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MÉMOIRE
POUR
Dame J o s é p h i n e B O Y E R -D U M O N T C E L ,
épouse séparée de biens du sieur CISTERNE ;
CONTRE
Sieur
B L A T I N , f ils aîné négo
ciant à Clermont.
A n to in e
P o u r s u i v i e avec rigueur par un créancier de son
m a ri, la dame Cisterne s’est vue forcée de réclamer
devant les tribunaux contre un engagement que les lois
ne lui permettoient pas de souscrire.
Les dissipations du sieur Cisterne avoient réduit son
épouse à la triste nécessité de demander la séparation
de biens. Elle l’avoit obtenue; mais ce rem ède, ordinai-
Mt.
�C 2 ;
renient salutaire, est devenu pour elle des plus dangereux.
Jeune, sans expérience, d’une générosité facile à
ém ouvoir, la dame Cisterne s’est laissé entraîner à payer,
en faisant des emprunts personnels ,• une grande partie
des dettes de son m a ri, et à s’obliger pour celles que
ses ressources ne lui permettoient pas d’acquitter encore.
Une de ces obligations est l’objet de la cause.
Cette obligation fut consentie sans autorisation ; elle
tend à l’aliénation d’un bien dotal ; elle a été contractée
sous l’empire de la coutume d’A u vergn e, et pour les
dettes du mari. Tels sont les vices de cet acte, dont le
porteur a cependant poursuivi l’exécution avec une
chaleur imprudente.
L a dame Cisterne comptoit sur plus d’égards; elle
avoit le droit d’en attendre, d’après ce qu’elle avoit
fait elle-même; elle lésa sollicités vainement; alors elle
a dû avoir recours aux lois.
F A I T S .
La demoiselle Joséphine Boyer-Dum ontcel, fille mi
neure, contracta mariage avec le sieur Cisterne, le 23
frimaire an 10.
E lle se constitua en dot tous ses biens et tous ses
droits ; sa fortune se composoit de sa portion héré
ditaire dans la succession de son père.
L a coutume d’Auvergne fut la loi du contrat.
L e futur époux avoit son domicile à Saint-Bonnetle-Chastel ; et c’est là où il vint habiter avec son épouse.
~ Cette union n’eut pas des suites heureuses.
%
�( 3 ^
Devenu dépositaire d’une dot considérable en argent,
en objets mobiliers ou en immeubles, le sieur Cisterne
ne tarda pas à se livrer à des goûts funestes, et à une
dépense immodérée.
Bientôt l’argent reçu fut dissipé. des dettes considé
rables furent contractées , et les créanciers nombreux
du m a ri, saisissant chaque année les revenus des im
meubles de la fem m e, dévoroient sa subsistance et celle
de ses enfans.
Une séparation judiciaire étoit indispensable.
Elle fut prononcée par jugement du 21 décembre 1808.
L e jugement liquida les reprises de l’épouse à la
. somme de 5 i,ooo francs.
Cette séparation porta l’alarme parmi les créanciers
du sieur Cistei’ne. Leur débiteur n’avoit plus x’ien ; il
pouvoit hériter un jour de la fortune de son père; mais
ces espérances, aussi incertaines qu’éloignées, étoient
peu propres h calmer les craintes.
Plusieurs créanciers s’adressèrent à la dame Cisterne ;
ils la sollicitèrent, ils la pressèrent.
- La dame Cisterne, plus généreuse que prudente, céda
à. leurs prières; elle, à qui étoit déjà due une somme
considérable par son m ari, consentit encore à se charger
d’une grande partie de ses dettes ( 1 ).
( 1 ) La dame Cisterne ne se chargea pas de la totalité ; elle
découvroit tous les jours de nouvelles dettes ; leur nombre étoit
effrayant. Elle s’aperçut alors qu’elle désiroit vainement mettre
ordre aux affaires de son m ari, et elle refusa de contracter
de nouveaux engagemens»
�( 4 )
E lle fuit des em prunts p o u r p ayer les créanciers dont
les besoins étoient les plus pressans ; elle en acquitte
p o u r une somm e de 35,000 francs ; elle s’ob lige envers
d ’autres créanciers ( 1 ) ; et les em prunts ou les obliga
tions s’élèven t à plus de 44,000 francs.
En se dévouant ainsi, la dame Cisterne avoit compté
sur des ressources pour s’acquitter, sur la reconnoissance des créanciers envers lesquels elle s’engageoit,
pour obtenir des délais.
Ces ressources lui ont manqué. Des ventes de bois
devoient les lui fournir; les bois n’ont pas été vendus.
Mais la plupart des créanciers ont eu égard à l’em
barras de sa position. La dame Cisterne se plaît à rendre
hommage à leurs bons procédés; et que seroit-elle deavenue , s’ils avoient tous imité le sieur Blatin ?
C elui-ci, créancier du sieur Cisterne d’une somme de
2,224 francs en principal ou en intérêts, avoit obtenu,
le 23 novembre 1809, de la dame Cisterne, une obli
gation de cette somme, portant intérêt à cinq pour cent,
jusqu’au payement du principal.
L ’obligation indique l’origine de la créance. P o u r fo u r
nitures et délivrances de marchandises fa ite s dans le
temps audit sieur Cisterne , e st-il dit.
En demandant, en recevant cette obligation, le sieur
Blatin n’épargna ni protestations, ni promesses ; il ne
devoit en exiger le payement que lorsque les affaires de
la dame Cisterne lui permettroient de l’acquitter.
( 1 ) Les payemens sont prouvés par le rapport des titres de
créances, et par les quittances données à madame Cisterne,
�( 5 } .
L e sieur Blatin étoit reconnoissant alors; on lui fournissoit un litre de plus, et il considéroit comme sans
valeur celui qu’il avoit déjà contre le mari.
Il retint néanmoins ce dernier titre pour s’en servir,
s’il devenoit utile.
• Cependant, à l’échéance de l’obligation , la dame
Cisterne ne put l’acquitter.
,
A lors le langage changea ; les promesses furent ou
bliées ; des menaces furent faites.
La dame Cisterne, étonnée, exprime sa surprise dans
une lettre; elle expose l’embarras de ses affaires, et la
gene où l’a réduite un procès considérable gagné à Montbrison, mais pendant à L yo n , sur appel : elle demande
un délai.
L a réponse du sieur Blatin est un com m andem ent de
p a y e r , signifié le 3 a vril 18 12 .
Un autre commandement est fait le 11 du même mois;
il contient élection de domicile à M arolles, lieu où la
dame Cisterne possède un domaine.
Ce second commandement ne lui est pas remis; et, le.
14 du même mois, une saisie-exécution est faite sur tout
le mobilier de son domaine.
On sait qu’en général ces actes de rigueur ne sont
pas exercés avec beaucoup de politesse.
Mais il en est peu où les ministres du créancier aient
déployé autant de dureté.
La dame Cisterne n’avoit pas été prévenue de cette
incursion, et plusieurs des appartemens de la maison du
maître étoient fermés.
L ’huissier et scs recors, en présence, et par l’ordre
�d’un agent du sieur Blatin , enfoncent les portes des
chambres, des armoires, forcent môme un secrétaire;
tout est à l’abandon. Des papiers de fam ille, très-im portans pour madame Cisterne, ont disparu.
Les formalités prescrites par la loi sont aussi violées;
et, pour réparer ensuite une faute, un faux est commis:
on le poursuit en ce moment.
A la nouvelle de cette étrange exécution , la dame
Cisterne a senti qu’elle ne devoit pas de ménageineus à
celui qui abusoit ainsi d’un titre illégal.
Elle a demandé la nullité de l’obligation ;
Elle a demandé aussi la nullité de la saisie.
Un premier jugement du tribunal de Clermont avoit
ordonné l’exécution provisoire et la continuation des
poursuites.
Un arrêt de la C ou r, plus juste, a arrêté cette exécution.
D ep u is, le tribunal de C lerm ont, par jugement du
29 mai dernier, a déclaré l’obligation valable, sur le
m otif qu’une femme séparée de biens avoit pu obliger
son mobilier et ses revenus.
La dame Cisterne est appelante du jugement, et elle
se propose de démontrer y
Qu’elle n’a pu , quoique séparée de biens, s’obliger
sans y être autorisée ;
Qu’elle n’a pu d’ailleurs aliéner à son p réju dice ses
biens dotaux, même mobiliers ;
Qu’elle n’a pu surtout contracter d’engagement per
sonnel pour une dette de son mari.
�C7 )
P rem ière
q u e s t i o n
C
.
La dame Cisterne a-t-elle pu s’obliger, sans être
autorisée ?
L ’obligation qu’elle a souscrite est du 28 novembre
1809 : le Gode Napoléon étoit en vigueur alors.
lies premiers juges ont pensé que c’étoit dans ce Gode
qu’ils devoient puiser les règles de leur décision.
Nous signalerons bientôt leur erreur dans le choix de
cette loi.
Supposons, pour un instant, qu’elle ait dû leur servir
de r è g le , et examinons-en les principes.
Si l’on ouvre le titre du m ariage, on y lit cette dis
position, art. 217 : « La femme même non commune,
« ou séparée de biens, ne peut donner, aliéner, liypo« théquer, acquérir à titre gratuit, sans le concours du
« mari dans l’acte, ou son consentement par écrit. »
L ’article 218 ajoute que la femme peut demander l’au
torisation du juge.
Cette disposition est formelle j elle est générale ; elle
s’applique à toute femme mariée , qu’elle soit ou non
séparée de biens.
Elle s’applique aussi à tonte sorte d’obligation qui tend
h aliéner ou à acquérir.
Elle s’applique enfin à toute espèce de biens , aux
meubles comme aux immeubles. La loi ne distingue pas j
et l’on connoît la maxime TJbi lex non distinguit, nec
nos distinguerc debernus.
�Cette disposition est prohibitive. Ne p e u t, dit l’article ;
et l’on sait quelle est la force d’une telle expression dans
le langage de la loi : Negativci prœposita verbo potest
tollit potentiam ju ris et f a c t i , et inducit necessitatem
prœ cisam , designans açtum impossibilem. (D um oulin,
sur la loi i , de verborum oblig. )
Mais , d it-o n , il est dans le Code un autre article qui
modifie celui-là ; l’art. 1449 , qui se trouve au titre de
la communauté.
D éjà, la place qu’occupe ce dernier article autoriseroit
à dire qu’en supposant que ses dispositions dûssent être
observées avec la plus grande latitude, pour une femme
mariée sous le régime de la communauté , ce ne seroit
pas une raison pour qu’il en fût ainsi pour celle dont
tous les biens seroient dotaux.
Mais transcrivons l’article 1449.
« La femme séparée, soit de corps et de biens, soit
« de biens seulement, en reprend la libre administration.
« Elle peut disposer de son m obilier, et l’aliéner.
« Elle ne peut aliéner ses immeubles sans le consen
te tement du m ari, ou sans être autorisée en justice à
« son refus. »
C ’est de cet article que les premiers juges ont conclu
qu’une femme pouvoit, sans être autorisée, non-seulement faire tous actes d’administration, mais aussi con
tracter toute espèce d’engagemens étrangers à 1 adminis
tration même, pourvu que, pour l’exécution de ces engngemens, on ne s’emparât que de ses biens meubles et
de ses revenus.
Mais un pareil système n’est-il pas aussi inconséquent
que dangereux?
�(9 )
Comment supposer d’abord que le législateur ait en
tendu d ire, dans l’article 1449?
contraire de ce
qu’il avoit dit dans l’article 2 17? Une telle idée ne blesseroit-elle pas la dignité de ce législateur, qu’elle accuseroit de peu de réflexion, et de peu de fixité dans ses
principes ?
Comment supposer aussi qu’il ait voulu retirer à la
femme séparée une partie de sa protection, en la privant
du secours salutaire de l’autorisation, en la laissant ainsi
exposée, elle qui est en général dénuée d’instruction et
de fermeté , à contracter tous les engagemens que l’on
pourroit arracher à son inexpérience et à sa sensibilité.
Comment supposer enfin que la loi ait entendu que
l’on pût s’emparer de la fortune entière de la fem m e,
si elle n’avoit que des biens meubles, en lui faisant consen
tir, sans autorisation, les obligations les plus onéreuses.
T elle seroit cependant la conséquence funeste où conduiroit l’opinion des premiers juges : le danger de cette
opinion en démontre l’erreur, et doit nous convaincre
que le sens de l’article 1449 n’est pas celui qu’ils lui ont
prêté.
Par cet article, le législateur, en rendant à la femme
une administration que le mari ne devoit plus conserver,
a voulu lui accorder aussi, et dans toute l’étendue pos
sible, la faculté d’appliquer cette administration à l’usage
auquel elle étoit destinée par le mariage même.
11 a voulu qu’elle pût disposer de son mobilier pour
scs besoins et pour ceux de sa famille.
Il a voulu qu’elle pût aussi disposer de ses revenus,
en leur donnant la même destination.
3
�( IO )
Mais il n’a pas entendu que la femme pût s’obliger
pour toute autre cause, qu’elle pût consentir des actes
étrangers à l’administration qui lui étoit confiée, et au
toriser ainsi des créanciers munis de pareils actes, à s’em
parer de tout son m obilier, à saisir chaque année tout
ses revenus, et à la m ettre, elle et ses enfans, dans une
situation aussi cruelle que celle qu’elle éprouvoit avant
la séparation..
T o u t concourt à interpréter la loi dans le sens que
nous indiquons ;
E t les motifs qui donnent lieu aux séparations ;
j
E t les opinions des auteurs sainement entendues ;
E t même l’examen attentif des diverses dispositions
du Code.
,
Les motifs qui donnent lieu aux séparations sont la
mauvaise administration du m ari, l’intérêt de la femme
et des enfans, la nécessité de conserver les biens de
l’épouse pour l’entretien et la subsistance de la famille.
O r , le but de ces motifs ne seroit—il pas manqué,
si la fem m e, au lieu d’administrer, pouvoit aliéner ; s i,
au lieu d’employer ses biens à nourrir ses enfans, elle
pouvoit les livrer aux créanciers de son m ari, sans être
même autorisée par celui-ci, sans l’être surtout par la
justice, q u i, dans ce cas particulier, pourroit seule donner
l'autorisation, d’après la maxime Netno potestesse autor
in rem suam ( i ) ?
(1) Voyez un arrêt de la Cour de Turin, du 17 décembre r8o8,
rapporté au Journal de Denevers, de 1année 1810, supplément,
page 17.
�(II )
La séparation de biens, dans ce cas, au lieu d’être un
rem ède, ne seroit-elle pas un mal ?
Les Romains ont connu ce remède; c’est même d’eux
que nous l’avons emprunté ; et c’est dans leurs lois aussi
que nous trouverons la vraie doctrine en cette matière.
La loi 29, G. D e jure dotiurn, autorise la séparation,
mais elle défend d’aliéner la dot; elle permet seulement
d’en employer les revenus à la subsistance du mari et des
enfans.
Ubi adliuc matrimomo constituto maritus ad inopiam sit deductus, et muîier sibi prospicere velit resque
sibi suppositas pro dote vel ante nuptias donatione re~
busque extra dotem constitutis tenere, etc. Ita tamen
ut eadem mulier nullam habeat licentiam eas res alienandi vivente m arito, et rnatrimonio inter eos constitu to, sed jru ctib u s earum ad sustentationem tant su i
quant m a riti, fdiorum que, s i quos habet, abutatur.
Les auteurs français rappellent cette loi et en adoptent
les principes.
Brodeau sur L o u e t, lettre F , s’exprime ainsi :
« La femme séparée de biens peut bien , sans le con« sentement et autorité de son m ari, disposer de ses
« meubles, et revenus de ses immeubles, peutifaire baux
« à ferm e, donner quittance, et s’obliger, à l’effet de la
« sépara d on , pour sa,nourri turc et entretènement, mais
« non pour autre sujet, ni pour aucune obligation, do« nation ou contrat qui affecte l’immeuble, et emporte
« aliénation perpétuelle. »
Ainsi Brodeau, en l’appelant les divers actes que la
femme séparée peut faire sans le consentement de son
�C Ï2 )
m ari, a soin de remarquer qu’elle n’a le droit de les faire
que pour sa nourriture et entretènement, mais non pour
autre sujet; et il cite la loi romaine ci-dessus transcrite.
Renusson , dans son Traité de la communauté ( pre
mière partie, chap. 9 ) , après avoir dit que la femme
mariée a seulement l’administration de son b ien , examine
le cas où elle fait des obligations; voici ses termes :
« La coutume de Paris, article 13 4 , dit qu’une femme
« mariée ne se peut obliger sans le consentement de son
« m ari, lorsqu’elle est séparée. On a voulu tirer argu« ment de ces termes, et dire que la femme se pouvoit
« obliger sans le consentement de son mari , lorsqu’elle
« est séparée; mais cela s’entend qu’elle peut s’obliger
« pour sa nourriture et entretien, et jusqu’à concurrence
« de son revenu seulement. »
M . le procureur général M erlin pense aussi que la
femme n’est dispensée de l’autorisation que pour tout
ce qui est de simple administration. V oici comment il
s’exprime , Répertoire , autorisation maritale , sect. 7 ,
n°. 5 :
« La séparation judiciaire, soit de corps, soit de biens,
« dispense-t-elle la femme du besoin de l’autorisation ?
« L ’affirmative est reçue dans la jurisprudence pour tout
« ce qui est de simple administration. Une femme sé« parée par justice peut faire à cet égard ce qu’elle
« juge à propos. Ce n’est pas qu’elle soit entièrement
« affranchie de la puissance maritale : n on , elle est tou« jours, à certains égards, sous la dépendance de son
« mari : rien ne sauroit absolument l’y soustraire, si ce
« n’est la mort civile ou naturelle : mais le m ari, par
%
�C 3 ;)
ses duretés ou son inconduite, ayant cessé de mériter
sa confiance et ses faveurs, il a fallu remettre à la
femme un gouvernement dont il s’acquittoit m al, ou
qu’il ne méritoit plus de continuer ; et dès-lors il a
été naturel que la femme pût l’exercer sans sa participation , pour obvier aux difficultés qu’elle ne raanqueroit pas d’essuyer s’il lui falloit à chaque instant
une autorisation spéciale.
« Mais toute cette liberté qu*a la femme en pareil cas
« se borne à une simple administration. »
M . M erlin ajoute même que la femme séparée ne
peut recevoir des deniers dotaux sans que le mari en
soit prévenu, pour veiller à l’emploi de l’argent.
Ces auteurs, et plusieurs autres, parlent, il est vrai,
plus particulièrement de la nécessité de l’autorisation,
pour l’aliénation des immeubles.
Mais il ne résulte pas moins de l’ensemble de leur
doctrine, que la femme séparée est réduite à une simple
administration ; qu’en vertu de ce droit d’administration
elle peut aussi disposer de son mobilier, mais pour ses
propres besoins seulement, ou pour l’entretien et pour
la subsistance de ses enfans ; qu’elle ne peut d’ailleurs
contracter seule, sans l’une de ces causes, aucune obli
gation qui tende à l’aliénation d’aucun de ses b ien s,
soit m eubles, soit immeubles.
Enfin, on doit dire de la femme séparée ce qu’on dit
du mineur émancipé, à qui tous les auteurs, et notam
ment M . M erlin , la comparent avec raison, et qui ne peut
consentir aucun engagement ù son préjudice, sur son
«
«
«
«
«
«
«
«
4
�( 14 )
mobilier ni sur ses immeubles, sans avoir le droit d’en
demander la nullité.
Ces réflexions ne contrarient pas les dispositions du
Code Napoléon , et concilient au contraire les articles
217 et 1449 : on s’exposerait à blesser l’esprit de ce der
nier article, en isolant le paragraphe relatif au mobilier.
S i , dans cette seconde partie de l’article, il est permis
à la femme séparée de disposer de son m o b ilier, c’est
par une conséquence du droit d’administration qu’on lui
attribue dans la première partie. L e droit d’administrer
est la cause ; la disposition du mobilier est l’effet : mais
l’effet doit être combiné avec la cause, pour juger s’il
est légal.
A in s i, la disposition du mobilier sera valable , si elle
est faite par un acte qui tient à l’administration.
A in si, cette disposition, comme toute autre obligation
de la fem m e, sera nulle, si elle est renfermée dans un
acte étranger à l’administration qui lui est confiée, dans un
acte qui n’ait pour but que de la dépouiller, sans être
utile ni à ses enfans, ni à elle-même.
Remarquons que l’opinion contraire tendroit même à
l’aliénation des im meubles, qui est cependant prohibée
par la troisième partie de l’article 1449.
Si la femme, en effet, pouvoit s’obliger pour quelque
cause que ce fût ; si elle pouvoit ainsi mettre à la dis
crétion de plusieurs créanciers, tous ses biens meubles
et tous ses revenus , quelle ressource lui resteroit-il pour
subsister, elle et sa famille? ne faudroit-il pas alors néces
sairement qu’elle aliénat scs immeubles pour se procurer
�( i5 )
des alimens? ne coritraindroit-elle pas ainsi les tribunaux
ou son mari à l’autoriser à cette aliénation ? •
On le voit donc ; les obligations imprudentes d’une
femme séparée, si elles étoient valables, tendroient indi
rectement à l’aliénation de ses immeubles.
T e l est le cas de la dame Cisterne.
Si les nombreux créanciers de son m ari, envers qui
elle s’est ob ligée, ont le droit de saisir, chaque année,
son mobilier et ses revenus, elle et ses enfans seront
privés de tous moyens de subsistance, à moins que les
tribunaux ne l’autorisent à vendre ses immeubles dotaux,
pour s’affranchir de ce9 dettes.
Ainsi , en thèse générale m êm e, l’obligation consentie
par la dame Cisterne seroit n u lle, à défaut d’autoi'isation.
Examinons les autres vices de cette obligation.
D
, La
e u x i è m e
q u e s t i o n
.
• -*
dame Cisterne a-t-elle pu aliéner sa dot
mobilière ?
La dame Cisterne, en se mariant, en l’an 10 (18 0 2 ),
se constitua tous ses biens en dot.
T o u t ce qui lui appartient est dotal ; son m obilier,
comme ses immeubles.
Les époux choisirent la coutume d’A u vergn e, pour la
loi de leurs conventions matrimoniales; car ils établirent
leur domicile à Saint-Bonnet-le-Chastel, où liabitoit déjà
le sieur Cisterne.
* On sait que la loi du contrat en régit les effets, et
�( i 6 )
-régît aussi la capacité des ép o u x, pendant toute la durée
du mariage. Cette vérité n’a pas besoin d’être démontrée;
elle est élémentaire.
On peut donc poser la question en ces termes :
En coutume d’A u vergn e, une femme peut-elle aliéner
sa dot mobilière ?
• L a réponse est écrite dans l’article 3 du titre 14 de
la coutume; voici comment il est conçu :
« Les mari et ferçime, conjointement ou séparément,
« constant le mariage ou fiançailles, ne peuvent vendre,
« aliéner, perm uter, ne autrement disposer des biens
a dotaux de ladite femme, au préjudice d’icelle; et sont
.« telles dispositions et aliénatiops nulles et de nul effet
« et valeur, et ne sont vajidéeg par serment. »
Les expressions de cet article sont aussi claires que for
melles ; e t , pour emprunter le langage du dernier com
mentateur ,
« La dot des femmes est déclarée inaliénable en tout
« §ens. ïl n’y a point d’article dans la coutum e, où elle
« s’explique en termes plus impérieux et plusirritans. La
« vente, l’échange m êm e, et toute autre disposition pré«'judiciable à la, J im m c , sont déclarées nulles. »
L a prohibition est générale ; elle s’applique à tous les
cas, à quelques exceptions près que la loi a eu soin de
déterm iner, et qui confirment la règle môme pour tous
Jqs cas non exceptés.
Lq prohibition s’applique donc à toutes les positions
de la femme : séparée de biens, ou non, elle:ne peut aliéner
sa dot.
La fenjiïie séparéq o’a pas plus de capacité pour l ’alié-
�( *7 )
n ation , qu’ une autre ; car elle n’est pas comprise dans les
exceptions.
Les motifs même qui ont dicté la règle de l’inaliéuab ilité, s’opposent à ce que la femme séparée puisse aliéner
sa dot.
« L e principal caractère de la dot...... est d’être era« ployée à soutenir les charges du mariage. Ce n’est que
« par une conséquence de cette destination que le mari
<c en a la jouissance, parce que c’est lui qui est le chef
'« de sa maison, et sur qui les charges doivent tomber.
« Lors donc que, par des motifs puissans, la jouissance
« de la dot est retirée des mains du m ari, dans lesquelles
« elle dépériroit, ce n’est que pour la plus grande sûreté
« de cette dot ; ce n’est que pour s’assurer davantage
« que la destination en sera remplie. La séparation ne
« fait pas cesser le mariage ; souvent même elle en rend
« les charges plus difficiles ù supporter. Il n’y a donc auk cune raison de permettre à une femme séparée d’aliéner
« ou d’engager sa dot. » ( 7^. le nouveau Dénisart, au
« mot dot, §. 16 , n°. 3 .)
La prohibition s’applique aussi à toutes sortes de biens.
La loi dit, les biens dotaux; expression qui comprend évi
demment les biens meubles comme les biens immeubles.
Remarquons que cette règle est écrite dans une cou
tume qui admettoit la forclusion des filles, et pour une
province où les dots étoient ordinairement mobilières.
La défense d’aliéner a donc été établie pour cette
dernière espèce de d o t, comme pour la dot d’immeubles.
E t c’est dans ce sens que la Cour a toujours consacré
le principe de l’inaliénabilité.
5
�( i8 )
On pourroiten citer plusieurs exemples. L e Journal
des audiences en fournit u n , dans un arrêt du 3 février
1810 ; et avant que ce journal p arû t, la question avoit
été jugée par deux arrêts, l’un du 26 prairial an 10 ,
entre la femme Bois et le conservateur des hypothè
ques de l’arrondissement de Riom ; l’autre, du 24 nivôse
an 1 1 , entre le sieur Rode de V ern ière, et le sieur
C évérac,so n acquéreur.
Dans ce dernier arrêt l’espèce de la cause est remarquable.
La dame Marie Dauphin , en épousant le fils du sieur
de V e rn iè re , avoit apporté une dot en argent.
L e père et le fils s’étoient obligés solidairement à la
restitution de la dot.
,
La dame D auphin, après avoir fait prononcer une
séparation , avoit pris sur les biens de son beau-père,
et sur ceux de son m ari, une inscription pour la valeur
de ses reprises.
L e beau-père vend ; son acquéreur refuse de payer.
A lors le sieur Rode de Vernière réunit ses créanciers,
et avec eux la dame D auphin; celle-ci consent, comme
les autres, que le sieur Rode de Vernière touche le p rix,
et autorise en conséquence la radiation de son inscription.
L ’inscription est rayée par le conservateur; néanmoins
l ’acquéreur persiste dans son refus.
U n procès s’engage; et la C ou r, en confirm ant la dé
cision des premiers juges, dont elle adopte les motifs,
décide que la femme même séparée de biens n’a pu aliéner
sa dot, ni par conséquent consentir, en renonçant à son
inscription, qu’un autre touchât une somme destinée par
la loi à la payer elle-même.
�C 19 )
L e principal m otif de cette décision est précieux,
« Attendu que la femme com m une, ou séparée de
« biens d’avec son m a ri, conjointement avec lu i, ou en
« son absence, ne peut aliéner, ni hypothéquer sa dot;
« d’où il suit qu’elle ne peut renoncer à son hypothèque,
« ou en diminuer l’étendue; qu’ainsi la belle-fille du
« sieur Matthieu Rode n’a prêté qu’un engagement illu« soire, lorsqu’elle a consenti que son beau-père touchât
k la somme qu’il demande au sieur Cévérac. »
D ira-t-on que l’hypothèque est un droit réel; ce qui
empêche qu’une femme ne puisse y renoncer?
Mais l’hypothèque n’est pas un immeuble. ( V . l’art. Ô2Ô
du Code Napoléon. )
Elle n’attribue ni droit de propriété, ni droit de jouis
sance sur l’immeuble ; elle ne confère pas 1e ju s in re.
Elle n’autorise pas à revendiquer l’immeuble , mais
seulement à le faire vendre. ( V . les art. 2169 et 2174. )
En un m ot, l’hypothèque ne donne droit qu’au prix
de l’objet hypothéqué, et son eifet légal est de produire
au créancier un payement en deniers.
L ’hypothèque d’ailleurs n’est que l’accessoire de la
créance.
Elle s’éteint avec la créance même. ( V , art. 2180.)
D ’où il suit que si la femme pouvoit aliéner sa dot
mobilière j si elle pouvoit y renoncer en faveur de qui
que ce soit, elle pourroit aussi renoncer à son hypo
thèque; l’accessoire suivroit le principal; l’effet ou l’hypo
thèque disparoîtroit avec la cause ou la créance dotale.
Aussi la Cour, dans l’arrêt cité, décide-t-elle d’abord,
en principe, que la femme ne peut aliéner sa dot mo-
�( 20 )
. .
bilière; et ensuite, comme conséquence du principe,
qu’elle ne peüt renoncer à son hypothèque.
L a dame Cisterne n’avoit que des biens dotaux; ils
étoient en danger dans les mains du m ari; c’est pour
leur conservation qu’ils lui ont été rendus ; c’est afin
qu’ils fussent employés à ses besoins et à ceux de sa
fam ille, que l’administration lui en a été confiée : elle
n’a pu les détourner d’une destination sacrée; elle n’a
pu engager une dot mobilière que la loi déclaroit ina
liénable.
Quelle que fû t, au reste, la nature de ses biens, elle
n’auroit pu s’obliger pour une dette de son mari.
Démontrons cette vérité.
T ro isièm e
q u e s t i o n
.
,
La dame Cisterne en s’obligeant pour' une dette
de son mari a-t-elle contracté un engagement
valable ?
,
Cette question est d’une solution facile ; elle est décidée
par l’art. I er. du titre 14 de la coutume d’Auvergne.
« Femme constant le mariage ne se peut obliger pour
« le f a i t de son m ari. »
Cette prohibition est absolue ; elle place la femme dans
une heureuse incapacité, qui ne lui permet pas d’être la
victime de la puissance m aritale, ou d’une générosité
trop facile.
Cette prohibition salutaire oifre h la femme une garantie
sûre contre les engagemens personnels qu’auroient sur-
%
�( 21 )
pris à son inexpérience les créanciers d’un mari dissipa
teur.
Séparée de biens ou n on , propriétaire de biens dotaux
ou de biens paraphernaux, la l o i , qui veille pour la
femme à la conservation de sa fortun e, l’autorise à se
soustraire à d’imprudentes obligations ; et quelque mo
diques même qu’elles soient, s’il paroît qu’elles aient eu
pour cause les dettes du m ari, elles sont anéanties. O n
peut voir un arrêt du 27 août 1742? rapporté par
M . Chabrol sur l’article cité.
Madame Cisterne a le droit d’invoquer cette règlebienfaisante. M ariée en A u vergn e, la loi municipale de
cette province est la loi de soù contrat.
O r , on connoît la maxime de Dum oulin : Tout ce
qui est de statut devient conventionnel.
A insi les anciens statuts de cette province ont fixé
invariablement,, et pour toute la durée du m ariage, les
droits et la capacité des deux époux.
A insi la dame Cisterne nra pu et ne p ou rra, pendant
son m ariage, s'obliger pour le fa it de son mari.
A insi l’obligation dont ellfe se plaint est illégale, et
doit être annullée.
T elle est donc cette obligation, souscrite par une femme
non autorisée, tendante à l’aliénation d’un bien dotal,
consentie pour une dette du m ari, sans aucune autre cause,
et dont les vices nombreux sembloient commander au
créancier plus de modération.
L ’impuissance où étoit la dame Cisterne d’acquitter
cette dette,,la nécessité d’arrêter la vente de tout son mo-
�b ilier et de tous les bestiaux de son domaine, l’ont forcée
d’user de ses droits.
Cependant, malgré la rigueur des poursuites, la dame
Cisterne auroit gardé le silence, si en contractant un en
gagement personnel envers le sieur Blatin, elle l’eût privé
des titres qu’il avoit contre son mari.
Mais le sieur Blatin s’est réservé ses titres ; ils sont
en son pouvoir ; il pourra en faire usage dès l’instant
où la fortune du sieur Cisterne s’améliorera.
Par la nullité de l’obligation, les choses seront re
mises dans leur premier état, dans leur état naturel.
L e sieur Blatin conservera contre le mari ses droits
tels qu’ils avoient été reconnus; et l’épouse sera affran
chie d’un engagement qu’il ne lui étoit pas permis de
contracter.
•
Signé C I S T E R N E - D U M O N T C E L .
M e. A L L E M A N D , avocat.
:
M e. B E A U D E L O U X ,
avoué licencié.
A R IO M , de l’imp. d e T H IB A U D , im prim. de la Cour im périale, et libraire,
rue des T aules, maison Landriot. — A oût 1812.
�
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Title
A name given to the resource
Factums Godemel
Relation
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/files/factum-remarquables/BCU_Factums_G0301_0007.jpg
Description
An account of the resource
<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
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Title
A name given to the resource
[Factum. Boyer-Dumont, Joséphine. 1812]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Allemand
Beaudeloux
Subject
The topic of the resource
séparation de biens
créances
biens dotaux
coutume d'Auvergne
époux dispendieux
huissiers
aliénation de dot
dot
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire pour dame Joséphine Boyer-Dumontcel, épouse séparée de biens du sieur Cisterne ; contre sieur Antoine Blatin, fils aîné, négociant à Clermont.
note manuscrite : « 10 août 1812 , 1ére chambre, arrêt confirme voir journal des audiences, 1812, p. 351. »
Table Godemel : obligation : 3. la femme séparée de biens peut-elle, sans autorisation, obliger son mobilier et ses revenus, quoique tous ses biens soient dotaux ? l’obligation est-elle valable si elle a été contractée pour l’acquit d’une dette du mari ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
de l'imprimerie de Thibaud (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1812
1808-1812
1799-1804 : Consulat
1804-1814 : 1er Empire
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
22 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G2129
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Saint-Bonnet-le-Chastel (63324)
Clermont-Ferrand (63113)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
Relation
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aliénation de dot
biens dotaux
coutume d'Auvergne
Créances
dot
époux dispendieux
huissiers
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