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. DE
ISE.NOY
..
COLLECTION FAM A
94
Rue d Alési a
PAR 1S
XIV '
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LA COLLECTION "FAMA"
Abonnement: France et Colonies:
Un an:
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94, Rue d'A lés ia, PAR IS (XIV ')
::"1111111111111111111111111111111111111111 111 11111111111111111111111111111 11111111111'
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'AV o11'JTU
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DE
CRISENOY
L'AVENTURE
ROMAN
SOCIÉTÉ D'ÉDITIONS
PUBLICATIONS ET INDUSTRIES ANNEXES
ANet LA MODE NATIONALE
114, Rue d'AIé.ia, 94 '-
PARIS (XIV')
��"
CHAPl1'l\E PREMIER
Le petil télégraphiste qui siITloLait
« La Mi:ldc-
Ion )), sur le troLloir du boulevard, n'nnit iPa$ ljl
moindre idée que le papier bleu qu'il portait pût
bouleverser une existence.
Parce .qu'il venait de lire sur la manchette d'un
quolidien l'inquiélude du pays devant le péril de
la guerre , li cltanlonnait « La Madelon »), en vertu
d'une ilssof'ialion d'idées où son père, combatlant
(le 1914, jouait un rôle évident.
A la hauteur de la rue NoLrc-Danlc-des-Champs,
s'a~IJr:l
d~
la Sil<l'rjfltiol1 (11/ pli,
lt' jeune gai'~()l
tourna à g,)Urhe, dépassa l'immelJllle des Darnes de
Sion cl s'c n::Wllffl'a dans une maison d'apparence
ilimple mais convenuble.
SOUt; la voCJte, il mi~
sa çhanson en !\ourdioe.
et ouvrit la porte de la loge.
~
M'Bie)! Foresli.er, s'il vous plaît P
- 1 roi sii'me n droite, lança III dame de c!).n~
de ee r.oin d'arrU:re,c/llsinc, 01) l'od ol'ilL le moins
smblil eût décelé qu'elle faisait (J. re venir i) un oi-
gnon.
�L'AVENTURE
Ayant jugé inutile de poser la question de l'es
de service, le télégrap,hi ste grimpa j~ sq u 'a u
trOISIème étage, avec le bel entrain de ses Jamber
de seize ans. 11 sonna.
jean-Claude lui-même vinL ouvrir, reçut de Se(
mains le message, et, préoccupé de so n contenu,
laissa repartir le jeune garçon qui dégrin go la l'escalier beaucoup plus prestement encore qu 'il ne "'If!?
nait .de le monter.
Le destinataire, impatient, déchirait, duran.t ce
temps, le poin till é du papier bleu et d échiffraIt le
télégramme à la lueur du filet de lumière qui lui
venait de la porte entrebâillée.
Jean-Claude était bien bâti : 1 m. 80 pour l ~
moins, \es épaules un peu hautes , la Ip oitrine largement étoffée; il n'aurait pas fait bon, sans doute,
le renconlrer au coin d'un bois si, au lieu d ~être
membre du barreau il avait fait partie de ces associations de brigand~
qui infestaient jadis les routes.
Après avoir lu le message, dans le clair-obscur
de l'antichambre , J ean-Claude revint à petits pas
da!ls le bureau. 11 s'a pprocha de sa tabl e de travail, y posa le tél égramme, et, appuyant ses deux
Ip aumes Sur le faux ébène J(Ûan-Claude tenait
de son père ce bureau de poirier noirci - il Teço~mena
sa lecture.
10ut .en s ~ penchant sur la dépêche, il passait
une mam vlgoureuse dans l'épais eur de ses cheveux.
C~ux-ei.
étaient blonds, mai s blondR à ·faire p,îlir
de jalousle .une stl\f de Hollywood 1 Et com me ses
yeux, ses. ClIs ct ses sourcils rappelaient la couleur
de. la nmselle, le contraste donnait i\ sa physiononue un aspect inattenrlu
Fichtre de fichtre '1 pensa Jean-Claude tout
haut, ~on
pauvre oncle 1 M'ahsenter en ce moment-CI, ça tombe mal, excessivement mal 1
cal~e
�L'AVENTunE
7
Il eut lffi regard à 'l a pendulette du bureau, puis
saisit un agenda minuscule qui trônait sur une
haute pile de dossiers.
II en tourna rapidement quelques feuillets, fronçant le sourcil, monologuant :
« Après tout, réfléchit-il, ]a chose n'est pas impossible ... Je pourrais prier Meslier de reporter ces
deux affaires et demander à Gérard de me remplacer après-demain. Je m'arrêterais à Bayeux... Ma
vieille maman serait con ten te... puis cet appel est
trop pressant ...
A mi-voix , Jean-Claude relut le télégramme
« l'rè, sO llffr;ll1t désire te voir immédiatement au
sujet dispositions testamentaires )).
« Mon pallvre oncle J )), soupira .Jean-Claude.
La déprche était signée Meslevent. Elle venait du
manoir normand, où Pierre de Meslevent, son oncle,
était, après fortune faile, venu passer le reste de
ses jours.
11 n 'y avait guère que quatre ans que Meslevent
avait ré in té gré la vieille demeure familiale. Parti
?n Algérie, aux environs de IÇlOO, où il s'était
Installé dan s la région accidentée de Miliana avec
Un capital médiocre. il avait trouvé moyen de réaliser une véritable petite fortune.
C'étnit l'époCjue où « l'administration )) vendait
« fi bureau ouvert. )) des lots de toute dimension ;
le prix de l'heGlare de terre fertile ct entièrement
cléfrieh(>e ne dépassait gu re 100 francs ; de plus,
]'administr·ation donnait de six il sept ans à l'acquéreur pour sc libérer ùe ~ a delle cl même lui
accordait certaines exonérations, lorsque le colon
avait, dans un laps de temp~
donné, su metlre son
terr;lÏn en valeur.
Bref , Pierre de Meslevent qui, jl~qu'
, alors
n'avait eoeore causé que dçs sOl1eis li ~a
famille, se
r~véla,
en AIgrrie, un travailleur acharné et judiCIeux. Durant cette lon gue absence, il ne revint
/
�L'AVENTURE
pas en France, et c'est â pei.ne si, dé loin en loin,
it y donna signe de vie .
En vertu de quelles obscures affinités s 'attacha-toi!
si vivement, si promptement, au nevcu qu'ii n'avait pas connu et qui, encore, n'était ,qu'à demi
son nevcu , Madame dc Meslevent, sa m ère, -s'étant
remariée alors qu'i! était IpeLit entan t.
.
Nul, cerles, n'aul",ait pu le dire, mais c'était un ,
fait que Jean-Claude avait senti, à maintes repri008, auLre chose, tout: autI:e chose qu'une oordialüé
de commande dans l accucll et la manière dJètre de
Pierre de Meslevent.
Célibalaire et ' sevré de toule affection familiale,
iPierre de l\leslevcnt, Sur le tard, éprouvait-il plus
de .de. ' ~a
âpremn,~
le,
vic affeclive ou un autre
-ordre d Idées mSpll'alt-ll sa oonduiLe il
Lors de son retour en France Pi erre de ~1es
levenL paraissait encore « costaud ». Gran d cl bien
pris - on était grand dans la famille des Meslevent tout comme chez les Forestier _ il avait rra'l'dé
b
l'allure Jeune.
Ses cheveux abonùants grisonnaien 1 fortemenl,
maïs sa sveltesse, 'Sa preslance, l'habilud e du
sport con lri hnaien.t à l~i
conserv:1' ce qtlelque chose
de dégagé .et de. VIf, glU Va d~
pair. av c~ la jClIlicsse.
C'est à peme SI: ~ a1e~('s,
Il allelgnal1 60 ans ,
Poul'<J1ioi. avait-Il qUitté". relativemellt j eune encore te COln de lerre frl'llllSé pal' ses soins P
Il 'eût semblé que le travail du Jla ssé , les réSllltats
du présent, ces vastes terrains cullivés, omhr.a gés
par les oJivîcl's, ccs co leaux: cnsolcill ,;s , r1al1h::S de
vignes pI'ospères, ic~
vcrgct'$ . Olt ~',levn
les
-orangers, les am.andic r s! les '?ILron n Icrs: l allratc.n t
attaché ail domalllc, lUI a~lrent
donne la pcnsée
d' Y fin i [' serei ncmen 1 ses Jours .. ,
Pourquoi P
Le cœnr de l'homme est partagé, cl , tout en
besognanl !ù-oas, peul-êtt·c n'était-cc p a ~ la splen-
'7
�L'AVENTURE
9
cleur des arbres fruitiers en fleurs que l'imagination du travailleur évoquait. Ce pouvait être œ
bout de oorre qui oeintul"ait le manoi.r, la falaise,
le senti.er rocailleux qui desoendait il. la grève,
celle grève où, tout enfant, Meste'V·enlt creusait des
tr:ous dans ~e s·:lIJl.e où, I?lus ltard, il posait des lignéS ell poussait hardimel'l.t Ea bar-qu e.
La bri se parfumée qui passait sur les orangers
en fleurs valait-elle pCJur Mesievent 'les rudes bourrasques de la côte, les sen leurs âpres des , -arechs ~ ..
Ou ce retour prématurB éta'Ït-ii dû il quelque drame plus intime et plus personnel encore ~
Le cœur de l'homme n'·est pas seulement partagé, ses passions 'Y font mûrir des fruits parfois inat.tendus et qui d 6ciden.t de ses actes ...
Saur â son neveu Forestier, Pierre de MesleveIlt,
en France, n'avait fait accueil à personne. li ava'it
vécu au manoir dans l'unique comragn1e de la
femme de charge ramenée avcc lui d'Algérie. Sa
demi- sœ ur, la mère de ,Jean-Claude, qui habilait à
Bayeux: , assez proche, par conséquent, de la proprié40-6 de l\1'eslcvent, c'est il peine s'il l'a~
-ait
en'lrevue.
11 vivai t il l\Tesleven 1., morose, taciturne, en r~mé
d ans un e sorle de monde intérieur, où nul n'avait
aecl:s ... ct, en moins {le dix-huit m o i~
Ioule son
apparente l'igucur s'était hl'lllalement effondrfle.
,Tean -C laude J'avait re t rouvé,
non plus ,vel te,
m·ai.s cl'LHle maigreur impressionnante, lion plus
hI\~6,
mais nmsi ja une q Il 'un indig(·nr. cl 'E.'" ri! meOncn!., ct alJallu, langui ssant ...
L'avocat s'.~ int
informé de la sanl~;
de son oncle.
C;el~i"?
avait répondn évasivement. J~an:Cl'Ude
6YOI~
mterrogé I ~mrna.
L!l vieille fille avaIt clé plus
p.rolJxc. Jean-Claude ava it S'Il par elle que {( MonSlC.lIl' » avait conslllté, qn'il s'é tail. , à pl1
s ieur~
Tepnses, fait co nduire ~I la vill e ,'oisiine, et même y
avait commencé un traitement.
�10
L'AVENTURE
A son avis, disait-elle, les choses allaient de
mal en pis.
Jean-Claude n'était pas médecin, mais ce teint
jaune, le mot radium Ip rononcé par la gouvernante J'avaient fâcheusement impressionné.
Au moral, son oncle lui semblait beaucoup plus
changé encore. Il regardait parfois son neveu comme s'il avait cu le désir d'e partager avec lui celte
vic profonde et secrète qu'il se réservait jalousement.
.Je~n-Claud
avait J'impression qu'il avait
quelque chose à dire, à lui dire, à lui, Jean-Claude;
maintes fois, il lui avait paru sur le point de se
laisser aller à lui faire quelque confidence ... confid'ence pénible, peut-être, car il avait toujours suffi
de ces menus incidents dont la vie de chaque jour
est faite pour arrêter sur les lèvres du causeur les
mots qui semblaient s'y presser.
Jean-Claude ~vnit
dtî reparti!'. Il n'avait reçu depuis que de lacon iques nouvelles.
- Je prendrai l'auto , déeid a- t-i!.
Un ouril'e effleura ses lèvres. JI pemait à sa maman qu'à J'aller ou au , retour il trouverait bien
le moyen d'aller embrasser à Bayeux.
Il pensai t à sa voiture .
.Jean-Claude adorai t rond uire. Travailleur acharné, ses {~I ueles c l ses affaires ne lui avaient pas laissé
le temps de sc blaser sur ses plaisirs.
pour rouler en pleine
Il ne sorta it pas sa ~oiture
campagne sa ns ressentir quelque chose de la joie
du néophyte.
L'avocat s'éta i! a~si.
Les id ées évoCJl1ées par le
papier hleu allaient du manoir normand n la maison de sa mèrr, des audiences prof'lles ct des dossiers, entassés à proximité, 1\ la chambre du malad e.
Soudain , pourlan l, il s 'arr::J cha à sa songerie,
compos·a le numéro de téléphone de !\f('slier. saisit
l'écouteur, engageant un premier pas dans la série
�L'AVENTURE
II
des démarches qu'il avait à accomplir afin de se
rend're au vœu exprimé !par le télégramme.
CHAPITRE II
Un ven t viol en t secouait les arbres ; les peupliers
ébranchés, plantés au-dessus des haies, s'inclinaient
comme dan s la main de quelque géant tortionnaire. La rafale fonçait au travers des routes, arra- .
chant les dernières feuilles, fouaillant l'averse, ridant l'eau . qui courait à même le sol en petites
rigoles éperdues . . .
Jean-Claud e ne décolérait pas. Pour une fois,
qu'en dehors des époques réglementaires, il avait
licence de conduire, la déveine de ce « sale temps »
lui apparaissait monstrueuse.
Sans lloute parce qu'il le désirait, il avait suppulé
le beau Lemp s, à tout le moins un Lemps sec et,
depuis le départ, il roulait dans un d éco r de tempête el d'inondation. Les prairies, les bois, les villages, déformés par l'eau qui ruisselait, n'avaient
plus ni consistance, ni contours, ct il devait ~Il bir
l'agaçunt vu-ct-vient d'un essnie'e-lace 111i ne pouvait suffire à ~a
tâche.
I! n'avait pu quitter Paris qu'au début de l'aprèsmidi , et comme il pleuvait dès le matin, il avait
eneore e péré que ce retard fficheux pcrmeltrait au
temps de se lever. Vain e.~poirl
1 A mesnrc que la
journée s'avancait l'ouragan redoublait de violence.
L'avocat , pr~s
s6
d'arriver, avait hrùl é l'l'tare à
demi escomptée il R:lyeux et, au carrefour des deux
roules, celle qui, dès Carentan, cou rt rejoindre la
�L' l\W1lNTURE
côte, et l'autre qui $'en fonoo dans les terres, à l'en-
,
contre de <ses habiLudes, il avalÎ.t choisi la seconlle.
Une roule en bordure de m.er, livrée aux violences .
du ven l, . ne lui avait rien dit qui vaille ; aussi
roulait-il à présent dans l a f.ameuse lande de Lessay, plus grise et [lI u s désolée derrière le rideau
·d es averses...
.
A u fond de cette morne grÎsaille, il aperçut tout
à coup l' éclair d'une petite lueur. Le jour baissait.
Il fallait êlre ù proximité pour découvrir que
cette lueur qui, peu à peu, trou ait l 'averse de son
petit œil fouge é1iucelant, n'était autre que le feu
nrrière d'une y.oilure. .
J,e an-Claude ra lentit. Proche .de l':;mlo" ceUe 'V01tlJre arrivai t npidemen t. · Il apeI"çut , tourbilJ onnaut
dan s Je ven t el œLenue d:ll:ul la pOl'H ère , une souple
écbarpe de couleur cla.ire.
.
Jean-Claude arrêLa sa voiLure. ' Il s'étonnait qu'une
Ivoiture stationnât là, au scin de h lande dérer LÎQ1)e. C'était Ù l'oil'éed 'un bois de pim , un de oes
boi.s
que depuis un demi-siècle on s'efforce d'acclimaler dan s la lande , Je feu de ro~in
de la
VOi,lure jelalL une faible lumiçre, mais son feu arri èrc élait vif, et puis jl y avait cclle écharpe qui,
soulevéc par l e vcnt, ~mhla
il
j eler vers le ciel
un appel désespéré,
L'avornl fil le lour de la voilllre. n comLa ta
qu' e lle iSlail sans conducteur. Il fil le gesle d'ou'Vrj , ~: un e de ses porti(:res. l'1 pensait que celle-ci
allail lui r ésistc!', mais elln s'ouvrit loute grande ,
.et .leon-Glnude avec dkoi c1écollw'il une Lr(>$ jeune
mIl.) à d em l-~mb
ée d
e'Va~t
la hal ~/c!e.
Ses genouX. ovai(H'i l gJi.2sé il terre, maii! 8011 hmle, lc
haut. d e~
épaules s'appuyaienL .a u sipf!e avant.
IP:"IS de frayc ur, craignant un crime, il se ~)cn
chaIL vers l'in C'onl1\lC, lorsq uc celle-ri fit un mouVem
e ~l .. : En même tem pe , Jean -Claude, <lui n~
gnrd:iJt Inlensément le •]'cune
visu brre , vil s'ouvrir
.
�L'AVE:'iTURE
13
deux grands yeux, gris, qui ' se l'efermèrent aussiIOL ,
J'aimer·ais mieux clormir encore , prononça la
jeune perSOI IIl C. Pourquoi OUV1' CZ - YOUS la fenêtl'e P,
Il fait un froid de canard !
Elle ~e
pelolo nna sur elle-même , s'eff<:>1'çanL de
s' abrit er ( ~ e la pluie qui, se' faufilant par la portière, la C'Ïngl ail de la nuque a ux j ambe ....
- Avo uer. que ceLte pluie est odieuse, continua
la j eune incolln ue . Elle n'a pas cessé un in stant.
- VO LIS ê tes hlessée ~ demanda Jean -Cla ude, lui
POsa n l la main sur l 'éptlUla.
Ble, ée J l]j(-elle. Quelle drôle d'irl l>e !
Elle ~o1l'
iL . OllHil les yeux, muis celte fois, sa
physionom ie changea.
Cc fill ~lIiJ
( , mais si violent , si rapide, si appar~nl,
que .Ican-Claude eu t le 5('0;i l,1CIII q u 'elle l'eVIvait ll\l il li rOllp qnelque set'ne de terreur.
- Lai"s('r.-nloi, dil-elle, ia voi .\. rallqll! '.
EJ1c fil IlD errort violenL , :;'efforçant de se r elever
el. retomba sur elle-même .
en se ponehant, viL ~uc
,Ci', ('hevilles
. ~' avu('l,
C la .~nl
li6e~,
1'1'IelillOS ellsemble par IITir corr]".
Lai'~ez-l1n
faire, reprit-il, ne IJouge::< pas.
Ii :SOi'l il un contcnu ùe Sil poche cl COllj1a adroitem ent les li ens .
Ail lJiOllll'nl 011 il ouvrit on {,ot~le;>
lI,
les yeux
de la ,;eune in connue rell étl'J'cll l Ulle nouyell e lerl'Cllr , (' cpL' nclanl elle sc lai'sa f:lÎre.
POll \'CZ-\'O ItS remue!' ~
dlJll1anda-L-il, une fois.
la conll! ('() 'Ipc"e.
, je pense.
- . ~Ili
T! 1 aida i\ "c remettre dehout et. il s 'asseoir sur
la hflllqllcllC .
1;l<Iil fi nie terribl em ent, l'nais d:lns ce visage
. ~lJc
ll,Ylde, 1", g'J'ancls ye ux g ris reslaieJit s in gu li èrement
\t :lnls.
Taudis qll' il .l'obscrVait, allf'Jldant l,o ur lui parler
�14
L'AvENTURE
qu'elle fût un peu .reI?ise, il aperçut, traînant à
terre, une sorte de Chiff?n.
Il le ramassa, le remUa, grommela quelques
mots inintelligibles ...
_ Qu 'es t-ce que c'est P questionna la jeune fille
ui suivait tous ses mouvements.
q - Pfeuh 1... Du chlorure d'éthyle, je pense ...
Vous dormiez P
•
. -- Oui, je crois, c'est-à-dire que depuis quelques
instants je repnai~
pe~
à peu conscience.
- Ce chiffon avait ghssé.
- J'ai dû me déba llre. J'avais l'impress i.o n de
ne pas pou voir remuer.
- Ce sont ces liens, dit Jean-Claude, désignant
la corde qu'il avait tranchée.
- Oui, sans doute ... et puis, cette drogue. Je devais être abrutie ...
Un sourire illumina tout à cou:p sa jeune physionomie. Ses y~ux
brill èrent, comme frappés par
un rayon de ~o l el.
D.n peu de l'ose Lein ta ses joues.
- Vous m avez fall peur , avoua-l-elle, une peur
atroce ! N'est-ce pas la preuve que j'étais comme
abrulie.
- Chut ! dit Jean-Claude, ne parlez pas. Vous
n'êles pas de force encore à prononcer un discours.
- Un discours ! Je n'y songe pas, répartit-elle
avec gaieté.
.
.
- Attendez 1 dIt le Jeune homme.
Il cournt à sa voilure ct en sortit un h,1vre-sac
qu'il avait eu so in en parlant de garnir de sandl\viches ct de café chaud.
Il dévissa raridemcnt la pelite timhale du thermos, trouva, dans le hâvI'c-sac, une serv iette roulée, un peu de sucre enveloppé cl porta le tout à
l'aulo.
La jeune fille s'était redressée . Elle avait ~a i i
son saè, trouvé .son pelit peigne de Jloche cl le pas-
�L ' AYEl'\TUIlE
15
sait avec énergie dans sa chevelure châtain.
- T'enez, dit-il, en étalant ].a serviette sur ses
genoux, voici qui va vous remetlre : un sandwich,
une tasse de café ... Dommage que je n'aie pas de
« gnole » 1 Vous seriez plus vivement d'aplomb 1
- De la gnole ? Que voulez-vous dire ?
- De l'alcool.. De l'eau-de-vie ...
- Ah ! bon, dit-elle, je n'en u se pas.
Un sourire malicieux releva les coins de sa bouche.
- Une fois n'est pas coutume.
Elle fil un signe d'assen timent, un signe seulelllent, car elle mordait à belles dents dans le sandwich de Jean-Claudq.
- J'ai faim, dit-elle. R<:ellemenl, je ne m'en
doutais pas. C'est bien vrai que les émotions creusent 1
Jean-Claude ne r épon dit pas. Il l'observai t, Irapp6 de son air d'extrême jeunesse, de l' étonnante
rnobililé d'e son visage expressif, du calme donl
elle témoig nait après l'odieuse agression.
- Comment êtes-vous se ule sur les roules P interrogea-t-i! brusquement.
Elle eut encore un sourire, mais qui, aussitôt,
s'effaça.
- Cc n'est rien, répondit-elle, que d'être seule
SUr les rOll tes. "
Elle n'a ellf'va pas. Un petit hausse ment d'6paules acrenlllfl , cc quelque chose de désabusé ct d'l1lner
t presse n tir ces mots.
que fli ~aien
Elle fai sait nlill ion ans doute li une solitude plus
profonde que la sol itude matérielle.
- Vous ne nierez pourtant pus, reprit-il, un peu
aga':é, r(ll'il n 'y ait quelfJlle in co nvénicnt ,\ , ,, us
promener seule sur les roules... P
'~out
d'ahord, elle ne répondit pas. on visage
avulL revêt u IlDe expression un l'Cil omhre. Les yeux
bais~,
elle regardait vaguement à lClTe, comme
�16
L'AVENTURE
emporlée dans sa songerie. Ses yeux gris étaient
prolégés par de longs cils presq ue noirs et ses sourcils, foncés aussi, dessinaient un arc pur.
EUe portait un long manteau d'homespure mélangé de noir cl de blanc, un col de linon blanc,
dans l'enlrcbaîllement du manteau, meUait une note
claire ur la robe de couleur foncée .
- Des inconvén ients .. , reprit-elle, sortant peu à
peu de son rêve, oui, j'ai cu peur ...
Que s'esl-il passé P interrogea enfin JeanClaude.
Elle réUéchit.
C'e~l
curieux, expliqua-l-elle, il y a comme
un nuage dans ma tête... des choses que je ne
compl'l' uds pas... Le soporifique, peu l- A'lre, mais"
allenùez ! Je me soudens. M'y voi{'i. Vous Ravez
quel affrel x temps il a fait ccL après-midi P
L'avocat inclina la tête.
- Je roulais vite, pour en finir avec rel odieux
trajet. Je n'aime ipas l'auto sous la pluie. J"ai
apel'f:u slIr la l'OlJle une voiLurc aulomobile, placée
pre ' que ùalls le travers. on conducteur fourrageait
dans son ('offre ?t outils.
C( L 'u ulo (;Iait si mal placée qu e j'avois r1ù ralent~r.
,1 'n i pensé qu'une panne subite J'avait immobilIsé., alors fJu'elle fai~,t
drmi-lbnl' ... J'allais demand er an. l'ondllrtellr de ran g '1' lin [leu sa « g llimbarde ». C'I~lai
une vieille machine : rnno"8erie
tout f\rail1(\c, forlllC anlt;ùiluvienne, quand le bOHho!nm e est vellll à moi : il porlail ÙlI lrrnrlt-coal
belge, Ilne' casquelte enfoncée presC"fllC' jllsC"fll'aux
yC~l.X
, ~TlC
h,élrbr vieille de r ltls de huil jour~.
Il n'y
av.ul 11 C'11, la poul'tan t fJui pM mol i ~Cl'
la défiance.
« Il ln fi horùa forl polimen l.
(C , l\i~cmoeJ
me dil-il, VOliS me rendriez
un fi?!" se rVice, si vous pOln icz me prrLer un cric ...
Je SUIS crevé, el voilà que j'ai ouhJi; cel outil.
�L'AVENTURE
«(
J~
n'avais aucune raison Ip our lui refuser ce
service.
« Il s'élait rapproché de moi. Comme il metlail la
main il la porlière, j'ai pensé que c'était pour me
facililer le passage, pu isqu' il me fallait descendre .
« Ah 1 bien oui, voilà ce ruslre qui me saisit à
bras le corps. Je me débats, mais, tout de suite, il
me met sous le nez ce chiffon que vous avez lrouvé.
Je me som iens d'une sensation de suffocation forl
pfnil.Jle. J'ai voulu crier. Je n.e sais pas si j'ai crié.
Je sais que je me su is débattue, mais, ensuile, je
ne me so uvi r ns plus. »
Tan (lis qu 'e lle décrivait la scène, les oouleurs
réapparues ~ ur
les joues de la jeune fille s'effacèrent gra du el lement. En terminant, elle s'écria :
- \lai ,. dam quel but cetle vilenie il A·l-il toucM LI f{uclque chose il
- Qur Iran parliez-vous P dit Jean-Claude.
- Oh 1 rien du lout 1. C'esl-à-dire, de J'épicerie ... à moills flu e ... s'il vous t)laîl , à présent flUe
je suis forle, je vais descendre regarèler, oh 1 atlend ez 1
Le yeux de la j eune inoonnue se fixèren t tau l ;\
eoup alcc une expression anxieu se sur le planchl'r
du siège avanl, juste à côl6 de la plaœ r éservée
au COudllcle llr .
. - Elle (!Iai t ici, dit-elle, il présent je me souVIens. Dilc~,
Monsieur, regardez vite si elle n'est
pas il l'arrj('re il
- Quo i donc ? s' informa Jean-Cla1Jde.
~r
! lJne loule pelil!'} mallelte marron.
- ' la vali
Jean -Claude alla il j'nrrière.
- Jc ne vois rien, d6clara-t-il, qui ressemble i\
cc qlll' VOIlS dile~.
- JI' (lc~'nr,
('J'in la jeune fille.
Jean-Cl aude revint vers elle el il J'aida i\ de~
cenclre . Elle t,'rm hlai L cn{'ore nervensemcn l. Une
hou rI!' fIni s'él;d l détachée lui lQm Jai l jusq u'à 1'(;-
�L'AVENTURE
pallIe. Son visage pâle s'encadrait entre les pointes
~1l
co l relevé de son manteau.
10ut en s'appuyant des deux mains sur le bras
~alJc
he
de Jean-Claude, elle passa la têle à l'intérieur dc la voiture, dont la portière était demeurée
~n
de
ouverle.
- TouL v es L murmura-L-alle : le vin et l'huile;
b: sac n 'a 'pa s ciLé touché. Void les bougies et les
;pGiles ... le savon est dans ce paquet.
- Vous voyagez pour J'épicerie P s'informa Jean!:lande en sourianl.
JI voulait plai
~a nter,
mais elle ne l'enLendit pas.
Elle venai L de pou ser un cri. ..
- Oh ! . ma valise, la ,:oilà, derrière Je paquet
r!~t
sa von. Elle cst vide, aJouta-t-elle peu après .
Jean-Claude perçut la détresse que sa voix sou-
d'ûn
e~primal.
- Vide il dit-il.
- Voyez 1
Elle Lenait Loule grande ouverte lIn e malleHe
::i.:ltllusc ule, cL .Jlea n-Claude eut l'intuition fJu'e1 le
':]ifOuvait une peine cuisanle.
- Vous -1ran sporliez des valeurs, des bij oux il
- Non, dit -oll e, cc n'est pas
c n'cst pas la
}?'t'rtc mal ;riellc ...
ça,
-- VOliS porlerc7. Iplainlc, dil-il après un in slant
w, silence.
-
•
Ccrlainemenl pa s, r épliqua -t-elle sèclJCm ent.
Je n'aim e pa que l'on s'occupe de moi, <lj011-
Dl
···.l-clJ(', p e ll nJlI'Ps.
-
-
te
-
?Wr
,On
~te
.:rAt~l
den
Vou s r éllécllirez, dit Jean-Cla1Jde ;; im p,lement.
C'('sl cela, j e r(' l1éehirai , reprit-c1t e.
mnllci ux sour ire réapparut SUl' ses U1\(·P8 .
V,ou~
m.' av·z demandé, dit-elle, si j e vo" ageais
1 t'plcene P...
.
cÎll dil qu'elle voula it con idrrer cl s urLout
rons ic! {o rer J'incident de la valise {'omme un
l négl igeabJe.
�L'AVENT URE
19
- Ce n'est pas tout à fait cela. Je rapport ais ces
produit s au château de Manner viJl e. Il va falloir
que je reparte . II fa it toul à ftait nuil mainte nant... Dites-m o i \ olre nom, cepend ant P
- Mon nom ? Jean-C laude Foresti er, nationa lit6
françai se, âge : 27 ans ; profess ion : avocat à la
Cour d'appel . A vous mainte nant P termina -loi!.
Il crut perce voir ulle légè re hésitati on :
- Mon nom : Isabelle Lormie r ; âge, 22 ans.
Il sursaut a :
22 ans 1 C'est impo sihJe 1
Elle prit fort mal J' exc lalu alion
Pourqu oi cela impos sib!e il questio nna-t-e lle
sèchem ent.
- Parç e que vous porlez seize ans.
Elle haus a neltem enl les épaules .
- Vous êtes absllJ'(le 1 A cize ans, j\l ne conduirais pas ce tte voilure . Je VOIl dis que j'ai 22
an s. C'est donc qu e j'ai 22 an .
11 cul envie de kt taquine r sur la logique du raiSonnern en t, mais devant son ai l' contrar ié, il demeura s ur ln ['(lse['VC.
Excusez-l1loi, reprit-i l i: lI plemen l. Vous en
élir7. : ] ilh Ill' Larmie r, 22 fins . ..
- Demoi elle de compag n ie a u châ teau de Man~ qucrie.
nerville , ach cvn -l-c\\e tlvec IJr\l
li fut S il!' Ir point de s'esrlaffcr : demois clle de
compag nie ! Cel·a lui allait pIns m al que les 22
ans aocusés.
- Vou s (\tes loin de ... {'O J1lmenl disiez-v ous P...
Mannel 'vi Il e ~
Non tlil-plle, 11 six kilomèt rcfl 1t TH'Îne. Vous
Voyez cc hOIl'1IIC I eJ'arhrp- c 9 .J e 10llfn e à droite, le
dans la vallée.
ehllleau e~t
vous acC'omragner 1
- Lai ~R('z-l1)i
- Vraime nt non ! C'(,8l inillile 1
- Vous dc"cz f'lre encore émue P
�20
L'AVBNT URE
Elle se retourn a viveme n l el ses yeux> gris plon gèrenL duns ,les yeu% de Jean-C laude.
A'i-je l'air d'a oir peur il dit-elle .
Et, cep entl::mL , ma lgré olle, les coins de ses lèvI1es
trem blaient.
- Peur il non, dit-il, mais·...
-- Avouez, <.:oupa-t-ello vivem enl , qu'une seconde
agressi on ruinera it. tous les ·c alculs basés sur les
proha Il i 1i tés.
- Je n 'c n disconv ien s nullem ent et veux simplement 'OIiS dire que je res te à votre di' posilion . Si
,ous ayirz heso in de quelqu 'un pO il !' témoig ner ,
vous n':llll'ie;-; qu'à ,m'écri re un mol .
Il llii donna une c:arle qu' cli c cnfel' ma soigncu m ellt dan~
une des pochclt es de so n ac.
- ,le ml' demand e, (lil-elle, l'aplwlé c l'omme mal gré ellf), /111 ~o uv e IJil'
de ~O I\ :1\<,nl II I'O, <:e qu'il espérait lrollver .. . ~10n
voleur sem vol6, l'oncl uL-elle
avec drôlerie .
« AdOlIS,
fon ieur, je vou s dis adieu.
Ali revoir, recLifia- l-i!.
1 l'p\oi ,' . Oll i, pe ul -r ire.
Elle élai l remont ée duns l'allio ct elle avait posé
le pied SlI r le délllal'J'cl Jr de la voilure .
Jean.Cl alldl' la "il qui embra. ail ... La voilure démarra <;a ,~
heurl. A une rinqll<lnlninc de mètres,
~on
hr,' p:ls~a
dans l'ouver ture dp la gl:Jre. Elle
fil un ,'igne d 'a tliclI , pais Lout di~pal'u
dans la
nu il.
- l~!e
' sI bl'u l'C, sc dit Jean-C laude, en remonLallt UUII5 sa voilure .
�...
L ' AVENTURE
21
CHAPITRE In .
Lorsqae r'auto de Jean-Claude enfila l'avenue d lu
manoir , il éprouva un soulagement.
Ni la pluie, ni ila rafale n'avaielil.t encore désarmé,
et la nuit, tout à fait tombée, augmentait de ses
liénûbres l'impression de désolation que cet affreux
temps dégageait.
Jean-C laude n'avait pas l'habitud'e Qe conduire
dans la nuit;. Ses phares, cependanif, pui.ssants,
éclairaient à chaque i.nstant des plis de Lerrain, des
tnlllS, des murs, des rideaux d'arbres , qu'il n'identifiait pas sur-Je-champ.
lil ,p arvin t à reconnaître les delix bornes du début
de l'avenue, les petils murs de pierres sèches qui
l'escorlJaienl tONt dllL ~(j)ng
d'epuis que les hêtres,
de plus en plus clairsemés, ne suffisai.ent plus à en
marquer les limiles.
A quelques IrI(>lres de la demeure , à quelques mètres 's eulement., il aperçut un peu de lumikre, mais
il ne put en repéJ'er l'emplacement.
il ne s 'y a tütnla pas. n dirigea la voiture vers,
la grange où il remisait. Le$ portes en étaient grandes ouvertes.
Sautant à Las d'e l'aulo, il se hûLa ver! le manoir. iPersonne [Je venait à Jili. JI. ne pouvait s'en
étonne!'. Les hruils du vent ct de la mer devaient
couvl'ir le ronronnement de son molellr. Il ·e onnais~t
d'nilcur
~ les aÎlrf's. Ji! se dirigea 40uL droit
Vers la porle ·de la façade, lenla de l'ouvrir sans
su,eeès ; finalement, il heurta le marteau qui annonçait les visiteurs.
Bi.en qu'il eût pris lu précaution de le manier
d'une main molle, ses r,ésoJUnances Je surprirent .
la porte, d'ailleurs , s'ouvrit presque imédate~
�22
L'AVENTURE
ment, et Emma, la gouvernante de M. de Meslevent, encad.ra son épaisse silhouette d'ans la lumière qui, lout à coup , éclaira le vestibule.
Vêtue de noir de la tête aux pieds, le chignon enveloppé dans une sorte de foulard , Emma était petite ct houloUe. Sa laille exiguë a·ccenLuait son em bon.poin t, mais Jean-Claude avail souven t constaté
que celui-ci ne nuisait pas à son activité.
Née en Provence, émigrée, Dieu sail pourquoi, en
J\lgérie, Emma avaiL conservé, de son pays natal,
non seulement sa coiffure, mais un très léger cc assent ».
Elle reçut Jean-Claude avec empressement :
- Il ne va pas plus mal, dit-elle, en réponse
à son regard. Si vous saviez comme il est anxieux
de vous voir !
L'avocat posa sa valise sur Je dallage du vestibule.
- Laissez-la ici, dit Emma. On la monlera.
Elle ,p ril des
' ins de Jean-Claude Je pardessus
qu'il relirait.
- Vous mon lez le voir P demanda-t-elle.
Qui. le soigne il questionna Jean-Claude, en
gravissant l'escalier.
Emma, qui le précédnit, sc retourna comme si
une In011ehe l'avait piquée.
- lIé hé 1 dit-elle, qui voudriez-vous qui le soigne P Le pôvre Monsieur ne veut que moi.
Elle lir"ail, évidemment, vanité de celle préférence. Jean-Claude ne pouvait pas lui en vouloir.
- lIé ! Monsieur, dit-elle en enlrnnt. Le voilà,
votre neveu ! Je vous disais bien que nous le verrions aujourd 'hui.
Pierre de Meslevent n'rIait pas nlité.
Sa chambre rI ait si faihlement rclairée que JeanClaude cul fTuelqlle peine n repérer son fauteuil.
- La ]umi i'J'e lui fait ma] ! souffla Emma à l'avocat.
�L'AVENTURE
En dépit du manque d'éclairage, l'avocat eu.,
s'approchant, une péni!>le impression : le vieillard,
naguère si robuste, n'était plus que l'ombre de luimême : une de ses mains, posée sur le bras du fauteuil marquait d'une façon navrante l'état de dép&.r issemenl. où l'avait réduit le mal.
Il parut heureux de voir Jean-Glaude, et lui tendit sa mai n os~el
e, lout en prononçan t quelque6
mots entrecoupés.
Il voulul même se redres.sel' et Emma, qui le surveillait, lui vin t en aide opportunémen t.
- Ecoute, dit-il, une fois remis de cet effort, ce
soir je ne vaux plus rien. Demain malin, oui, demain, je serai mieux, tu viendras après ma piqûre.
« Après cetle piqûre , dit-il en souriant douloureusement, j'ai une bonne demi-heme, parfois même davantage. Nous en profiterons tous les deux ..•.
Va, mort garçon... Ce soir, je suis épuisé. Emma, '
soignez-le bien surtout ! Tu es venu en aulo P Un
affreux temps ...
Piene de Meslevent se laissa retomber SUl' son.
fauteuil, ferma les yeux. Jean-Claude comprit qu'il
n'av ail qU'li se relirer.
C'est à peine si, dans la pénombre, ses yeux,
POurlant mieux habitués, distinguaient la place des
meubles.
- J e couche il côté, dit Elllma. JOli!' ct nnit. je
suis prc's de lui. Se~
piqûres, c'est moi qui les fais.
Jean-C,lallrl e aurait cl CI l:ll'C' r econ na is"an L.
n' ;prOllva que J'agarement de celle pllérile vanité.
- "IOllSÎI'IJJ' va prendre quC'lqne cho~e,
continuait
la femm!' de chaJ'ge. C'est prêt dnns la salle à manger .
.Tcfln-Clalll]e ~e rendil dans la pif'ce. 11 jelait un.
l'egflro di~lr'a
s1Ir J'armoire norrrnande, le haut
dressoir, le bahut, lous meubles aux vasles dimen..
m
�L'M/'ENI'UnE
sions, sur le couvert étincelant po~é
sur une petite
na,ppe.
A présent qu'il n'étail Iplus .talonné p ur la hâte
d'arriver, l'obLigalion de repérer la bonne l'Oute dans
le crépuscule brouillé d'eau, la pensée de son aventure lui reven.ait à la mémoire.
Lui aussi sc demandait le but de ce lâche atlentat.
Il lui semblait que le bandit capable d'un pareil
forfait ne pouvait êlre un novice.
Il revoyait la jeu ne fille , son regard franc, ce je
ne sais quoi dans l'altitude qlli, en dépit de l'abandon que les circonsLances molivaient, indiquait une
grande réserve. Quelques ,rétice.nces poui'lant, une
tristesse, lrop vite dissimulée, un momen t d ',hésitation, voilaient d'une ombre légère ses ~ e lX
clairs,
sa physionomie. Vingt-deux. ans 1 Je parierais la
forte somme qu'elle n'a pas plus de dix-huil ans J
se surpr'iL-il à penser . Et il sourit, sc souvenant de
son air offu squé, alors qu'il s'était peIluis de douter du renseignement.
« El le a un charme , pensa-l-il, qui n l~ tienJ pas
uniquemen t à la joliesse de ses lralls ; courageuse,
œrl..ainemenl, madS d'un courage sans forfanterie,
un courage que ~on
apparen ce frêle, ~a
grâce renden l presque saisissant.
Emma entra, inlerrompant ses r € fl e\.io
J1~.
Elle
porta it une soupièro fumante : « Là, (fi l-elle, cela
fera du bien lt Monsieur. Une bonne ~o \l pe chaude,
rien de lel pour vous remeltre d'aplomb ! C'est une
soupe nOl'nHWÙe, prévin l-clle. Cc p a il ~ r e \Ionsieur
l'aima.i.l tant 1 Commenl \Io nsirlll' Je II'Ollvc-t-il ~
Jean -Claude dut .avouer la pénible impression ressentie.
- Demain, dil- .il, au jour, je me r endrai st'kement mieux romple.
La femme .de d .Hl.rge secoua la tête :
- Au jour , dil-elle, c'est rire enCOI'L la peau
�L'AVENTURE
colle à ses pauvres os, et il es! jaune
D'ailleurs,
MOllsieur verra.
- Que dit le médecin ~ demanda Jean-Claude.
La femme de charge fit un geste évasif :
- Le médecin 1 11 ne le voit que de loin en loin.
n paraiL que pOUl' son mal il. n'est pas besoin de
médecin... Monsieur comprend il ajouta-t- ell e.
Hé oui 1 Jean-Claude comprenait que le médecin
ne multipliait pas ses visites auprès d'un malade
condamné.
Happelé à la douloureuse réalilé, l'avoc at ex.pédia
rapidemenl son repas. Ses pensées tournaient il présent dans le cercle dont le malade était le centre.
Il ne saisissai t pas dairement quel genre de consultatîon son oncle désirait de lui. Sa dépêche était
laconique .
.Iean-Glaude ne lui connaissa it pas d'autre héritier
que lui-même, mai s sa profession était de celles qui
;préparent à toutes les surpr ises . La penstc d'un
hi-Titage, qu'il estimait important, lui venait tout
naturellement à l'esprit, ct il eût élé sot de prétendre que celte pensée le 'laissa it inùifférent.
11 avait toutefois assez de délicatesse pom refuser
de s'y arrêler et de supputer l'avenir, assez ùe phiJo'o phie au si pOUl' ne pas prendre au tragique une
dé-rcption quelle qu'elle ((H.
•
Ql land Jea n-Claude regagna sa ehnmbre, il se mit
au lit rapidement. n croyaiL qu'il s'enoorrnirai.t
8an3 peine, mai ses prévisions furenl déjoures.
'Elail-ce la rencontre de l 'après-midi F ou l'émotion provoquée pur lu vue de son parenl il T'an lot ,
i1 J'evivait la scène de la lande de Lc.ssny, tantôt, il
se revoyait dans la -chaml)rc du malad e.
Vo)'ant que le sommeil le fllyait, il sc reprocha
de n'avoir pélS pris de livre. Celte idée peu ~ pcn se
précisa, s'amplifia. A la fin, il se releva , d(~['ié
d
chercl)cr qnelque ouvrage dans la ],ibliQlhrqlle.
Celle-ci, comme la saHe à mangcr, ouvrail sur .le
�L'AVENTURE
vestibule. Jean-Claude descendit sans lumièr.!c', et
. s' appliquan t à étouffer le bruit de ses pas.
Au piedl de l'escalier, toutefois, il Iut surpris
d'a,percevoir un rais lumineux sous la porte de la
cuisine. 1a cuisine ouvrait à l'arrière, en face de ;a
bibliothèque. Il pensa que l'allumage avait été oubli6 et il allait ouvrir la porte, lorsqu'une voix
d'homme inconnue s'éleva dans le silence.
L'homme maugréait; et sans doute le mécontentement lui avait fait élever la voix.
- De quoi te plains-tu il disait-il. L'affaire est
faite, et bien faite ...
Celte voix fut vite coupée par une imploration
haletante. On lui enjoignait d'e se taire, et JeanClaude, celte fois, reconnut la voix de la femme
de charge.
Il se r elira, désagréablement impressi0!1flo.!!,. et,
renonçant à entrer dans la bibliothèque, il remonLa immédiatement chez lui. Il ne trouva Je sommeil
qu'à l 'aube. Cette voix hargneuse, ·cetle conversation noclurne et les mols mêmes emp loyés étaient
souver.ainement déplaisants.
'
CHAPITRE IV
Après un dernier regard sur son malheureux parent, Jean-Claude sor tit précipitamment de la chambre.
Il appela la femme de charge, mais celle-ci lui
r épondit dc l'intérieur mêmc de la chambre. TI
rouvrit la porte de celle-ci. Emma déjà s'empress~ it
ct lui sc rendit comp te q1l'il avait oubli6 le
remcignement soufflé la veille, à savoir que la femIlle de charge s'éta i t in stallée dans nne chamhre
contiguë. Comme il cherchait. des yeux la porte,
�L'AVENTURE
aperçut, non Ip as une porte, mais une tenture. Ce
détail l'agaça. Emma avait pu tout entendre de
leur conversation .
. Affairée auprès du malade qui venait de défailhr, elle lui faisait respirer quelques gouttes d'éther
et semblait ne songer qu'à lui. Elle marmotta cependant, lorsque Jean-Claude s'approcha :
- C'était trop long pour lui, le pauvre 1 Je me
Iaisais du mauvais sang 1 Vingt fois j'ai failli
entrer 1 J'aurais bien fait, ajouta-t-elle.
Jean- Claude ne prit ,p as garde au reproche ; il
demeurait immobile, anxieux de voir les yeux de
Son oncle se rouvrir.
Celui-ci enfin soupira. Jean-Claude voulut alors
Sortir, mais le malade l'aperçut:
- T'u es là, n'est-ce pas, mon petit P Merci, JeanClaud'e. A 'ce prix , je partirai tranquille ; mais tu
peux me croire, Jean-Claude.. . Jamais aubant
qu'aujourd 'hui, je n'ai voulu ton bonheur.
L'.avoca t n'en enlendit pas davantage. Il ouvrit
la porLe et sor tit. Dans l'escalier, il respira large• ment. Il lui semblait qu'il venait de vivre un mauVais rêve : l'acharnement de son oncle à obtenir
~ne
promesse que lui ne pouvait pas donner - et
l~ n e l'avait pas donnée - déjouait toule préviSion. Il :luI'ait voulu perl er qu 'il 'agi. ait lù tl 'Url.
caprice de malade, mais il avait dt! se convaincre
<J'le Son oncle, de longue date, avait ml1ri ce proJet. .Jama is il ne s'é taH montré si chaleureux ct
éloquent.
Pierre de Mcslevenl aurait pu le déshériter, aller
même ';11 fin ';) lui faire réd iger l'acte le Mshéritanl,
Une telle manière de faire l'aurait moins scandalisé
que ce projet d'avenir élahoré sans son aveu, celte
ass11rance fcintc ou réelle d'obtenir celui-ci, le prix
enfin qlle so n oncle y avait ouvertement allaché.
Machinalemen t,l'avocat se didgea vers la bibliothèque. Dans le vestibule, la conversation de la
�1
28
L'AVENTUUE
nuit lui revint à ln mémoire, mai le soud dH moment dominait tout aulre souci.
Il en lra. La pièce élaiL spacieuse eL lal'!Je j une
bibliolhèque ù trois corps, oCharg~c
de li\'((' aux reliures fau ves, o 0C upait ln partie cen Ira le. De rayonnages couraient toul aulour de l'appartem ent.
Pierre de '\~clevnt
pl'étenilail (l'oi,' ioujollt's regreLté que sa vie acl ive ne 1ui lai. ;iL pas le temps
de J'éLude. Dès son retour dan, le vieux domaine,
alors qu'il sc monlraiL si par 'imonieux. pOLIr lout
ordre de dépen se, il avait amplifir, mocle'mi,(:. complété le fond s de biloth~que
que pos~'dait
le manoir.
Jean-Claude adoraiL les livre. Il aimail cetle pièce aux mms élevés, l'intimilé dll ra~ ·s ~ze
sm 1'\fuel Ollv,·airnl sc. fcnÎ'tre: cl qui l'(fo~ai
le8 yeux
~ il n' (' lIl pa~,
cc
des hOl'izom de fa façade ; mai
~ ni le perspecmalin-I;l, lin rcgal:d pour les livre
tlve d1l jardin. 1,1 allait ct venai1 nt'I'\('II e rnenl
d'un bOIlL à l'antre de la pièce.
r.e~
prétentiolls de f;on onrle, IcI' mol <; (Pl 'il avait
emr1oyh, ce ton qui o 'c illait ~an
(,l'~H
de l'OI'ch'c
11 la ~urpl
ira1 ion , lu cr rI i tude ~lIrOt
fl1le Pierre
dl) :\Ic'il,>venl affichail que 5CS d,:,i!" srraiel\l obéis,
tout cela, .lean·Clallde n'es!\l'\ynil pn' ci e ~'en
sOllvenir. ft n'oublierait Jla~
de ~ilcî
la ""'.IIf' Il l'i) avaH
'uhic ... TOlll en allant. cL '('Hill', il H'pfforcail de
comprendre, comprendr' C()I)1Illf'1I1 \f(,~I·pnî
avnit
pu~'imng-lcr
fln'il oOl"{Odcrait ;r S' r1l'fIlII11l11'. se 1'\.
m(wiTll'r :\ ce poinL qu 'i l Illi rn ait. 1'1\1"1,\ 1''(ar'll'rneut
con~TI(,
s j ~on
neveu lili ::\vait dit ~Ol
con enll'rnr nL
«( \1011 honhclIl" 1 rlamail l'avOl'al cn Ili-J~me.
if{> ! je nl'en dlargc: de mon l l~1'
\lr
l '\111 he~ol
qu'il y melle la malfi, unc [\]11111 ~1Il" IOlJ
~ i pesan.
te 1 ))
L'il1ritnlion qu'il rc ~se l1ai
)1(' I('nail
pa, lInlfJ"llemenl il la d mande ~algfcnr
Iflli venaiL de Ini être
{aile.
�L'AVENTURE
Ainsi coacenlré sur lui-même, l'avocat s'allalySIUlS scrupule mais aussi sans indulgcn.cc .
. Il n'élait IpliS désintéressé jusqu 'à fairc fi d'un
héritage uonl il vennit d'apprendre le chiffre considérable ct de penser que celui-ci tenait, pour lui
eL ... 1>9 u l" clic - ce qui élait plus çlé~agr\c
en c?re - il <:eLle absurde condilion, le mel,lait lJosillVcmClll hol" de Jui.
snit
. Uh ! ~alS
donle, Sl~n
oncle avait sité pl"Oix~,
pIe-
hxc eu ('xplicalions, prolixe mêmc en C\('IISCS , ::'0 LIS
11Il,!III('1l(,C de la TnOI'l\['loc, il avait t{'(,uv0 la force
de: d~leofcr
~on
1'('I1,{ de vue, d'ex]Jli';ucr t.:uïi
avait In~CJTlS
e'péré une solulion 1Icil"':~.
l~
fil, il écril il la jeuoe personne, :lIIPlldu <.les
ln~
1'(;[1011 e. Il espérait, avanl de. park!', pou~'Ol
ks mellre cn présenco, cCl'tai'n (fll'il [l1'(',cnJait
ch'C' d" h'lll' a('('(I1,<1 fullir.
Eilc Il'nvait pas ('~pondu
; lui, ~lai
t lombé plus
n:lll1n!le. Le:; h""IIClncnls, Ùl!~
l'\~o:ICB
ililjJrévi~ lb lcs,
avaicnl drjollé ses '(,'lleulL, II Il' ;I\ait plus
C'V?nl lui qlle qllelquc' jours ùe vil: ; il <lvaa appC'le ~QI
IH' \ el1,
Meie!'. eeLLc ffli, .1 Il.II'kr .
l'in<.lignalicn, avaient IHil rnOlll"n. L,'l silp'~e,
tanenll'Ilt ouldior il ] 'avocat le Yi~nre
('I ,n\l
~é
du
mal.h l·ur"u'\' qlli lui parlait, ct
dte !'l'Jlihle confCS~lOI
qll'i] Il'Vnit été con/raillt de faire.
!ciln
-Cla,d(~
{'Iail g('nél'cux:. II i'r l'(~pr){n
ret oubl!, l>lIrilllt ({uf'!(jues inst.ants, il Il:! IH'llsa l'lus qu'à
'il
l
SOn ollcl{" 11 'cs 8olfran:I;~,
~ l.1 Jl~i,:
lJléritoire
dont il venait de faire prel!vp..
Tl sr dCllldlH]a 'i , en ccci, il n'y avait pns surtout. «Ill'Ique s('r ll\lu]o dc . malade ; Ir~.
rai l, Ip0 urtant élnil'llt oprt'li~
; non seulemenl Pirl're de Meslev~n
aVilit l'ail lort aux: parents de ('~le
('1'btufC,
mnl8 il Ir8 avail pOllrsuivis d'lIlle telle vl'ngean.cc
que l,es ~li('
navfnnles de celle-d I\\'nirnl largement d,'bordé loutes les perl.es rnil~,('s.
Et.
pour] 1!l'cl1e {cs!!' ,'rn1 n'av~_
c'élait. j,ienla rai~on
�30
L'AVENTURE
pas voulu s'en tenir à la stricte réparation du dommage 'matériel, mais assurer le bon beur de celle
qui supportai t encore les néfastes conséquences de
sa malignité. Et, pOUl' assurer son bonheur, il avait
compté sur Jean -Claude, prétendant d'ailleurs que
l'union qu'il désirait était propre à assurer le bonheur de tous les deux.
Une telle prétention dépassait l'étiage normal des
illusions que chacun nourrit peu ou ,p rou 1
Quels accen ts avait eus son oncle 1
« Elle est digne de toi, je le jure. Je l'ai quittée,
toute jeune encore. Avait-elle ~1Icment
quinze
ans ! Mais je t'affirme que Ja nlleLle fni sait pressen tir la femme. Son père, sa mère étaien t des êtres
d'élite ... Sa beauté - car elle était belle - elle la
tenait de sa mère, de sa mère que j'ai lant aimée
et tant délestée, hélas 1 Aujourd'hui, je l'aime de
nouveau, oui, J1ean-Claude ! Comme au premier'
jour.
Le vieillard était resté qiuelques instants silencieux . .Jean-Claud e n'o ait pa s parler, tellem ent il
é~ait
frappé de l ' in croya ble rayonnem ent du "ieu'{
vlsa~e
parcheminé. La douleur, le repentir , le désir
lP~sioné
du hi en - de ce qu'il croyait ~Ire
le
biCn - communiquaient à ses traiLs, à son masque
de souffrance, ·u ne indéniable nobles5e, une étonnanle heaul6.
Lor que, au sorlir de J'ineffable ('onlcmplnlion,
Pierre de Meslevent, la voix plu s forle , nvail reIp ris : « Jean -Claude, mon pelit, je rOl1lpte sur loi ))
l'avocat n'avait pas Cil le cournge d'élever une pro:
testation. 11 sc le reprochait à pl'é ~c nl.
Jean-Claude n'eut pas le loisir de poursuivre seS
rél1exion s. La porte de la bihliolhi'([lle s'ouvrit
avec hrutalité.
Un gros homme parut SUl' le seuil. Jean -Claude
h ne le connaissait Ipas.
fa l Il ,portai t U1l complet veslon cl' \toffe cl de coupe
�L'AVENTURE
31
communes ; son visage était rasé de près. Pourquoi
ces petiLs détails se gravèrent-ils dans la mémoire
de l'avocat il
L'individu parlait d'un ton mécontenL :
- Emma appelle 1 disait-il. Est-ce que Monsieur
n'en tend pas il
Non, J'avocat n'entendait pas, mais , sans l'·épondre à J'inLrus, il se j eta dans l'escalier.
La fem me de c harge l 'attendait sur le palicr. Son
visage éLait bouleversé.
- Encore une syncope 1 dit-elle. J'ai peur ! Que
Monsieur prcnne sa voiture. 'Le docteur devait venir Lantôt... Si MO~lsicur
pouvait le rencontrer il
C'est l'heure où il termin e ses courses. 11 faudrait le
ramener lo ut de su ite.
'l'out en p arla n t, elle tendait un bou t de ,papier
SUr lequel elle av~i
écrit l e nom et l' adresse du
doc teur .
Entendu 1 répondit Jea n-Claude .
'l! desce lldit rapidement, courut c hel'c
~r
sa voi!tll'e.
Le gros hommc J'avait précédé, ouverL Jçs portes
de la gra n ge.
Lui aussi sem bl aiL prendre parL à l'inquiéludù de
tOll S .
Quelques minutes plus lard, l'avo ca t roulait de
nOUveau dan s le chemin cah o Leux que l'on avait de
Lout temps paré du nom pompelLx d' avenu e .
.De-ci de-1ft, les mUI' S d e pierres sèche. s'écrouJean-Cla ud e co mm e nçait à comprendre
1alen:t.
pOurquoi so n one le - en d épit d'une fOl'lune dOllt
Il. n'eut pas deviné le chiffre - vivait si Ip ardmonleusernent.
H.evenu Illl vieux m anoir, dan s la J1rn~.le
d'y jouir
égoïsLement de l n forLune amassée, Piene de :\tleslevenL n'y avait fail que l es r épara I ion s urgentes .
Les Ip rojel s qll ' il nvait formés : "cd rssin el' eL replanler le vicux parc ; refaire lu roule de la fa-
�L'AVENTURE
laise, agrandir les communs, édifier une serre' dans
le potager, avoir son auto ~l lui, l'un après l 'aulre,
il les ava it abandonnés, ,p oursuivi par la pensée de
celle qui, par sa f::tute ol'Iphel ine, devait manger le
pain J.'autrui.
CHAPlTRE V
Pierre ue l\lesleveo l est mort au lendemain de
l'aJ"'héc de Jean-Claude,
,Depuis la lOllgue enlrevue oit l'anl'ien colon expon il SOli nevc'u ses sUJ'prenautes volonlés, celui-ci
ne l'" pas revu en vie.
Jean-Claude, qui a dÎl prolonger son ~(;jour
;l Meslevenl, songe au.iouru'hui au déparl.
11 il !l.lle - ![Jour un peu il sc Je reprocherait il a Itfll\> <10 sorlir do la pesante Itmo~plièj'e
(lui .1CCOlil jlaglle la lJlort.
La Il'i~es
du pa)snge, le hurlemelll des vents
que l '(>quinoxe a liJér(~s,
le~
rluies conslanles, (lui
bronillt'nl la vue cl iso ent le manoir ùans so n llumiùe prison. accentuent la m(;lanr'olie que fail naître j'i)clll'vement ù'une desl.in6e hllmaine.
Jean-Clullùe sait que son onde a ('('('n mainlrs
foi~,
pendant les dcrniers maiR de sn ~ie,
le hon
curé dll village, mais ies pem(>rs HJ('!1H' de la foi
ne luttc·nt I[JUS 10ujours vi·rtorielisellll'ni. conll'o
1' ~J1oj
de no, ~I'm:ihl,;
' ; . .}(':\1I-(;1<l1I<.1(' l'('flser\t cornde s'évarler de ('CS li\'lIx, de reIne lIne Ir (,l's~i<
prelldre co nlacl avec]a vic, avec sa vie profcs ionndlc slirtout 1
f)ans ~Ol
tlr~i
de s'y nclOllTlI't' au pilis vile, il a,
Ill'S le ICJltll'lllain de l'inhIiTnali on, reçu le nolnile
auqllel WII oncle a con[iC- Ic t('slarnl'nl.
Le Inl,ellioll s'csL ef'1tJrc~\!
('1 11 dOi\lIr J .1(' ' I I
�L'AVBNT URE
33
Claude lecture dlu docume nt. Celui-c i est bien tel
que son oncle l'avait annonc é.
Il in s titlle son neveu son légatai re univers el, li
deux conrlili ons, loutefo i s :
La premi ère es l de faire « honnê temen t» toutes
les rec herches nécessa i res Ip our retrouv er une jeune
fille: Edith Namur , qui a dû quitter l'Algér ie, voici
à peu près six moi s.
Les l'cn se ign ements pouvan t fa c iliter les recherches sont d'aill e urs joints au te tament .
Il est fnit mentio n des lettres déjà écrites et qui,
d'après Mes levent, ont dû joindre la jeune personne.
\! c. t nolifl é -ce pcndan t que, si dan s le délai d'UD
an . Edilh 'iamU!' n'a pas donné sig ne de vie, JeanClaude, sa ns nuire formali té, cntrera en possess ion
de la forlulle d e so n oncle.
N La seco nd e co ndilio n n e peut joner qu e si Edith
ainsi qu e J'es père ardemm ent Pierre de
amnl' Mesleven l - c()oscn l 11 r épondr e n l'app el.
('olo n fail aloI' aux de u x: jeunes gen.s
,L'~nri
l el' .
10bl.J ga ll On li !i'f~pO
un e lon g ue parenlh è'se (fans
vre
Oll
'
ir
Irgnln
le
CI,
T
leq m éril es (le l'u'!
pl o i e 11 rXJlo~e
laqu ell e il ~'el1
sa certict d e l'nlllrc, 11 affirm er ( ~ alrgo'iqeJ
les
Lous
de
r
honheu
le
pour
el'
Iravaill
lurle dc
deux.
~e 11 ce -nariaSi 1'110 cl rq cl r llX, C'cpen dan l, se rfl
ge, ln forllille de \Ies lcl'l'1l1 Il e revienL pa s n c",lui
dcs df'uX jeuneR ge ns cli s,pos; II acco mplir la vocela pourtan t eOt é té logique
lontr du IC' s lalaire el le l'r,, iC'n l rlll ière rnrn l, ;1 part un e méùiocr~
:\ Edilh Na mllr , 11 un r œuvre snr Jarcnle a~ s l)'(~e
avoir pris ue préle
1 ~l'I1h
lllIl'll(' l'i"ITf' <Ir ~\Icslrv
i Il fornl:1 1io ns.
ci~es
fJIH' 10111 nlllre, qui blc~'!e
1 cc poinl, pl~
C'e~
l'nl'ocn t 1111 plu s vif, enferrn 6 fJu'il se voit déjà dans
~c l' coûlc q ue COLIte, ou enlever
le dil f'rnme ; o u rpou
:1
�L'AVENTURE
sa part d'héritage à celle qu'il veut dédaigner.
11 semble, il lire ce testament, que le testa taire
ait lié ce mariage au bon usage de ses biens, au
bonheur des deux j e unes gens, ainsi qu'à la répar.ation du mal que, jadis, il a causé.
Un délai d'un an leur est toutefois accordé avant
d'en venir illlX épousailles.
Passé ce délai,' les clauses du testament auraient
l être aprliquées.
Le jour de la venue du notaire, Emma, <fui sortait peu à peu d'un aball<lmenl compréhensible,
vint demander à l'avocat de l'entretenir un moment.
La demande ne le surprit pas. Il éfait trop naturel CJllC la femme de charge s'enq1\tt de sa situation futlln' ,
i'armi les legs flue Pierre de Meslevcnt avait faits,
la femme de clwrge figurait. pour une' somme 1116d'ocre. L'flucien colon exprimait pOllrfant le désir
qnc lA frtl/nI(' ct SOli frl>rc Ahel - If' gros homme
tionl la r)J'(:~cne
avait intrigué l'avocat, élait, pal'air -il, le frr'!'(' de ln f(,lllme de clHlrge - t'lS~(n
m:li(,IU~
r, ,\Ieillevcnl.
JC(lIl-Clalldp aC{'llcillit Emma lIvec bien vrillancc .
il n',lvail Q'lJ('re de sympathie ponr rll(' ; la wml,alhie s'analyse difficilement ; mais il lui ~lait'
TC('O[lnIlÎ Ss.:tllt des ~oins
donnés ail malade compatif 'tH i, 'ion chagrin qll'il ~e
figllrnit sil{('iTe, au
dé-arroi que devait meUre dans Son C;{islcncr la oisparilioll dl' celuianprrs dUflllel elle vivait depuis
)ongil-rp~.
Jcan-CJ:lllr]e savait fille son onde ln COll. irlélflit
« IInc perle »', sl1scrrlib lc de s'Ol;cuprr li
wern'ille c1'un in 1éripl1l'.
Quand il (.Iait !,f'Vl'!ln cn France, (-Ile avait con-
('OIJIJ(l()
le <lJivrc san" (\lrvcl' !lnr prote:;I.1tioll.
valail qll'on le rcconrdll.
Je.1/l -Clilude toutefois sc c1cllIanrlaH si J., p-0llver-
n • ~
Cr; !'Î
�L'AVENTURE
35
flallW serait aussi désireuse que son oncle semblait
le penser de demeurer dans ce pays dont les mœ urs
èL le climat devaient lui paraître moroses aup rès de
sa Provence ensoleillée et des culLures ,prospèrlcs
de l'exploitation algérienne .
.
Et cepclldallt, c'était cela p rincipalement qu'EmIJ.na venait demander : la faveur, pour elle ct son
frère, de demeurer au manoir , jusqu'à ce qu'une
décision fût prise .
Emma expliqlla que Monsieur de Meslevenl avait
récemment fa it, venir son frère dans l'inlcntiNl de lui confier les gros ouvrages, le j:\rdinage, voire la conduite d'une auLo, le jour où M.
de Meslcvcn t se déciderait à cet acha l. A enten dre
la femme de charge, il y pensait sé rieusemelll. Elle
Se <:1'111 pOlll'tllllt ohlj~re
de prévenir l 'avonaL.
~loJi('I,
diL-elle, lui aurait fail donner des
leçolls. Il n'a cnr.o l'c jamais c onùuit.
,TNIII -Clall( ln KG demanda plus Il'ml Il )ourquoi elle
insislail Irl! mrnl. 5ur cette particularité. II n'avait
l1.Uef~ni
J'inlention de lui confier Ulle voilure .
EmmH, ('epcn rlant, paraissait y attacher de l'impor laill'e, el l1lêmc, en disan t ces mots elle dévisageait l'avocat avec lIne telle acu ilé qu 'il en rcssentit
une g'~ne.
Cr<:i lui remit cn mémoire lrs f[uelques
mOlS~f'(Iis
dan" la nuit de SOl l a rri Yél~
:
- De 'l'loi le plains-l\) ~ l'affaire \'~l
Cll!I' ...
H s' ilp-i <sai!. évidemmen \. de quelque affaire con-cernant le fl'rre el la sœur .
.Jean -r.la llde sc trouva ~ol\(gé
d'avoir ér.lairei
ceUe rlu(üiOll.
J1.H
HfI)'~
qllel point la rtouverna nl c étnil.-clle au
-COHrant d(~s
disposilion s lc;.jenairt~R
dp. Ron on de la [enture 11C lai so;ait g'1If.I'O d'ilcle P L'(~pi,)dc
hl, JOIl, EUI/na, d'nillell!'s, 'l(~
franchemcnt, lai~s
eut< ndl'I~
il t'avo('at (l' l'dIe savait. il ([llOi s'cn tenir.
ComIn" .JulII-Claude objetlait Il SOli dé .. ir dc de-
�36
L'AVBNTUl\E
meurer momentanément au manoir l'indécision de
l'avenir, la femme de charge répartit
- Mon sieur veut parler du cas où il refuserait
d' épou el' Mademoiselle Edith .
- Evidemment, dit l'avocat.
Etonné ct énervé de la voir si bien informée, il
s ' était d'abord renfrogné, puis il avait réfléchi ~ue
le mieux élait encore d'accepler la situation avec
la simplicité qu'el
- m~e
manifestait.
Cc ru t alors qu'il remarqua son air en tendu, son
sourire.
VOli S la connaissez, celle jeune fille ~
La qu es tion lui échaPipa pour ain i dire à son
in su.
'lon siellr veut dire que je l'ai connue. Monsienr sail que depuis d éjà quatre ans, nous sommes in slall és en France.
Jean -Clallde, qui sc reprochait d'avoir posé celle
qlle tion sc gardn de ripn ajouter. Tl n'en était pas
besoin . Emma ne demnndail qll'Il pnder·.
Olli , r eprenait-elle, je l'ai connlle. Elle allait
avoir cplinzc an s. C'étnil dé.i~
un beau hrin de
Oll e ; dc g ra nd s yeux noirs , dps )\VI"es plu s roug"e5
qlle n o~
g rcnnd e , un teint cholld .. . Je ne sai s d e
fl lI!'1 p ay~
é lai ent son pl're ct a mèr(> . mai s leur
jol i" d cnloi selle élait digne d" êlre Provençale 1
Jen n-Clallde tenta de l'inlen'ompre , mai s Emma
pnrai ssail la nc{oe , M:- iMc ft r nllm r rr r le ~ multipl es
Cjllalil{os de m ademOi selle Namllr . Elle ne s 'en lint
pa~
d'nil
e lr ~ ,'\ la IOlli1ll ge dl' la IH'alllr dl' ln j elln e
pr rw lIll c ; nvcC le m eml' r nlh o ll sin smc , ('li e ahord a
I ('~
('Iog s <1('18 à sn personne morale . .. Si honne,
'\1o ll sir llr , ct si simple 1 Les pauvres Arabes J'aima il' l1l. ..
J pan-Clallflr l'(-["ou la rI'aho rd avec curiosité. En
dIIp iL dt' la ba na lilp cl es r pns
l'i g n e m c lt ~
rcrlll'illi Q
r (~ I , mai s peu li peu, il perdit
il \" trollnlÎ l \1ft int r
le ·m... 11 n' entenù a it plus, ~ \ pr é~c nt,
q u 'un vngllo
�L'AVENTURE
et lointain murmure. Des grands yeux noirs, d'e s
lèvres plus rouD'es que la grenade... Lui, revoyait
les grands yeux'" D'ris, brillan t de Lan t de douce
malice, le leint "aux couleurs délicales, les lèvres
dont les coins tremblaient.
Emma s'aperçut tout à coup que Jean-Claude ne
l'écoutait Ipas. Elle se tut et lui sortit de so n rêve.
Il regarda la grosse femme, se demandant si son
oncle lui avait dit les raisons qui l 'avaienl poussé
t, écf'Ïre cc bizarre le tament. Il lui répugnait que
celle femme fOt au courant de ce secret.
,La ~a ço n si m pIc, convaincue, don tell/' venai t de
s"exp.rlmer semblait prouver qu'elle n'avait pu
di arnère-,pensée. Son assurance, cependant, avait
quelque chose d 'énervan l... Si charmante que fOl
celle personne, il s'en désintéressa it.
l In fui t, en tont cas. est certain , affirma-t-il
brusquemen t.
- Quoi. donc il in terrogea Emma.
, Se~
rellls yeux pétillaien t. II crul y lire de
1 anxl(~té.
- Elle n'est pas I ~, dit Jean-Claude, el rien ne
prouve qu'elle arrive jam~is
.
. 11 fl1t snrpris du soulagemenl CJu'exprimail, quand
11 eut parlé, la physionomie d'Em~.
Quant à ('ela, reprit-elle, que Momieur me
perm~l
rie dire que 'esl lme aNaire de jours. La
premlrre lelfre de fon s ieur était sÎ.lremenl mal
adressée ... Il ava it écri t nellila , sn ns tenir compte
qu'en ~Ig(rie
il y ft pl
s irm
~ nellila.
- L antre leUre il s'informa .Jean-Clande.
- L'antre arrivera rertain ement. Mon sieur savait
que l\1ad
(' m o i ~c lc
Edilii était revenue en France.
Orphrlille c l sa n~
fortune, clle avait cherché du
travAil ... Cette lettre on l'limA fait suivre. Un de
ces .iOIl'~
1\1111' Editl: ~e l'n
I~ .
Ln frmme de rharge sc mil à rire cl Jean-Claude,
sans rai so n valable, se surprit à la délesler.
�38
L'AVENTURE
Il chercha instinctivement ce qu'il i[louvait dire
de plus propre il éteindre ce rire vulgaire qui lui
déchirail les oreilles el qui prof.anait plus encore
el comme il l'avance des projets qui, li és à ceHe
question d'argent, lui paraissaient déjà odieux.
. - Une autre chose est cCT'Laine, opposa-t-ll froidement au rire de la gouvernante.
Quoi donc ? demanda celle-ci, se rendant
compte qll'elle gaffait.
- C'est que, répartit l'avocat, qu'elle arrive ou
n'arrive pas, le prix en sera le même. Je ne l'épouserai pas, scanda- t-il éncrgieplCmcnl.
A l'encontre de la réaclion prévue, la femme de
charge n'éleva Ipas une proleslalion.
- Eh 1 non, je ne l'épouserai pas, affirma de
nOllveau j' ,\vocal en répouse à son muet rcgnl'd.
- Cc sera comme Monsieur vouùra, répondit la
femme cie charge.
Elle avnil in slan tan ément modifié son attitude,
repris cet air impersonnel el effacé qu'elle avait habitlldlrmrn t.
Un silence suivit ces paroles el lout à C01Jp Emma
relprit :
- Mon: ienr repart prochainement P
- Le plus lôL posi'!ihle, dit Jean-Cln11de.
II Re reprocha intél' ieufemenL sn hrusquerie
Emma parut n'y faire aucune allention.
- J'espère, l'eprit-elle, que Monsieur anra meilleur temps lJue l'aulre JOIlI'. Qllelle affreuse Lempête il faisait. Sans ùoule Monsieur ce jour-là n'a
pas pris la l'Oille de la m e r ? '
,
- C'est ce ql1i .vous trompe, dit l'avocat. Je délesle la l'Ollie llallOoale. A Carentan, j'ai bifl1rfjué
comme de COlllllme.
POl1rJ~oi
avait-il menti ? Sans dOIlLe parce qu'il
nevouJol1 pas parler
de J'aventllre survenue'' rien t
cc,pcn d anl, Tle l ,y obligeait.
Il remarqua encore qu'Emma, dont le visage
�L'AVENTURE
[lortail la trace des f.atigues précédentes, eut soudain
l'air apaisé.
En dépit de l'évidente mauvaise humeur de JeanClaude, elle repartit plus guillerette.
CHAPITRE VI
Ce fut sans regret quo Jean-Claude quitta Me~
levent.
Il laissai t provi soirement le manoir aux mains
d'Emma et d'ALel. La femme de charge s'était gardée de revenir SUI' leur convenyation. Elle avait
conscrvé cctle at.tilude modeste ct cette expression
soumisc qu'clic avait tout de suite opposée à sa
brutale déclaration.
11 se ng urai t tout.efois que celles-ci n' ét aient pas
sinerl'C~.
Jean -Clallde s'irna.ginait qu'Emma sc ('foyait trop
8Üre de SO li acceptatIOn pour e chagriner ft <'e suj et..
Les drcla l'Htions de l'avorat, elle en dcvait tenir
compte il pell près rorome OIl tient compte d'unit
boutad e d'en fan t gâté.
Avant de prlrtil', l'avocat avait pasBé en revue,
avec Ahel, les travaux les plus urgents ;\ entreprendre dalt s Je jardin. S'il jugeait équitnhle d'inviter
Emma all J'epos après la dure période qu'clle vena it de tl'nvnJ'sC' l', ct si la sachant diligentc, il pouvait la l:tis~e'
librc d'organiser son lrnviül, Abel lui
était il\o('onnll.
Ccl ui-('i l' {-rO ll ta docilemen t, ne di scuta pas sea
~ ct dOltlla même i\ l'o0(:nsio ll 1]11 avis a~StlZ
judiciellx.
- LOl'sqtle vous saurez conduire, dit Jean -Claude ,
ft propos d'un accident insignifiant surven 11 à sa.
voiture.
orl'c
�40
L'AVENTURE
Mais je sais conduire, protesta l'homme.
Il se reprit tout au ss ilôt :
- C 'e ' t-à-ùil'e : je savai s conduire, m ais il y a
long temps de eela.:. aujourd'hui, j e n 'o5e rais pas
me risqu er ...
J ean- Claud e, lout d ' abord surpris, ne Dl aucune
réflexion , e l lui nyanl fi xé ~es
IfI (' hes, re flll J' cs'p rit assez libre qu'il a bandonn a le m a no ir pour
faire r o ule vers P a ri s .
Par un e de {'es m erve ill cs fr équ cnl es en pa~ ' s n or mand, la canlpag ne ne ga rdait plu s lrare des bourrasq ues précéde lltes.
Sa ns doul e, le rid eau d 'o r 'lu e tisse r haCJu e jour
l'aulomne s 'était enco re éclairci , m a is lu uo uceur
de l' a lmo
~ ph
è r e , le ciel limpid e, le so leil presque
co ntinu rapp elaient le ('œ llr de l'é lé. C'é lail bi en
un pe lit r lé qll e cc beau j o ur allnoll ç'ail : 1'6 16 d e
la Sa illl -Marlill , Oll les leinl es a ulolTlllfll es ,Iviv ées
par la IUlld i' re, qui des cend du ciel tran sparcnt ,
jettent 1111 vif c t de rni er {-('l al.
J ea n- Clalld e SIIivail la l'Oill e, hllmanl l'a ir avec
délices - il a vait la issé la g larc proC'll e de llii g ran de o ll ve rle. - L'a ir, d VJlo llil1 \ Cil qll el qll c ~or l e des
parfu ms C]lIi m o nl ellt 1'{ lé de!'! cb a mps ct de bo ulerres
q uets d' arbre, c harl!6 de l';îr re se ll le lir d r~
où pO llrri ssa ient les fe uill rs JJlorles, d( ~ fllm 6('s, des
feux de bo i , c t, au pass age des fernl 's, d p l'odeur
des po rnl
e~
r O l ée~,
Il e "e mhlail pas Cil hal'ln o nie
avec la g l ~ Il (' r c lJ sc
IUllli i'rc <fli C ('c bea ll j 01l1' di ~pc n
sa il, m a i, le ra ppel de l'hi ver aj o lllaiL il la HI;dlll' lion
du r c lOlll' de l '{~ I (o.
Jea n -C laud e le ]Jrll sa il clll moin s ail ~
i,
Il p ,~sa
i t
sn 1(' le nll dl' ho l" , fl o llr n~ flir('
VO IJ"(
' " ,e l l(~ nl ,
a vec J'a ir ]l II I' , 101li rs 1(', .~(' I (' I 'S { \ ()·al
l ' i ('p~.
L'avocal a Vil il l ' ill ienlio ll d (' ~'arl\
l ('r
il Ba\ï' Ux .
Il n 'av ail pOlir aill si d ir!' pas 1'011''''1'011 ri Il aHI' sa
mhe a il ('o ur S il !', d ('r li r',I1~
j Oll rll(""s, Il "(:p ll" ll a il,
, ;\ Illi rai re ('O llll aÎ lre pa, t~c l'i
en tre Bul,'('s chosp~
�L'AVENTURE
41
les clauses du leslament de son oncle, mais, par
contre il désira il s'en entreten ir avec ell e.
For~slie
Ile perdail pa s un délail d~
voyage., Le
pays qu'il traversait, i . tl~
enlre la poInte,.de ~ .a r
teret les plao,cs de Barnevill e IP ortbail el Ilnlérleur
des lerres v~r s Carenlan et nayellx, n'esl pa s l'un
des plus pilloresqucs, mais a fraÎch ur, s~ variété,
ses champs de pommiers, ses vallons 611"0118 et ses
landes, les Ip rés qui so nl li J'hiver envahis par l'eau
des marai s, parlenl aux yeux ct ail c.œur ..
L'avocal savn it aoûter des beautés qtlL ne tlcnnent
1 •
pas à la grandeurb du pay sage: une eau CA
ire OUS
les saules, Iln ehamp fermé d'une harrib'e, une maiSon pcrdnc sous ses lierres, quelques arbres rnbougris, tordl1
~ par les venls cl les Ans éveillaient dans
Son Îlme ~e n s ible
de profondes ré onnanl'CS. Tl conduisait lenlrrnen l... Parven 1.1 au cillTcfour des routes: la roule CJl1i suil la <,Ôte pendanl qurlque kilomètres, l'autre qui joint Carentan, apr?'g avoil' traversé d'ollcst en est la lande famcll se de Lessay
Jean -C laude n 'IIrsi la pas.
'
Renonçil nl ;1 suivre la mer, il ell!11a la seconde. Tl
voulait revoir le hoi s ùe pin s, évoquer sur place le
souvenir d'une avenlure donl chaque drlail s'é tait
gravé dan " sn mémoire ...
.1I n'aurait pu préri ser lcs trai
~ ·J'hnhellr Lorm1cr, mois rnfoi~,
il rcvo\ilit lct li!!'Jf' rnn cre de
scs cils, iJa s~f\
S IlI' ,'\1)11 \'i~ne
livid ', l'arroi s son
COUI'Ilg-CIlX ~ou
l'ire
; il lna il g-,Irdr l ' Il11l" '!", ic'l, du
rarc alliilge rie sr n ~ ihlté
cl dr ro s~('
SiOI dl' ~oi·mê
me qu'cxJll"iTllaiC'llt ccs IrAil s moiJle~
.
li l'rronnlll aisémrnl l'f'ndroil 01'1 il avait Vil la
voiturf:. Tl :I0l'P:l, dr ~c('n
dil . 1'('!rAl'da alll · 111' d,A lni
et l'lllllnn IlIH r' hi11alt'IIIPnl tlllr ril!a rf'lll.
Comhirn difr61"rllt {olnit le f'flr!lC! all.i ' lIl!'r1'ltlli
L';mtrc .iOIl!', I"q olra!n~
cJ('rhn fnrs Itlil'bil'1I1 au
traver3 de la pint'dc, l 'ave rse cinglait la J'Oille. un
�L'AVENTUBE
ciel noir, encore endeuillé par l'approche de la
nuit, régnait sur la lande grise...
..
Aujourd'hui, dans les allées que de3,,:oalcnL ]('S
fOls de pins bien alignés, dansait une lcyellse lumière ; des taches de soleil écla taient sur l'épais
tapiE; des aiguilles, des écureuils sc pOlH'snivaient
de branche en branche, fai.sant taire le chant d"3
oiseaux.
Sur la ronte sèche et dure, il ne restait naturellement aucune trace de l'événement.
AsfÏ s sur le talus, Jean-Claude resta longtemps
songent' ; sa cigarette se con sumait QlIll'e ses dc.igts;
il fallut qu'il cn sentît la brûlure pour >:eCOI(~r
,
dans l'herbe ;\ ses pieds, la cendre I1n(' 8JOOTIr·c]{;e ...
Cowme il se penchait v~rs
celle herbe LI arerçut, di ss imulée S011S les touffes, la tache rose ù'un
quelconq Ile carlon déchi.I'P,. Elle éla it, celle t (H::he
rose, exactement de la couleur des hahituels pel'mis
de (·ondnire ...
C'était bien un permis de conduire, ou plnl6 t.
quelr(lJes f1'ngmeo ts de <,elui-cL... La photographie
'lll81J()Uait. ; seu le, l'a uréo le de eheve1J"x lé/-:,crs était
demeurée attachée ft un bout de curton rose, mais
la pluie avait dt'lrempé l'écriture des fJllelques fragments snl,)is lnnLs.
Jean-Claude, lOlllefois, les colleet iOlllla prrcieusemelll. Il s lui élaient. comme le palpa ble sO llvenir
d'un Incident qui av,a it pris dans sa ,'je ulle place
lllattenrlue ...
Le chfiteau de Maunervillc ... Il voyait di slinctement Je houquet d'arbres, où Isnbelll) ,nait. al,andonné la route.
(\ Le chAteau, lui avait-elle dit, es t a!l fond do la
:vaIUn. »,
1,1 n~
pouvait l'apercevo ir. Comme J ~ t elnp~
l'tait
claIr, 11 rl'p61'u quelqu e filmées donl la :1'Î~tile
sc
détachait sur la limpidité de l'air. Il se dit:
�L'AVENTURE
43
« C'est le village ; derrière, sans doute, esL le
château. »
C'est il regret qu'il remonta dans sa voitul'e. La
joie ressen lie au travers ùes belles campagnes ne
lui éloit plus sen sible ... Quelque chose étaU derrière
lui, donL il so uffrait de s'éloigner .
Cell e impression s'effaça pourtnnt graduellement
aux npprol'hes de Bayeux. Jean-Clallde aimait beaucoup sa me·rc .
Maùilrnc FOl'cslier avait été veuve de bonne h eure
et SOli fils, tout naLurellement, uvn it lenu une
gralldc place dans sa vie. Leurs caracfères s·aC<.~or
daienl cL, lout en regrettant d'avoir à lui Iaire
connaîtr e les chlUses d'un testament qu'il Jugeait
inaccqllnh les, Jean-Claude ne redolltait Tlllllement
(lue S:1, Dlère pesât sur lui pour une solution ou une
autre.
Il élail
SI'II',
par aillcnrs, qu'lI y aurait lieu de
Lenir coillple ùe so n avis.
Cetle liherté d'esprit <1 ll 'il avnit vis-il-vis de 81\
m le, leur confiance réciproqlle, ùoublaien l le prix
de lem llffcl' Iion.
J1adanH' Forestier hahiLait une mai son ancienne.
nvnil su en respecler !e carfl~èe,
tout en y
Joign ant 1111 conforl néces
s ~JI'e,
à l époque actuelle,
aux {'(HI~lions
plus fragiles.
_ î\lon Clr('f grand, dil-elle il Jcnn·f;llllHle , après
~lIP
l'a-voir in,;I"llé dans un fauteuil sparieux, nous
lIne liellre devant nous avant <1 11 'on serve le
déjelJll er ; alillme donc unc cigarclle.
Elle avail mis i\ sa porlée lUI gnrr i<lon, un cendripr pl un t illi Il dgarclles bien garn i.
Madame FOl'pstier n'aimai.l pas spéeialemrnt l'o·
delJr dll tahar. Elle-môme ne fllmait pas, mais elle
avait SOlI' ('Ill remarqué que les vol1lles 111r11:111'('s qui
s'échappaient d<'s lèvres d'un vi~ler
ronforlablemeIlI in 'Iall r, le parlaient a11X co nfi<lrnres.
Aprèi'l avoir échangé I}uclques phrases se rapIvon~
�44
L'AVENTURE
portant à la fin r apid e de Pierre d'e Meslevent, Mad am e Fores li er alt endiL sa ns imp a ti ence flu e son fils
lui ex pliqu â t de quell e fa çon celui-c i avait di sposé
d e sa fortun e.
San s impali ence, car ell e élail plu s drsinl éressée
gu e lJ eau eo llp , ct cru 'elle n'au g urail ri en de hon de
la forlun e de ~ l es l e v c nt,
éla nt dO! ln é la vic r es treinLe qu'il menait depui s ,o n relour en Frnn ce.
Ell e fui loul d 'ahord s lJ' p t'i ~e
d'a ppre ndre gue
celle forlun e é lai t vra i men t eOll sid éra hl e. Elle en
fu I. enr hanl ée auss i.
Souvenl, elle avnit pensé fill e la vi c serail Ii'ifficil si J ean -C lalld e s'av
i ~a il
d'·é pouse r un e jeune
fill e san s forlun e, Or , e ' élait là un e d r. i ~ ion
dont
l' avo ca l était ca pahl e, un e de cell es Hl s~ i qu 'elle
n ' aurll it pas le cœ ur d 'r ll irarer , d rs l o r ~ q ue la
jeu ll e pcrso nn r ~e r a it di p- ne de « so n g- rnnrl ».
Mn is, qllnnel ell e sul I c~
ro nditi OIl S a ll ac hfrs fi
l'h ér il age, Mad a/ll e Fo r r~ li e r fut non plu s sa isie,
m ais indi g nre 1 Inrli l! llfIli on qu 'rll e Sllt r ('pr nd anl
contenir: Il e n' ex primait pns vol onli ers drs se nlimenl s vi olr n ts qu 'ell e r her<'I, ait fi ré prim er.
De lout temps, Mm e FOl'es ti er avait cu , vi s-fl -vis
dcs ehosf's ro rnme vi s- :I -vis des per so nn es, lin li
priori bienv eill anl qui faisa il fju 'f'll c rh crr hail hi en
dava nl age ~ {'o mrrenrlre qu' ell e Il C sc laissa il olier
à bl â mer cL surloul i\ critiqu er .
Ce ll e rois, rom'Innt, ell e qn Hlifla ~év r (' m e nl
l'autorisal ion .p os lh1lme de Pic!'!'r de Mes levcn l.
- Le mi c1lx qui pui
~se
ar rivrr , elil -e ll e, r n mnni rre d l' co nclU Rion , c'cs t qu e cell c jcun e flll e res le
in ll'0 1I,va bl c, le, Ir mJ.ls de le l~b r r (' r , 'l'cl fJll e j e te
COIlrHII S, 111 1,11 f C l'~I
S par ~ qlJ
é 11111' Inl'gor pa rI de
1' IIl; ri la/!l', sa li S avolI' i\ lellir co m pte dc rr ll r rI an se
in
s(,
Il ~(;f',
- El dont , affirm a Jran-C laudc , j e me libh'crai
'moi-m Î' IlI C.
- Tu rcnonccr ais n l'héril age r
�45
L'AVENTURE
...~
Le Lon de Mme ForesLier n'é tait pas in terroO"atii.
Elle constatait se ul ement ce qu 'elle lisa it d a~s
la
pensée de son fil s, à quoi d'ailleurs elle souscrivait.
Celui-ci n e se m é,pril pas.
- Je n'aurais rien d'auLre à fa ire , affirma-L-il.
« J e pense, r ep rit-il après un ins lant de s il ence,
que, touL bien con id éré, Jcs c hoses se passeront
ainsi; je veux dire que, fin a leme nt, j 'enverr ai tout
promener, cL J'hérilage e l l'h ériti ère ...
- Mais si o n ne la relrouve pas.
La femme de c harge m'a affirmé qu'elle accourrait a u reçu de ma le llre.
PourLallt , Lo n o n cle ava i! écrit.
Leltre mal ad ress(;e, paraît-il.
- Je Irouve cel;l bizarre.
Le pl us proha ble, cl i t J eo n- Cland e, sa n s réPOlldre il celle réIlexion, c'est q Lie la l(,t 1re annon\'<Il1t Je les laf1lC'lIt mellra fin nux hés il at io n '"
.Jeall-Clallùe 1 proles ta sa TIllTe, cct le j ellne
flile csl pelll-êl re padai INlIe llt désin t(;ressre ...
C'(;lait 1111 des ('harmes de Mme Fores li er que celle
hien\l'illanre qu'cliC apportait il priori dans ses relaliolls flH(' aulrui .
Jcan-Chlilde avait tOll.iollrs li n scrupule à ,ouffler
Su r l'cil!' !lamrnc claire.
lJ r('pri t {'(']ll'Il dan l , celle foi -ci ;
\Ia [J<lIIVJ'(' maman, r,'·J1peh is que, d'aprrs cc
que 111011 oncle m'u con fié, la vie doiL 1ui (~I re
dllre.
- C'esl vrai, je ne pense pas assez à cc ('ôté de
la Cll ll'stion.
- Ce qn; rCl\d II' ras Irrs complexe. observa en('.ore 1';IIO('al, r'ps L qUI', pour répondre al~
in tell~Ion<;
rll' mon 011l'lc si .ialt1~
clic' reslc illlrol1vahle
. J'h61Î(rai
~ de ccllp forllll1e, .ie ne pourrai8 me con:
lellier dl' Illi faire Ulle off!'€' IlIal f1l'ielip.
- JI' 1Ir. fomprc nd s pas. Qlle vell'i-Ili dire il
- Qu'alors môme, l111e fois les délais (lco1llé
je
'. ~
�46
L'A. VENTURE
lui offrirais la moitié, voire lcs deux tiers de l'hé-
ritage, mon oncle tenait beaucoup plus à ce mariagc qu'il ne tenait à l'enrichir.
- Il n'avait pas le droit, protes ta Mme Forestier,
de L'imposer unc fcmme, fût-ellc une perfeclion 1
lout à fait mon avis, l'eprit Jean-Claudc,
- C'e~1.
el c'cst pourquoi je n'aurai aucun ser npule à me
souslraire à UJlC obligation injus tc, mai~,
lo ut en
m'y sOllslrayant, il me se mble quc dans la mcsurc
ou possiblc, je deVI'ai à celle jeune pcr~onle
non
sC lllem ent unc aidc matérielle, mais encore lIn sou ticn moral,
Dans l'atmosphère de l'I'OCICUSC intitmiLé que
créait entre ccs deux êtrcs l 'affcclion et la sympathie , J'nn et l'aulre pensaient tout haul,
-- Ton [loin t dc vile Ole paraît j liste, répondit
Mme Forestier, si jusle que je mc repro('/lc".
- Ol/oi donc, 111.1 pau ne ruaman ~
- N()IJ~
wrnmcs lit tous lcs de!L'{ qlli n'imaginons
qU'lin l'cfns, alors qlle celle jeunc ,personne pos,~ède
pcul.-0In' lout cc qll'il faut pour rcndl'l' rnon grand
fils heul'cllx,
(1 Tu sai, bien n' est-ce J>I~,
Jean-Claudc, que celte
dcrllir"rc rt l l1cxioll Il'c~t
pas dictée par l'in(I,~t
P
Forc~liJ'
avail po~é
celle qlH'slion, c'e"t
Si ~Irn
qu'clIc vCl1idl de COllstater (IUC le visagf' Je son fils
s' a~orn
bl'issait.
DI' ('('la, je slI is 8111' , dit. Jeall-Claudp, mnis ce
donf .in slI is slÎr aussi, c'esl qlle III pel'soI\ne en
qllcsllon al'i-e(~,
ainsi que toi-rllPrne l'cnviMgeais 10111. i\ j'hcure, touteH le~
[)('rfelin~,
je ne
]',(lpolJsNais .iamaiB 1 Mon olll'le vonlnil nlon hOIlhl'ur.1I me l'a ü~sez
n1péU', Le luallll'IJl' c~1
que le
!JO[}]IC'III', cl ùans J'oeca - jon l'a\)Jolll', TH' ,;'p li'llcine
que dans Iii liherlé.
« \101' llltllle qUI! ('cl [1 T1111 Ul' alll'aii I"' rI'lîll'C, la
volon l { llIilllife:,fée par ,lOB oncle l'aul'ail 1lI~
par
<l"iUIl''' 1
�L'AVENTUl\E
Mme Forestier n'insista pas. Le ton de son fill>
était plus sec, presque cassant. . .
Pendant le repas, la mère et le fils s'entretinrent
des nouvelles de la petite ville et de leurs amis communs .
Les angoisses de septembre étaient encore trop
pr~?hes"
el la paix de Mu~ich
tr<?1P précaire pour
qu. Il s n échangeassent pas, a ce (pomt de vu.e, leurs
réllexions. Mme Forestier s'intéressait beaucoup l
la vie professionnelle de Jean-Claude, el celui-ci,
qui connaissait sa discrétion, lui en parlait volontiers.
Après le repas, ils sortirent. !ean-Claude avait
encore un bon momenl devant lUl .
n désirait simplemen t ôlre 11 Paris avant la nuit.
Ils parcourlll'enl côte 11 côte les vieilles rues,
Madame Porestier, toute fière de son Jean-Claude,. et celui-ei, lOlljours séd uit ar le charme d~
la
petllc ville 011 voisinent dans les rues tortueuses les
vieilles maiso ns de bois el les hÔlels du XVII", où
apparaît li chaque délour l'élan hardi des deux
tours de sa magnifique cathédrale.
~LI
l'C il Je gône subsistait. Jean-Claude se reudill t com pte qu'il avait un peu brusquement rompu
les chklls a u sujet du testament de son oncle, et
Mme ForcRtier sc demandait comlTlenl son fils a"ait
p.~
trouver dalts les paroles qu'elle avait dites matH'rc ?J RC rehiffer.
« Cela ne lui rcssemLle pas, pensait-elle. Il doit
':f a.voir quclrJlle chose, quelque chose que peut-êlre
Il 19nore 1\1 i-même encore. »
Ir
CHAPITRE VU
. « Elle c,:;1 brave », avait dil Jean-Claude, quand
,wail vu [sa helle faire l'effort de sourire ct fdprendrc (,olrageu~n
la roule.
11
�48
L'AVENTURB
La jeun e fille cependan Lavait êl6 très secouée.
Devanl Jea n -Claud e, elle tendait Loule so n énergie ; mais C{uand ell e euL ahandonné la g rand'roule,
elle s' aperçut qu 'ell e avail peine il maintenir fermement le vo lanl de sa voilure, lellemenl ses mains
Lremblai eut en co re.
L'humidit é Ipénétrante, la froide llal eine du vent,
qui se glissa ienl à l 'i ulérieul' de la voilure, ajoutaien L ù sa dP press ion.
ni e nlôl, hellreuse lli e nt , elle aperçut dans le loinLain les premi \ res maiso ns du village, puis le pont
qlli marCJllait l' enl rée de l 'avenuc.
La jellllc fillc re s~e r a le co l clc so n vêlemenl, et,
sc raid
~sa
nt
de II Oll vea ll p01l1' vaincre sa n tremblemenl cl les larmes qu 'elle elltail pro('be
~ , eonl inu a
de meller bon trai ll jusqu'il l'entrrc de l 'avenue.
Jei la prlldence s' inlposa it : l 'ave nu e étail obscure; ell e éla it élroite et sillu ell se, ct desccnd ait jusqu'à la g rill e du parc par un e pente asgez rapide.
Une !taille gri ll e fermail , en cffe!. ]'rnlrC:e du
parc dl' ~Ifl nl(·
rvile.
Situé dall s le fOlld dll va llon,
il 'c lllhi aii vOll loir Clll'orr .ialo
~C lcnt
ear'll('r il
Lou s Hes Illa ss ifs de rhodod elldron s, cs gynerillms
elllpa ll arh(:s el les rl'I elqlles !JcallX sa pin s qui dl:ployaient lellr ha sr ~O Jlpt
r l 'e
au-dpssn
ùes Jl~
IOll ses hil'Il clllr 'tenues.
Le rl!;Îll'illl - 011 l'appclilit ainsi dalls lc pa~ 's , "tait COll1pOS(\ d'lin C'orps de logi s Loui s XIII rnril strtl dan s dell'{ tOIl!'S rnl'{>.~
SlIrmontt:es par des
loil s é1l'v{·s Pl de hallic g rhCllli n(ocs.
Cor!tf\ ains i qllC ~O I1 purC', ail fOlltl (l'nll (>troit
allon, i\ la li'llilc <Ir la lande . il Il '('Ia it visihlr ni
dc'! vilnp'r~,
ni rlcs rOlllc< ('11\ il'onnantrs. Il fallait,
pOli!' II' (h:roll\'l'ir, cmpr'imler l'avellllc (;Iroite ou
iinivl'e le {'OII!'S de la Vé', qlli Ir ('onlOIlJ'l1rlÏl \ln pell
pIns loill.
Ln g rille fran chie, Isa hell c rc~pil'o
ellfin. Des 111-
�L'AVENTURE
mières brillaient derrière l es croisées des fenêtres
et, au sortir de la tourmente, elles lui firent à tP~
près j 'effel que peut produire au navigateur le phal'(,
qui marqu e l' entrée du por t.
La jeune fille accél éra J'allure tout le long de hl
large allée qui conduisait aux remises; au-dessus du
1)3rC, les ,a rbres espacés laissaien t ,p lace il un cie!
libre d'où tombait encore sur la lel're un peu de
fugilive lumi ère.
lPersonne, dans la remise obscure,. ne s'empresSi
vers Isa belle. Elle dut, seule, ouvnr les lourdet
portes.
Celle activilé forcée parut phy s iquem ent la remeltre cl, bien que chargée de olis, cc rut d'uE
pas presque a"sur6 qu'elle marcha vers la de menre
La porte d e celle-ci était close, mai' :1 l'app "
du timbre la se rvante - une petile « naboUe » vin t ouv l''ir ~ lIr - le-champ.
_ Madnme esl furÎeil se, so uffla -l-ell e .
lsabelle ne parul .pas s ' émoll\oir. Ulle minute.
eHe hésila sur le parti qu 'elle allail prendre. El1('
avail ulle irrb,is lible envie d' ~l r e seule cl l'esc alier
qui rondui sa il 11 sa cham bre off rail SO li ombre len ·
tatric e. Elle ~e délourna cependanl cl sc dirigea VCl'f
une deR pirrcs allenantes ail ve ~ lib\
e,
t Jl1e femme ;ÎfYée s'v lenail daTl~
la pl-l1omhre
•
,
0
J
1
qUi S exclama, i\ peine la porle QllV('r c
.
- ISapri. ti 1 Vou'! voilà cnn n. VO\1~
n';\Vl cz pourlant rl ~, qlle je sac h e, une rllnltitlille dl' r'OI
I' ~C"
:
Je me sui~
demandé, lOllle la joul'lI rr, cr fJlli POIIvait bien VOliS retenir. Le coiffeur peut-êlre P... A.
présenl, rernarqua-l-elle, cc n \,~t
pilis le p("'t
i ~,i '.
qui tcnl~
nos fill es, c'e~l
le roiffcur LOo Sa\ ( 'Z -V()I
~'
que l'('lIe rll'lllOiselle ql1i 1~lait
là nvant vons p l'rt en
clait que l'hnrfllc l1\in7.~e
il llli Lillaii 11111' « mb!
('n pl is )1 ! Qnelle pilié 1 \\1.;"j rll!' n'a pa fa H
long f(.u. J'auruis juré VOllS l'n\oil' (ljl 1
�50
L'AVENTURE
Le ton irrité de la dame était !plus cinglant que
,ses reproches.
1 ahelle paraissait ne pas entendre. Elle étai t allée
tranquill ement à l'extrém ité de la pièce ct avait
tourné le commutateur électriflue.
- Bon 1 Voilà que vous a llumez 1 Celle manis
d'y voir clair. Je m'en passe bien, moi , d'y voir 1
TOlljOUl'S si lencieuse , Isabelle se l'approcha de la
femme cl de la fenêtre, où elle sc tellail.
A dix ans près, il eût élé diffi cile de d(\ferminer
son âge. Ses cheveux de neige, son al! itllde nffaissée
mafl{llllient plus de so ixant.e ans, mai s son visage
li peillc ridé, sa peau Dne, ro ~ée
aux pommelles, le
des. in fer me de ses traits accusaienl uix ans de
moin s.
Inslal1{le comme elle était, lout à ('ôlé ùe la fenêtre, elle sf'mblait bien, en dt\pil. de sa pl'(;rédente
iPl'otf~I\,
avoir cRsayé de profiter dcs dernihes
luer
~ du jOIlI'.
.Ie paricrais, dil Isnbelle, fille vou s Il.ve~
eClcore lu 011 II'avai1l6 jusqll'à la nuit. Vous Havez (lue
c'~(
dé ~al
l'C\x
!
- A qui la faule , ma IJclle P Elait-{'e o1li on non
à vou~
de me faire la le 'Lure P Si f"csl nOIl, je me
ùcnwIH!" ce qnc vous failes il Manncn illc, el·;i c'est
oui, pourquoi n'étiez-vous pas Jo\ il Pourqlloi nc réponcin v(Jus pa~
P
- PIIJ'('(' qllc je sais, pal' expérience, quc toute
répon-;l'
-
VOliS
irrite.
EII lou\. eus, pOUl' cc qlli CRt de l'nulo, vous
en l'plicndrcl. lc hOll goût. Louis Sil l'fi 1'11 [1 faire I('~
cou rscs.
- Croy('z ,q ne j'en sel'ai ravi!' , dit Isal'cllc, qlli
eOItlIIll'IH .IiI il ~)rlcve.
POli \ PZ-VOliS 'Ol~
iln:l'ri.
n!'I' !f 1Il' '1'01)11'1' daBs l'cllr 10\l
~1If('lc
soiL 1111(' P:Il'li<:
(]p l'Id i il' il ...
- (llll' IOlll'lllcnlc 1. .. Combien \'OIIS ('xardl'(,z !
- .. El qlle lcs visite,> chez J'{opir'icr, Il' houcher
�5I
L ' AVEN'CURE
e t le bo ulanger soient follemen t d ish'ayantes Po. J e
r cgr ettc, Madame, mais j' ai g l'a[\ d besoin de l·epos .
je romOll te chez moi. J'espère, dans une demi-heure ,
être lA vo lre dispo ' ilio rl ,
En dépiL de sa nervosité , Isabelle pro llonça ces
mols sur ce Lon calme el décidô Ilu i en imposait
to ujours II ~lad:tme
de Mannerville. Celle-ci n'osa
PliS prol esl.el',
-- Allez, ma chère 1 allez donc! Je ne suis pas un
hOllrl'ea li 1 Profllez douc de cc mOlli on l, ajoutal-eJ]c, Jlour melll'e vos comptes a u poinl. VOltS avez
{ail. ùes urlwls. Ces clO
SC~ -là
11G doivent pas IrJ.tner.
Entendu, dil Isabelle. Voulez-volts que j'ap{le lIc Fanrhon il
_ luulile 1 .le !l'ai que faire cIe Fanc'hoIl, hndi:; qu'II HIC ,cntlde fort utile de m'habitucl' Ù èlre
se ule.
lsa'c~
ne n :ll'va pas l'amertume de eo pJ'opos.
Elle li liai 1 loul'lI.é les talons.
seillait tl'i.lll'iie,
La jellllc Ililc Sl~
Ava;,l de 1I101ll.el' dUI~
5(\ chamhrr., i'l!e Jl'~(:,-n
dit 11 la t'lIi~,
{ll'j n;guait la 81 '1'\ ilille « l'ùholle n.
- - fi'uIlI'IIOIl ! II y il dll fC11 da1l8 /Il ,1 dlftlllh:'c .
d~
ral_ C'est.il-djle fI'llt) MnlllJlllC 111';1 d,~fel1
lume!', mai' j'ai 11I'[I<;ô que i\1adl'1JI oi \:,lle aurait
fl'oid, 11 Il 'y a qll'urle ,"lllmclle ;1 IIIP::I'O ...
.- :'1 ('('('i, Fancholl, Dans trois tfll<l l' b; rl'hc1lrc, je
dt'WI'IHll'fii (lr"s dc' \hdame ; Hl{)r~,
l)ll"
pU'llclrcz
la hlllf'nlC) ct Vl~
irez eherehcr l\'s colis \'(;slés
J':tlllo,
dal~
- - '~i·",
\rllc/o1Tloi ;{'lIe.
T'lal"'!lc Lorrllipr ~\)rli.
:,CII\
'r,'j:llil
l,
1"
Lu
:l'lillC'
till('
Fandlon " ~lIh
(ot;lÏt bnllil (' 1'(1:11' "lie,
il. tic,;
Ell" h
1"lilos"(' 'i lli Illi :l'.d,~p
i, ~l!'p"\.
Il l,iLu;e qll'elle al'ail ,;té ;\ (IH' ,JIII'CIllI"!!
l\
'l'
IInc
{'(JIll III 1HI(;0.
1,;1
nI "lJpail
11ll1'
grande l,il"
L
nu
.]l'u~it
Ille
�L'AVENTURE
étage, pourvue de deux larges fenêtres qui prenaient vue sur le parc.
La j eun e fille s'en approcha., afin de tirer les rideaux mai s elle n 'cul pas un regard pour les haudes cèdres blanchies par les rayons
les b~anches
lWlaires.
Ell e mil une aliumeLle au feu que Fanchon avait
préparé ; la flamme s'éleva, vive cl claire, le fagot
sec pétilla.
La jeune mie sc déchaussa ; elle écha ngea son
vêtemenl co nlre une chaude l'ohe d'inl érieur, puis
s'assit dans le fauleuil, en lendant ses pieds à la.
fl amme.
L'avenlure Qe tantôt lui paraissait in co ncevahle.
Elle ne ces ait d'y ,pen ser, mais cc n'o lait pas JeanClaude qui retenait son atten 1ion.
Ellr prnsilil ~ la ,ali
~e
qu'on lui ava il déroh~e
...
Toul :, ("(jUP, elle porla la main à SO li ' 01 ct ptHit
davanlage (' ll c·o re .. .
- \Ion collirr . .. mUI'JIlura-t-e1 le, il s m'ont tout
pris ... leul's pori raits, fil ' S papiers, I('ul's quelques
le(,~
.. . POlIl'quoi S'('II prendrc :1 cPS mi ~cl l'ahe
s
obicl
~ ~
1.(' co lli er srul pOillail avoir qurlqlle VIIleur ... ~Iais,
alors, quoi il1r~'êt
{'CiI rnaillpIlrell se3
pael'~s
!l0uvaienl-ellps offril' :1 aull'u i ?
La ('Idc' 1'I"pollse plausihle' \;I ait cc'llp Il"C l'avo:
cal, ail l'O llrs de la cOllvcrsation, ovail s l!~r(oe
L'allto d('s "anllcrv ille fai Rail encore RO ll pelil crfet.
L'hOrlllll". sa l ~ doul(', avail ~()ul
lenll'I' 1111 poup
do 111 ;';11. ,', rpllrlalll c'olllpic dit IH'II d'illlrrèl Clue
pré~eni,l!t
Ips r1pnI'C~
S
1'1 I('s (1l'OdllilH rnrl1f1g'CI'S,
il avail . :li. i la vali l' pl l'Poli l-t· 11'(' sc' pr{'parai l-il li
·n iIl SPC"' lc'l' Il' C'onll'IIII qllillld lin ir)('idl'III qlll'I(,ollfll\(, 1~:i lÎ
\ (' 1111 l'alc·rlel'.
Il a,nil alo rs c1t~glrpi
!'III pOI":l Il 1 "n ll 1('l1all1 !'I ('Olltl'lIl! ...
(( ... El Illon C,~I;'
'/lII' -dc· Sil '; 11' IIHlI'C'hcl. condut la jPIIIIC' fin .. . Vnilil 'ni' {·ha lll·l'. rc' ·nc~ ('il-c.
Tc. papi,·I'·, jl' nI' 1lJ '(~I
s(.l'a rai · pa ~, cl ('Ic~l
le
�L'AVENTURE
53
soin que je prenais d'eux qui est la cause de leur
perte.
Porler plainte P Quelle série de complications 1
de difficullés, peut-être même de dangers 1. .. Non,
dét"i(~l1e,
.le nC penx pas.
Isabelle prit les pinceltes, rel.eva une bûche qui
venait cie s'écrou ler dan' lUI pétillement d'étincelles.
Elle s'allollaea davanlage, fel',ma le yeu". Cet~
chambre ('Io~e,
les nammes l'fui j etai ent dans la piècc d'illten es ct vivanles lueurs, la chaleur qui
monlait de~
brai cs, lui donnaient un senti ment de
bien-être, dOllt, mal gré la peine ressen tic , elJe jouissail Îllt ensémenl.
Peu il peu, ses pensées prirent un e autre orientation ...
Elle revoyait Jean-Claude, leI qu'il lui était apparu, alors qu'elle sor tait du so mmeil... Elle revoyait seg yeuX' noïfs, qui l'avaient d'abord terrifiée, ReR c heve ux doirs , mal gré la pluie q1li les co lluil ; elle ressen lait à nouvean cc se ntim ent de séCUJ'ilé qu'avoil fait naître so n regard. 11 avait une
voi~
chaude, une voix qui pénètre jUSqll'à l'dme.
La jeune fille rêva un moment, s 'efforçant de reconslitunr les gestes el les paroles, puis ell e regarda la ,pendlJ1etle dont le Li e-lac imperturbahle gOUli g nail le sile nce des choses. Elle soupira , ramena
l angl
i ~aml1('nt
Jlf'è: dl! faulruil ses jambes molJem enl élelldu(' ct fit l' effort de se lever.
vê leme nt s cie loul ~ l'heure, (lc même
Ses Jourd~
qu e M rohe de chamhre dissimulaient sa tnill e svel·
(·I IC V(' lI X rhAlains s't1cln irnirnl cie rrflds hrille. Sc~
ln
~. Ils dt'vnicTlt êlJ'e coupés à ln hanlenr cles épauleil, it ('TI .iugrr pal' la boucle qui tomh ail.
}snlH'lIe nlia à la glace , releva celll' bOlide, se
poudra d'un pl'u de rose. Un moment ('nc'or(', clle
ùefTI('lJrn immohile ; es yeux gris plong-eaient dans
80n regard. On l'ût dil qu'clic essayail de' ~e
déch iffrer 'Ile-même, de déconvrir au fond de ses pru·
�54
L'AVENTURE
nelles limpides le secret de sa propre pensée.
Finalemenl, elle haussa les épaules et se décida
à dl) ccuure.
CUAîPl'I'I\E Vlll
Isahelle ,pénélra dam la pièce 011 se len!\it Mme
do \Iannerville,
Elle ollYJ'il la porte san uruil, mais uvee vivacilé et Jlr(\~ea
à la mlître
' ~('
de r(\ans lin visage
aimable el ('njollr, qui ne gardait aucun ~o1Jvcn
il'
de
l'algill,it,le pr(>('édcllle,
Madillne de \lanncrviI1e seml)lail attendre , ln~
im -
patience le l'l'Iour de la jeune HIIf',
L', "Josio!l de son humeur' J'avait ~a l R
doute
apais{e, SHIl~
élever la voi;{, elle lui d,\sig-na le lino
qU'I'IIe ICll ait Ollvcl'l sur le g ll(\riuon c1evanl elle,
'('undi_ 1Il)'llIl\1>olle Jr prcllai t :
.\f> rcgrette, dit-elle, llJllis j'ai lu le chapitre
suhnnl.
ElIr· ajo1lla mentalement : « l'ant pi" pOlir elle,
elle Il 'nvail qU'il revenir il l'heure », mnis die pOUl'-
suivil 10111 hnllt :
- V()u~
J'l'Illporlerez ùans volrf'l "hllmbre cl VOliS
1 li!',,]. ('(' soir,
1 ahdlc avait pris le livre : l'hi sloire d'Edouard
Vil, dt \'Inill'ois.
La voi de la jeune I1Ile, birn limhrrp, rlnil ~on
tenue
par 1·
périodes hl
' rnoli
l'\I~ps
de la
pl'O~
du A'I'II1Hl (-rrivain, Ellr li ail 1111'1 If'nleul', mai
san pl'!>ri pi 1a 1ion , Il vcc bcn urou p clr Il Il 1111'1'1.
Elle (HlJ'Ii
.~Hi l s'Înlpl' '~Rr
II stl 1cd lire, pl~
mê; Iton l1ur cl'llc-ô
me ()II(' \Indumc de ~lInrvJe
ne III gOtllftl pas - n'élait-ce PliS elle' qlli en im-
�55
L'AVENTURB
posait ]e choix il - mais son esprit, en ce moment,
g'attachait à d'autres soucis .
Elle regardait la liseuse, plus qu'elle n'écoutait
la lecture.
« Décidément, j e n'ai pas de chance, pensait ~a
dame de lVIannerville ; cette jeune fille est trop JOlie, beau coup Irop 1 Et cet air jeune 1 Correcte,
oui, ulen élevée. .. Elle se coiffe, s'babille sobrement... Rieu de commun avec l'autre, mais c'est
pire ... )),
« Si l'opération n'est pas indéfini ment retardée,
je m'efforcerai de patienter mais si le docteur me
remet aux calendes grecqu~s,
mieux vaudra m'en
séparer. ))
Les pensees de Madame de Mannerville s'orientè
renl vers l'opéralion qu'elle devait prochainemen t
subir : J 'opér3 1ion de la calara,c le... Elle y voyait
encore un peu, el cer les, assez pour se rendre compte de la beaulé d'Isabelle, mais sa vue baissait de
jour en JOUl'.
.
Acharn ée li seuse , elle n'avait IP U sc résoudre à
l'inaelivil6 el avait dû avoir recours aux services
d'une é ll'angrre.
Toul en so uh ailant l'opél'ation, elle l'appréhendalL be31JCO Up et s'efforçait sagement d'en distraire
ia pensée.
Encore une fois, elle chassa Jes idées désBg-réables :
chambre noire, immohililé qui sc rattachaient à
son mal, cl écouta quelques minules Mademoi selle
Lormier définir Je plan de Stock-Mar pour l'éducalion de Derlie ... Alhert-Edouard le futur Edouard
J
VII.
'
",.MalheureuAomenl, ces quelq"ucs lignes évoquèrent
lImage de son fils.
Louis de Mannerville était son llTliqlle enfant. La
mère el le mg vivajrnl au ch:1lcau de Mannerville.
Madame de ManllerviJ1e s'y élait définitivement ins ~
taIlée à l'époque de son veuvage.
�L ' AVENTURE
L'enfance déli caLe de celui-ci avait motivé tout
d 'abord ce lon g séjour à la campag ne. Louis de
)bnn erville ava it eu un préce pteur cl avait gr andi
près de sa m èr e, faisant d'ailleurs de bonn es élu-
des.
Le j eune homme avait pris goCIt au Iravail intellec tu el, ell m ême temps qu'il s' in tér essait à tout C6
qui louehail au dom aine.
Q uelqu es hamps prolo ngeaient le parc , permettan l un e f:J isance-valoil' en milli a lure dont il s'occupa il ac li vem enl. Ces travaux, auxqu els succéda ienl de long ues heures de lec lure, r empli ssaient
aisémr n 1 so n lemps.
L' hi sloirc le pass ionn ail. II ava iL pourtant été trop
jeu ne l ivré Il lui -mêm e : il lui manqu ait le commel'('e tle cam arades , a uprès desqu els il aurai!. pu
meSllre r S;J pro pre va leur et suri out les leço ns d e
mllÎ I l'es q ui cusscn t, le m o rn en t ve llU , é larg i ses
horizo ns.
Fau le de ees élém ents, il menait un e v ie agréale, qll e loul. au moin s jusqu 'à p r {> ~ e nl
il ava it lenue pOlir ag l'{'a bl e, traversée d e loill
n loin par
que lq1l es v isil es, drje un crs c L réce pli ons, parfois
b1êm e pal' de pelit s voy agcs , mais IIl1 e vie trop repliée sll'r c l e- rn t~ m e po ur do nn er sa vra ie m es ure .
Mn daHle de i\l ann ervill e le se nl ail cl Re rC'procha il p arfo
i ~ de n 'avo ir pas cu le ro uragc de J'éloigne r dava n lngc.
s'a rran Ell e p c n ~:1 i l q1l ' lIlI e fois mari é, lcs r h o~es
'~c T'a i c nl
d 'e l t'~m f\ m es,
qu e so n nl ~ Il t' ~o lfriat
pas de l'iso lC' 1l1 clIl O ll il vivail , rn ais ell r Il e ~o n gea i t
au m ari age ql1 'ave(' 1/Il C g rand e llll1 r rll1 l11r. So n
fjlq r lai l so n hi r n , ;'1 elle, ql1 'ell r ne p0 1l va il rn t~ m e
en pensre ge l'rso ud l'e l" pal'I ngcr ; {'rl l(' dr Tn Pure,
elle y rla il rei nr. Il lui faurlrail lIn e hr ll r fi llr faile
'ur me~ur,
disJlosre à so laisser cn lirlPnJrnt gouverner.
A 'o use de ('e ll e idée de m ariag(' , \1adame de
�L'AVBNTURB
Mannerville avait longuement hésité avant d'RiPpe1er auprès d'elle une jeune sup,pléanle.
Volon Liers, elle J'eüt c hoisie ' vieille et laide ~
mais, aill si qu'elle le di sait, elle n 'avait pas eu de
dwn ce : la première étaiL coquelle ; la seconde
était trop .i olie.
La cloc he du dîner inl errompiL ces r étlexions et
mi.t un poinL fin al au r écit d ' Andr'ô Maurois reJalan l.
lsn bell e ferma le li vre el e leva . Elle re,poussa
l a pelil e Labl e qui a urait embarra ssé la m arche d e
la mal ade ct lui offrit de la conduire.
_ Inulil e, ma chère, dit ce ll e- ci. Je connais le
ch emin co mm e ma poche.
De fail, clic sc dirigea vers la sa lle à man ger
avec lIn e drc isioll q11i ne laissait pas soup çonner
un e dé faillan ce visu elle.
Tro is cOllverl s atl enclai p- nf , très largem ent espaf' és aul 011r de la table r onde.
Les deu X" femm es prirenl leurs pla ces .
LOlli s élail en relal:cl , mais la chose é tait habitu ell e : la {' Ioc he le surprell ait ,pa rfois en pl cin travail , dans qu elqu e co in recul é ... JI arri va assez vite,
s'exc
l ~",
sc mil fl Inhl e,
Il !\('cll "" il plu s de Irenl e nn s el il n'é lail pas
hea u ga rço n : petit , repl el, d'allures commnn es, a,ec e l1u r('~
pa r S:1 lenll e nrg li gér, il ne res'\e mhlait
gn t' re ;1 sa rn /> re, i neo n 1r~ lf Ill emen l d isl i n g llée,
m alg ri\ ~ es Irail s un ,l'Cil forl s.
DrH (,l lcvrl/ x Irop épai s, tror lon gs , lui fai sa ient
lm e! IÎ' II' \ o lllll1in r l/ se .
M;,rl allll' d,' ~ l il nl1 r rvi l l (' J'{' marCflla Cfll'il nvail brossé"I
' ~ f'l lrvl' ll x cl Cfll ' il r orl ail. I/nr ('l'av ale.
T.o l/i s ri e \I ;lTIl1 r rvill e nv ail de bea ll x ye ux, ces
ye11 x-I;'I, il I('~
Ipll ail ri e 8a rnr re. Il r r in e assis, il
11'; 10111' 1'" II iC' lI vl' ill nnlrn r nl v r ~
l ,nllr llc :
.1 'n i pl' II S(\ ~ VO li S, dil -il. Cr llr bonrra sque,
ce ll e flilli e ro nslan te so nl désagréa bles pour con-
�58
L'AVBN'rURR
duire ... Ce temps doit vous donner le spleen, à vous
qui nous arrivez d'un pays ensoleillé ?
- Il est vrai, di.l Isabelle, que je n'imaginais rien
de pareil ; mais ici, on s'habitlle vite.
Eviùemment, dit le jeune homme. Je crois
que dcpuis votre arrivée VOllS avez été soumi.se li
un entraînement rrgulier.
-- QIlPlle exagération 1 protesta Tme de l\1amwl'ville. Hier, Je soleil a hrillé une partie de la m;ltinpe ...
I\ompant le~
chiens , elle s'informa de différent c!\
quc liolls r('lalives au petit ,lomaine ; delJ"X Nervitelln, le mari el la femme aidaient ;\ l'exploitation.
Faru'hon SIlffisait ail service de l'inlrriellr.
'j anrlis que la mère el le fils ~'rltenaic
de
la 1I01llTiture des hl'tes, parlaient fourrage fOI pomme~
de terre, l'iJllagination d'I i~n hcl
!'j'évadait
hien a lI ·ddil de la salle il manger normande.
Ce qu 'l'Ile voyait, c'était rc pa) s de sol('il aUf'Jl1cl
LOllis cl" ~Ianervil
Vl'Ilail de faire allu"ion ; la
nier viollmllnent co]orre ; rle~
ro!rOlUX et d('~
vignoh]e~,
ln palmeraie, Jr petil hoil! rie rh('llrs li(\g-es, Ot'l
la mni~o
hlandlr encndrée
cil!' aimail se r~fug'ie,
dali
~ Il' oratlg"crs. La lai~o
hlanche 1 EUr . avnit
trop ~()lIfert
1 Sa prnsl1c ~c' d,; toill'Ila ...
Elit n'pnlc'nclait l'Ju vagm'rnenl le ll1urmure fies
voix rtup;'~
d'l'Ile, le souffll' pli~ant
drs l'afal .. , 1
cr{'pilt'Hu'nl dL'H nV('I~r,
IM~f!l('
("('I]c>s ri dnglniNll
) s vitr!" ; m(li~,
par ('on Ire, (,Ile IH'rccvnil nvet' urie
Iprrcisioll lltnlllgc J'in lona 1iOIl de cctlc ,oix chaude
(pli l'/Hait l'uppelre à clie-wC:mr ;
V()U~
l'tes h]e~r
~ ...
<":l'S l1()t~
~i
simrl~
{'onlt'ollil'nL lin 111livrrs, olt
entrait tnnl dl' wrprise et d'drroi, nlH' si ~inrè
... ~
rO/Ilpa , ion 1 Et rllf'Orr, ('Ill' ('ntpltrlnit l'ironie pt 1.1
flo 11 n' l"alil'p de~
mol~
'llJi avaient ~l1iv
;
VOII . ri 'ètc
pUll de force cn('ore ~
prononcer
un di rours J
�Et le mécontentement qui perçait (lans la brusque
interrogation ;
- Comment êtes-vous seule sur les ronles ~
Une questi on de Louis de Mannerville l'arracha à
sa rêverie ; mais encore n'en compriL-elle pas le
sens.
- A quoi pense7.-VOUS, mademoi selle P demanda
la voix grondeuse de Mme de Mannerville.
Son fil s s'interposa ;
- Voilà, m aman, une question à loC]uc1Je personne ne répond. Pour ma part, quand on me la
pose, je 'mis toujours dé.conlcnancé. A l'entendre,
mes peos~8
~'envolt
ct c'est en loute sincérilé
q.ue je répond s ; A quoi je pense j) Mais, ft
n en 1
- Qnel paradoxe 1 grommela Maùame de Mannerville.
Isa helle ovait jeté un l'errard reconnaissant sur son
tanùis qu'il parlait, cu le temps
voisin. Elle. ~vaiL,
de ~e l'rs~
SIl' :
- , 'Ionsic ur de Mannerville m'txclJ~C
très aimahl~m
e~!,.
(iii-elle. En vérilé, j' r iais cJiRlrnilc ... Il'ès
JOln cI l('I. ..
Mmr rJo ~anervilJ
ne rrp1iC]1H\ pnR. Louis lança ft r ~a l)('I
c lin regard où elle lllt un rrpror'hc.
Aprrg le rpn~,
les convives pa'\s('rrlll nu <nlon.
nrplli 9 C]lle Mme de J\fannerville nvail rlr ohligée
de mrlla ,zcr ~n Vile, elle ne fni sail plus clr rnll s iC]l1e.
C'rlail lin rrrve-rœnr pom LOlli s C]lIi , sa n" ~1J'(l
han
violn
~ I (' - il mnnqoail lrop de mr.rani smp - aimait POlll'lnnl son instrument.
ncplli R C]Il'hahrlle élnil là , ils jounienl 1I~
peu
dlaC]I(~
soir. La jeune fille n'~loi
pn o llne Ill'Illanie
exr.rlJ Inn te mais elle Mc hiffrni 1 farilcmrn 1 ; elle
. , lin toul'.hel' très
avail l'orciJlo mmirnle, dll ~oÎlt
expr('~if
Lorsqu'l'lie p01lvait ~tlrie,
pOllrvu
qu' elle n'etH pas affaire ft de Lrop gT'OS~C
cliffiru lLés,
�60
L ' AVENTURE
elle arrivait à bien rendre le mouvement , le sens,
l'émotion d'une page de musique.
Madame de Mannerville, excellente musicienne,
lui donnait de précieux conseils.
Ainsi que chaque so ir, Loui s sa isit son in strument ct, pendant quelques inslants, les noles gracieuses et Lendres cl 'une sonale de Mozart t ra n formèrent l'atmosphère et les lImes des exécutants ...
Mme de Mannerville el le-mrme ouhlia es préoccupations. Elle ouhlia la vi illesse, le mal dont elle
souffrait; les noLes immort elle cL légère fai saient
revivre sa jeunesse , mai s a prrs une dem i- heure, les
musiriens s'étant lu s, elle df.cIara qu'elle se sentait
fat iguée.
Isa belle se relira avec elle.
Avant de partir, elle avait tendu ~ a main à Louis
de Mannervillc, et celui -ri Avait ["etellil les doigts
fluetH pilis longtemps qll'il n'était nécessa ire. Son
regard rit 'rrhail le rega rd de la jeune fille , mais
Tsa lJf'IIe se dr;lollrllait.
Aprrs le Mpart de ~ dell'C femme s, Louis bourra
une pipe , l'allum a cl S'(,l1 foll ('a clan s un fauteuil.
longlemps, Lirant sur sa pipe disIl demcura as~i
trait eme nt.
Il
travers deq nnnges rI e fumre , le rrvc C]u'il
pOllrsuiva it Illi rnrai ssa it inarressi bl e. Il ne pouvait ccpendant pas en cJrLacher a pcn stle.
CUAPITnE IX
T.'nvoro t rl'g-nrcln l'hellre ct sc réjouit d'avoir à
lui IIn(' arrr's midi de trUVllil.
lIl1 VOlll111inrux rIo,~i
élait ouvert r1rl'nnl ses
yeux Ir rImsi r de l'affnire lIimier, unc affaire qui
le 1ra a~sl
i t.
�L'AVENTURE
61
, L'aocu sé se défendait comme un beau diable ;
n'avait pas
trouvé l' indisc utable argument qui eût déclan ché Wl
non-lieu.
L'affaire res tait embrouillée ; les témoignages
â~.n
trad icloi res ; certains fai ts in expliqu és risq lIai en t
Impress ionn er fâ cheusement le trilJunal. Forestier
voulait revoir le doss ier, J'é ludier parall èlem ent à
ses 1Jl 'e mi ères <:üncluslons r eg rouper les fails et les
témoi g nages ...
'
Il s'agi ait, dans l 'occasion, non pas tant de défendre son cli ent que de déco llvrir co mm ent avaient
pu. "· tre sO ll slraits les fOlld s qu 'IIimier prétendait
avoir. versés ct que la Société d'exploitalion co mm e ~ ·.eL;t1
:dTirmnit n 'avoir pas reçus .
b' ~ I . J ean-Cla lld e avait cu la conv iction d'c la cul paIill e de so n cli cnt, il eCi t mis , à le cl Ifcndrc, un
f ehal'.n ement rga l. 11 é lail dc ce ux qui pense llt qlle
10 L, i juste qu 'e lle soit, ne suffit pa ~ ~ ju ge r
e Coupable.
li c~timn
it 'l11 e l'es prit cie fille sc ct les ex ige nces
du eu.'L lr d('vair nt s'y ~ lI' njo lr
, pour pell que l'on
vo ultî!. tcnil' ro mpte de la com pli l' it é hum aille.
1 Il aima it sn pl'o
f c~sjon,
cl c'{'la il là, Ù on avis,
f! Vl"ni nîl(' d ' Iln e acl ivit f\ <jll'il nvai l cho isie, enlre
tou les! aulant pOlir sa digllit é que pour sa portée
I ItlmftLIl('
'1 Ii s'a l;sorhn dans son trnva il ; pAge par page,
1. rO l1l plilsait le doss i(,f, ro nslllt an t ses no ie, v6nl.fl ant Ips 16rnoignagcs, relrvall t les con lrndi cli ons,
len n(' l'ol11p t<1 il pllls pOlir IIIÎ. .. Les ImtÏl s de la
ru e, l' ar(~
1 nl ~me
de l' ulIlolJIIs SO Ii S se~
fenêtres,
ne llli l'II IISfL;t'O 1 ni .. ";tccme nl ni d i ~ tr flr i on.
OUfLild la 'onner ic rd l! 1(·lf;phonr l'arrarha n ~c
r erhrl'r'ht's, il alloll"c11 rni1rhiJlII!cnH' J1I Ir hras l't dé1111 pli de mf
~('1ntem
nl
au
erOdla le l'f~("ep;
{rOnl.
1 avocat le croy ait innocen t, mais il
t
�L 'AVENTURE
Une conversation m utilée se substitua au silence
du travail.
- Comme tu exagèr es, mon vieux 1. .. Non, je ne
comptais pas sortir .. . oui, oui. Mais non, ça ne me
déplaît pas 1. .. Puisque j e te d is que j'irai. ..
Il raccrocha le récepteur et demeura quelques'
instants ù songer .
Les Gralluidot qui l 'invitaient étaiellt de ses bons
amis. Il les connaissait de longue date, et bien
avant lcur mariagc ... réccnt, d'ailleurs, le ur mariagc. Ils recevaiellt pOUf la Iprcrn irl'e fois.
Les de Verrier, la jeune ,M adame Grundidot était
née Madeleine de Véricr, avaicnt commc lui des
attachcs dans la nasse-Normandie. Depuis que son
oncle (lIait revenu à MesJevent, il le~
avait vus chaqlle él(\. La ùcrnièrc fois, ils avaient organisé un
pirflJC-llique, ù mi-ebemill des propri élés.
Les images du pique-nique : SO[ I t1("COI' d'arbres,
la nappe élalée il. lerre, les LOllteille8 an frais dans
la Vr;e lui l'C\ inl'ent ù la méllloil'c cl, il s'y all11/' ùaiL
pareo fln'il avait SOUVCIlt. pensé qlle la Jlêll'aÏ<.:, la
pr()l'i{~t\
des ùe Véricl', ne devait gulTG êlre éloi-
gJlrc du ('hftlcau de l\TaTllIl'rville.
11 y nva it pl'l's de Irois semuiTl~
'Ille ,le,I!l-Glaude
était de l'cIOUI'.
OC{luis, il n'avait plns en1endu parler de lVleslo-
veut.
A pnrl l!OC Icttre, d'Emma 10 ronsult.anl au ~ljc
dc OH'il IICS rr:para IlOns, le g ilence s'rlaH {ai l 1:\I>a~,
ct il en (~tail
en'r hanté.
Il lui fallul un d'forl pOli!' V,liTlfTC ~efi
(lh"rrICtiolls (:' se n~l')Igcr
d;lI~
le travail. Il S'y ùOllna
saJl~
al'r,~1
jllsqll'apr{'s six hclII'cs e l dCllIip , ~'I,
',l.i~
l'ail rl('~
()h"crvalin~
relev{'es, d('~
h"fJol lit,s\,s qlli,
VP1! 1) IH'II ~ 'Pl
Mgageaient, il d,~('il
dc' 1'('II1("'ro
Il'lldf'Jllaill la suite de SO li CXall\Pll ('1 de s'habilIcI' slIr-lp-rl!amp.
Jc'ul-Cla IIde 11 'aimai t que moclé/émol! t SOl'I il'.;, Pa-
1111
�L ' AVENTURE
63
resseux pour s'habiller, ainsi que le sont beaucoup
de c~Jihatres,
une fois passée la première efflorescence de la jeunesse, il estimait q ue, tant qu'à se
donner crUe peine, il était de beaucoup préférahle
que Je jeu en valftl la chandelle.
Il résolut d'essayer de joindre un ramarude, invjté comme l ui chez les Gl'andidot le soir, cl d'aller
dtner avec lui dans un restaurant rue ROYflle, avant
de sc rendre chez lems amis .
Une demi-heure Iplus lard, il descendait le DOllJevard HnspniJ ; au momcn t de travcrscr la rue de
Vaugirard, il heurta une jeune personlle qui se p1'écipi lail vcrS l'arrêt de l' al1l01)1]s.
Le véhicule arrivait. La jeune fille s'eXC1\sa el
arriva jlH'le à tcmps pour monler dans la voilure.
Jelln Claude rc:;ta cJoué sur place.
Celle voix., cc regard lui rappelaient, à s'y méprendre, )a jeune fille de Mannerville ... C'est à peine
s'il avait cu le temps d'aperccvoir sa sillJOurlie et
se.:; Irnil s . La ruc était mal éclairée cl snrtout, il
s' attendait si peu il une pareille renconlre ...
JJ héln 11[1 taxi :
.
Suivez l'nulolllls, dit-il. A rrAtez-vo us aux UIrNs .. .Je vcux 1'011'0nvel' quclr(u'un ...
Le ehauffeu 1' lui jeta un regard de côté, mais ne
lit aUr\1T1C ohservation.
JI embarqua son olient cl s'arrêta consciencicuscrnent là 01) l' Ar; ~'alrê!1it.
A.. rhn([11e fo is, .J ean-Claude descendn il et in 1errograit les visages. Il alla ai1ls i jU~<l'i
la placc tir·
J'Opéra rt dut reronnaÎlre (IU'il ayait prrcln ln Ira~(!
de (·t!lle qu'il avait enlrevue ou qu'il avait ('l'li
Cil In'voir cal' il se en tait à [l1'é:scn 1 heaucoup moills
~;,ir
de son fni!.
11 rtl:'la )e taxi ct l'cm on la dans l'aLob~
en sen:;
il\1'(f~e,
afin de ~c
rendl'e clwz ~on
ami ... Trnjet
morose. La dt<cf.'Jllion, l'agaecJrlrnt le mellaiellt de
.méchante humcul' ...
�64
L'AVENTURB
Jean -Claude et son ami arrivèrent tard chez les
Grandidot. Georges nézier avait é té captivé par l'orchestre tzigane du restaurant
où tous les deux
avaien t dîné .
Chez le ménage Gr andido't, une autre musique
frappa immédi·a lement leurs oreilles . ' Wagda, l'étudïan te polonaise, étaiL in s tall ée au piano, et jouait
une de ces œuvres où Chopin a fixé l'âme héroïque
de son pays.
L' énergie quasi surhumaine des cavaliers de Kocinsko, la mélancolie des ~ lep
es , la voix des héros qui, le soir, hanten t les plaines ùe la Pologne,
s 'exprim a ienl dans celle polonaise.
Wagda jouail avec passion ; pou r beaucoup, ce
jeu pass ionné élail une révélation; modeste, effacée,
en apparence indiffér ente, bien peu lui auraient sup posé tant de feu, voire de violence.
- Il II 'cs t pire cau que l 'cau qui dort ! so uffla
un e jeune Ipersonne à l'oreille de son voisin.
Wagcla venait de terminer. Malgré les hravos qllÎ
sa luaient sa magistrale exécution , ell e entendfL ce Lle
phrase, cl, ouvr it to uL g rnnds ses yeux c1ail'S. Elle
ne comprenait pas ... L'hahitude ·a pu réfréner 1'explosion des sentimen ts donl s'est nourrie si l(;ngLemps l 'flme polonaise, elle ne les n pns dét rui Is ...
Cependanl, .Ia j e1ln e maîtresse de maison s'empressa al lprès des deux arrivants. Elle aimait heaueoup Wagda, mai s pourtant e lle (waiL hâte d'alléger J'a lrnosphère fIlle son jeu vi uran l, pathéLique
avait momenl.anément .a lOllr(\i c ...
Après Munich , les esprits voula ient encore écarleI' le specLre m enaçant de la guerre . Les visions de
lu l.t es et de souffrance rpl't\voCfllait le chaleureuX
rrénie de Chop in paraissa ient iuopportunes.
" C'esL pourquoi Madeleine Gl'andiclot, après avoir
rcmcr('i é chalellreusement son nmic, s'rfforçil de
ramen er ses hôles vers des vues plus lerre ~ lerre.
QUClqu'UlI !proposa de danscr. Mmc Grandidot ae'
�L'AVENTURB
65
crp la avcc cmpl'es ement. Elle hésitail pourtant à
dcmandl"lt, 11 la jeune polon ai e, restée songeu se, de
se meUre au piano". des di sques ferai ent l'affaire. "
Wa gda le-mt~
sc propo a :
.
Lai 'z-nlOi faire, dit-elle , ce era blCn plus
entraînant.
Mad ele ine GrandidOl ac.cepta avec reconn ais ance,
cl Wagda, avec cc l oubli d 'ell e-rn \me, propre aux
gens de ~o n pay, 'appliqua co n ,c i c n c i eu~m
nl
11
rythmer lan go, ru mba cl valses el ('Clle danse,
à la mode alor', le lambeth-walk,' qu'aucu n , d'ail leurs, ne dan 'ail coneelem ent.
La cho e n'nvait Ipas d 'imporlance ; il Ilaicnt
entre inti me , el la dan se n 'élait là que l'as nin is ement de l'amilié.
Ce ful au cours d'Iln e dan 'c que Jean-Claude interrogea la nl aîlre~s('
de mai~on.
Celle-ci avail qlle
l 'avocat s'{o lnil rendu en No rmandi e. II ful facile
il JCflll -Clallde de s'i nformer de Mannel'ville.
- Mannen ill c l ,Je l'roi bien qu e je ]e conai~
:
C'~st
à drll'{ li e\l e de la mlraie .. . Une jolie pl'OpnéI6 ... J es V,ll'ier el les illannen il1e ont Iln pell
apparenl rs, Il1ni 8 cc Jl 'est pa!'> chaud ... chaud. L'dé
pourtnnl, 1I0U~
I('~
,oyons.
- 0111'1 genl'C de gens il
- . Ion Di eu 1 dr ~ grns lin pcu ;1 par I., T1~
"Hv" n ~ II'I l'!TIe nl. rel ir('s, ma is j 'y song
\lIr~
c/.-\"ous
1 Idl'(' dl' IlIar!!'r Loui~
de '\lannenillP 9 r. eql lin
on~
cl!">
e'l'cllvlIl gar('o l1. Il doit a\oi r aux e nvil'
Irf'nle anq, .J e ,ou~
pr,ien~
reprit r lle un pen
riCIl~("
Il"c l' 'nl(Jr
i ~e
offre des difrl,~
',Iac!:1me rie ; fnlll1('I'villf' dit il lout vc nant flll'rlll' d I_i,'e
lllarier Hlii li! ... \loi-mÎ'l11e, , 1JI' la foi de ('('s propos, j'ai \olllu un jour m'rll m,~ler
.. , On ne 111\
1'''pl'cndl''l plm ! r.'rsl 10llt jll-Ie ~ i Il maman Ile
III a p,'c, {'n\O~ïl(
JlI'OITl l'IIc r,
,
r(
011.1111 il LOlli- dt' "anlll'l'\'ille, jr
Cl'OIS
qu'il
Il' CII il ri en SIl. II 1"[ ~O lS
la c01lpe de sa m(Ol~e,
�L'AVBNTURE
C'est dommage, car il serait désirable que cc gar,on se mariât.
•
cc Mais Hon , il n'est pas si mal que vous voulez
l'imaginer, et il est intelligent.. . Il s'intéresse à
l'histoire, mai s, comment pO'urrai-je expliquer ? son
intelligence s'encroûte ... il manque de vie, de fro ttement ; il réfl échit , mais sans sortÎr de lui-même.
« Ils vivent en partie de leurs renle, en partie
de leur rai san ce-valoir ... Oui, Louis de J\Tannerville 1
.'an occupe. »
Jean-Claud e, après ces informalions, ne se trouva
pas plus avancé. A moins qu'l sa belle Lormier ne 1
fûL une éventuelle fiancée - et rien d ans sa manière
. l'être ne pouvaiL le faire supposer - il étai t assez
étrange que l\Ime de f ann ervill e, qui sr d{-fiait de '
toute emprise fémi.nine, ait appelé à l\1annerville
une jeune fille dont Je [lhysiquc était si propre à
3éduire.
Vous êtes tout songeur, Jean -Claude, reprit
Madeleine Grandid'ot. Etes-vous vnlÎnlent soŒoit6
-de cherch er lIn e fiancée pOUl" ]e fils dt' Mllnnerville ?
Si cela e t, trouvez un joint pour laisser tomber la
ehose, eL a près cela, n'y pen sez IP! il S .
- Non, répondit ,l 'avoca t, rien de pareil ne m'n
été demandé.
Il n'en dit Ipas davantage, ct ln j eune femme en
fut pour sa curiosilé.
Aprrs fll1'il se f(JL entreLenu >!V<' é \1ac1eleinc Grandidot, .feHn -C laude sentit qu'il s 'ennll ya il. C:onvereations plai sanleries, amabilités même, tout lui !pa l'aissai 1 slll pide.
- Olle suis-je venu Caire ici P se demand ait-il.
J'ai chel. moi un travail fou , ùes d'ossiprs il n'en
p lus finir , et. il faut que je fa sse Je j ocris c au milieu dp l'plie hande d'id io ls 1. ..
Sa lIavj~c
hllmeu\' ('rois~a
jl.
Il pr il r.ong-c\ dès
qu'il le put. L'amicu l regard nc Madeleille Grandi-
�dot, p lus appuy6 que de coutume, ajoutait à son
agacement.
Dans la rue il respira plus à l'ai se, m a is dut
bientô.t se rendre compte que la contrainle qu'il se
figuraJt
ubi!" n'était pour rien dans son cafard.
Loin de la « bande d'idiots )) cn tète à W e avec
iu-m~e,
celui-ci le poursiv~t.
. '
Qu Isabelle Lormier habilât sous le JJ1L:m e tOtt
que Louis de Mannerville · Je rendait dérai solllwblement furieux, mais peut-être était-ce bien ell e qu'il
avait rencontré tantôt. Comment avait-il été assez
stupide pour perdre sa trace ?
T'out cn se gourmandant il arriva chez lui .. .
Son bureau, les heures 'd'étude!' de J;1 journée
écoulée subsLituaient d'autres préoL:cnpaLions à son
obsédant souci, mais, comme il sc ùi r igeait ycrs sa
table de travail, il aperçuL un télégramme placé
bien en évidence.
L'avocat l 'ouvrit d'une main nerveuse .
« IHademoiselle Namur arrivée») di ~ ail
laconiqucment la dép&clte qu'Emma avait ~i p'r )( ; c.
Qu'elle aille au diable 1 cone lut .I e,m-Claude
en dôchiranL férocemenL le papie!' hle u.
CHAPITRE X
C'éta i t hicn lsabelle Lor mier que .Tean:Î.luude
llvait culrevue. La jeune fil le n'avait pas falL Jong
CCLI all m:lnoir de Mannervillc,
L ou i ~ de \Iannerville , au sortir de Cl'11I:1 long-lle
••
!io Jl ~l'ric
. 0"1 il avait imaginé, a,ec plil s ((' 1)1'('('1 r.i1 11 fj ll' jamais, lm .avenir en soJcoilf é pa l' ln préf'('n.',. d 'habcll e , résolut ùe lui par ler dès Je lencle·
lIlfli Il
�68
L'AVENTURE
Il avait un instant Ipensé à meLLre sa mère au
couran t de ses projets matrimoniaux, mais il sentait instinctivement que ceux-oCÎ n'obiendraient pas
son agrément.
Louis, ennemi d'es cOffilPlicaLions, pensa qu'i:l
était préf.érable, avant de .se lancer à l'assaut des
répugnances maternelles, de s'entendre avec Isabelle. Il chercha donc ct trouva sans plus tarder le
moment de s'entretenir avec elle.
Mme de Mannerville l 'ava it envoyée cueillir, ainsi qu'elle faisait chaque malin, les quelques fleurs
dJ'arrière-saison cuIliv·6es dans un coin du [parc
abrilé, afin d'en orner les vases de la demeure.
Louis de Mannerville gueLLa l'instant.
Lorsqu'il viL la jeune IilIe sortir, il se précipita
sur ses pas.
L'isolement dans lequel il avait vécu rendait l'entrevue difficile, mais l'émotion sincère qu'il ressentait en l'abordant , transformai t sa Iphysionomie et
décuplait on courage.
Quand Isabelle le vit venir, elle le regarda avec
surprise. Ses yeux exprimai'enl une supplicalion,
qui, tout il coup, la troublait.
Elle avait sa ns doute deviné que Louis la trouvait à son gré. Quelle jeune fille ne devine cela ~
Mais elle ne s' ima gina it pas qu'il l'aim ât au [po int
de souffdr par elle , et dans l 'espa ce d'un éclair, clle
n'entrevit que souffran ce là où lui concevait encore
lant d'e poil'.
- Psahelle, dit-il, bai ssant souda inement les yeux
où la jeune fille venait de lire Lant de passion, dile~
1 vous l'avez deviné il Vous savez que je vous
aime.
Elle prolesla :
...
Mais, ~Ionsicur
- Oll ! je VOliS en prie, appelez-moi L01lis , comme je VOliS appelle l ~a hcle.
Ne compreneZ-VOllS
dnll(, JI:h (f lle lonWI'j] y a cire dCll'C ('Ires JI' fort
�L'AVENTURI!:
et dur lien de l'amour, le langage des convenances
mondaines ne peut plus être de mise.
La jeune fille ne s'offusqua !pas. JI y aTait duns
la déclaration de Louis un accent. de sincérité, toute
sa manirre d'être exprimait un amour trop réel et
trop respoctueux d'elle-mt:me pour qu'elle songeât
à s'nlurrner ...
Louis reprit, ave·c la même !passion :
- La. seule chose qui compte aujourd'hui, c',e~
t
de saVOIr, Isabelle, si vous, VOlIS pourrez ' na aImer P...
Elle le regarda et elle fut si bouleversée pal' sun
expression anxieuse son visaae pâle, contracté;
'
~
qu ,e1Je fut sur le point
de pleurer.
_ .Tc vous affirme dit-elle, sans r épondre à sa
question . que je n 'n i ~'ien
fait pour cela. Ai.-je donc
été si ~o<U!et
te
P
Louis de J1 rHlIIerville
_ Coquette ! vous ~ c 'est-à-d iJ'e <l.ue VOllS'
halls?a ses . larges épaules par::l1ssez SI parfaitement indiffére nt e que c est cela
qui me fait peuT' 1 Comprenez-moi bien, ]salielle P
II 111' s'agit pas dn lout de protester que vous m'aimez ... Je comprends fort bien qll'on ne lll':l.ime
pas .. .
cc Si, si, je sais .. , je ne suis pas sédu~a'H,
mai~,
voyez-vous si vous me donniez un espOIr, Je crOIS
que j e sera is capable de me transformer du tout au
tant. .. J'ai véru ~e ul.
jusc[u'iri, ei je n'ai jamais
cu d'espoir ! Dites, Isabelle, ne croyez-vous pas
qu'un jour, un jour lointain, peut-êtrc vou~
aussi
pourriez m'aimrr P
cc Dites-moi oui, cl, je vous l'affirme, tous les
obstaelcs tomberont ... ct ce oui ne VOIlS engngera
pas ... .Je VOliS demanùe seulement de me laisser un
espoir, Est-cc donr encore trop demander ? »
Lr ton dn .ieune homme devenait graduellement
véhément; rien, dans la physionomie d'Isahelle, ne
Venni! l'encOllrager. Son visage révélait , ceri es , une
�L'ATBNTURE
6motion, mais celle-ci ne pouvait se confondre aveG'
l'émoLion de l'amour.
Il y lisait de l 'inquiétude et de l'effroj, de la
peine mêmc, mais rien qui lui dqnnâl espoir.
Ta n dis qu'il parlait, le souvenir d'un antre visage
avail surgi dans la mémoire de la jeune fille. Elle
revoy.aiL deux yeux noirs emplis d'Iln si tendre inlérêL, elle enlcudait la voix chalenrellse ct cordial e
qui l'in vilait à sc ressaisir, ct ccci aurait suffi à la
rendre circon<.rec le .. .
11 Y avait autre chose, autre cho~e
qui la faisait
plus lointaine encore, el distan le ...
- Louis, elit -elle, la voix légl-remenl altérée, VOUIJ
voyez . jc réponds à votre ronfbnrc pal' J'appellation
amicale que VOLIS avez sollicitée , mais de l'espoir,
non , m on ami, je ne peux pas yOUS en donner.
Poun[llO i cela P s 'écria -l- il avec violence. Si
votre CŒIlI' YOu;; appartienl, je ne .comprend pas ...
POU V('z· 'i OIl S rc\ r ondre de 1',n enir P
Oui . c1itelle TI '!tem enL, j'aime ailleurs.
Louis de Mannerville pâlit, mais se ressai.il aussitô t.
Son \ isnge e'[prima le doute :
· \lIon
~ donc 1 I)rpuis qne Y011S i\te~
~OI1<'
('e
pas
toit, .il' "ous ol,.ene, el j'atlends. VOliS n 't C~
de ('rl1~
qni ~ave
nl
dissimuler lems sent iments ...
ct ('Chli qUI' VOliS aimpz est d'une rar'e disn·/;Iion.
Vous n'n, ez re('l1 [) !Jeune lcUre pendan 1 1'otre séjour
id.
La tarite snl"l"eillance qlle ces CjLlelques 1mole:; révélaienl fl'oi . ~:I
ser l'i'lement TS;I!>ellc .
\Iors mt'me, repril-ell.e vivement, (flle j'anl'ais
l'eru lettrrs <tir lettres. allr1CZ-VOIlS le droit r f' conclure qne je comple dl's ; mis ,pal' d01lzaines, dei
amis dn~
le ~f'n . où VOtlS j'entendez il
kÜlPIlr !
... Yom an'z raiqon <,eprndanl. .. Cel1li qUri
j'aim e ignore encore mon amOllI', mais il me gllffit
�L'AYBJ'n'URE
de l'aimer pour quo je ne puisse vous donner .l'ombre même d ' un espoir 1
1 T'out CIl !parlant, la jeune fille avait vivement
. e~)Upé
les bran c hages cL les fleurs qu'elle avait mi.&SIon de rapporter,
Elle U)I'e
~$u il sa gerbe con t re elle, cl son visagMI
emprun tai lune gràce nouvelle à cc voi8inage, uD.~
grùce fragile ct tendre.
,Lol~i
s la ,regarda lin in . tant, un Ip eu farouche,
s~lencux.
Elle, dans la pensée de meUre fin à une
SItuation p énible, lui sourit avec amilié :
Lais.on Lou l cela, dit-elle vous 111 'oubliere" 1
Il ne la lai s'a pa achever ;
VOt.l~
oublier 1 C'est-à-dire que votre présens(I,
chaque Jour . me désesptrera.
Il s'interrompit bl'Usquement :
i\OIl, I.abelle, pal·donnez-moi ... C'est de ln r..
he. Je 1>1'(\[(.,.e mille ct mille fois ql/e VOliS l'csti"
11 Mauncrville.
-
-
El moi, voyez-vous, dit-elle, en le regarda.'
avec droiture. je <'rois prÇférable de partir. De toute fa çon, je le devais.
Pourquoi ('ria ?
.
:\e savez-vous pas que Madame de .\Iannervlllcr
il vu le do r tCUI' ce matin ?
Q11el ]'np'pol'l ?
.
alijout'r1'h.1ll ,ct.
. Tl relarde l 'opéralio? Il ra~e
troIS mois. Il espl're mpme 1 (~lic',
l'~1
mal, JO
111 'étai Cil "':l"'['e seulcmen t J10lU' Cl lIeq1(,~
semaines,
J'ai dr.~
{'~1J
ôl Rllivre ;\ Paris, et. ..
_ '" eL le d'ésil' surtouL de fuir, al'firma Louia
amùrement. .
'lais non , Louis,.i l'OUS assure. J
Plue id, si ...
Si P
:'i . ïnvai~
rté hcul'cuoe ...
mc serais
Isabelle voulait exrrimer que pour jouir du oallne Sil jour , il efll fall LI qu'un peu de joie eû t déjà
�1
7'J
L ' AVE NTURE
é panoui son âme . Cc fu t ai.nsi qu e Louis le compri t. Le r appel de la so uff rance qu 'ell e avait !pr écédem m ent évog uée adouci t sa ph ys ion omi e.
Il I1w r·c ha à ses cÔ tés, les yeux ù le rre, c herch ant,
san s po uvoir les ll'o uve!", les mo ts qui diraient a utre -chose q u 'un e égoïste passion, la sympathie qu'li
r esS?nl ait. I~ étai.t b o~ . J~ans
l 'o u~li
rie sa IPro
pr~
1
souffran ce, Il déco uvflt l aocen b d un amOur plu s
IPro fon d!. ..
1
- Je ne vous oubli erai pas, diL-il, eela, jamais .. .
J'aimerais que vo us soyez heureuse.
- 1\1erei, d i L-ell e, et, dégagean t sa main droite,
ell e la 11li tend it spon tanément. .
Il la serra, puis la por la ;\ ses Ihvres. Tls éta ient
proches du château ... Elle revint lentement vers la
demeure, attrislée cl h eureuse touL ensemble, Lan dis que lui s'élo ignait comme ;\ regret, d'un pas pesant.
Isahelle sc ~c nlait
Il'isie de ce lle pein e, mais heurcuse ùr ~l'
sav0ir ti l )(~re
. (;'psl Loui s en somme,
qlli lui anit SIJ!!§!érr' l'illPe qu'clic pOllvnit quitter
Mannerville. Depuis drj:1 Cfuelqucs jOlr
~,
clic pressel1tai!., sal1s trop en sa isir la 1':1ison, ql lC Madame
dc \Ianllel'villc ne .. erail ras alllrcment fiÎrlu'(' de ~e
p,ISSC), de s!'~
ser'y ires, cl dans son d'\sil' cl pa ;·t ir ,
clic avail t1'Ollvé t·lIc!-m~n('
l'argllmenl. Sil l' le'lllt.ll
('cl Ir-ci avait {'omple s'appnyer.
Olland Isa helle lui allllonrn 5a Mie' minaiion, ]11
LOllnc damc flll, ail fond d'eJle-mèrnc. offw'III.lC cIe
la ,oil' jJl'cndre' les dl'vnnls ; elle {-lait tror St' rl sée
pOlu'Lml p01l1' bouder ;\ une me,lIT'e Cpl 'elle ·rn~1C
avait
Lrs
d(~irc.
('ho
~r.s
s'arrangi'rciii dOIlC' pOlir 11' rnif'llx, et
18al)('11e q ll i avait ;'\ \lanrH'nill /' sacrifit'· ;1 la ('(' rI;t"
de d'Url gai.!) inlr(~cat
dc's rro.irls <llll"l.!llIcnt rhc~,
fut hcnrc'use que les circollstances lui pl'rmi ssent
de repl'end re reux-ci.
p('IlSlOn S
Elle s'inslalla il Par is dans une de rc~
�L'AVENTURE
de fam ill e IJ ui , moyenn anl u ne rétri bullon raiso n llabIe, permetten t aux jeun es iso lées de lrouver, au
rctou~
' du travail , l es avan lages d'u n home et ell e
se n11l avec co ur,a ge à l 'éLude .. , avcc coul'age, ca l'
sa Ipt'o fonde sol ilude aj ou tai t ~l l'amerlume du souven ir de Jours heureux, comme cles heures douloureuses q ui l eur avai en t succédé ,
CIIAPITIŒ XI
Ma lgré la tcmpéralnre O'laciale, Jean-Claude s'est
déc idé à prendre l'auto POoUl' son voyage, 11 se rend
à Meslevcn l.
Vo ici flilinze jours déjù qu'il a reçll la dépêch,e
annonl,'rml l'arrivée d'Ed ith Namur. Sans doute, 11
n donn(; des ordres pour que la jelllle nlle soit hien
reç ue .. , Sane; dOlllc encorc, ses affa ircs J'ont retenl1, Il ne
JCU L ccrendanl pas, sallS maulIlIcr à la
bien~l\arc,
indtlfinirnenl J'clnrdcr,
Jcnll-Clallde, profllanl de la rcl.Îrhe de fin d'année, s'est mis en t'oute avnnl Noël. Il comple :;'arTl:lcl' ~l Bayellx cl s'est annonct: :1 Me::;levent pmlr le
3 [ !I(!t'eml;re.
Dh 1(' flI'IlÎIl du " 7, il gr dtI'icl~
repl'nclnnl à prendre ('ong-6 d, \Intlame JlO'r~i(,
La mi're cl le fils
avaicnl tl'tl hrllrcux de s'appal'lt'nir dellx grands
jOllrs, Ali rûltls dc ~cle
mi' re aimnnlc Jean-Claudf' l'cdt'V('P'lil l'rnfT~I,
l'cnfaul ronfinnl, libr'(' de
SOlI(~i"
, ' ~d»
('S~1
rntholisinslC', cl Tarlamc Fol'c~
lier ~e r'1'\oyail la jeune miT(~
vigilanle qn Î avait. élevé "(,lIfall l ('n rrll<;nnt i\ ,'homme flilur. Le présenl s'('lIri (' hÎssail de touL le bonheur' flu pa,~é.
Crll(' foi<, pour'lallt, lm souci pCl'sisl:mt ~:;îLa
it la
joie de J ean-Cla lld e. Talmellemrnl
sa mère s'en
�L ' ATENTURB
lliperçu t, m ais !puisque J ean-Claude n'en di saiL lieD,
elle n 'en prü pas connaissance.
Il s abord èrent le moins po s ib~ e,
on pel l dire
qu'ils n 'abor dèrent p as , les q ue tion s cependant
brûla n les qui sc rapp orlaient à Mesleven t.
J ean-Claude jugea inutile de dire q u'il rlevan~
a lt
de !pJusie urs j o urs la daLe à laq uell e il s 'é tait précédemm ent a n n onc é.
!Pou rquoi cet/e décision P Il le savait, mais n 'aimait pas à y r Ql échir.
Si une pr lld ence , à coup s ûr légi ti me, ,l 'avait iYl.vité à st/ L'pre ndre , surprendre lui r ép ugnai /, c l lui
r épu gna il d'fm/ anl !plus qu 'il ~ /ail
plus d écidé à
r en on cer à l' h érilage c l à sc ref user au ma ri age.
Là , cependa n t , Je bât le bl essa it.
Reno n cer ù J' h éritage 1 C 'es t b ien lô t <.l'l, facilemen t dit, qua nd on a sa vic ass ur <'<', 1111e pro fession dan s la qu ell e on r éussit, q uand on p eut regard er J'aven ir avec le jus Le opt im is me d 'une je un esse arml'e pa l' l'ét ud e c L p al' l ' 'd ll cation.
Serait-on a l ~ s i désinléres é si l 'r" enir JJ 'o ffra it
que dc ~ perspec tives médiocres ~
,
J ean-Claude p nsa it sou ve nl à cela, cl. le p r ohlè' m e, all i'g J'emclll résolu en ce q ui Ir! con cer na it, lu i
semhl ait aulrem ent a rdu, ~' il
cOll -id érait la je un e
fill e.
II fallait, POil!' 1"]1I ' e11e h él'Ï tâ l, </I le tous les deux
c on s('n/
i ~ sr Jl t il l 'unio n IP rojet ée. Si c'<~I:1it
ell c q ui
refu sail . .Ten n-Cla ude s'en lavait les ma in s ; si 10
r efu s ven a it de lui, il se n ta it d{'sagn'ablem ent le
poids ùe sa l' e s po n sa biJ il~ .
Le jour o ù il sc m it e n r ou te, la p illir, ce lle fois ,
n e tombait ras , m ais J' âp re vent de l'h ive r hurlait
au travers drs bran ch es nu es, lln "enl debou t odie ux
qui para issait s'oppose r li J'avance de la voilure.
Le· cif> 1 bfl~ . d' li n gr is u ni forme, s'accordai t à la \
tri tC' !;SC ùe la n at ure . Les l o urdt'
~ vac hes , d es cheva ux: é/aien L pIJurtan t enCOre a ux ch amps. C 'es ' à
�L'II. VENTURE
7~
peine s'ils tressaillaient au passage de la voiture,
engourdis qu'ils semblaient êlre de froidure et d'ennui.
L'avocat rev it le bçis de pins et le souvenir de
l'avelltnre snrgiL vivant dans sa m ~mo
ir e.
Il j eLa
un l'eg-nrd dnns la direclion de Mannerville, mais,
en dé,pit de so n espoir enlêLé, aucune voilure ne
parut il l'horizon.
L'appréhension de l'avenir proche l'étreignait
pl~s
g.u e ja~lis.
Les jours qu'il allait vivre lui par~l s a.l ent
de lestables, absurde autanL que crueHe la
slluallOn dans laquelle il allait être.
Vingl foi , il fut sur le IpoinL de Lourner carrosse et de fuir, mais il n'était pas homme à renoncer
~ un P~'ojct
fermement décidé, sous Je coup d'nne
Impres Ion prnihle.
Il Ipassa olltre la lentalion eL roula bientôL dans
l'avenue. Celle fois il arrivait le joUl' ... Le bon
ordre ~emhla
il l'éO~e
aux alenlours du m anoir :
les allérs é tnirnl e~l'Ln1s
cl, les corheilles fl'aichemen L retollrnées clevaicn l ê Lre ou ensemencre ou
préa
e~
pOUl' les semailles. Jean-Claude ru 1 agréablemen t ~\IrpJ'is.
QuanL au manoir, il semblail vide. Sa grande masse grise pnraisRflil morne. Allcun bruit de voix ;
pas un son ne perça it les épaisses murailles. Toutes
les fen r tr(' ~ rLaie nt closesJean-Glnucle descendit. de voiture eL laissant c('1Ioci SUI' placl' sc mit en demeUJ'e de contourner le
bâtiment.
Den.ji'rc s'Ollyrait la cuisine. C'était dcri~
, évidemmenl, qne s'riait réfugiée ln vic. L'inllliliol!.
élail exacll'. " r eine .Tran-Clancle el~.-i
dépa ssé le
pi~no
qll'il perçut un bmit de voix:.
Il fil l'nrol'e CJl1elqltes pas ... un rire lm rell Irop
bruyanl prolongea ses vibrations dans l'atm
o~rhèe
grisa illl'.
Une fenêtre de la cuisine était entrebâillée. Que1-
�L ' AVENT URE
qu' u n parlai 4- L'avocat crut reconndtre lu vo);x.
d'Emma . Que d,isail-elle?
.
Pour le savoir, il eût fallu s'arrêter, é<:ouler ;
mais, Jean-Cla ude, à J'opposé, se garda de faire quoi
que ee soil qui allénuâl le uruit de ses pas. 11 approchail ave<: celle li ure allure de qui n'a ricn à
cacher.
Le rire repriL. La voix d'Emma s'éleva de nouveau . Elle disait :
- T'u n'cs qu'une solle . .. Four peu que tu saches l'y prend're ...
Mais la voix s'arrêla net: Jean-Claude avait heul'l6 le seuil.
Le silence régna un instant, vite coupé par la
voix de l' oca l :
--'- C'cst 11 loi, Emma! J e vous arrive un (leu plus
tôt que je n'avais di!. ...
TouL en parlant, il enlrail dans le COUJOil'. Il
ouvril Ioule grallde ln porte ùe la f'ublle.
Emma sc ule l'occu pait.
Elle s'em
p r'e~sa
:
- Commrnt 1 C,'csl vous MonsicHl' .lean-t,lallde !
Stlr qll'Oll ne 'DUS allendait pas. \1adrmoj. 'l" EdilR
élail. lei :) la minulc. Quand elle VOliS a entcndu,
elle 11 flli, loul effaro!J('hclr. PailHe jl'l • flll,. !
C'est hien n.\lul'el !
Nalurel 1 .lean-C,laude n'cn di ronvennil pa". Il
élail pourlanl ilgacé d'avoir ùonné .'1 'TadpTlloiselle
Nam1Jr assez de lemps pour di~JlarÎI!'(.
El plds,
poul'CJlIoi Emma tuloyail-elle Edilh p Elle J'avait
conn Ile Ioule pel ile ... .lean -C la ud e, ronrtnnl, (\lait
slJl·pris. Cc luloiemenl, cc rire hruyanl el smlouL
ces mols vulgaires (\c:1lapr és de la 1>01l(:h<: cl 'Emma
l'indisposaienl f;1r.!lcuseme l~
La femme de cllarge devail 1'0 ;noi, l'intuition.
Elle (\lail rOllp-e el s'agilnil (b'lS la cllisine.
Peu 1\ pell el le sc ressajqil.
Pour une surprÏ'e. o("(',;l lIne surprise, déela-
,1\
�L'AVE NTURE
77
ra- t-elle. C 'es t Abel qui va être content ! Jus teent~
que ces jours-c i, il a durement travaill é. MonSIeur a vu P Dans quelques semaines, on n e r econnaîtra plus le p arc .
L 'impression d 'ordre e t de soin que l'avocat avait
r essentie a u de hors se confirm ait a u dedan s.
Mon sieur voit il ques tionn a Emma. J'ai r essorti to us l es b eaux .c ui vi·es. Evid emm en t, c 'es t de
l 'e ntre tien 1 Ma is Mademoiselle Edith m e donn e ,
par fo is, un c oup de m a in e t une b a lleri e comm e
,e j e- J ~\ ~ it la femme, dési'gn anl d ' un geste emp hatifJ ue J a!Jg n crn ent des casseroles de c uivre, c' es t du
sol eil dan s la m aison 1
E lle 'ciTo rç'u it é\'id crnm e nt de p araître dégagée .
Jea n -Cla ud e, pal' co ntre, ,con ervait qu elque c hose
de tendu, IIn e ex pression préoccupée, 11 s'efforça
c epe ndant ùe o r[il' du muli sme.
O ui , dit-il, j'a i pu fil er [Jlus tô t que je ne
l' espér a is, Au s i bi en en profiter 1
M0 n sie llr a j o lim ent bi e n fait , r eprit la fem me ùe c ll'OrO'e. OIl S so mm es o nl e nl s de revoir Mon si e ur. Q ua nt il ]\1Il e Edith, le S(;j o lll' fi 'es l p as drôl e
pOlll' ell e : pe r-o nn e à voir , lJl lC g rnnde d e m e llre
mal eh au ffl;e ; ('c n'es t Ip ns ga i pOUl' lIn e j eulle per so nn e d 'hab ile!' ir i to ute seul e .. . j e ye ux dire ent re
Ahel el moi. ,.
J ea n -Cla ud e ne r r pond it pas. Em ma r eprit .
_ J e havard!' , e l il es t te mp ' d e p r épar er l e dé.iel
!l(~r,
Le {'o uvert ci e Mo ns ieur ct celui de Madem oi~dlr
, je les Ill e ls d a ns la sa ll e à m an gcr il
.J ean -Cla ud (· fllt e nro r(' lI ne fo is s llr le po int de
IProl'~e,
Il n'c n fit r ioll . No fall ait- il pa en venir
à vi vrc dans l 'inli mi l6 q ue symbolisa ien t les deux
rO ll vprl q P
~"I
,t: "I ~,J ·; ;\ sr' ( l,; , il'~,
i l cM rOSi! mille ques" ons , mais il ~ ul
sc dOlllinrr .
'\ ; 1
l.ni nu c. : ni
ln,
t
di! il
~iJl1
plt'm
('h anl bl'c" {lui..;;
(' 1l.
ie . . ~d
Je monle deux
dJOS la hi ..
�f
L'AYENTUIlE
hJiothèque. Voulez-vous avoir l'obligeance de la
prévenü' que je m'y tiendrai jusqu'à l'heure du déjeuner.
Il répugnait à dire son nom.
Entendu 1 répondit Emma. Mademoiselle ne
peut tarder.
Une fois dans la vaste pièce, J ean-Claude commença de l'arpenter en long, en large, en Lous sens,
ainsi qu'il faisall toujours dan s ses moments ,de
nervosité . S.a promenade fut brève. La porte s'ouvrit. C'était Edith, mais Emma l'accompagnait.
Cc fut celle-ci qui prit la pm'ole :
- Que Monsieur m'excuse, di L-elle, mais Mademoiselle a voulu que j'entrc d'abord avec elle, ct
que j e dise à Monsieur que j'ai connu ses parents.
C'est ü peine si derrière l'épaisse silhoueLLe. JeanClaude pouvait apercevoir Edith. La femllle de
charge cef.A;ndant sc déplaça ct l'avocat vil la jeune
fille.
Elle était de petite taille, avec dcs cllHeux so mbres et touffus plantés très bas, semblait-il, car elle
baissnit la tête.
Quand enfin elle la releva, il vil que ses yeux
étaient noirs cl que ses sourdls rectilign es sc rejoignaient au-de us de ].a racin e du nel. Ses jouel!
un p eu forte s étaient vivement colorées, el le carmin de ses lèvres avivé Ip ar le Mton de l'ouge.
Contrarié par la présence d'Emma, .Iean-Claude
fit le nécessaire pour, aussi naturell emen t que pos5il)le, la renvoyer à ses fourneaux.
- Je vous r,cmercie, dit-il, el mninlenant que la
ré~(,l1ta
ion esl !aile, nou s serons, j e pense, Ip lus à
'aise pour faire connaissance en lête-:1-tête qu'aulremen t, pnis, vou~
l'avouerai- je P je meurs liUéralemcll t de faim.
paraître se
- 1\ronsicur il raison , dit Emma, san~
formaliser.
�L'AVENT ti1RE
79
Elle s'esqui va et Jean-€l aude, intérieu remen,t,
lui r endit grâces de sa docililé .
- Asseyo ns-nous Lous les deux, dit-il il la jeune
personn ç. Nous serons -plus il. l'aise pour cau er.
Et comme elle ne .répond ait pas.
. J'ai regrellé , dit-il ipolime nl, d e n ' avoir .pu
vemr plus lôl. Je me demand e si vous vous plaIsez
ici P
- Dites- moi an peu ce que vous failes P
r épo n. e ne parvint . La jeune personn e
A~cuT.le
par·aJ o.,sall frnp pée de mulism e.
- Voyons , Made moiselJe, reprit Jean-Cl aude, s'effor çant de ne pas laisser lire ['agace me nt qu 'il ressenlait, êtes-vo u limide à ce point P Si nous deTons vivre l ' un près de l'autre, ne scrail-.ce que 48
heures, aussi bien faire connais sance, n'est-cc pas
"otre avis ~
Cette dernii'r e inj onction obtint un meilleu r résultat. Edith releva le fronL ct osa regarde r JcanClaude .
Celui-ci. put constat er qu'elle avait de fort beaux
yeux. Elle était r éelleme nt belle fille, ainsi que
j'ava it dit Emma. Malheu reusem ent, ' pen sa-t-il, le
genre belle fille me déplaît sOllverainemenL.
L'expre ssion des yeux noirs; d'Edith offrait un
mélang e conrus d'étonn ement, d'incer titude , voire
d'e crainte , rien, en somme , que de très naturel .
Elle répél a :
- Ollaran le huit heures P
- Èh oui 1 reprit l'avoca t qui ne voulait pas
s'engag e r. Tes affaires sont très absorba nt e').
- Et moi alors, di t la jeune fille, je drmeqr crai
ici P
L'c'xpression marqua it de Ja surprise, nOll pas du
·ontcnt emcnt.
ml~
- Je su is venu , reprit Jeall-Clallde, pOIll" m'enIl' tenir avec VO lIS de vos pl'ojcl ct dc l'aven ir. Le
�80
L'AVENTUIŒ
notaire a dû vous lire le testament de M. de Meslevent P
Edith opina de la tête.
- Je ne sais ce que vous en pen sez, mais il me
semble qu'il faut nous expliquer fr anchement. Qn'eu
dites-vo us P
CeLle fois, la jeune personne ne souffla mol. Allail-ell e retomber dans son muti me P
Agacé, Jean-Claude affirma :
- En ce qui me concerne, je suis tout à fai l décidé à m'ex,pliquer avec vous. Si vous le voulez
hien, nous nous retrouverons tan tôt et nous mel1l'ons les chose' au point P
- OIIÎ, je veux hien , se déciùa :1 dire Edith,
"oyan 1 qy 'i 1 allendai t une réponse.
L'avocaL jugeanL que c'était assez sur le sujet,
s'éYertlla LI changer de thème :
Dile -moi quelque chose de vous P Comment
vOliS occupez-vous
P
- .l'aide Emma, hallJutia -t-elle.
- C'est très biell, n1pal'lil. .lean-Clnude.
Il lui parlait comme on parle ;'1 une fill et te de
dou ze a ns 1 Est-eJle ht!te 011 inlinlidée P se demandail ·i l à part lui, CO llllllune cn tout cas ... oh ! commlHlC ...
Il reprit, pu isqu'il fallait bien parler
Et pOIIW'Z-VOllS lire un peu P
Li re P
- Olli. la bibliolltèr]llC cst pourvue ; c'est une
cl~
fiche ses elu manoir.
- Il v 'n a beaucoup, dit Edit h en considérant
Jcs raYo;I~
,
hl':IIIC'Oup de lhres.
- OIIÎ, de Jiv,.I'
~ . Je n 'amuis pas ~1
c1Ioi,ir.
J'l'prit ,rran-Cl;lIId{', qlli l'l'pri- .Je cQmr1'(JI~,
ma l!Il f'l)nr irc. lIais que'l Îlgr :lvpz-\,ou', donc' P
Edith l'ougit, halhlllia, finalcnH'nl 'll'liC'llla lln e
l't'pOll'C inintelligihle.
�L'AVENTURE
-- Qu ell es ét udes avez-vous faites P reprit l 'a~IO
"
cal après un m o men t de sil en ce .
L' en tretien , décidém ent tou r n ait à l'in terrogGtoire. II était fu r ie ux c ~ntr
e lui -m êm e.
- J'ai appris comme tout le m ond e, r é,pon àii7,
déjà Edith.
ér & , JI. craign!t tout à cou,p de l' enten dre é~ yD1
i.l lIre, éCl'lre, c al culer, el se hâ la de ] In Lerrom,
pre.
011 les let tres vo us o n L-elles louchée
To uchée il
O ui , j e YO US demande O l! vou s les avez '",,;
ç'u cs P
Chez nous , dit-e ll r, . .
- O'ù ç'a, chez vou il En Algérie il
- Ou i, dit-ell e. A la Maiso n Lla nch e.
E lle di t ces derniers mo ts d:a n s un so uffl e, m NoÎ.:,
J ean -Claud e ne s 'en aperç1lt p as .
Em ma yenn it d 'o uvrir la porl e. Ell e annon ça .~
C CII m Oll sieur ct dame son t ser vis !
Si Jean -Claude v it d'u n m a u vais œ il le r C ~ tn\
inqui siteur Cru'cl le j eta it su r leu rs lPersoli ll fs , il ~
pal' con tre snli sfn il q ue p rît fiu une conversaü:;;p;
q u ' il ne {Joursu i va i t pns saJJ s peille.
r,JIAPJTT.E XTT
Edil h, pendanl le r r p as, se monlra plu s (,l1p['
'l:~re
~() lI rian
t e ,
trop cmp re;;sl'e p rc ~ qu e,
11'0,p S'.';'r ia nte .
L' a,(l'~
1 en ftl l. SlllP(\fu il. Sa m an ii'J(' d',~lre
J:'Il.'!va il (inilll"!' :, enl" nc1rc q u' il cxi~
' ,':
CI"I(' ['1:\ i! "i~'
lin ;)('1'01(( (pt t Il 'é lnil !'a~.
ct
�L'ATENTURE
Elle l'ap,pelait bonnement Jean- Claude, parlait de
la promenade projetée.
A main les r eprises, clle r épé ta un e petite phrase
sim,plette : « Je s uis b ien conl ente, J ean-Claude »,
qui eut l e don d'agacer prodigi e usemenL l'avocat.
!Pourquoi était-elle si con lenle ?
« Il n'y ava it vraimenl pas de quoi 1 pensait
J ean -Claude en lui-m ême. ))
Il enl un moment l'idée qu' elle vou lait donner
le cha n ge. Il s 'aperçul, en effe t, qu'Emma ava it
cons lamme n l les yeux: rivés sur la jpllllC fill e .
. Mais pOllrrruoi dOl1n cr le change il Queslion
d'amour-propre, Ip eut-être 1
Quoi r[ll'il cn fCrl, .Tea n.- Claurle n e tarda pas il ressenti;' UI)(! I;:1Le ex.tl'pme de 'voi r le repas prendre
fi n.
i tl~,
<1101';; qu'ils
VOlIo, fumez P demanrla-l-il il ~d
.sor laicll i cIp tahle.
La j elln e fille le regarda, vis ib lement indécise.
Emma répond it pour e lle
- Monsielli' ve ut rire 1 l\1ad
e/ Il O i ,()l~
est une jeune fill e trop J,ien élevée 1
En Ioule aut!' cir-ron, lance, l' avocat eût pouffé
de r ire . TI ~e conlenta de h a usser im pc l'ceplibleme nl.
les épaules .
Q1H!nd . l'nOn , la femme de chfll'ge sc d:c-id,t 1 sc
relirer, .leilil-Clau de proposa ù Edith d e faire une
proHl ella<!('
Elle :11' , ~I,:a
volontiers,
Le IC:ll ['", moin s man SMde quc la veill e, per met.tait ÙC ~orli',
san s ri sq ll c l' d'i':l rc, :1 toute ~e('o
n(lc,
h aTCcl(; par la hourrasque.
V(~I
('Z-YO
l S d la ud cmé n t, dil Jean-CI;}!"l".
(1 ~Iil'
valll cn fini r 1 pcn
~n il-.
l)
E~
il avnil l'intrnlion d'arn or('C'1' dt'" hl,lin; 'nn nt
la ron \'l'l'sat ion ér ieuse, séri("l-c el ~l1'tou
péu iblr 1,1.',1 se J1rol~a
it
d'avoi\'.
Edith revint, l'cvêlw' d'ltrI amplc collct de laine
�L'AYBNTURE
83
brune . Un ruban de soie cerise emprisonnait sa
chevelure. Ce ruban, elle l'avait nouo ooquellement
sur le sommet de sa tète. 11 aplatissail ses cheveux.
et melt ait mieux en valeur ses traits réguliers et
n~ts
; par conlre, celle couleur voynIl le la yulgarisaIt un peu plus.
- Elle manque de goût pensa Jean-Claude c'es L
'
décidém en t complet.
Ii n '<!lail pas di posé à l'induJgenœ.
Vous savez, dit-il avant de franchir la porle
que nou . avons des décisions à pJ;'endl'e ensemble P
PeuL-êlre aUJ'ez-Yous froid delJOrs P
Cerl ainement pas dit-elle vivement. Je sui ~
cxLl'èm ellH'n l cou\crle. '
Elle allong'cll le ùras, et Jean -Claude "i t qu'cli c
porlail sou s son c oll e l un chandail de gl'o~
st:
laine .
Parfait 1 dit-n, un [)eu surpris qu'elle eût
prévu une longue sortie.
- Et vous, vou~
nllez avoir froid P
- Non, cerles pas , j'ai lI1is un pull que j e garde
ici rn rrsef've.
Elle sourit. C' ~lait
la première foi s q ue JeanCl aude la voyait .oul'Ïre. Ce sourire (lIait sympethirjllC. JI ma;'quaiL du nalllrel, de la fl'unchise.
Les dcux jeunes gens s'éloignèrent.
Si délicate cL p énihle que ftÎt la silllalion, JeanCl aude, dès cru 'ils furent dehors, 5'e trollva ! eo.11 coup IPlus ;\ l'aise qu'il ne J'avait imngin é. L'i mpression désagl'én 1)le qu'il avait ressen Lie au CO Ul'"
du Jéjeullt'l' s'effaçait. même gradll ellcnl cn1.
avait comme 11lle intuition qu e la j eune' fil le, il ses
côtés, était pll1s simpl e, plus nal1ll'cllc , moim soU
pour dire II' mot, qu ' il n e S\1 ]'i1Ia il fi !!llI'I\ r t il n e
d ésespéra pas de pou voir se fai re com p rendre.
Com me i i~ pl' o l1 \':ti!
n(\a
n mo
i n~
IIn c nprél(!
n ~ i on
r 61liI>1t', il a l)() l'ch la (plc~!iù.
lin 1 ri! comme le
n a)!(,lH' qui dc lt rl\il, plon"(' Cil nIche mr ...
n
�84
L'AVENTURE
S/IDS se perdre en cirwnlocu tion s, il interrogea
franchement :
- Vous m 'avez dit que le notaire vous avait mise
n'u couran l des disposi Lions de mon oncle j>
- Oui, acquiesça la jeune fille.
Son ton, ceLLe fois, éta it nel, et - était-ce une illusion P presque provocant.
L'avocat ponrsuivit :
- Je ne sais cc que vous en pensez, mais, moi,
voici çc que j e pense.
l! hésita ... Au moment de porter le coup, son
:1u': iété r edoublait. Il toussa pour se donner une
contenance cl. reprit co ura geusement :
- Pour ma part, je trouve impossibl e de sous{:t:iœ aux conditions que mon oncle a cru devoir
mettre au legs cle sa fortune ...
- Ah ! dit sim p lement la jeune fille.
J oan-Claude fut oulagé. L'accen t d'Edith eX[>rimait plus de ~ urpi
sc
(lue de désolation. Mais avaitelle l)ien C01l1 pris P
11 sc hâla de s'expl iquer :
Si je co nsi r!' I"e le mariage que notre onde
'elll nous imposer comme une condilion impo
~sih
l e,
il Il 'y a riell 1:1, r.royez-Ie bien, qui soit inj urirux
pOlir VOI~
... cl si .ie 'OII S I(lrél' ien s sal~
ail C'nc!rc'.
c'esL pr6eis(\mcnt afin que vous ne pui ss iez pemer
cela. Quclle que so il j,a jeune fille en cause. si
J)('lle, si dlllrllWlllc qu'elle puis e être, voyez-vous,
j'aurai s dil non.
, Elai/-il loul ;\ fail ~ilC<'Ie
il 1 e sc laissait-il pas
emporler Il!rlr la 1l(>'e~si6
de convaincre, ou la peur
de blC'ssel' il
Dell', yC' ux: gr is , arllX: lendres yeux gris Jill apparurenl 210rs qu'il s'e ngngenit ainsi , cl il rougit de
, nft ,j JIl.
l' l)' I; lrsllÏ'. il n{;1nmolns :
'Vnllo, ('ompI'CTlCZ : 1"1',,1 IInc qllC'slion rIe prin('il' POlir 1ïJl~I:
nI, ,ie nc vellx pac; mc marier,
�L'AVENTURE
8&
mais SI Je Toulais me marier jamais celte question
d'argent n'interviendrait dan's mon ,c hoix.
--:- Je ne saisis pas ! s'écria enfin Edith, Cet
hérllage ...
La réplique lui déplut, ou Ip lutôt, ce qui lui dépluL, ce fuL .le Lon plus que sLupéfai t, l'incréduliLé,
pour tout ' dIre, qui perçait au travers des mols .
l'a. Eh hien ! repl'ÎL-il plus duremenL qu ' il ~e
wilL [lrér-nédilé, cel h éritage, vous cl moi, nous
nous en pa serons". voilà toul ! ajouta-t-il.
I!l LiI?-clivemenL, il pressait le pas. <\ présent qu 'il
avall .dtt lout cc qu'il avait il dire, -il ava it envie
de fU Ir. Avait-il peur de la riposte d'Edith ?
Quelques seco ndes, aussi longues que des minut~ s, le sil ence sc prolon gea . .lea n-Cl aude marchait
Ytvemen l, bouscuJ.an t du hout du pied quelfJues
pierres inoffensives. Edilh avait ai émenl réglé soo
pas s ur le SU'II, ml is elle Ile disail pas un mot, et
11 n'osa il pas la r egarder.
_ Nous nous en passe rons, reprit -il é nervé par
son sil ence. Qu',avez-vo us à dire ~ ,cela P
IntelTo
g\~e
directemen t, elle répondiL :
_ ,Je n e sais pas si c' es t poss ibl e .
. _ PourfJuoi n e sera iL-ce pas possihle ?
r.etlc foi s, il ln regarda cl cons tala avec surPrise q u' elle élait r('~Ite
fort <,a ime, cl non soulemen 1 paisihlC' mais d 'hullIeu r plutôt joyeuse,
Ce :;our in' que, 10111 Ù l'hellre il lIyaiL HIJ'[lris ~ lr
Ses ]i\vrcs, Y f1plIri osait d e 001lyeau, et, crtte fois ,
plus (;panolli.
Sa faluit é masculine en ressentit un léger choc,
mais il cu 1 le bon gofd de passer oulre.
11 rrpl'it :
_ .1 e vous dem ande quel I2'pnre ('i III posgibili Lé
va, ~rl?
n VOIJ~
f1 J'(""'oll1['(' dt' ma d(~siol
P
1'0111 pr e l d~
hicl!, (li I-elle "n fin, sans
1 if'
rl\pont1re il cettc qlc~'Ïon,
VOUR nr vOlllez,pa vous
tnarirr ~
�86
L'AVENTURE
Jean-Claude fit non de la tête.
- Et moins encore m'épouser ~
A 1v bonne heure ! Pas plus que lui, elle n'allait
par quatre .chemins.
- Non , dit-il, je ne veux pas.
Elle se détourna Lou.t à coup, et inspecta J'horizon, à droite, ù gal/che, .comme si clic voulait s'assUI'er que leur sol i Lude était complèle.
Convaincue que les bosquets dépouillés ne permeltaient aucurie surprise, elle revint vers l' avocat
et lui dit avcc conviction :
- Rien ne pouvait me fairc plus de plaisir ; je
ne Toulais pas Otre volrc femme.
L'imprévu de la dclclaration, Je ton dont elle lui
(ut faite laissèrent }'avocnt pantois.
Il eut un pell envie de rire, de rire de lui prindpnlement ; il eût été vain de nier CJu'il se f' C'ntait
un peu vexé. Il se demanda si le dépit, une volonté
de représailles ne dictaient pas ces paroles. Il fut
bientôt flx\~.
- Quand bien mÎ:me vous l'auriez voulu, moi, je
n'allrai s pas consenti.
.
Elle n'nvail même pas l'id6e de ménager la sus-cep li Li 1i 16 de .1 ean-Clallde .
•
AloI', reprit-il sè-chemen t, je ne vois aucnne
difficulté.
- Si. l'eprit-elfe. Emma et Abel tiennent énormément H1I mariage.
JI haw;sa involontairement les épallies. Quelle
impOl't ance pouvaic'Ill avoi rIes rlrsi rs cl 'Emma ct
d'Abel, et C]lJel hr~oil
avait-elle de ~'cn
n"',;o('cllperP
- Si, di t-elle, ]',Ipondant il l'in tCl'rogot ion visihle
dans son regard. si. C'rst pom moi très important.
- .Je ml' ù('mand' un peu ...
Celle foi~t
elle l'intcrrompit :
- Ne vons dpmandcz rien du lout. Vous ne [l'OUveriez Ipas la réponse.
�L'AVENTURE
- Al ors P reprit-il, décidé à affirmer qu'il passerait oulre.
Mais ell e n e ilui permit pas d'eXiPri rner cetle pen\lée.
Non. Ne dit es rien. EcouLez·m oi : Est·ce que
Ina présen ce ici es t une cause d'embarras ?
- Null ement, mais ...
- ' " une c au ~ e de d ~ pen
s e ex<:cssive P
- Pas du touL. D ' ailleurs vous d evez savoir que
lllon on cle, dans tous les cas' vous as ure une petite
I"l3n Le.
, -
'
Oui, je sais ... Aussi, je p ense que vous pouvez,
~ a n ,s dom m age , me supporter un an ici. Un an,
qu c·t-ce que c ela P
Sali S doute, je peux, mais je ne vois pas .. .
:- Vous n e voyez pas la rai son, et justement, la
t'lU30n, j e ne pcux pas vo us la dire. Vou s d evriez
trie fa ire co nfi an ce. N' ès t· ce pas un vœu mod es le ?
- EL mo i, p endant ce lle an née-là, je ferais figure
de fi an oé ?
SaIl visage s 'éclai ra :
_ Exae lémell L. C' est cela que j e voudrai. ob-.
tenir.
J e df. [rsle les situ ation s fausses.
Pourq uo i t' n IpnrleJ'i eZ- \ Ollq p
f)'a
l "re~
c1 11e moi peuvent en parler.
N'(lY('z- \ O U S pas , pour ceu x-là,
un e réponse
toule prt: le : nous VOilla n s nous connaître l'un l'autre, c t n ous De n ous rn a ri e r o n ~ qu'une fois l'année
éco ul ée.
11 la J'I'garda, Illirpri s de la découvrir lonte aulre :
intelli ge n le, rlPbl'Olliliarde, au lieu de la petite empal ée q u ' il avait cru qu' clle étaiL.
.
_ U,%\r.hi sscz, reprit-il plus p osém ent. Une fois
('elle :lIln{'c cSco ul ée, vou s seriez en droiL d e m e rel.ll'ocher ...
_ Hicn du 10ul. Je n e vous reproch er ai ri en. Et
8i j e VOliS dema n ùe un an, c'est que le notaire m'a
�38.
L'.\ \' F.:'-rfUTl.E
expliqué que le lps!a ment pl'·évoyaiL un aI l p 0 1l1'
nOLIs déc id er.
'
- C'esl exa·e t
- Vous voyez cl on,c que rie n 'ne presse.
Jcan-Clanrk r éfl échissail, mais plus il r éfl~c
his
oZ.ail , .plus [' idée lu! par
i s~a
it
extravag,anLe .
Voyon s ! dit-il. Vous n e me voyez po urtan t
pas vena nt ici trois ou quatre fois l'an ct 'G IlS leXJ:l ll t des di scours ou vo us cnvoyant des lellres dans
lesquelles vous et moi - la situalion est ide ntique
- IIOUS l'crions dc ten dres ÙédnraLÏo n s .
- Les JeUres se ulcrncn t son l enn uycuses, 0al' les
oéjours ...
J ~ lJ c sc 11l 1, [llde; a" h e\ra sa pen séc :
par- No I S ,pC:ll'onfi, quand non s so mm es ~culs,
ICI' (]'c 101111" nu ire ell05e.
- - E\ idcmmcnL 1
- Qli:lnl :111', lei/ J' t's, il ,~I!frit
qll'cllcs coi. lit popOllvons bien. VOliS {~1. moi.,
ilcs cL ... gell till es . ~0 1JS
,;oril'o des ]!' lIrl's de ('0 genre ... EL cl 'n illollrs, il Ile
scra pas 1: ·cr.~a
ire
d'( ~r l ' i r('
~;() IVe
Jlt,
ni dc '\-cn ir ...
\OIlS relicnnen l. ..
Vo' affaires, je ~(1i,
&Ia is, p J I~
Edilll s'emplo ynil ;', ohlC'nir so n adhé3ion. plus i'OIl Î(h;e 1II i appn r<l issail sal.~T
n II C.
« Qu'clle mc di',c ail moim scs J'ai~ol
~ , pensaiLil l) .
- Tl {nul cn 10111 ('as, dil-il, cruc vo us m ' expli-
quiez ...
<lXr'C~;n
Elle d(.lollrlla ln Il'ie. Son vi ,age nvnit repr is cc tte
()h~lin;!
(J'li Illi vena it ùc son fl'OnL has
,l t dl' 1:1 Ililr J'(' dC' ses s()JJl'cils.
Tl ~cnti
<Ill';: n'l'II ohliplHlrn i t rien.
Plli' irlf;(' llii i J'a"(I~n
la r Cl'velle :
Pt'fldanl ('('Ill' :lnn(.c-I;I, rlil·il, l'om i~t('S
eJ'l
dro it rie Vi v J'C le i. Esl-{'e ccl av:m 1ng(; cr 1\ i vo us
l'nlp il
La flllcsiion 1:1 fi! so rlir (le s('~
go nd
�L'AVENT URE
Moi J' dit-elle avec violenc e. Je voudra is êh'c
à cent lieues 1
Imposs ible de se mépren dre à ce lon. Il éclatait
d e sin cérilé.
PI us bouleve rsé qu'il ne voulait l e paraître , il
considé rait le petit visage encolél'é , ses lèvres rouges qu'elle mordiJJ aÏl nerveus em ent.
Elle sen lit so n avantag e , en profila :
Dans un an, j e vous dirai lout. D 'ici là, ne
vous en gagez pas ' ol/verle ment avec moi, mais laisaez-moi le c hamp libre. Je veux dire, laissez- moi
fair e le n écessair e pour que Emma el Abel vous
con ,· idèrenl comme mon Ipromis. Cc n' es t pourtan t
pa s diffi c il e , je vous demand e simplem ent de ne pas
D10 démon tir.
Il rep rit .com me malgré lui :
je puis ,
Emma. Abel - iJ\Iu i s ccs d e ux là du soir au lendem ain, les l1 anl1 uer Lous deux à la
1'0 1' ;e .
. - Oh 1 non , repriL-e ll e, visibl ement épouva n tée.
je vous en prio 1 No fai/ps pas ce la. Cela ser,a it
pire qlle tout 1
Ils ne vous lomme nlenl pas, au moins ?
l'IlIlI ('ment 1 Ab olumen l ]las 1
Jean-Cl all d e, malgré IlIi , comme nçait il s 'intéresscl' il ('ellc pel il e per sonne' 0hs ' in(;e 1111i, con lre
toul(' \J'nisem hla nce, sc dévoila it énigma 'irllle,
l afJuelle elle
l'ami{o lé ~ve
, L'ardeu r do son d6~ir,
épiail .,a J'fpollsc Cllre n t raison de scs rép ll gna n ces ,
- Eh "irn soil 1 l'eprir-i l, on s 'cffo l' rant de so umai" je VOliS
rire, SiQ'flO I'" IInc Irêve d 'un an
llerai pas.
renouve
la
e
n
je
Ir'êvc
celle
qlle
pr{O~iens
Je ne VOliS le demand pl'ai pas, riposta -telle,
du I;w UII lac,
f ,()JI,
dans sa chamlJl 'r, ,Tean-C lnwle réfléLe ~o ir , ~r l
ehit IOllgllel 1H'nl il {'elto con ver sa lion, mais il dut
r('('onna Hl'c gll'il n'y compre nait rien.
�go
~
L'AVENTURE
il éprouvait cependant un sentiment de délivranen pensanL qu'Edith Namur ne tenait pas plus
que lui au mariage projeté par Hon oncle.
Tl res<entait rn même temps Ulle ,sorte d"estime
pour la jeune fille.
Qu elles que fus enl les raisons qui lui diclJ<~nt
sa conduite, il pouvait au moins reconnaître qu'elle
n'était pas intéressée.
CHAPITRE XIll
Apr/'s son pelit déjeuner, servi par . ]a gouvernal'lte, qui sc monlra tout ensemble ,affable et résev~,
Jena-C laude sc décida, Je lendem ain, à aller visiter
le notai re .
D,e ux l,ilomètres lont au plus séparaienL le ma1I0ir du hOllrg'. Il résolul d'aller n pied.
11 n'a\ait pas aperçu ~a
pseudo-llancée, cL n'cD
ressenlait Tlul déplaisir, a1l cOlIll'aire ; non pas que
la j eune fille llli fllt antipatlrique. maj~
parce qu'il
6prouvnit le hcso in dr rf.fléchir avcc lui-même sur
l'élrangell) ùr la situal io n.
La vcille, il s'ria it endormi tard, assailli par mille préoccupalions. Ces préoccupations, il les retrouvait œ malin, moins obsédantes loutefois, clarifiées
par le repos.
Le temp s étaiL toujours au hea u ; l'air yiC in{)i-lail i\ ln marc'he, mais Jean-Claude , absorbé paf
les rrflexinns, n'accorclait. pas 1111 regard aux sévères hol'izon s qu'un peu de soleil égayait.
Il s r!prnandail, coire allires choses com~nt
Pierre de 1c~lvnt
avait pu Ilouhailel' cc maria g"t'!,
au point de voir ln so n honllCllr - ear la ~incér.o
<ie son ollcle ne faisait pas, pour lui, de doule.
�L ' AVENTURE
91
Oui 1 Comment ~ Edith semblait être brave fille
mais il était évident qu'elle manquait totalement ~
Itullure et n'avait. pas d'éducation.
Sa beauté était faite SUI' tout d'une éclatante santé. Elle s'édairait bien rarement d'un reOet plu$
intérieur ; il sautait aux yeux quc le milieu dans
lequel elle avait vécu n'était Ip as Je milieu de JeanClaude, celui en lequel sa femme était appelée à
évoluer.
Bien entenù u, une femme intelligente peut ae~éri
un \ern is susceptible de suppléer à celle indlgence prrm it:re, mais le comble élait encore que
la jeune personne ne voulait ni du vernis , Hi du
mari.
Elle n'avait cu aucun scrupule à le lui laisser enLendre.
Comm ent rlonc son' malheureux oncle avait-il pu
sc figllrc!' qu'un tel mariagé serait hcureux 1
Le rôle qlle jouaien t en tout ccci Abel et Emma,
ce rôl e qui, tout d'ahord lui semblait inexplicab~",
lui purul, 1:1 la l'énexiô~,
plus facile 1:1 p~nélr:e.
lou s deu'{ devaient sc figurer que leur sItuatIOn
Iul~JTe
~jépendail
dc cc mahagc, mais commcnt en
Ot.alent-tl venus à terroriser Edith, car , mal grt< ses
dénégal ion<;, <n frayeur éclatait aux yeuX ot n'étaitco pas vi'!-;'I-viR d'cux qu'ellc voulait dissimuler ?
Quand Jenn-CJa1lCle pensait 1:1 ceci, .il rcgreltait la
prome
s~e
qu'il avait consen Lie la 'l'ellle.
Une pm je folle Je saisissait de dire son fai t à ce
couple iJ1M~rablc.
Il arriva ('hez le notaire plus agacé qu'au clépart.
Trop cl 'irri t aTle~
questions reslaien 1 en core s:ms r6p~nse
s, Il'or de ]'(Iponses, de ce!l~
gu'il cssayait de
(all'p, n'rmportaienL pas sa convlclJon.
'Maîtrr Pasquier habitait à l'entrrc du hOlr~·.
Sa
mai son ptait pourvue, affirmaient les honn?s ge~s,
dll confort cl JI' s ur-<,onfor! dûs nux del'n.rres lnyentions ; lui, par contre, datait de l'autre siècle,
�L'AVENTURE
il atteignait 65 ans, portait une longue redingote,
des favoris, dei lunettes d'or .
Il reçut Jean-Claude dans une Ip ièce - son cabinet dont les fenêtres dominaient l 'horizon de
mer, de Barneville à Carteret.
L'aspect du bureau était intime et ,a gréable. Un
bon feu flambait dans l 'âtre destiné à réjouir les
yeux, car la chaleur étéJ.it distribuée dans la pièce
par deux groupes de radiateurs.
Il reçut Forestier avec un aimable empressement,
lequel cependant se doublait d'un sentiment de malaise.
Le notaire pardonnait difficilement à Pierre de
Meslevent d'avoir confié à son étude un document
dont la teneur lui étaiL à ce Ipoint déplaisante.
Ceci n'atteignaiL pas Jean-Claude, bien au contraire, l'avocat étant la victime d e cet absurde testament.
11 Je re~ : ut donc très eordialemcn t ct lui eXiPosa
sans attendre les con ditions dans.le quelles il avait
reçu la visile ù'Edith Nam ur.
II ressortait des déclaratiolls du notaire que la
jeune fille lui avait présenté des papiers parfaitement en rrgle : actes de J1ai ssan ce ct de décès de
ses parenls, livret de famille,
Le notaire, à la suit.e de celle entrevue, l'avàit autorisée à s'installer il Meslevenl. .. La femme de
charge qui accompagnait .M ademoiselle s'était chargée de préven ir l'avocat.
- Elle ~'n
fait , affirnJa Jean-Claude .
Il sc tut, cherchant en lui-même comment il allail annOllccr Ra volonté UI' refuser l'héritage, mais
quand il vil maître IPafJuirf rntamef l'éloge d'Edith:
« Une belle fille, assurément 1 quelle magnifique
santé ! 1) il J'interrompit hargneuscmrnt :
.
- .le venais juotement l'om dire mil clh:iRion de
renoneer li l' béri 'J;!t!
Le notaire "-I.rRaula.
�L'AVENTURE
93
Oui, dit Jean-Claude, je ne voux pas me marier.
- Vous rendez-vous compte, dit le no Laire, que
M. de Meslevent laisse une fortune considérable ?
L'avoca t inclina la tê te.
- '" et que vous n 'ê tes pas seul en jeu 1 termina
l'homme de loi.
- Précisém ent, dit J ean-Claud'e. La confidence
fIue je vous [ais doi t r es ter secr ète pour Lous - et
san s aucune exception - sauf Mad emoi sell e Namur.
. Et, comme le nolaire l'inLerrogeait du r egard, il
ex.pliqua :
- J 'en tends profiter du délai que me laisse le
tes tament ; je n e dirai m a décision qu'au dernier
jour.
- C'est cruel 1 obj ec ta le nolaire.
- Mademoiselle Namur eL moi, nous sommes enlièremen t d 'accord.
- Elle es t bien jeune dil le notaire , qui demeurait ré Li cen t.
'
. Jean-Cla ude, agacé, fit un gesle : il ne [louvait
n en à ce l a~
- 11 faut de bien puissantes raisons, pen sa tout
haut le nolaire ...
\
J ean -Claude n e répondit pas. L'inlervention de
l'homme de loi corerspondait trop élroilement il!
ses scrupules, IP our qu 'il n'en fut pas horripilé.
Par qu el excès de fran chise avait-iJ cru devoir le
prévenir de sc inlention s P
- Quo i q u 'il en soit, déclara-t-il, veuill ez bien no1er, je VO llS pri e, que, sauf pour Mademoi selle Namur, et en Wl e ù lôte avec ell e, m a déclara lion
d 'uujo urd' hlli es t slri clem en t ço nDden 1ielle.
- J'ai com pris, affir m a le nol aire . D 'une par t
vous faites appel au sec ret profess ion nel, ct d 'a lt r~
pari , en d(;clnranl vos in ten tio ns cl cell es de Ma demoi selle Nam llr, vo us vous assu rez d'uo témo in
dans )e cali où l 'on vous r eproche rait ce lle long~
�L'AVENTURE
incertitude... Et VOU8 désirez sans doute que Mademoi selle Namur me fasse la même déclaration P
- C'esL touL à faiL cela, <lit Jean-Claude, mais
sans perdre de ·vue toutefois qu'elle seule est all
courant, eL qu'il ne faut il aucun prix q ue cetle
décision transpire . ..
De retour il iMeslevent, l'avocat fit ses préparatifs.
Il voulait partir dès le lendemain. Le séjour au
manoir, en trc celle jcunc p erson n e m y;;lériclIse , Emma indiscrèlc cl doucereuse, Abel, senile, obséquicux, 1ui était extrêmement pénihl e.
Il avait cu l'intention de rall ger Je p:tp iers de
son on'clc. Qu'à cela ne Licnne 1 1l ferait uno liasse
dos pariers les plus importants et la dépouillerait
à P aris. Un Lour de clef à la cham bre, ct les choses
r es lcraien l en ordre.
L'avocat prit préLexle d'une lettre reçue le maLill, pour annon cer il!. déci sion.
Emma parut touLe déconfite, si pcrpl exe même,
qu ' il crut devoir cXipliquer :
- Puisque nous sommes dcstin és à passer notre
,.ie en semhle, il ne me paraît pas n écessa ire dc devancer l'h eure que mon oncle n lui-m ême fixée.
J 'ai, celle :umée, un 1ravail con sic1rrahl e. Dam quelques mois, je serai 21us libre.
Ju squ'à quel point la femme de charge fut-elle
dupc dc ce petiL disconrs P Jean-Claud e s le serail
delOandé , s'il n'avail éLé convainCII qu c l'idée d'une
décision par laquelle il renOllçerail :\ l'I! {or il age ('011sidrrahlc de Pierre de MeslcvC>1l1. étail lUIP de cellCi
qui ne devait (}as pouvoir enlrer don s la tHe de
la gouyer,nan le.
�L 'AHI'ITURB
95
CHAPIT'RE XI V
Plusieurs mois le sont écoulés... L'hiver son
cortège de froideur, le printemps ct ses "ib~ulées
!ont aujourd 'b IIi de l'histoire ancien ne. IP âques mê:
me est déjà loin ...
Quand J ean -Claude disait à Emma qn ~il
aIli~
avoir celle année un travaill considérable, il ne
croyait pas, à ce point, ext>rimer la vérité.
Le succès qu'il a oblenu dans le procès Himier
lui a valu Jlombre de clients. Il a pu tout juste
s'échapper doux jours, aux environs de Pâques,
ces deux jours qu'il a passés auprès de sa vieille
maman.
11 n'est pas retourné .au manoir, et quand la penlée de McsJevenl cl de ses llôLes se pl'ésente à son
esprit, il s 'efforce de la chasser.
TeJle 6La il la r ésolution pri se 101·S du maussade
retour fail :\ la fin de l'an dernier: puisque Edith
Namur cl lui s'aC<'ordaienl un déla i d'un an , aulant profiler largemen l de celle périod e de répit...
l\lais si les clients de Jeon-Claude l'ont puis ammenl aidé :'t leuir sa promesse, les nouvelles ex Lé~i e u["e s
en ont, par contre, à maintes reprises,
ehl'anlé la sol idil é.
En dlSp i t des ac<,ords ré<'emm en l conclus, à Munich, l 'Allemagne '3 qJénétré en Tehéco-Slovaquie.
La ' lem iOT! ruropéennc s'est C'onsidér,a blcment ac<'!TIC. L' ";Wl lerre a 'Pu sc croire menacée à GibrallaI'. Jean-Claud e. personnellement, a hien cru que
les cholles a 1/ <tien l sc gâtcr. Il a élo sur le poin t de
�96
L'AVENTURB
reIlà:re 11 l\1esleve n t et de sig nifier , san s équivoq ue, s a d écis ion irré voca bl e . . . car il es t de pl,us en
p lu s r ésolu. Il n e e voit pas mobilisé et lai ssant
derri èr e lui une soi-di sant fi an cée, dont il n e v eut
ü au cun prix , pas IPlus qu 'elle ne veut de lui.
D epui s son dép art de J\,f eslevent, il a r eçu quelques le llres d ' Ed ilh Nam ur.
Ell es corres po nd ent
'b ien, ces le llres, à l'id ée qu 'il a pu sc faire de
l 'éd ucation ùe l a j e un e Dlle ... Lui, y
r 6pond par
quelqu es li g n es <courto ises e t" .. sèc h es , d ' une séch er esse à 1aq uell e il n e pc u t rien . Tell es qu'elles
son t, ell es Jui c oütent d éjù assez!
Mais s i Je o uvenir d 'Edith n e vie nt g u ère Je visiler, il es t, p ar co n tre , un au Lre so uvenir qu 'il
acc ueille volon tiers ; dep uis la r a n donn ée faile en
aulo l'a n de rni er par llU j o ur de temp ê te, ce souv eni r est deme uré ]e com pagn o n de sa solitude e t
m ême de ses heures d'e travail.
LOl'sq ll e, a près a vo ir pein é S III' nomb re ùe d ifCiC' ul tncnx: doss iers, il 6pro ll ve ]a 1(\'es
~ i l \ de q1lel q ues
instan ts de déten te, il revi ent , cc ch er sou ve nir , vole te!' a u to ur de lui , ct, to uL i, GO Up, il n 'es l pluti
seul. . . Il lui r al'a7L q u, lu n e clo uce ct j oye use Ipl'ésence {>gaie son IJlJl'ea u sévère ct qu 'a u -dessus des
lPil es de paperas cs, deux Lendres ye ux gris le rega rde n L. . .
Alo rs, il aba ndon ne l '/-N itill'e. le stylo .. . il se
carre da n s son fa ll ic uil. .. il ferme les' yeux pour
m ieux voir, o ui , ponr mirnx voi r , rO Ill" mieux li rc
cl ans les vr u ~ c harme urs .. .
L'hivCl'" de mier , nu relou l. de Me~lcv,
lors d'e
cc J'clou r q ll ' il n 'évoque pns 8fln S ng-fI('l'rlïcnl, il a
men6 sa vo i t ure J 1lSq 1/ 'n u ehûleau de Man nervi li e .
La issanl l 'a ll io SllI' l e h a .~-e(îlé
de l a l'ol1lr, il a
dr "{'C'null l'<1\,(' 1111 e à pied, comme nn prom en('lf r .
Son C(l'1Ir ballait : ail Iravcrs drq hoi, d(\poui llés, il \'o)n i l, de-<'i cle-lil, s1lrgir les loih éll'v{-",
los hallies chcmillécs ùu châtent/. l i s'eq appro~ e
�L'AVENrURll
ché de la grille, mais l'allée ..sinueuse du parc 1Re
permet pas de voir la fayade.
n. a attendu, écouté .. .
Rlcn n'est venu ... Personne n'a répondu il l'atlente de son cœu.r . Le croassemenl du ~orbeau, l~
l;éger L:ruit des l'ameaux morts qui,
de lointains
ll1.lervall..::s, venaienL s'abîmer sur le wl, emiP1~
S'Hcn t seuls le sil ence .
faire en celle sol itude il Que dire, &'il se
.Qu~
]alSsaü surprem]re P n a remonté l'avenue , tête
basse, et, lentement, -épiant encore clans le lointain.
le pas léger qll'il espérait.
EL ccpelldant _ chose cur ieuse - il s'est éloigné
de ce3 1ieux a\ co au fond cie lui-même comme un
renouveau d'espoir.
Il lui '1.('fIlhlait qu'elle n'était pas cn celle morne vaJl'c.. que, si elle eût été là, quelque chose
cù 1. sign:\lé sa présence... quelque dlOse il une fleur
Ù lerN' , \111 chrnt, un r.i{,~
... Rêvc d'amoureux, aus~1i
fol IJ lie so n amour 1
• _ N'est-Ge pas VOllS Jeall Claucle, lui a demandé,. i peu de lemps ùe là, sa jellne (lwie Grundidot,
qUI vous informiez 'de !\fannNVj]]C ~ .T'ai eu de récent!! l~a\J,(
... :\Ja clnme de
lanncrvillc (l Mé longtemps rlll.:nac'c;e _ il paraît qn'elle va mieux: cle
l'op ;ration de la cataracle ... La pauvre femm e, n'y
voyant plus, s'ennuyait à lonO'lIeul' de temps. C'e~t
!Jn c n;-ltarn(;e li~rse.
Tl raî~
flU 'clic s'est résiB'née
a aVOIr ~ pel> ('Atr' une demOIselle de compngme ...
mais l'hlllneuJ' de la bonne dame Tl 'esl pas 101ljonrs
~comO(!nl
. .. lPeut-êlre aussi la Iprésence ~e
('el~
.1eun
~ ~(" porlaiL-elle un br in omlJrage à sa .Illlou. te
~a!crnel
e ... ton jours est-il qu'aflrès a~oir
fait veml' pr(>~
d'elle plusieurs de ces demOIselles dont
l'une, dit,oll, est fort jolie, elle a tout abandonné,
les demoisel les el l'opération J
lni tient
CeLle man ière léO'i'rc de parler de cc qui
pourlan~
,
b , l'
t
Il
a
t ant a cœur a exnopérc . ayQCa .. '
4.
a
�98
L'AVENTURE
réalisé que son pressen limen tétait j us te... Isabelle
n'était peut-être déjà plus à Mannerville lorli de
l'incur sion qu 'il y fit. ..
Et ceci ne eoneorde- l-il pas avec la ren contre qu'i]
cru t faire au cours du /préeédenl hiver P...
Qll e de foi s, depuis, il a parcouru ce tr·a j et , all X
mêmes h eures.. . Que d'inutiles lran spor ls dans cc
déeevan l véhic ul e 1
Jean-C la ude, qui songe à toutes ces choses , JeanGlaude envo fllé de n ouvea u p ar le rappel de l' én erg ique petit visage , abandonne la ble e l dossiers. .
So n mouvement esl si bru sqlle qu'il ébranle un e
mOlltagne de Ipaperasses a u som m el de laquelle lrônai l le cendrier empli des cendres des cigarettes de
deux jours.
MyoJle comme une laupe, ou n égl igente, .iam
~
sa fcm me de charge ne s' aperçoil de la. préseuce de
cet objel. ..
Paperasses c l cendres choient dan s la corbeille à
[Jupiers o u sc dispersent su r le parquet.
Voilà bien ma cha n ce 1 dit Jean-Claude , ail
dèlrimenl de Ioule logique, ca r il e~l
da 1S l'ordre
des choses qu'un choc violent ait raison d'un édifice bran l an l.
Ma is J'avocat ne 3'ullarcle pas il r( ~pnre
r le dommage .. . Il j elle sur l 'amas des papiers un regard
mécon ten t et poursuiL le mouvement
qui tendait
vers la fenêtre...
.
Cell e-ci est grandc ouvCl·le, cL le chaud sol eil
d'aoôl y caresse encore les pierres, care
~se
brlllanle ; le lhermoi~
marque :>.5° 1\ l'ombre, et dans
l'aprt$-midi il monlera davanlage en core.
Jean-Claude ve uL se di traire du souvenir qui,
si cher qu'il soit, le laisse toujo llrs partngé eIlll'c
ct ln mélan col ie qui naît
u n espo ir d( ~ rai RO lnahe
sous les rcrroehes de sa rai son .
Tl s'acc01lde au hal1~
lr e de fer ct. durant qu 'lques minutes, s'amuse du spectacle de la rue. C'es t
�L'AVENTURB
99
l'heure où les écoles du quartier et les maisons de
oommerce libèrent les jeunes essaims ... Des fillettes
pas ent~
rieuses et affairées, d'es écoliers se poursuivent, un groupe de jeun es gens s'allarde sous se
fenêtres, cl il sourit en songeant au temps, qui
lui semble lointain , où lui aussi dissertait Sur le
cours du profes eur, mais, toul ;1 coup , l'a LLention
Ge J'avoca t est altirée, cap tivée ...
Sous sa fenêtre, où, il n'y a qu'un inslant, péroen il touLe ce lle j eunesse, une jeune fille vient de
pas cr ...
Il l'a vue de loin s'ava ncer, cl n'a plus eu d' yeux
que pour elle J
Que Ipeul-il reconnaître d'elle P Sa silhoueLte ~
Il ne l'a jamais entrevue qu'enveloppée dan s un
lourd m anteau d'hiver. a démarche P C'esl à peille si elle a fail quelques pas en sa présence ...
Il Y a pourtan t dan s toute a frêl e personne quelque chose qu',iI n 'anal yse pas ... ce Ipas 'l'if, son
porL de têle, que sai -je P ct qui laisse Jean-C laude
en suspen s ...
Il es t, à ceLLe fenêtre, comme erait le pêcheur
pen ch6 au -de sus de la barque. Il a laissé choir
dan la vague le pl us préci eux de cs biens... La
llOule l'amène à la surface. Est-ce bien lui P Va-t-il
s'en sa isir P
Quand la j eune fille arrive ous sa fenêtre, JeanClaude repère ses cheveux fin s, légèrement ondulés, leur 01' bruni qui donne un si vif éclat 3U teint
de l'aimable visage.
E1IG porle un lailleur marine, coquet, ma foi 1
de petit. chaavec sa co urle jaquette el un dr~le
peall, tout pe til , qui lui a permis d'entrevoir ses
cheveux, lrur teinte chaude, cc bout de frange sur
le l'mnL. ..
D'lin Ilond, l'avoca t csl dehors. Il a couru à sa
porte ct clcscencIu l'escalier avr r . l'allure écerv(eé
d'un écolier de dix an ...
<>\\ 1/\
',f
,)
1
~
" ,1'1
.: ....§/
"
�l.a conoier ge, Sur le pas de sa lpO'I'Le, esquisse une
_'(!lue eca'n daJisée, 111ais J ean-Claude n'en a 'CUIre
1
Il oourt vers le boulevat'd Raspail, où !te dit'igcait
ln jeune fille.
11 a, hélas 1 viLe fai l ,de démêler, au travers des
S't'oupes, d'un It)assan t à l 'autre rpassa11t, l'absence,
la dispr.riiion <.le' ·celle qu'il espérait · rt>~ouve
.. .
Jean-Claude va pour·tant de j'avant, maîa où tour·
.er ? A dro ite P A gauche P Il déplore à présent la
ptéd,pitation qui l'a 'empôché ·d'observer la roule
fJu'emprllllterait la jC'une fille. Son regard amcieux
plonge dlm l'obscurilè ,des voû~es,
s'accroche il
~OU8
Ica pieds menus qui lrollen t ",ers a~ rJ~jeun,
et, déçu, désappointé, ,l 'avocat revient sur cs pas.
LOrSf;111e .IcllI-Claudr, dans le COLmmt ùc l'aprèsJnidi , ,r dl·cida ù !'o:ever ses papera 'es &par~es,
il
relira de la -corbeille à Ipapiers, 'une cnvc101lpC don4
...
la Sil cri"lion lili fit froncCl!' le ~()lIri
Que fait ici celle C'n veloppc ? Le l'C'gnrd '0111 brc,
Jean-f'J uucle ln tonsfrJèrc : il 1. ~Ol'Ie,
la re~oun(',
la fixe aver dC's yell'l: méchnn Is.
Allons! 1/ faul CIl ·fjn,j·l' ! l Il .jlC'~1
I!I' 'co"/':Jg(', q~lC
d.iahle l
Ain si Jl~nse
l'avocn'I, ·on r nLi ril Il 1 de J"dile enw!loppe Je~
1('lre~
('I;S~{>C
pal' son oncle saliS la montion qu'il vienl de lire: (( COl'respondanC'e NII711ll r l).
Ces IcllJ'Os re ~ont
Iroi., ,fenillels ct 10J ~ les trois
de la main <lC' ~o n on{::le. ,Lu cbre~pon(hG
'hllmlr
manque, en fail, dc corJ'e~IPntla.
El!e cOllsi ·te
en lout el pour lont en trois copies des leUr s de
Piorrc Ile \Tcs1c\('n t.
Le deux derniiJ'C's ndr ssées ù Eclilh I,'lmur, ct
qui Ron l l'CRiées ~ns
rrpOfl!lC, ,fenn-fllalHlc ("fi <,onnat! la loncur. Son oncle la lui a dile au cours ·de
oel enlrctien qui n précédé sn mort.
L'aulrc lellrc est bien 'p lus ancienne. Elle remonlc i\ ,pIns de dcux ans.
El le élait, celle-IiI, adre soc ù la mürc d'Edilh
�J. 'AVEN'.I?UIlE
101
Namur, à ceLLe Madeleine Namur que Pierre de Meslevent a passionnément aimée... mais peu t-on appeler amour la passion qui a poussé à ].a vengeance
à !proportion de la vigueur du sentiment P
Mais, dans celle lettre, il n'est plus qllestion de
vengeance. Le remords, le regret y onl de poignanls a,ccen ts.
Pierre de Meslevent implore d'être pardonné.
Qu'une lelle leUre soit demeurée sans écho étonne el scandalise Jean-Claude . Le fait ne lui paraît
pas ~l l'honneur de la corres,pondantc, et que Pierre
de Meslevent, en dopit do ce dur silence, ait periévéré dans sa volonté de réparer, témoigne de s'a
~incért,
appelle dans l'e~rit
de Jean-Claudo plus
d'e'lLimo ct d'apitoiement •..
L'avocat Ipoursuit sa lecture, car il semblo, à lire
~ doelll1l.ent, (lue Meslcvent ait eu lmo nbsolue confian ro dans la fTénél'osüé du cœur' qu'il implorait,
une telle ('on
fial ~ce
qu'il ose s'informol' d'elle, de sa
",ie ot de SC1S souois et d'Edith, « la délicieuse ».
le mot ulDc'ne un sourire sur les lèvres de l'av.o1. .. L'ap.pc1Jalion a-l-elle jamais
(lat. La d()lircu~
pu ('onvonll' Il la fl'usle oroalure qu'il a Irouvée à
:l'esleyont il Mnis la suite ost plus é~rangc
... !Pierre
de l\'c~Jevnt
fa iL allusion au regard lumineux
d'Rùith, ( 011 sc lisait, déjà enfant, son arden te
ouriosilé )J. El il demande si ses goCtis intellectuels
ont (~onli{:
do s'affil'mer ~
HêvOlll', on le sCl'aiL à moins... l'avocat a heau
évoqueL' les I railR de la jeune fille d{'~(lC
il 1\Iosl~ved,
il a beillI animer, dans sa momolre ~rs
yeux
l1,Oi'~
el brillnnl8, s'il y démêle d,~
la cita 1,,111', de
1 éolat, de lu [rMcHé, et, lorsqu JI esl ~cu 1 a vcc
e!h., lino ~yJlpa\iC[
le
franchi se, il "n'y n jamais
l'lan lu qlli s'applll'Crtle à cotte lUllllC'l'e dont parle
son onde, el qui no naît dans un regal'd que so us
le sOl.lrfle de
l'e~pri.
�IO!l
L'AVENTURB
CHAPITRE XV
Il est midi, un midi resplendissant, tout pareil
à celui d'hier. Déjà , depuis !plus d'un quart d'heure,
l'avocat a abandonné son travail.
La fenNre, comme hier, est ouverte. Il s'y penche, in spec te la rue, emplie déjà du murmure des
voix j eunes.
L 'avoca t va à la glace et y jette un regard inquiet ; d ' un geste sec, il remonte son nœud de cravate et le voici dans l 'esc-a lier.
Il le desce nd vivement et songe, tout en dégringolant : « C' est absurde , c'est du dernier romanesque l. .. Déc id émel1 t, je perds la tête... » toules
phrases raiso nnables qui ne !peuvent é louffer l'arden t re frain de son espoir : (( Elle va venir, c'est
son he ure 1 »
Mais, comme J ean-Claude est, de pnr sa profession , accoulumé à chercher à l 'évr nement une base
log ique , COfllJl1e sa raison sc r ehiffe Ou s le silence qu e lui impose nt son ima gin a iion cl on cœm, il
réfl éc hil co ng rfJment :
(( Les m êmes occl1pations a ppell ent les m êmes h abitudes. Ili er , elle port aiL il la main ull e sOl'le de
boîte r.arrée , surm onlée d'une poign ée de cuivre.
Cel ohj et pa raît ri re cn tou,> poinl s cmhl ahle 3
l'appareil dont I\lI le Bri ec, s ténol ypi sle au P alais,
ne se s{opn rc jamais, d'oll je ('o nr lus, qu' ain si que
c l( · . ell e il des O("'
I/ Jla
ti () l1 ~ ('(;g lJlil-rcs.
ladil (' d(·Il)i~
EU I' Y:l au,;o lll'd ' hui , comme hier , p asser dan s ma
�L'AVENT URE
103
rue, BOlIS ma fenêtre , mais celle fois-ci, je la rejoindrai !
Et ('omme pour sc meUre en garde contre une
décepti on pas ible, J'avoca t poursu it en lui-mêm e :
- Et quand bien même cc ne erait pas aujourd'hui, la chose serait remise ù demain et si ce
...
n'esl pas dans ma rue, cc sera d'ans le q~lartie
Ain . i vonL, fonçant au travers des obstacl es et
renvers ant toute barrière s les rêves des a~ou
rell\': ...
(( Qu'il sc tienne bien ! songe pl1ls obscur ément
ellcore le fol gn rçon qui nous occupe , qu'il se tienne hien, le IpeLiL tailleur marine eL ce drôle de peLil chapea u qui couron ne l'or sombre des cheveu x,
et ]e mali cieux visage qu'écla irènt les Lendres yeux
gris ...
Jean -Clnude , aujourd 'hui, se l'avoue ... depuis
Il'op lon glemps il en rêve .. .
Et tandis que J'avoca t poursu it aveuglé ment sa
(·h imi're . le dieu propice aux amoure ux permet qu'à
J'orée dl' la rue s'estom pe la silhoue lle espérée .
.Tean -Claude l'a vue. Cômme nL auraiL-e lle échapp é
il des yeux qu'une fringal e aiguise . TI va vers elle
d'un de ('cs pa qui amait, pOlir la plus naïve, quelque chose de bouleve r ant.
La jeune personn e au lai/leur a vu de Join le
. cs grande s
jeune homme virevol ler, elle a r ré~
jambes, ses pas allongé s, cet élan q1l i le fait fondre ur' elle. ainsi qlle J'aigle SUl' l 'agneau .
La slnpt'll r, un peu d'effroi l'immo hili sent. Elle
n'?ul'ai l ra le temps de fuir. EL d'ail.lem s, nonrl'fil/-elle fui/', alors qu'un cri de surpns e heureus e
lèvres , landis que ses yeux recons'ér.har pc de se~
naisse nt:
- VOliS ) Vous, ici 1
.1can-Clanrlr 'Ili Il'nd les deux mains.
f:e Tl 'psI pas ex-trnor clinaire , afIirma -t-il, je
...
VOllS (1t'[Ji~
,
�L'AVENTURE
Et, sans prendre garde au démenti
flige :
qu'il
s'in-
-
Quelle chance inouïe ! Je n'osais pas l'espé-
-
Je ne comprends rien à ee que vous racontez 1
rer 1 »
Elle ril :
C'est drôle de nous :revoir ici.. .
Mentalement, elle com,p are
la
lande
sol itaire,
l'âpre vent, la pl uie diluvienne ct cet état de malaise au sortir de son lourd sommeil, et aujour-
d'hui j'asphalte br'ûlant, le gai soleil, les passnnls,
les cnIan Ls joyeux, et ce plaisir qui l'envahit.
C'est mieux 1 dit-elle à hauLe voix .
Je le pense bien que c'est mieux ! et [luis,
ceUe fois, j e ne vous laisse rpas échapper.
De quel aveu, de quelle promesse est chargé le
joyeux d{oll P
Isabelle sc ressaisit :
- Il est l'heure, dit-elle, on m'attend.
- Qui, on P interroge Jean-Claude, bourru.
Isabelle Larmier sourit :
~
La pâle demoiselle aux cheveux gris qui tient
pension rue de Fleurus.
L'avocat sc rnssérène, mais son audace va crois-
sant :
-
C 'csl pm·fai l, nffirme-t-il. La pû le demoiselle
attendra.
habcllc SN'OllC la tête :
Non, dit-elle, cc n'est pas po%ihle.
Dans son regard, dilns so n nr('cn l, i 1 ~ . a cc quelque chose de ferme que .Jelln -C laude y a dt1jà vu ;
il ne s'agi l ras Je perdre par ulle :mnladroite insislanre la cllanre qu'il a entre les mains :
ExclI~e7.-moi,
lui dit-il, mnis il e~1
indispenRable que je vous voie .. . Tl fanl. IlIlC nOl1s nous
rch·ol1vions. Aujourd'h ui jl Demain il Le plus lôt
el'llit le mieux. Vous ne IPOll\!!": ilO:lgillcr Lou l ce
que j'ai ;1 vous dire ... tant de choses ...
�L'AVENTURE
105
Surprise, émue un peu, elle J'écoule 1 Quel rêve
"fit-elle, qu'évoque cette voix ardente P
Et lui profile de son silence pour follement laisser enlendre le tendre intérêt qu'il lui porle .
_ Vou s devez me dire vos occupations, vos g oiHs,
pourquoi vous êtes à Paris, vos projets ... Je veux
tout savoir de vous ...
Ces derniers mols , il les r e Lien t sur ses lèvres ...
Commen t seraient-ils accueillis P
Il regarde à la dérobée sa compagne. Elle a délourné on visage, et il ne peul lire dans ses yeux
sa surprise ou son acquiescemenl... Mais, quand il
sc Lait, hésiLant à exprimer la violence de son désir,
elle sc retourne vers lui et le considère un ins Lant.
: - ~l
moi qui vous croyais sensé 1 d~t-cle
e .~fin
à
ml-VOIX ... Et vous ne savez ri en de mOl ... ct J Ignore toul.
_ ~rais
c'est justement Ip our cela 1 proteste JeanClande, non sans 100'ique.
Ils font quelques ,p as en silence.
« Je l':lime 1 pense Jean-Claude. »
« Il parle comme s'il m'aimait 1 sc dit Tsabelle
à. elle -mC'me. »
(t
NnLurellement il serait dérai onnable de lui
dire si vile mon dmour . ..
« Et moi qui ne pouvais J'oublier ... dialoguent
les cœurs dans le silen ce.
Aniv(;'l il la porle de l'immeuble où l'I'Q"ne la
pâlr c1rmoi~el
aux cheyrux gris, le .ieln~
gens
sc s(;pnrrn t, mais ,Tean- Cla ude a obtenll dl' revoir
Isnbrllr, Ir soir même .
El, t ; l1ri~
que la jeune fille clisp?rnlL sous la
voÎllc ob~clr,
lui revient en sellS Jn vprse, !plus
~hlo1i
in/(Irirllremdnt qU!( ne son l éhl onis ses ycnx.
blessés THU' l'ardeur du soleil.
�106
L'AVENTURE
CHAPITRE XVI
Ils se sont donné rendez-vous au Luxembourg,
sons les marronniers qui s'élèvent aux alentours de
la roseraie. Ombragée par la feuillée, l'all ée apparaît
mystériellSe, mais sa voûte Lénébreuse ouvre Sllr
des lointains lumineux, ct Jean-Claude, qui est arrivé le premier au rendez-vous, veut voir dans celle
belle lumière une image ~e
sa vie ... Aujourd'hui,
c'est à peine s'ils sc wnnaissent, ils vont tâtonnant
l'un vers l'autre, mais au-delà de l'obscurité présentc , Jean-Claudc entrevoit le bonh eu r.
Isahelle arrive [Jeu après, petitc sil houeUe que
le cœur reconnaît avant que les yeux n'affirment.
Lorsqu'ils ~ont
réunis, .Jean-Claude plonge son
regard dans le sien, pas longerp
~.
l sabelle a bai8séleg yeu". .. Il Y a Irop de c hoses dans cc regard ...
NOliS ne nous connaissons pas, répète la jeune
fille . en elle-môme, landis que sa main sc crispe
au dossier de la chaise de fer ...
Mais lui s' nahante des Irails lle son charmaut
visage, de J'omhre de scs cils baissés ...
Il a cependa nt <,onscienrc d'ôlre "enll pour aulre
chose ... se connaîlre, s'expl iqller , ct il SOllrit.
Ne connaît-il pas davantage par cc qll' il déchiffre sur les traits de sa hien-aimée qne par de lon gs
discours ?
Isahelle, dit-il néanmoins, voire sOllve nir ne
m'a pas fluilleS ... Alors m(~e
flllC je ne pensais pas
:1 VOI~,
.if' sava is CJlI'il élail là. ail pl us profond de
mo'D cœur .. Si ma mémoire me le rappelait pl~
�L'AVENTURE
précisément je retrouvais, ,avec lui, une peine qui
n'était Ip as sans joie. Voyez-vous, je gardais J'espoir,
un e~p
oir
étrangement ferme, de vous r e lrOllver
quelque jour.
Il lui parle de sa vie, de sa chère maman de
Bayeux, de la profession qu'il · aime eL serl de son
mieux./
Ensuite, ,e ' cs l elle qu'il im plaTe.
Dites-moi quelque chose de vou s, de votre
vie, de vos désirs ... DiLes-moi surtout si' vol re cœur
s'appartien t, si vous pensez que vous aussi !pourriez
m'aimer ~
A la confiance qui l'in Lerroge, Isabelle répond!
par une égale confiance.
Elle dit sa solitude, la solitude de son cœur. son
travail assidu .
Secré taire du d'acteur A., elle est constamment
occupée .
- Pas moyen de m'ennuyer, tel'min-.~,
avec
le brave petit sourire que Jean-Claude d-éJU connaît.
.La .conversation se Ipoursuit. Jean-Çlaude ~ait
mamtenant quelque chose de celle eXl lence doulourense, privée, si jeune , de tout appui ...
. Elle a été, explique-L-eHe, doublement orphelme à quelques mois de disLanee... el son enfance
avait été pOllrll'ln 1 rndieuse.
- 1'Ollt ce honheur, constate-t-elle, rend le !présent m o in s slipporLnhle.
« F ig urez-voli s que dans le CŒur de l'été cll'lns
Te solril , les neUfS, les parfums, VallS VOli S r et.l'Ouviez , 1011 1 à COl/p, dans un hiver morne ct. transi,
sans a mi , san s amOllr, sans intérêt. ..
« Afin d e: res ter couragell se, j'tearte l r, ~
trop
beaux ~O \l v ('nir
s .
Ell e sc lail , cl. Jean -f:lnllde l'esree.le ~on
,~ il e nce.
Quell e 1 rc r s~ ilé
y i1-I-il ;1 en sa Val!' davnn lng'e ~
Pourqu o i, dans sn vie snns soleil, l'obli ge r à rnppe-
�108
L'AVEN~UR
1er des JOIes passées qui font le présent amer P
Ils marchent à Ip résent côte à côte, un peu grayes, sil encieux ... Ils vont si près que parfois Us se
heurtent l'un l'autre. Jean-Claude s'ex·c use ... Elle
,ourit. L'avocat n'a pas un geste dépl aoé .
11 y a dan s les grands yeux clairs une confiance
et une rectitude qui command ent le respect.
Nous nou s retrouverons, dit Jean-Claude. De.nain, vouler.-vous, Isabelle ~
Il a saisi inconsciemment dan s sa main le bras
flue la manche emprisonne.
Oui, je veux, répo.m l-elle franchement.
Elle le regarde ; elle ose maintenant ; d'un geste
familier, ell e é,c arte une boucle l ~gè
r e qui es t retomh ée SUl' son front et, dans ses yeu x brille une
mali cif' use lnmi ère.
Que faisiez-vous, in terroge- t-ello, sur cette
r o ule désolée où. vou s m'avez r etrouvée gisallte P
- Moi, dil Jean-Claude, je me rendai s ch e ~ mOJl
.lIelO ; j'ai un oncle, ou plutôt j'avais un ancle
- c ar le p auvre esl morl il y a11ra bielltô t 1J l1 an, ~t
je me rendais· au manoù', le :rnanoil' de Meslevent.
Mosleven t. .. répèle J~abel,
la voix subi Lell1ent changée.
- Oui, \l eslevent ; mais, qu! y a-t-lI P Isa belle
EteS -VO li s souffranle P
D'un ges te, elle écarte la crainte:
- Non non, vous Jise~
P Contin1lez !
./ 0 di sa is que je me r endais an man oir, une
-"iell le · iJ;111sse silure S11r la côte sud du Cotentin,
~ l ' hail
n i t mon oncle Pierre .. .
Jean -Claude contIllue de parler, mais il ne sait
tl·op \' c f) u'il dit ...
Ses ye ll.,( ne qllittent pas le visage d'Isa bell o, ses
joues r;l l1( ~ tou t à cou p.
- Isa lJü lle,. vous avez heau dire, VQ llS souffrez,
li hiell -aimée P
,
�L ' AVENTURE
_ ,Moi 1 pa s du iout 1 .le veux dire ; 'Je -D'est
r ien, un p eu de fatigue, de malaise .. . Peut-êlire :vautil mi cux que je parte . . .
_ Quel dommag e 1 s 'exclame Jean-Pierre ,; mais
il se rc,proche aussilôt le regret égoïs te cx.primé.
_ Vou s souffrez. Laissez-moi vous re c~ m(h.ure
_ Si vous voulez, r b,pond-cl1e, 1a 'voix 'lin peu
la
~se.
Ils vont encore l'UR près de l'aulre. Lui, JealJClau de, poursuit son rêve . •E lle, ,I sabelle, ua 1P1l ~tl
fr on t, re ~ it un douloureux passé . .. Son Gme, qu i,
LopL li l'heure, s' épanouissait sous le soutflc d~
l' 1~moUJ,
pl e ure on amour déjà perd u ...
nll e de F le n rus, ils se séparent. ..
- Alors , à demain, Tsabelle P...
_ Pardon, dit-elle, la voix 'all-érce, j'ai l1âtr. ' de
m e l.louver chez moi.
E L lui, r éIJèfe landis (ll u 'olle s ' en gouffre 1l0U5 la
'
vouLe : « A la même heure, i ailS 1a rrwJTIe a~ 11 cc.
n'est-?c 'pas
, Mal~
clic lui aéc11appé .. aucune rép.onse n ... ~ l
parvenue i) se~
orcilies. Silence volonfalre ? ~I' 1: fr ance ? ,lelin-Claude n e saiL. .. 11 pari, étrallgcl '''di
A
'
.r
)
A
.
L0l1l'mcnl6 .
Le IClIclt"ma in la jeune fille n'é tait Ipas au l'I'ndez"
. f
VOUS. J ean-Claude, J1endan l de longues mUlIJ.ers, (11'iPenta scul la sombre aHée ...
Cll uque s ilfl oll cll c féminine sllrgissant ~ang
la
l11l11irro ra i ~a iL !lilllre li arands coup~
san cerm ;
mais, .à chaCftle foi s, c'était la mùrn c d é'c eption.
t'avocaL vou1ut sc rassurer :
« Elle é lniL fa lirruéc hier. Il est proba1lc qnc re
malai se J'flUra ]"el ~ nue
aujourd'hui chcz .elle. » .
Mais J ean-Claude n'éla"it guère dnpe des SUpO~I-
tions optimistes qu'il voulai.l écha
r ~lacr.
.
SOl1ffrante, hier P G0mlnen subtt fut oe maln lse 1
El .pollva.i l-il s"imu.lll1ncr que la comug'cuse volonté
.{.
�L'AVE TURE
110
qu'exprimait sa physionomie fût à la merci d'une
fatigue passagère jl
L'avocat revint chez lui, Ip arLagé entre son espérance tenace et la désolante intuition qui la lui faisait pressen lir loin déjà, séparée de lui.
Il n 'osail pas encore aller s' informer rue de Flenrus, mais il élait bien résolu à ne pas resler san s
nouvelles.
Chez lui, une leltre atlendait. Jean-Claude la décacheta fébrilement et lut avec anxiélé les lignes
qui le navraient
~(
Mon ami,
« Pardonn ez-mo i celle douce appellation. N'esLc'est la dernière
fois ...
« Vous m'aimez ... Vous croyez m'aim er ... Vous
pen sez, dan s Lou s les eas , que le temps con firmerait demai n, pl us lard, toule la vic, l e jeune
amour qui, hier, vous fit si tendre, s i re pectlleux jl
« Eh hien 1 moi aussi, je le crois 1 J e crois qn 'à,
voire amour, mon amour pourrail répondre, el
qlle Ipeu t-êl re, déjà ...
« Mais qu'importe 1 Il faut nou s séparer.
« N'en cherchez pas la raison 1 Ne m e cherchez
pas moi -mf·me ...
« Tou Les mes di positions so n l prises. Un obstacIe Re dresse entre nou s, mais qui ne lienl ni à
VOliS, ni à moi, e t ~epndat,
un LeI ohstacle
ne ,permel pas notre union.
« VOllS ~Ol
r["ez
à lire ces lignes. VOli S souffrer.
acluellcmenl, mais, croye2;-moi, Jean-r.l:llIc1 e, I:l
aussi le temps f~ra
son œuvre. Il jellera sur le
lumineux ~ouveOl
r de noIre so irée d'hi er la fine
pOlIR ière de l'onbli, el, d'aulres jours, des jours
d 'é té, des jours h eu reux se lèveronl. ..
« 'l'outcfoi , il me faul di paraîlre. Autrement,
« elle pas juste P Et pourtant,
«
«
«
«
«
«
«
«
«
«
«
«
«
«
«
�L'AVENTURE
III
« lo~n
de travailler pOUl' l'oubli, le Lemps enraoinerait l'amour, et nous souffririons davantage, ,.
« Non, Jean-CJaud'e il ne faut pas . ..
H Pardonnez-moi',
mon ami ; c'es)L pour D9US
« sa u~er
d'un amour qui, plus Lard, nouS dé.!eepé« J'era lt , que je dois vous dire adieu, ..
« Adieu, Jean-Claude. Oubliez-moi.
«
La letl.re était signée :
I SABELLE.
L'avocat, en la lisant, senlait grandir sa .tupeu r .
Un ob s lar~
~ Quel obstacle P Il revoyait la scène
d 'h ier. C'élait quand il ava it prononcé le nom de
}fe~lvnt
qu'Isabelle avait lout à coup accusé celte
fa llg-ue ... MAis alors ...
Jean -Claude revoit cette route ballt1e par les yools,
éera ée SOIIS les trombes d'cau, la voiLI1J'e ohanliol!née .. , el dans celle-ci le doux visage in animé.
Il en lend la voix cl 'Isabelle J'cl J'o r an t la làche
agress ion, consta lnn t avee une douleur que son courage dis imul ail, la perte de sa mnlletle ...
'P ourqu oi évoq uer ces so uvenirs à propoS de Meslev.ellt ~ Olli, p(J\jJ'quoi se rappeler aujourd'hui l'i.qUi ète lnlerrogat ion d'Emma :
l\Jonsiellf n'a pas pris ln rOl1le de la mer il
El le so ulnge menl in ex plicAble q1le parul Cllus!'r
son men so n ge: « A Carentan, j'ai bifurqué, comme' de rOllllJme . )1'
POlll'quo i e ncore celle phrase enLendue la nuit
ré. o n ne-I.-elle ~ ses oreilles il
_ Dr fluoi te plains-lu P L'offoire est faiLe , el
bien fail e. ))
~OUI'
qll,rllc rai so n la femme de c.h arge prétendalL-elle qu'Ahrl ne sava it Ipns condtlll'e il
Mc leven t 1 Isa belle ! L'allilude embarra sée d'Edilh amuI' aulant de fail s qui, tout à eonp, ont
pl'is un 311l;'e , ' i ~nge
: seél{>ra~,
lrahison 1
« Je s ui s fou J Il pense Jean-Claude.
�I~
Dhtralt un instant de sa peine par l'enchainement inattendu des i.d6es qui sc précisent, l'avocaL
d'un geste Ul'usq lie, r epous e, au fond -cl 'un 1ll'Oir,
la IcUre q..j.l.'il vient de reoevoir ; il veut 'Savoir, il
sauta ; il sorl de so n appartement, se dirige ver5
la rue de Fleurus.
CHAPITRE XVll
Ruu de FJenrm,
IlJ
~lade
se henr le lit une '<:0'11 mais es l-ce hien nne ('on~i
gne il N'était-il pas exact que la bien-aimée avait
.l('a
signo impiloyaJde ...
Cui ?
L'avornL fit d'aulres d émareheg ... Il con rut c1 1ez
le dockur A... , ne put l . voir II fut rependant inform é que 1.\ ~crlai
l'C
dll doc CUl' avait , le malin
même, 'l"illf ~Oh
po le.
Cet e ohslinolion à le fnir , ce )'cru~
de ,'e. pliIl y pubait
quel' tortllndcnt le {'(X'1!r de l'avo~t.
mal gTtl 1t)11 1 un ~C(T'l
et hrcI C~pOlf.
N'-élail-i l pa~
évid('nt que· le nom dl' son mallll'IIl'eux onde avait cll'esQr soudain l'ohslacle ~
Et pouvait-il s'imaginer qu'il n'arl i\'cl'ait pl ~
~I
connaÎlre la v(~l'ié
et à la faire connaill'e P
le premier nctc fI accomplir, dès lors qn'elle' . f':
dél'oboit, ,:Illit d'nller à Me~lvnt
ct, armé Je sc
sonpçons, de rnelll'C à jour l'odicux ('ornplot.
Jean -Cla uùc se pt'{jparait à partir quanù so~
,{t'part fut rclardé par un occident fortllil ...
L'inql1i (tude, \'ango!ssc des dcrn 'icrs jonrs !lvaient
eu SUI' sa santé unc mflucnrc désastrellse. Le jour
ou il devait partir, alors qu'il sc voyait d~.i!
/lrri-
�L'A VENTUUX
II3
nnt ù. Mcsleven t, sans crier gare, et arrachant à
hôtes leur secret et leur masque, la fièV'l'e le
terrasg-a, une f"Trosse fièvre dûe à une crise 's ubite
du {oie.
b
se remit as éz vite, mais, landis que la maladie
entr~"Vai
sa ré801ulion, des jours pl us sombres se
levaIent sur le pays,
C'était l'époque où les Français apprenaient l'accord germuTlo l'II . ~f\,
où chaque jour leuT alppoTlait
de nouvelles rai so ns de craindre : menaces contre
la ,pologne, ineiden ls de Iron lirre, volonté netlement expl'imée par la France ct son ex-alliée d'oppo cr le,\lr fore 'S à celles du Reich .. , Le réseau
de la guerre se resserrait.
La guerre (lvre la polof"Tne enlev:J II11X 1l~
opli.
mlstes
leur dernière raison" d'espérer , et Jean-Claude
entrevit le I00TDenl, où il devrait rejoindre son corps
sans avoir CIlI élucider l'anf"Toissant ct tragique probl~me,'
"
Il le falLlit cerendan t.., En dépit des défenses du
méd,ecin, dès qll'il [Jul sc lenir debout, il décida
SCl3
n
pm'Llr.
Tl lie femit conduire au besoin , mais le lendemain, iJ ~e r1it
H \fcsle;enL Il confondrait le misél'abl e.... Etai l-ce l 'ef~
cl 'une !lOrle (ratl0-su.!e~
Lion ? 11 éhit de plus en plus persuadé qu'Ailel
n' ét nit pa~
f'lnJTI f"Tçr au lâche at ten ta t de la lande
et il rl"\'icndrail <'ù lemps, non pas, hélas 1 pour
retTOl1Vf
~r sa bien-aimée, mais pOUl' répondre à l'appel du Dav.:;
JI Ile' parI i l'ail pas, Loulefois, sans laisser pour
Tsaurl1t" , rlle de Flt'L'rus, comme chez le doclellJ' A,
des leTf
~8 qlli, se loll toule vl'41isemlJlanoc devrnÎf!lIl
l':lltcillci rf' '1IIrlfJllc jour.
Tanji~
qu'i l wngeait ainsi, pros 1ro à demi .jil'~
]e fauleuil 011 il voulait, coûte que coûle, rssnycr
ar
ses force", il enlendit ouvrir la porte de J'npr Lern e.!.
�L'AVENTURE
,
d.a coocierge lui porlail le courrier. Elle lui reJ:m deux leltres : l 'une, lourde, , 'olumineuse, qu'il
.~
u s sa
avec dégoût, car il y avait reconnu l'écri~ l'üe
gauche de celle qu'il avait lai s ée à Meslevenl ;
l : ~ tre,
légère, lrop légère, mais dont il but lon; .~
ment
des -yeux, avant de J'ouvrir, les caraclères
~ àu.s
et déliés de la suscr iption.
~:e
fut cell e-ci, naturellement, <.ju'il ouvrit en
- ~
mier
lieu ... Un court billet s'échappa de 1'eo·'l~
pe .. .
' f Malgré toul cc qui nous
épare, écrivait ]<; a ~
-;; belle Lormicr, je veux:, Jean-Claude, à la veille
tIu calac1y me qui meu aee nolre pay s, vous dire
t:'- que , ch aqu e jour, . ma pell ée ira vers vous ...
'.t Oubliez-IIl oi ! J'ai pu fOl'mcl', écrire oc vœ u,
~ . \ aL
j e n e m 'en d édis pas , cl moi aus' i, mou ami,
'tHrj'cssai el'ui d e vous oublier ... m ais , plu s lard ...
,( Auj o urd'hui, Clu'avec la Frao ce rnenac·ée, sO lll
(;l.11cn arés ses d6fen scurs, je ne pui YOUS oublier,
1J .l'c an -C laude ... Je ne le 'p ourrai davantage, lIu ss i
lo ng temps que durer a celle g uerre.
Cela, J ean -Claud e, ne sig nifie rien aulre oh ose
'.. ur l'a s~ lIr a n (' e d'un souvenir ct des prières qui,
.:. 'lU r Olln! des j o urs d ' épl'eu ve, n e pe u vent pas
.\: ( fJU !'; mallquer.
(1 Que Dieu vous prolèg e , mon ami 1 )1
?.' avo r al l'clnt '1lu sie1ll's foi s cc b illel ; il Je baisa
le p l u ~ a S il!' son <:œm, ain si qu'une ima ge vé né" iP.; qu 'un Inl istnan prole leur ...
1,ù soir seulem ent, I\l o rs qllo la lllmière inond ant
~ ...":'l l{' I)fIl'tClOcnl eù!' brulalemenl cllll ssù
les ombres
. :lpÎres au r êve, J ean-Cl aude sc dr eitla à p rendre
i'Ruw is aJl ce de la lettre qui lni venail de Mesle~ble
'~lr.
() ' lI i ~ C]Il'i
parl ait ]e ]l'ndemaill, il élait indi s,p cn-
rl' l 'i1 sÎlt auparaYant cc qui lui était
ll1 IUHl {o .
�L'AVENTURE
u5
Dédaignant de ~e liyrer, ainsi qu'il le faisait parfois, à d'ironi ques proncEtics, d 'imaginer, paI1
6.;a~ce,
les pro es;" l j, :IS banales qui devaient faire
obJet de celle Icare , d'un gesle sec de son canif,
li en tran cha l 'cI,' cl oppe .
. Ce n' était nalIll cul Ipas une leltre, plulôt un petit vO! l~ m e (J11e ('('Ilc CIlvcloppe renfermait, toute
une se ne dl! feui lles l':~,\
re 5 couvertes d'une écriture moin s appliqu ée ql'c de coutume, sans doute
tran sform ôe pal' la luHe .
. Dès les premiers m ols de li mi ss iyc, Jean-Claude,
lnstantanément apporta ~t ~a :cdure son maximum
d'aLlenli on.
E~
eff -l, ri en que )Jill' ';(J; 1 d,"IJU l, la leUre lui r év é l al~
ce (J1l'il désirait. t/l ,ll .; i\'oir, ct déjà entresel;ls :1 éclairer
voyaIt, c'es t que ces 1110'" , ,;f ~aienL
le dram a lique prohlème.
!
«
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C(
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"
«
«
« Mons"icul' , comm encait la jeun e fille, je vous
écris en {'ach elle, (,I~
,'achelte de mon pere Ab el _ cl dt' JlJ:l t.anie - Emma. - Celle lethre
est li: : - C'un fef, ... :nn .
« VU' ) (l tes <lll IC . \!o Il sieur, Mon nom n'est pas
Ed il h 1 amllr, !1ai~
Laure loiron" eL , bi cn lo'n
d' êlil! orn hcline . .l;l i un père - Abel Noiron ,u ne H:rrc, J'P~t
f _
au pa ys - c'est la ProveQ.ce,
mon pa ys _ ,- de !anl e - Emma.
«. Comment 111 , .1 père a-L-il .pn sc pro(:u,rer I~s.
paG)lers qlli me constilu enL un nouvel eLal-clvIl ~
Je J'ign or ... ,.: i essayé de s l~'[r
e ndr e leur secrel, mai s j c Il ' ai pu Y parvenu': "
« .Je 'a is, par con Ire, qne la "T'alC hrlill! Nam ur
n' a j ar!l:Ji~
I CI ' U vo tre leltre lui annonçant l'hérit afr' ... ,Je s;l l s qu e, bi en avanL la mort de M.
de \lcslevc nl plie tllait yenue au man oir, .. J'ai
enlet: '" lin 10 U I' ma lanle sc vanter de l'avoir
mise "' , ga: rJe contre lcs projets de vengeance
quI' vl'ln: (l::c:e m éditaiL ...
�II6
L'AVEN'l'URB
« Je suis bien loin :de savoir tout... Ge que je
« -&a1s, je suis décidée >ù l'écrire.
« IPolll'G[uoi si lard ? Excusez-moi, Monsieur)
;peut-être ne me croirez-vous pas, mais cetle q u es'( lio n 'OIIS ne me la IpOSeriEYL pas si , comme moi,
« VOliS con n ais iez mon .pèr e, si surtout, auta.n t que
« moi, VOliS c0nnaissicz lIla tanle Emma.
« J 'ai consen Li ù jouer ce rôle - j e vous l'éoris
« fran chement - mais dans mon .t,ke à moi, ce
« ne pou vail êLre qu'un rôle .. . Ne vo us ai-je p-as
« prévcnu que dans un an, lous dC1lx nous serions
« Jibél'~
? J'ai consenti afin d 'a,oir la paix, ,'\ftn
« de n 'C'lre pas, jour cL nllit, persécutée, afin SU1'C( Imlt de ne pas perclre mon fi anc r , car, J\lonsièur,
« J'ai un fbllf'é , cL si je n'enll'ais pas dans leurs
« vues , l'e iialll'r, je le perdrai s.
«
menl
j'ai épl'ollv{\ q'lfilld j' ai pu
« Qllel ~olng('
« être ccrlainc flue VOliS ne vouliez pas de moi 1
« C:'M: il 1:\ IIll grand bonheur. Les choses deve(( naient. faciles ... ·
Sùr'e ùe votre détadremenl, j'ai en le courage
rl'aii('fIÙre ... je' J101.vais allendr sans angoisse ;
IC ,je savi~
qlle )0 r('l'lls vie nd rait de VOliS ...
« Cc I,crllC; ilprl,q une ailnre (;rolllre, il eÎll Con«( tl':lill' mon pi'l'l' (!l ma IUllie ;1 l'(,flonrel' :1 leur
«
«
« f0lie. AUpUl'ilVlIn L, il n'y aurait p a~
cu de rl~C
(( CJu'iL, n'eHSsr-nt clr rl'ch6 ft meUre en Œllvre, de
(C peril{outn~.
de reprocJJcs qu'il. ne }1<' m'cussent
« pns fail subir.
La jrllTlc J'ill!' cxpliquait ensuile qllc longtemps
sc pre j(:~
l'i1\aionl Rali~fte,
mais fluo, J'lel l 11 peu,
clic en .nai l vu k drr:wt. Elle cl{'darail ellfin que
la PCl"j)c{'live de la guef!l'e la décidait ft parler.
« Le df.fallt, c'est qlle, landis qnc le!; moiA pas( saicn t, vos chances aussi ù~mj
nuaient de retrouvel'
(C ]\rlith
Nnmm,
�L' AVBf;1'URE
(C
cc
cc
cc
cc
cc
«
C(
cc Il est vrai que vous m'aviez dil - vous devez
:,ous en souvenir - être décid6 à refuser toute
Jeunc fille , si belle, si charmante qu 'elle fût.
C( Ces ,p aroles ont lout d'abord calmé mes crainLes, mais j 'en suis venue à me demand er si VOliS
ne les av iez pas diles pour m é nager mon amourIP l'opre, ct puis, il y avait l'au lre, la jeune fille
que votl'e oncle avait d ési cy née, ct qui avait le
dro it de connaître, le droit de se fail'e connaÎtre ... »
La menace de la gnerre avait enfln balayé toutes
ses hésiLations. Les con séquellces de sa faiblesse lui
apparurent Ip lus nettement. Elle craignH que cette
fai blesse ne portât malheur au fiancé pour lequel
elle s'alarnlalt déjà. Elle sc décida 11 écrire.
Laure Noiron demandait seulement ù Jean-Claude
qu 'il lui gal'dàt le secret de sa JeLtre, et qu'il ménagefit ses par'enls ...
(C
Faites-lem entendre, disait-elle, que vous ~a
« vez la vérilé ... Dites-leur, pnr exemple, que vaus
C(
avel': rencontré la vérilnhle Edillt
Namu r...
.Je
cc sai que ma LanLe l'a conjurée de Ip orler . un nom
cc d'emprunt pour échapper , lui a-l-ell e dil, à la
de Mes1e v cn t poursuivait. La
cc chose, Ipourtnnt est vraisemhlahle, la preuve cn
cc est que ma lall'le ava it une fra yeur extrêrpe Cjve
c( vous ne vous Il'Oll\ Ïl'1. quelque jOllr en présence de
« celle j oune fil 1(' . Elle cher cha i1 ~vl'C
.mon père les
cc J)o'yen
~ de Illi pI'OC>IIJ'Cl' lIll C SlluatlOn ('Il Alg-{oC( rie ... C'es t ;\ ~'C
so uel constant fllIC j e c10is d'avoir
cc f'nll'nd\1 tant !l" choses ...
« S'ils savent que leurs craintcs se sont r6a1iséc'i,
C( ni
l'u/I ni l'nutl'e ne rl'nueront. .. Tls partiront,
« Irop 11('111'011 - de n'être pns pours uivis, ct mol, ,je
« vengeance Cl Il e M.
cc se l'ni lih('l'ée. »
�I18
L'AVENTUR!j
Finalemen t, Laure sollicitai 1 le pa rdon de l 'avocat ct Je remerciait de ['avoir traitée avec bonté , ea
lui accordant le délai qu'elle avait sollicité.
Jean-Claude resta abasourdi après qu'il eût fait
celte lecture, mais la joie domina bientôt tout autre sentiment ct contrihlla pour sa part il alténuer
sa légitime indignation.
Il ne demeura pas longtemps perdu d'ans ses réflexion s.
Des ipoints de détail lui échappaient, mais cela
importait peu 1
Dès lors qu'il était suff isammen t rcnseigné, il
n'allait pas perdre son tem ps Ù CO llrir ,'1 M sleven t ;
le ,plus pressé, selon lui, était de retrouver Isabelle ...
Isahelle- Edi th Namur 1
Une joie intense l'envahissait. Elle {Ilail sienne,
sa hien-aimée, sienne d'abord, chois ie Ip ar lui ... elle
était ce ll e-li. enco re que son onde lui des tinait , elle
à laquelle il pensait qlland il lui avait affirmé avec
une véhémenl'e qu'il n'avait pu oublier : « Je trava ill e pOllr ton bonheur. »
Jean -Clande ne sentait pllls sa fatigue. Il (l écida
d'envo yer à Maître Pasquier, sous Je l'eau du scrre t,
bien entendu, la leUre qu'il venait de recevoir. n
joindrai t à {'('tIc le ltre le J'tlcit de l'aUellt al (JonI. il
avait élé témoin . Il prierait en consrqllence 1(' nolairp cl<- rcce\oi r 1eR a,pux du cOllple srr!('rat, 'lvcnx
qll'il obtiendrait sa n s peineJ rn affirmant que JeanClaude avait rencontré la véritahlc Edith \famur.
A. "1'"
(·il' l'ail signcr aux co upahl es ICllrs aveux,
apri', Il'ur avoir fail rcstitucr les papi ers qn'ils
avaient SOlls traits, il Ics chassc rait de Mr '!l'v('n t ct
metlra i 1 le l11anoi r "O WI clcf.
Arcs illf';ll'lJrtions vengcrs~,
]'nvornl ajollta néanm oill' lin /I lo t l'rronnaissnnt il l'ad(
~r
de la p~cu
do Editll 'l':lInlll'. Lr nolaire Illi rrmcllrai f rI' mot
s'il la vo 'ait Silns témoim.
Unc fois 'ce travail accompli ct celle lcllre rf.djl'I~c,
�L'AVENTURE
Jean-Claude allait être libre de con sacrer temps et
[orees li la recherche de ce lle qui le fuya it et qui
Ignorail encore que Pierre de Meslevent ava it effacé
sa •faule, non seu lement
en lui léD'uanl
sa forlu ne.,.
'
0
maiS slJr lou l en lui destinanl le seul être qui lui flÎ ~
c her: son neveu, Jean-Cla ude Forestier.
CHAlPI1RE
XVlll
L'avocat se mit en campagne avec une ardeur
.ouvelle . Le bonhellr rcnd optimiste. Il se croy.
a~
sûr du succès.
'
Les joul's pa ~s(' renl
néanmoins san s qu'il pM retrouver la Irare de ln jeune fille cl il, d,~t
rejoindre
me
son corps avanl d'avoir le lDol de 1 émg .
.La veill e de ,o n drpart aux armée, il re ç l~ du notaire tOIlS les pcl3iN'isserncllis désirables, mais allO.ln e nOllvclle cl '1 sa bell e .
C'est il la suile d'une !première lettre écrite par
P. de l\feslevenl _ une de ces leUres dont JeanClaude avait la copie - que la jel~.c
fill e éll1 it vonue au manoir . P. de Mcslev('n l" dCJi\ forl mal, ne
sortait plus gl lr re de sa cha mbre.
,
E.~ma
avait rc~:u
la jellne nl~
avec un e . fem it..
solllcilude c l lui avait comm uniqu é une mLe.l1s
frayeur de l'homme fIui 13 con.vorJl ,ai l.
se ~I . l'elle lettre CS ~
( NC' le cl'Oyez pas, madeol
un nOIlVel111 pit\ge... FIIye7.-le... ('vllcz rle VO Il " retrouver . l\r sa rOllte. r:~
n'esl pllls sC lllement l'in
-:Jividu irasc ible, l' homme aigri cl plein de ranrun ,
�120
L'ÂVENTUI\E
auquel vous auriez affaire, mais un homme dont la
Tengeance est devenue l'idée fixe, un v6ritab le moDomane.
« J'aime mieux penser cela, dit-elle. car autrement, <:et homme serait le diable en personne 1 Je
demeure pourtant à ses côtés. S'il a un éclair de rai80n, peut-êLre le ramènerai-je au bien 1...
« Croiriez-vous, Mademoiselle, qu 'il avait déjà
écrit une lettre du même genre à voLre pauvre maman. Elle était bonne, si bonne 1 Elle au rait IP U
s'y laisser prendre. Grâce à moi, ceLte leLtre n'est
pas arrivée.
« Ne restez pas dans ce pays, dans tous les cas,
ne révélez pas votre nom . ))
Les avis reçus ce jour-là étaient lrop sem blables
aux conseils qu'Edith . avait eus dc sa mère pour
qu'elle soupçonnât le mensonge.
Jean-Claude savait à présent la raison de ce nom
d'emprunt, il cOII1jprenait qu'Isabelle eùl refusé de
porler plainte après l'allenLaL de la lande.
Elle avait dû se demander si la main de Meslevent était restée élrangère à cette Wche agression ...
el c'étaient Abel el Emma qui, sachant -flue la jeune
fille l'é~idat
à Mannerville, ct qu'on lui confiait
fréquemment la conduite de l'auto , avaient médité
le complot.
Le pii'ge tendu par Abel poursuivait un douhle
but : s'emparer de papier qu'Edilh ~amur,
devel'lue Isahelle Lormier, ne laissait j amais derrière
elle, et terroriser la jeune fille.
Jean-Claude IPU t imaginer' le sursaut {~prolvé
par
elle à la pensée de s'unir ail nevell de ('rI Ôlrc malfaisant, d'un homme qu'elle renùait responsahle de
son malheur, ct du malheur , ct mêm e jllSqU';) un
cerlain poin L - car Je chagrin tue au," 1 ùe la
morl ùe ses paren ts.
Elle ùevait avoir llOrrellr de ('et être l'fui paraisMit n'avoir vécu que pour assurer sa vengeance et
�12 1
qui la ()Qursui,v&iL onC01'e, la veille de sa mort.
Hélas 1 toutes ees réflexions, si plausibles, si CODvaincantes qu'elles fussent, ne permirent pas à
Jean-Claude de faire connaître à Isabelle, ,a vant son
départ aux armées, qu'elle avait é~,
comme lui
vkHrna de. deux malfaiteurS.
'
• La veille de son départ, il s'échaPipa jusqu'ii
Bayeux et conna à sa chère maman son tourment.
JI savait qu'elle compatirait ; il savàit que cette
oompassion
pourrait lP~s
resler oisive.
.e
EPILOGUE
Des semaines, des mois ont Ipassé ...
Le Lemps. dévide lentement son monotone écheve~lJ"
.
Jean-Claude est en pays lorra in, un pays où llll
nO~lveau
,p euple un pe~lQ
cl 'homnl es en armes,
hanle les gl'anO~s
...
0
, les écoles, les mairies
,
Lo sergent Jean-Cluudù Forestier s est , comme
eux Lous, amalgamfi au hloo guerrior qui, de Loute
son énergie, sc raidit, prêt à ln luHe, s ur les bords
du Hhin ...
Tl est parti , lourd, ,c omme cux to,US, d'l~abiLues
chèr'es, plus loul'ù que be3tH'OUp, de S ~ItC
S , el; le
voici, en apparence ,pareil ft Lous ; ~es
InslcS8CS per$onnelles ne doivent pas appesanlH' Je lot de ses
;
cnmarades.... Chacnn porle son prop:·c. farde~
tous meLLen t en commun les poil les .I01CS pl'éCleU.ses, reflot du loi ntain foyer.
De,puis déjà plus de huit jours, il pleut en terre
�12:1
L'AVENT URE
lorrain e . .. Les rivières et les ruissea ux gonflés sortent de leurs lits, inonde nt les prés . . .
Certain es perspec tives sont celles. qu'offri rail UII.
pays lacustre.
A un Ip oste avancé, au pied d'une colline boisée, un comma ndant de compag nie demand e vingt
volon Laires.
Il s'agit, en l'oceur ren,ce, de dresser une embU8cade à j 'ennem i.
Cent homme s s'offren t pour un. Jean-C laude fail
partie du groupe qui part il J'assau t de la pente.
Maglré le feu de l'artill erie, le courag eux peloton
progres se et s'empa re de la posilio n.
L'adver saire est en déroute , mai s Jean-Cl aud e est
tombé, frappé par un éclat d'ohus.
- Courag e, mes amis, crie-t-i l. ResLez sur Iplaee.
Conserv ez la positio n prise 1
Une heure plus lard, une ambula nce du front
vint relever les blessés .
J!Can-Claude, après un plbnie r pan sement , fut
•
renvo yé à l'arrièr e.
Et ce ful 'là qu'aprè s des jours de dure souffra nce - il fut question de lui ampute r la .iambe .lean-C laude enfin retrouv a sa bien-ai m ée.
Celle sit uation en Algérie , qu'Emm a ct Abel rechercha ient, ils ava ient trouvé le moyen de la lui
faire propose r, ct elle, Cl ui vou lai t fuir Paris, qui
voulait surto ut fuir Jean-C laude , s'élait embarq uée
il Marseil le, ~l la veille de la guerre.
La m/'re de Jean-C laude heill'eu semen t avait retenu ce détail, ct, sc rendan t eomple qu'en France
i!llrollv ahle, elle avait cu l'helilla jeune fille él~jL
mtcl'l'O ger Emma.
falrc
dc
idéc
n'usc
C;ellç-ci , qlli pouvait rraindl'C le pire, avait indiqné uxaclcm ent la natllre des l'en eignem enls fournis n Edith ~arnul·.
arri vairnl cahinà reLLe f~po[lIe,
Les m i~sv(',
raha ... Les voyages devena ient des expédil ions.
�L'A TENTUR E
123
Bref 1 Edith Namur reçut, après de longs jours,
les lettres de Madame Foresti er, et, malgré sa d'iligence, mit encore le double de temps avant de
, débarq uer en France ...
Mais aussi. de quel bonheu r les peines die l'un
et de l'autre se trouvèr ent-elle s rémuné rées 1
Ils s'aimen t, et qui épierait leur dialogu e pourrait ,p eut-être s'imagi ner qu'ils ne conjug uent qu'un
se ul verbe.
L'amou r a son vocabu laire.
Il n'y a pas de comm une mesure entre les motE
qui ignore l'amou r.
et ' ceux ~e
que l'amou r in~pre
FIN
��Je
II"
i\J1ÙN CŒ UR
ES~r
Pou peraÎtrœ j:-1dj procbain
ra:'
}~AGD
Illai
69 5 d. la ColI«6011 .. Fa. . "'
MOI
l~
CONTINO
CIL\PlTB.E PHEMIER
)iiehel hw Valmon l, Je fron t [près de la Titre de
son compa rtimen t regarda it défiler la campag ne normande avec un ravi,sc!l1mL de citad ine .
. Ainsi donc, le sort en élait j eLé : elle allait habIte!' d<lJls celt contree ·aussi in connue d'c lle que la.
fa mille (p'i facce ptaiL cOl1lme gouver nante,
soupira , un peu effrayée , ne sa,ehan t
~ 'I ichd!lr
dar terni t II l 'une ct à l 'autre et si elle
J'a
pas û elle
plairait . A :l:S uns, elle n 'a va it ga rd6 ou éduqué
que de lOlls jeunes ellfants e L la pe rspectiv e d'avoir
à s'occllp er d' un e gra n d'e fillette de I l uns, ne l'enchanta it que médioc rem ent.
Pour lrlHt, la dévouée ,!li me ramier en coneIua n t
cc l'affair e)) l'avait fortem ent engagé e à accepte r. ..
avec son se ns h abilucl de la vie :
- Bon a ir, Lon gîte, Lon couvert , bonne famille, une seule é lève cl Ulle fi n d e mois Uippréciable ...
CA
suivre).
��2271. Imp. « La Semeuse»
Etampes (S.-et-O.) France 19 . ~o
��§..· .,11111111"'1.111 ..... ,11111111 11111111 •• ,11111111.1111111111111111111111111111111111111111 111111I .... IIIIIIIIIIII .. ~
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\
�DEPUIS TOWODRS SORT LES MEILLEURS
-
�
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Crisenoy , Maria de (1882-1965)
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L'aventure : roman
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impr.1940
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