refusé ( la négligence de Benoît ne peut-elle pas
« passer pour un refus? ) d’accomplir le mariage entre
« eux projeté, et dont le contrat avoit.été passé. Mais
« les mariages étant libres, le défaut d’accomplissement
« d’une union projetée ne peut donner, à aucune des
« parties le droit de demander des dominages-intérets,
« à moins que des'circonstances particulières ne servent
« de fondement à une pareille demande, surtout de la
« part du garçon. Cependant, comme le refus de Marie
K fait que Benoît est en perte des frais du contrat de ma« ruige qu’il a payés, et qu’il 11’auroit pas payés si Marie
* n ;>voit pas consenti à le passer; comme, d’un autre
« coté , la dot reçue par Benoît doit Être restituée, le
« mariage n’ayant pas lieu. >5
Pai ces motifs , les premiers juges condamnent Benoît
à rendre la somme de 1000 ^ qu’il a reçue à compte de
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�. r
(6)
la dot de M arie, avec l’intérêt depuis la demande, sur
laquelle somme sera néanmoins déduite celle de 280 ***
pour les frais du contrat de mariage que Benoît a payés.
Sur le surplus des demandes des parties en dommagesintérêts, etc. elles sont mises liors de cour et de procès,
dépens compensés.
Ce jugement n’est pas rigoureux sans doute pour Benoît.
La balance semble même pencher de son côté'; car ses
demandes injustes sont rejetées , et il n’est point con
damné à payer les frais faits par Marie pour s’en défendre.
Cependant il accuse la prévention des magistrats , dont
il devroit remercier l’indulgence.
Il interjette appel de leur décision ; et depuis trois ans,
ou peu s’en faut, il fatigue la patience de ses adversaires,
ne pouvant détruire leurs raisons.
11 attend plus du temps que de la justice, et il espère
mieux des événemens que des lois : ils semblent le servir
eu effet. Depuis qit’il accuse l’infidélité de sa maîtresse,
elle a montré qu’elle savoit etre fidèle; et son mariage
l’ayant mise au pouvoir de l’époux qu’elle a choisi, lui
a rendu son consentement nécessaire pour résister à celui
qu’elle a refusé : de là l’intervention du mari; de li\ de
nouveaux délais.
La cour y va mettre un terme : il est plus facile d’éclairer sa justice , que de la mettre à portée de la rendre.
M O Y E N S .
B en oît, qui ne peut avoir la personne, veut du moins
garder le bien : c’est le vrai motif de son appel. Son pré
texte est de n’avoir pu obtenir 3000 ^ en dédommage
m e n t de l’inexécution d’un mariage qui lui convenait,
et 3000 ir encore pour réparer la perte des avantages
que lui faisoit sa mère en faveur de cet établissement. Le
second grief est la suite de l’inexécution du mariage ,
et rentre clans le premier. Il n’est question , pour les
�1p>
( 7 )
détruire l’un et l’autre, que de prouver que l’incxécutîon
-du mariage projeté n’a pu donner lieu à des dommagesintérêts : c’est l’objet de ce précis.
Benoît prétend encore, il est vrai , que les premiers
juges lui ont fait tort de 19 ^ 17^, prix de l’acte par
•lequel il a sommé Marie de l’épouser. G’étoit bien la
rpeine d’un appel, dont les faux frais, fût-il môn}e heu
reux , surpasseroient cette somme. Ce'grief tombe de luim êm e, si les deux autres sont détruits, et il est inutile
de le combattre.
D e tous les engagemens, le plus ancien et le plus nou
veau , lé plus critiqué et le plus en usage, le plus doux
ou le plus am er, le mariage, consiste dans l’union des
personnes plutôt que dans celle des biens : c’est un contrat
purement personnel, qui se forme par la volonté, qui
s’accomplit par le fait. Dans cet état si peu naturel, nommé
l’état de nature, la volonté et le fait ne font qu’un. Une
femme et un homme se rencontrent, se plaisent, s’unis
sent, et leur union fait le mariage. Mais quel mariage!
c’est celui des lions et des tigres : c’est celui de tous les
êtres pour lesquels le flambeau de la raison ne luit pas.
I<a société peut seule donner au, mariage un caractère
digne de la majesté de l’hom m e, image de Dieu. L a
société attire sur les.deux époux les regards du ciel et de
la terre : ils passent du temple des lois dans celui de
l’Eternel. L e prince ratifie, protège le lien conjugal : la
Divinité le bénit et le féconde; tout s’ennoblit, tout
s’embellit. Une mère soutient les pas d e là jeune vierge;
la pudeur couvre ses yeux de son bandeau ; le mystère
enveloppe de son voile le lit nuptial ; l’amour y sçme
des fleurs ; l’hymen change ces fleurs en fruits, gages
precieux et doux de l’accomplissement d’une union pré
parée par celle des volontés.
A in si, dans l’état de nature, l'accomplissement du
mariage fait le mariage, qui n’est proprement que l’union
des personnes. Dans l’état de société, le mariage consiste
4
*
�('8 )
dans l’union des personnes, mais plus encore dans celle
des volontés. Je ne parle pas de cette volonté involon
taire, pour ainsi d ire, qui ne voit que les apparences,
qui n’est fixée que par des avantages fugitifs; je parle d’une
volonté éclairée par les lumières de sages parens, d’amis
fidèles , dui’able >parce qu’elle n’est touchée que des qua
lités de l’àme, libre surtout/parce qu’elle n’est soumise
qu’à la vertu.
Aussitôt que deux personnes sont animées de cette
volonté de s’aimer , de se consoler mutuellement ; dès
que la force a promis un appui à la foiblesse , qui lui
promet en retour le bonheur, et que le prince et l’église
ont mis leur sceau à cette noble résolution , le mariage
existe. Mais il n’existe qu’alors : il n’est que projeté , jusqu’u celte déclaration publique et solennelle. Les lois ,
d’accord avec la raison, veulent que jusqu’à cet instant
chacun des é p o u x , libre encore, puisse se dérober à un
joug dont il craint d’être accablé. Souvent la réflexion,
tardive est venue rompre un engagement précipité. Sou
vent une main amie, écartant les fleurs qui lui cachoient
les écueils de la route , a détourné l’imprudente , qui
déjà y posoit le pied. La fuite est courage alors , et l’in
constance sagesse. Il est permis d’hésiter, quand il s’agit
de se donner sans retour. On recouvre une fortune per
due : mais qui peut réparer sa pi'opre perte ?
Mais parce qu’il faut un frein à la légèreté , et des
bornes à la fragilité humaine, un instant v ie n t, instant
solennel, consacré par toutes les pompes religieuses et
civiles, après lequel la voix du repentir cesse d’être
écoutée : c’est celui où les époux se jurent devant Dieu
et devant les hommes une foi mutuelle. Alors il n’est
plus temps de retourner sur ses pas ; le nœud , l’indis
soluble nœud est formé.
Il faut donc décider, en saine jui '.prudence, que jus
qu’aux pieds des autels chacun des époux peut regarder
en arrière; et c’est ainsi qu’on doit entendre ces maximes y
�‘ lo /
(9)
qu'ón ne peut gêner les inclinations, et que les mariages
sont libies. L ’honneur dû au plus honorable des engagemens, le respect que mérite le plus auguste des liens,
doivent faire adopter cette règle dans toute son étendue,
et rejeter comme une profanation de la liberté , de la
d'gnité de l’homme, ces demandes-de dommages-intérêts
fondées sur des refus.çéçipirequcs de se marier.
/. , ’
C ’est une moderne et funeste opinion qui,considère
comme un conti*at de louage ou de cheptel, lé mariage,
ce chaste nœud, ce lien céleste et consolateur, si .nobjle,
qu’il n’a que la vertu pour'motif^ si durable, que la
mort seule le peut.rompre; si nécessaire, qu’il fonde et
perpétue seul la société,..^es motifs qui portent deux cœurs
vertueux à s’unir, sont au-dessus d’un lâche intérêt : les
cœurs se donnent, et ne.s’achètent pas ; aucune promesse
ne peut ni les lier,,, ni être déliée à prix d’argent, jus
qu’à celle qui est faite en présence dçs, deux autorités
reines des .hommes.
: , ,
•• ... i (
.
O n pva objecter les fiançailles elles condamnations pé
cuniaires prononcées contre celui des fiancés qui manquoit
a sa foi. Je sais quelles étoient ces conventions connues
des Juifs, puisque Racliel fut fiancée à Jacob, connues
des Grecs et des Romains, adoptées parmi nous, et au
jourd’hui inusitées, par lesquelles un homme et une
femme se promettoient réciproquement de s’épouser. Cet
usage avoit sa grâce; l’attente pouvoit donner un nou
veau prix à l’épouse qu’un époux avoit long-temps aimée
fiancée : il pouvoit être utile. Celui de nos rois qu’on a
surnommé le Juste l’a consacré par une ordonnance.
Mais l’inexécution des fiançailles donnoit-elle lieu à des
dommages-intérêts?
-A Rom e, où les fiançailles étoient suivies d’arrhes et
de presens de noces, le fiancé infidèle perdoit ses arrhes,
et la fiancée inconstante rendoit le double de ce qu’elle
«ivoH reçu : quant aux-présens, -on les r,endoit toujours,
à moins qu’ils ne devinssent íe prix d’un baiser dérobé
�k
( i° )
à là' jeune vierge, qui, en ce cas, en retenoit la moitié.
Parmi nous, qui avons du mariage des idées plus
nobles que les Romains , présens et arrhes se rendent
dans tous les cas. La justice n’a aucun égard à ces dédits
imaginés comme sûretés d’une promesse de mariage; ils
n’ont force de loi qu’au théâtre : c’est la jurisprudence
établie par le droit canonique, et par un arrêt du 29
août 1713 , rapporté au sixième tome du Journal du
palais.
On trouve, il est v r a i , des arrêts qui ont accordé des
dommages-intérêts à celui des fiancés auquel on manquoit
de parole : mais ces arrêts sont des èxceptions peut-être
mal fondées k la règle générale que l’on tire de la nature
même du mariage. En supposant même que les jugemens
qui doivent faire la règle des mœurs soient souvent dictés
par elles, il faut faire une distinction entre les hommes
et les filles. Quant aux hommes, les préjugés que l’on
peut citer en leur faveur sont tous fondés, non sur le
manque de foi ou sur le tort qu’ils ont souffert, mais
sur la dépènse et la perte du temps que peut leur avoir
causée la recherche du mariage. La liberté n’est pas con
testée; l’intérêt seul entre considération. Cette observation
n’est point sans fondement, et s’applique à la cause; elle est
appuyée d’un arrêt du 10 mars 17 13 , cité par M . Pothier,
arrêt qui défend'aux juges d’ajouter à la condamnation de
dommages-intérêts ces mots: S i m ieux rfaime épouser,
parce qu’ils blessent la liberté des mariages,
La galanterie particulièi'e à nos bons aieux avoit in
troduit. , à l’égard du beau sexe, une distinction si déli
cate qu’elle en est subtile : on taxoit, on évaluoit, on
apprécioit l’affront qu’avoit pu éprouver une fille par le
refus de son fiancé. Si l’on estimoit que ce refus pour
voit l’empêcher de se marier à un autre, on lui accordoit
des dommages-intérêts comme une réparation de son
malheur. O11 eût dit qu’avec de l’argent elle pouvoit se
passer d’un mari, ou plutôt que c’étoit un moyen assuré
�r ï
^
(' î ï )
de lui en faire trouver un. Cette jurisprudence bizarre étoit
une suite de nos mœurs. 11 n’y a assurément que nos
anciens chevaliers qui aient pu imaginer qu’une fille perd
une partie de son mérite parce qu’elle perd un amant,
et qu’elle doit paroître ou moins belle ou moins sage parce
qu’il lui plaît d’être volage ou intéressé.
Dans la cause, ce n’est point une fille qui réclame des
dornmages-intérêts. Mais quand même l’ancienne juris
prudence auroit autorisé les garçons à en demander,
après des fiançailles rompues, il faudroit examiner ici si
mi contrat de mariage est aussi favorable qu’un acte de
fiançailles. Les fiançailles sont une professe mutuelle re
lative à l’union des personnes et non des biens* Cette pro
messe étoit écrite et faite depuis l’ordonnance de Blois,
devant quatre pareins qui sex*voient de témoins ; elle étoit
accompagnée des prières de l’église, et sanctifiée parses
bénédictions. Il ne s’agit dans cette cause que d’un contrat
de mariage. Quels sont donc les droits que donne un
pareil acte ? Quelle est son utilité , son origine?
Le mariage est l’union des cœurs et des personnes.
Mais l’amour , mais la tendre amitié ne soutiennent pas
la vie. Les douceurs de l’aisance ajoutent même un nou
veau prix aux charmes du sentiment; et s’il faut des vertus
aux époux, il leur faut des biens encore. A u ssi, tandis
que de jeunes amans ne songent qu’aux intérêts de leurs
cœurs, la prudence paternelle s’occupe des intérêts de leur
fortune. Les deux familles assemblées pèsent, discutent,
rédigent les conventions matrimoniales. L ’existence des
en fans est assurée en même temps que leur naissance est
prévue. On veille aux intérêts de la foi blesse; l’on ménage
à la vieillesse un appui ; il faut un acte qui renferme , qui
garantisse ces conventions ; c’est celui qu’on nomme parmi
nous
n un contrat de mariage.
O
acte , comme on le voit, n’est que la suite et l’ac
cessoire
du mariajn;. Le mariage existe smis lui;7 mais f il
1
n existe que pur le mariage. L ’antiquité la plus reculée
,
.
. O
�nous offre un exemple de cette distinction: L e beau-père
de TôbiCj, en hil'donnant sa filléy lu i:dit : « Que le Dieu
« d ’Abraham , d’Isaae et de Jacob voiis unisse lui-meme,
« et bénisse votre union ’ » ; et prenant ensuite ce qu’il
falloit pour écrire y on dressa le contrat de mariage. ■
Il est si vrai que 16 contrat de; mariage est la suite de
l’uniondes persopneà, quel’on voit souvent des époux sans
fortune, s’unir sans faire aucune convention relative à leurs
biens , par une raison fort simpleJ Les coutumes autrefois,
le Gode civil aujourd’h u i , disposent pour eux des fruits
de léu,r industrie ; et quoiqu’il ne soit point précédé d’un
contrat,le mariage n’en es't pas moins parfait et accompli.
L ’acte, improprement''hommé contrat de mariage,
( puisque c’est le mariage même qui est le contrat ) n’étant
que l’accessoire et la suite de l’union des personnes, il
en résulte deux conséquences; l’une, qu’il ne devroit être
rédigé qu’après le mariage; l’autre, que les conventions
qu’il renferme sont subordonnées à l’accomplissement de
l’union dont elles sont la suite.
Pourquoi donc notre usage, confirmé par l’article 1394
du Code civil, est-il de passer le contrat avant la célé
bration?
On en peut donner plusieurs raisons, tirées de la na
ture du cœur humain. L e législateur a craint l’empire du
sexe le plus ' fbiblé et la légèreté de celui qui ne risque
que sou bonheur à être volage. T e l homme se seroit
dépouillé pour sa maîtresse, q u i ne veut plus nourrir
sa femme ; et' uu'autre'n’a pas cru ttop acheter de toute sa
fortuüo la beauté', ' le* grâces , les talens, qui'ne voudroit
p as‘‘ si le sacrifice étoit A refaire, sacrifier- la moindre
partie de son'superflu. D ’un autre côté, parce que la
contradiction <&t l'apanage de l ’humanité, on voit des
époux plus soumis que des amans, et des femmes qui n’ont
immolé leur liberté le jour de leur mariage, que pour
régner le reste de leur vie sur leurs maîtres. C’est pour
prévenir la séduction dfes* unes et la légèreté des autres,
�NI
( n )
et par d’autres vues aussi sages, qu’il n’est plus permis
aux époux de disposer entr’eux de leur fortune après
le mariage, et qu’on a voulu, contre l’essence môme de
ce noble engagement, que Punion des biens précédât
celle des personnes.
Mais il n’en est pas moins certain que les conventions
que contient le contrat de mariage renferment toujours
la condition que l’union projetée aura lieu. Subordon
nées au mariage, s’il s’accomplit, elles subsistent, elles
s’évanoui .sent s’il est rompu. C’est la doctrine de la raison ;
c’est ce qu’enseigne son auguste et presque infaillible in
terprète , M. D om at, au chapitre des dots et des mariages.
11 est donc contraire aux lois de la raison , et par consé
quent à la justice, de réclamer un dédommagement pour
la perte des avantages portés par un contrat de mariage,
lorsque le mariage n’a pas lieu. De semblables demandes
ne sont que ridicules.
Les contrats de mariage n’étant relatifs qu’aux biens ,
ne donnent aucun droit sur les personnes. Ils sont moins
puissans à cet égard que les fiançailles , et ne peuvent
jamais autoriser des demandes de dommages-intérêts
comme celle qui donne lieu à la contestation actuelle.
Elle n’est née que de cet usage qui veut que le contrat
de mariage se rédige avant le mariage même; s’il ne l’eût
été qu’après la célébration , ou si l’on n’en eût point
passé , il n’y auroit point aujourd’hui de procès.
Je vais plus loin. Je suppose que de nos jours le contrat
de mariage tienne lieu de fiançailles, comme plusieui’s
arrêts semblent l’avoir décidé , les raisonnemens géné
raux qui ont servi de moyens jusqu’ici, conduisent à ce
résultat, qu’en général aucune promesse de mariage ne
se résout en dommages-intérêts. Nos mœurs ont forcé
quelquefois les magistrats à déroger à cette règle
en laveur d’un sexe timide et délicat; mais jamais l’on
11 accorde aux hommes que la restitution de leurs dépenses,
�( 1 4
}
lorsqu’elles sont considérables. Le prétendu tort fait à leur
réputation ou à leur fortune n’est compté pour rien.
Il
est plaisant, après cela, d’entendre un garçon deman
der mille écus en réparation du tort qu’à souffert son hon
neur. Que son honneur, l’honneur d’un homme aussi dis
tingué, aussi recherché que lu i, tient à peu de chose!
Quel honneur frêle et délicat, qui ne résiste pas au refus
d’une jeune fille! O n d iro it, à l’entendre demander une
sommeaussi considérable, que sa gloire est à jamais perdue
auprès des beautés de Chalinargues , et qu’il ne peut plus
obtenir leur choix qu’à beaux deniers comptans !
Mais si sa gloire lui est si chère, quel soin doit prendre
M arie de la sienne? N ’est-elle pas compromise par la
négligence d’un amant alors favorisé? Etrange amant!
qui n’a pas foi au curé de sa maîtresse, et q u i , refusant
de se marier dans la paroisse qu’elle a choisie, veut com
mander même avant le mariage ! il méritoit bien d’être
remercié,
Benoît allègue les dépenses qu’il a faites, le temps qu’il
a perdu. C ’est un temps bien précieux que le sien ! il
l’évalue au moins- à i 5 oo ^ : c’est payer un peu cher les
soupirs qu’il a poussés pendant un mois peut-être. Il
s’enrichiroit plus à ce compte à ne rien faire pendant un
mois, qu’à travailler l’année entière. Quant à ses dépenses,
on ne voit pas, il ne fait pas connoître celles qu’il a faites.
Ses présens de noces! il n’en est pas question, Que veut
donc , que peut réclamer Benoît ?
Dans tous les cas, les dépenses se compensent mutuel
lement. Et qui remboursera celles de Marie et de son
père, ces provisions, cette superbe vache qu’il a fallu
revendre en p erte, et tant d’autres profusions qui ne
sont point désavouées?
Reste à savoir quel dédommagement exigeroit la perle
des avantages que faisoit la mère en faveur du mariage.
Cette perte n’est pas irréparable, et Benoît est vraiment
�( 15 )
trop modeste. Un garçon dont le mérite est si rare que
mille écus suffisent à peine pour le venger d’un refus,
doit-il craindre d’en essuyer un nouveau? Ces libéralités,
ces profusions dont il se vante dans une première re
cherche, lui gagneront facilement les cœurs dans une
seconde : un choix aussi avantageux lui attirera les
mêmes avantages de la part de sa mère. On peut même
penser que le soin qu’il prend pour conserver sa gloire
et sa fortune, va lui donner une célébrité utile à son
établissement.
L.
/
J U LHE.
Me. H U G U E T , avoué.
A R IO M , de l’imprimerie de L a n d r i o t , seul imprimeur de la
Cour d’appel.
�
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Factums Godemel
Relation
A related resource
/files/factum-remarquables/BCU_Factums_G0301_0007.jpg
Description
An account of the resource
<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. Ganil, Marie. 1805]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Julhe
Huguet
Subject
The topic of the resource
fiançailles
contrats de mariage
noces
bureau de paix
annulation d'un mariage
dot
mariage
Description
An account of the resource
Titre complet : Précis pour Marie Ganil, intimée ; Contre Jacques Benoit, garçon remercié, appelans ; Ou examen du droit qu'ont les filles de refuser les garçons avec lesquels elles ont passé contrat de mariage.
6 pluviose An 13, 2éme section. Arrêt confirmatif
Table Godemel : Fiancé : le fiancé, refusé après préparation du contrat de mariage, est-il fondé à réclamer, contre la fille qui ne veut pas procéder au mariage, des dommages intérêts, autres que le remboursement des avances par lui faites ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
De l'Imprimerie de Landriot (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1805
1801-1805
1799-1804 : Consulat
1804-1814 : 1er Empire
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
15 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G1505
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Chalinargues (15035)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
Relation
A related resource
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/6/53245/BCU_Factums_G1505.jpg
annulation d'un mariage
bureau de Paix
contrats de mariage
dot
fiançailles
mariage
noces