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�LA COLLECTION "F AMA "
BIBUOTHÈQUE RtVÉE DE LA FEMME ET DE
LA JEUNE FILLE PAR LE CHOIX DE SES AUTEURS
••••••••
Chaque Jeudi, un volume nouveau, en vente partout.
1 Ir. aO
L~
l o ge
de la COLLECTION FAMA n'est plus à faire : elle est connue
de tous ceux et cell es qui aiment à se d istraire d'une mani ère honnête. ct
.il sont lél!ion. Sa présentation élegante et son format pratique autant
que le charme captivant de ses romans, expli quent son succès croi ssant.
l ..... ..
ABONNEltIEN'I'
62
RO_"'III:
D'UN
AN
70 (ra'lell
Mandala à M. le Directeur de LA MODE NATIONALE
94, rue
d'AI~
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PARIS (XIV · ) -
Ch. Po.t. Pari. 178.50
MON JOURNAL FAVORI
ILA
MODE
NATIONALE. fond" en 1885)
REVUE HEBDOMADAIRE
DES MODES. PATRONS ET TRAVAUX DE LA FAMILLE
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S amedis , 16 pages dont 4 en couleurs, plus en Buppl" men' un
Roman s ig n é d ' un de nos mel!/eurs " crlvalns .
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C:lu,qutl Nu ..'t'.·.. csl cnllè"clnclii I·e.nbou.·sé pal' un
liON d e n,~
...e volc ...·• "cceplé pour son .nontont en pole.uent de loute cOII'lIu,nde d e .""'TUONS. ou It.. u.· mol lié
du .t"lell.ent de toute oulre conunllnde.
1. 1<: SEUL JOURNAL DONT TOVS I.ES ,1I0DiiLE.foi
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d'Alésia, PARIS ( Xive)
�C8o':f5:(
CŒUR QUI SOUPIRE
�JiAN
ROSMER
CŒUR QUI SOUPIRE
\
ROMAN
ËDITIONS DE .. LA r-.WD~
NATIONALB ..
94, Rue d'Alé,ia, 94, - PARIS (XIve)
�CŒUR QUI SOUPIRE
PREMIÈRE PARTIE
CHAPlTRE PREMIER
Alec de Juvigny s'inslalla sur la t errasse du ce r ~ Ie, et
re\,;ommanda :
- Quand M. de Clairmont arri ver a. vous me préviendrez,
n'est- ce pas ?
Le garçon s'inclina :
- Oui, monsieur le comte.
n disparut dans l'un des salons. Re venao t aussitôt, il
annonça :
- Juslement, voilà mon capitaine.
Un homme tros grand, blond, svelte et dont k s immenses prunelles étonnamment lumineuses adoucissuient le prefil
allier, apparut sur le seuil. 11 accusait la trentaine, é t ~ it
minou de taille, large d'ép aules ct conservait sous le frac
qui le moulait un peu de la raideur professionnelle.
- Enfin, s'écria Juvigny en l'aperce vant.
- Je suis en retard ?
- P JlS le moins du monde. Impatient cle le r evoir, je
suis venu de bonne heure. J 'ayais hâte de le r a~o nt er
!!les
vaçanr,os.
Un vigoureux « shako-halld s » ponctua ces paroles, puis
les deux amis s'attablèrent devant le por to ser vi.
Co fut pendallt quelques minut es un échange précipit é
do questiens ot do r éponses. Ils se connaissaient depuis toujours. Elovés ense mble chez les Père5, ils avaient fait la
guerre dans le même ba taillon de chasseurs à pied. J ohan
�6
CŒUR QUI SOUPIRE
COIlUllC sous-lieuLenanL, son camarade COIllll1C simple sold al. Leur aITe<.:tion jusque-là fj'<.l lernell e s'6ta it décuplée:
au cours de c ~ s anuées épiques eL si leurs caractères diIT{;l'.lieut, leurs cœ urs b a ttaiellL à l'unisso n.
-- Oui, expliquait Alec en r éponse il lIll e qu es ti on <.l e SO I1
ami, je J'entre d e Biart'itz ct je repars demain pour le
T arn . Mon oncl o Ghislain m e réclam e il l'on t.
11 soupira et pout'suivil :
- Je préfér er ais p asser quelq I.tes bema in ü~ avec loi. l'a ris
est charmant il l'aulomn e. J'ai l'al'eIl1 "lli. l'oGcasion d'y
~é journc
:\ cette saison. Cependant, il rn' es t diHicilc <le
dédiner l ' invitation de mon parrain. Je tions il être il
1Il0nle-Carlo au d ébu t de janvier; dans ces conditions jù
dois me ha.ter, afill de ne pas rogner un jour des deux
mois promis à ma fam ille .
ll1eva les yeux au ciuI, eê cOlllpl éta :
- J e m 'on vais sans enthousiasme, je l'aRs lire. Je dé! esll'
désuètes de sc~
ilabi,lunls . Je m ',\
la pro\! ince, cl les lœ~I'S
ennuierai à mourir; maIs le d cv ou' avant tout, n'est -cc pas ~
A vant de répondl'c, l'oflici er regl\rda so n ami. De luillc
moyenn e, brun comme un andalou, le co mte de .TliVi"ll r
avait des ycux carcssanLs d'une couleur incté
c i~enotal
e~t
l :e
le gris elle bleu, une voix hanTlonioltse, ùes gestes ClIvelùppants el une éléganC'e de manières confinant à la p erfecliOll .
- Comme il est peu l',l it pour s'en l errcr duns UII C peli Lc
\ ille , pensa-loi!.
Un sourire égaya 8es t.raits lIléJan('oliqllcH.
- IIton )Jau Vl'C .'\lec, fi l -il d'LUI air apiloy6 ,
M, de Juvigll,V hod la la tète :
- Tu p eux Jl/ e plaindre, gl'o mml'la- 1,- i l, mon l'art n'a ri ~'n
d'enviable. l'asscr deux Illois a u moill:'; d ans j' a u litf1J11
llôleJ de Ill CS ullI_:êLt'cs, s6paré de lIles " . Ilôlbil udcs ... vivre
ü'interminabIct:i jOllrnées dam la savan te compagnie d'un
,ir illartl, tmiquemenL occupé <l e rocllc'I'l'hes lléraldiques ;
I,rcIldre mes r epas entre des cousines d élicie uses , certes, lit ai:.;
éLr angè res il mes goûts; vis-il - vis de leur gouvernaule
(jnglaisc, prude ct malliaque, cl côto à côte avec le chapelain du marquis, n 'csl pas pour m ~ di l'eJ'Lil'.
11 se mit debouL, fil rapidemen L le tour de la terrasse,
l'(ldnl à son ami, SEI pla.nta droit Ùo\ ant lui, les mait\$
dal1s le5 poche;, de lion Gmokin/J, puis prOposa:
�CŒ UR QU ! SOU PIR E
7
- Vi ens avec moi , tu m 'n id r " a~ à sur port el' la monotoni e
de l'existenre ql1 olicli cnne .. . nous cha::.se rons ensem ble .. '
vre~
coasi hes de Valél'ac sel'ont charmées de te connaître ...
.re leur ai padé ùe Loi. Ell es t'ac
l ~ u e il ero
n t les bras ouver ts ,
p,i j'ose dirr , ùe jeunes personnes aussi réservées.
Les paup i(,l'l s do C1:ürmont b aLt ~r e nL ; ses traiLs sc cris[1 ; rent; il soup ira, regarda son ami et affirm a :
'- C'est imp ossible.
•\loc ouvrit d('s yeux étonnés. Il demanda :
- Ponrqn oi donc?
- .Te ne va is pas dans le monde . ,re ne m'y amuse plu s.
lJf'puis l'armisl,Ït' e j'év iJe la société tIc mes se mblahles, m ~
plüee n'est pas dans les sa J o n ~ .. , t u es le selll cOlldi sr.iple que
jd l'el rouve sans amertume.
Il hés ita un mom ent pui s ache,'a :
- J 'ai tro p changé , mon vieux, je su is tl'llr. mrnL a moindd, dimlnll ô ...
Il se tut. Un ridu s amer arquait sa bouche llne. Alex le
('ontempla, sllbi tement altrisLé,
- Tu soutires touj ou rs? queslionna- f.-i l.
- Oui. J e né puis me Lenir dc'hout., ni moreller san ~
faliguo, Je ne boite plus, cppenua nL je LraÎ ne encore lu
jambe, Mon caractère s'es t aigri; je ne comprends rien :\
ln généra lion ar t.u cll r. . Les adolescents bl asés , les petites
Oll e!> frivoles dont I C8 salous regorgent m'ahurissent. Je
ne puis !rs eJlterldre caqu eter sans être tont6 de les conLI',)u Îre ... et.. .
Se.~
yell x 50 vo i li-l'ont. Sans D.rhever sa phrasü, il sou·
pira longuemen t ct se tut,
Attristé pur el'S paroles , le co mte essaya de le réeonfor tr I'.
- D GSl)i'\
p l' r ~ r dr la sorte à trenLe ans pst lIn sac rilège .. .
CI'ois ·moi, ta bl e;;su l'o es t do ('o lles qui gUl l'i sscnt à la
longue. Pt'( Illls paUc' nce ; ton genou s'assollpl ira... le,;
mauvais sO\l yp nirs s'enfuiront dans le passl\ .. .
111. ùo Cluil'mont out 1111 geri te désa bu sé .
- Mais si, mais si, insista son C'a m::traùr , ln pOllX !n'fl\
croirù. 11Jt. pui s, quand bi en 111 () ll10 tu rC!steruis moins
inga mbr , ceJ a n'eulèver"iL d en Il La séJ ucLioll. Tu n'as point
à rougi r de 1.\ 1{;gl\ r D in fi rmité dont Lu parl es co mme d'une
l:l rc, 'Cu es un <le C~ lI X don t la F rance Cl le devoir !l'être
�8
CŒUR QUI SOUPIRE
fière, ta faiblesse atLache à t(ln front une auréole de
gloire ...
- Ne débites donc point de folies, coupa brusquement
l'officier . Si tu prononç ds de telles hérésies devant les
jeunes, personne ne partagerait ton opinion. Aujourd'hui
les mutilés Bùnt considérés comme des invalides. Nul n e
les admire, au contraire: on les raille, lorsqu'ils prononcent les mots sacrés d'honneur.. . de patrie. Crois-moi,
mon cher, les terrillles angoisses subies, les jours d'épreuves,
les souffrances courageusement supportées pal' les dMensours du sol envah i, sonL oubliées de lous . On ril, on chanle,
on fail la fête le plus possible .. .
Il s'arrêla brusquement, haussa les épaules et se perdit
dam la contemplation de ses mains nerveuses et amaigries .
Alec ne protesta point. JI regardpi , le vi slge pâli, lOf;
prunelles creusées de son camarade. Por un brusque retour
('n arrière, il le revoyait. en mai 191 (.., au ,bal hindou de
la princesse Cr.Jgoriew: Jehan était heureux 'DIors, et si
gai 1 L es mallresses do maison le recherchaient pour sa
bonne humeur, la grâce hautaine de sa silhouelle el l'incomparable élévation de son espriL cultivé. A peine sorti
de Saint-Cyr, les mùres l'avaient assiégé pour leur" fllles.
N'était-il point le gendre rèvé? Orphelin, millionn aire,
prince fiom ain , d'une beauté romantique, à lourner les cervelles les plus solides, il atlirail Lous Ics l'e;;ards, e~ l..lS
jeunes personnes so ucieuses de s'élablir confortablement
lui réservaient lours plu::; séduisants sourires ... La guerre
avait bouleversé les espérances ùe ces demoisolles, Au lendemain de la bataille de la Mal'l1e, J chan de Clairmont,
lors lieutenant de cuirassiers, avait demandé à passer
dans l'infanterie. Son patriotisme fougueux r(\clamaiL un
champ d'action plus large. 11 désirait combaLlre dans les
tranchées, peiner, luLler pieù à pied conlre la horde eflvah;~sante.
Nommé au 58 e bataillon ùe èhasseurs alpins, il
:n"ait servi vaillamment jusqu'au soir où, sur le Chemin
(~es
Dames, il a'Voil cu le genou droit broyé )lUI' une IHllJe
de mitrailleuse.
J u\'i~ny
rcvoyait une ft une les heures de ('elle mèllt'
(.onl il avait eu la chance de rentrer indemne . Une lrise
~t
I,J"oronùe J'éi.reignait, en songeant au changC'nl "nl survenu
'ùans le curacl0ru ùe son umi. Son cœur se S~rl'.
.
�CŒUR QUI SOUPIRE
9
- Comme c'est triste! pensait-il, sans oser renouer l'entre :ien.
Cependant, les yeux perdus dans le vague, le capitaine
poursuivait sa déprimante rêverie. Le comte voulut l'arracher à sa médiLation.
- Tu as tort de ne pas consenlir à m'accompagner à
Pont-sur-Tarn, dit-il tout à coup.
Clairmont sursauta, fit un effort pour éloigner la vision
douloureuse qui l'obsédait, s'obligea à sourire, puis'e~c
sa
:
- IIierci bien 1 tu m'as tracé un tabl eau lrop séduisant
des réjouissances offertes aux morlels assez priviJrgi és
pour séjourner sous le toit de t es ancêtres.
Plus sérieusement, il ajouta:
- Et puis, mon bon, je ne suis pas libre. Tu l'oublies
consta'm ment. J'apparliens encore à l'arm ée, mon minist èré' me réclame. C'est ma façon de servir, à présent,
puisque je n'ai pas su demeurer dans l'active. J e n'ai pas
le pou~ir
de m'absenter ù mon gré.
- Je n'arrive pas à comprendre pourquoi tu l'obslines
à lravailler, du matin au soir. Cela me p::.raîL une 'chose
extravagante. Tu pourrais si bion te passer d'aller ft ton ,
bureau. lJ n'y aura plus de guerres <'I ésormais, A quoi bon
su porte~
les obligatio1lS d'un métier?
- Los miens onl toujours été soldats, coupa J ehan. J 'ai
su i vi leurs traditions.
- Tu pourrais pout- êlre obtenir UII rongé? intercala
Juvigny qui lenait à son idée.
- Pas en re moment, riposta son am i. J 'ai t1l'oil à
trenle jours de permission par an. Je les passe aver ma
grand'mère de L:1njac, pas pour mon plaisir, crois-le Li en;
mais pOUl' lui èLl'ù agréable; elle est ma seule pareille,
('omme tu sais , 1\1 algré foCS soixante-sept ans, la chûre créaturc aimo à sortir Lous les soirs. Elre privée de sa saison
fur la Riviera seIail pour elle une grosso peine. Pour rirn
ou monde je ne consentirnis il érourtcl' d'un jour los quatre
~ e maines
qu e je lui ac('orde Lous les ans,
11 sa tut. Ses yeux Ilollèrenl un instant sur les voilures
qui ~il on
a i enL
la place de la Concorde, puis il demanda:
- 'En dépil de ces inconvénienls, la vic ~'e s l pas t rop
I .; nibl~
pour "loi, dans t~n
vieux Ponl?
Alec secoua la tête négativement
�CŒUR QUl SOUPIR!:
- Rassure - Loi. J'arl'ive il. me ,jisll'airr. Nous somme9
l"è3 unis, malgré nos divergence., d,) goûls, nous nous
aimons lendrement. Œn ma qualité Je Jernier représen-
tanL m:J.Ie Je la famille, je suis très gâté. :Mes cousines de
Vulérac, dont mon onde est le tuteLlI', me traitent en
demi-dicLI nt m'admiront il. rond. Choyé pat' le marqt!iô
qui mo considère comme son fils, je suis urlulé pal' nos srrviLeurs. Chacun, y compris miss Jessie, la gouvernante
anglaise, el; le Père Bruno, chapelo in, secrMa ir rlr. mon
oilele, me dorioUe à l'envi.
Un silence Lomba .. \UCUI1 dl;S jeunes gons ne Lenta cie le
rompre. Pendant quelqurs minute" ils parurrnL s'absoI'lJl;f
dans la conLemplation du sp lenJide panorama dl,rouJé
JcvaliL leurs yellx. Déjà la nuit Lombait, Ics lam(l:lJàil'es
dccLI'ir!ues s'alluma ient II la Ioil'l, éparpillanl dans l'ombre
Icnrs multiple:; éloilrs. Une hrulne légùre montait de"
bel'ges de la SLinc et drapait de son voile nlauve la colonlIade dn Palais-Bourbon; les maisons s'enfonçaient dans
le l répllsculc c'nvahissanL Sur l'imme:nse place, il lelu's
pieds, la '!Ïi'CUhl Lion ralenLiss8ait. Une brise rraiche agit ait
I,~
[Jeures des ,i nrJlns proches ·et faisait lournoyer su r lu
ll'rra8::;0 Jeg ft'uillog upsséchées apportéos pal' le venL.
I.e capitaine releva le front :
- Jolies, les ('.ollsineil? interrogea - t- il.
-- \lieux que cPla. Eellc;;, répondiL spontanément 1~
corn le. Do pllrl's rncl'\'eilles 1
- l\l àlin 1 s'exclama !'ofllcier.
- VraimLnf, aS5Ul';'\ son ami, .ie n'exagôl'e point. 1::n
rt:Vi111ehe, elles fmon 1; ridicule monl. él c \,(~ps
pflr 11no lunto
jJJ'lIdl' ot e :\ l'I'.·d·,; ct l1ua"i· jans0niHLe, mon vieux. Tu n\!
[ICl1X illl-.lgincr cOlllmc ces pauvres DU"s éLoil'1I1. groLesques
IOl':'lljll'ellos oht d6ùul'qllé chez nous, il y a :'llx uns, à lit
fl1lJl'L do 10111' ulI:1Lùro parenle. Tout 10R C'!ir:Jyuit. Ol'phcJil:'~
dc,puis b fl:Jissan('e ùe 1..\ plus jrullp, clles avaÎvnl
p'J58é leuI' l~xiRcn
Jans .un r(l~1t
i .qlr
donjon .cév(nol et ne
r'Ollllabs:Jiclit l'lon de la VIC, fll11ldf's et rOIl!)'L~nc,
ellt 's
r';pondaÎ{H![, à pein c aux question':! dn I1Hon parrain ... et
détournaiellt hl tètc pour me parler ... L',:'Lait ù mourir de
l'ir(~
.
-- Elle,,; sc :IOJLt :lJlprivoi;,{'f's, depuis? inLcrcaln le C'rTpit~1Ïnc.
�cœUR QUI SOUPIRE
11
- Diou merci. JJ;1I0:i out perdu leur raideur; neanfl1oins,
n'ont jamais quitté Pont et dilTèl'ent totalement dèS
r'::Ulmes dont nous aimolls à nous enLoL1[·cI'. Le croirais-tu?
J'hésite à leur 3dressèr un <:olllplimenL. Elll"a méritenL
d'en recevoir, pourtant, elles sont si charmante::;.
- Ellus sc ressl3mblcnt? domanda Jehall él'oquanL
'JlIlüre silhouettes idenLiques.
- Pao lc moins du monde. Chacune possèdc un tn " (lt
Illl caractèrc particulicr. Pl) plus el,~
sont infiniment culUvées cL instruites. Mon onclc, furieux de les trOll ver ,;ussi
11JIVeS lour a donné los rncileu'~
maîtres. Biles onl rapidement profilé do~
leçons rcç,ues. Aujourd'hui, je los trou, e
~upér\es
il la plupart de leur::; ~embJals,
Jont la spét'Ïalité consiste il Naler de salons Oll salons leurs mérItes
per,;onnds ... Bn résumé, malgré ces habitudes suraIUlôcb,
:,[llca de Vulél'uc sont. do:> femmes a(:complieg, _I\ryollo
,:ul'lout.
- Al'yellc? l'i;p6La le capitaine.
- Oui, lel pelite dernière, une elllaut adorablo. Blonde,
mince, d'immenses yeux noirs ombragés rie longs cils touffus ct frisés, elle portc en elle Loute la grâce du monde.
i'1l05
-
Épouse-là, eOl~cia
Clairmont.
- Jamais de la vie 1 sc récria Juvigny. Je ne &uurai!i
;'ommcnL lui parlol'. Elle est trop parfaite pour mon goût.
Je désirc une compagne moins idéale, plus modemc ... très
sport. ..
II s'interrompiL, lira quelques bonnées de sa cigarelte,
J'luis acheva:
- D'ailleurs, vois-lu, 1l10n cher,lo mariage, les l"e;,ponsaLilités, lu cOI'de au l'OU , morci 1. .. le moins pos~'ible
flour
1110i. Je pré(/l!'o lu Iiberl6. Je Ile Buis pas 1Il1lr pOUl' affronl!:l' li un cœur lôgcl' les charges du « conjungo >l.
11 édaLa d'un Leau rire sonore, puis ajouta:
- J c te disais combien mes cousines sont différonLes
l'une ùe l'autre? tu vas on jugel'. BéaLrico, l'alnéo, a vingti<luatro ans; ollo a lra vaillé son plana a \,oc furie al se couI::iacre exclusivoment à la musique; elle comprend mor\ eiHeusCIntlllL les classiques, interprète Mozal't, Beethowcn
ct Baclt, dans la perfection. Dans son aprLclen~,
elle a
un orguo, et compose du matin au soir. Sa
f il inl'~a)I
C:'.!lur cadet le, Uel'céJès, peint uvee un goût LrèG ",ûr, olle
�12
CŒUR QUI SOUPIRE
passe sa vie entre ses toiles et ses pinceaux. La troisième,
Maxime, est plus prosaïque. Elle me parait vouée aux
délices d'un intérieur confortable et douillet ... Elle fera
une maîtresse de maison très avertie.
- En vérité, interrompit Clairmont, je ne vois pas en
quoi le séjour à Pont-sur-'l'arn te semble tellement
dépourvu d'attraits ... A ta place, je me réjouirais de me
reposer dans ce milieu ...
A:ec haùssa les épaules;
- Chacun son goût, mon cher. Pour ma part, je préfère
autre chose. Je me plais à changer de place, à rire, à danser, à faire du bruit, à parler haut. A Pont, ces choses
sont interdites. On y considère l'entrain comme très vulgaire. Je n'ose bouger dans la crainte de paraître commun.
J'y sèche sur pieds, littéralement. Mes concitoyens ont dü
prendre pour devise les vers cèlèbres ;
Je hais le moullement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais jc ne ris ('1).
- A cc point? demanda l'officier en écarquillant de
grands yeux.
- Comme j'ai le plaisir de Le l'afDrmer.
- Ce n'est pas croyable 1
- C'eSit ainsi, cependanL. En veux-tu une preuve,
L'unn6e dornièro, j'avais acheté un canot automobile. On
me l'expédia à Pont. Mon vieux, son arrivéo faillit causer une révolution. Lorsque les amis do mon parrain
connurent la nouvelle, ils nommèrcnt une délégation chargée do nous présenter lours doléances. Cos dignos notables
prétendaient qu'il n'était pas do mode dans le pays ùe
« monLer en baLeau ».
(( On ne peut se promonor sur la rivière ... c'ost le
propre des gens de peu: votre filloul y côLoyorait n'importo qui, d6clara l'orateur do la bande. On a coutume,
ici, de vivro entre soi. De plus, 10 Tarn cst dangereux,
ses berges sont tl'ulLresscs, plusiours navigaLours malaùroits s'y sont noyés ...
( Je dois à la vél'iLé d'avouer, .p.oursuivit Aloc, quo le
(1) Cb. Beauuolo.iru ; fl!J/Mle d la beauté.
�CŒUR QUI SOUP IIl.E
13
marquis fut ému seulement par cette dernière insinuation.
Du coup, le cher homme me vit mort; il me supplia de
renoncer à mon proj et . J e ne voulus rien entendre, il
céda. Chaque jour je canotai, mais le vi8age de mon
oncle reflétait une t elle angoisse lorsqu'il me,voyait partir.
que pour éviter de l'aIToler davantage, j'abandonnai mon
unique distraction. Si tu trouves cela divertissant, tu n'es
pas difficile ... Pour ma part, je suis horripilé.
11 éclata de rire. DevanLle r egard dubitatif d e son compagnon, il conclut;
« Après lout, si tu ne me crois pas, rien ne t'empêche
d'en juger sur place. L'hôtel de Juvigny t'est ouvert.
'Accompagne- moi ; tu te rendras compte des séducLions
de ma cité natale ...
Le capitaine esquissa un gesLe de dénégation.
- C'est impossible, dit-iL Je le regrette presque. J e ne
croyais pas qu 'il existât des pays aussi ... guindés ... eL
puis tu ... sais ... »
II monLra sa jambe droite ct se tut.
- C'est bien domm age, soupira le comte ; nous nous
serions beaucoup amusés: tu aurais appris à conna1Lre la
province.
- Tu m'écriras, coupa J ehan, tu me diras lout, le bon,
le mauvais, le gai, le tris le 1 J e vivrai presque à tes côtés .. .
'ru as de nombreux loisirs là-bas, consacres- les moi. Tes
leUres seront ma disLraction préférée, je les lirai le soir,
uu coin de mon feu, en pensant à toi; j'essayel'ai d'évoquer le milieu dans lequel tu évolues, cela sel'a un peu de
toi... l es 1 (J ures me sembleronL moins Jourdes.
Alec ne l'épondit rien? 11 regardait son ami a'fec une
att ention empreinte de pitié. En mondain dont les jour"
s'écoulaient sur les champs de courses , les terrain3 de goIl,
les courls de tennis, les salons en vogue et les théâL rOS:A
l; UCCÜS , il comprenait lllai la sujétion où paraissait se
complaire son vieux camarade. EH lui-même, il songeait:
~ Orphelin, riche, titré, Jch an pourr'ail menor une exist ence agr6able. Au lieu de s'amuser, il a voulu préparer
Sain t·Cyr; après sa blessure, il esl resté dans l'armée,
b'ost fa.it attacher au Ministère ... c'est extravagant 1
'l'out h aut, il r épliqua:
- <.:'c.:;l promis, je l'cxpéoicl'ai un journal fidèle ... Il no
�CCKUl\ QUI SOlllllU
pas lO1jou'~
rh'ôle, je t'en préviens ... mlilis à l'impQssible...
.
- Je compte sur toi, assura le capitainp..
Çhangeant de ton, il demanda:
- A quelle heure quittes-tu Paris, demain?
- Je prendrai le l'apide du matin.
- Tu voyages de jour?
- Oui. Jo dois retrouver il la gare le chapelain de
Juvigny; mon plrl'ain m'çn a prévenu. Lo Père Bruno,
est id pOUl' uHair(;s, ct, comme il préf'ère partir par
l'express de midi, je l'accompagnerai. Le trajet nous
paraitra moins monotone. Et puis nous devons nous al'rêtel' une demi-journée à 'roulouse pour voir un notaire,
tout cela complique l'expédition,
Il rel5urùa sa montl'c, son visage marqua un étonnement.
'( Huit heures, déjà, nt-il. Si tu m'en crois, noUs irons
tUner?
- C'est cela, appl'ou va J chan on redressant sa ho.ut.e
Laille. Allonl> dîner. ))
Le jonr suivant, ct quelques minutes avant le départ ùu
LI',lln, Alec reLrouva EU!' le quai do la gare, la compagnon
<.le l'o\1Le annoncé pur son oncle.
.
I.e Père t3I'U110, bénédicLin arraché t\ son cloitre par J('s
dllerets d'expulsicHl, 6taH une sorto de géant., au visage
t.:JIlDdé, aux yeux pl'orondément C'nConcés duns l'orbite ~,t
rayonnants d'Ilno nummo intérieure. En dépit de ln
doixantuioo prochr, il demeurait agile comme lln aùolescent.
« Quelle joio de vous reLrouver, mon cher enlant,
s'écria-L-il en se porLant. ·au-devant d\! comLo. En volrn
comllagnie, la rouLe SOfa une vériLablo partie de plaisir.
.\lcc remercia 10 roligieux de flon inùulgeT\ce, lui sO\~
haiLkl la bioove nue ('il 1ermel> affectueux, puis sUl'veilla
l'in&lal1ation de ses nHllleLLes dans 10 comparliment. A
pein':) <l!'Si3 enlace tle l'aumônier, il s'roquiL de Jo. santé dll
GUll pUII'ain.
-- M. le lnurquis cst robuste comme un chêne, rép~)JdjL
le moine. [J travaille énormémçnt el s'en LJ'ouve tort bien.
Wles de VaJérac sunt également en bonne santé; la soliLuùe letlr poso, leur tuteur na s'en occupa guère, La
~' erl
)J
�CŒ U R Q U I SOUPIRE
15
bonne miss J essis ne s'entend pas à les distra ire. Pont est
uI}c ville morte dont la so,~ i ~ t é disparaît p eu à peu.. . On
quitte b eaucoup le pays, Toulouse, Bordeaux , II1on,lpellier,
Pari5 at tirent les plus fur tunés ; les ilutres, les Comm erçan ts et les bourgeoi3 vegè lenL chich em ent ... C'est trisLe
pour vos cousines .
- rulles ne ~ orten
pas .
- R aremen t, on d ohors des officc:; qu'eHes 5Ul V Gnt
exactemcnt il la c(llhédrale, .. J e sais bien, le contact du
monde est parfois perni cieux, s mé cj'enl bl\chcs . Néanmoins, je d épl ore l'isolement où demeurent, ces chèr&s
petites .
'Alec prit tin <l ir apitoyé ;
- Elles doivent joliment s'enll uYflf, glissa-t-i!.
- J e le crains . De plu ~ , clles rêven t bqa ucoup ; co mme
elles n'agissent r-; uère, cel a pourl'ai t avo ir d es ré::.ul l at:>
d r.plOl'ables.
Le com te a llait parler, le Pèrc Bruno l'cn empêcha et
poursuivit:
- Vous avez ccrtainement connaissance d e rel" a lhum ..
d e C,11't06 post a les , apport és j a dis à J\1lles d e Valérac .
- Comment, ils exis tent toujours?
- Bieu sûr, cIles 10 fellilleltcuL souvent, prc:; que
chaque soir après le diner.
- Vraimellt ?
- Eh oui! clles a spiren t il visiter les villes repré:S!.'lUtëe
l',ur leurs images , Béatrice voudrait a ller on Italie, àssis 1er il Ia r eprésentation de certain!; ora torios ... Merc.rdt'Fo
rêve d e l'Espagn e ct do ses musées ; JIl aximc souha it.e de
parcourir la Hollande ... Quan t il notrc petite Aryelle, ell e
:.o r !oient attirée par diver:; p aysagcs de France.
Alec demcura silencicux. Tourne Ve1'5 la l'ollière, il
rq;::\l'rl ait le panorama fa milier. Renouant l'entretien, il
énonça :
- Elles sc m ari eront, bientôt sans doute, cl voyageront
à llUr gré. Puis qu'clles désiren t voir du pay s, olles :;el'ont
comblaes.
- J Cl le uésire ue tout mOli cœur, aHirn1ta le eh apelain ;
hélas l cela me pal'alt :.I.SS!)Z malaisé . Elles l1leltent une
rnal1\
' a~ $ e voJonlé évidente à examinor 1015 pa l'ljs qui ~o
prt bcntent. Il ne s'6coule pas do jour Cians qu' un candidat
�1G
cœUR QUI SOUPIRE
leur soit oiTert. Elles les refusent en bloc... C'est à n'y
rien comprendre.
- Qu'en dit mon oncle?
- 11 est furieux. Il voudrait beaucoup caser ses pupilles
ct les savoir heureuses dans la maison d'un époux assorti
à elles, par le nom et la fortune. Malheureusement ses
nièces ne partagent pas cette opinion. Elles blackboulent
tous les soupirants. Avant mon voyage, trois propriétaires
du pays avaient chargé la chanoinesse de Lib6rac de plaider
leur cause. Je suis parti avant de connaître la décision de
ces jeunes filles; je ne me fais point d'illusions, ces proposilions auront le sort des précédentes ...
11 soupira profondément et se tut.
Alec respecta son silence. Les yeux mi-clos, il songeait
à l'austère maison. silencilluce comme un mausolée, où ses
parentes usaient leurs plus belles années, en chimériques
projets. Une grande pitié étreignit son cœur. En luimême, il plaignait ces enfants d'habiter (n toutes saison'
dans cette demeure glaciale. 11 souleva les paupières et
considéra son compagnon avec l'intention de lui poser
une question. Peu désireux, sans doute, de poursuivre
l'entretien, le Père Bruno avait ouvert son bréviaire, et,
pieusement, lisait son Office.
Alors le jeune homme sc cala dans son coin et tenta de
s'assoupir.
CIIAPITRE 11
Le marquis de Juvigny attendait son neveu dans la
bibliothèque. Assis dans l'embrasure d'une fenêtre,
denière une LabIe surchargée de papiers, une couverture
de molleton autour de ses jambes frileuses et une loupe à
la main, il déchiiTrait un parchemin aux caractères à
demi-effacés.
Une paix profonde, l'environnait.
L'immense salle, aux murs tapissés de livres, éLait
silencieuse comme une chapelle. Dans l'ombre, au hasard
des encoignures une armure damasquinée, une terle cuiLe
italienne, des bronzes p::'Linés par le Lemps ct quelques
faïences hispano-maureJqucll meLtaient leu!' note claire.
~Ul
' une console, une buire do vermeil r empli de roses
�17
CŒUR QUI SOUPIRE
safranées au parfum musqué scintillait. Sur la tenture de
vieille soie violette, des portraits de famille, cardinaux à
simarre écarlate, militaires bardés de fer, magistrats en
toge s'étalaient côte à côte comme les gardiens vigilants
de cet asile du labeur et du recueillement.
- Je t'attendais avec impatience, confessa le marquis
après les phrases de bienvenue. 'ru n'es pas venu depuis
avril... A mon âge, on souffre- de vivre 6loigné des siens.
Sans reproche, mon petit, lu ne m'as pas gâté... J'ai été
réduit il la portion congrue.
- Je suis un grand coupable, je l'avoue humblement;
je reconnais mes torts, et pourtant il y a peu de ma
faute. Si vous saviez combien je suis tonul La vio mondaine a de terribles exigences ... lorsqu'on est pris comme
moi dans l'engrenage, c'est fini, on ne peut plus s'affranchir .
.- Oui, oui, interrompit le vieillard en hochant la tête
uvee indulgence. Je comprends .. . Il est plus agréable do
fleureter avec de jolies femmes, quo de s'enfermer auprès
d'un oncle podagll'e au lond d'un trou de province. . Je
ne m'insurge point, crois-le bien; je conslate, tout
simplement. Ton goût n'a rien d'extravagant, bien des
êtres de ta génération le partagent; je serais mal venu à
récriminer. Co soir, d'ailleurs, je ne mo sens pas l'âme
combattive. La joie de ton retour mo prédispose à
l'indulgence. Assieds-toi, l'acon le te.; affaires, conlie-moi
les projets ... Qu'as- tu fait pendant ces six mois?
Alec obéit en l5ouriunt. En quelque:; phrases il mit le savant au courant des événements survenus au cour3 de son
absence, décrivit les tournois d'escrime ct les matches de
boxe auxquel:; il avait assisté ct pour terminer donna ùes
nouvelle:; des amis communs l'OllCOlltrél5 pendant ses
déplacements.
Le marquis Ile perdait aucun détail.
Quand son flIleul se tut , il releva 10 Iront.
- Tu no penseras donc jamais il to marier? fit-il, uno
tristesse dans la voix. J'espérais recovoir des confidences
sur ce sujet. A trente ans, il serait temps d'y songer. Je
ne to comprends pas, vraiment; tu rêves seulement de
'sports et de r6jouissancc5. La vie est faite d'autre chose,
cependant.
- Mais, mon oncle... risqua timidement Alec.
2
�18
cœur..
QUI SOUPIRE
Le savant prévint son objection.
Vraiment, poursuivit-il aVQC véhémence, la
jeunesse de ce siècle est dépourvue de bon sens. Les
hommes agissent on écervelés. Tantôt ils se marient au
sortir de l'école ct nous convient à des cérémonies nuptiales
où ils font figure de premiers communiants, ou bien ils
attendent la cinquantaine pour édifier un foyer. De vingt à
quarante la liberté oslleur plus cher trésor, pour rien au.
monde ils ne consentiraient à l'aliéner... Pourlant, mon
cher, le devoir . ..
Son neveu réprima un sourire.
- C'est ce-Ia, diverti::;-toi à mes dépEinS.. . je ne m'en
vexerai point. Je me doute Lien que mes discours
t'assomment. Les sermons sont en complète défavtlul' à
en écoutor. J'achève le mien,
présent, nul ne veut pl~s
pot:.l'tanl . Tu es 10 dermer de ma raco ... Ne l'oublie jamais.
Alec joigniL les mains:
-' Je vous, en supplie, mon oncle, accordez-moi
quelquefi années de répit. Je suis trop jeune, léger ct
futile encore, je le sais, pour faire Ull bon mari. Ne me
refus Ill. pU3 un délai... Lorsqu'li sera écoulé, je 1110 rOl\{lrai
il vos l'i:l.iSOll\i.
- Quo feras-lu d'ici là?
~Je voyagerai, mon oncle, l'Inde, la Chine, 10 Japon,
l'Auslralie m'attirout ...
Le marquis leva les yeux au ciel.
_ POUl'quoi pas la Patagonie ou le Kamchatka?
s'éeria-t-i! d'un "il' épouvanté. Ma parole, mon garçon, tu
devions fou. Il est impossible do raisonner plus légèrement.
llreleva sa couver Lure glissée il terre, haussa los
épaules, puis grommela;
.
_ Me voilà bien loti, en vérIté, mon entourage esL
atLeint de démence. Une flèvro ambulatoire gagne mes
llUpillos. Colui-ei vouL courir l.os mers, los aull'ol5 dO!:iironL
passel' los Ironlières ... Je ne SUlS plus où donnor de la Loto 't
_ Comment, s'écria le comte, mos cousines ... ?
_ S'obslinent à demeurer filles cL à changer d'horizon,
ar,hova 10 savanL; hélas oui 1
Alec sourit de la digrossion.
- Mon Dieu, IllOll oncle, m-il, vous leur avez donné
�CŒUR QUI SOUPIR):':
19
l'exemple, jadis. Vous fûtes un grand voyag'ouJ', UII
Lemps do votre jeunesse; YOUS no vous êtes pas marié ...
Le vieillard sursauta;
- Ce n'est pas la même chose, fit-i l. J'avais une
santé précaire... et puis il n'était point indispensable
que je m'établisse. Mes frères étaient pourvu:; d'enfants,
mes obligations devenaient moins impérieuses. Cependant
si j'avais prévu la guerre et les coupes sombres pratiquées
pal' elle dans notro famille, je n'aurais pas hésité. ~fais,
à cette époque, tout le monde se refusait Il croire à une
revanche possible ..•
U soupira tristement l
- Nous l'avons eue pourtant, notre victoire; nous
avons repris à l'ennemi les chères provinces enlevées à
notre territoire. Mais à quel prix 1 Ce cataclysme a fait
de toi l'unique représentant de notre race et je ne vou·
drais pas aller rejoindre nos ancêtres, sans avoir fait
sauter sur mes genoux un « bambino )) de notre sang.
11 s'interrompit, demeura un in<;tunt songeur, puis
secouant la tête, il acheva:
, - Jo n'ai pas de chance. Toutes les fois quo je placel
,l'entretien sur ce sujet, je suis handicapé d'avance. Tes
cousines offirment qu'elles manquent d'expérience. Toi, tu
te trouves trop jeune ..
, - Vraiment, intercala le comte, vos nièces vous donnent
al~tn
de mal? Je ne les aurais jamais jugées cap{\blûs do
fmre l'opposition. »
Lo viruUard fronça les sourcils.
- Tu ne les connais pas, voilà tout. Si tn les crois
!:>oumises, tu te trompes. EUes ont leur volonté, leurs
opinions bien ù elles, et n'hésitent pas à battre en ~roch
mes plus solides arguments. De parti pris, eUes d6dalgnent
les situutions les plus honorables. Tous les c61ibat
i~ e~
ùo
la province leur ont fait transmettre des proposltlOns.
EUes ont repouss6 les unes comme les uutres, délibé·
l'emment.
- Quelles raisons allèguent. elles?
- Aucuno, répondit la 13avant. Biles demandont :1
fréquenter oho'/: des personnes jeunes ct modernes, ù voir
du pays, à vivre sous des cioux nouveaux.,. Des caprioes
en somme.
�20
CŒUR QUI SOUPIRE
Alec risqua une protestation.
- Cependant, mon oncle ...
Je t'en prie, coupa l'autoritaire tuteur, ne prends
pas leur défonse. Elles sont insupportables. Depuis un an ,
elles découragont nos amis les mieux intentionnés; Donatienne de Ltib6rac le répétait hier encore, elle renonce
à s'occuper de leur avenir. 11 y a huit jours, la digne
chanoinesse leur a parlé de trois châtelains des environs ...
- Elles ont réfusé? glissa le comle.
- Jo n'en sais rien encore, mais je le redoule. Les
méditations de ces petiles mIes sc prolongent... Cela me
paratt de fâcheux augure. Elles ont promis de me faire
connaître leur décision ce soir.
- Elles so montreront moin3 difficiles, peut-être, cette
[ois, dit Alec, décidément porté à l'indulgence.
Le marquis fit un gesle d'ignorance.
- Je n'ose l'espérer, dil-il. Ces écervelées trouveront
les plus futiles prétextes pour opposer une fin de non
recevoir à ces recherches flatt0uses. L'un des cnndidats
au!'a 10 nez trop court, l'autre un double menton, le
troisième les lèvr~s
minces ...
Le jeuno homme éclala de rire.
- 'ru trouves cela drôle? bougonria le savant. Tu as
de la çhance . Pour ma pal·t, elles me portent sur les nerfs.
Si cela continue ....
Un geste coupant acheva sa phrase.
Le comte se préparait à plaider en faveur de ses cousines, quand la cloche du dîner sonna.
Ciel 1 s'écria le vieillard, huit heures moins le
quart déjà 1 Sau ve- toi vite, mon petit, tu as juste le
temps de passel' ton smoking. Tu me retrouveras chel
moi.
_0
- Mon Dieu, faiLes que les scène3 de famille me soien t
épargnées, pensait Alec en polissant ses ongles devant la
psyché de son cabinet. de toilelle, Je suis venu ici poUl'
me reposer et non pour apaiser des querelles intesLines.
Si je suis forcé d'intervenir dans le débat, je deviendrai
fou ... C'est assommant, au fond, cette histoire.
11 prit son vaporisaleur, s'aspergea dû « Jicky )J, se mira
ne dernière fois, sc tI'ou \'0. parfaitemenl élé!!Ullt, seu sourit,
�CŒUR QUI SOUPIRE
21
promena son regard sur la chambre au décor familier et.
sortit. Lestement, il traversa les corridors où des portraits
d'ancêtres se faisaient vis-à-vis, descendit l'escalier dont
les degrés tournaient entre d'admirables verdures des
Flandres aux tons adoucis, et gagna l'appartement du
marquis.
Celui-ci était prêt.
Debout devant la cheminée, appuyé à la tablette
d'albâtre, les yeux baissés vers le tapis dont il semblait
étudier les rosaces, il réfléchissait. A l'approcho de son
héritier, il redressa le front.
- Que disais-je? Cl'ia-t-il, tes cousines refusent on bloc
les prétendants présentés par la comtesse de Libérac. ElIf,s
ne voulent pas sc marier ... pour 10 moment. Je suis
furieux.
Il nt le tour du salon, puis se campa devant Alec, très
ennuyé d'être le témoin de ces difTérends, et ajouta:
- Je viens d'avoir une discussion pénible avec Béatrice.
Pour obtenir la paix, j'ai cédé; cela me brise le cœur.
Aussi je compte sur toi pour faire entendre raison à ces
obstinées. Elles t'aiment fraternellement, elles t'écouteront
sans récriminer. Je serais ravi si tu parvenais à modifier
leur décison~
- Vraiment, mon oncle, sc récria le jeune homme,
désolé il la pensée d'inlervenil' dans la question, vous n'y
pensez pas "1
Le marquis hocha la tête :
- Mais si. Tu es à peu près ùe l'âge de tes cousines.
Parle sérieusement, engages-les à réfléchir, réduis leur
opposition systématique... et tu auras acquis quelques
droiLs il ma reconnaissance. Si Lu ne t'en mêles pas, elles
partiront ct resteront filles. l ourtant, Dieu sail si jo ùésire
voir ces capricieuses définitivement casées.
- Aryelle aussi, mon ortele? dem.luda le comte, olle est
bien jeun,), il me semble?
- Elle a dix-huit ans, mon cher, et SJ mot à adopter
les théories subversivos de ses sœul's. Cette petite folle
rêvo le soir au clair de lune, joue do la harpe au crépusculq, sur la torrasSe. se promène sous les charmilles au
fond du parc, prend goût aux bergerades sentimentales
do son Anglaise, ct comme ses aînées, :;'cxtasic devant Jr.s
�CŒUR QUI SOUPiRE
carl es poslales de son album . 11 convienl d'e1lrayer ces
extra vagances .
- Vraiment, s'Nonna le comLe, ma parfaite cousine
devient à ce point romantique?
Le marquis sourit tA dem! ;
- 'ru n'emploies pas le terme exact, fit-il. RUo esl
sentimentale el cela m'irriLe. Ses sœur,> lui sont d'vn
fûehcux exemplo; l'excellente miss Jessie U11 guide I.>ien
démodé . Les idées ridiculos de la b!'ave femtue, ses
enthousiasmes puérils, son goût pour les romans édulcorés
et fades chers aux filles de son Albion natale, joints aux
souhaits vagabonds de Mercédès, do Béalrice ct de
Maxime dMeignent sur Aryelle cl risquant de c\étruiro
son LoI 6quilil:ire moral.
Il se tut, posa la main sur l e brus de son neveu, puis
acheva;
- C'osl entendu, n'est-co pas? Jo compte sur loi, tu
deviens mon allié. A nous doux nous obLiendrons gain de
cause, j'espère.
Un cri de joio accueillit le voyageur.
Qualre jeUlll'S fJlles ûgalomonL bolles ot élégantes,
[;l'oupées aulour d'un guéridon so levèrenL d'un l)ond ct
cQururent vers lui. Parlanl toules à la fois, eUes lui
}lOBaIent mille questions, entremêlaient lours phrases de
complimonts sur sa bonile mine ol d'exclamations v[1riécs.
Ce fut pendanl un momenl un vacarmo 6lourJÜisanl.
L'ordre l'élabli, Aloc présenta ses hommages à /:;es cousines.
salua Miss Jessio exlasiéo ùovant son élégance, puis,
comUlC lc maître d'hôtol annonçait 10 dlnor, il oliriL
son bras ù 136alrice clio. conduisit à la salle à manger.
- Biles sont charmant os, so disait-il, dix minutos plus
'Lard, cn admil'Unl les délicieux visages assembl6s autour
de la table . Quel succès clics obtiendraionl Ù. Pa.ris 1
Aucune de nos femmes à la mode ne pourraient ri valiser
avec elles.
Ses rogarùs volaienl du prolil olympien do Bélltrlcll à
l'ovu.le régulier do Maximc, caressaient lU! insLant ~cs
bO\lc1es Iauyes et 10 'LoiuL do lloig<l du MOJ'06dlls POUl'
B'art'êler longucllleut sur l'o.ùo1'uL10 visngo ùo lu .10111l0
Al'ycllo.
�CŒUR QUI SOUPIRE
23
Cello-ci était vl',üment d'une beaul.ô parf:JiLe cL d'une
gl'ilce dont clwque mouvem ent accentu ait la dh>Linctioll ,
Fine, souple, élanc0e dans sa rube de tlIousseline. ;l l'ell uLs
rosés, elle portait comme un diadôlUe une foison de boucles
dorées, D'immenses prunelles sombre s ombrag ées de cils
frisés éclairai ent d'un regard pensif sa physionomic
expressive qu'une bouche il l'arc régul ier égayait par
inst ants d'un sourire à la Jais ingénu ot tendrc ,
Cépendant le .marquis quostionnait le Pèl'e Bruno sm
son s6jour dans la capitale , réclama it les moindres tléLails
et se réjouissait du résultat obtenu. La religieux ne négligeait aucune précisio n, insistai t SU L' les inciden ts les plus
ordinaires afin de satisfai re la curiosité du savant.
Habituées aux façons de leur tuteur, Mlles de Valérf\c
demeur aient indiffére ntes aux propos échangés . Auprrs
d'elles, Miss Jessie guindée dans son raide silence , m:mgeait
avec appétit. CeLte vieille fille anguleuse et démodé(),
étalait une toilette extrava gante, ::\Ux ruches multiples,
aux dentelles superposées, qu'un chargem ent ùe pampilles
et de cabochons rendait cliqueta nte.
- Je plains ces pauvres p etites , pensait Alec, en s:.wourant un onctueux foie gras au Xél'('s, la vie ne doit pas
ètrc folâtre pOUl' elles. La maison est lugubre , j'appt·ouy\!
leul' envie de s'en évader. Si j'osais, je ks aillerais ùe lout
do les misonnor.. ,
mon cœur . Hélas 1 mon oncle 1:1'a pri~
Vrai, le courage me manque.
Lo dlnet' lui parut intorminablo . Ii ayait hâte do Sc'
retrouv er au salon pour bavard er avec ses parente s . Le
service s'éterni sait. Enl1n le marquis so lova. Comlllo U1l0
voléo do moilleaux, ses pupilles l'imitèr ent; avec un joli
bruit do soieries froi ssées eUes entraîn èrent leur cousin
vers 10 fumoir, oll 10 café attenda it.
Le domestiquo dÎsparu avec 10 plateau et les tasses
vides , 10 savant s'install a dovant 1'6chiquier, et la tradiLionnelle parUe comme nça.
BienLôL on n'enLendit plus quo le bruit des pillees
maniées par les joueurs.
Alec ct les jeunos ntlos gognère nt uu boudoir Directoire
contigu ù la bibliothèque.
- J:lnnn , s'ocria Mercédè s en 50 jotant sur une causouse,
l seuls ... Mon pauvre ami , si vous saviez comme
nous VOil~
�CŒUR QUI SOUPIRE
nous nous sommes ennuyées depuis votre dernière visite .
Les journées ont certainement plus de vingt-quatre heures
dans ce pays perdu.
Le comte sourit.
- Pourquoi ne le quittez-vous pas? nt-il d'un air
Entendu. Vous vous obstinez à y demeurer. Cependant on
vous recherche.
Béatrice ne lui permit pas d'achever.
- Vous êtes au courant de nos ennuis?
- Mon Dieu ...
- On vous a dit les demandes en mariage dont nous
sommes honorées? intervint Maxime. Et aussi notre refus,
n'est-ce pas?
Alec hocha la tête affirmativement.
- 'fant mieux, continua-t-elle, nous n'aurons rien à vous
apprendre .. .
- Sinon quels étaient les prétendants si parfaitement
repoussés; coupa Juvigny .
- Nous l'ignorons ou presque, affirma Béatrice en
consultant ses sœurs du regard. Nous dédaignons ces
meRsieurs, ils nous indiffèrent tout au moins.
- Je connais cependant le nom de mon postulant,
déclara Maxime. C'était le vicomte de Saint-Juéry, un
châtelain de la région. Je n'ai pas permis qu'on me If'
présenlût. Je \roi'; d'ici cel hobereau fier comme Artaban,
cllasscur, fumeur et joueur, rustaud, vulgaire, sans
JéJicatesse, dépourvu de culture ... Pouahl l'horreur.
Alec crut devoir défendre cet inconnu:
- Vous vous faites peut-être une idôe faus"e de cc
monsieur. Vous ne l'avez jamais vu, pourquoi la jugezvous aussi ::;ûvèroment?
- Mais, mon cher, ils se ressemblent tous, ici, intercala
Mcrcédès, ils sont taillés sur un patron unique. Nous
sommes bien peu sorties et pourtant, je vous assure, nous
m avons vu des douzaines. Ils ont une conversation
unique: les chiens, les chevaux, le gibior, leur auLo, on
fournissent le lhème, sur lequel leur vervo fanfaronne
brode à l'infini. Vous comprenez à quel point co type
masculin peut nous déplaire. C'est pourquoi nous aspirons
à nous évader de cc milieu ol il. courir le monde, afin d'y
chercher, si possible, des sujets do comparaison.
�CŒUR QUI SOUPIllE
25
Alec ne put réprime r un sourire. Il demand a:
- N'êtes -vous pastrop difficiles? Je ne saurais imuginer
pareils échantil lons de mon espèce. Les exceptions
confirment la règle, vos soupirant.s compte nt parmi les
oiseaux rares peut-êt re. Vous avez tort de ne pas consentir
à les rencont rer, sur un terrain neutre, vous auriez pu les
observe r à loisir.
Maxime secoua la tête.
- On ne nous donnera it pas le loisir de les étudier , nous
aurions dCt nous, nous décider sur le champ. Vous ne savez
à quel point le marqu.is est pressé de se délivrer de nous.
Béatrice prévint la protesta tion d'Alec.
- Ma sœur a raison , c'est pourqu oi, pour en finir avec
une situatio n difficile et qui menace de s'éterni ser, j'ai fait
part à oncle Ghislain de notre désir de voyage r pendan t
six mois.
Le comte eut une expression épouva ntée.
- Qu'a-t- il répondu ?
- lJ s'est fâché tout rouge, nous a traitées de romanesques. Des femmes de notre rang ne peuven t courir les
routes comme des grisette s, parait-i l.
- Il a raison, insinua Alec.
- Peut -&tre, répondi t 1\1" ercédès ; cependa nt, comme
nous accepto ns d'être chapero nnées par une gouvern ante
du meilleu r aloi, il n'y a pas lieu de crier au scandalf'.
J'ai essayé de le dire au marquis , il n'a rien voulu entendr e?
a« Mariez- vous, criait-il , vos époux vous accomp
gneront ; de ce fait nul n'aura rien à reprend re à votre
conduite.
(( Bien entendu je n'ai pus cédé. J'ai déclaré à notre cher
tuteur qu'il nous était impossible de nous engager sans
connalt re la vie, Je monde et d'autres horizons. Il a refusé
j'ai persisté , alors il a exigé des explicat ions. Com~
vous pensez, je ne me suis pas fait prier pour les donner.
J'ai précisé : Mercédès rêve de l'Espag ne, Maxime voudrai t
traverse r lu IIolland o, navigue r sur ses canaux et admire r
les tulipes de Harlem . Pour ma part, je tiens à visiter
l'Italie ...
(( Et Aryelle ? coupa mon tuteur.
• Elle est jeune et peut attendre . Pour nous, déjà
majeure s, ce luxe nous est interdit . .
�'26
CŒUR QUI SOUPInB
« Le marquis demeurf\ silencieux pendant quelques
minuteti. 11 :;emblait démonL6 pal' mail sang -froid ct Su
Lrouvait à court d'argumcnl:J . Eu lui-mèmc, j'cn suis sure,
il me donnait raison ct se rendait compte que si nous
sollicit.ions une autorisation, c'était par pure défél'ence; de
plus il détcste les discussions. Il trouve ]a luLte insupporlable et superflue, chérit sa tranquillit6 par-dessus tout,
si bien qu'il se résigna à céder.
<c Comme il vous plaira, fit-il d'un Lon rogue. J'ai agi
selon ma conscience. Vous méprisez mes avis? Je m'incline.
Vous êtes libres. Dès demain je me meltrai en quête de
mentors, j'espère les trouver très vite. Vous partirez
quand vous voudrez .. .
« Je remerciaJ. Comme je lui exprimais nos regrets de
lui déplaire, il ne me permit pas d'achever, me reconduisit
jusqu'à l'antichambre, me salua froidement, eL s'enflm~
chez lui.
« Que ponsez-vous de l'entrevue, mon cousin?
Le jeune hommo était partag6 entre le désir d'~li(>
:).gréable à sa pal'ente, et l'ohligation de se soumettre all'\.
désirs de son parrain, dont il avait promis d'Otro l'allié.
Il ne répondit pas tout de suite, il réfléchissait.
- Vou.,> ôtes dans ....otro droit en réclam:lnt plus d l~
liberté, dit-il enfin. Néanmoins, je crains que le temps vous
paraisse long sur les grands chemins. Voll'e compagne sera
parfaite, je n'en doute pas, cependant elle vous sera
étrangOre, vous n'aurez aucune intimité ensemble, les
soirées seront longues.
-Nousreviendron!!, ence cas, riposta vivemcnt MercUdés.
Notre voyage sera possible seulomont s'il nous divertit.
Alec n'insista point. Essayer d'enraycr l'agilation de ses
~ousine
serait du temps perdu. Il sc tourna vers Aryelle
et demanda :
- Vous vous trouverez bien seule, dans cotto vaste
maisan, quand vos aînées seront partios. Vous vous ennuierez, sans doute?
La jeune HUe leva ses grands youx voloutés l
- Jo travaillerai, je prends encoro des leçons. Mon
professeur vient trois fois par semaine ... il m'accable de
besogne ...
~le
s'arrêta, devint écarlate et poursuivit;
�cœUR QUI SOUPIRE
2?
- Et puis, vous ôtes là pour plusieurs Ilemaines, Alac,
vous m'aiderez à trompe r l'angoisse de la solitude ... si
'
I.outefois, je ne vous parais pas trop petite tille...
Je serai ravi de vous tenir compagnie, affirma le
~
comte, je crains seulemont do ne pas savoir vous distrairo.
Le regard limpide de la dernièro dos Valérac effloUl'o. le
visage do son cousin. Un sourü'e aux lèvres, elle observa ;
Je ne joue plus à la poupée ; on peut m'entre lonir do
~
0hoses sériouses. Je suis banna écuyèro, nous monlorons le
... nous bavarde rons après los repas,
matin si vous voule~
le temps passera vite.
Alec s'inclina. Il allait protesle r do son enthousiasme à
sorvir de cavalier, quand son oncle l'appel a;
- Jo romonte, dit-il, voux-tu m'offrir ton bras pour
gravir los dogrés? Jo mo seus un pou las.
Sur le seuil do son apparte ment, 10 vioillard s'arrMa
pour interrog er :
- Los as-tu converLics, l'enoncent-alles à leur projet?
Son filleul rougit jusqu'a ux chovoux.
- Il n'y a l'ion à ospôrer dans ce sens, balbuti a-t-il. Mes
tiennont à leur idéo; elles veulent voyager.
cou~ins
elles promet tent do renlrer si quelque d6conant
Cepend
vonuo los atteint au cours de Jours pérégrinations.
Lo marquis soupira.
'- Je m'y attenda is, dit-il. Los Valorac ont dQS volontés
de fer. Mes nIèces sont fillos de race, rien no pourrai t les
contrah ldrc à changer d'avis. Tant pis, je JIl'on lave les
mains. Elles veulont voyage r? Grand bien leur fasse.
'l'rois somaines plus tard, les pupillos dQ M. de Juvigny
s'embar quaienl chacuno pour son pays d'élection.
CHA~'
l 'l'RE lU
Doux mois s'écoulèrent, aucun 6vénemont noLl.l.blo n'en
vint mal"quor 10 COU\'S.
Cllllquc mulin, Alec sorlail à. cheval avoc Al'yoUo. 8uivis
los l'outos Ll'ae6cg autour de la
d'Illl lud, ilD [!aloplli<.:nt BU~'
commo lm
~ 6os
cl'aycUSl!fl ùl'os
coUinoR
lus
villù, gagnaionl
l'UlYIlJUl'l au LONI du lu rivièro, ou l.JiCH (JxCl.~iOIaont
�28
CŒUR QUI SOUPIIIE
dans la campagne, il la découverte des ruines médiévales
dont.la contrée est jalonnée.
Les cavalier, échangeaient de rares répliques. Tou te à
la joie de la promenade ct aussi passablement intimidée
par son compagnon, la jeune fille gardait le silence.
Perdu dans ses réflexions, le comte laissait sa pensée
s'envoler vers la capitale, où ses amis le réclamaient à cor
ct à cris. Les ehâteaux de l'Ile de France fort peuplés
pour les chasses, regorgeaient d'hôtes de choix; l'exilé
onrageaiL d'êtro privé des belles réceptions accoutumées.
Sa maussaderio redoublait à chaque détour du chemin.
Au retour, les cavalier;; avaient juste le temps de chan ger de tenue avant la cloche du déjeuner. Pendant que le
marquis , absorbé par ses recherches, discutait avec le Père
Bruno des travaux en cours. Le calé servi, le savant s'en[Cl'mait dans sa bibliothèque et n'en ressortait que pour
diner.
Au début, ravi de la présence de son bien-aimé filleul,
le vieillard avait tenté d'intéresser Alec à ses études. Il
désirait de l'initier aux charmes de la science héraldique,
ct aussi en le retenant auprès de luipendant quelques heures,
orienter son existence vers un but moins frivole? Mais le
jeune homme s'ennuyait si visihlement il compulser les
dossiers dont le marquis faisait sa lecture favorite quo le
savant, dépité, l'avait renvoyé il ses plnisirs.
M. Ghislain se consolait en dictaut au Père Bruno
d'interminables rapports ct travaillait double en pestant
contre la paresse et la futilité ùe son héritier présomptif.
'l'out en l:l'ofTorçant de fixer sa p0usée sur les feuillets
dont la r6daction 10 passionnait, le marquis songeait qu'il
était désolant de n'a voir pas de ftls capable de continuer
son œuvre. Depuis quelque temps il se sentait las, accablé,
il avaiL pour de ne pouvoir mener à bien la Lâche entreprise. La révolte de ses nièces, leur départ, le bouleversaÏl.
Sous son apparente froideur il dissimulait une âme tendre.
L'attitude de ~lc.
de Valérac le blessait. 11 tl'ouvait la
maison bien vide maintenant qu'il ne croisait plus, au
détour des galeries, les robes Claires de Mercédès ou de
Maxime, cL le salon devenait morose rlepuis que los concertos de Béatrice ne réveillaient plus les échos endormi!>
do l'antirluC hôtel. C'est pourquoi le savant ne pardon-
�CŒUR QUI SOUPIRE
29
nait pas à ses pupilles d'avoir déserté le foyer familial.
Cependant il ne parlait jamais des absents. Aux lettres
prodigues de détails émerveillés des voyageuses, il priait
le chapelain de répondre par de brefs bulletins de santé.
Le bon Père, désolé de la rancune persista nte du vielL~
gentilhomme, ajoutait , de son chef, quelques mots, il n'osait
se montrer trop prolixe. Cantonné dans sa réserve, il parlait
surtout d'Aryelle et de son cousin, s'attard ait aux faits
les plus insignifiants et aux nouvelles banal<::s.
Cependant les enf:'Ults prodigues n'oubliaient pas leur
famille. Leurs messages fréquents témoignaient de la fidélité de leur souvenir. Elles ne passaient guère de jours
sans écrire à Aryelle. En lisant les messages enthousiastes
de ses sœurs, la petite n'éprouvait aucune envie de les
rejoindre. Au contraire, elle paraissa it heureuse d'être
demeurée au logis. La solitude ne lui pesait pas; elle
faisait de la musique, travaill ait avec son professeur, allait
à l'église, visitait les pauvres ct fréquentait quelques salons,
très fermés, où des adolescentes semblables à elle par
l'éducation, usaient leurs plus belles années à faire de la
tapisserie.
La grande occupation de la jeune fille était de distraire Alec. Malheureusement le comte s'ennuyait à
périr el no faisait aucun effort pour dissimuler l'accable_
ment où 10 plongeait l'existence monotone ct dépourvue
d'atlrai ls qu'il menait à Pont .
. Sa cousine faisait preuve d'une touchan te bonne grâce
a son endroit, pour! ant . Toujours aimable, elle tenlait tout
pour dissiper les nuages amoncelés dans le regard de son
compagnon. Pour lui plaire, elle avait appris à manier un
fusil et s'exerçait à tirer les oiseaux qui ravageaient le
parc, en attenda nt d'(\tre assez habile pour accompagnel'
le comte à la chasse. Peu SllOl'ti ve pal' nature, elle s'obliparties de tennis, elle canotai t
geait à d'inombraJe~
pendan t de longues heures au mépris du qu'en-d ira-t-on .
Ces concessions perpétuolles ne désarmaient pas le Pal'isien.
La pauvre enfant s'en rendait compte et, sans en riell
laisser paraître , souffrait cruellement,
Lo soir, on VC'ilIait au salon.
comte faisait la partie de son parrain . Tandis que
~e
JlIs.s Jessie, réltlgu6e au second plan, tricolai t sous la
�30
CŒUR QUI SOl1PIRE
lampe au capuchon vermeil, des « sveater » aux teintes
invraisemblables. Aryelle déchiffrait au piano les dernières
danses à la mode, frodonnait à mi-voix les ritournelles
favorites de son cousin et s'appliq uait à rendre de son
mieux les rythmes compliqués des « charles tons» et des
« blues ».
A dix heures, le mal'qnis repoussait l'échiquier. Aussitôt
la jeune fille se levait, saluait à' la ronde, et se retirait
avec sa gouvernante. Lorsqu'elle avait disparu, le maître
du logis se mettait debout, réclamait le bras de son neveu
et regagnait son apparte ment.
Celte vie si méthodiquement réglée horripilait Alec. En
dépit de ses efforts pour dissimuler sa lassitude, il faisait
grise mine. Ne pas sortir le soir, ne plus aller dans le
monde, être privé des spectacles alertes et gais de Paris
étaient pour lui autant de tortures . A défaut d'autres
distractions, il eût aimé à courir les routes en automobile,
à dîner dans les manoirs voisins, à rendre des visites. Mais,
à l'éxemple du marquis, ses concitoyens demeuraient
calfeutrés chez eux, et aucune porte ne s'entre-bâillait
devant le Parisien.
Il eût été ravi, pourtan t, do circuler un peu, de fllel'
comme un bolido sur les chemins unis trac6s autour de
l'antiqu e cité. Alec adorait Jes randonnées nocturnes. Il
e\1t donné beaucoup pour quilter l'hôtel endormi et pour
s'enfuir dans les bois, au sommet des collines ou dans la
plaine pour admirer la ville rose endormie au bord du
Tarn.
lIélasl Ces joies lui ôtaient refusées. Despote comm'"
bien des vieillards, son parrain interdis ait cos sortes de
promenades. Alors, pour tuer le temps, Je jeune homme
cn était r6duit à passer do longues heures à sa J'enètro, ;~
rèver à ses amis lointains, à leur existence mouvementél:
ct à déplorer son indépendance aliénée.
Plus los jours s'écoulaient, moins 10 comte tolérait les
mœurs do la province. Los compagnes d'Al'yelle, gauches,
rougissantos, ou trop libres do ton et d'allures, lui <léplaisaient également. Les médisances, spirituelles cependant,
de la chanoinesso de Libérac ou les propos ù'uno Lanalité déconcertante échangés par les notables au corcle du
chef-lieu, l'irritaie nt chaque joU!' davantage,
�CŒUP. QUI SOUPIRE
31
Par instants, il lui semblai t impossible de support er
cette contrain te une heure de plus. Hanté par la fuite, il
songeait à prier un de ses camara des de le rappele r d'urgence et sous le premier prétext e venu; à la dernière
minute, il renonçait à utiliser ce moyen dont sa loyauté
native se choqua it. La mort dans l'âme il se résigna it à
ne pas écourte r les semaines promises à son oncle, et à
prendre son mal en patienc e jusqu'a u bout.
Pendan t ce temps, Aryelle se réjouissait ingénum ent de
posséder pour elle seule le superbe cousin dont elle
admirai t les moindres paroles . Sans oser l'avoue r, elle
trouvai t Alec le plus séduisa nt des mortels . Tout en lui
était d'un charme souverain. Subjugué, le cœur de l'enfant
rêveu!>e et tendre battait à se rompre quand son parent
distrait et morose lui adrossa it un complim ent. Comme
elle oùt désiré savoir les choses dignes d'intére sser cot être
merveilleux. Seule dans sa chambr e, elle se désolait SOuvent d'être incapable d'attire r l'attenti on de son idole et
d'ignore r les mots susceptibles de l'enchaîner à ja~is.
Les jours continuaiont il. s'ügl'ener dans ceUe ambiance
monotone. L'autom no éblouissant et rapido s'achov ait et
:\Vcc lui le séjour d'Alec touchai t à SOli termo. D6ji\ le
Voyageur parlait dC:1 départ; il consull ait les guides, iruçuiL
des itinérai res et choisissaiL les hôtels où il compta il r6sifter, quand un beau matin une lettre do Mercédès viot
bouleversor ses projets. Après mille dôtails sur l'Espag ne,
la richesse de ses musées et de ses églises, la courtis~
des Castillans et la noblesse des Andalous, elle contait
l'hem'ouso rencont re qu'elle avait faito d'un jeune Françai s
originairo du haut Languedoc ot passionné de peintur e et
c!'ul'L
« Le baron de Lavard y, écrivait -elle, est l'un dos êtres
les plus llrudiis de notre époque. Il connalL parfaite ment
les diverses écoles espagnoles eL m'a lourni suc' los toilcs
de Goya et de Ribél'u des renseignoments précieux. J'ai
ou le plaisir de faire sa connaissance dans une maison
amie et do visitel' on sa compagnie les musé os de l'Ell!icol'ial ct du Pl'udo. Quelquetl jourl plus tard Il priait le
de Balleros de me fuil'tl part de su recherche. Ce
~al'din
tut un vériLablo coup de foudre, mOll onde; je n'ai pas
�132
cœUR QUI SOUPIRE
ou à m'interrogor longtemps avant de donner une réponse
affirmative . M. de Lavardy me parait capable de faire
mon bonheur. Si vous avez la grâce de ratifier mon choix,
vous mettrez 10 comblo à vos bontés pour moi.
« Je ne vous dissimulerai point, mon cher tuteur, l'état
'd'allégresse où je me lrouve. Je suis très heureuse; j'attends
,votre arrêt avec l'impatience que vous do vinez. Ne me
le faites pas attendre, je vous on supplie. Je me mettrai en
route pour Pont au reçu de votre lettre, afin de hâter, si
possiblo, les formalités.
« Pour les renseignements indispensables, vous les recueillerez do la bouche même do Mmo de Libérac. Elle
connait la famille du baron. Votre fidèle amie, toujours si
prompte à travailler au bonheur d'autrui, sera enchantéo
do se mettre on quatre pour vous aider à cotte occasion .. . »
Quelques formules depolitesse, des protestations de gratitude et l'expression d'une joie triomphante terminaient
10 message.
Le marquis de Juvigny demeurait immobile, les yeux
sur le v6lin bleuté que la fière écriture de MeI'cédès zébrait
de caractères hautains. Pensif, il relut une lois encore la
communication de sa pupille, puis un sourire étira ses
lèvres fmes, il haussa les épaules, prit uno louille do
papier, réfléchit pendant quelques secondes, traça uno
vingtaine de lignes, signa, glls3a le billet dans une enveloppe, cacheta à la cire, puis se tourna vers 10 Pèro Bruno
debout devant un lutrin chargé d'un dictionnaire ouvert
ùont il consultait le~
pages ot prononça:
- Les femmes sont d'étranges animaux, mon ami.
Mercédès m'annonce ses fiançaillos avec un gentilhomme
Français rencontré che~
une Madrilène de ses relations, et
sollicite mon approbatIOn à ce projet. Jo no la lui refusorai point...
Il s'an'ôta, hocha la tête, sourit de nouveau, puis ajouta:
• Vous ne vous doutez pas du nom porté par ce mortel
assez privilégié pour captivor une âme aussi rétive?
:.1110 de Valôrac, l'al née, est vraiment d'un romanesque
achev6, rien ne lui arrive comme aux autros ..• Le monsieur
dont elle souhaite subir la loi est le baron de Lavardy ...
- Ah 1 fit le moine en ouvrant de grands yeux.
- Eh oui, expliqua lu vieillard, celui-là même dont
�CŒUR QUI " SOUPIRE
ceLte excellente Donatienne de Libérac me vantait les
mérites avec tant de conviction, et que ma nièce n'a
iamais voulu consentir à rencontrer.
- C'est amusant, en eITet.
- N'est-ce pas? Ma pupille sera surprise quand je lui
apprendrai cette particularité. Si elle avait daigné m'écouter, elle eCtt assisté au goûter de la chanoinesse. lei comme
là-bas, ce jeune homme l'aurait charmée ... elle serait
demeurée au bercail au lieu de courir les routes comme
une Américaine de Chicago. Mais elle voulait voyager ...
Au premier tournant elle a laissé son cœur lui échapper.
Il se frotta les mains avec satisfaction ct poursuivit
ga1ment :
« Je suis enchanté de la tournure des événements.
Voilà Mercédès casée. Si Dieu m'écoute, il placera sur le
chemin de ses sœurs des partis aussi joliment choisis.
- Pourquo i êtes-vous si pressé? Elles ne sont pas
encombrantes, les chères enfants .
. - Je suis âgé, je puis leur manquer, elles demeureraient
livrées à elles-mêmes. Je no puis compter sur Alec pour
les diriger ... Croyez-le, mon ami, pour leur bien, il est
préférable qu'elles se marient sans ,tarder.
Le religieux hocha la tête:
- Vous avez peut-être raison, dit-il. Vos pupilles ne
s'amusaient guère ici; je ...
- Leur existence était pareille à celle des femmes de
leur monde, coupa vivement le vieillard.
Le chapelain allait répliquer. Se ravisant, il retint les
Illots prôLs à s'envoler:
« A quoi bon discuter avec le marquis, songeait .il, il ne
compl'end pas son erreur. »
Il joignit les mains, se recueillit un moment, puis se
replongea dans son encyclopédie.
Après, le savant lut à sa famille le message de Mercédès.
La foudre en tombant au milieu du fumoit, n'eût pas
pr?duiL p lus d'erret. Tous les assistants se réjouirent.
MiSS J O!;3Îa fuI; particulièrement enthousiasmée.
QUo'lI(l Je mm'quis so fut retiré , elle ùonna libre COll1'8 li
son exaltation:
-l!;IJo arri vera bÏ!:nlûL. disail-elle en lev:.mt vers le ciCl
3
�34
CŒUR QUI SOUPIRE
des yeux ronds et blancs. On « s'amiousera )) enfin. La
jeunesse pénètrera dans cette maison; jusqu'à présent on
n'y voyait que des valétioudinaires Il . Aoh. J'ai bien dit,
« think» demanda-t-eUe en se tournant vers Aryelle.
La jeune fille ne l'écoutait pas.
Ses larges prunelles tournées vers le foyer où flambait
une brassée de souches de vigne, elle suivait les jeux de
la flamme et ne répondit rien.
Dépitée, l'Anglaise reprit son tricot.
(i
CHAPlTRE IV
Alec de Juvigny à Jehan de Clail'Jnont.
« Mon vieux camarade. Ta lettre m'est arrivée au miliou
d'un véritable hourvari. Notre maison, dont je déplorai:;
la tranquilité, est tout à fait transformée . Chacun y vit
p. sa guise, l'horaire des repas el du coucller n'est plus
respecté; on dlne à toutes les heures, on remonte à son
gré, on s'agite, on discule, on vit enan.
)) Excédé par cette irr6gularité permanente, mon parrain
ne se montre plus. Enfermé dans la bibliothèque avec
son secr6taire, il y prend ses repas et nous abandonne
l'hôtel. Cela, mon cher, parce que Mercédès, retour
d'Espagne, prépare ses toilettes et songe à convoler en
justes noces dans les premiers jours de février .
)) L'histoire de ce mariage est des plus romanesques.
)) Partie pour échapper aux sollicitations d'un prétendant
appuyé par la chanoinesse do Libérac, ma cousine a
retrouvé, outre-monts, celui dont la recherche l'avail
incitée à s'enfuir. Si tu avais pu être le témoin de son
étonnement quand le marquis, avec ce sourire ironique
dont il a le secret, lui a appris cette particularité do
l'aventure, tu to serais pâmé 1
n La physionomie de la voyageuse montrait un toI étonnement qu'Aryello et moi ne pOli vion::; contenir notre
llilaril(;.
» En d'autres temps, mon altière parente St) serait fâchée,
ces huit semaines de vagabondage ont l!eurflllsomrnt
assoupli son caractère. A IlOS moqueries, ollo s'est contenté
de répondro 1
�CŒUR QUI SOU PIRE
35 "
II Mon fiancé ne me connaissait pas. Il n'avait pu poser
Sa candidature; la comtesse avait arrangé une entrevue"
c'est vrai, mais Guilhem ignorait quelle jeune fille il devait'
y rencontrer.
l,Elle soupira et compléta:
)) Il agissait ainsi pour plaire à sa famille. Il ne voulait
pas d'un mariage de raison, il désirait choisir sa femme
tout seul.
li '" Nous étions b. peine remis de la surprise causée parcet
événement quand ' Maxime annonça son retour.
l'Après une demi-dou7.aine de billets enthousiastes SUl' 10.
Hollande où elle pérégrinuit, la bonne créature déchantait.
)) Les canaux, les laitières, les paysannes en coiffes de
dentelles, c'est bien joli un moment, écrivait-elle. A la
longue, vous le comprenez, malgré la meilleure bonne
volonté, on s'en lasse.
l) L'hiver est humide dans cc pays; on s'y enrhume aisé.
ment. Pour aussi confortables que ~oielt
les Palaces, ce sont
des caravansérails, je me déplais ù coudoyer les métèqucs
dont ils fourmillent. De plus les naturels du pays sont
tellement diITél'cnts des méridionaux alertes ct prompts à
la r6plique ... Je n'ai pu m'accoutumer ù leur commerce ...
)) Vraiment, j'ai eu bien tort de me mettre en route au
cmur de la mauvaise saison. Les tulipes ne montrent pas
encore le bout de leur Mi;; il ne m'a pas oté permis d'admirer leurs mosaïques fameuses; en revanche, j'ai gogné une
névralgie en travorsant les dunes de Harlem. C'est bien
quelque chose, cependant je n'avals pas franchi autant de
lieues pour aboutir à cc piètre résultat.
»Voyez-vous, mon bher Alec, j'en ai fait la salutaire
expérience, je ne suis pas faite pour camper au hasard de3
" home» do fortune. Je ne m'entôterai donc pus li prolonger cette excursion. Confessant mon erreur, je plantera i
là, Pays- Bas et ciels nostalgiques pour regagner, par les
voios lesplus ra.pides, notre petite patrie où, somme toute, los
gen3 sont agréables ct le climat tempéré . De retour au
bercail, je tiendrai ma promesse ct me soumettrai à toutes
les entrevues matrimoniales exigées par mon tutour.
» Vive lu campagne, mon cousin, le castel pitLores\{ue eL
douillet, los confitures à surveiller et les piles do linge à
compter. 11 est dans mon destin de m'occuper de ces choses
�36
CŒUR QUI SOUPIRE
prosaïques ... Si le vicomte de Sai.nl-Juéry est encore libre,
apprenez à Mme de Libérac que j'aurai plaisir à le rencontrer.
» Le marquis manqua lomber de son haut lorsque je lui
communiquai la teneur de cette épître. Il devint successivement blanc comme un linge; puis écarlate. Les poings
serrés, les sourcils remontés, il bougonna:
» C'est ridicule, pourquoi vais-je pusser? Mes amis me
prendront pour un toton. J'avais prédit à cette évaporée
les pires désillusions... Elle n'a rien voulu entendre. Les
filles sont folles, parole d'honneur. Quand je songe que
pour plaire à celle-ci j'ai contrarié mon amie Libérac, je
suishorsde moi ... A présent, Maxime, revenue de ses erreurs,
me prie de renouer l'intrigue ... Comment ferai-je? »
» 11 hocha la têle et grommela:
« Comprends, mon enfant, combion ces revirements sont
ennuyeux. Un homme de ma situation jouer un rôle de
niais 1 C'est le comble III »
» Il levait les bras au ciel. Pour très peu il sc fut:crudéshonoré. J'essayai de 10 calmer. Souriant on moi-même ùe
l'importance que la province ot les gens les mieux nés
parmi ses habitants donnont à certaines démarches totalement dénuées d'intérêt partout ailleurs, je dus prononcer
un discours. J'en avais chaud. A bout d'arguments, je lui
persuadai que sa dignilé n'était pas en cause, et fus assez
heureux pour l'apaiser.
» Quand, à la. fin de la semaine, la voyageuse mit pied à
terre dans la cour de l'hôtel de Juvigny, son tuteur eut le
triomphe modeste; il trouva pOUl' l'accueillir d'alTectueasee '
paroles de bienvenue et remonta chez lui.
» A peine assis à son bureau, il écrivit à la chanoinesse
pour solliciter une entrevue. Les préliminaires marchèrent
rondement. Menées on quatrième vitesso, los négociation::;
aboutirent au résultat souhaité en deux semaines, 100
renconlres se multiplièrent. Elles nous conduisirent tambour
battant aux fiançailles de Maxime et ùu genllemun-fal'lTIcr
jugé iRdésirable trois mois plus tôt.
» Ainsi vont les choses ...
» ChaquesoÎr, cet heureux mortel, ùûmenL chaperonné par
Jo. comtesse do Libérac, vient fuit'c sa COUl". Revenue de son
C1'I 'eur, ma cousino l'accueillo avec plaisir. Il lui a olTerl
une si bollc ~lne'aud.
Un LeI joyau pousserail n'importe
�CŒUR QUJ SOUPInE
37
quelle femme à l'indulgence, n'est-ce pas? La grave
, Maxime n'est pas exempte de faiblesse. C'est pourquoi elle
Iparaît ravie de son destin. Son promis est un homme plein
de.mérites, d'ailleurs, pas du tout campagnard, et vraiment au fait des nouvelles du moment.
1
1
» Quand à Mercédès, elle vogue dans l'azur. Je ne puis te
décrire l'enthousiasme dont elle rayonne, ni te dépeindre ,
Guilhem de Laverdy. Retenu dans la capitale, il met ordre
,à ses affaires et cherche, besogne redoutable, un appartement digne de sa belle fiancée. Je forme mille vœux pour
qu'il déniche le logis de ses rêves et j'attends son arrivée avec
impaLience. J'ai hâte de le connaître. Tu comprends, mon
cher J ehan, le nouveau ménage habitera Paris au moins
cinq mois par an, sa maison sera la mienne... Si par
impossible, le baron était une sorLe d'épouvantail, j'en serais
,fort marri. Cette éventualiLé n'est pas à redouter, grâce à'
Dieu? Milo de Valérac, l'alnée, a trop de goût pour choisir
un compagnon déplaisant.
" Tandis que son fuLur époux s'active là-bas, nous vivons
ici dans un tourbillon, les dépêches succèdent aux coups
de téléphone, les domestiques sont sur les dents. Du
matin au soir, l'hôtel est envahi par les fourlùsseurs . TouL
les corps de métier se succèdent dans les antichambres.
Mes cousines deviennent la proie des couturiers et de i
joailliers. A chaque instant, on a recours à ma compétence.
J'évolue parmi les crêpes de Chine, les voiles Lriples, les
Venise, les Malines et les points d'Alençon. Je prends de ~ ,
attitudes d'augures pour choisir entre le lamé d'argent ct
la moire antique; mon auto \ roule sans cesse d'un bout à
l'autre du L:mguedoc, pour apporter aux couvents chargé.:;
de confectionner les trousseaux, les commandes urgenLes
et les modificaLions obligées .
. •» Pour la première fois, je ne m'ennuie pas à Pont. La
JOIe ùe mes cousines, le bonheur dont elles rayonnent,'
leur confiance en l'avenÏl' déteignent sur moi. Par insLants
je déplore ma frivolité native. Je me laisse aller ù souhai:
ter qu'unsentiment sérieux m'habiteeL fixe mon cœurrebellc
à touLe enLrave. Cela doiL êtl'o bon de vivre ponr quelqu'un.
Rassure- toi, mon v.ieux, ces minuLes sonL l'ares, ma légèrclô
reprend vite sos droits, je jouis do l'heure présenLe saTl ~
me p réoccu!Jel' du lendemain ...
�38
cœUR QUI SOUPIRE
)) Malgr6 les heureux év~nemi
s que je t'annonce , nous
sommes inquiets. Béatrice, partie pour Rome, dOlme trop
rarement de ses nouvelles. Après quelques escales à Milan,
à V6rone , à Padoue, à Ravenne, elle annonçait son intention
d'alIer faire une retraite dans la ville de saint François.
» Depuis Bon arrivée à Assise, nos messages demeurent sans
réponse . Est-elle malado? lui est-il survenu quelquo
!AccidenL? Nous ne pouvons l'imaginer. Sans nous COmmuniquer notre anxiété, nous guettons .10 factour. La fugitive
et notre angoisse s'accrott avoc les jours.
l'OS te silencu~
» Aryelle, la plus tendl'e et la meilleure de nous tous, est
horribloment tourmentée. Sa tristesse fait peine à voir. Elle
toujours si pondérée n'est plus maîtresse de ses nerfs . Ses
yeux sont rouges, ses paupières enflées; ello 'multiplie ses
visites à l'église 01, prolonge ses stations au pieù de l'autel.
» Pour la rassurer, l'excellente Miss Jessio, dont le jargon
demeuro, en dépit des années, d'une fantaisie parfaito, lui
répèto quelques-uns do ses aphorismes prûfél'és :
- Aoh, vraiment, disait-ello hier; je aimai votre f6millo
il l'a'd orélehionnc, mais cc est tout à hit eXll'aordinaiNJ
de laisser les siens dedans 10 silence. Je no pouvais sioupporter cola, Lady Béatrice aurait pou réClenir au momcut
où nous préparons le double cérémonie. Jo lui ai écrit :
«Vossœursse marient le Ci février. On rora ]('S deux coups
avec le même pierre. Sa Grandeur bénira la baronne et la
vicomtesse à la fois. lndeed, olle aurait pur6pondre pOUl'
félicitor. Jamais in. England on oût agi avec tant de désinClollioure ».
» En dépit de son angoisso, Aryollo riaiL do tout son
cœur on me rapport,ant l'incident.
« Pauvre Miss Jessie, murmurait -elle, le souci des convenances primo Lout sentiment, chez elle. CcrL::l.inemenL
elle no dit pas Lout co qu'elle ponSe. Dans son for inlérieur,
clIo adresso mille reproches à notro chère oubliOWJo.
» Cet intermèdo amusant n'a pas atténué notre souci, les
;lCurouses fiancées no peuvent échapper il. l'inquiétudo
ambiante; seul, le marquis garde son calme. Néanmoins,
j'Cll jurerais, il ue truvaille pas avec lu même sérénité.
)) En espérant ùe bonnes 110U vcIJos, je songe il la bande
joyouse dont jo fais partie et qui m'alleud à Monto -Carlo,
on y prépare do belles récoptions pour cc Carnaval... Au
�39
CŒUR QUI SOUPIRE
lieu de vivre là-bas des heures éI6g:mtes, je remplis, ici,
mes obligations de frère aîné. Evidemment, je ne maudis
[Jas le devoir qui m'enchaîne, mais je ne puis m'empêcher
de me demander, non sans une secrète appréhension, pour
combien de semaines je suis cloué en Languedoc.
II Certainement je ne pourrai me mettre en route avant
la mi-carême. Du train dont vont les choses, il me sera
impossible de m'échapper d'ici là.,.
II Cependant je travaille comme un enragé, Les règles du
protocole provincial sont des plus compliquées, Combiner
les couples, régler la marche du cortège sont besognes de
titans, je me perds dans les degrés de parenté. Par bonheur; la chanoinesse est au fait des corvées de ce genre'
elle m'aide et me dirige et les gaITes me sont épar~
gnées ,
II Bien entendu, et d'un commun accord, nous t'avons
réservé dans le cortège une place de choix, Ne proteste
pas, ce serait inutile, en outre du chagrin que me causerait
ton refus, j'ai besoin de ion expérience pour me guider.
J'ignoretout de mon rôle de garçon d'honneur ;;viens m'assister, Tu seras chargé d'accompagner Aryelle, nous partagerons la même voiture et tu me remettras dans le droit
chemin si, par hasard, je m'é'garais.
II Si tm'rible que soit ton ministre, il ne Le refusera pas
trois jours de permission pOUl' assister à celle fête de
famille ... Quant à ton genou, personne n'y prêtera attention.
Ma province n'est pas tout il fait contaminée pal' les
erreurs du sièole ; la jeunesse y admire encore les héros de
la Grande Guerro, pour la plupart, du moins. Les amies
ùe mes cousines t'admireront au risque de blesser ta
modestie, je te promets un fier succès.
» Je complais t'oxp6dier ce journal quand nous aurions
de Béatrice. Mais comme elle niJ se
reçu des nouvl~es
décide pas il no us raSSUl'cr , jene diITére pas plus longlemps ...
Tu ne conmlÏs pas Milo de Valérac; il est naïf de ma part
de t'o.ssocier ù nolre angoisse, mais lu m'as fait promettre
de rédiger pour toi 10 résumé fidèle de mon existence ù
Ponl; je liens ma promesse. Tant pis pour toi, si je mande
mille enfantillages ...
". 'l'u l'auraf; vonlu, n'est-ce pas?
ALEC.
�!.t0
CŒun QUI SOUPlllE
CHAPITRE V
Journal d'Al'yclle.
Alec ne m'aime pas. Cela me désole .. . Je me réjouissais
tellement de le voir seule à seul pendant quelques semaines.
Il me semblait qu'il s'intéresserait à mon humble personne,
lui trouverait des mérites et finirait pal' s'attacher à moi
comme je le désire.
'
, Je me trompais. Sans doute, il est trop élégant et cultivé
pour s'attentionner à une provinciale ... Accoutumé à 6vo'luer autour des Parisiennes les plus subtiles, il me juge
gauche, mal habillée, sotte .. .
. Je suis trop maladroite aussi; quand il me parle, j'ose à
peine répondre, je frémis lorsque ses yeux veloutés se
tournent vers moi ... ma timidité est vraiment stupide.
Comme j'envie ces créatures brillantes, aux l'épar Lies faciles,
ù la coquetterie savante dont il recherche la société 1
Ces mondaines raffinées me sont tellement supérjQures 1
Leur conversation alerte, leur aisance doublent hlséduciion
de leur esprit ... il peut discuter avec elles, au moins 1
J eudi soir , au clin el' de fiançailles de mes sœurs, j'étais
placée à la droite de mon cousin. J 'avais particulièrement
soign6 ma p arure . Une robe de Lulle azuré m'enveloppait
d'un nuage, un minuscule rang de perles s'enroulait autour
de mon cou, mes cheveux, simplement relevés sur mon
!front ct mes tempes , se nouaient sur la nuque en Lorsades
'pressées ... En dehors de Loutefatuité, jemo Lrouvaisagrénble
11 regarder. Je m'attenda is à recvoi~'
des compliments,
j'avais tort ... Nul ne remorqua mon aJusLement .
Toul 11 leurs promises, Guilhem de Lavordy et Odon dr
SainL-J Utlry lancèrent do mon côté un regard disLrait puis
se relournèrent vers leurs compagnes. Quant à Alec jJ ne
me vil même pas ...
... Los fiancées étaient splendides et failes pOUl' Lourner lu
tèlo aux plus sensés. TouL ell blanc, Maxime port~i
une
sorte de fourreau de velours brodé de perles irisées, sa
jmute Laille, son maintien noble, la délicatesse de son profil
ri.gulier encadré de bandeuux plals, avaienL quoiqu e chosu
d'impérial.
En crêpe rose, Mercédès paraissait moins oIY/ll,JicJllle.
�cœUR
QU I SOUPlllE
plus accessible ... Sa jupe découpée en pointes légères
frissonnait à son moindre mouveIllent . Ses longues mains
pâles, ornées de l'incom parable diaman t Jos accorda illes
semblai ent deux joyaux précieu x. «Jn la considé rant je
compre nais pourquo i tant desoupi l'unls l'uvaien t recherc héo
Les deux couples rayonna ient . L'amou r, illumin ait le
visage des homme s, mes sœurs étaient au sepLième ciel.
Tandis que la convers ation se poursui vait autour de la
table, ornée du service des grands jours, d'abord , puis au
salon Oeuri de blanc, comme un autel de la ViergE', ensuite,
je me demand ais ayec angoisse si mon heure viendra it .. .
Pendan t ce temps, Alec, tout à fait à son aise, bavard ait
Sans répit. Avec sa verve amusan te et primesa utière, il
s'adress ait à l'uu et à l'autre, émettai t sur chaque sujet
Une opinion paradox ale, parfois, mais toujour s imprévu e,
futurs beaux-f rères,
et s'amusa it comme un fou. ~Ies
charmé s, riaient de ses boutade s, et l'oncle Ghislain, luimême, sortait de sa rèveric pour écouter et donner son
avis.
Miss Jessie, accoutr ée pour la circonsLance d'une toilette
vert et or, ne parlait guère, en revanch e, eH dévOI'ait à
belles dents les m'lls délicats servis sursona ssiotte, ne perdait
pas une syllab de laconve rsatioll, hochai& la tôtelors qu'elle
approuv ait les propos de mon cousin et fronçait les sourcils
quand une théorio subvers ive, soutenu e par J'un ùes convives,
choquai t ses princip es.
j'étais horl'ible ment inquiète au sujet
'" Pour ma p~U't,
de BéaLriee. La Joie des autres me l'appt'oc hait uavanLage de la chère absente ... Et puis je songoais au prochai n
départ de mes aînées . Bn moi-mê me, je répétai s:
quittera aussi , la vieille
Cc Les rètes Lcrminées, Alec nous
sera lugùbrc ... J)
morne,
et
use
silencie
ue
redeven
maison,
Lundi.
La voyageu se continu e à garder le silence. Je suis aITolée par ce muLisme persista nt . Jusqu'ic i je parvena is à me
raisonne r, à présent, cela na m'est plus possible. Certes, je
connai!:! les goûts de ma sœur , elle sc plait dans la l'eLraile
eL déteste d'écrit'e . Cepend ant, je ne la croyah; point aus81
in 'JiITéronle. Nous laisser sans nouvelles pendan t vingl-
�42
CŒUR QUI SOUPIRE
cinq jours est excessif. Oncle Ghislain est vraiment peiné
de cette attitude. Après le dlner, il a prié Alec d'entreprendre cerlaines démarches pOUI" relrouver les traces de
la disparue.
,
Pourquoi faut-il qu'à la douleur de n'être pas aimée
s'ajoutent ces tourmenls au sujet de mon ainée ... ?
Mardi.
Rien encore. Cela n'est pas naturel. Nous avons beau
nous forger mille histoires pour nous rassurer mutuellement. Nous n'y parvenons pas.
Miss Jessie, dont la spécialité est le romanesque, aimag-iné un terrible drame dont l'absente est l'héroïne.
Il Certainement, expliquait-elle tantôt,
Béatrice aura
rencontré dans son voyage, un noble seigneur sour qui ses
charmes auront produit une impression fatale. 11 aura
vioulu l'épouser . Dien entendiolt, votre sœur aura réfiousé...
Alors l'étranger l'a enlevé siour sa chcfJau noir. »
-- Pourquoi noir? ai- je demandé, retellanl mal une
furieuse envie de rire.
11l1e m'a toisée. Sa physionomie s'est faite méprisante
et, d'un ton de supériorité souveraine, elle a laissé tomber:
(( Ce 6tail toujours ainsi, dans les romans. Ce était
bien plious biau ... li
J'ai pris un air ignor,lOl :
« Vraiment?
(( - Yesl Co élait toujours ainsi... dans tous les pJys. )
.1 e n'ai pas insisté.
Copendanl l'Anglaise n'était pas à bout d'arguments
:E1ll) ajouta:
(( Peut-être aussi, Béatrice en se promenant dans 10
IIIOUII1IJ(Jnc a été cépliou/'éo par un brigand. Cet homme
(;rud la relient prisonnière dans sa caverno. Un de ces
le message réclamilnt u@
quatre matins nous rcev~ns
gl'03SC rançon. M. le .marqUl~
enverra le père Bn.no porter l'argent au bandit, le samt homme ramènora la prisonnière déli vr6e. Elle débarqueI·a au cl'épus(;ulo, la veilJe
même du mariage de ses sœurs. ft's cxitif!{!, 1
Cette fois je ne pus retenir mon hilal'ité. J'articulai:
(( Vrai01wt, JDiss Jessie, il n'y il pillsdo voleurs dans lcs
�CŒUR QUI SOUPIRE
montagnes ct je ne redoute point semblables aventures. »
Ma gouvernante a haussé les épaules :
« On l'écrit sur les journaux pour réssiourer les voyageurs et leur donner courage pendant leurs excursions
dans les Abbruzes. Mais je souis soure, que les grottes
regorgent de voleurs embiouqués dans l'ombre pour dépouiller les improudents touristes.
Détruire cette conviction n'était pas à essayer.
Jeudi.
Toujours rien. Les jours p::..sscnL sans apporter la leUre
désirée. Nous commençons à désespérer. Si le mariage
n'ét.ait aussi prochain, Alec parLiraiL pour l'Ombrie; il
moins d'une semaine de la cérémonie aucun déplacement
n'est possible. Ce malin, Maxime parlait de retarder la
bénéllÎ')tion nuptiale, afin de permettre à mon cousin de
sc meLLre en route. Le marquis n'essaie plus de dissimuler SOIl inquiétude. La gaîté a déserté notre « home ». Les
Bancées en oublient leurs promis.
Tantôt, mon tuLeur s'est rendu à lu PréfecLure pOUl'
inlerroger le chef du service compétent. Ce fonctionnaire
il. au~siLôt
léléphoné au « Munieipio » d'Assise ... Je meurs
d'imp ,J.liencc en attendant sa réponse.
Vendredi.
L'Italien alerté par sans fil ne trouve pas Ll'ace de notre
chère voyageuse. Mlle de Valérac n'est pas venue à Assise.
Les lelLres, les messages expédiés par nous sont en souffrance à la poste de la ville. C'est pourC)uoi nous ne recevions pas de réponse. Où csl-plle passée? Quelle ciljconslance impl'évue l'a poussée à modiH'3l' son ilinéraire? r~le
t'st malade, peut-êlre? ... Ayez pilié de HOUSt mon Dieu.
Lundi !:loir.
Pour rien au monde je ne consentirais à vivre les
Jlcures abominables que je viens de passer. Grâce à Dieu
'- le cauehernar csL dissipé. Je respire i.l l'aise, tout est
cxpliquô. Béatrice n'esL pas malade) elle se porte même
fort bien, eUe ost heureuse ...
Procédons pur ordre (
�CŒUR QUI SOUPIRE
Ce matin j'étais occupée à disposer dans les vases du
boudoir les lieurs envoyées à Maxime par une de ses protégées, quand mon oncle est entré cn coup de vent. En
m'apercev.ant, il s'cst écrié:
« La fugitive est retrouvée 1
- Quel bonheurl
- Oui, elle m'a écrit.
- Elle r3vient ? coupais-je, presque malgré moi.
Mon tuteur secoua la tête.
Je sursautai;
« Comment, elle s'isole quand nous somme3 dans la joie?
- Elle est loin d'être seule, ma chère.
Les mains jointes, je murmurai;
« - Béatrice est mariée? »
Comme il ne répondait pas tout de suite, j'ajoutai:
a Je vous on conjure, mon oncle, vous me -aites mourir'
à petit feu_ )
Paisiblement le savant répondit:
« Non, lQ sœur demeure céJi~a,tre
et sollicite mon
consentement pOUl' entrer au nOVICIat des Bénédictines du
Mont-Cassin, Le chant grégorien dont ces moniales ont
conserv6 la tradition, la musique sacrée où elle:,) excellent
les études do haute théologie dans lesqu Iles ces dames s~
spécialisent, enlllOusiasment Béatrice. Bile souhaite de
prendre l'habit d~ncetL
maison où elle ~ait
retraite depuis
mtellecLuels pour
un mois. J'npprecle, trop les, l~bcurs
m'opposer à SOI~
~roJ?t.
Je lUI al tél6graphié mon agrément ut mes fôllCltutlOns,
- Elle Il reçu les lettres des Hancées? glissai-je.
- Bien sûr. Le bonheur de Mercédès et de Maximo la
ra vit. Ello compte leur envoyer ses compliments sans
tarder.
Stupéfiée, je demeurai sans paroles. Certes, la détonnilption de ~la
sœur n'avi~
ri?n pour, me surprondre.
f'iellse et r111s?nnable, ol,Je n éLalt pas f:ute POUl' 6voluer
parmi la soclét6 du slè~e,
L~:;
sentIments mos(luins,
étroits, égoïstes et pratIques, cn faveur aujourJ'hui
J'auraiellt 1)lo"s<" '. gn choisisslnt le cloitre, ('Uf; il pris 1:1
mrillcul'o part ...
Mon cœur l'sL I5ros li éelatol'. Qui me ron~lc'a
désOl'J1luis ? A qui confierai-je mes !lcines? néatrice so mOIl-
�CŒUR QUI SOUPIRE
45
trait si tendrem ent materne lle pour sa pelile, comme elle
me nomma it.
S,!-medi soir.
Notre cercle familial est encore sous le coup de l'émo.
tion causée par la vocation soudaine de notre sœur
aînée.
Mercédès et Maxime s'attrist ent à l'idée de ne pas
revoir Béatrice. Cependant, elle ont tellement à faire, en
ce moment, qu'elles oublient un peu l'absenl e... cela se
conçoit.
Je n'ai pas de flancé pour disperser ma tristesse ... Personne ne m'aime. Je n'espère rien. Alec, dont la tendres se
serait mon unit/ue consolation, ne songe point à moi. Il
est si futile. Son cœur ne s'encombre pas d'affections
superllues. Il vit au jour le jour, sans se préoccuper du
reste. En dehors de son tennis, du golf, de l'escrime, du
yatchtin g, il s'intéresse seulement ci son tailleur et à son
bottier.
Lorsque j'essaye de découvrir sa véritable nature, je me
laisse subjugu er par son charme et toute analyse me
devient impossible •..
Dimanche.
Le courrier dece matin a apporté entre autres nouvelles
'
une aimable rôponse du capitaine de Clairmont.
d'Alec
l'ami
ns,
previsio
lu.>
toutes
à
rement
Contrai
accepte sans trop se faire prier l'invitat ion do mon cousm. Il arrivera le 5 février au matin, afin de se reposer
un jour entier avant la cerémonie.
Le comte dit tout le bien du monde de son camara de.
Il me tarde de le connaltre ; je dois passer tout::! la journée du mariage auprès do luil quùter pendan t la messe
'
<.Iéfiler ù son côté ... C'est très intimid ant.
Ma tèto est remplie des prouesse,; guerrières de cct
ofllcier <.IonL mon cousin fait un héros. Jo n'ib"llore aUCun
~e sos triompiles d'av,tilt guerre, jo sais avec quolle gl'âce
un cotillon ct aussi la supl'ème éléganco de
Il con~lIisat
Son UJlIstolllùnt.
,l'rodig uo do détails, Alec no m'a rien caché. Avec lin
l'col souci des précisions, il m'u conto dans quelles glo-
�CŒun QUI SOUPIRE
rieuses circonstances l'officier a obtenu son lroisième galon
ct le ruban dont s'enorgueillit sa bouLonnière.
Cet héroïque récit m'a passionnée, une grande pitié
m'envahit à la pensée des heures désenchantées vécues
par le mutilé depuis l'armistice. Une fierté m'a gagnée de
l'avoir pour cavalier .. .
Néanmoins, je regrette Alec. Quand je songe à la chance
de la jeune fille qu'il doit accompagner, mon cœur se
serre. J'amais été si heureuse si pareille joio m'eut été
réservée. Iél(t~,
ma famille en n décidé autrement ... Je
me résignerai ùonc à voir mon bien-aimé au bras d'une
nulre ...
CHAPI'fRB Vi
Pour accueillir Jehan de Clairmont, 10 marquis do Juvigny trouva des mots qui al!ùront au crout' de l'orncial'. '
Les fiancés lui fu'ent fêle; Miss Jessie Ij'cxlusia sur son
costumo coupé à Londres, sur sos malleUo!'; hritanni(tues
et versa des pleurs en conslalant l'impercoptiblo boîlel'io
dont le « beau militaire )l étaiL affligé .
Toul ù fait impressionnée, Aryclle nt uno bello révérence au voyageul', puis, réservée comme 1t1 sont ('ncoro
certaines peUtes provinciales, so replongea au creux de sa
bergère, prit sa broder;e ot garda 10 silence.
Pendant cetto journée, la jeune fille euL très peu l'occason cavalier. A peine échangosion ùo s'entretenir av~c
r6plq~e.
Accaparé par Aloc, le CJpirenl-ils quel~s
taine eut tout Juste Je lOJSlr do sc reposer uno heure après
le d6jeunor.
Emmon6 cn auto à travers lu ville ct obli"o de
s'oxtasier sur ses moindres beautés, 10 voyageur'" n'ent
pas 10 temps de s?uWer.,
.
Le comlo no lUI fiL grâco d aucune pierre, 10 conduisit
on quatrième vitesso, du prieuré d'Ambialel ù lu Lour de
Castclnoau, le hissa au rallo du rocher do la Drèche ct 10
contraignit à s'oxtasier devant les cascades ùu Saut du
Tarn.
Au l'otour, Johan sc sentit fourbu. incapablo de descendre pour ùîner, il se fit oxcus r, pria (.ju'on le servit
ÙUllS su chambre, où, pour uchapPoI' à Alec, il Sc barricuùu,
�CŒUR QUI SOUPIRE
47
Lorsqu' il descend it, le lendemain, quelques minutes
avant le départ:p our l'église, tous les regards se tournèr ent
vers lui.
En grande tenue, la poitrine barrée d'insignes scintil.
lants, la fouragère rouge sur l'épaule , il était splendide.
Avec son inimitable aisance, il s'appro cha des mariées
belles comme des divinités dé l'Olympe, sous leurs voile~
de dentelles, et baisa leurs mains tendues, puis se dirigea
vers Aryelle, ravissan te dans une envolée de tulle rose et
lui fit son compliment.
Les jeunes filles présentes éprouvè rent aussitôt une
jalousie intense. EUes envière nt Milo de Valérac d'avoir
un aussi beau cavalie r.
Aryelle ne remarq ua pas les coups d'œil jetés sur elle
par ses compagnes. Dans le seeret de son cœur, ello pensait à sa chère B6atrice. Elle la voyait agenouillée, moUl'trissant ses genoux aux , dalles froides du sanctua ire et
son cœur tendre se serrait.
... CependanL, Alec allait et venait dans le salon. D'uno
é16gance achovée , il arborai t un habit à l'ev ors de velours
donL il ospérai t lancer ln mode. Entouré do jeunesse. il
prenait au sérioux sos fonction,> do garçon d'honne ur,
présent ait les invités des trois familles , s'arrêta it pOur
offrir ses homma ges aux dames ct s'inclinaiL tros bas'
devant les douairières.
Du boudoir où elle se tenait, Aryelle ne perdait pas un
do ses mou vemonts, A le voir évoluor, souple ct svelte,
parmi l'assemblée, olle sentait sa tendres se rodoubl er.
Commo il était charma nt avoc ses cheveux noirs ot lisses.
sos youx de flamme et son Leint brûlé de Sarrasin . Aucun
autre garçon no pouvait lulLer avec lui'. 8e3 camara des
paraissa ient Lous sos in fél'ieurs. J ehan de Clairmo nt, seu 1
pouvait rivalisor d'élégance ot de distinction avoc lui:
Peut·êt re mêmo 10 capitain e ôtait-il supériour il. Son ami;
mais il se montraiL sj fl'oid, si distant, sa rése rvo sem.
blait si hautain e qu o, Lout on l'admir ant beaucou p, nlll
Il'os:Jit. l'abord Cl'.
NOll moins an'aiNo quo 10 comto t1L1 Juv igllY, la ellanoinesse do Lib('rac, }ll'cmiol' arLisan du bOllhùul' de!; liuu céùs, cil' 'ulait de salon en salon, AUwlL dos 8aint-Juél'Y
aux Laverdy , olle s'arrêta it pOUl' échanger une réfloxion
1
�cœUR
QUI SOUPIRE
avec le marquis tout à fait rajeuni pour la circonstance.
Eberlu6 de se trouver au milieu d'un tel hourvari, le
savant considérait l'assemblée; les robes claires, les lamés
d'or, les perles, los diamants l'éblouissaient. .. Il sentait
la migraine tenailler sa tempe gauche . Néanmoins,
appuyé contre la cheminée, il accuoillait courtoisement
ses hôles, puis s'en remettait il Mmo de Libérac pour 10
reste.
Celle-ci avait été fort jolie ot montrait encore des
restes présentables. Toute on moire lilas, une toque d'aigrettes assortiès, juchée sur les l'risons de sa perruque
immuablement blonde, elle bavardait comme une petite
folIo, lançait les compliments ol les exclamations avec un
égal ontrain, et nommait les gens d'une voix perçanle
dont les échos amenaient une grimace vite réprimée,
d'ai1leurs, sur les trails fatigués du marquis.
11 onze heures, le maître des cérémonies appela lesinviLés. Les couples se casèrent dans los voitures; Mercédès,
s'installa dans le cabriolet
accompagnée par son tu~er
DO"lue cadeau de sa belle-mère; Maxime la suivit au
bl'd.; ':l~n
Valérac sorti de l'ombre pour la circonstance
c't pruhtiL place dans la confortable limousine offorte par
he '.: bŒur..;.
De mu.noire pontaise on n'avait assislé à un mariage
aussi brillant. Dne foule nombreuse; masséo Sur la place
de la cathédrale, allenuait le dMilé. TouL co que la province
complail de nolabililés s'empllnit dans l'immense nef.
L'armée, la magistrature, le elel'g6 6taicnL largement
représent6s, La bénédiction nuptiale donnée par Sa Grandeur, Monseigneur l'évêque, le Père Bruno célébra la
Messe .
Lu senlimentale Miss J essio, installéo au promiar rang
.'s groseiJJe Sur fond
des chaises, 6talait une foison de 1~cl(
bouLon d'or à donner une opltLalnllO. Emue pUI' l'harmonio des orgues, lCl; chanIs do la rnultl'iso, la joie dos noudélayant le
veaux épOIlX, elle p lourai t ~ ('1i 'Alldes lur~cs,
far.1 dont ~l'S
jo\.ll s coupcrosl'cr. étalcllt eop1eusemcnt COIIverto; cl sc ))llrLuuiilait fl'énéliquolllenL de rouge cl !ln
noir CJl essayant de lcs élanchcI'.
"gclloui 'ée dar:; lu Sil.IlC{U1Ü'U, "'l'yclle pri lit de {ollLu
�CŒUR QUI SOUPIRE
son âme pour le bonheur de ses chères aînées. En suppliant le divin maître de semer de roses leur nouveau
destin, elle invoquait la Sainte Vierge et lui demandait
de toucher le cœur d'Alec, si touLefois cela était dans les
desseins de la Providence.
Le ciel en avait décid.é autrement, sans doute, car le
futile garçon, tOllt occupé de la jeune fme dont il était le
cavalier, ne regardait pas sa cousine et débitait à· l'oreille
de sa compagne, mille propos divertissants .
.. . La journée r,'écoula sans incidents. Le lunch et la
réception furent en lous points r6us~i.
Le gros des invté
~
parti, la jeuns~
sc mit à danser.
_ Je suis n:lvré d'.ître pour vous un ca valier aussidéplol'able, mademoiselle, dit alors Jehan de Clairmont, mais
vous le savez sans rlout6, je ne danse plus.
Mlle de Valérolc ébaucha un sourire.
- Alec m'en a prévenue, Monsieur. Cela m'attriste ...
pour vous, mais ne me désole point, pour moi ...
Elle s'interrompit, devint rouge comme une cerise. Sa
phrase était pérjlleuse, elle ne savait comment en sortir
si ello l'ache vait elle de vraiL faire allusion à la blesur~
de l'otllcier, ceUe perspective la navrait.
Il comprit son malaise et vint à son aide;
- Ju vigny a évoqué devant vous le temps où les faveurs
du monde paraissaient à mes yeux le seul bien souhaitable ... Je reconnais là mon vieux condisciple. A l'entendre
je menais Je branle dans les salons parisiens. ardez-vou~
d'ajouter foi à ces exagéraLions, mademoiselle. En les
croyant vous serez tout à fait dans l'erreur. L'indulgence
d'Alec ù mon endroiL le pousse il émettre des opinions
trop élogiouses sur le malheureux que je suis devenu.
11 soupira, une tristesse voila son regard, sa bouche Se
plissa. D'une voix: assourdie, il acheva;
- J'al maintes fois regretté mon inforLune ... Jamais
autant qu'à cette minule où je me vois obligé de renoncer
il l'honneur de vous faÏI'e boslonnel'.
Lil jeune !Jlle voulut répondro, elle ne put tl'Ouver
aucune parole capable de rendra exactement sa pensée.
Après un silence elle déclara:
- Je n'aime point à danser, monsieur; j'ignore les pas
nouveaux dont mon oncle l'éprouve le5 rythmes. Cela ne
.i
�50
CCIlUlt QUI SOUPIRE
me privera pas de rester sur m~ chaise et de bavarder en
reg ll'daot mes amies s'amuser. S'il vous plaît de demeu rer dans cette 6,He où l'on étouffe, as~yon-u
dans ce
cdn, sinon passons dans la serre. Il y fera meilleur.
Le militaire acquiesça. Quelques instants plus tard, il
racont<li~
à la jeune fille ses annéos de collège et la façon
dont il av aH connu J lIvigny.
Aryolle l'écoulait avec l'attontlon qu'eUe apportait au:x
moindr es choses. La volx chaudo, au timbre harmonieux
du capitaine résonnait gravement dans la rotonde vitrée,
où, parmi les arbustes aux palmes onduleuses, un jet
d'eau égrenait toutes ses larmes dan une Va!lque de
marhre clair.
Tanais que M. de Clnlrmont énuméraiL pour eUe !l~
souvenirs d'enfance, la jeune fl.le songeait:
- 11 doit beaucoup souffrir de son infériorité physique.
Alec le plaint inflnimont d'a voir dO renoncel' à son exist.ence. Si fior, si boau, co malheureux regrette slÎrement
'ses 6uccèB anciens.
Cependallt, M. do Clair'mont continuait)
- J'avais lellement entendu parler do votro famille
mademoiselle, Juvigny témoi.gno d'un leI désir de m~
pr6~ent
0 r aux siens, quo pour lui plalrll, j'al lran~g'è$sé
à
ma. rt'gle do condui e et renOncer il mon isolement. J'en
éprouvo bion du romords.co soIr, où mon Infél'iot'it6 phycruollemont... Lorsqu'on
Gt
sique se mamIeato aU ~ SI
jnfirme, voyez-vous, on nO s'exhibe point on spectacle.
- Pouvoz-vous parlel' UO la sorle? coupa viveillènL
Arycllo, en 60 mettant dobout; je ne puis entendro Ù()6
pnrolcs aussi injuatos. Pourquoi faites-vous constammont
811usion il ce mo.udit genou? On n'os~
pa' un invalide pal'co que l'on no peut plus dansor .. . JO Ile vois pa!:! ce qu'il
y a là do décourageant. J'ignore l'opinion dos lluLros SUI'
co point ... et jo trl'l:ln Boucie peu. POUl' ma part, je vous
l'a(ft rmB, une ...
Elle hésita, chorchant 10 termo justo ...
u Une infériorité gai11 ée sur le champ do bataille ost le
plus beau titrt) de glOire. »
Elle s'aM'èta, rougit davantage, puis confuse do s'étrp
laiSsé lÔntrolner trop loin, elle ajouta. :
obligé,.. dA m'lib~énter
.
- Pa.rdonneL mo!, mOllSiellt'. d'ê~re
�C(EUR QUI SOUPIRIl
51
lIles sœurs parlent tantôt, je çlésire Ills embrasser aupam"antl.
E le se glissa parmi les fougères arboescnt~
~t
rentra
dnns la galerie.
L'orcheslre s'était tu. Les musiciens avaient demandé
gl'~C{,
les danseurs profltalent de ce répit pour dévaliser
II) bufiot.
_ Tiens, voilà notrJ AryelIo, s'écria une pc: Ile blonde
Qbomi/1ée, donl le corsage diminué par le huui montrait
ides rondeurs prometteuses. Où étiez-vous don;)?
_ Je me reposais dans lu serre.
_ Avec le « beau capitaine? »sans doute, achev3 une
autre.
_ Oui, mu chère. Avec M. de Clairmont. 8a conversation est des plus intéressantes, je regrette d'avoir dû
m'éloigner pour rejoindre Morcédès.
Un sourire railleur au coin des lèvres, allo compléta:
(( Le capitaine ~ est soul sur un fauteuil devant la fontaine, VOUR pouver. l'y trouver ~i le oœnr VOQS en dit.
Véra. de Lambert
un pas on .want, redress3. h{ têtp. et
tl'écria:
_ Ma foi, j'ai envie de suivre votro conseil, (Jal officier
est superbe? .J'éprouvo un vérHOoble plal-ir ù le reg\l. rc\ el',
son air romantique ct désabusé m'enchante.
Une troisièmo jauno fllIJ intervint:
_ Il n l'oir triste. c'est vrai; mnis aussi il n'u pllll de quoi
roll monLrOl' folâtre, il est mutil6, marcne avec peino, I!~
jambe artlonléa ...
_ Qu'est.ce que VOliS dites? coup;J. 13 comlo d Juvigny
,olro histojre est uno v6rltable 16gende.
'
Odil(J Lefovre.Moulin rougit jusqu'à. la raoine des cheveu~.
D'un air suffisant olle l'ipo.,ta :
_ 'foul 10 monde la (JonnaU, en tous (lMl.
Ocvant la surprise lisible dans les regurds du jeune
hommo, cil' ajouta:
_ Hier, au lhé de ma moro, ln génilrOolo HcslIC'l a ùonne
tout('s lOll l'I'ériiiions désirables flUI' lu blrMsuro ùe votl'~
nt
ilmi.
_ Je ljorai!l heureux do l'onnanre le réoit ùe CQttfl
vioille bavarde, bougonna Aleu ontre ùeux cuillerées de
sorbet.
�52
CŒUR QUI SOUPIRE
Son interlocutrice prit un air important:
- Elle a simplement résumé comment 1 au début de la
campagne, en 19140, .:M. d.e Clairmont, inco.rporé d~puis
peu
dans l'aviation, avait fait une chute Lerrlble. Laissé pour
mort auprès de son appareil en miettes, il fut retrouvé,
deux jours plus tard, dans un état lamentable. Traîné
d'hôpital en ambulance, il finit par guérir. Malheureusement les soins les plus dévoués n'avait pu sau ver sa
pau v;e jambe trop abîmée. Il fut amputé à. la hauteur de
la hanche, et...
- C'est très touchant, en vérité, et fort élégamment
conté, ricana Juvigny ..• mais il n'y a pas un mot de
vrai.
- Pourtant, intercala Odile.
- N'en déplaise à cette bonne dame, poursuivit Alec
sans s'arrêter à l'interruption, mon ami, dont jefus pendant la guerre le compagnon le plus intime, n'a jamais
été avialeur. JI a servi comme moi dans l'infanterie.
Blessé en 18 au Chemin des Dames, il souLTre tout simplement d'une raideur du genou et ne porte aucun appareil.
Vexée de recevoir ce démenti, Odile Lefèvre-Moulin
devint livide. Ses sourcils se rapprochaient, on la devinait prête à pleurer. Pour lui laisser le temps de se
ressaisir, AryeUe lui oITl'it une coupe de Champagne. Mais
olle refusa, se tourna vers le jeune homme, puis articula:
- Aviateur ou non, votre bel officier n'en est pas moins
impotent. Malgré sa Cortune, SOIl titre de princo romain
ct sa beaulé falale il ne trouvera jamais à se marier.
- Vous parlez comme une ét~ul'die.
interrompit Juvignyau risque do commettre une ltllpohtesse. Quelle femme
oserai décliner la recherche d 'un être aussi porfaiL. Toutes
les Parisiennes que je connais se montreraient Oères d'êtro
ehoi5ies pal' un garçon de cette trempe. 11 a ét6 l'enfant
gâlé du monde ... ne compte plus ses conquêtes et...
- C'est possible, coupa la méchanl.e. Avant 191'1 il
devait être passable. A présent, c'esl diffGrcllt il cst forl
amoindri. Aucune de mes amies no se Soucierait de passel'
sa ,ie il. ses côtés. Incapablo de procurer à sa femme les
satisfactions auxquellos nous aspirons toules, il la tiendrait
clu(IUemurée au logis. Vous n'avez pas regardé volre ami
'
cher monsieur. C'est un sauvage.
�cœUR QUI SOUPIRE
53
Elle jeta un regard triomphant à la ronde et continua:
_ Consultez Aryelle. Sa bonté ne faH de doute pour personne, eh bien, j'en suis certaine, elle partagera mon avis.
_ Je ne suis pas en cause, glissa Mlle de Valérac.
L'aulre ne l'enlendait pas. De plus en plus véhémente
ellepoufsuivait :
'
_ Vous comprenez, mes enfants, les histoires de dévouement n'onl plus cours. Elles étaient supportables pendant
la guerre cl quelques mois aprils . Tous les peuples vibraienL
à lunisson, les jelilles nlles se faisaient gloire d'épouser de'
'mutilés. La mode. a varj~,
la vie est trop courte pour
la gâcher en senlunenlahtés el en besognes de gardesmalades. Fi nous désiron;; nOUl marier, c'est uniquement
pour nous amuser davantage, dans un milieu nouveau.
Veradde Lambert bondiL en avanl ;
_ P,lrlez pOUf vous, ma chère, ne nous enrôlez pas dans
volre camp. Dans etle province, où vous habitez depuis
peu, nous pensons encore à l'horrible tourmente. J'.Ious
a vans trop longtemps vu pleuror nos mères pour pou voir
ôloignel' los trisles souvenirs. Toutes les familles ont laissu
un ûlrc cher sur 10 champ de bataille ...
Il Vous fûtesplus fa vorisée, ncette époquo VallS habi liez à
l'étranger, dans un pays neuLro. Orpheline de père, fille
unique, vous n'avez pas connu la trislesse des déparls
vous ignorez de même l'angoisse des interminables jour~
nées d'allente. J'élais bien petile, cependant je n'ai rien
oublié.
Un silenco tomba. Blessée pal' la mOl'curiale, Odile sc
laisait. Une g0ne subsistaildans le petit groupe. Désireuse
de le dissiper, Arjane de Bérardié, d6clara :
_ Infil'ffie ou non, je lrouve M. de Clail'mont tout Il fait
Il mon goût.
_ Permellez, Mademoiselle, insinua l'un des petits
gourmands occupés Il vider les assietLes de gâteaux. Le
cupilaine n'esl pas de volro âge.
_ li 'st beau, insista la jeune lillc.
_ Sa claudication le d6pul'e.
_ Taisez-vouS, cria l'obstinée ... vous n'entondcu; rier,
à ce quo les femmes appellent ln beauté.
L'intllrpcIlé s'inclina.
_ Et puis, déclara Mlle de Lambert, à quoi bon discutel'
�CŒUR QUI SOUPIRE
ainsi, M. de Cluirmont n'a pas attendu de venir à Pont
pour établil' sa réputation. Elle était faite lorsque vous
étiez encore entre les bras do votre nurse. Votre opinion
n'enlèvera rien à la gloire de ce brillant cavalier, ' .
Odile ne se tenait pas pour batLue ; désireuse d'avoir le
dernier mot , elle prononça, les lèvres pincées :
- Vous êtes libros de formulervoLre opinion, j'ai le droit
de garder la mienne. Votre dis~our
patriotique ne l'a
pas modifiée; je 10 répète, pou~
rlOn ~u ~onde
je ne con.
sentirai à épouser cot homme trIste, ded:l1gneux el morose.
Vrai, je m'amuserais auprès do cet éLeignoir . J'en frémis à
l'l1.vaGce, rien quo d'y songer .
- Soyez l'assurée, riposta vive mont Vera, il y a peu dé
chances pour que le cupitainll vous fusse l'honneur do
solliciter votre alliance . Jo mo trompo fort ou vous ne
dovez pas être son type .. ,' il doit rechercher los femmes
un peu moins dans le tram .
L'orchestre préludai:. UII tango, elle prit le bras d'Altlc
el parUt avec lui dans la salle de bal.
Derrière eux, les couples, se ro!orm'_rent..
Aryellc resLa seule.
- Comme elle est méchante, songeait-ello. Oncle Ghislain
a joliment raison do la détester. Vraiment, cotte petite n'a
rien dans 10 cœ?r..S'e~prim
de la sorte quând il S'agit.
d'un rnuLilé ... c est IndIgne.
Elle fit deux pa') dans la direction do la serre, et s'arrêta
figée. Dans l'embrasure do ln porLe. Johan de Clairno~
ll.pparaissait.
- Vous vous étonniez domon penchant pour la l'otraito
madomoiselle, di~.l
on s'avançant vem elle, Votro amio ~
réponù.u pour mOl.
Il ferma les yeux, UH pli amer so crcusa au coin do sa
i.Joucho, puis il soulova ses paupières et cOllclut, 1... voix
OécllÎ8sante l
- La place d'un mutllé, d'un invalide n'est pas dans los
salons. C'est pourquoi je me dispense ù.'y aller,
Il salua très bas et remonta dans sa chambre. On no 10
vit plus dé la soirée,
Quand les dernieJ.s invités eurent regagné leul's pénates,
le marquis de JuvIgny. Alec, AryeHe el Miss Jessie SA
re~)'olvènt
selJ~.
�55
CŒUR QUI SOUPIRE
Sur la lable du boudoir abricot deux albums reliés de
maro ' ain rouge demeur aient ouverts .
- Ciel, s'é rIa le comte, Mercédès et Maxime ont oublié
leurs carles postales .
Un éclat de rire accueill it cette remarq ue:
- Sois tranquil le, mon enfant, répondi t le sa vant. Elles
n'ont plus besoin do ces images mainten ant ..
CHAPI TRE VII
Dimanc he.
La. ID:.\ison a retrouv é son calme. MOl'ctldès s'install e ù.
Paris. Dégouté o des voyages , Maxime prend possession de
son nouveau domaino , je suis touto déroulé e.
Le cap taine de Clairmo nt est parti le surlend emain de
ia fêlO, après l'incide nt du baI, je n'ai rien [ait pour le
relenir. Son congé expirait , d'ailleur s, il ne fut pas
rest6.
Débarl'uss(, de lout souci mondai n, le marquis s'est reni~
au travail. Afin de l'attrap er le temps perdu, il prolonge [les stations dans la bibliol,h èque. Jo ne l'aperço is
guère ...
.- J'aigo.sp illé trop d'heure s pr(:cieuses, dit-il, lorsqu'o ll
s'étonne de cc redoubl emont de zèle... Je suis en rétal'd.
Mon éditeur s'lmpat icute.
Pendan t ce temps, Alec trépigne d'impat ience et no me
dissimu le plus son ennui de demeur or encore aupI'ès
de nous.
Jeuùi.
Mon cou/;in nous quittera demain , pal' le ['upide de
mlnuiL. Ses amis l'oppell ent il Monte-C arlo, où les l'éjouissances du Carnava l battent leur plein ....Jo suis navrée.
Comme je vais être soule. En dépit de son indiITérence,
.i'avais la joie de 10 voir ... Quand il Beru parti, que deviendrai-je?
Tout Ù l'heu),il, j'ni reçu une longue loUre de Béatrice .
Elle débordo d'allégr esse cL Ile regrette rien du monde,
goûte au soin du cloitre uno paix innnie ct puise dans
l'Hude Ulle force ignorée des vulgaire s humain s.
�56
CŒUR QUI SO U I'IRE
... Pourquoi Dieu ne m'a -t-il p as donné une vocallOn
sembl able? S'il m'eût appelée, je m e fu s volontier s olTerte
à le servir. Hélas, il m'a t r ouvée indigne de l'approcher ...
Samedi.
Les h eures sont interminables , je n'ai de Courage pour
rien. L e piano m'ennuie, la brod erie m'irrite ... De plus
en plus l armoyante, Miss Jessie m e fait prendre en gripp e
l'humani té .
.\'I on tuteur est invisible. Depuis le départ de son filleul ,
il ne descend plus pour les rep as. Son neveu lui manque
et il tr availle d ouble pour tromp er la longueur du t emps ...
... J e m'ennuie. J e lutto cep en dant p our chasser la
mélancolie j'arriv e mal à m e va incre. Si personne ne me
vient à l'aide, je ne résistera i p as à l' isolement.:.
:\Ierc6dès m 'a écrit. E lle nage dan, le bleu. Son mari
est Hne pel'rec tion , il la comble de gâleries , exauce ses
ùlisirs et la conduit chaq ue soir au théâ tre on au concert.
L'aménage ment de leur logis m a r c ~l e bon train . Lorsque
les Lapilpsiers el les décorateurs enloveront leurs échel les
on p endra la crémaillère J e suis invitée il la fille p r o j eté~
pour co soir · là . , . .
,
.
.
Ma scour est cloh cleuse , elle n oublw pas la pel lle exilée
t;t désiro l' associer à son b onh eur. A quel pa rti m'arrête.
ru i-je ? Aecomplirai - je ce grand voyago pour me trou vel'
1ra nsplanLéo dans un milieu si tlilTércnt du mien ? J (J
Jlites te les nouveaux visages , l'a rt de débi te r des inutilité!'l
m'ost totalement étranger. Ces ta lents sont néoossai res
dans la sociét é aristocr a tique où lréql!entont les j e un ~s
ma ri és. Si jo deva i.s retrou ver AIt: dans la capitale, je
mo l.. :sseruls peut -e tl'o te.nter. MalS mon v olage cousin
re ntrora soulem ent . à .ParIS au début d? juin, p our les
grahtles épreuves l l ?~l
q u es . Jusque- là Il prolongora son
~o n séjour sur la RIVier a, auprès ùes camarades dont il
('st entiché ...
.. . Quelle foli o de tout l'amener à lui dont le OUlUl' cs'
si loin du mi(,ll ...
Quinze jour.:l so sont ~cou\(:s
depub mos o\.rniües tonti-
�C ŒU R Q UI S O UP I R E
57
dences . J'ai sottement ét é « un p eu malade ", comme onditi ci.
Je ne sou ffrais de rien, j'avais la fièvre, tott simplement,
el a u s~ i un grand abattement. Le docteur pI'escrivit le
l'epos, des dis t,rudions, un change ment d'air et beaucoup
d' autr es ch oses du même genre, impossibles à se procurel'
ici. Un inslant , je songeai à demander à Mercédl,s de
m'héb erger pendant ma con valescence, mais le printemps
humide el glacial dont nous sommes affli gés est encore
plus rigoureux dans le nord, le m édecin s'opposerait à
tout voyage à Paris.
- Partez pour la Côte d'Azur, a conseillé ce t excellent
homme à mon tuteur. Un changement d'air sera salutairJ
à ce tte enfant. Au risque de vous désobliger, j'ajouterai,
il. vous aussi, mon vieil ami. Votre labeur acharné ne mu
dit ri en qui vai:Ie. Si v ous persistez à pass'er los nui ts il
voLre table de tra vaH, je serai contraint de VOIl S arrôter.
Oncl e Ghislain a poussé les hauts cris :
« Vous p ordez la r aison. M' entrainer il. circuler à celle
saison, vous voulez ma mort. J e n'éprouve aucun b esoin
de varier mes horizons ... Si ma nièce doit allor à Nice 011
quelque part p nr lil , je ne m'y oppose pas. E lle p eut bou cler ses m alles et se mettre en rouL e avec sa gouvernantl' .
- Vous n 'y réfl échissez p oinl, marquis, a ripost é le doclem', ferme slIr ses positi ons. I:!;xp 6dier un e enfant dnnr;
une région essenl iell ement cosmopolite, sous j'égide de cet
épouva nlail J 'Anglaise?
- Miss J essio est la plus convenable dos femmes, a
obser vo mon p arrain.
- J e n'en disconvi ens p oint. Mais olle s' accout re comme
\1[1 arlequin. Sur ses habits, eUe assortit si généreusem'enl
le vert, le ro uge , le jaune, 10 bleu, que les ave ugles môme
~ o n l impl'ussionnés p ar cello carle d'écha ntillons: Si vous
désirez voir volre pupill e aimablemenl reçue, s'amu ser el
fréquenter dans flu n mili eu, il convient de lui donne'!', pom
la conduire au bJ I, un chaptrOll moins bar iolé .
Mon tuteur a h aussé les upnulcs :
- Où voul ùz-vous que je déniche ce Loiseau l'Me? J e n'a i
pas le Lemps de m'en occuper , la besogne m' écras!', lu;
édi teurs me poursu ivent do malédicti ons, c't:sl à perdre la
raison .
T_o <l octour Leuil it il sun, id(;e :
�58
cœUR QUI SOUPIl\J,;
Je me charge de découvrir la compagne rêvée.
_ A votre aise, a crié mon oncle. Je YOUS laisse carL!'
blanche.
'
Et il s'est enfermé dans la bibliothèque:
Deux jours plus tard, notre excellent docteur revenait
flanqué de la chanoies~
de Libérac:
- Madame votre cousme, sur le powt de faire à Beaulieu
son séjour habituel, consent à sc charger d'Aryelle. Bien
entendu, la comtesse se borne au rôlo de chaperon pour les
soirées. Elle conduira notre malade au bal et au spectacle.
Quant au reste, Miss .Tessie s'en arrangera. Cela vou s
Ya-t-n?
TIavi d'en être quitte b. si bon compte, Je marquis u
approuvé, s'en èst remis à Mmo de Lib6rac de tous l~ r.
détails secondaires. Sur l'invitation de ceite aimable
femme, il m'[I ouvert Un crédit illimité pour compléter mtl
garde-robe.
Depuis, la maison est envahie par los couturières. Comme
je suis trop lasse encore .p.our courir les magasins, les lournisseurs viennont à domICile. Je nage encore une fois danr-;
lE's mousselines et les soieries, Cela ne m'amuse pas outre
mesure.
Pour obéil' aux suggestions de la ch;:moinesse, j'ai choisi
du blanc pour le jour. Fourrures, manteaux, chaUssures
petites .iupe~
plissées, golfs, jump~rs,
.~\eats,
toute m~
parure sera lmmaculée. Pour le SOl~,
J al varié la nuance
et me suis plongée dans le l'aRC. JadiS, avant le mariage de
Mcrcédès, ceLLe couleur m'ôtait défondue. Mon alnée la
réservait pour elle. Maintenant j'ai le drûjt de me vêtir à
mon gré, j'en proflte ... J'aurai donc quatre loilettes de bal
Une de crêpe de chine azalée, brodée de perles aRsorUes:
c'est lu plus boUe. La seconde en velo~rs
de corail, sans
ornement, uno au Lre, en dentello géraruurn et la dernièrCl
cn voile de soie Bengale. J'o.jouterai à coite lisLe ma robe
Ilt la tulle bIen du contrat.
de corl~g
Avoc CilS merveilles, je .serai parée, comme dit Miss JessiCl,
en vêril aLle tille de murm qu elle esL.
Au fond, Lout HU fond de moi, ce dl·placemenL ne me sourit guère. J'eusse de heaucoup préféré dcmclu'cr à Pont
dans notre chère vieille maison ... avec Alec el M. de Clair monL.
�CŒUR QUI SOUPIRE
59
Depuis ma fièvre, je pense beaucoup au capitaine, Je ne
sais pourquoi, d'ailleurs. Je le compare à mon cousin ... Ils
se ressemblent bien peu. Autant l'un est, posé, grave,
autant son ami parait futile. J'aimerais que mon cousin
ressemblât à l'orncjer ... A quoi vais-je rêver? ni l'un ni
l'autre de ces messieurs ne songe à moi.
Le mi litaire est pris pal' son ministère ... le comte réside
il Monte-Carlo. Puis({u'il ne veut pas rester auprès de
nous, je cours vers lui.
Bientôt je connaitl'ai les compagnons, si divertissants,
dont il s'entoure. Je verrai les dames de son cerdo ... Je
souffrirai peul-être, sûrement même, mais je saurai .. .
Jeudi matin.
Nous partons Cë soir, que sera ce voyage? Vers queJles
joies ou qu'elles désillusions m'emportera. le train où nous
monterons tout à l'heure?
Je l'ignore ...
�DEUXIÈME PARTIE
ClIAPJ'l'RE PREM1ER
Dans le salon du Palace, Milo de Valérac prenait une
leçon de diction. Devant elle, un, h?mme entre deux âges,
pommadé, musqué, tiré à quatro épmgles, so tenait debout
Ull livre à la ~ain
et lisait un texte dont il déta~liL
chaqu~
"éplique, soulignan t une à une les finesses du dialogue.
Attentive à ses moindres jeux de physionomie, la jeune
fille rép 6tait apr\Js lui, prenant soin de copier exactemenL
les nuances indiquées par 10 professeur.
- Allons, mademoiselle, disait celui-ci, un peu moins do
raideur, s'il VallS plaH ... De la souplesse, de la légèreté
un sour'ire, doivent ponctuer celle riposte. Miss Bel.jn~
l'orcival est une enfant romanrsq'ue, évidemment, mais li'-l
nationalité yankee la rcml posi,ive; elle s'exprime sur un
ton décidé ... sans violence, toutefois.
1
Le dialogue s'enchaînait sous l'œil indulgent di) la comtesse ùe Libérac, témoin obligé de la répétition privée.
' lJloWo sur les coussins d'un lit de repos, enfoncée dans
l'ombrasuro d'UllO largo baio, l'aimable felTlme no perdait
aucuno des paroles du maître.
, Souriant à ùemi, clio soogeait il l'époque où, jeune cl
alerte , olle triomphait ~ur
Jes théâtres mondains, dans les
rôles de soubrette du répertoire classique.
1 Cependant la pupille du marquis de Juvigny entraînée
par l'intrigue, jouait la grande scène du troisième acte
a vec unI,) ardeur ct un scnlimcnl parfaits.
'
~on
rôle 1(; passionnait. lJllc l'cndait l'ingénuité chal'-
�CŒ UR QUI SO UPIRE
61
mante avec un art consommé, jamais, à l'entendre lancer
les répliques avec t ant d'autorité, on l' eut prise pour une
débulante, p ourtant, c'était bien la première fois
qu'Aryelle s'essuyait à ce passe -temp s. Elle avai t tant
résisté avant de céder aux sollicitations des hiv ernants
logés dans l'hô tel. Dévorés de l'envie de monter (( l'Abbé
Const antin »pour la Mi -Carême, ils avaient prié la jeune fille
de se joindre à eux. Incupable de refu ser ce qu' on lui
demandait avec insistance, Aryelle s'ét ait laissé convaincr e.
C'est pourquoi, désireuso de ne p as être inférieure à ses
camar ades , elle avait réclamé les conseils d'un comédien
notoire, en représentations au casino de Nice.
- Cette fois, disait le professeur en fermant lu brochure,
cette fois, je suis content de vous. J e n'ai rien à roprendre
à votre jeu, mademoiselle. Votre p ersonnnge est parfaitement campé, vos attitudes sont nalurelles , votre ar ticulation nette. J e ne sais comment s' en lireront vos parlenaires , je crois impossible qu'aucun dise plus justement
une prose a ussi difficile.
- Vous me flattez, monsieur, murmura l' élève .
- Pas le moins du monde, alUrma l'ac teur. J'exprime
simplement le fond de ma pensée. Vous ôtes admirablement douée.
- N' est- cc pas? intervint la chanoinesse en se redres sant. Cetle enfant possè de un talent inné de comédienne·
J e me disais cela lout à l'heure, en la regardant évoluer'
s'asseoir, passer, ma rcher, agir, enOn.
Le professeur sourit;
- Je suis enchanlé de la concordance de nos opmlOns,
Mada me. Mlle de Valérac a toutes les qualités des grandes
arlistes. Elle es t essontiellement na turelle. Mon élève
no cherche pas l' effet, mais y arI'ive instinctivement. Elle
vit son personnage el s'incarne en lui . Avec sa rare mal lrise de soi, la modéra tion do ses gosle.; et sa dist inction,
je r 6pollds du succès.
Mmo de Libérac so ul'Ît.
- Vos paroles me réjoui ssent, monsieur. Les amaleurs
savent nU'o ment 50 tenir en seime. Ils agitent les bras, la
tHe , roulenl des yeux furibonds, à donner la chair de
poule.
- Volre jeune amie n'a point à redouler de lomber dans
�CŒùR QUI SOUPIRE
de tels travers, assura le comédien. Son inLuition est trop
précise pour commettre la moindre faute de goût.
- Vous voyez, ma chérie, disait quelques instants plu!;
tard la bonne comtesse, en s'asseyant en face d'Aryella il
la table du déjeuner, où. Miss Jessie, tlveuglante dans son
sweater orange, avait déjà pris place; vous voyez combien
J'avais raison de vous pousser à jouer la comédie. La
modestie, le désir de rester inaperçlJO vous incitaient à
refl,lser la proposition des organisateurs de la représentation. Pareil efiacement eut été un crime . Vous ètes fuite
pour réussir dans le monda, ma chérie; .10 vous y aiderai
Ghisl.ün El Joliment bien fait de se
de toute mon ~nuec.
confier à moi pour guider vos débuts.
Elle s'inlerrompit, cueillit une enveloppa sur le plateau
çté{José auprès de son couverl, Ut sautel' le cuchet, lut l'upldQment quelques lignes tracées sur le vélin bleuté, replia. la
lettre" puis expliqua:
-J. C'est d.'Alec, enfin. Il m'annonce sa visite. Jo lui ferai
léléphoner do venir à Beaulieu demain, 0\1 après, à l'.t;teure
qU tM.
Elon regard interrogeait la jeune fille. Subitement 6eaJ"
late, Aryelle baissait les yeux et demeurail siJenciel,llJe.
En elle-même, ello songeait!
~ Cc n'esl pas trop tôl. Quinze jours sont passés
depuis mon arrivée ... il n'est pas venu nous M.lner. ~eS
illusions s'efirilent... Si jo n'Mail! pas aussi saLLe je ne
penserais plus à lui... »
'
Étonnée du mutisme do sa petito aroio, la chanoinesse
répéta:
- Dels-je le coO\'ler pour demain ou pour jeudi? fttO$vo.us ~Ibl'e
l:s do~x
j~urs?
Ai. vous aviez dos projets, je
prlel'als Juvlgny la déjeuner demain?
- Comma il vous plaira, madame répondit enfin
Milo de Valérac, je n'ai aucun eI\gaom~L.
- , AU rigth 1 s'écria l'Anglai.se. Jo souis enchantée de
l'Iltl'ouvor le coroto. Il Nait si tchCll'mifig .
.- C'est vrai, soupira la vieille dame, il ost adorable Je
lTIonllll'e, il le sait. Il connait o.US i le pouvoir de 'S(l~
cûlineries, et en abuse; il est plus séduisant que la plupart
de ses camarades.
�calVJ:\
~UI
SOUPIRE
6S
Miss Je5sie se préparait à appuyer cette opinion faVOrable à son préféré. Elle n'en eut pas le loisi!'.
Une jeune fille excessi '1ement élégante et maquillée avec
un àrt indéniable entrait dans la salle à manger, la traver.
rsait d'un pas victori()ux, et s'approchait de la table de
Mme de Llbérac.
la comtesse en
, -Commilnt, vous ici, Odile? s'~eria
reconnaissant l'arrivante. En quel honneur, grand Dieu? D
Mlle Lefèvre- Moulin plongeait dans sa jupe pour là
révérence obligée et. tondait la main à Mlle de Valérac.
En apércevant son amie, Aryelle n'avait pu dissimuler
un froncement de sourcils révélateur. Deput; la discullbion
fâcheuse qui avait un moment troublé le bal du mariage
do ses sœurs, la purille du marquis de Juvigny ne pouvait
souffrir cette compagne bavarde, effrontée et surtout Sàns
cœur. Elle serra le bout des doigts dirigés Vers elle, tan.
dis quo la CO!1uetto, très à son aise sous lcs regards des
diMurs, articulait:
- Je m'exc\Jso, madame, d'être venue troubler votre
repas, je ne voulni3 pas passer à votro porte sans vous saluer,
nous sommes arrivées hi er matin: Arjane de Bérardié, ~a
mère, Vera, son frère Bélen, ma cousine Viviane ot Magah
ùe Mont-Grand. Maman a prié la baronne de Puymirol
de III rtlmpl:1ccr ct de remplir tous les df'vnil'S de la
malLresso de la maison.
MLtlO Lefovl'o-Moulin lia vous a pUR J\(·colllp'lgnée?
- Cela lui était impossible, madame. Elle est retenuo
il Pont pur ses afWires. Bes hommes de loi l'accaparent.
Ils l'obligent à circuler sans ce~s
entre Toulouse et
Montpellier. J'ôtais constumO'lent soule au logis avec mon
JusliLl.1l1'lM ... Mmo dl;) Bérol'di6 so l'omettait mal d'une
mauvaiso grippe; 10 doc tour lui ordonnait un climàt
tempéré; olle CIO aavait où aller. ,raman luI e. oftert
soutenUe
l'hospilalHé dans sa villa dll Cap d'Ail. _\.us~iLût,
par Arjane, j'organisai un complot, aOn de forcer la main
à ma mèro, et de la pousser à m'autoriser à accomp:lgner
Inos alllies. Le résultat désÎl'é obtenu, la bnndo ~'e$t
miso
en roule et nous voilà ... VOUll savez l'histoil'A ...
Sans a HeI'ldJ'è lea réflexions possibles de son interlocutrice,
tille conti nua:
Permettflz mol dè voua transmottre l'iJlvltation de la
�cœUR QUI SOUPIRE
baronne. Elle m'a chargée de vous prier à goûter, tantôt.
Si vous n'avez rien de mieux il. faire, no.us YOUS alendro~
au Maj eslic, à cinq heures . M. de JuvIgny et sa coterie,
ont promis de se joindre à nous , ce sera trôs gai. Rien ne
vous empêchera d'être des nôtres, n'est-cc pas?
- Je ne vois rien .. . Pour ma part, j'accepte. J z suiE
tout heureuss de revoir cette bonne Horlonse.
La chanoinesse s'arrêta, étudia les diamants de see
bagues, puis se tourna .vers Aryelle et demanda. :
- Cette Odile a vraIment de la chance, à peIne débarquée elio met la main sur Alec. Nous n'avons pas élé aUS3i
favorisées, depuis notre arrivée, nous ne l'avons pas vu. 11
croisait sur les côtes de Corse , parall-i1 ... »
La petite Lefèvro-Moulin prit un air suffisant:
-11 est rentré lundi. Je. lui
. ai téléphoné au Palace
nous en Mions convenus amsl .. .
Elle sc gal'da bien de dire comment cette convention
avait été établie et à quel moment. Sans achever sa phrase
elle demanda, les yeux dirigés vers Mll e de Valérac :
1
- Alorô, c'cst entenùu? Nous pouvons compter SUr vous
tantôt.
'
Aryelle ne répondit. pas tout de suite. La perspecliv o
de retrouver son COU8In, devant une telle atnuenCG, no lui
souriait qu'à moitié. Puisqu'Alec, si respectueux des
convenances ù'habitude, s'était oublié jusqu'à négli,;er de
se~
hom,m,ages à Sa parente, elle sc dispenvenir pré se nte~
serait d'aller a lUI ... D tlc Jdém
~ nt,
cc gal'çon était le plus
famlile . ne comptait plus pour
indifIérent ùu monde .. L~
lui ... Certes non, elle n'IraIt pas à NIce. Odile lui déplais'liL
trop,' avec s,os allu,rcs ga!'çonniù:cs et ses propos Iibér~
...
D une VOIX qu elle s efIorçalt de rendre ferme, eUe
prononça:
- Je 110 sais s'il me sera possible de vous rejoindre. J'ai
un essayage ...
Mlle LeIèvre·l\louliJl, vous com- Comment? sur~at
mandez vos robos lei? »
Aryelle rougit.
- J'y suis forcée, dit-elle.
- Oui, intervint la chanoinesse. ma cousine cuil Sus débuts
de comédienne jeudi prochain, La sociétlj do Beaulieu
une lè to au profil d,s pravan.
organise pour la Mi-Car~me
.
�65
CŒUR QUI SOUPIRE
toria de la côte. Qllelques hivernants dévoués se sont
réunis pour apprendre et répéter l'Abbé Constantin, de
Meilhac. Aryelle tient le rôle de I.a jeune miss. C'est très
amusant .
OJile devint livide. Furieuse de ne point faire partie de
la lroupe, elle ne pouvait dissimuler son mécontentement.
Elle essaya cependant de paraître aimable.
_ Nous viendrons vousapplalldir, fii-elle d'un ton acide.
Vous serezparfaiLe ... Les ingénues spnlloul à fait votro
emp:oi.
D'une voi;{ adoucie, elle ajouta:
_ Quels sont vos parlenaires, ùes gens connus?
_ Je ne crois pas, du moins je n'ai jamais enlendu leur
nom avanl de les voir ici. L'abbé, la vieille bonne et le
jardiuier sonl des professionnels en villégialure dans la
région. Pour les aulres, ils sonL Angevins, proches parenLs
et habiLués à la scône ...
_ Vous ôtes la seule débulanle? coupa la jalouse.
_ Hélas oui, avoua Aryellc.
Un silenco lomba. Peu désireuse de poursuivre un
enlrelien dont elle ne faisait pas Lou<; les fl'ai~,
Otlile
s'excusa d'êlre obligée de rejoindre ses amis.
_ La baronne de Puymirol doit me croil'e perdue, ditelle.
Elle salua Mmo de Libérac, serra. la main d'Aryelle,
adressa un petil salut protecteur à MISS Jessie el sorLit de
la salle à manger.
_ Aon 1 s'écria l'Anglaise enla regard:mt disparaître dans
le hall. Elle était bien mal édiouquée. Jamais une mist;
ne se permettrait d'interrompre un lunch dans le AngleLerre.
La comtesse sourit eL répliqua:
_ Vous avez raison, miss, cette évaporée n'avait certes
aucun besoin de nous poursuivro jusqu'ici. Nous nous
serions bien passées de sa présence ... Bile brûlait de l't:ll\ ie
ùe revoir Alec, sans doute.
Elle s'interrompit, regarda Aryclle dont 10 fin viSllgC sc
contractait el expliqua:
_ Eh oui 1 ma chérie, ne l'a vez-vous point remarqué?
Celte nmbitiellse ruchel'cltc fort la sociéLé do votro p.arent.
Jo me ~li
a.prl'çuc de son mant:g(' pendant lu dornier séjour
~
�66
CŒUR QUI SOUPIRE
de, Juvigny à Pont. Sa mère ne serait pas fâr,hée de
décrasser les millions gagnés dans le commerce en la
coiffant d'une couronne de comlesse.
Mlle de Valérac s'était re~sai.
- Elle fait fausse route si elle s'imagine capter le cœur
de mon cousin en courant ~près
lui com~e
elle s'applique
à faire ... 11 n'aime guère Odile et la contrarIe constamment
je l'ai remarqué à mainLes repris s .... Et puis, même s'il~
trouvait charmante, il ne l'épouserait pas. Mon tuteur a
l'horreur des mésalliances ...
- J'en suis sûre, coupa la comtesse.
En olle-môme, elle songeaiL :
- Comme olle prend feu. Ma sage AryoUe aurait-elle
cédé au charme do ce papillon? Cela serail navrant. Cet
aimable dansour, inconstant pt frivole, ne forait en rien
fion afTairo, ilIa rendrait malhoureuse ot no goûterait aucun
bonheilr il sos côtés. Comment pourrais-je la mottre en
.
gardo contro uno erreur possible?
Le repas s'ucheva sa~
que la con~erstlO
interrompue
fut ronouée. Mmo de Llbél'uC réOéclussalt. Lo nez Sur Son
<lAsiotto Aryello ,songoait à millo chosos angoissantes; olle
évoquait los silhouottos ~'lec
o~ do l ~. pe~it
Lelèvre.
Moulin rapprochées ... ÉtaIt-Il possible qu ils ulOnt comploté
de 50 rotrouver sur la Riviora? .
CHAPITRE II
JOURNAL D'ARYELLE,
La chanoinesse a-t -olle raison lorsqu'elle alnrme qu'Odile
rÔve d'épow;er Alec? Je no puiG croire à tant de prétention.
La coquette a toutos les audaces, je le sais, cependant
celle-là me paralL d6passer la mesure ...
Si olle arrivait àséduiro Alec, pourtant? QU'adviondrait.
il de Illoi ? Non seulement jo pcrdrûis toulo espér;.meo mais
jo ne pourrais m'ontenru.'e avec celte cousino cntr6e de
fùrce, pOlir ainsi dico, dans notre maisOIl.
Par bonheur, la n,ture essentiellomeul volage du Comle
de ,Juvigny, ma plilrrnot de supposer que la petite Lefévre.
Moulin Cil sera pour scs Irais de LoileLLrs oL de Sourires ...
�67
CŒ UR QUI SOUPIRE
J 'aime mon parent , je le trouvo le plus b eau des jeunes
gons assemblés au casino, néanmoins, jo le vois tel qu'il
~ nt
son commerce
est. Sa futilité, ses caprices répét,'s rend
particulièrement di!Iieile. Sa fe mme, Iut-elle un ange, Sl'ra
s ùromcnt lTIalhoureus3 . Comme je voudrais chasser do
mon cœur Je sentiment qui l'habi te . Bi je pouvais prêter
atlention aux protestations <l e cer tains de m es danseurs ...
JIier E'ncorr, l' ~lsp ir a (lt de Lud(;s ne cessaitd e me complimenlel'. 11 ne serail pas long ù. s'a Ueler ü mon char, celuilà. Malhellreusement il m'rnnnie. Jo ne sais poinl flirter ...
,Te rou
gi~;,
je peU is, je balbuli , un e envie foli o de me sauvu
me gagne eL je plante lit mon irüerlo ;:uleur p our r ejoin d rc
le' coin où lrôno ln. comtosso . Ah, qu e je voudro.is ('l re
semblahle aux aul l'es , el coq \letter to ur :\ Lour avec l e:~
blonds et les bruns, r rndre Al ec jaloux .. . Si j'avais seule. Si m es sœu rs
m ont 111le [\mie S 01'O Ù qui confier ma d ét r e~sc
H'ul aient pas aussi loin, je leur demanderais des consei ls.
lIélas, elles so nt trop a br.orbôes p ar lour insta llation ... TIl.
pli
~ je n'oserais jamaic; leur pnrler de mes misères .. . A lor
~?
Mardi.
Alec sorL d'L i. Charman t, frivole, rieur, il a t rouvé pOllr
excuser son reta rd ù nous rendre ses devoirs les raisons
lOf) plu,' vr,lÏsembJabl ;J. Pour la promière fois de sa vio
il a pr(\té allenlioll Ù ma mine cL m'a féJicitlÎe de m on
« teint vermeil )' .
Au courant dos moindres potins de la rôte , il se plût il
décrire à la co mtesse les personnnlitéH de la colonie
cosmopliL o, asse mbléc5 SUl' la terrasse de l'hôtel.
MucHe, droite sur ma chaise, j'écoutais vaguement les
anecùoles. Tandis que sa verve ('nustiquo s'exerçait aux
d(lpenS ùes hivernants oparpiJl6s alenloUl', je le r egar dais.
Vraiment, il ne pouvait rien y avoir de commun entre ce
garçon pimpant, d' ulle ol6g:mce rech erchée, et l'humble
provinciale ignorante qu e je suis .
,
A 1';('8 côtés , je m e senta is iso lée , d 6p aysée ; j'i ~ not'ais
le
nom des p ersonnes dont il pa rlait avec tant d'abandon, et
ne co mpronais goutto à ses r éparties a lertes, lestement
Inncéos .
Comm() j'excusais son indilTérence il mon endroit.
�63
CŒUR QUI S OUPIRE
Vraiment Alec ne pouvait songer il m'épouser, et je me
~on
cœur il ce papillon,
jugeais slupiùe d'avoir don~
dont les ailes brillant.es volLlgeawnt de fleur en fleur.
La lrisLesse m'envahit. Mes pensées m'emportèrent ve r~
la maison sévère où mon oncle; incliné sur ses paperasses,
travaillait salls r épiL. Puis je songeai à Béatrice. Jerne la
représentai sereine e~ gra ve da.ns sa .robe aux pl is droits,
son beau visage pensIf sur les 111- folIO dont elie déchifIro
les texles, ou bien ins ta l é~ devant son pupitre el prête il
chanler les hymnes grégor1ms .
Comme je voudrais, à son exemple, trouver la force de
m'éloigner de ce monde menteur et de m'enfoncer dans la
paix du cloitre au seuil du quel les bruits de la Lerre
s'éleignenl à jamais...
Dieu ne m'a point appelée. Il n'a pas somé en mon âme
les germes de ce renoncement tolal dont loule Vocation
sérieuse esl précédée. Je dois r es ler parmi mes semblablas, essayer de rire, de causer, de m'amuser avec eux
quand mon pauvre cœur meurtri saigne par mille bles.'
sures ...
.J a ne me plais guère pourtant, au mili eu do ces fêtards
toujours en qu ête de distracLions nouvelles, et bien mai
entraînée il suivre la sarabando menée par mes amies. Le
plus souvent j'invente un prétexle pour ne pas sorlir et je
l'este seule, dans ma chambre, à lire eL il rêver.
Ma vic sarait t ellem ent diITérenle si j'éLais aimée si
une Lendresse absolue m'environnait co mme une sa l ~Ye
garde. A l'égal de bien. ~'alres,
jO.llnes filles, je suis
capable do savou rer los JOIOS de 1 eXistence, mais, pour
Hrc jolie, parée, il faul scnUr un cœuI' fidèle batlru il
l'unisson du sien ... ct nul HEl songe à moi ...
Alors à quoi hon fail'c Lant de frais do LoileLle eL de
gril ces ? Pour tous les indifT6rcnlg do l'hillol ? Vraim ent le
jeu n'on vaudrail pas la chandell e; je IH'éfère la silence' d!'
mon
apparlement
avec un hon li vrc, cola, au moins , 11 0
' .
m,.
a Jamol3
déçuo ...
J eudi.
Les façons d'Alec ~o
modinonl un peu. Ü(!pllis qu 'il
('onnan les l'op6til ions de l'Ablni COllstflrttin, il ml'
prend au g('riollx, J o deyions à se" yeux une qUdntü6 moiu,;
�69
CŒUR QUI SOUPIRE
négligeable. Néanmoins, comme il ne peut être deux jours
de suite de la même humeur, je ne fais pas grand fonds
sur son amabilité .
Tantôt il court à moi les mains tendues et m'accable de
louanges; tout lui semble admirable en ma p ersonne, et
sa tendresse frat ernelle lui dicte cent précautions touchantes, il s'inquiète de ma santé, m'oblige à me reposer,
enroule à mon cou fourrures et écharpes, choisit ma place
à l'abri des courants d'oil'. Le jour suivant, il me montre
une indifféreill'c royale, ne se préoccupe point de mes faiLs
et gestes, m'adresse la parole jus te quand c'est indisp ensable et, si nous sommes au bal, oublie de me faire
danser.
Subjugué par les charmes d'Odile, il ne la quitte pas un
lIlstant, lui parle à l'oreille et l'acca blo de gentillesses.
Le r6sultat de cette humeur variable ne se fait pas
aUendre. Mon caractère se modèle sur le sien; je deviens
fantasque, capricieuse , à force de passer par ces alternalives de joie et do p eine, je ne sais plus où j'en suis. J'en
conclus simplement que jo demeure pour mon cousin, uno
sorte de sœur cadelle pour laquelle on n'est pas obligé de
se gêner, ct voilà tout.
Jamais il ne me prondra au sérieux; je voudrais lant
qu'il vit en moi la femme capable de porter dignomenL
son nom eL de marcher à ses côtés sur la route de la vio.
Samedi.
Iie~',
après dinor, commo nous nous préparions à partir
pour Monle-Carlo, où l'on donnait une reprosenlation de
gala, AJoc ost ontré dans le hall du Palace. . . .
_ Je vouS accompagne, tanLe Dona, a-t-Il dit a la ehaLoioesso, ma so iréo ost libro.
l~tordi
sa
l1t de vervo, il nous n débilu pendallt le trajel, los propos los plus amusants tiu monde, si bien que
l'auto stoppait devant 10 théâtro sans que nous uyons ou
le temps de reprendre haleine.
Du fond do noLro baignoiro, Alec 50 mil à lorgner la
Halle, nous nomma au hasard dos fauteuils los personnes
de connaissanco, sos camarades do cercle, scs amis el lri;
bolles darnes il lu mode. 11 savait une hisLoirc sur chacun,
�,
70
cœUR QUI 50Ul'IRE
eL ne se gênuiL point pour rapporter los anecdotes les plu'ï
invra
~e
mblaes.
Comm e il nous contaiL Ulle avenLurl! survenue il lap!'Ïllcesse SrnirnoIT, lors de son voyage aux Indo>, il s'interrompit pour s'éer.icr :
- C'est trop fOl'l l
, 11 déposa sa lorgneLte SUI' le rebord de la lugo, t;e tourDL
vcrs Mmo de Libérae, puis ajouLu:
- Vous p ermettez, ma tunte ?
11 n'attendit pas la réponse, bondiL ùans le couloir e~
disparut.
' .
Ciney minuLes plus Lard, II revon~lt.:
,
dit-lI en ~ cflaçanL pOUl'
1 _
Jo vous amène ~n ~auv:lge,.
livrer passage au C~Ilt1e
de. U Ull'/tlOI!l . , lr~Iagin
e :-voU
!),
mesdam es, pourSUIVit-Il, talldls qlle lofllcler pruS Jnl :.ül
scs hOnlJl1Dgcs il la comtesse eL ù moi, ccl original est il
Agay de!luÏJ hier. Installé chez sa grand-more do Lanjac
il JlUbite uno villa prineiùre . f.)O!! aïeule lui Jai ~so
la lib'~
dispositioll des voilures ct des aulos ... Au lieu de me té :6plloner son arl'iv6e! i l ~El LelT.o comme un ours ...
- Quo je suis, IltEr~mJ
lc. nOUV OtlU vcnu. Tu peu),.
mc d6corùr d e ceile 6pllhete , JC le permets. J'airllc <.l(;
JfIoius en moiIls le lllOwle.
. - A votre âgc? railla gentiment la chanoinesse. c.:'es'
irnpardonn 3.blo. Je ne vous rossemblc pn s, hélas . Les banalités de noir e :Jociété moderne sont üldispensablcs ù lllon
équllihre. Bru v.uutlo. vieillesse,. je ~ors
encore lous les ~I)irs.
IWe ~ourit
almablemcnt, pUIS aJouta:
--: leUJ~usmt
; je m'enlu~?ri
~ , seulo au logis ... J li
rlevlCndrals maussade, ce donL .J al 1 horreur absolue.
c.:eflc:!M . do Clairmont parut s'arousùl' do la boutad~.
dant ma bonne amie reprenait :
- Je me plais.à croÎré, l1lomieur, 9uC vous daignerez
fuirll uno oxceptlOn en notre laveur? Nous ltabiLoll.i le
l'a lace de Beauliou, ot serons channuci:! de \'uus y recevoir
souvent.
Lo capitainu s'inclina :
- Vous êtes mille fois indulgen te pOUl' le I:iOuùarù
lIladamo, (liL-il. Puisque vous avc;I, ln gl'ace de m'y con:
"ier, je sOJ\ti très honoré d'aller 'ou s s,llllel' Un de ces
prochains jours.
i
1
�CœUR QUI SOUPIRE
71/
1
11 se tourna vers moi, me posa un t as de question s sur
mes occupaLiocs rjuotidiennes, sur mes excursio ns dans la
mon tagne et pour Lerminer demanda si je me plaisais sur
la Riviera .
«Beaucoup, monsieur, répondis-je, rougissa nt un peu
de ce petit mensonge . Cependant les choses que j 'y fais
m'ahurissent parfois. Le séjour sur la côte me paraîlra i t
certainement plus agréable si nous ne vivions pas dans un
perp étuel tourbil lon: 10 mutin, à midi, le soir, je suis
emporLée par un tas d'obligations; je ne trouve aucune
m'nute pour m'isoler et penser aux mions. A peine fli je
disp ose d'uneho ure pour mettre à jour ma corr esponda nce.
M cs sœurs r éclament des détails, jo leur onvoio tout juste
des cartes postales .
- Vous cédez aux exigences ùu monde, mademo iselle',
HL Jehan, vos amis désirent de vous voir le plus porsihlc ;
'
cda n'a rien de surprenant, je.. .
.
éventail
mon
de
plumes
les
~
i
r
e
d
cachais
me
Jo
- No vous moquez point, priai- je. Personne ne se soucie
ùe moi.
Le ridoau so levait sur le premier acle de la 1'ra"ia/a. Mon cousin profita do l'obscur ité pour s'osqui , el' :
- J e serail> mieux BU parterre , dit-il ».
M. de Clairmonl se pl'éparait à le suivro, la chanoinesse le reLint :
- Tlcslc7. auprès ùe nous, mUl'mura- t-elle, vous pr('ndrez la place ab and onnée par ce volage, si toutefois VOliS
n'êtes Je cavaliu ' d'aucune belle.
Lo cap itaill'l (' ta it venu so u), il accepta volonti ers
l'oITre de la vieille ,lame, Fi'nssi t 'lU I' le siège logé derrièro
moi, puis écouta religi eusemenL l'orchesL re.
A l'ontl" acte, il demanda i>oudain :
i ~c l! e . J o suis
emo
- POl'mettez-moi uno qucs LioJl, mad
mon court
de
Lors
ici.
VOl'
ll
tro
vollf!
de
étonné
fait
à
lout
passago ;\ nont -su r-Turn, votre voyage n'élait pas
décidé, n'est-co pas?
Jo l'GpOll' i5 sinco l' mont:
- Un séjou r sur IJ. CôLe d',\zul' m'a été ordonné à. la
su il o d'accts do fl ùv ro qni inquiétaient mon oncle. Le',
Jépurt do mC3 sœU I' , m'uv ait atlrist6c, jo Llnguiss:l.Îs:
�72
CŒUR QUI SOtTPIRE
dans notre vieille maison trop grande et vide, où je mr
sentais perdue? Le docteur a preser.il des distractions,
Mme de Libéimpossibles il. trouver dans notre ~rovmce,
ruc a cons -'ni i à se charger de mOl, ct me voill.
- J'en suis ravi, mademois Ile, votre présence doublera, pour moi, les charmes de la. Riviera . Vous vous
êLes montrée si généreuse envers le piètre cavaliel' que je
fus pour vous il. Pont ...
La comtesse déposait sa lorgnette et se Lournait de son
côté;
- A propos, dit-elle, je vous invite à la soirée de ln
mi-Carême. Ma petite cousine ici présente tient un rôl e
dans l'Abbé Constantin, une compagnie d'amateur;:;
monte celte comédie au profiL d'une oeuvre de charHé.
Jehan de Clairrnont sourit:
- MIlO de Val6rac a bien rait, dit-il. Ma grand-mère
<;era charmée de sc joindre il. ses admirateurs . D'ici lù
d'ailleurs, j'aurai le plaisir de vous l'amener. Elle désir~
tellemellt de vous connaitre. Je lui ai dit l'aimable aCCueil
que j'ai reçu d "s vôtres.
Mmo de Libérac amrma qu'elle siJl'ait heureuse de connaîl.ro la mnrquise de Lanjac eL l'invita incontinent il
goûLer le lendemain.
Pendant ce temps, je l'l'gardais la salle brillante Où les
habits noirs alternaient avec les robes claires des dames.
Alec circulait entre les rangs, serrait les muins des
hommes, coqllCLLaiL avec les jcunl's filles, ct glissaiL à
leurs mores cle~
compliments en~housiaL
dont elles
p~\rais.lcnt
raVies.
Le capitaine suivait. comme moi lOf: ôvo]lItions de Son
ami, il ouserva sOudall1 :
- 'Poujours I? mlllllc, cc Ju~igny,.
il no peut demeurer
rn place . .Il étaIt pourtant IJl(m I1lleUX dall; yotre baignoire, madame.
La chanoinQsse reprit su lorgnette ct inspecta l'hémicycle.
- Comme vous avez raison, fil-elle. Le voilà maintenant
devant la loge de mon amie. de Puymirol. 11 flirte avec
reLle pesle dfJ Ldè'fi!-!If oulm, qw·lJe preuyc de llIauvais goiH.
Elle leva les yeux au ciel, pui" ajoula :
�CŒUR QUI SOUPIRE
73
- Est-il possible de s'encanailler ainsi, lors qu'on est bien
né. Cette Odil e le compromettra si bi en qu'il devra lui
donner son nom. Les manœuvres d e lu rouée tendent vers
ce but"
M. de ClairmonL riposta, très vile:
- Il serait impossible do pOI'Ler atteinte il la réputation
de cette jeune p ersonne : depuis longLemps elle n'a rien à
perdre en faiL de r enom: Mon camarade s'a muse, il rH,
mais il n'est pas assez fou pour se laisser entral ner .. . Il
ne veut pas sc marier encore, d'ailleurs, ill'afnrme il toul
bout de chump ct il n'a pas lort; sa nature n'est pas
encore assez pondérée pour faire un ch ef de famille.
Cette phrase m e désola, de ccL instant je ne goûtai
plus le ch arme de la r eprésenLation ...
La soirée s'acheva; )e rideau s'abaissa pour la dernièr e
fois. Alec reparut :
- J e vous emmène à la R éserve de Beauli eu. On y soupe
fort bi en, ct très galmenL; cela distraira noLl'e gentill e
Aryell e.
Cc fnL son unique amabilité de la soirée. R enlrée au
Palace , je me couchai ct m'endormis en mélangeant dans
mon som meil les yeux de velours de mon cousin ct les
prunelh s d'acier de .J ch an ...
Dim anche.
La marquise de Lanj ac est venue tantôt avec son p eliLnI'l. Nou s avons p assé un e après -midi délici euse . L'aïeule
Ju capi tain e est un e adorable vi oill o da rne a ux ch eveux
de m igo cL a u doux sourire. Elle para!l lrès bonne, et
es~
lnnnifeste à l'endroit de son Mrili er lIne t. e ndl'
idolfltrc. Celui- ci est nux petils soins p OUl' oll e, il 1'enloul'P, de prév ena nces . Ell e se la isse dorl uter eL cûlinel'
avec bonh eu!' ..Je les considérais tandis qu ' il s m ar chaient
dons le jardin l' un près de )'uli tre, lui réglait son p as
~ Ur
la démar ch e d e sa grand· mère... U ne p arole do m a
nourri ce cé venole w e r evrnait :
_ Lorsqu e un homme est bon ms, il esL Loujours excel·
lent m ari ».
'
Heureuse la femme qui épous era J eh a n ùe Clairmont ...
�CŒUR QUI SOUPTlH:'
CIIAPI 'l'RE III
Dans la serre de l'hôtel, décorée pour la circonstance
de guirlandes élecLriques roses O~ l mauves, une foule de
spectateurs étaient assero b l és,~
C~nq
~ents
porsonnes, pour
le moins, avaient répondu à l mvltatl?n des organisateura
de la fête eL aLLendaient le lever du l'ldeau en bavardant
ù l'envi .
Il faisaiL une chaleur écrasante, une atmosphère alourdie do parfums régnait dans l~. salle coup60 vers 10 haut
par une haio de vordure, dcrrICro laquello la scène ôtaiL
dressée.
'l'ouLes les races étaient repr6senLées dans l'assembléo.
avec les Am6ricaines; los
Les Anglaisos vois.n~et
J aponaises fratoms~
l ent
avec. los Argentines; los
Jijspognolos inLerpollalenL les 1. La llCnnùs; quelques Ruslies
échappéos il ~a révo
l ut~on
ot do~uré?s
riehos en dép it des
SovieLs étalalont dos plCrI'ones Jmpérlalos ot fumaient. des
cigareLtes mi("lIéos .
Dans 10 fond, une iorêL d'habils noirs se pressaienL les
uns conlre les auLres. Lm; chovelures brunos ot lisses des
Brésiliens yoisin1.iont avec les lêtes grisos des ciLoyeiü:; dc
la libre Amérique, el il faut bien on convenir, nombre de
crânes blonds et 1'0.5($ de près montraient que les fils de
l'Allemagne avaient su retrouver le chemin de notl'e bello
paLrie.
Lo tout formait uno masse ondoyallte, mouvante et
bruyante, dont )0 lourhillon étouffait les échos d'un
orchestre rélégué dans 10 fumoir voisin ,
Au premier rang do l'auditoiro, la comtesse de LihUrac
C'nLourée, à droiLe, par la mArquise de Lanjar, eL à
gUllche, d'une altesse serenissime TchC'ko-f::llo\"[lquc,
attirait tous los regards.
Vêtue de violet, ses boucles blon,lcs couronnées d'un
diadèmo do pierreries, elle avait grnnd air. Souriante,
accueillante, connuo de Lout ce qui porLait un nom
important daos l'assistance, cHu ne re,%:üt de sorrer des
mains, ùr pr('seIlLr r des gellS, (,t de l'('pondre aux qncsLioos
qui \"ollige.:ücnL :.mLoul' d'elle.
�CŒUfi QUI DOUPlfiE
75
_ Oui, expliquaiL-elle à Mme de L'mjae, j(; n'ai pas V0Uimportuner Aryelle en assistant il sa LoileHe. La chère
l'ejte est la proie des coilleur;;, de.> couturiers ct des
!mbilleusos. Gon Anglaise suffit à l'énerver. Lorsqu'elle
sora prèlo, sa guuvernante la chaperonnera dans les
coulir~.
CoLto bonne miss arbore ce soiI' un assortimenL
(le couleurs à fairo hurler une reine PaLagonne. Pal' bOIlIol' UI', son élève n'a pas remarqué lu robe blouo célesLe SUt'
t,l'Jnspul'onl verL pomme de la vieille fille .... Elle sc Iut
indignée ....
, A col inslant, une jcune femme scintillanLe do pailleLLes
s'approchilil. COlllIlle un ouragan elle s'abatLaiL SUI' la
cltanoines5o eL coupaiL son disvOUl'S.
_ VOUH êles ublouisHanLe, ma chère, lill\1 mc <10 LibGl'ac
avec Uil SJUl'il'c charmé.
_ 11 fauL biell, r6pondiL la nouvelle veilUC. ,J 'ai mille
dl.se~
iJ. fai re celLe nuit. La princesse Mnrsa m'aLlend il
J'Opéra, je suupe an Cap-Martin avoc les ALkinsolls, au
l'elour ,j'enlrerai ulle minuLe il la villu Corail où les
i':\inaly:; offronL une redoute !leude,
_ Vous n' ;IlII'CZ jamais le temps dc rLalir;cl' cc pl'o[rrumrne,
\, hsel'va la comLesse.
- Jo presserai les éLapos. !\1allllJlll't'IISf;menL je n'entendrai qu'un aolo de la comédie. Jo le l'cgl'eLL(;. ,"aurais
I;ml. <limé i). applaudit' jusqu'tlu houL la jolie Aryo!le ...
jluis :'l l'i [Ilpo
5~ iblc'
...
Ime apcrçuLI'AlLesse. ChangeanL de Lon clic couruL à elle:
_ l'ardollnc:G-rnoi, princesse, criail-elle d'une ins\lpporLahlo voix de tète, Cil a~iLn
les pampilles de su l'oLe
III illauLc .•le no vo us avais pas aperçue,
BUc 110 permiL pas Ù 1'6Lrangùre do 1'6ponJ.l'c, D.ijà, elle
~duaiL
une douairière éLablie nu IluaLl'iè:me rang, bondisl;aiL HUI' die cl rcprcnait la série de ses SUUI'Ü\;S cl
ÙC ses IH'0LcstaLiens.
Al.! Jond de la balle, pCl'Ju parmi les !lnLits noirs, Alec,
ll'iJs documenté, oxpliqu liL :
_ C'ost la mal'I(uisu de ltocllOeoul'bo. Elle esL Un peu
folle, je roif>. Parmi ses numbrcuseJ manies, uno domine:
,(Uer partout, ne manquer aucune conlércllce, pt's un
('encart. Oll la voiL u toutes les pl'emi~s,
au !;et'Wüns
en voguo, !lUX cour:"L1S, au go!!. HU dancing ...
11
�76
CŒUR QUI SOUPIRE
- Quand pense-t-elle? intercala un vieux monsieur
cravaté d'un ordre étranger.
- Jamais l affirma Juvigny, elle n'a pas le temps.
- Ello ne sait point, voulez-vous dire, insinua un
autro inLerlocuteur. Je la connais depuis toujours. Ello
venait de 50 marier; déjà olle menait cette existence
effrénée. Cette femme est extraordinaire. On la rencontre
en dix endroits à la fois. Elle va chez tout le monde,
n'oublie aucun des pélerinages ...
- C'est vrai, affirma un troisième, elle mène de front le
pieuxet le profane. ~on
contente de sortir ,ellereçoit, fait de
la sculpture, du dcsSI11 , monte à cheYaI, chasse à courre, écrit
des l'amans, dirige sa maison, le Lout Icplus mal du monde,
d'ailleurs, eL courbe sous son joug son personnel terrili6.
- EL son mari? risqua un des auditeurs .
- II a prM6ré parLir pour un monùe meilleur,
répliqua Juvigny. Il est mort un an après son mariago
avec ceLLe toquée. CcL accidont n'a d'ailleurs arrêté en
rien l'élan do sa veuve. Pour sc on80ler, elle ent.reprit un
voyage auLour du monde. HuiL jours après les fUf\6raillef;,
elle étaiL il Santander.
- Elle n'a guère pleuré cet infortuné Rochecourbr,
glissa Jehan de Clairmont qui n'avait par perdu un mot
de l'entretien. Une vie aussi mouvementée ne laisse aucun
loi8ir pour s'apitoyer ....
TouL le monde sour it. Un silence tomba, puis les jeunes
grns se n1irenL à éplucher l'a~sitnce.
- Tiens, remarqua soudatn un ùes messieurs massés
autour de la pOfte, voici la belle Odile. Elle ost en
retn.rd et fiC démène pour trouver Res places.
- Elle a loué à l'avanee, heureusement, observa uu
lieutenant de vaisseau.
- Jo la croyais arrivée depuis Jonglemps, nt Alec.
- Comment, vous, 10 favori, vous ignorez? ...
- Mais oui, coupa vivement Juvigny. Cela vou:>
élonne, mon cher? Si cela peut vous intéresser je vous
connerai donc que Mllo Lefèvre - Moulin me boude.
un peu. L'arrivéo do
- J<Jvid rnmcnt, vous la délais~e
ln princesse Socl'atidès a détruit les illusions de volro
flirt ordinail·o. Ceite jcuno ambilieuse rèvail, dt-on, i Jo
la couronno à neuf perle;; .. ,
�CŒUR QUI SO U PI RE
77
Alec se redressa , serra les dents, ses yeux se durcirent.
D'un ton coupant, il riposta :
« Vous ne comptez pas recevoir mes confidences , n'est- ce
pas? ni apprendre de moi, la cause du différ end qui
m'éloigne de Mlle Lefèvre- Moulin ? Cela nous r egarde
se uls, ell e et m oi. Quant à la princesse , je vous prie de la
laissaI' en rep os et ùe ne pas mêler son nom à vos médisances.
Le marin devint écarl a te.
-- Ne prenez pas la mouche, mon cher, .ie plaisantais.
- Vous aviez.tor t, p ermettez-moi de vous le dire. Il est des
choses avec lesquelles il n 'est p as permis de jouer. J e ne
sui s pas moùerne p OUl' un sou, lorsque j'entends ébrécher
une r éputation fémÎnine. J'aime la plaisanterie, certes , je
me plais à critiquer parfois, mais je ne calomni e jamais.
Cependant , par le trou du rideau, Aryelle examinait la
salle. Elle ap ercevait Odile escortée de roumains élégants,
et avec .lesquels elle coqueLLail. Son rire clair sonnait.
Derr ièr'e, Vem et AI'jane, Ja comtesse de Bér ardié et
M me de Puymirol devisaient à voix basse . Plus loin,
appuyé à la cloison du hall, J eh an do Clairmont dl'essail
:;a silhoueLLo hautaine. l!:n co m omen t, il s'entretenait a vec
Alec, leur dialogue était animé, l'om cier riait à belles
den ts, chose l'are chez lui.
La jeune HIle sc réjouit de voir son co usin éloigné d e
son flirt ordinaire. Elle jeta un derni e!' coup d'coil ù la
salle et r entra da ns les coulisses .
Un instanL plus Lard, le r égisse ur frappait les trois
coups. Pal'ench untemenl lesconversa lions s'interrompirent,
la nuit se fit dans la salle, el majestueusement le ridco u
s'ér.:arla sur le premier acte de l'Abbé Constantill.
Les scènos d'exposition, habilement menées par los
interp rètes de m étier, Jes deux. A m é :i ca iJ ~es
apparureril .
Dans uno r obe d e mousselullJ l mpl'l!née de p ois
lnullicolor es, Aryclle était a dorable d·! c, j nplicilé. Ell e
lança les premièr es r épliqu es avec Ull nat urel parfait.
Quelques brll vos soulignèr ent la chanson an g l a i ~e , dont
I!lle détaill a fin ement los couplets ct le p reIUler ac to
s'ache va sur un véri table triomphe.
Do ceUe mi nute, lu !)iùcc IIwrcha Ù merveille. ExLa ·
�78
CŒ UR QUI SO UP IR E
siés, les audiLeurs faisaient chorus il chaque entrée. On les
en tendait s'exclamer :
- Cette petite Valérac est étonnante, elle joue en co ·
.
médienne consommée.
Et il s applaudissaient très fort ce tte débutante qui sr;
révélait grand e al' tisLù .
Odil e, les lèvres pincées, les y,eux. durs , assis tait sans
plaisir il ce lle cor lédie dont l'Jl1LI'Jgue lui paraissait
banale. Elle ne prenait aucun? part il l'ovaLlon CaiLe à
~a comp agne, furi use ùe Jl '~ volr
:p a~
été appelée à teni r
Ull rôle, elle enrageaiL. S~
m:>chance Lu ~ a tu re l o s'augmeJltait du dépit d'être délalssce par .luvigny. J.;)le proflto.iL
de l'obscurité de la salle pour chu choter à l'oreille de ses
voisins des r éflexions ac idel:i .
_ Quell o hypocrite, faisail- elle, jamai.· je n'aurais
supp osù pareillo (~i s imu:
~ lion.
Personne .Ile se méftait.
Awc Fies airs de Su mte- NILouche, elle t ravalll aiL la dicLion.
_ Parbleu, r épliquait son inLerl ocuteur, J ésireux d'abonder dans son sens, Milo de V(\lérnc apporLe s\]r len
planchl:s sa mélhode habiluelle ot .iouo la LimidiLé. Au
fonù , olle c:\che son jeu. Pour interpréler auss i parfaitemenL
un rôle tic Lendresse, olle doi t aim or que lqu 'un. Croyezmoi, ma chère, ce LLe ingénue nourrit une passion
;;l'crt''le pOU l' un bel inconnu. ~:bns
doule son cousin ...
M ll e LQfèvl'e- 'louli n l'inlcrrompit :
" Vous diLes ùes bêtises, taisez- vous. Votre bavardage
m'empêche d'écouler la piùce. Pour voLro gouverne sacJwz
qu'J\l'yelle n'a aucun parrnt c.élibntaire.
'
- i.jt le séd uisant .Ju vigny?
Un riro fusa des lèvres. de la jalouse , olle grinça:
- 11 osL trop occupé aIlleurs, pOUl' perdro son temps :\
roucoul er auprès d'uno oio blancflO. Vous no vous ôtes
donc jamais :\porçu d l) ~o n indiffôronce Ù l'rndroit de la
pe tite Valérnc? 11 ne 1111 parle guère, no lu failpas dansu r,
r ?el . - J e ~ il est d e rj ~
r e nous,
ou pl'Psque.. . 'l'onez, rogn
incliné vers celLe perche do SocratHl6s. JI n'écouLo mOmo
p HS la comédie,
Lo Houmain no l'ép on dit pas. Il so recula, fixa sps
J'cg:ll'ds RU t' la HCLno rl llO perdit plll8 une Ry llubo du
loxlc .
Vexép, Odil se t'cllcoigna S (lI' sa ehaiso, De lllus en pIll A
�CŒUR QUI SOUPIRE
79
irritée, elle se jura de ne pas complimenter son amie el de
ne faire en sa présence aucune allusion à cette soirée.
Un tonnerre d'applaudissements accueillit la fin de la
pièce. Au milieu d'un enthousiasme frénétique, les acteurs,
la main, revenaient pour saluer la foule. On
se donal~t
dut relever le rideau six fois. En[]n le délire s'apaisa, et
les spectateurs changèrent de place .
On devalL danser après ia représentation, les domestiques
envahissaient la salle, rangeaient les chaises contre los
murailleR ct vaporisaient une cau de sen leur deslinée à
alléger l'air ambliant. Puis les mucisiens de l'orcheslre
s'installèrent sur la scène, accordèrent lours violons, ct
jouèrent cn sourdine quelques reIrains populaires.
Copendant, AryeBe so reposait dans sa chambre avant
de changer de robe. Autour d'elle la chanoinesse, la marquise de Lanjac, Arjane et Vera s'empressaient .
- Vous avez été délicieuse, chérie, disait celte dernière;
j'ai entendu la pièce aux Français, l'été passé; elle n'était
pas mieux jouée.
- Mon rôle était facile .
- Vous ôtes la soule à le pensol', coupa Mmo de LibOrac.
Ces jounes filles ont raison, vous avez admirablement
rendu le caractère à. la fois ingénu et audacieux de Miss
Percival.
- Pour ma part, émit à son tour la gl'al1d'mère do
M.. Clairmont, je demeure sous le charme de votro diction si
naturelle et nu.ancée. Tout votre cœur passait dans vos
réponses. En vous écoutant, on devinait votre bon lé, votre
franchise, et cetto délicatesse dont J chan m'a si longuement
parlé.
glissa lu. potlle ac- Le capitaine esL trop indulget~
Lrice on souriant il la douairière.
Dn flol de jeunes femmes envahissait la chambre ot
l'cmpêchaiL de continuor. Pondant un quart d'heure MUo
ùo Val6rac dul subir les louanges, los congratulations, les
l'éfloxiollS hyperholiques do ses amies. COJ?paréo tour il
IOlU' il la divine l1eichcmborg, à l'eX!]Ul:50 Muller, lu
j~\ine
fillo ne savait plus où elle en était.
l'al' bonheur, ces audllriccs émerveillées enLendirenL le::;
�80
CŒUR QUI SOUPIRE
premières mesures d'un tango. Elles brusquèrent la sortie
afin de ne manquer aucune danse.
Restée seule, Aryelle ne se pressa point. A demi étendue
sur sa chaise longue elle songeaient en suivant les allées
et venues de miss Jessie, occupée, avec la camériste à
prépaifel' sa robe de bal .
.
'
L'Anglaise était au comble de la f~·énsHl.
A l'entendre,
jamais on n'avaiL écouté une com6chenne pareille.
- Vous étiez exquouise, da~ling,
fai~t-el
en poussant
les tiroirs, tout le monde, tl pensaLt comme môa. Le
douzième acte, il éLé si reoussi. Bravo.
Son élève ne répondit pas. Prostrée sur ses coussins, ello
se répétait pour la dixième fois, peut-êLre ;
Alec n'est pas venu. Evidemment, un jeune homme
n'enLre jamais chez une femme, mais je suis sa cousine,
il eûL pu faire une exception en .. . faveur de cette parenté.
Elle soupira longuement, haussa les épaules, puis se mil
debout et commença sa toilette.
Lors((u'elle descendit, la salle 6taiL plongée dans une
demi-ob~curLé,
des couples enlacés évoluaient lentement
au rythmo d'un boston. Un violon langoureux modulait un
chant indien. Les yeux Je la jeune fille fouillèrent les
groupes. Jllvigny dansait avec la princesse de Socratidès.
A cet instant, une hauto silhouette se détacha de l'embrasure où elle Re LenaiL ct s'approcha de Mlle do Valérac.
- Pourrai -je à mon tour vous oltrir mes félicitations?
prononça la voix grave de Jehan do ClairmonL.
Aryelle sUl'sauta, leva les yeux, ébaucha un sourire en
reconnaissant son interlocuteur, puis aiTirma ;
- Comme vous ôtes aimablo de venil' à moi. Au seuil de
ccL immense salon je sens renaître ma timidit6. Jo n'ose
m'aventurer dans ceUe obscurité bleuâtre. Avec vous je
mo rassurerai vite. S'il vous plaH do mo conduire auprès
do lu chanoinesse, j'en serai ravie?
lis traversèrent la pièce eL gagnèrenL 10 boudoir où la
comtesse ct Mme de Lanjac trônaient au milieu d'un
cercle de douairières.
- Voilà. notro triomphatricc, s'cxclama lino 1Lalienne Cil
hondissant vers l'arrivante. Che bcllissima. Permettez-moi de vous embrasse)', je vous admire telIoll1rnt. Vou;
êtes uno si grandissimc artiste, je me connais en talents .. ·
�81
cœUR QUI SOUPIRE
Abasourdie par ce déluge de paroles, Aryelle répondit
quelques mots reconnaissants puis s'approcha de sa
parente.
Celle-ci contait à ses amies une chasse à la « grouse»
où elle avait assisté en Ecosse avec son Altesse Royale
Madame la duchesse d'York. Les bonnes dames étaient
sous le charme. La narratrice interrompit son discours
pour adresser un petit signe amical à Mlle do Val6rac,
puis tout d'une haleine se replongea dans son récit.
La jeune fille demeura un instant plantée au milieu du
boudoir. Interloquée par la désinvoltUl'O de sa cousine,
elle ne savait quel parti prendre. Son hésitation fut brève.
Se tournant vers 1\1. rie Clairmont clic p:oposa :
- Asseyons-nous dans la (c bow-window", voulez-vous?
nous bavarderons?
- Je suis charmé de l'honneur que vous me faiLes,
mademoiselle, répondit le jeune homme. Néanmoins je
crains d'abuser de votre complaisance, vos admirateurs
m'en voudront do vous accaparer.
Elle haussa los épaules:
- Ne redoutez point pareille calamité, personne no sc
soucio du moi. Les dansours ne perdent guère de temps à
('auser avec colles qui restent SUI' leurs chaises, vous seul
avoz cetLe complaisance, sans vous, jo risrluerais de Lerminer la soirée dans la ~oliLude.
Johan attira un fauteuil, l'olTrit il sa compagno, glissa
un coussin sou:; ses pieds, s'installa lui-même sur un
tabouret, puis déclara:
- Jo vous admire, mademoiselle, de garder votre simplicité devant les louange3 dont chacun vous abreuve , co
ooir. Tant ost l'indico d'ullo nature snp6rieurernenl trompée.
Aryelle intel'rornpiL ce diLhYl'ambe :
- Au nom du ciol, capitaine, laissoz aux autres cos
sortes de discours. Ces pauvres snobs mo croiellt taillée
sur lour patron, et s'imaginent me charmer en débitant
cles fadaises. Dieu merci 1 jc no suis ni crédule, ui vaniune
leuse; leurs <:ompliments m'indiffèrent. A~tan
parole amicale pl'ononcée pal' une bouche slOcère m~
lQ11Chc, autant je SHis écœurée d'entendre les jeunes
hornm~s
de notre groupe, r6pétcI' à satiété dos phrases
tOlites failes el des louanges ridicules.
6
�82
cœUR QUI SOUPIRE
Vous êtes bien sévère, mademoiselle, glissa Jehan
avec un sourire,
Son interlocutrice hocha la tête, puis avoua:
_ Je ne crois pas. Sans doute ma sincériLé vous pat'aîl
biel1 osée, mais j'ignore le mensonge et je donne mon avis
spontanément.
IDUe 8'alrèt~
consid6ra M. <le ClairmonL comnle pour
le consulter, puis, sans attendre sa répon!le, acheva ~
- Je vous pari~
ridicule avec mes opinions dé~uètes,
n'eat-ce pas? Que voule~-s?
je sors pour 1\1. pl'elllièrc
foi!> de m~
province; vingt joUl'S tle Riviera n'ont l)U
assez modIfier m011 caractère pour me contraindl'e à
taire mes antipaLhies.
L'officier eût aimé à lui exprimer il quel pOitlt ces
théories ôtaient semblables :lUi< siennes. Il voulut le lui
montrer; cela lui fut impossible, il craignait d'effaroucher
l'on!al1t au cœur oandide et il se tuL
Les jeunes gens demeurèrent un moment S'lUS parler. L,c
regard fixe, Aryelle conlemplait, salIS la voir, la. tapjs~rio
rococo tendue sur la muraille. En réalité, elle pepsrut il
!;Jon cotnpagnon. Elle le devinaH noble et bon, il était le
meilleur camarade de Juyj~n.
L'envie de eonfier sa
d6Lrel!So al\ capitaine traversa sort espriL 11 saurait. si bien
la comprendre, soutenue par lui, (llIo arriverait b. r6slter à
l'entraînement stupide qui la llouss3,iL vers son cousin.
Aidée par Jehan, elle triompherait.
~a
jeune fille secoua sa torpeur et dit, afTermissanL Sé\
yoix;
- Je vous demande parqon, monsieur, je me laisse
ma rêvel'Ïe. J'ignore si toutes les fQU'mes
emporLer p~['
SOllt é\uesi chiméJ'iques, mais ceLLe at)no!lphbre de plaisir!;
m'attriste. Dopuis le mariago de me(l sœurs, ct l'entréo au
couvent de Béatrice, je me sens toulo Ù6semPi\rée. J'étais
accoutumée à partager leur vIe, à me confier il leur
llogesse. Le\lr départ 0, crcuso un immense vide autour de
moi...
gUe sourÎl'a et se tut.
Ses larges llfunellcs pos~efJ
s"r celles de SO\I interlocuteur, Aryelle réfléchissait. Comme Je capitaine éLait
patient. Alec ne lui rf,Bsel\1blait guère. 11 n'euL jamais
renoncé à s'amuser pour lenir compagnio à une parenLe
�CŒUR QUI SOUP IR!'!
83
fatiguéo. A la vérité, M. de Clail'frlonL ne dansait point,
mais il avait dos amis dans lu salle, leur conversation
avait de l'attrait pour lui.
Une comparaison s'imposait: elle ne fut pas à l'avantage du comt e.
Mlle de Valérac soup ira de nouveau:
- Jo comprends votre chagrin d'êtro séparée de vos
ainée:>, prononçait il cet instant 10 capitaine . VoLr'c
(t {)trosso moral e m'émeut.
Sa voix fléchit :
- glle s'opaisera \In jour, bientôt, peut-êtrc; vous vous
fiancerez ... vous partirez, heureusc, pour la maison de
l'époux de votro choix .. . Les h eures tristes sombreront
dans 10 passé.
L os longues paupières d'Aryelle s'abaissèrent. Elle
s'appuya au dossier de son siège , une rougeur l'empour·
pra:
- Il n'en cst pas qnestion encore, flt-eUe. L e mariage
est chose grave; je ne saurais m'eng::tgcr avec le premier
venu, m'unir il une personne dont j'ignor erais 10 p assé
me paraît imp ofjsible . ;Je n'oserais me lancer dans
l'épreuve do la vio à deux sans réfléchir beaucoup. Jo
suis bien jeune encore pour envisager cette perspective.
L'officier Il'cût pas 10 temps de répondre. tJne demidouzaine de couples ont)'3inés par Jo comto de Juvigny
envahissaient la pièce.
- Comment, ;'l'exclama Alec en apercovant sa cousine et
M. do Clairmon t, vous êtos I ~?
c'est extravagant , ma
chère. On vous cherche duns tous les coins,
AprèlllJn très court silence , il ajouta:
_ Vous avez été superbe tout il l'heure.
Sans reprendre haleine, il acheva it:
_ Les organisateurs de la rèto comptent sur vous pour
conduire la cotillon, ils vous attendant afIn do vous montrer les accessoires .
MHo do Valéral: sc redressa; les tardives louanges la
bl essaien t; d'uno voix doot clio s'efforçait d'afIormir le
,timbra olle r épliqua:
- Je regrettodo ruinerIes ospoil'z des mem?rcsducomité,
mais il m'est imposs ible de céder il leurs déSirs. J e me sens
11l55e, étourdie par 10 bruit; uno pointe de migraine
�84
CŒUR QUI SOUPIRE
m'abl'ULit, j'allais me retirer quand vous êtes arrivé
Un sourire contraint au coin des lèvres elle recommanda:
- Veuillez m'excuser auprès de ces me~sicur,
Elle tenrliL la main au capiLaine :
- Au revoir, monsieur, il bientôL, Je VOUS remercie de,
m'avoir aidée il Lromper la solilude de ceLte longue veillée; sans vous, je me serais fort enily~,
Elle salua d'un signe de tête les camarades d'Alec, puis
sans interrompre les discours de la chanoinesse, toujours
perdue dans ses souvenirs de voyage, elle se reLira,
Un quart d'heure plus tard, 10. jeune fille ajoutait
qUQlques li.gnos il son journal.
« L'attitude de mon cousin est indigne; il ne m'a pas
invitée il danser .. , Par conLre Jehan a passé la soirée avec
moi. Il eût pu les employer plus agréablement .. ,
pas ennuyéo une minuLe, LI parle si él~
« Je ne me ~uis
gamrnenL. Pour exprimer les moindres choses il emploie
des tormos choisis, tout l'intéresse, la musique, la peinture, le LhéâLre .. , L'arrivée ue la bande lurbulente cl' Alec
a bion TrwlenconLl'eusomenL interrompu notre enLreLien ...
Je me promenais dans un si joli rêve ...
« Mon Dieu, inspirez-moi, guidez-moi .. , Mettez mon
pauvre cœur' SUl' lu voie de la vurité .. ,
CHAPITRE IV
JOUHNAL n''/\RYELLE.
(c .Te suis toute uRsombrie. II fait nuiL on moi. L0S houres
devh'nncnl inLorminables. D,'puis la soil'ée de la MiCarllme' je ne trouve de gOlÎt ;J, l'i''n. Alee n'a pas reparll
drJluis ulle semaine, ./\ mu g'l'allde surpriso, il ne me
manquo pas,
~ Mainlonant, jr le vois leI qu'il csl Cil r6aliLé : J'idole ue
IlI01l \ l'l'nI' d'enfant avait dt!s pieus d'argile. Cornmf' j'ai
mis longlemps avallt de con~('til
ü III !'/lYOIJL'l', 11 ya
111ll' semaine il J1rinr, Son absl'n('(' Illll fil'll1blait Ir plus
[;{l',mù U\:b lIlaux., ~\ jl'é~()L
ju IIlU 1>:.\6;'<: (1'~;
1iull ue ltli .. ,
�CŒUR QUI SOUPIRE
85
C'est à n'y rien comprendre.
La chanoinesse est retenue à la chambre . Elle s'est
foulé le pied en descendant l'escalier et demeure étendue .
Cet accident lui fournit l'occasion d'arborer de ravissanls
déshabillés, roses, bleus, mauves et de recevoir, à la
journée, ses relations les plus démonstratives.
« Entre temps, Miss Jessie monte la garde à son chevet
et liL il haute voix les romans britallniquos les plus attendrissants.
« Pal' bonheur, Mme de Libérac ne se laisse pas amollir
par ceUe sentimentaliLé. Elle a fait installer le téléphone
il sa portée et passe son temps il lancer des messages
dans toutes les directions. Les premiers lui ont valu une
avalanche de fleur3, de bonhons, de livres. Depuis,
l'averse redouble. La chambre de fa malade ressemblo à
uno serro ou à une chapelle. Le soir· même les visites ont
commencé . Ello avait encore du monde il minuit, hier.
Ce matin, la marquise de Lanjac est venue avec son petitlils. Comme ma vieille amie n'6LaiL pas prête, la douairière a dü attendre, au salon, où je lui ai Lonu compagnie.
Bile est vraiment adorable, elle possède llll esprit fin et
d'une délicatesse rare. M. de Clairmonl j'aime profondément. Les soins,' les prévenances dont il l'entoure
m'émotionnent. J'aime à voir sa haute silhouette se pencher vers l'aïeule, il entendre sa voix aux intonations
graves demander:
_ Vous êLes bien ainsi, grand'mère?
« La marquise sourit; son regard charmé suit les mouvoments de l'enfant chéri, je dovine sur ses lèvres les
paroles Londres qu'elle ne prononce pas ...
_ Comme il est bon, pense-L-cHo.
« .10 suis tout pros d'êtro de son avis.
« .. , Dimanche soir la marquise de Roohecourbe, ruisseentro
lanle de perles roses, ,esL venue saluer la ~omtcse
doux visites. CoLLe aimable créature, toujours en l'air,
nous a conLé les millo potins de 1<1 côLe. Tout à coup
elle s'est Lournéc vers moi el m'a dit il brûle-pourpoint:
_ VoLre cousin est tout à faiL brouillé avec la belle
Odile, Je saviez-vous'?
• Selon son habitude olle n'attendit pas ma r6ponse pour
eonLinuor .
«
« • •'
�86
CŒUR QUI SOUPIRE
- Il ne l'a pas fait danser une seule fois, à la fête norvégienne des Swonska. Il n'a p~s
q~it
lady Evelyn
O'Clam.;on. Cette superbe IrlandaIse eLaIt la reine de la
elle resplendissait
soirée . Sous son costume cham~r.é,
Sur son diacommo une icône. Une fortune étalL ~ncrustée
ses m:llns croulaient (,OUS le'
dème; ses épaules, ses bra~,
poids des b~ryls,
d~s
rubIs,. d.c s érne;audc.s, jamais je
n'avais adnllré pareIlle melveIlle. La pellle Lefèbre- I
Moulin ' menait un Lrain du diab le avec quelques officiers'
mais la' rage Ilarnbaü dans ses yeux.
'
- 'l'anL pis pour 0110, coupa la malado . CeLLe pauvre:
:;oLto a été bieu folle en se prenanL aux paroles d'Alec . Man i
jcunc parenL. uo llil'te j.am:lis 10ngLemp~
avec la même '
personne. O.(lI~e
s'esL. la::;sé eOlllp;om('LLl:e par lui; je le
déplore, lUoUS Ji fallaIt s aL~endr
a le vou' porlel' :Iilleurs
se:; sourie~
el scs eompluuenl D•
nr~
rO,in. Bu moi-même je
•le demeurais. muetLe dal~
remorciais ln ("Jel de m'aWllI' dclJv'~r:
de ln hantise qui
l1Lû poursuivail. quc1qu!ll; jou!"!; phJ,;; L?t.. . rnn.Jntenant jo
flOU vais écol!t~I'
tians tl'onb~
i(!~ .lw,.tolres de mon couriÎn.
Hel! coqutCl'~
me ];llssulCnf. llldd1Men Lo . .Mon cn Imo
m'ahurissiliL.
,l'on élaie; liJ. de mes réncxiollH Ci uUllcl ln sonncrie du
téléphone reLenlit. L;1 comtcsse priL l'6couteur.
- CommenL? s'écriait-elle, on voilà une suqlI'isc? Vous
id, eesoil'?
YiLe, Ghe!' cllfJIJt.
Diull ::;ûJ'. ~Iulez
Bile déposa l'apparcil, puis cxpliqlla :
- C'e.;!. Aluc. Il vienL d'aPPl'ullùl'e l1lon accident jlAl'
:1Il lll0 do Lanjne oL Jésire me pl'éscntel' Sc~
dovoi l's. Allez
,lu-devant de lui, ,\rycllc, s'il YOus plal!..
Dcnx miJlute~
jJlu~
L:lr!I, mun cUllsin pûn6tl'aH UUl!rl la
: ~se,
J)ai~t
la Illain du Mme de
rlt;.llnbl'c, saluaiL la ( ~ ul(
JtOdlUl'O\I\'he eL lllO d6cuchaiL Ull joyeux:
- BOllsoi!', cousilleLLe, vous voilà fl'u1clLe ('01U1l1e ulle
pêche do pleiu vcuL.
Cc:; fonnaliLés accomplies, il s'a~iL
UH ('heveL de lu
-
lJa~dc.
-- Jo conuais ~l'ucmt
depuis tantôt votl'(' mésavonture
L,wLc Dona, Jit-il. S:'\llS celu jo :,;oI'ais Vl'nu llius lot. »
'
�CŒUR QUI SOUPIRE
Il
da:
_
-
87
jeta un regard circulaire sur la chambre : puis deman,
Vous ne vous ennuyez pas trop?
Mais non. Mes a mies se relaient pour m'f'nLoUl'er.
Je m'en aperço is .
- Il sc tourna vers la marquise, puis observa:
- Je vous croyais ch ez Nadifl Kolinow. Vous êtes de see
intimes, n'est-cc pas?
La visite lise frétilla sur sa chaise .
« Je düvl'ais y Gtre; mais sn r éception d'aujourd'hui Il O
m'a 1)0.8 t entée . La duchesse a invité beaucoup de ses comp,.ltriotes Finlandais. ils parleront leur idiome b arbare ;
j'ai l'ignorance do ne rien entondro aux dialectes Slaves, je
me suis abstenue .
- Je vous ai imilé, sourit Alec, ct pour des raisons
inentiques. »
Un souriro étira. les lèvres do la marquise.
« J o m e disais aussi, commonça-t-ello.
- Quoi donc? inter cala Mlno do Lib6rac.
- Qu'il était étonnant do vous lrou VOl' ici quand lacly
Evelyn est ailleurs ... "
,Juvigny haussa les ép au les.
« VoiJù. bien les exagérations mondaines, tlt-il. Jo suis
30rti quatre fois avec co Lte Irland aise ot vous en tirez
déjà des cons6quonces. La semaine dornièro vous clabaudiez
SU l' mon assiduité auprùs de la princesso Socralidès. Les
jours pr6cédcnlo on me fiançait avec Odile LeCèvre-Moulin.
C'esL elYrayanL, jo ne puis approchor d'uno femme s:ms
qu'on la marie avec moi.
_ Les oisiCs sont indiscreLs, soupil'U1\[ lllo de RochecoUl·be.
Jci, chacun s'occupo de son voisin. Nous vivons los uns
sur les outres ... On cancana for cément.
_ H élas oui, dit à son tout' la chanoinesso ; los relations
30 no1lont si fncilemont sur la cô te. "
Bile domeura un instant siloncieuse, pui::; murmura:
« Crs bavardages m'horripilent. Jo pr6f6rerais tellement
cnlendre parlor d'uno union sé riouso pour vous, Alec.
,\ ssislr r a u gaspi llnge do votro bello jcu nossc, mo désole ...
_ Pourl1uoi donG, ma tallto? ,To suis s i hou r eux. La
libert.é m'onchanLr, y renonerl' m'('!]I, impossible. »
Il écluta d'un b ea u l'ire sonor", p1li '; (\l'hova :
�88
CŒUR QUI SOUPIRE
« La vérilé est que je ne me sens point poussé vers le
conjungo ll. Une femme encombrerait ma vie. Si vous
espérez :Jssister .bientôt à mes accordailles j'aurai le regret
de vous décevOlr.
_ Je no saurais écouler plus longtemps de semblables
déclarations de principes, gronda la chanoin3sse.
_ J'aurai donc le chagrin de prendre congé de vous.
_ Allez au diable!
_ C'est impossible, il ne reçoiL pas le dimanche. "
Un éclal de rire général accueillit cette déclaration. Quand
noLre hilarité fut calmée, mon cousin pourfmiviL :
« .10 ne vous annoncerai point mes fiançailles, mais je
vous forai part d'une très prochaine union.
_ Laquelle? demanda la chanoinesse.
_ Celle do mon ami Jehan de Clairmonl.
_ Comment, s'écria la marquise, jeune olncier, beau
comme un héros de roman? Cela me réjouit... Mais dUesmoi, mon cher qui est l'heureuse élue?
_ La l.1hanée Sila . Elle connail mon camarade dopuis
toujours. Selon la mod? lndoue le mUl'adjah de Mysoor,
SOII père, a failles pl'elfilères ouvel'lm'oti a Mille de Lanjac.
Nous en avons longuemenl disculé ensemhle, Jehan el moi
ccl après- midi ... )l
'
.Je ne pus en écouter davantage. CeLLe nouvolle me bouleversait. Mon unique compagnon nimable allail m'abandonner. j 1 no serait plus là pour m'aider ù lromper 10 vide
do mes soirées dans le monde ... Finies les douces causeries
tde il lêle '1 les longs silences à deux ...
Je prét 'xlai d'une légère fatiguo pour m'éloigner.
Je ne monLais pas, Cil invoquanl ma lassitude; j'élais bri.
sée. Uno douleur aiguë traversait ma poitrine, ùes larmes
montaienl à mes paupières, 10 d6couJ'agertHmt m'envnhissait. J'essayai de mo raisonJ\or. Après tout, j'rolais vraimenl ridicule. Que pouvait me faire le mal'iage de M. de
ClairJllonl. Ce capituine avail biw le droil d'éllOusel' une
l'aimait?
Indouo, ~'il
Je m'ucl'oudai à ma fenêtre. AuLour do moi les jardins
en fleurs élag6s aux flancs des collines rocheuses s'endormaient. En bas j'apercevais les bois d'oliviers sem(os dc
villas claires, les futail's d'orangers cl de lauriers l'ose~,
t.:l
Ja va~:le
édwflcrure do la mer ùe bpis que Je I)jn-
«
�CŒUR QUI SOUPIRE
89
ceau lumineux d'un phare balayait par intervalles.
A mes pieds, sur la terrasse vitrée, les clients du Palace
s'assemblaienl pour écouLer le concert. Des jeunes gens au
smoking impeccable, des hommes mûrs à la boutonnière
fleurie, des femmes en robe ouverte, y buvaient leur café
en bavardant.
Duns le hall, un orchestre ru sse de Balalaïkas, jouai L
des air!! petits-russiens. Les 6chos de leurs mélodies mélancoliques monLaient jusqu'à moi; le graLtement des mandores
herçait wa nosLalgie.
Cependant les buveur" devenaient de plus en plus nOl11hreux et bruyants; à chaque instant, do nouveaux couples
ünergeaient de la salle il mancier, OllCl'chaient des places
pt s'asseyaie.nt à leur tOUI'.
Soudain les convol'sations cessèrent; le gérant de l'étalJ!issement prononçait des paroles dont je ne saisis pas le
sr))lS. Lorsqu'il se tu l, l'orcheslre préluda par une ritoürnelIe,
1:Iltl voix d'homme pure, sonore et harmonieusement timbrée
JaJlça un litre:
La Chanson des Yeux.
Puis il entonna le prcmier couplei.
o LJl'(dan~
yrux clairs, yeux pleins de langueur';
Yeux doux pl grisants COllJllJC unI' liqueur.
o vou ~ (lue j'adore,
EL Cl\\Îns plus encore,
ncnux yCU\ roncontrés un jour dl' douleur;
COrl~
au fond ù'un puils ruugirIU('LU('l1l dormant,
Vu ilS vos IlI'ofonu lJ urs j'ai lJoali voir' l'ailliant,
Qui pcrdra Illon ;lm".
,J'ai /)(';111 voit· la /lallllllo,
Qui dl'voI'crl! mon C'l'ur Icnl('J/lonl.
,lu !l'ai nul ~OU(,l
do Illes jours IHII/,{'S
j\;i doo jlleurH amer" (nn! do fois pleurés,
C') quc lJirll w 'OC ll'oiO,
De peinl' l'L de jOip,
J't' n ai fuill'o/li'andn /lUX )"JU x ildorés.
L'ai r SU I' lequd II' harjton rythmait ces parole;.; était à
1.1 fois caressant cl farollche. Le ch:mleur le nuançait
(1) CélèLl'c ruéloùio pctitc·rus,icnnc ado.pléo on fl'un\'uis.
�'90
CŒUR QUI SOUPIRE
merveilleusement montrait tour à tour une passion dou'loureuse et une langueur Lriste. Sa voix élait pleine de
sanglots. On eut dit un hymne religieux adressé à une
'divinité insensible et falale.
. Je subissais, sans réagir, le charme de cette incantation
isacrée. Bercée par la mélopée, je demeurais accoudée à
Ima fenêtre, les yeux perdus dans le vague ...
1
L'heure passait : un jasmin d'Espagne accroché à la
,muraille, m'inondait de ses parfums violonts. Je frémissais
1
,dans l'ombre...
. Cependant, après une seconde audition de la romance
les spectaleurs emportés par l'enthousiasme se dégelaient
et applaudissaient à tout rompre. Le baryton dut redire
ses couplets. Quand la dernière strophe se fut éparpillée
dans l'air embaumé de la nuit, les conversations reprirent
de plus belle. Un bruil de chaises remuées monta jusqn'il
moi, des femmes emmilouflées de fourrures traversairnt le
jardin, la voix du chasseur de l'hôtel hélait lea chaurfeurs;
les aulos trépidaient el les mondains ravis s'en allaient 1
vers les casinos prochains.
'
Derrière les olivaies du cap, la lune so levait el projolail .
ses clartés opalines sur 10 paysago assombri...
En bas, la véranda touL il coup désorle, ùleignaiL ses ,
Ilumières. Les russes do l'orchestre parlaient, leurs inflll'utmenls sous le br:1s. Au fond de la baio azurée, des barques '
;illuminées glissaient SUI' la mer paisible comme d'immenses 1
vers luisants rouges ct bleus. A l'horizon, la presqu'Ile de
Saint-J ean profilait en som.bre sa ~rope
dentelée, que IJ i
tour écrasée du Saint-IIosplCo termll1alt lourdement.
Appuyée il la rampe de fer, jo demeurais pensive. Pdr
jUil brusque retour en a1'l'ière, j'enlendais la voix légère,
'd'Alec annoncer les fiançailles de J chan... Comme elles 1
's'élaient déridées vito. Le capit(line avait donc consenli à
'sc croire aimé? ... Bile seraiL heureuse avec lui la gracieusc 1
!lndoue. Au souriro d'aurore ...
Je rentrai dans ma chambre, Cermai ma fenêtro, lirai ,
\ Sil t' les rideaux ct m'agenouillai au pied de mon lit. Longlemps je demourai proslernée, demandanL à la Vierge
Imère ùe bénir los !lanr,ailles du capiLaino (JL rl'rnvoyrr
: à son mônflge fuLm 1out. le bonltelll' qtl'il était cn droit
! <l'espérer ...
i
�cœUR QUI SOUPIRE
91
.J e me relevai soudain. Une lueur traversa it mon cerveau ,
la clarté sc faisait en mon ûme ; je comprenais pourqu oi la
nouvelle apporté e par mon cousin m'avait bouleversée .. .
Des larmes perlèren t à mes yeux.
La sympatltiè ardente , la confiance éperdue , l' avidité de
me trouver seule avec J ehan qui m'obséd aient depuis une '
semaine, étaient de la tendresse. A la violence du choc, je
•
1
comprenais...
1
J'aimai s M. de Clairmont eL il était promis à une autre .. ./
Mon destin était donc de souffrir toujour s? .. .
Mardi.
« VOliS YOUS
êtes retirée de bonne heure, hier, me dit ce
matin la chanoinesse. Étiez-v ous soufIran te?
- NOIl, madam e, un peu lasse simplem ent. Et puis les
propos tenus pal' la marquis e et mon cousin, touchai ent
de prùs il la médisance ...
- Cela ùfIarouchait votre conscience, ma chérie? coupa
la yieillo darne, c'est tout il l'ait à votre {)loge. Il existe
pou de femmes aussi scrupuleuses. »
Elle l':\Ssembla le coudor épars I>ur ses couvert ures puis
continu a:
« VottS a vez eu tort de nons quiLter aussi rapidem ent.
Alec nous a appris quolques détails Stll' les fiançailles de 1
votre ancien garçon d'honnc ur. On lui prNe de grands
projets. Il compte , para1t-jJ, sollicitor un poste dans la
diplom atie; il a raison. Avec sa fortuno, son titre, la dot
royale do la rhanée, il brillora parmi nos p lénipotentiaires.
Je suis ravie de son IJonheUl', do Clairmont m'est fort sympathiqu e, oL j'aimo sa grand'm ore comme une compagne de
toujour s. ))
Ello me regarda OXOIllCllt : jc répond is:
(1 La marquis e de Luujac c , ~t.
la bonté mÔlne ... el la
princesso Sita une liancoe privilégiée.
_ N'est-c o pas? fiL la comtesse.
Elle demeur a silencieuse. Absol'béé dans la contem plation
des collines verdoya ntes dont elle apercov ait la perspectivo
par la fCllêtrc ouvCl'Lo, clle laissa passer plusieu rs mInuta..
avant do poursuivro :
~ Le mariage de M. do Clail'mont sora le « gl'oat event
»
�92
CŒUR QUI SOUPIRE
de la saison, dit-elle soudain; ses fiançailles déclarées nou s
ne le verrons guère. »
Elle dirigea vers moi la flamme de ses prunelles malicieuses cl remarqua :
« Vou s aimi0z 0 causer avec lui, Aryelle ; vous trouverCi.
les soirées longues quand vous n'aurez plus votre cavalier
servanL. .. Vous ne vous plaisez pas au bell, je crois?
Je rougis avant d'avouer :
« La danse ne m'ennuie pas, au contraire, mais les petits
fats qu'on m'oITre pour partenaires me sonL odieux ... )l
Mme de Libérac ne répondit poinL. Elle jouait avec les
dentelles de son vêtement de lit. Tout à coup elle choisit
une enveloppe parmi Je courrier enLassé sur la LabIe do
chevet, prit un air indiITérent; ct observa:
« Le vent soume au « conjungo» . Tout le monde parle de
mariage; les princes do l'Église oux-mêmes s'en mêlent ... »
Elle priL un Lemps pour achever:
«Lo cardinal d' fi lba a rencon-Lré Aloc ehez la belle
SocrotidèR. Votro cousin l'a séduit; co monstro de Juvi 17 ny
csL irrésisLiblo. AussitôL, Son Eminence 0. songé à 10 pI'6il~n
Ler à la Marchesina do MonLc-Brouta, une Homaine de la
vieille racc . .II me cha!'ge. d'organiser uno entrevuo ... Après
les d6claraLlOns de prmclpcs que nous nt hier ce diablo-àquaLre, je crains un échec. Néanmoins jo donnerai uno
réception où ces enfants pourronL se rencontrer et juger
« de visu» s'ils 50 conviennenl.
Elle leva les yeux au ciel et pousuiviL :
« Mes négociations n'ont aucuno chanco d'abouLir ...
copendant il su[Ht d'une éLincelle pour allumer un incendie.
Les italiennes sont tellement captivantos. Je serais
heureuse, je le confesse, si cet 6Lournoau so lai~st
subjuger
par colle jeune personno ...
l!]lle me regarda plus HxemenL encore; clio cherchait
une approbaLion.
Je no la donnai point.
« N'ai-je pas raison, ma chério? interrogeaiL la com.
tesse, surpriso do mon mutisme.
_ En tous points, madame. Les Romames sont bolles,
dit-on, mon cousin cédera au charmo de cello·ci, et oncle
Ghislain sera comblé ».
La bonne ùJ.lne poussa un soupir:
�CŒUR QUI SOUPIRE
93
(( Votre réponse me dél~vre
d'un souci, dit-eHe.
Elle lança vers moi un coup d'œil fûté puis acheva:
«Je craignais qu'un ntraioement romanesque vous
eut poussée à ... voir ce brillant papillon avec des yeux
trop indulgents ... Alec est délicieux ... »
Sincèrement, je répondis:
« Vous aviez vu clair, madame, pendant plusieurs mois
j'ai rêvé l'impossible ... Que voulez-vous, je ne voyais personne à Pont. Faute dl) compal'er jè prenais mon cousin
POUl' un phénix. Tout me ravissait en lui, même ses
déhuts. Mon enthousiasme n'avait rien d'extraordinaire,
'n somme. Depuis, j'ai évolué; introduite dans un milieu
où l'élégance est chose naturrlle, j'ai étudié ... certains de
mes danseurs. J'ai honte à l'avouer, les avantages n'étaient
pas lous du côtô de Juvigny. 1\1on cousin m'apparut tel
qu'il cst en réali té : all:rtc, pimpant, spirituel, mais totalement dopourvlI des qualilés dont je fais la condition
essentil'lIu de mon entrée en ménage. »
Confuse de l'aveu, je baissai la tête; cependant je poursuivis ma confession:
« J'ai bcaucoup soull'crL avant de rcconnaître mon
crl·cur. Les pi l'CS angoisses de la jalousie m'onL Lorturée;
j'l'Il venai~
i.t h:ür IlOS moindrcs relations. Le début de
J1otl'P St'jour ft Beaulieu a été traversé de mille orages intérieurs. Gl'Ûte à JJit'u, j'ai reconquis mon équilibre et avcc
lui la raison... Cependnnt je ne rcgrettc pas mes pcines,
cHas m'ont permis do m'analysl'l' ...
- li n'cxisLp pas de soulfranccs inutilc!;, intCl'cala la
rorntnssc : soull'ril' cst la meilleuro façon dl' pricl'. Il
Elle Lrndil vel's moi ses bras souple::; ct hlancs, commo
Cl'UX d'unc jeune fomme, m'aLLira doucement, puis prononça :
" Je vous ftilicile, ma c!tb'ie, je suis Louchée aussi do
votre confiance.
dl' mo louer, madame, mu
e vous hilLez pas ~rop
\'i!'toil'u esL Iii l't't'Pllte. "
l~Ir
posa ses lèvres SUl' mon It'otll :
" Elle sora profiLable, quand IllUlllr. "
APl'loS lin siloner, 111 me de Libél'uC ('(,nti/lua :
" Votr!' sincùril{' m'aulorisl':'.t parlel' san/; détours. La
huron lie (le l'uYlllil'ol m'a priée de vous h'ollsmeLLro la
�CŒUR QUI SOUPIRE
requête de son filleul de Lambert. Ce jeune marin désire
Ise déclarer depuis notre arrivée; mais votr:e réserve
:l'elYraie; il redoute une rebuffade. C'est pourquoi il a
demandé à sa marraine de plaider sa cause ... Il vous aime
profondément, cL.
1 Jo le regrette ... il m'est iI?possible de répondre favoIrablement il cette rechercho, 51 flatteuse. Je ne connn.is pas
M. do Lambrl't, ct surtout je no l'aimo pas.
- L'amour n'pst pas indispensablo, au début, rétorqua
lu vieille dame. Une grande ilympathie, de l'estime snffisent. Le resle ... vient après; du moins, on me 1'3. toujours dit.
- Pormottez-moi un avis contraire. Je ne me marierai
;peut-être j~mais.;
si je c0r,tse~
un jour, à partager l'existence d'un etre, Je le ChérlI'a! de toute mon âme, dès les
fiançailles.l van ne m'inspire aucun sentiment de ce genre ...
- Tant pis pour lui, soupira la comtesse; je transmettrai votre réponse à M me de Puymirol. .. »
Elle regarda la montre attachée il SOIl poignet:
« Onze heures, déjà. Je suis en retard; on me sert dans
quaranteminutos ... Voulez-vous sonnerOrentie? La pauvre
fille doit s'étonner de mon silence. "
J'obéis. La femme de chambre enlra aussitôt, un
kimono de zénana héliotrope sur le bras. La comtesse se
redressa sur ses oreillers, sourit à la fidèle sorvanle, puis,
comme je sorlais, recommanda:
~ N'oubliez pas la garden-parly dos Gonzalès. Miss
Jessie est prévenue. M me de Bérardié vous introduira.
Faites-vous très belle. Mettoz votre ensemble de velours
ivoiro ct vos renards blancs, vous êtes charmante ainsi.
Même jour l dix heures du soir.
Je rentre de la réception oITerte par dofla Solead y
Gonzalès« pour rencontrer S. A. R. l'Infante Amélia".
C'étail superbe. Une foule d'invités avait envahi le parc
cl les jardins de la villa « Miramar », fleurie pour la circonstance, de guirlandes jaunes et rouges.
Comme je cherchais Mme de Bérardi6, perdue dans l'affluence, Miss Jessie, tout en gabardine safran, bavardait en
trottinant à mes côtés;
�CŒUR QUI SOUPIRE
95
« l\ôl1! criait-elle, cc était « marocllQus D 10 (t viergcvigne )) courant siour les mours. Chez nous, à Pont, les
plantes « grimpatoircs Dviennent beaucoup plus tard. u
Je 110 l'éeoutil,l& guère et me faufilais entre los groupes;
j'avais mille peines à me dlrjger dans la cohuo qU\lnd
j'aporç,us Oùjle LefiJvrc- Moulin. PlanLée au miliou d'un
cercle de jOllnes ] bères elle gesticulait ;
« Bonjour, Aryolle, fit-ello en CQUrant à moi, Vous
cherche:!; l\ryane? Vous la trouvere1i avec ~a
mèro et
qUQlq\lo$ dOllairièrcs auprès de la fontaino. PranQz l'allée
dos hil>iscus, elle esL au bout, et ... u
Sa voix siftla entre ses lèvras lUinces a sans reprel1dr€
haleine, olle acheva ;
t! Vous y l'encontreroz votro Ilmi ClairmonL, Il ae prQmèno avec la princessQ de MYiioor .. , En vérHé, j'!\va\iI
tort, nllguèro, quand je 10 déni!;raifl i il est ""perbe et ll.O
boite preaque plus. A préso\lL, je partage votro enlhou:liasn1fl ... et fais a,monqe honorable,., Il
]]UIl écl<lLa ct'Llll rire strident puis a,ioula :
originul, il pOUl'ri:,~
VOlIS f"irr.
t( S'il n'était pas au~si
danser au liou de VOUfi contfaîndro à d~mour
6Uf VQtrc
chaillo. Ueurfi(l~t,
votre servitudo toucha il sa (in; je
m'on réjouis poUl' VOUIl. Il
IWo ricana plus fort:
ct I,.o bonheur lui t;lonne des ailes; ses pieds oftltmrent à
peino le sol. .. Voyez plutôt, u
]]llc étendit le bras vcrjii un coupla qui cheminait lenteml\nt, ClILre la double rangée de Oeurl'l écla;m~es.
Aux
côlés de la jeune l111e menuo ol souple comme 11110 lianQ,
Johan de Clairmonl paraissaH oncore plus grand, et s'inclinait unn (le 50 mettre au niveau QC su compagne qui
bavardail avec animation.
Les yeux rivés aux miens, Odile C01)Linuail à riro i\,oni.
quornenl, J'appelai à moi LQut mon courago POUl' répliquer d'une voix prosquc paisilllo ;
Ils forment un couple suporbo. S'ils s'aiment, comme
on l'"ffirme, ils seronl heureux. u
Je saluai légèrement ot m'élançai dans J'~n6a
,uivie par
la princesse. Décidée à devllncer lell lIançé!\, jo me M,tais,
;
quand l'omcier m'~pela
« PermeLte;t;-moi do vous arrêLer, mademoiselle i c:.s~
1(
�95
CŒUR QUI SOUPIRE
très incorrect, mais la rhanée de Mysoor désire vous complimenter. Elle n'a pu le faire après la représentation de
l'Abbé Constantin» ...
- Et je ne saurais tarder davanLage, coupa la gracieuse Indoue. J'en exprimais le souhait à mon ami
Jehan lorsque vous êtes apparue. Vous avez éLé d61icieuse,
l'autre soir ... j'ai envié votre talonL. Il m'arri ve do jouer
la comédie, mais je suis loin do vous égaler. L'aisance me
fait totalement d6faut. »
Je balbuLiai un remerclment, puis Lentai de m'éloigner.
« Demeurez un instant encore, supplia la jeune fille,
nous ferons connaisance, M. do Clairmont nous servira de
cavalier. Il esL mon meilleur camarade; nous nous connaisons depuis toujours. Pendant la guerre, il fuL le compagnon d'armes de mon frère aîné, 'fippo -Runo. Le prince
héritier de Mysoor faisaiL un stage à l'.lTIcole miliLaire
française quand les hostiliLés onL commencé. Au lieu de
passer dans les troupes du Bengale, il esL resté avec les
vôtres. Gravement. blessé à la Marne, il serail mort si le
lieut.ënant de Clair'monL ne l'avait emporté sur se5
épaules jusqu'à l'ambulance. Depuis, les miens et moi
l'aimons do tout notre cœur, ses amis sont les nôtres . ))
Elle me Lendit sa main lourde de perles et demanda: .
Il Si vous n'avez pas choisi votre table pour goCtter, je vous
invite à la mienne. »
Elle nous adressa un pelit signe amical puis s'enfonça
dans une alléo adjaconte où elle disparut.
L'officier regarda sa robe vert jacte glisser parmi les
bosqueLs, puis il tourna de mon côté ses yeux étincelanLs
et murmura:
« Elle est ravissante, n'esL-ce pas?
- 1'out à faiL. Je suiH flaLtée el ravie do son accueil
trop indulgent eL serai conl.ente de la reMontror quelques
fois avant voLre mariage. ))
Le visage de mon interlocuteur changea de couleur:
Il Je no comprends pas, fit-il. »
Avec assurance, je répéLai :
« N'allez-vous pas l'épouser? ))
II sursauLa :
Quelle est cotte invention? »
Je me sentis devenir écarlate avant de balbulier :
t(
�97
CŒUR QUI SOUPIRE
« Alec nous a raconté ... Odile Lefèvre-Moulin tout à
l'heure ... »
Il fronça les sourcils eL grommela:
« C'était fatal. Celte pie borgne de Juvigny n'a pu tenir
sa langue. Je comprends, il. présent, pourquoi tout 10
monde me dévisage ait cl chucholait en me regard::.nt...
Pauvre Sita, elle souffrira d'être le point de mire de cette
assemblée ... »
Il prit une expression chagrine pour expliquer :
« 11 ne saUl'ail en aucun cas êtro question d'un mariage
entre la ro.nhé·e et moi. En dehors de toules considérations
intimes, trop de divergences de croy::mees nous sépareraienL.
- Cependant, mon cousin ...
- Juvigny a mal interprété la fin d'une conversation. Il
II ébaucha un geste d'impalience :
« 11 aurait pu garder pOUl' lui les bribes de phrases
entendues. Il est Lrop bavard pour se monLrer discret. Le
réduire au silence est impossible. »
Jo le regardais avec étonnement. Certes, Alec était
étourdi, néanmoins je le croyais incapable d'interpréter'
maladroitemenL un enlretien sérieux.
M. de CJairmont repris soudain:
« Commenl empêcher les médisances de s'exercer à nos
dépens? Si ce bruit ridicule s'accrédite, la princesse m'en
vouùra .. . Il faut enrayer dès le début. »
Un soupir gonfla sa poitrine:
« Les cancans de cet évaporé m'obligent il. trahir un
secret qui n'osL pas le mien. Je le ferai pOUl' vous seule
en vous recommandant le silence, quant aux détails, du
moins. »
JI m'inlerrogeait du regard: je répondis par un signe
affirmatif:
u Le prince de Mysoor, dit-il, m'honore d'une affection
quaSi-paternelle. Depuis longtemps il r{;vc de laire de moi
son gendre. Dimanche, il a conHé son désir il. mon aïeule.
A10c est arrivé au momont où bonne- maman me rapporlait les proposiLions du radjah; il cnLenJit les damiers
mols, s'enthousiasma à l'idée de me voir entrer dans uno
aussi noble famillo.et sc sauva, convaincu que j'étais le
plus heureux des mortels. Il
7
�cœUR QUI SOUPIRE
Lesparoles du capitaine s'élevaient lentes et graves, sous
la voûte feuillue de lauriers-roses entrelacés. Au loin, à
travers les pins de la forêt, la plage sablonneuse scintillait
au aoleil couchaI4t. De petits nuages orangés moutonnaient
dans le ciel indigo.
Je considérais mon compagnon, son visage nettement
sculpté demeurait sombre; ses yeux d'acier se fixaient sur
la Méditerranée. Semblable à une fantastique turquoise morte'
elle s'étendait à l'horizon, tandis que ses flots décroissants
roulaient S1\r la grève en chantantlour perpétuelle mélopée.
« C'est ennuyeux, répéta Jehan, toute la colonie doit
être informée de cette aventure ... Si Juvigny n'était pas
mon meilleur ami, il m'entendrait. .. Mais il Qst irresponsable et j'ai été le premier coupablo, en parlant devant.
lui de choses qu'il eût toujours dû ignorer. ~
Il paraissait irrité, je tentai de l'apaiser; comme je ne
trOl~vai
aUCUIl argument à déployer et remarquai:
« C,(~sL
bien dommog'o que VOt}S ne puil;\siez épouser la
jolie Sita ; olle parait tellement vous admiror; vos B'oüts
sont sans doute Jes mêmes. »
Johan secoua la l,ôto :
« Elle ne possède aucune de!'! qualités cssentielles qua jo
désire rencontrer chez la compagne de lna vie ... La prinC(l~30
est accoutumée à l'adulahiotl des masses; le monde
l'enohante ... »
Il n'acheva pas sa phrase. Sa main ropOUS3a au loin la
vIsion obsédante l
(( Je ne ma marierai jamais, d'ailleurs, fit-il du voix
assr-urùio.
- Qui peut répondre de l'avenir'?
- Moi. Quant à cela du moins ... Bn demeurant célibataire j'accomplirai mon devoir, vous ne me connoil:1SOz pas,
je suis violent fantasque, sauvage... Mlle Lefèvre -Moulin
disait la vérité quand elle l'amrmait, jadis; aucune jeune
fille ne consentirait à slencombrer d'un invalide .. . Ces
paroles, elles tintent à mes oreilles lorsque jQ suis tent6
1
d o\lb!ier ma déchéance et mon infériorité.
Je voulus protester. Il leva la main pour m1cp empô.
cher, }luis d'une voix brève il reprit:
~ Jo resterai vioux garçon, madomoiselle, jamais je ne
me résoudrai 0. être épousé par pitié ...
�cm un
QUI SOUI'IRP.
99
- Si vous vous souvenez des. propos d'Odile, ceux
d'Aryane de Dérardié doivent être encore présents il votre
mémoire. Elle vous soutenait eL ne so gênait pus pour
rabrouer Mlle Lefèbro-Moulin. D'ailleurs, ello n'était pas
l.1 soule à vous admirer ... Dix autre!; jeunes ûlles ... »
Je me tus ... devins écarlate et tourijai la tête vers les
pins cl' Alep au murmure chanLanl.
Le capitùlnc prit ma main, Jo. porta à ses lèvres, puis
J)1urmnra:
« Vous êtes la bonté eL lu gri\cC' mêmes, mademoiflelle,
soyez Mnie ... l)
Jl s'éloigna très vi te.
Je ne saurais dire comment s'acheva l'après-midi. Je
goûtai avec la princesse; je dansai aussi ... On courut la
uernière faranùole ; la guirlande formée par une jeunessv
~n
délire contourna les parterres, au son des fifres et des
Lamooul'ins .. .
Une heuro plus tard j'étais de retour à l'hôtel. La chanoinesse fatiguée priait qu'on ne la dérangeût point ... Je
gagnai ma chambre ...
Et comme je ne pouvais dormir, je pris mon cahier et
j'écrivis ...
CHAPITRE IV
"Comment, s'écria le comte de Juvigny, pénétrant en
dons ln chambro de M. do Clairmont; tu t'es
brusquement décidé à pal'Lit·? »
Johan lit lm si:;ne nflirmatl(.
« C'est inselU!6 1 » b(}ugonno. 80n amI.
L'olricicl' no r(!pondil pas. Tranquillement Il continuait
à ronger dans un portefeuillo de mo.rocaîn rouge les
papiers enlossés sur son bur~a
. Devant son mutisme Alec
interrogea :
« Pourquoi t'en vas-lu?
- Il 10 faul. "
Lo visiteur eut un mouvomel1t, d'impalience. II demanda:
il Haillons socrùlcs? »
Le capilaino se retourna brusquomont. Son visage avait
perdu son impassihilité. Les yeux durs, la bouche criSPée~,
\?ïi;
bOUITUSqUO
~ .-\
) ""'':})
"I../JJ-
/ '/
,,:_0\10
�100
CŒl' n. QUI SOUPIRE
il fixait un regard aigu sur son camarade. L'idée lui vint
de donner libre cours à la colère qui bouillonnait· en lui
depuis la veille, mais il se contint. D'une voix à peu près
calmée il répondit :
« Tes commérages m'obligent à abréger mon séjour sur
la côle. »
Alec demeura sLtJpéfait.
« Tu m'accuses de ... tu rêves ... Daigne t'expliquer, je
t'en prie; tu parles par énigmes ... »
M. de Clail'monL prit une clei attachée avec d'autres
bibelots à la chaîne d'or de sa ceinture, ferma posément
sa serviette, montra de la main un siège à son ami, puis
énonça)
« Assieds-toi et réfléchis, si toutefois tu en es capable.))
Un silence suivit. Juvigny prit une cigarette, l'alluma ...
Sans cesser d'êLre ébahi, il commença;
« Je ne vois pas ...
- Je t'aiderai, prononça gravement le capilaine.
- Je t'en serai fort obligé. ))
M. de Clairmont se mit dehout, fit rapidem:mt le tour
de la pièce, s'~rêta
devant son visiLeur dont les prunelles
dilaléos pal' la surprise domeurai!:lnL tlxées sur lui, puig
demanda;
« Pourquoi i'es-tu permis de colporter un peu parloul.
les parolos entendues, ici, dimanche dernier?
- .J'ai répété, moi?
- Oui, coupa Jehan. Tu as raconté, en l'interprêtant à
ta manière, la Hn de mon entretien avec bonne-maman.
Rappelle- toi, Lu es arrivé commo mon aïeule me tra.o.smettait les avances du radjah,
Alec surSauta:
Il En effet, dH-ll, j'ai môme ajouté quolques questions à
celles de Mme de Lanjac. ~
Son ami ricana :
« Ah 1 ah 1 la mémoire te revin~?
Tu comprends les
l'aisons ... ~
Il h6sita, répugnant à se montrer trop dur. Il connaissail le caractère essentiellement frivole de son condisciple
et n'osaÏll'accabler de reprochl's, dont il ne comprendrait
pas la porlOe. Plus froidement il acheva:
~ De mon mécontentement. J
�CŒUR QUI SOUPIRE
101
- Pas du tout, affirma le comte ... Je me demande
même où tu veux en venir. Je n'ai certainement pas
oublié les propos tenus par nous, dimanche, cependant.
j'ai beau m'interroger, je ne comprends rien à ta fureur.»
11 cessa de parler. La tête inclinée vers le tapis il parut
en éludier minutieusement 1" dessin moderne et bariolé ...
Sans relever le front, avec une indécision qui faisait trembler sa voix, il acheva;
« Je ne sais même plus où je suis allé en sortant d'ici.
- Je ne te le demande point.
- Je tiens il te prouver ... »
Il s'interrompit, parut faire un violent eITort de mémoire,
bondit tout il coup et s'éeriu :
« Je me sou viens; j'ai passé la soirée il Beaulieu. Tante
Dona est souffrante, Lu le sais, n'est-ce pas? »
Los paupièros du capitaine ballirent :
« Oui, fit - il.
- Nous avons bavardé, commo toujours, avoua Juvigny. Nous Nions en famille, je ne me méfiais po:nt .. .
Aryolle n'écoutait même pas, elle lisait devant la fenêtre .. .
non, auprès do la table.
- Cela n'ost d'aucune imporlance, coupa M. de Clairmont.
- N'est-ce pos? ... Et puis, lu sais, mon vieux, tu connais ma cousine, elle parlr peu.
- Les bavardages de 111 11e do ValémG ne sonl pas à
redouter, observa l'ollicier. Je ne crains rien do sa sagesse.
- Alors, de quoi te plains-tu? »
M. de Clairmont F;'(;nervait, il répliqua:
« Si elle eul été seulo dans la chambre de la chanoinesse, la mensongère aIlnonce de mes fiançailles ne courrait point la ville à cetle heure; je ne servirais pas de
lhème aux clabaudages de les amis et des aulres; non
seulement mon nom ne serait pas accol6 à celui de la princesse Sita, mais je ne me verrais pas conLraint à m'exiler
pour éviter à ceLle jeune fille les pires ennuis ... »
Alec réfléchissait toujours. Soudain, :lon visago s'éclail'a l
il avait trouvé: joyeux d'ôtre délivr6 de l'obsession, il
s'écria:
« Mmo do Roquebrune élait là lorsque ... »
Il h6liÏta, rougit comme un cnfant pris en fauto l puis
avoua:
�102
CŒUR QUI SOUPIRE
« Lorsque j'ai fait part à tante Dona de ton bonheur. »
Jehan serra les poings: il rugit :
« Tu t'es conduit comme un polichinelle.
- C'est vrai, concéda le comte en inclinant le front, je
n'ai plus ... »
Son camarade ne l'ontendait pas.
« Tu es un inconscient, mon pallvro garçon ... Je te conseille de consulter un spécialiste; ton cas ressort du
psychiâtro. Tu ne songes donc jamais aux conséquonces
de tes actos? 1)
Ecrasé de confusion, Alec se taisait.
" Comment, poursuivait son ami avec une véhémence
croissante , tu tiens des propos pal"eils dovant la pire des
inconséquentes? Tu sais eombien cUotient à être bien informée ... avant de r cnlrer au logis, dimanche, elle ost sûrement passée dans doux ou trois maisons remplies de gens
de son acabit. Parloul olle a colporté la fausse Ilouv\llle ...
Deu~
heures plus tard, personne n'ignorait mes prétendues
accordailles. ~
Juvigny 10 dévisagea. Un étoname~
se luI, sur son
visage;
« Comment? tu n'épouses pas la princesse?
-Non.
- Permels d'être ...
Le capitaine fronça le sourcil. D'une voix sévère, il
trancha:
« Je t'en prie, fais-moi grâce de Los réOexions .•Tc ne
veux pao me marier ... »
Il ferma los youx pour en d6robol' l'expression à :;011
camal'ade , puis relova les paupières el déchll'a :
« Jo suis condamné à vivre seul.. . »
Uno amertume profonde s'6Lendil SUI' ~os
Ll'a il~ ; il gnrd<l
un instant. le silence, puis s'cro~,a
de paJ'allrQ calme 01.
articula:
« Je pal's ùa[,s quaranto-huit. heures avee le grand regret
de voler quelques jours à ma gl'and·milre. La pauvre
femme u compris l'obligation où jo suis de disparaüre, pour
nn temps.
- Tu regagnes Paris?
- Non. J'ai besoin de repos; 011 m 'accorde troiB mois
Q,C congé. Je me rends en Sicile, !lUI' ll!on yacht., eL ua vi-
�cœUR QUI SOUl'IRR
103
guerai pendant q11clques semaines; quand je rentrerai en
France, cetle sotte histoire sera ouhli()e. )J
Alec se leva, courut à son ami, s'tmpal'u de ses mains
Lrùbntes, les serra il les broyer Jans les siennes, puis
supplia:
({ Pardonne-moi, je ferai lout pOUl' efTaeel' ma [au Le ..•
.le ne savais paR, vois-tu? »
Le capiL::üne eûL un sourire navl'Ij :
".Je ne t'en veux pas, jo n'ai pac; le courage de te
:. ~:lrde
J'ancnne ... .J'ai beaucoup ùe peine, voilà loùt. JI
1l soupira, hésita tm peu et acheva brnsquement :
« Quitlf'r bonne- maman ... me désole.
- :Je suis impardonnable, gémil l\1('e ... C'est plus fort
qllt1 moi, je ne puis lenir ma langu e. Dans mon milieu, rien
Il'a beaucoup ù'imporl::mce, ou hlague le toul? Chaque
jOur nous assemblons ou séparons I,·s !!,l'IlS: nous parlouR
divorces, mariages, sans y song'cl', p011l' paSS1'!' 10 temps. »
L'olncier hocha la lHe.
" .Je m'eH JouLe ct je le déplore, rtL-il. 1)
IDmporLé pur le repentir, Juvigny l'inLcl't'ompiL, il avaiL
Hile idéo cL cbma :
« Je ne te laisserai pas partir, )J10Jl bavo.l'ùage stupide a
faille mul, je le répurerai : demeurcs aupri's de la marquise
et laisse-moi 1 soin de tout arranger .•1'arrêtcrr1i 10. fausse
nouvelle. Sois bon, ne me refuses pas ... Promets de ne par;
bouger, dans cinq minutes je oora1 cu v )iLure, à midi j'aurai
achevé Je tour do nos connaigsunces et prié chacun d'Qu.blier
.
ce potin. "
Johan nt un signe négatif, puis d ':l' lara ;
1( 'l'l'Op tnrd.
Lü ::mm'illco est COl\.'lOlnlJlI\ bonne Illarnal!
se résigno j\ me voir pnrtil' ... 'l'ml [JI'OpOS onl; fait 10 tour
do la rôte, d'ailleU1'H; seulo, UllO alH;pllcO prolongée lU'rêlpra
la malveiltanec dr·fol c1ll'icux et rendra 10 calOlo :\ la prinressC'. POUl' 01lC', pour los sic·ns .... oL pOut' moi ::Illssi, cc/.
"loignoment est nécessaire . »
Juvigny considéra son ami. J,'nttitllde fermo et on mème
tomps douI01ll'eu:>e, du capitaine, l'élonnnit. llie connaissaiL depuis trop JongLC'mps pour se laisser abuRer pal' dos
raroles. Le rrül.exLlJ invoC[ué pur Johan n'était pas l'unique
,'anse de son cm harqnell1ent.
Le militaire éLaH sûremo nt P(,t H~ :' pUl' lin motif plug
�10~
CŒUR QUI SOUPIRE
fort? Il était trop attaché à son devoir, à son métier, à
son ministère, pour réclamer un congé sans motif grave.
Il y avait autre chose, mais quoi? Alec !laira un mystère
et se promit de l'éclaircir. Une envie le prit de poser des
questions, il n'osa pas. J ehan paraissait t~·op
monté contre
lui. Comme il ne sa vait quoi dire pour exprnner son repentir
il sc leva, posa Jo. Irwin sur l'épaule de son ancien condisciple et prononça d'une voix humble :
« Je te quilbe navré d'êire la cause de ton tourment.
Avant de te dire au revoir, je voudrais ... ))
Sa voix se fit plus tendre pOUl' achever:
(t ,Je désirerais, du moins, emporter la conviction que
noire belle inLimiLé n'est pas atleinte par cet incident. Je
serais horribleme:1t malheureux si Lu me relirais ta conJiance. Tu es mon seul ami...
De sa main étenùue vers son vifJiteur, M. de Clairmont
arrêta la fin de la phrase:
« Rien nenous séparera, mon petit, dit-il, reprenant pour
rassurer le comte le terme amical dont il usait, jadis,
lorsque collégicns tous deux, Juvigny s'était rendu coupable de quelque faute contre la discipline. Je lÙlÎ pu
reienir ma colère, en apprenant tes inconséquences, mais
mon courroux tombe devant Les regrats ... Je suis nerveux
ces jours-ci, irritable, impressionnable aussi, et , pal' instants, incapable de maîtriser mes impulsions. Cc n'est
pas de ma faute, je suis si malheureux. »
Il serra longuement les m'lins de son camarade, l'attira
vcrs lui, et le conduisit doucement vers la porto, sur le
seuil il aj outa :
« Je te reverrai apr'ès-domain, avant mon départ. Aujourd'hui, j'ai mille choses à faire, des visites à J'P'rl,ùre;
entr'autres, je d6sire prondre congé do ta tante de Libérac.
- D6jeunons ensemblo? implol'rl le coupable.
- Merci, je ne puis ... ))
D'une voix hss6e, il acheva:
« N'insiste pas, j'ai besoin d'être soul. »
Alec l'enveloppa d'un regard empreint d'une tendresse
soumise, puis, suns ajouter un moL, il souleva la lourde
le couloir .
tenture da velonf"; et s perdit d ln~
•Tehan demeura pondant quolques instants debout (HW r !'..'·
ùe sonbl,lreau, puis il sortit surlo halcon cl contempla la mor.
�CŒUR QUI SOUPIRE
105
Calme cL lisse comme un beau lac aux eaux dormantes,
la 1 éditerranée étendait à l'infini la tralne de sa robe
d'azur. Du parterre fleuri à ses pieds, montaient des
effluves aLtiédies. Les propriétés voisines, enfouies sous
leur ceinture d'orangers, d'olives ct de lauriors, paraissaient
désertes. Au loin, une cloche grl\ilC Linta.
« L'Angélus déjà, murmura l'oincier, Mémé ne tardera
pas. »
Il renLra dans sa chambre, poussa les tiroirs ouverts,
ferma les armoires, réLabllt l'harmonie de sa eoilIure,
descendit, longea les tCITases, eL gagna la grille .
En lui-même, il rcpassait les événements qui avaient
traversé ces deux derniers jours . Il se revit avec son
aïeule, refusant d'écouter les propositions du radjah et
affirmant sa volon Lé de rester célibatgire. Il entendait les
exclamaLions de la douce créature lorsqu'il avait exprimé
le désir de s'éloigner pendant quelques semaines ct de vivre
seul sur son yacht. 11 se l'appelait les regards attristés,
les gestcs, les inflexions de la chère grand-maman.
« Pauvre l\témé, nt-il tout bas, je voudrais bien lui épargner los moindres peines, et je lui briso 10 cœur ... Elle eût
été fière do mon union avec Sita ; elle connaU ln bon té de
cet Le enf:mt sensible cL fidèle ... eL ne redoutait pas qu'elle
l'éloignât. Ellie craint de ne pas s'entendre avec ma femme.»
11 eut un sourire désabusé :
« Mc savoir entouré de tendresse, comblerait ses vœux ...
Hélas, je ne puis même pas lui C:lUser ceLte félicité. D
Xl ouvrit uno petite porle pratiquée dans le mur d'enceinte
de la propriéLé, puis sortit sur la roulo. A trois cents
mètres en avant, Ja mal'quise do Lanjue débouehaiL du
~(JIlLier
de la chapelle. Appuyée sur une canno à béquillo
d'j voire, elle av:mçuit lentement, co mpiant ses pas.
Johan courut vors elle, glissa son bras sous celui do 1:1
douco aïeule, et s'enquit:
« Vous n'des pas trop lasse, bonne-maman?
- Pas du tout, mon chéri; il fait doux, la brise légère,
l'rglise [l'ulche ... »
Sa voix frémit pour achever:
« J'ai prié pour toi. »
Ils nl'enL qtlf31quos pus en silenee. La vieille dame reprit
soudJ.iu :
�106
CœUR
Qui SOUPIRE
cr 'l'on départ me désole, je ne puis m'y résigner. Je mr.
réjollissab de Le garder quelques semaines cncore ... ))
IWo s'interrompit, le ra les yeux vers son petit-fils, pnÎs
dcm'md:1, la voix fléchissanto :
« Ta décision est irrévocablo?
- Hélas! soupira l'officier.
- Tn oxagèros tes responsabilités, peul·êlro? on (Mmentira le bl'uiL répandl! par AJec; ton éloignement n'est
pln~,
nécessaire. Va paw,Cl' une semaine à t::lan· Hemo ...
lei, les événcments vont vite, dans quarante-huit henr~,
1f'S prétendues flançaille!> sel'ont oubliées.
- Je m'en doute, murmura Jdl3Tl.
- P01ll'quoi disparattre <llors? C'est excessif. Promets
de J'cvenir iJ. la nn du mois.
- C'esL impossiblo, Mémé.
- Pourquoi'? »
Commo le ('l'.piUünc gardaiL le sil once , elle serra conlrc
son CUlU!' le brafi sur lequel elle fi'nppuyaiL, cL obligea le
jpullc homme :'1 domourer immobile, 10 l'og:1l'da avec Ui1C
Lendresse infinie eL prononça:
« Voyons, mon cMri, oxpliqne-loi franchement.. 'l'li
pl'(,tcndais, naguùrc, quo j'étais tu seulo amie; tu sol/ici Lair,
mos conseilf> ... j'étais Hère ùo guider ta jeunesse; il était
doux :\ mon cœur do vieillo femme, de reeevoil' les con.
IIdcnees du dernier de ma race, ct de l'aider ùe mon
~xpürien.
Ais-jo donc démérité? ))
lmo soupira proiondément :
u Crois-tu donc ma lucidité émou;;,sée pendant cc;-"
dernières semaines? rru Le trompes; si j'ignore Je~
détails
jo connai;; les rD.\lflt'S; ton l'IecreL n'en cst ptUf> un pom:
moi.
- Alors? COtlJHl Clail'1l101lt. II
La mat'qui~o
dévisagea son pûlil.-H1s. JI so tonait lm!' R::S
garder-; el. dcmetlraiLimp6n6trnhlo. L'nïeule reprit:
« 'l'u as vaillo.mmt'lll lutté avec loi - môme afin de TlP rien
lui~Rcr
paraill'c de t.on mul; Lu n'aspOU1'tnnt pus assez difisi·
mulé <lev:"l\t moi ... Hien ne tromp0 10 cu·ur des mi'res ...
J'oi vu. »
Elle H'arrlla.
" Q.uoi dOlic? jOla le capilaine comme nn dén.
1- - La vériLÔ. II
�cœUR QUI SOU PIllE
107
Tendrement elle expliqua:
« Tu aimes et tu souffres par cet amour; tu luis par
crainte de trahir ton sentiment : pourquoi n'oses-tu pas te
déclarer, la femme choisio est donc indigne?
-- Ne blasphémez pas? grand-mère, cria Jehan, ))
Bile sourit doucement;
'( Je no me trompais donc PU&?
-Hélas non, ))
Il gémit ;
I( Vous a vez vu clair .. , J'aime .. .. de toutes mes forces,
la plus adorable jeune fille qui soit .. ,
- Laquelle?» questionna simplemenL Mlllo de Lanjac.
Il tressaillit, ses yeux so fermèrent; sur le poinL de
prononcer 10 nom de la bien-aimée, il hésitait ...
Il Vous avez lu dans mon âme, Mémé, vous devez avait,
deviné ...
Il n'osa achever . La marquise murmura:
q Je le connais depu\~
longtemps ton sccreL, mali
entont. Dès ton retour de Pont, j'étais flxée ... QURllct j'al
l'C'nconLré la chère petite, j'ai compris ... »
Elle leva les youx au ciel puis romarqua :
_1 Je me suis tou~Ol'S
demandé pourquoi lu no te déclarais pas , »
L'oHlcier tourna ses largos ,veux clairs vors son aïeule,
ct répéta:
« Pourquoi? Vous ne r~f16chis
donc PU};? Un muLil&,
malade physiquement et moralement, au caractèro aigri,
ù l'esprit ombrageux, peul-il offrir il l'exquise Aryelle de
Valérac do partager son destin? n
Sa voix s'élevait, Il prononça cos dernièl'es paroles avec
Illl ()clat violent. Sans sotlci des passants 6p,\rpi1l6s SUI' la
1'('111,0 où il cheminait, il contillua, la voix tremblante:
(1 JŒc est faiLe pour IJrillcr,
pour régner pm'Lout où eUe
fJ,~scra
... On l'arlmire, ici isa modestie, sa réserve, si dilféles
l'ullles des allures dégagées de ses compagnes, ~tiren
'o~H1,ng(>s
Sa distinction, sa beauté la placont au premier
Nng po.rtout. .. Ajoutez à C~g
qualilés apparenles, celles
qu'on no voit point, mai;; dont j'ai Sl! dét;ouvr'r la splcndüur; songez il sa plélé, sa patience, sa charil6, la fOl'vem'
(hl sa foi, et vous connaÎll'8Z seulement une partie de :;cs
mérites .•
�108
CŒUR QUI SOUPIRE
Il pressa ses mains l'une contre l'autre:
« Vous voyez bien, Mémé .... Je ne puis lui offrir de
partager le sort d'un invalide . Je préfère fuir et mettre
assez d'espace ontre elle et moi pour éviter de ... ))
Il s'interrompit, chercha ses mots, puis acheva: « d'avouer
une ten dr esse quo je suis fermement résolu à cacher. »
La marquise fit quelques pas en silence, elle cherchait
une objecLion.
« Rien ne t'oblige pourtant ù. dissimuler éternellement
cette tendresse si loyale. Un tel sentiment n'a rien d'olIensant, je présume? .,
_ Ion, cria le capitaine emporté par son al'deur trop
longtemps contenue. Avec quelle joie intense je l'a'll"ais
fait, ceL aveu, si j'étais celui d'avanL la guerre ... Aujourd'hui... ))
Il montra sa jambo droite.
" Qui sait? murmura M:me de Lanjac.
Il secoua la tête en désespéré:
" Elle esL bonne, olle serait capable de m'épouser par
piLié ... ))
Il prit un temps u,:anL d'ach~ver
;
'( Je ne le voudraiS pour rien au monde, enLendezvous? »
L'aïeule haussa les épaules ct répliqua:
" Tu es fou, mon pauvre ami, ct trop orguoilleux ; tu to
crùi~
déchu, cependant, tu es supérieur à beaucoup
d'autl'cs. »
Un sourire amer 6tira sa houche Hère;
" Vous &t s ma gr an d'mère et non une jeune fille à
mari er .
_ Les vrais cœurs de femme sc ressemblent tous »,
riposta la vieille dame.
Jehan ébaucha un signe négatif :
« Peut-litre, néanmoins j'ai trop présentes à la mémoire
les phrases de Mlle Lrfèvre-l\loulin, pOUl' me leurrer.
you::> vous les rappelez, n'est-ce pas? ... On n'épouse ni un
Invalide ni un !'uuvago, disait-clio; nous voulons nous
amuser 10 plus possible après notre mariage ...
- Jo sais, glissa la marquise.
- N'il~cï.
plus, alors ... J'onterrerai clam; mon cœur
le sO(;I'cL du Cil revu impossible ... Si Dieu le permet, j'ou·
�CŒUR QUI SOUPIRE
109
blierai ... Sinon, il existe des pays où l'on se bat encore .. ,
Le Maroc, la Chine ... »
Les yeux de l'aïeule se voilèrent de larmes:
« Pas cela, bégaya-t-elle, pas cela ... »
Ils atteignaient leur propriété; serrés l'un contre l'autre,
ils traversaient le jardin sans prononcer une parole. Au
bas du perron J ehan s'arrêta :
« Je partirai samedi, grand'm!lre, dit-il, et je reviendrai
pour vous seule, quand vous m'écrirez que la chanoinesse
et sa jeune amie sont reparties. »
Sans aJouler un mot, ils entrèrent dans la maison.
CHAPITRE ' V11
Le comte de Juvigny déjeuna mal. La froideur de son
ami, ses reproches, dont il senlail la juslesse, l'avaient
beaucoup touché. Pour la première (ois de sa vic, pouLêtre, il regretlait sa légère lé.
Cerles M. de Clairmont avait pardonné ses commérages
mais il l'avait fait avec. un accablement el une l'ésignaLion insupporlables au jeune homme.
En grignolant la grappe de raisin des Iles posée sur son
assiette, Alec sc rappelait l'attitude quelque peu méprisanle de son camaraùe, sa bouche crispée dans un ricLus
amer, la douleur empreinte sur ses traits ... Une envie le
pl'Ït do courir à la villa de la marquise nnn de revoir le
~her
compagnon de sa jeunŒ.se ct de se meUre à sa dispo:;itiQn une dernière Ioi~.
Il se retint eL demeura songeUl' devanl la lable où son
café refroidissait. A force de concenLrer l:ies facultés sur la
même pensée, il revoyait dans ses moindres détails, la
~C(le
de lu mutin{)e. Le courroux ue Jehan lui parût Lout
il (nit excessif.
« Je no comprends rien a sa colère, grognait-il inlérieu1',]DHmt en grillant sa vi}lgLième cigarette. Il esl extravagant... montre une fu te ur inconcevable à l'ondroit do mes
bavardages, sl.ig-maL~e
avec indignation ma fuLilité et
qU!lnd je lui oITre tlc démentir mes propos mal foudés,
il l'l'fuse ou ùlojn
~ !lDraît se d6sintér.osser de la question ...
Lui toujO\il'S &i lo!;ifJuo il agit vruimonL comme un délraqué.
�110
CŒUR QUI SOUPIRE
C'esl ennuyeux d'être Dancé malgré soi cL pris pour tel
par une foule de métèques, mais la chose n'a rien d'injufieux. Tout le monde n'a pas la gloire d'être distingué pal'
, même Indollo, une prillcesuc esL toujours une
une ~\ltesc
princesse. Ma parole, Jehan ne se serait p<ls.cnbré ~avntge
si nous <lvions accolé son nom à ceux hlcn moms reluisants, cerLes, ùe la petite ùaurel ou de l'imposan Le SaJ'u
Moïs~nLhl.
»
Il fronça le sourcil, réfléchit IlllCOr(l un momenL, lanca
)lar la fCj16tre sa rigarcLta il. demi consul1?èe, ~uis
ajouta:
" Clair mont Ile, m'a pas donné la "ralO rUlson de SOli
('ourroux. 11 souffl'ai t, c'était visible; malgré son empircl
~l'
lui-même, il ne pouvaiL me dissimuler sa doulellr. Je
le connais Lrop, je lis dans ses yeux .. . »
11 se leva, sorLiL sur lu terrasse, dédaigna le groupe
d'Espagnols utLoùUlS sous lu véJ:and.ah, ne .leur adressa
même pas l1Jl l'eg .. rd, et ga;;lJu le ,]urLhn dont Il arpenta les
iJ llôc;; d'un pas délilJ6ré .
Tout i.l coup, une iJée traversa son esprit,
" .'\h ça! murmuru-t-il, serai-.le sur la voio? »
Il haussa les épaules .
« C'est impossible ... Clairmont faible il ce point? ))
Ccpondunt, l'idée persistait,
\( J'en aurai k cœur net, cria·t-il Lout haut, ~an;
T0 mar q\lcr le sourire amusé d'une jeune Anglaise aS!Ji.w
dans un h03quei do lauriers-roses et tout tt fait divertie
pnr son agitation.
D'un bond Alec gagna les l'emi'3Os appela un mécflnicien
lui orùollna de sortir sa voiture, P\lÏs sans prendre le terop~
d'llclumgcr, Bon vêtement ~u
rnat~
contre une tenuo plus
correcte, 11 llIa en quatrième vltes!Je dans la direction
dlAgay.
Un quart ù'houre plus tard , lu machine Rtoppait devant
la grille do la villa do Mme de Lanjur .
II jouait de malheur. Le capitaine venait de sortir . Il
:;cl'uiL de rclour à ci~q
heures soulement. La marquise 50
Lenait derrière la ~:lson,
sous la LenLo ùe couLil rouge, eL
tricotait, en soupLrant contre l'enLGlemenL dl) son peLitIlls .
Ello r!ccuoillil le visiteur avec une henne graco mélan-
glio de tristesse.
�cœUR QUI SOUPIRE
111
(l ,Eh bien, demanda le jeune homme après les oompliments obligés, qu'a-t-il arrêLé ?
-- Il part samedi.
-Ahl»
Un silence tomba.
- J'espérais, madame, que vous l'auriez décidé à changer d'idée. »
La vieille dame le regarda. :
« - C'est impossible, parait-il.
- Pourquoi?
La. marquise ne répondit pas. Ses yeux tristes errèrent
un instant sur le golfe azuré au contre duquel dansait un
canot dont la voile rose !leurissait l'horizon.
« Pourquoi? répéta fermement Alec. li
Mille de Lanjac trioota prestement une dizaine de mailles,
ses aiguille.<; d'écaillo s'entrechoquaient sous ses doigta
tI'ambIants. Une émotion visible l'agitait :
(( C'est sa volonté li, répondit-elle simploment.
Alec sursauta:
« C'ost de ln démence, dit-il.
- Je me tue il 10 lui répéler, il ne m'écoute pas. Le
pauvre cnfant est très scrupuleux; il ne voul à aucun prix
f'ompromotiro la princosso de Mysooro ... S'il demOUI'&it
:mpl'ès de moi, los cancans redoubloraiont, la malveil1anco
tios oisifs est si grande ...
-- Jehan s'exag'oro sos rosponsabililés, 10 cas dont il se
p1'6occupe CSL moins important. Il se fait une montagne
des propos répandus par moi ... j'aurais dû les taire, je le
conlesse ... Néanmoins jc no vois pas là do quoi pOUSSOi'
los houts cris.
- N'est-cc pas? coupa vivomenlla marquise.
Elle tourna vers lui son regard profond, puis lentomont,
r;hoisisso.nt sos mots afin do bIen dissimulol' sa pemue
intime, elle prononça:
« Dopuis l'armistice, ce malheureux enfant cot très
changé. Il délesto le monde; s'il parait dans quelques
salons, c'est uniquement pour ne pas m'aflliger, j'ospérais
qu'avec le temps sa misanthropie s'o.tt6nucrait... Jo désirais de le marier, il terait un si bon époux. Vous eavez
comme il esL...
- Son cœur ost le meilleur qlle je connaisse, glissa Juvigny.
�112
CŒUR QUI SOUPIRE
_ Eh oui 1 approuva Mme de Lanjac .. . J'ai beau le chapitrer, il ne veut rien entendre. Il déclare qu'il ne peut
être aimé, il se trouve infirme, désagréable; certaines
paroles échappées il des jeunes filles ultra-modernes et
qu'il a surprises l'onl plongé plus avant dans ses idées
noires ... »
Les yeux de son interlocuLeur s'ouvraient tout grands.
« Il a le souvenir tenace, s'il songe encore aux billevisécs
d'Odile Lefèvre-Moulin. »
La marquise approuva du regard, puis raeonLa :
(( Si vous saviez dans quel état il esL revenu do Pont. Il
était désespéré, n'allail nuJle part. .. Par bonheur, je traversais Paris à cc moment-là; j'ai pu le voir souvent le
s~enfcr
~ la Trap'pe,
raisonner, le consoler: .. l,;~uait
parlir pour les colon,LOs, J al cu ml.He peInes a le relenir.
Depuis, sa sauvagel'le augmenLe; JI. resle cantonné ch,ez
lui. Si je l'avais écoulé nous ne serIOns allés nulle part
cette saisun.
_ Ji osl sorti quelquefois, pourLant, fi. Beaulieu, à Nice
il MonLe-Ca1'lo, s'y est·il amusé? demanda Alec poun;ui:
v:wt son enquête avec l'âpreté d'un juge d'instrucLion.
- 11 me paraissail plus sociable; je n'éLais plus obligée
de le supplier lorsque, je désirais qu'il n;t'aceompagnàt, le
soir, surtouL ces dermcrs temps. Alors Je me reprenais à
espérer. L'idée d'un mariage possible m'envahissait de
nouveau ... Auprès d'une femme aim('e, Jehan trouveraiL
los joies intimes, nécessaires à sa vic. Et puis ... »
Sa voix frémit un peu;
( Quand Dieu me rappellera, je s0rai moins navrée de
pDrlir, si je le sais .entouré d? la tendresse compréhensive
d'une compagne dIgne de lUt. ~16ad
1 cette joie me sera
refuséo ; il veuL rester garçon, .11 le répète à tout venant
ot pourtant, sa blessure ne le falt plus soufirir, ou presque'
_ La cause de cc célibat obslinlj n'e::;t donc point dan~
ce qu'il appelle son invalidité?
_ Certainement, non. Il touche à la complète guérison,
il le sait; les docteurs prometlent un rét.lblissernent
complet.,. »
Elle s'arrfta, trente seconùes s'écoulÜ'enL. Alec s'ôLait
10.\'6. En sil once il marchait autour d'une corbeille de
gü aniurns ; on devinait une rjucsLion prêt à s'échn[lpcr ùe
�113
CŒUR QUI SOUPIRE
ses lèvres. Il hésitail avant de la poser .. . Il s'y décida ,
pourtant, revinl vers la douairière puis comme honteux de
sa demande, el arlicula :
« Aimerait-il quelqu'un? Son cœur s'est-illaiss6 envahir
par une de ces passions irrémédiables, ùont l'exisLence de
cerlains êlres demeure ohsédée? »
Mme de Lanjac se renversa contre le dossier de son fauteuil, ahaissa ses paupières et l'csLa siloncieuse.
Le comte guettait un signe révélateur, la. vieille dame
ne sourcilla pas.
« Ne croyez-vous pas, madame? interrogea de nouveau
le jeune homme.
La marquise nt un effort pour conserver le secret prêt
il lui échapper. lmmobile, son tricot à l'abandon, les
mains inertes sur sa robe de lourdc soie prune, elle garùait
le silence. ParLag6e entr e le d6sir de se conHer à l'ami de
Jehan el le ferme propos de ne pas trahir les conlldcnces
reçues, elle r6f1échissait.
Certain d'être sur la bonne voie, Alec s'obslinail :
« Plus j'y songe, plus je suis sûr d'avoir deviné. Clairmont est amoureux, il n'ose d6clarer son sentiment. Son
infirmit6 cause sa rusel've. Suis-je dans le vrai, Madame?))
A bonl de forces, la marquise hocha la tête aflirmativcmont.
Juvigny respira. Ennn il connaissait les dessous de celt,)
aventure. Puisque lout allai l lui être r6v61é de ce mystérieux roman, l'ion n'6Lait perdu. 11 aviseraiL el arrangerait
lout; celo ne devait pas être j JlIpossible.
« Qui aime-l-il? dil-iI. souda;n.
- Volre eousine.
- Oh 1 s'écria-t-il, élourdi par celle révélation .
.Il se frappa le front, puis ajouta;
" Jo suis vraiment idiot de ne pas lll'en être dout6. Ils
sont faits l'un pour l'aulre ... Je ne serais pas autrement
surpris, si ... »
11 haussa les épaules, puis r-;ans achever sa phrase con·
linua:
«Clail'Jnont est un valeureux soldat, mais il n'entenr!
riE'n aux cho~('s
du cœur. Jo me souviens il présenl do cerlaines paroles 6chappécs il .i\.rycllc, sans l'avouer, je sui~
1.;:,' (!u'eJlc pense il mon ami . Je compnnùs ses atilu.de~
8
�114
cœun
QUI
SOUPIRE
inexplicables pour moi ... Tenez, dimanche, quand j'ai annoncé les probables fiançailles de votre petit-fils, elle a
quitté la chambre ... "
L'aïeule s'était levée. Sa main posée sur celle du comte
elle murmura;
« Si cette jeune fille aimait Jehan, je n'aurai UBsez de
jours à vivre pour la bénir ... »
Alep tira sa montre:
« ClairmonL doit aller à Beaulieu tantôt.
_ Pour goûter, précisa la marquise, je l'accompagnerai.
_ Il est trois heures trente, j'ai le temps. »
Il saisit son chapeau, baisa les doigts de la vieille dame
et partH en CQurant ;
.
.
.
.
« Laissez-moi faire, cna-t-ll en dlsparalssant, Jehan ne
nouS quittera pas. »
La voiture franchit la corniche fleurie où la mer enfermait sa moire transparente .. La main au VOI~l1t,
le pied
sur l'accéléraleur, Alec brûlait la route, doublaIt les autres
véhicules, sans sc soucier des contraventions possibles.
chaud. L'odeur tonaco des citronniers en fleurs
n rai~().t
el des mimosas embaumait l'air; le murmure harmonieux
des pins d'Alep, le chant régulier de la vague ast;oupie
l'envjroai~
de leur charme profond ... Il ne s'attardail
pas à ces enivrantes douceurs.
Comme un bolide, il franchit la grille du Palace, stoppa
sauta sur la première marche du perron, eL, sans se préoc:
cuper do sa voiLure, enLra dans le hall.
« Mademoiselle de Valérac est chez elle? demanda-t-il
au groom accouru au devant de lui.
_ Monsieur 10 comte la trouvera dans 10 salon do lecture .
.- Merci 1»
Il s'engoul!J'a dans la galor!o cL pénétra dans uno étroite
grIses, où Aryelle, assise à uno
pièee, meublée do )~ques
petite lable, cachetaIL une enveloppe.
« Je voUS déran.ge? fit le c~m?
en se.l'J'anl. les doigts
Hm; tendus vers lUl. Je tombe fA 11mprovlsLe, Je craignaill
de vous manquer, je viens vous prendl'e ... n
Il hésitait, cherchant un prétexte:
« POUl' goüter, acheva-t-il ~riomphalent.
Aryells déposa son stylo l
�r.m)ln QUI !lOUPIRE
115
- i\fme Ùo Lal1jae s'ost invitüo, jo no pUi:; répondro
à votre amabilité; nous prendrons le thé chez la chanoinesso, elle est presque guério et 50 lève pour la premièro
fois.
- Tant mieux, tant mieux, répondit Alec qui pensait il
autre choso. )
Ba cousino 10 rogarda, ülonnéo do cotte d6sinvolLuro.
Décidément ce garçon était. invruisemblable, ot Ba légl!l'Illé tout il fail cllrenique.
" Ne mo dévisagf'7, pas, supplia-t-it soudain, vous m'in1imidcz . .Tu vous somble bizarr(' avoc mes roponses br~ves,
n'pst-co p:1S ? Si vous saviez, jo SUif; telloment bouleversô
par une nouvlJlle ...
.- Un malheur? inlercala MIlo de Valérac )) .
Son cousin secoua la têlo :
Non, un ennui ... un simplo ennui: Johan do Clair 1l1Ont nous quit le.
- Ah 1 IlL la jeune fille en sc cramponnanl à la lable.
- Oui; il va croiser sur l'Adriatique; flon yacht (J!ll,
~lner{;
il Villofrnrwho. Mon ami s'ombarquoru samedi dans
fil soiré') ... La marquise cilL dÔfiOI60 . .. Pauvre femme oU"
l'aimo lanll »
Aryollc fl'otOoit ressaisie, elle lev/{ ses granùs yeux sllr
!,on interlocuteur puis demanda:
" Poul'q1loi s'cn vu-t-il? »
LI' comle hocha la têto, sincèrement il avoua:
- C'()sl de ma faute, je m'en déscspiJrc assez ... Vous
n'avez pua oublié ma visite dc dimancho dernier? Mmo de
RochoCO\lrbe sc trouvait chez ma tanLe quand j'<Jrl'ivai:
coito bonne t')'juoe apprit par moi lc>s liullç'lÎlks de J t;han
nt s'on réjouiL. »
La jeuno mlc 1lL UII gesle affirmatif:
« .Jo m'on souviens. ))
.\loe pOLlrsuivÎt :
« A peino di8paruo, colto pic borgne omboucha les trompettes do lu renommôe cL transporta fi dix lieuos ù lu
r01H.1o la fameuse n01\vol1e. En un din d'roB la côto ontière
fut info/'m(,c. 01', eus aecordaillcs n'auront pas lieu; jamais
Johan n'6pouscra la pI'ine08so ... Parcc qu'il.. . il, il... »
Il buissa 10 tOll, plongea son rcgard volouté dans les
yIJux clairs do su cousine, puis acheva;
f(
�116
CŒUR QUI SOUPIRE
« 11 aime une autre personne, et ne peut tolérer l'idée
que sa bien-aimée apprenne ces prétendus projets; cela
pourrait l'imprGssionner ... fâcheusement. .. II lui est tellement attaché ... et se torture ...
- Pourquoi? coupa Mlle de Valérac.
- C'est facile à comprendre; si la personne en question
entend parler d'un mariage possible entre Clairmont et· la
rhanée, elle sera consternée:
- Elle sait donc? glissa sa cousine dont les regards
anxieux trahissaient l'émoi.
Alec haussa les épaules.
« Non. Mon ami Ile veut pas se déclare!', à cause de
son in[]rmité, vous comprenez '1 Alors il palt demain,
pour le bout du monde. ))
11 exagérait; bouleversée par la nouvelle, Aryelle ne le
remarqua point.
\( Le m"lheureux souffre comme un damné, poursuivait
le eorute. Un officier de sa valeur, fuir COJIlme un collégien pour ne pas trahir ses sentiments ...
- 11 a tort, riposta la jeune liBe, toutes les femmes
justes sentiments, seraient
lnême Odile, revenue ù de plw~
Iiores d'être choisies par un homme semblable à lui. Pourquoi n'avoue-l-il pas sa tendresse à celle qu'il a choisie?
Une alieelion profonde touche cello qui en est l'objet ... »
Elle s'arrêta, devint rouge comme une pivoine, puis
remarqua;
(, Je le suppose, du moins.
- Vous avez raison, j'ai essayé do le démontI'er à cel
rgueilleux ... »
Ji mentait un peu.
\( Endoctriner une staLue de pierre serait plus facile
que convaincre un pareil obsliné. li ne vout l'ion entendre
eL pal't ... "
1\1110 do Vn16rac 50 mit debout, eolla son visage ùl'ûlanL
contre la vitre, puis, sans se retourner, elle us.sura ;
a .J 0 le plains do tout mon cœur, il est si triste de souiTrir
d'un amour ignoré. »
J llvigny écarquilla de grands yeux)
« Qu'en savoz-vous? Serioz-vous dans le mêmo cas que
cel infortuné Clairmont ? »
issll \lll ges te vague ;
Blic c~qu
�cœUR QUI SOUPIRE
117
Je parle par ouï-dire. »
Alec sourit:
cc Vous
me rassurez. Je m'inquiétais déjà, notre
sage Aryelle laisser son cœur prendre son vol ne serait
pas chose banale . »
Mlle de Valérac secoua la tête:
cc Sage, c'est vile dit. l'
Après un silence elle ajouta:
« J (l vous en cunjure, Alec, ne me mettez pas en cause,
cherchez plutôt avec moi ln. façon de consoler votre
camarade.
Il feignit l'ignorance et murmura :
cc Evidemmcnt, je devrais ... Par malheur, nous manquons
cie renseignements, quelle est l'inconnue?
- Il ne vous a fait aucuno confidence? risqua la jeune
fille avec un intérêt croissant.
- Eh non. Je pourrais chanter comme ce l1éros d'opéra
comique :
.l'ignol'e son nom, sa I/aissance ...
cc
- Soyez sérieux, voyons, gronda AryeJle. Hépondez
franchement. Cette alIection est allcienne?
son retour de
- J'en doute; trois mois, peut-être ... 1)'>~
Pont ses familliers ont remarqué une rccrudescence de
sauvl.lgerie chez lui. Ce brillant capitaine, habitué il
tous les succès avait été horriblement froissé par le:;
mécllUnles paroles d'Odile. J'ai attribué ses variations
d'humeur à .. .
11 hésita, puis d'un ton confidentiel il acheva:
cc Qui sail, Ja petite Lefèvre-Moulin lui plaisait peutêtre?
- Y ponsez-vous? Unotelle mOsalliance.
Alec éclula do riro.
- C'est UIlO supposition. Je disais co qui me passait
par la tôle; aprùs tout, Clo.irmont qui se considère comme
un iuvalide ... »
Aryelle 110 lui permit pas d'achever_ Avec élan elle
prOllOll.ça :
- Il sc trompe, je le lui ai dit cent fois.
- Vraimllnt '1 Qu'a-t-il rLpondu?
Lu jeune HUe rougit a vaut de murmurer:
�118
CŒun QUI SOUPIl\E
« Des pauvretés.
- Je suis heureux de connaître votre avis, ma cousine;
il est dommage que je ne soupçonne pas quelle est la
boauté pour laquelle mon condisciple songe à rompre sa
carrière. ))
Il leva les yeux au ciel:
« J'e ne vous ai pas tout diL encore; cc malheureux veut
partir pour la Chine ou le pôle ... Je ne Mis.
-- Comment, il penserait...
- A s'expatrier, hélas oui, ma charmante; eL r:cla pour
J'amour d'une blonde ... Comme dans la chanson:
« Je me suis engagé pour l'amoui' d'une blonde ... aux'yclili.
noirs, car elle a deB yeux de Sarrasine. »
D'un ail' innocent, il ajouta:
'l'oul à faH comme vou~,
cousinette.
Al'yelle rougiL jusqu'aux chevcttx. S'6nervant ttn péU,
clic rcrnurqua l
« Comment Je savez-vous? Vous ignorez tout do celtù
pa~sion
mystérieuse ...
- Je plaisante, comme touj ours ... J'ai tort, pardonnetmoi.
- C'esl fail.
Le comto soupira ot reprit :
({ l'our en revenir il notre sujet, je VOliS ferai une contidenl;c : si jo savais où so cache la cruolle, coupable rJ"
lorhJrùr un cœur ;;emblahlo il celui do Clairrttont. ..
_ Vo~,l'e
ami ne s'osl pai:! déclaré, JuLcrrompit Aryelle;
on !to peul accuser ceUe personno ...
-- Une femme inLolligente devine Loujours les aJtoctions
qui vont il elle.
_ Elle esL peut~l'e
sotte?
. _ C'est impossible, il ne l'aurait par; dlOi sic. »
I.!lcras6e par la just('~c
de ce LLe logique, .I\luo de Val".rae ne pl'oLesta plus. p~t:col1enL
0110 dcmanda :
« Si vOUS la connaiSSiez, que fcriez-vous '?
Alec prit son élall.
a Je lui di,rais: müdomoiscllc, le capitaino comLe de Clairmont, chevalier de la Lérrion !l'honneur, croix de gueno,
~ix
palmGs, décoré do sc~l
ordrcs élrangers, ot prince Romain
do Cosla-nossa VOIlSéumc. G:munc 11 Lraîne la jambo dcpuil>
l'attaque du Chemin des Darnes, 11 n'ose demnnder volre
�CŒUr. QUI
sourmE
119
main, et il a tort... Car, en somme, sa recherche fait le plus
grand honneur il une petite provinciale comme vous ... »
II g'inLerrompit pour expliquer:
cc J;~
10 connais, il a sûrement choisi une provinciale. »
Aryclle Elpquissa un geste vague.
cc J'en jurerais l assura 10 comLo. »
JI reprit haleine pour achever :
cc Co valourQlIx guerrier crainL quo votro infinio bonlé
VOliS pom'so il. l'accepter pOUl' époux malgré son infirmité ...
Pour rien au monde il no consentirait à i\tro élu pur pitié;
son nmOllr est trop profond pour sa R,ltiafaire d'nn toi
sentimcnt; c'est pourquoi il préfo.'>re fuir ct mettre entre
vous et son désospoir quelques cenLaines de lieues ... Une
démarche dc votre part pourrait seule le retenir .. . Allez
le trouver, dites-lui que vous avez compris son tourment,
offrez-lui cnrrément votre main, et...
- Ah! interrompit Arycll r perdant toute prudence, personne n'osernjt tenLer pareille démarche? 11 serait choqué,
tnnt d'audace lui pura1tl'ait excessive.
Son cousil) hus~
los épaules;
cc Jlnola l'emarquorait même pas. Il résisteraiL pouL.êtl'o
un peu pour la fOl'ma ct finirait par cédeI·. )l
Mlle do Valérac le con~idért
avoc stupatll', une hésitation duns le lon, olla murmul'O. :
Ir (;'Illji une pro> inciale? vous ütof; Rûr?
-- Parbleu!
-Ab ...
- Voua ln connaisRoz ?
- .Te le cl'ois, cL ... li
Miss J('~;io
ontrait d~nf>
le ~fl:on,
ollo interrompit le
Il iscours cOJijmenl\o.
c( Mmo de Lib(lrilc vous demande, darling, pl'ononçu:
t-ollo nvec dignil.ù. La marr{llÎse cst arrivée. II
.
Commo elle npcrccvait le comte, Illle ujouLn :
cc Aûltljc souis ruvie do VOUA VOil' My Lord ... VOllS éliez
toujours tliuu ... 1 say. II
---' TIt,ml;: yo,ll miSR ,Jossie, dit Alec en riant.
l'our sa cousine, il annonça:
« Je mo sauve, .ie ne tions pas il renconLrer .TollO,n ... Il
e~l
furioux conlre moi ... Vous comprcnoz, il ne mo jJltl'donne pas III sotte histQire ries Oilnçuilles ... »
�120
CŒUR QUI SOUP I RE
n se glissa hors de la pièce
et disparut.
Mon Dieu, suppliait Aryelle en levant les yeux au ciel,
Mon Dieu, inspirez -moL .. Guidez-moi ... »
Bile resta un instant immobile au milieu de la salle ...
Elle ne se sentait pas assez for Le pour alIronter le regard
ues visUeurs, el voulait se oomposér un visage, avant
d'entrer chez la comtesse . Elle étail si bouleversée, son
ccc ur baUait à se rompre, et se senlait incapable de
prononcer un mot sans se trahir.
Elle devait prendre un parLi, copendant ; son absence ne
pouv:üt se prolonger ... ll:!le rassembla Lout son courage,
se dirigea vers l'ascenseur, et se laissa onlever cher. la chanoinesse .
«
CIlAPITRE VI
Les invités de Mme de Libérac étaient groupés autour
de la lable à lM dressée flur le balcon qui prolongeait sa
ehambre.
La convorsaLion était fort animée; on y discuLait do
politique extérieure très avertie des choses el des gens, Ia
eomLcsse donnait un aperçu inléressant des événemenLs
du jour. La chute du Illinistèro, une r.onférence inLernationale, le voyage d'un souverain étranger amenaient à sa
mémoire mille souvenirs personnels el aul(Ànt d'anecdoles piquantes.
L'entrée ù'Aryellc rompiL l'entre Lien :
« Nous vous aLtendions pOUl' goûLer, diL-eIlo de son air
aimable. Que faisiez-volls donc en bas? Miss Jessie
annon(,:aiL Alec ... Où est-il pass6 '/
_ 11 esL parLi, répondit lu jeune fille en s'activant
autour do la bouilloire, afin de dissimuler SOII Lrouble.
li n'éLaiL pas habillé et n'a pas os6 monLer ... Un de ses
amis l'aLlendait à la porlo .. _
Wle pataugoait, la chanoinesse le remarqua: elle vit
en mêmo temps la ~âleur,.os
youx brillanLs cL l'agiLaLion
intérieure ùe sa petite ar~lC,
elle comprit qu'une émotion
insolite l'agiLait ct fit dévwr l'enLl'cLiell.
« Allons, allons, rGpl'it-el1c avec un enjouement forcé;
versez-nous du lhé, nous mourons de soif... Après quoi,
vous pourrez. dcscendl'e avec le capitaine ct danser, si le
�CŒUR QUI SOUPIRE
12'1
cœur vous en dit . Vous trouverez Miss Jessie au premier
rang des chaises. Elle ne manque pas un concert ukranien ...
Elle beurra soigneusement son Loast, changea d'idée
pour expliquer:
« J maginez-vous, ma chère, M. de Clair mont ne connaît
point la villa du baron Lorrain? De la terrasse du fumoir
on distingue la colonnade et les portiques ... Vous la lui
monlrerez.
Elle se tourna vers la marquise, et demanda;
« Vous avez enlrndu parler de cette propriété, sans doute,
chère madame? l!]l1e appartient à un ancien antiquaire de
l'aris, anobli par la grâce de Sa Sainteté, et fort riche. li
a reproduit ici, un côté des jardins BoboIL »
Elle eut un haussement d'épaules plein do mépris :
« Il n'y a vraiment que les marchands pour s'installer
de la sorte. »
La marquise aClluiesça. Mme de Libérac poursuivit:
"Le capitaine pourra raire la compnraison entre lm,
deux domaines. Ii ne restera pas toujours ontre le ciel cL
l'eau, il se posera quelque rois sur la terre ferme. Pendant
une eRcale, une visito à Florence s'impose ...
Elle s'inLerrompit, s'adressa à AryelJe et compléta;
« J'ai oubliéde vous apprendre le départ de votre cavalier, il vous abandonne, ma chère, et s'embarque demain
pour une crOi8ièJ'e en Ad ria tique. Nous ne le reverrons
pas:
»
Mlle de Valérac sc raidit. A force de volonté, elle amena
un sourire sur sos lèvres, mais elle ne put arliculor un son.
Pour so donner une contenance, elle fit circuler une assiette
de gâteaux, emplit los tassos des convives, on'ril du
sucra ...
Dix minutes plu3 tard, eUe cheminait a voc le capitaino
dans 10 jardin du palace. Les arbustes fleuris répandaient
alentour leurs parfums violents. Soudain levée, la brise
faisait toul'l1oycr les pétales arrach6s aux rosiers grimpants
de la façade. Au loin, une glycine drapait de mauve le
mur des communs.
Us allaient lentement, sans prononcOl' un seul mot ...
Pcrdus dans lours pensé!);;, le fronl incliné vors le gravier
�122
cmUR QUI SOUPIRE
de l'allée dont la jeune nile poussait machinalement les
cailloux du Dout de son pied chaussé de daim blanc, cL le
dirigeait vers la terrasse sur laquelle 10 aancing était i115~alé.
Soudain Aryellc leva le front:
« Pourquoi partez-vous, monsieur? dit-elle.
L'officier blémit. CetLe question à laquelle il était loin
de ~;'alLcdre
le troublait. napidernent, il chercl).a une
1'6pon"e:
" ])"s camarades iLalions, perdus de vue depuis l'armistice, m'nttcndont 11 Brindisi .•.
BlIc l'arrêta d'un geste.
Johan la regarda, étonné de son attitude. Elle HaiL
devenue très rouge. Ses paupièrrs baLtaient, elle crispait
ses doigts fins sur le manche de son ombrelle. Les yeux
Laissés, (·]Je émit:
I( CC n'est pas la véritablo cause de votre
départ. ..
lIaletanLo ct, vioiblement émue, elle crut devoir
pl'éeiscr.
({ Alot' me l'a dit ; vou~
HOIlS fuyc~,
vous alloz chercher
là-1H.lS, 1/0n des ;'tmis, mais ln solitude. Vous désirez de
flp V(HJ~
i601I'1' ... VOlW (IVOz. tort. L'610igncrnent vous sera
pernieieux ... "
Pour cachor sun 6rnoi, l'o!llcior se corltraignil il sourire
qui élirait l'lW:! levres à l'ourlei.
mais Je ridus volOJ1~ajre
pourpre ressemblait plutôt à Ul\IJ grÏ1'lIlC r . JI balbutia;
« .10 suis un sauvage, plus que jamais jl;l haifl la sociélé
ces \ingl jour;; de Riviera m'ont fait prendre en horrcu;
Ics oisifs bavards el 8tupide~;
qui la pcuplenL .. V(JUS
avjoz raison tantôt.,. Je leI? Cuis ... II
D'ulle voix plus Lasse et c.ommr. pour lui !leul, il acheva :
« J'y lmis oblig6. "
i\l'yelle Je rogal'da, ses yeux limpidC's f;O voilGrenl des
larmos Lrembli'l'ent il ses cils rceourbôs :
,.
« C'est lri'~
mal "1 fit-clio,
Ll1ntGmcnt, d'une voix ~al\S
tÎlnLrv, eUe ajouta:
u VOuf; n'en avez pas )e droit. Mmo de 1,~Uljac
cst d6so1\'0 (to voLr: fugue. :GUo r;Qll1pLail VOliS finl'c1er ponrlant
lOllt volre cong-6. Vous lui vole;o; plus d'une semaino; ollo
Ile m'rn a l'irn dit, certes, ni li personnr, mais j'ni vu ses
pUlIVrOB YP\lX \rjslç,;, sa bO\lche donlourruse l'L j'ni comPI':f'. "
)l
�CŒUR QUI SOUPlnll
123
BIle reprit sa marche jusqu'au banc caché parmi les
hortensias bleus, s'y assit, !il signe il l'officier do prendre
place il !:les côLés, puis :s'excusa:
« Je suis horriblement lasse, tout à coup , sans raison. ))
Elle saisit une branche~flui6,
la tordit en1re ses doigLs
eL conLinua, commu à regret:
« Je serai seule, 101'sfJue vous ne serez. plus là . Je ne
cOllnais personne, du moins assez inLimement pour pouvoir causer sam! arrière-pensée. Mes étmiessonL il poine des
peu, nos goûts diITèront,
rul.llions ... Elles m'intérf~S5e
notre façon d'envisager l'avenir' auss i. Alec est constamnient un rûles, la cllanoinos80 est âgée, Miss J ossio ne mû
uomprentl guère .. . »
Sa voix s'emplit de sanglots:
« Mo!; l1œUl'S sonL loin, ct prises chacune par sos nouveaux
devoirs. Dépourvue do tout, sans confidente, :;ans appu i
dans le vide effrayanL de mu:> journées, Vous m'étiez unu
prédeuge compagnle ... quo deviendrai- ju? )}
BlIo cossa de parlul', l'cspil'a coup sur coup, pour retrouver 10 courage de poursuivre, puis prononça lentement;
" Vous le savOz, je n'aime point 10 monde, Jo m'y Sem;
<iLtangètc ; je m'énnuic au })(\l; si la comtesse no l'exigoait,
ju n'y purll.Urais pas. Jo roc trouve déplacée parmi les
snobs de notre groupu ; je :>orLais Uvec plaisÎl', pourtant,
puisque je savait> vous retrouvor dans les maisons de nos
amis communs . »
Ello soupira de nouveau. Un silence tomba.
Au loin, derrièro les lauriers roses, l'orchostre des halalaïlws pr61udait ; le Chant des bateliers de la VotgCt, l'hyrnno
douloUJ'ClIlC vibrait uomme une lamentation poignallte .
Arycllc abaissa scS paL1pil'res . BIle Su revit à la fenêtre de
::hl dwmul'o, moins d'uno Humaine auparavant, ulors quo
fuyunL .Alec eL ses (',ommoJ':lg'oS, clIo venait de découvrir
1.,1. place illunensli que Jehau Lenait dans son cwur . Elle
entendit lu volx grave du bJryton ... Les pJ.l'ùlcs du lu
Chanson des yeux tintèrent il scs oreilles ...
lu Lôto pOUl' éloigne l' le sonvenil' trop tCllill'o
l!:lle ~('coua
eL pour:;uivit ;
" J'ignore, cl", moins je vouur,lis no pus savoir les eauses
de voLl'e luite ... Maü; je crois les avoir devinées... Sans
Goule jo n'ai aucun dI'oit ù Vos o\lnfidcnccs cl ne los
�124
CŒUR QUI SOUPIRE
réclame point ... Je vous dirai seulement ceci: Vous fuyez
par.::e qu'un sentiment profond vous habite ... Vous ne croyez
pas votre tendresse p artagée et vous vous éloignez ... de ... »
.ruIle leva les yeux au ciel, sans achever sa phrase; elle
conseilla:
« Permettez à une provinciale, maladroite ct ignorante' ,
de vous blâmcr. »
Appelant à elle Lout son courage, olle acheva d'un irait :
« On a toujours torL de ne pas s'expliquer; la conJ1anc' ,
la sincérité, lorsqu'on possède votre fermeté de cœur, sm
les qualités obligées ... Une femme, même insensible d'upparence, u le devoir de s'enorgueillir d'Iltre .. . d'avoir s l
capteT un pareil intérêt. Croyez-moi, monsieur, ne parlez
pas sans a voir parlé à celle ... clontfindiiTércnce, la froideer ..
involontaires, vous font souffrir au point de vous POll SSLl' il
s(;mol' le désespoir dàns l'âmo de ceux qui vouschéris"enL.»
Elle s'urr'::La, à bout de forces.
Johan ouvrait la houche pour rC'pondre. Il IlO put proférer un son, une félicité infinie le pénéLrait. Subitement,
le bonheur J'é toufTait.
Cependallt un doute subsistait encore . Avait-il bien
compris'/ Les puroles de la jeune nne dépassaicnL peut-être
ses sentimcnts? Unc joie pareille lui était-elle permise?
11 jota sur .i\ryelle un regard implorant.
« H.eslez, fit-elle doucement, je vous en prie ... »
SUl' la t errasse, l'orchestro russe acompagnait la Chanson des yeux. Par bribes, les strophe:; do la mélodie arrivaient aux jeunes gens . Ace momunt, Ult baryton invisillio
prononçait;
Je n'ai nul souci de mes jours na(lrps,
Ni des pleurs tant dG fois ('ersés ...
Jehan saisit la main d'Aryelle, l'élova jusqu'à sa bouche
ct piousement, avec une forveur profonde, il posa sm;
Jèvr"s SUl' les doigts qui frémissaient entre los siens. Puis
d'uno voix gravo ct t endre, il acheva le couplet cummcnctl
par le Petit-Russieu ;
Ce que Di.:u m'oetroit?, dr p(nne ou de joie,
J'ell ai jait l'o(Jmiulc aUJ,' V~u.L
adorés ...
�CŒUR QUI SOUPIRE
125
CHAPITRE VII
(Fragment de lettre ... )
Aryelle de Valérac à sœur Béatrice-Marie, novice au
monastère des religieuses Bénédictines du Mont-Cassin
(Italie) .
... Comment me suis-je retrouvée dans ma chambre,
après la scène du jardin? Je suis incapable de le dire.
Cependant je m'y trouvais quand, d()ux heures plus tard,
la marquise de Lanjac vint prier la chanoinesse de transmeUre ù mon oncle la demande de son petil-fils.
Je passerai sous silence les exclamations, les réOexions
elles interjections de noll'e bonne amie. Après quelques
minules t.!'ahuJ'issemenl, la chère femme s'esl ressaisie,
l1I'a ombrassée, congralulée, félicilée, puis s'esl précipitée
SUI' le téléphone afin d'appeler mon luteur.
Avant de sonner pour la communicalion, elle n'a pu
s'empêcher de me confier;
« J'avais remarqué l'attllude du capitaine, lorsqu'il se
trouvait auprès de vous. Je souhaitais fort ce mariage;
vous serez une femme heureuse, ma chérie. »
Apros une sLalion prolongée devant l'appareil, Mmo de
Libérac m'a fait prévenir. je suis enlrée dans sa chambre
et l'ai tl'OU véo rouge, congestionnée, éUCl'vée pal' sa
longue attente, mais visiblemcnt radieuse du résultat
oblenu.
f<ln quelques paroles elle m'a raconlé son enll'etion a voc
10 marquis. II est auxanges, parait-il. Johan avait lail !lUI'
lui une imprcssion fa voro.lJlc; il l'admirc de travailleI',oL
me félicite d'a voit' choisi un tel compagnon de l'oule .
... Quo to dirain- je de plus? sinon que jo suis la fiancée
la jJlu~
heureuse de la terre; J chan est le meilleur des
hommes, il m'aime comme je désirais ... Le soir de nos
accordailles il m'a o!TorL UII splcndido saphir éloilé, ot
depuis il me comble de cadeaux. Sa grand' mère ne sait
qu'inve{ltor pour m'êtro agréable ... je me laisse vivre
entre ces deux leudresses si V1'6cieuses ù mon cœur.
�12G
CŒUR QUI SOI1I'IRE
Quanl i.t Aler., il l'ayonnc. Comme il esl l'arLis:...n d,
notre .ioie, il ne cesse de nous entourer. Chaque .iour, il
vient nous voir et nous raconto les potins que ce:.; Hallçaillee
si rapides n'o~
pas maQ.qué de susciter.
Je ne te les répéterai pas. 'fu sauras seulement que la
belle Odile Lefèvre· Moulin esl dans une rage folle. Ellr
comptaiL I\i J)len assister A.U mal'iage de Johan eL de ln
H.anhée SiLa, elle avait lanl l'acortlé d'histoires SUr cE:lk
llnion, el, sc trollve forl humiliée d'avoir répandlJ lOtTS res
faux brllits. Pour se consoler, 011.0 fail une cour assidun
au p~inco
Nopoli, un Oree ou lift 'l'ure, 1)1-111\ ùt Cl\"Jlll
cOllimo un m\lIûll'e, ct so f.liL fOl'Le de l't~po(r
an pn',
miel' 1II0menL
.Ie lui souhaite beaucoup de bonheur, quoique son uv(~
nir m'eITraie unpeu . Cet étrangor passe pour jOlleur ... On
raCaille deyilaillCs histoires sur son compto. A Sa placo, jr'
me m6fiorais .. , Cela no mo regardo pas.
lIier soir, elle est venue me faire son compliment. J)'nn
Lon de vcrjl1r, elle m'a adl'cssé ql101qucs paroleH sèehu;
:llIxqueJl(:s j(' n'ai prôLé aucuno aLlontion, Mon naneé ôtail.
là, alors tll cOlllprends, je n'{:coulais paf; grand't;hoRfJ .. .
Lorsqu'il se lient auprôs de mo~
.10 ne vois rien d'aul)'!; .. .
. ,. Nos rmlr(Js amies Ile gont monlrées enchanléCI> ue la
lIouvellll; Al'yanr et Véra ont franchement félicité Joh(ln.
Elles ont Gté déçues ell apprenant l'intention où nou~
i;ommes de nOUf! marier li Lanjac. et tout à fait dans l'intimité ... VIJis·ill, ma grande sœur, je ne pourrais l'(mnir
hoaucoup uo monc!l! pour une cérémonie pUl'eillr... Jehan
eHt de mon avis, comme moi il aime l'ombre, 10 mystoTIJ
le silence eL les vrais amis ... Et puis, tu no Rcras pas lb .. :
Tu me manquer,ls tollement ... ,J'auraiA tant hosoin de tes
('on~ils
li. coLLe heure gravo où mon dostin VI\ s'aceoffiplil' .. .
Et tu es loin, absOlb6e par les obligaLiollf; do tOIl ordl'e .. .
Prio pour moi ... Demande au Maître divin llo bénir, do
pro! éger mon lIlénage, rI,. ùo faÎl'o que jamni~
la vie
méelulIlte ne puisso lllOUl'trJr le cm ut' cie ta petite:
Aryoilo.
FIN
�Pour paraitre le 10 novembre
SOlls
le n O 30S de la Collection "FAMA"
L'ÉPREUVÉ
DE SERVANE
par P.
DE
CORDA Y
CHAPITHE PREMIER
Un soubresaut encore, spasme suprême de la bête
d'acier qui va moudI', un remous, eL puis c'est flni.
Le sous-marin A~cyQn,
parti si fièrement de BizerLe
pt revenant ft BresL après une glorieuse randonnée,
a rencontré une roche traîtresse.
Une fois de plus, la nature s'est ri do touLe la
RciclICC des hommes ct, malgré tous les perfectionnements du sOluHnarin, malgré toute la compétence
de son commandant, J'Alcl/on est perdu.
Ulle nappe d'huile filaI'que pour quel qu es heures
l'emplacement où il esi tombé ct, ses vu;I I, . 1l~ 3 lTIc.rins
demeureront ensevelis ft jamais dalls leur coque
tnétalliqu p , dont le capitaine Louis de Choizy étaiL
Il' sou] IlIll7tre ù bord après Dieu.
Brave entre tous, aimé de tous, ce voyage avait
attiré sm Il'i l'attention de la rue Royale et 11. -pensait hirn connaître enfin quelques années sédentaires,
nl.tucbé ail ministère de la Ma,rine, et qui lui aUl'nient
PCI'IllÎf! de vivre dans son foyer des houres paisibles,
dont il avnit ét.é sevra ùurmlL ces dernières années
de plon~6eR
eL de longueR expéditions.
l\1ais il devflit être écrit qu'il n'en serail pas ninsi,
el, que cc rocher, 110n Rignalé, brisern it son avenil'
'et celui de tous ses bl'aves compagnons.
Et, de bureau en bureau, la triste nouvelle franchit
1es kilomètres. Voici ]' affreuse rtépèohe offlcielle qui
parvient à M,no do Choizy, alors qu'assiso à son secréCA suiv1'e.)
�J '. 2..l· 10. 32. -
CORBI!:IL. lMPllIMERIE. CRÉTÉ.
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An entity primarily responsible for making the resource
Ichard , Jeanne Louise Marie (1876 -1951)
Title
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Coeur qui soupire : roman
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Ed. de la "Mode Nationale"
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
impr. 1932
Description
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Collection Fama ; 304
Type
The nature or genre of the resource
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Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
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A language of the resource
fre
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BUCA_Bastaire_Fama_304_C90792
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�PUL L-O VER
AU
TRI CO T
TA ILLE 44
d t' la taçon s uivant e: · 9 ranA'8 point de r!z, 1
rang point de jou rs avec la grosse aillu ill •
( 1 mo ill e. 1 jeté, 1 ma ill e, 1 jeté). Repre nd,.
la pe t ite oig uill e t ra ire 1 ra ng i\ J'e n ver s, en
la issa nt tom be r 11.:8 jetés, pl us 1 run ll il r t ndroit. 1 rung poi nt d (" jours ovcc la Qrnsl'l C'
nigui ll r ft l'envers (1 mlu ll e. 1 jeté. 1 m,i ll('.
1 jt· té), 1 ran R e ndroil
l v N ~ Ics Pt°lit es a iguill!',
rr ic()ltOr ilins i su r un I! hau tt'u r de S2 l""R'
t'n Iltiuunt lo rnhe r ,(' . .. jl' lts P uis rr p((' nd r .. ' ..
loi t 22 tt'n timè trt>1 . Hull'JUH', dt, chllQu(' nltO
d r J'ou vrollC pou r rMlnc r r enl OlI'l !l r l ,u r ,.,
1 roi, 3 rnlt ill u . 1 rois 2 n",;I1I''', 1 rois , m ~i l1 (' "
Il ' ('s te 84 nlndl('I, nlHm(' n('(' r ulors le d,·.
('nll,·lt; . S(pur('r IC8 mll ill.· ... , 'n 2. la intOr 1
pilflil' lI ur
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'!I IIIlIIlI ' IIII ; l .lI lllll ll r. tlt, } m. ll inu'lr t'Hl,
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l ,hulu" r.u'Il) , 2' Puint d •• jUl H . (1 01llill e1 JI ". 1 m ,II Il,,. 1 JI I I~, t ' If' :,ut nll1 il " ui v n i
uu tr u nie
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d'uiw u ill ,
J,nu r (,H m", J" llf((llul i d" I,t mo lll1 hlo. Lur4q u' il
nt' rt tr IIl u, (H U Il Illl ill"" Il. Ah tUrf' rn
uni' Ill<u l" fui" , F"i r« LI 2' flIt ndw (o n1ll W l ,
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l" ,
dt· Jtomi ·1, rHll' cf"
l r l~
on lre 2 It. 50 adrouE. au. Lai.... du PETIT MOULIN, Il
,
PARIS (I II J, >001' rtcev r e , un '" I nifi"" . Album d. Till
OT
cornpl t. d , rlcbaotillo ln.
" "'lU
111"\ , Fu ir'
IH1 ' !.. l '",ft)tH
ru e C. ffaro ll i,
01
J. (Ollotli""
�L'OISEAU D'AMOUR
�1
PAUL FALET
L~OISEAU
D'AMOUR
~DlTIONS
ROMAN
DE
r,
LA MODE NATIONALE "
94, Ruo d 'Al6 sic , 94. -
PARIS (XIV")
�L'OISEAU D'AMOUR
PROLOG UE
Un malin do Janvier 1896.
Lo soleil rougeoyant so d6gage avoc peino do S;l ganguo
de ténèbres, et projette une [(lible lueur su r los choses. Une
bl ume légère monie des champs encore noyés d'ombre. D02
arhres se dresswt, lugubremont dépouillés, ot tress1itlent
parfois tl'avers6s de grands frissons. Au loin, un COUl'S
d'eau s'étire avec un sou ru grondement.
, 'ouda in, 10 soleil réussit à sc lib érer et sa lumière dévoila
deux groupes d'hommes aux pieds do doux arb res.
Une voix dit;
- Voilà le jour.
Et comme un 6cho, une autro voix, plus mùle, ajoute:
- C'est le moment, Messieurs.
Les hommes dos doux groupes se rapprochent , Un court
conciliabule 50 tient. Pu is la III ·me voix mâle l'C'prond ;
- , Ain~
vous êtes d'accord; l'ollaire 50 règlera au pis·
tolot commo l'a demandé l'offensé? Passez·moi lC's ormes.
Un homme de chaquo groupe apporte une houssa dam
lalluclle flont plncéos les armes requisùs.
- Un témoin do M. do Marly, s'il YUUS plall.
Un personllnge s'approche.
- Un témoin de M. do i\1nndnnne.
Un autro personnage s'avance.
- MC's
~ic ur!,
nous allons lirer au sort pour la distribu·
lion des armes.
Ce qui ost biontôt rnit.
A co mOlllent, lus deux advc rsa il'l.,::; "PJlJ.f.lÎssen.lJ a vorl i ~
�6
L'OISEAU b ' AMOUI\
par leurs têmoins. L'homme qui s'es t occupé jusqu'à ce
moment de toutes les formalités se met au garde-à-vous,
salue militairel'lWnt.
- Mon capitaine ... 1\'101\ lieutenant ...
M. de Mandanno ct M. de Marly s'inclinent.
Le premier, autant qu'on peut en juger dans la demiobscurité où l'on se trou vo, est un homme dans toute la
force de l'âge; l'autr e, plus mince, 0. une allure plus
jeune.
Chacun reçoiL un pistolet que le directeur du combat
vient de charger.
Il s se mettent dosà dos, puis, partant du pied gaucho, mide quinze pu s, et se retournent,
litairement, ils s'éloi~ent
la maill gauche derrière le Jos, l'avant-brus lov6 verticalement ct tenant le pistolet.
Dt.ux coups ont retenti dans 10 silenro matinal; la
nature qui murmuroit so tait, comme intimidée par los
détonutions_
Un homln e est tombé, raid
\~ .
L'autre a faH un ou d ~l1X
pas on chancelant, puis il
a réagi. 11 a pressé son 6Y\lIIc droite avec sa main gauche
et il est ollô vers Bes amis.
Coux-cl l'entourent, anxinux ,
- Rien de grave?
- Non, mes amis, une simple éraflure dane l'épaule.
- Eh birn 1 doc tour ? domande un des Lémoin$ all personnage qui vi en!..
- ) 1 est mort, tué Dot .
Un Instant do silence.
l!;nfln une voix lai sse tomb er ces mols, bientôt emporlés
par lu brise :
- Comme c'es t trist.o 1 Des camarades ...
Qu elques minntes plus tard, les choses semblèrent. revenir à Jour Mat normal, fait de silence appo.rflot et do balbulicmonls confUR.
Au milieu de l'horbo maigre, uno lache do sung diminuait, lentement ubsorl.J6o par la terre.
C;'ôLail l'endroiL où 6tail tombé M. de Marly •.•
�L'OISEAU D'Al,IOUR
7
CHAPI'l'RE PRIilMT ER
ACCIDENT
Vers la fU} de Février 1912.
Un légor cabriolet s'arrêta dovant la grille de l::l porte
\'élust.e et envahie de lierre. Odette de Mandanne qui
conduisait, seule, la voiture, sauta gracieusement à terre.
oprès avoir jeté les guides sur le dos du cheval qui souflloiL, et dont le corps dégageait une blanche vapeur,
dans l'air froid.
Le vont de la course avait amené de roses couleurs sur
le visage de la jeuno fille et ajouté encore do l'éclat à ses
traits fins et purs. Elle avait dix-neuf ans ct était dans
l'l>panouissement de sa beauté juvénile. De taille moyenne,
elle avait des mouvements aisés. Elle avait de petits tics
charmants. C'est ainsi que, souvent, elle poussait sous sa
toque une mèche de ses cheveux bruns dorés. Cette
mèche revenait toujours sur son front nacré, cc qui lui
faisait faire, ùo ses IOvre5 fines, uno petite moue adorable.
D6jà la grande porte rouilléo s'ouvrait.
J\loxis, l'ancien soldat d'ordonnanco de son père, de\'6nu
inLl'ndant, se précipitait ct prenait la bôte par la bride.
- Mademoiselle a fait uno bonne promenade? demanda"
t-il respecL1lC'usemcnt.
- r~xcole1t,
Alexis ...
- lilt r!'ony n Li en mo.rché?
- Commo toujours, mais oui 1 Seulement, quolle rOtlle 1
Elle étaitdC,ja afCreuso l'année dernière; las pluies de ce moill
l'ont entièrC'ffiunL ravinée ct rn plmüeurl1 points, même
l'ont cOl1pée de ruissoaux, CUlL<,;es do multiples cahots.
Les Oo.tillel; d'cau ont bien éclo.bouss6 les roues ot même h\
carrosserio que vous a vez netloyéo avec tant d'ardeur,
mon pauvre lexis ...
- Oh J cela importe fort peu, Mdd fl ffiois\llle ... Je renlN
'rony?
�8
L'OISEAU n'A nIOUR
- Oui ... Je vais m'3 réchauITer. Papa esl au château?
- Il travaille dans son bureau; il a recommandé de ne
[Jas le déranger.
- Merci.
Odette sc dirigea vers la grande bâtisse qu'elle appelait, ayec un peu de vanité, le ~ château ~.
D'était une ancienne demeure seigneuriale, plutôt r~me
que palais, mais pleine d'apparence, cependant, avec ses
fen ,ltrcs à meneaux et son lierre qui s'élançait le long de
la muraille et grignotait la pierre patinée. A une aile dl'
celle construclion d'aspect trapu, se dressait \lne tour
ronde, seul vestige dcs organes de dMense de jadi ' .
M. dt) Mandanne l'avait prise pour lui et avait organi
3 ~
SOIl Lurrau au promier étage, dans une !;raude allée aux
fenêtres il potits rarreaux coloriés et })ordés dt) plomb.
Odette regretta qu e SOIl père rOt occupé il ses études, ù
co moment.
Pourquoi?
Ello n'aurait su le dil·e.
IWo éprouvait, confusément, le désir dt) s'épaneher, de
parler de son court voyage, sans incident., à Orthez.
Son père, avec elle, se montrait sou vent rud o, surtout
lorsqu'il souffrait de son épaule droile sur laquelle, pré·
tendait-H, un ,'humaUsm , p('rnicieux s'acharnait.
Odette pOnétra dans le hall, prt:scntu distrait menl ses
mains à la flamme d'un feu de bois.
Puis clle alla dans sa chombre poser su poTIsse, plein.'
d'une arnerLumo qu'elle n'arrivait pa~
à s'expliquer. Elle
e
f"ornm !:'Df;6
essuya do reprendre un tl'..lVall de hrod~i
depuis longtemps, mais li) l:ti s~ a bientôt retomber. Bile
consulln du regard les livres qui garnil:lsa.i enL sa }Jiblo~
thèquo de joune fllle, mais e)Je no trouva pas d'ouvrage
qu'elle aurait eu plaisir à r elire ...
Alors olle 80 mU à Jo. reuGtre.
Devant ello s'étenùait ln pelite cour, irrégulièrement
pavée.
A cc moment, Alexis sorlait de l'éeuric, apr~s
avoir
bou cllonuô Je cheval.
�L'OISr:AI' D'AMOUn
9
Elle aurait /limé en Lamer une conversalion avec lui,
mais eUo n'osa pas, car elle avait, instinctivement, le sentiment des diiJérances de classes et, des dislances à garder.
Au delà de Ja cour, poussait une haie el, derrière, quelfjues arbres barraient l'horizon de leurs troncs étriqués
et de leurs branches dépouillées.
Odette laissa un moment son âme, vide de Loute pensée précise, vagabonder au milieu de ce décor emprtlinL
de Lristesse . .ulle sc sentaiL dans un état extraordinairtl,
die auraiL voulu s'élancer hors d'elle-mCme, connaltre du
nouveau. Dïmmenses aspirations, à peine douloureuses
Jans leur insatisfaction non ('xpriméc, bouillonnaient en
son 101' inLérieur.
Soudain, elle leva la tôl.e.
Un bruit peu ord in aire $(1 fl.issit enlendre dans le ciel,
ronflement grandissant.
Elle fixa j'immensilé vide de l'espace. De grands nuages
gris s'etnIochnient, el leurs lambeaux fuyaient, entraînés
par 10 vent.
L'air avait une odeur do feuilles mouillées avec un
arriùro· goût de brise saline alLenué pal' la distance,
déjà grande, de l'OCéOll.
La chose apparut , so détachF.ml lcntompnL BUf le rond
terne ct gl'is du ciel.
-- Un tléroplanfJ., ,
11110 avait murmuru ce mol avec lin ';lonoement
troublé.
La l'éputalion des oispuux mécaniquos, pilolés par dell
('uLhollsiasLes qu'on commençait li n~ plus tl'aiLer d'insenaés, s'étenùait peu Ù pell. Chaquo jour, quolqu'uo, citant
SOn journal, r IppOJ·toit lm; fuils et gestes d'un uviateur
('onnu, comnwnlail un exploit projeté.
- Un aGroplano .. , répéta-t-ell ,,, el il lui semblull
'lu'un rùve IlO réa lis a li. , prenn..it une forme visible, presque
palpable,
1:n elTc!, l' Iiparcil volait ,sc;cz bn'l.
Odotte pOil,> \ il l'elui qui pilotai!.. Elle l'imagin jeune,
�10
L'OISEAU n'AMOUR
beau ot fort, valeureux comme cos preux dont on ne lit
pJus l'histoire quo dans les livres d'imilges pour les tout
petits enCantil, et quo los jeunes filles lisent pal'Ioi;; avec
émoi ct en so cachant, craign::;.nt qu'on ne se moque d'elles.
Tout il coup. J(I bruit du moteur cossa.
Cc fut bref; le temps d'un éclair, l' apparoi1 piqufJ. du
nez, ùrolt au sol .
Des branches, brisées par la chute ùe la machine, flrent
entendra dans l'air vide d'oITroyables craquements, cependant qu'une bande de corbeaux, effarouchée, s'envolait
avec do lugubres croassoments.
'Odette ne put s'empêcher do pousser un cri d'horreur;
elle recula comme si le bel a6roplan , un inslant aupari,l.vont si plein de vie el d'allure, s'étai t brisé à ses pieds.
De fail, il no gisait pal) loin, à trenle mùtres 11. peine de
la maison.
- Alexis r ria Odette, au secours 1
11 avait entendu la bruit affreux. Il 50 précipitail à
Ü'avcl's lu cour, franr,hisR:lit la haio coupée d'un étroit
pussnge.
Le JaI'ùini r aussi, sorlit do lu serre, sa bOche à la main.
so dcmdl\(hnl co qui vonait d'arriver. Qu and il eut compris, il buntlit à son tour, lenant loujours son outil.
1:. SOUÙUill , UII longue lrmguo de Cou jaillit hors du
cadavl'(> du 1,,)1 oiseau frap pû à mort lécha des br~n
c hes
qui se lordirr·nt.
'
Odelle 50 voila les yeux de ses mains. 1.0 l'GY' qu'eI11l
v_mail de voir Si~ matérialiser s(' rüvélull am;'lilOt cornlne
III plWI ll'Ïslc d c~: l'éalilés.
t- ell!) .
- Lo rnullH'uroux r !IU I !;I~a'
EJl f) !lorLit ,l so n tour Ue!lll ehambrr , en courant, et
l' rÎulll l'ülluIlIl.nt : Il Un n{-foplan o ell fou r ... un uéroplarw
l'JI l'cu 1 Il, rnuis son crI déeh iranL n'6vuilliliL nucun écho
dans lu maison. HUlls dout.o, son père n'u,ui l rilfl enlendu,
luut occupo nllX: leetuI'cs qu'll faisait, dans sa :l tom' du
Montaigne., 'ommo il di!luit.
Quand ello arriv .l flang le parc, Odt)lte vil 10:.,; silhouette,>
d '.A J l' },i~
ut du jarcIinlf'r qui gesLiculuicnt SU I' un tooGl de
�J~'OISEAU
n'AMOUr.
flammes. Le jardinior, a vec sa bêche, ramassait oe grossc,.;
de terre et ICb jetait sur le brasier, bien inutilement, selllbhtit -il.
Ah L.. Alexis S'élançait au miliell de la fumée eL revonait en arrière, plié en deux et tirant quelque chose à terre,
très leJUrd.
- Alexis à retiré le pilote de son appàr.iil , SC dit-clle.
Et à ce moment, elle tra versa la haie, sans souci de sa
robe qui tra înait On s'accrochant uux: buissons.
Eme arriva bientôt à quelques pas de l'intendant l1,ui
s'était agenouillé.
- Attention 1 cria-t-il.
L'arriére du fuselage de J'aGtoplane, l'lui Mait resté
redressé, s'éeroulail au milieu d'une pluie d'étincèlles.
Des paysans arri vaient en se hâtonL. Ils avaient "Vu l~
chute verLignouse ct ils venaient, avides de savoi l' ce qUI
était advenu du pilote.
Ils s'interposèrent entre Odette ct le spectacle du
l'note~
d6sastl'e.
Elle n'entendit CJue leurs r éflexions.
POUl' sûr, disait l'un, il ost mort.
-- Voyez cotte blessurû il la têto, romarquait un autre.
- 11 est tombé d'uu moins d"ux cenLs mètres, ajoutait un troisièmlJ ; de colte hauleur, co serail mira clé
si ...
Ils s'alTairaient. maladroitement., surtout oc 'upés à 6noncel' Jeurs opinionB, vonus plus on (jUl'ieux qu'on sau,'!! -
teur::;.
La chose était si nouvtJl1o pour aux 1 lis avoionl peu
BOUvont Vu dos aéroplanes, quoiqu'il y l'uL un centro
l!'aviation miliLairo à Pau; cl la promièro fois qu'ilS
QVruORt l'occasion d'en apPNchor un, co n'éluH qllo pour
contempler Mon cadavre. Cel appul'oil surnalurel se montruit à eux comme uno chose efrroyablornont périlleuse et
menacé!) de la fin la plus cruolle.
- Laissez-moi passer, suppliait Odette, qui rovenail de
ROll premior momont d'horroul' ot de surpriso.
Ll1e rônsslt dilUcllomonl il sc frnyer Un pUl;sage.
�t'OISEAU D'AMOUR
L'homme était couchli sur le sol, Inerte, les vêtements
en partie brûlés, une longuo ligne de sang en travers du
front et coulant le long du nez. Dans son immobilité, il
3yait la beauté do ces chevaliers héroïques dont on voit
la slatue, sur leur lombe, dans certaines églises.
Odetto tomba à genoux. prés de lui sans qu'elle l'eût
voulu; elle toucha le front ensanglanté, de sa main, ot
manqua s'évanouir à son contact.
- Madomoiselle, lit Alexis, ne reste:/: pas ici. .. Allez,
les hommes, aidez-moi à le transporlCT au château, en
douceur, s'il vous plaît ...
Et le funèbro c.()rtègo s'achomin:l vers l'habitation de
M. de Mandanne. Odette, chancelante, le suivait à
(lUelques pas en arrière.
CliAPITRh: fI
L'ÉTRANIif: Al'TITUOE nE
M.
01.: MANDANN&.
Les paysans, après avoir dép03é le eorps du blessé ou du
mort dans le hall, so retirèrent. On l'avait installé StH' un
(:unupé, 10. tête cal60 avec doux gros oreillp.rs. Son visago
a vait la pâleur du linge; seul, 10 sang meltll.it uno noto
r01lge en travers du front.
- Vit-il encore? sa demanda Odolte Gn tremblant.
Alexis ôtail penché sur la polLrino du blo'>86, qu'Il avait
découverte on coupant, avec la. délicatesse d'une mère,
l'accoulrement d'uvlaleur. 11 cllCrchn 10 cœur de la mnlll,
ne sentit l'ion aL hocha la têto, Le rogard (l'Odetto ôtuit
~ \Ispondu ft chacun de sos mouvemenls.
Pour en ovoir le cœur net, Alexis se décida à appuyol'
'Son orolllo SUI' la poitrine de l'homme; il écoula un long
mOIU~nt,
l'n retenant su respiralion. Bllfin uno l~gàro
luour
passn dans :;('$ prunelles.
- Vivant? s'inCorma OJoLto qui aVDit 3uisi Jo ffl iblu
oclat do son l'egal'J.
- Lo cœur bat lrès Caibl('mont. Mllùerno;s '110.
�L'OISE AU n ' AMOUR
-
13
Eh 1 bien, nous le soignerons, nous le sauverons!
eé ~ait
envahie d'une joie exubérante qu'elle ne pouvait
pas pldnement expliquer par la solidariLé qui lie t ous les
êlr es humains enlre eux.
- Catherine, crh-t-elle en rentrant dans la cuisine,
domaine de la vieille servante, avel.-VOUS de l'eau bouillie ?
Non ... non ... inutile de m'aider , je la porlerai seule.
Avec douceur, ct en réfrénant avec peine untremblcment,
Odetle tampon na la blessure du Ironl ; elle s'aperçut bien
vüe, et combi en joyeusement, que la lign e de sang n'indiquait pas une blessure dans toute sa longueur, m ais n'avait
fail que jaIllir d'une étr oile plaie à la tempe.
- Ohl ce n'est rien du tout, un tout petit trou Ilâchat-elle naïvement.
-- Ne croyez pas cela, Mademois'!lle, fit Alexis douloureusement.
- Mais non, mais non ...
Elllo cherchail à so tranquilliser ùe sa constatation; elle
s'im~nat,
inco
~cie
m
e nl,
que la blessure n'aurait que
la gravit6 qu'ollo souhaitait, quo la naturo suiv rait
son désir. Lo visage du blessé , 60ignousement lavé, avait
moilleure allure. L'infirmière improvs
~e
avait élu commr.
hypnolisée par la grande b alafro rougo; maintenant qU'fill e
l'avait fnit dispara!Lre, olle croyait la ,iclimc de l'accident
très près de la gu{mson.
Elle dut vile déchanler, œr, lorsqu'ello voulut ôter
quelques lùmboaux dovêlcments, elle s'aperçut ql 'ils élaient
collés t que, si 0 110 les lirait, la chaU: ùevenuo rouge el
tuméfiée se déchirarait.
Ello passa sans transition dans un morne ablllcrncnl el
:;e mit à pleurer: • Nous ne Ir sauverons pas ... »
- .Mnis où rst Aloxis ? crin·l-clle.
Calherine l'inform a qu'il vOl1..\it d e partir o.ve~
ln voiture
u ln rl'cherche de l'abbé Grolière. La pensée que le prêt re
allait venIr fut com:..'u' un baume au cœur d'OdeLLe. En
oJTel, l'ubb6 Grolièro, il la p:'l1'oisse de qui clle appartenait,
Hait un ~u v!Ul
homm e. Médecin d'8 ûm ' B, illl\'Hit VOlÙU
(,]Ilvonir aussi celui del! corpil. Il !;'é tnit mIs .lU lr.I\'.lil avec
El
�L'CISEAU 'DA~lOUP.
acharnement, et'I aux instants que lui laissaient la direction
de ses ouailles et ses bonnes œuvr
~ s de charit6, il &0 livrait,
à l'étuèe de la médeoine et do la botanique. M~me
qU'lr.q
il préparait son sermon du dimanche - ce qu'il faieait en
se promenant ~ur
les rout('~
- il n'oubliait pas do cueillir
des plantel! médicinales, et il rovenait au presby~èl'Q
avec
uno brassée do n~ur8
ct de bonnes paroles épanQu· à la
pensée que, dans sa misérablo mesure, il aUait réconfortel'
de Dieu, ses fl'èros.
les çf(~atures
Alexis le ramena un qUÇ),rt d'heure aprè!!.
Odette revenait de la tour de soo. père.
- Oh 1 bonjour, monsieur le curé, jo suis oontentr: que
VOl,lS soyez venu.
- Bonjour, mon enfant ..• Alors, la Provi«cnce ~ VQ~l\1
que vous aecouriez 1,10 audacieux?
qU91
- Eh oui, Monsiour 10 curé ... et je ne savai') p~
p'msr.mcnt lui appliquer ni quels romèdes lui pr9dj~l;\,
Y~lçz
vito la voir.
-- Il cpt (lans 10 hAll?
- Oui, là, sur le canapô.
~o
bon curé 6~ablit
r~pjdemn
$Qn çliagnO$t\C, ~ba1,()h
un plan (10 Intte contre 10 lIIal.
"lexis ~t Odette, anxieux, l'obse\'vaiont. Odetto df,lmo.n.
{la:
j
-
Eh bil'n?
pu
- Lo;) );ll'ùl\lres ne sont pas (lulllii gr\1voij quo j'avQ.i~
imog:m \' <l'après 10 récit d'AIQxis. Elles IlQf\\ pour la plupart c,1\l prcmiCl' (legré. !!.ln revanche, leI! ble~s\rO
proçMt~s
par la chute !.L par 1c3 débJ'Ïs ùe J'lIp~arPi\
mil tlcmblont
'\tlsez prorondes ..•
,\100- AVN-VOllS :J.prorté les muùicaments n~cso.ir\l,
!>lieur le curé?
- Hélns 1... Non, je n'ai pas de pho.rmuoiç. M(\ls nQu,>
CIllons (mploycr des moyons de bon~
ft>101\lOa. C9 qui 00
veut pas dire qu'Hs 1\Q sQienL pas d[lCaCOll, Alexis, voulezvous aller nw ch~l'çer
(lu S\lvon blullC de MnrscUlc?
l cçou\lc'z-lc, pour qu'il soit plus Pl'Op~t,
ct taHQs Yi~c
Nép'Her un mél~nge
do vin ch\lt1ù bo\l\\li f.>L ~'R\,
l)otlilli\l
�t'OlstAI! D'AMOU!\.
15
également. Odette, n'avez· VOus pas dans vos armoires du
linge bien lessivé et presque usé?
On lui apporta cc qu'il avait rÔ0lamé et il se Inil fi Sâ.von·
ner abondammonL les plaies a ve..; 10 savûn eL le liquide
Liède. 11 demanda o31Icore ;
- Alexis, allez battre deux blanr,s d'ŒmIs ct une cuillère
d'huile d'olive; cela a une grande VCl'tu contre les hriHures.
Il recouvrit les hrûlures a vec le m6h.nge, puis il pOM la
tOile duucement sur 10. chair meurtrie, plaçu sur certains
endroits du coton hydrophile ct, finaloment, l1xa tout cola
à l'aide de bondes de flanelle asseL: serrees.
Il avait une allure angélique en acompli
~s alt
ces geste;;.
11 BC roleva alors, ayant fini.
- J'ai J'air d'un rebouteux, souriL·il.
Mais, soucieux, il énonç tout haut la fin d'un mol'lOloguo intérieur:
- Quelques brûlures se sont transformé os en plaies ct
n doit toujours 'raindt'o de l'infection, des abcès, dos
f1h1l.lgmolls, do l'érysip610 ...
- Oh 1 c'osl o.troco, nt Odette.
- Non, ma choro enfant, je viens de vous débiter une
suite do noms que j'ai appris nllguùl'e, cl comme ncolier
enlhoudùsLe que je suis, je me gl'iso des mots de ma leçon
lIouvelJo. D'ailleurs, l'hommo n'est· il pas 6lernûl!emcnL un
éColier? ne fait-il pas lOllte sa vie cette rcchorche : quel ef>t
le chemin qui mOne 10 plus sûrement li Dieu?
- Je prierai pOUl' qu'aucun de ces maux aux noms $j
lo.ida ne sc produise.
- Vous aVOl ruison ... moi aussi jo pl'irrni. .. ot je soignerai votre blessé. J'ai tl~i
cornll1U je crois qll'jl est bon,
pour les pla.les graves ... MainLenant, il nous fuullr:\Iliiporter
Cil jeune hommo dnns un lit.
- La chamure drs invit6s est libre, sug;;-6ra Alexis.
- C'ef,t celu, dit Odette. Alexis, allet chercher le jardiniùr
r,our qu'il vou.; aido il monler co malhoureux.
- l'as d\l tout, se r(;oria Je prûlre, je vions do faire le
lTu'ldccin -. ,)11 1un m6ù ecln quoleonqne - jc pourl'ai aussi
})iell tolire l'infirmier, t mêmo mieux.
�16
L'OISEAU D'A~IOUn
Et il prit le ble ~5é
sous los bras, pour bien montrer la
ferme intention qu'il avait do porter lui-même son blessé.
Aloxis saisit celui-ci par les jambe.>. Odette monta devant
eux, poussa la porte de la chambre et ouvrit le lit. EU,)
sortit pendant qu'on couchait 10 bless6.
- C'est lln officier, dit AJexis eu revenan t..
- Un officier 1 ré péta un 6cho dans le CŒur d'Odette.
Comme il deyait è(rc beau dans son unHorme charnaI'ré,
;Jvec son pan talon l'ouge el sa veste Iloire à brandcbourgs.
- Votre père va êtro biw surpris en revenant de promonade, remarqua l'abhé Grolièro .
- Papa n'est pa i sorti, JI est dans son bureau. Quand
VOlIS ôtes arrivé, jo revenais de chez lui, ou plutôt je vent,lis
de frapp er il Sa porte.
- Alors, comment 80 fait-il?".
'- J'ai wtendu qu'il nriait : « Laissez-moi ». En erIet,
il avait recomrnand6 qu'on no 10 dérangeât point. J'ni
frdppé plusieurs fois en disant tros fort: • 11 Y a uo blosso ",
mais il no do\'ait pas on tendre car, il travers la porte, me
pnl'venoil nt des prote:;tntions de sa part contre l'importun
qui venait troublel' ses travaux.
- Ses travaux <l\anc(:nl-ils?
- Je crois ...
- Mai:; no vous en parlo-t-il jamais?
- Au contrairo, il (Jst SilnG cosse en train de me rend ro
compte do SC:i rc herchos, d'6num6rer des dates at drs
noms. Je no 1'6.;oulo plus. Papa est hf')rr iblemcnt onnuyeux
quand il parle do son« Histoire d'Orthez ot do sos onvirons •.
- Chutl chutl VOliS èlos uno nllo biellpeu respectuousJ
aujourd'hui, co rue semble.
- Voilà papa.
gn effet, 10 comto Oailtnn do Mandanno arri vait. Assez
gl'and et gros, il resp irait la force ct aussi la rUÙ:3SIIO,
presqu\l la bruto.li lé. Il marchait toujout'S roide, la tète
haute, ses sourcils épais un peu lron
cé~.
Il portait ce jourlà sa viei lle robe de chambre, par-de"sus sos habils.
- Bonjour, Monsiour le cur6, nt-il d'ulle voix qui davait
sa voir commandor. Comment ::ùJOl:- vous?
�L'OISllAU
D'AMOUR
17
Il tendait 1>a main gauche au prêLre. c<' ltù- ci savait qu "
l'auLre bras le faisait 5011llrir. Plusieurs lois même, il ava; t.
proposé au comte do Mal!danno de lui procurer quelque
emplâlre do sa fabrication pOUl' flon épaulo soufIrante,
mais touj01lrs 10 comto avait refus6 de so soignor ou soutoment do sa laisser examini,r.
- Bon;oul', Monsieur . de Maudanne ... ,\lors comment
.
mnrchc coll,;) « Hi5toire d'OrLhet .?
- Ça no va pa~,
ça ne va pas. Et, tout à l'houre, on l'st
V((IU me liérangel' au moment où je commcn',:ais Il mcLko
rues idées au nût, J 'ai complètement perùu la ru d,~ m-::s
pensées. Pourquoi est -QIl vùnu me dérangor'(
Le prêtro 50 chargea de lui répendre.
- Parco qu'il y a sous votre toit un hhs3é.
- EL qui? Alexjs? le jardinier?
- Nulloment .. , un nviatcul'.
- Un avÎ:l.lcul'l ... El pourquoi diablo ost-il venu se fair,.,.
~oigur
ici?
- HOlt aéropluno s'est br:s6 ù cont pus uc votra tour.
- Où cot homme s' tt'ouve-t·il acllloHoment'l
- Vons lu ('hambro cl'amis, pnpa.
- .Je \';lis 10 \·oir.
L!l comte, Je eUl'tJ el. Oùt:!.tc enlrèrenL nans la pièce,
Lo bluss6, lu fronl <!utQuru do loile, blùlll() ontro los dr'lp!!
hlun ' ~ (IL laÏ'Jsallt sorlir un bras cntiicr-'men , band6, rcspir,ât,
'
avec difn, ull é cL geignlliL doucement, la /)'Iucho
cri'-p6,·.
'\r. d· ~anclu
) l'obsenu ('n cloLail , sms que sor! vj1iDg'
1~ 'moignûL
la 1llOinùl'c ôJllollün. II détourna, lell'.ClIlt'n t., SOl
Y"\JX 011 lit ct sursauta.
I! no)jt cl,) VlI;r, /;ur le do~il'r
d'uno chaiso l'uniform')
pitoux oLaL, mais J'cconrt'\Îfi;.;uI/lr) .
militairo co fol'~
- Un oCtlder 1... ici 1
Eh bll'n, Monsieur ln comte?
- Je ne \' OUX polll cJ'oft1cior ici 1 cri., -t·i!.
- Plus has, de gr(lcc, Pup",
- JI) vail! rht'l'chcr AIc.xi5 ct lui donnûr l'ordro dl'
1\:mOlcner ...
- J\lnit. Oil, ,\Ion q ic1\r III comie:? ...
�19
L'OISEAU D'Ab/OUn
- 1\ llnporte OÙ, au diable mêmo ••.
- Apaisœ·vous, je vous en supplie.
- Non ... non ... pas d'officier.
- Pourquoi?
- J'ai mes rais<Jl1 ,
- - Alors, vous ne voulez pos 10 go.rder? Vous ne voulM
pas?.,
M. de Mand;mne répondit froidem"nt :
- l\on.
CHAPl'l'RE 1Il
VltlLLE lIISTOIRE.
Ce Girr.plc mùt ne se pouvait justifier rzuQ si l'on connaissait l'uistoire de la vie do M. do Mandllnne. En un
iu.)Lont., do l'ait, 11 ,anait de Io\iVlt, ou plus o:.ractcmenL
de raIJ8cntir son pUf:!s6.
11 Mo.lt. 1\6 à. Bordeaux. Sa famille, llfSt)l. riche, y l'ai~djt
grande figure, poss6dant un splendide hôtel ùans 110 ' des
j'ues los pius jJl'IJos du e6ibIJre porL françaiJ. Rlle possédait.
rians le SUd-OUQ5L ür la Frunce, un certain nombre ùe
vj;'lIoh1~s
cl <10 prol'i6t
, ~ dont colle maison de cUlnpag-nfl,
pr(', J c;'UI'i,hez, où 1. de Mandamw 6t'lit \WU 8e \'JUror
<l''PC r.:l Illic.
LO,ÎOlllHl Ga(llan, dès SiJn plU!; jl>llOO age, bD f.>v61a COlTlllle
uu l'~ro
bruy:;ut 1L \olonLul:'cl, lOlljOUl'S prM à la ph'fJ des
Botti-,(3 ou rlU plu otl'.1ugo deR caprices. PJU'lieUr5 précepjl'>Urb, chargôs de !jOli 6ducnllon, 50 rclil'ùrcnl, renoç~lOt
0
tirer do lui quoI quo co soit ou il provOlluor, che]. <:ûl cnfant
impulsif, 10 moinùro ~;(ltJmcnL.
L'un d'cu1-, pOlll'l:mt, r6u!'lsiL. C'bLait un' jeune éturlÏ'1,nt
qui, )ll'Ü, de lIl ' IUril' du t't'lm, se Lt'ouvaiL disposé il s'aecrocher à la moilidN plDncho do sulut, quand MUtO do MandJJmo vinL lui dem,lllùcr do s'occupor Ju SOll fils, Cl ce
gOI'nl'mcnt », dis:liL-eJlo. Mais dans co moL gartll!l1umt ontfnit
lmll gr;lOc1o port d';t·lnüraLion. }:;n lui rovia
~ nt,
et ello l'Il
étai l Ji"~re,
fjCS n ' ~èl / l'(;s
lJoul'Jlois, ces durs Il cuiro, c(ùùbl'us
�L'OI3EAU ])' ,UIOUR
19
pa .. leurs luttes au XV1$ siècle. Elle offrait une place difficile au jeune homme; honnêtement, <llle hli présenta toukll
les dllIlcultés, tous les ennuis qui ['o. ltendaisnt. Il accepta.
Il sut connaître la mture d'l jeune comte, s'adapta à
elle, parIois satisfit les caprices do l'o.dolescent, mals souvent i"éUMit à les onnihiler on les déviant. Pour se . ~I\jre
aimer
de son élève, qui avait dé-jà quinze ang, il consentit ù parùonner ct, dans certains cas, à partager los fredain.es de
l'écolier. L'autre, on compensation, voulut bien quelquefois
po.rtagef le travail de son maître. Au mÎiieu dû l'étonnement génér<\\, il fut reçu bachelier, avec un an de retard
son16meat SUI' ses condisciples studieux.
On 50 disputa le jeune maître, héros d'un leI miracle, et
Il acceplfl un poste ùans une famille bourgeoise opulente.
IllÏgoï.'lle Gaètan 10 regtl~,
car il s'était atiach6 il lui.
Pour l'oublier, alora, il Oft at -- comme on dit vulgaire·
ment - q do toules lèS coulours n. Il but, joua ct s'endelta . .Finaloment, il s'engagea dun', l'arméo, ct ceIu, a \ .. c
l'impétllosilo qui lui était habituelle.
Il n'nvnit jamais [:lit la cannai sance de la discipline; à
l'armée, on MC charJeu bion de lui montrer n quoi elle
do se révollt'r, mais
consisttl it. Au début, il souffrit, C:iS~yu
~ut
birnlôt mulé. 11 dem:mda Il ~tre
envoyé en Algérie. Là,
Il se dislingua ct prit lino hauto opinion do lui·même et de
SaIl régiment, comme tous coux qui on~
,jlé un Afl'ique; il
s'eu glorifia suuyent pm' la suite, mais dans ce cas encore
on sut rnbatlre son orguuil. Il devint un cxcdlcnt oftl/;Îf'r,
Lri."111éru de digciplino.
Et puis un jour, - coup do tHe, COIllme clam ga jouni>SS", - il décida do rentrer en Fran:c, où j'a l !.l'ndait ln~
carrièro moins glorieuse et moins fertile cn accusions de sc
!airl,l valoir et d'obtenir a illsl do J':lYl\Ocelll['nt.
On lui fit l'obfèction, il r6polldil. :
- Je veux me mnl'it'r.
lI/ut nomm(: à Lyon. A BorJlluu:r, ses puronlJ averti:>
de sos projots o~ r6collciliés :\Vcc ce fiI!f qui avait fait par·
let de lui d'uno façon glorieuse, lui aVfiienl déjà irouvfl
plusieur ptlri~.
~tI.
mère, mruo.ùroi.leUJeot, voulut lui don-
�20
ner de.:; conseils; il se cabra, ct un mois plus ta-:-d, par
défi, Il épouça une jeune fille qui sorlait du pensionnat ct
qu'il a\f:ut rLlolÏo par sa prestance.
Son Rral,d ·père, qui snut toujours eu un faible pour s.on
.remu .ml peU -ms, mourut 0. ceUe époque et lm léJua, en.
pro~,
. uno lortunc assez considérable grâce fi. h~ljH'e
il
put instiller sa femme à Lyon, dalls un magnifique appar·
tement d s environs de la place Bellecour.
Une petite fille naquit l'année sui \'ante,
, On l'Hp pela Odette, et sa venue emplit do délioc."S le
cœur de lu jeune mère, 1~l
effet, elle commençait à éprouver une dl-ceplion il. l'égard ùe son mari, Il se monlrait
terriblement autoritaire, ;:e !>upportn.it pas d objecliou et
voulait eire considéré COlI1nl e lin hommo irr6prochaLJle.
11 tenait à conserver cllez lui le prestige dont il jouiss.ü t il.
}>arm~e,
La panvrJ Lrnrnc ~e rep\?llt tlit parfois de son
mariago si inconsidéroJ, mnis elle lI'cn bisso.it rien para'tre ;
toujours douce et a·mo.blo, olle plinlt dovanL la volnt~
ùe son époux el mallre. I: ~ Jl IJ nc hti cu VOlluit pas moins,
réunions
Çlepcndnnt, une ndmirnlioii imlnlllSfJ , cnr dans I~s
m()ndaines qui opporltücnl \l11 Jll'U d" lum lùrc d ~ Jns
sa vie
reluti\'erocnt Jlolltlùre, il SI) monlra il $ OllS son vrai JOUl',
bNl.ll parleur, hon d<tllil', m', eXI'cllent IIlt\ltre do mni!!u,l,
LaIs que furent ses ü1ûux.
Quo.nd son m:ll'i d(lvi
~ co.pit-.tioe, oUe l'on',jdéro. tclte
Jl()mination commo louto 1100tUI'l'lJ " , co <tu,i 110 l'cmpèchl1
pas <lo s'en réjOUir fort.
Le comte do Mundunnl! aim ,l la ll"tiLu Odelle à nn
mBnièro, c'ost-l\·dit'ù d'uue façon inlcl'mil'cnLo, tnntOt
éprouvant pOUl' clic do grands éluJl!; do tcnùrc!lso, ta[l\ôt
cris,
10. tl'ouvant onnu:yC1130 11(11' seB joux el 11 Ul' s~
Uo jour, la 11I<'r.: d'Odotlo lOtl!ba malaùo,
Les ro rilloul'!.l 1lûd('n~
de la villo, conIlJ('~,
déclarèrent
quo h' dirn:..t IlO lui convenlJl pns, 10ii autres
l('ll In~.
qu'ullo mauvl~o
" s~
rnil.ttioll produisait ('hoz eJl' no
cmpQlsOnnOrnPDl du ~an l ; qui, ptlur l,trc llJllI, no pl'C!.c;en.
ta.ÎL }1t\S moil s dell lI1enat ·S pOUl' l'avOlIÎl',
Do toute façon, .n changclDc:ut d'air Il' impOBait,
�21
tl<>:SEAU D'UtoUR
Odette avait deux ans, cc qui permettait à sa mère
de l'emmener. Un des médecin:;, réputé pour son bon cœur
autant I]ue pour ~ science, s'imagina. que 10 père alh'it
prendre celte décision d'une fa çon tragi'lue , qu'il allait
se désespécl'oire que sa femme était perdue, qu'il ~l l"it
rer de co qu'elle emmenût sa fillette. 11 voulut cher~
des
détours pour lui annoncer les résultats de ln COMU 1 allon,
cs "ompLant vaguement qu'il aurait l'obligation. douce à
son l:omr, de consoler ot de réconfor ler un malheureux.
- Mon capitaine, prononça-L-il, voire lemme doit •. ,
àoit...
- Doit faire quoi? subir uno opération, n'ost- ce pas?
quel ch irurgien me conseillez-vous? quel est le meilleur
dtl Lyon?
- Ce n'esl pas cela.
- Bilo est perdue?
- Nullemont. Elle doit passer plusieurs mois dans une
villo d'eau ...
- ExclJllente id6c.
- Avec vot rc petite fille.
- Cela va de soi. Est-cc tout Cil qUI> vous 'Vouliez me
diro, docteur '?
-Ouj.
- Voilà qui est bien.
Le bon docteur Mait d6pilé, il flurait aimé que lacomte
Ua~ln
de Mandnnno lémoi311ût do quelquo inqui-Hude.
~ restera faiblr, longtemps ...
- Votro fem
- Ello 50 ::loignera, dit le comte, qui njouta avec un
rira jovial :
- Ella n'a quo Çà Ù faire 1
. Quanrl sa CommA rut piJl'lio, M. de
Mand~
reprit sa
VIC ùe garçon, Comrn!) ji1llis, li pr,)nait ees déJouners ail
m
el>~
d l 5 olIloiers et, 10 5,)ir, i,l ullluit /lU restaurant ; ;),pr~s
cercle. 1.0 l'osto du be1npG, il 10
:" cl ntn('r ses orOres
ét à surveillor avec le l'Qin lu pl u::> méticuleu"'{ leur p"rIail e Ù;'(l'CU( iOll.
quoI, il
P,18SJ,it
::tJ
l'onuo.it
Ù son
il h\ caserne,
lOUjOUfil () 'eufll"
�L'OISEAU n'AMOU!!.
li criti.qualt souvent, ei avec une cortaine aCrlmonit,
subordonnés.
Jusloml.'nt un jeune oIDci')r,' Edmond de Marly, se trm.tvnit SOU!! ses ordres depuis peu.
Le capitainc' du Mandamn prétendait juger un pefllon.
nago à première vue. Jamais, d'ailleurs, il n'av<,.it trouvé
personne qui lui plût entièrement : " Celui. ci est un
imb '; ciio, œlui-là un fat, cot autre Wl incapable, cet nuLre
oneorQ tin demi-imbOcilil (ça, c'était un eomplimont 1) »
Quand Edmond de Marly fut venu p our la prûmièro
foi salner Je capitaine de Mandanno, il reçut une 6Liquette
pen flatteuse: Œ VaniLE'ux P,t arriviste ». Co qui pouvait
bien ltrû vl'ai.
Bn ce qui concerno le pl'cmi
~ l' termCl de c vanittl,n: ",
touL le monde aUl'flit pu s'accorder pour 10 lui ntlriburr.
De Marly d6plaisait., son défaut r;nnLait il la VIlO de qui('.onque. 'fout s sec; phrases comportaient les moLs « Moi»
8CS
ou c J e " ; mêmo lorsqu'il parlait d'actions qui ne 10 toudtaienL on. :\ucuno fnçon, il no man1juuit pliS do dit'o :
• Jo sni!; cru ..... D ou « Commo jo l'ni appris .... D
Il c33'\ynit pnrfoiq de [uiro do l'ironio, mais il 1l't11','i vnit il J J l" ~!io r p ~ I"50nJl~
; )1) sl1ul r6sulLnt. de El s plaÏlmnLrrle!l
ôt.Ait Clu'jl !;() Cuisail. délester ou I,rondt'o pour un l'ur[ai t
imlJ(!dl '.
En lui-m'~nH,
10 mot ~ nrrivil1 () • comport un s'~n
péjoratif. Au d6hul do sa carrière il Lyon, do r. ady ne put
pas pr~lo
il el) ll'I'rodlC ; il Lémoignnseulumcnt d'lin inténsr
rlé!ir d'èlru bien Got6 rt. do voi[' S05 hommf ~ Illnrchel' droit.
TI avait. Je grade do souR-lieulenant. ot Oll1ploit hlcn, en
peu de mois, so voir privé dl' ln particule l'c:sirir,lÎ'/e.
A peine pouvait-oll ('ollsider!' comme inlriglJol'hnbitndu
qll'il avail d'invilc!' a~
mess CCIlX (IIJ b'J:1 grade r.L dl'
rrchcl'choJ' hl ('omJ)
: )~lIO
do sos ~\Ir('i
ut'S , Cil I(>ur pOilant
SOIJvrnt deI! que/Ilions SllI' rios dPI 0115 du ser'li"c ot on
demandunt Ù( S éclair~.omn!
eur Ù('S Guiols techniques.
11 rous~iL
il ôlrl) illvilé aux 1)'115 Ù(l la l'.olo!)elll) . Il avi~
cl('o lai nt!. variés: oC'!ui do fair ~ dnnspr les -,ri ci ]l1'~
dam e'
de f{lçon tulle qU'I'll ns croyaient avoir encoro la J6gcrl'tO
�L'OISEAU D'A~r01JR
23
de lp.ur jeunesse; celui de savoir p<lrdre élégamment a.ux
échecs avec ses supérieurs, apl'ès avoir été bien menaçar.t
pOUl' eux. Au billard noLamment , il n'avait pas son égal
pour perdro ou gagner li. son gco; il 50 laissait vaincro
pllr le colonel qui v(>nait d'ossuyer une défaite de la part
du lieutenant-colone], Et il ne manquait pas, lui, do
Marly, d'écraser à plate couture cc dernier, ce qui donnnit nu colonel nne Lrès grande fierté de son triomphe.
Le capiLaine ùo lI1a'ld,mne n'aimait pas les soir6c3 mondaines, 'fJuoiqu'il y brillât quand il le voulait, et il .c;ui vit
ri'assez loin les ir.lrigùes de soo surbordonn6, 11 apprit pourtanl quolquos potites choso, sm' la vje de Marly, pal'
AIC':XÎ8, son oruonnance ; en particulior que le jeune souslieutenant s'ét-'\it mis à dos toute sa ramille après une jeunesse tapageuse ct lihertinc. 11 vit le point comlnun qui
exislait entro lui et 10 jeune homme; i\ pensa alors que
rclui-ci Hait, comme lui, uno sorte do repenti. Car l'ar'Héo fail de cos roil'acles, ~.:
de l\Iandallnc nourrissaiL pour
l'nrrn60 un culte :u'd 'nt; pOUl' lui, clio était le creuset où
sc forment les héroïsmes ol les dôvouornouls déainLl"ressés.
POlir lui, il n'y avait jamais de traîtro dans l'armée.
Ausi co lui ful une im men<;c déceplion quand, danJ
T.n.l,ibre Parole, du 29 ûctobru1nc:'., il lut cc polit enlrefileL:
« 8<;l-co vl'ui, quo, rôcemmont, un3 arrostation forL impor« 1anlo aiL élé op61'ôO par ol'Jro rio l'nu l.orilG rnilit::ure?
" L'individu ilnN6 serail accusé d'espionnage. Si la nou~ vello ost vrai , pourquoi l'autorité militaire gardQ-L-cll'
~ un si lllnce ahsolu ? Une r6pon'io :;'~mpos
1»
Le tét Novcmure , le mOrne journ"l publiait une man·
chet.te en gros c!l.ract6res: ARRESTATION D'UN
OFFICIE R. JUIll'. On y trouvait ln nom du pr6tC'ndl\
coupable) : 10 capitaino Droyfuc, de l'J!;laL-Huj?r do ~'.\r
!néc; on y oppronait qu'il 6tllit onfermô depUIS pluslour..:
Jours au Cnerclle- J\lidi.
(;'étaiL le tout début da l'ol1:llr1l Dreyfus, c.ol~
aITairt'
qui dovu.ll rcmup.r profondllInl:llt Jo public françai!l, agitel'
toutes 1"3 dussea sociu.los ot créor dans l~
f().mil~s
mf)mo de,> h<:linC's irr6conoili:lbIC'l, ..
�.,'OIP.f,\t; n'AMOUR
C\>st un fait, de Marly cl de Manrlanno ne pouvaient
L'hostililu entre eUl: n'existait pas ouvertemf'nt, mais elle existait, tacite ct sourde. Da Marly qui,
selon i'rxprrssion de 5t?S camarades, • rampait D devant
les autres oiliciel's, n'arrivai. pas à témoie-ner un tel esprit
de servitude à l'égard du cal,itaine. Il le fl;l isilit invo lontairement. 1.3 nature humaine a de ces capric;es insurmontables.
- Dès la premièl'il occasion , je le clisserai, jurait de
Mandanne, agacé par mille mcsquineri(>s.
L'Occ1sion S r) pr6senta bientôt : de Mandanne n'eut
garde de la mallquer. Au moment des propositioll!4 pour
10 tableau, il &cl'ivit en ri gunl du nom du sous-lieutenant
do Marly la mention: « incupable pOUl' Je moment ».
l! espérait le mnle!', I,omme il l'avait 6lû lui-même
nagu{:re.
,
De Mlll'ly 3vpril lu CJUSO do l'échec do son av,\Ilcemrrll
avc~
r ge, el, comme on ponl Lien)o penser, il jura do SEl
Y<'nger. (.'ûtnit la lutte cnll'e le pol de te1'ro et 10 pot do
f('1', :\ cau!:e ùe la. difTérence des grades. La Yongeance
id éalo dont rêvail de Marly amuit été de devunil' le supt'
rieur de do Mandanne el de pou voir ainsi tourmonter se n
I.'rlilcmi. ]\fais, mOrne p;lr Uil 13holll' acharnu, ilue pouvait
(,.iiptinf avoir un uvancement tel, qu'un jour, dans l'échelle
hil' rarchique, il ùominerait so/\ actuel capitaine.
Il décida d'omployur Url tlutro moyerl : la calomnw.
Depuis EcnUffiarchuh;, il n'Elst phlB por,siblc do faire un
autre laJJionu d.o ia calomnie. fJi$Oru; seulement que do
Marl; savait la manier avec uno raro mallriso.
00 p:' ê ta.i~DL
aux ÏJ.}ginual i-ons.
Les clros.ODC~S
L'oJlniro Drcyfuli, qui dcycuai t l'Afiélirc loul courl,
l'chonùissoit. L'illculpa, l'Joi uvait Al6 conùanlM le 19
~iuns,
f:Qmme ,1 avIlÎt
décembre 18%, avait do cllD.udl> pl1'
le:! plus t; l'rihl cs adversaire!:.. Tou!) h; ontcifi l'S , plua ou
Inoins, ~('nhjct
eH qu'Il y avait de : rouLl o dum la clJnJuitc
do l'onquflo, d'ilMgal dI/rIS 1\)9 fermes du jUgCIOwt,
mois tous aussi, par Giscil'lioo, se rart).;f;'aicnl au. viJr.:lkns
oIDc.:Jclle/l doné~c
~r
l'ÉtaL-Major. On n'o ~a lt pd~
avollu.r
~·cntedr.
�L'OISEAU n'AMOUR
25
Sfs doutes, ni énoncer un avis sur ce que l'on de"rait laire :
une parole lâchée ct prise dans un sens défavorable, et un
officier voyait son avenir compromis, sa cnrrière militaire hl iséc.
C'est une parole de ce genre que guettait de Marly.
Maie; M. de ÏlIr1ndanne ne la prononçait pas. Il avait,
comme nous l'avons dit, un immense respect pour l'Armée
ct l'esprit de l'Armée. Peut-êtro éprouvait-il, au plus
profond de lui-m~c,
une certaine amerlume contre les
procédés qui s't mployaicnt, mllisil n'enlaissait rien paraître;
ln partie raisonnante de son âme étn1t, comme indépendante ct n'avait riEn à voir avec les afJaires de service.
Le temps passait.
Le jeune sI1us-lieutenant, soutenu en haut lieu, obtint
Son tlcu:xitimo galon, muis il n'eut que peu de joie de
('oUe rovanche sans éclal.
15 Janvier 18\JG 1 Un coup do tonncrr3 secoue l'opinion
frünçaisc : Zola puLlie : « J'accuse 1 ~ dans Il L'Aurore ".
'l'uu ll'État- Major est mi~
en cause.
ellt article cut un ret ,nt.l!lscment onorme dans l'armée.
{Jlll'mi los cnmard~;,
de de Marly. Après l'(\voir lu, des
groupos 80 formèrlml, conversant tlVec animati n t t
témoignant une immenso fureur contre Zola, «ce romall·
cier aux livrrs m.alpropros ". Même des officiers QSS<'/.
llaut plC\c~s
prirent pflrt à la discu'lsion. On sympa.thisalt
dans une même réprobation.
Plusieurs rois, do Marly glissa CClt/) l'emurque :
- Le capitaino de Mnndanne n'est pas là ...
(Jn 80 borna li approu ver:
- C'fst Yr;1Ï,.. il n'est pas ID .•. SQDI! doute il cause du
:;ervico.
- Oui ... le 8I.'l'vice, nt de lllarly avec un sourire plein·
de sous-entenduF, que quelques-uns nolèrent.
A c~ mom •.' Il, de Marly eut l'id6!! d'une atroco accus&.lion qu'il pOllrrJ.it porlor s::Ins en avoir l'nir.
Quelques SCIDoiocs oupara vaot, des scribe.'3 Mimés de
rage t:.n.ti-sUmito avaient révisé un œrtain nombre de
Uc1es Ù'" renseignements l'datifs nui.: officiera et sous-oUl-
�26
T.'OJSF-AU D'AMOUR
ciers; ils avaient dé c ûuYe~t
qUIJ Jo nommé Léopold Perret,
ct de Sarah
adjudant-cllOf, ét:.:il fils d' J\.uç:uste Pcr:}~
Colmer.
.
Sarah, prénom à résonnance hébraïque 1
Léopold PerriOlt avai1, du 6ang juif dam les veioes !
11 Y out un décho.lnement contre lui.
AussiLôt baptisé halneusement « Samuel » par ~cs
anciens camarades, il essuya de so défenclro muis, caractère faible que fo.ü se dresser la moindre pointe, il se LrOllhln, se laissa accabler par les sarCl\smes, s'avoua vaincu
ct finalement, p<:r ses paroles embarrass6cs, laissa supec~'
des sontimollLs dreyfusards qu'il n'avait pn~ .
Il dut 50 démottre.
I! ôLait sous los ordl'os de M. de Mandanno. sous-omcir!', n'ayant qu'une -,'olonté : CeHl) do SOS slIpéri.ours, il
obéissait au capitaine o.Vûllglômollt, comlno uu grogMrd
Je taisait ù l'égard de Napoltion.
M. do ,'\la ndanne n'avùit pas Ml: ::!!JIlf! l'ollscnlir une cC'r·
tain" fierté de 'el to obéissOllCC absolue, ct do Marly, sans
10. faire rcmurqucr, ..
A un groupe ('0 cQnvol'sDlion unirnéc, de J.\Jady jeta
un e Ilouvelle fois:
- Lo capilai!l0 de Mllndanno Il'1'3l pas là ...
- Til'n.:, c'csL t'llonnun t, dil un officiel'.
- C'f's ll'ltcure du );ervice, peul-illl'r, av'an.ça un auiN.
- Non, je M crois pas ... lion uel'vico est termlnu,
rc\pondil Ull nommé Knrtas.
)) 1) MurJy,o.vQCUII fBgal"u ct unsourire6quivoque:;,sugl{éra:
-- Il CAt !llmL.M,re encoro avec ~ Samuel •.
Co tul une mèche allllm6e dans un tonneuu de poudre.
- DI) Marly, vou~;
l'avez vu fHlCQrO avec Perrot 't
Le lieutenant lIl'olcsta, mals d'unt' [oçon telll) ql'(~U\
pel'lndLait tOllS Irs soupçons 1
- Mais lion, mnig non, chers o.mis, jo n'ai jl!m9i .. prétendu celu, je n'ai jamais cu l'habitude de mouchar(ter ...
On ne manqua pa~
do pNlllOt qu'il ne voulait. p:.e~
amener
d'cu nui ù. son copitainc, on l'Cl lança dJJl'l une vigourouso
diatribe conLre le fils dg Sarall Golmer :
�L'OISEAU Il'AMOUR
]l)Î~
qu'il Y avait un sale espion juif parmi 110\15,
prêt à nous vI:mdre 1
français qui ne
- Et qu'il y a peut-être des omei~)rB
Ilont laissés ensorcelor par cette race maudite, ajouta
quelqu'un, songeant au capitaine de Mandanne.
- Ne parlez pas des a.bsents, supplia hypocritement de
Marly, orianlant définitivement les pensé~
verl> le comte.
- Si, illaut en parler 1 cria un exalté, c'est l,ne quostion de vic et dû mort pour nous. 11 faut, absolument,
dè" maint.enant, nous ...
- '1'i,dsm:-vous, coupa de Murly, n'accusez pas, inconsidérément.
A col. instant remontoÎollt. b. la lD6moire de tou~
mille
ri ens quo do Marly avnit rapportés sur SOli chef, un mot
qu'il avait prononcé lors de tel articlo, ,IDO N'Ii\nrquo généralo qui pouvait s'intorpréter de diff61'ontes façons "t quo,
de rail, 011 illtCI'prétnit contre lui.
Do ',IArly. ayant inoculé son venin du soupçon dans 105
esprits de beaucoup, ava' l disp:ll'U. Quand on voulut lui
demander def. d6l.ails ou dos fails précill, on no 10 trouva
pas. Alo7s los esprits l'uOévrés el ompoisOI}llés MUrent
des hypolhèsos qui furellt l'DppOl'tô s il. <l'autres pùMlCnnCfl
comlllO des prohaliL,'s, lesfJuollC's personn es los trnnsmirent
à !eurs amis 801lS 10 5('OUU ÙI) secl'ot, C0mIW! dco prilsomptious lrf.s f'll'les,
FinoJf)menl, dcg paroles prononcées sClns fondoment
devinrent de précises ,.ccuS<J.lhns cl nrrivl:r nl À l'oreille
du colonel. Le cl)lond Mail IILtoinL cio l'" llS[Jionittl • : il
voyuit des eRpions p.Il'tout, Ol! phI!! Sirn}IIOIn('nt dOl> cnUflmis dans tous los c()ins ct, dons Il' cas prt'lscnl' des droyfusflrds dis/Josbr-; h 10uI..
L.} cfl}JiluiJlo dl~ Mandannt' reçu!, lJil'nlut, l't non 1\1'11'.
étonnl'mont, colte coude enrlo du (·.oll'Il!'J.
" Ordre (lU CI'Jlitaiflc de Maud/Jlllle d,' pa so!!/' (w blll'I'au du
rolonel,
,e snir, à 18 I,curc.ç
11 alln ail r"l1fln;- VOU.i:
».
lItlf:
fois introduil, il '(\ IIg
Il
�%8
L'OiSEAU D'AMOÙR
dans un impeccable garde-à-vous et attendit qu'on vool1it
bien l'informer de la causo de sa convocation. Elh lill
fut donnéo en quelques mots :
- Capitaino de Mandanne, quand on est drey fusard, on
ne reste pas dans l'armée.
- Comment? mon COIOMI: vous prétendez quo je suis ...
- Je no prétends rien, je srus quo vous êtes 10 critiquo
des acLioM de vos cheIs et quo vous approuvoz leers
dét.r&cteurs.
- Jo proteste avoo... •
- Ass/'z! pas d'hypocrisie, capitoillo de !II nndal1ne,
vous n'allol: }Jas garder votre uniforme plus longtemps.
Choisissez: la démission ou le conseil ~e. guerre. Je VOliS
conseille, pour ma part, 1 démiS3ion qui sauva la façado.
- Mais, je no voux pas ...
- AsSO/, vous avoz 1,8 heur S pOUl' réCléchir. Hompez 1
La nouv elle du 5c:mù::ùo s'était répandue même parmi
Jes soldats d'ordonnance cl, ainsi, Alexis npprit co dont.
on accusait son matira ot commont on avait connu scs
opinions.
QuanJ il le rencontra, il lui dU :
- Mon cJpitaine. edt-eo vro.i quo ...
- Ah 1 loi, aIl moins, lu doutes 1... 'ru ea le soul.
- Alors, co qu'on il tolporl6 sur vous ost faux?
- Abominablement f:m:x 1
Et, nprès quclfJucs iQ!jtunts de lour~
~ongric,
\1. de
Mandanne laissa tomber:
- Ah 1 ru jo pouvais savoit' commC'nt on a pu s'imaginer
quo j'etais un adversairo do J'Ol'nLôo ... un drcyfu!ard ...
absurlie légendo a-t-ella pu
Comment, mon Dieu. ~otl
l'fondre nalMnnco ?
- Jo l'ai suo do la bour:-.ho de Tluuref>, l'ordonnallCo
du lieutenant Knl'tus. JI pw'a,t, quo 1'011 vous Il. vu, tout
récem
~nt,
ell corupagnh: do l'adjutlant-chof PUr!'cl.
- PeL'rol1._.
- Oui, 10 sous·otBciol' juiC.
- Co,l unD c..lomnip.. Quo prétondait-on f!UI) je luisais
avec lui?
�L'OISEAU D'AM OtIn
29
- Vous parHet ...
- Maü; qui a été rnoonter cela, dis, Alexis 7,
du lieutenallt de MWily.
- (.'(1S , il la suite d'une r~maque
- Dc Marly? Et il m'ac,cablait?
-- l'QS merne, il do essayé de rcpen
~ lre
ce qu'il avait
avancé, rnai~
...
- M~ i s en s'o.n'angeant pour qu'ou le croie mal.g:ré sas
dénégations ... le malLre fOl.irbe 1
À1.. de Mambnne prit une d ~C' igon
:
- Âccompagne·m0i dllns mon bureau, je vais éc.rirc
qtle]u~
mols que tu iras porte r.
Tout en suivanL son officier, Aküs l'entendit mur·
tnor~
:
'- 11 mo le payera cller. Jo l:omprcl1l!s son Jeu,
11 écrivit deux billets deslinés à deux oillciers d'ml COi'pS
différent du siCII Ilt qu'il ~vo.it
coutume do l'encontrer au
cerde. Une autre l ot tr~
ôtait destinée au lieutenant de
Marly.
Le lendemain, celui·ci la trouva dans sa. boîte !lUX lettres.
Elle était ainsi rédigée:
v Lieutenant de lI1e.rly,
Vous nll&l. bienlûl recevoir mes témoins.
« Veus savez sans doute pourquoi .
• c..'fat moi qui suis l'offensé moralement, mQ.Î.S comme
à l'à1lroDl, je
personlle ne pont pr6lendre a voit :us i~lé
vous permet .. de choisir l'arlilo du cluel.
« J'espèr.) que vous n'aurez pas l n lûchelé de ,'ous ~6ro.
bpI', vOus ljui savez à merv.il~
omp!oyer la fOllrberle ct
!aire pn~8rl'
pour dreyfusard UD o1lic1er qui n'a jamllis
",talé po.reils senlimp.uts.
• ~'atends
impntiemrocnt lu répolll:Je,
De MondMIlc '.
~
cl~
!Je ~I orly froissa la lellra ct lu jota uu leu, li trrmbluît.
lout son torpB. ]]ienlôt les témoins arrlvèl'Cllt. De
Mnrly clJoisit le pistolet ~u'il
wanlnit avec unc certaine
IiÜl'ol(.,
�30
Comme nous l'avons vu, il avait été tué net.
L'affaire fit un scandale dans les milieux miiitaircs. ;\I.
do Mnndanne, réput6 dre:yfusard et accusé d'avoir tué U[l
'de ses camarades, fut arrêté. Lo Conseil de Guerro c.epenùant ne voulut P,I/; créer uno nouvelle alJoJ t'C, l'Arméo
étant déjà suffisamment att.'lqu6e. Les amis de M. de
!r!anùatffiO firont tous 10ùrs efferts pOUl' que l'affaire ne
s'éLruit.'tt pas. Ils Dccomplirenb toutes les démarche:.
possibles en sa faveur. Le oapitaine de M:mdllnne fut
aCfluittll, mais S,( carrière militairo était achevée.
Quelque chose de celle a:Tairc transpira cepl'ndant, ct
trois OH quatre journaux so) firont l'écho dos bruits qu'on
r6pandait sur le capitaine.
~Ilne
de hl nnùanne, qui fnisait toujours sa cure et n'i·n
Iclirait que peu Jo profit pour e.a Bonlé, ut le malheur Ù"
Lomber sur Hn des courts cntrcnIl'ls relatanl le jugement.
On y parlai l• do u capit::unc né .\ Dordl'tlux, à Lyon depui::
Pl'U de lemps .,. C'él.oiL assùz explicilo pour qU'f:lIe n'eflL
pns de doute sur l'idcntit6 du personnage vi:;é. Celo. lvi
porta un oup et, malgré sa 1aLiguo, ollu décida de partir
pour s:J.voÏ!' ul. pour consolûr.
\1. ùe 1\ :mdnnno avoua qu'II avaiL lu,J un ùe SOB camI"
raùes 101'., d'un duel.
8a ("lI1mo nullement rébbllc restn auprès de lui, Illl:ùgré
une cl'rtnjllO rûpulsion flu'ello ne ruprlmait que par WI
~fTort
de sa volonlé. Un jour, clio vinl vers son mari,
tennnl UIlO 10nb'1l\' l'livc1oppc manve.
- Galitl\ll, qU'l'st-cl'('i!
- M:l!s, \.Ine lettre, jo gago 1 Où l'us·tu tro\lv6e?
- SUl' mon seor()taire ... \lou'verlo dlJ poussière ...
- Ah 1 je me souviens 1 un jour cetl lettro ij L al)riv~e,
pendant ton uhsûncû, lo "oulais te lu fairo suivre ... j'ai
ouhlib ... puis eotto malencontreuse histoiro est arrivée ct
je n'ai pu te' l'envoyer. Do qui esl,-olloY
- Je ne snis paB ... je vaill l'ou 'Irir.
Mm, de \fondalUle lut et marqua une mou·. de ùéVit.
- Qu'y a·t·il, Simone 1
Elle lui tendit la missi e ;
�L'OIS~AU
n'A IOUR
Lit;.
~
M. d,a Iundanne lut à mi-voix:
Ma chère Simone,
«
n y a hien longtemps que nous ne nou~
some~
"i je t'écn.s c'ef;t pour te demander un service.
yues rt
« Le fils d'un ami de mon père et do nt tu te souyieru:
peuL-être - cor tu jouas avec lui étant cnfant - est dRn~
J rn6me r{)giment que ton époux.
« Tu me feras .ln très grâlld plaisir on l'invit,3\\t t1lJelf(Uafois el en le recommandant à ton marl.
« Tu vorras, il e5l charmant.
»
• Il s'appello Edmond de M~t'Jy.
~dr.olù
do Marly!
M. do MAl1dllnno {1'I)n~a
l'Irroct6 :
Jo liourri! "t ('Ut
1l\"C(;
un c.'Ùme
-- Cetto lottr.\ nrl'ivo t.\'OP tm'd ... Plll.!JqIlS je ne clUis
plus d.lns l'armôe. QlÙ t'écrit?
. -- Uno vieille cOllsmo ... Mais on pourrait ccpoudan t
Invitc\' co M. do Marly. Je me le l'.lppnUO maintenant tr~3
hit'n. C'cst 6tonnant COHlll10 les souvenirs d'cnfanr,c VOUE
rovÎrnnl'nL. Je 10 l'ovois parfailomrnt. Nous lltiom, un
jour, tous les du·, Jans le fond du j~rdin;
il Y nvait de
grof.llr:15 pivoinos du plus beau rougo cL il oon avait cueilli
tout un bouquet pOlir mol. 11 1 quelle fess60 il reçut qutuld
o~
out const~6
les d6gâts. ,Jo l1li domanderai s'il ,,'on !lOUVIent. Tu l'invllertlS, n'e!;l-co pas? Évidemment t1l ne
peux plus d'On [IUT,: n a I:lVcur, maL on pout 1 rooovoir .•.
•- ... N'osL· cc P,IS, tu lui diras da venir?
-- Non.
- Hl pourquoi, mon Diou?
lui quo j'ai tué.
-:- Parl)o que 'c~t
~Imon
G'ucroula sur 10 tapis. La plltite Odette M
Pl'tl<.'lpila Sur la corps innnimé do sn môro ct se mit à san\!!()l<>r ct ù l'nppoJrr doucf'mout.
�32
L'OISEAU n'M,loUR
Devant cc spectacle llécllirant, le comte resta accablé,
sans un p:cste. Enfin, apfds do longues minutes de complet
anéantissement mental, il songea il. :lonuer la bonne.
Elle arriva et vil d'un coup d'œil la ficilne. Ello s'u6cnouilla pros de sa maÎtresso, écal'ta Odetto sanglolante et
demanda des seLs. M. de Mandannll n'cn avait pas. La
domestiquo dut GO cont~er
de porter la malhourollso
Rimone sur sùn lit ct de lui bassillor les tempes avec ùo
l'oau [l'niche. Quand la malade ropriL ses sens, la ooubreLto
se Nlira eUI' l'ordre de M. do Manlla.!'llle,
SimOlH) ouvrit le:; yem:, parut lUI instanl étonnée ('l,
aperçut son mari. L'borreur mil son empreinte Ilur SOD
visago eL elle s\'vanouit ùo nouveau.
D~s
lors, la yie devint inLrllnblc dUIIS l'apparlement dc~
on virons do la placo Bollccour. Simone, débilllée par 51
maladie ct pal' son voyago do retour, était huntôo p:''Il'
la ponséo du el'imo do son nu:nl. Il avait l)SSuy6 de 1\11
c~pJiqur
('0 qui !j'ôtait pass6 ontre llli ot de !\1arly; cll.'
n'avall rÎt'lI l'ompris à 1,')ules GUI complications pollli11 11<'6.
Souvent, revonant d'lino prollwntldc nu cours do laqlUlll ro
il éI'Mait cnnuy(;, il la surprt'nnil par son nriv~o
la trou
vaiL on lurm G, Il so r,lpPl'ochait. d'cUo ct v~ul:Ji
lui
~urio.
Ello 10 l'Cpous!> li l :
- Ahl tu me fuis hol'rt)Ul' ... Va-L'on ...
- Simone, 6couto·rnoi ...
- Non ... non ... tos Ulains ont /J ùllAÙ lu morL ...
Ello no pou\aH sc souslmiru il l'horrible vision.
Une (Iutro l'onsée loul'menlait, ln pauvl'o Jcuno fomml'.
Elle répétait GOU vwl :
- Dire quo je SUlt; un pou responsahle do La mort de ca
jeune homme qU? f.ai ~Ilnu
touto petite 1 Si jo n'uvals
pus 6Lô malado, 11 VI\'r.lII, car la leLtro est nrrlv6e pllndJJ1lt mon abs(Jl1cc, avant quo rion d'Îrrôm6dinblo ne !loit
arr!vé . .Man Dieul j'aur;iis pu éviter toul r.cI'.1
Pt;; norrs ne purf'nl rl'Si~L
longLrp~
f\ 0'1.1., nbSI':;sion
Elle dul s'alilel'. EUt: déliril pend nt I1IUt;iours jourH, rn
�L'OISEAU n'AMOUI'.
aB
proie à la fièvre l'l plus yiolenle. Les médecins redoutèrent
une méningite.
Mais un matin, Simone s'apaisa. On la crut guéri<l.
Son mari, pendanl sa convulescence, décida de ne pas sa
présenter à sa vue, de crainle d'une rechute.
Consciencieuse ménagère, Simone, encore alitée, voulut
fairo rMI;9r un peu sa chambre ct, do son lit, donna ses
ordres à la bonne : « Henriette, placez ces lingl?s ici;
ouvrez celto armoire, à goluche, vous trouvorez; une
hone ... »
II orioUe ouvril une porle de placard. C'étail celle du
vestiQire du capitaine. Un magnifique uniforme y ôtait
pendu.
- Ah! encore! hurla Simoun.
Et, dans cc cri d'épouvante, ello mourut.
Son mari supporta stoïquement coUe épreuve, comme
il en supportait d'autroR : chaque jour, on ellet, il ôtait
f'Jueslion de reprelldre cette affaire de duol, la famillo de
III victime ayant perté plain le el, d'autre part, un maltret'han leur, (lui avoit ou venl de l'aITairc, JI) menaçant rio
saisir la presse. Un Jour, alarmé, ùe MandamlO out le
malhour de donner uno üerlaino flommo d'argont ; l'homme
rlevint plus exigeant et d'aulres rapulas do son cspèco Si)
prèbEml~cnt,
L'argent fila ; )e comlo n'on out bientôl plus,
qunnd, pour arr ôter des poursuites, il cul, payê des
dommoges à un dos po.renls de Marly.
n jour, un nuero vint s'arr'tor dovant la maison de
M, do "randonne.
Alexis aida 10 cocher fi dtsccnrlro do la maison lino
mn)]1) maladroitement bourréo par des mains d'hommo.
Le comte apparut, un pou voül6, menant par la main
fIllultlJ, vÔluo d'habits do deuil cL touLe pâJoLle BOUS los
6~olTrs
noir 5. 11 monla dDns )1\ voilure, assit Ode te à
lion côt6.
- Ion capitaine, lit Alexis soud in, gardez· moi avec
BfI
"OUS.
�"'
•.d
L'OISEAU D'A~IOUR
- filais nOll, mon pauvre ...
- Si, mon capitaine, gardez-moi, je vous.en prié.
_ Voilà mon adresse, près d'Orlhez ... malS ne te crois
pas engag6 vis-à-vis do moi. Si Lu trouves une place,
prends-la, elle sera sûrement meilleure...
.
Et M. de Mandalffic so retourna ver!; su fiUo qUI, pal'
inildvertance, l'avait louché do son pied. Il dit, d'UM
voix coupante;
_ OduLte, ne remue pas, ou je le punirai; tu dois Mru
une gl'andc fille mainlcnanl.
Elle no bougea plus ol sc tut COlllmo uno bète ballue.
Sa vio d'enfant obéissanto ct soumise aux ordres de Son
père, commonçait.
- En routo pour la gare, co (',1\er1
M. de Mandanne, vaincu do la vie, l'olournait, On aigri
au pays de sos aïeux , ayant jUl'U do n'avoir plus auc~
rapport avec un homme porlant l'unilormo militaire.
CHAPITRE IV
IL
RIlSTt:
Ce sermenl, le comle l'avail fail sur la lombo fratchemlmt l'oCerméo de ea femme.
Pour la premièro fois, depuis seizo UIl, le sort la
mettait en face de son engagement.
11 y avait, bien inst~lIé
ùans un lit du château, un
hom~e,
un amas de chaH' sOu~l'ane
l'éclam;.mL des soins,
cl lUI, de Mandanne, ne ~oulat
pas 10 gn.l·der. II exigoait
qu'il s'en allât do choz lUI, comlllu on veut 6carLer do soi
les fantômes qui hunlent vos mauvais rÙvoB.
L'uniforme s'étalait sur lu chaise, s'imposait.
Le bon abb6 Grolière ruvinl ù la charge.
- Monsi~r
lu Comle, je m'étonne prefond6mcnl de
votre conùUlte".
- i\ volre gré.
- Non, ne parlez pas ainsi. Rô06chisscz un instanl.
�L'OISEAU D'AMOUn
3')
voilà un homlOo mourant et vous voulez le repousser ...
est-cc là le devoir d'un chrétien?
- Et aussi, Papa, il est impossible do l'ommeilOr. nous
n'a vons pas de voiture où l'on puisse le portor couché.
- Qu'on aille en chercher uno ... Aloxisl
- rapa, ne fuis pas cela 1
- Monsiour le comte, jo 'ais appel à vos bons 3enli·
ments ...
- Je ne veux ri n on tendre 1
- Papu, la route, j'en ai fait l'expérience ce matin
même, est horriblemenL mauvaise. Les cahots sont
nombreux eL douloureux ...
- Ils seraionl fatala à mon blessé, ajouta le curé.
- QI/'Orl le LmnsporLc à bras, alors 1
donc co jeune
- C'est de la folie. Mais conais~-vu
homme'l Vous somblez lc haïr; cc ne sorait pas lù, Mon!-lieur, le gosLo d'un bon chrétien quo de rejoter un ennemi
qui va pout-êtro mourir.
- J'ignore mêmo son nom 1
Le cllré, Cil ùésespoir ue causci omploya une ùernièrc
:Irmo ot l'assén'l avoc vigueur:
- Monsiour le comlo, dit-il d'un air sombr n , jo crois
qlle VOIl!! vouloz commollro un homicide ...
C'ûtf\it m610drJmaliquc, mais 10 coup porla.
« Horn icido », co mot ûveillail en M. do Monùonne (le
!jiniSlrcs ochos.
A)(1xis, li co momont l enlra..
Jo m'oxcuslJ J'urriver aussi lard ... :\[onsieur Je
comle dÛMiro?
- Je désiro quo Lu doviennes gurde-malade pour
Cjuelqlll'S jours et quo tu L'occupes du rescupé.
- Bien, mon cupiLo.inc.
- 'l'u dcmnnd ras II f.onsiour le cllré des 4,lxpllcQ.tlono
pour )1)8 ban'lage ot 1 s pallRomonts.
- Il vos Ordrl'8, mon rupilnino.
L cur6 vinl vcrlll. de l\lnndo.nne :
VOll
tes un br(lVCl (,U'U", ('omte.
- NOII, s'il rO!lte l c\~st
il cousn do VOU'3 : mrs sentiment
�3G
L'OISEAU n'AMOUR
sont absolument opposés au séjour de cet individu sous
mon toit. Ah 1 à propos ... je vais vous demander un 531'\"ice, Monsieur le curé.
_ Certainement, M. Ile l\[anùanne.
_ ... Dès qu'il sora en état de supporter Je voyage, VOus
auroz la bonlé dc m'en inrol'mer, et je le ferai transporler _
__ Comptez sur moi.
JI y eul une longue pauso pendant laquelle OdeUe t'ut
envie de sauler au cou de son père pOUl' le remercier de
n' qu'il venait de faire. Bnfin, pour prendre une altilude,
le comte lui dit ;
- Il ne faut pas que celle hisloil"J nous empêche ùe
trnvailler, Odette, je voux te dictl'l' quelques lil;nos.
Monsieur le curé, &i vous voulez vcnir avec nous je vous
monlrerai une \ ioillo gra vure.
_ Non, merci, il esl tard, je dois parlir.
mIe prêtre s'en alla a~e,
au cœur, un peu do joie, à
cause du résultat. de son lIlslslanc;e.
Le Imdomain, Alexis, toujourf; onscicncieux, r::mgeo.it
les lamboaux do l'habit mililaiL'O du blessé, quand Ull
portefeuille tomba à tel'!'l) ct s'ou vrit en épUl'pill.mt lout
son contenu.
r\loxis nu so sernit jalllais permis do Couiller dam: les
poches de quelqu'un, mais, comme le hasard le voul'lil
ainsi, il put cOMallrc l'iùcntit{· du blesso plU' la (:arle de
Villilf' suivanto :
ANDRL:: Tm OlFFREY
du cenlre d'aviation militaire de
.JusLOlnl:uL 10 possessour du ceLle c.\1'lO nuvl'.lil los) eu:
pour lu promière fois dopuis son arrivé". La nuit uvuil
él() tcrriLle, la !lô vru PavaiL dôvoré, il avait souvput
l'uclumé ù boire. Alexis, n.Me ù lu conigno ùe son malLr .
lui avait dllnnô des inrusiulls, n..'nit changé les cornpesu~
humiLits SUI' son fronl, avait fJssuyé \'h'ume qUI J)rlail
au coiu de::! l,\Vl'cs.
�L'OISEA U n'ulOun
s,
Alexis fut si heun ux de voir son bl essé s'éveiller qu'il
clllqlm les talons et, au garde-à-vous le plus réglementaire,
fil 10 salut militaire.
Le blessé fit un vaguo sourire qui remplit d'allégressCl
Je cœur du bravo garçon, puis laissa rotomber sa této
dolenl.e.
- 11 repose plus paisiblement, je vais allcr à la cuisine
boire un peu de café, se dit l'infirmior.
Sur la pointe des piedti, il alla vers la porlo, l'ouvriL
rloutcment... el 150 trouva nez il nez avec Odette, Loule
l"l)ugo, comme un sorviteur indiscret ou un enfant curieux
pris en nagranL délit.
- Bonjour, M o.dcmoisello.
- Bonjour, Alexis. Comment va-toit?
- Bleu.
- Oh f que jo suis conlento!
- No vous rl-jouis.'iol. pas trOll vite; qui sait?
Odette euL un sorremont do cœur.
- Hodoulericz ·vous pour lui quelquo complication
impr6vuo?
- Je n'ai pus Jil cela, mais il no faut pas. s'emballer Il.
Odette paraissait si abattuo par ces paroles pcssi mistf's
011 plus simplement prudentes, quo l'innrmior improvisé
, s.lya da la l'I:conforlor.
- 11 guérira sans doule; il est .i UIlf', il osl fOl·t ... üt,
a vcc do la volonté, il réagira.
_. II aura <.lu la voJont6, dit. O.lolle uvec fervour.
- Ah 1 j'oubliais ... jo sais son 110 n...
- Quel osl- il?
-- Andr6 do GiITrey.
- Illel beau nom! mUl'murn ·l-ello.
Puis, pIPa haut, t'lIo dtmandn ;
- Mais ne pourl'tIÎs·j'l pHS 10 voir ?
Jo rl'grolle, MndomoiliCllt', mais mOllsieur volr,..
ri 1"0 l'a form lJemçnt inlerdit.
- Pourquoi, mon Dieu?
,Jo ne sais.
ldcltf\ /j('nlil D" gro"!1(,'1 I:Hme~
lui mnntnr aux r~w-;
�L'OISEAU D'AMOUR
olle arriva copendant à dire d'un ton lauss'JlIlcnl détaché:
_ Ah' très bien, je ne sa vais pas.
Et olle se retira dans sa ohambre.
Ainsi ft s'appelail Andro de Giftroy. C'esl un prénom
André ...
agréabio à prononcer quc celui d'André', An~ré",
11 ûlaiL officier « jeune ot fort » avml dlt Aloxis. IWe
ajoutait; tt ot boau »', Peu à p~,
à l'Ïn~gc
d,e l'éclop6 do
la vcille se 6ubstiluaü collo d lm oIDC1('r pImpant, aux
èpaulos Iurges, au beau sourire et tt la lèvre rayée d'uno
minco 1U0ustuche, Elle sc complut dans cello ilnagc, viL
ëvolucr son personnage dan.; des décors créés par son
imagination, au milieu de paysag03 sortis tout vifs de sr$
rèves de jeune mie,
Les rayons de soleil, tamis6s par le riclOLlu, metlnicl1t
un" lueur diaphane sm son visago oxbflié ...
Il meublo craqua oL immécliuLomont suggéra l'im::Jgc
de lnccidcnL cl de la chuLo parmi ll'R bl\1flches bl'iséc!\, A
ln pInel' du beau hûros vinl so p1ncor le corps mourlri ;,lo
la vrillo, L'imogc était encore plus doulourouso ('pros 10
bC'llll rove,
OduLLo :)'6criu n frémisRaIll :
- Comme il doit souITrirl
Ellr sc rappela quo la nuit qui v('!l.lil do fl' "coulor, ol1c
avi~
mnl dormi, (1110 son eorps avait romme souffert, lui
aUSSI,
Un liou exislaiL (ml!' los doux jeunos g ns, Ulle sorle de
l~cpuhi
de h r.ouITrance,
L'amour C'l1veloppùit d6j'1 de ses ~ortil()ges
le jl)une
('(J'Ill' encore libr6 d'Odotto.
Vers onze heures du mal in, l'al;ùé OroliiJl'o vint
nou velles, 11 roncontra d'ahord Odotte, lui lnpotu Il ,~
rot dem,lIId, :
J
- AJol'l;, comJncnt va co blossû?
si clic :t v,liL fail UII" con Cc 'u'
Odcltr rosit (~ome
.
, t
~Ion,
- J) va IlUllUX,
mu-on d'll.
,- \ ous IlO l'n V(~Z
pail vu?
- Non, pa pu Cl'.ùnt' pOlir moi je no snb quoi.
�L'OISr. \\' TI 'A tOUR
39
Elle avait un peu menti, en interprétant ainsi l'orùre
de son porc. l'.:lle savait bien qu'ello n'obscl'vait pas l'csprit dans lequel Ja défenso avait été foite.
- Mais il n'y a rien à craindre, mon enlant, cc Il'CSI,
pas contagieux. Venez avec moi, petite Odette.
Et il monta l'escalier, préc6dant la jeune fille radieuse.
Il ouvrait la porte quand la grosse voix de M. de Mail'
donne sc nt entendre.
- Odette!
Odotto ne savait pas résistor 0. l'appel de con père. BUe
r(,pondit :
- Me voilà, papu ... Je suis avec Monsieur le curé.
- Il n'importe. Descends. Ne t'ai· je pas défendu? ...
- J'allais simplement porter quelque réconfort au
Llesso, en maman.
- Dosconds, te dis· je. En maman 1 Ah 1 oui. L<>s mères
sont loujourtl un peu inquiètos ...
A ce momenl, Odotte sonlit do nouvt3au tout re qui
avait manquu dans sa vio ; les parules, les consolutions,
IL's conseils d'uno more à qui l'on peul 50 con:il'r, de qui
l'on pout partagcr 111 vio d'une muniùrll plus inLIm que
l'on ne fait avec un pèro. En clio ~tai
un immeost.l
bosoin d'afTecLion. A son pèro, l'Ile n'on pouvai~
demander i il nc gavait pa!'; ce que c'étuit quo la Lenùresse. 11 se
montruil sceptiquo sur toule l'll0S . 11 lui accordait usset
Cucllemcnt co qu'ello demandait do façon préciso lorsqu'il
pn compr nait l'utilité, mais il no tolérait poil)t qu'elle
lui désobéit.
Toujours lours natures s'6bient heurL('~
: lui, réalisle,
nI' pouvaiL C'omprl'lldrc le besoin d'irlualot, c1'alnoUl' do sa
fille i olle, soutTrllil dïill'C rabroué, ùn lui oir erfeuiller
h';, rooC!! auxquollc;l t!lIc attribuaiL ùe lu vIe ot nrrllrher
le' aile,Il des papillons de /lOA l'Ùvo;'. Que ùe rois sa sensitlilllé s'était meurtrie :\ cct ()tut d'esprit dt! SOli père 1
Quund il prOnI1~i
: • L s 1TIl!ro~
lIont loujours inquiètes,
d'une fUÇOll un pcu ironique, lout un pan do voile, éco.rl';,
lui jll'rmit un rogo.rd sur ln r{~:lit(;
du mondo. Bile com" ôtait un Lerme trop g6néral; Il
prit qUI) «Lps mt'r~
�',0
L'OISEAU n'AMOUn
am'ait dû ûire : « Les femmes sonL toujours inquielcs ".
La preuve en était qu'elle- même, à cc moment, soulTrait
moralement des blessures physIques de l'aviat.eur.
Quant il M. de Mandanne, il sentait qu'un gouffrè se
creusait entre lui et sa Olle, s'6hrgissait. Brusque, il
ordonna:
- Odette, je vais inviter M. le curû à d6jeuncr ; va, eL
veille il ce que l'on melle un autre couvert sur la table,
et aussi qu'on apporte du Bordeaux cle la comète, pour
lequel il a une préfél'eDt:e rnuI'\(u(·e.
Toujours, chez lui, (:c désir d'jn~i;>l(r
SIII' le point f.lible
d'un hommel
'oumise, elle alln exécuter sa miRsion.
- BientôL, Anùre de OilTI't.'y va pouvoir fI'alimenter lui
aussi, soliloquait-elle_ On lui portera 11n plateau avel,; de~
fl'i:mdisl's : une tlilo de poulet, du puin grillù, lm doigt de
vin dam; un vrrre. NOliS l'aiderons il rnplire Hon orvi\lPl'
cJerriore SOli do~,
:', pllss\,r su var\.!mm p01l1' qu'il Il'ail ]lOS
l'J'oid. PClIl-Î'lre ne voudra-L-il pu,; rnulI(tcr, lI:ü~
1I0W;
Illi fel'Oll!; I.'utundl'r raison.
Et oll'J voyail parfaiLemeul ln flcimo : Andr", daiVI't: on
partie de ses bande;;, encore pô le, mai~
~OUl'iI1.
Alexis
Ilpporlanl Uil pluteal' el ell0 assis\.! Il!''!!> du liL, tOupunL la
viunul1, versant Je viII duns Je velTe scinLlllant, ct dis<\nl :
~ Voi11l (jui va vous ren~li',
un petit oUort, alloJ\ll. T,
La CU/lversation pelldunL lu repas ne l'inlél't'SSIl qu".lULunl qu'elle cut trait au bl()s~.
- L"s pluies sont main, graves (lue jn n(' l'uul'Jis cru'
CIl(;or~
(':lh\Umé~s
sur les bords, curtes~
muis il n'y flur:;
pM be301f1 do Im.re des sutUI'CH, ce qUI ~'urJit
dl'ffi'lIlth.
l'inlervention d'un ch:rl1rgien... gl votrfj Il BisLoln'
d'OI'dlCZ .?
Sur cc sujl!l, ~l.
de :\lahù,.'lllHl Hait inûpuir.ublu.
Par d6SCrJuvr 'ment uu début, el pur [lU Iliull clL'>ulLo il
s'otaH consacré à celle ûlude. 11 reclwrchaiL d,;s dOl!uTllI!;lls
partout, Couilluil les greniN's JI:' Ses c:onl1aÎssaIlCC::l {Jour
découvrir lu pi~ce
rare, la p:lrdlOmin r6v~1
teur' il bou
1(;~'el9[.dt
encore h.s JI'~hive3
des phl'> P(!lIls 'villag'.J,
�L'OISI:AU
1J'\MOlJH
4.\
écrivait à tous les érudits pour nvoir des détails infimes
et se ruinait il des achat:; de gravures et d'Mitions
anciennes.
Il se lança dans un grand discours:
- Je mets au point mes noies sur Gaston Phœbus qlli
devint, en 1380, lieutenant général du roi en Langu edoc.
M . Pierre, le conservateur, m'a envoyé une rcproduetir)n
photographique de son traité de vénerie ... \ l ci M. d,Mandanne prit le ton d'un acteur pOlir débiL!) !' le titre
ronflant). Le « Miroir de Phœbus, des dédui ds ,le la chuss,)
den bestos sauvaiges et ùes oysoaux de pl'oie n ... Ahl
c'Mait un firr luron, re Phœbus! 11 balaill:, ronl ro les
Anglais , intrigua avoc son beau-frère Charles le l\auyi
~ ,
combaltit en Prusso dam le'! rangs dos chevaliers teuto niques, sauva la cour 1'11 danger il ~l()aux,
vous savoz ? ...
- Oui, Monsieur le comLo, lors de l ' il~\rectjon
des
Jacquos ...
- Exact ... P!Imbus ('sL UII type popu ll1ir'l) Il B6o.l'n,
rllcore ut,) nos JOUl':>, gr;.tnd, beau, brl1vl', tout iJlond, comnw
l'indique son nom, "ur il r ( ~s .qelbit
au :;plenuid(J dieu ù"
lu mythologie ...
OdeLLe croyait entendl'o dùpeinuriJ M . de OifCrey. Son
père maintenant pouvait conlinul; r sc" 1'6cits historiques,
t'lIe Ilv:üt un alimenl, Ull sujeL pOlll' ~on
Î1n'\ginnlion, QUl'
lUI importait tout,'s ('CS sdmcl:! UO tucri
~ s?
QUI" lui impor tait que son pèro IJudfit du poul. d'Orthez l'lui possèd('
Ulla ouvorture nomméo u la fi ilI csto dous Cuperas • purc'p
quo, au l mps do Charles 1'\, <Ir 1I0mbr('ux prêt
r ~s
avaient
Né jetés dans 10 GU\" SUI' l'ordl''' du protestant Monl~oml1ry
?
Bllo vivait, rar 5011 cœur huttail ù'un rylhlTlfJ noUVORU ...
Lf> prêtre sc mil ù purl l'r do l'Mat acLuel Ùl' sa cure, de
~\!S
pauvres. 'l'out 'olu était digno ù ' inL~rH,
lnuls elle
111' l'u!.Outuil p..ls.
1.0 bon obbé Grolièrt! ,ivuil dan!! 10 présent, son père
dlUlF> le }ltJssé, 0110 dans l'ovt'nh·.
fille voyai t dovlUlt Ut' s'él,!udr~
uue grlludl.1 roule
I... rgc t.ntfL' ùes Loio;; fleuries et toule iDondl!c dt: ~ol'i.
•
�1j2
'-'OISCAU D ' A~tOUTl
Eile ne savait pas encoro que, dam; Ill. vie, il y a plus
de r,homioR bordés d'épines que, de voies neuries.
Elle allait bientôL l'apprendre.
CllAPiTRE V
COURT BONilEun
Trois jours aprè::; l'acciùrnl, le cenlre mililairo de Pau,
informé par 1\1. de l\[anùanne, avait délégu6 un méùecinmajor auprès du jeune lioul!)IlImL.
Chaque matin, cel homm(' siloncirux so rendnit au chevet de l'ayiaLeur, ronouvelait ses pansoments ct disparn~
sait d'une manièro presque surnaturelle.
Alexis lui ouvrait la pOl'le nvec d6f6renco; respccluou'C
des ordros de son ancion r,opiLainc, il no pormetlait qu'au
cuJ'(' do renlrer dans la chambre d'Auùr6 do Oi('frey.
Bivn Boigné, le jeune officior 50 r{'lablissnit pou h p \1. Le
curé 'lui nvait VII en possimü;lo, eomme il arrive fI eu:<
qui 6tuùienl la médecine do fraîche dot" (>Lait même étonn6
de la rapidité do la guérison. Ji n'en voulait COl'les paR GU
médecin q\Jll'avllit remplacé aupl'~9
dn bl('ss6; mais il HI'
pouvait point fl'empGcher d'éprollv .' un peu do dépit 011
simplement d'amertume. Ji /:l'en consolait on rlopUlant
l'admirable parole d'Ambroise Paré: • J le ponl~ai;
Dieu le gu6rit ".
M. d' Mandanno souvenl drmnndait où on litait l'étal
de l'hOto qu'il J/nvait pl~
d "sir('.
- Mieux, répondait 10 m(dcrin.
"'ieux 1 allail-il donr gll('ril" si vilo? Allait-il Ai vite
quitter le château ~
Quinze jour!! [lv{lÏenl puss6.
Odette avait soulement pu oprfcc>voir sor. bl('8~"
lII).'
ou dl'lIX rois, en monl ont dl'I'rière l'a!J!J(j Orolibr et t'II
jetant un l'apitll' (;OUP d'œil dans ln dwmbrc lor!1qu'il
y rontrait.
Pourt'\nt, olle munir 'Rlail ~a pr('Qcnc(1 nu jeull!' homnl\'
�L'OISEAU D'AMOUR
1
43
par de gentilles aLtrn~io
n s.
Elle ne doutait pas qu'i l
aimât les fleurs ct clic sc privait do celles quo lui donplacor dans un potit vase
nait 10 jardinier pour }('5 f~irù
n jour, par le
!luI' uno table, PI't·S d'Andl' de GiITrey.
curé, elle apprit que le blessé d6sÏI\.lil liro ol qu'on l'y
autorisait.
Elle lui nt portel' quelques-uns d"!; livres qu'olle aimait
le mieux. DûS )'ocueils de p00mos ou des l'ornans, tout
eilllplcs, tout PUl'::;. Elle livrüit insi un peu do son âm "
rul' cli c avait l'huhitud' cl' nol'.)r au crayon les pn ~Hagc5
qui lui plaisaient; souvent aussi, olle inlorcalait uno i!lusIl',ltlon qu Ile avail faite d'un incidont d , l'intri';llll qui
avait frappé son esprit. Ses illustrations, to ules fail es dO
!iponlan6iI6, lémoignniC'nt parfois d'une naïveté qui faisJit
:io urirr.
_\ndr{; devina qu lql'.cs- unc; des goiils de la jeuno malIl't'sse do maison. 11 aimait n sc reprôsentor l'Guw du la
fi ll e do son hôto pal' les rn unus documents qu'il avait
d·dle. Par discrétioJl , jama is il nc dornunda ù Alc _' l~ des
l'{'J1seignom nls su r la jCIJn (' 11110.
Un jour, dCtl~,
posant SU I' la tablr UII livre fJu'J\ndré
lui :l\'ni t l'cnJu, l' vit s'ouvrIr tout suul, srlns doule pareo
qu'on l'avail longlc lnps In'issé ou VCl't :\ l'elle Pll[(C! LI)
1p;ll' était une dédunlion d'amoul' par lin jeune hOll1mo.
I;ll (lit profoJlrlérn enl troublée; était-ce une co'inc id ence?
lin inùico? lin présage '?
"UI' lino des ilIuslmlions l'rpl'ilscillalll un olTlrior, fluoIqu es ll'nil S 0111 er,lyon 50 voyaicnl. Oll :wuil imisL6 sur Iri)
:-Ollr' il., nllongé la lIIOllslarhl). OricUe rlëco llllill Andr6 ,
autanl qu 'cli o sc sOllvonnil dus trails de Ron vislI(je.
Au bout de trois s('l1ain~/:j,
1. de Mundanne térnoign'l
do fJllelquo ÏJnpati nec cl demanda plu 'l ieul's folR pal' jOli!'
rlr.s nouvelle' de « l'onlcier», so refusant ù l'aller voir lui 'UI
~lDr
.
Il slI l'vci!l:\i L 6galomont la vpnlle r" fuClc lIl'j l'l, Il'ianl
It's loltr 'R , sem bl ail IOlijoUfS l'II chcl'l'hor une qui n'anivllit )J'IS.
- C'esl élrango 1 c'est étrunge 1 murmurait- il.
�L'OISEAU D'A~OUn
un jour, enfm, il arrêta le ~édein.
.
- 11 Y a au IUOinS une vmgtame de Jours que nous
hébergcom: co monsieur et qlle vous lui prodigut'z des
IIOinS. Sincèrement, où en est-il? S'il était plus malade,
vous m'aurioz fait part de vos inquiétudes. Il doit aller
do mieux en mieux, n'esl-ce-pas? 11 doit être complètement hors de dangor:'
- J'ell réponds.
- C't'st tout ce flue je voulais savoir. Merci, Docteur.
Peu après, Odette l'entendit murmurer :
- S'il n'y a rien au courrier, je pars demain.
Le lendemain, n'arriva pas ce qu'escomptait M. de
randaul1C". il n'hésita pas, sa décision ôtant fermement
prise.
- Je pars, dit-il à sa fill e.
-- Où vas- tu?
- Je s'3rai absent un jour ou deux.
11 détournait la question; il ôLait visiblo qu' il ne voulait pas renseigner 8a fillo.
Let journée était magnifique; il Y avait partout un
avant-goût de printemps. Les planLcG, que l'hiver tr"ail
meurLl'ies, reprenaient lours Iralches coulours. Quolquefois de h vic se faisait entendre dan!! les buissons, où
l'on apercevait dos oÜleaux, pailles (LU bec, 6dificr leurs
nids. Les arbres avaieni, déjà des bourgeons, ct 5111' d,· ri
haies, précoces, poinlaient quelquos neurs. C'était 1J1lO
rôte ou, plutôt, la joyeuse préparation pour la tôte du
rel our (le la bello saison.
Alexis proposll à ~l.
àc ~1 ondnnne do le onduirr l'n
voiturr: jusqu'à Orlh ez. 11 essuya \ln reCUl;'
- :\on, merci, Aloxi:!. Orthoz l'st à G kilomèb'o:-; a
Jleine, ct jo prendrai les raccoul'cis. Resto au posLo qn,.
jr t'ai rl5signé.
- Bion, Monsiour. Au revoir, Monsiour.
Andru do Gifirey ~'ot9H
drpuis 10 d6but de su con\"ales~.
f/uclquo"i r"~'
lll'ul, mais
déjà Iovo quatro ou cinq fois
U ani rait 11 r'lIr
l'il ~o
rT!\mponnant fl h 1 flill"rio
�dn lit ou en s'appuYétnt au mur . .\.lexis le suivait pas à
pas, prêt à le souLenir, et admirait le relour de cot être
si mal eo point naguère, prêt à son état norm al - semblable il une mère s1Ii vanL les premiers pas de son enfanL
chéri.
Ce jour-là, le soleil qui pt:néLruit par la Cenèt re ou verLe
éLait si chaud, si brillant, qu'André demanda à son garde
malaùe de l'aider à s'habiller. 11 ne revètit point les
vê Lements qu'il pOl'Lait lors do son accident, et qui étaient
en lamboaux, mais do vi eilles nippes d'Alexis, de glo ·
rIlilUSeS vieilles nipp es duns lesq u 'Ilos il avait , ma fo i,
belle allure 1
- Alexis, diL An rlrri de OilTl'ey, sil is- tu cc qu e je vo udrais?
10U, mon lieutenant.
- Je voudrais alleI' faire qu elques pas dehors, su r le
sol, dans l'horbe et non plu" SUl' ce pl anchol', CeLte
chambre est helle, el , pout- être, est- ce la meilleuro do l.l
maison quo l'on JU'a donnée, mais je m'ennuie. ,l'é pl' OUV!'
1.) m ~ m o désir qu e quand j'étais ûcolier : lorsqu'il y a vail
lin clair so leil, jo n'all ais pas en cl asse . .\l1j ourd'hlli,
l'Oll1Jll e jadis, j'ai onvie do Cuiro l'ôcole buissOlllliho,
- J o no sais si jo puis vous laisser so rtir.
- Celui qui m'a o'tert l'hospitalité, el n'esl jamais venu
mo voir, t 'a- l -il d6!enùu d'accol'dol' lino poti lo promoIlUdo Ù LOll bl essé?
- I on, mon )j Cutl·IHllll.
- 'ru dis ceJa sun~
bea ucoup dt' conviclion .. , 'lIais
pr llt -êlre y a-l -il auLI'o c ho ~o 1 ll cul· '-tro lon lII ullre
"herche- l - il do Loulo façon à éviter une renconlre?..
- Hél s i diL LouL h a.' le puuvru Alexis pris d ans 1111
dil cnun c.
- ... ou oncoro le mUl lt'o do Lotte d UJlhlll l'O voul- il
th iler quo je fusso la conn ai':lsulIl'c de quoiqu'un.. ,
- J o l'ignore,
- Alors, je sui '! llll pl'isonni er, du moins 1II0l'alpmlml ,
('o r on no mo rolient pUR par lu rOI't:C cL l'U rl lU \) soignc
Li rn, CepollduJl l, ù'aprl's Lon crnbarl'll!l, je cowpnlOù quo
�T!OTSF.AU D'AMOUR
j dois resler enfermé, obéissant il une défense tacite ùe
"dui il qui jo dois l'hospitalité. Jo Ile peux pas sOI'tir,
n'esL-ce pas, Aloxis .. _ .
- Mais si, mais si, voyons t fit la grosse voix joyeuso
de l'abbé Grolière.Voiltl une demande quo j'uttendais
depuis longtemps déjà. Sortons t Sortons! Voilà ta bolle
saison_
- Monsieur la curé, commença Alexis .. .
- Je ne t'éeoul03 pas, mon ami. J'arrangerai tout avec
M. do Mandanno, s'il t'arrivo quelque onnui. Je me sens
Ulle lime de coupable ... Je prends sur moi la faule qu'il te
roprochera.
Odette avait accompagné son pèro quelques pas; il
paraissait fort préoccupé. lis aVfuont marchù cn sil nec,
puis soudain, il avait demand6 il sa nlle ;
- y a-t-Ji un livrù que tu désirerais?
l~Ie
avait su do cello façon qu'il allait dans uno ville
d'où il voulait lui rapportor quoI quo Ouvrago intéressant.
Le voyage était-Jl pon r ses 6ludos? Odotte n'osa pas Je
demander, tant son porc lui Oll imposait. M. de Mandanno posa un baisor sur 10 front d(\ Sil fillo et continuo
son chemin. Odollo roprlL ln l'auto Cil ReliS invorse.
Un sourir'o naquit /lUI' sos lèvres. Une ponll6û germait
danll SOli cervenu. Commo son père no scrail pas là
Alexis relàchcrnit un pou la consigne; olle pourrait ul1~;
voir !l01l aviateur, pOUl' qu'il no SI) 'roio Pus délnissu. Elle
saur, it pnrlor il Aloxis, lui montrel' qu'il ne risquait rien
1'0 tl'amu~resn
lûgor.3mont los ordros. Hano doulr, il
ai~n
un pClI )u. fille do son maltre; il no vOllùrlÛl PI1!l
hu t ' II'O do lu pOIIIO pOl' un rohlS. Et 110 suruit 8i conlent 1
Bile s'entenùit soudain :lpp 1er;
- Ma potite Odotto 1
C'ûtait 10 curu qui la ruclamnit cl qui, qU(lnll il s'uP rçut qu'ello Jo voyait, lui fil do grnnds gCSll'fI dl':> hrull. II
1\6111blnit l'puno\li, SOli visugo rond tnit (-duiré pur lu
joio ;
�L'OISEAU D'AMOUR
- Venez voir, Odette ...
- Oh 1 Jll- elle.
André de Gi1T:'ey était étendu sur une chaise-longue
placée le long du mur, en plein soleil.
Elle rougiL.
Il leva la t ête ct lui aussi Ïut troublé. Il essaya de 50
mettro debout eL y réussit avec poine.
- Mademoiselle, je suis heureux de vous saluer .. ,
- Bonjour, Monsieur, pourquoi vous êtes-vous 1evb?
Vous n'auriez pas dû, Monsieur ... de Giürey ; 'est
d6fendu à un malade.
- Ah J pardon, Mademoisello 1 j'avais à .ous l'emeriCI' ! eL vous voyez 1 je suis prosquo valido 1
- Vous allC'L reprendre des forces rapidement. ..
- Grtlce à vo!> bons soins .. .
- l'as les miens, MonsiùuJ', ccux de l'abb6 Grolièro ...
- .. _ Un sainL homm e 1
- ... Du m6decin et ... d'Alexis 1
- Oui, jo leur dois beaucou p, ct à vous aussi .. ,
- Bile; s'ôtait ossisc sur Ull gros caHlou, à quelques P ·IS
d'Anùré; clio n'osait 10 rt'gardel'.
11 onLinua.
- Les beUes Heurs, dont VOilS orniez ma chamLrc,
m"UaicnL leur,; peUles âmes claires dans la pièce, et un
pell do dOUCCUI' p6n6trail mOIl ame, il moi. EL vos livrc,;
harmanli:! 1 Je savais quo vous vous IlomulÎ z Odette
,-sans l'avoir demandé à Alexis , aVllnL d':\\'oi l' 'nLondu
l'ahb6 Groliôro vous appoler ...
- Oh 1 commenl '1 fil-elle avo\: un mouvemenl de surpri'lo l d'inl ôrùL.
Ello avai t poso la main sur le bord de ln chaisc- Iongua
d André. l!:l1e rede manda;
- Oh 1 ro mmont avez-vOUS dovin é?
L pr (~l r e los 'on Lem plo CH silence, eut onvie d'engager
unlJ conv(~rdati,
muis n'osa pus. 11 s'\cul'La un peu de
leu t' groupe. Il pcnl:!a Bouduin :
.
J'ai vu quelques pl ants ùe Coclllcariaaromaticrz. cn venant
Ici. Il no faudrail pus qu'on les pi6lino avant mon l'OLOlH·...
�48
':O!! EAU
n'AMo uR
Il r ~ vint
auprès d'André de GilTrey et d'Odotte :
- JI faut que je parle.
- Déjà!
- Eh oui! Au revoir, Odette; au revoir, Monsieur de
Giffrey ... Pas d'imprudence, u'est-ce-pas?
Et il s'en alla d'un pas alerte, presque sautillmt.
André ct Odette le suivirent un moment des yeux, puis
tournèrent la tête ot leurs regards sc rencontrèrent. A
nouveau, ils so senLirent tous deux émus.
- Eh bi on ? demanda Odette.
- Eh oui, je ne vou/! ai pas répondu . J'ai su votre prénom très si mplement. Dans un de vo/! l'ornans, il y avait
un personnage qui s'appelait Od eHe ...
- Od ette Fouquière.
- C'est cela 1 vous r onnaissez vos classiques, sourit -lI
a vec une pointo d'ironie.
gU e aussj souri l.
- E t vous avez so uligné ('0 pl'énom <l'un coup de
cruyon amusé, aver un potit riru, j'en Ruis ''?rlain ... cl
vous avez vite lu cc qu o l'auteur écrivait. d'Odotl0 comme
s'il uv,lil parl é de vous. N 'es l -I~e
point cela ?
- Vou s av(;z dit juste 1 C'f"lll merveilleux do devinol'
oinai 1
lout. Cela vic.nt u,niquemont de cc quo
- Oh! pas ~u
\ ous a vcz toujours un porte-nullc a porti'e de la main,
quand vous li sez .. . Bn faisant certains dossins, n poin l:mt
l'ertnins mols... on oli voil c un pou do Son âmo !
- m vous, demanda- t -ollo rieuse, faitos-vous Cornille
moi ?
- Mais oui, soulemont mu.!! Iivrcs Ilo nt do gros lrniLés
de physique ou du malhéma tlques, hOrills6s rl o rhi Ill'Oll L
do formul es, ct co que j r: note en marge CP Mnl dr!l
racÎn w; carrées ou des eOSlIlUR, ou d Ol!! l! quivn!encos, tous
noms barbares, co mm u .... Oll S vOyCl. .
- Vous l'tes in g~ ni o ur ?
- Oui. Ou plutô t jo devais devonil' ingénieur qu and on
Il rait ce tto illvontion admirable : l'aéroplane, -\u dObul
cc sont les [rt' res Wright (lui sc 1,lncont Su r lou l' 11!aneu l' :
�t'OISEAU D'A
IOUlt
49
je me rappelle bien les a roir vu:,;. JI fallait un pylône, à
l'intéri eur duquel tombait un gros poids, pour lallcerl'apparoil. Mon pauvre papa disait: « Ce disposiLif est de
tNp . Un oiseau n'a pas l>esoill de lance- pi erres pour s'envoler 1 » Les progrèJ vinrent à pas de géant. Mon père et
moi, nous lIOUS rendions à toules J('s maniresLaLio ns
aériennes ct, chaque Cois, un commun enthousiasma
nous envahissait . Nous apprlmes, muets d'admiraLion, les
exp loits de Farman, de Delagrange.
Et voilà 1~09
25 juillet 19091 (il s'exa llait peu il peu)
Imversée de la Manche pal' Blériot 1 L'a0roplanc permettait d'aller de continent à continent, après êlre allé de
do('hor cn clocher. La même année, Farman vole quatre
houres, couvro plus do doux cents kilomètres. Je déci dai
alors de fair e comme ces piollnlcrs. Je Jll'cng;,geai il y il
lroio UliS, après la mort de mon P ·'l'e. J 'a llai ù Roims ou
jo rcçus le bapt ême dl' l'ai l' ; la je pus admirer la dexté l'ité cL la mnllriNe do Prévost. V o u ~ conllaissez Pr6vosL '?
- 1\ on ... j'Oll ~l l H honleU/w, ..
- C'esL lui qui, 10 :l:l janvi er do 1'[\\1I1ée présente, a
réussi il enlever deux personnes à deux mill e deux conts
mHl'cs, en trenie minutes; cl voyez, le nlLrIle jour, Garros survola it In5 monts du HI'i!fJil. .. Avec l'aéroplune, on
vu bientôt lout pouvoi r,
- Morne sc bl'Îser les os, dit l.out Las Odt'Ltc, plus à
ello-môme qu'à André.
- Mon accident n'ost l'ion, JI esl dù entièroment il mn
fauLo; je n'ai pas vérifié lo mot.eur avant le d/'purt, voila
tout. Un accident arrive raremont.
l' Quel aveug lom(lnt 1 v pensa Odelte, qui rl.lOI'l']ua :
- LI Y (1 déjà cu elle aTméu des vleLimes qui diS'lÎent
CO lOm o vous, suns doute; Ruchonnot n ouvert la lislo du
tll llrtY I'ologc do 1912 ; c'est p opu qui Ille l'a dil. L'a utre
Jour, encoro, Url olIid l' nppurlcllullL au lI\ùr1le centra qu o
Vous ost tombé...
- Oui, 10 JO t6\Ti r: Sobba ... Mais il doit être rétabli
Innintenont, co mme jo le su i ~ mO!·llH' mu.
- Mnis, vous n'ù Les po.suncorL'guéd, Monsioul'deG ifTI'.'Y .. ,
/.
�50
l.'O/SEA U D',u/oun
Et elle " jouta, com me une prière ;
- ... et il Ile faudra plus montel' en aéroplane.
_ Comment? No plus voler? Au contl'aire, je compte plus
que jamais faire des vols ; m a i~t c nat.
j'aurai ~e l' e xp~
fi ance, jo saurai surmonter les dlfJlcu]t,os , prévOIr les Lrui triGes de l'air, me garder d' une trop grande conlltll1ce . Oh 1
je voudrais imiter , égaler un Farman, un VédrinC's , un
Paulhan ...
L'exaltation Faisait venir des couleurs il son visago et lui
donna il l'air du di eu mythologique Phœbus dont pal'hlit
Monsie\lr de Mandanne, historien d'Orlhez, au curé Grolière.
"fais elle le falignait visiblement. Quelques goultes de
sueur froide perlèr ent il son fronl, eL il finit de parler d'une
volx moins forle ;
- Quoll o intense volup té que de plan('r, de dom iner les
villages , les montagncs , d'aporcevoir les hommes minusc ules
au -dessous de VOUd, ramen6s à JIJ lIl' juste mesure. Voire
CIX'U I' bat synchroniq uc ment nvr'c Je mote ur qlll vrombit;
un infime JJl ouvement suFnt pOUl' pousser un levl"!' do cUln mand e, aL vous vil'l.'Z HUI' l'aile... ou vous mo nL c ~ ... pl us
Il 1Il L...
- Mais, MOllsipU!' de UiITrl'y , il y u (los Iemmes qui vous
aim enl ct qui Lremblent p OUl' vous, pondant co lemps ...
11 dil, Lout bas ;
- 11 n'y a pas de femmes qui rn'aimenl. •. il /l'y a quo
maman...
Lo œur J 'OdeLLe battit violemm ent à ccl aveu du jeuno
homme, el, la voix mal aS3u!'60, 0110 dit:
- Peut -ût ro vous tromp ez-vous.
La s(;ulo l'éponse lul UH geste 1,IS du la lIlain d'André. Il
él'Iit 6puis6, il avait OIlCOI' O trop présum 6 do SI;3 ror(et;.
- Alexjs 1 app ela Od otte, sc J'endanL comple: ue Si l
l uibl esse.
L'ancien ordo nnanco upp uruL.
- Duns quel 'Lul s'est mis !'IL do Oirrl'_' y 1 s'6cri n. t . i!.
Il n vo ulu lrop parler, sa ns douLe.
•\idons- Io il ronwntcr, Alex is; M. do Gifrroy uo nnrl.mo i 1" bras .
'
�J, ' OI SE AU D 'AM OUR
Elle lui tenait Je bras , Palpit ante, Elle pensait il. C(1
moment:
~ Combi en j'aimorais que les c ho
~es
fu ssent inversées,
qt,'André fût forl el qu e cc fÏlL moi qui m'appuie SU I' SfJ ll
brus vigoureux, comnl C on le montre parloi s dans l n!;
rom ans, »
André, remont GJons sa chambre, se laissa tomber SUI'
le lit, anéanli, la tê to renversée en arl'iàre, les yeux Jos
ol la respiration di/Tl cil e,
- Pourvu qu'il n''y ait pas de rechute 1 se lam entait
Odelte, ct c'es l ma faule, R' il sc lrouvo dans col étal. J e
l'ai laillsé trop parl er; j'avais 1anl do plaisi r ù l'entendre 1
.l'nurais da lui diro de sc reposer, d se taire ; je n'ai (;té
fjn'un e 'go'iste, uniquement sou cieuse de mon bonheur , ..
Mon Diou 1 faiL os que je n'ai e pas uLé ln. causo d'ull e
aggravaLion do son malI
Hevrnu e dans sa hambro, clJ e ut oncoro 'e LLe pens('El :
- Papa a diL qu'il pnrtait pour un jour ou deux. Une
ct mi -journée esl déj~
passée . 11 ,resLo neoro un jou!'
durant 101)\101 jo !lorai s uIe avec J\ndr6 do Oilirey,
D ~ mflin,
pOllrI'tl i-jc l'r ntondre de nouv ea ll ? Non, cprtain men t, II est trop abaLlu; j'ai ,id(> on un instn nt la
r:oupe do )ll niAir ']ue j'avais souh ait60... Pauvr Andr-I
Elle avait prononc6 « Andr6 n, Andr6, tou t (·ourt.
- Mon lli nu 1 Quo vi(;l1s- je d dire ? 1:10 roprocha -t- ollo.
Mals -110 n'arriva pas lout à fuit ù 5 0 ('('oiro Il fnu lo.
Ln nuit du bless6 fut rnau vai se; il d6lira, parla ù hauto
voix r ilanL des noms do piloLos, dos marqu es d'nppareils,
J ~ vid
o rnm
nt, il 6lnit. tout t'ni il'!', fi ni e (lt cerveau, à !les ailes.
Odolll', r omm o une réparat IOn du mal qu' Jl e croynit
","oÏl' pI IlVOqU Û, s' imp osa l'obli g" ri oll, douce il son
cœur dévou 6 - d 10 voillor.
1 . is, fi OOfj t.rop d résistance, foi'é tait laissû arrach r
cotte f1 'rmissi on; il Iwait "{ll'Op OSÜ de 1 r lev or dl' !lU
gard e il minuit. Bile avail. refus(',
gllo maltait des co mpressel! humides sur te rronl
fI'Andr ', ct partol o1Jl' cssayalt J o le calmit', Cil r 6pon clunt Ù SI'S mots ùe cl ',lire.
�52
l.'OISI:.\U
n'AMouR
'fout à coup, elle fntendiL revenir un nom de Cemme
dans la trame des parol f>s in~obérets
d'André ;
Mme de Laroche ...
André avait-il menti quand il avait prétendu, parlant
des femmes:
- Jl n'yen a point qui m'aimenL... il n'y a que
lIam~n
? ...
m il prononçait le nom
de Mm.e de Laroche ?vec exlusc.
Une pointe do jalousie hu!'celmt le cœur ra~le
~'Odeto.
Une phrase vint bientôt la ~0n:'ler
rt 1111 fal1'e comprendre son erreur. Le bl essé cltsaü :
- ... L'aoroplano n'I'st pa..; dangereux ... In preuve ...
c'est qu'il y a des femIlles ... qui pilotent des appareils ...
Madame ... de Laroche... pa\' exemple... III premi8re
femme.,. qui volu .. , cn [i'rance ...
Odetle re;;pira phu; libremont.
Le lendemain, je malade l'l'apaisa; il dormit uno parLie
(le la journGo et celle qui l'aimait en profila pour prendre
queJqL1e!l heures d'un repos bien gngn6.
V'rs le soir, toujours uvee le consentement tacite
(L \lexis, elle ulla porter uno lasse d'infusion do fleur
ù'ul'angrr au malade qui la romercia d'un doux sourirr ;
Vous ttes bonne, Mademoiselle ...
- Buvez ... et puitl , vous (l.;sayeroz do dormir plus calmement quo la nuit d e J·ni o r ~ .
•
- Mer,i. .. },lorci 1 murmurn·t·il.
Alexis, ;'( la porlo, s'a pprocha d'Odrttu et lui dit tout.
!Jas:
- CC(·j étuit la tlernièl'o concrssion lJuo je pOLI vais VOUII
ra ire. \:OIlS:bUl' 10 comt.o revirnL domuin .•lu VOilA SCI\tÏ,
11'1:9 rcconuu'Hsu llt do no plus rOllllre visito nu lioutenant
de ' i/Tl'OY, ('0111 lSt. dan!\ voLro illtérlll, CUl' monslour votre
pèl'c pourrait VOll!! rail'o de vives r montrunCOII.
'l~S
futiglll)" ()ar la pr6cédcnLo nuit do veille, I()~
IÙI'Ces fiai r&puréc5 par quel
~'
heur('" d lommdl,
Odt'lt l.l nt' fit lIU'UrI 50111 m ,
�L'OI SEAU n' AM OUIt
53
Lo lendemain malin, elle fut r éveillée par J OB bruits do
voix, des sons do trompe et le ronflemont d'un moteur.
Ello paEsa hâtivement une robe de chambr() , ouvrit la
fenôtre et regarda.
Une automobile stalionnail dovant la maison, trapue,
haut monléo sur des roues avec do grosses jantes garnies
do pnoumatiques do faibl e di am lre, le capot tout peti t
devant la ca rrosserie: une grando bâ cho couleur cachou
préservai!. des in te mpéries, fi xéo par do grossos courroios
attach60s aux ga rde -boue .
A j'époque, cello voilure provo quaiL l'admiratioll de
t OIl S.
, Quello était cotte au to ?
- Voilà papa, remarqua Odelle t' Il apl!rccvll nt .M . de
Mandanne tout allai ré. Est -il \ ellu avec colle voiture? Il
Il 'a jamais parlé d'o llli qui en poss6df!', une, .. J\h 1 si,
pourtllnt, l'al'chi vislo l'iùrI'o ... Sa ns doute cst-co chez lui
'I\I !' papa s'ost rrndu. P01lrqu oi, mon n:ClI , avo ir r nl ou ré
bO I\ d6parL du tant do mystère '(
Odotto so tromp ait dans SOli r 'l isOllnCltlUnl.
I.!)llo compril bi oll "i le son errour quand cli c vit 10
rllt'- decin -rn ajol' IIl'sCCIlliro le perron, \'orlant dl' la maison,
rt ouvrir précipitamm ent la pOl'te de la voiture. 1\1. d
\J ondu/lllc s'npprocha, ot no dit mot_
Deux lIlilitaircs, il lour lour, descondirent l c~ marchos
du perrou; ils ava ient cntro-cl'ois6 leurs mains do façon à
for mel' un siège sur loquel 6tnit pl ac( ~ 10 ble3G6. Colui -ci
ntollTaiLd'un bras il' cou do chacun do ses porteur' .
~ 1 ~u l1i t O,l olt e.
- Andr
Il (ut bientôl installé dn lls l'auto, ellw loppé d'u no rO ll vorl.trro.
0111111 0 Od elte se 1rouvai t au premier ôlfqo, t't le nI) pul
voi r 4ue le dossus do la c(\ polo qui cachoit celu i fi q ui
t,on . 'ur s'était doun6.
L'ofllcicr qui conduisait l'automobile s'approcha de
\1. de !Ir andanne :
- Monsiour, nu nom do JOon ulln nrudC' , je li ens il you.,
r'l' lIl ( rl'i!' r do votre ltospilflIil6, ..
�- l'jcu, bien, CÛlljH :\r. de :\1 onutUli l J .
Son interlocuteur fut dé ontollancé. r, r. cl 1} Mandanl1'!
ajouta :
- Inutile do me rem::l'cier ; jo n'ai fait IjU'aCCOmplir
mon devoir le devait' que l'abb6 Groli ère m'a préMul.\;
SOUs la fOI'~l
l) d'une obligation. J 'ai l' lJmpli cl.ltLe obligi.llion à lU<luolle je ne p o u va i ~ me dérob er.
- Vous ôles mod os te, Monsieur le com Le.
Cc demie\' ul un haut- la-corps cl, frémissant de ralio
conlenue cl de d6Il ,l âcha :
-- J e n'ai qu !aire de vos compliments.
L'of1i cirl' ne sut plus quo dirc, il sc born a à l lU é' formu!o
Il,, po li(' ~s " .
- J 'cspère avoir le pl aisir de vous ravoir ...
-- Adieu, Monsieur .
Cccl di t, III . do Ma nd arlno lourna le!; talolls d'\lIt mOIl voment a ulolll :lliqu c, - l'osto des hahitudes ll1ili t<llros _
IHo nt a lp!; mul'cllf's de l'cnlroe , poussa la porte ot, ~n o
rois cnlru, lu fit 'luquer avec violence.
1,0 co ndur t cul' do la voiture, congédi é do ln sorto, y
pril pl aco , Un de!; soldats mll 10 moLr ur rn marche, ;\ la
mnn iVl'Jlo. Et los pislons eognilllL, avec un sml1!.l hruil d l~
mér·ani que. l'automobilo d6marr,I .
. \l ('x is. qui .wail guetté son d{Jpart, bO!1rli L cl fcrm;l l"
f)orl.a il grill<1gi" , co mlllo S'II aV<l iL 'THinl uno altaCillO 011
nn r lltour,
Odol.l r , ,"(' r oIl 161; SUl' son lil, pIL ur" iL loutes les 1 l' Ille., do
.ou pauvre crour .
C
I1 A
l'I
'1 R1
~
VI
1\1. de Man dann o s'ClLail- il dou lé il fJ\l l'lf1 uo momr nl dl'
1-1 ronconlrl' dos deux jounrs g(' n ~ '1
Cela Nait im probable. JI n'avail vu, dnn!'! r:cltc lJiflLo i l'I'
etl' hl (' s6 il h ~ o o r gr r, quo l' I'nnu i <lui cn r ('~ ul ta il pOli r lui
cl surlouL la punible oiJligaLion d'êt re parj ll l'O il RI\ parl)}oo.
�L'OI SEAU D'AM OU R
Jamais, pond ant 10 temps que M. de Giffrcy vécu!' sous
toit, il no pensa l'JUil sa nUe pùL éprouver quolqu o
~e ltimenL
pour lui. Car son id6c (ou son désir) étaU
qu'Odette se conformàt Ù SOR ordros , qu 'clio aimât qu and
il Je voudrait.
S'H nt interdire à son enf.lnt li entrer dans la chambre
de l'aviateur, c'esl qu'il étaU imbu de vioux préjugés, l't '
quo, comme une mère de jadis, facilement alarmée, il ne
trouvait pas convenable qu'uno jeune fill e do bonne
fpm ille rendiL visite il un homme couché .
Au rond de lui, gisait un cortain co de ùe morale et
même de rharitô, simpliato, mais rigide. Il n'au rait pas
hésité à Recourir le premier venu en détresse. Quoiqu'il no
vo ulût pas le paraîtro, il 6prouva it quelquofois des sen Li·
ments altruistes; /l'il rabrouait ses proches, ROllvenl ,
,'da venait do 0 qu'Ils 11 'ugisso iont pus dans 10 sens que,
lui, trouvait bon,
Lorsquo M. de OUTroy vint échouer choz lui, il ne
voulut voir que l'olnc\ or; il fut un peu roconnulssnnl h
l'u bbé Ol'olibre de vaincre ses sc rupules, il lui semblait
ains) quo son honnour - qu'aIH. iL pli l('fllir ln l ('\hi~o
n de
son serm cnt, do prop os d6libéré - rcsLait flll Uf .
I\'{ais il voulut qu coLte vlctoiro sur SÇS (ll'ineipr!'; n
lû t pus cl longuc Ilurée; d'oll Sf'9 fr6quentcs r(',~lmin
' Ilion'
l'onlre 10 médeci n el le prl1lro qui no pnraissnienL JMl
pressés de guérir l'avlatc ur.
W 's l'Dcrid unt, M. do Mandanne avait inrorm6, par
un rupport de torme tO\ILo miliLaire, le conlru (l'aviatiun
dll Pall, <lu'un ùe AOS pil otes NuIt lomb{' sur flOll
do m,lino i ct il .wait dcr!fu'é <1u'il garderait 10 jl'um:
ollleiel' c!tpz lui jusqu':\ 1:11 !Jo'i! fl'l ( II olut r\ 'î-l ro tr.lll,)·
porté don'! nn hôp il ol.
Un lui répon dit pus unu lettre où on le r mor,' Î,lit dl'
sonextrC' mo oblit.;oance eL Ollon l'inCol'llwil qUI' i'on fCI ait lu
n(,c:ossair ' tant Jlour ni vl'r les déb ris do {'ué roplnn Ijlltl
pour emmener le pi ', 'u, dl'Il fJlI ln SJntû de re il cl'llil'r le
jlcrm eltmiL.
Lorllq u' le cl! lll!'l [\in (lppriL de lu bou cho
('urt: que
fO Il
uu
�T.'OI ;;C ' U n'AMO UR
son malade allait mieux, il s'estima délié Ile son engagement. « A Pau, pensa-t-il, on a bien dù estimer que
c'est le moment pour le retour de ce lieutenant. » 11
s'~tona
de ne pas recevoir de nouvelles ; il s'énerva
dfl ns J'attente d'une missive problématique. Finalement.
habitué à ce que ses vœux soient immédiatement satisfaits, il parUt pour Pau, et, malgré sa répugnance toujoU)'s entière contro l'uniforme, il fit toutes les démarches
nécessairos. Le jour même, on mit il sa disposition UI1 r,
\'oilure automobile, et deux homm es chargés ùe r::\rIlcnr r
Je lieutenant, André de Girrrey.
Quand ce derni er fut parti, M. do Mandanue poussa un
~oupir
de soulagement.
Il pensa alors à la ramouse • Histoire d'Orthez et de fil'1;
environs l'. 'fous les docu ment fi trouvés il [orre do
pat ientes recherches avaient été r asse mblés ol classés. Le
plan, longuement médité, étuit fait Cn délail. 11 ne l'lJ:ltf\it
plus qu'a tout mettro au point, ol à réùiger l'ouvrage.
M. do Mandl.lnne songea tout naturellement à sa fllle pour
lui scrvir do sec rélairo.
Quand elle fut assise en face de lui, un pell dolenll"
mois prele il. écriro sous sa dictée, il l'obsorva de SO li
habituel regard soc; mais s'il s'y connaissait en hOJln'
~,
il n'enLcndait ri cn à ln psychologi o féminine. Il rfl marllU:l
J'air un pCIl Lri51.e de sa Oll e, !:IO borna il. supposer qu'clll.!
s'('nnuyait flL [;1) dit;
- Ça l'amuser,) d' "criro ce que jl.! vais lui dicler.
C:omllll) il ôLait assrz do bonnfJ humeur, il rel5ard u aJ.
flllp. aV(.'t; LIlle compl aisanco qu'il avail p HU Souvenltéllw jKlIée li Hon égard, jU,;'1uo- 1ù, ol s'avoua ù lui -môme:
- EUe l'sl jolil:l . ma fille ... Il ralldra LillO, un de ('1''1
JOUl'S, que j e lui lrouvo un mari.
\tais coIn, pour lui, se rf'{'s0nLa it COIllIIl!> lino qU l' ·titlll
lou!. il fail :tcn',soir".
...
...
-
- ~ Un lN '!, un chû/cll!l fut bûti par (:' (on V 11 , ('um/!'
de Foi..r:., . • Odf?t(~,
fIlt'l'l un u'Ité rillque indll!Wnt un renvoi
�et écris : (( Voir le chapitre III de 1" qU(!,fr ième parti e: De,;
guerres de religion ... »
M. de Mandanne, tout en dictant, arp entait le planchel'
de sa bibliothèque, consultant de temps à autre une lias5c
de papiers. 11 éprouvait un immense plaisir à parler d'un
ton doctoral et à té moigner de son érudition.
Odotte écrivait, écrivait, éCl'iv (üt. EIlI) devenait une
Illllchine, cnregistl'ant des paroles et les traùuisant en
mots fails de signl's de l'alph abet. El, comme une machin!',
('11 0 ne soulIrait pus. Co travail abûtissant ense velissait
passagèrement sa douleur cl 'l'l re séparée de l'objet de son
amour, mnis ne la guérissa it pas : au contrairo, la douleur
co uvait ù peine refoulée, ct, lOl'squo Odette sc trou vait
seule dans sa chambre, l'eparaissait, lanci nante et cruelle.
Alors, Odelte rovivait inl assablem nt les plus minimes
('pisoclf's dll l'oman d'amoHr qu'clic avait ébauché en
('lIu- mume,
BlJu souITra it surtout do Il'avoir pli dire adi eu au
!toros dont son cœ ur éltlÎl plein.
- Quand je songo qu'il csL parti comme un mendiant
dl ussé 1 PensaiL-il un peu à moi flu ancl l'auto l'e mporta?
l' it -i1 l'offrando d'un regarcL vers 1 ch âteau?
lme ne pensa it pus qu'il no pou "niL nI' pas l'aimer .. .
1'; lIe avait donn é son C01u r sa ns sa voir s'il était uccppll\
~n n 'lsa
v (l ir si un untrl' (,O' UI' lui était olTr l'l en ( ~c h a n ~e
.. .
bout J ' 'Iur:lq uC's !-1l'lnUint"l , \1 . do ~I :Uld anne vit
10 manusc rit du premier volum o de l'ouH,lgc
'Iu'i! /010 pro{Josu it do publi er.
li /01 rujollissu iL d6jil, inwgin uil so n Ct' UHO imprim é,), se
Voyait l'II traill do corrigl'j' dell oprl'lIvl' el du dunner dcs
ordl" s 011 suj et do ln miso Il PUgl S, de III pr é~o l u Uon,
dt!
11\ venLo. L'édition du cot OltVl'ùgo Rc ruit. un cxe
l ( ~ nl
d6bou ch6 pour 80n nel i viL6.
.\ l'éKurd de s, nuo, il se mon traiL charmant , ct oll e b'l'll
Honnait )lurfoi!!. Il lui communiquuit par moments lll l
r)(! U J e su n élonno/lll.'nl pour tl'l fJit, tel monum ent; el le
s'int é 'lisJ iL prl!'\qu ' uux sUj ('l H qui 1" p l\~si on
u i e o. l ;
\ 11
<le hfl VPI'
�53
L'OISI:AU D'AMOUR
l'âme d'Odette éUJit. à la fois si vide el si pleinG! Si pleino
du souvenir d'André de Giffrey, si vide de IouLe
pl'éoccupation maLérielle ou inlellocLuell e.
Son père, heureux d'avoir une o.udlLrice, l 'e n~l'etai
de ses projets relatifs à son livre.
- « L'Histoire d'Orlheil » soru en ([uutre volum es.
- Oui, papa.
- Que dirais-lu ù'une couverlure grise avec dos lettres
rouges?
- Ce serail très joli.
- Tu as tout à fait raison, ma petite ... tu as du gOtlt.
El nOl1s meLlrons beaucoup d'illustraLions, cela sera
attrayant, n'est-cc pas?
-- Oui, très atlrayant.
- ] 1 faudra nous préoccupor do trou ver dos artistes.
- Bien sllr.
Ello éLaiL toujours do son avis; il en 6Lail nchanLé.
M. de Mandanno songea alors il. rualisur Son jlrojeL. Il
s'informa, auprès d'un imprimeur, du plix qu'on lui domandu.ait pour la fabrictltion du 1umeux ouvrage. On Illi f1l
lin devis; il l'accopta sans morchander, oL, comme on lui
demandait de payer la moiLi(; de la l'lomme d'avance, il
r, ri vil il son notaire hordeluis, lIecLor Symuise, qui lui
Sl'fvniL de hanquier, de lui envoyer de l'argent.
Cot Hector Symuise, quoique jeune. Ilvai~
Ulle oxpérience
(Il's alTuiros que SOIl clienL 110 posfl(;dail pas au moindro
dt'gré.
11 répondil il r. de Mundonne :
" J\fonsil'ur,
• \'OU!! mu rallos ra~
de volro d('Ril' de Illlblior Illll)
(1)11 \ J'I) de vous (·t vous Ille dl'rnundl.lL do VOUIl déli\ rur'
20
noo [r,l ncs sur
voll'l' avoir, prix. des fraiR d'éd ilion.
Je lirn. ;\ vou'! sigll'dor que coLle opi:r.\lion porLnrll
un 1 ~() lP
lrt's dur il, vos finances qui, rnnIYI'(' ln hOnTW
Jil1sliClII, sonl pluLôt en mauvais Hal. J'lusiours fois, 011
l'fTut, YOu~
UVUI pris do l'ur!{unL RUI' votre Cllpll 1; el jtJ
(l'"is rn(.llH' quo vou:> :IVl'Z unlulllé rorlell1'/lt lu ,.Ol/lIll0
�L'orSEAU D'AMOUr'
59
quo vous destiniez originellement il Il dot de volre fille.
«( Je no veux pas entror dans les détails de votre vic
l'ri \ ..ie, mais il me semble qu'apr~s
cette dépense de
20 000 {fancs, ajouléo aux précédentes, il vous serail
di!Iicilo de vivre avec les inlérêts du peu d'urgent qui
vous reslerait.
« Croyez, mon cher 1onsiour, il mon enlier dévouemenl.
« IIedor Syrnaise. »
Après lo. lecluro de celte lettre, M. do M;md;lnne entra
dam; uno violento colère, d'abord eOlltl'e BOil nolairil, qui
so mC'lait do lui dOlloer des onsoils, ensuite contro 10
sort dMa vora}jle qui no permellait pas il un 6ruùit du
Cairo conno.llre les résullals do ses rechefehes, ·unn conlre
Jui-mûmo qui aurait dû économiser pour etto œuvre,
bul de sa ,,10.
'onlro lui-même, opendanl, il n'éprouva quo peu
d'animosité. Il réfléchit. l'ilS un momenl, la penséo no lui
"int d'nbandoncl' son projet d'éditioll; il fallait trouver
un 'xpédi nl. Iorceau par more 'Q l, il fallaiL vendre Je
IOll1llino f1uo lui avail lé.;ué ses pat'cllls; il nc lui r slail
qun flu l'lU s chilmps, rupport:mL un maigro fermogo/ ct
IPfI hoiR qllÎ pOllHsaiulll devant flon « châleau "cl 'ouvraienl
UIlO surfalo forL limilée. Il n'y avait qu'à les vcndr'c ,
11 (; -rivit oussilô il 1. Symaisc :
" i\larll'Ù,
Désiranl vendre quclq!.lo hien, je VOliS sernis recon·
njs~atl
de vonir r.hC1, moi (fllPlques jours cl vous occup"r
dl' r;clto op6rulion. Vous ourez. volre logoment dans m,l
Iln~o,
l't j VOUII ollvprraÎ l'hcrchor on volturo il Orthez,
« Jo VOU8 llLlelld" I II plu.'! lôt possil.Jl "
• Sin 'l"rl'l1lr'lll vOl rt'.
« Do Mundunn , »
«
I.e notuiro
IIccLor :~ym
bOl'deui~
:lrriv.\ lu Ilomuiuo suivanle.
iso 61uilun hommo do 'Iuaranto n~
C!\VÎ"OII.
�60
L'OI S tA t' D' A~[OUR
De taille plulôt peLite cl un peu b~donat,
le v~sage
frai s, rose, bien rase, les moustaches 80lgneusement taillées
ct fri sées il était vêt u avec une certaine recherche, toujours aye'c un chapeau de haute lorme, une jaquotte et des
g'uGl re' blanches ,
,
Il mcsurait Lous se~
gcstes, sa\'alt montrer son respect
plus ou moills grand par !'umpleu,r ~e
son salut avec son
« tuyau Ge poêle )) lusll'l:, 11 o.l'l'lvail. à maintenir, de sa
mai n gaucho gant6e, sa servioUe, boursouOôe a voc nobl esse,
~n
chapeau, Ba canne el Je gant de sa main droit e, Il
pouvait aloI';; parler, avec beaucoup do gcstes do sa moi Il
laiteuse, potoléo et très soignée, 11 scandait chaqllc mol
d'un mouvement de sos <1oigts bagués ,
Il considérait co mmo tr ~s
distingué ùe tapoler jJorfois
sa bouche avoc Je mouchoir de soic qu'il avait. rl un'l ln
P0<;)IO do sa jaljuclle,
Dc'rniers détails: il portail un monocle, retenu pal' 1111
l'ordon do soi" tloil'o, arborait sans cesso uno Oellr Ù la
houtonnièro c. Lne fumait {llIO le eigorc,
BnCerm6 dans BCS habilud f'S ct ses altiLuùo:;, il illspirail
le respect, rnisail p nSl![' dn lui: " C'est. Ull homm e di slil\ '
f'\I6, "
n I1 0U plus a,:ccntuI\cs, ses manières ùtudiécs aUl'ait'II L
la nolo (jt(.'cppu t;Lro toul'l1écs en r iù i ' ~u l c; il reslait dan~
l.lbIc,
Il l'Luit comm UII hon aclcur spéc!alis(! ùuns un rOlc et
'lui provoquol'a dl's l'Ïres qu a nl~ il sc fourvoiera ùans un
ni lc voi'!in du si('n, même l'cu dIlTérunl.
Co notaire fut pOllr Odel!.(', lorsqu'on 10 lui pl'éRI'nta, un
~ [' êls
que
pcrsonnobc qUC\t'OllqUl', n'olTl'nllt l' as plus d'lI\t
"Il! p as~o
nl , qui <h'OIont sous YOK youx iIJditt6ren ls,
lai ;o br mbla ro~
imJlro
~8 ion
pnr
Par ccn! rc, Bector Sy~
ln grl'lco Mlurello de la J\!un 11110, cc qUI 50 ll'udl lÎ.sit ehnl.
lui par la fHito do SOli mOllocl" hOl'8 cl 1 M n Il l' 'mie
:iJucUi rro, ct pur un él'ic
Jl ~ ' l1l[lre'::,so monl il lui hais" r III
main qu 'o llo oubliail, d'aillours, II111ocOn1ll1cnl , Ù 1 Ill;
Irndro,
M, cl,.. MUIH!:I nn(' invita Il'l JIll ,.. 1. le l ni(;~f'r
t'n t'OI1l[~fJi
�L'OJ "E A U D' .HIO U n
61
de « ccLexcellent M. Gymaiso » , qu'il pri t amica/ement par
le bras , ainsi que fait un enfant à son p ère, lorsqu'il veut
lui demander de satisfaire un de ses caprices.
~ r. Symaise, pour prendro congé , s'inclin a. devant Mlle de
Mand anne, avec ostentation . Elle répondit à peine et s'éloi gna ; M. Symaiso la suivit sournoi soment du regard, Lout en
ayant l'air d'écouter ce dont le pùro d' OdeLte l'entretenait.
Et même, ce qui ne lui arrivait jama.is au cours do ses
journées bien réglées, il vérifia le nœud do sa cr avate
blanche.
Les deux homm es se rendirent :l la coupe d c bois. M . ù e
Mandanne avançai t au milieu des buis:ioJl::!, sans souci
lies obstacles et des ronces, co mm e un sanglier. Lo peti t
nota.ire, par contre, se pouvait plutat co mparer à un chat
traversant une rue liùmide : il mar chait S Ul' la pointe
des pieds, en choisissanl l'endroil où il poserait ses sou li ers vernis.
M. Hecl or Syma.ise, co jour -là, no montra pas le carac till'o décid é qui lui étai L habilu el ; il posa 10 pour et le
,'ontro de l'afTniro; il avai t J'air do vouloil' temporiser .
Il coucha ùans la chambre d'a mi s, cello que M. do
l1ilTrt'y avait occup ée quolques semailllJs auparavant.
Le lend ll main matin , il arriva dans la snllo il manger en
lIIêm e lemps qu'Odollo. M. do Mand anne l'altendait
Pour ro mmellc r de d6jeuaer; Hector Sy m isc fut na vré
IIH s pr 'sencu, mais il n'en l''':!isa ricn paraILrc,
Il g,du a ct s'oxcusa :
- Pardonn ez· moi d'être au!:tsi en rûtard . J e n'a i pa'i
l'habit1lde do march er dans 1:\ ca mpagn " l' l, fuLigll o pur
Je
III proln('nadll d'bier, j 'ai dOl'mi plus qu il n'est 8~l\ OL.
l11u suis Up Ol'ÇU soudain do l'h cur' ; j'ui sa uti! do mon li l
el 0\ 0 suiu prépru'o hàll volJlent.
Toutu son alluro ù6rnontaiL SllS par ule'!. J J l1Iuis il n'a vail
Hé auss i tiré il qu atre épinglt's , jamni!l il .II'avait H é
ros/\ ll'aussi près, ni pOlldr6 aVl'(! autant do SOIl1 •.
La vér llé l'sL qu 'il s'éta it levé lr è~ ~ ol , ~ é: mo.nt
l'cneonlI l r Odelte seul o, pour pouvoir Sil rai re. nlleux l'omar 4U ~ r
t;l valoi r, et qu'il avait uttt' nd u, dt' w .' rl' la porte 4.1<1
�G2
J}OI S r.AU n ' A MOU R
sa chambre, que la mIe de son client sor tiL. EL il avait
fait le gu ot, la tête entourée d'un lingo pour ne pas d6rangrr h bell e ord onnane<.' de la r ai? de ses cheveux soigneusement leints el lissés au cosrr.étlqu c.
OdoUe lui servi l son café au lait.
- Vous avez Hne excellente maHressc ùe maison, dit
.lJ ector :::!ymaise à M. de Mnnd annc ... Oh J aSse:l de lait,
Mademoiselle... Merci ...
EL, crai gnanL de se montrer ridi cule, il n'osa pas avouer
qu'il ùélestail la c l' ~me
du lait.
';:
* *
De toule évidcnce, lu nolaire voul ait resL r le plus
JooJ lomps possible ullprès do 1\1. de Mnndunnc el d sa
fill o. JI rllt plusieurs fois sur le point de onclure l'allai re
r , mais il trouva un pr6lex tc pour l'O;O lll"
avec le Jl r~hÙ
n(')' ccponu::1I1t : Ult doute SUI' ulle mesure, le besoin invo 0 11'" dl) ronslI ll<.'r li n acle de mniril· .. ., ou toul (lulre rnise n .
. Durant IN; l' er"~,
il chcrcll uit ü sc mOlllr<: r sous le jOll r
Ir plus agl'éaùl l' , r oconl:.lI1 I, co mll1 ~ v6r ues pur lui lI 's
his toiros curieuses arrivées il d('s am i ~. TOllj ours so urianl,
loujoUl'S I)m pr es~é
;l1Ipflis d'Odot le ou prGL ù lui dlro 1ln
complimr ll l.
Il prlrvinL .\ s:t\'oir qu'OdC' lL cllf\nla i:' un peu , c:, YO U )il lI l la flaLtl'r, Illi {lPmallda do monLr!: r HCS Ill Jrnts , cc qui
l'I uiL \Illl' occasion d'Malor lu; siens prop r s, puisq u'JI (',1'
p roposait de J'ac.:ompagn l' au pi ano.
Odette, Loujours t ou le il sa p('Ïnn, avait pcu le GUl ur do
chanler. mais ('11(' dû s'xé~
u t(J r ; lI odo r f.\YlIlll inc nt· LUl'i t
p LI~ d'éloges , c L obtinL qu 'on lui dom;\nù: lt quolqu r. ChO.iO
de son cru. Il joua 1111 I1IOreOU Ii qu 'il avn it c( comp osé "
tli ~u it-jl,
mais q1li n'('la it qu 'un pot pOllrri d 'é l r ru c l ~
refrains. On lui lit (les COlllplilll l'lItS, muis il les d6clin 1 rn
ofllrm anL :
- 11 vuut mioux sa vo ir hien inlerpl'ùl'r l1np JllIn'ion
comme rai M a d e moi
('~ lI c , qur ù composur ue'! morC'CJ lI '
nr> TrIU"i(!ur , ('C quo je rais mis{·rnhl,.menl.
�L'OISEAU D'JUlOUr:.
Tous ces hommages laissaient Odotte ùans uno indilTél'I'nr.c complbtc. Elle détestait les compliments hyperbolil1uos. Ello préférait mille fois los peLites railleries, telles
qu'Alldrô de GifTrcy savait en faire.
Hector Symuise restait pour elle un fantoche bien
habillé et beau parleur, mais sans rien d'un hommo.
L'idéal masculin était inca rné par André. Andl'é n'avait
p,'s de monocle, sos chev eux nc se pliaient pas il la cQntrainte du cosmétique, et il savait parleI' sans phrase5
construites d'une façon académique cl péùante.
) maginant qu'il faisait des progrè!:! dans l'es lime de la
jeunc OdetLe, II ector Syma;se, de plus n plus décidé [l
l' slel' dans la pino, prél xta, ce jour -là, une affairo il
tl'ailer il l'lii ez. 11 escomptait ulle nouvello invitalion à
demeurer élteL. M. dl' Mandnnne. II pensail que elui-ci,
uno fois de plus, lui di!' il:
- Cher mnl, vous pouvez l'CS leI' allLanl C[u'il vous plaira
[lU châtoau ; si VIJUS avez q\lclrlUe op6rulion flnunci6re il
elTlJcluer dans .Ia région, railes-Ie, 'l l'eVUIV'z co soir.
Il n'cn Iul riell.
M. de Mandnnne lui dit d'uil Lon ferme uL p su ;
- Monsieur :-3ymaise, jo VOllS ai invi! " pour quo vous
IIlU fnssiez "endre cleu x lerrains, pour qur vous me proTJosiez un arhc:t 'UT; il Y a uno semaine que vous L:L s id.
ûL vous m paraissez n'nvoir fail aucune démarche. Permettoz-moi de m'6lonnel' ...
11 n'y a v' il pas Il lergl verser. Hector Symuise ouL l'apidcm 'Ill tlne id6e.
- C'est moi (lul vous achMo 10 Lerrain.
- 1\ III honno heurl 1 Comblon'/
- Cinq millo rl'UlleS.
.
- Comment? Cinq mille rrallcs 1 cla vauL hlen plus ...
A\'Pl- vous bien évulu é 't
- VOuloz-vous que nOlis rulournions ... demuin?
011.
M. de I\! nndunnu mnchonnJ.it des mol!:! ;
- Cinfl millu, toul de m(·m , c'usL peu .. , vous aIJuS·'l.
�L'OISEA U 1'A~IO(;n
- Écoutez, ?Il. de Mand anno, ne me faitos pas la peine
de me reprocher ce prix, Je vous ai ofTerl plus que je n'en
tirerai. Pen::;cz à la difficulté qu'il y a à expédier ces
bois; un trinqueballe chargé de deux troncs s'embourborail dans ce::; chemins défoncés. ,. l!:t votr(J champ 1 Il l'st
épuisé; il fauùr a plusi eurs s.cmaines de travail pour
reLourn ;r le sol profond ément, Jl faudra. des engrais. Ah 1
oui 1 j'ai voulu fJir u un cade:J. u. car vous êtes un de mes
Jid èJcs clients ...
Comme cadeau 1... pensa amèrement M. de
Mandanne.
Hector Symaise poursuivit la ré alisation du plan qu'il
avait souùaÎn Imaginé.
- J e vals \'ous prouver mon désintéressement. ;\1011 sieu r Je Comte. J e suis un ami des lettros, un grand
ami ...
- EL alors '?
- Hl! bien. \ oilà l je IH'unds il mon compte lous les {rais
d'impression de votl'O " HisLoire d·OrLhez. "
M, do Mandunnu se redressa, piqu6 dans son amourpropre;
- ~ J aitre
S,vmn isr . je n'accepte pas d·uum ôn" ...
Celui -ci essvya de l'apaisor; d'un lon do'J cereux, il
di L;
- Une aumône? Null ement. J e Il ~ me por mettrnis pao:;
lin te! gcste. qui. d'abord, es t cont rJlre à mes princi pes ol
qui. ens\IILe, je 10 sais. \'ous iJJrsse.ruiL . .Je faiK une 0p(lI'.ILion co mm erci ale, un pl acement; Je mlso su r votre livre.
CeLte ol1re. pOlir M. de Mundullllo. (~car
tni t déllniLivemenl. bit'n des sOllcis d'ordre fln ancior. I:;a fortune. mal
ré l't:e pal' Jui , était mal assise eL ~ n piteux étal; olle no lui
pormeLLrait pas - il s'erl l' 'rId .llt co mpt.o - de 1'0a lis 'r
I>on caprice d'historien; l'urgent pI'OpO'lU par le 110t[l il'r
arrivait pro\'identiellement. ~epcnù
lL
~1.
do Mallùo.nrlr.avait un ce rtain sens ded roa hlés ; on y pensant sincèreIllent, ceLLe olTaire d'édition ne pouvait guère réussit" Peu
rIo gells /i'ÎntücssC I':licnt à • l'lIisLoire d'Orthez~,
oncore
moins sotlBcrirai(·nl -ils. pour J·acQuorir. D'o ulre purt, !'ùtl-
�65
L'OISEAU D'AMOUR
vrage tiré IOl'eément à un petit nombre d'exemplaires de. rait
êtro vendu très chor, co qui diminuerait encore le nombre
des amateurs. 1\1. de Mandanne voulait seulement un peu
de gloire dans' un cercle étroiL de personnes éclairées :
artistes, érudits; le gain était 10 moindre de ses soucis. Il
pensa soudain qu'il devrait perdre une certaine somme
sur chaque volume pour réussir à écouler son œuvre; il
voulait, en quelque sorLe, faire un cadeau il ses lecteurs,
que, du faiL de leur nombre restreint, il pouvaiL considérer comme des amis personnels.
Il n'hésiLa pas:
- Monsieur Symaise, vous (eriez une mauvaise opél'aLion do bourse, je me J'ofuse à vous fair perdre une parlie de votre fOI'Luno ...
M. Symaiso fuL abosourdi et rosta bouche bée,
- J o crois, !\Taitro, qu'en me proposant eela, vous aviez
une idée derrière la tùte, n'est-cc pas? Dites-lu-moi ...
Heclor Symaise s'e,x6eula ct , lyrique, s'é ria;
- M. de Mandann , c'esL ... c'esL m fortune que je
voudrais vous oITrir ...
- i\h 1 diablo 1
En échange de la main do Mademoisello votre
llllo.
CoLLo déci raLion était imprévue 1 M. do Mandnnne,
pourLant, ne manifesta uucuno surpriso. Il tortilla
quolques in ~tuns
sa moustacho griso, puis laissa lambel' :
- Au rond, c' st une idée,
'est-co pas, Monsieur? faisait le notaire exalté.
Vous savez f1uo jo suis honnùle, généreux, et quo j'ai des
idées Jtu'g 's ; jo pourrais f.l iro un xcellont mari cl. un
gendre à riter en oxemple. Mcs millions mo permettraIent
do procurer ù votro fille UIIO vio doréo l agréable ... N OUl;
pourrions fairo réparer le chfUcau ou achetor un autra
domaino... ous pourrions fairo éditer ù Paris votre .o~vrilg,
qui, ainsi, toucherait 10 public letLre:. ou!:! s.o~vJrlm;
un
certain nombro d'oxomplaires gr<ltuiL~
aux c.rlq~s,
aux:
<lCo.démicipns, aux lIIombrcf! cie l'lnshlut ... Certnl~o
e nt,
Uno rérompcnsu vi 'ndrait courOllnJ r un labeur dlgno do
1)
�66
L'OISEAU n'AMOUR
tous les éloges. Vous opposez-vous au principe de ce
mariage?
- Nullement.
- Alors, je peux me considérer déjà un peu comme
votreflls? Ah 1 vous faites de moi l'homme le plus heureux du mondo ; jo suis comblé ...
Pendant qu'lIeclor Symaise s'abandonnait aux délicos
d'uno imagination fertile, M. do Mandanno soliloquait: '
- Co mariage serail vraiment il r éaliser. Odette va
avoir vingt ans dans trois mois, ot, sans doute, pense-Lelle quelquefois à un mari. En voilà un, presque idéal,
ou, ~lut8,
~ui
vi.enl de se présen- '
quo je viens do trouve~,
ler. On no peut souhaiter mieux: riche, Joune inLelligent
ct me comprenant. Lui aussi aura de la chan~
do découvrir la pure flour quo j'ai soigneusement gardéo cl élevée.
OdeLte est uno maîtrosse de maison déjà acoomplie. Je
resLerais flVOC eux, cl ma vio finira dans la lranqulllilé ...
Il s'adressa au noLairo :
-Hé 1 Monsiour Symaise, venez-vous? Nou~
rentrons .. .'
- Mais commenl allons-nous informer MadomoiMlle
Odette?
- Très simploment, je lui parlemi de vous. Je vous présenlerai sous vos lraits vérilables ...
- Trop aimablo, mon ohor omle ...
- Vous VOU!! dôc1arerez ...
- .Je sui!l ému il. cotte ponséo ...
- Allons donc. Vous trouveroil une joune nlle toule
prôlo à vous écouler ct vous aimer. Le marlnge aura Iiou
Jo plus tôt possiblo.
- Je vous approuvo ontièrcmunt.
Ils nrrivèrenL hi nlôl au ch iHolm.
gai. .M. de Mandnnn Re
Lo rt'pns, co 60ir·lo., fut tl'Ô~
trouvail en vervo t M. Symalse lUI donna brillamment
la réplique. Le père d'Odotte so montra tout à raiL
almablo pour sa fille, se pr60ccupn do sos lcctur s, lui
cl manda si cil" no s'ellnuyalt pail, tli 0110 n'nvait nvio de
rien ... Ello souriait, otonn6e ot doucoment 6muo p, r cct
�L'OISEAU D'AMOUR
67
aspect imprévu do SOn père, que, depuis son enfance, ello
aurait voulu connaître ainsi.
M. Symaise prétexta lJne migraine et prit congé de ses
hôtes.
Couch6 duns ie grund lit qui craqlluit, il sc retournait
fiévreusement, n'arrivait pa. à dormir eL tantôt quittait
son bonnot de nuit qui tenait ehaud à sa tôte en ébullition,
tanlôL le remottait, craignant que la fenêlre entr'ouvorto
ne lui donnât un rhumo, co qui aurait pu lui ôter de SOli
prestige. On ne doit pas être afOig6 d'un coryza quand on
veut plaire 1
Dans la petite sallo à manger, M. de Mandanne et sa
fille éL:lient rostés assis, près do lu lampe il pétrole. Odette
occupait SOd doigts à un ouvrage de couLure Iullle. Son
père l'ost ait renversé sur su chaise el 50 pr~ait
à
parler.
Tout ù coup. Il dit:
- Pendant Jo tliner 1 je me suis enquiA plusiours fois dB
tes goOLs et do tes désirs ...
- Oui, popa. tu ns étu si g oUL ..
- 11 m'a somblé qu'alors, tu no tn répond is pas
franch<,ment, quo tu uvai, une au tro pon~û,
un me parlant.
Odetto rougit un p u. Une penséo co jour-là, comme
le nutre jours, l'avait hantéo:
Ile d'André. 11 lui
semblait qu'il au r:.1Ï t dO écrire, oh 1 uno lettro toute
simple, quelques moLs, uniquement pour donner des
nouvelles ùosa sanLô, muis peut-êtro nvaÎl-il ou uno rechute,
10 voyogo un auto oUf la routo dôConcée uvnll dO Otro un
upplic terrible pour lui...
.
Poul·êtro élniL-il morl. Morl? Elle fl'issonntuL touto
d'elTrol. luis non 1 li dovnit vivre oncoro. 11 l'avuit
ouLli60, alol's? Il avait passo PI"S d'ollo, ul c'éla~t
fini.
BUo n'oxisLait plus pour lui. D'uult'os rom mes USI~
sans
doutfl, uvaiont vécu pr s cl lui, inaperçues. 'avaIt-Il pos
, .
.,
d6clnrl: un jour:
- Il n'y Q pOl! ÙO fommes lJui III ulIncnl ... II n y 1.\ quo
mUlllun ./
�68
L'OISEAU n'AMOUR
Et cepcndant. .. Ah 1 s'il avait pu lire dans son cœur à
ene 1 S'il avait pu savoir ... II n'avait donc pas de cœur?
Odette se révolta contre celte hypothèse. Si, André devait
savoir aimer, ct comme nul autre, mais il était un timide ...
Odette, cependant, répondit tt son pi're :
- Mais non, papa, je t'assure, je t'écoutais ...
- Ta, ta, ta, la 1 EnOn 1 N'aR-tu jnmais songé, OdeHe,
que tu trouverais un jour un homme qui t'aimerait et que
lu aimerais?
- Papa, je ne vois pas ...
- Tu cs encore bien jeune, en erret. Mais, tu sais, je ne
reslerai pas 6ternellemcnt près de toi; lm jour ...
_ Oh 1 ne parle paR de cela 1
- 11 le fnut, pourtant. Si je viens ù disparailre, que
deviendras-tu ? .. 'J'u ne réponds paR, tu vois 1 C'est pour
cela qu'il te faut trouver un compagnon_
Le cœur d'OdeLte battait. Oui, ello voulait un compognon
ct 110 le connaissait mOme. Allait-on lui demandor qui il
était?
M. do Mnndnnne, le visago tondu t vivoment éclairé
par la lampe, conlinuait :
- 11 te fnut un mari. .. 10 plu') tôt possible ... un homme
qui te romprenne oL veuille Lon bonheur ... qui puisse te le
donnel' pal' fin Hi LuoLion et sa rortulle_
L'argent cntrait pell t'n ligno de campLn dans les rGves
d'OdoLto.
Elle l'celiOa Loul bas:
- ... Un homme qui m'aime, soul"monl...
- Hien sÎlr. !\fais aussi qui [liL los moyenfl de l'assurel
Uflr xislonee déb[l~rnRe
de lO~t
so~ci,
CJui IlO Roil pns
h(\l'cI'16, rOJome mOl, par ln geRllOn tI UIIO innme lorLun(1
qlli ne floit pllS éternellemenl dans la c:raillLc du It'lIdl'mail:
'ornmo I1H,i ...
~lni',
jc el'oyais, papn, que lu nvais hérilé ...
Celn l'sl hi "l1 loin, mon cnfi.wL. Ton 6duCo.llon por
UllO insLitulrku privée, vivant ici, m'n r;oùté hel' ... Non,
nOll, je Ile ml' plains paB. Je rcfl'rais tout ce que j'ui ro.it,
~'il
fal!ait l'CCOl11ll1cnrrl' ... L.e l'npilal a (té olltam(,; tu dol...
�L'oreZAU D'AMOUR
- Je n'en ai pas besoin; si un homme m'aime, il ne
me demandera pas si je suis riche ou pauvre ...
- Tu crois cela, ma pauvre enfant 1 Il Y a peu d'hommes
qui n'envisagent pas ce point; il n'y a que peu de personnes, d'un esprit élevé, qui considèrent comme indigne
d'elles de faire entrer une forlune féminine en ligne de
compte ...
- Oui, certes, il y en a, murmura Odette, avec une
ferveur qui 6Lonna M. de Mandanne.
11 insista:
- Il Y en a un très pelit nombre.
- Plus qu'on ne l'imagine, peut-être.
M. ùe Mandanne, al 01'5, enchaina:
- Que penses-tu, fillette, do M. Symaise?
- Moi? Je ne sais pas.
- Allons, tu dois bien avoir Les peLiles idées sur lui ..•
Confie-loi Ô. Lon vieux papa.
La jeune fille ful complèLement d6routée. NullemenL
hobitlloe Ù ceLLo attitude de son poro, olle n'arri voit pas
lA se mettre en rapporL avec elle. InsLinclivement, Odette
resla Bu r la défensive:
- JI n'esL pas permis à uno jeune fille de juger un
homme do cet Dgo.
- JI esl encore très jeune.
- Hum 1 Tout ce que je puis dire, "est qu'il mo parait
lri!!; hahile.
- Pourquoi?
- l'arc 0 qu'il sail se mettre n bon'-; Lermes n vec Lout
10 mondo; il a donné de gros pourboire;; ù Alexis cL à
CutlH.·rjnc.
- C'ost un hommo l'i(;he, crl orrot . m a-t -il ruusRi li
so « motlr'u 011 bons tormes " avec loi?
- II Dst gentil, il jouu du piano nsser. bien. i\la~
pO~lr
quoI fume-toi! tant de cigares !Jui ~nrumet
la mUI"on?
nïvl) enlant, pr \1sa 1\1. Ù , ~fund<\Ie.
Bt Il parla tl'autre chose jusqu'à l'hourc du couchor.
�70
L'OISEA U D'AMOU! !.
CHAPITR.E VII
DÉcr.AR ATION
Le souvenir de cet te étrange conversation tint Odette
éveillée pen dant une partie de la nuit. Los paroles da
M. de Manr/anne Qvaient révél6 à sa fille qu 'il avait sur
le mariage des id ées sensiblement diJTérentes des siennes
propres. D'autre part, l'aveu qu'il avait laissé échapper
dn mauvais état ùe ses finances la préoccupait. Ainsi, son
pèro tremblait pou r l';1venir et 50 souciait de trouver un
abri pour son enfant. M. de Mandann c, enfin, s'était
lOontrù changé , plus patern el ct plus aimant.
- Pauvre papa, songoai t-rlle, JI a 6té souvent l'udo
avec moi, maiKil avait tant d'ennuis matéri els ... Iü pourtant, il me donnflit co que jo voulais. JI 50 sent vieillir
o peiné d cette constatation. Mais quo
aussi, ·t ~c mbl
fairo?
1'; Jlo no songeai t pas du tout, alors, à Hector Rymais ,
I]ui, h ce mOllont, dans uno chambre pr ~s de la I\lenno
Ton nait la houche ouverte, ronlluit co mme un vi eillurrl. '
no, ne
lII'rtOI' F:iymaiso , n vonant c ho ~ M. de Maorlan
s'attenrlnit pns h r onrontr ef une enchont rOSse qui 10
l'oti enrl/'ait PfPS do lui, d'aill ellrs bien illvolon tairement.
Il avait confié so n étude Il son premier clerc, un )lOmmo
do no pa
a lenL
trè.s fort n. droit. Mais, ses di.cnts s'6 t~n
IoufIranco.
VOir Jo notluro. Il y avait aUSRI des afIalres en l'
'fouL le rDppelait ù Bordeaux.
M. do
Il quitta donc ses hôtes, t, d'occord av~c
Mandunne, laissa dans su chambr o un certaIn nombre
d'objots. Le d6sir d los r6cupOrer rapidemont 50rnit 10
motif do son prochain r etour.
Son dUJlart tut uu suj et de COn v rsaLion ontre le père
et la /1l1e, converlltltion qui dégénéra bien vit en lm
pan6gyriq 1 en rrglo de M. S.Ymaisù, par M. rIe Manrlanne.
Après Je discours enflamm é d l'nnCÎC'1I capitaino, null e
�L'OISEAU D'AMOUR
71
femme n'aurait résisté au désir de connaltre et d'aimel:' un
tel homme.
Mais Odette, dans son cœur, entretenait pieusement le
culte du souvenir d'André, et elle savait que jamais elle
ne donnerait ses pensées il un autre que lui.
Trois jours plus tard, M. Symaise revint, jouant fort
mal le rÔle d'un personnage qui Il oublié une brosse 11
cheveux, deux flacons et un fourreau de parapluie.
- Ah 1 chers amis, que je m'excuse do vous déranger,
après avoir abusé de votre hospitalité ... J'e$père que
vous ne m'avez pas exp6dié mes allaires à Bordeaux? Ah 1
très bien ... j'avais peur que vous n'ayez pris ceLte peine.
J'en aurais ét6 dosolé ... J'ai prOférû revonir, surtout que
j'ai encoro certaines afTaires à régler dans l<.'s environs."
11 offrit il Odette un magnifique collier.
- Non, Monsiour, je no veux pas accepter ...
- Mademoisello, jo vous en supplio, gardoz·lo ..• Jo
vous serai encoro redovable ...
- Monsieur Symaiso, vous la glUez, vraiment, coupu
M. do Mandanno, onohantii.
- C'est la moinuro ùes ('hoses, t cola me fait plaisir
ùt! vOÎl' un collior aussi bien porlé.
Monsieur ~ymtliso
était arrivé justo apl'ès 10 d6jouner
des de 1anuanne.
- Vous allez permetLre à mu fIIlo dt! vous servir uno
tasso ùo caré?
- Jo n'en ai nul besoin ...
- Bah 1 Dehors, SUI' la terrasse ...
- Mais non, je vous -n prie, no vous dérangez pas,
Mademoisello.
Mais, dl-jil, OdeLle s'emprossait. Ello oruoDna Ù Alexi!:!
Ùtl transporL r SOIlS lcs arbre' uno petite lul.Ji.e, eL quand
c llo-ci fut installéo ils !;'as iront tous les troll:l et suvour l'cnt Ù petites gorg6cs Jo br lIV,lgd aromatiqlle. Soudain.
1\1. uo l'If andunn HO lev l
- Excusoz-moi. J'IIi uno id '0 peur l'ol'donnunco d'un
'hapitro d mon. llitlloiro ., oL jo no veux pas lu perdre.
Un instanl. n't'sL·cc (H\H, chor Monsiour?
�72
L'OISEA U D'AMO U R
- J e VOUS en prie 1 dit aimablement le notaire.
M . de Mandanne se dirigea vers sa tour, et Odetle
remar qua la lourdeur de sa démarche. E lle rest.a seulc
avec JI cct or Sy maise. Ell e éta il assez gênée de cette
situati on.
- Que va is-j e lui dire? pensa-t -elle.
Ene prol1C1nça une parole banale sur la dou cour du
te mps.
- Oui, il lait beau temps, répondi t lIeclor Symaise ,
ct l'on sc sent plus à l'aise. Le cœur bat d' un ryt hme
nouvea u. Mais, peut -être, ajouta -t . il avec un sourire
savamment 6tudi6, cela ne vi ent- il pas soulement do
la clémence du ciol ? Purfois, l'on so sent mieux vivre, par
exempl e IOl'l:iqu'on se trou ve auprès d'u ne jeune p er sonne aussi paI'éc de grûces que vous l'Hes ...
- rais, Monsieu r ...
- Oh 1 ne parl ez pas, Mad m o i ~o l e Odetto, laissez- moi
seul ement vous regardo l', vous admirer... on, non, ne
vous en all e/. pas , '·coulf·7,· moi .
JW e s'éta it levée, muia il la relenait dou cement, debout
lui aussi, un e main sll r 10 cœ ul'.
- Éco ulez- moi, do grâce . Laissez-moi vous posor 1I 11e
quet>tio n : VOltS suis- je... antip athiqu e?
- Laissc,:-moi, su ppli a- l -cl lo.
- Non 1 l'ar pilié, s'6cria- l- il d'uno voix fr('rn issanto,
B t Fouuu in, après UII ges le instinc: lir pour relever un
peu son pantu lon unn do n 'OJl pas dMn ire II) pli , il so laissa
tomber 11 g 1I 0 UX de vant 0110.
- Mad moisollo Od tte, laissez-moi vous dire ces mots
si dO ll xà mon cœu r : Il J e VOU!! aime ... » Comp ronez- vous?
u s tout cc quo (;l'S mots coni si~ez-vo
J e VO UF> aimo ... f:)a
tOllrm ' nls 'l Ne 1Il C r ep OUHSe7.
de
lielllll:nl do joil' ct aussi
pus, jo vous en Rup plic. J'rûlol l'oreille (l U aveux de
l'humbl e amour II X que j suis ... ~
Ho n front. luiRai t d'une sueur d'llngoissc, sa voix 1femùl uil.
li t;ontinu oil, lf>u jüuTs sur le mod ' Iyritl llc :
- J e Hais lllle jo ne suis pos tout ù fait lu h(·ros de lu
légende dont rôvenL Illllguissamm 'Ill toutes Il's jeu ll"s
�T.'OI S EAU D'AMOU R
?3
mIes, vos sœurs ... Mais je possède, lrésor inestimable, un
immense amour ; je veux faire votre bonheur, je veux que
vous ayel de splendid es toilettes, que vous poss6diez votre
voiture, que vous soyez la reine de brillantes assemblées.
Vous aurez des bijoux , vous aurez de l'argonl pour vos
moindr es désirs ou pour vos bonnes œuvres ; volre pèro
vieillissant, vous le garderez près de vous, près de nous,
prèl; de ses pe tits -enfants .
Comme un "cho, revenai t dans l'espril d'Odett e les
puroles de son père : « '" J e suis h arcelé par la gestion
d'une in fi me for tune.. . J e suis éternell ement dan') la
lTuinle du londe main n. Elle le revoyai t, le visage crjspé,
hanLé pal' la crainLe des di mculLés nnancières.
- Madem oiselle OdeLte , l'épand ez -moi ... puis-j e espérer
qu e vous m'agrée rC'z un jour '( Di tes -moi quo nous
so mm es fi ancés dès main Lollanl, qu o nous allons apprend ru
6. nous mi oux coru1allro ?
Un pas rotcnLÎssail sur 10 pu vé do ln petite cour, derrière
lu maison, ol ap pror. hai L.
- Belovez- vous, par pi l ié. Nc vous laissl'z pas surprendre ainsi par Alexis.
- I1h bi en, diLes ... Oui, <liles- moi qu e vous me luissoz
OSp "I'l'r, qu o vous m 'a u to ri se ~ à vous aimer .. . EsL- ce
oui ? .J urez- moi seulom 'nl do me donner uno I·éponse ...
Encore lIne second e, et Alcx is allaiL al'river . OdeLte dit;
- J e vous répondr ai demain .. .
g ll e avait ainsi puri'), un pou par surprise , un peu par
( rain ll) de so voir trotl\'ùe P,lI' l'ancien ord onnance dans
HII(' situ ation ridicul
pt , slI r Lolll, pur désir de ne pas
p<, in ul' SOli piJro. ~1. de ·. 1nnt!n nll u l'avail prüsq ue implo'r ée.
Mais sa f,o umi ssioll dC\'<lil-c lio all er jusqu 'nu sacrifice ? BL
il Illi semld IÏL qU l', dll riel où il vol ait, Andr6 do OiJTrey,
clui qu'ull o aimait, Illi fo i,;aiL do ntU etfl reproches.
- fil on Di eu, pr nsu- L- ellc, quand clio se trouva seul e,
ai jo bi rn ngi ? J'n i luis5(' l'F p {'I'I'I' , j'ai permis ;l el homme
quo j'l'); lCr.) de Cairo \In r\l \,c ... C'était pOur mon père qui
so unrc de vieil lir cL de s scntir po.U\Tc.. . J 'u i p u r]( ~ conll'!)
�74
L'OISEAU D'AMOUR
ma pensée", Suis-je une pécheresse? Mais le cœur,
parfois, donne de fâcheux conseils; je me dois toute à
celui qui m'a élevéo, qui m'a nourrie et aimée, Oh 1 mon
Dieu, inspirez-moi 1
Elle priait avec ferveur.
Et ello avait promis de donner une r6ponse au cours du
jour suivant.
CHAPITRE VIiI
LA
Rlll'ONSll
n'oDETTE
lIector Symaisc, avcc une délicatesse qu'il faut noter, ne
sc pr6senta pas 0 elle ce maLin-là. Il voulait qu'clle
1 éfléch t bien, ct il avait trouvo un prétexto pour no pas
s'imposer trop tat à celle qu'il onvoituit.« Jo vais consulLer 10 registre do l'étaL-civil de 1898, à Orthez, » déclal'a-t-il.
Odotto l'oLOUI'nuit infatigablement la siluution dans son
espriL el no trouvuit pus d'issue ni le moyon de se dOfaire
do son engagement.
L'aigu'lIu <le l'horloge avançoit, grignoLant le Lemps.
- 1!:h bien, OdeLte, ù quoi rêves-tu? doman<lil.
M. <.le Munùanne, la surpl'ellont daus une profonde rôverie.
- Mais ... pupa ... je no snis pas!
lJ lui III UII pel il coup d'œil complice ct d 'mandu ;
- Ne soruit-co point ù Monsieul' Symaise?
- CommenL, Lu sais?
11 eSl{uissu un gcsl évasif qui Il uvail signiliol' l
" Que ne sui -je pas? H
Il dit
l
- M. Syrnaiso m" full (JarL do lu déclaration q\l'i! L'a
fnill' hior.
mIe soupira:
- Hélasl
- Pourquoi h(·las? Tu vu ucct!pler je suppoae? Je
n'aurais paf! pu Ijoll!lniler ùo meillcuJ' dll1J'j pOUl' loi j il
n'y Cil a cOl'lainOIJll'lIl pUti, Illon ('Ilf:wl.
/
�L'OISEAU n'AMO U R
73
- Oh! si, faisait une touLe petite voix dans le cœur
d'Od ette.
- ... M. Symuise es t distingué et riche. C'est ce qu'il
nous fant ...
glle sentit Loute la signification de ce nous.
- ... Tu seras gâlée, choyée par lui, plus qua tu ne l'as
été pal' moi-même ! Tu ne lui as pas encoro dit que tu
acceptais ?
- Non, pas encoro, mon père.
- lJJt combien de Lemps penses- Lu le faire soupirer ?
D'une voix morle, OdeLte gé mi t ;
- Jo lui ai promis de 10 fi xer aujourd'hui.
- lJJh bien, il ne faut pas attendro, ta résolu Lion esL
prise dès mainLenanL et bion prisc o Tu aurais même dù
voir hior ta ligno de conduite. Qu o les femm es sont éLrangement faites 1 Elles ne savenL pas cc qui es t dans lour
intérêL; et, j'en suis certain, comme des alouoL tes par un
miroir, elles so laisseronL séduire par los promesses les
plu s invrai semblables. ,'i jo renconLro M. Symaiso avant
toi, je lui dirai quo tu acceptes.
Odot.te, valnr.ue, ne réponùiL pas .
La cloche, que )' 011 uclionnuil, de lu grill e, résonna.
C'6Lait un /)v6oumont.
Alexis Jals!l'l aussitôl, le travail qu'il HvaiL onLr rp l'Î
Ca LherIno, <lui, d'aill eurs, 6Lait xtr r-momonL uri oLl5l' ,
abandonna S S c[lfjseroles cL Odotte Ro rtil rto sa chambre.
Lo cour do clocho fut mômo ontendu )ill' M. do 1\11ndnnno duns sn tour, mals, grand. Hcigncur , il Of) dn ignn p"r;
so d6ranger, ol atLendit qu' n vint l' avOl'lie, solon 1"5
r gles, « qu o quelqu'un demandait Monsieur ;> .
Alexis ou vri t la porto toulo lnrg '.
ne nulo entra, cello-l n mèmo qui 1\ vait emmené Andr6
"nr'ol' hlcss6.
m ce luL lui qui on dc:crnd it 1 GanL6 cL 0 11 granrI uniform e, Lel qu o l' avaiL rC v6 souvent Oelotte, il!iembl(1 il no
BO rossontlr uucunr mcnl de son acr idcnt L marchail n vcc
disLiocli oll.
�76
L 'OI!EAU D 'A~IOU\
Il SCI'I',l vigoul'eusement la main d'Alex is :
- Bonjour, mon brave.
Un imm ense troublo avait en vahi Odette à la vue de
l'être qùi lui éLail si cher. Mais il ne fallait pas lui montrer srs sentiments. 11 n'est pas séant qu'une jeune fille so
jetto à la lête d'un homme, même si elle J'aime. C'e~t
lui .
qui doit la demander, ce qui n'emp êche d'ailleurs pas la
jeune fille de provoquer par foi,> celte déclaration, en
saehant so faire comprendre, en monlrant qu'elle ne sera
pas une cruelle, avec le tact qui est habituel à toutes les
femm es.
Une force poussa Odette et elle vint sur le perron.
André l'aperçul ct, en quelques souples enjambées , gravit
les marches, ôta son képi:
- Mademoiselle, j'ai le très grand honneur, ct la joie .. .
Il lui baisa la main qu'elle tendait. 'foute frémissante,
elle dit:
- Je suis heureuse de vous r etrouver en bonn':J san lé,
Monsieur de GilTrey.
- Vou s le voyez, Mademoiselle. J e l'lui s ontièrement
remis ... grâce (lUX bons so ins que l'o n m'a prodi~ué
ici,
grâce à l'abbé Grolière, grûce à vous .. . El je suis venu
vous remercier. Un peu tard, sans doute, mais il n'est
jamais lrop t ard pOUl' exprimcl' su reconnaissunce.
- Quo je su is hou ('euse dt' vous voir (l insi 1'6lnbli 1
Andr6 ava il fuit un signe au conducteur de l'auto. Celuici so retourna pOU l' prend ro quelque chose sur J'un def!
siligcs. Mais Andr6, llnpatienL et nel'voux, su précipita luimèrno vers la voiLure, en Lira un vasLe palti"\, ('0 oûm' ,
J'ouvrit, Je rejela après eil avoi r extrait ulle splcndide
gcrbo do rost·s.
- Mademoiselle, permettoz-moi de vous olTl'i l' ces quoi!')UCIl fi 'urs Cil l6moignago de ...
- nllos sonL magnifiques 1 coup a M. de M,'nùalln en RI)
pluçunL devant sa flll e oL ell prcrw nt 10 hfllHlllot. Jo vouti
l'~\
r e m e r CIe , II1Ol1liillur. Ahl vraimllnt, VOWI en USCl Ct voLt'O
a IR', MonIlÎl'ur. ''l'es L·ce p lIS alLOZ que n'JUS ayons dû pendant quinGe jourd ..•
�L'OI SEAU n ' AMO U R
Il s'arr aa, puis :
- J 'a vnis reçu votre lellre, voLre visite éLait inu We.
Ainsi, le père d'Odette avait reçu un e lettre d'André et
n'en avait ri en dit à sa fille?
André de GiITrey était interloqu é par cette violence, et
Odette rougissaiL d'enLendra son père parl er de la sorte.
Pour l'interrompre, elle demanda maladroitement:
- Veux-tu me donner ces roses, papa? elles sont si
belles qu'il ne fauL pas .105 faire souITrir ; je vais les mettre
dans un vase ...
- Ait 1 ma nll e, Lu dépasses Loules k s limiLes permises.
Quell e inconscience, touL de môme 1
I1t, furi eux, il j ' ta à Lerre les fl eurs Utl X pétales serrés
l'L aux doucul tf3inL s, les piHina avec rage et, fin alement,
les rejeLa loin de lui d'un grand coup de pird.
OdeUe, la gorgo contrac Lée il la Vue de ce specLaclo, no
plll articuler un SOli.
André, r aidi, comprit qu e c'é tait un congé, une mise il
la porte.
II no pouvait cl mander il flon utrange bienfaiteur la
raison ùo sa haine du soldaL. 11 s'inclina, comm o lorsqu'il
reovait un ordre do ses supéri eurs. Il éprouva un déchiremenL et il GouITrit commo jamais peut- ulre il n'a vait souffr rt. 1'010, presqu o chance lanL , il F;'jnclina dovant OueUe:
- Mademoisell e.. .
n ans un SOllent', ull e répondit :
- Monsieur ... Diou vous pl'oLègo 1
- AH l'ovoir, Monsioul' 10 co mlr.
-- Adiell.
]l;L M. de Mand ann o, pur co brutal
Uue rois ùe plus !'la vol on Lu.
«
Adieu
li ,
signifiait
OdeLlo ovait. eUH ss6 un momlfll )'e3poir insen"é qu e
réalisé. Son pèro 6laiL venu lui ôtor
SOn rév allaH ~ tru
lOl1lo préLenlion. Mois, désormais, il n pouvait plus arra (Illr du c:œ uJ' do sa tillo le vœu qu'ello venaiL de tuire :
(:<.> 1Il Î de l'es LeI' fid èle à Anrl1'6, quoi flu'i[ arrivût d quoi
qu'il pû t advenir de cot le ul Lilu le.
�78
L'OISEAU D'AMOUn
Le soir, Hector Symaise r ev int, ayant mis son habit d es
grands jours et les bras chargés de Oeurs blanches. M, de
Mandanne lui avait dit un peu amèrement:
- J'ai fait comprendre à ma fille son devoir .. , son intérêt ... En somme, c'est oui.
Quand il fut devant la jeune fillo, il dessina son plus
aimable sourire et, faisant uno grande r6v6renco 1 il dit l
- Mademoiselle, all ez -vous co mbler mon vœu lu plus
ardent?
- lIélas l r épondit- elle, le ciel que j'ai interrogé m'a
indiqu a uno autre voie ...
Heclor crut avoir mal enLendu, ses rega rds se troublèr ent cl, un instant, il faillit s'6croulcI', M i8 il se ressaisit:
- Comment? c! omanda-l-il.
- J e ne vous aime pt\s 1 Non 1 cria-l-ello avec une 6norgio désespérée.
III clol' Symo iae , absolument dura it, perdit loulo contenanco eL pleura presque. Comme un enfant qui réclame
quelque chose à sa mère, il implora l
- Maie; pourquoi, pourquoi, quo ma reprochez-vous?
- J o ne vous a imo pus, reprit fe rmemenl Odolle.
- Mais vou~
I/l'aimerez ... plus tard ... Vous apprendrez
à ma connaître." jo sens quo jo réussirai à vous inspirtlf
un pcu do lu passion que j'i'l pI'OUV e pUUI' vous ... vous ...
Tri sl 'mcnt , ello dit:
- Non, Monsieul' ~y m u i sc , je ne p ux plu 3 donner mon
cœur ...
1J6scllpé ré, furi 0uy' , il ~'.J cotlVl'Îl, rt groles que, il jola :
- Adi/!u, Mademoiselle, arliou, inhumaine 1.. . Ah! je
s~n
q 10 jo vuis ! ,il' un mi'lhl'ur ...
El, B' 1O!l l'cg,lrt!('r derrièrl) lui, il s'e nruit, avec son h'lbit
lie soir"'e riJicul ll J' Il'1 celle occasion, ,t sl)n bou4uot du
fi'JUlio il ia m"in ...
et d()~
gens SU I' lu roule pllrent voir \10 H urLo r Syrn.!i,e
!le snuVl'J', en fui"a nL do Hr,lOu~
I{l'I'llcs c.1 éllordonn{oil ct •• 11
lJJ'ulldissunl 1111(' gl'f'bo do fl ours, 1l0Tl chapeau do c6r6rnonl u
do \r' IVI' r s HUI' l'J c l'iÎn , lrai llunl les pied,; cl soulcvunt
ùe la pOU!:I';iUl'C.
�L'OISEAU n'AMOUR
79
Le soleil couchant brillait dans sa splendeur narquoise.
Quand il eut connaissance de ceLte scène, M. de Mandanne enLra dans la plus violente colère. Il lova les bras,
comme pour frapper ou maudire, et quand il fit ce geste,
son épaule so rappela à lui par une vive douleur, ce qui
s'ajouta encore à sa surexcitation.
Ecumant et blême, il criait :
- Ah 1 fille insensée, tu as les instincts d'une coquette
qui se promet et se refuso. Pourquoi ai-je une enfant
pareille? Jo ne méritais pas de me voir menacé d'une horriblo vieillesse auprès d'une nlle sans corvelle qui aura été
la aus de mon malheur et du sien. 'ru avais le bonheur,
la richesse à portée do la main, pourquoi n'as-tu point fait
) 0 geste nécessaire ot si simple? Non, tu veux me raire
mourir', tu Il'as pas do cœur ...
- C'esL parce quo j'on ai un que j'ai rofusé 1
- Follo 1 tu as lu trop do sornottes dans ton entnnce,
tu crois ù tout 00 qu'on raconLe dans des livres pornicieux
ot faux ... IiJL je suis perdu d'honneur mainLenant. J'avais
donné ma parole à M. Symaiso que tu accepterais... Que
va-L-il penser de moi, aprOs cela? 11 va mo considérer
comme un faible qui 50 laisse diriger pat' )0. Lôto do linotLo
do sa fllle ... Non, tu n'aimes pas Lon père ... tu n'aimeras
jamais porsonne ...
hl si, mon pore .. .
- Qui, mais qui donc, alors?
Ello avoua.
- André do QifTNY·
- Ah 1 C' st do l'ignominio 1 CeL individu ... cet offici r
ost venu Lo tourner la tôto. Il n eu l'impudence de venir
to relancer aujourd'hui môme. Oui, ma vio aura ét6 10
j01l0L du destin. Deux fois des officiers m'auronL brisé io
cœur. Aprlls m'avoir d6shonorO ot m'avoir tu6 mo. fommo,
ils viennent mo prendre ma flUe. Alors, toi, naïvemenL,
rtI 0. ses déclarations d'amour, 0. ses sermonls? ..
tu a~
- Il no m'a jamais parlé do tlon cœur.
- Ah 1 Ah 1 d mieu. en mieux 1 Mademoisell voit UII
Crnciel', clIo en lombe umoureuso, sans que l'autre rut rien
�80
L'OISEA U D'AMOU R
fait que se pavane r devant elle, que faire la roue ...
- li ne se pavana it pas, papa, IOl'squ'i l gisait sanglan t,
délirant . C'est alors que je l'ai aim é, parce qu'il souffrait .
- Tu as complè tement perdu la r aison 1 Je ne veux plus
t'entend re ... Si je m'écout ais, je te ferais enferme r dans
une maison de correcti on ... Mais ce n'est pas possible ...
Alors je te mettrai au couvent ...
- Papa, je t'en suppli e, compre nds-mo i ...
- Tais-to i, tu es indigne do moi, du nom que je t'ai
donné.
Et il sortit en faisant claquer la porto.
Odette, de son côlé, Iut extrême mont peinée de la scèno
violente qu'clIo avait essuyéo do la part de son père.
Elle so rolira dans sa chambr o, anéantie , ct, au repas du
soir, olle flt dire par Cathorino qu'elio no descend rait pas.
Le lendema in, un joune garçon d'Ortho z apporta une
enveloppo sur laquelle on lisait:
A MilO de Mandanno.
l'ERSON NELLC
trouvai ent ces mols:
Bnvoi do M. Hector Symaise.
- Y'a une réponso, diL 10 portour .
- Ahl très bien, fiL OdeLLo.
l!:t, sans la d6cachotcr, clle d6cllira la lottre en morcea ux.
- Voilà, tu pourras rapport e l' cc quo tu as vu ...
Lo soir, Cathorine, do qni lu curiosit é était 10 p6ch6
mignon, alla ram05SCI' les fragmen ts. Ella eut tôt fnit de
reconst ituer la mis.:lÎvo :
Au dos j
50
Mademoiselle,
«Peut-O tro m'avez- vous r'pondu d(lns un momont d'égaroment.
.
« Peut-èt re vous rppcnloz. vous de no m'avoir pas ngl'06
volro
AUI'
rovonir
de
oisollo,
Madolll
temps,
encore
« 11 est
parolo J et do sauver ainsi la vic du malheu roux qllo je
/1
8UÎ.J!.
�L'OISEA U n'AMOU n
81
" Vous êtes la seule femme que j'aie jamais aimée, et
. mon échec auprès de votre cœur m'est si cruel que je disparaîtra i si vous n'avez pitié de moi.
o Faites-m oi grâce, je vous en conjure .
CI Celui qui vous aime et vous l'especte
.
Hector Symais e. »
Catheri ne 6carqui lla les yeux, relut cela plusieurs fois;
enfin, elle eut ce mot assez drôle, en vérité, venant de sa
part:
- Après tout, cela ne me regarde pas ...
Et elle brûla chaque morcea u, séparém ent, à la flamme
do sa bougie.
Hecior pensait sérieusomont au suicide.
11 réfléchit d'abord et so dit que sos afTail'os n'étaion t
pas tout à faiL en or~,
qu'il devait aller à Bordea ux et
s'on occuper, avanL de r6aliser son funesle projet.
Ce souci le saUvft.
En olTet, ayant retrouv é son colTre hien garni, son éLudo
florissanlo, sos amis de cerclo cL sa cuisinière savoyar de,
DrillaL-Savarin en jupons, il so diL que ce n'était pas
encore 10 Lemps do mourir cl que la vJe avait encore de bion
belles coulour s.
CHAPI TRE IX
TRIPTYQ UE
- Hô! Monsiour Jo curé, que jo suis hOurouso do vous
voirl
- Bonjou r, mon onfant 1 Commont vas-tu?
Odotto vonaii do rencont ror avoc plaisir, commo loujoursl 10 bon abbé Grolièro, abrité par uno ombrell o
dovenue vori.jau no, sous 10 soleil. Le bravo hommo soul'il otlui rendit son saluL :
- Quollo chalou l', hein, Oùetlo?
- GosL la !J"uiso/l, Monsieur le cur6. Voulez- yous YOUS
'6
�82
L'OI SE AU D'AMOU R
rafraîch ir ? Entrez donc ... m ais si. J e vois que vous en
a vez b esoin.
- M. d e Mandan ne n'est p as là?
- Il est p arti, pour la journée , à une réunion d'érudit s
de l a r égion. Il est très préoccu p é du so l't do son m anus crit.
L 'abbé Grolièro était un psychol og ue. 11 rem arqua :
- Tu as l'air bien trisle, ma p etilo Ode tte, ot il me
somblo quo ton visa go est un p ou p â lo. Te serais· tu querolléo av ec lon père? Quand tu as p arlé do lui, 10 ton de ta
voix a changé. N'ost- co p as cela '1
- Oui . .. il pou pr6s.
- Alors, on a été uno fUi e indocile ot d ésob6iss anle, on
a m is son pap a on colèr o p ar s s p etiles v ol onl és?
- Vous approch Ol: un p ou do la vérit6.
11 prit les m a ins d 'Ode tto dons les sionnes, de gr osses
m ains ruguouses, comme coll os dos paysans , e L Ja regarda
da ns les ye ux:.
-- Il 1110 semlJlo de viner co qu'il y a d uns co Llo mi·
gnonno corv ollo.
- Monsieu r le cur61 (ello 6cla l a on sangl ot:» ... j'aimo ...
- Mais cela es l très bien, pourqu oi plourer ? Allons, s6Itons ces lar mos .
11 pronail lo m ouch oir d'Odo lto eL lampon nait 1 s ye ux
do la p otilo ch il tela ine qn i n'arriva it p as à 50 onsolor.
- J 'a im o, oui ... Mois p apa a dit qu o c'é ta it très m a!. .•
qu'il no consenti ra iL jama is,
- m 0 jeune homm e?
- Oh! jo rois qu'il m 'niOle un p eu, lui a ussi.
E llo 90 calm a alors, l fil s S onfldolH.:OH :
- Ainsi, l'auLro jour , il st venu pour rem ercior p apa el
Lo us CO ll X qui J'uvalenL Roign6 ...
- Oh 1 ohl .' sL M. do UHTJ"oy l
- Oui.
Co
- m ton Il r n quoIquo CllOflO à lui r eproch er ?sertjeuno llO mm c m'u. toujour s par u ani mé des mei lleurs
tlm enls chrôticn tl. Jo l'ni ntondu JOll(J r Dieu do J'avoir
épargn(' 10 1'/1 do sa chu Lo ot do l'a voil' fuiL l omber !H'ÔI:l de
�L'OI S EA U n'A MOU R
83
ce tte maison accueill ante . J e le crois digne de t ou Lc nolr e
esLime.
- Vous avez raison. Vous me failes du bien, Monsieur
le curé .. . Je disais donc qu'il est revenu, il y a quelques
jours, et il m'a apporté un magnifique bouquet de roses.
- M. de GiITrey cannait tes goûts, ..
- Hélas, pâpa u délruit ces roses lorsqu'il me les a
données 1 Mais qu and il a éLé parti, je suis allée ramasse r
los pauvres fl eurs meurLri es. Et au milieu du bouquet, il
reslaiL un joli bouLon, intact. CeLte petite roso est le
symbol e do mon amour qui est r osté intact, lui aussi,
malgl'é les mauva is lraitem ents ot l'adversité.
Le se uvenir de la scène a vait ramené des larmes aux
youx d'OdeLt e.
- Ça y es L, tu La remeLs ù pleurer l Tu es donc une
p olile fonlaine (il lui tenaH le monlon) ... une petile
fontaino au deux mUl·mu re... Ah 1 tu souris. ÉcouLe-m oi
un peu to J'ail'o lin sermon do ma faç,en. 11 esL Lout il fail
louablo d'a imer. Dieu ne nous n-t'il pas l'Ms en partie
(la ur l'éjouir son roganl de ce spactac lo admir ble : la
I;ommllnian de ùe ux cWl1 r s? ~ I a i s , poux- tu affirmer que
M. do OiJTroy éprou vo p 01lf Loi do l'aIT ction ? 11 fauL ülto
raiso llnabl ol no l' ml L leurrûr do chim ilre!'l. D'auLro parL,
lu dois obéir ù Lou pèl'u ; de propos déli lJér6, Lu no pourrai s
pas épousar lm homm e qu'il ha'irait , Jlli, pOUl' des ra isons
quj 'orLaine monL onl un solide Iondomonl. .. 'ru es lJioll
jeuno, Odollu. No L'éco uto p aH tl'OP, prCLo J'o reill o aux
propos des ge ns qui sont plus flg6~;
quo Loi, songo qll O Lon
P Ùl'O l'a im e lu nùl'cme nt Pl qu'il v II I. Lon honhoul
'. ObéiRlui, lor.,qll' d Ln pr('scnl C'ra un époux .. . ut n'o ubl i" pas,
aussi, quo l'abbé Oro liôro SNa to uj ou rs Jà pou r ln
conseill er, 0 11 Lu ()oll';oler. QuanJ lu ~o r os dans la l' l'in!',
n'n LL enrl'l pnB ri o me tl'llcontrPl' , vion!! me voir ...
],Ol'Rqur Ge , ~ r,amara r! os l'avaiont ra m 'n!) il l'ail en
alI toJ\l ob il e, André ôta it preHlIuo gll ûri. On J'ava il otlligfl,
pourlll oL, il rl'sl(' 1' qUel quOfl jours à l'JI Ôpi la l. P 'n 11lOl sa
convaloscunco, il a vait cu 10 lumps <.l e réfléc hir sur SOli
�L'orSE AU n'AMOUR
avenlure récente. Il avait revécu ..par la pensée les épisodes
que nous connaissons.. Quelquefois, à ses yeux, était reparue
la silhouette d'Odette; autant qu'il s'en souvenait , il ne
l'avait jamais vue tant qu'il était r esté dans sa chambre.
Se\ll, était bien vivant à sa mémoire 10 souvenir de leur
amicale conversation lors do sa première et unique sortie.
Il revoyait Mlle do Mandanne, assiso sur une pierre basse,
une légère mèche de cheveux sur le fronl qu'elle relevait
parfois, mutine, et l'écoutant attentivement fair le récit
de sa vie et de ses enthousiasmes.
Quand il Cut guéri, ses compagnons de régiment lui
avaient olTert une filte réhaussée d'un banquet amical eL
arrosé de champagne. A la tin du repas, dlacun avait
chanté son refrain, ct on avait engag6 Andr6 à prononcer
un a lalus », ce qu'il avait Cuit do bon gré ct d'une façon
humoristique, rompor lant un franc succès.
D~s
le lendomain, il s'était remis aux choses sérieuses.
Los études techniquos ct le servico l'avaient accapar6, cL
l'imago d'Odette s'élait stompéo légèrement. André
avait du tomps à rattrapor; les anciens aéroplanes avaient
été remplacés, juste pendant son oLsenco, pal' dos modùlt..'S
nouveaux comporlant de nombreux pcrfcclionnemontA.
L'apparoil qui l'avait mené iL deux doigt de la morL était
un dos anciens types ot 1I.nurô, comme pour so venger do
l'injuro que lui avaient faiL subir les élomenls, A'était le
plus tôt possible 6lanc6 dans les :lirs avec son nouvel avion.
Hommo du monde, pourtant, il n'avait pu~
oubli6 qu'il
devait uno viSite de remerciomont ù ses hÔLes. Il :wait
bien écrit uno leLLre iL M. do Mandùnne, mais celu ne
sufTIsait pan.
Do nombreux mcoLin~
d'avialion avaient sans cesse
reLardé son voyage li Orthez. Un jour, enfin, prontaliL
d'uno ourlo permissioll, il avait décid6 do mcLtr.: son
projet ù exécution. Ses amis lui avaient dil :
- 'l'u vus ch z ton ours?
VOliS parlez do .M. d Mandnnno?
- Oui ... Tu rOl'as slins doute plu/! ampll' conn' isstlnee
a \'Cl' 1\1i. ..
�L'o rSE AU n' Al,I OU I\
85
André avait r evu Odette avoc une émotion qu'il n'a vait
pas éprouvée jusque-là; il aurait p eut- être même prononcé
des parolos qui l'eussent un peu engagé, s'il n'avait été
mis à la porle parl e châtelain.
Après ce tte visite, il se sent it changé.
Ses camarades s'aperçurent de la transform ation qui
s'opérait en lui .
- Mon vieil André, qu'as-tu? 'l'u as l'air d e broyer du
noir.
- NnJloment.
- Tu dis ça. Avouo tes peines .
- Jo n'ai l'ion, je vous l'affirme.
Un jour, il vit uno photographie dans un journal et il
sursauta l
- Odotto de Mandanne, fil-il, 10 sang a u visage.
Co n'était p as 0110, mais une quolconque arli sto do
théâ tro.
André oxamina la gra vuro :
- Ce n' est pas tout à fai t Milo de Mandanno. S on noz
('st plus fln, ses sourcil s plus allongés ; 10 monton aussi ost
sensibl ement difTérenl.
11 corrigeait au crayon le8 dif!6roncos, avec attention et
10 trouble a u crour.
C' st airu:IÏ qu'il s'aperçut qu'il aimait Odotte.
Il garda la photographio rolouch6o par lui dans un
calepin, mois il n'avoua à aucun d e ses camarad es son cher
sec ret.
11 no devait en fniro ln confession qu'à sa mÏJ re, quand
il passa chez elle uno pormission. La bravo damo, comme
toujours, " accu mit avec douceur et a mour ol, en femm e
n\'crtie, elle devina un pou de co qui 50 p assa it dnns le
cro ur de son ms. Un jour qu'elle revennit d'uno promenad e,
là son bros, ello lui d iL :
- Andr6, no penses-Lu pas rTU 'lquefoi!! il te marier ?
Cette question 10 troubla. 11 s'\nlll que, do ~ n it , c'6Lait
III so n vroil 10 plu s chor nl qu o so n cœ ul' a v[, ll lr ouv6 la
Co mpagll o id 6a lo. N6anmoins, il r6pondit :
'- Maman, mon m6tior mo permet -il d e m'cn!;uger
�86
L'OI S EAU D'A MOUR
dans une toIle aventure? Chaque jour le danger me guetLe
ot vous avez appris l'accident qui m'esL arrivé.
- Oui, peut -ê tre. Mais il y a des femmes qui sauraient
supporter les momenLs d'incertitude eL de cr ainLo..• Et je
serais une bonne grand'mèro, tu sais.
11 se pressait contre sa mèro, les yeux pordus devanL le
tableau qu'elle esq uissait.
- Que penserais.tu de Mlle do Montigny? Elle serait
cap able de L'aim er ot do t o comprendre. J o crois bien que
Lu lIO lui cs pas indiJTérenL eL qu'ello cut, dans Ull tomps
pas trùs loinLain, la favour do quolques- un 5 do tes p ensées?
- J o no pounais pas la rendro henreuse.
Elle domanù a douco mont :
- Pourquoi, André?
m l'av u lui échapp a 1
- Pareo quo j'on aimo uno autre ... pal' e quo j'aima
coll o choz qui je fus soigno...
- Eh bien ?
- Hélas, co r ovo ost corL uinomonL irréalisable. Le p èl'O
<1 coLLo charmante ct douce cr6ature semblo m'avoir
vou6 une haine Ifll'Ouche donL j'ignore absolumont la
cause.
- Il Y a un malenLendu, corLainemenL.
- J no el'ols PM, mu!O an, il y a uno outre chose que
j'ignorv cL (lui rouse un lnsond able 108,6 ontre Odette eL
1II0i. "
- Veux- Lu que j'aillo voir co L homm e?
- Ohl non, TII amllJl chéri e, tu forais ' 1\ vain un voyage
hi en long rL fa tigont. C'esL un hom1l1 o rud o cL hruLal. Il
Le di raiL des paroles qui lo hl essoraient. 'l'anL pia... J o
MO lIfTril'ai ... j'ossa ierai <1' 'n dol'mil' lI1a (\o uloul' dnns 10
I)1'iserie des espaces.
J ~ L (levaut /1(1 pr llsée se présenLaiL l'id éo d' uIIO rnLnsLroph r , d' un a6ropl ano onti èroment réduiL II miettes, devenu
l Olllboa u p01l1' son pil ot".
])ôs lors, " ÙI'Ô V!:Gut d' uno vic (1'1.lsi m6cll lliqu r, cal'O:l/W lt parfois Iv (J(: il' fou d' uLk rrir lJl'(!:; du châLe l U ùes do
�L ' OISEAU n'AMOUR
87
Mandanne, do déclarer sa passion à Odette et de ]a
supplier de par Lir a vec lui. Lors de ses essais, d'in stinct,
comme ]e pigeon voyagJur va d ans la direc Lion du
pigeonnier, il volait du côté d'Orthez, attiré vers le pôle
magnétiquo ct féerique que r eprésentait pour lui la
demeure d'Ode tte.
Il no survolait jamais cette habitation et même ne s'en
approchait qu'à plusieurs dizainos do kilomètres, il cause
du peu do carburant qui lui était accord é pour son entraînement, et il revenait chaquù Iols plus désespéré et l'âme
vide.
Ap rès l'incident Symaise, M. do Ma nd anne devint r enfermé ot taciturne. JI rest ait sans esse verrouillé dans son
bureau et ne parlait pas aux r epas. En revanche, il multipliait la corrcspond:!.nce a vec les sociétés sa vantes ou
avec des ama tours do sa connaissance , espér ant touj ours
trouver les moyons de publier sa fam uso (1 IIistoiro
d'Orth 7. ct do sos environs n .
Heclor Symaise , apl'ès le rcfu s qu'il uv nit ssuy6, avait
cnvoy6 un relev é très précis ct très soc def; r essources do
M. do Mn nd nnno, monLrant ainsi que, désormais, il
compLait r ~s t c r s ur un terrain exclusivemenL financier eL
qu'il n vo ul ait pas r appeler 10 p ass6 par des plainLes ou
de la rancune. La IOI'Lune 6taÏL minime eL ne porm cLlaiL
pas d'enLropriflo has udclIse.
Le 'omle apprit à eonnaUre mi ellx l'archivisle Pi erre
qui l'avait, naguùre, grandement aidé dans ses Lrav, ux.
M. Pierre promit d raire jouer toutes Bes r ela lions POUl'
oht ' nir uno subv nlion en fa veur do l'œ uvre fI laquelle il
avaiL apporté sn pa rt do tra vail.
M mo Pi erro suL que d o MandanM avaiL un nUe en age de
Ro mariOl', oL 110 pensa ali ssitôL à son Jlls, Lucas, âgé de
\illgt. si\: nns. Intt'igaIlLo, DL, dans sa médiocrité, a dmiraI d e <1 fi LiLl'es de nobl esse , ello s'a l'rangea pOllr quo son
mari invi l1l t 10 ro mlo, touLes les fois qu'il venait assisler
:'t IIne r(' union d'érudils.
l'nI' Ollvr nance, M. de M:II1c1ann c invil lu famille
Pierre
p asS 'r quelques jour B choz lll i. 1mo Piorro
�88
L'OI SEAU D'AMOUR
accepta , sans se fa ire prier , et son ma ri fit comme ell e,
pal' obligation. Mme P ierre était la maltresse chez E'lie, ct
son ép oux lui ob éissait aveuglément, no n p ar amour, m a is
p ar ce qu 'il ne pouvait agir au trement; il savait d'ailleurs
qu elles d iscussio ns et quels d ésagrém en ts l'a t tendaien t en cas
li e r éb ellion . Aus~
i M me P ierre agissait et commandait à sa
guise. D'origine très m odest e, elle a va it une oertain e vulgarité de car ac t èr e et une curiosité elTrénée. Avec cela,
r omanesqu e en diable.
Il était donc dit qu'elle irail a u chateau des ct" Mao Janne. Elle brûla it d e connaHre dette.
CHAPITRE X
L UCAS
Ce soir-là , qu and Odette vint so mettro à tn.ble où sou
p ùre élail d éj u inst allé, la serviette SUI' les genoux et les
poings app uyés d e chaque cô tô do SOli assiette, 1\1 . de
Manda nll e lui d it:
- M olt a mi P ierre va venir ch ez nous tlUel ques jour.,: ...
avec sa fommo at son nls.
L o fr on t d'Od etto so r ·mbl'unit. Son flIsl Co seul mot,
pour ell o, ôta it plein de menace. M. d e Mundan ne continu a ;
Depui s qu elque tamp.:!, tu CR ma ussa ùe. J 'esp éra
quo ton visage s'éclaircira cl tlue Lu CCI'L\i:l hou accueil à
m es inv iLés .
- P opo , tu peux le cr oire, eL t oujou r.,,,.
- Non, p os t oujours, lu so is bien ?
- Oc g rûce l
M. de Mund unn o all ui t dira quolquo sévél'ité, mois il /lO
cont int. 11 priL sa cu illel' n 'rve usomont c t sc rolL li ma nge r
Bun poLoge.
Où ' Lto, confusément , sOll tul L qu'o ll uppr Huit un nOU\'eaU
sUIJIJlico ÙUIl '! 104U ' 1 tlo n cUJu r tltH'ai L l llCO I'll dtf' hir(' t t
meu rtrI.
�L'OISEA U D'AMO U R
89
Un coup discret fr app é à la p orte di) sa chambr e t ir a
Odette de sa leclure.
Alexis entra et prononç a :
- Monsieur le comte m'a chargé de dire à Mademoise!le
que M. Pien e ct S:l famille sont arrivés .
- J e vous remer cie, fit· elle sans chaleur .
Elle r eleva sa mèche Colle et descend it.
L es Pierre étaient assis au salon.
- Ma fille, présent a M. de Mandan n e.
Odette esquiss:\ un e révérence .
Mmo Pierre, ainsi que son m ari et sen ms, s'était levée
de sa chaise ; elle bondit presque vers Od ette, l'embrassa
materne llement et br uyamm ent:
- Mo. chère enfant, je suis t1'05 heureuse de vous connaitre.
Mmo Pierre se tourna vers M. do Mandanno.
- Vous av ez un e nlle charma nte, Monsiou r 10 comto.
Qu el CSt votre pr énom, Madem oisell o?
- Od tto.
- 'frès joli. Jo vais vous appeler Odelle, voulez-vous?
Voici mon mari, ma potito Od ette ... Ill on fils Lucas ...
- J e sui s ... h eu ... tros h eureux .. . do vous ... de faire
votre connaissance, dit Lucas qu e l'émotio n taisait
Légayol',
) 1 rougit commo uno fill elie, en s'indina nl gauchem ent
ùevant la jeune fill e. Celle · ci le salua rapidem('nl et
détourn a Jo. tilto pOUl' bien montre r yu'il ne l'intéressait
pas.
Lucas n'avait l'ion pOUl' aLlirOl' l'a ttention . Son visago
ùéjù vieux portail d m; rides; Il CS cheveux ôt aient
longs, noirs, gras ot mal p ignés. Son h abit, genro sport,
flamban t neuf, do confoction, s'adapt a it mal à son anato mie d'intel! 'ctu e] an6lOi6.
P ond ant la conve rsation qui s'engagea, il ne dit pa s un
mot, parut touj our; embarl' assé ul so tin t , la plup art du
tumps, la tèto b a i s.~éo
et assis s ur l'ext rême bol'u dt! su
(·hai/IU.
l\[IJHI l'i l' l'l'e lit lous les ff(lis de la cOI1
\'Cralllie n.
�90
L'OI S EA U D'AMO U R
Odett e, dès l'abor d, ne l'aim a p as à cause de ses chatte ries ct de ses complim ents mielleux , de ses manières
qu'elle voulait aristocratiques ct qui décelaient la vulgarilé.
Madame P ierre raconta surtout les d ép er:ses qu'elle
v enait de faire ot so lança dans un éloge dithyr ambique
do la voituro automobile qui venait d'ê tro achetée ct qui
les av ait amenés au châ t eau.
- Et Lucas conduit d'uno façon merveilleuse . C'est
admirablo...
- Maman, supplia Lucas.
Il sentait les ri dicules de sa mère, mais ceS r idicules,
dans leur énormité, 10 submergoaient ot il devait la laisse r
parler.
- ... C' st admirablo, le sang- froid qu'il montre. Il sait
tomner, r aI ntir, froinor, onduire d'uno main ot acti on n r la tromp e do l'aulre. Ahl il Y a pou d'hommes qui
puisJont se vantor ...
M. do Mand anno so cunl IIna dans uo sil nco glacial.
M. l'iol'ro, qu'Odette r ogardail, 0 0 disait ri on, mais on
v oyait qu' il souffrait de l n nullité de sa femme ; son rcgard
h rill nit d 'int 'Iligenco dorrière SOR lunelLes.
M. do Mandanne into rrompit so ud ain 1 b avnrd age do
Mmo Piorro :
- Mais p ut ·(: lro voudri oz· vous faire votre loilette
avan l le r epas? Alex is n rn onl û v os bagages dans vo t.ro
'hamhro.
- Cela esl vrai, so uri l M. Pi err '. 11 Y a beaucoup <1 0
pouRs ito re sur les roulos.
Mmo l'iorro so lança ùans uno descrip tion pr ée i ~o cl
délaillt',() do l'im prossion (Ill() lui Caisa it ln pOllss iol'o co lléo
Hut sa p ea u.
L twns ne AOUen mol ct r gard a SNi moins.
- Oùollc, coru lui fl nos llmi s 1'.\ la chtunbl'o que nous lour
avo ns [nit préparer.
M. <lI' Ma nd ann r, dl"s 10 Inntl omnin, accapara M. Pi l' rrc
l l' 1I1111 CIl il il SUlI bUI'cau. Nul doule IJUO lOUIl doux pa:;-
�L'OI SE AU D'AMOUR
91
seraient des journées intéressantes, à parler de suj els qui
leur tenaient p articulièr ement à cœur, à feuilleter d es
albums d'estamp es, et à r elire ensemble les incunables de
la bibliothèque.
écs
élaient moins agréables pour Odette.
L es ~ourn
Le lendemain de son arrivée, M mo P ierre arbora une
robe d 'é lé aux couleurs criardes, un chap eau de paille de
forme ridicule el une ombrelle grotesqu e. E lle emmena
les « enfants» en promenade. Comme t eujoUl's, ce Iui elle
{lui par)o, faisant los r éll exions les plus saugrenues sur un
paysage ou une planle, disant d'un champignon qu'il éla it
" venimeux Il . Sa conversation, véril able pol- pourl'i
d'absurdités et de lieux communs, trouvait uno audilrice
polio en Odet te résignée .
Lucas ne disait jamais rien, ou, p arfois, corrigeail une
p arole do sa mèr o, et llo-ci r épliquait:
- Rien sûr, bion sû r ... m a langue a fourché. C'ost bi on
ce quo jo vOlil ais diro... N 'est -ce p as, Odette, quo j'ai un
fils savant ? li fuit ses élud s d'astronomie. Ça nous a
beaucoup co ûto à mon mari -t à moi. Songez au prix de
la pension ... des livres ...
- Mon Dieu 1 ({u ello p erruch e 1 songeait irrov6r ncieusemont Od ulto, un so uriro flg:: !>ur SOl:! lèvres .
Lc soir, on so r asse mhl ait sous los arbres, (lU olair do
Juno.
Mmo Pi l'ro faisait des tirades sur les 6toilcs, inspirées
des conversnLiOml d o sos h6r08 do l'omans- fouill etons .
Un soir, Od Lle l;C lrouva su bi tc Hlcnt soulc avoc Lu cas.
B ll o fromit. Allait -oll o voir so r6p6tor la scèno ùont
H octor HY lll ais' n vaiL ot6 10 héros ? IW o s'apcl'çut quo
Luc(U; tail IIcoro plus marri qu'olle; ell e so douta qu e
cc n' -tai t pas lui qui a vait macllin6 coLL so litud e 11 doux: .
gUo 1" prit viLo son sang- froid t parla ùo la b eaut6 du ciel.
Lucas, alors, se lança à corps pordu dans un ours
d'as tronomi e. Ali début il piqua l'a ttention d'Odc tL don t
l'édu cation H iontil1qlle ava it 6t6 forl nl'gli gé , ma is hi nlôt il partit, il fond de train, dans 1'6noncé do formules.
(.orta ]n urn <nl, p 0 1l1' lui , les chiffres cL los équations avili t
�92
L'OI SE AU D'AMOUR
un sens profond, une vic, un intérêt p assionnant . Il débitait des suites de r acines carrées ct d'op éralions avec des
intonations frémissant es. Pour lui, il y avait des surprises
dans les nombres , des r égals analoguos à ceux que l'on
éprouve en littéralure.
Odette ne comprenait absolument rien, m ais elle pr6f6rait. ce ja rgon scienlifique à toute autro parole dont elle
aurait découvert 10 sens inexorable.
Elle pensait à André, certa inoment aussi savant que
Lu cas et dont la conv ersa tion était si limpide ... André.
MmD Pi erro, avec un rar e sans -gêno, s'était introduile à
la cuisino, avait fait la connaissanco do Ca therine 0 t
s'était trouvée avec elle dans UII O atmosphère a micalo,
duo il l'an alogie de lour niveau intell ectuel.
Ca therino raconta l'hisloire d'HoeLor Symaiso, r opoussé
par Odello :
- C'est p ar eo qu'il était vieux, sa ns doulo, conclut la
soulem ent,
servanlo. Ello n'il pns vo ulu voir sa ri c h es~
m ais son âge. Ah 1 CCB jeunes filles modernes, ça vout de
l'amour ol do la jeunesse ...
- Wl cs ont rais on, bien raison.
Mmo Pierre pen
~u il à son tUs pour loquel Ile ma nifeslait uno admiration sans borne et un aveuglemenL non
moins g rand.
- Lu cas, disait · clI o Il son fU s, 10 lende main du cours
d 'asl.ronomie dont il av it accnbl6 OdoLLe, lu cs 'elui quo
colle jeune rulo aLLond. Ello est digno do Loi. ..
- !IInis, murn rll1, jo 110 vais êtro qu' un proresseur do
mécaniqu o célcble ...
- 'ommont, lu mép!'ises l u science? Tu oscs t e rabais·
ser?
- Pus du tout, ccp ntla nl ...
- Et n'a- Lo on pas vu do spl endides vi erges a im er UI1
Mlronorne? IlNyuno do Ir\ Mari chodior no hni t -dle pus
pa r épou!lc r 10 jeullo J aco hus Baly?
Mn r[nrn n Pierre 6la iL ('n plni n d UTI'> J(1 r oma n- rftuilloton
nlilul6 ; • Le bul astroJ()g uo 0 rIant ello achelait chaque
�L'OI S EAU D'AMOUR
93
se maine la livraison iHustrée, pour la somme de vingtcinq centimes .
Odette vécut dans l'inquiétude les huit jours que dura
le séjour des invités au chât eau. Un pressentiment lui
disait que l'on prépar ait son mariage avec Lucas. Épouser ce Lucas, 0 garçon Sans allure, ce débiteur de nombres,
co timide à r ûme de professeul' do collège, DIors que son
cœur batt ait peur André 1
Mais les P ierre s'en allèr ent sans qu'uno t elle éventualité
se produisit. Alors 11050 crut sauvée; ses craintes s'apaisvl'ent.
C'était uno fausse joie ; quolques jours plus tard,
M. de Mandanne dit il sa fill e, insidieusement :
- Que ponses- lu du jeuno Lucas '1
Pour « l'allaire Symaise », ç'ava il commencé do la
mêmo Caco n.
- J o no sais que dire ... il esl reslé ... si peu d o t emps,
qu o jo n'ai pu COnJl uHro le flIs do M. Pi erre, papa .
- Je no l e demande pas cela, Quello a ét.é t on impres sion? 1
- Ma is pourquoi cette question?
- Réponus- moi. Moi, je l'ai trouvé extrêmement inlelligenl. ..
- Oui, il a l'a ir d'avoir ruil dos H url es approfondies ...
- Il ira sû rcmont à l'aris, commo prorcsscur, cl je ntl
douto pas qU' 11ll jour, il enlro il l'Inslilut.
Lo cœur d 'Odolte sc serrail d'angoisso.
Son p '. re laissa per cor son d essein.
- 11 eol'U un oxcellenl muri.
- Sa ns doule.
- El je crois qu 'il 10 com iendrail ; jcune cl inlcllig,:>nl ,
c'est oxucl' ml'nl co qu'il le falll. Ne trouves-tu pas? Bl
d'a ill 'llrs, voici )(I demande n mariage q 11U m'onl
on voyéo lrs parents do Lu cns. Ace 'pte ras -lu de te Onncer?
- l'opa , laisse- moi réfléchir ...
- Non, non ct n OIl . Tu sais bi(;n ce qu e lu penses ,
j\'spùrl" sunR avo ir besoin d'nl Lenùre. Au surplus , la
réf! 'xion no If' vaul ri l.'n. Alo rs?
�L' OISE AU D'A MOUR
OdeUe bai ssait la tê te.
- Me répondras-L u, OdeLLe? cria M. de Mafiilannc
la scène co mm ençait :\ agacer.
Sa fille leva la tête el lui répondil doucement :
- Ne te souviens- tu pas de ce qu e j'ai dit un jou r?
- Non l
- Souviens- toi ... lorsque M. Ry maise ...
M. de Mandanno é~ l a t a :
- Ah 1 toujours André de OifTrey ?
-
( [Ll C
Oui.
- J e l'a i déjà avorlie que jamais lu ne serais sa femme...
- Je n'épouse rai personne alors 1 Je reste rai vioillo
nH e...
- C'ost co quo nous verrons 1 Je saurai bi en te fnire
éder ...
on, mon pèro, je ne éderai pas ...
M. de Mn.ndanne voyait troublo et tremblait do coli'ro.
- /lh 1 si jo pouva is, je te...
- Failes- Io, Illon père, j'y Consenf! . Quo m'im porte ln
vio ?
L n Gorote, le visag congesti onné, hurln :
- Voil:'1 des paroles quo tu regretteras, oL pend ant
longtemps 1 Tu rcfuses un homme r icho pareo qu'il n'cst
IWS jeune, tu repousses un homm e joune snns avoir ùe
moLir valulllo, tu donne!! ton cœ ur :\ un homme (lui n'en
a quo faire 1 Tu n'us rien d'un o fernm o, ni d'un d ru r uisonnable, tu serufi (' tnrneJl r mont incupa blo du tu conduire .. .
- l ~ f on père, j l' l'onnais Je ehomin quu Jo VO ll ," suivre.
- Insolento l c s p ù rl ~s- tu m'imposer toutes tes volontés?
- J 'ai 10 droit d'uvoil' lino volonté , une ambition : mon
honltellr.
Ln furour ÙU Go mto ex pl osit.
Quelles paroles rurf'nt prononcées par 10 pùru 01. 1n flIl l',
Ca therine, qui nva it oll Vt' r t la porte do sa c ui ~ in o p 0 1l 1'
sa isir qu ollill U!! briht'!! de ln c;rmvf' rsa ti on, n I) 10 put suyoir.
Ell u nl1a oeo uL(l I' :l la parle do la salin ri monge r où He possa it la sct' nl' ; Ho elll pndit d u~ Hanglots, et la voile impI toyable do bon ffi l\ltre prononCU1' ;
�L'orSEAU D'AMoun
95
- ... Ainsi, puisquo lu te robelles et refuses d'être raisonnable, je vais le meUro au couvent. Ça te changera los
idées, ça te Cera apprécier les mérites do Lucas; car lu ne
sorliras du couvent que pour l'épouser. Enlends-lu?
Une somaino plus tard, la Supérieure du couvent de
l'Enfanl-Jésus, près de Lourdes, ouvrit un registre pour
marquer le nom d'une nouvelle pensionnaire que son père
avait amenée. Elle écrivit:
« Odette do Mandanne, dix-neuf ans. »
CIIAPI Tnu: XI
Au
COUVENT
Le soleil d'arrière-saison jouait da.ns le jardin limil6 pUI'
la ~alerj
du couvent. li y avait là do grandes massc!> dc
vordures que traversuienl avec peine ùes hemins qui
aunùenl pu êtr sablés ma.is qu'envahiss,ùl l'h 'rbe rollo.
La natul'e s'en donnait il cœur joio parmi je silenco du
dolll'e. Des nems l'ures poussaient à côté de plantes C01',munes et croisoaienl en harmonie; du lierre encorclait un
vieux tronc. De lu mousse avait recouvert un banc ùe
pi l'l'o.
On 'ntendnit un mnrmure do source ot, n se guidant fi
co doux bruit. on urrivait à une grotte do rocaille où se
niehnituno grande stutue en marbr de lu Viergo. Et lu
mèl" du Chrisl rC/prdail cotte xubùl'anco v6gélalo do ses
yeux de pi rro. Un sourire ineITllblo s'osquissait sur sos
lèvl' 'S blanches. IWo bénissail de tion indulgence lu vie
environnanto. ParCois ùes moineaux elTronlés so hamaillaienl cl s' Ilvolaientfitiro-d'Ililo, rondanl, par contrasto, le
Hilu/wo plus prorond, Hprùs leur fuito.
Sous la galerie, llll ortain nombre de j cunes pC/rsonn s
marc/w' 'nl d'un pos d6jil monacal, légor et sans bruit.
Quclqu s sn'urS conduisnicntla peLito troupe, youx baissés, mains dans Jours manches.
�L'OISEAU n'A ,rOUR
Une jeune fille vêlue d'au.stères habits noirs reslait quelques pas en arrière et regardait 1 s jeux du soleil à travers
les feuilles et le grand ciel bleu découpé par les arcades
de la galerie.
Elle s'attardait, visiblement peu désireuse d'aller s'enfermer dans une sallo obscure et de méditer une long'Ue
heure à genoux sur des dalles.
La Supérieurè remilrqua cet imperceptible mouvement
de révolte et revint cn arrière:
- Odette, mon enlant, dépêchez-vous: l'heure de la
prière va sonner.
- Je sais, ma Mère, et je vais me rendre à la chapelle.
- Comme vous dites cela d'un ton las et presque avec
regret 1 Ne senlez-vous pas, à J'approche de celle heure
hl~nie,
un baltement de cœur, un intense désir de communier avec le Seigneur, do vous humilier devant Lui et do
chan leI' ses louanges?
- Non, ma Mèro, je crains qu'il n'y ait rien do commun
entre Dieu et moi.
- Ahl quo dites·vous? quoI blasphème 1
- Je sais que je suis une grande oupable ...
- Vous rentrerez dans la bonne voie ...
- '" Malgré moi, je me complais dans ma faule. Mais
esl·ce ma faute'? Ma conscience ne m'accable pas ...
- Votre conscience? Pauvre petite 1 Pouvez· vous Jui
accorder quelque crédit? Cc que vous imaginez Otre la
voix: de votro conscience n'est que celle de volro cœur
jeune ·t désordonné, que lroublenl des passions sans fon·
dements, el mauvaises conseillères.
- Croyez-vous, mu mÙI'e, que Ina passien soil sanl!
rondement?
- Certainemenl, car il n'y a qu'une pr..ssion v6rilnblo:
C('llo que J'on nourrit pour Diou ot flu il a toujours la bonlu
d'accoplrr quand ollc vient d'uno ûme puro t dégagée
dos mauvaises pensées lerrestres ...
- Muis n'cst-cl] pas l'udorer aussi quo do l'oimer en
l'une do sos crl'!ulur 's?
- Non, mu 0110, vous no duvez aimeI' que celui quu
�L'OISEAU n'AMoua
votre père, pose~cur
d'un droit, qlle nieu lui a donné
sur vous, veu!. que vous aimiez. ht si vous ne pensez pas
ainsi, si vous n'agissez pas selon ces principes, vous êtes
rebelle contre Dieu et vous méritez le châtiment des
impies ...
- Ah 1 ma Mère ... de 'Iuelle torture me menacez-vous 1
Mais que puis-je contre un cœur qui s'insurge?
- Oublier, et faire comme si votre malheureuse passion
était apaisée . Venez, mon enfant, venez vaincre les
démons qui vous menaçent.
La cloche sonna. Odette, entraînée par la Supérieure,
alla s'agenouiller au milieu de ses compagnes.
Les premiers jours de son séjour au couvent, Odette
avait trouvé des occasions de distraire sa penséo; tout
était nouveau pOUl' elle. Bien vite, elle ,w ait connu la
cadence de la vic quotidienne, elle en avait saisi le
rylhme ; ct n'ayant plus à se soucier des mille usages de
chaque journée, olle s'6tait trouv6e inoccupée, désemparée.
rme avait revécu son roman d'amour, ressassé tous les
épisodes, retourné sous touLes leurs faces les phrases, môme
les moins dignes d'intérôt, qu'avait prononcées Anùr6,
utin de leur trouver un Bens à sa conveuunce. Ce n'était
pas là, on en conviendra, un moyen pour oubli or ct pour
s'apuiser.
Après la petite leçon - presque une semonce - de la
.Mère Supérieure. elle sc l' ndit compte qu'elle était surveillée, eL elle eut uno éclaircie - ohl bien légère - sur
le chemin qu'elle devait suivre. Elle s'y engagea, sallS
'onvicLion, mais pleino do bonne volonlé. Il lui arriva, cn
de rares inslanls, de se senlir près ùe l'état d'âme désiré.
M,lis 10 s01ll fnit do s'en aperrcvoir la fit revenir à sa
posiLion mentalo antérieuro ct perdre un éLat de grâco
proche peul-être.
La Supérieuro fit romparattre OdeUe. cL lui dit:
- Vous voyez, mon nrnnt, grâr.e Il Dieu, mes conseils
vous onl aidée. Vous ('prouvez maintenant la satisfaction
qu'amène If! communion avec 10 Seigneur.
�98
L'OISEAU n'AMOUR
- Ma Mère, queUe erreur est ]a vôtre 1 Maintenant, ma
souffrance morale a son écho en mon corps, et si vous me
voyez comme pâmée, ce n'est pas pour la raison que vous
invoquez, mais parce que ma chair souffre, parce ciue la
sommeil fuit mes nuits. Ah 1 ces nuits, dans le dortoir où
tout repose ct qu'éclaira seulement une faible veilleuse,
réduite à un point lumineux ... Je voudrais voir mon avenir, môme avec une lueur aussi mince que ceBe-là. Mais
nuit ct jour les tonèbres m'environnent. Marcher m'est
un supplice, cl je me tralne à la chapelle et me meurtrIs
sur son pavé froid. Cependant mes prières no trouvent
aucuno réponse ni aU ciol, ni dans mon cœur.
deLte, mon entant, vous exag6rez vos douleurs;
persévérez dans la voie quo jo vou~
ai tracéo. Vous êtes
au moment critiquo, dans IIne passe dangereuso, cntre le
salut ollo malheur. No lentorez-vous pas un oflort pour
vous diriger du bon c8t6?
- Ma Mèro, jo ne le puis pas, jo vous assure ...
EL ello formula lIllO demande:
- Je voudrais m'on allor do co couvenl.
- Vous on allor do ce ouvont 1 Mon Dioul \iouloz-vous
vous perdro entièrement?
- .To no 10 crois pas. Pnrdonnez-moi, mn ?lPre, co quo
je vais vous diro , C' 'ouvent esL une prison pour mol.
Mon pore m'y n en(crm6e, par repr6snille3 ...
- 'l'nieez-vous, malheurouso 1 Votre père n'a voulu flue
votro bonheur.
Odetto soupira .
La M ro Sup6ricIlro sOllplra aussi; olle 50 rendait compto
quo sn jeuno pensionnaire lui 6cMppait complblomcnt.
Blle 6Lait Rurprise - uvoc un peu d l'6probaLioll - qu'un
amour humain pût uinsi Rubslslcr. J.iJJlo d6cida do n pluA
tonter aucune dûmo.rcho près d'Odotte, mais do prier pour
elle av c ferveur.
OdeH ,depuis 0 jour-ll\, d6p6ril. Comme ollo l'avniL
dit, l'insomnie la Lellaillait; la nourriture "impie, mnis
partois grossière, Ile ln tentolL pus, rion n'6voiHoiL ROll
app6lit Bile n'avait plus 10 goOt de vivre. Lu lumi èro, 10
�L'OISEAU n'AMOUR
99
soleil lui étaient mesurés et 10. doso quotidienne de disLracllon était bi en vite épuisée.
Un matin, très faible, elle ossaya pourtant de 50 lovor.
La surveillanto du dorloir, Sœur Euphémie, arriva ù point
pOUl' la soulenir dans sa dOfaillanco; olle l'obligoa à 80 recoucher et, do ses v iei1les jambes, ello courut chercher de l'aide.
Sœur Thérèse, qui était chargée de l'infirmerie, s'alarma
à son tour ot, simple fomme, no sut quo donner il la maludo un bol de vin chaud qui parut la remonter et permit
Son transport ù l'infirmerie.
Le vieux médocin du couvont vint. Vieillard à cheveux
blancs nt au dos vouté, il avait conscienco do sa vieillesse;
il avait oublié une partie do sa science et, avec l'âgo, avait
oubli6 bien des choses apprises jadis 1 son diagnostio fut
pessimiste. Il avaiL auscult.é la maladie plus on confesseur
qu'vn homme de scienco, et par les lIue1ques mots qu'ollo
lui avait dit, il avait roconnu la naturo du mal.
- Monsieur 10 Doctour, que pensez-vous? demanda la
Mèro Sup6riouro.
- Qu'elle ost lrès, très malado ot quo, soul, un changomont radical de sa vio serait capablo do lui apporler lu
guûrÎSOII. EUe ost ontréo ici contre son gré, et par suito
tI() son 6lut d'esprit déplorable, 10 mal a pu raci1o~ent
~'éten<.lr
dans un torrain aussi peu tlMendu. Encoro qUlllzo
Jours ct...
La Révôrellùo 1\1ôro so signa. Puis 0110 déclara l
- Jo vlli écrire il. M. tlo Mnndallno, cL lui exposer ln trislo
situalion où son intransigoanco à mis son nIant. 11 m'u
l'Ilconl6 qu'il arnonnit sa !lIle, pour no pas céder au désir
tlU'ollo oxpl'Ïmait d'épouser un homme dil!6renl de colui do
80n choix.
- Il fuudra tJu'il s'uvouo vaincu par la maladie d'Odette,
'l mùme s'il 110 consent pus au mariago qu'il d6siro, il
uuil la J'ctirer d'ici. CeLlo pauvro enfant osl vrniment,à
bout do forces ct do courage.
(
":\\"'1
Monsi our de Mandanno reçut doux leUres.
Lu premlôro do lu Supériouro.
V
�100
L ' OI S EA U D ' AMOUR
(( Monsi eur,
Seul le danger quo courl actuellement Made moisell e
votre fille me fait prendre la liberté de vous écrire.
pas pu
~ OdeUr , malgré nos soins et nos directi ons, n'a
e
grand
e
un
il.
dû
at,
ét
son
et
maison
notre
:l
s'habi tuer
dépress ion morale, nous inspire les plus vives inquiétu des .
• Lo sort do votre mI e, Monsieu r, est onlre vos mains .
Vous pouvez d 6cid ol' de sa vie ou de sa mort et je S UiR
rerlaine que vous pardonnerez les lorts qu'a pu avoir
enve/'s vous l' nfnnl qui doit êlre tout pour vous et dont
D;eu, dnns sa bonté, vous Il ins titué le gardien sacr é.
« Songez, 1\1 onsieur , que Diou vous jugera quelque jour
et qu'il sal1ra appréci 'r la m aniére dont vou s aurez traité
votre flll e.
à
« Vous dev ez, Monsieu r, lu sauver do la mort qui rô de
pos
lôt
pll1s
le
orchor
ch
lu
venir
cela
pour
(Jt
son chevet;
sible.
" J u vous serai inHnime nl reconna issante de m'inform er
r apidement de co qu vous compte?. Cail'e à co suj et.
~ J e vous prie, Mon ieur , dO... et c ...
Sœur Blandin e,
Mère Supérioure du couvent
dos Darn es <10 J'Bnrunl J ésus . •
«
A colle lec lure, le visago du omte so durcil. Il allait
.'l tro oblill'6 do 'Oder, comlllo il a vail dO le faire déjà , Jor.';
do l'accid ont d'Andr6 do ai/Troy.
J'our la nt, M. <10 Mundanne n'Mait pus dans une mauvaise p ériode ; son op aule 110 10 fa isail pas souffrir, Plu siours lois, d éjà , il a vail sllnli quel vide immenso dans SI'!
vio produis ait l'absence d'Odett e. Alexis, suns douto, JUI
~ co n'était pu!'.
obéissa il IlVlle un o ponetu alit6 prlrI ilo, mai
/H'u CO nJlTIl'
lumi
do
rayen
de
un servico adouci, travers6
du temps où Odette Coisait lu ma llrcsile de lIlui son. O'uulr t'
parl, l'hislori en d 'Orlhez n'u vail plus su scr;r('lai ru f't il
ragoait souvont d 'écrir aussi mal scs Ilotes; il n'tu'ri" ait
plus fi pcnSl'r clairement - 6tnil -('c un r emords inavou6
�1.01
L'Ol!!lJAl) D',nlOUI\
et inconscient qui Je rongeait? - et passait de longues
journées, inactif dans sa tour, à arpenler le plancher
sonore.
M. do Mandanne, très fler, n'aimait pas non plus à sa
commettre avec les serviteurs; presque chaque jour, il
était obligé de subir l'énumération des dépenses de cuisine, débitée intégralement par Calherine. Allparavant,
c'était Odette qui s'occupaiL de cela: il n'en avait pas le
souci.
Alexis aimait bien sa jeune maîtresse el il semblait souvenL à l'ex-capitaine que son ordonnance lui jetait un
regard do reproche.
Le bon abbé Grolière venait souvent, espérant des nouvelles qui n'arrivai ont jamais. Le comte, touché par la
bonlé do cet homme, son solide jugemenl et sa grandeur
morale, avait fini par lui avouer, par bribes, une bonne
partio de l'hisloire de sa vie. Le brave prêtre avait plaidé
pOUl' l'oubli des injures, le pardon aux méchants; le comte
s'6laiL ronfermé dans son mutisme. Mais un fermont do
bOIlL6, prôt à se développor, éL:.JiL rcsl6 au lend ùu cœur
du vieux noble.
- Voyons la seconde leUre, lit M. do Mundullno, sorLant
de s rôvorie, millo fois laile déjà.
La secondo lettre ôLait ainsi rédig60 :
" Monsieur le 'omtc,
J'ai une idéo oxcellenLe pour avuncer nolre atTairo.
u J'ai trouvé un moyen qui d6cidcr:.\ vol1'o Wo à agrérr
Lucas, eL qui fera Lomber dans sos bras voLre chère enfunt.
r Dés que vous viondroz dans notl'o ville, - 10 prochain
congrès dos érudits n lieu dllilS Lrois jours, ot sans ùouLe y
(j/jRisLerrz-volIs, - venez nous voir.
« Croye'Z, chur fonsiour, à mes sentiments )('!) meillours.
,) ulia Pierre .
f(
• (l', S.) Jo 6uis lr~5
rressée do vou s voir.
- Qu'a.l.ello bion I)U lnvc.nlcr : pllnSd ~l.
1)
ue ~ladtm
o.
�102
L'OISEAU D'AMOUR
qui estimait cent lois plus lemari de Mme Pierre qu'eUe-même_
S'il poussait au mariage d'Odette avec Lucas, s'il s'enlêlait dans ce désir, c'était pour son ami l'archiviste. Il
lui avait promis de donner sa nlle à son ms. Il appréciait .
certes, Lucas, bien noté, sinon bien séduisant, du moins
appelé à un certain avenir, mais Il considérait, pour une
part assez importante, co mariage comme un moyen de
resserrer encore ses liens d'amitié avec l'archiviste. Seule,
Mmo Pierre était une ombre Hoire dans co tableau.
Le jour do sa réunion, M. de Mandnnn so rendil chez
les Pierro.
I! avait onvoyé un télégrammo nu couvent des Dames do
l'Enfant J Osus.
u M'occuperai bienlôt d'OdeLto. Avertirai de ma venuo
par autre télégramme. »
Il compLait prendre uno décision ot agir tout de suito
apros l'entretien demandé par Mmo Piorro.
M. Pierro scrru la main de son vioil ami; Lucas, lou·
jours Li mido, lui tendit une main mollo; Mme Pierre,
radicusr, lui sauta presquo au cou;
- Mes chers onfants, dit-ello en s'adressant il son mari
t à son IIls, jo vous avais promis de vous dévoiler mon
plan quand M. le comlo serail parmi nous. Jo vais tenir
mon engagemenl. Odelte a -lé envoyée au couv nl depuis
plus de six 6(Jmaines .. .
- Lu malhoureuse. nt Lucas, s~n
grando conviction.
- Allons, allons, gros nigaud, c'csl pour ton honhour.
- Jo voulnis 10 sien, dit Lucas, /lor inlérieurement do
montrer do si boaux sentiments.
- Tu lui « revaudras» coin ct Ln sauras lui faire oublier
108 petils nnuis qu'elle a pu 6prouver.
- Madamo, dit le comle gravomont, ello n'a pas de
petits ennuis, je vi ns do recevoir uno loUre du couvenl. ..
- OdeLlo s'indine?
- Non, l u H.6vércndo Mèru du cOtlvent m'[1(1pr -nd Iju'cllo
no p tlt !l'hahituer n sa vio nouvelle, qu'olle esL presque :1
l'articlo de la morL.
�L'OISEAU n'AMOUR
1
103
Lucas poussa un grand cri.
Mme Pierre s'exclama:
- Est-co possiblo?
.M. 1 jerre prit un air sincOrement aHligé.
- Et, continua le comte. j'ai l'intention d'aller la chercher demain.
- Vous avez raison, M. de Mo.ndanne. dit M. Pierre.
Mmo PierrE} baLlit des mains comme une petite fille et
s'écria ~
- Exactement co que j'allais vous proposer. Votre décision donno absolumenL dans mon plan.
- Vraiment, Madame?
- Oui, la pcLiLc u un tel désir do liberté, que sûrement
ello accueillera commo un sauveur celui qui viendra la
dOlivrer ...
- gh bien?
- Eh bien? Lucas, comme j'alluis vous ofYrir do le faire,
vu parUr en auto et lu réclamer au couvent dos Damei:! dtJ
l'Enfant JOsus. Nul doute qu'Odotto no lui ...
- 'l'nia-Loi, mamun.
Lucas CaisaiL un geste mélodramuLique.
- Vous saisissez, Monsieur 10 comto?
- Oui, peul-ûtro quo Lucas atteindra son buL, ce dont
VOUI:I me verri 'Z satisfait.
- Vous n'en ôtos p<l8 convui ncu? Moi, jo Buis absolument
cortaino quo cotto manœuvro réussira pleinoment, surtout
dans les circonsLances présentes; d'aillour!! ceb s'est déjà
vu plusiours rois ...
.
- Hein? surslluta 1\'1. Pioffe, scopLiquo.
- Mais oui, mais oui mon ami; coIn s'est déjà vu, et
tu aurais pu on liro Jo ré~iL
dons « Le jour~lité
des
uumt;lSn du mois dernier, où lu jo~n
Ugolin do ...
- Jo sais, jo 8 ill ...
- CommenL? tu lu sui»" Tu us lu Illon romnn sans quo
je 10 sacho? EL voyez, Monsieur 10 comLo, il mo critique
toujours ...
- Jo 110 prllllmùuis plU:! olu, jo voulais s~ulem
nt te
ÙUlntmdur du nOUi:! disperu:;cl' de les ciLaLions ...
�104
L'OI SEAU n'A\IO Ull
Voyez -moi cela 1 au momenl où ce roman peut nous
donner d'u tHos conse ils 1
- Vous avez raison, trancha M. de Mandanne, quand
partons- nous?
- Demain dés l'aube, si vous le désirez.
- C'est cela, Madame.
- Lu cas, tu vas donner l'ordre qu'on melle l'aulo en élat.
Et demain, conLinua-l-elle, tu mettras lon complet
sport et la crav ate neuve. N'oublie pas tu bell e casquette,
les luneLles d'auto el surlout Lon beau manteau de fourrure ...
Elle lança à Lucas un regard d'ad miralion passionnée l
elle éLaiL sû re do son lriomphe pOUl' le lendemain.
- Mais, coupa M. l'i erre, il faul pOUl' satisfaire la logiqu e
de ton plan quo nous n'allions pas avec LU C ~ lS;
il faut qu 'li
soit seul.
- Au couvenl, oui, mais pour le voyago , non. j 1 nOl1 ~
dûposora dans quoIque villago près du cloTtru.
- Si Lu veux, mon aIHil'.
Elle regarda sOn mari d'un /lir do d éfi: quand n'avaitelle pas raison '(
- l'our ne pas perdro do Lemps on pourparlers, dit
M. de MalUI alUlO , je vais écrire uno leUre qu o Lucas présentera à la Supérieure pour l'inform er qu e je ne peux
o à mon envoyé.
venir cl la pri er de romottre sa )J e n s j~nl\ir
- Bonne id6e.
- HL une uutro loUre pour Od cUe.
- Pourquoi donc? II seruil prM6rubJ o que Lucas se
jJrt-son Lo à Od etle, commo vonnnt do sa propl'o initiati vu
t'l nOD pus (>n simple rneSSl\gor.
- Ri co la pl'ul VOliS fuil'o pl u i ~ il' ... Jo vais ('gUll'OIl'ut
t ul6grnphiel' pou r averLir de l'uni\'6e clc quulqu' un.
o PPLI do rn ysLùr c Ilrès bi eo, lrès bi 'n, nt 1\1m& Plerrtl
t'llÎ"réo par ces pr{'pu rnUfs rom ulll'sl lu('!! ... J'y ponso, Lucas,
lu prondrns 1111 munLeau chuud pour OdL'lte; ell o n'a pas
dù j-U 'lOporler un il son cou vent, n'f'sl-C'1l p U3 , Monsieur
Je comt!'? cl I:'lI e Ile !Il' dout ait pus qu'clle l'ev Îondrr.lit eu
aLi loruobi le.
�L'OI SEAU n'AMO U R
10!i
- C'est vrai.
- Il se raiL Lard. romarqua Mme Piorro, apriJs un coup
d'œil il sa montre attachée a une longue chaine fixéo il sa
ceinture, il est cinq heures et demie. Nous dlnorons à six
heures et demie, si c.ela ne vous dérange pas ; puig nOlis
nous cou cherons t ôt, ca l' il faudra nOlis lever de grand
matin.
Et elle soupira : ce tte éq uipée all:lÏt la pri ver de longues
fl àneri es au li t et de la lect ure des roman<;- feuilletolls qu'elle
ndletui t ('b aque jonr. Enfin ; il ralla iL i\Ll'c hél'oique pour
Lucas.
Ltls trois hommes ap prouverent 10 plan propos\).
- Je va is uu garage maintenant ? demandu LUGns.
- Bien sûr 1 n'oublie ri en au moteur ...
M. de Mandanne no put s'o mpOcher dc sourire 11 ce
conseil.
L so ir, au moment ùu coucher , Ltl cus vint embrusser
li;' milre qui minauda;
- I ~ h bien, gros gûtû, nous t'aidons, hein ?
- Oh 1 oui, maman, mais je crains qu e touL échou e...
- i\lI o n ~ 1 LouL r~L
bien pr6parô, pIJSû ... M(\ me les carles
annonCent ton sucr;Ùs.
- L('s ra rle!>?
-
Oui, je Ruis
a ~e J](
chez la car to mancit:mno; lrois Coi s,
olle n lir6 Jo même jeu, ou à peu près ... E ll e :Jnnonçait
qu'Odotto allaiL être emnwnéo par ('lJlui qui j'aime.. .
- Vraim enl ?
- Oui , Lr ~s exnclr rnent; seulemen l, uno Cois, les cartes
Sc sont tromp ées : ellos on <.IiL (lu e tu étuis blond ...
Blond ?
- Oui !... d'a ill eu rs lu a vais tln e lrnd unr.o à etre blond
dans Lon enfance ; I ('f; CU I·t!',> rr tartl nl .. .
- ~ f a m n n ...
- Quoi?
- J 'u i peur dl' nI' pas so voir lui exprimer louL ...
- All olls, tu sa UN S ll'l\9 bi en lui pad e!'. Le soir où tu
f!R ros!<: l:loul u V(.'C l' Ile, lu l'us ~ bl o ui f.l pal' les propos ; je
l'ai vue mu elle <.1 1.'\ anl tol. .. d'udmirù.tiOll . All ons ! ce nf!
�106
L'OISEAU n'AMOUR
sera pas difficile. Quand tu seras en sa prGsence, tu lui
diras : « - OdeUe, j'ai appris que vous étiez malade;
alors je n'ai plus pu y tenir ..: Je suis venu VOus cherchor.:.
Votro pèro voulait vous JUlsser oncoro, pour vous pumr
d'avoir élé froido à mon égard. Je l'ai supplié do rovenir
sur Sa décision. Mon cœur qui VOUf> aimo me dictait
les mols pOUl' toucher le sien; je lui ai arraché son consentement ...
- Mais c'est faux 1
- C'est ce qu'il faut aux femmes, dit Mmo Pierre d'un
ton senlencieux. Les femmes vivent de mensonges et de
promesses ...
- Est·co vrai?
- Le roman « L'amour el la huine » Jo disait, mon
fils ...
A l'heul'o dite, lout 10 monùa fuL prêt. Après un hlllif
aré noir réchauJT6, on s'embarqua. Lucas était arrivé en
voituro, afTub lé d'une « peau do biquo »; sa mùre, bien
emmitoufléo commo lui, le chapeau l'etenu par une écharpe
nouée SClUS 10 menton, do grosse!! lunoLLes à monture do
cuir SU I' les yeux, monta il côté de lui.
M. de Mandalloe, e~ prévision d'un voyage, aVJit apporlé,
e/l venant chez les l'JOrre, une casqueLLo rondo, paroillo à
cello <]110 porlenl le8. Chl\SSellrS do renards anglais , et un
manleau, genre anglaIs oguletllcnl, à gros carreaux ...
Seul, M. Pierre était mal ûquip6 avec sa tenuo ùo ville cL
sonchapoau melon. Il s'assil aux places nrriOI'O do la voilure,
il côté du porc d'Odette, ot so glissa flOUS Hno épaisso couverlure.
Lucns, ému, donna un coup do trompo, dessorra 10 froin
à main, débraya avec un grand brull, al l'auLo démnrr..l.
C'élait une bonne voilure, d'un modèle assez récent.
BienLûl, on sorlit do ln villo.
La carnp(lgno Olait magnifique Cri ce Llo
ùe saison. LIJ
I;olcll brillait ncora bas; dOl) hirondollell filaient, rrôlunl
le ciel, tout
la carrosserie. D'aulres OifiOUlIX montaienL dun~
droit. A ',{l'anùs coups do corne , Lucl\s réclumail le passago
nn
�L'OISEAU D'AMOUR
107
aux voitures il chevaux nombreuses. Les charretiers s'écartaient en jurant, comme le veut leur métier, ct apaisaien t
leurs bêles aux jarrets tremblants et aux oreilles toutes
droites ct mobiles.
- Le progrès, murmurait Mmo Pierre, grisée.
:1\1. de Mandanne pensait à sa nlle et, pendant que la
voiture roulait, tanguait et 10 projetait tantôt contre son
dossier, ct tantôt con~re
son voisin, il se remémorait bien
des souvenirs. Il avàit été souvent rudo avec OdoUe, si
douce ct si soumiso, comparable en cela à sa mèro; souvent,
do parti pris, il l'avait contredite, il avait réprimé les grands
Huns qui la tendaient vers lui. Il savait maintenant, pour
avoir d6plor6 son absence, quello grâce subtile so dégag ait
de sa personne, quelle agréable atmosphùro 0110 créait
autour d'olle. pl)urquoi l'avoir enformée dans un couvent
Où ell e 50 mourait actuollement? Pourquoi avoir ... maiR il
allait tout réparer, puisqu'il sc dirigeait vers Lourdes,
puisquo l'auLo de Lucas l'oulait à toute allure, puisque
Lucas, môme, dun plusi eurs heures, all ait frapper à 1.1
porLo des Dames de 1'.I:!;nfanL Jésus. Odette épouseraiL Lucas.
Par fierté, sans aucun doute, Ile n'avait pas voulu implor er son père eL lui dil'e qu'clic consentait au mariage qu'il
lui proposait. Sortie du couvent, sans l'avoir demandé,
Ile 50 conlonlerai l do coLlo vicLoire el serail touto dispo66e à devenir la fomme du fils de l'archiviste, par crainto
de rovenir au cloitre ...
La voiLuro fIIaiL, fIIail, nIait toujours caholante, dépasso.it
dos vo.ches ct des passants encore peu familiaris6s avec ce
moyen de locomotion, travCl'sait des villages on trombe,
ot flIait, sou lovant la poussièro blancho de la route fIui se
collait désngr6abloment sur los lèvres cL au tour des youx
des voyageurs. Lo chapeau de M. Pierre 6lail lout gris,
ainsi que sa main qui relenait 50n couvru-chef, que le
venl do la course menaçait d'onlever.
La voi ture filait, mai t...
Lo doc tour du couvent, le jour de sa consullation, avail
proscrit il la malude un calmanl qui lui avait procur6 un
�10B
L'OISEAU n'AMOUl\
sommeil réparateur. Le lendemain matin, au lieu de la
soupe épaissc et tiède habituelle, Odette a vail eu un bon
bol de café au laiL bouillant. Sœur Thérèse, chargée égaIement do la lingr,rie, avait mis des tranches de pain 81,1r
un poêle de blanchisseuse, à la place des fers il repasser l
elle appol'ta de grosses tartines grillées et craquantes, à
point. Odette mangea avec un certain appétit. BlIe, que le
médecin avait cru mourante la veille, n'était pas bien
terriblement atteinte physiquement.
Les deux jours suivants, ello alla do mieux en mieux,
grâce aux petits soins et aux petits plats de sœur 'rh6rèse,
qui, en bonne femme, croyait plus aux régimes qu'aux
médicaments.
Le quatril!me jour, vers le soir, Odette put so lever ot
faire quelques pas sur ses jambes oncoro faibles; la Ml!ro
Supérieure, tenant un t élégramme ou vert, vint vers elle:
« Nécessaire sera fait demain pour retour d'Odette.
de Mandanne.
n
Pour la promière foi!; depuis son arrivée, Odette sourit :
- Q.ue papa esl bOIl 1
Puis regardant sœur Blandine, ello lui dit, humblement:
- Pardonnez-moi, ma Mèro, touto lu douioui' quo j'ai
pu vous causel' par rocs maUVUiS(;3 paroles ...
- La miséricordo do Diou ost infinie. Jo VOliS pardonne,
ma 1iI1e, VOUH n'(jles pas fuile pour vivre parmi nous. Cha( 'llli doit sui vre su voie.
OclcLLo ('nl culait ;
-l'ap" va peut-utre arri'/or domain matin s' il l'sI. pal'ti
ail 1Il0n1f'nl. où il ellvoyait le t6lôgrolllffio. Il est on routl',
probnhlornrlll. .. Mais je l'attondrai avec patience, mainlenanl. ..
11 r.o mOIllent, la pells'-'c do Luel\S lui vint.
Son porc n'avait-il pas dit Cil la qllittant :
d'id '1"0 pour êpousor le IlIs Pirrro 1
- Tu nc ~ol'iras
Hon pi-ro élait tellement ancré UHn!! otlo d(wision qUO
certaiuOlll' IIlilll'availpu:, aiJollùonnû colto iûoo do mariag!),
�L' O I SF. AU n' AM OU R
109
Il lui avait do nné il chobir entre le couvent et L ucas ;
main tenant qu'il se proposait de la r etirer de cet te maison,
il avu it - c'ét ai t clair - l 'intention ùe la m arier au jeune
homme. Sa sensibili lé a va it quelque chose de surnatural
el ell e avait très souvent un pressentiment pr6c is des lo urmenls qui la gu ett aient.
- Recouchez- vous, llil sœur Thér ilse avec un sourire ,
dcmniJl il faudra êlre en bonne forme, po ur pouvo ir p al' l ir ... Imaginez- vous cela ; votre papa venant , et vou:
obligée de rester au li t·(
Odt< tle lui fil un tristo souri re . Ell e éla it inqui ète ma in tena n t. : certa inement, c'est L urAis qui viondra it p OUl' la
dél ivrer. Que devr ait -elle fu ire a lors? Ne sera it -ce pas
nne ingra tit ude i mpa rd ollna ble que de lui l'eruser su ma in '?
llu moins, c'est a insi 'llHJ juger a it le mon de .
Oui, il me faudra a bando nner à jamais l'id ée de revoir
Audru...
U ne l arm o coula sur sa joue encore pâle.
-- Ello pleure de IJonh eur, pon1la sœul' 'l'h ol'ilse qui lui
apportait sa p otion.
L a religieuse emplit lente m ent do liqui de sir upeux une
cuillèro qu'eHe a menn déli catement Q l a hauteUl' do la
houc he d'Odo lle.
- Atten tion, ma petito enfant, buvez cola ... cl ù ormez
tra nquill e.
Od ulte Se r épétoit ;
- 1J 111 0 Ca ud ra ÔpOUSOl' LucJ.s .. . Comm l' disait Sœur
Blond ine, jo no suis pas faite pour vivre ici ; il Cout croiro
qu e mu d r.s tinél' n'cst pas non plus de vivro avec André ..•
Mais une p ensée, récon fo rtante li re moment, sc préRenta Il l'o.'p rit d o la con voJ escenlo :
~ P oul-Il LI'e seru-co p" p a qui vi unll ra ? Il
Bi entôt, 011 0 dormiL, S't tllLo nng6 1i1lu e ponchée de cô té
d sa mùcho rcbu llo co ll(,u légùrc /ll ,'n l IWI' le moiteur de
so n Iront pur.
Hes m'ji ns é ta iont p oséos ùélicu leJ!l unt sur lu dra p, eL
Cuisa iolll pemw r il celles d'un cnf ut illllbcent .
Lu premièl'e chose qu'oll e vit ln Il'n dljmain ma lin Cil su
�110
L'OISEAU D'AMOUR
réveillant fut son pelit hDgage qu'on lui avait apporté
pendant SOli sommeil.
Elle l'ouvrit, cllOisit la robe la moins austère de SOli
maigl'e Lrousseau : une jupe bleu marine et un corsage do
la même couleur, qu'éclaircissait un col blano.
Le bonheur avait mis une légère teinle rose à ses joues
amaigries.
L'aUente la rendait impatiente et fiévreuse.
Midi sonna sans que personne fût venu. Sœur Thérèse
lui avait apporté une peLite collation pour son voyage;
olle la fit réchauffer pour 10 déjeuner. OdeLLo essayait
d'être for Le, do so dire : " 11 Y a encore du Lemps avant cc
soir », elle éLait harcelée Je ponsées tristes.
Los heures passaient, Lerriblement longues : qur.tlro
heures, puis cinq. La pensée d'un accident s'imposa à
Odette. Nerveuse, Ile essaya do la chasser en se faisant
souITrir d'une auLre façon.
- C'esL Lucas qui va venir ...
Six heures 1
Enfin 1 La Mère Supérieure enLra doucemenL.
- On vient vous chercher, mon enfant.
Elle demanda:
- C'es t papa?
- Non, un jeune homme.
Lucas? Odetto so plia un peu sous ce coup, muis olle
!:longea qu'elle devellaiL vraiment oxigeanLe dan!:l son
bonheur. Sœur Blandine n'avaiL pas accompagné OdeLte.
SCille, une sœur parlait la valise d'osier du la jeune 11110.
Lus doux femmes traversèrenl f{lIelques salles désertes;
OdeUo aperçut rapid 'ment lu gulurie avec ses festons du
ciol rané.
l'jnfiJI, ello entra ùans le parloir, la soulo salle où 011
admpllait les visileurs de l'oxlérieur.
Luca!! dovait attendre.
Mais ce fuL pas lui qui s'upprot'ha J'elle.
Co Iut And1'61 Antlrô ...
Jiillo R'(lV(lnOllil, pl il n'cuL qllo Je Lemps do bondir cn
aVtUll pour la retenir dUlls 1:lUI! brols.
�L'OISEAU n'AMOUR
111
Il so mit en devoir de la ranimer par ses paroles,
devant la sœut confuse et troublée de voir ce bel officier
tenant une jeune fille dans ses bras ol lui carel"sant le
visage, tout en disant doucement;
- Odette, ma petite Odolle ... entendez-moi ... Odette,
ne me faites pas soulYrir ... revenez-vito à vous .. .
La pauvro sœur bouloversée finit pas s'on fuir ot f9rma
la parle sur leur bonheur.
CHAI' l'l'H.E XII
EXPLICATION
Qu'était-il arrIvé?
Quo /J'élait-ll passé entre 10 momont du déparl do l'nuto
ot colui où Odello avait vu son aimé?
Comment André était-il vonu il la placo de Lucas?
Quel hasard avait voulu que l'homme auquel Odelle
avait fait l'hommage de son cœur, rût vonu la délivrer de
son o.ustèro l'elraito, alors que 10 sauveteur quo nous avions
vu désigner était co Lucas qu'ello no pouvait souffrir?
C'élail bien un pl'odigioux hasard qui avait produlL se
miraclo.
L'auto conduite par Lucas roulait depuis une helll'o à une
alll1ro folle, toujours suivie d'uH long sillage de fumée
blanche.
LOR occupants étaient silencieux. M. do Mandannc avait
renoncé à adresser ln parole li M. PicITO qui, encroûlé do
poussière, PUI'uÎ!>saiL trigorifi6. Mndamo l'lurre so laisait
aussi, cc qui était surprenant 1
Seul, Lucas vivait d'une façon visible. i\ppnrommont
tr6s 6nervé, il tournait par saccades son volant, redressait
la VOilUl'U par à-coups ot manœuvrait les levi ers u vec
d'atrocos bruits do ferrailles el de pignons coincés.
Toujours, les arbres déOlaienl.
Quelques poules furent 6crasécs dans les environs des
fermcs,malslochùufIeurn'ypritp i.ls gardcet acc616rll. Sou-
�112
L'OISEAU D'AMOUR
clain, un homme monLé sur un âne cria en gesticulant, au
milieu de la route. Lucas J'é\'Ïta d'un brusque coup de
volant, l'auto continua sa course, à une allure folle.
Deux minutes plus tard, on entendit un terrible bruit
d'explosion.
Les roues avant de l'auto se tournèrent d'un seul coup;
Lucas ne fut plus maître de sa direction.
Des cris se fITent entendre.
La voilure bondi t par-dessus un talus et se renversa
dans le fossé, presque retournée.
A ce moment, un point noir grandit dans le ciel, venant
du côté de Pau: un aéroplane. Le pilote aperçut certainement 10 désaslre. L'aéroplane piqua du nez rapidemenl,
vers un champ pl'oche, puis se remit dans sa position
normale d'atterrissage, comparable à une pie qui va se
poser à terre, la queue tendue, les pattes en avanl.
Quelques chaos, ct J'appareil vint s'arrôler à une vingtaine de mètres de l'auLo. L'aviateur bondit légèrement à
I.erro, et en quelques enjambées arriva vers 10 véhiculo
on fâcheuse posiLion. Un orbro avuit providontiellement
arri:té la voiture dans une chute qui aurait pu être oncoro
plus atroco, 10 champ dévalant en uno pento raido ot
aboutissant à uno rivièro.
Courageusement, l'hommo du ciel so glissu sous la voilure avec la souplesse d'un chat, s'onfllant dans lino cave
pur Ull utroit soupirail. PendallL quelques instants, on no
vil que ses jambes fJ.ui dépassaiont sous l'auto.
Il J'oLira son buste ol SH teto, toujollfs U plut-ventre,
enfin sc J'elevu. n tenait sous les brus un hommo inanimé.
Leg talons de ln victimo raclaient le sol.
L'aviateur posa son fardeau à torre L 10 regarda.
J! poussa un cri de surprisr:: :
- 1\1. de Mlllldunne 1
L'aviateur était And l'Ii de OilTroy.
Le comto insLallé contru un tas d'herbe, lu tète l'elovée,
;\ndI'6 no s'occupa plus dl' IlJÎ pour lu moment, ct reeommcnç.1 son chng!:reux sauvelOlge. Il tourna 'l1ltour de lu
voiture, s'aperçut qu'un morceau do la c,lrl'osserio so
�113
L'OISEAU n'AMO U!'.
détachait du châssis et acheva de l' arrJch er . Il put ainsi
poursuivre sa lâche plus à l'aise.
n retira une femme par son manteau ùe J'olll'furc. Évanouie, égalllmenl. 11 la laissa près de la voiLure, cl sc
replongea dans les débris. Des cris sortaient de l'in t.érieur
de l'automobile: u Au secours... Au secours ... , faisai1
un e voix geignantc ... J'ai mal. .. mal.
Les plainllJs continuèrent après qu'A ndré eut aidé
M onsiour Pierre, la mâchoiro crispée , ü sorlir de sa place.
L'archivisLo posa \111 pi ed à Lerre, mais sa jambe sc lot'dit
sous lui el il s'écroula . CerLainemenl, fracture du tihi a.
- Sauver. mClO fil s, euL -il le courage de dire.
l\ndrü arri va enfin il extraire Lu cas qui plt:l ul'ait de
gz-osscs 10 1'))1('5, en répétanl : « \ 100 Dieu , que j'ai mal.. .
Oh 1 sauvlJz-moi, Monsieur, gllrrissez moi. .. j e soufTre . . »
Ji tenait Bon poignel en fuis:1l1 l quelques pas cl en incli nant ] e tronc en avant cL en aITi
j) ~ 'e , ll ppuyanL son avanl.brns contre son venlre ou conlre sa cuisse.
n déco uvriL un instant so n Doigne!' halafl'é de: rouge ;
la vue do colle blossure l'épouv fUlla, il se remit fI gémir;
- Jo vais monrir ... mourir ... Je perds mon s:mg...
André haussa les épaules .
- Mauvi cLLû quo ce jeun e homme, pensa- t-il.
Puis il 110 pencha sur monsieur Pierre.
- Laisect -moi pOUl' J'instant, dit olui -ci, sc l 'e t ~ nal
rie cri er de douleur. J e vous cn pri e, occupez-vous do ma
femmo ol de mon ami.
Lu cas, pcndll1lt co temps, 8'61nit laiss6 tomber à t err t?,
Hssis, confin é d a n ~ son mal pr rfio nnol rl in\'oqu
a n~
/' 0 \15
les Min Ls pour le soulag!'r.
Bien que \ igoureuse menl girOée, madam e T'inrre ne
rAvEmait pus à ellc.
- Monsieur, souma son mari , il y a nn ruisseau tout
pres.
André n'avoit )HIS de rûeipièut p OUl' nllCl' puiser d
l'eau i1 U lorrtm l quo l'on r ntond niL sauter sur Irs rachos ;
il out soudnin l'idée do fir !ler vir de l'l on ra. 111 C de cuir.
La trrrl' J1a l' é(~ tl g() u 15 r nt un !lfni L de pomp e qu und il Id
1)
fi
�114
1,'OISEAU
n'AMouR
foula. Sans souci ùo s'embourber, André approè.ha de l'eau
courante, emplit de liquide son vase improvisé, et rovint
vers monsieur de Mandanne ct madame Pierro.
- Donnez·moi do l'oau j Monsieur, suppliait Lucas, je
saigne ... vite ... do l'oau.
La lâcheté de Lucas écroura André qui, d'une voix rau(lue, cria;
- Attendoz votre tour 1
Mme Pierre, aspergée, reprit enfin 1l0S sens.
U restait do l'cau, ct André al1a en tamponMr les tempes
de M. de Mandannt'.
- Où suis-jo? demanda 1\11110 Pierro.
- Tu es sauvée, Juli e 1
Ello gémit.
- Tu soufTres?
- Ah 1 quel coup j'ai reçu duns le dos, c'esL atroce.
- C'esl alroce, répondil en 6cho Lucas. Mon poignet 1
Mon poignet Clille ... el saigne ... el on ne veut pas me donner d'onu. Ah 1on me martyrise .. . je suis affreusement bless6.
- Et Loi? Lu Il'as rien, se d6cida Ù demander
Ivt mo Pierre ù son mari.
- Peu de chose, souffla-t-i l.
Ln jambe de son pélutalon, du genou nn pied, ôtaiL rouge
cl poissée de sang, cL il souITrHit horriblonHlnt.
M. de Mnndanne avait une blessure nu menton, pen
grave, mois 10 IVOUp l'eçu, cortainement très fort, l'avaiL
».
mis, selon l'oxprc!!sion dei'! boxours, « Imocle ou~
La fralclwur do l'cau le fIL revenir d'un étaL qui, d'npri's
les pugilistes, n'os t pllS sans charmo. Le comte ee froLta 10
front, lu mo.choir , ct dit;
- Ah 1 diable 1
Puis il operçuL Ancll'6, les YI)UX écarquillés;
- Vousl
_. Oui, Monsieur do Mandunnc ... pur le plus extraordinairo de hasards.
- De l'cau, do l'cau, récJam<Jit toujours Lucas.
- M0nsieur de Giffroy, voulez- vous aller socourir co
jeune homme? ...
�L'OISl:AU D'AMOUR
115
André alla vers lui avec son cusque où restait de l'eau.
Lucas hurla ù'appréhension, et souffla de douleur exagérée quand le liquide froid toucha sa plaie. Sans grande
douceur, André lui prit Je poignet.. blessé, le nt jouer.
- Ah 1 cria Lucal:i, ridicule EJt mélodramaLique.
- Vous n'avez rien, dit André.
L'homme à l'ûne qu'on avait dépassé tout à l'heure,
arri va à la hautour de l'auto.
- Ohllà, l'homme, cria Lu as, venez ... venez me secourir ...
Le personnage descendit de sa Illonture qui so mit à
pallrc, ct s'approcha :
- Hein? Pourquoi n'avez-vons pas observé mes signes?
Pourquoi ne vous ôLes-vous pas arrêté comme mes gesLes
vous III consoillaient? La l'oue avant no tournait plus l'onel
et semblait pt'esque déLachée.
- ... ct lu rouo ballante a [rollô Jo plleu, usô sans doute
cOlllre 10 ressorl de suspension, L l'a faiL éclator, a hova
André ... BL Illon quaLrième Llossé? .. s'écria-Loi!.
M. Pierre éLaiL sans conLeste le plufl sérieusement toucllé. Stoïque, il avaiL demandé jusque-l:\ qu'on secourût sa
famille cL son ami. Jl haleLait de douleur, el enfonçall ses
onglos duns la paume de sos mains. Anelro se mil en
devoir de lui onfe lionner ùes aUelles avec 10 bois qui
formllit le planchor cl l'uulo.
- Prenez-moi, Monsiour, imploruit Lucas parlant au
payRan, monlo:r.-moi SUl' volre bôte, menez-moi fi l'hôpi.
lal. .. ,le VOU!) paierai.
L'homme, Lon lé, s'apjJrùLait il lui obéir, mais M. do
Mandnnno, pl'Csquc rOlJlis ot deboul, lui dil :
- Monsieur, ne cOllnaisSrl.-vous pas uno forme dUlls los
ùnviron<;?
- Si, la H 'ounièrc ..Just menL Jo propriélaire roma~se
le foin tout pros.
- Alors, cria Anth'o, voulez-voUl:1 aller cher her luur
char ...
Le paysnn soula HUf son !lne, at part il ù toute allure, du
moins pour un Dnc.
�'116
" 'O I S I ~A
U
1) '
H I 0 Un
, - .. , Et moi ? Ol oi , moL., hurla Lucas,
M. do )1andanoe 10 eonsid6ra avec le mépris le plus
profond .
Mme Pi erre ay ~ iL Ll'oUVIl baIl de s'é va nouir il nouveau
quand un ell a.r il foin, ;\ demi chargè, am e n ~ pa.!' l'homme
à l'nne, l.Ju'acc olllp agnait un autl'e paysa n, arriva. au pas
solennel de ses d e u ~ bœufs, pressés obliquement l'un contro
l'aulre, l.\ bavo au mU"O:lll ,
Lucas se lùvo , al'lrs, cl 10 pas il peine tl'a.i n:lOl, all.l
Hrs le char dml!; le toin dU'luel il se laiss a lambel',
Los d<:lIx pa y s: U1 ~ Ll'unsporLèrent avec douceur M. Pi erre,
sur la liLil'l'r rOl'm 60 pur los herbes sèches o nt as~ée
sur h.l
vilhicul r ,
André, niù ':: de M, de \J :. nd ll nn r , l'ciovu Mmo Pierre,
qui, la tête ball ll nLo, mUI'('h" pl'esf[lHl ineollseiomml'nt, sou (' nu e par les dC\1x hommes .
.- y a -l -il \111 rn édecin dans Ir:; enVirOllB? ùemonua
A'ndl'C, .
- A vingl kilom t'lns, so ul ement.
- Bigre 1 mon avioll es t monopl urc , Sl l ~ ct.'l n je se rui~
nllé le ('het'cher .. . P eut -oll téléphone\'?
- Quoi'( demandèrcnt le propl'iét air tlo la C'harl'plte tl t
~ elLJi
de l'ùnr .
Ils n'avaient jnmais cnLen ']u va1'lel' de Ltllépholl('(' 1
Coltn fl',\('LIII'O r r,dAlTIc une interv enti on lc plulJ lû t
fJossilJle, f ui qul'lqu 's é I O ln f' nt u ir ,)~ nolion') do dlÏrurgil'
l' l je ," ,liS t' ~snyl'
I' d'il l'rangcl' pl'o
v i ~ oil 'o rn (' nl
j'o ltr jambe.
POli t-OH gilrdol' Illon npparJil't
Lo propriétairo des bœu fs mil Sf)S main'! en f nlonnoir
devant sa boucha cl pOU 3,>a un ( ~ I'i ufll'nqU f' , a U<jl1 l' 1 rt"pn/i .
dit un aulre ana)oguo, rn nii'l loinl nill .
- ilIon fil s va venir, ditl'hoJllUl C...
~ n c r Cl'8 porsonn('9 il l'abri"
- Bit:n. VOlll o1.- VOII S e mrn
Je vous rejoindrai .. ,
- Oui. J o vais croiser mOIl fl ~lI , et je lui dirai de v o u ~
obéir, quant ù 1 Kardc de volre oiseau , el de voua inui
lJUll1' le c1wmio de la l!1 a i ~ oJl,
�L'OISEAU J'I'HIO Ul\
11'
Le chal' s'ébranla ]f'Jlte ment avel.:, l.:o uché à l'avant, le
douillet Lucas, toujours pleurnichant; il côté de lui, son
père, et, en arrière, assis (>t les jambes pendantes,
~Ime
Pierre cl :\1. de Mandanne,
- Quel couragcux jeune homme! rUffi ll rqna Mme Picl'l'e.
- Jl s'appelle Andr é rie GifTl'cy , l'épondit M. cie
Mandarule.
- André ue Oi/Trey, s'écri a-locHe, ['homme dont YOliS
m'avez parl é naguèrc?
- Oui.
Mme Pi erre parut abûLLue. Bile se tut. Celui q'Ji
devait devrnir le beau· père de son ms lui avait exposé
l'aventure sl:lntimenLale d'OdoLlr, Il aVflit ,'aconlé corn mentIe jeune o., ·ial UI' avait. été recueilli sous son toit,
Hoigné p UJ' Alexis, et Od ette l'avaH aimé à cause de sos
wulTI'ances, Alexis pl'élellCluiL que l r~ dcux jeunes gens Ile
s'él aicnL jamais ren co n l. r6 ~, ni vus Jonguemenl , ni parlé;
il ne menLait jam ais, Cependant, OdeUr avai L donné 8011
cœur au jeune casse-cou, son nmoul' aVllitOt6encoro accru pal'
la visite de remerciement s du jeuno Iieuten:lnt. CcL amour,
rlfe en avait fait l'aveu fougueux à fio n pèl';), M, de Mandanne, malgl'6 I('!; npparcnces, ct Mme Pi erre, aveuglée par
los QuliL
~s
de son JlJ g, avait déclnré : Il GORL lin caprice".
Co soi - disanL caprico U v idL 'c pend anL donné à Odett o
ulle opiniùtl'e obslinalion, qui J'uvait fait meUrc HlI COli , ('nL pa'r son pùro t'xaspéré l'l no RO \:onl.pnanL plus,
L'homme qu'ai mait Odl'LLü ('lait co si Ilr" v(, aviaLeur,
Mme l'ierre, malgré RO ll esprit vici6 pal' I,'s le ; LUI'I', '
cl 'ilmomhrnbl 'S rOlflillls-feuilleton<;, sc rt'mlai! ('om p le (f\H'
son ms ne pouvait pas éclipser Andr'é de OifTroy !Inn'! l'cs1imo d'Oel utte.
F\on filsl
AcLuollt' menL, il so lamenlaiL pitoyah!rmrnl, Pl'ÙS ùe son
pl're muet..
- Tais- toi, mon Lu cas, dit i\; mo Pi erl'<! , prends Lon mal
(Il pul i'.'l1cr.
)'; lI r !ni rlisaiL l'ola 011 IMl'c qui veut consolor, mnis nussi
('ri pCl'honnC importunée pal' un " oisin I:;oignarù,
�118
L'OISEAU n'AMOUR
Quel douillet, pensait 1\1. de Mandanne. Quand je
songe à cet officier aviateur brûlé, déchiré, meurtri, que
jamais Alexis n'entendit se plaindre 1
Même les paysans semblaient fatigués des jérémiades de
Lucas.
- ReLenoz-vous, mon bon monsiour, plus on cric, plus
ça fait mal ... faut pas penser à son mal... on arrive.
Le chor entrait dans la cour de la Boaunière, salué par
les aboiements du chien de garde qui bondissail autour des
bœufs.
Le pr) v6 poinlu nt cahoter ct gémir la voiture il deux
roues. Lucas poussa des hurlements de renard écorché.
Drs femmos sortil'ent de la cuisino ot entourèront Jo char.
Uno robUl;te fille, d'allure débonnairo, grosso et roude pitié pour Lucas et l'aida à descendre
geaude, fut pri~e
comme s'il avaiL élé tm grand blessé. Hile prCta une
orQille complaisante ct compatissante aux plaintes do l'apprenti astronome.
On Lransporta M. l'iorre SUt' un m.
Mmo l'ionc, le dos voût6, M. cio Mflndanne lui donnant
le bras, s'a vança vers la cuisine où les invitait la fermière:
- Vonez hoil" quoique chose, messieurs ol dames, un
petit coup de liquour, ça vous remet d'aplomb.
André, courant, arriva bient8L.
- Où est notre blrsso?
- Je vuis VOliS meIH.' r, fit le conductour du char.
- I~L vous ()lIe~
m'aider il faire Je rebouleux.
- Jo veux bien, j'ai déjà souvent aid6 il remeLtre des
brns cL des jambes.
-1\ /ors, tout esL pour)e mioux.
L'opération fuL rapidernrnl oxécul6e, la fracLure paraissant ll'us simple.
- Monsieur, diL Andl'o it l'archivisle, cola esL provisoire
!'l j vais ;)lIe1' loul de suite à Pou, d'où jo lerai CllVOyCl'
tlno voiture d'ambulance.
- C'esL vraiment trop d hanté.
- Pas du louL. Quiconque, en pareille occasion, ugil'ait
do môme.
�L'OISEAU D'AMOUR
119
Arldré descendit à la salle commune où se trouvaient
réunis les autres rescape.!. Lucas s'était fait ent.ortiller le
poignet ct le bras de bandes de pansement et de coton,
par sa grande admiralrice, el l'importance Je son bras
ainsi envclopp6 lui donnait une haute idée de son mal,
qu'il s'étOJUlait de supporter avec tonl de stoïcisme. Celle.
qui s'était fuite son ob6issante innrmière lui faisait chauffer une boisson r6confOL'tanlo qu'il avait réclamée.
Mmo Pierro buvait ù potils coups, avec des mines de
challe gourmando, le marc de ~ dcnière les fagots » 'Iu'on
hJi avait ofTOl't.
1\1. de Mandanne, toujours absorbé pur ses }Jensél:s,
tonait son vorro il la main, sans boirc. Il envoloppu d'un
regard énigmatiquo André entrant.
- M. do MandauHc, dit André en s'inclinant, je vais
prendre congu de VOIlS.
Il s'adressa à Mmo Pierro :
- Madamo, jo vais à Puu commandor une voiluro pour
trul1sport.er volre mari.
j 'uis ù Lucas:
- Moruliour, dois- je demander quolquo chose pour vous?
Lutas ne son lit pas l'ironiu de l'olTre.
Il débita un longue suite de médi caments '( do première
nécessi lé 1>.
André lui tendit \l(\ main, S'inclina dovant MmD Pierl·o.
Arrivé au comte, il s'arrl'la cl s'écria:
- Mais, voLI'e manclw droite 'sl toulo cnI;unglanLée ...
M. dn J\1undanno r garda SOI1 hrns :
- Cela st vrai, je n l'avais pUR vu ... Je RrnlUÎs llll€
doulclIl', mais jo cl'oyais qlle cula provenail dd mOIl
épau lu meurlrie de !10UVl'UU. DéeidblOcnl, c'l'sl ce bras qui
« prend » loul...
- Monsiour, pernwLtr7,-moi dc l'rgardc·r.
Andru re!eyait dour,emenL lu m(\l\cJlo :
- Ah 1 c'est mauvais ...
- Comment? La chnil' e5l 11 J!rlne ontamép ...
- Oui, maL; lu lorr n maints endroits u passt: sous lu
peau ... Jo crains ...
�120
L'
O I ~r;
\ V
D' OJO Un
- Ce n'cst l'Ï('n !
- Si, Monsieur, mieux vaut un ' ~ précaulion. Le tétanos
pourroit se déclarer. J e reviendrai avec une ampoule de
sérum.
La gorge de M. de l\Tandanne se serra d'émotion ;
- Monsieur de Oifrrey , je vous suis bien redflv able.. . ,
- Pus du tout 1 c'est moi qui suis votre débiteur, j'ai
passé trois semaines chez VOlIS admirablement soigné.
- Un prêté pour un l'enrlu, dit Mme Pi erre, suns tuct.
- Pas cola, Madame. Monsieur le comte m'a soignt'
sans attendre de reconnaissanco : ce qu e j'ai lait , ell
revanche, fs t un rcndu pour un donné, co qui n'est pas la
marn o chose. J o pars .. . A bi entôt 1
- N'oubliez pas co que jo vous ai demanM, cri a Lucas
qui se remi t :\ gé mir, presquo appuyé sur l'épaule de la
jeune paysanne.
Il eut soudain l'idée d'une nouvello chose qu'il pourrait
t ncoro demander :
- No pourr is- je avoir un lit , pOUl' étont.lre mon pauvre
corps mourtri ?
- Prenez 10 mien, en att endant quo l'ambulance vieillie
vous c116 rcheJ', di l rell o qui l'nvait dorloté comm o un
enfanl.
- Ah 1 j'en ai bien bm;n in, jo sons qlle je prrds mcs
fo rces.
M. de Mallù anntl el Mmo Pierre so trouvùrent souls dUIl.'!
ta salle que los propri6tairtls avaient abandonn ée pour
accompli r les travaux urgont s <1" 0 rérlilmenl sans cesse ou
la Lerre ou les bêtos.
Le soleil montail dans Jo ciel. Midi allait !lOUMr.
M. do Manda/UlC resl tt il silencieux, toujours eu proio li
sa médi tati on int érieurf' . '1 (H Up ~ t o sous uo erGol', Il ]uis.,tl
~ oud
l\ jn
échapp rr ces mots do sell lèvres ;
- C'est col homme qu'aimo ma fill o. .,
- Comm ent ? sur sauta sr ~ voisIne.
\1. do Mo.ndanne, sans l'entendre, continu.}, :
- Et je ,;omprollûs qu'elll' l'admirp, qu'eU J'ai me.
�L; OI SE AU n' AMOUR
12 1
- De qui parlez-vous ? demand a M me Pierre, devinant
la réponse.
- De ce M. de CiCTrey ...
- E t alors?
- C'est cet homm e que ma flile voudrai t épouser, il esl
celui qui est digne d'elle.
- Et Lucas?
- Lucas n'esl pas celui qu 'il faul à ma fllle. Elle a tou ·
jours vécu près de moi, pr.otégée par moi. J e ne lui ai
jumtlÎs laissé d'initiative personn ell e. Elle est incapable de
se diriger seule dans la vie .. . [We a besoin d'un souti en, de
quelqu' un plus fort qu'eUe .. .
- Lucas.
- Non, pas Lucas. L'avez· vous entendu gémir d'un
bobo?
- D'un bobo?
- Oui, vous êles sa mère, vous avez cru à Bon mal. Oh 1
un pou soul ement ; j'ai diflcrrno des nuances dans la pilié
qlle lémoigl\:lil vot 1'0 "iRage; parfois les la m e n l ~ lio n s de
l..ur:.!s "ous ont. ugar:ée .. . a vO li ez ·le ...
- Pout -,Jlro...
- VOliS voycz 1
- C'est ma Caule 1 Tout polit, il élail fu ihk ct je l'a i
snns cesso dorlolé, couvert do mon ailo.
- Il était faible, vous l'avez rendu douillel. Voyez · vous,
volre Lucas est un êlre profond ément intellige nt .. .
- A qui le diles- vous?
- Muis il lui tuut. sn Ill /WC, comme il fuuL un homme,
lin vrai, à Odotte .. . Imaginez (c qll e ser ni t lour vie co rn loune; uxucLc ll1cnL commo celle de ces enFant s qui jouent
ù se marior (JI. : l faire l'('picicr ct qui récluffif1 nt !\i.lIlS e(,'s~.
un bout d'étoile pour iiI' déguiso r, un boul de sucre pO Ul'
ru iro fcm blant de le "undrc, un cOn/lei! ù ùes parruls p l'Ovidr ntl r ill. ~'l l pauvre amie, nous no St' r o u q pa.<; touj ou rll
IL ,
- Lu c:!s a UNS ll1W ce rtaine forlune.
- Qui lui vitmdru d,' ses parents, qu'i l n'aur.{ pas su
~ur,:
Jl r ol fJu ï l gri ;':Mll'l'J peu :l peu. El surlout .. ,
�122
L'OISEAU n'AMOUR
- Surtout?
- ... A ce mariage, il manquerait de l'amour ...
- Mais Lucas .. .
- Lucas, peul-êire. 11 vous aime?
- Cortainement, passionnément ...
- Eh bien 1 voyez, dans cetle fa ible épreuve, il n'a pas eu
un mot pOUl' vous ni pour son père. Dans la vie conjugale,
il ne ponsera qu'à sa personne, comme il vient de le montrer aujourd'hui. Oui, il faut de l'amour. Mon mariago fut
un mariage d'inclination, j'ai presque enlevé ma fomme
dans un couvent ...
La pen'léo du couvenl où Odotto se trouvait Ics traver. a
Lous deux. Ils l'avaiont un pOli négligéo .. .
- m OdeUo qui nous attend 1
- Lucas est dans l'imposBibilitû d'aller lu chercher;
l'aulo est en morcoaux ...
- .I<:t Puu, où je pourrais prcndre 10 train, 80 trouve à
plusiours lioues d'ici. Pnll vr\l OdoUc, elle vu bieu Gtn
déçue de no paa partir uujounl'hui.
- D'autant plus qu'clio csl très mulade, pnru.îl-il. Un
jour de rotard ppul lui ütro fatal.
~Imo
l'Ierro ~ard
quelquc tcmps le 5i1en\.:0, puis demanda
~Il
"omLo à hr'ülo-pourpoinl :
- I~l Andl'é do Oijfroy l'aime-l-il '?
- Jo no peux l'allll'fTlol' LouL ù fai!', mais j'ai obsorvé
son viRago <Iuand il ('sL venu apPol'Lor des Heurs ù Odotl(',
j'ai nolé son lrouh le Jorr;(lll'il m'a parlé LouL fA l'heure .. ,
li paraissaiL forLomenL (roubl(,.
Vn souvenir reOtonta il la m{mlOiro uo JlT. ùo ~fandul'.
-- Mais jc l'ai c1wsso (jllanù il vinl mo l'rrnl'l'I:ier, :lvec
do brusques paI'olrs; il n'a paR l'épondu à mon insulto; ('JI
IfcnlilholllUlc, il s'est ille1 iné ('l fi'cn sL allé. MOIl Dieul
Jo douloureux visugl' d'Odette, lo!'!; do l'I'lle s{"(\nl). C'cst
ulroro ...
Le pl'rp d'OdeLlo cl la mèrl' de Lucas arroplèl'olli. l'invi·
talioll à <.Iéjeu/loJ' dCf! bl'UVH; pUyR' ns qui les h(:bl'I'gonicnt.
Lucas lIvnil préto."lé une fil.vl'c intense cL n'filait IJfI'"
VPIlU.
�L'OISEAU D'AMOUn
123
Le hras de M. de MonLanne, lavé et pausé sommairement,
lui occasionnait des douleurs dans toute l'épaule et le
comte commençait à craindre quelque complication. L~'5
paroles d'André l'avaient alarmé. Aussi accueillit-HIe jeune
homme, de retour, cordialement et se prêta-t-il de bonne
grâce à l'injection du liquide préservateur.
- .Te lions à vous annoncer, Monsieur le comte, qu'il
faudra rester plusieurs jours tràs tranyuillo. Ce sérum
« travaille » 10 corps ct fatigue beaucoup.
- Et m;} fillo? s'exclama 10 comte.
lmdré pordit contenanco ot rougiL. Il dil pOUl'tant :
- Jo no crois pas que ... Madomoiscllo ... do Mandanno
craigno quoi que ce Goil... Elio a Aloxis ... Cathorine ...
- Non. BUo n'ost pas au château, Mias!
Les yeux d'André s'élargirent, inLerrogateurs.
M. de Mnndannc, comme une confession dictée par la
remol'dg, dit;
- Je l'ai mise au couvent.
- Ah! eL pouquoi?
M. (le Mondanno saisit l'aviatour par 10 bras ;
- Vous l'aimez?
- De touLo mon ame 1
- El ollo aussi vous a préféré aux maris que je voulais
lui proposer.
ExLasié, Andr6 murmurai!. : ({ Odetto )).
Lo père d'Odotto prit un lon solennel;
- Monsieur de Gillrey, j'ai 6tu cruel oL injusLo envers
ua jour, d'une façon injurieuse.
vous, je vous ni ·ltHS~ù,
Jo vous demando infiniment pardon, Monsiour, car vous
êles un noble cœur. Non ... non .. , Ile prot stoz pas, VOliS
m'avez rendu 10 bien pour 10 mal. ..
- Mais pOli du tout, vous m'av CI. glll'rlÛ chez VOUIl ...
-;- Jo ne regardo pas les choseH do ce point do vue; il Y
Il ln. lIIaltièl'c (l'accomplir uno honne action, ou mômo seulemcnt une aclion; je VOUi:I ai logo, c'est vrai, mais on
souhaitant chaque jour volre d6pnr't, qne j'ai fmi pal' provoqllOI' par uno dùmarrho, ruvolLllnl,o, jo m'en l'cnels compLu
maintenanL, auprol> do VOl> sup6riuurs, Ù Pau.
�t24
t ' OI SE AU D ' AMO U lI
Il repri t son soume ct ( ~)] t. inu a
:
- Monsieur de GilTrey, vous m'avez réconcilié avec
l 'A rm ée. Ah! je l'ai a im ée , J'Mmée française ... Mais un
officier, un Jieutenant, comme vo u~,
m'a lait chaEser par
sa traîtrise. J 'ai voué dopuis 10 1'5 ulle haille éternelle au x.
offici ers, j'a i juré flu e jomail'i aULun n'cntrcI'ait dans mu
mai son. Quand vous êtes apparu dans ma vio, tout le passé
fis L revenu il ma mémoire. J 'ai cru que vous ressembliez
à J'image quo je m 'étais formol' do l'omci,er depuis la ftn
d o ma earrièr o. Peut ·êll·o êtes-vous un e exception ...
-- Monsieur le ('o mle, vo us exagérez .. .
- .. . et je vous demand e un service ... .AlI ez aujourd'hui
même chorcher mu flB I', au 'ouven des Damen de l'Enfant
.Iésus, pr'::s de Lourdes . Voici une loUre pour la S\lp érieurc;
je vois él~ l ' ir o quelques mols qu e vous J'emoLtroz à ma ftlle,
pour qu'clic nI' douil' paf! de so n bonheul' .. . ca r vous vou loz Li n l'épouser, mil pel lle Od etf.e?
- Monsieur !
 III.lI'O 6lroigll il a vec force la m ain do M. de :\I u ld ~ n nc .
- Monsieur 10 com Lo, je YOIlS juro quo je rorai tout
p OUl' son Lonhour J
- J e crois voLr{' paroI" ... WOll fils ....\\I Cl , AndrG.
M mo Pierro avait d(' vi nô le danger qui se dressa it contre
Ilon nJ. du faiL dl' la convel'satio n de M, de OifTrry ct d ~
.\I. de Mandnnnc.
Elle avait [H'essenti lu vicloir,' do son rival. /1 fullait
Caire lin dernier clTorL co ntl'e lui. E11 l' {J laiL Il !1 (W ve rs son
IIls, j'Hvait ('vcill é :
- Lucas , jo cl'ois qu'o ll ve ut l'c nlo\ ol' Od elLe ...
Il Na il encore Assoupi , cli o le Sflcou n.
- ..'Ill 1 Lu mo fnia mul, maman .. . Olt 1 flu e je /lo uf/rc .. .
- :Mll is OdeLLo ... Od ollr ... tu la voulais ...
Mais il sc cun tOllnn dans SOli mal ' l, 0 nrtfl nL sa mèr l',
il gémit :
- Ah 1 laisse- trlo i a ujoul'd'llui .. .. No IllO purlc p i\'I
d'Od eUr ... laic;so· lu où ell e so lroll ye .. . Ah ! j'ui mal ...
Il r <,pollssa it Od el te.
�L'O ISEAU D'.\)IOUR
André aIJuit la délivra ...
Après quelques inst.ants d'éva nouissJm en t, Od ette r ev int
à e1l0, avec la grâce ùe la Belle au boi ~, éveilléfl par li:l
Prince Charmant. EUe murmura:
-- Je vous ai bil?ll attendu, André ...
- Odetto, je vous jure 'Ille j'a i bien souvent pensa a
vous. J e djrig
e~ d s sans cesse won appareil du cô lé d' Ortbez
et c'est ce qui Cait <lue j'atteins enrUi mon but si long·
t emps dfsir6. Et co matin eurore, je vol a ill vers vous
quand .. . m ois c'est une histoir'o Lrop longue à raco nt er
ici ...
- AlItll'é .. .
- Odetle .. .
lis échangèrenl un dou x baisol'.
Une cloche sonna d ans 10 silence LIu cou venl.
- Partons, dit Od ett e.
fï:t, appuyée il son bras , ell o Re laissa l'lIt r .. ner.
La dOl'ho sonflait, sonnai t...
i!JPILOOUl!:
ünc ulllrtJ cloche sonnait, sonn ait, joyeuse ment acljon~(
par un gamin quo l'abbé Orolière avait acquis pow' cdll.
Deux mols avai('nt pURsé depuis la délivrance d'O dette .
qu'.\ndl'l:, il dru rnari{'o IXll' 10 bon
BIle uvail tenu, ain~
curé. N'uvn il -i1 p liS No:, 1111 portio l'arlisUII do leu r l.Ionhou r !
La rorémonio dovait se passer dan$ sa pau\'('t) t;gliliC de
cam p agll'.l un pcu délaln'él" 1113is animéc' P,lf HU gl'und ll
om o.l . Lc 60n prC
Mo avail vOlllu bion raire les c ho se~ , il
aVilit ll1i!1 on f.C UVI'O lout ,'!; s('s ressourl: s, uva it dMuli su
~O l j<ll'uill dn I\PS lieu!'.:! , Aidé p.u' sa !W rvunl p, il les :lv.li t
Jl:\l>tS ;l Ia Il flP Jl P du lllalt r,J·ulltcl, ct loulo l'église lInurill
ullpl1{.I ai l IC$ fullll'S l!POll,(. Lu CUI'\} rangeuit encor,. un.'
ûlltoralion , de-ci de· Ils, q uand il vi t arri Vljl' Il! co rlùgo nuptial
où rE'splt'lIIjis.luicnt de nombreux lIni!orm
u~
militaires. Vil(',
il ullu ~ lu sa. r i~l',
ouv['it le plac:al'u QÙ il J"ait pl(u.:é s.,
chu 'uble.
�126
L'OISEAU D'AMOUR
Il poussa un cri d'étonnement.
JI y avait une chasuble toute neuve, à la place de
l'ancienne tant de lois reprist:e, resplendissante de ms d'or
et d'argent et de broderi\ls fines.
Une carte était fixée au bel habit:
OdeLte cl André
à Monsieur l'abbé Grolière
en témoignage de reconnaissance.
Il la passo et arriva au momenL où la foule des invités
entraiL.
OdeLte éLaiL maguiflquo dans sa robe de mariée à longue
Lraîne et sous son voile vaporeux, radieuse, a u bras de son
père.
La cérémonie se déroula, b elle dans sa simplicité.
La voix grave cL 'mouvanLo du prt;lre ré~onai
L dans
la gr'ando nef; il prononçait 1 s p,\I'olos divin s llui lien L
pour toujo\lrs oL en Caisait scntir la noblesso; deli rayon'!
travorsant Jo viLrail, venaient jouol' sur ses traits eL lui
mrUaient unJ iluréole. Sa joio intéri eure ajouLait encore
do l'éclaL à son visago si bOIl.
Quand la or6monle fut tOI'minée, ülloUe, l'OSA tlo plaisir,
dit au (',mé :
- Vous m'.Jvipy' invitée à veni!' vous voir, s i j'ovais ù
vous demandor l[lll'.l(juOS c0118eils; jo viens vous en
demandcI' un, U1I bon précepto qui serve lous los jours.
L'abbé Grolière souriL ol, une main posée sur l'ôp aule de
C]Hlcun des nouveaux mariés, il répondiL :
- C' 'st bion simple, bien facilo ../0 no peux que \'OUR
rappeler qu'il faut avoit' conllunoo dun~
]e Bon Diou el
VOUR aimer loujoul's loyalemont.
OdeUe et André 110 regardèront fOt ils vir(mL dans IHI
yeu. l'un do l'nulro des promesses do L'onhem· ...
FIN
�j' Pour
paraître jeudi prochnu loaB le nO 328 de la CollcttioJl "FAMA '
PARCE QU'ELLE L'AIMAIT .. .
par JOSY
AMBROISE. THOMAS
CHAPITRE PREMIER
- Fée?
- Grand'mèro ?
- Tu ne m'entends pas, ma petite fille, je voudrais un peu d'eau.
- Oui, grand'mèro, un peu d'eau sucrée, n'estcc pas? avoc un file~
de citron?
- Si tu veux, mu petite l'éo, Es-tu prête à
partir?
- Je mo dépêche, J'ai perdu le bouLon do mon
soulier ... Jo Allis obligée Je Je recoudro. Ah ! jo
n'aimo pas les sO'lLliers à boutons, grand'mère !
- Mais, chério , cc n'est pas un soulier à boutons. Il n'yon a (ru'un à Lon soulior, colui qui Lient
la barreLLe. - Merci, La eitronnade est oxq\lit:!e, ma
petiLo Fée. Tu sais touL fairo, tout bion iairo.
- Non, gl'ancl'mèl'c, je no sais pas bien coudre
les houIons. C'euL Lmp dur, c:'csL trop difTiciio à
percer]o uir... J'aimerais avoir des souliors
il jours, en peLi Les lanières blanches eL noiros.
- Je no Huitl pas aSRCZ l'icho pour to les achelcl'
ce mois-ci, Féo, attends 10 mois prochain.
- Non, non, ma grantl'mèl'e chél'ie, 10 mois
prochain ce sora ~:opLmbrc,
fin do l'été. Je n'au(1\ suivra).
�26(j~·a.
-
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( OJIPlnl
J'i,'kIM' MU (M',l
CfW
ad,. , ".r <
�
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Falet , Paul (18..-19..)
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L' oiseau d'amour : roman
Publisher
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Ed. de la "Mode Nationale"
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A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
impr. 1932
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Collection Fama ; 327
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BUCA_Bastaire_Fama_327_C90798
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---------------
CHAPITRE pnE!\'IIER
JULIE DE FLOllY
Au sommet de la triche, une jeune fill e appEl rut,
vêtue de blanc.
Elle s'arrêta ot embrassa du regard le merveilleux
spectacle qui s'oITrait à ses youx, et qu'ell e contemplait avec autant de ravissement que si c'était la
première fois qu'elle l'apercevait.
: Partout montaient ùes hauteUl's, couronnées do
forêts et séparées les unes ùes autres par des ombres
ténébreuses; à leur pied, peuplées de moutons, de
vertes proiries s'étendaient; ici et là, rudes et mélancoliques, apparaissaient des friches sauvages , où les
genêts épineux sc groupaient en massifs menaçants;
du fond d'une dépression du terrain surgissait 10 clocher d'uno église, que devait entourer un village dont
on ne voyait point les maisons.
Debout, immobile, la jeuno fllle contiooait à
regarder.
Elle eut un sourire.
- C'est beau, Morgane, dit-clic! C'est beau, vois-tu!
Elle parlait ainsi à une grande ct belle chienne, au
�LE CALVAIRE n'UNE AME
7
être aussi à cause de su pauvreté, n'avait point été
inquiété.
Surpris de voir un inconnu errer duns les bois qui
avoisinaient sa demeure, M. de Marchac, s'étant
nommé, l'interrogea, et M. de Flory, mis en conflance
par le ton et la mine de son interlocuteur, lui raconta
son histoire.
M. de Marchac hocha la tète.
- Hum 1 fit-il. Je crois, monsieur, que vous aurez
beaucoup de peine à mettre votre projet à exécution.
Je serais très surpris si vous parveniez au-delà de
Cahors ou de Montauban. Quant à franchir la frontière , surveillée comme elle l'est, c'est une espérance
à laquelle vous auriez tort de vous attacher.
- Alors, murmura le fugitif, je ne vois pas ce que
je puis faire 1
- Votre position est assez difficile, en e1Iet, reconnut M. de Marchac, mais elle n'est peut-être pas sans
issue. Si vous le voulez bien, nous l'examinerons
ensemble ailleurs qu'ici. Accompagnez-moi jusqu'à
ma masure, où vous prendrez un peu de repos.
Cette o1Ire spontanée, rendue sans prix pal' les circonstances, toucha grandement M. de Flory.
- Je vous remercie de tout mon cœur de votre
générosité, dit-il, mais je penserais commettre une
mauvaise action en acceptant votre oITre. Vous
que celui qui reçoit un susn'ignorez pas, monsiel~r,
pect chez lui expose sa propre vie.
M. de Marchac haussa les épau les.
- Ce détail est sans importance ! répliqua-t-il. Ma
conscience ne me pardonnerait pas d'avoir abandonné
un honnête homme au plus Lriste sort. Du re~t,
ne
vous exâgérez pas la valeur du service que je serai
�6
LE CAL VAIR E n'UN E AME
poil blan c sati né, don t quelques
tach es bru nes taisaie nt ressortir l'éclat et qui, atte ntiv
e, les y eux fix 6s
sur ce ux de sa maitrosse, sem blai
t la comprendre .
- Oui! rep rit la jeune fille. C'est
beau ! C'es t très
bea u !
Bru squ eme nt, elle soupira , puis ses
trai ts s'assombrir ent, et, rep ren ant sa marche à
pas lent s, elle descendit la friche, dans la direction
du village invisible
de qui le vieux clocher mon trai t la
plac e.
Cc n'ét ait pas au village qu'elle se rend
ait, cep end ant.
Suiv ant un peti t senlier à peine trac
é, qu'u n étra nger au pay s n'au rait pas distingué
sur ce sol caillouteux , reco uve rt d'un e herbe courte
et dur e, mais qui
dév ait lui êtrl~
familie t, elle gagna un chemin étro
it,
serp enta nt ct s'él eva nt à trav ers un
bois voisin.
La solitude ét ait complète; hor
s le cri de quelques oiseaux, hors le bru isse men t
des feuilles sous la
fuit e rapi de d'un lézard, on n'en tend
ait pas un bru it;
on aur ait pu se croire au milieu d'un
dése rt, et, à tout e
autr e que Julie de Flo ry, il en sera
it venu de l'inq uiétud e.
Mais Mile de Flo ry n'ét ait poin t
peu reus e, et elle
sav ait, au surplus, que dan s ce
coin du Quercy les
mauvaises renc ontr es ne son t pas
à crai ndr e.
La fam ille de FJory n'es t pas orig
inaire de ce pays.
Elle y a pris racine au tem ps de la
Révolution. A cett e
épo que unc omt e de Flo ry ,resté seul
de son nom, et qui,
dénoncé comme suspect, che rcha it
à gagner l'Espagne
en voyagéanL à pied, s'ét ait égar
é dans les régions
bois ées qui s'éLendent entr e Gourdon
ct Cahors, ct il
y sera it mor t de faim , sans la renc
ontre qu'il y fit de
M. de Marchac, un peti t gentilhomm
e de la con trée
qui, on raison de l'aff ection qu'o n
lui por tait .. et peu t-
�8
LE CAL\'AI nE n'UNE A~m
heureu x de VOU3 l'endre. Person ne, ici, ne voudraiL
me causer la moindre peine' . On fermera les yeux. On
se bouche ra les QI'eilles. Ort ne saura pas qu'il y a un
étrange r chez moi. Je vous affirme que je n'ai rien à
redoute r.
Devant cette insisLancc, M. de Flory céda.
- Nous ne sonme s qu'il. six cents pas de ma masure ,
expliqu a M. de Marchac, Vous auriez pu passer à côté
d'elle sans la voir, tant elle est masquée par les bois.
Jamai:; on ne pensera il. venir vous y cherche r.
Il était vrai que Marchac, où l'on ne parven ait que
par un chemin où deux personnes seulem ent pouvai ent
avance r de front, se cachait au milieu des bois, mais
il ne l'était pas que ce fut une masure , ainsi. que son
proprié taire paraiss ait prendre plaisir à le répéter .
C'était une maison assez ol'dinai re, surmon tée d'une
haute toiture pointue , et qui ne pouvai t soutenil' son
nom de château que grâce aux deux tourelled qui flanquaien t sa façade . L'ensem ble avait bon air , cc qui ne
l'empê chait pas d'êLt'e modeste .
Les Marcpac n'avaie nt jamais été riches, ct presqu e
toujour s ils s'étaien t enfermés dans leur ancionne
demeur e , au sein de leurs bois, vivant de maigres
fermages, n'ayan t d'ordin aire que deux servite urs , ct
il en étaiL encore de même, ce qu'exp liquait M. de
Marçhac tout en guidan t M. de Flory.
- C'œt un vieux ménage ! disait-il. L'homm e
s'occupe du jard;n. La femme fait la cuisine . Elle se
tire du surplus comme elle peut. Mme de Marchac
eL m::\ fille ne 1ui laissen t pas le soin des travaux
délicats.
Il faut résume r ceLLe histoire dont le seul inLérêL es t
de faire connaît re comment M. de Flory, de qui les
�LE CALVAIRE n'UNE AME
9
biens avai enL été vendns müionalernr.n(, et qui no
reçut ri en de la RestauraLion, fut arnen6 à so fixer, p~r
un mariage, dans un pays qui n'6tait pas le sien.
Il avait été admirablement accueilli par Mm e de
Marchac, et tout de suit0 il fut sé duit par le charme
de Marie-Amélie, la fille de ses hôt es, qu'il demanda
en mariage et ép ousa dès qu e la Lemp ête qui grondait
sur la France fut un peu calmée, et quand il lui fut,
per mis de se montrer sans danger.
Rien ne le rappelait dans le Li:n oll sin, où il était né.
II n'y avait aucun parent. Il ne pouvait songer à rentrer en possession de ses anciennes propriétés, d'ailleurs p eu étendues. Tout au plus lui fut-il possible de
recueillit' quelques bri
~G
de son avoir passé. Il
demeura donc à Marchac, et il y v écut heureux auprès
d'une femme qu'il nim<J it ct qui lui donna plusieurs
enfants.
A la fin du premier quarL du siècle où nous sommes,
le nom des Mal'chac était ù peu près oublié dans la
conLrée , eLcelui des Flory n'allait pas tarder sans doute
à disparait.re, puisqu'il n'y était plus porté que pal' une
jeune fille de vin gt ::ms, orpheline de bonne heure, et
qui, servie par une vieille femme et le mari de celleci, vivait seule dans l'antique mai son, n'ayant d'autre
amitié an monde que celle de sa chien ne Morgane, la
com pag ne de ses pl'omenades solitaires .
Étrange exisLi3Dce que celle de Julie tIc Flory, confinée dan s une retraite rigoureuse, à Inqw'lle il eut
été inutil e de chercher il l'arracher. Les livres, la
musiqu <" la brodel'ie, suffisaient à remplir ses journées.
Ell e o.vait l'adresse d'une fée, a voc l'inVlligenee la
plus vive et ~l e infatigable curiosiLé d'esprit.
l ion que pour cela, ello eut été admirée dans le
�10
LE CALV;\I RE D'UNE AME
monde. Mais elle n'y allait pas . Élevée il. Cahors, elle
avait opposé de systém atiques refus aux invitati ons
de ses amies de couven t, riches pour la plupar t. A
Marchac, sa pauvre té ne la faisait point souffrir . Hlui
sembla it qu'elle en ser'ait accablée ailleurs . Elle ne se
cachait pas . Elle se bornaiL à ne pas se faire voir.
Elle l'aurait pu , car elle était jolie. Elle avait de
beaux yeux bruns, sous une chevelure de même teinte.
Sa bouche était fine et spirituelle, ses traits parfaits ,
et la grâce accompagnait tous ses gestes . Sa voix était
chaude , bien timbré e, non dépour vue de douceur.
Sans être grande , sa taille dépasr;ait légèrement la
moyenne, et sa démarohe souple faisait que partou t
où elle serait passée on aurait cédé au désir de se
retourn er pour la suivre plus longtemps du regard.
Son caractère présen tait un bizarre assemblage de
simplicité et de fierté, d'une fierté un peu hautain e.
Elle était distant e ct silencieuse. Son humeu r variait
souven t. Très gaie à certain es heures , elle devena it
tout à coup sombre et soucieu se. Elle courait alors
s'enfer mer dans sa chamb re, défend ant qu'on vînt l'y
déranger. Quand elle en sortait, eUe était pâle et sa
vieille servan te suppos ait qu'elle avait pleuré.
Cette femme l'aimai t. Elle avait assisté à sa naissance. Elle avait pris soin de sa petite enfance . N'ayan t
pas pu être mère, elle s'était attaché e à Julie avec une
sorte de passion , au point que pour assurer son bonhour, elle aurait fait bon marché de sa propre vie.
Le soir, :.l la cuisine , elle causaiL d'elle avec son
mari, un brave homme qui, lui aussi , aimait lu jeune
fille .
- Qu'est-ce qu'elle avait donc aujourd 'hui, la
demoiselle? demand ait-il. Depuis ce matin, jusqu'à ce
�LE CALVAIRE D'UNE AME
11
soir, elle n'a pas desserré les dent s, et quand elle est
venue au jard in elle m'a regardé comme si elle ne
m'avait pas reconnu.
- Elle a des raisons, répondait la Léonie. Elle a
des raisons . Des idées à elle .
- Faudrait. qu'elle se marie , reprenait le vieux.
- Oui, approuvait la femme . Faudrait qu'elle se
marie. Mais il ne sufTîra point de la vouloir pour l'avoir.
Et puis, vois-tu, je ne sais pas qui c'est qui viendrait
la dénicher au fond des bois de Mal'chac.
La Léonie remuùit la t ête.
- Et s'il venait quelqu'un, ajoutait-elle, il n'est pas
sûrquece quelqu'un ne tournerait pas les talons, quand
il saurait qu'avec sa beauté la demoiselle ne lui
apporterait guère d'argent.
On n'ignore plus, à présent, quelle était la jeune fille
qui, dans l'après-midi d'une douce journée de la fin du
printemps, quittant la friche descendue à moiLié , avait
pris le chemin qui, traversant les bois, devait la rameller chez elle au bout d'une quinzaine de minutes.
Quinze minutes!
C'est bien peu de chose, dans le cours d'une vie .. .
Et cela peut être immense 1
La jolie chienne Morgane précédait sa maîtresse,
s'arrêtait, revenait sur ses pas, repartait.
Julie de Flory ne lui disait rien, contrairement à
son habitude .
Elle ne lui souriait même pas, et l'ombre qui, subitement, était descendue sur SOIl front , ne s'était point.
e11core
dissipée .
\
�12
LE CALVAI HE D'UNE .UIE
CHAPITRE Il
LA
RENCONTRE DANS LES BOIS.
A moitié route, Julie s'arrêta , puis, après une courte'
hésitat ion, elle s'engag ea dans un sentier qui s'ouvra it
il sa droite, et qui la condui sit à un tertre dénudé ,
semé de roches émerge ant du sol, eL du haut duquel
on pouvai t apercev oir une vaste étendu e de pays.
L'aspec t de la contrée , de ce côté, n'était plus le
môme.
Les collines montai ent doucem ent, les petites vallées ne se creusai ent pas avec la brutali té des combes,
les {riches étaient plus rares, les terres cultivé es plus
nombre uses, et des maisons blanche s, au toit rougo,
donnai ent une idée de vie et de gaîté.
La jeune fille s'assit sur une des roches et la chienne
l\1organne, ayant commencé par fureter à droite et à
gauche , vint enfin se couche r à ses pieds.
Pourqu oi, au lieu de rentrer tout droit à l\'1archac,
ce qui avait été sa premiè re intenti on, Julie de Flory
était-el ie venue sc réposer en cet endroit ?
Si on le lui avait deman dé, clIo n'aurai t pas su le
dire.
Elle avait cédé à un de ces mouve ments instinc tifs
auxque ls on obéit snns les raisonn er, comme si l'on
était poussé pal' une force secrète , ct dont les conséquencos peuven t être extraor dinaire s nt avoir leur
répercu ssion sur touLe une vic.
MUa de Flory regarda it avec plaisir le joli paysag
e
qu'elle avait devant elle, et la sensati on de paix qui
�LE CALVAIRE D'UNE AME
s'en d6gageait ramenait peu à peu le calme dans son
âme agitée.
Souùain ses yeux se fixèrent sur un point lumineux,
ressemblanL ù une grande tache blanche, dans un
cadre de verdure, très loin, à mi"hauLeur d'un côteau
que dominait une forêt.
A mesure qu'on y apportait plus d'attention, on se
l'endait compLe que la Lache blanche était constituée
probablement par
pat' une consLrucLion considér~ble,
un châLeau moderne.
- Cèzenac ! dit tout haut Mlle de Flory.
En même temps qu'elle proNonçait ce mot, une
moue lui venait aux lèvres.
Il étaiL clair qu'elle n'aimait pas Cèzenae, et, en
cela, elle ne faisait que suivre un sentiment de famille,
car elle n'avait, en réalité, aucun motif personnel
d'en ,'ouloir aux maUres du grand logis qui brillait
, là-bas sous le soleil.
Seulement, depuis plus de cent ans, à Marchac, on
déteslait les gens de Cézenae, parce qu'ils s'étaient
ralliés il. l'Empire, parce que ce dernier les avait
enrichis en la personne d'un des leurs, devenu
un illustre soldat., un des plus audacieux compagnons
de Murat, de qui le château se dresse aux envi·
rons.
On ne sc voyait pas .
On ne se saluait même pas quand on sc rencontrait.
A vrai dire, il y avait cu autrefois quelques
avances de la part de Cézenae ...
Mais, à Marehac, on avait feint de ne pas les coml)rendre, si bien que la pa.uYl'e vieille demeure cachée
dans les bois ct la splendide habilation (fUi s'élevait
orgueilleusement sous le ciel, étaient aussi compléte-
�LE CALVAI RE D'UNE AME
15
sieurs pour payer tout ce qu'il y a dé beau au château .
Le vieux Labart he, qui a été domest ique à Cèzenac
et qui, dans le temps, est allé à Puris , assure que son
hôtel est magnifique. Je me deman de à qui ira tout
ça, s'il ne se marie pas.
- Pourqu oi M. de Cèzenac ne se mariera it-il pasr
observ ait Julie.
Léonie haussa it les épaules.
- C'est vrai, reprenait-elle, qu'il est oncore jeune.
Mnis c'est vrni aussi qu'il n'a pas l'air pressé.
Elle soupira it.
- C'est un mari pareil à lui qu'il vous faudrai t 1
achevait-elle.
Mue de Flory laissnit tomber la conversation.
Le mari qu'il lui faudrai t? Elle n'avait pas été sans
y penser. Mais ce mari viendra it-il jamais? La vie est
si dure, si difficile, qu'on sc détourn e volontiers d'une
fille sans fortune, quelles que soient ses qualités de
cœur et d'espri t. Co n'est pas très beau, mab c'est
humain , ct Julie, qui le compre nait, se résigna it à
vieillir seule à Marchac. Elle n'y attenda it pas un
prinee charma nt. La race en est perdue depuis le
temps de la Belle au Bois dorman t , et, s'il en était
encore un sur terre, il eut été fou de sa part de s'imaginer qu'il viendra it un soir frapper· à sa porte .
La résignation n'empê che pas ln douleu!' ...
11 y avait des heures où Mlle de Flory souD'l'ait cruellement de sa situatio n . Elle en mesuraÏL la trise~.
Elle se désolait à la pensée des joies qui ne seraien t
pas les siennes. Et c'était alors qu'elle se réfuginiL
dans sa chamb re afin d'y pleurer sur sa jeunesse, destinée à ressembler à une neur de qui nul au monde
ne respirerait le parfum.
�14
LE CALVAIRE D'UNE AME
ment étrangères l'une à l'autre que si ell es avaient
été séparées par une centaine de kilomètres.
Julie de Flory rêvait à cela .
Son esprit droit aurait dû lui faire entrevoir la puérilité de cette rancune, de laquelle la causo avait tant
de recul, et qui, dans le monde où nous vivons, alors
que tout se modifio, se rapproche , se confond, prenait
le caractère vieillot d'un anaohroni sme. ..
Peut-être l'avait-elle compris ...
Mais il y avait là une sorle de point d'honneur, et
l'honneur était une deuxième r eligion pour cette fière
jeune fille, qui no voulait lui manquer en rien.
Donc, elle n'aimait pas Cèzenac ...
Toutefois, si elle s'était interrogée , elle aurait
reconnu qu'à cet éloignement ne se joignait aucune
haine .••
Et puis, au fond, en quoi pouvait l'intéresser ce
château, que son maUre actuel, l'héritier du nom glorieux, n'habitait que rarement, sept ou huit semaines
durant les beaux jours, voyageant beaucoup, restant
l'hiver à Paris?
Julie savait que le comte Hoger de Cézenac, de qui
le père et la mère n'existaient plus, était âgé d'une
trentaine d'années, qu'on le disait d'humeur un peu
sauvage , qu'il ne fréquentait le monde que dans
la mesure où il était contraint de le faire, et qu'il se
livrait à des travaux historiques.
C'était, du moins, ce qu'elle avait discerné dans les
bavardages de la vieille Léonie qui, sans sortir de
Marchac, était instruite, néanmoins, de tout ce qui se
disait ou se faisait dans le pays .
- Il est riche à des millions et des millions, disait
la brave femme, et l'on raconte qu'il en faudrait plu-
�16
I.E CALVAIRE n'UNE AME
Ce jour-là, tandis qu'elle descendait la friche, elle
avait été assaillie tout à coup par ces idées, puis
elles s'étaient dissipées, et, maintenant, elles é~aient
loin de Julie, absorbée dans la contemplation de cotLe
tache blanche, qu'elle voyait brille!' sur le verdoyant
côteau, ct qui n'était autre que le châteu de Cézenae,
construit par le maréchal comte de Cèzenac il la place
d'un ancien manoir délabré qui a "aiL été le berceau
de la famille.
Le temps s'écoulait ...
Julie ne se décidait pas à partir, et Morgane, relevant parfois la tête, avait l'ail' de lui demander pourquoi
elle s'éternisait dans cc lieu désert.
La jeune fille comprit cette muette interrogation.
Elle caressa la tête de la jolie chienne.
- Tu as raison 1 lui dit-elle. Je ne sais vraiment pas
ce que je fais ici, ni môme pourquoi j'y suis venue .
Elle se leva, mais au lieu de reprendre le sentier.
qui l'avait amenée au tertre rocheux, elle s'avanr,:a
jusqu'à l'extrémité de celui-ci, sans s'inquiéter du
dangel' auquel elle s'rxposait.
Le Lertre, en eIret, s'achevait en terrasse, ct ceLte
terrasse surplombait le vide. Une combe aux parois
rougeâtres s'ouvrait au-dessous d'elle . Si la terre avait
cédé sous le pied , la chuLe eut été mortelle.
Julie de Flory ne semblait p:lS s'en douLer.
- Prenez garJe, mademoiselle! dit soudain une
voix. Vous pourriez tombel' 1
La jeune fille sc retourna.
Elle se vit en face d'un inconnu qui la salua respec·
tueusement.
C'éLait un jeune homme de vingt-cinq à trente ans,
de hauLe taille, brun de cheveux , au teint mat, aux
�LE CALVAI RE D'UNE AlI1E
17
traits régulie:'s , au sourire aimabl e, au regard un peu
grave et doux à la foi s, vùtu, bien qu'il fut sans arme,
d'un costum e de chasse, et tenant ù la main le bâton
basque qu'on nomme makila .
- Je vous demande pardon , mademoiselle, dit-il ,
d'avoir pris la lib ertn de vous interpe ller ainsi que je
vi ens de le faire, mais c'est que, réellem ent , il ll'es t
pas pruden t do s'avanc',)r aussi près du bord. H.ien no
prouve que les torres coient solides.
- Ne vous excusez pas , monsi eur! répond it Julie .
.Je vous dois, au contrai re, des remerc îments . Je ne
m'expl ique pas comme nt j'ai pu me montre r d'une
telle imprud~nce.
Julie de Flory se tut ...
L'incon nu, qui s'était découvert, gardait Je silence ...
H yeut là de brèves seoondes d'un mutuel embarr as.
Le jeune homme paraiss ait vouloir se retirer ...
Mais il l'estait, comme s'il avait été retenu par un
charme ...
Et, pour so donner une contenance, il caressait la
chienne Morgane qui, loin de gronde r ou d'aboy er à
sa vue, s'était approc hée de lui amical ement et lui
léchait la main.
- Vous avez là une bien belle bête 1 remarq ua-t-il.
- Très belle, en efTet, dit Julie. Etauss i intelligente
que belle, car elle a compris que vous aviez rendu un
service à sa maîtres se.
Ces paroles furent accompagnées d'un salut , et la
jeune fille 0.':.1 pour s'éloigner.
Elle en fut empêchée par une questio n de l'incon nu.
- Pardon nez ·moi 'ma curiosité , pria-t-i l, mais je
voudra is savoit' si je n'ai pas l'honneur de parler ù
Wlo de Flory?
�18
LE CALVAIRE D'UNE ' AME
- A elle-même, monsieur 1 répondit Julie.
Elle n'interrogea pas .•.
Seulement, son regard le fit pour elle ...
- Dans ce cas, reprit le jeune homme, permettezmoi de me présenter. Le hasard, qui fait bien les
choses quand il lui plaît, a voulu rapprocher, au moins
pour un instant, des ennemis de toujours. Je suis le
comte de Cèzenac.
Il aurait pu se dispenser de le dire ...
Julie de Flory l'avait pressenti .
Elle rougit ..•
Elle se sentit gênée ...
Mais cette gêne ne dura pas ...
- Il est vrai, monsieur, dit-elle, que nos familles
ont toujours été hostiles l'une à l'autre. Je n'ai point
à on chercher la raison. Il me suffit do savoir que
mon devoit' est de ne pas l'oublier.
C'éta,it net, et prononcé avec fermeté ...
La barrière était maintenue.
M. de Cézenac ne protesta pas .. .
Il sc borna à s'incline l', alo1'5 que Julie de Flory
passait devant lui.
Or, à cet instant, un fait extraordinaire sc produisit.
11 y eut un bruit sourd, qui fit quo les deux jeunes
gens regardèrent derrière oux .. .
Le partie avancée du tertre, celle sur laquelle, un
moment plus tôt, so tenait Mlle de Florv, venait do
s'écrouler.
�LE CALVAIRE D'UNE AME
19
CHAPITRE III
DEUX CŒURS, DEUX SENTIMhNTS
Mlle de Flory étr,i~
brave, ce qui ne l'empêcha p~s
de frémir à la pensée du mortel danger auquel elle
venait d'échapper.
Quant à Roger de Cèzenac, il avait pâli.
- Vous voyez, mademoiselle, observa-t-il, que
:i'avais raison de vous avertir du péril auquel vous
vous exposiez .
- Uui, monsieur, répondit ,la jeune fille, vous
aviez raison. Et j'ai eu tort de vous parler comme je
l'ai fait. Je crois que ceux qui sont morts ne m'en
voudront pas si, d'un geste, j'efface pour ma part
le souvenir de divisions auxquelles, vous et moi,
nous sommes étrangers eL qui, il dater d'aujourd'hui,
ne doivent plus se perpétuer.
Julie de Flory tendit la main à M. de Cèzenac.
Cette main, le descendant du maréchal de l'Empire
la conserva quelques secondes dans la sienne.
Peut-être fut-il tenté de l'approcher de ses lèvres ...
Il ne l'osa pas.
- Je voudrais espérer, dit-il, que cette rencontre
ne sera pas la dernière, mais je sais, mademoiselle,
que vous vivez seule à Marchac, et, de même, personne
autre que moi n'habite Cèzenac . Il est donc probable
que nous ne nous reverrons pas. J'en aurai le plus vif
l'egret, mais je conserveraI des brefs in$tants P51S és
auprès de vous le plus charmant souvenir.
Pas d'affectation dans l'accent ...
�20
LE CALVAI RE D'UNE AME
Rien de compli menteu r .. .
Des paroles qui exprim aient simple ment une
vérité ...
Julie de Flory remerc ia par un sourire , puis, aprGs
un salut amical, elle appela Morgane et, de son pas
souple ct léger, elle s'en alla.
Roger de Cèzenac, au contrai re, demeu ra à la
même place, les yeux fixés sur le sentier par lequel
s'était éloignée la blanche et gracieu se apparit ion.
A son tour, enfin, il se décida à quitter le tertre
rocaille ux où s'était accompli un événem ent qui,
sans qu'il sût pourqu oi, lui paraiss ait destiné il
modifier le cours de son existen ce.
Seulem ent, après avoir fait une dizaine de pas, il
revin t en arrièl'e, et, ainsi que Julie de Flory un
quart d'heure plus tôt, il s'assit sur une des roches
dont il a été parlé et s'enfon ça dans une médita tion
qui dura longtem ps.
Il pensait à Milo de Flory ...
Mais sa songer'ie le ramena it aussi vers le passé, et il
s'attard ait à en faire reviv:'e les moindr es inciden ts.
Riche comme il l'était, jeune, héritie r d'un nom
célèbre , de multipl es occasions de se marier s'étaien t
oITertes à lui ...
Il avait su les ÛcarLer .. .
Il n'üima it pas, ne se sentait pas aimé, et il ne se
défend ait pas d'un peu d'horre ur pour les unions
qui accord ent des intérêt s, des convenp.nces, mais
qui ne joignen t pas deux cœurs.
Ceci le rendait défiant ...
Il reclout ait de se laisser prendr e au piège de beaux
yeux dont la feinte tendres se dissimu lerait de froids
calculs.
�LE CALVAI RE n'UNE AME
21
C'était dans ce sentim ent qu'il fallait cherch er la
source de son amout' de la solitud e, de son goût
,p our les voyage s, de la répugn ance qu'il marqua it
pour la vie monda ine et qui l'amen ai t à ne se soumettre que le moins possible à ses obligations.
- Si je pouvai s cesser d'être, durant un temps, ce
que je suis, lui était-il arrivé de se dire, si je pouvai s
cacher mon nom, paraîtr e pauvre , qui sait si cette
transfo rmation ne me ferait pas rencon trer le bonheu r?
Cette idée l'amusa it d'abord ...
Mais elle lui faisait ensuite hausse r les épaules,
parce qu'elle était une idée de roman, alO1'lJ qu'il
n'était pas romane sque le moins du monde.
Jusque là, d'ailleu rs , devanL aucune femme ,
.levant aucune jeune fille , il n'avait éprouv é ce
choc mystér ieux qui est comme l'annon ce d'un grand
événem ent, l'annon ce de la naissance de l'amour.
Or, cc choc, il l'avait ressent i à la minute où
Mlle de Flory lui avait tendu la main, et plus
violem ment encore lorsqu' il avaÜ vu dispara ître sa
robe blanch e au détour du sentier .
Il ne compre nait même pas comme nt il avait eu la
forc e et la sagesse de ne pas s'élanc er pour rejoind re
lIa jeune fille, afin de lui dire ...
Que lui aurait-i l dit?
Il n'en savait rien.
Il se passa la main sur le front .
- Je suis fou 1 murmm a.-t-il.
Il essaya d'analy ser ses sensati ons, de mettre de
)'ordre dan s son esprit, de ramene r les choses à la
:vériLé, de les dépoui ller d f) leur aspect imagin aire,
~le quitter l'idéal pour rentrer ùans la l'éalité.
Il était, ce jour-!à , ùans' une disposi tion mélanc oli-
�22
LE CALVAIRE n'UNE AME
que et rêveuse, ce qui le rendait propre à recevo ir
de fortes impressions.
Or, pouvai t-il en ôtre une plus vive que la soudaine
apparition de cette délicieuse jeune fille, vôtue de
blanc, qui semblait être la chaste divinité de ces
solitudes sauvag es?
Sans le vouloir elle l'avait charmé, ébloui, enveloppé
dans l'invisible filet de ses enchantements, et cela
avec d'autan t plus de facilité que , si elle était une
inconnue pour lui , elle avait plus d'une fois occupé
sa pensée et provoqué sa curiosité.
Dès sou enfance, à Cèzenac, il avait entend u parler
de Marchac, sans haine, sans acrimonie, comme
d'une maison où les gens s'étaien t obstinés, un peu
ridiculement, dans une attitud e que rien, au fond,
ne commandait.
Plus tard, il avait su que la vieille maison abritai t
une orpheline.
On lui avait appris qu'clle était jolie, mais fière
autant qu'elle était pauvre , et qu'elle portaiL sa pauvreté uvec une udmirable grande ur d'âme, une
dignité magnifique, et que c'était avec un mervei'lleux
courage qu'elle ·accept ait un isolement auquel elle
était condamnée à ne point sortir.
M. de Cèzena c avait un garde qui ne gardait rien,
cc qui veut dire qu'il ne s'inqui était pas des coups
de fusil qu'il pouvai t enLendrc, ct qu'il laissait les
gens amonOl' leur:. moutons sur les lerres de son
maître sans leur adresser une observation.
Ce dernier ne l'ignor ait pas, mais il n'attac hait
point d'importence il. ces complaisances de Jcan Cûstulou en vers les paysans voisins de Cèzennc, ct il ne
lui en soufflait pas mot pendan t les tournées qu'il
�LE CALVAI RE D'UNE AME
lui arrivai t de faire sur ses terres en sa compagnie.
Un jour, tous deux passère nt non loin de Marchuc.
On aperce vait le petit château il travers les arbres .. .
La toiture n'était pas en très bon état...
- Ça pourra it bien tomber , une nuit d'ourag an,
dit le garde, car vous savez, monsieur, que lorsque le
vent se met ù souffler, dans notre pays, ça n'est pas
pour faire seulem ent yoler les feuilles.
- On doit s'en rendre compte , à Marchac ! répliqu a
le comte.
Jean Castalou hocha la tête .
- C'est sûr! fiL-il. Ça crève les yeux . Mais, aujourd'hui, les réparat ions coûten t cher, et ce n'est pas
l'argen t qui abonde dans cette vieille maison .
M. de Cèzenac ne parut pas prendr e garde à cette
observation de Castalou.
- C'est dommage, poursu ivit ce dernier , car il y a
là-dedans une demoiselle qui ressemble à une reine.
- Pourqu oi ressemble-t-elle à une reine? questio nna
e comte Roge!·.
- Parce qu'elle est belle! expliqu a naïvem ent le
garde.
M. de Cèzenac sourit.
Evidem ment le brave homme s'imagi nait qu'une
femme ne pouvai t pas être reine si sa beauté n'était
pas supérieure à toutes les beauté s.
inutile de le dissuader.
Il ~tai
L'incid ent eut pour résulta t d'amen er parfois
Rog&r de Cèzenac il penser il Mlle de Flory, et cette
rêverie n'était jamais exemp te de tristess e, parce que
le jeune homme se faisait une idée exacte de la douloureuse situatio n de cette fille de vingt ans, prOmise
à une destinée morne et sans joie.
�24
LE CALVAInE D'UNE AME
Il était vrai qu'elle pourrait se marier ...
Mais avec qui?
Elle ne devait pDS être d'un caractère à accepter
un mariage qui l'abaisserait , au cas où quelqu'un se
présenterait, l'argent à la main.
lV1110 de Flory avait l'orgueil de son nom, le respect
d'elle-même, et, à en juger parce qu'on en disait, elle
n'était pas fill e à entrer dans une maison par la porte
d'or.
C'était à tout cela que songeait le comte de Cèzen ae,
assis sur le t ertre du haut duquel, avant son arrivée,
Juli e de Flory avait regardé le grand ehâtèau que
l'on apercevait de l'autre côté d'une large vallée, à
trente ou qua: ante minutes de marche.'
Il se disait aussi qu'il aurait éLé heureux de revoir
la jeune fille ... Seulement, quel moyen en avait-il?
Il ne pouvait pas aIle!' ft Marchac ...
Mlle de Flory no pouvait pas se rendre à Cèzenac ...
La jolie rencontre n'aurait pas de lendemain.
CeLte conviction mit de l'ombre dans l'âme du
comte qui, se décidant enfin à se lever, quitta le
t ertre à son toUl', afin de descendre vers le ehemin
qui le ramènerait chez lui.
- 1.,,1 110 de Flory, se disait-il, ne peut pas s'imaginer
à quel point elle occupe mon esprit, alors qu'elle ne
pense peut-être plus à moi.
Grave erreur!
Julie, au contrail'e, pensait b eaucoup à M. de
Cèzenac.
Il était impossible qu'il en fut autrement, cor, dans
une vie aussi simple, aussi monotone que eelle de la
jeune fllle, cc qui s'était !)ussé cet après-midi là ~tai.
un fait considérable.
�LE CALVAlHE D'UNE AME
25
Elle avait été en danger de mort ...
Si elie vivait encore, c'était à M. de Cézenac qu'elle
le devait, ù M. de Cèzenac, le descendant d'une
famille ennemie de la sienne, èt de laquelle, dans ioute
autre circonstance, elle n'aurai pas voulu se rapprocher.
Maintenant, la vieille histoil'e était morte ...
La réconciliation s'était accomplie ...
Julie, dans un mouvùmenL que sa conscience lui
imposait, qui lui était dicté par la reconnaissance,
avait tendu la main au comte.
Ce geste, elle ne le regrettait pas .
Elle l'aurait renouvelé de bon CŒmr ...
Mais il était v.raisemblable qu'elle n'en aurait plus
l'occasion à l'avenir, et que !\Iarchac et Cézenac resteraient séparés par la mômo distance, le ressenti ment en moins.
Ceite certitude, du reste, ne causait à Julie qu'un
léger regret, attendu quo Rogor de Cézenac n'avait
pas produit sur elle une impression comparable ù
celle qu'il avait ressentie.
Il était d'un parfait bon ton, ses manières étaient
d'une rare délicatesse, sa physionomio forçait la
sympathie, tout son extérieur prévenait en sa faveur,
et la jeune fi llo se disait qu'ello eut été contente de
jouir de sa compagnie .. .
C'était tout.
Et si elle venait à se souvcnil' de co que lui avait
dit la Léonio, de ce mari que Roger de Cèzenac
pourrait être pour elle, cc n'était que pour en sourire.
Ainsi, de la scène de ce jour, M. de Cèzenac ct Mllo de
Flory sortaient avec des sentiments infiniment
dissemLlablcs ...
�26
LE CALVAIRE n'UNE AME
Hoger de Cèzenac aV3it été conquis par l'amour. .. '
Julie en était bien loin.
CHAPITRE IV
A
LA CONQU ÊTE n'UN MAnT
En rentrant chez lui, M. de Cèzenac eut une surprise désagréable ...
Le courrier avait apporté une lettre de M. de
Buiron, un châtelain des environs de Montauban, qui,
rappelant au comte Roger une invitation plusieurs fois
réitérée , lui demandait s'il ne serait pas indiscret
d'en profiter.
(( Vous savez , écrivait M. de Buiron, que ma
femme et ma fille ont toujours été désireuses de
c( connaître Cèzenac, dont on leur a dit des merveilles.
« Je reverrais moi-même avec joie cette belle demeure,
« 0\1 l'amitié de votre père m'appelait assez souvent
c( autrefois , mais nous n e voudrions pas être des
( gêneurs, et je vous prie de me répondre cn toute
(( franchise. Si nous devons renoncer momentanément
'( ;). un plaisir qui nous serait précieux, nous avance,
(( l'ons de quelques jours notre départ pour Toulouse,
( 0\\ des amis nous réclament. )l
c(
M. de Cèzenac ne fut pas maître, à la lecture d~
ces lignes, d' un mouvement de mauvaise humeur.
On n'aurait pas pu se jeter à sa tête dans un plus
fâcheux: instant, quand il éprouvait l'impérieux besoin
d'être seul.
�LE CALVAI RE D'UNE AME
27
Seu] ?
Était-ce bien la vérité?
Ne désirait-il pas, surtout , vivre en tête-à-t ête
avec une délicieuse image?
Pourqu oi venait- on lui forcer la main?
Malheureusement, il ne pouvai t pas se dérober.
Lui-même était allé au devant du désagré ment qui
l'atteig nait. Deux ou trois fois, rencon trant ce M. de
Buiron, qui avait été, en effet, un ami de son pt're,
il s'était cru obligé de lui dire qu'il serait heur'e ux
de le recevoir, accompagné, bien ontend u, de sa
fomme et de sa fille.
- Meroi 1 avait répond u M. de Buiron . C'est ohose
c:onvenue .
Oui! o'était chose convenue, mais rien qu'en
parole ...
Une de ces invitat ions que l'on fait par oourtoisie,
auxquelles on répond de même, et qui, les trois quarts
du temps, n'ont pas de suite.
Le comte Roger aurait donc bien juré que jamais
la famillo de Buiron ne viendr ait à Cèzenao, et voioi
qu'elle s'annon çait .
- Allons! grinça-t-il légèrem ent, il va falloir on
passer par là. J'espèr e que le séjour de ces Buiron
ne sera pas de longue durée. Je vais répond re.
Pour le faire, il relut la lettre de M. de Buiron , et
il eut un brusqu e sursaut .
Au-dessous de sa signatu re, le baron de Buiron
avait ajouté quelqu es lignes que M. de Cèzenae,
emporté par une soudaine irritati on, avait négligé de
lire.
Or, ces lignes avaien t plus d'impo rtance il. ollos
seules que le reste de la lettre ...
�28
LE CALVAU Œ D'UNE AME
Elles en modifia ient du tout au t.out le caractè re et,
de la nouvelle fâcheuse, elles faisaient une nouvel le
heureu se ...
Elles ouvraie nt, devant M. de Cèzenac, le champ
illimité des espéI'D-nces ...
Elles lui appOl taient du soleil...
CI Madam e du Buil'on et ma fille, disait
le haron,
hésitai ent à me suivre. Elles jugeaie nt ma demand e
« import une. l'l'1ais leur résistan ce a pris
fin quand
« elles sc sont souven ues qu'une amie
de pension
« d'Elise devait habiter non loin de
Cèzenac . Je veux
« parler de Mlle de Flory. Ma fille serait grande
ment
« ravie de la revoir, ct ello vous sera
infinim ent
« reconn aissant e de lui avoir procuré ce
honheu r. JI
«
Hoger de Cèzenac relut deux fois cc post·sc riptum ...
11 n'cD croynit pas ses yeux!
Comme tout s'arran geait !
L'insta nl d'aupa ravant, il n'aperc evait pas la
possibilité de sc rappro cher do Julio ùo Flory ...
Et voici qu'en compagnie do la famille du Buiron
il lui serait loisiblo d'ontre r à Marchac 1
Et voici quo Mlle de Flol'y pourra it, répond ant au
désir de son amie, venir passer au moins une joumée
à Cèzenac 1
Cela avait l'air d'un rêve ou d'une histoil'O imagin ée
par un romanc ier, et, pourtan t, rien n'aurai t pu être
plus naturel et plus vrai.
- Il me semble , dit gaîmen t le comle Roger, que
la Proviù ence so mêle de mettre de l'ordl'.e dam mes
affaires ! Il n'y a qu'à la laisser faire, et même il n'e. t
pas défend u de l'aidor.
�LE CALVAI nE D'UNE AME
29
En conséquence, M. de Cèzenuc se hâta de répond re
à M. du Buiron , lui disant que sa famille et lui
seraien t les bienvenus chez lui, et il donna des ordres
afin que tout rut prêt pour recevo ir ses visiteu rs, qui,
par retol.!r du courrier, annonc èrent leur arrivée pour
la semaine suivan te.
Ils furent exacts.
Le baron du Buiron était un homme déjà vieux,
grand, sec, de mine avantag euse, pourvu de cette
faconde qui n'est pas rare dans ces contrée s, qui en
i mpose la premiè re fois et donne une idée inexact e de
l'intellectualité de celui qui la possède. Elle ne va
pas il es t vrai, sans couvrir une cerLaine finesse, ou,
pour mieux dire, une certain e roublar dise.
Plus jeune de quinze ans que son mari, Mme du
Buiron exerça it sur ce dernier un empire à peu près
absolu . Bien qu'il fut vaniteu x, il ne contest ait pas
la supério rité de sa femme et rendait justice à son
sens pratiqu e de la vie. Elle cachait de la ruse, du
calcul, de l'ambit ion et pas mal d'égoïsme, sous des
dehors aimabl es. D'autre part, elle ne manqu ait pas
d'espri t.
Quant à Elise du Buiron , qui avait l'âge de Julie
de Flory, c'était une grande jeune fille blohde , trè:.>
séduisa nte et d'une excelle nte éducat ion. Sa physion omie charma it au premie r r egard . On ai mait l'expre s sion de ses jolis yeux d'un gris fonc é. Le nez 6tait
droit, la bouche fine, le sourire un peu trop enjoleu r
peilt-êt re, l'ensem ble délica t. Elle devait plaire . Elle
le savu.it. Elle compta it bien que cette puissance de
séducti on lui servi rait un jour, ct elle était encour agée
par sa mère dans cett e espéran ce.
Mme du Buiron avait décidé que sa fille ferait un
�30
LE CALVAInE D'UNE AME
heau mariage, et, par là, elle entendait un mariage
riche. Parce que, sans connaîtro la gêne, sans être
contraint à des économies pénibles, on ne possédait
chez les Buiron qu'uno fortune relativement modeste ,
la baronne, même avant l'époque où Elise était devenue une jeune fille, s'était préoccupée de la future
union qui permettrait à celle-ci de vivre grandement.
Elle ne s'était point heurtée, chez E lise , à un sentimentalisme qui aurait été de nature à contral'ier ses
projets . Le plus tendre dos soupirants aurait en vain
cherché le ohe min du cœur de cette belle enfant,
incapable do cédor à une faiblesse d'âme . Elle aus3Î
ambitionnait la richesse. Son sourire donnuit l'idée
d'une caresse, mais il n'était vraiment que sur ses
lèvres.
Le temps passait , néanmoins ...
Elise allait avoir vingt ans ...
On ne voyait point apparaître le mUl'i désiré, et
c'était inquiétant, parce que 10 pays n'était pas un de
çes vastes théâtres sur la scène desquels se croisent
incessamment des milliers de po 'sonnages, de teUe
sûr d'y rencontrer oelui
sorte qu'on est à peu pl'~S
qu'on se hâLera d'entourer d'une trame subtile.
Mme du Buiron s'entretenait un soir avec ~on
mari
de ce problème, qui commençait ft lui causer des
insomnies.
- Vous ne voyez personne? demanda-t-elle.
Le b~ron
réfléchit.
- Ni à Cahors, ni ù Montauban, ni à T01).lJ:>use 1
répondit-il. A mon avis, ma chère amie, vous visez'
trop haut.
Mme du Buiron eut une moue d'agacement .. .
- Mieux vaut, répliqua-t-cHe, viser trop haut que
�LE CALVAI RE D'UNE A !Til
31
, du resté,
trop bas! N'est-il pas comp~'éhûnsibl
fille aussi
sa
placer
de
se
désireu
soit
mère
qu'une
e?
possibl
haut que
- Loin de moi, dit M. du Buiron , la pensée de
vous blâmer . Il n'est pas nécessaire d'ajout er que
votre désir est le mien, mais, vous ne l'ignorez pas
plus que moi , il ne suffit pas de désirer pour obtenir ,
ni de vouloir pour pouvoir. Encore une fois , jo ne vois
personne , à moins ...
Le baron s'arrêta sur ce mot ...
11 paraiss ait avoir reçu une subito illumination.
- A moins? répéta Mme du Buiron, fixant un
regard interro gateur, presque anxieu x, sur son mari.
Celui-ci haussa les épaules .
- Oh ! fit-il, ce n'est qu'une supposition, ot elle
no me parait pas très sérieuse.
La baronne s'impa tientait .
- Dites toujours! insista -t-elle.
- Eh ! hien ! je pensais à M. de Cèzenac. Son père
et moi étions liés d'amitié, et souvent, avant notre
mariage, il m'a accueilli chez lui . Le comto actuel a
tronte ans , il est très riche, célibat aire, et nous ne
Pourrions pas trouver un meilleur parti pour Elise.
Seulement, son humeu r est bizarre , sauvage ...
Le baron vit l'ombre d'un sOllrire naître sur les
lèvres de sa femme .
- Je devine ce que vous pensoz , dit-il gaiement.
Il vous parait qu'on plus de sa beauM notre fille e~t
assez intellig ente et fine pou l'appriv oiser un sauvage.
C'est mon avis. Le dilïicile est de joindre Roger do
Cèzenac. A diverses reprises, il m'a invité à o.l1er le
voir. Mais comment faire intrusio n ehez lui? Je suis
presque persuad6 que si nous entrions à Cèzenac nous
�33
LE CALVAIRE D'UNE AME
en sortirions vainqueurs. Il nous faudrait un prétexte ...
La b:il.ronne interrompit son mari.
- Tenons conseil! dit-elle.
Cela signifiait qu'il fallait appeler Elise.
Celle-ci, instruite de la question, prit à peine le
loisir de réfléchir.
- Le prétexte? fit-elle. Nous l'avons! Nous hésitet'ions certainement à rappeler ses invitations à M. de
'Cèzcnac, si son oITre gracieuse ne devait pas me permettro de me rapprocher d'une de mes amies de
pension, Mlle de Flory, pour laquelle j'avais une
tendre affection. Je me souviens qu'elle m'a dit
quelquefois que Marchac, sa demeure, n'était pas
très éloignée du château construit jadis par le maréchal
de Cézenac, l'ami de Murat. Le comte de Cézenae
sera trû. heureux, j'en suil:> sûre , de me procurer cette
satisfaction.
Elise ne savait pas à quel point elle avait raison ...
Mais elle ne oC douLait pas davanLage que le
prétexte qu'olle venait d'imaginer répondrait aux
vœux les plus ardents du comte Roger.
Elle partait il la conquête d'un mari ...
N'allai t-elle pas favoriser un autre mariage?
C'était le secret de l'avenir.
Qnoi qu'il en fut, la semaine suivante, M. et Mme du
Buiron, accompagnés de leur DIle , étaient reçus, au
'souil somptueux de Cézenac, par le maitrc du château.
Il y avait exactement huit jours que le jeune
Icomte et Julie de Flory s'étaient l'enconkés clans les
tbois.
�3"v
LE CALVAInE n'UNE AME
CHAPITRE V
CONVERSATION DANS LE P AIlC.
On ne pouvait pas se soustraire au charme qu'Elise
exerçait dès qu'on la voyait, ct, par cc charme, ;\1. do
Cèzenac fut séduit.
Cette jeune fille amenait la vic avec elle dans la
vaste demeure, à laquelle manquait une âme, c'esL-à·
dire la présence d'une femmo.
Elle était magnifique, ceLte demeure, mail> aussi
froide quo magnifique .
Si le comte avait été contrai.nt de ne pas la quitter,
à la longuo une incurable mélancolie se serait emparéo
de son esprit, et l'ennui l'aurait rongé; mais, on le
Bait, il voyageait beaucoup et, par ailleurs , il s'occupait de travaux historiques auxquels il prenaiL un vif
intérêt.
Même à Cèzenac, il leU!' faisait une part dans sa
vie, car les arohives du château étaient considérables
ct contenaient une foulo de pièces cmieuses dont la
publication n'aurait pas manqué de faire du bruit.
- Il s'y trouve , avait dit un jour le co,nte Roger à
Un académicien cantonné dans l'histoire do l'Empil'e,
une cinquantaine de lettres de Murat, que je me
déciderai probablement ù publier plus tard et qui, en
raison de co qu'elles conliennent, soulèveront des
tempêtes .
Pour l'instant, le jeune homme ne pensait guèr0
aux lettres de Murat ...
On aurait même pu ajouter ans sc tromper , quo
"3
�34
LE CALVAIRE n'UNE .>\ME
la correspondance, demeurée inédite, du beau-frère
de Napoléon avec son ami, le maréchal de Cèzenac,
si passionnante qu'elle fût, était devenu.e le cadet de
ses soucis.
Son croUt' était plein du souvenir de Mllo de Flory,
qu'il souhaitait ardemment revoir, mais il était amusé,
captivé, par Elise du Buiron.
Elle était vive, spirituelle, enjouée, primesautière,
et elle exprimait toujours son opinion avec une originalité qui lui donnait une couleur attrayante.
Il va sarts dire que la baronne ne laissait passer
aucune occasion de permettre à sa fille de mettre ses
qualités en valeur.
-Mlledu Buiron est charmante, lui avait ditle comte.
Ce n'était pas là un simple compliment de sa part. ..
Il exprimait sa pensée.
- C'est une aimable enfant, répondit Mmo du
Buiron, mais vous ne la connaissez pas.
- Ohl fit M. de Cèzenac en riant, elle ne me
parait pas, cependant, bien compliquée. Elle se
montre telle qu'elle est. En pleine lumière.
- J'en conviens, reconnut la baronne. Elise ne
dissimule rien d'elle-même. Elle ne parait pas se
douter qu'il faut pratiquer, dans la vie, un peu de
diplomatie, de stratégie, et qu'il peut être sage de
ne pas se livrer du premier coup . Avec ma prudence de
mère, j'ai essayé de le lui faire comprendre, mais
on perd son temps à parler de sagesse à une fille de
vingt ans.
- Ce n'est pas unmal,assuralecomte Roger. Croyezmoi, madame, MUo Elise n'aurait rien ù gagner à
changer de manière d'être, à s'eITorcer de cacher en
partie ce qui fait son charme.
�LE CALVAIRE D'UNE AME
35
- Oh! protesta gaiment Mme du Buiron, si vous
vous mettez à plaider pour elle . ..
- Ce serait inutile ! aŒirma M. de Cèzenac. Elle
est le meilleur ayocat de sa cause.
La baronne sourit ...
Elle était ravie ...
Les choses, pensait-elle, marchaient comme elles
devaient marcher.
- Maintenant, madame, reprit M. de Cèzenac,
vous me devez une explication.
Une explication? répéta Mmo du Buiron.
Laquelle, je vous prie?
Elle était déjà loin de ce qu'elle avait dit quelques
'minutes plus tôt.
- Eh! ouil précisa le comte. Ne m'avez-vous
pas assuré que je ne connaissais pas Mlle du Buil'on?
- C'est ex:act! fit la bal'onne. Vous ne pouvez
juger d'elle que par le dehors. Il ne vous est pas
possible de savoir ce qu'elle ne laisse pas voir, sa
honté d'âme, la douceur de ses sentiments, la générosité de son caractère, ce que je me permettrais
d'appeler ses vertus, si je ne craignais pas d'êtro
soupçonnée d'aveuglement maternel.
Cette conversation, qui avait lieu dans une allée du
parc de Cèzenac, fut interrompue par l'apparition
d'Elise .
- Je te cherchais! dit-elle à sa mère . Papa désire
te parler immédiatement.
La baronne parut contrariée ..•
Au fond, clle ne l'était pns ...
L'incident avnit été concerté.
- Que me veut ton père ?questionna-t-elle.
- je n'en sais rien! répondit Elise. Il neme l'a pa\') dit.
�LE CALVAIIIE D'UNE AnIE
37
n'était pas avec Elise qu'il se promenait, mais avec
une autre, invisible ct po urtant présente.
Il conduisit Mlle du Buiron à trave rs le parc, lui
en détaillant les beautés , lui expliquant comment
son illustre aieull'avait créé, utilisant les grands bois
qui couvr<lient la terre en cet endroit, perçant des
allées, dégageant un large plateau sur lequel il avait
fait édifier le château.
- Travail colossal, remarqua-t-il, et qui touchait
à peine à son terme IOl'sque l'Empire s'écroula.
Elise écoutait avec une apparente attention ...
En réalité, ces choses du passé, ces lo in t:'üns souvenirs, ne l'intéressaient en aucune manière .. .
Cc qui la préoccupait, c'était le présen t. ..
Elle était yonue avec ses parents à Cèzenac afin
d'y jouer une partie qu'elle voulait gagner.
Quand elle était descendue d'auto devant la merveilleuse demeul'e, quand elle en avait envisagé d'un
coup d'œil les majestueuses proportions, lorsqu'elle
avait promené son regard sur le superbe ensemble
que formaient les pruit'ies, le parc, les jiHdins , les bois
voisins , un mot lui était monté aux lèvres, un de ces
mots qui se fondent dans un impercep tible murmure ...
- Tout cela sera à moi 1 s'était-clIc dit.
Pas une seconde elle n'avait douté de sa victoire .
Et elle en était d'autant plus cer taine que le comte
Roger n'avait point cherché fi dissimuler l'impression
qu'il avait éprouvée en la voyant.
La promenade fut longue.
- Comment trouvoz-vous Cèzenac, mademoiselle?
demanda le jeune homme.
- Si beau, répondit Elise, qu'il me semble que
j'aimerais à y passer ma viel
�36
LE CALVAlnE D'UNE AME
Mme du Buiron haussa les épaules d'un alr de
mauvaise humeur.
- Je parierais, fit-elle, que c'es~
encore pour me
demander mon avis au sujet de la lettre qu'il doi~
écrira à l'entrepreneur de Montauban ...
Elle s'interrompit pour donner un éclaircissement
au comte.
Cèzenac, expliqua-t-elle , nous nous
- En quiltan~
rendrons directement à Toulouse, puis nous irons ù
Saint-Gaudens. En somme, notre absense auta été
de plus d'un mois. Mon mari a pensé qu'il convien-'
drait de faire exécuter, pendant ce temps, diverses
réparations au Buiron, cc qui nous évitera l'embarras
des ouvriers, l'ennui des plâtras, un trouble désa-'
gréable. Mais il est méticuleux à l'excès, il" craint
toujours d'avoir oublié un , recommandation, une
indication, un détail. Il m'a dit cc matin qu'il allait
écrire à l'entrepreneur, ct voici, j'en suis sûre, qu'il
veut me consulter SUL' sa lettre .
- Ne lui refusez pas votre concours 1 conseilla
galment M. de Cèzenac. Et comme je suppose,1
ajouta-t-il, que la présedce de Mlle ùu Buiron n'e st
pas nécessaire ù cc grave entretien, je me ferai un
plaisi.r, si vous le voulez bien, de lui montrer le parc
et les environs du château.
- \T OU :; êtes d'une amabilité parfi~e
1 remercia la
b:lronne.
Len deux jeunes gens restèrent seuls.
Il y avait ùe la timidité chez le comte ...
Peu de jours auparavant, cc têle-à-lête imprévu
avec une belle jeune fille lui aurail causé de la gène ...
n n'en éprouva pas ...
Et cela, fans qu'il put s'en douter, parce q1le C(I.
�LE CALVAI RE n'UNE AME
39
M. de Cèzena c s'interr ompit.
- Vous me direz, madem oiselle, observa -t-il, que
ce serait une belle prison. J'en convie ns. Mais une
cage, alors qu'elle est vaste et dorée, reste une cage.
Croyez bien que jc n'cxagè re rien. Je suis né à
Cêzenac, je l'aime pour lui-mêm e, et aussi , comme
vous le 'c onceve z certain ement, pOUl' tous les souvenirs qui s'y rattach ent et qui me sont chers. Or, ·
lorsque j'y suis resté presqu e deux mois, à l'époqu e de
l'année où nous somme s, quand il est environ né des
splende urs de la nature , j'éprou ve le besoin de me
séparer de lui, de me mêler à la vie extérie ure . J'ai
vraime nt, alors, la sensati on de m'évad er. Pour me
retenir , 11 faudrai t .. .
Le jeune homme , de nouvea u, s'arrêta . ..
1I
cl. savait bien ce qu'il avait été sur le point de
1re .. .
Mais il savait aussi qu'il ne voulait pas le dire .
Quant à 1\1110 du Buiron , elle avait trop de finesse
pour ne pas sentir qu'il eut été maladr oit de l'interroger.
- Vous avez sans douto raison! dit -elle. Cepend ant,
même quand on est jeune, môme quand on doit avoir
le légitim e désir d'unir SQ. vie à uno autre vie, on peut
Se tenir à l'écart du monde. N'est-c c pas le cas de
cette amie que j'aimer ais tant à revoir, ainsi que mon
père vous l'a écrit?
M. de Cézenac tressai llit imperc eptible ment. ..
Pour rien au monde il n'aurai t voulu être le
premie r à pronon cer le nom de Mlle de Flory ...
n aurait craint de laisser devine r son socret.
11 ne répond it donc pas ù Elise ...
Il ne l'interr ogea pas .. .
�38
LE CALVAIRE n'UNE AME
C'était l:llle réponse qui pouvait en provoquer une
autre ...
Qui sait si, quinze jours plus tôt, il n'en aurait pas '
été ainsi!
- Ceci, lui aurait peut-être dit M. de Cèzenac, ne
dépend que de vous, mademoiselle!
Il Y aurait eu, dans ces paroles, une oITre et une
demande ...
Et Mlle du Buiron se serait montrée assez adroite
pour ne pas répondre neLtement à la demande, mais
pour ne pas repousser l'oITre.
M. de Cèzenac se tut.
- Il n'a pas osé 1 pensa Elise.
Ce fut pour elle une petite déception, à laquelle,
po'u rtant, elle n'attacha pas d'importanoe.
Elle avait du temps dovant elle ...
Elle saurait bien amener le comte Roger là où elle
v(mlait le oonduire.
Pour son compte, M. de Cézenao n'avait point
soupçonné ohez Elise une intention caohée. Elle
avait parlé avec la spontanéité qui formait le fond de
son caraotère. C'était une fille droite et oharmante,
éloignée de tout calcul, un peu naïve ct enfant gâtée,
qui disait tout oe qui lui passait par la tête, et qui
aurait été bien étonnée si on avait donné il son
langage un sens qu'il n'avait pas.
- Evidemment, reprit le oomte au bout de dix
secondes, Cèzenacest un noble séjour. On serait en droit
de lui reprocher son isolement, mais o'est pour lui, ù
mes yeux, un mérite de plus. Il faut oependant convenir qu'avec toute sa majesLé, aveo son cadee poétique,
il n'en constituerait pas moins une espèce de prison pour
la jeune femme qui serait obligée de n'en pas sortir ...
�40
LE CALVAIRE n'UNE AME
Il attendit ...
Et son cœur se prit à battre violemment.
CHAPITRE VI
LA
VISITE ANNONCÉE.
Vous devez la connaître 1 poursuivit Elise. Elle
sc nomme Mile de Flory ... Julie de FI9ry ...
- Je ne la connais que de nom 1 répondit M. de
Cèzenac . Nos familles n'étaient pas lié es . Elles ne se
voyaient jamais.
- C'est une jeune fille charmante, assura Mlle du
Buiron. Du moins l'était-elle au couvent. Jo serais
très étonnée si elle avait changé. Mon intention est
d'aller la voir. Est-ce que nous sommes loin de chez
elle, ici?
- Une heure de marche, environ 1 dit le comte.
C'est une promenade des plus agréables, pal' des
ehemins délicieux.
- Eh 1 bien 1 fit Elise, si vous le voulez bion, nous
la ferons onsemble. Vous nous servirez de guide. A
condiLion, bien entendu, qu'il ne vous déplaise pas
de venir à Marc1:ac.
- Oh! protesta Hog er de Cèzenac, pourquoi me
déplairait-il de faire, en vott'C compagnie, une visite
à Mlle de Flory?
Eliso hocha la têle en souriant.
- Evidemment, fit-elle, je n'en vois pas la raison.
Mais ne m'avez-vous pas dit, tout li l'heure, que votre
famille et celle do Julie ne se voyaient pas?
LI) comte se mit ù ril'e.
�LE CALVAI RE n'UNE AME
41
- Vous pouvez croira, dit-il , que je ne suis pas
homme à me souven ir de vieilles histoire s, remont ant
il plus de cent ans ! Et j'aime à suppos er que Mlle de
Flory n'y attache ,· de son côLé, aucune import ance .
- Tout est donc pour le mieux! conclu t Elise . Ne
pensez-vous pas que nous pourrio ns aller à Marchac
demain , dans l'après- midi, si le temps est aussi beau
qu'aujo urd 'hui?
Le comle examin a le ciel, qui était d'un bleu
intense , sans un nuage .
- Sous ce rappor t, aml'ma-t-il , vous pouvez être
tranqui lle . Nous sommes au beau fixe . Il ne pleuvr a
pas avant deux ou trois semain es, si cc n'est avant
un mois . Et, du resLe, il y a ici l'auto de vos parents
ou la mienne , pOUl' le cas improb able où mes prévi- ,
sions météorologiques seraien t dément ies .
- Alors, c'est conven u! Demain , nous irons surprendre mon am ie! C'est une visite il lo.quello elle ne
s'attend certain ement pa1.
- Eh ! bien! reprit le comte, permeLtez-moi de
vous donner un conseil, madem oiselle.
Il devanç a la permis sion.
- Si vous ne préven ez pas M11a de Flory, continu at-il, vous aurez p3ut-êt re, en fait de surpris e, celle de
ne pas la l'encont!'er chez ello . Dans le pays où nous
sommes, comme dans toutes les campag nes, on est
très renseigné sur les habitud es des uns et des autres.
La plus grande distl'action des gens est de surveil ler
leurs voi sins. Jo sais donc, pour l'avoir entend u dira
il mbs domest iques, que voLl'e amie emploie souven t
ses après-m idi ù de longues promen ades . Il se peut
ce qui
donc que vous ne la trouvie z pus à ~Iul'chay,
fâcheux .
!'.~rait
�LE CALVAIRE n'UNE AlitE
43
A cet instant , Mme du Buiron reparu t.
Elle vint, en riant, au devant du comte et de sa
fille.
- J'avais deviné juste! dit elle. C'était bien de ses
instructions à son entrepr eneur que mon mari voulait
me parler. Ce n'est pas une leLtre, qu'il lui écrit.
C'est un véritab le mémoir e. Je ne connais pas
d'homme plus méticuleux. Il pense à tout.
- Et, naturel lement , observa Elise avec malice,
comme il pense ù tout, il finit toujours par oublier
quelque chose 1
Au bout de deux minutes, le comte s'excusa.
Il avait des ordres à donner ...
- Moi aussi, dit-il, je suis obligé de penser à une
foule de choses! Il n'en serait pas ainsi, ajouta-t-il,
s'il y avait une comtesse de Cèzena c. Le célibat a ses
,joies, mais il a ses inconvénients.
Le jeune homme s'éloigna sur ces mots.
- Eh! bien? demanda Mmo du Buiron.
- Rien de définitif! répond it Elise.
La baronne haussa les épaules.
- Parble u! fit-elle, je prévoy ais bien que tu ne
m'annoncerais pas tes fiançailles vingt-q uatre heures
après notre arrivée à,Cèzenac. Comment le comte estil avec toi?
- Parfait 1
- Crois-Lu ...
Mme du Buiron n'osa pas acheve r.
- Je te répondrai, dit Elise, en me servan t d'une
partie de tes paroles. Tu dois penser que ce n'est pas
en vingt-q uatre heures qu'on peut se former une
pareillo convicLion. Tout ce que je puis te dire, c'est
que l'espérance me parait permiso.
�42
LE CALVAIRE n'UNE AME
- Et, alors? questionna Elise. Comment faire?
- CommenL faire? C'est très simple. Ecrivoz un
mot à Mllo de Flory pour la prévenir de votre intention. Je le lui ferai porter.
- Merci! s'écria Elise. Vous ne sauriez vous·
imaginer, monsieur de Cézenac, ù quel point je vous
suis reconnaissante de votre amabilité !
- Oh! protesta le comte, une chose si naturelle ne
mérite pas de la reconnaissance.
- Nous ne nous querellerons pas pour si peu,
répliqua Elise avec gaîté. Je compte bien, au surplus,
que nous ne nous querellerons jamais. Il est vrai,
ajouta la jeune fille, afTectant un ton de plaisanterie
savamment voilé d'une teinte de mélancolie, que '
nous n'en aurions guère le temps, durant le bref'
séjour que mes parents et moi nous ferons ici 1
- Séjour trop bref, en efTet ! répondit M. ùe Cézenac. Mais rien ne prouve qu'il ne se renouvellera pas.
J'en serais très heureux .
Ce n'était peuL-être qu'une phrase de politesse ...
En baissant les yeux, en souriant avec un peu de
confusion, Elise eut l'adresse de lui donner un autl'e
sens ...
EL elle Iut plus adroite encore en ne remerciant pas
le comte ...
- J'aurais grand plaisir, reprit-elle, ù revoir Julie
de Flory. Nous étions de bonnes amies . J'ai gardé
d'elle le meilleur des souvenirs, et j'espère qu'elle
n'aura pas perdu le mien. Je sais qu'clIo n'a plus ses
pal'enLs, qu'elle esL seule au monde, co qui doit lui
rendre la vie lourde ù supporter.
TouL en causant, les deux jeunes gens s'éLaient
rappl'ochés du châleau.
�44
LE CALVAIRE n'UNE AME
Le ft'ont de la baronne rayonna.
Elle regarda autour d'elle.
- Te vois-tu maîtresse de tout cela! dit-elle.
- Pourquoi non? répondit la jeune fille. C'es t ma
volonté J'être comtess'J de Cézenac . Souvenez-vous,
madame ma mère , que IOt'sque votre m Ie veut
quelque chose, elle le veut bien 1
Le ton s'était fait dur .. .
Si Roger de Cèzenac avait pu l'entendro, il aurait
été fixé sur ces qualités morales d'Elise , dont Mme du
Buiron lui avait faiL l'éloge.
Rapidement, parce que d'un instant. à l'autre allait
sonner la cloche annonçant le déjeuner, lajeune IUle
mit sa mère au courant des incidents de la promenade, et elle n'omit pas ce que lui avait dit le comLe
du plaisir qu'il éprouverait à la voir revenir ù Cèzenac,
- C'est une bonne' chose! remat'qua la bal'onne.
D'autant meilleure, approuva Elise , qu'il
m'a pat'u discerner, chez M. de Cézenac, un fond de
réserve ct de timidité. Dans sa bouche , ceLtc invitation ù peine déguisé'e était beaucoup. Il ne faut pas
demander aux gens plus qu'ils ne peuvent donner.
En ce qui me concerne , je me tiens pour satisfaite,
quant il atW0urd'hui 1 Demain, j'en suis persuadée ,
no us apporte!'a mieux,
La cloche sonna ...
La seconde d'après, M, du Buiron se montra sur
le perron du château .. .
11 agitait ses bras avec frénésie .. .
- Venez! venez 1 dit-il , lorsque sa femme et sa fille
fUI'ent à portée de l'entendre , M. de Cèzenuc vous
aUend, ct , pour mon compte, je meurs de faim .
�LE CALVAIRE n'UNE AME
45
Dèi3 que le déjeuner fu t terminé . Elise écrivit à
Mlle de Flory et ce fut Jean Caslalou, le garde, que le
comte chargea d'aller porter sa lettre à Marchac.
- Il Y aura 's ans doute une réponse, lui dit-il.
Il Y eut une réponse , en erret, un mot de Julie
Idisant qu'elle serait très heureuse de revoir son
ancienne amie de couvent, ot qu'elle l'attendrait le
;lendemain, ainsi que ses parent", et aussi M. de
Cèze nac, qui seraiL le bienvonu à MaI'chac.
Cc n'était, de toute évidence, qu'une formule
courtoise ...
Ello n'en fut pas moins douce au cœur du comte
Rogor ...
Elle complélait, en quelque sorte, la scène finale
du tertre . ..
C'était une autre manière de lui serrer amicalement
la main, de repousser dans le néant loutes les vieilles
histoires.
C'était cc qu'avait voulu M110 de Flory ...
Mais olle n'avait pas vouln davantage, parce que si
M. de Cèzenac lui était sympaLhique, il n'éveillait
pas dans son âme un autre sentiment.
Sa surprise avait été grande, lorsque la Léonie
était venue lui dire que J ean Castalou, le garde de
Cèzenac, demandait à lui parler.
Au reste, l'élonn 'J ffient de la vieille servante n'avait
pas été moins vif que cehti de sa maHresse, celleci n'ayant pas jugé il PI'O;}OS de lui raconter ce qui
s'était passé dans les bois, et comment elle étaÜ
probo blement redevable de la vie au comte de Cèzenac.
C'étail une chose qui devait demeurer secrète ...
Elle n'en dirait rien, ct elle était convaincue que 10
jeune homme, de son côté, gard ' rait le silence.
�LE CALVAIRE D'UNE AME
1.7
Nous ne sommes pas riches, mais il ne faut pas que
nous paraissions trop pauvres!
CHAPITRE VII
UNE INVITATION TROUBLANTE.
M. de Cèzenac ne fut pas peiné ..•
Il fut touché.
Il s'attendait bien à ne pas trouver la richesse à
Marchac, mais il n'avait aucune idée de ce qu'il aUait
voir, de cet intérieur doucement et joliment fané,
rappelant les âges écoulés, évoquant le souvenir de
visages disparus, de gentilhommes en qui la. pauvreté
ne diminuait point la noblesse, de vieilles dames
un peu mélancoliques, mais néanmoins souriantes, et
qui portaient avec grâce leurs anciens atours.
La plupart des meubles étaient du commencement
du ùix-huitième siècle, et quelques-uns remontaient
aux belles années de Louis XIV. 11 Y avait même
quatre merveilleux fauteuils, contemporains de
Louis XIII, et qui, dans une vente, auraient pu
atteindre à des prix élevés.
_ Sur ma parole, mademoiselle, avait remarqué
M. du Buiron, qui prétendait avoir des cO:jlnaissances
en tapisseries et en meubles d'autrefois, vous possédez
des richesses!
_ Oh 1 répondit MUa de FJol'y, ces çhoses-là, à mes
yeux, n'ont d'nutro valeur que celle que je leur
donne, et qu'on ne saurait payer. Après ma mort ..•
inter- Quand on a votre âge, ~ madeoislc.
�46
LE CALVAIRE n'UNE AME
Pourquoi donc lui envoyait-il son serviteur !
De cet apparent mystère, elle eut l'explication trois
minutes plus tard, lorsque Castalou lui eut remis la
lettre de Mlle du Buiron, qui la déconcerta un peu
parce que, contrairement à cc que disait Elise, les
deux jeunes filles n'avaient été, au couvent, que de
bonnes camarades, mais non de vraies amies.
Leurs caractères n'étaient pas assez semblables pour
qu'il put en être autrement.
Julie de Flory allait droit son chemin, nette, franche,
. lumineuse, ct non dépourvue d'une espèce de rigidité de conscience qui ne lui permettait aucune
menue faiblesse.
Il yavaiL, en revanche, chez Elise du Buiron,
beaucoup de souplesse et ùe petites ruses, elle ne se
livrait pas, elle dosait son amitié, elle la calculait, co :
qui so distinguait derrière une spontanéité dont on
aurait pu écrire qu'elle était réfléchie.
Hien de tout cela n'avait échappé il Mlle de Flory ..•
Elle était, néanmoins, en excellents termes avec sa
jeune compagne de couvent, de telle sorte que, la
première surprise étant dissipée, elle se hâta de lui
répondre comme il a été indiqué plus haut.
- Nous aurons des visiteul's demain! dit-elle à la
Léonie.
- Des visiteurs? fit celle-ci.
_ Oui 1 expliqua Julie. Une de mes anciennes
amies de pension viendra me voir avec ses parents,
eL M. de Cèzenac les accompagnera.
Ln Léonie resta bouche bée ...
M. de Cèzenac à Marchac 1
Ello n'en croyait pas ses oreilles.
- Fais pOUl' le mieux 1 rgcommnnùa Mlle de Flory.
�LI: CAL\AlIŒ I)'U!\L A ~ tE
Il pansait trop à Julie de Flory pOUl' faiI'e attention
au manège adroit dont il était l'oLj et, pour se
douter qu'il jouait le l'nIe d'un gibier poursuivi par
une astucieu se chasseresse.
Quand on arriva à Marchac , Elise, avec un élan qui
charma M. do Cèzenac, mais qui parut exagéré à
Mlle de Flory, se précipita vers cetLe del'llière et
l'embrassa ainsi qu'ell e aurait pu le fai re pour uno
amie très tendre retrouvée a près un e longue séparation.
Les présent ations terminées , Julie fit il ses visiteurs
les honneurs de son vieux logis, et l'on a vu quel
~
avaient été les impressions de M. ,d e Cèzenac.
.
La Léonie avait suivi avec soin les recommandations
de sa jeune maîtrosse.
Tout, d'ordinaire, était propre à Il'larchac, mais, co
jour-là, on n'au rait pas découvert un grain de
poussière BUl' les meubles, ct, comme Julie avait
fleuri le sa~ on,
il en était venu à eatte pièce, assez
triste habituellement, une sorte de gaité .
On causa.
MUe du Buiron évoqua des souvenirs du couvenl
et s'accusa de n'y avoir pas toujours donné l'exemple
d'une élève studieuse et sériema .
_ Nos maiLrcsses, dit-elle, vous devez vous en
souvenir, ma ch6rc Juli e, 6taient unanimes à m e
reprocher mon 6tourdel'ie et mes distractions. Il est
vrai quo j'avais toujours la t ête aillours, ce qui
m'mpenait à commeLlre les pires béyues. J'ai fait
})assel' de trè5 mauvais moments aUx rois de France,
tant je respectais peu la gén~loie
. Je crois bien avoir
assuré un jour qu'Henri IV était le fils d'H r)Ilri III.
Tout le monde 5e mit à rire, y compris Mlle de Flory.
- Je m'en souviens ! dit celle·ci! Et aussi que vo~s
4,
�43
I_E CALVAIRE n'UNE AMI:.
rompit Mme du Buiron, on ne pade pas de mort.
- Je voulais dire, expliqua Julie, que lorsque je
disparaîtrai, toutes ees choseG , qui me sont précieuses,
iront je ne sais où, tomberont en je n e sais quelles
mains . Quant à la mort, il est vrai', m adame, qu'il ne
m'appartient guère d'en p arler, mais elle est de tous
les âges , et il peut nous arriver de la fl'ôler sans nous
en douter.
La jeune fille ne regarda pa s .1\1. d e Cézenac, mais
celui-ci comprit à quoi elle v enait de faire allu sion.
Du château, on était venu à pied à Marchac.
Comme l'avait assuré le comte il Eli se , les chemins
étaient délicieux ct la promenade avait été ravissante.
- Quel beau pays quele vôtre, monsieur de Cèzenac !
s'écria Elise. Vous ne sauriez croire il quel point il
m'enchante!
- Et vous ne sauriez vous imaginer, répondit
M. de Cèzenac, combien je suis heureux de vous
l'avoir fait connaitre!
La jeune fille eut un rapide regard à l'adresse de
sa mère.
_. Tu vois, lisait-on dans ce regard, q1le je puis
avoir le droit d'espérer 1
Un fugitif sourire de la baronne révéla à sa fille
qu'elle partageait celte eonvicL.ion.
Interrogé par M. du Buil'on sur les cultures en
usage dans l e pays, sur l'élevage qu'on y pratique,
et qui est surtout celui du mouton, le comte Roger ne
s'était aperçu de rien.
Eut-il deviné, d'ailleurs?
C"était douLeux, cal' ce qu'il avait répondu à Elise
n'avait pas d'autre caractère, dans son esprit, que
celui de la courtoisie.
�50
LE CALVAIRE D'UNE AME
avez froidement répondu qu'il n'était pas interdit de
se tromper pour si peu, et qu'au fond, ces deux
personnages historiques étant morts, cela n'avait pas
la moindre importance .
- Je n'ignore pas, continua Elise, ce que valail
mon raisonnement, qui m'attira une punition dont
je ne conteste pas la justice. Vous, Julie , vous n'étiez
pas capable de ces sottises. Il était impossible de vous
enlever la première place, et vous aviez une gravité
pal' laquelle, nos compagnes et moi, nous étions'
impressionnées.
Ces bavardages Be poursuivirent encore un moment,
puis Julie proposa à ses hôtes de leur faire visiter son
petit domaine.
- Nous en aurons bientôt fait le tour! lit-elle en
souriant. Nous ne sommes pas à Cézenae 1
- Oh 1 mademoiselle , intervint 10 comLe, l'étenduo
d'un domaine importe peu. Il est des petits royaumes
qui l'emportent sur les grands, parce qu'on y est
heureux. Je suis, là-dessus, de l'avis du poète, qui ne
demandait qu'un arpent de terre pour y enfermé!' les
joies de sa vie, et cela pareo qu'il estimail que tout
bonheur que la main n'atteint pas n'est qu'un r êve.
La visite de Marehac ne fut pas longue, on effet .. .
Un jardin d'agrément, bi.en entretenu par le mari
de la Léonie, et compris avec goùt, ce qui fit supposer
à M. de Cézenac que Julie n'était pas étrangère à
tlon agencement ...
Un potager en parfait état ...
Ensuite, un tout petit parc, égayé par un ruisselet
minuscule.
- Vous connaissez mon ompire 1 dit Julie gaiement.
Elle désigna quelques bois ...
�LE CALVAI RE D'UNE AME
51
- Vous pouvez y ajouter ccci, ajouta- t-elle, et
deux ou trois friches où quatre mouton s ne trouveraient pas à vivre.
On revint il la maison .
MUe de Flory ne voulut pas permet tre ù ses VISIteurs de quitter Marchac sans avoir pris un rafraichi,gsement au salon, des sirops de la compo sition de
b. Léonie , déclarés excelle nts, ct qui l'étaien t réellement .
- Tiens 1 fit Elise, vous poss8dez deux pianus! Je
ne l'avais pas remarq ué! Je me souvien s que vous
étiez bonne musicie nne, au couven t. Vous l'êtes
toujour s, n'est-il pas vrai?
- J\) ne sais pas si je suis bonne musicie nne, répondit Julie, mais j'aime la musiqu e. Elle est ma
princip ale distrac tion. Quant ù ces deux pianos, ils
me sont égalem ent chers. L'un est modern e, ainsi que
vous pouvez vous en rendre compte . C'est mon pRre
qui l'a acheté pour moi.
- Et probab lement , observe la baronn o, vous lui
donnez la préfére nce?
- Pr-esque toujour s! Mais l'autre est charma nt.
MUe de Flory se leva ct alla fi. l'instrurr10nt.
Il était charma nt, avait-e llc dit, ct c'était le mot..
C'était un joli clavecin, datant du règne de Louis XVI,
une œuvre d'art exquise , certain ement d'un grand
prix, ct qu'on ne pouvaiL contem pler sans penser
aussitô t fi. des airs de jadis, à des gavotte s, des
pavane s, des menuet s, et aussi à des dames merveilleusem ent vêtues ct ù des seigneuJ's élégant s.
Julie l'ouvri t .. .
Elle laissa ses doigts errer sur le clavier ...
Le son était clair, pur, un peu mince peut-êt r , ce
�52
LE CALVAIRE D'UNE AME
qui Je r endait plus délicat, plus fln, et somblait
r éveille!' 10 passé.
1\1. de Cèzenac fut tenté de prier la jeune fllle de
jouer .. .
Cc muet ùési[' 'Parvint-il à son cœur?
C'est possible, car il y a do ces communications
secrètes, de ces mystères intérieurs, que nous ne nous
expliquerons jamais.
Julie d e Flory, de mémoire, commença une sonate
de Mozart .. .
Elle jouait bien, avec art, et au ssi avec sentiment,
et la délicieuse musique I1n d evenait plus aimabl e
encore, plus pl'cnante, plus vivante, s'associant si
bien au clav ecin que celui-ci paris~t
avoir retrouv é
Ron ûme.
11 y eut là quelques minuLes d 'enchantement.
P<l.r bonheur, Elise, en ces courts instant, ne regarda
pas [loger de Cèzenac ...
Le ravissement qu'elle aurait surpris sur son visage
aurait été une r évélation pour elle, l'avertissem e nt
du dan ger qui la m enaçait.
1\1 110 du 1"lol'y s'arrêta net c t referma l'instrument.
Cc fut comme un signal. ..
La baronne ct le baron, Elise ct M. de Cèzonac, se
levèrent à la fois pour prendre congé .
- Je ne saurai" trop, diL Julie à Mil e du Buiron,
vous remer cier de votre visite.
- Le m eilleur moyen de me remercier, r épondit
Elise , sera de m e la rendre.
- Je le voudrais 1 assura 1\Illu d ü Flory. Mais il'Uije un jour jusqu'à Montauban 1
- Point n'est besoin, répliqua Elise, d'dUel' à
Montauban 1Avec uno ù61icaLesso ùe laquello je lui
�LE CALVAIRE n'UNE A.1I1t;
53
sais gré , M. de Cèzenac m'a permis de vous Jemander
de venir passer une journée avec moi chez lui.
Julie , interdite, rougit.
_ C'est que , murmura-t-elle, je ne sais pas si je
...
puis ... Si je doi~
_ Oh 1mademoiselle 1 dit le comte , vous DC voudriez
pas me laisser croire que vous obéissez encoro il dc~
sen~imL
qui n'ont plus de raison d'être! Pourquoi
ne viendriez-vous pas il Cèzpnac? Ne suis-je pas
venu à Marchac? Et le fait de m'y avoir inv.ité
ne vous impose-t-il pas l'obligation de franchir à
votre tour le seu il d'une demeure où l'on sera
heureux do vous accueillir?
L'embarras de Mlle de Flory disparut.
_ Vous avez raison monsieur, répondit-elll' . J'aurais
mauvaise grâce à refuser.
Elle so retourna vers lV11 10 du Buiron.
_ Vous pouvez compter sur mtü, Elise 1 promit-elle.
Quant au jour .. .
_ Pourquoi pas demain? coupa Elise. Si, Loutefois,
vous De prévoyoz point d'empêchement.
Julie avait accepté ...
Dés lors, à quoi bon retarder cotte vis ite?
Aulant la faü'e le plus tôt possible.
_ Eh 1 bien ! déclara-t-elle, o'est enlendu pour
demain.
Quand elle fut seule, J ulle de Flory se prit Ù 50nger
à l'étrangoté des événements qui se succédaient
autour d'olle ...
Il Y avait ou l'incident du terlre ...
En quit.tant M. do Cèzenac, elle lui avait serré la
main, parce qu'elle avait le devoir de le faire ...
l\1ais cela no l'cngug:lait pUll à le revoir ...
�54
LE CALVAIRE D'UNE AME
Il était même probable qu'ils demeurerai ent aussi
éloignés l'un de l'autre qu'avant l'histoire de l'éboulement, et, du reste, ainsi que tous les ans, le comte
repartirait bientôt ...
Mais voici que Muo du Buiron, son ancienne compagne àe couvent, était venue à Cézenac ...
Et, par elle, voici qu'elle allait s'y rendre à son
tour!
Comme tout cela était bizarre 1
Combien sont énigmatiques les lois qui président à
notre destinée!
Machinalement, Julie s'approcha du clavecin,
l'ouvrit, en effleura les touches du doigt...
Et il lui vint une envie de pleurer.
CHAPITRE VIII
LES OPI NIONS DE LA LÉONIE.
Juli e de Flory ne chercha point à analyser la tristesse
qui s'étaiLemparée d'elle eL qui avait mis des larmes
dans ses yeux.
Nous éprouvons tous de semblables phénomènes,
des chagrins sans cause, des joies sans raison, qui
surgissent en une seconde, et qui s'évanouissent de
même.
Ces mouvemcnLs intérieurs , qui sc refl Lent brusquemenL à la sudace, prennent naissance dans les
profondeurs de noLre être, ct, quand on y réfléchit, il
n' st pas difficil e de sc les xpliquef'.
NOLI S ne nous connaissons pas ...
Il y a en nous des choses qui ochappenL aux
�LE CAf.VAfn!': D'UNE AME
55
~eux
de notre esprit, des éléments insoupçonnés se
lIvrant à un travail mystérieux, dont les errets nous
étonnent ...
De là viennent nos pressentiments, les bizarres
malaises moraux que nous éprouvons, ces joies subites
et ces tristesses singulières qui nous laissent troublés.
On pourrait dire que derrière l'être visible que nous
sommes, il en existe un deuxième qui, plus sensible
ct plus clairvoyant que nous, éprouve des sensations
qui deviennent les nôtres.
i\illo Flory était une fille courageuse ct Hère, qui
avait accepté noblement le sort qui était le sion, et
chez laquelle la vaillance n'avait pas pris la forme de
la résignation.
Il n'y avait point d'irritation dans son :lme ...
Elle ignorait l'envie ...
Et, quand il lui était arrivé de regarder, quelquefois
<.1\lrant un long moment, la laohe blanche que Cèzenac
formait au loin, son attention ne s'accompagnait
d'aucune jalousie.
Lorsqu'elle avait fait remarquor à sos hôtes combien
Marchac était petit par rapport à Cézenac, il n'était
pas entré un atome d'aigreur dans son langage.
Seulement, l'êtro intérieur qui sc cachait en elle
avaiL peut-êtro soufl'orL d'une manièro obscure.
Julie avait pressenti que la présence d'Eliso du Buil'on ~ Cézenac était la prMaco d'un futur événement.
Cette visite devait précéder, sans douto, l'annonoe
<l'un prochain mariage, cL cc sernit uno fiancée q\li
quitteraiL bientôt Cè7.onac, pour n'y rentrer qu'en
épouse.
Elle serait heureuse au plus haul degr6 ...
Elle posséderait lout ce qu'uno femme peut désirer,
�56
LE CALVAlnE n ' UNE AME
le nom, le rang, la richesse, les plaisirs ct les joies
que permet la fortune, le vic du monde, ce qui embellit
l'mâstence , cc qui fait que le fardc nu des jours p èse
à peine sllr nos épaules.
Oh! J\1 llo de Flory ne l'envi ait pas ...
M c. i ~ , au Jedans d'elle-même, trûs loin, Lrès profon,
démep.t, sans qu'elle pût s'r u dOllter, un rapproch ement av ait ùn sc faire enL!e la destinée brillante
d'Elise et la sienne, qui resLerait obscure ct silencieuse.
Ccci, néanmoins, n'alla pas jusqu'à la révolLe ...
Et les larmes qui étaient venues obscurcir les lyr.UX
de Julie de Flo~
' y ne coulûrent point.
A cet insLanL, la Léoni e onlra , afin de d6hal'l'Usser
le salon de cc qui avaiL servi aux rafraîchissements.
La vieille femm e ne S3 gênait pas avec Julie, ct
celle-ci, qui savait à quel point elle était aimée d'elle,
no sc montrait poin t orronsée de ses familia "i tés.
- Elle ne me pluit pas beaucoup, dit la L éonio, la
prochaino comtesse de Cèzenac 1
Julio regarda sa vieille domestiqu e avec surpl i3e.
- Qui t'a dit, dem~na-t1J,
que Milo du Buiron
va épouser M. de Cèzenac? Et pourquoi ne te plait·ello
pas?
- Pour co qui est do ne pas me plaire, répondit la
Léonie, je serais on peine de vous le dire ... Est-cc
qu'on sa it pourquoi il y a des choses qu'on aime
et d'autres qu'on déLesLe ? .. Tenez! le garùo de
Cézenae, ce Jean Castalou, qui esL v enu hier vous
apporter une letlre, je sais que c'est un di gne homme . ..
~:a
n'ompêche pas que je ne VOUdl'llis même pas le
voir en peinture .. . Ça no se commnnde pns ... Eh bien!
c'esL pareil pOUl' celte demoiselle ... Elle me ùéplatt
parce qu'clIc :1 ... Parce qu'elle a ...
�I.E CALVAI RE n'UNE AME
57
La Lûonie agita ses bras en l'air .. .
- Je ne sais pas cc qu'elle a, continu a-t-elle , mais,
pour sûr, elle a qu'elle ne me plaît pas 1. .. Voilà 1
La vieille femme s'en tint à cette explica tion baro·
que, qui fit sourire su jeune maîtres se.
- Soitl dit celle-ci ! Tnasra ison. Nous ne comma ndons pas il. nos sentim ents . Mais par qui as-tu appris
que MIlo du Buiron allait deveni r comtes se de Cèzena c?
_ Par personn e 1 C'est-un e idée à moi 1 Et je serais
étonnée si ça n'était pas aussi la vôtre.
_ En somme , flt Julie, c'est possibl e .
_ Vous pouvez même dire que c'est certain 1 répliqua la Léonie . Eh bien 1 à mon avis, M. de Cézena c
aurait pu mieux choisir. Et s'il m'avai t demand é con·
sail...
Un éclat de rire de la jeune fille interro mpit la
brave femme .
Elle resta d'aborJ interlo quée ...
Puis, à son tour, elle se mit ù rire.
_ Je vois bien, dit-elle , que vous vous moquez de
moi . Au fond, vous n'avez pas tort. PourLa nt, un con·
seil do moi no serait pas plus mauvai s que celui d'un
a\.tLre. Il vaudra it peut-êt re mieux. Aussi, j'aurais dit
il. M. de Cèzena c qu'il n'avait pas besoin d'aller cherch er une femme loin d'ici, mainte nant que vous êtes
ddaclté s, ct qu'il n'avait qu'à venil' la prenùr e il
:\10.rchac.
- Tu cs folle! diL Julio .
_ Pas si follo que ça 1 riposta vivemc nL la Léonie .
Je ne voudra is pas vous faire un compli ment, mais
c'est sûr qu'il ne pourra it pas trouvCl' mieux. Vous
verrez qu'il no sera pas heureu x avec ceLLe demoiselle
du Duirnn . Vous me direz qllo ie n e peux pas 10
�58
LE C;\LVAIRE n'UNE AME
savoir. Je vous répondrai que je le sens. Tandis qu'avec
vous ...
La vieille femme suspendit sa phrase .. .
Elle hocha la t ête à plusieurs reprises .. .
- C'es t vrai, murmura-t-elle, qu'on passe souvent
sans le voir à côté de son bonheur! Ça m'aurai t fait
un grand plaisir, si vous éliez entrée à Cézenac. Moi,
je serais restée à Marchac, parce qu'il faut qu'on s'occupe de la vieille maison, eL que ça m'aurait Cait mal
au cccur de la quitter, après y avoir passé ma vie. Mais
j'amais été heureuse, tandis .. .
La Léonie soupira ...
Julie s'inquiéta ...
- Tu n'es pas heureuso' s'écria-t-eHe. Pourquoi?
Qu'y a-t-il? Tu as du chagrin il Dis-moi ('e quo lu as,
ma bonne Léonie !
La jeune fill e étaiL allée à sa servan Le ..
Elle lui avaiL pris los moins ...
La Léonie se dégagea ...
- Jo suis une veille bute 1 grogna-t-t'Ile . Jevous fais
peur, et é'est sans raison. Non! jo no suis pas malheur euso ! Non! je n'ai pas de chagrin! Mais il m'arrive
voyez-vous, do devenir triste il l'idée qu'un jour jo no so~
rai plus là pOUl' vous servir. Dans ces moments-là, je me
demand e qui me remplacera quand on m'aura omportée de Marchac. Oh! vous n'aurez pas de mal ù Lrouvel'
une brave femm e dans le pays. Mais ça ne seru plUt)
pareil. Elle vous servira de so n mieux., c'esL sûr, eL
avec honnêteLr, mais Il e ne remplacet'a pas la Léonio,
qui vous a tenue Loute petite dons SOF; bras, qui VOUf!
n t ant chanté do vi oilles chansons pour vous amusor,
et qui ne manquait jamais de vous embrassor, ]0 soi,·,
qu and elle avait fini de vous border dans voLre berceau.
�LE CALVAIRE D'UNE AME
59
Ma peine, c'est de savoir que je ne serai plus auprès
de vous, et que, môme aveo uno autre, ça sera oomme
si vous étiez toute seule.
La voix de la Léonie s'était aJTaiblie ...
Aux derniers mots elle tremblait .. .
La bonno créature faillit pleurer . . .
Mais, de ses deux poings, elle frotta vjgoures~
ment Bes deux yeux, oe qui eut pour eJTet de refouler les larmes.
_ Tandis que si vous étiez mariée, reprit-elle, ça ne
serait plus la môme ohose 1... Savez-vous que ça serait
joli, si vous étiez oomtesse de Cézenno 1. .. Les temps
durs de Marohao seraient passés ... Vous seriez riohe ...
Vous auriez le ohâteau, le domaine, la belle maison de
Paris ... Vous m'avez dit bien des fois que le plus
grand de vos bonheurs serait de pouvoir seoourir les
pauvres, les malheureux ... Vous en auriez le moyen ...
Oh 1 oomme il a eu tOl'L de ne point penser à vous,
M. de Cèzenao 1
Julie sourit.
_ Cela, dit-elle, ne l'aurait pas beaucoup avancé!
_ Pourquoi? demanda la Léonie, un peu surprise.
_ Paroe que je no l'aimo pas! expliqua MUo de
Flory.
_ Quello drôlo do raison 1 s'écria la vioillo femme.
Est-co quo vous oroyez qu'olle l'aime, votro amie
Éliso 1 Elle veut faire un beau mariage, voilà tout 1
Vingt autres, ù sa ploce, en fOl'aionL autant.
MUo do Flory haussa los épaules.
- J'ignoro, dit-ollo, oe que sont les sentiplOnts
de Mtlo du Buil'on, cL je ne tiens pas ù les connaÎll'c,
mêmo dans l'hypoLhèse où olle épouserait M. do Cèzenae, co qui n'est qu'une supposition de ta part.
�LE CALVAI RE D'UNE AME
61
- C'est trop compli qué pour moi! dit-elle enfln.
Elle se mit à ranger sur un plateau les verres et les
flacons, tandis que Julie, s'assey ant au claveci n,
recomm ençait la sonate interro mpue.
CHAPI TRE IX
LE CONSEI L DE LA BARONN E
Cette visite à Marcha c n'était pas de nature à l'en·
dre moins vif le sentim ent qui, dés la rencon tre du'
tertre, avait pris naissan ce dans le cœur du comte
Roger.
Elle no pouvai t, au contrai re, que le rendre plus
ardent.
M. de Cézenae emporLait un souven ir ému de ce
qu'il avait Vll, de cette jeuness e enferm ée dans ce
vieux nid, de ces choses fanées, mais restées délicaLes
et charma ntes, qui rendaie nt vivant un monde disparu, de cette pauvre té si dignem ent, et, aurait- on pu
dire, si jolimen t portée .
Il y eongea tout le jour, ce qui le rendit silencie ux,
autant du moins que ce qu'il devait à ses hôtes le lui
permet tait.
, Le soir, à la suite du diner, on fit une promen ade
dans 10 parc, M. du Buiron mUI'chant en avant avec
sa fille, Landis que le comte, demeur é un peu on
arrière , uvait oITert son brus à la baronn e.
Celle-ci n'avait pas été suns remarq uer la préoccu pation de M. de Cézennc, et elle s'en était inquiét ée,
bien qn'clle n'eut pas Je moindr e soupço n sur sa cause.
Revena nt ùe Marcha c, elle avait exprim é une opi-
�GO
LE CALVAI RE n'UNE AME
- On v erra ! fit la Léonie.
- Oui 1répéta Julie, on verra! J o con vims, du reste,
que ta suppos ition est plausib le, ct, comme je me souviens de cc qu'étai t Elise autrefo is, il se peut, CIl eITet,
qu'olle ne cède, en se marian t, qu'à des considé rations
d'intérê t. C'est une aŒaire à régler entre elle ct sa
conscience, en admeU ant qu'elle interro ge celle-ci,
Ma is pOUl'quoi le fePait-elle? La réclusion dans laquell e
je vis ne m'emp êche pas de connait re ce qui se passo
'2n dehors de Marcha c. Il y a de nombl' eux mar-iages
où le cœur n'entre pour rien, ct l'qn ne trouvo pas que
cela soit blâmab le, Pour ma part, je vois les choses
al:trem cnt. Cc qui élève le mariag e, le purifie, lui
donne toute sa beauté , c'est l'amou r! Si je me mariais
sans aimer, il me semble rait comme ttre une mauvai:>c
action.
La Léonie branla la tête .. ,
Elle n'était pas convai ncue ...
- Puisqu e vous pensez de cotte mOlli ère-là, dit-clIc,
et vu que vous êtes aussi entôtée que moi, je ne chercherai pus à vous faire change r d'idée. Mais, il mon
avis, VOU] vous trompe z. L'amou r, c'est bien, mais ce
n'est pas tout, ct je crois, moi, que si l'on a de l'estim e
pOUl' celui quo l'on épouse, parce que c'est un honnel e
homme , on Be comme t pas une mauvai se action. Ça
no vuut pas un si gros mot. Et tant mieux si l'intérê t
y trouve son compte 1 Quant il l'amou r, s'il s'avise de
venir se glisser dans la maison , OH ne le mel point, il
la porLe, Je vaude in bien savoir ce qui reste, après ça,
de vc\,['c fameus e IDul}vaise action!
- Le remord s de l'avoir commi se 1 répond it 1\t110 de
Flory.
La Léonie resta trois sècondes silcncicu3J ...
�62
LE CALVAIRE n'UNE AME
ni on très flatteuse sur Mlle de Flory, désireuse, probablement, de savoir ce qu'en pensait M. de Cèzenac.
- Vous avez raison, madame 1 dit celui-ci, Milo de
Flory est une jeune fille très distinguée. C'est un
témoignage, ajouta-t-il, qu'il ne m'en coûto pas de lui
rendre, en dépit de l'antipathie qui a régnée si longtemps entre nos deux familles.
Il y a uno infinÜé de choses dans le ton avec lequel
certaines paroles sont prononcées ...
Mme du Buiron, qui le savait, fut convaincue que
le comte n'éprouvait que dc l'indiIiérence à l'égard de
Julie.
Elle s'en tint donc là.
- Vous n'êtes pas soufl'rant? interrogea-t-elle.
M. de Cézenac s'étonna.
- Pas du tout, madame! réponùit.il. Qui a pu
vous le faire croire.
- C'est qu'il m'a semblé quo vous n'étiez plus le
m"me, cet après-midi. Votrc gaîté haLituelle avait disparu.
- C'est vrni! aVOua le comte. Des humeurs noires
me poursuivent. Cela m'arrive parfois. Des nuages
gris, qui remplissent tout ft coup un ciel où le soleil
règnait scul, un moment aupaI'avant, mais qui, par
bonheur, se dissipent vite. Je ne saUl'ais trop m'excusor do ne m'être pas dé fondu contre eux de manièl'e à
ne pas vous lais sor voir, ainsi qu'à M. du Buiron et à
Mue Élise, que je n'étais plus le même, selon le mot
que vous venez d'employer.
- Oh 1 jo vous en prie, pro lesta la I;" ronne, no vous
excusez pas! Vous me feriez regretter une question
qui a pu vous sembler indiscrète.
- Nullement 1 assura 10 comte. Jo tiens à y voie, au
�LE CALVAIRE D'UNE AME
63
contra ire , une marque de sympathie dont je suis tOl1ché.
- Sympathie est bien, dit Mme du Buiron, mais,
si vous me le permettez, jo remplflcerai sympathie
par amitié. Vous nous avez reçus à Cèzenac comme
d ~s amis de toujours .
- C'est que c'est le cas! observa aimablement le
j ~ une
homme. M. du Buiron n'était-il pas lié avec mon
père? Le fils ne pouvait pas l'avoir oublié 1 Et je vous
:mis reconnaissant do l'animation joyeuse que Cèzenac
vous doit.
Le comte ralentit le pas, laissant Élise ct le baron
prendre de l'avance.
Mmo du Buiron pressentit qu'il allait lui faire une
confldence , lui ouvrir son âme, peut-être lui parler
de sa fllle .
Elle s'enivra d'espérance.
Elle so crut ù la minute de la viotoire, eL elle ful
éblouie par la facilit6, et la promptitude avec lesquelles
ses désirs et ceux d'Elise allaien t être comblés.
_ Oui! reprit le comte, l'animation, la joie, la vie,
pour tou L dire, voilà ce qui manque à Cèzenac, et
c'esL pOUl' cela qu'au lieu d'y séjourner plus souvent,
commo jo devrais le faire, je le quiLte au bouL de sep t
ou huit semaines. Plus que partout ailleurs, la solitude m'y est à charge. Il n'en serait pas ainsi, me sem·
ble- L-il, si je me mariais .
_ C'es t probable ! répondit la baronne
Elle s'ofl'orçait do ne pas laisser deviner l'intense
émoLion qui s'emparaiL d'elle cL qui aurai t pu trahir
le tremblemeut de sa voix.
Son ravissement éLait intense ...
D'une seconde à l'autre, M. de Cèzenac aUait prononcer la parole Mfinitive.
�LE CALYAIRE D'UNE AME
- Mais , l_oursuiviL noger, je ne suis pas de ceux
qui se marient aisément.
- Pourquoi? inLerrogea Mme ùu Buiron.
- Parce que, je puis vous le confcsael', je suis saisi
d'une étrange timidité devanl les femmes. Vous estimerez que c'est ridicule, mais cela vient du profond
respect qu'elles m'inspirent. Aussi me suis-je toujours
dit que si je venais il rencontrer une jeune fille que jc
reconnaiLrais, au prC!Dier regard, pour êtl'C celle que
j'attends, que je me suis plu à m'imaginer, le courage
me manquerait pour aller à elle ct lui parler, dans la
crainte de sa réponse.
La baronne eut un petit éclat do rire,
- Quel âgo avcz-voU8, monsieur de Cêzcnac? questionna-L-eHe.
- Trente ans bientôt.
- Eh bienl déclara Mlle du Duicon, lai ssez .. moi
vous dire qu'en dépit de vos trell Le a ns vous n'êtes
qu'un enfant.
Le coalte resta muel.
--- Comment pOllvez-vouo supposer, reprit la
mère d'Élise, qu'une jeune fille, quelle qu'elle soit.,
riche ou pauvre, mais certainement digne d'être aiméo
de vous, puisque vous l'aurez remol'quée entro toutes
les aulres, puisse rester insensible à vos paroles, ù
votre aveu? Elle sera fi~re
d'avoir été distinguée, de
se savoir niméo par un homme ùo voLre nom, et surtout de votre caractore. Et, qui sait, M. de Cèzenac,
si cette jeulle fille, à laquolle vous ponsoz ...
Le jeune comte nc reLint pas un mouvement ...
-- Ehl oui 1pourJuivit Mmo du Duiron, vous pensez
a elle, vous la connaissez, dIe a cessé d'ôtl'e la création chimél'jcIUe de volre imagination. Croyez-moi! co
�65
LE CALVAI RE n'UNE AME
n'est pas à une femme qu e l'on peut dissimu ler un tel
secret. Qui sait, dis-je, si cette jeune fille ne prévoiL
pas ce que vous allez lui dire? Qui sai t même si elle
l1f ~ vous aime pas?
.- Je n'ose le croire! soupira M. de Cézenac .
- Vous avez tort l Il ne tienL qu'à vous, d'aiUeurs,
e vous en assurer. Soyez courageux. AI'mez-vous de
! l convict ion qu'il ne dépend que de vous d'être h eu:·'ux. Parlez 1 Suivez mon conseil , monsieur de Cèzenac l Osezl
Il y eut un court silence...
à la baronne ...
Un silence qui parut durer un si~cle
...
ion
rés·olut
sa
prit
comte
Puis le
- Vous avez raison, madam e 1 dit-il. J'oserai 1
Aussitô t, il précipi ta le pas, pour rejoind re Élise et
M. du Buiron.
La baronn e fut déconcertée ..•
Elle s'était attendu e à une autre fin de l'entret ien ...
Elle suppos ait que, sans plus différer , M. de Cèzenac
allait lui dema nd er la main de sa fille ...
Elle l'y avait pou ssé, engagé ...
Pourqu oi ne le faisait-il pas?
A la réflexion, eUe crut comprendre ...
C'était à Élise seule que le comte voulait faire l'ave u
de son amour ...
C'était en lui baisunt les mains qu'il voulait vivre '
les premie rs momen ts de son roman sentim ental, ces
momen ts délicieux, les plus chastes ct les plus purs
de la vic, et qui ne se retrouv ent jamais .
C'était compré hensibl e ...
Et il était Sltr que lu joumée du lendemain ne se
passera it pas sans l'accomplissem ent du gl'and dessein
. en vue duquel Élise était venue à Cèzenac.
"
"
�GG
LE CALVAIRE D'UNE AME
Ce fut ce que Mme du Buiron dit à sa fille, d eux
h eures plus tard, dans la chambre de celle-ci.
E lle prévoy ait u ne explosion de joie ...
Élise , au contraire , se m ontra à peine ' muc ...
Ce ci étonna et suJIoqu la baronne ...
- On pounait croire, remarqua-L-eUe, que je vien s
d e t'apporter u ne mauvaise nouvell e !
- Ass ul'ément, non! répon dit la jeune fille, avec
un calme qui faillit irriter Mme d u Buiron.
- Tu as une sing ulière façon de m e r épondre !
observa-t-elle a vec a igreur. . pl'ès lout , ma chère
enfant, tu es li bl'e ! EL si, p OUl' un molif q uelconque ,
tu es tentée d e r enoncer à co mal'iage ...
Élise sUI'sauta ...
- y renonce r! fil- ell e avec vivaci té . Non pas 1 J 'y
'Liens plus quo jamais.
- On ne le dira it pas !
- Il faul m'excuser 1pria la jcune fille . J e co m pl'ond~
tout le p rix d o co qu e tu v ions d e m'app re ndre . Je ne
m 'e n dissimule pas l'impor lance , t j'y voi ii la confil'ma Lion de m es I:H'Opl'es e~ p oit's
, mais c'e~t
]leut-êLre
parce quo nous Lo uchon 8 à 10. r éussite Clue je me sens
inq uiète, n erveu se, en pl'oie ù une lassitud e qui m e
r end triste. P ar bonhou!', jo ne cl'ois pas aux pressen timents, sans q uoi je me d em anderais ioli nou s n'ayons
e l'
pas cons truit un château d carLos qui va ~ ' é croul
au pr emier souffl e 1
- Jo n e te croyais pas si impressionnable ! dit la
b ar onne. L a nuit passée , il n 'y paraîtra plus, et, demaill.
tu verras 1. de Cl'iienac toni l' sa parole. Il O~ol'a.
.
- Qu'il ose d onc ! conclut, ) ~ Ji !lc . Mais n'oublions pas
que Julio d e Flory sera ici tout l'ap rès-midi.
- Qu'imporLc? r épondit 1Hmo du Duiron. 'l'li a urus
�LE CALVAIn E D' UN E A:\fE
G7
la matinée devant toi, et tu pourras, quand Julie arrivera, lui annoncer l'heureuse nouvelle.
La mère et la fill e se qui t tèrent sur ces derniers mots
de la baronne.
A la même heure, dans sa chambre , le comt e repas::;ait en esprit sa conversation av ec M me du Buiron.
- Oser! Oser 1 répétait-il, en marchant de long en
large. EIlé a rai son. Pourquoi ne pas oser ? Pourquoi
ne pas avoir la vaillance de provoquer le mot qui
contiendra ma des tinée? Pourquoi, puisque je l'aim e,
ne pas le lui dire ? Et si ln. baronne ne s'était pas
tromp ée ! Si celle que j'aime, m'aimait aussi! Si son
cœur, ce cœur plein de pudeur et de fierté, élait déjà
ù moi! Oui! oui! fI faut ose r 1 J'oserai!
M. de Cèzenac ouvrit toute gran de une des fenêtt'es
de sa chambre, une fenêtre d'où, en plein jOli!', on
pOllVait contempler la vall ée ùe l'autre cô té de laqu ell e
montaienL les collines sau vages qu e couronnaient l e~
bois cachant Marchac il "Lous les yeux .
Le comle regardait dans la direc tion ùe la vieille
demeure où, à ce tte heure, Julie de Flory devait dormil'.
_ Elle ne sc doute pas , dit- il ù voix basse , comme
fj' il avait cra int d'être entendu, qu' il y a ici quelf1 u'u n qui pense li elle !
Il n e se doutait pas que là-bas , dC1'I'ière les bois
flombres , il y IlVa iL f]U elqu'lln qu i pensait ù lui.
1
CHA PITH8
LA T RI ST ESSE
~r
DE J ULIE.
M. de C'::zenac avait ofTerL à Julio, avant de quitter
~ 1 a l' c h ac , de l'envoyer prendre en auto.
�LE CALVAIRE D' UNE A~lE
6D
qui n'admeUent aucune défaillance ct qui, loin de pardonner à moitié les JauLes cachées, les jugent avec
sévérité.
A la rigueur, on peut concevoir l'alliance de deux
personnes qui, ne s'aimant 1)a8 d'amour, mais s'estimant réciproquement, se marient pour ne pas achever leur existence dans la solitude.
Il n'y a pas là de duperie ...
Mais il y en a si l'on feint un sentiment que l'on
n'éprou ve pas, et si, afin de tirer profit do la passion
que l'on a fait naît['e, on laisse croire qu'on la partage.
Or, Julie de Flory n'en doutait pas, c'était le cas de
son ancienne compagne do couvent.
Élise du Duiron était intolligente, spirituelle, ello
brillait sans peine, elle était étincelante, elle avait de
la grâce, dans un salon ol/e saurait toujours occupcr
la première place, mais ce n'était là que la surface,
l'enveloppe ...
L'âme était sèche, la pensée froide, le cœur ('goïstc . ..
Elle pouvait jouer l'entraînement, l'aITection, l'abandon. Seulement, il en était de cela comme de sa fausse
sponlanéité, de sos propos primesautiers, do Ce qui
donnait, chez elle, l'impl'ession d'une jeune créaLure LouLe do franchise, incapable de dissimulation
ot do calcul.
C'était . ainsi qu'ollo avait surpris l'amouI' do
M. de Cèzenac, car, s'il l'épousait-, ce ne serait que
parce qu'il l'aimait ct qu'il sc croyait aimé d'elle.
n aurait été dupé, trompé ...
EL, chose singulièrc, MilO de Flory en BouErait pOUl'
lui, parce qu'elle Je sentait droit, loyal, étranger à
toute cupidité, ct que, lorsquo l'on porte un sem-
�· GS
LE CALVAIRE D ' UNE AME
La jeune fille avait refusé.
- Merci 1 avait-elle répondu. J'aime à marcher, ct
la distance qui me sépare de chez vous n'est pas pour
rn'clIrayer.
Ayant dit qu'elle arriverait à Cèzcnac vers deux
heures, elle partit après avoir déjeuné.
Au dernier mom:mt, elle hésita.
POUl' un ri en, pour un futile motif, elle aurait
renoncé à ceLle visite, envoyant le mari de Léonie
':l.nnoncer qu' elle ne pouvait pas venir, élant souffrante.
Cependan t, eUe repoussa cette tentation, parce
qu'il n'était pas dans sa nature de so dérober, de manquer ù une promesse, ct elle sc mit en route.
Sa vieille servante la regarda s'éloigner.
- Ah 1 murmura-t-elle avec un soupir, comme c'est
dommage que ça ne soit pas elle, au lieu de l'autre 1
Elle a beau dire qu'elle n'aime pas M. de Cèzenac 1
Ça ne l'empêcherait pas de vivre heureuse avec lui 1. ..
Tandis qu'ici ...
La L éonie no termina pas cc qu'elle avait voulu
dire ...
Haussant les épaules avec mauvaise humeur, ct
aussi avec tristesse , elle rotourna à sa cuisine.
Elle ne pouvait pas savoir que tout en marchant, de
même qu'elle l'avait fait durant une paI'tie de la nuit,
.Mlle ùe Flory pensait à ce qu'elle lui avait dit la veill e,
de ces unions où, tout an moins d'un côlé, on enlre
sans amo ur, cl d::ms lesquelles pourtant le bonheur'
trouve sa place.
li élait vrai qu personne ne songeait li. les blûmer
(' L triP la morale ne pouvail pas les conùamner ...
L:l lnO 'u le du monde, s'entend ...
CU I' il Y rn a un e auL:'e, e('1Io des consciences rigides,
�70
LE CALVAIRE n'UNE AME
blablo jugement sur un homme, on s'a ttr iste à la pensée de l'espèce de trahi son dont il ost victime .
Telles étaient les p ensées de Julie .. .
Mais, soudain , elle so les rep rocha .. .
Était-elle aussi certaine qu'elle le croyait de la
duplieité de MUa ùu Buil'on ct, sans autre preuve que
son soupçon, lui appartenait-il d'accllse l' cetLe jeune
fille de m en.:lOnge el de fau sse té?
- Et pUid, ponsa-l,-elJ e ù hauLo voix , quel est mon
droit de m'occ upel' d'ell e?
Julio, dans ses longues courses il travers la eontl'éu ,
ne s'était jamais approchée beau co up de Cézenac, cc
qui ne l'empêchait pas d o connnHre le chemin qu'il
fallait suivl'e pOUl" s'y r endl'e .
01', cc chemin, elle ne 10 pl'it pas . ..
Elle n o le prit paH parce qu'il lui pal'uL pl'Mérable
de truvorser des bois, de longel' ces vallées que dans
l e pays on appelle des rivièl'es, de drscendl'e dans drs
combes, tout un vagabondage qui lui plaisait et qui
lui Pl'ocUl'aiL l'impresl:iion de l'aventure, de l'inconnu,
de la découvorte ...
Seulement, cc qu'elle ne pouvait pas savoir, co
qu'elle était 4 mille lieues de soupçonner, c'est que
notre route étant trucée d'avance par une mystérieul:io
volonté, elle ne pril pas le chemin uniquement pUl'ce
qu'elle ne devail pas le prendre.
Cc qu'il y eut de plus clair c'est qu'après avoir mal'ché une heure, elle s'aperçut tout à coup qu'ollo s'était
('gnrée.
;Entol'(~e
de bois {'puis, qui lui masquaicnL l'hol'Ïzon, elle ne savait plus où olle (Luil, n'ayanL même
pas le secours du OaÏt' de sa chi une .l\lol'gane, qu'elle
n'a vniL l,)ns cru d evoir OIIl.UlCnel' a voo 01lo.
�LE CALVAInE n'U NE AME
71
Très ennuyée , elle continua à avancer au hasard
. pu faire longtùmps, s'égarant peut-'
ce qu ,e11 e auraIt
être davantage, s i, pour son bonheur, elle n'avait pas
fait la l'encontre d'une vieille femme, en train de
ramasser un charge de bois mort.
Elle lui demanda si elle éta it encore loin de Cèzena c.
- Vous êtes dessus! répond it la vieille femme .
- Dessus? s'étonna Julie.
_ Oui 1 Je veux dire que vous êtes dans Irs bois de
M. de Côzenac. Est-ce que c'es t au châtHau, que vous
voulez aIle l' ? .
Ln jeune fille répondit affirm a tivement.
_ Dans cc cas, c'est facile 1 assura la ramasseuse de
bois mort. Prenez la senLe quo VOUi'l voyer. là-bas, à
droite . Suivez-l a jus'Tu'au bout. Vous tomberez dans
un peti t chemin, ct vous '.Tenez, en face de vous , une
barrière qui n'est jamais formée. Vous n'aurez qu'à la
pousser, ct vous serez dans le parc de Cézenac, où
n'importe quell e allée vous mèn era au château .
Le renseignement de la vieille fe mme était exact ...
11 bout de la sonte, Julie de Flol'y découvrit la
barrière , qui, en erret, n'était pas fermée .
Elle la poussa ot sc trouva dans co parc de Cèzenac
où, dix jours oncore auparavant, elle aurait bien cru
n e devoir jamais pénétrer'.
Ccci lui fit éprouver une bizarro émotion. Son cœur
se serra. Uno vaguo appréhension s'empara de SOI'
âme . Elle fut secouée d'un fl'is son, ct, brusquement,
une douleureuse fatigue l'envahit. Ell e se sentit Jasse ,
comme elle ne l'avait pas été jusqu'alors, même }or:lqu'clio 1'enLrnit Ù Marchac ù l'h eure tin dîner, apl'(\~
df's courses de louL l'apr·ès- midi .
�72
LE CALVAIRE D'UNE AME
Se d6fendant mal contre cet acblemn~,
qu'elle
attribua à la chaleul" tout en s'orientant dans le parc,
elle cherchait des yeux un banc, un tertre de gazon,
une souche où s'asseoir dl1'an~
quelques instants, le
fatigue .
temps de laisser se dis[;i.i.Jul' ce~l
Elle n'apercevait rien.
Mais voici qu'en débouchant dans une étroite clairière elle sc vit en face d'un édifice minuscule, un
pavillon en l'orme de temple grec, orné extérieurement
d'attributs guerriers, et sans doute élevé par le maréchal de Cèzonac au temps où l'on avait la manie de ces
constru~i.
Julie y entra.
Le mobilier ne consistait qu'en un banc rustique,
assez grossier, ce qui formait un amusant contraste
avec, le stylo du pavillon.
Mlle de Flory ne !l'attacha pas il. cc détail.
qu'on ne pouvait pas la
Elle s'assit, et consta~
voir du dehors, elle s'abandonna à la. somnolence qui
un
s'emparail d'elle peu il peu, ct qui devint bientô~
véritable sommeil.
Elle dormit ainsi pendant UDe quinzaine ùe minutes,
au bout desquelles elle fut réveillée par un bruit de
voix.
Deux femmes causaient, arrûtées devant le petit
temple, et, tout de suite, MilO de FJory comprit quelles
~taien
ces promeneuses.
- Tout cela, disait Élise du Buil'on, est agaçant. Tu
pensais que M. de Cèzcnac me parlerait ce ma~in,
qu'il me ferait sa déclaration, et que, sûr on mon
ncceptation, il t'adresserait ensuite, ainsi qu'à mOIl
père, une demande officielle, ct voici que l'afTaire n'a
pas avancé d'un pas.
�LE CALVAIRE n'UNE AME
73
- Nous ne pouvions pas prévoir, répliqua la baronne,
que la matinée serait prise par cc négociant, venu de
Gourdon, qui avait à s'entendre avec M. de Cèzenac
au sujet de coupes de bois, et que le comVc a rctc.Q.u
Ù déjeuner parce qu'il avait encore diverses questions
à régler avec lui. Mais, tout à l'heure, il sera parti ...
- Et, tout à l'heure, dit Élise, Julie de Flory sem
ic i, où elle passera l'après-midi.
_ Nous aurons la soirée ... Au plus tard, demain .. ,
Elise interrompit sa mél'e.
_ Je sais bien, remarqua-t-eHe, que le temps ne
nous manque pas, puisque nous ne reparLirons que
dans huit jours. Mais tu dois comprendre mon impatience. J'aimerais à cc que tout fut achevé. J'ai hâte
d'écouter M. de Cèzenac .. .
La jeune fille s'arrêta .. .
Elle avait dû. surprendre un sourire sm les lèvres de
Mmo du Buiron.
_ Non! non 1 dit-elle, la voix devenue gaie. Tu
aurais tort de te Caire de pareillûs idées. M. de Cèzenac
est un homme aimable, pour qui l'on peut avoir de
l'estime. Mais je ne l'aime pas, et je crois que je ne
l'aimerai jamais. Je me demande même si nos caractères s'accorderont longtemps. Je m'attacherai, du
resLe, à ne point le heurter. Je me bornerai à me créel',
pal' peLites étapes, une vie particulière. Je vois les
choses comme on doit les voir. Ce mariage est avantageux. C'est 10 fait important ft mes yeux, et aux
tiens aussi, Le meilleur moyen de gâcher son existence,
c'est de s'obstine!' Ü vouloir la remplir do sentimentalité.
La baronne ne répondit pus, ct Julie de [clol'yentendit la mère et la fille s'éloigner.
�74
LE CALVAIRE n'UNE AME
Elle avait failli se montl'er ...
Elle fut heureuse d'être demeurée cachée .. .
Mais co qu'olle venait d'entendre lui causa une pro·
fonde tristesse, mélangée d'irritation.
C'était odieux, ce calcul, cette duperie, cette spéculation, ce piège tendu à un honnête homme dont on
surprenait la droiture, la confiance et l'amour.
Malheureusement. il était interdit à Julie de prévenir le coroLe do la machination dont il allait être victime .
De quel deoit l'aurait-elle fait?
Ne s'exposerait-elle pas au soupçon do poursuivre,
à sa maniére, un but intéressé?
Cette idée lui faisait monter le rouge au visage.
Elle se tairait donc ...
Mais, de toute son âme, elle plaignait Roger ùe
Cèzenac, et elle se sentait prête à pleurer sur lui.
CHAPITRE XI
LA DOUBLE QUESTION.
Il Y a des journées qui devraient
~tre
charmantes,
eL sur lesquelles pèse une gêne constante, ce qui
provient ùos préoccupations personnolles de chacun.
Il en fut ainsi il Cézenac.
Sans y parvenir, on s'y eITorçait à la galté, on cau.aiL, on riait, on s'animait, et jamais , peuL-être, les
propos ù'J<~lise
n'avaient été aussi l'emplis d'originalitli, mais touL cela n'était qu'une oppal'encc.
Les esprits étaient ailleurs.
Mme du Buiron oL sa Olle ne penSUi l' ClL qu'ft IOUl'J
�LE CALVAIRE D'UNE AME
espérances et sc demandaient si elle3 scraienL on(in
réalisées dans quelques houres ...
On peuL imaginer, d'autro part, q UlJ ile était la dis·
position d'âme cie :tIJlle de Flory ...
Quant a u comte, en dépit ce qu'il avait répondu ù
la baronne, il s'efTrayait ù l'idéo d'ouvrir la bouche,
de parler ù Julie, de lui apprendro qu e Lout son cœur
allait vers elle , et do la supplier Je ne point le
repousso!'.
Seul, M. du BuiJ'on s'éta it montré l'ehelle au
malai se général. Optim~
e do nature, convaincu que
lout G'o.lTango toujours pO Il!' 10 mi eux, il laissait les
choses suivre leU!' çouJ'S cL ne s'iuquiétaiL point
d'olles.
Un pOli avunt le dînor, .Julie voulut so retirer,
muis, devanL l'insistanco de ]\1. de Cèzenaç et d'Elise,
!)Ile resta, le comte lui ayaut di t cr u'illa ferait ramenel' chez elle on voituro.
_ OJt! fit-ell e, je connais bien los cllOmins! A condition, il es t rai, de I10 plus m'avenlurer dans los
Dois, comme je l'ai fait aujoul'd'hui.
En arl'ivnnt, elle avait raconté son histoire.
_ C'est égal 1 déclara Élise , même SUl' les chemins,
je ne voudrais pas mc hasarder il fairc près d'une
lieue en pleine nuit 1 J'aurais lrop peur des mauvaises
l'encontrcs.
_ C'est mon avis ! appuya le bal'on.
_ Ailleurs quo dans ce coin du QUCl'cy, r6pondit
.lulie, je parlerais comme vous. M:üo, dans ce pays où
now; fio mmos, s'i l y a quclquo chose il rodoutcr, la
nuit, cc n'est pas une mauvaiso roncontre. Tous les
habitanLs sonL de bl'uves gens. LI y aUI',lÏt du danger,
üi noua U\.iOlll:l Ù pl'oxiroiLu d'WlU grande ,'ouLo, où
�76
LE CALVAlIRE n'UNE Al'rlE
passent les vagabonds, les bohémiens, Jes rôdeurs. Ce
n'est pas le cas .
- Vous avez raison, mademoiselle! inLervÎnt le
comte. Je suis persuadé quo vous ne vous exposeriez,
en effet, ù aucun péril. La région est sûre. Mais j'esti.
merais manquer il mon devoir si je vous laissais
repartir à pied. Vous me désobligeriez en refusant
d'accepter l'auto.
M lle de F lory s'inclina.
- J'on serais au regret! dit·elle. J'accepto done, el
je vous remereie.
De retour choz elle, la jeune fille revécut la journéo
qui venait de s'écouler, et dont elle fit renaitro les
moindres incidonts.
Elle était encore stupéfaite de cc jeu du hasard qui,
la faisant s'égarer, l'avait finalement amenée au
pavillon isolé où elle était entrée pour se reposel'.
Elle aurait pu passer outro, ou prendro uno autre allée
du parc, ct de même, Élise ct sa mère auraient pu
suivre un chemin différent, ou seulement continuel'
leur promenade en causant, sans s'arrôtel' auprès du
petit temple.
Ainsi, Julie n'aurait pas éLé confirmée dans le
so up çon qu'olle avait conçu du manège intal'ossé de
son ancienne amie, supposition dev enuo désormais
une corLiLude.
Tout Je long du jour elle :lVaiL vu se poursuivre los
manœuvres de coq uotterie d'ÉlülO , et olle n o s'était
pas déCondull d'un p eu d'admiration dovant tant,
d'adresse et do subtilité. Comme c'était. bion faiL,
légèrement, sans appuyor 1 Il Y avait de ces rions tlui
somblaient indi(!uel' un amour cacM, que la pudeul'
défendrait d'avouer. C'éLlit d'un naturol parfaiL.
�LE CAl.VAIRE D'UNE AME
77
presque enlantin. Mlle de Flory n'avait jamais mis les
pieds dans un théâtre, mais elle savait qu'il y avait
sur la scène de grandes comédiennes, et elle so disait
que Mlle du Buiron aurait été digne de figurer à côté
d'elles .
En même temps, Julie observait M. de Cèzenac.
Il la surprenait .
D'après cc qu'elln avait entendu dans le parc, elle
le croyait très épris d'Élise.
Or, s'il ne se montrait pas indifférent envers elle,
son attitude ne dépassait pas les bornes d'une fami·
lière courtoisie.
Julie en conclut que cela provenait de sa propre
présence, et que devant elle, alors que rien n'étai1
encore décidé, il s'estimait tenu à la discrétion.
C'était admissible . ..
Néanmoins, J'explication qu'elle se donnait ainsi,
ne réussit pas il la satisfaire et, plus elle y pensait,
dans la solitude de Marchac, plus elle retrouvait une
sensation éprouvée plusieurs Jois au cours de l'aprèsmidi, du diner ct de la soirée.
Il y avait eu, aussi, une petite chose par laquello
elle avait été frappée .
Subitement, M. de Cèzennc avait paru sc souvenir
qu'jllui faudrait sc rendre, dans la matinée du lendemain, jusqu'à une grosse ferme, nommée Canteloube,
située à trois kilomètres, dans la direction de la
Baslide-]'vf urat.
Il ne donna pas les raisons de cette visite, dont il
n'avait pas dit un mot jusque-]ù.
_ J. parLil'ai de bonne heure, ajoula-t-il, de
manière ù ne pas me faire attendre quan(1 le déjeuner sera sotmé.
�78
I.E CALVATnE n'UNE AME
Il Y avait eu une fugitive crispation sur les trails
ù'Élise et de la baronne.
C'était un retard nouveau.
Est-ce que M. de Cézenac hésitait?
Est-ce qu'il n'oserait pas?
- Vous avez donc l'intention de faire cette course
à pied? interrogea la baronne .
- Il n'y a pas moyen, maùame , de la faire autl'ement! répondit le comte. On ne parvient à Cantclouhe que par de mauvais chemins, coupés de fondrières, et si étl'oill:l qu e seuls les petits charriots du
pays peuvent y passer.
Sensation singulièl'e ...
11 parut à MUa ùe FJory que M. de Cèzenac no
disait "pas la vérité ct que, dans un bllt qu'il entenduit gardo!' secret, il avait imaginé un prétexte pour
s'a hsentol'.
C'était curieux!
Décidément, tout n'était pas clair il Cèzenac!
MilO do Flory se le disait encore le londpmain
maLin, aux onvirons de dix h eures, IOI's quo la U\onie
entra en coup do vont dans sa chambre, l'ail' touL
efTaré, voulant parler, et nc le pouvanL pad, Lant ellc
était suftoquée.
- Qu'y a-t-il? interrogea Julie. Ou'ns-LIlt> Que LI'
prenrl-il?
La Léonie recommençait ù respirer ...
Mais sa mine restait ahurie ...
Et il lui fallut quolques secondes pOUl' s'expliquel'.
- Je n'ai don 1 dit-elIn enfin. Tl ne mn Pl'end
rion. Mais il y a quelqu'un C'Juo j'ni rai t pntl'or au
salon, r.t qui demande ù vous voit'.
Quelqu'un jl
�LE C LVAIRE n'UNE AME
79
Mue de Flory é voqua un nom ...
Mais ce n'était pas vrai semblable 1
Imaginer une pareille chose, une chose qui ne pouvaiL pas être, qui n'avait aucune raison d'être, c'était
une folie !
- Qui es t-c c? demanda-l-clle .
- M. d e Cèzenac! répondit ln Léonie.
Julie resta muette de surprise, comme étourdie .
Elle avaiL c ru mal entendre ...
- Oui! répéta la vi ei1l e femme. C'est M. de
Cèzenac . Il d és il'e vous parler. J e ne sa:is pas ce qu'JI
vous veut, mai s il a un drôle d'ail' !
_ C'e st bien! C'est bi en 1 nt Julie. Va le priel' de
m'aLlendJ'e un in sLant. J e desce nds .
La L éonie fi la .
_ M. de Cèze nac ici! ml1l'mUl'a Mlle de Flory quand
elle fut scule. 11 n 'es L donc pas allé à Canteloube? Je
nt) m'(Hais donc p a,> tl'ompée en supposant que cc
l1'étaiL qU'lln prétexte? Pourquoi cc préLexte? Pourquoi cette inv ention ? Et que p eut-il avoir à me dire ?
11 était vrai que le COIP',e n'avait rien à faire il la
fermo d e Cantûloube, qui lui apparLenait, mais dont
les locataires versaient régulièrement le loyer entre
les mains du notaire chargé do ces questions par le
châtela in d e Cèzenac.
11 avaiL voulu pouvoÎt' sortir' librement, ct s urLouL
sans qu'il fuL possible de savoir où il allait.
Sa d émarche resLeraiL secrè te, et , si elle devait être
su iviL d'une déception, p er sonne au monde n'en auraiL
con naissance .
Il es t n écessaire do dire que M. d e Cèzenac éLait
Lrop honnête homme, possédait à un dQgl'é tl'Op élevé
Jo sentimenL de l'honneur' cL de la probito, POU!'
�81
D'UNE AME
I.E CALV.~IRE
vous allez lui dire? Qui sait mème si elle ne vous
aime pas?
Si c'était vrai!
S'il était aimé de cette créatur e grave et charma nte
à la fois, aux yeux pensifs et profonds, de qui la
grâce décente évoquait l'idée d'un parfum do l'âme,
et que l'on sontait si pure, si droite et si loyale 1
N'était-ce qu'un rêve?
Était-c e une réalité?
C'était la double qucstion qu'il so posait encore, à
l'instan t où Julie de Flory apparu t au seuil du salon .
CHAPI TRE XII
L'ANNE AU
n'on.
Ih éLé dit que M. de Cèzenac était timide, ..
On compre ndra donc que la démarche à laqucUe il
s'était résolu n'était pas de natu!"e à atténue r cotte
timidité ...
11 savait qu'il jouait le bonheu r do sa vie. car
c'était réellem ent son bonheu r quo Milo cIe Flory
tenait entro ses mains.
Ello était maîtresso do 10 rendl'o heurcu x ou
malheu reux, eL rien que cela devait provoquer en lui
un trouble terrible ...
D'autre part, avcc cette disposition naturelle qui
lui faisait aimcr et redoute r à la fois la société des
fommes, comment aurait-il pu envisager sans crainte
le momen t où il so trouvcr ait en face de la jeune fille,
et où il lui faudrai t pader?
Ceci, à l'a vance, le faisait trembl er ...
li
�80
LE CALVAIRE n'UNE A~fE
accomplir uil acte aussi grave que celui qu'il avait
résolu, sans avoir acquis la certitude qu'il le pouvait,
sans être sûr qu'il ne cédait pas à un entraînement
irréfléchi.
En so rendant à Marchac, il était donc en règle
avec lui-même, en paix avec sa conscience ...
Il savait qu'il aimait Julie de Flory ...
Il savait que cel amour n'était pas une fantaisie, le
fruit fragile d'une surprise, une fleur d'un moment,
vite eITeuillée ...
S'il était né d'un coup, s'il avait été une soudaine
et foudroyante illumination, il n'en avait pas moins
poussé aussitôt de puis:;antes racines, et rien, maintenant, ne pourrait l'abattre ou seulement l'ébranler.
Mais il ne suffit pas d'aimer ...
Encore faut-il l'ôtre ...
Et qui prouvait que le cœur de Julie de Flory ne
lui demeurerait pas fermé?
Sur le terLre des bois, olle lui avait tendu la main,
dans un geste de reconnaÏ3sance et d'amitié, dans un
geste qui eITaçait tout, qui ne laissait rien subsister
des histoires de jadis, mais, cette main, s'il la lui
demandait pour la conserve l' toujours, consentirait-elle
Ù la 1ui rendre il
Ce matin-là, en so dirigeant vers Marchac, il se
répétait les paroles do ln baronne du Buiron, bien
éloignée de se doutel' qu'elle travaillait contre Élise,
qu'elle soufflait SUI' l'v, lifice qu'elle cL sa fille étaient
occupées à consLmil'e, eL qui n'était réellement qu'un
château de cartes.
- Qui sait, lui avait diL Mme du Duil'on, Bi ceLte
jeune fille ù laquelle vous pensez ne prévoit pas ce que
�82
LE CALVAIRE n'UNE AME
Il se sentait capable de perdre la t ête au dernier
instant et de patauger lamentablement dans ses
ex plications.
En conséquence, il avait passé une partie de la nuit
à préparer un petit discours, une entrée en matière,
dont il aLtendait le meilleur résultat.
Ce discou rs, tout le long du chemin, il l'avait
répété avec soin, le remaniant ilans son esprit, parce
qu'il le jugeait toujours insuffisan t.
Seulement, lorsqu e la porte du salo11 s'ouvrit, t
qu'il vit apparaître Julie de Flory, vêtue de blanc cc
matin-là, comme elle l'était le jour où ill'avaiL rencontl'é dans les bois, l e jouI' où elle l'avait ébloui,
conquis, il arriva ce qui devait arriver, ce qui veut
dire qu'il oublia totalemenL sa hal'angue.
Debout, il se tinL muet devant la jeune Hile, ct il y
eut alors une minute d'un silence embarrassant.
Juli e, un sourire aux lèvres , afTectant une aisance
qu'elle n'avait pas, cachant son émotion à force do
volonLé, interrogeait dos yeux son visitour, tout on
lui indiquant un fauteuil.
M. de Cèzonac ne vit pas le geste ...
D'ailleurs, il no voyait rien, ni les vieux meubles
charmants, ni les anciennes tapi!\series, ni Jo délicat
eJavccin, rien du cadee archaïque et délicieux a u
milieu duquel ressortait merveilleuseme nt ln bea uté
de la jeune DUe...
.
11 Y avait du brouillard autour de lui, eL Son sang
battaiL avec force ù ses tempe!:! ...
Pourlant, il se renJit compte , confusément, que
coLt!' Biluation ne pouvait pas se prolonger ...
11 pada, uL Je :;on do sa voix le ramena ù lui-mêmo.
- Mudcmoisollo, dit-il, voU!; voudrez l>i011 OXCUl:!el'
�LE CALVAI RE D'UNE AME
8:~
une visite que l'heure rend insolite , mais, passan t
devant Marcha c, j'ai désiré savoir si vous aviez gardé
un bon souven ir de la journée d'hier.
L'expli cation valait ce qu'elle valait ...
En fait, elle n'était pas fameus e .. .
- J'ose espérer, conLinua le jeune homme , que
vous ne verrez pas là, de ma part, une indiscr étion.
- En aucune façon 1 répond it Julie. Mais vous
me permet trez de vous avouer que je suis un peu
ôLonnée de vous voir ici cc matin, parce que vous avez
dit hier qu'une afTaire vous appela it ù Cantelo ube.
01', Je chemin de Cantelo ube ne passe pas précisé mrnt
clevant Marcha c.
Cette remarq ue, faiLe d'un ton aimabl e, mais qui
la réserve , tomba sur la tête du com le ù la
impIqua~L
façon d'une douche glacée ...
Tl resta déconc erté ...
:·:t il Je fut davant age en voyant les traiL'l de Mlle ùe
Flol'Y s'impré gner d'une soudain e gravito .
L'attitu de tle la jeune fille sc mOLlifla ...
Elle devint distant e.
M. de Cézena c rit appel à sa m6moil'c, ct aven une
vél'itab le angoisse il chel'ch a il retl'ollveI' son pet j t
discour s, mais l'effort demeu ra vain, ce qui fit qu'il
alla droiL nu but malgré lui.
_ C'est vrai, madem oisellr, dit-il, qllan 1 on vient à
Marcha c, on Lomno le dos à Cantl']o upo, mais CantrJoube n'était qu'un prétext e. Mon intl"n Lion était de
venir' à Marcha c . Et clIo était aussi quI' ma visite de
cc mntill ne fut connlle do personn e. Vous devez en
('ompre ndre ln bul.
Julie ne J'ûpondill'ien ...
Son visage s'était fermé.. .
�LE CALVAI RE n'UNE AME
85
sans cesse présent e à mon regard, qu'il m'a été doux
do vous associe r à ma vie intérieu re. Laisez~mo
ajouter qu'il n'y a pas cu là un grand miracle , mais
seulem ent un abou tisseme nt logique .
, Julie, malgr6 le calme qu'ollo s'impos ait, éprouv a
do l'étonn ement ..•
\ Quel était 10 sens de ces paroles du comte?
\ - Laissez -moi m'expl iquer! reprit ce dernier . Et
no souriez pas si je m'expr ime d'uno manièr e qui
peut vous paraHr o bizarre , mais qui est claire pour
moi. Il n'y a pas eu de miracle , je vous le répète . Ilien
qu'une conséq uence. Je vous connais sais sans vous
connail.re. Non pas purco que je savais que Mllo de
Flory vivait à Marcha c, mais purce qu'on aimait à
diro autour de moi co que c'était que MUe de Flory.
On vous aime, dans ce pays, madem oisolle, ct si co
mot pou vait s'accor der avec voLre jeuness o, j'aoute~
rais qu'on y a pour vous de la vénération. Comme nt
n'âtrc pas frappé pal' l'homm ago qui vous est l'cndu
par ces COJUl'S simple s? Comm ent Ile pas songer souvent ù celle que l'on appelle avec uno Lendresse que
sa rudesso rend toucha nte, la bello et bonne demoiselle de Marcha c ?
En dépit d'elle-m ême, Julie était émue ...
Sell traits s'adouc issaien t ...
Son attitud e perdait de sa rigidité ...
Cc change ment n'échap pait pas ü M. de Cèzcnuc ...
Et il lui en venait de la vaillan ce ct de l'espoir .
_ Si bien, continu -L-il, que je vous cherchai:; ...
Oh 1 cc n'était pas avec la volonté nette et définie de
vous rencon trer. Je ne raisonll ais 1)a8 le sentim ent qu i
m'entra inait vers vous ... Jo me content ais de lui
ohéi!' ... Un" main invisib le avaiL pril:l la mienM . cL
�LE CALVAIRE DrUNE AME
a
On aurait pu supposer qu'elle était étrangère ce
qui se passait, que ce n'était pas à elle que s'adressait le comte.
Celui-ci aurait pu perdre pied tout à fait devant
cette froideur, qui semblait présager un refus ...
Ce fut le contraire qui se produisit ...
Le péril inspira du courage à M. de Cézenae ...
Il imita, lui qui. n'était pas joueur, les gens qui, à la
dernière extrémité, risquant le touL pour le tout,
abattent leurs cartes d'un seul coup.
- Oui! reprit-il, vous me comprenez 1 Vous savez
pourquoi je suis venu, ce que je vais vous dire, et
que vous pouvez entendre, parce que nul sentiment
humain ne saurait, plus que le mien, s'entourer de
respect et de sinc6rité. Vous veniez à peine de vous
éloigner, le joUI' de notre renconLre, quo je sontis quo
vous emportioz avec vous un cccur dont j'avais été
jusqu'olors 10 seul maître, ot qui ne m'appartenaiL
plus. Je ne vous l'avais pas encore donné que vous
, l'aviez pris, el tout de suite la lumière se fit dans mon
ûme. Il m'apparut que je ne vous 10 ropl'oncIl'ais
jamais, que vous en étiez devonue la maitl'essc, ct que
vous le garderiez aussi longtemps que je vivrais.
Lo comte s'interrompit une seconde ...
.- Croyez-moi 1 pria-t-il. Croyez-moi, je vous en
conjure 1 Ce no sont pas ]0. des phrases de roman. Je
ne suis pas romanesque, ot nul, autanL que moi, ne
déteste les radeurs. Ces paroles, que vous entendez,
xpriment mes plus intimes pensées. Elles mu
viennent naturellement aux lèvres. Je ne pourrais pas
vous parler autrement. Il esL bien vmi quo depuis
]e moment où nous nous sommes quittés j'ai vécu
près de \'ous par la pensée. que votre image a ôté
�86
LE CALVAIRE n'UNE AllIE
mo conduisait .. . C'est ello qui m'a mis en face de
vous._ Et, il ceL instanL, la vorité s'osL montrée ù
moi ... Je. vous connaissais sans vous connattre, cl
déjà je vous aimais sans 10 savoir ... Jo suis il. vous
depuis coLto heure-là ... C'est afin de vous 10 diro que
jo me suis mis en chemin cc matin pout' Mal'chac ... C'est
pour vous demander si, comme je suis à vous , comme
je ne cesserai jamais d'êLrc à vous, ù votre Lour vous
accepLeriez d'être il. moi pour toujours. .. Avec
Lout mon coeur, toute mon âme ct touL mon honneur,
je supplio Mlle de Flory do mo dire si 0110 consentiraiL
il. devenir comtesse do Cèzenac!
Chez Julie, il y avait de l'éblouissement ...
Cc qui sc passait était merveilleux eL lui faisait un
peu l'eIreL d'un oonte ...
PourtanL, olle ne se laissail pas prendre par l'onchanLoment. ..
EUo esquiva une réponse direcLe ...
- J'apprécie ainsi qu'il convienL de 10 faire,
monsieur, <lü-olle, 10 sentimenL qui a dicté votre
démarcho ... Je vous en !:luis reconnaissante ... Surprise
aussi, cat· je croyais, je m'6Lai~
imaginée quo vos
intenlions étaient dilTérontos cL no me concornaionL
011 rien ... J'avais conclu, do la présonco do Mlle dll
Huiron à Cézonac ...
Le comLo sursauLa.
M110 du Buiron! fiL-il. l\lais olle no m'est rien!
me sera jamais rien! J'ignore si, dans sa
Ello nr~
ramille, on a form(l qu elqu e projet a\1quel je sCt'aif>
intércssé ...
M. de Cèzcnuc H'inLerrompit ...
11 venait do so souvenir de Bon cnll'elion uvee 111
hUI'OllUC, Ùl,) co qu'il lui nvl.Ï~
wL, de co <{.u'ellc lui
�LE CALVAIRE D'UNE AME
87
avait répondu, du conseil qu'elle lni avait donné ...
Il entrevit la vérité ...
- Cela se pout, reprit-il, mais je n'ai rien fait J'e
,.
'
n al pas prononcé un mot de nature à encouraoer
des
o
espérances qu o j'aurais le regret cie détruire sans
hésÜation, si elles venaient à se mallifester clairement.
Vous en avez la preuve, mademoiselle. par le seul
fait de ma présence chez vous.
Dd nouveau le silence se fit. ..
Lo comLe attendail. ..
Julie, obstinément, se taisaiL ...
Ceci ne pouvait durer ...
M. de Cèzenac s'approcha de la jeune fille etlui pritla
main, une main qu'il sentait frémir dans la mienne ...
Il parla bas , uvec une ardeur contenue , mettant
pon âme entière ùans son accent ...
_ .le vous aime, Julie 1 dit-il. Voulez-vous être ma
femme?
M lle de Flory fixa son regard sur celui du comte ...
Il Y avaiL, dans ses yeux, de l'effarement, de la
crainte ...
_ Je ne sais pas 1 murmura-t-elle. Je ne sais pas·
Accordez-rr..oi un peu de temps. Jusqu'à demain SAUlement. Demain, vous aurez ma t'éponse.
_ Votre volonté est la mi enne 1 répondit M. de
Cézenae. J'attendrai ü demain. Je viendrai chercher
vol,l'e réponse.
Bl'usquemenL, il se l'avisa . . ,
.'
_ Eh 1 bien non 1 s'écria-HI, je ne VH'ndl'lll pas 1 Il
n'est pas de bonheur qui pOU l'rait égaler le mien si je
vous en tendais me dire que vous acceptez mon nom 1
l\lais je ne saurais avoir le courage d'entendre tin refus
lombel' de vos lêvres.
1
�88
LE CALVAIRE D'UNE AME
A l'un de ses doigts, M. de Cézenac portait un
anneau d'or ...
n l'en retira et le déposa SUL' un guéridon voisin.
- Cot anneau, dit-il, est celui que ma mère reçut
au jour de son mariage .. . Il est sacré pour moi ...
A son lit de mort, elle m'a fait prometlre de le donner
à celle qui sera ma femme . .. « Tu l ui diras, eut-elle
la force d'ajoutor, que sachant que tu n'aurais voulu
amoner dans ma maison qu'une Hile digne de notre
nom, je la prie de porter cette anneau en souvenir de
moi. Il sera pour elle la bénédic tion de la morte 1 »
Je vous le laisse, Julie 1 Si vous me le renvoyez
demain, je saurai ce que cela voudra dire.
1\1. de Cèzonac s'inclina profondémont ...
Puis il sortit.
CIIAPJTJŒ XIIl
L.\.
HÉPONSE DE JUUE .
Ln cœur du jeune comte était partagé entre la
crainte ot l'e:lpoir.
Il espérait, parce qu'il était impossible de méconnaltrtJ , ehez J ulje de Flory, lIne fermeté do caractère
qui devait l'am ener ù ne pas tergiverser, ù en terminer d'un coup, lorsqu'ollo avait pris une décision,
quand olle avait consci r.ll1ce de co qui était son dovoir .
Dès lors <}ll'olic n'avait pas répondu immédiatement
par un rofus, cola prouvait qu'il existai t dans son
rsprit une hésitation qui pouvait '\tre favorable ù
M. de Cè7.onac.
C'était une rai ,o n d'.Jspr r.:'l'.
Mais, nprùs avoi r lpûl'cm cnt'ré(J ('chi, Milo
Flol'y,
ue
�LE CALVAIRE D'UNE AME
89
pour des moLifs qui échappaient au comte ne lui
.
'
renverraIt-elle pas l'anneau qu'il lui avait laissé?
- Elle m'aime ou elle ne m'aime pas! se dit M. de
Cèzenac . Si elle m'aime, clIe accepteI'a, car elle n'est
pas do celles qui se marient par intérêt.
Cette réflexion mit une ombre au front du jeune
homme ...
n lui vint une terreur ...
_ Mais , murmura-t-il, mêmo si elle m'aime, comme
elle est orgueilleuse et fière à sa façon, ne rcfusera-telle pas de m'épouser, parce que je suis riche et qu'elle
est pauvre? Elle aurait tort. Après ce que je lui ai
diL d'eUe, comment ne comprendrait-elle pas que nul
soupç.on blessant ne saurait l'efOeurer?
Ceci, tout naturellement, éveilla chez M. de Cézenac
le souvenir de l'allusi,on faite par Julie à un mariage
possible entre lui eL Elise du Buiron.
Il comprit alors le sens caché des paroles de la
baronne. Convaincue qu'il s'agissait de sa fille, Mmo du
Buiron avait ongagé le comte à oser se déclarer, et
elle lui avait fait entendre que son désir ne rencontrerait point d'obstacle.
M. de Cèzenac, en dépit de ses préoccupations, ne
put s'empêcher de sourire.
La baronne, en efl'et, ne se doutait pas de tout ce
qui séparait d'Élise le châtelain de Cèzenac.
D'abord, il aimait Julie de Flory ...
Rion que cela devait interdire toute espél'anco 0 la
famille du Buiron.
Mais, alors même que le cœur du comte eut étû
libre, ce n'était pas à Élise qu'il serait aUé.
M. de Cüzenac rendait jusLice aux qualités de
Mlle du BuÎl'on. Ello était intelligente, spirituelle, et
�90
LE CALVAIRE D'UNE AME
serait une femme du monde accomplie. Aux grâce!>
de l'esprit, elle joignait celles de sa personne. Elle
était jolie. On ne pouvait pas demeurer indifférent à
su prés ence. Elle uUirait 1'attention et la retonait.
C'était très bien ...
Toutefois, ce n'était pas suffisanL.
Un homme peut être timide et facilement captivé
par le manùge d'une charmante fille, sans manquer
pour cela de perspicacité, ct c'était le cas du comte.
Il avait discerné ce qu'il y avait do factice, de voulu,
de préparé, choz Milo du Buiron. Jusque dans ses
élans, ses boutades, son enjouement, elle se surveillait. Tout d'abord, on était persuadé qu'elle était
naturelle. En l'otudiant, on ne tardait pas li s'apercevoir qu'elle jouait un rôle.
Ceci avait amusé M. de Cèzenac ...
Cependant, jusqu'à la minute où Mlle de Flol'Y
avait prononcé le nom d'Élise, il ne s'était pas arrêté
à la supposition quo cette comédie, où chaque Rcène
~tai
étudiéo, so déroulait ù son intenLion.
CeLto conviction le blessa un peu ...
On avait vouln le prendre pour dup ...
C'était un rôle qu'il ne lui convonait pas d'accepter ...
Au fltlrplus, Dprès la démarche qu'il venait d'accomplir, il était nécessaire do mettre fin à lIne
situation qui deviendrait fausse en se prolongeant.
Elle avaiL sa gaILé, toutefois J
11 éLait presque comique , que co fût la baronne q1,li,
en ~'jmagint
lravaillor pOUl' sa fiUo et brusquer le
dénouemonL escompLé, l'euL déLerminé à hâtel' su
vi sile li Julie de Flory 1
Tl hésitait ...
Il avait peur ...
�LE CAf_VAInE D'UNE AME
91
- Osez ! lui avait conseillé la bal'onne.
Et, pour achever de le décider, do lui donner du
courage, elle avait ajouté que la jeune fille à laquelle
il pensait l'aimait peut-être, ct qu'elle n'attendait que
son propre aveu pour le lui dire.
- Quelle jolio scène cc serait au théâtre, sc disait
M. de Cézenac, en souriant, ct quel succès elle obtiendrait!
On sonna it le déjeuner comme il arrivait au
châleau.
Élise eL son père sc promenaient dans une allée
voisine ...
Mmo du Buiron sc tenait sur la première marche dn
perron ...
Le comle la salua .. .
_ Qtes-vous satisfait de YoU'e course? lui demanda-t-eHe .
- CeIn s'est très bien 11assé! répondit M. de
Cèzenac.
11 viL que le baron et sa mIe sc rapprochaient.
_ Après le déjeuner, dit-il très vite, je prendrai
prétexte d'une correspondance urgente pOUl' me
reLirer dans la bibliothèque. Je sel'ais heureux s'il
\ ous était possible de venir m'y rejoindre.
_ Je n'y manquerai pas! promit Mme du Buiron.
Elle profita de ce que M. de Cézenac demanda la
permission de monter dans son appartement pour
instruire sa flll c cL fion mari de cc qu'il lui avait
dit.
_
Jj n'a pas OSt' le pader, ajoula-t-cllr, s'adressant
à Elise , eL e'esL lImoi qu'il va sc déclare!'. Noustouchons
.
au buL. Vous serez comlesse de Cèzenae, mademOlselle l
�LE CALVAI IlE D'UNE AME
Elise no répond it pUS ...
Mais ces yeux brillère nt de joie.
Le déjeun er s'écoul a plus rapidem ent que d'ordinaire, parco que chacun e des quatre personn es qui y
prenaie nt part avait" des motifs d'impa tience.
à la baronn e, M. de CèzeAinsi qu'ilavt~exp]é
nac s'excus a d'avoir à écrire des leLtres qui ne poul'aient pas soufl'rir de retard, ct il alla attendr e
Mme du Bl1il"On dans la biblioLhèque.
Quatre ou cinq minllte s plus tard, la mère d'Elise
vintl'y retrou\ 'cr, cachan t son émotio n dans un sourire .
- Madam e, comme nça le comte, j'ai tenu à vous
entrete nir tlcule pour une raison que vous compre ndrez daus Iln insLant. Je vous prie de considér'er no tre
convor sation présent e commo la suito de celle ùOllL
vous vous liouven ez .
Mme du Dl1iron s'inclin a.
Elle éLait enchan tée, mais elle estima it quo M. de
Cèzenc.e aurait pu se dispons er de ce préamb ulo.
- En co qui me concern e, poursu ivit le joune:
homme , je no saurais vous avoir trop de l' connaissanco de cc que vous m'avoz dit dans cet entreLien cL
du conseil quo vous m'avez donné. J'étais lléflitant,
craintif , et vous avez BU m'insp irer le COul'uge qui me
manqu ait.
La haronn e fut un peu étonnée .
Puisqu e M. de Cèzenac éLait devenu courag eux,
pourqu oi ne s'était-il pas ouvert il Elise do son désir
de l'épous el'?
Pourqu oi n'avait -il pas osé :1
Mmo tiu DuiroIt suppos a que le comle , reculan t
dovanL une déclara tion fuiLe à la fillc, aVilit pris la
résolut ion de lu fai re ù lu mùl'C.
�LE CALVAIRE D'UNE AME
93
Elle voulut l'y aider.
- Je vous approuve, monsieur de Cèzenac 1 ditelle. Je comprends vos craintes, vos timidités. Elles
font honneur à votre délicatesse, et l'on ne peut que
vous en savoir:gl'é.Dans ces condiLions,il me semble que
vous ne pouvez pas vous taire plus longtemps. Parlez 1
Le comte laissa s'écouler dix secondes.
- C'est ce que j'ai fait, madame! dit-il enfin.
La baronne le regarda avec stupeur.
Elle cruL avoir mal compris.
_ Vous voulez dire, assura-t-elle, que c'est, ce que
vous aller. faire?
_ Non, madame 1 Non! répondit le comte. C'est ce
que j'ai fait. Il n'est pas besoin de vous nommer la
personne de qui il s'agit, et à laquelle, jusqu'à aujourd'hui, je n'avais pas avoué le sentiment qu'elle m'inspiro ct qui, même si clIc ne croyait pas devoir accepter
mon nom, ne s'éteindra qu'avec ma vie, m'interdisant.
toute nutre alliance. J'avais, pour hésiter, des raisons
qui lui étaient personnelles et dont je recIoutais la
force. CeLte jeune fille est pauvre, ce qui, ù mes yeux,
comme vous devez le sentir, n'avait aucune importance, mais pouvait en avoir aux siens. Elle a la
pas
Herté des filles sans fortune qui ne voudl'~ient
être soupçonnées de se marier par calcul, par intérêt.
Je suis persuadé qu'à l'heure où nous sommes, c'est
ù cola qu'elle songe, malgré ce que j'ai pu lui dire, eL
bien qu'il lui soit impossible de croire qu'un pareil
soupçon puisse jamais se glisser dans mon esprit.
J'ignore cc que sera sa détel'minntion, mais, quelle
qu'eHe soit, j'avais le devoir de vous confier ce qui
n'est encore ou'un secret, maifl qui, c'est mon espérance,
sera peut-êL;e connu demain de Lout le monde. C'est
�LE CA LVAIRE n'UNE AlitE
de vous, en erret, que m'es t v enu l'encou rageme nt qui
a mis un terme à ce qui n'était vraiment qu'une faiblesse de ma part.
La baronn e n'avait pas essayé d'interr ompre
M. de Cèzena c ..•
Elle était anéant ie, écrasée ...
Et, success ivemen t, elle était devenu e très rouge,
pui s très pâle, puis très rouge encore ...
C'était un eITondrement.. .
E t ce qui lui paraissait plus cl'Uol encore , c'ost qu'elle
avait été l'instru ment de cc désastr e 1
Aussi chaque mot du comte lui entrait- il dans If'
cœul' comme uno fl èche barb eléo , et frappai t-il 80n
oreille ainsi que l'aurai t fait une amère ruilleri o.
Il n'en était rien, pourta nt!
M. de Cézena c n'avait pas pronon cé, cn e rret, une
parole qui put donner à entend re qu'il avail deviné
los intenti ons de ses hôtes.
. - Je vous remerc io donc, acheva -t-il, et je crois qu'il
ies Linutile de vous prier de me garder le secret.
Mme du lluiron out alors de l'héroïs me ...
Elle eut la force de sourire ...
- Vous pouve1. compte r sur ma discrét ion 1 aSSut'aL-elle. Jo VOUSrem ercie d'une confiance qui me touche ,
ot je forme des vœux pOUf votro bonhou r 1
Cinq minuto s plus tard, ello rojoign ait dans le parc
1
Iflu fille ot son mari qui, à l'oxpr ession do son viRaW',
do suito qu'cllo leur apport ait un f' mau iront
ro~p
VUlse nouvo1J o.
- Nous n'avon s plus rion à faire ici ! dit-oUr, Je.\
'. donl s serrées . M. de Cézena c ôpou se Mlle Il Flory.
Elise fut ndmi r'abJ(l <.If' ca'm .. ,
r· ...
r r'l;ut le cou:> :_UI1S UJ ·ol1~h(
l~p
�LE CAL VAIR E D'UN E A.!E
95
Il n'y eut pas une cris pati on s ur
son joli visage ...
- Tu as rais onl déc lara -t-e lle
froi dem ent. Nous
n'av ons plua rien à faire ici 1
Au cours de l'ap rès- mid i, le bal'o
n inCorma M. do
Cèzenac qu'e n rais on de ce que
lui ava it app ris une
leLtre reçue le mat in, lui et les sien
s se voy aien t dan s
la regr etta ble nécessité de par tir
le lend ema in pOUl'
Tou louse.
- J'en suis au désespoil', rép ond
it le com te, mais
j'esp ère que Cèzenac vou s reve rra
de nou vea u.
Dan s la mat inée suiv ante , les du
Bui ron s'en allèrent .
Tan dis que leur aulo filait sur
le che min , M. de
Cézenac ape rçu t un hom me qui sc
diri gea it de son c8té .
A cou rto dist anc e, il le reco nnu t...
11 l'av ait vu ù Mar cha c ...
Et il com prit que cet hom me lui app
orta it la répo nse
Je MlIO de Flo ry.
11 véc ut que lque s inst ants d'un
e angoiss o infinie ...
C'ét ait sa vic qui se déc idai t 1
Le mar i de la Léonie 10 salu a, ot,
sort ant uno lett re
do sa poche, la lui pré sent a.
De S08 doigts trem blan ts, M. de Cèz
enac déc hira
l'en velo ppe et ouv rit la leUre de
Juli e ...
Ello ne con tena it qu'u ne lign e ...
- J'ui mis à mon doigt, l'an nea u
de votr e mère 1
CII API TRE X IV
LE l\ET OUR A MAR CUA C
On ach eva it de répa ror Marcha
c. Los murailc~
ava ient éM déb arra ssées des lioh
ons et dos moulisos
�96
LE CALVAl HE D'UNE AME
qui les envahi ssaient ; on avait remplacé les vieux
volets des fenêtres, consolidé les marches trembl antes
repeint les portes, c-t, surtout , refait la haute toituro
pointue qui menaçait de céder, par les nuits de
tempêt e, sous l'efIort du vent.
L'ancienne demeure paraissait jeune.
- Mademoiselle ne reconnaîtra pas sa maison !
disait la Léonie en joignant les mains.
- Tu pourrais bien dire Madame, observait le mari
de la brave femme .
La Léonie haussa it los épaules .
- Les hommes, grommelait-elle, ~ , a ne comprend
rien . Pour moi, mademoiselle, ça sera toujours mademoisclle.
- Après tout, répond ait l'autre, si ça te convie nt
comme ça, pour co qui esL de moi ça m'est bien égal!
Mais tu n'empêcheras pas Milo de Flory d'être devenuo Mme de Cézennc 1
La Léonie ne discuta it pas davantage ...
Elle préférait retourn er à sa cuisine ou s'en aller
donner à mange r à ses poules.
Il était vrai que depuis trois mois, Julie de Flory
avait échangé son nom contre celui de Cézenac.
Le mariage s'était accompli sans bruit, selon le désil'
que Milo de Flory en avait manifesté. Le comte n'avait convié quo do rares amis, les témoins indispensables, et la cérémonie, d'uno extrême simplicité, avait
l'église du village . Une courte note ,
été célébrée dans
. ,
envoyée aux Journaux, avaIt annoncé cette union, fon.
danten uneseu le deux vieilles famille s, ce qui avait valu
aux nouveaux époux une avalanche de félicilations.
- Nous aurons à faire à Paris, où nous passeron;;
l'hiver, si vous n'y voyez pas d'inconvrnient, avait
�LE CALVAIRE D'UNE AME
expliqué le comte, un certain nombre de visites. C'est
un devoir auquel il nous serait difficile de nous soustraire.
- En principe, dit Julie, il ne faut se soustraire,
à aucun devoir.
M. de Cèzenac s'était mis à rire.
- On retrouve dans les moindres choses, observat-il, votre belle rigidité de conscience 1
Il ne remarqua pas que la jeune femme avait tressailli et que, l'espace de trois secondes, un pli douloureux s'était formé à ses lèvres.
Comment aurait-il pu se douter, d'ailleurs, qu'il y
avait un secret dans l'âme de Julie?
N'était-elle pas la plus charmante des compagnes?
Aurait-il pu souhaiter, imaginer, un bonheur plus
complet que celui qu'il gofttaiL auprès d'elle.
Julie remplissait sa vie.
Cha quo jour, il découvrait chez elle de nouveaux
mérites, qui accroissaient son amour.
- Les gens de chez nous, lui dit-il un jour, croyaient
vous connaître. Ils se trompaient. Ils vous connaissaient mal.
_ Voulez-vous dire, questionna Julie en souriant,
qu'ils me jugeaient trop bien?
Le comte eut un sursaut de protestation.
_ Vous me prêtez là, s'écria-t-il, une indigne pensée.
Jo veux dire, au contraire, qu'ils ne vous rendaient
pas justice autant que vous le méritiez!
Ce n'était pas une flatterie ...
M. de Cèzenac pensait réellement ce qu'il disait,
car c'était presque de l'émerveillement qu'il lui arrivait de ressentir devant les qualit6s morales de sa
jeune femme.
7
�98
LE CAL VAIR E D'U NE AM~
perfection n'es t
- Je sais bien, se disait-il, que la
and ait en quoi
dem
me
pas de ce monde, mais si l'on
arrassé pour
emb
très
is
Julie est imp arfa ite, je sera
répo ndr e.
comte et la comDès le lend ema in du mar iage , le
Lesse étai ent par tis pou r l'Ita lie.
fiançailles, M. de
Dur ant les brèv es semaines des
entr e plus ieur s
ix
Cézenac ava it olIert à Juli e le cho
voyages.
érence à la patr ie
MIlO de Flo ry ava it donné sa préf
du Dan te.
seillé, app rou va
- C'est ce que je vous aur ait con
moquer de ce
so
de
M. de Cèzenac. 11 ost de mod 'e
s qua nd on
mai
iés,
vo'yage classique des nou vea ux mar
gran ds
des
se
mas
la
le fait en emp orta nt avec soi
c'est
e,
ienn
ital
e
terr
souvenirs qui se ratt ach ent à la
u.
bea
encore ce qu'i l y a de plus
avec de longues
Ce voyage, accompli lent eme nt,
ù Rome, dans
ise,
Ven
à
pauses à Flo renc e, à Naples,
r Julie.
pou
ent
ssem
ving t autr es villes, fut un ravi
l'his toir e
est
qui
ce
Elle ava it beaucoup lu, tou t
ù son
dire
pu
ait
aur
.la pas sion nan t, et, par tou t, elle
ces
s,
tour
ces
is,
mar i de quels évé nem ents ces pala
ient
ava
,
ient
rêta
s'ar
églises, dev ant lesquels tous deux
.
oins
tém
été les
itio n étai t conQua nt au comte, on sait que son érud
étai t fort agré able ,
3idérable, et il fau t ajou ter qu'elle
le moindre péd anen ce sens qu'i l ne s'y mêl ait pas
tism e .
ssait de toute 6011
Juli e, la plu par t du tem ps, joui
un bon heu r qu'elle
âme du bon heu r qu'olle goû.tait,
vivaiL seule dau ::;
n'au rait pas osé espérer lorsqu'elle
Ilvec la conviction fI UC
,sa vieille maison de Marchac,
�LE CALVAIRE
n'u
'E AllIE
99
nul prince charmant ne viendrait jamais l'y cherche!'.
Il était venu, cependant .. .
A vrai dire, il n'était pas prince ..•
Mais il était charmant!
Il arrivait à la jeune femme, lorsque Bon mari ne
l'observait pas, de l'envelopper d'un regard de reconnaissance, mais à ce sentiment s'en joignait un autre ,
d'une nature indéfinissable, ct cerLainement doulonl'cuse.
On aurail mème pu voir des larmes obscurcir les
yeux de Julie, des larmes vite refoulées, mais qui
dénonçai ent l'existence d'un mal secreL.
Un matin, M. de Cè?eMC surpri L ce signe de douleur.
C'était il SorrenLe, au bord de la met' b leue, dans
l'enchantement de la terre eL du ciel.
Le romLe ruL sai. i .
- Qu'avez-vous, ma. ehè!'o amio ? demanda·t-il avec
angoisse. Quell e est la cause do voLre douleur? Sou!"·
l'rez-volis ~ Parlez 1 Ouvroz-moi votre cO'ur 1 S'il e!'1t
rn mon pouvoir de vous ronsol er, jr Ir rOl' i!
Juli r' nI' l'éponùiL pas tout (l'abord ...
Ellr Ini R~ :\ coulrr 8e8 larm(]!l, landi!l qlle son mari
lu conLemplait, muet el d'soit;.
Il n'osoiL plufl J'intorl'ogel'.
Enfin, clic sécha ses pleurs eL elle ouL, Ù l'ndl'ese du
comll', un SOUl'il'c d'une infinie douceur.
-.10 pl('1II'1', lui dit-elle, parco que je suis trop heul'UU R .
Sou!ng(i, J\I . de Cèzennc prit la main de sa. femme
pL la pl'e
s ~a SUI' na poitrine.
- Non, mon amie, ! s'peria·t·il. Non 1 Vous n'êtes
pas trop heureuse 1 Et je regr tte, voyez·vous, qu'i · . Ji~
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�100
LE CALVAI RE n'UNE AME
ne soit pas en mon pouvoi r de vous donner mille fois
plus de bonheu r. Cela ne serait pas encore assez pour
vous payer celui que je vous dois 1
Le voyage de M. et de Mmo de Cèzenac se poursu ivit jusqu'a u début de l'autom ne, époque à laquell e ils
devaie nt venir faire au château un séjour de plusieu rs
semain es.
C'était la meilleu re époque de l'année ...
L'arrièr e-saiso n est d'ordin aire très belle dans cette
région, où la nature se revêt alors de ses plus raùieus es
couleurs, où la chaleur a cessé d'être accabla nte, où
l'on éprouv e réellem ent cette sensati on douce et reposante qu'on appelle la joie de vivre.
On s'instal lerait à Cèzenac.
Lecom toneso serait pas refusé à un séjour à Marchac,
mais les travaux qu'on y avait entrepr is, eL qui
s'exécu taient avec la lenteur propre au pays, ne
devaie nt pas êLreterminés avantle temps où il conviendrait d'aller habiter l'hôtel de Paris , où M. de Cézenac
avait fait fairo divers aménag ements .
- Nou s passero ns à Marchac une parLie du procha in
éLé, avait dit le comte, et, comme nous y serons un
peu à l'étroit , co sera une excellenLe excuse pour n'y
f'eC'Oyoir person ne.
- Je ne demand e pas mieux 1 approu va Julie. Cependant, cette année, en dépit des travaux , nous pourro ns
y ail or do Lomps à auLro.
- Au ssi souvon t que vous 10 souhait eroz 1répond it 10
comto. Tous los jours, si cola vous convie nt. Jo vous y
accomp ognera l, et vous pourrez m'y faire un viC plaisi,'.
Julie, éLonnre, rogarda son mari.
- Loqnol :1 interrogea-t-oUe.
- VoU!:; nu vous on doutoz pas?
�LE CALVAlRE D'UNE At.IE
101
- Non! avoua la jeune femme.
-Eh!bien! Vous y ouvrirez pour moi voire clavecin,
et vous me ferez entendre la sonate que vous avez si
brusquement interrompue, le jour où je suis entré chez
vous pour la première fois, en compagnie de Mue du
Buiron, de son père ct de sa mère.
- Très volontiers! promit Julie. Et croyez que je
serais grandement heureuse de faire pour vous des
choses plus difficiles que eelle-Iil.
Julie disait vrai ..•
U n'y avait rien de banal dans son langage ...
Hien ne lui aurait coûté pour donner de la joie à son
mari.
Elle et lui arrivèrent un soir à Cèzenac, ct, dès le
lendemain matin, tandis que le comte RogQr, demeuré
au château, y réglait une foule de petites questions,
recevait des fermiers, donnait des instructions aux
domestiques, elle prit le chemin de Mar'ehac.
Dédaignant Paulo, elle fit la route à pied, ra vie de se
retrouver au milieu de ces campagnes sauvages, rudes
oL pittoresques, desquelles, cinqousixmois auparavant,
olle croyait bien ne devoir pas s'éloigner.
A Marchac, elle tomba dans les bras de la Léonie, eL
la vieille servante et la jeune maîtresse mêlèrent leurs
larmes, cèdant l'une ct l'autre ù ces puissant.es
émoLÏons qui eITacentles rangs, comblent les distances,
mettent à leur place l'égalité cles eeours.
Julie s'intéressa peu aux travaux ...
Elle visita chaque pièce du vieux logis, où régnait
une admüable propreté, où chaque chose avaiL conservé la place qui, depuis toujours, avait été la
sienne.
Elle s'aLLarda au salon, et elle y sourit au clavecin,
�102
LE CALVAI RE D'UNE AME
qu'elle ouvrit, et sur le clavier duquel elle laissa un
court momen t errer ses doigts.
Ensuite , olle monta à sa chamb re .. .
Sur le se uil, ln. porte ouverte , elle s'arrêta , hésitante;,
comme si elle avait craint d'aller plus 10il1 ...
Une angoisse la prenait ., .
Son cœur devena it doulom eux .. .
Elle enLra, cepend ant, eL, debout au milieu de ceLte
chambr e qui avait été 10ngLerops so n intime asile, elle
resta immobile, promen ant sur cc qui l'entou rait un
regard étrange , où sc lisaienL de déchira ntes pensées.
Il tomba, cc regard, sur un prie-Dieu de velours noir,
où Julie s'était souven t absorbée dans de longues méditaLions, supplia nt l'éterne l Consola Leur de lui accorder le courage ct la résignnLion.
Elle courut s'agenouiller ...
Dans un immense abando n de tout son gtre, elle pria,
elle pleura, elle eut de cruels sangloLs ...
S'il éLait surven u brusqu ement, M. de Cazenac
SùraiL resLé épouvanLé devant le spectac le de ceUe
déLtef;sc.
11 y eut un momenL où Julio leva ardemmenL SOs
roains vers le ciel.. .
- Oh 1mon Dieu! s'écl'ia-t-elle. Faites qu'il ne sache
Jamais 1
cn APITIŒ XV
Ge
QUI'; UIT '1. DJ
~ C~;ZENA
Dans les jours qui suivirent, des aympLôrnes anor.
maux , qui finirent par inquiét er M. de Cèzenac, sc
manife sLèrent chez la jeune femme.
�LE CALVAI RE D'UNE AME
10::3
Elle ôtait prise de lassitud e soudain e, la contrai gnant
à s'arrête r au milieu d'une promen ade ...
Son appétit dispara issait ..•
Elle se plaigna it de vagues douleu rs ...
Quelquefois, son lumine ux visage se couvra it
d'ombr e ...
Aux questio ns de son mari, elle répond ait qu'elle ne
savait à quelle cause attribu er co change ment bizarre
dans son ét~,
ajoutan t qu'ello n'avait jamais éprouvé
rien de sembla ble.
Ceei rendait le comte soucieu x .
Il en parla à lu Léonie.
- C'esL sûr, répond it la vieille femme, quemu demoiselle n'esl pas bien. A volre place, monsieur" je ferais
ùire à M. Rudanè s de passer au château .
M. de Cèzenac approu va d'un signe, et, sans
plus Larder, il envoya un mot ù M. Hudanèg, lui
'Jeman dant de venir chez lui dès qu'il le pourraiL.
M. Hudanl\S ne se fit pas atlendr e.
C'était un ùe ces médecins campag nards de jadis, de
qu i la race est en voie de doven ir un souven ir, et qui,
HOU S leul' simplic ité,
t même sous leur ruuesse ,
cachaie nt beauco up de science, et surlout beauco up
d'expér ience.
Ce fuL M., de Cèzonac qui 10 reçul, el qui lui expliqua pOUl' quoI motif ill'avn it fait appole!'.
Le médeci n alla de suito ù la plus naLurelle des
auppositions.
Ce qui so produi sait chez la jeune comtesso éta.it
reuL-foLI'o l'annon ce d'une future matern ité.
M. de Cèzonac secoua la tête.
_ J(, no 10 crois pas 1 !lit-il. J'aimer ais mieux qu'il
en fut ainsi, parce (lue co qui Ill'inquiète devien drait
�LE CALVAIRE D'UNE AllIE
105
Elle plaisanta même, cc quine lui arrivait pas souvent,
parce qu'il y avait dans sa gaîté, toujours contenue,
quelque chose de sérieux.
- La médecine est une bien grande chose 1 assurat-elle en riant. Il m'a suffi de voir cet excellent docteur
pour me sentir soulagée. Il est vrai qu'en réalité je
ne suis pas malade.
Le croyait-elle?
Elle l'affirmait, tout au moins, avec une apparente
conviction.
Le médecin revint deux ou trois fois ...
JI ne 80 montra pas plus précis que lors de sa premi ère visite.
- Phénomènes nerveux 1 répéta-t-il. On n'en voit
pas la raison. C'est ce qui m'amène à vous dire de
nou veau qu'ils disparaîtront d'eux-mêmes.
Cc qui se passa confirma le pl'onostic de M. Rudanès.
Les fatigues de ]a comtesse parurent s'atténuer, les
moments de mélancolie s'espacèrent, la jeune femme
l'edevint plus calme ...
- Cela, pensait M. de Cèzonac, n'aura été qu'lin
mauvais nuage. Le vent l'a emporté. Le ciel esL
redovenu aussi beau qu'il l'était auparavant.
Or, un matin, le comte enLra dans la chambre de sa
femme, tenant à la main le courrier du jour, quelques
journaux eL plusieurs lettres.
- Je viens, dit-il, vous annoncer une nouvelle.
Pourquoi, brusquement, Julio se troubla-t-elle?
Pourquoi lui parut-il qu'elle venait de ressentir un
choc nu cœur?
Son émotion fuL si vive qu'elle frappa son mari.
- Oh 1 s'empressa-L-il de dire, ne vous inquiétez
�104
LE CALVAIRE n'UNE A~Œ
de nature à me combler de joie, mais il n'en est
certainement rien.
Le comte conduisit le médecin auprès de sa femme.
La consultation fut longue, et M. Rudanès en
sortit perplexe.
- Je ne vois pas exactement ce que peut avoir
Mmo de Cèzenac 1 avoua-t-il. Je J'le remarque chez
elle aucun signe alarmant. Sa santé g6nérale me parait
excellente. La nécessité d'un changement d'air ne me
semble pas indiquée, et, d'ailleurs, où pourrait-elle
respirer un air meilleur et pLus sain que celui de
Cèzenac? Mon avis est que n'ous sommes en présence
de phénomènes nerveux qui disparaîtront comme ils
sont venus. Il sera bon, cependant, de surveiller
Mme de Cèzcnac, et si voulez bien me permeLtre de
revenir ...
- J'allais vous en prier 1 interrompit le comte.
A'près le départ du médecin, Julie vint à son mari.
- Voici, dit-elle, que je vous cause des tourments,
s'excusa-t-eHe. Vous ne sauriez croire combien j'en suis
désolée 1
- En quoi vous avez tort 1 répondit M. de
Cèzenac. D'abord, parce que ces malaises, dont vous
souITrez, n'onl rien de gmve. Ensuite, parce que des
indisposiLions semblables ont leUl' bon côté, en ce sens
qu'elle nous fonL comprendre combien nous tenons ù
co que nous aimons.
La jeune femme sOUl'iL mélancoliquement:
_ Vous êtes bon 1 dit-elle ...
Puis elle eut un geste singulior.
Pl'enanL la main de son mari, elle la porta à ses
)(~vl'cs.
TouL le J'esLe du jour elle paruL mieux ...
�106
LE CALVAIRE n'UNE AME
pas, chère amie. Il ne s'agit pas d'une mauvaise nouvelle, mais seulemcnt d'un mariage.
Julie s'étonna.
- D'un mariage? répéta-t-cllc.
- Oui 1 Celui d'une personne que vous connaissez ...
Une de vos anciennes amies de pension ..•
Un soupçon vint à la jeune femme .
- Vous ne voulez pas parler d'Élise du Buiron?
demanda-t-elle.
- C'est ce qui vous trompe? répl iqua M. de Cèzenac.
C'est de son mariage qu'il s'agit. Un mariRge qui doit
la combler d'aise. Elle épouse un homme extrêmement
riche, 10 marquis de Chamoiran. E11e l'ait une très bonne
affaire.
- Ohl protesta Julie, pourquoi employez-vous ce
mol? Élise aime peut-être M. de Chamoiran 1
Le comLe se mit à rire.
- Vous êtes charitable, fit-il. Mais votre « peut-êLl'e »
pronvo que vous ne cl'oyez guère vous-même quI'
Mlle du Buiron soit susceptible de ce noble sentimenl
qu'est l'amour! Elle n'a que vingt ans, Élise du Buiron.
Pensez-vous que je cœur soiL pOUl' beaucoup dans ln
mariage d'une fille de vingt ans, jolie, intelligente
distinguée, ct d'un hommo ayant fluarante anéf'~
do plus qu'elle?
.Julio ne répondit rien ...
Elle so Lorna à hochor la tête.
- Je vois, pour.suivit M. de Cèzenac, que VOU!;
partagez mon nvis . Le marquis de Chamoil'all n'a. pai:!
seulement contre lui SOB Eoixantc ans. Il est pDr surcroît
bolleux et laid. Mais on peul êtl'e boîleux, laid eL
dl~ià
vieux, el posséder une hauLo dignité de caractère,
unerépuLalionsan!! tache eL inspirer Ja t'aspect. Malbeu-
�LE CALVAI RE n'UNE AME
107
reusem ent, ce n'est pas le cas du marqui s. Sa jeunesse
fut marqué e par des histoire s fâcheu ses , il a mal v6cu
,
et, dans son monde, il est considéré comme un homme
peu honora ble . C'est pourqu oi, jusqu'à présen t, il
n'avait jamais pu arriver à rencon trer une femme de
bonne famille qui consen tît à accepte r son nom.
- Et ceci, murmu ra Julie, n'a pas fait reculer
l~ise
!
- En ôtes-vous très surpris e? questio nna le comte.
La jeune femme garda le silence.
Elle n'ignor ait pas que Mlle du Buiron étaient de
celles qui placent au-dessus de tout les avantag es de la
richesse.
_ Bref 1 reprît M. de Cèzenac, votre compag ne de
jeunesse a fait cc que j'appel ais tout à l'heure une
allaire. Elle n'a pas voulu voir que M. de Chamo iran
était disgrâcié do la natUl'e, et elle n'a pas voulu savoit,
qu'il n'Mait estimé de personn e. Elle n'a considéré que
)e ohifTro considé rable de sa fortune , et elle a pri~
ai.lleul's oe qu'elle avait rêvé un momen t de prendr e
ici.
Le comte médita un instant ...
Puis une curiosi té lui vint.
_ Qui vous avaiL donné à penser, demand a-t-il,
qu'en venant à Cèzonac les du Duiron envisag eaient
le mariage de leur fille avec moi?
_ Oh! fit Julie, cela n'étaiL Lout d'abord qu'une
suppos ition de ma part.
Il y avait, dans cetLe l'èponsù, ùe quoi intrigu er
M. de Cèzenac.
_ Voulez-vous donc diro, insista-L-il, que vous
avez acqui, , je ne m'expl ique pas comme nt, la preuve
dc l'existe nce de cc projet:' Il me semble, pourta nt,
�108
LE CALVAIRZ D'UNE AM!';
que Mlle du Buiron était trop pruden te pour faire à
n'impo rte qui, pas même à vous, une confidence de
cette nature.
- Aussi ne m'a-t-e lle rien conté ! répond it Julie.
Et c'est-elle, cepend ant, qui m'a appris la vérité.
Le comte éclata de rire.
- Savez-vous bien, diL-il, que vous m'intri guez au
ne vous a pas soufflé moL de ses
suprêm e degré 1 l~ise
elle, néanmo ins, que vous avez
pal'
c'est
ct
ns,
intentio
de deveni r comtesse de Cèzedésir
le
,waiL
su qu'elle
, je me déclare incapab le d'en
énigme
une
nac! Si c'est
trouver le mot.
- Il n'y a point d'énigm e! afrirma Julie. Hien
qu'une chose très simple . Un petit hasard.
La jeune femme raconta ce que l'on sait à son mari.
Elle lui l'appela qu'en se rendan t à Cèzenae, elle
s'était Ggarée dans des bois desque ls, gl'âce à une
vieille femme, elle avail pu sortir et gagner le parc.
- Cc que je ne vous ai pas dit, alors, continu a-telle, c'est que, trèB lasse, ne voulan t pas arriver chez
vous brisée de fatigue, je m'étais arrêtée au petit
temple , afin de me reposer. Je me suis endorm ie,
et, à mon l'éveil, voici ce qui s'est produit .
Julie répéta le8 paroles de Mmo du JJuiron et
celles d'Élise .
- J'étais ainsi fond ée ù suppos er, ajouta-t-elIe, quo
vous vous étiez épris d'Élise , quo vous aviez déjà
parlé à sa mère, ct que vous alliez, d'un momen t à
l'autre, lui avouer votre amour et lui olf!'Ïl' voL!'e nom.
C'est là cc qui me eonùui sit à vous présent er cetto
objecli on, lorsque VOU 'i vintes à l\1areltac.
- Jo ne pensais guèro à clIo 1 s'écria le comte. Dans
mon oœur, ùans mon espril, il n'y avait qu'une im age,
�LE CALVAIRE n'UNE AME
109
une image adorée, qui était la vôtre. C'était une place
que nuFe autre que VOus ne pouvait prendre, et qui
vous était gardée pour la vie. Entre Mlle du Buiron
et Cèzenac, il y avait Mlle de Flory 1
-- Mlle de Flory aurait pu ne pas y être! observa
Julie en souriant.
- Sans doute 1 con vInt M. de Cèzenac. Mais vous
vous tromperiez si vous supposiez qu'en son absence
les calculs de Mlle du Buiron auraient pu aboutir. Je
ne suis pas aveugle. J'aurais su discerner ce qui se
dissimulait derrière les grâces et les coquetteries
d'Élise. J'avais déjà constaté ce qu'il y avait de voulu
et d'apprêté chez elle . Il ne m'en aurait pas fallu
davantage pour me la rendre suspecte. Contre elle,
en outre, j'étais défendu par cc fait qu'en raison
même de tout cc qu'il y avait de factice dans sa nature,
j'étais incapable de l'aimer. Or, je ne puis comprendre
le mariage que comme l'échange ou, si vous l'aimez
mieux, l'intimo confusion de deux amours sincéres.
Très absorbé par ce qu'il disait, le comte n'obser'vait pas sa femme ...
n ne s'apercevait pas de sa pâleur ..•
n ne voyait pas ses doigts trembler ...
- Je n'aurai pas, poursuivit-il, la soUise de préten~
dre que ma perspicacité esL telle qu'aucun piège ne
pourrait m'être tendu. Je dois convenir, même, que
ma timidité auprès des femmes, l'espèce de culte que
je leur ai toujours rendu, mon respect pour elles,
étaient autant de choses qui pouvaient me Iaire tomber dans les filets d'une adroite coquelte ou d'une
hypocrite T'usée. Muis cette duperie n'aurait pas éLé
éternelle. Le but atteint, le masque serait tombé.
Et même s'il en avait uté autrement, je n'aul'ui s
�110
I.E CALVAI RE n'UNE AllIE
pas tardé à compre ndre que l'on s'était joué de moi.
- Et alors? interro gea Julie ùans un souffle .
- Alors? répéta M. de Cèzena c. Alors je n'aurai s
rien dit, mais de celle qui serait entrée dans ma mnison sans amour, rien que pour être riohe, je me sernis
éloigné avec mépris .. . .
Un ori de Julie interro mpit le oomte ...
La jeune femme, plus pâle qu'une morte, avait
porté les mains ù son cœur ...
Puis elle en étreign it son front. ..
Et elle s'évano uit.
CHAPT TRE XVI
JUl ,IF. nEVANT HON MARI
M. de Cùzenac fut épouva ntu.
Aidi3 ùe la femme de chamb re de Julie, accouru o
à son appel, il transpo rta coLLe dernièr e su!" son lit,
uù elle demeu ra plusiou rs heures sans repl'en dr COnlluissan ce.
L'un des domest iques du château nvo."L nne bieyoloLLe .. .
Le comte l'envoy a chez lo doctol1r nudan il.
- S'il n'est pas chez lui, recommanda-L-il, VOllS
ctemnndore1. où il sc trollve, ct VOllS tCtrhercz de le
rejoind re.
C'était dans la prévisi on d'une nbsencù dn doeteu/ '
n'uvai Lpaf) (JI'uonn(' ù son chauffe ur
que M. de C~zela
de prendr e l'anto, ce qui pOIlVf it, avoil' des incon\' énienLs.
�LE CALVAIRE n'UNE AME
Hi
Pour aller à la recherche du médecin, il faudrait
probablement s'engager dans des chemins où la voiture ne pourrait pas passer, au contraire de ce que
M. Rudanès appelait son vieux taco.
M. de Cèzenac craignait que le docteur ne fut pas
,chez lui, mais, par bonheur, le domestique l'y rencontra.
- Je vous suis! répondit M. Rudanès. Le temps
de remplir mon rôservoir ù essence.
En erret, il arriva à Cèzenac quelques minutes seulement après le retour du cycliste.
- Qu'y a-t-il? questionna-t-il en abordant M. de
Cèzenac, de qui ]e vif émoi l'inquiéta.
- Je l'ignore 1répondit le comte. Nous causions, la
comtesse eL moi, quand, tout à coup, elle a jeté un eri,
a porté les mains à son front et s'est évanouie.
- Cet évanouis'semont a-t-il été de longue duréei1
- Il persiste encoro, malgré tout co que nous avons
pu fairo.
Le médecin eut une grimace.
- Diable, fit-il.
De nouveau il esquissa une grimace.
- Nous allons voir ça 1 murmura-t-il. Veuillez me
conduire auprès do Mmo de Cèzenac.
Sur le point de suivre le comto, 10 vieux m.édecin
s'arrêta .
- Vous m'avez bien dit, questionna-t-il, que ce
bizarre accident s'était produit tandis quo vous vous
enlrotoniez avec Mmo de Cèzenac?
- Oui! Dans sa chambre.
- 'CeLlo conversation ... Pardonnez-moi mon indiscrétion , s'excusa M. Rudanès, mais nous autres ,
médecins, nous ressemblons un peu à des confosseurs ...
�112
LE CALVAIRE D'UNE AME
C'est une nécessité de métier, monsieur le comte ...
- Je comprends! Je comprends! interrompit M. de
Cèzenac. Que vouliez-vous me demander?
- J'aurais voulu savoir si votre conversation avec
Mme de Cèzenac n'avait pas un caractère qui put la
troubler, lui donner une violente émotion.
Le comte sourit, malgré la crainte qui le dévûrait.
- Pas le moins du monde 1 assura-toi!. Nous causions du prochain mariage d'une de ses anciennes
amies de pension, mariage dont le courrier de ce
matin venait de m'apporter la nouvelle.
- C'est tout?
- C'est tout!
- Vous n'aviez rien remarqué d'anormal chez
Mme de Cèzenac? Pas la moindre trace d'agitation, de
préoccupation, de fièvre?
- Absolument rien 1 affirma M. de Cèzenac. Elle
était très calme, et je dois ajouter que depuis votre
dernière visite je n'ai pas constaté chez elle le retour
de ces malaises au sujet desquels je vous avais pri6
de venir la voir, ct qui me donnaient des inquiétudes.
Sa santé était parfaite.
- Singulier 1 Singulier 1 dit le médecin.
Il ne paraissait pas satisfait.
- Enfin, ajouta-t-il, nous allons bien voir 1
Devant Julie évanouie, qu'on aurait pu croire morte,
n'eut été une respiration à peine perceptible, le vieux
médecin rcsta soucieux ct perplexe.
- Que voyez-vous? intorrogea le comte.
_ Rienl déclara M. Rudanès.
_ Que craignez-vous? insista M. de Cèzenac,
devinant bien que le médecin no pouvait en dire plus.
M. Hudanès hésita.
�1.13
LE CALVAIRE n'UNE AME
- Ce que je crains? se décida-t-il à répondre. Je
crains tout, à commencer par une fièvre cérébrale.
Le comte pâlit.
- Oh 1 se hâta de poursuivre le médecin, ne voas
désespérez pas! Le cas est grave, mais il n'entraine
pas nécessairement une catastrophe, et toutes les
espérances sont permises quand on a aITaire à une
malade jeune, saine et robuste, comme celle-ci .
- Pourtant, observa M. de Cèzenac, je n'ai pas
symptômes qui accomdistingué chez ma femme l~s
gnent, d'ordinaire, l'incubatIOn du mal.
Le docleur eut un mouvement des épaules qui
signifiait que cela n'avait aucune importance.
- Les mystères du corps humain sont infinis, ditil. En particulier, les lois qui président au développe_
ment des maladies ne sont absolues qu'en apparence. Chez la plupart des personnes qui en sont
atteintes, eUes suivent une marche déterminée, toujours semblable. Mais il peut arriver qu'il en soit
autrement. Telle aITection, qui se manifeste presque
toujours avec lenteur, peut so déclarer sous une forme
foudroyante.
- Et vous croyez à une fièvre cérébrale?
- Heu! fit M. Rudanès. J'y crois sans y croire.
Uniquement parce quo c'est ce qui me semble le plus
probable. Mais je puis me tromper.
Or, le vieux médecin ne se trompait pas.
Lo mal par lequel la jeune femme avait été si brusquement terrassée était bien uno fièvro cérébrale, qui
s'affirma avec une rare violence, eL qui donna les
appréhensions les plus sérieuses pour la vie de Julil!.
Inquiet, soucieux de sa responsabilité, M. Rudanès
avait insisté auprès du comte, pour que celui-ci fit
8
�11'4
LE CALVAI RE n'UNE AME
mande r un médeci n de Cahors qui jouissa it de la plus
légitim e r épu tation.
- Votre science me suffit! avait d'abord répond u
M. de Cézena c.
Néanm oins, sur les instanc es répétée s de M. Rudanès, il céda .
Le médeci n de Cahors vint donc au château . Il
examin a la malade , se fit indique r le traitem ent suivi,
conféra en particu lier avec son confrèr e campag nard,
puis vit le comte .
- Je n'aurai s pas mieux fait, monsie ur! lui dit-il.
D'ailleu rs, je le savais avant de me rendre ù votre
appel. Le nom seul de M. Rudanè s était ]0. meilleu re
des garanti es.
Le vieux médeci n voulut protest er.
- Ne vous défende z pas 1 riposta le docteur de
~ . Nous
Cahors . Il ne s'agit pas ici de co mplient
t, c'est
souven
bien
ot,
valez,
tous cc que vou~
~avonB
s et de
lumière
VelS
de
secours
qui aurions besoin du
nou~
o,
Cèzena
de
Mmo
o
concern
votre expérie nce . En cc qui
traitele
dans
er
apport
il n'y a aucun chango ment à
ment en cours. M. Rudanè s me disait ù l'instan t que
tout danger lui p'a ra1ssai t écarté désorm ais, ot je
partage son opinion . Les plus minuti euses précau tions
s'impos ent encore, mais nous marcho ns, ù n'en pas
douter, vers la convale scence. Celle-ci sera lente, je
dois vous en -prévenir, et j'aimer ais mieux que nous
fussions à une autre époque de l'année , do manièr e ù
co que votre malade put so promen er chaque jour
jusqu'à son comple t l'établi ssemen t. Il est vrai quo
nous avons ici, jusqu'a u mois de décemb re, des temps
supel'b es .
Dès les premie rs momen ts de la maladi e de Julie,
�LE CALVAIIl.E D'U~E
AME
11.5 "
le comte avait fait v enir une garde de Cahors .
Mais lui-même passait quotidiennemenL de longues
heures auprès du lit de sa femm e , et ce n'était que
tardivement, le soir, qu'il consentait à s'en éloigner
pour prendre du repos.
- Ne vous fatiguez pas plus qu'il ne convient 1 lui
avait recommandé le doct eur Rudanès . Cela ne ferait
pas avancer d'une heure ln guérison de Mme de Cèzenac, et vous pourriez tomber malade à votl'e tour, ce
qui n'arrangerait rien et compliquerait touL .
Le mieux, d'abord peu appréoiable, finit cependant
pal' se dessiner ...
Vint le moment où la jeune comtesse commença il
pouvoir se lever.
Elle faisait quelques pns dç\DS Sil chnmbre , puis,
bien entourée de coussins , olle s'asseyait dans un
fautouil, jusqu'ù l'instant où elle fle sentait p l'ise d'une
légère fatigue eL où, appuy6e sur lo bras de son mm'i
pt sur oelui de la garde , elle regagnait son liL.
Le docteur Rudanès était contenL, ct, à ehaoune de
fiCS visites, en signe de satisfaction, il se frOUait les
mains avec uno ardeur croisflante.
~ - Ça va! ça Vft: disait-il. Je saniR IJicll, ma jeune
dame, qu'avec une constiLution aussi bonne que la
vôtre VOUA vous sortiriez d'afTai.t'f' 1
~ Grâco ù vous, doc tour 1 répondait Julie.
Le vieux m édocin haussait les (\paules.
- Grûce à tout le monùe ! r6pliquail-il. Mais sur-
font il VOUfl 1
Un malin, il pOI'miL 1I1l0 p('emil're promonaùe.
- Ce n'est pas oncore aujourù'hui, dit-il ~n
rianl,
quo VOIII'! il'ez jusqu'à Marchac, mais VOLIS allez, tout
au moins, renouer connaissance avec les allées du pare.
�116
LE CALVAI RE n'UNE AME
CeLte promen ade fut courle ...
Celle du lendem ain se prolongea davanl age ...
8L, de jour en jour, la tempér ature se mainte nant
douce et tiède, il fut possibl e à la convale scente de
rester plus longtem ps dehors .
Le mauvai s rêve était fini ...
Le mal était vaincu .. .
Et le comte aurait éLé parfait ement heureu x s'il ne
s'éLait pas aperçu qu'un change ment inexpli cable
s'était produi t chez sa femme.
Julie, réellem ent, ne se ressem blait plus ù elle·
même.
Elle resLait pensive , silencie use, et il lui ariv~
de lever sur M. de Cèzenac un regard presqu e crain.
tif, un regard dans lequel on aurait pu croire qu'il y
avait une supplic ation.
Cc no pouvai t être qu'une suppos ition.
De quelle fauLe envers son mari coLte créatur e pleine
de noblesse ct do droüur c aurait-e llo pu s'être rendue
coupab le?
QuoI pardon pourrai t-elle implor er?
Quelquefois, il sembla it ù M. de Cè7.onac qu'elle
allait lui parler, lui livrer le secret qu'elle paraiss ait
dissimu lor au plus profond do son ûme ...
Elle saisissait a101'8 les mains du comLe ...
Ello les pressaienL presqu e convul siveme nt entr'e
les siennes ...
Ses lèvres Ir(·missaiont ...
Puis elle sc taisait ...
Et le silenco dont elle s'envel oppait alors 'tait un
silence doulou reux, un siJence fait de trisLess .
Tout cela inquiét ait M. de Cèzenac, mais il n'osait
JiJJie et cherchaiL en vain la cause de
)ln"! intel'rog(~
�LE CALVAIRE D'UNE AME
117
('e trouble bizarre, qu'il lui arrivait d'attribuer à Ulle
sor le de pl'o~ngemt
de la maladie.
.
Il s'en ouvrit au docteur Hudanès, au cours d'une
visite amicale de ce dernier.
- M mc de Cézenac est parfaitement bien! assura
le vieux médecin. J'enLends au point de vue physique.
Quant au moral, il est cerLain qu'une secousse aussi
grave que celle que vient d'éprouver votre jeune
femme, pout l'avoir ébranlé 1 l\lais ceci ne durera pas.
La convalescence de l'âme ne tardera pas à suivre
celle du corps. Vous pouvez m'en croire . .
Le comte soupira.
- Puissiez-vous dire vrai! murmura-t-il.
Il n'était pas tranquille ...
Ilrcdoutait une cruelle surprise ..•
Mais il était à mille lieues de prévoir celle qui
l'attendait.
Un matiH, il viL entree Julie chez IIlL .•
Elle était vr.tue d'un riche ct délicat Jleignoir blane ,
qui faisait admirablement ressortir sa beauté ...
Jamais, peut-être, elle n'avait été aussi belle ..•
Mais jamais non plus, même aux plus mauvais
joUl's de sa maladie, clIc n'avait éLé aussi pâle ...
EUe tremblait, et une Damme étrange l'emplissait
Bon regard.
l\1. de Cèzenac fut terrifié ...
_ Qu'avez-vous 1 s'écria-t·i!.
II voulu t courir à elle ...
D'un getite, elle l'en ùmpêcha ..•
- Je suis venue, dit-elle d'une voix sourde, d'une
voix qui n'était pas la sienne , parce que j'ai commis
une faute on vers vous, cL que l'heure sonne où je
dois m'en accusel' eL vous en demande\' pardon!
�118
LE CALVAIRE n'UNE AME
Et, alors , Julie de Cèzenac s'agenouilla devant
son mari.
CHAPITIŒ XVII
LES LARME S llEUflEU SES .
M. do Cézcnac sc précipita ...
Il enloura sa femme de ses bra ~ ...
IlIa contraignit à sc relever ...
- Pas c.insi? Pas ainsi 1 ma chère iirhe 1 s'6cria-t-il.
J'igno['e de quelle fauLe envers moi 'vous voulez vous
accuser, mais quelle qu'elle soit, et sans avoir besoin de
vous entendre , je vous l a pardonne!
Il avait fai l asseoir Julie SUI' un fauteuil...
nlui avait pris les mains ...
11 se pencha pOUl' l'embras5er au fl'ont ...
La jeune femme le repoussa avec douceLll' ...
- Non! Non! murmura-t-elle. Pas ce haisel', que
vous regrellel'Ïez peul-êll'e toul à l'heure, quand
vous saurez ...
Les larmes la gagnaient ...
11 lui fuL impossible d'ach eve r ...
Vous me direz 'louL ce que vous voudrez,
l'cprit le comLe, vous vou::; accuserez, vous vous
frapp erez la poiLrine, cL je vous ôcouterai. Mais je
vous répète que dès maintenant vous êtes pardonnée 1
Et qui sail même, Julie, si vous avez besoin de l'être?
Qui sait si, dans l'infl ex ibili Lé de votre conscien cc,
VO liS ne vous exagérez paB un tort dont je ne puis
m'expliquer la l1uture, muis qui n'ost certainement
qu'une fallte vénielle, qu'une autre femme que vous
n'6prouverait point de gêne ù dissimuler à son mari:
�LE CA.LVAIRE n'U NE AME
119
'J e ne v eux pas v ous oblige r au silen ce , mais,
avant de vous écouter, je vous dirai qu'à mon amour se
joint une infinie reconnaissance pour le bonhe ur dont
vou s remplissez ma v ic. Parlez, mainLenan L! Je vous
écoute 1
- Eh 1 bien! dit .Julie, la voix blanche, souvenezvo us d e cc dont nous cau sions, a u moment où sur .
vint l'évan ou issem enL il la suito duquel se déclara
m a m aladio.
Le comte cherch a dans sa m émoire.
- 11 me somble, répon dit-il, qu e nous n ous entl'etenion s du prochain m a riage de M lle du Huiron , un
mariage qui es t aujourd'hui une chose a ccompli e.
- Oui! nI, Julie . Et vous me disiez que si v ous
v eniez à d ùeouvrir que la femme d evel1ue la v ô tre
vous avuiL ép ousé sans amour, paeee quo vou s éti ez
l'ïell e, vous vous éloigneriez d'ello avec m ép l'il'l .
M. do Cézon ac tressailli\' ...
Il reata mllol ...
11 Y a vait de la s tupeu r , m nis !\u ssi d e J'incrédulité,
'J an s 10 rrgard qu'il fixait S Ul' la jeune femm e.
Cell e-ci hésiLa un court insLanL. ..
Elle c ul, un so up il' l'évélant une am (\re doule ur ...
l ~ h 1 bi en! confessa-L-ell e, arrach a n t !:les mainf;
'ùo cell os dl' son mar i, pour ce L ay e u j e vous COIl - '
jure d e n e pns me m ép riser ... V OliS n 'aul'oz pa!> la
p oine de vou s éloign er ....Je l'onLrerai il l hrehac .. . J'y
l'eprend ra i ma vi c d'au trefois ... Je m e ckhierai moi.
mOrne.. . .Je 10 dois ... L orsque j'ai ace pLp de VOU Sl
épouser , j e n e VOll R a imais p aR I
Vou,;! s' ~c ril
M. do Ct\:t.l'nac.
Jl u VlliL pâli.
- '\-loi 1 dit Julie, étou lIun Lun sangloL.
�120
LE CALVAIRE D'UNE AME
Non! Nonl protesta le comte. C'est faux 1 Je n E'
puis vous croire 1 Vous vous calomniez, Julie 1 Vous
étiez incapable d'un pareil calcul. Il n'y a pas de
vénalité dans votre âme. Vous ne ressemblez pas fi
Elise du Buiron. Vous n'étiez pas, vous n'êtes pas
de celles pour qui le mariage, cette sainte chose, peut
devenir un objet de spéculation. Et lorsque vous
avez mis à votre doigt l'anneau que je vous avais
laissé, et que j'y vois briller encore, ce geste, qui
vous liait à moi, vous ne l'avez pas accompli uniquement parce que j'étais riche et que vous étiez pauvre 1
- Dans votre générosité, dit la jeune femme, vous
ne voulez pas me croire, et c'est pourtant la vérité 1
- Il ne s'agit pas de générosité, déclara M. de
Cèzenac d'un ton ferme. La générosité peut pardonner devant un aveu, devant des remords, ot si vous
aviez besoin de la mienne, elle ne vous manquerait
pas. Mais il s'agit de mon amour, Julie 1 Rien que de
mon amourl C'est lui qui vous entend, c'est lui qui
vous juge, c'est lui qui vous crie que vous n'êtes pas
coupable ot que votre conscience s'aveugle 1
Mme de Cèzenac secoua la tête ...
- Je sais ce que je sais 1 fit-elle. Je vous estimais,
j'avais de l'amitié pOUl' vous, mais je ne vous aimais
pas, et quelques heul'es à peine avant votre venue à
Marchac, je disais à ma vieille servante, qui regretLait de ne pas me voir à la place d'Elise, que je
n'aurai.s pas accepté volre nom, si vous me l'aviez
offert, parce que je n'avais point d'amour pour vous
eL que l'amour seul pouvait permettre ù une fille
pauvre de placer sa main dans cello d'un homme
riche. Oui.! j'ai dit cela 1 Je l'ai dil pareo que je le
pensais 1 Et deux iournées ne s'étaient pas écoulées
�LE CALVAIRE n'UNE AME
121
que cette âction méprisable, que je condamnais ainsi,
je l'accomplissais moi-mème 1
Contrairement à ce à quoi on aurait pu s'attendre,
M. de Cézenac ne parut point attristé par l'aveu qu'il
entendait.
Prenant un fauteuil, il le poussa auprès de celui
de Julie, ct s'as3Ït.
- Dites-moi tout, Julie 1 pria-t-il, l'accent amical.
Dites-moi tout 1 Expliquez-moi ce qui s'est passé. Je
déciderai .. .
n s'interrompit ...
- Non 1 Nous déciderons ememble!
Julie parla . ..
Timidement, au début ...
Avec plus de force, à mesure qu'elle avançait dans
sa confession.
Après le départ du comte, lui laissant l'anneau
d'or de sa mère défunte, prenant machinalement le
bijou, qu'elle avait l'intention de renvoyer le lendemain, ce qui serait sa muette réponse, une réponse
qui mettrait fin à tout, elle remonta à sa chambre, où
e11'3 médita, cherchant à rétablir l'ordre dans ses
idées.
L'épreuve qu'elle subissait était terrible ...
Il lui faUait déoider de sa vie 1
S'enfermerait-elle à Marchac, pour y continuer son
obscure existence, y voit' s'écouler les années, y vieillir
dans la solitude ct la pauvreté, Landis qu'une Élise du
Buiron serail heureuse et conna1Lrait touLes les jouissances de la richesse ct du lux ?
C'était peut-être le devoir ...
Mais il était dur 1
Gardera it-PlIe l'anneau de la morte, le passerait-elle
�122
LE OALVAIRE n'UNE AME
à son doigt, accepte rait-ell e le nom et la fortune d'un
homme à qui, en échang e de ce qu'il lui donner ait,
elle n'appo rterait pas le seul bien qu'il pût ambitio nner, et qui était son amour?
Ne serait-c e pas une trompe rie?
Agirait -elle mieux que ne l'aurai t fait Élise, si le
comte s'était laissé prendr e ù l'adroi t manège do
celle-cil
L'uniq ue différence entre elles serait qu'on lui
aurait oITert, il ello, sans qu' elle out rien fait pour
cela, ce que MlIO du Buiron cheI'Chait ù se faire ofTrir'_
Ce n'était pas beauco up mieux ...
Dans un cas comme dans l'autre on abusait d la
confiance d'un honnête homme , et on lui mentai t en
lui laissan t croire qu'on l'aimai t ?
- Non! Nonl s'écria Julie. JI) ne me diminu erai
pas ft mes propres yeux 1
En c t instant , sa résolut ion était prise, ct rien np
pouvai t lui laisser croire il elle-même qu'elle reviendrait sur une déterm ination qui se r ovêtait d'héroï smo.
Elle atteign it une envelo ppe, qu'elle referma après
y avoir glissé l'annea u de la mère du comto.
- Demain , dit-elle, je renverr ai cei ù M. Je
Cèzenac .
Ses neds étaient violem ment tenous .
Afin de J08 calmer , 0110 sort it, préven ant la Léon il'
qu'II no rentror ait qu'il l'h euro du dinCl', ct lui
l'ecomm andant de ne pas s'inquiuLo1·.
Elle allait, sans but, tnndil:l quo sa chienne Morgane
Londis sait autoUl' d'l'Ile, ou courait pn avant, poursu ivant les bêtes qui so rarhon t dans 1('8 hautes horbes
~ .
où dalls l ' mysL(\r e des tail
,
Lon gtemps elle mal'cha sans prendre garde un
�LE CALVArUE D'UNE A)!E
123
chemin qu'elle suivait, quand , brusquement, elle
;,;'arrêta , en p roie à un subit émoi.
Elle v enait de s'apercevoir qu'elle était arrivée sur co
lertre où elle avait fait la ren contre de M. de Cèzenac ,
eL , en une seconde, elle revécut la courte scène qui
uurait pu ê tre la dem ièr e de sa vie .
Elle se tenaiL debout, l'abime au-dessous d'elle . ..
M. de Cèzcn"'c l,ti o:,;ait crié de l'eCUlel', parce qu'elle
{>tait en danger ...
EI:e lui avait obéi, ..
Et, à la minule m Gme, ù l'endroit qu'elle v enait de
q uil!.e!' , le terrain s'était effondré!
Ainsi, elle dovait la vie au jeune comte 1
L'évocatioll de ce dramatique incident la boulcYc;'sa ...
Une question angoiSf(1nLf' se dl'essa devant elle ...
CcLL vic , CTu'r lle devait ù M. de Cezenac, ceUe vic
!Hll' laquelle il avait ucqui!! un indéniable droit, ceLLe
vi' Cjll'illui deman dait, pouvait-elle la lui rcl'user il
l'\'a\ a iL-elle pas une immense d ette de l'econnaisliance Ù lui payer, et, pui3qu'ill'aimait, puisqu'il lui
(kmandait de devenir sa femme, n e s'acquitterait-ello
]lilS mervcillcusemenL en fle donna nt ù ly.i?
Elle nn l'aimiüt pas ...
C'( ~ Lait
vmi ...
Mais il ne le saurait jamais ...
Et il serait heureux 1
Elle l'entourerait de dévouement, d'uno amitié vigilanto et SÛt " ~ , elle sera it la joie de sa maison, la compagno Iidolo qui partagerait ses bonheurs et 10 consoleraiL de ses peines, ct peut-ê tre n'éprouverait-elle point
cie gêne à jouit' d'une l'ichesse qui lui p crmcttl'aiL do
I:lou lagcr l'inforLune.
�134
LE CALVAI RE n'UNE Ar.1E
Elle eut de suprêmes hésitations ...
Sa conscience demeu ra troublé e ..•
Mais, le soir, avant de se coucher, elle déchira
l'envel oppe qu'elle avait préparé e, miL à son doigt
l'annea u d'or, ct écrivit le mot qu'elle envoya porter
le lendem ain à Cézenac.
- Vous connaissez la vérité! acheva-t-eUe avec plu~
d'assur ance dans la voix. Quoique vous en pensiez,
j'ai commis une faute grave. J'ai manqué de vaillance
moins coupab le que je ne l'aurais
de dignité. Je ~uis
été si j'avais agi do même qu'Élis e, mais il n'en est
pas moins vrai que la tentatio n de la richesse et des
jouissances qu'on lui doit a été toute puissan te sur
mon âme. Cette tentatio n, pour y succomber, jo me
suis donné le prétext e de la reconnaissance, sans parvenir à m'abso udre. S'il vous est arrivé de me voir
songeuse, lointain e parfois, comme inquièt e, c'est qu'à
chacune de vos bontés pour moi j'enten dais un reproche s'élever dans mon cœur. Je ne me sentais plus 10
droit d'être orgueilleuse de moi, fière de moi, parce
que j'avais faibli, et surtout parce que j'avais mis un
mensonge entre nous.
Julie se tut .. .
Elle attendi t .. .
Son altitud e disait que la volonté de son mari serait
la sienne, que d'avanc e olle s'inclin ait devant elle •.•
Elle courba it la tête ...
Elle n'osait pas regard or le comte ...
Ce qui l'empê chait de voir l'imme nse tendresse
qui brillait dans les yeux de celui-ci.
S:'ulem ent, elle sentit qu'il lui prenait la main ...
Puis, il parla ...
- Jo vous admire ! dit-il très b l S.
el
,
�LE CALVAIRE G'UNE AME
125
Sa voix tremblait d'émotion.
- Je vous admire 1 répéta-t-il plus fortement. Nulle
autre femme au monde n'aurait votre courage, Julie 1
Ce que vous venez de faire esL magnifique. Si vous
avez commis une faute dans le passé, vous la rachetez
au centuple dans le présent. Quant à moi ...
M. dA Cèzenac s'arrêta une seconde ...
- Quant à moi, reprit-il, avant de prendro la décision que vous attendez, je vous adresserai une question à laquelle je VOIlS demanderai de répondre avec
voLre superbe sincérité. Je vous disais lout à l'heure
que je vous devais le bonheur de ma vie. C'est exact,
eL, pourtant., il manquait une chose à ce bonheur, car
jo ne mo souviens pas de vous avoi!' entendu, une
seule fois, me dire que vous m'aimiez 1 C'est que vous
ne vouliez pas mentir. Je 10 comprends aujourd'hui.
Mais, il l'heure où nous sommes, me le diriez-vous,
co mot qui a manqué à notre féliciLé?
- Oh 1 oui 1 s'écria Julie, avec une soudaine exaltaLion. Jo le dirais, si j'étais sûre que pas un doute ne
resterait dans votre esprit 1 .Te le dirais, si j'étais cel'laine qu'il trouvcraiL le chemin do votre âme 1 Mon
amour, je ne vous l'avais pas donné, mais vous l'avoz
conquis, et je voudrais pouvoir le mettre à vos pieds ...
- Sa place est dans mon cU'nr, inlerrompit le
comle, comme le mien est dans le vôlre, sans que
rien jamais puisse les en chasser.
M. de Cèzonac attira Julie à lui ...
Longuemcnt, il la pl'essa SUI' sa poiLrine ...
- Chère folle 1 lui diL-il à l'oreille, comme s'il lui
avait faiL une confidence. Chère folle, qui vous étiez
faiL un crime de co qui n'étuil qu'une erreur 1 Est-ce
que l'omoul' n'a pas plusieurs visages 1 Est-cc qu'il n'u
�126
LE CALVAI RE D'UNE AME
pas cent secrets pour vaincre? L'estim e, l'amitié , la
reconnaissance, telles étaient les magiques moyens
dont il se servait pour vous amener à moi. Vous
m'aimiez sans le savoir 1Je n'ai rien à vous pardonner.
Je n'ai qu'à vous aimer davantage.
Elle ne répond it pas ...
Elle pleurai t sans bruit, la tête appuyé e sur l'6paule
de son mari ...
Et Ces larmes heureuses emport aient avec elles les
douloureux souvenirs ct les sombres nuages d'un
momen t.
FIN
�PODr
paraître la Semaine prochaine lODS le n O 285 de la Collection CI FAMA ..
PAR J EAN
ROSMER
MON ONCLE ET MOI
CIIAPI TRE PREMIER
- Mon parrain , dis-je en entrant dans la bibliothèque
où le marquis de Rom iac feuilletAit un vénérable in-quarto ...
Mon parrain , mon cher petit parl'.ain, écoutez-moi : je
veux me marier .
... Le savant leva les yeux au ciel dans un ges te désespéré...
- Mon désir vous étonne? r epris-je avec' pétulance ...
H n'en es t point d 'a l ~s j légi tim e, cependa nt. Le mariage
es t la plus vieille instituti on du monde ; vous devez le
savoir puisque vos études vous entratnent jusqu'aux temps
le plus r eculés ... Comme los anciens, les modernes n'ont
pas trouvo 10 moyen d'agir autrement. ..
Mon tuteul' voulut protes ter, je no le permis point; précipitant mon débit, je poursui vis :
- J e veux me marier, mon oncle .. . jo le répète.. . jo veux
me marier tout do suito 1. .. Vous no m'avez jamais contraJ'i éo, vous no commencerez pas aujourd'hui, je sup poso ? ..
POUl' mo fairo plaisir, vous vous mettrez en campagne et
déni cherez l'oiseau l'are.
CeUe foi s, Jo marquis sursauta .
. \vec ofTaroment, il déposa los grosses lunettes d'écaillA
p) :'.\utées de, tra vers sur son nez, me regarda avec épouvante e t s'écria :
- Tu n'y songes pas, ma chério? Un pareil événement no se bâclo p as comme une corvée dont on se débarrasse .. . Préparer un mariago es t chose méticuleuse .. . T'imagines- tu par ll usard qu'il sumso do saisir au collet le promiel' céliba tairo venu, de J'emmener bo n gré, mal gré, vers
la jeuno 11110 qu'on lui des t.ine pou r que leu r union se réaliso ? .. F onder un Ioyel' exige de gravos r éfloxions ... cela
(A suivre.)
crée dos devoirs."
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Jagot , Henry (1854-1933)
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Le calvaire d'une âme : roman
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Ed. de "La Mode Nationale
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A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
impr. 1932
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Collection Fama ; 284
Type
The nature or genre of the resource
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BUCA_Bastaire_Fama_284_C90789
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(1] ~
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�CLAUDE
LEMAITRE
LE DIAMAN1' ROSE
D'ALI
ROMAN
(DITIONS DE .. LA MODE NATIONALE ~
94, Rue d'Al6m,
94, -
PAHIS (Xl VOl
�LE
DIAMANT ROSE D ALI
9
CHAPITRE PREMIER
AlirevenaiL chargé de butin au Hoggar. Au cours
d'une longue et fructueuse expédition, il avait perdu
un grand nombre de ses compagnons; ils étaient
morts au pays de la soif et le simoun s'était
chargé de les enterrer dans le sable du Sahara.
Ali n'était pas rassuré; il pensait peut-être que
leurs ombres inquièt:Js voltigeaient autour de lui:
il les nommait des « Djinns» bien capables de
hanter les rochers farouches qui ont la couleur
du sang séché, granit austère qui sert d'appui
aux demeures des Touareg voilés, pillards et forbans que la domination française n'a pas encore
pu assagir totalement.
Cependant, Ali eraignait les Djinns et afin
d'éviLer les l'epré sailles de ces lutins porteurs des
âmes de ses camarades du Pays bleu, il distribua
largement à leurs familles des parts des richesses
qu'il rapporlait.
La pauvreté des tribus sahariennes ayant pour
remède le Soudan, Ali rùvcuait de cette Golconde
avec une pacoLille impoc·tunLe. Poudre d'or, ivoire,
peaux de buffle!:: chargeaient plusieul'I:l cham eaux
�6
LE DIAMANT ROSE n'ALI
et certaines prises d'une moi~dre
valeur parurent
tout aussi importantes aux enfants du bled. Leur
utilité impose ces objets et certains missionnaires,
Pères Bluncs ou Sœurs Bleues, racontent volontiers
qu'ils ont vu dans l'Afrique noire, échanger un
esclave contre une assiette! ...
Les femmes et les enfants d'Amguig fixaient
avec des yeux ronds, écarquillés et allumés de
convoitises, tout le lot qu'Ali leur destinait, il fit
jurer à Keddache, à Rassino, à Bissir de caoher et
de taire ces bénéfices, de pareilles razzias étant
interdites par les Français.
Ali, par la taille, par le gesLe, par la bravoure,
par la générosité 6tait vraiment un chef; dans
son village proche d'Inikor, il étai,t mieux obéi et
aussi puissant que l'HamÇJnokal Haramouk, grand
roi des IIoggars.
Aussi sa femmo oL ses fillos ne firont-elles aUCUné
objection quand il leuI' amena dans sa case une
petite fille blancho et blonde qu'il leur ordonna
de soigner. Evidemment Ali avait perdu la tête,
car l'or, l'ivoire, voire même verrotories et boltes
do sardines pleines ou vides avaient leur intérêt,
tandis que cc moutchachou pâle cL ohétif ne méritaiL pas d'êLre rapporté en un lieu où les enfa.nts
robusLml ne manquent pas.
Ali ayant consLaté avec quel mépris était
accueillie celle qu'il appelait tout, bonnement
« De1lys )J, nom d'un village do la côte méditerranéonne VOll!Îll d'Alger, cut un rogard impérieux
sur toute sa smalah. Il appuya sa bello ma.in fine
1
�LE DIAlIlANT ROSE D'ALI
7
et longue sur les boucles blondes de l'enfant et
déclara avec fermeté.
- Ceci est mon diamant rose, sa vie m'est préoieuse à l'égal d'un trésor.
- Aussi chère qu'un éléphant ou qu'un chameau blancs, gronda l'épouse du Targui vexée
au superlatif et renfrognée au point de cesser
tout bon accueil à l'époux qui, après chaque
voyage, la comblait de présents.
C'est qu'aujourd'hui les grands pirates Touareg
sont clairsemés, ils s'endorment dans la mollesse
et un fo.rniente tout oriental. Ils élèvent pour
tout profit ùes mouLons, dos chameaux, obéissent
aux lois du Grand Hamenokal qui est lui-même
soumis n la France.
Les missionnaires pénètrent jusque dans les
oasis les plus reculées, ct ils s'initient pCl.l Ù peu à
un langage et ù. des mœurs demeurées jusque-là
mystérieux, des mœurs qui no sonL pas du tout
celles de l'Islam, car la fommo non voilée jouit au
Hoggar d'une liberté lrès grande eL contracte à
son choix des mariages successifs un peu à la
manière de COux déol'Üs par Pierro BenoU dans
l'Atlantide. Sans touLefois allor dans sos représailles après divorce jusqu'à assassiner l'époux
qui a cessé de plaire, commo le fait dans les
inouhlillbles pagoB du célèbre académicien, sa
vindicative héroïne, la bolle Antin6a.
L'enfant Dellys, ù bout au mili II des femmes
effrayée par l'hostilité
assises Ù cro~petns
qu'elle devinait et le silence de cet enLoul'uge faLi-
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LE DIAMANT ROSE D'ALI
dique, poussa des cris désespérés et elle courut se
réfugier auprès d'Ali, ce géant. Le sommet de sa
tête blonde atteignait les genoux du Targui.
Il se pencha, la souleva, l'installa sur sa vaste
épaule, à cheval, et les sanglots de la petite
s'apaisèrent.
- Un singe apprivoisé, fit Ali avec un condescendant mépris qui rendit naturellement plus
sympathique la nouvelle venue à son entourage
féminin.
Massine, femme d'Ali, le soir même, demandait
à son mari quelques explications au sujet de cette
Dellys, une étrangère dont la place n'était pas
marquée au Hoggar.
Il raconta cc qu'il voulut, comme tous les
hommes de toutes les races font quand leurs
épouses les prennent en fraude.
.
Mettons qu'une superstition l'attachait à cette
petite tombéo entre sos mains et devenue son fétiche,
une superstition e'L les soins maternels qu'il avait
dû lui donnor tandis que, l'ayant recueillie à demimorte, il avait traversé avoC cette étrange prise ]0
pays de la soif, le grand Erg occidental.
- Es-tu son père? demanda Massine aigremenL.
- Qui peuL le savoir j clic est l'enfant d'un
Djinn, peuL être porLeur UO l'olllorl' lie mon aïeul
dont les os ont blanchi à la place mome où je l'ai
trouvée.
- Enreur, Ali, c'est lafilled'uTll'oumi, ellon du '
sang blanc dans les veines et touLe la fuiblel:lse de
�LE DIAMANT ROSE n'ALI
9
sa race daus ses yeux pâles. Elle ne s'habituera
pas aux souffles bro.lants de notre contrée, la préférée du soleil. Rends-la il. sa tribu des visages
de lune; ici elle mourra, nous avons bien assez
de moutchachous sans cette poule blanche. Je
t'en prie, Ali, fais-moi ce plaisir et rends-lui cette
justice, à elle.
Pour mieux convaincre son époux, Massine
s'empara de la guitare ronde dont elle jouait à
ravir. Hablle musicienne et improvisatrice de
versets poétiques, elle chantait en s'accompagnant
sur un rythme profond, déchirant, éperdu, l'histoire de l'enfant perdu et celle de son cœur
jaloux.
- Dellys n'a pas de parents qui la cherchent,
assura Ali; elle est la fille du désert dont je suis le
roi et l'occupant, sa vie répond de la mienne, ainsi
silence, Massine, tais-toi, tais-toi 1... Dellys sauvée
par ma volonté m'appartient, olle sera mon
esclave; comprends donc, Massine, mon esclave
tandis que tous les nôtres et tous los fils de Mahomet se soumettent à cos venus du Nord qui
pensent nous imposer toutes leurs lois, moins
bonnes que celles de la nature où toujours le faible
est persécuté au profit du forL. Le lion dévore la
gazelle et c:'est justice, as-tu compris, Massine.
Sans doute, puisque 10 soir même elle berçait
Dellys après l'avoir alimentée, abreuvée de lait
de chèvre, de dattes, de faI'ine cuite, les meilleurs
alimonts dl' ces lieux granitiques où la végétation
est rare.
�10
LE DIAMANT ROSE D'A.LI
.le nourris la vengea.nce d'Ali et a.vec la
sienne, celle du Hoggar entier, de FIslam luimême, de Gaô jusqu'à Alger.
CHAPITRE II
Ah Iles récits d'Ali entre deux expéditions 1...
On ae bousculait pour les écouter. Tous les habitants d'Amguig en avaient leur part et on venait
de loin POl,U l'entendre dil'e tous les bons tours et
les histoires où au dernier épisode le Targui Ali
triomphaiL d'un essaim de roumis et de leur!;
obligés, tirailleurs, fonctionnaires indigènes,
esclaves nègre!';, etc ...
11 émaillait ces racontars do quelques mots
français qu'il traduisait sm- le·champ ot Ù 811
manière, pour l'édifioation de ses compatriotes.
Pour Massine émerveillée, pour ses trois filles
ct pour ses servante!!, Ali était quelqu'un placé
8ur l'échelon juste on-dessous do oelui où
perchaiont 108 dioux, l'Amenokal e~ mêmo Mahomot.
Quant ù ]a petite Dellys, elle 6tait tout yeux et
Lout oreillos pour l'immonso Targui que son
regard candide, à la fois tendre et craintif, prenait
peut-ôtre pour un Croquemitaine asservi à ses
légers caprices. Supportant le climat, Dellys
montrait une vivaoité et une précocité d'a.beille,
adulte en quelques jours.
DéconcerLan Le pOUl' son entourage qu'elle
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
11
dominait et stupéfiait, elle devint pour eux
éOI'tlme pour Ali un lutin fille de Djinn. Surtout
quand elle dansait et voltigeait comme une Peri
au son du banjo de Massine qu'elle maniait anssi
n.vec art et d'une façon surprenante .
Ces êtres immenses qui l'entouraient, beaux,
mais paresseux et fragiles. A part quelques individus magnifiques et entreprenants sont d'une
vitalité réduite. Peu nombreux, ils se mariêrit
entre parents et sont atteints d'une dégénérescence spéciale; le gigantisme est fréquent parmi
les Touareg.
En vérité, auprès d'eux Denys avait plus de
maturité et peut-être même d'années qu'ils ne le
~uposaient
et ceci contribuait à leur émervèillement.
L'enfant était bien trop fine, bien trop dépendante et craintive, pour renoncer il une ruse
dont olle bénéfioiait.
Peu à peu elle comprit et parla le langage
t6uareg ét elle eut l'audaoe dé priér Ali de la.
reconduire à Alger.
- D'où je viens, assura-t-elle.
- Tu viens du sable du désert, répliqua avec
autorité l'habitant du Hoggar i je veux bien te
déposer au milieu du grand Erg où je t'ai prise ct
tu y mourras de faim ct de soif, pauvre mouche
de Soleil. Contente-toi d'être ma fille, le diamant
l'ose d'Ali; il Le protège, touché par ia délicatesse
de ta péau aUllsi tondre que les plumes de l'ibis
ou Cèlles du perroquet savant gris et rose qui vit
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LE DIAlIIANT RO S E O'ALI
dans le sud. Tu mourras si tu tentes de m'échapper.
Je t'aime trop pour te vendre à l'Amenokal, aux
biskris qui cherchent des Ouled-Naïlspour danser
à Biskra et à Bou-Saâda. Donc, vis en paix avec
nous et sois heureuse d'être parmi des hommes où
la femme respectée ne vit pas dans un harem, mais
librement; tu choisiras ton époux.
Dellys baissait sa tête blonde; il lui semblait
habiter une prison au milieu de ces montagnes
de basalte, sous un soleil do feu, qui desséchait
ses larmes dès qu'elles perlaient au bord de ses
cils de soie.
Ali pouvaH se montrer impitoyable aux désirs
d'évasion ou de,fuguo de sa fragile captive, il no
les voyait pas, il ne les verrait jamaitl eL il
était véridiquement tendre et bon avec olle.
Le cœur de Dellys donnait à l'immense Targui
toutes ses pr6f6renoes.
Elle Be souvenait, il l'avait sauvéo d'une mort
certaino; sa gratitude n'allait pas jusqu'à lui faire
oublior les Bouvenirs d'uno tendre enfance passée
à AJgor, ce petit Paris ou paradis algérien.
- Maman) papa 1 murümrait-ello parfois dans
le silence de la nuit, et ello répétait pour s'en
souvenir tous les mots de sa languo natale, le
français harmonieux et doux qu'olle n'ontendraiL
plus jamais parler.
Dans 80S expéditions, Ali en avait appris quelques rudiments, il le fallait bien, cette connaissance avait facflité ses ténébreuses entreprises,
mais il se fut trouvé coupable de l'employer au
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
13
Hoggar et sot de cultiver de pareilles réminisçences chez Dellys, l'otage charmant et préfércl
à toutes les richesses qu'il accumulait dans des
coffres tassés dans des caveaux profonds. Or,
ivoire, pierres précieuses, parfums, pacotilles,
verroteries, tou t le butin d'une armée de Rois
Mages pris aux roumis, aux nègres, aux :f:gyptiens,
à toutes les races que leurs destinées amenaient
dans l'Erg pour y être tuées par le soleil et
dépouillées par le sévère Targui voilé, le seigneur
du Sahara et le dernier survivant du pays d'Atlantide.
Oui, mais Ali comptait un peu sans son hôte,
c'est-à-dire sans le charme et la grâce de Dellys,
mérites d'Ocùident qui un peu plus chaque joUI'
s'exaltaienL chez sa protégée et qu'il fit admirer
ù ses compatriotes réunis chez lui dans une sorte
de cour de beauté où se prodiguèrent en chants,
danses, musiques eL tam-tams variés toutes jes
princesses de divers villages de ce coin du Hoggar,
proche d'Amguig.
CHAPITRE III
Ali, pour cette fête mémorable, avait sorti des
réserves d'objets précieux: les plus beaux tapis de
la Perse, des tentures magnifiques, tout. le butin
merveilleux d'un détrousseur de caravanes parti culièrement favorisé dans ses flibusteries à. peu
IJrès quotidiAunes.
�14
LE DIAlIlANT RO!SE D'ALI
La tente s'en trouvait tapissée et revêtue. La
;!;lmme d'Ali, ses filles habillées d'amples haïks
.Je soies de toutes les couleurs, portaient des
colliers somptueux et elles tenaient de leurs doigts
alourdis de bagues, l'instrument à deux corùes ,
guitaré embryonnaire dont tout à l'heure elles
accompagneraient leurs danses et leurs chant.s,
innombrables couplets composés dans le dessein
de pla.ire.
Les compétitions lIont rudes, les femmes Touareg
sont belles et leurs poèmes improvisés ont le
pouvoir d'éveiller la tendresse au cœur des
hommes sévères, silencioux , qui savent très Lien
transformer l'élue en idole révérée, adulée et
aimée, au moins pendant un certain temps, d'une
façon non point jalouse mais exclusive et passionnée.
La femme touareg esL maîtresse au logis, elle
détionL lu fortune. Elle divorce et se remarie un
peu à son gI'é.
Poupée et si menue à côté des femmes Touareg,
dOllt la Laille sc rapproche de cell e de lem's époux ,
qui mesurent à peine moins de deux mètres,
Dellys, le diamant rose d'Ali, avait l'incontestable
pouvoir d'adoucir son ûme ct de la rendre généreuse, aimanLe et bonne.
L'afIcction qu'il portait ù l'éLrangère donnait
ùu souci ù Massine, et de l'ombrage à ses filles,
mais eUes ln supportaient, peut-être en pitié de la
petite taille et de la fuible:;:;e ùe ce joujou exoLiqud.
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
15
D'ailleurs pouvait-il être jamais question de
renoncer à leurs droits de reines du Hoggar sous
la tente d'Ali pour ce lutin qu'il ne pourrait.
épouser.
Quant au Targui, la fragilité, la blondeur,
l'étrange beauté de cette créature qui lui devait
la vie, l'émerveillaient, le ravissaient. Elle était
l'égale, le sos ie d'une houri des futurs paradis
auxquels ici-bas il ne pouvait absolument pas
prétendre. D'autant moins que sa religion, toute
vouée au culte des ancêtres et à certaines superstitions, ne comportait même pas les alléchantes
promesses du grand prophète.
A tour de rôle, les femmes convoquées à cette
()ompétition musicale et poétique versèrent SUI'
les ass itants des flots d'harmonie primitive.
Ces femmos ravissantes, plutôt belles que jolies ,
drapées d'étoffes, s'égosillaient pour plaire tandis
que lours statures magniflques et leurs formes
impeccables conféraient à toutes un rôle de
déesse et des pouvoirs de reine.
Fières de leurs droits, certainesdeleur suprématie, elles considéraient avec un peu de mépris, la.
blonde, l'étrangère égarée an miliou d'elles au sein
dn Hoggar farouche.
Bien qu'elle fut gl'ando ot svelte pour une fille
d'Europe, Dellys semblait petite, seulement
comme toujours elle levait la tête pour parler à
SM compagnes ct à ses seuls amis lés immenses
Touareg, olle semblait converser ainsi avec les
étoiles.
�16
LE DIAMANT ROSE D'ALI
Élancée comme une flèche d'église tendue vers
le ciel, elle s'avança au milieu de l'hémicycle et
dansa un pas improvisé, suggéré sans aucun doute
par des réminiscences artistiques, fleurs de sa
race.
Elle étendait les bras, maniait une écharpe
qui formait le nimbe gracieux de sa tête blonde.
Une apparition de Bou-Saâda et de Biskra que
tous les hommes présents reconnurent, car ils
avaient voyagé et goûté aux plaisirs orientaux de
ces stations mondaines à l'usage des enfants du
désert.
Quant aux Targuias, loin de s'adoucir à ce speetacle qui leur semblait équivoque, la sévérité de
leurs traits devint férocité et dévoilait un inexprimable dégoût.
Un silence indigné marquait la désapprobation
des gardiennes des mœurs en usage au Hoggar
sous les tentes en poil de chameau. Massine,
l'épouse d'Ali, baissait la tête, l'ermai t les yeux,
afin de bien signaler son mécontentement. Elle
trouvait cet exoLisme du plus mauvais goût, sans
la moindre parenté avec les mon otoncs plainschants ryl:Jllnés honorés à bien des lieues autour
de l'Atakol', 10 plus haut sommet rocheux de
cette partio de l'Afrique centrale.
Dellys ne se contenta pas de danser, et bientôt,
assise à la manière arabe sur un tapis, olle mania
le banjo pour accompagner la plus émouvante, la
plus spleenétique des complaintes; elle l'adressait
directement à Ali, son maître et son seigneur,
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LE DIAMANT ROSE D'ALI
elui qui lui avait servi de père et à qui rarement
elle n'avait en vain exprimé des doléances .
« Plaignons celle qui a perd u ses ancêtres et
« son Dieu. Je ne dirai ma peine qu'à celui qui
« m'a mise à l'abri de ce dur soleil de l'Erg Occi« dental, il m'a nourrie, il m'a abreuvée ct gardée
« des piqûres des mouches méchantes.
« Ne compare ma brûlure à celle d'aucune
« autre, Ali le bon, le bienfaisant. Ali, j'ai du sel
« sur ma plaie ct Lout mon corps est sanglant du
« désir d'autres climats, d'autres pays. Toute la
« nuit je rêve d'arbres qui ne sont jamais des
« palmiers et la d atLe d'Ouargla est moins sucrée
« que mon rêve. Seul entre tous mes désirs celui
« de mon cœur esL saLisfait. par celui d'4li, mon
~ seigneur, qui veut tout ce que je veux . »
*
* '"
Elle a l'œil bleu comme le tigre, vert comme
l, panthère, ses cheveux sont semblables aux
l;1).rments du chanvre, le hachich qui dégage des
vapeurs Lroubl 's pour l'osprit du rêveur. EUe est
hl !lUe du Mont dos Génies et ello porte malheur,
c:rois-moi Ali. Les beaux yeux de femmes sont
Hemblables à ceux des gazelles. Jo t'en supplie,
chasse cc djinn malfaisant recueilli à la légère
parmi nous.
- Ah 1 ah 1 a'6cria Ali en éclatant de rire, elle
est bonne, Lon lIlvention. Sais-tu bien que le roi
c1u Hoggar désire écouLer et ,'oir Dellys dont il
'J
40
�18
LE DIAMANT
no SE
D'IALI
a entendu parler pal' un de ses serviteurs qui la
connait?
- Il est plus fou que toi, je saurai émpêcher
de semblables abus.
Massine avait priE:> sa tête entre ses mains;
soudain, elle poussa un grand cri en élevant ses
bras bruns au-dessus de sa téte .
Un tremblement nerveux l'agitait et elle
prononça do terribles paroles, des malédictions
impressionnantes contre les infidèles aux prescriptions des femmes du Hoggar qui n'entendent pas
du tout être supplantées par des évadées des
tribus voisines ou lointaines.
De pUl'oilles scènesde ménagen'ontriend'étrange
ni d'inattendu BOUS le Zoro équo.Lorial; cependant
la véhémenoe de Massine eL ses menaces ne pouvaient laisser le bon géant Ali indiITérenL.
AffecLueusement paLernel pOUl' Dellys pal'ée du
oobriqueL de DiamanL Rosc qui l'avai.t un certain
i,emps rondue invulnorablc, il craignaitles terribles
représailles do femmos qui pouvaient s'emparer
d'un prétoxLe national pour la faire souffrir, eL
plus aneoro, la supprimor.
- Elle est mon doublo, sais-tu, dt3clara-t-il
violem mont à Massine, et si elle meurt, je meurs.
Il plongea le regard acéré de IlOS youx violents,
aigus, des youx do pillard, chef de bunde Toua.reg,
dans coux de la femmo qui à ceL instant le
fixait.
Massine ne cilla même pas, elle le bravait,
menaçante et tel'rible 1 et Ali lut dans oe coup d'œil.
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
19
féroce le triomphe de la haine sur l'amour que son
épouse lui portait depuis plus de vingt ans 1...
Denys, diamant rose d'Ali, ét.ait condamnéB à
mort par Massine .
CHAPITRE IV
Le lendemain matin, tandis que toutes les
femmes étaient encore endormies sous les tentes,
U11 peu avant le lever d.u jour, Ali parcourut
le ca.mpement Touareg pour réveiller ses troü~
plus fidèles associés.
11 s'a.gissait, leur assura-t-il, d'acoompagner
Dellys jusqu'à Yniker, l'ésidence de l'Amenokal,
afin de lui abandonner la jeune fille qu'il convoitait. depuis qu'il avait entendu parler de su grâce,
de son chal'me et de ses talentiJ de ùtlnseuse et de
poète.
Mais Dellys, infol"mée de ce projeL qu'ella
réprouvait, n'eut môme pas à inLervenir pour
tJgurer ses guides, car au lieu de se diriger vers le
Sud, ils prirent laroulo du Nord, eelle qui conuUi!mit ùu côté des CUl'avanes, . ct aussi des automobiles qui tl'a versent le ùésert aujourd'hui.
IiH étaient partis tous leI:! cinq, Dellys, Ali,
NLyou, Cileghir et le nègre Antghilu, juehés AUr
les magniCiques méharis, propriété d'Ali. L'euu,
les }ll'ovisiol1d emportées en ahondanco présageaient tin assez long voyage.
La curavane euL tôt fait de dis};.> l'altre dans le
�20
LE nIAMANT ROSE n'ALI
sable blond si pâle et si doux OÙ se perdaient le
pelage chamoisé des montures des Touareg.
Ali dirigeait sa petite troupe et à peine si
Niyou, son aide le plus constant et le plu:.;
autorisé, osa demander timidemenL un éclaircissement SUI' cette façon étrange de se · rendre il
Iniker.
Ali répondit à cette quesLion indiscrète par une
sentence, c'est là ~ne
façon bien oriental~
de dpcourager les curieux.
- Le silence vaut mieux que de révéler à
quelqu'un ia secl'èie pensée eL de dire lie répète
pas ma confidence, fit-il avec gravité.
Seule femme parmi ces hommes voilés comme
le sont toujours les Touareg dans leurs expéditions, DellY8 avait le cœur 8erl'6. Elle avait
même légèrement frémi de Lerreur en quittant ls
Lente où quelques années plus Lôt Massine,
devenne sa jalouse rivale, l'avait accueillie.
Que de terreurs, que de dégoûLs n'avait-elle pas
dû vaincre, la pauvreLLl', pour exister parmi des
barbares au surplùs entichés ùe 10111' noblesse ct
de leufs prérogativos.
al' l'atroce aventure qui avait marqué, hélaR 1
son enfance, avait à jamlliR aboli dans Ra mémoil'e'
les souvenirs des jourspl'OSpèrOR, ceux qui avujon~
précédé ]e dramo ? JeLée pur la. destinée sous la
protection d'un de ces géallts, derniers survivants
d'lin )J)onde disparu, d'une raee décimée qui
s'appelait, il y a bien ùes siècles, cello deR AtlanLes,
l~
l'arQl.lchc s'était énHI. LI.i. mi{n~l'ùso
eL lu
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
21
délicatesse avaient pris soudain à ses yeux la
valeur d'un trésor, elles avaient trouvé grâce.
Les bras frêles et doux de la peti~
fille qui connaissaient les gestes de la tendresse l'avaient
enseignée il cc sévère brigand impitoyable à la
proie étrangère.
Ils avaient encerclé le cou bronzé du collier de
l'amour des faibles et des petits, qui grandit les
âmes, développe le cœur, anime la bonté.
Le miracle d'un baiser d'enfant de France
avn.Ü singulièrement adouci Ali et la vie de Dellys
lui semblait si précieuse, si bien liée à la sienne,
qu'il bravait pour la déIendre et la libérer, la
sauver,les colères eLles superstiLieuses pratiques de
!:les compatriotes, de l'Amenokal et de sa femme,
la vindicative et exigeante épouse, véritable maitresS9 du foyer et des richesses du Targui.
Des dunes toujours, le sable blond à l'infini
sous un ciel pur teinté de rose, de jaune et de
vert à l'heure du couchant.
Bien loin de rechercher les oasis pour s'y reposer, Ali, le soir, plantait sa tenLe en plcin
désert eL Dellys ùevait dormir sur des tapis sous
les yeux de son escorte, des hommes de deux
mètres de haut, voilés et vêtus de rouge qui
ressemblaient il d'immenses eL tragiques statues
taillées dans du granit teinté de sang.
Ali dislJosait autour d'ello un rotrait do tapis,
d'étofl'cs. Il s'étendait, formant à sa protégée un
rem plut de son corps, guettait 01, surveillait
de SC }j Pi·unelles rouss"s qui comme celles des
�22
LE DIAMANT ROSE Il' ALI
tigi'es et des chats voient encore dans la nuit.
La jeune fille avait la cruelle sensation d'être
entourée de fauves à peine apprivoisés et celle
d'être protégée par un lion de l'Atlas dont elle
pouvait subitement devenir la. proie.
Elle n'était qu'à demi rassurée, souffrait de
longues insomnies coupées de brefs assoupissements. A peine si elle touchait aux aliments
qu'Ali méfiant avait soin de goûter avant de les
lui présenter. Des dattes , du pain 1r>l'l'eux , des
bananes et le contenu de boites de conserves que
le chef Touareg s'était procuré sans aucun doute
ft la foire d'empo' gne, au cours d'nne récente expédi tion.
L'eau des outres était douce et fraîche ct elle
représentait l'unique régal de ,'es repas frugaux,
où l'appétit de Dellys fai sait complètement
défaut.
Inquiet do voir sa jeune compagne affaiblie et
languissante , Ali r:;ongeait bien parfois à recourir
aux blancs missionnaires ct fonctionnaires qui
siègent assez nombreux dans les stations proches
qu'il serait facile d'atteindre on quolques houres :
DjellaJ, Tozeur ou Neft,a.
n craignait d'avoir' ù s'expliquer j louche
était la présence de ce tte jeune fille d'une race
nordique dans leur caravane, louche son éducation au Hoggar si un interprète était à. même de
trahir le récit qu'clle en ferai L, et plus louche en.core
l'expédition qui consistait à la ramener dans Qne
Afrique moins fa.rouchi , peut-étre pour en tirer
�LE DIAMANT ROSE D'ALI '
23
parti et l'exhiber dans des maisons de danses de
Biskra ou d'Alger.
Les intentions d'Ali étaient bonnes constamment et sa conscience lui répétait qu'il avait toujours sauvé Dellys, préservé ses jours 1 Seulement
lès étrangers qui gouvernaien ~ l'Algérie avaient
d'autres scrupules et peut-être jugeraient-ils qu'il
avait volé l'enfant, l'envoyé des djinns, et que son
devoir eût été de la restituer ou tout au moins de
dénoncer sa trouvaille à l'Amenokal.
Certes, quand Ali ramenait au Hoggar un
esclave noir ou bronzé, de pareilles craintes et ce
eas de conscience n'agitaient pas le Targui voué
dès ses premiers balbutiements au brigandage .
Seulement la grâce, la blondeur et la délieatesse
de la cr6o:ture en cause meLtaient le rapt en évi- .
donce et son affecLion pour DeHys l'initiait à des
sentimenLs:qu'elle ressentait avec vivacité et qu'il
partageait forcément puisqu'il aimait la fillette .
Un soir, resté seul avec eHe sous la tente, tandis
que ses compagnons observaient les horizons pour
y découvrir peut-être quelque honne prise, Ali
interrogea De11ys.
Se souvenait-elle de sa petite enfance et des
péripéLies qui avaiont pré ù6dé sa l'encontre avec
Ali ût Bon arriv6e au Hoggar.
-- J'ai rêvé, dit-il as Luciousement, que toute
petito Lu avais vécu au milieu des nains qui ont des
visages cL dûs maint; blanches. Le l'este du oorps, on
ne sait pas, cal' il est cloitr6 dans des étoffes.
- Tu us l'èvé, cal' mol je ne me souviens pas,
�24
LE DIAMANT ROSE D'ALI
Ali, du royaume des ombres, d'où nous sortons
tous comme Massine me l'a appris. Si j'ai voulu
tant de fois quitter]e HO'ggar et vivre où je n'étais
pas, c'est un désir de femme, vois-tu, ta bonté est
celle d'un père.
- Je suis ton pèr~,
ajouta Ali avec autorité, mais
ta mère était d'Europe et je l'ai rencontrée dans
un voyage. Elle est morte, vois-tu, c'est pourquoi
tu as vécu sous ma tente. Comprends et retiens
ceci si on t'interroge pour le dire, pour le jurer à
ceux qui veulent toujours tout deviner sans avoir
rien vu. Sans moi, et j'en tremble, le stupide chacal aurait dévoré jusqu'à tes os tant ils sont
minces et tendres. Tu es le diamant rOS8 d'Ali,
pur et sans tache; .pour moi tu vaux un royaume
et toutes les richesses laissées là-bas, sous la tente,
pour réaliser ce que tu appelles ton bonheur qui
ne peut être au Hoggar rocheux où les roses ne
fleurissent jamais.
De si douces paroles berçaient Dellys comme
les sons d'une guitare et quand Ntyou, Cheghir
et Antghila revinrent à la tente, il lu trouvèrAnL
doucement endormie sur les tapis moelleux que Lo
bon Ali n'épargnait pns à sa couche.
- Celui qui meL la tête dans le son sera becqueté par los poules, déclara Cheghir, et je doi:;
te dire, Ali, qu'une exçellen Le maraude esL en vue
et que nous pouvons très bien exiger des vivres et
des marchandises d'une petite caravane que nous
apercevons au loin. Il faudrait plier bagages et
être prêts à fuir.
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
25
- Qui t'engage à cette expédition, est-ce moi,
ton chef qui commande?
- Pourquoi serions-nous venus jusqu'ici sans
le moindre profit, fit··Ntyou avec aud.ace.
Le nègre Antaghila éleva une voix criarde pour
assurer:
- Ce que tu dis, Ntyou, est la vérité même.
VIilUS serez payés par moi pour cette expédition qui touche à son terme.
- Tu promets, firent trois voix à l'unisson .
- Je promets, répliqua Ali.
- Tu es sür de promettre, appuya l'incrédule,
Antaghila, le ~oir
fréquemment frustré par de
malhonnêtes acolytes.
Ali haussa les épaules, secoua la tête; son,
regard se porta sut' Dellys endormie; le repos
était pour lui le plus grand de tous les biens, il.
était rare, précieux et évitait à la créature qu'il
protégea.it, fièvre et maladie.
-- Taisez-vous, dit-il durement, vous la réveillerez ot il faut absolument qu'olle dorme .
- Est-elle donc la fille du Pacha? demanda
Cheghir insidieux.
- C'est la mienne, répliqua Ali avec assurance.
- La tienne 1 La tienne, grommela le nègre
devenant do plus en plus audaciom•.
Cette discussion s'apaisa. Ali uCS ~ Ja de répondre
à ses interlocuteurs. Gens et chamcollx siloncieu~Olnet
reposaient, perdus dans le Sahara
1ffimense et blanc sous un ciel do "doms sombre
�LE DIAMANT ROSE
DrALI
piqué du scintillement de milliers d'étoiles.
Bien avant le lever du jour, quand la fraîcheur
de l'aurore permit de poursuivre 10 voyage, Ali se
leva silencieusement; il réveilla Dellys et sorLlt de
la tente avec ello.
Rapidement, il la hissa sur un chameau,
enjamba une seconde monture déjà lestée de la
cargaison d'eau et de vivres et partit doucement,
sûrement, avec l'obstination et la fermeté qui
dénotaient' des projets arrêtés d'avance.
A leur réveil ses compagnons furent consternés
d'une disparition qu'ils crurent avoir provoquée,
la veille, par lour méfiance ot lour curiosité.
D'autant plus consternés qu'Ali, chof de caravane, pouvait seulles guider av"c corLitude.
Cheghir et NLyou, furieux, commencèr"nt pal'
rossor le nègre Anghila, l'accusant d'être ooupable
de l'embarras où ils sc Ll'Ouvaiont tous los trois.
- Toi t oser parler au chef! Tu l'as orrensé ut il
st por t.i t.,.
Les COUpH Lombèr0nL dr'uR sur l'échino cOlll'bée
du malheureux Soudanai3 qui 'ria grâce et à q \li
grâco fuL faiLe, aLLonùu qu'assez fin limier de
::;ources cl d'oasis, il pouvaiL l'e ndre quelques ser_
vice::; à sus compagnons égarés danf) l'Erg desséché
et stérile.
CHAPITRE V
Hubert Mique.: et François Nénos approchaient
de :..o::.mbcsse où ile de 'aient H'arrèter pour passer
1.: •• ui\.
�LE DIAMANT nOSE n'ALI
27
Hubert l'diquez, jeune médecin récem.ment installé à Alger, visitait une partie de l'Algérie avec
pour toute escorte son ami, François Nénos. Fonctionnaire dans la colonie, il avait passé toute sa
vie déjà longue dans ce beau pays. Peu à peu
il avait vu les confins du désert devenir une
vaste oasis, grâce aux subsides et au protectorat
de la France puissante et riche.
François avait complètement cessé de sentir
les regrets de son exil volontaire, taudis que le
pauvre Hubert soupirait encore bien souvent en
songeant à Paris et à ses plaisirs.
Afln d'acclimater son ami et l'initier au charme
d'un exotisme qui d'ailleurs tond tl disparaître,
François s'efIorçait de garder à l'expédition la
tournure des voyages d'antan : une savour marquée d'incommodiLé.
Les deux hommes sc servaient parfois des diligences, parfois du chemin de fer ou encore ils
louaient des muleLs aux Arabes cL sc divertissaiont
des difficultrs qu'ils suscitaient de la sorte.
De plus ils étaient, afin de fa ilitel' leur déplacorn 'D t, chargés d'une mission par le gouvernement de la République et ils devuie lI, visiter quelques stations à la fois agricole3, médicales eL l'cli.gieuses où les Pères Blancs et les SœUl's Bleues, ~
avec des moyens Lrès réduits, accomplissaient do
vérÎLahles miracles.
.
Ah! Qu'ils étaiont satisfaits tous les doux d8
voir servies avec tant de dévouement ot d'intc!ligeneo de nobles rauses. L'avancement spiriLuel,
�28
LE DIAMANT ROSE D'ALI
l'hygiène de gens qui depuis des siècles vivaient
sous le signe de la fatalité , laissant mourir sans
aide , sans médicaments opportuns, des enfants,
des femmes, tous les malades et les épuisés. Ainsi
se perpétuaient injustices barbares et barbaresques
qu'ils saluaient de cc patenôtre d'un orientalisme
primitif: « El Mektoub ».
-- C'était écrit.
Grâce aussi aux prodiges de la culture, au progrès des communications et de la sécurité, des
dattes d'Ouargla mûrissaient pour les habitants de
la mère-patrie, lalaine des moutons africains s'attatchait aux épines de la domination française. Du
haut des platoaux de la Kabylie descendait vers
la France le suc des raisins roses aux fruits ovales,
l'excellent vin indigène que les Mahom.étans convertis à de nouvelles croyances, plus actifs, délivrés du déprimant fatalisme do leurs ancêtres
goûtaient ct dégustaiont avant d'envoyer le surplus de leurs récoltes africaines en Europe.
Les gros muids algériens sont accueillis avec
enthousiasme et respect à Bercy où s'opèrent de
précieux mélanges corsés et fruités à la portée
de tous les budgets obérés par les charges de
la vie moderne si coo.Leuse eL si compliquée.
Disons aussi que le jeune médecin HuberL
Miquez, néophyte de l'existence algérienne, était
eurieux d'exotisme et avide de scruter les mœurs
1'11bes et de connattre los femmes mystérieuses
ùef; harems ût du bled.
Leur beauté et leur charme devaient être
�29
extrêmes puisqu'elles vivaient cachées et surveillées à l'égal des trésors du foyer.
Son imagination lui représentait avec vivacité
les grâces secrètes qu'annonçaient tant de beaux.
yeux rendus plus attirants par le voisinage du
voile blanc dont les musulmanes entourént leurs
visages.
François, depuis longtemps citoyen d'Alger, faisait en quelque sorte les honneurs de son pays
d'adoption à son camarade. Blasé et revenu des
surprises ù l'odalisque qui n'existent plus guère,
il s'eJIorçait d'amoindrir, d'éteindre cetLe admiration préconçue qu'il taxait de superstitieuse.
- Un cheik vous introduira-t-il dans son harem
si sa femme esL malade? Peut-être, mais avec une
méfiance qui ne vous permettra pas d'observer les
mœurs de ses femmes. Quant aux danseuses q Hi
porLen~
le nom de Fatma" elles existent dans les
grandes villes et ne difIèront pas des autres.
Toute l'odeur de Biskra est déjà 00ndensée dans
un bouquet de mimosas placé sur une console et
v~us
la retrouverez exaspérée et un tan\,Ïnet morhide à Bou-Sauda autour des jeunes femmes ct des
Biskris qui vivent ù leurs dépeoo.
Ainsi ::l'exprimait Frnnçois tandis que les deux
amis allaient. et pied de Batna à Timgad pour jouir
ùu pittoresquo de ceite contrée choisie.
- Que connaît-on d'un pays dont on ignore la
femme, la jeune fille, soupirait Hubert avec une
mélancolie évidente.
Mais il faUait presse!' le pas pour arriver à
�30
LE DIAMANT ROSE D'ALI
Timgad avant la nuit afin de trouver de la place
dans une auberge unique et ne comportant que
quelques chambres.
N os amis se proposaient de visiter, le lendemain,
les ruines romaines, souvenirs laissés assez prè ..
d'EI-Kantara par les anciens conquérants de
l'Algérie.
Coucher à la belle étoile ne souriait pas aux:
voyageurs, malgré le temps splendide.
Il était Sl3pt houres du soir, le Boleil achevait
sa course dans des nuages roses et mauves qui
metta.ient des tons d'al' '-en-ciel SUl' la plaine onduleuse.
Souvent Hubert R'arrêtait un instant pour
admirer cetLe féerie, et chaquo [oÏf; François
jnterrompait d'une voix aigl~
la réverie de son
sentimental compagnon. .
-- Nous ne trouverons phu; uo chamJwl'! à
l'auberge, si nous nous attardons, nOLIs n'o.u1'onl:1
même pas un gourbi où nous reposor. Ne feston::!
paG errants sur cos plateaux uésolés. LOB détI'ous·
seuri:! de caravanes deviennent de plus en plui1
rar6S, rnais il arrive enCOl'e à des v·oyllgcurs isolél:l
d'êLrc aLLaquéi:!. DéI1êchons-nous de trouver un li bri.
Hubert lW se pressait pas, il no croyait pns plus
OH danger qu'à l'ogre do lu Jable du Petit Poucet.
La nouveaut6 du décor, la grande allure de la
controe lui apportaient des sensations neuvos,
très vives. Le paysage s'étendait ù l'infini, il gravissait ùes pentes ct allai L, lar'gemGnt vallonné,
jusqu'à l'horizon.
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
31
Impatienté, François prit le jeune médeôin 1?a.r
lé bras et l'entratna du côté du douar qui appa.l'aiMait dans le lointain, petit oampement fi. fleur
de terre dominé par l'hôtellerie annoncée dans les
guides.
- Nous n'avons plus un lit, déclara l'hôtesse,
une Algérienne sordide, habillée vaguement à
l'européenne.
Sa large personne barrait la porte d'entrée de
l'auberge et elle expliqua qu'en vue du marché du
lendemain tous les Kabyles de la montagne étaient
accourus eL déjà endormis au gite a.près la fatigue
d'une longue marche.
- Nous aussi, nous sommes las, de plus nOu8
sommes des envoyés du gouvernement français;
l'Obligation de nous héberger est formelle.
- Pas pour moi, mon bon Sidi, déclara humblement la commerçante, les indigènes le pran- ,
drnient très mal, le oouteau en avant, si je voulais
VOus donner lour place. Le chef du douar BertiBini-Abouk lui, est obligé de vous hospitaliser,
mon fils Miskri va vous conduire jusqu'à Bon
gOurbi.
~
Voilà bien oe que je oraignais, s'écria Frannavré, nos braves Arabes ne so réjouissent
pas de recevoir des étrangers . Ils se dispenseraient
volontiers du trouble cL de la dépense qu'apportent chez eux l es voyageurs. Les femmes devront
peut-êtro nous codor leur asile ai la tente ost
pl~ino
oL nous préparer un repas dans la. nuit, ce
<!1!1 est fort inoommode j je regrette vra.im4nt..
Ç018
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
d'infliger de pareils tracas à ces malheureuses
créatures qui ne vivent pas mollement au sérail,
comme vous le pensez. Les trois ou quatre épouses
du paysan arabe sont Lout simplement ses esclaves
et ses servantes.
De pareils scrupules de courtoisie furent anéantis par la réception du brave Beni, l'hôte arabe, qui
accueillit les deux Français sans montrer l'ennui
qu'il ressentait probablement de les héberger.
Il reçut les étrangers avec force salamaleks,
mais il ne dérangea pas sa famille qui était couchée et, n'ayant plus de chambre, il mit à leur disposition une sorte de tente où il donnaiL asile il
des voyageurs indigènes.
Il fallut se contenLer, comme repas du soir, d'un
plat de dattes et de galettes sèches, repas frugal,
qui mit François d'assez méchante humeur.
Pour être traité avec plus d'6garda, il Îlt valoir
ses titres eL l'Arabe, soudain obs équieux, parla de
lui donner sa propre chambre. IIuberL Lrès gai on
touriste elTréné, refusa. Il trouvait amusant do
coucher sous la tente commune.
- Un souvenir de voyage intéressant, de
grande classe, digne d'un véritable globe-troLler.
En vain François fit des remonLrances à Bon
camarade.
- Le moindre mal pour nous sera d'attraper
de la vermine.
L'Arabo cOIUpl'~nait
le français, il le parlait
même sans diffiûulté pL l' Asura ses invités.
- Ne craignez rien, ilsno sont pas nombroux et
�63
LE DIAMANT ROSE D'ALI
ils paraissent propres et semblent bien ne pas
chercher d'aventures. Nous avons reçu un immense
Chambah ou Targui qui vient du Sud, avec une
jeune fille étrangère, une Perse ou une .Ëgyptienne!
à qui il sert de guide et qu'il conduit je ne sais
où. Peut-être à Biskra, à Bou-Saada ou à Alger
pour danser. Il demeure silencieux, quant à la
petite elle ignore l'arabe et le français; ils ne vous
gêneront pas de leur bavardage.
- Une Ouled-Naïl, peut-être 1 s'écria Hubert
enchanté.
, Il avait admiré sur des portraits les costumes de
ces étranges et lointaines filles du désert.
Beni secoua la tête.
- Pas Ouled-Naïl, blonde, sidi, blonde comme
le sable ct blanche comme l'oued tiOUS le soleil,
une fille de Sultan ou do Roumi.
L'Arabe laissa les doux voyageurs sous la
tente, après leur avoir souhaité 10 bonsoir.
Hubert était décidé à se réjouir de tout ce qui
POuvait avoir un parfum exotique.
- Je suis très satisfaiL, dit-il, do rencontrer sous
la tento lin Targui. ct qudquo charmanLe fille du
désert. Elle arri vc de la montagne, pareille il
quelque Oréade ct demain nous l'apercevrons à
son petü lever. Elle doit être ravissante, ello sera
l'animatrice rêvée, la vie, le mouvement de cette
contrée qui m'apparait admirable. Les mânes des
guerriers du camp romain et les ombres deSJ'imgad
tressailliront d'fl.llégressc à voir ainsi ressuscitée
leur jeunesse endormie.
3
�34
LE DIAMANT ROSl!: D'ALI
François riait aux éclats à ces accents path
~ ~
'tiques. Quel gamin co jeune médecil'l, il se montait
la t ête pour une créature quelconque, une inconnue
vivant sous l'égide d'un coquin targui, détrousseur
de caravane ot flibustierdonL 0110 était le piège ofiert
laux étrangers afin de les déva.liser plus commodément.
Hubert, sourd aux critiquosprématurées de son
compagnon concernant l'Oréade couohée derrière
un rideau, eL il qui Ali faisait un rempart de son
orps, s'étendiL sur la couchette de l'hospitalité
qu'il trouva remarquahlement dure. Il dormit mal,
si mal que dès l'aube, il se leva et alla respirer.
l'air pl,lr au souil de la tente.
Cette mauvaise nuit le dégoo.tait de l'accueil au
gourbi et il avait hâLe de partir et d'arriver dans
'une ville où les hôtels Bont plus nombreux et
assurent le vivre et le couvert aux passants
uropécns. Il ne réveilla pus François pour formulor ce vœu, il no voulait pas troubler le repos de
Bon amarado, un repos peut-être conquis avec
peine après do longues heures d'insomnie.
II s'éloigna de la tente pour quelque courte
promonade, et alla vers l'oued quo bordaient les
jardins indigènospla.nLés de palmiers ct de figuiers.
Il descendit la pente sablonneuse qui menait jusqu'à la riviOre.
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
35
CHAPITRE VI
Une jeune fille, à cette heure matinale, étaitassise
au bord de l'Oued. Pour satisfaire un caprice ùe
naïade, elle se penchait sur l'eau, s'y mirait, lui
confiait une main très fine, un bras cerclé d'un
anneau de métal.
Elle pressait entre Bes lèvres une branche de ce
mimosa algérien dont la grappe est faite de boules
d'or grosses comme des cerises et dont l'enivrant
parfum ne se peut concevoir si on n'a jamais respiré les effluves de quelque ville algérienne. Les
?romenades publiquos sont plantées de ces arbres
lUlmensos et odorants.
Ce parfum la grisait un pou sans doute, car ello
fermait à demi ses paupières et l'expression triste
et noble de son exquis visage, de oe fait, prenait
une intense mélanoolie.
L'étrange créature, étrange et mystérieuse avec
ses longs cheveux blonds faisant un cadre inattendu, à ses ~raits
fi ns brunis par le soleil.
Ce qui apparaissait du corps do l'inconnue, les
bras, le cou, la naissance dos épaules s'avérait
d'uno blancheur do lait, une peau veinée d'azur
comme en possùdel1t les plus aristoc~que
beautés
nordiques.
Songeant à la doscription faite par son hôte, la
veille, de la jeuno nIle hébergée au doua.r, Hub1:lrt
murmura:
�36
1
LE DIAMANT ROSE
D'ALI
- VOlci mon Oréade, la compagne du sévère
Targui. Comme elle est belle, une véritable prineesse captive de quelque sombre destin.
D'esprit chevaleresque, à la fOls très intuitif et
infiniment perspicace, le jeune médecin était inté:
ressé, peut-être même déjà ému, par cette vision
ravissante.
Toutes les plus douces réminiscences de courtoisies, de dévouements, celles mêmes qui inspirèrent
Wagner quand il mit en relief lalégendedeLohengrin, le chevalier du Cygne, providentrelle sauvegarde de la bollo Elsa, s'éveillèrent dans son cœur.
L'inconnue avait la beautéd'une reine de légende
et un vêtement blanc, ondoyant et souple, dessinait
son corps élancé, dont la sveltesse n'avait absolument rien de la grâce orlGntale épanouie et brune
aussiLôt éclose.
Voyan~
le jeune homme s'avancer vers elle, la
d élicieu se nymphe se leva préci pitamment, d onnaLl t
tous les signes d'une timidité qui n'étai~
pas
Jointe.
Ello voulait fuir, montrait dans sa démarche
légère la grâce de la gazelle surprise par le chasseur.
Hubert s'approcha d i alle rapidement et lui lança
un son oro oL impérieux:
- Bonjour, mademoiselle, un mot s'il vous
plan.
Elle s'arrêta, interdite; cette voix, ce langage
inconnus la charmaient comme l'eOt Jait une sérénade.
�LE DIAMA NT ROSE D'ALI
37
Elle demeu rait debout , immobile, conquise paT
des paroles dont elle ignora it le sens e~ qu'il lui
sembla it avoir déjà entendues et comprises.
Huber t parlait , il protes tait de sa sympa thie,
l'expliquait, la comm entait, interro geait la jeune
fille sur ses origines, ses antéeé dents, son passé.
- Vous n'êtes pas une Algérienne. França ise
sans doute et perdue comme la pierre précieuse
égarée dans l'imme nsité mystérieuse du Sahara ..
Dellys saluai t en appuy ant ses deux mains sur
sa poitrin e dans un geste de mime qui tradui t
ainsi son émotio n.
Huber t prononça aussi quelques mots en musulman. Elle ne compr enait pas et murmu ra tout ce
qu'elle on savait, ]e bonjou r on quelque HOl'te
rituel des adeptes de la religion enseignée par
Mahomet. Ce sont des mots de bienvenue et une
prière.
- La illah Allah.
Le voyageur l'interr ogeait avec âpreté , juxtaposant les mots d'arab e qu'il connaissait à des
phrases françaises, anglaises, un curieu x salmigondis bien difficile à interpr éter.
Alors la jeune fillo prononça ces deux moLs: son
nom et colui du pays d'où elle arrivai t.
- Dellys ... Hoggar ...
Elle les répéLa plusieurs fois, secoua sa tête
blonde et des larmes, combien émouvantes, inondèrent brusqu ement son visage rose et frais comme
Ja fleur sous les gouttos rénovaLrices de la rosée.
Puis. vive et crainti ve, elle s'enfuiL. ct IInbel'L la
�38
LE DIAMANT ROSE D'ALI
vit se réfugier sous la tente où il avait dormi.
Prudence et discrétion, il se garda d 'y pén~tre
avec elle.
Il retourna au bord de l'oued où avait surgi
cette apparition de rêve et bien loin de chasser de
son imagination le mystère troublant qu'elle
distribuait à son cœur peut-être avide de se
dévouer, il réfléchissait et cherchait à la manière
policière.
Dellys? .. Il connaissait une ravissante petite
cité penchée sur les eaux bleues de la Méditérranée,
un site enchanteur ct un but de promenade pour
les habitants d'Alger pourvus d'un voiture automobile. Dellys, c'étai.t son nom. Hoggar? .. Le
massif rocheux, lieu de naissance des Touareg.
De cette peuplade retirée, aux mœurs encore mal
connues, à peine définjes. On sait seulement l'im'm ense stature des individus, ia force et les instincts
de rapine encore mal réprimés.
Un préambule assez effrayant au romanesque
sècret que se proposait de percer le docteur Hubert
Miquez.
Que de rapts, que d'esclavagos non consentis
pouvaient, hélas, demeurer cach0fl à jamais dans
cette immensité bleue, blanche, blonde des ciels
ct des déserts africains aussi profonds oL aussi
insondables quo les Océans et les mers qui ont
noyé de leur::; 110Ls berceurs des crimes impunis eL ,
qui jamais ne seron1, châtiés!
L'incomparable éclat de la jeune fille, StS yeux
immenses, bleus et doux, les larmes versées devant
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
39
où elle se trouvait des lanlui, l'ignorance to~ale
gages français eL musulman qu'il avait employés
éveillaient en lui une tendre piti é et encore la plus
charmeuse curiosité.
Songer ainsi à un confidentiel, à un inconnu qui
est femme en même temps 1 Hubert était pris au
piège des séductions de l'Bve éternelle.
CHAPITRE VII
L'innocence persécutée eL la vérité découverte et à quel pI'ix ! s'écriai t Françuis en éclatant
d'un rire sonore.
Hubert lui avait faiL le ré ciL de sa rencontra
dès l'aube ct avec un tel enthousiasme, un LeI
désir de servir l'inconnue ravissante entrevue au
bord de l'oued qu'il le jugeait devenu soudain à
demi dément. JI f:l'Ü mpressu de lui distribuer et
largement les meilleul's eonseils.
- No ous emballez pas, mon chor docteur,
sur une donzell e qui va raire l'orncmenli d'une
lnaison de ùanscR p II l'ccornmunJ.able.
- Ses JarmcH, j'ai vu scs brmes inonder son
Leau visage de maùonc. ElIc ignore le Irançai:; eL
elle esL Europé 'nne, admirablemenL racée.
- P uL-'\Ll'e avez-VOliS cu a/Tuirc ù une sourdemuette, l'épliqua Jc sceptique François.
Dlonue, blonde cOlllme lef:! bl és , ùes yeux de
blcul:Ls ct une Laille de l'cine. Une Targui cette
créuLllI', iÙ~ulp:>
C'(s~
imlJossibJ ·1
�40
LE DIAMANT ROSE n'ALI
- Les Touareg sont fort beaux, assura le fonctionnaire, il peut exister des albinos parmi eux,
un phénomène dont le papa ou l'époux veut tirer
parti en l'exhibant à Biskra, à Alger on à BouZn.ada.
Mais vain ce prêche et inutile le désir du
mentor de rafraichir l'exaltation de jeune tscervelé impressionné par l'a.dmirable conLrée qu'il
découvrait et prêt à s'illusionner et II dramatiser
un incident de route qui n'avaiL rien de transcendant ni d'exceptionnel. Des races nombreuses,
extrêmement diverses, se coudoient sur un sol à
demi conquis par la ci.vilisatiolL européenne. Une
belle fille étrango no peut-olle naître de rencontres etd'hymensforLuits sur cette terro d'Afrique
brillante do solai! eL animée par los contes et les
poésies d'un l'olklore insidieusement passionné?
Los critiques et los réticences (ormulées par
François n'apaisaient pas l'exciLation cérébrale
et l'inquiétude du voyageur inexpérimenté.
- Ne sommes-nous pas les défenseurs du droit
et de la justice dans cette magnifique colonio,
fille ainée et infiniment chérie de la France,
disait-il.
_ . Un argument singulier pour couvrir l'entrepriso risC[lléo dont vous voudriez devenir le héros
eL qui meLtrait il. vos trousses LouL 10 Hoggar
déchulné. D'ailleurs que voulez-vous sl:\voir ::lUI'
cette jeune fille? Sa ondition est normale probablemen,t , nous n'aurons m'me qu'à inLerrogertollt
ù l'heure son guide ou plutôt fion rompagnon de
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
41
route pour savoir qui elle est, d'où elle vient et
où elle va. Les habitants du Hoggar pratiquent
volontiers la dissimulation mais Hs ne se montrent
pas intraitables et quand on sait les apprivoiser ...
François fit le geste significatif de fouiller dans
la poche intérieure de son veston absolument
comme s'il s'agissait déjà d'en tirer lèS billets qui
nmadouent tous les coquins.
I! souriait avec bonhomie mais persuadait-il
vraiment Hubort?
La jolie créature demeurait la victime d'une
sombre intrigue dont il désirait éperdument
dénouer les fils. Il aspirait au meilleur rôle auprès
d'elle, celui d'un défenseur - protecteur ~ vengeur, infiniment avantageux quand il s'agit de
eonquérir un cœur de femme.
n attendit patiemment l'insLant propice pour
entrer en communicaLion avec le Targui, espérant qu'au besoin le maître de céans, l'Arabe obséquieux, chef du douar, lui servirait d'interprète
et d'intermédiaire.
La matinéo passa avec une lenteur désespérante.
Il visita les alentours, s'eITorçant de découvrir
proche ou lointain la haute stature du fils du
désel't et la svelte silhouette de lm blonde compagne.
Mais de Ja bouche de son hôte il apprit flnalement que, dès ]e matin, les deux énigmatiques
visiteurs étaient partis en hâte.
- Absolument comme s'ils se sauvaient, avoua
l'Arabe. Jo n'ai pas même été remercié de mon
�42
LE DIAMANT ROSE D'ALI
hospitalité; vous feriez bien de visiter vos bagages.
Car avec de pareilles gens sait·on jamais? ..
François était enchanté d'entendre ainsi déprécier ces gens pour qui son jeune compagnon
montrait un intérêt, une sympathie déplacés.
Il n'eut pas la malicieuse perversité de dissimuler un obj et de prix pour accuser le Targui
d'un larcin qui eût refroidi Hubert à propos
d'aventures de voyage risquées et dangereuses. Il
pensait, sans doute, que dans ces parages le chovalier au Cygne le mi eux intentionné en faveur
d'un e Elsa de contrebande, deviendraitsimplement
10 dindon d' une coG Leuse e~ piteuse escroq uerie
réali sée ft son détrimen t.
Pourquoi insister? A quoi bon triompllel'. Le
pauvre Hu\) rL étaiL infi nim ent mélanco lique
eL visibJemenL dé çu. Buh 1 11 se consolerait rapidement de ]a ùi spariLion de ce tte fligiLive houri.
Quelqu es paroJos prononcées au l'otour de i.la
visiLe ù Timgaù, ville n écro pole et tlo uvenil' de
la dominaLion romaine j)J'o llvèrenL qu'il n'avaiL
pas chungé de pruoccupaLion e ~ do dés ir.
- Ce déparL fortuit ressemblo terribl ement à
un e fuiLe, à un cnlèvomenL. C'est ainsi que l'épervier s'cm pure de sa ùou ce proio, la colombe ct que
If' lion raviL la g:lzelle.
'
-- Vous o\1bliez de eiLel'lo renard, grand croqu uUl' eL voleur de pot!l es , mon cher Hubert.
Allons, j ~ le \ aiB, une l'ivuliLu avec: ce Targ ui
brutal et 19nomn t vous tonte, vous YOllÙl'ioz vous
emp~t
r er do let donzell e.
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
43
Hubert secoua la tête, son visage aux traits nets
et fins était tout attristé .
- Vous vous trompez, Ftançois. J'ai vu couler
des larmes sincères , véridiques, et j'ai devin é un
drame, un rapt affreux, un accident qui a mis
cette enfant racée et charmante entre les mains
de quelque bande féroce, tyrannique, point civilisée . Que ne puis-je la retrouver, la délivrer pour
accomplir ce que je considère comme un devoir
de simple humanité, le même qui m'a attiré en
Algérie par l'espoir d'y faire beaucoup de bien
parmi des populations indigènes. Elles jgnorent
les bi.r:mfaits de la médecine, de la chirurgie, de
l'hygiène.
- Vous parlez comme dans un livre à l'usage
de nos excellents colons et colonisateurs, soupira
François avec mélancolie. Si vous aviez passé
toute votre vie omme moi à Junor pour un progrès lent, il peine perceptihle, vous seriez quelque
peu désabusé ot vous laisseriez cos gens farouches
se déhrouiller entre eux, surtout quand l'intérêt
de la France n'est pas en jeu.
- L'oppression eL la séquestration d'une Française sont des rimes li réprimer.
-- Vous divaguez, Ilubert, ce soleil brûlant a
inglé vos méninges, un peu de quinine pour
M. le docteur.
Hubert eut toutefois la sagesse d'écouter cot
ultime conseil. Le soir, dans la confortable hôLel·
lerie de Biskra où nos deux amis occupaient deux
chambres qui communiquaient, François constata
�44
LE DIAMANT ROSE D'ALI
avec plaisir que son camarade versait dans une
tasse d'infusion au parfum de verveine une dose
de quinine salvatrice,
Un sommeil calme et réparateur étendit un
voile d'oubli sur les fantasmagories chères à une
oervelle frappée par dos réminiscences de récits
d'explorateurs-écrivains en quête plus de lecte,u rs
pour lours invontions que de,vérité.
Demain Hubert ne son,geraIt plus à cette Fatimé
fatale qu'il avait idéalisée au point de la confondre
avec la Française malheureuso et persécutéo d'un
drame de l'Ambigu, un drame signé Eugèno Suë,
Xavier de MonLépin, Pierro Docourcelle ou Jules
Mary.
CHAPITRE VIII
Ali avait négligé singulièrement les Coutumes
ancestrales en installant à son foyer la petite
Do11ys. Par q.uel e~chantmo,
par quel sortilège
la filleLte, plUS ]a Jeune fille avaIt-elle pris un te]
ompiro sm ccL être frusLe, à demi sauvage.
Il avait abandonné le Hoggar pour ello, abandonné sos compagnons pO';f eHo, et maintenanL il
so trOll vait seul avec ello dans un vaste monde
donL il ignorait il pou près los Coutumes ot los
lois.
La présence c~nstaLe
do .l'otago imprégnait
peu à peu son raVIsseur, cL Ah, quand il arrivu Il
Bou-Saada, se tl'ouvait plus intimidé, plus tramhlan~
qu'elle, la pauvrette déjù Bi émue . mais
�1
LE DIAMANT ROSE D'ALI
1
d'instinct mieux acclimatée dans une ville algérienne, française presque.
Quel émerveillement avait apporté àla transfuge
du sévère Hoggar la cité rose avec ses jardins, sa
palmeraie et ses toits en terrasses.
Par bouffées, l'odeur des roses, des mimosas, des
orangers en fleurs arrivaient à ses narines palpitantes comme les ailes du papillon arrêt.é au sein
d'une fleur et gorgé de son nectar mielleux.
Quel mouvement dans les rues oü circulent des
touristes 1
Dellys faillit sauter au cou de la première miss
blonde et blanche qu'elle rencontra en l'appelanL :
- Ma sœur ... ou ma cousine.
Ali et sa compagne formaient un couple pittoresque parmi cette population singulière et extrêmement mêlée.
L'habitant du Hoggar avait remplacé sa tunique
de cotonnade bleue par l'usuel burnous blanc. Il
avait renoncé au voile touareg et porLait un fez,
coiffure simple et cQmmode. Cet ensemble hors
série porLé p;r un géant attirait forcément l'attention moins que sa compagne attifée singulièrement
de voiles, do tuniques empruntées à divers cosLumes provenant d'anoiens larcins et choisis parmi
lOB plUB riohes, les plus ornés do la collection d'Ali.
Des pierres fines, turquoises et perles, voisinaient
ù son cou eL sur Bes bras avec de vulgaires verroteries eL Bon haïk do Boie rouge était taillé dans
une 6tofTe chinoise rnagnifi.que et brodée de fleur~
ct d'ois aux muILicoJol'es.
�46
LE DIAMANT ROSE D'ALI
Et quelle singulière coiffure 1 Elle a.ttirait tous
les regards. Et cette chevlu~
d'un blond pâle 1
Ils rencontraient à tout lllstant des femmes
voilées ou dévoilées, selon l'usage de leur tribu,
des hommes kabyles ou sahariens on burnous
blancs, des enfants turbulents, jaGasseurs, et aussi
beaucoup de voyageurs européens en costutnes
blancs, coifIés de chapeaux de toile avec leurs
femmes gracieuses et jolien dont l'élégance et le
sourire attira.ient singulièrement la blonde Dellys.
CeLLe société européenne habitait un hôtel
délioieux: construit à la manière dos hôtelleries
iLaliennes eL de certaiJ1(ls luxueuses résidences
d'Alger. Il avait un jardin centl'al ct des balcons
CI ui donnaient de l'air et de la lumière ume chamJJres .
Ali eu Lbeaucoup de peine à trouver une habitaLion. Serait-il oondamné, avec Dellys, à errer
perpétuellement dans le désert.
Bou-Saada, centre de plaiflÏr pOUl' los indjgènel3,
csLhabité par des danseuses de la tribu ùes Ouled.
NaHs . Ces belles filles re~ounL
dans leul' pays
dès qu'elles ont amasso les quelques centaines de
francs qui leur sem blent lino dot HuffisllllLe.
Une de ces nouvelles riches Lrouvu forL bon de
céder en échange de quelques bijoux eL piécettes
d'urgonL 80n logis à. Ali ombarrassé.
De plus ello abandonna ù Dellys des voiles et
autres chifIons de son Lrousseau d'almée au l'abaia.
Ces empleLtes permirent il Ali eL ô. su ('ompagne
de figurer désormais honnêtemenL eL d'nppartenit,
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
47
à la population Bou-Saadienne, une des plus
mélangées, où de déconcertants métis paraissent
vite normaux et comme acclimatés.
Vivre librement, loin du Hoggar rocheux et
farouche, quel paradis pour la jeune fille .
Elle emplit la case sombre, sa résidence, de
danses, de chants harmonieux que des voisins
charmés venaient écouter à la porte.
Elle possédaiL une voix de rossignol. SortHège,
magie, pratiques démoniaques semblaient inspirer ce chanL qui avait suscité la haine de Massine et conquis Ali au point de le faire fuir la
tente du Hoggar pour sauver ct protéger ce chœur
de chérubins: la voix, la beauté et le sourire de
Dellys, sa fille adoptive.
D'une main royale et blanche comme la neige,
elle accompagnait son chant sur la singulière et
monotone guitare Louarègue aux accents profonds
eL émouvants . Bientât, discrètement, tout BouSaada conquis vint écouter cos harmonieux couplets et payer la faveur de leB entendro.
~
Mon diamant rose, songeait Ali en empilant
da.ns des sacs cetLc menue monnaie dont il surtaxait la médiocre valeur.
Mais qu l succès parmi les Européens en quête
de nouveauté exoLique que eLte danseuse nouvello, Dollys n'imitant pas les Mauresquos ct les
Oulod-Naïls.
- Une Pavlova 1 murmuraient-ils enchantés.
- Quelle voix d61icieuse 1
- Une nouvelle Patti, un r03signoll
�48
LE DIAMANT ROSE D'AU
Grâce pudique, enjouement aimable, gai té et
êve voilà ce qu'exprimait, tout naturellement, la
fille si différente des indigènes dont les
déhanchem.ents sont connus.
Dellys était loin, si loin de cette engeance
marquée de promiscuité et d'immoralité, de la vie
arabe dans certaines villes.
Dellvs purin ait son entourage, son corps frais,
son esprit candide opéraient ce miracle. L'obscure
et sordide demeure qui BenLait enCOl'e l'épice et le
m~sc
de ses devancières, locaLaires de cc réduit,
<lbandonnait son apparence é(llllvoque depuis
qu'un ange blond l'occupait.
Il étaiL impossible de classer le Diamant rose
d'Ali dans l'ordinaire cohorto dC'!; danseuses des
agglomérations urabes.
jeun~
***
Lorsque François et Hubert revinrent de leur
excursion vers le sud, ils s'arrêtèrent à Bou-Snada,
lino des plue pittoresques station!:! de l'Algérie.
visité Touggourt,
Après Biskra, ils ~vaient,
Ouargla, El Goléa, P?wt extreme de leur excursion dans les Oa!:!is. Remontant vers le Nord, ils
avaient tra;versé Ghardala, Laghouat ct, cllchantés
de la bonne renomméo de l'hôtel de Bou-Saada
dont tous les touristes faisaient un éloge pompeux,
ils avaient résolu « d'y planter lour tente )l, c'est-àdire d'y séjourner u.n certain laps de temps. IlR
visiteraient, les enVIrons de cetto cité originale
�49
LE DIAMANT ROSE D'ALI
avant de clôturer leur voyage par Constantine, le
Djurdjura, Philippeville.
_ Et Dellys au nom fatidique, ne manqua de
dire, en développant cet itinéraire, François malicieusement en se tournant vers son compagnon.
11 pensait distancée à jamais et perdue la douce
G~ature,
celle dont Hubert avait rêvé de devenir
le don Quichotte enthousiaste.
Disons tout de suite qu'il s'illusionnait en partie et que les sentiments chevaleresques du jeune
médecin avaient encore le don rh oMuire son '
imagination éprise de dévouement eL peuL-être
aussi d'aventures hors série.
Autrement, un garçon fortuné, aimable, doué à
tous les points de vues s'expatrierait-il dans une
colonie florissante, sans doute, mais moins agréable que Paris où il avi~
laissé ses parents et la
possibilité do se créer une situation magnifique,
enviée ct rémunératrice ? ..
HuberL Miquez avait la passion du bien, ceUe
de la justice comme d'autrefl jeunes gens Bont
animés par l'amour du plaisir et celui des compéLiLions sportives.
CerLains entre Liens avec des Pères missionnaires,
fond ateurs d'écolos cL de dispensaires dans les
régions qu'il venait de Lraverser, renforçait son
désir d'apostolat à la fois social ct médical.
Chose' incroyable, il confondait un peu Loutes
es peuplades, plaignant l'incurie ct la mal proprCL6 d'aillcurs parfois assez somblo.hles du nègre
du Pahouin, du Chaambah, du Kabyle, de
4-
�50
LE DIAMANT ROSE n'ALI
l'Arabe. T0US d'ailleurs, il faut l'avouer, laissent
mourir sans indignation et sans sccours les femmes
et les « moutchachous l).
- Inch Allah t prononcent les assistants d'une
agonie avec un flegme oriental.
Tout est écrit dans le ciel, le mal plutôt quo le
bien.
- Il faut absolument changer cela, disait
Hubert à son confident habituel, l'honnête mais '
sceptiquo François.
-
L c ~ Tijé:-'t~
d.~1e
e!'
. TilC~
. ti~
(\4t\lt1ont.Qla "ont.• '
ils vérit ablement démontrés, constamment apparents ct est-il vraiment indispensable de doter nos
hon s Algériens ùe l'esprit de compétition, des
ambitioIl tl , des volontés, du cc rush» en un mot
f;ignificatif animateur des j unes classes anglaises,
Jr ~ nçait
c s, tch6co-slovaqucs et donL sont même
pOUl'VI1!lI CB nitoyons d'Andorre qui pensont oLre,
e u x tlll Sii i, cc the bûs t in the worlcl ».
U Il rjCfAllelllont un peu amer achevait la prof(,l:Ision de foi [lUï(,llne de Frunçois, et Hubert préft'l'd i t l'arùent pl'odolytismooL la touchante ferveur
d e~
fils Bpil'jLuels du Père rie Foucauil., du Père
Fl'6Lo d de MU1lI'ice Brinult clonL il avait lu ct
B' vouré les réci ts il lu Cois volontaires eL nostalgiqll Ps sur Ica nOIt velles missions africain s.
Parfojs il s'r.rnportaiL, l'exc Uent Hubert, disait
su façon de penact' à François qui manquait d'élan,
do gén6rosiLé onvertl le faib!e opprim6, preBsu1'4,
anéanti.
- S61ecLion, séloction, un savn~
a-L-il le
�LE DIAMANT ROSE n'ALI
51
droit de s'opposer au vœu formel de la nature.
Hubert haussait les épaules. Ancien interne
dans un hôpital, il savait que parmi les guérios,
les sauvées, les converties à la vie, les rescapées
sont les meilleures existencos, les plus précieuses
aux sociétés.
- Ainsi, par exemple, insinuait avec ironie
l'excellent François, je vois très bien certaine
indigène blonde qui par sa chevelure vous tenait
le cœur, so muer en reine dans le genre héroïque.
- CetLe Européenne égarée au désort ne devien·
drait-elle que l'h oureuse maman d'Ilne lign ée de SD
race qu'elle méri terait fort bien d'Nre repris ct
sauvée corps eL ûme, mon cher.
Bou-Sanda, la jolie ville rose dans sa palmeraie,
rose comme un bouquet printanier rehaussé ùe
l'euilles vedes réservait peuL-être ' Hubert la joi e
de l'ct! ouver l'attachante personnifi atioll de jeune
fl1~
dont il demeurait impress ionné il ...
CHAPITRE IX
Bou-Saada comme Biskra, ('omm
Alger,
comme COJlstantine esL encombré de guides indigènell qui cherchent des voyageurs pour les piloter
parmi 1 s plaisirs ct les beautés de ces stations
devenues CIl qu Ique sOIte les villt;R d'euux ou
pllllüL Ir8 prin cipa ux poinl,s t·), ri,Jliql.1es de
1'. Jgéric.
La preIni~a
Lois qu'il erra suu! rla l rl ' ruca
�52
LI: DIAMANT ROSE n'ALI
malodorantes et offrant à ses yeux le spectacle de
cases sombres peuplées de silhouettes de femmes et
d'enfants, Hubert fut abordé par un garçon aux
vêtements sordides qui offrit non seulement de
l'accompagner mais aussi de lui procurer le
muleL qui lui pel'mettrait d'excursionner dans les
environs.
Hubert avait reçu pas mal de ces propositions
dans d'autres villes et pr~demnt
François lui
avait inspiré la méfiance du biskri qui connaît à
rond l'art interlope d'exploiter la curiosité et
l'ignorance des étrangers.
-- Ces aventuriers sont def! coquins, avait
aRsuré 10 foncLionnaire nIgérien, et si nous acceptions 1eR services de l'un d'eux, il ne manquerait
pas de nous jouer quelque I.our par la suite. Peutêtre mêmo appellerait-il il la rQscousse des malandrins do son espèce pour nous dévaliser en Cours
de route.
- Ahmed Mansour, cultivateur do palmiers et
Krebir, c'est-à-dire conducteur de caravanes ,
assura l'indigène pour sc présenter et donner
confiance.
Il parlait le français fort clairement et n'avait
probabloment jamais possédé d'autre arbre aux
dattes quo le voyageur généreux en pourboires
quand on le conduit à la découverte de frises
rupestres ou des fertiles oasis du côté d'Ain-Sefra
ou de Ghardaïa .
Ahmcd M~nsour
n'était pas susceptible; nullement froissé du refus bref du touriste qu'il
�LE DIAMA NT ROSE n'ALI
53
accost ait, à peine découragé il lui propos a un
talism an qui lui perme ttrait non seulem ent de
jouir de tous les pla.'isirs terrest res, mais encore de
goûter après sa mort aux félicités célestes du paradis do Mahomot.
Huber t faillit éclater do riro au nez de ce marchand de bonhe ur à la manièro orienta le. Point
fétichiste, il pensai t quo la volont é, le travail et la
do la chance et
bonté contie nnent tou s los ~ cret~
qu'ils mènen t j ustemo nt la fatalité ...... par le
bout du nez.
L'activ ité et l'idéali sme dos jounes gens et des
jeunos filles modernes s'appu i ont souven t sur cette
énergique concoption de la destinée et il faut louer
les éducat eurs qui ont su la lour inspire r.
Cepen dant Huber t ne se refusa pas l'amus ement
d'inter roger 10 biskri sur la proven ance et le
conten u de l'amul otte magiquo. Il apprit que ce
talism an, réserv oir de toutes los félicités, guérissait do la soif, do la fièvre, qu'il mettai t en fuiLe
los voleur s, les sorpen ts ot los femmes perVorses.
L'indig ène entam a le récit d'une longue
anecdo te qui prouva it l'excellence de sa panacé e
dont il spécifia 10 prix infinim ent modiquo.
Copen dant il insinu a que la générosité de
l'achet our en augmo ntait 10 pouvo ir magné tique.
Toutes 9S billovesées 'taïent racontées sur le ton
par la
ic
d'une convic tion profonde, (~mf"nt
pétilla nto malice des yeux noir:; Je l'Ar' bo.
Huber t BOUPÜU.
�54
LE DIA:"IANT ROSE D' LI
VOU S me prenez pour un àne, fit-il sévèrement.
- Pas raison, le Sidi, de mépriser l'âne bi en
d ou ' , bien intelligent. Le mien s'appelle OuI cL
il fa it tout ce que son maître Ahmed Mansour
ordonne.
Cette r'partie ne manquait pas d'h-propos.
Hubert sour iait" il refusa le t alisman mais remercia son interlocuteur d'un large pourboire pour
ses propusition s ohligean tes et l'affection qu'il
portaiL il. son âne, une espèco tout à faiL sympathique , nuasi bien en OrienL qu'en Occident.
Procédé généreux maiH funeste pour sc débarrasser de l'ohsédant indigène qui, eomblé, payé
d'avance de Coutes ses peines, suivit le client
prodigue au risque de l'.i mportuner.
Cl s'agiAfHüt pour le Bislcri d'observer le visiteur, d e sai.~r,
de deviner Bes goûts, ses préférences
et de faciij ter ensuite la réalisation de ses moindres
dÔsirfl .
Hubert, mécontent de l'escorte, se tourna ct dit
sév èrement:
- Tu perds ton Lemps, mon garçon, et 10
temps c'est do l'argent.
- Pour rien! pOUl' l'honneur d'aider]e sidi, fit
Ahmccl 1an15our en clignant dOb yeux ct en saluant.
.
Ouand lIubol'Lcut quitL61e quartier réservé eL
qu'il arriva lU côté de lLl }-lalmorui , J'Arabe
s'upprochant lui ofiriL de visiLer les jardins onches,
des enclOt; où IIll!t'issaionL h.t figu o cL l'on.~ge
�LE DIAMANT ROSE n'ALI
55
_ Que vous pourrez cueillir il. voLre gré, attendu
que les jardins de Bou-So.ada ? sont très bien éulLivés.
Hubert secoua la tête. Il regardait un groupe
de femmes non voilées qui traînaient lems pieù;,!
nus ct crasseux danR ln potlssière ct qui disparurent Rilencieuses.
Ahmed Mansour l'isqna d'au[.l'lJS pl'opotliLions :
Le sitl i voulait-i 1 le soir voir 108 danseuse!!
fUIlIeUSOfJ, Ouled-Nads ou Mauresques?
- Très jolies, très bion habillées, promit-il .
- J'ai déjà admiré 'touL celn. il Biskra, répondit
Hubert . Ces fommes que nous avons crois80:; sont
<.les Kabyles, probablement?
_ Oui, Sidi, cHcf:> travaillent dalls les jardins .
« Voulez-vous planter des ohoux », disait 10 pèro
en nous apprenant la ronde comme à
Ù la l\is~on
Paris.
Le jeune méd ec in riaiL, il était définitivement
conquis pOl' la naïveté malicieusc do cot indigène,
européanisé ù la manièrc d'un Poulbot exotiquo.
116couta Ahmed, illo mit même sur le chemin
des confidences pour se renseig .1cr sur ses origines,
son onfance, l'école fréquentée ct ce qu'il y avait
tlppris.
Ahmed oxpliqua qu'il étaiL né loin, Lrès loin, et
qu'il avait fréquenLé l'écol ' do Timimoun.
cléjtl Lout, nt il avec impor- Mais je snvai~l
tUllce, ct les Inngue::l du Sahara aURsi bien que
l'~ncprèO
ùt! Missi 10 Gouvorncur. C'est moi qui
Ul tiré d'embarras le Targui plus d'une fois eL le
�56
LE DIAMANT ROSE D'ALI
Chaambah. ' Je compi'ends tous les (( idiots »,
comme on dit à Paris, tous les idiomes des Benis
et des Ouled depuis Alger jusqu'à ...
- Jusqu'à? interrogea Hubert sceptique et
railleur légèrement.
-Jusqu'à je ne sais plus où, tellement c'est loin,
répliqua l'astucieux Ahmed.
Flâner ainsi en compagnie de cet Arabe assez
peu recommandable apprenait à IJuberL que le
bluff prend ses assises jusqu'aux portes du
désert 1...
Et cependaùt, pour démontrer que ses prétentions n'étaient pas entièrement imagin6es et que
polyglotte, il rendait desserviees ù ses concitoyens,
Ahmad raconta qu'il connaissait un transfuge du
Hoggar réfugié à Bou-Saada avec uno danseuse
comme on n'en avait jamais vu dans la région,
une sultane.
- Je leur sers de Khrebir dalls la ville qui est
encore un désert pour eux, je les comprends, moi.
Drôle de père et fille singulière. Blonde comme
les Anglaises de l'hôtel Transat et délicate et
svelte, et sauvage, une gazelle aussi farouche que
celles juchées sur les rochers de l'Arak.
- Et comment s'appelle cetLe jeune fille?
demanda Hubert d'une voix tremblante, sourde,
étranglée par l'émotion.
- Dellys, fille et diamant rose d'Ali.
(( On se bouscule, on se bat pour l'entendre chantor. Chacun son tour, n'est-ce pas, et c'est moi qui
g<lrde l'entrée de la maison.
�LE DIAMA NT nOSE D'AU
57
.Ne nous étonno ns pas, après cette palpit ante
déclar ation du sordide Ahmed Mansoul', de le voir
inutallé dans un café maure avec le docteu r
Huber t Miquez.
Les questio ns se pressa ient sur les lèvres du
França is, inlassa ble sur le sujet: Dellys .
.- Oui, disait- il, Dellys pleure souvan t et il lui
esl. très pénibl e de paraîtr e ainsi devant ce public .
Las femmes d'Inike r sont fières et ce n'est pas
leUir rôle .
.- Ce qu'elle dit 7 Elle assure qu'elle se trouve
beaucoup plus heureuse qu'avec la femme d'Ali
qni n'était pas sa mère et qui a voulu l'empoiSonner.
- Incroy able odyssée 1murmu ra Huber t. Comlllient cette enfant est-elle tombée aux mains
ùe·s barbar es touare g 7...
Quelle savoureuse énigme proposée à son imagination 1 Quelle pittore sque rédem ption que
celle de cette jeune fille dont le nom d'emp runt
était déjà tout un poème.
Dellys, le diama nt roso d'Ali.
Dellys, la plus jolie ville du littora l algérien et
IH diama nt rose, la plus précieuse, l'intro uvable
gl3mme, ornem ent du trésor d'un rajah ou d'un
kJaliCo.
Toute la poésie, tout le mystère de la passio n
dJtaient conten us dans cette idylle charm ante
Itlroposée ù la perspicacité du docteu r Huber t
.
iMiquez.
Ah 1 qu'jl t2t.ait heureux de l'avoiI' retrouvée et
�58
LE DIAMANT ROSE D'ALI
reconnaissant à l'intrigant Ahmed d'une el1tremlse
qui lui permettrait de la revoir, de l'interroger, de
la sortir du milieu indigne de sa beauté, do isa
l'ace où le malheur l'emprisonnait pout-être depuis
sa naissance.
'" *'"
François fut réellement atterré quand il appltit
cl son jeune ami ce quo celui-ci appelait:
-- Une bonne, une formidable, une délirante
nouvelle.
- Parlons-en, do votre trouvaille, déclara tont
n t 10 mentor de l'écervelé, vous igllOrez la malieo
ct la convoitise des arbicots qui pensent avoir à
se vongor de la domination et des rançons imposél2s
par les Européens. Los bienfaits de la civilisatioll,
cela n'existe pas pour cux. Quel n'est pas, pour 11 '8
bandes so.ho.ricnnos, le rogret de ne plus pouvolir
so livrer à lours guerres de clans, ù lours pillagù1s,
à leurs exactions.
- Vous êtes, je pense, do.l1o l'errùur. L'excollen t
Il hmed est parfaitement h'ancisé et il no me veu t
ulIcun mal. C'est par hasard qu'il a 6té amené .il.
].1(\ parler de Dellys et sans rien exiger il m'a d (,
su ite indiqué la r6sidence d'Ali, le Touareg.
« D'ailleurs on est très bien duns cetLc MtoJ]el'i€l,
et me voi('i un pr6toxLo de plus d'y séjourm!l'
j llBqU'Ù ln fin des VD.cancos quo je me llU in ocLroyéos,
de\lx moifl au moins.
- Vous vous lusserrz pIns vite quI.' vous no le
�LE DJ.,urANT ROSE D'ALI
59
supposez de cette ville dont le cosmopolitisme
parait rapidement monotone. Quant à votre cher
Ahmed, qui doit être vêtu à la tunisienne, c'est un
nomade européanisé dont tout l'art est de presBUrel' et d'empoisonner de sa présence obséquieuse
l'étranger.
Votre diamant rose ne fut jamais serti dans
une couronTlO, c'esL une Zuleika quelconque passée
au henné blanc et à la céruse, une odalisque quelConque. Ne vous att.ardez pas ici, mon cher doc~eur,
songez aux malades qui attendent vos soins,
11s n'ont, hélas! que trop de propension à s'en
passer ct t\ demander remèdes et guérison il des
marchands d'amulettes et à des sorciers.
Hubert baissa la tête avec tristesse.
n connaissait, déjà la malpropreLé, l'incurie des
AT'abes pauvres, superstitieux et fa.talistes.
Quelle 1utLe il fallait soutenir parr ois pour faire
exécuter dos ordonnances et sauver de la cécité ou
dola morL un nouveau-né attomt
. deconJonc
. t'"
IVlv0
puru[pnto, de diphtérie ou d'onLérito.
Sans doute, mais 10 sort do Dellys lui ienait au
c~ur
ct avant de l'abandonner au destin des saha1'l(~ne8
il voulait être certain qu'elle n'ôtaÜ pas
u~o
fille de sa race, ct de la plllS déliraie ct de la
llneux "hoisie.
Be1·1e, douloureuse, sensible, clle pouvait men·
' .
t;r ~lus
et mieu;( que la sympathie passagère ct
1 apitoiement insi'Ylüflant eL ftWo.ce d'un Louriste.
"
t:>
�60
LE DIAMANT ROSE D'ALI
CHAPITRE X
Le lendemain, François, au lever du jour, fit tous
ses préparatifs pour quitter Bou-Saada. Lorsque
son camarade vint lui souhaiter le bonjour avec
l'arrière-pensée de l'entraîner vers une excursion
projetée la veille, il }e trouva au milieu de ses
valises, un paquetage soigné ct bouclé jusqu'à la
dernière courroie.
- La Bamboula des villes d'eaux algériennes
me pèse, déclara-toi} avec une moue dédaigneuse.
Il me tarde de ren Lrer duns ma paisible villa de
Mustapha où je suis attendu impaLiemment par ma
famille . .l'ai rempli la tâche qui m'impose un
voyage annuel dans certains douars ct les exhibitions de danseuses, d'Ouled-NaHs ou de mauresques ne sont pas intéressante!:! . Croyez-moi, partez en même temps que moi ce matin, ce soir au
plus tard.
- Je ne vous retiens pas, répondit Hubert avec
froideur, mais je resterai certainement ici plus
J 'un jour.
- Vous -hangerez bienLôt de projet, riposta
François, j'attendrai donc quelques heures pour
achever mon voyage en v'otre ompagnie. Vous
l'tes transporté d'aise par nos imitations cn toc des
stations balnéaires françaises?
- Je pense séjourner ici au moins une semaine,
pC'ut-être doux.
�LE DIAMANT ROSE n'ALI
61
- Ne persistez pas à fréquenter le guide dont
vous m'avez parlé et ne cherchez pas à vous entremettre entre ce Touareg en rupture de Hoggar et
la femme .dont, à tort ou à raison, il se déclare le
père. Renoncer à une intrigue avec une indigène
hors série me parait tout à rai t urgent pour votre
tranquillité, pour votre sécurité. Vous risquez
Pour le moins d'être berné, dépouillé par une
bande d'aigrefins, les mêmes qui autrefois détroussaient les caravanes du Sahara. Ces bandits ont
changé de procédés, de pillage, ne prêtez pas
l'oreille au chantage de l'enfant volé. Il est
ùangereux devant des barbares avides de céder aux
impulsions du cœur, aux tentatives du sentiment.
- Certaines sympathies, certains pressentiments ne trompent jamais un esprit sensible et
claivoyant, murmura Hubert Miquez.
- . C'est une manie, un délire qui A'emparent de
v.ous. Ah 1 j'ignorais à quel point vous êtes impulslf .
. - Un pen téméraire simplement, cher ami, et
blendéterminé à faire ce qui me plaH, même quand
les circonstances apparaissent troublantes, funestes
aux gens timorés.
François se rendit compte que ses conseils ne
POUvaient influencer Hubert. Il regrettait de
l'abandonner à un sort qu'il jugeait extrêmement
pél'illeux et il ut la précaution de ]e recoma~
der li. un caïd de ses amis dont la smalah étaIt
installée dans la campagne environnante, à quelquoo kilomètres de Bou-Suadu.
�62
LE DIAMANT ROSE D'ALI
Son départ hâtif pouvant précipiter des événements qui seraient, il le pensait, de la plus vulgaire banalité, il' serra cordialement les deux mains
de son camarade et mon La dans l'autocar qui le
ramènerait ù Alger assez rapidement et qui
ne passait à Bou-Sunda que de temps en
temps.
Le soir même de l 'exode du craintif fonctionnaire, Huhert rranthissaÏL pour la première Cois le
seuil du logis de Dely~.
Après une si::l iion dans le café maure en compagnie du guide, Ahmed MnlHiour l'emmena dans
un e rue assez reculéo sem blable ù un Coupe-gorge .
Des Gases closes et obscures s'éehapp:üent des roulemonts de Lam-tam, des 0ris, des vociférations,
tout un tapage peu ha rmooinux, la luu sique des
pl uiH irs n a Lionaux de BOll-Saada.
Après coLt!' LraVerSl\e (,t cette audition involontaire, quel r nvisseme nt po Ul' JI ubcrt d'enLend ('e les
inLonations tunLû t vives, LnnlcJL 1anzui ssantes du
doux rORsignol arr ivé , st'mbla iL-iJ, tout exprès du
Hoggar pour le ehaI'll1l:l' .
Il n'ISLa it pas soul ù l'écouter, un nu age de fumée
nt.oura iL la mu sicienne ass ise S Ul' l'esLrade . Des
MaureseL dos Arabes, enveloppés de burnous blancs,
étaienL Lassés leB uns contro lef$ a utres 'L l'ad mir:üenL II I-! aspiraient daos l eurs chibouks et
11:xainL GV c des yeux avides l'es tra de tendue de
roug!' où si('gea it l a musicionne. Derrièro ello se
t enait dC'bout Ali à l'imposunte stu turl'. Le b as du
visage voilé , vêtu de Ieug Ù lu mUllièr<: touureg,
�LE DIAlIfANT RO St
D'AU
63
il promenait sur l'assistance un regard pénétrant
:et obstiné.
r
Ah 1 ces chants targuis imprégnâ'S do la plA1S
'harmonieuse mélancolie, nulle femme avant De111ys
n'avait su leur imprimer de tels acc'Ol\\ts.
Et quand elle voltigea légère et anÎlmée surtl'estrude' l sa danse aérienne de petite fée av~ti
un
aUrait inconnu pour ce public habitué aux contorsions de leurs almées ordinaires.
L'idéal, la pureté, la grâce pudique, lajeunesse
s'exnrÏInaient dans cette dan~e,
PB:! ce 9y:ant ___ _
- Est-cc une fleur, est-co un papillon? songeait ces Orientaux dont l'esprit n'est pas dépourvu
de poésie et dont l'âme est loin d'être rassasiée par
les exhibitions habituelles des bouges algériens.
Dans un coin, un nègre ému jusqu'aux lar mes
sanglotaiL, il lui sem blait entendro le chant d' un
des anges dont il avait entendu pader par le Père
Blanc qui Lui avait donné le baptême q Gdques
mois plus tôt.
. Après avoir ressenti les délices de voir et
d'éco uter la jeune fille, IIubert éprouva de l'indignation, de l a colère.
Ainsi cette créaturo idéalo étaiL un spectacle,
un divertissm nent pour un Lei public! ...
Quand, solo n la couLume indigène et pour
t ém oi gne l' leur admiration, les Arabes jetèrenL sur
l'of;Lro.d e des piéceLtes de monnaies, le rouge do la
honte empourpra le visage do l'Européen, du docteur HuberL Miquez scandalisé.
Mais qucllo chimère aussi de vouloir arracher
�64
LE DU
~ MANT
ROSE D'ALf
Oellys à un sort (fU'll trouvait infâme, odieux, et
quelle étrange rrranie de sentir qu'elle ~parteni
\
à la noble ligriée des princesses perSQcutées eV
1
malheureuses, / des otages que d'lnjusfils repré:
sailles retieuMnt dans une odieuse servitude.
indignation, il ne se précipita pas
II contint ~n
sur l'estrade pour arracher cette jeune fill,e à la'
domination de ce Targui vainqueur. Il méditait
simplœnent sur le meilleur moyen d'arrêter ce'
qu'il appelait un scandale, et au retour il s'entretint de s~n
projet avec Ahmed assez peu Burpl'ÏR dei
'l'enthousiasme provoqué pal' le Diamant rose
d'Ali. Il demeurait pel'c
~c
quant aux moyens de
satisfaire son c1ienL qui vüulaiL s'emparer de
Dellys et la romettre il des éducateurs choisis qui
Re chargeraient de la réintégrer dans les droits de
sa l'ace.
- Ceux d'une jeune fille a ppartenant à une
famille distinguée d'Europe, c'est certain.
- Ou d' Afriq ue, insinua Ahmed, la gazelle peut
forL bien être la fille d'u :l Sultan, d'un caïd; les
blondes d'Europe existent parmi les épouses nombreuses qu'Allah leur prodiguo. L'onlevot· serait
difficile, Ali ne le permettrait pas ct au Hoggar les
femmes ne sonL pas abandonnéel:l comme da us
d'autres tribus, c'est-à-dire vendues. D'ailleurs,
l'enfant est extrêmement farouche et fière, aussi
fermée aux coutumes d'ici qu'une énigme, un
rébus, un problème de science posé pnr un marabout on prières à un djinn ou djonoun du Hoggar.
Toutefois les perplexités du jeune médecin ct
�65
LE DIAMAN'r ROSE D'ALI
celles de l'astucieux Ahmed trouvèrent un apaisement inattendu quand, le lendemain, Dellys
reconnaissant dans le voyageur son voisin de tente
de Timgadi s'arrêta devant lui toqte souriante .
Elle était desc.endue de son estrade, s'avançait
vers lui et il s'empara de la petite main levée et
tendue vers lui dans un geste d'appel.
'. Il y eut entre ces deux êtres qui ne pouvaient
échanger une parole et se comprendre un regard
d'une indicible éloquence.
Toutes les roses du plus chevaleresque dévouement s'épanouirent, larges et parfumées, dans le
cœur du jeune homme.
Il y eut un brouhaha, un remous, des cris et des
rires . Ali vint à son tour, sévère ct gigantesque,
un bloc de granit en mouvement, il prit Dellys par
la main ct l'emmena vers la retraite qui se trouvait derrière l'estrade.
Doux fois elle tourna la tête du côté du Français,
tendit la main, manifestant ainsi qu'elle s'éloignait
Ù regrot.
Quelle diplomatie, quelles ruses ne devrait-il paf:!
employer pour oMenir des conGdences, des aveux
de ces enfants du Sahara et comment entendraitil do l'astucieux Ahmed l'exacte traduction des
propos de la jeuno fille?..
Il Bongoa à fa'Ïre partager sa curiosité et ses
soupçons au caïd ami de François, la justice française interviendrait et l'intrigue qu'il imaginait
compliquée, désolante pOUl' la captive, serait
tI
�66
LE DIAMANT ROSE D'AL[
dénoncée devant le trIbunal mixte où Ahmed avait
plus d'une fois servi d'interprète.
Le seul obstacle à ce projet mirobolant fut l'air
de flegmatisme railleur dont le chef arabe écouta
le récit du romanesque Européen.
Il mit en complète déconfiture le splendido dessein de notre héros, en citant un verset du Coran
qui mettait sévèrement en doute le désinLéressement sentimental du loyal eL énévolo redresseur
de torLs supposés envers la blonde musicienne
targui.
« Le savanL sans continence et séducteur de
u femmes est un aveugle qui brandit une lanterne.
« Il éclaire les auLres eL Ile heurte aux obstacles. »
Et il congédia dédaigneusement 10 visiteur sans
lui serrer la main et sans s'incliner devant lui.
CIlAPITI E XI
Hubert revint chaquo jour voir et entendre
De1lys. Son chant, sa danse, ses attitudeB qu'oHo
suvait varier à l'infini étaienL pour lui 'dépourvus
de monoLonie.
Elle était pareillo à quelque boll0 fleur balancée
sur sa tige par le vent du sud ot il ressentaiL tros '
vif un sentiment de honte d la voir s'exhibor
do anL IIllO assistanco peu choisie.
La piLié, ln t ndreSRe He partageaient le œur du
jeune homme {'lnU de compassion devant eLte
j'une nUedesnrnce 6garécdansJos coutumes orioll-
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
67
tales si méprisantes pour la femme, l'esclave née
que les mœurs et même la religion condamnent à
ce rôle humiliant.
N on, la danseuse n'était pas pour lui un bibelot
de prix, un objet d'art que l'on peut ravir ou
acheter, elle était une âme à sauver, une créature
du ciel qu'il voulait arracher à un destin funeste
et immérité.
Naturellement, les soupirants ne manquaient pas
à la bello De11ys, mais les habitudes du Hoggar ne
sont pas celles des tribus qui l'avoisinent.
Pures, s6vères même et si Ali consentait à une
exibition lucrative, c'était pour vivre et parce qu'il
avait dû fuir sa maison, abandonner son patrimoine et tous les usages targuis pour sauver Dellys menncée pur l'injuste haino do su femme Massine.
Il défendait Bon diamant rose, ne le laissait
approcher par aucun do ooux qui l'admiraient. Le
F rançaispas plus quo les a'lltres et Ahmed lui-mêl;lle
130 trouvait quelque peu d6concerté par l'austérit6
d'Ali ot do Sa jeune compagne.
Difficile conquêto qu'il croyait seul son compagnon eL olient capable de réaliser. Dellys avait
pOUl' HuberL des sourires. n semblait môme parfois, en ohanLantcol'tainoB mélopées mélancoliques ,
qu'ello s'adressait il cet uniquo audiLeur.
- - Et qtle dit-ello dans son langage saharien?
demandait IJuberL il son traducteur Ahmed.
- Elle xpritno do vagues rêveries auxquelles
jo ne comprends pas grand'ohose.
�68
LE DIAMANT ROSE D'ALI
Ne se souvient-elle pas plutôt d'une existence différente de celle qu'elle mène depuis fort
longtemps sans doute. Je voudrais être au courant
des réminiscences de sa pensée pour deviner qui
elle est, d'où elle vient. Ah 1 il me semble reconnaître son doux visage. Est-ce celui d'une sœur
égarée parmi des barbares et subi~nt
leur joug
despotique.
Parun étrange revirement d'esprit, Ali s'humanisait vis-à-vis du constan1j I)t discret admirateur
de Dellys.
Il ]e saluait, lui souriait et permottait à la jeune
fille do s'approcher de lui et de lui serrer la main
il la manièro française.
Le Targui était possédé par do sinistres pressentiments. Le Hoggar n'allait-il pas surgir tout
ontier, sc venger de sa trahison. Les trois complices
abandonnés au Sahara uvee tous leurs fallacieux
espoirs de raIlo ct de butin, fruiLs d'une expédition
concertée mise à néant par son départ avec Dellys
apparaîtraient tout à coup.
Ntyou, ]e nègre Antaghila on Cheghir massacreraient Dellys et le poignarderaiont ensuite .
Il voulait fuir, quiLler Bou-Saada, partir vers
10 Nord avec le Français, so mettre sous la protection des lois édictées par les conquérants
de l'Algérie puisqu'elles interdisent 10 meurtre et
exterminent 1eR ennemis du faible malheureux
ot menacé.
- Bons, très bons, les roumis, disait-il ù IIuberL
~tupérai
de cotte soudaine politelise. Cepondant
�LE DIAMANT RQSE D'ALI
69
le géant adouci ne savait pas expliquer l'histoire
compliquée de ses angoisses, de ses craintes. Il se
méfiait d'Ahmed et ne lui demandait pas de
les traduire.
11 se familiarit;ait avec l'étranger plus qu'avec
les v isiteurs arabes nombreux, gens riches et bien
posés parfois qui venaient admirer la blonde danI:leuse, peut-être avec l'arrière-pensée de l'acheter
ct d'enclore cette beauLé rare ct précieuse dans un
harem mysLérieux.
Le jeune médecin eut bien viLe la sensation
d'êLre choisi, distingué entre Lous par Dellys eL
par Ali pOtll' devenir leur protecLeul'.
En vérité, il songeait à confler l'éducation de
cette brebis égarée au Hoggar aux religi.euses d'un
couvenL d'Alger do ot il connaiHsa1t fortbiellia Supérieure, car son projet n'éLaiL pas du Lout de poursuivre une facile eL simple séducLion à l'orientale .
Il goûtaiL auprès do la jeune fine silencieuse un
plaisir Lrès pur, Lrès noble aussi, celui d'espérer
sauver corps eL âme une créature parfaiLo et lJoUe,
qu'un hasard cruel vouait 6tourdiment au pire
ueflLin.
Ce jour-là, par exception , Dellys ne clansaiL pas;
il fnuL de temps en temps du repos aux musiciennes,
ùanseuses belles ct inspirées. Lorsque le fidèle
lIuhorL arriva à la maisonneLte du quartier réservé
occupé par les deux transfuges du Pays Blou aux
l'oehers de baBalLe, il Lrouva la parLe herméLiquomenL l'Iose. i\prèf! nu f!oupir il allaiL reprendre le
chemin d(· l'htHrl Traosut, quand une mn. io 16gèr .
�LE DIA MAN T ROS E D'A LI
70
se pos a sur son bra s et l'entraî~
à l'ar rièr e du
loa is où il ent ra par une por te der
obée, celle des
h:b itan ts de ce lieu sombre, silencie
ux, où il pénétra bra vem ent .
:
Ali l'ac cue illit dan s Bon ant re
pas sab lem ent .
louche où des pan opl ies d'ar mes
diverses et de
tap is précieux tém oig nai ent d'in stin
cts bel liqu eux
et de rap ine s réalisées par l'oc cup
ant de cc logis
meublé d'es toc ct de tail le .
Bien mie ux, il lui offrit de s'asseoir
sur une nat te
eL bie ntô t Dellys lui pré sen ta,
dan s une tasse
min usc ule , le café à l'ar abe do rigu
eur à tOlltes les
réceptions officielles ou inti mes entr
e rési den ts de
Bou -Saada .
Con ver sati on lan gui ssa nte forcéme
nt et cependan t, dep uis son dépa.rt du Hog
gar, Dellys ava it
app ris des mots français avec une
facilité sur pre nan te, ass ura it Ahmed, son profess
eur bénévolo.
La jeune fille ava it même l'ét ran
ge illu sion du
sou ven ir en épe lan t ces par oles qu'o
lle con nai ssa it
d'in stin ct, sem bla it-i l, et qu'olle
pro non çait avee
un acc ent gra cio ux. Ene s sor taie
nt do sa fine
bou che rose comme le par fum sur
git du cœu r de
la rose et sur tou t qua nd elles s'ad ress
aien t au sympat hiq ue Hu ber t, elles ava ien t, env
eloppées d'u n
bourire, un cha rme tou t par ticu lier
.
_ :t;tes-yous not re am i? demanda-tello n désigna nt, d'u n geste gentil son om pug
non ,l'im men sc
ct imm obi le tou areg dobouL dan s
une I.lncoignurc.
Vétu de BO;1 vas te bur nou s LIeu, 10 bus
du visog
voil(', il ù~ait
clir nya nt, myst6rioux, un g6unt don
t
�LE DIAMA -T ROSE D'ALI
71
le jeune médecin français admirait la stature e~
l'impassibilité.
Avecune intuition merveilleuse, Dellys répondit
en quelque sorte à la pensée secrète du visiteur
étranger.
- Bon, Ali, très bon, assura-t-elle. Comme mon
père, sans lui, Dellys ...
Et elle ferma les yeux et suspenditsarespiration.
- Dellys serait morte, acheva Huber~
avec gravité.
Cetto réflexion peu ompreinte do fatalisme prouvait en quelque sorte les affinités, la race de la
jeune fillo.
- Vous n'êtcs pas néo au Hoggar? demanda
Hubert.
Dollys sccoua la. tête en signe de dénégation.
Avait-ollo compris la quostion do son interlocuteur?
Peut-êtro. En tous los cas cette réponse parut
satisfaisanto et tellement plausiblo à l'Européen
qu'il ressentit uno indicible émotion.
Ah 1 Qu'il allait donc ::limer collo ù qui une éducation française forait bientôt une âme civ1s~e
touto neuvo, touto délicato oL logée dans uno personnalité féminino qui réalisait pour lui dos porfections 'xquisos.
Oui, il connaissait Dollys, 011 représentait.
l'idéal vivant do son l'êve d'amour, celui que tout
hommo porto on lui qU::Ind il est cultivé, des
réminiscences esthétiques complèLen et ennoblissent un désir do bonheur ot dc!:! pro,Îl'lll (l'union.
�72
LE DIAMANT ROSE D'ALI
Hubert goûtant auprès de la fée blonde et mystérieuse dont il s'intitulait déjà le défenseur, le
sauveur, la joie chevaleresque d'accomplir unc
bonne action ct aussi le plaisir secret et formidable
d'avoir trouvé au sein de péripéties extrêmement
romanesques sa vraie femme. Celle née pour lui,
celle pour qui il étai~
prêt. à accomplir des pro.
diges en vue d'une rédempLlOn ct d'une conquête
difficiles, extraordinaires, hors série.
Certes, Hubert avait bien lecœur d'un explorateur, d'un conquérant, d'un pionnier chercheur de
merveilles mondiales et amoureux de prodiges.
Dellys belle, douce, pure, égarée dans la sombre
Afrique ct retrouvée, quelle aventure mirobolante
à inscriro sur son florilège de voyageur curioux,
averLÏ et sensible.
CIIAPITRE XII
Ahmad expliq~U
au docteur Hubert Miquez
marlOnt lOf! fe'mmes Touareg, leurs
choix, leurs rllptures ct leur omnipotence au foyer
conjugaL
Le jrune homme avnii lu mo.int récit de voyage
Slir cc pnys bleu dont les mœurs séculaires semblent
apporlC'nir (\ d'au ires âges, ù ceLte fameuse civilisalion du pays des Atlantes anéanti dans que)quo
cataclysme géologique.
- Très be]JC', ln. Targuia n'est pas voilée commr
l'Oriontalo.
cOIl1!llrnL ~e
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
73
Hubert se gardait d'inLerrompre le flux de
paroles du loquace biskri, il espérmL en l'écoutant
attentivement y trouver des clartés sur l'étrange
couple qui occupait toute sa pensée, le géant Ali·
ct sa protégée, la ravissante Dellys. NIais le malin
compère ne livrait pas le mot de l'énigme qui lui
valai t la générosité fidèle d'un client choisi.
TanL d'astuce intéressée n'étonnait qu'à demi
le Parisien devenu Algérien depuis un certain laps
de temps j il connaissait à peu près toutes les roueries des indigènes civilisés qui ont appris très
ra pidement l'art balnéaire d'exploiter le voyageur.
Biskra, Dou-Saada sont devenus des centres
d'excursion, leur exotisme encore d'assez bon aloi
atti!' les amateurs de pittoresque et des garçons
de l'espèce de l'excellent Ahmed, nombreux déjà,
se chargent de commercialiser leurs attraits et de
r tenir par du fantastique et de l'inédit les visiteurs
nn ifs.
Ln. palmeraie splendide, les jardins cachés,
l'od ur musquée de Bou-Sanda blottie entre les
sn hl s et les rocs non loin du Djurdjura n'eussent
pOB reLenu bien longtemps le jeune médecin sans
lu façon de Ahmed qui savait tour à Lour le décevoir t l'animer au sujet des origines de la danseuse
DIlys eL sur les projeLs de sou impresario silen(·jeu,·,l giganl.rsque Ali.
Mais Ahmed compLait sans le miracle des
nlToctions, c'est-à-dire qu'il n'imaginait pas que
deux ~ tres nimants qui sympathisent arrivent bien
vi Le ù sc comprendre, ot que los progrès on français
�74
LE DIAMANT ROSE D'ALI
de la jeune transfuge du Hoggar furent rapides,
peut-ê tre même précipités, ~ar
des réminiscences,
des souvenirs d'enfance qUl sont, chacun le sait,
les plus tenaces.
Certes ce fut avec émotion que Dellys introduisit plusieurs fois Hubert ùans la pièce située
derrière les tréteaux et qui était sa résidence et
celle d'Ali qui consentait il ces visites d'un étranger sous son toit.
Il cessait de se montrer farouche, il avait confiance et laissait son Diamant rose briller de toutes
ses faceLLes pour le Roumi dont, daM sa peur et
Bon effarement, il espérait une aide ct une protection pour elle et pour lui-même.
D'ailleurs le génie do la danfle et · celui de la.
musique habitaient l'âme ct les pieds légers de la
ravissante créature et, pOUl' sc onIormer aux
mœurs des Touareg, 10 père adopLif avaitledevoir
do laisser la musi cienne émériLo choisir un
époux.
Non, non, il n'avait pas à prendre un air rébarbatif avec le gentil cavali l' qu'ell semblait préférer, eL sans les laisser en tête il têLO, il leur
pOl'meLtait de s'exprimer de leur mieux, d'échanger
regards, sourires et paroles.
Vous viendrez avec moi à Alger, disait
Hubert à la jeune fille.
- J 'irai avec vous à AlgAr, répéLait Oellys avec
vou!:! eL Ali, mon bon Ali.
La voix cristalline était uu onuhunLement.
- Ali aussi? intel'rog .. uiL Huhert .
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
75
- Pauvre Ali, bon, très bon, murmurait la jeune
fill e.
- Cependant ...
, Et Hubert souhaitait d'apprendre mille 'hoses
qui l'intéressaient et au sujet desquelles il ne
savait comment interroger co couple énigmaüque.
Ces questions, Dellys les devinait dans la pensée,
dans les yeux du jeune m6decin fixés sur ollo avec
inqui6turl. ct curiosité.
Elle p â lissait, baissait SéS paupières aux longB
cils soyeux craignant peut- ;tro do laisser son
regard si doux d6voiIer le mystère qui Jerait d'Ali
un coupable, un r prouvé.
- Il a tout quitté, !les richesses, ses femmos, le
Hoggar pour sauvor la vic de Del1ys menacée. Il
m'a cueillie tremblante et perdue sur 10 sable du
d sert, j'6tais tombéod'un oiseau de feu, mon nid,
cL mon pore et ma mOl'e en s'envolant ont trouvé
la mort. II m'a gardée, élevée, j'étais son fétiche,
le cadeau des djinns de la montagne. II n'avait
pa:!] . droit, 'ost certain, de m'enfermor au Hoggal',
mais il m'aimait commounpère,je no puisl'accuser,
le trahir.
Dollys r éfléchi BsaiL on silonce, elle 60ngellit aux
périp6ti.es rotnan c(lqucs de son enfance do déesse,
mais elle se taisait.
D'ailleurs lIe ne p08s(
~ dajt
pns 1eR moyons
d '(~Xplj
mer d 8 aventures mIsAi com pl i'IIl "{'H, l NI
1ll0LH llli rnnncflia ir nt; les (:omprpnait-ellc ('lItiore~
m nt ?
�76
LE DIAlIlANT ROSE D'ALI
- Alger 1 Paris 1 murmurait-elle comme dans
un songe radieux.
Devant Ahmed qui eût traduit le récit de son
passé mouvementé, elle se taisait obstinément.
Elle éprouvait visiblement de la méfiance, peutêtre même du dégollt pour ce marchand d'entremise qu'elle tenait à distance avec une fierté de
sultane.
Hubert admirait la jeune fille qui résistait à
une ambiance déplorable, demeurant insensible
aux mauvais exemples ct aux hommages grossie1's
d'Arabes sans délicatesse qui considèrent les danseuses de Bou-Saada ct de Biskra comme les
femmes de quelque harem libre à leur usage.
Pure comme un lys, cette Fatima blonde baissait
les yeux, souriait avec une candeur spiriLuel1e,
elle semblait avertie de tout, juste assez pour défier
les pièges de ses admirateurs, absolument comme
le sont les douces jeunes filles de la Francq, à la
la fois prudentes eLgracieuses avec lours eamarades
sportifs et leurs danseurs monùains.
Elle prenait des airs pimpant,f:j , légers et Lendros
pour celui qu'elle préférait.
- Je deviendrai fou d'olle, songeait parfois
Hubert. Si je no m'étais promis do l'arracher aux
périls ct aux proll1Îscuités des existenccs féminines
déclassées 1..•
Dellys no trouvait jamais longues ou (llsLidiouses
les visiLes prolongées CL fréquentes du Français.
TouLefois (llle no lui ~ : onlit
pUf! 'nLiorcmellL rc
�LE DIAMA NT ROSE D'ALI
77
qu'elle savai t ct ce qui la préocc upait de son bref
cl, pérille ux passé.
Bibelo t de prix, objet d'art d'une inestim able
valeur , il respec tait ce ravissa nt Tanag ra qu'il
désira it restitu er à la France . Avait- elle même
jamais cessé de lui appart enir?
Elle appren ait avec une incroy ablo' vivaci té à
comprendre et à parler la languo dos conqu érants
de l'Algério. Elle mottai t de l'ardou r et de l'intelligenco dans toutes ses action s, ello n'avai t rion
de la mollo odalisq ue, ni même de l'Africaine aux
rogards brOlants et mystérieux.
Clarl,é et souriro signaie nt sa boauté et même
ses improv isa Lions musicales.
Certai n jour un avion survol a Bou-S aada. Les
habita nts de la jolie ci té rose, flourie d'une palmel'nic triomp hante, contem plèren t sans trop d'éton nemen t l'imme nse oiseau. Cc prodige devien t
fréqu nt, mais il suscite quand même un peu
d'extas e cl, beau oup d'adm iration dans une popululion qui meL volont i ril au compt e des sortilèges
tous les progrès dont nous
divins ou d ~moniaqtles
s redeva bles à la science.
~ J om
DrIlYR, debou t dans 10 jardin et attena nt à su
drmru r , levait la tôt vers l'imme nse libellul ,
t ndis ql1 pour lu vingtiè me fois au moins daua
Bon ru do langage saharie n Ali lui expliq uait le
miracle do son arrivée ù lu porLéo de sa muin
recél use.
- J t'ai cu illir, dit-il, ommo la fleur au bord
d'un précipice, J'oiseau des homm es bravai t le
�78
LE DIAMANT ROSE D'ALI
créateur de toute chose, celui qui seul a le droit
de mettre des ailes où bon lui semble.
« Il est tombé tout enflammé devant mes yeux,
j'ai laissé les autres carbonisés plus qu'à demi se
consumer lentement, et je t'ai prise, tu n'avais
rien, les djinns avaient rafraîchi ton innocence,
tu étais tombée une minute avant la catastrophe,
aussi légère et intacte que l'eap'rit du feu.
- Des djinns, oh ! Ali, jetée peut-être par ma
mère qui voulait me sauver de l'incendie.
- Ma mèrel ...
Des larmos inondaient le visage rOfle de la jeunc
fille, des larmes, etl'ami t~ès
cher, Hubert, put ]es
voir oulor, car lui aussi il rogardaiL, posté ù
quelqucs pas de Dollys et ù l'aide d'une jumelle
révélaLrice, l'avion qui, tel un aigle, planait sur1e
ciel bleu.
- Vous pleurez 1 s'éÛl'ia-L-il avec véhémence.
Pourquoi ce chagrin?
Ali secouant la tête, leva sa dextre Veff) l'avion
et diL d'une voix gutLuro.le, péniblement, en cherchant les syllabes et lentement:
- - Lo bcr-ceau-de-Dellys.
CHAPITRE XIII
Ali, on proie aux plus funestes pressontiments,
osait ù peine franchir le seuil de su cfumourc.
Replié, silencieux, il dépérissait il vue d'œil.
No~V
19io de la maraude, regret cl S VQst s
�LE DIAMANT ROSE n'ALI
79
espaces, l'ennui rongeur minait les forces de
l'infortuné géant.
Il attribuait son dégoût de la vie ct la répulsion
pour tout aliment à des causes magnifiques et
magiques presquo religieuses.
Massine délaissée, ses amis trahis avaient sans
aucun doute juré sa perte et, no se contentant plus
de souhaiter Sil. mort, manœuvraient fétiches,
sortilèges ot incantations qui tuaient à petit
feu.
CeLte croyance l'obllédait et déprimait à l'excès
le malheureux Touareg décharné eL tremblant,
donL le formidable squelette apparaissait et
s' ITorçait do per er la peau foncée aussi tendue
eL sèche que colle d'une momie d'f:gypte conservée
dans les aromaLes.
En vain Donys, aLtentive, présentait au malade
les savour uses dattes, le mouton au riz, les
oranges, tout ce qu'elle trouvait de meilleur sur
le marché hebdomadaire et bien approvisionné de
DOll-Saada.
D'un geste lent de lu tôte, Ali refusait de gouter
ces m Ls choisis, il soupirait. A quoi bon sust.enter
ce corps qui allait périt· victime d'une vengean e
lointaine mais inéluctable.
Quand il exprimait ù la jeune ~le
sa terreur
BuporilLitieuse OD quelque sorte, elle souriait,
ehorrhnit à le rassur ' I" ot lui expliquait quc !:ion
dppériHsem nt provenait d(l sa faiblessc, de son
inopl'ot n ' eL peut-ûtr du:
- Mal du puys.
�80
LE DIAMANT ROSE D'ALI
Car Hubert lui avait appris cette expression
signalétique de la langueur ct de l'état de dépression où se trouvait l'exilé du sauvage Hog-
ga~
Plus leur contrée d'origine est abrupt~
èt
désolée et plus les indigènes expatriés sont sujets
au mal du pays natal. Des montagnards transplantés dans des contrées fertiles ou dans des
cités merveilleuses en meurent, disait Hubert à
Ahmed. Dites à Ali de retourner dans sa patrie,
Dellys a un ami et je me chargerai volontiers de
son avenir.
- Le Sidi prêche pour son saint, interrompit
avec vivacité le malicieux biskri.
Ses yeux pétillaient, moqueurs et avertis, sa
bouche esquissait un sourire railleur.
Indigné, Hubert protestait. Il se proposait de
confier la jeune fille aux religieuses de la Mission
aux Sœurs Bleues, qui l'instruiraient et l'éduqe~
raient.
- Elle s'échappera pour venir danser son
tango, comme vous dites il Paris, devant les porLefaix do Biskra, remarquait Ahmed.
Louches ct basses g;avéraiont toutos les obfiorvations, toutes les opinions du guido, et HuberL
redoutait l'ironie de ceL ôtfe qu'il jugeait infiniment méprisable. Il n'osait lui dévoiler dans
touto son étendue l'alTection chevaleresquo, désintéressée, qu'il portait dans son cœur pour Dellys
pure eL mystérieuse. Elle l'at.tachait Commo uno
énigme dont à tout prix il vouluit pOl'COl' 10 SCC1'0t.
�81
LE DL\J\fA NT ROSE D'ALI
Quand la tendresse s'endo rm it, la curiosité lui
apport ait un secours excita nt.
Huber t avait-i l tort de compt er sur le hasard ,
les circonstances qui pouva ient en un instan t
l'éclairer. Il s'accro chait à cet espoir léger et
craign ait par-dcssus tout la fin d'Ali qui posséd ait
sans aucun doutc des données certaines Sur la
famme eL la naissance de Dellys.
Médecin, il voulut soigner ce rcbelle qui ne
croyai t pas aux remèdes. Le Targui jetait systématiqu ement poudres cL pilules destinécs à lui
rundre 1''lppét,iL el, sc refusa it à tout examen qui
ût permis d preCIser quel 6tait, chez lui,
l'organo défaillanL.
Le foie, los reins, lOB poumons, le cœur,
songeait Hubor t n regard ant à la dérobée Ali
dev nu n très !)CU de temps semblable à un
spectre dans sa tuniqu e floLtante.
Des larmes emplissaionL les y ux de Drllys, clle
av it la vive pr60 cupati on de le conten ir devan t
Ali qu'oH ne voulai t pas épouv anter.
- El lekLoub, murmu rait-ell o en sanglo tant,
quand seule avec Huher t elle s'aban donna it à
son chagt'in.
- El , 1ekloub 1 Ceci est faux, Dellys 1 s'écria it
m6dcein. Il rauL L1'acor sa destinée soi1 ~oun
même, ontende:t-vous, petite Dellys, rien n'est
d'nvance. Chacun sa vio et vous ne me f(ITez
~orit
véritab le père. Pourq uoi
pUH croire qu'Ali esL vo~re
ne (loviendl'icz- ous pas uno Franç ais, uno
f;:>mm' déli"'icuse ot cuUivéc, celle qu'un honnê te
6
�82
LE DIAMANT ROSE D'ALI
homme épousera. Pas « El Mektoub », petite
affile.
- Pas El Mektoub 1 murmurait comme un écho
De1lys songeuse.
Elle comprenait en grande partie cc que lui
disait Hubert.
N'avait-il pas Loujours raison, même ct surtout
quand elle ne saisissait qu.o la moitié de ses propos.
Pour elle, il était exceSSIvement persuasif et olle
était prête à lui obéir quand il manifestait un
volonté. Elle était oharmée par SU, douceur, par
sa belle voix grave et il savait tant de chos€l!I
qu'elle ignorait!. ..
-- Vous avez été séquestrée, volée, abusée. De
grands mots dont la signifioation 6chappait à la
pauvrette dont le dévouement, Paffection, demeuraient intangibles à l'égard d'Ali, oelui que notre
voyagour, un Lantinet égaré pnr ses sentiments,
appolait son ravisseur, son bourreau, Ron exploiteur, son geôlier. En revanche, la confiance du
Targui pour le voyageur Français 6taiL oxtrêmement mesurée. Bien mieux, il dOlltait de son
savoir, de son intelligence eL millc récits orientaux ct nègres entreticnnenL le mépris de l'Africain pom son maître l'E uropéen.
- Li groRse tête, li se croit nI utin, Ront les
premiers mots bafouillés par les habitants d la
Côte d'Ivoire et du dl'lsort instruits pRr cl bone
Pères, incapo.hlea de monter un chameau ou de
passer le maringot en pAgaye. Cette ignoran '0 à
peine sportive leur vaut le môpris oL l'insolonce
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
83
des meilleurA convertis. Seulement, pour Ali,
Hubert représentait la redoutablû administration,
celle dont le sort de Dellys pouvait dépendre un
jour s'il disparaissait, s'il mourait vaincu pal' les
incantations des 150rC1er3 du Hoggar.
Il faut bien croire que cos clllH'Ines parurent
insuffisants aux ennemis du géant, lentR il agir
et incertains car, un soir sombre, un soir sans
lune, un soir maudit et sil ncieux, Ali, endormi
dans le jardin qui prolongoait !:Ion domaine, reçut
dans 10 dos los coups d'un poignard acéré, peutêtre empoisonné .
Evanoui, il ne pu~
se retourner pour reoonnaître
son ugrcssem : Cheghil', Ntyou ou Antughila ?
Il ne cria pns. A quoi hon? C'était éorit.
Appeler D ~ ly s, offrir une sClconde viotime ~l son
agresseur. Ali s'en garcla bien.
Lu jeune nuo dl~ ~J cl'LQi
parfois lu maison
!Jordide pour rejoilldro 10 do cteul' Hubert au
Transat, l'hôtel dlUrmant, pareil à l'ousis (l'OccidenL parmi. In bigarrure humaine d'un hOl'dC'
ol'Ïcntulc. Un posLo de T. S. F. disLribuuiL d()H
hnrmonies célestes, les ~oiJcLes
du soir des voyageuses les transformaient on clOt'SBOS, le Hulon
inoucl" do lumi ùl'e, meublé do bois cl rés, situ '
nLl'o des murs revôLus d'immenses glu.ceB rnultipliuient touL~
beallté. Voici donc r()ali~é
c rtain
pfduis dn sul Lan ùes mille IlL uno féeries r&vé t\
�84
LE DIAlI1ANT ROSE n'ALI
par l'imagination active, riante et artiste de la
blonde Dellys.
Elle comprenait et s'assimilait toutes ces choses
en un clin d'œil et sa robe, grâce à l'appoint
d'une ceinture) à l'ornement d'Ilne écharpe ou
d'un collier devenait parisienne. Les nattes de
sa longue et soyeuse chevelure: relevées cL roulées
autour de sa petite tête, mettalen L il. son front pur
.u n diadème 'de roine.
Huhert GonsidéraiL avec émotion cello qu'il
voyait parée de toutes les perfections, d'autant
plus C l'Laines qu'i.lles avait ~écouverLs
et que
son choix et ses soms les mettawnt en valeur.
Ah 1 Dellys était le diamant r03e d'un riche
écrin, non plus colui du fruste cL sauvago Ali,
mais le sien, la pierre précieuse qu'il se proposait
de sQl'tir dans la monture platinée do la meilleure
bourgeoisie française coloniale.
Le soir, quand Dellys avait savouré les usuolles
délicatesses gourmandes, glaces, gâteaux, bonbons,
il la reconduisait respectuellsement jusque ohez
elle, s'attardant un peu 0 lui nommer los éLoileR
du oiel, à lui parler d'Alger, la granue oiLé qu'elle
brûlait de connaitr .
Le soir de l'attentat oonLre Ali, le oouple s'étonna
d trouver la porLe de la maisonneLLe Ouverte. Ils
entrèrent l'un et l'autre, Hubert, précédant
Dellys.
Un d6sordre inaccoutum6 régnait, duns l'humb le
logis, une cassette Où Del1ys mettait, flOS parures
avait. disparu, et le tapis de Smyrne qu 'oHa
�LE DIAMANT ROSE n'ALI
85
effeurait d'un pas léger quand elle dansait au
rythme de son banjo, n'était plus là, roulé à sa
place habituelle, dans un coin retiré de l'esLradc.
DéHys tremblait, toute pâle, prête à défaillir.
- Ali 1 Ali 1 appelait-elle d'une voix véhémente!
Elle retrouva rapidement des forces pour
coul'Ïr, fouiller ln maison de fond cn comble.
Elle pleurait il. chaudes larmes, elle s'exaspérait,
Jrérnissonte d'inquiétude, onbliant le danger
qu'eHe courait peut-être.
Prêt il. la défendre, Hubert sui vait Dellys pas à
pail ct ensemble ils découvrirent Ali évanoui,
mort peuL-ôtre, dans le minuscule jardin que son
grand corps inanimé obstruait et couvrait à
demi.
_ . Sauvez-le 1 s'écria Dellys, les mains jointes,
en s'adro~nL
il. son compagnon. Sauvez-le, je
VOUt; on supplie, il est bon, il a été mon père,
savez-vous.
Hubert se pencha sur le géant couché, il mit
ila Lût contre sa poitrine. Le crour battait encore
cL un souffle légor, bien légol' cortes, Hortait dos
lèvres ontr'ouvorLos du Tal'gui blesso.
�86
LE DIAMANT ROSE D'ALI
CHAPITRE Xl V
Hubert, quand il eut dénudé la poitrine d'Ali
pour ûxaminer sa blessure, eut Ull Instant. la senf'ation d'être devenu un pygmée. CeLto ossature
décharnée mais géanto, c'était le squelcLte du
Targui cahoùtiqu~
ct. quand. ~ôrnc
imposant
par sa taille. Le vlSage dépouIlle du voile (jlli
caohaiL g0'_16ral 'mont la hou 'he, montrait eies
LraÏLs régnl iel's, ,Il1Û peull liflse. Ali ;n'ni L l'apparence d'un T.itan abHLLu dû au cisoau d ' un MichelAnge.
Après un pansem nL sommairo, enveloppé dans
un des voiles blancs de l'almée du logis, la belle
Dollys, le docLeur Hubert Miquez courut ù l'hôtel
Transat chercher fla t.rousse eL du secours.
Vainement les hôlrlierB fi'efforcèrent d dissuader HlIbert d'une cnLreprise extrêmement dangel'f'uae, aS8uraiell t -ils.
- Co malheureux osL victime do qnplque vengeanoe qui s'éLendr;) SUl' vous si vous le soignez.
D'ailleurs, vous ne le sauvoroz pas, su plaie est
empoisonnée, probabloment, vous rotarderez une
mor~
fnLalc do quelques heurcB L pOUl' cc
médiocre l'ésulLuL vous expofierez votr vie.
En LoUt! los 'HS, je dois reLournor auprès d
Dollya, la jeune tille quo VOUf! ronno.issez ot qui
vient parfois i i.
PeuL-êlre csL-olle la eomplice du Irleul'Ll'i 'r
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
87
ou plus simplement la oause du drame. Quelque
biskri. désireux d'empocher les piécettes gagnées
par la danseuse pour s'emparer de co numéro
sensationnel qui révolutionne l e quartier privé de
Bou-Saada, a tué tout simplement le propriétaire
du Diama.nt l'ose, objet de bien des convçitises.
- Raison de plus pOUl' ne pas abandonner ces
deux malheurauses créatures. D'ailleurs, j'obéis,
on les secomant, ù mon uc voir strictement professionne1.
Hubert était beaucO\.l p trop sympathique à. son
entourage pOUl' qu'on 10 laissût Houi pOllrsuiv!c
ln périlleuso mission qu'il s'imposait.
Il fut escort6 jusqu'à la maison d'Ali par un
Jot ù'inflrmi ers et d'infirmioros bénévoles q1.Ü
onvahiren t 10 lo ôis exoLique, avides aus!>Ï d'aug)llenLcr leurs irnpl'CflSiorw do voyugc d'un tubluuu
omouvanL ct inéd iL.
CepondanL, parmi oux, Huhef'L trollva l'ai ~e
préciouso quo l'éLaL d'Ali exigeaiL.
Tunlli s quo certains LouristcK cITcénés profltaiont
de la siLua tion pour découpor ùcs pcLlLs souvenirs
uans lou tapis do Smyrne eL Jo:·; Lentures magniflql10S vo lés par le Targui au coms ÙO Iles o. PIJdiLions sahaC'i nnos, Lrois garçons sportifll, boy::Icouls au cours do lour adoloscence, uidèl'ont l o
médocin à tranl-lporLor Ali danfl la maison, ù lui
administrer piqûros ct ron~d
os .
Cml soins oUl'onL Je plHIV'oir do fuire ouvrÎl'l 1)
yeux du blcsf~.
Il rcgt,mIait. pm' uond autour de
lui , do sc,; prunelles fo.uvlfl) alanguies, eL il eut lu
�88
force d'appeler Dellys , de lui dire quelques mots
importants.
_ Massine se venge, prononça-t-il péniblement,
prend s garde il toi. Hes Le avec le Français ct
donrJO-lui les papiers et les obj eLs qui sont à toi,
trouvés avec toi, qu and les djinns L'onL descenùue
du ciel sl\J'les nuages. Ali vu mOUI"lr. Prends tOliL
dans le cofl"rct enterré sous le figuier du jar ~
din.
Le bl essé mit beau coup de t emps il murm1ll'er
ces puroles qu e se ule Dellys pul, co mprendre eL
qu'oll e ne traduisit pas il Hu borL.
Sa douleur, son i.nquiétlldo cL Qussi son dÔH ir
ùe voir Rauvé,' l'essuseiLé, le pauvre géanL proLocteur cL ami de sa doulourellHo en fance marqu 6e
par le destin, dominaiont ses pensées . EIle oubliai t,
touLe saisie d'angoisse, le français qu'elle avait
appris ùe la bouche d'Hilbert.
- Sauvez·le ! suppliaiL-elle, sauvez-lo, cn Louareg.
- Qui donc a cOlT1mif.j co fOI'faiL? cl mandai!,
Hubert à DeJJys. Qui a LlléA li ?
Il appuyait SUI' les moLs pOlit' les l'endre compréhensible!:' .
En vain!
Le son lointain d'un Lam-Lam arriva jusqu'ù la
maisonnetLo où Ali agonisait ct l'rndiL l'heure plUH
lugubre encoro. Le fil s du Sahara tenait dans sn
grande main osse ll se lu main do Dell ys , il cIIL,
oITorL flUpl'Ûrne, ]u for e di' ]a réUllit, ù cell e du
jeune médecin Français.
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
89
- - A toi, ]e Diamant l'ose d'Ali, dit-il, s'efforçant d'être intelligible.
PHroles selon le vœu du jeune homme, aussJ
Iurent-eJJes compriflcs. Il Ics dr.vina SUl" les
lèvres qui les prononçaient et aussi dans le souffle
Î'lUprême cl LI mourant qui expira en regardant
Lour à toUt' Huhert ef, Dcllys penchés sur S:l. couche
fllllèbre.
Ainsi, lléluf. 1Ali emporLait danfl le silence de la
mort J'ônigme de la naissance de Dellys qu'il
JégllOi1J au Fronçais qui l'avait secouru.
Huhert, con8t rné, songeait avec douleur à la
Lrnébl'cuso uvenLUl't) qui marquait ü jamais l'exisLence de ln JJlonùc enranL, lumineuse cl, pUI'e cnt.re
LOlltes les créaLu~s,
ût dont il n'amuit jamais le
moL RecrûL.
« MaiH, peIlsa-L-i!, 10 honheur suffit ù éclairer
un·.) vie; la joie, la tendresse seront dos soleils
qui s'éveillera. bicnLôt dans le corps
pOlll' l'~m
'1lul'lllOnieux, g1'Ocielix t, nobl' qui porLe le nom
de Dûllys, celui aussi de l'oasis des mimosas ct des
hougainvilliers situé uu bord de la mer bleue, à
qUCllqucf; kilolllèL.rri'l d'Alger, JI d6signe un paradis
pL il eKt dcv 'IlU eo]ui d'un ange,
« DellYIll Drllys », lTluruluI'aiL avec doucenr
I1llbcrl r:~vi.
�90
LE DIAMAriT ROSE n'ALI
CHAPITRE XV
Del1YB vorsa des , larmes poignantes sur la.
tombe d'Ali avant de quitter Bou-Saada. Une
tombe couverte d'nu tumulus de terre fraîchement
remuée et siLuée dans lin coin retiré du cimetièr
musulman. Préoccupée d'orner décemment la sépulture do celui qu'elle appelait encoro sou père, olle
donna générousement au constructeur de mo.usoléos do la villo lu plus grando pal'Li du trésol'
f:lignai par 10 d6funt. La. jeune fllle avait, extrait
III coffret do sa cachetto, vendu 1,)s objets qui
m{)ublllient sa demeure c6dée ù uno nouvelle
venu, une peLiLe Ouled-Naïl qui anivuit de l'Erg
ncoompognée de Ra mère.
Elle avait x'omis à Hubert Lout le reliquat de su.
mince fortune afin do pouvoir pa.yer jusqu'à Algor,
deB vêtemunts et tout cc quo 116cessiLait uno nouvolle existence. P(l)'ticipo.tion financière qu' lie
était loin de croire modiquo pui!!qu' 110 19noro.lt.
lu valenr dos piècoLtcs qu'clle lui eonfiaiL ct
10 prix dos choses qu'ils uchoLaient onBomble.
Perl eu et turquoises restèrent dans le coO'ret
qu'on emporta rangé ou fond d'une rnaU<l. Quant.
aux quelque!! papiers entassés sous l'argent, Dellyf.l
TH' [pa rnonLra pa:;. Persua.dée quo cet:! fétiche!! pc '.
del':üenL tout valeur pur une lndiser ~tion
elle en
ilL un lJuqueL très BCfré qll'elle nOllU, comme fonL
l 's Arubes, avec une umuleLLc qui guérit, serrée
�I_E DIAMAN'l.' ROSE D'ALI
fH
contre elle, bien liée et ligotée, ce talis:çnan qUI
lui vaudrait toutes les bénédictions du oiel.
Quelques jours 80 pass{,l'<.'nt il Bou-Saada pour
attendre l'automobile ordinaire du service saharien régulier llui les conduiraiL directement if
Alger, Ils parurent il la fois longs ct brefs à la
blonde D 1 ys,
Longs parce ({u'elle s'impatientaiL de connaître
Alger, ù'Hpprpndre il parler, " écrire, à penser en
h'o'nçAlis, Le couvent aussi dont Bon compagnon
disaiL des mervoilles pOUf la disposer à y L'ecavoir
los oours, les leçons t l'éducatIon dirigés par la
t,rès distinguée Rn V'él'ondc 1I1èro Aimée, religieuse
de l'ordre missionllûire ùes DamC's de Jé n 'snlem,
. L'avenir, il y avaiL uusHi l'avonir donL dlscrè~e
ment l'on ne parlaiL pas oncore, mais dont l'esp .
rance s'insinuait dans 10 cronr do ces deux ' êtros
boo.u , jeunes t charmunt&, pIns encore qu'un
mariage d'inclination. Tl semblait. il lIubert
'lue Dellyo, perdue au fond du désert, envoyée
vcrs lui pour èLrr rachet 0 cL sauvée }laI' lJne Pro·
\·idcnro inrlnimn 1L douce et prévoyante, il lui sem.
blait que Dellys rtaiL l'Eve construito ot arraohée
de son propre t:œul', la côte mÔllle dn d ocLeur
Il llborL Miquez, l'Adam prospecteur do la plos
raviflsante de toutes les jeUTlOH filles en fieUl'
d'E1ll'0po ct d'Afrique.
Et quelle tâche délioate, Blême pour un modein n verti ct plein de taot, d'cnl!eignor ù cotte
enfant du Hoggar lu politessC', l'hygiène, les
�92
LE DU.M.AN'r ROSE D'ALI
usuelles connaissances dont il faut à tout prix et
rapidement savoir quelques éléments indispensables avant de paralLre dans un monde d'Occident.
Dellys avaiL des dispositions inouïes, irréfu\,ahles pOUl' la dis~ncto,
le sa voir-vivre.
_ _ Un roi ou un duc, ou un prince l'adopterait,
songeait Hubert avec un l()ger sentimont de
mélancolie. Suis-je digne d'ello, no m'échapperat-oUo p:lB, la gazelle, lu. chère conquête ravio au
farouche Targtli?
Cc Iut Abmed Mansour qui vint le jour
du départ du jeune coup
l (~ lui apporter les
suprêmes salamaloks cL tous los vœux d'Islam.
Hubert ne marchanda pas los témoignages ùu
gratitude à l 'indigène qui avait fuciliLo ses premièros rencontres uvec la charmante idole de son
cœur.
A la fois obséquieux o~ railleur, le biskri Be confondit, en saluts et en remerciments qui n'6taient
pas du meilleur goût.
II ne croyait qu'à la vertu des f.cmmcs rigoul'eusoment enfermées et au respect des hommos
qui espèrent lu fructueuse recoLLu du marchand
d'esclay 'S.
Dollys éclata do rire au nez de celui qui lui promettaiL uno place do sultano chez 10 plus gl'and
Pacha de PariA, de Londres, ct d'aillours, 0110
s'appuya si gentiment SUl' Je bras de ::Ion cornp:.!gnon, entièrement penchée sur son épaul " qu'il out
la l;cns~Jio
vi vc oL CfliÜHC , u\ltlRi hir:n pOIll' tion
�LE DJAMA NT ROSF. n'ALI
93
amour que pour son amour -propr e d'être préféré ,
ohoisi parmi une cour de rivaux notoire s .
Cela fait toujou rs plaisir à un homm e, fut-il
simple , modes te et épris au point d'oubl ier son
propre mérite pour ne voir que les perfec tions de
lu créatu re aimée.
Le meurLre d'Ali sembla it devoir resLer impun i.
Un assass inat commis sur un indigè ne le demeu re
fréquemment,; les enquêt es policières se heurte nt
au mutism e absolu , à J'indifférence arabe qui sont
prover biaux eL recomm andés par ]0 Coran, leur
ji vre religio ux.
Lo malheu r ost toujou rs écrit eL comme le chûtiment du coupab le esL incapa ble de ressusciLor
un mort et que sa recherohe et sa punitio n peuvent
ntraîno r de mulLiples et occupa ntes
démar ches et le risque d'une accusa tion de complicité , lcs bons musul mans adopte nt un silence
pruden t que même les conseils d'un marab out ne
sam'ui ent faire cosser. Seul un march and d'amulettes dont la répuLation de saintet é est bien
établie peut, quand il est largem ent payé par les
parent s de la victim e, délier les langue s.
Pou un fait d H lllœl\r: ; muslll manes , DeHys
ll'exigoa pus de son cavalie r de scrnblablell :mcri·
fieC8.
Elle pleura abond amme nt Ali et elle p nsa que
tiOn chagl'in, seB larmes , Hes regl' 'ls étaien t les
HouleH eonsol ations Lransmissibles dnos sa tombe ,
au pUllVl"O ùMunL. La religio n du souven ir envers
leB lllorLil est pratiquée dans tous les pays, par
�94
LE DIAMA NT ROSE D'ALI
tous les peuples. La manière diffère singuliorement, mais l'espri t est le môme e~ il est inné au
cœur des hommes civilisés ou barbar es, peu
import e.
Douceur ùu voyage, aimabl e intimit é des heur fj
de rout , des présences étrangèrotl en suppri ment
10& cOtés troubl ants, équivoques, mail! Je charme
du presqu têto-à- têt , demeure. Même il opère et
bat en brèche d 8 projeta honnê t ' ct s ntirnelltaux.
l
périlleu80 dont Bortirent victoreus~
~preuv
la délicatesso du docteu r Hub rL Miqu z et la
pureté de DoUy1:1.
Toutefois, en arriva nt Il Alger, ln jeune hommE'
Iut traltre usem nL tenttl d'amen er la jeune
dans sa maison, de l'y install er, quitte régulari ser onsu.ito pur den uetes ofTiciel' ceLto Pl'! de
possession.
Cetto façon d'agir lui parut trop IItlmbh lL)ij il
celle du bandit TargLli q\ll K'étHiL 'mp l'H dl> la
fragile nfant.
Un rapt, triste mani ra cl B'impolJ l' nu l ~ u)UI'
dont on désir &tro choisi, aimé.
Non, il no voulai t pal! d'un LeI rôlu, il n'était pa
le multro en quôte d'esclave!).
'ié, moderno d'o!:lprit,
Le joun Bav nt Upl'~
d'fil ,de 80ns, cherohnit uno compugne, une
tUJllociéo, ecU qui saurai t compr 'nuro ontiùromonL
tous lm; olans do !lon cœur avido d'ubuudoll, dl'
d6voUOlIlunt, d'amou r, do 'onflanoe, de lonl.lrb c.
Et. copcnùunt Dellys ét it si bell , si blonù t
ml.
�LE DIAMANT ROSE D'AL!
'9!)
en pleine éclosion 1Attraits pudiques et troublantes
perfections qui envoûtent et font oublier les
devoirs et négliger l'attente.
Hubert avait passé lme jeunessû studieuse. Fils
de sos œuvres, précocement muni de diplômes,
la loi du travail obstiné avait soumis ses actions,
ses désirs. La vie libre des étudiants, il ne l'avait
pas menée; l'interne studieux et refléchi, l'élève
des plus grands maitres de ln chirurgie et de la
science médicale, il n'avait pas eu le temps
qu'il faut pour être atteint par la corruption eL la
licence.
Hubert, d'uno main ferme, ébranla la oloche
qui appelait la !:IOJur tourièrû cl u couvont des Dames
de Jérusalem.
La porte s'ouvrit; avec Dollys il pénétra dans
l'asile qu'il avait choisi pOUl' Ile.
Souriro discret et perspicace, distinction parfaite, manièr s douces eL quelque peu royales, la
l'évèrcnde Mère Aimée accueillit le jeuno couple
dans son domaine personnel, uno pièce qui tenait
à la Lois du buroau ct do l'oratoire.
Vouve d'un exploratour qu'Ile avait beaucoup
aim6, Mère Aimée, refugiée au couvent, dirigea.it la
maison religieuse d'Alger avec un tact fort n6cessaire.
Le Lemps de sa vie mondaine l11i avo.it apporL6
l'exporience humaino, élnrgi 80. bonté, perfectionné
Bon jugement qui dépassait ceux d'uno jeune
personne qui passe de la vic du monde cl oolui du
couvent.
�96
U; DIAMANT ROSE D'ALI
Elle désigna deux si.èges à ses visiteurs et elle
leB contempla silencieusement.
De larges yeux d'un gl'is bleu, brillants, éclairaient le très mince visage dans la cornette .
Longue silhouette ascétique, mère Aimée avait une
grâce très douce qui émanait ùe ses gestes, de sa
voix , de l'inHnie distincti on de Ba parole nuancée
ct délicate.
Lu. carLo de visite du docteur Hubert Miquez
était wur son bureau, olle la relut, puis regarda
Denys d'abord, IIuberL ensuite . Elle sc taisait,
l' issant il ces inconnu!) LOllt le soin, tout l'embarras
do I;'cxpliquor afln suml doute de mieux poser
leurs paroles.
Il ubert, on q uelqueB mots, meonta l' odysséo
touristiquo dont De11ys était l'ine ontestable
héroïne. Ensui Lf! il demauùa 1'1 la supérieure de
l'accueillir dan!) son couvenL alin qu'elle reçoive
l'éducation cL l'instruction des jeunos GlleR de son
rang.
_ En attendant que je retrouve Bes parents,
sa ramille. J'ai toujours ou l'intuition que très
viLe nous leB découvrirons ...
_ L'inspiration, fit la r 1igieusc, 00 mot ost
moins orgueilleux et plus exoct. L'inspiI'aLion
vient du ciol.
InapiraLicm, :3i vous vOllIn, ID lore.
_ Toul, ce que je voux, n'ost-ce pas, BOUS la
condition d'accepter de vos mains cette enfant
trop grande, d'uno origino douteuso o~ d'un po.s66
inconnu parmi toutes mcs fllles, religieuses oL
�LE DIAMA NT ROSE n"ALI
97
élèves. Compr enez-m oi à demi-m ots, Monsieur,
puis-je vraime nt recueil lir cette brebis parmi mes
blancs mouto ns il
_ · Vous 10 ponvez , je vous l'assur e.
- Et sur quelle garant ie a.ppuie rai-je ma con~
viction ? Je ne puis l'interr oger discrèt ement, vous
n'assur ez qu'elle ne me compr endrai ' pas.
- Votre convic tion, votre convic tion, répéta
Huber t ù voix basse.
Il interrogeaiL le beau regard , le sourire sensibl e
de la Révére nde Mère. Il murmu ra avec l'accen t
presqu e religie ux d'une sincéri té parfait e.
-.le l'aime, ma Mère, elle devien dra ma femme
lorsqu 'elle sera capabl e de compr endre ce que sont,
cc que doivenL être les épouse s ct les mères de
noLl'e pays, de noLre foi, de noLl'C chariLé, de notre
espéra nce.
- C'esL bien, je suis convai ncue, répondiL la
religie use on s levant , vous pouvez parLir. Je
garde votre protég éo, vous pourre z l'entre tenir
désorm ais Jo diman che au parloir devanL nous,
devan t Bes compa gnes.
Le oœur sorré, les yeux pleins de larmeR, Dellys
ct Huber t se séparèrenL. Dans une longue étroinLe,
ils s'étaienL serrés lcs mains.
Osons dire qu'en regagn ant sa solitud o lIuberL
maudi ssait quelqu e peu le vcrLuellx eL chevaleresqu e scrupu le qui l'avaiL faiL 80 sépare r ùe
Dollys.
Sam; 'Ll'O consolé d'un isoJ menL cruel il appeJa
à son aiùe philoso phio, devoir , civiliso.tion, lous
7
�98
LE DIAMANT ROSE D'ALI
les meilleurs sentiments si importants pour imprimer des directives aux expatriés colons et fonotion.
naires des Frances lointaines .
_ Jo ne pouvais absolument pus agir commG
un barbare Targui et recéler à mon tour le
Diamant rose d'Ali, fut cependant sa méritoire
conclusion.
CHAPITRE XVI
Temps lointains, jours ré olus, avant la guerre,
quand diL-on les rois épousaient parfois des bergères. Une époque oubliée dont les modes silhoucL·
tées hardiment sur un écran au oinéma font rire
les jeunes specta.teurs.
Poufs, bous ct waterpoofs semblentbion ridicules
~l des sportifs qui dévoilenL volon Liers leurs formes.
L'Js femmos sont préoooupées de leur ligne ... droiLe
auLant que possible. Peu de volants, point do
festons, honte aux garnitures.
Oubli 1 Oub1i 1 que fais-tu quond tu négliges les
grands de la terre, coux qui furenL promis dès
leur borceau au bonheur.
Dans sa somptueuse reLraite de Dellys, la ville
oxquise, Gérard, duc de Mausignac, se promenait
8.\ oc nonchalance dtlDs le parn magnifique, uno
copie en réduction du Jardin Ù'EBR i de ln villo
d'Alger. Triste cL ppnsil' {'omme toujours, p ins
tIlcorc chaque jour Jopuis lu mor~
do su. femme,
h \'lÙP dOtl"c dncheas LoIs de M lIHignuc.
Dcvenus solitaircs depuis 10. tragiquo dispa.rition
�LE DIAMA NT ROSE D'ALI
99
de leur fille unique, unis plus étroite ment à dater
de ce malhe ur doublé d'un scandale, le couple avait
passé vingt années dans le silence d'un luxueu x
tombe au anticip é.
La sépultu re d'un Pharao n, car le châtea u BeauSoleil, leur résidence, était certes lu plu s belle de
toute la rive de la Méditerranée algérienne, depuis
DeUys jusqu' à Cherchei.
Granit s roses, pierres taillées, marbres polis
n'avai ent pas été épargnés pour édifier cette somptueuse demeure d'un style Renaissance qui rappelait certains bijoux de l'archi tecture française,
comme la maison dc Diane dc Poitiers, à Moret,
et l'hôtel Bourg- Thoroulde, à Rouon, des chefsd'œuvre ct dos modèles dont les bâtiEsours
modcrnes auraie nt tout intérêt à s'inspirer plus
souvent.
Moubléeà l'ancienne, regorgeant de pointures, de
tapisseries et d'objet s d'art splendides, Beau-Soleil
représ entait un palais de roi ou ùe reine.
- Le chûtea u do la Belle au Bois Dorma nt on
attente de la princesse, disait, volontiers Gérard .
Un sourire un p 1.1 amer, un rictus détend ait
J'arc ùe sa bouche sériouse tandis ql1e LOïse
eS!luyaiL furt,iv omont les larmes qui embuaient, ses
jolis youx.
Cur longtemps, jusqu' à l'approch de l'hiver do
ses ons, lu duclH' "11(' avait gardé intacto et simpleme nt 'voluéo un beanLé gracieuse, claire
omme je climat du sud qui avait contrib ué à
[H' "!:ICI'vllti n.
�100
LE DIAMANT nOSE n'ALI
A présent qu'il était seul cL qu'il ne craignait
plus d'attrister sn compagne, le Duc versait ces
pleurs redoutables que personne ne console, qu'aucune caresse ne vient distraire et qui grignotent
liavamment le cœur et la vie de ceux qui les ver!lent.
Btait-ce Loïse qu'il pleurait aussi, était-ce l'autre,
la fille bien-aimée, Jeanne, l'ingrate enfuie et qui
n'était même pas revenue quand le pardon le plus
large, le plus indulgent l'attendait. Le pardon
d'une mésalliance que le bonheur, la durée de
J'uoion L la naissance d'un enfant excusaient eL
ratiD aient, avait pensé le fier descendant des ùe
Mausignac.
\ Beau-Soleilavaité téconstruitetorné pour mieux
accueillir le jeune couple qui jamais, jamais n'était
revenu des profondeurs du Sahara qui avait
nglouLi cette proie magistrn.le, tout l'avenir,
tout le bonheur de la race de co vieillard imbu de
sa. naissance, féru de ses aïeux, tout un passé
demouré intangible dans sn. pensée orgueilleuse.
Cependant, incliné, courbé, humilié il pleuraiL
t.el un homme aITaibli, surtout quand il contemplait cerLaine imago, portraiL d maître, qu'il avait
fait meUre dans 10 t:ltudio discrot voisin de lu
chambre qu'il hab.itait constamment.
Le portrait de Loïse? Peut-ôtre.
•
L'image lui ressemblait, seulernenl, le décor, 10
sourire, l'ajustoment d6voilaicnt une jeunet:lso
plllS récente. Les portraits de femmes porL nL
l'empreinte do l'époque où ils sont exéuLés.
�LE DIAMA N'r ROSE n'ALI
101
Souple sse, blonde ur, grâce, pureté sont de toun
les temps .
- Une reine, murmu rait Gérurd avec douleu r,
parfait e plus que sa mère, j'y avais mis mon sang.
Les ducs de Mausig nac ct les ducs de la RochemerauIt unis avaien t compo sé ceLte fleur admira ble.
Aussi le Duc, animé d'une pudeu r qu lque peu
jalouse , gardai t-il pour lui seul ce portra it de
femme.
Une légend e s'était ainsi formée {tuLom de ce
culte, de cc souven ir, parmi les servite urs nombreux de Beau-S oleil, ùAIger, où résidai ent les quelques person nes que le Duc voulai t bien fréquenLeI'
cL inviter de loin en loin, hauLs fonctio nnaire s,
médec ins, instiga teurs ot réaJisaLeurs d'couv res
colonia les et de chaI"iLé qui avaien t recour s à son
inépui sable généro sité.
Les bavard ages s'arrêL aient discrèt ement devan t
le chagri n pro rond, inconsolable , de cotte mnison
seigne uriale par sa distinc tion, par son opulence,
par sa chari Lé. Avec quelle déféren ce, quelle sympathie fuL accom pagné le Duc jusqu' au cimeti ère
le jour des obs' ques de Sil femme rogrett ée.
Tant de bienfaiLs signalaienL Beau-S oleil à lu
reconn aisl:!Unce des bonnes gens de la contré e. Une
foule compo sée de colons et d'indig ènes suiviL le
cercue il où reposa it Loïse .
.- Une répliqu e de la r"ine Sainte Elisah eth de
Hongr ie, déclaraiL ù qui vouhi t l'enten dre Monseigneur )'Al'chevrr]lH' d' 190J', 1111 habile prospe cteur
de bcl)cfI âm0s.
�102
LE DIAMANT ROSE D'ALI
Le silence se fit autour de ce deuil et, confiné
Idans sa douleur immense, Gérard s'abandonnait
au désespoir.
Constamment il souhaitait le trépas.
Ne l'obtient pas qui veut; à peine pius âgé que
sa femme, leDuc était d'une race choisie, robuste ,
et saine, la race des croisés dont l'rouvre ct la
descendance défient le temps.
L'acide ronge le dur métal eL le chagrin, la
soliLude usaient l'âme et le corps du due de Mautiignac.
Confiné dans son studio, il rangeait des pupierê,
lisait et s'abandonnait, longuement dans la contomplation do la douco image d'uno jeune (ilie
blonde dont les traits Ini rappelaienL à la fois les
deux êtres qu'il cbér1t:;sait jusque dans la morL,
jusque dans l'absence perpéLueUo.
_ Loïse 1. .. Jeanne ...
n répétait tout hautces deux noms, illes prononçait, les épelait quand il était ueul.
_ Une manie, hélas? douce et dangereuse pOUl
les facultés de mon maUre, pensaiL Arsène, 10
domeBLique dévoué.
Le zèle de cet excellent serviteur tournait à lu
tyrannie, la surveillance li l'obsession. M. 10 Duc
dovenait « neurasthénique ), moL oonsacré pal' la
mode. Qui appeler il l'aide?
Arsèn 19nor.i~
Il peu près loLuloment la. fumilln
de BOil maUre, exilé volonLnil'o du heflll pays UI)
Franco depuis qu'il éLniL venu il DrUy!! chercher
sa fille qui n'avait jamuis l'epUl'u.
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
103'
- Loïse! Loïsel Jeanne 1 Jeanne, suppliait le
solitaire.
- Se morfondre ainsi quand on est riche à millions ... soupirait Arsène. La pauvreté, la misère,
la maladie étaient pOUl' celi être simple, aux direc tives bornées, les malheurs qui rendaient certains
crimes excusables , entr'autres le suicide, celui de
dépérissement et de langueur reoherché par le
noble duc Gérard de Mausignac.
Sans y être invité par son maUre, de son chef,
Arsène eut recours au médecin do M. le duc, le
remplaçant ct le successeur ùu praticien qui
soignait depuis de longues années les habitants de
Beau-Soleil.
Une décepLion, eL très vive, attendait les bons
offi ces du servitcur empressé , quand! il fiL, ù ses
risques oL périls, dans une des splendides autos de
son ma1Ll'c, le voyage jusqu'à Alger.
La maison du dooteur Hub ert Miquoz était
close de la bas au somme\' et un voisin obligeant
conseilla il Arsène, le valet offioieux, de sonner,
la porto do la villa d'on face, chez M. François
Nénos, renLré ùe voyage dopuis quelquos jours,
une Lournée dans le Sud enLroprise en compagnie
du méd cin réclamé à oor ot ù cris par Lous ses
malados.
- Patienco ost un julep Aouhai,table pour ca 1mer les pnt10nLs <lu dooteur, déolarait volontiers
] oamarade d II praLicien abs on t.
- Jovous l'enverrai à Beau-Soleil dès qu'il sern
do retour et cela ne peut plus tarder.
�104
LE DIAMANT nOSE n'ALI
Ami excellent, il lui répugnait d'envoyer un
client choisi et généreux, le duc de Mausignac , à
un concurrent du jeune médecin.
- Oh 1 ce n'est pas urgent, fit Arsène intimidé,
M. le Duc n'a pas demandé le docteur, mais sa
visite, même inattondue, ne serait pas imporLune .
Depuis que Mmo la Duchesse n'est plus là, M. le
Duc se néglige. Il ne mange plus, à peine s'il sort,
dans le jardin. Ce n'est pas de mon rang, de Iaire
de la morale à M. le Duc, un médecin, enfin
quelqu'un d'instruit devrait lui parler, le raison.
ner, le soutenir, lui dire qu'il a encore beaucoup
de bien à Iaire dans le pays.
- Allons 1 s'écria François Nénos abasourdi, i l
faut vivre sous le régime colonial du bananier
pour contempler ceLto merveille des merveilles,
le domestique modèle dévoué à. sou maUre.
- J'suis pas dévoué 1 fit Arsène, piqué au vif
par un compliment, une accusati.on vis-'à-vis de
ses camarades les serviteurs.
- J'suis pas dévoué, répétait-il en insistant
j'suis intéressé, j'ai la fine place et j'y tiens. Alors
omme ça quand il reviendra, 10 docteur, envoyez.
10, qu'il vienne faire un tour comme par hasard,
ou pour moi, jo dirai que je suis malade et il sera
payé de son dérangement
- Do votre poche, sur vos pourboires! ...
François Nénos éclata de rire au noz du
dévou sans le vouloir, déconcerté par l'accès d'hilarité dt' son jntC'rlocuteur.
La paLionce d'Al'llÙne n'cuL pas Ù SUpporter une
�LE DIAMANT ROSE D' ALI
105
longue épreuve. Quelques jours après son voyage
à Alger, le docteur Hub ert Mi quez était de
retour.
François N énos, enchanté d'accueillir son
compagnon de voyage la issé à son destin à BouSaada, lui rer..1it une liste où il avait inscrit, avec
la date, le nom des malades qui avaient eu r ec ours
au médecin pendant son absence.
- Voyez-vo LI s, ch er ami, il no faut pas s'a ttarder ainsi sur les granùs chemins où circulent les
h elles qu a nd ou veut avoir une clientèle. Pas
plus Lard qu'hior, le valet du duc de Mausignac
est venu vous réquisitionner pour son ma1tre
qu'il trouve malade. Le c hâ~
eau
Beau-Soleil, c'est
encore ce quo vous a laissé do plus int6rcflsant
votre prédécesseur. L es soins qu'il a dorlnés ft lu
du chesse défunte lui ont rapporté le prix d'une
fermo on Beauce . Or un médecin vient de s'installer
à Dellys, m éfioz-vous d'être remplacé.
Fran çois eut la di flcrétion de ne pas s'inCormer
do l'avenLure qui avait retard.é le retour du voyageur.
Jncl111gonce, tact, voici comment les anciens
peuvent s créer des amitiés parmi les j eun es
classes. Et puis qu'oût-il appris qu'il n e l:l(lL déjà,
du moins il Jo croyait .
Hubert avait sans clouto vécu IIne dl' ros bonalos
et pimpantes amourelLos oubli6es dès quo leur
cadre di sp araiL.
T ondi fl C{u'il uJtivait cette i1I ns ion pr6ciellso Ù
son amour-propl'e, François n'ayant su jouer les
�106
LE DIAMANT ROSE D'ALI
don Juan, Hubert songeait avec émotion qu'il irait
Je lendemain, pas plus tard, dans le ravissant
pays qui portait le même nom que sa fiancée,
sa ville natale, peuL-être, celle où résidait sa.
famille.
AvaiL-il maintenanL le d6sir aussi rouguoux,
Qussi précis de chercher une parenté qui mettrait
peuL.;;tre oppodition à leur bonheur tous les
deux?
Ah! ]0. charmante femme fJu'il po~w6derait
bientôt! Tout.e ù lui dans quelques mois, quand
elle aurait reçu de la. Révérende Mèro Aimée une
bonne étlucaLion,
CHAPITRE XVlf
To.nùis qu'une voiLure auLomobile de louage
le conduisait à Dellys, chez le duc de Mausigno.c,
IubcrL, plusieurs roiR, compta le Lemps qui le
séparait du prochain dimanche, ,jour cl parloir
au COUy nL dos Dames de Jérusalem.
11 Be voyait en quelque sorLe assis ùans lu vasto
pièce cil' "0, d'une propreté monacale, un peu
l1uS'Lère pOUl' servir de cudre ù la blonde petit
lill :ü fromissunLe quand oH Liruit des aec nts
hOl'nlOni('ux de sa légère guitare apporLée du
1[oggUl'.
Plua "mouvante t aimée davantage par son
cavalier-servanL dam; c rôle de pcnl:lionnair
�LE DIAMANT ROSE n'ALI
107
qu'elle acceptait pour lui plaire et sans en comprendre peut-être la nécessité.
Hubert comptait sur ses doigts.
-Mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samed.i,
cinq jours, mais aujourd'hui n'exisLe déjà plus,
cette excursion médicale l'abrège; quand je
roviendrai, cc soir, il sera Lemps de dormir. Donc
mercredi, jeudi, vendredi, samedi, quatre jours
seu lement . Je la 1'e rerrai habillée à la française,
peut-être intimidée par celui que son cœur nomme
en secret: mon fiancé. Chère petite Dellys, belle
comme ce pays adorable dont elle porte le nom par
caprice sans doute de l'immense Targll! qui détenait pOUl' lui seul. cet incommensurable Lrésor ; une
jeune fi lle française eL racée plus qu'aucune
autre.
Hubert qui blâmait l'ogoïsme d'Ali s'habituaitun
tantinet il l'idée de continuer le péch6 du harbare.
- EUe est à moi seul, songeait-il avcc déliccti ,
je serai son père, Bon frère, son mari.
n projeLait, avec une incroyable cupidiLé, l'avarice d'un usurier ou d'un oollectionneur, d'accaparer le DiamanL rose d'Ali 1...
El Mektollb 1 C'éLaÏL 6crit. Lu. dest,inée do
D llys ()~aiL
vouée par la fatalité au plus étroit
esclavage d'amour, El M kto\lhl Hubert LrOllvaiL
c1es chormcf' Ù cetto devise nrube clepuiu qll'il
projetuit d'être J'unique muUre de ln jolie DellYR,
l'unique te(\urcsse surtout. Il lui semblait que ICI;
plus IlUiIlL(·t:l, lu. plull doucell nfl'ccL.ionLi, collcs
�108
LE DJAMANT ROSE D'ALI
qu'une fille donne à des parents l'eussent frustré.
- Je l'ai ramenée, j'ai su la rencontrer, la
reconnaître, ce trésor est bien à moi, à moi seul.
*'" li<
Parmi les frais ombrages de l'oasis de son
magnifique jardin, le château Beau-Soleil, blanc, si
blanc, ressemblait à un immense magnolia éclos
auprès de la mer d'un bleu d'indigo, aussi profond,
aussi intangible que celui du ciel. Du bleu pour
azurer jusqu'aux sen~imt
Jes plu!) inuvouables,
ceux du docteur pour sa protégée.
Arsène accueillit, on 10 devino, avec exultation
le médecin qui. venait seeourir le duc de Mausignac.
Le docteur Hubert Miqucz so prêtu à la comédie
imaginée par Je servitour à Beule fin J'être reçu
par le malade qui, a priori, refusait do 10 voir.
Il était étendu sur le divan de son studio, afTaihli ct abandonné aux plus tril:ltes regrets.
Devant lui, l'admirable portrait, œuvre d'un
pointre réputé pOllr sa façon d'exprimer la grâce
féminine, alimentait sans onLr'aclo son dôsespOlr.
.
Loï:-w, JeanIle, les deux chères disparues si
ressemblantes l'une à l'autre que cetLe même image
qui pouvait leur son.-ir d'effigie dev nait Lerl'ibIc,
nhsudanLe, tolun fanJ,ôme qui Lour à Lour 10 Donso1:liL cL r6v~jlJnH
son opollvanto ct scs regrets.
Un sommeil trouh! ~ pnr des cnuchemars, une
�LE DIAMANT HOSE n'ALI
109
anorexie totale conduisaient rapidement le noblo
patient vers la plus complète, la plus aigui; deR
névroses, cel1e qui peuple les maisons de r6gimo.
Cependant la lucidité du Duc était encore eOffipIète puisqu'il gardait intacte l'idée de ses devoirs
de chef de maison envers ses vieux serviteurs.
Le docteur Hubert Miquez grifIonna quolques
mots sur sa carte de visite; il était question de ln.
sanLé d'Arsène, des soins qu'elle nécessitait et du
résulLat d'un examen que le docteur voulaiL confier au Duc.
I! achova la notule par ces mots magiqueR qui
furenL cc le Sésame ouvre-toi exigé par les cÎl'constances ».
DCClvir professionnel.
Hubert pénétra dans le sLudio aSsez semblable
:\ un silencieux oraLoire, où la piété d'un unique
fidèle s'adressajt à l'imago exquise d'une femmo
blonde, nne, exhausséo von! 10 ciel par son attiLude
de disLinction suprême, une Assomption du doux
Memmling qui poignit à ravir de délicates vierges
flamandes.
Le Duc, assis SUl' le divan, désigna. un si.ège au
médecin qui, a près lalllmièreaveuglant,e du dehors,
ne disLinguait à peu près rien dans celte pièce
mainLenue dUDS une pénombre propice il. la fralcheur et à la mélancolie.
-- Vous dites, monsieur le DocLeur, que mon
domcsLiquo ost rnolade. Ne lui ménagez pas vos
Boins cL si. quoI quo opûr-uLion chirurgicale s'jmpo-
�110
LE DIAMANT ROSE n'ALI
sait, ne négligez rien pour tirer mon serviteur de
ce mauvais cas.
:Bpuisé par ce bref discours, le Duc s'affala sur
les coussins et murmura d'une voix affaiblie:
_ Si j'avais la moindre envie de vivre, moi
aussi, j'aurais recours à vos lumières . A peine si
vous êtes arrivé dans notre colonie et l'on vous
dit excellent médecin, dévoué, bon pour les humbles
que vous visiLez gratis pro deo ... J'aime cela, mon
ami.
Hu bert. souriait, le stratagème du vieil Arsène
avait pleinement réussi et déjà, sans qu'il B'y
opposât, il examinait. attentivoment l'affaibli,
l'agonisant volontaire.
_ Il n suffit pas ùe désirer la mort, monsieur
le Duc, pour la voir apparaHre. Pareille l\ votr
ombre, appelez-la, elle ous fui L, fuyez-lu, ello
vous suit.
_ C'est unc fommo, mon chor DocLeur. Vivre,
à quoi bon, j'ai perdu lo!'! deux créatures que
j'aimais, rendez-vous compte do mon chagrin en
rogadn~
l'imago qui conc1'6tioo lour charme Ù
toutes l s deux. Tournez-volis, là, au mur, (~oLt
vasLo Loilo encadréo.
Hubert Re leva, fl'approclta du Lableau que lui
ùéflignait le maHI'o de Beau-Soloil. Une 6motion
indiciblo fit ohanceler le docteur Hubert Miqnez,
il passa sa main sur son front insL ntunément
couvert de sueUl' cL s'ussit sj pale ct !Ii visiblemenL
troublé quo Je duc de .1Ul.l signac le remarqua.
- Vous voyez, dit-il, vous êtes siclér6 par ceLLe
�J.E DL\.~rANT
ROSE n'ALI
tH
grâce de fée évanouie, hélas, et dont le souvenir
peint vous révolutionne 1. ..
simplement, s'excusa. Hubert,
- Un malis~
une ressemblance fortuite, pensa-t-il secrètement
et cependant cc portrait pourrait être celui d~
Dellys 1...
- Ne vous disculpez pas, votre sensibilit6 vous
rend sympathique et je veux vous préciser les
causes de mon chagrin mortel. Peut-être vous
a-t-on déjà raconté ce qui m'est arrivé, il y a. vingt
ans. Non? j'avais une fille unique, un ange, c'est
là son portrait. J'ai refusé de la nonner en mariage
à son ami d'enfance, un cerveau brl1lé, aviatour,
"xplorateur qui rêvait de civiltaer le Sahura ct ses
dromadaires .
(( Mais it me Bembl qu'il fut tout simplement
en proie à des pressentimenLs.
\( Les territoires du sud sont percés de l'OuLes
fréquentées par les autos du grand tourisme bien
all-delà du Hoggar.
- Avais-je une fille belle, parfaite, unique, pour
l'abandonner ù. un pionniel' du désert, gronda le
Duc d'une voix sourde, épuisée. Il l'a emmenée,
malgré ma volonté, ils son~
partis, ,J'ai pardonné,
je les ai rapel~s
pour bénir lour union ot 10 poLiL
enfant qui leur était no , Jamais, jamais porsonne
n'a r vu r.I'Lto famille errnnte, lu mienno collo du
duc ùe Mausignae, colle Jo ma femme, uno de ln
Rochotnerault, Monsieur, deux femmes douéos do
l'incont stuble roynuL6 ùes très "iei11 a J'OCCli,
Quelle mésulliance, DOCLoUJ', un gru'çon sans lu
�112
LE DIAMANT nOSE D'ALI
moindre particule et fou à lier par- dessus le marché .
- Préjugés, osa affirmer le docteur Hubert
Miquez avec sévérité .
- Votre maître n'est pas malade, déclara-toil
à l'excellent Arsène.
Il avait pris très respectueusement congé du
duc de Mausignac après lui avoir conseillé une
alimentation légère mais substantielle.
- Un excellent cuisinier, voilà le seul remède ,
dit-il au domestique, des hôtes qui l'obligent à. se
mettre à table pour oMir aux lois do la politesse
ot de l'hospitalité.
- M. le duc ne donne plus à dlner depuis quo
Mme la duchesse est décédée. Il n'invite pOl'sonne.
- Pas de parents, pas d'amis qu'on ne peut
6viter de recevoir? interrogea IIuberL.
Arsène secouait tristement sa tôLe blanche et ses
yeux devinrent étrangement brillants, absolument
comme s'ils recélaient des pleurs con tenus à grand'
peine.
***
- Suis-jo donc un voleur d'enfant comme 10
Targui Ali, songeait Hubert, tandis qu'à vive
fll1urc l'auLo le ramenait à Alger. Dellys pourrait
être la petite-fille do ce Duc au désespoir morbide.
QlIeJlù forLune soudaine pOUl' ceLLe mnlhel\reUSO
peti,!:. " nantie dos trois nippes d'nn trousseau
oche~é
pour Ile par la Hév6rcnde Mère Aiméo_
Touto Stl richesse esi ùanl:l mon amour. Elle
�1~
LE DIAMANT ROSE D' ALT
pourrait être de Mausignac, mais rien, absolument
rien, ne le prouve. Un secret bien gardé sera la
garantie de mon bonheur et du sien.
A vec ses millions, ses châteaux, ses larbins et
sa race le Duc ost malheureux, incolltesLablement,
tandis que nous deux, Del1ys et moi, la félicité
incomparable de nous unir bientôL eL d'avoir des
bambins blonds et roses comme elle, LouL un collier
de diamants roses uniquemenL à moi leur père,
leur papa.
La conscience du jeune Docteur, cette conscience
si droite, si pure, si loyale, m Ul'OI utaiL bien quelque
peu.
Ah! pourquoi le duc de Mausignac avait-il
parlé de mésalliance ct menacé par ce mot imprudent l'avenir d'un amour profond, chevaleresque
cL contenu?
-- A lui la l'espomabiliLé de ma faute, conclut
le jeune médecin avec un détachemenL qui n'étaiL
pas touL à faiL d'accord avec ses scrupules naissants.
De plus HuberL Miquez pruùenteL sago pouvaitil blflffier enLièrement co Duc qui avaiL refusé su
fille à l'écervelé coupable d'uIl rapL achevé dans
une Lragédie mOl'Lelle;' Cc malhour avait forgé le
trisLe desLin do l'enfant blonde ramenée de BouSaada. Dellys, sans soninLervention généreuse et
quelque peu intéressée, serait devenue le jouet dps
nomades et des touristes visiteurs du QuarLier
réservé, perfide à la verLu de celles qui en sonL 10
harme et l'uttra; 1
8
�114
LE DIAMANT ROSE D'ALI
CHAPITRE XVIII
Lo parloir des Dames de Jérusalem est une
vaste véranda, une serre on quelque SOrte . Ornée
de fleurs ct de plantes rares, c'est l'autel immense
il la gloire d'une image de la Viergo qui semble, :
de Hon trône surélevé, présider les entretiens des
pensionnaires avec leurs ramilles.
Lo docteur Hubert Miquez, assis auprès d'un
bniHson de lataniers cL de bégonias aux feuilles
géantes, attendait sa pup.i1le. Il était jeune et il
était trou})16. Il fut plutôt rassuré que marri quand
ello upparut avec la bonne Mère Aimée qui la
tenait par la main.
3)cllYB semblait grandie par la tenue sobre, le
bleu URsez foncé de sa robo d'écolière, pâlie aussi
par la vic claustrale qu'elle menait et si sérieuse,
si réfléchie qu'elle paraissait triste, malade peutêtro.
- Lu santé? interrogea de suito 10 docteur,
après les saluts d'usage. La santo, répét.a.-t-il
uvee inquiétlldo.
- li est évident, répliqua lu Mèro Aimée que
le r6gime du couvent n'osL pus celui d'une OrienLaIe hubituoo au plein air, au farniente oL au
caprice. La pauvre petite esL bien grande pour se
plier ù nos disciplines. Elle s'habituera, n'est-ce
pus, il faut l'espérer, sos compagn os l'apprécient,
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
115
Dellys se fait aimer de suite, c'est un don dont
vous subissez l'exigence .
Mère Aimée avait vécu dans le monde, elle
était affable et, assise entre les deux jeunes gens
qu'elle s'était mis en tête de protéger elle retou~
vait les grâces policées de son rang que sa ondi~
tion lui ordonnait d'oublier.
Elle rougit légèrement au fond de sa cornette
d'avoir, pàr quelques mots qu'elle trouvaient risqués, négligél'avstérité deses propos habituels. Elle
reprit d'un ton froid et distingué:
- J'ni bien des choses à vous expliquer au
sujet de oette enfant, de 80n instruction religieuso
et des soins moraux et matériels qu'il convient
de lui prodiguer, du nom ohrétien que nous lui
donneront en la bap tisant. Pout-être conviendrait·
il de nous réfugier pour cela dans mon domaino
personnel, le bureau oratoire où jo vous ai reçu
quand VQus m'avez amenée cetto jeune fille qui
vous intérosse.
Dellys avait approché un pou trop près en
vérité sa chaise de celle de son pl'oteoteur Hubert
et sa petite main se tendait vers la sienne, pour
renouvoler l'étreinte brève de la poignée de
main échangée au début de l'entretion.
Cette tendresse qui 1'1 mplorait, cette faiblesse
qui cherohait Bon appui affectuett!: , il souffrait
d'avoir ù les repousser.
Un regard impérieux corrigé d'un sourire bien.
voillnnt de la religieuso mit fin au désir exprimé
par ln pauvre Dellys.
�116
LE DIAM ANT RO SE D' ALI
Elle baissa la t ête, chagrine, silencieuse ,
puisqu'elle ne pouvait exprimer son bonheur de
revoir Hubert par des mots et qu'on lui refusait
l'éloqu ence des ges tes expressifs.
Mère Aimée sortit du parloir, escortée du
ùocLeur Hubert Miqu ez et de sa pensionnaire ;
cl1 e les dirigea à travers des escaliers et des couloirs clairs et spacieux j l1 squ 'ù son domaine particuli r. Ell e les sépara par l'imposant meuble où
siégea ienL son écritoire et son livre mémorial de
la co mmunauté. Hubert ù droite, Dell ysù go.uche.
Elle so rLit d'un des tiroirs secret de Son bureau
le petit paqueL-tali sman dont cli o avait exigé
J'abandon
po.r Dellys,
le jour de so n arrivée .
1
• •
Ces suporstrtlOrtS sont excessivemen t
durabl es chez nos indigè nes , dit-cUe, j'ai agi
d'au LoriLé, mo.is Dellys 0. tcll emen t pleuré et
suppli é qu e j'ai gardé ccsinguli cr scapul aircau lieu
de le déLruire, je sais qu'en V Oll S les remettant
devant elle j'aLténue ses cro.intes fétichistes.
L'rnveloppe, un simple voile, es t bien usée et ell e
eo nLienL cerLains grimoires incompréhensibles
proha bl rmcnL.
Mè rll Aim ée n xa it so nj~
e rlo c ut e nr
de ses yeux
Ill'ilJ anLJ:l au regard persplC'uce . Qu e signifait ce
COllp d'œil auxaguots?
JIuul' rt s'empara du suchet assez volumineux
qni , nu moment où il s'on saisissait, se dénoua
entièremenL r Llaissa Lomber li 'B feuilles vo luntes
couvertes d 'ér ri tul ' '::! Ll'ètl Ij sihleg et tl'èi:l frull(,::ü I»el! .
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
117
Tout le passé, tout l'avenir du Diamant rose
d'Ali était là dévoilé.
-- C'était écrit, en vérité, murmuralareligieuse,
vous ne vous étiez pas trompé dans vos suppositions, DeUys appartient à une très grande
famille, vous vous en convaincrez, etles prémices
de son histoire, qui fut tragique, est connue à
Alger. Nous n'avons plus qu'à nous effacer,
Monsieur, vous et moi; le duc de Mausignac
décidera si je dois m'occuper de l'éducation de
sa petite-fLlle, ou s'il désire la prendre à BeauSoleil et lui donner gouvernantes et précepteurs.
Cependant je pense que jusqu'à son baptôme elle
serait très bien chez nous. Voulez-vous le prévenir
ou dois-je lui envoyer ces lettres, ces notes ...
- Attendons quelques jours, Madame; j'ai vu
le Duc cette semaine, il faut le préparer peu à
peu à cette joie immense qui pourrait tuer un
homme débilité qui s'est condamné au désespoir.
PrGcédons sagement, avec douceur.
- DelIys n'est plus à moi, répétait avec douleur, Hubert, en s'éloignant du couvent des Dames
de Jérusalem, DeUys n'est plus à moi 1... Jamais
elle ne sera ma femme. Avec quel mépris ce
vieilla.rd a prononcé cc mot: « Mpsalliallce ».
Cependant, môme si j'étais resté seul à connaître
le secreL, j'aurais rendu ceLLe petite, même si son
rang, sa fortune lu séparent do moi désormais.
Même si mon pœur doit ôtre brisé par cotte
séparation.
Même 1 Môme 1 M'mc ...
�118
LE DIAMANT ROSE D'ALI
Le docteur Hubert Miquez pleura comme un
enfant parce qu'il devait restituer au duc de
~ausignc
le Diamant rose d'Ali.
CHAPITRE XIX
- Quelle odyssée 1 soupirait Gorard de Mausignac.
Il venait d'écouter sans l'interrompre un long
récit. L'histoire do Dellys, par ]e docteur HuberL
Miquez.
- Vraiment, ajouta-t-il, rêveur, cette résurrection de la fille de ma fille est empruntée il quelque
aventure des Mille et une nuits pour les besoins de
ma santé, mon cher Doctour, Cependant je vous
crois incapable, même dans l'intérêt d'un malade
qu'jl s'agit de guérir, d'inventer ou d'animer un
l'oman d'Eugène Suc .. , ou de Victor Hugo, C'est
romantique, c'est charmant, c'est chevaleresque,
mais ost-co vrai? ..
- Les preuves sont là, dans votre main,
votro lettre do pardon ot do rappel à voLro mIe ,
Mmo Joanne Bodulain, quelques notes Concernant
10 voyage entrepris dans l'avion Dellys, pour
venir vous répundre plus viLe, vous faire connaîtro
votro potüu-lille Diano, l'acLe de naissanco de
l'enfont liée Il Hingcrville, sur lu cOte u'[voiro, ]0
eonsul UlIglail! Il signé en bonne et due formo co
«( testimonial of bil'Lh » survenu SUI' un torl'itoirtl
uppal'LenunL Ù lu Gro.ndu-l: l'OL~gno.
Noue UVOUII
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
119
a-ussi les turquoises et les perles, parures préférées
de votre fille que vous reconnaissez.
- Ce qui prouve péremp.toirement que ma
pauvre fille fut la victime au désert d'une razzia
organisée par des bandits Touareg. Ils se sont
emparés de sa cassette, de ses papiers, de tout ce
qui lui appartenait.
- Même de sa petite fille séquestrée au Hoggar.
- Quelque négrillonne sans importance s'est
peut-être substituée à la petite Diane et fait valoir
des droits imaginaires. Vous me convaincrez
difficilement que j'ai le devoir de vivre pOUl'
réintégrer une guenon targuia dans ma famille,
tester en sa faveur et me croire heureux grâce au
subterfuge de mes gens, de mon médecin.
- Oh 1 Monsieur 1 interrompit Hubert, sur un
ton qui L1'aduümit l'orrense.
- Oui, j'ai tort, j'ai tort, de vous parI l'ainsi,
.puisque vous ]e dit s, cette petUe serait une
personnification bien vivante du portrait de ma
fille. Votre émotion, votre trouble, j'ai pu les
constater quand vous avez été pour la première
J'ois en présence de ce tableau.
- Sans doute, Monsieur, la beauté du modèle,
la perfection de l'œuvre d'art pouvaient m'impressionner fortement mais je suis un médiocre ama.
teur.
(( Si mon cœur apalpit6 au poinlde mon LrClI une
sensibi lité de gringa let pou ù'acco"l aVlle mon
caractère, c'est parce que je voyrüs écloait'ci, t01:lt
�120
LE DTAMANT RO SE D'ALI
à coup le mystère qui me préoccupe depuis ma
première rencontre au bord de l' Oued avec la
jeune Dellys. Je ln. nomme ainsi jusqu'au jour où
elle sera votre petite fill e Diane.
Gérard de Mausignac garda un sil ence énigmatique qui parut long ct cruel pOUl' l'absente ù son
sauveur, Hubert Miqu ez.
Le Duc, pâle et chancelant, pOUl' excuser sangfr oid, Cl'iLiques , doutes et froid eur, murmura avec
un air d'humilité profonde :
_ Je suis ù demi-morL, insensible et fan é
co mme lu Oenl' sèche d' Lln ex-vota dédié ù Loïse
ct tt Jeanne. Dans qu elqu e!! jours je Vall S appeller'ai
qu and je me sc rai fait à une renaissa nce obUgaLoil'e ct in attendu e. Vous m'amènerez cette jeun e
fill p qu e VOli S dites dou ce et bell e. Si ellp est
vraiment de ma race , de mon sang, je le discernerai certainement.
_ En attendant, que dois-j e faire d'ell e ?
_ Quoiqu e romanesque, l'ave ntUI'e manque de
di stinction, répliqu a 1 dll C av ec: um ortl.lnf.'. Vou s
inl'orm f.' ro7. déli catement la jeune personno do nos
troublantes découvertos. Venille7. Illl' sec onder, la
protéger comm e vous J'avc7. rait j ll squ'ici, Laissezla dam! l'asile qne vou s lui ave7. judicieusement
l'hoisi. Pas dr. femme ici pour l'a 'cueillir. Loïse 1
Jeanne, hélas 1 Où ôtes-vous ~
_ D lIy s les remplacera auprès de vou s, Bon
sourire se ru lu floraison supr(\ me qui embellira
votre vie uClu pll e. Bile sr Pl'o lOllgr. ru hf' llfI' U::\f',
douce et entourée cl 'uffucLi oTl cl 1.1 (;' ben uLe .
�LE DIAIvIANT ROSE D'ALI
121
***
Ces promesses n'eurent pas le don d'émouvoir
considérablement le gentilhomme, il mit de la
lenteur, sinon du dédain, à reconnaitre l'enfant de
Jeannela regrettée. Peut-être se méfiait-il. N'étaitelle pas aussi la fllle de l'écervelé qui avai t enlevé
une Muusignac pour la conduire au trépas prématuré. Fauchée cette jeune existence, abandonnée
aux Touareg hideux (c'est ainsi que les nommait
le Duc) Je fruit d'amours illicites. Dellys représentait, somme toute, le drame qui avait marqué
~I jamais son existence et assombri le destin d'un
double haut lignage, celui des Mausignac rt celui
des Rochemerault.
Et cependant, précieux effet d'une attente et
excitation d'une curiosité bienfaisanle, Gérard
reprit de l'appétit, des forces, de la vaillance,
aSl:!ez pour vouloir sérier ses émotions et ne pas
introduire ù la légère la jeune transfuge du
Hoggar ct de Bou-Sauda ù Beau-Soleil.
Il sollicita uno entrevue de la directrice du
pensionnat dos Dames de Jérusalem, l'obtint,
intt>rrogra lu Mère Aiméo ot put ainsi s'assurer
que lu religieuse étaiL incapablo de tromper duns
I1n complot, fuL-il dans
le dessein de rontl'iburr au rétablissement d'un désespéré rt
c!'a:lSlm'I' l'avonir de la réfugiée confléo à ses
soins,
Après avoir sous<':l'it à cet interl'oguL~
et
�122'
LE DIAMANT ROSE D'ALI
répondu à toutes les questions posées par le duc
de Mausignac, la Supérieure dit à son visiteur:
- Voulez-vous la voir, cette ohère petite?
- Non, madame, répliqua 10 Duo avec indifférence. J'appellerai votre élève ù Beau-Soleil dans
quelques jours. Le docteur Hubert Miquez me
l'amènera. Je préfère que cette entrevue décisive
so passe dans ma maison. Cette jeune nUe saitelle un peu s'exprimer en français? Comprendrat-elle que son retour près de moi est une solennité?
- Ses progrès sont immenses, instantanés,
inn s. Une ûrne d'une délicatesse inouïe et
un crour riche d'intuitions. Dellys est racée ,
c'est certain; ]e ciel la protégeait t elle est
restée pure, en traversant d'inllommables' péripéti s.
- Se souvient-elle des dangers diaboliques do
lJes parents?
- Ell s'en souvient, mais un certain Targui,
nommé Ali, occupe beaucoup sa pensée. « Monpère
adoptif r., dit-elle, en ssuyant dos larmes furtives.
On n fait pas changer Dellys-Dian de sentiment. Ses volontés affectueuses sont inébranlubIes comme celles de tous les gens bien
nés.
u lle Pte pour tout slcs créatures vivant s, y
compris 1('8 Il urs et les plantes, quo l'arrivée ù
13eau-Solpil cl la jeune maîtresse de ce domaine
maglliflqul' 1...
�LE DIAMANT ROSE D'ALI
123
Quand le duc de Mausignac eut jeté les yeux ·
sur l'exquise jeune fille blonde .comme Jeanne,
pareille de taille et de stature à Loïse et si semblable aux femmes de sa famille qu'elle les ressuscitait, sa résidence fut pour lui transformée en
paradis tout peuplé d'un ange qui en valait cent
mille. Il tondit les bras vers la jeune fille qui tout
naturellement s'y jeta, portéo par l'instinct le plus
tendre, le plus chaudement familial et spontané.
- Commo une sauvage 1s'écriale Duc singulièrement ému par cette étreinte confiante.
- Je ne puis la renier, dit-il en se tournant
vers Hubert. Comment récomponser co que vous
avez fait pour nous?
- Oh 1c'ost bien facile, murmura Dellys-Diane
sourianto, nous nous aimons, il est mon fiancé,
vous nous marieroz, mon père.
Le Duc, la mésalliance, le « ce qui so fait » ct le
« co qui ne so rait pas dans notre monde » furent
pris au dépourvu excessivement ot mortellement.
- D'aillours une enfant élovée parmi los barbares, peut-on, do but en blanc, lu morigéner.
Gérard n'acheva pas son Lorriblo :
__ Qui voudrait épousor 00 sauvageon non
grolTé?
Il 10 pen sa pcuL-û Lre. FÜlCsse de cœur eL do
sontimonL, Dollys dovinu eL arrôta sur los lèvres
qui ullüienL prononcer 101) motl! cl'uols pOUl' son
�124
LE DIAMANT nOSE n'ALI
amour partagé et pour le protecteur de 150n
enfance.
- J'ai reçu l'éducation des dames du Hoggar,
jamais esclave ou servante, votre petite-fille.
Cl Ali Iut très bon. Il m'appelait son Diamant
rose 1. ..
- Ce compliment Iorcéné qu'il vous adressait
vous Iait passer l'éponge sur tous ses forfaits 1 Ah 1
vous êtes déjà une petite femme, prenez donc de
suite le mari fervent qui vous adressera des
compliments légitimes.
Fiancés légalement avec l'assentiment du noble
et opulent duc de Mausignac, il faut avouer que
l'entrée à Beau-Soleil du jeune couple s'annonçait
magistrale.
L'ami et camarade François Nénos futle premier
informé de ces événements hors série.
n ne manqua pas de s'approprier l'idée de cette
brmanto réussite.
- Voilà, fit-il, pourquoi je vous ai laissé seul
vous débrouiller ct poursuivre la conquête de la
jeune Dellys. Vous avioz trouvê la pie au nid et
je le savais.
- Par exemple 1 s'6cria Hubert amusé ct
interloqué à la fois, jamais vous n'avioz vu
Mlle de flfausigllac.
- Erreur, je connaissais Dellys et sn ressemblnnce avcc les damcs de Mausignac mère ~L
fillo.
- Vous sorez mon témoin, promit 10 docteur
Hubert, débonnaire, je yous confie cc rôle
�LE DIAMANT ROSE n'ALI
125
d'enchanteur dans le magnifique conte oriental
entièrement réalisé.
« Bientôt Dellys. et moi nous l'appellerons
notre mariage, notre bonheur, notre ménage, nos
enfants l ...
FIN
�~1lun
1 1"flrJ~
LA
GRANDE LÉGENDE
DE LA MER
Collection publiée sous la direction de José GERMAIN
Volumes in-8 couronne tirés sur papier alfa avec
hors-texte en héliogravures. Prix : î5 francs.
1. Le Radeau de la Méduse, Il. Les Grande3 Escadres du
Maréchal de Tourville,
par Aug. BAILLY (Prix Laspar H. LE MARQUAND.
serre).
12.
Dumont
d'Urville, par
2. Jean-Bart, par Henri MALO
(de l'Acadlmic de Marine).
3. Le.ProuesEes du Bailli de
Camille VERGNIOL.
13. Sir Walter Raleigh, par
Léon LEMONNIER.
Suffren, par Georges LE- 14. Chevaliers de la Mer, par
COMTE (de l'Académie F rançaise).
4. Le Breton Yves de Ker-
Léon BERTHAUT.
15. La Lutte pour la Mer, par
J.-H. ROSNY Jeune, del'Aca-
guelen, par Aug. Dupouy.
démie Gonrourl.
5. L'De de la Tortue, par 16. Aristide duPetit-Tbouar
par Roland CIIERMY. Lettre a
préface de Claude F ARRÈRE6. La Cuerre des Enseignes, 17. Le Chevalier Paul, pa;
L
par Louis GUICHARD (Prix
de l'Académie de Marine,
éon VÉRANE et le lieutenant de Vaisseau CHASSIN 3
Fr. FUNCk-BRENTANO.
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1(7. ~Pri:fnx.alquc,
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18. Un grand ennemi :
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8. Jncllues Canar, Conaire 19. TempEte, par Pierre HUMde Nantes, par Marc ELBOURG
DER (Prix GOTlcourt).
20. Sir Francis Drake, par
Léon LEMONNIER.
9. Une Épo-'{e Canadienne,
jI"
21. Mor Bihan, par Stéfane
par Ch. de 1 RONCIÈRE.
FAYE.
110. he7~iG)
5
1928).
~éra:oud
Claude FARRèRE.
22.
~ierS:Rt'
couri 1924).
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94, Rue d'Alésia -
PARIS
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.11111111111111111111111111111111111111111111111111111111IIIIIIIIIIIIIUIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII1I11111't'flll'"IIiIIIII'II,/i
�?oar p:uaitre jeadi procbain lonl le nO 333 de la collection
Ct
FAMA ..
LES PRINCIPES
DE TANTE GERTRUDE
PAR
H. LAUVERNIÈRE
- Coucou 1
Les deux mains de la fi lleLLe s'étaient appliquées si
lestes sur le3 yeux do M. de Kervilan et elui- ci éta iL
tellem enL absorbé prtr sa lectu re qu'il faillit tomber du
rocher sur leq uel il s'était installé.
- P tite (011 ,) 1 Un peu plus, lu me fais,lis rouler par
tel'ro l
- Et moi avec toi 1 C'est ça qui aurai t été amusant 1
s'écria l'étourdie, en éclatant de rire. Aussi, papa, ainsi
'juché, lu es plutô t cn 6qllilibl' instable 1
- Y a·l·il un rocking·{'hair on vue? demanda M. de
Kervilan, en promcnanlun regard amusu aulour de lui .
Jl s se Lr uvuiont, Jo p \rc ct la fllle, au fond de la gorg
qui, de la Rnllièr j monLe vers Jo Pont d'E ·pagne. Lo
Oavo bon Jissait avec un vacarmo assouriissant, les
grands sapins, émergeant au hasard des bl o"; de gra nit,
le rouvraienL d'une ombre épaisse.
J l'anne avait répond u à la demand e de son pùre par un
nouvo l éclat dl' rire.
_ Aussi, tu é t u j ~ si abso rh6 dans ta lettre .. , J e Viii
appelé je ne sais combien du fois, pour me voir sauLer de
ce gros roeher, là, Cil fa co. lmposi;ibl o de te faire lever
la t le. Tu m'avais bi en promis de ne pas travaillel' ici.
_ Et je no Lrnvailhis pas , mais on no s'ontend pas avec
10 l,rui t du Gave, ma fille.
M. d l) Korvilan parut hésiter un instant. 11 repriL :
- J e li sais uno I ~ tr o de La L'lnto Ger Lrude.
- Ah 1 lu vi oille tante bretonne 1
lA suivre.}
�2~10-3.
-
CORBEIL. I MPRIMER1E CRÉll!..
�~
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • ! ••••
LE DISQUE ROUGE
···· 013
D'AVENTURES - DES ROMANS LJ"ACTION
·· ROMANSD'AUTEURS
LE.." PLUS CONNUS
·
Volumes déjà parus:
CONAN DOYLE
Aventure. de Sherlock Hol~
mes.
Nouvelles Aventures
de
Sherlock Holmes.
Souvenirs de Sherlock Holmec.
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loci, Holmes .
Résurrection de Sberlod
Ho ;mu.
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Le Masque noir (A ven/u, ..
Je Ralf/a ).
Le Voleur de nuit (D t rn i ~'t '
aven / ures de RaUle, l.
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CHRISTIAN DE CATERS
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3
FR.
50
ALBERT BONNEAU
La marque du Léopard.
Le Désert aux cent mirages,
ANDRÉ ARMANDY
Le Maître du Torrent,
RUDYARD KIPLING
Contes de l'Inde
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SOUI la griffe de Martin
Hewitt.
L'Étrange Avenlure du
.. Nicobar ".
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La Poudre rOle.
J. JACQUIN ET A. FABRE
Le.5crime. de M. Tapmoi••
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RENAISSANCE DU LIVRE
94. rue d'Alésia, PARIS (XIve ).
Iil ••••••••••••••••••••••• •••••···••••·••· ....•••••••••..•••.•••......• rc:t
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Chigot , Elise-Marie (1873-19..)
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Le diamant rose d'Ali : roman
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Ed. de "la mode nationale
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impr. 1932
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Collection Fama ; 332
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The nature or genre of the resource
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BUCA_Bastaire_Fama_332_C90800
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JACQUES SE
LE LI ENVI ~NT
1
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•
. LE LIEN VIVANT
�LA COLLECTION "F AMA "
1
BIBLIOTHÈQUE RtVÉE DE LA FEMME ET DE
LA JEUNE FILLE PAR LE CHOIX DE SES AUTEURS
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Chaque Jeudi, un volum e nouveau, en vente partou t.
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L'f:loge de la COLLEC TION FAMA n'est plus à faire: elle est
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Ch, Post. Paris 176.50
MO N JOU RN AL FAV OR I
(LA MODE
NATIO NALE, fondée en 1885)
REVUE HEBDOMADAIRE
DES MODES, PATRONS ET TRAVAUX DE LA FAMILLE
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Toa. lu Samedis , 16 pag•• dont 4 en eoaleurs , plus en
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o
l1li
Ir. 50
Chllq .. e N .. nu~.·o
est entlè"c lllcllt ..en...o ...·sé pli .. un
B01\1 "c ... êlllc "alc ...•• l.cccpt é •• 0 ...• son 'lIontll llt cn
ment "e to .. tc CO . . . . . . IUI.. C dc I·A'I'UO NS.o.. ,)0 .... ,)I.lcn.oltlé
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LIVRÉ ...
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nen l
IUT demande affranchie, 94. rue d'Alésia, PARIS
(XIVe)
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JACQUES
LE LE VI
ROMAN
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fDITIONS DE .. LA MODE NATIONALE"
94. Ruc d'Alé,i:l, 94. -
PARIS (XIve)
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���LE LIEN VIVANT
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE PREMIER
UNE PLAINTE DANS LA NUIT.
- A moi ( A moi!
Le vieux CorLhis tendit l'oreille. Il était seul dans sa
peLite, maison composée de deux pièces, et savait Lrès bien
(fU'à cette heure tardive - onzo heures du soir - il no
pouvait y avoir ilmo qui vive aux alentours.
Fossoyeur et gardien du cimotière de Villeneuve-surSomme, il en a vait fermé' les grilles comme de coutume, ~
la nuit tombanto, avant d,e l'entrer chez lui.
Le pavillon flu'il habitait dans l'enceinte même du
cimetière avait, 10 soir, ses vitres éclairées et la fuméo
16gère qui sortait de sa chemin6e indiquait atL" passants,
bien rares dans cct endroit p erdu il cinq cents mètres du
bourg, qu'il y avait un vivant pour garder tous ces morLs.
Le pèt'o CorLhis, après avoir lu sos journaux, s'était couché, ce soir-lil, vors 9 heures, omme il en avait l'habiturle
et n'avait pas tardé à céder au sommeil.
11 avait laissé la fenêtre de sa chambre entr'ouverLe afin
de rc ~p
ir c l' mieux ct faire entrer l'air ft'ais de la nuit duns
�G
LE LIEN VIVANT
son modeste logis surchauffé, tout l'après-midi, par un
orageux soleil de juillet.
Et voici qu'il étaU tiré de ce bienheureux sommeil par
une plainte répétée dont il n'était pas encore très sûr qu'elle
ne fùt pas l'erret de son imagination.
Il n'était cependant pas sujet il. ces sortes d'hallucination et la compagnie de ses silencieux voisins, sous les
dalles, ne lui avait jamais causé la moindre terreur .
- Amoi!
Rêvait-il ?
Le silence était si profond dans la campagne qu'i-!
n'était pas possible de se trompe!'. C'était bien une voix
humaine qu'il entendait.
Il se dressa sur son séant, attendit quelques minutes et
comme la plainte ne se renouvelait pas, il enfonça de
'pouveau la tête dans son oreiller, pensllnt que décidôment
il avait rêv6.
Uno douce so:nnolence commençait à l'envahir lorsqu'il
fut brusquement tir6 de ce demi-sommeil par un lointain
roulement de tonnerre.
- I l a faiL trop chaud tout le jour, murmura-t-il, voici
l'orage qui approche.
11 ôtait encore leintain. De temps 11 autre, quelques
éclairs illuminaient brusquemont la chambre et tout le
'c hamp des morLs que Corthis apercevait par la fenêtre
ouverte, mais ils étaient si espacés qu'ils laissaient
presque le tomps à Corlhis de se l'enùormü' dans l'intervalle,
Toui fi COUJ' \l.n roulement plus prolongé ot plus proche
fit sursaut 01' 10 vieillard dans son liL.
- Pas {Myon do dormir, grogna-t·U,
Pondant 10 silenco qui lJuccéda à oc premier VaCal'lUo.
Corthis 50 leva pour aller Ce1'n\Gr sa fenêtre.
�LE LlRN VIVA NT
7
- Ainsi ça pourra gronder tant que ça voudra... je
serai plus tranquille ...
Comme il mettait à exéculion son projet et S0 tenait
debout, une main Bur l'espagnolette, un nouvel éclair
répandit sa lueur blafarde sur les centaines de croix
inégales qui se pressaient autour de sa maison comme des
moutom; autour de leur berger. Il res ta une seçonde inter-,
dit, contemplant ce paysage sinistre et pourtant reposant
que sa situation lui avait rendu fam ilier au point qu'il ne
ressenlait plus à sa vue aucune émotion.
Mais pendan t les deux ou trois secondes qui s'écoulèrent
avant qu'éclatât le bruit sec du tonnerre, la même plainte
étouITée, celle qui l'a vait si fortement ému tout à l'heure, quoi
qu'il ne voulût pas sc l'avo uer, se fit de nouveau entendre.
- A moi! A moi.!
C'était un appel Iaible et pourta nt précis, mai qui fut
bientôt couvert par le fracas de l'orago qui sc déchainait.
Corthis s'habilla à la hâte, enfilant un simple pantalon
sur sa chemise do nuit, eL sc chaussant do gros souliers
sans prendre le soin de passor ses chausse ttes.
Il ouvrit la porte qu'une rafale de vent lui rabattit au
visage et so trouva devant une petite allée bordéo de buis
somblob!e à celles que l'on voit dons tous les cimetières.
Des rangées de lombes, dénudées ou fleuries, les unes
cn marbre précieux, les autres en simple lerre battue
étalaienL leur émouvante soliLude dans la nuit chargée
d'électricité.
Quiconque n'eut pas été habilué, comme 10 fossoyeur,
il cc triste spectacle, aurait fri ssonné devanl cc qu'il
avait de plus désolé encore à cette heure indue.
Mais Corlhis n'ôtait pas homme il s'embarrasser pour si peu.
- Allons, tirons ça au clair, avant qu'il ne pleuve,
ponsa-t-H.
�8
LE T.lE N VIV AN T
Il lIt quelques pas, écoutant attentivement entre chaque
r oulement de tonnerre, afin de pouvoir préciser l'en droit
d'où s'élevait ce r âle et cet appel désespéré.
- Au secours, je ne puis plus !
Cett e fois -ci, c'était neL. La voix al'J'ivail direc temenl
aux oreilles du vieil llOmm o qui ne pouvait cependant
bien délinir si clIc était proche ou lointaine.
Chose curieuse, il lui semblait qu'ell o étail les deux à la
foi s .
- On y va , mais où êtes -vous donc, camarade?
Un éclat de tonnerre lui répondi t, et il ne sut pas si
l'homme l'avait entendu.
- Où êtes-vous, camara de? cria - toi!, plus fort.
Mais il ne perçut qu'une faible plainte qui se perdit
ùans la nuit ct le grondement de l'orage .
Cor lhis passait à cc moment-là devant une tombe fralchem ent r emuée . Lui-même l'avait ouverte ce t aprèsmidi pour y dépO$er un cer cueil de bois blanc que nul
cortège n'accompagnait, m ais ayant été occupé, par la
suite, il autre chose, il avait laissé a u lendemain le soin
.
de la fer mer.
Il ne prévoyait pas l'orage de la nuit ct qu elques
pelletées de t erre avaient seules été jetées sur le cel' cueil de pauvre.
Celui qu'il re nfermai l, on peul bien le dire, n'avait cu
autour de lui ni larmes, ni r egret s, au moment de r ejoindre
sa dernière dem eure.
Cor lhis n'a vail r emarqué qu'un employé de pomp es
fun èbres cl, détail plus signi fica tif, un fonctionnaire de
la prison départementale de Vill<)flcuve, cc qui laissai t
prévoir qu e celui qu'on enterrait ainsi, sans t émoins ct
sans frais, devait être un prisonnier mort dans sa cellul e.
- A moi 1n'y aura- t -i! jamais personne pOUl' m'ent endre?
�I,E Ur.N \'IVAI'iT
9
- :Mais si, vieux frère, on y va! criait Corthis, qui ne
savait plus à quel saint se voner.
Cette voix, d'où sortait- eUe?
J~tai-ce
possible qu'elle vlnL de cc cercuoil encore non
recouvert de terre ct que 10 prisonni er déposé là pal' ses
soins, il y a quelques heures. ail été mis yÏ\·ant dans sa
bière?
Cependant?
Il n'y avait pas de doute à avoir: Cela ne pouvail
(~Lre
autre chose, puisque personn(> n'était entré dans le
t:imclière depuis que son gardién, après en ayoir fait If'
I.our, avait fermé 5es portes.
De larges gouttes d'eau commencaient à s'aplalir sur 1
sol avec un bruit mat.
- Au secours, Seigneur, épargnez-moi reLLe seconde
mort, pourquoi n'avez-vous pas voulu que j'en Onisse ...
- Patience, criait Corthis, interrompant le mort vivant
qui, sans aucun doute, ne pouvait l'entendre et donnait
libre <:ours à son désespoir .
Le fossoyeur courut chez lui pour y chercher un
marteau, une paire de tenailles ct lInO lanterne sourde,
cette dernière bien inulile tant les éclairs rendaient lumineuse cetto nuit tragique où se jouait la destinée de ce
morL revenu à 10. vie on ne savait encore par quel miracle.
Lorsqu'il fut de retour, l'averse baLLaiL son plein.
Il avait passO à la MLe une veste de toile qui, bipllLôL
trempée, colla vite à ses épaules landis qu'il entreprenait
de balayer les quelquos cenLimèLres de terre qui rpcouvraient le cercueil de bois blrtnc.
A le voir ainsi se hâter à ce travail, par ce temps
impitoyable el à j'heure où tous les hOilllGLe3 gens sont
dans J(;ur Jil, les porles bien closes, les personnes les mieux
intentionnées auraient pu croire qu'dIes ét aient en face
�10
LB L1F.N VIVANT
d'un scélérat en train de violer :une ,sépulture pour voler
son cadavre.
A vr:ü dire, malgré les circonstances qui l'avaient
amené, en pleine nuH, à détorrer ce mort, il serait pré·
somptueux de penser que le pauvre vieux ne tremblait
pas un peu.
I! faisait vite, le plus vite qu'il pouvait sous la pluie et
les rafales qui le transperçaient jusqu'aux os.
- M'entends-tu, camarade? criait-il do temps à autre.
A cette question demeurée jusque-là sans réponse, un
« oui » se fit entendre, au moment où l'outil de Corlhis
rencontrait une résistance, qui était bien cette fois occa sionnée par l'approche do la caisse.
Vous dire tout cc que co « oui» renfermait d'espérance
est impossible il décrire, mais facilo à imaginer.
- Patience, alors, nmi, tu vas être délivré, mais
comment diable as-tu {ait pour être vivant là-dedans?
Cos paroles, le vieillard sc les disait plutôt à soi-même
pensant bien que l'hommo était en mauvaise posture pOUl
~onger
à engager une conversation.
Cependant 10 plus difficile restait à faire.
Lorsque le cercueil fut bien dégagé il était nécessaire de
le remonter à la surfaco pour 10 déclouer et en faire
sortir le malheureux prisonnier qui était peut-être en
train d'y périr par nsphyxto.
Il fallait déjà qu'il fût d'un tempérament absolument
excep lionnel pour a voir résist,é à ces que1que:; heures
passées sous terro .
.l\1û.is sans (}tro « raIdI' », on voit des cas do catalepsie
absolument invraisombl bIcs, où la quantit6 d'air néccsflaire pour mainlenir la vio est lill6ralcmont infime.
Lo mystérieux inconnu faisait sans doute parUe pour ~o n salut - do cotto ral6gol'i ro!;trcintc rl'indi-
�LE LIEN VIVANT
11
vidus pouvant résister à un ensevelissement prolongé.
Déplacer seul lu caisse de bois blanc, sous les trombes
d'eau qui con Linuaient il. tomber, était une entreprise
impossible il. réaliser, el Corthis décida de descendre
plutôt dans le trou, où il se mit en devoir de déclouer le
cercueil.
- Alors, l'homme, on vit toujours?
- Oui, dépOchez-vous, j'ai cru que tout à l'heure vous
m'avic:~
abandonné , je n'entendais plus rien qu'un grondement interrompu ...
- C'est le tonnerre, ça, mon vieux, ct il tombe des
,h allebardes.
- Ah 1 revoir le jour 1 quelle heure est-il donc?
- Minuitl
- Et depuis quanq suis-je mort?
- Sortez d'abord de là-dedans, nom d'une pipe, vous
parlerez après.
Le couvercle cédait sous les coups répétés donnés par
le marteau de Corlhis et un violent mouvement d'épaules
du prisonnier eut tôt fait de le soulever sur les trois
quarts de sa longueur . Le reste ôtait un jeu d'enfant.
Dile bouffée d'ail' humide faillit faire perdre connaissance à l'homme privé d'oxygène depuis plusieurs heures,
mais peu à pou, il sentit au contraire, au contact de cette
fraîcheur , la vie lui revenir. 11 arracha complètement la
planche qui le séparait encore du monde des vivanls,
et S'<l rodressa.
Le tableau était macabre.
- « Eh bien, en vollA une situation 1 murmul'o..t.il.
- Vous l'avez é~haPr6
hello! mais poUVor.-VOl{S vous
lovor?
- On va essnyer l surtout que le ciol Il''' pa.s l'ai.r d~
bien accueillir mon retour à la vie.
�12
L~
LIEN
VIA~jr
Les deux hommes , maltraités par les éléments, commençaient en effet à grelotter sous leurs) vêtements trempés, surtout COI-this qui, dehors depuis près d'une heure,
avait enduré touL l'orage.
Celui-ci paraissait maintenant s'apaiser, ou du moins
porter plus loin sa fureur. Une pluie régulière et serrée
avait succédé aux rdrales.
Lü prisonnier s'assit dans son cercueil, rog;udant cette
misérable " boîte)) d'un air indéfinissable, où se mêlaient
10 dégoût ot l'ironie. Puis il se mit debout et escalada, aidé
du fossoyeur, le trou béant creusé peur lui.
prit l'homme par le br&!! et le conduisit
Le vi~lard
dans sa maison, où après avoir allum6 uno lampe il le
fit asseoir en mêma temps qu'il lui vors ait une bonne
rasade de rhum.
Il out alors tout le loisir do l'examiner, tandis que chaque
gorgéo du pr6cioux. alcool redonnait au faux mort quelques
COlùeurs aux joues, et un pou de flammo dans les yeux.
C'était un homme joune Ol1e01'e - tronte ans peut-être
_ aux traits réguliers et énergiques. Les marques récenles
d'une SO,uf[ranee violente ct d'une profonde angoisl!!\
donnaient à su physionomie que salissait uno barbe de
trois' jouro, une expression de bête traquée.
Le regard mobile do sos yeux caves, cernus pal' la dou·
leur cl la maladie sanS doute, illuminail HOU pauvre
visago faLigué ot rllOl'chail à se llxor SUL' un objot quelconquo ot familier qui lui permît do bien so rendro
compte qu'il ne rêVllit pas.
_ AloI':)? Ça va mieux, flL Corthis?
_ Mer i, je cl'ois quo ça ira t.oul il fail bieu dans un
instant. Mais c'est '-gal, jo vous dois la viel car quelques
minutes de plus ct, sans vous, je crevais dans cotto
satanéo cai3se,
�Le LIEN VIVANT
- Ne parlez plus de ça. Tâchez pluLôt de vous rappe·
1er comment il ~e fait que vous ayiez été enterré vivant.
Les yeux de l'homme s'assombrirent.
Il regarda 10 fossoyeur et parut prêt à parler, mais il
se reprit et n'eut qu'un vague geste signifiant qu'il ne
savait pas.
Puis il se décida tout de même.
- J'étais en prison in jus toment et savais quo ceux qui
m'y avnienl, fait envoyCl', apl"~S
avoir déshonoré mon nom,
m'y feraient maintenir jusqu'à ma mort. Alors, dégoûté,
impuissant, je me laissais peu à peu mourir de faiblesse.
Cependant, je voyais que mes geôliers étaient pleins d'inquiétudes pour ma santé. C'était peut-être un moyen de
sortir de ma pénible situation. J'aggravais mon cas. J'accusais uno faiblesse plus grande encore que celle quo jf'
ressentais. On fit venil' un médecin qui, m'ayanL à peine
regardé, déclara que je IlO passerais pas la Iluit.
Lo lendemain, je simulais un évanouiRsomellL qu'on pl'iL
dOlle pour ma vraie morl. Le même médecin, sûr de
son pronostic, ne prit pas 10 soin do venir me revoir
comme ml'decin légiste. On me mit en bière .•Te me
rappelle cela, mais depuis ... plus rien. J'ai dÎl m'évanouir
pOUl' de bon. J'aurais pu y resler.
Corlhis écoulait, interdit, les paroles quo lui conflait cet
homme. Mais celui-ci rrgreltant déjà d'en avoir trop
dit:
- Je vous rn supplie, monsieur, si vous deviez me
trahir et me faire rejeter clan!; mon cachot, j'aimerais
mieux que vous me luiez ici même et me rejetiez dans II'
trou encore ouvert d'où vous venez de me tirer.
- Tranquillisez-vous, lui répondit le vieillard, qui
étaiL aussi un brave homme, me voici à la fin de ma
I:ûrrière, bientôt j'irai rejoindre dans ce tertre eeux qui
�LE LIEN VIVANT
me tiennent compagnie depuis de longues années, pourquoi voulez-vous que je commette envers vous une
lâcheté et que je ne vous ai retiré d'une prison que
pour vous conùuire dans une autro. Vous êtes mort pour
tous, suivez votre destinoo .
- Oui, reprit l'homme, je quitterai le pays et me réhabiliterai.
aucune
- Cependant, ajouta Corthis, n'av~z-ous
famille, une mère, une femme, qui seraient heul's~
d'apprendro que vous êtes vivant - et libre?
Le rescapé parut réfléchir.
Ses traits contractés montraient qu'il était en proie à la
plus grando perplexi té.
« Non]) laissa-t-il tomber enfin.
pressC'nn mentait - ou bien avait-il déjà un ~ombr
liment.
- Puisquo Dieu m'a réservé co bonheur de mettre
enfin sur mon chemin un homme loyal et bon, reprit-il
peu après, pourrais- je vous demander de m'3 prêter
quelques habits ou plutôt de les échanger avoc les miens.
Tandis qu'il fait encoro nuit, je voudrais m'éloigner d'ici,
ct il ne faudrait pas quo co veston, qui était 10 mien le
jour où je fus arrôté, me fasso reconnaître si le hasard me
mettait en présenco de quelqu'un do la région?
- Ce n'est pas un ha.bit neuf que je vous prêterai, cal'
jo n'en ai pas, mais cette vesto do velours, quoique un
peu bbncho aux coudes, fora je crois parfaitoment votre
nltai!'!'.
Et il alla décrocher dons un pl:Jcal'd 10 vèlomenL en
qu()r;Lion.
- Comment vous prouver ma reconnaissance, mon sOlll
ami, puisque désôrmrus je suis mort pour t<1Us.
- En acceptant aussi co billet. Vous oe pouvez pas
�LE LIEN VIVANT
15
VOUS en aller comme ça, sans un sou, qu'est-ce que vous
feriez?
C'était un bill et de cent francs.
Le jeune homme serra les mains du vieux Corthis avec
effusion. Ils éLaient aussi émus l'un que l'autre.
- Si j'avi~
cu un fils, j'aurais été heureux que quel.
qu'un fit pour lui ce que je fais pour vous. Allons, partez
maintenant, si vous vous en sentez la force ...
Il ne pleuvait plus, mais on entelldait encore au loin
des roulements de tonnerre. Le mort vivant ouvrit la
porte.
La nuit était noire, mais moins noire pour lui que celle
ùu tombeau.
Sur le seuil il se reLOUl'flU eL voyant CorLhis prêt il.
pleurer;
- Permettez-moi de vous embrasser, comme j'embrasserais mon père s'il était encore de ce monde. Comme à
lui, je Vous <lois la vie.
Les d ux hommes s'61reignirenL.
Puis ils allèrent ensemble jusqu'à la grille que le fossoyeur ouvrit, eL l'un s'en fut vers son destin, tandis quo
l'autro revenait chez lui, en attendanL les premières lueurs
du jour pour uller remettre en ordre la Lombe saccagée.
Il n'a vaiL pas ou la curiosité de demander SOIl nom à
l'homme qui venaiL de lui faire passer cette nuiL inoubliable.
Il alla donc regarder le l'ogistro sur lequel était inscrit
le nom des morts au fur eL à mesure de leur arrivée au
'champ de repos, el chercha le dernier.
Sous la lamptl il put lire :
Qtll'Ql'd FrûlM.
�16
LB LIEN V1VANT
CHAPITRE JI
LA fiAISON EN PL.HBUlS ,
Lorsque Géral'd Fallès se trouva seul Bur la route, il
huma avec délices l'aÏI' dc la nuit rafraîchie par l'orage.
n sc prouvait ainsi à lui-même qu'il était bien vivant
et librtl.
Il ne voulut pas penser au passé en cette minute de
délivrance, maiti seulement à ce que cette délivrance mèmc
avait de miraculeux.
Qu'est-ce que la Providence attendait donc de lui pOUl'
l'avoir ainsi tiré des griffes du Destin? Pout·être le châtiment ùe ses bourreaux.
Cependant, il no s'agissait pas do Illal'chûl' Ù l'avelltul'c.
Fuir, i3'éloignel' do cc pays, leI {-tait SO ll but iuunédiat,
pour no pas êLre r econnu et jeté do nouveau en prison.
Mais dans (jucHo siLuaLion sc trouvail-il?
Dans collo d'un homme sans nom qui doiL se l'cfaire un
élat ('ivil; dans celle d'un homme (lui a loul perdu :
estime, forlune, aiiection, et sc relrouve seul dans 10 monde
avec uno veste d'emprunt ol cent francs dan:; sa poche.
il.. part celle pelile sommo, qll'avait-il ùonc do plus
qu'au moment où il désespérait dans sa eellulo?
'l'out, c'ost-à-dire la libertél
Et avec elle l'espoir de confondre un jour ses ennemis.
Avant do quitter, peul-être pour longtemps, cc pays où
il avait vécu hour€ux ft avanL » et dans loquol il ne pourrait revenir que réhabilité, il no put s'empêcher do songor
à la pellle maison blanche, sous les marronniers, qu'il
habilaiL il y Cl lrois mois enCOl'e a voC sa femme.
�i'
1.!: LIEN 'lf1"VANT
Car c'était bien vrai qu'il ilvait menti an vieux Corthis
lorsque celui-ci lui avait demandé s'il n'avait pas de
famille et qu'il avait répondu « non! »
Pourquoi avait-il menti?
Par ct' qu'il savait que su femme t\ussi l'avait cru coupable et qu'il voulait se présent.er lui-même devant elle
le jour où il aurait en mains les preuves de son innocence.
Pourtant
chose lui déchir-<iH le cœur. Alors qu'il
avait quitté son foyer et Yvonne - c'était le nom ùe sa
femme - celle-ci éLait sur le point d'être mère.
Que s'était-il passé depuis? Avait-elle mis au monde le
fils qu'ils désiraient tant et à qui elle apprendrait sans
doute plus tard à rougir du nom de son père?
S'il comptait bien, l'enfant devait avoir à l'heure acLuelle d'un mois à cinq sema;nes, et c'est de n'a voir pas été
avisé de sa naissance qui l'avait mis au paroxysme du
désespoir. C'était bien qu'Yvonne considérait que ce petit
n'avait plus de père, tout au moins qu'il eut été préférable qu'il n'en eût pas.
une
..
....... .
Il pouvait être deux heures et demie du matin.
Il y en avait encore pour une bonne heure avant que les
premières lueurs de l'aube ne dissipassenl la nuit opaque.
Ah! courir jusqu'à celte maison, cotte maison qu'il avait
tant aimée et y entendre peul-être, du jardin, devant les
volets clos, le cri de son enfant 1
Toute sa chair vibrait.
il pressa le pas ct, comme il connaissait la route, il
avait ra,ison de l'obscurité et des obstacles dont la tornade
avait jonché le sol.
Il avait environ trois kilomètres à laire pour contour
nel' une partie do la ville et trouver à l'une do ses exlré.
2
�LE LIEN VIVANT
19
Il courut comma an fou, sans r éfléchir à ce que son
apparition pouvait avoir de fatal pour sa femme qui avaü
appris la veille son décès.
Son enfant, s'il éLait là, pouvaiL périr dans les flammes 1
Pouvait-il vraiment penser à autl'o cho~e?
La porte du jardin n'était pag fermé e. U savait
qu'Yvonne avait l'habiLude de donnBr seulement un double
tour de clef à celle du vestibule.
Il pénéLra donc dans la petiLe allée bordée de . rosiers
nains qui, en quelques pas, le conduisait à un perron de
pierre.
Il n'y avaiL p D5 de doute, la foudre ava it dù Lombel' il
n'y avait guère plus d'une hot:rc sur le Joyer silencieux où
une mère en détresse veillait son enfant. Un incendie
s'était déclaré sournoisement, après avoir couvé longtemps
sans doute, mais il n'allait pas tarder il. embrasel' toute la
maison.
L'angoisse ùe Gérard Fallès so changea en stupeur
lorsque, arrivé sous la fenêtre illuminée, ses pieds
heurtùrent une masse qui n'était aulre qu'un corps
inerte.
11 se pencha:
(( Yvonne 1 » murmura-t·il avec effroi.
Et il compl'~t
que la jeune femme, mise par l'orage dans
un état de complète surexcitation nerveuse, avait entièrement perdu la têto lorsquo la foudro s'était abattue sur
son toit. Ouvrant la fenêtre pour 4Ppelel' au SOCOll1'8 elle
s'était trop ponr.:h6o ft l'extérieur et avait glissé du premier
étage laissant derrière ella l'incendie probable et son petit
garçon au berceau.
En tombant, sa tête avait heurté l'angle du perron, lui
faisant à la nuquo uno bless ure profonde par l:lquelle le
sang s'é~ait
échapptl à srands 1'1oti!.
�18
LE LIEN VIVANT
mités, isolé et adossé à un petit bois, le nid charmanl
qu'il d6Jil'aÏt revoir .
Plus il avançait, plus il s'apercevait des dégâts occasionnés
par le récent orage qui, par ici, avait dû être terrible.
Des clôtures abattues, des branches coupées, la route
ravinée montraient à quel point, il n'y a qu'un moment,
les éléments étaient déchalnés.
" Comme YVOlme a dû avoir peur J » se prit à penser
Fallès.
Mais ce rappel du passé et des craintes puériles ljUO sa
jeune femme avait de la foudre, le nt aussitôt hausser l e~
épaules.
Comme s'ij n'avait pas rompu iouLe attache avec autre.
fois 1
Il ne fut bientôt qu'à trois ou Quatre cents mètres do lu
maison qui ronformait ce qu'il ne connaiss&lit pas, mais qu'il
aimait pourlant le plus au monde: 10 fruit de son sang.
Il lui sombla tout à coup qu'une odeur do brûlé imprégnait l'atmosphère au fur et à mesure qu'il o.pprochait,
muis peut-être 50 trompait-il.
Encore doux à tl'ois détours de la route ot la villa serait
en vue. Même dans l'obscurité, la pierro blanche avec
laquelle elle était constl'uite, la signalait au passant
indifférent qui ne pouvait D'empêchel' ùe penser:
« Il doil faire bon vivre là. »
Le cœur de l'homme baLtuit à granùs coups lorsque
débouehanl onfm d'un dernier tournant il s'aperçul qu'une
Ienôtro du premier otage n'était pas fermés et que la pièco
sur laquelle elle ouvrait ôtait lUl'gemont éclairée.
Une violente oùcur de fuméo le saisissait ù la gorge cn
même temps qu'il s'entonduit diro à haute voix;
.. Mais il yale tou .•• »
�~o
LE LmN VIVANT
Gérard s'agenouilla devant celle qui avait été pendant
trois ans sa compagne douce et fidèle ct qu'il avait aimée
passionnément. Il lui pardonnait, en cette minute, d'avoir
douté de lui.
Comme il la baisait au front et essayait de la serrel'
dans ses bras, il s'aperçut qu'elle avait cessé de vivre. Des
larmes montèrent à ses yeux, en pensan!' qu'il n'avait pu
avoir d'elle une dernière parole, un dnnier sourire, un
dernier regard même, dans lequel il eût pu li.1'e qu'clin
croyait encore en lui.
Mais le temps pressait.
L'enfant était sans doute là~hat,
endormi et prêt à être
la proie des fiarnmes. Il n'y avait pas une minute à perdre
car il fallait le sauver à tout prix.
Il laissa, {~tendl1
sur le gravier du jardin, le corps inanimé de sa femme et essaya d'enfoncer la porte d'entrée
de la maison, d'un COllp d'épaula.
Inulile d'y songer.
C'était par la fenêlre qu'il fallait passer.
Il fit le tour de la propriété pour voir si, par hasard,
une échelle n'avail pas été laissée à portée de la main.
Il n'aperçut que les plate&-bandes négligées et les
pelouses où les mauvaises herbes se mélangeaient au
gazon.
Comme on voyait bien que depuis trois mois il n'était
pas là pour jardiner, au retour de l'usine.
L'usine! Ce mot le fit frissonner.
Sans échelle, il n'y avait qu'une chose il faire!
Escalader le balcon du rez-de-chaussée, ct, le long de la
goutLière se hisser jusqu'à celui de la chambre où le feu
semblait redoubler d'intensité.
FaIlès, souple et vigoureux, fut bientôt dnns la pièco
remplie d'une fumée âcre. Ce qui brüluil, c'était le plun-
�LE LIEN VIVANT
21
cher autour de la cheminée par laquelle la foudro était
certainement tombée.
Le lit , dont le pied arrivait presque jusquà cette chemi.
née, commençait à flamber aussi avec Iles couvertures
et c'était ce qui dégageait le plus de filmée.
Si le Ceu éclairait la chambre, elle se trouvait mal.gré
tout dans un nuage épais, au milieu duquel il était très
diffioilo de s'orienter.
L'enfant? où était l'enfant?
Après s'être heurté à la coiffeuse d'Yvonne, encore
pleine de ses menus objets de toilette, le père angoissé
aperçut par la porte entr'ouverte donnant sur une chambre
contiguë un berceau entouré de ses blancs rideaux de
mou!seline.
A tillons, 11 se p!'écipita vers lui, y plongea ses mains et
crut mourir de bonheur en sentant sous les couvertures
la forme d'un petit corps innocent ot chaud.
Ses doigLs sentirent bientôt le contour d'un fin visage
émergeant de l'oreiller et Fallès se plut à caresser ces
joues, QC nez, cos paupi{)r6s enfantines. 11 ne connaissait
paB l'imago quo ces traits pouvaient former, mai& ceUe
petito tête qui amait tenu Loute dans sa main, il savait
quo c'6Lait celle de son enfant, ot il l'aimait.
Ah 1 comme il l'aimait 1
Il n'y avaIt pas oeux solutions il choisir.
Il rallait - cL Lout de suite - sortir cot enfant de ce
berceau ct l'éloigner de coLte maison qui, dans quelquos
mluutes, n'nUait. ôtl'e qu'un brasier.
Cela no faisait d'ailleurs pas rIe dout.e quo des habitations voisines on allait s'apercevoir de l'incendie. L'alarmo
serait vite donnée et les pompiers ne tarderaient pas
ü se rcnùre sur 10 lieu du sinistre avec les ~ens
des envi.
rullS.
�22
LE LIEN VIVAN1'
Il Y avait pour l'ancien priso~ne
un danger extrême à
rester dans ces parages ,
11 prit donc dans ses Ll'as l'enfant au maillot et le roula
dans ses couvert ures, Un grand châle sombre , qu'il
trouva tout près, lui permit ùe recouvr ir le précieu x fardeau, le rendant en même temps moins voyant et plus
facile à porter.
Nul n'auraiL pu dire que ce ballot l'enferm ait un nouveau-né , Celui-ci, d'ailleu rs, dormai t toujour s.
Il fallait r etravers er la chambr e embrasé e. Fallès s'en
tira avec quelque s brûlure s insignifiantes, mais parvenu
sur 10 balcon, cela nécessita. de sa part un vn.i tour de
forco acrobat ique, pour descend re le long de la gouttièr e,
tout gêné qu'il éLait par 10 cher, mais encomb rant
paquet.
Il y parvint néanmo ins, ayant pensé que cela lui ferait
perdre moins de temps que do se mettre à chercho r à
tÛ.tons les clefs de la porte d'entrée ,
Un dernier regard au corps sans vic qui représe ntait
pour l'enfant qu'il emport ait l'alimen t, le soin ct la ten.
dresse ei, pour lui, la joie ct l'amour ; une dernière larmo
aussi, écras6e au coin de sa paupièr c, ot l'homm e pour qui
les secondes étaient comptée s , s'6Ioigna à jamais de SOli
passé.
Car, cotte fois, il parLait bion sans rien laissor. On aurait
dit qu'une espèce do faLalité avaIt m6nagé ce dernier acte
dramati que b. l'histoir e si tragiqu o de sa vic.
Il ()Lail déjà. loin, marcha nt à grandOR enjamM es dans
la nnit où s'annon çaient mainLenant los prerniôros lueurs
de
l'o.u~,
lot'Squ'il
3C
rctourno. vne dcrnièt-e fois nur la
maison on (lammes_
Pas encore d'alm-to donnée,
11 ponsa avec justo raison que c'était 90n passé qui
,
�LE LlEN VIVANT
flambait ainsi dans cet incendie dont il apercevait là-bas
la lueur grandissante.
Décidément., G6r&.rù Fallès était bien mort.
Un homme nouveau prenait sa place et cheminait vers
l'inconnu.
CHAPITRE III
LE MORT ET LE
NOUVEAU-NÉ.
Lorsqu'en sortant de Centrale, Gérard FaUès s'était
mis à chercher une situa lion, quatre ans avant le
déhut de ce r écit, le hasard l'avait envoyé à ViIlenJuvesur-SJmmo dans cette usine d'avions de transport, pour
laquelle une annonce dans les journaux demandait de
jeunes ingénieurs.
Orph olin de père et de mère, il avait quitté sans regret
Paris où les trois années passées à l'École des ArLs et
Manufactures ne succédaient qu'à d'autres, plus longues
ct plus monotones : celles de l'internat.
Un oncle de sa mère éLait son Correspondant et le faisait sortir le diman rhl?, mai s son intérieur de vieux garçon
avait toujours été pourle jeu ne homme sans joie ct sans intimilô.
C'était pourtant là qu'll avait rencontré, pendant sa
dernière année d'école, Yvonne Bertier, orpheline comme
lui ct qui dovait être sa fe:nme, mai> il n'avait osé lui
parler d'amour que lorsqu'il a vail eu sa situation.
La jeune fille avait accepté avec enLhousiasme d'unir
~u
so lituùe il la sienne. La provinco ne les eITrayait ni
l'un ni l'au ll'a, et, confortablement inslallés dans leur petite
maison blanche, située Ù pl'oximitô de l'mine, ils avaiont
v6cu des jours de bonheur jusqu'au moment où ln fataliLé
�LE J.ŒN VIVANT
avait brisé comme du vorre l'édifice harmonieux de leur
tendresse.
·. .....
Tout en poursuivant son chemin, Gérard se remémorait
encore une fois les circonstances de son désastre . .
Les travaux scien lifiques l'avaient toujours passion! é
et tout jeune ho mm ~ , ' alors que les camarades de son âge
disper ·aicnt leurs efforl.s s ur des inlltilités, il restait souvent
penché sur sa table d'étu de essayant de résoudre quelq ues
problèmes de mal.hémalique ou de physique.
SOIl rôve avait toujours été de parvenir à des résultats
pratiques et de mettre au service de l'industrie ce qui
n'était encor/) que du domaine du laboratoire.
Nouvellement arrivé à l'usine de la Compagnie Aérienne,
il av:l.it continué pour son compte personnel, et à l'insu de
tou~,
des travaux, commencés à Paris.
Quoi de plus naturel qu'à ses heures de loisirs; et il
en avait pas mal, n'étanL pas encore marié il cette époque,
il se livrât à des recherches auxquelles il prenait l.e plus
viI inLérôt et le plm rét)l plaisir .
Il avaiL onçu entre autre un nouveau mol CUl' d'un
rendement exlraordinaire auquel il ne manquait que
que lques perfectionnemenls pour 1':11'0 lout à fuil au poinl.
Il le jugeait capable de révolutionner entièremont Je monde
ue l'aviation.
Naturollement secr et el peu enclin à la con[\dence, il
a vaiL go,rùé pOUl' lui le mystère de sa découverle ; et n'en
avait môme rien dit à Sil femme, lorsqu'au rcLOUl' ùe leur
vciyago do noces ils s'io:>lallèrcul chez eux.
Un bur0au personnel et fermanL il cie! contenait lous
ses calculs cl tous ROS plans. Il étail situé dans un pelit
pavillon, dang l'enceinte môme de l'usine, où so trouvaient
('g~
l o meJl
les bureaux d'autros ingénieurs.
�I.E T,IF.N VIVAN'r
25
Fallès y r estait parfois t ard le soir, préférant n'e:nporter aucun travail chez lui, afin de pouvoir n.ieux se
consacrer à sa toute j,mne ftl mmo, lorsqu'il se re trouvait
av~c
elle dans la tiédeur du « home ») .
- Ah 1 ce n'est pas Loi qui invenler J quelque ch ose 1 lui
disait- elle parfois avec un doux SOUI ire.
- On n e sait jama is! lui r épondait -il, moiti é souriant,
moiLié sérieux.
II lui fal lut longtemps pour mettre entièr ement d'aplomb
son invention, car il trou vàit toujours uoe a mélioration
à y apporter.
Un jour, et c'f·s Llà que commença le drame, ayant. t erminé Ees travaux pour ie comp t 9 de la Comp agn io, il l'entra dans w n bureau afi n d'y lravaill 2r pour lui, ain ;i
qu'il avait l'habit uqe de le fajre plu lieurs fois par
semaine,
Prenant en main tous ses plans, il s'apercut q u'ils
n'étaient p as au complet.
L e nO 6, le plus u Lile en même temps que le p lus secret
celui qui faisait toute la v fl leur et l'originalit6 de la
d6collverte, manquait à l'appel.
Fallès crut l'avoir ehangé de place et vida un ù un t011S
les liroil'!!de son bureau, en proie ù Jo. plus vi ve inq uiétude.
11 ch ol'cha plus .l'uno h eu r o minute
so m c: n~ , en profitant pour
classer tous ses paplers.
·Il n'y avaiL UtlCUll doute ù avoÎl', le plan avait 6té volé,
car lui-même n'était jamais sorti de la pièce l'ayant en
sa po ~ seion.
C'était à n'y rien comprenùre.
Il avait trouvé, comme ù l'accou tu mée, son bUl'eau fermé
III ses ufTaircs en ordre.
11 fallait que le coup Boit pr6médiL6 et que le voleur,
au Courant ùes travaux de l'ingén ie\lr, se soil lait laire
�2G
LE LIEN VIVANT
une fausse clé pour Couiller ùans le bureau et y prendre le
document importnnt,
La fureur de F allès' n'avait d'égale que son désespoir,
Non pas qu'il se seniiL incapable da reîaire ses calculs ct
de redessiner son plan, mais celui-ci entre les mains d'un
homme expert at peu scrupuleux, possédait une valeur
incalculable.
Celui qui n'avait pas r eculé devant un vol de celte
importance n'hésiterait pas non plus devant l'idée de son
exploita Lion et c'en éLait fail pour Fallès de sa découverte,
Il rentra chez lui sombre et soucieux, espérant que la
nuit lui porlerait conseil pour savoir s'il derait porLer
plainLe contre inconnu. C'élait meUr ;! la pre!ise et l'opinion
au couranl de ses r ech erches secrèles encore quelques t.emps.
- Qu'as-lu, chéri? » lui disait Yvonne, voyant son
mari fiévreux et préoccupé.
- Rien, je t'assure, avait-il la forco de lui répondre
dans un baiser.
Quo no lui avait-il dit la vérité à co moment-là 1 Il aurail
eu rn elle, si honnête et si probe, un lMemeur contre l'ignominie qui so pr6parait.
ParLi tôt à l'usine le lendemain matin, et n'ayant encorû
rien ùéddé sur la manièl'e dont il s'y p rendrait pour confondl'o son voleur, sur lequol il n'avait d'ailleurs aucun
soupçon, il 50 rendit immédiatement à son bureau.
Il fut assez surpris do renconlrel' le DirocLeur il qU Ellques
moLres du pavillon et paraissant en sortir.
- Malinal, FaIlès, aujourd'hui 1
- Vous aussi, Monsiour 10 Diro r. Leur ...
Les deux hommoG so Loisèrent.
Votre c1marade Dubin, qui doit être absent
aujourd'hui, m'avait demandé do venir chercher, dans son
burcau, la listo des pièces de l'cchangr r('r1amée par son
�LE LIEN VIVANT
2'
service, sans cela vous savez que je ne viens pas souvent
m'égarer par ici. Trop à faire, et le Directeur doit être
partout!
Tout cela était dit brusquement, sans aucune nuance
dans la voix.
D'ad , urs, il s'éloignait déjà, et Fallès pouvait voir
5es larges épaules, bien droites sous le costume de drap
anglais de coupe irréprochable.
Albert de Jouve, directeur des établissements de la
Compagnie aérienne ùe Villeneuve- sur-Somme, pouvait
avoir quarante ans et n'était pas un homme affable. Une
force peu commune, entretenue par la pratique des sports,
des traits comme taillés au couteau, mais empreints malgré
cela d'une certaine distinction, des gestes précis et de la
dlicision dans les moindres détails du service, rien dans co
rapido porLraitne l'aurait r endu vraiment antipathique, s'il
n'y avait pas eu à ajouter à cela son r egarq irppéné lrable.
Glauques et changeants comme la mer un jour de
Lcmpête, ses youx causaient un malaise indéfinissable à
quiconque voula it on soutenir la fixité. Lorsqu'ils se
posaient sur veus, on avait l'impression qu'ils vous déshabillaient l'âme, alors qu'inversement, il était impossible de
déceler aucune des pensées qui se cachaient dorrière leur
énigmatique exprossion .
.Dur avec les ouvriers, distant avoc les ingénieurs, Albert
de Jouve n'était aimé ni des uns ni des autres.
Il ne paraissait pas d'ailleurs s'on apercevoir. On le
savait intrigant, ambitieux et attendant un coup du destin
pour sc metire en Valeur. Il cb.~l'h9it
la célébrité.
'" 1~ulè3,
un fOlS entré dans son bureau, Sil mit à réfléchir sur ce que cette rencontre avait do fortuit et
d' Ol:cep tio nnel.
�28
LB LIEN VIVANT
Jamais le Directeur n'arrivait à rusine il cette heurG
matinale.
Un hO;'rible soupçon le traversa.
~ Si c'était lui qui avait volé le document? »
Puis il s'on voulut d'émettre une pareille hypothèse. Il
en était là de ses réflexions, lorsqu'un cri lui échappa.
Le paquet dans lequel il avail conslat6 hier la dlspar;t on
du plan 6 se trouvait bien au Cond du tiroir où tll'avaH
la'Ï:;sé et qu'il venait d'ou v l'ir, mais le plan manquant
avait réintégré sa place entre le nO 5 et le no 7•
• Est-ce que je deviens fou? Je n'ai pourtant pas rêvé.
Hier le plan était abllent et aujourd'hui il ne l'est plus 1 ~
Le jeune homme fut atterré! QuoIqu'un entrait
dans son bureau pendant son absence.
Il résolut de jouer le grand jeu av oc son Directeur ot de
lui jeter son doule à la face.
Mais n'était·ce pas l'isquer de tout perdre?
Perplexe, il sortit pour se rendre aux ateliers, où il
rencontra le père Yvanllec, un des plus vieux ouvl'iel's do
l'usine.
- Alors, ça va, mon brave?
- Hélas, non, M'sieu Fallès, voilà que jo m'en vat.
cherchor ma paye, car le patron m'a congédié hier.
- Comment 10 patron vous a congédié? Je vous croyait;
un des plus vieux d'ici.
- C'est pas une raison, ça l 'l'enez, ça 80 passait hior
matin par ici. On n'avait pas oncore commencé le travail.
Comme d'habiLude, j'arrive de ce côté de la route, j'entre
à l'usine en enjambant la c1ô ture de nIs de fer barbelés,
at je passe ensuite au pointage. Cela m'évite le grand
détour par la porte d'entrée. Mais voilà quo j'aperçois le
patron qui sortait justement de votro bureau et ma foi. il
no paraissait pus content de me trouve!' là.
�LE LIEN VIVANT
29
- Quand est -ce que vous ferez comme tout le monde?
qu'il me dit d'un ton bourru. Est-ce que la porte est faite
pour les chiens?
- Mais, :M'sieu l' Directeur ...
- Vous discutez? Je n'admels pas qu'on enfreIgne mes
ordres, d'ailleurs, depuis lJuelque temps, je vous trouve
mauvais esprit.. .
- Et ta-ta-ta. Bref, il m'a dit de passer li la caisse.
- Mon pauvre Yvannec, s'apitoyait l'ingénieur, mais
le Cas de l'ouvrier le laissait froid et il ne retenait qu'une
chose dans toute cette affaire, c'est qu'Y vannee avait vu
sortir Albert de J ouve de son bureau, aloril qu'il n'avait
rien à.y faire. Les ingénieurs portaient toujours chez le
Directeur leurs rapports eL leurs suggestions et luimême ne venait jamais chez eux.
Il y avait du mystère là-dessous et il était urgent de
dissiper les t6nèbros qui commençaient :'J. s'épaissir aulour
de cette histoire.
Fallès était surtout pris d'un besoin irrésistible de revoir
à l'instant même ,de Jouve, de rencontrer à nouveau son
regard indéohiITl'able et d'essuyer de discerner s'il était
celui d'un honnêle homme ou celui d'un bandit.
Il se dirigea vers Ja Direction et aperçut une superbe
limousine arrêtée devant le petit jardinet qui mettait la
gaieté de son bouquet de fleurs au milieu de celle cité
industrielle. A ses numéros, l'ingénieur put voir qu'elle
n'était pas du département et la poussièro dont elle était
r ecouverte indiquait d'ailleurs qu'elle devait venir de loin.
Un chauffeur en livrée attendait sur le siège d'avant que
son patron sortit do chez le Directeur, ear il n'y ava it
aucun doute à émettre: le mystérieux visiteur était en ce
~'Uoment
en conférence avec Albert de Jouve.
Pensant que l'homme qui l'illltlfessa.it était trop occupé
�LE LIEN ViVANT
31
apt·ès-midi. Il n'y a que la question ùes deux millions qui
sera dure à faire accepter.
- Vous ne voudriez pourtant pas avoir pour rien
l'exclusivité d'un appareil qui, du jour au lendemain, va
changer entièrement les conceptions de la mécanique?
Vous ne vous figurez pas le nombre de nuits de travail
que sa déc.ouverte m'a coûté. Allons, Monsieur l'Administrateur, vous n'allez pas chicaner SUl' cette question de
gros sous, quand l'avenir de votre firme et celui de l'aviation sont en jeu 1
-:- Évidemment, évidemment, mais c'est égal, deux
millions!
« Au fait, Monsieur de Jouve, je n'ai plus très présent
à l'esprit le dernier perfectionnement dont vous me parIiEn
et qui constituo pour vous le point essentiel de votre
système de moteur ... »
A ce moment, les deux hommes parlèrent bas, et FaIlès
entendit un crissement de papier, comme lorsqu'on déplie
un plan.
Voir! S'il pouvait voirl
L'affreux SOUpÇOll qui avait effleuré l'ingénieur en
voyant sortir de Jouve de son bureau prenait corps et
était bien près de so changer en certitude.
Il pensa faire irrup tian dans la pièce où avait lieu
l'entretion en crümL son indignation, mais il restait encore
un doule.
Si le Dil'oclour proposait une iuvention personnello et
non celle qui lui avait été volée? Pour qui le prendrait-on?
Pour un fou?
Qu~lqe
cho"c cependant lui assurait que c'était bien
!.llr la copie de ses planç 'lue les intOt'locutours ~tai()u
penchée; actuellement.
Voir! vairl
�30
~F.
LlF.N VIVANT
pour le recevoir, Fallès faillit robrousser chemin, mais un
instinct secret l'avertissait que ce qui se disait derrière les
murs avait un rapport direct avec ce qui le préGccupait.
Il décida de se rapprocher du lieu do l'entretien.
En passant près de l'automobile, il reconnut le chaulieu l'
de M. do Pienefeu, l'ad:ninistl'atcur-délégué de la Compagnie, qu'il avait déjà eu l'occasion d'apercevoir quel~
fois, sans lui avoir jamais été présenté.
Il était donc fixé sur la personnalité de celui qui se
trouvait là.
Le bureau du Directeur, bien entendu, était fermé, mais
Falli:s entra dans un petit salon qui servait de salle d'attente et qu'uno simple cloison séparait de la pièce où l'on
entendait discuter les deux hommes.
Fallès tendit l'oreille.
Cette indiscrétion lui répugnait ot pourtant il ne pouvaiL
,s'y soustraire .
11 ne lui fallut d'aillours pas longtemps pour ôtre édifl6
sur la nature de l'enLreLien.
- Il roe semble, monsieur de Jouve, que vous êtes un
peu gourmand, disait l'adminisLraLeuI'. Deux millions ...
Vous figurez-vous bien ce quo c'est deux millions?
- C'est à prendre ou à laisser, monsieur l'administrateur, il no manquera pas de firmes concur.l'enLcs pour
;acheter mon in vention. Mais j'ai pens6 qu'il était naturel
que ce rüt la Compagnie a6rienno de Villeneuve qui en
d'abord. Je reste votre directeur cL m'occupe de
'la fabrication. Je demaIl'do seulement que le moteur porLo
mon nom à côt6 du vôtre et que nous fassions un contrat
sauvegardant mes intérôls en me donnant un pourcentage
sur ehaquo moLeur mis cn service )).
- Ce~tQ
<1ernièl'e chose sera décidée Oll conseil ce l
~rontâ
�LE LIEN VIVANT
Le trou de la serrure était bouché par la clef qu~
se
trouvait de l'autre côté, Il suffisait de faire tourner un
peu cette cleC pour dégager une petite parlie du trou.
Les quelques millimètres ainsi libérés n'allaient-ils pas
devenir une immense fenêtre ouverte sur la vérité?
Avec la pointe d'un canif, il essaya de mettre à exécution son proj et, mais il prcnaiL tant de précautions pour
ne pas faire de bruit qu'il ne parvint pas d'abord à tdire
bouger la clef d'un dixième de millimèlre,
Et, pendant ce temps, il entendait toujours le froissement du papier entre los mains de ceux qui étaient en
train de le dopouiller!
Un bruil métallique, presque à ses pieds et pourtant
de l'aulro côté de la porte le at sursauter. La clef, sous la
poussé du canif, vonait de tomber ...
En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, la porte
s'ouvrait violemment, tandis qu'on entendait de Jouve qui
criait:
- Il Y a quelqu' un là?
Apercevant Fallès, son canif ontre las mains, il pâlit
atTreusomont, mais eut tôt fait dl) se dominer.
- Qu'est. ';e que vous faisiez ici, Fallés? n
- Ce que jo croyais devoÎl' y faire, Monsieur, répondit celui-ci en pénétrant du même coup dans le bureau du
directeur eL reconnaissant à premièro vuo tous ses plans
étalés sur uno table, mais ses plans relevés sur un papier
ilifférent eL d'une main qui n'était pas la sienne.
- Que dites-vous?
- Quels sont ces plans? articula l'ingénieur, en proie
fi la plus légitime Cure ur et répondant à une quostion par
une autre.
- Je , n'ai pas à vous répondre, jeuno homme. D'ai!·
�l'.E trEl'f VIVANT
33
leurs, je n'ai que faire de votre présence lei, et je vous
prie fle repasser immédiatement cette porte.
- Pour rien au monde, entendez;-vous, je me sortirai
d'ici avant que vous ne m'ayiez dit quels sont oes plans?
De Jouve ricana et ne répondit pas.
- Quel est cet homme? lui demanda M. tie Pierrofeu, jusqu'alors témoin muet do cetle scène.
- Je suis Gérard Falles, coupa l'inventeur avant que
de Jouve n'ait eu le Lemps d'ouvrir la bouche, ingénieur
de la maison depuis trois ans et Beul invenLeur du moteur
que Mons'ieur veut YOUS vendre plusieurs millions.
Cette fois, de J ouve éclata de rire.
- Cet homme est absolument fou! Depuis quelque
temps déjà, je m'étais bien aperçu d'un déséquilibre dans
son esprit., mais je n'aw'ais pas cru que ce fût à ce pointlà. 11 devient dangereux.
- Monsieur de J ouve, je ne suis pas fou, et VOUs le
savez très bien, reprit Falles, mais moi je sais que vou6
êtes le plus fler coquin que la terre ait porté.
Le directeur se redressa sous l'insulte et l'on eût pu croire
qu'il allait lever la main sur son subordonné. 11 n'en fit rien.
- Il s'agit de meUre les choses au point, dît souda.in
\'Aministrateur-délégu6. Et s'adressant à Fullès ;
- « Vous prétendez avoir trouvé un nouveau motour
dont M de Jouve so diL ûlre aussi j'inventeur et dont il
m'enlretient drpuis plusieurs mois ...
- Plusieurs moisI s'écria le pauvre garçon.
- Parfaitement, plusieurs mois, mais ce n'est qu'hier
Soir, jugeant la chose au point, qu'il m'a télcphoné de
"enÎ!' de Paris pour un accord tacite avant de présenLer
la chose au Conseil.
Le directeur so taisait, ayant repris son masque d'impassibilité. Fallès le regarda avec dégoût.
�LE LIEN VIVANT
Quoi! Depuis plusieurs mois déjà, vous ouvriez
chaque jour mon bureau .avec une fausse clef et vous. vous
appropriiez le fruit de mes efforts 1Je savais que vous étiez
une fripouille, mais de celte envergure, je n'aurais jamais
osé le supposer 1
En voilà assez, cette fois, uvec vos divagations qui
devienne:1t grossières; je vous prie, Fullès, de sortir d'ici.
- Une minute, trancha l'administl'ateur, que M. Fallès
donne les preuves de la. véracité de ce qu'il avance et nous
l'écouterons.
- Tous les plans originaux, car ceux-ci ne sont quo
des copies, sont dans mon buroau, je suis tout disposé à
YOUS les montrer. Je vais les chor.: her.
- Si vous avez ees plans, laissa tomber de J ouvt
d'une voix cynique, c'est que vous me les avez volés 1
Le jeune homme failli t tomber de · saisissement en entendant celle act,Uso.tion. De Jouve renversait les rôles.
No répétez pas cela unc uutre fois, sinon jo vous ...
- Oh 1 oh 1des menaces maintenant, siflla le directeur.
- Voyons, Messieurs, calmez-vous, jo vous en prio
dit avec autorité 1\1. do Pierrefeu, inquiet de la tournure
que prenait la discussion. Allons chercher ensemble les
plans dont parlo Monsieur.
La scène, plus violente encore, devait se continuer dam;
le bureau d e Fallès.
Dès que les lroL; llOmme8 y furent ontrés, l'ingénieur
ouvril suns hés.itor 10 lireir qui contonait ses plans et les
tendit à J'adminislratcUl'.
Celui-ci ICI déplia. 11 y avait bien sept dessins oommt
dans l'aulre bureau.
- Il n'esl pas difficile de voir qu'il s'agit de ln mém"
invention et qne les plans do M. de Jouve no sont qu'un
double do coux-ci. assura l'honnête garçon.
�L:K LIEN VIVAnT
rois.
85'
Comment le pl'ouvez-vous? dirent deux voix à la
- Si l'invention n'était pas de mOI, Je ne serais pus
capable de vous l'expliquer dans tous ses détails . Or, il y
a des années que j'y travaille, et je suis à même de vous
renseigner /lur ses moindres particularités.
- Vous pensez bien que si M. FalIès s'est approprié
ces plans, dit de Jouve avec force en s'adressant à
M_ de Pierrefeu, ce n'est pas pour le plaisir de les avoir
dans un tiroir de son bureau. Depuis des jours, des nuits
peut-être, il s'occupait de l'affaire avec l'espoir de s'en
servir avant moi. Il n'y aurait donc 'r ien d'ét.onnant à ce
qu'il la connû.t à fond.
L'ingénieur contenait mal sa fureur prôte à éclater.
Lo regard do l'administrateur allait de l'un à l'autre des
deux antr,gonistes, essayant de déceler la vérité.
C'était un homme intègre qui n'aurait voulu, pOUl' rien
au monde, port~
préjudice à quelqu'un et il était visi.
blement très contrarié de cotte scandaleuse hÎfitoire.
Où 6tait le voleur?
Il connaissait de Jouve depuis plusieurs années, tandis
que le jeune ing6nioul' élait pour lui pr(\sque un inconnu.
La façon dont il ôtait entré tout à l'heuro chez son
directeur, apriJs ' avoir 6coulé aux porles, l'avail mal
disposé à ~on
égard.
Allons, disculpez-vous, lui disait cependant
M. do Pierre fou .
Je no poux rien vous diro do plus, sinon que
M. de Jouve esl un voleur ...
A ces mols, celui qui, e1icctivement, en ~taj
un, saisit
son ennemi par los poignels ell s'écriant:
- Voleur vous-mômel
Fallès no supporta pas l'insulta; se dégageant de
�36
LE LIEN VIVANT
l'emprise de son directeur, il lui envoya un coup de poing
dans la mâchoire qui faillit le faire chanceler, mais celuici reprenait bientôt son équilibre, et ce fut à son tour
d'attaquer. Les deux hommes roulèrent à terre dans un
corps à corps tragique.
- Allons, Messiaurs, des bôtes féroces n'agirai'mt pas
autrement, criait M. de Pierrefeu, mais sa volx ne parvenait pas à émouvoir les adversaires, qui luttaient en
erret comme deux loups se disputant une proie.
Quelques secondes s'étaient pourtant à peine écoulées
qu'un cri rauque se faisait entendre. De Jouve venait de
se heurter le front contre une lourde pièce d'acier à angles
aigus, que Fallès, un jour, avait fait apporter pour lep
besoins du service.
Le coup avait été très vi01ent et une large blessure d'où
déjà s'échappait le sang, s'ouvrait SUI' la tempe, de l'ar·
cade sourcilière à l'oreille. L'homme devint pâle comme
un mort, désigna les plans et murmura:
- Le plan 6, regardez, au dos .•.
L'administruteur fit ce qu'il disait et lut une inscription
au crayon.
- Lisez à haute voix, eut encol'e ]e courage et l'audaco de dire le bl essé, prêL à s'évanouir.
Et M. de Pierrefeu l:üssa tomber ces mots:
« INVENTION de JOUVE
D.
Fallès so précipita. Quelloétait colle nouvelle imposturo?
Glacé d'effroi, l'ingénieur reconnut son écrituro mais son
écrituro merveilleusement conlroraito par de Jouve.
- Qu'avez-vous à dire il. cela, Fallés?
- Quo cetto canaille n'a rirn oublié, cetto écriture
ressemùle à la mienne, mais n'est pas de moi.
Vous expliquer()z cela à vos jugos, mon garçon.
�LE LIEN VIVANT
37
Peut-êt re vous croiron t-ils, quoiqu'il me semble que votr&
affaire BOit bien mauv.aise.
Mais ùe Jouve, qui perdait son sang en abonda nre,
venait de perdre connaissance. 11 f..tUait des secou,~
urgents.
..,
. . . . . . daRs
la
Le mort-vi vant, tout en C<Jnlinuant sa route
campagne, revoyai t tout oela.
n revoyait la suite aussi, plus désastreuse et plus désolante eocOTO: son arrestat ion le soir mème, la prison
prévenLive, puis- les assises, et sa condam nation pour vol
et • trnl aH ve de meurlre '.
Les événements étaient prasonts il son esprit comme s'ils
datflient d'hier, sans parler des doutes et du aih'nce
d'Yvonn r, influencée par de Jouve lui-mêm e qui, après
une opératio n ~t quinze jours de clinique, était allé lui
rendre visiLe.
It s'en tirait avec une simplp. cicatrice et faisait ngure
d'innocente victime aux yeux de tous, et les journau x qui
n'avaien t pas manqué de parler de l'Ilfraire. Du même
coup, l'invent ion était lancée, ot Fallas définiti vement
frustré.
Alors c'avait été pour lui les longs mois de cellule, re
découragement, la mort ... simulée puis le miraclo ct tout
cc que nous savons.
..
. . .
.....
...
L'aubo n'était pas loin de poindre .
Du tièdtl fardeau qu'il porLait, nulle voix ne s'était encore
écha'ppée.
L'en "ant dormai t toujour s dans les Lras do son père dont
lu marche rapide 10 borçait.
Uno grando 6motioIl rempliasait le cœur de l'ancien
prisonnier à ln penséo qu'il no pourrai t pas s'occuper de
�38
tE tIEN VIVANT
ce fils et qu'il ne l'avait trouvé que pour le perdre
à nouveau .
Car, que pouvait faire ce mort pour ce nouvea u-né qui
alIait, dans quelque s heures , quelqu es minutes peul-êt re,
réclamer le sein materne l.
Gérard Fallès songeai t avec d ésespoir au mom ent où il
devrait a band onner le bébé à des mains charitab les .
Lorsque le jour serait venu, poursui vre son che min avec
lui deviend rait absolum ent imp
os~ib
le.
II serra l'innoce nt
petit être sur son cœur et, souleva n t le châlt) qui recouvrait son visage, déposa SUl' SLS paupièr es tragiles un rapide
baiser .
Il y avait tant d'amou r désespé ré dans ce simple geste,
ropété p Il' des milliers ùo papas heureux chaque jour sur
la torre, que nul n'aurGl it pu le voit· sans répandl'e des
larmrs.
Le marche ur avail déj'l Cait un cerLain nombre de kilomèlre:; lorsqu'u ne luour rose à l'horizo n lui annonça quo le
lever du soleil ne tarderai t plus; il s'était llx.é cet instant
où les champs et los villages com mcnl:,mt il r enaltre pour
se sép arer d o son onf l nt .
Il nt encore quelque s cent.:\Ïnes do mMros, lorsque sou.
clain l'asL re émergea derrière un lointai n Louque t d'arbres .
Le ciel ontièremenL 1(\\'6 p ur l'oI'age do lu nuit étuiL d'uno
limpidi t6 totalo
Qu'y a-t-il d o plus heau q u'uno aurore d'6t6? Qu'y a-t-il
ùe plus goi aussi quo 10 1'6 cil den nidfi, dlJs basse ' -cours
ct des bLublC's?
Celle exub6r:mce de la nature n'6~ait
pas faite, MIIl.8! pour
réjouir le r,œur du pll uvro père qui aIl it encore une fois
connnitr û una sO\lffrance pire que oelle de la mort.
Un gros vilhigo ~tal
procho. Une l'umer
, 01 c ~sO
ou
arrivait jusqu'à lui aveo des aboiements de chiens et, c1M
�roulements de charrettes. C'était le départ pour les champs
eL li'allès ne voulait pas &tre r;mcontré, l'E:nfant dahs ses
bras.
Cela aurait pu donner l'6veil. Comme lui, il fallaH que
l'on crût son fils mort.
D'ailleurs, demlin, les journaux ne manqu er:J.ient pas
de parler du « drame de la maison en flammes », du père
mort dans la prison, de la mère tuée accidentellement ct
du nouveau-né carbonisé dans !Jon berceau. Toute une
famille détruite ... C'était mieux ainsi.
Bien avant l'entrée du pelit bourg, et en bo:,dure de la
route, une belle propriété, à vrai dire, un pelit château,
dl'essait sa silhouette élégante au milieu de son parc.
Ùu grand mur l'entourait tout enLirre, saur sur une
longueur d'une cinquantaine de mèlres où une grille le
remplaçait, spns doute pour permettre d'avoir du jardin
une vuo sur la campagne enVil'Ollnante.
Une IHrge allée sablée partail du château et aboutissait
à cette grille d ans laquelle s'ou\'I'ait un portail, clos bien
entendu, à celte heure matinale. Un coquet pelii pavi!Jon
probablement l'habilal,ion des jardiniers, montait. la garde
il l'enlrée, d'ailleurs unique, de la p r opri été.
Fallu..; pensa qu'une famille h Cllfcuse habitait suns donte
cet cngugonnt domaine, ct qu'il valait mieux. lai ssel' son
llIs chez d es êlres cornb16s p:lr la vie que chez ùes pnuvres
gcn~.
<\etu€:lIement, se charger d'élever un enfant trouvé, en
charges de famillo déjà existantes, demanùe non
plus ù~s
seulement des qualilés do dévouement, mais aussi de la
forLune et les propri61,aires do ces lieux devaient CD avoir.
<\rrivé à lu hautour de la grille, Gérarù s'en approcha
el puL voir qu'un pou plus loin, presqu'au porLail, se d6~a.
chaH unQ iœrJ'ipWoll œI f.,r !cr(Jt\,
�~o
LE 1.l.EN VIVANT
Quel était le nom de la propriété?
Il lut : « La Providence»
u La Providence, » s'écria-t-il, c'est elle qui m'a guidé
jusqu'ici, puisse-t-elle ne jamais abandonner mon enfant. "
Il lui sembla que c'était bien là un nom prédestiné d que
depuis qu'il avait quitté COl·this, toutos ses actions n'avaienL
été qu'un prétexte pour aboutir à cette grille, à ce petit
paviHon, et à cetto sompLueuse demeure dout les hôLes dormaient encore. Il rogarda longuement la maison, comme
pour bien s'imJ.lrégner do son image, et so figura derrière
ses volets clos les personnages imaginaires qui seraient pour
son enfant une famille provisoire.
Car il espérait Lien un jour ... plus tard ... revenir ... qui
sait? •.
Peut-être était-ce un jeune ménage sans enfanls qui
serait heureux d'accueillir le sien commo un présent de
Dieu, ou peut-êlre encore un couple de vieillards ayanL
perdu toules leurs alTeclions et que l'arrivée d'un peLiL
abandonné, comblerait.
Il se représonta aussi une belle et douco jeune fille, dans
la grâce de ses vingt ans, souriant à l'enfanl trou vé el
l'adoptant.. C'était elle sans douto qui occupailla chambre
de la lourelle de droite, dont los conLrevenls n'éLaienl pas
fermés. La fenêlré r.l1e-m.1me, enlr'ouverlo bissait passer
un pan de rideau de mousselino cL il so flgura le chasLe
sommeil do ceLLe onIant qui serail, plus qu'Yvonne, la vraie
mère do son ms ...
11 se passa la main sur les yeux .. ,
Quollo I"olio 1 Quelle irnaginalion 1
Son enrant serait peul-ôLre loul simplemenl porto demuin
à l'Assislane;o, ol le châleau n'étaiL sans douto habitô que
par des gens durs eL sans cœur 1
«La Providonce ». murmura-toit, co nom-là, pourtant 1
�LE Lr EN VIVAN T
Tout contre la grille et tout près du pavillon endormi,
il ~hoist
une petite place, plus sèche que le terrain environnant à cause du sable de l'allée qui arrivait jusque- là
et y déposa l'eniant l1ui poussait de faibles cris; mais il
s'apaisa vite.
Le cœur du pauvre piTe battait à se rompre atil crlli.
qu'il ne pourra it sc résoudra à pareil aban(lolJ.
Ille fallait pourtant.
Dôchiré ct secoué par des sanglot" silencieux qui s'arê~
taient à sa goqe, Fallès prit alors un petit morceau de
bois qui traînait à terre, el sur le 3able lisse hien lavé par
la pluie, il traça près de l'enfant, ce simple nom: «Jar.ques»
C'était celui qu'avec Yvonne, ils avaient décidé de donner
il leur fUs au t emps des jours heureux.
Se penchant ensuite pour la dernière fois sur cette vie
qu'il arrachait de la sienne, il embrassa la petite main qui
Sortait du châle, et que l'enfant, dons un gesle inconscient,
lui t endait comme pour lui dire un supr.}me a dieu.
Puis il s'éloigna rapidement et sans tourner la tête.
\
CHAPITRE IV
VIE
DE CIlATEAU.
- Enfin, expliquo-moi, Nounou, comment tu ilS trouvô
ce petit?
- Je vous l'ai déjà dit., Mademoiselle, vers cinq heures et
demie, alol's que Joseph se levait, je l'entends tout d'un
coup qui m'appelle:
« - Dis dOIlC, Julio, il me semble que le chal miaule drô '
lement Co matin.
�I.E LIEN VIVANT
«Laisse-le miauler, que je lui réponds, il moité
endormie ", et je me retourne sur mon traversin.
" - C'est pas le chat D, qu'il dit au bout de cinq
minutes et le voilà qui sort à moitié habillé, mals il rentre
bienlôt en criant :
« - Julie, Julie, lève-toi vite et viens voir .
• - Quoi, qu'est-ce qu'il y a?
« -- Viens voir, viens voir. D
« Je passe un jupon et j'arrivo avec le vieux devanl
La grille. Qu'est-cc que j'aperçois? un amour de bébé
enveloppé dans un grand châle .. . et agilant ses petites
mains 1. •. et hurlant 1..,
(( Je me précipite et je le prends dans mes bras. A côté
ùe lui, tracé sur le 3ablo, il no faut que j'oublie de le dire
à Mademoiselle, il y avait son nom: Jacques.
« Jo l'aurais tout de suito porté à Mademoiselle, si elle
avait été réveillée. mais c'était si tôt que je n'ai pas osé le faire .
« Alors je l'ai emmené chez moi. Le pauvre chéri étd.it comme
ça, tout emmailloté. et paraissait SUl'tout avoir uno faim de
loup . On le voyait qui cherchait son poing pour le sucer 1
Jo lui ai donné un peu de lait avec une petite cuillère,
mais cc n'éLait pas facile. il faudra acheter des biberons,
Mademoiselle . •
l\Jademoiselle » sourit au verbiage do la bravo femme.
- Mais oui, ma bonne nounou, on achèlera tout ce qu'il
faudra, sois tranquille 1
- C'ost quo Mademoiselle, alors a l'intention do le garder?
Diou soit loué! un si beau petit garçon 1 si co n'ost pus crimincI ùe la part de parents d'abandonner ça!
El la vieille femme se tonrna vers le b c~eau
improvisé
qui n'était autre qu'une corbeille il linge. Le fond aV'ail
ùté garni d'un oreiller sur lequel rcposaiL maintonant 10 fils
de celui (lui nvait 6tll G6cllrc.\ :Falll')I.I.
�LE LIEN VIVANT
43
Heureux âge! Le sommeil de l'enfance n'est pas moins
profond sous un toit étranger que près de la solli Hude
maternelle et le petit être qui a Lout perdu est aussi paisible dans ses langes que celui sur lequel se p enche l'affoction
de toute une famille.
Pour le moment, l'enfant repu avait cette expè'cssion
béatc qu'ont Lous les bébés après leurs t étées.
a Mademoiselle» le regarda en souriant.
- Pourvu que papa veuille bIen que je le garde, dit-dIe
pensive.
- Oh 1 pour ça, Monsieur n'a rien à y voir, c'est pas lui
qui s'on occupera, n'est-ce pas? répliqua Nounou .
- Comme tu y vas 1 JI mo semble qu'il a tout de même
droit au chapitre quanù il est question d'uno chose aussi
importanto.
-- C'est quo jo connais Monsieur, poursuivit la femme du
jardinier qui, décidément, n'avait pas la langue danR sa
pocho, il trouve des objections à tout 1
- C'est vrai qu'il n'est pas toujours commodo. reconnut
la .ieune fille, mais pour ça je tâc.hel'ai bien de le faire cMer.
Cela me ferait tant plaisir 1
- Enattendant, où va-t-on le mettre, ce peLit chérubin ?
- Monte-le dans ma chambre, ma bravo Nounou, on
verra après.
« Allons, avoue que tu regrettes d'être trop vieille pour
PDuvoir lui donner le sein comme il moi, il y Il quoIque
vingt nns 1
Et Mademois~l
éclata. de riro, d'un boa riro sain ot
tl'ais d6couvrant !fO& belle!! dents.
La eonversatlon commenooo dans la vestlbule du ohAteau
&0 poursuivit dana l'el\palier et la chambre de Chri~t1lne
de
Sermano oil l'a.ncienne nGunou de la j&une fiUe déposa la
corbeillo d'osier ct 30n préoioox r~dOl\u.
�LE LIEN VIVANT
45
massue, avait fait de lui un homme absolument di1Térent de
ce qu'il avait été.
A quar ante ans , il quittait, comme commandant de cav(\.lerie, l' a l' m~e
olijl était entré par vocation à sa sortie
de Saint-Cyr, et laissant toutes ses ambitions et tous ses
rêves d'a venir, avait acheté dans ce coin p erdu de province
« La Providence» où il vivait retiré, ne r ecevant que de
l'arcs intimes. Une b elle fort une lui p ormettait de vivre
sans rien fail'o, tou t au moin s sans rien faire ode rémunérateur, car il se li \Tajt à de p assio nnantes éLudes de botanique
qui occup aient un e p artie de sps journées.
11 aciorj~
bien sa fiUe, mais ù la manière de certaics
hommes qui ne voient dans la femme - épouse, fill e, mèle
- qu'un êlre de grâce ct de ch arme placé tout naturellement p ar Di eu, auprès d'eux, pour Lenir leur m aison eL cr éer
Une atmospt.,ire de douceur et de Lien- êtr e à leur foy er.
Il n'avait jamais fait beaucoup de sacrifices pour elle,
ct lout en ne lui rdusant rien, ne chel'chait jamais luimême à lui procuraI' uno distraction où un plaisir quelCon lue.
L eurs jours s'écoulaient donc doucement dans ce tte propriéL6 de « La P ro vi l(fi~e
", att raya nlo, certes, mais pas
foll ement gaie pour une jeune nlle de vingt ans qui devait
y restel' du prtlmier ja nvior a u :.I1 d6cembro.
lI eur"use meut qu'elle avait sa prinLure, son aquarelle
il. laquelle dl8 eomacrait plusieurs houres p ar jour.
Un coup lèg(;r frapp 6 à la porta de la cha mbre aux
rideaux de mousseline arra . ha Christiane à sa r êverie.
- Entrez, dit- elle.
tiselle, une femme de chambre gracieuse el bien tenue,
pénétra dans la pièce .
- !\] onsi,1ur rail dire à MademfJisclle qu'il Msil'c lui parler
el qu'il l'atlend d,ms son bureau.
�LE LI~N
VIvAN"r
Peu de teml'saprès, elle redescendait a:rant en main toute
une liste d'achats à faire au bourg voisin: couche:;, langes.
brassièrœ, biber ons, etc., premiers ol:!jels absolument
inc:ispensubles au nouveau venu
de sa. chambre une fois refermée,
Cependant, la port~
Christiane, les yeux fixés sur le berceau de fortune, se mit
à songor.
Une expression sérieuse donna vite un air de gTavité à
son fin visage jusqu'alors lout sourire.
Assise devant un petit bureau, cou vert d'objets personnels,
delivreset de revues, elle yappuyales deux coudes et, prenanL
ses tempes entrû ses mains, resta un moment dans cette
atLilude qui est bien par excellence celle de la réOexion.
, Cht'isliane do Sormano avait dix-nouf aIlS et toute la
gràce de cûl ~ge
fleurissait en elle. Fairo de sa benuté un
rapide porLI'ait où sorait résumé lout ce qu'elle avait
d'excrplionnol risquero.it do la rondre banale à force de
perfection. L'imagination y suffira. Do grand yeux noirs,
des cheveux idéale:ffiont blonds et une bouche rouge comlUe
une cerise, ajoutez il. cela une to.illo moyenne ot dos formes
harmoni(J\tscs. voilà en quelques mols de quolle manière le
lecteur désireux de sïnlénsser il. son histoire devra pourtant
se la représenter.
Quand à ses qualités morales, laissons à la suite do cetto
aventure le soin de nous les révélor .
... Christiane songco.it donc.
D'abord à 10. manière dont 0110 présentorait la choso fi.
son pèro qui, non sI'ulom nl n'était pas commodo, elle en
uvait conven u tout:i l'houre - mo..is possédait le plus
déplorable caractère qu'il soil possible de rèvcr.
Depuis quo sa femme était morto en moLlo.nt Christiane
au mondil, sa nature jusquo-Ià ardente et enjouée avait
,'IHlnzl'- nu t.out. RU tout. l'lie chagrin, rommo un coup dr
�LE LIEN VIVANT
- Mais non, mais non, répliqua l'officier d'un ton bourru,
plus forcé que réel. Toujours inquiète pOUl' ma sant6! J fi
me porte bien, Dieu merci.
- Alors?
- ... Pourquoi je no suis pas sorti? Voyez-vous ce pore
\ qui doit rendre des comptes à sa fille, maintenant .
Il plaisantait, mais le ton n'y était pas, et ChrisLiane eut
viLe fait de voir qu'il était préoccupé . Par quoi?
Elle l'observait, tandis qu'il lui demandait de s'asseoir
dans lUI grand fauteuil de cuir qui lui glaça les jambes à
travers sa fine robe de linon, et elle remarqua pour la première fois que son père n'était plus loin d'être un vieillard .
Rien n'est plus vrai flue ce liou commun qui dit que nous
ne voyons pas vieillil' lcsêlres que nOlis aimons. C'est tout d'un
coup que nous nous apercevons dûs l'a vagos faits par 10 temps.
Encore très droit, malgr61a soixantaine qui s'annonçait,
Je commandant de Sermane donnait en offût aujourd'hui
l'impression d'un homme fatigué et un peu lassé par la vie
qui n'avail pas su èMe clémonte pour lui, puisqu'olle lui
avait enlevé, en ploine jeunesse, le seul êlro avoc lequel
il lui eùt été très doux de sui vrc la route jusqu'au bout.
Dans un gesle qui lui était familier, il roula entre SilS
doigts secs, 511. moustache grjdc qu'il ne portait pas à
l'américaine.
Un veslon de chasse dont la boutonnièro s'ornuit du
ruban do la Légion d'honneur, moulait 80; larges èpaulp:;,
et on le voyant ainsi, si simplo et si harmonieusement
rnêl6 au cadre de sa vie journalière, ChrisLiane songoo qua
si son père avait vieilli, il avnit encore « beaucoup de
brc.nche u.
- J 'ai à te parler, ChristiaJl}tl , j'ai méme à te parler très
sérieu$emont , commenva le commandant de Sormane.
- Brrr 1 tu rrùmprol!lsionnes. mon petit papa 1 risri'1lI
�LE LIEN VIVANT
- Mon pêre n'est donc pas encore parti en promenade?
demanda la jeune Olle.
- Non, Madellloi5elle, il est prilt à partir, 'mais demande
de ~e l1lllttro en rou~
.
Mademoiselle avn~
- C'est LiE1n, qit~s-luj
quo je viens immédiatement.
Le commandant da Sermano avait l'habitudo de quitter
sa chamhre à la première heurll, pour se livrer il son passet emps favori: la recherche d'herbes ct de planLes ['ares
qui ne manquaient pas dans la l'pgion.
A quelques lieues do là, on errot, la forêt de Termines
s'étendait sur plusieurs kilomètres, ct c'était vraiment
pour le bl)taniste, une mine inépuisable et un champ
d'expérience dont il ne sc lassait jamais,
Tl trouvait un charme tout particulier à ces promenades
très matinales, préférant trouver sos amies les plantos
encore toutes engourdies par la fraîcheur de la nuit, afin
d'assister il leur réveil au contact des rayons solaires.
Tout en descendant au bureau do son père, qui se trol,lvait au rez-de-chausséo, Christiane se demandait ce qui
avait bien pu l'empêcher do sortir.
« Papa serait-il malado? » songeu-t-ello.
Vite, die s'alarma,
Il y avait de l'instinct maternel dans l'amour qu'olle
porlait à son père, et bien souvent, ronvorsant leB l'Ô los,
olle availl'impression de n'être pas flOUS sa garde, mais bien
lui sous la sienne.
Elle avait soin, d'ailleul's, do no pos révéler 1l0S ponsées
à ce sujet, car 10 commandant n'était pas homme ù oli.t6rioril>or beaucoup ses sen' iments; il avait horreur des o/Tusions ct des démollstrations atfoclu 'uses.
Elle prossa le pas et arriva lout efl!louf1Qe ohez son pèl'e
~ u ùl,) ses horbiers.
qui l'attendait m.1 mil(
-Bonjour, mon petit papu, tu n'ospWl souJl'l'anto.umoins?
�LE LIEN VIVANT
tiar.e car il me semble qu~
mariage dans les premi~s
nOILS
49
pourrions fixer la date de noire
jOUl'S
du mois prochain,
- Le mois prochain, s'écria Christiane, mais il me
semble que, depuis six mois, Albert aurait pu me prévenir
qu'il désirait voir notre mariage avant l'hiver. J'aurai
beaucoup de choses à préparer.
- Ton fiancé voulait sans doute en avoir fini avec tous
ses soucis professiennels à la suite de l'arrestation de son
ingénieur, remarqua son père.
- Ah! oui, ce Gél'ard FaIlès, il ost toujours cn prison,
n'cst-ce pas?
- Le journal annonçaiL hi or sa mort, assez ~implent,
d'ailleurs, dans Sl coUule.
- Pauvre garçon 1 dit simplement Christiane.
- Comment, pauvre garçon? un dévoyé, un voleur, tu
ne vas peuL -être pas le défendre?
- Non, cerles, papa, !.out osL contro lui, mais moi j'ai
seulement le souvenir de J'avoir aperçu le jour où Albert
m'avait emmenée yisiter l'li ine,
~ Il avoit un ail' exLl'aordinairement sympathique. Ah!
il est mort 1
Un malaise indéfinissable envahit souàain la jeune fille
sans qu'elle sût pourquoi.
- Là n'est pas la question qui nous occupe, ma petiLe
fille, j'ai à t'entretenir d'une chose grave ,
Albert de Jouve, quand il m'a demandé ta main, l'année
dernière, après la gardon-party chez le préfet d'Amiens,
n'a voulu soulevez' avec moi aucune question d'inLérêL. Tu
lui avais plu, il t'aimait, il m e 'dU qu'il t'épousait pour
toi...
- Il Le savait riche, papa, murmura la fiancée.
- Je Ile suis pas riche, Christ
~ lI o ."
�48
LE MEN VIVANT
Christiane qui ne voulait pas être sérieuse, j'auraIs encore
d'ailleurs moi aussi il t'entretenir de quelque chose, mais,
oommcnct, papa ~e t'en prie.
- Eh bien, voilà : je viens de recevoir une lettre de
ton fianoé, Christiane.
- Albert?
- Tu n'en as d'autre, que je s:lche?
Christiane ne releva pas la plaisanterie.
Non, elle n'en avait pas d'auLre, un lui suffisait bien,
surtout un comme celui-là!
Un homme si l'emarquable, si intelligent, si autoritvire!
- Est-ce qu'il revient bientôt? ques tionna la jeune fille
dont le front venait de s'embrumer d'un léger nuege.
- Lis plutôt sa lettre.
L'officier passa à sa fille une feuille éléganto que couvrait
à peine sur la moitié une écriture ferme et serrj e.
Le fiancé de Christiane disait ceci:
Oher fUIlLr beau-père, mes atJairas sont enfin lerminItJs
à Paris etmon ùwcntiondé/initiDcment misa au point. Cela n'a
pas été sarts mal, muis c'est maintenant pour moi la gloire
et la, fortune. 18 rentre dans dClt.X jours à Villelleull/J, ct Dierldrai dès le lendemain à« la ProDidence ». Voilà presque cinq
mois que ie n'ai pas eu le plaisir de ;loir Christiane, apec
ceUe Dilaine histoire de blessure ct tout le reste.
- Disons plutôt qu'Albert m'a plus que négligée depuis
ce moment-là, car il auruillrès bien pu venir ici quelquefois, diL ChrisLiane songeuse, et en s'interrompant:
Mais elle poursuivit ;
Si vous le voulez bien, /lOUS mettrons alors définitiDemrnt
au point les 'lu · stions d'int6rét8 concemallt ta dot de ChrÏ3-
�J.1: LIEN VIVANT
51
je me cOl:solerai aisément en pensant que je no te quitterai pas. JI me semble que jusqu'à prasent nous n'avons pas
fait trop mauvais ménage tous les deux?
- Chère petite! Mais tu ne peux tout de même pas te
sacrifier toute la vie pour moi? Non, Albert est un brave
homme, c'est avec plaisir que je vois la vie s'unir il la
sienne, car c'est un fort, un vaillant, un travailleur . 11
t'aime cl je crois que de ton côté tu n'es pas indifférente
il sa sympatie.
La jeune fille eul un geste vague.
- Tu l'aimeras vite, si ce n'est déjà fait . Dans tous
les cas, il te plaît, sans cela tu n'aurais pas accepté de
l'cpouser
.
...
- ,Mais bien sOr, papa, il me plalt, répéta Christiane
machinalement, et puis ce mariage me permet de no pas
trop m'éloigner de loi. ..
11 faul avouer que c'est celte dernière considération qui
aVait faiL pencher la balanco en faveur d'Albert de Jouve
lorsque, perplexe, Christiane de Sermane s'était demandée
si ello épouserait ce grand garçon, robuste eL autoritaire,
qui , après s'êtro fait présenter à elle, ne l'avait pas quitt.ée durunt tout l'après-midi, 10 jour do cette fameuse
gardon-parLy du préfot -- une do ses l'arcs sorlies de l'été
dernier.
Co n'était pas qu'il lui déplo.t, mais son regard comme
aimanté l'aUirait tout cn l'intimidant, et elle avalll'impression qu'ello no s'y habil\Jerait jamais.
Sun pèro avait été conquis plus vito qu'ollo. Do Jouve
n'était pns pour lui a la peLil jeune hommo » inoxpérl- •
tncnlé qui enLre dans la vic en commençant par le mariago.
Sa situation do direclcur d'usino lui plaisait ot l'idée qu'il
ne perdrait pUll complèlomênt Ra fille puisqu'ello habiLqrait
il. Vlllenouve, :\15 kilomôLl'cs de lù, lui faisait envisager ce ma-
�50
LE LIEN VIVANT
_ Ille croyait, du moins!
_ Je l'étais alors. Depuis, des choses se sont passées el
si je ne t'ai pas tenue au courant , c'est que je considère
les questions d'argen t comme n'étant pas des affaires dr.
femme.
« Je crois que mon devoir est mainten ant , de te metr~
en race de notre situatio nl Plus occup é de botaniq ue qUI
de valeurs boursièr es, j'avais à peu près chargé M. Ger·
main, directeu r de la banque 1-1... à Amiens, de s'occupe )
de la gestion de mon porLefeuille. 01', il Y a cu en Bourse.
depuis quelques mois, les dégringolades les plus imprévues
les krachs les plus désaslreux ... tu cs peut-êl re au courù ul
par les journau x? ...
_ Nous sommes ruinés, père? demand a faiblemenl le
jcun~
fille.
_ Nous n'en sommes pas là, pelile, mais je vions dL
me voir obligé de fairo unD liquidat ion comp lète de m,1
bilualion, afin d'enray er les perles plus graves qui pourraient s'ensuiv re si je l ai~s
aller les choses. Mon capital
est amputé de plus de la moitié, def; trois quarts peul-ôl ro .
.fo n'ai plus de dot à te donner, Chris Liane, et voici que,
pour la premièr e fois, ton fiancé prononce cc mol.
_ Et jlle prononce en même Lemps qu'il pude pOUl' lui de
forlune et de gloire; ujonla. lu jeune fille, camillo pour
ell o-méme cL contenanL mal une sourd e colère.
_ J e suis persuad é qu'Albert esl dans les mêmos scnlimonlt;, reprit le comman danl de Sermane après quelques
mil1ut
~ s do silence. 11 L'épouse pour toi cL puisquo 10 voilà
lui-mômo en présence d'un magnifique o.venir, ce ne sera
ilûrement pas une question de dot. qui le fera chvngcr.
- Dans tous les cas, no to tracasse pa~,
mOIl I"hcr papa,
ùit Chrjstiane cn sc levant cL en allant cmbru~so
tondre·
ment son pèrc, si M. do Jouve no veut plus do Illoi.
�G2
LE
J.lIlN VIVA NT
ringecornmeune chose presque inespérée pour Christiane, qui
avait si peu l'occasion de sortir et dont la beauté, pourtant parfaite , aurait bien pu finir par se faner, Gom me
tant d'autres, dans ce trou do camp agne où les pr étendants
étaient rares .
Et les choses avaient sui vi leul' cours ...
Et Christiane ne s'habituait toujours pas à SO!l
fi ancé.
_ Bah 1 cela vit'ndra, disait-elle, quand nous seron;;
mari és.
Le père et la fill e s'é Laient lu g.
Christiane gal'dn.it les yeux baissés. Des pensées de tOIl les sorles se pressaient en foul e d an:; son cerveau, m ais
celle qui r evenait touj ours était que demain Alb ert viendrait - après cinq mois - ct que dans moins d'un mois
ils serai enL peut- être mariés.
Il lui semblait que ceLte échéance ne devait jamais
arriver 1larce qu'elle avait l'impression très neLle de con na1t re de moins en moins so n fiancé .
La révélation de son père concernant la perte d e leur
forLun e l'acca blait aussi, non à cause d'elle et de la rép er cussion que cetto calaslrophe pourrait avoir sur SOIl
même et des tracas
mari age, mais à cause de son p ~ r e
qu'il avail eus ct aurait encoro à cc suj et.
_ Tu avais auss i qu elque chose à mo dire, r eprit soudain le commandant de son Lon naturellement bourru.
Christiane s ursauLa; son osprit était aill eurs.
C'esl vrai, au fail, qu'elle avait quelque chose à demander à son pèro, mais quoi?
Ahl oui, elle se souvenait maintenant .
- Ohl papa, je comprends bien qu'avec t es préoccup ations actuelles, ce que j'ai à t e demander, ne peut l'inl6·
�LE L1EN VIVANT
53
rosser. Si je me mal'ie le mois prochain, cela r egarde
d'aiIleurs plutôt Albert.
Elle expliqua Cil quelques mots la trouvai~e
de ~ nounou » et le désir qu'elle avait de garder et d'élever cet
en fant,
- Ah ça, ma fille, tu deviens complètement folle 1grommeIa l'officier on fureur, élever un enfant que tu ne connais
pas, alors que daus un an d'ici Lu en auras sans doute un
pour ton compte, mais tu n'y penses pasl
- J'en aurai un, j'en aurai un, ou je n'en aurai pas,
ropondit-elle; 'd'ailleurs là n'est pas ce qui importe. Cet
enfant n'a pas de mère pour s'occuper de lui ot s'il n'y a
pas une âme charitable pour s'en charger, que doviendrat'il? Laisse- moi pow' le moment être c(,!tte âme charitable,
mon petit père, on verra après ce qu'en pensera l\I, de
Jouve, mais j'espêro bien qu'il ne sera pas assez rrufll
POUl' rejeter à la rue ce petit abandonné.
Après tout, cela le regarde maintenant, acquiesça le
Commandant de Sermano calmé, ,fais comme tu voudras,
- Morci, cria pl'esque Christiane on sc jeLant à son COli,
je suvais bien quo tu étais bon, si bon .. " Pour Albort, je
m'on chat"go 1
Mais Ulle ride impercoptible plissa son froRt. gUe avait
dos doutes sur la nature générouse de son fiancé et pressen·
tait un orage pour le leudemain .. ,
Bt pourtant elle ignorait que c'éLait l'enfant do Gérard
li'allèl> qu'elle al lait dflmnndel' ;', Al), " I'1 de .lOl\VO d'ado])tl:l1' 1
Hevenue maintenant daos sa chambre, olle attendit que
nounou J, revînt du bourg avec tout le trousseau de
béh6.
«
Un trouble immense l'envahissait devant celle petiLe
cho'sc Vivante
"
qu'ulle cnlf'udait J'ctipire1" UUlIti son LC'rccau
�LE LIEN VIVANT
de fortune. Elle sentait obscurément qu'à cause de cet
enfant, sa vie serait différente, et qu'il formait un lien
tendre et charnel entre tout ce qu'il y avait eu " avant II
et ce qui viendrait « après ».
Elle se bai5sa pour regarder de plus près les paupières
baissées, la minuscule bouche close, le nez sans forme qui
composaient li) visage du petit être qu'elle décidait coûte
qUE coûte de protéger et de ne pas abandonnor malgré
les difficultés qui pourraient sUl'gir .
Peut-êtro, en son subconscient, prévoyait-elle déjà que
c'était par lui qu'elle arrivorait à connaître le bonheur.
CHAPITRE V
RUPTURll.
- Bravo, Joseph) tout est parfaitoment ratissé, ot le jardin tout entier ost peigné comme un gosso 10 dimancho 1...
Le jardinier rotira sa pipe do lu bouche, et sourit avoc
~es
youx gris.
- C'est pour le fiancé do Madomoiselle que j'ai faiL tout
çu.
« Tu comprends, m'a dit la viellle co matin. M. de
Jouve arrive à midi, s'agit pas qu'il y ait dos mativaises het'bes, il no doit pas aimor ça, los mauvaises
hOl'bos, M. de Jouve.
« Alors, je me suis levé à quatre heures, et je vous
promets, MademoisQlle. qu'on pout chercher à la loupe,
on ne trouvera rien à rediro.
- Mais j'en suis SÙl'û, rl3paI'~iL
Chri.,liuno. Tu vault
lluQ jo Le taallO t.lea oomplimonLa, eh bien, tu en auras, ct
iu n'auras qu'à l'ouj;ir quand je Voluraia dit que f nounou.
�LE LIEN VIVAN1
55
eL Loi vous èLes les serviteurs les plus dévoués et les plus
consciencieux qu e l'on puisse voir. Je vous aime bien tous
les deux, et vous savez bien que je vous consid(}re un pou
Comme de ma famille.
Le brave Joseph, ému jusqu'aux larmes par ceHe décla.
ration inopinée en laissa tomber son râteau.
Il cherchait des mots de gratitude à exprimer à sa petite
maîtresse, mais comme il n'avait pas beaucoup d'imagination' ct encore moins la parole facile, Christiane était déjà
loin, souple et légère danssarobe de voile bleu pâle, lorsqu'il
se décida à ouvrir la bouche.
- Vraiment, Mad ...
n s'arrêta, secoua la têLe, pensant qu'il allait gaspiller
sa salive, eL, ramassanL son râteau, reprit le chemin du
petit pavillon qu'il habitait avec sa femme, près de la
grille. Ce couple, Christiane l'avait toujours connu. TIlle,
Nounou, avait été sa nourrice et s'6Lait d'autant pl us
attachée il Christiane qu'elle lui rappelait la petite fill e
qu'elle avait perdue en la mettant au monde. C'est à fla
propre fill e qu'elle avait l'impression ùe se dévouer,
PUisque, hélas 1 l'e nfant qu'elle nourrissait n'avait plus de
more.
La mère sans enfant et l'enfant sans mère s'6taient
l'cmarquablement bien cQmpris et une affe ction indissoluble, combi en rare aujourd'hui, los unissait. Qu and à lui,
Joseph - Joseph Bourdet - mais on l'appelait toujours
Par son prénom, il était ontré en môme temps que sa
femme au service des do Sermane, d'abord comme valet
de ch.ambre et ensuite commo jardinier, lorsque le com1l1undant avoit acheté la Pl'oCJidencc.
~ Nounou » maintenant, était cuisinière, et s'occupait
de tout dans la maison, aidée pal' une seule femm e de
~1un
lbr ' l'. Ou ur conr.cv:liL plus la Prolid
(, lc~
;;an.s; l:'"
�LE
LIEN
VIVA);T
!J7
très longtemps, le dialogue est souvent long il s'établir
ct Christiane ne s'cn soueh pas.
Prenant son fiancé pal' I:l main, avec une gr ace mutine
qui n'avait rien de forcé ;
- Entrons au salon, dit-elle, papa va venir lout do
suite, YOUS allez me raconler tout ce qui s'cst passé
depuis que., .
Une hésitation arrêta sa phrase en chemin.
- Ahl ça n'a pas été drôle tOIlS les jours, ma petite
Christ iane. Cct individu dans sa prison, soutenant d'une
façon honteuse qu 'il était l'inventeur du moteur A. J .
el moi soutenant, et prouvant, bien enLendu, 10 contraire.
« Enfin, mon invention est brevetée ct l'homme esl.
Illort mystér ieusement dans sa cellule. TouL s'arrange,
j'espère avoir moins de soucis ...
- Mon pauvre papa a hien eu les siens aussi depuis
quelque temps, risqua Christiane.
- Oui, je sais.
- Ah 1 vous savez?
A cel instant la porle du salon s'ouvrit, laissanl passage
0.1\ commandant do Sormano.
Los deu hOlOmes so sel'rél'ent la main.
Albort do Jouvo dépassait d'uno d'emi-t8to l'olflcier 1
mais tous deux étaient bien pris dans leur tnilJo, et si
Christiane préférait la silhouette ot la hie bien racés de
son père, olle né' put s'ompèchrr de trou ver quo son fiancé
UVuit aussi benucoup cl'alluro.
Mais il y avait la reg lrrl ... Ah 1 co regard 1
Aprils quelques banalités échunge,~
cio part ot d'autrr,
If:' commandant proposa do so meUro il table.
- Vou':! dovez avoir uno faim cio loup, Albert. Jo
sUppose qu'après une aussi longue absence, vous avez dû
�5G
LE
1.T1lN V IV AN T
ménage , et lui-même ne deman dait qu'une chose, r ester
au service des mèm es mai tres.
Ah! si seul ement ils pouvaient suivre MIlo Christiane
quand elle se mariera it ! Mais de cela il n'en avait pos
encore été question.
Dans cette famill e et ce p ays qu'ils avaient fait tous leG
cleux leurs, ils en éta ient arrivés à oublic:> r leur prop re
pays, le Maconn ais, où ils possédaient pourt ant une petit·o
maison avec un jardin ct un pré, qu'ils louaient depuls
vingt ans le même prix - - six cents francs - ct dans
laquelle ils n'é taient jamais revenu s. N'aya nt p as eu
d'au tres enfants, Christiane no leur t enait- elle pas li eu de
tout: famill e, maison, p ays?
A midi moins le quart, ce jour-là, une superbe aulo
grise faisa nt craquér de tous ses pneus le gra vier du jardin, s'arrêla de vant le p erron de la Providence.
Albert de Jouve, lâc hant l e volan t, saula lestement de
l'la voilure et en deux ou lrois enj ambées , sur les marches
lIues, fut deva nt la por le -fenêtre qui donnait accès au
vestibule.
Elle s'ouvrit, d'ailleurs, comme il 8e préparait à oppuy<,l'
sm le timbre électriquo.
- Bonjour, Alberti comment all ez- vom;?
- Très bi en, Christiane. et vou s?
Un baiser breC sur la petite main lendu e... Pilis un
silence.
- Votre pèr e est là? J e s upp ose qu'il a reç u ma leUre 1
- Mais oui, Albert, neus vous aLLl' ndions .
Elle n'osa pas ajout er a avec impatience J, car cela no
correspondait pas exaclement ù r;a pensée et e\le a v a i~
horreur du mensonge, l (Uel qu'il fllL
Une cortaine gêne paraissait dèg mai ntenant vouloir
s'Instn.ller enlre ou't, mais lorsqu'on ne s'est pas vu depui ·;
�58
LI: LII:N VIVA NT
trouver b::laucoup de travail à l'usine, et qu'à six heure. ,
ce matin, vous n'étiez pas dans votre HL .•.
L'homme acquiesça à ces mots de son futur beaupère.
- Certes, dit-il, si les affaires courantes sont expédiées,
il reste des questions importantes il résoudre, et surtout
à envisager l'agl"andissement de l'usine, pour la mise en
fabrication de mon moteur.
- Vous aurez beaucoup de travail, Albert ... ct VOli S
négligerez votre femme, dit sentenci eusement Christiane
en fais ant mine de rire, quoique vraisemblablement elle
n'en eût pas trèl; envie.
Au même instant, la femme de chambre ouvrait Jes
porles de la salle à manger ct la conversation se poursui vit
;\ LabIe, légère ct bnnalc, chacun ayant taciLl'ment décidé
de remettre après lE> déj euner les échanges ùe vue Hll r Irs
questions sérieuses.
L I' cn f~ fllL servi sous une petite tonnell e, dans 1111 coin
du jardin.
Christiane animée, eL chrrchant ù "·Lre l'Il onrinnc!',
(·tait vraiment ravissnnLe ù voir, iouLe hlond c, rose ot bleu
pCtlc. Un pastel qui aurait séduit Jo plus indillérûnL.
- ,l'aurai LouL à l'heure lm aveu Ù vous faire, Albert,
à yom; ùemandc)', (~'sL
lu premit"rt',
dit-elle, cL un e ~l'ûce
j'espère qu e vous me l' n~cùrJl'ez
...
- 'fil purl
o ra ~ dû ça une autre fois, inLerrompit l,'
(:o mmondanL, RuùiL plllcnL llluconLcllL eL 11 0 vOlllant salli
dnute pas, songea nt à la convcl'saLion de touL à 1'11 0\1 /,(',
mal disposr>r son futur gendl'p avec celte hi Rloire d'enfnnt.
u D" ill cu rs, votrC' telllps, Albert , cll,it 01 1'1' limiL6; f i
VOliS VO\ÙCZ hi 'II, lIOUS jr Ol\~
dans lTI OII bur('.nt où 1l \)1~
,'l'TOns plus Lranquilll.'f) pour ral~f
l'.
EII IIl1' lO U telllps, il r,.) 1 .1,
�59
LE LIEN VIVANT
- Je VOUS suis, mon commandant, dit de Jouve, se
levant aussi.
Christiane qui venait d'allumer une cigarette, lâcha une
bouffée de fumée et ravala sa déception de ne pas entretenir dès maintenant son fiancé de la chose qui lui tenait
il cœur: .Tacquos.
Voyant que les deux hommes ne l'invitaient pas à les
suivre, elle resta assise dans son fauteuil d'osier, regardant s'éloigner l'être qu'elle aimait 10 plus au monde, son
père, et celui qui, à J'heure actuelle, aurait dû remplir
tout son cœur, son mari de demain.
Ah 1 oui, c'était autre chose qu'elle avait rêvé!
Autre choso dont elle n'avalL pas une notion exacte, mais
qui l'emplissait malgré tout do trouble et de langueur.
Non, cent fois non, co n'était p as ceb l'amour, ou si
c'ôtait cola, il no valait vraiment pas la poine qu'on en
parlât tant dans les romans 1
L'amour ne faisait-il donc pas battre le cœur plus vito?
Ne grisait-il donc pas davantago le cerveau, lout en
umollissant tous los membres de la fomme qui en connaisSait 10 doux esclavage ?
N'était-il donc p as surtout un échange do regards, do
rnots, do gestos affectueuxontrol'homme et lafemme aimée,
la (fusion de doux sentiments, do deux cœurs, de deux
volontés, en altondant uno union plus complète encoro.
El qu'était-co donc quo coL amour ntro elle et M. de
Jouve, qui les laissait si compass6;; l'lin ct J'autre ot si
<'aimes, :lurtout si œlmes l
Une sourde révolte était en elle ...
Oui,
I·ové.
ünC;OfO
Quolquo
cOnfl!\nt.
une fois, c'était autre chofle qu'ollo
ChO,i 6
Ile meUleul', de plu
Il vait
simple, do plul\
�LE LŒN VIVAN'r
Ulle im~go
lui travers a l'esprit, celle de cc petit ingénieur, ce yoleur qui avait lenu têle à Bon imposa nt fumcé.
FaUait- il que lu porvers ilo fût à ce point établie dans le
monde, pour que, :lOUS une apparen ce si captiva nte et de
si réelle franchise so cachât une âme si basse ct si n.oire .
• So cache 1 se soil caché, rectifia -l-clle aussitôt dans
son osprit, car il es t morl ~.
Elle su surprit à prononc er ces dornier() mots et son
étonnem ont tut grand de voir qu'elle avait accorde
quelque s minules dû rêverie à cct inconnu, entrevu une
seule (ois.
Elle haussa les opaules.
u Allons plutôl voil' Jacque s., pensa-t -eUe et
sa figul'c
se rasséréna.
Elle travers a le jardin, suivant le chomin quo son père
ot. Alberl do Jouve avuient pris il n'y nvait quo quelque s
instants , el clic regarda Lout ce cadre qui lui êlait familier; III maison qui sc présent ail ù Ile do lroil> quarts
ayec sa purot6 d'archit ecture el la sobriélé de son loil
d'Ql'doisos qui l>rillail au soleil, leb ma s~ ir:; ùe flours ot 106
allres si bion ratissées par .Joseph, le pet il pavillon du
JHrdiniol', la grille, la roule ...
Il lui semblai t un pou qu'olle 10li voyait pour la dernière Cois ct 0110 comme nçail il. lour dire un f>iloncioux
adieu.
Ello savait qu'à ('Pl iO!;lanl mêmo, f;on df'slin se jouait
dans Ir l>urouu d' son père.
Etl<' ne tiouhailail pa~
poslli ·omont UIIO l'upLur!?, Cill',
IJIU!:. quo jamais, et élant donné lour situatio n devE:nue
précaire , son père clonll souhait er son mariage avec de
Jouve.
CoLlo union ln meltai! à l'abri ùu bCiioiu cl lui permet 1 j' Hl'me t1~ m~nol'
une \ie IJriIlHu:,e . \!lUo enlevult ùélini,
�LE LIIlN VIVANT
6t
tivemen t au comma ndant de Serman e le souci de l'établissem ent de sa fille.
Bn passant devant la pièce où les deux homme s étaient
réunis. Christia ne entendi t qu'on y élevait un peu la voix,
mais ne parvint pas à saisir un mot de la convers ation qui
avait lieu derrière la pi)l·Le.
à toule indiscré tion. Après
Elle se refusait d'ai leur~
tout, elle avait bi.eu le temps de savoir ...
Elle monta jusqu'à sa chambr e, ' où le jeune Jacques
était en train de faire la plus belle colère qu'il se soit
sans doule pcrmise jUBqu'ici dans sa jewlC vic.
1'oujours dans le panier à linge, car le magasin n'avait
Pus encore livré le chariot alsacieri comman dé la veille, il
envoyai t à droite et à gauche ses petits poings malatlro ils
el l'on sentait que sos pieds dans le maillot devaien t se
livrer Il un exercice aussi violent 1
Des cris perçant s, comme le peuven t être cependa nt
Ceux d'un ellfant d'un mois dont les pleurs ressemb lent
tant encore aux gémisse ments du nouveau -né, empiiss aient
10. chambr e.
Pauvre amour! dit la jeune fille {'Il SC précipit ant. El
louL à coup la pendule , elle s'aperçu t que l'heur
r~gadnt
du Liberon étnit passée dopuis une demi-he ure.
- 'fu r6clames, cl tu as raison 1 En voilà une nouvelle
mamnn qu i oublie son pelit garçon 1
Prenant dans ses bras l'enranL qui plenrait toujours , elle
descendit rapidem ent avec lui l'escalier se dirigean t vers
III cuisine, où les biberon s slérilisé s dans la matinée ,
-
étaient Leut préparé s.
Comme elle ' arrivait à la dernière marche , la porte du
bureau cl son père s'ouvrit brusque ment livrant passage
à. de Jouve, le3 traits conLracL6s et la mine furieuse.
A la VUe de Christia ne, il demeur a interdit . Elle-mŒme
�Lr. T.l1 :N YIY A NT
n'osait faire un pas dG plus, et leur
s rega rds se renc ontr ant
se découvrirent peu t-êt re pou r la
prem ière fois.
Elle com prit sur l'heure bien des
choses qui, pou r elle,
étai ent jusque -là reetées ohscures, et
ne prononça pas un mot.
Mais lui, pou r para chev er la rupt
ure qu'il ava it préparé e de loague date , c'es t-à- dire
depuis qu'il avai t appris
les pert es financières du com man
dant do Serm ane, se
chargea d'une vilenie nouvelle.
_ De mieux en mieux, dit- il il mi-v
oix en se tour nan t
.vers l'officier. Avec un pou do
bonno volonté, je sernis
peu t-êtr e arriv é il. épouser une
femme sans dot, mais
'vra ime nt, l'enfant est de trop ...
- Comment? gémit la jeune fille.
- Je dis que depuis six mois, il
esL de toute évidence
que vous n'avez pas perd u votr e tem
ps 1
Celle qui n'ét ait plus la fiancée
d'Al bert de Jouv e n'en
croy ait pas seS oreilles.
Blêmissant sous l'ou trag e, ello rest
a clouée contre la
ram pe de l'escalier, l'enfant pleu
rant encore dou cem ent
dam; ses bras .
- Quoi! vous osez prétendl'O ...
- Je ne proLends rien, mais je
crois que pou r vous
faire épouser, il est in[miment pr6f
6rablo que vou s vous
adrossiez au père de l'en fant qu'à
moi.
Le com man dan t qui, témoin de
cett e scène, n'av ait
encore rien dit, s'IlPpror.ha lent eme
nt do do Jouv e.
Une violence inou 'je so lisait sllr son
visago pt son poing
serr é pou vait faire crai ndre qu'il
ne so Iivrllt à '1ue1quo
cxLrômité.
_ Ne restel. pus uno minuLe de
plus sous mon toit,
Monsieur, gronda-toi! d'une voix
enrouéo par III colèro,
les paroles que VOUI! venez ùo pron
oncer sont celles d'un
malhonnête homme ...
�LE LIEN VIVANT
De grâce, papa, n'accord e pas un mol de plus à cet
être malfais ant, intervin t la jeune fille, sa vue seule nous
salit, il ne mérite que notre mépris.
Et se précipit ant vers la porLe d'entrée , elle l'ou vriL
toute grande.
De Jouve la franchit d'un pas mal assuré et, sans se
retourn er, des.:elldit les marche s du perron.
Sans un gesle d'adieu, la bouche amère et fléLrie par
l'injure qu'elle avait formulé e, il entra dans sa voiture.
Ses mains saisiren t le volanl, ses larges mains de faussair o
et de voleul' qu'à ceL instant, ChrisLiane remarq ua, quolqu'ello fût en train lie rotonil' son pore prêt à défaillir .
Lu pauvre homme avait dû si forteme nt se conleni r
pour ne pas sauler à la gorge de celui qui avait osé douter
devant lui do l'honneu r lie su fille, qu'une sorto do spasme
doulour eux lui broyait le cœur. Il avait l'impres sion que
Sa poilrine 6tait une enclume SU!' laquello de lourds
lllarteau x s'abatta ienL eL se relevaie nt, pour retomba I'
encore.
La l'espirat ion lui manqua it ot ChrisUa ne crut qu'il
Illlait s'évano uir.
-- Nounou , nounou ! cria-t-o Ue.
La vioillo fommo, accouru c il cot appel, pril le pet,n,
,Jacques des brus de Christia no, tanl,lls que celle-ci , souténant mainLonant son p6ro uo tou Lson poids, 10 conùulllliL
jusqu'au gl'and fauteuil de son bureau, celul·là môme où
t, en
0110 s'oLuiL asslso, lu veille, ot daw; loquel il lj'alTahi
~
proio ù un imlcf:cr iptiblc malaise .
Lu chèro pomo. dé..cmptll'ée, ot plus plUe qu'une morte,
où donner de lu tête.
Ile Mvnlt '~ro.itnel
- PorLo MM il Lhlettc, dît·olle à Nounou, ct cours
vito cherche r au premier le /Jaoou d'éther,
(l.u'ollo s'emplo yait de son
La vioi1lo lommc obéit tandi~
�U: LIEN VI'VANT
mieux à remonte r le comman dant qui commen çait cependant à paraitre mieux.
- Allons, mon cher petit père, lui disait la jeune fille
affectue usemen t, ne pense plus à cet individ u, dont le nom
même sera dès demain sorti de ma mémoir e comme de la
Herme. C'est un mauvai s rêve qui est fini. Je reste près de
toi, et tu verras comme nous serons heureux:.
- 11 a osé, osé douter de toî, de ton honneur , ma chérie 1
Ah 1 me p3.l'donneras-tu d'avoir été aveugle à ce point
pour avoir, un jour, accepté de donner ta main à un
pareil goujat.
Le comma ndant faisait visiblem ent effort pour parler,
mais l'on voyait qu'au fur et à mesure de cel effort, la vic
lui revenaiL.
Lorsque Nounou arriva avec le flacon d'éther, il était
presque tout il lait bien.
- Ça va, mainLenant; viens avec moi raire un tour dans
10 'jardin, Christia ne; je crois que de marche r un peu me
remettr a complèt ement, j'al bosoin d'air.
Et passant son bras autour de celui de la jeune fiUc, il
descend it avec olle vers les allées .
Une demi -heuro après, ils se pl' omenaie nt eIlC01'0, car si
c'était la derniùre fois qu'il lui en parlait, le comma ndant
a vait tenu il raconLer pal' 10 détail ù Christia ne toute la
convers ation qu'il avaiL ouo avoc de Jouve quelque s
minutes avant.
La mauvais e foi do l'ex-fian cé y avait été évidento , et
SOli insisLance n. l'édnmo r au eoruman (!ant
de Serman o
uno dot pOUl' la fClIIme qu'il finiL toujourfl jusque là protendu épOuser pOlir clip, plu!; quo ré\'oHa.nte. Sm'Lout
sachant qu'il Hait impossi ble a 1'0 lTi ci er de réaliser
quoi que ce fût acluelle menl.
Je l'Cil prir, ne le tracasse pus, papll, di--;ail
�LE LIEN VIVANT
65
Christiane, c'est fini, rayé, classé. Ai-je l'air d'avoir du
Chagrin? Non, vois-tu, je me rends bien compte, maintenant, que je n'ai jamais aimô AJbert; les événements
lvaient été plus forts que moi et, sans doute, est-ce par
faiblesse que j'avais accepté d'épouser ce fiancé qui, au
Tond, ne mo plaisait pas .
- Je crains bien que tu ne dises cela pour m'enlever
les derniers regrets qui pourraienl subsister en moi,
Christiane, reprit le commandant ...
- Mais non,' je t'assure, papa, cette épreuve me sera
au contraire très salutaire; je saurai dorénavant discerner
un vrai senliment d'une acceptation passivo. Je saurai
reconnailre où est l'amour ...
Et dans une douce intimité, ces deux êtres rapprochés
par la bourrasque passéo conlinuèrent de deviser uno
Partie de l'après-midi.
- Tu me permets bien d'aller chercher Jacques, n'esLCo pus? dit soudain la jouno fille à son pèro.
- Qui ça, Jacques?
- Mais le pelil, liens, je vais mellre sa corbeille
dehors, en atleudant de recovoir son chariot alsacion qui
sera très commode pour 10 promener dans le jardin.
Ello partit dans lu direclion do la maison, landis quo
lUi, encore un peu oppressé ct 10 cœur lourd do tout le
poids de su vio, ne suvait s'il dovait se r6jouil' de l'al'l'iv6e
de col enfant duns la maison.
N'allait- il pas compromeLlre sa fille eL l'idée qu'avaiL
ouo de Jouve, d'auLres ne l'auraient-ils pas?
Non, il faliaH être un Hre pervers comme lui pour Nro
31Oeur6 pal' un LoI soupçon. Christiane élait au-clessus do
PUrci18 commenlaires.
11 no vit donc plus dans ceLLe pelile chose palpitanLe
lomb6c du ciol pour êlre rocueillie par 0110 qu'un d6rivui if
!i
�66
LE LIEN VIVANT
et une saine occupation qui lui feraient vite oublier sa
récente déception.
Un sourire radieux éclairai t en eftet son visage doré,
lorsqu'elle arriva auprès de son père, le bébé dans ses
bras, tandis que « Nounou » la suivait, chargée de l'inévitable corbeille à linge ...
- Maintenant, ménage à trois, mon petit papa, dit-elle
en éclatant d'un rire frais ...
CHAPI TRE VI
DÉl>ART S.
Environ deux mois après ces événem ents, le comma ndant de Serman e qui n'avait cependa nt ressenti aucun autre
malaise depuis l'alerle du mois de juillel, le jour de la
rupture des fiançailles de sa mIe, se réveilla le malin,
secoué par de violents frissons.
lllui fut impossible do sortir de son lil, el, Chrisliane,
accourue en hâte auprès de lui, conslat a qu'il élait en
plein accès fébrile.
Il ne pouvail définir lui-mêm e d'où il soufirail, mais
un très grand abattem ent ct une véritabl e prostrat ion no
furent pas sans inquiéte r très vile la jeune nUe qui nt
imm6d hlemen t domand er le docleur .
Au chevet du malade , celui-ci ne laissa pas paraltre SOli
opinion, mais aussilôl sorti de la chambr e, tandis que
Christiane l'accom pagnait dans le bureau de son pt'Jre. KHn
de pouvoir y rédige,· uné ordonnance, il ne cacha pas qu'il
considé rait Je càs du comma ndant comme aS5e~
alarmanL.
Un cœUl' usé, une circulation du sang des plus défectueuses le moltaie nt dan~
des condiLioOi de résistance
�LE Lli
VIVANT
G?
lout à lait insuffisantes pour iupport er le point de congeslion pulmon aire constaté à la premièr e aUiumltation.
- Je vous recomm ande de veiller à ce qu'il y ait le
plus grand calme autour de lui, Mademoiselle, ne le quittez pas, ou tout au moins le moins possible .
- Redoute riez- vous quelque chose, docteur , questio nnait
Christiane qui n'osait prononc er le grand mot de départ.
- Tout est il cr:ündro avec un cœur comme le sien,
pourlan l, no vous aITolez pas, mon enfant, avec des soins
éclairés comme vous ne manque rez pas de donner à
monsiour votre père, il peut très bien arri ver à so sortir
de là .•. Jo reviend rai cc soir.
Machin alement , olle accomp agna 10 docleur Moroau
jusqu'al l cabriolo l qu'il uvait laissé sur la roule.
Sans êlre lin ami de la famille, il connais sait les di
Serman e presque depuis leur arrivée dans la région, mais
il avait ou très peu J'o casion de v nir à la ProlJidellCe la
sanlé du père t do la fille ayant toujour s él6 parfaite .
Les quelque s maladie s d'enfan t que Chrislia ne avait
eucs avaient élé soignées par« ounou» presque sans
l'aide du médecin , cl depuis de nombre uses annéei, il
n'avail franchi ce 6 uil, où la jeune flllo le quiltait
il.lljourd'hui inquiùte l préoccu péo.
- Alors, du calme, surtoul du calme, recomm anda-t- il
Une dernièro fols avanl de moltro son moteur en marche .
ChriiUano ncquie6ça d'un signo do Lilto ot, des lurInes
ÙUllJlles yeux, regarda parli!' la petile voiLure qui disparUl blenLôt au pl' mi or lournan l du ch min.
Le cOmma ndanl do S rJTluno rendil son Ilmo à Dieu cinq
iour, après les promièr s allaque s de la malildie.
l!la1il'é tOUIl les efTorLR du doc:lQur More u\ Ics aoini
attenLirs al dovouos de sa nlle qui rerusa de sc coucher une
�G8
U: UEN V[V ANT
seule minute pendant ces longues journées et plus encore
ces longues nuits angoissantes, malgré surtout la lutte
désespérée qu'il soutint contre la mort, celle-ci remporta
la victoire et l'abattit, on peut dire, en pleine vigueur et
en pleine force .
Lorsque le docteur avait décidé de dire à ChrisUane
que tout était perdu et que la seule chose il souhaiter
était de parvenir à éviter au moribond les dernières souffrances, par des piqûres de morphine, elle était restée
comme atterrée.
Elle ne pouvait concevoir que ce jour allait arriver où
dIe se retrouverait seule dans celle grande propriété de
la Pt;OlJùleflC/:, seule pour diriger sa vic.
Comme elle sentait maintenant l'adoration complète
qu'elle avait pOUl' son père, un peu di.'i tant, un peu autoritaire ceries, mais si bon. De quels sacrifices n'aurait-elll'
pas été capable pour lui Caire plaisir ou lui éviter un
souci 1 E ll e avait bi Jn accepté d'épouser lin de JOuve,
IIlliqUp.Ifient pareo qu'il avait pen!ltl que c'était hien 1
Penùant le3 longue~
heures de veille, a l or~
qu'eUo
(·ntandait encore la respit'alion saccadée de celui qui,
bientôt, alla it s'éteindre, olle songrait ù tout ce qui
l'avait atteint profondément depuiR quelques semaines el
qui avait sans doute altéré sa santé: cl'ahord ce~
pertes
d'argcn!., mais davantage encore l'alTront (h~ de Jouve.
La jeune fille n'était pas loin de croire que lu scène vioh-ntp qlli avait eu lieu il .Y a deux moie; était la Caus('
['colle de l'insuffisancc cardiaque ùont Son père soul1rait
actuelJem nt.
mIl' rendait donc responsablo son cx- fiancé d'avoir
abrégé ses jours et elle qui, jusqu':\ prés('nt, n'avaiL P:1S
connu la haine, ~c mit à d6Lcslcr ccl homme de Loutl's I!l'~
Corces.
�LE LIEN VIVA NT
ue, elle revo yait
Dans sa demi-somnolence et sa fatig
la dernière fois sur le
ses larges mains aperçues pou r
e de son père jusq u'à
volanl de l'au to grise, serr ant la gerg
cc que la mor t s'en suive.
El elle se pren ait à mur mur er:
- C'est lui, c'est lui qui l'a tuél
ns sur ses yeux,
Elle pass ait alors ses prop res mai
n et se levait pou r se
comme pou r chasser l'aITreuse visio
rapprocher encore du lit du malade.
se tour ner vers elle
De temps en tem ps elle le voyait
ssance émue et de sin,Hec une expression de reconnai
i:ère grat itud e.
it été presque doux
On ava it l'impressioll qu'il lui aura
la main de sa fille, s'il
de quit ter cc monde la main dans
n embrouillée qu'l llui
n'av ait été préoccupa pur la 5itualio
biss ait.
Plus qu'embrouillée,
Situ atio n embrouilJée, certes.
dillicile.
n'av ait pas tout dit à
Car le com man dan t de Sermane
Chrisliano.
t dû dernièrement
Il ne lui avai t pas dit qu'il avai
pOUl' laire face à
hyp othé quer la ProçideT!t;C et que,
s do la b '1n'!lIo, une
certains engagements pris vis- à-vi
rest aien t il VU· ' Ill été
granrle parl ie des titre s qui lui
vendus.
prochaine, no so parLe pau vre homme, ùev ant sa fin
t désespéré à la ponsée
donnaiL pas cetl e défaite el il étai
des delte;; - heu reudo laisser Chrisliane, non pus avec
ino dérisoire, lui persoment[ - mais avec un patrimo
te viJ parcimenieuse
met tant à peine de vivre, d'une peti
3t ralentie.
ouciance, il alla it
Il S'o.ccusait de négligence et d'ins
, pou r n'av oir vu vrai presque jusq u'à dire d'incapacité
�70
LE LIEN VIVANT
ment le danger de sa situation que lorsqu'il était trop
tard pour y remédier.
Il ne voulait pas admettr e que souvent les événements
sont plus forts que les hommes et que bien malins sont
ceux qui prétend ent être toujours mallres de leur destin.
Lorsque Christiane se retrouv a seule pour la première
fois, après ces douloureuses journées, elle fut prise d'une
immense lassitude.
Des amis de la région, deux ou trois compagnes,
jeunes filles comme elle et qu'elle aimait bien, le docteur
Moreau ct sa femme, le curé de la paroisse, lui avaient
témoigné une sympathio réelloment très touchante ct à
laquelle cHe avait été très sensible.
Ils avaient tonu à ce qu'clIc no fût jamais seule devant
son chagrin ct elle leur en avait su un gré infini.
Des cousins éloignés de son pOrc, avec lesquels il avait
perdu tout conta t avaient bien été prévenus de la mort
de leur parent, mais invoquant los distances, les alIaires
absorbantes, leur état de santé, aucun ne s'ôtait
dérangé pour venir jusque dans la Somme, qu'ils paraissaient considérer comme le bout du monde.
C'ost donc entourée do ces quelquos per.,onnes aITectueuses mais non intimes qu'ello traversa cette rude
épreuve de la séparat ion brutale avec l'lltre qu'ello avait
le plus aimé.
- Vois-tu, disait-clle pourtan t à la vioillo Juliù, tous
mes amis sont charma nts, mais aucun ne mo porL•.' un
véritablo intérêt. Si jù ne t'a vais pas, ma bonno N O\:IDU,
je pourrais facile~nL
diro quo je suis soule au monde.
MUe Christiane pout êtro sûre que, mainten ant, noUi
ne la quitterolll jamail.
- Tu es ma vraie maman , dilllit oncore la jeune OUe,
�LE LIEN VIVA NT
71
rrice qui pleu rait comme
en emb rass ant avec eITusion sa nou
Je ne tiens plus à rien,
elle. Toi seule me ratt ach e à la vie.
ce n'es t à toi.
ni à ce pays, ni à celt e maison, si
nou, qui sava it bien
Nou
t
enai
repr
- Et à peti t Jacques,
sa jeuu e maîtresse sera it
que c'éta it par lui surt out que
ement.
sauvée de la tristesse et du décourag
...
vrai
t
c'es
ues,
Jacq
- Et à peLit
Peli t Jacques !
de troi s mois, qui
Il étai t mai nten ant un beau bébé
Christiane en étai t
commençait à faire des riseUes.
pou r elle le hav re de
absolument folle et il alla it être
où elle se déb atta it.
secours dans la tem pête morale
ne se sera it séparée de
A aucun prix , m:lÏntenanL, elle
qu'il ava it été placé
lui. Il lui semblai L, plus que jamais,
de la Providence et elle
aup rès d'elle par un dest in secret
fleuriraient ses plus
senLait obscurém ent que pal' lui
gran des joies.
, en le serr ant bien
Lorsqu'ello le pren ait dans ses bras
it encore se pose r sur
fort, l'enfant don t le rega rd ne sava
it, croy ait-e lle, une
rien d'au tre qu'ell '), l'en fant ava
elle elle lisai t non seuexpression extraort:ina ire dans laqu
nnaissance, mais auss i
lement de l'alT ection et de la reco
une prom esse .
dire qu'e lle s'illusionEn cela, n'im port e qui eût pu
ot âge n'ex prim e rien,
nait , car le visage d'un enfa nt de
sa LisCadion d'av oir un
si co n'os t la faim, la peu r ou la
t animal.
estomac bien rem pli, comme un peti
munion inso upçonnée
A moins qu'il n'y ait une com
s sont pure s, comme
ontro deux êtres, lorsquo lours nme
fils ado ptif 1
c'éta it 10 cas de Chris liane ot de son
e des peti ts cnIa nh
Mais cela, nous l'ignorons, l'âm
in secr et don t nul ne
élan t une chose mystérieuse, un jard
o.
peut se van ter d'av oir forc 6la porl
�72
LE LIEN VIVANT
A quelques jours de là, un monsieur d'une quarantaine
d'années, une serviette sous le bras et des JOI'g nons bon mal'.
ché sur un nez trop long, demanda à voir MU. de Sermane.
LiseLte le nt entrer au salon et prit la carLe qu'il lui
tendait de ses mains gantées de filoselle noire.
Lorsque la femme de chambre la lui r emit , Christiane
y put liro le nom tIe M. Germain, directeur de la
banque privée H., Amiens.
D'un imperceptible mouvement des lèvres, elle exprima
sa contrariété. IWe n'avait pas encore osé songer sérieusement aux questions d'intérêt qu'elle pressentait
devoir être très compliquées pour elle.
Chaque jOjIr, elle prenait bien de bonnes résolutions,
décidant d'aller le lendemain à Amiens pour s'entretenir
avec le direcleur de la Banque, afrn de voir lair dans sa
situation peu brillante, mais chaquo jour au.ssi, elle remettail co petit voyage qui lui coûtait terriblement d'entre_
prendre.
Puisqu'on venait jusrru'.i elle, cela lui 6viterait, POur tlne
Cois du moins, celte corvée.
Lorsque ln jeune nllo pénétra dans 10 salon. 1\1. Gel'l11ain y
était ('11 lrain d'admirer les gravures ancÎl'l\p 'S qui ornaient
les murs.
-
Bonjour, Monsiour, dit-cHe froidement.
Sur un ton faussement ému, 10 directeur de la Danque
préscnta il 1\1110 de Sermano dos condoléances embrouillû<'H,
dans lesquolles on sen lait plus d'aJTuctaLion que de senlimont sincôl'e.
- La morL de Monsieur voLre pèro m'a causé d'auLant
plus d'émoLion, Madomoiselle, poursuivit-il, qu'ullo malchance pari~st
vraiment 10 poursuivre depuis qUOique
temps. Il n'ôtaiL pas une ulTairo il laquello je LOuchais
pour lui, qui Ile subît une d(:pression d(:sasLrcusc.
�LE LIEN VIVANT
73
- La prudenc e exige parfois de ne toucher à rien, Monsieur. Mon père vous avait-il confié son capital pour spéeu1er, ou simplem ent pour lui éviter le souci d'une gérance
qu'il jugeait être bien placée entre vos mains? Il est trop
tard pour revenir en arrière , mais ne vous reproch ez-vous
aucune imprude nce?
Ces mols avaient été dils d'un lon si Iermi que l'homm e
de bourse crut y devinor uno menace d'acousation.
Il lova sur l'enfant on robe noire qui parlait avec tant
de clairvoy ance de grands yeux candide s.
- J'ai toujours tenu M. de Sermana au courant de mes
faits et gestes et n'ai l'ion fail sans son autorisa tion, dit- il,
bon apôlre.
- Mon père avait confiance en vous. Jo voux bien croire
quo vous n'en avez pas abusé . Je désirera is seuleme nt savoir
qu'ello est oujourd 'hui la situatio n oxacte dans laquelle
je me trouve et sur quels rovenus je puis compte r. Je tions
absolum onl à liquider' au plus vile los arriérés de
banque, el à me lrouvor bif'nLôl devant des réalités et non
des prévisions.
- Los réalités, je suis malheureusemenL à mùme de vous
hs faire entrevo ir dès mainten ant, Mademoiselle. Volre
proprié té hypothé quée couvre à poine volro débit en banque .
Vous allez devoir 1 \ liquider pOUl' éviler la catastro phe ...
Clll'isliane oul un léger lremble ment.
Se séparer de la Pro vide/lce 1 la maison qui l'a vaiL
vu grand ir, où elle avait vécu presque vingt ans, heureus e
avec son chel' papa 1
Lorsqu'clio avait dit il Nounou qu'clIo ne tenait plus à
rien, ni à ce pays, ni à colle maison, Il :l.Vail-ello pas
menti 1
L'idée de devoiJ' vendre ce toit sous lequel reposai t
ùncore, il II avait à poine huit jours, la dépouille do son
�74
LE LIEN VIVANT
père, la tortW'ait maintenant au plus haut point ct dIe
se sentit prête il éclaler en sanglots.
Elle se retinl devanlle regard résolument vide d'expres.
sion du directeur de la banque.
Ah 1 celui-là devait avoir quelque chose sur la conscience
pour, dans une circonslance pareille, no pas comprendre
l'angoisse dans laquelle il venait (je plonger la jeune
fille.
- Je me déciderai il cc qu'il faudra, dit-elle lentement.
Pensez-vous que je trouve facilement acquérour pOUl'
la proi(~lé?
- Il ya f( Belques mois, bien avant la mort du commandant de Sermane, c'est-il-dire alors qu'il n'élait nullemenl
question pour vous de quitter celte ruaiRon, un de mes
clients qui savait que je m'occupe aussi de ventes et d'achals
d'immeubles ...
- Ah 1vous vous occupez ...
- ... m'avait foit savoir qu'il sl'rait évenluellement
acquéreur de la Providellcc si olle VCIl I.1 Îl lA èlre venduo un
jour ... Jo pourrais savoir s'il osl dans les mùmes disposilions .. .
- Quel o., tlo nom de volre client? demanda Christiane
qui ne compr nait pas qu'on se portât acheteur d'une
propri6lé qui n'élait pas il vendre.
L'hommo parut hésiter.
11 senlit qu'il était entrainé malgré lui sur un terrain
IJeu sûr.
-
l·omen~
Cela vous importe peu pour 10 momont, Mndomoiselie,
. oJlS
pal' nous occupaI' des valours, d'uccord aVec
le fisc qui vu uevoir me LI 1'0 le noz dans Vil tro SIICCCl:!sioll ;
pour la propri '·té on verra aprèsl
- Je liens ù suvoir', avant toule anLr'e chosl', lu nom d,'
l'homml' qui, il v a plusieurs mois, J)urlu d'uf'heter /u
�LE LIE N VlV ANT
75
Providence, s'obstina la jeune fille. Je vous en prie,
Monsieur ...
- C'est M. Albert de Jouve, directeur de la ...
- Inutile de décliner ses titres et qualités, reprit-elle
vivement, tout à coup rouge de colère. Je ne les connais
que trop. Sachez, Monsieur, que je ne vellX absolument
rien avoir de commun avec M. de Jouve . .
Le voile se déchirait.
Elle comprenait maintenant comment et par qui son
ex-fianc6 avait été si bien renseigné sur leur changement
de situation, à son père et à ello, et à quel point les deux
hommos était do connivence.
Elle pensa à son pauvro papa trop confianl, trop distrait
surtout, dont ces deux loups malfaisants avaient oxploité
la bonne foi eL la malchance.
Ah 1 ils devaient bien, tous les cleux, y trouver leur
profil? No serait-ce pour l'un que le faiL d'avoir bientôt
la Providence au prix d'un morCéau de pain et pOUl'
l'autre, l'intermédiaire, l'aigrefin, celui de loucher, su!' la
vente future, la forte commission.
Un gr(l.nd dégoût envahissait Christiane, révoltée par
ces combinaisons cupides cl malpropres.
1!Jlle se leva.
-Je vous l'omerci ù • Monsieur, de vous êtr dérangé
pour vonil' jusqu'ù moi, mais je Rais qu'un" autre» vous
paiera co déplacement. Je vous demando dorénavant do
me tenir au couranL par lettre de cc que vous foroz, ùur je
préfbre quo vous ne romottiez pas los pieds ici, lant quo j'y
sOI'o.is. SurLout, fuiLe diligonce ' cl que nous en fin~
sion!!.
Tout cala avait été prononcé d'un ton 80c qui n'admet.
de l'êpHquo.
Cltri!tiano vonait de e8 révéler, énergique at forto,
f ait pas
�I.E LIEN VIVANT
77
et avec le pré qui est autour, y a de quoi faire un joli
jardin. Y a de quoi aussi avoir un beau potager , une
chèvre et des poules, et puis Mâcon est tout près, où tu
pourras écouler tout ce que tu voudras , si on se mêle de
'devenir fleuriste -horticu lteur.
J oseph regarda it sa femme.
Elle s'échaulTait, s'échaul IaH ...
- Tu vas partir pour le pays demain . Après tout, il y a
au moins dix ans qu'il n'a plus de bail, notre locatair e, et
qu'il nous estampe ! Donne- lui son congé. Il y va du bonheur de la petite, je crois qu'elle peut être h eureuse làbas.
- Et le gosse? risqua Joseph conquis par sa
femme.
- On l'emmèn e, bien sûr, tu ne voudrai s pas qu'on le
laisse là. Christia ne ne voudrai t d'ailleu rs pas s'en
séparer .
Et Lous les deux pensèrenL au pays, au pays qu'il~
avaienL quitté depuis vingt- deux ans, et qu'ils n'avaien t
jamais revu. C'était là pourtan t qu'il s'éLDient cormus, que
leurs paronts ôlaient mOI'ts. Ils avaienL Lout oublié parce
qu'ils étaient de celle race de serviteu rs qui s'attach ent à
leurs maUres commo 10 liorre à son arbre .
Mais mainten ant, ils so souvena ient 1 La maison des
paren ts, simple, maiscon venaLle , éLaitlà, depuis longtem ps
aux mains do locaLaires inconnus. Elle a llait redeven ir leur
Lien, Christiano J'D rrangor ait, prendra it les meubles
qu'elle voudrai t. Elle serail chez eux, certes, mais si l'Ile
acccpt:liL, c' st bien encore eux qui seraien t ses obligés 1
E lle accepla ,
Comme elle avait hâle, mainten ant, de voit' se termine r
s'élernisaiL 1
lou.lc celle SUCc9SSiOn qu~
�76
LE LIEN VIVANT
c'était son second contact avec ta perversité des
hommes.
Les armes n'étaient pas égales et elle se savait vaincue
d'avance, mais eUe av ail la satisfaction très grande de
n'avoir pas été dupe. Elle avait les yeux grand ouverts
sur les machinations qui se tramaient autour d'elle, et
elle n'eut plus qu'un désir: fuir cette bourbe.
Hlui faIllit presque deux mois pour liquider la succession de son père.
Aussitôt après le départ de M. Gcrmain, elle était alléo
trouvor Julie et Joseph pour leU!' confier son chagrin et
leur expliquer qu'il faudrait bientôt quitter la Pl'oilidellce.
La ponne Nounou, désolée, n'avait presque rien dit, mais
lorsque sa maîtresse l'eut quittée pour aller s'OCcuper de
Jacques:
- Joscph, avait-elleclil, cetLe potite ost UII peunotre fille.
Ce ne sont pas ses cousins qui s'ell occuperont, n'est-cc
pas? Eh bien l c'est le momont de montl'cr qu'on a du
cœur ot qu'on sait changer sa vie pour co qu'oll aime.
- Qu'cst-ce qu'on peut fairc, nous, pour clio? !lÜ'il SÙI'
que je ne demande pus mieux, mais l'aut pouvoir,
- Écouto, Joseph, nous no sommes pas sans rion, nous
avons fait pas mal d'économies dopuis quo nous somnt f'S
au service du commandant de Sermano, ça pourra toujours
servir à quelque choso. El puis, nous avons un r
maison ...
- Ello rst vieille ... reprenait J osoph.
- Pas si vieille que ça 1 Bien sûr qu'il y a vingt ans
qu'on y est allô, continuait" Nounou» 'lui avait l'lon idée,
mais tu comprends bien qu'il no faut pas so fairo l'ouler
indéflnimcnl. Six cents francs par an depuis vingt ans,
faut ôtre des poires. CoLto maison a six pièces, quo diable 1
�78
Li: 1.lIlN VIVANT
Enfin, tout finit par s'éclairc ir . La PrQjJiden~
.fut
vendue à un monsieu r inconflu, qui n'é tait autre qU 'lln
homme de paille payé p ar de Jouve . Christia ne ignorla
!lone en partant que ce qllÏ avait élé son nid' allait être
occupé par un vautour . Elle ne l'apprit que plus t ard, au
momen t où cela n'avait plus aucune importa nce .
Tout liqu idé, y compr is les meubles auxquel s elle ne
t enait pas -" cllo n'emp ortait que sa chambr e ct quelques
sièges et Libelo ls d e salon - il lui restait encore un tout
petit avoir dont le revenu lui pormett ait de ne pas être
complèt ement ilIa charge du ménDge Bourde t. Elle av aiL
bien l'intent ion, d'ailleu rs, si la chose était possible ,
d'augm enter ses revenus , un jour, par un lravail quelconque, car elle n'avai t p as de ces préjugés qui iuler disent aux jeunes Illles de son monde de gagner lenr
vi e.
L e très Iln laIent d'aquar elliste qu'ell e cullivaiL en
ama Leur d pu i ~ de nombreuses années lui perm ettrail
p eut- GLrc, avec de la p ati nce , do p a rv ~ nir
il un" certaine
notoriéL6. E n atLenda nl , ello p ourr ail donner des leçons
de dessin.
Enfm. 10 jour du départ arriya _
Éreintée p ar les prépar atifs ùu déménage ment , déprimo e
par le chngrin do laissor la vieille demeur e, c xc 6d ~ e pur
I Ci! derniàrcs formaliL és cL les o n ~ r ev u cs
inévilablos qu'elle
avait dû av oir avec Germ ain. malgr é son violenL d é~ ir de
n' avoir pl us jama is a ITniJ'o 11 lui. ChrisLia na quitla la
Pro"ide llce comme une somnam bule ou uno femm e
sous l'orreL d'un slupéfia nL. A quelqu es jours de là. oll e ne
se rappela il presque plus les dernières heures vécues ùans
la ch èr e maison.
Et c'é Lail mieux ainai.
Nous avons par{oÏl; do ces c rûces d'é l ut qui nOIl '! p e l' -
�LE LIEN VIVANT
79
mettent de nous arracher au pass6, sans laisser, dans la
tourmente, toutes nos forces vives, et de garder, malgré
l'épreuve, assez de faculté d'émotions pour sourire, l'heure
venue, à un nouveau bonheur.
�DEUXIÈME PARTIE
CHAPITRE PREMIER
Iœ
REFUGE.
- J acques, sI tu recommences, maman va gronder très
CorL ..
Mais l'enfant, loiu d'ôLre contrit, se hissa au contraire
sur la pointe des pieds pour atteindre un superbo dahlia
jaune.
Satisfait d'avoir réussi à le cueillir, il le jc.igniL à trois
ou quatre œillets qu'il tenait déjà dans la main et s'approchant de Christiane qui cousait à l'ombre d'un lilleul :
- Mais non, maman chérie, Lu no me gl'ondoras pas, je
sais bien (jUO tu les aimes, les fleurs, oL c'est pOUl' to fairo
plaisir que je L'en apporto .. .
- Cela no me fait pas plaisir puisquo je to défonds
d'y toucher, et que grand Joseph Le Jo d6fond oncoro
plus.
- Alors, pour quoi c'ost fairo, los fleurs?
- C'est pour vendre ...
- Jo 13ais bion, mais pas toutes, il y on a bien quo tu
dessines? Nounou en prend aussi pOUl' mettre dans ta
�81
Ll'I LIER VrvANT
chambre ou duos celle de M. Philippe, alors pourquoi n'y aurait-i l que moi qui ne pourrai t pas en
cueillir?
- Tu est un pelit ,raisonn eur et je te défends une fois
pour toutes de couper les plus jolies_
L'enfant baissa sa tête blollde ct, prêt à pleurer, s'avança
vers ChrÏl!tbne :
- Prends-les tout do même, va, tu les feras sécher
puisque ce sont les dernière s ...
- Les dernière s?
. - Mais oui, puisque mainten ant je serai olléissanL ..
cause de la dis::ussiotl,
Chris bne priL le petit bouqe~,
sa sur lajoue ferme,
et,dépo
garçonn
le
olle
et at irant ver3
Ilion.
i
réconcil
ùe
e
n
g
i
~
baiser,
un gro~
étaÎL à peine achevé que la jeune flUe enLenCe (blogu~
dait ùP['lière elle une voix masculme ql1i lui dÏ3ait, d'un
ton enjoué ;
- Qolle maman sévère, vous faites, Mademoiselle:
Se retournant, elle ap()rçut au bout d'une allée, et encore
il demi cOI' hé par des J'osiers en fleurs, 10 visage souriant
de Philippe Peyret.
- Pas si sévère que ça, Monsieut· Philipp e, il faut
bien quo je l'élève, ceL en[anl! à (' inq <:tns, il doit êLre
oMissanL ...
Il arri vaiL vers elle ot lui Lendit doux ou Ll'oiG revues
qu'il von ail de recevoir.
- Si cela pout vous inLéreflser, M:ldemoisolle, je pars
largement.
pour l'opràs- midi eL ml's pensée6 me ~UniRel
jusqu'à
nt
seuleme
auto
en
allor
compte
on chemin. Je
rcohe.
la
SUl'
pied
à
or
promen
Solulr6 el, là, rue
- N'oubliez pUR, à SoluLré, de boil'e du vin blanc et do
manger du r.'omage de chèvro, sinon jo dirai que
rieu ~ nolre région ; Lo Lemps ost
vous Il,) cornpe~z
6
�J.E LIEN VIVANT
83
kilomèLres de Mâcon, i.l ne restait presque plus personne
des gens qui les avaient connus autrefois.
Les vioux, contemporains de leurs parents étaient. morLs
depuis longtemps; quant aux jeunes, attirés par la ville,
Lyon en particulie"r, qui n'est distant que de 70 kilomètres,
la plupart d'entre eux avaient complètement oublié ce
couple, parLi depuis plus de vingt ans.
Leur arrivée n'avait donc pas camé un grand émoi
parmi les habitants occupés les uns par les travaux des
champs, les autres par l'entretien du bétail et des troupeaux,
très nombreux dans cette plantureuse région.
Si la curiosité avait été éveillée pendant quelques jours
par la jeune femme et. le bébé qui complétait leur famille,
elle s'était vite changée en une admiration sympathique
et silencieuse pour « cer,te pauvre demoiselle )) qui n'avait
plus personne au monde ct dont. l'histoire avait, malgré
tout, vile fait le tour de toutes les maisons, grâce il.
Nounou dont. nous connaissons par ailleul's la langue bip,n
d6liée, et toujours prôte il vanter sa jeune maîtresse.
POU\' Christiane, touto ondolorie encoro par 1l'5 chocs
successifs, les d6copLions et 10 chagrin, son installation
(~hez
les Bourde!; avai Lét6 plus qu'uno ùistracLion salutaire.
Bile avaiL opér6 chez elle une véri table rÔf;urrecLion.
D'abord, cela lui avait été une heureuse surprise de ne pas
lrouver - comme olle s'y atLendait un peu - une vilaine
maison san::; cachet ot jusLe on bOl'duro do route. Seule
dan::; un grand enclos, enLretenu par los anciens locaLaires,
mais que Joseph allait bientôt arr:mgor touL diff6rrmmenL,
la maison des Bourdet n'était en efTel pas mal du
lout.
Lu façaùo principalo, tonrn6e vors la pleine campagne,
d'un grand l>alcon auquel on accédait par
était naqu~e
un escalier cxtérielll', CP, qui donnait à la bâtisse un aspect
�82
LE LIEN VIVANT
clair, je crois que là-bas vous verrez les Alpes et le MontBlanc. Allons, bonne promen ade.
- Merci, Mademoiselle, j'espère qu'un jour vous voudrez
bien me faire l'honneu r de m'accom pagner pour m'aider à
découvr ir toutes les beautés de votre pays. Un de mes
amis doit venir passer quelque s jours à Mâcon très prochainem ent. A trois, ce sera m r' ins compro mettant . ..
Ce ne fut pus Christia ne qui répondi t, muis Jacques qui,
n'ayant pas perdu une parole du dialogu e entre les deux
jeunes gens, attenda it impatie mmont l'occasi on do placer
son mot.
- Oh oui, j'accept e, j'aime beaucou p l'auto, moi...
_ Mais il n'est pas questioll de toi, répliqua Chrisliane ...
_ Mais d, mais si, mon gl'and, si ta maman veul bien
nous te prendro ns aussi.
- Nous en reparler ons. Partez vi~e,
si vous voulez avoir
le temps de visiler, non seuleme nt le petit musée de 801utré, mais aussi l'ompla cemenl des fouilles préhisto riques
que l'on [uil SUl' lu Roche . Je VOUt; assuI'c que c'cst très
intéress ant.
Et, lendanl la main à Philippe Peyrel, clic lui dit
encol'o, gl'acieuse, ct un .flol de sang jeune aux joucs:
- Bonne promen ade:
Le jeune homme sc dirigea vers 10 modeste hangal' que
Joseph avait parfo.ile menl bien aménag é en garage el, ell
quelque s munœuvrcm, sortit un pelil cabriole l (jui, moins
ÙC dou minulps }Jlm tard, roulait pnislùl pmtlul ver~
l('~
piltoresqu~
collines du MlI.connaSll.
Lorsqu 'aprb le.a éV6nemenL du Ohu~d
de ce rl:cil, il y
avait environ dnq ans, Je m6nagc Bourde t ôtait venu se
r6iniltoller au pays, le pelil village de Varenne s. il dru x
�L8 LIBN ViVANT
85
mais nul no songeai t à se plaindre , chacun ayant compris
la voleur exacte des choses et la vanité qu'il y a il donnoc
trop de prix. à certains désirs.
Cepend ant Christia ne travaill ait toujour s S3. peinture ,
espéran t bien un jour parveni r à vendro quelques Loilos
ou aquarel les, Mais eile attenda it d'être un peu plus sûro
d'elle-m ême avant de so risquer à présent er dos œuvrel;
qui pouvaie nt, selon le cas, ou la lancer ou la coulol' d'uu
seul coup_
Elle « bûchait » donc avec paLience, montra nt vis-à-v is
d'elle-m êmo une sévérité oxtrême , mai.; qu'elle juscait
nécessaire à 50S progrès .
Pour ajouter des revenus à coux déjà existan ts et qui
devenai ont justes, du fait quo Jacques granùi5saiL, Christiane a vaU d'ailleu rs eu une heureus e iniliali vo, qui rcmonlait aujourd 'hui il trois ails.
- Ne crois-tu pa.s, ma bonne Nounou , avait-el le dit un
jour à Mme Bourde t, que nous pourrio ns, pendan t les
d'été, louor une chambr e à quoIque villl6-giaLurant '1
moi~
Des quaLro chambr es que nous avons au prenùe " nous n'en
occupons que trois, 'l'oi cL ,Joseph la premièr e, moi ct
Jacquos los doux suivanLes. La quatrièm e n'est actuellomont qu'un débarra s, mai'! un vaste débarra s quin'es t même
pas mansard é ot qui, une fois installé, ferait une tl'ès belle
chambr e, tout comme la mienne, dont elle esL d ailleul'S 10
pendan t:
_ L'idée ost bonne, ma chério, mais les Irais d'insLallaUon ne seront- il, pas trop élevés?
tu verras qu'avec un peu d'ingé- Ne t'in juiHe pa~,
niosHé on slE:n lire très bien. Je ne suis pas maladro ite et
je suis !lÜre qu'avec un peu d'argen t nous forons quelque
chose de trù, bion .
.EL, effectivement" elle s'Mail miso ù l'ouvrage, conrec-
�LE LIIlN V1VANT
rustique, mais plein de caraclère, qui avait tout de SUit6
plu à la jeune HIle. f Ue comprit tout de suite le joli parti
que l'on pouvait tirer de cet arrangement.
Il n'avait pas fallu, en effet, plus de trois mois pour
rendre absolumenl méconnaiss1.bles la maison ct 10 jardin.
Quelques coups de peinture, quelques travaux de menuiserie et surl.out une installation intérioure selon le goût de
Christiane qui avait emporté les plus jolis meubleE
de la Proliùlence, voilà pour la maison qu'ell ~ avait
tenu à appeler « Le Refuge », à cause de lout ce qu'elle
représentait pour elle et pour son petit Jacques.
Quant au jarùin, Joseph s'cn était chargé, puisque
c'était sa spécialité. TouL auLour du chalet, car cela
en élait un·ùu plus joli aspect, il avait tracé un charm anl
j:udin d'agrénvmt, dont les allées sablées et les mas~ir
fleuri:.; l'appdnieni, dnns des proportions plus restreintes,
le parc de la la Proliidenca. Au-delà de cc jardin, dans
10 grand torrain qui restait inoccupé, il avait pou à peu
aménagé des serres ct fait des plantations en vue d'augmentor les ressources du groupe par la vente ùes fleurs ct
des plantes.
En deux ans, cc commerce avait mûme pris des proportions auxquellos il 6tait si loin de s'attendre qu'il avait dU
s'adjoindre l'aide de doux jeunes garçons jardiniers.
Joseph 6tait maintenant onnu dans la r6gion. Tous les
fleuristes de Mfl.con so fournissai nt choz lui et il n'était
pas de propriél.aires ou chili elains environnant.s qui ne
vinssenl lui demander conseil pour la disposition de
massifs ou do pllües-bnndes.
L'argent rentrrut clone régulièremeut dans la maison quo
Nonnou dirigeait, de main de ma1Lre, 6vitanL à ChrisLiane
loui souci matériol. Une modesto aisanco remplaçait le
luxo de naguère, une sago oconomio pr "siùail à lout achai,
�66
LE LIEN VI'!ANT
tionnan t elle-mê me non seuleme nt rideau.... , abat-jo ur,
dessus de lit, nappero ns, mais faisant aussi le peintre et
le tapissie r.
Seul, l'achat d'un liL et d'une armoire avait été nécessaire, mais cette dépense avait été vite couvert e par cinq
mois de location , la premièr e année, il. lm vieux proprié taire
du pays, qui rabnit entièrem ent restaure r sa maÎ3on, et ne
voulait pas meth'e les pieds chez lui tant qu'il y avait les
ouvriers . Il avaiL égaleme nt une lelle horreur de l'hôtel
qu'il avait demand é aux Bourde t de prendre les repas chez
eux. Ils avaient accepté , car ce localair e était loin d'êtl'C
g(~nat,
ne venant là qu'aux heures des rcpas et le soir sc
relirant immédi atemen t dans sa chambr e ,
La seconde année, Chri3tiane et Nounou se demand aient
Hi elles auraien t alll:lnt de chance. Ce rut coLte lois un
jcune Anglais, attaché au directeu r des fouillos pr6hiSloJÏques de3 régions du CenLre qui loua pC!ldant trois mois
la petite chambr e sI hien in!tallée par Milo de Sel'lllanO,
Cetto mmée enfin, IJ.la suite d'uno un nonce dans Figaro,
cola a vait M~
M. Philippe PeYI'ot, M. Plülippo tout
court comme Loute lu maisonnée se plaisuj~
à l'appelo r,
lU :Jt il aV:Jit su metlre tout de suite ses hôtos ù l'aiso par
lia simplieü6 el su ré!5èl'VC p leille de bOIlne humeur
.
De sa porsortne, les propriô tairos du RefufIa ne ~a.
"nient pas grand'c hcse, si cc n'cst qu'il y vonait pour
faire une cure de soliLude. Quelques mols do Illi avaiollt
1>ulft pour faire compl'cnÙI'O Il Chri Ithne qu'cil) lItllit en
proSCllOC d'un garçon très raffiné, mlJiR SI!.IIS doute d'uo
rMnwll /ln rupture de moaél,ml'&" d~
hoi~.ué
d er;
IllflC1rtl
lwrueux cm mal. de tjlmpUclll:, d'un "-tri.
d8
!U'll
t1:lt'cM6 pAr trop de fldéll (, à. la ville luml!ro ct chcrchlltlt
une vraie ('etruitc de quclqurs moi , .
Le pel~
J :loques Il vait "ito ~L
très bien avec co S'rond
�I.E UEN VIVANT
87
camarade qu'il n'apercevait pas très souvent, mais qui
toujours trouvait le moyen de lui raconter quelque hisLoire.
Lorsque l'occasion s'en présentait, Christiane, de son
côté , prenait un véritable plnisir à s'entretenir avec cet
homme distingué cl li en élevé qui avait vite remarqué
chez elle une éducation ct une instruction infiniment
supMieures il celles de s :s parents. Car au début, Philippe
avait pris Christiane pour la fille de Jos?ph et de Nounou
t s'étaU imaginé qu'elle était veuve.
ù fut .Jaeques qui lui ouvrit les yeux dans un de ces
tète-b.-tête qne le peiiL malin savnit toujours provo·
quer.
- Pourquoi dis-tu Maùame ~l maman? Ma maman csL
Mademoiselle, lu sa is? lui :1Vait - il dit un jour, Il brûle pourpoint.
Un peu interloqué, Philippe a vo H. regardé l'enfant qui
le fixait nvec de gt'ands yeux clairs. 11 avait osé demander.
-- Et ton papa? Où est-il, ton papa?
-- Moi, je n'en ai pas. Tous les petils enfants n'ont paf>
ùe pnpa. Je suis déjà bien content d'avoir une mnman.
Pl1ilippe n'était pas plus avancé.
Jacques expliquait :
- J 'en ai même pre3que cleux, parce que Nounou 03t
aussi un pou ma moman puiSflU'dlo m'a trouvé .
- Et lu les aimes bion tou' cs les deux?
- Oh 1 oui, surlout ma pe l ile maman parce quo c'0:1l
elle qui s'occupe do moi et qui m'embrasse , cl qui me fuit
faire ma prière.
_ Elle esllonguo, ln pdère? reprenn it le jeune homme
intéress6.
_ Oh non: ,( Pelit J6bllS, failes-moi .levcni!' bien sag.c'
l'l bénissrz Grand Joseph, Nonnou, petite maman. Proli!g€:
mou papn ('l ma maman.
�88
LE LIEN VIVANT
« Je ne peux pourtant pas en avoir trois mamans, dis;
petite maman, Nounou et une autre? »
Philippe n'avait pas laissé Jacques continuer dans cette
voie, mais peu de jour,; après, il avait su par Nounou
toute l'histoire de l'adoption du petit et les circonstances
qui avaient décidé Christiane à suivre ses serviteurs en
Saône-el-Loire, alors qu'elle habitait précédemment la
Somme.
Cela l'avait laissé rêveur et ce soir-là , si la jeune fille
avait eu la curiosité de regarder le rai de lumièro sous la
porte de la chambre de leur pensionnaire, elle eût pu voir
que l'aube n'était pas très loin de poindre lorsque lt ~ lectrj
cité y avait été éteinte.
CHAI' 11'RE Il
AUTRES COl'iFIDENCES.
Ces confidences de Jacques et de la viville Nounou, en
eiTot, n'avai ent pas été sans émouvoir Phi ippc Peyret qui
se rappelait d'autres conOdellCCg, laites un an aupar<lvant,
dans des circonstances qu'il peut êl rl.' utile de mentionner
iei,
Lors d'uno oxcursion en montagne, ùons le massir du
Mont-Blanc, le Ila!;ard lui a,'ait donné commo compagnon
de route un alpiniste, M. Leguorn qui, comme lui VOulait
faire l'ascension <10 l'aiguille d'Argentièro, So son ant Sûrs
d'eux-mllmes, ils avaient décidé qu'ils so passeraient de
gtlÎùo. MUniS de pioiets eL de l;ordes, ils élaient pal'lis
ensemblo, sans se onnallre - ou à peine - mai!! rapprochés par cc même amuur ùu danger,
�LE LIEN VIVANT
89
Une tourmente de neige les dvait surpris et, au prix de
mille difficultés ils avaient pu revenir au refuge do
Salevaz où ils avaient dû séjourner trois jours à peu pl'ès
sans vivres.
Une solide amitié peut na!tre de pareilles angoisses
vécues ensemble. Philippe et son compagnon, qui n'a vaient
pas attendu la tourmente pOUl' se présenter l'un à l'autre,
se laissèrent aller chacun il parler d'eux· mêmes. Et c'est
ainsi que Philippe avait appris que Guy LE'guern était
l'inventeur d'un nouvel appareil: l'autogyre, ressemblant
ù l'avion, mais ayant su'!' lui l'incontestable avanlagCl de
pouvoir s'envoler et atterrir perpendiculairement au sol.
Il pouvait être en particulier très utile pour relever des
altitudes ou opérer des reconnaissances dans la haute
montagne. De cette obligation de bien connaitre les sommets pour la mise au point de cet appareil était né, chez
Legu l'rn, son amour pour l'alpinisme.
Lorsque deux hommes intelligents sont ainsi rapprochés
il s'ensuit des échanges d'idées et de vues à n'en plus finir,
Philippe et Guy, tous les deux à peu près du mème âge,
trente-cinq à trcnte-Bix ans, s'en dirent plus long en trois
jours f)ue bien ùes amis superficiels dans toute une vie.
Le soir du troisièmo jour, aucun dos deux n'avait crprndant parlé do sa vic intime ct privée, mais vers neuf
heures du soir, Philippe avait vu son compagnon pillir.
que nous
_ Pour combien ùo temps croy~'7.-VOUS
sommes ici? J c me sens à bout do forces, mon ami, a yaitn dit, prùt à d6fai Il il'.
_ Je n'ai jamais vu quo dos tourmenles de nelgo
durassent plus de trois ou quatre jours, nous devrIOns ml
voir la fin, avail répondu Philippe qui observait son IIUU
vel ami.
Et il avait été tl'à:;
SUl'pJ,jS
d'entendre celui-ci lui dire:
�90
I.E LIEN VIVANT
- Écoutez-moi, je ne sais ce qui peut m'arriver, mon
cœur, malgré mon âge, n'est pas très bon. Voulez-vous,
si je viens à disparaître, rechercher mon fils ...
- Votre ms?
- Oui. Il a été séparé de moi par des circonstances
que je ne me sens pas la force de vous raconter . Il a
quatre ans, et doit sc trouver dans une propriété qui
s'appelle la Pro"ùlence, à quelques kilomètres de
Villeneuve-sur-Somme. Il s'appelle Jacques. Dans mon
portefeuille, vous trouverez un testament qui l'institue
légataire de ma Cortune présente et il venir, car je sais
que l'autogyre est un appareil merveilleux, appelé il un
retentissement mondial. C'est bien. le moins que le ni; de
son invenleur en profite ... J'auraiz une vengeanco aussi ...
Mais Guy Leguern n'avait pas eu le temps de nnir. Une
syncope venait d'interrompre ses confidences.
Philippe était parvenu à le ranimer a vac des frictions à
l'alcool et un sommeil lourd avait succédé à cette indisposition.
Fort heureusemont, le lendemain, des guides venaienl il
leur secours et il n'avait plus été queslion, sur la demande
de Guy, de ce qui avait été dit la veille .
S'adressant il Philippe, il lui avail alors par16 ainsi:
- Si VOliS le voulez-bien, mon ami, puisquo la Proviùenco me vient encore une fois en aide, vous oublierez la
mission dont je vous ai charg6. Diou vout sans doute que
j'ni le bonheur do retrouver moi-même mon ms lorsque
l'heure r;era vonue de 10 justice.
El Philippe aV;JiL r6pontlu :
- Je ne chercherai tt 6claircir le mystèro qui vous
enloure, Loguern, que si vous m'en priez il nouveau.
Sachez seulemenL flllC mon :tmili(, YOU, osl rtl'qlli'1" ...
lO\1jours.
�91
LE LIEN V1V ANT
Et, de fait, séparés dès le lendemain par leurs occu pations personnelles, Guy n'avait pas oublié PhilIppe
qu'il entretenait, dans des lettres assez rapprochées,
envoyées de son usine du Var, des progrès de SOn appàreil, déjà breveté et en pleins essais pratiques, pas plus
que Philippe n'avait oublié Guy, auquel il raconlait
ses premiers succès littéraires et sa vie parisienne de mondain intelligent, dénué de snobisme et de vanité.
Dans sa chambre du Reft,ge, Philippe se rappelait
Lout cela, et ne pouvait pas s'empêcher de rapprocher les
conildences de Nounou de celles de SOn :ani Guy, le soir
do sa syncope.
Le husard ne venait-il pa , ~ de le meLtre on présence de
son fils. Il en était si p crsuad6 qu'il écrivit immédiatement délns le Var.
G aOuL 103 .• ,
« Mon cher ami »,
" No sOmmes ·nOus pas à l'opoque de l'année où vous
" prenez quelques vacances? Si vouscompLez vous arrilchcr
Il urt peu il VOs passionnants
Lravaux, Vtli1êt dénicher
« votI·o camarado dans sa reLraite. Uno l'ctl'aité idéale
« parmi los flours, auprès d'êtres tout simplonl!ôr.t exquis.
(( Ici, tout prend un sens ... et votre àrriv60 pourrait bien
« vous CaUROl' uno surpriso quo vous me nmorclerez dé
(( vous :lvoil' m6nng60.
« Jo ne VOUS en di~
pas plus long. Vonet. On lrou1 V'GrIl illen à 'VouS log r qtiêlqut p.œt. rJ'ailleurs, 11 y 3.
" des hôt.e!s à Mâcon, J'irlli ét jl! "our: e6deral mil
( ch9.mr~
« Non,
...
Je
tlO
1ul!:l I,a
~ (ou, Ma
l~
jo vou; en pria,
VClll' , ~.
Philippe. "
�LE LIEN VTVANT
93
il esi une autre aiTcction qu'une âme de femme réclame,
c'est celle d'un mari, celle d'un compagnon tendre d fort
qui partage avec soi les grandes et les petites joies, les
soucis et les peines de l'existence.
N'aurait-elle jamais, elle aussi, une épaule 'virile où
'reposer sa tête, une main qui prendrait la sienne pour
continuer le chemin?
Si la venue de Philippe était cause que ses pensées
avaient pris un tour semblable, ce n'était cependant pas
sur lui que ses rêves se fixaient.
Certes; le jeune homme lui plaisait, et elle en eut fait
volontiers un bon camarade. Elle croyait, avec juste raison, qu'cntrc des &trcs sains et bien constitués peuvent
naîtrc de solides amitiés dans lesquelles la difrérence do
sexe ne joue aucun rôle, mais elle sentait bien que ce He
fois encore son cœur ne battait point d'amour.
- Viens ici, mon grnnd cMri, dit-elle à Jacques qui
jouait maintenant à faire des patés dans le sable de
l'allée, viens vilo embrasser ta peLite maman.
Lâchant tOut ct bousculant pelle, seau et moules,
l'enfant se précipita dans les bras de Christiane qu'il couvrit de baisers fous eL sonores.
l Tu l'aimes donc tant que ça,
- Quelle '~xuùérance
ta petite maman?
- Oh 1 oui, je l'aime.
EL il recommençn ses démonstrations passionnées,
grimpant sur les genoux de Christiano qu'il étourdissait
absolument.
Les oreilles pleines encore ùes ùoux propos do soo
« fils » elle n'avait pas entendu Nounou qui sortait do la
maison eL venoit dans le jardin, suivie d'un visiteur.
Avant d'avoir cu le temps de répnrer le désordro de sa
toilette cL de sa cheveluro absolument sa.cgée~
par
�92
LE LlIlN VIVANT
Ceci se passait trois jours avant le dialogue auquel
nous avons assisté, entre Chris:iane et Philippe, au
moment de son départ pour la Roche do Solutré.
La Jeune fille avait regardé plll-Ur Philippe Peyret,
séduite par sa grâce juvénile et son aisance. Puis, eHe
avait laiss6 tomber sur ses genoux l'ouvrage qu'ella tenait
dans Iles mains, se sentant prèLe à la rêverio.
Non pas qa'elle ressentît pour la jeune homme uno
ailection qui pûL un jour devenir de l'amour.
Sa pr6senco depuis une quinzaine, dans la maison,
n'avait réveillé en elle aucun des spnLimenLs qu'elle désirait voir pour toujours endormis dans son cœur, tout au
moins, le croy:üt-elle.
Sa déception, d'Ue à la trahison de de Jouve, quoique
remontant à cinq ans, lui avait appris à sa déJ1ordos hommes
et ello avaiL r(>.so!u de renonce1' au mariage pour ne pas
avoir à parlager son affection enlrll COll 6poux eL SOIl fils
adoptif. <.Jui, d'ailleurs, eCtt voulu époucr uno joune fUIe
sans dot et se charger do l'6ducation d'un rnlant
trouvé?
Cette rononciation n'était donc peut-ôtro, en somme,
qu'uno acceptation.
Quoi qu'il en soit, et aussi raisonnablo que l'on so soit
juré d'être, il est des heures où l'on scnt montor en soi un
trouble, un m"laiso iuexprimabl ps .
Christiane vivait une de ces heures.
Un va.sto regard sur sa vie lui montrait à quel point il
on éJ.ait rayé co qui lui dOIUle un prix, ce qui la rend
lêgèr~
et deuce : l'amour.
Le vide de son cœur, elle essayait bien de le combler
par toute la Lendresse dont ello entourait petit Jacquos.
p'il' toute l'amitié et la grande reconnaissance qu'elle
témoignait à Nounou cL à Joseph; lTI:\is il vingt-quatre ans,
�, ,-
•. 1
l!]L s'adressant à l'enfant :
- Quel âge as-tu, mop grand?
- Cinq ans, monsieur, et depuis aujourd'hui, je sui:;
obéissant.
- Veux-tu bien te taire, Jacq ues ...
- Jacques ? 11 s'appelle Jacques .. , aussi?
La conversation s'était arrêtée là. Uno sor Le de gêne
s'était glissée entro Guy et Christiane. Leurs r ogards su
l'enconLrant ct se pénétrant pour la premioro fois, tout au
moins le croyaient-ils. - avait fait naitre entre eux un
Lrouble dont la jeune fille Mait encore touto surprise
lorsque, la porte refermée, elle sc retrouva en prése nce do
Nounou et de Joseph qui rentrait précisémont de
~1âcon.
- Quel est ce monsieur? avail-il demandé il. Chris Liane.
- Un ami de 1\1. Philippe, de passage dans la r6gion ...
rôpondit-elle légèremenl.
- On peut dire, dans tous les cas, qu'il a des Rmi
joliment bien, avait repris Nounou. Avoz-vous remarqua
l'la distinction, et on même Lemps l'air de bonta qu'il
avait, spécialement on s'adrossant à Jaoques?
- C'est bien dommago quo M, Philippe n'ait pa ' été là
pOUl' 10 l'ecovoir, ajoutait Chris liane qui Ile paraissait pas
Lonir à co qu'on insisL1H davanlago SUI' les qUlllités de cal
incùnnu, à poino enLrovu el qui lui avait co.us6 une si vive
impression.
Ella jeune fille était relournile au jardin, suivie de
Jurques, très intrigué par catte viii.ito inattendue, ct plein
,1'udm1ratiQu penll' la Talbot ·sport, uusli bIen qu pOUl'
.:.on IjMuis(mt propl'la aix'o.
�LE LIEN VIVANT
l'enfant, le groupe était près d'elle, et c'est Nounou qui
prit la parole.
- Monsieur est nn ami de M. Peyret. Je pensais quo
M. Philippe étail encore dans sa c4ambre.
- 11 est parti il y a environ une heure avec son auto.
Je ne pense pas qu'il soit de relour avant la fin de l'aprèsmidi. Aviez-vous prévenu M. Peyret de votre visito,
demanda ChrisÙane s'adressant directement il l'inconnu.
- Je ne lui ai écrit qu'hier et sans doute ma lettre
n'est pas encore arrivée, mais permeLLez-mOi, Madame,
de me présenter... Guy Leguern, direcleur de l'usine
d'avions de Brignoles ...
- Enchanlée, Monsieur; M. Philippe me disait t<;mt il
l'heure, qu'il attendait un ami. S'l! avait été prévenu de
votre arrivée, il ne se sOI·ait certainement pas absenté.
Voulez- vous l'al tendre ?
- Ou: .. . c'est-à-dire que je vais essayer do trouver un
hôtel à 1\1 fleon, afin d'y déposer ma valise et m'enquérir
d'un garage pour ma voiture. Je reviendro.i immédiaLement après ...
Christiane n'avait pas quitté des yeux (( l'ami de M. Philippe» pendant la courte entrevue qu'il venait d'avoir
avec elle et Nounou, et c'est elle qui l'avait reconduit
jusqu'à sa voilure, une superbe Talbot beige, type sport,
que pelit Jacquos, toujours il l'alTût do distractions nouvelles, n'avait pas manqué d'appr6cicr à sa juste valeur.
- C'est votro ms, Madame, avait demand6 Guy Leguern
0. Christiane, voyant le bambin tout près d'ello.
- Oui ... ot non ... avait répondu la jouno fille rougissanto. Mais jo l'aimf'J comme mon fils.
- Comment n'aimerait-on pas un enfant pnreil? Je ne
saurais dire co qu'il y a d'attirant on lui, mais je n'ai
cerlainement jamais vu un onfant comme lui ...
�96
LE LIEN VIVANT
CHAPITRE III
RIlGARD llÎlTROS)'BCTŒ8.
Le jour qui Iluivit la nuit tragique ou tant de graves
événements se déroulèrent, auquel il est temps que nous
revelÙons, ful pour Gérard FaHès plus pénible encore que
cette mùt même.
La rapidité avec laquello s'étaient succédés Jes faits
qui en faisaient un homme libre, mais pauvre et malhoureux, c'est-à-dire sa « résurrection », la triste découverLe de sa femmo gisant parmi 108 ruines de sa maison,
la vue de son enfant, puis l'atroce sl:paralion, l'avait laissé
absolument brisé et sans volonté.
Un sombro découragoment avait remplacé cette ,sorte
d'exaltation consécutive à tant demalheurs cl, qui lui avait
permis de sauver son enfant dans des circonstances aussi
périlleuses.
Mais maintenant?
A bout de forces, sans nom, sans amis et n'a~t
pour
touLe fortune que les cent francs pr~tés
par 10 vieux Corthis, quel avenir pouvait.- il entrovoir?
Où puiserait-il l'énergie nécessaire à Bon relôvement
moral et social?
dana l'âpro désir do roconqu6rir une per... ~eraiL-c
sonnalité el, une forLunc qui lui permissent de retrouvel' el
d!' s'ocwper plus 1nrd de son fUs, ou bien daoq la Imine
sourde qu'il vouait Il de .Touve, au fond de son "œur, ol
qui lui avait fail faire le serment do confondre el d'humi.
lier un jour cc tl'a1Lre ct malhon~t
hommo?
Combien d'nnn6cs de luLtes lui faudrait-il pour rl:tablil'
�LE LIEN VIVA nT
97
une situation si compromise? Combien d'années d'ef1orts
pour reparaître aux yeux de tous, fort et réhabilité?
Cinq, dix, vingt, peut-être?
Certes, ce n'était pas le moment de se laisser aner au
découragement et d'abandonner une f{lis encore toute
espérance, comme il l'avait fait dans ea prison.
Dieu ne lui liendrait-il pas ~ompte
de. ce secret déseepoil' ?
Un secret press('nliment lui certifiait qu'il él:liL déjà
pardonné. La preuve n'en était-elle pas dans la manière
miraculeuse, on peut le dire, dont il avait éLé sauv é?
Deux choses demeuraient cependant essentiellm; pour sa
sécurité: prendre un autre nom el quitler au pJu ~ vite la
région.
11 lui importait ensuite d'économiser le plus possible
ses maigres resso urces afin de les faire durer longtemps.
Mangeant à peine el eouvranl plus do vingt-cinq kilomè tres par jour, à pied , il avait marché ainsi plusieul'3
semaines, couchant à la belle étoile, so lavant aux sources
qu'il rencontrait sur son ch em in, dérobant parfois des
frui ls aux vergers pOUl' économiser les quelques francs qui
lui restai ont on pocho.
Les traversées des vill es lui étaie nt particulièrement
doulourousos à c.ause do tout ce qu'il y voyait, lui rappelant un passé procho ou lointain: une tablo servie, aperçue par la fenêtro d'uno salle à mangor familiale, un
ieune ménago se lrnan t. par le bras, un bébé dans sa voiLure .. . Aussi, Lîlchait·ille plus souvenL de les éviter.
Chaque région lui était apparue avec son caractère
pro
~. Ault aggloméralions indus trielles du Nord avaient
succédé los plaines de la ChamplJgnFl, monotones et
ennuyeuses, le pittoresquo Morvan, les jolis coteaux d e la
BOllrgogne, la vallée de la Saône, Lyon, le Rhône ...
7
�98
LE LIEN VIVANT
Que de kilomètreg parcourus!
Etait-il hesoin d'en faire autant et qui aurait pu
reconnaître Gérard FalJès dans ce vagabond aux joues
hâves sous la longue barbe, dans ce globe-trotter aux
chaussures en lambeaux .
Ayant assez réfléchi SUl' lui-même tout au long de ceUe
traversée p6destre de la France, Gérard n'ayant pour
ainsi dire plus rien sur lui, sc décida il chercher du travail pour vivre. Garçon ùo ferme, ouvrier dans une usine,
que lui importait.
Après bien des déboires, dos l'efus, des humiliations,
il parvint enfin il entrer comme manœuvre dans uno usine
Cil construction des environs de Valence.
Cetto usine était destinée à la fabricaLion de voilures
automobiles et appartenait il un groupe puissulIL de
la région lyonnaise.
Il n'avait pas été facile de faire accep ter par le contremallre Dubard qui était chargé del'embauchagl:l, l'absence
citez l'ouvrier de tout papier d'identité, et H n'avait pas
cu l'air de croire à ceLte histoire do vol d'argent et de
livret militaire dont soi-disant le nouveau venu avait Né
victime.
JI avait bien fallu que GÔl"nrd Ftlllàs illvOlltâL quelque
chose pour expliquer son dénuement.
Comme la physionomie du manœuyro lui plaisait,
le eonll'ornaîLrc, copendant, n'~l.Vai
pus hésil6 il lui
dire:
- Après Lout, c'est votro :\ltuii"l.l , on no suit ptlS d'où vou~
sortez, mai~
jc no veux pas avoir d'ombGtcment avec mon
in(16ni ur, J'ni, pm' le plus g"'J.nd des hallal'ùe. le livret
nülHairo d'un de mf'S comrins mort chez moi Ein Brel r,ne,
il y a quatre ans, il devait avoir ù pou pros volr·e il'rl·.
Prl)ncz-lc cl n'en p;'l'lon5 plu,;.
�LE LIEN VIVANT
99
Et c'est ainsi que Gérard Fallès était devenu Guy
Leguern.
Le nouvel ouvrier avait demandé de coucher sous un
hangar à l'usine même. La permission lui avait été accordée, mais l'on sc demande comment il put résister à la
faim qui le tenaillait, et fIU'il ne put vraiment assou vir que
lor squ'il eut touché sa première paye, c'est-à-dire huit
jours après. Il avait dît se cr ntenter jusque là do pain ct
de fruits. Quelle réserve d'énergie ne bÎlait-il pas qu'i)
eüt pour résister à pareil régime.
Les jours qui passèrent lui permirent de s'approprier
un peu, d'acheter des souliers, du linge. Il se fit raser,
même la moustache, ce qui le changeait beaucoup et lui
redonnait un uspoet, sinon élégant, sous le « LIou», mai:;
du moins propre ct correct.
Le contremaitre n'avait pas tard6 d'ailcur~
il rcmarqner que son pl'otégé 6tait difTé :c n t des auLI'es ouvriers.
Tou jours lc pl'emier au travail, exécutant le , ordre.,
donnés d'une façon m('~icuJse
ct sans forfnntorh', il lui
était même arrivé de montror une compétenco toul à fnil
anormale pOUl' un simple manœuvre, lors d'un montagû
d'atelier particulièrement difficile.
Dubard l'avai t félicitô, mais le nOUV(;llU Cuy Lcguern
n'avait rien laissé soupçonner de SOl; conn IÏssances exact('~
ct avait g:Jr<16 pOUl' soi ('1.' !jll'il pensait dos travaux qu'on
lui faisait [airl' l'lllui, hien entendu, n'étaient pour lui que
jeux d'entant.
Un JOUI', cependant, OCl l'ouvrier avait. montré \1110 initiative qHi l'avait une fois de pltlS 6tonné, le contl'omallro Dllburd, qui était un homme juste ct inLclligont,
s'en ôtait ouvert à son ingéniellr.
Celui-ri avait hi t appnlor LegHern otIlli avait fait subir
un intorrogo.loiro aux ruponses duquol il s'ôtait vite o,per
Ir
\(
t.
l'.
( • 'U
,
l'
�LE LIEN VIVANT
101
encore, plus perfeotionnée, plus au goût du jour, voilà
quels furent dorénavant la pensée de ses jours, le rêve cie
ses nuits.
Peu d'inventeurs s'étaiant trouvés, certes, dans cette
pénible sltMtion de devoir chercher, jusque dans le détail,
le moyen d'annihiler des travaux remar4uables issus de
longs mois d'éludes et de recherches constantes.
C'était cependant le cas de Gérard Fullés :
Il arriva assez rapidement à concovoir un appareil tout
à lait extraordinaire qui aurait loutes les qualiLés de
vitesso et de souplesse de l'avion, mais auquel il ajouterait
un moteur à hélices horizontales qui permettrait l'envol et
l'atterrissage dans un espace minime.
Plongé dans ses calculs et scs recherch08, 10 pauvre garçon reprit goût à la vie. Le but à [Atteindre comptait soul
désormais dans sa triste existence, solitaire et vide do
toute affection.
Il pensait bien souvent pourlant à la. chèro maison à
peine entrevue à l'aube d'un jour d'élé - déjà lointain,
lui semblait-il, - el dans laquelle un bambin qui lui regs<Jmblait, sans doule, était peuL-ètre en train d'essayer do
Cairo ses premiers pas, soutenu par uno main attentive.
Il lui arrivait parCois de se figurer les êtres que son
·hoix hasardeux Il. vaU donnés Il son fils comme gardions
do sa faiblC'sso. Il y parvenait mal et jamais la mênle
image ne sc pr6senLait Il ses yeux.
li chassait alors le rêvo obsédanl, sachant que j'heure
Il'était pail encore venue du retour, et se perdaiL à nouveau
dans ses chifTrel!.
Un jour vint où il alla trouver M. Yvert, directeur de
l'usine, qui étaiL 80n supériour direct.
- Mon direcleur, lui dit-il. j'aurais il vous entretenir
�100
LE LIEN VIVANT
que l'ouvrier en savait autant, si ce n'est plus que lui sur
toutes les questions concernant la mécanique.
_ Lorsque l'usine sera en marche, je vous mettrai
chef d'atelier, furent les paroles données en conclusion à
l'entretien.
En quelques moil5, les qualités de Guy Leguern lUi
avaient permis de gagner non seulement la confiance de,;
ingénieurs et du nouveau dit ecteur de l'usine, M. Yve l' t,
mais d'avoir une situation très honorable. Il put aloI':
louer une chambre daus un hôtel proche de l'usine et,
rapidemenl, se m it à laire des économies.
Son premier soin Iut d'envoyer ù Corlhis une enveloppe contenant deux billets de cent francs et ces simples
mots:
« A mon sauveur, un mort reconnaissant. »
Il remplissait là, lui semblaiL-il, un devoir qui devait
lui permettre de r,onlinuer sa Lâche. Celle delle acquittée,
et seulemwt une fois cela fail, il lui seraiL possible de
prendro son essor vers un bul déterminé.
Un peu plus de bien-être malériel, uno plus grande
qui6tude d'esprit, ramenèrent celui qui avait éLé Gérard
Fallès à d'autres pensées.
Un • scientifique », même en traversant les épreuves
quo l'ingénieur venait d'enduror, no cbango pas facilement
do p.eau.
Dans la solitude des soirées d'hi ver, Guy Leguern sontiL germer dans son cerveau do grands projets.
Parce qu'une fois 10 sort lui avait éLé con raire, co n'était
pas une raison pour qu'il abandonnât tout espoir.
Il rallait à touL prix trouver quoique choso qui concurrençât son propre moteur - ou pluLôl celui qui élait
connu, b. l'ho ure actuelle, sous 10 nom: moteur de Jouvc,
Ruiner sa propre invention par uno autre plus morl f' rll "
�10.!
LE LIEN VIVANT
personnellement d'une chose qui me tient à cœur, pourriezvous m'accorder quelques instants?
- Mais certainement, Leguern, de quoi s'agil-il? avait
répondu son chef, le mettant très vite à l'aise.
Et le faux Leguern lui avait cxposé brièvement, mais
avec la clarté qu'il savait, meUre dans tons scs propos, sa
nou\ elle invention qu'il savait être au point.
-- Pourquoi ne m'avez-vous pas dit que vous étiez
ingénieur, Leguern? avait dit M. Yvcrt, lorsqu'il eut écouté
attentivement l'exposé de son interloeutcUl'.
- Je nc puis vous montrel' aucun diplôme, reprit celuici, voulant éviter toute question directe ayant lrait il sa
vie passée .
- C'est dommagc, mais peu importe dans le cas présrnt. Je dois seulement vous avouer que l'invention que
vous me présentez n'est pas du tout de mon rossort. Moi,
je no suis que directeur ici. Tl faut en entretenir le conscil d'administrat.ion. Notre usino fait partie d'un groupo
import::.nt, le groupc J. H. H., do Lyon, qui possède plusieurs alTaires ayant taules des administrateul'ri communs.
Peut-ôtre votro npparcil lef; intérrssera-t-i!?
Soyez assuré, dans tou,.; Ici'! C:lS, que je ferai Lout cc qu'il
est en mon pouvoir de faire POlll' f lciliLer les pourparlers
qlle vous ongageril'z. Je puis vous accompagner b. Lyon
pour vous pr6sentcr à l'un de CCII MossiC'urs,
Guy Leguern avait chaleureusemont remerci6 M. Yvel'l
que dans son for intérjeur, il ne manqlla pas do rom parer
il do Jouve. Quello conflance avniL régné immédiatoment
entro oUX: Tandis qu'avec l'outr(j!
Loo choecl! s'étaient a:')rs précipité., . L'invontion oyant
été jugéo trè~
Int6reSsante, Il fut dlioidé qu'il no fJOI'llÎt
pas perdu de tomps pour l'exploiter. Les hases d'un accord
avaient vit 6t6 6to.bHe5 t'nLr p L"~u(lrn
i"t ~rs
alfm'nislra-
�103
LE LIEN VIVANT
teurs. La construction d'une usine dans le Var devait pero
mettre, au bout de quelques mois, l a fabrication du nouVCflU type d'avion, appelé autogyre. Legucrn en avait été
nommé directeur avec de très gros appointements et, bian
entendu, une participation sérieuse sur les bénéfices réali ·
sés en cas de réussite.
Celte réussite avait été complète. L'aulogyre Leguern
était maintenant lancé et passionnait l'opinion .
Sa découverte, par contre, ne manquait pas d'inquiéter
d'autres industriels, en particulier ceux qui avaient
engagé d'énormes capitaux pour l'agràndissement d'une
certaine usine de Villoneuve-sur-Somme.
CHAPITRE IV
l'l'Lit .Jacques atle1\llait, non s,ms ill1jl tli ~ n " f" 10 reLoul'
Ron grond ami Philippe pour lui annoncer If' premier
la venue de M. Legnern.
r'~n
olTet, Peyre 1, no devnit pas Larder maintenant t
(10
rentrer de Solutré.
Jlost6 près de Ifi grille d'entrée ùu jardin, le garçonnet
l'éponuait par monoRyliabcs allX parolos quo lui ndres&ail
Chri!lliane, qui no pouvait 1'I1pCI'cevoir de 1>a place.
- Tu no t'ennuies pas, mOn cMri? demanda-L-oHe.
- Oh lion , maman .
- Je no l'entends pus 1 Tu dois fuire une
-
... ?
Que fais- tu, .J ucques? rcpl'cnait-ollf)
d'impuLlonCfJ.
- .J'attends
...
b~lisc
ri vcc
un prLl
�LE LIEN VIVANT
10;:;
gnant le jardin. Car c'est un véritable bouquet. J'ose ajouter que cet enfant ct cette jeune femm o en sont les plus
belles fleurs. Vous sa vez choisir vos retraites, Peyret!
Christiane voyait les deux jeunes hommes venir vers
pé.r Jacques. Son cœur battait ù se rompre.
elle en~raiég
Depuis que Leguern était p ar ti, elle n'avall cessé de
penser il lui, ayant vaguemenL l'idé e qu'elle J'a vai " d(à
rencontré quelque part, et ne pouvant absolump.lI.t pa~
définir l'endroit exact où cette rencontre avait eu lieu.
- Voilà enfin notre Philippe r eLrouvé, Madame, (IiL
Leguern, prenant le premi er la parole.
- Permeltez que je vous présente, Lebuern, inlerrompit Philippe un peu interloqué de voir que son ami
s'adressait ainsi directement à Christiane.
- Mois il y a longtemps que c'esL fait, mon cher.
Madame m'a très ,aimablement reçu, loul à l'heure el
m'a môme prié de VOliS attendre, mais j'ni préféré aller
m'assurer d'une chambre et <l'un garage ù Mâcon, afin
d'être loul à vous lorsque vous rentreriez.
- CachoLLier 1
- Avouez, Phi!ippe, que je n'ai pas eu 10 Lemps de
vous dire encore que j'avais p6n6lré san5 vous dans votre
paradis.
- Oh 1 pararlis 1 1 isqua Chris Ua ne.
- Vous m'avez priv6. Guy, d'un dos plus grandf! plaisirs
de ma vie, roprit Philippe.
- Lequel? dc:mnndèrcnl Christiane ct Legucl'J1 ù la
fois.
Philippo hésita.
_ Loquel? muis celui de ...
_ Rion n'ost perdu, conLiuuu- l-i!. Si volre cœur a
déjà baLLu, mon ami, vous voulez me le IniAscr ignorer. ,) cne
sais pns gr:1Ild'chosc de vons, Guy, qUOif)110 V01l!; sflyif'z
�10ti
I.E LIEN VIVANT
- Qu'est-ce que tu attends?
- M. Philippe.
- Tous les jours, il sort et il ravient. tu ne l'attends pas
tous les jours CQmme ça.
_ Aujourd'hui, j'ai quelque chose à lui dire.
- Quoi?
- Qu'il est venu pour le voir un monsieur encore bien
plus gentil que lui.
- Ce ne serait pas poli de lui dire ça, Jacques, M. Philippe est très gQntiJ.
- L'autre Monsieur est encore plus gentil. ..
- Pourquoi dis-lu ça ? .. questionna la jeune 11110.
- Parce qu'il m'a regardé comme jamais personne ne
m'a regardé. J'aurais bien voulu qu'il m'embrasse ... Et
toi?
Christiane rougit, car elle avait donné un autre sens à
ce u et toi» de son fils.
L'enfant n'altendit d'ailleurs pas la réponse.
- Voilà M. Philippe, cria-l-il, j'entends l'auto, el il so
précipitait déjà pour ouvrir, lui-même, la grille.
Il s'aperçut alors que la Talbot de M. Leguorn suivait
la voiture de Philippe P eyrel. Les deux amis venaient de
se renconlrer à l'instant même, tandis que Philippe ralentissait avant de stopper devant la maison.
Ayant tOIlS les deux quitté Je volanl, ils l'le serrèrenl la
main devant la grille que petit Jacques leur avait onfln
ouverte.
- Bonjour, cher ami.
- Bonjour, Peyret. Rien de grave, au moins ... colte
lettre ...
- Je vous expliquerai. Riw ùevin6, encoro?
- Comment voulez-vous? J'arrive. Je n'ai eu que Je
temps d'admirer ce bouquet. lliL Guy Leguorn en dési·
�106
LE LIEN VIVANT
pour moi un ami très cher, mai~
je crois que vous êtes SUT'
Je point de ressentir une grande j(lie ... Jacques? vous ne
comprenez pas?
- Jacqll"s ... Jacques ... , pl'ononçait celui que nous
n'appellerolls plus désormais que par son vrai nom, Gérard
Fallès , ce n'est pas possible .. . non? il serait ...
La stupéfaction de Christiane était :\ son comble . Quant
à Jacques, ses regards allaient de Philippe à Gérard sans
savoir sur lequel se poser.
-- Allons, embrasse t,on papa, soufna Philippe .. .
- Papa? papa? c'est vrai, maman? demanda Jacques,
se précipitant, au contraire, tout intimidé, dans les bras
de Chrisliane.
Jamais minute ne ful plus pathétique.
Celle question posée par l'enfant à celle en qui il avait
mis jusqu'alors toute su connance fil tressaillir jnsqu'au
plus profond de son être Gérard Fallôs.
- Regarde-moi, Jacques, dit-il soudain, ct dig-moi si
lu voudrais que je sois ton papa?
[,e pel.i Lse rotoHl'na . Il aporçul, lui LendanL los brus, cc
grand garçon clonL le chagrin a vaiL d6jù un pen hlanchi
IN! Lempes, eL qui le regardaiL d'un air si doux.
QuittanLspontanémentles jupes de sa mèrcadopLive, il
:111:\ sans 11('[;ilaLion vers Gérard qui, le ~oulevf1nL
de t.erre,
10 prc!i:iaiL cont.re sa poitrine en la rouvrant do baiserH.
- Papa J papa 1 murmurait l'enfrlnl. Mais alors, si Lu es
mon papa, Lu ne l'en iras plus jamais 1
Des Io.rmes perlaient aux pnupiC!ros ùe Clrrisi,illnc qU'lin'
jll ' JlH{lO RoudaillC vonait rle Lravorser. Lo papa do Jacques,
dont elle nl' s'expliquaiL pas rncore ln p1'6HCneC iri, n'allaitil Jl'lfl J'c'J»'rndl'( II' pf'lit, lui .:nlnver Ra plus chi'r,. L('nllrcfsr:
:;1.'11 hnl, son omOlll', ~ o. vit' l'Il un moL.
Hall'; l'én{'chir, 11I'\I'lqul'nlCnl" 1'1\1' ljuil.ta)l' groupr fonnô
�LE LIEN VIVANT
107
par Gérard et son fils, que Philippe regardait avec une
satisfaction émue, et elle courul jusqu'à la maison où elle
éclata en sanglots.
-- Qu'y a-t-il? demandèrent ensemble Nounou et Jo~eph
qui venaient de l'entendre entrer et qui, n'élant pas a"
courant de la scène qui venail de se passer au jardin, ne
comprenait rien à l'état dans lequel elle se trouvait.
- Mon Jacques va partir! Nounou, Joseph ... Jacques
va portir!
Cependant, les deux amis n'avaient pas manqué
d'ôtre très étonnés du départ soudain do la joune nlle.
- Je vous en prie, disail Gérard il Philippe, expliquezmoi, no grâce ...
- Soyez sans inqui6lude, Jacques est bien votre !ils,
l'enfant recueilli par M!lo de Sermane dans sa propriété
do la Pl'oCJidence. Je n'rn sais guèro plus long, il vous, mon
chel' ami, d'éclaircir loul cela. Pour ma part, jo suis en
plein mystère, mais vous êtos heureux, dost l'rssentiol...
- Comment VOLlS r mercier, Philippo.,.
- Remerciez d'aborcl 1\1 110 do Sermano ...
- C'osl vrai. Dans mon trouble cl mon bonhour, je perds
la têlo et me conduis comma un ruslro. Où est cotte jeune
Hile?
- Ello vient de nous quillor, en proie, OIEl semble-t-i1 n
la plus violonte umolion, c'esl 'ompr6hrl1eiblo, elle penlie
sans douto que vous alloz lui onlevCl' « son" en f,lOt ...
_ Allons vito vors 0110, Philippe, .. Vions, Jacques .. ,
L'enIant (~UC
Gérard uVllit, doprLÎs un inslant, dépo~
à
terre leur vait déjà. frwss(' compagnie,
nI! le retrouvèrent sur leç genoUJ: de ChrigtlanEl, dans le
peUt salon 00 o&lle-ci a'6tatt ~é[ugI6e,
Nounou ot Joseph
1 ronsoluionL de leur mieux 011 lui disant qu'ollo nI' rp': .•. ,
t'ail ccrlainC'lOol11 j(ltnuis do voit, Jacques.
�108
LE LIEN VIVANT
- Tu pleures, petite maman, disait l'enfant, et moi qui
suis si content. Mon p apa est justement le plus g'entil de
tous les messieurs que je connais...
Comm e les deux hommes entraient dans la pièce, la
pauvre jeune flUe essaya tant bien que mal de cacher son
trouble et d'essuyer se..; yeux tout rougis par les pleurs
qu'elle venait de verser.
- Comment me faire pardoulIer, mademoiscU(', balbutia
Gérard en s'adressant à elle. Dans ma joie, j'ai oublié mon
premier devoir, qui était, avant d'embrasser mOn enfant,
de vous exprimer toute ma reconllfliss unco pour ce que
vous avez fait pour lui et que j'ignore encore.
Et lui prenant délicatement la main, il y déposa un
respectueux baiser.
·
.
...
. , "
Tout restait à dire à ces êtres quo 10 hasard venait de
rapprocher et qui ne croyaient avoir entre eux aUCun
lien.
Par où commoncer?
Réunis autour de lu table d o la sallo à manger où
Nounou avait rapidement mis le convel't pour un frugal
dlner, I(s langues commencèrent à se délier, et il était plus
do deux houros du matin, 10l'squo Josoph scntant malgré
lui 10 b esoi n de dormir, avait conseillé de remettre à plus
tard )a sulLo de la conversation.
Philippe avait alors propos6 il son ami tic prOlldro sa
chamuro eL l1'allol' couche!' à Macon, muis Gérard <lvaiL
prétôr;, S(' t'üLLI'Uj', pl'omdtanL Lit'TI cle l'u veniJ' le plur-; tôl
}Jossiblo, <f UllS la rnaLinéf',
C'est quo ectLe eonvorsaLion n'avai t pel S été IIUn.'1 apporter bien Jo l'impl'{,\'u à tous r;eux qui y Ilv(\ient pris part,
ü r.hI'Ïf;Liano eL à Gérard sur'louL.
Lorsque colui-ci avait commencé !'!lÎllLuirc do sa Vi l' ,
�LE LIEN VIV AN T
109
qu'il se devait bien de raconter à son ami Philippe autan t
qu'à la mère adoptiv e do son fils, il avait tenu d'abord à
leur faire part de son véritable nom.
- J e ne m'appelle p as Guy Leguùrn, leur aVilit-il dit.
J'ai dû prendre un nom d'emprunt pOUl' me permettre de
reCaire ma vie, cruellemen t brisée par un' bandit. Mon nom
est Gérar d F allès ...
A ces mots il avait vu la jeune mie pâ lir, puis rougir,
en proie à un trouble profond .
- Gér ard F allès ... ce n'es t p as possible ... Gérard F al1ès
est mo'r t ... et p ourtunt...
Elle venait de siLu er à l'instant même l'en ri roit où elle
avait rencontré le f ,:lUX Guy L eguern. Ahl elle savait bien
qu'elle a vait déjà vu cc r egard si doux, cc vis.lge à la fois
si énl'l'gique ct si bon 1•••
- Non, Gér ard F allès n'est pas mort. Dieu a voulu
qu'il so it sau vé pour nous mon l,r el' qu P su jus tice esL plus
for lo que la jusLice des homm es. "" lais ... Mademoise ll""
pourri ez -vous me dire co mmen t vous conIl'lissoz 10 nom
de Gérard F .; l1ès, los journau x onl si vite étou ITû la malh eureuse alTaire où il per dait. plus que la vip, que vous
devriez il p eine vous on souv enir.
L a stup éfaction de l'ingénieur avail ét6 il son comhle lorsqu'Havait entendu Christiane lui dire, les yeuxdunf; los yeux :
- J'ai connu le nom de Gérard F nliès p ar Alber t ùe
Jouve donl je fu s la malheureuso fi unc.éo ct c'est grâce n.u
fil s do Gérard F allès que jo no suis pas aujourd'hui la
femme de ce monstro...
El Chrisliane avait raconté toute la lamontable hist oire
de ses fiançailles , sa rupture avec de Jou ve, la mor t de son
père, sa ruine et son d6par t de Villeneu vc ... lrist es 6v6aernenls, éclaircis seulomenL p al' les frais sourirf.'S d o polit
J acqu l'G.
�:110
LE LIEN VIVANT
Gérard, de son côté , n'avait plus rien caché de sa tragique a venture et avait exposé en détail tout ce qui se
rapporlait à son invention, au vol de ses plans, à son
empris onnement, à sa fausse mort, à son sauvetage par
le vieux Corthis, à la découverte de son enfant et à toute
la suite de sa vie.
Toutes choses que lecteur sait déjà.
Une seule nui!. était en effet bien courte pour rappeler
tous ces faits auxquels s'ajoutaient, forcém ent, venant de
part et d'autre, de longs et nombreux commentaires.
le
CHAPITRE V
PRE MIEnS AVEUX.
QuoilJue s'étant couchée très lard duns la nuit eL n'ayant
<lue trôs p eu dormi, Christianc, un peu l'omise clos émotions de la veille, so leva tôt cc malin-là.
Une fois sa toilette termin6 n , - oserait-elle dire qu'cUe
n'y avait pas mis un Goin particulier? - elle entra sur la
pointe des pieds dans la chambre de J acques qui dormait
l'nroro.
S'approchant de son petit lit, elle se mil il. considérer
longuement l'en fan l, dont le sourne régulier soulovuit légèrement la poitrine, sous los draps.
Ses cheveux blonds, quoi quo mis en d6sordl'e durJnL la
nuit, encadraienl gracieusement son fin visage aux youx
cl 0,; , Lo cou 'le replié repos:Jit n onchalammcnL sur l'oreiller,
soutenant la poti' 0 têto touLo alourdie de sommoil.
Une silencieuse émotion 6lrcignil Milo de Sel'mano.
Combi('n de {ois dojà avait-clIc l'egardé dormir 10 fil s de
Oél'ard Falif\s? Combion de fois s'était-ello penchée.
�LE LIEN VIVANT
111
attentive, sur son berceau, d'abord, sur son lit de petit
garçon, ensuite.
Elle n'aurait su le dire .
Et cep endant, jamais elle n'avait ressenti pour lui
pareille tendresse !
Allait-elle vraiment devoir se séparer de lui 1
Sc ·pouvait-il qu'ayant retrouvé son père, l'cnfant la
quittât, elle qui l'avait élevé et qui l'aimaü :Jutant que son
fils. A cette seule pensée, elle sentait à nouveau les larmes
lui monter aux yeux.
N on, ce n'était pas possible ... il fallait attendre, Gérard
Fallès n'avaiL pas encore dit 5i son intention (,tait de
reprendre l'enfant tout do suito . Peut-ôLre n'avait-il pas
prévu chez lui l'arrivôe de son fils ... des difficultés matérielles retarderaient. peut-être la s6paralion ...
Un petit coup frapp6 Cl lu porto de sa chambra qui
communiquait avec celle de Jacques, la tira de cette songerie .
_ C'était N0unou.
_ J'ai entendu que vous étiez levée, Chrisl.iane (lu jeune
mlo avait voulu depuis longtemps qu'olle supprim ât 10
" Mademoisolle "), vous n'êtes pas souITrantc, all moins,
nprès touLes ces 6rnoliolls '1
_ Mais ilon, mu vitiillc
ounou; IllU i ; ne vois-tu pas,
tout de m~c,
qu' « on" vienne à nous l'un levcr, : ajoutait
Christiane, revenant toujours il son id60. C'ost son droit,
en somma ...
_ Et qui osL-co qui s'occuperait ùo lui? vous croyez
qu'un homme saiL s'o "cuper d'un enlant? r6pliquait la chèr('
vieillo pour calmOl' l'inquiétude de la pauvre petite.
_ Dans tous les cas, M. Fallèll nous f€ra bien
"onnaHro SN! intentions, un jour, nous n'auron8 qu'il nou"
y conformer.
�112
LB LIEN VIVANT
- Moi, si j'étais vous, déclara N OUDOU, je ne serais pas si
inquiète que ça ...
- Et pourquoi, demanda ingénument Christiane.
- Parce que ..•
Maie Mme Julie Bourdet, dite Nounou, tourna les talons,
ayant daus sa tête une idée qu'elle gardait pour elle seule.
·.
~.
Gérard arriva vers neuf heures au Refuge.
Frais et dispos, Jacques sorti depuis peu de SOD bain,
était en train de dévorer une largo tartine de confltures.
- Bonjour, papa! avait-il crié en aporcevant la voiture
qui s'arrêtait devant la grille.
- Bonjo\lr, mon grand, il me semble que l'appétit est
bon, cc matin. En voilà une belle tartine 1
- Si Lu en veux une comme ça, maman va te la faire ,
tu sais ...
Christiane avait souri, en enLendant ce propos.
- Je crois que j'uur'lÎ du mal à mo tairo aimer alltant
que vous, Mademoiselle, ~lvoua
Cérar t en scrrilnl alToe1ue~cnH't
la main que la jeun" nllc lui tendait, et cola est
bIen comprehensihle. Qud d6\olJcment de tous les instanls
a dû titre 10 vôtro pOUl' que ce pelit vous aime ainsi 1
- Je n'aurai!) pus aimé davanlago mon fUs bi j'en avais
r:u un, répon r il 'mplcmcnt la j ( IIIlC flIle, l Il ne faut pas
voir du dévoucm('nl où il y a d'abord do la tendresse.
- 'csl{gal,)orsquej 'penscàlOulcof) ucjovoUSdoispour
avoir recueilli, soign6, 610vé mon cnronl , je ('rtdns qno mu
vie Lnlière ne sail pas (Issez longue pour vous prouvor
loule ma reconnaissance.
- Ohl que vOIla des grands mots ( Je vous assure que
nouS sommlS absolument quittes, ayant toujours cu infini.
ment plus do joies que d'ennuis il m'occuper de co pC'lil. Il
m'n sauvée du désf~poir
...
�LE LIEN VIVANT
113
"Non, vraiment, en y réfléchissant bien ... c'est plutôt
tnoi qui devrais vons remercier, Monsieur Fallès ...
- Ce serait pour le moins original, Mademoiselle, votre
bonté naturelle n'a d'égale que votre modestie. Jacque:>
p eut bénir Dieu de vous avoir mise sur son chemin.
- Nounou et Joseph ont plus que moi droit à volre reconnaissance. En liant mon sort au leur et en assumant la plus
gra nd e gurUe des charges matérielles que mon modeste
u voir ne me permettait pas de prendre entièrement, ils
onl montré une abnégation anprès de laquelle la mienne
n'existe pas.
- Je ne l'oublierai jamais , croyrz-Ie bien. Il no raudra
jamais nous séparer d'eux, n'est-pas?
Un peu surprise par ce « nous" qui tombail cor les entre
eux comme un joyeux message du destin, Christiane ne
put que balbutier dans son trouble:
- Oh 1 certainement, certainement 1
Le bruit secd'ufl volet se rabattanl conlre un mur, bierllôl
suivi d'un second bruit semblable, interrompit le doux
onlretien.
- Hello 1 Guy, déjà là?
- Gérard, mon vieux, mainlenant, s'il vous plaît...
- C'ost vrai, c'est vrai.
C'était Philippe qui so r6veillai t, ap rils avoir largement,
rallrapé les heures de sommeil perduos la voille, el qui
vonait d'ou vrir discrèterrumL sa fenêlre 1
Le temps de fairo sa toiletto et il avait rejoint les jeunes
gons au jardin
- J o ne Buis pas do trop? dit-il en leur serrant à tous
doux la main, cl en embrassanl Jacqucsqui, bien entendu, ne
quittait pas son père d'une semelle .
- Comment pouvez-vous dire ça, Philippe, so récria
Gérard. Vous de lrop 1Vous à qui jo dois d'avoir retrouvé
8
�114
LE LIEN VIVANT
mon fils 1Voye?;- vous quelle désillusion aurait lité la mienne
si, retournant daTls la Somme prochainement, comme
c'était mon intention, et me présentant à la Propidence j'y
avais trouvé de& propriétaires ignorants tout de cet onfant.
Non, Philippe, oe qui me lie à vous maintenant, est plus
fort que la plus yjeille amiLié !
- Bravo, Gérard! pour celte déclaration, reprit Philippe
gaiemeTlt. Pour fêter tant de bOllheur, je propose d'aller
déjeIJl1cr aux EchuI'maux.
11 fut décidé quo tout le monde irait dans l'auto de
Gérard, Nounou et Joseph, malgré qu'on les en eût priés
avoC insistance, no voulurenL pas liuiyre le joyeux groupe.
- Les jeunes enseml:Jle et les ViflUlÇ il la maison 1
Telle était la seulo raison de leur refus. Un sourire
heureulC l'accompagllait d'aillours. Christiane paraissait si
radieuse qu'ils en oubliaient de ponser il eux 1
11 n'y euL rien à faire pOUl' les décider et ils embarquèront
Christiane eL Jacques, Gérard ot Philippo, on leur souhaiLilni une bonno prornerlade.
Jacques avait Lenu, bien entendu, il se motLre il côté de
Gérard, ne perdant pas un de ses mouvoments cL lili posant
mille questions sur la marche de 111 voilure.
Les Écharmaux, sile ravis3anl à !lOQ mèLros d'aHitude,
oaciwn~
<lllns les iiopins lour grouPQ do maisons et lour
grund hôlol de la iort'asse rluquel on jouit d'une YI.lO sp lendide sur la sauvago va1l6Q de l'A~crguo.
Située à une
quarantaino do kilomètres (jQ Mâoon, dans los monts du
Beaujolais, c'était ulle randonnéo <.l'uno houro ù poino, à
Influe/le nQ~
Lroja jQunos B'0n~
priront un plaisir oxLrômo.
Lorfiqu'ils y lIrriyèronL, ils avaient Lou~
une faim de
loup.
Après avoir plll'faiLEJlnenL bieu déjl\uné, ils d4cidèrent do
r~ie
une petite promena do JUil! l ~ s hail! envirl!lnnal'lLs.
�L E LI EN VIyA NT
11 5
Un magnifi que soleil de juillet filtrait à tra vers les arbres,
faisant danser des r onds de lu mière sur le sol, t o u ' ~ parsemé
d 'aig'uilles de pins . Malgré Ifl chaleur, l'air était léger àcause
de l'allitude , léger comme le coeur de nos promeneurs t out
à la joie d'êtr e r éunis et oublieux des douleurs p assées.
Christiane marchait par fois en avant , donnant la main
à J acqu es dont ell e para isssailla gr ande sœur.
Gérard pouvait voix' sa gracieuse silhouette se pro mer
dans les sapins et il admirait silencieusemen t sa b eau té
qu 'u n joUI' de bonheur et l'éveil de l'a mour épanouissaient
au p oin l do la re ndre des pl us att irantes.
Phili ppe respectait le mutis me de son ami. Quoiqu e m arcllunt côte à côt e, ils ne se parlaient pas et leur regard
sui vait la même form o légère qui , près du petit garçon,
app arnissait ct disp araissait tout à coup entre les arbres .
Puis le gr oupa se reformait. J acqu os b ayal'duit comm e
une peti te pie. p r e n a n ~ son père il t émoin de toutes ses surpriscs, de tous ses étonn ements d'enfanL.
Le sentier dans lequel il s s'é taienl mainl enant engagés
monta it fer ma ot devait abo ulir à uno sor to de belvédère.
L a bambin sc mit il cOllrir, su iv i par Chrisli:::me t oute rose et
un p eu essoufflée .
Philipp e rog::u'(lait Gérnrd sans on a vo ir l'air et lisait
en lui toutes SI'S pCll!'.6es. P lus trouhlé qu 'il ne voulait le
paraître, celui -ci ap pelait:
- J acques, Lu vus fa l.iguer t a p eti te maman, arrêtet oi...
.Mais J acquos gri mpait loujours, bi entôt ra ttrapé d'aill eurs
p ar la jouno fUie. Ils étaiont arrivés au potit abri auquel
Je sentior aboutissait en eIret ct duquel on embrassa iL un
imm enso horizon.
Ils s'assirent et a ttendironl Gérard et Philipp e.
Ceux-ci les aperçuren t da ns le soleil el olTrant lous deux
�116
LE LIEN VIVANT
à leurs regards un visage épanoui, éclairé d'un fran c
sourire.
- Comme la vie est simple pour vous .maintenant. .. di'
Philippe à son ami .
- Simple, c'est vrai, Philippe, reprit Gérard Fallès
mais poudra · t-elle?
· ....... . .
La journée était vraiment magnifique et l'on avait rarement vu une Lelle pureté d'atmosphère.
- Comme c'esL beau! murmura Christiane dont les yeux
se perdaient au loin.
- Comme tu es belle, loi aussi, petite maman, tu n'as
jamais été aussi jolie qu'aujourd'hui, riposta Jacques.
- Veux-tu Le taire, grand polisson, grondait la jeune
mIe, rouge de plaisir.
- Laissez-le au conLraire, Mademoiselle, repriL Gérard
qui venait de s'asseoir auprès de Chl'istiane. Je suis fier tle
voit' que mon ms a du goût.
- Oh 1 Oh 1 si vous vous fàiLes ùes complimenls, je n'ai
plus qu'à m'en aller, dit Philippe en plaisantant. Viens,
mon vieux Jacques, nous allons faire une provision de
pommes de pins pour les rapporter ù Nounou ...
- C'ost. ça, diL l'enfanL en baLLanL des mains.
Et tous les deux de s'esquiver.
- VoLre ami Philippe est vraimcnt trop taquin r dit
ChrisLiano horribloment gênée par cc têto-à-tùto qu'clic
souhaitait ot redouLaiL il la fois.
- Je crois qu'il ne faut pas lui en vouloir, Mademoisello. C'est un garçon très perspicace qui a compris quo
10 papu do .Jacquos devait avoir quoIque chose de très
do Sermane.»
imporLant à dit'o à MUu Chri~lut1o
La joune mIe sentit que son cœur ballait à grands coups
dans su poitrine. C'était bien co qu'ollo avait prévu
�LE
LI~N
VIVANT
117
Gérard allait lui dire qu'il emmenait son enfant, qu'il
fallait qu'elle se préparât à une séparation prochaine.
- Je sais bien, Monsieur, dit-elle simplement et en se
méprenant sur ce que le jeune homme avait à lui dire, je
sais bien que mon rôle est terminé. Jacques doit vivre
maintenant auprès de vous, mais je ne croyais pas que
vous me demanderiez de vous le rendre si vite ...
Des larmes déjà lui montaienL aux yeux. Gérard prit
tendrement dans les siennes une de ses mains qu'elle ne
J'etira pas et, doucement, lui murmura ces mols:
- Qu'allez-vous croire 1 et pensiez-vous que j'allais
vous demander de vous séparer de cet enfanl que vous
avez faiL ce qu'il ost. Lui-même le voudrait-il? L'enlever à sa petite maman? Ahl je serais bien l'eçu 1•••
u Non, j'ose dire que Jacques est à vous 8vant d'être à
moi. Voulez-vous que, pour toujours, il soit à nous deux?
La jeune fille a vaiL peine à comprendre ces mots si
simples eL à la fois si pleins de sens.
- Quoi 1 vous voudriez bien que je ne me sépare pas de
lui '1 murmura-L-elle, illuminée par une grande joie.
- Je Je veux, ChrisLiane, repriL-i1 fermemenL et l'appelanL poUl' la pl'erni<' 1'0 fois par SOli petiL nom. Jo vous
connais depuis hier, c'esL pos~ible,
mais ça, co sont les
appol'enros. J~n
réaliLé, je vous connais depuis le jour où
vous av oz commencé à vous occuper de mor. fils. VoLro
caract cre, voLre âme généreuse, volre naturo exquise, je
n'ai pas besoin de les découvri!'. Ce quo vous avez fait, la
façon donl vous l'avez faiL, surLouL, me prouve assez quel
Nre exceplionnel vous êLes. Qlle pui~-je
fairo pour vous
mél'iler? MOIl plus chel' désir serail que vous sOY('i': encore
plus la petile maman de mon Jacques eu devenanL ma
fomme. DiLes, Christiano, voudrcz- VOUf! un jour?
L" i"lIflO fiU" :\vnit 6r011t é ('('s 1lI0ts si doux sans cherrhpr
�118
LE LIEN VIVAN'r
à les interrompre. Un trouble immense l'envahissait el
sa main tremblait très fort dans celle de Gérard.
Ah! c'était bien la première fois qu'elle entendait des
mots pareils 1 Qu'ils lui allaient droit au cœur 1
Si elle voudrail un jour? Mais elle n'avait pas besoin de
réfléchir. l!.lait-ce depuis hier, aussi, qu'elle connaissait
Gérard Fallès? et ne l'aimait-elle pas sans le savoir,
dopuisle jour où elle j'avait aperçu à l'usine, alors qu'elle
était la fiancée de de Jouve?
Elle leva les yeux vers lui et vit qu'il attendait avec une
angoisse folle une réponse qui le remplirait de joie ou Ijli
enlèverait tout espoir.
- Mon désir esl le même q1:le le vôlre, Gérard, dit-elle
dans un souffle, DOUS ne snrons pas trop de deux pour
aimer cet enIant . Je serai heureuse de vous aider dans 1l1.
tâche que vous entreprendrez. Je ne douLe pas que vous
vouliez (aire de votro flls un homme, un homme vaillanl
et cour:Jgeu:: comme vous l'Hm;. Je voudrais qu'il VOLIS
l'essemble plus lard ...
- EL moi, je voudrais que ce fllL ù vous qu'il ressemblâl,
qu'il ail tOllles vos qualitl:s do cœ\u', volro sensibilité el
voLl'e honLé ... Ah 1 vous me remplissez rl'ullO joie immenso
rn ne l'opClus<;anl pas l'olTre que jo vous fuis de pal'lager, bien_
LôL ma vie. J'ose Osp61'or qu'un jour vous m'aimorez et quo
ce no sora p l~ S soul .monl J arques quo vous aimoroz en moi ...
Uno ombl'o avail lraversé 10 fronl de Gérard en disanL
cos d rniers mols.
- Serioz-vous jaloux do voLro !Us? dit-olle, douce mont
c mme on ayant l'air do 1\0 moquor.
- Poul-êlro, r6pondil-i1 on lui sourianl. 0 pllis CÎllfJ
ans fJu'il Il toulf' votro tendresse, n'allez-vous pas 1lI0
consirléror comme un intrus el vats-j'l OSOI' 1'6clamor
un'! pc' i:u p.ul do vot l'El cœur morvoilleux '1
�L E LI EN VIV AN T
119
- Oérard! N'av ez-vous p as déjà compris que l'amour
que j'ai donné à v otre enfant avant de vous connaître
était le chemin qui m <:l conduisait vers vous? Vous réalisez
t ous mes rêves et même mes rêves inexprimés, car je
n'aurais jamais espéré qu'un jour je puisse être ainsi
comblée.
Il lui t enait touj ours la main et ils se turent. Un
in effable bien -ê Lre les envahissait, une immense gr atitude
env ers la Providence divine qui leur avait r éservé cette
minute de complet bonheur, et de si grande compréhension
r éciproque.
R espectueusement, Gér ard porta la main de la jeune
fille à ses lèvres eL y déposa un long ct doux ba iser.
Cependant , de purs écla Ls de voix leur annonçaient que
Je bambin 50 rappro chait avec Philippe.
Gérard lâcha la main de 1\1 110 de Sel'man .
- Déjà sépar és 1 diL-il.
- Pour tou jours l'un li l'autre, au contra il'e, murmura t -elle, noyant son b ~a u cL can dide regard dans le Rien.
CII APJTRIi: VI
Ln
CAD EAU D E
G f.: nAnD.
Cos fl ançaill es offi ciouses el si ra pides n'ava ient Monn {)
p ersonne, c'est- il- diro ni Philippe, ni Joseph, ni Nounou
SIII'Lo ut, qui avait prévu ce d énouement d ès qu o le pap .t
1. J acques élait enlr é dans la ma ison 1
Gél'urd et Chris Li ano le!> avaient ann onc6es , ù 'ailleurs,
lout simpl emenl, à leur relour ùes Echarmaux , t andi s
qlle r éuni s comme la veille au SOil', autour d e la table
familiale, ils g'app rilLaient tous à d ~gus
t e r un délicit'ux
�120
LE LIEN VIVANT
repas à la confection duquel Nounou avait apporté tous
soins.
Jacques qui ne comprenait pas bien tout ce que cela
voulait dire et qui n'avait pas mis en doute un seul
instant que son papa et sa petite maman devaient vivre
désormais ensemble avec lui, trouvait plus que naturelle
cette solution.
Puisque Gérard était SClll papa, il Mait bien évid'en~
qu'il devait être le mari de celle qu'il appelait depuis
toujours: maman J
Une semaine de douce intimité avait suivi la grande
décision, puis un jour, Philippe craignant d'être indiscret
en restant plus longtemps au milieu de ses amis, annonça
qu'li partait pour Paris, appelé soi·disant par le rédacteur d'un grand journal, qui lui demandait sa collabora·
tion. En réalité, c'était une alTajre qu'il aurait pu traiter
par correspondance, mais sa grande délicatesse lui Caisait
craindre d'être un Liers gênant ~ntl'O
los deux l1ancés.
- Je vous ar-compagnerai JUS(IU'à Paris, lui avai t diL
Gérard. Il est Lemps crue jo fa sse le nécessa ire pour
reprendre ma yérilable personnalil6. J e ne peux pas me
marier sous un Caux nom 1 .1'ai également d'autres choses
importantes à régler ...
Mais ùe ces « autres l:hOS0S » il n'avaiL absolument ri en
ùiL.
- Reslerez-\'ol!S longtomps? avait domand6 anxieusemonl Christiane, CJue l'idée do cetle première séparation
allrislaE profond6ment.
- Lo moins longtemps possiblo? quin7.O jours, trois
scmain('fl au plus. J o laisse ici toul, co ({ue j'oime eL ma
plus gl'antlo hâto sera d'y revenir Li en vite. A mon
retour, nous Oxerons, si vous le voulez bion, la dalo do
notro marhgp, ma chl.'l'ü·?
SES
�LE LIEN VIVANT
121
- Si je le veux 1 Gérard, mon plus grand désir est de
ne plus jamais vous quitter 1
Les jours avaient passé. Le ménage Bourdet, Christiane
et Jacques s'étaient retrouvés seuls , comme avant
l'arrivée de Philippe Peyret, comme avant ces heureux
événements qui allaient bouleverser entièrement leur
existence.
Christiane recevait tous les jours dos nouvelles de Gérard,
missives tendres et passionnées, ma is évasives dès qu'il
était question des allaires. Il ne fixait pas encore de date
de retour.
Elle lui répondait au nom de Guy Leguern.
Un matin, alors qu'elle était au jardin, Jacques jouant
auprès d'elle, le facteur lui l'omit une lettre de son fiancé
lui annonçant qu'il arriverait le lend emain. ' La letlre
venait d'Ami ens, ce qui no manqua pas de l'intriguer
b eaucoup. Qu'était-il allé CairCl dans la Somme? 11 n'avait
été question que de Paris.
Une inquiétude la saisit.
S'ïl était allé voir de J ouve et lui dire son fait 1
Cela la rendit songeuso toule la journée .. .
Comme il lui tardait do revoü' Gérard 1... Comme il lui
manquail? .. Comme olle l'aimait 1. ..
Il Y avait plus de trois semainos qu'il était parti, trois
semaines qui lui avaient paru plus longues quo six mois!
JI arriva onf1n, accueilli par des transports de joie do la
part do Jacques, par l'oxpresgion d'uno tendresse infinie
do la part de Christiano.
- C'est fini, tout est arrangé, dit-il i.t Mlle do Sermane,
lors do lour promier têto-:'l.-tôto, nous no nous quitterons
plus jamais et j'ai le l>onhour do vous annoncer quo
Guy Lrg ucrn est mort défi nivetnnn t. Gôrard Fallês, par
�LE LIEN VIVANT
123
donc être révisé, ma réhabilitation sera officielle, vous
n'aul'ez pas à rougir de porter le nom de Gérard
Fallès.
- Je n'avais pas besoin de cela pour en être fière, reprit
la jeune mlo, tout émue à la pensée de co rappel à sa vie
future de jeune fomme .. .
- Et si vous le voulez bien, nous irons vivre dans ce
pays qui fut le vôtre et le mien et qui a connu tous nos cha·
grins. Voulez-vous qu'il soit aussi le cadre de notre grand
bonheur? L'usino ào Villenruve va être installée pour la
Iabrication de mon nouvel app:neil. Je laisse ma place de
Brignoles (mon sous· directeur, aidé de l'ancien contre·
maitre Dubard et dirigerai l'usine de la Somme. Je me suis
déjà OGcupé de chercher pour nous une installation, mais
je voudrais vous en laisser la surprise. Si, toutefois, vous
consenle7. à revenir vivre là-bas.
- Avec vous el Jacques, où vous voudrez.
- Je le savais, avoua Gérard dans un baiser.
Leur mariage fut célébré à Mâcon, quelques semaines
plus tard, dans la plus stricte intimilé.
Philippe availlenu, bien enlendu, à y assister, et Gérard
a vail voulu qu'il soit son témoin. La reconnaissance qu'il
lui porlail élait immense ol Peyret lui-môme élait absolumunt ravi d'avoir 6lô la cause do coUo union qui s'D,nnonçait
sous de si heureux auspices.
Il avail été décidé que Jacques resterait encore avec le
rn6n"ge Bourdet pondanl quelque temps, car Gérard
désirait fairo un voyage do noceR en Halie avec Christiane. 115 resleraient environ un mois, visilant Florence,
Venise, Rome, Naples, ct revenant par la Sardaigne, la
Corse el la Côte d'Azur.
C'élait une vraie joIe pour 10 joune couple de vivre co
�122
LE LIEN VIVANT
contre, est bien vivant 1 Le vieux Corthis, qui n'est plus
aujourd'hui une jeunesse, a pu en témoigner lorsque je suis
venu à Villeneuve-sur- Somme, avec le groupe de mes
administrateurs de Lyon, accompagnés de ceux de mon
ancienne aITaire des a vions de transport - directeur
Albert de Jouve 1 - Cette société est actuellement en
pleine déconfIture et il était question depuis quelque temps
déjà que le groupe I. H. R., dont l'usine de Brignoles fait,
partie, rachète celle de Villeneuve-sur·Somme.
" C'est aujourd'hui chose laite.
- Et de Jouve? risqua Christiane que le nom seul de
cet homme faisait frémir et remplissaiL de clégO\Ü .
- Il n'est pas question, bien enlendu, qu'il roste là.
Nouvelle soeiélé, nouvelle direction. Surtout qu'il est bien
élabli, maintenant, que la IaiIlite de la Sociélé def; avions
de transports, malgré l'ancienne invention FaiMs, n'est
duo qu'à l'incompétence et il la pitoyabl e d ireclion d'Albert
de Jouve. J'ai tout raconté à mes administrateurs et ils
onl tenu il. ce que l'entrevue quo j'aul'uis avec ce voleut'
ail lieu en leur présence. Ah 1 il a fallu voir la tête du bonhomme 1 II a cru il une hallucination, puis il a tout aVoué.
II purgora sa poine et, une fois sorti de prison, jl ira ~o
raire pend re ai lIeurs 1
- Je suis heurewlO pour vous, Gérard. 11 a fallu cinq
ans pour quo la vérité soit ennn connue. Oublierez-vous
Lous vos chagrins passés?
- Tout n'est-il pas, déjà oublié, ma chérie, aupl'ès de
vous?
- Gérard, vous êtes bon.
- Je vous aime, simplement, Christiane 1 et je crois que.'
Dieu permet que nous soyons lleureux ensemble, j'oprit 1.
jeune homme, serrant amoureusemeut la j une nUe duns
ses bras. Mais je no vous ai pas tout dit. Mon procès V,l
�I,E LIEN VIVANT
125
cité peut faire naître une union basée sur l'affection, la
confiance et l'estime réciproques.
Enfin, un j01,lr de fin octobre, ils prirent le chemin du
retour, et l'on pût voir la Talbot beige rouler vers le
Nord.
Appuyant délicatement sa tête sur l'épaule de son mari
qui conduisait, Christiane laissait flotter sa pensée, tandis
qu'un délicat crépuscule d'automne revêtait d'ocre et d'or
toute la campagne environnanLe.
Gérard et Christiane éLaient partis le matin de Lyon
et c'était le dernier jour de leul' voyage.
Dans quelques minules maintenant, ils allaient arriver
dans le pays qui avait été témoin de toutes leurs infortunes.
- J'ai été bien sage, Gérard, dit Christiane tout à
coup, et j'ai attendu avec ferveur et pour vous en laisser
aussi tout le plaisir, la surprise que vous désirez me faire,
concernant notre maison. Vous avez voulu que je sois tauLe
il vous pendant ce mois délicieux que nous venons de passer el qu'aucune aulre pensée ne vienne m'emeurer. J'avoue
qu'aujourd'hui mon impatience est folle de savoir où vous
m'emmenez ...
Gérard souriait sans répondre, accélérant la vitesse de
la voiture qui suiv ait alors une large roule bordée
d'arbres,
- Mais je reconnais celte route, s'écriait mainli-cnant la
jeune femme en proie à un grand trouble el sur le point
de comprendre ...
- Fermez les yeux, ma chérie, voulez-vous, et ouvrezles quand je vous le dirai. ..
Cinq miuutes s'écoulèrent pendant lesquelles Christiane
sentait tous les battements de son cœur,
Puis comme l'auto ralontissait ;
�124
LE LIEN VIVANT
mois de solitude à deux, devant les merveilles de la
nature et de l'art.
Heureux!
Comme ils étaient heureux, confortablement installés
dans leur auto qui les emportait bien loin de lout, leur
semblait-il, vors un pays de rève el d'amour.
11 n'a vait toujours pus été question de leur future installation et Christiane était partie suns sayoir ce que son
mari avait décidé pour leur nouvelle maison.
Chaque !ois qu'elle avait voulu lui on parler il avait
souri en lui disanL :
- Ne vous préoccupez de rien, ma chérie, c'est moi qui
doit avoir mainLenant le souci de tout. Laissez-vous donc
gâter un peu! Soyez. sans inquiétude .
- Mais, Gérard, c'est le contraire eL c'est moi qui dois
penser il vous faire un « home» agréable.
- 11 suffit quo vous y Boyiez pour qu'il le soit, Christiane.
- Une chaumièro et un cœur, alors, Gérard!
Si 10 jeuno homme avait élé cachottier, co n'est pas
qu'il ne soit pas préoccupé do la « chaumièro » en question.
11 avail cu il cc sujet do longs conciliabules avec Joseph
et Nounou, conciliabules qui cessaient cOlUme pur enchantement dès que Chl"istiane apparaissait. ..
Ils avaient laissé il Brignoles, qui avait 6t6 leur première étape, leur voilure qu'ils comptaient reprendro dans
celt.e ville, lorsqu'ils auraient terminé en cilelllin do ier et
cn batpau, lour tour cnchan teur au pays du soleil ct ùe
la beauLé.
Co quo ful co voyage, oux souls auraient pu le diro 1 Co
fllt pondant ces jour!) blnis guo lour amour connut son
plrin "p!lnO1i~Remot,
qu'ils surent ouels trPfiors dr (pli-
�126
L'Il LIEN VJ~NT
- Nous sommes arrivés, dit soudain Gérard.
Christiane, ouvrant alors les yeux, aperçut la Propidence baignée par la pâle lumière du soir .
- Ma chère maisonl murmura-t-elle.
- Permettez-moi de vous l'ol1rir; c'est le premier cadeau
de votre mari, Christiane, dit Gérard Fallès tendremenL.
.Elle le remercia d'un regard plein de reconnaissanco ct
d'amour, tandis qu'au mêmo in st:ln~
, comme l'auto
stoppait enfin, elle apercevalt sur le perron de la vieille
demeure, J acques qui venait vers elle, en lui tendant les
bras, suivi de Nounou et do Joseph qui pleuraient de bOl)heur el d'émotion.
FIN
�Poor paraître le IS Septembre sous le nO 297 de la Collection" FAMA ..
PAR H ENR IETTE
LANGLADE
UN CŒUR TIMIDE
CHAPITRE PREMIER
La dernière bête venant d'êlre lraite, la jeune mIe se
redressa , lasso d'avoir ét é si longtemps courbée el son
regard chargé d'ennui embrassa l'ét able.
Devant les l'aleliers les croupes puissantes des vaches
luisaient, sombres el dorées, sous la lueur de la lampe
électrique.
Claire Bénars éloufTa un so upir. Ce décor, elle le connaissait à en être excédée ...
Toule p e~ i te ello ay
i ~ respiré cotte odour chaude et
forle des animau " à laquelle sc mêlait colle, violente, du
fourrage . En jouant, elle regardait sa mèro soigner les
bêles; lorsquo colle-ci étail morto, cetto t âche avait incombé 11 J eanne , sa sœur aînée .
J eanne et Claire avaient une dizaine d'années de diliéJ'once. Physiquement ot moralement elles étaienl aussi
dissemblables que possible.
Petile el frêle, Clail'e paraissait à peine ses vingt ans.
Blond e, elle a vail dos lraits déli cals ot r éguliers ct de
beaux yeux bleus à l'expression candi do qui lui donna ient
un grand air do dislin ction donl demeuraient générale-;
ment étonnés ceux qui 10 voyaient pour la première fois.
Quant à J eanne, bien qu'atteignant tout juste à la'
lrentaine, elle ne donnail déjà plus l'impl'ossion'
d'êtro jeune . Maigro et sècho, t oute en ossat ure, olle
app artenait à cello race des paysan nes pour qui le
travail est 10 sOül but de la vie el qui n'ont aucun
souci de la coquetterie. VourLant elle n'était pas laide ct
si ello l'avait voulu clio aurait même pu paraître agréable.
Ma
i ~ il faut dire à sa décharge qu'elle assumait une
(A suit/r e.)
�/
850-32. -
CORBEIL. IMl'lIlMERlE cntTÉ.
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délicatanenl
nuancée, dait retenir jusqu'à 1. dernière ligne l'attention dei lectrices.
les œuvres publiées par la
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parlent au cœur des femmes.
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tation parfaite. ces volumes constituent une Bibliothèque idéale pout
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EST.CE DONC L'AMOUR?
par Philippe J ARDYS
LE CHANT DU SILENCE
par Andrée SI KORSKA
L'ERMITE DE ROCHEMAURE
par Louis DERTHAL
LE CŒUR DE CENDRILLON
par Claude MAREUIL
LA MOITIÉ DE MON AME
par M.-A. HULLET
LES OISEAUX DE NOS CŒURS
par Henry JAGOT
SOUS UN TOIT NORMAND
par M. de CRISENOY
LA MAISON DU SORTIŒGE
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Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Sempré , Jacques (18..-19..)
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Le lien vivant : roman
Publisher
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Ed. de la "Mode Nationale"
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
impr. 1932
Description
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Collection Fama ; 296
Type
The nature or genre of the resource
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BUCA_Bastaire_Fama_296_C90791
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:il •••••••••••••••• o •••••.•••••••••••••••••.•••••••.•••••••••••••••• I. ••• Jr.
�•
LE SPECTRE VOILÉ
,1
�M.~A
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Spectre toujours voilé qui nous suis côte à côte. "
Et qu'on nomme demain /
VICTOR Hl/CO
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PARIS (XIve)
�LE SPECTRE VOILÉ
CIIAPITHE PHEMlER
Suivant une expression vulgaire, il faisait, ce jourlà, un temps à ne pas mettre un chien dehors. Le vent
glacé d'hiver 1 en cette contrée environnée ùe montagnes,
avait amené avec lui des nuages si sombres et une
pluie si pénétrante qu'on ne pouvait songer à sortir
sans nécessité.
La petite Laurence Dastier était contente de cette'
exagération de pluie et de vent. Elle n'aimait pas se
promener par le froid , et il lui était douloureux de
revenir à la nuit tombante, pieds et mains gelés, le
cœur attristé par les observations do Rita, la bonno
d'enfants, et l'esprit hum.ilié par la conscience de son
infériorité physiqul) vis-à-vis de Claire, d'Odilo et
d'Édouard Martel.
Ils étaient « grands et forts pour Jeur âge», tandis
qu'ello était « chétive et rabrougl'ie »; ils étaient beaux,
elle étaiL laide; ils avaient des (c teints de fleufs », son
teint à olle était (( terreux et brouiUé )~. suivar.t le$
�6
LE SPECTflE VOIL É
3xpressions de Mme Martel, à la fois heureuse more
des uns et malheureuse tante de l'autre ; enfin ce qui
était pire que tout, et toujours d'après cette même
tante, Laurence possédait tous les défauts, tandis que
Claire , Odile et Édouard n'avaient que « les défauts
de leurs qualités ».
Mme Martel, étendue sur une chaise-longue Empire,
et entourée de ses trois chéris qui, pour le moment,
ne se dispuLaient ni ne se battaient, semblait parfait ement heureuse. Une psyché , non loin d'elle, lui l'en·
voyait son image, et elle avait l'illusion, avec ses
cheveux courts bouclés à la Titus, de contempler le
portrait de Mme Récamier peint par David, à cette
difIérence près , qu'elle ne remarquait pas, mais qui
sautait aux yeux de ses familiers : la pose Geule l'apparentait à la célèbre et charmante amie de Chateaubriand.
Elle avait interdit à Laurence Dastier ùe se joindre
au groupe de ses enfants, en déplorant ln nécessité où
elle se trouvait de l'en tenir. éloignée:
- Quand Rita témoignera de vos eITorts pour acqu érir un caractère plus sociable et plus enfantin, des
manières qui ne soient pas des manières de sauvagesse
ou de fille des bois, quand vous ne serez plus une
hypocrite et une harpie, peut-être pourrai-je, sans
danger pour eux, vous laisser approcher des enfants
normaux, de mes enfants.
-Ritaa encore raconté des histoires sur moi? Qu'est·
ce que j'ai encore fait, ma tante?
- .Te vous ai défendu cent fois de me questionner.
�LE SPECTRE VOILÉ
7
Mettez-vous dans un coin et l'estez tranqui lle j1;lsqu'à
ce qu'on vous appelle.
Une petite salle à manger ouvrait sur le salon;
Lauren ce s'y glissa. Dans une bibliothèque dont les
rayons étaient remplis à craque r de livres enfanti ns,
elle eut vite fait d'en choisir un orné de gravur es.
Elle se plaça dans l'embra sure d'une fenêtre à guillotine, son coin préféré et, ayant déployé un parave nt,
elle se trouva enfermée dans une pièce minuscule.
Tout ce qui se trouva it il sa droite était caché; à sa
gauche la vitre unique et claire la protége ait, mais
ne la séparai t pas, d'une triste journée de décembre.
De temps :l autre, en retourn ant les feuillets de
son livre, elle étudiai t l'aspec t de cet après-midi
d'hiver . Au loin, elle voyait une ligne pâle de brouillard et de nuages, au premie r plan un feuillage
mouillé et des bosque ts battus par le vent lourd de
pluie.
Elle revena it alors à son livre, le Journa l de Marguerite, et les mornes de Bourbon, et ses jardins
fleuris lui faisaient, de page en page, oublier le
spectacle désolé qui se jouait devant ses yeux.
Et la fiUette était heureuse à sa manièr e, bonheu r
dû tout entier à l'imagi nation; elle ne craignait qu'une
chose, que ce bonheu r fût interro mpu. Cette interru ption redoutée ne se fit guère attendr e. La porte de
la salle à manger fut viveme nt ouverte .
- Où est la sournoise? eria la voix impérieuse et
défoagréable d'Édou ard l'vlartel.
�8
LE SPECTIŒ VOILÉ
Puis il s'arrêta dans son élan en avant car la pièce
~ui
sembla vide.
1 - Vous ne savez 'pas où elle est, vous autres?
continua-t-il en s'adressant à ses sœurs. Je suis SQ1'
'que la sale bête est allée courir en chaussons, sous Ja
Ipluie. Il !aut le dil'e à maman pour qu'elle soit privée
,de dessert cc soÏ!'.
; - J'ai bien fait de déployer le paravent, songea
ILaurence, quî, pour faire moins de bruit qu'une
mouche, ne tournait pas la page achevée et retenaH
sa respiration.
Mais Claire s'6tant avancée dans la pièce s'écria:
- Je suis sûre qu'elle est derrière ce paraveItt, qui
ne se trouve jamais à cet~
place.
~
1
Laurence se montra immédiatement, car elle tremblait d'être retirée de sa retraite par son cou- :
sin.
1 _
Que désirez-vous? lui demanda-t·elle avec une
timidité pleine de respect.
- Je vous prie d'être polie.
- Je le suis.
- Non; vous avez appris qu'on doit ajouter, dans
la conversation, les mols monsieur, madame ou
mademoiselle, même quand le sens de la phrase
n'exige pal' leur emploi. Avez-vous compris?
. -Oui.
- Encore! Dites: (( Oui, monsieur Martel".
Laurence s'exécuta sans broncher.
- Maintenant répétez la phrase de tOl.lt ~ l'heure
1
�LE SPECTRE VOILÉ
9
de la manière que je viens de vous enseigner: C( Que
désirez-vous, monsieur Martel?»
; - Que désirez-vous, monsieur Martel?
, - Je désire que vous vous teniez debout devant
moi en restant bien droite et en me regardant franchement dans les yeux. Vous avez le regard fuyant,
dit maman.
; Ce jeune tyran était un collégien de qua"torze ans,
Laurence n'en avait que dix. Fort et vigoureux pour
son âge, son visage, sans beauté, sans délicatesse,
aux traits rudes, était encore déparé par de nombreux'
boutons, dus au chocolat et aux sucreries dont sa
mère le gavait; cependant elle ne l'excluait pas, pour
au~nt,
du fC teint de fleur» mérité, il est vrai, par
les deux fillettes.
Édouard n'avait beaucoup d:affection ni pour sa
mère, ni pour ses sœurs, quant à sa cousine il ne
pouvait la souffrir. Il la malmenait, III maltraitait,
non pas de temps en temps, mais continuellement,
pour peu que des vacances ou une convJ.lescence le
maintinssent à la maison. Chacun des nerfs de la fillette
le redoutaiL et chacune de ses fibres tressaillait à son
approche. JI y avait de. moments où elle était ahurie
menaçait ou mettait à exécude terreur car lor~qu'ia
tion ses menaces, elle ne pouvait en appeler à pe'rsonnc. Rita aurait craint de se faire renvoyer en
prenant sa défense, ct Mme Martel, cette réplique de
Mme Récamier moins la beauté, semblait avoir pris
à l'égard de son fils cette maxime extrême-orientale ,
�10
LE SPEC TRE VOILÉ
du bonheur: «Ne rien dil'e, ne rien voir, ne rien
Entendre )).
Laurence avait l'habitude d'obéir à Édouard. En
entendant son ordre, elle s'approcha donc de sa
chaise . Il passa quelques minutes à lui faire des
grimaces variées, qui le faisai ent ressembler à un
magot chinois et comme la mIette savait qu'elle
allait être frapp ée, elle regardait avec effroi sa figure
repoussante.
Tout à coup, en effet, il cessa de se tirailler les
coins de la bouche, de s'écarter le nez, de se brider
les yeux et, se levant sans parler, il lança, à la
manière des boxeurs, un coup de poing dans l'estomac
de sa cousine.
- Ça, c'est primo, pour l'insolence avec laquelle
vous avez r6pondu à maman, secundo, pour avoir eu
l'audace de d6placer le paravent, tertio, pour m'avoir
parlé sans respect. Vous devriez, en bonne justice,
recevoir lrois coups; vous n'en recevez qu'un, estimez.
vous contente. Maintenant, r épondez-moi sans
Hmbages: à quoi tl'avniIiiez-vous derrière le paravent?
_ Je lisais, monsieur Martel.
- Allez me chercher le livre; si c'est un livre, la
,'evue, si. c'est une revue,
Laurence retourna vers la fenêtre et rapporta
aussitôt le Journal de Marguerite ,
- Je vous défends de vous servir de ce qui nous
appartient. Maman dit qu o nous vous recueillons par
�LE SPEC TRE VOI LÉ
11
charHé. VOUS n'avez rien à vous. Votre père ne vous
a pas laissé un centime. Vous devriez mendier sur
les routes ou à ]a porte des églises et non vivre ici
avec nous. Ce que maman vous donne, c'est autant
qui nous est enlevé, eL elle le regrette assez. Pour
nous vous ôLes une mendiante propre, rien de plus.
Maintenant, pour vous apprendre ù mettre notro
bibliothèque au pillage, allez au p.otoau d'exécution:
une, deux, trois, on avant, marche 1. .. Je vais, mademoisolle, vous appliquer la peine du talion. Le ohâtiment sera égal à l'offeme. Vous avcz péché par un
livre, vous serez punie par un livre. Vous y êtes?
Attention!. ..
Laurence, docilement, s'était dirigée vera le poteau
d'exécution, en l'occurrence la porte fermé e, qui lui
était désignée d'un doigt impérieux, sans comprendre,'
d'abord, l'intention de son tortionnaire. Mais quand
elle le vit soulever le Journal de Marguerite et
esquisser le geste de le lui lancer à la tête, elle se
reoula d'instinot vers une potiche placée sur une
sellette, sachant bien qu'Édouard respectait les objets
ornant la maison, ct qu'il n'était rien de tel que Je
voisinage d'un objet fragile pour la protéger contre
ses coups. Tou.tefois, elle ne sc déplaça pas assez vile.
Le lourd volume relié vola dans l'air, l'atteignant ù
la tête. La fillette trébucha, tomb:l SUl' la poticilO,
qui se brisa, la blessant à la nuque.
L'agneau, b!'usquement redressé, était devenu
enragé :
�LE SPE CTR E VOI LÉ
12
Vous
êtes un criminel, cria it la fillette.
irez en prison entre des gendarmes.
ler ainsi, à moi,
-- C'est il moi que vous osez par
à moi ? ..
uard.
L'audace de Laurence suffoquait Édo
t elle ose
men
- Claire, Odile, vous entendez com
s
an, mai ava nt ...
me par ler? Nous irons le dire à mam
tendue, il prit
Joignant le geste à la menace sous-en
la secouer de toutes
la fillette par les épaules ct se mit à
pure qui saignait.
ses forces, sans se soucier de la cou
elle débordait.
C'en étai t trop, la coupe étai t pleine,
fillette. MainteLa colère décuplait les forces de la
Du secours arriva,
nan t Édouard criait, se débattait.
e. La cuisinière,
Claire et Odile amenaient leur mèr
battants furent
la bonne d'enfants suivaient. Les com
bras au ciel :
séparés et Rita s'écria en leva nt les
ter la main sur
- Quelle petite furie 1 Oser por
M. Édouard!
, emmenez-la
- Emmenez-la immédiatement, Rita
et enfermezelle
immédiatement tou t en hau t de la tour
la à clef.
r un mouvement
Laurence résista. Elle savait que pou
seraient in!ligées,
de révolte de sévères punitions lui
se soumettre.
mais elle étai t bien résolue à ne pas
, dit Rita à la
- Félicie, tenez-lui la main gauche
te au groupe. On
femme de chambre qui s'ét ait join
chien enragé.
dirait qu'elle a été mordue par un
duire ainsi avec
- Je ne sais comment elle ose se con
le fils de sa bienfaitrice.
-
VOUS
�LE SPECTRE VOILÉ
Tout en lui prodiguant les observations et les
semonceil, les deux servantes l'avaient conduite dans
la tourelle et jùtée SUI' une chaise.
Le premier mou vement de Laurence fut de se lever
d'un bond: quatre mains l'arrêtèrent.
- Si vous ne restez pas tranquille, on va vous
attacher. Félicie, cherchez de la ficelle dans un tiroir
ou coupez le cordon de tirage de ce rideau.
-Necherchez rien, ne coupez rien, s'écria Laurence.
Je ne bougerai pas.
Et pour prouvel' qu'elle pensait ce qu'elle affirmait,
elle se cramponna à son siège.
- Et surtout ne vous levez pas, dit Rita.
Quand cette dernière fut certaine que l'enfant était
bien décidée à obéir, elle la lâcha en disant:
- Elle >l'en a jamais fait autant. Ce pauvre monT
sieur Édouard avait les mains tout égratignées.
- Il ne faut pas se fier à elle.
Rita ne répondit pas, mais bientôt, s'adressant à
Laurence, elle lui dit:
- Vous savez pourtant bien que vous devez tout à
Mme Martel, qui vous élève avec ses enfants. Si elle
vous chassait, vous iriez à l'Assistance.
Ces remarques sur l'état de dépendance où se trouvait l'enfant n'étaient pas nouvelles pour elle. Les
souvenirs les plus anciens de sa jeune vie se rattachaient à des paroles semblables; elles étaient le leitmoti v entrecoupant toutes les observations qui lui
Haillut adressées.
�14
LE SPEC'l'R E VOILÉ
- VOUS n'allez pas vous croire l'égale de M. Édouar d
et de ses sœurs parce que Madame a la bonté de
vous faire élever avec oux. Ils seront riches et vous
serez pauvre . Vous devez donc être soumise et tâcher
de vous faire oublier plutôt que dû voua regimb er
Loujours comme un coq en colon' . Ce qu'on vous dit
est pour votre bien, conclut Rita, qui n'était pas une
mauvûise personne et avait Ulle asse z bonne éducati on.
Si vous devenez insupp ortable , on vous renverr a et
vous serez encore plus malheu reuse qu'ici.
Cette chambr e de la tomelle où les bonnes avaien t
condui t Lauren ce étaü glaciale. Le chauffage central
ne montaü pas jusque- là et comme on n'y entrait que
de temps en temps, pour les nettoya ges indispe nsables ,
elle prenait , aux yeux de l'enfan t, l'aspec t mystér ieux
des pièces qu'on n'habit e jamais.
La lumière du jour comme nçait à décliner. Les
nuages qui couvraient le ciel devaie nt amener bientôt
l'obscu rité tant redouté e et, dans cette pièce, append ice
inutile du fier château des Cèdres, pas la moindre
source de clarté artificielle permet tant de compen set
la déficience du soleil.
Et la nuit se fit complète autour de l'enfan t délaissée,
que les ténèbre s, peuplées de réminiscences do contes
fantast iques, épouva ntaient ...
�LE SPECTRE VOlLÉ
15
CHAPiTRE II
Dès que la sensation se réveilla ùans Laurence, il
lui sembla sortir d'un affreux cauchemar. Elle
entendait parler à voix basse. L'agitation, l'incerti.
tude et, par-dessus tout, un santiment de terreW'
avait jeté le trouble dans son âme . Au bout de
quelques minutes, elle senli t quelqu'un s'approcher
do'elle, la soulever ct la placer, sur son oreiller, dans
une position commode. Personne ne l'avait jamais
traitée avec autant de sollicitude.
Bientôt le nuage qui embrumait son cerveau sc
dissipa. Elle s'aperçut qu'elle ne se trouvait plus dans
la chambre de la tourelle, mais dans son lit. Rita;
debout à côté d'elle, tenait en mains un fla con d'eau
de Cologne et une serviette, tandis qu'un inconnu,
assis sur une chaise, auprès de son oreiller, la regar.
dait en silence.
Elle éprouva un inexprimable soulagement, une
conviction qu'elle était protégée, en s'apercevant que,
dans la chambre, se trouvait un étranger, étranger à
la fois au château et à la famille de Mme Martel.
Détournant son regard de la benne d'enfants, Laurence examina le visage de l'inconnu.
- Me reconnaissez-vous, mon enfant?
Oui, la filJ,elte savait maintenant que c'était là le
médecin appelé de temps en temps au chevet de l'un
�16
LE SPECTR E VOILE
des membres de la famille Martel. Ses idées s'éclaircissaient en même temps que se dissipaient l~s brumes
de son cerveau.
Après avoir prescrit certains soins et déclaré qu'il'
reviend rait le lendemain, il partit, au grand regret de
l'enfant. Elle se sentait si bien protégée par sa présence.
Quand il eut fermé la porte derrière lui, la chambre
sembla s'obscurcir et le découragement accabla de
nouveau Laurence. Une inexpri mable tristesse la submergea.
- Voulez-vous dormir? demanda Rita d'une voix
presqu e douce.
- Je n'ai pas sommeil, mais je vais fermer les yeux
pour vous faire plaisir.
- Voulez-vous boire un peu d'cau minérale ou
manger quelque chose de léger?
- J'ai soif, mais je n'ai pas faim ....
- Buvez lentement. Ensuite j'irai me coucher, cal'
il est une heure du matin. Vous pourrez m'appeler si
vous avez besoin de quelque chose.
Que d'égards! La fillette s'enhar dit jusqu'à ques":
tionner, ce qui lui était sévèrement interdi t d'ordinaire.
- Pourquoi le docteur Lormier est-il venu? Ai~je
été malade ?
- C'est-à-dire qu'à force de p!(mrer, de criel' et
d'avoir peur, vous vous êtes trouvée mal dans la
t.ourelle . Madame ne voulait pas qu'on aille vous
délivrer, mais il a bien fallu qu'on se décide.
�LE SPECTI1E VOILB
Ello s'arl'êta soudain , ne voulant pas se compr~ltJ'e
par des propos inconsidérés, et sortit de Ja pièce.
Laurence passa le nuit dans une veillo craintive.
Ses oreilles, ses yeux, son esprit étaient tendus par
la fl'ayeur, une fray eul' que les enfants seuls peuvent
éprouver.
Aucune maladie longue ou sérieuse ne suivit cet
incident; cependant les nerfs de Laurence en reçurent
une secousse dont elle se ressentit longtemps . Toute.fois, le lendemain, assez tard dans la nntinée, elle
Se leva, s'habilla, et après s'être enveloppée dans un
vieux manteau, chaud et souple, elle s'assit, le dos
à un radiateur. Elle se sentait faible et brisée, mais
sa plus grande souITl'ance provenait d'un inexpriqui lui arrachait des pleurs
mable abt~men,
secrets. A peine une larme essuyée, une autre suivait,
et pourtant l'enfant aurait dû se sentir tranquille car'
la famille Martel é~ait
sortie au grand complet.
Félicie cousait dans une autre pièce, et Ri.ta , qui
allait et venait pour procéder à divers rangements,
adressait, de temps à autre, à Laurence, une parole
d'une douceur inaccoutumée.
La fillette aurait dû se croire au paradis, habituée
comme elle l'était à une vie d'incessants reproches et
d'eITorts méconnus; mais ses nerfs étaient tellement
ébranlés que le culme extérieur n'avait plus le pouvoir
de les apaiser.
Rita descendit à la cuisine ct en rapporta bientôt
que1ryues friandises dans une assiette de Saxe, où des
2
�18
LE SPEC'l'RE VOILÉ
personnages, vôtus de coslumes Louis XV, dansaient
un menuet sur un fond de verdure. Laurence avait
&ouvent demandé qu'on lui permit de tenir cette
assiette et de l'examiner de près, mais jusque-là olle
avait été jugée indigne d'uno telle faveur . Maintenant la précieuse porcelaino était posée à proximité
de sa petite main et on l'oflgageait à manger les bonnes
choses qu'ello contenait . Faveur venant trop tard! La
seule vue des sucreries l'écœurait et olle n'avait
même pas la curiosité do les écarter pOUl' contompler le gracieux couple qu'elles recouvraient.
- Vouloz-vous un livre? lui demanda Rita.
Aussitôt elle songea au volume qui avait été la
cause de sa blessure à la nuque, car elle no gardait
pas rancune aux: objets, instruments inconscients
dans de jeunes mains cruellos:
- Oui, je serais contento de lire tranquillement 10
Journal de lI1arguerite.
. Elle avait toujours lu et relu des bribes de cet incomparablo ouvrage avec un nouveau plaisir, et elle
éprouvait pour Mario ot Marguerite une affection
qu'elle était loin de ressontir pour Claire et, Odile , si
dépourvues de cœur. Cependant, quand co volume
aimé fut placé entre ses mains, quand elle se mit à le
feuilleter en cherchan t, dans les reproductions de lu.
Hore tropicale, le charme qu'elle y avnit toujours
trollyé , tout lui apparut sombre et désolé. Les gigant esques flamboyants, aux fleurs d'un rouge brillant,
lui semblèrent aussi dé-pourvus d'intérêt que les
�LE SPECTRE VOILÉ
19
pavots des blés, et les mornes pelés, et los volcan s
aux pentes abruptefl, rio petilos éminencos de terrain
semblables il celles qui boursouGaient la campagne
environnant les Cèdres. Les Alpes, quoique visibles,
étaient trop lointaines pour paraît 1'0 élevées.
Elle ferma le livre et le plaça, ti\m geste las, ù côté
de l'assiette.
Rita ayant fini ses rangements, ouvrit un tiroir
rempli de coupons de toile de soie rose, et se mit i:t
tailler, puis à coudre une combinaison pour Odile.
Les dessous de crêpon de coton étaient réservés à
Laurence.
Tout en cousant, la jeune fille chantait une mélodio
que Laurence entendait toujours avec plaisir, car
Rita avait une voix très agréable. Aujourd'hui, l'enrant trouvait il ces accents famili '!['G une infinie tris-'
tesse et elle se mit ù pleurer de nouveau.
Tandis qu'elle tamponnait ses yeux, le médecin
enLra:
- Eh bien, Jit-il en enSrant, introduit par Félicie,
Cornmen t allons-nous aujourd'hui?
- Mais, beaucoup mieux, Docteur, répondit Rita.
- Alors, si eUe va mieux elle ne devrait pas pleurer.
Venez ici, ma petite fille . Vous 'Vous appelez Laurence,
je crois?
- Oui, Monsieur, Laurence Daswer.
- Eh bien, Mademoiselle Dastior, pourriez-vous
/me diro pourquoi, tout en allant beaucoup mieux,
Ivous faites s.i triste visage?
�20
LE SPEC'fRE VOILÉ
- Je ne sais pas, Monsieur'.
- Elle pleure sans doute parce que Madame ne lui
a }1a8 fait place dans l'auto.
Froissée qu'on pût penser quo son chagrin avait
une cause aussi mesquine, l'enfant répondit, vivement:
- Jo ne pleure pas pour si peu de chose . Je déteste
sortir avec ma tante. J'ai du chagrin parce que je suis
malheureuse.
- Ce n'est pns joli) cc que vous d ites là, Mademoisolle Laurence. Si i\farlame vous entendait!
Le docteur rvrolier sembla embar r':\ssé . Il examina
l'enfant en si lence et reprit :
- A la suite de quoi avez-vous été malade hier?
- Elle est tombée, répondi t vivement Hita .
- Comme un petit enfant qui ne tient pa:! sur Res
jambes) fit le médecin en souriant,.
Laurence, de nouveau blessée dans son amour-proprè,
~'éc
ri a vivement :
- Je tiens très bien snI' mes jambes. Si je su is
tombée' c'est parce qu'on m'a jeté cc gros livre à la
tête ... Et encore, ce n'est pas ce qui m'a renùue
malade. On m'a enfermée seule dans !a chambre de la
tourelle .
A ce moment , de .la cuisin!) , on sonna fiita pO:lr
qu 'elle y descendît. Elle eût préféré rester ; cependant
oll e quitta la p ièce après que le doeteur Moliel' lui
eût alYirmé qu'il n'avait pas besoin d'olle .
- Qu'a donc de si particl11ier la. ehambre de la toul'~ l e pour vous avoll' l'enùuo malade:'
�LE SPECTRE VOILÉ
21
- Éùouard dit que, la nuit, les revenants s'y promènent. Personno ne voudrait y dormir et c'était très
méchant de m'y enfermer seule, sans lumière ... Mais
co n'est pas pour cette raison seulement quo je suis
malheureuse. Il y en a d'autres.
- Pouvez-vous me les dire?
- Jo n'ai ni papa, ni maman, ni frère, ni sœur.
- Mais vous avez une tant.e et des cousins qui sont
hons pour vous.
- C'est mon cousin Édouard qui m'a lancé le
Journal de Marguerite à la tête, . et c'est ma tante qui
m'a enfermée dans la tourelle.
- Vous ne pensez qu'à la tQurelle, mais n'êtes-vous
pas heureuse d'habiter un beau château comme les
Cèdres?
- Non. Je serais bien contente de partir.
- Aimeriez-vous aller en pension?
- Oui, du moment que ni ma tante ni mes cousins
ne m'y suivraient.
- Qui sait? Peut-être cela viendra-toi!? dit le docteur Molier en se levant. Il ajouta, comme se parlant à
lui-même: cc Il faudrait à cette enfant un changement
d'entourage. Les nerfs ont besoin de repos et de
détente. n
l'lita revint. Au môme moment, on entendit le klaXon de l'auto.
- Est-ce Mme Martel? demanda le docteur. Je
Voudrais lui parler avant de partir.
�22
LE SPEC'l'TIE VOILÉ
CIIAPI THE III
Laul'ence s'avanç a ver.; la fenêtre de sa cham~re
minusc ule, l'ouvri t ct regarda devant elle . Au premie r
plan se décou pait, SUI' un fond de hauts platane s, les
deux ailes du pension!lat où elle venait de passer
huit années de sa vic et, au delà du mur de clôture ,
l'horizo n de montag nes qui empêch ait ses yeux (e
voir plus loin.
Orph elinat plutôt que pension nat, : t' '-; travaux
manuel s su.rt.out étaient enseign és à Béthanie; cependant, par fav eur toute spécial e, quelqu es jeunes fill es
bien douées y recevai ent tant bien que mal une instructio n primai re supérie ure, et Lauren ce était sur le
pmnt d'en sortir, munie de ses deux brevets d'institutrice.
Son cxpérie n0e sc bornait presqu e exclusi vement à
la connais sance de ce que lui avaien t enseign é les
livres, car la r ègle de la maison ne prévoy ait pas do
profess eurs se consac rant uniquement à l'enseig nement. Les jeunes filles les mteux douées travaill oient,
beauco up seules, se conten tant de quelqu es houres
pal' semain e d'éclair cissements ct d'expli cations
pour les points les plus obscurs des pl'ogl ammos . T outefois l'étude des langues v'vante s leur oITrait d'assC'z
grande s facilités , CClI' plusieu rs pension naires do
Jlationa lité étrangè re se metLaient volonti ers à la disposition de Joues compng nes.
�JJE SPECTRE VOILÉ
23
Et Lanrence, les yeux perdus dans le vague, se
disait que la terre est grande et quo bien des champs
d'espoir, de crainte, d'émotion et d'imprévu étaient
ouverts à ceux et à celles qui possédaient assez de
courage pour aller de l'avant et chercher, au milieu
des périls, munis de bons principes, la connais!lance
do la vie.
Elle embrassait d'un long coup d'œil tous les objets
qui s'oITraient à sa vue, et ses yeux s'arrêtèrent enfin
SUl' les pics bleuâtres les plus éloignés, avec le désir
de les franchir.
Son regard pal'courait ceLte grande route qui contournait le pied de la montagne ct disparaissait dans
une gorge , entre deux c011ines. Elle aurait désiré la
suivre des yeux plus loin encore. Elle se mit ù penser
au temps où elle avait descendu cette même route,'
venant dû la petite gare de Grésy-sur-Aix, à la faible
lueur d'un quartier de lune.
Un siècle semblait s'être écoulé depuis le jour où
elle étai~
arrivée ft JJéthanie. Jamais elle n'avait quitté
cette solitude; elle y avait mêmo passé ses vacances.
Jamais Mmo Martel ne l'avait fait venir aux Cèdres.
Ni elle ni aucun membre ùe sa famille ne s'était
dérangé pour rendre visite ù l'orpheline. Pas l'ombre
d'une lettre n'était venue lui rappeler que, dans le
vaste monde, un être humain pensait à elle.
'. Le règlement, les devoirs, les habitudes, les voix,
l'uniforme, les préférences eb les antipathies de la
pension étaient tout ce qu'ellc savait de l'nxlstenco,
�24
LE
SPE c'rnE
VOILÉ
et elle sentait maintenant que ce n'était pas a ~s oz . En
une seule après-midi, cette routine de r.euf années
lui était devenue pesante. Elle désirait la liberté ou,
à défaut de liberté, une autre servitude, car il fallait
travailler ferme dans cet établissement méthodiste
qui avait eu, pour son bon marché, les préférences de
la sèche Mme Martel et se servir du balai et du plumeau,
tout en étudiant.
- Une autre servitude, se disait-elle. Ce mot doit
avoir un sens pour' moi, car il ne résonne pas trop
doucement. Ce n'est pas comme les mots liberté,
bonheur, sons délicieux, mais pour une jeun e fille
d~nuée
de fortune et de charmes, sons vains, fugitifs
et sans grande signification. Vouloir me les répéter en
secret, c'est perdre mon temps, mais une servitude
vaut la peine qu'on y pense. Tout le monde peut
sùvir. Ici je l'ai fait neuf ans. Mais maiiltenant je
veux partir', reprendre ma liberté, tout au moins ma
liberté d'action.
Et la jeune fille sOllgeait à un nouveau pays, à
une nouv ellr. maison , à des visages et à des événements
nouveaux. Elle ne se voyait pas, dans une grande
'ville, allant et venant d'un petit chez elle à un
quelconque bureau. Elle voulait, entre quatre murs
'inconnus, se dévouer, être utile, utile à une âme ou à
:quelques âmes d'enfants. Elle se voyait elle-même
'toute petite et malmenée dans la famille Martel, et
elle au:-ait aimé se consacrer à une sorte de seconde
6dit~on
d'elle-mûme, Le Prince C,harmanL, le mari age,
�LE SPECTRE VOILt
25
an , comme cet idéal de la plupart. des jeunes filles
était, pour le moment, loin de ses rêves.!
Elle se mit à passer ct à repassor dans son esprit son
projet encore vaporeux. Toute préoccupée elle descendit au réfectoire où la cloche l'appelait, puis, sans en
avoir rien dit à personne, elle sc coucha et s'endormit.
A l'aube, elle était levée. Avant l'heure du réveil de
ses compagnes, elle écrivait à une agence d'enseignement libre de Paris, en indiquant ses diplômes, ses
prétent.ions modestes, son grand désir de sc consacrer,
dans une famille, à l'éducation de jeunes enfants.
Par le même courrier elle adressait une autre lettre à
Sa tante; quilui donna, dans le minimum de temps , l'autorisation d'agir comme bon lui semblait, ayant, depuis
longtemps, renoncé à se mêler de ce qui la concernait.
Quelques jours plus tard arrivait une lettre ainsi
rédigée:
cc Mademoiselle,
« Après renseignements pris sur vous dans l'établis-
sement où vous avez été élevée, j'ai l'honneur de vous
annoncer qu'une situation vous est offerte dans une
famille ... Vous n'aurez à vous occuper que d'une seule
élève, une petite fille de neuf ans ... »
, Sttivaient des détails sur les appointements, 1es loisirs,
le caractère de l'enfant et l'adresse :
Madame Deltour, château de Haute-Forêt, par
Pont-de-Claix (Isère).
Lau!'ence examina longtemps la lettre. L'écriture,
�26
LE SPECTR E VOILÉ
quelque peu {,remblée, trahissaitla maind'ulle personne
âgée. Pont-de-Claix, dans le massif de la GrandeChartreuse .• . Le lieu devait être austère ... Mais une
enfant de neuf ans , quel attrait 1 A cet âge-là, comme
elle-même avait été malheureuse!
Elle attendit un jour, deux jO\lrS, mais rien d'autre
ne lui fut indiqué par l'intermédiaire de l'agence qui,
sans doute, ne voulait pas t.rop la dépayser. Pont-deClaix n'était guère qu'à soixante-dix kilomètres de
Grésy-sur-Aix où elle se trouvait en ce moment.
Et aujourd'hui. ses bagages étaient prêts. Demain,
dans la matinée, une auto la conduirait, à travers une
contrée accidentée, jusqu'au château ùe Haute-ForêL.
Une des phases de sa vie finsa~
ce soir, une autre
allait commencer le lendemain.
Elle méditait sur le passé, comme cela lui arrivait
souvent, et tâchait, avec des données insuffisantes,
;d'échafauder l'avenir, quand une domestique vint lui
annoncer qu'un dame l'attendait.
Elle descendit , s'appràtant à se rendre au parloir,
quand elle fut arrêtée au passage , dans le couloir qui y
conduisait.
- Vous voilà, Mlle Laurence. Je vous aurais reconnuo
entre mille, s'écria une jeune femme en lui prenant la
main ... Ma is j e vois , Mademois
e ~le,
que vous ne me reconnaissez pas. Mon chapeau ... mes cheveux coupés .. . un peu
d'embonpoint .. . et puis beaucoup d'oubli de votre part.
- Rita 1 Oh, comme je suis c011tente de vous revoir,
~, 'écria
la jeune fille en l'ombra ssant.
�I.F. li PECTRE VOILÉ
27
Dans le parloir, où touLes deux venaient d'entrer, se
trouvait un p otit garçon.
_. Voilà 1110n fils , dit ln. jeune femme . Je suis mal'iée
depuis cinq ans. J'ai laiss é, à la maison , une petite
fille plus jeune que j'ai appelé'J Laurence, en souvenir
de vous, car je vous aimais bien, mais il fallait être
s6vère pOUl' fDire plaisir à Madame.
- Alors vous n'ôt es plus aux Cèdres ?
- Mais si, toujours ; avec mon mari nous sommes
gardiens de la propriété. Il est jardinier.
- Donnez-moi des nom"elles de tout le monde, Rita.
Je serais contente de vou s entendre parler du passé.
- Vos cousines sont mariées, l'une à un ingéniem
wrti de l'Écolo Polytochnique, l'autre à un officier de
marine ... Mais parlons aussi de vous. Vous n'avez pas
très bonne mine. Sal}s doute ne vous a-t-on pas bien
soignée?
- Mais si, très bien, répondit la jeune fille qui ne
VOtùait pas s'appesantir sur d es détails de cc genre.
« Est-cc ma tante qui vous a envoy0e?
-. Non, jl: suis venue de moi-môme en apprenant
que vous alliez sortir de pension pour travailler 1 Il Y a
longtemps que j'avais envie de vous revoi!'.
- Mc trouvez-vous changée?
- Très peu, Mademoiselle. Vous êtes bien la jeune
fi lle que promeLtait l'enfant.
- Votre regal'd me dit que cette jeune fille ne vo us
s0mble pas précisément nn e merveille, fiL Laurence en
l·iant.
�38
LE SPEC'l'RE VOILÉ
- Bien sûr que vous ne SOl-ez pas choisie comme
miss Europe ou miss France, répondit Rita songeuse,
mais croyez-moi, Mademoiselle, il vaut bien mieux
être aimée pour ses qualités mo rales que pour sa
beauté: l'affection est alors plus solide.
Quelle fille d'Ève ne désire plaire? Laurence fut un
instant attristée par la remarque de Rita, mais n'en
laissa rien paraitro. Elles continuèrent à filer la
quenouille du passé, suivant une expression désuète,
et se séparèrent au bout d'une heure. L'une s'apprêtait
.à retourner aux Cèdres, où son humble vie était faite,
l'autre à se laisser conduire vers une nouvelle vie et
une destinée lourde d'inconnu.
CHAPITRE IV
1
Laurenüe se leva ét s'habilla avec soin. Bien qu'elle
flît obligée d'être simple, car elle ne possédait ~ien
de
luxueux, elle n'avait cependant pas l'habitude de
dédaignerl'apparence et dene pas songer à l'impression
qu'elle produirait. Au contraire, elle avait toujours
désiré paraître aussi bien que possible et plaire à
ceux qui l'approchaient, autant, du moins, que le permettait son absence de beauté. Souvent elle avait
regretté de n'être pas jolie, souhaité des joues naturellement veloutées, un nez plus pe~it,
des lèvres mieux
dessinée3. A ses yeux cependant elle ne trouvaiL rien
à reprendre et elle avait raison. A eux seuls ils pro-
�LE SPECTRE VOILÉ
29
jetaient sur le J'este de son visage une lueur qui en
trunsflgurait les im perfeclions, les faisait même totale.
ment oublier.
Sa toilette achevée, Laurence pensa qu'elle était
digne de paraltre devant Mme Deltour, qu'elle n'avait
,pas vue 10. veille, et que sa jeune élève ne s'éloignerait
pas d'elle avec antipathie. Après avoir ouvert toute
grande su fenêtre, et examiné d'un dernier coup d'cciI
si tout ce qu'elle laissait derrière elle était en ordre,
elle sortit de sa chambre et descendit un imposant
escalier à la rampe sculptée, d'un assez beau travail.
Elle arri va dans un vaste hall, entièrement vitré à
l'est, d'où les re<rurds embrassaient en entier la chaine
de Belledonne, '"les Grandes Rousses, et, au lointain,
les cimes bleutées du massif de la Vanoise.
, La porte vitrée étant ouverte, la jeune fille en pro~
fita pOUl' descendre la vingtaine de marches du perron.
, C'était une belle matinée de début d'automne. Le
soleil brillait sans nuage sur les bois de premier plan
qui commençaient à jaunir, ct sur les prés encore
verts. La jeune fille avança de quelques pas dans le
parc et regarda le château.
A vrai dire, ce château était tout simplement une
maison commode et de vo.stes dimensions, mais sans
prétent.ion aucune à la reproduction d'Ull style quel,conqu e.
Construit il la fin du Premier Empire, l'arrière
grand-père du possesseur actuel s'était attaché à
l'épaisseur des ,murs, à l'orientation, à la distribution
�30
I.E SPECTRE ' VOIL~
judicieuse des pièces. Par la suite les descendanls
avaient songé au confort, qui ne laissait rien à désirer
au moment où Laurence Dastier y était entrée.
- Trente personnes vivraient à l'aise ici, sougeait
Laurence. Cependant on croirait le châLeau de la
Belle au Bois Dormant, tant le silence y est complet.
- Comment, déjà dehors, Mademoise lle? Vous
êtes bien matinale.
La jeune fille s'avança vers la personne qui venait
de l'interpeller d'une fenêtre ÙU rez-de-challss&e.
- La maison vous plait-elle, mon en fant?
- Oh, oui; beaucoup , Madame.
- N'es t-ce pas? Le site est merveilleux; il est vrai
qu'à foree de voir les choses , les yeux s'y habi tuent et
l'admiration s'en ressent.. Sans doute M. de Pyrmont
est-il de cet avis car nous ne le voyons que de loin en
loin: rares sont les séjours qu'il faiL dans 3es terres.
- M. de Pyrmont, est-ce là le nom du châtelain?
- Châtelain est beaucoup dire. Enfin, oni, c'est
aim:!i que s'appelle le propriétaire de ce domaine de
Haute ..Forêt. Nè le saviez-vous pas?
- Non. Je pensais que le château etses d6pendances
appartenaient à Mme Deltour, qui me demandait do
venir ici pour m'occuper d'une fillette de neuf
ana.
- MDl. DoHour, c'es t moi-môme, mais je ne suis ici
qu'une salariée, une gouvernante, une économe, enrl n
ce que vous voudrez COmme appellation. M. de Pyrmol.~
fA Wl.lro oonfiazwe on moi et; je crois quo je la
�LE SPECTRE VOILi
31
mérite. Nombreuse3, déjà, sont les anntles passées à
Son service ct à celui de son pore.
- Et ma future élè.ve?
- C'est une nièce de M. de Pyrmont. La pauvre
petite n'a que lui au monde, cependant il se soucie
assez peu d'elle. Du moment qu'elle ne manque de
rien matériellement, qu'il pourvoit à son instruction
et à son éducation, il estime avoir faitson devoir envers
elle. Qui songerait à l'en blâmer? Pas moi ,. certes, et
Sabine Dormoy - c'est le nom de votre petite élève
-est encore plus heureuse ici qu'en pension.
A cc moment une filIette toute frai che des ablutions
matinales, de la coiffure récente, de sa robe blanche
sans la moindre ombre doutemo, arriva dans le parc
où Mme Deltour avait rejoint Laurence.
- Venez vite, Mademoiselle Sabine, dire bonjour à
MUe Dastier, qui doit être votre institutrice, et qui
fera de vous une jeune fille accemplie.
- Gu.teX/, Morgen, Frazûein, dit lu fillette en tendant
sa main soignée à Laurenco, puis elle se mit à rire en'
disant: Ah 1j'oubliais que Mademoiselle est française et
,ne vient pas pour remplacer Ida.
Laurence trouva en Sdbine une élève assez docile,
mais difJicile à rendre attentive. Jusqu'à présent
l'enfant avait nté beaucoup livrée à des domestiques
étrangores qui, tont en s'occupanlJ, par la force des
choses, dellliensejgnet leur langue maLernolIe, avaient
totalement négligé la formation de son cœur et do
son esprit, ce qui, à la vérit6, n'était pas leur aITaire.
�32
LE SPECTnE VOILJ~
Et Lamence se réjonit à la pensée de se consacrer
ù cette jolie fillette blonde, aux joues fraiches comme
des roses du Bengale.
L'enfant n'ayant pas été habituée à des occupations
régulières, il ne fallait pas trop cxiger d'elle pour
commencer; aussi, après lui avoir expliqué une leçon
de grammaire et dicté un texte court et simple, Laurence
la laissa, pour cette première matinée, àses distractions
favorites: poupées et confection de leur trousseau.
Comme Laurence traversait le hall pour se rendre
quelques instants dans le parc, Mme Deltour l'appela.
- Vous avez bien fait, lui dit-elle, de nc pas retenir
tl'Op longtemps Sabine, pour la première matinée.
'D'elle-même et peu à peu, vous verrez, elle demanclel'a
:à rester plus longtemps avec vous.
-- C'est bien ce que j'espère. Elle me rappelle ce
que je fus moi-même, une orpheline, dans une maison
qui n'était pas la mienne; mais ici, au moins, personne
ne la tyrannise ...
- Ah, certes, non. Elle a en moi presque une
grand'mère, si elle ne trouve pas en M. de Pyrmont
un oncle très affectueux. Je suis contente qu'eHe ait
une personne jeune et sympathiqne comme vous
auprès d'elle.
Mme Deltour avait appelé Laurence d'une pièce
magnifique où elle frottait des objets d'art, statuettes,
bibelots, après le nettoyage par le vide.
- Pour le fini, rien ne vaut la peau de chamois, ditelle.
�33'
LE SPECTRE VOILÉ
- Que cette pièce est spacieuse et luxueusement
meublée, dit la jeune fille. JQ 'n'ai encore rien vu de
tell
- A votre âge, élevée comme vous l'a Vf;lZ été, permettez-moi de vous faire remarquer que vous n'ave z pas
vu grand'chose. Cependant, vous avez raison, le style
:E:mpire de si bon goût se trouve rarement. Ce salon
est beau .. . Tout doit être maintenu en parfait état de
propreté. Les visites de M. de Pyrmont sont rares,
mais imprévues. Jamais le moindre mot n'annonce son
retour. Comme pour le jugement dernier, ajouta la
vieille dame en souriant, il faut être toujours prêt.
- M. de Pyrmont est-il donc si
terrible?
l
,
- Non. Seulement, comme il paye en conséquence,
il exige que chacun fasse son devoir. C'est un homme
qui a beaucoup voyagé, qui a fait des études très
complètes. Ah, certes, ce n'est pas Monsieur Tout-Iemonde ...
La manière si simple, si cordiale, dont Laurence
avait été reçu,e à Haute-Forêt semblait annOll,cel' une existence facile, agréable, laissant peu do
prise à l'imprévu. Mme Deltour était bien ce qu'elle
~vait
paru d'abord à la jeune fille, une femme douce,
Instruite, intelligente.
Sabine se montrait un peu vive; un pe,u emportée,
parfois, mais elle était capable d'efforts pour plaire à
qui s'occupait d'ello, car elle était avide, instinctivement, d'inspirer de la sympathie.
Vie étrange, en somme, que cet isolement abl301u.
~ Dastier
3
�34
LE SPECTRE VOILÉ
Vie d'ermites plutôt que de femmes modernes. Rien
qui pût faire soupçonner, à part le confort intérieur,
que Laurence n'élevait png une fillette de 1830.
Jamais la moindre visite ne venait égayer le triste
domaine. Jamais des pneus d'auto n'imprimaient leur
empreinte dans l'allée principale du parc. La route
étant assez éloignée , il fallait un vent favorable pour
apporter, de temps à autre, jusqu'aux oreilles des
habitants de Haute-Forêt, les vibrations atténuées
d'un klaxon.
L'automne, le commencement de l'hiver se pasè~ent
. ainsi, dans un morne silence. Un après-midi de fin
décembre, Sabine dut rester quelques jours au lit à
cause d'une bronchite.
C'était une belle journée calme, quoique très froide.
Laurence était lasse d'être demeurée tranquillement
assise dans la bibliothèque pendant toute la matinée.
et elle se décida à sortir, seule, comme lorsqu'elle
n'accompagnait pas sa jeune élève.
Le sol était durci par le gel, l'air tranquille, les
chemins déserts. Laurence marchait vite pour se
réchauffer.
Elle se trouvait dans un sentier qui serpentait entre
iJ.es haies fleuries d'aubépine en mai, noires du fruit
de la roltlce en août, bleues de prunelles en automne,
maintenant hérissées d'épines, de branches dénudées,
auxquelles pendaient des stalactites de glace.
Au delà des haies, l'coiI ne découvrait que des
champs accidentés, où les vaches ne venaient plus
�LE SPECTRE VOILÉ
35
hrouter, et, àu lointain, comme le temps était clair, le
massif de la Vanoise avec ses sommets couverts de
neiges éternelles.
Le sentier conduisait, en montant, jusqu'à Uriage.
Arrivée à mi-chemin, la jeune fille s'assit sur un talus.
Elle serra étroitement son manteau autour <L'elle, elle
cacha ses mains dans son écharpe roulée en, manchon
de façon à ne pas sentir le froid très vif.
Du lieu où elle était assise, elle apercevait le
château, qlli avait assez fière allure dans l'ensembl e
du paysage. Au delà., à. l'ouest, s'élevait la forêt de
haute futaie, en partie déboisée à l'heure actuelle,
de laquelle le domaine tirait son nom.
La jeune Hile demeura là longtemps, insensible à.
la basse température. La nuit, qui vient si vite à cette
époque de l'année, la surprit dans sa rêverie, rêveri,o
dangereuse car une invincible somnolence s'emparait
d'elle, très douce mais au plus haut point dangereuse,
étant donnée la ba ss o temp érature.
Un bruit, indistinct tout d'abord, mais de plus en
'plus perceptible vint, heureusement, rappeler Laurence au sentiment de la réalité. Le bruit était causé
pa'!' le pas d'un choval non attelé. Quelle voiture, en
erret, eût pu s'engager dans cet étroit sentier, où la
glac!: comblait les ornières?
Afin de laisser la place libre, la jeune fille se leva,
s'apprêtant à franchil' la haie à une ouverture située
à une faible distant,? ( LI talus où elle était assise, an n
de passer dans le champ voisin, m!lis, au bout de
�36
LE SPECTR E VOILÉ
quelques pas, elle se retourna, son attention ayant été,
attirée par le bruit d'une chute, accompagnée d'une
exclamation de colère. Monture et cavalier étaient
tombés.
Instinctivement, la jeune fille revint sur ses pas.
:Elle trouva le voyageur - voyageur peu moderne s'efforçant de se débarrasser du cheval, qui lui coinçait la jambe droite.
blessé, Monsieur? demanda la jeune
- ~tes-vou
,fille. Et elle ajouta aussitô t: Que puis-j e faire pour vous
aider?
- Rien, ' absolument rien. Éloignez-vous, au
Icontraire, car, en se relevant, ce stupide .animal
pourra it vous blesser ... Il est vrai que ce n'est pas sa
faute s'il a glissé, n'étant pas ferré à glace ... Tenez,
donnez-moi tout de même la main ... Là, je vous remercie ...
Puis, .au bout de quelques efforts:
- Voilà qui est fait, dit l'inconnu, en se plaçant
d'abord sur ses genoux, ensuite en se dressant de toute
sa hauteur.
Il voulut marcher pour vérifier si pieds et jambes
étaient toujours en bon état, mais le résulta t fut
sans doute négatif, car il se laissa tomber aussitôt
sur la terre gelée.
- Si vous êtes trop grièvement blessé pour continuer votre route, je puis aller chercher de l'aide à
Haute-Forêt, dont vous ap'ercevez d'ici la façade
éclairée par la lune . •
�LE SPECTRE VOILÉ
- Je VOUS remercie, Madame ou Mademoiselle.
- Mademoiselle.
- Eh bien, Mademoiselle, je vous remercie pour
votre offre obligeante, mais je n'ai rien ~e brisé. Il
s'agit, je pense, d'une simple entorse.
11 voulut de nouveau essayer de marcher, mais,
involontairement, il poussa un cri.
La clarté déversée sur la terre par la lune qui
h'avait pas encore fini de croUre, était trop indécise
pour permettre à la jeune fille de distinguer les traits
de l'étranger. Elle ne voyait pas les détails, même
'Ceux du costume, mais l'ensemble: grand, mince,
icheveux sombres, assez toufTus, semblait-il, taillés en
'brosse sans souci de la mode, et dégageant bien les
tempes ... Trente-deux ans, peut-être trente-cinq ... '
La voix était rude, autoritaire.
- Je ne puis vous abandonner seul dans ce sentier
rJ,vant de vous voir de nouveau monté sur votre
cheval.
- Seul dans ce sentier, comme vous dites, vaut
lllieux pour un homme de mon âge que pour une
jeune fille du vôtre. Où habitez-vous?
- Pas bien loiJ;! d'ici, répondit Laurence, évitant
tille réponse précise. Par ce froid, je n'ai pas peur.
Chacun est rentré chez soi. D'ailleurs, il fait assez
"JOur pour se guider.
- Demeurez-vous, par hasard, dans cette maison
'où, tout à l'heure, vous proposiez d'aller cheroher de
l'aide? demanda l'étranger en désignant le château
�38
LE SPECTRE VOILÉ
de Haute-Forêt, que la lune éclairait de ses blarat'ds
rayons .
Laurence ne pouvait se dérob er et répondit par
l'affirmative.
- Et savez-Yous à qui appartient ce château?
- Certainement, bien que je n'en connaisse pas le
propriétaire, ne l'ayant jama;s vu.
- Savez-vous où il se trouve?
- Je l'ignore.
- Est-il indiscre t de YOUS demander vos fonctions?
- Elles n'ont rien de myaLérieux. Je suis l'institutricr. de la nièce de M. de Pyrmont.
- Voilà qui est parfait ... Ce qui l'est moins, c'est
cette jambe ... ce pied ...
De nouveau l'inconnu essaya de marcher, mais il
ne put réprimer un gémissement qu'il voiJa aU3sitôt
d'une exclamation de colère.
- N'allez pas me chercher du secours , ce serait
trop long, mais aidez-moi, si ce n'est pas trop vous
demander ... La nécessité, Mademoiselle, me contraint
à solliciter votre appui.
L'inconnu posa une main, qui n'avait rien de léger,
sur l'épaule de Laurence, et arriva ainsi jusqu'à son
cheval, puis, cn cavalier accompli, malgré la vive
douleur qu'il éprouvait, il sauta sur sa selle sans
pousser ni cri ni gémissement, mais en se mordant la
lèvre inférieure jusqu'au sang .
.- Je vous remercie inl1niment, Mademoiselle.
fl ans vous, je n'aurais pu continuer ma rouLe.
�LE SPECTRE VOILÉ
Il donna un coup d'éperon au cheval qui rua, puis
partit au galop et tous deux disparurent sans laisser
plus de traoe qu'un oiseau qui effleure une branche
en vol,aut.
Laurence oontinua son chemin. L'aventure était
terminée. Ce n'était pas un roman, à peine une nouvelle de cent lignes, cent lignes qui n'avaient rien de
bien palpitant. La jeune fille, cependant, y attachait
sa pensée, à cause de l'instant d'imprévu introduit
dans sa vie monotone. On avait eu besoin d'elle,
on lui avait demandé une aide qu'elle avait accordée.
La monotonie de son existence, c'était là un thème
qu'elle n'abordait jamais avec Mme Deltour, son unique
compagne, mais qui reveRait à son esprit aux heures
assez nombreuses où elle était seule avec elle-même'.
Il lui arrivait parfois d'envisager les orages d'une vie
précaire et pleine de luttes, même de les désirer. Elle
se faisait l'effet d'un homme assis trop longtemps
dans un fauteuil et que tourmente le besoin d'agir.
Pour le moment, il s'agissait simplement, pour
Laurence, de renLrer.
, A l'intérieur du château, CCl n'était pas, oe soir-là,
le silence accoutumé et le clair-obscut' habi tueI. Dans
le hall toutes les appliques murales avaient été allumées, de même que les deux lustres. Le salon, la salle
à manger étaient éclairés comme un soir de grande
réception. Des domestiques ciroulaient dans l'escalier.
La sonnerie du téléphone s'imposait, impérieuse.
�40
LE SPECTRE VOILÉ
- Qu'y a-t-il donc? demanda Laurence à Lucie, la
femme de chambre qui était venUe lui ouvrir la
porte .
-M. de Pyrmont vient d'arriver, blessé, et M Ille Deltour a téléphoné, tout à l'heure, à Grenoble, pour en
,faire venir un médecin ... ce doit être lui qui rappelle
jan ce moment.
CHAPITRE V
A partir du jour où M. de Pyrmont fut de retour,
~e
château changea d'aspect. Il ne fut plus silencieux
comme un temple en dehors des offices . A chaque
~nsta
on entendait ouvrir et fermer des portes,
,marcher dans les eouloirs, dans les salles, résonner
des voix nouvelles, retentir la sonnette de la lourde
grille de fer forgé.
Les jours qui suivirent son arrivée inopinée, Laurence ne vit que peu M. de Pyrmont. Le matin, ses
affaires l'occupaient et, dans l'après-midi, il recevait
des visites d'amis de Grenoble ou de châtelains des
environs. Quand son pied alla asse2 bien pour lui
permettre de monter aisément à cheval, il resta
dehors une partie de la journée afin de rendre les
visites qu'on lui avait faites, et il ne rentrait généralement que fort tard. Il dédaignait complètement
l'auto, peu pratique étant donnée la situation du château, alors que son cheval semblait un prolongement
~e
sa personne.
�LB SPECTRE VOILÉ
41
Pendant ces premiers jOUl'S, M. de Pyrmont
demanda rarement sa nièce; quant à Lamence, elle
ne le voyait que lorsqu'elle le rencontrait, par hasard,
dans le bail, dans Je vestibule ou dans le parc.
Quelquefois il passait devant elle, daignant à
peine la saluer avec, hauteur et lui jetel' un regard
distant.
Cependant il reslait à ·Haute-Fbrêt. Les semaines
passaient et il ne songeait pas à s'on éloigner de nouveau.
- Quinze jours, disait Mme DelLour, etles murs du
château semblent l'étoufIer, et il faut qu'il parte ...
Beaucoup s'estimeraient heureux avec ce qu'il possède, cependant il est loin de se tenir pour satisfait de
son sort.
L'attitude de M. de Pyrmont vis-à-vis de l'institutrice de sa nièce se transformait peu à peu. Il l'avait
invitée quelquefois à sa table avec sa jeune élève. Il
avait renoncé à ses accès de froid dédain. Quand il
rencontrait Laurence, il lui souriait et avait toujours
un mot agréable à lui dire. Puis il rechercha la conversation de la jeune fille et sembla beaucoup apprécier, malgré son inexpérience totale de la vie, l'originalité de son esprit.
Laurence, cependant, parlait peu, mais le peu
qu'eUe disait on avait plaisir à l'entendre. M. de Pyrmont, de son côté, malgré sa froideur apparente, était
communicatif et, ayant beaucoup vu, avait beaucoup
à raconter.
�42
LE SPECTR E VOILÉ
Sa manièr e d'être, correcte et cordiale à la fois,
délivra bientôt la jeune fiUe de toute contrai nte. Elle
fut attirée pal' la franchise amica1e avec laquelle on la
traitait . Il Y avait des moments où elle con8idé~at
M. de pyrmo nt comme un camara de, bien que, parfois , il montrâ t encore, de temps à autre, son caractère impéri eux, mais de plus en plus rareme nt.
Ce nouvel intérêt ajouté à la vie de Lauren ce la rendit si heureu se qu'il lui sembla soudain que tout ses
vœux informulés étaient exaucés , et au delà, et qu'il
ne lui restait plus rien à désirer en ce monde.
M. de Pyrmo nt n'était pas beau, si l'on entend par
beauté la perfection des trails, leur grande régular ité;
pourta nt la jeune fille ne connai ssait rien d'aussi
uaréable à regarde r que son visage au teint clair et
o
rosé, au front un peu carré sous des cheveu x bruns
coupés en brosse, aux yeux limpides comme une eau
sans fond entre des paupiè res légèrem ent bridées.
Un sourire dé ces lèvres minces au dessin assez flou et
ce visage se transfigurait. On eût dit que, de la racine
des cheveu x à la pointe du menton , une lumière intérieure fusait par tous les pores, rendan t plus bleus
ces yeux d'eau calme et donnan t un attrait incomparable à une physionomie qui, au premie r abord, ne
s'impo sait pas par sa beauté .
Lauren ce s'était couchée , mais n'arriv ait pas à
s'endor mir. Elle pensait ct repens ait sans cesse Ù une
conver sation qu'elle avait eue dans la soirée avec
M. de PYI'lOont sur ce sujet assez rebattu : le bonheu r.
�LE SPECTRE
vonE
- Être heureux, moi, à Haute-Forêt? Impossible,
absolument impossible. D'autres peuvent y trouver
Q4elgue agrément; pour ma part ...
CeLte phrase était restée en suspens, interrompue
par une rêverie quo la jeune fille n'avait osé troubler.
Questionner, quêter des explications , ce n'était pas
là le rôle d'une salariée , car elle ne perdait jamais de
vue ce qu'elle était au château: l'institutrice de Sabine,
rien de pl ilS. Cependant, rétléchir sur ce qu'clle
avaiL en lendu ne lui éta it pas int erdit, pas plus que
de se demander pOUl'quoi le bonheur était impossible
dans cette soliLudc, qu'en erret il fuyait toujOUl's.
indéeiscs et elle allait cnfin
Ses pensées devenaient
1
s'endormir quand , tout à coup , elle entendit au-dessus
de sa tête un m Ul'mure vague ct étrange qui la fit
tressaillir. Elle sc leva, s'assit SUl' son lit et prêta
l'oreille, mais le brIliL avait cessé.
Elle essaya do se rendormir, mais sa quiélude habituelle avait fui soudain. Un quart d'heure peut-être
se passa dans le plus grand silence, ce silence absolu
d'une maison où tout dort quand, au dehors, pas le
moindre souffle ne passe entre los branches de s
;lI'bres.
Les quatre coups mélodi eux, annonçan t qu'une
h eure du matin allait sonner, résonnèrent à l'horloge
monumentale du hall. A ce moment, il sembla à la
jeune fille qu' une main glissait sur sa porte comme
pom tâter le chemin le long du sombre corl'Ïdor.
Sombre, il l'6tait a95U.l'6ment, car pal' l'imposto
�44
LE SPECTR E VOILÉ
vitrée ménagée au-dessus de la porte de sa chambre,
pas la 'moindre lueur ne filtrait.
_ Qui est là? demanda-t-elle .
Personne ne répondit. La jeune fille tremblait de,
frayeur.
Elle réagit, cependant, se disant que ce frôlement
pouvait bien être produit par Ajax, le berger alle·
mand, qui aimait mieux passer la nuit dans la maison
que dans le parc, et profitait souvent d'une distraction des domestiques pour s'endormir en quelque coin
et se laisser enfermer .
Cette pensée tranquillisa un peu Laurence, qui se
recoucha. Quand elle n'enten dit plus aucun bruit, le
sommejl appesantit de nouveau ses paupières, mais
il était sans doute écrit qu'elle ne dormirait pas oette
nuit-là . En efIet, à peine perdait-elle la conscience du
monde extérieur qu'un bruit assez efIrayant la lui fai·
sait brusquement retrouver.
C'était un rire étrange, qui semblait résonner à la
porte de sa chambre. Elle se demanda même un instant si ce n'était pas dans la pièce même, à une
faible distance de son lit. Non, clle était bien seule.
Le rire retenti t de nouveau et il 'é tait clair, maintenant qu'il venait du corridor. Le premier mouvement de
la jeune fille Iut - le verrou étant déjà poussé - do
fermer sa porte à clef. Verrou ... sorrure ... il était
bien improbable qu'on entrât avec eITraction.
_ Qui est là? cria-t-elle encore.
Pas de réponse, mais de nouveau le rire inepte et
�LE SPECTRE VOILÉ
45
incompréhensible qui la glaçait jusqu'aux moelles.
Quand, de nouveau, le silence fat absolu, prolongé
pendant quelques minutes, Laurence se décida à
ouvrir sa· porte pour se rendre compte, après coup,
s'il était possible, de ce qui avait pu se passer.
Sa surprise fut grande quand elle s'aperçut que l'air
étaitlourd, difficilement respirable. Elle regarda autour
d'elle. D'où provenait donc cette atmosphère opaque?
Alors, distinctement, elle sentit une odeur de brûlé.
Du bois craqua: c'était la porte de la chambre à
Coucher de M. de Pyrmont qui se fissurait sous la
pression du feu et de la fumée.
Laurence ne réfléchit pas longtemps. En une
seconde, elle fut dans cette chambre qui allait bientôt
devenir un brasier. Cependant, si profond était le sommeil du châtelain qu'il ne se réveillerait sans doute
que lorsque le rou l'aurait atteint.
Il n'y avait pas de temps à perdl'e. Les draps, qui
pendaient du lit jusqu'à terre, Oambaient déjà ... Un
cabinet de toilette attonait à la chambre; la jeune
fille y emplit les récipients qui lui tombèrent sous la
main, après avoir appelé M. de Pyrmont pour qu'il
se levât, mais il avait le sommeil très dur.
Le sifflement des flammes mourantes et surtout la
fraîcheur de l'eau finirent par le réveiller. Il était
furieux.
- Quelle est cette plaisanterie? Je suis trempé.
Est-ce une pluie d'orage entrée sans cri cr gare par
la fenêtre ouverte?
�46
LE SPECTRE VOI LÉ
- Non; ce n'est pas cela, mais un incendie maintenant éteint. Je m'en vais. Levez-vous, car vous ne
pouvez continuer à dormit' dans l'eau.
- Comment, c'est vous , Mademoiselle Dastier, qui
vous trouvez dans ma chambre à cette heure?
- C'est moi, Monsieur, par la force des événements.
J'aimerais mieux dormir bien tranquillement, je vous
assure. Bonsoi!', Mnnsieur.
- Bonsoil', c'est bientôt dit. Vous me devez une
explication pour ce J'emue-ménage et des excuses pour
le rhume J e cerveDU que je vais vous devoir. Sortez
un instant, ann que je m'habille, et revenez.
Quand la jeune nUe revint, M. de PY1'mont examinait les dégâts causés par le feu, arrêté soudain grâce
à l'eau jetée copieusement ...
- Qui a fait cela, demanda-t-il. Le savez-vous?
Laurence conta co qu'elle avait entendu,parla d'un rire
étran ge , de pas furtifs dans le corridor sans lumièJ'e.
l\L de Py rmont écoutait la jeune fille. Sa physiollomi e exprimait plus de tristesse que d'étonnement.
Quelques minutes, il demeura siloncieux.
Voulez-vouf> que j'avertisse Mme Deltour ~
demanda Laurence.
- Non. De quelle aide me serait-elle? Elle n'est
plus bien jeune, laissez-la dormir tranquille.
- Alors je réveill erai Lucie.
- Non encore. Restez bien tranquille ici tandi ,; que
j'irai visiter les ét.ages supérieurs. Ne bougez pas.
N'appelez pprsonn e.
�LE SPECTRE VOILÉ
47
Au bOut de vingt minutes environ, M. de Pyrmont
revint. Il semblait tl'ès ému.
- J'ai tou~
découvert, dit-il, tout. C'est bien cc que
je pensais.
Laurence risqua un timide :
- Est-ce quelqu'un de la maison?
Sans doute cette question ne fut-elle pas entendue
car M. de Pyrmont demanda:
- Avez-vous vu quelque chose d'anormal au
moment où vous avez ouvert la porte de votre
chambre?
- Absolument rien que l'air déjà chargé de fumée.
- Mais vous avez parlé d'éclats de rire. Est-ce la
première fois que vous les entendez.
- En vérité, je ne sais que dire. Les domesLiqw?s
rient, de même que Mme Deltour, que moi-même ...
- Alors ne padons plus de cet incident, si ce n'est
moi, pour vous remercier de m'avoir sauvé la vie.
Sans vous, que serais-je devenu? Mon sommeil
s'interrompt si difficilement 1 Je suis conLent d'avoir
contracté envers vous cette dette immense ...
Il s'arrêta, regarda à terre, comme s'il n'osait porter ses yeux sur la jeune fille.
- Bonsoir, Monsieur, répondit-elle eimplemenl.
Croyez qu'ici il no peut être question de dette . Ce
que j'ai fait était tout naturel. Il était impossible,
sachant que le feu couvait dans votre chambre, de ne
pas faire l'impossible pour l'éteindre .
- Je maintiens ce que j'ai dit.
�48
LE SPE CTR E VOI LÉ
_ Je Buis heureuse de m'être trouvée
éveillée.
La jeune fille regagna sa chambre,
son lit, mais san8
songer à dormir. Elle songeait aux
événements de
la nui t et, plus encore qu'a u feu, à
ce rire incompréhensible et mystérieux qui l'av ait
précédé.
CHAPITRE VI
Le jour qui suivit cette nui t mou
v4:'mentée, Laurence s'étonnait d'éprouver comme
une vague crainte
de voir M. de Pyr mon t et, par
une contradiction
étrange, elle red out ait anssi de n'av
oir pas à le rencontrer.
La matinée se passa commo de cou
tume. Rien ne
vin t interrompre les tranquilles leço
ns de Sabine.
A un moment, Laurence ont end it
du bru it du côté
de la chambre de M. de Pyr mon t.
Elle distinguait les
voix de Mm e Deltour, de la cuisiniè
re, de la femme de
chambre, du jardinier ...
_ Quel bonheur, disait Mme Deltou
r,que Monsieur
se soit réveillé à temps et ait eu la
présence d'es prit
d'éteindre le feu avec les récipients
qui lui tombaient
sous la main, mais pourquoi n'a-t-il
réveillé oerfionno ?
Moi, j'ai toujours dit que l'électricité
étai t d;ngereuse,
à cause des courts-circuits.
Après bien des réflexions, des sup
positions et des
exclamations, tou t fut l'emis en état
, pour ce qui étai t
immédiatement réparable.
�49
LE SPECTRE VOILÉ
Laurence ne vit ni n'entendit M. de Pyrmont de 1a
journée.
- I l est parti tout de suite après son déjeuner, lui
dit, à l'heure du thé , Mmo Deltour. Sans doute ce qui
est arrivé cette nuit ne lui a pllS fait plaisir. Risquer
d'être brûlé vif 1 Il a dû vouloir se changer lea idées ...
- Rentrera-t-il ce SOLI:' hasarda Laurence.
- Pensoz-vous, Mademoiselle! Quand Monsieur
s'en va, c'est toujours pour plusieurs semaines. Cette
fois-ci , cependant, je serai moins affirmative. Il est
au château de l'Aigle, au bord du lac d'Annecy, chez
les DarJand, les grands facteurs de pianos et orgues.
Immense fortune ...
- Et ... il Y a des dames dans ce château?
- Je crois bien 1. .. Mme Darland d'abord, qui est
très belle encore, et scs trois filles, dont l'une,
Mlle Irène, est la plus ravissante personne qu'on
puisse imaginer. M. de Pyrmont a même dit, un jour,
qu'il ne devrait pas être permis d'élire une miss
Univero tant que Mlle Irène Darland n'aurait pas posé
sa candidature.
- M. de PYl'mont a dit celai'
- Je ne mettrais pas ma main au feu que ce sont
exactement ses paroles, mais à deux ou trois mots
près . ..
- La connaissez-vous?
- Certainement. Elle est déjà venue ici.
- Comment est-olle?
- La décriro est bi en diffioile. Il faut l'avoil' vue.
q.
�50
i ·E SPECT RE VOiLÉ
Au premier abord, il est impossible de n'être pas
ébloui . .. Ses cheveux. ressemblent à une mousse d'Of;
quant à son visage, c'est la perfection môme. Je ne
peux rien diro de plus ... Et elle chante!
-- Tant de porfections réunies dans un seul êtee :
comme elle doit être heureuse !
- On le serait à moins ... Tenez , il me revient
enCQi'e quelque chose ...
- Quoi donc , Madame Doltour?
- M. de Pyrmont dit que, lorsqu'elle chante, elle
ressemble à un ange de Memm1ing. Si vous le ~
entendiez, tous les deux, chanter des duos ...
- M. de Pyrmont? Je ne savais pas qu'il chantait.
- Mais si, el t rès bien. Sa voix s'accorde merveilleusement avec cello do Mlle Darland.
- Comment se fnit-il qu'une jeune fille si riche et
si admirable ne soit pas encore mariée ?
- C'est qu'clle est, sans aucun doute, lrès diffici le ...
Mais vous 11 0 mangez rien.
- Non , je n'ai pas faim , oe 8oir.
- Et puis vous êtes toute rouge. Un peu de fièvre,
peut-être? Pourvu que vous 11e couviez quoIque
maladie!
- N'ayez aucune crainte. J'avoue cependant que
cotte histoiro d'incendie dont nous aurions pu être
tous victimes, m'a un peu bouleversée.
Mais, en parlant. ainsi, Laurence savait hien que,
si elle disait la vénté, eHe ue la disait cependant pas
Lout entière.
�LE SPECtRE VOILf
51
CHAPITHE VII
Quelques jours se passèrent sans que M. de Pyl'mont
donnât de ses nouvelles. Au houi de trois semaines,
il n'était pas encore revenu . Mme Daltour dit à
Laurence qu'elle ne serait pas étonnée, qu'en quittant
le château de l'Aigle, il se rendit ù Paris, à moins que
ce ne fût à Madrid ou à Athènes.
En ce cas, ajoutait.ello, il pourrait rester
plusieurs mois absent. C'est son habitude de séjourner
longtemps à l'étranger.
En entendant énoncer cette dernière posaibilité,
Laurence sentit quoIque chose chavirer en elle. Illlli
sembla tout à coup qua, en plein jour, il taisait subi·
tement nuit.
Cependant elle s'eITorça de ramener son imagina·
tion dana une voie moins dangereu se et de chasser de
son esprit la ponsée que les faits et gesles de
M. de Pyrmont pussent avoir tant d'intérêt pour
clle. Elle sC dit, non sans rai80n1 que c'est folie chez
une femme ùe laisser s'allumer en elle un amOnr
secret qui, s'il n'est ni connu ni partagé, doit dévorer
sa vie et qui, s'il ost connu et partngé, la plongera
dans dos ùifficultés ùont il lui son impogsible de
~ol,tir.
Avant tout, elle devllit demeurer à sa place, à peu
de chose près au même rang que Mme Deltouf', et
�52
LE SPECTR E VOILÉ
chasser de son cœur et de son âme un amour qu'on
ne lui demandait pas et que, sans dO\1tè, on mépriserait.
Il y avait environ trois semaines que M. de Pyrmo nt
était absent quand Mme Deltour reçut une leUre de
lui.
- Quelquefois je me plains de notre tranquillité"
dit-elle à Laurence, mais cette fois-ci je crois bien
que j'aurai à dép lorer le contraire ... Imaginez-vous
que M. de Pyl'mont revient à la fin de la semaine,
et pas seul. Il demande de mettre en état les plus
belles chambres du château et de s'occuper de trouve r
des extras, à Grenoble, pour la cuisine. Les dames
amèneront leurs femmes de chambre. Tout sera plein
à craquer et on ne se plaindr a plus du silence.
Il y eut, en effet, beaucoup à faire penda,nt les
cinq derniers jours de la semaine. Le château, cependant admirablement entrete nu, ne semblait pas
encore assez propre à la consciencieuse Mme DeltoUl'.
L'aspir ateur électrique ne fut pas jugé suffisant.
Tous les tapis furent décloués, les tentures décrochées,
les peintures lavées, les matelas et les oreillers mis à
l'air, C'était un remue-ménage indescriptible.
Sabine courait au milieu do ce désordre. Les préparatifs de la réception et la perspective de tous les
gens qu'elle o.l1ait voir la rendait folle de joie. Elle
entrait dans toutes les chambres, sautait .sur les
sommiers, essayait tous les matelas, s'amus ait à
empiler aussi haut qu'elle le pouva.it oreillers et
�LE SPECTRE VOILÉ
53
traversins. Elle était libérée de toutes ses leçons.
Laurence passait ses journées entières à l'office et
à la cuisine où elle renJait des services plus précieux,
pour le moment, que ses leçons habituelles.
Elle ne trouvait pas le tomps de poursuivre ses
chimères, et elle fut aussi gaie et active que les
domestiques elles-mêmes. Cependant, quelquefois, sa
gaîté Iaisait trêve et , en dépit de sa volonté, elle so
laissait de nouveau aller aux pensées décevantes et
tristes. Il faut dire aussi que la cause de l'incendie,
qui n'avait pas été tirée au clair, continuait à la
préoccuper. Il lui semblait absolument impossible
qu'un malfaiteur se fût introduit du dehors. Existaitil CÙJnc, à l'intérieur même du château, un être hostile
à M. de Pyrmont?
Le samedi arriva. Les pl'éparatifs avaient été
achevés la veille au soir. Tout était remis en place,
astiqué, brillant. La poussière avait été délogée de
ses rocoins les plus secrets. Des fleurs avaient été .
disposées à profusion, par 108 soins de Laurenco,
dans des vases de prix.
Mais cela fai t, la jeune fille ne voulut pas assister
à l'arrivée des visiteurs. Elle craignait dB souffrir et
souhaitait que la souffrance, si olle dovait en être
atteinte, vint le plus tard possible ... Et puis, elie se
raidissait:' " Pourquoi éprouver quelque douleur du
fait que M. de Pyrmont reçoit des invités? Qu'y a-t-il
de commun entre lui ct moi? Je ne suis même pas
l'institutrice de la fille de la maison, mais cello de la
�L'Il: SPEC'lnJ~
VOIL É
54
nièc e, recu cillie par charilé com
me je l'ai judis été
moi-mêm e. »
Elle s'eITorça donc de lire en ferm
ant auta nt que
possible ses oreillea aux bru its exté
rieu rs, mais il lui
fallait une véri tabl e tens ion de
l'es prit pou r compren dre ce qu'e lle lisa it.
D'ailleu rs commen t s'isoler com
plèt eme nt, alors
que Sab ine pouvai.t alle r et ven
ir comme bon lui
sem blai t? Com men t ferm er la bou
cbe de cet insconscien t ct cruel age nt de liais on?
_ Si vou s savi ez quelles elles dDm
es il y a en bas ,
Mademoiselle, et que lles jolies toil(~es
elles ont! Il
Y en a une surtout. qui est plu
s gran de que vous,
ave c des cheveu x tou t tIoré s. Et
elle sen t bon , bon ..•
Voulez-vons que je vous dise com
men t est sa rob e?
_ Non . Ce n'es t pas l'aiTaire d'un
e peti te fille de
s'oc aup er de la toil ette des dam
es. Pen sez à autr e
chose, à votr e dine r, par exempl
e.
- Croyez-vous qu'o n nou s invi tera
tout es deu x en
has, ou moi tou le scule ?
- Non. Nous aUons dine r ense
mble dan s la salle
d'étl:ld es où nous serons serv ies
bien tôt et puis vou s
vou s coucherez, comme d'ha bitu de.
Comme d'ha bitu de aussi, à la môm
e heu re exa ctemen t, Lau renc e se coucha.. Elle fut
loin de s'en dor mir
nus sitô t ..• Une fem mAcha nta alors
que le sommeil alla it
onfin la sou stra ire/ pou r que lque s heu
res, à ses préocoupationsdominant,9s. Ah, comme il
ava it fui, le som mei l!
LQ , Qlo Iut. lIuiV'i tl'un duo
ot d'un oheaur. DanB 19!J
�LE SPECTRE VOILf:
55
intervalles le murmure d'urie conversation animée
parvenait jusqu'à elle. Elle écouta longlemps, étudiant
toutes les voix et cherchant ù distinguer, au milieu
.de ce bruit confus, celle de M. de Pyrmont. Enfin tout
se tut. Des pas nombreux montèrent l'escalier,
orrèrent ensuito dans les couloirs, quelques éch:.ts de
voix encore, des porteD ouvertes, refermées. Moins
d'une demie-heure après, le plus profond silence.
, Le jour suivant fut consacré à une excU!'sion au
Lautaret et :\ ia Meije. Laurence, un peu aguerrie,
nssista, d'une fenêtre voilée par un rideau) au départ
puis au retour. Deux autos emmenaient la plupart
des invités - quelques-uns préféraient passer leur
journée dans le parc. Irène Darland, seule, montait
;'J cheval, M. de Pyrmont trottant à côté d'elle.
- Regardez le beau couple 1 dit Mme Deltour à
Laurence. Ne dirait-on pas qu'ils sont créés l'un poU!'
l'autre?
.- CerLes, Mlle Darland a fière allure, mais je n'ai
pas encore vu, de près, son visage.
- Voyez-vous, nous autres, on nous oublie. Nou"
sommes payées pour fairo un ouvrage; nous nous en
acquittons de notre mieux, c'est tout ce qu'on
demande de nous. Les révolutions peuvent passer,
jamais los hommes ne seront égaux socialement, et
c'est bien ainsi. Vous savez, comme moi, à quell e
ttnarchie on arrive ùans ces nivellements par la basa ...
Mais qu'est-ce que je vais vous contel' lù? Je raison1le
comme u!'Ie vieille femme qui 1l'est plus à la page,
�LB RPE CT RE VOIL"
56
;;
comme on dit ma-i ~e
nat.
Mais nous parlions de
Ml le Irène, do nt vo
us n'avez aperçu le vis
age que de
loin . Vous le verrez de
pr ès ce soir.
_ Comment cel a?
_ J'a i dit à M. de
Py rm on t combien Sabin
e
dé sir ait voir les dames.
Il veut bien qu'elle de sce
nd
e
au salon ap rès dîner et
que vous l'accompagnie
z ..
_ Oh , mais cel a mc
contrarie tou t à fait. Je
n'a i
au cune ha bit ud e du mo
nde et je me seu tir ai
tou
te
dépays ée. N' y a-t-il pa
s un moyen d'évit er
cette
corvée?
_ Non. Il est bon qu
e vous accompagniez
votre
élève puisqu'on désil'e
la voir.
_ Pens ez-vous qu e tou
t ce monde restera lon
gtem ps à Haute-Forêt.
_ Quinze jours, trois sem
aines, je ne sais au juste.
Sans doute, Monsieur s'a
bsentera-toi! pour longte
mps,
car il n'a pas l'h ab itu
de de s'éterniser ici,
surtout.
l'été.
Et La ure nc e de scendit
a u salon ce soir-là, et
les
soirs su iva nts , pour
accompagner son élève
.
Elle
pu t se convaincre qu
e Mm e Deltour n'ava
it. pa s
exa géré en s'exta sia nt su
r la beauté d'I rèn e, s'en
convaincre et en souffrir,
stoïquement, sans en
rie n
montrer. Qu 'ét ait -elle,
si dénuée de charmes, à
côt é de
ce tte spl endide créatu re
que 1\1. de Py rm on t admi
rait.?
Hélas, Laurence aim ait
André, car c'est. ainsi
que
ses intimes le nommaie
nt et qu'elle sc pe rm ett
ait de
le nommer en son cœ ur.
Elle ne pouvait. faire
tai re
�LE SPECTRE VOILÉ
57
cet amour uniquement parce que M. de Pyrmont ne prenait plus garde ù elle et pouvait passer
des soirées entières à quelques mètres d'elle sans tourner une seule foïs les yeux de son côté. Non, bien
qu'elle sentit que celui qu'eUe aimait épouserait bientôt Irène Darland, ses sentiments ne changeaient pas
sur une simple injonction de sa volonté.
Tout ce qu'elle pouvait se dire n'avait pas pour
résultat de bannir ou même de refroidir son amour,.
Dl.ais de susciter le désespoir et la jalousie.
Pourtant Mlle Dat'land méritait-ello de provoquer
ce ùerni~
sentiment, si tOl'turant pOUl' celles qui
l'éprouvent? Non, tout en étant une beauté accomplie,
elle était au-dessous de la jalousie de la jeune institutrice. Elle était brillante, mais non remarquable.
Elle possédait certains talents, cultivés par de bons
maUres, mais son esprit était pauvre et son cœur
sec.
Laurence discernaH avec clairvoyance eL impartialité les lacunes du cal'actèro do la jeune fille.
Était-il possible que la beanLé seulo, sans qualités
, morales, eût enlevé d'emblée le cœur de M. 'de Pyr,
mont?
Laurence se le demandait, et olle n'osait se
répondl'e pal' l'affirmative. Elle craignait qu'il ne
s'agît d'un mariage de convenances avec une femme
de même milieu et de fortune équivalente.
Si M. de Pyrmont eût été sincèrement épris d'Irène,
Laurence, anc une abnégation totale d'eHe-même, se
�58
LE RP~CTF.
VOI Lle
(ftt détournée de la route de ces
deux êtres ot se serait
considérée comme morte pour eux
, mais elle était,
loin de les sentil' unis par un
atta che men t réci·
pro que .
Elle ava it beau étudier Irène, -- et
que faisail-elle
d'au tre, le soir, au salon, où elle
se relé gua it en
quelque coin avec un ouvrage de brod
erie? - elle ne
découvrait chez la jeune fille rien
de spontané. CL)
n'ét aien t que continuels sourires,
incessants coups
d'œil, manières étudiées , a ors qu'e
lle eût été si charmante en rest ant simple, en rest
ant elle-même, cha rma nte, extérieurement s'en tend
.
Laurence étai t perdue dan ses rêve
s douloureux,
bien loin, à co moment, de ce qui
se pas sait auto ur
d'elle qua nd, tout à coup, les notes
incomparablement
douces el, sonores d'un piano Dar land
la tirè ren t de sa
rêverie .
_ Chantez 1 dil une peti te voix auto
ri.taire qu'elle
n'el1tendait jamais sans un pinc
ement p6nible au
cœur.
(t
Chantez 1 D e'MaiL à M. de Pyl'ffion
t. qu'I rène
ndl'e
s ai ~ netto injonction un peu
sèche, mais adoucie
cependant. par l'expression câline
d'aùmirables youx
du ton cha ud des saphirs.
-- Voici le moment de m'échapper
Gans êtro remarquée, songeo Laurence, qui s'aPllrê
tait il faire signe à
Sabine de la suivre, mais IGS prem
iers accords de
l'accompagnement d'une m , ~loùic
qu'elle l'e(;onais~t
10. firent rester malgré elle.
�LE SPECTHE VOILI'.
59
Irène n'avait pas continué la sérénade de Schubert
commencée quelques minutes plus tôt, car M. de Pyrmont avait recouvert d'un hymne religi eux le ch;mt
d'amour qu'elle avait choisi. Au lieu de la Sérénade de
Schnbert qu'elle s'apprêtait à accomp agnel' :
N'en tends-tu pas comme il soupire
Ce chantre des bois?
Il te conte mon martyre
Par sa douce "oix.
Elle avait maintenant devant les yeux: PLUS PRÈS
Tor, UON DIlW 1ce chœur impresf;Ïonnant joué près
de viDg~
et un ans plus tôt par l'orche!itre du Titanic,
tandis que le chantait à pleine voix l'équipage
du paqu?bot éventré par un iceberg, et qui somhl'ait.
En quelques mots, M. de Pyl'mont rappela l'admirable exemple de maîtrise de soi-même donné par
tous.. . rène fit une moue d'ennui, réprima un bâillement. Eile connaissait cette vieillo histoire. Pourquoi
celui qu'elle ,oonsidérait d éjà comme son fiancé venaitil évoquer aujourd'hui cette tragédie?
- C'est de mauvais goî~t
, en vérité, oongoa-t-elle,
et no rime à rien. Les autres invités n'étaient pas
loin de partager SOIl a vis.
Cependant sa voix monta dans un absolu silence :
DI>
Plus haut, plus hant, c'est Ù! ,ri de ma foi.
S'il taut, eoutJrir et passer sous ~ glai"6,
�60
LE SPEC TRE VOI LÉ
Je veux encor que mon âme s'élè"e
Plus près de toi, mon Dieu, plus près
de toi.
Lorsque la nuit se fait autour de moi,
Quand j'erre seul dans le désert immense
,
Que de mon âme encor ce cri s'élance:
Plus près de toi, mon Dieu, plus près
de loi.
Prends, ô mon cœur, les ailes de la foi,
Vole au-dessus des monts et des "allées,
Chante à trallers les plaines étoilées :
Plus près de toi, mon Dieu, plus près
de toi.
Laurence écouta iusqu'aux dernière
s vibrations ces
notes pleines et sonores, en se dem
andant à quelles
préoccupati?ns profondes de M. ~yr.mont
d~ ce cha nt
faisait aUu81On. Quelque cho ~ e dlsa
lt à la Jeune fille
que le choix en était voulu et i~ lui
sembla tou t à coup
être environnée de dangers mco
nnus, de dangers
n'ay ant aucun rapport avec des
fiançailles immi·
nentes.
Peu t-êt re n'était-cc là qu'une impl'ess
ioll, mais elle
s'an(',rn it en elle si soudainement, et
avec tan t de force,
qu'elle lui produisait l'effet d'un véri
table pressentimen t.
Elle atte ndi t que le mouvement
causé par letl
compliments d'usage se fût un peu
calm é; alors elle
s'ap prê ta à sortir par la porte de
côté dont elle no
s'éloignait jamais aussi longtemps que
sa présence dans
le salon étai t exigée pour la surveilla
nce de Sabine.
�LE SPECTRE VOILÉ
61
Or, tandis que M. de Pyrmont chantait, tandis que
résonnait l'accompagnement, cette porte s'était
ou verte sans brui t.
Un inconnu, qui n'avait pas été annoncé, se tenait
sur le seuil, aussi immobile et silenc:leux que s'il e1lt
été pétrifié.
Personne ne le voyait, même pas Laurence, dont
l'attention allait tout entière à Irène et au chanteur.
L'étranger, par contre, examinait tout le monde, de
dos, il est vrai.
Filt-ce l'effet de quelque fluide émané de ses yeux?
Toujours est-il que M. de Pyl'mont se retourna,
aperçut l'homme. Son visage prit instantanément
une expression si tragique que Laurence se retourna
aussi, apercevant alors la cause de cet émoi soudain.
Mais déjà M. de Pyrmont s'était ressaisi et il s'avançait vers l'inconnu en disant:
- Tiens, Dormoy, quelle surprise 1
Laurence, cependant, ne pouvait s'empêcher de se
dire que le vaisseau de Haute-FOI'ôL venait peut-être
de recevoir au flanc une blessure) mortelle, ct elle se
sentit tout à coup triste à en mourir.
CHAPITRE VIII
Laurence avait oublié de clore ses persirnnes. La
nuit était .r.almc, la lune pleine et brillante, et lorsque
ses rayons vinrent frapper ses vitres, leur éclat, que
�62
LE SPECTR E VOILÉ
rien ne voila~,
la révcilll:'.. Elle ou.vrit les yeux et
reO'arda les objets qui l'entou raient, éclairés par les:
ra;ons blafarùs. Son imagination leur prêtait , tout'
familiers qu'ils lui fussent devenus, un nspect fantas-·
tique. Elle aimait mieux l'obscurité complète et s~
leva pour fermer les persiennes .
Mais elle demeu ra comme clouée sur place.
Un cri aigu, sauvage, perçan t, qui dut retenti r
d'unb~t
à l'autre du château , venait de trouble r le'
silence et le repos de la nuit.
11 sembla à la jeune fille que son cœur cessait de
battre, que son bras lûndu pour tourner l'espagnolette de la fenêtre se paralys ait, tondis qu'une sueur
olacée bien réeHe, l'inond ait du front aux talons. Elle
o
'
attenda it presque un second hurlem ent, tout en :le
disant. qu'une créature humaine aurait pu difficile·
ment imposer pareil eŒort 0. ses cordes vocalefl.
Le cri sortait de la chambre placée au-dessus de
ùe celle de la jeune fille. Elle prêta l'oreille eL enten'
dit un bruit de lutte, d'un-e lutte qui devait être tel'rible. Une voix, qui semblait étouffée par un Millon
ou par une main implacable, cria:
- Au secours!. .. Au secours! ... Pyrmo nt ... venez ...
vous en supplie 1. ..
Uno porte s'ouvrit. Quelqu'un se précipita dans le
corridor. Laurence ontendit les pas d'une personne
qui entrait dans la chambre où sc pa3sait la lutte. Un
objet très pe~ant,
ou un corps humain , tomba à terre
et tout l'edevint silencieux.
�LE SPECTRE VOILÉ
63
Malgré la terreur et le tremblement qui agitait ses
membres , la jeune fillo se vêtit et sortit dé sa chambre.
De nombreux hôtes en avaient fait autant, car les
portes s'ouvraient les unes après les autres.
Les suppositions s'cntre-croisaient.
- Est-co le feu?
- Avez-vous entendu ce criil Le feu ne ferait pas
.nurler une seule fois et de cotte manière.
- Pout-être s'agit-il d'un animal échappé d'une
ménagerie? Le puma crie ainsi .
- Non. Je penserais plutôt que c'ost un malfaiteur
qui a pris quelqu'un à la gorge.
- Si l'on savait seulement d'où cela vient, on irait
voir , au lieu de risquer Lant de suppositions qui ne
reposent sur rien de sérieux.
- Où est M. de Pyl'mont? demanda une dame.
- Oui, où est Andr6? dit un ami.
- Me voici, répondit une voix, la voix de cel ui que
chacun d6~irat
voir pOUl' se rassurer.
En une seconde, MUa Darbnd fut auprès ue lui .
- Dites-nous vite ce qui s'esL passé, je vous en
prie ...
-- Mais rien , absolument rien qui puisse motivel'
Une telle elfel'veseence . Un cauchemar, et c'est touL.
11 s'agit d'une femme de chambre norveuse ... Elle a
Cru qu'lm malfaiteur était entré chez elle avec effl'aoLion ... Et maintenant, regagnez vos lits, tous, Messieurs ,
:vtesdames, je vous en prie.
Laurence n'attendit pas cette invitation, faite d'un
�64
LE SPE CTR E VOIL:É
ton assez impérieux, pour se retirer.
Elle était sortie '
sans qu'on la remarquât et ren tra inap
erçue .
Mais elle ne sc recoucha pas : au
contraire, elle
acheva de s'babiller. Le bru it et les
appels étouffés
qui avaient suivi le cri n'avaient été
entendus que par
eUe car ils venaient d'une chambr
e située au-dessus
de l'a sienne et eUe savait bien que
ce n'était pas le
cauchemar d'une femme nerveuse
qui avait alarmé
toute la maison. Elle savait bien que
l'explication de
,M. de Pyrmont avait pour unique
but de rassurer ses 1
invités.
Laurence demeUl'a longtemps assise
auprès de sa
fenêtre, regardant le parc sileacieux
et les montagnes
auX sommets éclaÏl'és par la lUM. Elle
attendait elle
ne savait trop quoi. Il lui semblai
t cependant que
quelque chose devait suivre co cri
atroce ct cette
lutt e.
Pou rtan t, le calme revint. Tousles mur
mures s'éteignirent peu à peu et, au bout de moi
ns d'une beure,
le domaine enlier de Haute-Forêt étai
t redevenu silencieux.
A peu près rassurée, - pas assezco
pendant pour se
Irecoucher, - Laurence s'étendit tou
t habillée sur son
lit. A peine s'y trouvai~le
qu'on frappa discrèt~
'ment à Ba porte.
- Qu'y a-t-il? demanda-t-eUe sans
trop d'effroi.
_ Si vous Hea levée et habillée,
comme tou t à.
l'heure, venez vite, j'ai helloin de VOU
I' ; sinon apprêtez-vOUS le ?lus vit-e poasible.
1
�65
Ll!; SPECTRE VOILÉ
--.:... Me voici, Monsieur, fit-elle en ouvrant sn pOl'te.
- Montez avec moi, sans faire de brlüt, muis auparavant prenez do l'eau de Cologne ou de l'eau de
mélisse, enlln un alcool quelconque ... Si vous n'avez
rien de ce genre Gans votre chambro, allez jusqu'à
l'armoire des produits pharmaceutiques, mais vite,
n'est-ce pas?
Laurenco fit ce qui lui était demandé et monta
l'escalier. 1\1. de Pyrmont l'attendait sur le palier.
- Croyez-vous pouvoir SUppol'ter la vue du sang?
Si vous deviez vous trouver mal à l'aspect d'une blessure, il vaud l'ait mieux retourner sur vos p as et regagner votre chambre.
- Je n'ai pas l'habitude de m'évanouir. Prévenue,
je crois pouvoir répondre do moi. A l'improviste , e'eût
été différent.
TOtU'nant alors la clef que, tout en parlant, il avait
introduite dans la serrure, M. de Pyrmont s'eITaça
pour laisser entrer la jeune fille . Celle-ci se SDU vint
alors d'avoir vu cette chambre lorsque Mme DcltoLlr lui
a vaÜ fait visiter le cllâtGau. A ce moment, ello était
entièrement tendue de tapisserie, maiEl cette tapisserie sc trouvait aujourd'hui relevée en un point, mettant à découvfJrt une porte naguèr'o cachée. CeLto
porte était ouverte et menait dans une chambre brillamment éclairée, d'où sortaient dos sons ressembl ant
8esez à des grognemonts de chiens qui se disputent.
M. de Pyrrnont, alla dans cette chamblle et en l'essortit presque aussitôt en fermant la porte deuièro
:.
�66
LE SPECTRE VOILÉ
lui. Il avait prononcé quelques mots d'une voix brève
et los grognements semblaient s'être calmés. Mainte- \
nant il passait derriôl'o un paravont placé dans la pièce
d'entrée, où se tenait toujours Laurence immobile, et
, il fit signe il la. jeune fille de le suivre.
Sur une chaise-Jongue, un homme était étendu. Il
paraissait calme. Ses yeux était clos, son visage euan- :
aussitôL en ce
gue i cependant Laurence reonu~
, blessé - CUI' du sang maculait une serviette qui lui
recouvrait le bras - l'étranger dont l'arrivée imprévue
nvaiL provoqué une Ili vive émotion chez M. de Pyrmont.
Ce dernier alla emplir, dans un cabinet do toilette
voisin, une cuvetto d'eau où il versa le contenu d'un
flacon.
Revenant au chevet du blessé, il écarta sa chemise,
découvrant l'épaule ct le brus, et se mit à laver deux
blcbsures dont le sang s'échappoit doucement.
- Est-ce grave? murmura Dormoy.
- Non, ne vous tourmn~ez
pas. Je vais appeler,
par téléphone, un chirurgien de Gl'Olloble et je suis
persuadé quo, àès demain, voua pourrez repartir ... Et
puis, réflexion faite, je fais un saut jusque-là et vnis
l'amener chirurgien et inn rmièrc dans mon auto ... '
Mademoisello DasLier, je suis fOl'c6 de vous laisser ici
une how'e ou doux. Vuus prendrez de l'eau fraiche
dans laquelle vous mettrez cetto composition que
voici, et vous tamponnerez les blessuros ainai que
VOUo me l'avez vu faire. En cas d'évanouissoment,!
�LE SPECTRE VOILÉ
67
VOIOI un cordial dont vous ferez couler quelques
gouttes dans la bouche du blessé eL vous verserez , sous
les narines, quelques gouttes d'eau de Cologne. Ne
lui parlez pas. Exigez de lui un silcnce absolument
complet. Vous n'avez rien à lui dire, rien à entendre.
Celte consigne doit être rigoureusement observée
pour éviter la fièvre. Vous entendez, lVIax, si vous
deSSErrez les lèvres; je ne réponds plus de rien.
Le pauvre homme fit, de nouveau, entendre l,m
gémissement. Il n'osait pa.s remuer. La crainte de la
fièvre, de la mort, ou peut-être de quelque autre danger, semblait le paralyser.
- Souvener.-vous bien de ce que je vous ai dit,
Mademoiselle Dastier : pas un mot 1
Sur cette dernidre injonction, M. de Pyrmont q 'ù itta
la chambre et, bientôt A.près, Hauto-Forêt.
La jeune fille éprouva une étrange sensation d03
qu'elle sc trouva on tête il Wlo avec If;: blessé. Elle
songeait au hurlement no'Cturne, à la lutte qui avait
suivi, et olle se dis lit quo le criminel qui avait ~i
cruellement traité oet homme n'ûtnit séparé d'oUe quo
par une simple porte, du moins llls apparences le lui
r~isaenl
supposer.
Et pourtant il follait resler à son posto, l'egarder 00
visage livide, ces lèvres violaoées auxquelles il était
interùit de s'ouvrir', ces yeux, tanô~
fermé~,
tantôt
erranL autour de la chambre, ou se fixant sur elle, roaü
toujours remplis d'eITroi.
Penda~
cetto veillée lugubre, elle se demandait
�68
LE SPECTRE VOILÉ
quel étail le mystère qui se manifestait par le feu et
par le sang aux heures d'o~inare
. p~isble
de la
nuit. Et commentcethomme s y irouVUll-ll mêlé? Pourquoi acceptait-il. si faci~en:ot
d.e garder le silence, ce
silence que lui ImposaIt ImpérIeusemont M. de Pyrmont? La fièvre? Mais la fièvre ne monie pas pour
quelques mots prononcés ~t
entendus. Prétexte,
simple prétexte: malgré sa Jeunosse <:t son inexpérience, Laurence le sentait bien. D'aillours, il y avait
autre chose: le trouble violent qui s'était emparé de
M. de Pyrmont en apercevant Max Dormoy.
- Quand reviendra-t-il? se demandait-olle, car la
nuit avançait. Bientôt il ferait jour et la maison S'éveillerait . Le blessé semblait perdre de plus en plus ses '
forces, et elle n'osait demanùer de l'aide ù personno.
Elle sontait bien que la plus grande discrétion était ,
ici, de rigueUl'.
Le jour venait peu à peu. Bientôt, après avoir
entendu sonner lentement cinq heures, la jeune fille
ontencliL 10 klaxon ùe l'auto. Elle se sentit renaitre.
Mainlenant M. de Pyrmont entrait, avec le chirurgien, dans la chambre du blessé, mais sans infirmière.
- Dûpêchez-vous, jo vous en prie, Docteur. Il faul
,qu'il soiL en étal de partir dans moins d'une heure.
- 11 me semble que VOUg demandoz l'impossible.
- Mais nOD ... mais non ... Donnez-lui de cc cordial
Jénergique que je vons ai prié d'apporter et lout ira
!bien. Il ne fauL pas qu'il se laisse allor.
Pui~
b'adressant au blessu :
�LE SPECTRE VOILÉ
69
- Comment vous sentez-vous?
- Extrêmement faible.
- Pour le moment, mais dans quelques jours VOU3
ne vous ressentirez plus de rien. Il vous faut beaucoup
de CODrage ... Docteur, je vous en prie, rassurez-le.
- Je le !erai en toute tranquillité de conscience,
car je penso, vraiment, qu'il n'y a aucun danger. Une
seule remarque : prévenu plus tôt, les blessures
auraiont saigné moins longLemps. Mais co n'est ni
votre faute ni la mienne si je n'arrive que maintenant.
Vous ne pouviez m'appeler avant que le malheur so
fût produit.
Ea silence, sans faire aucune réfloxion, Je chirurgien
p~nsait
les plaies. Il ne quostionnait pas non pluSile
blessé pour apprendre de sa propre bouche dans
quelles circons(,ances elles s'étaient produites. Sans
doute M. de Pyrmont avait-il dît, à ce sujet, lout ce
qui ôtait nécessaire pendant le trajet de Grenoble à
Haule-F orôt.
- Quello nuitl murmura le blessé.
_. Vous l'oublierez ... Dans un instant, vous serez
prêt à partit' ... Dans moins d'uno demi-heure, 10 parc
de Haute-Forêt sera franchi. La doctour voudra bien
vous garder quelques jours dans sa clinique ... Vous
vous ronpensez bien que jo n'ai pas la cruauL6 c~o
voyor à travers 10 vaste monde dans l'état où vous
ôtes ...
-- Duvoz ceci, dit le chirurgien. Pendant deux
heures, vous vous sentirez fort comn c un homme qui
�70
LE SPECTR E VOILÉ
n'a pas perdu de sang. Ensuite, vous vous reposerez .. :
_ Oui, jusqu'à ce que vous puissiez suppor ter sans
encombre la travers ée ... Mainte nant, ei>sayez de vous
tenir debout ... Un instant ..• Je vais aller cherch er
tout ce qui est né<'.essaire pour vous habiller propre ment, Les vêteme nts de dessous ne sont pas co qui
manqu e ici et nous sommes de même taille.
, _ Dans ma valise, il y a tout ce qu'il faut.
, - Laissez ... Je me reconnais mieux dans mesafiaires
que dans les vôtres ... Je remonte tout de suite.
..
Souten u par le docteur et pnr M. de Pyl'mo nt, le
blessé sembla it en état de suppor ter assez bien le
petit trajet, en auto, jusqu'à Grenoble.
- Prenez bien soin de lui, Docteu r; gardez-le jusqu'à oe qu'il soit tout à fait remis. J'irai souven t
'prendr e de vos nouvelles, dit-il on s'adres sant à Max
Dormoy.
Les trois hommos étaient arrivés dans le parc.
- Au revoir, à biontôt .
- A bientôt, André, ot prenez bien soin d'elle ...
quand môme .. , malgré tout ...
, - Jusqu'ioi j'ai fait mon devoir, pout-êt re même
plus que mon dovoir. Il n'y a pas de raIson pOUl' que
jo cesso . Au rovoir ...
- Je vous renverr ai l'auto, on r emorqu e, par mon
oha.ufieur, dit le chirurgien.
- Oui, mais c'est un détail ct celo. no prouse paE.
ALtendez plutOt quo je l'on voio chol'cher.
Laurence, afin de no déranger.personne, avait porté
�LE SPECTRE VOILÉ
11
jusqu'à la voiture la valise du blessé. Quand]a porA
tièl'O fut refermée, la jeune fille voulut s'éloigner, mais
M. de Pyrmont la retint.
- Après une nuit pareille, venez respirer l'air frais
ùu matin pendant quelques inatant3. Six heures, dit
il on consultant su montre de poignet. Personne, parmi
les domestiques, n e descendra av:;nt Ulle demi-heure;
quant ù nog invités, le plus matinal ne se montre
,guère avant sept h emes et demie, huit heures ...
Tous deux so promenèrent quelqu es instants en
silence.
- Vous avez passé une nuit bien étrange , dit enfin
M. de Py rmont.
- En offet, MonsieUl'. Je n'aimerais pas en ViVN
souvent de semblables.
- Espérons quo l'ion d'anormal no so produira plus ...
Vous ôte3 toute pûle cc matin. Avez-vous eu peur
quand je vous ni laisséo seule avec Max Dormoy?
- Oui ... C'esl·ù-dire que j'avais peur ùo voil' sortir
quelqu'un de la chambro ù côté...
- Il n'y a pas do chambro ù côtô 0\1, plutôt , il y en
Il une, muis inhabitée. C' es t trois pièl.les plus,loin .. .
M. ùo Pyrmont s'arrOla soudain mais , expliqua
ccpe oc1unt :
- - Vous n'aviez rien Ù cl'o.inùro de co côté. J'a vais
ferm é ln porte à clef.. . Ah, oubliez tout oela, détour.
n~z-e
votre esprit avec foreo.
- Il ma semble, Monsiour, que otre vie est en
A
,danger.
�72
LE SPECTR E VOILÉ
_ Ne vous tourme ntez. pas à mon sujet, je vous en
prie ...
_ pourta nt il me semble que bien des périls vous
menacent.
_ Peut-êt re dites-vous vrai . Tant que Dormoy
n'aura pas mis l'Océan entre lui et Haute- Forêt, il ne
m'est pas permis d'être tranquille.
- Pourta nt il semble facile à mener. Il a consenti
ù tout cc que vous avez voulu.
- Vous ne pouvez comprendre en quoi il peut me
nuire. Un mot, quelquefois, nous fait plus de mal
qu'une épée ...
- Alors, l\'lonsiuur, si e'est un mot que vous craignez, demandez-lui de ne pas le dire.
- Imposs ible, mon onmnL, tout ù fai.t impossible.
Il est des faveurs qui ne se peuven t demandel'. Dormoy
n'est pas ml·chan t, au sens absolu du mot, peut-être
même ne l'est-il pas du touL, - vous savez que, dam
ce domaine, nous risquons so uvenL des jugements
téméraires ; - cependant, PHI' lui,je puis soulTl il' pIns
que par quiconque en ce monùe .
Lnurence dom ' ura songeu so un instant et cliL :
-- Voulez-vous, Monsieur, mc permet tre de vous
pOEer une quesLion?
- J\lais cel tainernent, cepend ant je ne vous promeLs
pas d'y répondre.
- Il me ~emh
l e quo, lorsqu'on redonLe t:mL une
paroIl.', ceLle parole no peut êLro qu'un sl'creL qu'on
redoule do voir dévoller.
�LE SPECTRE VOILÉ
73
- Est-ce bien là une question, Madem
oi ~e le
Dastier ?
- Non. Ce n'est par.; une question. C'est plutôt
l'expression de ce quo je pense.
.
- Alors, puisque ce n'est pas une question, pensez
ce que vous voudrez: je ne vous r épondrai pas ...
Écoutez-moi , cependant.
Ici M. de Pyrrnont fit une pau~e,
comUle s'il voulait
donner pIns de poids, plus d'imporLance , à ce qu'il
allait déclarer:
- Imaginez-vous un homme qui s'est trompé en
aiguillant sa vie. Et, aggravunl ct~
el'J'eUl' initiale,
imaginez encore que cotte homme a dû subir une
catastrophe tdle qu'il est difficile d'on imagiI).er une
plus cruelle ... Me suivez-vous?
- Je vous suis, Monsieur, et je tâche de comprendre.
- Cet homme rencontre un jour uno femme dont
la seule vue, la seule présence le console des tristesses
passées, auprès de laquelle il semble renaître, que
dis-je? ressusciter. Oui, i.l désire alors une nouvelle
vic en faisant table rase de l"ll1cienne ... Pour atteindre
ce but, a-t-il le droit de surmonter l'obstacle de l'ha·
hitude, l'obstacle de la routine et des préjugés? ... Notez
que je ne parle pas ùo la loi, mais, je le répète, de la
l'ouline et des préjugés de certains milieux?
M. de Pyrmonl s'arrêLa ct attendit une réponse qui
tUl'ùait il se faire entendre. La jeUDI, fille réfléchissait
et gardait le Rilenco.
�74
1.F. SPE CTR E VOI d:
_ Je pose ma CIllestio rl d'un e autr
e man ière : est- il
perm is, pou r acq uéri r la paix de
l'es prit , la séré nité
du cœu!' et de l'âm e, c'est-à- dire
le bon heu r en ce
mon ùe, de b!'ll vcr les préj ugé s et
de s'at tach er à jam~_
il une fem me?
_ pou r r üpo ndr e selo n ma
consci.clnce , il me
faud rait savo ir cc que vou s ente
nde z p ar préj ugé s et
roul 1ne . Cep end ant, je ne veu x
pas ,ê re indi scrè te en
vou s que stio nna nt à mon tOU t',
co qui noUl~
entr a1!1eralt peu t-êt re dan s des cas ùe
con scie nce trop pel'flannals; aussi, saU!'! atte ndr e l'éc
lair ciss eme nt qui me
sera it nécessa:irc, je pui~
von s dire dès mai nten ant que
la paix ùe l'csp ri t, la. séré nité du
cœu r et de l'âm e,
ne doiv ent pas être che rché s dan
s des être s frag iles
com me nou s, roorteli> com me
nOliS, sujets ù mill.e.
fluc tuat ions ...
_ C'es t-à- dire que ?
___ C'es t-ù· diro quo la paix de
l'es prit , la séré nité
du creu"!' et de l'âm e doiv ent se
fond er plua hau t .••
PltlS ha.ut! plus hau t! Vous l'avez
cha nté hier au
soir •.• Ln re ~n me
vien t pas surc roît •.. seu lem ent
si la
femmo est pos sibl e.
_ Oh! mad emo isel le Dastiol', qu'o
lle moraliste vous
fait.es!. .. Maie jo ne sais pourquo
i nons agitons COil
questions qui n'on t gU(lre d'in térê
t, vrai men t, ou,
plut ôt, qui n'on t qu'u n intorêt pur
ement spéc ulut if.
Vou s pen sez bien qu'i l ne s'ag
it pus d'un ca}.l de
con scie nce personnel. Ma con scie
nce, je ne la mon tre
pas , à nu, l'lns tltu tric e de mu n·
ùce.
�LE SPECTRE VOILÊ
75
Changeant complètement de ton:
- Tiens, on dirait qu'on s'agite, que les persiennes
s'ouvrent ... La vie reprend à Htlute-ForÔt. Avant de
'nous quitter, pour reprendre nos oocupations, laissezmoi vous faire pnrt d'un projet quo je voulais vous
soumettre avant d'en parler à quiconque. Voici : j'ai
l'intention d'épouser Mlle Darlnnd. Croyez-vous, depuis
le temps que vous l'observez, le soir, en silence, avec
vos yeux qui voient loin, que mon choix soit heureux?
On parle quelquefois du glaive, du serpent de la
jalousie ... La première atteinte, justifiée, de oette
terrible furie, est l:IOuffranoe infernale. Laurence
l'éprouva, ù cette heure, danfl toute son intensité.
Elle répondit, néanmoins, d'une voix qui ne trahissait
riEm de l'émotion de son âme:
- Mais oui, Monsieur, pourquoi pas? MUe Darland
est si bollo!
- Certes , l'enveloppe possède oette qualité à un
degr6 émineDt, et j'aime à supposer que l'âme COlrespond absolument à la forme, si séduisante ... No le
pensez-vous pas aussi?
-- Mais si, Nous devons toujours supposer le mieux
de nos semblables.
- Ah, quo jo serai coni"ent de vous pO,l'!or de t emps
en temps de celle que j'aime, quand olle Sf:l'a partie,
maintenant quo vous la connaissoz. M'écouLorez-vous
avec intérGt?
- Mais oui, Monsieur, Je Gui;:; ici pour servir ...
sOl'vir mômo de confidente.
�76
LE SPECTRE VOILÉ
N'employez pas ce mot, qui sent la domesticité.
- Qu'il ne vous eITraie pas! Servir, c'est ce que
j'ai désiré en cherchant une situation d'institutrice
dans une famille. N'ai-je pas déjà vu mon ambition
satisfaite, relativement à Sabine, d'abord, pour
laque1le je suis venue à Haute-Forêt, à vous aussi,
Monsieur, la nuit où le feu s'est déclar6 dans votre
chambre? à M. Dormoy cett.e nuit même? Et avant
qu'arrivent vos invités, n'ai-j,e, pas sel'vi, tout simplement, il l'office et dans la cUIsme? A co moment, 'je
crois m'être rendue utile à tous vos domestiques qui
ont eu besoin de moi ...
- Oui, je sais que vous êtes une petite personne sur
laquelle on peut compter et je 5a urai m'en souvonir ...
mais je m'610igne, car je me doi s à mes hôtes... à
Mue Darland ... A bienlôt l Madomoiselle.
- A bientôt, monsieur.
CHAPITRE IX
Laurence revenait à Hante-Forêt après une abseneo
d~m
mois, passé aux Cèdres, Elle pensait aux derniers
moments de sa tante, qui s'étail montrée si dure pour
elle pendant son enfance. Elle revoyaiL son visage
décomposé ; elle entenuait sa voix altér6e, ceLte voix
sèche que les derniers moments avaient à pùine
adoucie ~ elle se J'appelait lojour ùos fun <iraillos: 10 cel'-
�LE SPECTRE VOILÉ
77
cueil, le corbillard, la longue flle des fermiers avec
leur famille, les ch'Îtelains des environs, l'église trop
petite, les chants accompagnés d'un simple harmonium .
Puis elle songeait à ses cousines, toutes deux mariées,
au tortionnaire d'autrefois devenu jeune père de
famille aimant tendrement sa femme et son fils ...
Aucun ~embr
de sa famille n'avait d'histoire qui
valût la p eine d'être contée; elle seule en avait une
qui avait commencA à sa naissance, se poursuivait
maintenant, finirait de quelle manière?
POUl' le moment, Laurence retournait à HauteForêt, mai s pour combion de temps? Elle était p ersuad ée que son séjour n'y serait pas de longue durée.
Elle avait reçu une lettre de Mme Deltour lui
annonçant que les invités venaient de quitter 10
ehâtoauetquo M. de Pyrmont était en pleins:préparatifs
en vue do son prochain mariage avec Mlle Darland.
Lau rence se demandait où elle irait dans quelques
so maines, et pourLant elle so sen Lait heureuse de voir
le ch emin s'abréger devant olle, si heurouse qu'olle se
demandait, tout ~lonée,
ce que signifiait cette joie.
Elle sc répétait à satiété qu'ello no retournait pas
choz cll e, ni dans un pays où elle devait toujours
reste r, ni m êm e chez des amis qui so r éjouiraient de sa
venue. Elle savait que Mme Deltour l'accueillerait
cordialomont, sans plus, Sabino, avec une joio d'enfant,
mais cc n'6tail pas à la manifestation do cos tièdes sentimonls qu'ollo aspirait. TouL son êLl'O av a iL soif de
quelquo chose de plus chaud, de plus ardent, ùe plus
�78
LE SPEC't'RE
von.t
confOl'rr.e il son âge, et cela, elle savait bien qu'elle ne
10 trouverait pas à Haute-Forèt.
Pourtant, avec l'illogisme do !a jeunesse, elle
espérait contre toute espérance. NI. de Pyrmont lui
avait èlitson intention d'épousei' M~lc
Dm'land, Mme Deltour parlait, pIllS précisément, de préparatifs en vue
d'un prochain mariage : quand mèmo, ello espérait
encore l Et en quoi conaistait, au juste, celte osp t5rance?
- Je le verrai, se disait-elle, n'est-cc pas un
bonheur?
Oui, un bonheur qui avait, par moments, un relent
d'agonie.
Ulle auto l'avait conduite ùes Cèùrûs à Pont-ueClaix.
- Laissez-moi ici, dit-elle au ohauITeur loraqu'elle
fuL en vue du chûteau. Ma. mallette n'ost pas lourde,
je la porterai ...
Pour entrer, elle voulait choisir son hourc, passel'
inaperçue, ct que le bruit du moteuL' n'at~irù
pU3 les
domestiques, Mmo Deltour ... peut·êLre mêmo M. de
Pyl'mont.
Elle voulo.i t être de Doa VI)IlU installée dans la
maioon quand ello le verrait, éviter l'accueil du
retour où, quelquefois, involontairement ou pal'
politesse, ou exagore le plaisir dUl'ovoir. Elle craignait
que M. do Pyl'monL n'oxagénH dans ce sens, elle
l~raignü
aussi d'en oprouve' une satisfaotion ne
reposant sur rÎun de rtiol.
�LE SPECTRE VOILÉ
79
Par quelle porte passerait-elle? Par une porte de
côté. Elle était à peu près sûre qu'il ne s'y trouverait
:pas. A tr&vers la petite grillé, elle verrait d'assez loin
.et retournerait SUl' ses pas si, par hasard, eUe l'aper;,cevnit.
Il était là ...
La joune voyageuse aurait pu s'y attendre, et
pourtant eUe sentait ses jambes se dérober sous elle
et son sang battre dans ses veines. Si la poignée de
sa mallette eût été douée de fiensibilité, oe morceau de
cuir aurait perçu le frémissement saccadé des vaisseaux de ln main qui le serrait avec force.
Non, pendant quelques minutes, Laurence ne fut
pas maîtresse d'elle-même. La passion la dominait.
EUe eût voulu courir, bondir, voler ... Cependant elle
demeurait clouée sur place, regardant, fascinée, oelui
qui lisaiL à vingt mètres d'eHe et ne la voyait; pas.
- Dès que je pourrai marcher, se disait-elle, je
retournerai sur mes pas, je passerai pal' une autre
porte... celle qui donne côtA ouest, à l'opposé de
(',ello-ci.
Mais les entrées eussent/-elles été aussi nombreuses
quo les quatre pointa cardinaux, unis aux points
servi de rien, car M. do Pyrcollatéraux, cela n'eu~
mont, maintenant, avait aperçu Laurence.
_ Tiens, mademoiselle Dastier 1 dit-il en venant au
devant de la jeune fille, vous vous déc'
~ z enfin à
rantrer au bercail? Ce n'est pas trop tôt. Mais, ditesmoi, la diligence vous a laissée sami doute à l'un dea
�80
LE SPE CTR E VOI LÉ
relais de la route natioDl~,
que vous arrivez sans
crier gare, une valise à la mam, com
me une voyageuse
de 1830?
u En outre, de même que
l'existence des autos,
vous devoz ignorer aussi l'invention
du télégraphe et
du téléphone, puisque vous n'av
ez pas trouvé le
moyen de me faire connaitre le
jour et l'heure où
vous aviez l'int enti on de quitter la
maison dont vous
venez. Vous savez bien, cependant,
que je n'aurais
pas demandé mieux que de vou
s enYoyer mon
chauiTeur, ou môme d'aller vous che
rcher personnellement ... Mais entrez, entre:!: donc, ne
restez pas ainsi,
sur le seuil, comme si la V'JO de
Haute-Forêt vous
ava it transformée, comme la fem
me de Loth, en
statue de sel.
Laurence ava it il peine conscience
de son atti tud e.
Son soul désir, cependant, étai t de
paraltre calme et
surt out do dominer l'expression
de son visage qui,
rebelle à sa volonté, exprimait peu
t-êt!'e ce qu'olle
ava it résolu de cacher.
Elle so rem it, cependant, et retr
ouva 3ssez dEl
présence d'esprit pour donner quelque
s détails qui lui
étai ent demandés sur la mOI't de sa
tant e, pOUl' dire
combien elle étai t contente de rotr
ouver sa petito
élève, Mme Doltour, le parc ...
- Et vous, Monsieur, vousl car
où vous vous
trouvez se trouve aussi mon paradis
terresLre.
Mais cette petite phrase enfla.mmée.,
el~
ne la dit
pas. Son cœur seul la olama. tand
is que ses youx
�81
LE SPECTRE VOILÉ
demeuraient baissés afln qu'ils ne trahissent pas son
cœur.
CHAPITRE X
En ce jour de fln d'été, la chaleur avait été accablante.
Sabine, fatiguée d'avoir passé l'après-midi à cueillir
des myrtilles dans les bois avoisinant le château,
s'était couchée avec le soleil. Quand Laurence la vit
' endormie, elle la quitta pour le parc.
C'était bien l'heure la plus agréable de la journée.
Lcs rayons brûlants d'une fournaise implacable
avt.Ïent fait place à une agréable brise d'est qui
apportait, dans son souffle, un peu de la fralcheur
des hauts sommets.
~ auprès d'un
Ellc se promena quelques insta
bosquet de troônes disposés autour d'un banc circulaire. Les dernières roses de l'été s'épanouissaient au
milieu d'une plate-bande proche, bordée d'millets
tardifs au parfum capiteux. Un jasmin de Syrie, un
seringa déversaient dans l'atmosphère, l'un ses suaves
effluves, l'autre sa senteur capable d'asphyxier l'imprudent qui la respirerait longtemps dans une
chambre close. En plein air, cette combinaison de
parfums était déliceus~
et Laurence s'en grisait un
peu.
Mais bientôt une odeur légère et bien connue, celle
1e la fumée d'une cigarette, parvint jusqu'à elle, et
6
�LE SPE CTR E VOI LÉ
82
tou t à c,oup œillets, réséda, jasm
in, seringa, roses
cessèrent d'exister. Laurence savait
bien qu'il s'agis~ait
là de certain nuage bleuté qu'elle ne
voyait pas aujourd'hui, mais qui roaniest~
.n6am~is
son voisinag e: M. de Pyr mon t devalt etre
aSSl S sur le ban c
circulaire, derrière la ceinture de
troènes.
La jeune fille songea aussitôt à
s'éloigner ava nt
d'avoir ô\'é aperçue ou ente ndu e;
mais comme elle
par tait , emp run tant une pelouse
afm que le sable
ne criâ t pas sous ses sandales,
olle fut arrêtée
net :
_ Pourquoi disparaître de cette
manière furtive,
Mademoiselle Dastier? Craignez-vous
de trou bler ma solitude? Reven.ez. Par un si beau soir
il serait dommage
de rester enfermée, et personne ne
pout désirer dormir
quand le soloil couchant fait pince
ù la pleine lun e qui
se lève ... Na' !l'lÏroz-vous pas co
globe de feu qui
semble sortir do la pointe du Casque
de Néron? (1)
Laurence ne désirait pas 50 promen
er dana 10 parc,
à cette houre, avec M. de Pyr mon
t; cependant elle ne
pouvait trouver aucun motif possible
pour le qui tter .
N'était-il pas ridioule de fuir un hom
me auquel elle
étai t indifféronte, bion plu s: un
homme amoureux
d'une autre femme qu'il s'ap prê tait
à épouser?
Elle le suiv it lentement dans los
allées dq parc ,
tou t en cherchant cependant un Ilrétoxt
o de délivrance,
puis elle éprouva une véritable hon
te de 80n propl'o
(1) Nom d'une montagne qui domine
Gronoble.
�LE SPECTRE VOILÉ
83
trouble, en faco de cet homme si grave et si calme,
pour lequel elle n'existait pas.
- No trouvez-vous pas, Mademoiselle, que HauteForêt est un séjour fort agréable en été?
- En ét é comme en toute saison, oh 1 si, Monsieur 1
- Vous vous ôtes attachée à cette bâtisse?
- A toutes ses pierres, ù tous ses coins, oui.
- Il me semble que vous êtes for~
attachée aussi à
votre élève et même à Mme Deltou!'. Quand DOUR
aimons les personnes, nous :limons aussi le lieu où
elles demeul'en t.
- Cc que vous dites est trèfl vrai.
- Et vous amiez du chagrin s'il VOU ii rallait vous
éloigner dérmitivem cnt?
- Beaucoup de ohagrin.
- C'est très malheureux, oui , veaiment, mais vous
savez aussi bien que moi qu'il 'n est toujours ainsi.
A peine se sent-on h eureux en un point quelconque
ùe la terre, qu'i 1faut repli o}" sa tonto ct aller plus loin.
Nol lieu quo DOUS pui ssions considérer comme un
rléfinitif Thabol' et il !li} nOIl. est. pas plus permis qll'Ù
Saint Piecrn de nous éorier : c( SrignclII', il fa it bon
ici 1 )1
_ . Saint Picll'e a (j ll cc droit.)
- C'o st vl'aj~
le droit rie dit'a, maid non cclui Je
ré uliscr. La lonte qu'il désirait, il n'a pab eu l'clutorisali on do la dro3sc,· . Une socondo de bonheur, et il a
fallu redescenùre.
�84
LE SPECTRE VOILÉ
- Dois-je partir, Monsieur? Dois-je quitter HauteForêt?
- Je crois que c'est le mieux, mon enfant. Je le
regrette ... Je le regrette beaucoup, mais c'est sans
doute inévitable.
Il est des heures cruE'lles. Laurence était à l'une de
ces heures-là. Néanmoins, elle fit bonne contenance.
- Eh bien, je partirai dès qu e viendra l'ordre du
départ 1
- Cet ordre, je le donne ce Roir.
- Il est donc bien vrai que vous vous mariez? J'ai
senti tout de suite que je déplaisais ù Mlle Darlalld.
- Elle ne m'a jamaiR fait l'ombre d'uno confiùence
à ce sujet. En tant cas, oui, je l'épouse ... Permettezmoi de vous rappeler que vous uvez (,té la. première
à me dire que, dans le cas où je me déciderais à me
marier avec MUe Dal'land, vous quitteriez IIaute-Forêt..
Ce n'était pas tl'ès gent.il, avouez-le, pour celle qui
allait devenil' ma femme. Vou s voyez que je me SOlIviens, en temps utile, de la sagesse de voLre résoluLion .
- Je m'adresserai donc, de nouveau, ù l'agence de
l'Enseigm
~nt
.
- Et comme un vaillant scout , vous porterer.
ailleurs votre t enLe ... Dans un rnois environ j'espère
être marié ; d'ici là, je m'occuperai de vous trouver un
autre emploi; ainsi vous n'aurez pas ù vous adresser
à l'agence.
- Je vous remercie beaucoup, Monsieur. Jo regrette
d"! vous donner ceL embarras.
�LE SPECTRE VOILÉ
85
- Ne me remercioz pas. Quand on a servi comme
vous (permettez-moi d'employer cc terme que vous
affectionnez), on a aussi le droit d'exiger des égards
de celui qui vous a employé ... Mais, j'y songe, ma
fiancée a, en Algéri0, une tante qui cherche, pour ses
deux filles, une imtitutl'ice. Pourquoi n'iriez-vous pas
jusque-là, sous ce ciel merveilleux où il lait si bon
vivre? Toutes les leçons doivent s'y donner en plein
air, commo en s'amusant. Qu'en dites-vous?
- Je dis que c'est bien loin.
_ Bien loin de quoi? de qui? Vous n'avez pas de
famille. Une jeunû fille raisonnablo et sensée comme
vous l'êtes doit se réjouir à la pensée de faire un beau
voyage.
- Je ne songe pas au voyage, mais à la distance
qui me séparera de la France ... de Haute-Forêt... et
do ...
- Eh bien?
- El de vous, Monsieur!
Ces derniers mots lui avaient échappé sans qu'elle
pût les retenir.
_ Comme c'est loinl dit-elle oncore, pour les atténuer.
_ 11 est certain que, lorsque vous serez en Algérie,
je ne VOLIS verrai plus, car· je n'aimo pas beaucoup
oette contrée, trop décor d'opéra-comique ... Puisque
nous sommes il la veille de nous séparer, - duns quelques jours ce sera chose faile, - pas sons nu moins l'un
pros de l'atitre 10 peu de temps qui nous re sto.
�86
LE SPECTRE VOILÉ
M. de Pyrmont se tut, sembla se recueillir, puis
reprit:
- Si partir vous fait de la peine, c'est donc que
vous m'êtes un peu attachée?
Laurence ne répondit pas. Elle était si violemment
'mue qu'elle n'eüt pu le faire sans larmes.
- Vous ayez trouvé ici une bienveillance à laquelle
vous n'étiez pas accoutumée . Votre enfance fut rude
eL malmenée, vos années de pensionnat, sans tendresse.
A votre Hge) le cœur a besoin de sc donne: tout entier
ct il se donnera ainsi le jour où Se trouvera SUr votre
route le Prince Charmant auquel rêve toute jeune
fil le. Vous m'oublierez, Laul'ence 1
- Jamais , Monsieur) jamais 1. .•
- On dit cela, et puis les jours passent, effaçant l'image, peu il peu, peu à pou .. .
La jeune fille nû protestait pas . Elle en eût été bi&n
incallable . Elle sanglolait comme savent sangloter les
femmes quand leur volonM no s'exerce plus. Elle
éprouvait dans chaque fibre do son aLre une souffrance
atroce cL lorsqu'elle retrouva l'usage de la parole CG
fut pour déplorer FlVCC véhémence le jOUl' où elle
était n ée cL ccl'lÎ où les circonslances) plus que sa
volont6, l'avaient conduite à IInute-Forêt.
-
C'est
de teI'fe ?
dOllC
si elTraynnL de quittoI' co potit coin
- Ob oui) CUL' je l'aime comme je no pensais pas
qu'il füt pos!Jiblc d'all:,:el' un objet inanim6. Partir, co
n'est pas mourir un p eu, c'csL mourir Lout il fait.
�LE SPECTRE VOIL~
87
- Alors vivoz. Pourquoi partir?
-- Pourquoi? Parce que vous m'avez presque chassée.
- J'ai en effet l'air d'un épouvantail, d'nn chassemoineaux .
. - Non, mais je dois faire place à vot/re fiancée .
- Pensez à la grande quantité de chamhres inoccupées : n'yen aura-t-il pas une pet.ite pOUl' vous?
- Je ne veux pas. Après ce que je vous ai dit, il
est impossible que Mlle Dm'land et moi vivions sous le
même toit, aussi vaste soit-il.
- Et si nous la laissions tout si mplement sous celui
qui la recouvre en ce moment? Qu'en pensez-vous?
- J'en pense que je no veux plus restel" J'it'ai en
Algérie, et si ce n'est en Algérie, ce sera ailleurs, ailleUl's, mais pas ici.
- Calmez-vous, voyons, calmez·vous. Il n'y a
jamais eu de fiançailles, au vrai sons du mot, entre
Mlle Darland et moi . Je sais que ce projet d'union lui
souriait assez, de même qu'à sa famille : c'est tout,
Maintenant, après noLre conversation de ce 30ir, une
union avec elle me serait impossible. Et puis, fnut-il
]e dire? Comme vous j'ai le culte de certains objets
inanimés. De même que vous aimez Haute-Forêt et
que vous nc sauriez vivre heureuse loin de ses vieill e!!
pierres, de même je ne saurais me passer d'apercevoir
certaine robe bleu marine toute simple, cel'tain manteau beige quand 10 temp s est frais, sans parler des
livr'O$ qtlC vou oubliez un pflll pll.rtO\lt, Maùemoiselle,
�88
LE SPF.CTR E VOILÉ
et que j'aime lire aux pages où ils s'ouvre nt seuls.
_ Vous vous moquez de moi et, indirec tement , vous
vous me faites compre ndre que je manqu e d'ordre .
_ Telle est mon intenti on, en effet, mais si j'en
avais, en même temps, une autre?
- Une autre? .
- Oui, une autre intentio n.
- Laquelle?
- Celle de vous faire comprendre que je serais
heureu x si vous consentiez à devenir ma femme?
- Je no veux pas 10 devenir. Je n'ai pas confiance
en un homme qui change si vite de fiancée.
- Fiancé e, elle ne l'était pas encore. f{ien n'a ét.é
promis , rien n'a été rompu. Avais-je de l'amou r? Non.
En avait-e lle pour moi? Non encoro . En voici la
preuve : j'ai fait courir le bruit que ma fortune était
à peine le quart de ce qu'on la suppos ait et je me suis
arrangé, ,ù l'aide d'un ami de toute confiance, pour
que ce bruit parvin t jusqu'à ses oreilles ; ensuite je lui
ai rendu visite pour constat er le résulta t de mes insinuations indirec tes . J'ai été très froidem ent reçu. En
rétablis sant la vérité, rien ne serait perdu, mais,
mainte nant, j'aime mieux me condam ner à un célibat
perpétuel que de l'épouser. Cepend ant elle est jolie,
vous ne l'êtes pas. Elle a uno assoz Lcllo fortune, vous
ne possédez rien de ce qui s'achèl e, ct vous n'avez
aucun moyen do vous procure r dos objots de quelqu e
valeur.
- Monsieurl
�LE SPEC-rn E VOILl!;
89
- Laissez-moi finir ... Et pourta nt, dénuée de tout
co qu'on apprécie le plus en ce monde : l'enveloppe,
la fortune, j'aime cet incomparablo joyau: "ous.
Et M. de Pyrmo nt :louligna le mot en le pl'ononçant.
- Vous, c'est-à-dire ce qui persiste éternel lement :
votre âme. Un tel amour n'a-t-il pas un fondement
Bolide? Est-il conslru it sur le sable ou sur le l'oc? .. Et
mainte nant ne m'appelez plus monsieur et dites-moi
que vous voulez bien deveni r ma femme.
- Tout à l'heure vous m'ordonniez de partir, est-il
possible que mainte nant vous me demandiez de rester
toujours?
Au momen t do quitter Lauren ce, M. de Pyrmo nt
l'embr8s1;a. Ils se trouva ient au pied de l'escalier qui
allait conduire la jeune fille à sa chamb re. Lauren ce
regal'da a.1ors aulout' d'ello et aperçu t Mme Del tour et
sa mine eO'urée. Elle lui lit un léger signe de tête en se
dlsant : « Tout s'expli quera ».
Cepend ant, lorsqu'elle fut seule, sa porte refermée,
la pensée qu'un seul momen t la brave femme avait pu
se mépren dre SUL' la signification de ce qu'ello avait
'Vu l'attrist a. Il est vrai qu'au bout de quelques instants de solilude, la joie efIaça tout autre sentim ent
ct c'ost dans une quiétude complète de l'esprit eL du
CQ!ur que bienl8t elle s'endor mit.
�LE SPECTRE VOILt
CHAPI TRE XI
Le lendem ain, tout en s'habill ant, Lauren ce repassait dans son esprit les événom ents de la veille et elle
se deman dait s'ils n'étaio nt pas un rêve. Elle ne fut
bien convain cue de leur réalité qu'un psu plus tarù,
lorsque M. de Pyrmo llt lui parla de nouvea u de son
amour.
Pour 10 momen t elle était encore se ule et se regGrdait dans une glace avec plus de compla isance que
d'habit ude. Elle ne Re trouvai t pas désagré able à voir.
Son visage était plein de vic; B03 yeux brillaienL d'un
éolat inaccou tumé.
_ Il m'a trouvéo laide, n'a pas craint de me 1':) dil'e,
mais il faudra bien qu'aujo urd'hui il modifie son opinion à cc sujet.
Elle s'habil laavec plus deroch ercho que de coutum e,
ajoula un collier de fantaisie à une robe qu'elle n'avaiL
!Oise quo quelque fois sous un mantea u, ne lu trouvan t
pas assez simple, pas assez conforme L\ sa situatio n
subalte rne pour la portor à découv ert. Auj0ur d'hui
qu'elle n'était plwl seulom ont l'instit utrice mais aussi
la fiancée, elle pouvai t so permett,re un peu plus
d'élégancû sans encour ir le blâm tacite de Mmo Deltour, des domest iques, ct même den visitoU\'fI.
Dès qu'elle fut au rez-do· chaussé e, olle nperçu~
lit
~OlV
.In'\lIta .
�LE SPECTR E VOIU;
91
- Vous êtes en retard pour votre petit déjeun er,
Mademoiselle. Votre élève vous attend.
U y avait une réproba tion flous-entendue dans la
voix de la brave dame, qui avait été S{:andalisée du
baiser surpris.
La jeune fille avait sérieus ement baissé dans son
estime.
Pendan t le repas, Mmo Deltou r fut glaciale, mais
Lauren ce no pouvai t pl'endre sur elle de la ramene r à
un moins sévère jugeme nt. Il fallait attendr e que M. de
Pyl'mo nt voulû.t bien tout expliqu er '3t, jusque -là,
demeu rer très pruden te, très réservée, afin de ne
plus donner prise à la criLique.
Tandis que, tout en prenan t son café au lait, eIl
médita it sur la condui te à tenir désormais, M. de Pyrmont ontr'ou vrit la porte cl e la salle ft mange r et dit:
- Je vous attends daus quelques minute s, MademoisfJlle. Vous me trouver ez dans mon bureau .
Ce Iut tout. La porte se referm a. Lauren ce acheva
vivemo nt lion léger repas ot, sans plus songer à l'opinion qu'elle suscita it, elle sc dirigea vors le bureau .
11 lui sembla it avait' des ailes,
- Vous êtes fraîche comme une l'Olle ct tout à fait
jolie. :Btes-vous heureuse? Est-cc le bonheu r qui VOU!!
tl'ansformo à ce poil! L?
- Peut-êt ro, Mon ' ÎCUl'.
- Vous DO r('pondez qu'à ma seconde questio n
nluis, si vous m'aim z, vous ne pouvez manquer
d'ôtro heurouse. Dans un mois, Lauren ce, m~e
dAns
�92
LE SPECTUE VOILÉ
trois semaines si c'e3t possible, vous serez ma femme.
_ Pardonnez-moi, Monsieur, mais il me semble que
VOllS lisez à haute voix un conte de fée . .Tc ne puis
m'imaginer qu'il se réalisera bientôt, dans un mois,
dans trois semaines. C'est trop beau, cc ne sera pas
vral.
- Ce sera vrai, petite pessimiste. Cc conte de fée.
comme vous dites, je le r(aliserai en dépit de vos
doutes. Comme Peau d'Ane, vous aurez des robes couleur de lune ct de soleil et des bijoux, .. ceux de ma
mère, d'abord, et de plu~
modernes aussi.
- Ne parlons pas de cela, c'est tout il raIt secondaire. Le seul que je désire. ah 1 mais, celui-là, ardemment, c'est un anneau tout simple, l'anneau qu'on ne
quitte même pas au moment de la mort.
- Celui-là vous l'aurez dans trois semaines. Aujourd'hui même nous irons le choisir à Grenoble. Je vous
ai dit que nous serions mariés dans un mois, mais un
mois me semble trop long ... Trois semaines ... J'irai
trouver un prêtre, qui nous unira dans la chapelle du
château, fermée depuis bien longtemps ... Quel beau
jour ce sera, ma petite Laurence 1
- Oh, oui, Monsieur!
- Est·ce que vous m'appelleroz encore a.insi quand
nous serons mariés? Je me nomme André, Mademoiselle, tâchoz de ne plus l'oubliel' à l'avenir ... El maintenant, venez m'embrasser. Un fiancé, cela s'embrasse.
- Je youx bien, mais pour avoir 10 droit de le faire
sans l'emordB, il ne fauL pas quo les fiançailles soient
�LE SPECTR E VOILÉ
93
tenues secrètes. Commu niquez donc nos intenti ons à
Mme Deltou r. Elle nous a vus hier au soir au momen t
de nous séparer et elle a été scandalisée. Je l'ai lu sur
son visage. Je ne veux pas passer pour une dévergondée ou une intriga nte ...
- Vous avez une robe charma nte ... Je vous emmèn e
ainsi à Grenoble ... Nous déjeun erons au restaur ant...
Nous choisirons les anneau x ... les chers anneau x ...
Que direz-vous d'une branch e de lierre ciselée s'enrou lant autour devott' e doigtai menu? Certes, les feuilles
n'en seront pas nombre uses ... POUl' un bracele t, il y
en aura davant age et de plus larges .. Pour un collier
aussi. Oh, ce sera charma ntl Jo vais vous couvri r de
lierre comme un vieux mur. Aimez- vous le symbo le
de celte pIanLe?
. - Je crois bienl Je meurs où je m'attac he ...
- Alors, allez mettro voLre chapea u. Jê vous
pmmèno. Pendan t que vous serez dans votre chambr e,
je vai~
rassure r la brave Mme Deltou!' eL l'invite r
à notl'o mariag e. Ah, quo je suis heureu x, Lauren ce 1
J'ai vingt ans 1
Lo chapea u fut vile mi::;, les renseig nemen ts vile
donnés . Quand Lauren ce entend it M. de Pyrmo ut
quiLLer la salle ù mange r, où se trouvai t encol'e la gouvernan te, elle 50 hala do descen dre.
Suivan l son habitud o, aussitô t son peLit déjeun er
achové , Mme Dellou r lisait pendan t uno heure environ .
Quelquos instant s seul omenL étaient réservé s au journal, une lecLUl'c édifian to suivait . A la lumière arLifi-
�94
LE SPECTRE VOILÉ!
cielle, elle évitait les caractères d'imprimerie, afin de
ne pas fatiguer ses yeux.
Pour le moment, Mme Denour semblait bien loin de
son livre, qu'elle avait refermé à l'entrée de M. de
Pyrmont. Toute l'expression de son visage manifestait la surprise et même la stupéfaction. En voyant
entrer Laurence, elle se leva, fit un effort pour sourire
et murmura quelques mots de félicitations, mais le
sourire expira sur ses lèvres e~ les souhaits de bonheur'
demeurèrent à demi formulés.
'- .To suis tellement étonnée, Mademoiselle, que je
He sais que vous dire, Il paraît que M. de Pyrmont
yons a demandé de devenir sa fomme : a,reZ-VOUf)
accepté?
- J'ai accepté. Cela vous étonne?
-- Beauooup ... Voilà une chose ù laquelle jo ne
comprends rien. Il y a quelque temps, il n'ôtait
question quo de Mlle Darland j maintenant vou~
prenez sa place ... Savez-yous ce que j0 crois? Me pel'mettez-vous de voua le dire?
- Dites tout ce que vous voudroz pourvu que jo
puisse vous quitter aussitôt que M. do Pyrmont
m'appeilel'a, oar il m'emmène en auLo à Grenoble ..•
- Touto Boule?
- Mais, sans douto ? .. N'oublioz pas que vous vou~
liez me dévoiler votre pensée reJativemonL ù Mlle Da.\'land.
- Ah, oui... Eh bien, je pense que MOllsieur n'a
jumais eu l'intentIon de l'épouser, maia de VOUB t'ondre
�LE SPECTRE VOILt
95
jalouse en vous le faisant croire. Peut-être était-ce son
moyen, à lui, de se faire aimer de vous, car à ce
moment-là, vous pensez bien qu'il vous avait déjà en
tête. Cela ne lui est pas venu brusquement maintenant, mais brusquement aussitôt qu'il vous a connue,
du moins c'est mon avis., Eh bien, c'est une ohose que
je ne puis comprendre.
- Quoi donc?
- Qu'il vous aime, qu'il vous épouse, qu'il dédaigne
une jeune fillo belle, élégante, riche, pour vous
pt'endre, vous, qui n'avez pas grand'chose pour plaire.
Laurence fut tellement blessée par oos paroles;
froides et dures quo ses youx se remplirent de larmes.
- Je suis fâchéo do vous faire de la peine, mais
vous êtes jeune, vous avez peu d'expérience et vous
connaissez si mal les hommes! A votro âge, on s'en
tient à l'apparenoo, on Cl'oit toules les belles paroles,
au mien on demando à voir le dessous des cartes et
on ne croit qu'avec dos preuves à l'appui des mots.
Tonoz, j'ai souiferL presque autant qu'une mère, la
nuit passée, quand vous vous ôtes attardée dans le
parc. En surprenant voLre baiser, au pied de l'esoalier, j'ai Lremblé pour vous.
_ Eh bien, peu importe main tenru1t ce que' vous
avez pu croire puisque toul se t.ermine pal' un mal'iage,
qui s'est conclu le jour même de l'aveu.
- Et j'espère quo les choses iront sans encombre
jusqu'à la fin. Un proverbo affirme qu'il ya loin do la
coupe aux lèvros. J'ni souvent oonstaté sa vérité. Je
�96
LE SPECTRE VOILÉ
voudrais bien qu'entre la coupe que vous convoitez et .
vos lèvres rien ne se glisse qui vous empêche de la
boire. Je vous dis donc: méfiez-vous de vous-même
autant que de votre fiancé.
A ce moment la porte de la salle à manger s'ouvl'Ît
toute grande et Sabine s'y précipita en coup de
vent.
- Sabine, Sabine, un peu de pondération! gronda
Mme Deltour, cal' Laurence était à cent lieues de
l'enfant. Son bouleversement était profond.
Mais, en lui prenant la main, Sabine la rappela à
ses devoirs immédiats.
- Mademoiselle, je vous en prie, laissez-moi allel
avec vous à Grenoble. Mon oncle ne veut pas de moi.
n dit que je suis plus encombrante qu'un cageot de
poulets qu'on mène à la foire. Mais vous savez bien,
vous, que ce n'est pas vrai et que jo peux restor tranquille. Dites, parlez pour moi à mon oncle.
- Oui, tout de suite, répondit Laurence, satisfaite
de la diversion apport.ée par l'enfant.
La jeune fille se hâta de s()rtir, heureuse d'échapper à celle qu'elle comparait il. un oiseau de mauvais
augure . . L'auto, d'ailleurs, attendait déjà devant le
perron. '
- Voulez-vous bien, Monsieur, que Sabirie vienne
avec nous?
- Je ne reviens jamais sur mes décisions, du moina
vill-à-vis det! enfants. Je lui ai dit non, je co ntinue il
ùire non. Reste donc avec Mme Deltour.
�97
LE SPECTRE VOILÉ
- Pour me faire plaisir, Monsieur, je vous en
prie ...
- Vous voyez cette enfant du matin au soir, le
sacrifice ne peut être très grand de la laisser ici...
Mais qu'avez-vous donc ~ On dirai/t que toute joi.e
s'est effacée de votre visage. Vous n'êtes plus la même
que ce matin. Quelque malentendu se serait-il glissé
entre nous?
- Ceci simplement: je désirerais emmener Sabine.
- Va donc t'apprêter, et vivemont. Je regarde ma
montre: je to donne dix minutes.
Dès que l'enfant se fut éloignée.
- Après tout qu'importe cette contrariété, - car
6'en est une pour moi, - bientôt je vous vorrai autant
que je voudrai, sans aucune contrainte... Dans
quo)ques jours, d'ailleurs, ma nièce entl'era dans un
})ensionnat.
-- Le sait-elle?
- Pas encoro.
- Alors n'en parlez pas. Ne gâtez pas sa journée
par cotte perspective. D'ailleurs, en agissant suivant
votre projet, vous me causorez une grande peine ... La
voioi ... Taisons-nous, mais auparavant, promettezmoi, d'un mot, que vous la garderez à Haute-Forêt
après notre mariage.
_ Tout cc que vous voudrez ...
:&t tandis que l'auto l'emport.ait, rapide, vers des
toilettes et vers l'anmpu, Laurence se demandait si la
coupe myslél'jeuse bO l'cnvcl'seraiL ou sc briserait
7
�98
LE SUCTRE VOIL!!:
ava11t qu'elle eût le temps d'en approcher Sès
lèvres.
CHAPITRE XII
Non pas trois semaines, ni un mois, mais bien oinq
semaines s'étaient écoulées. La date du mariage était
fixée, tout était prêt. La toilette de mariée, le voile
s'étalaient sur un large lit, dans une ohambre inoccupée.
Les bagages eux-mêmes étaient bouclés, exoepté,
toutefois, ceux de la dernière minute. Tous portaient
une étiquette sur laquelle on pouvait lire;
Madame de Pyl'ffiont
Hôtel de France.
Brindisi.
M. de Pyrmont, lui-même, avait éorit. avec amour
le nom de sa jeune feItlme. 11 avait voulu qu'on rangeât les belles malles de cuir fauve dans la oh ambre
de Laurenoe-institutrice afin qu.'elle touohât du doigt
sa dignité et son bonheUl' de demain.
- Mme de Pyrmont, se disait ln jeune fille, n'existe
pas encore. Laurence Dastier ne se transformera pas
du jour au lendemain, suns oérémonie, on oette riohe
et noble dame. Jo veux la voir revenir de l'autel ,
paréo de ses lis et Je ses roses blanches, pour oroire à
son existence. Je veux être aussi raisonnable, à vingt
�LE SPECTRE
VOILt
99
ans, que Mme Deltour il soixanle. Je veux que le
malhour me trouve pI'ête s'il doit arriver.
Laurence n'était pus seulement agitée par l'activité
de!) préparatifs et par la pensée do la nouvelle vie qui,
demain, allait oommencer pour elle. Ces deux choses
concouraient sans doute à lui donnor cette agitation
qu'elle ressentait, co :soir, dans tous ses membres;
mais il existait 3ncortJ une troisiùmo CIl USO plus forte
que les autres.
Blle était en proio à une préoccupation éLl'ange ct
douloureuse. Elle venait d'êLre viotime d'une sorte
d'a.ecident qu'ello ne pouva.it comprendre et dont
seule elle avait connaissance. L'événement avait eu
lieu la nuit précédente. M. de Pyrmont s'.Jtait absenté
deux jours plus tôt et n'était pas enoore rentré. Des
aJIairesl'o.vaienL appel6 à Lyon, dont il fallait absol ument qu'il s'occupât lui-m ême avant de quittel' lu
France pour son voyage do nocos.
Laurenco attendail av oc d'autant plus d'impaLiencli
10 rotour de son fiancé qu'olle désirait soulagor son
esprit du troublo qui l'agi lait, on même tomp" quo
recherohor - et non plus seule - la solution d'une
in quiétanle én igme.
Ello so dirigea vers l'un ùes murs du parc afin d'y
trouver, tout en restanL ù l'air libre, un abri contre
le vent qui, pendanL toute lu jouméo, avait soul!lé
du sud-ouest, suns pour oela amener une goutte de
pluie. Au lieu de se calmer, il somblait l'cdoublGr sc
muoÎssement!;. Les a bres pliaient. tOU.1 du mtlm r;'
o
~.
l'
fllu'<l
.) ,_J
�LE SPECTRE VOILÉ
1.00
côté sans jamais se tordre en différenta sens; ils ne
relevaient pas leurs branohes une seule fois en une
heure, tant était violent le vent qui inclinait leurs têtes
au nord-est.
Les nuages couraient rapides et so:nbres, bouohant
les coins de ciel bleu aussitôt qu'ils se montraient.
_ Oh, oomme je voudrais qu'il rftt enfin auprès de
moi 1 se dit Laurence dans un accès de tristesse.
J'espérais qu'il arriverait vers trois ou quatre heures
cIe l'après-midi. Voici la nuit ct il n'est pas enoore là 1
Pourvu qu'il n'ait pas été retardé par quelque panne 1
L'événement de la nuit précédente sc présenta de
nouveau à son esprit et, luUant contre la superstition,
elle se défendit d'y voir' l'annonce d'un malheur.
Comme tout les êtres malmenés au début de la vie ,
elle était assez encline au pessimisme et vivait dans
une perpéluelle appréhension de la tuile détachée
du toit. Elle avait peur que ses espérances fussent
trop belles pour se réaliser. Elle avait été si heul'euse
ces derniers temps qu'elle craignait que son bonheur
ne rnt arrivé au faite.
- Le déclin, se disait-elle, va peut-être bientôt
commencer.
Lasse d'attendre dans le parc, elle sortit.
Le chemin difficile avait été aplani, élal'gi et le!4
autO!4 maintenant venaient commodément ù Haute.
Forêt. M. de Pyrmo~t
délaissait un peu son cheval,
car Laurence ne savalt pas monter en selle et n'aurait
pu l'accompagner.
�LE SPECTRE VOILÉ
\ 101
La jeune fille marchait vite, mais elle n'alla pas loin.
Elle n'avait pas fait cinq cents mètres qu'elle aperçut,
à' un tournant, les phares d'une auto. Plus de t.ristes
pressentiments, c'était lui, c'est-à-dire la protection
jncarnée contre tous les périls. André vit Laurence,
s'arrêta.
Quelque chose de nouv,eau s'est-il produit, que
vous venez au-devant de moi à pareillo heure? Rien
de fâcheux, je suppose?
! - Non, mais jo croyais que vous n'arriveriez jamais.
Je ne pouvais me résigner à vous attendre tranquillement à la maison. Jo n'y aurais pas tenu en place.
. - On dirait que vous avez la fièvre. Vos mains,
vos joues sont brûlantes, vos lèvres sèchos. Ditesmoi, jo vous Gn prie, dites-moi ce que vous avez.
- Plus rien, du moœent quo vous êtes là.
- Alors, avant mon retour?
- Jo vous oonterai cela plus tard, mais je suis sûro
que vous rirez de mes alarmes.
- Je rirai surtout quand la matinée do do main sera
loin de nous. Jusque-là, jo n'ose pas ... J'ai pour que
mon potit oiseau ne s'envolo au momenL où je m'apprôterai à fermer la porte do sa cage ...
Bien que la voiture roulât tout doucement, elle était
arrivée aU bas du perron.
_ Apprêtez-yous à venir partager mon repas de ce
lIoir. La veillo de notre mariage, me refuserez-vous
cetto petite faveur? Ensuite, pendant longtemps, sauf
imprévu, nous resterons longLemps saus mangor à
1
-
�102
LE SPECTRE VOILÉ
Haute-Forêt. Vous connaUrez alors la cuisine internationale des hâtels.
_ Tous ces projets me paraissent encore si loin
d'être réalisés! Tout, d'ailleurs, depuis un mois, me
Iait l'effet d'un rêve.
_ Demain, vous verrez bien que vous êtes éveillée.
Que vous êtes lente à croire au bonheur 1 Tous vos
préparatirs sont-ils acbevés?
(( Avez-vous été aidée un peu par Mmo Deltour?
_ Un peu par elle, beaucoup par la femme de
chambre .
_ Vous devriez être gaie, radieuse; cependant je
vois comme un vôile de tristesse tendu sur votre visage.
Dites-moi maintenant ce qui vous tourmente : dans
PauLo, vous me l'avez promis. Confiez-vous donc à
moi. Dites-moi jusqu'aux moindres nuances de vos
pensées.
- C'est bien difficile. Cependant, je vais vous diro
Gr:> fJui me tourmente. l,es nuances de mes pellflées,
cela viendra plus tard, dans Je cœur à cœur quotidien.
-- Embrassez-moi, Laurenco, pour cette bonne
parole.
- Non. Jo vous embrasserai demain. Ce soir, pour
vous, pour moi, il vaut mieux consel'ver, non notre
cuirasse , mais noLre mince pellicule de glace. Si nous
nous approohons trop l'un de l'autrEl, elles fondront
ussitôt.
- Comme vous êtes raisonnable!
- Croyez-vous que je vout! en aime moins parce
�LE SPEC'fRE VOILÉ
103
que je m'impose et vous impose une contrainte, voire
une véritable discipline? nt) le pensez pas. Mais sans
mère, libre, comme je dois être vigilante pour nous
protéger contre nous-mêmes et nos intimes impulsions 1
-- Je YOUS comprends, Laurence, mais vous m'avez
promis de me dire la cause de votre tristesse. Le
moment n'est-il pas v :mu de m'en parler?
- Oui, écoutez-moi.. . La nuit dernièrc,j'étais seule
ùans la maison avec Mme Deltour et les domestiques.
Toute la journée j'avais été très occupée et je me sentais heureuse au milieu de cette activité. J'étais pleine
de confiance, et je pensais que le ciel regardait d'un
œil favorable mon futur bonheur.
- Pourtant, vous êtes toujours sujette il certaines
appréhensions.
- C'est vrai, mais plutôt pa.rce qu'elles me sont
suggérées pal' dos réflexions de Mma Deltour, de vous,
,qu'émanées de moi-même.
- N'approfondissons pas trop les causes. EnsuÏle?
- Avant de me coucher, je me suis promenée long,t emps dans le parc en pensa.nt ù vous. Si j'évite un
peu votre présence, en revanche, quand 'vous n'êtes
pas là, j'aime à vous imaginer auprès de moi. Je pensais
à l'existence qui m'altendait ct je me la peignaîs sous
des couleurs assez riantes, même en faisant la part
des mauvais jours, qui ne many'ucnl à aucune destinée.
_ CeLte parl, dans votro esprit, doit êLre assez
large?
- Laissez-moi finir'. J'en fmis, justement, Il l'un d&
�104
LE SPECTR E VOILt
ces jours néfastes ... Donc, tout en me promen ant,
tout en songea nt, l'heure d'aller me couche r était
'nsensi blemen t venue. Je m'endo rmis vite, mais d'un
sommeil pénible , peuplé de cauche mars dont je ne me
sOllviens d'ailleu rs pas. M'en souviendrais-je que
j'hésite rais de vous les raconte r , car je n'attac he aucune
import ance aux rêves.
, - Vous avez raison. Ils sont le plus souven t - à
l'excep tion de certain s songes historiq ues - le résulta t
de repas trop copieux, ou d'une très grande surexci tation de l'esprit ; ce dernier cas est le vôtre.
- Je dormai s donc en rêvant qu'un cambri oleur
dardai t sur moi un rayon de sa lantern e sourde, mais
vous allez voir qu'ici jo touche à la réalité ... Je
,m'évei llai. L'élect ricité brillait à l'uno des lampes
murale s. Ce n'était donc plus l'obscu rité complète que
j'aime pour dormir . La porte de la chambr e contiguë
il la mienne , do cette chamb re où sc trouva it ma robe
et mon voile, était ouverte . Oui, au contrai re do colle
où je venais de dormir , elle était brillam ment éclairée.
On avait dû allume r toutes les petites appliqu es
murale s ainsi que le plaConnier. Je criai : « Est-ce
vous, Madame Deltou r? )l, mais'personne ne me répon_
dit. Je ne trouvai s pas la force de moleve r pour regarde r
qui circulnit à une si faible distance de moi. D'aille urs
ce n'était plus nécessaire i on s'appro chait de mon lit
etee n'était ni Mme Deltout' ni a ucune des domest iques.
-- Vous n'aviez jamais vu la personne en question?
- Jamais !
�L1:~
SPECTRE VOILÉ
105
- Un peu de surexcitation nerveuse, une chemise
de nuit à la place d'une robe que vous avez l'habitude
de voir dans la journée, et il n'en faut pas plus pour
faire d'une innocente et curieuse domestique un
fantôme.
- Ne vous pressez pas de m'attribuer de semblables
hallucinations. Je n'y suis pas sujette, je vous assure,
et c'est bien la première fois de ma vie que pareille
chose m'arrive.
- Dites-moi comment était cette (emme, car, d'après
vous, c'en était une?
- Oui, et elle n'avait pas les cheveux coupér.
comme ceux de nous toutes, ici. Non, elle avait deux
grandes nattes SUL' le dos, attachées au bout avec des
rubans rouges. Pourtant ce n'était pas une fillette de
haute taille, mais bien une femme de trente-trois à
trente-cinq ans, autant que j'ai pu en juger dans mon
émoi. Son visage, pourtant, je ne l'oublierai jamais
tant il avait une expression hagarde. Cette femme,
s'apercevant que jo l'avais vue, retourna dans la
chambre qu'elle vt!nait de quitter ct où toutes les
lampes étaient restées allumées. Elle en revint bientôt
traînant derrière elle ma robe blanche, et sans dire
un mot, ouvrit la fenêtre ct la jeta dans 10 parc.
- Que dites-vous là ? .•
- La vérité, et ce n'était pas une hallucination, je
pense, que de trouver, au matin, après un évanouissement dont je ne puis évaluer la durée, ma pauvre
robe accrochée aux 1 osiers grimpants. J'ai été la
�106
LE SPECTRE VOILÉ
première à la découvrir, mais endomml;l.gée par les
épines qui a vaiont agrippé, au passage, le fragile
tissu ... Je n'ui raconté cette aventure qu'à vous seul,
mais maintenant je vous demande de me dire qui est
cette femme .
_ Je maintiens que c'est une domestique, mais
défigurée par une crise de somnambulisme. Peut-être
éprouve-t,-elle quoique jalousie en vous voyant m'épouser.
_ L'explication esL ingénieuse, mais elle ost loin
de me satisfaire, car je ne la crois pos confol'me à la
vérité.
_ PourtanL, il ne faut pas douter . Je sais qui esl
cette personne, cause ùe votre efil'oi. Ello n'a l'ion de
partioulier. VoLl'o émotion seule lui a donnu ce visage
effrayant qu'en réalité elle n'a pas. Vous allez exigel'
des explications. Je no vous en donnerai aucune pour
le moment. 11 fnut avoir confiance en moi. Le voulezvous?
- Jo ne demande pas mieux. Quand on aime , on
veut croire.
- Nous qlliLLerons Haute-Forêt pour pl'ÔS d'une
année. Je vous ferai voir des visogos qui ofIacoront
celui qui vous a cfTrayée, dos contrées nouveU(;s qui
vous feroIlt oublier los fortes émotions éprouvées à
Haute-F orêt, ct, au retour, je satisforai votre légitime
curiosité. Cette nuit, fermoz bien votre porte, et celles
de la chambre qui communique avec la vôtre. Vousme
semble:.: oublier '1 ue1 fJuelois ces élémontaires précau-
�LE SPECTRE VOILÉ
107
tions. Et maintenant vous n'avez que très peu d'heures
de Bommeilavantlegrandjour. Bonne nuit, ma Laurence
chérie,
fiancée bien-aimée, ma femme de demain.
ma
CHAPITRE XIIl
Laurence, mariée dès huit heures du matin à
l'humble mairie villageoise, ne savait si la journée
était radieuse ou non. En se dirigeant maintenant vers
la petite chapelle du château, ornée de fleurs blanohes
pOUl' ln circonstanoe et ouvel'tc à qui voudrait y entrer,
car on y accédait dircctement. du parc, sans emprunter
les corridors de Haute-Forêt, la ~eun
femme ne regardait ni le deI ni la terre . Son cœur s'unissait à ses
yeux et tous deux n'étaient occupés que de M. do
PyI'l'\ont qui, tout il l'heure, sel'ait son mari devant.
Dieu, comme il l'était déjà devant certains hommes.
Elle aurait voulu voir la chose invisible su!' laquelle
il paraissait aLtacher un ardent regard, pendant que
l'auto avonçait vers la chapelle où tintait une cloche
au ::ion grêle. Elle aurait voulu connaltre la ponsée
qui semblait vouloir s'omparer de lui avec force, et
contre laquelle il avait l'air do lutter.
Laurenoo et M. de Pyl'illont s'agenouill6rent sur 108
prie-Dieu qui leur avaient été préparés.
Ln jOU7l0 Cf'mme, au boul de quelques minutes, sa
retourna afin do voir qui sc trouvait dans la petite
ollapollo. En dehors Jes domestiquos, do quelques
fermiers eL dos témoins choisis parmi des amis de
�108
LE SPECTR E VOILÉ
M. de Pyrmo nt n'habit ant pas le pays, il n'y avait
person ne.
Le prêtre, après avoir deman dé aux assista nts de
signaler les empêch ements dont ils pouvai ent avoir
connaissance, commonQa aussitô t:
- André, Franço is Duroc de Pyrmo nt, voulez-vous
prendr e Lauren ce, Anne, Marie Dastier , ici présen te,
pour votre légiLime épouse, selon le rite de la sainte
:Église, notrc mère?
Ah 1 de quel cœur André, Franço is Duroc de
Pyrmo nt lança le oui qui allait l'unir pour toujours à
celle qu'il aimait 1
- Lauren ce, Anne, Marie Dastier , voulez-vous
prendr e André, Franç.ois Duroc de Pyrmo ntpour votre
légitim e époux, selon le rite de la sainte Eglise, notre
mère?
- Oui, répond it Lauren ce d'une voix ferme.
Mais au momen t où le prêtre se reoueil lait pour
pronon cer le solennel :
Eco conjungo (Jos in matrimoniam. ln nomine Patris
et tilii et Spiritus sancti, la porte s'ouvri t, se reforma,
ot uno vOLX s'éleva tout à coup dans l'assist ance:
- Pardon nez.mo i, monsie ur l'Abbé, si j'ose prendr e
la parole en cette chapelle où los laïques , quand ils
ne prient ni ne ohante nt, ont le devoir de garder le
silence, mais n'est-H pas ordonn é, d'autre part, de
dévotler, sous peine de faute grave, les empêchementA
dont on pourra it avoir connaissance? Or, ici il y a
empêch empnt ...
�LE SPECTRE VOILt
109
- Monsieur l'Abbé, veuillez continuer, dit d'une
voix ferme M. de Pyrmont, livide comme il le serait
le lendemam de sa mort.
- Je ne le puis, répondit le prêtre, avant de
connaître 10 motif de l'mterruption. De quel empê:chement voulez-vous parler, Monsieur, et quelles
,preuves apportez-vous?
- M. de Pyrmont a déjà une femme.
• Peu à peu la chapelle s'était vidée. Par discrétion,
:assistants et témoins avaient gagné les allées du parc.
Illeur était pénible d'assister à cos contestations.
M. de Pyrmont, debout, s'était tourn6 vers l'inconnu:
- Qui êtes-vous, lui demanda-t-il?
- Vous ne m'avez pas vu assez longtemps, il y a
dix ans, pour pouvoir me reconnatLre. J'arrive de
Naples où j'ai été, Monsieur. témoin de votre mariage
avec, MllO Anita Andriani, on l'égliso San Gennaro.
« Et voici une copie de votre acte do mariage,
ajouta l'étrangor en dépliant un papier sous enveloppe
qu'il avait jusqu'à présont tenu à la main.
Dans la chapelle vide, le préltre s'était approché do
M. de Pyrmont tandis que sur sa chaise, enveloppée
de son voilo, Laurence demeurait absolument immobile, face à l'autel, n'ayant pour témoin do sa douleur
indiciblo et muette que Celui qu'elle prenait, quelques
minutos plus tôt, pour témoin do son immense bonheur.
Aucun des trois hommes on présence, placés main·
tenant derrière elle, à quelque distance, ne pouvait
'voit' sa phYl3ionomie.
�110
lE SPECTR E VOIL:s
- Si ce papier est authen tique, dit M. de PYI'mont,
il peut prouve r que j'ai M,é marié, mais il ne prouve pas
que la personn e dont il est questio n est encore vivante .
- Elle l'était il y Cl peu do temps encore.
- Qui vous l'a dit?
Son propre (l'ore, qui signe de ce pseudo nyme:
~
Max Dormo y, les articles de vulgari sation scientif ique
qu'il fait pal'anr e, do temps fi antre, dans des revues
spéoial isées cn cos q uesLiona, mais so nomme en réa.
lité, vous le sa vez aussi bien quo moi, puisqu 'il est
votre beau-fr ère, Sil vio Andria ni.
- Où est-il?
M. de Pyrmo nt s'atten dait peut-êt re à entend re le
nom d'une contrée lointain e. Il n'en Iut l'ion.
- Jo n'ai qu'à ouvrir la poI'te do la chapell e. lice
tient sur le seuil, aLtend ant que je lui fasse signe
d'entre r. Monsio ur l'Abbé , vous êtes ioi 10 maître
après Dieu, qu'en ditos-v ous?
- Peut-êL re cotte entrevu e n'ost-el le pas nécessa iro
si M. de Pyl'mo nt no nie pall les faits qui lui sont
imputv s et s'il nous les expliqu a lui-mômo.
- M. Dormo y-Andr iani peue entrer. On l'inter.
rogera ... Cela m'ost indilTé rent. Tout m'est indifl'érellt
désorm ais.
...
- En ce cas, dit le prê~e
Et, d'un gosLe, il indiqu ait Ù oelui qui se prétend ait
témoin du mariag e napolit ain de M. de Pyrmo nt,
d'ouvri r la porte ct de faire enLrer l'homm e qui lie
trou vait sur 10 seuil.
�LE SPECT,RE VOILÉ
111
- Pouvez·vous nous dire, demanda doucement le
prêtre à DorDloy qui s'avança aussitôt, si la {emnie
de M. de Pyrmont vit enoore?
- Non seulement elle vit, mais elle habite sous le
même toit que son mari, au château de Haute-Forêt,
par conséquent à très peu de distance de oette
chapelle.
bien sûr de ce que vous avancez?
- ~tes·vou
- Ahsolument sûr, monsieur l'Abbé.
- Quand avez·vous vu oette dame? aujourd'hui?
hier?
-Il y a deux mois ... Il est vrai que, tlopuis, elle
a eu le temps de mourir, mais oela n'est guère vraisemblable ...
- En voilà assez, interrompit brusquement M. de
PyrmouL, qui semblait avoir pris une résolution soudaine ... Monsieur l'Abbe, le mariage n'aura pas lieu
aujourd'hui. .. Mou beau-frère a raison, ma femme vit
encore ...
A ce moment, Laurenoe, qui était demourée il sa
place sans faire un seul mouvemen t, Be lova ot se
glissa dehors, sans regarder personne eL sans que nul
songeât à la reLenir, ù l'accompagner ou à la consolel'.
La conversation, mll.inlenant, se poursuivait dans
une petite sacristie attenante il lu chapelle. M. de
Pyrmont était méconnai sAable. En quelques heures,
il avait vieilli de dix ans.
Il essayait do 80 justifior aux yeux du prêtre:
~
Oui, j'ai cu cette intention, tout en ayant déjà
�11"2
LE SPECTRE VOILÉ
une femme légitime de nationalité italienne, de
vouloir épouser Mue Dastier. Je le eais, aucune séparation, même civilement légale, n'a été prononcée
entre nous. Le cas était d'une complexité extrême.
Les lois de mon pays admettent, à la rigueur, le
divorce pour moi, méme marié en Italie avec une
Italienne, mais les lois de son pays n'admettent le
divorce ni pour moi, ni pour ma femme. Pourtant nOU6
ne sommes pas unis sous la législation nouvelle, qui ne
date que de trois ans, et n'admet plus que le mariage
religieux, mais, en Italie, onn'a jamais admisledivorce.
_ Vous savez bien que, pOUl' les catholiques, il n'y
a que le mariage religieux qui compte, non depuis
trois ans, mais depuis un nombre respectable de siècles.
Unis par l'Eglise, il n'y a pas de séparation possible.
Vous vous apprêtiez à être doublement bigame,
devant les lois civiles et., ce qui esL infiniment plus
grave, devant Dieu. M. Andriani a bien fait de parler.
En se taisant il corrunetlait, pur omissiQP, une faute
très grave. VOU!! lui devez, nonde la rancune, mais de
la reconnaissance.
_ Ln bigamie existe néanmoins puisquo nous
sommes mariés civilement depuis ce matin.
_ Bien entendu, mais pour cela vous tâcherez
d'arranger les choses sans scandale ...
_ J'ai été prévenu trop tard pour empêoher ce
malheur, dit Andriani, .qui avait les larmes aux yeux.
11 m'a 6Lo donné, néanmoins, d'arriver à temps pour
empêcher l'irr6pa able de se produire.
�LE SPECTRE VOILÉ
113
- Prévenu? .. Par qui?
- Permettez-moi, André, de garder le silence à co
sujet. Je vous demande seulement de me pardonner
la peine immense que je vous cause, que je ne pouvais
me dispenser de vous causer. Souvenez-vous du soir
où je suis arriyj dans votre salon, à l'improviste . Vous
chantiez l'hymne des naufragés du Titanic. Ces
paroles : S'iljarLtsouOriret passcrsous le glai"e, je vous
les ai appliquées, car je savais que vous alliez souffrir:
j'avais vu les yeux: de Mile Dastier fixés sur vous et,
quelques heures plus tard, pendant la nuit où j'ai
été blessé par qui vous savez, j'ai vu les vôtres fixés sur
eHe. AloJ's sachant quel myslère vous cachiez entre
les murs de la Haute-Forêt, j'ai pris toutes prt3cautions
pour êlre avert.i, en t('mps utile, de ce que vous pourriez LenLer d'irrégulier pour (( refaire votre vic »,
comme l'on dit maintenant.. Jo me doutai.s presque
que vous profileriez de l'ignorance où se trouvait votre
ontourage actuel, relativement. à cm'taine partie de
votre passé, pOUl' tenter de vous appropl'ier, en légitime union, légiLime tout. im moins on apparonce,
une jeune fille qui ne voudrait jamais enLendre parler
d'union libro.
- Maintenant, monsieur l'Abbé, que vous connaissoz l'accusation, si vous vouloz entendre ma défense,
je vous invite à venir faire visite à ma femme ellemôme. Ses propos insensos plaideront en ma faveur.
Mmo de PyrmonL ost folle dopuis tles années ot est
SOignl'C, par une illfirmièro qunlifiée, dans Bau l "-Forêt
8
�11'*
LE SPECTR E VOILÉ
possédé, avec moi,
même. A dire vrai, elle n'a jami~
mois, un médeci n
leB
Tous
raison.
la plénitu de de su
Mes servite urs,
voir.
aliénisl e vient discl'ètr;ment la
ainsi que Mme Deltoul' et l'infIrmiore, croient qu'il
s'agit là d'une de mes sœurs mariée à un haut ioneLionnairo colonial, et revenu e au châte,au pour éviter
le climat meurtr ier pour ello do l'Illdoc hine. En
réalité, ma sœur ost toujour s là-haB, auprès de son
mari, et c'est ma femmo qui habiLe sous le même toit
que moi-même. Notez bisn que touter; les fois que
l'infirm ière relâche sa 6uI'veiJJance, oublie de fermer
nne porte à clef, sa malade en profite pOUl' fairo dos
siennes. Un jour elle u voulu me bl'ûlel' vif, un autre
jour elle u blessé son fl'ol'e qui u commil:l l'impru dence
.le dormir dans une clJdmbre voisine, après avoir
tenLé on vain - du moins l'a-t-il CI'U -Lle se faiJ'o l'CC on-
naitrc d'elle.
- Certes, MOIlsieUl', dans votre Cas il y a ùes circons!;ances atténua ntes, mais c'est tout. Le dovoÎl' n'en
demeur e pas moins impéri eux, de renonc er à une
autre uniol1 aussi longtem ps que l'un des conjoints vit
encoro.
- C'est cruel, monsie ur l'Abbé.
- C'est la loi, la loi divino. Dura lex ... Il n'y a pas
quo les lois humain es qui soient dures, parfois.
- Etlo droit au bonheu r, qu'en faites-vous il
- Pormet tez·mo i, Monsieur do Pyrmo nt, de vous
dire qu'ioi nous ne parlons pas la môme languo : vous
pensez on païen et vous vous exprimer. en païen. Les
�LE SPECTR E VOILÉ
115
chrétie ns ne parient pas du droit au bonhou r on ceUe
vie, mais du droi~
au bonheu r dam une autre, quand
ils ont fait leur devoir ici-bas pour le gagner. Et il en
ebt qui le gagnen t, comme vons, comme MllO Dastier ,
héla8, non seulem ent ù la sueur de leur front, mais
avec toutes les larmes , les larmes de sang de leur
cœu~'
1
Depuis quelqu es minute s déjà, Andl,jais'ét~reL6:
Dans la peLite pièce aLtenante il la chapell e, le
prêtre était seul avec M. de Pyl'fnont, qui n'essay ait
mi3me plus de conserv er ses yeux Hees, sa grande
ambitio n au milieu des circons tances les plus poigna ntes
de la vie.
- Oui, pleurez , mon pauvre enfant, mais pas seul.. .
pas seul... et doucem ent, quoiqu e invinoi blemen h
M. dePyrm ont sc:: sentait poussé, de lapetit epièce oùilse
t.enaiL, vers la chaise et le prie-Di eu ou il aurait dCt se
tenir ù côté de sa fianoée tandis qu'aura ient été prononcées les paroles desLinées à sanctifi er leur impossible amour.
CHAPI TRE XIV
Quand, après s'être glissée hors de la chapell e, Laurenco so retrouv a dans sa chamb re, où elle se rendit
slltlsitôt, éviLanL ù lu fois IVI me Dell ou. d les domestiques, elle se deman ua :
- Que faut-il que je falise?
�116
LE SPECTRE VOILÉ
Il lui sembla qu'une voix lui répondait:
- Il faut quitter Haute--Forêt tout de suite.
La réponse de sa conscience fut si prompte, si n~te,
"
si catégorique, qu'elle se boucha les oreilles comme si
elle avait entendu réelloment ces paroles.
Ne pas être, en ce moment, la femme de M. de Pyrmont, s'éveiller des plus doux songes pour ne trouver J
autour d'elle, que le désert, intérieurement, que 1'isolemen t du cœur, c'était terrible, mais elle eilt supporté,
croyait-eUe, de reste l' à Haute-Forêt, comme par le
passé, en n'y remplissant d'autres fonctions que celles
d'institutrice de Sabine ...
Cependant ù peine sc fuL-elle formulé cet Le pensée
qu'elle sentit combien laréalisation en était impossible.
HabiLer sous le même toit qu'un bigame, au point do
vue de la loi, môme après l'annulation de l'union
civile, souloverait contre elle l'opinion. Peu imporLait que, personnellement, elle demeurât sans reproche.
D'ailleurs elle n'était pas seule, il y avait André et la
tentation qu'il éprouverait à vivre sans cesso auprès
d'elle.
Plongée dans ses douloureuses réflexions depuis
une heure, deux heul'es peut-être, elle en fut sortie
par un heurt léger à sa porte. Elle ouvrit aussitôt.
C'était M. de Pyrmont.
Il se t enait immobile devant elle, dans l'aLtitude
d'un coupable.
- Je suis là depuis de longues minutes, oui, des
comme dos journées, tant j'appr6henminuLes lon~ues
�LE SPECTR E VOILl!;
117
dais de vous voir, tout en désiran t éperdu ment cette
entrevu e. J'ai écouté et je n'ai même pas entend u un
sanglot. Ainsi vous m'évite z , vous vous enfermez et
vous pleurez seule. J'aurai s préféré vous voir venir
me trouver dans un accès de violence. Je m'atten dais
à une scène, je m'étais préparé à voir VOd larmes , car
·je désirais que vous ne pleuriez pas seule. Mais vous
n'avez pas pleuré. Votre douleu r à vous a été tout
intérieu re parce que vous ne l'avez confiée à personne
et que personn e ne s'esL penché sur vous pour vous
consoler.
Lauren ce regarda it M. de Pyrmo nt sans répond re.
- Vous me trouvez bien criminel, n'est-ce pas?
Il s'étonn ait sans doute du silence ct de la douceu r
de la jeune fille, mais sa passivi té appare nte avait
surtout pour cause, en co momen t, une faiblesse toule
physiq ue.
Depuis quelques jours, Laul'once mangea it peu. Le
malin môme, elle n'avait. rien pl'Ïs et l'heure du
déjeun er était passée sans qu'clio sc mit à lable. M. de
Pyrmo nt le compri l el fil le nécessairo pour que la
syncope menaça nte ne se produi sil pas.
Quand la jeune fille Iut un peu réconfortée et en
état de l'enten dl'e, il lui dit tout ce qu'il croyait
propre à sc justifier à ses yeux. C'ent alors qu'il exposa
tout au long les circonstances atténua nt la culpab ilité
de l'acle qu'i1s'a ppl'êla it à accomplir.
- Vous me lrouvez bien coupab le, n'est-ce pail?
l'rp(Ha-L-il,
�118
LE SPECTR E VOILÉ
- Oui.
- Oh, cc oui s! secl... AloI'1l vous avez résolu de
deveni r une éLran;ère pour moi, de vÎ'.'1'O sous ce toit
simplem ent comme l'institu trice de Sabino , et encore
ne consentirez-vous sans doute à y demeur er que GÎ
je n'y fais que de très brèves apparit ions. Vous vous
croiroz obligée de me fuir comme un animal danger eux
que vous m'aper cevrez.
ausitô~
D'une voix qu'elle s'efforçait de rendre fermo,
Lauren ce J'épondit :
- Tout est changé pOUl' moi ct moi aussi il faut que
je change. Il n'existe qu'un moyen d'évite r d'entre prendre contre mes propre s sentim ents une lutto
destinée à une défaite plus ou moins tardive , c'est do
quitter HauLf;l-Forêt. Ainsi j'échap perai à J'emprise des
souven irs.
- Laur'euce, Laul'ence, dit M. de PyI'mOnL (car ce
n'était qu'un homme et les résolut ions prises dans lu
chapell e 6taienL hien chanco lantes mainte nant qu'il
devanL lui celle qu'il chériss ait vraime nt de
UVA.i~
ne m'aime z donc pas. Vous
âme), vou~
toute ~on
n"étiez tentée que par ma situatio n dans le monde ,
le milieu auquel j'u;JpUl'tenai3. Tout cc quo vous
ambitio nniez, c'était d'ô'Ll'o appelée ma femme ', aussi',
maintenanL quo vous me cr'oyez incapab le do devoni r
votro roal'Ï, vous n'admel,t,oz pas I!U'Ull ntLachemonL
ntro nous.
}1crmis ~ubsite
- Jo vous aime, vous 10 savez, mai, jo ne dois ni
avoir', ni monL:'cl", ni culLive r un senLimonL défenùu. Le
�LE SPECTUE VOILÉ
119
changer d'éLiquette serait de l'hypocrisie. Vous ne
deviendrez pas poue moi, du jour au lendemain, un
frère parce que je l'aurai décrété.
- Vous ne m'avez jamais aimé .
-Si vous rép ~ ' Lez encore ceLte phrase, je n' y répondrai
. plus. Pour la dernière I"ois je vous di s : je vous ai
aimé. Je VOll S aimerai toujours, mai.s je ne le l'épp.terai
jamais. M. de Pyrmont, il faut que je vous quitte.
- Pour eombien de lemps?
POUl' toujours. Il faut que je commence une
exislence nouvelle, dans un milieu nouveau, parmi
dos visages jamais vus.
- Je voux que vous restie7. avec moi, loin d'ici. Je
vais achet::!I' une délicieuse maison, non loin de
Cannes, au bord de la Méditerranée. Nous emmènel'ons
lV!m(' DelLour, si le voulez,-elloou une auLre personn e
d'âge respectable, - 0t là je vous chérirai et vou s
respecterai comme ma sœur ou comme ma fille.
- Monsieur de Pyrmont, dit Laurence dont 10. voix
tremblnit mais qui s'cJJOl'çait de lui donner un ton
hautain et dédaigneux, votre femme existe. Si je
vivais auprès de vous comme vous le désirez je ne
serais ni votre fille, ni votre sœur... Niel' cc que j'ai
dans la pensée, mais que je ne veux pas dire, serait
un mensonge.
_ Laurence, vous voulez donc me fo.iro mourir de
chagrin?
- On ne mew·t pas de chagrin; sans cela combien de
lIlèreiaW'vivraient àleul's fils, de femmes ù lùUl'5 mo.l'is ?
�120
LE SPECTRE VOILÉ
Celui quinous envoie l'épreuve nous envoie en même
temps la force de la supporter.
- Oh, je connaiscela, mais il faut une santé robuste,'
des organes en parfait état ...
- Eh bien, Monsieur, n'avez-vous pas tous ces
avantages? Et puis, ce n'est pas parfaitement exact. ...
« L ~ s femmes, engénél'al, ne.sont pas des colosses et
elles supportent des peines dont, souvent, elle croient'
mourir. Elles continuent à vivre cependant.
- Pauvre petite Laurence 1 Il me semble que ce
n'est plus vous tant vos traits sont ravagés, et vous
ne pleurez pas ... Oh, dites, vous resterez avec moi,
quand mêmo.
- Co serait mal...
Il Y out un moment de silence.
- Pourquoi vous taisez-vous?
La jeune fille subissait une rude épreuve. Une main
de fer semblait lui étreindre le cœur bien qu'elle
trouvât la force do se montrer presque impassible.
Moment terrible, plein de luttes, d'horreur et de
souITrance. Nul être humain ne désirait, autant que
cette orpheline, aimer ct être aimée, ct il lui fallait
renonoer à son amour en même temps que détruire
l'amour qu'on avait pour elle! Son douloureux:
devoir était contenu tout entier dan s oc seul mot: se
séparer!
VoyanL la luUe muette qui se livrait dans la jeune
fille, M. de Pyrmont poursuivit, voulant la fléchir:
- Savez-vous à quoi vous me condamnoz en ~art.JlL?
�LE SPECTRE VOILÉ
121
A une vie mauvaise. Ce que vous ne voulez pas être
pour moi, d'autres le deviendront ... Le désespoir
sera la cause de ma conduite dissolue.
- Je ne vous condamne pas plus à une existence
honLeuse que je ne m'y condamne moi-même. Nous
sommes faits pour souITrir et lutter, vous aussi bien
que moi. Quelle erreur de croire quo seules les femmes
doivent tout supporter et les hommes rien. Résignezvous donc. Vous m'oublierez avant que je no pense
plus à vous.
- Comme je vous ai menti - en me taisant dans une circonstance grave, vous ne croyez pas à ma
loyauté. Je vous ai dit que je ne changerai jamais et
vous m'affirmez en face que je changerai bientôt. Jo
vous affirme, moi - et je me connais - que vous me
désespérez. Alors je vous demande: EsL-il mieux de
précipiter un de sea somblables dans le désespoir que
do violer une loi lorsque personne ne doit en souITI'ir?
Car vous n'avez pas de parents qne vous craignez de
peiner en demeurant avec moi.
Ce dernier argument porta. Pendant que .M. do
Pyrmont parlait, la conBcienco de Lauronce s'obscurcissait. Oui, cette conscience, si délicate pourtant, lui
criait presque aussi haut que son cœur:
_ Cèùe 1 Côde enfin 1 Penso à sa souITrance, pense
au danger que tu lui fais courir. Entre deux maux, ne
faut-il pas choisir 10 moindre? Or n'est-ce pas un
moindre mal pour lui de demeurer avec toi que de so
trouver on bULte aux entreprises de créatures indignciii
�122
LE SPECTRE VOILÉ
de lui? Parmi les suites de son désespoir, ne faut-il
pas aussi envisager le suicide? Console-le, sauve-le,
aime-le 1 Dis-lui que tu l'aimes et que tu seras il lui.
Qui s'inquiète de toi sur la t erre? Qui sera ofTensé ou
atri~':,
8 par ta conduite? Des milliers de femmes ne
viV6nt-elIes pas ainsi en marge de la société, sans que
personne s'en doute? Tu sora3, pour le nouveau milieu
dans lequel tu vivras, Mme de Pyrmont, tout au ssi
bien qu e si tu étais mariéo .
Mais la conscience eut un sursaut de révolte et si,
tout ù l'heure, elle avait balbutié, mainlenanL ell e
criait bien haut.
- Tu te dois à toi-même. Plus tu as isolée, moins
tu as de parents et d'amis, plus tu dois te respecter :
c'es t surtout ohez les isolées que l'ablmc appelle
l'abîme, qu e la faute appell e la Iaute, oar il n'y a pas
de mères pOUl' les relever au premier faux pas. 'ru
respeoleras les lois divines, tu seras fidèle aux principes que tu as acceptés quand tu étais raisonnabl e,
et non pas déboussolée comme maintenant. Le3 lois et
les principes ne nous ont pas été donnés pour les
jours sans épreuves. Ils ont été faits pour des moments
comme celui·ci, alors que le cœur et l'ûme se révoltent
contre leur intransigeance. Ils sont durs, mais tu ne '
Jes violeras pas. A cette heurooù tu n'us plus toute ta
présence d'esprit parce que ton cœur parle plus haut
que ta raison, tu dois t'en tenir à ce que tu jugeais
bon en temps normal. C'est sur ce roo qu'il faut
del1lew'er. et non recheroher le terrain où l'oD.s'en!iat.
�LE SPECTRE VOILE
123
Entre ces deux êtres régnait un silence profond .
M. de Pyrmont pensait peu, n'ayant aucune décision
à prendre. Il était vrai mont abruti de chagrin et il
attendait que parlât Laurence.
Mais Laurence ne dit rien. Elle le regarda simplement et dans les yeux de la jeune 111Ie il Iut sa condamnation à la solitude, oui, à la solitude, car il se
rappela, à ce moment, ce que lui avait dit le prêtre,
dans la chapelle, quelques heures plus tôt. 11 resterait
seul et ne se souillerait pas.
Ce que M. de Pyl'mont éprouva ,alors, nous n'essayerons pas de le dire. Il y a des douleurs qui échappent
à la mei:lUl'e du temps commo elles échappent aussi
aux descriptions et aux dissertations humainos. Une
seulo minute résume parfois tout. oe qui se peut
souffrir en ce monde.
Laurence et M. de PyJ'monL étaiont tous deux ft
celLe minute-là.
- Oh, dit-il enfin dans un déchirant sanglot,
Laurence, mon amour', ma vie 1
La jeune liIle avait déjà gagna lu porte en passant
devant tous lOt! bagages pl'éparés on vue de sou
voyago de noces. Hi or une si douce espérance, et une
Lelle menace en embuscade 1 Pour un jouI' si plein de
promesses, quoI sinistre lendemain!
Oui, elle était déjà dans ]0 corridor', car elle voulait
,rafraîchir soo front hl ûl!lnt il l'air du parc, maie olle
revint GUI' ses paa, s'ogenouiHn auprès du malhoureux .
C'est ù co momcnL n.ôme qu'clIo voulait lui <lire
�124 '
LE SPECl'llE VOILÉ
adieu, à ce moment où il pouvait espérer la revoir le
lendemain et peut-être les jours suivants, car les
sentiments et les résolutions de l'homme connaissent
le flux et le reflux, comme les flots de la mer. 1
, Demain, peut-être, M. de Pyrmont viendrait à la
rescousse, demain, peut-être, par affaiblissement
d'énergie, ello céderait ...
Et tandis qu'il était là sanglotant, sans forces, sans
ressort, elle s'agenouilla aupl'ès de lui et embrassa au
Iront sa tête penchée.
- Ne pleurez plus ... Cherchez la force où elle se
trouve, je prierai pOUl' qu'elle vous soit envoyée.
Jamais je ne vous oublierai ... jamais ...
Avant de desoendre dans le parc, elle passa par la
cuisine. Les domesliques n'avaient pas osé 8e montrer.
La journée entière s'était passée dans le désarroi et
les larmes, touLe vie normale suspendue.
Laurence savait bien que nous ne sommes pas de
purs esprits, qu'âme et corps sont étroitement mêlés,
et qu'il faut noUl ril' la machine à laquelle l'âme
imprime de si rudes secousses.
Elle prépara du bouillon chaud, auq uol 0110 incorpora deux jaunos d'œuf, cl, le monta à M. de Pyrmont:
- Tenez, prenoz ceci. .. C'est léger et no vous fora
pas de mal. Bu vez aussi un peu de vin ...
Et tandis qu'elle donnait ces soina si humbles, si
terre à terre;
- Adieu l. .. Adieu 1. .. criait son cœUl' qui plomait
Jel:! larmû3 ?Je sang.
�LE SPECTRE VOILt
125
Quinze ans après.
r(
Préventorium deV .. , 15aoû.t 19...
{( Mon cher André,
« C'est l'heure de la sieste. Mon pP,tit monde dort.
Si ]a mère un instant respire et se repose, comme
dit le poète, l'infirmière aussi.
Il faut que je vous remercie pour les beaux jouets,
bien arrivés, qlli font ]0. joie de tous. Il y en a eu
pour les nécessités et les goûts divers, pour les assis,
les allongés, les remuants ...
« Vous me demandez comment je vais? Je vous ai
dit souvent que dopuis la terrible nuit où jE' me suis
glissée hors de H&ute-Forêt, après un baiser sur le
front de Sabine endormie, j'ai foit abstraction
complète de moi-même et je m'occupe peu de ma
pauvre personne, si offacée, si anonyme sous le voile
blE:u.
« Certs~
je ma soigne de mon mieux, cal' toute via
est utile et le promier des devoirs est de se maintenir
on bonne santé, afin qu'il n'y ait pas de fléchissement
dans cette utilité, maia je no recherche d'autre
satisfaction en ce monde que celle du devoir accompli.
« Mon cœur ne peut plus aimo!', mon cœurne peut
plus s'attacher à personne, et je n'ai pour les pauvres
enfants qui me sont confiés qu'une tendresso de
volont&i mais celle-là, croyez.lo, peut ôlre aussi
�126
LE SPECTRE VOILÉ
grande qu'une tendresse de sentimcnL. Bile a, non
le mérite, mais l'avantage , pour ceux qui en sont
l'objet, d'être plus régulière, plus universell e, moins
sujette au caprice, d'être , aussi , inac
e~s
ible
à la
préférence .. .
Il Vous m0ritez vingt sul' vingt, m'ad,
~c la'
é rautl'e
jour la Direc tl'Ïce en souriant: inaltérable paLience,
sérénité, dévo uem,mL.,. et vous êtes si précieuse,
avec votre brevet supérieur, pOUl' ceux qui ont dû
quitter mom entanément l'école pOUl' cause tic j'aible
s~
ou de menace de tuberculose 1...
u Voilà ce qu'on pense de moi, mon cher André, de
moi qui suis détachée <le lout en ce monde, si ce
n'esL ... Mais j'ai promis de vivre sans répéter jamais
ce que vou s suvoz aussi bien que moi.
Il : ' ouis heureuse de la résolution que vous avez
pri
~ l ' JI Y a bientôt quinzo ans, ct dans laquelle vous
a, . persévéré: de vivre, oblat, à S ... , et de vous y
occuper ùe grande culture ct d'élevage, sous la protection d'une règle sévère. J'ai reçu des exemplaiI'ee
ùe la Vie à la Campagne qui montraient de vos produits: c'est merveilleux. Vous voyez bien que , pOUl
se consoler, il n'ost pas indiqué de se lancer dans una
vie dissolue.
« P auvre Haute-Forêt, incendié si peu de jours après
mon départ ot dont il ne rcsLe pas pierre sw' pierre,
il csL toujours debout dans mon souvenir et n'en
disparaÎll'a jamais 1 Et dites-vous bien qu'il vaut
mieux pOUL' tous comme pour olle-même que Mme de.
�127
LE SPECTRE VOILÉ
P ... soit étroitemenL surveillée dans un \tablissement
~ A bientôt, mon cher André.
cc Mme la Directrice autorise volontiers votre visite
cette année comme les années précédentes , autnnt
que p.oBsible au commencement d'octobre, car
alo1"1.; beaucoup d'enfants partent et nous respirons un
peu.
a Sérénité )l, a bien voulu dire, à mon sujet, Ja
Directrico.
cc En efIet, le désespoir existe- t-il pour ceux qui
savent que cette vie n'est pas toute la vie et qu'un
jour, demain, nos larme!! seront séchées?
LAURE NCE. l)
FIN
2860·32. -
CoRBEIL. ImprlmerlD
oure.
�,
POlir paraitre
jC:1m
procl.ain
lODS
le nO 335 de la collection ..
FAi'IIA. "
MARIÉE QUAND MËME
par MARTHE
FIEL
CHAPITRE PREMIER
M. Lecontepol est un commerçant à la veille de
se retirer des affaires. Il a beaucoup travaillé dans
sa vie et n'a plus qu'une ambition : vivre à la
campagne.
Donc, quelques années avant de céder son fonds,
s'est-il promené dans tous les environs de Paris,
afin de choisir ]e lieu où il finira ses jours.
Chaque vendredi, son jour de congé, car il éLait
charcutior, il parLait, l'espoir dans l'âme, certain
de trouver, avant le soir, l'habitation et le séjour
rô vés.
Mais il sc montrait be:wco up plus difficile qu'il
ne s'en doutait, et chaque maison qu'il visitait
soulevait ses objecLions.
A dire vrai, les villages qu'il distinguai L, au
petit bonheur, ne comportaient pas beaucoup de
logis in ol;ul1 pés, et les paysans s'affirmaient assez '
rrcDlcitrnnLs devant les demandes de ce visitaur
étranger ù la région.
M. Locontepol, ainsi que sa femme, étaient du
département de la Vienne. lIB aVHient perdu tOUl';
(ft
suivre.)
�~
•••••••• •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 1[2]
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Hullet , Marie-Anne (18..-19..)
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Le spectre voilé : roman
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Ed. de "la mode nationale
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impr. 1932
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Collection Fama ; 334
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~
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II
. .
(.~
:
LA MODE NA TlONALE .~
94, rue d'Alésia, 94 -
PARIS (XIV")
�LES
CŒURS PRÉDESTINÉS
CHAPITRE PRE\JJ ER
UN
DESTIN TRAGIQUE.
La campagne s'éveillait sous les clarlés bleuàlres tIc
J'aube q\li, doucement, montait de la mer. Les rossignols
interrompaient leurs roulades amoureuses qui avaient
c}wl'm6 cctte tiède nuit de printemps. Le ciel s'imprégnait
<.lo lum:ièl'o, les ombres se dissolvaient ct, dans la brume du
matin, se dessinaient les contours de co pays sauvage.
porché comme un nid d'aigle, d'où l'on distinguait, à l'extrémité, une grando bâtisse en conslruclion.
Les fondements sortaient du sol ot annonçaient qu'une
demeure grandiose allait s'élever dans cc pelit coin, caprice
sans doute d'un millionnaire qui n'avait pas reculé devant
les dimcuHés d'uno bâtisse dans le roc qu'on avai t dù
9ntailIer.
Les porles des habitants s'ouvraient; sur 10 seuil, on
voyait drs hommes regarder l'horizon illuminé, puio; tous
tournaient la tête vers une maison plus imporlanle,
d'où devait venir le signal qui commcneerail celle journée
de {ra vair. En cllct, un coup de Rimct so fit enlendre ct,
aussilôt, on aporçut une flle d'hommes do loul âge qui tous
se dirigeaient vors la bâtisso en construction,
Dopuis quelques mois, lu vic do co pays avait été
boulevers6e. Nul nc :;'on plaignait, car une oro d'abondance
était venue avcc ce M, de Niovcs, Louriste do passage,
�6
1.1';5 cœuns l'nÉDE5TINÊS
charmé, non seulement par la beauté du paysage, mals aussi
par la douceur de son climat, nécessaire à la santé chancelante de la femme qu'il adorait et à qui les médecins
avait recommandé de fuir le séjour des villes.
Où trouver un endroit plus propice que celui-ci pour
s'y installer? Ce nid d'aigle était entouré de montagnes
verdoyantes et au loin, la mer s'étalait parmi des roche~
sauvages.
Se décidant sans hésiLation, M. de Nièves avait remisé
sa superbe limousine dans une grango, loué la maison la
plus confortable du village, l'avait aménagée il son gré,
c'est -à-dire changée du tout au tout et y avait installé sa
jeune femme qui le laissait faire en souriant. Le paisible
pays en avait été révolutionné, mais, comprenant qu'il a vaii
intérôt à ménager la bonne volonté des ha,bitanls, M. de
Nièves s'était adressé à eux pour y recruter le personnel
nécessaire à sa maison.
Un jeune ménage habitant une maison procllC de celIe
qu'il venait do Jouer 1wait particulièromont attiré l'attention de l'étranger, et, malgré leur enfant do dix ans, il
avait atlaché la jaune femme au service personnel de
Mmo de N ièves ot con06 au mari le projet qu'il cal'essait.
Max Dubosc l'avait écouté bouche bée l
- Bâtir une mtlison au sommet du village, sur ce roc
poinl.u comme uno aiguille. mais c'ost chose impossible,
avait-il répondu.
- Rien n'est impossible, avait ropliqué l'étranger, ct je
vous le prouverai.
Malgr6 son immense fortune, M. de Nieves avo.it fait
do brilJantes Oludes d'archilQcte et, après avoir acheté
le lerrain nécessaire à son projet, il s'était mis 1:1 tracer le
plan do la construetion rêvée.
Max Dubosc avait 'fait amonde honOl'able et, tout fier
de la confiance témoignée par son patron, il s'OLait dévoué
à lui avec cet attaehement profond ot simple des gens clu
pouple.
Pendant cc temps, sa femme, Jeanne Dubosc, s'éprenait
�L~a
cœURS PRtDESTIN~
,
du même attachement pour Mme de Nièves, si distinguée,
si délicate. si bonne. qui lui avait confié son incurable
tristesse causée par les médecins, ceux- ci ayant déclaré
qu'elle ne pourrait jamais connattre les joies de la maternité.
Jeanne, si fière, si heureuse de p oss6der son Pierre, ce
petit gars de dix ans, robust e et bien portant, avait
cherché, par une d-:licat esse naturelle, à écarter l'enfant.de
sa jeune maîtresse, afin de ne pas aviver son cha'g rin.
Mme de Niè,'es avo.it compris ce sentiment, mais un
jour qu'ello ava.it surpris Jeanne. laisan t à son enfant des
gestes pour l'éloigner:
- N on, non, avait. elIe.dit. viens ici, p etit Pierre, viens
souvent, au contraire, ta vue m'égaie et me fait du bien .
Elle avait caressé l'enfant de su main flne et p âle,
avait détaillé sèS yeux vils l son iron t inlelligent et avait
remarqué Je menton carré qui indiquait \lne volont é
future.
- Ce sero. un homme, votre Pierre, uvait dit Mme de
rougi de plaisir et, lorsque
Nièves à la moman qui ~ lvait
mon mar i aura terminé la construction de la maison, je
lui demanderai de s'occuper de votre fils.
Puis, avec un sourire, elle avait aj outé :
- Vous donnerez ainsi un p eu de rich esse à notre loyer
sans en fant.
Et p etit Pierre, heureux ùe la p ermission octroyée , venait
souvent s'asseoir auprès de Mme de Nioves, se laissait
carClsser p ar cotte main si blanche, ct écoulait los b elles
his toires qu'elle lui racontalt.
11 délaissait tous les compagnons de son fige . Sa jeune
âme s'éprenait d'un e t endrùsse ardente et passionnée pour
la belle cla me qui l'accueillait \ln so uriant, lui fa isuit place
sur un cou9sin, où Pierre s'Jnstallait, heureux d'un bonheur
intens .
11 p osait s tête sur les genoux ùe su proteclrice, qui,
sourIant de cet amour d'enrant, prenait l'habitude de
s'occ up er de lui, demandait à vérifier· ses devoirs, éveillait
�s
LES CŒURS PRtDI.;S'tINÉS
son intelligence, remplissant un tôle de mère spirituelle,
prenant une possession absolue du cerveau de l'enflolnt.
Le pèt'e et la mère de Pierre étaient fiers de c'ct intérêt
de Mme de Nièves pOUl' leur fils ct faisaient pour lui des
r êves meryeilleux.
Ils le voyaient déjà un Monsieur instruit, ayant sa
place dans ce monde de riches qu'ils ignoraient auparavant.
Et les jours s'écoulaient en un bonheur calme et tranquillo que rie,n ne semblait devoir troubler.
L'amour, la reconnaisslnce entouraient M. et Mme de
Nièves et tous les bourgs enviaient le3 habitants de Bic card que rien n'avait appelé à ce bonheur.
La matinée de ce jour-là avait commencé ainsi qua
d'labitude.
'
M. de Nièves étaiL même particulièrement gai et, assio;
auprès du lit de sa femme, il expliquait, à l'appui du plan,
toute la magniflcence de son projet.
Par la magie de sa parole, il faisait entendre los murmures des cascades, sentil' le parfum des citronniel's qu'il
planterait; il voyait les terrasses superposées qui soutiendraient de leurs blanches colonnes les plantes gl'impantes
ct odorantes.
II parlait <les statues qui allongeraient, sur le sable du
jardin, leurs ombres gracieuses et mobiles.
Son doigt caressait, sur le plun, la place où il avait
placé la véranda, objet de ses soin
~ .
Elle lerait suite à la chambre de sa femme, afin que
celle-ci pût facilement s'y rondre et contempler le panorama unique que son mari mettrait sous Ses yeux.
Et, ouvrant la fenêtre, M. do Nièves disait à la jeune
femme sourianto :
- Regarde, ch6rie, les fondaLions sortent déjà du sol, le
plus dur est fail, il a rallu que le rocher saute à la dynamile.
« Vois-tu quelle belle plale-forme j'ai obtenu sur ce
nid d'aigle?
• Oc loin la maison paraîtra comme un château fort .
.
'
�« bans un coin rrservé par moi, je planlerai des pins
immen$es, j'ai des projets fous et si harmonieu~
1
- B{'eI, tu es un homme heureux, répondait Mille de
NtLv<'s en lui tendant la main.
- Oui, affirma avec force M . de Kièves, compl~ten
heureux; je suis certain de voir ta santé se rétablir, et
chaque pierre que je remue est pour moi une ivresse; il
Ille semble toucher le fondement de notre bonheur l
- Que tu es bon, Daniell
- Je t'aime, et, pour te voir heureuse, je me sensco.p:>.ble
de tout, tu entends, chérie, de tout 1
MmD de Nièves bloUit sa tête sur la large épaule de
son mari.
Que c'était bon de sentir cet amour unique que l'ien ne
lasse ni n'altère.
Et, lorsque M. de Nièves lut parti, la jeune femme resta
il songer, un sourire heureux aux lèvres.
Voilà cinq ans qu'ils étaient mariés. Quelle existence
heurtée avait été la sienne 1
Elle se souvenait qu'à hulL ans on l'avait enlevée de la
maison paternelle, car sa jolie maman, une Créole, de qui
elle avait hérité la fragilité, était gravement malade.
Elle se souvenait qu'étant avec sa gouvernante aux
Tuileries elle jouait à Caire naviguer un bateau Rur le
bassin, lorsqu'elle avait vu arriver un vioux domestique do
Son père, les yeux rougissants, qui, ayant murmuré quelques mots à la gouvernante, étuit reparti sans avoir eu
10 Courage de s;approchor de l'enfant.
Alors, elle, apeurée sans savoir pourquoi, s'était
approchée do sa gouvernanto qui, la prenant dans ses bras
lui .l.Vait expliqué que sa maman continuant :\ être malade,
très malade, il avait fallu qu'clle partît pour un long
voyage.
Mais la petite Juliette avait secoué la tilte eL s'lltail
Jnise à pleurer tout bas, doucement, inlassablement commo
uno grande personne.
Co jour-là, brusquement, elle étaÎl sortie do ce monùo
�10
LU
cOIuas . Pl\.DTIn
~!
heureux de l'enfance. dont les si bienfaisantes illusions
venaient de se déchirer, pour elle. à jamais.
On J'avait ensuite emmenée chez une vieille tante qui
habitait Versailles.
Son. père était venu l'embrasser, et, après avoir réglée
la vie de la fillette, était partI.
Les années s'écoulèrent, mornes et tristes 1 Vers douze
ans, JulieLte fut mise en pension et lorsque, devenue plus
grando, on lui laissa plus de liberté, olle éprouvait Un
charme indéfinis3able à passer ses hom'os de loisir dans le
parc du PeLit Trianon.
Combien la jeune fille sentait- elle que le t emps n'avait
pas chassé le souvenir de la plus b ~ l e cL do la plus infortunée Reine de France.
Comn:1O elle aimait à évoquer cette femme qui, fuyant
la majesté écrasante du palais do Versailles, se plaisait
dans la simplicité du Trianon où, portant des robes de
linon ct des coiffes de dentelle, elle s'amusait à battre ellemême le lait dans des barattes de porcelaine au chifi're royal.
EL de lout ce passé monLait une mélancolIe qui dévelop.'
pait chez JulieLte son amour du rom anesque.
Ello aimait à roster sur la pelite colline où s'élevait le
Relvédùro de la R eine, d'où on embrasse la vue cio tout le
domoine, il sc le r ep résenLor LeI qu'il éLait autrefois, au
milieu d'un buisson de l'oses , de jasmins et de myrtes.
Orâce ù ses lectures, elle s'Imaginait voir ncore le
pavage de marbre traveI'3é d'ellipses roses et bleues.
Au loin, elle voyaiL lu Hame,lU de la RoIne, ce joli
village d'opéra- com ique, avec son moulin, son lavoir, les
maisonnettes au toit de chaume cL aux balcons rustiques.
Elle aimait les souvenirs de ce siècle, ût I.out co passé de
cho.rmo et de m6lanco.ic inOuenço it HO. naturo s ~ nsitvc.
Pui s ceLte derni ère consolat ion lui fut enlevée . La vieille
LanLe, chez qui o)' e vivait, mouraiL ; et c'étaiL fini pour
elle de ces promenades qui l'enchantaient.
Elle fut miso pensionnaIre, comme un oiseau en co.ge~
sans Lendre. se, sans joie, sans lumi ère.
�LES CŒURS PRÉDESTINÉS
11
Un jQur on l'appelle au parloir. En entran t, ello voit un
mon&ieur de grando taille, mince, élégant, qui lui sourit
et elle a peine à reconnaitre son père.
Elle avait dix-neuf ans alors ct M. de Kerlecq, ému,
croyait.voir devantluisa femme ressuscitée, sa chère femme
a vec toute sa grâce ct sa fragili té de Créole.
Comme lm amoureux, il onleva sa fille, lui demanda
pardon de l'avoir tant délaissée; le chagrin ressenti à la
mort do Mme de Kerlecq l'avaiL fait se jeter dans une vie
dc plaisir et de rôtes, dans le vain espoir, sinon d'oublier,
du moins d'adoucir la souffrance de son (;œur.
11 n'n,voua pas à sa fille que cette vie l'avait ruiné; au
fond de lui-même, il so promU de réparer le mal causé
par son impr6voyance.
Il exploita ses relations, expliqua sans détours sa situation et son désir de gagner une belle dot à sa fille, ct lui
assurer tout au moins Je château hypothéqué de Kerlecq,lo
lui laisser net ct beau, tel que le lui avaientconû6scs parents.
Alors commença pour Juliette une existenco toute
nouvelle. Son père, qui possédait des relaLions dans toute
l'Europe, avait été charg6, par un de ses amis, rieho el
puissant l1nancier, d'aller visiter les personnages inOuents
que connaissait M. de Kerlecq, susceptibles do prêler
leur concours pour une colossale alTaire banquaire, que le
financier voulait l,meer. Une belle ct large part était
taillée fi M. de· Kerlecq.
Le père de Juliette avait saisi avec joie celte occasion
inesp6rée, mais, no voulant pas se séparer de sa chérie, il
l'emmena avec lui.
Que Juliette fut heureuse de ce brusque changemenl
<lans sa vic 1 Où étaient ces longues heu l'CS de soliLude
ct de contemplation dans le parc <le Trianon? .•
Où étaient ces tristes et longues heures d'ennui, lorsque
ses compagnes, ayant quitté le pensionnat pondant les
vacances, elle restait toute soule dans les grandes salles
vides, dans le préau que n'animaient plus les ébats
ues enfants envolés.
�12
.
LES CCBUnS pnilDEsTIN.BS
Que c'était bon de voyager auprès de cc père Lenùr
ct attentionné, qui paraissait si jeune, et auprès de qui
elle sc mit enfin à rire comme une jeune aile de son âge.
Quel cicerone délicieux était-il dans toutes les villes
qu'ils traversaient.
Qui eût cru que 1\1. de Kerlecq faisait un voyage
d'aITaÎl'es?
L'homme indépendant qu'il avait ét~
subsist&.it encore
en lui ct, pour sa fille, il avait des prodigalités acceptées
d'autant plus facilement qu'elle ignorait leur situation.
Lf! château de Kerlecq était toujours hypothéqué, mais
bah 1 se disait en souriant le gentilhomme, « je paie les
intérêts» CD attendant la belle aITaire qui me permettra
de me lib~re
complètement et d'oITrir, avec mes excuses,
ce joyau de notre Camille à ma chérie, que j'ai si longtemps
abandonnée.
Et, heureuse comme jamais clIo n'avait osé l'espéret',
Juliette sc laissait vivre, suivant son papa de palace en
palace, quittant 10 sleeping pour le batoau, ouvrant ses
yeux il. la vic, il. toutes les beautés quo renfermo le monde,
buyant avec délices à cette coupe qu'oD lui tendait, commo
si clio sontait que la sourco pouvait 50 tarir et qu'il lallait
en profitor!
Juliette aurait voulu connaiLre qu'olle avait été la vic
de son père pendant de si longues années, mais celui-ci
évitaitloutes les allusions faites, détournait la conversation,
en racontant quelque amusante anecdote, Iwec un esprit,
un entrain qui n'appartenaient qu'à M. do Kerlecq.
- Commo ma mère a dft l'aimer, songeait Juliette rn
l'écouLiJnt.
Un jour, dans Je counior trouvé au Palace, Juliette
rema.rqua, mélangée aux lettres d'u traircs, une longue
enveloppe mauve à l'adres$C de son père.
Elle sourit et, très libre avec son papa. dit :
- Ce n'cst pas le r6gisseUl' du châtoau do Kerlccq qui a
('cLLe belle écrituro, je croirais plutôt que c'est uno belle
châtelaine qlli "OIiS l'egrette.
�US CŒURS l' RBDES TINÉ S
13
- PeLite fille d ' i ~ve , malicieuse pt curieuse, .. Et pourtant tu as r.lison : celle qui m'écrit, c'est notre petit e
cousine de Villard, femme jeune el charmante, mondaine à
outrance, mais possédant no cœur d'or.
a Depuis la mort de notre vieille taote de Versailles,
c'l'st la seule parente qui nO\1 S resLe. »
Jill, décachetanl l'enveloppe, il eut un rire, qui le fai sait
si jeune, pOUl' ajouLer:
- Écoute ce qu'elle m'écrit, oh 1. .. il n'y a que quelques
lignes l
u On ne peut vraiment pas vous en vouloir de votre
ahandon, puisque c'est en l'honneur de votre fllle, que l'on
(lit tout à fait charmante.
«Je ne vous en veux que de ne pas me l'apoir présentée et
lie vous pardOn/lel'ai cel oubli qu'à la fin de c'olre /'QJtdollnée.»
Bl, repliant la lettre, M. de Kerlecq ajouta:
- C'est le meilleur cœu r que je connaisse, le plus
:;;ûl'ami!
Un jou r, ils éLaienL alors il. Vienne, la ville de la gaieté
pal' excellence.
Dppuis quelque Lemps, r.l. de Kel'I ecq sc pl aign::IiL de
verLiges subits, mais il s'en plaignaiL en riant.
Dans la maLïnée, il avait cu un long entretien avec un
~ ml;
touL joyeux, il racontait
personnage des plus ilf1
à sa Illle, pendant le d1l1el', les fêl es où ils seraienL invités,
n donnait UII aperçu, Lou l en pelant une helle poire fo ndanle, lorsque, touL à coup, Juliette vit son p ère p âlir,
lâcher le couLeau cL le fruil et g'e lTondl'el' sur la LabI e.
Elle poussa un cri sLrident qui nt taire J'orchestre; on
accourut, on prodigua des soins, Lout fut inutile: cn pleine
santé, M. de Kcrlecq venait d'l'Me terrassé pur une emboli o.
Le souvenir lui revenait, clair eL précis, des journées qui
a vaienl suivi cc malheur el romment, Lrouvant dans Ip.s
papiu's de IIOU père la leltre ùo Mme d e Villars, elle se
�LES cœURS PRÉDESTINÉS
souvi nt des paroles dites quelques semaines auparavant,
en faisant allusion à cette cousine:
- C'est le m eilleur cœ!;!' que je colmais, le plus sùr
ami!
E t, dans sa détresse, Juliette avait écrit à l'amie si
,sûre de son père.
Elle avait reçu une dépêche ainsi conçLIO :
« Venez immédiatement à P aris , je (Joua attends. »
Après la série de ces beallx voyages avec le compagnon
d61icieux qui si vite l'avait tragiquement abandonnée,
Juliet te connut b l'et ou!' morne, et l'encha nteresse vision
de ces quelques mois de bonheur so changeait en un
souvenir C:oul oureux.
- Qu'ai -j e fait à la vie, f>e demandait la pau vro orpheline, pour m6ritcl' un tel sor L? ..
Et ello arriva à Paris comme une pauvre épave!
H élas ll e beau château de Kerlecq fu t vendu, c'est à
peine si on sauva une petite r cnte qui p ormit à Juliette de
ne pas être à Jo. charge de Mmo de Villars.
Celle-ci, en ces circonstances, avait lémoign6 à ,Juliette
l'iJmiti6 la plu s délicate E:t, la sachant seule au monde,
i8016e, sang fortune, Mmo do Villars lui offrit de la.
ga rder aupr':s d'elle.
Juliette, SJns force, la san Lé ébranlée pal' ce coup.
terrible, accep ta et nt son possiole pour quo S1\ présence
·t son chagrin ne devi nss'.nl pas !l Ia longue un trop lourd
fardeau pour wn amie.
Comme au temps de son enFuIlce, elle se r eplia sur elle-,
môme, après ('Ivoi!' Lir6 10 rideau sur co qu'elle appelait
« l'u nique bonheur do sa vie ».
Et le t emp s passa 1
Sou Vl nt, J ulielte fa i:;ait effort sur ello -même pOUl' accomp agner sa cousine d ans la vie mondaino qui était la sienne.
- Jolie comme tu l'cs, lui disait-ell e sans cesse, veuxtu ne pas déSEspérer ainsi, veux-tu sourire ù la vio pour
qU'flle te le
r ~n de
...
�LES CŒURS PRtDESTINÉS
15
Et, souriant finement, la jolie Mme de Villars ajoutait:
- Vois-tu ma chérie, la vie aime ceux qui croient en
elle, qui font des frais pour lui plaire.
« La vie me fait l'efTet d'un grand monarque, genre
Louis XIV, qu'il faut courtiser afin qu'elle prodigue ses
dons, ses joies. Courtise la vie, petite fille, courtise la vie! »
Un jour, invitée avec sa cousine, chez un parent de
celle-ci, où se donnait un bal costumé, la jeune fille
avait choisi un costume vénitien ~u temps des Doges.
BUe était touchante et charmante en ces atours du
vieux temps, auxquelles sa jeunesse rendait une grâce
momentanée. Ses beaux cheveux châtains, relevés sur
son fl'onL, étaient poudrés. Un ruban cerclait son cou
et sa robo était brodée de roses en boutons et de roses
effeuillées.
Le hasard ayait voulu que M. de Nièvcs eut choisi un
costume vénitien également, et, tout de suite, il remarqua
la silhouette de la joune fille. Il se fit présenter par un
ami. M. de Nièves s'était incliné silencieusement. La jeune
fillo lui souriait. Soudain, elle avait baissé la tOte, le
regard de M. de Nièves exprimant une admiralion si
visible qu'elle en ressentit l'intensité telle qu'une brûlure,
On annonçait que le souper était servi.
- Mademoiselle, voulez.-vous me permettre do vous y
conduiro? avait-il demandé.
\ Juliette hésitait à accepter le bras qui s'offrait à olle ...
Huit jours après, son nom et celui do M. do Nièves
étalent sur toutes les lôvres.
Elle 80 souvenait de ces quelques semaines de fiançailles
ct du bonheur rayonnant du visage do son mari, lors'lu'aprôs]a cérémonie il l'avait omportée dans son automobile en un vertige de liberté et de vitesse.
Et, depuis ce jour, son mari n'avail vécu que pour elle!
De l'hommo recherché, dont on murmuraiL los bonnes
torLunes, de J'homme qu'lI avait été autrefois, il ne restait
plus rien.
• Lo côté romanesque de la jeune femme était satisfait
�1G
LES
cœu fiS
l'R
t~ESTI:-
ÉS
pal' cet amour qu'on lui t émoignait t t qu'elle rendait de
toute son âme 1
Une seul, ombre à leur bonh eur : la maternité impossible et sa santé chancelanLe.
- Ma is qui sait, murmura Mmo de Nièves, si, en vivant
ici en plein air, dans ce climat salubre, je ne me fortifierai pas assez pour démentir le pronosLic de la Faculté ...
'l'out à coup elle entendit un'3 détonation épouvantable
qui, l'arrachant à ses p ensées, la faisait pâ lir; mai,;, se
reprenant, elle se dit en l'iant d'elle-même;
- Je no parviens pas il m'habitu er il ces coups de dynamite.
Depuis quelques instan ts un brouhaha sans nom exi&tait
dans 10 chantier. Do, pierres arrachées du sol roulaient
encore uvec fracas , mais Je bruit qu'elles faisaient ne
parvenait pas à couvrir les voix humaines qui poussaien t
des sons rauques ct effrayés.
fluivant les instructions donnéos la veille par l'entrepreneur, le contremaltre avait fail placer, le malin de bonne
heul'e, une mèche de dynamite pour fair.) sauter un rocher.
Les ordres avaient été donnés afin que tout le monde
s'éloignât.
Les ouvriers en avaient profilé pour casser la croûte,
n vant de roprendre le tl·avuil. l1s étaient installés par groupe:>
épars, lorsqu'ils virent M. de Nièves, suivi de Max Dubosc,
qui, inconscients et ignOI'.mts du danger, 50 dirigeaient vel'S
l'endroit où la mèche avait éLé placée.
Jeanne Dubosc, ayant quelques recommandations il fait'e
sans doute à son mari, courait vers la mèmc direclion.
Les ouvriers, il cette vue, se mirent il courir après eux,
en oriont, mais, il la minute même où M. de Niùvcs,
étonné de ces cris, sc rctoul'Iluit, on vit le l'ocher rnin6 so
soulever, des pierres lancées il une grande hauteur f>'abat tre
cJans un nuagu.
Horrjfi6s, les spectateur.ô s'arrêtèrent duns leU!' course
pOUl' la roprendrc avec dcs cris d'horreur.
Ah 1 cette belle matin
é ~ s'J.nnonçant :,i pure sur le pelit
�LES CŒURS PRtDJlSTI!'~
17
bourg endormi!. .. Cette journée. cOlllmencée dans un bonheur calme, parmi ces êtres unis dans la trtchc commune!
L'entropr eneur, pâle, effondré, bredouillait de3 mots
SR OS suite où revenait sans cesse:
- Oh 1 l'horrible malheur, l'épouvantable catastrophe.
Des at,roupoments s'étaient form és un peu partout, chacun, écoutant lEls explications données : qu'oubliant du
danger couru M. de Nièvcs et Max Dnbosc s'étant acheminés vers l'endroit miné, lous doux avaÎt.:nt été écrasés,
tués sous Je coup de l'explosion, ainsi que la pauvre Jeanne!
- Il va fnUoir prévenir Madame, disait l'c'ntrepl'eneur.
Tous se regn,rdèrent, se demandant qui en a ul'nit le
triste courage. On n'entendait que des sanglot 3, des plcântes, des cris contre 10 destin aveugle qui s"acharno sur
les moilleurs.
- Et 10 pauvre petit Pierre qui a perdu sos parents,
dit une femmo 1
A ces mots, on entendit un cri ùe douleur. C'était Pierre
qui, caché derrière un massif, avait tout entendu.
On se précipiLa vers l'enfant, mais, oubliant toute l'et~
nue, il se mit à courir vers la maison en sangloLant si
fort, que Mme de NièveG, troublùe par ces cris, sc précipib hors de sa chambre ct descendi t au jardin.
Elle regardait avec épouvante tous les êLres qui étaient
là rassemblés.:. Elle voulait parler, mais aucun son ne
sorLait de sa gorge serrée.
::les yeux 50 firent immenses, flxc!:!, on y lisait une
angoisse indiciblo el des larmes coulaient sur sos joues.
Coux qui l'entouraiont baissaient la tète sans oser l'approcher. Un tel d6sespoit' se lisait dan:> leur altitudo, que
Mmo de Nièves comprit J
BUo chancela sous ce nouveau coup Ù\~
sort, le plus
impitoyable, 10 plus dur, le plus injuste que le destin lui
réservait, et, pressant son pauvro cmur dans ses mains
glacéeo, elle voulut remonter 10 perron, mais, défaillante,
ello tomba dans lcs bras d'une femme el perçut Ja voix
do Pierro dire dons ses sangloLs :
�15
Lili!! GœORf; PRÉDE~TINifl
- Moi au!Si, j'ai perdu mes parents, moi ;lU~i,
auesil
moi
CHAPITRE Il
UAMOUR DE JEAN DE VILLERATE.
- Voilà, mes cheTs amis, tout ce que j'ai à vous montrer de plus beau dans ma ville d'exil, disait Jean de Vil·
leraie, consul de France à Damas, à. des amis débarqués
depuis deux jours dans la vieille ville orientale.
Et, avec un soupir, il ajoutait:
- Veinards, qui n'êtes ici que de passage, en touristes
heureux qui, bientôt, retournerez d'lns notre chère France.
Mme Cast a1 interrompit le consul :
- Moi, je vous envie, au contraire, de vivre ici. Je 6ui~
extasiée de ce pays, de cette lumière qui coule comme une
onde impalpable, de ce marché emprisonn6 entre ces belles
arcades, de ces hommes aux [aces de prophètes ; tout est
si piLtor.lsquo ~ci.
- Oui, pour vos yeux de passagère. J'ai subi le cha:'IIlc,
répondait le consul, maintenant il n'a plus prise sur m')i.
Au lieu de voil· le3 bouquets de laul'Îc1'3·roses, je ne 'fois
plus que les hardes qui sèchent dessus. L'Orient est nn
mot magique, je sais, je 5ais trop!
TouL en causant, ils étaient arrivés devant la maison
du comul de France. Mme de Villeraie (>1, sa jeune belle·
sœur attendaient leurs hôLe~
.
Sur la terrasge, d'oll l'on avait une vuc splendide,
Mme de Villoraie avait fait préparer une légère collation
eL Mmo Cast.el, ainsi quo son mari, restaient en oxtaso
dovRnt b panorama de cette villo étendue ù leurs pieds
avec ses ruellos étroites, ses minarets pittoresques.
- Comment pouvez -vous no pas vous plaira ici? répétait Mme Castel.
,
Clo.Îi'c de Villoraie fit une p et!te grimacc de dédain
pour approuvor son mari, devinant touL co q,ue celui·ci
�l,ES CŒURS PRÉDESTINÉS
19
;lvliit oCt ~il'e,
Quent il. Juliette do Villoraie, 10. jeune sœur
du consul, clle répondit avec joie:
- Que je suis contente de vous entendre parler uinsi,
ch~
re
Madame , moi j'aime cette vïlle avec frénés ie, je
Paim9 avec ses loques, sa ch,ileur , sa poussière; je l'aime
pour tout le charme qui sc dégage d'eUe et qui, de jour en
jour, devient plus puissant.
La conversation s'anima, faite d0 contradictions entre
Ces êtres qui tenaient ù leur" idées avec uno force opiniât.ro.
L a jeune fille se plut à chanter l'Orient, ses nuits magi·
ques, lorsque , du haut dcla terrasse, ello enlendait au loin
ces chants nostalgiques, qui sont le grand passo·tf;lmps
des Orient2.ux.
Et comme sa belle-sœur la plaisantait SUi' sen enthou- .
siasmo, subitement la jeuno fille se Lut cL s'empreS5:l
ù'olTri. à leurs hôtes les boissons gbcées qui ét::lÏent préparées.
On entendit un sifflement venant dp, la rue, Juliette, se
penchant sur la lorrassc, nt un signe ami
, ~al
d\.! la main ct
dit, f;ln Re retournant: C'est Jacques J oussorand.
- Son fiancé, murmnru Mme de Villc!'aie.
M. Castel s'inclina devant Juliette:
- Nous comOl'cnons mieux votre enthousia:3I"1Hl, Made-
moiseHe.
.
Sans aucune gêne , Juliolte répliqua:
- N'en cl'oyez rien, depuis 10 premier jour où nous
nvon3 déb3rqué ici, j'ai aimé ce pays pour lui-même.
On vit Jacques Jousserand appur.lltl'o au haut de l'esca·
lier.
Aprds les présontaLions, on p ',rla de la France lointaine,
do Paris ... ce Pari" CJui, évoqué au loin, prend dos proportions prosquo maléfiques. On J'aime comme un être chor
et Mme de Villeraie a'vouait, ct C'ét3it ce qui av ,lit fait
prendre eu horreur Damas à son mari, ct même sa currière de consul:
- Moi qui suis née à Paris, qui jamais ne l'avait q\lit~,
vous .comp~en:t
la duretti do cet exil.
�20
Les creuns rr.ÉDESTrr:z:s
Julictl.c dr Villero.ic, 'lui :;nvait combien ces parolc!!
pqur son frère, se mordit les l~vres
étaient <.1Duloic~es
pour ne pas répliquer:
- Dans ces conditions, on il'~pouse
pas un consu'!, qui,
par sa carrière mème, vit toujours loin de Paris, hors de
France 1
La jeune fille avait lUle adoration, un culte pour son
frère qui, de douze ans plus âgé qu'elle, lui avait servi de
père à ln mort de leurs parents. Juliette ùe Villeraie se
souyenait qu'auLrefois son frère sc plaisait partout, etsouvent Hiui avait dit;
- La condiLion, le rang, la fortune, les événoments
même d'uno existence n'ont pas l'importance que leur
accordenl los hommes.
« Ce qu'il faul garder, pour IÎtre heureux \ c'eslle goQ.l
du travail el de l'enLh6usiasmo pour toul ce qui ost bl'au
el juste 1 »
II lui pal'lait ainsi, lorsqu'à la mort de leurs parents
leur situation avait changé. Des spéculations malheureuses, entreprises par M. de Villeraie, les avaient complétement rulnos cL ,leull voulait ùonnel' à. Ha sœur une armure
morale assez forte pour que ce qu'on appelle « BOTÙleur ))
ici-bas ne fut pas soulemont celui que l'on tienL dos souls
biens do cr mondo .
Cc foLIe choc important de sa vic quile révéla il.llli-mêmo.
gt, ]a r,;rl Il 'à la nn de ses 6ludos consulaires il ful nommé
,'I?cl'otuira all consulat do Trébizonde, il partil avec la potile
.Julietto ct, l'un auprèo, ue l'autre, tians celte Lerro (!loiglll!<',
il!> vécurent dans une harmonie faiLe do tendresse eL oc
confiance aLsolue.
Jean avait si birn arrango sa vie, qu'elle lui semblait
une roule hien uni<.' cl, parfois, il 50 plaisait ;J. rêver (Il il.
l'fi tisser, uans le i'i!pucc', la ricltes:;e inlérieure.
Il se voyait, accompu.{;nanL, il. l'au loI, Jtùictle, pOUl' lJ.ui
il rôvait un êlre de son choix, el son cœur tressaillait ù
la pensée des enfunts de sa sœur qu'il ferait sautel' sur St~
gcnol:~.
�LE!
cœuns
J'R~DESTINis
Mais il avait trente-quatre ans ct croyait son cœur
aS39gi, plié à na volonté, inébranlable.
En un congo il Paris, il rencontra, chez de vieux amis,
lroe joune mIe de vingt-sept ans, d'une beauté telle que
le pauvre Jean en fut fasciné. Jamais encore il n'avait
aimé, et le choc ressenti en face de Claire Mabille fut si
[mt qU'JI chancelil.
Combien la conversation de la jeune fille lui parut flne,
remplie de verve et d'imagination ... Il l'écoutait, charmé,
flpprouvant tout cc que disait sa compagne ct, lorsqu'JI
SÙlllait le regard de CJ.aire Mabille posé sur lui, qu'elle
demandait une réponse, .Jean balbutiait quelques mots
el SE1 perdait d.lns sa rêverie.
Le lendemain, sar,s raison, il retourna dans cette maison.
Fût-ce sans raison aussi que Claire Mabille y alla de son
côto?
un
Depuis la veille, il s'était Clû t dans l'esprit de Cl~irc
travail prodigieux. Très intelligente, d'une intelligence
spécialo el intuitive, elle avail vu l'effet produit par sa
heauté sur l'esprit do Jean.
Après plusieurs espoirs de mariage manqué parce qu'ollo
ébit sans dot, Claire Mabille avait alteint ses vingt-sopL
uns, et une crainle commençait àl'oppresser en 8on2'e~t
à
Eon av\.:nir.
Aussi, eut-elle son sourire le plus adroit pour tendre la
main à Joan de Villcraie dès qu'elle l'aperçut.
Celui-ci rougissait, ct balbutiait:
- Comme je bénis co hasard, Mademoiselle ...
Et tout, choz Joan do Villeraio, son regard, sa voix, Je
moindre de ses gestes, tout cl'Îait son bonheur.
Clairo aussi, toute la nuit, avait pensé à ce jeune homme
qua le h J Slrd meLtait SUl' sa route. E Jo s'étllit répété
qu'elle avait vingt-sepi ans, que sa ben.uté avait été insuffisante pour lui procurer le mari, et une crrunte ti6vrellsc
lu minait de sentir 10 tomps plisser sans q 11'il lui apportât
k~ joios attendues.
Jam~i:;
cH n'avail surpris dRns aucun rogard d'hommo
�22
LEr. CŒURS l'JttDESTINl!S
la lueur aperçue dans ceux de Jern. Hélas! elle commençait à avoir de l'expérience, oelte triste expérümce de la
jeune fine Bans dot qu'on éduquo de bonne heure à la
recherche du mari.
Elle avait tout calculé, tout pesé, elle connaissait à peine
Jean do ViIlet'aie, mais rien en lui ne lui déplaisait; il
était .1euno, distingué, un peu timide peut-être, et, avec un
souriro ironique, elle avait reconnu:
- 'l'Ilnt mieux, car sans cela ...
Claire Mabille n'était ni romnnesqJlo, ni amourèuse, et,
par là - m~rne,
plus forte quo Joan qui, par des années de
solitudo, avait accumul6 une for ce d'amour insoupçonnée.
Quelle bello chanson chantaE 10 cœur de Joan en ~uit.
tant la jeune fille, que la vie lui parai.5sait belle.
L'amour fervent que Jean avait cu pour sa fiancée ne
nt que s'accrottro lorsquo Claire dovint sa fomme. C'était
un amour faH de tendresse, un amoUl' total, un besoin de
ln présence constante de sa femme, UM reconnaissance
ardente pOUl' le bonheur qu'elle lui donnait ot. auquel il no
r,'attendait pa::;.
Toute sa vic n'avait-olle pas été uniquement consacréo
il. l 'awnlr do sa sœur? ...
Et voilà que le des\in clément lui Ilonno.i1. sa part aussi,
un e part si grande, si bdle. que pDrrois il en était effrayé.
Juliette avait accueilli avec. jolo cette femme tanL aimée
pal' son frère. Son cœur lui voua une reconrtnissance Bans
nom pour avoir transformé ainsi ca Jeun qu'elle avait
connu plutôt sévèro et renferm6 1 '
Quelle jeunesse brillait cn lui l. .. Quelle lueur nouvelle
dans ses yeux tristes et ré!;ignés.
Mais après quelques mois de vic ù Damas Claire parut
s'ennuyer : elle soupirait en lisant, dans les journaux, les
éohos mondains. Pourtant, Jean avait changé sa vie complètement. 11 nvait relégué nu grenier ses livres do science,
allait à toutes les réceptions, recevait à 80n tour, grevant
lour budget, entamant la petite dol do sa sœur sauvée du
naufrage.
�'l'out , il éLait capable de tout pour ne pas voi1' une ride
au beau front de Claire. Il se disait aussi que le changem ent
de la vic qu'elle menait à Paris avait été brusque , qu'il
fallait le temps de s'acclim ater.
Mais, petit à p etit, J ean n'aimai t plus cc pays qui n'avait
pas enchant é sa bien -aimée ct, comme il l'a vait avoué à
ses amis les Castel , au li eu de voit· les lauriers -roses, il nEl
voyait plus que les hardes qui séch aient dessus.
Il était incapab le de se réjouir comm e au tr efoiil du pittoresqu e et de la lumière éclatanLe qui faisait rayonne r
les oripeau x.
Juliette , de son côté, avait tout deviné, mais jamais
elle ne risquait un mot , un ges te 1.l\l5ceptible de peiner ce
frère qu'ellc aimait t ant ct à qui elle devait t out.
EllIe s'ingoni alt, au contrair e, à satisfai re tous l es capri.
ces, tous les désirs de sa belle -sœu1', prenant à Sa cha rge
touLes les corvées de lo. m aison, voulanL lui rendre l'exis ·
tènce douce c t facile, ' chorcha nt à l'intéresser aussi, si
possible , aux b eautés de cc puys qu'elle connaissait à
fond .
l<:Ue lui p a rlait aussi do son fr èro , vanLant ses qualités
et l'amour profond qu'il porLait à lu jeune fommo.
Claire écoutai t, condescendanLe, et se laissait vivre danf;
cette atmosp hot,o de t endrosse, nans perdre ùe vue sos
calct:ls : pers uader son m lU·j que la vic menée il Damas
était un esclava ge, qu'il fallaH qu o son amoUl' tro uvilt le
moyen do l'en sortir [
Elle agissuit doucem ent, !:uvamment, se pl aignait du
climat conLrai re il sa sanLé. Ella savai t qu e Jean ne se
décider ait jamais à sc séparer ù'clle, alors elle L\Ltenda il
(lue l'idée germâL, du milieu ÙlS Levanti ns qu'ollo attirait ,
Lous hommes d'arfaire s, gagnan t beaucou p d'argen t.
Elle guettai t la possibil ité, qu'elle feraiL naltro au besoin,
une belle aftaire,
flUé son mari pu Lun joUl' rapport er, dal1~
le gain nécessairo au bonheu r qu'olle rêvait 1
Et, asslse sur la haute ter'faSflO qui domin9 la ville,
Chire de Villerai e rogarda it les minaret s que le ooleil cou-
�LI:S CŒURS PRÉDESTINÉS
chant dOle, en caressant des proj ets d'avenir très
de la carrière consulaire de son mari.
(~loign
. és
CHAPI'rRE III
LE
CULTE DU SOUVENIR.
Mme de Nièves, assise dans une grande bergère, ferma un
livre qu'elle feuilletait, puis, faisant un errOI·t, elle alla entr'ouvrir la porle cl. dH d'une voix douce:
- Je t'assure, P ierre , que tu exagères. 'l'es examens sonL
Unis, que fais· tu encore avec t es livres?
Un l'ire ufîec1.ueux e t h eur oux se f1t entendre:
- Marraine, je VOUE assure que, clans un quart d'heur e,
j'aurai fini do tout mettre en ordre. De grâce, accordez-moi
un quart d'heure.
Mme de Nièves sourit à l'adol escen t et revint reprendre
sa place dans le large fauteuil.
enlevé son mari et SO Il
Depuis l'accident qui lui ~ . vait
bonheur à jamais, Juliette de NÏl)ves avait vieilli de ..,"ingt
ans. On aUl'nH dit une vieille femme, alors qu'elle avait :'t
pcine dépass61a trentaine.
CeLte lois, frappée en pl,'in cœur, elle sa.v alt que sa blessure étuit inguérissahle.
Sans('csse, elle regardait Jos pl::ms que, si joyeusement , son
muri lui ClxpliquaH )0 jour m~e
de sa mort. A défaut de
la chère présence de l'ôtro tant aim6, il lui resLait le derJl ier souvenir de son grand rèvo,
M. de Nièvos lui avait laissé son immenso fortune. Elle
étuiL senle, libre, elle ne voulut pas quitter le pays que son
mari avait. choisi pour elle. A défaut du château qu'il avait
désiré, uw·c ses terrasses e t ses sta tues, elle vivrait en fac e
de cc qui avait roprésentu tant d'espoirs; ct, malgré sa
sourde défiance contre lu de.tinée, Juliette essaya de vivre
timidement, enLourée de cos humbles anaetions mises sur
lion chemin.
�r,J:s CŒURS pnEDJ:STlN~
'Ce qu~
la sauva de la détresse absolue; cc qui l'empêcha
de sUccomber au dé!'cspoir qui l'accablait, ce futde se sentir
enfermée dans le dernier désir, l'ultime rêve dt,l son mari.
A chaque minute, a chaque instant de sa vie, M. de
Niéves était présent. à sa pensée, vlsible à ses yeux:
- On ne lutte pas contre le deslin, avait-eUe murmuré
un j{>ur 1
« Par deux fois la vie m'a souri, pour un certain laps de
temps, puis, impitoyablement, elle m'a rejetée, ne me
donnant en pâture que quelques souvenirs l. ..
« Le passé doit être mon présont, comme il l'était pour
mes seize ans 1 »
La douce Mme de Nièves sentait confusément aussi combien la présence de Pierre, de ce 'Lendre regard levé sur
elle, alors que lui-même 6tait si profondément atteint,'
avait été un puissant sou lien pour cette faible que la vie
50 plaisait à h6Urter.
L'enlanl, accablé par celte doulour qui do toutes parts
l'entourail, avait couru se cachér dans un coin de la maison, puis, doucement, s'était éclipsé pour monter dans la
chambre de Mme de Nièves,
Dùns
cetle chambre, pas de cris, pas de vociférations ,
.
mUlS llne femmo étendue, les yeux fermés ct, si pale, si pâle,
qu'on aurait cru que pas une goutte de sang ne restoit dans
ce pU11Vru corps, ne donnant signe de vie que par des
soubresaut'.; fréquents.
Il avait cu peur quo Mme de Nièves no vÎnL à mourir
U~si
et, sans expliquer la raison do cette crainle, il s'était
uPp r och6 lout doucement, ct, s'ogonouillant, il avalt mis ses
pauvres lcvres tremblantes sur la main pme qui, sans force,
}Jenchait inerle el douloureuse, eL avait perçu une voix
faible qui disait :
- Mon pouvre petit, nous ne sommes plus que nous deux 1
Mais, la garde revenant, il dul partir, cmpol'Iant la
vision d'uno douleur qui le touchflit· jusque dans les fibres
profondes ùe son Gme d'enlantl... Puis la vio petit à
potit reprit 1...
�26
11 m~ de Nièves garda le petit Pierre à S3S côtés et, à la
demande de celle-ci, l'appela désormaic; 4 Marraine »,
Souvent Mme de NièveiJ avait montré à Pierre le plan
de son mari conservé comme une reliquo. Assis tous deux,
devan t la fenêtre d'où l'on voyait la construclion interrompue
depuis le jour de la catastrophe, elle expliquait le r êve de
M. de Nièves. Elle n'omettait pas le plus infime détail,
et le jeune homme, extasié, voyait devant lui cette bâtissil
avec ses terrasses ct sa pinède, ses fleurs grimpantes, ainsi
que le sentier qui devait descQodre jusqu'à la mer et la
belle véranda devant prolonger la chambre de sa Mar·
l'aine.
'fous les deux finissaient par en parler comme d'une chose
èxistanlc, ot la fièvre qui sonlovait Mmo do Nièvcs s'emparait de Pierre.
Pour fêter le succès du baccalauréat de Pierre, Mme de
Nièves OV<lÜ commando un diner délicieux, s'en était
inquiéLé eUe-même ot, sc versant une coupe de champagne:
- Je hois ù ton avenir, mon petit, car maintenant lu es
un homme e1. il va falloir songer à choisir ta carrière.
pjerre se levD, priL sa coupo, s'approcha de la tenBtre
et, l~vant
très h:mLson verre, répondit d'une voix grave ~t
émuel
- Je bois au chûtcau qu'a r&vé M. de Niéves, CClI' J'ai
choisi ma carrière; je serai architecLo pour le conslruire et
vous j'offrir tel qu'il l'avail rêvé eL traco.
MmQ do 1'<ièvcs ouvraiL tout grands ses bras à SOI\ fils
d'advption.
- Merci, mon pelit, tu viens de me procurer la plus
gronde joio do mon existence, je l'aime comme un fils 1
EL ce Iut entre eux une soirée de bonheur uniqu.e, faite
de silenco où ces doux âmes so communiquaient leurs
impressions mieux que par los plus &loquentes paroles!
Pour Mme de Nieves, la construclion de la maison avait
gardé ses couleurs fraiches, les années d'attente étalent
abolies, ces ann6as, si lentes il s'écouler dans sa vie solitaire,
lui semblaient par 10ul' accumulation brèvcil ct pl'Ochell ...
�...
27
LES cœURS PRÉDESTINÉS
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4
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Huit ans ont passé. Pierre Dubosc est mninteMnt un
grand jeune homme de vingt-sept ans, au regard sOr, au
caractère formé.
D'une taille au-dessus de la moyenne, il a acquis une
êlégnnceparticulièrc due il son contact avec Mme de NièveB.
Il ale front grand et bombé. et une mèche souple de ses cheveux le lui couvre d'uno ombre charmante. Ses yeux restent
tr~s
jeunes ct rieurs, des yeux gris qui regardent la vic avec
avidité. D'un caractère très calme, il parle pos~ment,
Semblant chercher l'expression susceptible de bien exprimer 68.
pensée.
Sitôt que Pierre eut obtenu son diplômo d'architecte, il
sc hâta de rovenir il Biccard afin de réaliser Je désir de S9.
• Murraine ».
Assis sur la table de travail où sa jeunesse studieuse
s'était écoulée, il étudia les plans de M. de Nièves et le
petit bourg retrouva l'activité d'antan; Mmo de Niôves
avait désiré que l'on transportât des arbres. Déjà vigoureux, elle voulait voir touto la flore que lui avait dostinée
son mari et dépensait l'argent sans compter. Pierro surveillant les travaux, pressait, animait tout son entourage.
Tous les tra vaux so faisaient simultanément; do mémoire
d'homme on n'avait jamais vu un tel chant.ior et une telle
flamme animer tOllS les travailleurs.
Un beau jour, comIllO sous la puissance d'une baguette
do fée, le châtoau rôvé par M. de Nièves dressa sa construction achevée avec ses terrasses, sa pinède, ses jardins,
8es statues ot son chemin en penLe àouce qui descendait
vers la mol'.
Mmo de Nièvos, heureuse enfin, parcourait tout 10 domaine,
reconnaissait les moindres détails que son imngination
avait vu pendant tant d'années. Son regard lointuin semblait chercher une ombre, celle du cher disparu, afin de
jouir de la satisfaction qu'elle lui donnait. La grande récompense de Pierre fut la joie de sa Marraine. cetto joie l'emplissait 10 cœur du jeune homme d'uno fhJrté pleino de douollur.
�'LES CŒURS r>nÉDIlSTINE8
Mmo de Nièves, pour remercier son ms d'adopt.ion, le
poussa à se construire, à quelques mètres de la propriété,
lm studio qui servirait au travail du jeune homme. Pierre
donna libre cours àsa fantaisie d'artiste eL il nt une grande
pièce toute vitrée, baignée par le soleil, entourée par une
pergola où les jasmins, les roses et les chèvrefeuilles
grimpaient. autour des colonnes.
Dos divans tout autonr avec les livres qu'il aimait.
Comme il avait choisi l'endroit le plus élevé, on ne voyait
aucun toit de cette hauteur, les saisons éLaient abolie3 et
rail' du large lui envoyait son souflle.
- Quel beau lravailje vais pouvoir exécuter, disait Pierre
à sa Marraine en lui faisant visiter ce que Jo jenno homme
.qppelait « sa tour d'ivoire, son magnifique domaino ».
Et le soir, lorsque ces deux êtres se réunissaient, Pierre
racontait, le travail do ses nouveaux plans et los conslructians qu'il rêvait.
Absorbé pal' la pensée. dans laquello il avait vécu tout cc
temps, Pierre no l'ernarqnoit pas le changement survenu
pn sa seconùe mère, ni l'indiIT6I'en:::e ct la profonde lal"silude
qui l'accablaient.
A la période de fièvre ct d'exaltation qui l'avait soutenue
pendant la construction de la maison, avait succédé un
épuiscmmt dOtlloureux ot uno Lrü;tosse invincible. Elle
murmurait souvent:
- Maintenant tout est accompli, ma tâche est finie 1...
Et Des youx avaient une soudaino lueur d'er,poir. Ce soir,
assise SUl' la terrasse, elle caressait la tête dû Pierro, pendartt que echu-ci lui parlait. La nuit devenant fraiche, ella
se1'l'a sur sos épaules son écharpe ct, aicl6e do Pierre, so leva.
Il l'accompagna jusqu'au seuil de la porLe de sa chambre;
avant d'y pénétrer, elle posa 80S douces mains sur les
épaules du jeune homme, Je regarda longtemps avec
tendrrsse et murmura:
- Je vomirais tant que tu sois heureux; à présont que
ta tâche envers moi est termin6e, il va falloi!' pensel' à toi,
iJ te créer une r(lmille, un foyer...
.
�29
Et, se naissant un peu, elle déposa sur le front de Pierre
un baiser plus long que de coutume. Pierre la regarda, elle
était très pâle:
- Seriez · vous souffrante, Marraine? s'écria-t·i!.
- Non, mon enfant, rassure-toi, la fraîcheur de la nuit
m'a un peu surpriso. Allons, bonne nuit l que Dieu te garde ...
- Bonne nuit, Marraine!
Mmo de Nièves entra dans sa chambre, poussa un profond
sou pir et se laissa tombersur un fauteuil auprès de son bureau.
Après un moment de rcpos, ouvrant les tiroirs, elle arrangea
ecrtains papir:-s et, fermant les yeux, sourit à une pensée
intérieure, puis, attirant son buvard, prit une feuille de
papIer et s'absorba pendant quelques minutes dans des écri·
tlr~s.
Le travail achevé, elle relut, parut satisfaite et, se levant,
prit Un livre de la bibliothèque qui se trouvait au fond de sa
chambre. Ce livre contenait les quelques lettres que son
mari lui avait adressées pendant les semaines de leurs
llnnçaiHes; elle les avait. réunies, avec le plan dessiné pal'
M. do Nièves, et avait fait rolior le tout afin de mieux los
conserver.
Sn lecturo achevée, unsourire offleura ses lèvres ct, jeLant
son bureau, ello vil la reuille de papier où,
les youx ~ur
quolques minules auparavant, elle avait tracé sa pensde.
Rlle la relut encore, puis, la pliant, ello la mit entre les
pages du peÜt livre l'enfermant los lettres de son mari.
Doucement, clio se .déshabilla, s'éLenùit SUl' son lit. Avant
d'éteindro la lumière, elle regarda autour d'elle. Ses yeux
SOurirent à Lous les objets familliers, puis, sentant un frisSon la parcourir, elle ramena la couverture, éteignit la
lumière, ferma los paupières et, ùans un sourire l enfin s'en·
dormit!
�30
J..iS cœURS PRÉDESTINÉS
CHAPITRE IV
UN
TRISTE DÉPARt ,
Pierre dorm1Ït paisible, lorsqu'il fut éveillé par dos bruits
inusités; des pas précipité l descendant les escaliers et lcs
remontant imm édiatement. Il n'eut pas le temps d~ se
lever que la porte dt) sa chambl'o s'ouvrait brusquement,
et la femme de chambre de Mme de Nit'! vcs Clpparaissait
hagarde, ne sachant quo r6p 6ter; « Mon DieJ 1 mon Dieu 1
mon Di eu 1.. . »
- Ma Marraine, qu'est-il arrivé à ma Marraine? cria
Pierrl),
Et, so levant, il jota uno robe do chumbro sur son pyjama
et courut il la chambre do MIM de Nièvos,
Ah I la soulTrancc ntroce qui Lout d'un coup l'opprossait 1
Mme de Nièvcs, allongéo sur son lit, avait un visage calme,
un sourÎl'e semblait errer sur ses lèvre,; et toute apparence
de souffranco avait di sparu , Pierre, la gorgo sèche, les
1 jambes tr mblantos, s'approcha et, dès qu'il fut auprès d3
oe lit, il Sl'offo ndra à terre, appuyant sur la main glacée,
,
et désormais inerLe, sos lèvres un«ois6~
Mor
~e , sa. Marraine, morto celte qu'il aimait comme la
plus tendre des mères, celle qui avait l'mbclli son enfance,
guidé sa jounesse, fait de lui l'hommo imtl'uit, intelligE'nt,
heurllux qu'il Haitl Morto?., Poul'quoi morlo?...
. Et la voix de !lpne de Nièves semblait parler à l'oroille
de Pierre; là, au souil môme de cette chambre, elle !Lü
avait dit:
- J o voudrais tant que tu sois heureux 1
lIcureux? .. ,ll ne pouvait plus l'Otrel il Ile savait pas ù
quel point clIe lui était chèro, et, joignant ses mains qui
tremblaient, il cuL un cri suprême:
- Mamanl mamanl mamanI .. ,
Jamais il ne l'avait appelée ainsi. Levant la . tête, il
�LES CŒURS P!tiDE5TYNtS
l'egarda. la chère morte et lui dit i>oüte sa tendresse. son
amour, sa reconnaissance.
Sur la hable, auprès du m, il aperçut un livre. Pieusement, Pierre regarda ce qui avait été sa dernière
lecture et r econnut à la reliure les lettres de M. dA Niéves.
Doucement. il alla le remeUre à la bibliothèque, à la
pl ace qui était la sienne.
l<;t, de nouveau, il crut enLendre la chère voix lui dire l
- Maintenant il faut songer il toi, à t on avenir, te '
créer un foyer.
Pierre se demandait:
-- A-t-ellc cu le pressentiment. de sa mort. pour me
parler ainsi?
Quelle tristesse 1 quelle infinie tristesse de penser à cela!
Les jours qui succédèr ent à ce jour si p énible fllre nt un
'Vôritable cauchemar. Pierre dut subir la loquacité de la
famille, de ses parenLs, accourus du bourg voisin à l'anIlonce de cette mort.
Le notaire qui avait la eharge de la fortuno de Mme de
Nièves vint ù son tour. Il déplora cotte morL subite,
mais assura qu'il était cerLain que sa cliBnte avait dû faire
le nécessaire et qu'on trouverait, écrites, ses dernières
volontés.
Pendant quelques jours tout fut remué. On aurait dit
Un saccage, et Pierre, torturé de ce désordl'o, de co vaot -vienL, de ces mines bizarres, ne trouvait un peu de
paix qu'en allant r endro visite à la tombe de sa chère
morte qu'on avait mise aux côlés de son mari. Pierre
revenait du eimetièr e à pas lents. On lui dit que 10 notaire
l'avait demnndé ot qu'il l'at tendai t il la véranda. Il s'y
rendit, mécontent de no pouvoir éviter cette corvée.
Le noLaire dit on le voyant:
- Vous avez là , Monsieur, une vuo splendide. Vous êtes
Un artiste 1
, - Jo n'ai faJt quo suivre le plan tracé par M. de Nièves.
- Je sa is ... je sais; et, d ésignant un siège comme si le
nOLaire éLait chez lui.
�32
LES ca;URS PRiDJ>STU;ÉS
- Voulez-vou s vous asseoir, nous avons à .c auser.
- Je vous écoute.
- J'aurais voulu, Monsieur, avant de quitter cette
maison, olIrir mes félicitations au nom ~a u possesseur,
mai., il me r es te une question à vous poser. Mme de Nièves
nc vous a-t-elle jamais p arlé de testament. ,Je sais qn'ellc
vous aimait comme un fils 1
- Jamais, Monsie
~r
1
Le notaire fit une grimace pour ajouter;
- Mais, alors, ja vais ttre obljgé de remplir un devoir
assez désagréable ... J'ai fouillé pal'tout , vous l'avoz vu, je
n'ai rien trouvé et cela m'6Lonne, car Mme de Nièves était
ordonnée .
- Et alors? ... demanda Pierre imp atienté .
- Alors, je vais être obligé de faire met.tre les scellés,
conLinuer mes r echerches pour un tesLa mont possible, et
commencer aussi ca!les que m'ordonne la loi, c'ost-à-dire
la recherche des parents <Jui, faute de testament, seraient
les h éritiers légitimes.
EL, comme Pierre le r egardait, étonné, le notai ru
demanda ;
- Mmo de Nièves vous a-t-elle parlé de sa famille, de
celle de son mari ? ..
- Jamais, Monsiour.
Un long silence !;uivit; le notaire éLait ahuri de l'indi[féren~
montrée par ce jeune homme quo touto la ville
considérait cOlOme l'héritior de cello qu'il appelait« Marraino ». Ille jugoa naïf et p eu int éres::;ant , m ais il se crut
obligé do l'avortir :
- Vous saisissez combi0n ceLto absence de tesLa ment
est grave p eur v ous qui n'ètes qu'un étranger et qui, par
la mort de votre bienfaitrice, perdez tout droit, lnême
celu i d'habit.e r ceLLe maison.
Pierre, cctLe fois, cut un choc a u croU1'. li n'avait
ponsé à rien; quitter cetto maison lui étail uno chose
douloureuse. Maîtriso.nt ses norfr; devanL l'homme de loi
(lui l'obscrv:Jit, il répondit:
�LES CŒURS l'RÉDESTJNf.S
- Mmo de Nièves a été pour moi plus qu'lmo bienIai.
trice, Monsieur, je ne dü;cute pas cette absence de
tostament, je m'incline, . soumis devant sa volonté et je
quitterai la maison des quo vous me le direz!
- Je ferai meÙre les scellés demain, et, avant de se
retirer il ajouta ;
- La loi vous permet de prendre vos affaires person.
nolles ùt j'ai entendu dire que le studio que vous avez
également bâti est votre propriété, vous pourrez vous y
retirer, et je ne désespère pas de vous rouvrir cette
triste domeure comme au possesseur!
Lorsqu'il fut enfin seul, Pierre alla s'accouder à la ter·
rasse, regarda les rochers, les iuùUl's de l'eau, la mer, 10
ciel. Il ne pouvait laire aucun gesto, ii était comme ivre lit
trsite infiniment 1 Il ne voulait plus entendro parler de
rien, il ne tcnail pas non plus à so trouver lace à face
avec lu notaire, ni assister ft la pose des scellés dans cetto
maison.
Et. ayant mis do l'orùre à ses pensées, il alla il sa chamhre
et, ida hâte, ill'assembl a ses alfa ires personnelles. Il passa
Uno grande parLie de la nuit il réfléchir il ce qu'il allait
laire.
Bnflo, brisé de fatigue eL d'i!moLion, il s'allongea tout
h:Jbilltl sur son lit, so réveilla à l'aube ut ouvrit sa
fenêtre.
La rivièl'e murmurait, cachée par les arbres. Dam; la
('Our, les pigeom. du colombier roucoulaient, rien ne prenait
part. au déchirement de son âme, au mom ent où il quit.
~.nit
coLto maison si chère, où il gravi3sait linO douloureuse
etaro de sa vic.
La voiture qu'il avait eommandéo était prêta. Le
chf.: val franchit IG portail. Un coq chanta; la voilure
t.ourna SUI' la route 1
Les champs IClbour6s étaient bruns ... La vie, dorrière
lui, aUait conLlnueJ'l ...
�CHAPITRE V
Lz
BONllEUn INES'h~
1
Le& alouettes s'éba.ttaient en chantant autour du jar-din
du consulat de France. Jean de Villeraie, la tête pençhée,
paraissait absorbé par son travail. Il avait demandé qu'on
ne 10 dérangeât pas avant l'arrivee de trois personag~5
influents qu'il attendait.
- Non, non. bien sûr, murmurait -il cn faisant grincer
sa plume, cette vie ne pout continuor.
Il se l'cndait compte que sa fo mmer avait raison. Dans
cette existence do soucis m6diocres, la santé do Claire s'altérait d, choso plus grave, leur bel amour courait le risquo de
fini: misérabloment el sans reCOUl';; J... Que forait· il
alors 7...
Pourquoi ne réussirait-il pas, commo tous ces hommes,
qui, par quelquos aif;ül'es sûros, vivaient d uns l'opulence? ..
Jean n'ignorait pas comment tous avùienL commencé. Il
fallait à tout prix risquer la petite dot <10 Juliette, ,mais
risquer ne voulait pas dire perdre 1 Ils étaient entourés
d'amis sûrs, exp6rim€:ntés el do bon conseil, qui ne
demandaient on échange quo sa protection de consul, si
'jamais ils cn avaient besoinl
Alors p ourquoi coLte n ervosité, cotto crainte cn lui?
Jean de VlllCl'i\io so lova ct s'approcha de la fenêtN
grande ouvorte. Jamais printomps n'avait été plus éclatant.
'1'OU3 10d amandier,; étaient en flours (Il la douceur de
ceUe bolle matinée 10 pénélrait.
Un coup discrtll so fit \Jnlendro. Jean so relourna, prêt
au combat .
- Entrez, dit-il d'une voix forme, s'uttondant à voir
paraltre les hommes avoc qui il avait renùez-vous.
C'était le garçon de bureau qui apporlaille courrior.
- Jo n'ai pas le temps, portez les lottre!> li mOll socretaire.
�U;(l cœURS PRÉDESTINÉS
3~
- C'est une leUre personnelle, Monsieur le Consul,
pour laquelle le facteur demande votre sign~üure.
- C'est bien, donnez.
L'on-tête de la lettre port.ait :
Etude de Mo SaUé, notaire.
«
Monsieur le Consul,
«J'ai l'honneur de ClOUS annoncer que Cloll'e cousine par
alliance, Mmo Juliette de NièDes, Cletwe M M. Danid·
Antoine de NièCles, étant décédée sans la isser de testament,
"Ous ct Mlle Julieue da Villeraie "otre sœur, {les les héritiers légaux el légitimes de celte dame, dont la fortune /'ist
c9ns idérable tant en argent liquide qu'cn biens immobilier:;.
« J'ai posé les scellés dans le domaille de Mme de Niè"es
et je reste tout dé"oué à "OS ordres quant aux instructions
I}lle (Jous (Joudrez bien me donner ..
« Robert Sallé, notaire. »
L'émotion ressentie penda~
quolques minutes fut pour
Jean une sensation douloureuse. Sa gorge était sèche et
se~ .mains glacéos. Mais, tout à coup, l'image radieuse de
C18Jre lui apparut ct, savourant à l'avance le bonheur
qu'il verndt luire dans les yeux qu'il aimait tnnt, il
éprOuva 10 besoin de sc mouvoir.
Cette chambre 1'6t1JUffait, il songon aux étrangers
attondus pUl' lui, ses yeux so porLèrent sur les misérables
COmptes faits quelques minutes auparavant, et il eut un
éolat ùo ril'El sauvage.
Comme SOudainement. il so sentn.it libre 1. ..
. - Libl'o, dit Jean tou t h::l.ut, libre, quel mot morveilloux,
Je n'en connais pas de plus beau 1 Libre d'aimer Clai.re
S\1ns compromission libre de suti~rao
ses désirs t libre,
libre 1...
'
Et, pliant lu prllcleuso lettre, il partit, ùizunt à !lon
~ecétair
do l'excl,1ser auprès do ces messle/Jr:.; qui ::ùlaient
vemI', mais qu'une affaire urgente J'obligoait à s'éloigner.
�\36
LES r.mURS 1'Il
rm
l ~ST
( NB'
Dans la rue, Jea n marchait comme un homme ivre.
Atteignant la campagne, il s'assit sous unorangerembaumé.
Vaguement, il se souvenait d'avoir entendu parrer de
Daniel~Ato
de Niôves, fils d'un cousin de son père, les
deux parents se voyaient très peu, car souvent Daniel se
trouvait en Amérique, pays de sa mère. L a fortune venait
du côté maternel, et J eao faisant appel à ses souvenirs, se
rappela qu'étant ù Trébizonde il avait lu, dO.QsLe Pigaro,
le mariage de Daniel de Nièves avec Mlle Juliette de
Kerlecq.
Et il ~ ourit
à ce tte coïncidence que la temme qui leur
léguait sa fortune portait le mêmo nom que sa sœur 1 Sa
pelite .Juliette, comme il avait p eu songé à elle, Claire
avait accaparé touto sa ponséo.
- Mais la voilà richo m:üntenant, so dit-il, ot un sou riro
de pitié omoura ses lèvres au sou vonir do tous sos sacrifices
pour lui assurer une potite dot do misùro 1
Ah 1 qU' i1 f; allaient êtro h euroux 1 tlUO la vie lui par
a is ~
sait bonne et dOU CQ 1 Les ll enres passaient, il ne s'on
apereevait pas! Jl vivait so n bonheur 1 Il songoa :l 11X
p1lrOl06 qu'il aV:lit pronontéf's 4ue1ques jours auparavant :
- .Tc no vois plus les lauri ers- rOlles, je no vois que les
hardes qui sûchent dessus 1
Les hard ts a vnio nt disp aru, tout étHi t beau , joyeux,
tont Mail b on pour lui ...
Et lorcique, une heure plus lard , la nouvelle so répan dil
dans la ville, co fut il la maison de J ean un va-eL-vient de
visileol's qui apportnient il Clair,), triomphante d'une joie
qu'olle no p arve nait pas à cachor, d'interminables fùli ·
ci tations, avec l'assurance d'amiti és qu'clio ignorait .
.rnlil'llc do Villernic Malt surtout heurouse du honhenl'
qu'cH\) voyait d uns les yeuJi: do ce frère lanL aimé 1
Seulo, au milieu du brouhaha qu'était devellue leu.!' vic,
e Jl~ gardait son coJme. Chire parlait de partir tout de
sUIte et IWlIssaiL ses bcllr>$ 6paules devanl .Tuliette qui
disait "
�LI!S CŒURS PREllI:51'IN Él!
- 'l'out changement me fait un pell peur, et celui-ci est
si brusque!
, Heureusement, s'empressait d'ajouter Jacques
Jousserand, heureusement que nous nous sommes fiancés
avant cet héritage, sans, cela vous douteriez peut-être de
ma Lendresse!
- Oui, heureusement, reconnaissait la sœur de Jean.
l.!:t lorsque Claire, Jans un hesoin d'extérioriser sa joie,
parlait de la vie heureuse qui les attendait, J ulieUe allait
s'accouder sur la belle terrasse qui surplombait Damas,
sc plaisant à écouter le murmure des ruisseaux qui travel'sontla ville, regardant la campagne fertile, les minarets
que dore 10 soleil couchanL.
Le jour du départ arriva, La ville entièrelesaccompagna.
On los enviait un peu, mais on s'efforçait de le cachOl',
Au moment des dernières eITusions, ,luliette, s'610i'5na.nt, '
jeta un dernier regard sur les longues ct élroiles ruos de
la ville, surcerlaincsma.isons dont elloconuaissaillarichesse
intérieuro cl la splendeur des jardins, BIle 6pl'ouvaiL une
cCl'Laine appréhension au sujet de cet Occulent qu'elle
connaissait si pen, elle craignait de 50 sentir dépaysée ct
exil6e dans sa propre patrie 1
- Juliette, appola Claire.
La jeune Hile se rcto:Il'na, des larmes embuaient ses
yeux, Claire sourit ct dit il. son mari:
- Jo n'aurais pas (;ru Juliette si chagrine de quiller lSon
Oancé, en somme, J ac.ques doit venir nous l'ojoindre très
vitel
Le l'loleil envoyait ses derniers rayons, les Oeurs leur
p~lrum,
JJendallL quo la voilure qui los emmenHil ver,-;
1'im'onnu passait lino dernière j'ois dovant la maison au~
bcJles Lerrasses qui avait ét61a demelll'eoù Joun de Villot'aÎt)
avait tant aimé sa femme cL où sa sœur s'était fianoée! ...
�38
CgAPï'lIU~
LA L~'lTI\E
QtJAl tnèlU~.uf(),
gli.s:taÎ.t. SUl' U~
VI
DG FJ\AN Ct!
JllC(jUOS, a êtô MIN) (J(lYb,go ! Le ottt9(J.U
mlJr laitoU$e ct lialll'Jc ct, comme dÔmIJ, un
aatin bl.su tJlail' 1
PourtaM ;'ai eu de la peine, lorsque j'm: (Jt, s'cfJMér ft
l'Mrlum e8 pays où je "ous ai laissé et où 1l0US aClio'ns fa.it
des prDjets heul'oUil), n'est-oc pas, JaequlJs ?...
Ma: pensée (Joua a tiuipi dans catte rue étroite gui nou.s
enchantait lant, ;e pous ai vu la trapol'scl' sans moi, débow;hcr
BU" cette place ensoleiUée, tournaI' autour da la fontaine, où je
mIJ plaisaiil, en passant, d tremper ma main dans l'eau trangu,il'k 1
Puis ;e (Jous ai PU (Jous an'dler dopant une maison qui
tltJMit titre « noire maison _, donner lm OOup soc aMc la ui(Jux
'heurtoÎl', et, à la malrono accourue, dù'o ces qudqWM mOlil que
j'al ttntendU$ : « MilO de Villcraie, ma fiancéo, ct t}lIicté
DamM pour toujours, nous deponl1 nous marinr à Paris tt
ne donnontJ pas suite à la location projetée! Il
El je mo figure, Jacques, que flOUS ul"ions été heureux Mns
eette demeure, puisque nous bâtissions notre vic SUI' Ce Ijue
, nQUs co'Ulaissions tous deux.'MaÏlltenam, que l1apol'lk-nous ? ...
'lue saClons-nous ?.El (lOS parolas ont résonné à mon oreille :
- Heureusement que nous nous sommes fiancés apant (;~t
llfJrüago ! Bt je réponds comme ù Damas: Olâ, IUJu?cusemam !
Jacques, no m'en voulez pas, Ni, dan,ç la boulcperscmem qua
ce' /idritagc a apporté ct notre flic, j'fli été forcén dlJ faire
~uolJce
réflexiolls, J'ai vingt-doux ails (Jt jamais ju.squ'â ra
JOur on n'a tant PŒnté ma beauté, mon charme, /I1 eS lieux, que
sais-je enfin! J'étais pourtant pareille, pourquoi Ile ,~'C I
apercepait-on pas ? ..
IIeureusement, donc, mon cher ami, mon cher fiancé, que
poue apez Slt, sans autre stimulant qlle celui de poire affection,
�J,ES CŒURS PREDESTINÉ::.
39
apprécier celle gue pous apez choisie pour el~-mê
et l'aimer
assez pour pouloir en Îaire potre femme sa~
calcul .•. Heureusement, heureusement 1
C'est pourquoi, mon cœur pa pers pous, plr.lS que jamai.s
satisfait de son choix! Que nous serpirait toute la fortune
du monde, si nous n'apions pas noire tendresse, qui repose sur
l'estime de nos caractères el la sincérité de notre élan / Voilà
la découpC/'te que je dois à notre fortune, elle ne po us déplaira
pas, n'est-ce pas, mon fiancé?
Moi, elle m'enchante, c'est pourquoi mon dme nostalgique
'époque les soi/·s d'or des couchants de Damas, les troupeaux de
chèrlres descendant des collines au son de ces clochettes qui
apaient tant de charme / Écoutez-les, Jacques, apant de penir
nous rejoindre, el n'oubliez pas que c'est par un soir pareil
à celui que j'époque, que mon cœur a accepté potre tendresse,
que ma main a serré la main loyale que pous me lendiez et,
dans ce contrat de nos deux existences, il y apait comme
témoin toute l'harmonie de la nature, notre mdre à tous, seul
personnage ne portant pas de masque / ...
Et maintenant, par où commencer? comment pous décrire
Paris, le charme qui se dégage de celle pille et qui s'empare
de potre être?
Fldnel' au hasard, le matin sur/oltt, cs/. une chose déli·
cieuse 1 quant ct pous parler de la pie que noUS meno.~,
laissons cela pour pous en entretenir plus tard de pipe poix 1
,sa.chez seu[emement que Claire règle lout, car elle fJ03sèd.e
pOlir cela des qualités de premier ordre -' cn quarante-huit
heures, j'ai été tra7lsformée en une Pari.n'arme pur sang, tant et
Iti bùm, que je ne parpenais plus, dans la {{lace qui me renpayait mon image, à retrouper l'cfligie de celle qui "ùJait cl
Da.mas ; c'est la ~ stigmate de Paris », dit MII10 dcj Villel'aie!
J'ironise, allez-POUl> dire; oui, un peu, mai.s ne me grondez
Pas, r.ar, depuis que nous sommes riches, il me semble que je
suis depenue une toute petite fille qui a tout, à apprendre 1
C'etlt entendu, 011 elt riche, ct après 1, .. Allo1U/-nous jouer
~le
des parl'enus1 ... La périté cst, que je ne peux pas
le tr~e
peiner Jean qui "it dans l'extase et l'admira.tion de.a femme 1
�:'0
LES CŒUnS l'nJ1DESTlN.ÉS
M'aimerez-llous ainsi U1~ jour 1... JaclJues, je ne le lIoudrais
pas! C'est la femme qui doit admirer son mari, se laisser conduire par llti. Est-ce (moore une bé,pue ce que je dis là 1... A
Damas, j'aurais été certaine d'allair raison? Ici 1... je ne
sais plus! Pourquoi ?...
Apprenez aussi qu'en plus de la fortun e liquide nous
apons un château situé dal~s
les Pyrénées, on nous a enllcnJé
la photographie; cela m'a paru si beau que je ne troupe
aucunc expression pour vous le décrirc. La construction de ce
chatealt a toute une histoire ). un Cirai roman, où il ne manque
rielt, pas même UIIC bienfaitricc 1 Cetle cousine s'est attachée
à un jeune homme du pays, en a fait un architecte et c'est
gl'ûce au désintéressement de cc jeune homme (il aurait pu
capter l'esprit de notrc parente) que nous voilà héritiers.
Un teslamlmt et nous étions obligés de continuer ci viCire à
Dama,ç.
A cette ;,cllie pensée Claire frémit, ct quel dédain eUe a
exprimé pour ce naif 1...
- Voua êtes la dernière, n'ai-je pu m'empêcher de lui
dir!', qui ayez le droit de le dédaigner, s'il 110 us ressemblait ...
Un regard dc mon grand frère m'arrêta net. Ce grand/l'ère,
cOli/mI) il sait que je l'aime .1 AlI'Jrs, pour lui je me suis arrêtée
sans cxprimer toule mu pensée, mal$ à pous, Jacques, je liais
(Jous ln dire, ce sera lc résumé dc mes réf/exions depuis que ;e
suis ir;i.
.~ , dans notre vic SI: simple, l'esprit perd l'habitude
A Dam
de la réflexion. On sait cl l'avance les gesles que l'on Vit faiT'c ,
}Jfe,çque les parolrs que 1"on lia dirc, deCiantlous ces IJÎsages qui
l'DUS lIonl familiers 1 Ici, quelle fourmilière, quclll' décou.('l'l'le d'individus di,qparales! Mais, parioul, on enlCllll ce
m (!'mc mot qui reCiicnt inlassablement : l'argcnt, la Pllissance da l'argent, le bonhrur que procure l'argent 1...
Alors, CC Pierrc Dubosc, ce protégé de 1I0/re cousinc mc
fa it l'effel d'ull êlrc extraordinaire, il a échappé à la contag'iol/:
« C'esl un imbécile, dit la rumeur publique. »Ne pCII.seZ-IJOUS
pas comnw moi que ce qualificatif a quelque chose d'im/a/lant 1... N'est-ce paa, ail contraire, IIne preuc'c cle cnr,1r/t're
�US CŒURS PRÉDlSTN~
que Cf! didain qui nous étonne, peut-être, parce que nous
n'aurions pas la force de le pratiquer ? ..
Et puis être quelqu'un, faire tache au milieu de celle masse,
(st -ce donc chose méprisable? Suis -je dans l'erreur en pen.
sant le contraire 1...
C'est à. vous que je le demande, à pous, le futur compagnon
de ma pie, à pous qui, demain, delJrez me conseiller etme guider,
c'est à IJOUS que je m'adresse pour sapoir si, au-dessus de
l'argent, il n'y t.t praiment rien 1.. . II icI', nous n'en alJions
pas, et il me semble qu'il y alJait en moi la même droiture, le
mêmc enthousiasme pour tout ce qui est beau et noble. Apais-jc
tort alors ? .. Il est IJrai que je ne m'élais jamais posé la
question 1
Et où se troupe le magicieT). 'lui me feru croire que tout ce que
j'ai aimé el apprécié jusqu'à hier était sorneltes qu'il faut
rejeter 1... Jacques, mon ami, mon fiancé, je forme un. "œu ." Oh 1 que cc ne SOil pas "ous 1... »
Jacques, encore lute question .- Voudriez-pous que Juliellc
puisse IJtre susceptible de changer ? .. Non, Il'es/-ce pas ?...
'l'alti est là, le reste n'est rien!
Et puisque je suis en lJerlJe de confession, ne faul-I:Z pas qu.e
je la tasse entière 1 Mon Dieu! que j'aurai ri à Damas, dla
seule pensée de me confier ainsi.
Je sens en moi des contrastes qui, je "ous l'affirme, me
l'cstent inexplicables. ÉmotilJe d l'excès, un mot lIuffit pour
jusqu'à la contrai/~
de tOtlt mon
me replier en moi-~e
t'tre. Cela me lJicndrait-il de tout ce q'Je j'entends et qui me
('hoquc trop souCJeTil.
Je suis une femme d'intérieur qu'on a déracinée, ct ;e prolIlène partolLt ce besoin bourgeois lJui est en moi el souffre de
SOIL inaction.
J'ai toza, puisque je suis riche, el je me demande .- Est·ce
Llne falJcuI' dont je n.'étais pas digne ?...
Alors il me larde de partir pour Birearcl, prelldre possession
de celle maison, me sentir che:. ma;, Ile Jl~
1J0ir 1er; (Jalets trop
obséquieux du" Rit:. n qui sc préeipitf'TIl cl /lolre approche.
Trol/fJeroi-jf' ('TI fin N' 1]1/(' jf' lU"ire dan!! cetle 1"oiROII 'llli
�42
LI:S CŒURS PRtDESTINÉS
nous attend, qui est si belle et lJue j'aime déjà 1 Je l'aimerai
doublement quand pous serez penit nous rejoindre.
Vous serez le pont rattachant le passé au présent, celui qui
cimente, celui qui harmonise, car c'est cela qui manque en ce
moment à notre Pie : cm peu d'harmonie 1
A bientôt, Jacques ...
P.-S. - .Hélas! je tremble que cette harmonie, après laquelle
je soupire, ne soit pas mal contrariée par les inçitations que
çeut lancer Claire. Elle nons a intimé, du ton péremptoire qUi
est le sien :
- A quoi bon posséder un château si ce n'est pour y
?...
recepoir des amis et y donner des f~tes
En eOet, à quoi bon 1... Je n'apais pas pensé ùcela.Déci·
aiment, je ne peltle li rien ... Heureusement Claire est là ..•
AOectueuse17lf!nt vDtre,
Juliette.
CHAPITRE VII
PREMIER CONTACT.
Ayant lu dans Le Figaro qu'un Américain ouvrait un
conccurs <l'architecturo pour un château qu'il voulait
construire en Californie, Pierre Dubosc, après avoir pris
tous le:J renseignements nécessaires, était venu s'installer
au stuùio lui appartenant ct s'était mis au trava.il, après
s'être inscrit pour couIir sa chance. 11 désirait 10 grand
départ pour des pays nouveaux, ver,; une rive inconnue
où aucune vilenie ne pourrait l'atteindre 1
Dans un liroir, il venait de trouver quelques teuilles
6parses; un sourire mélancolique erra SUI' ses lèvres el,
doucement, il se mit ù relire ces mots 6crlts les premier.>
jours où son cœur ulcéré s'était laissé 0.1101' Ù exprimer ses
sefl3alions ;
Il faut
croi~
que ce studio érieé pour mon tral/ail depaiL me
,en,jr d'a$ile après la bourral1quc que je vien. de traperBer 1
�t~s
$OI~pçMnées
t.QlUM PlulnEI5'l'Ii'l1"S
4S
Qu.et "olJtlgo je viel~
de faire de prtl' le monde lit ,uelles
dècnuvcrtes sont les mienne s! Jamrûr; je fie les aurais
1
Lu. sooiétd me rojette do quelque côté gue je nw tourne : ecU"
tar~nl
t!tJ Mmo de Nidves qai ne me connaît plus, ccUs de ma famille
fieur '1U~
jo suis pire qu'un étrange'" 1
il me faut accomplir le miracle d'etJacer ce qui a 61é, tout ce
(~tfloi
j'ai. cru, pOUl' ressusoiter quo' ù la plaM 1...
N'cs/·GO [la hier enco/'e) qu'ivre de mes rêves et ivre de /IUt
jtunesse j ' ouvra~
Les bras à la vic, certain do dOIl/tér d)J
bOlihoul' 1... Et à toutes cOS illusions car/!SS8DS comme d,.s
Nialitls, tous ces homme.' regardés par moi comme drs fr~l'e$,
me ropoussent l'Onlme tt:t maljttiteul' 1 Mal/aiteur pOUl' ma
famille dont je n'ai pas su assul'er la convoitis e on ob!igeam
Jf'\O de N i è ~'I, Ù m.e laisser la forlulle SUI' laquelle il' camp1
les
des autres, je n'ai lt que ml!pris pour mon
Le notaire m'a di, : Vou
. ~ n'élie:l pas dignedv
$Ort fjUfl ICi closliI, VOIl$ avait be/rayé, VOIU! al'I:'; tout pt!l'llu en
perdant va/rI' (( bienfaitl'ice 1» AulT'cfois M disait ma mèrll 1...
.I~"
1 t'obomir lablc voyago ... l'abominablo crise 1 BrusquemMt /out s'vt!ondM 1 Cd qui avait été pour moi la l>érité,
cc
'Jua j'àClai.~
aCCJl'l a comma Ima T'cligioll sacréo, lotd cs, etJac6 !
Je ne suis plus qu'IUle épave ballottée au gré clu flot, qui
3C
d lIumdo VII vO!J!l1ll au loin una l'ngue se jbrmcr " «Elt-cc
elle 1.1,i IHI 111 'rflL(lI/l'lIJ /', TIl'J don1lcr la co/'P de grâve 1... li l
rlUis, lb/'squo c/JUil·ci (~ pa:;sé, l'l!brr6u r da décoltl'l'ir qu'oUc
I)O!l~
a cnlev/! une iUu,sion encore, qu'elle VOlIS 0: meurtri IHl
plltl plus, OTi allclldarlt l'a/Ure, celle que l'on voit
sr formel' au
Loin ct guc, comme lLIl fâclw qu'on dC(' [r'lIt, on 1/'(1 l)[( , ~ la
force d'offronter.
Et UlI joW', pour rie pas aUl'oltto r cette Dague cnla pOl' 01llle
d'un ancien ami, 011 cru tol, jo me suis VlL enfollfa nt 10 chapeau
fJ.Jr mes yOUJ:, T'ascr ICII murs pour na pas dtre rocomlu , n'ayart.t
plu.q la force de supportcr que celui-ci, cOTllmo larU d'aul"-li ,
fIt s.mbltmt de /to pas voir lIt main quo je tetldai' 1...
J'r1.'laÏJIlu attire/Di; " r Nos sot, fjl'ltIwe tÎMmmt sot','eM Ct
/)(1/18
yClI,x
Jt'l"ugUmoTU.
�LY.S CŒURS PRtDESTtNÊI!
l'ignorance des causcs ct il suffit d'en parler pour saoor:r
co mment en guérir ! )1
Je connais la cause des micnnes, mais cela ne me guérit.
pas, et, après bien d'autres, je murmure les éternels mots de
fI Justice et de Dl'oit ! ») La Ilie Ilient de me montrer cruellement
sa « Justice », car, en somme, elle me tient rigueur de ce que
je n'ai ni pensé ni pu accaparer l'esprit de ma bienfaitrice
pOUl' qu'eUe déshéritât sa famille à mon profit 1... lloilA cc
'lU' ils auraient ll'oullé juste! ftL pour cc qui est du Droit , qlti
est asse;;; saI' de soi pour affirmer?
Allais-je le droit de faire pression Sil/' Mme de N ièIJ(1s ?
Nc lui dois-je pas lout ce que je suis, malt éducation, mon
intelligence, ma pensée mêmc, pour exiger lute for/une qui ne
m'appartenait pas 1
El puis, y ai-je seulement pensé 1., . Et depuis la rafale
~ rû s'et
abaitu.e SU l' moi, je me demrtnde : «( Comment auraisje agi si j'y allais songé 1... » Voilà le poitH d'interrogation
,~
que jc pose à ma conscience, Ilor:là le déraisorlllemcflt daTI
lequel on m'oblige à Ilillre. M 'o n désintéressement étail-il réel
ou n'était-r:l qu'ignONtnce 1...
El après oPOù' saccagé ma belle jeunesse, si heareuse de
('/'oil'e à la ueauLé des .choses , pa-t-on mc forcer à scruta
ju.squ'à eette tendresse inelfable qtlC je sentais pour ma cMrc
Jl1 arraine ?...
Poul'quoi, en efJel" n'a-t-ellc pas pensé à moi, pourquoi
m'apoir rllcfJ(J jusqu'à elle cllR.
n'a-t-clle pas compris qu'(~plès
lie po/wait /I1e rejeter au sein de ma famill{', qu.e tout en /liai
l'l'jette éf.{alement !
fle quc~e
côté que je me reLoar'ne, il n'y a que la ooliLudfi
pOUl' moi " je n'ai plus de milieu, je n'ai pll's d'amis, l'lUi> de
famille, plus rien / ...
Je fiC parpiells pas à me représenter ma pia, lorsque je
btltissais ce studw, qui cst aujourd'hui mM seul refuge / Je
me soupiens seulement de l'atJ
gre~'o
qui était mOT! lot cl
combien la PÙJ me paraissait faciui et aisr!c 1
Co ,çoir conune alors, dc grands arbres m'elltourent. Do
loin je vois surgir/e toÏL de la maison bdtie pal' moi également,
�-
,t,I
et d'où l'on m'a cha,.sé. TOUl semble pareil et 10111, est boulcperst!.
En leçant les yeux, je çois le ciel, les étoiles. Qui c.onc
pourrait jamais m'emp€cher de les contempler , ... Je me
replonge dans mon passé, qu'aucun çil calcul n'a terni, à
l'enchantement du r€,'e de ma jeunesse et rejeulJ la froide ra~on
qui n'a jamais rien engendré!
Après cetle lecture, Pierre restait imm'obile, ne parvenant
à réaliser le sentiment qui l'avait poussé à jeter sur
unI} feuillo l'oxpres~in
de la désil~on
ressentie par des
si puérils,
agissemonts qu'il jugeait aujourd'hui pu~rils;
qu'il n'hUsite pas une minute à jeter dans le pamer ces
feuiIJcs, ne voulant rien conserver do ces jours où. il avait
douté de la vio oL do lui-m('JlIo 1
D'llll gesto résolu, il so romettait au travail, lorsque
Justine, la vieille femmo de chambre do l\l mc de Nilives,
qui l'avait suivi dans sa l'etraile, lui romiL un curto qu'on
vonait d'llpportl3r.
pUll
« Monsieur el Mademoiselle de Villeraie prient Monsierrr
Dl/bosc 1 e lcu/' faire le plaÏ$il' de l'enir déjeu/ter chez eux ('Il
Ioule intimité, ayartlle grand désir de faire sa connaissance.
« Monsieur de V ilteraic viendra chercher son hôte à. midi. »
Pierro Mpo"a la carLe. Malgré l'émotion qu'il ressenlait
il pén6trèr dans cette maison en éLranger, il no pouvait
/S'empêcher d'apprécier la délicatesso du procéd6. 11 avait
apPl'ifll'arrivéo des nouveaux propriétaires ct, absorb6 pat'
SDn travail, sortant pou, il n'avait pas encoro e'll'occasion
do ks rencontrer, mais il savait, par la brave JusLinr, tOllt
co qui so disait dans 10 bour'l' .
.JusLino épronvait uno certaino rancœur à constater combien facilement les gens avaient oublié sa chère maitrnsl'II'
t combien ils étaient heuroux ù lu pensée que 10 château
:.ùlait être hahilé par des personnes jeunes, élégantes. qui,
par leurs récepliolls, allaient ùonner au pays du bien-être
ilL ÙU lnouvcmenL.
�LES CŒUnS 1'Imr.3TN~S
- Quand les riches s'amusent, les pauvres en profitent,
disaient-ils.
Justine ajoutait, en répétant tout cela à Pierre;
- Jamais Irs pauvres ne proflterc>nt de quoi flue ce soit,
comme jls ont profité do la bonté et de l'inépuisahle charité
de Mme de Nièves.
Et, après s'ôtre essuyé les yeux avec un coin de son
large tablier, la brave femme continuait:
- Pour 10 moment, il n'y a que le frèro et la sœur;
Mme de Villeraie est encore il. Paris pOUl' ses toilettes, et
les gens du village en ont plein la bouche 1 Quel malheura
tout do même 1...
- Mais non, Justine, pourquoi ne pas admettro ce sentiment naturel et humain qui est d'aimer la nouveauté?
- Ah 1 bien ... ah 1 bion .. . si Monsie'u r Pierre donne
raison;) ces iograLs je n'ai plus rlen à dire 1
Et, so dirigeant vers la porte, elle conolua avec dignité Q
- Aller. maintenant déjouner on ôtranger dans cette
maison qui était à vous, l'ion ne me l'enlèvora de la. tête 1...
Uno fois seul, Piorre alluma une cigarette ct mUrml)ra :
- Mon Diou! quc.nc1 finira-Loon de parlor de tout cela? ...
Morl déparL seul apportera l'oubli. A voir louto cello agitalion auLour do lui, il appréciait mioux son c::l.lmf.'. Bn
somme il no so jugeait pns malhoureux.
- Combien do morceaux do sucre dans voLre cnfé,
monsieur Dubosc?
- Un seul, Mademoiselle, merci.
- Uno cigarotte? disail M. do Villel'aie, en LondanL son étui.
- Volontiers.
Ln d6jenner s'6lait 6couHl ùunR une otmoBpll i l'e dl3
simpliciLu qui avait confluis Piel're. 'fouL de 3uiLe, il ij'Éltuil
senti à l'aise enLro 10 frùl'e ot la sœur qui, avec une
délic~teso
drpourvue do touLo l'echorcho, avah'nt su parler
de Mme do Nièvcs.
La jeune flIl lui avait diL avec un eh(lrmnnt sourire:
- Je suis très heureuso do porter le même nom quo notre
�LES
cœ ul\S
rnÉDEST INÉS
4'
cousine, cal' a pr a n e~ que je m'appelle « Juliette n comme
elle. et je compte que l'ofiectioll qu'olle vous portait sera
un trait d'union entre nous.
u La pou que j'ai entendu dire sur son compto a éveillé
un(3 curiosit é que j'espère satisfair e auprès do vous. Vous
me parlerez de sa vio, n'cst-cc p as?
- Sa vic sc r ésume en deux mots, répondi t Pierre d'une
voix grave ; ello était douce ct bonne, compat issante ei
dévouée. Elle avait au plus haut point le culte du souven ir;
quinze ans après la mort du son mari, ello en parlait avec
la même tristess e tendre,
« C'6tait une nature d'élite, comme on en rencont rtllarementi»
Juliette , à ces mots, rosta pensive. Quo c'6tait beau cc
8ollvenü' gardé pal' le joune homme , quo c'était reposan t ce
dé(lain de la rortuno, après tout co qu'eUe avait vu et
entendu !
J Il aD de Villornie demand ait des détails sur l'accide nt
qui av ail amen6 la mort do son cousin cL JulietLe disait
il SOIl tour:
- Je compre nds que ccl endroit ait ravi M. de Nièvea,
lnoi-m tÎme je suis on exLaso, Nous vous devons une grande
reconna issance, Monsiou r, do nous avoir constr uit cotte
bollc demoure.
Et, ehaTlgea nt de ton, ollo ajoutai t;
- Avouez quo la vic est fiurp r OllulIte. Pendan t que nous
vivionrl ù Damas , 11 uu coin des Pyrén6es, dans un siLoinc..,1l1 paraLlo, un inconnu bâtissai t uno maison, et la bâtiuait
Lello, quo, si on avai t pu me demand er mon avis, je n'auràis
PLI la rôYel' auLroment quo jo no la vois, telleme
nt 0110
\ ~pond
il. tous mes désirs confus.
- Je suis eIlchanto do co quo vous dites, Mndornoiselle t
- Mais j'ai quoIque choso à ajouter, le voici: J 'ai dit
touL à J'h eure: un inconnu bâtiss<üt pour nous ... Mon frtlre
et moi nOlis désirons qu'en sou,,' onir de notre parente cet
inconnu d'hier nou~
considère comme des amis.
Piorre s'inclina sans répondr e. C'était, depuis des mois,
�48
LES CŒURS T>Rr.npSIN~
la premiôrl? fois qu'on lui parlait ave.c douceur,. qu'on avait
l'air d'oublier le J'ossé qui les saparalt d'oux. J.i.:tait-ce pour
le remercier de n'avoir pas capté cette fortune qui leur
revenait? N'importe, même si c.e n'élaiL qu'un remerciement
déguisé, il était le bienvenu, et mettait un peu de baume
à son r;œur qu'on avait tant torturé .
La glace était complètement rompue. Longtemps encore
Pierre prolongea sa visite, trouvant du plaisir à causer de
tout: et, lorsqu'il prit enlln congé de ses hôtes, il marcha
devant lui, éprouvant une joie oubliée.
Le printemps al'rivait, la campagne commençait il
s'embollir; les amandiers so couvraient de fleurs, le5lilas
(Ipanouissaient leurs grappes violetles. Les oiseaux vole.
taient, ivres d'espace et de chaleur; tout chantait la
grandeur et le bienfait de la vie (jans son éternel l'ecommentemont 1
.. . ...
Lorsque l'heure du dl'ner rejoignit Jean et Juliette, il"
parlèrent de l'in1 pression pro4uite par Pierre nubosc.
Juliette confla ft son frère comhien cetlo visite lui avait
été agréable, lui prouvant qu'il existe des ètres détachés
de l'argent, chose dont elle commençait à douter, avoual-olle en riant.
- 11 n'est pas marié, remarquu Jean.
- 11 se mal'Ïera un jour cL sa femmo seru houreuse san.'!
I~lier
do perles.
Jean fronça les sourcilssansrépondl'e. Jnlietf.e, salevant.
alla vers lui, passa son bra!': sur l'épaule de ROn frèro:
- Mon gl'tu1d, lui dil-elle, ne doute jamais de mon
immense tendresse pour Loi, dn mon udmiralion même, car
I.ont ce qu'il y a de bon en moi, e'cst de loi 'lue jo 10 liens,
rles principes que tu m'as inculqués.
gt, s'éloignant vivement, sans vouloir attendre unt>
réponse, Julietto allait s'accouder sur la terrasso. BIIIl
l'estait. là, songeuse, aspirant avoc joie le vont marin qui
venait rlu lurge. :::)on frère vint la rejc,indro ;
- A quoi ponses- tu '1 demandA-toi!.
�LES cœURS l'nÉDESTlNhS
J ulieLte éprouva le Lesoin d'extérioriser sa pensée:
- Ne trouves-tu pas étonnant, dit-elle, que notre cousine
ùépeinte si juste, si bonne, si tendre pour M. Dubose, l'ait
ainsi oublié?
- Si Claire t'entendait, murmura Jean.
- Claire n'est pas là, mon grand, répondit Juliette dans
un éclat de rire.
- Qu'aurait fait de cette fortune ce garçon? demanda
Jean.
-- Mais ce que nous en faisons nous-mêmes 1et, plus bas,
elle ajouta:
- Vois-tu, Jean, maintenant que j'ai vu M. Dubose, je
crois sincèrement que notre cousine a été surprise par la
mort, qu'olle ne croyait pas si preche. Sans cela, elle
auraiL tout de môme laissé quelque chose, sinon toute sa
fortune, à ce garçon qu'elle a élevé et qu'elle aimait comme
un fils, d'autant plus qu'elle ne nous connaissait pas ... Je
l)onse à tout cela, et alors ...
- El alors? ... demanda Joan inquiet.
- Alors cola me gêno commo si nous l'a vions dépouillé.
Joan ne répondit pas. JI so revoyait à Damas, ce matin,
où, avant l'arrivée de la lettre du notaire, il attondait les
ùeux Syl'iens qui devaient le conseiller aHn do s'enrichir.
11 se souvenait qu'il était résolu à tout pour cela, et ce
souvenir lui 6tait si douloureux, que, do tout son cœur, il
b6nit le desLin qui avait empêché Mmo de Niôves de
tester en faveur de Pierre Dubosc.
Celui-ci était jeune, libre, libre surtout; il n'avait pas
besoin de cet argent qui lui permettait à lui, Jean, d'aimer
Sa lemme dans le bonhour ot la sûreté du lendomain. Il
avoua tout bas:
- Le destin fait parfois bien les choses, petite sœur,
ot, puisque tu m'aimes, réjouis-toi do cette cironsta~e
qui nous n procuré coLLe fortune inespérée. Si tu savfllS
dans quolles angoisses je vivais pour vou') tous ...
Julietto baissa la t(;Le. Elle savait lJue ce (( vous tous »
d6guisuit un seul ûLro : « Claire 1 ~
4
�50
L ES CŒURS PRÉ D ESTI NÉ S
É tait- ce donc çà l'a mour? .. Elle ne pu t s'emp &cher de
dire :
- L'a mour, alor s, est un sentiment bien redoutl'lble 1
Une voix rép ondit comme un écho:
- R edoutable ct di vin 1... C'est une force qui monte
en vous, aussi impétueuse que la for ce qui t out il l'h eure
va faire remonter la mer 1
« Plus rien n'existe, ni r emords, ni p eur, ni ri en ... On
n'éprouve qu' un bonheur, celui de l' ê tre aimé, qu'une joie,
lui obéir 1 Et cc bonhcu l', cet te joie, il ne semble jamais
qu'on les a it ache tés d'un prix suffisant 1.. . »
Juliette, émue, restait les yeux ba issés, sans oser
r egarder co frère dont la voix oppressée disait encore:
- 'r u connaît ras cc sentiment à ton l our, Juliette ct
alors Lu p ensoras à mes p aroles et tu comprendras 1 '
Vr aimen t, connaltra-t -elle co sent iment dans cotto
forc e ? .. . E st -co ai nsi qu'un jour clle aimera J acques
J ousserand, son fiancé ? ..
Ello ne savait p as. Et son cœur murmura tout bas :
- J acques !.. . J acques 1...
Sans so l'a vouer , cli o ful déçuo d o ne pas sent ir, 1:1
l'évocatio n d iJ co nom, celle ardour qui Boulovait son
frère. A ce tte minuto, son instinct de fomme compri t que,
p ayé p ar los pires souffrances, l'amour est 10 soul bien
ci-bas 1
E lle joigni t les mains, comme si, dans une mueLLe prièro,
elle demandait à la P r ovidence qui nous gouvorne de
meLLr e sur sa r oute co senti ment r edoutable et divin 1. ••
C I
AP
IT
nr~
VIll
AFFIN IT (:S .
Le chO.teau no d ûsomplissnil pas d'i nvilüs. C'étai ent dos
excursions, des pi quo- uiquos dans tous los onvirons. Los
a utomobil es roul uiont cL faisa ient r onfle r leurs motours.
�LI:S CŒURS PR É DE S TINÉS
51
Piarre, souvent inviLé, préfér ait aller au châLeau
lorsque, entre deux fou rnées se produisait Ull pe u d 'accalmie.
Juliette cL lui étaient devenus d û vrais amis. Pierre
s'étonnait parfois de la voir aim er celle vie vide ct bruyante,
à l'étonnement qu'il lui exprima, la jeune fille avait
répondu:
- C'est ma belle -sœur qui gouverne, croyez que le jour
où je serai maîLr esse de mes actes ma vie sera tout à fait
diITérente.
Un matin, en se promenan t, elle alla surprendre Pierre
dans son s Ludio. Celui- ci, avec sa grande blouse de travail,
étaiL penché sur SÇ! t able, où le plan qu'il traçait était étalé.
Il fut navré d'ôtre surpris dans ce d ésordre et s'excusait
en riant.
Juliette, sans répondrp directement, exprimait son
enthousias me:
- Il me semblait, disalt-ello, en traversant ces bois,
être Lransportée à es Lemps mythologiques chantés p al' les
poètes. J e r egardais autour de moi, m'atLend ant à décou vrir
un vieux berger du temps d'Homère, ou encore Nausica a
et ses comp agnes jouant à la b alle sous ces bois enchantés 1
Que c'es t b eau hcz vous et que vous êtes h eureux 1 J e
comprends m aintenant la peine que vous avez à quiLter
ce LLe retraite pour venir dans nolre tt cohue Il eomme vous
di Les.
- Ah l ,1ademoiselle, vous ne pensez p as cela 1
- Mals si, m ais si, je le p ense et vous approu ve . DepuIs
que je s uis ici, il me se mble r espIrer une fraîcheur qui va
jusqu'à l'Gme.
Pierre, h ureux , la r egard ait TI souriant. .1 am uis olle ne
~ . ll éLall joyeux
lui ava it p aru aussi jolie qu'en ce lle minut
de ce tte visite, heureux de VOil' combi en co sLudlo, con çu
Par lui, plnisui t ft la jeune fill e.
EL, comllle cela lem' arrivaiL toujours , dès qu'ils se
trouvaient onsembl ,l'i urre remua les seuvenirs ({u'd avait
de sa chèro I\larraine, so uve nirs qui H alent enlre eux un
lien subLil. Puis, séduit par J'lnl(! rOL que lui montr,dt sa
�52
LES CŒURS PRI!:DESTINÉS
compagne, Pierre parla de lui, de ses espoirs, de son
travail qu'il montra et expliqua minutieusement.
- Il me semble, disait-il avec enlhousiasme, que l'architecture renferme tous les arts . Regardez lég anciens:
n'est-ce pas par les monuments qu'ils nous ont laissés,
que leur puissance et leur génie sont parvenus jusqu'à
nous? .. Si vous saviez l'élan qui m'anime quand ma
pensée conçoit un bâtiment aux lignes harmonieuses, que
petit à petit je le vois s'élever, je suis pris de fièvre et
mon travail n'est plus qu'une volupté.
- Vous trouvez tout cela dans des pierres? disait Juliette,
étonnée.
- Je me souviens quo ma chère Marraine m'avait
confié que, le matin de sa mort, M. de Nièves, votre
cousin, en lui montrant le plan que j'ai exécuLé, avait dit:
« Chaque pierre que je touche est pour moi une ivresse, car
il me semble qu'elle participe au !ondement de nolre
bonheur 1 »
- Comme cette femme a été aimée 1Je comprends qu'elle
n'ait pu oublier pareille tendresse 1
- Oui, en elTel, il existe des amours profondes qu'on ne
peut oublier 1
- Qu'en savez-vous? demandait Juliette en riant.
Pierre répondit sans la regarder:
- Ne peul-on deviner, pressentir sans raison? ..
La jeune fille ne répondit pas. D'un paf! lent, elle aUa
ver3 la bibliothèque, regarda quelques livres, s'absorba
dans la lecture des litres. Pierre tourna la tète de son
côté. Qu'il était lleureux 1 Que c'était bon dans sa solitude
la douceur de celte nmitié 1
JulieLle revenait:
- Alors vous irez en Californie?
- Si c'est mon plan qui est accepté.
- 11 le sera, c'est certain.
- J'en accepte l'augure, j'ui encore ùeux mois devant
moi avant d'envoyer au jury le plan de mon chef-ù'œuvre.
- No riel pus, c'cn sera un.
�LES CŒURS PRÉDESTINÉS
53
- Je ne ris pas pour cela, car j'aime entreprendre avec
confiance tout ce que je Iais. Ne pensez-vous pas que j'ai
raison? .. Que la vie soit bonne ou mauvaise en son toLal,
il faut, je crois, la vivre bravement ct ne pas oublier que
la nature est toujours là, avec ses couleurs, ses parfums,
sa joie de vivre.
Bt, avec un l'ire joyeux;
- Si jo ris, voyez-vous, c'est tout simplement parce
jo suis heureux 1
- Si Claire l'entendait, pensait JulieLLe, quo dirait-elle do
cet être qui, pas une minute, ne fait allusion à ceLLe fortune
dont, avec un peu d'adresse, il jouirait certainement à
notre pbce 1
Uno fois soul, Pierro allum a une cigarette et se remit
courageusement au travail. Mais, à son grand étonnement,
cet enthousiasme qu'il avait chanlé semblait l'avoir
abandonné. Il regardait la grande teuille étendue dovant
lui, l'osprit distrait.
li so surprit à passer on revuo toutes les joies désirables;
il lui semblait soudain qu 'illui était possiblo ùe disposer d'un
trésor. II s'ablma dans ce songo, incapable de meUre un
froin à son imagination. II avait l'impression, la cerliludt:
qu'il venait de survivre quelque choso d'exlr.lordinaire
duns sa vic 1
Subilement un visage ruappal'ut : c'étaient de beaux
yeux violels que l'émotion fonçait, une bouche souriante
et expressive, un nez délicat et fiu, c'était le visage de
JulieLLo ÙO Villoraio soudain transfiguré. Un violont
baltement 10 saisit ot, prenant sa tôLe e,ltre sos mains, il
dit tout haut;
- EsL-co p03sihle ? .. est-cc possiblo?
Uno torpeur délicieuse s' mparait de lui, dont jl
n'essayait pas do pénétrer le sons. 11 ouvrit un liVl'O cl
1ress.lillit en pnrcourant ces lignes:
" r craignons point les IHIRsions do l'amour cL ne cédons
POint Ù de l!1r;h\'s raisons ... C'est pour notro gl'ando félicité
quu co rléliru tJivin 1I0US est suggéré pal' les dieuxl »
�54
LES CŒURS PRÉDESTINtS
Incapable de continuer sa lecturo; le jeune hommo laissa
tomber le livre, 60 perdant dans une rêverie sans nn, dans
l'extase et l'espérance de toutes les joies, de tous les
bonheurs réservés à la jeunesse.
Maintenant la nuit approchait. A pas lents, suivant sa
fantaisie, Pierra marchait dovant lui et, obéissant au désir
do revoir cette image qui, depuis quelquos heures, no 10
quittait plus, il monta vers le chateau. A cotte heuro
tardive, il ne pensait pas s'y présenter, mais le seul plaisir
do so rapprocher de ]0. domoure de Juliette lui avait fait
inconsciemment prendre cette diNctien.
Des fenôtres grandes ouvortes on entendait les sons dn
\ piano et on voyait des couples danser. Piorre se haussa
sur un talus et, protégé par un arbre, san réfléchir il tout
co que sen acte avait d'inconvenant, il resLait là, il guettor
la présence de Juliette.
SubiteJT.ont, il l'aperçut, ot son crour se mit il battre si
fort qu'il no pouvait respirer. Bllo dans H, 110 arrivait;
portéo pOl' la musiquo avec une telle grâee, qu'ello ôtait la
perfection môme:
Elle souriait cn dansant de co sourire grave ot lointain
quo Pierre aimait tant. Sans détachor son regard de
Julielle qui disparaissait pour réapparaitre quelquts
secondes après, Pierre restait là, fasciné. D. ns fi A tôlo on
(eu, mille potites chosos auxquolles il n'avait pas prOté
aUention prenaient maintenant uno amplour inatLenduo,
Comment n'avait-il pas compris plllS lôt fJu'il aimait
Juliello?
C'éLait. un bonhour vonu Loul, il coup ... I! so rappolait
tout maintenanL, il so rappelait les insl anlH où, par
hasard, il l'avait apcrçuo SUl' ln route, Il lui somblait
même, quo le.rsqu'il tournait la tôlc VOrs clio, apros l'avoir
quittéo, avoir surpris los youx do la jeune fllIo fixés sur
lui avec inL6rél.
Chacuno des pensues do Pierro étaiL IIne fervout'. En
quiLtanl SOl1 :lbri il murmura:
- Il esl donc vrai qu'il y a un moment où la vio s'opa-
�LES CŒURS PRÉDESTINÉS
55
nouit en nous ct où nous nous découvrons autres que ce
que nous croyions êlre 1
CHAPITRE IX
SOUFFRANCE ET DÉSILLUSION.
- Je VOUS assure, mon cher Jacques, que je suis contente
do vous entendre parler ainsi, disait Claire de Villeraie.
'l'out ce que vous venez de dire, je le pensais, mais n'osais
le formuler.
Jean, allumant une cigarette, alla s'accouder il la terrasse.
Il pl'Mérait ne pus prendre part à la discussion, ne voulant
mécontenter ni sa sœur ni sa femme. Juliette suivit son
frère du regard, une bouffée de sang lui monta au visage:
- Que Jacques parle ainsi, je l'oxcuse, puisqu'il n'a pas
pas encore vu M. Pierro Dubosc, mais vous, Claire, permettez-moi de vous dire que vous m'étonnez. Qu'avez-vous
à l'oprochor à co jeune homme?
- JI no s'agit pas do reproches, il s'agit de constater
que M. Dubosc n'esl pas de notre monde, un point c'est
tout. Nous manquons de tact, croyez-moi, en l'imposanl
ainsi à nos invités.
Juliette haussa les épaules et regarda son fiancé, arrivé
depuis trois jours, pensant qu'il allait répondre, et ell e se
mordit les 16vres en voyant que, de la tôto, Jacques
acquiesçait aux paroles de Mmo de Villeraio. Celle-ci en
pronta pour continuer:
- Est-ce uno raison, vraiment, parce que notro cousine
s'esl intéressée à lui, pour qu'il nous faille le trainer il
ù notre suile? .. Ma parole, on va flnir par croire qu'clio
nOliS l'a impooé comme condiLion do son h6ritage.
Julielte éclata à cetto dcrni6re ironio ;
- Je voudrais quo vous m'expliqui ez, si possible, en
quoi ot pourquoi M. Dubosc n'est pas de nolro monde? ..
Co fut Jacques qui répondit ;
�56
LES CŒURS PRÉDESTIN~
- C'est pourtant très simple, Juliette, et sans votre
cousine ...
- Il serait un paysan, c'est entendu. Alors, c'est cela,
et cela seulement qui vous choque, c'est le paysan qUtl
l'instruction a . élevé au-dessus de son niveau; et si, par
hasard, notre cousine avait testé en sa faveur, sallg
doute, alors, il serait de notre monde, et sans doute aussi
que nous nous trouverions honorés d'être ses invitÉs 1
- Vraiment, Juliette, répliquait Claire, ce que vous dites
est incohérent au possible 1
.
- Incohérent? en quoi?... Expliquez-vous, je ne
demande qu'à être convaincue, je vous l'afilrmc.
Et, se tournant vers son fiancé l
- Allons, J acques, parlez-vous, éclairez-moi.
J acques éteignit sa cigarette et, d'une voix calme et
posée l
- Ma chère Juliette, vous l'avez dit, jo no connais pas
M. Dubosc, par conséquent je parle sans parti pris. Vous
dites tous quo c'est un garçon charmant, très bien éduqué,
intelligent, instruit, qu'il a fait preuve d'un t act indiscutable
en ne faisant jamais aucune allusion à la fortuno de Mmo de
Nioves, sa bienfaitrice.
« Pourtant, depuis mon arrivée ici, et elle ne date que
de trois jour:;, on ne m'a parlé que de lui, oui, même vos
invités , ceux qui viennent do partir, je ne vous cache p DS
quo cela m'a gûné eL je trouve inuLile quo mes cousins
RulYard, qui vont arriver prochainement, apprennent à leur
tour ce tte hi!>Loire d'un petit p aysan fIue III charité de
votre cousine a élevé jusqu'à 0110 ... et que vous laites votre
ami. Il est certain, Juliette, qno (1 Noblesse oblige ».
- A quoi oblige- t- elle dans cc cas, demo.ndail la jeune
fille d'un ton un peu sec.
- Bn l'occurrence, à se plaire ùans son milieu, à no pus
forcer Jes hôtes qui sont sous voLre toit à fl'o.yor avec des
gens qu'ils n'aimora ient pas à recovoir chez OUX ...
Et commo sn flunc6e Je rognrduiL, ahurie, il ajou tait:
- l'ourlant, il mo sC'J1Iblo que ce quo je dis est très
�LES CŒURS PRÉDESTINÉS
57
simple;cela me parait l'évidence même. Je n'enlève aucune
qualité à votro protégé, m ais laissez-moi vous dire que le
premier devoir d'une maîtresse de m aison est do surveil·
1er les plus p etites nuances susceptibles de d . pl aire aux
personnes qu'elle reçoit.
c( Et je ne sais si vos invités ont été charmés de l'inti.
mité que vous leur avez imposée . n
P endant ce discours, Juliette songeait à ce f{u'elle avait
écrit;
« Où se trou(Jera le magicien qui me fera croire que lout
ce que à quoi j'ai cru, aimé et apprécié jusqu'à hier, étaient
sornettes qu'il me faut rejeter , ... Jacques, mon ami, mon
fiancé, je forme un (Jœu .' oh 1 que ce ne soit pas (Jo us 1..•
Et voilà que J acques tenait le m êmo langage que Claire.
L'individu no compte, non par lui-mêmo, m ais par la fortuno qu'il possède.
Ne faisant aucun mouvement, elle contemplait son fi ancé
qui v onait d'expliquer si allégrement co qu'ello jugeait
une monstruosité et se demandait avec stup eur en vertu
de quoI droit il était persuadé do dire la verité (...
Inca pable ùo soupçonner 10 travail qui se faisait dans
le cerveau de la jeune fUIe, J acquos s'était tourné du côté
do Claire, qui, satisfaite, lui souriait. Ce sourire l'énerva ct
elle reprit d'une voix de plus en plus sèche l
- Vous ne m'avez pas du tout convaincue, J acquos.
- Commfnt! s'écriait 10 jeune hemme.
- La qu cs tion 05t moins simple que vous ponEoz le
croiro pOtr lu tranch,er si simplem cnt. J o m e domûnda si
lout ce quo vous avez dit (st seulement conforma à la
seule morale et à la stricte vériL6.
Clairt3 fit un geste violent:
- Il ne s'ngit pas do morule ... vous Ctes à épiloguer
Sur des mols qui n'ont p as leur placo dans un raisonnement de convenance.
- Voyons, Juliette, reprenait J acques, no vous entêtez
�58
LES CŒURS PRÉDESTINÉS
pas il protester pour un fait tellement clair. Tout ce qua
nous avons dit est l'évidence même, ct il vous faut surveiller ces exagérations où la bonté de votre nature pourrait vous entralner.
/'
La jeune fille haussa les épaules, sans répondre, et alla
rejoindre son frère:
- Tu !l'as pas dit un mot, lui dit-elle, avec un reprocha
dans la voix.
- Ma petite flUe, peut-être Jacques a-l-il raison, nous
sommes, toi et moi, deux rêveurs!
Julietto devina qu'il ue voulail pas nommer Claire.,
Chaque fois, c'était pour la jeune fille un nouvel étonnemenl de constater cet amour do son fI' l'e. Lui, au moins,
a une excuse, pensait Julielle, il d6fend l'être qui lui est
lié au cœur, au poinl que, lui parli, il craint d'en mourir!
Mais Jacques, pensait-elle encore, Jacques qui m'aime,
pourquoi ne m'a-t-il pas défendu? ..
JI ne s'agissail plus ell ce moment de Pierre Dubosc,
muis de Jacques, de Jacques, son fiancé, cl elle sentait
au cœur un pincemenl douloureux!
Ah! comme, avec quelques mots, il velait~d
lui gâcher
la joie ressentie par son arrivée!
Jacques s'6lait appreché ; considéranl la discussion close,
il dit:
- Je flle ù BiarriLz; il csl entendu avec Claire que
vous venez me rejoindre, rendez-vous au Casino.
Juliette no répoudit pas, ot no s'aperçut pas nOIl plus du
déparl do son fl'èro. Regardant au loin los vagues qui su
gonOaienl ct lançaient un furioux embrun, la jeune Olle,
accouùéo sur la rDompe do fer, les doux mains jointos sous
son monton, restait perdue en UllO rilverio profondo.
Déjà, la veille, Jacques l'avait 6lonu60 en lui parlanl de
ses projets ct do son désir, mainlenant qu'ils étai ent riches,
de so lancer ùans la politique. En passant par l'lu'is, il
s'était ronseigné, avait 616 rendl'o visite ù des gens compélents ct, aujourd'hui" il sc ronduit Ù l3iarl'itz pour y rencontr~l'
un fmuncior important.
�L ES CŒURS PIlÉD ES TI N };S
59
- Mais il n'était p as ainsi à Damas, st) dit· clIc tris tement; son bonh eur était plus simple, plus à ma portée !
cette fortuno qui donne à J ean le moye n de rL ndre heureuso la femme qu'il aime, va - t -elle m'enleve r, à moi, le
bonheur qui me suffisait et que je tenais dans mes mains .
Est- cc possible que l'argent puisse ainsi changer les êtres ,
pui sque, dès qu'un homme le possè de, tout se modiOe enlui!
Et sa p onsée évoqua Pi erre Dubosc. Comme ell e a ppréciai t sa belle indilTér ence pour ce t or; ommo il lui parais sait plus gr and, plus noble que t ous ceux qui ne le Lr ouvaient
p as digne do fréquenter leur milieu. Elle r evoyai t 10 visage
de P ierre exprimant l'habitude des p ensées grav es et silencieuses et se souvenait mûme d'avoir r emarqué dans son ·
regard comm e uno sympathie douce cL a LLlenLi ve .
Entendant l:.l voix de Claire qui l'appelait, Juliette
descendit promp LeIneat Je p etit escalier do la Lorrasse qui
communiquait avec le bois proche. Bile avait soif de solitude. BlIo alla s'allongor sous un arbro . Comme la m atinéo
élait belle, qu'il fer ait bon vivl'e si ello pouvait oublier
cerlaines paroles p énibl es , certai nos pal'oloi:! qu'clIo aurait
désir e n'a voir p as entendues.
Au loin, des har ques da nsaient sur l'eau éclalante; le
'loleilla br ûlait; 0 11 0 lou rna un p eu la lête, r eplia son
hrml, y posa son front el , b ercue par la p aix d o la na ture,
,Juli etLr', inflniment lass , s'('nd ormiti
.Justine s'atta rd a it à brm;ser le veston d e P ierro Dubosc.
C lui-ci s' impati entait :
- VO liS allez mc fai r e manquer le train 1
- Voil à , voi! ù, ri n Ju sti no.
l'i erro cnf1l a vivement HO II vùlement, ct, sc sachan t en
r etard, pr it des racco urcis qu'il co nn l issa it d epui s SOli
nranco . 'l'o\ll :\ coup, il ar rêt. sa marc he rapid o, en voyanL
.1 uli 'tto a ll ong6 t dorman t au pi ' <1 d'un nrhl' ' .
Le sourfl o do la jeullo nllc 6tll it 6~1l 1 ('Iü re ses lèvr es
ontr 'ouv rt es, do pcliles gouL tes de sueur pcrlllienL à SOli
front
�60
L ES CŒUR S PRÉ DE STIN J!S
Pierre la r ogardaiL avec ext ase ct timidité ct sentait ,
d evan t cette jeune fille endormie, la beauté qui l'ent ourait
d e toutes par ts sous les formes impérissables de l'éternelle
vie. Une paix: profonde noya dans son ombre l'fime du
jeune hom me cL, avant de continuer. sa. ro~t
e , P ierr e jeta
sur Juliette un r egard de t endresse lOvmCJble.
Il se r endait à Biarritz a fin de montrer son travail à
son ancien maitro des Beaux-Arts qui se trouvait dans
cette ville, et il ne voulait pas s'avouer que, dans cette
r ésolution subite de le consulter, se cachait aussi le désir
confus que peut- être, son Mattr e, rest6 son ami, pourrait
lui p rocurer un travail qui le dispenser ait de cet exil. Assis
dans le train qui l'emmenait, Pierre faisait des projets.
JJepuis le jour où il s'es t aperçu qu'il aime Juliette , ce
sen Liment fait en lui un chemin pl'odigieux.
Aucun miracle ne somblaitimpossible il. l'amour de Pierre ;
sa tendresse deva it, p ensait-il, at tirer un jour celle de la
jeune fill o : il avait si souvent sonti des affinit6s entre eu x.
Que de foi s la phrase dite par Julietto devant lin beau
coucher ùe soleil avait ét6 celle qu'il all ait prononcer ...
11 lui semblait alors cueillir les mots avec son cœur, Lell ement ses oreilles les connaissaient.
" JI faut croire il. la vie pour qu'ello vous aim o» so
disai t -il en descendant sur le quai do la garo de IliarrÎLz.
11 sc faisait une joie de conduiro son Mai tro chez un
;mtiquairo de sa connaissance ; il no manquait jamais
d'aller y faire uno sta tion prolong60 lorsqu'i l vono.it à
Bia rritz.
Là, dans la joio do regrll'der de Lolles choses, il exp rimeraiLà son ami sa peine d e partir au loin Où f lOn no l'at tirait CJ uo l'obligation do gagner sa viel ...
Quolquos heures plus Lard, Pi erre, soulevant 10 couvercle d'un vioux co ITre, montraiL à son Maître dos chasubles
l'eluisnnLes do tout l'écla t de leurs ors ct de lou rs soies. 1)
s'l-n tro uv ait do volour s alourdiOl:; de pi or res précieuses;
c'étaient des richesses incalculabl es. Les doux hommes so
�LES CŒURS PRÉDESTINÉS
G1
baissaient, examinant la finesse du travail, lorsque 10
timbre de l'entrée résonna.
Pierre, levant la tête, eut peine à retenir un cri de joie
en reconnaissant Julietle. Celle-ci lui souriait et disait
en allant à sa rencontre l
'- Quel heureux hasard. Comme vous m'avez souvent
parlé des beautés que l'on trouvo chez votre amil'antiquaire,
j'ai profité d'un moment do liberté pour venir me réjouir
les yeux.
Pierre s'empressa de présenter la jeune fiUe qui, tout
heureuse, disait:
- Entre vous deux, comme jo vais bien apprécier tout
cela.
Pierre fouilla le magasin, fit admirer les bijoux qui
scintillaient sur les planches recouvertes de velours. Et,
lorsqu'ils sortirent, Pierre expliqua qu'il avait passé la
journée avec son Maitre, il qui il avait montré son travail.
Celui-ci, après avoir complimenté son élève, quittait les
doux jeunes gens n disant il Juliette:
- Enchanté d'avoir faH votre conai~s,
Mademoiselle;
mon jeune ami m'a parlé de la joie que lui procure votre
voisinage.
- Mais, vous, interrogeait Pierre, dès qu'ils furent seuls,
comment so fail·i l que vous soyez il BiarrHz? ..
- Je suis venue avec mon frère et su fomme rejoindre
mon fiancé qui y a passé la journée.
Piorre crut avoir mal entendu. D'une voix. rauque, il
demQndait l
- Rejoindre qui? ..
- C'est vrai, vous ne savez pas, on ne vous H pas vu
depuis quelques jours; mon flancu, qui était resté il DJmas,
st venu nous rejoindre.
gt, sans remarquer lu pâleur de Pierre l
- Tenez, ils nous ont vu et viennent à notre renconlrol
Oh 1 Il quell illusion, à quel rave insensu il ovail donnu
COur!! dans l'enchunlcrncnt de son l'Ove. Do su gorge sècho,
aUCU'l son no pouvait sorlir. Heureusement pour lui,
�62
LES CŒUnS rnÉDESTINÉS
Julielle, ravie sans rJoute de la présence de son fiancé, p.lrlaiL sans arrêl, expliqnait sa surprise de trouver M. Duho;;c
avec son ancien Maitre, narrait les merveilleê. qu'elle venait
de voir en leur com
r ag n ~e .
Pendant ce tomps, Pierre par venait il calmer son
émolion cl b, répondre aux quost ions do J acql,les Jousserand. J uliolte proposa de revenir Lous ensemble en auto,
Pierre prétexta l'obligation de revoir son Maitre, il dit
ml3me qu'il devait diner avec lui ct, jetant un regard à
sa montre, précipita son départ, se sentant il bout de
forces.
Comme un fou, il courut vers la mer, lendit son visage
aux vaguos dan'! l' espoir de rafral chir sa fiùvre. 'l'out co
qui avait pu nailre de bonheur n'existait plus depuis ces
ùernièNs minutes. 11 sc surpri t :\ dire Ù haute voix:
~
Quelqu e chose en moi esL éLeinl. La vic m'ft t ellemenL saturé d'6motions que je me sens vide ùe tout désir,
non, la vie n'est pas bonne, son gOllt osl ftmer 1. ..
El il cornpri t la folie de son rêve que 1:\ temp êle en
so ufflant chassa il. II s'6veill a\l. dans les lénèbres. Cc qu'il
r('ssentait élait inexprimable. Il ignor.lÏt que l'on pill
souffrir il cc poinl. 11 n'avait plus d'autre perspecti ve que
celle du départ. S'exiler ... s'exil er pour Loujours. Avait-il
été assoz fou pour sc complaire à nn rève impossible.
Comment avait · il pu natLre ùans son cerveau. Qu'il souffrait de la solituùe d 1'>'1 vio... De louL temps, il avait
~s c~
sans
\oulu l'amour, il l'avait allendu les mains joint
raisonner, il avait été uu-devant d'un amotll' trop beau
pour la pallvl'Ûllum.miL61
El Ju1i
o~t
t telle Cfu'ill'a vaiL vue 10 malin même, dormant les lôvres ntl"ouvertes, éLait dovunl lui, avec L011t
son enchantemenl cL son mY6lère. lIiais, hélas 1 désormJis
à la pensée de J uli o ~L o sc jolgnalL celle do J ncques J ous:serand ; Pierro remarqua l'assoc! o,tlon d'idées ct la trouva
na turelle.
JulieLle étai t destinée il un jeune homme de son monde.
Lui, il y songeait lout ù coup - comment marne l'avaiL-
�LES CŒUnS pnin ESTINÉS
il oublié? -lui, n'avait ni famille, ni amis, ni situation,
ni milieu 1 Il était un paria qui ne trouvait asile nulle part·
L'accueil de la fa mille ùe Villeraie lui avait fait oublier
combien le monùe l'avait rej eté. Pronant sa tête dans ses
mains brûlantes de fièvre, il se demandait:
« Est -ce dans la naissance ou dans l'é ducation qu'est
la raison des calégories? .. Est-ce une destinée ou une
disposition naturelle? .. .
« Serais-je ce que jo suis si j'étais resté dans l' a tmos phère de ma naissance? ... Est-cc soulemenL mon éducation qui mo pormet d , sentir et de co mprenùre toutes cos
oh oses ? ... »
HOlas 1 une barri ère enlevée no nivelle pas le terrain.
1(
Alors, so r ôvulail Pierre, où esl ma pIn ce il moi
d~
s orm
a i s?.
. »
Sa HouJTranco était telle, que, pour la premiùre fois, il
pensa que la grand e erreur de sa vie avail ut6 de se laisser
déraciner du champ où il avail pris naissance. Il étail
condamnu au malhour, pareo qu'il avait rêvé la gloiro
el l'amour, andossô des villemenls qui ne faisaient que le
dégui ser, nlol's que le sa lul ôtait do garder la blouse d e
ses ancHr es . Et les houres passaient sans parvenir il calmer
sa fièvre.
Il fai sait complèlement nuil, lorsqu'il descondit dans
la peUle gar e de Biccard. Où était-clle sa belle ivresse du
ma ti n ?...
Il marchail lrisLem nl, à lrave rs le bois, pour gagnor sa
demeura, lorsqu'au loill il aperçut des f1ûneurs.
- A cotte houro? so dit-il.
Il l'alentit 10 pus al cher cha à so cachor. Les Ililhouettos
gr;lndissa ient peu à peu. Pierre dist ingua lIIl homm e al
Uno fomme se donnanL Jo Ul'<.\8 . Ils avançaient lranquilles,
indiITérenLs au monde , jouissant de la nui t si douce. Pierre
rut d "faillir en reconnuissanl Juliette et J acquas Joussa l'und, son nuncé. Ils causJ ient lA demi voix, raisanl sans
douto des rôv u8 d'avenir .
So uvent aussi, ils s'arrêtaienl do parlaI', et Piarro, qui
�J"ES CŒURS PRÉDE STINÉ S
a v:lil hOlllli dans un rossé, aurait mordu la terre pour ne
pa s crier de souffrance , pour ne pas hurler la peine qui
qui lui Lordait le cœur 1
CHAPITRE X
NOSTALGIE.
Dep uis quelques jours il fai sait une chaleur accablante,
si aCCf).1>lante, qu e Claire de Villeraie elle-même était heur euse de n'avoir p as d'étrangers. L e soleil de l'après- midi
écrasait de son p oids la petite ville et le château aux volets
clos .•1uliett e éLait triste sans savoir pourquoi, mais elle
s'elTorçaiL de son mi eux à sui vre son fiancé dans ses projets.
Sa vie inoccup ée lui pesait, elle avait vite épuisé les distractions et les joies que procure la fortun e.
n ecevoir des toilettes de Paris, être obligée d'enlendre
des phrases creuses et vaines, y répondre, faire d es promelIades en aulomobile sans s'arrêter aux endroits susceptibles
de plaire, avaler des kilomètres, simploment pour constutor que « l'Ilispano » dépassa toules los autres voitures,
en être fi ère sans mo tif et senlir qu'on s'ennuie sans
raison ...
"A Damas, ce n'était p as ainsi n, se disait-clic sans
cos3el
Désirant endormir ses trislos p onsées , la jeuno fille ossaya
de s'absorber dans sa lecture, puisque Jacques était encore
à Biarritz, mais, n'y parvenant p as, elle alla dans lu bibliothèque où 50 trouvait son frère :
- Jean, dit -elle, je m'ennuie, voux -tu m'accompagner
jusquo chez M. Dubosc, nous lui demanderons de nous faire
vigiter ceLLe vieille 6cilise dont il neus a parlé.
El d'une voix si lasse quo sen frOre resta étonné:
- JI me tarde do me distraire do mcs pensées .
Pierre expliquait l'hi'5 loi re de cette chapelle d6saf(eclée ,
qui faisail partie autrefois du domaine, cl com muniquait
�LES CŒ URS P RÉ D ES Tl N ÉS
65
avec le vieux châ teau du pays. E lle avait été incendiée
pendant la Révolution.
De style gothique, elle était restée mutilée par le temp s
autant que par la main de l'homme. Quelques verrières
a dmirables r estaient intactes , dont la beauté paraissait
d'autant plus grande que, à côté, certaines vitres cassées
avaient ét 6 r empl acées p ar du papier de plomb divisé en
losanges . Au rond, derrière [e maitre -autel, sc trouva it
un merveill eux tableau r eprésentant l a Descente du Christ
de la Cro ix ; les visages de la Sain te Vi erge et des saintes
femmes avaient une t elle expression de douleur, que [e
cœur en était violemment remué.
Juliette r estait silencieuse et Pi erre n'a vait pas la force
de briser ce silence. Depuis plusieurs jours, il s'était enfermé
chez lui, voulant se guérir de son mal d'aimer. Quand,
dans sa solitude, il pensait à Juliette, il sent ait s'éveiller
en lui une sensibilité douloureuse. L' id ée qu'elle pût appal'tenir 11 un autre lui était insupportablement cruelle. Quo
de lois s'était - il dit:
- Pourquoi m'avoir interrogé sur mes projets d'avonir 1
Pourquoi avoir paru sc plaire en ma comp agnie? .. Pour quoi a voir cr éé ec tto intimité qui, à notro âge, con duit si facilement à l'amour ? ..
Et, aprôs s'tître pos6 ces questions, il avait eu un rire
amer, sc disant:
- Oui, avec moi cela n'a aueuno importanco. J e ne
compte pas pour clio, ct peut -ell e supp oser que jo lui rerais
l'aITront de me pcrmeLLro de l'aimer? ..
J ean do Villeraie les appelait :
- Voyez, di t-il, los Lombes des anciens seigneurs.
Bn oITet, pa rmi l es ca rreaux d'inégalo grandeur, on
voya it des dalles aux écussons dégmdés, indi quan t l a place
où, dans un Lemps 10inLain, le' sUlerains oubliés aujourd'hui
avaient étu doscendus on grande pomp e dans leur froido
demeure.
- J 'ai l'intention d'élover un monumenl à mes cousins,
diL J ean.
5
�tES cœURS PREDES TINÉS
66
_ Permettez-moi de vous demander en leur nom qu'il
soit simple, simple comme eux, répondit Pierre_
Et lentement, ils quittèrent la chapelle_ Pierre mit dans
sa p~ch
la grosso clef que lui avait confié le curé, afin
de la lui remettr e.
Tous trois marchaient, silencieux_ Ce fut Juliette qu1
rompit le silence.
~ Alors, notre cousine était si simple que cela? demand a ~
t-elle.
_ l,.a simplicité même, répliqu a Pierre dans un Boupir~
La jeune nUe, elle ne sut pourquo\, soupira aussi, puis,
après une certaine hésitalion t
_ Jo n'ai jamais osé, jusqu'à présent, vous demander
s'il n'y a pas au château un souvenir quo vous désiroriel
posséder. Puisquo nous avons parlé de votre chère disparue, permetV;lz-moi do vous l'offrir. .
Piarre la regarda it, surpris.
_ Je m'axcusa même d'avoir tant tarda, continua Juliette.
Le jeune homme reslail pensif:
_ Une choso, dit-il doucoment, une chose me ferait on
e11et un grand plaisir, uno chose sans grande importance.
- Oh 1 je vous en prio, murmu ra Julietto ... Et c'est 7..•
_ Mmo do Nièvos avait fuit relier les quolques lotlres
qu'ollo possédait do son mari, c'est la l'eule choso que je
désirerais poss6der, si vous consentez à vous en domunir.
_ Entend u, murmu ra Juliette , ot sa voix trembla it.
cc Quelle discrétion ot quelle délicatesse dans co
choix,
se disait-elle tout bus. JJien eilr, il a raison, entre sos mains
ce souvenir prend toulo sa valeur. NOU3 no savons pas où )
cela se trouvo 1
- Je ne l'ai pas vu, dU-ello honleuso.
- Comme sos lottres sonl roliées at que coIn formo un
livre, il doit so trouvor sur un rayon do la bibliothèquo.
Je le trouver ai bien, moi.
_ Bntendu, vous viendrez le chorcher.
Le soir venail, lent et doux. Un e bande de pig ons traversa le ciel. L'accablement quo Juliette avait espéré
�LE S CŒUR S P Rt DEST I NÉS
67
vaincr e p ar ce tte promenade l'écrasait der echef. E Ue
regardait P ierro qui, silencieux, march ai t à ses côtés . Elle
s'intér essait à la tristesse qui voilait son r egard, comm e à
son silenco. Pourquoi ce trouble en ell e? , .. É t ait-il causé
par tout ce qu'ils avaiènt dit, ou bien p ar la soUtudo et le
calmo qui les environnaient ? .,.
Mais, en approchant du ch âteau, ils entendirent des crig,
des rires, dos voix , ot Juliette r econnut Jacques, entouré
de qu elques amis qui a vaient déjà séjourné à Biccard.
J acques disa it:
- Jo les ai trouvés ù Biarritz, et ils ont voulu venir en
« surprise -parly n . E t 10 mot de « surprise- party n revenoit sans cosse .
A la vue de J acques, Juliette s'é tait sen Lie r assurée . Le
mirago avait passé ... A quoi donc avait- elle ,songé? ...
- Venez prendre le liVl'e et vous rostùr ez en « surprisep arty n a ussi, dit- ello à Pierre.
Co dernior avait p ill i.
- Non, merci, je vi enùrai demain 1
El, lonlement , il s'é loi gna seul. L o soloil so cou ch ait
dans un eiol clair; hl ruo était ùujà dans l'ombre. mais les
toils ulaian t encoro éclair6s . Des lampes s'allumaient aux
fenêtres basses.
Pierro pensa à so n enfance. Il se r evit, Lraversan t un
long coul oir, p énétran t ùans uno ch ambre <lui sentait
l'é thor, posanl ses lèvroil tremblan tes sur uno main p âlo qui
p ondait comm a une choso inorle, Co jour -là , celle poti to
IMin qu'il avait baiséo Mait eollo qui dOvait 10 pr endre
pour lui changer son des tin l p our 10 meUre sllqla rout e de
Juliotte do Villornia qu'il dovaiL aimer sans espoir, aim er
tlans la désespéraneo, a imer malgré son geste do pro tecti on 1
« Se rais- je <.lonc do CC liX qui subi ssen t la vio ot no lu
v ivent p as? »
Uno colèro sourdo monta it en lui contro sa lâcheté. Il
essuya do la vaincr o, so disant quo manquor d'énergie
n'est pos manquer d e courago, ct qu'il saurni l trouver en
lui lu foreo n6cessairo pour vi vl'e ct môme oublier 1. ••
�G8
LES CŒURS PRÉD ESTINtS
Le lendemain, désirant posséder le cher souvenir promis,
Pierre se dirigeait vers le château. 11 vit, dar.s les bois,
les hôtes de Mme de Villeraie se promener à p as lents,
cherchant à tuer le t emps n'importe comment, à essayer
de s'amuser dans les « surprises·party », comme ils disaient.
Haussant les épaules, Pierre prit la résolution, une fois en
possession de sa chère r elique, d'é viter tout ce monde qui
n'était pas pour lui. D'aiIle\lrs, so n travail était fini, il
l'avait expédié et attendait la réponse.
En passant devant les hôtes de M.me de Villeraie, Pierre
les salua sans s'arrêter, et eut un hauL -le-corps, en entendant Jacques J ousserand dire à un ami qui était à sos
côt és :
Excusez· moi de vous imposer la présence de
M. Dubosc, mais je ne suis pas encore chez moi.
Pierre se senlit blêmir et fut sur le point do l'evenir
~ ur
ses pas, mais son amour-propre le poussa à ne rien
faire. Juliette était sur la t errasse avec sa belle- sœur et
leurs amies . .11 cacha son trouble et expliqu a la raison de
sa présence. Juli elte voulut l'accompagner. D'un geste
brusque, dont il ne fut pas le maitre, le jeune homme l'arrtîta et sa voix se fit hautaine pour dire:
- Je connais le chemin.
- En effel, murmura Juliette saisie.
Dans la bibliothèque, les stores baissés mettaient une
pénombre qui f1t du bien au jeun o homme. f50n cœur ét ai t
ulcéré . Sa conduito, pensait·il, ne méri tait pas l'affront
qu'il venait de subir.
Ù
Regardant autour de lui, il disail un ullieu s upr ~me
cetto chambre tunt connue el, douloureusement, il se
demandait s'i! n'avait pas aimé davantage Mmo do Niùves
qu'il n'en avait ét6 aimé 1
Pierre repoussa cette pensée el se rappela qu'il était là,
alln de protéger la seule chose qui tenait a u cœur du
Mma de NiiJves ; il s'approcha de la bibliothùque cl chercha à so rappeler la place où il ,wail mis colle r eliqu e.
�LES OŒURS l'RÉDESTINÉIi
69
- Oui, la voilà, se diL-il, et pieusement il aUira ce qui
paraissait. être un livre et, machinalement l'ouvrit. Une
feuille tomba à terre; se baissant, il la .ramassa. En tête,
il vit, écriL : 26 février 1930.
- La veille do sa mort, murmura Piene; et ses yeux
dilatés parcoururent ces lignes:
« Mon cnfant bien-aimé,
ft Je me sens lasse ce soir, très lasse ct mue par un pressentiment que je ne saurais définir, je l'adresse ces
lignes.
« Si je me réveille demain, je mettrai de l'ordre dans mes
aUaires, mais si, par hasard, je m'endormais ce soir à jamais,
je tiens à cc que tu saches que tu as été ma consolation, ma
tendresse, ct que je te laisse ma fortune, la maison que tu as
bdtie ct tout cc qui se trolwe chez maître Sallé, notaire à
Bordeaux. Je t'ai aimé comme mon enfant, tu m'as aidé à
vivre, merci 1
a Comme l'exige la loi, i'assure que je suis saine de corps et
d'csprit ct je pense, avec une douce émotion, que jamais, dans
tes propos, tu n'as eu l'air de penser à ma fortune 1 Tu as
comblé tous mes désirs. Grdce à toi, j'ai pu exécuter le rt!ve de
celui que j'ai tant aimé ct que je vais enfill rejoindre.
« J'insiste ct répète que, n'ayant pas de famille ct n'ayant
connu aucun parent de mail mari, ma volonté expresse est que
Pierre Dubosc, 'lue j'ai élevé et aimé comme un fils, soit le
légataire de ma fortune.
c Je t'embrasse a(lcc toute ma tendrcsse.
~
« 'l'a mamall,
Juliette de Nièves, fiée de Kerlccq.»
Un vent plus frais, qui se levait de la mor, agitait Jes
rideaux. L'or Oamboyant du soloiJ se glissait par-dessus
comme s'il venait du plus profond du iol, oL Pierre 50
viL dans la glace, pâle commo un mort, tonant uno feuille
onlro los mains. Sa promière penséo fut pour l'outrage res-
�70
LES CŒUnS PRÉDESTINÉS
senli des paroles prononcées par Jacques J ousserand; il
eul un ric nement en murmurant:
« Je no suis pas encore chez moi, a- l -il dit, non, onoflet,
p as encore 1 » Mais le choc brusque de son cœur le nt chancolor. Alors, qu'allait-il faire ? .. Proclamor s richesse ,
reprendre possession dû cc qui n'avait jamais cessé de lui
appartenir, voir J ulietLe s'en aller il son tour, omme il
était parti? ... B lI e reLourncraiL il. Damlls eL cc serait
Uni... fini ... il ne la r everrait plus, il ne pourrail plus,
môme, lorsqu'il p enser ai t à elle, s'imaginel' son cadre, s
vic ... bIais lui -même n'était-il pas prêt au départ ? ..
Oui, c'est vrai, il devait p arLir ... Pierre pâlit, car il comprit, il ceLLe minuLe, la p ensée sournoise qui n'avait pas
encore pris jour 1
II parLh'ait, mais il r eviondrait ; Il avai t des :ütaehes
dans le pays, il possédalL SOl1 studio, il pourrait la voir,
même do loin, mais la voir. Ah ! m alheureux. 'omme Il
l'aimait 1 Comme son cœur sc déchirait pour clic 1 l!:lI e
était toujours sa p ensée , puisqu'elle faisait Laire tout autre
sentiment, le seul qui, il celle milluto, devraiL ·l'agitor. 11
porLa il ses lèvres le dernier écrlL de Mmo de Ni/.lves oL
tout haut r épétait: « P ar don .. , P ardOIl ... »
Des rires parvenaient de la LOI'rasse, puis un bruit de
chaises romuées, quoIqu'un applaudissait en di ~a nt :
- Excellente idée, dépêchons- nous .
Pierre entendit des p as qui montaient vivement les
quelques marches, La su rpris;) ressenti o et son angoisse
éLaient telles qu'il crut (J6:aillir, Bn \lll r éfloxe don L il n
lut pas maîtr" il r eplia Il feuille, ln l'epl ça tl uns le IIvro
eL l'enfonça dans le rayon d'où il l'avait pris, Pour so donner une ontenancc, il se mbla s'u!.>serbor tians sa re 'her.::1te .
. 1mo d o Villcra ie Iltl'uiL , suivi o de sos amies,
,JuliLLe s';lpprocba de Pierre,
- Avez-vous Lrouvé? monsiour Duùose.
- Non, l udomoisell, pas encore.
- D:'ll ' hons, di ~a
iL Claire, si nous youlon, al'riyor Ù.
temps.
�LES CŒUR S PRÉDESTINÉS
71
Et, en maILresse ùe maison accomplie, ell e dem anda il
Pierre de se joindre à eux pour aller il Biarri Lz . Il y a vai t
au Casino une soirée de gala unique: Joséphine Baker
devait danser, Chevalier devait chanLer.
Juliette ajoutait, en s'adressant au jeune homme:
- Avee l'auto vous ayez le temps de passer chez vous
et nous rejoindre.
- Excusez-moi, j'ai uno migraine atroco, si atroco que
je no parviens pas à trouvor le si précieux souvenir que
vous avez eu la délicatesse de m'oITrir, jo reviendrai le
chercher 1
Et, vivement, il sorLit par la véranda, prit 10 sen Lier en
pento douce qui menait à la mer. Ah 1 que les sensations
qui l'agilaient éLaient étranges et confuses 1 Ressentant
une immense lassitudo, il s'allongea sur le sable do la
grève. Sa Lêto lui semblait vide et le cœur lui battaiL si
fort quo c'en étaiL douloureux.
Jroniquo, il murmura;
- Bizarre faço n d'accueillir la for Lune 1
EL, sc reto urnant sur le sable chaud, tel un malade
dans son lit, il ne pouvait trouver 10 repes. 11 ne voulait
p as songer à e qu' il all ait faire; la migraine, qui lui avait
ser vi de pré texte, était vraiment là el lui serrait la l&lo
comme dans un élau.
La mer pâlissail avoc lu nuil. La soliLude élait absolue,
si absolue que mêmo 10 bruit des vagues n'interrompait
pas co grand silenco du soir. 'l'out ù coup, Pierre éprouvll
uno inoxplicablo Lrislesse l'envahir; il sontait que, ma.lgré
lu reconnaissanco de son coeur envers sa cMre Marraine,
col événemenl afl'ivait trop lnrd .
no envie ue pi llur .1' commo un enra nl le prenait el les
lar mos monluient il S.l gorh~
l l'é loulTa ienL. Pourquoi
avuit-Il remis le lestamont dan 1 li VI' , ol le Iivro dans
1 rayon? ... es vuit-on pa qu'Il Otuit venu Jo chercher,
alors pourquoi n pns l'avoir empo rt6?... pourquoi c LLe
amerlumo, collo dose pûrun('o (ri lui ?
Cotlo heur ava.it étû si rap i(!r, son gesle si machinal,
�72
L ES CŒ Un S pnÉDESTI NÉS
qu'il se demand ait s'il l'avait vraiment vécue. Esl -ce que
sans paroles , d ons le subconscient de son êtr e, Pierre ne
venait-il p as de se dép ouiller pour Juliette, ann qu'elle
gardâ t cette fortun e nécessaire à son b onheur ? .. E t ,
s'ap ercevant de son a mour à la grandeur de son sacrifice ,
il trouva là une nouvelle r aison de souf[rir 1
Plus que jam ais il scn tait la forc e de Sa p assion ardente
ct malheureuse . Son geste l'éclaira it à jamais, ce geste
silencieux qui accep tait la p auvreté p our lui, pourvu que
Juliette fû t h eureusc et riche 1. ••
- Pourrai - je m'en dét acher jam ais ? .. murmura- t - il.
Et d'avo!r prononcé ces paroles l'émut au point que,
prenant sa t ête entre ses mains, il pleu ra comme un
en fant sur lui - même, le cœur plein d' une pilié t endre,
imm ense, infi nie, pitié .de lui et peut -être a ussi pitié p our
JulietLe, cn pensa nt à sa soufTl'a ncc POssible, le jour où
son a mour pour ra it êtrc d éçu 1
CHAPITRE XI
LE DOULo unEUX
DÉD AT.
L'êté t ouch ait à sa nn. li y avait m aintenan t du vent,
d e la pluie ct des éclaircies brusques qui faisaient nambayer le ciel et la mcr. Claire pa rla it de par tir. E lle s'ennuyait da ns la grande maison déserte ct a vait approuvé
J acques J ousser and qui avait exprimé le désir de mettre
en vente le châ teau.
Juli etto nima it à so confiner dans la véra nda. S'étant
t ait une r aison, ello acccptait de so laissor cond uire par
J acques. Déjà , elle é tait nattée ùo sentir l'ascendant de
son fi ancé, lorsquo, avoc la logifjue qui 10 car actérisai t, il
exposait sos idées. On lui disait souvont :
- Vous avez de la ch ance d'épouser Jacques J ousserand,
c'est un garçon intelli gent, sûr de lui , il arrive ra ü tout,. ce
q u'i l voudra.
�LES CŒURS l'nÉDESTINÉS
73
- Alors, se disait Juliette, pourquoi n'arriverait-il pas
à me rendre heureuse? .. N'acceptait-il pas de m'épouser sans fortune pour la seule raison qu'il m'aimait ? ..
Elle pensait aussi à Pierre Duuosc qu'on n'avait pas
revu. Lui aussi partirait bientôt et cette pensée la consolait un peu de la décision acceptée par tous de vendre le
château. Elle murmura:
- Il faudraiL tout de même que je lui remette le souvenir qu'il désirait, je ne puis accepter que ces leUres se
vendent avec le reste.
Et, brusquement, la jeune fllle se leva, alla à la
bibliothèque el s'acharna à regarder les livres un
à un, dans l'espoir de découvrir celui que Pierre avait
cherché en vain. Consciencieusement, elle les regardait l'un
après l'auLre, certaine de ne pas se tromper.
Juliette était arrivée au troisième rayon et ses yeux
remarquèrent un livre sàns titre. Sa main le prit avec une
attenLion par~iculèe.
C'était celui·là, en elTet.
Vite, Juliette retourna à sa place. Elle resta un moment
immobile, se demandant si elle avait la droit de parcourir
ces lettres, puis, posant une main décidée sur le livre
resté sur ses genoux, olle l'ouvriL au hasard. Elle tomba
sur ces lignes;
c Juliette,
La jeune fille tressaillit en lisant ce nom ... le sien 1
c Voulez-"oU! ne pas dédaigner l'amour immense que je
ressens pour "ous 1... Vous n'en pourrez conna2tre aucun qui
ait la sincérité de celui·là ...
«Je caresse le ri"e d'ltre toujours dl'os cBtts, attentif à 1'01
moindres peines, désireux d l'OUS [es faire oublier 1
« Mon cœur gémit en peTisant d toules les Bougrances que
l'OUS a"cz connues. Je "ous aime, Juliette 1 Un eTichantement
soudain me pOlisse l'crs l'OllS 1
u Je me sellS lié à "ous iu~ql'cétern
1 Dites, le l'oulez"ous, Juliette 1... Je Ile puis plull l'il're BaM "ous 1
�74
LES CŒURS PRÉDESTINlis
«L'univers n'existe plus, tout est eUacé, je pous aime... je
pous aima ardemment ... uniquement ... Ahl combien je poua
aime 1...
« Daniel. ))
11 semblait à la jeune Olle que son cœur cessait de
battre. Jamais elle n'avait ressenti la force d'une telle
tendresse 1 Quelques lignes, pourtant. Mais que ne renfermaient-elles 1
La vivante envia la morte qui avait Su insp irer pareille
ferveur. )jjl Juliette omprit la puissance des mots, le lien
de la parole, chaîne d'amour qui engage deux: êtres 1
Une larme humecta ses paupières, en songeant qu'elle
ne les connaissait pas, que sans doute, auprès de Jacques,
àtl'esprit si pratique, elle ne connaÎlr,Jit jamais co borco ment
divin.
A cette penséo elle oul presque un sanglot, puis, d'une
main frémissante, olle tourna les fouillos do co carnet
d'amour. Dans ce mouvom cnl, uno feuille so déLacha ct
tomba sur ses genoux. Surprise, elle l'ouvrit aussitôt.
Au premior abord, ello no comprit pas; c'é tait si différent de ce qu'elle s'a ttendai t à Lrouver, puis, r c li ~a nt consciencieusement, une grande lumière so nt on olle 1
Co testamenL que 10 notaire a va il chorcltû parLout, la
dornière volonté de lour cousine, sa volonté suprOmo éta iL
là, sous ses youx, expresse ct catégorique.
'l'out cc qu' lis possédaIent depuis quelques mois éta il à
Pierre Dubosc, à Pierre entièrement. Juliette l'.)!ul encore;
« J e suis las.9C ce soir, tl'dG laslc , et mue par ItrI pressl'nLimeil! que je ne saurais ddfirtir, je t'adresse ces lig7e
.~ : Si
je me rtlpcille, ja metlrai de l'orclre à mes aUaires , si, par
hasard, ja Irf'endormais cc soir clans le bOllheur à jamais, je
tiens d cc quc w saches que lu as été ma cOllsolation, ilia /1'/1dresse, et que je le laissc tout!' ilia lor/ulle 1 »
Julie1lo arrêta sa loclur , désirant nalyser 10 scnUmcnt
qui l'onvahis3f1it. Ello rouilla :lllxi llso menL sa olH\(' ionco,
�75
pénétra dans son jardin secreL, dans ce « moi» lointain et
profond qui ne saurait menL~r.
Ses lôvros murmu rèrent:
- C'Qst juste, très juste. Elle aimait l'ierre comme un
fils, ello ne nous connaissait pas.. . C'est juste!
Et, Lout à coup , elle découvrit combien la pensée de
l'ol.lbH do leur cO\lsiue envers Pi_l're ne l'avait pas suffisalUmen~
frappée,
La jeune fille songea i.I Claire, b. flO n frère, et cnlin à
J3,equ
~5,
son fianc61 E!lQ a ïri~a
de la pein':! inexplicable
quI venait l'oppre3ser !
Mon Diou, comme Sa{\5 s'en douler, elle s'MaiL assimilé
à son ontourage, à loul's projets ... c'était Slns doute parce
qu'j( all aH falloit' los abandonner, que 'e lle oppression
venaiL en ello. EllQvoulut 10. vainCre, ct, doucemont, posé ·
ment, rolut la fin de la ~ (:l ro :
Lr:S CŒUnS PRÉDr:S Tll'lÉS
u J 'insiste et 1'épète quc, 'l'ayant pas de famillfi, n'avarlt
CO/lIIU (lUCU/l parent de mQI~
mari, ma volonté expresse est
que Pierre D",oosc que j'ai élec>é et aimé comme un {ils, soit
II! ldcatai,.e de ma f01'tullc 1 »
Cetle voix, qui s'élevail d'outre-lombe, ne pouvaiL êtro
phls notte. J utieUo, pr6\'oya nt un comba l possible du
ô~6
de Claire, voulut prendre quelques inslants deréno~i.
Ello out un sourire cn songeanl que Pierro no vendl'ait
pas 10 ehûteau.
J) ~s
souvcnirs lournai 0 nL ' ulour d'eHc; son arrivéo
dans le pays, son nrhantement ù lu vue do la boUe mf\ison, sa promièro visiLe à Piono.
Blle 6 souvint aussi rom bien il avait él6 brusque la
net'ni "re fo is, lorsqu'elle lui avait proposo do l'accompagner ù lu biblioLhl'lque. )l y avait à pcin'3 quolquos jour;;,
cL il F;l'mhlait ft .luli 'lLe que ('c1a l'e perJaH ();,l1S la nuit
tl t'S l IIIpS.
Avec qu Il e c1uir voyan 'c, Julielt ' jl~f'\
le (':tracLere
dr l'ir.rrll Dubosc qlli n'était pns de leur rr\ondo. q1l'on ne
voulait pa' trop fl'équenter l qui, par sa soule IO(lune,
�76
LIIS
cœuns
PRÉDESTINÉS
allait voir toules les porles s'ouvrir devanl lui ... pendant
« qu'elles se refermeront pour nous», dit-elle tout haul!
_ Allons, fit-elle, en se levant, tâchons de lui ressembler, à ce fils de paysan, comme dit Claire, il nous a montré le chemin.
,
Et, résolue, elle s'apprêtait à aller rejoindra son frère,
lorsque celui-ci entra dans la bibliothèque, suivi de Claire.
Celle-ci tenait une lettre à la main.
_ Juliette, dit-elle, en voyanlla jeune fille, M. Rullarl
m'écrit qu'il a fait une véritable trouvaille. Un hôtel délicieux dans le parc Monceau et il me demande de lut
répondre immédiatement, craignant de perdra cetle occasion.
Jean était soucieux, il risqua timidement :
_ M. Rullart s'imagine que nous sommes beaucoup
plus riches que la réalité, cet hôtel serait une folie.
Claire haussa les éeaules l
_ Mon Dieu, combien de lois laudra-t-il ta répéter que,
par Jacques, notre fortune nous rapportera plus que lu te
l'imagines. Guéris-loi, je t'en prie, de cette appréhension
pour la dépense, excusable à la rigueur aux maigres traitement de Damas.
" C'est inouï, mon pauvre Jean, la peino que tu as à te
considérer riche, ma parole, pas plüs que M. Dubosc, lu
ne méritais ta chance. ))
Juliette s'était écroulée dans un fauteuil. Quo ces paroles
qu'on prononçait étaient vides do sens.
Claire la regardait, étonnée:
_ C'est drôle, Juliette, una aulro à ta placo aurait
appuyé mes dires, car enfin jo parle de ton fiancé 1...
La jeune flUe soupira. Elle rossentait un senti mont confus, qui ressemblait à de la peur. Elle se disait lout bas;
_ Laissons-leur encore quelques minutes d'illusion,
Claire est si heureuse à la pensée de cet hôtel... Pauvre
Claire!
Et elle 6prouva de la compassion pour sa balIe-sœur,
qui serait certainement la plus attointe. Mme de Vi\!craie
�LES CŒURS PRÉDF.STlNtS
77
alla s'install er pour répondre à la lettre de M. Ruffart.
Souriante, elle annonça:
- J'écris que c'est entendu, et que nous serons à Paris
dans une semaine au plus tard.
Et, s'adressant à son mari :
- Tu comprends, Jean, qu'il faut que nous soyons
complètement installés pour le mariage de Juliette; et, se
tournant vers la jeune fill e :
- Tu entends, belle rêveuse , c'est de Lon mariage que je
parlo. Heureusement que je suis là pour m'en occuper 1
- Vous allez avoir bi en d'autres occupations, ma pauvre
Claire.
- Elles no me font pas peur.
- Tout mon cœur le souhaite.
Juliette continuait à se taire. S'il n'y avait qu'elle de
frappée comme ce serait simple. Elle n'avait pas . senti de
jouissance oITrénée p ar cette fortune. Le sort qu'eUe avait
à Damas ne lui paraissait p as misérable, mais Claire ..• et
Jean derriôrè Claire, Jean qui ne pouvait pas vivre sans
voir la joio luire dans les yeux do sa femmo.
- Voilà, disail Mme do Villeraie, la lettre est :écrlte et,
comme il no faul jamais r emettre au lendemain, je vais
la laire porler tout de suito à la gare.
Et, se levant , la jeune femme s'approcha de la sonnelte.
Co geste décidaJulielte.
Elle so dressa brusquement :
- Tl ne faut pas envoy er cette lettre, c'est impossible.
J ean et sa fomm e la r zgardèrent ahuris. Ils CurentCrappés
de son visago très pâle, de ses yeux cernés:
- Es· lu souITranlc, Juli ette? demanda son frère aITeclu eusomonl.
Elle fa non do la tête et répéta:
- Claire, il no faul pas envoyer cette loltre, il ne faut
pos songor à louel' ccl hôtel, c'est imp ossible! Dieu m'est
lémoin que, si uno angoisse m'étreint, c'est pour vous deux
uniquement, pour vous surtout Claire, qui étiez si heu·
reuse d'êlre riche.
�78
LES CŒURS PRéDESTINBS
« T ac h ~z de r assembler votre courage, ma sœul', nous ne
10 som mes plus 1
_ Es-lu Collo'? s'éc ria la fomme do Jean.
_ Non, je vous jure quo j'ai tout mon bon sens, Vous
suve?, n'est-ce pa,; , que le notaire ne nous a pas caché son
étonnement au suj et du manque do testament 7... Mmo de
Nièves avait fait son testament, et c'est Pierro Dubosc
l'héritier.
Claira dut s'asseoir, il lui semblait quo tout tournait
autour d'elle l
_ Était-il entro los mains do M. DUbosc, dit-clle en
r oprenant son sang-Croid, qui jamais ne l'abandonnait dans
les momonts c.ritiques.
(c Du moment qu'il l'a oo.e116 jusqu'à maintcnant, quel
est 10 mobilo qui le pousso :l parler aujourd'hui, car c'est
lui qui l'a dit celu, n'est -co pas?. . lui, ton ami 1
_ .\1. Duhosc ignore l'existonce do cc testamont, c'est
moi qui viens de 10 découvrir il l'instant, et par hasurtl.
Claire r ospira :
_ Jo compronds maintenant la tristesse qui t'accablait
dit-elle. Et où l'as- lu trouv6 ?...
_ J e: l'ai trouvé dans un livr
~ , ou plulôt dans le recueil
d s lettre3 quc notre cousin e avait fait r elier, ct quo
M. Dubosc , il qui jo i'uvais offort, était venu chorchor li y
a quelques jour3 , vous vous souvenoz, Claire, 10 jour où 11
a refu sé do 50 joindre ù nous pour venir
TIi nrritz.
Cluire chancelo. il ln p(>nséo qu'clio exprim a d'une voix
sons t imbro, disant:
- Lo hasard nous ost vraim ent favornblo. LI ôtait on
offe t i, i ct n '~ pas lrouvo co Iivr Juliette eul un gesto d'impatienco qu'clio rnutlrisa en
ponsant quo sa bello-srour o.vait parl() sans sc rondre
compto do la por~6
do ses paroles:
_ 'l'tl entends, disait Claire, uvec un rire où !l0 devinait
son allégresse , M. Dubosc n' u pas trouv6 cc livro ollcrt
pal' J uliott 1
« Ça, alors, c'est uno chanco ... nous so mmos vernis 1
�LES
cœuns
pnÉDBS TINÉS
79
Juliette , cette fois, comprit . Elle devint blême et, malgré
toute sa volonté, aucun mot ne put sortir de sa gorge
contrac téo.
- Fais voir ce testame nt, disait Claire en allongeant la
main.
Juliette le serra dans la sienne. Elle savait mainten ant
qu'il y avait en~r
leurs consciences une barrière qu'ello no
pouvait définir encore, mais qu'elle sentait infranchissable.
- Fais voir, répétait Claire, d'une voix curieuse.
- Jo préfère vous le lire, répondi t Juliette d'une voit
ferme, en regarda nt sa belle-sœ ur dans les yeux.
Jean avait tristem ent baissé la tôte. Un long silence
succéda à cette leeture. Ce fut Claire qui )e rompit :
- 'l'out cela, c'est très joli, dit-elle , mais votre cousine
n'avait qu'à prendre ses précaut ions; on ne fiche pas un
testame nt dans un livra de souvenirs. Son ms d'adopLion
aurait hérité, nous aurions continué notre vie sans ce
bouleversement grotesquo.
Et, s'anima nt:
- Non, mais on n'a pas le droit de bousculèr ainsi la
vie des gens, de les rondre ridicules, car, enfin, vous le
comprenez l'un cL l'autre, n'csL-ce pas? le ridicule sans
nom qui rejaillir ait sur nous 1. .. Le destin a bien arrangé
les choses: il n'y Il que nous qui sachions cola, oh bienl
c'esL très simple : déchirons ce papier, brûlons -le mômo
et quo touL soit enterré l
- Jean, cria Juliotte , Jean ... dis à La femme de sc
taire, c'osL horriblo cc qu'ello dit là, Joan!. .. Jean 1...
Blèmo, son frère so lova, alla vers ell0, lui caressa les
chovoux l
- Calmo-toi, ma chérIe. Claire a parl6 sous le ooup d'une
6moLion assez naturello. Nous allons réll6chir, discuLel',
voir. Calme-Loi.
- DiscuLer, scan 'la Juliotto , rôfiôchir? mais qu'uvonsnous à discuto r? .. Depuis six mois, nous jouissons d'~no
forLune qui ne nous appartio nt pas; aucuno diSCUSSIOn
no peuL hanger eolal
�80
LE S
cœ ults
P RÉ D ES TI N É S
Claire ne se posséda it plus :
- Alors, disait- elle, tu penses rendre cette fortune ? ...
c'est cela, n'est-ce pas ? .. je t'ai comprise, tu vas nous
dépouiller et toi avec nous, au proHt d'un étrange r!
J ulieUe ferma les yeux pour échappe r au spectacle qui
était devant elle. Elle ne pouvait support er la vue de sa
belle-sœ ur s'accrochant aux vêlemenls de son mari el lui
disant a vec des larmes dans la voi x ;
- Mais lait compre ndre à ta sœur qu'elle veut commettre
un crime, qu'clic n'a p as Je droit de nous dépouiller
ainsi!
Ce Iut Juliette qui répondi t et de quelle voix cinglan te :
- Vous oubliez une seul e chose , c'es t que c'est nous qui;
en réalité, jusqu 'à aujourd 'hui, avons dépouill é ce t étrange r .
de ce qui lui appar tient!
son
« Nous sommes dans sa maison, nous vivons de
!
e
travaill
lui
que
t
pendan
,
argent
- Juliet te, disait J ean, Juliette, de grâce, tais-loi , songe
qu 'on pou l'rait nous enlendr e et <lue cetle discussion sorait
une honte!
Ah! toutl'espeir que Julielte a vait mis en son frère 1 Voilà
toutIce qu'iltro u vaiLà dire! La jeune nUe sentit un accablement affreux, et celle soufTran ce étail la pire de toutes 1
- Quelle horrible chose , qu'es t l'argent , di t Juliette,
puifoque sa puissance rend les êlres lâches. Elle dit encore :
- M. Dubosc , ce fils de paysan, comme vous disiez,
Claire, a r enoncé il oette fortune uvec un a utre chic que
vous 1
Et, devant le geste do son rrère :
- Pardonn e-mol, J ean, mais moi aussI JO soufTre, je
soulYro a trocoment, pas aul unt de la pe lto de ce LLe fortuno
que du spectac le ina ttenùu et doulour eux qui cst sous mes
yeux l
Ell e s'apprê ta it à partir, Rontant que touto discussion
éta it inutile et mème impossi ble, lorsque J acques parut.
Tout l'élan de son être la jeta vers so n fiancé, vers celu i
qui j'a vait choisie et aimée pauvre :
�LES CŒU RS PRÉD ESTI N-ÉS
81
- Jacques, cria -t-e lle, Jacq ues, vene
z vite l
Le jeune homme, surpris, rega rdai
t autoul' de lui:
- Que se pass e-t- il ? ..
Juli ette , à bou t d'émotion, pria
sou frère de tout
expliquer.
Jj:lle, plus apaisée, alla s'asseoir
dans un coin do la
véra nda , un peu il l'om bre, s'efT
orçant il s'intéresser au
coloris do la mer, au bruissement des
vagues, aOn d'at tend re
avec calme la décision de Jacq ues.
Elle ne dou tait pas de
lui. Il sava it que sa fiancée étai t vail
lante, il n'au rait pas
besoin de raire li sa conscience les
concessions de Jean à
cause du cara ctèr e de Claire.
Juli ette entendait son frère parl er
il voix basso ct aussi
les soupirs de Clairo. Pou r ne plus
rien entendre, eUe
ouv rit une glace de la ,éra nda . Uai
r frais lui nt du bien ;
10 ciel étai t rose, les oiseaux dans
les arbr es criaient à
tuc- tète .
Oh 1la paix do la natu re, nlors
que les hommes se
déchirent pou r un peu d'or l... Elle
entendit un pas qui
venait vers olle, des deux mains elle
pressa son cœu r, tant
ses batt eme nts désordonnés lui étai
' nt pénibles.
Elle voulait espérer, mais, tout d'un
coup, elle eut peur,
peu r de souJIrir encore dav anta ge:
- Juli ette , disait une voix qu'elle
connaissait bien.
Le son étai t calme eL doux. La jeun
e fille respira et,
retr ouv ant conflanco, elle 50 reto urna
vers son fiancé.
Jaoques s'éta it assis ct amicalemen
t lui faisait signe do
venir à ses côtés. Ello y alla ct
atte ndit que Jacq ues
parl ât.
On ente nda it, si gran d étai t 10 silen
ce, le tic tac de la
pendule qui se trou vait à l'ex trém
ité de la gran de pièce.
Juli ette no pou vait s'emp~chr
de songer que c'éta it la
chambre où Mme de Nièv\s ava it
écrit sa dernière volonté,
et, dans co tic tac, la jeune fille
s'im agin ait ente ndre le
batt eme nt de co cœur.
- Voulez· vous mo prom ettre de no
pas m'in terr omp re,
disait Jacques.
6
�82
LBS
cœuns
J>RÉDES 'l'INÊS
Votre frère m'<,- mis au courant.
-- .Je vous le promets.
Et, attenlive, baissant les yeux, olle attendit.
- Bi en sûr, commlilnça-t-il, votro mouvemont est
tous cu, en faisant la
compréhensible, ct nousl 'aurion~
Joan.
rév61éo
découverte quo m'a
- Merci, dit JuliotLe dans un sourire.
- Mais, le promiel' mouvoment, il faut le raisonl1er.
Supposez. un instant que vos cousins de Nièves ne soient
pas venus ,,'installer dans cc pays, M, Dubosc restait cc
qu'il était, do cela vous ne pouvez. qu'en convenir, n'éstcc pas?
ost
u Bien entendu, la volonlé de Mmo de Nièvos
seules
discuton
nous
pas;
s
discuton
la
oxpresso, nous no
ment le tort immense que nous causo son imprévoyance.
Vous le savez, moi, j'ai renoncé à ma maison d'exportalion
de Damas, vOlre f,'ère a donné sa démission do consul... Alors,
quo fairo?... J'y songe sans cesso. Comment conciliel'
l'honnôteto stricte que vous éprouvez avoc la situation
créée pur l'imprévoyance do votre cousino, je le répèto ,
« Un testamcnt 80 d6pose chez un notaire, dUllS un
'oITI'e-fort ou encoro dans un liroit', mais, dans un livre, on
n'a pas idée cie colu 1. .. »
Juliette voulut r6pondl'o :
- Non, non, dit Jacquos, vous avez promis de ne pas
m'interrompre.
cher ha
« Je vous ùis quo jo vous compr(mds, mais je
, que
trouver
le
un moyen do tout concilier, nous devons
diable 1
~ Jo YOU X bien admettl'l: que notre strict devoir ost da
portor ce t.ostament il l'Il. lJubosc .
- Morci, murmuru oncoro Julietto.
- l'liais avez-vous song6 à co quo devicndl'tl vùlre frère.
auquel fOl'c6menl vous vous in térossez davant(lg:,) qu'à un
6tranger' ? ..
à 53
« j\ 'ost-co plIS !Ion devoir li lui aUl:isi de 60113'e1'
enranW
un
pas
n'est
vio
Lu
..
o?
fommo, et do la détondl'
«
�I.E., CŒUn .
PRÉDt:STllnls
11;;1'. Il a donné sa démission. Ponrra-t-il, ùu jour an
l endemain, réintégrer un peste, et, en plus, comment ferez·... ous pour rendre à l'héritier tout ce que vous ave7. déjà
dépensé. Vous n'en possédez môme p:Js le quart.
Malgré sa promesse Juliette répliqua vivement:
- Je suis certaine quo M. Dubosc no l'exigera pas.
Jacques fit une grimace:
- Laissez-moi vous dire quo j'on suis moins certain que
VOliS.
« Votre esprit romanos que vous j'ait voir l'huID JniLé t rop
belle, elle ne l'est pus, JulioLt e. C' est, au contrail'o , uno
guerre acharnée quo sc livrent les hommes, \1ll0 g uerN ~
outrance, où chacun doiL passer le premier, coû lo que
coûte, on piétinant son prochain ponr qu e lni-m ti me n ~
soit pas 'crasé 1
u .J 'aurais "/Oulu vous la.isser vos illusions, Je ùcs tin
imbécile no l'a pas voulu.
- I.e destin auraiL pu, interr ompit encor" Ju ielle,
perm ettro à M. Dubosc do trouver cc livre lui -mGwo; il le
cherchait il y a quelques jours.
Jacques eut un sourire qui échappa à b jeune nlle. 11
voulait juste ment l'obliger ù celle remarque.
- Trl's vrai, ma chère Juliotte, ct alors nous n'avions
qu'à cOllrber ln tt3te 1 M, is on no ln combo pus quand on
Pf\lt so défendre; quand la vie vous I]onne un atout d:ms
les mains, on s'en serL.
- Ohl ... soupira Juliette .
- Pardon, ini>islait Jacques, {'coutoz-moi jusqu 'm l boul,
jo n'o i pas fini, suiv ez mon rabonnoment.
« 1 e Lrouyoz-veus pas , vruim{'nt, lue lu VitHI sulllsammont gâtô :M. Oubosc? .. . Voilà un mu dn paysè\o t!ui,
~ns
rattachement ct la bonté dn Mmo li Nié 'èS,
l'ultiverait la tCI'ro comm sa famill ll i
"Le voilà in ~tru
it,
éduqu u, po~ sé d :l nt
son dIplôme
r1'uf<%Leclc.
C( Il pense parlit' pour l'Amériljuf.',
c'l'!ll lui qui me l'a
dit, il gugll eru là- bas un forlun Pl'ut -"tre l'gale à cello
�LES CŒURS PnJ:: DESTINÉ S
qu e vùulail 'lui laisser votre parente , et vous trouvez que
ce n'est pas suffisant? .. Voyons, Juliette , reconnaissez avec
moi, avec nous, que le destin, pour une fois, a voulu
rétablir une chose équitab le: cet étranger a assez reçu d'un
membre de votre famille pour ne pas la dépouil ler tout à
fait 1
mol employ é par Claire, dit tristeme nt
- Le m ~ me
Juliette .
- Mais oui, le m(}mo, parce que la vérité est uneI
-- Et qu e, comme toujour s, vous êtes SnI' de 10. .posséde r,
interro mpilla jeune fille d'l!ne voix devenue âpre soudain .
- Ce qui veut dire?..
~
J1Iliette, d'un geste brusque, passa sa main ~ l son fron
fiancé
son
t
egardan
r
puis,
arrière,
en
cheveux
et rejeta ses
en face:
- Ja cq u e~ , à volre tour, éCOUlez-moi. Votre long
djscours , vos préamb ules qui m 'ont trompée , ne changen t
rien à mcs sentime nts.
vol,
« Je considè re que c'est un vol, vous m'enten dez, un
et
pas,
ent
que de garder une fortune qui ne nou, apparli
rairo
à
cherche
qui
erse
je me refuse à toute cette controv
pression sur ma conscience.
Adoucis s:mt la voix, elle continu a:
- Jacques , j'étais pauvre lorsque vous m'avez cllOisie,
et, mon Dieu 1 étions·n ous donc si malh eureux? .. Souvenezvous de vos paroles quand on nou!! annonça cet Mritage ~
« Heureus oment, m'aviez -vous dit, que nous étions
fiancés avant cette fortune, san,> cela vous auri ez pu dou ' cr'
de ma tendress e! »
..
« Eh bien 1 Jacques , je ne veux pas en douter aujourd 'hui
nL
d6lrime
au
mùme
adoroz,
vous
que
or
cct
de
Au-dess us
de la plus stricle honnê1et6, je place d'abord la condi ion'
d'estim er, de rcspec '.er, d'admir er Inôme l'homm o dont je
portera i le nom ... C'est le b esoi n de toutos les temml's, ' je
crois, el, en tous cas, jo suis ce:rLaine que c'est 10 mien.
« Pauvres , soil; mais dignes l'un de l'aulre, que je
puisse sani rougir fixer votre rrgnrd 1
�LE5 CœUl\8
pnLlDp.sT1Nlls
85
, « Jacques, comprenez-moi, noirû amour est en jeu, nolre
avenir, notre vie commune. Il me faut, vous m'entendez,
immédiatement sortir de ce cauchemar où vos paroles
m'ont plong6e.
Elle eut comme un sanglot pour ajouter :
- Que mon frèro ait éprouvé une cerlaino faiblesso en
pensant à sa femme, à la riguoul' je puis l'excuser, car je
suis cortaino qu'il va. se ressaisir. Mais vous, Jacques, vous
avez devant vous une jeune fiUe simple qui n'a trouvé
aucune jouissanco dans cetto fortune qui a fait de vous
des êtres nouveaux quo j'ai peine à reconnaitrJ et à
comprendre 1
« Expl!quez la situalion à Damas et repre nez vos intérêts
dans la maison d'exportation. J e ne connais pas d'aulre voie 1
« Quant à Jean, lorsqu'au ministoro il expliquera le cas
présonl, quel es t l'homme qui n'aura pas pour mon frère
assc,z d'es lime pOUl' lui rendre son poste, malgré sa
démission. »
Et, s'indignant:
- Voyons lout de môme, Jacques, nous n'allons pas
3evenir des voleurs? .•
Jacques nc répondit pas; il avait compris qu'il n'avi~
pas p ersuadé sa fianc6e. Et, pendant que cello-ci d6voilait
les besoins do son âme, le jeune homme comprenait
qu'un fossé les séparait désormais.
,
Ouj, ill'avail choisie, oui, il l'avait aimée pauvre, mais
connaissait-il la vie, là-bas, dans cetle ville lointaine qui
s'appelle Damas? .. Avait-il approché les heureux de ce
monde?..
S'était- il gl'isé ù leur contact?.. Maintenant, sa conscience était aulre, il le savait 1
La renommôo, l'argent, la gloire, la puissance, voilà les
choses qu'il d6siI'ait âprement.
Sachant qu'il allait êtro riche par son mariagc, toutes les
porws s'ôtaient ouvertes devant lui; on avait vanté ses
capacités, son nair des f~ fTair
es . Bien des remrneslui avien~
60uri 1. ..
�86
LE S CŒURS l'RJ!DESTINÉS
Retourner à Damas, disait Juliette ... Sè contenter d e l a
maison située sur la place où couic ln petite font niné qui
autrefois les enchantait? ..
Non, il ne le pouvait plus. L'estime, la cOllsidér ation,
l'amour donL avait parlé Juliette, il ne pouvait les acheter
au prix do tous ses l'Oves, de tous ses désirs ... Il avait
changé 1
L'amoul' n'était plus le Deul besoin de son tre. 11 sentait
en lui des forces insoupçonnées. Il se croyait appelé à do
grandes missions. Il en avait entrevu les possibilités ...
Et le silence terrifiant de la mert s'appesantirssait GUI'
ces deux êtres qui ne se comprenaient plus.
- Jacques, murmura Juliette, qui sentait sur el191a l11 0i n
inexorable du destin, Jacques, pourquoi ne me répondezvous pas?
Le jouno homme baissa la tôte, il 6tait embarrassé .
- Vous otes une grande exultée, Juliette, et jo croiG que,
nOus
e soir, il vaut mieux ne pas conlinuùl' cett discu~on;
courons le r isque de gretTer SUl' une atTail'e ennuyeuse un
nouveau malentendu.
- Je vous en !1l'ie, insista JulieLle, ne l'omettons pas, je ne
poumü attendre dnvantage.
J acquos poussa un profond soupir.
- Puisque vous le voulez, excusez ma franchise.
« .1 e vous ai aimée snns fortune, c'est exact , mais je
Ftens une légi time révolte en moi, après Lous los e/l'Ol·ts que
j'ai f(lits, apl'~s
10 si llon que j'ni trllc6 pour un avenir heuj'OUX, d'aba ndonner LouL celo pour uno raison que je ne
parviens pas il admettre 1
u Non, mai!:! voyoz-vous la famille do M. Dubosc eL
même lui-même il la place où nous so mmes? .. . c'est il
mourir de riro, ma parole.
u VOU!! appelez celn un vol; moi j l'appelle justif'o, l esliLuLion, chacun à sa place.
« Et puis, Juliotte, je suis un homme commo les autros,
ni pite ni moilleur; je no puis, de gaieté de cœur, rouoncor
il unù fortune quo j'ai considé1'6e acquise. Je ne l'attendais
�87
pns, c'est entendu , mais elle est venue, c'est peut-êt re aS ~ l
pour que les idées d'un êt.re changen t.
« Ne m'en veuillez pas si possible, mais cette vie à Damas,
qui vous suffi L, je ne puis plus l'envisa ger. Ne me
jugez pas trop sévèrem ent. RéIJ6chissez avec calme, faites
l'eITort de me compra ndre : prenez votro t emps el, lorsque
vous m'aurez compris , vous me répondr ez. Il
Juliette était devenue do glace. C'6tait Jacques , Jacques ,
son fiancé, qui pal'bit ainsi ? ... Ello en demeur ait écrasée!
Jamais ello ne lui iJ.vait fuit l'injure de soupçonnE.'r le
moindre de ses mols, uno seulo de ses pensées ... Elle cherchait à se représen tel' (',e beau regat·ci franc qu'elle avait
connu chez Jacques et qui l'avail attirée.
Encore une porte, et combie n doulour euse! DepuIs 4ue1ques minutes , c'était chez la jeune fille uno mort où l'on
continu erait ù souITrir. Un grand frisson saisit b pauvre
Julielte , mais elle voulut cachor sa souffrance.
L'homrn e qui Matt à ses côtus, ello no le connais sait plus;
10 mOpris dont son œUr 6luit l'empli avait enseveli son
(lancé.
. - Quello inconscience, murmu ra-t-ell e.
Elle no sentait plus quo la tonsion do seS nerfs; on ùehors
de cele., c'éL:l it le vide, l'inconn u immens o, immense comme
ln mol' qui, de lil- has, l'evenai t n ec la marée.
- Jacques, dit-elle ennn, J acques, vous n'êtes plus qu'ua
étrange r pour moi, un être que jo ne connais plus, quo j
n'ni jamais connu. Riche ou pauvre, jamais je ne serai votro
femme: jo vous rends votre parole ct je reprend s ia mionne'.
« Rien, rien au monde ne me fera hanger d'avis, de
cela, il fout ùn être certain.
-- Bl lout cola pour un étrange r, crill Claire qui s'étnit
rapproc h6e.
Jean nL signe à J acquos de s'éloign er; les deux hommos
sortirent ensomble.
- Oui, pout' un étrango r, criait. Claire, plus qu'un étranger, un paysan qui n 'es~
pas de notre monù\).
JulieLte eul un sonrire sarcasti quo :
�88
LES c œU RS l' IIE D ES TIN BS
- Ah 1 il est joli, en effet , notro monde, et nous pouvons
en t'l lre fières 1
Et, ne pouvant plus refréner ses p aroles, la jeune mie dit,
en s'approchant de sa belle-sœur:
- Depuis que je suis iet, je vous entends répéter cette
phrase stupido;« P asde notremonde ,pas de notre monde ... »
Claire, exasp érée, cria à son tOllr :
- Mais n on, il n'est p as de notre monde, et même toi, oui,
toi, tu en as saisi la nuance ...
- Moi? .. Moi? .. que voulez·vous dire?
L a femme de J ean ne se possédait plus :
- Mais oui, insistait -olle, même toi, car il t 'aime, ce gal'ÇOll, il L'a ime comme un fou, et, s'il ava.it été un homme de
notre milieu, malgré tes fiançailles avec J acques, tu t'en
serais ap erçue .. .
« Il n'y a pas de temme qui se tromp e sur les sentiments
qu'elle inspire... Te voilà r enseignée 1 »
Telle unc bête traquée, Juliottes'enCuit ot cournt s'enformer
dans sa chambro. Une fois so ulo, elle so lojssa tomber dans
un fauteuil, joignit los mains sur ses g'u nou x Ll'omblants.
RUe resta là longtemps, les yeux formés et la honte t ordant son cœur fil monter en olle une onde de sang, qui lu
brella jusqu'aux ye ux .. .
CHAPITRE X II
D i; CJ SIO N D'U
N~
CONSCI ENCE .
Étendpo sur un fauteuil, face ù lu fenêtro, les y ou clos,
Juliotte sembl aiL dormir.
Les hirondelles, au vol infatigabl e, entre-croisaient sans
On leur ronde capricieuse.
L es p aupi èr es de Juliette s'ouvriront , un soupir profond
s'éch appa de sa poitrino, el une épou vante p assa sur son
visage. C'ét ail toujours ainsi, lorsque Je sO\l\'onir de cette
jourMc atroce revenwl il Sil mémoire,
�LES CŒURS PRllDJlSTINÉS
89
Subitement, des sanglots l'étoUlTaient, cil\) se :oentait
comme ivre de détresse. Les êtres qui lui avaient été les
plus chers, son frère et son fiancé, s'étaient coalisés contre
elle pour de l'argent ... pour garder cet argent qui ne leur
appartenait pasl
Le fait lui apparaissait brutal et nu, et sa tristesse se
pénétrait d'une amertume, qui, goutte à goutte, crevait
dans son pauvre cœur ses flots empoisonnés.
Chacllne de ses pensées meurtrissait maintenant l'âme de
JulieLte; mais, Lien qu'elle fût pressée de criel' sa peine, elle
ne bougeait pas. Elle restait immobile, semblant écouter
le silence qui l'environnait, silence qui faisait monLer à ses
yeux des larmes brûlantes et lui serrail la gorge tl'un nœud
douloureux.
Et toujours les parole::: de Claire revenaient à sa mémoire.
E,lle voulait les chasser, mais, pareilles iJ. un cauchemar
persistant, elles revenaient.
Personne ne pouvait la secourir, tout en elle clamait un
désespoir sans bornes. D'un mouvement convulsif, Juliette
mit les mains devant ses yeux pour échapper à la triste
vision de Jean, de Claire, de Jacques 1 C'était sa ramille cela,
SOn monde ... son monde li elle 1...
Elle ressentait comme un vortige intime. Sous la poussée
de sa son.ftl'ance, son être, rivé aux chaines d'autrefois, vou~
lut Secouer le joug, s'alIranchir, s'aITranchir complètement,
puisque rien no les unissait plu's.
Son fiancé, c'était fini? Son frère maintenant, ce frère
qu'elle avait tant aim6 ! Ah 1l'horrible tOl'ture de ceL arrachement!
Doucement, avec précaution, on ouvrait la porLEl, et
Juli ette, qui n'avait plus la force de laire 10 moindro mouvoment, vit devant elle son rrore;
- J ean ... cria·t-elle,Jean!
EL des larm es sans nn s'échapPol'enL de ses youx.
A ce cri, Jean se précipita, ct prit la jeune fille dans ses
bras.
Épuisée, Juliette se laissail aller il son émotion, espérant
�90
J. llS CŒURS PR~DES·.('IN
tS
le mot qu'ello attendait do Joan depuis 10 jour où, se cloÎtrant dans sa chambre, t:lle n'avait voulu voir personne.
J ean carossait les cheveux do la jeune flUe. Il murmu ra.
- J acques, dé,ospérô de ta résolution, est parti 1
- Désespéré, dit Juliette , ct un rictus amer plissa ses
lèvres, désesplœé.
- II n'y a pas que Jni, potito srour, à moi aussi Lu causes
un grand chagrin 1
- A toi aussi, conl.inuait la jeune fille sur la mOmo ton,
à toi aussi J. .•
Elle leva ses yeux meurtds sur Jean, qui pfilit d'émotion,
et 1 n'uno voix lasse, ajouta:
-Est-c o ma faute, Jean, si tousJ osprinci pes quo tu as mis
en moi !'estont toujours vivaces?
«Souviens-loi ; ne me disa is- tu pas, autrofois, que lu
splendeur du jour, 11no heuro do rGverie semblent des pli~rs
modest es , mais los seuls r6els poudan t, cal' ils dép endent
uniquement do nous. »
Et comma si toutes IIlS paroles du grand frère, du MaUra,
revenaient uno à une, Juliette continua :
- Notre rêve, me disais-Lu, est souvont notro seulo
richesse , notre seulo réali Lu. La condiLion, 10 rang,la fortune
les GvénemonLs d'uno existence n'ont pan l'imporL unce quo
leur accordent les hommes 1. .. Co qu'il faut pour être heureux, c'est l'entholl siasme pour tout co qui NIL beau ct juste,
ce qui s'appoll e '1 Bonhour» ici-bas n'est pas toujours
celui quo l'on tient des souls biens ùe co monde 1...
Et 1 avec un sanglot dans la voix:
- Jear., mon frùJ·e, Loi qui m'a L nu lieu do famille, Cl'
sonL teo paroles qUIJ jo rûpMe Loul. bas depuis des jours, ct
celu fi Cait mul, si mal qu'il me somblo quo .10 t'ai perdu,
quo tu es mort et que j suis, soule , soule 1. ..
Et, s'accrochant à lui l
-- J aan, sou vions -t.oi, nous étions houroux ... Colto forlune
nOWl o. empoiso nnés, j'on avais donc le pressentiment ? ..
« l'url, Jean, dis-moi (IUO l'horrible cauchomar dans
lequel je vis ot me d6bats va. finir ... Toi, toi, monfr~e,
ce
�us
CœURS !l Rt Dl!5 THIÊ I!l
91.
n'est pas possible, j'ignorais la force des liens qui m'unissent
à toi, et je subis une t elle souffrance pour m'arracher de
toi.
- T'arracher de moi, J'uliett e, s'écria Jean qui était
devenu tout pâle, t u on es Iii ? ..
Et la jeune fille lit « oui )) de la LêLe et se remit à pleurer.
Le mari de Clairo, gôné devant cotte douleur, ne savait
comment s'y prendre pour faire part à Juliette de la pensOe
qu'avait cu sa femme.
Pourtant, il avait promis ; il soutIro.it atrocement des
larmes de sa sœur, m ais celles de Clairo lui étaient on core
plus douloureuses.
- Tu ne me dis l'ion? dem:mda JulieLte.
- Oui, ma chérie, j e suis venu pour te parler longuement,
au contr:lÏre, mnis te voir dans l'ét at où tu es m'est si
p énible 1
Juliotte haussa douloureusement les épaules .
- Mo promets -tu de m'éeouter avec calme ? ... Tout
peut s'arl'anger.
« Jacques ...
- Non, cria Juliotte, non, ne mo p arle pIns do J acques,
c'est fini" rien ne peut s'ul'l'anger avec ce nom, lui, je l'a i
arra.ché de mon cœur il. jamais. lui, .ie ne l'aime plus l
- Je crois que tu no l'as jam ais réellement aimé et c'est
de constat er cola qui me p ermet de to parler commo.! jo
vais le faire. ))
Jean r espira longuement pour r eprendro des forces .
Jllui fallait dOfendre 80n bonhour, la fommo qu'il aimait,
celle sans laquelle il ne pouvait vivre, et, quoiqu'il comprit
la légitim o souITrancc do sa sœur, il n'uvait qu'à évoquer
Claire pour avoir tous les courages, pour no point s'on vou lOir de l'hésitation de 808 goales et do ln froid eur de sos
pnrolos .
A fin de p arveni r plu s sût'omeni. au bul quo .... oul ait sa
femme, J oan r enia facil ement Jac ques :
- Oui, r epriL-il d'une voix plus ferme, jo crois que t u
ne l'as jamais aimé, et je me demande 51 le destin n'a
�92
LES cœuRS PRÈtlEST1NÉS
pas voulu, en te faisant trouver cette lettre, empêcher que
tu fusses malheW'eusel
Juliette, étonnée, murmura:
- Je ne comprends pas co que tu veux dire.
- Je vais m'expliquer. Depuis trois jours, vois-tu, je vis
dans cette pensée constante. Moi aussi, je souffre, J uJlette,
car, tout ce que tu m'as dit, je le pressentais.
La jeune mIe pressa la main do son frère? Celui -ci resla
un moment silencieux:
- Oui, j'ai soullart, jo souffre ... J'ai beaucoup réfléchi,
Aide-moi, petite sœur.
« Sauvions-toi de la sympathie spont.anéo quetuas éprouvéepour M. Dubosc, nous l'appelions « lonprotégé ... » Quant
à lui, Clairo a raison, maintonant quo les plus petits faits
reviennont avec leur importance, Pierro Dubosc t'aime,
CY.lla sauto aux yeux.
Devant le dur rogard do sa sœur pos6 sur lui, Joan, gênu,
détourna 10 sion ot, prossé d'on finir, roprit d'uno haleino:
- Jacques a certainement mal agi envors toi, car tu
aurais él6 hourouso de pou ct il pouvait ta l'off1'Îr. Il ne to
méritait pM.
« Un autro est digne do toi ... 11 t'aime, li ost pauvre:
épouso-Ie ot, en l'épousanl" tu lui ronds uno partie do sa rortuno et vous êtos houI'eux 1 »
Juliette était suJ!oquoo 1 BUe regardait son Cl'è.o uvec des'
yeux d'épouvantel
- Oh 1... Oh 1. .. Oh 1. .. voilà co que tu as tl'ouv6... on,
pas Loi, jo 10 sais, c'est Clairo, e'ost ta fommo qui accepto
mainLonuuL co Monsieur, co lUs de paysan, qui, hier encorc,
n'était pas do notro monde ...
" Et c'est toi, Jean, r'ju'ello onvoio pour me proposor cola 1
Toi 1 Vous accepterioz tout, pourvu que vous gardlB7. votre
part de cotte fortune, voilà 10 marché que vous m'offrez,
c'est cela que jo dois comprondre, n'ost-co pas? ... »
Et, s'exaltunt l
- Et si je n'aime pas co MOllsieul', hi mu sympathie n'aétô
'lue do la politesse, de l'int6l'ôt pour un homme intolligent;
�T .F~
cœU RS pnF.D
r.ST
I N 1 ~S
93
allez-vous maintena nt lui trouver des qu alilés et l'exalter
afin que votre bul s'accomplisse ...
Œ Et vous accepteriez aussi l'aumône d'une part de sa
fortune à laquelle vous n'avez aucun droit?
« Ah 1 quelle honte, J ean, quelle honte tu as le triste
courage de venir me proposer ... »
Juliette osa regarder son frère. Sa foi en lui était morte.
Hi er encore, elle aurait tout sacrifié pour sauver cette
dernière croyance, aujourd'hui c'était fini, elle renonçail 11
la défc:1dro 1
- Laisse -moi, J ean, laisse- moi , je t'en pri e.
Et, lorsque Juliette sc lrouva seule, <'ll e éprouva du
plaisir à marcher il travers la pièce, le cor veau dPlivré,
l'âme paisible parce que tout éta it conso mmé. Elle voyait
mainlenanl, c'était fini des ténèbres. E lle n'oscill ai t plu s au
gré des possibilités que son imagin ation avait fuit surgir.
Il n'y avait plus, en elle, qu'une amère certitude et ce lui
était un soulagement 1
Aux heures où l'â me sembl o prête à succomber, le cœur
acquiert comme une lail'voyance.
Plus de révolte chez Julielte. Le passé lui paraissait dans
l'oubli ct, seule, la minute présente s'éclairait comme si la
SCIlur de J ean senlail qu'il lui fallail toute sa volonté pour
'vivre les minutes suprêmes.
La jeuno fille alla s'accouder à la fenêtre el là elle se laissa
Surprendre par le coucher du soleil. Le bas -fand qu'elle
dominait s'emplissait de nuit, le ciel avait un ton doux de
viol etle; pelit à pelit les astros s'nllumoient. Un carillon
d'angélus s'envola de 1'6glise joyeusement. On ellt dit quI'
Ce son de eloche éveill ait sa conscience, brusquement elle
dil:
- Il faut y aller 1
Elle jela un rogard autour d'elle, puis parlit.
l~to.ie l (j poussée par Ulle mélancolio trop forL o qu'ell o
voulait distraire, ou bien était- ello mue par un e autre
pensée?
. Juliette était incapable de juger sa déroarchr. tandis que.
�LES CŒURS PR~;nES'flNÉ
furtive, ello sortait par la porte enguirl:md60 de vigne
vierge, en prenant soin de ne pas ôtre vue.
- Justine, dépêchez- vous, vous :lllez êtl'e on retard, disait
Pierro Dubol;C.
,
La vieille femmo acoourut à cotLo voix. Ello avait mis
sa robe des ùimanches. On célébrait ce soir-là le dlner
des fiançailles de sa nièce ct elle avait promis d'y a::!sister'
- J'ai bien envio do ne pas y aller, dit-ello, ils se passel'on t bien do moi,
- .Jnstine, jo vois mo fûcher.
- Mais, monsieur Pierre, je no serai de retour que demain
matin, comment ferez-vous tout seul?
- Qu'est-co que cola veut dira, jo tiens ù co que vous
alliez choz votro nièce, au besoin, jo vous l'ordonno.
- C'est bien, c'est bien, je vous oMis. Le diner est au
choud lout prôt et le d6jeuner do dom:\Ïn matin égale-
ment.
- No vous inquiétcr. pas, je no suis pas un enfant 1
Pierro avait reçu une loUre d'Amériqlle, C'était son plan
qui était accepté. Il avait rossenti uno gl'unde joie à coLte
nouvello, qui devail commoncer sa vie d'homme. Il so forç(lit à 50 dire que pout-èlre, là-bas, au loin, il oublier:üL, il
rencontrorait un ètl'O qui l'aimerait, avec qui il pourrait
faire sa vie et, Il cetto pensuo, il son lait plus puissanlo la
présence de .Juliette" plus chère quo jamais.
Pouvait-il doulol' de son amonr pour ello, lorsqu'il so
voyait a voc la lottro do Mme uo Niôves entre S R mnins)
cettalettre qui lui donnait une fortuTl. cl qu'il abandonnait,
suns analyser son geste, acceptant de fuir pour qu'clio fùt
heureuse, do s'on aller ll'ôS loin pOli l' nc poinl faire loche
à ce bonhonr auquel il so sucrinnil.
C'6loit la solution quo, sans comb:lL, il avait accepté ('TI
unc minule.
11 allnit partir 1 Comme il l'aimait ponrLan:, 1. ..
Il 50 rtlppclait s \ prpmi,"re rèncontre avol" .Tuli 'ltp., IHI;!!
d'autres, S<J joie do l'('ntpndro parlor; celto joie surtollt.
�LE$ CœURS PREDESTINÉS
95
lorsqu'elle s'intéressttit à lui, à son souvenir, lorsqu'elle
partageait sos idées.
C'était rnaintenaut qu'il comprenait combien cette joie
ôtait grande et que devenir quelque chose auprès d'elle lui
am'ait suffi. Juliette avait choisi Jn.cqÛes Jousserand et,
pour l'umo1ll' de Juliette, cet étranger bénéficiait de son
sacrifice.
,
Pierre sentit une révolte en lui. Il eut un rire amer.
Il songea à 10. femme qui l'avait élevé ct dont la vie avait
été remplie d'un soul amour. Était-co d'avoir vécu à BCS
côLés que cette sensibilité douloureuse s'était éveillée en
lui ? •.
Et eomment pouvait-on aimer un être si absolument,
suns qu'aucuno parolo d'amour ne fût éohangéo? ...
Los yeux au loin, sans mouvement, Piorre continuait à
regarder devant lui.
- Demain, sc disait-il, que scm demain? ...
Ah 1 1'6Lrange sonsaLion do songor il ce départ, proche
maintenant,
Depuis qu'il étaiL roven u dans le pays, après ses éLudes,
jamais il n'avait songé à un chnngèment possible de 8t!.
vie.
Pal'Iois, il lui était arrivé de désircr moins de calme,
mais jamais il n'avait escompté un toI imprévu.
11 ne songeait pus pour!.ant que col imprévu, grâce au
testament do sa chèro Marraine, il pouvait l'éviter, son
acto accompli dalls 10 silence était pOUl' lui la certitude
do son amour.
Jl noleregreLtaitpas, ilsavait qu'illui aurait6L6 impossible
\l 'agir autromont. Il savait que la lottre était 'toujours à sa
placo. Chaque jour 11 so ùisait :
- Demain, j'irai prendre 10 cher souvenir ot je déchirerai
10 testament.
Et la ponséc de rC\'oir Juliotte lui enlevait tout COUl·age.
Il remettait sa visite à la veille do son départ, afin de s'évi·
ter trop d'émotions successives.
Alors pourquoi ce trouble en lui ce soir? ...
�96
LES CŒUR S l'RÉDESTINËS
Pourquoi ne pas so résoudre à l'inévitable, puisque la
femm e qu'il aimait était à un autre? ..
Pourquoi, sans raison, son cœur se plaisait· il à se figurer
quand même des mondes lumineux? ..
Pourquoi ces appels vains à une vic qui n'était pas possible? Et ses yeux fixes semblaient vouloir percer l'obscurité, créer cc mirac:le qui s'appelle « Bonheur D, ce beau
miracle donL sa jeunesse avait tant de p eine à s'arracher.
Pierre jeta au loin sa cigarelte. Il semblait que, par co
geste brusque, il voulut laire l'effort de r evénir à la r6alité ;
- 1!.:lle est d'un monde que j'ignore, murmura-l-il, elle
vil dans un milieu qui n'a pas voulu m'accepter.
EL 10 cœur du jeune homme se serra, mû p ar deux seu·
timents opposés l'un Il l'autre ct qu'il ne pouvait s'expliqu er.
Tristement il se dit encore :
- TouL mon avenir repose SUl' ma volonté cLla régula rité de mon travail, ct voilà que je me suis laissé amollir
par dûS rôves fous ct impossibles. Avec quelle vigilance jl
me laut veiller SUI' mOIl im agination.
Molgr6 lui, il rovoy aH Julietto auprès de Jacques , il
s'imaginait leur vi e, voulant, Il lorce de souffrance, élouITor
sa r évolte. Il n'y p arvenait pas et, sc levant, il se miL ù
arpenter l'atelier on disant ft haute voix ;
- J e possède pourtant dans mes mains d'ouvrier, dans
mes mains do cr6aleur, plus d'or à rép andre que tOUR ceS
blasés qui l'enLourent avec ll)ur pauvre figure do grandS
seigneurs 'L do nocaurs.
Et, de nouveau, Pierre savourait l'angoisse de la séparation.
- Que vais-je dovenir loin d'elle ?...
Cette qucst :on qu'il sc posait sans cesse résumait l'efIroyable regret do son beau r ève abandonné.
11 savai t bien que, depuis qui l'avait vue, ello avaiL ôté sa
pensôo unique, qu'il s'Hait accoutum é à ne plus enLendro
que sa voix.
�97
LES cœURS PRtDESTINÉS
El l'angoisse qui l'élreignit fut telle que, pour la première
fois, il se demanda s'il n'était pas fou de ne pas chercher
à défendre à la fois son amour ct son orgueil blessé, en
abandonnant si facilement sa seule chance ùe bonheur. Mais
il eut honLe de cette pensée, ct, espérant trouveI' la paix
qui lui était nécessaire, il sortit sur la terrasse.
La soirée de cette fin de septembre avait un charme
pénétrant.; le soleil avait complètement disparu, une large
bande rouge striait le ciel el les étoiles, peu à peu,illuminaient le firmamenL.
Oh 1 la douceur de cette heure de paix 1 l'apaisement do
la nature qui toujours fait un tel contraste avec le tumulte
qui agite le pauvre cœur humain.
Est-ce donc un châtiment d'avoir une âme et faut-il de
la souITrance toujours pour expier co crime? ...
Pourquoi l'hommo seul souITre-t-il ici-bas? ... pourquoi
cette malédiction sur lui? ... Qu'a- t-il fail au Créateur? ...
Pierre voyait, au loin, les bergers qui ramenaient les
troupeaux à l'étable. Les bêtes repues avançaient d'un
pas calme etrythmé, Lo vieux pâtre marchait devant elles,
'Sans 50 soucier d'être suivi.
Pourquoi n'était-il pas resté auprès de ses vrais frères?
Il aurait connu, comme eux, le bonheur simple, celui qui
régulièrement revient chaquo été avec los dons morvoilleux
de la terre; ils apaisent la vraie faim du corps ot empêchent
de sentir los aspirations de l'âme, sos sensations diverses
eL douloureuses, cc befloin d'aimer, ce besoin eITrayant qui,
commo la phalène, nous précipite avee une joio voluptuouse
Vers la lumière, vers la diviue souITrance qui tue 1
- Aimer ... aimer, murmura Pierre, est un malheur
atl'oce 1
'fournan!. la tète pour suivre 10 troupeau qui, dQucemenL,
Continuait sa marche, au bout du chemin menant il sa
maison, le jeune hommo aperçut JulieLLe.
li voulut se cacher derrière une colonne de la terrasse,
Pensant que la jeune nllo so promenait ct no voulant pas,
Par 8.1 présonce, empêcher cette promenade.
7
�98
L ES CŒURS l'RED E51'1NÉS
Pierro remarqua qu'elle marchait absorbée, les yeux
baissés, et que, résolumont, elle sa dirigeait vers sa demeure.
Le crour de Pierre bondit dans sa poitrino:
- Que me veut-elle? sa demanda-t-il, et pourquoi ne
pns me laisser souffrir en paix? '"
Il chercha à se croire sûr de lui, à prendre de l'assurance
en se disant:
- Jo vais essayer de serrer Lrès fort l'image de mon rôve
dam; l'espoir de l'anéantir.
Machinalement il passa sa main sur son front ot se dirigoa à la rencontre de MIlO de Villoraie,
Piorre remarqua qu'à sa vue la jeune fille eut un rocul
inaLtendu, puis resta immobile, les yeux baissés, Elle paraissaiL attendre qu'il parlât,
Maisn'a vail-il pas prisl'habitudo de se Lairotouj ours dovant
elle, de la regarder comme uno chose sainte et insaisissable?
Les youx de Piorro étaient dovenus sombres, il détourna
la t ête cL rogarda au loin se reOoter la belle ,imago qui était
si procho do lui, sentant qye la crour trop ploin ne peut
s'épanchor en aucune parole.
- Jome promenais, murmura Juliette, et, vous ayant vu
sur la terrasse, j'ai voulu revoir votre atolier.
En disant ces moLs, leurs yeux sc rencontrèrent.
Pierre eut un soubresaut: Juliette était la môme toujours, avee son nez fin oL droit, sa bouche voluptueuse,
mais son visage avait pris un aspecL gr vo et, ce qui éLonna
)e jeune hommo, Lriste.
L'expression de sos traits ne s'accordaient plus avec le
caractèro quo Pierre lui connaissaiL. On y lisait on no
savait quoi d'inquiet, cL un pli doulouroux dos lèvres de
Julietto trahissait eL accentuait co changement imprévu.
DoucemenL ils pénéLrèront dans l'atelier.
Pierro fil roulor un fauteuil où Juliolto se laissa Lomber
accablée. il y cuL ontre oux uneminule de silence.
1)0 la fcnGLro grande ouverlo pén6Lraill'odeur du jardin
Heuri cL le parfum dos dornières rosos. Julietto diL d'un
ton grave oL m6lancolique :
�LES CŒURS PRÉDESTINÉS
99
- Il ya des moments où j'en
v i , ~ les flllrs dn peuple, cell e;;
qui peuvent penser que l'univers finit avoc l'étenùue de leur
village.
Btonn6, Pierre ne cessait de la regarder. Était-ce Juliette
de VlIleraie qui parlait ainsi? .. Celle qu'il avait connue si
indépendante, qui était partio vors la vie, certaine, à
l'avance, do tenir le bonheur? ..
La fortuno, l'adulation, los raffinements de ce mondll,
tout cela no la contentait plus? .. Pourquoi ? .. Et d'où
pouvait venir l'accablement et l'amertume qui contrariaient
le beau visage que Pierre ne cessait de contempler? ..
Craignant de formuler sa penséo par une quoslion quelconque, il so contonta do demander qes nouvelles do Jean de
ViJleraie ot de sa femme. Juliette, ubsorb60, sembla ne pas
entendre.
Pierre reprit:
- J'ai entendu parler do votre départ, mais sans douto
je quitteJ'ai le pays a "ant vous.
- Je no le crois pas.
- Je vous l'affirme, insistait. 10 jeune homme avec un
triste souriro. Vous avez 6t6 bon prophèto, c'est mon plan
qui a été accepté; je pensaIs yonir vous fairo mes adieux
domain.
Julietto l'interrompit et, sortant do son sac un peLit livre,
clIo le tendit au jeune h ommo on disant:
- El prondre possession do co qui vous appartient, n'estco pas?..
Œ Lasse do vous attendro, je vous l'ai apport6. "
Pierro, ù cetle vue, uvnit frémi. 11 s'omprossude pronù~
le lIvro quo lui tendait S:l compagno ct, le posnnt sur la
tabl ,il dit simplement:
- Merci.
,Juliotte ne le quittait pas du regard l
- Vous n'avoz pas plus do Mlto à f ~ uiletr
cc livre tnnt
désiré?
- Jo sah cc qu'il contient, et ce n'est que lorsque jo
"',i no Join 'luO J"P'"u,,,,' do J. ,0n",J,tion on J, "J~anG
�100
LES CŒURS PRÉDESTINÉS
- Peut-êlre ne savez-vous pas tout ce qu'il l'enferme?
Pierre tressaillit. Avait-elle ouvert le livre? ... Étail-ce
une allusion? la voix du jeune homme reprit avec assurance:
- Je vous alTirme que je l'ai lu entièrement autrefois,
je suis au courant de tout ce que ces pages renferment.
Un soupçon effleura l'esprit de Juliette, ce soupçon lui
fut si intolérable qu'elle s'empressa de répliquer:
- Je ne crois plus aux beaux rôles intéressés ... Je ne crois,
désormais, qu'à tout ce que je vois ot j'avoue que ce n'est
pas toujours bien beaul
« Je m'efforce de l'accepter avec uno tranquilité apparento
qui, souvent, déguise l'orage de mon âme 1
- Je ne comprends pas co que vous voulez dire, Mademoiselle, et à quel rôle intéressé, vous faites allusion,
Et, plus bas, dans un murmure il osa avouer:
- Tout en vous, aujourd'hui, me parait mystérieux.
Vous est-il arrivé un ennui quelconque et me feriez-vous
l'honneur, dans ce cas, de me considérer un peu votre
ami? ...
(( Vous qui étiez si simple, les premiers jours de votre
Séjour ici, pourquoi parler avoc des réticences. »
La jeune fille détourna la tête.
Une penséo alors s'empara de l'esprit de Pierre: celle
do Jacques, du fiancé de la jeune fille, ct, troublé à l'extrêmo, n'osanlla formuler, il fit quelques pas ct alla s'accou·
dor à la terl'asse.
Après quelquos secondes, Juliette le suivit. Devant. euX:
la mer s'étalai l étincelante et unie, sous les éloiles du
firmament.
Leurs regards so rencontrèrent. Ils se souriront ot, sanS
raison, quelquo choso pénétra dans l'âme de Pierro,
quolquo choso de doux et de puissanl, où se mOlaionll'oueil r
des ùorniùres roses et lu lumière do co soir qui rendait
si mélancolique 10 souriro do son amie.
Lu jeuno hommo forma los youx pour mioux savourer
�LIlS cœURS PRÉDIlSTINÉS
101
cette minute unique et inatLendue, ceLLe seconde de bonheur
que la Providence, dans sa miséricorde, lui accordait.
Juliette, toujours immobile, aurait voulu percer les ténè·
bres qui environnaient ses actes.
Qu'était.elle venue faire ici, puisqu'elle ne parlaiL pas"
puisque les rp.ots qu'elle s'Hait promis de dire ne pouvaient
se prononcer? ..
Allait-elle accepter l'indigne com6die de laisser le testa,
ment dans ce livre, laissant supposer son ignorance de ca
qn'il contenait ? .. Quelle honlo et que penserait Pierre? ..
Juliette songea à ce que le jeune homme lui avait dit :,
. - Je vous affirme que je l'ai lu entièrementl
Mais alors? ..
Brusquement, sans se rendl'e compte de la portée de ses
paroles, elle dit, sans tourner lt tête:
- Une passion, même mauvaise, peut créel' un inconscient 1).6ros, mais ùe nos jours c'est rare.
Elle sentil à côté d'elle Pierre tressaillir;
- Est-ce pour me dire cela que vous vous êtes donnée
la peine de venir chez moi cc soir? ...
Juliette rougit de honte. Elle sentit tout d'un couP I
autant do hâte il. libérer sa conscience, qu'elle avait mis de'
lacheté à en reculer j'échéance.
Revenant vers l'atelier d'un pas Cerme, elle prit le livre
déposé sur la table, l'ouvrit, et tondit à Pierre la loUre
qui s'y trouvait:
- Voilà poul'quoi j'étais venu~,
dit-elle. Cc livre, que
Vous avez désiré, contient un testamont do notro cousine.
Prenez-en connaissance.
- No vous ai·je pas allirm6 quo j'ai tout lu, murmura
PierPO d'une voix sans timbro.
Juliette ne fit aucun mouvement, elle regardait Ilxement
celui qui venait 'de laissor tomber un verdict si lourd.
L'ld6c qu'il l'aimait, qu'll n'agissait quo par amour,
venait de s'incl'uster dans /:lon cerveau et J'hypnotisait. Les
parolos de Claire sonnaient une à uno à se" ol'eil1es comme
des cloches qui la martelaient.
�l02
LES CŒURS PRÉDESTINÉS
Pierre Dubosc l'aimait 1. .•
Elle le sentait de cette manièrJ confuse qui est, en m ême
t emps, la plus convaincante. lll'airhail, et sans un mot il
abandonnait sa fortune pour qu'elle fût heureuse av et un
autre, cel autre qui était parti!
Quelle ironie do la viel. .. queUes découvertes du cœur
humain depuis quelques jours 1
Elle 10 voyait timide eL tremblant d'amour devant elle.
Que ferail-elle maintenant ? .. Ello ne suvait plus, elle ne
savait rien ... Elle avait, honLe ... honLe, ot elle &ouIIraiL
tanl que su douleur devenait un fardeau écrasant.
- Pourquoi vous être Lui' demanda-t-elle dans un soupir.
- Ma conscience me l'ordonnaiL.
Et comme la jeune fille fai sait un geste d'éLonnoment:
- Oui, répéla Pierre, ma conscience me l'ordonnaiL. Jo
dois LouL à Mme de Nièves ot je suis cerLain que, si elle
vous avait connue, ollo n'aurait pas agi eommo elle l'a fait.
- Auriez-vous disculé sa volonlé si nous élions restés
pour vous des élrangers?
- Non, cerl es, mais 10 desUn a agi pour le mieux coUe
fois, puisqu'il permet un acle do juslice.
« Je suis jeune, je n'ai pas besoin de celle fortune, je
suis orgueilleux aussi cl no veux devoir ma situalion qu'à
mon Lravail, qu'à mon eITort. Il
l!Jl s'eITorçu nt de sourire:
- D'aill eurti le destin mo gûte, je vous l'ai diL; c'ost mon
plan qui a 6Lé accepLé, eL jo vais parUr pour l'Amérique.
- Ah 1 fil simplement Julielle, eL, détournanl la tôto
pOUl' cacher la rouseur qui envahissait son visage, 0110 ne
viL pas rierre s'approcher de lu tuble, prendro le tesi.ament L le déchirer.
En enLendant le froissemenl du pap ier, elle bondit verS
;
.
le jeune homme. Celui·ci so uri ait eL di~ul
- Trop tard l
D'un geste résolu il éparpillait les morceaux loin do lui.
La voix de la: jeune mIe avait fr6nlÏ en poussant son cri.
�LES CŒURS pntDEsTIN~S
103
Pierre lui était reconnaissant de son émoi, et plus encor~
de ce qu'elle s'abstenait de l'exprimer par des paroles
vaines.
Elle demeurait debout, la bouche frémissante; alors;
Pierre soupira, pendant que Juliette, toute pâle, la tête
baissée, semblait plongée en une profonde rêverie.
Elle se redressa enlln et, tristement, ils se sourirent.
Juliette remarqua le front vaste et intelligent de Pierre,.
ses yeux qui portaient en eux tous les rêves du monde,
tandis que les méplats accusés des joues et de la mâchoire
faisaient ressortir la bouche 6paisse dénotant une volonté,
peu commune.
Ce visage l'intéressa soudain comme si elle le voyait pou~
la première fois. Elle devinait uno nature sensible, artiste,
Il lui donnait unDsensation d'existence forte, de persona~
lité saine qui porte comme un pavois l'orgueil de créer.
Pierre, sous ce regard qui l'observait, sentait monter en
lui une angoisse qui lui serrait la gorge, lui creusait les
yeux, devenait im:upportablo.
Pourquoi ne partait-ello pas, puisqu'elle no disait plu&
rien?
Seul, le murmure de la mer, et sa rumeur paisible, remplissaient l'inquiétant silence. Pierre, regardant, au loin distingua au large un navire.
Il songea quo, biontôt, il s'embarquerait avec sa peine,
passager anonymo, qu'aucuno présence chère n'accompagnerait!
A son tour, Juliette regarda la mer, elle demanda tout
has:
- Pour quand voLre grand déparL L.
Et, sans aLtendre la réponse, elle murmura:
- Partir ... partir, aller très loin, sans espoir de reLour \
essayer d'oublier, do ne plus penser!
Et ommo tous les Otres qui aiment il. revenir en arrière't
LorsqU'ils soufYrp.nt, olle parla avec volubilité de son beau
jardin ùe Damas où clio était tranquille et heureuse (
- Quelle tristesso je sentais de quitter cetto ville pour
�10~
LE S
COluns
rRÉDE STlN ÉS
l'inconnu qui m'a tt0nù aiL ; ét ait- cc ùonc un pressentiment
que la fortune ne fait p as le bonheur? ..
« Je hais cet argent, con linua-t-elle âprement, je le hais,
et votre geste n'eITace ra rien de Ce qui est, je tiens à vous
le dire.
- Mon geste efface tout devant la loi, et vous r estez les
héri tiers de votre cousin o.
- Et vos oblig6s.
- E st -cc cela q11Î vous oITense ? .• Ce n'est pas de ma
faule si je n'ai pu vous l'é viter.
Et, prenant une r ésolution :
- Écoutez-moi, Mademoiselle, puisqu e le hasarù nous
impose celle expli cation.
Pierre soupira longuement:
- li Y a quelques jours seulement que j'ai découved
ce testament, 10l'sque j'étais venu chercher le livre, vous
vous souvenez, n'est -ce pas ?
Juliette inclina la tète et non sans rougir pensa aux
porolc::; de sa belle-sœuf :
CI Le hasard nous est vraiment favorable, avait -elle dit,
il était, en e/Tet, seul ici. .. »
Fi er re continuait fi dire :
- J 'allai s 10 déchÎl'c l', lorsque Mmo de Vill erai e entra;
pris à l'improvisto, émotionné aussi par cette décou verte,
ct n'osant faire aucun geste qui aurQÎt pu parailre bizarre.
j'ai remi s !o livre à sa place , m e r 6servanl de le reprendro,
u Se ul avec moi-même, j'ai compris quel était mOI!
devoir et r éalisé a ussi le bouleversement que j'allais apporter dans votre existence, ù la veillo de votro mari age . »
Il soupira longuement:
- Puis, jo suis orgueilloux, je vous l'ai dil . ,e quo m'a
donnu la t endl'Osso mat ernelle de Mmo d e Ni ùves suffit il
mon bonheur; savoir qu'ell e a pensé ù moi jusqu'à la fin
me romplit 10 cœur d 'une lell o fi ' rté cL d'uno tello recon Iluis!lanco que je voux , à mon tour, êtro di gno d'elle, com pl i , t~ m c n t , enti ùremen t 1. ..
u m jo suis, jo suis SÛ l' qu'ollo m 'appl"Ouve 1
�LIl S CŒU RS PRéD IlSTINÉS
105
1
- Mon approbation serait plus nécessaire.
- )0-C'eût été trop b e:ô u, répondit Pierre dans un triste
sourIre.
« Vous m 'avez t émoigné de la sympathie, de l'intér êt,
cela me suffit et je vous en suis très reconnaissant. »
Ah 1 s'il avait osé lui crier sa peine, son angoi sse, son
désespoir de la quitter ct le grand b esoin qu'il avait d'elle 1
Mais lu t ension de ses . nerfs lui rappela qu'il n'éta i t qu'un
homme du peuple, ms de paysan, élevé grûce il la bonté
de Mme de Nièves, et que se p ermettre de l'a imer, m êm e
en s ilence, était sa ns doute une offense à ses y eux,
Comme elle avait pâli lorsqu' il avait déchiré le testam entI
Ce geste, s'il avait été Ca it par J acques Jousserand,
Comme elle aurait compri s tout l'amour qu'il r enfermait,
landis que, fait par lui, eUe en avait été humiliée; ne lui
aVilit-elle pas reproch é de la for cer à devenir sa débilrice? ...
Pierl'e se rapp elait une phrllse lue plusieurs mois aupal'llvant :
« Le bonheur s'ell flât dès qu'oll l'appelle, même (lès qu'on
arrate sur lui sa pensée ... Il était peut·all·e près de toi tout à
l'heure, maintenallt il Il'y est plus 1... »
Il étllit vra.i qu'on la vOyllnt venir à lui, quelques instants
auparavllnL, il avait u la folio de croire à un bonheur passiLle l ...
A lu dérobée , il regardait la jeune nUe; qu'elle lui para is!lait dése mpar ée. Jama is il no lui avait vu ce visago torluré.
Non, ce n'élait pas seulement lu découverle de ce Lesl ament qui en était la cause ... Mais alors, se doma nda it Je
juune homme .. ,
1!:t, d nouveau, la pensée dufl:lIlcé de Juli otte s' imposa
ù lui.
Celle lois. il osa domander :
�,106
LE"!! CŒURS PR EDESTINÉS
- M. Jousserand n'est au courant de rien, n'est- ce pas? ...;
'J e vous serais reconnaissant de garder entre nous ce secret.
Juliette haussa les épaules :
M. Jousserand est absent, dit-elle.
- Tant mieux.
Et, d'une voix qui tremblait un peu;
- Permettez-moi de vous dire combien je désire votre
bonheur 1
La jeune fille baissa la t ête. E lle ne sc scntElit pas la
force de faire la douloureuse confession de ce qu'avaient
été son frère et son fian cé.
Non, pas cette honte devant cet homme qui n'était pas
de leur monde, on eITet, et qui les éclaboussait par la grandeur de ses sentiments et 10. simplicit6 de sùs aotes.
Comme elle se sentait petite soudain ct misérable, quelles choses vides avaient él6 jusqu'à cc jour ses désirs, ses
rGves ct ses projets 1
Juliette jetait comme dans une lombe toute sa vic cl'autrefois ei juSqu'tlU souvenir de Jacques Joussorand.
Celle fois, elle avait secou6 1e joug. Cc qu'ello ressentait
était confus, innommable ct l'épouvantait 1
Une sensation mortelle lui vint au cœur. Rllo o.urai
voulu pouvoir fuir, s'évador ot sentit qu'elle n'a vait plus
aucun refu ge, qu'elle était désormais, comme Pierre, sans
fa mille el sans milieu.
-
CHAPITRE XII
L E!!
omuns
pn i: D ES TIN{; S.
Assise auprès do la fenêtre. Julietle parcourait la longue
leltre de son frère.
Depuis une douzaine de jours, J an el sa tomme avaienL
quilté le chfitca u olla jeune flll e avait refusé de les suivre.
Elleavu'l subi uno de ces 'rises inexplicabl es qui déroulent toutes les prévisions ct passent comme un ouragan.
�L ES CffilJ"!\6 PR É D ES ll NÉS
107
A tou tes les quest ion, do so n Irüre , elle u-vait opposé le
plus absolu silonco. fi. quoi bon parlor désormais?
Comment expli quer ce qui so pa5sait on eHu, et cet Le
impossibilité r essentie ù quitter celte maison où Pien e
avait vécu.
~l
o savait maintenant qu'elle aimait Pierre, et s'ap ercevait qu'elle le sava it depuis longtomps. Elle s'en voulait,
elle, si sincèr e a vec ellc- mGme, de ne pas a voi r consenti ù
80 l'avouer à temps.
Trop t ard, mainLenant 1. .. E lle pouvaiL l'o imor, DIors
qu'aux yeux de tous il était p auvre. Ell e n'avait plus le
droit do l'aimer, alors que lui, dans le silence, s'éLait
dépouillé pour aS3Uror ce qu'il croyait ûtro son bonheur·
Quello douleur, mOlée do plaisir, dE> fierté, do constaLer
l'a mour profond de Pierre 1
Les paroles si simples du jeune homme vibraient désor mais dans son cro ur. Elles lui semblaient plus amoureuses
que touLes les auLres et son ûLro en ôtait agité.
D;lle aimait un homme, comme aux houres do sa plu s
ardonto jeunesse, là·bas , so us les boUcs nui ts d'Orient, ces
nui ls étoilées, pilles et voluptueuses! dans ce jardin suspendu, olle avait r ûvé d'aimer 1
Son d es tin avait voulu que ceL amour ne fût compris
quo trop Lard. Que fer ait-ollo maint enanL 7...
Prolonger 10 supplico de l'absonce , savoir et accopter
d'être séparéo do l'aimé, oL savoir aussi que l'aimé subit
ailleurs d'atroces souJIr- nces, voi là donc le loL qu 'oHu avait
choisi?
Puisquo ce lot éLait le l-lien, puisq uo 10 tesLament avait
été dMruit, 0110 vivraiL dans co tte maison, esclavo à 80n
tour d'un amour uniquo, d' un incompar able souvenir.
11 lui semblait que M mo de Nièvcs ressuscilaiL en olle.
No porLaient- elles pas toutes dO\l x le m ômo nom ? ..
N'était- co pas omme si le dostin los avait prédestinéos il
Un sort semblable?
Elle conna1LraiL, tout commo ce Lto femm o qu'olle avait
appris à aimor à lravors Pierro, ell e connaîtrait les
�108
LES
cœuns
Pl\ÉDESTINES
patientes heures des longuos journéos, qu'elle consacrerait,
comme la cbOre morte, à un souvenir d'amour.
C'était tout cc qu'elle pouvait offrir à présent, et cette.
maison était dédiée au culte du souvenir.
Qu'elle s'ignorait, elle qui croyait si bien sc connaître 1
Quelles surprises en elle, quelles découvertes t Comment
cot amour si vivaco avait-il attendu si longtemps pour
s'affirmer?
Une glace reOéta le visage de la jeune fiUe. Elle ne se
reconnaissait pas.
Elle regarde ceLto image qui lui parait diminuée,
dépouillée de cette henreuse insouciance qui, hier encore,
éLait son apanage.
.
QU() réclamont ces yeux dilatés sous les paupières batlantes?
J\lliette détourne la tête, espérant effacer ainsi ceLLe
stupeur qui ne la quilte plus. Depuis le jour où olle a
compris son amour, 0110 s'éludie, so palpe eL no trouvo pas
en son cœur upo place qui no soil endolorie.
Lasso de son éternello pensée, oUe reprit la lettro do
son frère qu'eUe avait à peine parcourue:
« Julielle, ma chérie,
• Tous les jours, depuis que flOUS /lOUS sommes quittés,
j'allcnds un mot de toi.
cTon silence m'est douloureux au-dessus de touteexprcssion.
« Quand lIiertdras-tu nous rejoindre ?... Je te liais dans celle
maison solitaire ot fIIO/l cœur sc serre aUreusemel!t 1
« Claire est en pleine installation. Je t'assure que le IIWUlle·
fIlCllt, l'actiolt dall' ll'v'tfJu<!ls elle lIit, le seraient salutaires.
Quelle est ta décisioll ?... Jc l'igllore, j'ignore lout, même si
ta aimes elleore ton gralld frère 1 Quelle chose horrible de sc
demander cela 1...
« Souviens-toi pourlaltt de la lcndresse qui /tOu's unissait,
faut-il avoir recours cl cc cher souvenir, pour le supplier dl' 116
pas êlre inexorable dflnli ton jugement à mon égard
�LES CŒURS PRÉDESTrN~!I
109
« Réfléchis, Juliette, et ne me regarde plus apec l'expression.
que tu as eue, et que je ne puis oublier.
«Juliette, ma sœur chérie, écoute le cri dc ton frère:
u J'aime ma femme passionnément ... tu ne connais pas la
force de l'am/our: c'est la nourriture essentielle de la pie /
« Juliette, tu aimeras un jour, car tu cs semblable à moi; tu
connaîtras la splendeur d'un rayonnement double et confondu,
cette joie qu'on éproupe à souUrir mille morts pour la seule.
compensation de poir sourire celle que l'o~
aime 1
a J'ai souUert, Juliette, de t'avoir parlé comme je l'ai fait.
je sou.Ure, quand je revois l'étonnemefl,t douloureux de ton.
pauvre visage ct tes yeux égarés se posant sur le Maitre
infaillible d'autrefois /
« Quelle pitié, ma sœur chérie /
u Mon cœur a approupé ton geste, il t'en a m6me été reconnaissant, si le mien, trop eselape, n'a pu l'accomplir /
« Pitié, Ju(ielle, pitié pour ton pauw·e frère! Nous sommes
petits et faibles devant celle loi d'amour que nous subissons
sans toujours la comprendre 1
« Tu le vois, c'est sans humilité que je te fais part de ma
faiblesse 1
« Quand on aime, Juliette, on n'éproupe ni orgueil ni fierté.
Tout cela ce sont des mols creux, des mots sans aucun sens.
«Lorsqu'on est emporté paf la passion, lorsqu'of! connaît
ces heures, si tu savais comme tout le reste est pain 1
u En t'écriflant ces lignes, je pense à un autrc qui t'aime,
qui souUre pour toi /
(( Juliette, ma sœur chérie, en celle minute, je fais abstraction de tout égoïsme, de toute basscsse, 1011 frère d'autrefois te
le jure et te supplie de le croire.
a Écoute-moi, le bonheur est à la portée de ta main, le vrai,
le seul qui compte, un 6tre qui vous aime, qui (Jous aime vraimellt, ne le dédaigne pas 1
« Il faut que je te dise tout, petite sœur, écoute encore : J acques Jousserand n'a pas perdu son temps. Dans ses. f~é
qUl'llts voyages à Biarritz, il a conm, une jeune (Jeulle ncJas.ime ct. dt!itt on a annoncé leur~
fial~e8.
�110
LES cœURS PRÈDESTINl! s
(( Je préfère te l'écrire, plutôt que de le laisser l'apprendre
par les échos mondains.
« il It'ajmera jamais. celui-là 1 l/aut-ille plaindre, fetut -il
l'env ier 7...
«( Mais toi, Juliette, loi, aime, aime avec conflance, sans
orgueil et sans vanité, laisse ce vestiaire inutile, ddpouille-toi,
ma chérie, et tdche de relrOllller en nos chers souvenirs assez
d'indulgence pour ton frère, pardonne-lui la peine qu'il t'a
faite ct dont il a sOIlCert, et souOre plu.9 que loi 1
(( Jean.»
.JulieUe eut un sourire méprisonL en :!pprenant les prochaines Oançailles de Jacques Jousserand. Comme ellC?
J'avail racilemenL balayé ùe sa vie 1. ..
'l'out le monde n'a pas le pouvoir de vous laisser p unle lanl. On ne soullre que pour quelques-uns, l'êLre de clloix
silns doule, on ne souffre que pour celui qui le mérlLe.
Sa pens6e alla vers l'ierre el, dans le silence qui l'environnait, elle se prit;), fondre en lar mes . BIle pleurail, les
mains sur son vionge, les épaules sccouôes polr les sanglots.
J~lait-ce
d'avoir lu cctte lettrc dc son frère? .. Mals
jam uis encore sa pcine n'avait 616 Ai violente, s i profondément douloureuse 1
- J(> l'aime, je l'aime Lant 1 murmurait-elle.
EL, appuyant S(I tÔle lasscsur Ic dORsler du fautcuil, clle
rcst:IÏL ;). savourer sa peinc, une pu!ne qui, ;). la longue, la
brrç,ait..
L 'automne s'annonçait avec scs c r 6p u sc~ l es plus frais .
.Juli ctt e se repr6sentait le fcu, la lamp e inLlme et les
longucs vcillécs autour desq uelles la ma ison semble se
!aire plus chaude.
Ellc sentait la dou eur qu'aurait pu litre ce foy er, si,
a vanL Je gr ste de Pierre, elle s'éLalt avoué l'amour que
déjà elle lui portail.
Alors, dans cotte m aison construite par lui, duns cette
maison si chère, la jeune fille s'imaginait cc qu'aurait pli
être leur vie.
�LES CŒUnS PR ÉDESTIN ÉS
111
C'était maintenant qu'elle découvr ait cela 1. .. 'l'l'Op tard
hélas !
L ' heur~
l'heure forLuite de chaque être était passée
pour elle.
A cette pensée, des pleurs amers coulaien t sur ses joues,
sans qu'elle eût la Iorce de faire un mouvem ent.
m, de nouveau, elle relut la phrase de son frère:
~ Juliette, tu aimeras un jour, tu cOn1~aîtrs
la splendeur
d'un rayonnement double et confondu, cette joie qu'on éprou(lc
à souOrir mille morts, pour la seulc compensation ... »
JI lui semblai t mieux comprendre son frère mainten ant,
elle s'apitoy ait sur sa faiblesse.
La femme de chambr e entra:
- C'est l'heure du thé, Mademoiselle.
m, sur un pelit guéridon, elle posait un plateau avec le
samo var.
- Mademoiselle ne s'ennuie pas? demandait la jeune fille.
- Non, TMl'èse , au contra\ro, co repos me fait du bion.
C'est peut- être vous qui trouvez le temps long.
- Oh 1 Mademoiselle esl si bonne, elle mo permet de
profiter de mes loisirs; je vais au village, je m'amuse à
écouter les bavardages de ces gens, ct, en ce moment , on
ne parle que des invités de M. Dubosc.
A ce nom, JulieLte posa la tasse qu'elle portait à ses
lèvres .
. - M. Dubosc a des invités?
- Oui, une boUe jeune femme, une artiste, qui fait de
la p einture. 'l'ouLe la journée on la voit dans la forôt avec
son chevale t.
cc C'est môme étonnan t que Mademoiselle ne l'ait
pas vue,
- J e Bors si peu.
m, d'un gesLe Jas, elle cong6dia la femmo de chambre.
Lorsque celle- ci fuL par Lie, Juliette respira longuem ent.
Ce qu'elle ressenta it était accabla nt au point que tout son
corps en ôtait engourdi.
�112
LES cœURS pnÉDESTlNÉS
- Une jeune femme chez Pierre.
So levant, elle fit 10 tour de la chambre et alla poser
sa tête contre la vitro do la véranda.
La fièvre montait enelle, et, Lressaillante, elle commençait à pressentir son mal. A deux mains elle écrasa son
visage, et une curiosilé subite s'empara d'elle; voir cette
belle jeune femme.
11 n'était pas trop tard, cet après-midi d'automne
incitait à la promenade. Elle jeta une cape sur ses épaules,
prit un bâton pour affermir ses jambes chancelantes, ot
par 10 petit senli~r
qui, derrière la propriété, donnait dans
la forêt, olle partit.
Combien Jean avait raison;
« Quand on aime, on est chétif ot faible devant cotLa
loi d'amour que nous subissons sans toujours la comprendro; quand on aime, on est sans orgueil, on ne senL
qu'une flamme secrète qui éclaire tout 1. .. »
Juliette, sous ceUe flamme, voyait que sa vie était en
suspt'ns à cause d'une phrase prononcée.
- Ce n'est pas possible, se disait-elle tout bas, en
réponse à la pensée qui la tenaillait.
Elle la répéta plusieurs fois avec un l'ire plein d'amertume, ot chancela presque, pareo que, sous un arbre, QUe
venaiL do voir Pierre debout derrière une jeune femme
qui, assise devant un chevalet, lui parlait familièrement
ct montrait avec son pincoau le lointain du paysage.
Pierre clignait des yeux en regardant le 1ravail de sa
compagno, et, se penchant un peu, riaiL en lui répondant.
L'œil hagard, Julietto n'avait plus la force de faire un
mouvement, même celui de 50 cacher.
Même l'humiliation d'êtro vuo par Pierro à celte place,
avec son pauvre visage dorait, était préférable à l'angoisse
qu'elle éprouvait de la soulTrance des longues journées
qui allaient suivre.
Pierre, levant la têLt', l'aperçut à quelques mètres. Il
pâlit et vivement alla à sa l'encontro. Juliette, la gorge
serrée, le regardait avec désespoir.
�LES COlUnS PR~DESTJNÉ
113
Les mots qu'eH!! voulait dire fuyaient de sa mémoire,
malgré l'effort qu'elle faisait pour les poursui vre. Et il. la
voir ainsi, tout d'un coup, Pierre fut pénétré par le pressentime nt d'un bonheur plus beau et plus grand qu'un
miracle.
Dans le regard du jeune homme , sur sa bouche, sur tont
son vü;age, il n'y avait plus qu'une douceur, qu'une tendresse étonnantes.
Dans sa tôte, les vers du poète perilan chantai ent;
Il On I/'le dit sage, pourtan t ja chancell e
d'amour 1 »
Et, comme s'il avait voulu souteni r celte faiblesse Si
chère, Pierre tendit sa main et sa voix fut une caresse
pour dire:
- V nez vite voir le beau travail de la femme de mon
ami Hoger dont je vous ai parfois parlé. Ils viennent de
sc marier et, las de m'atten dre, sont Lombés chez moi,
SHns crier gare.
Juliette baissa la tèLe, honteuse et heureuse à la fois
<ravoir été si bien comprise.
- jI[ademoiselle, disait la jeune femme, quelques instants apI' s, je suis très heureuse de vo us connaltre.
" Piene nous a beaucoup parlé de vous depuis notre
"l'rivée ct nous serions venus VO\tS voir, si je n'avais été
priso du d ~s ir do finir mon travail.
« L'arL est un esclavage et, omme le soleil ost à
son
déclin, je vous prierai de m'accor der quelques minutes
encore qui sont précieuses pOUl' moi. »
l~t,
uyec une simplicité qui était une grâce chez la jeune
artiste, ulle so romit à son lableau .
Abrités par le rideau des arbros, Juliette et Pierre
étaient à mille lieues du mOlldo env;rol1I1&nt; leurs âmes sc
découvraient dans le silence et ils éprouva ienl une granue
douceur ù sc sentir côte à côte et isol6s.
La forôt était admirab le, dos feuill es d'or tombaie nt sur
les mous
~cs
vertes et, dans l'apaise ment qui s'étail fait on
. l'tlme de Juliette , dans ce bonheu r soudain qui j'avait
8
�111i
LE S co;uns PIlé D EST1Nés
envahie , clle tressaill it en p ensant au proch e dépar t rio
Fierro. Elle courba les Gp aules et tout bas, pour elle
scule, ses lèvres murmUl'èr ont :
- J e no 10 veux pas, je ne le voux pas 1...
minute , elle n'avait senti
J amais oncor e, comme à cet~
le besoin de la présence do Pierre.
- J 'ai l1 ni, s'écriait la jeune femmr, merci d'avoir ét 6
l'un et l':mtre si silencie ux .
Elle riai t gentimont , en les r ogardan t lous cloux, se
dèpêclla it d'ossllyer ses p inceaux , ùc les r anger dans leur
boite, et ses youx malins surveill aient J ulieLto .
La m atin m êmo, ollo n'lait lu dans Le Figaro les
fiançaill es do J acques J oussOl'and avec M mo Roggol' s. Elle
se souvena it tou t d' un coup de l'ém otion de Piorre 101'::; qu'ollo lui ava it di t :
- Mais no nous aviez -vous p as flss u1'6 q uo M ilo do
Villol'ai e était fiancée Il Jacques Joussor and?
Quel gesto brusquo a vait ou 10 jouno hom mo pou r so
sa isir du F igaro, et quoi SOill, ollo s'cn souv enait main lenant , il avait pris , pour cachor la rou ge ur qui onvallissait son visa go derrièl'o 10 journal déployé .
E lle compro nait m aintenan t la réclusio n do J ulieUc,!
mais p as une minu to la femmo do l'ami de Piorro na pf.losa
que c'était p ur chagrin .
Son instinct n'avait pas do p oine à compre ndre le dra me
qui sa jouait prôs d'ello. Elle r garda leB deux jeunes gend
toujou rs silencieu x ot si oxpressi fs dans leur sllonco.
Bile sourit à eo tto prosquo Ol'iol)ta lo, qui av ai t tant de
p eino à cacher son émo i ct, lui p renant la brQS, lui dit
avec Man:
- Si VOli S éprouvez pour moi la sympat hie soudain o
quo j'éprouvo pour vous, j:! crois quo nous serons ru cilom nt d r;ux a mies .
J u] Î(;Lto serra 10 bras qui s(,u te noiL Je sien. APl'ès la solitud e dans laquelle elle av ait vécu, ce tte m ain qui so tendlliL
vers ell e lui par ut bienfaisa nte ct do uce . Ello avait t nt
souffer t qu'clIo aurait voulu éparpill er son cœur trop plein.
�115
- Vous êtes pOUl' longtom ps encore ici! dumand ait la
jeune femmo.
- Je ne sais, répondi t Juliette .
Elle eut un sourire triste pour ajoute!' :
- La vie quo j'ai menéo cet été m'a fatiguùe, déplu
m êm , jo n'y ôtais p as habitué e. Ma belle-sœ ur aime le
monde, la cohue, les étrango rs qui passent .. .
- Vous, continu a sa compag ne, vous aimez la simpli cité, la solil.ude, je YOUS comprenùs, jo sens eomm9 vous.
EL, commo clIc avait perçu l e tremblo ment Ùll bras qui
sorrait 10 sien, ollo s'empre ssr, d'ajoute l' ;
- C'ost la vie que Je mèM auprès d mon ln ri. Nous
ne voulons quo quolquf 's amis d o choix, co mm e l'iona ot
vous .. . ~ i vous accept('Y. notro ami lié, c la va d l' soi.
- Mais Pierro va partir, murmur..! Juliette .
- Est -il si long voyag'e d 'où l'on no rovienn e ?
ui, mais ch an!jé, m arié, puut- Oll'o.
La jeune arlisL'l sourit:
- J o ne 10 crois pGs.
- A son ilgc , pourtan l, c'est noturel, no le p('n~rz-vols
pas?
Pauvre .Juliette qui ne p,)uvaiL 1:.l il'e ses erainlos.
La jeun1 femme de Ho~'r
baissa la voix pour OnnUI':
- Il me disQit, tout ù l'JIOUl..; encoro, que son '(1' 111
rrstuil. ici ù jamais et qu'il é laiL n n vré do partir.
- Il ln'avai t ùillc cont.rair e, pour
~a nt.
- Penl-ût re so croya iL- il ohligtJ (lo vons ù()gllisc r sa
p (· n ~ée
.
-
Pourquo i à moi L non ;\ vous?
- Mûi je suis la camurwle, la fomme Je son ~mi,
preslJuo sœur.
- .10 croy: is ÔlN son amie nU!lsi.
- No pcnse7.-vous pas quo VOIlS ·Hiol sllrtO\ll 1;.\
de ,\r. Jacques ,Ious~rand
'1.. .
- Vom; l'avoz dit, j e l'élais, je ne le snis plu':>.
- Oui, je le sais.
Juliello regarda la jeune femme,
6lon~e
:
naoc~e
lu
�11a
LIlS CŒURR
pn~DESTINl
le save?, dit -elle, pal' qui?
- Par les journau x qUI annoncent déjà ses nouvelles
-- VOliS
fiançailles .
Mlle dll ViJleraie haussa les épaules :
- Tant mieux, riposta -t-ello.
Une demande s'impos ait, elle la chassa . Son ancien
orgu il ,>oulTrait, mais ses lèvres murmn rèrent quand
:
m ~me
?
- pjerre l'a-toi} lu égal'~men
- Ou i, ce rnaUn.
JulitlLte respira longuement. liJlle conLinuail sa mUl'.: he
auprès de sa nouvello amio, ICI! yeux fixés :\ terre, pel'u ue
dans ses réfloxions.
Tous crs (Ieruiel':; mois qu'eUe \'cnéJit de vi vre dansaient
devant SPS yeux avoc lOlls los visages entrevus.
BienLôt, un srul sc délacha, s'jmpOSlt il son esprit cl pile
tresRn illit, en ontendanl une voix qui, commu 1\11 écllO,
l
sernLlait l'opollCll'o à sa p o n ~ée
- Pierro 1 Pierr/") 1
- Rassurez-vou!], di t la fomme de Rogor, en s" rrnnt le
qui avait IremhlO, e't'st mon mari
bl'as de sa compa~rn
pelle.
ap
nous
qui
On vit., en eftel, flll paraîlre , sur un talus, un joune homme
qui Caislit do gron,!s grs los ,\\'0' son chapeau .
- DGp':chez-vous, r6p 6tait- il, [t vonl que le !\olùil
P, la vuo d'ici est [<odrlllO .
ùjsporai~;
r';t il riail si [orL, dans Hon CIlLhou';Ï:U;n1(" fju':,tlir0s il ,1' C
honho1ll' de viHe qui émanail do [tOgOI', pal' C >L or.1"",
qui n'n drne ' Lait piS do r "pliqu , Lou:; xo d(' p0clll\re nt de
gravir L talus 0'\ 105 atten !nit l'ami do Pierre.
beau, s'l!r.'rÎ.lit R 'gel'. J,) ilaii
-- Qlle c'e.,l h .au , qll :! c'p.:;~
011 lomhnL la
quo 'ou' êtos [Ile do Villcraic, fli~a.rntr" mille,
o
reconnu
aurai'!
VOliS
j"
;
maill il .Tll iiette
tellement Piorre a S'l !lOU3 délJf)intirc votro visag .....
~; , \'0\15
• :\13.:s l'qorùe z vit", ne penlc!. p'H do l"mp
qni
f,.'mml)
S.I
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1
es.
Sl)cclac)
cc..;
. imalt tanL
�tES CŒURS 1'1IÉDESTINÈS
117
Nicole, touLe pâle, regardait. Elle était belle, vue ainsi,
cL Juliette, malgré wn émotion, ne pouvait s'empêcher de
l'admirer.
Elle se souvena.iL que Pierre lui avait parlé do l'unique
ami qu'il possédait en Roger Fuigières, élève des BeauxArts comme lui, sculpteur de LaIent donl il aimait l'~spriL,
la verve. Mais elle ignorait le mariago du jeunc homme,
et songea que, depuis quelque temps, Pierre He confiait
moins à ello; oui, il s'tJLait éloigné de la fiancée de Jacques
J ou,'serand.
Nicole Fuigièl'e3, arlisLe comme son mari, s'était éloignée
un peu, car elle avait la pudeur de cacher l'émolion
ressenlie devant la beaul6 de la nalure.
Le soleil dispar':lÎssail dans une vérilablo apoLh6ose,
l'horizon était d'uno purolé Lelle que l'âmo s'on trouvait
ennoblio.
Des feuilles remuèrent doucemont commc si elles a ussi
no voulaient p as lroubler la paix environnanto.
Les yeux do Piorro Il e pouvaient so détachor do Julietlo.
Regard ardent qui paraissai t absorber l'image conlemplée 1
Julietto voyait 10 mondo avec des yeux tout noufs, et
lant de joie mon lait on ello que sa -lie passée no comptait
plus.
Ql1ollo douco simplicité émanait de ces ôlres qui, si
brusquement, mais si Lotnlemént, venaient de la conquérir. Comme olle se son lait à l'aise auprès d'eux 1
Quelle différence avec les ôt'res qui s'étaienl succédé
dans sa vio pendant ces derniors mois, ces mots creux ct
vains qu'elle avait entendus par les invilés de sa belle-sœur 1
Elle admirait quo chacun près do l'autre no pouvait
que sc recueillir pour mieux écouLaI' la voix intérieure de
leur cœur, qui les unissait plus quo toutes les paroles qu'ils
auraient pu proféror.
Elle vit R oger Fuigières s'apprJchcr doucement de
'icole, sa femmo, lui prendre la main avec un geste si
ardent, si plein do tondresse, que Juliette sorra c.onvulsivement ses deux mains qui tremblaien t.
�118
t,ES CŒURS PRIlDESTIl\'ÉS
Le gesLe de la jeune fille n'échappu pa'. à Pierré'. Doul'cment aU~8i,
il s'approcl!a d'ellc et, comme dans une pl'i~re,
8es lùvres diren t tout bas :
- Julielle 1 Juliette 1. .•
Et cc Iut ontre eux la communion suprême, la communion totale!
Pierre, COllllllC dans un vertige, se r apel~it
l'arriv6e de
la jeune fllle, l'occupation secrète flui, toui de suito, avait
envahi son âme, l'inquiétude déllcieuse d'il oc savait
quelle :üLente, l'espérance qui observait sa joio, qui
l'acclleillait sans vou loir la f'aisonner 1
- 'l'out cela, sc disait-il tout bus, tout cela n'6tait-ce
pas la cristallisation de cet amour si beau, de cette tendresêe inefiablo qui, aujourd'hui, comblent mon être 1
Et comme aucune parole ne pouvaH exprimer les senti .
ments divers qui agitaient les quaLro jeunes gens, ils par.
tiront riloncicusement.
Après quelque:; minutes Pierre disait tl Juliotte :
- 11 ~J fait tard, jù v lis vous af'compagnor jusque r.JlOZ
vous.
L r\ joune nUe acquiosça dan.; un sourÏl'o, Les nouveaux
amis sc sop rOl'enL
Comme déjà Pierre dispt" sait de Juliette avec puiss neol
plu!; d'inquiétude. J ean, son frère ,
En olle, d6. ~ormui:;,
l'avait prédit, clIo Mait faÎto pOUl' aimor 1 Dans son visage
émacio, l'amour ll1otl.:ût sa force ro,plndi~
sŒ nl.e
.
La joio qu'olIo atlendu it de Pif rr3 lui était plus néces.
paire que l'air ct 10 puin ; ct III intcnant, dépouillée de
tout orglloil, 0110 n'ôtait plus CJll'amOl1r ... amour dans so n
rcga1'l1, amour dans 10 80n do sa "oix, anlOur dans 10 plus
potit do ses gestes ,
Arriv6:; devant la porte qui conunisait an château, tOllS
d ux s'arrôtèrcn:.. Dam; le silence Je la nuit, on aurait pu
onl ndro les hatLm"nt'3 do lours cœurs,
Cil Pi~ro
do 1;0 dil'o que celle imago
Ah 1 quelle ivr c~5e
de lui-même qu'il avait devant lui lui représentait l'élue
�LES
cœuRS
l'I\ÉDESTJN~i
119
à qui incombaiL ,( )e Miraculeux Bonheur» d'être aimé
de Juliette!
Il étendit la main pour monLrer lu maison, la jeune fille
leva la tête pOUl' suivre le geste du bion-aimé ct se trouva
blottie contre la poitrine du jeune homme. Elle y re"ta
toute petite l sans mouvement, les yeux fixés au loin.
'fout l'infini du ciel et do la mol' pénûlrail sen regard
heureux; elle avail oublié sail d6sespoir, f:es craintes,
son angoisse et, après un long silence, elle disait. doucement:
- Allons, c'était la « maison prédesLinée », la maison
conçue par l'amour de M . de Nièvcs ...
Elle levait ses heaux yeux vers l'aimé, ce fut lui qui
acheva ~
- Qui devait abriter nolre amour prédestiné aussi?
<.luel beau desLin est le mien J ...
- Le nOtre, Pierre 1
- Vous avez raison, le nôtre 1... Vous avez traversé la
mer pour venir jusqu'ici ct toul en moi pressenlaiL ce
bonheur Gans nom ...
C( Si vous saviez combien je vous aim(\, Juliette J
- Je vous almo uussi, Pieri'e 1
Et, se serranL dans les bras qui l'enc;orraient, 1'110 osa
d6voiler Loute Ra penséo :
- Je ne veux pas que vous pOJ'tioz, je ne puis plus
supporter ln moindre t6pnratioJ'l ... Je n'ai plus que vous
uu m onde 1
- Je ne partirai pas ... ou hien nous partirons ensemble.
Vous ôte!; mon morveilloux univ
~ r s .
Le })ra~
de Pierre serra plus fort les fl'Gl os Gpaules qui
s'nb:mdonnaiont.
Les mols 6crits pal' Jean, cos mots qu'olle avait lus dans
l,) d~s
'spoir revinrent à la mémoire do .Juliotte.
« Tu connaît ras la splendeur du rayonnement double ct
conrondu, la forco de l'amour, nourrituro essenLielie de la
\ie J ... »
- Ah 1 que j'étais misérable, Pierre, dit la jeune flHe,
�120
LES CŒURS PUÉDIl STINrl S
seu!om( nl il ya quelques h eurcs ... Comment al-Je pu
supporter l es Lor~ues
dans 1esquelles je vivais? . .
- En VOUS écoutant, je me demande comment je puis
supporter « mon Miraculeux Bonheur» ? ...
ÉPILOGUEJ
L'auto rouJaiL silencieuso et rapide. Elle emmenait
Pierre et Juli
e tl~
qui p artaient pour Dumas, exécutan: un
désir caressé depuis longtemps.
lis descendaient à Marseille d'où ils s'embarquerai ont.
l~s
élaient revenus depuis un an d'_\mérique, Pierre
avaiL inslallé son cabinet d'architecle il ['iarrilz où il se
rendait trois rob par semaine, lm. vaillanL le re ~te
du Lemps
chez lui.
Juliette, assise aux côtés de son mari, songeait avec
omplaisunce à ces trois aunée3 de bonheur qui venaient
de s'écouler.
Son l'cgard se Hxanl sur Pierre, qui lenait le volant. et
donL 0110 voyait 1 profil, so noyait do tendresso.
Elle se souvenait des paroles qu'olle avait écrites autre- .
rois à' hcq ues J ousscrand :
« C'est la (emm ) qui doit admiraI' SOIl mari, en êlre
Hère, sa lai<5er conduiro par lui i li
Qu'elle étail ftùrJ ùe son Pierro cL combien ello l'admil'ait; non de cel~
aJmiration dont lui avait parlé Jacques
JOllsserand, lorsqu'il lui exposait ses pl'ojets , non pour sa
J'orlul1c, lion, non, c'était mieux que cela, bien superieur ...
elle l'admirait pal'co qu 'il avait lilé au-dossus d o Lout ce
quc Juliello avail pu imaginer.
Avec quelle volonté puissante il lui avai t fait accepter
qllO son frère Jean ne sût jamais la destruction du tesla'
ment pal' lui.
Comma elle avait rougi, lorsque, Caisant rema rfluer à
son mari que J ean, ct <..luira surtoul, pouvaient penser à
un calcul do sa part et qu'ils s.,liraiont ainsi fol' belle le Il ·
�LES CŒURS PRÉDESTINés
1~
dresse, Piel'fe lui avait répondu en lui serr.:mt tendremenL
les mains :
- Chérie, nolrll seul juge, c'est. nol.re conscience, Clllire,
votre Irèro, le monde entier, qu'importe ? ..
Et, plus bas, il avait ajouté:
- Pourquoi exposer votre Irère à l'humilia Lion
d'accepter une part do cette fortune. D ' jà, chérie, vous
avez Né si sévère pour lui.
« Vous savez que l'amour pour sa femme seu l k gui dl',
vous savez. co mbien il 0. souffert d'agir comm,} il l'a
fait...
" Vous saver. que sa faiblesso l'obligera à l'acceptel'.
l~pargnos-Je,
ct cela d'autant plus facilement que vous
leur faites ce don si joyeusement. »
Juliette avait r épondu:
- Mais non, Pierre, c'est vous qui faiLes cc don ct je
voudrais quo vous en ayez au moins la r6comp ense.
Le ms adoptir de Mme de Nièves avait so uri:
- Petite fillo, avait-il dit, polite fill e ch ez qui l'esp rit
de jusLiee est trop ancré 1 Ma récompense, la vl'aie, la
soulo qui co mpte, c'est vous, ma chérie, c'est d'être aimé
d o vous, c'est l'orgueil quo jo r essens, à la ponsée quo
vous m'avez choisi... 10 rC'sto, peu m'importo 1
Et, baisanL tendrem en t la main do sa fommo :
- Serail-co juste, humain, do fo rcer votro frèro d'être
mon obligé?
" Laissons-lui la paix dont il a besoin, no ternissons
pas la passion de son âme, ne lui amoindrissons p;;s son
bonhour, no lui enloyon" pas la joio d'ai mer sa lomme
dans 10 luxe dont cello -ci a besoi n.
- Ce n'osL pas ainsi que vous m'aimez, n'ost- co pas ,
l 'ierro ?
Piorre ava it longuem ent soup ir6 :
- Comment jo voue; aime? .. Jo l'ignore, jo no sais qu'une
se ule ches , C'(st quo je vous aimo 1 hl, lorsque je senge il
ce qu'aurait éL6 ma vic sans vous, il mo semble apercevoir
un ab!me.
�i22
LES CŒURS PRÉDESTINrt!>
-- Pourtant, u 'ait renchuri ,Tuliotte, VOUS vous 6li~
dépouillé pour que je sois heureuse avec un aulre ... mon
dit que le véritable amour n'ost qu'('g'oïsme.
- Ou soulTrance ou dé .... ouemontl
Juliette ressuscitait tout CCI'! 1lI0Ls bienheureux qu J
l'avaient encltuînér. à jamais, l~Jc
!:.c souvonail aussi d'un
auLre voyage, le soir même de leur maria/p .
Piarre, tout pâl.:l, sans Ull mot, la seuait contre lui,
comme s'il avait voulu s 'a ~ ur er de SOIl bonheur, pendant
qu o son autro main puissante lenaitle Yolan~
de la voiture ..
La jeune femme ne pouvail sans frémir remuer ces sou,
venirs. Elle so souvenait d'avoir posé sa têto sur la chèro
6paule et que, sc senlaut à l'abri, petiL à petit olle s'élai~
mdormie. Pierro l'avait rov cill éo au HD.\'l' , dovant 10.
grand navire qui devait les emmener. On aurait dil que
le courrier les attend ail pour prendre 10 largo.
011 1 Ce grand navire où ils s'isolùl'onl dans lour ivressa
silencieuse 1
Cc navire qui aurait dû emporter Pierre cl son d6!>espoir. Pierre cL sa soulTranc , el qui liJ6 emmonuit tou'!
les deux sert'os l'un contre l'aulr<.11
Ah 1 Je bonhour do JulioLto dans co grnnd puys qui
s'appelle l'Amorique, où l'inlcllig0nce do son mari, su
scienco ot son ari. suront s'imppos l' dès ln promiôl'o heure.
Commo sons phrnselJ. sons rechorche d't;trrivisme, il avait,
su s'altirer toutes les sympatlli('s.
JulieLle s'était dit un mOIllent que, gris6 pOllt-GLre d
Bon succès ct do toutes los oITros sildllisonlos qu'on faisait
il Pierro pour le garder, li allait oublier la France où il
avail tanl souffert.
Juliette ne cOllnnissait pas neore complètement Pi"l'rr
rl rlle avait cu de la p eine ü cacher SOIl omotion, lorsque
celui -ci lui dit un matin:
- A quand le retour dQn~
nolro maison?
Pour toute réponse Juliette s'é'L(lit blottie dans sos br3s,
ne pouvant rotenir ses lt;trml's :
- Qu'as-tu? doman(lait Pierre.
�LES CŒUR:!' PRÉDÈSTINÉS
123
- J c croyuin ... je croY"lis ..•
- 'fu (l'oyais quo j'avais oublié la chèro mai son do
notre amour, la chère maison qui nous attend, tu croyais
que Lon mari ...
- . 'l'ais-loi, tais-toi, avail supplié la jeune fomme.
honleu
s~
.
Et ils étaient r evenus!
Quel joli relour par un jour de printomps où la nature
( n fèlo scmblait les (lcctleiJJir !
Quelle émolion les étreign:lÎl en songeant il loul cc
concours do CÎrcolls'ances pour assurer lour bonheur!
- La vic porto en elle, lui avail dit Pierre, un équilibre harmonieux. L(s chemins s'entre-croisent, puis, un
veau jour, c'ost la clarté lumineuse, cello qu'un aveugle
môme verrait.
Juliette avait répliqué :
- Pourtant, jo le suis maintenant, j'en suis sûre, je t'ai
aimé dès le premier jour, pourquoi as-tu tardé à voir Jo.
darl61nminouse? ...
- Afin de t 'aimer davantago peul-être, afin que m es
heures de tr;8
~CSsO
, do doulo ot d'angoissù so changent on
';ot hosa nna d'amour qui est Jo mien 1
Juliolte fut arrachéo do ses so uvenir::; pal' la voix de
Pierre qui ùemanda it :
- Es-tu sOl'O ù'avoir mis dans le sac do voyage 10 plun
do Damas.
- Quel enfanl lu ('s; a suis· je pas là ? Le mois ùe
novembre cst féeriqu e; c' st 1 Jlrit~mps
ol l'automno
réunis. Nous verrons la m::Ii:;on d'où je suis partie pal' un
boau matin on'iolcil16 pOlir venir il ta ronconlro.
_ Les jardins où tu r êva is il moi, répliquait Pierro
avl'C mali co .
_ Suis- je hicn corl:J illc que co n'élait pas à toi quo je
rôvals? ..
Le soleil rosplondisJait ùans un ciol sans nuagos. Le
vioux porl de Marseille or. était envolopp6 de gloire
doréo.
�LES CŒUnS rnÈDI:STJr;Éll
Le bateau pour la Syrie parlait à quatre heures; Pierre
ct Juliette, assis sur la t errasse d'un eaf6 de la Canebière,
s'amusaient à regarder la Ioule grouillante.
Juliette, depui:; quelques instants, s'intéressait au
manège d'un petiL gamin, qui, aùroitement, arrivait à
d écider les passants il sc faire cirer leurs sou liers.
Que d'adresse il déployait par le r\lgard et le geste, quoI
sourire sa tisfait el'rait sur los lèvres du peLit bonhomme,
lorsqu'il était parvenu à s'assurer d'un client.
Dès qn'i l avait fini, il remontait sur ses épaules sa
peULe boîto, sans doute sa fortune, el r eprenail sa marche
en qu<île du nouveau passant .
Ses yeux .oxés à terre ne regardaient que les pieds des
promeneurs, et il avait une façon de s'ag.mouiller pOUl'
brossel' la poussièro in visible d'un pantalon qui faisait
sourire la jeune femme.
Elle pensait aux petits Syriens, t}u'elle avait l'US agir de
lû même façon , prestes et agiles, débrouillards ol gais,
avec leur éternolle chanson au bout des lèvres.
Que ùe fois, à Damas, leur avait-olle glissé des frian dises ct quelques sous pour voir 1'6merveillemenl de leurfl
yeux enchanl6s.
Prise d'un d6sir subit d'en raire aulant, el craignant que
Pierro ne sc moquât d 'clle, la jeune femm e fit un signe
discret au petit bonhomm e. Preste, il arriva, apprêtant
déjà SD. bolte.
- Non, dit JulieUe, va me chercher quelques journaux.
Et, lorsqu'il rev int, ell lui glissa à la main un billet <le
vingt francs, en lui faisant signe de sc Laire.
L'enlant rougit de plaisir eL, après avoir vérill6 l'aulhenLicité de son aubaine, il partit en courant, saulant sur un
pi ed, ne pouvanL s'arrêter, comme s'il craignait qu'on le
r appelât .
Pierre avail tout remarqu6 cl souriait en l'egardant sa
fomme.
Julietle prit le Petit Mal'scillai3 el sembla s'absorber
dans sa lecture.
�tYlS CœURS pn~EsTINl
125
Tout d'un coup elle pâlissait, Ct\r ses yeux avaient vu
l'écho suivant l
« Le jeune ~anquier
J acques JOl/'s,oerand, mane depuis
trois ans à la richissime jl1 ruo Roggers , pris par l'engrena.ge des spéculations trop hardies pour sa jeune expérience,
Ilient de se suicider en laissant un déficit de plusieurs millions_
Il Hélas! ce n'l'st pas la première fois que nous allons ci
enregistrer des calastrophes de ce genre, qtti SOllt la r.onséguc!nce des temps que nous Ilillons. »
- Qu'as-tu, demandait Pierre.
Elle tendit le journal ';
-- Voilà Ol! mène la soif désorJonn60 de l'argent.
Pinrre, après avoit' lu, serrai t 10. main de Julielte.
- Dil'J que tu !Jurais eu ce SCI't 1
ct Lu te
- Qui, acquiesçf\ la jeune r 'mme lonl ba~,
serniR dévoué poal' mon bonheur en vain.
ensuite il J can et surLont II Claire qui proIWe so n~ca
(' lamait .J acques un homme de première valeur et compLait sur lui pom augmenter ses revenus.
Comm e Claire, pensa-t-elle, dQit être cont.lmte de mon
marÎago maintenant eL satisfaito de mOIl honnêtel é , qui
aujoul'<l'hui l es sauve.
m lorsque le baLeau quiLta Marseill e, accoudée ou bastingage, Juliette songtaiL il cc voyage accompli, qnelques
ilnnôrsanpar.lyant, en sens contraire.
Elle se voyait fUyJnt Claire, s'isolant pour r:cril'o à
,Jacques JOllssrrand ses pensées, il JJcques, avant quo
l'amour do l'JI'gent fit de lui un monstre.
Pirl're "inL la r ejoindro. 11 glissa son bras sous celui de
sa lemmo, prit la chère main enLre les siennes, cl, devinanl ses pl'I;sécs, lui dil :
- 11 a payé son erreur, paix à sa mémoire.
Julietl trC!lS \illit, co ne fut qu'au bout de quelques
minutes qu'ùllo PUt l rôponùre :
- .To l'aime, Pierre, jo L'aime. ct je te jure que, dan~
ce
�1213
p assé que je vllis fouill er, c'est ton image fjue je rotrQu,
ver ni, celle que je pressentais, lorsque, petile fHl e, jo eares.
sais les rêves que tu as chongés en réalité.
Et Hs restèrent ainsi serr6s côte 1.1 côto, dans lu douceur
de leur bonheur, dans ln pureté de lour CIme, de leur
conscienco , dans ln cr:rtitude ùu bol amour de leurs
Il Cœurs Prûdestln6s » 1
FIN
�Pour parllÎtrc jta:ii prochain 30U~
le nO 32 de III collectioll
li
FAMA ..
LA TOUJOURS i\IrVlÉE
PAil Pu.mu:
rE
SOUVIGNY
CHAPITI E PREi\IlEn
PAULET'l'E E'r' SON GRAND-Pk;HE.
Debout, à côté de la Willc de~
communs, grande
ouverte, PauletLc Bonv:llot s'éLait eITacée pOUl'
laisser passer la voiture que conduiilait son grandpère .
Un vieux cabriolet qui servait à brmin Bon·
valot, le chef-jardinier de la Croix-au-Bois , à se
rendre à la ville pour les besojns du château.
Comme ello en avait l'habitude, des que la voiLure avait gagné la route eL avanL qu'elle partît,
la jeune fille sauLant d'un pied agile sur le marche·
pied, souhaita prompt reLour au vieillard, en posant
deux bons baisers SUl' son viuage hà1é pal' le soleil,
ridé pal' l' âge .
- Au revoir, grand-père, et surLout ne va pas
rentrer à la nuit, comme l'autre jour, où tu avais
oublié tes lanterncu ... Les ns-tu prises au moins
aujourd'hui?
- Mais oui, mais oui, répliqua Bonvalot en
rjant. J'ai eu assez grancl'peul', l'autre fols de ren·
(A
suivre.)
�2017 -32. -
CORBEIL. UIPRU!BI\IIl CnÉTÉ.
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Francis , Antoine (18..-19..)
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Les coeurs prédestinés : roman
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Ed. de la "Mode Nationale"
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impr. 1932
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Type
The nature or genre of the resource
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BUCA_Bastaire_Fama_323_C90796
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1
\
PAR
C&:AUDE LEMAITRE
�C~o
LES ILLUSiONS
D'UN CŒUR
�FAVORI
MON JOURNAL
LA M OD E N ATI O NALE
REVUE HEBDOMADAIRE
DES MODES, PATRONS ET TRAVAUX DE LA FAMILLE
. ......
Tous lu S a medis, 24 pages dont 4 en couleur s, avec u n Roman et le
Courrie r e n t r e Lectrices Il LE FURET" .
o
Ir. 50
C haque N unlé ro est e nti è l'c lDe nt r ClObo".'sé p a l' un
BON d c nl ê lOc v ale ur, aeCelJté 1,0ul' sa " al e lll' e n p .. l eOI e nt d e toute co ....n and e d e ."A'I'ItU NS, ou IJOUI' nloitié
du paienl e nt d e toute a utl'c co.nnlan de.
TO US L E S lflOnE L ES O NT L EUR S P A TRO NS
PR Ê T S A ~T
R E
LI V R ÉS
.......
Envoi franco d'un numéro spéc imen et des conditions d'abonnements,
su r demande affranchie, 94, rue d'Allsia, PAR IS (XIVe)
HonOSCOI"ES D 'ESSAI
GIl A T U I 'I'
A U X L ECTEU IiS D E CE nO
~IAN
l. prof .... u r ROXROV, l'Astrologue bien connu, a d~ci6
Les habitanll de ce pays d'horos opes d'essai RratuiL
une fois de plu. de fuorl..,..
La rfputation du professeur ROXROY est li I ~pandue
qu'une introduction de notre par
est A peine n~cesair
. Son pouvoir de lire la ·,je humaine.
, n'importe quelle distance, t tOut limplement rneryeille ux.
Même lu astrologues le. plus r~putb
le recon...
DA l.sSent COmme teur Maitre et suivent ses trace\.
ll , .OUI dira Ce dont vous etes capable et comment
a tteindre le '\lC:~I.
Il VOU! nomme .. os amis et
YOs ennemis, et d~c:rit
Ica bonnes et les mAu.ai.es
phi odes de .otre vie.
Sa description conCernant les ~.nemt
s patsb,
prh entl et futurs, YOUS lurprendra et YOUI aidera .
M d'Armir, directeur de l'Union P.ychlque Unh'er ..
kl le, Paris, 6crlt:
• Je tien. " l'cnir l'OUI dire que l'horoscope que VOUt
m 'livet a\lress6 m'a ,atialait 10UI tau" If" ,.tl"pr~
Vou. m'a.e:t d~fln,
. YU une pr~cislon
remarquable:
I H tendances de mon c&rat~e.»
Si you. d~lrez
profiter de cctte offfe 1~cate
et obtenir une rt'fue de .oue .,.ie, ~ cCl .ea
. 0';l"m~e
Iimplement .,.os nom et adre.sse, te quant
i ~me
du Inoi., an~e
et Heu de yotr.
na~
ce
(le tout distinctement) ; Indiqua ,1 't'ou. etc. lnoruJeuf, clame ou demoiselle et
mentionnez le nom de ce Roman. 11 n' t nul be.al n d'arcent, malt, Il .ou. .. oul9, YOUI
p OUl'e.l joindre 5 francs pour frals de post. et tra•• u. d ' ~crituL
Adrusu: l'otre lettre
affranchie' 1 Ir. 50 • ROXROV, D~partem<u
25'5 C. Emmulraat 4', LA Il .... VB
IHoIlaoda),
�LEMAITRE
CLAUDE
LES ILLUSIONS
D'UN C UR
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ROMAN
ËDITIONS DE .. LA MODË NATIONALË ..
94, Rue d'Alésia, 94, - PARIS (XIv e)
�LES
ILLUSIONS D'UN CŒUR
ClL\PITRE PREMIEG
L'hiver, la campagne a ses plai~';
bien qu'elle
possédât ù Paris une installation complète ct pourvue
de tous les bienfaits du confort moderne, MilO de Servières re~tai
la plus grande partie de l'année <lans
~on
château de la Peylouze.
Elle s'éveillai t, Je m aLin, dans sa chambre tiède,
véritable tIot de bien·être parmi la froidure ct la neige.
Une accorle femme de chambre lui apportait son premier d Ijeuner ct en d égustant les tartines grill les, le
beurre ct le lait de la ferme, la demoiselle appréciait
lo silence, le calm e qui apaisent l'esprit ct reposent
le co/'ps .
MilO do Sc,·vièreB pOl,sé duit un heureux caractère
ct une jolie fort un, él ibataire et vivant seule , e1l0
ignorait l'onllui.
Sa parentr, nièces, neveux et cOllsins, l'accusaient
d'égOïsme, mais ses servilours, les pauvres du pay s,
ol tout particulièrement ~1al'c<.ino
Harel, sa domoisollo de compagnio, la tl'OU vaienl tl'l;S bonne c t l'D imaient bien.
n peut avoir des châtr-anx, des fermes, des autos 1
rlrs chrvaux, des ·lIiens et so réjollil· ù l'affection
d'une jrun tille qui vous assidLe eL qui vous didtrai .
�5
LE S ILLU SlO .'S n'u;-; CŒUR
Quand on a dépassé la soi.'anLaine, un cœur <t5S , Z
froid et longuement contenu, a de ces faiblosf; eB.
Avec 10 courrier il la main, voici la demoiselle de
::ompagnie qui entre dans la charabr e de la châtelaine.
C'est une grande jeune fille aux cheveu x cha tains
l:OUP P'S comme la modo l'exige, mais correct e
et si
~imple
dans une roho beige. Sa voix est grav e, son
sourire cordial, un peu craintif.
- Vous avez bien dormi, j'espère , deman de·t·ell e
en tendanL journau x et leltres à Mlle de Sorvièr cs ,
Puis s'empa rant du plateau du dl;j eunol', cllu le
dépose sur iD. table de cheveL.
- Que de cér6monies ! fui L ln bonne demoiselle, uu
hlÏ ser plutôl, Bi vous II' voulez ien, ma pelÏLe lillc.
EL le soul'flc ùes jeune,; ]ùvres sc pO lla Lel un papilloll
'le joi SUl' le vi ~ ag c passabl ement l'id ", ('l li l 8'Oh "0'
ICI" n'I~
dOlllon s pn,;, tous 10, ; oll ."llli"" d' Ull :..ommnil
rlui csL Je pl'csscaLimcnL du lu morL pOLll' ICI) g tHlG
ügrs .
Puiu la châL
: ,Jnil
~ dO:lll u bo.; 1'r
l~G ù tllal'ce linn qlli
,Ul I il la mi· hioll di; 108 IiI'" Ù 'voix haut" .
Lc' Gourril' i' pst volu nill<'ux aujourd 'hlli, II'LLl'c:; d.'
r( nl " l'cjemnL
~ , }Ot.tl'DS d ' !;olliciLolll's, lelLl'es d'ami.l ,
il y ft toul dn même LIllO mibs iv Q d'll.lUll'lln d'
S ~ l'vi
l. l'oS
qai UllllOn l: p SUll put!!-luge Ù ln P<,ylOll ZI' , nll
COIU't! d'ullo J'Ulldolluée d'allto JTli'obant(~,
VOUH n'aime:/: pnl) J\ntl cLle, l\1arcdi ne, moi lIOIl
plu!), trop motlel'no il mun f;oüL, m.u eo s ~ lu t;oul(~
d"
PICS ni ' c' ~ qui ~e
ùOlllle 1il JWillO do fairo un dl" l Ill!'
pour venir m ~) dil'e houjou!'. Il faudra fui . " p ré p.I.l' I! I'
la chamhl'l' bloue pOlll' ccLlo 'nfanl ùi~ s ip 6e . EL (luis
n'ollbltu ll,; pas qll cc m'lLin nu~
ÙJ VOIl" voir il
CI till:y UlIl'l'gi" "cul' que dl'i nmi 3 flle [lropos ont.
- Mu).,. mudcllloÎ&cllo. S ' l ~ Cl'iû
~Ia\'e
lino avoc vivo·
�LES ILLUSIONS n'UN CŒUR
7
cIté, Martial Blanchard n'a pas ûncore refusé de sUccéder à son père dans cet emploi, et il serait vraiment
cruel de le lili refuser, s'il le désire Ilia riéjà tant de
chagrin.
- li s'agit de lui el vous voilà bouleversée 1. .•
AlIoH!) ! Allons! Ju m'llabille et je l'attendrai un jour
de plus. HCBtez nans la bibliothèque, vous lirez les
journaux et tout à l'heure vous mû direz ce qui en
vaut la peine. Envoyez-moi Rose pour m'aider ù ma
toi lûLte.
Mlle de Servières soupira tandis que aa demoiselle
ùe compagnie s'éloignait.
Dans [0 vÛlltibu[e, la jeune fille g'enve oppa d'un
grund châle, elle sorlit. Tout dour.cmcnt dIe mal'chait
vers Je massif d'acacias. Ah! elle avait besoin Je
gra nd air, de Illmiùre apl"\s 1I11e Huit d'in somnie
pendant lafludlo ollo n'avait pas es ~\ ' de ~otJgeT'
ù
Martial, ù son tl\' t'Il ir.
Elle ['uiln aiL dOJluis longtemps.
Le' j. unr. homme sOI't.oil du coll ::ge fl\lond elle élait
urri v(!;> ù Ju Pcylouzc. Le Oh; fi Il 1'{'gi sSI' III' Il vai [, l'emal'([u<': la genlille ~1al'cine;
elle OC'CII\1:1 Hon (' "111' quelques jonrH, c[url([lles semainos, lin an pOIlL-êlrp, el
d'auLres senLimonls S'ék'lÎ.' llL C'mpan;,; ùe l'<.tdo]rscrnl,
do l'ulllclinnl qui pOli :\ peu ,kv('naiL 1I11 hummc. Il
ouhlia MUI'coline ([IIi n'avnit pm; l'onolll:l\ nll /',~v(
de
Illi apparlellir.
MUI'liul avait pOl'(lLl Hon p~re,
ill)(;l'iLni l pt, bienLûL
il pnl'Ljl'Qit pour All iv/'Cl fin dt'sli[ll\o q1l'i[ imaginait
ul'illallLp.
MUll:rlinr R:lvoil r[u',dle llli "'Luil Ùt'V('lIlHl indifTé·
l'uute, mais aVlIlll ql/'il Ile 11:11' [' ello Illi oll'rirait r.f'
([11',,11, {'Lnit HOn' d" lui t!onnf>/'.
Il pOlln;u ivl'llit la ttlche cil.! ROll
p~l'U,
l'l"gil:lseur au-
�LES ILLU SION S D'UX CŒUr.
9
jeune homme et la jeum fille. C'ét.1 it en yériLé un
coupole assorti qu e la nature semb}ait unir.
- Si je les mariais, p ensa-t-elle uvee bonté, Marceline aime Martial qui succède rait à son père et ils
vivront près de moi.
La demoiselle es t riche , obéie toujours ct br usqu e
dans ses désirs parfois tyranniques et sa façon de les
exprimer.
De plus , elle es t la mafl'a ine de Martial, né dans le
pavillon du r Ggisseur, dépendance ùe sa mai son; elle
esL auLorisée en quelqu e sorL , à le t l':\iLe: r(!voJièl'c ment, familialc ment.
- Ainsi, lui dit-elle, j'ai Su qu e LU :;3 vendu la
ferm e ct la localure que Lon père possédnit il TI( neuille .
- Oui , mademoisell e, répondit Mal'tial, je qujt~
]0 pays .
- Pou r le fixe!' où ~
- A Pal'is.
- Je n o l'y ongage pas, qu'y feras- Lu ? T on pi'l'e
n'est plu o lit [10111' Le rairo d e" l' . nLrs cl lu d i sR ij)l' l'ufI
viLe co qu'il L'a lai ~)Ju , ton lIlo d,'r,tf, paLri:T!o;n(! ,
~ ln t ête,
MarLial, a Ll einl dans GOll orgueil , l >:1i~a;
mortifi é.
Sans 50 sO'lcie!' do S:1 mine, !\Tllp cio Sc!'Vi t" r,s eXJl005::\
fi 'il p rojet.; .
- Un I;on cotl!:c il, mon garçon , Lu <.kvl'His l'emp h (' CI' LOIl pÙI'C!, j'nllgllll'J1 Lcl'uis tl'd appointo:nen Ls pl
!n l'Ille je te ll'()lWP; ni.> lInc g"'nlille f('I.dl(' pl je \ 'O Wl
Lrni
e r n i ~ Ll'i.s bi en l(IUS J('R deu:{, 1111 !lr\l comme Bi
VOliS ('Lil'1. rn Cfl l'lIfunlH,
~lnri:d
oilL un Houri!' tl',d:i~ICX
!,t!lll' .flll in tcl'JoeuLl'i '(: (JL
Hl:,l
Son fl'o nL,
OIl SI' i/ l.
f.1I 1'
leq ll pl j(lllOiL un r IlllTl il' I'(' hlnllchL'.
�8
LES ILl.U SlONS n'UN CŒ UR
près ùe Mlle de Servièr es et comme ils sera ient h eureux tous les d eux, mariés, unis par des liens qu'elle
rendrai t infinim ent doux.
Marcel ine serait pour Martial , l'amie, l'épous e
idéale dont il r ecevrai t le pain quotidi en de la vie
du cœur, une aITection dévoué e ct de tous les jours .
Martial , riche d'illusi onJ ... et aussi de qu elques centaines de mill e francs, l'hérita ge paternel, d ésirait
r éussir, s'él ever, dut-il lui en cOÎlter des angoiss es et
d es aventu res . Habitu é aux succès de collège, il d ésirait triomph er après une lutte.
Si Marcelin e, plu s habile, avait su lui susciLer ùes
rivaux, p eut-être fut-il d evenu amoure ux d'elle.
Douce, bonne et simple, qu'avai t-ell e pour lui
plnire?
Son air de jadis et ses goûts roman ce 1. ..
Arrêtée en cet in stant sous un berceau de lilas aux
verdures à peine naissan tes , elle écoulni l la campag ne
respire r ct son cœur battre. Ils étaient ù l'uni sson Lou s
~es
deux , pleins de sève contenu e qui altend qu 1ques rayons pour fl eurir SUI' l es lèvres eL au som met,
d os hranoh es .
Quelle pUI'elé so us le iel bleu 1. ..
La jeuh'o fill e ému e revint len lemen t vors le cltûlef\ll,
Il e enlra dans le salon, H'assit, et Mlle de Sel'vit)~
lu
trouva absorbé e dan s des réflexio ns, une 1I0 ngl'r;c
qu' ell e no pul expliqu er.
LOI'squ e la porl e s'o uvrit de n ouveau , '0 ful I{ow,
Jo. fomme do chamb!'o, qui onL ra pour uJlnonc l' !I I- l'Liul
Blanch ard.
Marcel ino Ile lrva di:-;crùlomenl pOUl' purLil'.
- Vou s pouvez l'raL l', mon enfnnL, fiL la d f'moidc ll l' .
l<..llo uL'1>ignu lin sit"g{) ù MUl'lial.
li y l'lIl llli silrn re pr urlon LJpqll r l e11' 1 -1'~:aldoiL
le
�10
I.FS ILLUSION!" D'UN CŒUn
rayonnait. Il était plein de pensées qui planaion t bien
au-dessus de l'id éal proposé par cette pauvre vieille
demoiselle.
Ainsi, elle sc permettait d'arranger /$U vie Rans consulter ses goû ts, des goûts inrinimenL délicats, nuanc0tï
et hors série d'un pO Jte ultra modern e?
- Je vous remercie de l'inLé1'6t que VOus me portez,
dit-il pol i lnent. Je ne suis pas un orph el in ubando nné comme veus le croyez . Je suis un homme et parfai te ment en âge de discerner ce qui me conv ient.
Lns a, ~: i s , les camarades ne me manquent pas ù Pari .,
où j'ai fait mes é:tudes.
)\flle lIe Servièrcs écarquil1:-\ les ye ux , r uL un ril'f)
moqueur.
- A ton aise, mon peLit. Mais réfléch is avant de
t'embarquer dans la coiHeuse et vai ne exisLenc:e d'un
snob ù très petits moyens, et rev ieM me voir avaLit
ion départ. Marceline Hern heureuse ùe le J'evoir', ('1.
moi a ussi. Nous t'aimons, mon petit, et jadis tu appr('eiai s notre aITceiion.
Il y cu L un sil ence si pénib le :\ r,upPol'lrl' po III' Murr,eline qu'elle K'esC(u iva rapidemont , pou L-êtrc pOUl' di ~
fli mulel' IlTl t l'oublo , lino pâlrur ùont elle avu it honl!'.
Martial sOllpiru ol il cut lin lung regard f;UI' lc lux!' ,
le ronfol'l, lu riclwsse de lu va:;LIJ pièrf' 011 il ~e tro\) vuit sruJ avec ln châlel aine . Que no Jlul'lail-clle dl'
l'nd
()pL~r
lout simpl emen t, bans y meLLI'o l'(~tangr
eonJitÎuJ1 d'un mariage avec la modeste Marcelillo Hal d
({U 'ill l'OU va it i Tl fr'l'Îeur ,SOli Li m,'tI La Jo, 1'11 qll clflllC SOI!!'
Il Out of sc:\t;on Il .
- Elle L'aime, mlll'lll11l':l avC'f' douceur !llllo dl'
SeJ'vit',l'cr" dIe l':lilllC, crllc' (llifUIlL . Tu l'as ror'olU'ugt"l',
et, maintenant., Lu 1'r · l ()i l ~I1Pl!
...
Marlia! cu t un geste Jas 'lui !ligni{iait: PeuL- on airrll'l'
�LES ILLUSIOcjS n'lJN CCI'TI
11
toutes celles qui vous aimen~
. Il s'exeu:;a en disant :
- Amour de jeune fille , ce n'est pas grüve . Ces:!Un~
complètement de me voir, elle m'oubliera . Je no veux
ni me fi ancer, ni me marier.
- Peut-t'ltre as-tu raison , répondit la châtelaine.
fiedouter une chaîne il ton âge et même à tout âge est
fort pardonnable. Je me suis très bien trouvée du célibat. Cependant Lon brave homme de père m'a confié
se~
inquiétudes il ton sujet et c'est pourquoi j'insis te
pour Le gardcr ct te marier.
Tandis Ql10 Mlle de SJI'v
i è~ ' c~,
sans le moindre succès,
caléchisait MarLial, MUI'celine plourait, toule $CuleLLe,
hélas !. .. d il1l8 sa chambrc.
Elle voyail déjà le jeunc hommc pet'du, maUwu;'c ux , l'uiné. Quc ne lui demundait·il do Il' suivre. EHf'
"lit accepté auprès de lui le plus hu nblo il:.:s rôles fniL
Jl' dévouomenl cL d: !iucl'ilicJ .
l~poLU:H),
;ullùnLe , amie , BCrV<llll:), qn'irnllf)I'laiL. Elin
l" Hoigncrnit, l'aiderait, seruit l a 1 JOdCbLIJ ouvrière de
:;on bonlLOl1l', l'a~socié
seorete de lie.; IlwbiLiollS .
Dc,; larmes 10\1nlr:; ct am \1'('5 coulaient de ses youx,
inondoien l son fmil; vi"Hge , de:) sungloLf; soulcvaionl
tirs onde!:i dam; aa poitrinc , aliiln d' un eo.:ur vOlitubleIIlCllL bouloverliu.
L'alL;lluuLion il co clwgl'ia cl'llùllui fut appurléo prH'
\111" de S()l'ViÙrcB.
ÂussitôL np rol:! lu düpal't do Martial, J'aimable cL
pitoyable dcrnOlBoll<' nccouraiL uupl'etl cie J\lal'colior .
l ~Uo
prit dall'J le:- :;Ïf'nno!! , IJI\ mains de la dMnisso(',
1'110 promellu gonLinli.'nt ~on
mouchoir do iJo.lislc pallum6 sur le vjsl;f~
do l'('plo('('l .
- Sécha L" 1i larmcs, Illon ('llt';wl, fiL-clle, illo rcv iolldrH quand il pcru mnlhcureu . .
ElI' ad<"plD.il, piMi h' tutoiomont avec ~lQro"in(J
�12
LES ILLU SION S n'UN CŒu
n
dans les moments path étiq ues , afin
de lui foire un peu
mieux sen tir sa tend ress e amicale
.
_ Alors,je souhaite qu'i l rest e abs
ent toujours, qu'i l
al'range sa vie selon le vrou de son
cœu r.
- Son cœu r, mais il n'a pas
de cœu r, s'écria
1\1 110 de Servières, puis qu'i l te déd
aigne .
- Pou r d'au tres , il en aura peu t-êt
re, soupira fila\'celine.
Cet entr etien douloureux fut inte rrom
pu pal' le son
répété d'un klakson, une voiture auL
omobile uu dernier
modèle pén étra it dans l'enclos , Milo
de Servières et
1\1arceline, à la fenêtre, s'ap puy
aien t pOUl' admirel'
l' entrée trio mph ale de la sportive
Ann elte .
Elles n'ét aien t pas seule" à la con
temple l' car Martial, ébahi ct ra1)gé SUI' la pelouse
pOUl' laisser Lou le
l'allée au carrosse d rniel' cri, étai
t tout yeu x pou r
l'exquise enfa nt qui man iait avec
une maîtrise incontest able le levi er de commande du
véhicule luxu eux ,
le chaulIeur, assis aup rès d'ello, aya
nt pOUl' mission la
vérification ct la répa rati on en cas
do pan ne ou d'a()()idrn L
Maltial émervoillé sc précipita pou
r ouv rir la pOl'to
de l'au to ot donnor la main à la cha
rma nte niè '0 cl '
MilO cie SOl'vières qui,
sans coLlo aide inoppol'tuno,
'lUuta allégI' mont SUI' le gravier.
Quel chic 1Quelle grùce 1Quelle assu
rance 1. .. BotL"e,
vêtue d'un imporméable, coiIT6e jUB
qu'nux yeu x d'une
casquetto ma rin , Ann elto étai t
ravi ssan te dans cet
accoutrement, ravi!:lsnnle comme
toujour8.
- Voilà qui esl parf ait, fit-ello on
tendl\~
sa mai n
gnntée il Martial. Vous ê~csù
l a Peylouze, on co moment.
Enl re nOLIS, jo crai ns de m'y nnuycl'
quelCJ.ue pou, fllll'lou~
s'il pJeu~
pen ùan t mon s6jour, une huiLain
nll
plus, D n:; co en', ne manquez pm!
ùe venil' nOlis vDil'.
�LES ILLU SIONS D'U~;
CŒun
13
El1e donnaiL ses or'dres, tl'U!tant le fils du pure Blanchard, le régisseur de sa tante de Scrvières, en inférieur.
Le jeune homme comprit sans douLe la nuance, car
ill'Ougissait ct tardait à répond re , mais, en réalité, il
était troublé et songeait peuL-être que le hasard ct la
chance font très bien les choses et favori sent éLonnamment les jeunes gens dont l'idéal est d'épous er des rein es , mêma s'ils sont de maigres bergers .
Mais Martial, poète cl trqub adour, se croyait J'oi, ü
sa manière, ct bicn digne d'une princesse.
li serra dans la sienne la main précieuse, promiL sa
visiLe d'une voix chavirée par'l'émotion, émotion (flli
failli t provoquel' l'biln rilé de la malicieuse;\ nnetLe.
Habituée aux hommages, elle faisa it très pell de C:.lR
de ceLLe conquêtJ. Mais il la campagne il arri vc bien
aux duchesses J'êtro l'ccr66os par les soupirs d'un bouviel' eL la belle Hécami er so montrai L ll'ès flatLée dl's
airs d'ex tase dos peliLs ramonours sur son passage.
Un soul'irc, asscz gracieux ]Jour scme l'l'espoir, épanouit son ravi ssallL visage roueLlé d'ail' fl'ais cL rose
comme uno \glantino, fleur agresto cL simplc, butin
de pâLre.
Martial était enchanLé; quanti il fuL arrivé ù la grill c
cL prêL à la fl'ancllil', il tourna lu HiLe ct jeta un regard
ue défi au beau chiltr:lu, il la jolie fIllo qui pouvaient
un jour lui appartenir, cL un l' gard de piLié pOUl'
MIlo de SCl'vières eL fdal'crlinC', deux maigros ct di stuntl'ssilltoueLtes, les druxom brcs , en quelque sorte, d Il
magnifique talll 'au Où il pl' 'nuit la fOl'm J d'un tlt'>ductou!', d'un don JII Il. Un tublcau de chutlsc aussi puis(1IJ'il s'a]>
pl'\ ~Lu
i t il m"(Lr' dun s 80. gibocièl'c de pay;.;un
(,UI' Vonli lu plu:i belle dot (l"'iJ oul jamais COnOun.
AIHli'( Le do S'rvil'I'cll, fullll'C h('l'itj "l'c de ~lU
tallk,
�LES ILUSlO:;~5
U'UJIl CU:UR
1::'
POUt' Ma: tia!, la lwLul'O tardivClü é
'llL en fêLo lui
d.'
d.;diait un ho ·nmngl' tout pal'ticulier, Un poèt~
vingt-trois ans n:est-il pas CH droit de sc considérer
Commo 10 roi de la nalut'e qu'il et;t appelé à célébrer
en vers, padois mêm,o en pro;;o ?
ROllsard, MWlGct, Hosland, il 10 sentait, il était de
CGttc lignée magni!i1luc, ch('rie des Muscs ct des
rcmIlles natul'cllomenL.
Cependant, ayanl réfléchi poudant lrois jours à la
ill raLégie allloUt'euse qu'il dôploicl'ail pour conquérir
. \1111 Uo, ill'éôo!ttL d'allcl' il la l\:ylouze.
- Vcnoz liUl'tuut ~>'il
plout, avait <.lit lu mutine
cuquctLe .
01' le (id "L"it gliv , 1',dllt03pltÙI'C cltuJ'g')P d'humiclilü cl, veL, nouf llou 'c:>, unc l)luic line, un bl'ouillard
tmu D.I1L.
Ulle tuiktle mi!lllLÏrul:!o l'lU'l'èlu longuement <.lans sa
rI(\jounol' .
l Ile ehawlH'o lm ubJéc d'Urll' [(\I;on déiilU3tc, sam;
(';IU (·out'é.l1Ite, dlipOltt Vile d'{dccll'iei1.é. LOI:! j)!'incipct>
nu gl'unll tourisme él'ticnt fot't Joill d'y ôLro ::tùaptl·r; cL
l'oùPUI' de coing et de 'pOffiIllIl llIùr[; ~'exhalunL
(\("
1I1'nlOlr{)li oL dl'I'; placards Ile pouvaiL ûvoir rlllCUnC prétention :\ J'lIyg;?:nc.
Copendu lt une glncc assoz vusl!' occupaiL un dr,;
IlWI'S cL ~,I:\'Lid
pltt y cOHLrôlol' 3n t( nu o impoccablf'.
1.inri0 IlcL, VdCtllellLA dl) Donno 'UtlpC', viJug) <!'Ull
lj pi' Lien moderne, slnluJ'o h"lilo d C'lt ail' cntl'alnü
ellluin qui edt la pUfltI'O dcs gUtçUnH du x ,c "ir!elc.
En vl,t'ilt', i\1rll'lluln'l'luit pus \In us sportif, il JlO pl'al iqu iL ni le tonni s ni le fooL-ball, rnudioCl' nagour (Il
don. '.ur ~j ilS le rnoil1(lru 'clat , il devait à uno Ii'Jlirl,
hüôd i td paysanno fOU ilspccL il ln Cois élancé ct l'obuelo
(Il III bung l'iche qui l allait tinf 5 ses ultèrcs cL l'édaeh'l lllbt() 011)/' \8 10
�LLS H.LU'JJONS D'U)! CŒUR
DossGùait f'n plus d0 ces espérances loi:1L
~ in')s
!ln p 'ra
bien pourvu , financier connu pour se.; sp éc,ulutions
heureuses , dont elle étuit la fille unique et gâtée, :lll
delà cie touts restriction rai sonnable et de toute mesure,
pu isqu'il éLè,iL veuf ci qu'clIc ét:1ÏL son lInique afTcction.
CiL\l'lT!lE Il
ll ial Li::\l, bi nn qu'il fut imp'ltient d'y l'ctoumel',
relardait su visite au rhâteall de lu Pcylouzc .
Il voutliL s'y faire tl6sircl', lIun :JOinL pa;' J'innocente
Marcl'Iine, mais pal' la piquunLr\, la s(>duisante i\ nnettr,
vér'iLuble si r'ne ,
Délivré pUl' lInc vonle pl'\'f'ipiLlje de ln proprip.lé
laissée pUI' son Pi)('C, en pos:;csH ion d'un prcll le, pel'!illUd é de la gloire littérairo <lui l'uLtoci~
ù Parii;!, amoureux tl'une jeune fi lle qu'il connnisr;ail ù peine, il jOUi fl'
sait pleinement de ses CRjJél'ance'l , fie f1<.lS penséos eL
auss i d'un auLomne capitcllx PL !lou', ([II i embell issail
~ingIlW'
r rm('l1
la f'ouLr'('I' .
Un parfum do rruiL mur' f1uUaiL dal1;{ l'air plI",
ar'br'os e!1f'oro char'gr,s des df':ni([
, ~ rl'~\mLs
tlcPornol1t!
fn; loisflaicnL de la l'ucino au ~ : ornlT",
1rom pl;:; par' lu
lemp(;r'oLure, COmm" p!'êL~
;'t rei]pul'ir.
Yoi ~; ine,
quelque:;
Sous /ef; has taill is de ln rOI'~1.
('orolles prinLu ni 'I'eH s't"punollil'('nt HOUH lnjonclH;c d('s
feuilloi:) sl:chos eL des fOUgÙI'PH 1T\(JI'le~.
Martia l lrouvo, dans le jUl'dill ,1 ,\ J'ulIl)I\J'W' ùe vil.
Ingl' où il habitait, dr,s viol, Lll!,; (,t (f1l('lqllf'J bQlI!'gp(lrt.,
pfIer'vI'Reellls au flomrnpL d'llIl ,;1Jl'C"lI 1 pL d'tin lilas.
- Il est v rai que c'rsL lin li [cu de l'(I~,
(\('clam h
pa\'('olll1P, Frunf'oise ,f1':IllllitolJ, ~ !Jlli il UIIJIILI'U I.'elli'
ll'lJltvailll', Il Ollt peuL· 'Ln.: bi. '11 rrnl fli'coll t llrn(' ail\'
SHi OUf! dl' c1H'z nOUf!.
�LE S lL1.J
SIC:~
n'Uri CŒ UR
11'
Autrement, le Monsieur aurait son derrière
mouillé.
Celui-ci , devant l'éq uipage, demeura consterné.
Devait-il se présenter en patache chez l'élégante jeune
personne qu'il se proposait de séduire? Il réfl échit un
instant et congédia le domestique.
- J'irai à pied 1 annonça-t-il.
- Vous vous elll'humerez , riposta le paysan, la pluie
tombe pour toute la journée.
- Avec mon trench-coat, ma cal:!q uette .
- Prenez aussi un parapluie, fit le domestique
gouailleur, ct des pastilles ùe jus noir pour la go!'ge.
Martial entendil-il la fin de cc conseil railleur, il
oubliait la ptuie, sa tenue, lui-même, pour obéir à l'oJ'dre
précis de la jeune Anne tte.
- Venez s'il pleut, pOUl' me di straire.
Les pieds dans le::! flaques, mais le cœur au ciel, le fil s
ùu père Blanchal'd allait droit devant lui et il :.lniva
()Sl:loutnd et cl'oLlé il la grille du parc de la Peylouze.
A peine si le cOllGierge le reconnuL sous l'aspect d'un
voyageul' miteux, flapi, à pied pur un Lemps où l'on
ne meltrait pas un chien dehors.
- Vous, mon sieur Martial, venez au moinl:! VOIlS
50chel' t vous l'appl'Opl'ier chez noul:! avan t d'enLl'el'
an châleau. Vous moUriez def:! rigo les sur les beaux
pUt'queLs Lien lisses eL vous feriez rire los dametl uvee
VOLre nir raidi do drap neuf sorLant de III lessive.
MarLial dut accert r cette olTre chnriLalJle , malgru
Lout son fi el' d6sir de ne jamais fl'uyer avec des sorvileurs aux habiLudes famili ères avec son père.
11 es t vrai que Nicolas, le concierge, savait vivre cL
montrer du tact avec le jeune homme reçu par su mnttl'e
~se
eLtraité uvee umiLié pal' le moire, le cur6 ct tous
hl gl'05 bourgnoi3 ùe la contrée.
�16
LE S I.L
USro~
;S
n'u1'I CŒ UR
mail, imp érieuse ment ses droits à une vie complèt~
.
Peut- être manqu ait-il d' éléganc e, de distinc tion, Il
se jugeait ct craigu8 it de ne plaire qu'à la longue , c'està-dire après d'étern elles cOUl'toisies à l'admir able
Annett e de SCl' vière3.
Décou:'agé , il s'assit un instant , soupira et songea à
l'inven tion, à la déclara tion , à la rim e qui exalter ait
la princes se et la lui livrcru it captive et charmé e sur
Je champ .
Ce fut à ce momen t qu'il eut l'inspir ation géniale ,
du moins il le pensait , d'exLraÎl'e de ~o n bagage un
exempl aire J'une plallue tte dil,ée à ses frais ct contenant leJ ba lbuti eme nts de son génie poètiqu e : Rayons
ct Emmes, dl'S essais où il avait mis touLe so n âme ot
sa volonté ferme do brillor ;l une époque où les promesses de tal ent sont si nombl'eu~s
qu'il es t lev enll
imposs ible de les catalog uer ct de 10:> insc l'ire pOUl'
prendre date au livre de Mémoiro 1. ..
Il n'avait pas encore di~Lrbué
l'O \lv rage imprim é
SUI' volin et numéro té. Anllett e recevra it l'homm ago
cio l'exemp laire no 1, où il sc !'éservaiL d'écrire uno dédicace cl un envoi cn Ba présclloe.
Le volume assoz plat fut insérée dans Ull e poche
intérieu rc de son veston, oadeau discl'eL ol inv
~i ~ l o
rr ui for'L h eurouse ment ne bl'i ;a it pas lu lign o impeccable du veston du bon fni scur-.
La voiture boul'bo nnai hl" un locati~
d\\ilso7. piètre
appare nce, attenda it Marlial dun
~l la COUl' d l' ln ferlO eaubo r'go . L e domes tique, monlp sur le si'gl' , s'élail
nvelop p6 d'une vaste limou sine, ayanl rabaLLu son
chapea u ~ Ul' ses yeux, il aimait uno bourrée bit' n cacll'nCj',C pour se couso lrl' de la pluie.
11 cl isposa une couvel'Lure SU!' la place vide Ù cIÎté (.10
lui on murmu rant:
�1 ' ~ .,.
-r l!isu,~;
LES l LLUSION S n'uN CŒun
i l s'on Cl'oi L, pcmai L-i l a VCl! bonho,ni r ,
donc com mo lui,
P u i ~ ru'
- Yuiià qui od parfai t , mur!1l UlU ~l :t"i id ,
Scs soulier:; 0 ,;JUy..J3 , son vêLoment inLact ~o u s l'> (,n
1l'auch-coat, il apPul'ai,; ..w.it. dans un e t on ue él SS( ï,
"ouecLe poU!' afTronL' 1' de:; l'cgn;'d:; lcali l1f; dp jeun li
11 lle8 .
Son CŒUl' ballait, il trembl aiL d' ~ moLin
. Il la
verruit biollLô L! .. ,
D'aborù cc fuL 10 chàLea u, SOll chiU oa u Lill ,jo ur,
q u'il rtd mira .
lld lc vra i,' dPl l"ll t'e ùo g l'Ulld Seif,llOU I'! Elle IiViüt
ri ' ux njJp
~; (l'li pru Légc aicllt In bûti mr nt ccnl,l'al d' lll l
I:.,;wel I<u'gù sty h' Lou is X \'i.
Un purc boj.,0 (; ' 'LcJl(laÎL fo!'1 Jilin , il y r "gnai~
;11 1
calJll l , une pl ' Opl' ~' L 0 <l ~ IhlllLI 61,"ci0 nce .
L" " 8cul'Ïos cL J ,,) ucrnJ 1111" t' L:lÎc nl cachéR par c; Il
bui3,;ons tOU /l'ud .
Il J u\'aiL LtlnL t!'ai JulI(;! ' aim a ble, du dignit6 dan ,
j';p,G Ut' il du chfl \ )!l\l eL d" 1 [, <ll'b l'h qlle 1\1arLia' ,
to ut l' ~ conf()I'L\
SO'll'i:li l ,
Il lIlo.lLa Ic::> d Og l' ~ d d! 1 pel'!'un oL entra dan l ,
\'!'Glib ,l lc CIU! était d é:O~ l' t ,
U ll pC U inq uict pt rdl'(!; '; i, il d OIll Olll .l it debouL ('
(;o!i Lui l'll, fj': J (; l )LU1ÛanL !li (; LL'l aLLt'll Le fj' 6L emirlCl'ni',
(llH.1lld il ent.endit (rUne \' oi '; trop COll ll u e , héla'; 1. ..
- 0 '1 , \'uus! Martial, u di ll! Quel bunheur. EH(,
éLait la, :1 Il pl' 's do lui , la do ,lI.:e pctiLf> cnmarad .
loujollr;; !\OurinnLo , con sLa' " nl'1~
nnim .' c (j1Joud , ont re
deux: ann t c<i!le eollt'gù (J I( de ux l'Xa m " l1 j do droit , il
" cnai t fo O 1 Cl'0 SC I' ch~z
on p ~ lU :'
�Cette tendresse di:,cr8tc n'av/.liL plt~
If) don dr
]'èmouvoir. Il pensait:
- C'est une ciouvcrnanLe ct j'ai cessé d'être un
enfant. Et pui~,
quel âge peut-clIc bien avoir?
Il interrogeait le visage délicat, un peu pâli par la
d0tresse d'un coeur inco:npris, Jo visage cle Marceline
Ihrcl.
.fe s\1is vrnu, dit-il sùchc:m"nt , pal'ce ([lie
:'Illle j\nnette de Sorvit'l'es me ['a demundé quand j e
l'ai r'cTicontl'ée, le joue de son arrivée.
- Voilü qui est parfnit, répondit ?-.lal'celine awc
HI u f/'oidetir feinto, vOus OI'river. un jouI' do pluie, vou"
f:PI'ez mieux accueilli. MIlO AnneLLe se montl'C t1' 0"
nOI'veuse, elle -voulait nous quitt er ce matin. C"
[ll'ojel (\pouvnnLait Mlle de Srt'v iôres, pJl e craint
f" l1rmollL les imprlldronre.1 Je ceLLe enfant, lin accidenL
al'J'ivQ plus facilcm nt :-lUI' do" l'oules boueusE's,
glissa ntes, avec une aut o de Ju"{c qui n' .s t paf! pl'écis"men t consLl'lliio pOIlI' les longues l'andonn 6cs Üll
plpino campagne. Du mo~nH
nous pensons ainsi, !lOUM
qui nr. sommCi; pas ues initi{>oH. Vous êLeEl le bipilvenu,
\'OnB nOliS aidel'ez ù gal'dol' ici I10L1'0 alldaciel18e.
L::t jrul1e fille s'e:,pl' jm'l iL longllcrnrllll, Jlosl'ml'n L,
l''ie I1vn iL l'omplèlempnl malll'i31' :.lon {'lllotioll , "on
I:.tlgl'in [H'lIt-ûLre.
'l'olll cOllôpil'o Ù :'touITe!' leH im:Jul. iO:l.' (·t j,~1l
franeh iscfl d'unD cl'l'aLmr dont !'elrace' 'l'nt l'.lL lin.'
'(lInlitu profeHSiolll1f'lIe.
QII d'osJlo il's v:lin~j,
(Ill e de l'efoulrIrlI'IlI:> 1'r.PI'J"n tent la ul'slill\'1' d la cal' il'l'I' d'Ill\() fl'mnlr) conlin "p
u'lnK 1I111'ûlo flubu!l"l'IJ( ', ni ,!l"" d'une uPnloi.Jelle âgée,
l'il 0111' mt'mu 11','0.; bonnl' nL ln'!:! ai,nunll) nOlHlTl1'
'.1 ,1" dl'.' (' l' i :'(~ ,
:,: HlI,!! ruL ('J1('lllllL ~ de er,)il'c CI le e,' fli .. t UIJU lIlI ,
�:20
LE S ILL U S TO~S
Tl' li:, CO:: If R
charme de sm; VDcanccs de ]Jo tach e, éta it déjà ù demi
eITacé, oublié. Jamai s il ne s'était considéré comme
engagé à le continuer, mais sa conscience se trouvait
particulièrement ravie d'être délivrée par Marceline
ell e-même des sots projets et de l'idylle que tvP10 de
Servières ava it pris la pein e de lui re commander et de
lui rapp eler.
Certes , il n'avait pas à se considérer comme un
parju re quand il se trouva, ému, "troublé et amoureux
infi nim ent, dans la petite pièce encombrée de coussins, de divans, le domaine personnel de la menue, de
la sa utillante Annett e, au charme étrange do poupée
de divan.
Boucloil', chamb re eL fumoir elle a voil inslallé re
co in, tapissé du parquet au plafond , aussi do uill et qu e
l'élaient peu les sports asse z rudes auxquels, du moins
ell o le prétenda it, s'excorçaient sos mombres délicat;;.
- Jo vi ens ici de tomp s en temp s pour m'entl'ulncl'
au repos, dil:l uit- clle ...
L o jour gli'lsilil, adouci pur des l'ideaux de couleur,
maiHl'encens ([u i parf umait J'antro de la petite idol p,
c'étaiL la fun ll\() deJ cif;u r'oltefJ nombreuses qu'ell e
;lsp ir:üt rapid emont, d'lID e bou l.:ho roso qui avai t lu
ta ille d'une uyel in e.
A peine Ù,J nez , cl es ol'ci lles minusoules, des yeux
imm naes el. des cheveux b}onds, éboUI'iITés , d'une
LeinLe incl'oy abl e, ros6s comme scs jOll eR déjà fal'dées .
Doux fosse tt es avoo celà , lino au coin des lov l'es cl,
11110 au n:cn LOll.
- Un i' igll O<lo famiil eL la llIUT'CJIl de la bonV',
di sniL parfoi!:l la chClL laine de la l'uy ]ouze tr('s au faiL,
eomllll' toulol' lo:! vi eil1 rs filles, cl pi'\ Julr[}dill\R , dl',~
rcssemblallccs do tou le sa par \ 1I t(~ .
AnnpLlr 130 Houl e 'a , tendiL sn maill ù Marlial. Pat'
�LES ILLUSIONS n'UN CŒt:n
21
ce temps aITreux, songea-t-elle pellt-ètl'e, il n'y a plu3
d'inférieurs et le fils du père Blanchard en vaut un
autre.
Harel,
- Donnez-lui donc un siège, ~Iademoisl
je ne bouge pas, je suis fatiguée , malade ou presqu e,
de voit' cette pluie sempiternelle frapp er les \' itrcs
de mon réduit.
Il est si ditTIcile de s'amuser toujOUl'S 1 Quand même
les occasions de plaisir se renouvelleraient- elles sans
cesse, Je temp érament fr êle d'une enfant délicate eL
changeanLe les refu seraient parfoit!.
M. ue Servi ères gât.~i
t ellement son j\ nnette. Aussi,
selon les cas, chaque heu re de la vie de cetle jeune
fille adulée contenait comme une éternité de joie ou
de trislesse . Exquise et insupportable, ses caprices
chnvimient tous les projets, tous lco plans de ceux
rlui l'approchaient eL qui, ébedués, ne savaient même
pas lui en vouloir de so n despotisme .
.- Annette de Serviùres , c'est une i:lo rcière ,
assul'ai ent ses amies de pens ion, les camarades dn
Mon por e, SOG cousines, ses tanLes, tout o uno paronlû
bourgeoise et aristocratique médusée pUt' ses faç.ons
do sulLano.
D'aillours Aunetlo n'avait que doux pl'étouLions
outranc ières, innocentes et comiques.
Colle d' être très sport ct colle de ressembler à Maud
.
Loti 1...
Des vanités qui fai saien t rire so.ns r idiculiser leur
auteur. Ann etto était trop jeune, trop jolio, trop
/'iche pour pal'aIL1'O ridieulo.
Tnnt de prOrogat ivos touchaien L à l'cxccntricitl.; et
Cil d6tail, touLyoisill de la ffi ll ltV aiso tenue, ~U' r êlD.:
c nL
'Ill plutôL abrégcaienL la sympathie do Mlle do Sel'vièrl';; oL colle de Mareclino pOUl' leu!' visitrusc.
�U::S ILLU SIONS D'UN
cr:-:u n
2J
l'on servait le goûtel', tante, je t'amène un conviv e,
très assuran ce sociale , comme dirait mon amie Maud.
- Qui est donc cette Maud dont tu parles sans
cesse; je n e félicite pas mon' fi'ère de Lrs fréquen tations.
Annett e lança LIll rire pointu, fuLé, cL scs ges los , ses
ses mines , sa vivacité grisaient NIa:'tial. La jeune
nUe éta it enchan tée de sa conquê te. Un jour de pluie,
ù la r.ampagne, on ne peut sc montre r difficil e. Avec
ce naïf adol'ate ur elle réalisa it parfait ement son
idôal qui était de plaire sans jamais êt re charmé e.
Com m clI c le trouvai t amusan t co pantin nenr,
(·l1e se pl'OpoBu iL de le tiraille r gentim ent ct de HP
diGtrn ire de ses réactions ponuan t un ou deux jours.
Mlle do SCI'vières observa it sa nièce , Martia l, lVIarrl?line, cli c ne pOl1vniL se d(>fenclre d'lin flent imen t <1 f'
l'.hllo piti0 rOlll' ceLLe dernièr e .
QUfll1t all jeu crll l dont le fils I3lnnclwl'<.l Herail
('o['to inrmenL la vielime , oll e f; 'rn soutiai t fO I'!,
peu. Ce garçon qlli nO\H'I'issait de,; pt'ltcnt ion;
f'xLraonlinairc..; peut-Gtrr, co ll e J'épous el' l'hér iti,' l\'
c!C's do Scrvièro'l , m('I'ilait une leçon cl j\ lInclte ln h. i
dO/ln it. Lo pllre ue eeLlc fi Crrl\O COC]l1eLLo vionr!l'rüt
lu cherche r dons huit jOlll'S, so n d l'si r forille l
t't:üt ([tlfl HU filin rl!hL}L Ù lu P"yloll?:O prndunL (,,<t.'
semain e 1'\, I\'Tal'tln l Ill'J'iv:\it ù point no,nml' 11\1111'
;Pl'v il' J!' pUlIpt\r il coLLe rllfnnL Lel'ribll' .
!\1ol'Gi'linu et aussi III dlfll,,, Iaino (\tqipnl b!J \P '"
invr nlio!B.
"xus pél'(\c!:I de srH ex igrll Cl'H pl do ~:[',i
if ù fell l'
va!
d("ri
nL
('
Il
xCI'
(;vidf'mmf'I1 C, pp !Ii l'L, 1111 ('
l'l eli '
e
n
i
f
'
l
a
[
~
df'
IICl'VO:iÎlé, Tll' I,ouvaitt}lre fi n goût
110
p'3 la
'5cl'\'j,"r
de
1\1
ù
lu mon tra 1J '('n en dcmun ùnnt
pel'/nission de SI' l'ctil,pl, ...
Ell" prMrrn it ir; no:'pf', no p II voir le man,'go>
�LE S lLLU SW:-I6 D'UN Ca:Uil
f\ll1rlial re8t:üL debout d"vanl ccUe belle jcune fille,
il n'osait pus o'as:.ieoir. J eut-être Sé ful-il volontiers
mi" à gcnoux pour lui jeler une déclaration brülantc,
- Alo:':;, interrogeai.:mt les yeux d'AnneLLe, \OUS no
diLes J'i eB , vons n'êla'J p:lS éloqu ent.
i ~é
amuf.uiL Annetle, elle sc tOUl'IW
Cetto li 1lü
vi\'crnelll, enl un prc~te
mouvemenl de chatte ct se
leva . 'l'clIo 1111 brillant oiseau-mouch e, un pu pillon
lége r, elle \'oJligra dUHU la piècc, jl crdit ulle mnlr,
renversa un g'll;;'idon cL éclata de 1'il'0, l\Iartial, il.
f[uall'e j1 a~t:',
ehel'chail la chaussure, l'cdl'rS&<l le
meuble lllllfli:, que Marceline scandalisée s' .criait:
-- Oh! ma p"LiL'J AnneLLc, soyez sage .
,( \ ui t.
T ou L cc Lon do bad 'Ilu ge devant Martial \ Ol~
\Ill gtlTtt'f' 1... qui ';,a:;péL'D.it lu <.:Ol'l'ocLe sui\'anlr dl!
~il1c
\k ~":l'\iLes
,
(~1
C dil'r de oun illlli;;lliliioll conlenur quand
}\ toul'dic 8" fil chaUi:;:;"I' cl0 la mull' perdue par con
rflvalj"l' .
ChaUlltlCll1'
pOlll'
Nous somm cr; it
J'l'mÛl'qUA' \L1.'(oil~
p[IIS I I\aU\ :li., boilL,
e"
d:llnntl, fiL-dlo, moqu ol1 °.I' .
lu
(~ampgJlc,
il cs!, vra i,
d'I
pour exeusel' cr fltl n S h(~oJ\
{'urçun, (ill'e!]1' impl'os"iouna iL ail ]loinL de III
J('ndl'(, Jlluc t ci f;tl ueiln , :lll\UsnÏi AllnrLLr;. lf C8t (Idi·
,ieux T'OUI' UU\) potite fillo do condui.c Ull oms ù h
d:Hl~()
. J\lai:> r;'OHl lit un plai l;iz' de ]l nLitn fi Il 1) ('Il pr0m('l~adc
au Zoo df) j'Exlo
., ilJe()1
0n io.1 ~ , (~l
l'ain' rn,mg!'J'
t','t ()ll n: . (),t '1 dMice !...
- Suivez-mu i, dit-i 11(" .il' \O Uf, invite Ù pJ'ondre le
IIt6 uvee lIOli S. Tûch ez au mOil1d de lai ':if' l' 1('1 voLj'('
til' ('m pi'u nLû cL s' uvngr .
- Tan te 1 Tante! I\ '~lIi:t
Âlllll'Lte l'Il entrunt
ommc un coup de vrnL dnns la salle à n1lll1g l'OÙ
�LE S ILL USIO NS n' UN CŒU R
- Naturellement, puisque vous le désirez, je serai
le servit eur, le protecteur mom entané de Mlle Annette.
La jeune fille se montrait toujours d'une pétulance
inouïe. Déjà prôte, coiJTée d'un béret, munitl d'un
imperméable, elle courait et devan çait Martial qui,
malgré ses pas longs et bien cad encés , arrivait à.peine
à la suivre.
- Lai sse r aux gamines une liber té pareille !. ..
::longeait Mlle de Servières en reg8l' dant ce cou ple
dispal'ate s'éloigner. Il est vrai que ce garçon n'es t, au
demeurant, qu'un dom estique d'un rang un peu plus
élevé. Il n'es t pas de notre monde et il sembl e tout
embarrassé de r espect auprès ùe ee papillon rose qui
pOI'te le nom d'Annett e. Je déLes te ses manière:>
hardies, sa désinvolture de sportive, mais je ne puis
m'emp êcher d'ad mirer un peu cet Le fl eur suprême
de notre race si bien douée pour la joie et la dominalion.
9-uant à Martial, il était fort agacé d'ôL l'e 6p::lÎo"
lourd, inLimidé auprèr> de ceLte P éri, un e y(>rituble
sirène. Sf)S larges L!'ai ls avai cnt une ex pression hien
mélancoliqu e en la suivant, comme fait un hicn
halotanL il ID poul'suiLe d'un gibiel' choisi, une
hériLi "re joli e comme un cœ ur, incapable de ce
dtllicieux sentimenL qu'on appell e amour pour amolli"
pell dou éo pour le mn1'Ïngo d'inclin a Lion qu'il oscomplaiL sUnG y croil'e .
11 ouLun flourire navré, so jugranL Jo pin s mnlh eu·
l'C' UX urs hommes parce qu o J'oxq ui se AnneLLe II'
dédaignaiL ... pl'obnbl oTTl enL ... u b ~ olum
o nL
comme il
dédaignait Marcelino, désauuBiJe l't, chn l!l'ino.
�2't
LES ILLU StO N2,
n'ux
CŒUR
d'Anne Ue, ses airs provoq uants ct la soumission cl t:'
l'infort uné galant sidéré par le mauva is genre imité
d'une actrice etles façons cavalières do la nièce de
l'honor able Mlle de Servièr es.
Elle G'c~
quiva
au momen t où Annett e cl'oquant
une pl'aline en jeta la moitié dans l'assiet te de Martial
un peu' déconc erté par cet excès de familiarité .
Quella isser-aJl er 1 Quelle!; façon s 1. ..
Le mauva i s Lemps ayant cessé , quand Annett e
proposa à Martial de l'accom pagn er ù la ferme de la
Faisan derie, la tante fut tentée d'interd ire ceUe
promenade.
MartinI h61:;Ïta Il su ivre la jeune émancip ée .
- J'ai des comptes ù mettre au net avant d'aller
chez Jo notait'e, du travail a ussi, murmura-t-il
timicll'mcnL.
Annett e ouvrit démesUI'émenL fiCS beoux yeux 1
Qu"] ru stre, cc garçon refusai t l'uniqu e faveur qu'ello
lui ofTl'oÎt.
Par'L ez 1 Purtez, dit-elle 1 Rejoi gne z votl'e
chal'l"ue ut vos b a' ufs.
On pouvai t sui"r" aist' ment IOfl pensées d'Anne tte
Hnr son vi sage mobile, Qu'alla it-e ll e invenle r pOlll'
pURf,I'r h' temps?
lYple dc' S' l'v ièl'I'S, pour sauver lu situatio n, institua
tOllt simplrmen t (~ t nv ec vivaeÎ'll\ Ma1'lial melltor do
]a di ssi )JI\e,
- J e te cOllfie nn eUe , mon enfan t, JiL-olle,
- AbsolumonL commû s'il Hait mon pÔl'C, l'ipo
;t~l
,\nn eLLe,
Je sn iB cc qllo je di s, reprit MIlo de SrI'Vi" I'C!\.
Hodl'iguo, as-tu ÙU C(X'UI'? lan ça Allnett e d\~ H:J
\ ni x pointue .
1,1' j lino homme' s'inelinC\,
�m;s ILLUSrONS D'UN CŒUR
Quelle 0trangr sensation q Ile cette ode ur fâch euse,
mais aussi Ci uel renou veilement de pensées pOUl' cette
jeune créatul'e déjà blasée. Oh 1 comme elle sc rendait compte ici de son bOllhellf, de son aisance coquette
rt de tout e ln. grûce d'ulle existence tracée comme SUI'
un chemin de velours 1. ..
Elle transformait si aisément lout ce qui l'entourait
momentanémen t en parures, même les gens devenaient
des choses propres à faire valait' :;a beauté el lies sentiments .
1) e bo~L
Ù ~a
porte, la fcrmière accueillit la nièce de
.\flla de Servièt'es, la châtelaine rt propriétaire du beau
domHine qu e son mari faisait valoir.
~on
uttitt:de dr'célait 10 rcspecl , la défiance ct un
peu d'irollie. Oh! cCtiPal'Îsiens, quelle Lenuel ...
- :hllles sont quasiœen t cn clu; lUis , les dame,; de
la ville, ni linge , ni co tillons, songeait-elle uvec dédain .
- Si vous vonloz entrer, Frunçoij)e VO Uf.; sCl'vir&. du
lait. Françoise! Françoise ! cl it-cllo. Une SGI'vante sortit
(e la vacherie il cet appel. Elle Len:tit ulte jatte de lAit
,t Besmanches trou ssées mon tl'nienLHt's III ai lU; et Bes bl'8 :
r')ugcH.
- Tu nous UpPOl'tcJ'Us du lait toul ehaud à ln. maitlOll,
qU,llld tu auras Hni. Entrez, madoIlloidclle, VOUli verl' Z
jl';ll'ir le pain.
Tout d'abo rd, il fallut s'habituor il ln gri oo chuté de
ln pièco ; ecpe1HiaJ1t Amlclte ellchal1Lée courut du côté
de la servante deLou t J ovanl ln muie ouverte .
Elle soulevait la pâle qui l'elOlilbaÎt en claquant le
fon d de la mnir.. jlui~
elle ramassnit, battait, flO COllrLait ot so us l'efiort de ses brus toul SOH corps palpitail
pL Re plitl it. Quand elle s'arrô taÎl un in slant pOUl' respirer, rl'ull linge elle essuyait 108 gouttes de BUeUt' qui
fl"rlalcnt:'t tion front . Son visago fl'aÎij était tout épa-
�25
LES ILLU SIONS D 'UN CŒUR
CHAPITRE III
Qu'il Cll t doux ue suivre pendant l'éc laircie d'un
automne pluvieux une jolie jeune üUe Gur un chemin
déser t! ...
Elle es t toute petite dans la vaste campagne .
Elle s'arrête, es t-ce une fleur? Elle s'envo le, cst-ce
un papillon?
Tout un bourdonnement de pensées, de mots, tout
un essaim d'idées, de rythme:" s'empUI'J ient de Martial, poète insp iré loui il coup.
1nspiré ou réminiscent?
champs , dn "rai bonhcttr sont le riallt asile ,L'œiLy "ail sans regret naître cl mourir le jour:
J,en,. silence con"ienl 11 la "erLtt tranquil~
.
Ait lIoule esprit qui pense et sur/ouf ci l'lIlIlol/r.
L ~s
Lu campagne , HCS aspirations, ses p;,oj f) lt> cL so n
1IllOl'!' uaissanL lui-lIlÎlmc clisparllrc.mL. Il n'exista it plwl
au mondo qu'Anm·tte de Servières, pOllpée h'ê lc qu'i l
suivait commo danJ un rllve.
POli l' commence r, lu ferme dl' la [,'aisundcl'ie offrit à
Su; ueux visileul'I:l Jo. vision d'urt LHI do flllni '1' con
~ i
d{rnblo où n'ébatta ient (,t picol'aient d f~ , l volailleg r t
11(\1 pOUfCCUlIX . Quant au chien do garde attaché ù ~u
niche, il ftL dC.i !'aul s ct J"s ROllb:'osuuLs p01l1' n'l!lnncel'
SU L' les ill ll'll H.
,ion loill dl' montl'CI' UU dC'gouL , le lin iuagc
li' Anw'ltc s' 6po.nouübai l.
Moi, j'suis n aturo, fl'edonml -l-cl1 C' rll irnit:wl la
voix plutôt ('(l nnill l' J'unI! Ji a a lu IllOd f' .
�28
LES ILLUSIONS D'UN CŒUR
noui SOUS la rosée de ce labeur et elle r egarda it Annette
avec de bons yeux vifs et gais.
- Oh! s'écria lajeun c tille, ça c'e~
t du spor L, ct utile.
Parfait comme gymnastique pour' amincir les 75 kilogrammesjje connais plus d'une duchesse qui envierai lla
sveltesse de cette boulangèr e qui a une ligne étonnante.
- Dame, bien sûr 1fit la fermière enchantée, Rosalie
n'est pas fainéante, et sérieuse avec ça . A préscn tj e vais
r egarder où en est 10 Iour ot tu arrondiraa les pains
dans les paillassons pour qu'il s lèvent. J'ai ferm é les
paillassons et je vais balayer 10 four. Tu garderas uu
peu de pât e il beurrer pour faire trois gale lt es aux
prunes .
La fcrmière avisa dans la cheminée une plaque de
lôle qu'ell e enleva avec un palet.
Le gouITre rouge du four apparut. Toute la pièce
pétilla de chaloul' sous celte fourn aise . Les cendres
brûla nles , los braises frémissaient jusq u'au fond do ceL
aperçu de l'enfer.
Annette pous:;nit uos cris de joie. Ce spec tacle distançaiL bien des féeries plus apprêtées .
j\ hl Hegarder truvailler les aulees r eposo un oi~r
du
llti-mêm e.
La fermière écarta les braises ol lo pain fut eu foufnl' ,
Anne tto et MartinI, comme deux enfants ébahis,
suivirent Rosalie qui jela ùu grain aux poul es , puis
elle rovint à la muison et donna un coup d'œil sur loti
michos encoro pilles, mngées en li gne dans 10 fou!'
qu'elle referma bien viLe.
Ensuite, elle prépara les ga l elo~
ell'od clll' chaudr,
délicieuse du pain, Be r épandait dans la plùce.
Ln curiosité: d'Ann oLLe, so n cOllknLemonL, sem·
hlnien Lhi en p urf'ils li ll osnlic . Ah 1 Ces l'ich fls ignoranttl
qui s'éLonnaionL do toull
�LES ILLUSIO NS D'UN CŒlIR
29
- Je voudrais emporl er Hn e de ces galette s, déclar3
Annette, quand donc seront-elles cuites .
- Il faut d'abord que le pain soit sorti du four.
Com ment, la friandise s'effaçait devant le pain ?
Annett e fit la moue, mais elle n'insist a pas. Ne voulutell epasch ausser les sabots de Rosalie, ajuster un tablier
à sa taille et prendre l'air import ant d'une aide en
s'essay ant à r ecevoir les mich es cuites sur des fond s
d'osier tressé. Marlial dût l'aider naturel lement , ct
mains mêlées, visages rapprochés ils se souriai en L
parmi los buées des pains chauds commo des haleine s.
Aimables j eux rustiques, divertissemenLs de grande
clA sse qu'ils abando nnèren t en soupira nt.
, Et puis, pareils aux oiseaux qui senten t venil' le soi l',
lis reprire nt mélancoliqu ement le chemin de la Pey louze.
Quelle simplicité cha l'mante !. ..
Annetle témoigna son regl'et de n'avoir pu restel'
ùîner ù la ferme.
- Le pain chaud, la galeLte, des œufs fl' a i ~ , quel
domm age d'être attendu s . J'envie ces gens occupé s.
Ont-ils jamais le temps de s'ennuy er?
- CCI'les non, répliqu a Martial, mais les travaux
qu'ils accomplissent sont dUl's, pénibles. Ce qlli IOR
adoucit, c' 'sL la bonne entente fami liale qui J'<!gne
parmi eux; les plaisirs des gens honnêles . Ils se muri(;n L
f.:? lon leur cœur, onl de:; enfants cl fini sse nt Jeur carl'L ère terres lre sur les lieux mêmes où ils sonL nl ~s .
- Ah 1 je voudrais soudain devenir une pay::u nnû,
POUl' huit jou:,s, alln de voir.
- En huit jours, VOliS no verrez rien, mudrlTIo iHellr
Allnl'Lte, mllrmura MurLiul on sc rappro chanl ùe ~O l
h{>rOïn o.
l'\Iuis tHJ regnl'd hautain , digne, arrêLa son élan f' L
il ne put so u pi l'cr quo RcrrùLernenL aux premièl'~:{
�tT:<l n,rtl~:'\N
n'trN camn
doilc3 l'idylle qll'il l'nt ,"oulu précisi'f pal' des moL,
ct inscrire dans le cœur de sa compagne.
n dut cependant deux foi s se rapp!'OChef d'elle et la
soulever pour franchir' cles orniorcs (Ill lu nuit rendait
agressives .
Deux foi s, il :,oupcsa 10 fardeau léger' ue l'hironuellc,
IJl'i nLcmps do J,l pensée avide do boanté, de succèf.l,
d'01Ijganee, uno des pctitIJs reines de Paris qu'il
rl~\':ti
le conquér ir .
Il lui !-;embl, (PL trôs volntier~
AnnrtL acceptait
f:on appui pt c'tJtaiL vr'ai. L'ombre la l'cnuaiL cl'aintivp
delle LI'OllVai t tl'(~S
HW" , indiRponsablr m';mc, ln socirté
de ce gal"'[J 1 l'Uh
;~ t),
il mrmn dp ln [lm ('W'I' rl de la
gu ieleI'.
)uand elll' cp~sait
d'nvoil' bnsoin de l ui l' L que (l1j1 il'lie marchait Ruulo , une' cUl'tllino d 6Ll' (!SSl'
s'emparait do l'Hm, cil! cnval irl' sel'vnnL.
Lp ~ arl)'(~
pl'('n:licnL cles air" d'iroJlir> r'L Illi lenùairnt
If'llIH hl':1nnllP,';. Dovait-il fj'y PN1ÙI'O t mOlll'ir daus 1111
:,1tlnglol. d('vanL l'pllrallt fière, rna1Ll'l'u sf' d J ~;r l dr'flLi n,
dl' son 'lvenir, dp :'on ~ucr,'!l?
),rs l'OllC'R (;Lnit'Ilt moins dulicnLes ([III' ~I'H
jOlf
~:-I c'L
('('( t'I inrmrnf,<;on visilgo ct. ses lèv/'csrliRLillai 'llt du mi!'!.
TanL dl' dllllll1urd'uvoir, dans IIll illsLnnl, ~l la lll'rdri',
II' pOflsl·dnÎt ~alH
C[11'il osût mallclj"p sa \Ioul l'ul' .
Ll'I' I;mmIL
C:n fut. en friaRonnnnt, COtnTfl ail
l'(J1I~"
qu'il [\r.I~('pta:
HOI'l.il'
!l'lin souge
laPpyloll'''(', lec/oul)ln cunl(~t
df'.:! mnillH do .'11 110 d,) S'/'VilJl'l',; l'L
.\I.\I,,' .. linl· qui
j':wl'llùilli l'l.mL aVC'l: u1l1ilil" commf) lf.'1ljOdl'tl.
rklt 'Z dirli'r 11\'I'C nO'II, diL h l'hùL(·luinp, 1'1 ln
IOltnfll' dll poL, dll gibier, jl' ' 'l'OIH, pL dl' '(lcvi,~;.I1
'Ilarti:d J ('~l yf'llX inle'r
o'_~ltJi
'\IIIlf't.tl', so uhailuil-ell l\
dt' II' vnil' l'I'r;tPI' ou hil!1l (;('tlf> jl't1I
~1)
dl' tl~I!·à
-l~f,'
1':I\,lil-I'I/ .. lu. ,I' Ir 'lU P:'"',;'n,' .'
fi ,'v
un
�LES lLU~IO:"iS
D'UN CŒli D
31
- Je suis bien fa.tiguée. Revonez demain . 11 obéit
('l tant do soumission étonna Marceline . Hé quoi , cet
orgueilleux indiscipliné se lai ssail ainsi congédier par
Annette.
Elle saisit également au vol l'air d'intimité re~pc
tueuse d'un côté et cond escendante do l'au Lro, qui
s'exhalaiL en quelque sorte de ces deux jeunes être:;
qui av:\ieuL ri, bavardé, papillonné pendant une demijournée à l'unisson.
Qu'allait-il devenir , son Martial, son ami d'enfancr,
enlro les griITes do cette petite 1'olle, coqu ette, indûpendante, capricieuse .
- thl gar~on
manqué, pis oncore, ::longeait-oHu
arCG Lri ll toR.s o en sc remémol'aut les évén ements de l
journée.
Milo Hamel, tlisLl'aiLe, prr"o cc lIpée, remua longtoml' ,;
d/Ins sa chamhre co HoiL'-lù.
Comme elle fll t Jell1,c il 60 coucher ot pIuG lenlo
rnror r à r:. 'onc!lnnÎ I' ! ...
CflAI'lTl1E IV
La matinée ('uut01nur avancé d.ans les bail'> ·tait
belle. Le soleil gli ssuit cie ('haud" rayons entre les
arbres déjà dénudé;; et éclairait jusqu'aux intimes
lwl)fondcnrt! do lu f01 'ê L.
Toutefois, l'uir I; L lil frais ct (lUl' inslant un voul
~ oud
u in.
éparpillait rl'lOlqu es Iluages blancs LUI' le
Liol.
AnncLLe s'était dOllnée pOUl' mission, cc malin-là,
d'enseigner à Martial la conduite de son au~o.
La veille, daue uu e longuo al ~ crie,
il lui avait cnlin
gli ssé GOII lég l' \"OllltnC Cimes ct /{ayolls cl il lui
�32 .
LES ILL IJSlO.i\5 D 'UN CŒ UR
avait expo
~é
ses projets littéraires et en paetie sea
ambitions.
Annette avait ri d'abord , ct puis, par gentlllesse, elle
avait eu l'air de prendre au sérieux le poète qu'elle
eut volontiers traité en paysan et mis au rang d'un
passe-temps do campagne .
Elle écouta patiomment la lecture do deux sonet~,
bâilla, n o corn prit pas du tout los allusions en vors et
en pr050 qui lui décernaient uno couronne do reine
et unI} mi ssion do Muse auprès du fils du p èro Blanchard .
A la fin, pOUl' rompro la monotonie d'un entretien
traversé seulement pal' de brèves apparitions de Mal'celine dans 10 boudoir, eile d écida d'enseignor à son
compagnon les délices du métior d o chauJJeul'.
- Iufiniment pl~
à la modo aujourd'hui que les
tilaneos cL los romances. Uno chanson h ourouso ment
louméo ct adoptée par Miss ou Maurioe vous lanoeraienL. Mais 10 sport esL au lrement inLél'oBsanl.: nogo,
rugby,danso, sont dos exorcices qui mottent un jouno
homme à la page . Nous sommos arl'Îvés à l'âge du
musc le.
?llal'Lial, GallS monLrer 13 peU l' sournoise de l'accidont
qui le tenaillait, mon La dans la voiture do la jolie
Annette. D'ailleurs, il était flatté ct ravi, cal' c'étnit
sommo toute un enlèvement eL il pensait, non sans
vanilé, qu'émue par ses déclol'Utions voilées, Annette
l'enll'D.înait vers une solitude ù deux propice aux plus
doux projets.
Il avait entondll parler d e la hardiesse de certainos
jeunos filles et ses sucaès aupros do Marceline ct de
li Il clques provinciales esseul ée::! l'a vaienL pel'suadé de
sa séduction.
Allncttl' de S 'l'vières rli l'igea la voiture ver::; une
�33
LES Il.LUSIONS D'UN CŒUR
large route forestière, endroit favorable où elle confierait la conduite à Martial, moins ignorant qu'il le paraissait tout d'abord.
- Vous avez déjà conduit, lui dit le jeune professeur,
beaucoup plus émerveillé par sa façon de s'emparer
des leviers de commande du carrosse qu e par ses rimes
enchanteresses.
- Certes, répliqua Martial, autrement Mlle de Servières ne nous eut pas laissés partir sans chauffeur.
Vous m'apprendrez les finesses d'un art que j'ignore
en partie seulement.
- Alors, c'est beaucoup moins amusant, fit Annetto
vexée.
Elle avait espéré voir le poète en piteuse posture, et
:,oiei qu'il prenait uno contenance gaillarde ct qu'il sc
Jouait des ùifficultés.
Ils travct'saient assis côte à côte la forêt, image
romuntique de la vic avec ses fièvres, ses joios, son
chaos.
- Très commode, votre voiture, déclara Martial,
d'une douceur, d'une ob6issance remarquables. Une
conduile pour vos mains délicates.
- FaiLe exprès ! fi t Annette en éclatant de rire, vous
av~z
une façon ùe dénigrer indirectement mes talents
qUI mériterait une le~on
: panne ou accident?
- Ne prenez pas ces airs de sorcière méchante, vous
nous pOI'tet'iez llIalheur, r épliquà MarLial attentif et
galant.
- Pas de <lange!' avec votre 50 il l'llOure. Ahl si
papa vous voyait, il serait enchanté de votre prudence
et il vous pt'cndrait comme chaufTeur.
Martial laü;sa tombe!!' cette plaisantel'ie aigre-douce
(lui Je rubail;.;aiL et l'humiliait.
Comment exposer ses préLenLions à celte cruelle
3
�34
LES ILLU SIONS II' UN CŒ UH
gamine qui lui assignait un rôle dans la domesticité
du somptueux financier son pèro .
Cependant Annette n'était pas un monstre , cl Io
était bonne, elle s'essayait ù l'être ct ap1'0s avoir fait
sentit' le mors à son compagnon et avoir pris sell distancos pour décourager le f1irLeul' qui sommeille au
cm ur de tout jeune homme de vingt ans, elle devint
charmanLe .
Loquace, évaporée, enfantino avec des cris ds ravi
~
sement <levanL le beau paysago qu o son conùucteur
dépliaiL devanL elle en suivanL des chemins choit:iis .
. 11 Y cuL mêm e un pou de grise rie ù so sentir ainsi
enlevée , conduite, tandis qu'elle a vuiL cru diri ger ct
dominer.
A la fa \'eur' de cet éLonnoment, enivré do' grand air
cL de lumièro, Martial obLin Ll'in viLa lion qu 'il tlouhu itaiL.
- Jo vois, fiL AnneLLe, (flle vou s ôLes un garçun
adroiL, forL en mécanique cLpal' cOllséq uenL, à ménager.
Puisque vous vous insLallez il Paris prochainemenL,
venoz nouS voir. Je vous présenlerai ù mes amis, nou ll
sommes tou s jeunos cL joyeux cLvous no us inscl'il'oz
des vors sur nos carnots cL SUI' nos mirlitontl dl: dancin g.
- .l'acceple, répliqua l\fa l' Lial sourianl.
Lü l'eLour Ù ln lloylouze s'efl'ecLua Ir) mil'ux (lu momlo.
PCIHOOZ-VO US qu'il soiL bien co nv enable de laisse r
uimi Mllo " nneLto, dOID:\nc.ln iL Mtu'colino ,
- COUl'ir les for êts avee 10 ms du père Blanchard,
achevaiL MilO do ServiùreH ({lli s'adl'cBJn iL Ù l' inqui èLe
jeuno fillo, éducation anglaise eL sa ua Je moindre inconvéni cnL pOUl' ma nièce. QuanL au jeune homme do VO!l
penscles , mu chère enfanL, s'il a la vaniLu de se mOnl01'
la têle au sujeL d'AnneLto , c' o~L
LanL pi" pour lui.
- Il souO'l'ira, murmuru Marcelino cn soupimnL.
�LES ILLUSTON S n'UN CŒUR
35
- Co qu'il vous fait sou fIrir, ma peLite fille . Ne vous
plaignez donc pas si notre Annette se charge des plus
justes représailles de votro destinée .
Oui, sans doutc, songe:üt Marceline, mais si son ccc ur
il lui est déchirtS comme le mien, je le plains.
CHAPITRE V
Bien loin d'être malheureux, Martial sentait tout le
bonheur de vivre . Heureux et comblé d'espérance
parce que le souvenir d'AnneLte ne le quittait plus.
Sans doute , elle était partie la sirène , mais avant son
départ n'a vai t-elle pas pris le soin de le présenter à
M. de Servières et de le faire invi,ter par lui égalemcnt
aux: soil'éc~
qu'Annette ofIraiL chaquo hiver au x amis
do Son hoix.
Admis auprès do la ravissanto créaturo il évincerait
ses ri vuux , il plairait, il brillerait eL final ement il
('POllsor'ail celle dont il rêvait beaucoup plus cnCOl'C
réve ill l') qll'endormi.
LCf! gesLes de eelte petite poupée, son sou rir'c , son
purfllm ne le quitlaient jamais. Tout cc qll'il voyait
lui pal'lait 'Ions cosse d'elle ot tl'essait commo d'inyiIl ibl os fils liant, ùu moin s il le croyait, leurs doux
uesLinéos .
Un e vision conflLnnLo do la jouno nlle ]0 dôpossédaiL
ri o lui-mêm e.
Do HOs youx , lo eÏl-l monl,l'ait la rO lll onr, 10 goù Ldo
ROB jOUOt:ll'Ossom blait Ù colui cI €'8 fl'uits do son tl ossOl' L
L'''lll'o!'o colOl'l"c Ile 1'080 uvail su guiLé, ct la ml',ln ncolio
du i'JO il' lo urossu il commo un désir Lrompé do lu ['ovoir.
Se:;Jcolul'oS aussi le ramenaienL ù ello consta mment.
Los vôto!l1onLs do' plu; k:l~ir{C
. 1 h \roïnes sompc Li ll-
�tES IU.USIONS D'UN cœUR
37
il manquait d'esprit d'à-propos pour leur répondre du
tac au tac.
I! était amoureux d'une princesse et assemblait des
rimes et des idées en son honneur, exclnsivement.
Quant à Marceline, en vérité, il l'eut volontiers
choisie pour confidente et si cette douleur fut épargnée
à cette tendre ct douce créature, ce fut parce que l'excès
d'amouI' éprouvé par Martial, sa noblesse et le respect
qu'il ressentait pour Annette, lui défendaient toute
indiscrétion.
Ill'evint plusieurs fois à la Peylouze avant le départ
de la châtelaine qui comptait prendre ses quartier!l
d'hiver dans quelque village fleuri de la Côte d'AzUl'.
Elle avait pour Martial dos sourires indulgents qui
le blessaient, copendant il ne montrait pas ses rancœurs,
parce qu'il désirait plaire à tous les parents, alliés,
amis et set'viteurs de la fée de son illusion amoureuse.
A propos d'un roman dont elle achevait la lecture,
Mllo de Sel'vièl'es émit ceLte opinion bourgeoise et
périmée au gré de Murtial.
- Les rois ont épousé des bergères, mais los l'einos
n'ont que ùes bontés passagères ct distantes pour leurs
6erviLeur:s.
- Qu'appelez-vous ainsi, demanda Martial d'une
voix sourde, Lroublée de l'age, leurs domestiques?
- Non point, j'appelle ainsi lous ceux qui les approchent et qui ne sont pas do leur rang.
- Le rang 1 Le rang 1 gronda Martial, et les nouveaux millial'daires, sur quel écholon les placez-vous?
Il faut avouer que Mlle de Sorvières rossenlit un
pou d'embarras pour répondre au fils du pôro Blanchard . Elle s'exclama, olle leva les bras au ciel cl pl'il
Ù Lémoin la galerie, c'est-à-dire Marcelino, cles opinions
communisLes de son inlcrlocut,eur.
�36
LES II.LUSIONS D'UN CŒUR
saientà sa taille. Elle devenait Juliette, Laure, Béatrice,
Elvire, tontes les inspiratrices, toutes les muses
empruntaient son charme d'enfant Lerrible si particulier.
Elle 1 Toujours elle !. ..
A quelle femme célèbre ou aimée ne ressemblaitelle pas, puisqu'elle était femme et qu'il l'ai.mait!. ..
Cette obsession qu'il ressentait pour la première fois
s'exaspérait par l'absence.
Le chef·d'œuvre qu'il projetait d'écrire pour éblou il'
Parisetconquérü'Annetle dememait à l'état d'ébauche
et l'auteur refoulé pâlissait à vue d'œil, dormait peu,
mangeai t mal.
Il parcourait à longues enjambées les sentiers de la
forêt.
Cependant l'air était frais, les soirées bt'èves et il
avait hâte d'être libéré de tous ses devoirs envers son
père, le bon Blanchard, et déchargé do Lous les soucis
d'une succession à récolter.
Les torres vendues, le tombeau édifié , l'argont placé
à gros intérêts par M. Fage, le notaire, il parti.rait
enfln!. ..
Cependant il lui arrivait parfois d'être abandonné
pal' tous ses espoit's vainqueurs, alors llregreLtait de
quil tor co pays, se EOuvenait dos conseils de MilO de
SorviMes, de ceux de l'abbé Songirgue, )0 curé du
bourg, celui-là même qui lui avail onReigné le catéchisme ot !ail faire sa promière communion .
- La gl'ando ville esl u~Lirante
pout' le.::! garçons,
wait dill'exceHenl prêtre 1.. Enfm, tu nous reviendrD.fI,
peu L-ûLre hien ruinû el c'o~L
moi qui ferai lu colleclo
au prône pour Le J'apaLt'ier.
Marlial trouvai~
alTI \1'08 CL hOl'B do saiflon de pareilles
plail:lD.nt J'ies, cell facéties ne l'amusaienl 111uB el même
�LES ILLUSIONS D'UN CŒUR
39
la fortune modeste du fils au père Blanchard.
Il s'isola pendant quelques jours pour écrire le plan
d'une pièce en ver~
qu:il dei>tinaiL à l'Odéon; pur
modestie, puisqu'il voulait écrire un chef-d'œuvre
digne de la C~m
(~d i e-F l'an ça ise,
et SU!' tous les points.:
Parfois il récitait à haute voix quelques couplets
rimés du jeune premi0r ou de l'ingénue et en y met..'
tant le ton ,
Ces
. éclats de voix , sa retraite my stérieuse, firent
~ apItoyer ses hôtes et Marie, la bonne grosse servante'
Intéressée par son client.
- Pourvu qu'il garde sa raison; n-t-on jamais vu
un gars devenir' « berdin» parce que son papa est
mort .
)
L'aubergiste, Mme Paturel, avait connu, et très bien"
le défunt, et que de fois ;:)l1e avait vu Murtial avec lui,
gamin gentil, intelligen t, ga i; assoz pour aecepter
Un T'ôle de maman auprès de ceL orphelin tardif.
- Il ne faut pas, lui diL-elle, courir après )0 foliot;
vous avez do la chance dan !l votro malheuT' puisque
vous héritez d'uno somme qui vous pormettra ù'atlendl'e sans misère 10 jour où vous aUI'OZ une bell e position. Il faut vous soignor, prendro des fortifiants et
vous di utrairo qualld VOliS en tl'ouvez l'occasion, malgl'é volro douil. Vot:'() pUUVI'O papa serait tout (['avis
quo VOUf.) nc vou s lai ss iez [las aller à un chagrin qui
vous rcn~
neurast.hén ique, comme on diL à Paris.
Fort sUT'pris, Martial certifia, mais en vain, à
Mmo Paill!'el, qu'il sc porLait il merveille et qu'il était
pt'èt à prondre l'cxi Klc llcO du meilleur côté possible,
Bans négliger do garder décomment le souvenir de son
l'Gre, dont 10 mausolée n'éLaiL pa encoro édifié.
- J'nLLends qu'il le noit pour purti!' pt, rie temps en
Lemps, jo roviendrai VOliS vuir pOUl' remplir les devoirs
�38
LES ILLUSIONS D'UN CŒUR
Bien qu'elle cuL la mort dans l'âme dcs propos dont
elle découvrait le sens secret, la jeune mIe mit fin au
débat par un rire léger, moqueur, amusé, fu selé, le
rire exquis et cristallin dont disposont los demoiselles
pour ridiculiser touL ce qui leur parait m::mquer do
tact, de goût ou de cccur.
Martial sut gré à l'amie de son enfanco de cette
intervention opportune, il la récompensa au départ pal'
une poignée de main plus so utenue, plus aITectueuse,
qui la fit ro ugir d'émotion, de bonheur peut-êtro.
Martial était loin déjà; il regagna Bon auberge. Un
séjoul' fastidieux quand l'heureuse diversion des visites à la Peylouze manqua .
Marceline, MilO de Scrviùres tenainnt uno place
clans sa vio, dans ses amiti,js, et C{unnu il fut réùuit
aux conversations de l'aubergiste, do Jo. sel'vante ol
de quelquos paysllnB , il eut ln sensation d'être démcinll, déclassé dans son puys natal el pal'mi ses compatriotes.
Et c'élait là le bel avenir, )'humlJ]o d c ~t in éo dont
la châlelaino a vail voulu lu poul'voir? Devenir le régisse ur do ses propriétés, vastes ct mugn iflques, ôpo usel' sa d moiselle do compllguie el recevoir de la maltretis e uno dot génureuse qui lui appal'uissait aussi
humilianto à acoepter qu'uno dotation pOUl' rosière
ou 10 prix d'eslime docerno aux famill es nombreuses .
Marlial avait d'autres projots dans la tûLo et
mêmo dans 10 cccur, maintonant qu'il avait pu appréeiol' les qualités do ln tlélicioUflO Annette . Sa simplicité surtout lui plaisait; un peu com id ienne, commo
loutes 10'; femmes, elle s'était mise au diapason do
Bon cavaliol' ue fortun e ct, 60S joux de fOI'mière, il
les pl'unait pOUl' des lruilB de cuructèl'e, clof! r( ~a lit6B
qui la mellaienl au . ni veau .do ln naissunco ot do
�LES ILLU SIONS D'UN CŒUR
d'uno foi s la route poussiéreuse. Quant aux hommes,
ils renoncent moins vite quo leurs épouses ct leurs
filles aux t enues do gala des anciens jours. CoiiTôs de
foutre s à largos bord~,
vêtus de complets de dmp noil',
d'une coupo ajustée, ih; pOI'LeIlL des cravates donl Jes
teintes vives rehaussent les porosités d'épi
el'mo~
chamoisés par les rudes travaux de la glèbe .
Quant aux maU\'aises farces, r égal des plaisanlins
villageois, clIos persi~ton,
indiscrètes et redoutées,
Ln distribution de la jarre tière de la mariéo, le
eroustet de brioche que les mariés reçoivent à l'aurore
du londemain des noces, et tous les u sages de baisel's
dérobés et de bourl'oo brusquée sont encore en usage,
uans les vieilles provinces. L es amusem ents du einéma, les symphonies du phono et de la T. S. F. n'ont
pas su les déloger.
Plus de viell e, plus de musette pour précéder les
mariés jusqu'à l'église ct à la mail'ie, mais tout un
orehesLre, 10 soir, pOUl' faire danGer la noce après le
repas excessivomenL plantureux, qui dllro toutr la
journée ou ü peu prÔs.
Mattial ne put refuser son bras il. Camillo Ito:,;:)].
S~ns
avoir !'iù';o d'opposer ses churmes à CPllX' de
l'Incomparable Annette, il la trouva jolie, portant
gentiment un njustem<Jnt do fort hon goCli e~ gi'ac~uso
sans le moindre elTort .
. D'ailleurs, élevée dans uno pension de MoulinG, ell ,)
Jouait du piano, S'oc~lpai.
il des travaux de fine I.rodOI'ie eL avniL la r0!llltulion d'être infiniment dou ce ,
rnmn6e et délicate.
Ln mise cn plis de scs sp lond ides cheveux noil'tj cL
satinés no lairlsait rien à dtlsil'ol' ct sa mise, dppuis son
tl'l!S potit ohapeau ju squ'à ses ~01lIie',3
on peau de SOI'pent, était imp eccable.
�40
LE S ILl.US ION S n 'U N CŒU R
d'un fils pieux au cimetièr e. Je m e trou ve fort bien
chez vous.
- Tant mieux, répliqua l'hôteliùre ct puisque c'est
comm e ça, j e dois vous dirc que ce ux de la Faisanderie mari ent leur fille et que la noce sc fait ch ez
nous. Vous êtes invité et vou s a ure z pour demoisell e
Mlle Rosel, la Dlle du boulanger , la plus jolie ùe t out e
la contrée.
C'est pOUl' samedi c t di manch e, a ussi préparezvous et n'oubliez pas de vous munir du sucre e t d es
rlragées que vous oITrirez ù votre compagn e.
- Je me souvien s de ccs co ut umes , répliqua le
.
jeune homme, mais . ..
- Il n'y a pas de cc maie » ni de farine, c t vous
ser ez entrainé de force pa r Camill e ROBel qui viendra
vous cherch cr ici. Vous n e ferez pas un pareil
alTront ù une c( gent e» fill e ct ù ce ux d o la F a isanderie dont vous av ez acce pté d'ê tre fê té quand vous leur
av ez amen é chez e ux la d emoi selle d e la P ey louze.
Ma l,tiaI pen sa ù Annette, il sOLlpi rt\, d Hv int sil en cieu x , mutisme quP. Mmo Pa turel confonùi t avee un discl'c L acqui escement.
CIIAPITRB VI
Celte p ay sa nnerie eut en chan té Ann etto, Ma rlial
amusé n'en po uva iL do ut er.
Jh" a nge cortège qu e celui d'une mariée d e village
aujourd'hui . To ut es les da mes qui y Dgur onl, sont
vê tues ù lu d erni ùl'o mode. Sa ines cl franches , eJJ eH
l'ient au x éclats Cil porta nt des a lours rûsol'v(!l! j fl di ~
flU X dames do lu ville. Lu mal'i éo n 'cil t guèro cmbul'l' as ~ ;{ ' e do sa trai ne ri o ~a lin
blallc qui es!! ui o plus
�42
LES ILLUSIONS n'UN CŒUR
Après le repas formidable achevé par des liqueurs
nombreuses et variées, réunies en cocktails par de
'solides estomacs rusliques, les convives riaient et
s'am usaient de propos parfois un peu jibJ'eB qui aniJllaient, les ancienl:l ct let; jeunes 1ie~.
Cotto égalité dans le plaisir fondait les prétenLions
eL bouchait les rêves-creux, si bien que les moins gai:;
no furent pas Martial et sa boulangère.
11 ûpl'~cia
un instant la belle fille saine comme un
pain doré ot quand, l'entraînant à la danse, elle suivit
la cadence d'un langoureux tango, il l'admira simplement et oublia un instant ses ambitions, 80S désirs ct
la passion secrète et fervente dont il avait le CCCUI'
quelque peu désabusé et meul'lri.
Les altentions du Parisien qui ne la quittait pas,
flattaient Camille, elle s'épanouissaiL, fraîche comme
uno l'ose qui s'évertue à t enter le promeneur pOlll'
' tre cuoillie.
Alors il méprisa sa franchiso, sa bonne humeur ;
elle se montrait bien trop gaie pour devenir lIne Muse
ot sa gaîté n'avait pas 10 tour d'uno féerie légère et
un peu inventéo, colle d'Ann eLte.
Martial souhaita un bonsoi!' cordial aux mari és ol
il s'évada de la sallo de danse pOlll' f;' iso}er, COI' la réaliLt! J'oITensuit eL il voulaiL '\Lro reconquis par le )'ûve.
Il sorti l.
La bùllc nuit 1
La nuit rnyonnail sous III clnrLu dû ln pleine lune.
La nuiL était blancho eL douce il cos prns('cs Gommi'
li no il ppar'iLion do PéJ'i.
Uno briso fraîch I) palpiLnit UULOlll' do lui, neLLoyniL
110 n âme ct s s sens dos vulglH'iLt!tl de la vie. Que de
blond us (-toiles dil ns 10 ciol (JIll' cL quel silonce profond
'yocot LII' d'illusions cL do fanLasmo;; ,
�LES ILLU SIONS D'UN CŒUR
Tel un voile de femme pudique, un halo et de légers
Inuages cernaient la lune, l'amie d es romantiques
\:lspoirs, et Martial imagina sans effort qu'Annette,
cette enfant passablement cocasse, serait pour lui la
Femme, toutes les femmes , l'unique femme , celle
sans qui il ne pouvait ni vivre, ni réussir, ni prospérer .
La fièvre procure parfois de bien jolis rêves et
Mmo Paturel n'avait pas tout à fait tort de croire son
client malado. Ille fût. Il rogagna son lit à l'aurore,
un lit glacé où il frissonna jusqu'au matin.
La grosse Marie, maternelle, le soigna anns humeur
et so lon les prescriptions du médecin appelé par
Mme PaLurel.
une indisposition
Grippe, congos tion des s~met,
sans gravité , mais qui exigea quelques ménagemenls.
L'abbé Sengigure ne manqua de venir voir Marlial
cl même il prévint de son indisposition Milo do Servièrcs, instnllée il Cannes avec Marcelino.
Colle-ci, sous 10. dicL()e de sa maltrosse, écrivit au
convalescent une leUre affectueuso pont' J'invÏler à
venir so réLablir sous les chauds rayon:; du soleil
méridional. Ello lui ducrivait même los ilornisons parfumées et les ciols cerulé ens hi on digneo d'inspirer un
poèLo.
En IlnLt:ml co qu'ello appolait cc sa manie», MIlO de
Sorvières espérait attirer le jeune homme auprès
d'elle.
MarLinl goûLa fort peu ceLto mani rlre de vouloil' il
Lout prix l'influoncer . Celle offre graciouso do le 1'0cevoir lui apparut tlernb lable à un commencemonL do
LYl'annio. Son pMe étai L mort, il était libro à présent
d'agir ù sa gui::;e ct sans Lenir compte des conseils ct
des préférencel:! d'uno person no âgée qui avait com-
�LES TLL US lO NS n 'UN CŒ UR
45
Cependant, il devait s'avouer que Moquetard , tapissier, rue de Rome eL Gilletard, t ailleur, installé dans
la partie n euve du boulevard Hauss mann, avaieut
dépassé t out es ses prévi sions et grignoté fOI'Lement
la fOl'tunè mo dest e du bon Blanchard, régisse ur de
Mlle de Ser vières.
Qu e de détails, qu e de coussins, qu e de cosy-corners,
de rideaux et de journées t axées haut d'ouvriers ébénistes, il faut pour meubl er une garçonnière d'allures
bien modest es au gré de son occupant.
Une salle ù manger chinoise , un bureau hollandai s
et une chambre moderne coûtent cher, très ch el'.
Qu ant au ca binet de toilette, avec baignoire et chutes
d'eau diverses , il représentait fi. lui seul le coût d'une
modeste méLairie .
Mais qu'im porla it ces dép enses ; n'assurait-on pas
dans les journaux illustrés en vogue que Pagnol, l'aut eur de Topaze et d e Marius , gagnai t des millions.
Martial était prêt ù acc ucillir la gloi re et la fortune
dans ce logis acc ueill ant, .. pour les oITr'ir ù Annette
naturellement, èt il paierait tr'ès volontiera la première
mise de fonds en vue dû sos succès futu rs , les meubles
ct les habits qui le situaient dans un milicu élégant
CL l'a ffiné.
I! admira son allu re gé ométrique dans los vêLements
du bon faiseUl' et il faut a vou er que sa haute taille,
sa w uplcsse jeune ot saine, les fai saient valoir.
Mar tial avait 23 ans , son â me ardente cl'éait de
miraculeuses illusion::; ; il était plein d'enthousiasme,
d'espoir, de jeun esse , e t il se montl'ait enchant6 de so n
appal'Lcmen t, de son troussea u, h eur eux comme un
jeune ou rs da os une cage de satin, Sans dout e, un peu
plus d'a ir, d'cspace el de lumièl'c eussen t e ornLI
I~ ses
dé!;Îrs, mais il faut savoir se contenter de peu
�44
LE S ILLU SIONS D' UN CŒUR
mandé au vieux Blanchard, mais dont le fils sc
moquait totalement.
Il eut cependant la politesse dc farder son dédain
avec d'honnêt es prélextes afin de ne pas se créer
d'inimitiés dans l'entourage d'Annette . Nolre diplomate en herbe devait récolLer de cc refus intempestif
les plus cuisants regrets.
Quelques jours plus tard, de retour à Paris, il reçut
de Cannes une carte postale coloriée , porleuse d'un
paysage exquis ct d'oranges dessinées en grappes, un e
signaLure auprès de l'adresse : cc AnnetLe de Servières
vous salue ».
En proie au plus ame r repentir, MarLial vel'sa, je
pense, deux larmes comme un petit gal'çon privé,
par sa faute, de dessert el de vacances.
CHAI lTHE VII
MarLial, assis devant sa lable de travail, dans son
appartement situ6 l'ne Ballu, n'écrivait p:\s.
L'inspiration se montrai~
rétive et il lisait aLtenti·
Vl'ment les notes do son 1<li ll euX' cL de Bon lapissier.
JI avait dù forcémen t mettre 8011 log is et sa Lenuc à
l'ullis.;on de ses r~ves
. Il prévoyait d'heureux jolll'.5
qlland, agréé par Annette, nallcé ou presque, clle daigneraiL, avec quelques am is, visiter sa garçonnière il
l'hC'Ul'O li U coktail.
Heçu chell les de Servières , i.1 devait puraître il son
avanlage au CO UI'S des visites qu'il fOl'ait Ù l'hôle} de
l'avenue d'Iéna, une demeure splendido, devant
lafIlIolle il passnil purfois cl qu'il admirait comme on
Juit de l'éc rin Boyellx du plus mRgnifique bijou,
Annelle l'ud orablc, la Hile de famill e ù qui tout ce
luxe était dMié.
�LES ILL USIONS n'UN CŒUR
47
- Instruit.
- Obligeant.
Une litanie en l 'honneur de l'absent à qui Marceline
vouait Ba plus chaude afIoobion, son admira Lion ot
Lous BOS vœux de fille solitaire, attardée déjà dans u::
célibat forcé ct dont il l'CS Lait l'unique espoir ou plutôt le so ul prétexte il ne pas désespéror J'un avena'
brumcux.
- Un as ! Une perfection 1 s'écriait Annette tant
l'io it peu moqueuse.
A la dérobée, elle examinait, la pauvre rivale do ses
coque Lleries.
- Vous sel'Îez jolie ot vous pourriez plaire, lui ditelle un jour, si vous av iez plus d'allant, plus de
chic .
. - Mon rôle auprès de ~[lo
do Servières, ma situaLIOn et mon ma nque LoLai de forLune et Je famill e
rn'cmpêchonL d'empi/·'Le.' sur vo" droits, répend it en
sOuriant Marcelino lIarol, sans quoi 1. ••
E t, genL imenL, elle lllonnçait ùu doigt la jolio Anne LLJ
vêtue d'un pyjama CùLe d'A:.:ur lOCl Lft fait renvel'sant
cLCl u'en. vain ba tanlo l'avait priée d'uohangcr cun lre
u ne l'ohe.
- TauLes les jeunes fi]] C3 llonL habilléo:> Himi il
Juan-los-Pi us tout pl'oche. Jo IlU ".'ois pa' pourquoi
~ emnL,:;oui
nous nous priverions do col amusant dégui
le prétexLe que nous sommes il Cannos.
Trépidante, louj oun; pl'i':te aux exc ursions et, fo lle
de nouveau[('" Annelle enLl'aînait Ù Ra suÎle toute Ul J
jeunesse brillante eL a ll11flée, cL j\lllo de Servièrc",
conquise en puNic pal' SCd SUCCf'oS, n'ol!ail !l ..l[' défendre,
Ile monLl'C'!' sévùre ni catégoriq ue.
La dou co ur du climaL, la üeauté do la contréc eL
l'enccml des (J eurs purfuméeil prédisJJosont los gens les
�46
LES ILl,US IONS D'UN CŒUR
pour commencer et attendre avec patience la réalIsation d'un conto de fées aussi charmant que celui du
Prince Chal'mant.
Une pa1'Lio de su fortulle éta it (lépenséo, mai:> pOUl'
les Ilotes des foul'i~ers
il venuiL sans reg l'et une
bonne partie des valeurs achetées sur le conseil du
notaire.
- Des papiers, songea-t-il, sans intérêt réel! Des
papiers qu'un coup de bourse dépo uille de toute va-.
leur financière. Que de ge ns ruinés possèdent de ces
paperasses on coITre-fort. Tandis que mon meilleur
avoir es L danf) mon activité, uans mon cerveau , dans
mon crour. Mon cœur surtout.
Annette l'aimerait. Deux fois d0jà 0110 lui avait
envoyé deo carles postales.
Doux messages dont il exagérait J'imporlance sentimentale.
En \rél'iL(', la joune fill e avait trouvé avoo lui un
joujou nouveau ot il 1ui avait plu d'excursionnC'l'
d'lino fu çon f,implel le avec Mar tial et d'avoir fl in g('
ell sa compagllio , à la rel'mc, les plaisirs d'uno roine au
Potit Trianon. EUe n'oubliait pas complètement ce
compagnon ùocilo, commouo, un chau ll'oUl' cu lliv(',
avec qui on pouvait bavarde r, bouder, monll'Ot' lOLW
seR cOpJ'iCCfl sons ess uyer l Ofl l"eb ldTuclcr; <lue no ménagent plus Ô. leul's maitrcs los servi lelIJ's !'otl'ihll(·g.
D'uutl'I) pnrt, sn Lante, la honno M lJ !' df' Serv ii'J'oH et
M'modiné, uno porsonne grave eL do lont J'oprm, appl'fJoinient Il'8 q1\nlitô~
du fi ls du p''.J'() Ulnnchnlù
devnnt 0110.
- Jn tol1igrnL , nFlsurnit la douniriüro.
- Un poùle, soupirait MUl'celine.
-
C WI Il'
(Jxco lJ onL.
- .Jolies allures do gontilhomrne campagnard.
�48
LES TLLU SIONS D'UN CŒUR
plus rigoureux à l'indulgence. TIicn ne semble coupab le
ou pervers dano le Paradis terrestre retrou vé, qui s'étend
de Nice à Monaco, entre les montagnes de l'Esler el et
la l'ive azurée de la Méditerranée, l'encha nteresse qui
attire et retient sur ses bo rds fleuris les sirène3 de
toute la terre.
TouLefo is. nnette éprouv ait une sorle d'amitié pour
la sage :Marceline j ello vouluL s'en faire aimer', en
oblenü' des confidences. L'adoleseenLe éveillée pressenLait le secret de l'isolée , qu'elle eut volontiers
classée parmi ses proLégés.
A peine si la clame de compagnie livra quelqu es
purs souveni t's d'enfance à la curieuse et richissime
héritière des de Servières. Elle parla d'une fa çon
évasive de sa mûre, do son père mOl'Ls dans la Lourde la Grande Guerre.
mel~c
- Orpheline! soupira J\nneLLo (\mue, comme c'e t
touchant. La marmotte et son peLit ramoneur 1...
Cal' Loujours ceLLo enfa nt Lerrible meltai t de l'ironio
cl ùes j'il'es où il n'avaie uL que fa ir, aussi intlpiraitles mieux inLenli on'JJ.., de Ja défiance aux p el'son~
.
Ill'e:; ù son (-gal'd
avait pl'is le pal'ti de riro de es
Mais ~IarceliT\
boutade& qui no manqu aient pas d'ospl'ÏL eL qui n'impliquaient pas uno sécheresse de cœur radicale.
Il y avait lunL d bonLé oL do grâco padois dans los
impulsions de coLLe Jlaturo très ou dehors, vivI', 1('gÙI'O
uL déjà connue PIU'!cH dames d'œUVI'Ofl, pOUl' .u généIOHiL6 IJI'I·COCO .
Trllo un oiseau, joyousC', insoucianto, aduI 'r, 0 11 0
(llIait dansla vic f",téc Loujour:; ut transformanl quelque
peu en joujoux lous coux qui l'approchaient .
.\1. do Sorvièl'I.'H f(' phigni t d'ètro soul à Pal'is, il
vouJuit hulel le r ·tOUI' Ù'AllllCLlc, lasse d'aillourl3 âe
�40
Cannes. Le pa l'aclis terrestre lui-môme l'eut lassée en
peu de temps.
La durée emportait tout enchantement, le faisait
so 1]bl'er dans l'ennui. La vie, pOUl' AlmeL~
, c'était
n'
lvrcsse, le renouvellement, le mouvement.
- .le suis Mlle Einstcin, disait-elle volontiel's en faisant la révérence . C'était to ut cc qu'elle avaiL compt'i~
dei-) théories fameu ses ct fort à la mode il y a peu
ü'années .
. Au moment du départ, elle bouscula sa tanLe d'elluSIons ct d'embrassades , sans aucune intenLion sentimenLale . Son dessein était plus simple, clio voulait
ohLenlr de Mlle de Servlères qu'elle renol~û.L
à son
chignon POU l' uno coupe savante, jolie et ReyanLe aux
eheveux de neige, dll moins elle l'uGlHIl'ai L. Ses 6Lre
in Lc ~ ;
n'aI'rivèl'ent pas il seco uer comme elle le désirait l'éclince d'une coifIUl'e sérieuse eL fortement épinglée .
- Que dirai-je de votre parL ù Martial Blancha1'll,
demanda-L-ellc d'une voix Ilûléc Ù Marceline? Je le
verrai bienLôt.
EL elle s'enfuiL sans aUendl'e la réponse de la morfondue, troublée: à l'idée que ce tte gamine, celLe enfallt
terrible, avait peuL-être deviné le SdCl'et de son âme
douloureuse ct mei.H'lI'ie.
. Mareeline n'euL !l[tS le temps d'exprimer sa pensée
Infiniment dôvouée ct Loujoul'S bOJlne.
- Ne le tyranniser. pas trop, évitez de le faire
' ) (ndTI' il', ne le m(;~I
' z pas D. U J'ang des ranLins dont
vaut! tirez joyouserncnG le&ficelles,
4
�50
"LES lLLU SIONS D'UN CiliUR
CnAI'l TRE VIll
_ 11 ne faut pas cl'oi:'e, papa, que los choses les plu"
chères so nt toujour s los plus bollos.
AnneLL e, sourian te, ù6rli:1it une étolle l';gèro , souple,
~atinée,
d e~ tin éc à confectionner une petiLe robe de rien
<lu tout. Uno toil ette dont la i:l implici t6 ferait LIU cadro
merveilleux il sa li ne beauté.
- Tant pis 1 répo,ld it l'intel'pellé.
Une robe ùe midineLte 1 fit-il m(;pl'isaat . Comb ion
je trouve plus jolie::; , plus élôgunlo:, le::; LoileLtos (1I1C
Lu commanuos chez Dil'birry ct Calumet, L'ue de 1.\
Paix.
- Oh 1 le luxe 1 lit la joulle Annelt e ...
Une moue l'Ot[
U~cl
IiL
le: coin.; de tl:t tOILlo peLi te
bouche, une boudlC en ce,'ise , joli:.: cornille llUe!I!U t', ,\
l'unisson do loute la raviGsanLo cL menue rnillia:'u:J.Îl'J
ùont SOIl papa 50 rnonLmit exLrêmcment lier,
Amji:li AnnelLe pO::iflédniL le pIns beau I:ollier dr)
perles rOfles in lhe Wor/cl eL ~ 1. lie S l'vil"l'eH lu hi
avait donné 10 jOlll' annivul'dail'() d,; HU clix-sr;plii.'lllU
année, la prpc(-ù enlr, 6,'olt!('e MF\ (' Hi vitt, .
- Tu clevl'ui,oj donnel' celte t"loiTe il ta rCllllDO dl'
chambr e, ma poLi Lo \ nn oLtc , inHiJl ua !'ol'gllc illeu'père; pourro.s-lu L\I'l!U[~
c"L (\f'u nomi rlue chillon uvel:
Lon colJipl' qui vali L pllillÏClIl'S cenLa
in e~
ùe ;;('(); billoLs,
l'f1échi~,
ma petiLe chôl'io ;)
- Mais (lui, ]lL po., bicn Hll1', le,'! pCl'le,; Hon l !li hcl'~
(Ill'On leK Lii raiL absoll.l1l'l\L ilOil"'''3, c'est pOlll'quoi
clic\; J\ ogê ncl'onL [lm; rnn (;]\['1"; petilf> l'ohe qll o.in vai.;
co uper, !\!lflcrnblel', nVl'C l'n idn (\ 1; .Julie pL qui m' ira
comme un ganL en tricuL do fo ie li une main d 0gUlll ' .
�LES ILLU SIONS n'UN c,Œun
51
:'Ir. do Sorvièl'os soupi l'a! Los enfanLi> ont des
caprices éLranges. Il est préférable parfois de les
abandonner à leurs impulsions innocentes, afin de ne
pas leur donnel' d'importance.
- Agil:! Ù La guise, diL-il, fa it; la couscLLc si c'esL Lon
jJln i:>Ïi', je tc demande ~o ulemJ1t
de ne pas exhibe!' ton
Û'UVl'e au garden-parLy des MookreUer, dimanche pro~
chai n à VersaiJles.
- Dois-je en faire serment, demanda Annotte en
prenan L son air le r lus fuLô .
Elle sauir.. au cou do son père, l'cmbra(lsa, le cajola,
ll1i murmura ùes ...
- PoliL papa ch('l'i .
- Tu CH ma juie! fit-il avec dou ce ur"
. La chafl '> on de co l'ire jllv('nil avaiL Jo pouvojJ' do
dIHPCI'SOI' LOlls HOS ~oucif.
]1111i apPol'LaiL Je calme, lu
repos, Je bonhour, lu J'("COlTlpe llfle d'une exisLcnr;p
~1,()nL
IOHrORponsabilit(,s fl'nv{~ri(!L
sériol~
,s et muldrlns, rosponsab iliLôs qu'il éLaiL seul Ù supporLe/'.
I l no fI'Mait pns l'(marj~
pOlll' sc consacre/' enLit"rf'n~cL
il f:a lille ct il n'avaiL ]lus d'asrlOc ii! ofln d'arrondl/' lOlljOUI'ii la CarLu/II) de ceLle enfanL gâtue ù qlli il
no vOlilait, ['lOn /'dl/ GOl' .
Âl1tl OILp,
cOnJbj'~(
lin
il I ~RL
v.ni, domandait pell de ch03e. 1'1'01'
temps do l'of'lllllllll'
pOlll plrl' POlll' avoil' le
ù6~il',
DO BCell d1'c d" pi('d eHLuJ ol'r la hi ~sa il Ron père, l'l'; '
«(lI,('tHet' c!'humhlo fl amis de Hon choix, pr'('f6rcl' qudqu fI
eh,!,!) 1)(11'( (11 l'a/IlnHfl(} en J'1I11LIII 'O UI' fClIlI'I'i/1re aux HlolI!~ ~lif l'l, h()1Ind~lOH
nehoLI;!' pal' ROll pI'r'p, ('tnif1l1t le \
.V ICloil'I':; dl' la jP(ITH' fille FUI' II' ~1D()hi;.\nlt'
nlllbinni
.\llC[u(>j
h·!>
VI':I/Idm;
l!IUflHO ~,()' iul()
/lr'j'tf("'(>lltl'f; ,
IJO
Il:1I; rifiI'IlL
'HOnf~,
et, jl'~
JlIIl'lttl;'\
Ùll l'a
lrop vulonlil'/'s Louto
leurs
�I.E " ILL ùSIOr\S D'UN Cmt il
53
IcLte ct ses plaisirr;, des renLes ~t pell pri:s ilL mitres .
Annette s'éL i; 'a i~ comme une peti te cbltLe d81lci ce
luxe haLiLuel , Lrop naturel, trop connu pOUl' lui plaire
encore.
Ses yeux rieurs, ses air's futés , elle les dispensait à
(l es récl'éations hors série , au ssi se sOllvenait-elle for t
hien cl avcc allégresse d'une certaine jouméiJ pD,ssée
tt la ferme ùe la Faisanderie à regarder euirc le p:lin
et la galeLte.
De là ù songer àcelui qui lui avail procuré cc pa~ ge
temps campagna rd, il n'y avait, en vérilé, que l'espacc
ù'l:n rêvo ct elle batlit l'une contre l'autre ses maias
'cnfantq uand l\L de SCl'vières lui annonça qu'il avait,
dani:l la journ éc , l'eçu la vi site, ù sa banque, de ~la lL iu l
Blanchard.
- J'ai cru , dit-il, qu'il yer::: it sollicito!' un emploi
Qlle1t.;onquo ct ma so:w' me l'ayant recommand r) jc
So ng"u i:, Ù 10 ,m! itJ fail'c, mai .; il m'a !out. i;irnplel1L/ü
de'flUudé de tes nouvell c!! el pUllé de Bes ambitions de
iJoè Le et d'an leul' dramatique.
Un li l'e (l'j\l1lJello 60ufnu fIlU' ces va ~ lù s projots ,
~oP()
ld .Jn L intt"ressée par les mOlJi 0rcs rusLiqurs du
Iila du pôre Diunchard, elle Hongra il pOUl' elle, auprès
,If' lui, il un rôle df' re ine cL t!'éllucatrice.
Co SI't'Uit, diL-elk, une bonne nclion de le civilise l'
'luelquc peu, li rogne (' les ailes il iJl'3 pap illons !Jutineuru <.ie gloice.
Tu voudl nif! t'en ehulgOI'! ~lu i tl quellJ f1(;ure
fr"ai cel illuminl', cc ruslaud, parmi la jeunesse ('].:'[SUllle cl ~por'l
j ve où lu a3 ta plnco, ton rang?
- Olt 1 le !;mg, (l\"('C lou" CDJ nouveaux l'iche!! 'l ui
~Ol'Lc
nt (rOll lU' sn it où, fil lu jpulln lille e1l esquis.,an L
IIli() IHOlle d( tlui r nplIRc.
- Ln fortun o clu!!so Ir:; jounf)~
ge ns ù défaut d'urlù
�1_r.~
l1,LUSION~
D'U)! CŒUr.
_ Ce sont des sy mptûmo3 de pel'vel'ûLé , disait parfo is Mme Criel , la bcHe-s
(j~ ur
de M. de Servièl'es.
_ Plutôt les signes d'un trop bon cccur, répliqu ait
le père en soupil'ant, et c'est lin penc1umt danger cux
dans la vie moùerne , qu'un exc0s de bonté . Garder
ce qu'on a n'cs L pns si facile par le temps où nous
sommes. Ce n'esl pas le momenL ùe nous atLendl'ir sur
des gens qui exigen t ùe gros salaires, des retraite s,
des secours et même des égards.
M. de Servièros soupira it douloul'eu semenL , il s'habituait dimcilernenL aux lois ouvl'ières ct réprouvai L
J'églantine des haies uepll is qu'elle r1eul'isso.it 1 premiel' Mai la coLLe des ouvriOls . Quant à Annett e, elle
eut tout donné dans un sourire, même flU sympat hie
ct son amitié et elle avait une façon de s'encanailler
avec les petites gens qui n'~Lai
pas du meilleur goût"
qui prêLait il i::I critique ct q'li n'avait pus LoujO\ll':J !J
rJuccès qu'elle en attenda it aupl';'s de ses protég(~
f\ .
On la cliso.Lrgn~,
voire m:lme un peu foUe, rlun Q
leg bureaux: de zon pèr,); flOtl amabilités, sos bi()nfl
·~
d{'passai ent la meSUl'e hubitllello cLn'éLaienL pail rOl'CI'·ment compl'is pal' ceux qui en b\\nrjficiaient.
Quant uux toil ettas Himplcs qu'elle s'amus ait P(\{'
'apl'icc Ü cOllfectiolllll)l', il fuuL convenir que leui'
succès no uup;lssu iL pan, aupl''.s d'elle, la durée Il
quel'1 ueJ heUl"
~a et qu'empil u;! dunli uao cuisse, LOl~
ces chiffons di!:lparatcs éto.iellL cnvoyuJ it un (l'\l\" 1'('
où des doigts de féeR los tl'ansformnicnL en luyett 's.
CU!' Juli ette , la femme cl J chambro rio Milo do Sor
vir·rcs, ne poC'l:.lil ùo lu ddl'oquo Lln EU j lino mu1LI'O:JM'
fille les pièces do choi:;, celle.l (l'Ii proveno.icn t df'fl
mcillcul's olJturiers ct qui étuil'nl il p!'in llSUgl'P!-l ,
fmiches el ,\ pell prè'l 1\I;\lVO :'. O( 'Ia~jol;
[J'I"qllt'T \!.I'H,
pui!!que ~l. de SOJ'vièl'os tlo l'\'uiL ù sa fille, pOUl' sa toi·
�LES ILLUSIO ?lS D'UN CŒUH
meilleure souche, c'osL LI'ès a méricuin cL par conséquellL
à lu page d' èLre un parven u, répliqua .\1. de 5 01' vières.
_ Hé 1 bien, Martia l esL un tout peLiL parven u; il
a cessé de porLcl' la blouse ct les :;abol;; tic ses ancêLl'es
ct il est instrui t, parait- il, plus que moi, incapab le du
suppO I'l er l'éLude . Pauvre pupa, 'L'en ai-je donné du fil
il reLordre uvec mes classcs Loujours raLées ct lllPS
insLi tutrices qui s'arrac haicnt 11'; cheveux quand olles
sc rcndûie nt compte de mon igno:ance. Cha!'!emngne
n'a jatmü~
été mon homme, Lu s~jJ,
je préf \1'0 ~1nul'icI)
Cheva.lier ou Napoléon 1 Oh 1 Cc lili-Iü, je le trouve
"ontil COl1ltnl) LouL avec sa Joséphine ct :;a blnnchi.,;10
tJcuso, Ji'"' SUI/oS-Gêne; voilà une pil"cc qui VO\ii:l upproml
l'hisLoire sam; voml heurLer lo:; f i ·'nin3cs.
_ EL \'oir:\ ,0'l~
ec que lu s iB 1
Pellsir , t\i. Ile S 'l'Vi<':reB songef\iL uu mal'i il' m.uA ,
l>oll culculatcur, adrnini:,;LraL')lll' de gl'nio ct épou:
J élicnL qu'il avaiL htllo de donl\PI' ir-sulille, eoLLn déliciouse in cnl'ahle , il LIllO 6poqu, où lpl:! rcm1l\~
forte :,
i:luileopliblps ck ~';fIlr
leur rOI'L 11(' , I>ont !tlgioll,
Il I\'ai~
~(l\
caJlti,~
, Pi clr , do Courliell, rt1, ii;
,\.llIlClLc (,;OWI1l() Pierre 1\,) se wucinio nL pns du Lou\. !lu
cc pl'Oj el tlC"l'cL cnCOl'U f:t pnLiôr<'mcnL l'Oi'gtl pUI'
j'oxcell ent pÔl'e qui :wniL pu juger PiouO tlr.v cnu pl'I"muLul'émenL (il n'<\vniL ClIC lrCll!.!' aH!:» son (Olt~!
(le
pouvoirs; lIllD HituaLion IDcI'vl'i\\c'lI:;P fil i raislIiL dil')
au jeune hO ll1 mC, lundifl qll'il Pl'l'll"io Ill! nil' c\(,taché:
- J'Di Loujours cu de la llhnnce, je :!lIi ni" C()jl~.
'l'ouLe fois AnneLLc obLinL de M. rio SCl'vièret; lll ll'
invitati on pOUl' Mal'Linl à unc !:>oil'l'C' dn (jran<l gain f{lli
dcvaiL ôLt'U donnée en l'honne u: de ,;On dix-huiti!'nlC'
unn ivel't;ail'o.
�n'v;>;
T.r.q I.LTJSON~
;h
Crr:UH
55
:;:
~\iaILHl
Blalldl:ll',l r.:~
f';,luui ; il ::il) ~_'Ilti
l en
1uc1quc SOl'll' dovenir un dcwi-dieu qu and il pénétra
-[uns Irs va:j l\J5 ::;alon:; splcnclidr'mf' nL illumihés de
:'hôlol dl' Sl'I' vièros .
n'ava it, pas particip é comme convive :lU diner
Pl'lv{' Cl IIi avait pl'éc,;d6 la SOil"':l'; Ir pl'otocolo mondain
Il
Ir- IlcI'mettait pas , il n't"lait pas un assez granu
j 1er.iOlll1ugf' pOUl' y Iigul'cl' ,
. ;\ lui:; Cl l:un d il ~r troll vu U li milicu d'Il n grou pe de
jeunes filles unifot'ln(;lllenl vêLuei! dt' ros,' comme
l'exi gnuit l'illviln\,ron, il ('('lIL ['enaitl'l' uu milieu de
fjlJe!t!lI (l cham p 1'M' l'iq ue plunLt' de f1cU['S :)IliJ}(~e
s .
. Annelle' l'ncc upilliL dnm; cot rSduirn Ilal'l'lIll\(; , bCl ll e,
li bl' lI l', lu plllH br lJ "
1, Hlu l'i::lIl Le POIl [' llli Ho ul, sa
~ )a:;[i(l
V('lli"mcl1ll' cL l ' 'foul {'(l lui di spensa celte
IlIu Rion vPl'ilubl cmr nt mngisLI'II Jo.
l, l' «(dutn do S'l'vi l'cH ,,'a VJllça VI!I'.·; l\IUI'Liol, pt
1:°111' Il 'I1I(, ttl'O au point uno joi,' qll' il unvinuit déhol'1I(\! lll' pL e."agér.;(', il pl'it, avec J\l i llll ni,. huulain ct
l'oud [>};('(' ndUI1 LIl l'l'gardait le 'jar,; lin lion ll1o ncll'll'd rlll 'i l ll'Ouvait
j'nuilTlullch(', (t Ull ,'( mir'!' pol i voila l'ironi e de srs
!l
P(>Il~'Ci\
,
. l>('ut-êtl'o pnviuil-il U\l Hi i (l'JPlquc pOli f" ~a r:on
IPlIllP, plf'ill dl' dl ~R il' s , d'f~po
i ni . Tant dl' foug ue,
01" fl "\,IH; llI:;(',
'
J' Ilt(md'
.~ , .
.'
'1('.
a; -.\l , dl\1llllll.lll'nL
SOli .
Il'011
Il' (' ln it. Vnl1\1 , il nvuil 0 ,,"' v(JlIil' , pL AUII.' LLp If'
l ):l'r; 'Illait ~\ la l'onù'' :'t 1'( 'rru Je COIIl'li l' ll, Hi fin , , i
;'l'l'lIl'lTlOlll d i lin gllt'. '
1 Lu wil'('1' fllL 1 l'ilhllll./', hl'lIi.,-,onlc dl' jau , ('linrrUnle de monÙt\llit t· . lIll \'1lIli;!P111l'nt ti c lIUlUlU vit
�LES ILLU SIONS n'UN CŒUR
l\iar Lial sc trouva abandonné il. des réf1exions, 88 115
amertume d'ailleurs .
Elle était là, sa princesse . .. Qu'entrepr::mnrait-il
pour lui plaire, pour se rapprocher d'elle . 11 observait,
comparait ct désirait ressembler à Piene de Courlieu
qu'elle venait de lui présenter.
L'égalerait-il jamais quand il soulevait Annette,
l'entraînait a u rythme d'une danse savante, cadeuc'e,
un paso-do ble, par instant, seulement échevelé.
E lle était légère ct souple, ct il se sentait gu in dé,
peul'eux . Quand , rentré chez lu i, il se trouva seu l, tellement seul.
Martial s' interrogeait SUl' lui-même, il el'itic!llait
f, es actions , ses ponsues .
POU!'l'bit-il jamais attil'er l'aLLenl ion d'Annette, He
J'encire cligne d'un de sos regards veloutuRct troul>Janlg.
Qu'il ava it hUte de goûter ft la célébl'ité pOll!'
l'occuper, la conquérir celLe petile l'oine. Sa pièc ,
aehevé o :;e promenait de tlléfltl'e en th "âlre sanH
trouvei' l'accueil qu'il souhait.ait .
Lei:> directe1l1'S avaient, di llaient-ils, Ù choisir pOI'mi
des manuscrits nombreux l'œuvre qui ferait rec cLL e.
La cl ' i~e
fin anoi'!l'e dOR th 6l.\lrcs renduit tr ( \ ~ di fll cilc
10 rôle de censeu)'.
En attendant que fut joué cc chof-d'œuvrf', Mal"
tinl preSfliJ de B'imposer ù J'admiration du publie
(qu'il appelait secrètemcnt AnneLto) ac ce pta lea propositions d'un artiste tic MontparnaSBc dont la sp{'cialiL6 éLa; t de sculp ter eL d'animer d'urli stiqu e!i
marionnettes. 11 lui ofTl'ait do faire jOU(l1' fi S deux
ucles appropl'i(,!) aux gOKlf'fl do BCS acle uI'fI do buis au
th éâLre do fantoches qui 11 li o.ppul'Lcnnit .
Pour'quoi pas?
~ l'clcntitlsanL et Ol'iginul nLLil'ellliL pcuLUn gUCt~
�Si
i}tre sur l'auteur inconnu les sympathies des lecteurs
de pièces de la Comédie-Française ou de l'Odéon.
La salle était drôle, ft-équentée par des pal isiens
:îpil'ituels, el, Maltial voulait coûte que coûle uébuter.
Ah! voit, son nom imprimr dans les journaux ct
entendre la petite voix de la jolie AnnetLo lui sus urre t'
entre les deux actes.
- Mais vous voilà toul ù fail lancé, arrivé, ou
presque.
Quand il eut hésiLé pendant quelques JOU IS, il livra
son manuscrit remanié ù Edelstr'an, 1 propri,;Lairc du
LhUüre minuscule et de ses acteurs at,iculé
~ ~.
Une srconde vis~e,
SUl' in viLllion, comme ln prrmi,\re, llli permit ue pl;nétrer auprès de MlIO nnette
ùu Sol'vi:'f"S cL de lui annoncer celle honnlJ nouvelle .
. Cottfl foi!l-ci, elle l'ecovuit seR amis porsOllTIelK,
Jounes gen~
pt jeunes fillos, uaDs ~on
home particulier,
L ut Ult étage uo l'hôtel de S rv ièl'os, um,;nngé ct
meublé selon set! goûtH.
, Des couflsinu cn mas.w, peu de IJleb~
, ues 11I.ni "f'C:l
1'~ l ail'untes,
mais invisibles, un riche, Lr"!s J'iche tw~or
~Im(nt
dl' poupéci'l ct des nécessaires à cocklail pt ù
lu.mOlll·, I:omm chez 10 garçon Ù qui 0110 avait parfCllS lu pr('LonLioll d ressemblcr'.
Un jl'lt bi"l1 i['Op fatiguant pour nne petito p.I~'
Honno chUllSBo.nL du ;);) l'Tl iéi:(\I'd fin eL gantant eUH!
trois-q uurts sans la moinure g011C'.
Ello t Oliva ll'ùs amusanto l'ill.;" d'EdelsLl'on cL 1,\
r"uli Il.tic)Il dnunatiquo pOlll' m:ll'iont\f'Ll ~ do SOli
adl1lirat 11[' /'u,îLique .
. ~ftlir\
fllt ravi do Cf'Lto gont ill " intlulgC'llc flul
~Jl'cho.1iL
Cil m' -1'30 les ospoil'ti i's plus fOlls do !Ion
Ima~in'l:o
uc~
pOI"l' ... eL ur. bC'rn;el' digne de M'/luirc
lI11e pr'inc03!!c,
�LES ILLUSIONS D'
N CŒUR
59
meltra en vers ct C'Jst l' douie~,
parait-il ,
donne de:; ailes au génie ùes poètes .
Elle riait, aux é-elats , s'amu~it
do tout , de rien, dei
auLrcs cl, d'clic-môme.
Pouvail-on sc méfiel' de ~a fantai::!Ïc dc devcnir une
: luse tl'u.,ique Sa "l'âee sa beallt(; :la lé>g)l'cté
! 'r !
b
'
,
l 'len( o.i 'lit qu'on la prit au séricux.
Piel'ru rie Courliell liOU! iuiL.
- Votre pOL L , dit-il, compose des drames pOUl'
poupée,; eL mal'ionneLte,; ct nou~
ne' Hommes 1lcuL,
'
c~r
qllO dei! panlin.) pOUl' cet élève d
J'h6to~l1a
qUI
t")
•
l'l'lue .
• POUl' l'in,,tant , • hu,tinl, fOlL oceu Pl;' Blu'veillait avec
l'lIloLion EddsLran qui LaillniL les marionnetLel:l,
af'[ Ill'!! futul li (Ir n piüco pour fantoC'lles.
L'arli3l l ' oCI:llpait dan la 1'\10 d't\ l é~ia
un appal'te!nrnl-alelil'l' 01'1 il travaillait joycusrmcnt, Il menail
l'n Loutp ,'nti.;facLion IlIle existcnce do bohl'me 'Ollt l'II L l' t
lHed
'lTl \ .01h10
l ' n'
e.'11 '
'1 t lOIIJ) 1 l'il a 1 suce '
,l te
S
pL do M S (f)lTjo
" ilo
~ .
- Voitn, ùidoiL-i l ù ,lnl'ti'lI, des porllonnagos qui
1'~droIlL
surllOI t.ahl!' voll'(' Ll'ag{'dio beaucoup trop
111111'1' . \ (JI III aVli': vOlllu joint! '1' dt,:! I;pisodod (l<> la
,évolllliol\ l'IIil II qu'i l ne faut IHUI trop ('xngéJ'cl'.
[ I)1L(',~
, !) !rOI'I'I'III''! :ont bllllll ',' pOli" l, hois, Tupez,
':J?nr.i':, il ~(' ,pi~
ï., l,a 1"';;01111' 01 n' bil de m(ll d
r~I,JOl'"
P'1. m"IIl", d" lifll!el'lI,JlI l'tl (!IIi VPl'l'OIlt \1 Ill'
O,IS rio ll:u l,,, 'nùlIl'llI' 1"0,',;" P'u' GlIi
~p l()1
pL sans
I Ial" Il', J. ' Jll'II • vou II' prolll ·ltl'I',
'l'[J
. 1.ll'lial:t mirail le vi,.l'I' l'iii " 10 IlI'rl'llquo blondo
L h< (' 01.1111',
'" ' 1!lIlpul'I'" ri' II P,'Illl:
' ',;. e l'lIll " , ln(~
phI \ (PlI l' i 11', 1 IUl',;m n',
!
l'
n
IOnw
dl' l'al'Ii'''', lia' ,") ltn,'j"'r", l\"tllt 'o,lf('('v'l :li 'nl" cl' velo Il . pL Ih tllti n po Il' le,;
�58
LES n ,LiisroNS n'v); cmun
Ne s'étaÏL-il p:1~)
déjà j,ransforml;:)
Il portaiL, non sans ai ~ance
,
dls vêtements
éJéO'anLs, il a\ail drs relations choisies, il serait joué
au; Fanloches ct Annelte, souriank, lui tondit lu
mAin au mOJllnnL d'un Mrol't \':11'(1ir.
Car, deux fois, elle l'ayait. icLellu,
Ji sc baissa, embrassa lcs joUs doigt~
fins, soignés,
Tremblant d'émotion ct de joie au contact de m
Musc dont les griHes roses eL pointues nO' lui insp iraient aucune méHance,
11 aimait, c'est tout dire , et. il st gi facile, si natnrel
ù qUI aime de se croil'e aim(',
CITAPITREIX
- Je tl'ouve tel1rrn cn t ch.armant de pl'oLég 'l', ur
Juncr!' un poote, déclarait AnneLLe ù Pierre de COll 1'Jieu, d'aillollt'!> je suis l'ami' d s hurnhJO H et b\
ol'iginesdo cc br'ave gal'çOll, p uL 11L1'0 lin pou illusionnl;
au!' son m('I'îLe, me le recommandent.
- Sans doute, VOLIS Ûll'S bonne, mais ne craignezvous paR do causer pal' YOS gentillesses des ru vag s
danH cc simple cœur,
\' OIHl, vou'" (\les jaloux, f;'{, l'ia AnrH' Ltl' kiomphnntl',
lIfl flirtaipilt si gentiment cL aypc ln per'lT1i
R~ iol
UI'
M, do Sr'I'vi,\l'cs, Jlil)l')'c, t!'i\; dO'lcr'rn rt ll" f;'omparo i t
de ceLLe potiLe fille dOlll'dic eL l'ÎPU!J(', 11 He llOnLrait
ml!IT1C tYl'annique U:gl\('pmcnL pOli l' habituel' la dl/IImanle Ü l'ulItOl'iLé d'llI1 mari .
ltuHsi, f'l je
.Julollx jl l' ul-0trc, mai, l)['(~yoat
lloltvl'!'UÜ; d';Jl!O!'O!J(" de voir ('1' }\!Hrlial Blalu'hanl
~i'lna.,1I
li l' il pOU l'l'ai t, VOII', pltür'p pl ,(>11 [1'I'il'
(1I " ltiL" d'IIII1' dl;:;illu,iioll c'lIl'll,'.
�60
LES lLLUSIONS n'UlS Ccr:cn
damos de la troupe, des uniformes pour les officiers
ct dcs bures pOUl' les méchants moujiks .
l\lartial riait de bonheur en maniant ces poupées .
Il s'amusait enfin 1. ..
CUI', depuis quoIque temp 3, en plus de sos préoccupations littérairefJ, il avait assumé de rudes
tâches .
Plaire il M. de S..!rvièr s, séduil'o Annou , évoluet'
!;UIl!) fai~e
ue tiaf1"es da:) s ce milieu précieux, :ronique,
dont il senlait vaguern "nt la mal veillance f:lournolsr;
quo d'affaires délicaLes qui a1sodJ(ü
'. 'n~
scs f<Aculté!; 1•••
La grâce enjouée de lu jeune Hlle , son luxe, c'était
trop beau pOUf' lui ,
de Servières, tantôt !lon commel1s:11
Tantôt I~L
habituel, Pio!Te de Courlieu, ne sc gênaient pas pOlW
l'humilier. 1l.1 parlaiont avec afIeclation devant lui
de clisti:lCLion, de naissance, de fOl'Luno,
Indigne ri 'A nnette, Murtial se tai~l.
Ah 1 qu'il
avait honto d'ëLl'e pauvre, d'être un Utanchurd pr0s
tic tou~
ccL éclal.
Et c pendant Annetlo l'accueillait uvee clos cri~
do
joie. Cogl'and garçon docile, inLimidé, dont 'lllo c\fJy dit
deviner les ponGées, l'intérrssait, l'umusaiL. O\wl1cl k f;
gnns do Gon monde, ses camarudes ot (unis hulJiLu pl!;
l , jugeai 'nt uvee 6(jvéI'iV;, 011080 sentaiL unim:)(' uu
'Iésir do 10 fn vorlsol' ,
Mais olle no SOlpçonn'liL pa3 Lotit,] l'éLen(luc dc:s
illusion dr) cc camI' 6pri~
dévolem ont, incon5id6rô.
mont, do co cœur qui huLlait C0I11'1I0 un COll (lU tH'l lu
!H'éseJ1ce d'Annotte donnait une rénlit6 au.' J'êVOH
\!'uno imnginaLion mngni!i{!uJ cL vibl'Hllt e.
Amour!!lIx, !Juns OBOI' ))ar]or d'amour, il atLl'lIdait la
gloil'I' llu :'\H'Ct'S qui 10 rendrai "Jll di~no
d'cll(,.
"ur la di\ an ,
CeJll'Ildant il lui arl'ivuit de ~l'a,J)(oir
�I.T>
~
JI.rU~ON_
D'UN CflWH
CI
ù clÎLé d'AnnoU,-', pal'ce qu'ollo lui ut-,;ign:1it cette
place de choix.
Comme elle était jolie, la petüe l'cino l. .. fi détaillait ses perIectiollJ, une robe do tulle J'habillait d'un
nuage, ses bras nus, S~ bouche muLine étaient d'un
Saxe, m,üs sucré t fon dant comme un bonhon d" luxe,
Ello rinit, elle paptllo:maiL, ello jacassait.
Tourmenlé ct ravi, Martial n ~ trouvait pas un moL
~ répondre à ses questions. Elle s'ébrouait pat'mi le3
lnvil(!s cL lie monlrait aimabl pOUl' tous, pour
chacun, comme doit 10 faire une mallresse de maison
qui re~oit.
Martial, lui, ne distinguait pas les nULloees.
Au comblo du bonheur, il dégringolait dans les
aITres ue la jalouBi .. , surtout quand AnnetLe dansaiL
lin lango avec Pierre de Coudiou.
Un ~;o ir, j;olé, i\lfll'lial contemplait cc coup le que
LOllle !'u""istancc s'nr;corlhit, à teou yer l'll yissant,
qUand uno voix Lrndro lui m ,,'mura :
- Vou . IlO l'occllnuÎsso z mûmn, plus les amis .
.\Jllrcclino Hurol lui lenrluit lu main, il réprima un
1I10u vcment d'impatirnra.
" - Nous SO llIlH'S rCV[/lt'~S
(to Cannos, fiL Marc lin~',
J Ue ompagn c ici .\1110 de Sl'l'v i(\rf's cL je mc réfuglf'
aU!.'!'t ue vous. Tant J bruit el Je monde m'en'Ul'Onl.
EU nvuil, jU BlC'mpnt l'nir St'UY" 01, doux qui eXUl:lP('['tIiL :\fut'tial.
Con.mc cil Jo lt'ollvaiL di , Lant, chung" nvrc 1111
fluupl;Oll ue fièvre ut lIllO 1\ Gilude upr:lI'cTlLo.
,
VOUd êtes pl'I~oceu
PTl 1:(' mom,' ul, je IL' IMis.
\ o.lru ami Eùt'Isll'un m'a padé de VOllII, cal' jo Je ('011Hill:!, n'l'sL une J'f'htiOll qlli clnll' drg JOIIl''; où Ilong
dOllllion :1 df' 1 ) '11'001 1 clan :, I'~
mê CIl ".! mui!:lol\J. Il
UpprlJl1niL 1,. ues· in ot moi Je. l'udin
~ nls
clu piullo
�62
LES ILL VSIO:-;S
n 'UN
C<r.UJ\
m (~mI?S
éh'ves . VOUS ~ave?
qu'il <Jfit enchanlé ùe
'otre pièco Pot il lui prédit un beau sllccès.
Les 610ges de Marceline lui semblaient sans intérêt .
Il contemplait de loin Annette évolunn t parmi des
jeunes geno, tundi ,; qU? M. dl' S~)j'viùlc:;,
en ob::ïel'vant
Je poète, prenait un Hl\, Jlarqnow.
Mal'Lial nu comprit pa~
qu'il devail '\ MarclJline
l'appui cL la eollabomtion de l'artisLe Edelslran , il
omiLùo la remercier et il allait s'esqu iv er quand Marrcline, le rel ennnt, le nt asseoir Uuprùg d'olle !iur li 11
siôge douhle.
Elle parlait tandis que , tont occup(' d'AnneLle, il
faisait semhlant d'écouter.
m'a don lit: ln Inuison I!L la fermi'
- Mllo de S u I'yi~reg
do VOL1'C pèro, aehf'V'es pm' elle ù voLI'f' il\ ~1.
01'';
ollvrier:i ln l'()pUI'elll. cl elle !:lel'a I1Clb()~
f; 'Ion mrfl
OOlA . JI! no voulais p:w ac(Jpt~r'
cc pruscnL, il m'illt:J\Ijde, VOLIS comprenez; l,nI.; il (";L pllls l'ni:lonnahl(!
d'être moins Dore . J'avai !> fuiL clu Le:,w( r(\vo;, Mnl'tial, souvenC7.-l~
Votn' mni:,on Yil lU'Hppal'lcnii'.
Il priL un Lon spirituel pou r lunc lJr un irolliql!f' :
- Vraiment! TI'(\s pell pOUl' moi, ma Cht\re l. .. Le
sentimenL, vOyf'Z-VOllS, ne ln' ne h rien .
- Vous l'avez dit, Murtial, pL vou~
Vuu;; Cil 0.[>1:l'OVl'CZ autant qne moi.
(,llX
n
MarLial, l'u dcin6, COlll',,(ÎL \'el'fi Anl10llcqui l'app elu il.
- Faites ccci , faiLes colù.
ElJe cOlllmandail, cL il oi.JGissuit, mai s
il v(oril:lbl emenL dl' so n HOt'L,
1'1
~UICi,
He
l'('jouiflsn it-
il l'ontm .('hl':'. hli III 1 pol il, jOltr, fiC jf' la RIlI' SOlI Iii
S'rl1dOI'll1ll dll jlP;lUlIl sornmf'il ({Ili 1t1l{'Lllllit amOlli'
:unlJiLion.
,
[J 011 biia jll!;([li 'Uli jOllr! , ..
El If)
jUil!',
il ouhliei'a l'IICOt'f' (IlInnd il
méllll..l.'ltVI Pl\1
�Lr.S l L1.r~IONS
D 'U~
CŒUR
63
Edehi tran le;; poup ées magiciennes de son
humble des Lin d':.tuteur dramaLique et d'amoure ux
débutant.
- Hein! s'écriait Ede]sLran famili er, ils sont épatanbi,
formidables , nos acteurs en quê te d' un a uLour. Allons,
secou e.l ce Lto m é l a n c o ~ic , Monsieur le dl'amaLurge . Auri ez-voas de ces peines de cœ ur ubsOl'bant es au point
de mou l'ir de Lris tesse , d'inallition et de désir trompé;)
i a l Bbnch:.t rd au l'mitauParfois, il entra inait ~1art
l'unt, uu café, parmi des artistcs , ù la rois sensibles cL
gai:! qui i-\'ingén iaienL de leur mieux à tu c!' le cafal'd
do leur llouveau ca mal'ade,
Il s y pal' venai ent padois, car lu jU llnesse csl!'onuemie ded lon gs désespoi('s .
LOl'h qae le ciseleur de marionne tte.;. euL l' ulin
obtonu de Qon ami d B conJi donc e:; , il le chapiLi'a 10nguoInf' nL.
- CoLt'· jc ullu co([ueLlo He mOr{Ue de VOU!; , VOLIS
vous jCL"l dans un e ave nture sa ns ac hùvemonl
pm::iÏ bl f'. Les do ';o rvi l\re' souL des gomi qui ne HO
1 6~ ul i(,JlL
p'l~
,
Ot!.; fnrie.l mie ux do cO urti sel' Marcel ino Hal'el qui vou,; al.il/}.
- Ah 1 par ù/omp le, cl' Il"-lit , f[ue l GI'nmp on 1 Ed olj,Ll'un hov huiL la Lè li' .
C h UCU ll (' fi Lju ge de i:lOI1 honhelll', l'epriL i\Iu['ti'd,
'met! l'ie nLim onts no l'egal'denl ([U O moi .
l lr,
r{' plii[U ll E(leLLl'an ,
- .J f) ne J1l 6 pl'i ~() pa ~ d)uml
je n'ni jl lh; d'nutr!) roi, je 10 l'U!:lP;!cto . Une r(~ m
o qui
i\imo ( ~ l lUI l['uaol' inu[luisubh' pOUl' l'objeL do su londt'CIlSC , waiH, lli uH'l' sun ol:l po ir, c'es L li 'mol'<' lisant,
l'plu lll c le courage , le Lulent oL flunnil on uoi t ;.;agncl'
..\ vj r , l' ' 1li ~,lÎ l', il no fa ul pall H'ahnn uonncr a dps
Ili,lisci il'I! dignc:llo ut nu P IL, !l'lin l'oll ,'''TÎl'n pfl I'Ot;SC ux .
~ilJ
1l0 ULI ', UC(
l u i c~ ' a i\larLlitl rêveu r, mai3
' IV I.' C
�65
LES ILLU SIONS D'UN CŒUR
- Surveillez ces enfants, disait-il à Pierre de Courlieu, vous qui êtes raisonnable.
Le jeune fondé de pouvoirs acceptait ce rôle, et il
s'arrangeait pour éviter, pour en corriger l'ingratitude.
Pierre dansait à ravir, il se rrait contre lui Annette,
la soulevait, lui donnait cette sensa. tion d' entière
sécurité que la plus folle , la plus dissipée est heureuse
de trouv"r quelques instants avec un cavalier choisi ....
en tre deux eBcapuIJe3 avec des gamins très litres qui
prenaient det; airs di stants, canaill es ou avantageux,
pOur singer les danseurs professionnels en vogue .
Quant à MartinI, conv ié à ces a~;)pes,
il soufTrait de
voir son onchanteresse, sa Muso brillante ct courtisée.
Des émo Lions multiploB déch iraient son cœur. Il
palpitail, tremblait, négligeait de so restaurer. Ah 1
10 pauvr'o garçon !. ..
TauLe son existence , loutes sos p ensées so cristallianienL autour de l'innocente ingrate binn loin de soup Çonner toute l' 'tenduo de la passion qu'elle inspirait.
Habiluée aux hommages , elle était l'idole incapable
do disting uer la qualité des encens brûlant sous sa
frimousse gn ir, entl'alnun te.
Prévenu e par Pierre de Courlieu, elle ne renonçait
Pa~,
avec \1uI'Li al, à ceti agaceries do fill eHe taquine,
bien certaine de lui plaire quand elle s'occupail do
lui.
Elle ne pensai t pas un illstanL qu'elle tourmontait
Ccgrand garçon timide el bOIl, qui l'oug
i sa i~de
plaisil'
([unnd <'lIe lui faisa it une place aupr":l:l d'elle et quand
ello l'écoutai t pal'let' do ses projets, do ues lI'avllu x,
rir.- Scs SIl CCl'l:!
• r
ulun!.
11 lui I.ln ivait mûm , aux hou res d'ennu i, il y ell n
tlJUjOUl'H, m(~e
dan:; ll'ôcxil:i\'ollce.H hl jeuncs IU leJ les
plua fùLé ell, d pCrH:lOl' il ce gU1'1l rustique pOIlI' jouel'
~;
�LE
n'Cll cu:u n
q uan d on man tille sa vic , il y
a tOUj OUl: S un m:.>yC'll
d'en EQ;·ti.t' ave e hon neu r.
l\lar liaI Bla nch ard fit ave c la mai
n le gesLe d'ap puy cr
un revo l ver SUI' sa tem pe .
Edc 1str an soup ira.
__ S1 venge!' SUl' soi d'un éche
c donL d'au tres 1; Ilt
~oupab
l m; , c'es t un dén oue men t à la
Gri bou ille qui ne
fut pas un modûle d'in toll igen ce.
Vou s n'au rez jam uis
la sott ise d'imiL()l' ce mod èle des
niai s .
Mar tial n'insi8La , il cst peu Ilall
eul' ù'êLre com par"
~1 Gl'ilJouille qua nd on dési re
i mit er l\om éo , Wcr thc! ' ,
o toi suic idé célé bré par les ann
oles rom anti qu s ct
l'ümanef.ique3 d'un auLre siècle .,
. Olt de cel ui-ei.
ILl'~ON:;
CIlA PIT HE X
Tou s les v ndr edis , AnnetLe réun
issa il tiC" .ieunr.tj
am ies . Les ft'l:l'es , les cowlÏns, les
uallSeUl'J atL ikés cl •
ces demoiselled les acco mpa gna
ient cL tout l'éta ge de:
l'hô tel de l',Jv enu e d'l':·na , occu
pé pal' l'h{'rili\J\'e de~
de tler vièl'es , l'cLentisoo.it de
c Hint:" do cl'i , de
mus ique s; des npl'ès- 'nidi qui se
prol ong eaie nt le soir ,
t:1\' un bu riol froid t·,\~
ropiOllX por met tait d, 1 ealuul'Cl' 10li 'matou!'!> de dllnb
(;8 qui con tinu aien t l 'UI':;
(( roun ds » le soir.
- 'l'un app arte men t deVlent
\11\ dan cing , liooit
\1. dû SPI v iÙl C.., à su fi 11<, tou
t CP brll i , la tête m'
tour ne, j'ai lu mi fain e, mon enfn
nl.
-. Pm' ce que tu ne dons CfI pus
Il\" e HOU ", \ i pou tnit
Annetle de sa ,"oix a 'ido; ssny , tu
VOl' I'nd .
1\1. de SCl'viüc!i fiO RnU\'liL pOUl' n'(~tr
paB 'onl l'nin L
(1 pC\,(!re !:i011
qui1ibl'o SUI' un punplcL glue" qui
lui
fais ait UIlU peul' bleu e.
�66
L1..:-; ILLUSWNS D'UN Cœllll
nu il1s.~
il la proteotrioe, à la vic simple a vce lui.
DIe sc l'Cp entai t dc l'avoi!' évité, brusqué, lai513é
partir sans lln mot d'adieu. POUl' réparer, elle lIongeait
:\ la oomponl3ation qu'clIc donucmiL à ce pauvro Blanchard, gauohe, l'ruste, inLél'ossullL Loutefois.
Ulle promenade en auto?
Un eoul'it'f':
Une favelll' purtiuulière qllekouqllei'
Ainsi eUe cnLl'uLl'uaiL ln vio de pO Asioll illLél'i"llre
qui dévorüiL 10 jeune humme.
Ne lui nvaiL-elle pas pCl'miJ, 1" \'eill' 01100ro,
d'embrasser sa potiLe main si douce. 11 negligeail de sc
souvenir quo l'agréa bln oért1moll ie du bai 0 main efi; L
un riLe mondaiu, usuel, qu'ull C mou,. r,"Cout e u fait
rennltre ci, qui n'C'ugago 1311 l'ica le eO'lIr' de cello qlli
r,'y prêle.
Co fut l:cpolloanlaprOB avoir iJc,eolllpli eo juli gesLI'
réminiscent cletl gl'fI.COfJ de j(l COllt' uu XVIl~
slècl que
Martial eut l'Iludaop de dumandor' à AnncLLo do venu'
chez lui.
- POIII' VOII' les marionrLOLlclI qui jOUC1l'ollt llla PU'C!
/lU théâLrf' do., Fantoches.
Annette fit lo moue, l'Ile secoull lu lrll', devnl'~
gravo Bouùnln,
- Mon programmo C8t Ln)s chnl'gt~,
(.ht-ello : lundi,
vonte de charité; mardi, thé au Hido, rn"J'Gl'edi, Galon
rio l'automobile' ; joudi, oui, pCllt-ôtl'O jeUdi rt. J'lUi h
e'ost 10 JOUI' dOl:! hO!H, écoliol'H qui l'Cl'ivOIlL LouLe III
journéo commo . vous fniLof:l, jo HUPPOtlC. Jolldi , il
'Iuutr(, heUl'!'H) 1)1 vous voulQz.
Cetto prO!flCSHO comhlail tous le:! VII'll." dl! (lO('t.e. 11
partit triomphanL.
EL les Jours q\li pn)cédôront celle vilüto, il tiornblo Ù
Martial fT\) 'Unt' <{u nti té de p 'tile3 ailn partant do
�LES TLl.USIONS n'UN cœUR
fJ7
eon cœur poussaient tout le long de son cOJ'p.> _t
où
l'emporLaient très haut vers les rr-gions béni~s
réside le bonheur,
Cette sensation l'entra1nait ù des marches rapides .{
tl'avel'S Paris qu'il médiLait de dominer et de captiver
par ses sucoès d'écrivain eL d'amoureux. Illlli arrivait
parfois de manquer étourdiment un trottoir, de buter
conlre un réverhère, et même, un soir, il tréhucha et
tomba sur le pavé glissant qui lui appliqua la forte
daque d'un désenchanlement immédial.
Ramené ainsi aux réalités de 10. vie, l'expérience ne
accessibles dll
lui confia pas ln vision des soulet> joi,~tJ
l'exisLence.
Il reprit de suitn son dlve et soun'l'il fort peu du
norion.
Elle con unlait Ù vlmil' ln VOil'1 quel pus de géant
vers l'accomplissement (le ::Ion iel{'nl. Ln tenir un instant choz Ini, xtnsirr drvnnL I('J potitCA poupées qui
méditaienL ln gloiI'f' POlll' leur 1lT1lmateur. Jeudi, ce
seraiL dan~
son homr soliLair l'instant d'une fécrie.
Pour ducor, il ::lurail deK fleurs splendides et Hlm
sel'vil'aiL un gOÎllcl' dan Je:! asûoLlrs ùe Saxo et d€'J
'erres de BohGme.
Tl examinaiL 30n lo~ir,
III trouvail indigne de sa
prmcesse.
Tl boulo,> (l'BU l.ouL, GolloL '1 tI,·,; III 'ublOiI nouveaux,
transform!ltions q\li firent !tullsHPr lrH f~pauln!
à l'amI
EùclsLrnn.
OIIS fOI,jet. lJien dl' l'i'tWIll'p l' Ù tnlllf'.l cc" réuniong
rnondaines ou OU3 perdez vot,re temps; px:istez tran ,
Iluillemont pour bien trnvnilll'I'. La vie ùe fils d'
famille eL galincr gR VIe f ont des occup3tioll(1 qui
vo,~
jours des O'UvrC3 qu'
/cxclucnL. Il faul s ~por.
01l~
imnt111t z pt je vou~
verro.is vrc pla' i,. mru'ili
�LES ILLUSIONS D'UN CŒUl\
69
Elle représentait un couple délicieux, vôtu à la mode
du temps du roi Louis XV. Deux marié::; exquis parmi
les guirlandeH, les festons el les asL!'ugales, entourés
d'amours joufllus et de colombes et que leUI' délire
sublimisuiL et lrunsportait au sein des plus ravissants
:nuages d'un ciol de WatLeau ou de Boucher.
Grâce ailée, blancheurs, roses eL sourires se diver1
;tissaient sous les yeux eharmés de MarLial eL d'Ede)stran.
- Ainsi jo comprends l'amour, murmUl'a Martial
qui semblail énivl'é par l'image, exacte représentaLion
de son désir secret.
- Après , viennent la saLiété, les regrets, les dégoûlfl.
Tl'Op beau pOUl' durer ues deux côtés 1. .. fit EùelsLl'an
rêveur.
Le jeudi, di sons-lc bien vite, Martial se leva avec
l ' fi l'vi C. 1.1 sortiL, marcha, rentra clans une S0l'te
d'hallucination fuite u'espoir' 'l de bonhrur.
ObseBsioll 'L munie Loul'llaient louLes ses ponsées
vels colle qu'il nLtondaiL.
Ello vinL.
Le floid ('lait \'if. C'éLait lin temps ue IU\Tier, avec,
dans l'nir, deI:! odeurs Lle pl'inLcmps; bi nLôt Paris
l'enalLl'ait nu milieu des fleuI'd.
,\ Illlette enleva !i(1 pelissr dn drap foul'l'éo do petit
'.\'l'i :,, ml(! applll'llL Ho upl' dam; dOd lajnug~t
aux: Lons
virH ut 61I'OiLorn(~
IL moulée, d'ull charme frêle de TaJlitgril Mnlld6 UriJ pli Ramples do la tunique antique.
ElIn saulillait <I:II1 H la pièce commo l'oiseall visil nL
I!TII! cage nouvelle , Ill'Ii" clIo n'l ~
uiL
pUt! soule.
Elle riuit, p0Jlinit, baLLait l'uno coaLr l'autre seB
muin,l tU'gantées oL eHese tourna ver" cellequi l'uecornPUi{llail, ('l'Ile ([lIC ~rul'tia)
lout enliel' il son émotioll)
u ~u joie, uvail oublié de voil' el d'accueillir.
�68
LES ILLU SION S n'UN CŒU
R
av ec une bon ne cam arad e q!li
vou s met tra dan s
l'alm osp hère d'af fect ion, de digniLé
et de cha rme nécessair . s, ind~
s pen
s abl
es à tous les hom mes , s urto ut
à
ceu x qui viv ent de leur inte llig
enc e, de leur tale nt.
Bea u lang age et bon ne sou pe
von t ense mbl e, n'en
dép lais e au bon hom me Chr ysa
le de notr e touj ou rs
jeun e et sym path iqu e Molière .
_ Th éori es , ripo sta Mar tial ave
c aigr eur. Je pou rsui vrai la vie Lelle qu'e lle m'e
st imp osée par de 1
senLÏments don t je n'ai de com pte
à rend re à pers onn e.
'Qu' imp orte le rest e 1. •.
_ Ah t s'éc ria Edc lstr an, si j'av
ai s la cl\a ncc de
con qué rir une Marceli ne IIul'el,
je n'en fera is pas fi
pou r que lque flllotLe coqueLte eL
peuL- 'Lre méc han lr .
_ Asse zl cria Mar tial 6pe rdu, asse
z, je no pcrm t s
à personn c, pas m ême ù m OIl
meilleut' ami , ù m n
coll abo rateur, de four rago r ùan
s les secrets de meR
amo urs cl dam ceu x ùe mes
inùiIT"r enc s . C' e~ t
indi gne de vou s, ceL espi onn age
, ccs crit iqu s, res
insi nua tion s.
Edc lsLran sou pira , il seCO ua la
tête , il para issa iL
affligô.
_ Voilà, dit- il, com men t flon llra
bi fl nos m iU ur fi
intenLions. Ne pen soz pas , Mar
lial, qu e .i e m épri so
l'am our , j le respccLe infinim onL
; une romme aim unl r,
dévouée , qui par tage vos joie
s , vos ll'iflteBtl s , rAt
l'un ique trésor d'un v ériLable
créaLr.llI', uno f romn
qui vou s com pren d. Méflr7.-vous
d ,8 insp iruk iCCB, d eR
Egé l'if'R .
Mal'tial , posiLi verarnL, sc bouchai
t, 1eR or ill eR d SOR
dou x mai ns . Puis 0. gran d .
r.oups 00 mur\' au, il
nfon ça un clou pou r y a ocroch
rr un e stam pr qu'il
trou~aiL
jolie cL qu'i l ava it ach Lé forl che
r, lu vril l
chez un mur cht'n d du qua rtie r.
�"10
US ILLUSIONS n'UN cœUR
- Marceline, ma mie, dit Annette, nous allons voil'
les marionnettes de votre camarade de la Peylouze.
Il était moins brillanl cL moins distrait qu'a.ujourd'hui,
]e petit Blanchard.
La leçon élait rude et Mal'Lial s'empressa
celine, s'excusa.
VOrs
Mur-
- Vous ne m'aviez. pas vuo, dit-clio, cL cela sc
couçoiL, j'étais dans l'ombre, au ron.d do la pièce.
Elle chm'chail des oxcusetl pOUt' IUl, Loujours indulgente cl bonne.
' . ,
.
El cependant MarLlal eLaI Lfunoux de ceLlc p['é~once
importune. lIumilié, il haiss:üL lu tête, l'oLl'ouvaiL a,yoc
la jeul1c dame de compagnie des souvenirs qui le
:üLunienL parmi los seJ'viLcul'I:l de la famille dc Scrvièl'C6.
11 déoouvrait CIl lui LouL fi coup le rusLaud, fil~ dll
père Blanchard, un personnage qu'il impuI'laiL do raire
oublier il sou idole, la l'a vissanle AnneLLe.
En vériLé, il cuL lin J'egal'd mauvo.i!>, vindicatif, Il DU l'
l\Iaroelino; Ll'ouYoJ'aiL-il donc constammont Sur aOlI
chemin dos gCnfl intércsscti il sc liouveniJ' ùe flOIl originf'
: impIe cL paysanne.
Mo.l'celine révcillait Lou Les IlllS Ct'uillLetl d'amoureux
transi, touto!> sos l'lUluoourl;l naissantes de pflJ'venu
hontollX: (IL déjà à demi l'uiml .
Tout oc (IU'il Jll'ojetaü de meltre duus IlOIl discourt;
ij6 Lrouvuglacô.lJ Il vait peuL-êLre ospéré d'un UILe-ù-V.te
chez luia.vocAlInelle, dos joim!inLenI:lOtl , dos demi-avelt
ct dos quul'Ls do promesses.
- Vous avez. l'air tout « chosc », l'ClIlnrqua AJUlctLc.
- Je suit! uno choso, n'plirlua Murtinl o.VCQ nOt.vo.
lIité, un pantin quo vous rounlez aVCG une étonnante
dextérit6.
- Compronds poa, répliqua '-Ill. do SOl'viorc!\ avec
lin étonof'ment d'une sincérité parfaite; monLrz.u~
�l.ES JLLU S ION' D'UN CŒlm
Îl
les mal'ionneLLt>s, nous sommes venues pour les voi r.
Gllomania les poupées, les fit danser ct trébuchi"r,
s'cxtasia SUI' le jeune premier et déclara:
- Il vous ressemble.
La petite personne se tournait vers Marcelino,
la pl'ennit à t6moin, voulait lui l'airo parLagor ses op inions d'où émergeait une raillerie à peine dissimulée.
La suivanLodemeurait invariablement bienveillante.
I\nnettc émietta des gâLeaux, but deux venes d'un
POl'to capilou"'C cl, s 'humai
~ a.
~
C'esL gentil, choz vous, e1it-clle, votre ameubl ement elilL tt up LO date », vous avez du goût, o'est cel'tain. N'CC:lt-rc pas, Marcclin(l, voùs direz Il ma tnnt e
qUf' noLl'e po( ~ Lù a du goüL. Trop rlc flAurR pOlir une gal'l:onniùJ'o, pU I' cxomplo .
CoLto (:r itiquo lt'lgèl'I) cOIlRLcI'flilil l'hlHc .
AnneLLo di!!posnit do HU vie, do ses pens(\oa, mai ,
commonllo lui (lire eL llli fail't· ]Jnl' I.agol' fH'B Rf' ntiments,
Enfant naprioiouRO ot gatl'c, (111(' pouvait-clio COIUp,'ontIre dos illusions de co cmur fOI'ol~rnL
incompris "
Ccprndant 0110 ac('ùp l nit volonliol'fo\ sf>s homma[;\lJ
timiclt,s, hnllluLlnnLl:I, elui \'t"lrvnÎent {lll !'ung d'l1lw
\hIH<' , J'nno proLecll'ico d'un de'butant.
Avonlll)'C oltnl'man t,o, oX ll'IIO!'dinui!'I', ne garçon-U\
fni!:luiL d'l'lie 1Ill(' l'('ino, IIne Ggtlrir. 1;;lévnLÎon imméritt'll,
('or 1'1 10 HI' ~ ()lfinL
fOl' t, pmI <lOci IcLLrl'!I, dos art, bipli
Ip11l1:I int ('rCII,\(\1) pl1l' 1111 1'l\id d'nvintiol1 1'{1lO pnt' le vol
'Iil' la Joconde, POlll' pl'II qU'111l h:IIHliL 9'n\"1 11 (le If.'
('onO\1 vell,!'.
l.;Ho lui drmnll ln d'impJ'ovÎ aer lin qll:Jtrain, roniR
l'{;motion do lu préscnrl' uinll"f' rl'ndnil ln lyro ap honp.
Il s'excusa .
. - Tout ce qUl~
j'I;cris VO lU; e t ùu:,titl \ murmura·l
1, confus.
�72
1.ES ILLUSION ;:;
n'u -
CŒTn
- QUO vOùlez-vous dit'o , répliqua Annotte obstinée?
Et vous refusez do cGlébl'er ma visiLe par quatre vers
do mirliton?
- Ainsi composés, ils serai ont indignes de vous.
- Si nous lui imposions los rimes, dit-elle en se
tournant verd Marceline, absolument comme le public
fait au chansonnier Noël, il la l30îte à Diby? .. .
Voici co qu'elle comprenai l <l'lm art sensible,
!'.ublime, qui porm ctlait d'exhal cl' harmonieusoment
lino peine cl 'amollI' i nflnie, les rdonlementd'uTle vassion
qui domi nait IInc ûme, des sens , une existenco de lJoèlfl_
- Vous n'ôLef; pa f; sp il'itnol, r( ~mar
qua
J\nc~le,
eL
jr. commence ù trouv er mu statio n ici inconvenante. Venez lVlul'colinc.
EIlerepritses foul'rlll'es, les endossa, poudra d'ocrr
son v isage dl' blondo cL laissil deniôre 0110 l'enivranl parfum d'un Chypre tY"f! coneenLI'6.
Ouand 0110 fut SUl' le seuil, l'immonse douleur de la
voi~ partit' élreignit Mal'tinl et bouleversa sef! trait!;.
j\nnnLlc cossa de rier, soupil'a, rllo regardail alternativement )e jeuJlr homme pt sa Gompagnf' .
- Sorroz-vOlIB ln mnin, fiL-rlle', Li rD fOl'L, cal' jn VOl~
aime Lous Jef) doux.
Tom; les deux, prnsa iL l\1al'liul aprps 10 d(:pal'l de !lCS
charmrmLes VlRil IlH CS.
Tous los doux 1...
t:L ilcompt'onait dans ces mOLA jCll'S un peu ù l'avellLll1'C pour' Je consoler, uno dt!c]oration p01l1' lui. U 1\
Il veu pl1diquem nl voill! comme en f)nl 1eR louLl's
jPllnos fille,; au premier fr6mi oHomont d'uno lendl'osse
eneoro nébuleuse eL diHicile ù d('flnil'.
A la pOJ'to, l'auLo et]f' '!tallIToUI' d'Ann eLLe nLlen,laient, eL meme dans la voiture Li C'n close cL ti 'do,
Pierre de CourliC' 11 accu('IilliL l('~ jcunes fillrs.
�LES ILLUSIONS D'U~
CŒUR
73
- Pourquoi n'êLes-vous pas monté nOlis rejoi.ndre,
demanda MUe de Servières au jeune homme.
- Qu'aurait ajouté ma présence de grâ0e aimable à
cette visite humanitaire. Vous avez \lll cœur Il'or,
Annette, et je m'associe, en pensée, seulement, à vos
opinion, politiqu2R, socialistes, égaliLaires!. ..
-- Oh 1 monsieur!. .. fit simplement Marceline en
fixant avec sévérité le jeune gentilhomme.
Mail' la voiLure si douer rL si souple emportaiL srs
occupants au sein d'un lrJ hien-êLre, ft uno vitesse si
rngagean Le et dUlls une atmosphère tellement soignée
rL délicat " (Jue divergences cL ressentiments f\'étrignil'enl, vaincus, par la quiéLude du crmforL.
Soule, AnneUe eût J'audace de braver pal' des
r.iguollrs coLte bénLiLude.
Sache?:, fiL-elle lm J'egardan l Pierre de COU l'lieu ,
:[ue vous m'arnigrz quand vous tenez drs propos bla611eurs SUl' :\larLial B1anchnl'd, vous nous blessez l'une
rt l'oull'e. 11 courlise ogréab lemrnt en moi cerlains
appl'Lils midinrLLes que je trouve très gentils, moi.
EL de quel Lon la jolie Ann eL te appuya su r ce
moi » autorilaire. Le Hoi Soleil, jadis, nI' pl'ononç'ait
pas avec plus d'emphase son fameux:
« L'ElaL c'osL moi 1. .•
Il Y avait duns cc moi de quoi faire r('f1pchir Pierre
do COtll'1 iCIl , trop l'aCr pOUl' t'trI' un v!llgnire coureur
(1
rI(, doL.
'II 1\ PlTlŒ Xl
Pierrc sc duvoua ct pOll!' mifl!lx sUl'v('ilJcl' 1 pOf' Lepaysan qu'il trouvaiL dangrreux pour la pel itr AnneLte,
il devint son ami. Un camUl'Ude qui savait garder Res
dis lances, mais suffisamment intime pour avoir lu permi8sion dc lui donnrl' des conseils.
�7ft
U: S II.LUSTO N ::! D'UN CœU R
_ Comment, lui disnit-il, VOUEl n'êtes pu fianc~
1
C'est impard onnabl e et compromeu,c{ht p()ur l OB jcunr"
tilles du monde que voUs fréquentez. Il faut changc )'
cela.
- Je suis très occupé, r6pliquo. Martial.
- Douteriez-vous du succès de votre pièce?
- Un succès de marion nettes est-il telleme ntsouh aitable, soupira it amèrem ent Martial.
- Un pou do gloriole, do vanité satisfaite, ne son L
pas la gloiro, je 110 l'ignoro PlU!. J'ai d'autres préoccupations, Monsieur de Courlieu.
Les incertit udes de co débul RO changùrent bionLôt
en cerLitude fûcheuse. TouL le spcctaelf\ de la 80èn
mignonne dos Fanloohes {'choun foutu d'exhib or un
parisianisme ou LranCiÜl', indispe nsablo ù ne gt:'ure de
Jivor'LisscmonL.
Lu pièco tragiquo de Martiul Blunchal'ù no fiL Ili
loire ni plonrol' deR auditolll'S indi!1'ol'onLa, assoupis, (>1
Mal'tial rcpdt lOI> IJoupéof! rU8~01l
qui Il'intél'c BBuiont
pas le pulliio.
Annrlt e, Mllrcel inr, avaiont applaudi do conflance,
prosquo Iln nf! ,;COU\'C1l' lo!! lirade" moins onplivuntoij qU I'
IOlll' autr uI' bafouo, doulollroux, inoorII)Jl'iH,
qu'nl
l~:1
prirent la peine de consoler' cL do leur mioux.
MUI'Liul avait, III coour groH, lin vériLablo OhUglÎI1
d'rnfnn\' on l'nmonnnt nu logis l Oti mnrionncltcll qu' il
trou vaiL ridioulcR, fan t'CB , mnprisu hl f'f:I , l' t q\l'il uccu:Jrli l,
d'avoir romblé la coulpo UOHOB mnllteurs cL do sa !'11 i 1\1' ,
fI songcait fi fllil', h s'édips er pOUl' ne jamnitl l'npu l'oflro 01,1'7. Irs do SPI'viùl'CJ> qunl1u il l'uÇ UI, un e invi t :
lil)fi pOl1l' l1nr' r,~L
! ' rn fH"nifiqnc eh. '1. \nnctlo dl' $01'\ 1.
..n.
Fa vo u!' insiplO, U{llllOL l-H!I';,Ol Ul'I, l,l it joln t '.\ llm i
ta tion impJrTI"'~
pl Il V vait bi pn lu do quoi ruirC' pCl'-
�LES ILLUSIONS D'UN CCF.Ul\
75
dru encore la tête à l'amoureux tt'ansi et seCl'()tornon l
éperdu d'espoir Lout à coup.
U retrOllvait do l'énel'gie pOUl' boire lllie gorgéo de
poison qui l'enivrait et qui absol'bait su vie.
La revoir 1.. PouvaiL-il refuser cotLe joio passionnanto Jo la regarder on silence, toutes ses penséos
métamorphosées soudain Cil féerie dont elle étaiL
l'animatrice, la princcôse Golconde. Elle changeait en
diamantô los abominables cailloux J'une destinée
'(lU'il rendait muu vaise par sos négligences eL SI'lS rêvc!:l.
- Voyez-vous, lui insinuait Piorl'o de Courlieu, il
\ ous faudrait, pOUl' vous lancer, une amie élégante,
connue dans la monde des théâtros. Vous écririez pOUl'
ell0 un ,'ôlo avantageux eL VOU8 commanditorioz
080mblc lIU direcLour qui montorait la pièco. 11 faul
pour plairo, Ù Paris, ufTeeLor dos airs heuroux, s6dui
rioul's.
~A.nts,
Uutile oonseil 1.,.
- Jo n'ai pail plU!, le gout du blufl' quo cclIIi de la
débaucho, rrpliqunit sévèroment M fl rti al.
Pierro donnait au JloMe déconflt des poignéns de
mains de condoléaneolj, poussait des lIoupirs en l'ahol'dont, l'llpprlaiL : C' lluUVl'c MarLial Blanchard 1. ..
_ Jo vous plaills, disait-il.
larlial supportai t uvec l'Psigl1uLion la pi Lié do Piorre
de Courlieu parce quo sa f!'6(lItenlution 10 rapprochait
de 8011 idole.
Mais il réagissaiL mul coull'e 80n BorL, passablement
humilié, [lfonant l'habitudo d' Itro un compal'56 5o.ori-
lif'., elTucé, dans une peLiLo sociétci jeune eL brillante
où forcément 80n origino 10 rapprochait dos suivanles,
des confidrntes, de Marceline pal' conséquent et de,
douniri reB, de Mlle de Sorvif'ros, la honno tunte de
l'fJpi~gc
AnnoLl .
�76
LES ILLUSIONS n'UN CŒUR
Il faut dire aussi que cette excln~
personne
montrait une grande douceur et beaucoup d'amitié à
celle qui prenait un soin tendre du confort intime de
ses vieilles années. Elle répondait à cette affection
discrète par des attentions qui engagentJes cœurs bien
placés. Mlle de Ser\'ières tutoyait Marceline Harel,
l'appelait constamment « ma mie ll, s'intéressait à ses
sentiments; elle Jo. blâmait de trop choyer 10 fil s
Blanchard.
- Mon onfant, disait-elle le Boil' à sa demoisel1e do
compagnio, mon enfant, tu n'cs pas guél'Ïe do ta
sérieuso maladie. Mais si ~u veux soufJrir, je ne pleurerai pas avec toi. Marlial est un sot. Les gens de son
espèce ne manquent pas à Pari s. Ses caprices sonL
des ordres pour toi. S'il ava.iL besoin d'un chien à
roueLter, tu laisserais là ta vieille amie pour être son
jouet. Tu cs incorrigible. J'ai Loujours aimé J::\ tranquillité ct je ne Lü comprenùs pas. Tu voudrais qll'il
t'admire. Ce serait joli, si ceLLe fanLaisie lui prenail.
Elle te mènerail Join. C'est un bonhomme à laisser
ù ses rêve s embrouillés.
~ cc jeune soL cL Lu l'oubli e« Je n'inviLera.i plus jami
ras.
- Le pauvl'c garçon! suppliait MUl'cclillO; il peuL
dt· venil' malh eurcux.
L cs yC\J X do Marceline (;LaicnL pleins do lal' fi\:?:i , d ie
joiguiL lO G nl ail1 ll ,
- Nu L'a llllgo pa ~, nons VCnOl l!l la suit.!' , Ello , el\l
mi cux pcut-êLl'tJ
fJ.110
ùouairÎl)l'c dl) SI.'n i, l'
A la J é('''p l!i'll du
~, :.t lr'
: [J ; il av('i~
no pCilflr.H ,
lH
P~
IJO ll elltllit.
ln boit Il''
,
[l ad!) t;'.ljo ulll ipII C Il 'B fDI'r.i 1
v GU 011 gl'un d soiglleur pend uL
�LES ILLUSIONS n'UN CŒUR
77
plusieurs mois et ce bourgeois, de so uche paysanne,
n'avait pas, à l'idée de sa ruine prochaine, la désinvol·
ture d'lin aventurier ou d'un grand seigneur.
-- Riez , amusez-vous, lui co n ~ema
i t Anneltf', le
bonheur vou s viondra pal' la suite.
Quant à Pierre de Courlieu , il soulignait volontiers
la mélancolie de l'humble soupirant de la charmante
enfanL que M. de Sorvi ères lui confiai t .
La pitié an éantiL lus meill eurs courage!': , et Martial
perdait ses fo rce~
à gémir sur lui-même, il demeurait
sans volonté ot ne songeai t pas à fair e sa vie, à
romou're dl'oiLo sn desLÏnée mal en gagée .
AnneUe ne l'aimerait jamai g, il ne travaillerait plus,
Jlourquoi vivrait-i I?
Le printemps r C Ilai ~sn it , MUI'Lial se promenait seul
dans]es alléO!l du Bo~ s . Jl était las et déco uragé .
Avec les bourgeons eL les feuill es , une nouvelle
pou ssue d'espoir, ùe courage, devaitle solli citer. Plil s
l' ir n ù éclore dan ABon âme. TouL y éLaiL meUI'LI'i, son
amour eLses ambitions.
La campagne me ferait du bien; me l'emetLraiL,
songoai to i1 parfoi s.
Je vl'J'l'ais lcs p,'emièrrs yiol eLLes, ell es sonL douces,
leB fl eurs Ro uvo ges. L'anniversaire de la morL de mon
père al'I'ive, j'irai lù-bas. Mon père! Mon pauvre
père!. ..
Cer'lain jour f)Ù cc piteux dél'acin6 pen saiL peut-être
a u suic' id e, un coup de sonnette le FlortiL de sa rêverie
malsa i nI' .
EtHstl'an nLrait, il lapai L su r l'épaule do Martial
famili t\rement.
- H ô! vieux, tu dorR 1 demanda-t-il. Tu devrais
tl'availlor. Une arrnirl' manque, il faut courir YOrs la
,s uivanl e. nouds- Loi co mpte !
�78
LE S ILLU S ION S D'UN CŒUR
- Travailler 1 A quoi bon?
- Alors il faut te promener, faire quelque chose.
- 1\1e promener 1 Pourquoi?
- Vrai? s'écria Edelstran, tu n'es pas dig ne d'être
mon camarade .
- Aimer sans espoir esL très douloureux, soupi,'a
Martial.
- C'est bête surtout, riposta EdelsLl'an. D'abord lu
ne l'aimes pas 1.. .
- Je no l'aime pasl ...
- La vanit6 Le poussa iL \' 01';'; ello, los chichis, lü) .
dentelles, les marivaud age!! . 11 ne faut pas jouer avec 1(;'
,l'eu, on s'y bl'ül e. Qu'avaiS-Lu besoin de flirter avee
cette rei ne qu i a joué un instanL a v('c Loi à la bergêre (
- Possible, rupliqua Marlial, mais jo chéris enco!'?
I.a souffrance qui me vient d'ell e.
Edelstl'un abandonna 10 1'l'VOUf à ses pensuesd'araouI'
obstiné qui, par' un phénomlJne de t(,!ppalhio peut.êtr,.,
l'urenL largernen l l'èeompeusées.
Un pneu lU'I'lva, un pneu couvort ùo l'immense éCl'i
Lure d'Annelle. Deux 111Otg, Lrois uvec la signature,
couvrai ent ft p flU pr" fl Ip- feuill el h!l'u qui mit du Giel
dans l'ûme de 1'6p lol'(' SOli Pi1'll nL.
On l'appelait, on voulait 10 voÏJ' p l P T' SU I'cron de
bonheur, Il do\raiL 1(' Jrmd main l[,oll vel!' ,\nnotLe suule
ùans son houdoiJ'.
AnneLLfl était bOllll(!, jn \ OllH l' .li llil, uL l'Il\' dosait.
mal spa hionfnits, ~ i hien quo, pOllr ron.:olel' Murtial
désl';lp ("'i\ olle 1111 d{.r'oohn :,0,1 ~Olr'I
'\ lpcl plus vuin .
qU CUIS, les plus BnjoUfill f' t qu'plie lui WJ1 mil l','mbr 1.,Nr ses 1I11liml, le. dru , ,\Ver 11111' f ('1'\ '!\lI' qui h.. i
parut quclfJulJ pen c. Hgél":'(' f't I[Il 'n lio mit 'ur 1"
compto des dr'boin)'J du pO..:li'.
- Attendu, osa- t-elle lui Jin). qll l' l'lB toulOU~!.
�LES lLLUSION S n'UN CŒUR
75
eont. jamai;·l éLU3,;i affecLueu - qUt3 lort'lqll'iJ!l onL dl.
chagrin et qu'ilt; souffrent,
Ct Ecoutez, ~hH'tial,
j ai sougé qllo VOW! aviez gl'anil
lorI, de vous drcourugcl' , Moi, je vous tl'ouve du talenL,
Maroelino vous Ll'ouve du talent, ma taute vous trouve
nu talent, PipI're n'afIirrnc pal' du LOUt. q Uf) VOUI-l en
manqllez, Ecl'Ïvez un roman, tout )0 mondo éCl' i~ uu
roman aujoul'd'ILUi cL moi-même j'on compol:it.ll'ai peuL,' tre un pour oharmor mOIl ennui, le jour où j'aurait;
du vague ;\ l'âmc.
Vous n'en avoz donc: jatnais ~ iuLel'1'ogoa timideluent MurLiaJ.
Pns 10 Lompli, ulOu-z-ami, comme dl~ait
José phine
Bakor, unc do mcs udmiraLiow3.
Un soupir douloul'cux sortit des }(hrros onLr' ouvnr\'Cl:i
rie Marlial.
Annoitn ômufJ t\\;I\I'iu :
- Que fairo 1 Quo l'am' pOUl' dibLum:er' vottn rarlll'd,
J'6crnsor, 10 réduil'tJ Ull miettos, LI 1l6uuL.
- Je Buis hCUl'OU - tluand jo SU IS prèl'! de VOUS, m r,
roupirs, croyez-Io, oxhalan t. mon 110nheu1'.
- Ah 1 c~
pooLe!;, Gomme ils savent lOllt diro 1 liL
,\lInette enohuntc\c. J o vous pt'OpOIlO uno belle randoll néo OIl !luLo, un rxploil, du cont il l'h ou rn Jlour fUlrr:
ln nique ft Illon r{~"(',
un rhullfff ur, Cllli lIont d'un prudonco lIonl 'use. Votiez-vous;'. '.
- Mai!!, mlJi IUIRHi, jf' suis P:'Udl':IL, cL je ILO voux
pus Ùll Lout rÎH(!1l01 11ll1lOcid(!nL dout VOliS HOllfTril'ic7.
pat' lu BuiLo,
- VOUIl /'Orl~(Z
de pUl'Li,' HVI'U IIJ.JL' JI' eoudui ù
"lIvil', j'ni mou pm'mi , VOU!! av(~z,
(JL jf) Vf'UlI. absolurn nt. m'ofTl'ir uo l'flid soi311'\ . •J'ai song!, à vons pour
rn'Ilocompagnet purce qlln VOIHI faiL .i LouL co qUI) jo
\t' IIJ\, je J'Ill ,'omnrq n{'.
�80
LE S ILLU SIONS n'UN CŒUr.
Annett e souriait, cal me, ct elle rappela à Martial,
pour le mieux tenter, cette fam euse promenade cn
têle-à-têLe dans la forêt sublim e voisine du châtea u
de la Peylouze.
- Une pareille équipée, que dir::t M. ùe Servièr es,
remarq ua Martial hésitan t , t!'Oublé.
- Vous préférez sa tisfairc mon pèrc, me dl:noncer
ct perdre mon amitié-camarade .
L'amour-camaraùe, so ngea Martial, nait n.pl"S
l'ami Lié-camarade.
- Ensemble sous Je soleil, dans la vitesse , quelle
source d'inspiration, lança l'éLoul'die démone Hviùo rie
se distin guer en chauITeuso ct hour cus'-' d'en trainer un
cavalier.
- Puisque cclà vous amuse 1 rit ?l-lut'tial contlc!lcendDnt, ot quo vous ne lrouvez {WS étrange de partil'
ainsi avec moi. Car enfin ...
Un éclat de l'ire perlé , aig u, acitlc, rùponùiL ù cc
sc rupul e que la peLi ta Anl'~Lc
lrouvai t étrangr , vanitellx , ancien, pl'ovinco terribl( 'll1cnt.
- Quand? inLel'J'Ogea MUl,tial dt',ci(l,j.
- Demain, d('main. Oh 1 VOU fJ éLt's e;lull'manl,
;;pontané commo doit l'l'lro un jeun e hom!llp.
- Ah 1Annotte je vouùrais tanl vous plair ,1
-Mais jovous trouve tl'ÙS , trt-s gentil, je vou::; aIlSL1l' i! ,
:lIlstii genLil que Pl\)I'1'(', Gérard ou :\licl!('I, u t';; gUI'ÇOll!
i
pl u:; hup péll, muis müin:; int"lIi ;l'nt,; ([U" VUU3.
- VOliS m~
l ruve
~ intelligunL, Allrtl' UIJ?
- Oui, MnrLial, surtouL CluanJ VO ' I!; IH'oh ('i:js(' z.
Il l'appel aitAn IH'Ltc, demain il!; pa, ~i 1"li,' nL ('nd 'fuble ,
e'éLait là le débu Ld'une intimiLé pl'ümût teuse. II élaiL
pris comme ù la glu.eL inscriviL SUl' son carnet do noLes
l'a dr (,~8e
clu garage cL l'heure ùu rcnùez-vous qui let!
l'éunil'uit.
�LE S ILUSO~
81
n'UN CŒUR
- Où irons-nous, dnmanda Martial dans l'intention
de se munir d'une carLe?
- Forêt de Fontainebleau. Pas de confidents , je
vous prie, des gêneurs qui diraient tout à papa.
- Soyez tranquille, je n'ai pas envie de saboter ce
projet ct de me priver d'un grand plaisir.
- Que je partagerai, fi t Annette avec un sourire
délicieux qui acheva de mettre en perdition le menlor
improvisé.
CIIAPITHE XII
Annette avait compté sans son hôte, c'est-à-dire
sans son excellent pore à qui elle n'avait pas confié
SOIl projet d'escapade.
Avec sa permi
~s ion,
la course écheveléo eut perdn
son tour il la fois romanesque et sporLif, c..t d'ailleurs
l'eut-il permise?
Mail:l.!l.(\uLr.e part, pouvaiL-oll appeler esca pade ct
douter du consentement il cc proj et de M. de Scrvières,
li n père iùéul , tout à fait ù ln page, qui laissait uno
liherlé tl'IlS grande à ~a fille .. . il Ja. condiLion 80U8entenùue quo celle-ci Ile se permît pUo d'on abuser cl
n'oubliâL jamais de lui donner un emploi tl ès exact
de :,011 LeIDI)!;.
Lo matin, pendunt Je pl'e miel' déjeuner qu'ils premÜLnL ensemble, AuneLLe l'ucontaÎL à son p61'o ses fuils
Lgeb tl'g de la veille eL ses projeLs pOUl' la journée.
Ce bavardage explosaiL ct ce papa devait parfois
l'aire un oITol'L pour Je sui vre.
Annal t') dcvcnuit femmo; il cuL voulu connuHre 1G8
pre miers f'·rnoiH tic so n G'IJur, ln conseillc!', lu guider ;
Ilt~'fs
qu'il lui se mblai
~ cruel pour 0110 de n'avoil' pas
cfl' m \l'u Gl diflici)e pOUl' lui ùe rrrnplucer Jo. Lendl' 'sso
(j
�1.ES lLLU S lO l'1S T) 'U . C CE'
~
maLernelle, sa perspicacité eL son adl'c3se quand il
s'agirait, pOUl' Annette du choix de la vie.
- EL aujourd'hui, que faia-tu ~ demanda M. de St'ryi èr es ?
_ . AUjouI'd'hui 1.• ,
Trop hal)iLu 6c it la franchi so , la jeun e filla n'avait
pas proparé do mO!ltlonge:; ct. d'nilleul's songea- t-elle
toul à couT> pourquoi invl'nlc r t.'lndis que Ja 'Vérité
Mail Hi natUl'cll o à diro.
- Aujourd'hui, j'irai à Funl,<llllcbl"ûu d:lD!1 ma
Delage, avec Martial Blnnr,hnrù,
- l 'ourq uoi uvec Mu rLinl 1::anchal'u, peLile fille?
- llernplacern mon chaufl'ouf' dont, ln présencc perpétuellc m'assomme uL qui Il l' veut, jamaiH ratl'S de
vit(lSSO comme jo l'e ntenus,
- Tondis que MartiA l faiL ('I)mmo tu vellx et VOUf;
vous casserez ln figure onRombln, commn proj et ,
Annolle, il y fJ mieux, Lu dovl'nis trouver qnelque ehOM
ne plus fU tlS Urant pOlll' Lon panvr(' papa.
AnncLt,(l s'{olança ven, 60n pl'rr 'L, calinn et cnjolousc,
l') JJ el'embrlll'lsnit. ] lé ct uoi, vrnimont, son Annette voulajt
ahsoluml'nt courir los grunch; rheminll avec le gars clll
r re BlrOchad~
Que signil1 o.it CcL 6Lrung' apricc:'
M. do Scrvièl'os avait it Gel. instant flon air le pl! ~
grave, Ir plus impol'tunL, cl (le qll'il avnit n (liro hli
~emblai
Ri (liJlicile à énoncer .
- Tu ct1libl'odc ton ca; llr, mon cnfant, dotn nCHtin or.' ,
cl nujourd'hui. 108 jeunes fi11 ol1 Ront hahitll rCH ri vivro
('fl
01
camarades n'Vco
1('1'1
jeullcfl gons, mai!! , jo
m'()p~f1
ton }ll'ojrL.
Pourquoi 1:(' Inn, papa. Fâcll(;, pOliL l'apn, pOUl'
un" prompnaue ~ Fon!ainrbl"'l\l. 10n cerur n'cs P:I:,
lm jf n, tu peux ) f') ('roi rI' ,
- Sait-on jamais, mOll cnfnnt. '1'11 Ni trps Tlch r • .
�LES IL L USlO NS n 'UN CŒ UR
83
tu sais, et aujourd'hui il y a des ambitieux dan s des
31asses de la société dites laborieuses ... autrefois, jadis.
- Les classes laborieuses , oh ça ! C'est trouvé, petit
papa, comme tu as de l'espl'it 1 Que tu es drôle 1. ..
Annett e riait aux éclats.
- Ce n'es t pas que ton camarade Pierre de Courlieu
soit plus riche que bien d'autres, mals il est padait
d'éducation, de mœurs, de manièr e.> et un aide précieux
pour moi, pour' toi, enfanL for Lunée.
- lHaïs que veulenL dire tou s ces propos graves.
- Il sont matrimoniaux, mn peliLe j\nneLLe. Je n e
pui!:l passel' mes jours ù écondllil'e dos gal ants; tu eB
cou rti sée , tu voux courir en auLo. Je voudrai s t e marier,
ma peLite fille.
-- POUl' diminuer tell l'es ponsabiliLl's .. . en cas d'accident. Tu manques de bru vO W 'P pOUl' llll de S ~ rvi è r eJ ,
li t AnneLLe, potit papu.
Ell e I pv~ I i L lm index !:léV~
/' e cLj uBLici ot' au-dessus d •.'
lu UlLe chl~r
i e de co papa ({u'e1l e aimait üno rmémcnL
pOUl' lOIlLes ::les gâ Leries t' l uussi pal'ce qu'elle sava.it,
qu'e lle ét.ai Lson bonheur uniquo et sa préoccupatiun dl'
lOIIS los iuslan Ltl .
- Je renonco :\ l"onlaineblenu, dit-elle, j'enverrai
ua pneu pour le Il(lc.olOm undnt' ù mon chauO'eul' béntole, Martial Bl u Tl c h~ I' ù.
- N'écris pa3, \ uw'LI (" :\ CI' pandoul'. Laisse-Je
lorober sanli un lIIot d'excusp .
- Oh 1 papa, e'ps Lbien Ill Loc hunL 1 hien impoli.
- Il ne faut pns l'rncouragt' l' puisquo nous prpféroll'l
Pierro ùo Coul'lil' Il pl ll lll' 111 ~()/'US
sa l1ancl!e avant
peu de jourll.
- C'est néccs.3airc, tu crois, papu, ne mari ugt'.
- Très , mon cnfilu t. , Ta vie de femme ser it munf{urB si tn contracttljq Cf'I lJ.int.'') ha.bi Ludes éxnancip( f l
�LES ILLUSIONS D'UN CŒUn
85
verrai plus, de longtemps au moins. Papa a raison,
cette fugue pouvait devenir un accident. Du cent à
l'heure , merci, on ne m'y prendra plus à souhaiter des
foli es.
CHAPITRE XIII
La façon expçcliLive de M. Denassis pour chasser
Ma! Liu! Blanchard de son splendide garage ne mérit e
pas d'ètl'o raconLée.
L'enLreLien faillit tourno!' au jiu-jitsu; il faillit
6eulement, cal' le jeune homme, soucieux d'éviter une
altercation de palefl'enier, n'insista pas longtemps.
11 aUendi L dans la rue, pendant une demi-heure, '
patiemment, l'arrivée d'J\nnette sous la surveillance
du garagiste et de so;:! employ6s méfiunl,s et il s'en
alla tl'istement, bi en convaincu qu'empêchée, etpeutêtre désolée d'un contre-temps, MilO de Servières
n'avait pu venir le rejoinclt'e.
Il pl'iL 10 métro ct oxpéditivement l'catto. chez lui,
c.,pérant y trouver l'oxplication de co «lapin n, comme
n'eut pas manqué de ùit'o l'o.dmiratrice du langagc
VCI't chor à Maud Loti cL à .MistinguotLe.
Vainement il attonùit un jou!', doux JOUI'I:I, submorgé
pou ù peu par l'inquit\ tudc ot la désoluLion. Il aJ'penla
['u vonue d'I':na, osa sonner à la. porto d e son Inl'anLe
cruGlle, no fuL pas 1'eçu cl, dcmcul'U quelquos instnnts
sidéré pal' J'air ironiquc du larbin qui lui 1'cfuGU l'entrée do SOli Paradi 3 torl'osLre.
Murtial rnédiLu 10 Solt"enljcm1lte (Jaric, mai., saus 10
ckl.l1tel', même sur l'ai l' d'lin de Profundis.
De plus, 10 couplet 10 c0fi301ait, cal' un capl'ico
fl'.\nneLLC' pouvaiL aU1ci bion le fuvoli ser.
ouLmgousement
Cependant Jo clou final de cc s l~oLch
Illl;luncoli'luc, les joul'Ilaux, dons Icul's nouvellcs
�LES ILLU SIONS n'UN CŒUR
et garçonnières que l'on commence à tol érer chez les
jeunes Hiles , m Gme dans notTe monde.
~
Commo t\l dis cela, pnpa: Il notre monde ». J 'aime
m'en évador parfois, ainsi catte promenade que tu
réprQllVeS me tente follement.
~
Ne revenons pas là-dess us. Finie, entorrée cette
histoire, fit M. do Servières on se levanl de table.
Prudemment, son premier soin en arriva,nt à. son
hUt'eau fut do téléphoner au garagiste de ses uutoli .
. Défense formolle de laisser sortir la voiture de t,lllO Je
Serviêl'es.
- Qui est en réparations, si ma fille jnsi&le pour
l'avoir. Quant au jeune homme qui so présentera el la
demandera, montrez-vous bref dans votrc refus. Aucun
ménagement avec lui. C'esL l10 avonturirr, je crois,
p out·être. Vous avez compris, M. Bénas::!il! III y a tant
d o jeunes chonapans qui l:ie pl'OclIre nt d os auto,) s:.tos
bourse d élier. M'éTIez-vous.
Quant à Annelle, qu oIque p eu J éconc ul'léc , elle
rentra Jan s sa chambrc. Elle mania un in stunL zon
stylo, son papi er à lettl'es , CQr la tentul.ion de prflvenil'
M~rLial
Blanchard eb d o s'excuser élo it forte .
.l\ai
~; plus puissante encore demollt'oit, citez dIe, une
eÛl'Laino habiluùc ù d emi in consc il' IlLo ù'u!J6il' à son
p,\ re.
Son autorité s'était montrée eonsLamment ';[11'(', hion.
veillanLe, il avait raison toUjOUl'B et pour n {>gligpr so;
conseils ello devait fai re 1111 oll'orl, il èLail pills simple
de les suivre. C'est co qu'elle Î1L.
Des projets , pen sa- t-olle, on n fail tous les jOllrH
qu'on lai s~
tomber. Non, mai s, suis-je ohlig('c , pat co
quc j'on ai po clé, de rflUliscr millo c t lino iml)r1ù
e nce
~
a vecce I3Janchul'tl.ll a dei cOl'lainomt nLm!' l es suggérc[';
il m'cllnuio uvec son éLl'unge mugnl' Lismc ot jo no 10
�86
r. ES ILLUSIO NS n'u~
Cetun
ruol1 r laincs, le hli apportèrent, ou plutôt le plant"l ont
dans Bon cœur douloureux ct angoi3eé.
SimulLan6ment, Excelsi01', le Journal , le Figaro ,
l'lteho de Paris annoncèren t les flan çailles et le
prochain mal'iagC' de MIlO AllllOtte de Servi èl'oS avec
M. Pierre de Courli eu.
MarLial relut phl Siclll'i':\ foi s, jU ~ (lU'Ù
Cil êlrn sature,
obsédé, cel, éeho fuLal qui terminait" BOU S un coup do
massue formidable, Lous les miragefl nvollturoux et
les espoirs risqués d'uno amourette dont il a \ait t fi
l'unique palient ct le Reul erratcul' avec 1'aide de
son imaginaLioll Deurie et porwc au," fantaGmagorios.
Et MartIal, seul dan s Hon apparLement, apres larag(1
éteinte, sentit veni r le désespoir. Supplice ct drception,
il pleurait.
Annette l'avait-elle berné?
Mais non, l'inconsciente (llifnnt ignoraiLle mal cru'elle
faisait.
Une crise cl la rmes Je j ta SUl' Hon li t, de grand I;
lianglots le secouuienL.
Certains rient deB ehagrins d'mlfanlH01., rlclI lem~
d'amour. CeR tOUl'mcn
~ HI) f'NISemhJrnL f' t no lr H
apitolonL pas. Leur v('hûrnencC' r:tonno Hall S ut,tendl'ir.
Mais CO\lX l'lui (lnL iJiml', Geu); qui on\, sonflert" Iri;
comprenn nt oLne rient plu!!.
Apros avoil' maudit Annette, Murlinl fie repenLait.
11 l'accusait, (JlIc.
Martial fIO lova, il tr mblalt. C'No.it la llevro f'l
l'angoisse. Dos idées sans li n~,
sans suito, galopaient
dans sa tôto brûlante. Annetto ~taj
prns cle lni. Il ln
sentait, il la louchait, illIli parlait.
�LES ILLU SION S D'UN CŒ U R
87
L'apparition s'é vanouit, AnnetLe ,;Lait perdue, elle
agonisait, ell e mourait. MaiR non, elle l'· tait dans
1 e~
bras de son fiancé.
- La sauver, jc veux la SalIver ! criait Martial qui
avait le délire .
Il s'âssit SUI' son lit. 11 avait soif. Vit!) à boire. Il
étendit 10 bras et casso. un coITret de porcelaine do
Saxe .
La sOI'vanLe aLtirée par le bruit arriva.
Mur LiaI bégayait. Cc qu'il se ntait, il ne pouvait
l'exprimer. n KO ldll'UiL, il élouITaiL.
La servante cLTl-ayéo COlJrlll chez Ed clsLran.
L'arList0 f;tn it chez lui. Il prév inL un médecin eL
arriva. Il d ôshabilla MarLial, le coucha. 11 grelottait.
L es Ho uhres(i uLKdo son r::orp8 rojetaient le8 drap::!.
Le m {>decin OI'donua un calmanL.
-S'il pouvaiL dormil', nL l'ami, il irait, mi eux:. E-;luc grave, docLelll' ?
- Ce doit 0\'10 flnc n ÙVl'C c('r6bl'alo ù déhul
dramaLiquo. Cel p ent durCI' lin cerLain tellllls. fI a Jt'
la famille? OrR so in s dl;vou{''; so nL indi s pen sables.
Edclstl'an waiL lo cœ ur gros; il 80r,OllU la tôL€'.
- TI n'a patl dl' ramille. Mai!; il y u des grns qn i
l'aiment bien.
\.rarcelinp pr{'venllc IlC CO Ul'lIl. Los obBorvnLionB dtl
flle 10 SC'l'ViÙI'I'1l no pouvairnl, 1'U1'1'pLr r; elle s'inst.allol'ait prl'B du malade.
- Jr !lO Lü l'(lv('['rai lIll IIlU vie, avail dit. lu
dplTloiAoll o. Tu Hl'l'aH pOI'clllP aux yf'IIX ÙU monde ...
uoln sa sui L.
Le monù o p,·rmeL, j pOllse , aux innrmic['os eL
uux malades JI' ivre sous b même tOlt, déclar 1.1
J une fille . Marlial sera soigné... rua conscience cl
mon co'ur ,ont ~nt i 3 f ni t ~, co la suffit.
�88
LES ILUSO~
D'UN CŒUR
**'"
Petit monstre ! Maîntenant, Rosali", meLtC'z
encore su robe neuve, son peignoir dan~
sa malle.
Elle en aura besoin. Me quitter ainsi 1 ,le le rüpètr,
Marcelino cst un petit monstre. Ennn olle soigne un
parent malade. Certainement, Rosalie, un parent
malade. Je ne mentirais pas pOUl' dissimuler l'e::;capnde
d'une demoi .'l clle de compagnie. J'ai ét6 bonne pour
clIc, me vomI rrcompensée. Il no faut s'attacher à
personne, Rosalie. Quelle faiblesse do ma parll J'irai
porter moi-même la malle chez ... il la gare .
Mlle de Srrvièrcs soulîl'ait depuis le d,j part d'3
Marcelin. La jeune fille lui munqunit. Elle ménageait,
Je retoU!' de sn demoi selle do compagnie . Les dom estiqUes ignot'!ll'oient où t!tait Mn{'eeline. 1\l:1I'lial manclHlrd so Mbol'l'nSserait, de sn gnrde-malude t1 ès qu'il
serait gu(·ri.. Marcelino reviendrait au logis, alOI'" uno
vieille demoiselle serait heureuso pt J'rtrouvcrnit Irs
Roins rru'elle appréciait.
Marceline 6tait donce de cœur cL gra('ieuse de
gcslrs. C'rtait un ange adl'o it qui !:l'occupait des SOUCiH
de l'intérieur sans froissel' Srs ailes.
Ello allait ct venait dam une pi ~ ce , elle l'edl'es!Hl.it
une fl eur, pansait un oiseau malade, c'poussctait, 1111
bibelot, allumail des lampes cL v('ri!1nil uUflsi lu
propreté dOi:! cuillines.
Tout s'~xécutai
snns bruit ni di ;'COI'clo.
Le jours de récoplions eL de dîno]', Iarceline (.: nit
aimoble suns devenir coquette. Un romplimeuL
n'avivait jamnis l'éclo.l de l'on teinL.
Dans le silen ce de ln hibliothèque, elle lisdt. Sn
voix céléhruit la sOrelé (Pune ûml) pUt'P. I\ulour de
�LES ILCUSlO:-lS D'UN CŒt;It
89
son front, ses cheveux chûLains ffiDttairnt une
auréole. Elle beuerait avec dplicatesse le pain mollet
du matin . Ses mains étaient fmes, et ses rohesallaient
bien. Et cet esprit sage avait des coins roses, des
bouts de tendre jeunesse . Le sourire do sa bouuhe
détendait l'ure de ses l èvl'es et donnait à son visage
une grâce enrantine.
Marcelino sa vuit relever des oreillers sous des
rcins f:üigués, elle tr eHsaiL des guidandes pour fleurir
unp table.
VII lllatin, ail château, en apportant les premièrofl
frai"os dans une COI beil le , ell avait couru; ell e plaisait
toujours il Milo de Sor\'ièl'cs, ello était distinguée de
l'oeme et discrôte do caractère.
le jeune homme qui l'avait ù son
EUo d~lestai
chevet.
- C'es!. un taxi qui" o,cnnduil'u à la gare avec la
maJ:r, d( elo ' u Mlle do SOl'vir rcs.
-- .l'il'ni u vr c vou~,
maclrmoisolle? dcmo.nda
Hosalic.
- Non, je "ais soule. Ai-je bcsoin d'êtro accompugn(oo 1 Les acompgn(\~I'iùs
vous laissenL au
pl'emiel' Bot qui lombe malade.
La malle chargée sur le taxi, la voiture partit.
P lus loin sl'ulempnt MilO df' Spl'\·ilr('.; donna. l'adrcss()
de ~1ur
tiul.
Elle mC'litnü, rllo dis ..imulnit. EII(> porlaiL un
mallo de jeune fjllo choz un gal'çoTi . Co n't!lait rien
encore, ela 1 MUl'erlino Iloulfriru it. Dès qu'il ir'nit
mioux, Murtiulla LouC'IDontl'rnil.
Elle RC prometL:.lÎl do ne pas monter 10 voir. Le
concicl'g prencluit la mnllo ct ln remettrait.
El! , n'atlendrait pas los l'cmer'ciements ùe ,\hl'cclirtl'.
4
�90
LE S ILLUSIONS n'UN CŒUR
La voiLul'o d('passa l'Op ur.'D, monta la rue d" la
et s'engagc(] dam; 1u l'ne Blanche.
Le mauvais qual,tier, mal habiV!.
Marceline pres du Casino do Paris, des cabarets do
::V1ontmal'tre .. .M lIe de Servières frémissait d'indignation.
Une femme âGée mon Lait l'escalier de Martial. Elle
oubliait sc" résolutions . En frissonnant , olle sentai t
la petite terreur qu'éprouve LouLe femme, jeune ou
vieille, qui risquo une drmarche inconvenante.
Bntre chaque Nago, dl!' hrsiLait. Irait-ollo pluH
haut ou descendrait-elle ~ EUe allai!. plus haut.
Lomondo, ses amisignot'oraient toujours sadGmarche
ineonvenunte, si elle n'abandonnait. pas sn Marcelinr.
l' n nn mom nl Mlioat.
La porLo s'ouvrit.
Jo désiro voir l'inli l'Ini t" ['e dl' \1. Blanchard ,
demanda MilO do Srrvi èrefl .
Mlle 'fa)'(' lin o, dit la HOl'VrUtl e .
C'OS e cela.
\1arcoline entra. Elle avait. veillé et. eependanL elle
lilait lout!' rO!ie. Ses yellx, sa LouchI' riaient.
Elle vivait près do lui ct pOUl' lui.
Elle s'6Iançu vort! MilO do S o rVil~'e
il , l'ombrussu. Sa
joie, BU reconnaissance débordainnt.
- Vous êtes bonne d'être vonue voit, ILion malade!
JE' 10 sauverai. fi dort, pnfin 1... C'esLtrNl hpuroux) .\
dit le doclew'.
VisiteG) COilld, (unit il'" lout, 1" I,uit dû ULI malad e.
Elle antrnina 1\1110 Je SCI'vil.:l'l'l:l vors ln. cham})!'; ~ l
coucher.
L il doux rem
~1 ) debout, rogùrdaient II' lit.
Bien pâla, Martiul dormr.tit. Dos cauchemars Il'
troublaient, il ho.l d .lit. Ses bras, ses mains s'Q~itacn
Sur le drupil.
Chaus~e-d'Anti
�LES ILLUSIONS n'UN CŒUR
91
- C'est la fièvre, chuchota Mar~
fl inf'.
Pauvre ami!
Il a tant souffert 1 Je le guérirai.
Mlle dt;l Servières ramena Marcelino dans le salon.
-- Tu l'aimes toujours, dit-elle.
- Qui ne s'attacherait tl lui en le soignant? Le ciel
me donne J(' grand bonheur de lui être utile, je le
guérirai. Rien ne peul, l'mp r cher d'aimer qui l'on
l'indifférence, la
aime, mad emoiselle. Le d ~ duin,
r.fuauté arrrltent l'<1xpansÎon d" l'amour, mais no le
tuent pas.
.
- Alors, attendons, lit la demol Jelle. uand il sora
bien portan , il arr tcra Lon enthousiasme. Tu m ,~
l'ovlOndras.
- Cerlainement, dü arccline, si vous m'acceptez.
Je ne profiterai paB rIe la reconnaissance d'un convaer chez lui. Dès qu'il n'aura plus
lescent pour m'ipo~
hesoin de moi, jo p:ll'Lirai.
- EL la période aiguë durera longtC'mps ;1
Mil. dC' SorVI t'cs vou laiL envoi!' qu ,m cl sa Iurceline
1ui roviend l'ail.
Nouf! l'ignol'ons, dit -e lil'.
11 faut n'informor ri n rola près du mcdrcin. Les
maladios onL dne périodes errOR lesquelles 10 danger
(;0850 . C'esL purfois urie qlc
~ Lion
de jours. Jo t'attendrais vo)ontip,rK avanl de parti l' il ln Peylouzc.
- La Peylou7.c 1 dit Marcolino. Ah! j'oubliais la
poLion cl' MurLial. Est-il révoillé? Il dort. JI voulait
Il no mango gu6re, il
parler hier. Il no pouvait pa~.
est, fuibl _ Cc matin, il n pl'i s un peu do luit.
Mlle cio Sorv iè/'os flO lova.
- Au revoir, mon enfant, courage. Roviens le plus
vile possible.
Marcelino n'nnLrnrlra.it l'Ion do raii1onnablo aUJo\1rrI'hui. Elle Ul,pal'LcnaiL à un indigent. Pour lui l r-
�D2
LES ILL US IONS n ' UN CŒUR
donner Je larcin de la demoisello de com pa.gnie,
elle classait MurLial dans la cat t:~g orie
ùes ind
gr~n
ls .
Il mourrait pout-être. Mlle de Servières ne le
pleurerait pas. Ce serait 10 dénouement d'une hisLoire
qui troublait dopuis un an la soreine existence d'une
vieillo personne .
Elle ava it soigné 10 cœur et la santé <10 la jeune
fille, elle avail pleuré avec elle. A p<'ine était-elle
l'cmise , et le garç:on avait le dMiro à ,on tout'. Elle
maudissait cet ennemi de sa tranquillit6. S'il plaidait
à Dieu de le rappoler à lui, ello lui souhaiLait 10
pal'adis et la compagnie dr~s
séraphins. En at tendunL,
il avait colle de Marcelino.
Mais la jeune fill e n'a ppnrLcnaiL-ollo po.ii Ù un des
cho,!Ul's célestes i' Elle s'(:Luit c-gnrô!' sUl'la Lf'rre. Son
dr:'vouement au gar~on
sot ct urgueilleux s'expl iquait
ainsi .
MlIl'ce iine étai t un ange.
CIlAPITHE XIV
Tllnrecline, à III cuisine, préparaiLun jus de viande
Mat'tial. Elle sc débarl'ussu ÙO So n lubliur oL
revint ve!'::; son malnùe.
La tête appuyée sur les ol'eic~,
il l' J~(l rdait
l:1.
fenûtre. Ce coin ue bleu , c'duiL touL cc qll i l'inl/:'l'o .. cuit.
il renaissait, mais un engourdissement su ivait sa
malad ie.
11 r estait fa iblo.
f~il.
mot1!'ir.
Doux foi s, il avui~
Depuis un mois, Mafcoli[l!' rattrapait f't renou~iL
10
fil de l'exiHLenco cMl'e . Su volonLû Cl'l'uiL ùc lu vie,
elle lutLait avec cnlêtemrnL.
pOUL'
�LES ILLTTSIO:-'S
n'u:-.
CŒUn
93
Lorsque le médecin secouait la tête, elle espérait
encore.
- Bah 1 disait le docteur, il guérira, lians doute; la
t.ête (Jet'n malade un peu plus longtomps.
Elle ne croyait pas le docteur. Le corps guérirait
d'l:Ibord, la mémoir'e, l'intelligence l'eviendraient
aussitôL.
Marcelinc soignait, encore l'apparlemrnt.
Le nid dans lequel ell e vivaiL près J'un absent était
r.oqurt.
Elle ôtait seule, bien suu le !...
SuIe, Mal'celine ohm: Martial!
Elle parlait de lui uv cc elle-même. Ill'avuit aimér
:1 utrcfoÎ.l , il étaiL bon ct bien portant alors. Ulle outre
l'uvilit pris, et il 6Lait devenu un enfant débilL>.
Un,:, tr'nrll'eSdC maternl?lIe sc Juvcloppait ('11 Marcclin':. Elle n'exig('uiL aucune recODnUÜS!lncQ. On ne
doit, l'Î(m d,'mandf'l' aux nouvoau-né::; qui vagissent eL
(lui sc plaignent.
Lorsqu'elle <lefD. gl :lit le lit, secouait los oroilJcl'8,
cottr gl'osse LûLe bruno s'abattaiLsU[' sa poitl'ino.
Vito uno potion apnidunLo 1 De la lumièro maint(>nant; scs youx: so fatiguaiont, un prll plll$ d'obscurité.
Un O'uf mollo t, c'oôL ct'fu (lui l'cfa uu bion ù J'ami.
- C'est bon, di ~ail.
.\InrcoliI1t'.
Ello parlait los u mundui pt 101:1 l't"ponsos, comme
le..; pctiLf'S HIloti C[lli jouent ùla lIlaman li Vl'C loul' poupé .
Murtial l'l'sl.lit insrnsiblo, muet. Ii avai\' vers la
silhollClLo grise qui tournait au\'ou[' <.10 lui, rt dont
dvpendniL Hon bien-être, le l'rgarll in<.lécii <.I N; poupons
au Tn'lilloL.
La fit,v['C' Lomha. Tl rrsLa 111;bété. C'ét il, uno moitI')
torpeur rlonL il no sOl'tlil phu. Ann LLo, l'ambition,
IN souvenir,;, tout rluit IJien fini.
�4
L ES ILL US WN S D' UN CŒU R
Sa tête lourde n e ril vait l'ien, eHf> étai t seulem ent
lasse de se sentir lou r ùe.
La vie arrivai t fau ss(>f;' à sa conscienc p. La réalité
lui appara i ssait e mbrum 6e nomme da n s un songe , ou
bien grossie , par eille à un cau ch em ar.
L es voix v enaient de loin, de très loin. L es bruits
tombai ent sur son tympan ct r ésonna ient longu em en t.
Le craque ment d'un meuble grandissait, se prolongeait, l'occup ait un jour entier.
Tous ses se ns suivaie nt les fant a isies d'une imagination pat' Lie à l'avent ure. Si par ha sard il compre nai L
un mot, ce mot l'éli(uyaiL.
Il balbut. iait, il voulait se dGfcndl'c contre d es enn emi:> .
II p le ul'ait p adoiH. Il 11 0 su vait pus p ourquo i, mai..;
Marceli no compre na it ses la rmes , et elle cat'el:lsa it sa
t ~ t e endolor ie.
- Cola r e , icn<!r-a, a mi, mUl'muraiL-ell p, ous gu6J'irez.
Rev it:ndl'U, ('OV il'lH.lI'u l Qui u onc l'ov ielldl'o.it pour Ir
torturel'I
Le sou vonir d'Ann elle, 10 regret de l'avoir aimée ")
L'oubli valaiL mion. , en ce momen t.
Une lourde malin6e dl' mai a mena Ull premie r orage .
Le to nn PI'I'e gronda it.
, fart ial u'agil.oi l sm Hon lit, il poussa it tl es cris; li
tl ut o. e L tomba à ten c, la fou ul'P l'a ba ttail.
Il se calma nvec l'ol'oge .
Les br uit s, les mouv pm en lll tif' ln l 'U U l'inqu
~ l\ :re nt
pendan t quelqu es JOUI'K. Dell Licfl ner veux LÏl'nillllient
,a facc.
Il mangeaiL les alimen ts pl' é8e nL ~1:l uvec gcmtille,Be
(Jar Mnrccl ine. Il l'opri t d os force s 1 il 6e leva ct l'O' Q
assis don s son fauteuil
�LJ.:: S lLL S ION S n'UN CŒUR
Ces preuuers pas comblèrenl de joie sa gar d~·
malade.
Elle aimait toujours ce pauvre Î'tro déchu. Elle
co:nprenait mi eux: Jes contes de son enfance.
Un génie m é tamorph~iL
ceux qui préféraienL ;JU
honheur l es il1q uidudes do la passion dédaitinée.
11 se forLifiait physirruemenL. Il. euL des colères, det>
révoltes. JI oria pondant deux nuiLs.
- SoulIrez'YOUH, ami? lui clt'lTlilntiait, 1:wcelin",.
Il balbutiait, ne parlait. pa".
Il fa udt'a l'envoyer dall R Ull calme 1 oiu d e cam·
pagIl(' nver. an infirmier, conseilla le mM pcin. Les
"\ OÜlius ne so rhlignc nl pm; J e ses criû
- Oh! docteur, il Il l' gntll'irnit jnmais BanE. mes
BoillS!
- 11 g ur;l'lI'U comp]o\.r.meJlL Il'il lioit g Utll'll', Il poul.
rester longtemps a in si . ClJmml'llt vivez-yous ( Il fau drait prévenir !w fumiJl I',
- Il n'a pas (le famille, Je IlUlb son H mio rt. ..
- Si vous éLos son amio, cL IIi vous al'corlez toue~,
les respoDsabiliLrs, c'e~L
parfait.. Je vous cOfl!ieillo de
l'cmmrner il ln campagnf'. Cr.la lui f ra du bion.
8mml1llcr J\.Iul'liul il la campagne 1 Comment? M37relinr n'avait pJU!! d'argrut. ElJ appeln EdelsLl'lin.
-
Adresscz
VOU3
à VoLl'tI dcmoiscllp, consoilb.
l'artiste. Jo ferai 1'1) que je pourrai poUl' if' catnoradn,
wnis je no suis pas riche,
Marcelino rougit. Ello n'ava il, [la ' VII madomoiRûll l )
UO Sl'f vières depuis un mois.
Marcellne pO d$~ dait
le dom aine, c't;taÎL U[J refugl',
La maison blÎlio piquait une téLo rouge et bla.nche sur
le c6teau, mais les meubles manquaient. EL puis,
0sorait·ello fI'int>, 11er uinsi /lUX Aubrelles avtc Il'!
JElune hommf' ? Lili paysans ct 105 paysannes r,omprl'!n-
�9G
LES ILLUSIO. 'S n'UN CŒUR
dr'ai cnt mal so n dévouemenL. Cepen,.!ant elle pOUl'suivrait sa tâche. Après avoir sauvé le corps, elle guéri·
rait l',esprit.
Cette fille timide trouva de l'audace. Elle défendait
SOIl ami. L'afIec t,ion est souple, elle se modèle sur les
besoins de celui qu'elle prolJège.
Marcelino confia son malade il la servante. Elle miL
son chapeau, sa voileLte cL ses gants. Ello parLait chez
1\1 110 de Servières .
- Enfin! s'écria la demoiselle , t e voilà donc rovenue!
Elle tutoyait enco1'O sa Marcolino. L'habitude éto.iL
prll:lo.
- Revenue! Oh! non! maJeoi~l,
Martial ~'a
mioux, mais j'ai besoin d'un conseil. ,
- Martial! Martial! s'écl'ia la drmoiselle, adsez sur
1ui. Pm'lons un peu de LOI. Tu es maigrie ct pôlic j tu
t<lmboras malade. T c voilà de rctoul', je 1,0 g,ll'üe .
D'aillèurs que ùirui-jo pour oxpliquer ton absilnee? Til
d ici, Lu dois y resLar. Tu me manqu es . Il soraiL cruel
de me priver plus longcmp~
de ta présence. Lu vieil.
leFsc Ci:!t la se ule malodio dont on no guérit pU B, Je ne
t'aurai pas longtemps, moi 1. ..
Des lurmos picoLai en t 10 bord Il B paupil'rc,'I d'J la
demoisolle. Sa sensi.bilité s'aiguisait dans la dolit uJe .
Les 6moLions éVltées penùant sa \'ie f.goïritc aceoul'aionL pOIU' la Lourmenter'. Une porLe étai t ouverte
dans son CCC Ul' pOUl' k l 3el1fHlLions douloureuses, puisqu'cllo aimait 1'I1arcelilv'.
- Nou; par tirons ù la Pùylouzc , dit-elle, lu l'l:pl'Clldras là-has tes couleuj';;.
Mal'celine cuL un rir'l! g:l i, clic LcndiL sei:! maills à la
demoi HI' I!c, ptli ~ clIP s'rCl'ia :
- \uu s m'olf!','", CL' quI' je vonai, VOLIS ùemanùor.
�97
LES ILLUSlONS n'UN CŒUR
Un séjoul' il la campagne est nécessaire pour moi, pOUl'
mon malade.
- Pour ton malade? ..
La demoiselle, confondue, regardait Marceline.
Héberger le jeune homme qui, un an plus tôt,
méprisait ses bont és l. ..
- Le fils de volre régisseur a btlSoin d'un asile,
vous ne pouvez le lui rduscr. Autrement, j'irais seule
m'enfermer avee lui à la campagne. Vous ne voudrez
pas cela.
- Le bon Dieu c/~derait
à tes capriccs. Mais moi,
quand j'ai décidé une chose, j c n'y reviens plus, c'esL
fini.
--;- Ah 1 VOUB êtes honne, s'écria 1\1arcelme. Vous
êtes parfaiLe 1 Vous dùnnez l'hospitalité à mon malade.
Milo de Servières se leva. Elle alla vers la fenêtl'e ct
regarda dans la rue.
La petite avait vu son désir exaucé. Des remorciements acquis gênaient la demoiselle ù présent.
Elle eut un léger mouvement d'épaules, une grimace
cL accepla l'ennui donné par sa Marceline.
- Je vrux voi!', dit-~le,
si la BunLé de MarLial excuse
Ilion obligeance. Je t'accompagnerai tont il l'heul'·c.
Martial reconnut li peine MilO d S ~ l'vi·es
. Pour
l\1ul'celinr, il ruL un sourire de poupon qui retrouve
sa nourrice.
Le malheureux, diLMlIo de Servièrcs, c'pstalTreux
de vivre avec lui.
- Pad du tOllt, dit Marcplirw; il est <.Joux comme
llli cnfanL. POli il pou, 1l1'cLl'ouvera une ûnte hourouse
cl bonne. Awc un malade, on ne s'ennuie pas . 11 yu
UJI1t de Bains àdonnel'. C'c:;[ un pelit, cn cc momenL;
11 l'nuL \'ci ller SIlI' lui.
~Iu!'lit
"('gardait lu viûLcusc. 11 av,liL, rr)1l'il:l bo n
7
�LES ILLUSIONS n'UN CŒUR
teint frais. 11 était net comme une pomme de pléin a i~ .
Ses mains affinées l'epo::;aient SU!' ses genoux.
- Je 10 promène, reprit Ma.rceline : il aiml~
les
jardins; il voiL jouer le::; enfanls. Jo mo demande
si mon enfant prendra Liontot une balle ou un cerceau.
La voix do Marcelino tromblait. Su Lendrcsao s'attrisLait.
- A boire 1 dcrnandu. Mur't ial.
II demandail à boire, ù rnaugel'. 11 IIC réclama.it, pas
le baiser que Mnrceline lui ùonnait mutin cl l:ioir.
Mllo de Servieres mUJ'muru, aprcs un long silence:
EL tu l'aimes LOUjOlll '!) i' ...
- Si JO l'aime 1 tj'ù(lI'Îa Marceline; il n'a plus quo mOI
uu monde,
Mlle do !-;Pl' V II:: rC i1 plolll'U. gllo se HOUV Clluit du po]'1'
Blanchard, si liD!' Li e HOII mil, du bombin rlui jouait, à 1
Poylouzl'.
Il odL phttl Bage de mouti!', hL-oUe.
CeLte comtataLlOn l'étonnait. Avec lu Vtl', la demoi .
r,t)l1e perdait LanL do jOli~1\(eC6,
ct de plus redoutablt
natastl'opholj guettaienL lrH homme!;,
Il ne glléril'a pus, l'0llsn-t-fl lle,
~ .Jo fCl'ui quelque c1H)I>'" 1'1)111 Jui. Un A'JJ0UI' dan ,
fiOn pa)!! nutnl Jo l'nlUoLll'II peuL ùt!'l'.
- 11 il bUldl'PI'L , dit, Mal'celino. l\laiu il Il l'clruuvé if'
ualmo, (J ' e~1 hon\tl
~ ulJ
dùjù. Cotlf} ,\nnoHf', ill'u l'OnCOI1 '
ll'ol) r.ho;: vOU d.
- Tu poux le Ijoignel', llU Il Vt'u onl'rml. Je III' Lo hlâ .
merai !lllb. Ti'ai .; Los pl'l;puwLifc!. .ln purtit'ai on avant.
On arH ~ nd g ('ra
POUf' lui ÙOlL" l'ÎI~).
Il Verl'a de S,I
nhambro la maison Jo tlOtl pt'rr . .Joun l'hl.lbill,)ra, mai .,
tHlui donnerfl b 8C8 repas LoÎ-I11"mc, (lI, lu 10 prom \ner8 5,
.Je me priverai en core do lOI pendant, quoique temps.
�Apr~s,
J,ES TLJ.UBlONS P'UN Ç(,EUR
99
il fauçlra prendre un p l'tÎ. Tu ut> passeras pas
ta vie ainRi.
- Tl sal'o. rétabli dans peu de lemps, dit Marcelino.
- Le ciel L'entendra sans doute.
Mlle de Servi ères était trisLe en t'entrant chez elle.
Co grand malhoul' l'affligeait.
Dis~l'Ïbuer
de l'argent ot cl Il pain aux pauvres est
agréable. Il faudrait, s'ih) n'existaient pas, inventeJ'
los del>h6ritrs qlli donnenL :-tinai la so.tiflfaction d'I~tre
bon.
g~
pniw, c'6WiL vJ'ai, l'impl'UdenLo Al1llotte, .rnariee
muinLcnanl ù Piel'I'c de Cour'li \1, pouvait PQ\i%1er PO\H'
lij ,ma.UVI;I.ÎIi glÎl1io ~u DIs du p.)l'A Blnnehul'd, un serviteur dévoué des de Servièl'o,l .
Cette foill, la vieille OUe no sonln,iL pu~
oelte joie qUi
doit su ivre un bionfaiL. Sa 0111;\1'\t6 demeuta,it froide.
Ue éto.it SQns dO\lta de cel1eH qui reçoivont Jeur
l:alaire dans l'autre monde.
Eiantù~
11 abrjterait sa M(lfcolin fJO\I~
ijon toit.
C.jHa pen8f16 ranimait son cœur, heureuQement,
101,1 te
CHAr/THE xv
TOl
~ It·s JOUl'i' df' pl'lnt mp;i na sont pad of1JSOlié~
tt ln Jeunesse no ronnatL pas que dea j ours de ])Qobl,ll,lr.
D~p\lis
1'(lrdvéo à la Poylouzo do M;;:IT'celine l>It de
lartial, il pleuvail.
CoUr pluie ti (~ df' litait pUI'o iJln Ù oe", larme~
caoMes
dan s IOI3t{uolles S'f.nllu!onl llm 1(,J'nier8 soupirs d'un
rhogrin.
[,.(11) laI mas al JQ. pluie lavent JI) ci~l
et le~ C0:l1,lre. A
jeur contact s'effacent les so uil1r
()~
do l~ doulc\lT' et. " .\
1.lf'I'hIVN.
t/"')
'. ,_il'1
�LES ILLUSIONS n'UN CŒUR
101
Marceline tendait son bras à Martial. 11 s'appuyait SUl'
elle . EUe le dirigeait dans le parc.
Letl arbres, les plantes secouaient avec la première
brise l'eau qui faisait pencher lours tiges; la bonne
!:lenteur de la Lerre et des feuilles mouillécs réjouissait
le joune homme. llouvraiLla bouchc, buvaitù grandes
gor'gées J'air fraÏs .
- C'ost bon, la campagne! dit-il un matin .
- C'e::;L beau aussi, répondit Marcelino. Vous êtes
bieu, ù la Pcylouze?
- ilien 1 très bien 1 répoudit Martial. Seulcmon!; j'ai
tant J êvé et je suis cncoro bien faLigué.
Dc rêvcs trop lassants, la !'éalité reposc .
Pctilc Annolte qui voyagicz en Italie a vcc votru
mari, vous étiez 10 beau songe devenu un cauchcmar.
MarLia l parlaiL ct Ma.rceline levait les yeux vcr::; lui.
Il sc souviendrait bienlôt qu'ila vaiL soulTert. Vaincraitil la <louleul', cette fois, seraiL-il cncore Lerrasso i'
Marcoline emmena l'ami au,' écuries, au poulailler.
Les poules enronLées, sa dif\puLanL un vcr, l'amusèrcnt
IlU inslant.
Au polager, il., virent Ic jardinicr qui p!'éari~
le"
"ouches pour les melons.
Martiul lc regarda fail'('. 11 sc baisi:!u, Ul'racha dc~
herbes cL saliL 8C!! mains, L:-> jardinier et son jardin lui
\nspil'uionL do l a sympalhie. TI revînt souvent les voir .
Il prcnait la bûche, Ji tournait, t']uel(U~
llloLles de
Lerre noil'!'.
Il m dl' semis do 1" di~ "t do snlar!rs, Le ,jardinier sc
pl'êtaiL ù CC jeu. Puisqu'il s'in tél essait au jardinage, le
lils de B1unchard n'étnit pas fou.
Il faisait l'âne pour avoir plus de 3011. Co fils de BlallchardIe r()gis3Ctll' a vail do lu chance, il ('laÏL reç li pal' h
demoiselle. C'éluit un malin. En vrai paysan, le jarùi-
�100
il e:;l doux de plemer apl'0S avoir souffert! ...
Les feuille" nouvelles se tendent vers la pluie. Les
bouton.; dos lilas sc gonflent sous l'aval'se; ils éclatent Ct Ùl"couvrent leura pistils.
Les pâquerette.>, a3t\'e~
d'or rayonnés d'argent , les
coucou.:;, les pl'imevUres et le" pervenches boivent si
franchcment l'eau du ciel qu'elles Litubent ci perdenL
la rai!'on,
Les fleurs, gorg6e3 il e:1. mourir, AC courbent, el ln
pluie tombe encore.
- Assez 1 implorent-ellrs; ciel, n pleure plu'l,
nous some~>
gcntilll's ct tu noUf! fuis mul.
L'univrrs ne se meut pus f;eu}rml'llt pour yoLre
joie, fleur!> l'olier; 1. ..
- \oilù les pil'ces do vingt fl'anes qlli tombent, di:
le paysan cn saluant l'ondée.
La pluie doit def:>ccndrc profond "ment dans le sol
n"jouir' d'llllLI'CH germe..,.
Lrs graminées s'élancent; le blr eL le avoine:!
s'abl'euven t. CesonLdes rxislcncer; graveHet pr('CiCllSCS.
En recevant la plui e, leur exlase l'osLo Hel'C'ine.
L'herbe hleuLée du fromrnt., !'hf'l'bo jaunât.re d,)
l'avoinr. croi'lsent avec ]o\'c .
Marceline, assise' <'t ('ôté dl) ')on malatlr, pleul'nit. on
frrmanL )l'S yOllX. Lf's Jarme", Hlll'l'oH par 51'S cil~,
fi'l'pantlo. icnl S\IT' SOll visage.
farceline pleliraiL 10 jPllnrJ hommf' ('nf'l'giqllo ot
inlpJljHcnL, Pl'I'A dllquf'l f'He avait vOlL lu vivre.
, larLiul voyait. bien :\larceline pleUl'f'l'.
/1 ronui6~,\UL
Je logi::; de "on père, Ir r.h:1II'(\t1.
Il nvnil habil!" là atürrfoi8 .
(Jnf~
fl'mmp l'arcomJlllgnait loUjOIII'H. Sa pd'.;(>nec
{lait doucI'.
lJl'S flll'une éclaircio pMmn-LLniL \lno p;'()rnf~lde,
�10:;
LES 1 LUS101'I9 D'UN CŒUR
mèr r~8pèCtai
l'adrèssè qui sait Lirer parti d.M cirMM.
tances et des sentiments.
Il prit III déIén8e du jeune homme à J'ofi'ice.
- 11 eet idiot, aflïrmait la femme de chambré.
-
11 flnil'H L'n bon hOUJ'gcois nt il sni.\' 01) qu 't!
rait.
Martial prit possession de~
jUL'din
~ ; onsulLo, il VOI1l']I,
811er plus loin. Chuquo jour, il désit'niL pluf' d'e space,
pt davantage de vie.
Les deux jounes gens sortirent du parc.
Le muguet flourisllaiL dunl:> lo.! boiK, Martial ln
IOll hranuholtos odorontM
à sa compagno, el, :Marcelino conLellait aOJi désir
d'élnbrassl'l" Je frOllt, lové vcrs oHu. Le malade dev/'nait un. jouno hommo. Elle ôtait heur'ouso do Je voit'
guérir. Peut·ûtl'(} l'ogl'ottaÜ-I'lln lin pl\lI loul' t.end)'l)
f}\:miliarité clos jOllt'D do malfldin. Si (lllô no (llouJ'ilÎL
plus, nllr lloupirniL.
BiontM, il 1'1JiruiL loin d'oll o \'Ol 'H Jo JWIJVnOIIJ. ~bnL,
l'ingraL 1. ..
En aLLondnnL, il uvaiL d'c'xCllli H~ Ol'jtf
~:.
Jll'appelniL Marcelino.
La pluie cessu . La campagno, Loulo vort,o, !;'anim!llf.
lm peu plus cbaque jour. Dell oisoaux au nid p6pillir:nt
dan.s lo!! buiBllonH. Lü plus infime hl'in d'horbo abritfliL
deI! oxislrocol; d'insoctos. Los pupillofJfi blancs, lefl
papillon,; roux se pourF\uivaionL avec Ut'ùour.
UnI' l'liJltOUl' mOIlLaiL ùe la Let.,.o, S'opurpiHlIiL Oll
t'l.4suirn dan!! la bt'ise tièdo. CorLains joura 10 promenoul'
:;ilruciCIlX entend l'herhe POUS
I~O I'.
Marceline ct Mat'LillI allaient onsomblo pnr los chemiu6. lIa s'assoyaiont parfois II l'omhre d'un orme 011
d'un chùno.
Qu'd oûL ' té bon d' goù Lcl'l'an10\l1' p111'mili , I~(!jtiù\
•
cueillait à genoux; il offrait
�LBS ILLU SJO NS D'UN CŒUR
'103
Warti{\l parlit'a iL el, Marcelinp user<;lit s impl
!.' rn e o~
:les jÇltll'S prp,s d'une vieille demoiselle.
Personne ne lui ferait don c la charité d'un e heure
pleine de joie et d'amour ? Elle désirait vivre un instant enivré.
.
Dans l'étreinle de ln main de Martial elle de vinait
nn e prom esse .
~lI
e eût voulu êlre un parfum qu'il puisse aspirer
!lan s on rien Jai ~ge r.
L','x piolion suiL la fnnle pOlll' un e Marce line délai<l~if)
e.
- C'es t joli, la Ptlyloll ze, dit llll maLin Mal·tiaJ, mais
je préfèrerais vivre aill Olll'S, bien lle\.ll avec vous.
.J'imagin e un e cl'oa lion ÙII mond p dont. nOIl :-\ sr l'jouG
l'Adam cl l ' I ~ v o .
- Qu e fot'ons-nOlls do lon malade? dpmanoÇl. qu el'Ill AB jou ni phl!l Lard Mll e cll' S f'I ' v i~ J'e ~ il Marcelin\" .
loul eB ce:i I)[ ' om(,flud'
~ ne !Joni, pl
~ pos
Il l,ls L g u ~ rj,
sibl rH. Il eH t l'nmiH, Lu Ot! fni Lion d (~vo
i l' .
Mondovoi!' 1 ÂltO
~ dOliC, l'l 't' cria Mal'c(·liop. Je nt·
pouvui!l pus agir djfWirPllIln onl. Murtial osl·il de troV
Jri i'
CI' I'la iJl ,' ,n ("I!, fiL MilO do Sp)'viù('('f: . fl' veux
t'ovoi!' ù mon I Ullf. Il poul ~t) pUSSO I' dl' toi.
P Ug Ilneol'p, J'('c1ama l\)ur·r,cliIlP.
MurLinl flulu uiL ln dt'UloilluHt'. ÂIi X l'Op n.S il parlait
du a 'U promenades , il IH) su HÛlIVPTl o it. g lu\ r e ùn p aBllé
t t ni' fai saill'us dt' projctH
.
.
Mn do SorviPI'PH r'appela plusit' ur:J t'oh Je \lOI,l Vemr
de Blaoehal'ù, si probe, ai honnêll!, celui cl' Anot' tte
mariéti', Martial l'es tait glacé.
Un accident avait rompu ses souvenirs brisé, aa ·i<l.
�10'1
LE!'> ILLUSIONS n'UN cœun
JI était tombé dans nn précipice . Il en so:·tait cL n'nvait
pas encorc lc courage de se relournee pour regarder
l'abîme. Ma~celin,
qui Rcnl::tit son inqui,Hnde, dirigea ses pensées .
- Vou.> avez ét6 m,lla,le, muis vous êtes gu('ri .
Les loses I1eUt'ircllt. JI y en cût dans les parterres
ct dans les pelouses, IPB Aimée· Vib(1l't, roses eL la8se~;
les gloires dc Dijon, au pflrfum pénétranL. D'unc fraîcheur de paysannc qui palt:\ la mr!sc RI' drc.>snii,
Cath cl'in()-.\larney .
PallJ-Nélon ct, JacqucminoL mrl. ;licn!. dit rouge aux
cmbeilIcs.
Lefi :vIarrchal Niel grimpa;rnt. all.- murf\ drs
rommnns.
Le Bouquct (le la mariée ilL la f,m;(' 110.inr, f1CllI'il
candides, avaient des cnthour,iasmcH rl, dnfl rxtasCfl.
n'apporla phw do rORrs, Antonf
JamaiR prjntm~,
du châleau, e't"tait. lin clTenillcrnrnl (/(' }1l'ocrs'lioll,
Hne apothéoso de 1'rp080ir; def) péln les lop rl)illonnairnt,
jonchaicnt 10 sabin drg alléCA. LCi:! nbc illOR DulinaienL.
Crl,lo annl;p, le mirl scraii, :\ la rO;;r,
Un SOil' de juin, J\.l llr de Srrvi0rrl, f:üigu('c, gr
relira do !Jonne heur!'. :Vlarcelillo rI, ~Iarli
reslùr(mt
(,toil('o, <Inn" 10 jardin mn:
\ln inslnnl" sous la nli~
l'ORCS.
La lune, en fuyant vcrg l'horizon, gli!>sail dOf:
rayon:.; onLI'c 1eR hranchcs des pruplicl'S cL des {·f(lbe~.
La paix r{'gnllil aulour d'eux, LI' p{'nGlmnL parfum
dpfl rO,iO:; pulpiLait.
- 1\h 1 !VIal tiul 1 mUl'mura-l-ell(', ému(',
Vom l'le' bonne, jc VOUH aima.
~scr'
}Iarccllllo sc suu vui l, .\brl ial a liait-il l'crnhu
pU!' reconnai ~1TlC
. En accl'plnnl cpL amour, !\1nrrrlino nbu '1!luild'une gl'Clliturll' de cOllvalc;Jcenl.
�I.E :
JU.rSION R n'UN CŒUR
105
II est Lemps de partir, dit-elle. Demain Je vous
proposera i une promenade qui vous plaira.
Elle monta danr; sa chambre, se coucha et resta
Menflue sans dormir. Elle appelait. le ~o moil
et il ne
venait paB.
'YlarLiul ouvrit la fenêLr'e, il s'accoucla etregarda
]a nuit. Il était so ul.
l in souffle près ùe Hon vi ~age
, uue main danR
la Rienne lui manquaient. Il oubliaiL Ann ette,
mais il. tournait d'nn anLre r./)Lé son heBoin fIe
lrndrl'SRe . JI pensait longuemenL li Marcelino.
Car, songea-L-il, le cœul' vit. encore mi ell , cl'nIle
{[ouco réal iL(. que do vaincs illuRi ous.
no gl'and matin, Martial Lrouva Marcelino ùans Ja
sallo ù manger. Elle beurra les rôti fi do !lon ami ct. Illi
versa du thé.
Pl'ès d'cllr, il f'Lclit ca Ime ot hC1lI'rux. TouL enlirr ft
r.eLto sensation de hion-êLro, il n{'gligrait ReR devoirs
de polito3Re . A peinC' souhai tui t-il Ir bonjollr il la
jellDe lillo.
Cc lon d'inLimité confi::mlo qui règne cn Ll'O les bonR
rxistait pour eux. Il supprime ICfl froi RsC'meoLs,
ICR agacC'mrnLH, la sllsc('pLibi li V· .
Milo cl
Servi,' rr :, n'a P R dormi, annonça
Marceline, elJ 8f1 pLtint dl' Hon isolpmenL. Ello
Lombel'a muludr. ù son Lour, diL-ollo, Ai VOliS n'apprC'n cz
paEl il viv cc !lUOH moj.
~ln'Li(\[
r o rl ~(\ it de eomprcl1(lrc, il rit.
Jo su i un malado ndlll'ci, diL-il, jo n . VOllX
paR gu(·rir POlll' vous garder toujour.'1.
- TOlljOlll'il 1 Loujours, roprit ln jeune fille; ce
flc'n
i~ bit n long, pour vous.
, Inrcelinp ~(l [('va de lnblr, rlle \taiL (·mue.
- Ven"!, dit-C'lIe, nOU.4 cucillC'l'ons dos l'oses.
(:POllX
�106
L ES TI.T.Uf;J O NS p' Ul'( COW Il
Elle pr it, un sprateu r , un pani er. lis pal'COtl r Uren l.
Les mères dr.
famille, qui protégeaient des boutons, furent
épargnées. Les coquett es hauta in es et seules furent
préférées.
Les jeunes gens revinrent à la ma ison av ec leur
corbeille pl ein e.
_ EsL-ce pour l e salon il demanda Mar liul.
_ Non, fil, Marcoline, je vai!> ul' I'angrr une ge l'bo
nt nous lu don nci'ons ù quelqll' l' lI qui nou,1 t'st. (\hr r.
- A VOtl~
1 ~'( ' c ria
Ma r'Lia1.
Marce lin o, sé rieuse , reprit:
_ Non, mon sieur, vOllS avr.z pordu Ir sO ll vpnir des
:1 rT cLions ù'auLl'do i!> .
- J\utr'nfois ? J\qLrofois, j'ni HOldl'fJl'l ; il Jl1 f) sembJe;
jfl no sa i a plu!> HOlln'l'i r . .J 'ai IlCRoin d'êLrp I!ru['() lIx ,
h r lll'OUX pa l' LouLe mon ûrn o el, dami touL m()n ÙCJ> \I!'.
le jar din. Celle-ri, celle-là ~omba.
SUl1 t1 bOllh r uf', j n mO\1l'fni
MUl'cn li rH' {'r out ait
1111 0
Hor:Olld l'
ln yoi x
rois.
g'l'avp pl
pll r {' t ait
r: hal'rn l!'"
I Al gP\'JH' s'lipo.nouÎ t;fl uit, SOli '! HCB ùoif) Ls; c"" Lttit, 1I1lf'
h e~ eLrosps ; Je/\
longllfl g!'npl )f ' do fl ou!'!! l'ou grfl, bln e
rll; U:t l fl K H'r"cu l'fJuillnjpnL, comm r {JtOTI1I r!/\ dl' IP III ' r'nl ou -
lago dl' rl' uill rs dn JUIIl'ier.
- Cr;; l'O J f' tl Hont I:OUp i\(,H , diL i\l ul'Lill l,
l'ni,. saLü;fo.iL. lWr" Ill' HP Ilt.eJll p:u lu bl ~ s!l
t' 1 ~ '.~
u l' l'
ont
donL
l'li es mr UT'cnt .
i\l/l rtinl, l' JI ~u l'Ci,
mil un hoiHPI' fl'ut p!'n r'l!l lll' 1 joue
d .. !\Turf'r h o,' ({IIi pOllflHU llll cl'i.
Ellp fi ' oJu il pL CO\lrllL " hl'l'cl\(J l' Hon ch p ~ a u el sos
{Fln ts.
A plù f'1l 1,
IHU l o1l 5 [ di~
- {) Il ('.
113 marchaient l' un pt. dr l'au lre.
- Portrz le. Ilnul , dit Marcelino.
�LES lLLUStoNS D'UN CŒUlI
107
- Je veux bien, reprit Martial, mais je pl'éfcrerair.
donner un bouquet blano à lIne fianc~e.
QU'f:n
pensez-va us.
- Regardez comme les églanLiers sonL fleuris 1 dit
Marcelino. Un mutin, nou~
it'olls à la maison do votre
père.
- Les Aubl'ellos, répondiL Martial, j'ai COllflU cda.
1[ y a vaiL tIans le polager un figuier pareil Ù CCliX de
la Provence.
- Los figuiers pou ssent j('i chey. h il propriétaires
Hoignoux. Il y il de tout là-hal! o J'ai UIL jardin incoml,arublo ct mu Illuison ost llll nid.
- Ah 1 te' boau Gon~
1 H ('crlll 1\1ul'lial, \ ous
poss6doz ln IIlUlaOIl ou BUgl' 1... Lui~scz·mOl
tenir
votre main. Nous irons heaucoup mieux IllDsi; r ~ o
slJntio/' est oxquis.
- Vous donner mu main! VrJ\HS Il'y 11OugOZ pH ~ !
Co BerU it illl pl·udont. Vou ' "LOt! guüt'Ï, vOue n'a voz
plue; besoin do guidr.
- On osL habi Luu il I1Ull!i voit' aintl i, pCI'Il Olllle ne
b'f'n étonnoru.
Marcelino l i\Jat't.ial Ilrrivèl'i'nL VOl'S 1111 champ
clos, TIt; rnlrèronL,
Drb nl'bre~
do piCl'r'U cl'oissnil'Ilt OIlLt'O IleS mUt'l!. Ils
avaient ÙOIS bras l' tondus nn r01'll1f) cio oroix pt des
guirlnudos ùe POrlOd Lrossoo.s so HOU iunL h leurs
brunch 1"
Mart,ial L'O 'onllul 10 cimoLiùl'U. 11 /lU :lOU vouait nL il
il lia droi t vel'Il la 1ornbe de son père,
Son père, ]'hOlluno tondro ol bon ùont. il fourrageait
la harhe quand il était petit; Rott père, l'Ii ficr de lUi
nU Lùmpll do S08 succès de cullrge.
Martial d6posa le ~ fleu!'.; /llll' Ill. ùnllf); il luL aue~l
l'Apitarhe:
�108
LE S ILLUSIONS n'UN CŒUR
JEAN-LOUIS BLANCIIARD
décédé le 20 mars 1924
l\laJ'Lial salwloLait.
Il retrouvaiL touLe i:la scnsibiliLü
o
cL il sc souvenaitdu passé . Lü jeune homme resbusr.;ÜaiL
LouL en Lier.
Le v ie de l'esprit cL du cœur csL faite de gOUyenirs cL d'espoirs. La têLe appuyée sur l' "paule de la
douce Marcelillo, Martial pleura lOllguomenL.
CIIAPlTHE.: VI
Mue de Sel'vièrcs aLtendait !llarLiul ct MUl'celino.
Elle l;l'impalienLail. CeR jeuned gells St.! moquaienL
d'une vi cille cl di BLinguéü personne. Elle flO LuisaiL.
Elle déLrslait les scèncs et les reproches. Son exisLCllCU confol'Lahlc glissaiL dcpuiR longtomps sun!!
bruit SU l' un hal'iot ca pitonnu dc VCIOU1'
~l . De melius
évnemc
L ~ enLravaienL ceLte marche BileIlCiellSf' e't
elle s'étonnaiL avanL de sc 1'âche!'. Déjh les dOI1l"iI
tiques ln raillaient. Son nuLol'it6 ml)COnnllC pUI'
Marceline menar;ait la paix des cuisine:,.
1110 (10 Sen j}\,('s a"eltie 1'{'Holu L d'êLr() énol'giqul':
puisqu'il étaiL guéri, elh rellVNJ'llil, J\Iu l' Li ,11 Ù PUl'ÏIi.
~[urcel
illl') 80uriullle, nnirrH',(, d'ulle gaieté lenùre,
I.lllra.
l ~:,GlIS{'1.
nULls, maucmuis011e, di 1 elle'. Nous
,.tioTlI;I au cimf'lière. C'ost loin.
- VOUB dovirz demandel' ulle • lIlo, \'OUS sLrie7.
1 CVf'JlUd plus LôL.
- C'!' L blHl pOUl' Ja 8unV', lu prûmenu(lo à pieù,
Ir. I1\nlin, dit \lnl'celinc.
Ils étuienL ussi!i l'un à cüLe Lle l'o.ulre, C'élait un
�Lr.S ILLl!SlOXS D'UN CŒUR
109
beall couple. Mais le ga rçon est trop sot pour épo user Marceline, pensait la demoiselle .
Elle la garderait.
-- Vous avez été au ('im 'iière? reprit Mlle de Se!'vi6rcs ; cc n'ost pas une gaie promf' nade.
- J'ai vu la tomb e de mon père .
O ca;~
i on
merveilleus e pOUl' parler d'nn dép art, il
J!'agissn i t d'l'n profiter.
- TOH pèl'ol soupira la demoi selle attendrie; ton
pè:re seJ'ait heureux de te voir si bion portant. Tiens,
Fa is- tu ce que tu devrai s faire pour lui, maintenant ?
i a l interrogeaient
L Oti regard s de Mal'celin e et,de ~1 arL
lu demoi se lle. Soq instinct d'amoureuse avertissait
l\lr.:.t'celino. Mun de Servières élo;gnrl'nit Martial. P01ll'l'niL-clic retarder ce malheur?
Voilô, l'r pl'it-elle, je meuhlerai le pavillon de
Ion père . PendanL tout un été lu secaS propriritail'o ri o
la maison do .\1areoline. Cela te va'?
\Turtial l'iuit, cc projet le sé ùui flu it.
C'est uno bonne id l'r , dil-il, mai
~ j'emmùne mn
);,H'de-mnladr.
- Non, dit'f' llo, tu fe l'ai H le malade taule ta vi!'
pOUl' avoir ceLLe eompagnf'. ,\lareo lino m'nppa[Liont.
C'es t ma politr amie. Tu irai> lil-hauL tout senl. L'"ÏI'
y psL pur, eL cp]n t,o plan. Hose , prévenlle, Lf' ser vira ,
!l'est une dnrnrslicl'lCl padnitr. Tu virmdras drje.unpl'
lOlls les malins uvee nous , ta sonté seraslU'voill('p .
.l\Jl1l'colinc ne pouL s'instal le!' avec Loi.
LI' Lon d" ln drmoisclle devenaiL SIl Vt'I'('. Elin avail.
~n
visage ÙN! joul'f! de gl'and'mosse, quand, v ptU I'
(lf' yiol t' L, :l 9s iso dans son banc ù l'église, ello prr;sidnit
l',~rnbée
dp ,'1 fidr']rs.
\ ,'l!abiltlfle d'ê tro ob6io Inissr aux vieilles do.m es un
�110
tES lLLUSJONS D'UN c.œUR
prestige, une autorité qu'un elïor" de volonté peut
toujours ressusciter.
:\larceline inclina la t ête . La demoiselle avait raison.
Martial témoignait à. Une pauvre demoi selle de
compagnie upo aJTeotion très contrairo Ù ses désirs, Il
Res ambitions. Une séparation s'imposait.
Bile murmma:
MlIO do Sfll'viôres n'a pas tOJ', t. VOUfI flore z Lrès bien
Id lX Aubl'ellos, rt nous nous v !'l'Onii ((lU" lra jours.
__ Encol'n un pUll de foie gru'fl, oITl'it ~tle
do Sorvjijres.
l ,a question délicaLo Nant réglée, co sujet dp Don\ ,3r:,aLion fuI, abandonné.
M(ll'crlhlt.l ob~jnL
de Ila rnu1tl'Oi:lilC hA pet'miSfliQp de
veil)el' \l l'in'l LallaLiondu pavillon qui comprenait tJ'oj
~
piùoe n a~1 rf'z-c1p·chnufJsée pt trois pi6col!. au premi
~ )'
,;tage .
_ Lo l'oz- uo-ehotl sfJée me sullÎl'u, dit Mljlrtiul.
_ Mail! vous n'ul1roz pas de cabinet do trav il,
r?clama MUI'celina.
- P ourrai-jl' Lrl'l' oiller ?
l ,r visage Ùl' Marllal (l 'nssombr i t.
La jeun e fill e l'appela.
_ Allons, oil' le logis, d1t·elJp.
Ils :mi ironL onsl'mblr la l ' ont ~ (l nH~r'
('e J'at'brIJ fl l
J(, hnir~.
IIi' ,,'urretui olll UTI im.tonL U\llJoni
1" l'Ïvh·l' c lw:'ù,ln d"
fon lall roine!!,
flanlNI
duil'I', ,: 111' lIIl
pOUl' contempla
L df' peuplieril. En",
hL dl'
ctllIlO\l X.
h
Des I!l' liLs pOi3"nml f,',.tlllnü'lIL ,,1 ehflrcui~nt
c:ur Il,'' du wlod,
On !:in voit! s'I\orin 1\1 I,tinl.
L'imugp do leUfS dou" (êtp li I:hl ronft~i
dallo
l'uu. Ils rIalCn t de cc jeu. Purot' qu'ilB tityjent
Ilnsombh!, ('r~
,.l<ICOU l'rles avai ent d ~ l'mtéret.
�1.ES ILLUSIONS n'UN tanin
111
La VI:) dlJVI'lJaÜ exqllise pOUl' eux:. Elie !wail uno
Baveur de giJ'ollée, d'amande ct de frai se . glle leul'
donnait la selH.!ation de quolquo chose (lui pourraiL
être Lout à la foi~
frais, feJ'me cL vigo ure LlX.
Ils ouvrirenL les volots du pavillon, Iln l! franGhr.
IllmiMe inoncla le logis. Tout, était beuli nt Tlpuf.
1113 l'iront, ils sc prircnt ICll maim.i, i13 éLuion L joyoux
comme des enfanLtl. Que ne chan taienl-ils I.,e Petit
ncwire oU I CI; Lauriers sont coupés?
Avec des meubles cL de!! leuLur(;i;i la muisun Jovioll.cirait charmante .
EL lOB cOUVOnUllllL!H en e!tl1ssui /IL la [l1'opJ'iüt.aiJ ('.
Marcelino l'I'onça SO!! ~ourciIH,
muit; 0110 l'tlprimtl
vilo ootte mauvaiso hUlUeul'.
~
Elle courail do pièco CIL pil;lll'; ~l rlial, IHt! 1Il!.
tondues vers elle, la suivaiL. Di':'; qu'clll.' 110 p(\ns(\ll
,plUt! cxOlUt!ivolllonL à IlIi, il ; Lllit, d6l:1crupul'é.
- .Je préfèro insLall or votro I;ilamb l'(! h coucher au
premier, co Horu plut;; !lain , NO:11i lIIettl'om on ha"
Iii salle ft mnngol' 01., Jo uubilleL do 1l'a \ ni!. ,J'y , l')n,.
J\ogardt'z la vue, cllo \JilL bolle!
Us s'accouùùl'onL. LI) CÔLUUll dOHllo llllaiL d U\'llll l, cu:\,
1;"Jf,aiL toule ln pl'opriélü choy('e pCIHlFult l lll iL (\'1111111"0"
par Blanchard pOUl' Bon lilB cl!uI·i.
La vigno fl'oLulnit Il droiLc, !P,i bll;/I f'l II':; (J \'oinc~
['ouBllaionL il guuche, 1011 (ll'I;tj ~'/Le
luj.'1,
HU bord dr
la l'ivil"I'c, 1111 HO pOllellôronL p0111' MrOllvril' fopoLage]'.
Los Hrbn'tl éluÎrlll rhurgos dl' rl'IiL~
Ll' ~
fi g1licr;
porLaient des figu'JH grosscs comIlLIJ Ill'olllOi';I'u."s . lk,
111aLancB plunLéH l'écclOlnenL aulour UI) la ln iS1l1l
li liaionL le Loit. Ils IIcmblaicnL uir.,:
- Nf) soi' pnB si fif'!', fiOUt! Lo d!ipat3t!cl'oll r; hiouLôL.
_ Ce jardlll osL cl lu'm/mL, diL Murlin!. II I J est '['('nI
:,Jlcncicux un mOIDr'nL PUi,i , hl'ur.rll\rmonL, Mar i l l
�113
L ES ILLU SIO NS n'UN CŒUl\
- Tout cela ser vira plus tard à Marceline, dit Mue de
Scrvièl'es ù Martial. Plus tard, avec la l'ente que je
lui léguerai, ell e vivra h eureuse dans son ermitage.
Elle ne sera pas à plaindre.
- On est à plaindre quand on vit seul, sans aiTection. Marceline avec un bon mari serait plus h e ur e ~t; e .
- Tu ne parlais pas de cette façon, il y a un an! ...
La colère empourprait le front de Mlle de Servi ères.
Ses habitudes 6taienL menacées , Martial voulait lui
enlever sa Marcelin e. La jalousie qui accomp'agne
toutes les rivalités la mordiL au cœ ur.
Elle dit méchamment:
- Les de Courlieu vont vcnir. Ils ont été en Italie
et ils revi ennent av ec les façons des jeunes mariés
heureux.
- Tant mieux, dit Martial en pâlissant, j'aime les
hons ménages .
Martial ne dormi t pas de la nuit. L e lendemain, il
avait 10 regard vacillant ct le teint plombé. MartIal
était donc bien peiné de quitter la P eylouzo, pensa
Marcelin e.
Ello voulut l'accompagner jusqu'nu pavillon.
lis étaient uI'rivés , ils devaien t se séparer.
- Jamais je n'ai ou tant besoin do vous, supplia 10
jeuno homm o.
- .A bientô t, à cl elLluin, l'épondit-ollo avec enjouement.
- No me quittez plus, demanda Murtial.
- 11 le fallL, ecpe llcl anL.
Marlial demeuru !Oe ul dans son pl'esby tèrc.
8
�112
LLS ILLUSIONS n'UN CŒUR
déclara: Marions-nous . Commc je vous aimcrai! \ ous
!:lerez chez vous. Je vous vois drap ée dans une robe
de chambre chaude l'hiver, et légère l'été. Ce doit
ê tre bon, une femme à soi, dans l'intimité.
- Vous croyez cela, Martial, parc~
que vous avez
été malad e. Alors, on voudrait toujours se blottir;
plus tal'd, quand toutes les fOl'ces sont revenues, les
liens de tendl'csse noués dans un moment de détl'esse
deviennent pesants. Dans l'intimité, une femme a des
bigoudis, elle reprise l es chaussc ttes et vérifie lcs
comptes. La poésie s'envole, l c prestige meurt. Le
mari est.. seul avec sa femme, c'esl-ù-dire en face du
devait' et de l'amour obligatoire, Songez donc 1 Vous
cies habitué au rêve, la réalité vous olTensera toujours.
- Des rêves malsains, fit le jeune homme,
Martial, très triste, se taisa it.
/\nnelle s'éloigno.it un reu plus chaque jour; ello
de venait p etite, si pelÏle 1 Il se souvonait ù peino do
la couleur do ses yeux.
Et Mal'celine, le bonheur accessible, ne voulnit.. plus
de lui. Toujours rejeté, il était condamné ù ln solitude.
- Cependant nOllS sommcs nés pOUl' nou s entendre,
fit-il, assorLis d'âge et de condition.
Je suis une demoisello d e compAgnie dans 0
monde ou vous voulez régner. Une autrc vous appol'tera cc que je ne pui H vous donne!'. Je no peux pos
acceplel' en co moment.
- Vous m e fnites ùe la r einr, diL Martial.
- Plus lard, nous verrons, murmura l\1areclitH'.
;\Llenùr7., espérez .
Elle mit un ùoi gt sur ses lèvres , elle s\;chuppa cL
cl 'scc ndiC;1 la cui inr.
Lc jour dc l'in:,!a llnlion, une voitUl'O n Llrléo de
UO' Ur!! UlW'lIa le::! rn r ubles Il ·tloyéd el gUl nh;.
�LES ILL US ION S n'UN CŒUR
ClIAPlTH8 XV.II
:\fartial al'1'iva Lal'd à la Peylouze.
Il s'excusa de !lOll reLunl eL aussi de Sa mine drfnite.
-- Je n'ai pu me rcposor, diL-il, j'avais froid au oO"'ur,
lout sou l, là-hanL. EL il faisait si chaud! J'ai pass6 une
partie do lu nuit à la fenêtre.
- Vous n'avez pas dormi? s'écr.ia Marceline,
d{>sol{>e.
- Une nuit blanche, cc n'est pas grave pOUl' un
jeune homme, allirmn Milo de Sel'vièI'es_ Je n'ai par;
ou cio l'epol:! cL cela ne L'émout gUl1re, MUI'celine 1
La demoiselle s'jr'l'iLaiL facilemonL. Elle ['ossenlait
Lous h,t! déch irements que ùonno uno passion dédaignée. Ello craignail do pOl'dl'e Marcelino. La gl'ùco
tondre do la jeune fillo la prenait un pou mioux
ehnquo jouI'. Ft comment vivmit-ello Rans Marce.
lino?
- Ma petite !ll/e, dit-olle, vois donc si 10 cl6jeuner
t'st prêt.
DèB qu'elle fuL seule avoc Martial, l'11e l'atLaqua
brusquement.
Elle voulait se débarrassol' dl) ses souci, ct HSBurrr
Hon avenir.
- Marr line l'st charmanLe , diL-ello . Tu 1',1. rdus n
f/uand nllo vOltiniL du loi. A préspnL, jo lu ~ard
) ellc
m'uppuI'LjPIl L.
L('~
fac;ontl f,lmilil;l'c,; de la dprTloi.,ulle l'roissoicnL
Miu'LiaJ. 11 purla du P'Jvillon.
- C'('JL unc ogrl;ahlo pl'OpriHé. L'on y ViVI',lit trètl
houl'cux pOJldunt hUIL mois de l'ann(.c. ;\lui je n'y
rcslcrai pas longtemp.i.
�LES ILLU SIO:NS n'UN CŒUR
115
- Tu fera s bien, r epartit ~1 1 e de Servières. Tu
devrais chercher une place, une siLuation st[\ble.
Marceline revenaiL, elle enLendiL la demoiselle eL
elle s'éuria :
- Le doctoul' l'a diL, il IauL il M. Martial plusieurs
mois de l'epod après la guél'itlon.
- Je n'abuserai pas de l'hospitalité de Mue de Servières.
Marceline soupira.
Le déjeuner éLail servi. Le repas apporta une
diversion cordiale à l'entretien qui Lour'naiL mal.
Martial boudaiL sa faim. Tl était ici en obligé, il le
sl'ntaiL. Annott.o Je mépri sa it. POUl' elle, Mar'Lial Blonc hard (' Lait. un raLé, rien de plus. EL Murceline le
l't' poussait aussi.
1.0 fil s dr llianchard le régisfle ur n'éLaiL ]Jas fi el' en
c,' mom enL, (l, circonstance aggravante, personne ne
l'é taiL de lui. Il demandait l'aumône d' un e ad miration,
d'une confi unce, d'un amoul'.
Il tourn a vrrs Marceline un visago pâli pal'
l'an goisse . Ln jrlllle fill o so contint pour ne pas pl'endre
'11tl'O Hns mains cr Ue tête cl la cal'08srl'.
Une voix mUllta iL, c!' iait en 0 110 : « ,Jo l'aime 1 »
Lc dt'jeune!' p.'nche\u on Rilenee .
A pein e j 'H ('o nviv PR fUT'f'nt-iIB inRLall ('H dans le
peliL sa lon pOllJ' un r OjlOS nt WH' "'Ctill'O (l'l'ils ent!'ndir nL lu gl'jllo du }l!U'C s'ouvril'.
Los chions nhoyaillnt, 10 gravic!' ùrs allées gr'inçuit
bO us les "OUCs; Marcelino J'egal'da fi la l'cn êLr'(' .
Lm! do Courlirul H' 'cri:l-t-plle.
Il s ('La ienLcle l' o Lol'(
~tMa!'Li
lo
suvaiL. L'insomnie, lu
ll'illtcssO s'ex pliquai oTl L.I 1pensaiLde nouv Oau ùAnnoLlt'.
ola Le HllI'pl'p ml, pol ilr, dit Mlle d e Sé['vièl'es;
MurLial el woi nous étions prévenus do ce rolou!'.
�116
LES ILLU SIONS D' UN CŒUR
Une rose du jardin, un bo uqu et de fl eurs fraîch es
entrait dans le salon. AnneLte, vêtue dorose , sous son
mant eau, parfum ée, fri soLtéo et très gai e, entrait.
Elle était si petite, ct il n'y avait plus qu' elle dans
la pièce.
l~ l o sauta au cou de M ilO de Se rvi
ùl ' e~ , te ndit ses
mnins à Martin.], à Marceline, sc tO Ul'l1a vers son
lll a ri.
Il souriait, visiblement heureux.
- Quel exquig voyage nous a vom fait 1 s'éc ria
AnneLLe uvec feu. Nous avons éLé ht' ureux, n'est- ce
pas, Pierre 1
- Cer tainem ont, ma ch6rie.
11 n'avouait pas ses joies san s prendl'e un uir détaché.
Jl était si di sLingué 1. ..
f! avait oté bien moins distingué pendant quelqu es
semaines , puisqu 'il IwaiL été heureux. Le Lonh our
r end Lous les hommes égaux.
Mal Liai conte mplait AnneLLe. 11 déeou'il'uiL on clIc
un e grûco ach evée, fini o, qu'il no lui connaisRait p a~ ,
cL qui ne l'attirait pas, nu conLrairt' , qui l't" loignait.
El
r~ ütaiL femm e, clio avaiL emb elli.
Il voul ait parler avec ell e du rendoz-vous rnanq\1l;,
de tout co qui avait suivi. Que dirait-ell e ? Elle prévint F,on déa it' .
..... VOU R ave7, uLé malade, dit- elle, j'ai éLé désolée .
VOll f! viendl'<' z nous voir, nOLIs l'c:;LcrollS longLemp s
ici. N'cs t-co pas , Pi erce.
El! rouco ul ai t, adou cissait su voix P. D s'aùressant ù
son mari.
Mnl'cp lino se lcnni l ù !'t;cCl.rt.
�117
Milo de Sel'yières entra1na ses visiteurs au jardin,
quand ils furent repo sés .
- Venez, vous deux, dit- elle à Marceline et il
!artial.
Les dames ouvril'ent def) ombrell es ct se prome_
nèrent clans le parterre de roses.
Annette riait; elle renversait la t ête, dilatait ses
narines , elle buvait les parfums.
Le ciel s'étendait d'un bleu uniforme jusqu'à l'horizon, les arbres montraient une riche verdure.
- Voyons le po Lager, dit AnneLLe. Les fruits sont
à la mode. La comtesse de Noailles les met en poésie .
- Vraiment! dit Martial, nous pal'lel'Ol1s de ces
choses ensemble.
Elle l'attinlit. Le joujou retoumait-il vCl's les petites
mains gâcheuses.
Marceline contenait ses larmes . L'expression de
résignation de son visage tuuchait Martial sans le
suJuirc.
_. - Pauvre fille! pensa it-il.
Celle qui sou fT l'ai t ne brillait pas pt'ès de J jolie
Alln Lle.
La dame en J'Ode voltigeait. Sr,! jupe frémissait et
bruissait comme un f'ssu im. Le miel 'tait sut' ses joues
fosécB, SUl' HOi> Jùvres l'oses.
Le heau miel pOUl' utLru}lcl' le" mouohes parait, fo rt
H8\OUre ux.
01', AnnotL e sc tordit le pied: elle a vai t do si ha1tts
lalons !. ..
Pierre porla sn femme sur un banc ; il Ja déohaussa ,
la f.'iclionnu, MUl'Celin o courut ü lu ouitlillo pour
domander do l'eau bouill antc .
Ln petit, pi od, rou gi', Lrès rougo , tl'~ S cuisant, haignait duns Jo lHlt'f, in.
�118
LES I L L US IO NS D'UN CŒU R
Et Annette pleurait, criait.
Ce pied était moins brûlan t que les deux oreilles
cramoisies q ui pointa ient à la tête du fil s Blanchard,
ému, troublé peut-être .
L'accidcnt élaiLséricux , une entorse 1. .• :
Une entorse à la campagnc, sans bea ucoup d'a mi r;
po ur la disLraire, c'était un dcs g ranùs désastres de
la vic de la jeun e fem me.
- Vous viendrez me voir, diL-ello à Mar tial.
Son r egard suppliait. EL le joune homme oût un
souri r-e do défi pOUl' 10 m arj.
Quand la palLo eti Lcassée , la fa uv etl e cntre dans la
cago.
Lo soir, Maltial p rit congl) ci e l\ lal'üelino ol do Mue do
Sc rvi èl'es.
La w Jiludo lui plaisaiL Mj ù. Le cheJllin du Pavillon
lui pUI'uL charmant. li voy a il sa m; or880 UllO silhollCLlu
vôLue de roso. MnrcI' Jino l'a vaiL ,:li bir.n soign(" il 6lHi t
gll él' i, même du so uve nir do sa déce ption, 0[' ai.mel' do
loin \ln c pl'in CeHHe CI:lt plus 61 ôgant, plus potiliquo surtO lll, qu'ull mari u(if1 avec un o gentillo joune fi llc.
Marcelin e, sC lIII' daml Ha (' ha mbre, pl cllra iL. Longlcmpli clle l'cH La I f'll coudes aux genoux , la LêLe app uyél!
clall s IlIlS mainll.
Ai nsi Ta l'Lia l rcLOUI'll ()raiL vr nl JOHgr.m; ({Iii pcr naient
~a san lé r l <l"i so mOCj uaienL de llii 1.,. Un dangol' 10
menaça it, il H('J'u it 10 se ul jOlijOIl il ('('acLelel' pOUl' lio n
fe mme J'clt"g uée à la campag ne eL immobiliséo par un e
entol'so.
Corn menL le prot('ge r ?
Marcrdiuc GO lo\·a . LCf; dra pli la bril la i p ill . Son ma lade
.3olllTraiL l'n('O!'r . 1 ~ 1J 0 80 leva , miL Hon pr.ignoil' ct
s'aJTô Ln ,\ la fcnêLl'c ; If'H ;J lllie' olt i lr~ 50 pl'OlIlf'llaienL
ensembl e claie nL Lou Les blandwfj clann la nui l. D08 pal'-
�LI:S II LUSION S n'UN CŒUR
H9
fums, des soupirs monLaient de la campagne assoupi .
(lue n'6t,ail-il près d'clic 1. .•
d'ulle llIunLe eL
J\larceJirll' 1)0 cbaus::iu, ~ 'elvopa
au jardin.
descni~
On me Je reprendl'U, pen pa-L- lIe.
Ses soins, sa PI'I'sonce (!onsLante lui m nqllaient.
Ell e regrett a de n'avoil' pns, pal' délicalesso, accept('
de l'épouse l' tandis qu'i 1 le d('sil ait.
Deux jours phlf\ tôt, il lui disait: (( Murions-nous ».
Ello avail domantl{' du lem]>J pOUl' J'élléchir. Du;
dt'muin, elle lui dil'ail: (( .J'acI,ppte ».
L o temps d"tre fil'I'c étai L paBs':'; il s'agissa it d'ètre
prompt c cl do l'arrach er il ses rêves malsains . Elle
pl' "viendr ait lIrl malheu r.
Je doili dOl'mir, ml.ll'mul'u-t-ollc; demain, je me
fOI'ai h '110 ct je lui parI 'l'ai.
M:.ll'relillP l'lait bit'Il )Jill!' le Uialin. Elle n'avait pa'\
ct c'n tul,)r'ile B qui fal'dcul
de 'Pl' fl'aÎf'IH'ul's l'n pol~
ph.i llil'.
le
Ips f!.'lIIme !! fnligu(' 'S plIl'
EJlI' li ssa ses ('/1('VOU X ('hUluins, Elle choisit dans e,u
(' I' ~;
gUI do-rollP un rOI' H I1( ~ 1' do hl'odel'io VIII'ni dl' dt'nl
dt'
Mlla
(lUI'
indiqlll'Q
pL unI' jupe dl' drop blUlH', toileU!'
Oll.
SPI' ifll'OH pOUl' 1!'1l JOUI'A de 1·t'·GPpti
Ln demoil1()lJp l'ncl't!I,illit UVP(' t'·tonn r mPlü.
l'oUl'ql1 oi ('P ('O:{LUIIIP j' 'l'II V('II'( 1ivaliRPI ' nvre la
daTTl!' Cil IO:W '
Je voudra is foLl ' ( belle, fil Mnr('plirl<' !1ul'ipu sl·.
MW- dl' S"l'\ iln'Ii l'éflt"l'Ilit, un in tant Pl ('of}f;c illn il
f\lnl'rf'lilll' nnr ll'I111P pluH lnodpsl l'.
ù tu
C('fl hi!\tnjl'I'H-lil ne vont ni Il Ion ll·int ni
_
l'ondilion,
éLaiL évidenLe . MUl'ceJine 81'
L'inll'rrlion tlo f,'oi ~ st'r
tai ail pt sOUI'iait.
~ ' filin mnlln-'ssl'.
S -l
1'I ' nl'ù
�L E!> ILL UR TOI::;
1) 'UN
CŒu n
12 t
Sans doute, il est doux d'aim er un rêve, c'es t un
peu comme si on s'aimait soi-même?
Cep end ant, il fût saisi par 10 bien-être du malad e
qui retrouvo une infirmière dévouée .
EL Marcoline n" tait plus une demoiselle de compagnio.
Elle éLniL exqui se . C'était ln fée de la sa nté, la déesse
de la verùul'e , ' t MarLial s'empressa vp!'s elle.
11 ava it besoin ue 10. revoir. Sa pauv re tête éLait si
chaud e t si lourde ct ello 10 guéri l a it un o fois de
plus.
Ils uni vèrent l' un à l'autre ossoufflés t heureux.
Un dés ir do Tar tial se réalisa. 11 appu ya son front
bl'ûlunt sur l'épaule de Marcoline.
- J'a i encore grand besoin de vous, dit-il.
- C'es t vrai, fit ln j lino fill o. Alors, VOU !! vous 80U v(;nez de cc qu e vou s m'avez dit, il Y a deux jours
Il tenait ses mains et la fix ait.
- Nou a mal'ir!', vous voulez bien 1
- Jo veux , répondit Marcelin!'.
Le ton ptait ferme eL10 regarù venait droit dans les
ye u x: de Mar li l.
F i'anche le nL, fi vaillanto, Ile accoptait touLe la
vi" du j uno homm e et elle donnait toute la sienne.
MarLial soupi l'u. Il baissa la tête eL ne sembla pas
he urùlI x.
Marceline, pour lui donn"r plus de joi , s'élança vers
lui et noua e s bras autour de son cou. Il s'abandonna
nu plaisir de ceLLe car 'SBe tendre.
- j e suis heur ux , dit-il.
_ Allons vito annon ce r co Lt e nou vello ù Mlle de Scrvil! res, cl iL Marccl ine.
JnnocenLs ot contents comm o doux enrants, ils mnrchèront en sc t enanL par la. main.
�120
L ES Il .LUSIO)IS
n'ur,
CŒUR
- Oui, mademoisalle .
- AJorll , ohU is. Va ôter cet te robe.
Marceline s'obstin ait. Elle rest ait debout près du
lit de Milo de Ser vières qui s'exaspéra.
- Je détes te les gens volontaires, dit-clle. Use!' d l)
mon alTection pour faire to ujours ù t.a t ête , c'es t un
a bus de confiance, après ce que j'a i fa it p OUl' toi.
- Si vou s le l'cgr etlez, vous ne devi e7. pas être
bonne, r épondit froidement la jeune fill e.
CeLte réponse fo rl inattendu e d6concer- la 10. v ieille
dam e. N'aurait-ellc donc jamo.is la paix av ec ceLl!)
demoi selle do comp agnio? Elle se fftc ha.
-- J'en ai asso7. de Les cnpl' icos, d it-elle. Jo finil ui
par te détes ter et le r envoyer. J e t e chasserai.
1Ja demoisell e perdai t la rai son. Ell e s'emportait.
- Vous pouvez m e cllUSSel', dit fi èr em ent Mn reeli nf' .
Cette scè ne augm enta le courage de Mar0elin e. E lIn
n'é tait ici qu'un o employ(;e , une RU bal tel'rI e, moi n. ;
qu'une amie, ct plus qu'une femme de chambre. Elit'
fut ingrate et niu jusqu'aux bienfaits de la demoi selle.
La r'econna issance qui ohlige ù certains renoncements est un lourd fard ea u.
~larcein
e quitt a la d emoiselle et garda ses vêtem ents blancs . Ell e mit so n chap eau de p aill e ct elle
sortit du parc.
Elle monta iL ve rs le pavillon, ct l'anima.tion qu o
donne la marche avivait l'écla t de ses ye ux el de son
teint.
Sa taille soupl e ônùula il, et sa silh ouette blanch e
dan s lu camp agne d'l:t6 6ta it une statu otte, lin Tana gra qu e Marti al, à mi-chemin, ap erçut, un e femme qui
vonait à lui. Pour lutter conLl'e 1 8 illusions m ('chanLeA ,
lino réalité frai che, blanche, heureuse , t end ait su main
au fils du père Blanchard. La r efuse rait-il ?
�122
LES ILLUSIONS D'UN CŒUR
La demoiselle faillit s'évanouir quand MarLial triomphant, lui dit.
Nous nous murions. Nous n'avou6 plus de parents ct.
nous vous demandons un consentement.
- Jamai s 1 jamais 1 Vous ne fe roz pas cela 1
Elle surroquait.
Marcelino s'empressa, elle ouvrit les fenêtres.
- Que vais-jo devenir Bans toi? dit la çlemoiselle. Te
marier, quelle horreur 1. .. Suis-je mariéo! Vous serf'Z
très malheureux. Avec ta mauvaise santé, tu prend.'
une f 'mUle 1 Une femmo coûLe cheri
Tout ce que Mlle de Servièros avait (~ntedu
dire
contre le mariago, elle le débitait uvee précipitation.
- Mais nous nous aimons , dit simplement Marcelino.
- On s'aime et on ne s'aime plus. S'aimol'I csL-cp
une l'aisoH pour Sil marit>r? VOIIR VOUA murierez eL
Il su iLe VOIlS no VOLIS aimerez plU t>. Il vaut mieux go['d e I' danl:! 80 1l CO'UI' un tondre Re nliml 'nt: le réali ser
danR lu vie c'esl souvent le pordl'e. Une fois enBomblr,
vous lomberez dans l'en nui, l'inromplllib ilil? d'humf' lIJ'. Et pnin collr> cohabitation uvec lin homme,
songell-y, Murcelino. Tui, si délicaLel ... Et VOlIS aurez.
des enfantld ...
- Defi l'oran lB, nOLIs aurons des cn fun Ls 1...
Les dellx jeunol3 gelH\ nLlendriH, fi.tlUI sc lloucipl' de
la demoi selll', 8'cmbl·a!if\~(et.
Hs étnit'nt fous Lous les deux, inutil e de Ir'ur purler
tlagemcli t. Lu demoisello su résigna a voc BU bl'u!!querie habituelle.
- Alors, commandu-t-ellc, nous boirons du champagne il ]0. santé d 'S Hanc ~l!;
Mo.l'coline donna 10 bras il la demoiselle, ct la oon.
duisit Ù lu I!alle Ù munger.
�LES ILLUSIONS D'UN CŒUR
123
1 11 dessert, elle était rem ise , et elle s'enquit ùo leurs
projets .
- Comment vivrez-vous? Je ne supporterai s pas
l'idée de ma petite Marcol ino malheurouso .
Deux jours plus tard, Milo do SorvièreB appelait son
notaire, et louL se passa comme dans 10 meilleur dos
romans .
Elle doLait une demo iselle de compagnie. C'étai t
un acLe LouL à fait él6gant cL gé néreux.
Elle donna à Marceline le Pavillon, une rQnte, 50n
consenlemenL, sn bénédicLion.
Elle excusai Lsa générO!> ÎLé rl sa faiblesse en disant:
- C'rBl un beau couple, cL 1\larcoline est si heureuse.
- El puiD, eondut Annetto l'cusorcrleusc, nous leur
devions bien cela, n'esl-ce pas, Pierrr, c'esL cc godiche
cie MurLin l Cjlli ft précipiLtl notro mariage.
Ses HSI;iduiL6s nuprr, dû moi cpouv, ntaiont papa.
Elle éclaLa d'un rire acide, gai, infiniment.
CllAPlTHE XVIll
L" toit du p.,villnn nhJ'ÏLait lin jrllne mf'nago. L8
uni"on ('lait peLiLr,t les époux Laient heureux. LM
oi"e<lllx ail nid, ICR C(f'urs amis dOffinndent peu de
place, 01' le lo,;is liLait ploin de sourires ct de tenclrcs,;e ,
Mal'l'olinr, on robe ,..!.lÎI'C, allait cL venait, Elle ctllinaiL HOII mnri, motlaiL des flplll'S dam; son ca binet do
Lrnvnil. i\!'s~1f
l"'l'H do IlIi , 1' 110 b"odait. Elin Rurvcillaillm! dOrntHltiquos l'L visitaiL la ha ~scoUl'.
LA pl'opl'iJté planl ';o eL cultivél: par 10 pèro J3Ianuhard p01l1' son fils bicn-aiJnl' , le jaullo ménage la cultivait, aido par un lIléLayCl' cL fia femmo.
�124
us
ILLu s rONS n'uN CŒUR
Dam; leur bungalow, Martial et sa femme buvaien t
le vin de leur vigno, mangeaiL du pain pôtri avec la
fa l'ine de leur blé.
Depuis six mois, le commencement de la Il1ne de
miel, ils becquetai ent les fruiLs du verger.
Ils a vaien t mangé, sans se lasser, les fra ibes , les
framboi ses , les pl'unes, les fi gues, les poires . Ils arrivaient aux pommes.
A table, Marceline et Martial s'asseyaient l'un il
côté de l'auLre . Hs n'éLaient pas en vis-à-vis, comme
leB époux bourgeois ùes mariages de convenance.
Dès le premier jour, MaJ'coline avait ainsi désigné
les places. Cal' eHe avait entièrement conquis Go n
mari. Ils mena ient une vie si pareillo, jls avaient l'air
d'être juchés GU!' une môme branche . Leurs gest~,
leul'S désirs s'ajustaient exactement. li s no savaient
plus guère lequel des deux voulait, c t lcquol agissait.
- 11 eû L été dommago cie 110 pas vous marier,
avouait padois MIlO de Se rvières.
Qu ) beau rôve réalioé pOUl' l\larcelinc 1 Elle avait
un mari à aimor ct un intéri ow' ù soigner.
Un mari 1. .. r ~ tqu
cl m a:· i ~ ... Pnn unm ariquelconquc ,
lin mari qui raiL bj en ]WUI' Je monde, muis so n MalliaI, celui qu 'ello aimaiL 1. ..
L s pellpl p8 hcul'r u '\ n'ont par; d'hisLoirr. Ct'lle dr .•
ménages heure ll. esL illlércosanLe seulement pOlIr
cpux qui la viv nL.
Une atLollLion, un Dpromenade, un baiser donné ou
reçu conLionn ilL assez de joio pOlll' Cail'o de chaq li e
jour de la vio un jour do honheur.
Un maLin d'ocLobre, Mal Liai di Lil Marcclino :
- Et Paris i' ...
P oa ava nLjunvi er, voux-Lu! On ea LbÎ bi rll , ici!
Un rri sso n tll'CIJUU le:; l;J'uubj ÙU l\1urcolinr.
�LES ILLUS I ONS n'UN CŒUD.
125
C'é tait le froid sans doute. La servante alluma de
grand es Oambées dans les cheminées du Pavill on .
Le plaisir du foyer brillant, le jeu des p é til ant~g
étincelles a musère nt Marli al. Il oubli erait P a ri s.
Il se dir igea vers sa lable de travail. Son cer vea u
ra fra ichi tro uva it des images et dl'3 idées .
Mar celine, pl'ès de Jui, l'ent'J ndait penser et v ivre.
E ll e B tenait co ntre son cœ ur. Car tout es ses sensati ons lui venaient par cet être chéri.
S'il paraissa it heure ux , l'Univel's entier riai t , l' exist .nce éta it bonn e. Des o}1lhres passaient , fermaient '
ses lèvres cl alir.ista ient so n l'ego l'd ; a lors tout ùevena it oùscur .
Songeai t- il au x h CUl'CS troublées? Gardait-il ùe cc:;
regrels « d'autre chose » qui ll'ahisse nt une épouse .
Marceline trembl ai t .
MarLial acheLa un fusil, pl'it un permis ct c lasse . Il
pa rla it dès l'aube et l'evenait tr iom phant , la gibecière
garnie.
Fils de paysan, il éta it ad roit . 11 Ll'aqu a it habil emr nt le g ibier.
Milo do Servièros lui permi t ùo chasser SUl' ses
terrI' .
- Tu m'as PC'lS cc que j'ava is do meill eu r , je lW Lo
c hi ca ncra i pas los IJPI'drcaux ct les lièvr es.
Ma l'Lial vo ulut, II l'époque des se mai lles , jeter luimê m ù sa Lerro quelques vol ée:'! de bl é.
Los jellnrs ('pou x partirr nt, un mat in, pour rejo ind re
10 labo ureul' oa n!i ln g1'llnde pièce d terrI' . Ell e 8' ten du it omml' un carru d'éloIT" uni e entl' les haies ct
les arbres dépO llill é.i. La rivièro traçai t. au su d un s illon cla ir. Vers 10 nOl'o, la rnf\ ison, juchée sur la collin e,
domin ait l , paysago.
Marlinl, en co"t U11l e de chasse , ce ignit le sne re m-
�126
LES ILLUSIONS n'UN CŒUR
pli de froment, ot, en marchant, il lança un peu d e
hlé jaune. Il riait, très heureux.
- Hein 1 chérie, fit-il, vois-tu ça, 10 poète-paysan?
- Monsieut' l\lartial, dit le paysan, vous Beme:l du!
écus d 'or.
- De l'or! fiL Martial, nou )Jus, muil:! du Jluin pOUl'
de bravos gelll:l.
Il admil'ait son maître et sa jeune dame .
n joignit les mains, secoua la tôte.
- Si défunt votre pauvre pùro vous voyait, serait-il
heuI'eux 1... Vous '\ tes devenu un bonhomme do chez
un monsieur
nous, et vous êtes bien tout de mt~o
l'écrivain. C'est la perfection. Le pain el lu piLunce
dans la mêmo bou chée .
Martial l'emiL le sac au JoboUl'eur. Marcelino était
fatiguée.
Los deux opoux revill1'ent, en s'nppuyant l'un SUl'
l'autre, vel'S Je Pavillon.
MUI'celin e Lendit ses mains glacées au feu. Murtinl,
assis, se bloLtit contre sa femme_
Aussitôt J'échnufTé, il s'insta lla ù sa table, JJJ'it ~'a
plume eL lravailla.
- C'C'sL le derlli er' chapitre do Lon livrr ? dit I~lu
celine (lU Loul'TIunL su lûtr souriante vers BO n mal,j.
- La conclusion du derniCI' CllUpitl'c, J'rpondit
Martial.
- Cela finit gentiment? demanda la jCllne femme.
- Vions voir. C'os t aussi joli qu'uu cOlite ùe fées
qui pourl',ü L cependan t 80 rùaliset'l ...
Mal'celine Il'approcha. Ello s'assit uuprùs Ùe Martial, et elle luL :
« Jucquell el Jacqueline s'a imaient comnlO peuvent
s'uimpr dl'!; l'J'ères, des époux , des ami". Point de mysl t< l'tll:l, nul rncusonio entro eux, 10ul' cunfiunce étail
�LES ILLU.'IO;<;S n'UlS CŒUR
127
. . absolue. Leurs crr'urs élai(!n t deux li vres écrits en
gro' ral'acLrres dans lesquels ils laissaienL lire sans
rainte cl, Hans méfiance. »
- Auront-ils beaucoup d'en fants? demanda Marceline.
- Chérie, ils a mont au moins un gal'çon ... ou une
fill e lout d'abord . Plus Lard, on ne sa it pas.
Marcelino cl MarLial so donnèl'e n t des baisers
joyeux.
La jeune femme reposa longuement sa t ête SUl'
l'épaule de son mari.
7D-3
FIN
· 3~.
-
COr.DEIL.
Imprlmtrle
Ca~rt.
�P9ur paraitre la SeliUline prochaine IOUG le nO290 de la CollnlloD .. rAMA"
l'AR ANTOINE
FRANCIS
LE SERMENT DE NICOLE
PROLOGUE
Par celle journée de Février grise et mélancolique, on
apercevait, de la fenêtre entr'ouverte, les arbres dépouillés
de leurs feuilles, qui semblent tenùre leurs branches en geste
do supplication. .
Assise dans un large fauleuil, face à 1\1.0 Dulerel, une
jeune fllle, en grand deuil, écoulait aLLentivement lout ce
que lui disaiL 10 nolairo.
Souvont, un tress" iIlemenl la parcouraiL touLe oL olle
passaiL la main sur ses paupières, eommo si elle espérait,
par cc gesLe, chasser une triste vision.
Quollo incurable tris Lesse en elle depuis la morL de son
père, 10 comto do Pr6morall
Orpholino d6jà do sa mère, morte lorsque Nicolo do
Pr6moral avaiL quatro ans, ello avait reporté toute la tendresse do son cœur Sur son cher papa.
A la morL de celui- ci, survenue un mois auparavant,
Nicole de l'r6moral avait cru que le destin no pou vait pas
la frapp er :davanlago. Ello avail espér6 pouvoir pleurel'
Lout b. son aise, loin ùes soucis malériels 1. .. El voici quo le
nolairo lui a r6v616 sa ruino 1
Mal conseillé, inexp6l'imonl6, la comLe do Pr6moro,ll avait
subi à son Lour la munio do spéculaLion qui mino notre
si~c1o.
La fortune des Pt'ômoral, sulllsanLo avanL ln guerre, ne
pouvait plus répondro aux oxigonces d'uno 6poque toLalcmcnt boulevcl's60. El, la Lenùresse de ce pùro qui no vivaiL
(A suivre.)
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�
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Chigot , Elise-Marie (1873-19..)
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A name given to the resource
Les illusions d'un coeur : roman
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Ed. de la "Mode Nationale"
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
impr. 1932
Description
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Collection Fama ; 289
Type
The nature or genre of the resource
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BUCA_Bastaire_Fama_289_C90790
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pratique autant que le charm e captivant de ses romans expliquent
son succès croissant.
PATRON
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i ~ DI'O~S
~IO"E
94,
d'Al és ia, PARIS (XIve).
�LES PRINCIPES DE
TANTE GERTRUDE
�H, LAUVERNIËRE
LES PRINCIPES DE
TANTE GERTRUD.E
~DITONS
ROMAN
DE .. LA MODE NATIONALE ..
94, rue d'Alésia. 94, PARIS (Xiv e )
�LES PRINCIPES
DE TANTE GERTRUDE
- Coucou 1
Les deux mains de la fillett e s'étaient appliqu ées si
lest es sur le.:> y eux de M. de Kervilan et celui- ci était
t ellem ent absorbé par sa lecture qu'il faillit tomber du
rocher sur lequel il s'était installé.
- P otito foli o 1 Un peu plus, tu mo faisais rouler p ar
Lerre 1
- Et moi a voc Loi 1 C'ost ça qui aurait été a musant 1
s'6cri a l'é tourdie, en éclatant de rire. Aussi, papa , ainsi
juché, tu es plutôt en équilibre ins table 1
- Y a- t -il un rock ing-chair on vue ? demanda M. do
l ~e rviJ
a l,
en promenant un regard a mus6 autour do lui.
Jls se trouva ient, 10 pèro ot la fill e, au lond de la gorge
qui, do la n allièl'c, monte vers le l'ont d'Esp agne. L e
Gavo bO)l . issa iL a vec un vacarmo assourdissant, les
gl'ands sapins, émergeant au h asa rd des blocs de granit,
le couvraient d' une ombre épaisse.
J eanne a vait répondu à la dem ando de son père par un
nouvel écla t de rire_
- Auss i, Lu étais si absorb6 clans ta lettre ... J e t'ai
appelé je ne sais combien de fois, p our me voir sauter de
ce gros l'ocher, là, en lace . Impossible de Le faire lever
la ti'Le. Tu m 'avais bi en promis de no p as travailler ici.
- E t je no trav aillais pai:l, mais on ne s' ontend pas a vec
10 truiL du Gave, ma 1I1Ie.
M. de Kcrvilan pal'ut hésitür un illsLant. Il reprit :
- J o liHaid une leLLre de la Lanle Ger LllIùe,
- Ah 1 la vioillo Lante breLonne 1
.
�6
L ES PRI N CI PES D E TA N TE GERTR UD E
- Ta t ante ne serait peut- être pas nattée de l'épithète
qui ne me rajounit pas non plus.
- Oh 1 papa , tu as toujours dit que la t ante était beaucoup plus âgée que toi.
- Hum 1 de quinzc ans.
- Et puis, dans tous les cas, toi, tu es encore très jeune,
papa.
- Mais non, t oi-même , tu le dis .. . dans qu inze ans ...
- Si, si, papa, t ou t le monde le trouve. Tu sais bien, la
grande blonde qui ét ait au t ennis cc matin, qu and elle t 'a
aper çu, elle s'est mise à minaud er et a demandé quel
H ait ce jeune homme qui arri vait, et, quand j'ai dit :
a Mais c'ost pap a» , si tu avais vu la t êt e qu'clio a fa ite...
et co que les autres ont ri 1
" - 'l'a grando blond e est myope, m l potit o fille.
- N on , non, protesta la nllette on 50 penchan t au cou
d o son p ère .
M. do Kervilan possa son bras autour do la t aille de
l'enfant ct la t enaTlt serrée contro lui;
-- Tante GerLrudo so plaint do ne pas t e connottre.
- Ahl nt J eanne, insouciante, qu and tu voudras a ller
en Brelagne... J e veux bien... C'es l là quo tu habilais
onfanL, n'esl -ce pas, papa?
- Oui. E t j'y ai passé Loules mes vaCances jusqu'à la
guerre. J 'y sui s m àme l'o tom"né en pormission, aprbs la
Imort de La pauvre maman, ct L'y ai emmonée au
ilendemain do l'a rmistice , qu and, ta gr and'môre élant
:parlie à son lour, tu n' as plu s eu que moi, ma chéri e,
muis Lu étais trop p etite pour te sou venir. Dopui s, je t'ai
'conduite de pr6f6ronce dans los montagnes , ou bien sur
,d es plages aSsez proches pour me perm ettre le va-el- vient
du \Yeek -end. Mais je ser ais heureux quo lu connaisses
cc coin d o Brelagne où j'ai tous mcs souvenirs d'enfant.
- E h bien 1 no uS irons l'ôLé prochai n.
Son p ùr e l'embrassa , une ombre de trislesse éLail passée
dans ses yeux.
- 11 est Lemps de redesce ndre il. CauLcreL, dit-il, si lu
Vl' UX faire t a partie habituolle do lennis.
�LE S P R I N CIPE S DE TA N T E GE RTRUDE
7
J eanne avail bondi:
- Je crois bienl Nous marchons, Yvonne et moi, ce
soir.
Une heure plus tard, J eanne était accueillie sur le court
]lar les cris de joie de ses partenaires habituels.
- Tu restes, papa?
- Non; j'ai une lettre pressée à écrire. Je viendrai
vous r ejoindre tout à l'heure, ajouta aussitôt M. de Kervilan pour effacer' la moue de désappointement de sa mIe,'
- Dépêche-toi, papa.
Et J eanne, prenant la raquette que sa gouvernante
Mme Irène lui app ortait, se lança dans son jeu favori avec
l'imp étuosité qui lui était coutumière.
, Son père, très bon joueur lui -même, s'était amuso il
l'exercer, dès que le bras Ou et avait pu tenir une raquette.
Si la force du p oignet manqu ai t encore il J eanne, l'agilité
et l'adresse la comp ensaiont. Pour une fillette de douze
ans, elle jouait déjà remarquablement bien.
Play ... Ready ... Les balles volaient d' un côté à l'aulre
du met. Jeanne sautait, tendant le bras en l'air, ou, se
,penchant, rattrapait à terre la balle qui, traîtreusement,
se disposait il rouler.
, Cependant M. de Kervilan, rontr6 dans sa chambre, ne
J'le pressait pas de s'asseoir il son bureau. Debout, un p eu
,en retrai.L rIe la fenêtre, il regardait à travers 10 feuillage
la petite jupo bleue Cil mouvement et se plongeait dans
une douloureuse rêverie.
Ma p auvre p etite fille, murmura -l-i), comment supportera-t- elle cela? ... Et qu and aurai·je 10 courago de lui
parler ? »
Il déplia la lettre do sa sœur, la relut, soupira. Ses y eux
se reportèrent vors l'cnrant sur qui il avait concentré toute
sa tendresse et touto sa sollici tude. A ce moment, il la vit
se retourner, chercher du regard la vill a ; elle l'a ttendait 1 Il secoua la tête, r emiL la lettl'e dans sa p oche.
J e suis stupide de penser 11 gâtel' 10 plaisir que cette
enranl prend ici. Il sera bien temps, une fois rentrés il
Paris, de lui apprendre ... .
:
1(
1(
�8
Les
P RIN CIP ES
DE
TANT I:
GE RTRU D E
Et M. de Kcrvila n deseend it d'un pas délibéré,
- Voilà papa 1
J eanne faiJ1it manquer une balle.
- Oh 1 monsieu r, s' écria YvonfIC, venez nous arbitrer , je
vous en prie. Il n'y a que vous à savoir mettre tout l~
monde d'accord .
E t M. de Kervila n, remetta nt dans sa poche la revue
qu'il s'apprê tait à lire, se mit à juger les coups aussi gra vement que s'il se fût agi de MIl e Lenglen en personn e.
Trois semaines plus tard, M. de Kervila n et sa fille se
r etrouvaient à P aris, dans l'apparl ement encore emmitou fl é de ses housses .
- Papa, gard e-mol avec t oi, demand ait J eanne dès
le lendema in de leu r arrivée. J e ne ti ens pas du tout il
0.11(;1' r ejoi ndre tan to Odette à 'l;rouvill o. J o la gêne pl utôt,
car je suis trop potile, dit -elle, pour l'accompagner, el,
toi, je no te vois p as de t outo la sema ine.
" J'ai fait un LOHr aux Tuileri es, ce matin. Qui penses- tu
que j'ai r oncontr é? Monique Salais. Ils sont rentrés plus
tôl que do cou tume. Nous joueron s au tonnis taules les
deux, il n'y a personn e p our nous disputer les meiHeu res
places. J e t'assure que jo ne m 'en nu ierai pas ot puis je ne
te quittel'a i pas. On ôter a les houss es par exemple, l'arp ul' t oment est horrible comme cela.
J eann , debout devant son père, lui tendai t le sucrier .
.À.près avoir vorsé le ca\'é, 0110 avait t I\Jmpé un morcea u
de sucre dans la t asRO pour son l'éga l particulier, gesto
bien enfanlin citez cetto fill etto quo les étr angers pronaie nt
facilem enL poul' une jeune fill e ù cause do son sérieux eL
de son initiativ e dus Il l'absence d'une mèl'e, mais r es t é(~,
uvec Bon pèr e, si bébé... cL si passionn 6mcnt a vide de
Lendresso.
- Ma ch éri e, dit :M. de Kcr vilan, no us verrons. En touL
cos, f't' Il' (~s l p os très pressé d'ôler les houss(1s ,
- Tu sais, repriL J ea nn e, que Mili O Irène s'l'n va 1l'
�LIlS
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
9
1er octobre. Qu'allons-nous faire? Tu ne voudras pas que
je sorte seule encore. Tu avais parlé d'une institutrice, mais
ce sera bien ennuyeux s'il faut l'avoir entre nous deux.
- Oui, je n'oublie pas. Mme Irène est obligée de retourner auprès de sa fille. Je verrai pOUl' l'institutrice.
Le ton était si las 1 Jeanne regarda son père.
- Tu es fatigué, papa? 'l'u as la migraine?
- Non, non, répondit vivement M. de Kervilan; la nuit
en chemin de fer m'a un peu lassé, ce n'est rien.
Pourtanl il mettait un visible eilort à répondre au
babillage de sa fille.
C'est qu'il ne pouvait plus reculer 1 Ce matin-là. à son
bureau, la dale même de son départ pour le Tonkin avait
été fixée, plus tôt qu'il ne le prévoyait. Dans huit jours,
il devait s'embarquer à Marseille, et Jeanne ne se doutait
de rien encore.
Si M. de Kervilan eût été seul, ce voyage n'aurait été
pour lui qu'un pluisil·. Malgré la présence et la tendresse
de l'enfant, son loyer lui paraissait souvent bien triste.
. Il était veur sans avoir joui de la vio à deux. Séparé de
sa jeuno fommo quelques semaines aprés son mariage par
la mobilisalion, il no l'avait revue qu'à ses brèves permissions. L'enfanL .était née; il avait assisté au baptême, et,
peu de temps après, rappelé en M.Le, il avait vu mourir
la mère, dont les angoisses avaient usé la Iragile santé.
L'enlant confiée à l'aïeule maternelle, il était rétourné
au front,lolloment héroïque, no sentant rien qui le retînt
à la vie, car l'oxistence du bébé à peine entrevu se noyait
dans la perlo do la mère.
Cependant, la guerre avait 6pargné M. de Kervllan; en
novembre 1918, il s'était trouvé én face d'une enfant de
ùeux ans, qui n'avait plus que lui. IlIa connaissait à peine,
ayant plus d'une fois passé son tour de permission à des
camarades plus heureux que lui. L'enfant, elle, le ~onais
sait beaucoup mieux. Sa grand'mère lui fais{jit journelle- .
nl/mt embrasser le portrait de son père; chaque soir, elle
lu fai sait balbutier une prière « pour que papa revienne
de la guerre ». Quand il était revenu, la grand'mère venail
�10
LES
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
de s'éteindre; la petite Jeanne, apeurée par les jours
d'aITolement que la mort de l'aïeule provoquait, se jetait
d'elle-même dans les bras de son père et lui, soudain,
sentit tout co que l'enfant apportait d'aiiedion et
d'intêrêt dans sa vic.
L'emprise l'avait peu à peu ligoté . L'enfant ne le quittait jamais. Une nurse gouvernante assurait les soins
matériels et la garde de Jeanne pendant les heures que
les afîaires prenaient à M. de Kervilan, mais repas, soirées,
dimanches étaient devenus la propriété de Jeanne. La
nurse disparaissait.
11 avait profondément regroLLé sa femme ; lorsque, parrois, il allait achever sa soirée chez des amis, il éprouvait
bien plus amer 10 besoin du foyer qu'il n'avait plus. Mais
recommencer sa vie et, surtout, donnor une belle-mère il
l'enfant qui passionnément le réclamait à 0110 seulo? JI n'avait
aucune envio de tenter ceLto aventure hasardeuse. Au fait,
c'élait un tondre, M. de Kervilan. Un mariago froidement
caloulé ol accompli lui répugnait. Et il n'avait pas trouvé
autre choso ...
Maintenant , ils étaient si unis 1 Do cotte Intimité particulière, qui so nuance déjà impcrceptibloment, chez la
nlle, de l'influonco de la fommo. Et c'était celto intimité
qu'il fallait brusquement interromp"o pour plusieurs
mois.
La perspectivo d'aller au Tonkin voir par lui-même le
dévoloppement d'uno mino qui intéressait au plus haut
point son avenir avait soulevé chez co jeune veuf de trentocinq ans une vague de jounesso : plaisir de voyager, de
visiter une colonie captivanto, pout-ôtro, sans se l'avouer,
de secouer l'ambian('.o de nursery où il s'enlisait. Lorsqu'il
songeait ù l'enfant, la joyouse vision s'oJIondraiL, il ne
voyait plus qu'un bébé en larmos.
Si l'aJToclion do l'aïeu le avait été là pour pallier à l'ab·
senco du pùro ... Mais il no savait à qui conn l' sa fille.
Sa bello-sœur Odotle, la sœur do la mère, avait souvent
gardé Jeanne quelques semaines sur une plage, où M. de
Kervilun lu rejoignait le dimanche. Jeune fomme sans
�LES PRINCIPES DE T ANTE
GER TR UDE
11
enfants, élégante, mondaine, J eanne, grandissant, l'encombrait un peu.
Le pensionnat? Que de fois Jeanne avait exprimé son
horreur pour ces « boît es. , ces « prisons », qu'eBe ign orait parfaitement du reste. Ce n'était pas le cas , p ensait-il,
d'aggraver le chagrin de la séparation en l'obligeant à
l'expérimenter.
C'est alors que M. de Kervilan avait pensé à confier son
cher trésor à sa sœur ainée, Mlle Gertrude. 11 avait bi. n
:délaissé la p etite ville de Bretagne où il était né et où sa
sœuI' vivait dans la vieille ùemeure familiale. Une foi s
seuloment, depuis la guerre, il y avait amené J eanne, si
petite qu'elle n'on gardait nul souven ir. Lui, conservait à
ce coin de province le culLe enfantin des lieux où on a été
:élevé. Vue incomplote, d6Cormée par la distance ct plus
encore par l'âge. P arti de bonne heure pour le coll oge, des
;souvenir's plus récents de vacan.;es s'y mêlaient: aux
'impressions pl'emior es, anotagil au port voisin, parties
de t ennis, de bicyclette, où toute la bande des cousins
qui avaient b a taillé en culottes courtes sc rotrouvait dans
l'enchantement d'une quasi-liberté, ct où la vieill" maison
n'abritait guore que le sommeil de plomb du joueur
'harassé.
11 semblait à L de Kervilan que sa petite Joanne serait
moins perduo pour lui, s'il pouvait sc la représenter dans
le cadre où lui·même sc retrouvait onfant.
Dans la lettro qui l'avait tant abso rb é sous les sapin s
de la Rallior , Mlle Gertrudo lu i disai t accepter la rharge
de J oanne, on promettant de 1'61ev r « dan~
los principc3
ljui a voient toujours ét é eux do la !amille D.
M. de 1 ervilan no s'était pas allard6 il r echercher
.qu els pouvaient c1lro ces « pri ncipes" et il avait manqué
là un peu de psycho log ie féminine. Une mère aurait senti
'sous los phrilsrs correctes la sécheresse, la légère !aLuit6
d'une porsonnalité trop sû re d'ellr-mr'ml' ct d' J'impeccabilité do ses « IJrincipcs ".
Il est vmi flu'un fr ùrc, M. Philibert, h aùilait égalemenl
la vioille dem eure. 11 avait ajout6 un mot, boutado atIec.
�12
U:S
PIUNCIPES
DE
T.lNTE
GERTRUDE
tueuse, dénotant plus de spontanéité que la solennelle
Gertrude. Officier de marine, il avait été blessé dans le
torpillage du Boupet, amputé d'un bras, et avait dù prendre une retraite prématurée. Malheureusement, il comptait fort peu dans la maison .
.....
Le lendemain de son rctour, M. de Kervilan, assis à
son bureau, la tête lourde, ne pensait plus qu'à l'inéluctable nécessité de prévenir sa fllle le soir môme. Elle y
était si peu préparée ... Et, bouleversé du désespoir t{u'il
prévoyait, il était incapable de s'appliquer ft aucune allaire.
L'altération des trail s de son père n'échappa pas à la
flllette. Le repas fini et M. de KerviJan rentré dans son
bureau, Jeanne vint aussitôt se blottir contre lui.
- Qu'as· lu, papa? Tu es souffrant, bien sûr, lu as à
peine dlné.
- Ma petito Jeanne, j'ai une gross conlrariété. Tu sliJ
que je m'occupe de mines au Tonkin?
- Oui, eh bien? fit l'enfant étonnée, car son père semblnit
hésiter.
- L'ingénieur, qui dirige là-bas desrecherchcs, réclame
ma présence; il faut absolument que j'aille voir par
moi-même.
- Je veux aller avec loi, s'écrin Jeanne, subitement
inquiète.
- C'est impossible, ma ch6rie, je ne peux pas L'emmener,
articula lentement, d'un lon ferme, M. de Ken ilan. C'<,st
dans l'int6rieur des terres: impossible d'y emrncn rune
'nIant de ton âgo. Du resto, je ne sor3i pas longtemps; le
voyago, allor ct retour, un mois là-bas ...
Mais Joanno n'entendait plus. Les bras autour du cou
cio 5011 père, elle songlotait éperdument.
- Jo ne veux pas que lu partcs ... Jo no voux pail lo
(l'dUel', je no poux pas ...
M. de Kcrvilan continuoit pourtanl ;0' S oxplications, les
fnlrCm~at
do baiscrs, tle cal'.,Je~
... ~lai5
l'enfant s'éner-
�L'ES
l'nr N Crl' 'ES
DE
TA N T F.
al':R T RU L> E
fa
vail de plus en plus; elle tremblait co n v u! ~ j ,"ement , serrant
son père de t outes ses forces comme si elle pouvait empêcher ainsi l'aITreuse sép ar at ion.
M. de Kervilan s'était tu, à bout d'énergie. L e d éses.p oir de sa fille lui broyai t le cœur.
- Crois-tu, murmura.t -il, que je n'ai pas de p eine, moi
aussi?
E t d'un geste imp atient il écrasa sur sa joue un e
larme qu'il n'avait pu retenir.
Si promp te qu'eût été le mouvement , J eanne l'avait
saisi . Absorbée dans sa doul eur per sonn ell e, la p assionn(;e
enfant n'avait p as pensé à cela, le chagrin de son pèr e.
Un e révolution S3 fit dans sa t ête. cc Pour que p apa ait
moins de peine, il no fa ut p as quo je lui montre la mienne. »
L a vaillante p eli te Illle, refoul ant ses sanglots, r eleva la
tête et la voix bien tremblante encore :
- Pap a, dit -ell e, je ne veux p as que tu aies du chagrin
à cause de moi. J 'ai ét é si surprise ... J e t 'aime t ant ...
L a voix faiblit un in stant , mais elle reprit, courageuse :
- 'Tu no reste ras p as t r OI) longtemps? E xplique-moi ce
que tu v as faire.
- Ohi qu e je suis heureux de t e voir si raisonna ble, mon
enfant chérie, s'écria M. de Kervilan, visiblement soulagé.
Non, je n e reslerai p as longtemps ct nous serons si heureux
ensuite de nous r elrouver ... E t j'espère que tu seras bien,
p endant mon absence, chez t anle Gertrude.
J eanne avait tressailli.
. - Choz ta n le Gertrude? C'est là que j'irai p endant ...
, Oh 1 que sa gorge ét ait donc serrée 1 Mais Je change m ent d'attitude de son p ère en disait trop long .. . Jeanne
n'aurait voulu il aucun prix lui monlrer de nouveau son
d ésespoir.
- Aurais·tu voulu aller aill eurs, ma pelile J eanne?
Tant e Ode tte?
.l eanno fit un signo négo.lit.
- Une p ension ? Tu n'aimerais p as cela non plus.
- Oh J non.
- Chez la tante, tu seras bien soignée; tu t e trouveras
�14
LES
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
d :lllS la maison où j'ai ét é élevé moi-même, tu verras des
mIettes de ton âge, dont j'ai connu les parents .. _
Longtemps M. de Kervilan continua, cherchant à
apprivoiser sa fille à cette nouvelle existence.
- J e regrette, dit-il enfin, que le départ de Mme Irène
coïncide avec le mien.
- Oh 1 papa, laissa échapper J'eanne, toi parti, le reste
m'est bien égal.
M. de Kervilan ne comprit cependant pas l'héroïqu e
eITort de l'enfan t. H eureux ingénument qu'elle prît si
promptement son parti de la séparation, il se laissait
accaparer par la vision enchanteresse du long voyage, l a
. curiosité du pays inconnu, les ré s ult a~s
techniques que sa
science en tirerait. Il ne sc douta pas quo J eanne , une fois
enfouie sous ses couvertures, de peur d'être enten<;luv,
avait pleuré si amèrement qu'elle avait pensé sûrement en
mourir.
* *-li
LI;) courago de .Jeanne n'a pas faibli pendant le:! <.I.omières
jou I'nées, du moins devant son pore, car, le soir , son
ureiller, trem pé de larmes, aurait pu dire son secret. Lo.
bonne madame Irène n'était p us ùupe ... Elle ne disait
rien, admirant tout bas et s'inquIétant des semalo('s ù
venIr pour la fill ette il ItltjueUo clic s'étaH attachée. l-.lle
devait conduire Jeanne cn Bretagne, l'insta ller chez. sa
tante, ct revenir former l'appartement de Paris.
M. do Kerviian ava it gardé sa fillo jusqu'au dernier
moment. Un matin, li l'ava it mise on wagon; il partait le
soir mÛITIe ot, le lendemain, il mi ti i, il aurait quitté la
France pour combien de temps? Il avait dit il Jeanuo,
tro:s mois ... Ne fallait- il pas compter plutôt six ou huit
mois?
J eanne a Oté héroïque. IWo il embras.~é
90n père une.
dcrnil:ro rois, sans broncher, mais, uno fois la portlt'll'o
fermée, le train ébranlé, la pauvro pame s'effondre nu
fond du compnrtlrnent dans une crIse da larmes si vlolenle
que Mme Irène en es t éperdue.
�LES
PRINCIP ES
I)E
TA NTE
GERTRUDE
15
- Laissez -moi pleurer, dit ennn J eanne , je me suis
trop retenue devant papa, cela me fera du bien. Et puis
je ne peux plus ... je ne peux pas m'en empêcher ...
Lorsqu'à la fin d'une longue journée le train s'arrête
dans la petite gare, termo de son voyage, J eanne a repris
l'air un peu dist ant qui la rail juger plus âgée qu'elle ne
l'est. Elle prétend le garder jalousement au milieu des
inconnus où clIo 50 trouve jetée. Injustement, elle se raidit
à l'avance contre cette tante qu'elle identifie à la séparation d'avec son pèr e, comme si MilO Gertrude on était res ponsable.
Ce paravent serait tombé d'une chiquenaude si, dès la
première minute, Mlle Gertrude avait montré il l'enfant
désemparée une aITection ouverte_
La personne qui accueillit les Yoyogeuses sur le quai de
la gare, grande, imposanle d'allure distingée, mais froid e
ct cérémonieuse, étnit la moins faite pour donner la chiquenaude.
- Jeanne de Kervilan? questionna-t -elle, el1 s'avançant
vers la fill ette.
- Oui, répondit J eanne, le ton sec.
-- J e suis ta t ante, r opri t Milo Gertrude.
Elle se baissa pour embrasser l'enfanl au front. Ses
lèvres r encontrèrent le pelit bonichon qui cerclait la lôto de
Jeanno; elle 50 rodressa, mécont ente. Cela fuillit dérider
sa nièce. Le chapeau de M llo Ger lrude était pel' hé sur
une chevelure encore opul onto ct de for1llid ables épingles
le traversait do part en part.
fl l mo lrène so pr 6~clta
à SO li tour, ol on s' installa dans
un omnibus d'oxposition rétrospoctive, dont 10 bruit do
ferraille inlerdisait loute conversation. Il Y avait bien
des autos, mais la guimbarbe faisait par lie des habiLudes
do Milo de Kervilan.
J eanne nlrevH de vieilles maisons lrès noi rl's, des rues
for t élroiles et soliluires. :M OlO ll'ùno Lenla do lui fairo
r emarquer que c'6tail uno vieille ville Lrès euriouse . Peine
perdu e... Qu'arriverail-il, mon Dieu, de tout cela? La
gouvernante 50 le demandait avec effroi.
�16
LB~
l'RINC,I PES
DE
TANTE
GEltTRUDE
L'omnibus s'étaitarrêté devant un porlail qu'un amateur
de vieilles architectures aurait fort prisé. Jeanne lui
trouva une déplaisante ressemblance avec une porte de
prison. Ce fut bien pis quand on pénétra dans la cour.
A droite, la maison avec une façade toute nue, toute
droite, basse, le toit mansardé; à gauche, quelques
communs, et, au fond, un mur s'élevant très haut, sans une
couverture, débris de l'antique enceinte de la ville, dont
une tour s'encastrait dans le pignon de la maison de la
façon la plus originale. Jeanne n'avait pas détaillé cet
ensemble, sévère, mais pittoresque.
- Une prison, murmura l'enfant, le regard dur.
La porle de la maison s'ouvrit; Ull homme parut sur
le seuil, la manche gauche de son veston pendant vide,
mais le bras droit s'avançant d'un geste de bienvenue.
-Bonjour, oncle Philibert, dit Jeanne.
La phrase à peine Onie, l'enrant était cordialement
embrassée sur les deux joues.
- Bonjour, ma petite Jeanne. Comme tu ressembles à
ton père 1
Les yeux de Jeanne brillèrent.
- Vous trouvez, oncle?
.l!Jt elle l'embrassa il son tour.
- Tu as beaucoup d'imagination, Philibert, dil derrière
eux la voix froide de MilO Gertrude. Il est difficile de se
faire lIne juste opinion au premier coup d'œil.
- Mômo quand on l'a bon '(
La taquinerie ôtait la seulo défense du marin contre
l'autori 6 de la sœur ai née, et Jeanne devait plus d'uno
fois s'cn d6piter.
Mlle Gertrude, d6daignant do relover la riposte, s'empress:lÏt Lie faire monle!' Mme Irène au premior étage.
_ Mon Irère m'a priée de ne rien t:hnoger aux habitudes
d'hygiène de sa fille et vous dovez me mettre au courant.
J'ai deux hambres libres, voyez cello qui peut convenir à
Jeanne. Celle-ci est la mieux.
11 le Gertrude ouvrait la porle d'une grande chàmbre
lemplie do meubles lourds ct cossus; des rideaux grenat
�LES
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
17
obstruaient les fc:nêtres donnant sur la cour. Mme Irène
a vaU déjà entrevu, au rez-de-chaussée, des pièces meublées
ainsi; un antiquitaire aurait fait des trouvailles; elles
donnaient l'Impression d'un luxe de bon aloi, mais wranné,
compassé.
-. Comme Jeanne va se sentir df:paysée, pensait
l'exce!lente femme.
- Il Y a une autre chambre? demanda· t-eHe. Celle-ci
est très belle, mais Monsieur a recommandé q1le Jeanne
ait une chambre au soleil.
- Alors l'autre sera préférable, c'était la chambre do
mon frère Paul autrefois.
- Ohl cela fera plaisir à Jeanne.
- Vous croyez? En tout cas, clIo est trop jeune pour que
je prenne son avis.
Mlle Gertrude ouvrit une porto de l'autre côté du cOI'ridol'. Un dernier l'<lyOll de soleil, s'échappant entre des toits
pointu!>, attoignait neore la pièce. Une s8 ule fenêtre sans
autre~
rideaux qu'une moussoline impeccable de fraicheur,
un lit, une commode, un bureau en acajou Louis XVI,
uno lablo do toiloLLe, quelques chaises ...
- Jeanne sera très bien là, déclarJ. Mme Irène.
L'entant s'était at tardéo à causer avec son onc)oj elle
monta ennn.
- Jo vais faire apporter les malles, dit MUo Gortrude.
Il faudra que J ,'unno soiL prête dans un qu:ut d'heure
pour 10 dîner.
- Hegard
~ z,
ma petiLe Jeanne, dit la bonno Mme h'ène,
p:.lr ici, c'est plus gai .
Do co côté, la ma;son donnait sur un assez grand
jardin. Lo vieux rempart so dressuit bien, à gauche, de
toule sa hauteur impressiollnanto; sur les autros côl6s, les
murs ôl:uent bas. La vue s'étondait sur les jardins
avanL de hutor aux grands toits inclin6s.
moins tristo quo la cour, c.onc6da Joanne.
- C'o~l
D'lin regard insouciant, ,,110 lit le tOUI' de la pièc e.
- C'c~l
la chambre de voLre père, s'empressa do dire
Mme Trèno.
2
�18
LES
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
-- Vrai? Oh! quel bOlùour. Vous êtes .,ùra?
- Volre tante vient ne me le diro. Maintenant, dépêchezo
vous de vous arranger pour le diner. Jo vais défairo les
malles.
- Quel grand placard! s'exclama Mmo Irène. On voit
bien qu'on n'est plus à Paris.
Jeanne fronce les sourcils.
- Je détesto les placards.
j\[mo Irène juge prudenl de ne pas répondre.
- Soye ... gcnlille pour Yotl'O tante, recommande·t-elle
au momont où Jeanne va doscendre .
Un gestè très vague ne la rassure guère.
...
(,
01<
Le diner ne s'cst pas passé sans accrocs. 11. Philibert, que
la seulc conversation de sa sœur n'amuse pas toujours,
essaiù un€' diversion avoc Jeanne. Il la questionna sur le
voyage de son père, ot la fillette, contonto do parler de
l'abeent, s'animo ct intérosso son oncle par les détnils, même
techniquos, qu'ello a su étonnamment rolonir.
Milo GerLrude n'écouto pas. SuIToqu6e de voir l'onfant
causer avec l'aisance d'une grande perdonne, cUQ pince les
lèvres et, raide sur sa chaise, regarde sévèrement Gon
frère. Celui-ci, malhoureusement fort occupée de sa nièce,
ne voit pas venir l'orage, loquel éclate au dessert. De Sil
voix la plus froida et III plus autorilaire, MUa Gerl.l'l:do
interrompt J oanne ;
- Tu oublies, je Cl'ois, Phil ibert, qu'à la mait;oll les
enrants n'ont jamais eu la parmbsion de parler à Lablo.
Hs répondant quanJ on los interrogo. C'esl tout.
L'onclo Philibert est resté la boucho ollvcrle, son quarLier de poire il mi-chemin de son assiette. Lo regard do
J aanne esL passé de la stupéfaction à lu furour, puis 11 ulle
mornu désespérance, au point quo MilO GerLrude Il ost
gênée. Bllo se lèvo de table.
- Ri lu es f(lLiguéc de ton voyago, Joanne, tu peux
allor Lo coucher louL de suite.
�Lll'S
PRINCIPES
DE
'l'ANTE
CERtRUDB
19
L'enfant, Sans rien dire, se dir.lge vors la porte,
DiS-MUS bonsoir, reprend la tante.
- Bonsoir, mon oncle; bonsoir ma tante, balbutie
Jeanne sur le seuil de la porte et elle s'enfuit.
- Cette enfant est très m"l élevée, déclare Mlle Gertrude
à son frère. J'aurai du mal à lui inculquer les principes dans
lesquels t10US avons été élevés, mais c'est un devoir pour
moi, je n'y faillirai pas.
M. Philibert était trop sérieusement fâché pour lancer
une boutade taquine. JI avait su se faire obéir il bord
ccpt:ndant, mais imposer une sou lo de :Jes volontés b. sa
sœur étaiL hors de SOq moyens. Quand il voulait jouir de
quelque liberté, il s'enfermait dans sa bibliothèque oU
sortait.
Cette fois, il gronda :
- Tu es stupide avec les principos ct tu feras mourJr
d'ennui cette petite.
Et, prenant son chapcau, if fait claquer la porte dor. ière
lui, tandis que Milo Gertrude rC'sto au milieu du vestibule
nbasourdio par cetto inhabituol\\l incarlude ,
Mma Iréne a ontendu Jeanne passer • en tompHo D.
Elle laisse son dinet' inachevé, monte ct lrouve l'cnranl
couchée, déclurant qu'ell e n'a besoin de rion, ol sa gouver·
nante reùescend soucieusc.
Dans la soirée, elle 0. UllO longun conféronce avoc l\1llu Gertrudo. M. do Kervll:m lui a romis unc noto détailléo, qu'eUe
commonto.
MtlQ Gortruùc s'attendait ù qnelqulJ!'> prcsct'jplions trop
modernes il son Goût . La réalît6 nurpusse tout co qu'olle a
redoulé. Les habitudcs qU'ollo (lClsDppl'OUVO 10 plus Opremonl, Cos nouveau tés quo la petite vHle [Hloplo d'enthousiasmo malgré les anaLhômcs d'ull cénacle dont Mlla Gortrude ost l'animnLricc, par uno ironio vr.liment cruello,
e1J e sc voit obligée do les t oJéror sous wn propro Loit. Sa
placicllt6 en déroute, 0110 suJloquo .
- Un lub chaud tous les malins. C'csL inscnsu. Jamais
,dans ma. famille, coin Ill) s'est [n.it ... Je voi~
de mulip'~
inconvénionts il ceLLo hnbitudo impor'ée d'Anglelerre.
-
�20
LES
PRINCIPES
DE
TA NTE
(;EnTRUDE
Monsieur y tient beau'è oup. Du resLe, J eanne le
prend bien seule et s'hab ille aussi, elle est très adroite.
- Il ne manqueraiL plus qu e cela, une femm e de
chambre ...
« Le coiffeur tou;; les quinze jours, avec la vage, vaporisa t eur... De ffion temps, madame, une femme n'entrait
jamais c h ~ z un coilleur. Les jours de bal, on le faisait venir,
ct ,T eanne n'est pas à l'âge des bals.
« Promen ade chaque jour ... 'renuis, souligné trois foi; ...
Elle a tt endra qu'on y joue chez Mme de Surçois. Mo n
frère n'a aucune expériencf'. Je ne laisserai pas J eanne
all er il n'importe quel tennis . 11 y a si peu d'enfants
actuellement élevés dans les bons principes ... Mais II mo de
SUl'çois a absolument les mômes idées que moi.
- ,Teanne s'ennu iera , mademo iselle, si elle ne voit pus
de fillet.t es de son âge.
- Elle attendra bien quel' Iues jours . Les pelites Hiles
de Mme de Snrçois arriveront au commencement d'oetobra.
Et puis, mad ame, de mon temps, les enfants sayai ent
s'occup er ct non pas jouer et courir tonle la journée. J o
veux apprendre il ma niiJcû ù vivre sôriflUs"ment.
- Mois olle ll'avi.lillc :l Il S5i, proles le t imi ùemenl
Mmo Irène. A Puri ·;, clio suivait. lin Il't"s bon cours, y avp i.
(les succès ; ell o est lr ,\~ inlrlli genll', bion gentille ...
filc.:ile ...
- NOliS avons iei I1 n cou rs nussi radait que pcu\'E.'nt
élre coux de Pads, interrompt sèt..:hplTlenl 1\l J ~ Gertruùe.
Comme je l'ai éeri t lt mon fr LJJ'c, je le ler<l j suivre il J eanne.
QuanL auX promenades, puisque c'est tlllfJ queslion de
sonté, je m'arrangerai pour que Marie.Joseph la lasso
mar cher nn e heur e par jour.
'lmo Irène partit le lendemain soir. Cc .lour.lù, J ea nne
était reslée ind éclliffrable pour olle.
'l'oules deux, l'après- midi , a vai 'ni. arpenlé la petile ville .
.\ulour de curieuses églises, Il'cncht vNruiunL ùes ruelles
�LJ~S
PRINCIP ES
DE
TANTE
Gl:RTl\U DE
~
t
étroites , mal pavées, assombries par des maisons aux
étages en encorbellement, de vieux logis aux poutres dt'
bois apparen tes, dont les pignons , se saluant d'un côté il
l'autre de la rue, ne laissaien t entre eux qu'un mince ruball
de ciel. En dehors de cc noyau encore enclos, de-ci, de-lb. ,
par d'anciens rempar ts, une ville modern e s'étalai t avec
des places ensoleillées, des rues pleines de lumiJre , et, dan$
cet aprè-s-midi de septemb re, elles étaient unimées. Ce
n'était plus la cohue parisienne ... Les gens pal'aissa ieu'.
avoir le temps de sc promen er et de jouir du soleil, cc qui
eùt pu los rangel' aux yeux des Pa.risiens comme les habi·
Luës d'une autro planète .
C('pendant les toilette s n'étaien t pas différentes de celles
de la capitale . La mode court aussi vite que los autos. Si
Mlle Gertrud e, la veillo au soir, avaiL paru, aux yeux un
instant amusés (le Jean ne, une gravure de mode oubliéL' ,
c'était par suite d'un des principes auxquels elle se cramponnait. Elle jugeail la mode de ses vingt ans parfaite et
voulait en sa personne retarde r autant que possible son
évolution_ Ell es élaient une demi· douzain e dans la ville il
faut-il l'avoue r, le bloc
faire ainsi bloc. A chaque ~aison,
évidence, Mlle Oertoule
perdaiL quelques morcea ux. De
.
derniôl'e
la
trude tiendra it
Dans la poLite ville où Lous se connaissaient, la présence
do deux étrangè res avait été tout de suite remarqu ée ct Jeanne
vite identifléo il la niôce de Milo de Kervilan. Non soulemais elle avait il
ment celle-ci avait anlloncé son ariv~e,
l'avance accablé les mères récalcit rantes il ses conseils de
l'ror.cel1ence de ses m6lhodes dont J canno allait être h;
spécimon impecca ble 1
Plus d'une, parmi ces mères, avait noté d'un regard
malin la mise ultra-m oderne de la fillette eL, Lout en
mosura nt de l'œil la jupe minuLculo pour s'assure r que
iL pas, fi vait pris men LaIe ment
~sa
celle de sa fllle ne la d6pa
li) patron d'un certain délail du chapeau qui lui donnait
uno allure toute nouvelle .
Mllo de Kervila n aura fort 'il. faire pour mouler
il sa mcsure, observa -t-on dans un group(;
niècc
~a
�22
LE S
PI1.J NCIPES
DE
TANTE
Gr,RTRUDE
de promeneuses que J eaillie venait de dépasser.
- Le moule éclat era, ou la pauvre rnIanL desséchera.
Quelle folie d'avoir confié cette petite à sa tante 1
- fa chère, vous exagérez. Mlle de KerviLan a de
gr and es qualiLés. Elle est dévouée , généreuse, fidèle amie ...
- Oh 1 J~ reconnais tout cela, mais olever une enfant esl
chose si différente. M ilo de Kel'vilan smt -elle ce que c'esL?
Se doute-L-elle qu'une enf<:nL a besoin de tendresse, et de
Lendresse expansi vc, autant qU El de soleil?
- Je lui ai entendu dire quo c'éLait de la faiblesse d'en
montrer.
- Elle aurait dû yi l'TC au temps où les parenls ne
d0nnaient d'autres maryues d'affection il lems enrants que
les coups de r~blcs
sur les doigts.
- Horreur 1••• J crois, moi, que cc temps n'a jamais
exisLé que dans l'lmagiuation des historiens.
- Ce sera curieux, en touL cas, de yoir le résulLat
flu'obti endra Mlle de !{er vil an.
-- Plus curieux pour }('s spectateurs que pour J'enfant qui
va servir d'exp0rience.
-- Ah 1 les enfants sans mère, soupira une jeune femme
qui n'avait pas eu les conseils matcrn oJs pOUl' se marirr ct
qui, disuil-on, s'on mordaiL les doig:s.
- CoUes qui onL leur mèro no veulent p ilS l'écolltor,
obsorva une femm e âgée, et ne t;'aporçoivont de son utilité
(Ju'après su morL.
Cette observation jeLa un froid dans 10 petit groupe, qui
f'3 disporsa.
J oan ne, bien inccnscionLe de J'intérêt quo son p:15sage
provoquait, s'(;lail promenée j'ai\' absenL, ct, pout-àtl'E',
après la Lension des jours précédents, son cerveau slIbis3Uilil en eITet une l:iorLe de léLhargie. Elle avaiL môme laissé
partir l\Imo Irène sans émoLioll apparenle. Aux l'c pa::;, clio
avait répondu « oui ) ou « non » aux questions do su
Lanle.
Hlic GerLrudo n'on .1vaiL pas oLLonu autrlll de son
frère. I l houdait car
émo
n~,
ot on n'avaiL pas entendu le
son de sa voix. Mais, quand, le lm;!", J C~lme
, prét('xtant ùo
�LES
PRINCIPES DE
TANTE
O&RTRUDB
23
nouveau sa fatigue, était montée aussitôt après le dîner,
il se trouvait à la porte en même temps qu'elle et l'embrassait chaleureusement. Un petit sourire l'avait remercié.
**'"
La vio de Milo de Kervilan était d'une régularité monacale, et oIlo exigeait la même ponctualité de ceux qui
ùépenùaient d'elle.
Consacrant ses maUn ées il la conduite de sa muifJon,
13110 passait sas après"midi hors de chez elle ; les premièr6'S
d'œuvres, où
heures toujours prises par quelque r~unio
sa fortune, généreusement di spensée, lui donnail un rôle
prépondérant.
Vers quatre heures, les salon3 de la petite société
s'ouvraient; tantôt l'un, tantôt l'auLre, il der. jours fixes
ct immunbles, abl'itant qu elqu es tables do brid ge ct un
platoau do t h6. Là encore, Milo de Kervilan Mait recherchée de Lous, malgrû sa froine résorve qui glaçait los
jeunes. Mais ello était bonne par tonaire au bridge ot prisée
des jouours sé rioux pal'CO que pur; bavarde.
Elle sorlait 1rès rarement le soir ot sc couchait do bonna
heure. C'était encore un (le sesprineipes. Choz elle, ChUQ11C
mouvoment élait doublé d'un principe.
So vio ainsi r6glôQ , Mlle OerLru do ne s'omba rr::u;g:>iL pa,
de co qui joue un si gl'and rôle chez la plu part Ù('s morldB.
Ello possédait apparomment un cœuI', oHe n'avait jamais
fuit d J mal il personne, et, si une exclamat ion de pitié était
raro sur aeJ lèvres, encore plus un mot qui ne fû t pM
charitable. Elle jugeait supel'flu toule eŒw,ion ct taxai t cl!
sengiblerie chaque manifl'stalioll d'ufiectioll.
Lo cœur sec, et s'cn trouvant bioII, olle n'aimait P Og
Constater chez lOi! oulres une ch::deur qu'ollo s'a pl a udi s~ 'it
dtl no pas senLir. l'oussant Ù oulrance CO principe, ùo
bonno foi eUe supposait qu'unrJ éducation appropriée
ùevait donner aux ellfants le bienfait de la mômo impassibilité_
Ello avait en son propre jugement une nuïve confiance,
�2'1
LES l'RINCTPES DE l'ANTI: GERTRUDr.
ct aussi dans son savoir-faire. Si dimcile que fût l'œuvre
entreprise, elle était trop sûre du succès pour redouter les
incidents du chemin.
Elle ne pensa pas un instant que sa nièce pouvait sc
briser à un changement de vie si absolu, à ce sevrdge
brusque de toute expansion. Il est vrai qu'elle ne s'imaginait. nullement la vic que l'enfant menai.t auprès de son
pàre. Elle jugeait simplement que celui-ci avait gâté
outrageusement sa fUIe et qu'il fallait réagir au plus vite.
Les pensées et les sentiments d'un enfant de douze aus
n'avaient guèro plus d'importance à ses yeux lJue ceux: d'un
enfant au maillot. Une potito créature de caractère informe
et malléable.
Au fond, elle ne tenait pas tellement à expérimenter ses
idées d'éducatrice qu'elle n'eût fait un réel sacl'iOco 3. son
frère en se chargeant do Jeanne. Le séjour ùe l'onfant étant
temporaire, elle ne voulai~
rien abandonner de sos occupations habituelles. Jeanne devait passor la plus grande partie
de son tomps au cours; astrainto à un règlemcnt minuLieux
pondant les heures libres, elle serait sumSilmment surveillée par la vieille bonne Marie-Joseph qui avail toule
]n confiance de sa maitresse.
Ainsi en avait décid6 J.\-PIO de Kervilan.
Les cours n'ouvrant quo dans quinze jours, ello avait
élaboré un règlomont special pour cetle périodo intormûdiaire ct, sans pereire do temps, 10 lendemain du départ
do Mmo Irùne, clle l'apporta à Jeanne. Colle-ci, fort désCDUvrée, passait ~n
revue les dernioIs aehals faits avec son
père et apportés do Paris : livr s, boîtcs do peinture ...
Uid60 de suivre un règlement no lui élo.il jamais venue. A
PaJ'is, on dohors dos houres prises pal' les difl'6I'ents cours
qu'elle suivait ot sos devoirs rail::!, Olle était complètement
libro. Au fur cL à mesuro quo Mlle Gertrude énumérait,
heure jJur heure les diiT6rentes orcupatiollf; qui dovaient.
rcm plir les ,journ6es de Jeanne et pann i lesquelles la couturo
lenait le plus de place, les rérrÎJution;; ôtant écour:.6es, ]0.
révolte grondait danR l'ûnranL. Quand sa tante eut Hni,
Jeanno loule droite 1 les youx étincelants, déGlara :
�LES
PRINCIPES
DI:
TANTE
GERTRUDE
-
25
- .Jo ne veux pas faire tout cela! je ne l'ai jamais fait,
la couture m'ennuie, je ne le ferai pas.
Mlle Gertrude craignait bien une certaine résistance,
mais elle ne s'attendait pas à cette explosion. Pourtant,
sans se départir de son calme, elle se mit à expliquer à
Jeanne que le seul moyen de ne pas s'ennuyer, c'était
d'occuper ses journées; le travail à l'aiguille était nécessaire, toutes les enfants de son âge savaient coudre et
enHn, puis'lu'e!le Mait confiée à sa tante, elle devait lui
obéir. Toutes choses fort justes.
Seulement, Jeanno était trop déroutée, trop malheureuse,
pour comprendre aucun raisonnoment ; trop butée aussi
par la froideur de sa tante en contraste si absolu avec sa
nature tendre et passionnée. Comme elle ne répondait
plus rien, MIlo Gertrude, la croyant persuadée, se mit à inspecter ses aITaire s.
- 'l'es jupes ~ont
beaucoup trop courtes, c'est ridicule à
ton âge, je vais les laire allonger.
Jeanne ne disait rien.
La tanLe rangeait, déplaçait ... ct finalement découvrait
Une grande bOÎto de chocolats.
- C'esL papa qui me l'a donnée, dit Jeanne. étendant la
main pour reprondre sa boite.
- 11 est inutile que tu la . conserves dans ta chambre.
Jeanne, car ilnc faut pas manger entre ses repas; je vais
la descendre, tu pourras en prendre pour ton dessert.
- Vous vouluz prendre ma boîte 1 la boiLe que papa
m'a donnée ... Elle est 11 moi. ..
Et, comme M.lle Gertrude ienait fermement la boUc,
l'enfant cxaspét'oe cria;
- Vous mo la voloz.
Lemot n'umit l'as 6L61ûcM que Jeanne, d6griséesoudain.
aurait beaucoup donné pour le raLtraper, trop cn colère
cependant pour diro immédiatement le mot d'excuse si
nOco3saire.
MIlO GerLrude s'(lLait redressée; eL. avec une incontestable dignité:
- 11 m'cst impossible de laisser passer une accusation
�26
LES
PRI NCIPES - DE
TANTE
OERTRUDE
pareille. J eanne, tu vas me demander pardon. Quant à la
boîte, comme je te l'ai dit, elle sera à ta disposition à
chaque repas et tu pourras constnter que personne n'y
touche quo toi.
- Jo ne vous demanderai pas pardon. Rendez-moi ma
boite.
- Je regrette d'être obligée de te punir, reprit Mlle Gerlrude. 'fant que tu ne m'auras pas demandé pardon de
\'i'Yo voix ou par écrit, tu ne sortiras ipas de ta chambre.
Et Mlle Gertrude quitta la pièce.
- Méchante, méchanto, jo vous déteste 1 criait J oanne,
nu paroxysme de la colère et do l'énervement. Ohl papa,
pourquoi m'as- tu quittée 1
Et la colère de l'onrant se fondit en uno criSE do désespoir.
A l'heure du déjeuner, II1l1o GerLrude entra dans ln
ch ...mbre. En l'entendant, l'enfant s'éLait jetée sur son lit,
la tilto tournue contre 10 mur.
Mllo Gertrudo s'approcha.
- Jpanne, 10 dojeuner est prlÎl. Veux-tu me demander
pardon?
-Nonl
- Jo vais faire montor ton déjeunel'.
Et sa LanLo sorLit sans plus insister.
Quolques minutes plus tard, Mario-Joseph Oppot'tait sur
un plaLeau le d6jeunor de Joanne. C'était uno vieille femme
encore ulerte, avoc une figuro tauLe rondo, toute rose,
p01lpine sous la eoiITo blanche. BUe adoralt los enfants, Se
lamenLait de co quo « MIlO Jeanne avait l'air si trlsto » et
ne demandail qu'à ln glUer. EIla était tout à fait désolée.
- VoLre dûjeunor no sora guère bon, Mademoiselle a
voulu quo je monlo tout à lu fois; dépêchez-vous de pem
que ça refroidisse, et. - ajouta-t-ollo, en tirant de sa
poche une poire. - voilà voLre dessert.
Jetlnne, aUendrie, reg,Hdait la bru ve fllle.
- Morci, Marie-Joseph, mais mil tanLe no vouL pas que
j'ale de dessert; VOllS sorez grondéo.
- La poire est à moi, mademoiselle Jeanne, mangez-ln,
mu pCli .o nllo.
�LES
PRINCIPES DE TANTE
GERTRUDE
27
Et Marie-Joseph repartit bien vite « servir en bas ».
Le soir, Jeanne s'obstinait. Elle n'avait même pas
répondu à sa tante, avait re~us6
d'ourler des serviettes;
la journée lui avait parut interminable ... En venant enlever
le plateau du dîner, Marie-Joseph avait essayé de la
raisonner :
- Fa1.jt céder; voyez-vous, avec Mademoiselle, y a pas,
faut ebéir. Je m'y suis habituée. Faut pos que mon dIner soit
en retard de deux minuLcs; alers je me dis : c'est pour
sept heures moins le quart. Si je suis en retard de dix
minutes, cela me fait encore cinq minutes d'avance.
,Ttlannc ayant souri, Marie-Joseph repriL ;
- C'est pas bien difficile. Écriv 7. sur un bout de papier
quo vous lui demandez pardon ct pui s touL sor a fini.
- Fini 1 s'écria Jeanne, et son l'églem!?nL! Coudre, lire,
balayer et encore coudre, march er, rentrer, pas une
minute à laire ce que je veux 1Jamais, jamnis. Oh! si papa
savait 1
Et Joanne fondit on larmes .
Marie-Joseph, ne sachant plus que dire, était partie,
na vrée .
M. Philibert, furicux contre sa sœur, savoul'ait Comme
une vengeance l'embarras dan); lequ.el l'eJltêtement de
J canne plongeait visiblement Mlle Gertrude.
Deux jours s'éta:cnt écoulés, la si tuation no pouvait ùurer.
Des amies étaient venues, curicusoJ de voir la nièce de
r-.; lJc Gertrude; cello-ci avait (lit l'enfant soufTranto .
•1arnais olle n'aurait voulu a vouer la véritô, ni s'avouer à
'.lJe-m~!
s'y èLl'e mol priRe, olle si so.re de l'excellence de
se3 méthodos d'éducation 1
Co matin-là, Jeanne 6taiL aussi intraitable.
- Jo vais 6.:riro il Lon père, diL sa tante, que je ne puis
jias te garder ..T'hésiLais il cause du chagrin et de l'embarras
(IUC cela va lui donner ...
VOliS n'alll)): pas 6crire ça il papa, par exemple 1
a'6cri::.:, J0D.IU10 courroucée , exprès pOUl' faire de la poine il
Inon pauvro papa. Il ne faut pas qu'il mo croit malhourEJUse.
�!:!8
LES
PRINCIPES
DE
TANTE
GEnTltUDE
Mlle Gertrude aperçut tout à coup le mobile qui la
rendrait maîtresse de la place.
- J'ai promis de tenir ton père au courant de tout ce
qt'i t'arriverait, et je tiendrai ma promesse.
- Oh 1 c'est méc.hant 1 pourquoi voulez-vous faire do la
peine à papa?
- Il ne tient. qu'à toi que je ne lui en fasse. Jeanne, tu
es vraiment bien injuste, répliqua Milo Gertrude vivement,
et clIo s'en alla.
La pauvre mIette sanglotait, so tordait les mains : « 0
papa, criait-elle, j e ne veux pas quo tu aies du chagrin ....
Commont faire pour qu'elle ne t'écrive pas? Jo no pourrai
jamais lui obéir comme elle le veut 1 D
Mais la pensée dominante - celle qui, déjà, à Paris,
avait refréné le désespoir do Joanne - s'imposait do nouvoau. L'enfant supporterait tout pour éviter un chagrin
au poro si passionnémcnt aimé.
Doux heures plus tard, Mario-Joseph apportait à sa
maitresse Ulla feuille do papi'J t sur laquelle Jeanne 'avnit
écrit:
« 1I1a tante, jo vous demande pardon. Jo vous obéirai.
Jo vous en prio, pe ditos rien à papa qui lui russe do la
peine .•
Milo Gerlrudo n& put s'empêcher, dans sa joie de cc snccès inc3pérô, d'aller en faire part à son fl'èl'e.
Tu vois, dit-clic, je sais mo faire obéir des
enfants. ,E t je n'ai pas été longue à mûtCJr celte petite
IlIlc.
- Tu as tout simplement la chance qu'elto aime son
pore au point de sc sacriller. Pau VI'e gosse 1 Pourvu qu'olle
no tomho pas maladol avait r6pliqué M. Philibert avec un
haussement d'épaule.
- Vraiment, Philibert, lu dis quelquefois des choses
bien dl's,lgréablos.
- Purce 'lue cc sont des vôrilû3 ... r.roi ;-moi, ma sœur,
n':ù>u,1U pas do ta victoire.
- 'fu n'y conmlis l'ion, o.1; .. ura 1'1110 GOI'lrudo d'un ton
p6)'('mpl ,jl'c.
�LES PRINCIPES DE TANTE
GV,RTRUDE
29
M. Philibert avait repris son journal, mais ce fut encore
lui qui salua amicalement Jcaooe quand elle entro. dans
la sali., à m anger, ce jour-là, Jo. figure pâlie, les traits
tirés.
L'aprlls-midi, en sortant, Mlle Gertrude dit à Jeanne:
- Marie-Joseph va te promener une heurc, ensuite
elle te donnera un ouvrage de couture que tu feras sous sa
direction.
- Oui, ma tanle.
* **
Dès ce premier jour, Jeanne sentit que cette vie nouvelle, acceptée pour l'amour de son père, mais dont eHe 1
s'eITrayait tant, serait adoucie par le dévouement de la
vieille Marie-Joseph . Pendant la promenade, clle avait
causé, la brave femme, s'ingéniant à distraire l'enfant et,
comme celle- i ignorait tout de la Bretagne, les réeits de
Marie-.Joseph avaient pour elle l'aUrait de l'inconnu. La
coutUTe, certes, l'ennuyait ... Made·Joseph faisait la moitié
ùe sa tâche ...
-- Jeanne n'a pas perdu son temps? demandait
Milo Gertrude, en rent~
le soir.
_. Non, mademoiselle, elle a bien travaillé, répondait
Made·Joseph qui de sa vie n'uvuit tant fardé la vérité.
glle obéissait, la pau vl'e petite, au lan L qu'elle 10 pouvait.
1\laehinaJement, elle cousait, elle lisait, aidait MarieJoseph au ménage, et e'éLaiL encore cola qui la secouait
lin peu, CUI' elle n'avait plus goût .~ alll'.un jeu, et un
morne désespoir s'infllLrait glaçant le cœur de l'enfant.
Reules, les loLLros de son pèro <.lissip::licnt un instant
l'aLonie de son regard.
M. de Korvilan, touL on jouigsant, plus qu'il ne se
l'avouait, ùes distractions du voyage, coosuer.lit à sa nUe
lCIi momenLs de désœuvrement inséparables <10 la vic de
bord. 11 n'avuiL pu ûtre enlièrement dupe do la feinte
f;OUl'ageuse de l'ont'ont eL s'apercevait après coup que ses
propres souvenirs étaient bien effacés par les années;
�3D
LES
1>l1.1I'iCr1>E!I
DE
TAN'I'É
GERTRUDE
/fu'ils ne l'aidaient il imaginer Sà fille dans cê milieu où il
se tl'ouyorait lui -même étranger et qui la JésOrien
~a it
peut-être te::dblernent. Il ne pouvait plus qu'essayer de
la disi.raire.
Un vrai journal par:it donc de Port -Saïd, la premi
~re
encule.
« Ma petite fillo chérie, disait-il , voilà doux jours que
j'ai quitté Marseille, et, pour commencer, la Méd iterranée
nous a donné un bal soigné. Bn partant, le pont était couvert d'enfants de tout âge; on se serait cru dans un squaro
parisien. La jet.ée à peine dépassée, les rires et les jeux
~'éteigna
. NOt:9 n'étions pas hors do la rade qu't! n'y
avait plus. à regarder la cate : s'enfonçant dans la bourrasquo. que qUl?lques vieux habitués et ... moi.
" Pour mon coup d'essai, j'ai montré un pied et .. . un
(lgtornac mal'ins, et j'ai, sons tarder, reçu le baptême sa16.
Nous Wons sI haut p(lrch6s sur la dunette que nous nal'mlll nous en a prIs. Uno bonne douche
guions les vagtles~
a refroidi mon zèle ct nous a 10rcés ù descendro nOus
changer_
.~ premières
« Du l'osto, 10 pont était consigné ot ces deu
journées m'onl pal'u usse? longues; mait; les malheureu.'
ùitclnts du mal do mer ôtaient autroment il plaindre. La
cambuso a dG fairt: des économies; au l'Op as, 10 nombrt:
des conv! vcs .::taiL sql1r1ct tl'lue .
• Le surlendemain, la mer étant plus maniable, j'al pu
aporcovoir la Cors commo 110 gros céto.~
noir. On m'a
montr6 Je perL do Bonifacio et son chapeau co1l6 au roe.
Là fissura qui fJOI't d'enLr60 au port est Ri élroite 4uO notro
paquebot y ferait l'office d'un bouchon. \ travel'o{ la pluie
ct Jes embruns, je n'nt pas dlslingu6 grJnù'choso.
CI AlIjollrd'hui, changement complot. Ln mer calm~o
cst
Meu inù1rro commo 10 eiel, 10 soleil tape dur, mals, sOU;o\
les l ntos du pont, jJ rait bon. Le!; b6hés ont rénppo.rù
jouets, leurs nurses, leurs cris ot lours rlro.1.
avec l cur~
Il Nous uvons frôIù le Stt'omboli, Ua COIIO tont dol'O,
uvee un patli\e 10 <.lo fuma..., à 1500 mètres ~\I
IlM~t
do
/l'Jl tete". Co so il' nous passons enLr lu Cnlnbl'o ct la Sicile.
�LES
PRINCIPES
DE
'IANTli:
GLnTRUDE
ili
• Je reprends ma lettre en pleine mer. Pas un caillou en
'ue, et ce sera ainsi jusqu'à l'Égypte. Un peu monotone,
roais le bateau lui-même est un monde. Nous avons même
des bêtes: bœufs et moutons pour le ravitailloment. Ils
ont donné beaucoup plus de mal pendant la tempête que
les humains, ils n'ont pas du lou t 10 sons de l'équilibre et
l'oulent, tels del, billes, se cassant les pattes comme.
verre. Ils sont pourtant précieux, car ce qu'on mange
maintenant que cola ne valse plus, c'est incroyablo. Cela
fait passor le temps. Il y a aussi la toilette. Le matin,
Sur 10 pont, ce sont des pyjamas barlolés; le soir, on est
en smoking.
« Je ne sais trop si mes histoires t'amusonl, ma petite
Joanne, il y u peu d'événements à bord; mais j'y ai fait la
Connaissanoe d'une petHe /llle qui me forait pensor à tOi
si j'avais besoin pour cela d'un rappel. Ello a ton fige j ta
taille en tout cas, ot voyago sous la seule gardo d'uno
SCCur qui ne doit guèro avoir plus de quinze ans. Elles
vont ainsi rejoindro lour pèro SUl' la côto do Chino, Ce
sont dos Anglaises. L'ain6e b!l.ragouino quatro mots de
français en s'appllquant : « moua »; la petite ne sait pas
<.lire tt oui ». J'ai tiré quelques bribes de mon anglais
inrol'mo pour entamor lIOO connaissanco et jo lui inspire
confiance, il faut croire; 0110 ne me quiLte plus et, avant
quo nous nous séparions, je parie Ivi faire prendre un
I;anal'd dans ma tasso de café, comme faisait il y a huit
jours encore ma Jeanne.
" Quo fail· clIo maintenant, ma petite lIlle? J'ospèro
qu'ollo s'habituo à sa nouvelle vio, se fait uo niù <.Ians la
vinille mnison où wn papa gllait à son âge et n'oublie pal>
trop, entre Lante Oorlruclo el tonton PIlilibort, ee papa qui
l'embrasse bien fort ».
L r1 loUre luo, relue, caressée, embrassée, couverto do
larmes aURsi, a ôlé déposée dans un tiroir du bureau où
• papa )) faisoiL aulrefois ses <.Iovoirs de vacances. Puis
la vie d6soléo a repris. La grnnde horloge du vestlbulo
SOIUle l'ennui de chaque heure avec la Lâche quo le règlement y a attribuée.
�32
LE S
PRINCI PES
DE
TA NT E
GERTR UDE
*'"*
De Coylanj M. de Kervilan a encore jeté une missive
vers la France.
« Voilà un des avantages de ceux qui r estent. Tu auras
eu de mes nouvelles presque sans intel'ruption , et moi,
quand j'nrriverai à Hanoï, non seulement il y aura eu
tro is semaines que je ne saurai rien de toi, mais il me
faudra attendre le paquebot qui nous suit , et il ne m'appor tera que des nouvelles vieilles elle · mêmes de trois
se maines.
« Je calcule qu e les cours ont commencé et, comme ma
J eanne est une bonne petite travailleuse , j'augure bien de
cette occupation pour faire passer le Lemps plus vite.
« Après avoir fermé ma prem ièr e leUre , j'ai rait COIlnaiss:m ce avec l'Égypte. Côte basse , sabl onnouse , puis, à
quai de Port -Saïd, le bl'ouhaha do l'Orient. Mêlée de pOI'le faix, apostrophes en toutes langues. Au ho ut d' une alléo
d'arbres curi eux: ; l'acacia HOll eux d'Égypte, j'ai t rouvé
un hôtel ultru-mo derne, et <.ntendu les r engaines de Paris.
Mais, sans m'éloigner beaucoup, j'ai aperçu des cabanas
on torchis, des b andes d'enfants (' fi chemises bleues - les
garçons - noires - les fill es - et des gens accr oupis aux
cafés. 'lr è~ N icnl a' .
« Nous UVO IIS Lruvcrs6 Je cuna lla nuit avec un leI luxe
d'6clnirage qu'on y voyait comme en plein jour. Il y a,
dit- on, cenL ph ares.
(1 La mer H.ouge n'a paB voI6 sa r6pu laLion d'une chaudièr o eJl 6bullition. Quar anto t1egr6s, on fond. Lo pont Hait
plus ac haJanù6 la nuil, que le jour, et toule 6!t"ganco uvait
disparu devanL la r echorcho, d'aillours par[(.I ilcment
vai!lr, d'avoir moins chaud.
" lEn \'oyant poin t6 le r orlwl' d'Aden, DOUi> alfun;; ùspé r6
la fin de la cuisson, m ais CElla n'a guOl'C LhflTlg6. j\ù'm ...
Nom; no nous y 60mmcs pas a r ~ L és. A la lorgnet te, c!) roc nu
ct désor t so mo ut on une alvéo le bourr';\l do ll<ltlorics de
CanOIl(;, de c!l011lin de ronde, de fortificutioJls. La ville
�LES
PRINCIPES
IlE
TANTE
GERTRUDE
:l3
indigène est par derrière, curieuse, dit-on, par les races
qui s'y coudoient ; nègres jouant la statue de bronze,
l'CI ses portant une haute mitre noire, Cipayes de l'Inde au
turban blanc.
• Il fait encore terriblement chaud j je dors sur le pont
ou ... j'admire ... Parfois la mer devient si phosphorescente
qu'on dirait qu'elle roule du leu. Cela rappelle en gigan.,
Lesque des fontaines luminCtlses dans lesquelles des pois.
Sons volants passent comme des étoiles filantes.
e Je ferme ma lettre, nous faisons halte à Colombo. Un
grand cirque de montagnes d'où ruissellent des cascades
au milieu d'une folle végétation, toute nouvelle pour
mes yeux de Breton, mais que ma longue vue no me
permet pas de délailltlr autrement. Il paratL que ce
SOllt des forêts de bananiers, de palmiers enguirlandés
d'orchidées.
« Vile un gros baiser. On réclnDl(, ma leUre eL j'entends
le brUille-bas du départ. »
'" '"...
COlfll1\e le supposait 1\1. de Kcrvilan,les cours avaient été
une grande di~'8rsol
pour Jeanne, mais, quand elle reutrait à 5 heuros el les jours où il n'y avaiL pas do \.:ours ;
le joudi, 10 di manche, une tristesse, un ennui intenses s'op.
pesanlissaienl SUI' scs frilles épaules.
Milo Gertrude, duns sa méconnaissance absolue de l'enrance, i)'apld~L
du résulLat apparent sans s'apercevoir qlle J canne perdait un peu chaque jour de son entrain.
Les JOUl'i> palissaiont, l'app61il se perdait. Mario·J oseph
~'inqléta,
sc lUuILipliait, mais no disait rien, sachanl quo
co serail inulih'.
1\jllo G01'~rudo
avail présenté SI niù.:o à la vieille mal'quiso do ~ul'çois
ql\i avait enchallt6 Joanne 1\ lui parlant
UO Son père. La marquiso étail ulle autoritô, la terrible'
tante n'avait pus osti vis-tl-vis d'ellc reléguer Jeanne dans
l'ombre où les jounc/1 filles de son tempo, assurait-olle, se
lenuient - sages pcliles oies hhmches. Cependant, II!
3
�34
LES
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
gendre de la marquise, ayan c eu son embarl{uement retardé,
retenait ses filles il Brest, cL Jeanno reslait seule ... si
seule ...
Une nouvelle lettre de M. dc Kervilan datée d'HanOI
provoqu:! chez l'erlfant une telle rise de lar mes qu'alla n~
put la cacher. Il,'i lle Gertrude fut aussi étonnée qu'offusquée.
- Vraim<.'Ot, Jeanne, je te croyais devenue plus raison·
nable.
- l'apLl est si loin, si loin, muinl( nanL, sanglotait
l'cn fnnt.
- Tu savais bien qu'il n'était pas sur le chemin du
roto r.
- Il ne reviendra peut·ôLn jamais, g6mil Jeanne.
- Si Lon père savait le résultat do seR lettres, il ne
t'écrirait pas ... Aussi, é rire à une enfant a1lssi longuement
qu'à une g-rande p ersonne ...
<":'était à \1- Philibart que cette del'nior.3 phrase s'adressait. Mais le pauvre oncle, navré, empêlré devant ce
désespoir d'enfant., prit un Id:roiquc parti. JI embrassa très
fort la petite dé3ef'por6e eL disp rut.
JE':ann" sc réfu gia dans sa ch mbro. Sa lanle pemmnt
qu'uno 1'I\lulairc solitude remettrait en plaeo un lrop nerveuse natur , lUi laj6 ~a Loulle loisir do délayer l'encro de
Iles plour., jusqu'à cc qu'on no puisso plulJ dlscrrner IIi
son pOl' ayai écrit n caractères chinois ou frnnçais.
Il rJ.eontail la fin de la traverséo, el 10 ton enjoué ~Jc s.,
le pluisir d'Otre arrivé d ns un pays qui
leUre, où per~aiL
s'avorail curieux, con~lrai
lament:> hlemenl Il vce le
chagrin dA Ra fil) .
u Nou avons longu la prrU'!u'lIo (10 MnIllcc.1, corbeille
rio verduro au ras do l'au, ap rçu 1'110 de Sumatra où,
assuro-t-on, s trouvenl oncoro quelqu es pouplades d'nnlhropophag"'s ... Mals, sois tranquille, nv\ petite J eanne,
jo n'ni nulle ('lIvio d'y allor voir cL d'y laissar un hilteck
do ma personne.
1 De 8aTgon, jo n',lÎ rien vu, jo rOIl('aig.
l1ell0 chal ur ...
~fl
petite amie anglaise on était pâm6c. Du coup, l' i
�LES
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
35
otlert un canard qui a été accepté a~ec
un joli sourire ci
un ~ merci ». Je lui ai bien appris vingt mots français et
moi j'ai réappris tout un vocabulaire anglais. Nous noUS
sommes séparés il Huïphong; elle en avait eneore pour
plusieurs jours de navigation, la pauvro petite, et, dans nos
adieux., j'ai oublié de regarder l'arriv6e au Tonkin. Je ne
crois pas avoir perdu. Haïphong a été tiré d'un marais et
ça se voit. Ville sans cachet, du reste, avec des cheminées
d'usines européennes .
( Le directeur e ~ t venu me chercht.lr dans une auto qui
ne déparerait pas l'ovcnue Dauphine et m'a emmené triomphalement il Hanoï; c'est plus confortable que 1(:) train .
Liautey, il y a quelques années, a mis douze heures par le
canal des bambous et le Oeuve Rouge.
« J'espère avoir ùans dix jours do tes nouvelles, vieilles ,
bêlas 1 de trOll! semaines, mais co sora bien bon quand
mOrne
».
>1<
'" *
L<llfJUro (.tuit arrivée, pauvre potilo missive oùi.l était
quo la main tremblait. des sangleL~
quu Jeanne étouflait. ~i touchante pur la préoccupuLion que ~on
père ne se
tourmente pas, les protestations rûpéL6us ClU'(:)l!o se portait
bien, am'alL do la patience ...
Lo père comprit ù moitié, l'esta doux jours boulevet'sô,
se demandaut g'ïl no s'o~aiL
pas tl'ompo en envoyant sC{
11110 en BI·etugno. Puis, englobé dans la vlo colonialo,
intenso, imprévue, prenunLo, son angoisse s'apaisa o~ il se
POl'suuda, Ù 10 désirer si fort, que Jeanne s'habituorait à
.son absence.
clIlÎl'
Ce jeudi, il plouvait; Mllo Gertrudo élait sortie cop cndUJll. Jeanna purai8saiLllilasse que Mo.rie-Josoph, apiLoyée,
avait pris Soil ouvtago. L'f.lnfunL était remontéo dans Su
chambro bien iroide car Il n'y avait dU len quo dans lu.
~ tlle à mo.nger et dans la bibliothèque, mais olle s'y trOllv..\it mioux.
�36
LIlS
PRI!ICIPI:S
DE
TA NTT;
r.ER TR Unt:
Elle rel isait pour la cimtièroe foi s les lettres d(' son p è r ~ ,
ou plutôt ene s' engourdissai t, en les t enant serrées danH
ses mains, d'une vague satisfaction à la pensée qu'il les
avait lui-même touchées. Elle restait ainsi inoccupée,
n'ayant goût à rien, délaissant livres et jouets ... Enfin, les
prèciouses m issives bais ées, r emises dans le coffret qui les
gardait jalouse meut, J ca nne se sentit gelée. Et le découragement s'inf1Itrait plus glacial encore au coeu r de
l'enfan t.
Au hasard, ello 50 mit à arponter le long corridor. JI
faisait presque nuit. Que lui importait? Par instants, un
petit sanglot nerveux la secouait. Elle gémissait tout bas:
n P apa », puis r eprenait sa marche, A un moment., la
tête vide, los jambes nageolanles, olIo s'appuya dans le
coin le plus obscur du corri dor, ferma les yeux.
Elle aurait voulu dor-mil' pour l:osseJ' d o souffrir el elle
crut qll 'ello som meilla il, cal' ello entendait le br'uit d'un
piano, nt cc no pouva it ôLre qu'un rêve. Cependant la
musjq\:C! lu i p UJ' ven:lit nette ment ; .Jeanne so redrossa ;
cOmpl'll1ll) nt qu'eJ)e n'étai t pas 10 jouet d'uno illusion.
Aupri,g (l'l'Jlo $0 trouvait un renfoncemont qu'ello n'avait'
pas .iu<;qul'-Jà remarqué, EUe nt un pas cu tâtonnant, se
butn à lIne marcho d'escalier ... Lo bruit vonait par là, le
piano ét'·it- il donc au grenior? Jeanne le croyait inbabil{"
Cell'J découverte eut raison de son engoUl·dissement.
Cl1rieU 3'! 01. intriguée, 0110 monta t\ tâtons. Au miliou de
l'escali()!', UIl O porto à claire-voio, vorrouillée, lui barrait le
ch emin , muis, en lre la rampo et 10 mur, il Y avait un petit
espace, J eanno étai t mince ; emjurnber lu rampe, fle faufilel' contre Je mur fut un jou pour olle. Au bout de J'escalio!', lino aulre parle; J OlUlno tourna le bouton, les gonos
grincèrent, ]a pOI'te cédu.
Le bruil avai t été perçu do la musicienn e ; Jo piano so
lul hrusqu emcn L, un Dpoc'le s'o uvrit, ol, dans l'éblouis,>ant
éclat d'un plafonnier électrique, lu silhouette d'wle jeullo
remme parul SUl' le seuil. Elle poussa un cri de surprise,
puis aussilOt, prenant 1(18 deux muins do l'enfant interdito ;
�LES
PRINCIPE5
DE
TANTE
GERTRUDE
37
- Jeanne de Kervilan, n'est-ce pas?
- Oui, balbutia Jeanne.
- Comment êtes-vous montée?
L'enfant montra l'escalier.
- Votre tante ne sait pas que vous êtes ici?
- Oh! non.
La jeune femme eut une seconde d'hésitation. Elle scrutait le petit visage où les larmes à peine séchées, le dépérissement étaient visibles. Le regard décelait une navrante
tristesse. Elle entraina l'enfant dans le pelit salon qu'el~
venait de quitter. Jeanne jeta un regard aut.our d'elle.
- Oh 1 qu'on doit être bien ici, dit-elle à mi-voix.
Sans paraître avoir entendu, la jeune femme reprenait:
- 11 faut que je me présente à mon tour ; Claire de
Lénac.
Et devant le regard interrogateur de Jeanne:
- Mon nom ne vous dit rien? L'oncle Philihert ...
- Vous ôtes aussi sa nièce? s'écria Jeanne.
- Pas une vraie nièce comme vous. Notre parenté est
éloignée, mais, en Bretagne, on cousine de loin. L'oncle
Philibert m'a souvent parlé de vous.
Milo de Léno.c s'arrêta un moment, puis elle reprit plus
lentement:
....:.. Des questions d'intérêt avaient brouillé nos ramilles.
A ln. mort de ma mère, 'l'oncle Philibert, l'esté en bons
l'apports avec nous, a obtenu de MilO de Kervilan de mo
laisser habiter ici, dans co que j'nppello mon perchoir,
muis nos relations se bornent, sauf quelques rencontres
fortUitos, il. une visito échangée au jour de l'an. Je crains
quo votre tante ne vous permette pas de pronter du petit
escalier qu'clio-m ême a condamné.
- Je no le lui dirai pas, s'écria Jeanne.
- Jo serais très contrariée quo vous voniez ici en
cachette, ma chère enfant.
- Ohl ne me renvoyez pasl Je suis si malheureuse 1
Et Jeanne londit en larmes.
Mllo de Lén.lc no pensa plus qu'à la consoler.
BloUie contre la jeune fille dans la grando bergère, au
�•
8S
Lt
~
l"HIIHaPE S
n:c
't'AnTE
GERT!tUDII
coin du feu, Jeanne déchargeait son cœur. Pêle-mêle, les
souvenirs de sa vie heureuse avec son pore et les dures
souffrances de son séjour en Bretagne jaillissaient p ar
petiLes phrases entre -coup ées. MllO Claire car esa
i~
le6
boucles brunes, effleurant d'un baiser le fl'ont mqite eL
laissait couler le torrent .. , N'était-ce pas la meilleure consolation qu'elle pllt donner à l'enfant? Peu à peu celle-ci
s'apaisait.
Sans essayer de la contred ire, Mllo do L ~ na c di t tout à
coup:
- J 'ai beaucoup connu volre père,
- Ohl ftl J ounne dans un sursaul, les yeux illuminés ,
parlez-moi de lui, je vous en pri e.
- Nos gl'and'm ères étaient sœurs et ll abitaient aux
environs d'iei deux propriétés limilrophes. Pendant bien
der; années, mes frères, Paul de Kervilan et moi avons
lJ.tss6 ainsi nos vacances ensemble.
- Oh 1 vous me raconterez ...
A Lra vers los porLos reillées enll" ollverlcs, on entcndiL
lout à. coup la voix cIe Mnric-,loscplt :
'- l\fudcmo;selle Jeanno, ma peUle mignonno, que f;nte~·
YOUS si longtemps dans vot ro chambre? Vous :1l1ez; avoir
froid et volro tanto qui vu rentrer. Faut descendre,
Mademoiselle J eanne,
- Vite, dit 1I1 11Q de Lénrlc en se lovant, partez, ma p':ll.illl
Jeanne. Soyez raisnnnable.
J canno sc jeta ù son 'ou, avec lion ancienne impétuosité:
- Oh 1 CJuo je suis conlont e do vous avoir d6couvorte.
J e: me S'!OIl ressuscitéc ... Je r ev iendrai (lomain, jcto.-L-ellc
en botldîsun~
dans le petit e.lc .. li 1'.
MilO de L6nac n'avDtt pas ('u le courad' de dil'o non.
Ella rentra lentemont dan'! SO li l'Jalon et s'assit, lIongcusf',
Un Lerrible dilemme tiC po~:dt
inopillémcnt dovant ellc·
U répugtlolL profondément à sa IUl.ture franche et loyalo
de recevo ir J eo.nne il l'insu de 111 110 de Kcrvilan. 11 Mait
6vidt• .t, d'un autre côlé, <1 l1 o l 'mrunt souITri\lt dangorcuGomenl do la froideur et cIo la 1'~id
t, 6 dont Mlle aer~l'Id)
ouve!OPllait dl) r6011os
IIlll1ilû.J,
Cette 6ùucaLioDXVII' sll:clo
�LES
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
39
Succéd(lit trop brusquemùnt à la 'haude alTection du
père. Paul de Kervilan! son ami d'enfance 1 Fallait-il
refuser de donner à sa fille l'affection que celle-ci cherchait
si ar _emment, dont elle avait un impérieux besoin?
Mlle de Lénac ouvrit un tiroir·, en sortit quelques photographies soigneusement protégées d'un pa.pier de soie.
Oroupe de jeunes gans pris au hasard d'une promenade,
su~
un court de tennis, entourant une barque au bord de
la mer ...
Elle prit une loup e pour mieux distinguer les visages.
Elle élait là , mIette aux cheveux ébouriffés, et toujours
auprès d'elle un grand, svelte g<trçon , dont les yeux rappelaient beaucoup ceux de la filleLte qui tout à l'he\.lro
~angloti
daIls la bergèro.
Quinze ans, biùntôt seize, qu'ils ne s'6taient revus 1
Lui s'éLait marié et avait oublié la fIl1elle d'alors. Elle,
avuiL refusé do se moder, et c'est il peine si, daI2s l'angoisse
où la jetait lu surl}rise do cel oprès-midi, elle s'avouait
Pourquoi elle restait vieille HUa. Mais clio sa vait Ce qui
l'ompêchait do voir lairernent où était son devoir. Le
cher SOuvenir s'embrouillait uvec la raison. Rofuser sa
POI·te à la fille de Paul de Kcrvilan? Btail-cc possible? 8t
où en ll'ouveruit-elle le eourago?
Mllo de Lunac ne dOl'miL pus de la nuit et l'aube lu;
<:'p por la la réponse des gens qui n'en ont pas trouvé. hj~
prendrait l'avis de :r.I . Philibert ct s'en l'omettrcùt à sa
dûcision. Après Lout, Jeanne étaiL conIléo à lui aussi.
M. PldlibOl'L p:uLugcait l'avis de Jeanne; il sc LI'ouvuiL
très bien che?, MllO ue Léooc ct y venait souvenL.
C'étaU une originalo installatioll, ec perchoir. Quelq
~ s
plùces mansardées, sJmplcm('nl aménagées dans le grand
grenier qui couvrait lu muison; mais un K~rviltn
<AU
guûl artislique avaÎl fait cuvrir dans le pignon Ulle
large baie qui donnait d~ p!aia-pied sur hl terrasse cou1'onl.lanl la \'i i!lo l<lllr. Du p erchoir émergeant !.les lIeU/'s
�40
J,ES
PnTNC JP BS
nE
TA NTE
GERTR!1l)E
plantées à profusion sur la t errasse , les y eux découvraient
un vaste horizon. Par delà les landes dorées d'ajoncs et
les maigres bouquets de pins, la vue s'étendait sur l'océan.
Dans un repli de terrain, des mâts effilés laissaient deviner
le petit port dangereusement défendu par d'énormes
rochers qui s'éparpillaient sur la mer.
On act:édait à la terrasse par un antiqu,e escalier en vis
peu confortable, qui assurait l'indépendance du perchoir,
effarouchait les douairières opulentes eL faisait la joie de
l'oncle Philibert en lui rapp elant , di sait-il , les échelles
d e perroquet des navires.
:
1.0 eoup de sonnette du marin fut particulièr ement bien
accueilli ce jour-là .
- Venez vite, oncle Philibert, avait dit Claire, j'ai un
conseil à vous demander.
- Tiens, liens, fit l'oncle amusé, je suis plutôt habitué
à cn recevoir.
- Pas ici, dit en riant Mlle do Lénac. Voilà: Jeanne a
trouvé l'escali er intéri eur.
- El elle s'en est servi, la p otite co quine? Et elle a
1rouvé le perchoir à. son gollt? Eh bien 1 je la comprends
joliment, la p eti te.
-- \fon oncle, s')yez sérieux, je vous en prie. Que dira
Milo Gerlruùo?
~l.
Philibert 50 frotta le nez , porplexe :
- Hum 1 Avec ses prin-ci-pes, je me méfio qu'elle ...
fera boucher l'esca lier.
- C'est ce que je pense. Mais l'enfant soulIre cruellement en l'absence do son p èr o.. .
- gt tu peux bi on ajoutor ... du système d'éducation de
Ilill sro UI'.
- Colte enfallt a besoin de tendl'esse ... ct aussi de dis(ractions. No pourriez-vouR pas, oncle, la promener un
pou II' jeudi, l'emmener à la mer. Marie- Joseph est trop
l'gée.
M. Philibert avail fait un gesle épouvanlé.
- J ona connais rien aux cnIants. Si c'ôtait encore un
garçon 1 Al ais uno flljr 1
�I.E!>
PRI1'!CIPES
nl ~
'l'ANTI:
r.r.nTnUDt:
',1
- Jeanne n'est plus tout à fa.l une enfant. Elle abeauC?UP voyag'~
avec son père. Je suh p e rsuad~e
qUI', 10in
d 8tre un embarras pour vous, cllo VOliS dist rairait.
- Je croyais que tu demandais un conseil, quunù je te
disais ... je ne suis fait que pOUl' en recevoirl
Milo Claire se mit à rire.
~ Ce n'est pas un conseil que je vous donne, c'est une
prière que je vous adresse.
« Et puis, je vous ai demanùé aussi ct surtout un conseil,
mais vous ne m'avez pas répondu.
MU. Claire raconta alors toute la scène de la veille.
- Tu hésites, s'écria M. philibert, mais ta présence ici,
~'est
providentiel pour J canne. Si peu expert que je sois,
l'ai bien remarqué que ça n'al:ait pas .
• « Ello ne mange plus, elle ne COUlt plus, elle n'a jamais
ri. Je Suppose que normalement ça doit rire, une gosse de
cet age. J'ui bien risqué un mot à Gertrude. Ah 1 ouUche 1
L'enfant, sous sa direction devient sérieuse et raisonnable.
Dieul qu'elle...
'
- Allons, mon oncle, interrompt Claire, qui pre~snt
~e
apostrophe peu amène. Tante Gertrude est une femme
SI raisonnable qu'elle ne croit pas nécessaire pour les
autres do mettre un peu de fantaisio dans la vic.
M. Philibert regarda sa nièce ;
- Toi, tu es une perfection.
- Morci hien vous avez dit souvent que la perfection
était ennuyeuse.'
- Pas la tionne, pas la tienne, je m'entends.
- Alors, lnon oncle, que faire?
. _ La recevoir, parbleul au ne~
et il la barbe de ma
dlgno sœur, ossura M. Philibert, enchanté de jouer un si
bon tour ù Mllo Gertrude.
- Si seulement on pouvait avoir l'uutoriso.tion de
son père, repriL Claire. Les cachotteries me rl'pugnent
ll'llement.
_ 'l'u es meilleure que moi, ma petite. Je vais certes
lui écrire, seulement il faut comptel' bU semaines pour
avoir une réponse.
�42
LES
PnlNCIPES
Dr.
TANTE
GeRTRUDE
- Une dépêùhl?
- Impossible de narrer une histoire pareille en style
télégraphique.
- Il pounait répondre du moius par un t élégramme.
- Ça, je puis le lui demander, il ne faudra pas, par
exemple, que la réponse me soit adrc'ss,ie ici ; mais je
m'anangerai. Cela fait oncoro LI'ois semaines . Vas -l u
lais~c'
ce lte pauvre mioche se morfondre en attendant? II
n'est que temps, je t'assure, de la tirer de l'étoufYoir où
les règlements de Gertrude la ligotent et d'ouvrir une
soupapo.
hi~
encoro :
Claire do Lénac Soupil'a, r unc
- C'ost au-dessus J o mes IOi'ces , aYoua-t.·ollc.
Réponse assez inattenduo chez la très misonnuble jeune
mIe pOlir pIoneer ,1. Philiberl dans une profonde rGve: rio.
Un quart d'houre plus tard, il savourait un tasse de
lM :lI'omalisé de rhum. Un lége r bruit lui raiL lev"l' lus
yeux.
- Tu as un chat?
- A déux paltes, répoJlll Claire, on ouvr ..lIlt la porto.
E[ J canne so jetait aussilôt Jans ses urus.
- J 'ai uno hourl.l. dit-ollo. J 'a i porsu adé à Murio-Jo3cph
qu'il mo fullo.il co t emps-Jo. pour r:.tÏro mes ùevoirs. Je
I ~s
ai bouc]6s en trois sols. Je suis si... Hoinl voilà l'onclll
l'lliljlJerLi Pas do dangor au moins?
- Non, non, IIll'onclo, qui riait J u bon CŒur. Si Gorlrude Je voyait 1 Los progt'ès, Ju direction ... la bonne farce 1
-- MOIl oncle, fil Clairo, lino nuance do roproche dans
la voix.
L'onclo plongea 10 noz (Ians sa tasse.
- Voulez-vo us du Lh6, peUte Jeanno ?
- Oh 1 oui, je voux bicn, celu mo rapp elle papa,
Et l'entant, ravie, s'inslalla comme chez 0110.
- Si vous voulez, mademoisell o Claire, <.lit- olle au bout
d'un morn on t, je vOiturais vous UPPCIOI' lunle ... tnntlno ...
puj
~ 4u o vous êtos ln ni~
co
ÙO mon 'Jflcle ...
M. Phllibrrt 6cluta do rire.
- Il va do soi (IU'ol1e e:ll ta Lanto 1
�LEI
l'l1.IlI'CIPl':1I
1)11
TArq'fE
GI!:l\TnU DE
4"
Sur cette permiss ion tacite 1 Mlle Claire a:;sura qu'elle
no demand ait pas mieux,
·*.
M. Philibe rt s'cst installé à son bureau, proJ1tant lui
aussi de la. solitude de l'après- midi. Au fond, il a un peu
peur de sa terrible sœur. 11 est plus frond eur do loin quo
surpren d re les eSCQde près, et la pensée qu'clIc p~urait
pades de Jeanne dans le passage prohibé lui coulait un
petit gJ.açoo entre les deux épaules. Comme elle ne doit
pas voir sa lettrc, il laisse courir plume et iriées de
consen e.
C'est la premièr e fois qu'il éeriL à son I1'0re ùepuis son
<lépart de France. Ne voulant pas attriste r l'absent , incapable ùe mâcher des mot! ' comme HIc reconna issait luimarne, il s'6taiL tu à cause de Jeanne. Maint01lant...
« Oui, mon vieux Paul, j'ai été muet commo une Mrp",
puree que je n'avais rien de bon à ta dire. Gertrud e, avec
l'a1'l"ivée do ta fille
idées préhisto riques essaie, d pui~
~c
ml familiales
traùilio
des
mllsure
1:1
ù
r
ICI, do la malaxe
la farouch e gardienne: . Je 1'.lgcais, mais tu
dont tll\e ~st
('onnais Gertrud e ... on, plûtôt, tu l'as peuL-d re un peu
cola ... .Enfin, celo. ne marcha it pas du tout.
olibliGe. Han~
e!,
a Lor.:lqu'ltier, ro tra,lnan t 60n chagrin par les corridor
J canne ~ ù()co llvert le perchoi r. :0. ne te dit rien? La
torra.:Jsc sur le vieux rempar t et les mamnr des? Do ton
temps, ça logeait rles rats. Depuis deux :J.ns, ça abrite Claire
do Lénac,
« Tu te la rappelle s, celle-là ? Vous av z aSllcz couru,
r,rimpé, pédalé ensemblo rruand ello :'lVait une notte dans
Je dos. Brer, hier, Jeanne est apparue subitem ent chez eIle ...
ot s'y est plu si bien qu'on no pouvait plus l'en sortir . .Elle
a prié, sangloto J crié qu'ello voulait reveuir, qu'elle mourl'ait do continuel' il vivre suivant 10 règleme nt gertrlld al,
sans aucune 6chllppatoire. Claire, ravie de gâter ta fille,
omb ... par.dcst lus III t te rle permet tre tlno cachott erie qui
dépasso se., propres principe s, s'ml est romise il ma déci!Jion.
.
, Mon chef, je n'ai pas boaiLé. Ces potites ~chQPpéo",
�44
LES
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
c'est 113 801e il pour la fille. Le soir même, je ne la reconnaissais plus. Cc matin, je la regardais du coin de l'œil
avaler une tranche de rôti, en moins ùo temps qu'elle n'en
met habituellement à mâchonner une bouchée.
« Je poux bien te le dire maintenant, j'étais rudement
tourmenté. Quoique je ne connaisse rien aux enfants, je
voyais que la pauvre petite s'étiolait. Gertrude elle-même,
l'autro jour, s'est aperçue que l'enfant ne mangeait pas.
Cela sort do ses principes, mais elle a cherchô la cou pablo
en dehors: vie parisienne malsaino, fragilit6 de la mère ...
Zut 1 Eh bien 1 vrai, je crois que cela va tirer ta fillo
d'affaÎl'e.
« Seulement il a fallu promettre à Cluire de demander
ton consentement formol, ct on est si press6 qu'on le
réclûmo par t ê16gramme.
u Au fait, tu ne dois pas comprendre pourquoi nous en
faisons tant de mystère. Vois-lu, Claire et moi sommes
persuadés que Gertrude rofusernit net de laissor Jeanno
la voir. 11 y a eu une piquo qu elconquo - je n'ai jamais
eu la curiosité d'approfondir - ontre Mlle do Lénac ct
Gertrudo. Puis, elle so méfie do toute autre innuonco que
la sienne. Avoc cola qu'elle on a 1 Elle le croit parce que
La fillo, afin que los « rapports» de sa tanle no to tourmentent pas, 50 plie au rôglemont imposé, sauf los 6carls
Ilu'ello cl la vioille Mario-Josoph imaginent à la barbo do
Gertrudo. Donc, motus. La petite ne L'cu parlera m ôme
pas dans ses 10Uros. C'est convenu ct plus sûr.
« La poliLIJ « Riki ", commo vous l'appoliez, est dovonue
la plus délicieuso femmo quo jo connaisso. l!:l1e mo traito
en vieil oncle ct je vais chauffor mos jambes ù son fou à
pou prùs Lous les soirs. Gela me change moi aussi, tout
ommo Mademoisello ma nièce.
œ No L'inquièto plus surtoul. Claire tl) 10 recommande
f:lpécialoment. Elle a invont6 de me faire promeuer ta fille
10 jeudi, a lallc6 Jo doc tour dûment stylé dans l'alTa,ire.
Gertrudo va grincher ..Jo suis un peu empêtr6; eniln la
gosslJ est gentille au pos.,iblo, jo forai de mon mieux pour
,\tre 1\ ln haut li" d'lino bonnc d'cnrunl.
�Lr:S
PRINCIPES
DE
TANTE
CERTRUDE
45
" Adieu 1 vieux. frère. Amitiés aux Tonkinoises. Que distu de leurs dents laquées noires? Pouah 1••• D
En eITet, Mlle de Lénac, jugeanL les visites au perchoir
et les petites courses hygiéniques de Marie-Joseph insuffi~nt()s
~ur
la santé de Jeanne, insista si bien auprès de
L'affection
" Phlhbel' : qu'elle obtint gain de ~ause.
~u ~le
no s'a vouait pas pour le père, elle l'a'laH en un
~tan
repo~té.
sur la fllle, lu~
lâchant bride assez i~pr
ù mment. C élait encore l'aIDl d'enlanco qu'elle chérlssalt
travers l'enfant; mais elle ne devait le reconnaître que
plus tard.
'" '"'"
Le jeudi suivant, l'oncle oL la nièce cheminaient gaîment
vers la côte.
~a route s'oIT rait toute droite, longeant le bras de mer
q~lI venait, les jours de grande marée, caresser Je pied des
Vleux remparts.
- Nous allons prendre le chemin des écoliers, dit tout
il coup M. Philibert.
Il entraîna Jeanne par un raidillon resserré entre
~es murs do jardins ot, quelques minutefl plus tard,
JIll étaient cn pleine lande, dominant les maisons qui
p,eu à peu, rompant le corselet de pierl'e de la ville,
S égrènent vers la mer. Le polit sentier serpentait à trav~rs
les toulYes d'ajoncs rosie~
de bruyères, les petites têtes
hlen droites perçant le fouillis des épines. Si étroit était le
sentier que Joanne s'y piquait les mollets, mais cela ne
refroidissait pas SOIl enlhousiasme.
_ Quo c'est joli 1 Commo c'est pittoresque 1 mon oncle,
s'écriait-olle. Quoi drôle de pays qui ne ressemble à aucun
o.utre!
Par un curieux contraste, tout Pl't:S, de l'autre côté de
la laguno, ahrit6e du vent du large, une vùgétalion intense
empJissaiL los méandres de la côte.
_ C'est plus joli, mais ça Il moins do cachet, remarquait
Jeanne ... Enfia, mon oncle, où cst donc ln mor?
�!tG
U:l1
PRINCIPES
DI:
TANTE
GEIlTRUDE
La lande toute nue montait sensIblement, barrée par
le ciel.
-- Attends un peu, t.u vas voir, répondit évasivement
M. Philibert.
Tout à coup, la lande avait disparu comme coupée par un
couteau de titan, et la mer apparaissait, bleue, à perte de
vue. L::t falaise ù pk surplombait un cl:aos de rochers
entre lesquels de petilcf; lame-s courte!;, crOl()e5 de blanc,
circulaient allègrement.
Jeanne s'était arrûtée, interdite.
- H elnl qu'cn dis-tu? dl'manclll l'onde, onchant{, de
l'impression escompté!.'.
_ C'est beau, dit J eanno, oh 1 si boau 1 Et là-bas, regtl rdez, oncle, ces rochers tout rouges. Il raudra que nous y
allions.
La cBto ,,'incurvait 16gùromont, puis s'avançait assez loin
au large, en une pointe qui Be termin:lit il pic en un nmoncellement do rochfls. Le granit d6chiquoLll, entr'ouvorl,
semblait les ruines d'une gigantesque (m'lcr s~e.
- Et le port, où est-il ùonc? demanda Jeanne.
L'oncle prit sa main, fiL quelques pa GUr ln gaucho. Lü
encore, la falai se ülail il. pic. A cinquante mlltroa au-dessO\ls,
10 potit port sommeillait, caché dans son berceau do roch er ,
d6fenùu ùu cBlé do la mor pnr une cou rI.o jetée et, plus
avant, pur un chapelet do r écifs : nid do pIrates Msurémonl
dans les tempo lointains, maintenant nhri paisiblo di'.
barquos do p~cho.
J<~n
co momont 10 port étaiL déser t, la fio lillo s'essaimait
au large, balançant Iles voiles IIi jolimen~
roullsics par cotte
teinture spéciale à III Brelagne : 1'6,'orce do pin. Uno
vingtaine do maisons ôtait appuyûcs à 1'1 fnlaise, do couleur si paroilles <{ue, d'on haut, (ln lc~ di AlinguaiL Il peine.
- Tu as le pied montagnard? La ll'lte so lide? s'informu
l'onclo Philibert.
- Oh! oui. Avec pflpa, j'al tant excurslonn6 dans 1"'1
montagnes.
- Eh bien 1lU ill-mol. Si ç no V~ pl'lS, atlrllpe mon bras.
Je suis 801ldo pour deux.
�LES
PIUNCIPES
DE
TANTE
GERTRUDI:
f.7
M. Philibert commença à desccndre. Le minuscule sen·
tier s'accrochait au Oanc de 19. falaise; biaisant, se retour ·
nant, mué par endroits en escalier, il dégringolait la pente
vertigineuse. Jeanne ne s'était pas vantée. Après s'ètrc
retourné deux ou trois fois, l'oncle, rJssuré, avait Aecoué la
tèLe et allongé le pas. Décidémont, Mlle do L6nac a,-aiL
raison : pas du tout encombranLe, la petite.
Sur lu jetée, ils avaient rencontré Jean-Marie, un robuste
marin recuit par la mol' avoc dos yeux bleus d'enfant.
- Bonjour, mon commandant. Comme ça, vous ôtes venu
Caire un tour pur choz nous?
- 01li, Joun·M:ll·ic, jo voulais montrer 10 port il ma
nièce.
- Volm nieco? C'ost-y la fille de M. Paul?
- Vous connaissez papa? s'écria .Teanno.
- Si jo le connais 1 nt .T ean-Mario avec un gros
riro. Domandez au commandant Loulos Ics parties quo
nous avons lai les ensemblo. 1!.:t puis, ajouta-toi) rodoyonu
s!\!'ieux, y a des choses qu'oll n'oublio pas.
Le regard do Jeanno inlorrog aiL les deux hommes.
- Allons, raconte-lui ton histoire, dit M. Philibort. Cela
lui fora pl isir.
Jeun-Marlc tournait son Mret, emburr<llls6.
- C'e~l
quo jo suis pus bion m'expliquer avec une grande
dcmoi~el
comml) fi ...
- Va donc 1 ello to comprendra, je L'cn rôponds. '[ u la
:iais mieux q\1e mol, l'histolro ..Jo n'y ôtais pas. Je Ialsab
!l'ln prcmiere campagnc au Tonkin, 51 j'ai hon souvenir.
- Onl, sÎlr, (l'lec mon fr'::ro Yves.
- 1 ouvro A'(\~yon,
(liL 1. Pililibcl".
Le~
deuA homme;; s'étl\Ïpnt. lU3. YVùs n'oluiL pus l'cvenu
dflS D'll'd;ln nllC's.
Hacontcz-moi voir histoire, .Te:m-l\1aric. J'aime
{nnt 0ntond ro parlor do pupa.
- l~h
hien 1 donc, fil J can- \1nrir qui s'6tait acc'olti 0.11
[lnr"lpet do ln digue, faul vous di1'o (iue M. Paul cl mOI
Il0U' ôtions CuffinHl qui (lirait camaru.defl. Pondant brs
vucanccs, il vono.iL presque lous les jours au port. J'litni'
�~8
LFS
PRINCll'I:S
n:;
TANTE
t;RI\TI\UDE
roous,;e sur' le hateau du pere Antoine, mais il ne sortait
plus guère, le vieux, et alors on s'amusait tous deux sur
la grève, dans les rochers, avec les plates. Y avait pas
de danger, mais avec c'te gueuse! n'cst.ce pas, mon
commandant?
M. Philibert fit un signe de tête.
- Enfin, v'là l'histoire. C'était fin septembre, la mer ôtait
venue jusqu'aux porles ; elle descendait fel'me à c' Lo heure.
J'ai voulu aller chercher quéqu'chose dans le bateau qu,
était amarré là au milieu du bassin. Sans prû,' cnir votre
père, j'attrappe la plate, je la détache eL jo me mets il
ramer.
«Comment que j'ai fuit? J e XIe saurai jamais. Ce qu'y a de
sûr, c'est qu'une ramo m'a glissé des mains. J 'ai voulu la
rattrape/'. Ah bien, oui 1 elle L'est miso à filer vers le che.
n'lI, ut puig v'la la plate qui file à son lour. Moi, com~
un imuécile, au Hou de chercher à gOdillor, j'ai perdu la
tète, je me suis mis à hurlor.
« Votl'C pôre, qui raccommodai.Lson fIlot Ù cl'oveltos, m'a
enlendu. JI m'a criû : « RedrCl:iso la plaLo, godille, liro- toi
du courant D. Peine perduo 1 je no sa vaitl plus co quo je
fai sais, et Jo. plato mall toujours; ello a failli chavirer à la
poinLe de ln jeLée, et puis la voil en pleine mer, ût moi
ded um II mu lamentor toujours. Y av aiL pas un homme
au porl, /lI uis votre poro n'avait pas M sit6 : il avait saulé
dans JI) ba l,e.lu do M. Rohin, vous SlJ,vez bien, commandant, et y nageait, y nagea it ... si lant est qu'il ost sorti du
port. La pUMO n'ô Lait guùl'c bonno pourtant, mais c'était pas
10 ùongol' qui l'aurait fait r ct'tllOI'. 11 a fini pal' mo rattraper, attacho!' ln pInte il son bateau. « gt ni a rame, quo je
r ». AlUl'b
Ghi(juaiti cucorc, Jo p Ùi'() Allloine va mt.' l 'o~!>e
il a ncore 'ou ru après ma l'amo.
« Bnim fluoi 1 il m'avait sauv6lu vio, l'ion qu ' ça, mais-:r'
r'on ~\I' ra pus vanto choz lui et so 80ra luiss', grOllder l'apport à co qu'il esL rovonu si lard 1 Avait. fullu ult 'Ildro flue
10 courant ful plus si fort pour rouh'er.
,Jeanne, nssisr: sur un paquot do \'orcluti('!'\, aVllit écouté,
l,CS yeux brlilan'Il do lé'rmos /lx(':, sur Il' rnarill.
�tES
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
49
- C'est bien papa, dit-elle simplement, quand il oul
fLOi. Vous m'on racontore't d'autrf\S, Jean-Mario, d'autre!\
histoires do papa.
Et ello avaiL serré la main callouse.
.
*,.
- Oh 1 tantine, quelle bello promenade, s'écriait Joanne
le lendemain, en faisant irruption dans le perchoir. L'oncle
Philibert est délicioux !
l!lt Jeunnc racontait, blotticd(\Dslo. bergùreùe Mlle Claire.
- Mais vous, tantitlO, vous m'avez dit que vous aviez:
connu papa enfant, VOU!) BaveT. bien slu' des quantités d'histoh'es sur lui.
Sans trop de faire prim', Mlle Clairo 6voquait SOR souvenirs, ct tout il coup, commo 0110 rappe!ail un cc!'1 dn jour
où scs frisrol:!, lassGs ùo cc qu'elle voulait los suivro partout, l'avaient abandortnéo juchûu il califourchon sur un
mur, Jeanne l'intorrompit brusquemont :
-- Papa. m':l l'acon té cola; il est nr.couru délivrer la
poLito flllu L a batlu scs frùt'Cil, mais l'llo s'uppcllliL Riki,
Milo Claire Ile mit il 1'11'0.
- C'csllo SUI'JlOITl que mes fri:res m'aVo.ipllL ùonn6,
connais uepuis longlcmps alors. Papa
- Oh 1 je vou~
m'a souvent p, 1'16 do Rilti. El, plus Larù, il vous a
appris ù JOUOl' au tennis ol ft ruont J' il bicyclotto ...
EL Jeanno 50 blottit plus pt'Of.. encore de l'n/llio d'cnfunce do son pèro.
- PcliLe Jeanllo, il faui descpndrr.
- VOU!! <liteR toujour!! ça: Vous 1'0 11I\drnez pal!:
- Méchante enfnnt, Fli jf' no vous aÎmui' pa5, je laissol'ais passer l'heure .. , I"t llo GorLrude saurait..., défendrait,
ni roLera.
- Faut Loujourt, quo vous ay('z raison, soupiro. Jeanne.
fii jo vivais avoc VOU3, tantine, si vous étiez commo ma
lnaman, jo sl'rais toujours sago.
- eh hi"l1 1 Caites commo si jo \'. t.ais, l'Morque en rlanL
.1110 Claire.
�50
LES
PRINCIP ES
DE
T.\;'ITE
GERTRU DE
_. Tiens, c'est une idee 1 Jo vais vous appoler maman ,
ma petite maman.
_ Mais je n'ai pas dit cola, s'écrie Mlle Claire, devenue
louw rouge.
- Tant pis, vous m'avez donné l'idée, qui est excelIenle 1
~
Pas du loul, torrible enfant. Je vous en prie, Jeilnne,
110 m'appelez pas ainsi. On ... Bnfm, cola me serait ...
Milo Clairo est très agil60 .. .
- Je ne comprends pas pourquoi col vous contrarie,
fail Joannc. Quand nous serons toutes soules?
Bt elle sc pond au cou do Milo Qairc, les youx sup'
pliants.
- Pas mèmo dovant l'onclo Philiberl, imploro la jeune
fiUe.
- Eh bien 1 pas mêmo dovanl lui, si vous voulez, tout
11llS, dans votre oreille. Si vous saviez comme jo rl'grJlle
parfois do no pas avoir do maman.
Mlle Clairo serre l'enfant dans so:! bras:
- Jo 10 sais, ma chérie ... Mais une mère se remplace-cHe? mUl'muro-t-ollo si bas que Jeanno I\'a probableIII nl pas enLendu.
Du l'ost, il a bien fallu doscendre, car la voix de MarieJ osoph se f:lisait onlendl'o.
- l\ludcmoisello Jcanno, voilà voLre tonle.
~,i
Morie·Joseph a devin" 10 secrot du perchoir, nul no
le sail. IWo semblo Bourde ct av uglo. Poul- 'tro est-cu
l'accommodemenl quo la bru \' 0 fille a lrouvé pour con ilior
sa conscience el Jo désir dr g'Uer J Ohnno, lcsqu \6 su
livr nlun rude ('ornl) t depuis l'arrivée do la flilolt .
L' vieillo bonno, on onL ndanlla llonnotLo du portail,
~\c<;ourt
au pied ùo l'escaliol': mais, après avoir lanc6 UII
nppci qui su répercute beaucoup plus loin que la chnmbrlJ
où Joanno fuil ses ùevoird, c'est avec. UIHl singulièro Icult ur qu'clIo rentl'o dans Sil euisino pl' 1\'1ru !;O!; saboLs.
11110 Lr,lV\'rs 1 vestibule n lrQinnnl la jumbe, illsp 'elo
10 ciel c' )u cour ovant de meUre lo piod dehors. Uno roi'
Je portillon ou ""l't, elle dôbarraflse \\ \l~ Oerlrudu do flOn
�LES
PnJNCIl'ES
UF.
TANTE
GERTRUDE
51
parapluie, de ses paquets, se mot à parler de la laitière
qui est malade, ou du jardinier qui a planté des salades,
jusqu'à ce que Mlle Gerlrude, Uli peu impatientée, lui fasso
remarquer qu'olle sera mioux pour l'entendre dans la
maison.
Marie-.lt'!! :' h jetle un coup d'œil derrière elle. La
lumière illLre , ~ :ravers les persiennes de la sa lle à manger_
Milo Jeanne OG1 1;\, cousant sagement ..• La vieillo bonne
disparaît souduin ,lnns sa cuisine, landis que Milo Gertrude, tout en retir: 1. son chapeau, monologue:
- Ma pauvre M:H'J \' -Joseph vieillit; elle devient vr'Jiment bi on lenle,
.*.
C'ôtait le lundi de MilO Gerlrude.
Tout on croquant un gùtcml, ln marquis do Surçois a
annoncé l'arrjvôo longtemps dilTOr~e
de sos petis-fl[o~.
- J'espèro, dit· eUo à MilO do Kel'vilnn, quo VO ' IS
m'cmènerez volre )O ULe nièce le dimanche. Je compto
réunir co jour·là kurs amios, ot Jeanne sera du nombre,
n'est·ce pas?
,~ ~, chère madame, j connais nssoz vo~
- Trôs volni
principes pour sa, ,r ...
- Oh 1 mes pc' i- flllcfJ sont bi on un pOli Ù lu page.
- A la page 1
Mmo Lcgrix, c' .f, ln banùe tapageuso a souvont ncouru
un bUlme di scr ' do MilO Gertrudo, déLourne Il tôle pOUf
cn~hor
un SOI ' n'_
- Eh oui [ 11I11l voulez· vous ? A moins de nons rairo qua·
lifior do vioill. · mo mies, il faut sacrifior quolquos·unes de
nos idul''l nu pro ;l'ÙS, comme disent mos pelil H- filles.
_ Mais sacrill l' quoi? demande \plO Gertruùo mûduséo.
L'auLre jour elle" " n'avez-volls pail dit que nos prin·
cipol'! 6taicnt \111: : . nngibl o?
[lnO Lcgrix (\ J
,'" , :,ognrd vors sn voisino, la fl'mmo
du docl IIr - ' ,:,' 'lle!! un pell gat6es, mais si bonneg
('lIfanls,!) , ;
, .1 11'1 so loll do 0 10giA -lù; leur m èl'l'
r pond 1. I, J' ; Il u l,l':rt' a II11A0 :
�52
Lr.S
P ll INCIPF.S
DI!
TA\'T r.
GERTRCD E
-- Notre revanche, sije nemell'ornpc, murmure-l-eHe .
- Je puis me rendre cEtte justice, dit Mlle Gertrude un
peu solennelle, que j'élève Jeanne sans aucune concession
à ce soi-di"ant progrès qui n'est qu'un relâchement de
mœurs.
Pourtant, chère amie, intervi ent ùoucemenl
Mme Legrix, votre nièce a les cheveux cour ('s il la garçonne
el il parait qu'elle se tube chaque matin.
Le regard de MilO Gertrude a foudr oyu l'imprudente. .
- Ceci est de l'hygiène imposée pur son père. Pour
Lout le resto, je suis maîtresse ct j e n'ai qu'à me féliciter
dos résultaLs que j'ni déjà obten\'s.
Ce fut au tour de la marquise d'eilqUlsSer un sourire.
Elle était grando amie de Milo cIe Lanec. Savait-elle
qMlque chose ? Bn tout cas , elle rqJriL lu conversation il
son point de départ:
- .Te compte sur Jeanne, dimanche. Mes pelites-fllles
mu demandent d'organiser des leçon.; du danse.
-- A cet âge 1 s'6crÎ e MilO de Ken·ltan.
- Pourquoi pas? Croyez-vous qu', 111';; voudraient jouer
encore à la poupée et, surtout, en COll vl' nir?
ola vaudrait mieux.
Elle était f rès dOC'le; mais la ID uC] Jiq, jouissait d'une
LeUo autoril" dans la peLite ville quo 1\1 110 Gorlrude ellomOrne aurait h6sité à lui tenir tôLo.
Au dtner, olle annonça ù Jeanne:
- J'ai promis il Mmo do Surçois de L'umener chez ello
dimanche .
.Jeanno Il faiL ln. moue.
- Jo n'y licnq pas ùu tout, j'aime nlillu rester ù lu
maison.
- Je no le cl emo.nd 0 pus ton UViR. J 'ui jl/ltu dovoir accepler, j'espt'iro quo lu ne le le fUS pas r" IIHlrllupr par une
maussuderie dt·placue.
: ,f eanllO (>11 a purL'onclo Philioort n'intervionl j , Ii1l "i~
fois un pou d'humeur. Colle fOlS, 11 l'Il regaù~o
l'œi l
malio.
Quoi 1 l'oncle 110 comprend pu. :>
�LES
pnrNCIVES
DE
TANTE
GEnrRUDE
53
Le dimanche, Mlle GerLrudu consacre la fin de son
;;.près-midi à la vieillo Mlle Olympe, infirme et assez
rcvêchc, ct qui n'a plus grand monde pour se distraire;
c;'est un pou œuvre de charité d'aller la voir ct puis cela
fait partie des habitudes immobiliùrcs do Ille Gel'lrudo.
Alors, Jeanno osl libre de jouer dans sa chambro. Deux
bonnes heures jomais assez longues 1 Los slcrifier?
Les larmos perlent aux cils. L'oncle sourit toujours, il
aIJongo mûmo le pied sous la LabIe ot donne un petiL c(Jup
amical à colui de Jeanne.
La Lanlo s'ost levée do tablo. Jeanno musc par derrière.
L'onclo a oublié de plier 5, serviette. Pendant que la hauLo
stature de damo Gertrude s'éloigno yt'rs la bibliolhèrlUO,
où on passo la soirée. l'onclo murmure:
- Claire y sera.
- Ah 1 j'aimo mi ux l'avoir à moi touLo seulo, répli(]ue
l'enfant.
- Tu cs trop gourmande, répond en rianl son onclo.
Et ils rojoignent MilO Gertrude et son tricot.
Mllo do Korvilan n conduit sa nlôco il Kcrhovic. C'est
pros do la ville el d6jà la campagne: la grande cour flourie de camélias, la J'açado ensoldllée du vieux manoir
accueillenL avec autanl do bOllno gr:lCo <lue la douairière
au coin oe la cheminée do grallil courolUlrc ÙCl; urmes des
SlIrçois : do gueules ù troÎ:; erouzillos d'argllnL.
Los flUettos, un peu plus âgûcs quo Jellnno, l'enlourenl,
l'onlramcnL dan.~
10 poliL /jalon, lrüs moderno lui, qu'uno
baio suporo du grand Sillon. Mmo do i:)urçois a certainemont préparé la ronconlre ; Anno ol Marie do Surçois !lonl
tr~!I
flucoul'anl do l'histoire do JoaMo alla mottont tout do
!luile il l'aise. D'autres fillolLes arrivent, Joanne ICi! connall
du cours ot, conlrairom nl il ~es
pTonoslies, olle s'amuse
franchement. C'est co qu'a pr6vu ClnÎfo do Lên1c. Elle
arrive b. SOil tour..Jcanne prononce uu cOromQoioux : u Bonjour, madcmoiliOllo n, mais ses yeux pétillenL do lant de
�Dr,
J.ts
l'R1NClI'ES
DE
TANTE
C.cnrllUDE
joie et do malice cllseml::lo, q :e Milo Claire, inquiète do
leur éloquence, enlraÎne : hâtivement la bande qui lui faH
fèle, hors des regards do MUo GorLrude. CeHe-ci est plus
sensible qu'on ne le snpposeFait au charme que la marquiso sôme auLour d'elle et volontiers dame Gertrude s'at Lard erait auprès de la vieille cheminée Oambante. Mais,
pour coLLe J'emme de rigide devoir, rien ne doit r etardor
l'horaire sucré. Ello appello J eanno.
- Mais YOus nous la laissez, s'o:!rie tl mo do Surçois.
- Cela m'est impossible, r6pond l\11l!) Gertrude, jo ne
pounais revenir la prendre. Jo l'ai appolée, Jeanne.
La Ilgure contractée ùe l'cnfant est si p!Loyable que
Mme de Surçois insiste do nouveau:
- Je vous en prio, ma chùro nmio , jo vous la r(~a
i
reconduire. ous ompL:olls t ellement sur elle ... Jo serais
1l'ès contrariée qu o vous lIOUS l'onlElvioz Bi tôt.
Mlle do 1{e['vilnn a l ' in ~ u it ion
do s'Ô lre mis duns un
;:tllêpicr, mais el.e esl Lrop femme du rnond r; pour pOSSOI'
ouLr nl'insistance imprévue do la mnrquiso j SOn ton seul
1rahit s' contrarj6L6, quand 0 11 0 remol'cie Mmo do Surçois ct
pl'C'nd oon"é, Landi s que Jeanno ~ . e r(Jpproehe do la tablo
du poûLcl'. lIl l1 0 li U'nnc la pr6s iclfJ avec une gaieté in 'wcoulumé!) ...
- Le blatk- boLloln? Mai" oui, je l'ai IIppris l'unnée
([(' nil'1'0, di~n:l
JC'nnrte, nVCZ-VOliS la muaiq uc? J c vni3
.. UIH montl'or.
l\\llo do Ll'nac s'éLo i!. mille nu pinno .•lr<lnnc oxpliquait,
.~I· tl'(: moll-:sail ; la marqu ise riaiL, ollc (l im ait la jeune so,
Jl mouvem enL, l'imprévu.
Enfin, mùro d gl'nnd ·mè\l'o, rlle C\llllprenflÏl t03 êt l'o 1
(·omple."cs cL chfl.I'lllnnLs : Ils f'nCanLs, CO I1 (' plion bien
étrangère an ccrVl'au rég lé el. llrpli libl'é ùo Milo do Korvihm.
- Vous ramèneroz J/Junne, mu poLilc C'aire, avait dit,
,lU momenl flu déport, Mmo do Hm·';oill. J o ie prends sur moi.
- C'ôtniL biou ln poine do 1110 lnire une nguro fli I !)l~ur'
l';lUlro jOli', raillllilGoucomCrtL MUn Clllla" IfI filleUl! RI! _
PCOÙllC il. ~O l LI U~ .
�LES
PRINCIPE!;
DE
TANTE
GERTnUDF.
55
Pe ite maman, chuchota Jeanne, ne ,OUS moquez
pas. Je me sùis bien amusée, mais je ne suis jamais
mieux qu'au perchoir.
Da l'autre côté de la boule ternstre, ce même jour,
M. do ICervilan reçoit 10 courrier do Franco. Il avait
ouvert les premiers, touLe affaire cossante . Ce~
apl'ès-midi,
il tlfl!lÎt l'enveloppe dans sa main, un pell lûche devanl le
<:hagrin et l'angoi!lse que le3 lettres de sa fllle lui d0Iln.tient chaque fO i S. La con' l'J.inte s'y lisait il. chaque ligne,
(kg traces de larmes contl' d isui nl la plumo .. . L'enfant
Do sa vie
pru'lait do ses 6Ludes, des menus fails ùn cOtl'~.
hez sa tanLe, eHo ne l:iavait rien dire, ffil'is Ue so lrahis::;ait pOl' ses r ecomandti~
... Il n; fal ait pas que son
père so tourmente, S ) fasse do la peine il causa d'eUe.
Au dernior courritr, M. de Kcrvilan avait Luillilt:é un
instant :\ tout ub:mÙ{'llnOr pOUl' rovenir auprù,; ùo su fille.
L , lotLr
,~ s de sa sœur, vraiR l'apporls ofileiols, no 10 1'3<;l:iuraiont nultom nt ot le silence uo sOn Irèl'0 lui ptsait
Commo lino inquiétude do plus.
La ul'iosit ') dt!! r,rumières ,H1presion~
son in,:alla tion
il. Hanoï, UIIO vi ite b. la mine l'avaient dlst,'ùi. d'abord.
lino s'illusionnait plud main ' (nant sur 10 hagl'in profond,
PU'bislunl do 1'1'II'anL, ot S'( plumo, Ù BOil tOUI', 80 ro[usait
drûllls, qu'il aurait
(lUX histoir 'S :lI1lWHl ntc5, au ,' ù('lai~
pu n\oycr lil-has, si I.Jin ...
I)ans sos dOI'ilit'rcs \r.U\'os, ll'us court~,
il n'avait su que
Aupplior su nilo d',itro l'Ui~On\DL
, Jo t;:) laissel' dil>lraire,
Icilres avaiont (otè
'llurLoul tle ne paB tomhu Jllaludo. ,o~
luos au pel' hoil', et (1I0A auraient vllil't:lI les scrllpul s de
M lia do LIÎIIOG ,,'il en oûl 616 besuin,
• k:nfln, dit-i l ( ' n so dé idanl il d('pliol' le~
Ceuilles qui
l'fJlllpJissaiullt l'cmeloppe, voici l'ôcril 1'0 de Philibl'rt. »
Mais il pril d'abord la laUre do Jeulin".
L'écl'iLuro un peu ér.hovc
l i~e,
,]Ju l'uconl'liL l e , ~ meme"
{1O
. ~S (lue dUlu S"S Il'lll'cg pl' ~' édcnts
: ulle composition,
�56
I.G!:
PRlN C.IPE S
DE
TAN TE
GER TRU DE
un succès au cours, les déboires d'un
e eompagnc paresseuse.
Lett re semblable aux autr es? Non
... Elle sonnait tout
difTéremment. L'en rant term inai t
ainsi l
« Ne t'inq uièt e pas surt out,
pap a, j'ai eu du mal à
m'h abit uer et je suis bien pressée
que tu reviennes, mais
je deviens raisonnable ct je finirai
par me trou ver très bien
dan s ta cham bre - tu sais, c'es
t celle que j'ha bite , et je
t'écris sur ton bure au. n
M. de Kervilan, soupçonneux, exam
inai t le pap ier, che rchan t quelque trac e de larmAs furti
ves. Rien 1 Fall ait-i l la
croire, consolée celt e fois ? Se rass
urer ? Le père déplia la
lettr e de M. Phil iber t; sa figure
s'éclaira pon r de bon, il
sour it des bou tade s du mar in.
Claire, la peti te Riki, à la natt e blon
de, s'il so la rapp elait 1 Il l'av ait quit tée presque jeun
e fiUo déjà, l'aim ant
rraternellement, peu t-êt re un peu
plus. Puis, dans l'am biance parisienne, il l'av ait oubliée
. .l!lllo jaillissait soud ain
de ce passé de SCYlO ans, nell e com
me le !:Iont les SOUV(:Inirs
d'ffifance, avec son cadr e d'hcureu
ses r(:uniollS des vaca nces, jeunesse ivre do libe rté ot de
jeux, s'éb atta nt dan!f
Jes gran ds parc s ou sur Jes grèves
ùo cc fond de Brotagno.
M. de Kervilan ava it couru au
tél~graphe,
puis , d'un e
pl\lme a1l6g6e, il déta illai t à sa
fiUe son installation à
Han oi... A son Irilr , il donnait su
pleine app roba tion aux
visites chez Claire de Lénne.
Mais son ourrier n'Mait pa!; term
iné. Le p rcho ir ava it
sa lottr e.
Assise au coin de son feu, pluli 6mu
o qu'elle ne l'auro.it'
voulu, Claire de L6nae, troi s sem
aines plus tard , lisai t
qua tre pages 8er~s,
déb orda ntes de re onna' s nee pOU
f
la peti lc amie d enrance qui 6tai
t devenue la gran de,
l'incomparablo amie de Jean ne,
qui nva it sauvé l'enfant
du désespoir el lui p rmeLtnit, à lui,
de continucr, l'osp rit
en repos, le trav ail nLfl'pris.
• Vot re iut rvcntion, ajou tait- il,
m'cllt d'au tant plug
pr6cleuso que je prév ol, n(occssuire
du reta rder mon reto ur
jusqu' l'été , Sans VOUII, jA ne l'au
rais pas osé J.
"
Mlle CllÙre a gardt! 1 lettr
e pou r elle !:eul •
�LES
PRINCIPES
DE
TA.NTE
GCnTRUDI:
57
Les courriers suivants tranquillisent complètement
Monsieur de Kervil'an; il sent sa fille en sOreté. Monsieur
1 Philibert devient loquace, vante la gentillesse de sa petite
compagno de promenade . Lo père se reprend à regarder
curieusement autour de lui la vie coloniale. !lIa raconle à
Jeanne, se plaisanl il penser qu'il sera lu par d'aulres yeux.
« J'ai, dit· il le 3 janvier, un boy pour mo sorvir, un
drôle de petil corps jaune avec des mouvemenLs do chat.
I( Il suit peu do chosos et croit tout savoir, entre autres la
cuisino. Quand jo m'y risquo, je cQnstate qu'il y meL plus
d'imagination que do goût culinaire. La tompérature ost
délicieuse, les frileux font mêmo une (Jambée 10 maLin. Si
.l'avais 10 Lemps, j'aurais à ma disposition des courts de
tonnis dignes de Paris. On reçoit beaucoup et la société
est charmante. Mais, l'été, r 'mmes, enfanLs, ct autant que
les aO'aircs 10 permettent, les hommes filent soit au bord
'ùe la mer, soil dans les stations d'altitudo commo Tarn
'Dao, qui a l'avantogo d'êtro ussez près d'lIanOl pour
qu'on y paS3e le weok-end.
I ( IIanoï
ost un bion drôle do mélange d'Occident ct
d'Orient. Au milieu do la ville, il y n un potit lac cbarmant,
1encadrant deux pagodos, une rose et uno verte, reliées pur
,un ponL en laCJuo rouge. ParLout sur l'au, dos lotus li
grandes /lours rosrs; autour du lac des massifs de verdure.
(des fleurs, dos bHcs do laIonco, très annamites. Et, tout il
. côlé, circulrnt des trams do mômo système quo les nôtres;
seulement Jo waltman esL pieds nus. De l'aulro côt~
du
boulovard, ce sont de grands hôtels commo on on rencontl'o partout olull bazlll' des M agl1sins éunis. J ,e l.héO.ttl"
copio dl' l'Opéra; 10 palais gouvernomenlal, une bano.lf'
préfeclure de Frnl1(;l'. Un pou partout, des villas modernes
qui no 80nt orientales quo pur le.; v('gélaux exotiques qui
les ontourent, ct ancoro rencontre-t-on des urbusl s et des
IlCUl"J de rllez noml.
r Il y Il aussi des rues entièrement annamites ou cbinoises,
�58
LES
Pl\lNCIPES
Dr.
TANTF.
GERTRUDE
lu rue de lu Soie, par 0xemplo, où se localise le commerce
des soieries. Aucun alignement, des trottoirs bossués,
encombrés d'étalages en plein vent , sur lesquels claquent
des enseignes énormes représentant des buffles, dos éléphants, des dragons, et, par-dessus tout cela. des banderoles multicolores. Le milieu de la ruo, un cloaque mal
odorant. Un fouillis invraisemblable de passants, de
PQusse-poussc- il yen a encore il roues caoutchoutées-,do
bicycletles, de victorias enlevées par de petits chevaux à
une alluro endiablée, d'aulos môme, sc croisenL,
s'accrochent, s'invectivent dans un pêlo-mêle incroyabl.l'.
Comment tout cela no se lransforme-t-i l pus en Ull vaste
écrabouillement? ... C'est un mystère.
« Le marché ressemble à des hollos Lrès occidenLales. J'y
ai vu des saladeR, dos potiLs pois, dos carottes el... drs
chions rôtis. Tout 10 monde on mange, parait-il. J'ai protesté. On m'a assuré quo j'on avais déjà mangé ... sans 10
suvoir.
u Duns huit jours, je serais i1\stallé ù la mine ..Jusqu'ici,
j'ai fait ]a naveUr. RouLe superbe, conduite intérioure
confortable; cependant, cn Lraversant la forH il lu nuit,
j'ai rnlrnclu 10 sOUl'd aboiement do Monsioul' le Ligre. j 1
ne faudrait pas s'amuser Il aller le déranger il cent môlrcs
de la roule. En aulo, il n'y a rien Il. craindre, los phares lui
donnent la rrousse. »
,.. '" ,..
Quelques jours plus tnrd, M. de Kervilan nllrr:lit son
d6placomenl l
Il Bu sortant d'Hanoi, c
SOllt encore dos riziùres comlUo
dans 10 delta. Les Annamitossi petils, vùLlIs do noir, avel'
ùo grands chapeaux, ont l'air de moustiques; il y ('n a de~
nu60s. Los hommes labourenL o.vec des buffles, los fewme!:
repiquonL 10 riz, dans la bouo jusqu'au genou. Les elrnL~,
juehés sur les gr03 burnos, les gardont ail pflturage. Les
bûles av oc leurs IOlll(ues cornes onL une appllronce redoutable, lillcs obéissent Il lours minuscul<:s gur<.liei1s comme
dHS
agneaux.
�LES
l'nINCIl'ES
DE
TANTE
GEnTnmn:
59
• On croise sur la routo des femmes en robes
noires, enserrées de ceintures de eouleur vive: blanches,
verL('s rouges; elles vont au marché, un bâton sur
l'épaule. A chaque bout est accroché un panier dont la
charge s'équilibre. Par exemple, un enfant et un petit
cochon. Ou bien c'est un autobus invraisemblable chargé
autant dessus que dedans d'indigènes, de bicyclettes, de
ballots ...
Le terrain se vallonne, se couvre de toulYes de bambous,
de bananiers sauvages à fleurs rouges, puis c'est la forêt.
Atmosphère humide, un peu éloulIante, intolérable, diton, l'été. Des troncs lisses, droits, d'une hautour dont nOus
u'avons pas idée en France, enlacés de lianes, d'orr.hidées.
Les fleurs s'enh'o-croÎsùnL, retombent en un bouquet
féerique.
« Mon inslallation il la mine est sunlsammenl con Cor table.
On n construit un cortain nombre de petites vîllas. Les
ingéniours y sonl installés avec femmes el b6bés. Quoique
, ~ 6Iibnture,
j'ni ma villa. Le elimat est plus supportable
quo colui d'lI lwo'i. Il faut néanmoins un cortalno accoutunlnnco pour s'y plaire; ot Milo .ToanM dovralt
:;'hubitucr il contrmpler un cancrelat sans crier, ses cordoR
vocales n'y suffiraient pus. Un soulier oublié b. leur port6c
rst \Ill repus si apprécié qu'nu bout de quolques heurc!\
il n'en l'oste l'ien. 11 y il aussi drs murgouillo.ts, gros
IGzarcls qui COUl'ent le long des mUI's. Et puis ... mals coLI,
108 Europét ns pOllvenl s' n garor, une vermine innomJnubllj qui d6\ oro lOB pelits corps jn unes. Cortains jouro,
j'ul Cl'U rovoir assises sur le pas ùo lour porte nos bone~
IlrcLonnos, ('phi':hunt mu t 'rnollemonl la tignasso cie leurs
~{OSC.
Lùs femmes annamites ont le mOrne moyen prlmlLiC de Luer les poux 1~
Monsieur do ICorvilan no so trompai t pas on pensant
'1'10 ses leUros montaienl j1lsqu'ou percho\l·. Biles y
litaiont lues nvidrmonl.
llotaiL rurc, cpondunt, qu'il n'y eûl p, FI un courrier partit:llliol' pOli\' 1\r llo de Léna '. 11 sembl:\i quI' 1" père de Jl'alml'
VOlllflL cfrncl'l' Ics longuos années d'oubli. Un lnoL f l'vcnl
�60
LES
rnINClr1l5
Dr.
TANTf
Gr.RTRUDI!:
de reconnaissance pour la grande amie de sa fille commençajt toujours la letlre, mais comme il se laissait aller,
6IIsuite, à parler de lui 1A Hanoï, il " vait ôté fôté par toute
la colonie, heureuse d'un. nuuveau visage qui apportait une
bou1Tée de l'air de France. JI n'en avait pas retiré un plaisir sans mélange:
, «Au sortir de ma quasi-solitude de Paris, j'ai gagné
de dislraction et, acquis l'impression dc
quelques ~Jeurs
110 plus ûtre cataloguable. Oui, ici, il y a dt>s célibatairùs
réels ou temporaires. La plupart s'accommodent <le la
vic coloniale ct de sa morale ... large, qui ne me Lenle pas.
Les autres ont amené lcur femme, ou l'attendt>nt, ou la
désirenL, et ces dcrniers passent leur' lJIomonts perdus b.
additionnel' ce qui leur resle de jours avant de réernbarfluer, dans l'espoir que leur dernior calcul a faussement
allongi: do vingt- quatre heures leur exil.
• Et moi. .. ma petite Jeanne me manque, je serai hour!rux do ropartir, Mais à voil' ces voufs Ù'occ(\!lion, je
compr<>nds combien mon foyer ost illusoiro. Les cl!1[allls,
il y cn a do délicieux ici, à la mino, dans le giren do lour
maman. Ce ne sont pourtant pas eux qui fonL le nid, c'ost
la mOro. Eux, ce sont des bibelots charmants qu'on no
voudrait pas bazarder quand on les n, ils ne sont pas le
fondoment. Un enfant, ce n'est pas le foyer, ct jo me sens
ho~
pago avec la pau vro potite fillo qui veut lrouvcr en
moi le pore et la mère. »
Dans cetle soit d'alTeclion qui pel'çait daM los leUros do
10nsiour de Kervilan, Clairo retrouvait 10 cœur tendra qui,.
autroroi', 110 pouvait voir ses larmes d'onfant sans le8
flécher d'une cal'osse ou d'uno gCltorio, [ussent-ellos cuus6es par uno trop brusquo culbule do sa poupéo.
Ello rrpondnit, affectueuse et simplo, avec une pointe do
résorve, sans so livrer elle-mômo, parlant oxclusivemont
de Jeanne ct parfois uno angoisso la prenait à la pensée de
revoir crt ami d'enIanee.
S'il oûl. té seuil 1\10i3, Jeanne, si onthousia8te quo fût.
on nfTection pour' sa potitr II1dU1J.11 " jnmuis, hongeait
Claire. clio no supporterait un partage avec 50U pèro.
�LE
pnlliCIPES
DE
TANTf.
CF.RTRüDE
G1
Était-ce cc qu'il rêvait, lui, sa fille ne lui suffisant
pluS? .
* **
.Jeanne ouvre la porte du perchoir, inspecte le snlon :
Claire est seule, asside devant une tuule (!ouvertr de poupées et de chiaons.
- Petite maman, dit Jeanne en l'embrclssant, je vous
prends à jouer il la poupée.
- Tout justo, fait Claire en riant. Si vous n'aviez pas la
COuLure en horrour, vous m'auriez. aidée, pelile nIle. Il me
buL habiller toutes ces poupées pour la Iccrmosse de la
Croix Rouge, ct la marquise cn voudraiL bien davantage.
- Jo no domando pas mioux 1 s'écrie J canne. Ce sont
les torchons ù ourler qui m'ennuionL
- Si vous éliez capablo d'autro chose, j'imagine que
voLre L:mLo no rcfuser:uL pas ue variel' voLre supplice.
- Gronelez pns, petile maman. J'ui ou une id6e, ou plutôL Aone ot Made de Surçois m' n onL doonu une, muis
c'est un secreL 1
pour moi"
- Vraimenll M~me
- SurLout pour vous.
- Oh, par exemplo 1 Burtont n'allez pa!'; fniro de bêtises.
donnez phS plus à Caire à cette pauvro Mario-Josephl
- Quello confllDco vous avez cn moi 1 C'est vroi, cet
hiver, je n'ni pas utu hicl Je crois bien avoir abus6 de la
Marie-J oseph 1 Mais cette fois... Du resle, elle est dans le
fiCcrel, cL mDrne c'esL 0110 qui fcru marcher la tanle.
- Quelle (;xpressionl mu petito ,1eanne,
_ Dame 1 n'rst-ollo pas épatnnte pour expliquer d'un
mol co qu'on veut diro? VOUS saurez plus tard ... quand
pnpa Si'ru revenu.
s'est
Mlle Claire n'u pas pu cn sa voir du vnnlago .. J e~nc
(J~npur.o
d'un chillon, olle a pris du nI, une aigUille. TantH"., qui surveille du cein do l'œil, cst bientôt rassurée; les
POinls ne sont pUf! d'uno lillg(\rc, mai'! ln flllette, d'instinct,
t'hillonne bien; ollu .l fniL Wle rouO uvec un rcLroUBsl
�62
LF.S
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
amusant, campé sur les cheveux filasse uu bonichon
comique.
- Vous no me fere? pas croire, déclare Mlle Claire,
qu'avec ces doigts-là vous soyez incapable d'ourler
convenablement un torchon.
- Pouvoir ct vouloir ne vont pas toujours de compagnie,
dit l'oncl e Philibert, depuis un ifi'ltant au coin du fen.
- Ah bien 1 si vous vous mettez à doux, co n'est pas de
jeu, protesto Jeanne.
Tous trois rient .
- On est bion ici, déclare l'oncle er. allongeant Res pieds
devant 10 feu. 11 fait dehors une tempoto numéro un.
- Mes pauvres fleurs on savent quoIque hase. fi
diraiL quo mes pols jouent Il colin-maillard.
- Oh 1 oncle, c'ost demain jeudi; il faudra aller à la
c{,lc, Jo mor sora ~ i bolle. C' st. justement une grande
Ol aréo, n' st-cc pas?
1.0 lend emain, Opl'ÔM le déjouner, l'oncle ot lu nièce
parlaiont; Jo icI s'éla iL éclairci, 10 vent avait molli.
- La me r ne sern pIn s si boll , dit .Jeanne QVOC regret.
- Ello no 50 calm e pas Ri vit e, Il répondu M. PhiliberL.
EL puis c' st maréo d'équinoxe. Écoute, nt-il en s'art'ôtanl
ct tendant l'oroille.
On entendait distinctement des bruils sourds commo
dos coups do ranon lointains.
- 'ru la verrus encore gronder.
Pourvu quo ltnl6 les bal flUX soienl r 'nlrés l dit toul
il coup J canno.
ui, j'ai VII c malin J ea n-M orio. Il venait faire d s
commissions, no pouvant pos sortir rl1 mcl'. Tous onl pu
ront.re/' avanL le coup de (' hi ell.
Pourtant, qnand ils nrrlvr rl'nt, ail rond du port, ils
viront toulo lu popul a lion: hommes, f JUmos ot onfants,
ruunie /lur la JoU'e. Le bateuu do slluveLage co1l6 ù b
digu" pnr6, l'6quipagc, mnssu il ln poinle, r gordult vers
lu hautlJ mori plus prl:s ue la grèvo, Ics fommes, tenant 1 Il
�Les
PRINCiPBS
DE
TANTE
GI;UTI\UDE
63
enfants serrés contre elles, regardaient aussi, et par instants
lin cri do frayeur, un appel: « Men Doué! » jaillissaient de
leur groupe.
M. Philibert et Jeanne avaient hâté le pas.
Jean-Marie passait en courant, une brassée de min sur
les bras.
- La goélette de 1.0l'rec, dit-il haletant. On le croyait
à Saint-Malo. Ils sont désemparés, le gouvernail ne doiL
plus manœuvrer, 10 vent les chasse ù terre. Ils vont tenülr
d'entrer, impos:5ible de sortir le baloau de sauvotage et
surtout de les accoster là où ils sont.
M. Philibert avaiL urI'ôté Jeanne près des femmes.
L'onrant, cri5pée à son bras, ne voulait vas 10 lâcher,
Qu'aurait-il fait, du reste?
D'où ils étaient, ils voyaient touto la scùne dans son
horrible beau lé, Los vagues gigantesques se succédaient,
couvranl les rochers do leur dos monstreux, puis, sur un
obstacle plus élové, se redressaienl, éclataient en un
panoc.he de gouttes d'eau eL d'écume el se relil'aient, laissant derrière elles un goulTro si profond qu'on apercevait
los galols qu'ellcs déplaçaiont.
Lu goëlolte, lant1lt floLLaiL au fall.e do la vaguo, LanLôt
disparaissait dans l'ablme. On vOyl.\it les hommes affairés
sur 10 pont, essayant par des moyens do forLune do
mainlC'llir l'ovanL lace à l'entrée du porL.
- Les voilà, ils vonl passer, crie lin homme,
Les femmes sc sont jotées à genoux, agiLant leurs
chapelels :
- Santa Muria!
La Jamo monslrueuse s'ôl:lnce dons .le goule l, entraÎnonL la goélcLLe. A l'oxtrômité do la jet6e, les hommes sont
JiI, prûts à jeter J'amarre, à saisir au vol le min sauveur;
poitrines Ilolclanlt.s, ils gucltonL le JI10ment propice.
Mais lu ü,mo S'llSL subitement uffoiss60, au bout de sa
Courso; /10 rocule ct Jo. goélotto avec lIe.
- C , :;ol'a pour lu prochaine, dil J can-Marie.
Non! un cri do terreur les socoue tous. Uno nouvelle
,lame chevnuchnn l Gill' cello qui 50 rcLire prend de biais le
�64
LES
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUD!:
bateau, le fait obliquer, l'emporte irrésistiblement. Une
seconde enGore, il oscille sur l'énorme croupe, entre deux
pointes de gl'anit ; la lame recule, abandonnant sa proie·
La goélette est tombée lourdement.
Elle s'encastre entre les rochers commo dans une
béquille gigantesquo, et sa carène parait loute verdatl'e
ùe goémon.
Les hommes ont eu un geslr de découragement. Mai;
le patron du bal eau do sauvetage luttera jusqu'au bout.
- Les cordes, la bouéel S'agit pas de flancher. Vite 1
Les cordes sont amenées, lancées. C'est trop Join 1 elles
rcL<lmbont dans le gouffre. inlassablement, dix fois, vingt
fois, ils recommencent.C'ost si près ... , sembJe-t-il, quelqucs
encablures ... M. Philihert a grincé des dents. Joanno, les
yrux ri vos bur l'opu ve, 8orr60 conLreson oncle, ne bronc ho pas.
Enfin, un des mUI'ins, vUl'iLlible hercule, dans un suprême
efTort, a attoint Jo buteau; dix mains so sont précipitées
pour saisir la Garde; on voit les naufrag6s l'enrouler aulour
du mûL, puis 10 pntl'on fail signo, Alors los hommos do ln
jetée til'enlsom; à-coup, jusqu'à co quo lu corde soil tondue,
ot la fixent au pOl'Lc-nmnncs.
Il s'agit mainlOIl.llIl pour les nau fragés ùo pusser il bras
londus entre lloux lames, cnl' chaquo fois que la mer revient
à l'assaul, 10 ponl ùe lu g06lelle est balayé, la cordo est
noy6e.
Un matelol s'6lance; jeuno el fort, il somhlo quo cc soil
un jeu pOlll' lui; balançant Jo corps pour flO donner de
l'élan, il avonce il grandos brassées. Au quai, los mains so
tendenl, mais lui, d'un souple coup do rclns, a sanlo Sur la
jel6e. On l'ontoure, sa mbro veut l'entraîner ... NOII, Crl'LI'!i,
il veut nider il ]11 manœuvre.
Quatre Coi'! la mêmo scèno su renou vollo; ln mor 8'(;8t
calmée, commo à bout do forco.
Il n'y a plus sur la goéletto qUll 10 patron, Yvos 10 CorJ'er, ot son fils 10 petit mousse. Yvos Il nttach6 l'onfant lIurl
fi 1 poitrirl(>.
- Dépêche-toi, lui nic-l,oll Je la joluo, car 1r9 VJguos
s'enflelll rio nouve;l\1.
�LES
r' RINCIl'ES
DE
TANTE
GERTRUDE
65
Le voici suspendu à la corde, l'enfant la tien't aussi
mais le pairon est âgé, l'en fant a les bras courts ils s~
gênent mutuellement et n'avancent pas vilo,
•
La mer galope ,
- Attenlion 1 crie-t-on . Tiens-toi, en vIi!. une.
Un mur glauque avance inexorablement. Le bateau, la
corde, la grappe humaine ont disparu. La lame s'6tale,
d6ferle en un cercle d'écume, s'affaisse ... Les têtes apparaissent... Ils ont lenu 1
- Vite 1 vitel crient les hommes.
Mais qu'est -il arrivé? La corde s'incurve, elle a cédé.
La goélette, so ulevée par la vague, est retombée sur 10 côté.
llûler ln corde? Et si elle glisso complètement le long du
mat coucM maintenan t cl donl la t ête rompue tombe par
dessus bord? ... Lo c~ p ita in e , d'un geste, arr6te Ic:s hommlls ;
los gorges sorrées ne laissent même plus échapper un cri
d'encouragement ... Les malhoureux suspend us à la corde
le sa vont Ilion ... S'ils ne sont pas au quai avant la pro('haino lame, ils son l, pordus ... EL la voila qui sc dresse,
qui accourt .. . D'un ITort désospéré, Yves a atteint 10 pied
do la digue.
MIer, crie la capi laine, tandis
_ 'riens b Oll ct l uis~o-t
CJU O les homm es, pr';ls à la rrwnœuvre, tiront la corde, el
quo d'autres, il plat sur la jetée, tendent les bras.
- Vite, vile, voila ln lame ...
Sont.i1s sau vés '/ La foule, il quelques pas, n'a pu se
rilnclre 'ompLe. La lamo :1 passé , ragouso; elle a tonné
contro los récif:l. La goéletle, soulcvée eomI1lU uno paille, esl
folomb6e cetto fois l:! quille béD.nlo en l'air.
Mais, du gro upo sorr6 dos marins, émerge la t{jlû éehevol6c d'Yves Lu Corroe, son gars encore ficelé il son cou ...
Ils sonl sauvéll ...
Un cri do joio lIuu';nge, 1 fomme, la mère s'eat précipitée; olle arral'h(; 1 enfanl , l'emport', toile, riant, pieu·
l'anl ... On enlraÎno Jo patron titubant ... '(',)Ut il coup, il sc
'iccoue, l'cgllrdl' autou r rie lui.
billeau, dit-il, ln voix rauque.
_ ~Ion
li 50 l'clOlll'(l(·... Unes neuvelle lump l'entraîne, "on
5
�66
LES
l'nINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
oaleau ... , défoncé, d6clâré. épave dont il ne restera demain
que quelques planches échouées dans le goémon.
Yves Le Correc s'est mis à sangloter!
- Mon oncle, c'est affreux ct c'est magnifique, n'est-ce
pas? Jamais je n'aurais imaginé une selma pareille l
M. Phi.ibc[·t, à la voix de J cann') , a tressailli; sa pensée
l'avait entraîné bien loin du pelit port broton ... , dans ces
Dardanelles oùil rcvoil60n bateau ù Jui, le Bouçct, s'onglouti ssant dans la IDer qui n'a éL6 troub160 que par la main
des hommos, enlraî nant Yvùs, lefroro cie J oan- Mario ot des
millie!'s d'au trcs IDlrins, landis que lui, 10 bras d6dliquelé,
crumponn6 il une 6pave, aLtOIldaiL un incertain secours.
- J e n'aurais pas dû t'y laissoi' assister, ùi t -il, voyant
m a int
ona
n ~ l'cu funt touto pâle.
- Oh! ne r egrettoz ri on, onclo. Et môme, si vous vou~ ' l v,U1corions su r la jot60, pOUl' mieux voit, los
HéZ, nou
gorbes d'onu ù la pointe 1 -bas .
Pour distraire J eanne, M. PhiliberL s'esL a vanc6 au
milieu des Illhrums.
- Nous a1l0n6 Ôlro mouillés.
- Oh, non l
EL J ea nn e, d('jil revonue ùe son émo ti on, l'il.
Mais l'oncle Il'uvait pas cru !Ii bion dil'o. Uno petite
lame SOU fMÎ SO s'csL dresséo, m 'chanlt" ot Fion panache
&ubltcmcn l t abn tL1 par un coup de vent onv eloppo l ~s
irnprudunts.
- Nous VOWI biOt), /l'écrie piteusement M. Philibert. 'l'u
cs trempéel
- Et vous aussi, oncle Philibort 11'iposLO Jeanne, r uis3e1 nLe.
Id moi, ça mo connalL 1. .. Qu'nllons-nous faire? Co
qu e jo vais attrnpell
- Rien du touL, déclare J oa nn o, nous allons aller che7.
J ean- Marie. Sa nlle Yvonno est ùo ma taille, olle vu mr.
priÎlc r ses affaires ct toul sorn di t.
- Il n'y a, l'orbieu l quo 1} il ruire.
A grands pa.'i, J'oncle ct la nièeo sc ùil'ig nt Vù\'S la ch'lu1ll1èr o du marin.
�tES
P!UlfCIP'f S
liE
TAN
~
GERTRUDE
67
_ Faitrs une flambée pour que mon oncle se sèche
aussi.
Et la brave Anne-Marie, avant d'emmener l'enfant dans
la chambre, avait jeté uno brassée tIe mflnu bois dans
l'âtre .
Quelques minutes plus ta rd, Jeanne réapparaissait en
grando toi lette de Bretonne. Anne-Marie avait absolument
vou lu lui metl re ce qu'ello avoit de plus bea u. Le costume
de velours, lu coifTo gracile alleient il merveille à la flllette.
- J 'avaifl tant envie Jo m'habiller cn Brelonn(', confiaitelle Ù ,\onp- 1urie.
_ Ce qu'elle esl accorte 1 disait ce ll e-ci il M. Philibert, '
qui fumail devanl 10 feu commo une cuve en éb ulWion."
ui, oui, il s'agit do rentrer, déclare-t-il, préoccup é
ùo l'avalanche 'lu 'il prévoit.
115 onl march6 vite et il peine él: hnn gu quelques mots.
I ~n arrivant nu pierl de la Lour, J e:lOne s'écrio :
_ Oncle , sonnon!! chez tanlino, J'iro.i chercher mes
:dTai TS par 10 peLil esca lior, je ma clwngorai là-haut et
]Jcr~on
no sourn l'ien on bos.
_ û('cidémcnl , ma fille, il n'y l\ que toi il avoir des
idées aujuurd'hu i.
MilO Clair , t' n ouvranl, pOUSStl uno oxcla mation; il fait
dejù (;ombro.
_ Quoil vou~
Ilmenoz Yvonnel ct Jeanne?
_ Bravo 1 crio cel'e-ci, on bOndi3sant dans 10 cerclo do
lumi ère <tut) projetto l'ampoulo do l'escali er, Tantine no
m'a pus roconnue.
-Mais flu 'cst- il nrrivé? demando M ilO Claire, inquièle.
_ Ohl ril'n. Faut quo jo me d6bin, cric J ennno déjà ::lU
haut ùe la tOIlI', tandis que M. Philibert, moiti6 riant,
moitir) onllÂt, ron res8o it, tout cn monlent . leur avontur .
j 9 fail comme nOlis.
_ Tu soliH, ma fi lle, tn lUI'~
_ Ponl-titra bion. J o 11 0 suis pas toujour:; rnisonnablc_
~l1o
Cluiro a disparu pr6parcr un grog, qu'oll e juge tout
indiqué pnr il 8 prOJlloncurfl , cl aide J eanne li so renùl'o
prOsont ub!o.
�68
LES
PRJ:I!CIPES
DE
TANTE
Cl:RTRUDE
- Ohl que je vous regrettais, ma peLHe mamanl disait
l'enrant dans la chambre bien close. C'était épatant 1
Quand Jeanne est à bout d'inspiration, cetto épithète
s'applique aUl: cas les plus imprévus 1
Mlle Gertrude n'a rien su de la baignade, M. Philibert
et J ranne en sont reRtés aussi enchantés l'un que l'autre:
pas Je plus petit rhume de cerveau n'est venu troubler
leur jOie.
Cependant le sauvetage est trop présent dans l'esprit de
l'enfant, pour qu'elle ne le l'Appelle pas constamment. Les
pleurs du vieil Yves la navrent.
- On ~ l(', l'st-cc qu'il n'a pas d'argent pour racheler un
bateau?
- Probablement que non. Il n'était pas assuré, a dit
Jeaa- \1aric, p(,ur loule la sommo perduo. Mais tu poux
tro certaine qu'il no pUl1saiL guiire à ln plrte d'o.rgonl,
quand il a vu son bateau brise,. Les mal'Îns aiment leur
bal.eau comma l,li nf,ml.
- Pourtant, s'il n'a plus do bateau, il ne pourra plu!'
pl> 'her, Commenl fera-t-il pour vivro?
- JI Y aura uno grande misère do plus, ma chère
petito ; c'('st fréquent, sur nos côles,
- Oh 1 mon oncle, si on pouvait l'ompl>cher 11.'anlo Q dit
l'aulro jour que IHlpa lui donnait dix fois 1.1'01' d'urgont
pour moi. PermeLtez-moi de donner cet argcnl à Yves.
- Je ne poux paf> le faire san n rMérer à ton père. JI
s\.gi l d'uno somme i mporlantf"
- ]:;crivez-Iui, Lout de !luitr, oncle, Jo vais lui éc:riro
aussi, .Jo r,uis sitre quo ptlpa rlir,l oui. Je serai3 si contenle
de consoll'I' co pauvro hommo,
M. do Kprvilno u don06 son consontemcnL P,II' téJ(.gramme, Lo pèr(' Yvps a MI' lnrl' quI' Mllu .Jeanne élait
« dame 1 oui, toul le portrait d(l Aon père JI. ElIt, a (olt, priée
Il' port(,I':1 oLrf'- Danlf' cies 1,'Jots If) bijou ue goGJolte
mÎlIll'lCulo fllIO les rf)s"np6.~
oH"J.irnl i.t la Vi 'l'gr, l:;loilo do
lu 11H"'. TUII-; sont 1:\ un cior '0 fI lu maill, {'lIloul'oint
l'l'nfont un pùll intimldéo d'Nro ainsi ossociée illour ro('OOmu/! ,aoco, Uubllru>..: de>; propos d'uprùs boira, étroints
�LES
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
69
encore de l'horreur du danger couru, ils viennent à celle
qui, tout aussi oublieuse des quolibets de cabaret, ne se
lasse pas de les protéger.
_ Voici des lettres de papa, s'écrie Jeanne, au moment
de sortir de lable, après le déjeuner.
Elle a reconnu, dans la main de Mario-Joseph, la large
enveloppe et 10 timLre du Tonkin. 11 va nouS diro quand
ilarrivo.
La lottre est adressée à M. Philibert. Il en tire uno
grando Ieuille pour Jeanne. La fillette s'empare de son
trésor, et, sans demander de permission, s'enfuit avoc dans
sa chambre.
el acte d'indépendance lui vaut un regard sévère de sa
tante; mais, pressée d'avoir ùes nouvelles de l'absent,
Mlle Gertrude no proteste pas autrement.
bienl que dit·il?
- j~h
.M. Philibert ost ùovenu sO\lcieux:.
_ Je ne sais comment la petite va prendre cela. Paul'
prolongo son séjour là-bas: il no rentrera on France qu'à
l'été.
_ Jeanno st habituée à l'absenco do son père, fait
lranquill! mt'nl Mlle Gertrudo. J'avouo êtro plus conlrari60 pour moi llUO pour cHo.
_ Elle Le gÔllO? demande brusque mont M. Philibert.
_ Jo crains de no pas m'on occupor sll!l1samment; je no
puis pourtanL pas abandonner moS occupalions habitueHes, pour un incidtnl do quolques mois. Ainsi, continuo
M \lo GerLrudc, aujourd'hui il plouL trop pour quo
Lu ln promôues; jo no puis manquer l'ouvroir: la vico-pl'ésidenl , qui, ù la rigueur, pourrait me remplacer, osl
malade. A l'ûgo do Jeanne, j'aurais lrouv6 naLul'el de tir l'
l'aiguillo lout l'nprôs-midi ou do jOller mêmo dans un
lcoin. Mais 01101 ... C'esL tout juste si clle viont à bout de
la tâche quo j'oxigo, ot, 10 1'Osto du Lomps, ello so Lourne
,les pouces. Wlo est d'une indolence ...
_ Ello ira jncnssOr avec Mario-Joseph; ollos s'en Lendent
�'70
LES
Pn1NCIPE S
DE
TAl'ITE
CEnTRUDE
très bien, fait M. Philiberl qui écoute ;::ssez vnguemcnt
tout en parcourant la lettre de 60n frère.
- C'est ce qui me comrclrie. Elle commence il être
grande pour rester avec les domestiques,
- Tu voulais qu'elle apprenne à tenir un m6nage. Ne
te plains pas si elle fricote dans les cassoroles de MarieJoseph.
1
- Tu ne comprends rien à l'éducrl1ion des jeunes fiIl .:-"
soupir/) MUa GerLrude avec un léger haussemc.l l
d'épaules. Que voul 0z YOUS, Marie·Joseph·?
La vi eille serve.otcse tient il. ln pode, vi sib lem
e n ~ embarrassée. L'autre jour, clic n'a pu fail'e « marcher» la tante
sUivant les désirs de Milo Jeanno, A-l-olle snisi quelques
bribes de la conversa lion cL jugé le mom ent favorable
pour reprendre l'ossaut? :Ella se lance bravement dans le
plus long discours qu'clle Dit jamais tenu à ~a rigide ma!tresse:
voulait pourtant bien, Mlle Jeanne
- Si Mademoi~l
a SI envie de raire ùc jolis mouchoirs comme j'ai dIt il
Madomoiselle. LeR poUles Ollrs de Mmo do Surçois ont
presque nni los leurs, 1\1110 J cunne esl llc\roHe, je suis liûre
qu'elle y urrivcrail bien.
- 61 J Ollnlle esL capablo de fairo dos ourlets Il iour,
réLorquo lJôvôl'omenL MU. GerLrude, ollo mot bien do ln
mauvaise volonté il ourler le!> Lorchons, ot c'est de cela que
jo la récompensorais 1
- Maùemoiselle, l'eprend Mario·Josoph, qui no 60 rcconnait pas dons l'audace qu'ello omploie, pourvu qu'ollc
sache coudre ...
_ Oui, eL qu'oll ~O plill Ù 601.1 caprices 1
- C'cIIl onnuyeux.
Bt Mario·J osoph brùio su dorniôl'O o.llulIlcLLc :
-On dira Il ville qu'cllon'oaLl1us t> l o.Viiéoque ces polit 8.
- J.i;L qui Jo saura rH 'l'i1l0, si vous lonez voLre languo?
- Oh 1 Mo.liomoJs 'Ilo peuL Otro sûre quo jo 110 cliro.i ri n"
muill lu Cemmo do hnrnbl'e de MlD~
do ::lurçois llJ.ur bion
Re vunlor d'o.voil' bion appris il coudre oL Ô. brodol' il cos
demoi ellos.
�LES
PRINCIPES
DR
TA NTE
GERTRUDE
71
_ Il est déjà uno heure et domie, jo suis en retard.
l"Iarie-Joileph est restée perplexe ...
Milo Gertrude était si pressro qu'ella ost sOl,tie sans plus
s'occup€t do Joanne.
M. Philibert s'inquièto , lui, do sa potite oompagne. Il Il
laissé ln porte do la bibliotMquo ontr'ouverte. Au bruit
du por-tail qui so roferme sur Mil O Gertrude répond le pas
léger de la filette quj court do.Ilflle corridor: une marche
grince, et M. Philibnrt sourit, ras:\ur6.
Œ Clni ro saura mioux quo moi la consoler, s'il y a lieu, "
se dit-il. La pluie rui 80110 sur les vitres; M. philibert
so plongo dans 1,;no revue .
Oui, J eanno avait un gros chagrin . Elle ôtait ontrée dan~
10 petit salon, tenant à la main la leltril de son pèro ct
jetant dnoo un songlo t :
- Papo , pnpal
l\'lHo CIllil'O s'ô tai t dres>léû , toute pale:
- Votl'O pùre? Qu'a-L.il?
_ 11 n'ani Vl't<1 qll] ùal~
lroi; moi i, dit J eanne en
cachant sa lêto "ur l'opnulo do Cloil'o.
La p:lysionomlo do ce lle -ci s'iJclnirn :
_ Ohl quo VOli S m'ayez fait peur, mn petilo oMri'l, j'ai
cru ù un aeci ,l nL.
_ J 'p i !li envie do l'ovoir papu. Attondre neore jusqu'à
l'olé ... , so plûignit l'enfnnt.
_ Cola pnSMl i'Ù commo l'hivor a p ns~ô,
chère p otite. Au
commonooml'nt, vous croyiez n'on voi)' jl\[Tlaia la Do.
_ ~o. n s vou~,
peul êtro sel'ois-jo mOl'to avant, déolare
J cann .
MUQ Clo\I',-' l'il douceJn!)l1t.
_ C'est com TM je vous I fJ LI j,o!, mu P li to maman; el, si
vous n'(!1 illZ pas lb. aujourd'hui, j'nul'ais djx fois plus de
chngrin,
. Elles sc .'llJnl iosLIl1l6os loutes ks doux dane; I:l grande
bergè re. J eanne Il étnlé ln letire sur lea genoux do sa
�72
LES
rl\lNCIl'ES
DE
TANTE
GERTRUDE
petiLe maman. Tête contre têle , elles lisent et commentea
la missive.
M. de Kervilan est si plei nement rassuré sur le
sort de sa fille qu'il n'a pris aucune précaution oratoire
pour lui annoncer que ses recherches l'ont mis sur les
traces de Hlons des plus intéressants. 11 faut obtenir l'ext rns ioll de la concession, amorcer l'ox ploital ion nouvelle,
ot il n'Jura paf; trop de tout le printemps. H rentrera pour
les vac:l/Ic s et promet Je les paSf;er en Breta gne, sans so
demander Ri Jeanne préf6rerait uno autre 'iill 6gialure.
Pui s, 1'.0 poinl r (,glé Il son év ill enle satisfaction, il passe
aux récits qu'il juge pou voir int61'csscr Jeallne... el d'aulros ...
« Nous avons {,lit n bando une xC1\rrioll chez un chof
MOï, ces dames cn chaiso à portenr, IJOU S à cheval. Ces
Moi forrnl'nll::l. race :mtochloM du pays, refou lée peu à
peu dnns Icsrnonlag-n"s. mIr nouf' fournit l u main-d'œuvre.
On pnie l'CS OllvriiJr,; un peu en argont, beaucoup on
alcool - rnnlilcurousomonl - ot allf:si on vorrolori . Les
!crrm«,; cn l'Ion l foll!'!': 1. , tant colli crtl qll e bracelots, on
port nt quat,rr ou cinq IivrrfJ Rllr l' Hus. Un pagno torlil\6
complèto leur toi let te. Le, hommlls, peti l!;, trapus, sont
encore moins vêtus.
u '01111 oyon!! pmB6 la journ(;e on for,il , cette for t
iod Rcripliblo, myslérieJ~,
f1ui ne r.\ppoll o ricn ù' Europe.
Nous avone; lr",ver <;ù dos ruis!loauxsur des ll'on es d'nrbro,
pon ls Il n , pas ," commnnrlor aux: pOI'son nol'l s uj oUcs nu
vel"igc . Nous avons longu uno \·ivi ùro.J qni glis"ti t dnll q lu
pél1'lmbr'J drs ;\l'brl'f) l'omm UH SCI'p nl brillant; nOn
nou s R0JJ1111l'R aJ'ri vés à temps pour 6cltuppor 1\ Monsiour
II) tigl"'. "!.,is il paruit que, rn tmlisfol'm unt n0lro caravano
Cil J'dr,litl' (lUX f1ambc:lUx, il nuus umuit la iss6 pu.;sc r sanR
11101111'('1' J,'s c r oc~
.
• Le villugl' ost au milieu rJ'un c1airi l'. ro: c1('s cageR lt
pOlll l'!I r n bamboll, su r pilolÎs, ù lroid mètres du sol. C'ost
h cause du ligrll f(lI'i1 fuul vivrc :tin 'i pCI'Chll opros lu eou('her du ~f)!t'
il.
I ~fl(or
y nol-il un guetteur muni d'urlO
(:(lI\PC.t;OIl v..tri{'o do "i"u . bidon , il l'~Snct;
il u\ lit·!' 1111
linlumurru o(fl'\)yablu clus qu'il 1iL:lll rodc:r la 1>ùtc.
�LES
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
72
fi A notre arrivée, les Moïs dînaient de grosse boulettes
de riz, peu appétissantes. Heureusement, nous avions
emporté des provisions, mais il a fallu avaler la réception
officielle du chef. On se range autour d'un récipient plein
d'alcool; le chef boit une gorgée à. l'aide d'un chalumeau
de bamhou, et chacun, ft son tour, boit sa lampée au
même chalumeau.
« On avait construit une case neuve en notre honneur, ou
nous n'étions pas il l'abri dos cancrelats, ni des regards
curieux dos indigènes, car les murs étaient très à. clairevoio. Malgré nos hamacs nous n'avons guère dormi.
« Les chasseurs, cependant, n'ont pas hésité à passer une
seconde nuit blanche. En l' ntrant il la mine, ils ont appris
qu'un de nos huITles, oublié la veille hors de l'cnceinte
où on les porque pour la nuit, avait été surpris par un tigre.
Les Mo'is avai nt retrouvé la hôte éventrée dans un fourré
ct assuraient quo le tigro reviendrait sûroment la nuit
suivanto achover Hon festin. Il n'y aVilit qu'à se mettre il
l'afTtîl. ot l'attendre en s'o(Trant soi-mêmo en pâturc aux
moustiques. Jo no suis pas assez cllasseul' pour allronter
co supplice.
« V rB dOllX houres du maLin, nous étions réveillés par le
retour bruyant dos chasseurs. Lo tigro, encore alourdi de
su bombanco de la vaille, était arrivé avec Aulant de
tranquillit6 qu'un cllat escomplant sa Losse do lait et éLait
tombé sur sa victimo, foudroy6 par un fcu de salvo. Au
jour, nous {(vons pu l'admirer; un miHe énorme, un peu
vieux, décloront les Moïs, rallié, superbe oncore ot une
mâchoiro b. donnor des caurhomnrs aux petits chaperons
rougos. Jo t'envoie sa photographie fi vcc 1::1 demi-dOUZAine
d'enfants do la colonio on brochetto SUI' son dos. »
- Heurousement, pnpn parlo de prondre .des vacances,
dit Joanne, Il's jOlc~
sf\ché"'!1 ; il amôllol' \ bien sûr l'auto.
11 y a juste quatro plncc;;: popa, vou..:;, l'onclo el
moi.
Mil. 1 ire a rougi.
pas, .leonno 1 UnI) lois votro père là,
_ Vous n'y pl'I1~OZ
vous n'nlll'(1(, plull brsoin de moi.
�7ft
LES
PRINCIP ES
DE
TANTE
cenTRU DE
- All, pal' exemplo 1 Pat; de promen ades sans vous.
.
Milo Claire no répond paB: elle regarde à son poignet
faire.
à
couture
do
tâche
do
pas
n'oVQ?
- Vous
-Ohl si .
Jeanne soupiro .
- Eh bion J chérie, autant la fniro tout do suito. Vous
rl'ffionter0? ensuite et serez tranquille.
Un dernier baiser. JC9.nno a disporll dnns le pelit escalier et Cl:ùo tiro d'un liroir où l'arrivée de 1'( nrant la
reléguée précipitamment sa lettro à 0110.
do Kervilnn no Iloto son retour que pour as~ure
~L
Claire une fois de plus qu'il lui doit de pouvoir achever
sa tacho snns pr..ïoccupntion, sachant sn fillo Cil meilleures
mains quo led siennes; pour ID prollver, il reprond nvoc
un visiblo plaisir tous le9 souvenirs communs un il un,
commo des bibelots pr6cieux, ot s'attard e sur ceux do
1913, alors quo Claira 6tuit prrsqu0 jouno fill ,
«Jo Rcrai si houroux, chèro potito amio, de rolrouver
tout cela ontro noul'I doux .•To mo r(ljouiG do cos vaCances
on vulgairo potucho. Souvenirs qui sommei lltlient seuloment au fond ùu mn mémoil'e, VOllS 10 voyez, puisqu'ils
so 1'6voil1ent IrQÏs ot dispos au promiel' nppüJ. •
'lai!;) co sont les snngloLs do Joanno qui tintont douloureux aux oroilles do Clairo do L6nno ot. non los doux
t\
r ô d'antan . Un tel chagrin porco qu'nno vio
lv cni
sO~
troi
do
éo
recul
ôLait
poro
au
plus
~
811msai
no
qui
denx
moi 1 Cela no monirait- il IHld 610CJuemmcnt qUQ {.JUif 0
liLait un pis-all('r l ,\ IOI'S, 10 sçul ('ITet do son inLOl'vonliOIl
r,ofllit ùo dreflSl'r lu pùro ontl'o la fill . La ti61lcate flet'lu
do la jauno nllo so aurait dovant co résult.al inattendu.
80
1]110 rrgfotLa, 10 !loir-là , d'avoir connu l' nfant,
promit lino réservo héroïquo si l'aul do ICorvilan, il
r, tour fil Franc , pour '\1 iv'lit 10 l'l,ve (llI'cllo croya it voir
(IJllro chnf(1I0 lign o dr son 6cI'itur , 1.;]10 no pOllvnit l'ion
flll plus, C'était prut·Colr,' son riiv!';} cUo qui horniMil
nn arr i .lit il Il' d(sirl'r, Ù souhaitor do no
tQul I;OU I. I~no
il lui rt dl) conl.inucr ln
pa I1lr(' uno ombro /lur lin rout~
. !;olil iro. 1'\011/u il aouO'rh',
~i(ln'
�LES
PRINCIPES DE
TANTE
cr:IlTRUDE
75
Pôqu es approche, Jeanno se lam~nte
des vacances
proclalines.
- Quelle tIl'deur nu travail, plaisante Mlle Claire.
- Ne vous moquez pas, tantine. Ce n'esi pas pr~cisémont le cours que je regrette ... mais qu'est-co que tante
Gertrude va bien inn'nter pour m'occuper pendant ce
temps-lil?
MilO Claire SJ Je ùcm:J.JH.l e aussi, avec
quelque
inquiétude.
Toules deux, devant la t able ou vorte de chifiol1s
nwlticelorcs, il'av:J.ilJent. /lUX fam ouses poupées de la
marquise.
- Jo ne pourrai pna venir da vanL:J.go chez vou~,
continue. Jeanne d'un lon tragique, la tanto ne sort pas le
matm. Jo vois d'ci : ello vn me faire un règlement comme
les premiers jours; brr... coulu/'ù, lClcLlll'e, rn6nagll. Oui,
IHÎromcnt je n'y 6chapporai pas, il faudra fairo ma
chambro 1
- Bh 1 mais voilà uno très bonno hul>itude. J 'ai tOl1jours
f"i t la mienno.
Jeunno regardo d'un oir do doulo Claire qui rit 0
- Oui, l j lJ suis SÛ I'L' quo rolu ue ous ennuiera pas.
Et puis cola déchar·gc. a Mario-J 03eph qui so fuit vieill e.
OUS ;lvC';(. r,l eou, tantino 1Riw quo pOUl' cela je la
pOUl' moi 1
forai. :3 i vous mvioz comiJion ollo st I~onli
Jeunne 8011(50 il Jo. fin e huliflto que Murio-Josoph lui a
montr6e cu maLin, Buns lui dem:lOdcr lIOII plus sur quullo<;
initiale!> l'upprenti o brodeusu désil\.ut s'exercer; comme
pur Ila so rd, elle u prlJpar6 pJUSiOUl'S G,
-- C'ost égul, sOl/piro JCUJ1T1(l /lU bouL d'un momcnl f
jc voudmie que les vu('unccs soient p 1~S('C
,
ffiQ
}Jcux jours uVl\nL co JTlol1ll.'lll redou! (" lI1
do SUl'çoi.;
est vonue voir MilO do IünJlon.
_ Mu ell('l'o amie, Ri votro ]JeLite uiOco voulait bion
omploYl'r les loisil'i:! de la sJIlloino do l'llqU CS à m'babiller
�76
I,ES
PRINCIP ES
DE
TANTE
GERTRU DE
quelques poupées, cela me rendrait vraiment service.
- Je regrette beaucoup, chère madame. Jeanne n'aime
pas la couture, c'est à peine si je suis arrivée à lui faire
ourler une serviette convenablement.
- Les robes de mes poupées n'ont pas besoin d'être
finement cousues l il me faut du chic, de l'impromptu.
Je parie que cette potite s'en tirera. Laissez-la essayer.
Tant pis pour moi si elle ne réussit pas 1
- Vous pouvez en ôtre sûre à l'avance. Vous ôtes
prévenue, co sera aITreux. Il faudrait tout au moins que
je l'aido un peu.
- Non, non, répond vivement .l\1Ino de Surçois voyant
avec eITroi ses poupéos costumées en pupilles do l'ouvroir.
Vons n'ôtes quo trop surchargée de travail, mu pauvre
amie, prétexte- t-elle. J'ui apporté quelques chierons, une
poupéo de modèle, mais il ost entendu quo Jeanne peut
varier au gré de son imagination.
A la grande surpI'Ïse de MilO Gortrude, Jennne, mise au
courant, s'est écriée:
- Je no demande pas mieux. Ce sera très amusant.
- Tu 3.'i une confiance dons les talents un peu ridicule,
remarquo sa tante, tu suis à peine Iaire un ourlel.
- Mais cc n'ost pas du lout la môme ehoso J
- Non, c'est plus difficile... Enfin. si lu no peux pas
réuRsÏJ', jo t'aiderai un peu.
- Co n'ost pas la pei no, ma tante.
- Comme tu voudras, dit sèchement Mlle Gertrudo.
JIlmo do Surçois m'u aussi priée do t'envoyor passCl' l'aprèsmidi chez 0110 autûnt que cela me s ra possible. Jo Jo
pourrai raroment, je Buis trop OCcupée pour t'y conduiro
cl Mario-Joseph "galement.
- L'onclo Philibo rt 1n0 conduira bi n, lui.
- Vruiment, J canne, tu as encore beaucoup 11 apprendre.
On n<l porlo pas ainsi de son oncle. Tu n peu :e3 pus 10
tra.osforrnor pour les capricc!l cn bonne d'on tant ?
- Quoi donc?loilguioIT.IontM. Pltilib,' rtlul-m Ole s'oncnùrant dans ln porto du la sallo b Ioongt'r. On veut mû
déguisC'r en bonne d'entant?
�LES
PRINCIPES
DC
TANTF;
GERTRUDE
77
- J'espère que tu ne t'y prêterais pas, répond iiévèrement Mlle Gertru de en se mettant à tablo.
Jeanne resta pleine de conllance, attendant seulement
un moment plus propi ce pour exposer sa requête.
Avant le dtner, ln fillette a escaladé l'escalier dérobé,
deux p oupées sur les bras.
- Donnez -moi ce p etit doigt -là, t antine, il faut que je
l'embrasse. 11 a été un si délicieux bavard. Voilà mon
œuvl'l'. J 'en aurai Lant que je voudrai. Au feu les torchons
ot leurs ourlets 1 EL puis il a dit :lutre chose 10 petit doigt,
mais je Il'ai rien à vous apprendre. Le hic, c'était pour
me faire la conduite; l'oncle se transforme en bonne
d'enfan t.
-:- Celte fois, mon peLit doigt n'y est pour rien, ma
petIte enlant. C'est Jo. bonne marquise qui a eu l'Idée de
vous domander l'après- midi.
- Vous y serez?
- Ah 1 pas tous les jours, petite accapareuse. Je ne ferais
plus rien 1
- J e m'amuse bien mieux quand vous y êtes, W:l petite
maman, dit Jeanne en quêtant un baiser .
•••
Orûee au complot tramé entre Mille do Surçois et
de Lénac, les vacances l'ed out6es ont passé joyeuse menl. Les rOurs ont rl'pris ,le temps avance, on est en ~a.j
Lus leUres de l\f. d e Kervilan ponctuent ù'un écl::lir de JOJe
plus vil la vic de sa IlIle. Muis oHes sont souvent un pou
écourlées , la vio li la mino os t pau vro d'incidents
OIllUBUIlLR, oL il a t ant ù taiI'O 1 Cepondant, sa plume ne
pnr:..U pas proslléo lorsq u'il s'adresse il l\1IJU do L ~ nac.
Do
plu ~ n plus, les 101trl'8 s'allongenL, apportant un mélange
obscur de pOJOo t do joieUn s6jour d'uno huitaine il Hanoï renouvelle Sil cueillotte
t·t il en to il au~siLû
t part à .Jeanne.
« .10 musais dan!'! la rue do la Soie on qullto de quelques
dliiions uu goûL (le ma fille. Mon ami X ... ot moi fourragions
Mlle
�le,;! N alogt'!i, lor:> u'un tintama rre m' a fait St1r5aut er. J e
ne m'h bituorai jamais à la musiquo tonkinoise. Celle-ci
av ait mis r. n fuite les véhicul es qui pataugeaient dans la
boue et s'a vançait : cymbal o3 , grosse caisse, instruments
ex traorcl inaire:3 tIont j'ignore le nom; pas Ja sonorité ...
~ l'
i( ~ r o l'orchclltrr , (le!; gens maquillés en clowns, grim
U cr
çanf s, hi deux .
DeEl SOl' iurs , m'a soufflé X...
ct Il Y en a n ~ or e ?
I( Ah 1 Rt une énorm e influence .
• Après I('s sorcier.; , des personnngrs en polo. nqu in. A leu r
costum o jo roconnus dos bonzes.
colle-ci ?
u - Non? Dans uno procrss ion burlesqu e om me
non.
compag
Illon
d<,mand ai·jo à
« Il so mit!J. ri,·ù JI guiso <lo roponsfl .
« C'était maintenant uno théorio ù''' nCanLs on u/nn':
. l'ni g df' 1
~os
porlant dos lun Lol'l1 cs do popi or p () int1l'Iur
un '
por:nnt
([ni
,
ul
oriflamm
gr,wds
do
(;s
arm
qui
,
I:oolios
lublo do l:l'lu e l'OUgfl ~ \ ur l UI \ll'I le g prti/asstl jL UII cocholl
l'ôti, OnlOlll'd do fruits ct do rl'i a ndi '- ;~6 . J'al' ùorri ùrJ. un i)
t rl' ntaino de coolioB plia:ont ROU S Jû poids d'Ull O !lpoce ~o
l'J taf::dqu mulli 'oloro tout brl Jl nllt d'aLomcll do glucr ,
lellr all uro rugl60 par un petit tl iabl qui rn:J r hait :\
~ l j.
re clllons ('/1 tar/ont deux hatom, Il;nnn, !lOU!; 111\0 mou
li
verts
cou
es
femm
do
ot
es
d'homm
group
un
irc,
qU(J
1lt\il 1 ns Llallu:, d6co ilTés, nn-pi eds, ferm ait 10 tortil;;".
Ils poussa ient dC~ J hurlem ents de joio ou dc dou l!..nr ... MI ~ ,
orcill,s d'Europ ee n no pouvaient Jo doviner. Les p as~: lI '[l ,
Lr';l
~o lé s aux murs, roga rd:-t ienl, ria iont , s'ames IÏr nL.
c.
Jill! h munlt! fui';::\Îcnt uvid emmf.nt par! io du spcclad
ous n· pous;!' ,
u La rue ava iL ropl'i. SOIl Uliim at ion.
pcndunt l'
où
is
sa
11lJ
jl)
l e l. c~ , ntk ln gc:;, di (l.uus
hi cy
.
fur
l
nouveau
do
nt
rait'
ùNll{', encomh
• - 'avez- vou 1 qU (" st, 1 ror lùgo qu o VOt/ fi YC ll C/. ri o
voir pOS3cr, mû dCnl onùa ~' ...
'. - -no mn3cn rad n quoir onqlll'.
«- Il l' Il Lc, rrclII <,nt, WOII chul'.
coJolli ,tlÎol1.
~ - "ous VOliS m OllllCZ de mu r" ~ oIlLc
I(
-
�LES
•-
PRINCIPES
DE
'l'Ar-iTE
GI;nTRUDr;
79
Nullemont. Informoz-Yo\1s.
~ Vmiment il parlait sérieusement.
« - Eh bien 1 où cita:L donc le mort?
SOliS le miroir aux alouettes.
EL il ne faut pas conclure de cetle histoiro que les
Annamites n'onL pas le l'espect de leurs morts. Aucun
peuple no vénère davantage sos défunts. Usage ... bien
cocaBS\) pour nous autres.
« Je remonLo avoc plaisir il la millc, la chalour cst déj à
très forte à Hanoï oL Illon séjour SUl' le paquobot s'annIJllce
cuisant. Mais la BI'o Lugne est au bouL. »
«-
(1
Un ~o il', Jeanne entro au perchoil' si poe6mcnt que Claire,
Ilurprbo. l'oxamine. l!;llo est rougù, los yeux bril~ts,
los
t l'ails tir 's. E lle s'appuie cont/'o sa petito maman salis
parlor.
~
Qu'avez-yous, ma churie ~
- J'ai mul il la tôto et je suis faLigu(:o. Jo n'on poux
plus, lllllrml1l'U la fillotte.
!\lIlO Clairo a pris la poUto main chaude ct socho, tâté
10 pouls:
- Ma pùtito J oanne, il faut vous couchor. Vous avez
un pOil do IIcvre.
- J o no vais pas ûtro malade au moins '1 Jo no voux
pas, jo /le pOtlrrais plliS mon tOI'.
- l'our no pUt; 6tl'c malade, il fauL YOUS soignor lout do
f,ui LO, ma potito onrant .
-- Pourvu quo co no Boil pus lu rougeole 1 Oh 1nOll, l'OS loI'
trois tlomuinos sans vous voir, co sorait ll'op dur.
Los Jarm(;s pe1'lcnL aux youx do l'onfunL énorvéo.
L'II'OllKcolo, c'ust bien 00 quo a(jint Clairo, CoLLo mala.die
(6t vi répand ue dam; ln petite yiJle qu'il l'st question de
liconcier los élèves du coms. lA ponsée de J a.nlle malade
/li pros d'dlc , ~n n !lju'eo
pui G;,IO la voir, la I;;oigncl', déchire
10 cœur Je )1110 <.10 L6nuc?
chis~a
nlo.
L'enfent asoH; Claire prépare ulloboisson rafi
�80
LES
PIUNCIPES
DE
TANTE
CERTRUDE
Maintenant, dit· elle, si vouS m'aimez, ma chéIie 2
aUez m'obéir. Descendez, appelez Marie.Joseph, dites·
lui de vous aider à vous coucher ... qu'olle vous fasse boire.
Il ne faut pas essayer de diner. Demain ce sera peut-être
VOUS
fini.
Claire a pressé une Cois de plus l'eulant dans ses bras;
elle l'accompagne jusqu'à la porte, attend anxieuse dans
l'escalier ... Marie·Joseph est accourue très vite à l'appel
de Jeanne Q toutes deux sent entrées dans la chambre de la
miette.
Claire remonte lentement, si préoccupée qu'elle en oublie
son diner.
Bien des lois, dans la soirée, elle !j'cst glissêe dans
l'escalier, aux aguets, derrière la porto à clairo-vçic. Elle
a reconnu 10 pas maj eslueux de MUe Gorlrudo. Il lui semble
avoir entendu la voix de Jeanne. N'a·t·elle pas eri6 l
« Laissez-moi. ? Pauvre petite 1
MlIO Clairo n'Qst pas encore couch60 ; pourtanL, rlepuis
longtemps, on n'entend plus rion au·dessouo. Elle sod6cido
il s'étendre. 'l'out d'un coup, un bruit léger Jo. faiL trossaillir.
Un bois qui a craqué, peul-OLro. Ello ost deboul, l'électri.
cité ralluméo; 1I0 OUVl'O srl pOl'le. Jeanno est là, ('1\ chemis
de nuit, nu·pieds, l es yeux fous. gUe g6mll : • !\la petite
mumlln, ma petito maman ». C'est une plainto machinule;
clio no reconnait pas Claire. Colle·ci l'cnlro.lno dnns sa.
chambre, la coucho dans son propre lit, bassino son fronL
brûlnnt; l'enfant s'apaise.
Assiso tout près, Mlle de Lunnc presse son front do
ses muins comme pour en laire jnillir un illée. Que fuire?
Appclcr?M Ile OorLrude no dovinera· t·ello pas le secret du
perchoir? Mois, si l'enfant n'rst pus ùans su chambre demaio
matin, 10 r6sull al sora 10 mÔmo. La faire roù escendre
comme ello est monlée? Impossible. Ello a c6dé Il l'instinct
qui l'attirait là·haut. Pour lui pefiluador do rcntrrf dans
lm chambre, il faudrait 1 ire appel Il 110 rai
~ on,
anihl~D
Mf.utllomont pOl' 10 délire.
Touto 1'6nergio de Milo Clair\! ellllcnc1uo ver~
c dilommCl
l[U'illui faut rô::;oudr\!.
�l.r:S
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
81
TouL à coup, elle se rappelle un trousseau de vieilles
clofs abandonné au ronu d'un tiroir. II faut tenter d'ouvrir
la porte à claire-voie.
Sans bruit, elle s'est glissée hors de sa chambre. Elle se
meurtrit les doigts à batailler avec la serruro rouillée.
Elle en vient à bout enfin. Comme un rayon de lumière se
promène dans le corridor ùu pr'omier, Marie-Joseph appelle
d'une voix (!pouvanLéo :
- Milo Jeanne, où êtes-vous?
- Ello est ici, pas de hruit, fait Claire. Nous allons
la descondro il nous deux. Il ne 'Caut pas réveiller Milo de
Korvilan.
Joanne ost do nouveau dans son lit. Agrippée an cou de
Claire, oUo a repris sa plainte.
- JE vais la garder coLto nuit, dit Mllo de Lénac. Allez
VOliS couchor, Mario-Josoph, vous mo remplacorez demain
malin. Ma tanto serail étonnée ot contrariée de me trouver
ici. 11 faudra pourtant la prévenir quo l'enfant a eu le
{Mlire.
- Que Mademoisello soit tranquillo, je no dirai rien ...
Mais qu'allons-nous devenir? La potile ne veuL pas lai.sser
sa LanLe la toucher.
- Il raut ospérer que tout s'arrangera, répond Claire.
Son plan est rait.
- Ah 1 priez mon oncle do venir domain malin me voir
avant d'nilor chez le m6decin. N'oubliez pas, c'rst imporLant.
La nuH a 6té mauvaise, 10 d61iro n'a pas quHté l'onrant.
La voix do r.luiro l'ap iso cependant. Au matin, la potite
malade s'assoupit, mais la respiration resLo haletante. C'osL
une courte Lrôvo. MilO Gortrude va monter.
La crainte oxprim6e pur Mario-Joseph cotte nuit no s'est
que trop r6oJiséo : ln rancuno accumulée dans l'âmo do
l'onfoot dopuis son arrivée chez sa tante s(Ml1blo ôlro ln seule
chose pCl'Ilistnnto dans la nuit qui nvahit le cerveau.
MU. Gortrudo no pout s'approcher du lit. Aussitôt Jeanne
ln reconllnlL, tl'ugito l
- AlloL-vous.onl Ne mo touchoz pns 1
�82
LES
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDZ
Elle la repousse, ct, quand sa tante a voulu lui présenter
de la tisane, la tasse a vo16 au milieu de la pièce.
Mlle Gertrude a pris son air le plus sévère; elle a
grondé, menacé d'écrire au père, mais ce levier infaillible,
appui do son autorité, n'agit plus sur le cerveau enfiévré de
l'enfant.
- Quo Mademoiselle me laisse faire, supplie MarieJoseph. Que Madomoiselle redescende, je la soignerai bien.
Mlle Gertrude a haussé les épaules. Son devoir est d'être
auprès de sa niôce. Il faut quo M. Philibert intervienne
avec une fermeté touto nouvello chez lui. 11 va aller
chercher Je docteur; on !'aLLendant, il faut absolument
éviter un Burcrolt d'agitai ion. Jamais il n'a parlé 5i rudomont. Sa sœur, au fond très perplexo, 0. quitté lu hambre
et M. Philibert so hâte.
- Quo vuux-tu, Claire? dit-il à sa nièce.
Elle Il ouvert si vile il son coup do sonnette Liue c'est
à croire qu'ellc 10 guettait dorrièro la porto.
- Je cours cherchor le docLeur, Jeanno esL très malade,
ello ne supporto pas Gertrude.
L'onelo Philjb~rt
fuit un /jesto découragé.
Briilvumcnt, l\f110 Clairo lui raconte III scène do ln nuit,
explique l'idl:e qu'ollo a cu et qu'il doit développer au'
docteur.
- JI faudra 10 motLre /lU courant ùes visitos dé Jeanne
icI, conclut-olle. 'l'anL pis, commo médecln il soit so laire.
M. Philibort ost repurti tranquillisé, 10 plan de sa nii'lco
st de 60n goi'lt.
- Diablo 1 dlt Jo doctour, que M. Phillbel'l trouvo sur le
pas de sn porle. Encore uno qui a la roug,:olo. ltllle n'('st.
pus bonne ('clle année, il faut 60 méfier. Je vous suis.
-Non, vous m'accompugnez, Doctour; j'ui il. vous parler.
l~t
lou' (oIl!! hûlànL, M. Philibert oxpliqu ...
- Comp!'i o .. Parfait. .. f'ic voustourrnont<,z plus ... Vou ..;
aVel <'onL foitl raison.
......
.
.
. . .. .
..
..
.
.
.
.
�tES
PRI NC IPES
PE
TANT E
GERTRUDE
83
- Jeanne, voici le doc:eul', sois ruisCinn::tble.
- Allez-vous- en 1 Je ne veux pas de vou 1
Jeanne s'est dresséo Sl: r son lit, lt's mains étendues pour
pou sser sa tante.
- Laissez- moi faire, Ma demoiselle, dit le docteur.
Et il passe suns cérémonie devunt Milo Gertrude.
- Eh bion 1 ma petite fille, Qll a-t-oH mal?
Jt'anno ne parait pas avoü' enlendu. EUo suit des YliluX
Mllo Gerlrude ol répùlc :
- I\llcz-vouf)-onl all ez -vous-enl
Lo Doc leur Sr) redresse.
- Mademoisolle, je suis ail regret, main los malades on l
purfoil! des caprices inexplicables auxqu ols on est forcu de
'édor. Veuillez bi en m'al tendro en dthols 10 ln chnmbre.
- Mais, docleu l', il raul quo je vous nido; vo us pou ver.
avoir b 'so in do (Jllrlqnu chose, diL Milo (l , rlrude, ptw,
nerveuso qu'c il n J'a jamais élu de sa vie.
- Mario-,Josepll m'aidera . 111 'es Limp ossi bio d'ox,uminor
la mulado si vous r alez à porL60 do srt VU('.
MIl O O"rLrlltlo 0, rlû céder. Quand 10 do ·l(.llr descend un
qUllr'L d'h uro plus L;; rd, eH, Jo {.lit ontrcr dons ln lJibliolhèque. 1\1. l'hiiihcrL y ('st d6jà,
- Eh I,len! Doel 'ur ?
- C'esL, solon louLes pl'o uO,l llt':s, la rougeolo, mais une
rou,!,eole qui no !:I orL Ih\s •.• Il fnnL do gt'o'lHls soins, dcs soills
'ollsLants.
- J e suis Lonto prêto :tIes donn r', s'ûcl'io plO Otll'Lrude.
1,0 docteur sc'ou la Ll'le,
- Madomoisdlc, j e conn ai ' voLre ù6vo uolll enL ... C'oRl
IIIlO gUI'do-mnlade oxp "rimellLée (lU il fnul .
- Dons UIlO famille, dit avec vivocil6 MilO OerLl'uùe, 1 s
Comma onl ~olj
o lr
lonu à. hOOllO\11' do soigner lours
pnrcnlll ; jo no fnillirui pas ...
.ou, avon s ChaJ1gô celn, interrompt 10 docteur brus ·
quelUont. Jo vous di qu'il 100 CauL uno infirmière au cou-
�84
LES
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
rant des nouvelles méthnde$, sachaDt son métier, quoi 1
ieulement, toutes celles de 1.1 ville sont sur les donts. J e
n'en connais qu'une seule - une infirmière bénévole - qui
s'est m:se il ma disposit.ion en CSII urgent. Il fàUt l'appeler
tout de suite, elle ne relosera pas.
- Qui donc? demande Milo Gertrude ménanle.
- MIle do Lénac.
- Ah 1 non, jamaisl
El, dovant le regard surpris du docleur, Mlle Gerlrude
explique;
- II Y a une brouille de fam illo enlre les Lénac ct nous;
il mo sorait parliculièrement désogr6:lblo do recevoir Cllez
moi Claire de Llmac ct surtout de lui avoir quelque obligation.
- Je suis taché, reprend le docteur d'un lon impatient.
Je no vois pas d'aulll'o moyen ...
- Mais moi. ..
- Jo vous ai déjà dit que je voulais une inOrmière. J'y
tiens absolument.
Et le docteur appuio sur sos mols.
- Si jeno pUÎfI avoir l'aide do MilO do Léone, je neprd~ai
pas lu rcspoI13ubiliL6 de soigner l'enlant. A vous de prendre
la vôtre vis-o.- vis du père absent:
Mlle Gertrude est afTaissée danR un fauwuil. L'inqui6tudc,
la contrariûté, l'impuissance de luire [JNJvllloir 8es principes
et d'accomplir ce qu'elle apllollc sou devoir l'onL complètemont abaUue.
M. Philibert, qui n'avait dit moL jusquo-I , sc lève.
- Je vais cherr.her mn nièce de Lunac, diL-il.
- C'est cola. Amenez-la lout desuileque j 0 Ini donne mc;,
insLrualions moi-mêmo. En aLtendunL, jo vais 6crire l'ordonnnncc.
Mlle Gertrudo, los muins 6LonducIIsur SOB genoux, n'avail
pRS bougé.
Quelques minulos après, Claire de Lunac, oyant d6posû
dans 10 veslibule la grande capo donl 0110 s'Malt cnveloppée pour sortir de chez olle, ontraiL dans lu bibliothèque
en tcnuo d'infirmiôre.
�LEII
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTBUDE
85
Bonjour, ma tante, dit-elle en s'inclinant devant
Gertrude.
Car la brouille ne l'empêchait pas de donner ce nom
à sa parente, lorsqu'elle la rencontrait. Elle presse
légèrement la main qu'on lui Lend et, sans plus, se laurnant vers le médecin, écoute attentivement ses directives.
Puis ...
- Si vous permettez, je vais monter tout de sulto auprès
de la malade.
El, se tournant gracieusement vers Mlle Gortrude:
- Ne vous inqui étez pas, ma tante ; je soignerai votre
petite nièce do mon mieux.
Mlle de Kervilan somblait no plus percovoi r ce qui se pas6ait autour d'elle. Restéo seule dans la bibliothèque, ce
n'esl qu'nu bout d'un long moment qu'cllo so redresse, 50
lève ot, la maltresso de maison réapparaissant, elle va
donn er minutieusement b. Mario-Joseph les ordros quo la
présenco de M Ile do Lenac réclamo.
Mais son fr ~l'o la retrouve dans la bibliothèque toujours
inoccupéo. C'est si imprévu chez elIe qu'il a vraiment pitié
do 80n désarroi.
- Il no faut pas ta frapper com me colu, fai :-il bourru. La
petito no sAvail plus c (Iu'ello di ait. La docteur assure quo
Claira est ulle infiJ'miure 6pulnnte. lIl'u vue à l'couvre pend,JIlL la guerro, L'entant s'en Lirora.
MIlO 0 rlruùl) so J'llU rCSso; le visage reprend sa froideur et
son caJOI o.
- La docleur est forl exagéré, imbu des idéeR nouvelles .
} I.'O l' nhscnco du p6J'o, je dovais rn'inclinlll' devant la verdict
môdical. J'ni été IJless6e non ùes parl) les ù'uno cura nt sans
conséquence, mniK cl su l'uvollo cOlllrll Illon autorilé. Il est
vrai qu , pour ropl'I.' ndrll uno éducation par la buso, quoi·
'Iuas raois sont peu de chose.
- ROnIJnces-y clone et I n i s~eI a tranquille,
- 'l'nnt qu'ello sera sous ruon toit, j' agirai lIu ivant mes
principes.
Un sifflement cLIn réponse de M, Philibert. Toute commisération remisée, l'e ~p ril
en repos, car la prô50nco de
Mlle
�86
LES
PnI 'eIPES
DE
TANTE
t;ERTRt.DF.
Claire lui onloye , Loule inquiéLude, il lient se réveiller
ses inslincts de laquinerie, el il ll'ouve cette dernière
délicieuse .
. . . . . . . . . . . . . . .
Claire do L6nac est dans la clwmbl'ù de 11 petito malade,
r:ntourant ]'rufanL chério de ses brus, la calmant par ses
caresses. Il ne parall pas que Jeanne la l'econnaiese, sa
présence, toulefois, cause à l'enfant une satisfaction confuse qui l'apaise.
C pondant, la journée, la Huil sonL mauvaises; le déliro
110 c~de
pas aux soins incess:llüs. Clail'e luLle pied à pied
olne prond pas uno minute ùo rupos. Vurs le matin seulement du seconù jour, l'enfant s'endort, t la garde-
malado s'ar;soupiL dans 10 laulouil, ou pied du liL.
Qu lqueG houres pltls tard, ,loanno Ouvre les yeu..x; son
regard S~ fixo SUI' 10 visage pencM vers elle, l'enveloppe
d'uno expression de profonde tendrosse:
- Vous, vous, peUle maman?
- Oui, petite ('hérie. Je no vous (l\littorai plus qlle VOU"
ne lioyez guérie.
LOb trails rie' Joanne se dotondont en un sourire radieux,
el los yeux se referment sans que le petit cerveau fatigué
cherche fi comprendre celte prO ence si impr6visiblc.
L'éruption s'osL enfin produile, le docteur le constate a cc
soulagemont.
- Cc n'est plus fJu'une question ùr soins eL de précnutlOns, diL-il,satisfoiL,cn réponse ù la muet.te inl rl'ognlion de
l'inllrmièr . Dien entendu, vous no ln quilleroz qu'npl'ls 11011
entier l'OL(bis~omn.
- Jo no demando pnB mieux, mais ~lIo
do K~l'vian?
- Je conHidbre voLru pr~sonc
prolongéo 000111\1' oblig6c.
Je 10 dirai à Wlo ùo Ker'vilan. JI fnudra bien qn' 'Il me
laisse Inir\!.
.
,. •
Quolques jOUl'b plus tard, lino longue leUre s" lai.; 'iur ln
(,OUVCI'LUN de J('anne, L'oll1'1r Philibt'rL, qui 1'<1 mOlltée, M
propose comme loclour,
�LES
PRINéIPES
DE
TArin:
GERTRUD!:
87
- Je veux bien, tonton.
Lu tèto encora endolorie fil tombe sur l'oreiller, un sourire satisfait aux lèvres. Jeanne aime beaucoup son oncle .
• J'ai pris aussi mes vacnnces de Pâques comma un
écolier, décla(·ait. M. dc Kervilan.
(1 J'ai
d'abord passé la fèle à Phat Dien. C'était le
royaume du père Six si populaire ici.
« fi a gagnu sur la mer 10 il 15 kilomèlres de rivit!ro, de
ùigue en digue. Le flouve Rougo déverse une telle quantité
ùe bouo que ça so consolido vilo. Lo pèro a bâti là-dessuS
uno cnlh6dralo, des chapolles, d05 séminaires, toute la
vie roliKieuse esl conùens ée lù avoc résidenco de l'évêque.
« Sa cathédrale osL un amas do styles. ) 1 Y a du chinois,
du gothiquo, do la Ronuissutlce, l tout cela no jUI' pas
\msemhle, mnis lormo un 1oulr
~ s original el bion porsonnel.
Le lombe:uu du pore est dans un coin.
"C'élail, m'a-t-on dit, unpelithommoscc,Iol'cgard malid ux d rrièro d~R
lunettos d'Ol', ln cl'oix ÙU l'eligieux SUl'
lu roba bleu Conou d1l mund l'in. Ou l'o ..;to, il a vuit réollement
ùroit ù cn titro, ayant conquis tous sos grados ù la cour de
JJuô, où Hétait Irosprisé,
« L'hisloiro do son ol'dimllion n'est pas banulo. li n'ôtail
quo diacl' lorsqu'il fut pris par los Chi.\Ois au conrs d'une
pers/culion ol nformé av c de nomhl'eu, compagnonfl.
Leurs tùles Il valaienl pat; lourd, cl pa~
un pr~lo
pour
donner l'ah:loluLion, L pori) Six s'éch,IPPO, arri vc (1 HanOI
uuprès dllsurtÎlvûque, Quarante-huil houres apr' s, ilrf)nlrait
volonl(lirement d(lus I:IU prison, SUIIS quo les goôliers so
soient aperçu!! do sn fuguo, mais il ôtuit prùlro, ol l'xel'çait
ullssiLûl son rninislùro uuprùs do nos compagnons .
~ Lo lundi tlo P~(I\lO';,
j'ullais voir 10 gl'!lllci llouddhu; Cc
n'était pas pour lui fonùro mes hommages ...
K
uunt! on a prniiLro dun' la cour inlûriouro, ombrJgéo
t silrnl'il'llsr, oncroil vr,\1 mont ûlro au pays du bouddhisme,
Dan 10 temple, nombre dl' UÙ ' le,l son~
proslornûs çà ol l ù,
1.0,1 bOIllU cllllnlont, sco.ndnntloul' p.,nlmodio ùe C\:t1pS ùe
cymbaIB,'1; 10 long des mur " deH rangûc do gros cirg~
rou'Ces ol ùe,:; uutel do laquo rougo poussi6rilll . Au Cond,
�liB
LES
l'IlIl'.CIPI:S
DB
TANTE
CllRTRUDE
ges idolès horribles entourent la statue du bouddha, énorme,
lout en bronze, couverte d'un manteau rouge. Les yeux se
détachent comme deux billes blanchei, dans la demiobscurité qui règne dans le temple. C'est aITreux, mystériellx, très oxolique.
" Tont il coup, lIne vive lumière nous éblouit. Le bonze
qui nous guide a tourné un boulon el l'électricité éclaire
crûment cette religion millénaire.
« Quel amalgame que cet Orient 1 Non loin de la pagode,
il y avait des courses. Le pesage Hait rempli d'Annamites
en veston dernière mocle. J'ni YU des hinoisvenusdeloin
en auLo pour apporler des ofTrandea à leurs ancêtres.
• Avont de remonter à lo. mine que je ne quilterai plus
{lue pour embarquer, on m'a entrainé il la haie ù'Along;
excursion tr05 connue. Je me risque cependant dans lu
description. L'oncle Philibert ne Bera pas obligé de la lire .•
- JI tOnlUc à pic, s'écrie M. Philibert.
Doux éclats de rire lui r6pondcnt.
- Allons-y Lout de mème. J'e l'ai vuo un jouI' par tiphon;
nous nous sorions passés du pittoresquo do ses rochers. La
gueullc,ollo a rail! i nous garder. Un écueil dans chaq\lo 1 me 1
Et l'onclo repl'iL sa lecture:
« Partis d'lIaïphong sur une chaloupe confort mod 'fue;
il fait beau, ct cepondant c'est plllot, grisâtro, humide. Cda
rappelle Dotre Bretagne, nullement lu Méditerrané').
u Lu baie? Une étendue de 200 kilomôLres sur 1,00, dit
le guide, 1 uriousomont pursoméo dl' blocs do rochers qUI
rivalisent d'incohfironco: flolssans une toulle de mousse, curIOI'lTliboilles do verduro, Mtes do l'ApocalYIlSc, stauc:~
dable:l. Voilill'elCl6rieur. La chaloupe s'est 10llc60 sur un de
ces blocs. Les femmes jettent uncri. Ons'esl enfonc6S0Ul:1 UIIO
votHe de branchage, on n glissé dnns uno llssurc invisiblo ct
on so trouve dans un lac int"rieur, uno paroi lisse Lout
autour. Lo ciel? Un rond au-dessus de nous.
• • ous voici devant une arche d,) Laille 1 otl'O- Dume y
liendrait. Nous débarquons. Escaltldc. <':'O$t uno gl'olle avec
slalactites el le soleil qui pénctro par l'ufrhe los 1lJumine
ù'aJ'cs-on-cicl.
�LES
PRlNC1PRS
DE
TAl\TE
GERTRUDE
89
l Plus loin, un trou sombre, un courant violent dans un
couloir obscur. Les amateurs de sensations désagréables s'y
lancent. On les avertit au beau milieu de l'aventure que
la mer monte ct que, si on ne se dépêche pas ...
« L'6motion ('st la seule beauté ùe ce dernier numéro.
« Nous rl'ntrons à la Duit au milieu dos sampans pêchant
au nambeau; c'est fort joli. Au jour, avec lour toit de jonc
et les haillons sales éLolés dessus, la marmaille grouillant
par-dessous, ce n'esL pas beau .
• Je ne bouge.·ui plus de la minJ jusqu':'). mon départ elle
butin hisloire sera maigre. None te plains donc pas, pelite
Jeanno, si mes lettros sonl plus courU'ô, mais lu os bien
habiluôo li. le passer ùo ton popa, maintenant. ))
- Oh 1 par exemple, proteste Jeanne.
- C'est uno discrète a/111sion au p rchoir, observe
l'onde.
- Ce n'esl pas une raisoG pour s'imaginer ... Oh 1 papa.
Le ton est d'un roproche pathétique. 11 tait rire M. Philibilrl. .. 11 tombe lourdemenl sur le cœur ùo l'infirmière.
Si le père est press6 de rovenir, est-cc pour Jeanno seulo?
Non; la leUre qui all('ut!. Cluirè là-haut le dit plus clairemont quo jamais ct amèno Je même m6lange de joie et
d'nngolsse dans lesquelles la jouno fille vil maintenant.
..
* •
Jeanne esl on convalescence; Milo de Umar, trop délicnte pour imposrr 50. pr6s 'nec à la tanle Gertrudo au delà
du slrlclnécessniro, lente do préparer Jeanno à son départ.
quo III
L'onfant, 'Ilcoro uf(aiblie, s'en affecte le1om~n
pauvro infirmière ne sait quo ruire.
C'cst la bonne marquise qui vi(lnl une fois de plus au
sucours d seS pelites amies. Le docltur lui a-l- il dit un
mol, fIn vonont constater l'enliùre guérison de S('3 puLit 'K,
lillc!!, ulldnt 'S, elles aussi, muis moins gl'd\'cment que
Jeanno?
IJ s'agit d' nlover l'enf:mt pour lui fuire passer quC'lqucs
Jourtl au manoir touL illuminé dc soleil sliva!.
�90
L1i:S
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTR'JDE
Mlle Gertrude s'insurge ... De son temps, on se p~sait
fort bien de changement d'air et de lieux.
Mais son équilibre a été quelque peu dérangé pal' la
maladie de Jeanne. Pour la première fois de sa vie, son
autorité, battuo en brècho, lui apparalt moins intangible;
sans l'ion abandonner de ses principes, clio détourne les
youx du succès escompté on la personno de sa nièce; au
tond, ello n'est pas bion sûre d'avoir réussi, sans oser se
formuler à elle-même paroille énormité. Puis la marquise,
avec sa bonhomie souriante, u elle-même une forto volonté;
son âgo, sa situation rondent difficile qu'on lui résiste
trop ouverlement. La tante a combuttu ùe son mieux.
- Jeunne a encoro hesoin de quelquos soins, objecte-t...]lo on dernier recours.
- Aucune difficulté, cMro amie, s'écrie lu marquisl1.
Clairo a besoin, clic aussi, do bon air; je l'enlève (·galement.
Une contraction do la flguro do Milo do Kcrvilun indique que lu résolution no lui plait gUt,ro : Joanno vu llli
échappor complètement. Ln marquiRe n'a l'ion vu 011 ficu
voulu voir. Ello so lèvo :
- Voilà qui esL entenOu. J'enverrai l'auto lell prendre
demain.
- Je VOUB romercie be;lucoup, Uflsur, Mlle Gertruuo.
esclavo tl'uno polies~
donl pllo no so déparlit jami~,
Jeanne a accueilli lu nouvolJ av!; de leI: tr Ilsports do
joie quo Mlle Clairù :.l dtl lu menacer d'uno augmentation
do lempératuro qui ri!!fJuornit do rclnrdor son d~parl.
.*.
Le courrier du 'ronkin apport6 pM M, Philiùorl au
manoir (>lall plus long (lUfl L do 1 l'rvilun ne l'av il
prévu, cl il am1ls lout 1.. pelit groupe (j'amis parmi loquel
Jc'mno retrouvo bonne mino CIL 'nlt'ain.
« La ramille do X ... montanl ù Chnpu, JO me suis lalss'
Inlr(llIler il y pfl!l.>cr, moi nu~ , i, rnondimallchu C'c'Il, commll
on ùit ici, lino slation d'altitude. GrJ.ce il '1r,n éltlvation, If'~
."nIauLs n'y 'oufh'onL pa do l'él6 lonkinoi : 2G uogrus, au
�US
P1UNC1I'ES
Dl'!
TANTE
GEJ\'l'Rt1nE
91
plus. C'est curieusement aménagé en station européenne:
hôlel, villas, terrain d'att errissage pouravioDs, tél6phoneet,
pour les promeneurs,
aux abords, circuits Lous pr épar~s
avec poteaux indicateurs. Une forêt équatori ale splendide
sépare cc petit coin du reste du monde. Le guide assure
que le tigre ne monle pas jusque-là i rarement la pantMre.
« Nous Ilvons des palabres interminables avec les chefs
'roïs qui nous fourni ssent la main-d'œuvre. Ils ne savent
1)05 leur âge, cl, pour la paie, oroptent les jours en faisant
des n uds à uno ('orde. Ils sc servent encore de la lanco et
d'arcs ct son d'une incroy ab lo adros3 . Ils atleignent le
but lL 100 môLrcs, ct, lorsque leul's fl èches sont empoison nées, c'est une arlll e rcdoutabl .
« La clJQsse à l'éléph ant est une grùnù'J alTa ire pout' cu .
orom o ils voulent les prendro vi vanls pour les dom<:stiquer, il s se servent du lasso. Une frte précède l'expédition.
Beuverie et tintamarre in! rItn l, car ils Ile s'amU!lent
qu'avec le tyrnpon cl 6moli de coups do tam-tam , de
groBses ('aisses, cl gong ... On (·gorge de;; buffles t on
Hsperg do leur sallg flSOS, gOIH el 61éphnnts, ('I)U
dome
~ti qu és
déjà et q\li vont scrvir à for, ' 1' ;\ la COUl'se
le troupeau sa uvago signal(, aux nvirOllS. 11 y cn il
boau coup moins qu'a\ltl'ofoi A; i's f,ont C'lJcore trop, ca r ils
font dos dég1\Ls dans 1 fi plunL", ion. ' no nuit BUnit pOUl'
d6truiro plusieurs h ctor s (l'hl1vûas ( aotllchoucs). On
6'approch. 10 plus près possible de 61éphants sans éveillC'l'
leur attention; ull e fo Ï!; 6venLés, la chasse dure d ux heures
t plus. Lorsque le lasso s'est alJatLu SUI' un reto rdntai r ,
Jes hommos d{'grillgolent de leur monlure sur laquello ils
R(I tenaienL dans un équi libre invl'uisornblnl.llc, cl il ~ attoeh nt solidement I OUI' raptllr '. olJ o-('i so t'ôRigno pnrroi,;
il l'ob{>!
~so
n ce;
si Ill' 1'u dMend, on al tond pal iernlllcnL qlle
la faim oL ln fatigue l'n icnt maté .
« Lo.'! BlIl'op (; ilS l'bossent l'él6phanL à choval, mais on nc
p('u l 8011"'01' Ù lorcor la balld il la courso, il f(\u~
la flUI'prondre cl tirer ommo à l'a lTûl. n /juil Je troupeau aux
hronch s cassées, flUX empreintes des piodF. et ~ Ul'tou
aux
crolt!' qui font l'office des cai lloux du petit Poucet ; ml'is
�92
LES
PRINCIPES
DE
TA1'ITE
GEnTllUDE
elles sont plus instructives que les cailloux. A leur tempéralure, les Moïs calculent à quelle distance est le gibier.
Si elles sont chaudes encore, on abandonne les chevaux, on
se glisse sans bruit , sous le vent, et, aussi tôt qu'on aperçoit
une grosse masse grise, les fusils entrent en jeu. Si la bête
n'ost pas assez grièvement blessée, elle fuit avec toutle troupeau qui, à la promière d6lonation, fait trembler le sol dans
uno galopade clIroyable. La chasso est ratée, inutile
d'essayer de ratlraper ces bêtes aITolées. Si les chasseurs
ont bien visé, la bIlte tombe; parlais elle se relève dans
un dernier sursaut, mais une douxième salve en a raison.
Cl tto grosse masse de chair est uno aubaino pour les
vil eges moïs du voisinage qui la disputent aux fallves. Les
chasseurs sc contentent do prélaver la trompe, chargo de
deux hommes et meLs délicat dont 011 offro uno tranche
aux amis, commo un cuissot do chevreuil.
« Celle {ois-ci, c'est ma dernièro composition de français.
Ma JUlo m'octroiera·l-ello un prix? Jo ne prend pas encoro
10 prochain paquebot, mais 10 suivanL. "
.*.
Joanne est revenu dans la sombre maison. Sa tante
maintient les matinées sévèromont réglomonléei. L'apr~s
midi, pendant ses immuables sorties, ello vout ignorer co
qui 50 passe. L'escalier, forcément Ollvert à Clairo 101'15(IU'ello soignait J eanno, n'a pas élu rofermé ùo par la
volonté de 1\1. Philibert. Arguant do rhumatismes qui
geignaient à escalader la lour, il 11 su, pOlir uno rois,
résister il sa sœur. Celle-ci, incapablo d'uno injustice, ne
pouvait non plus .J'efu!!or à lïnflrruiùl·o qui s'est dévou6e il
la nièco l'autorisation de continuer 1\ la voir. Mais ollo no
parle jamais des incidents qui onl marqué la maladie de
Jeanno. Cependant, ils ont eu leul' rép ' rcu~sio
dans la
f.ociHé do la potite ville, car ils ont lorc6ment amené
la fin d'uno bl·ouille, g~nat'
parfois pour los maltres~
de maison, malgré la parlaitl) polltC6IO do 1l\e Gertrudo
ct l'aisance souriante de Claire do Lénac. Ils onl6t6 dovÎn6s
�!.ES
PRINCIPES
DE
T"'NTE
CERTI1.110E
"5
et amplement commentés en l'absence des intéreso(es,
Au tennis de Mme de Surçois, MUe Gertrude ne paraît
jamais. Mme Legrix et. la femme du docteur, qui n'ont pa!:
épdsé le plaisir d'évoquer ce fail divers, en profilent. LB.
volx assourdie, Mme Legrix remarque avec un sourire que
MUe de Kervilan no s'es t pas empanacM e de ses principes
depuis au moiD
~ deux muis.
- J'imagine, lui répond-on, que la pratique s'est r évélée
plus ardue que la lhéorie.
- C'est souven t ainsi.
- Croyez·vous qu'elle ait abandonné pour cela ses
idées?
- Ce aerait bien mal la connattre. Tout au plus admelelle qu e III corruption de ootru lemps est irrémédiable.
- Mais nous vivons dans un tl'mps charmant, sauf le
prix du bee fsteak, jette la marquise qui a saisi la !ln de la
phrCllic l (l out- ôtro com pris le co rn moncemoot.
Cos dnme!! lui font place su r leur bauc.
- Expliquez-nous, reprend Mmo Lrgrix, commentJeanne
do Kervilan a pu si bien r ésister {), l'expé ri ence de aa tante?
La marqui se n'osL jumais priso 1.\ l'lmprovisLe :
- Eh 1 mais 1... je partage cetlo gloire avec Philibert de
Kervil an. Sos promenades du juudJ, mes loçons de danse
du dimanche... no Irs mésestImez pas. Cela Il servi de
conLl'o-poicJs.
- J n'au l'ois pas cru t ant ue patience à ua ancien
oillGi cr de morin o... un célibataire.
- L'en fant es L tros gentillo ct, sous cCl'lains côtés, presque lrop avancée pour Bon fige, obsrrve la marquise.
Mill!! Logrix in pcc le 10s alenlours du groupe. A l'autre
oxLJûrnÏlé uu jOI'C!in, Claire do L6nac, uno broderie en
mui ns, survcill 10 j Ù'J des cnf/IOI s.
- Milo do Lonac l'a, parait-i l, !;oignûe avec un grnnd
dévouement.
- ClAire esl uno parfaile inO"mière et très consciendClJsc dans tout ce qu'clIo enlreprL'nd.
- Imtl con tinue du resto ù s'cn occuper ... malernelleDWIlL.
�\,Ir.
LES
PRINCIPES
1;>1'
T.\NTIl
GEJ\,\,RIJJ.lP.
_ C'est bien nc.turd, fail 1.1 marquise avec bonhomie.
_ Elle et le père de la peLit,) Jeanne ont été élevés
oosemble, n'rst-ce pas?
_ ComIn.; la douzaine de cousins qu'elle Il encorJ aux
enviroru:.
pas dit entl'f) eux.
_ 'l'oul n'ese pcu~-ètl'o
l\1mo Legrix, voyant qu e la marquiso no l'aide pas, Il
lancé enfin la Guggestion qui foulait sa langue; mo.is Sl.
curiositEi tombe sur un place vide. Mmo de Surçois, s'élant
,lperçue que l'heure du tM avail sonn6, s'empressait vers
la illlle à mang'er, ralliant son pelit mondo.
La r mme du docleur, beaucoup plu~
réservoe que son
(li W, &0 mcL il riro do sa déconvenue.
chùro, dit-olle, Vc.us ne rorez pas dire à la mur- ~ia
quiso un mot qu'ello n'nit posé.
_ Ello parle si spontunément cependant.
qui ne
- Cc sont justement coux qui parlent If) plu~
appollo.
dir'l'nt rieu .. , Venoz, 0110 nou~
Uno rois enCOl'e 10 cO\l'1i~r
da Tonkin osL 'uriv{), Un
mot n Jeanno ot, il Claire, uno c[orniOro missivp, un peu
inqllièto.
" Tant ùo lois, jo vous ai dit JTI ,l joio do vous rovoir, de
vous roLrouver. ,10 10 dis ù voLro jlorLrait qui vient <le
m'arriver ol ou jo vous reLrouvo cornmo jo vous imagino.ls,
quoiquo t;OUS 10 voile do l'inrm~c.
Itncol'c Lont un lot de
reconnaissanco quo jo VOU il doi!! là. Quo soraiL ù()venue mo.
IllI" nu miliou do son délin', ~InS
l'a nio malernolle qU ('
VOUtl ôtes pOUl' elle '7 Jo suis sj heuroux. <10 vou. rognr1lol'
toutes ùeux sur II' mlIHO papior. Mnis VOliS'? Puil!- jo
(;spéror quo vous mo pardonnerez mon oubli de Lunt
d",'nnées, fille vous /)(·rel. ~ecourabl
ail vOy;jl1'eul', à l'is 16
qui voudrait rl'prendro 8 vio là où nou l'avons laisséo
tous 1'5 dl'ux '(
~ Vou~
lIl',IVI". beuncoup purlo do ,leanne cL vous suv~z
but co que jo r>S.ions du honheur qu . vous lui avez donuô,
�LES
l'RINCII'r:S
DE
TANTE
GERTRUDE
95
mais le père aussi a soif de bonheur. Pardonnez-moi, je ne
devrais pas vous écrire cela peut-être, je suis devenu un
inconnu pour vous et c'est ma faute. Laissez-moi essayer
de reconquérir la place que ma petite amie d'enfance
m'avait donnée ct.. . oser davantage. »
Dans dix jours, il sera là. Claire a un éblouissement.
Lutter conlro son propro cœur, passe encore, mais contre
lui... Et l'enfant, si chère aussi, où est son bonheur à
elle?
Dno dépêcho de Marseille a annoncé 10 débarquement de
M. de Kervilan; puis une leUre datée du même jour
explique qu'il no passera quo peu de Lemps à Paris. Bon
arrivée est imminenle .
•loanne a repris tau le sa putulance nu grand scandale de
1110 Gertrude, parfait ment. impuissante, il fauL!'avouer,
à s,) Iairo obéi,', depui qu'ello n'a plus 10 magique « je
1'6crirai li ton pèro » à sa disposition.
Et il arrive il l'improvi ste, co père si tendrement aimé.
Au miliou (['un apres-midi, au momont où Jeanno va
escalader l'escalier dÛl'ob6, uno aulo ronfle dans 1 poLile
l'ue. J030no est à l'écouto. Lo moteur s'arrûto. Jeanne
bondit dans la cour, ayant crié au pass ge dovant la bibliothèquo:
- Onclo, voilll papa.
Eh 1oui, un papo.I.Jronz6 commo un marin; l'oil' si heuroux
qu'Il paraIt plus j 'une quo jamais.
L'enrnnt l'crnbros!i(l, rit, pleuro ol oc so décide pas ù
dénouer le8 bras qu' 11e a jeL s autour du cou do son pl~re,
l'bp6lanL sans 50 rassasior ;
- Papa ... papa ...
_ J pourrais peul-êtro l' mhraG30r ù mon tour, ce
rovenunt- Ià, gl'ognl' l'oncle l'hLilJcrL, loul en rinul.
- Von '1. voir, tanlino, papa, s'écrie J eanne, incnpablo,
ID mo on co moment, d'oublier 10 porchoir.
- Donno-moi cinq minulos pour me l'cndre présontable,
m, petite fllle.
- Eh bien J jo monte on avant.
�96
LES
PIUNCIPES
DE
TANTE
GERTRUD!;
Lu toiletto de M. de Kcrvilan a pris plus do cinq minutes.
Son frore, qui l'a suivi dans sa chambre, s'étonne:
- Ah 1 lu es devenu coquet.
_ En vieillissant, il faut se soigner.
_ pouh 1. .. Tu veux te rajeunir?
_ Pourquoi pas?
Le regard amus6 de M. PhiJ~rt
s'absente un instant
dans une pensue inLérieure. Puis, gravement, il répond;
- Tu as bien raison, mon vieux .
... ... ...
Quand les doux rrèros p6nôLrent dans 10 potit salon,
Claire de L6nae, un peu rose, tond la main.
- Bonjour, Puul.
M. de Korvilan s'inclino sur la petito main tend U'3.
- Morci, mer~i,
Claire, de tout eo que vous ave7. été
pour ma fille. Je vous dois d'avoir pu mener à bien ma
tache là-bas. Vous le savez, les prerniores nouvelles
m'avaient tollement inquiété que j'ai failli tout abandonner. 'l'out il coup, les leUres do Jeanne ont chungé
d'allure, Philibort m'a donn6 10 mot de l'unigme, ot, telle
que je me rappelais ma peUte amio d'enfance, je n'ai plus
eu de crainte, sachant Jeanne sous son aile. Motci encore.
Lo courrier du Tonkin a déjà dit et redit lout cela, maie
Jeanne ignoro la correspondance des u amis d'enfance D,
Ile approuve d'un hochement tlo lôlo satisfait.
Mlle de L6nnc a enlac6 la Laillo do l'enrant.
- Jo n'ai lait que rendre à votro nUe un pou de la protection dont vous entouriez la potite amio d'uutr<:fois,
alors que, perdue au miliou do la bunde des frùres et des
cousins, ollo pâtissait quelque pou d'otro la plus raisonnable.
Tous doux riouL.. Dix-sept :ms d'absenco sont orrOoc6s,
la berme alYection fratornello ronouée... Les souvenirs
nlnuent, rappelés parfois par Jeanne olle-même qui les
a si souvent entendu évoquer par l'un ou par l'u~ro.
OliM la femme do trentll ans qu'il détaille tout en cau-
�LES
l'ruNCll'ES
DE
TANTE
9'
GEl\Tl\UnZ
IIallt, M. de Kervilan rotrouvl.l le regard loyal et caressant
qui a hanté ses dernières semaines d'exil, et le même sourire confiant, quoiqu'une tristesse y flotte, qui accueillait
50n intorvention auprès de la Jillette en détresse. 'fout à
ooup, son désir est dovp,nu impérieux, absolu, de recréer
80n Coyer avec cette chal'mante femme. Jeanne l'a déjà
adoptée, et lui, il sc sent si jeune ce jour-là 1
Si heureux sonL-ils tous quatre dans le petit salon 1
Lo temps passe sans qu'ils en aient la nolion,
On entend tout à coup la voix de Marie-Joseph. Du bas
de l'escalior, ello cric:
- Madomoiselle Jeanne, "oilà votro tante.
Lo rega rd rieur de M. do Kervilan intorroge. Jeanne éclata
do rire.
- Mais oui, papa, Marie-Joseph, avant d'allor ouvrir ln
porte à ma tan!. ,avait ln précaution do ml) prévenir, do
pour que je sois pincée en un lieu défendu, mais mainte-
llanL...
Une pirouette remplace la fin de la phrase.
Le J'cgord do Claire s'ost p030, s6rioux, sur r nCant.
-- Grondoz pas, potito ... NOD , non, jo n'o ublie pas. Jo
serai sage ... Si jo ne suis pas transformée on damo Perloction, tu sals, pnpa, co n'est pas sa faute à ello.
- Alors, Jeanne, soyez plus juste pour votro tante, Qt
descondoz blon vite. IIlllo de KervUan va ètre si coutonto
de voir Bon Irère ,
1\11'0 Gertrude savait l'eBculiel' rouvert, tolérait los visites
do Joanno à 80n inflrmièro; cependant, Mario-Joseph, 50
doutant quo sa malLrosso n'imaginait pas à quel point le
per'hoir ôtait fréquenté, no manquait jamais do sonner
l'alarm , Co soir-lb. cncore, Mllo Gertrude, 50 voyant
put
accueillie nu wuil du vostibulo pal' los lrois compli~s,
s'illusionnor sur l'emploi do lour ap' ès-midi.
Lo soir, Jeanno couchéo, M. do Kurvilan l'cmerciait sa
sœur de son dévollcmont pour la flllette confiée à Iles lSoins.
- ,l'ai fnlt ce que j'ai pu, Paul. Je crains que los ré!>ullais no lSoiont bph6mèrœ. Tu as b OIlUCOllp gàtô ceUo
nfanl. 'l'a devrui3 la meUre ùans uno bonDe pension où
7
�98
LES
ello
l'IUNC.IPES
l'Cl rou veraiL
DE
TANTE
GERTnUDE
les principes dans lesquels nous a .ons ét.é
élevés ,
Heureusement, l'intéressée n'a pas enlendu. M. Philibert
a sifaot6. Son frère, avec un geste vague, a répondu :
_ Crois-tu qu'il en existe encoro'?
,_ Jo ne sais; vraiment, tout so perd, Houpil'o Milo Gartrude. Quoi Lomps 1 Quello époquo 1
M. de Kervilan, le nez on l'aü' , suil distraitement la
fumée de sa cigarolto ot so urit compi aiso.mment à. une
~ison
: t:elle do son apparlement de Paris où Jeanne aurait
un autI'O guido CJUI' lui. Sa SOJUI' Il'e~-oc
pas la. premiore
il diro qu'il no suffit par.?
_ Ou vient vous onlcvol', Lanl.itlo.
_ Encore? Co n'est pas raisonnablo, Jeanne, je ne pose
plus chet moi.
~ Od,
d6daro Pn.ul do K r_ Eh Lien J co sOIlLles Vi\CalJ'
vilan npparaisHant ü son tour- No YOUB roppoloz-vous par,
que lea toits Ronl bon J tout au ptus ILl nuit dam. CAt.tO
poriodo do l'annôo ':
\l rappel amÎlno loujr,~
un f: ')uril'u; dl \ pr()l"l'ite
rnilJlurn l nl.
- Nous étions des cuf.. nts.
- Mais je rue Hons trè gosse, aujourd'hui 1
__ Inutile do l'aire clef! chichis 1 - L'est 1\1. Philibert qui
s'en mèle, - 'rrols contre UII, Lu es vdncuo à J'Il~once.
~f.
Hile moL à dérJumcr, un brus on l'air;
- - Quo voulio;:- ous 'ju'll nt?
- Qu'il mourût J
Lu rôpliqllo a 616 lancuo Cil rjuuL, mois louL en so ln.i.sf)Jnl or'1lllcncr, Clairo 80 reproche do n'avoir pus 10 couragl) dc pr.'ndro un parti, li/non aussi radical que celui
suggéré par l'héroJne do Corneille, ùu rnoins plus sa go quo
celui où J'ontralnc son hIUOUI'.
Cepondant 0110 a fui oUl'llpellscmcnl les LÔLo-à·Lôto si
visibloment recherchés par Paul. Dupuil:l troill seDlaines,
(lxcur6ionll (n auto, en bill au altemonL Il vcc le tennis fort
�:Us
PIIlNCIPltS
DE
TANTE
GEr.TRUtlE
99
achalandé de la marquise; et des réunions dans les propriétés avoisinantes, surpeuplées de jeunesse exubérl.l.nle
de liberté, 50 multiplient.
Mais ce qu'ils préfèrent tous les quatro, ce sonL I LS promenad es dnns les coins solilaires de leur chère brolugne;
.!. Philibert y cherche les réminiscences de lecturos dan:
lellquelles il veut oubllcr sa carrièro de marin trop un
brisée; Jeanne, à l'âgo où tout déplacement est un plaisü',
y savoure la satisfaction de réunir auprès d' ello ceux
qui p.,ssédent Bon exclusivo aflor:tion; Paul de Kor ...ilun y
promène !les dli$irs et ses espoirs. Clairo s'titourdit dln~
le présent pour ne pns penser il l'L\vol1ir •
• •*
Co jour-là, jls allaient il SuiIlL·Jcan-du-DolgL Le
célObre pardon 6tait paes6, et, Ù pHl't ÙU l'lues touristes, ill>
ûlalent louIs à parcourir lu viullio 6gliso ct la,; ruin"os du
château de Primol. Assiso à l'ombre des roCJ1ors, sur la
gr,)vo où, bien dos fois, los Normands oL, plus tard, le
Anglais ont dOharquO, Claire rucontait la légende du doigt
do saint Jenn-13aptlsle. npp'Jrt6 pal' un croyant bretoll
l'outrant dans son pays.
JI portait ln l'oliquo, sans Jo suvoir, cachéo dans su
mancho, ct, sur son chemin, l 's urbre Jo suluaÎF)nt ct los
cloches de!! églises 50 motLalent eo branlo toutes 8eules. Si
bit>n quo des pUI'S' nts z(Jlés priront le .BrotOIl pOlir UI1 SOI'dol' ct l'onreô
~ nt
sous du trIples vorrous. Tl n'ôtait pu
loin do croiro lul-mêmo il uno {..n'co diabolique ot, avant (;
s' ndormir, il pria do lout son cœul' pour ètro déli vr6 dt ! ~
grlf:tes de ::)uLnn, A son l'I,voil, 11/10 trollvn trunsporléhcl.
lui. Le cloches, 11\ ausRI, le tatl!ronL d'uu joyou" carillou, \HIC
foulo accourut do tout 10 voi<;inugo, 10 rejoignit il l'églisù.
Lu r 'liquo, d'ollo-mOrne, 90 posa !lur l'alltel ot 11ls ci rgen
s'allumèrent comme nu" jours de granùos fèlos. On Uctlam'l
alors celui quj, ln veillo, passnit p01l1' un alTreux iOI'l'icr.
_. On n émis l'ùvi~,
objocte Poncio Phillbort, qllo Jo
llroLon avait lout 8implolOcul passé la mt!l' lIur 10 bllt aU
ti
u
.
'
)
�100
LIlS
PRINCIPES
DE
TAliTE
CERTRUDe
qui do Granville le conduisait tranquillement dans son pay;;.
_ Co sont de méchants satants qui prétendent cela,
déclare Claire. J'aime mieux ma version. Avez-vous vu le
pardon du
juin?
- Non. On le dit curieux.
_ 11 1'6t:üt surtout autrefois. Le feu de joie était allumé
par un ange <lui descendait du ciel, une torche à la main.
_ Ah 1 non, Claire, cHu est trop grosse, celle·là!
Mais MilO de Lénac continue:
- Le feu de joie allumé avec foi et respect, la fêle, malheureusement très arrosée de bolées do cidre, se terminait en désor.Jre. Devant l'abus, on a pris un parti
héroïquo : 10 fell de joie est allllmé au grand jour, et cela
lui a ôté loule p césie. Il a fallu d'abord supprimer l'ange,
lés {Icelles élant trop apparentes au soleil. On n'a pas
voulu louLefois se priver du feu d'artifice, et les pèlerins
crient d'cnlhousèasme aux fusées qui, naturellement, SOUIl
les rayons du soleil, se réduisent à quolques Oocons do
tumée.
- Mcs méchants savants prétendent que ce culle des
'eux de la Suint-Jean a ét6 dérob6 Il nos ancOtres, grands
.tdoraleurs du feu, par les premiers moines venus de la
Grande-Bretagne,
- Bien des coutumes païennes, inoffensives en ellesmêmes, ont l:t6 adaptées au christianisme comme le seul
moyen do Jes purger d'idoHl.lrie,
- Nos Bretons, dil b. son lour Paul de Kervilun, s'imaginent volontiel'squitouL a commQnc6 chez eux. La coutume
des teux do la Saint-Jean ùoit avoir uno orig.ino trbs uoiverscllo. On los trouvo partout. En puys lJasfJue, chaquo
ferme a 10 sien; on }'enlrotitmt soigneusomenL. WU s'éteignait prémnlurémenl, co sernil signo do malhour daos
l'ann60.
- Où est Jeanne? s'informo toul à. coup Clairo.
Lu première lovée, 0110 appello,
- Venoz m'uider, crie uno voix assoz lointaine, j'(U
trouvé drs moules supurbos. ChlpeL à papa un journal, il
dolL on avoir ùans 80S poches.
2'.
�LES
PnlNClI'ES
DE
TANTE
GERTRUDE
101
- Cherchez, fait le père en tendant ses poches.
Claire a ri pour masquer son embarras.
- Vous saviez trouver des honbons, si hi en cachée!
lussent-ils.
Elle ro.ugit un peu au souvenir de recherches très approfondies effectuées dans les multiples poches que comporte
le costume masoulin. Houreusement pour elle, le journal ne
se cac:he pas, il bâille à une poche très extél'ieure. Elle
l'extrait délicatement. Pour rejoindre la Illietto, elle se
mouille les pieds dans le sable humide, « malernellement "
comme le fail romarquer malicieusement son oncle. Paul
ne répond pas, il suit des yeux la jeune fiUe ; regard
d'amoureux où une inquiétude grandit.
**.
Dans los derniers vestiges de la forêt de Brocéliande,
M. Philibert a onLralné ses compagnons habituols, assurant à Jeanno qU'II lui pl'usentcrait Merlin, le plus fameux
enchanLeur qui ait jamais oxislé sous 10 soleil. CeLLo forM,
si réduite soil-elle, a encore des aspecls d'uno sauvagerie
toile, qu'on pouL se croire transport6 élU temps même do
l'enchanteur.
- Sans comptel', grommelle Paul de Kervilan, que les
chominl'! n'y onL pas pr6vlI les autos.
Jeanne n'a jamais vu de gui qu'accroch6 aux Mlons de
vendeurs d'occasion aux abords do Noô). Son oncle lui en
montre qui cornil à pro(u ion 1 s branches de chênes, si
viOl/X, si décrépis qu'ils onL peuL-[tre vu Morlin clans leur
jouno Lemps, L, comme Jeanne n'a pus d pôcho pOUl'
échapper il la convCl'l!alion des grandes personne's, il lui
faul. suivro un cours druidique. C'est là, au cœur tlo la
!urôt mystériouse, que les apprenli druides p assaient
vln
~ t a05 il apprendre oralement - ils n'écrivaient rien la scienco del! iOlLiés; là qu'on cueillait le gui avec d ,s'
rites immuab es.
- Do fanatiques Bretons, explique M. Philibert, ont
voulu ressuscitor le vieux culte, mais 10 « cadre n n'y esL
�10~
LES
PIU~CE5
DE
TANTE
GIlRTRUDJ:
plus, Ainsi, il Carnoe, le cromlech où aboutisen~
les alignements est il lJ('ine visible; des iormes s'accolent nux
2,"ros blocs d') granit qui limitaient l'enceinte sacrée du
temple, et tout cela, qui .>mergc crûment sur nné lande
désortique, autrefois était enfoui dans l'ombre des forêts,
sous les frondaisons de grands chênes. Là 50 déroulaient
dllS cérémonies qu'on 1\0 saurait f~il'e
revivre, ries sacriflccs sanglnnLs et, très prob:\bl eme nt , du sang hnmain
rbranc1u,
_ Oh 1 quelle horreur, cric Jeanne, ils tuaient de~
hommesl
- C'est la plus vieille idée qui saiL sur notre plouète,
ma potito fille .. , ."'puiser lu divinil6 pat· des f\or.rinco:;
IIl'Tn lins. Et ]luis, autrl'fois, la vil) no pesait p3H lourd.
_ 11 r.'y a pas loin :1 reruonter pOUl' trouvor un Lomps
où Ir. peau des gOM ne VD lai t pus son poids: l'empereur
d'Al1Jtn;\gne on 1: plus sur le dos qu toulrs les roligions
réuni<'s.
JJU Il uL:l(IC' DdL de Puu l.
Claire, cli c, a passé son brns :.Il1touT de la Loi\1e de
.J: 1111"'.
_ VOil i uno conversation hion longue pour vous, petiLe
dl ,ri" ..Ju prM,"nds trouver ici aulru chose que des lraces
clll ... IlI" c:hlllchons hicn oL, si ccs mC~f;i<:lr
veulent HallS
.liciel', je pario que nous nuro~
d3 frf.IÏS"1! pour nol.ro
guÙ ttr.
1111 Y il pns il diro, chucholo ~1.
Plillibol'L, la flbro
rûmipino lIOUS maurjlH:, mon
ux, aVl'C l, 's cllfunts.
_ Eh 1 tu n'as pas besoin do me hl pl' ·'('jlCr. C'r·st oUe ...
Il n'achùve pns. J anno l'a uppcl6 et il les rejoint,
l'Ill l'clou!', le "perlre de lu gur'1'I't' (j'agit l' ent le lçs vitrcl\
dû l'ouLo. Les deux h'ores <'Il parlullt cnCOI'O. Jeanno con·
temple la llHlllf' he viùe de flan ondo cl prêlo l'oreilla, la
phYllionomio assombrir>. Clair!) U l'OpoJ'tri SJ fi 'os60 su r
CilS mal';lis do \'Ys,1r d'où lin CI' ru Lr(;s l'i!lll. JI cbL jamaii
r"venu ... Mai eUe s'abl
; l)'b~
l'nrClTI nl dlllls ru fllli lui ollL
pc ,;ol~nd:
tout ail moioi rst-elle Loujollr. en ovcil pOlir
fjoubl;~1'
Ilè3 Cju'dle peul donner un p011 ue joio ou du
"j,
�LES
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
f03
réconfort. Elle ne veut pas laisser l'enfant sous l'impresdon
des ré~ils
effrayants de la forêt enchantée et désire
détourner son attenlion des souvenirs de tranchée.
- Jo vais vous raconter mon histoire do druides, petite
Jeanne, dit-elle tout à coup, el vous verrez quo tout n'est
pas si terriblo dans nos vieilles légendefJ.
Et, comme pour un conto de fé(18, Mlle d o Lénac commence :
- li élait une fois uno reine, fée ou déesse - car ces
trois titres se Iond unt un peu dans la nuit des 8i~cles
- .
Koridwen, s'appolait-elIe, ct fomme du père do tous les
druidE'!J . EHo avait un fils si aITreux quo, pour compenser
/lU laideur, cllo voulullui donner toule science . Pour cela,
il fallait taire bouillir uno mystérieuse liquour pondant
un an entier ct uo jour, sans qu'ellc cessât un instant ùe
bouillir. l{oriùwùn chargea do ce soin un nain nommé Gwion,
d il s'en étail ponctuollement acquittô, lors que, le dernier
jour, lu liqueur houillant trop forL, trois gouttes tomMrent
sur la main de \Vion. JI 1 .~ portn il sos lôvres t aussitôt
il rllt rempli ù cetto précieuse scienco quo Koridwon
réscrvuil il son
Dov,\OL le ourroux do la d6osse, il
s'onfuit; elle 10 poursuivit, ot, COOl me clio allait l'atleindre,
il so transtol'ma en liovre. Aussitôt une levrolLo court après
lui. Il sc fait poisson, uno loulre l'attuque. Oiseau, un 6pervier lui donne lu chasse. 11 su muo alors n un petit grain
do bl é. Mauvaiso idéo, car uno poulo Iloir!) l'a "alo ...
1 Mai " quelques mois plu, t.ard, GWiOll renaissait sous
JI), [ormo d'un bel enfant. Becuoilli il la cour d'un roi, il
raconla qu'il savait" toul co qui doiL titre», ct il dovint.
lin très plliRSnnL perso nnage.
- Et co sonll cs histciro!j do ro gonre dont on bourraiL
la !'ervello d s p:ll!\ rU1> druides p 'ndaol vingt an~
1 s'écrie
M. Philibert.
li moiml, Lonton, cli c n'ost pas lerriblo collo-ci?
- TouL ù fuiL il l'u sago dOR potites mI es .
L'oncle Rf) fI' ut! 0 le COli, s'ôtant 16goremonL engo1lrdi à
reg"rJllr 11\ conteuso.
Tu connaissals cette histoire? demande-t-il hon frère.
ms.
�10!~
Les
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUD!
- Vaguement.
Paul n'avoue pas qu'Il a surtout vaguement écouté los
paroles, savourant trop la voix, la voix charmante qui
peut-être ne voudra jamais dire plus que: « Oui, comme
autrefois •.
Il étaH arrivé si plein d'espoir, ai conflant dans l'avenir t
Mais, à rolire les leUres de Claire, à les disséquer, comme
il le lait presquo chaque soir maintenant, il se rend compte
qu'ao cher projet qu'il a échafaudé , ello n'a pas apporté
lIne poutrelle, pas le plus petil clou. Et depuis son arrivée t
l!:lle sc retranche dunsla bonne camaraderie de leur jeunesse,
rC'prise d'emblée, et il so bule sans cesse à coLte limite
strictement maintenue.
Si discrète quo fOit sa cour, Claire ne peut ignorer
l'amoureux tros jeune qui se cache mal derrière ses trente
huit ans. m, ùevant ce vouloir noL do ne pas laisser de
fissures à lIllO explication, il h6site, pressentant un refus
iD(~Ompréhensbl.
Oui, incompréhensible, cal' il semhle
qu'elle doublo la part do J canne comme pour compenser
cc qu'elle feruse au père.
... ... ...
lis sont au piod d'un vieu - donjon féodal. Étenùus
Bur l'herbe qui avail envahi les douves, ils se reposent
depuis quelques instants des deux kilomètres qu'il a
fallu allonger à travers un taillis sauvago, après avoir
abanùonnô l'aulo sur la routa la plus proche.
Jeanne sc releve la premièro.
- Il faut (Ssuyer do montor là-ha.ut, proposo-l-ollc, il
y Il sûrement \10 esculier,
- Je no suis Ri jl est pralicable, observe son père. Autrefois, il marHjUlllt déjà des marches.
- Je vais y voir, dill'onclo Philibert.
- ioi aussi, crie Jeanne.
- A condition quo tu rllsteras derrièro moi.
- Papa, tan Line, vous no venez pas?
Paul do Korvilan Il'a paf! boug6. Cl ire hésite.
- Jo monlo aussi, dit-elle tout il coup.
�LES
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
105
- Tu te disais r atigu~e,
il y a un instant, remarque son
oncle.
Il a disparu avec Jeanne dans l'intérieur de la Lour.
Paul se penche vers Claire . .
- Vous rappelez·vous? Nous y sommes montés ensemble.
- Oui, je m'en souviens. Eh bien 1 recommençons.
Elle s'est levée brusquement.
- A cette époque, vous ne craigniez pas de rester seule
avec moi.
- .J e n'ai jamais peur uvec vous, Paul.
- On 10 dirait pourtant... Et ce jour· là, vous avez bien
'Voulu sauLer dans mes bras.
- Bh bien 1 je vous promets, plutôt que de risquer une
bonno chute, que j'accepterai votl'O aide ... comme autrefois.
11 la srut duns le sombre colimaçon Où d6jà Jo bruit des
pas de son Irore ct do Jeanne s'MoufTe, ct il insiste:
- Si le temp3 d'autrefois n'avait pas él6 brusqemo~
coupé, il aurait ôvolu6, et vous voulez l'immobiliser.
Les escaliers Cil vis no sont pas propices aux conversalions. On ne voit guère que les talons ue son interlocuteur.
l·'orce est à Paul de Kervilan de s'appliquer à l'escaladr,
dl,) partager l'enthousiasmo do srs compagnons, parvenus
sans encombre au sommet de la tour, devant le panerama
sauvage, solito.irc, <itendu Il leurs pieds.
La 10.ndo bretonne, R~S nappes d'ajollc fleuri, ses bouquets
de pins, ses taillis, débris dos forûls anciennes, ses carrés
do chbllme enclos de têtarus, ct les groupes d'ormes
tordus <[ui abritent des toits ue chaume, lout ce paysage
si spécia l déroule sn monolonie jusqu'à l'horizon. Là, 10
rejomt un ciol trOll pûle qui le baigne d'uno lumil:r.J teraio
}Jur l'humidit6, otte humidllé 6ternelle berceuRo do la
lristesse du pays brlJtoo. Elle péniJlro Paul do Ker, ilnn L
Clniru o'y éctHlppO pas lion plus. Seule, l'onfunt jacasso,
rit, les SCCOUll. ~l U e s'empare do son père à la Ùescenl.e,
et c'est la main de l'oncle Philibert qui aiuo Clairo fi. frunchir
les rno.rches délaillautes.
Au ftllour, M. Philibort r6polld pour trois à l'enfant,
tundi , l'Ju Chire se tait, 10 COl ur lourd, cl que Paul do
�106
LES
PRI'iCIPES
DE
TANTE
a.:RTRtlDIl
Kel'vilan tient le volant distraiLement, cherchant en vain
à deviner l'obstacle auquel il se heurle chaque fois plus
désespérément.
Quelques jours plus l(u'd, i!1I sonL au milieu des plus
"jyullls souvenir':! do leur enfance. Leurs gl·and'mèl.'es
étaient sœ urs; elles ont vécu dan, de vieux manoits que
SClÙS séparaient quelques champs et 110 bouquel de bois.
C'est là 10 cadro des vacancos de Paul, de ClaÏ!' , de ses
frèl'es.A ohaque pierro, ù chaquo détour desonLicr, Il Ghaqlle
arbre, s'accroche un souvenir. Le manoir des } crvilo.n a
passé à un cousin, m ais celui qui abriLuiL Claire esl habitu
par son Crère. 11 u convié la jcunesso fi un Lhô dans, nt el
comme la place ne manquCl pas, lous les ilgos sont invités:
Au gré do chacun, il esl loisible de dansor, de rogardOl',
de sc promoner, do causor, jusllu'Ù co qu'un SOUpOI' par
potitcs lable!! diasémin6es duns 10 jardin réunis.sc grands
nt pelits duns un plaisir qui su lisruit tous les âges.
Mlle GerLrudo ello-mêmo a ucceplé l'invitation, eL c'esl
Mmo de S rçois qui a urnrné Cluir li la hauto d6~apro.
l>alion do J ounno. Lu f1lIolto a déclaré l'auto odieuse, muiH,
uno fois arrivéo, la tantine l'a promenûe duns 10 mauoir, Ù
10. rechorche de ses chamhl'es 110 poupé s, do scs cachoUes,
dos placards où elle d6robai L parlois tm poL do conhturo
pour Jo pal'L3ljcI' avec son ami Paul; cL mainLenant l'onrnnL,
ravie, danse uvec ontrain dons lu dun do 1 potite jounosso.
Mmo Legrix ost Il,, Ul! pou dépayséo dans coLLo sociélé
où e110 est relative mont nouvello venue, uricuse d'en
saisir les dessous, glanonL 101::1 011 dit qui confirmeraionL l'idéo
inutilement omiso par ellu chez la marquiso quclqucli
~omuins
auparu vanl, mais qu'elle sent floller dnns l'air.
Cependant, Claire aide 13 belle- sro ur ù fuiro 1 s honnourn
cio la réunion; clio esL à tOllS, sau f li l'aul do Kcrvilan . et
lui, tau te de mieux, renoue connaissanco uvec ln fOllle dos
cousins.
�US
PRII'I'Ct1'!5
~Z
'1'AI'I'T!:
(l1\t\Tlt'lJ"OZ
~O,
LOlu'~
noms sont pourLant plus d'une Iois accolés, on Irs
a si souvent vus ensemble dans ces d<;lrnières semainl'" !
~ nt li
Celasumt simple mont pour desgons qui volontiers obvi
lour désœuvrement p'.lrsonncl en surveillant leurs al c nlour
~ .
- Ah 1 non, ils sont trop vioux pour \Lrc intél'css:,mlo,
ceux-là 1 déclare uno trt,i; jeuno Hile, Parlons plutô~
d'Yvonne. Épatanto, vrai! Vui ci lin lIloi f. qn'clle Li cnl un
équilibre parfait ont.ro son fiirl de cœur et la gl'osse ptiplile
qui lui fail de si comiquos cournot tes.
-Ma }llluvreAnne, protesto la rnarquiso, la languo françaisl)
n'est-ello plus assez rh:ho pOUl' que vous V,,:lS on 'jol'vioï. ?
-- fais, Madamo, jo parle Ironç'lÏs; tout le monde me
comprend ,
- Oui, 011 comprend votre affreux argot, ou on le devino,
mais on no l'appl'ouve pas, croyez-moi, ma petite.
- Ah 1 c' st bion plus amusant. .. Quoi? Pierro, Ull fox1l'ott? on, j'ai trop chaud. fli vous vouloz gober une glaco
('nsemblr, j'on suil!,
- Do qui parlail donc Anno, 130 disant: « Ile sont Ll'up
u vieux»? s'informait allprès lia la marquiso lIllO jbun"
lemme quo ln c(ll'riûrc do son mari avait tellu plu. ioul's
unnùps absente.
- On r6unit boollcoup los noms cio Clairo do Lénac t
l'alll do lü:l'vihn, ma 'h:'re petite, pout-CMo beaucoup
Ll'op ,lU gru des il\ ~6rcs
.
-. Paul de reJ'vi[.m, c'osl colui qui a pcrdu sa femme
pendnnt ln gu rI'o?
_
Sil
IIi,
!llln.
IkKul'de7.
J1~-b
IR
celLa prJtite brune 011 roso, c'est
- J ill j'y f;\Iis l 'l'out il l'hclll' , on disait quo Cluirl' /;'011
occupait ~ matcfncllumf'nt l 'l, le lIlot appuyé avcc lIll"
6vldonLe inlcnl ion m'avait intrilrUllC.
Ln rnaqli~e,
d'lin geste impatienl, GCCOU(' il fiOIl ombrello,
lin yoile fl0 contrnr16lé sur les irait' :
- On 110 peul donc paR lai~so'
ICD gùll'j tranquilles 1
l,a jeun Commo eul un regnrd gui.
- l ion do plus amusant qu'un mnriu;:\c qui mijol",
Jln!di-~·('\o.
�108
LES
PRINCIPES
DE
TANTE
GERTRUDE
Quelques instants plus tard, elle dégustait une glace en
compagnie du maître de maison. Celui-ci, pour éviter la
bousculade du buffet, que la petite jeunosse assiégeait avec
dcs appélils insatiables, avait instal16 la jeune fomme
dans l'embusure d'uno renôtre de la bibliothèque. A
(JuErlques pas, des tables de bridge réunissaiont les fervents
de ce jeu, Mlle de Korvilan ontre autres.
_ Ayez pitié do mon ignorance, dit il voix hasse la
jeune romme. Je ne suis plus au couranll Quatre ans
d'éloignoment ont amené lant do changemenls 1Je reconnais
ceprndant ;-,pJe <.le Kcrvilan et le vieux do Varloi~,
son
partenaire inamovible.
_ Eux n'onl pu; changé, n'esl-ce pas?
'on, mais, au fait , savez-vous qu'on romarie sen
.
frère l
On vou!:> l'a dil?
- Oui. Qu'y n- L-il do vrai ., Voyons, nous sommes d'asf;('Z vieux: amis pOUl' quo je 10 domo.ndo?
- Ne m' n parlez pas 1 Jo l'ni moi-mûrno domandé à
Claire. Eh bien i elle m'a déclaré quo j'avais promis de ne
plus lu laquiner 'Iuond j'aurnis mon prcmÏlw ChOVl'U blunc 1
et ello m'c'n 0 lrouvé un ... , pré tend-cllo. Esl-co vrai?
El L do Lénac penchait UIIC t~le
lort abondamment
pourvue de cheveux noirll.
En rianl, la jeuno (omme donna uno chiquenaudo aux
mècht's avoisinonl les lem pee.
- Jo n'on vois pas, assura-t-elle.
lhait-co inattention ou calcul, M, do Lunao avait éJcv6
la voix, ct, c.lo la lablo voisine, on ('ntendit M. de .varlois
proltstcr ;
- PardrJn, ma chèro omi l ', jo coupo volro cnTreau.
1I1/JO dt) Kcrvi1an cuL un mOUVl:m nt do surprise.
- Vous avic.: oncoru un atout. L.omment l'ni-je oubli6?
- Coin vous arrive 31 rareml nl qu'on peut voue 10
pordonner, mais vous perdez une lo\'ée ct la manche.
Et, cOlOmo lours adversaires s'éloigoair.:nt co qu~tc
de
l·trraiclliesemûnls, tout on bottant les cartos, il roprit :
'- Si 10 bruit (st taux, il s"rait tempe de le dèm('nlir.
-0
�J.ts
P Rl
!,;C
IP
l!:~
D I!.
T H, T I:
GF:l\Tnunr:
109
P ourqu oi ces gens s'occup ant-ils d e ce qui ne les
r egarde pus?
- Pourquoi? Mais parce qu'autrement ils seraient
muets.
- On n'y p erdrait guère.
- Ce projet vous déplairait ?
11 était bien le seul de lout e celle p etito société, 10 vieux
.M. do Varlois, à oser poser une t ello queslion à la redou table Gertrude. Il élait contemporain de sa mère et
l'uniquo p eul -ê tre a vec qui ollo consentll :'1 di scuter. Colto
Cois encoro, elle no so dérobait pas ; ello l'ôfl échissai l a voc
lu cons cien co lrès droito qu 'ell c meUail dans Lous ses
actes :
- J 'ai a pprécié Claire de L énac ces derniers mois et
mon frère ne pourrail fa iro mieux q uo d o la donner
commo mon loI' lA Sl I1l1e, car il os l p urfailomont incapable
d'élever elle onfant à lui .seul. Muis Il no m'a nullement
fail part d o ses intentions, el encor.) Iaudmil-il quo Cl airo
consontlL ... A vous d o couper .
... *...
La journée s'avanco . Clairo est lasso de la galLé mOIl daino qu'il lui Il fallu d JploycI'. Paul do Korvi) an esl accu.paré pur un group e d'hommes d'aff,lil·cs. EUe ose s'isoler.
Ellova jusqu'nu bois , leur l'O p aire ruvori, abri de lo ules
les cabanes de robinsons, dos escul:l dl's, d l'Il flénieh'lgcs
d'oisC'aux. Toul celn r empli t ses ye ux, et lui, loujouri! lUi
le premior ù l'amuse r, ù la consolcl', il lu rniro ri re.
Su pensée so rive li co t rop chl r souHnir.
Maint, nonl, c'ost lA cu use de lui qU 'l' li e plt '\lr , muis e ~
n'csl p a~ sn faute ... ni la sicUJ1Il , lion plus. Com !He,nL pt;ul. on uviLer l'amour ? .. Ul !l'cn d(of\)nùro est si doulol1 reux 1
hile B'CS t enfoncéc d ans le bois, pur un sonliûr il prin!'
lrac6, cl n ntt einl un gros chl nc. D llllS lu cav ité !lu i tr ahi t
lu vi elllt:sso de l'arbre, f'1I0 u sou VI'll t llù t un reposoir,
unLour(, UUll Vlorgo ùo pHlll'O d('s chôvrcroui.l ·s qui
umbrousaaillaicnt les noiseliors voi ·in; . Au pieù ùu vieU
�110
LE S
PR INCIPES
DE
TANTIl
OI:RTRUDT>
arbre, la grande pierrJ , menhir renvorsé, est encore
là, où ellE aimait s'asseoir, où ils causaient tous deux le
dErnier soir, cc soir qui n'a pas eu de lendemain, qui ne
doit pas en avoir. Lui était déjà jeune homm e, ahordant
sa dernière année de Cen lrale, ene plus guère flllette . L'ennui du dép art le rendaiL -il plus teudro?
_ Riki, a-L-il dil tout à coup, lu V:JS mo promettre d.o
no pas m'oublic!' d'ici l'unn ue prochaine.
Î!Jl olle, ('JI riant:
_ C'S~
tt'op court , jo no L'oublierai jamais, Paul.
- Moi nOll plu s, Rilti.
Son l'ùgurd avait troublé lu fllltllle commo une vision
im'onnUll . D' uIIO Inoue subilemenlluquillc, ('\leuvait ripoit":
_ Oh 1 c'est toi qui tn'oubli
c l'~
10 prcmior.
- . onl
- Si 1
-
-
PUl'iOIlS.
Quoi?
- Un baiSl' r.
Enl"lldu, uynil -ell c promis ('n riant ncoro.
Cu ril'o d'.)fIrant, il notlait dalls 10 uoi ~ . 'laire l' 'ntorul.
11 lui {ail nal cl l 'lmp~ch"
do pcrcevoir uu nuue bruil :
Paul do Kcrvilull ('sl uuprù5 d'olle. 81lo ~1'(;9slÏIe,
~o lève
t'L, ('lsnYJllL de ~:o \l'Ïro
:
_ ,Jo lTlIl lillis ollbli60, n'osl- ce pa s '? Vous venel JUU
chCl'cllfll' '1
__ 0111, je vous (herchais. J 'ai d ev iné quo vous éLiez HI.
_
JJepuis
10
temps où
HOUS
gI'impions aux tU'bl'os,
!'1(ln'II11 -d le lôbrilcJI1cnl, ils ontlMl coupéq i d'~uLros
Onl
pareils rncoro, 011 dil'alliell m ômes,
Wh' li 1 . , (ojoigné du vÎlJUX ehûno, !jui, IlIi, esl r6olloIIWU un l6rnoin de leur joun ùss r',
omUlO pour ·re Cl'I' lu
ÙOI ni ,'souvonir qui s'y raLLadw.
La sc lino u jailli aussi dans la m6moirt, do Puul, ullo
l'opn!
~(: . PourlllllL il )e SP lit. .. ce ,ùsl pas. celo» qu o
laire t!rr.slI() l'ntrr euX, II nu voul plus st' InlSiftJl' distr. ir
pur le po ;,;'. 11 you t ùcJl\ir Ir 10 pr{:seol. 11 ao peurh vel'S
l't'POIlS,':I', Hi
"Uo.
�Lr.S
PRINClPES
DE
TANT E
111
GERTRUDE
-
(Jaire, implore-L-i.I, pourquoi ne voulez-vous pas
me laisser parlerJ Qu'y a-t-il enLrc nous?
Jeanne." ct je
- Jeanne, balbutie-l-elle. Vous oublie~
me 10 reproche tellement .. ,
compr~nde,
Le masque stoïque brisé, les larmes jaiJs~clL.
t..
Sl)ll
Lour d'implorer:
- Lais
e ~-moi,
je vous en prie.
- AuLrofois, vous Ill'appolie" qll;Jlld vous pluuril'Z, ditil <llllOromont.
- ,Jo vous Cil prie, nipèto-t-elle.
Puis, l'Oprenallt un pou de SUllg- fl'llid, alla ossuie ses yeux
et résolument ;
- Hontl'OIlS.
TouL cn m.ll'l'hant bil 'Ilcioux iluprùs de ClaÎl'o, Paul do
1 ol'vil:m C1'ouse ceUe 6nigmo, no devinanL l'ion du déli cat &t'I'upule qui tOI'Luro la jeune Sille, Jeanlle , a-t-olle
diL. L'IIÎrnanl ::iÎ Lendrement, 'ommonL l' 'cnlorait·elle
dov;lnt ln. cJl<ll'/{e do l'610\,II'? Ne Je faisait-clio JHlS dopuis
plu!:!icurs mois, HUlJS y être obligée '1
Los Lahles gm'nics do fleurs cL do eristaux s'égaillaicnt
autour ct s plate:s-bu.IldcH. (.luiro il éLé happoo pUI' SOIl {l'oro.
- Vions dont. Où éLai~
-Lu cachée " J aC((lleS cL sa fomm e
to ré 'lament à leur lnblo.
Un mlnago do [rnh:hc dato, oes cousin', llli fuisuil lin
geslo d'u ppo!.
- AllollS, nt Paul? fuil 10 maÎtro de maison.
La dossior du la qUIlLI'i me chaise en mo.in, il ùMond la
pInce con~l'
un cl'lihnf.uirc ('II quilla ù'olTlllsunls parttnaires,
- .i\h 1 pardon. La pl aco est résorvée, naturellomonL.
- Mu ifi lion, fuil 'luil'o, cllnllyée,
- L'J voile, crio, Ll'iomphanL, son frùru,
- Cl) n'l'Hl p .1S tna Iaulo, si j me suiK fnil aLL ndrc,
ducJurclerolardJtail'u, cil s'imlullunt. Les pllLilus do SUl'çoir;
ct .J LIIiflO prét nduio/l~
mu raira pl'ésider leur lable, Ah 1
nOft, j'ui l'.~
s6 l'ôgo . .J 0 leur ai 'olloqué lin monsiour do
leu r ~poqu
avoc permission do le laquinur,
�1'f2
LE3
l'RrNCIP E3
nE
TANT E
GERTRU D E
POur 9U qu'elles ne se donnent pas d'indige stion.
- Allons donc, Claire, cst- co que nous en avions ?
- Hem 1 fait le nouveau marié. - Il était de la bande
d 'ant an. - J e me rappelle certainos bomban ces de pommes
ve rtes ...
- Ah ! mais j'espèr e hien flue ce n'esL p as de pommes
vertes que nous soupero ns ce soir.
M. de Ker vilan a r empli les coup es de champ agne.
Claire lIail bien que lui aussi s'impose un masque mondain. Comme elle lui sai t gr6 de causor pour lui p ormeUr e
à eUe de se Lairol Elle r eLrou vo l'empressement att entif cl lui
pla ire, il 6co rter 106 heurts, quoi qu'il sou1Ire, quoi qu'ello
lu i lasse souffrir .,.
Au r etour, d ans l'aulo Jeanne cst auprès de son oncle
cL s'endort sur son ép aule, si profond i,rnent qu'il fnuL la
secoucl' pOUl' lui fa ire comprendre qu 'die n'es t. pas encore
dons son Jit. L a cer vo lle troubléo de so mmeil, do fatigu e,
d 'nn J)f" U do ch amp agne, elle murmul 'O :
- Honso r, pet ite ma man,
L'oncle a souri, regardé bOll frt:l'O; mais celui- ci s'apprê to
il {' al'e r l'auto, Jo fr onl b orré d'un gros pl i, las do la com6die do galt.6 qu'il n fallu jouer jus qu 'au bout.
Il 11 ell'cndu (:C pendant. Cola 110 fait quo rendl'o plus
J1Jsoluble le problèmo qu'il l'etourn e inlilssab loment,
Plus d'uno fois , le!'; JOU l'/! suivant s, devant le f('gard
;ot,ll'isl{' , inteJrl'oguLeur, Ciniro Ile dét oume, plus Lendro il
tous, au
Illl" .Jeunnt.: ivro do gu1l6 cl do joio , sourian to à
l',
porchoÎ
son
dan:;
seuJe
r,
soi
Le
forces.
dl'
bout
fi
rond
:1 dcs momflnts do profond d(.scspoi r.
~l()
•
4< •
J o m'oxcus o do vou s d6r angor ù uno heure aU!!1
vous trou vo r soule.
J ~ . J o d~ira6
Dons Je pelit SlIon, la marqui50 écr ivuit cn déshabi llé
nu malin.
1 ln mnin q u'l'] 0 lui Lcndclit.
l'aul de J(nr\';ItUl bJi~
ai re pour VOUA, mon chor nrant?
t,\ UI" PU 11I- JIJ C
-
m
at
i no
�LES
l'I\INCIP ES
113
La m"rquisc S'OIl doutait beaucoup.
-- M'expliquer la conduite de Claire de Lénac il mon
égard.
- Jo no la cornpl' 'nds guère moi-m ême.
- Vous no pouvez YOUS figurer il quel pvinl jf' l'aime.
Le SOUl'ire de la marquise s'acconlua.
- !l1~is
si. .. Les :JJnoureux ont toujour s la m&nlO quanliLé d'amow', la qu ali té lioulo dir[~
e suivanl lc cerveau et
Je caraclè re. Je \ OllS octroie une qualil0 supérioure ct
ellc".
- Oh 1 t'II) . " ,le hai suis Îlldiffél'ent.
-
DE
TANTE
Cr. TnUDE
Cil, .0llS l'u dit?..
- .Gllc mü le !aiL sentir", Ou, plulôt, je n'y comprends
riell. J'ai pu la surpren dre seule, l':JUl,'o JOLI', bien malgr~
ello, <-ur olle s'npp!ique us,eu il ne pùs m'en ùonner
l'occasi on, J ':.IÎ cssayô uno explical ion. ~lo
m' ;\ jl'L6
Jo;mn dan ' les jambes, elle qui l'adol':J ; cl elle s'csl
miso i.t. pleurer on mü supplia nt de L.1. luiss er lrallLjuillc,
VOliS olllpronez?
Mmu do rlul'çois rN16chi
~s(lÏt.
- Conl1j~
:i lIt
sa nal'Jrc l:icrupu)cusolllcnt loyale, jo crois
:levincr.
- 1% bien?
- Vous I\'ûtu; pas nssoz fal pour comprondro, Illon ehor?
- Co quo je compl'(;l1ds, c'c:l qu'cllo IIU veut pas. Et
moi, si jo t 1'0uvuis ùujll. Jo. BociGlé dll mu HUll un peu couI'Lo ...
mailllenant... Je ne pli~
cppendanl ubantlonlll'(' cello
potilo , Ah 1 sans ollo, jl! ropal'tirais au Tonkin.
- Allons, allons, failla bonno mar(]uisc, no d6raisonneL
pns. Voul, 'z-vouB quo j'cs3aio do la conr~s?
Nou:; nous
aimons bien, el 0110 n assoz confiance en moi.
- Ohl morci, ~ladmo.
No pas savoir, c'eliLLrop lourd.
- El je la chnpill'orai, celte puli lo sotte.
- Ob, (jo vous cn prie. Je no voux pus Otro 6pousu par
pili6 .•10 ne voux pas qu'elle 50 sacrifio par dévouoment ...
- Hoyez trunqu:llo. Jo n'c.ppl'ouvo pus ÙU lout )os
;noriagcs de d6vOllclncnL, ce !;1)llt des nids a dl vorcc, milis, ..
je me SOl'Oil hiPIi trompée s'i l s'agi:;~,.üt
lu ...
8
�1H
1,&5
PRI NC IP !:;S
DE
TANTe
GEnTRU DE
-- Vous croyez qu'elle ... que Claire .. .
- Jugule son cœur par excès ue conscience.
- Vous dites?
M. de Kervilan avail saisi les ùeux mains de la marquise.
- Je suis peut-(jtre imprud on te. Vous aV'J:G l'air si
piloyab le, mon pauvre garçon, s'excusa-t -elle.
- Oh 1 ne regrettez l'ion, VOU!) me rendez si heureux.
J\lof3, vous ospérez , n'est -co pas, l'ameno r ù tliro oui ?
- Jo ne réponds de rÎi)n, jo fCl'ni mon possible, car je
suis lout Il lait do volre bord.
_. Oh! morc', merci ...
Los mains do la mUl'quiso onL reçu le plus fer venL bai601' que jamais lèvros masculines y aiant dGpos6.
Vingt-quaLro houres plus ta rd, :l la même houre do
soliLude , Mmo do Sur"oül s'en:rclenail uvoc Clairo de
M. de
Lénac, assise dDn.; 10 môme fau Leuil qu'avuit ocup.~
Kervllu n.
A hout ùe courage ol <10 r6i:ioluliun, d ia éta it venue
d'elle-mûme Cil fuire provÎ3ioll aupl'ès de Sù vieille amie,
cL b<Jgagcs passos il l'enno mi, no voumais c.ello-ci , urm(~s
Ifli l rien entend ro dos l'nisons <.le la jeuno fi lle,
- TouL colu no tient pas dobouL, ma petite. 'l'u picores
Lun cœur, cOlOmo diruiL sainl François do tlalcs. l.!:t, on
".\rilé, c'ost le chagrin quo lu en éprouves lui to raiL
on co
croirc à un dovoir imaginaire . l1euro~mcn,
vonL
aisir
pl
10
cL
devoir
le
qllO
moncle il ul'rive parfois
lCO?
soulTrul
sa
li
tu
pcnllcslui,
!!il
ensemble.
- C'csL clic qui me Huvro, gémit Clnire, WH Il'yavai l
qllo moi 1...
- Donc, prcr,liu' point, si lu r o fu s~ , lu fui!! déjà deux
malhcureux, Es-l u sûre do n'lm pus Caire un Lroisièmo ,
- J contlo? Mois c'esL 0110 jll8lemr'nl, l'obsLac lo, C'cst
pOUl' qu'clic eonlinuo il èlro heureuse".
- Moi, jo to dis 'lu'cllo sora III troi iùme sllel'WC,.
�LES
PRINCIP ES
DY.
'l'ANTE
GERTUD~
1'15
.- Oh 1 ne dites pas qu'elle souffrira de notre folie. Que
noire sacrifice au moins assure son bonheur.
- Il n'assurera ricn du tout. Ellc s'aperce vra tô~
ou
tard qu'eHe est à chargc à son père.
- Ohl non, non, pas cela. Ohl pourquoi Ina suis-je trahie?
- Cc n'est pas ta faulc s'il s'est amoul'aché de toi. Hier
I:nr:oro, il sc lamontait dl) ce que tu n'avais pOUl' lui que de
l'indifforencz.
- Et c'cst vous qui lui li vcz dil?
- Oh 1 c'(M il p"oba!JJcmenL pOUl' mo le faire dire qu 'j l
clamuit si fort 10 ' onlrail'c. Du l't'stc: je n'avais paB de c('l'lilucJe. 'fu te d6[ullùs bi en, ma chol'o peLilo.
- Pas o.ssoz ...
- l\lais cnfin, bon Diou, POUl'llUoi vcux·tu quc Je:mno
ne soit pas coniCllt e? WlJo t'a choisie la premièro, elle
i.'adorc ...
- Oui, ü. condilion quo jo resto à côtu . Si vous l'c nlC/die~.
p:\rler do f;on intimilé avec son pùro,
- Elle m'u dit, ù moi , qu't'Ue regrclttlit cIo ne pas avoir
de mor,' .
- 11110 Jo dit , oui. Bill) m'appelle m0me m,unon quand
nOlis sommc/;; soulos ...
- I<;h 1que Il mandes- Lu donr:?
- glll) ]le m'a jamuis dowunù6 d'C:ll'e l't·d lnll\(·nl {'otlo
JIlùrc.
- bUo n'y pons paR, une cnranl do douzo aIlY ...
- Hi oillu Inet doYun~
le fait, 0110 no dir rien, surlout
si ello voil son pùro hOl1rou . BIIo souffrira quand môme.
1!: l do penser quo j'ai séparé J \ pÙI'P de l'l'n funt me sera
un insupp orLaulo l'err.ords.
- Ma petiLo fille, Puu l l'aime sinCÙI'('mont, pl'orondément; m/.lis, rois-moi, la sensution d'isolemelll donl il so
plaint no fora quo grandir el, tôt ou lUI'U, la place quo tu
refus s sera prise, bion ou muJ, olllciellemunt ou aulremonl.
- Jo ne rois pas cola. do Pnul.
- 11 no faut pa:, alors 10 désespéror. 'ost un hommo
charrnant, UJl\i~
c' sL un homme.
�HG
LU
l'nT:\'C!P!!1I
l,lt
'f'. 'Tf:
O!l\'I'1\l111i
- !\fais que voulN-vous que jo fasso?
- L'épouser Lout simplement.
- Et Jeanne?
- Elle sera enchanLée.
Et comme Clairo faisait un geste de donte, la marquise
reprit:
- 'MeLtons qu'ollo ne 10 soit p~s,
qu'olle soulTro ùe voir
l'affection de son pèro partagée, oh bien 1 ce Eel'a enr.oro un
l:Iorvico à lui rondre.
- Quo jo ne mo pardonnerai jamais.
- C'esl idiot, voyons, .I:lÎre. C' sl toi qui aurais un
TelrlOrds d'un servico rendu?
- Jo no puis croiro quo lui voIcI' une part do l'affec tion
do son père soit un servico à lui l'llndre.
- Ma pauvro Clnirll, tu lournes aulour do la difficulté
commo un chat apr'::s sa queuo. 'oUo petito a une naturt
d6Iici cu!ll', mais il ost corlain quo son poro l'a gâtée. Ch(;/.
lui, l'llo l'st multresso; c'ost d6testable. Au rond, Gortrude
est plus dans le vrai, soulomont 0110 agr6monlo ses prinipes dCojl1 assez outrallciers d'uno sécherosse de crour qui
les l'cOti odieux.
" Atlmollons, si lu veux, que .Jeallne s'élùve sans domHll1ge ainsi touto scule. A 1'.1'; 0 du mariage, olle comptera
êtro choyée par son mari commr elle l'uuru étf, par son
perr; 01' Cl' ser.1 lrès ùiffércnt, q11 'l'lue rOlllanosque qu'oll
irnug-ilwsOIl lllnl'iuge. l>ôs illw;ioll, ùésalTcctioll ... ct le l'cslo,
Yoi)iJ er> C)UI' l'isquent lus nra~s
tlW) Irs par_nLs .ont laiss(:g
p.lr ! :I ih! 'so.; ulaLlir ll'urJ cupri"cll en placo d'uno volonlu
l'é/l l.;elii(·.
C\dl' 1 n' pul :;'cmp(·cl101' do IiC'II'iI'11 :
- J) (IV \'Olt; t'royaic; pus un étlw·.a t, " lIl' uussi inLransi-
K'Jilnl..
C"I.I n\.:xclut pUA lu tcndr
!:~I',
l'irlllu:gl'lltt:'. Il y a Jo
dosage, pl 1.\1 cs purr. itrmcllt capahlo de l'uppliquur au
mieux d,):) intérj'fs tIr la poli le, cl par-r}p Sllg le marché de
Iain' le b ooh(1I1' du p("r~.
- J~h
1 si j'i'laic; sûru ... fluO \'OU'! ayr'!. l'uisOJl.
- )']h 1oui, Il ,[ilu uJll,\Ltir. j'ai raison, ~1ai
1 aulait, pour-
�LE!
PlIINCIP ES
DE
TA NTE
GEltTRUDE
117
quoi ne les lui donnes-tu pas loi-même, tes raisons? Vous
êtes assez liés, j'imagine.
Claire a caché sa t ête dans ses mains.
- J'ai peur de moi, murmura-t-elle. Je n'ai jamais su
lui dire non.
- Et Dieu veuille que tu ne le saches pas davantage
aujourd 'lmi 1
GP.t aveu très explicite donne un nouvel élan à la marquise; elle reprend patiel1!mcnL set:! arguments. Elle aussi
est ob s ~in6e
ct aS3ez habituée à réussir eo qu'elle en treprend.
Cependant, co matin-lil, elle n'a qu'un domi -succos.
Sentant que l'idée douloureuso de s' ire imposée à l'\?n!ant serait une 6pine perpéLuolle pour la délicate jeune
fille ot, dam; l'espoir qu'un jour ou l'autro, l'enfant, d'lm
g ste spontan6, slllisfcra co tte d61icatesse oxag6T6e, la
marquise proposo lIne transac tion:
- Je L'en prie, puisqu o tu ne peux to dûcidul', au moins
no casso ri en. N oun allons faire do lon Paul un petit
Louis XIV, et le traiter en Maintenon. Qu'il patiente
qu oIque temps ... Lo temps est SO ll vent un grand auxilia ire.
Cloire s'es t ralli60 à ce tte solution, trop r l1ray6e do
briser 10 rôvo si cher pour no pas uccuci llir av ec soulagoment un délai, si aléatoi ro lui paralsse -l -i!. ..
'" '"'"
- Il "uillrait d'un mot de Jeanne l expliquait la mar quiso à l'amoureux accouru aux nouvell os, mais, si vous
le provoquez co sora la catastropho. Pronez patience cl
no vous t r a h i~se z pus vis-b.- vis do l' nrunt. Malgr6 toul ,
.
j'ai bon Bpoir.
Quelquos heuros plus lord, M. de l(ervi!un, précédant
sa Idlo d'un i!l3t nnl chez Mlle de L6nac, avait pris 11'8
mains do ln jouno fUIIl, les avoient ba ielles longuement,
puis, so r c dr <e~n
nt,
u\"ait simplement dit;
- J'at ttllùr,1Ï aussi longtemps quo vous 10 jugerez
n6c ess!'\iro, m a i ~ je ne 1 :(,s~l'
r a i p Al.! ù'attendre.
�1!~
LU
rn/Ne/PliS
nE
TA",.!
G'!I\'l'JlUIIX
L3 rega rd de ClélÏl'o ne I:; 'ôtait pas délourné cette fols;
Paul savait son secret, ct elle comprenait avec qu elle
loya uté il n'cil abuserait pus,
-- Nous venons encoro vous chercher, reprit-il aussitôt.
Laissez -moi jouir de ce' derniors jours commo do nos
Y:l.:.ancca ::Incienn es.
- J o vous le promets, dit -clic grflvem enL.
Jeanne entrait, ell e sauta au cou de Claira;
- Pas encore prûL{l? On vous emme'nc pourtanL,
- Oui, l'hèro peLit e, Mon chapeau II meUre at je suis à
vous,
- Ce llouL tO lljoun; los mois lell plus amuliant!; qui
puasr nL10 pl us vil a, .,'écri o J eanOé avec impaLience, on
bCJnùlf\Sll nLct Il.; 10 [l otit su lol ÙO M ilO de L6nuc, Co n'cs t pu,'
p OR~j
bl e qu o pap,l so it ici dopui!! trois somuillOd comme il
le pr6tond,
, ~I 'i mp
aLic
n lo r6n
e xionù
l'cnfan t, Clnire 50 r odl'esso de lu
hergùro où cli c s'ôL aiL r6fugi6 0, bi on lasso, cLs'o[(orcc de
répondro avoc enjou emont :
- Eh 'bicn l vous quitterez co trou, ceUo ll'isle prison.
No sont -cc pns là vos pl'Opl'CO oxpressions?
h l m6ohautc, do vous moquel' ainsi ùo moi. ~ :l l. co
qu e je VOliS connais;ai..; alors ? EsL-co qu o papa ôtaiL là?
- Vous 110 1 qui tlerez 1>lus, "ol re papa, Vous allez
l'c prrndro avec lui voLro bonne vi c d'u vanl, t coLLo ann60 ci no scr,l plus qu'un vieux ca uchumar,
In volontairumcnL un o sorlo d'Jpr ctû a (l 01'c6 dam. la
voix , J OU IIUO esL (! ('bouL, r ogurd.\ lI t luire, 'lui do nOUVIMU
s'cst :.trruia,60 dan:; SO I1 fuuLeuil. La yo ux dl) j'enfant SJ
sont v o iJ ~s I,O\lt à ('ou p, Sf'S ll'a ils s!,) l:onl:'uc L'JIÜ,
- Vous fjui ltcr ? murmure-t -· ]j'J . Dire qUI) jo n'y uvuÏ3
Il IS onco l'o penso l VOU!l quiLL er ? r upote- L-o H. , t\lllù is !lue,
d'u n regard dl) ù6Lrn:iso, olle orlvolopp ) 10 nu vi llaKc (lui HO
d6lourno POU!' cac hel' S I propro tristos'lO, Qu 'ost- co quo ju
r"rui sanJ
!Jo g
r O(;~"s
'f OU S '(
1 l'melS coull'nt sur
ICJ
jl)lI'-'.r de J e 11H1 0 .
�LES
PRINCIPe s
nE
TANTE
GF.RT R lJDll
119
- Chère petite, vous étiez heurouse avant le départ de
votre père; pourquoi ne )e seriez-vous pas encore?
- Pourquoi? Pourquoi? .. Parce que maintenant je vous
aime, que vous êtes ma pctiLe maman ... oui, ma petite
maman. 11 n'y a personne pour m'enlel:dre.
Jeanne Il aLLrcpê au vol ) 0. main qui voulait clore srr
bouche; (·lle pleure désesp6rémeuL Claire, visibh:men l
énervée, esl près d'en faire aul:.: nl . Avec eftorl, olle pour/luit:
-- Vous n'êles pas raisonnable, J eanne. Que dirail volre
père? Que vous l'a voz oublié pondant son absence.
h e cie venir ù Paris, vous ::w ssi?
- Mais qui vous emp~c
I:!'('crie l'cnfant.
-- Non, wln, ne parlez pas do cola, c'csl impossiblo.
- Muis si. Vous m'avez di L uno rois flu e rien ne vous
J'clouait ici. V <.. nez habiter Paris, nOli s pou rrons vous voil'
~.
tOUR les jour
Ah 1 si Paul entendait /;0 fillo. .'elilt Lion cela que Clairo
a compris, qu'ell rodoulo; c<'lu qui suspend 0011 oui ùans
une ango
i R~O
ine primubl u. J eanno l'aime de louL son ca'ul';
sonrêvo,e,('sl une vic ôle ù côle, mais elle, l'enfunL ,gardnnl
la place uniquo au foyer du p Ùl'U. Ll marqui so se tromp e,
ilf! se tromp onl tous. Si ello codo, 0110 SOI'U l'intruse; ~a
parl sera laillée dans le bonh eur de Joa nlle cL le sion l'n
liera Ù tou l jamlliR empoisonné.
La voix allurée , olle reprend:
_ Jo vous en prie, Jennn e, n'insislez pas.
L s larmes la sufToquont ù son lour. Brusquoment elle
s'es L lovée, 8er1'8 fébrilom enl l'onfant dans sos brnfl, lu.
pousso vors l'escalier:
_ Lo d6j euner a sonné, n'a ver,- vous pas entenùu '/ Essuyez
vos youx, ma chù1'ic.
... ...
.
_ Ehbion 1Mademoisello ,1 00 lino, voLro papa cstlb.ot vou<;
pleurez oncoro. ,)'ai hi"n vu : au déjeuner, vous aviez les
yeux rouges el l'air Luul drôl ommo dans les commencemenls.
�120
1.1:5
pnlNCIPF.S
DF.
TA'ITI'!
GCRTRUDE
Jeanne, incapaLle de restf'r tranquille pcndant que lrs
gl'andes personnes prennent leur café dans la bibliothèque,
el're, lamentable, à travers la cuisine. L'exclamation de
Marie-Joseph suffit pour ramener ses larmes sous ses paupières.
- Oui, j'ai du chagrin. J'ai relrouvé papa; mais tantine,
jo no veux pas la quitter, t clIo no veut pas venir à Paris.
C'ost si simplr pourtant.
M:lrie-Joseph examino attentivement l'assietto qu'elle
essuie.
- Dame 1 fit·elle, sans relover les yeux, y avait qu'un
moyen.
- !Ieinl Quoi? Vous connoisse); un moyen de la faire
venil' à Paris?
- Oh 1 j'ai dit ça comme ça ...
- Si, si, vous avez diL... Vous avcz une idée, dites
vite.
Jeanno secoue 10 brus do la vieille servanto.
- Là, là ... ne mo faitos pas Wcher mon lIssieUe, ma
petito fllle. Dame, oui, si elle épousait votre papa.
u repris uno autro assiette.
Morie-J osrph, tèto ba~se,
Un instant J eanno resto debout au milieu do la cuisino,
le reg.lrd obsenl. AutNrois, \lno domestiquo pou scrupu- l
!CUS() avait agité devant ello l'ôpouvantail d'uno boUomère sûvèro, accaparant son pf·r , la rcl(oguanL à l'omco.
L'enfant en avait gard6lontcmp~
l'appréhension, puis Pl!U
il p<,u ceLt éventualité s'était rrmis': o dUllS les impossibilité.>, !Ii bien que Jo chagrin do quiLLer Claire n'avait pns amoné
dun'! ceLLe ccrvelle do ÛOU7,,) nnR l'id6e du dénouemont
{lue rhacun autour d'ollo conslûérait comlllo si naturel.
personnellemont, s'y étuiL méprise.
( luiro, trop int~rcsé
Comme dans un éd ir, la plu'asc df' .Marie·J osoph dl' '8!lait devant 1'( nrant l'imago d'un inturiuur où, entro 10 pGro
,j /limé toujours pt lu petito maman qu'olle rh6ris30il, IIf',
./ canne, nirherui t chuudOlnnut, tout 'om me SOIl umic
Marthe li qui plus d'uno CoiA 01100. onvi61es cafOSsrs materllf'llUl.
tno joi' Îllll'rlSe fuit bondir 10 ccour cie l'onfant.
�LES
PIHI\"CIPr.S
DE
TANTr.
CERTItuDE
12l
- Comment n'y ai-je pas pensé? Que je suis soLte 1
Quelle bonne idée 1
Jeanne est parLie, courant dans l'escalier.
- Mademoisel1e Jeanne ... Mademoiselle Jeanne, mon
Dieu 1N'allez pas répéter ce que je vous ai dit ... Maaemoiselle qui dit toujours que je me mêle de ce qui ne me
regarde pasl
Mlle Jeanne est loin. Elle a sauté dans l'escalier, ouvert
la porle du salon et, sc précipitant sur Claire:
- M~
petite maman, j'ai trouvé, j'ai trouvé ... 11 taut
que vous épousiez papa.
Claire est devenue lrès pâle.
- Je ne demande pas mieux, fait une voix grave.
Jeanno a Burdaule,
- Oh 1 papa, tu étais IIJ, jo ne t'avais pas vu. N'est-ce
pas que mon idéo est bonne? Oh 1 ma petite maman. dites
oui.
- On a sonné, s'écrie Claire.
S'échappant ùes mains de l'cnrant, olle lraverse en cou- ,
ranl la terrasso et disparait dans l'escalier. Joanne revient
il son père.
- J'avais tant de chagrin ùe lu quiller, p pa. Je l'o..ime
beaucoup, mais avoir un papa et une maman comme M ru'thel
M. de Kervilan n'a pas répondu; il a embrassé sa fllle,
ol, commo M. Philibert tait Foon onlrée eL que Jeanno
s'empresse allprùs de son oncle, Il va rejoinùre Claire qui
s'nttordo ù roùrrssor un de ses pots ùe fleurA.
M. philiborl a ri.
- Oh, oh 1 lu os trouvô cola louLo soulo?
_ N'csL-co pas quo j'ni raiSon?
L'id6e s'est si bien implanL6e dans l'spriL de Jeanne
«uo, do bonne foi, oHe no so rappelle plus l'intervention
ùo Mario-Jos .pR.
- Oh 1 il tauùra bie:n qu'ello dis oui.
- Un pou de paLicnce, dit l'onele, releno.nt par 10 bras
l'impationte fllleLLo, tu vas l'avoir, ta ruponsr.
D'un regard malicieux, il suit son fr(!re qui olCnmine de
priJs 1 Oeur rcdnss6e par Claire.
�·l'ai une commisl>ion à te faire, reprend-il. Yves Le
Corree a ammené hier au port sa nouvelle goélette, il
demande que tu ailles la voir.
- Oh 1 je veux bien. Allons-y.
Claire ct Paul de Kervilan rentrent ensemble:
- Viens embrasser ta potito maman, Jeanno. mlo ft dit
oui.
Jeanne s'est jotéo dans lps IJl'all qui s'ouvraient. Rlle
appui o sa LûLe sur J'épaule do sa pol ite maman eL rerme
los yeux.
- Eh hion ' clléri r , dit CJair,) un pou surprise de J'immo ·
hilit6 de l' nfan t.
- Je crois que jo suis trop hourouso, balbutie Jeanne.
- BL La gol:lcllc?
M. Philib"rt Re juge do Lrop ct doute quo .1co nne ellomOmo Rolt très nOc ·ssairo.
- Jl r ~ i t boau, on tinuo· t·jl , paf. trop ch. Uf!. Avant de
quiller ]0 vioux tontol1, donne-lui cello Hlll'ùs -midi cl
courOns tous deux la lande comme Ccl, hi vor.
- MAis papu rt tantin e vont r e~ t e r tout r.o1l1s.
- Ou , plu tôt, je il e te sufn" plll!!, ro quine.
J eanne Ra mol Il rire.
- • l, si, tonLon, si ça VOll!! ra iL plaisi r. Vous avez. é l(l
ni genLil pour moi.
- lII ou a visiterons la go(,luL le ct, Ri la mnr c la perm ot,
nous ferons un tour ' fi mor.
,! cunn e baLdos mains.
- Vous n'allr7. pas VOUI; nnuycr loua dt' ux au moins?
D g sou ri r($ trùs nmu sOs lui rôponùoJ1l. Claire J'a
fJ/T1brossée.
•"•
- Tonlon, rxpliquoil JL anll o toul n Lrotlill o.nl uuprt:;
de lui duns Je peLit sontier bord6 d'ajoncs qu'Ils 9fle cliou nnlcnt , j'ai un peu Mclé l'allai ra. Valait mieux lalas ' l'
f> po. ct to.nLlne qu elques houre.; tranquillus pour s'entcndrtl
.t tout arranger.
- Je BuiJ de Lon avis, petite nlle.
�•••
Pendant quo l'onclo ot la nièco allongent le pas vers le
port où la goélette touto neuve, senLant 10 goudron, la
peinture ct 10 chanvre, se IJalanco SOUI! les ytlUX êmerveil165 dcs famillo.'! do pêcheurs, sans autre entente préalablc,
Paul d') !Ü:I''1ilon a enlac6 Claire. Bile s'abanùonne à. son
du tout
étreinte , lui laisse prend l'e un boiser qui n'cs t plu~
Ir'l teruel.
-- Qui avait raison? s'oerio-L -il lriomphanL.
- Vous, toujours vous, reconnaît -clIc la volx joyeuse_
- PetILe cnt6Léo. M'avoir tant L'J urmen L6 depuis mon
rotour avec vos faaLômes do sCI'upules.
POUl' la puni l', il a pI'is Ull second baisel'.
-- Puul, Ile r ogreLLo<l pus Illon ontGlemcnt. Si je suis
pleinolll ent heurouso aujourd'hui l c'est graco ù lui.
- Jet'nn') aura it accueilli l'annonce d') notre mariaglJ
avec autant do plaisir, il y n quinze jou r,;.
- Qu'en s:'\VOZ-VOll S? S' imaginer en avoir ou l'idé,', ou
so 10 voil' imposor, ost tout dlJr 6
1' ~n L. Pour moi, loul au
moins, un nU l'Ige aurait nssombl'i mon bonh eur. J o n'au rais pu chussO l' III craiuto que ]'onfrml n'ail oMi au mûrne
sentiment qui lui faisa it cacher 808 larmo!> au momont do
vot{'O d 6 por
~ , ù celui flui courbait SOli indépondnnto olonlé
h la. discipline de sa Lanlo; ceLto préoccupaLion si touchonLo cl si ruro chez un enfant de cc l ago ; vous évite r
tout chngl'in, hU -co Ù Bea dOpCJl!;.
_ Oui, muis vous voyel. auss i quo, luls,>é à moi touL soul,
jo no faL; llue dos bêLises Cil fuiL d'6 Llu cution. L'idée (]I]
Co nfil'l' JOIlI\no il ma scour a élu d'un cali1>ro il me donner
IIIl O fOl' lu m611ance dnns mes capaciLés,
- 'ous soriol\lJ- nou' rctl'ouv6l! saiis 0110 ?
- gh bl('ul oui, jo 10 crois. Lors quo jo me sontai si
seu l malgru 1.\ IJrésoncn do J oanno, 1;'olaiL vous <ju'oLseur6J1l"nt ju chel'c;lU i: . Il osL corL .lin copendanL quo mon
mUllqulJ do pcrspicuciL6 y u aidé,
vo tre 11011\ monLionné
po r i,' p"" 1110" ' fl)ili d 1 1 ~ ln lettre Llo l'hili b')l' L, j'ai cu
�1Ù
US
'ntNCIPP.B
D~
TANTE
CERTI\UDE
immédiatement la vision qu'il remplirait le foyer dont
soif. Ah 1 du coup, voilà toute mon humilité envolée
Bénie soit ma bêtise ..•
-- Béni soit le bon Dieu qui a tout mené, rectifie la
croyante jeune mIe.
- Oui, fait gravement Paul de Kervilan, ma reconnaissance est infinie. Qu'aurait été mon avenir? Ma pauvre
petite Jeanne me devenait à charge de voir qu'eUe était
l'obstacle enlre vous et moi.
- Et c'était lm cruel remords pour moi.
- Taisez-vous ... Si vous ne IDe l'aviez pas sàuvée,l'aurais-jo retrouvéo?
- Je n'y ai cu que do la joie. C'était votro fille_
- Et clio n'a pas volé ma part, n'est-co pas, demandet-il tendroment.
- Non, murmure Claire.
- Eh bien 1 ne peut-il pas y avoir place aussi chez moi
pour la femme ct l'enLmt? .. Les onfants ...
j'av~
.....
Ils étaient là oncore tous doux, lorsque les promeneurs
revinrent. Heureusement, Jeanno parlait pOUL' quatre, eL,
dans la dcscl'iption du bateau, do la r,mdonnèo on 111er,
oubliait de s'informer si l'après-midi avait été sérieusement employ60.
Com.mo l'heure du dinar sonn(üt, Paul demanda l'autorisatioJl d'annoncer omcicllomenl ses fiançailles.
- Pourvu quo tante Gertrudo no soil pas trop contrariée, s'inqui6tu Claire. Je serais d6so160 do ùev<:nir sa belle
sœur contro SOll gré.
Jeanne a bondi, prête à la révolte_
- Vous no pcns 'z pas qu'ollo va nous empBchor d'êtro
hourell'X. encore ...
-- Ne v.ous jnquiéto~
pas, assura Paul do Kervilnn. Ma
sœur_oura plus de confiance daos les capacité!) éducatrices
do Clnire quo dons les miennos, qu'elle timbre d'un z(,ro.
�t.R!I[OflrN'1:~
op.
T ,\N1'l'!
QtR1'I\Ut,.:
125
'fout au plus craindl'u·l-elle qua ~lo
Jeanne nc soit pas
assez sévèrement imbue de ses principes.
Claire elle-même a ri.
- Ils ont du bon, les principes de la tante, dit-elle.
- Je n'ai pas peur s'ils passent par vous, déclara
Jeanne.
u Oh! l'eprend-elle courant après une idée nouvelle. C'est
à Kerhévic qu'ils vont être étonnés. Qui ira le dire tA la
marquise?
- Vous-même, demain maLin, petite chérie.
- Oh J vous voulez bien? Que va-t-elle dire? Sûr elle
dira quo j'ai eu une bonne idée. Vous vienùrez avec moi
tous deux.
- Oui, petite Olle, nous irons Lous les Lrois lui [aire la
surprise, promit 10 père.
M. Philibert était silencieux; assis par habitude auprès
do la chemin6e, il faisait une piteuse grimace.
- C'est moi qui perds dans tout cola, remarqua-Loi!.
Lo perchoir fermé ...
- Mais, s'écria Claire, vous vienùrez passer l'hiver avec
nous, si vous vous ennuyez ici.
- Notre maison n'est·elle pas la tienne? appuya son
l1'iJl'e.
- Non, non, jo rosterai ici.
- Oh 1 Lanton, petiLe maman disait commo vous. Je vais
chercher une id&e pour vous.
- Ne chorcho pas, ma fille; on n'en trouve pas deux
aussi bonnes dnns sa vic.
Si Mllo J eanno, salis même jeter un r ogard indiscret dans
le petit salon, on cetto bienheureuso après-midi, avait
soulement entendu 10 courL colloque de ln teTrasso, elle
auraiL pout-c,tre eu quelques doules sur l'excludvit6 de
Jo. bon no idée qu'elle s'aLtribuaiL ingénument.
Si e1l avait entendu ln voix tremblante d'émotion qui
disait: « Vous ne pouvez plus rr(user. je ne vous suppli
pas seulement de dovenir lUle vraie maman pour Jeanne.
�12ô
LES
PRINCIPES
DE
TANTE
CERTnUDE
Vous sa.vez ce quo je demunde : je vous veux pour ma
femme, ma femme bian-aimée », ..
Si elle avait enlendu une autro voix, tout aussi tremblanto, murmurer qu'il y avait bien longtemps, oh 1 t.rès
longt.emps qu'elle avait donné son cœur ct n'avait jàmais
pu le reprendre ...
Si Mllo Jeanne (wail enLend u... Mais Mlle J eanne n'avait
ri en entendu.
Un léger nuage !lotto daus son ciel bleu, une inquiétude
traverse sa joio. Son pèl'o n'osl-il pas plus sérieux aujourd'hui?.. Elle a arrangé les choses il son gré, mais lui? Elle
l'a un peu oublié.
J eanno veut savoir. Le soir, a\'anl de sc couchor, f'lle
entr~îo
son père dans sa chambl'e.
- Papa, dit-ello, j'ui pour d'avoir 6té égoïsle LanUlt. Jo
n'ai. pensé qu'il moi ... Pour que Jo r.ois t.out 1\ faiL heureuse,
je voud.rais êtro sûrJ que, toi aussi, tu os conlont. Comprends bien, l'apa; pas rion que pOUl' moi, pOUl' toi
aussi.
M. ùo Korvilall serro daos ses bras la mignonne créature
si p/Mie déjà de co dévouement qui (l échappé à Mlla Gertrude, dont Claire 50 méfiait li juste titre. Qu'il set'a heureux tou l il l'heure do lui fairo conslaler clans lu crainte
lHlïve ùo l'enfant la preuve de l'affection absolue qu'elle
a voué il sa • potite maman »,
- Ma c11érifJ, so is tranquille. Je serais tent6 do dire
comme toi: « Je suis trop houreux. "
Ln voi ;c s'c::;t faite si vibrante quo, cetie Cois, Joo,onc
est complètement rassurée,
- 0111 je suis hien contente, alol's. C'rst toujours la
même chose qui nous lait plaisir. Moi aussi, je suis tout
à faiL heureuse, autanl quo toi, papa.
FIN
�l'OUT
pa~itre
jeudi prochain
!O!l3
I~
nO
3M de la Collc:tioll .. FAMA ..
LE SP.ECTRE VOILÉ
par M. A. HULLET
CHAPITRE PREMIER
Suivant une expression vulgaire, il faisait, co jourlà, un tempd Ù ne pas mettre un chien dehors. Le vont
glacé d'hi vel', en ceLte contrée environnée de montagnes,
avait amené avec lui des nuages si somhres et une
pluie si IJéoétrante qu'on ne pouvait, so nger à sortir
sans nécessité.
La petiLe Laurence Oastiel' élait contente de cette
exagé ration de pluie ot de venlo Elle n~aimt
pas sc
promener pal' le froid, L il lui était douloureux de
revenir à la nuit Lombante, pieds et mains gelés, le
cœur aLtristé pur les obsel'vations de Rita, la bonne
cl'onl'ants, nt l'e3priL humilié par la conscience de son
inrériorité physique vis-à-vis de Claire, d'Odile et
d'Édouard Martel.
Ils étaient « grands cL forLs pour leuI' ûge », tandis
qu'elle était « chétive et rabrougl'ie »; ils étaient beaux,
eIl était laide; ils avaient des « teints de fleurs », son
teint à e110 était « Lerreux et brouillé n, suivant les
(A
suivre).
�2388· 32. -
COIIDEIL. UIPnUlY.nlE Cn É TÉ.
�•••.••••••.••• ,,[2]
~"'I
LE DISQUE ROUGE
DES ROMANS D'AVENTURES - DES ROMANS D'ACTION
D'AUTEURS LE..<::' PLUS CONN US
CONAN DOYLE
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Sherlock Holmes.
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de RaUle&) ,
Le Voleur de nuit
(D
e rni~m
avtnlur,& de RaUlt&\.
M. CONSTANTIN -WEYER
Vers l'Ouest.
CHRISTIAN DE CATERS
Le Maléfice de Java.
La SauterelJe Améthyste
CAMILLE PERT
La Petite Cady,
~
:
L
J~
3 FR , sa
EXCLUSIVITE HACHEITE
Extrait de la liste des
Volumes déjà parus:
Chaqu.
Volum e
ALBERT BONNEAU
marque du Léopard.
Le Désert aux cent mirages.
ANDRE:. ARMANDY
Le Maitre du Torrent.
RUDYARD KIPLING
Contes de l'Inde
CHARLES rOLE'(
Kowa la mystérIeuse.
C.-J. CUTCLIFFE HYNE
Kate Meredith.
ARTHUR MllLS
Serpent Blanc.
ARTHUR MORRISON
::ious la griffe de Martin
Hewitt.
L'Étrange Av~ntu
du
.. Nicobar u ,
L'Heure révélatnee.
H. G. WELLS
La Poudre rose.
J. JACQUIN ET A. FABRE
les5crimu de M. Tapinois.
G -r, TOUDOUIE
Le Maître de la mort froide.
Carnaval en mer.
HERVÉ DE PESLOÜAN
L'Énigme de "Élysée.
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"CHICS"
CorL
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Imprlm ori e Crf\t é.
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Lauvernière , H
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Les principes de tante Gertrude : roman
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Ed. de la "Mode Nationale"
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impr. 1932
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BUCA_Bastaire_Fama_333_C90801
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�MARTINE
AU CŒUR SECRET
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MARTINE
AU CŒUR SECRET
ROMAN
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PARIS (XIve)
�MARTINE
AU CŒUR SECRET
CHAPITRE PREMIER
Il Y euL, dans les fourrés où s'essaimaient les feuilles
sèches, comme un bruit de soie froissée ... des craquemenls
de branches ... une fuite de biche surprise.
A l'orée du bois, une forme blanche franchit la route
d'un bond agile et, v,ourchassée, s'engouffra dans l'allée
qui olTrail son portall béant. Une porte claqua dans la
maison dont on dislinguail la façade recrépie ~ neur, au
bout du l'oud-point, et le pOUl'suivant s'en vmL buter
contro lu grille J'ef!'rmée dont les barreaux d'or terni
arrM >rcuL son "Ian im pélueux,
- f'apris1i de snprlSli 1 murmura-L-il, mi-rieur, milû ché , elle m'a eu 1.. _ Mâlin 1 quelles jambes 1...
Il essaya d'ouvrir le porlail qui céda sous sa poussée.
Le jeune homme n parut surpris. Allait-il s'aventurer
dan:i I:ollo Cralche 311ée, toute odorante do rosée malinale?
DCl'l'i{l'e 5('1\ volels clos, la maison semblail dormir el
prenait <Ieg airs cl palais enchan16,
:- Le cilû1uou de l,t lklle au Boid, persina ['inconnu il
VOIX. hante, comme s'il t'ut désiré ôtI'o en1endu.
11 mtl'rI'ogca le;; f~n(:tre
d'un l'egard incerlain, hésita,
haussa les e)Jault';l renonçant décidémenl à BOil projet et
referma dOlcem~
10 pOl'lai!.
'
Planl.6 d~rièo
l'écran ajoUl'é, il obsorvait lcs aill·CS ...
~c
brUIt, cl UIlO c~pngolLe
qu'on lourne précullliolln(,I1liempnt 1 alerla soudain loi un chien do chasse ('n ul'r0t.
.\ l'étagr, d6chiranL la 'Cuçado nett e une fcnùlrc s'ouvrit
lentement.
~'jn,dis
crel
'
n'npcrl,lll d'abord qu'un hrJs rond cf, doré ...
pUIS 1 ~('!lancu:e
d'un pyjama à gl';mc!ell Ileurs ... ct. onfin,
qui baillnit, alangui, au milIeu dl'
un (\{oItCIC'llX. Vl~agc
!Joncle.; déC IltC':;.
JJ paml élJloui.
�fi
MARTINE A U CŒUR SECRET
- Parbleu 1 je me doutais bien qu'elle était jolie 1...
C'est qu'elle a vraiment l'air de s'éveiller à peine, remarqua t-il, amusé.
Et il eut un « Hum! » conqu ér ant .
L'apparition tressaillit. EUe fi xa. sur l'importun des
yeux noirs de courroux eL ramena VIvement sur sa gorge
sa veste entr'ouver Le .
11 répondit p ar son plus gracieux sourire: La dame aux
boucles n'en fuL pas le moins du m onde apaIsée et sa moue
m éprisante s'accentua .
Alors l'inconnu sc livra il une manœuvre singulière. II
agita, en maniûre de dra peau blanc, un minuseule mouchoir
de linon qui r épandit dans l'air léger un e suave od eur de
lavande, puis, sans quitter du r egard le visage qui
l'examin ait avec une inquiétude m êlée d'irrita tion, il porta
10 dit mouchoir à ses lovres.
Brusquement, la jeune femme r cferm n 10 volet .
L'étrange p arlementairo lie s'en offusqu a p oint .
- Bah 1 triompha -t-il, cc n'est p as encoro l'h eure de
jouer les R ornéos ... ~I a i s je vous r etrouver ai, belle nympho
farou che , qui gILez sous les ioits comme lIno simple
mortelle ... e t alors, foi de Rob ert Pi 6mont, il faudra
que vous m'écou tiez 1
•
Cc disant, il attach ait à un des barreaux de la grille 10
fin linon qui lui avait servi tou t il l'heure dans 6es travaux
.
d 'approche.
CetLe délicate opéra tion terminée sur un Il VOilà 1 l) satisfait, il avisa une pla que de cuivre onca stréo dans un des
portants, at, sort ant un calepin do sa poche, nota soigneu ,
sement la patronyma de la vlIln ;
ROMAHI N E
-
Drôle do nom ... , mais l'occup antc est Lerl'iblemcnl.
sMuisante 1
Sur cetto constatation, il alla it s'61oigncr lorsqu'un
lever la
g ra nd bruit ùe volet claqué lui fit. à nouY~()
tû to... , et aussitôt il s'immobilisa , sid6ré.
L à ·haut, une autre fenêtra s'était ouverte: uno form e
féminino . s'y ùessinait. Envelopp60 d'un p eignoir do cre tonne cl aIre, ses choveux défaits retombant on ruissoau roux
sur ses ép aules demi -nues , elle avança sur l'é troit b al .
con ot vinl s ' a pu
ye ~ des poigneLs à la balustrade. L a
t ète r enve rs6e en arrIère, 011 0 Jl1lma, avec uno volupl.O
vi siblo, l'odeur des boi ~ mouillés <fui lraÎnnit d,\Os l'almo bph er e molle de co potlt matin campagnard ...
L'inconnu so frotta les youx: :
�MARTINn AU CŒUR SBCRIlT
7
- Ah ça , ai-je la berlue?. .
_Sans p araître s'apercevoir de l'attention dont elle était
l'obj et , la nouvelle vonue so mit à csquisser quelques mouyements de culture physique. D'impeccables flexions de
Jambes prouvèrent la souplesse do ses jeunos jarrets ... Puis
co -fut 10 tour des bras : t antôt ouverts comme des ailes,
dressés pour une invocation ou r epliés en anses d' amphore,
e~
la bello gymnasiarque r es~ u sc it a tour à tour, sous le
Clcl rose, une danseuse pompélenne, une choéphore de basreli ef et la vi erge biblique. Enfin, r edressée et immobile à
nouveau, elle montra, sous la coulée ùe ses cheveux ruisselants, une sveltesse élancée et droite de jet d'eau.
- Çu ! s'exclama Robert Piémont, éberlué.
Soudain, cli c le vit, planté der~iè
la grille, les yeux
ronds, figé dans ?no stuPC?!' émervelllée. Ulle cligna drôlement des paupIères, pUIS, brusque, eut un éclat de rire
impertinent qui as pergea le jardin comme un e pluie de
gOuttelettes fraîches... et disparut derrière 10. persienne
adroitement poussée.
Le jeune hommo en r esta bouche bée eL fut une minute
Sans pouvoir reprendre sos esprits. 1::lcs regards indécis
allaiont du balcon désert à la fenôlro voisine où avait
surgi, quolques instants plus tô t., lu dame aux boucles. 11
fallut le grondement J 'un chion derrièr e le n'lUI' du parc et
Ja voix du jardinier go urm and an t l'anim al, pour l'arrachel'
à sa torp eul'.
Alors, il s'éloigna, incertain, ot on eû t pu l'entendre
gromm eler avec un désespoir ironiquo :
Voilà bien ma veine t L aquelle des deux,
maintenant ? ..
•
**
Miss Elsie nt une calme entréo dans la cham bre gris et
bleu qu'occupait son amie française :
- lIello 1 Nlartinc ... Vous avoz vu co jeune scoundrel
qui bâille dans volre porte? Ah 1. .. jo vois, vous avez
ob~rv6_ausi,
chérie ... ~'es
t . il pas r éc
l e m~nt
imp ertinent?
Martmo, ainsi su rprlso aux aguots derrlore les lamelles
ùe bois - posto d'écoutes fort commode, en vérit~
1dissimula entre ses deux mains en calice la rougeur fugitive
de ses pommettos.
- Un voyou ? .. Vous ôtes sévèl'e ... C'est un promeneur
sentimental qu'au ra tenté la vision do l'lIubo...
- Et il s'olfro la nôtre en attendant. .. lndividu odieuxl
protesta Elsie, en fronçant ses soutells de dMsse irritée.
Pensiez-volls qu'il n'avait pas l'audace d'adresser un baiser
à mon nez? .. Eh bien, il a fait, darling ... avec sa tnain,
�8
MARTINE AU CŒUR SECRET
romme ça ... Et j'étais toute honteu se, parce que ma vest e
ne tient p as très bien, vous savez ... et il a pu voir mon
buste, aussi décolleté que pour le grand bal du Claridge .. ,
- Et après? formula négligemment Martine, puisque
vous le montrez, ce buste, entre minuit et trois h eures du
matin, à toute une foul e ...
- Oh! s'exclama Elsie, choquée , ce n'est pas la m ême
chose 1. ..
Elle traîna ses mules jusqu'à la salle de bains et on
l'entendit crier, dans un grincement de robinet s r étifs :
- Pauline n'a ri en prép ar é ... Encore pas d'eau chaude
co matin J...
.
A sa coiITeuse, Marl.ine out un ha ussem ent d'épaules
agacé:
- C'est insupporlable, murmura-l- elle. J e dirai il mèr e
que ça ne p eut pas durer ... Cette P auline devient impossibl e.
- La voix d'Elsi e arrivait, au milieu d'un bruit d'averse :
- Moi, ça m'est égal... J e tllbo... Vous n'aim ez. pas
Pean froid e ? .. P ourtant, vous devriez bien tuher a ussi,
Martino 1. .. R ien de meilleur pour la peau, darlin g ...
La da,./in g n'écoutaH plus . Blle v cnai l ùe s'assure)' d' un
bref coup d'œ il dans la sali a de ba ins que sa ba varde cam p agna était eITec tivr mont sous 10 r ideau de caoutchouc ...
Allons 1 Elsie cn ava i t pour ving t bonn es m inutes à faire
ses ritue:llf's ablutions ...
Sur la p ointe cl es piods, Marline s'esfjuivn ...
En hâle, elle descendit l'escalier de boiR ciré qui cra qua
il p eine sous son pied léger ... , elle fut delloJ',J , r enouan t
d'un geste frileux 10. ceinture de son peignoir .. , Un claqu em ent de sabots venait de la volière avec des b a !.Lc'm r nls
d'ail es ct d (>s crr ... Cl')' ... <.1 r p oul es affair éos . l'('rsonn r
dans le jard in désert. .. Scul, un chi rn noir au poil hirsute
s'approcha c l. nt mino ci e sc fl'o tLeJ' à ses jamLes. J\1a J'tiJ1e
se r ecula, l'ail' dégoûté, cl l'Oloigllll de la m ain. Après quoi,
s'é Lant assur60 qu e lef; fenûLro.' de l'étago d omeura ient
closes, elle cOUl'ul au porlail.
. D'abor.l . précautionneusem ent, pui ~ enhardie par le
sll onco pa lslbl o . do la roule, el!c ghssa la tête par ]e
baLLant enlro- bâ Jllé : en fa ce, les pms sc sorra ient on lig nes
pressées aulour du mystèro e t de l'ombre ... L'inconnu de
tout Il l'heuro 6lait bien r éellemont parl.i.
La main p ourou s.:! do Martine s'avança v er s la mou cho.i r
qui s'ép anoui ssait comme '-mû fi oul' eûndid o b. la. ham\)o
do la grillo... Un bl'is tol tomba, qu'elle rattrapa au vo :
Robert Piémont... La Sauvagèro ...
Dans 10 coin, un mot avait élé griffonné : restitution ...
�MARTINE AU CŒUR SECRET
9
Les lèvres de Martine eurent un frémissement. Elle
contempla réveusement le fin carré de linon, caressant
l'initiale d'un pouce complaisant ... puis, le glissant d'un
geste preste au creux d.e sa poitrine, elle remonta, furtive
et pressée .
... Pimpante, sa peau de blonde soignée éclatant
comme un fard sous la lumière des cheveux pâles, fleura.nt
bon le tub récenL, l'eau de Cologne eL l'iris, Elsie fit sa
seconde apparition dans la chambre gris et bleu.
BlIe poussa un cri d'oiseau à la vue de Martine qui
l'attendait, correctement vêtue pour la partie matinale, sa
taille menue prise dans un pull de laino rouge que
soulignait, au-dessus de la jupe plissée, uno ceinture de
daim blanc:
- Déjà pl'~Le,
dearcst?.. Oh 1 c'est réellement un
miracle commo vous allez vite, vous autres Françaises,
pOlir la toileHo du matin ... Jo peux jamais comprendro 1
EH!' ujoHta avec un petiL riro ;
- C'esL vrai que vous vous rattrapez le soir ... On n'a
pas été troo seulo fois à temps pour le hal, ch, Martine'? ...
Et. quand on ya au casino, pour le thé1Hr , on arri\'c
toujours q\land les acteurs on nni d'expliquer cc que le
doit savoir ... C'cst très désagréablo ... parce
« pioulJlic
qu'alor:l, moi, jo sais plus, mais plus du tau l 1...
Sans répondre, Marl.ine décrochait sa raquelte plaquée
daM le presse-raquette, et dévissait les boulons.
ldsie s'aITola ;
- Oh 1... ot je suis encore en pyjam 1... what a silly ...
Qu'est-cc qu'ils diront, les autres 1.. ,
- Pour peu que nous tard iolls davantage, railla
Martino, nOlis les trouverons derj'iure les grilles du tennis.
1l~
auronL ma lché sans nous.
Celle menaco ayant laiL son flet, Elsie, à qui la peur
de rai ('l' le malch d onn;, it des ailes, rojoignail dIX minutes
plus tard Marline dans le veslibule,
Presque jumelles do taillo ot de staLurc, ell,,!> dégringoI(\r.olll le perron a voc l'allure sauvago ot joyeuse do jeunes
nnlmuux lâchés en liberlé. Dans le garage, leu rs vélos
rOlpectifs les allendnicnt.
-- Hop 1...
Du même élan souple', ellos furrnt en selle cl Io tournant
du. eh Cm in avala leur &iJhouelle élroite p enchée sur le
gtllclon.
)1
�10
MARTINE AU CŒUR SECRET
CHAP.lTRE Il
Mmo Châtelain- Prévôt dégustait son chocolat à petits
coups. Elle portait avec noblesse une cinquanLaine un
peu ~paise
que n'embellissaient point, au-dessus d'un
nuque aux plis gras, des cheveux trop noirs et coupés
courts. Mais son humeur restée coquette la sanglait dans
lme gaine du bon faiseur et la vêtait de teintes sombres
et.,. amincissantes.
A côté d'elle, sur la table de rotin qui complétait élégammenL Je mobilier de celle pergola de villa estivale, le
courrier matinal exposait ses enveloppes dépouillées de
mystère.
Des factures.. . un avertissement du propriétaire, qui
parlait d'augmenter le loyer de leur appartement nu
terme d'octobre ... , quelques cartes d'amis en villégiature,
tel était le bilan de la journée, avec uno lettre M. Prévôt,
celle-là même que sa femme parcourait distraitement en
:Ichevant son petiL déjounol' .
M, Prévôt y oxprimait sa joie de pouvoir enfin rejoindre
:\ Roquelaure sa femme et ses filles, ainsi quo cotte jolie
E1sio que 10 hnsol'd leur avait don néo pour commonsal!',
A cet ndroit de la missivo conjugale, Mme ChatelainPrévôt eut un haussement d'épaules ~loquent,
Le hasard 1
Son mari on avaiL de bonnes 1 N'avait-il pas fallu, en
véril6, louto sa diplomn Lie de femmo « à la pago )) mêlé\)
aux connaissances d'anglais quo posSédnit sa fllleMartinr,
pour dénicher cette Elsie Barnett, leur pensionnairo de la
saison, laquelle payait généreusement ses dix livres pnr
semaines, ce qui lour avait permis do s'installer en celL .
luxuouse demeure et d'y prolonger leur séjour ? .. ,
!Il me OMleJain- Prévôt soupira,.. Certes, il fut un
Lemps où 0110 ne s'occupait guère d(J ces mesfluins calcub.
A quoi tient Je destin pourtant?
Sos p1'lloelles embuées do regrGts so posùronL ù nou·
veau sur l'inélégant p!lpier OÙ,s'étalaient, en grosses lettres,
au-dessous de Jo. raison sociale « JUIl 'fl Pl'évôt fils » hl
mention; «Bois Il lous genres, Il't:oçais et exoliquos )).
Ner~us,
elle chilTonna 10 fc~iJlet,
et ses regards, souduin
dur~ls,
oflurèen~
il la ,:u;vlte les dernières lignes;
J espère, ma bum cherie, qrte Noucltli est maintenant
raisonnable., et q1!'ellc /l()~
te donne pas trop de mal ...
Chatelum-Pl'évot
l'avaiL piquée.
li:lle appela:
- Pauline ! ...
~lmc
50
redressa comme si un guep c
�MARTHŒ A U CŒUR SECRET
Quelques secondes coulèrent ';l,ue Mmo Châtelain-Prévôt
employa à battre les dalles d un ton irrité. La bonne
ar~
va enfin, suante ct essouUée, ses mains rouges renouant
en hâte les cordons du tablier blanc autour de son ventre
rond.
- Madame m'a appelée?
- Où sonL ce~
demoiselles? s'enquit la malLresse tle
ulaison <l'une voix brève.
Milo MUl'tine cl !\Ille Elsie sonL sorties à bicyclette.
Elles avaient leurs raquettes .. . , mais je ne sais pas où a
passé Nouche .. .
Elle se mordit les lèvres SOus le regard sévère de
Mme Châtelain-Pr6vôt et, avalant dilficiloment sa salive,
rectifia;
- Pardon ... Milo Apne-Marie 1.. .
- Elle est partie? Sans permission? C'est trop fort! ...
- Oh 1 elle doit êtro dans le parc ... Tout à l'he\lre j'ai
entendu du bruit du côté du kiosque.
Mme Prévôt n'en écouta pas davantage. Lo face-à-main
en bataille sur son nez impérieux, elle enfùa une allée qui
traversait la polouse Deurie et se perdait sous les arbres.
A mesure qu'elle avançrut, d'étranges gémis5ements lui
parvinront... quelque chose COmme 10 lamento du vont
d'orage à la cime des chônes ou la plainto nostalgique
d'un violon lointain.
Le kiosque apparut entre lcs acacias qui l'isolaient ...
La plainLo devlnt chant ...
- Nouchel ...
Le chant sc peI'dit dans un miaulement exaspéré qui
cllt écorché l'oreille la moins sensible.
- Quello plaie 1 jeta M010 Châtelain-Prévôt, qui, les
oras lovés, sembla rendre 10 Ciol responsable d'une tello
alamité.
A. quelques pas, assise sur les marches de bois du
l'Us.tlque pavillon, Noucho regardait venir sa mère . Su
lTlalD tenait encore le bizarre instrument d'où elle avait
tiré un? si di~corante
musique, mais son attitude seroine
attestait qu'clio n'en éprouvait nul regrat .
- Veux-lu me dire cc que tu fais là?
. La parole impérieuse do Mmo Châtelain-Prévôt Ile
sembla guère émouvoir celle béate tranquillité;
- MOI? fit Nouche, /lur \lII timbre aigrelet d'adoloscente,
vous le :royez, maman ... jo joue.
? .. . Qu'est-ce que c'est quo ça?
- ~ .J0uc~
- Ça ? ... c e~t
une selo ...
Les ~ra!\
de Mmo Chîltolain-pr6vôt retombèrent avoc
d6sespoJr le long do son corps.
�12
~ l A 1\TINE
AU CŒU R SEC R ET
- Une scie 1. .. Tu joues de la scie, maintenant?
- Tiens 1. .. J'en joue même pas mal... É coutez .. .
Un coup d'archet SUI' la mince lame d'acier ... et un
cri ai15u de chat en colèr e d échira l'at mosphère, r apant
les nerfs en émoi de l'auditri ce .
Les mains sur les oreilles , M me Ch âtelain- P r évôt clama;
- Te tairas -tu ?
- Mais, maman, c'est pour vous montrer mes talenLs.
- Tes t alents 1. .. Ignare, va 1 Est -co ainsi que 'ln
comptes prépar er ton bachot? ... Ne de vrais-tu p as êLrc
au travail à celle heure?
La jeune Nouche poussa un soupir qui eut attendri
une tigresse . Mai s sa mère n'était pas d'humeur à se
laisser attendrir.
- Quand je p ense , gronda -t- elle, à ce que t u m'as
déjà coûté , en leçons de toutes sor tes ... Et tou t ça pourquoi ... P our ob te nir un échec rete ntissant en juill et ,
lequel sera suivi d'un échec non moins éclatant en oclobre ...
- Que voulez -vous, maman, je n'ai pas la bosse de
l'étude ...
- Tu n'as pas la b os ~ 1. .. J e me demande quell e eRt
la bosse qu o t u as , sinon ('elle de la paresse et de la
méchanceté. Tu sembles oublier q ue tu as près de
dix-sept ans ... Quo compLes- Lu faire dans l' existenco?
Noucho a va iL enfin aban donné ses marches . D'un
chiqu enaude, elle défr oissa le.; pli!> de sa l'obo de percale,
prit la scie sous son bras ct , d u bout des lil vres, laissa
tomber:
- Le beau mariage ...
- Quoi ? ..
- Eh bien, oui, [e beau mari nge ... Vou rl iLe ' touj ours
à Martino qu o c'es t nolro seule planch n do Ralu t ... J 'aime
mieux me r accroell cr il ceLLe plnncho-ll\ fl lI 'il celle, moin:
a ttirante, du p roblématique bachot. ..
Mm. ChllLelain -Pr évôt lança il s~
radette un regard
d épourvue de t endresse :
- Tu ne manques pas do p réLcnl ion ... Marti ne a du
char mo , de la beau Lé, de la distinction ...
- Un beau HOlll. . .
La moro s'arrÔla , inte rloquée :
- Qu'el3t -oo quo tu dis ?
- J o dis 1. un beau nom . ~ .. . pour complalcr l'uijUIDôra·
lien des Dg'roments ct quah Lés de ma char mulllb ~œu
r.
!II Ille CMtelain- Pl'6vot se ron~ga
;
- Évidemment .... Il . est Lo.ujour.s Oatte ur d' e po u~e r la
nuo d'un gr and ch.lr~
l c n .. . S1 Jo Jl ru do MarL ino n'a p ns
luissé do tor tunr , tl l UI a légué Ull!.! réputalion mondiale ...
�~lA
nTlNE AU r.œUR SECRET
13
C'est un patrimoine phlS précieux qu'aucun auLre ... Tandis
que toi...
Une pitié méprisante avait passé dans son accent,
cependant qu'elle considérait à la dérobée cette grande
!Ille grêle, aux membres exagérément étirés et dont le
,:isage sans grâce bougeait sans cesse, déformé par mille
tics .
. - Que vouleZ-VOUs, .maman, rétorqua pacifiquement
Nouehe, il n'est plus rien resté pour moi. Marline avait
tout pris d'avance.
- Rai son de plus pour tâcher d'acquérir au moins du
savoir, à défaut d'autre. chose. Tu cs en âge de Le faire
une situa Lion. .. Que diable 1 toutes les jeunes filles
Lravaillent aujourd'hui, surtout quand elles ne sont pas
sùres de se marier ... ct tu n'ignores pas que nous ne
pourrons Le donner qu'une maigre dot ... Alors? .. Si tl)
voulais, tu pourrais choisir une carrière honorable ... Avec
un p eu d'ambition, tu arriverais ...
- Jen'ai pas d'ambilion, chantonna Nouche insoucieuse.
- Naturellement... tu ne penses qu'à traînagser sur le
subIe, un livre à la main, ou à rêver à la lune. Tu as une
menLalité ct'avauL guerre, liens 1
- Hé ... hé ... voilà une originaliLé ...
La bonne dame ne releva pas l'ironie de la riposte.
E!ltimant qu'elle avaiL lancé des paroles défini Lives, elle.
s'éLait mise à marcher à grandes enjambées vers la maison.
La peLiLe ombre falote de Nouche lui emboUa le pas.
Mme Châlelain-Prévôt monologuaH :
- Joli résultal après tous les sacrifices que je m'impose
pour ceLLe enfanL 1. .. Quand je pense que j'use, cet été,
toules mes robes do l'an dernier 1. .•
- Mais enfin, maman, est-ce ma faule si vous avez
Voulu venir à Roquelaure dépenser en deux mois plus que
nOllS dépensons à Chartout durant toute l'année?
-:- Qu'est-cc que lu dis? gl'onda la mère furieuse. Do
qllûl te môles-lu mainte nant?
. - .le saif> bien, poursuivit NOllche, avec flegme, que
\ OUS espért,z caser Martine ... notre MarLino familiale .. .
faut avouer que vous n'avez rien épargné pour ço .. .
r' Jc~tLre.1
la villa esl conforlable... le quartier riche .. .
/ .[ auhnc et Marli al font ce qu,'ils peuvent pour sc ~oner
ro~
de d~mesi
iqucs bien stylll's ... l3ans complrr fI';!'lls ,o~t
I. t à. fUJrc ... dans \tne baraque comme celle-CI, ou Il
al~r:Jt
trois fois plus de personnel 1 Malhcursome~t,
lou.s, c~s
beaux elTOlLs me semblent bien compromiS 1
VO.I~a
SIX sem:.lÎrlC'S quo nous sommes ici, nou~
nous prodlllsons Sur les 1ik.~
el les cour Ls, dans les casmos ct :mx
g.
�MARTINE AU CŒUR S ECn ET
bals des grands hôtels ... nous arborons à l'heure du bain
des costum es sensationnels et à celle du porlo des modèles
haute cout ure ... , et rien 1. .• pas le plus p etit mari à
l'horizon ( Pa s de chance 1. ..
Elle fit un saut de côté pour éviter la gille maternelle et
constata:
- C'est pourtant vrai ce que je ~i s. , à moins que vous
n'ayiez r eçu, sans m'en parl er, la vIsite d'un prétendu à
la dex tre de notre Martine ? ..
Ta sœur peut choisir, r étor qua vertem ent
Mille Châ telain-Prévôt, et n'accep te r a p as le premier
venu. Qu and à toi, occupe-toi de t es aITa ires et fais -moi
le plaisir d'aller bouquiner dans t a chambro jusqu'au
déjeuner.
Comm e sa caùeLLe s'éloignait , traînant les p ieds, elle lui
lança, avec un mépris rageur:
- Ah ( tu cs lou t le portrait de lon p èr e 1...
CHAPITRE 1lI
Comment, après qu atr e ans do veuvage , cell e qU'on
appelait la b elle J ane ChD. teluin s'étail- ell e décid ée ù
épOUser Jul es Prévôt ? .. C'es t ce que les amis et rela tion s
de la jeune veuve s'ô taient sou vent demandô, à l'époque
do son r emariage ... C'est co que Mmo Ch ât elain-Prévôt
i'C demand ai t encore, elle-mOrne, aujourd'hui, au bout de
dix-huit années qui avaient fait d'elle une fomme insa tisfaite, déçuo ct aigrie.
Pourtant, la r n.ison en ôtait bn.nalo... r.ertes , 10 doct ur
Chûtelain ava it (('gllé à sa jeuno femme uno r 6putaLioll
dont elle pouvait s'onorgueillir. Ainsi qu'elle aimait à St'
Jo r appeler avec; une a m ~ re mélancolie, son premi er mari
avait eu son heure de gloire... et l'antichambre du cabinet
de l'avenue d' l éna a vait Vil défil er des personnalités 6mi nenles de lous les mo ndes, ot jusgu'à des tôtos couronn ées .
Malheurousement, si le prati clOn était habil e l'homm l'
s'avérait ostf'ntatoiJ'o et dép onsier, et sa v e u~ e s'était
trouvée, au Iendom' in de la cat as troph e, presque sans
r essources .
Des objets d'ar t , so uvenirs ùe cli ents r econnai ssants _
cadeaux de prix vite monnayés ( - de b eaux meub'l es,
des r elation-; choisies , une maison fort 10Ul"de à soutenir 1
voilà tout co qui r es l.ait il Jane Châtelain , avec l'habitud e
d'un luxe dont r ll e ne voulnit p as se privc·r et le soin
cl'61ever ses deux bn.mbins, Martine ct J acquot, alol'$
âgés respecti ve ment de Iroi'! cl deux : : Il ~.
�· ~!AnTINE
AU CŒun 5EC,J\ET
Pondant quaLre ans, elle s'était débattue, essayant de
conserver, à force de prod iges, l'apparence d'une fortune
ct d'un train de maison qu'aucunes r essourees réeUes
n'é tayaienL.
C'est à cc moment que, villégiaLurant aux environs de
la p et ite ville de Chartout, chez une vague p arenLe, on lui
avaiL présenté Jules Prévôt.
Une scierie en pl ein l'rndement, des bois, deux propri é tés, une forLun e villageoise qui p ar aissait solidement assise,
la promesse d'aller passer trois mois d'hiver à Paris et
d'y conserver comme pied il terre l'appartem ent de
l'avenue d'Iéna, tous ces arguments pes6rent dans la
balance, plus que la quarantaine encor e fraîche eL la
sincèr e bonhomie du préLendu.
Le mariage eut lieu, eL, un an ap rès, une p etite Prévôt
tembaiL comme un oiseau pill ard dans la nursery des
jeunes Châtelaiu.
A vrai dire, cela n'enchanta que médiocrement la
l10uveIJe épousée, peu encline à voir sc p erpétuer une
J'ace qu'au dedans d'elle -même elle jugeail très inrol'ielll'e,
cl qui eut désiré, au surplus, conscr ver pour les entanls
de so n défunt premier mari, l a fortune inl,éi.l'rale du sccond.
N ouche grandiL donc, indésirable el. délaissée , entre uno
mèl'è déaign
~ u se et sôvère ct unpère tim~o,
ab?orbé pa~
~cs
«!Talres et subjugué, d'autre part, parson Imp 6rlOuse mOitIé.
, Le r emariage de M mo ChilLelai/l- P révôt - elle avnil tenu
a accoler son premier nom au deuxième - fu t ferlile el\
déceptions de toutes sortes.
La plus lourde fut certainemenL la ruine de son mari,
qui eul lieu nu débu L de lu g uerre, lors quo le '; marchés,
PHssés à ln veillo des hosLiliL6s uvec l'Autri che et 1ft
N Ol'vège, furont rompus, sans que le pauvre homme pu t
?sp6re.r rien récup 6rer de l'énorme somme d'argent donL
Il avtut , p ar avance, couverl ses achals.
, A deux doigts de la f ailli Le, il fallut r enoncer it P aris , Ü
1 a p a ~Lem
o lL d o l'avenue d' Iéna, aux voyages , aux g-rands
couLrle~s,
bref il tout. (;e qui avait éLé jusqu'ulors la ral!;on de ylvre de ceLLo mondaine trop gilt60.
Dopms, M me Châtelain en fermaiL ses ranCQ)U l'S dans uno
r ése ~ve
hostile dont elle ne sOlllail que pour accabler ~0t:
~ar,l.
~e sar casmes eL de récriminations, se vengoant alllSI
du sorL.
e 1 J~ustice
t ~I,
humble eL docile LeI un Loutou bien dresso, uccel?al cs reproches co rm~e
tme choso m6riL6e, 10 cœur saI~!1al.L,à
I~ penséo de l'ejxist.enco indigno quo sos. r e~ er s d,c
/~ulon
IInposaient il la fomme admirablo qUI lUI avait
.1IL honneur de l'accepter pour compagnon.
�16
MARTINE AU cœUR SECRET
La seule chose qui consolât Mme Châtelain-Prévôt de
ses m ésaventures conjugales était l'espoir de voir ses
enfants reprendre dansla sociélé laplaceàlaquelle ils avaient
droit, de pal' leur naissance.
Jacques terminait, assez négligemment il est vrai, ses
« Sciences politiques ». Quant à Martine, dep'uis six ans sa
m ère faisait des prodiges pour la produire, tous les ét és,
dans les villes d'eau les plus élégantes et les centres b alnéaires les plus r éputés , afin d 'y rencontrer l'heureux mortel
capable de se laisser subjuguer p ar sa gr âce aristocratiqu e.
H élas 1 cela ne marchai t p as tout seul et une nouvelle
déception semblaH devoir se gr efIer sur les anciennes .
Mmo Chât elain-Prévôt en étaitlà de ses amères r éllexions,
qui l'emp êch aient de se livrer aux douceurs de Jo. sies te
coutumière, lorsqu'un coup frapp é à sa por te vint la troubler.
- Entrez, cria -t- elle avec humeur.
La t ête toujours eITarée de P auline app arut p ar l'entrebâillement :
- Mad ame, il y a la d ame du no taire qui voudrait. voir
madame ...
- M mo Destùve ... à cette heure e Lpar ce tte chaleur? ..
s'éton na la m altresse de maison .
- l111e a quelque chose do très urgent ; ~ dire il. madame,
chuchota la bonne, dont toute l'at.titllCle témoignait de
l'intense curi osité que ce « quelque chose n é veillait en son
esprit.
Pour le révéler moins, Mmo Châ tclain - Pr6vôt N ait aussi
intriguée :
- C'est 00n ... j'y vais ...
Mmo ü f.;s tève avait install é sa r eplète personne clans un
des fauteuils fleuris du salon bleu. lWe s'en é vada a vee
uno remarquable péLu! ul1ce, à l'appari tion do son hôtesse ,
et, sc pr6cipiLanL vers eelle-ci, la main lentlu e :
m o i de vous déranger ... ,
-:- A.hl m a bOJ ~ n e ami e, ?xc u ~ezmaIs S1 vous saVLez co qUI ill'rlve 1. ..
- Une m auvaiso nouvelle?
- Au contraire, une bonne ... , ulle très bonne pour
vous ? .. Et d'abord, où esL tou te cette jeunesse: .. Ces
demoisell es ?
Mm o Cb â telain -l' rôvôt eut un geste v:tguo :
- Si vous. croyez . qu 'e l c~ me donnent l'emploi de leur
temps 1 P artIes depUIS le déjeuner , au golf, je crois ... Elsie
ost enrag60 de co spor t. . . J aoques est dans 1'](1 chambre à
dormir ou à lire ... J e ne vou s offr o pas d'ail el' 10 surprendre,
Car il doit être environnu de fum ée comme un dir1.l
internal. Il <.l&p cnsc une fortun e on cig.'\rctles .
�MARTIN E AU CŒUR SECRET
'17
.
- Et la gamine ?
- Anne - Marie ? E lle buehe une verSIOn latine ... du
moins si elle a obéi à mes ordro:.l.
Le geste de M m e Destève montra que « la gamine » ne
tenait pas b eaucoup plus de pl ac ~ dans ses préoccu pations
que dans celles de son interlocutrIce :
- Vous co mprenez, soufna -t- elle, ce dont je viens vous
entreten ir est confiden tiel.
L'œil de M me Chât elain- P r évôt s'allum a :
- Alors , r asseyez- vo us, chère amie, ot p arlez r, .. J 'avoue
que je suis un peu intriguée .
La Ilotairesse ava nça des lèvres gourmandes , pressées
de laisser échapp er les p aroles extraor dinaires qu'elle
app ortait.
, - J e crois vous a voir parlé incidem ment, au début de
la saison quand nous vous avons fait louer cette villa
d'une fort b elle affaiI'e que mon mari venait de r éussir ... , l~
vante de « la Sauvagè r o », don t les bois touchen t votre
p arc ?...
- Ah 1 oui ... et qui a été payé un p rix fabul eux ...
- Trois milionsl lança la not airesse d' un ton triomphant ...
- Qu elle aubaine pour ma itre Destève , si c'est lui qui
a. dressé l'act e de venta, cone6 da M me Chât elain, admir a bve .
. - Absolum en t 1... Et il nous Lardait de connait re l'oriB'mal ca ~ a bl o de p ayer ainsi, rubi s sur l'ongle, un domain e
d,a cetto Importa nce , sans mùme en disc uter les conditio ns.
C.~ r n?us n'avions jam ais vu l'acquér eur 1.. . C'esL son age n ~
~ afîa.lrcs , vonu de P aris t out exprès, ct mu ni d'une procur ,\ tlon en r ègle, qui a conclu le ma reh6 cl effectué les
Vorsetnc nts,
« Or , a uj ourd 'hui, j'ai reçu su visiLe l .. .
- Du proprié tai re?
Lui -môme .. .
-:- Comment esL-il ? s'enquit Mme Chât elain- Prévôt avec
Un mt6r èt vi sible .
. - Ah 1 ma chèr o amie ... il est bienl vraimen t bi en ...
Jeune, hic ... , t contr ..lÏrem ent à co que nous p ension<; ,
.
mon mal'i et moi, pas nouveau « r icho " du tou t 1...
ba ttement s de son é ventail r vthmèr cnt d'un brUIt.
d' ~fs
al es cll'lcun des 610ges q1l'ello dé(;cro'ü t à l 'houreux
p08SCsse ul' de « la .:;auvag èI:c ».
S) I:omme ? s' enquit .:\J me ChâteJain - PI'êv?t, avec
une affcc tat lO n d'i ndirfére nce quo ùvmenlait 10 IUlslll1t de
so n r cgard.
- Pi.émon t... Hobert PiémonL.
- .II
�1S
MAltTINlI AU cœUR 511CltnT
- Connais pas ...
- Attendez 1. .. Savez-vous pourquoi il est venu me voir
co maLin? ..
- Pourquoi? ...
- Pour me demander des renseignements SUl' les occupanLs de la villa Romarino 1. ..
- Non! s'exclama la locatairo de ladite vill a sur un ton
d'incrédulité. Mais un atTlux de sang av ail brusqu emenL
envahi sos joues pâles.
- C'esL comme jo vous 10 clis 1 triompha Mme Destève
avec un rire conquéranL . Jo l'ai reçu moi-môme, mon
mari étant absent. JI s'est présenté, .s'est oxcusé, d'une
façon fort civile ma foi, do !l'êLro pas encore venu prendre
contact avec nous, arguant do sa sanvagerio ... l.!:ntro nou ~ ,
l' cd ost de la coquetterie pure, car vou s ne pouvoz imaginel' plus parfait homme du monde 1...
- Oui. .. viLe ... quo voulaiL-il'? CommenLnous connalL-il '?
Mmo DesLèvo cligna, avec uno malice de petiLe fille
espiègle, lies I?aupières fatigué e!; ;
- Vous IlLes pt'essée ... Je 10 comprends 1 Bh bien, je
pellse qu'il a du rencontrer votre jeune fil 10, ct mon
IJIlpression neLte est qu'il on l'st follemenL amouroux! ...
Mmo Châtelain- Prévôt uvula difficilemenL sa salive, uL,
lc\ voix chatlgée :
- Amoureux de MarLne? ... Vous êLes sûre?
- Dame 1 ça m'en a iout l'air? .. . JI a tellement insisté
pOUl' savoir où il pourrait renconLrer r.es jeunes fillos, los
élpprocher, il la favour do co LLo Iibertô qui règno en
période do villégiaLure, les connaTLro enfin 1. ..
- Vous auriœ dû lui oJ'rri['.
- Do les !)résenLer moi-mêmo? Je l'ni faiL, mais il IlO
veut pas de présenLatioll officielle, .. 11 déLesLe, dit-il, le
proLocole, el. tout cc qui senL ] 0 convenu, l'approt .... ûl.
puis, je crois qu'avanL do s'engager, il VOudrait observe!'
Milo Martine, avoir 10 Le1nps do la ju~cr.
- S'engager ! sursauLa Mmo CltâLola1ll sulIoqu6c ... mais
ri en ne nous dit qu'il veuille eoul'Liser Martine d'uno façon
sérieuso? ..
- Voyons! ma honne amie, déclara ln. notairesse d' un
petiL ion pr,?tecLour, .esL-ce qu'il aurait f:lit une démarche
semblablo R Il en étalL autrement? Il m'a 10ngueUlc.llt
interrogée sur vos antéc6denLs, vOLre famille vos habiLudes ... Jo dois dire qu'il 11 0 m'a pas pArlé' d'argent...
POllsez done, un millionnaire 1
- Jo n'en reviens pas, proféra Mmo Châtelain-Prévôt.
que la joie étoufTait. Mui'l où donc cette cachoLLicrc de
Martine a-L-elle renconLré ce garçon?
�19
MARTIN E ,\ U CŒUR SECI1 F.T
- Probab lement au tennis ... ou au cours d'une excursion quelconque. Je ne pènsc pas qu'il fréquente le Casino ...
MaiJ.1tenant, d'après ce que. j'ai cru deviner, ils ne se
seraIent pas parlé ... Il ignoraIt son nom .
- Vous ôtes bien certaine qu'il s'agit de Martine et non
d'Elsie! s'inquié ta M me Châtelain prise d'une angoisse
soudaine.
\ Mme le notairesse eut un rire roucoulé.
- Absolument .. . car j'ai eu la mêmo idée que vous ...
J'ai parlé de votre pensionnaire à M. Piémon t et il a
rétorqu é en riant 1 « Ah? l'autre est anglaise? Eh hien 1
j'aime mieux ça ... » Et il Y avait, dans sa voix, comme
tl.oe espèce de soulage ment. VTai 1ce la a paru lui faire plaiSil'!. ..
e
« Évidem ment, la confusion aurait pu se produir
ujouta- t-elle avec un hochem ent de tête. Les deux jeunes
filles sortent ensemble ... , et il faut avouer qu'elles ont
un égal succès ...
, - Martine ost bien plus fine 1 protesta la mère avec
véhémence.
- Assurém ent. .. assur6ment. .. mais Elsie a beaucoup
d'éclat . N'impo rte, c'est votre Martine qu i plaît en l'occuJ'cnce, et j'en suis enchant ée.
m'avait demall:dé
que ce jeune hom~e
« l ~ iguroz-vs
de taire ::;a démarc he ... .Il s'adress alt ù nous, ne connaissant personne en celte ville, il brûlait d'êtt'e fixé ... Naturellement, j'ai promis ... Mais pouvais -je vous cacher celn,
à vous, ma honno amie, surtout quand il s'agit du bonheu r
ùe voll'e jolie Martine ? ..
de main
d'une pres~ion
él Mm" C âtoJain -Prévôt r e ~ e rci~
oquente. A part elle, clic JugOalt qne l'espOIr du « beau
", remerci ement obligato ire accordé par les usages
~'udea
ces sortes
cl toute mondaine qui joue le dieu tutélair e enétrange
r il
, e rappro chemen ts sentim entaux, n'était pas
~ empressemont du Mme Dcstève . Mais elle était vraimonl.
pour s'en oITusquor.
l'OP h~reus
L Sa. J010 dovint du d6lire lorsqu'ollo apprit, par.!a
lo.u.che même de la notairesse , que le richissime proj~le soir au bal juponals
alte do '( la. Sauvag ère» serait"
.
~
(lu al' un(J ·f1 utel,
dan!'; l'espoir d'y r encontre l' Martllle ..
votre eXjUlSO
il
confesse"
DesLùve
Mm.
. - Donc, terminu
ces
!iIle ... et conseillez· lui do d6ployor toutes ses
J8Ü~e
l'appât en vau,i
la ~ aura nul effort il faire. gn tout ca~,
1:
:. co garçon est assez g6duisLtnl pOUl' em,~aJr
, PC1~0
plus. dlmclle mômo sans Jo formidablA alout qUII a dall,
son .leu, ÙO par sa fortune ... \1110 Martine u vraimen t de
la. chancel . ..
(,r'
�20
MARTINE Ali CŒl'n SllCRET
Sur celte optimiste constata tion, la messagère prit congé
de son hôtesse , la laissant savoure r on pm l'ex:tase dans
laquelle ~ iQ, nouvell e» venait de la plorlg(jr.
CHAPI TRE IV
Deux énormes chrysan thèmes plaqués au·dess ous des
tempes, les pomme tles fleuries de rouge mandar ine, son
cou ocré émerge ant du kimono de soie brodée, Martine
regarda it avec complaisance la svelte japonaise - authentifiée par le hâle - que lui révélait son, miroir.
A la question, pour la cinquième fois répétée, de
J\l me Châtela in-Prév ôt, elle répliqua avec un peu d'humeur:
- Mais, maman , que voulez-vous que je vous dise? ..
Ce monsieur m'a remarqu ée, c'est entendu ... , mais je ne
lui ai prêté, pour ma part, aucune attentio n.
- l!:nfin, il sera au bal, ce soir ... 'ru le reconna ltras
bien, j 'im~gne
... puisque vous vous êtes déjà rl'ncontr6s? ..
- PossllJle 1. ..
- Sois Himable! supplia la mère, inquiète . Millionnaire! ... Tu entends , il est millionn:ürel .. .
Le mot sembla éparpill er dans la chambr e tlne pluie
rutilant e de sequins ...
- Oh 1 moi, vous savez, l'argent 1. ..
Martine haussa insollcieusornont ses belles épaules, tandis
que Mme Châtela io-Prév ôt levait les yeux au ciel d'un
air attendr i.
.
- Ma chérie, tu es tout le portrai t de ton pauvre pore !...
- Voilà ulle phrase que j'ai déjà entendu e quelque
part, .. susurrn une voix moqueuse derrière elle.
La physionomie do M mo Châtelain changea aussitôt . Elle
sc retourn a, Je masque durci:
- QU'flst-co que tu fais là, Loi?
.Noucho, entrée subrepLicement, envelop pait d'un regard
r::ulleur la précieuse lliJhouette de son aillée, à qui Pauline ,
à genoux, passait des mules b. talons do bois.
EIll) fronça les narinos, et, sans répoUtlre à la quesLion
matern elle:
- Hum!. .. qu'elle drôle d'odeur !... Tu as remplac é ton
chypre par de Jo. vulgaire If! vande, on dirait?
l::)ou5 les cheveux en broussaille son œil vif s'allum ait
de curiosit é.
'
-!ue chypro est vraimenL trop cher, fit Martine avec un
soupIr.
- 'riens! tiens! ... voilà qui est nouveau 1. .. N oLro IIInr-
�MARTINB AU CŒUR SECRET
21
tine devient économe ! ... Une vertu de plus à a jouter aux
autres, persifla la cu datte sur le même ton .
_ Mais je l'ai tou jours été, déclara ingénument Martine ...
_ Oui... en deh ors des notes de la couturière et de la
modi.st e ... Il est vrai que la simplicité coûte cher !...
Mmo Châ tela in - Prévô t intervint av ec flpreté :
_ Je t'a i déjà. pri ée d'épargner à. t a s œu~
les sarcasmes
e ~ t es traits d'esprit . C'est du plus mauvms goût 1 Quelle
Vilaine na ture ! ...
Elle pinçait les lèvres, m éprisante et, irritée .
_ Laissez donc mèr e ! déclara Mar tllle nonchalamment,
Anne- Ma ri e est e ~ veine de t aquinerie.
_ El loi en veine (l'indulgence, r em arqua la jeune fille
que la sem once m a ternelle avait la issée de m ar bre, mais
de sa sœur.
qui avait en un coup d'œil étonné à l 'a dr es~
Mmo Ch â telain la lira brus quement ea arnèr e :
_ Allons 1 ôte -toi de là !... Tu v ois bien que Lu gênes,
Que veux -lu, d'abord ? ... pourquoi es- Lu ici l
_ J e voudrais vous dem ander si je peux téléphoner chez
Imar p our avo ir la voi ture.
.
- La voilure? .. . Pourquolune voiture?
_ Popa arl'ivo ce soir, formula doucement la p etite.
Mmo Chât elain- P r ovôt se frappa le front:
- P a r exe mple ! jo l'a vais oubliél .. . .
.' -:- A lor s, conlinua N ouche, je pouI:rals aller le cherch er
a . dI X heures . No us so mmes il. cinq lolomètres de la gar e .. .
J 'emmènerais Pauline, bi en entendu?
_ Tu veux nous pri ver de Pauline? ... el la sœur n'est
pas prôle 1 C'est bien toujours ton 6go ïsme 1. .. Tu no penses
qu'à Loit ...
- Eh }lien, je pounais y aller seule?
- Co ser ait du joli 1. .. J e nr. veux pas que tu traînes
d ans les rues à collo heurc-ci.
- Alors?
T.'O llAlors Lon p ~ r e viendra par l'omnibus, voilà lonl!
l', e bou(;onn a ontro ses denLs :
- Dieu. morci , j'a i autre choso en têle ...
cl Bans tin',) lln mol, Nouche aVJ il toul'Jl6 les talO1lJ:l ct
aqué l ~ porlo de rrièr o elle .
M mo Chutelain- Pr évôt eut un geslo exaspéré ;
,
. Ohl colle -là !. .. elle no fer a jamais rien pour se {alro
a~':li.;
Di~ o qu'oll e est. si dénuéo d'attraiLs phy siques ~ t
q e e r"us31t el1(:ore à 50 rendre odieuse par son roauvm5
caractère.
,.
. M ar'lne,
occupéo à suivre d'un crayon attentif la courbe
S1l1ucu,se de ses lèvres, murmura n6gligcmmOnL ;
- BlIo changer l' p Jul -êtl'e ...
�22
MARTINE AU CŒUr. SECnr.T
- Oh 1 toi, tu es tout indulgence, s'attendrit Mm. Châtelain-Prévôt ... mois j'y vois clair !,.,
- Voyons, maman, formula Martine avec una moue
chagrine, tout cela est un pou do votre fuute. Vous savez
qu'il n'y a rien à tirer d'Anno-Mario . Pourquoi vous obsti nez- vous à la garder près do nous, à lui imposel,' de coûteuses leçons dont ollo no profite pas, au lieu do la mettra
tout bonnomont on pension?
- Tu sais bien qu'oll e n'y travaillerait pas davantage ...
- Au moins, auriez-vous la paix ....
- Et puis, 0110 est trop grando, jugea Mme Châtelain.
Songe qu'elle il elix-sept ans ... C'est presque lIne jeune
fille ...
Une singulière cxprcsssion creusa los I.raits fins do la
charmante mousmée... contro.ri été passagère qui disparut
viLe de son beau front uni.
Faisant brusquement face n sa mèro, clIc 0i:iquissa une
révérence, à la mode nipponne :
- Suis-je bien ainsi, more?
- 'J'u ('5 adornble 1... et il sera déOniti vemont conquis,
chuchota Mme Ch5.lelain, gonflée d'orgueil, en posant s"s
lèvres respec Lueuses Sl1r un lobo d'oreille nacré, seul coin
qui eut échappé au fard ...
A CCL instant, la t&te bouclée d'Elsie ,lpparut par l'en1rcbaillemcnt de la parLe:
- llello, Martine? ... J aeq uot dit si vous l1'ètes pas
encore prôte, il commonce avec moi un match de pù~g
pOIlE: ... el après, vous savez, dca r , je ne réponns plus de
rirnl Il est (/,(IJjully passionn6 de ping-pong, votre frèrol .. .
- Pour Dieu, Elsio, faiLes-Ie patienter une seconde 1.. .
11 serail capable de refuser de nous accompagner. Je desccnds 1... Vite, Pauljne, mon évontail?... Maman, mon
manteau, je vous prie?
Tandis que ICI; doux remmes s'affairaient, clle sc cou la
.ilRqt1'~
l'ar!'floiro. Parmi 10 linge empilé, (1 11 0 parut faire
\111 chOIX mmutioux ... Bn r6o.lité, sa muin, glissant derrière
les prAruros rangées ri bon ordre, aLlelgnit un carré de
linon légl'l'cment chiJTonnu : le mouchoil' qu'elle y avo.iL
placé le mulin mùme.
EUe s'aLLarda une 80conde Ü carossel' l'éto1To transpo.rente enlre ses doigts, puis, preste, l'eniouiL fJU plus proIond do son soc ...
Mme ChD.telain venait vers elle avec la cape de laine
blanche dont elle l'enveloppa précautionnousement :
- Ouf! sou fll Marline ... ça y ost. .. A cotto nuit, fiôre,
je ,-ous dirai! .. ,
l:Jlle cuL un clin d'œil complice à l'adrcsse do !Ii me Châ-
�MARTINI: AU
ccr.un
SI:C RET
23
telain. " un baiser s'envola au bout de ses doigts agiles
e~
et elle disparut dans le claquement ironique do ses mul
â talons de bois.
En bas, PauLo de louago a tLendait,.,
l' De l.a fenêtre, Mme Chfltclain-Prévô t assista au départ .. :
~ lI e vit l es pincc::.ux ùes pharcs balayer la nUl t, et, dès
que la voiture sc fut évanouie dans l'ombre, pensant brus- ·
quement au tas de factur es impayées, qui s'étaient agrémentées, ce soir -JO. J e quelques spéCimens nouveaux, elle
SoUpira:
'
-:- Il serait temps que nOUS aboutissions .. , la situation
devlCnt dilTicile 1
Un pli marquait son front so u ~ ietlx".
,
, En bas , dans sa cuisine, Paulme frictionnait ses vieill es
.J a mbes devant sa soupo refroidie et murmnrait, hoch ant
la tête:
-:- Elle est bien gentille , Mlle Martine, c'est .entendu , ..
ma~
s s'il y en avait deux comme el.le à servll', dans la
mUl son, sû r que jo pourrais plus y t en ~r l ,
'
". Cependant dans la ch~
mbr
o 6trOlte qu olle occupalt
tout. en haut, p:'ùs du grenier , Nouc.he s'était réfugiée, Elle
au.ssl ava it écou té décroitre le brUit dos rO~ls
qUI emportn lC nt ses ain6es, son masq uo de SCOpL lclsI?-e précoce
tombé, comprimant à doux m ains son cœur de dlx-sept ans,
s?n cœur incompris d 'adolescente, l es yeux gros do larmes
SIlenCieuses, Nouche, d'une bouche muette, appelait désespérément la vie .. ,
CHAPITRE V
~ob
ert
Piémont avait pouss6 sa table devant la baic
dominait tout le domaine. « La Sauvagol'o li , la Lien
no.mmée, .Quelques centai
n ~s
d'heclarcs d o b~is
l'enlou ral~nt,
lUI faisaient uno Cel
!l t ur~
sy l~ 7stre
qUi se~ta
it la
l'ésln c et le pin et (loscondment Jusqu a la m er mugissante
d?nt on (' n l('n'd ait pal' instant la grand e clameur nostalglquo.
. Le soir, il suffisait au jeune homme de S'o.ccouùer ut<
b.llcon de pierre pOUl' voil' comm e en un paysage de songe,
passer l ~s voiles des bateaux do pêche rentrant dans la
l'ad o.
11 y en avait de roses romme cles ailes de Oamanls, de
bleues 4ui sombJaionL gonflées de ciel pur, de rouges t el
~?
velum <.10 b araque foraine, un jour de f~le
villageoise.
Ol'arrré et de jaun()s où le soleil avait d6t('inl.
qUI
�MARTIN E AU CŒUR SECRET
Mais lorsque le jour s'évanouissait, dressan t sur la eôte
la form e noipe de~
rochers oomme des bêtes d'apocalypse,
Rob'ert s'asseyait Clevant son bureau.
Les visions contemplées pendant le jour se transformaient au creuset de so n rêve ... Cal' R obnt ét ait poète et
tout Ce que touchai t son imagina tion frémissa nt e prenait
des ailes ...
Or, en cette fin d'après -midi d'été , le j (;une homm e ne
pensait guère à aligner des rim es. Songeur, illaissai Lerrer
son regard sur le changeant paysage qui déploya it devant
lui le moutonnement de sos frondaisons immobn es et le
loint ain pâle strié d'argen t.
Mais son front était plissé de rides soucieuses et il mordillait son porte-p lume d'un oir préoccu pé ... Enfin, il sc
décida.
D'une haute 6criLurc un peu ner veus(', il traça , tandis
que sa main, hésitan te d'abord , se raffermissait à mesure
que l'inRpiralion s'irnposaiL dovanla ge, les lignes suivantes:
Mon cher "ieux docteur,
Ail/si que nous en a"ions CO lwen u a"ant mon départ, je
"ians "ous rendre compte cle ma mission. J e crois l'a"oir menée
à ùien. « La Sau"agè re » est mainten ant parfaite ment installée ct to ut 11 est prêt pou1'I'arri"ée de notre mala.de qui y trou"cra
confort, air pur, tranquil lité, ct cc qui ne gôte rien, un décor
enchanteur.
Le personn rl que j'ai recruté - presque exclusi" ement
masculi n à l'exceptioll d'une cuisiniè re (l'c1ge canoni queest bien stylé ct muni des meilleures références. 'l'out est pour
le mieux rt j'espère que la misanth ropie de "olre corwaleseent
s'aceom modcrad e la so Zitudc. qui en"ironne cc sauvage domaine .
Et mainten ant, il faut que Je pous raconte ma récente ewcnturc ... une a"elllUl'e digne du plus beau recueil de contes de
fée et qui m'est al'ri"ée ici mfime, "oilà deux joul's ...
. Aussi bien cette confidence est-elle un peu ù lléres3ée , cal' il
se peut que, par la suite, j'aie besoin de "otre occulte protection.
Or donc, cher ami, je ma promena is l'autre matLil dans les
?,O ~ de « la Sau"agè re », cou;ram après IlL poésie clp t'auùe que
J al/ne pa,.
- d e.~su
tout. L e stlence des allées C/walnes de brume
bleue et éclail'ées e>agueme nt pal' cotte lu eu r mystéricusl' el
divinem ent pflle qui préparc le jour était u.n enchan temcnt. On
se serait cru au sein d'unc miracul euse chapellr:, d'ull sanctua il'e ... le sanclu.a i"e o~
dOl'mrnt les esprits (hsparu s qui !talltaient autrefoUi ces lwux : les dryades , les faune s comus, /es
nymphe s dansant es , ft tout ce que la fantaisi e du passé a e"ré
�MARTINE AU
CŒUR SeCRET
25
de my:;t.ère, de légende et de beauté autour de la sylçestre
nature.
Oh! d'ici je ça us çois sourirlJ ... Vous me recona~sz
bien
là, mon "ieil ami avec mon emballement pour tout ce que mon
oncle appelle des '" fariboles» ? Est-ce ma faute si Je n'ai pas
hérité du sens étroitement prat~que
et des vues terre à terre de
ma famille? .. Je me rends bien compte, allez, que je leur
parais un oiseau d'une autre espèce égaré dans leur fourmilliè"e 1...
ponc, je me laissa,is aller ?-u charme. de ces magi9ues épo·
clans le st/ence, une POLX monta.
cat/ons, lorsque ... pres de mo~,
Non, ce n'éenit pas l'alouette ... c'était ... ah! docteur, quelle
émotion! cc fut souda/:n comme s i toute la magie de la forêt
prenait corps 1...
Cette ~oi x surgie de l'ombre"qui en dir'a la pureté, le ruissellement cl'tstalhn, la fraîcheur, 1 harmonie légère? ... Il faudrait
des mots noupeaux, des mots candides ct perlés des mots de
rêçe pour en rendre le modelé, le pelouté le ch~rme
tendre .. ,
S'était la poix même du matin qui, en c~ prestigieux décor,
s ,évadatt d~s
four~s
s.ombres, se lançait à l'assaut clu .ciel
d aurore, s épanouLssatt, lumineux et allègre comme le ]OW·
nouveau-né 1...
. Moi j'écoUlt;'-is, ra~i?
transporté ... sans même chercher à
sLtuer celle l'lO!X magtcwnne, ettfe çoix-fée ... Mais d m esure
qu~
cette hll;rITLonze pre,:ait lLn sens, quand mes oreilles 1merveIllées lal.ssèrent al''''"er jusqu'à mon cerpeau attentt{ les
paroles de cctte musique idéale, je m'aperçus apec st.upeu]'( 'une
chose fanla stLque et qui me clouet SUl' place.
. Vous sOU( l enez-l'lous, ami, de cette pla~u
e te
de pers que
J'a~is
au temps cie ma jeunesse fol/l', tOIt imprùne1' à mes.
!raLs ? ... Cela fit assez de bruit dans mon austère fa,!ûle~
qtl~
'!le tratta de (( pantin» et de « dé/raqué )). Ceta s'mt~la,
St
le n.~'e
sotwiens bien, Commo O{l chanlo 0. vingt ans ... Pauçre
pe~t
bouquin inoUensif qui ma palut les foudres de toitS les
r~!els,
patwre petit bouqtLin déceçant où, dorment mes illuSIOIIS, entre les pages closes 1... il n'eut qlt une brève fr: rt11;ne ...
et, ~ pC!rt les quelques exemplaires ençoyés par mes soms a !nes
de lcunesseoublléantts, Je crois bien que le lot entier- p~ché
clort pour toujours en quelque eaçe bLen profoncle.
.
II paraît que je me trompais ... Car, saI'lCZ-~OLS
ce v~e,Aha71tfl
ma fée syll'lcstre de Cl'tte çoix qui me. remuatt.lusqu. a 1 ame . ,':'
Je lus quelques instants sans P?ulotr ~n crOLre mes ~ens
... J c'
COUlais, toutes mcs facultés cl ate~wn
teTIClu,es, ~Tlcréu!e
...
émerveillé ... Et (rs ('ers, deçenus OLseau.:c conltnuawnt ~ s eT/Poler de lct bouche ùwisible, com~
heureux, après St longLemps, de déplier leurs ailes ... Ils avaient un rythme tendre rt
doux, II] rythme mPme que ma pensée (wait voultt lrur donner,
�26
~IARTNF.
AU CŒUR
sr.r.nr:r
voilà plus de dix ans, et que ma chante lise inconnue de(linnit
d'instinct et traduisait... mer"eilleusement.
Jamais mes "ers ne m'a"aient paru si beaux, si pleins rie
poésie émol,wante, si palpitants d'espoirs ùn'précis ct touchallts ... Ils célèbl'aient la nature, la jeunesse, la foi enl'c~is
tence, et cc trouble in~uet
d'un cœur qui. s'é"eillc ... Et c'était
comme si, pal' un sort Liège touteS les impressions de ma lointaine adolescence, tous mes rê"cs d'autrefois venaient battrc
de l'aile alliour de mon âme étonnée.
Je retrou"ai soudain mon cœur de dix-huit ans, mon cœur
enthousiaste et fou, ah 1 docteur, la belle minute! Tout tremblemt je m'accrochais à cette "oix qui étnit celle de mon passé
Jes,çuscité... et jc n'a"ais qu'une pel/l', qu'une angoi,çse, la
"ail' s'éteindre ... s'é"anoui!' comme unI' trop bellI' illusion.
Alors, poussé par unc sorte de ma t1 nétismc, ;r. marchai dans
sa direction. A"ec une prudcnce rie Peau-Rouge, pour ne pas
eUaroueher ma chanteuse invisible, je glissai "el',~
elle le lone
des allées ... Mon pied, craqua sur lcs feuiUles ... NIalheu r!
la "oix se tut ... il y eut UII petit cri sous la feuillée, un cri
d'oiseau surpris ...
A celte môme seconde, la brume qui enveloppait les choses
d'un "oile bleu se déchira brlltaZemellt. Je "is ul/e forme blanche jaillir du taillis comme si rlle sortnit de sa pl'1:son poétiqlle,
bondir devant moi ct filer, telie une Diane poursuil'ie.
Immédiatement, je lui donnai la chasse. Va-t-olt faire de la
galanterie a"cc les nympha,q de la forJt ct doit-on traiter !III
esprit sur le mOlllc pla Il conventionnel que les sim pies morlI'llrs? Non, n'est-ce pas ... ct cc gui eut paru, end'autres temps,
goujaterie san,q rgale dc"ellait tout simp/(·. Micux, ('rite poursuite me grisait ... J e sentais s'é"eiller en moi lcs l'ieux in,çtincis
atal'igues ... l'éIme sylC'c.~
trc
du dÙ1ll Pn.n courallt après ,ça
jeune proie, dans l'oc/r'ur frafch,. dr's mousses, cru fOlld des
futaies parfumées ...
Mais la proie n'était pas clécicUI! ct se laisMr prendre. Qur/!!
jarrets 1 JI' me flatte cl a"où' cl!'s muscles d'acier ct lUi ('œur
solide, mais mon inconnue 'l'était pas lInc femme, r'(ruât lUt
sylphe qui effleurait ct peil/e le ,qot de SOli piecl agile, frnllehisliait les obstacles d'ull bOllcl animal, deDiT/ant cl'inst inctla l'Outil
sinueuse. rt encombrée qui retarderait ma marche ... OZt plutCit
clle aDalt une COl11laissaTICe des bois lJue je Ile possède pas
CT/core.
Pas Ulll' fois jl' n'ontrevis ,çon (lisage. J e TIC l'oyais d'el/e que
sa tailll' souple, l'harl/lonieux cUort d,' scs jCl1llbcs lJondir.s(tlltes
et les RUIIS de mousseline qui llafpitaient tlerl'ièrc elle comml'
des alles ...
E'nflTl,1IQuS ftlmt's pr(>sqlt'tn mt-me t.'mps ù l'orée de /(1 fortl.
J.à, je poassat UT! cri de ('ietoire ... Sur cc tic piste ullie, ma
�MARTINE AU CŒUR SECRET
27
~cle
fugitioe ne m'échapperait pas ... Faux espoir 1 Alorsque
]e m'V attendais si peu, la nymp~e
tra(lel'sa la rOute comme Une
. ~cl1C
... 7t je me tl'ou(lai $oudatn le nez collé SUI' unD grille
1 ~bal'tL()e
qui me meurtrit rudement; la porto m~e
de la villa
Olt mon inconnue (lenait de disparaître.
, Vous jugez de ma l'(tgel ... A.la déception que j'éprouoais
sc mêla soudain une constatatwn troublante: 1e ne eouoais
pas l'enonce/' à /'etrou(lel' la poix chérie, la ooix qui m'aoatt donné
le coup de foudre, la poix dorrt l'éta~s,
il fal,tt bien le dire, batement, stupidement, ridiculement et unplacablement amoureux.
M.ais oui docteur c'est ainsi, ne riez pas 1.. . J'étais amoul'eux, c~m
ça ... en' qttelques insta~,
sans incu~ato,
sanS
C[Lstalhsation d'aucune sorte, Oh 1 c est un,caf~rtex
je (lOUS
1 ~cord
... mais j'ai biert dû ,me ren:cll'e .0, l e(ltdn~.
, . l'ous
les .sympUJmes y étaient: le pettt choc wténeul', co fl'otd soudain
qUt m'était descendu dans l'âme depuis que (lcnait de dispal'aît;e rnl'f balle inconnU(J ... ce manque, cette SOl't~
d'a!nputation
(.ont ]e rassentais les doulouroux ofJets ; on ln Mait brusquel17~n
al"!puté de ma joie nouCJclle-née, ma~s
déjà p/'é~icuse,
que
(hs-Jc, tndisfcnsable 1.. . Et toute la clarte de ce mat~n
oormcit
ue(lcnait m'Lt profonde ct effrayante 1....
.
.
Heureusement le dieu Pan qui habLtait en mot depUiS quelques heuras me (lint en aide. C'est sûrement lui qui (l,(lait fait
Surgir spus mes pas, dans l'aOoZcmcnt de la coursf;, le petit
l1t~uchor
tout odorant de la(laruLe que ma farouche Diane aoait
~aisé
.tomber pendant sa fuite ... COmme!Lt cc frôle lien me
(,ondulstt jusqu'à elle, JO 1'0 us le contetat plus lard . Sachez
~c!lemnt
qu'il a fort bien l'empli son o(Jice ... , c'est lui
rz~t.
nous a scr(Ji de signe de rallterMnt .et alors que 1'aurais pu
111; ()g~
. rc
- cal' j'ai Qublié de poUS du'e que mon inconnue
n était pas seule dans la pilla du bord de la route, ct je frémts
en pensant que je pour'ais confondre ct me tromper d.'adresse
S~t Compagne étant jolie aussi, apee url!) taille de sylphide 1 .....:
c ('S,~ lui, ,dis-je, qUi m'(t mis dans la Qonnc (Joie. . , .
IJ~
matn~/Ul
mon rh!'r docteu/', appl'cncz que le l a~ rcou"
~ 1e lui ai parié, dans u/t ()ague dancing si peu digne de s~
~re
~au()g
et fière ... Blic upatt des chl'ys~ntè
. es aux
~' tllllS, une frange sW' le front ct une l'obc brodee de Cigognes.
Jes ~Ju:oex
Sont un étincellement, son regard une lumière.
ct~en
aL pas osé ltti rappeler notre l'encontre ,du mat~n,.
mai~
; ;ourmcmait le petit moucltOu entre ses dotgts, et 1 at selt~
qu
'~C m'en ooulait pas.
! bum, docteur ne (l0YCZ-(lOUS pas un miracle du ciel dans
tt
ce
e
n'ter
l e(wenture
'
' 11: ,a-t-t
· Z pas. mis
. cette le'fne
.
{ill
. oc~ ' l use
et D wu
C SUI ma route ectte jeune fille SL belle ct St compréhenswe
an~oul'es
com~
moi de nature ot de poésie, cette jaune fil~
qUt chante mes (Jer:; oubliés à l'l!ubc pure d'un matin d'été,
Eic
�28
~IARTNE
AU CŒUR SECRET
cette jeune fille qui a une voix de sirène, ma muse devenue
chair 1...
Alors, c'est simple, je veux l'épouser, si elle y consent ... si
elle y consentira, son accueil de l'autre jour me le fait pressentir.
Oui, je sais bien .. . il ya Milo Valentine Duhard, ce'te jeune
héritière dont mon oncle tient à me voù' partager le destin.
Entre nous, mon cher docteur, je n'ai jamais été très emballé
pour ce mariage, et je n'en acceptais la possibilité qzw parce
que j'avais le eœur libre . Celle-là aussi bien qu'une autre,
n'est-ce pas ... Mon oncle en paraissait tellement entiché et il
a des volontés si tMaees qui triomphèrent toujours de mOll
insoucieuse faiblesse 1...
Aujourd'hui, il n'en est pas de même. Quelque chose est
intervenu qui m'a changé .- dans la forêt matinale, j'airetrouvé
mon âme d'autrefois, mon âme combative qui défendra son bonheur (Jnpers et contre tous. Je vous charge de l'expliquer à mon
oncle avec tous les ménagements possibles et de plaider ma
cause, ct, certain qzlC potre diplomatie réussira, je vous elHJoie
par apancc, mes remerciements cordùtux.
fiODERT.
CllAPlTHE VJ
- Pauline, intima Mmo Chiltelain-Prévôt, vous mettrez
un tablier propro cl VOliS sOl'virez 10 caf6 duns la Porgola ...
Elle ajoula, en ropoussant sa chaise:
- Quand jo vous Jo dirai .
Un fracas do sièges remués suivit ces paroles. La maltresso do maison ayant donné le signal, ses jounes commensaux so lovaient avec un entrain qui t6moignait de leur
plaisir à quiLter ceLLo l::tblo pourtant hospitalière.
M. Pr6vôt pliait sa serviotte do toile ajouréc ot la cerclait d'un bracelet d'argenl avcc dos mouvemcnls lents eL
pr6caulionneux d'homme pond6ré, habilu6 il l'erdre ot à
la minutio.
Sa fommo lui lança un regard (;ourrOllCÔ :
- Toujours cotIe manie d'employer dos ronrls do sorviellol ... Fuiles ùonc comme ·toullo monde, pendant quo
vous êtes ici. ..
- Mais, ma bonne, commont vouloz·vous quo Paulina
s'y reconnaisso? nrlicula-t-il on rougissant.
- No vous inquiétez pas do cela Ilui fut-il r6pondu d'un
ton p6romptoiI'e.
Docile, M. Provôt relira 10 rond de métal où des hironclelles slylis('f's s'envolaient sur un ciel piquelé d'étoiles ct
le plaça ù tôlé de sa scrvidlo cnroul60.
�MARTINE AU CŒUR sr.cnr:T
29
d',1I ,étail d'humeur pacifique et redoutait par-dessus tout
lr1'1ter son 'épouse .. . Mais vo~là,
I.e moyen d~ ne pas irri ~er
cette épouse si facilement Irascible 1.. . Et Il en soul1rait
ans son cœur ingénu, s'accusant de manquer de tact .
--: Nous altendons quelqu'un 1daigna annoncer Mme Chât el,am, en ouvrant le haut du buffet pour y prendre les
b':l~ers
de vermeil qu'elle avait louées la veille chez un
'
IJOutiel' de la place d'Armes ,
El~ie
envoya un grand coup de coude dans les côtes de
écha~gèret
un coup d'œil
MarlJ':le, Les deux jeunes file~
Compllce ... que l'Anglaise souhgna d un l'1re entendu.
Jacques, qui s'était emparé , san~
façon du jourLe ~eau
nalAqu avanl de s'asseoir son père avait pbé sur la chaise,
, '
à coté d~ lui, leva les yeux:
, - Ah ... c'est pour aujourd'hui? émit-Il, en lançant vers
"farline un regard amusé.
, '
Celle-ci baissa le nez avec une déhcI~use
candeur qui
ébloUlssarte ,de rous~e.
ennuagea d'un rose fugitif sa p~au
A la fenêlre où elle s'accoudait, Nouche s arreta de SIffler et fit volte- face :
_ Quoi, aujourd'hui? .. Qu'est -co qu'il y a « aujourd'hui» ?
- Comment 1 Tu ne connais pas l'événement? railla
Jacq.u~s
" , Nous recevons aujourd'hui pour la première fois
la vIsite du fulur fiancé do notre chère soeur ...
--:- Ah, il y a du mariage dauS l'air? .,. Alors je les mets l
<.l.6clda la petite.
Mme Châtelain-Prévôt leva le ton:
- Quoi? qu'cst-ce que tu mets?
- Ben, les voiles.
- Les voiles?
- Les baguettes.
,
.
, - r:r: u ne pourrais pas t exprimer comme tout le monde?
s enqull sa mère s6vèrement.
- Mais, maman, je ne sais pas ce que vous trouvez à
« tout le mondo » que vous nouS proposez constamment
comme modèle.
.
l' Jacques sou ligna la boutade d'un l'1re franc. La petite
amusait, cl bien qu'il ffit assez poseur, à l'exemple de sa
mère, I! ne délestail pas l'e~pJjt
inc~r
de sa cad~te.
C esl vrai nt celle-Cl, encouragée, Je dOIS parler
~me
tout le ~ol1de.
Il ~aut
que papa plie sa serviette
mme tOltt le monde ce qUI, entre parenthèses, nous donfera Une belle sald~
ce soir. C'est vrai, Pauline so trompe
f~u
le lemps ... et j'h6riterai encore de celle de Martine,
aéct ~usemnt
marquée de rouge parce que sa bouche
d cInt,
�:JO
MARTINE AU CŒUR SECRET
- As -tu Oni, gronda M mD ChiHelain en mar chant SUI' sa
fille, les sourcils froncés.
H é là 1 maman, vous n'allez pas m'envoyer des
calottes pour me punir de ne pas goûter la banalité que
vous adorez ... Dans votre mondo, ces m anières ne sont pas
de mise .
.Jacques dissimuln un sourire derrière son journal déployé
landis que M. Prévôt, inquiet, faisait derrière le dos <.le
sa femm e, des signes désespér és à sa prog6niture.
L'entrée ùe Pauline qui venait desser vir arrêta à sa naissance la scène qui 50 prépo.rait .
- 'ru me feras 10 plaisir, intima :M me Châtelain- Prévôt,
d'aller changer cetto espèce ùe peignoir-chemise contre
une robe convenable et de nous rejoindre a u salon dès que
je te ferai app eler .
- Mais, maman ...
- Voyons, m èr o, intor vint Martine, si Anne-Marie Pl'éfère travailler, M. Piémont la verra une autro fois.
La main sur le loqueL, Nouche se retourna, altentive :
- Ah ... il s'appollo PiémonL? ... Un nom célèbre ...
- Célèbre ... Pourquoi? nt sa sœur, les sourcils hauts.
Elsie Iilcha 10 polissoir avec quoi e1\e car ossail ses ongles :
- Oh l denr, expliqua-t-oHo avec candeur, quelle piliél
Vous ne conn aissez pas Piémont ... Voyons, chérie ... les
Alpes ... l'lLulie ... c'est par là, le Piémont, n'est -ce pas,
Noucho? ..
Un écla t ÙO l'ire imperlinenl, clI o. porte r ésonne sur lu
fuile ùo l'enfant lerrible, pendanl que l'Anglaise dem ande
ingénument:
- J'ai dit uno bêtise?
- Mais non, l'épond, MarLine, dont une subi le inquié tudo a fron cé 10 .ioli visap;e, jo no sais pas cc qu'oHe a ...
- Vous savez, grollClo Mm" Châtelain, prenant son mari
:\ parlie comme si eUe le rondait r esponsable dos mMails
de sa flll e cadette, cotte p otite dev iont in accepta bl o. Mu
patience a des bornes et je suis absolument décid60 à
mettre Anno- Mario pension nairo dès la ren lr60 .
- Mon Dieu, ma h onne amie, vous m'en voyoz no. vrb ..•
mais ...
- Je ne poux plus la supporter 1. .. Mes narfs sont ù bout,
scanda Mm" Châtelain on ar pcnLanl. la pièco d'un p as
furieux. Il faut qu'elle jetta son gr,lin de so l pa rtoul et jo
Ill O demanùe où s'orrètera son insolen l'e ... Quoi d'étonnunL,
uu reste ... Ello esL touto vulguriLt: ...
vors lu silhouelle falo le perùuo
Son regard hostile glis~(
dans le fauteuil do cni/". M. P/"évôl essuyait !1on lorgnoll
~mbué,
la têle busse, co mme un enfant pris l'Il faule. 11
�MAnTINI: AU CŒun SF,CJ!.;;':'
31
~vit
la même coupe do visage que sa fille, un visage ir~
buller et la bouche large, au menton efTacé et au nez menu
ut que ne corribeaient point, chez lui,. les yeux myopes:
Un peu vagues, pleins de bonté eL de falb~esc
.
d' Ce~tcs,
il s'avouaiL que Nouche devenait d~ plus en plus
Illielle. D'où lui était née cette verve batailleuse qui la
dl'('ssait sans cesse contre tous, ironique, mordante et
Ulnère? ...
" Peut-êtro son infériorité physique q':!'on était trop porlé
~\ soulJgnoI' et le sentiment de son déhU5soment entraientIls pour quelque chose dans son altitude de peUto bêle
farouche, toujours prêle il mordre?
.
mOI, se disait le
- Pourtant, je ne la trouve pas lad~,
~au.vrehom
ingenument. Cert?s, ~1al'tm
~st unebeautû .. .
ElslO aussi, dans son genre, maIS .51 ce vOlsmage ... danger?U~,
n'existait pas, on ne songerait pas il. remarquer l'inCérlo!'!Lé de Nouche.
,
~a
mère la (lisait paresseuse et sotlc parce q~1 on nt' pouvaIt guère s'enorgueillir de ses succès scolaires; elle la
L~ouvait
impertinente il. cause de scs r6pat~es
à l'emportepIèce; hypocrite, parce qu'elle dcmeura!t souvent des
jOurs entiors sallS adresser la parole il qUIconque, murée
clans on no sa vaiL quelles pensées.
~1ais
n'était-co point qu'olle 50 SD;vait d'avance blâmée
ct IlC~1prü;?
Quel élan aurait pulaJeter vors cette fomme
l~autnme
qui lui parlait toujours sans do,?-ceur ct mettaiL
s,ans cesse devant ses yeux, eommo un vIvant reproche,
1 exemJ:>lc de scs autres enfants? . '
,
!ri. Prévôt soupire ... 11 ,:o.udr:ut ~Icn la ~atcr
un peu,
lUI, sa pauvre Noucho à qUI lltrou'\'e p~r.[olsùe
yeux si
~cndre:<;
et si trisl es ... mai~.s
re.m~o
lUI lfisplre une trop
sal'!tu1l'e fmyeur pour qu Il sc nsque ouvertement au
mO,ll1d,l'e gcste aJTcclueux ... ,.
'
.
,
.
f C~ 11 caL qu'à la dérobée qu IlIuI arJ'~ve
d,6t!emd r esafllle,
U,rtlvemcnt, ct de la prcssl'r 'ontre .Sd poItrme on lui cons<:>dJunL la pulienc.:c, la docilité, l'oMlssance.
Ce à quoi l'intraitable Nouche répond avec un hausse ment d'6paules plein d'irrévérence ot do ~it6
:
.-:-. Mon paUVl'O papa! .. . Tu cs du bOlS dont on fait les
VictImes 1.••
CHAPITRE VII
- Vile, Nouche, madamc vous réclame au salonl
La petite 1end lia t(jto hirsute sur laquelle elle s'(scrime
en V~I.r1
depuis un quart d'heure:
- IICns ... essuie de démCler Ç'\ ... Je n'y arriverai jamais 1
�32
MARTI NlI AU CŒ u r, SE CRET
- Quelle p erruque! s'extas ie la bonne femme, pour qui
il n'ost p as , sous la caloUe d es cieux, d'ê tre comparable à
N ouche à tous les points de v ue ...
- Ce qu'elle est maligne 1 a -t -olle coutume d e dire au
domestique Mar tial, son époux , qui, au r este , p artage
ex actem ent son opinion... Elle fait cc qu'elle veut d e ses
doigts . .. Tu vois ces potites robes qu'elle se fabrique avec
rien du tout? .. . Et cet te musique qu'ello t ire d 'un t as
d 'instruments biscornus ... quant.! madamo es t absente ,
comme de juste .. . Ça ch anLe .. . ça gém it .. . ça hurle .. . et
tout d'un coup ça devient doux ... do ux .. . comme un bruiL
d'oi seaux dans les feuill ages .
« y a pas , ello es L joliment foOJ· to 1
- Veu x -t u que j e te dise? formulait alor s Martial en
hochan t la t ête ... elle ira loin!
- Bien sûr 1. .. Ils ne s'en aperçoivent p as, ici. .. Ils n'ont
d 'yeux quo po ur l'a utre, p arce qu 'elle est b elle . .:
- N otre Nouche ~s t aussi b elle 1 a ffirma Mar tIal, v6hém ent. Elie vous a une p a ire d 'yeux braisillants qu'on
dirait deu x étoiles ... Esp èr e un p eu qu'ell e « se fasse" 1.. .
qu'elle no grimace plus comme un sapa jou p our faire la
nique au m onde 1. .. ct tu m'en diras des nouvelle:; .. . .1e
ID 'y conna is 1
Et Martial, qui a vait été, en sa jeunesse , clairo n dans
un r égimenL d'Algéri e , co qui, à l'en tendr e, lu i a vait va lu
main tes aven t ures romanesq ues, bombait l e tor so et
prenait d es airs a van tageux.
Certes, il ai mait ce tte petiot e q ue sa femme avait nourri,
tomme si elle eut été v raiment de son sung. Ne l'a va ient ils pus élevée , en tout cas gardée chez eux pendan t plus
d e cinq ans, d ans la p eUte maison qu 'ils occupaien t a lors ,
r1 errièr o Jo. scierie? ..
A ce tto époqu e, Mme Châ te!uin- Prévôt passait le plus
clair d e son Lemps loin de CharLo uL... à P ari s, où dans
l es diverses vill égia Lures oùla l'eLenaien t, expli quait-ellc, la
santé de sa fille aînée .
C'é tait au mom ent où l' usine marchait encore el où la
fortun e de M. Pr évô t r ésistait a ux assa uts des événemen ts
contraires . Mais après la ca tastrophe, Mmo ChâLelain - Prévôt était l'evenue, ct Nouch e avait quitt é 10 toit de ses
p arents nourriciers pour prendre sa place d ans l a maison
patornelle.
Le m ême i our, P a uline et son mari, qui ne concevaiont
point l' e xi s t e n ~e
sans leur nourrisson, éta i ~ nt entros au
service d e Mmo Châ tela in pour r emplacer la do mest icité
partiE),
CerLes, la m uii;loIJ 6laiL lou l'de ... ct, lu m ullrcl3se cx i-
�33
MARTINE AU CŒUR SECRET
geante. N'imporieI Nouche était là,. et cela suffisait à ces
représentaIt l ~ c(jpt~e
du ~ond.
braves gens pOUl' qui e~l
_ Là I annonee Pauline en posant le demelOlr sur 1 étrOit
lavabo. Vous voilà coitIée comme un ange.
Nouche lève le nez vers le miroir ... cL se tire la langue.
Elle envoie une tape amicale sur l'épaule de sa nourrice ;
~
Tu no trouvOs pas que j'aurais dû naître en ExtrêmeOrient? J'ai tout de l'Annamite.
- Oh 1 protoste Pauline scandalisée.
_ Tiens ... regarde ces pommettes forles ct écrasées ...
ça, c'est mongol! .. . Et cos yeux ' bridés et tirés vers les
tempes ... , du pur ciras~nI
... EtceUe peau jaune agréa·
blement égayée d'un semIs de taches de rousseur ... que
t'en semble? A qui diable ma mère a·t·elle pensé ...
Enfin, ça va, file I... je n'ai plus besoin de toi.
« Ou plutôt c'est moi qui m'en vais, puisque je dois
absolument saluer le futur possesseur de notro impeccable
Martine. A propos, tu le connais, toi, ce Piémont?
- N OIl ... J l paran que Mademoiselle l'a rencontré dans
la forêt .. .
:- D?ns la for?t? ";. Qu:~
s t.ce
que Martin e allait d,one
faire dL\OS la ford, S mquwle Nouche en fronçant drole·
ment son nez impertinent.
- Un m;tlin, de très bonne heure .
. - Bon! quelle est celle hisLoi re? ... De lrès bonne heure I
Comme SI ma s<!'ur étail capablo de se lever de très bonne
heure, s.auf le Jour où ello a un match de lennis avec un
de ses 011'1:; !
- C'~sl.
comme ç.a, amrme Pauline, Milo Marline le
ra~onl?a Madame, pendant que je la d6shobillais, le
SOir 0':1 elle revenail du bal chinois ... p-arce qu'ils se sont
rev~s
a cc bal... cl le jeune monsieur Il a pas quitté MademOIselle ùe la Roirée ... C'esl eHe qui ['a dit.
Pauline b l des paupières el ajoute solennelle!
- Porall qu'il est millionnaireI
- Ah 1 l?on ... je ne m'élonne plus ...
Un écli:ur malicieux s'allume aux yeux do la servante:
- lIé 1... MI Milo Marline casée, cc sera bientô~
le tour
de notre Nouche. Faudra bien le choisir, au moins, celui·
la 1...
de toul'ê~re
:
Nouchc aun grand recul hrusq~io
- Sotte! crie.l.clle avec une vlOlenee soudrune.
do son mouvel~nt
,filais elle sc repont lout de ~uile
d humeur devant la mine contrIte de la dolente Pauline,
qui lui jette un regard de chien battu.
Elle sourit lui sautll au cou et prononce d'un ton léger,
ell csq'IissanL !:iU plus laide ~rimace
:
3
�MARTINE AU CŒUR SECRET
Pauvre bêtasse 1 Tu n'as donc pas vu ma bobine? ..
Pauline n'a pas le temps de répondre, Déjà. Nouche est
au bas de l'escalier. Là, elle s'arrête, rectifie l'ordro de sa
coilIure que son élan impétueux a dérangé, et , correcte,
pénètre dans le salon .
Un bruit de conversation et de rires venait do la pergola qui faisait suite à la pièce. Nouche aperçut sa mère
qui déployait des grâces aupr,ès d'un inconnu, tandis que
Martine circulait avec les tasses.
Elsie ot Jacques se taquinaient, très proc!uJs l'un de
l'autre comme toujours, dans l'encoignuro de la baie ...
M. Prévôt, à l'écart, l'air timide et ennuyé, tirait sa barbiche avec nonchalance ... pour tuer le temps.
- Eh bien, me voilà 1 lança Nouche dont l'arrivée avait
passé inaperçue .
Mm. Châtelain abandonna son sourire alIable . D'un coup
d'œil, olle jaugea la tenue de sa fille, et, l'examcn ayant
été favorable, prononça :
- Entre ...
Martine s'était précipitée;
- .J O' te présente M. Robert Piémont ... ma sœur AnneMarie.
Elle regardait cette dernière avec une sorto de curio~té
anxieuse, comme si elle eût attaché beaucoup de prix Il
J'cITeL dc cette présentation. Sans doute craignait-olle
quelque boutado féroce do sa sœur?
La petite se contenta d'esquissor un bref salut et vint
dociloment s'assooir sur le canapé, à la placo quo sa mère
lui indiquait.
Aimablo, 10 jouno llommo so tournait vors r)Jo 1
- Vous avez un nom charmant, madomoiselle ... AnnoMarie, c'esl doux comme uno flou l'.
- C'est pourquoi il me va si mal, assura l'intcrpeIl60.
~ \ u~si
je ne le porte guoro ... J o resto N oucho ... pOUl' les
am is.
- Eh bion, mademoiselIo Noucho, sourit-il amus6 ...
j'espbro Otre bientôt de ceux-là...
.
~lIo
no ~6pond
pas, piqu60 par la nuanco un pou
raIlleuse qu clIo a perçuo dans 10 ton. La prend-il pOUl'
uno petito Ollo? ...
Maintenant, Martinol'accapare ot il Jo. boit des youx, dan q
lm? sorte .<l'oxtase inL6t'icure. Bllo parle d'ullo voix alangUIe ... mé\18 co ne flont point ses habituols propos ... On
sont qu'elle s'obsorve, qu'clio s'efforco ù lui plairo ... Brs
phrases demourent en sUi,pens, 10ul'{l cl> de sous-entendus
qu'ils sont s()lI l ~ Il c·omprrlldl'P.
l'OUI' ne pas les tl'oubler, Mm. Chatelain a entra;n6 son
�lIIARTI N E AU CŒUR SECRET
35
mari dans le salon et cause avec lui il haute voix ...
Nouche examin e à loisir le nouvea u venu.
Il esL b eau garçon, mince et souple, avec un front r êveur
sou s de b eaux chev eux rej eLés en arrière. Le m asque es L
parfoi s ironiqu e, la b ouche railleuse, ... mais le rayon
t end re d u regar d bleu corrige ce que le visage aurait d'un
peu trop accusé .
- Pas mal, p our un millionn aire, juge Nouch e, imparLi ale.
Et soud ain il lui vi ent un agace ment d'assis ter à ce
Oirt mu et auqucl les jeun.cs gens se livrent sans vergogne,
dans l'a tmosph ère comphce de cette r éunion familial e.
Le manège de !vIartine qui b at des cil5, rougit, montre
l'ôclat clair de ses dents , où baisse le men ton avec une
Confusion pleino de grâce l'irrite comma una comédie
es ?
indigne . L'am o11l' s'embar rasse -t -il de Lelles m a n oe l~vr
R ésolument, 11e sc lance il pi eds joints dons leur entreti en. D'une voix acidulée , elle interp elle le t rop gal,ln t
vi siteur:
- A propos ... seriez-v ous par ent de cc M. RoberL Pié '
mont. .. celui...
MarLine, qui a sursau Lé, envoie il sa soeur nn brusque
coup de cou de :
- Quoi ? l'éLorque celle - ci, s'interro mpant, tu as lu
danse de Saint -Gu y ?
- Vous disiez , ma demoise Jle N ouche, s'enquiert R obert
POlim ellt. Ce M. P iémont.
- J e veux parl er du p oète, ... de l'au leur d'un délicieux
recueij cc vers Comme on chante rl {Jin gt ans ... Au fait ,
vou s ne l'avez probabl ement pus lu ...
L o jeun e homme eut un rire embarr assé . 11 ff'gard ',1
MurLine qui puraisso ii ét rangem enL mal b l'aise eL avoua :
- J 'aurais mau va ise grâce il nier, ici, mademoiselle .. ,
qlle je connais l' Il efTet le monsieu r donl vous p arlez...
, - Vrai, exulte Nouch e avec une joie bru sque qui idéll lJSe soudain ious ses Lraits.
E l, d' une voix profond e ;
- C'es L un grand p oê le, n'os t-cc pas ?
. ,
Le visiteur rougil :
- J e suis mal placé pour appr6c lor .. , Il s est cru, en
e,ITe 1. , un p oè lo ... mais il a fallu la r enconlr o provide ntIelle de vot r e sœUf •.. pour r allumer en lui lu flamm ll
éleinle .
- Comme n Li tu l'as vu ? s'exclam a Nou che avec un
regn rù d'6lônn urn eJ\t ù ('ad rosse d e sa Rœ Uf d onL les ongles
roses criSSI,llI L sur la soi o du coussin qu'elle lriture ,I Vet;
une sor le ù'imp ,.lii (,J1ce fébrile.
•
�3G
MARTI N E AU CŒUR flE CRET
Le timbre du jeune homme vibre d' une émotion con te nue, t fl ndis qu'il poursuit:
- 11 lui a fallu, pour croire en lui à nouveau, entendre
ses vers s'envoler de la bouche de Mil. Martine.
Nouch e écarquille des prunelles stupéfaites :
- Martine apprend des vers?,.
- Elle les chan te , m a demoiselle, ... elle les ch anle
divinem ent ... et quand je l'ai entenduC' , clans la for êt
matinale, j'ai compris que j'avais, pour la première foi s,
la révéla tion de l'harmoni e.
Il a lancé cette phra
~e
avec un juvénile en thousiasm e,
suns quitter lu jeune fill e des y eux .
Martine intervient avec une gaieté for cée , e t, s'adressant
à Nouche.
- Tu as Lien d r.v iné, n'est-ce pas, que notre poète el
M . Rob ert Piémon t, ir; i pr(·se nt, n e font qu'un ... Tu as
devant les yeux , m a ch ère, l'auteur du fam eux Comme on
chante à vingt an.s qui a fa i t. nos délices ...
Il so urit c t s'incline, un p eu confus, m a is on sent qu 'il
n'est pas à 10. co nver s'l tion. C'est Ma r ti ne qu'il regarde ...
olle soulo existe pour lui , et il no s'ap cl'çoit m {lm e pas de
l'expression d'cITur cmcnl qui a fi gé les traits de la p etite
Prévô t:
- Ainsl. .. , vous avez enlenùu Martine ch a nler vos vers ...
le m atin ... d nns le bois'? ùit enfin ce tte derniore, d'un ton
singulier.
- El. a vant m ôme de l'avoir aperçu e, je l'ai mise en fuit o 1
déclara le jeun e homme 11 riont. Penùant pros d'une d emi heure, j' ui couru après une bl anche forme fuyante , sa ns
autre résultat que d'appl'écier - à m es dépens 1 - lu
souplesse do se:; j nrrets. Votre sœ ur Cli remon t rerait il
Ata lanle ello-m flfnr , ma demoiselle Nouch e l
- Vraimont ? s'enc)11i ert Novclle, goguenarde. EL... VOU f!,
l'avez rattrapée?
- nélas non, elle tl'cst 6v:m ouie dCl'ri ère la grille de co
jardin, e t jo suis l'C'8 Lé derrière t ou\' marri, ... Ma is pour me
e ma m ~sa v e l l ur e , déesse pitoyabl e, ellH
consoler
nppar:llssalt quelqu es lT ~ tan
s plus Lard à son balcon .
- 11 n faiUi m e prendre pour elle l jetlo élourdim nl
Elsie qui s'est rapprochée afin d'écouler l'histoire. Oh 1
n'est-ce pas drôle, real/y 1...
- Très drôle 1aITi.rm o Nou ch e qui semble di ssimuler a vec
e r.
p eine u~ e fort e envlO d e p~?r
« ~I m s commenl M. PJtJJnont a-l-il r econnu l'Alal ante
aux pi eds l(·ge.rs ?
- Mademolselle l. déclare Roh r rl avec une emphase qui
ca('he m al so n émollOn, \ln cœ ur ùe poè le ne 50 lrompe p'lS ...
g
�MARTIN E AU CŒ u n seCRET
37
- Ah." ah ? ...
Dans les y eux de la petite Pré vôt, qu elque chose brille .. ,
Une malice ironique , qui va sans doute se traduire par une
de ces boutades dont elle es t co utumièr e.
Mais elle r encon tre soudain le r egard d e sa sœur, -::n
regard où il y a une mue tte prièr e, où trem ble une crainte .. .
les épaules , se lève , s'ébroue et prononce,
!.;;Ue ~ o. u se
lnSOUClOu se :
- Bref, cet le histoire est tou t à fait romanes que 1. ..
E t t andis qu'olle s'éJo}gn e vers Je salon, laissant les
amoureux b a varder en p alx , Martine se r enverse d ans son
fauteUil, a vec un soupir allégé ,
CH AP ITRE VlII
P ar -dessus la balust rade de bois , Mar tine p assa sa jambe
flne, chaussée de daim tressé, el, d'un élan souple, fut dans
les bras de Rob ort,
- Ouf! j'a i eu p eur!
Sa tôte sc bloUit sur l'épaule offer te avec une adora ble
câlineri e.
- Chérie ! qu elle ivresse de vous avoir p l'ÛS de moi 1. ..
. - A bas les pat tes, monsieu rl Songez qu e j e suis une
Jeune fill e ... C'es t très mal, cc que je fais, de venir vo us
rejoi ndre ici, en cachett e ... Si maman sa vaHl. .. Oh 1 j'en
ai des p alpita tions chaque fo is .. ,
. Elle comprim ait son cœur à deux mai ns, toule rose cL
cû s baissés .
IlI'enLr al na vers le sous -bois, ému ct troublé comme un
col16gien qui en est à son premier rendez- vous :
- Mon a m our, vous savez que vous pouvez me faire
Confi ance, diLes? ... et que j'ai bea u vous aimer comme un
r ~ u, je suis dov:J nt vous p areil à un Ilalicn funa tique aux
Pieds do la Madone ...
p Là -haut, derrière les volols entr ebûillés , J\l'no Chûtela inr6vôt laissa retombe r le rideau do t ulle. IWe so frottait
1cs mai ns ;
- .AlIons ! çi.l n'a pas l'a il' d'aller t ro p mal .. ,
Un 6c la t do rire imp ertinent coupa sa ph rase. Elle sc
rolourn a brusquo cL f:lc héo :
- Encore toi ? .. Qu'ost- co que tu fais là ?
-- J e m 'imtrui s, d6clara la peiito Prévôt en Oxant sur
sa rn 6re un rcgn rd impiloy able.
- Ça v oul dire'?
- Oh 1rien ... ou , si vous voulez, qu'il n'y Cl p ns plus bête
qu 'un poble qua nd il os L am01ll'eux.
�33
MAnTINE AU CŒUR SI'.CfiI:T
Oui?... Eh bien, je te ùispcnse de tes r éflexions
saugrenues .
- Enfi n, maman, vous n'avez pas le sens de l'humour.
Avouez que c'est drôle, pourt ant ... Ce niais se parne devant
l'ingénuité de notre Martine 1. .• 11 vient avec des airs de
conspirateur, et en tremblant d'être surpris, la soustraire
à la docte surveillance familial e, justo 10 temps d 'un romanesque ntretien dans la profondeur du par c ... Ello bravû
tous les p érils pour le r ojoin ro et sauto le mur comme un
soldat cn rupturo do quartier ... Et pendant co temps,
derrière votre rideau, vous contemplez la scèno d'un œil
épanoui en leur adressant mentalement votre bénédiction ...
C'est roulant 1
- Ann e-Marie 1
lV[mo Châtelain-Prévôt marchait sur sa fill r , les denls
serrées. Elle lui prit les poignets avec colère et , la secouant
vigoureusement:
- Tu n'as pas fini ?.. on? .. Je t'avertis charitablement
que j'ai assez de tes perpétuels sarcas mes, de ton attitude
g-o""uonarde ... et que j'y mettrai bon ordre 1
ta délinquante fut envoyée, d'une bourrade rageuse, il
l'au tro h out du salon.
Mmo Châtelain conclut, en r edressant d'une chiquenaude
LA dentello do so n jabo t :
- Si tu n'as aucuno tr octl'esse pour ta mèr e, garde au
moins uno appal'enco de rcspret!. ..
1,0 ton s'Nait haussu jusqu'au dramat ll! Uo.
Cola parut fairo une médiocro impressi on sur la jeun'.!
No
u c l<~
qui, à bonno porléo ùo la dextre maLernell , Sl:
1 i.>qua il haussrr irr6vér ncieusemenl les 6pauJrs.
- Va,HLi\1 ma Châtolain-Prévôt courroucé(l, je sais hien
(Ju'il n'y a ùans ton cœur Ilucun bon sl'ntilllult. Ah 1 ou
nL H qui li '
ust l'époquo où l'pn P?uvaiL enfermer los ~nr(1
donnawnL pas satlsfacllon en quelfJue von couvuü h6l'i~s
de murai ll es .
- La geôle, quoi ...
- Cer lainemcnt., la geôle ... C'rst cc (!u'il am.lil fallu
pour mater uno naturo COInlTl O la ti nne 1
- G'.cst, cu!i oux ce .que vous pou vez ' {1'0 ancien r6gimo
quand Il s agit de ~Ol
..... Car pour 10 reste , vous sc mble/.
plulÔl. .. comment dm\ls-Je ... dernier bateau.
- Tu oses?.,
- C' st un complimenL ... Gela pl'OUVO qll o \'OUS avez
marché avec votre temps. Vous \!lf!S morlprne. Amsi,
lenez, vous vou s adaptez aux r irCollstancs ... Qunnrl 1:1'
j une sportif.. commcnt !'app ulcl.-vow; déjà ?.. . ah 1 0\11,
Maximc All ul'ù ... , vous l:ic\VCZ, celui <lui paraisslliL trouv\:l'
�MARTTNF. AU CŒUR SECRET
39 '
'M nrUne à son goût, au dé but de notre séjour ici? ... ~
- Al<ilrs ? 'quelle ûnf"rie vas-'Lu GnCOl'e sortir?
- Bh bien , quand il courLisait ma sœur, vous consoilliez
toujours à Martino, avant son d6parL pour le golf : « MoLs
du rouge 1. ., n'ai e pas l'air provlllce avec cc garçon, .. , les
jeunes gens d'aujourd'hui n'aiment pas les prudes ... » Le
!tli disiez-vous , oui ou non?
- Et après ?
- Maintenant, vOus lui r ecommandez tout le contraire :
«J ou e los godiches .. . Cc M. Piémont ost très avant -guerre .. .
il en est r esté aux cheveux longs et à la petite fleur bleue)) .. .
Ahl maman, co sont vos propres Lermesl Jo vous a i
entend ue hier au soir .. .
- Si tu n'6coutais pas, tu n'entendrais pas 1 éructa
Mme Châtelain, exaspérée . Et puis, do quoi lo mêles-tu?
Que sjgniflent ces rom arques dépl al;6es ? J e fais co qu'il me
plan, n'est- ce pas? Dieu merci 1 les mariages sont assez
dilTiciles, de nos jours, pour que nous, les mères , qui avons
de l'expérience et de la psychologie, nous guidions nos filles
dans cet te voie épinouso où la moindre maladresse peut
tout gâter.
« Seulement, toi, tu n'espère que ça, hein? Tolle est t a
bonne potlte naturo, jalouse et envieuse, qllC' Lu n'aspires
~Ll'à
voir les proj ets quo nous formons pOUl' Martine
8 écrouler :'J. chaque foi s .. .
« Naturellement, poursuivit- elle sur un ton mordant et
vindicatif, tu sais trop combien il serait malaisé de te caser,
toi, car tu es aussi déplaisante au physique qu'au moral...
ct lu ne serais pas fâchée de voir t a sœur l'ostel' pour
compte.. . Eh pl on, ma petite, tu calcules mul : entr e
~artje
et toi, il y a un o.blme que lu n'es pas près dei
)ranr.hlrl
. Ettoutc secou6e encore d'irritation, l\1ma Châtelain-Prévôt
Jeta li son mari qui arrivait :l coLlo minute:
- Vou s venez li point... J o vous laisse la place .. . Volre'
nne devient si insolente cl si raisonneus que je ne sais co
~Itli
me r otient de l'envoyer duns uno m aison de correction
JUsqu'à sa major ité.
souligna son
Le bruit de la porto, lancée il la v~16e,
orageuse sort.ie , ct elle s'en alla en faI sant claquer ~es
talons sur les dalles du couloir.
. - Mon Dieu! gémit 1\1 . Pr6vôL, eITondré, on no sera donc
Jamail) tranquille 1.. . Qu'est-ce qU? tu l ui as encore fail?
Les youx de l'enrant s'ussomlmrcnt. glle hocha la t ête
Uvee rr'ssellLimonL :
E: -1!.'ilc vouùrait ùe la t<,ndrcs~e
pur- dessus le marché 1...
!' l avec çu, madame? .. Faut-il que je VOllS l'envelopp e?
�~ :A
"
R TINE
AU CŒUR Se CRE T
- N ouche t cria M. Prévô t , quel ton pour parler de la
mère 1 Tu n'as p as h onte '?
........ Oh 1 ma mère ... elle l'est si p eu 1 Vous ne voyez donc
pas qu'elle ne nous aime point, nous deux ?
Une détresse avait sonné dans la v oix enfantine. Deux
larmes p erlèrent au bout des cils de la r évoltée , qui les
essuya rage usement t andis que M. P r évôL pro LestaiL, sans
vouloir s'arrêt er à cc «( nous II trop précis :
- Voyons, ma p elito enfant... Tu ne p ensos pas ce que
tu dis?
- J e fais plus qu o le pense r. : .. j'en suis convaincu e, et
tout me le prouve . E lle n'est fi èr e ni de vous, ni de moi,
allez... Pour elle, il n'y a qu e tes« Châtelain u qui comptent :
le beau J acques ot Martine la charm euse .. . Ello s'enorgueillit d'êt.re leur mèr e, comme el1e s'enorgueillissait jadis
d'être la femme de co phéni x qu'é tait, parait- il, 10 fame ux
ehirurgien ... Mon pauvr e p apa , nous aurons beau faire,
nou s ne serons jamais quo les inl rus, nous, ceux <[ui sont
tombés dans son existence par ... par r:lCcroc t
M. P r évôt baissa la tô te. Anne-Mari . ve nait de loucher
le point sensible ... Il le savait p;mlicll bi en qn' il n'était
pas il la ha ut eur de son r ôle .. . à la hauteur des asp ira ti ons
très I6gitim es do la femme supérieure sur qui il avai t eu
l'audace de jeter les y eux !. ..
Et 10 malheur vo ul ait q1le l'enfant qu'il ch6rissait dans
au lieu d'avoir hérit6 dos quali tés
le secret de son cO~ \Jr,
ma tern elles, lui r csse mlJlilL , à lui. .. qll ollo millchance 1
- Tu no fais rion pOUl' l ui pl nit'o l murmllra · t-il piteu semenl.
- Vous voul ez d ire quc rien de co qu e je fais ne lui
~gr
ée .:
D'avance , clic mo condamn e ot me prèto los pires
mtenllOns .. . Qu e voul ez · vous, cela me r end mllu vnisc .
N otez qu'olle es t aussi injus te avec vo us qu'avec moi! ...
Seulement, elle vous int i mid e...
- Ohl ohl COlTlme tu y v as l pr otes ta M. P r évô t.
, - 81. .., elle vous intmj~
c ... la p reuve, c'es t quo vous
JI osoz meme p as me mamfestor d'aITecl ion dovant ell e.
VOliS no m'embl'lSSeZ q~ o lorsque nOli S somm eR se ul<; , on
vous cach an t, comme S I vous faisiez uno chose défend lll'.
Un sanglot s'~c
r as
danR la gorge ùe la peti te, (!l li s'éloigna vers la fencLre p our masquo r son émoti on.
M. Prévôt, tout d'ub or d interdit se r approch a d'l,lie (lvre
une timide anxi (:tli :
"
- Noueho, intcr rogoa- t -il d'une v oix qui mollissait ,
lu ... lu n 'e~ pas hcurellsc, ici?
~J1 e n e .r épond it. p ni'l lout (l e suita ... E lle évoq uait h
petlto m:Jlson, prl!ll (ju Ict sdrl'i e, où oll e avait passel
�MARTINE AU CŒUR SJ;CRE1'
41
ses premières années, au bord de la rivière chantante ...
'fout le long du jour, les machInes bruissaient, comme
des ruches laborieuses... et dans les piles de bois qui
s'alignaient SUI' les l'ives, fralch ement débarquées des
chalands, la tilletle trouvait un asilo i.t ses songeries ...
Les bois venus de si dilTérents points du globe avaient il
ses yeux un charme l'arc: ils senlaient la résine et le goudron, et un tas d'odeurs chaudes et myst.érieuses, des odeurs
do forêt lointaine donl son imagination se grisait comme
d'un r,hiltl'e.
- fu ne réponds pas, Nouche?
Elle s'arracha il ses souvenirs ... Du fugitif atLendrissement qui l'avait gagnée tout à l'heure, il ne demeurait rien.
Son jeune orgueil sc refusait aux capitulations. Pourquoi
son père était-il si faible, après tout? ... Dans son intransigeance d'adolescente, elle le méprisait un pou pour son
nttitude humble et patiente, qui lui pnraissait incompatible
avec la dignité masculine.
Elle répliqua d'un Lon léger:
- Bah! ne vous en faites pas, père ... TouL cela n'a pas
d'importance 1
Déjà, prise pal' d'autres préoccupations, elle s'exclamait:
-Qu'est-ce qui doit sa passer lü-bas, SOUf; le couvert
de!'; chônes 1. .. Notl'e poâtc doit en Nre il la grande scène
éloquents, serments, ... toute
du deux ... Déclaration, ~cslo
la lyrel Non! fauL que J'aille voir' ça!
BUe s'élançait.
- Nouche 1 où vas-lu? reprocha le père inquiet.
Elle lui fit face, los yeux pleins do malico :
- Dans un poste d'observa lion que je me suis ménagé
pour sllrveiller les amOlll'eUX, un vioLlx tronc, creus\:
t1crrioro le banc do plerre où co Roméo périmé ~ntraie
ch.aquo jour sa touchante Julietto ... Je m'y fo.uflle on catilTuni el j'assisto au tondre duo sans olre vuo ... Je m'instruis!
Ah là ... là !... co que Jo poitle peut être ridiculo, et co quo
mon illustre sœur peutulro rouée 1 Non! vrai, pore, vous
n'nvez pas idée de ça ... il n'y a d6cidemment que l'amour
PQl1r Lransformor ainsi un homme intelligent en imbécile.
Bile s'rn fuL, dans un éclal de rira qui se perdit au long
ùu COu loir.
P.el~
après, M. Prévôt la voyait traverser 10 jardin.
Arrtvce prùs do la gl'i lle, ello se relou~naj
regarda ;,ors I~
re~\èLl'o,
ct adressant une ~rJmace
amicale tt <;on perl', lUi
crHl, les mains on porle-volX :
-:-- Moi, jo passo pur la porte ... C'est pluS prosaïque,
malS c'est moins dangereux que de sauter la balustrade 1..•
j)è~
qu'clle cut alteint l'alléo où Robert, tin quart d'honr0
�MARTIN E AU Ccr.UH Sl'Cln:T
se firent
plus tôt, avait entraîné l\1nrLine, ses g~str
ects.
circonsp
Elle amortit le craquem ent de ses pas sm l'herbe qui
bordait le chemi n ct, tendant l'oreille , avança furtivem ent.
Des sons de voix lui parvinr ent: elle sourit ct prudem ment
gagna le rond-po int où les jeunes gens étaient insLallé s,
côto à côte, sur le banc rustique .
Sans faire plus de bruit qu'un écureuil dans le feuillag e,
Nouche se glissa jusqu'à sa retraite habitue lls : le vieux
tronc rongé par l'orage où olle enfoui sa menue personn e,
a vec une dextérit é sans égale . De co poste d'écoUtfl, clic
voyait et entenda it le couplo, qui, sans méfiance, continu ait
10 tendre colloque.
Pour l'houre, MarLiM avait la mine à la fois troublée eL
confuse d'une ingénuo qLli se débaL entre le désir de prolon.
ger un délicieu x Lête-it- tète eL la crainte d'être sU1'~rie
- Ah! mon cher ami, murmu rait-elle de sa VOIX de
colomb e roucoulanLe, je dois vous paraîtro bien ridicule
maman m'a élevéo
uvee mes idées d'un autre âge! Mai~
sévèrem ent. .. l!Jst-ce ma faule si je n'ai pas la hardiess e
d'uno Elsie ou la désinvo lturo audacio use de ma sœur
Anno-M arie!. ..
Dans sa prison sylvestr e , la jeuno indiscrèLe cut pclne
fi r elonir un petit « hum 1 hum 1 » moqueu r .
- Comme VOUA flovc7. mO trouver démodé e, soupira it
l'ainéo des Chillolain Il battant dell paupièr es. Jo mo sens
si ahsurùe mcnl « oil) hlancho II 1. ..
- Voule7.-vous bien vous taire 1 gronda son compag non
dCfl
('n s'empar ant, malgré lell cHorts qu'on 111i op~aiL,
mains Hnm: do Jadito « oio blancho ». Vous no compre nez
donc pas, Martino chério, que c'osL co que j'aime 10 plur.
en VOliS, coLto frttlchollr d'Ume, cotto ubr.('})I:e d posP C\l!,1 n
tlmidit6 presque l'aroncho qui VOUf; fuiL tlifTéreni,o dell
do .votro épofjuo? Si vous I>,lvi('z, Martine ,
jeunes Il.~Jcs
po,:!r do ces Jom:encolles trup ù lu pug"
.nval~
l e j ~n
t'om~T
d'aujou rd htll, ({1IJ se dlf,rnt alTl'anclncs des vieux préjugé s!
quo je trouvo (.tlllI'cnlC'llt pronant o la pugo d'uu'lrefoifl ...
collo d0n.t vous êtos eL à .Jaqu('llo jo suis l'oslé ... Car jo n'ni
geM de ma g6nél':üioll!. ..
rien, 1U0l non plus, ,des Joune~
10 vieux
- Tu parles 1 1IuLa ln VOIX <le ouche, uan~
tronc complic e ...
f111 jouant sllhtilr.m rnt
"tuis l'orateu r et colle flui l'{CotL~i.
des cils, l"s prunellr :; lloy6e:! d'nnn langlleu r hourcUAO,
(,Laiont Lrop OCt:upés lJOlll' pl,,\tr'r "tlcnLio n à co qui AO
pttRR iL dOrl'}èrfl .eux.
Avec c.:nlfnallO!l, HQborl f .ir:ait Je proc'\:; de ;rs
congtJnùrrs ;
�nlARTlNB AU CŒUR SECRIl T
43
- Ils sont cyniques, ... insoucieux, ... i'evenus de tou t
avant d'a voir' goûté à rien , agissants peut- être, mais plus
préoccupés de problèmes pratiques que de questions
sentimentales ...
1
« Moi, jesui s reslé un r êve ur ... eL un t endre 1. .. et j'ai
eu la faiblesse de vouloir bâtir ma vie à la mesure de mon
r êve .. .
Martine se pencha vers le jeune homme :
, - Et comment est -il, votro rêve, monsieur? interrogea t-eUe câline.
, - Il vous resstlmble ...
, La voix chantante, le timbre chaud, exalLé par cet
instant où il pouvait cnfin dire à l'aimée tout ce qui lu
gonOait le coeur, il pri a :
- Marti ne , écoulez -moi ... Vous seule qui avez aimé CI)
péché de jeunesse que furent mes premicrs vers pou vez
entendre CCI; confidences SDns vous moquer, avec une âme
indulgente ... Mon enfance a été trisle. J 'al vécu solitaire,
,un peu délaissé, al' ma mère mourut de bonne heure et
' mon p ère ne lui survécut pas longtemps. Tout au long de
mon adoloscence incomprise, j'ai attendu colle qui r empla :ccrait tout co que je n'avais pas eu, tou L ce qui m'avait
,manqu6 : tendresse , foyer , adorable douceur féminine 1...
' Dans l'image que jo me faisais d'elle, j'ai mis toute la p oésie
(e l toute la beaut é du monde .. . Ces vers que j'écrivaIS, qui
débordDient de mon cœur (.rop lourù, d'a vance , je les lui
déi
a i ~ ... Tout co qui chantait en moi, aux beaux jours
ensoleillés où la vie vot};) parait soudain plus clémenLe, je
Jo recueillais ja louse mont , ... moisson de joie ct d'allégresse
qui étayait mes espoirs fulurs . Ah! les belles conIldencet;
que je lui ferais , appuy6 ~u r son épaule amie! ... Que (le
~ou
v e nir
s amers elle eIracorait de ses 16vres, que de déconl ',age
m e n~ s , que do désillusions clle fCl'ail fuir il la mu
~ique
(.0 sa VOI X !. ..
La peUte main ('ml!' de Marline pl'esso fur,ivClllont lil
nlainde Hobel't.l'h:s 610quent enCOl'e , il poursuit, cntralllé ;
- Et j'ai eu vingt ans ... ,l 'ai ôté lib1'e ! L'heure a sonne
quo j'esp ér ais si épordumont ...
JI hoche la tète :
- Qu ell e déception 1... Parmi. tanl ùo pas:;anLes l aucune
~e
m'a fait l'aumôn c d'uno vr::ue Lendrosse, ... cL pourtant
J'ÔLais un mendiant fervent, je vous l'assul'('! .. .
l'iJ we
, et, chaque
•1( CJlaquc fois, .i l) me l'c!>r('nair; Ù l 'e~pé
fo~s,
je m'61oignnis, irrilé et mé~ntc
n l ... Car toute,s, el,le:;
In oJTraienl le don de leur ambitIOn ou de 10nr légerolc .. .
;\ll lieu de la richesse que j'nvllis Pl1tl'eVllo. l'vs une no m'a
Var u di[!'lle d'unlrel' dans coLle chapelle ardenle que mon
�MARTINE AU CŒUR St:Cl1ET
rêve avail forgée ... Et j'ai fini par croire qne l'amour, Lei
(lue je le concevais, communion de l'esprit et du cœur,
fait de protection et d'adoration mêlées, était un leurre
qui n'existai L que dans ma folle imagination de poète .. .
Dans son arbre, Noucho était devenue tout à Jait attentive ... L'expression ironique de son visage avait disparu
soudain, tandis qu'une gravité é.trange modifiait ses Lraits ,
leur enlevanL leur puérilité habüuolle .
La voix cristalline de Martine se fil enLendre, pleine
d'une solennité inacoutumée et qui s'accordaiL avec le ton
exalté de Robert.
- PourtanL, cet amour exisLe .. , et, pour ma parL, je
ne l'ai jamais envisagé auLrement.
- Parce que nous nous sommes enfin trouvés, .Martine! ...
Quel beau miracle l.. . Il a fallu que mon âme, l'âme
enthousiasme de ma jeunesse quo j'avais oubliée enLre les
pages d'un modeste livre, vole jusqu'à vous 1... Il a fallu que
le desLin, par une aurore radieuse, vous place sur ma roule
pour que Je découvre celte que j'appelais depuis LOUjOlU"S! ...
« Et, miracle plus beau, ... vous avez le visage ùe mon
ùésÎl' ... cal', si je puis alTirmer sans ffiemionge que j'ai
cherché, tout d'abord la seule beautô du cœur, je peux
bien a vouer aujourd'hui que mon rôve secreL avait caressé
'une formo, ... des traits, ... toute une splendeur que vous
incarnez, Martine 1. .. Cl)mprenez-vous lTlUintcnanL quolle
allégresse hahiLe en moi? Nous étions prédestinés, chère,
I:lt notre rencollLt'o de l'autre matin est l'œuvre d'uno
puissance plus forLe quo nous!
.
- Robert, ... que j'aime tout ce que vous ditesI murmurait Mal'Line, d'un timbre harmonieux et voHO.
Copendant, sans raison apparente, Anne-Marie, le front
contre l'écol'ce rUg'l\Cuse de l'arbre, avoit soudain éclaté en
p.1cul'J.iL il poLiLrl coups, appuyant sur ses
sangloLs. El~o
lèvres sa mam frlssonnanLe, afin d'empêcher le bruit do son
chagrin d'arriver jusqu'aux oreilles des amoureux .
. F~t
soudain, olle .se le,:a,: .. et, sans prendre garde, LanL
etait grand son émOI, à dlsslmulCl" sa présence, ello bondit
Ilol's de sa cacheLLc ot flIa sous la feuillée . .1\ u fl'oissemenL
des feuilles foulées, les jCUIlC'S gens se l'etournilL"enL surpris.
Ils aperçurr.nt la fugitive.
'
- Oh! c'est Lrop IorL! s'exclama Martine cn courroux.
Le jeune homme avait fronc6 le sourcil:
- CellA petito est yraimcnt insupportable 1 laissa-L-il
échapper, dans s?n qépll .d'avoir éL~
épié.
MaiS Il se reprit bien vlLo et SOUl'Jt mdulgemmcnt :
- Bah 1. .. une gamineril' do peLito mie curieuse. Elle
aura été édifiée SUl' Tl'llj senl ÎmenLs r6ciproquC's.
�MARTINE AU c œUR SECRET
« Cela vous chagrine? »
Martine à son tour souriait.
- Seulement voilà, poursuivit Robert, un peu soucieux,
cela m'oblige ù une démarche que j'aurais préféré difTérer
encore Ciuelqnes jOU1'S ...
- Ah? ..
- Mais oni, ... nou s devons meLLre Mmo voLre mère au
courant de nos projets ...
- Eh bien ? ..
- Eh bien ... j'attenda is que mon oncle et tuteur veuille
bien faire la cloI!lande offi cielle ... Enfin, je peux toujours
l'annoncer ... mamtenant que votre sœlll' a surpris notre
cher secret. ..
Le même soir, ayanL demandé un entreLien conHdentiel
à Mmo Châtelain-PrévôL, il exposait à ceL!.c dernière ses
I;cnLimcnLs Ü l'endroit de MarLin e et implorait la faveur
d'ôtre agréé en qualiLé de prétendant ... en attendant que
son plus proc}le p arent ait fait la demande d'us;Jge.
Dissimulant sa j uLilation;,Mme ChâLelain -Prévôll':nltorisa
ù venir courtiser Mnrtine tous les jours et se déclard prNe
ù rcccvoir ln visite qu'on lui annonça it.
CHAPITRE IX
François Piémont donlla un violent coup de p oi n ~ sur la
tablo :
- Et moi, jc vous clis qne cc bénfJL recommence res
âneries d'il y a qurlquos ann re!>. Je le croyais assagi .. ,
Vou aL! c'esL bien Loujours 10 mûme étourneau qui bal la
Campagne dès qu'il lui prend fanLaisie de g' mballel' pom
quelque sLupide péronnelle ... Qu'il ne m'échallITe pas l Cf;
orcillof; avec ccU histoi re- là 1. .. JiJ[ si tu f. i cn~
il e gamin ,
Lu feras bien de lui donner co conse il, vieux Loubibl
Le docteur Ancelill s'épongeaiL 10 fronL : co diablo
~l ' home
so montait Loul (i o RuiLe co mlll o une soupo au
IrliL; il cl'oya i Lt01.1j ollrs parler li ses nùgrcs , On ne pouvaiL
vr,aimenl. pas clis~r
a voc Iu,Î.... FiclwC1 comm ission clLte
hlluvnitdonnéccpet lt H.oberLl Hl encore la tan Le Arm :mel lne
vOlllai.t venir b. la rescousse .. ·
11 impl ora de j'œil l ~ bonne dame, ... mais ccJ!o-t.'.i,
pronchée liur son liJ et, n'avait p~r
soufflé mol. cl. ne pat'alSSalt
nlllIen1l'nt diRposée b. inl ervcrnr .
. - Cotte l'ois, cela me paralt f\(:riclIx, émil. Ancr.lin
Pd,euRoment.
l' - Ah 1ça., est-cc qu'.il t'a onsorcelé, toi aussi? s'cncoléra
' J'ançois PiémonL, en agitant su barbe' de condol,tiùl'c.
�MARTINE AU CŒUR SECRET
Sérieux? ... ouais!. .. comme ses premières frcdainqs 1." Tl
a désiré épouser successi vement une étudiante en philosophie, la fllle de la marchande qui me vendait le Journal
dl~
Sud! lA Souss-Bouaridg, :Ule i1lstitutrice rencontrée à
bord du Starlight, un jour qu'il revenait d'Oran, ct, pour
fir.ir, une poinçonneuse de tramway marseillaise .. ,
- Le chenepan 1 s'exclama le docteur, hilare, Il a des
goûts éclectiques .. ,
- Oui... il a un grain, là!. ..
Et François Piémont se louchait le front avec pitié,
- Il sait pourtant bien que nous lui destino,:!s la petite
Duhard, émit Mme Armandine, sur un ton plaCIde.
- Entre nous, risqua Ancclin timidemenl., je no pense
pas qu'il la trouve il son goût ...
- Pas il son goût L. Ah ! tu me la bâilles belle, toubib 1... Pas il son goût, la flUe de l'administrateur de
Souss-Boual'idg, dont la soule signature, au bas d'une
piore, peut me concéder l'oxploitation des forêts domaniale8 du Sud-Oranais? ... Mais tu no sais donc pas que
c'est )e soul moyon quo j'aie de l'obtenir, cette signature 1... et que, si mon oison de nevou reu~
la peLlte
Dullard, c'est une affaire de plusieurs millioml qui mo
passera sous Je nez ... TIL entends, vieux llrabin? .. plusieurs-mil-lions 1. ..
11 scanda les mols, détach'tnl les syllabes comme des
balles.
- Allons... allons 1.. , ne t'énerves pas, cela ne le vaut
l'i en, plaida 10 docteur.
- C'est la l'aulo de col hurluberlu 1 Ahl il Y avait JangLemps (!u'il no m'avait pas fait mettre en colère, celui-là .. .
Ça nous manquait. Sapristi! il aura bienLôt trento ans .. .
11 mo somb!e qu'il serait lompfl q1l'il pl'1L un peu de plomb
dans la cervello ...
François Piémont s'étai L lov6 ot il marcllait dons le
vasLo salon provincial comme nn fauve en cage, LeR mains
all.x poches, sa tôte léonine que lm'minait une haJ'bo elHlée
rOJ,etéo en arrière, il arponLnit los quatre mùtres de lapis
<lm copslituaicnt son champ d'action , Il grandes enjambées,
du mUllle pml largo ot décidé qu'il avail pour visitel' BOB
con~eHSJOs
africaines.
Fds d'un pharmacien tourang,~
il avail quilté de
bono: houre la villn ôtl'oito où dormaient ses 6ncrgH's inem~loyécs.
Notre ('olonie de l'Afriquo du Nord offrait un plus
libre débouché ù sa valeur de combalif ct il avait 6dilié
là - bas une fortune rapido, Cil exploitant des torrains acquis
a vallt la guel'1'e, n (l'excollontes conùitions,
~(l
Heur Al'mundino, son utnée ùo <.louze aIlS, vcuve d'un
�MARTINE AU CŒUR SECRET
4.7
officier de chasseurfl qui l'avait laissée vers la quarantaine
sans autre ressource qu'une modeste pension et de mornes
souvenirs, éta it v onuo tenir son ménage de garçon et p artager sa vie large et facile de colon enrichi.
, Bourru, cordial et sympathique, un p eu vulgaire, colérique à l'excès, aussi prompt à s'émouvoir que facile à
calmer, il avait cependant des idées fixes, des entêtements
forcenés qu'on ne pouvait heurter de front sans risquer de
se fâcher à tout jamais uvec lui.
Son vi eil ami Ancelin, - un ancien méd ecin de marine
qui avait bourlingué sur toutes les mers du globo pour
venir se remettre à l'att ache, la retraite sonnée , sous le
toit natal, - 10 docteur Ancelin et M me Armandine ellemême n'ignorait point que le mariage de Robert était au
nom bre de ses marottes .
Le novou n'avait jamais trouvé grUce aux youx do l'oncle,
ce dernier étant trop homme d'action pour comprendre et
npprécier co r êveur si dénué de sens pratique, cet enthouSlaste, ce sensible, ce (( songe-cr eux », comme il l'appelait
ironiquement.
Aussi François Pi6mont, qui, à la mort de son frère aîné,
S'Malt chargé du petit Robort que cette mort rendait
orpholin, avait-il bataillé ùurant des années pour extirper
« le d6mon de la fantaisie» qui hantait l'esprit de son
noveu .
A présent qu'il croyait y être parvenu, l'imbécile recom mrnçait ses l'l'asques ridicules? .. Eh bion, on allait voir!
Il s'arrôta devan t le malheureux Ancelin qui n'en p ouVait. mais et , assénant sur la table un co up de poing à faire
trombler les vilros :
- Ah 1 c'cst ça? tonnn-t-iJ. .. So moque-t-il de nous? Tl
mo faire 10 plai sir de rentrer, et tout de su ite eneore!
pour le blod par le plus pl'O!:t .j o vais vous o mbal'~uer
,('.ham bateau, avant flU il so soit comprom is là·bas, qu 'il
'V t eu le temps d'exécuter quelquo irl' ém~d
i ab le sottise .
ous entendez? ..
Ancelin haussa leil épaules.
:- Celle fol s, je doule que nous ayons aussi facilement
r aIS on de lui, 6mit-il.
-:- ~Iors,
sap risti, il ira se faire pendre où il vou(lra ...
en
l,n,a iS 11 ne gri!;l1otera pas lrs rnilliomi du papa Plém~nt,
oC Payant sa tête, tonnerre 1. .. C'est compris , ArmandUle ? ..
La brodeuse lova Ics yeux :
,
( :- Mais, mon IIrlIi , je n'y contl'odis p'a~.
'1'011 argent cst a
et tu Cil disposeras conllUO tll 1 ente nùs. Au surplus,
tobcl't c6dera ... , commo toujours 1. . .
.t\ nouveau, ello courbait sa l1U ClUO 1'6sign60 sur l'élroit
ra
tl.··
�1IIAl1.TIN E AU
CŒU f\ 51CIlET
métier, et son aiguille alerte courait entre les mailles du
tissu.
Depuis près de vingt ans qu'elle vivait avec lui elle
avait appris à se taire et il approuver. Aussi bien, elle
était do nature veule et n'aimaiL pas appliquer son esprit
à d'autres considérations que le ménage ou la cuisine. seul
domaine dont p ersonne ne lui disputât la souvol'aineté.
Enfin, elle se leva sans hâte, el, rangeant ses pelotes de
fil et l'ouvrage inachevé dans la travaillouse en acajou,
prononça:
, - C'est l'heure do ta piqûre, François. 'l'u ferais bien de
ne plus penser à cotle histoire ... Tout s'arrangera. N'avonsnous pas décidé de partir lundi pour Roquelaure? ... Tu
laveras la ltlto à Robert.
- Bon sangl tôLo do mule, crois-tu quo je vouille
aLtendre qu'il ait fait des hêtises ... eL qu'il nous ail mis
dans do m:1uvais draps vis- a- \ is des gens du pays? Jo
compte passer il la Sauvagère quelques mois tranquille .. .
et ce galopin viendrait nous y compliquer l'exi3tence?
Jamais de lu vic 1...
" Écoute, toubib, va écrirc ~l Hobert, PllisrJu'ill'achargé
des négociaLioJl;, que sa sanlé mc dOJlne bic'Il plus cie soucis quo la mienne, ." que l'air de France ne lui vaut rien
et que j'cxige son retour immédial. J'ai dit 1
Ancelia 50 LOUrD:1 vefl; l\fme Armandino pour implorer
Hon aido conLro l'cJlll'LemenL de ("rançois l 'lémonL.oo J~lo
pl'épurait déjà la l'I'tlvaz, m:ll1iplllaiL les ampoules ct le
Hacon d'uLher ... , disposait h,s coussins de la chaise longue.
Le docteur comprit (IU'clle Hait à cent lieues du débat.
- Ahl jugea-t-il avec un peu d'amertume, que lui
importe le CCCLII' de son ncveu? Comment purler " jeunesso "
ct " sonLim~t
" avec ('cs gens amollis de bicn-ôlro et
quo INI chi1T('cs guideront, Loujours ... Sans compter I(ue
Illon jeune Don JUtlJl a llll lourd pass6 ü son actif, Ul'S
aventures nOrnbJ'OliSeS autanl qu'éclet,jfJ~
... , et (lue ('l'la
no peuL évidcmment pl'édispos(,r Sa famillo il nCl'ueillil'
avec fervollr son nouvcl embaJJemenL.
sa ehant( lISU fOf['sLièl'e ... , sa nymphe
" H",h 1il'?uJer~,
des bOI~
... ~ ,l IallalL écouler SOli imagi nation où irionsnous, ~ej{fIHl
r't
'
Btle vlcil Alll;elin, philosophe, s'en ful étl'il'o il Rober!.
C( ' lwn~Ja,
no~)('rl
cL l\Iarlino 110 sc quittaient plus. On
ne VOl,llt qu ~ le ,1(U110 homme chez les 1)l'ovôt, ot la jolie
sportIvo flvalt ahan,donné ses rondonnérs v6locip6diquos,
ses matches d .. tennis eL son club de golf au grand descspoil' d'Wsip,
!
- EnflJl, M:1l'tillr, disait l'Alir;lnise dlngl'in,"e, jo !li) VOliS
�~IAR
T!r
Œ
AU
cœU R S I: CRET
49
reconnais plus, my dear 1. .. VOLIS êLes toujours à chanler
la romance avec volre s rveelhearl, comme tallte Gertrude
l O I' ~ ql 'e l e élait fiancée avec mon oncle H arr, le captain.
Ce n'est pas sérieux. ..
.
BL, comme ceci se passall après le diner, dans lasallc à
manger où les « enfanLs» s'attardaienL , Je heau Jacques
Ql1Î, de puis la défection de sa bOJur, sc voyait octroyer la.
mission de servir de cavalier LI la « pensionnaire» i:iurencltérit avcc humeur;
- Tu es ridicule, ma pallvre IWo 1... Toi llui te piqua it
d'être modern e, j'viOle IlI În ux le dire que Lu devi ens
Iiinistre.. . D'abord, a -t-Oll idée de choisir OlU me flirt
un type qui ne danse pas 1. ..
- Mais il danse ! ussuraiL l\lar Line.. ., il danse même très
bien .. .
- Alon; pou rquoi ne l'enLrainez- vous jamais au dancing ?
- Parce fju 'd le a peur qu'on le lui chipe, parbleu!
cxpliqua paisiblement la petiL.e Préyô t, abandonnant, sur
la t able à jeu, uno réussite qUI venail mal.
Martine lui jeta un r egard dépour vu d'aménité, mais
ne Gouflla moL
- C'esL 10 grand amour, quoi ! p h i l o~ pha
J aequcs, en
<l ju &tant Bo n monoclo pour considérer sa sœ ur à la façon
dont on examine un phénomènc. J e ne t'aurais jamais cru
ca pablo do t e laisser « embobiner Il Ü l,e point -là l
- Tions l r éior qua Nouche avec candeur, ~ : a vicnt avec
P.ige. Tu cs bon, toi ... tu ne voudrais pas que Marl.inc
Chât elain co ilTil.t sainte CaLherine?.. . lIé .. . hé .. . 1 ça
menaçait. .. Il Mait temps quo le beau parti se présentât ?.. .
- 11 n'y a aucun calcul chez moi, protesta Mar lino très
1 Ouge ... Bst -cc ma IauLe si la conversa tion de M. Pié mont
111 0 fait trouver insipides iouteR les di sLraeLions dont j'emplissa is ma vic jusqu'à cc jour '? ..
- Oh 1 oh! lIû ta Nouc!J û, 10vanL S0 1\ noz iwp(:Jl' Linellt, Le
pal'1 el'U1 L-il en vers, pal' hasard ? .. . Die u! que ce (l oit être
amusant? J e l'entend s d'ici;
llIartill eJ ...
Cc
chapeau est
lUI
l'aCJis;·cm entl ...
Ell o avait imité il s'y m{'proll dre la voix de Hober'
lorsque l'onthousiasmo ou l'é molion communiquaienL à
celle- ci une sorto d'emphase .
~ a c qu o s et Elsio ne purent rotenir un petit rire compllce.
Encourag6e par 501\ 5UCC0S, l'cnfanL terrible continua:
Qu'nCJI':'- CJolis dOTl r. m anaé, m a belle Il te ndr~
amie,
l '('l/ I' IIc· ur.:," ci Cl' l'oi nt l' (fIlL~
r c a li flotc/lO uh ...
4·
�50
MARTl~E
AU CŒUR SECHET
» A la riguc Ul' on pourrait mettre « aïo.li », m~is
les vers
y perdraient , pas? ... Et allez donc! trémolos à l'orchestre .. .
Une sourde fureur avait agité Martine, ROUS les sarcasmes
de sa sœur. Elle se retint pour ne pas s'élancer sur elle, la
gifler à tour de bras, ainsi qu'elle en usait jadis, à l'époque
de leur enfance tumultueuse ,
Elsie lui vint en aide , outrée de l'altitude de cette
cadette impertinente:
- Oh 1 vous n'avez pas fini sortir l'aiguillon, petite guôpe
d échainée? , .. gronda-t-elle, jo me demande pOU!'(luoi
'
Martine vous supporte!...
- Ce sont des piqûres qui n'a tteignent poinL leur but,
formula celle derni ère, dédaig ne usem ent.
:\fouehc s'éloignait en fredonn ant, non sans avoir jeté un
regl:rd ironique sur sa sœur.
- Vraiment, r emarqua Jacques, dès qu'elle fut so rtie,
~'esL
à croit'e que l'amour te transforme jusqu'au caractère. Autrefois, lu n'aurais pHS accepté sans riposte le
quart des nèches que Le décoche perp étuellement cello
d6licieuse ('nrant.
« Au f ait" je ne sa is cc qui lui prend, d opuis quelf'1uc6
jours ... Le !'ejoton P1'6vôt devient décidément impossible! ...
- .Elle e:'lt. jalouse'? suggéra Ebie .
- Peut- être , murmura Martino ... ello il di x -so pt nns ...
ct peu de ch arme. Quoi d'étonnant li (;e quo 10 fum e t du
bonheur d'autrui lui monte à la tôle?..
Derri ère la porte, Anne-Mario , l'oreiJio alV aguets, eut
UII riro silencieux:
- Hypocrite, va!. ..
~a
physionomie mobilo d'il'oniquc dovinl. 5é ri ~usfJ
... 11 Y
eut. \me lu cl1l' presquc cruelle dUllS les yeux n013eLto, Ul~'
longues paup i/·l'cs otirôcs .
- Ah! Hi ,io vou!r.llS 1 mal'monna -t- el le nt re sc.; dent".
Comme clle descendait l' sca lier qu uLre il qua tre, bl
dirigeant VfI") le jardin, elle faillit b ule l' contre un visiteur
qui li'av1I~nL
, hésitan t, chercha nt quelqu'un p ou r l'in ll'o duiro : R obert Piémont ('TI personne ...
IW o so r edressa , hosl.ile :
- D6cid6mcnt, vous pratiquez l'oscn lnde. vous?
JJ dissimula un so urire amusé devnntln mine r éb arbative
do sa jeune hôtesse :
- Hon,jour, mademoisoll e H éri sso n 1...
- Bonjour ...
- Jesuis désolé, madomoiselle, de m'introduire ici de cello
f' ç,on cavnli6ro ... , mais j'a i rH vain 'sonn é " la ~'l il r ...
commo la porte (;Luit entl'o-bùill6c, JO mo suis per• lor~,
mis d'entrer ...
�MARTINE AU CŒ U R Sp.Cnr.T
:'1
- P arbleu 1 c'est jour de l es~ iv e aujourd'hui ... Et Pauline s'active autour des baquet s. Ses coups de battoir
l'auront empêchée d'entendre los coups de sonnette.
« S ur tou t , ne diles p as il Martine que je vous ai r aconté
ça ? ...
- Pourquoi donc?
- P ar ce qu'elle m'en voudrail, tiens 1. .. N ous sommes
une m aison chic, ici ... Nous avons femme de chambre,
n t c'est
cuisini 6r e, gouvernante, toute la lyre ... S eul em~
cette p auvre P auline qui r emplit il eJl e seule tous les r ôles
de celle co médie -là, alors ... fn,ut p as trouver bizarre qu 'elle
ne sail pas toujours à la hauteur ...
- Mais jc ne trouve ri en du lout, mademoi selle Nouc:he ...
Votre P auline es!. une femm e précieuse , voilà Lou!" .. , cl il
est h eureux que vous l'ayez l' nconLrée, en ces t emps où la
perle sc faiL rar e ... pOUl' ne p as dire inLrouvabl e 1
Elle fut piquée par Je rien de r aillerie indulgente qu'il y
avait dan s l e lon :
- Comme vou s p arlez bienl ironisa -L- ell e , h aussant les
épaul es .
Elle esquissait un mouvement de reLra ite . Il la r etin t.
p a l' l e bras :
.
- Voyons, m adr moisolle N ouche, pu isque nous ~ om
es
SC'ul s, di l.rs un p eu ce que vou s avez con tre moi? ...
Elle se l'ebilTa, III bouche m a u va ise :
- C nt re vous ? .. Mais je /ùü rien ... J e vous cann ois
ù pein e, monsieur ... Vous ne m'inlér essez pus ...
- Lil l vous voyez 1. .. Vous ne per dez p as l'occasion de
!ne dire lm e m6chanee Lé. Pourfant , jo voudrais t ant quo
nous fusr;ions une p aire d'amis, t ous les deux 1. ..
l]lle lui jeta un singulier r egard:
- La t(' ndl'rsse ... av rc majuscule, de not re dou ce !llo r LiJ1('
ne vou s /luffi l, donc pas? .. prononça- L-cllo av eC' Ulle
emphase moqueuse 1
II devint g royo :
- C'es L parce q ue j'aim e !lfar li nl' qn e je souhaite elre
Udoptô p ur lou/; les liiens
- Vraiment? ... Accap areur, v u 1...
J l/sq u'au chien dlL logis, il s' /'{jo /,CI! de plaire.
Ell e poncLua ln cil.ulion d'un 6cl.aL (Ir : il'e. .
,
- Oui vous conna Issez v os classIques , Je VOIS ça , ù eclara t-i1 av ec' un peu d'imp a tience. !ll::1 ls 1'011$ ne p ourriez pa!;
abandonner ponr lino seconde, co musque qU !) vous vou!:!
tlppliquez à 'pos"r sur votre pt'li t visage de. phinx ? ...
,. - Un maS tlue? . . Quel masq lle? V ou ~ oyez de j'iIllug ino. 'lOTI ••• Poète 1...
�52
MAnTIN1, A.I) CŒUR SECHI:T
-- Mademoiselle Nouch e, je voudrais vous raconter 11ne
]lÏsloi r e .. .
- Encore 1 C'est une manie ... Vous êtes un poète doublé
d'un romancier .. . compl
e ~
-- AllI n e m e jet ez don c pas toujours cotte épithète à la
t ête, co mme une injure ... , et écoutez mon histo ire - c'est
une histoire vraie - qui, j'en suis sûr, vous intér essera .
pn p eu de curiosité s'était ~lumée
sous les p~ui
è res
brld ées. Nouche r egarda l'escalI er et, hoch a nt la tote :
- Si Martine sava it qu e je vous reliens ici, elle serait
ùans une b eUe fureur ...
-- Marline esl incapa ble d e se m ettre en fureur ... , el puis
elle est inléressée, elle aussi, à mon histoire.
-- Alors, j e vous écoule , déclara la pelile avec un soupir résignu.
E lle s'ins la lla dans un des fau leuil s de cuir qui ga rnisaient le vestibule ct indiqua ['autre à son compagn on:
-AlI cz-y 1. ..
n sourit, amusé pas Bon air r ev(lcl!e qui dissimulail m a L
une âpre envie de savoir.
- Nouche, hier so ir, l en lé par le clajr ùe lune, j'al'penla is les abords de celte demeure ...
La p etile Prévôt eu L un lressaillemont viLe l'é primé :
- 1\ ill ... vous jouez les Homéos? a viez- VOlIS a u moin5
!'mport6 ulle échoJln ...
- Non, j e no vais pas jusqu e- là... 11 m e sulTlt de conLempler le balcon derriùr e lequ el rlod la Dame d e m es
pensées ...
Anne-Marie Iul prise d'un acei-s de fou rire.
- Eh lJicn ... qu'rsl-co qu e vous avez ? s'enquit le jeune
l! 0mme inLerdit.
- Hien ... oh! ri en ...
A ~ra
nd
pein ,olle 1(·fréna ceLLe intemprstive jubilalion.
C'6ta1L vraiment Lrop drôle, en vérilô 1. .. car, la, v eille au
f,o il', cédant aux inst.flilces d'E lsio eL de .TaefplCs, Martine
Na i.t juste ment allou au bal piscilZe de l'hôLel des
Bains.
gjle g'61 a if. hi en gardée d'en p arlor à son futur fi ancé, car
r llo savn iLJ'horreur du jeune homme pour !.oules ces m ani feslatio ns mondaines; mais, parl.io vorK nou f heur os , nanquéo cln ~lao
ChûloLnill, ell e n'éLai!. l'enLréo qu'aH poLit
jOlll'.
01', j'jdée que Hobt'l'l. nnc p nrtie de la nui l, ôla il venL!
l'l'ver saliS 11'1; foni\lres Ùl' la h ambrp que su Juli eLLe :waiL
d('50rl é, paraissldl il la n!aliPiclIsr. 'onclio du pltls haut
cCllniq uc.
Cl:'pl'ndnnl, l'amoureux impr l'lul'hahlc conli nuait :
1
�MAn'flNJ; AU CŒUn SECItET
53
- Douc, j'étais, hier soir aux abords de la villa Homarine ... C'est sans doute ma bonne étoile qui m'y avait conduit, car j'ai eu l'heureuse for Lune d'enLendre - joie qui
m'avait été refusée depuis notre rencontre du bois - la
voix ensorceleuso de volre sœur.
-Ah? ..
- Oui ... Le pelit salon étail éclairé ... Le piano jouail
un air nostalgique .. . « L'embarquement pour Cylhère ,) de
:-3aint-Saëns ... Dieu 1 fit Robert devenu soudain lyrique,
magnifq:u~
eL prenant, chaud, souple, nuancé ...
quel tim~l:e
La proslJglCuse magicIenne qu'est MarLine, petite Nouche,
ct quelle grande artiste, qui sail toucher, au plus profond
ue nous, la source même de l'émotion 1. ..
- Oui? .. Eh bien, si c'esl pour me raconter ces hisLoires
(lue vous me faiLes poser, j'aime mieux m'cm all er, déclara
1 incorrigible enfant, en esquissant le gesle de se lover.
- Nouche, ne vous donne:.: pas ces airs d'indiITér'cllce
ct de sécheresse qui Ile !:iont pas sincères 1. ..
-- Pas sincère! ... Qui vous atltoriso à 10 croire? nt. la
\letitr, h6riss6e.
- Ecoule:.: la suite de mon aventuro d'hier soir, Noucho ...
J'écoulais la voix divine, con<1 uis, charmé, remué jusqu'au plus profond de mon ôlre, cette voix: qui, dans la
nuil complice, me carcssait Je cœur... Et la voix s'étail
t.ue quc je demeurais encore sous le sortilège ...
« Souduin, tout en haut une fenêlrc s'ouvrit. .. Petit.e
ombrc noire, vous vous êles accoudée i.I l'appui. Vousûtos
l'cstée longtemps à la même place, immobile, atlcndant
~ans
douto, comme moi, que le charme rovienne, (lue la
voix d'or se fasse entendro à nouveau ...
- Ah ... vous croy û ...
- Espoir vain, fit H.obert, déùaignaliL l'interruption ...
~Iais,
lonl u coup, un rayon do lune, surgi ÙCJTiôre J'6cran
d'un lIuag<" a CllvüJOppo tous vos traits ... J'ai vu, "ous
I1lend~,
distinctelllont, yoLre facc fCllllue vers l'ombre ...
cl. ..
- El? jota NOllche, agl'essive.
- Mt celle face étail baignée de lurrnos ...
.Un peLit silence souligna Ja phraHo. Noucho, subitemenl
(:rlsp6e évitail do regarder J1obcrl.
- Aiors dell1unda-t-eJlo, au ho,ut d'un inslant.
La main' du jouno homme alla .chercher umiealemenl
les doigts de la poillo gui s~ d.érobalC~t
.
--, Alors j'ai comprls ... ,l'al COmpl'ls ... petll.e fillo, fJ:U c
~ous
n'étiez pas la g,llnine insupportAble, légèrc, étoul'dlU,
Insensible d perverse f(u vous vous appliquiez il montrer ...
J'al compris qu'au foncl, lout au fond, vous n'étiez qu'une
�MAItTIXE AU CŒUR SECRE'!'
eufant meurLric, méconnue ct bu~éc
.. " m~lÏs
qu'il y avait
en vous assez de tendresse inclllployée, U::iSl'1. d'amour du
beau, assez de sensibilité pOUl' qu'à cerLaines heures, par
la vortu d'une chanson envolée dans le soir, volre ûmo
:j'émeuve ... et que vous laissiez montor votre chagrin
jusCju'à vos paupières...
,
I( .D;t lOlrlo ma sympath ie est
allée vors vous ... J e me
suis promis de YOUS parler et de vous dire: ma future
p tite sœur, soyons amis ... Voulez-vous que je sois pOUl'
vous plus <.lu'un bean-frère .. . , un tendre compagnoll
conndent et fraternel ...
« Allons, N ouche .. . no VOllS conl.raetez pas comme WH;
pcl,ile bète sauvage qui sort ses grilYes. Vous aver, b(.au
vous donner du m;:\! pOUl' vous rendro antipat.hique, j',li
pour vous, d'instinct, une grando amiLié ... No voulez-vous
pilS l'accuei IIi r? ...
Le Iront Lèlu do Nouche s'était détournù do Rober.,
l\Iais, clans les mains loyales (!IIi l'él.ruignirenL, scs doigt:;
s'amoJJissaiout.
- J c n'ai rien LI vous donner en écho.nge, prononça ·t- elJe' ,
le LOIl ilpl'o .
.- Mômo paR do emnaraclC'rio? ...
Un pelit silence (lui l'ui rompu soudain pal' 10 timhro
.
g'l'a ve de Robert,
- Et si. je vous dislIis que j'ai quelque choso, m'J i, iA
vous demander? ...
Un service ... Mo le refuseriez-vous?
- Un se rvice? .. .
Ses youx intorrogcuiont.
- Oui ... 11 s'agi!. de Marli/lt' .. .
-
l\lJ'bl eu 1...
lin groG cha - M:u'lino LI (lui je suis oIJlig6 dll (';Ius~r
grin .. ,
L,l potilo Prévôl. cutlll l subit lrol:isuillcmont.
- C,lu'csl-ce qu'il y a7 ... Que voulez-vous dit'c7 ...
-,11 Y a (PlO je dois rdarùer nos chers [lt'ojols. Je ,ais
parLH' .. .
- Partir 1 ... VOliS'?
Une in,cl'6dulito sonm d~n
s la vo i. j li v(llile. Aux pruIIIdll;s 1l0IseLLc, 10. l.uou !' r~u.10!S
:lvait r\ispnl'u.
J\vcc uno emoLlOlI qUI lalsuil Ll'ullll>ler lrs JI1ols,
HobcrL pronOJlçu :
- Ill e faul. ... 1'1. je sel'ai quelq\le ..; mois HaIn rl "('/lif ...
ptlll-citro 101lto uno année . Vous n'inw lT inc7. pliS clulIl d ~c i.·
r '1I1enL j'6prollvl', hl...
0
li sc LouelliliL LI poilrine, cL sou émoi int('ri('lI 'll'il1l5ll;1l'dissaiL si vi' II ;,Ul' :;011 visua:o u!1l1.icu.'( <LUc.; h 1.. " linJ
�MARTINr. AU CŒUR
~r:CRE
T
Nouche n'eut. phl" env ie dr foC moqut'r, ni ùe lè l.rouvE'r
ridicule.
-- Voyez -vous, reprit-il lrès h:lf-, com me honleux de la
puériliLé de son aveu, je la connais rlepuis un mois à peine ...
cL il me semble qu'olle NuiL déjtt mienne avan t que je l'aie
jamais vue ... C'est elle que j'al lendais, depuis Loujours ...
Si elle me manquait à présent , la vie n'aurait plus de
saveur .. .
- On dit çal essaya de raill er NOllcl1e .. .
Mai s le Lon n'y éLait plus, cL , malgr0 elle, ses rega rds
s'étaient f ai~ pitoyables .
- J e vous le jUl'e 1 prononça- L-il, t rès gr.:\\ e.
- Alors? balbuLia- L- elle, impressionnée.
- t, lors, je compte sur vous, pl'tite sœur .. .
moi? ...
- ~ur
- Pour me la garder ...
Une rougeur ard nle mon l,a à lu face p ,î lp de ln peti Le
Prévôt. Interloqu6e, elle rest.a lm moment sans ri"l'l
Ll'ouver à répondre:
- Mais ... rep rit -ell e enun , j( 11(> peux rien, .. Mar' ine
YOUS aime assez pOUl' VOUi:i 'Lre ftùele, je suppose? ...
- 1I1arLinc esC fem me ... el. si ht'lI e 1 .. . Cortes, je crois
en 01 Ir-. .. cio LouLo ma foi 1 Mois elle peul. Huhir des
in fluoncer;, l1l10 pl'flss ion qu elconque .. , Mon ahsence Pl1 UL
ùlre plus longuo que je ne Je pr6voi;; ... Je veux avoir 11l1e
alliée ]l'i ~ s d'oll e, dans son ombre, ... une alliée CJui cOlllrl'halanc" au moment voulu, I ( ' ~ manœuvres [ldverses, ...
UII!' allil'o qui lui pal'Ie d" moi, qui so iL comm e ma penséo
vivanle dCITI eurôo près d'dIe ... Noucho, jo sais qu'en
dépil. de voll' n11'cclal.ion i\ l' l'OU el' Je conLrail'o, vous
:\imoz Lr nùromenL vol.l'O sœ ur ... J o VOliS on rnlpplie,
aidez-moi 1 ...
11 la pri aiL, la voix :1r<h
,.~c
, le Lon prr>lgue 1n11l1 l>1 ...
11;lJe 61ail. si t.rouh lée quo srs mnills s'(lf\lluilTll fl'6],rilomenL , fi<l I1S fju'ell l' en oiL conSrir!1Cl'.
- Qur. PUlS-,ie fuirel g(~1lit-,I'.
,
_ 'l'out! ... Vo\'ons ... 1 l ('o lllpJiriU' d'un o mIe ,l'E\'0,
p'psL le plus HOr' gar:mt qu.' puisso ompo.rtcr lUI cxil('
dt' cciiI) qu'II mml1. Or, Jl101, voyoz-vous,
fluantl il ~;'ur:wh(
1\[OUclI C je 1':1 imo:l l'Il 1lI0Ul'jr'.. . Il n'csl p us jusqu'au
lnil'urlp' de nol.rü r0l1eo nl. re, duns Il fOl'.:Jt do Hoqueluurr ,
'1111 no mû la rend r phls chere ('II,:oro, pal' 111 marquE'
prédestinée que preu d cct {:vénCIll n~ de ma vio. D(,puis,
J'y pense fli1l1S ec;;!w.. . BIle occupo mon ('(our, mon
l'P I've'all, mon ûme cnL ii' )'I' ... C'('s l comme \1110 fjo"\'re (l'li
l> I ~ S<..r:,lÏl prnplll'Ô(' do l,out Incn Nl'O ill'improvisl p , pt qui
~'y
se rait instull6u Ù l'(LaL e ,1'ù11i,_lI(' , Ah 1 VOUf! ne pOUY UZ
�M \nT1Nf. AU CŒUR SRr.HllT
pas savoir co quo la vision, même lointaine, do sa
silhouette, apparue au détour d'un chemin, peuL remuer
en moi d'émotions ... et l'intense bouleversement qui me
prend aux entrailles, lorsque, par hasard, comme cette
nuit, par exemple, j'entends soudain sa voix merveilleuse
enchanter tout mon horizon ...
« Vous comprenez, Nouche, que sj elle s'en allait
maintenant de mon existence , ma Nympho chantante au
beau visage, la chère âme sœur qui m'a découvort dan,;
mon livre avant que le divin Hasurd nOlis réunisse, ma
déception serait atroce?
louche incline la tête ...
- Alors, fait-il avec un grand mouvement de joie, je
peux compter sur vous? '" Vous me la gardero??
La petite Prévôt place sa petito main dans la main
tendue:
- .Te veus la gorderai, Robert, je vous le promelsl ...
Elle a dit cela d'une voix chanO"ée, d'une voix qui
contraste avec le ton sarcastique qui fui est habituel.
EL ell e ajoute, hochant Ja tête, avec un pauvre sourire,
res paroles sybil li llL's auxquelles le fougueux poète ne
s'anGte pas:
- Je VOllS la gardera i, votre ( Nymphe:11l bea1l "islgo »,
comme VOIlS dites ... mais si, plus tard, vous lu trouvez
inférieure ù voLl'o rêve .. . VOliS penserez qu'il n'y a pas de
mu fauto ct que j'ai fail, tout cc lJlIe je pouvais .. ,
CHAPITRE X
Songeuse, la petite Prévôt él,a it remontéo chez elle,
après avoir accompagné 10 jeuno hommo jusqu'au pelit
salon où se tl'naiL sa sœur. Elle ciagna la chambre nette et
!lUl', dans laque lle le goût maternel n'avait point dispos.)
les claires étofYes chaLoyanl,es, les bibelols frais ct fragiles
qui embcllissl nL d'ordinairo l'atmosphrl'û où rù\'t'
l'adolescence.
Dans une enco ignure, au -t1rssus de la tablp ù écrire, un
(·1 l'oit l'oyonnage ùo bois ali gnait quelques li vres ct ll r.!1
hrouhurcs.
~ajon.ril(J
atteignit un ).lclil. volllme, as~('7.
éll'gammont
. lIne de (;e5 plaquetlf's commc 011 on lire lin
rr.bé; c ét.[H~
nomhrc IJml te, dont 1 auteur fournit les suhsides ... UnI'
jolio édit ion, du reste, SUI' pU!' f1l LnfuTno préfacée par
uno haul.o porsonnalité liW!rail'o et adornée' d'un portl':lit
el1 médalllon du jeullo ct talentueux poèto ...
Le litre s'('la )ait en !!olhiqllo il la pl'emii rL! pn!::'> :
�MAr,TI N E AU CŒ U R SEc n"CT
57
Comme on chanle à flingl ans ... et au· dessous, le nom,
qui sonnait bien, de Robert Piômont.
Nouche tourna les pages fatigu ées : des pages qui
avaient souvent glissé sous ses doigts avid es.
Beaux vers qu'elle avait lu s avec ivresse, rim es chantantes et ailées qui lui avaient si souvent versé la foi ot
l'espoir, chanson où son mal s'endormait; où elle se
retrouvait avec ses enthousiasmes et ses illusions, et ses
premières peines et son csseulement, comma ell e vous
avait aimés 1 •.•
Robert Piémont ... , le dispensatl3Ul' de tant d'émer veillements, co mme elle eût désiré vous connaître' à l' époque
Où elle n'im aginait pas que le fantaisiste deslin vous
pl acerait sur sa route ... , ct dans quelles circonstances,
grand Dieu 1 ...
Et maintenant ... cli c préférorail, cert es , ne vou s avoir
jamais rencontré ! .. .
Longue ment, elle conte mple le por trait de l::t page ÙÛ
gard e... le fil1 visage ov a l i~é , aux beaux yeux profond s,
au front romantique ... Puis ses yeux quèleurs cherchent
la glace, qui reflète une N ouche aLLrisLan te, à la mou e li e
dése nchantement, et clio mu rmure :
- Soyez tranquille, monsieul' Hobor t Pi émont 1... J e
no démoli erai pas 10 beau mi l'age 1... Aucun de nOlis n'y
gug n('r ait.. .
1!;t sa physionom io mobile reprenant soud ain son
expr('ss ion goguenarde, elle adresse à son image 1mo
grim aco espiègle et onclut :
- Toi. .. , voilà lOlll cc que tu mérites ! ". J aponaise
Illanqu éo 1
- Mais enfin, gue \' ous :m'ive- t · i1, !lobrr!' ? Vou s
:I VOI: l'a ir rnnu y6 1 Jnterrogoait Marl ine, landi s CJu o SO li
n ~our
e u x
l'enLraÎn ait vers le banc du parc où lu eo mPllcité ma ternell e les laissait s'év ader seul.;,
' Il nt lin effort pour chasser de so n fronl une préoccup al 1011 (>vid pntc :
- 'J'ouI, :i l'henro, chérie ... , je' vous expliquerai.
II l'enveloppail de phrases tendrCR , de moLs énnmOlll'Hfl 1
( ' ~rouv
a nL,
('halllle fois qu'il la reLl'ouvait, 10 d6sir <le lUI
Ihro lout co qui :w ait gurm é dan,; SOrt ccc ur si pl pin d'e lle,
durant leur brève sépal'al ion.
1 Mai R elle, qui availl'emarqué son [l'OULI e de LI pre mi"'rj)
IOUI'O, le harcolait do qu estions :
,
\' - Robert ... , VOIlS avez un souci 1... ConfiC'7,· )I' IllOI ... J o
OUx parl:lger a voc v ous la joio cl. la pc· ine...
j'. ~
VOll!, ne pouvez ~DYo
ir
rornbil'n l'c l.Ln n~!' l1ran
.t e
ait du hllll, aJllrlll'.l.L il av l'C) fougn e. l\Ltl't 1TIl', n ~ n ne
ml:
�58
l\lARTI:'{E AU CŒUIt SECRET
pourrà surgir entre nous, diles? ... Ri en ne pourra nol1S
séparer?
Elle le rrgarda, un peu inquièle :
- Que pourrait-il y avoir, RohcrL? dcm,mda-l,-cl1n
ingénument. Vous ête:; lilJrc, n'csl-cc pas? ... el pUiSQU0
maman consent. ..
11 parut mal à l'aise .
- Je suis libre, c'est entendu ... , mais voyon s, l\Jartinr,
malgré la répugnance que j'ai à aborder certaines quC'stians, il faul bi en que je les discutr, ... malll eureusement
avec vous. Je tenais beaucoup ü ce que mon oncle réglât
la form alité do notre union, de concert avec 1\1 me votre
mère, pour éviLerprécisémen'L de parler argent etsitl'ution ... ,
Lous ces mols qui elhrouchenll'ameur ...
Elle lui posa vivement ses doigts sur les l!.:vI'rs :
- Chor ... je vous oi déjà dU, un jour que vous tenliez
de m'entr.lin cr sur 6e sujet, quo j e délestais les malérlalilés ... Fi 1 un poète parler finances ct gros sous! ... N.'
mêlons pu.; ceJa à notre l'l)lnanesC]lle aventurû ... , j G vou~
en prie!
Jt.. Jlo avait eu une adorablo mou e.
Il saisit L tendre Millon npp uyé sur sa boucl1 e cL,
ofO eurant 1eR doigts roses du SC'1i lèvres, il :>'cxdamu :
- Que j'aime ceLLe bello insouci' nce, si pNI en uc"ord
uvec les mœurs do notro époquc t erre à l<'l'ru 1... 'fOUl; les
jours, ju VOUf; docouvrù davnnla rr , t cll[\(lue foif' plus
semblablo i.t mon l'Ove ... Alli Martine, VOll;; Ne:, /;j(n la
muse quo j'aurais choisie entre touLes si II' JJo.sard hipnfaisant no J'avait pos plnc6e Rllr ma voie.
JI soupi l'a :
- 1161asl je doi: (,Ire rni sonnnble pOUl' doux, ma Lrndr,)
o.u-d<,sslIs des conlingc lh:f'S ... ,
amio! ... Jo sais quC' vous ûLc~;
qur vous o.ceptl'i~a
vec moi lu géne ... , voire lapuuYl'1'l0 ...
Le sou rire de Marline B'eITuça ;
- Lu gêne? .. la panvre lé? ...
- Mais Jos Lemps sont r6\'olus où on s'installail avre
joio dans la boh \mc ct où Jr poùl.r pL Sil mu~
, rielll H de
JOUI' jeunosse ct de lenrs espoirs, nllnienl gilL'r SOUR les
combles.
Drl11, 1/11 grcllier qu'oll l'.! bicil Ù l'ingl (1/I 11!
(1 ~Iai
" voilà ... , J,noi, je Il'ai pl\1s vingt :1Tl~
... rt j'Hi
appriS, put' rXpr'l'ICIWI', qu'oJl Ill) vil pus H'.'ulcmcnt
cll'spél'anccq. A DUCun prix j n Il' voudr"i
~ pour VOl~
d'ulle existl!ncl' l'MI'écic ! ...
Les pru ll C'lIi'S de Mari in<' C'xJllimè r 11 L lu ]llll!; intense
stupéfaction;
�~IAnTJNB
.\U cœur.
s~cnE
T
59
- _.rais. Robert. ..• je ne comprends pas ... Pourquoi
me dites- vous ces choses?
- Parce que mon oHcle ne consent pas à notre union.
«voua le jeune homme avec un gcste de coJ ère.
- f!Jt alors? ... Qu'es t-ce flue cela dwnge? ...
- Oh! rien à ma volonté 1 affirma-t-i1. .J e me passerai
do son consentement. .. Seulement ... il faudra attendre...
- Attendre ... Po urquoi?
- Parce que si je n'obtempère pas , comme un petit
garçon, à son ordre Ll'épo~ser
la [lancée qu'i! me destine,
mali oncle mo coupe les VIvres ...
La petite main, étrangement ferme et nerveuse de
~Iart
in e se posa sur le bras de Robert;
- [<)st·il besoin de tant d'argont pOUl' ètre heurcux? ...
Hia regarda. lout ému:
- Je savais blell, ma chérie. que vous m'app rouveriez ...
{Jh! ... oui, vous a vez rai:;on, 'luand on a roncon Ll'é
l'omme nous le bel amour qui sullit, à lui seul, pour
l tnbellir toule nne oxistence, on n'a pas 10 droit de
demallder davantage. gt puis, de l'arge nt, j'on gagnerai ....
en dépit de 1.0U8 les François l'i6mont du monde! ...
Martine ;.lVaiL eu un 'brusque tressaillement:
- François Pjémon L? , .. murmura-t-olle, c omm e si ce
1l0Jù lui ouvrait des horizons nouveaux,
-, Voyez -vous, reprit 10 jeune hommo nvcc uno subite
llumme, j'é lui:; 1'6solu il vous pricr de m'attendre cL à
l'CIJurtir l à- b u~ ... , 10 temp:; de poser notre avenir commun
~Ul'
des bases solides ...
, « J'ai rénéchi. .. Vous êtes vai llanLe auLanL !]ue belle,
1Ilal'Line .. , VoLre altiLudo me le prouve. Eh bien, je vous
ùomande aujou rd'hui 1 « Voulez-vous parluge r avec moi
ICJs hasard K des promiers débuts ... , les diJUcuHés .. " I c~
~ nlui
8 peul-ùLT .. ,
, l\1uis où? ... où vou lez-vons aller? cria-L -elle,
IlllpalicnLée.
, - Parbleu, dal\i:; le bled, d'où j'arrive ... :::leulernellL, au
11011 de ll'availll)l' pOUl' mOIl onde, commo je l'ai t'nit
J ,. \I ~ fJ~ ',à cr jour, j'acccl.' Lcl'u i de~
proposiLion:; qui m'ouL
Ll,~
f lll Les ;ullcUI',J ...
- Travaill er ... VOlltl? .. , ,Mais alors ... la Sauv agère? .. .
" - l~t
1 la ~al
va.gÙl'(l 110 m'uppnrl.ienL pail 1... La Sall;'a~()l'c
Cdt la (l1'Opl'i6tu dli Frunçoi6 P iémollL, eOlll tnO tou. III
;l?Il1HlIJe de i':iOUSH- BI)ua ridg. Mais vou: <: LUl au COU,l'L1l1t.
~ %L-(,c pas? ... L('; 1)'sLèvo ont du VOUi:! le dire , PU1 S(!UC
otre mère esL liéo il vec eux ...
MUl'lillll bui~8
lu; puupi01'c:> l
�GO
MAr.Tl NE A U CŒU R Sr:C R t: 1'
_ Oui .. . sans doute, .. , mais je suis tell emenL loin de
louL ça, mo~
1...
11 crut sentir un reproche dans la voix attrislée ;
_ Pauvre chère ... Si vous saviez comme je suis malheureux d' ê t~e obli.gé de vous ramener à la réalil é, alors que
P ourlant, si je pr e ~d s on main
nous plam?ns S1 h ~ ut.
'v olre préclCuse eXlslence, Marline, il faut bien que vous
sachioz cc qui vous aUend .. .
Bile haussa les épa ules . Puis, hochan t la têLe, d'un air
!l e piLié attendrie ;
- Al?rs, v.ous nepossédez rien, v~us?
...
,. .
- R IOn 1 Jeta -t -JI avec une SUblle exaspéra tIOn ... ct
c'est cela qui m'a t oujours em pèch6 de J' é~ li se r
mes
ambilions poéliques. Mon oncle a prétendu fan e de moi
son hél'itier, à cOll dilion que je J' e ! 10 n ~e à tout cc qui
m'était cher j à mes go ûts , à mes aSp' JI'aLJOn s les plus légilim es , à l'ar l, à la po(:sie, au rêve. f ou le mon adolescencc
a élé une lutte enlre la volonté de co despole lomblo et
ma faiblesse cabrée . Dès que j'a i .pu écll app er il SOli
emprise, j'ai essayé do .l'éalisS1: !!lu "l e, .f ~ d c1 1 0 ~' S de lui ...
J 'a l ba laill é pour le pam quo. 1dwn .. . , J a L ,. t e n ~c do faire
ma lrouée .. . J 'a vais vingt uns 1... t~op
d lllus.lOns cl pas
a se ~ d'expéri ence ... pos nSFlC)\ do rallOnco aussI ...
« Alors, il esl l'avenu il la charge ... 11 m'a arrach6 à co
qu' il app elait ma « boMme » .. . . il a souffl é SUI' tous les
espoirs qui me reslaient , c"! t ~ J;> la .n t SUI' mes premières
déceptions, m'a prouv6 qu e Je Jalslwl fausse roule ...
. « J 'ai c~ d 6 ... par v e u~ e l'i e , cl pal'(;e qu'a ce lle époque
Je n'avfns aucun levICr ];l0tll' soulevor mon énorgie
engourdie. .l o l'a i sui vi.. ., J'ai fait ce qu'il a voulu ... n..
poOle, je suis dovenu un homme de cltilTros, un inlendant
un chef de chanli or s, qui dénombre les co up es ùo boi ~ '
u chO
~ e des l e ~'I ()s , du bé tail, c! (:s SClltenCes, engage l ~
?,Uvrl.crs,. élabltl des plaw; ... , b ~o (! lo.contraire do cc quo
J (l'VtllS rové ... Moyennanl qUOI , Je VI S co mmc Un fil s de
~ a i1l
e cl je mou rrai plus l Ul'd million!1uire, apl'ès avoi;'
e p o l s~,
nn.lUl'ellelllcnt" Ull y f() n~m
o qu e JO n'aimo pas!
". Eh l.H eJL , n ~ n 1 fJ 'c~ I, U- l - Jl, ,dans \lllC explosion de
...:olero, cela !l0 ~e ra
]lus, .. . Ah . . M t u· ~ tn c , VOIlS m'avcl
puisqu'ainsi le
1'6v616 à m 0 1: !llu!l1e. J e p:l1'
~l ra ~, OUl
ve ul c l~L
les c lr c~ n sta n c~',
ln 'l iS Itbre. cl indépend anll .. .
m si JO~ e conqulCl's pas la f ~q'Lunc
, j'aul'ai du moins la
consolallon do mem:\' !non oXlste!lCe com me je l'entends,
el je me contcnl(;\'J l ct ùtl'O t out sunplomcn t ot divinemont
heureuX.. ,
l 's,. il l1 'avait pas
Fort occup6 :i d0hilor sou pdil ~ li seou
VlI le , isagc dc sa compagne Il êlI:lSOlllbl'll'. Les yl' Il X
j
�~LnTlNE
AU COlI'n SEr:ntl'
Gt
lointains, Marline paraissait en proie à uue él
préoccupation.
range
. Quand elle le vit plus calme, un peu étonné mêm
SIlence qu'elle lui opposait, elle s'enquit ;
e du
- Alors, .. c'est la brouille? .. ,
,- Avec mon oncle? ,.. Sans doule ... Puisque j e vo
dIS, Martine, que je dois choisir enLre lui ct yous!... us
- 11 ne s'agit pas de ça ...
Son ton était devenu singulièrement ferme ct au LOI'Haire
-- C'est votre seul parent ~ dcrnanda-L-elle ('ncore.
.
- ~vec
ma tanLe Armandme, sa sœur. Mais l'un <,st
loute mtransigeance ct l'autre Lout égoïsme.. . Alors
. _ Alors, mon cher, je n'approuve pas du lout vos pr~':
Jots •.•
- Vous, .. VOLIS ne m'approuvez pas?
_ En aucune façon ... Vous ne deCJez pas vous fi1cl~r
avec voLro oncle!
, _ PourtanL, .. , puisqu'il exige q~e
je renonce à vous? ".
Cela, Marlino, le voudrais-je, que Je ne 10 pourrais pasl ...
Ello sourit cL haussa les épaules :
- Enrant! ...
« Mo i non p lus, je ne pourrais}'9noncer il vous, chuchoLat- cJl r, Il sc coulanL vors lui, calwe...
~'lais
je pense à voLre art , moi, monsieur, il votre
(~al'èI<,
ct je ne veux pas quo vous me sacrifiez ces
choses.
Ello hocha la LùLo d'un grand ai l' de componct ion pt
soupim :
_ ,1 c no suis pas aussi écervelée que vous le croyez,
apcl ! Je sais quo pOUf réussir il fau t.de l'ag(~t,
beaucoup
.. cL si abandonnanL la PI'OJe pOUl' 1 ombre, vous
d n J' ~enl.
lâclllez volre on'clo dont vous avez lout il aLLendre pour
c'est alors
enLrcprcndt'o LIllO obscure bosogne do ~ubaltorne,
r[u e yOlls ne srl'iez prJs prl>i; de les réalIser, vos « amhitions
poéllques! Il
.- Mais, Martine ...
, _ Chut! ... LaisscZ-lllOi faire! ~cs
fen:trnes, ont plus de
!.1Jplolllalic quo VOliS ... l)oneZ-JT~OI
la (l1l'ectlOn des opératiolls al VOliS ne vous en repentIrez pas!
J.1J1a souligna sa prollleSi:io..(l'UTl rir? ,c lair qu'accompagnaiL un clifl'lIrment de paupwrm; malICIeux.
hien (PH) nr r,achanL encore où clle
üéj.\ l'on~aict,
voulnit l'II venir il sourit, (1ccql[anL d'avance Lout co
q1l't,lI f) \'()lIdraiL. '
Lu peti[,. main de ln jel,H1C nllo !li) nt plus impérelS~
sur Je poignet 01'1 rll" prsrul, rI'tI1l!' l' r ession amicille Ilui~
ôlrantwrnt'nt (1Irte.
f(
1)
�1IIARTINE AU CŒUR SllCRET
- Votre oncle esl lrGs ri chr, n'est -ce pas ? s'enquit-elle,
les yeux au ciel.
- Très ...
- Mais encore? .. .
- Ses domaines du Sud oranais valent plusiC11rs
millions .. . cL il y a scs immcnb los de 'l'ours ... , l'aITf\Îre
des Orangeries africaines, dont il possède la plupart dps
actions ... , enlln la Sauvagère, où il va venir passer une
année , et qu'iJ conservera ensuite, s'il f','y plait .
- Ahl .. . il va venir y passer un e année ... , répéta -t-elle
songeusement .
'
« Et il exige , disiez-vous, que vous rcpoJ'~iez
là -bus?
- Parfaitement. 11 a la phobi e de l'auiorl té .. .
- Vieux garçon?
- Certes ... et maniaque comme Rix!
Martine sc lova, secoua sa j ure pour 10 défroisser et,
lend anL ses deux mains à Hohert ;
- l ~ h bi en, che!', il faui obéir ...
11 cut un e exclamation de stup eur:
_ Ob6'1'l ... Vous vou le? que j'6pouse ]\1\10 .nul~rd?
_ l\lais non 1 nigaud 1 il'am usu-t-c ll r , en lUI dédJUnl son
('r1:lt dl) riJ'o le pl Il !'! perlé .. . pafT MIl O Duhard, muls bi en
l\lartin e Cl1ûtulain, votro R!'rvanto ... E L sa ns p rdre les
!lonnes grûe!'s do ce t on cle intr-nnsigcanL
_ J 'avouo qll o jo no compl'rnds pns ...
g Uo mil son bras sous lu sion cl J' nlraÎna ù petitfi pns
v t S lu maison:
_ Voyons, ce qll'il faut évite r, r,'c'sl de contre-carrer
Ollvcrtcml'lnt vot.ro tyranneau... Nr 10 metlrz pas en
rolf)re 1 F oignez de lui obr il', mais demandez-lui un Ull
avant de vou s décider li vous marier Uvee la donzelle
qu'li vous dnstino.
- 1\ qlloi cela nous avam:t't'a-t- il ? Dllns un nn il srI' 1
n qu'aujourd'hui.
1 on
aussi entlltû dans sa r(~soluti
voit bi en quo vous ne 10 conna issez pusl
La j ou ne nlla cut un énigmat iqu Ilo urlro :
_ ) a l ~ nn an, proféra-t-elle, il aura pass6 de l'eall
sous les pontfl... el j'aura i conquis votro SU lVI
~Io,
mOIl
ch r am i !
co mmençant Il enlrovoil'
_ Com.ment 1 s'lxcam~At-i,
ses in tenti ons, vous vout!rl-.:z .. .
_ S6du ire l'oncle 11 héritu~c,
p [\ rf ai~(1menL.
11 me ".? ru se
son nC'YCU sans me ~o n uilr.()~
... hh blP~,
il me cOll1wltrn,
je VOIlS I :us lr e~ el Je ne ! 1l 1 donne I?us SIX mois pour avoir
tout ù frllt oublié srs proJcls (\11 sUJot dl' ln petile Tluh ar.!
l'l pour 110 jurpr 'lue par Mar'lino Chûlduin! II n'l'Il
voudra pas d'antre pou l' nil'ce ou j'y [J r l'(lrai mon nom 1
Ah
�'IARTINE AU CCEUl't SECRET
63
- C'est que vous seriez bien capable d'al'1'iver à v fi
~'éc ri ~ ~ t -iJ, cmb.allé par ,Gette idée ..Oh! Martine, os uns !
I a n ta l ~ l sle vous etes ! .: . SI vous pOUVIez réussit,!. .. q elle
- J en f!iis mon aff3 1l'e, assura -l- elle d'un ton convainc
J e met trai l'ours dRns ma poche, mon ami et c'est lU:
. VOUS or donnera d e me ' prendre. pO'UI,
qUI,. l' an procham,
dl
femme / ...
~ oh o rt ne demandait q~ 'à se laisser persuader. C'est ce'
qu Il fit, essayant d'oublwr le déc/memen t du départ
proc.h e rour,ne plus songer qu:au bol avo ~ir
quo la di 10matle bien fémmine de lIJart mo lem: menageait à fo us
ueux. Et il n'était pas Jusq u'au. coté. romanesque de
l'aventuro qui ne le plongeât en plelll enchantement ...
Cll API'rRl!: Xl
- Es t- ce que ce t hurluberlu no s'é tait pas mis dans la
lèto .rlo lout plaquer, do c~sl
:.l c~ vi
~ r es
et d:enlever
:rv) l a. r t~ n e vers sonpay,s à bicots? ...s mdlgnlllt M me Chatelainl revu l, dans lesalon de la notall'esse.
« Ah / ces. poè tes / Quels êtrcs pou pratiques eLd6sal'més,
dovant lu YIU / .. .
]\11110 Drstùve ti'6pongeai t le fronl, cn soufflant comm e
Ull a haridello rondue . Corlos, la chaleur do ce tt e journée
d:aoû L y était pour quoIque. chose .;., mais s u~to
t le
VI r ulent « sa von u que lui aV(llt passe SOI1 LabellIOn d'époux.
Car r nfi n, dIe avait commis une énorme galfe ! .. .
Confollrlro l'oncle cl le novo u, ct annoncer ù M m o Chatelain- Prévôt un fils do famillo millionnaire, propriétaire eL
i ~ d 6 p ('J1 d a n t , alors quo 10 fameux. « par ti » n' é~a it que
1cmp/ oyô, trùs d6nuo de peUV01l'd . eL. fort deponrvu
d'argent, do FJ'ançois Piémont, le W CH flchard. voilà qui
n'était poin t ad l'Oit! ...
.
_ Tu liS r/ulhonoré mon é tu~ o r cln,maü Mc Dos lèvo , on
a;.: itant son cl',Î no CIl Œuf q uO co ulturalcllt ues lunettes d'or .
_ , 1 is, mon ami, tu é L ~i s ~b ~o n.l ... J e ne po u v~s
pas
l;[\VO Ir/ ... Co n ' ()~t
pail mOl qUI al s ) g ~ 6 los ac tes, n ost- cc
p HS? • •• 1tobel' t, F rUllçois.,. ](>3 deux pronoms se l'essomblent,
l' li S0 Il1111 C' ...
_ Eh/ quand on 1:'5t :1\lssi ét ournoau, on no sc mêle pas de
(;e3 choses 1 glap it Mu f) 'stiJVI:', d'un Lon p6remptoire .. .
~ i tu n'étuis P:,U1 toujours il jacassel' com me uno pie. borgnr ,
tmmpol'lant , de-ri , ùc .là, ro,nl JllO Lu l'entends, c'est-à dmJ très ma/ touL 1,:1,) (111 1 sc di t dans mon cabinot, nous
,.
'
.
1\ aUI'JOrlS p Cl/; t;\;S ùecon vonuoS ...
�6i
MARTINE AU CŒUR SECI\,.,r
m le notaire glissait dans la direction de III me Châtelain·
Pré\-ôt, carrée dans le fauteuil d e r eps vert , un regard
empreint d'humilité.
_ Mon Dieu, plaida ce tto de1'l1iore, no prenons p as les
choses au tragique ... Cette histoire, qui cul pu évidem ·
ment mal lourner si ma fill e b'étaiL l.liss6e circonvenir par
ce j eune écervelé, n'a que d'heureux résultats .
« Martine a (lu bon sens pour deux : ?lle .0. c.onseillé il
noberl la prudcnce ct l a modératioll. CelUI-Cl part ce
wil' POLl I' TOI:rs , où il va rejoindre sa famille, la quelle
l'expéd iera sans doute dam' lo bled.
« QUDnt il rna nne, elle Dtlendra les événements ...
_ Ah! que tout eci est fâcheux 1 L ':Jimail-dle '? s'en·
q'JiLla ,"oix dolente d e la nol.niressc ,
.Mme Châtelain-Prévôt prit un a il' (le triste gr a'lilé.
.
_ Vous la conn aissez assez pOLir' sa voil' que, r:hez elle,
lé devoir prime lout. l!:lle n'a p us voulu acc' ptOl' le sacri·
fice de ce jeuno homm e. S'il reste dans les h~nes
grâce:;
de son onclc, il est appelé a1l plLls h el avclUr .. . sinon .. .
r'était la lull e, et avec d e bien p au vres moyons 1 conclutûlle, hochan t Je chef.
])e sorte qu o l\'1ul'tino?..
.
arnoureux d e
_ Martino .. , sp èl'c ct prie Jo, cl IC II ~es
lour venir rn aide ... .1\'1 ais ell e n du Be rés!go.er i.t la sépara·
lion. P eul·(;lre Uli jour l'oncle croqucmllamc so laisse rat-il attendrir'.
_
f)'il ( ~ onuisaL
cclle p erl e qu'cb.l votre fille ,11nép 1
soupira M mo JJ eslève , il l'e\'Îen dr:l1t VIle de ses injustes
préventions ,
_ Peul-Hre ... C'est mùJnc un peu pour cela que je
,iellF; vous lrouver. Jc voudrais qu o MO U ~s lèv e nous
ohtioJloe du propriétaire une prolongation d o location
.pour Ja villa. U s bois de la Sau~gère
touchent notr
~
JUl'din ... NalureJJemenl, d ~s
reJallOll.S do bon yoisinago
pourra ient s'é tabltr. entre .1' J'~n
ço l s, Plémonl el notls ... el,
s i la grâco tic Marlmo arI'lv:.ul un Jour LI le touchel', quel
bonheu l' pour ces enfants!
.
_ Oh 1 m ais c'est tlne excellenle ldéc 1 s'écria la notai·
l'esse enthousiusmée. Cc vieux g ri go u a b t'a u ê tre rébar ·
l~air,
il sora rllsol'ceJ6, j' n suis ?Brtuine. Parfail! parfait!
Etablissez un siège en régIe .. , D IO U 1 quo ce lle histoiro me
pa ssionne l
l!:tla bonne ,lame, loul an im éo, oubliant d6jà sa conlral'iôlé de lout il l'houre, se mit à b alll'c dcs mains commc
uno petite foll e,
~s:r
les épaules aVCt; pili é. Avisant sa
Son mu)'i hal1
1 IiI Il l!', il l'Iofl.r 1 l!P115 uu 1:>'> \1]1 ir d'aga emcnl :
�MARTINE AU
;cœun
SECItET
();)
- Si vous voulez passer dans mon cabinet madam ?
Nous pourrons discuter entre gens sensés.'
e . . .,
Suffoquée, Mme Destève jeta un regard noir à son é
et, affectant des airs de victime pour prendre congé s~mt
visi.t euse, elle s'en fut conter au Tout- Roquelaure oisif ~
CUfleux ~'etraodin
roman de. M~rtine
Châtelain .
... HUlt Jours plus tard, FrançoIs Piémont débarquait à
la Sauvagère.
Aux supplications de .Ro?ort 9ui " l'ayant rejoint à
Tours, essayait do le flécIur, Il avait retorqué :
- Je no veux rien savoir de. tes amourettes ct je te donne
un an pour a voir oublié la folte que tu t' « es mise dans la
cOI'velle », Co délai écoulé, ma sa~té
sera rétablie ct nous
nous occup erons alors de ton mariage .
". Sapristi 1 tu n'es pas il plaindre 1 Elle est gentille , lu
~tle
Duhard 1. .. Sans compter que 10 papa a dn
dans le mon(~e
politique ,
'mfluence. Il pourra te pouse~
Va 1.:. va, mon garçon, ton pam est tout CUit. A toi dE
savoir le croquer intelligemment. En attendant, n'oubliE
pas que Lu mo remplaces là-bas ... ct que tu travailles
pour toi, puisque tout cc que je possède L'apparLiendra un
Jour.
Lesté do cetto mercuriale ct do ces sages avis
Robert, lu mort dans l'âme, était a1l0 prendro le batoau ~
Port- Vendres.
Mais nvant il avait amené Martine à la Chapello de
Sa~nte-Gudl,
où tous ll,s (( promis » des environs sc rendalCnL aux jours de cuto votive, ct tous. deux, agenoui llés
devant la sLaLue de la sainte qu'cntourawnt de touchantes
couronnes do fleurs en papier, naïf hommage d'~mourex
l'econna issanLs, avaient prononcé là serrnent qUI les liait.
Puis Hobert avait passé au doigt de sa flancée l'anneau
symbolique 1 un cercle d'or orn6 d'une p~rle.
,
_ MainLenant, avait-il d6claré, vous otos mlOnne envers
ot contro tous, Martine . .EL l'ion ne pourra nous séparer.
scc!ote qui
, 'l'l'ès émue, semblait-i l, paT cetLe promcs~
1 mcourugeait, Martine ava.lt acqulOscé" slen~C
ct
grave, los youx flxés SUl' le VIsage dc la samte qUI souriait
l1ansl'ombrc nirnbCle d'or ...
continué à la ~il
~omarjnc,
pouplée
m la vie ~vuit
des hansons gucrrières que slflloLall ElslC, en les rythmant
d'un rlaquomont de doigts, des remarques amères do
M mo Châtelain gourmundant NOllche ou le vcule M. Prévôt, dr.s rcnLi~es
tardives de Jacques que le baccara!. preTtait (oul l'Illier cL des rtîvcries de l\larLinl', uno MarLine
('hangt'!o, il rlC'in~
roquette, qui. pas.suiL do longues houres
Sur la terrisse au-dessus du Jardll1, le,; regards tournés
f.
.,
l'
�66
MARTIN E AU CŒU R SECRET
vers les bois de la Sauvagère que l'approc he de l'autom ne
teintait de roux.
Et, souvent , sans qu'elle s'en doutât, une autre rêverie
à sa
~ h6e
accomp agnait la sienne: celle d'Anne-Marie, pen
étranIon
expreSS
une
êve,
r
de
pleines
es
prunell
les
fenêtre,
.
son visage ingrat .
gement sérieuse sur~
Cepend ant, les hotes de la Sauvag ère semblalOnt avoir
accordé leur humeur au nom même de la proprié té: ils ne
sortaien t jamais du parc ... ct c'est à peine s~ les Chât elain
avaient ap erçu, à l'heure de la messe, la sllhouet le paisible de Mmo Armand ine descendant d'auto devant l'église.
Et Martine écrivaH il Robert :
- Je n'ai pas encore aperçu ({ l'ours », mais je I.e guette
avec une paLience de chatte à l'afTüt. Soyez tranqUIlle, trèu
cher, j'arriverai à mes fms 1
Or, l'occasion tant aLtendue se pr6sc!lt a.
Cc jour-là, Françoi s Piémon t éLaIt confortablement
installé dans son rocldng -cbair, fumant héo:LemenL un gros
cigare il l'odeur forte, le r egard vaguoe tl'estom ac satis fait, car il avait inaugur é l'oUv?rtu.re de l~ chasse p ar un
accroc à son r égime oL ne paraIssaIt pas sen porLer plus
mal.
- Co civet de lièvl'e éLait vraim ent un rogal do rois 1
soupira -t -il voluptu euseme nL, eIl s'a.dressant à sa sœUI'
pcnch6c sur un fouillis de lainos multIcoloros.
Ils étaient sur la pelouso qui NendaU au bas du perron
ses corbeilles ùiaprées, cernéos ue SUl/go pourpre , Prûs
d' un tronc (j'arbre
d'eux, sur le guérido n rustiqu e, f~rmu
à peine équrtrri, un Dn moka .rurnrll,t dom les .Lasses.
Poss::mt tl ùes prCoccu pahons d ordro moms matérie l
10 rnutLI'o do la Sauvagol'e décl:ll'a avec un naïf orgueil : '
nous qu'on voit des
- Il n'y a décid6m ent qu e ~hoz
de l'été. Si ce bon
rillades
g
los
apl'ès
fralches
aussI
fleurs
Bobol'L était ici, il ne manque rait pas de lefl chanter n
rimes sonor es ...
So udain l ses ~o ur ci l s sc frdncore nL..., Son regard s'arrU(
SU I' un rosIer gmnpan t donL la.clme d,6palisaiL la murailk .
- C'esL trop fort 1 gr?Jld a-L- II, Ol~ A arracha nt à la mol .
n c u ~ 'ment garni de
les50 du fauteUil ~e LOIle,. p récalJLO
coussins pur la mlun attcntiv e de sa sœur. Blles onL encorl'
disparu 1•.•
_ Q,101? sursaut a lu vouvo épouvantéo.
_ M cs r oses 1... On 0. oncore volé mef; roses 1. ..
ch('~
olla flUX hmn
o
a ~ldi
L e r egard do Mmo Arm
!Ioules dl' l'adJllsLe où LI' mhl :lI l. 1111(' fl ou r:\ Ill 'ill(' é cl o~\I'.
- C' HL vruil constaLa-L·(' IfL> d'Ull Ion ue ngl'uL. Jlill',.
il yen avait trois (lui s'é taienL ouverte s...
�MA.RTINE AU CŒUR SECRET
67
--:- Et e1l(;s on~
pris le chemin, des précédenLes 1 Cc
J'OSIer esL ensorcele ... A mesure qu une J'ose s'ouvre, 0110
Celle-la aura le même
est subti1isée par enchatmr~L.
sort. Oh 1 mais ... si jamais je plllce I.e chenapan ...
C0!llme si le ciel justicier répondaIt à s~ penséo intime,'
un pIed fit rouler des pierres, sur le .chemll1 ...
- Chut 1 fit M. Piémont, un dOIgt sur les lèvres et
l'oreillo aux aguets.
A pas de loup, il traversa là pelouse, gagna le mur .. •
et attendit.
On perçut un petit éboulis de plâtre, - sans doute le
voleur se livrait-il fi l'escalade coutumière, - puis, une
main audacieuse se tendit sans vergogne vers l'unique rose
fraîchement ouverte qui IrissonnaiL au bout de sa tige.
- Ah 1 brigand 1 je L'y prends 1 tonna François Piémont,
n surgissant brusquement par la potite porte du parc.
II y eut un cri étoulTé .. . une dégringolade ... et la forme
svelte d'une jouvencelle eITaroucll6e nIa au nez du propriétaire ahuri.
- Ah, le brigand est une brigande? .. Sacrée gamine 1
Tu ,l';auras de (tuel bois je me ch autre 1
. .,
Et BaIlS SOUCIS des appols de 1\1 mo Armandine quI crraIt,
éplorée:
- Fral~çois
1. .. Voyons, François 1. .• Tu vas te mettre en
nage ... Rien de plus mauvais aprù;; les repas!. ..
Hans souc i, dis·je, des protestations inquiètes de sa
sœur, François Piémont derrière la délinquante, s'élança
à truvors bois.
'
JI no 80 doutait pas, le cher homme, quo l'aventuro do
son neveu avait commonc6 de la m mo façon, par une
courso pédestre ... ct sylvestre, et qu'il RO jetait à son tour,
tel nn étourneau, dan: la guoulo du loup 1. ..
~ Ileureu6 'mont pour lui, il posséd[ùt, n dépit do s~n
l11r C-, un ~ou[fle
puissant et des jnrrots solides, car sa protO
btlUt agile t .110 lui IlL accomplir, :'t travers hois, les
v l'teK al lées strIées d'or, plus ùe 'ircuits <luO n'en clTocLl:lc
lin f'nrag6 11:\65CUr slIr les traCC'6 d'un gibier récalclIr.1nL.
(
M IK ln 'olèro est Alimulant irr('sistihlo. FJ'ançois !'iémont no sentait pas la fatigua: il courait. .. , courait à
lH'rdre lta)oino, suant., grorTImdnnt, sucrant cO.rTI!no un
par
pordu, mais sans perdre un pouco de terrain et sJdor~
coLLo jupe blanche qui battait les talons de la f~glt.vr,
apparaissait, disparaissait entre les arbJ'~s,
surg!a~
t ~
lIouv'au fml' Je rhl'min afToléo, ut-on (ltt, par 1 ont" e
m('lIt de co LLo pourslit~
à quoi ello Jle s'atlendait pas: l
50 trouva soud:.un e
Ht, 'OIllIIlO Hobert, M. Pi~1l0Jt
�G8
~:
.\r
..rrNr; AU CŒ U R S EC IlE'!'
nez collé COll Ire une grille qu'on venait de r efermer à toute
volée .
Il s'arrê ta une minu Le ... , le tcmps de re prendr e sa res piration et de laisser se r égul ariser les mou \'e ments de son
cœur qui b a ttail follement dans sa poi tri ne . .. Mais l'émotion qui l'agitait n'était point du t ou t la mêm e qui avait
p areill ement faiL b alt re, deux m ois plus tôt, la cœur JUVénil e de son neveu L..
La seul r essentiment le p ossédait, avec le désir d 'jnDi ger à cette p etiLe imper tinente, coupable de chap arder les
lieurs de son par c el de se m oquer de lui par surcroît , une
se monce dont elle se souviendra it 1
L'œil courroucé , le masq ue sévère, François Pié mont ,
aya nl cher ;;h6 vainoment des yeux la sonnette absente,
p oussa la p orte .
U entr a dans le jardi n en pays conquis , grommelant t out
b as des menaces ... Mais comme il alJ r it monter l'escalier
de piorr e, llne v oix féminino l'immobil isa :
- Vous cllsi rez, monsieur ?
Il tressaillit ot leva vivemenl la tôle . P onchéo sur la
b aJustradr , lino jeun e nll o ouvrait, sous sa capeline de
pail I.e r ose, de larges you x élonnés .
.
Douch é ]lur celle br usquo app arili?n, il bafouilla :
_ Excus07.- rn oi, mudemoise ll e ... le ... Il m'avait scmblé ...
P onaud, il chl'r ch rt it. ses m ols , 11e sackm t co mm ent
expliq ue r Ho n intrusion. JI v enaiL soul0l!1 ent de s'aperce voir
qu 'il s'était mis dans un fort m aUVaIS cas en p (~ 1l 6t r a n l
;\ insi dans unc proprié Lé privéo c t .tout cc que RU présenco
en ce j[1 rdin inconnu, ava it d'insoli te .
U ni r intc rrogatif, l,l jcunu nlle descrnùait Vers lui,
effleurant le:; degrés d eg po inles légères du 6:1 robo de
voil e .
. ._ Qui Gler,- vous donc , rnonsi ur ? s'enqui t-clic, avec un
l'IOn de hau leur dans Je ton .
11 se t ro\lhl a da vanlagtl do la voir si procho do lui et
~' in d in (\ n t dal1l' un ";tInl gauc ho aL guindé:
"
_ Pi émoll .. . , F r ançois Piémont, voLro voisin de la
Sauv agl~
r e ...
h cnpl line l'OS? çu.L une t'xr lnmaLion .
La d n m o i s"! ~ e:\
Elle oxa nlill " J Illtl'US nvr l' uno r urlOs Il.l' prescillu illcr uduk.
~;a n s dou te IIr 1illl.1l.(in·\iL-('lIc pa~
a insi '1 .•.
_
J\f OllfjJU I' l'iélTl () lll ... r 6p éta- l -cll l', surprise . P ar
exempl u l ...
BL COl1lllW si l'Il e l'cl?r ennit sou dain ses !'spr ilH :
~ voulez vO ir mes p arents , nHlIIHi( ur ? .. Mon
_ Vou
1!I'(IU-p { l't' ('sL ;1h.CIl I. , nwiK ma ltl rm vu You' 1"('I:pvoir.
�MARTINE AU CŒUR SECRET
69
Elle se retournait pour le précéder vers la maison
lll'arl'êtu du geste :
.
_ Mademoiselle 1••• Non ... je venais ...
A nouveau, il vit le regard bleu s'étonner dans l'omb
du chapeau.
1'0
balbutia-t:iI, comme s'il faisait
- Je. me serai tr~mpél
une sublt.e constatatIOn. Sans doute etes-vous la jeune fille
de la mruson?
, -:- J e suis l'aînée ... :rt!artine Chût?lain, répondit-elle avec
1 aJsunco (l'une mondame accompllC.
Ello parut attendre qu'il s'expliquât.
fit-il, tout ro~gsa,.
tant l~ ridicule de la
. _ ~coutz,
sl.tuatlOn 10 mellait mal à 1 aJ?e, J.alme miCUX tout vous
dIre. C'est absurde .. . J e me SUIS lUl ssé entraîner '"
El il conta à la délicieuse audit.rice, qui l'écoulait avec
un sourire amusé sur ses lôvres pures? Je ':'01 journalier des
roses, le flagrant délit ct la poursUite ~pcrdue
derrière
la maraudeuse, à lravers los aJlées du bots ...
_ J'avais ('ru la voir entrer ici, avoua M. Piémont, confus. Je m'apel'çois il présent quo j'ui commis une grossière
erreur.
Martine eut lin éclat de ga ieté:
_ Pa:; du tout 1... Vous avez vu juste ... Volre voleuse
rst sûrement entrée ici ... J o suis COl'taine que ma sœur
.\lIne- Ml1rio est la coupable. Elle !l'en fait jamais
d'antre 1. ..
Elle hocha la tête avec une moue Cûchéo et promit:
_ Maman la grondera , soyez tranquille 1 Elle le mérite ...
Croyc7. guo je suis rlésoJ6e ...
l!:lIo Jo considérHit d'un petit air implorant? comme si elle
se fut sentio rtlo-mèmo rcsponsnblo du JnrCIJl.
11 protc'H'a vivrmcnt :
1. .. N'attachez pas il
_ .Je vous cn prio, madeoist'~lu
ceL. inri.dC:lIt plus d'importanc? qu'il n' n comporto 1. .. C'est
mot gUI est lJ 1.0rL de me laIsser omporter par la colèro.
Veuillez m'excuser d'avoir ainsi forcé votre seuil ct
oubliez l'importun qui vous a d6rang6. .
_ Mais jo sÎl is très heureusO, nu ontrùlro , d'avoir eu
l'occasion do raiN votre connaissance, assura Martine en
un irr6sisLible sourire.
montI"allt 81'S denLs li e perle, dan~
6LaIt J~ nbitéc
par un,. vieux
.T0 (l'oyais quo la Sauvgèr~
bonhomme grincheux et l'evvcho, eL JO ollsLaLe qu Il n'en
('st rien ...
!lvec un hri.n de coquotterie :
Flal.t(., r.r. Pi('monl. demar~
_ VOU:-I IW 1110 1rOll vez nt grlllcheux, III rnvüche?
avec cc l'ire do h gorge qui
_ 1\ ; ... vil'Ux, 6mit-('~I)
obLcl1'lÏl loujou['s son peLIt efIel.
�70
MARTINE AU cœUR SECRET
« Et je suis sûre, reprit- elle, le menaçant gaminement ·
du doigt, que vous de vez êtr e un charmant voisin, très
agr éable à fréquenter ...
Le front de François' Piémont se rembrunit:
- Oh! je reste ici pour me soigner, Je sors fort p eu ...
Pour vous soigner, s'étonna bruyamment Martine 1
Mais vous avez l'air de posséder une magnifique SD.nté! ...
E lle avait une intonatIOn admirative et considérait avec
un e visible sympathio la haute stature de cc VIsiteur
intempestif, ses ép aules carrées de lutte.ur, o~ sa tête
énergique où les youx brillaient d'uh éclat ImpérlCUX:.
Cependant 10 maUre do la Sauvagère, tout Il. l'ait calmé
maintenant, s'inclinait pour prendre congé:
Martine 10 raccomp agna jusqu'à la gnlle do son p as
lent et harmonieux, qui avait un balan?ement charmeur.
Sur 10 seuil, ello lui tendit sa mam flne aux ongles
nacr és :
- Alors... au r avoir, monsieur? .. Et ugréoz mes
soeur ...
excuses pour 1inconvenance de ma j~une
n conSidéra uno secondo 10 frais vIsage levé vers lui ct
prononça, tandis qu'un sourira humanisait ses traits
bourrus 1
- lIé puisqu 'elle aime tant los fl eurs, qu'ollo vionne en
chorcho;, choz nous, mademoiselle J. .. J o lui donno do b on
coeur l'autorisa tion .
Et il ajouta, a près avoir h 6sité ;
..
- Vous mc foroz 10 plus gr and plaISIr on daignant
l'accompagner.
Sur celto singul.i ùl'o onclu5ion, i! s'?loignn à p as r dp irJes .
Marline, app u y6c Il la grille, le sUlv:llL d Il yeux ... ol il Y
avai t un c lueur ind6flniRsable ù ses prullolles .
... Dans la leltr o hobdomadairo qui partait pour Soussllouaridg, uno brùvo noto de Marlino ann nonça il.
Hoberl quo la vill a Romarine t 10 domuino do la Sauvagèr o s'étaient d6cidés Ù 11er connaissanco.
CHAPITRE Xl.l
Vers la 11n octobre, 10 docteur .t\ncelin invité par ses
'
amis Pi6mont, d6barqu a ù R oque laure,
A vra i dire, en acccompliss<lll l reLLo visite qui l'arrach ait
ft la li.ô do nt~oR
pl!è~{J
d~
I:on h?T.nu lournngoall, IIU pel it
p o/( )' 1Il0fTl Il/llf qUI laisull bl'S dehf'cs tOUH los soirH dans
Jo H..tlon inl im o qu o Jo Gralld Cnf6 r és rvo à S"/j fid ùll'I;
,habitué6, (Jt il lu mauvaiso humour chrolli(IUC do IiU ser-
�il ne cédait pas seulement aux exigences de l' .
LIC ... , pas davantage il cell es de la curiosité.
amI·
. Non ... il était surtout poussé par le désir d'obliger
JeUl~
amI. R 0 b
ert.e el"
U1 -CI, avan t de partir pour son
so
.M . rlq~e
lointaine, lui avait confié ~o n secrot : l' engam'~
prIS vIs-il-vis de Martine, ses proJets, sa ferme volonté de
ne pas céder q~'en
apren~
aux 8ug~st
i ons
de so
oncle, et les espOIrs qU'li fondaJ.t sur l ~s . llablles mancuvr
c~
de la fiancée que SOIl cœur avaü ChOlSlC.
L e docteur n'était pas fâché do se ro~d
compte de çisu
des prog:rès qu'avait pu faire l'adro.lto. M~ r t in o dans la
sym]?uLlll o d'un hommo d'abord a.u ssl . dlfficile et d'aHure
aussI rogue quo se révélait FrançoIs PIémont.
T?ut de SUIte, il fut Hxé. Il trouva la chambre qu'on lui
ava it résOl'vée, au premier étage ùe la maison, une
chambre fort spacieuse ot confortable, meublée uo vieux
b ahuts sombres et d'armoires pansues, toute fleurie de
chrysanthèmes. 11 crut bon d'en remercier son hôtesse qui
ne l'avniL pein Jl abif,uô, jusque-là , il de Lelles attentio ns .
- Ohl mais ce n'est pas moil protesta loyalement la
bonne dame . C'est Morline .
Le docteur AncoJin trouva habile de jouer l'élonnoment :
- MarLine? '" Qui ça, Martine?
Un~
peLiLe amio qui habite la villa tou . t~ pr~che
..E lle a
déyalJsé 10 jardin Cil votre honneur. MOI J O n ~uraJs
pus
ose: François tient tellrment à ses nûurs 1... MaIS tout est
permis à ceL Lo jeuness .. ,
_ Oh 1 olt 1 sc diL Ancdin in petto, la gente enfant me
paraît avoir bien Lravûi1l6.
(( Attendons la suito.
~'ép
1rg n a pas
, Naturellement, le muît.re de la Sauvg~ro
a.I'\O n visitour 10 classique tour du pr?prl6talre : cc ~er
nwr ùut admirer les tenants ct abou tissants du dom:nno
pal' le;
depuis les caves jusqu'au grenier, en I?as~nt
communs ] 0. porcherie modèle où trotLmment, bas sur
paLt.es 01. 'roses commo des sujets en porcelaine, toute nnr,
porLéo de porcolets nouvoau:nés, 10 poulailler derni u'
modole, qu'o mplissa it l'agitaL!on cafJuoLn~e
~ 'uno.
gent
o r~ p l1TI
éO,
c!'eHpèce ra~
ct co~aleus,
cL la.1alterle qUl scncr~moux
.
t,ut 10 bois vorn i, la paillo fralche cl l e,~:lJt.
Bn bas drrrièro la vaste pelouse, s otondmL un court
do t('nj~,
rayé do blanc ct c\ôtur~
d 'un grillaJs? ne,uf. .
_ Bru vo 1 m 'l is c'esL tout :i. falL moderne lCll s extasia
le do teur.
Lerrain do tennis 1... Tu fuis du sport il cette
homo?
_ Mon Diou, hésita M.. Piémont , ce n'cst pas précisémOllt moi qui ... heu ... Enflll, Lu comprenùs, à lu campgn~.
v:~nte,
Û·;.
�72
iIlARTINE AU CŒUn SI:Cn:CT
il est bon d'avoir quelques dislraclions à oITrir il s ~
invités.
- Pesle!. .. Tu reço: s donc beaucoup?
_ Nous fréquentons surtout nos voisins ... ceux qui
habilenl la villa dont tu pourras, de la terrasse , apercevoÎl'
les loils rouges là-bas, enlre les arbres . Ce sont des gens
charmants 1... L a mère est lrès dislinguée, ct il y a une
fille ... exquise 1
- T~
m'élonnes 1 gouailla le docleur. Voilà que lu
t'aperçoIs ùu charme des r l:p résenlanls du beau sexc 1. ..
Je croyais que tu nC voulais voir personne il Roquelaure ...
Tu avais mt!me demandé il Hobtrl, au début, de ne raYitailler que du personnel mûle, tunllcs femmes l'excédaient
par leur seule présence 1...
- Eh bi en, s'excbma la 'Voix joyeusc de Mmo Arm andine, il à cltrUlgé ... Vous pouvez le dire 1 Vous n'imaginez
pas la vie que nous mcnons ici ... 'Toujours founés les uns
chez les aulres 1. .. Tantôl c'esl Ull lh6 chez les Châlelain ... ,
tanlôt une excursion qu'on va fairù .ensembl.:l ... , 011 11n
bridge ici... 'roiric:l-vouS que F~'(\nçOI5
parle mùme d'organiser lin bul pOUl' rOler nolro urrivuo .dans ce pays? ...
- Un ball prononça le docteur a liun.
_ Parfaitement 1Ah ... je VOUf! jwc qu 'il n'c~t.
pius q1HS1ion d e He cloitrer, ni do s':.tlturder dans ulle clwlfle -longue
POUl' des siesles inlorminnL! csl l'.hlS de pie\ûres, plus do
!TI étlic.wlcnls ... Mon Fl'tlnçOIS no Ill' Ill pas ln place.
Le oocLI:\11' examina son x-malade', qui écoulail la
convcrS<JLion d'un air gu ill er ct.
- Le fuiL (sL, déclara-l-il, guc ce rôgimo 1.0 roussit 1
'l'u us une mine sup(;rbe. Te voilà louL rajeuni!
L'U;il vif, son fcuLre clair bien COll1pU SUl' l'oreUlI:' sanglé dan<; Ull él6gulIi. coslume de chasse, François Pi6monL
n'6lail plus 10 mêmo, on orLd.
Il lapa sur l'épaule de SOli viti! ami avee bonne humeur:
- Jete ]Jrüsenlcrai Lout Il j'l ll'urc ln charmanLc enrant
qui Il fail. le m~ra
·lc. Une jt'l!nc fill e délicicusr ... , le charme
mûmo ... la grucc ... , le i:>OI\fJro ... Ah 1 quellu lumière dlo
apporte danH nolre v~eux
l ~gis
sévèro 1 Quo voux-Lu ...
depuis qu e Ho?crl. élall T~ a rlJ,
('cla manquail. un pOil du
j unessc. Ayssi j'al éL~
~rus
h cUl'cux de Iicl' connaissanco
nvec mes ulmables VOISines ...
« Marlino surtout sc sonl. i 'i l'liez cllt'. Bllc arrive, ouvre
le piano, plaquc des accords il r6vt'Îllcr loule la c1cmcul'e,
chant.e ... , bousclllo log n:eublos, dépOllillp 1eR jaruiml, mcl
des /l eurs dans les corhellleR, lransforme loul bouleverse
louL. .. Elle est élonnanle, jc le di!-ll
'
_ gr l' la n'a pas l'air de Ir Mplaire 1
�MAr,TINE AU CŒUR SECHE T
_ Moi?. Ça me ravit .
.
_ Elle l'a ensorcelé 1 chuchote Mmo Armand'
me Cl
l'oreille de SOli commensal.
Dans l'ombre, ce d~rue
se frottail les mains;
:- Allons, mon't petit
Robert,
tes aITaires
sont en bon no
'[
d
..
vOle, marmonnm - 1 en en ossan.,. un smoklllg
à l'ancien '
mode pOUl' fairo honneur aux dames de la villa Romarin~c
invitées ce soir-là à prendre le café chez les Piémont .:i'
n'ai jamais vu plu~
complète t~ansfor3:i?.
Le tigr~
es~
doven,li agnl'au b~lnL
1. .• MalS ~apr
l st l? 1.1 me tarde de
connudre la maglcwnne ... Du dIable. SI J'au)'ais jamais
pensé que ce vieux ronchon de Franç01s puisse s'humanise)' au point de devenir homme du monde 1. .•
L'examen du bon Ancelin fut favorable à Martine, au
moins dans son ensemble.
JI adm ira, il part lui, sa splendeur de bouquet frJlchemenl cueilli,10 lon chaud. de ses c!love uX de cuivre qui
rehaussai lIa nacro unie de son lOlO', cl la souplesse' do
SOli COT:PS long, fus?lé, LaiJlé cp ampr~o
r e .,
_ Blgro 1 le gamJJ1 a du go ull ptnf. -t- Il. ..
Par exemple, le regard lui plutmoins.;.! Lrop caressant,
trop doux ... trop quêteur, lrop prompt a Jouer du sourire
"..,
.
pour le p)'emier venu,
_ SeR yeux disLilI ent de la calmer te ,à Jel co.ntmu, se àH
le vieux marin donl le nair psychologlque était rarement
en défauL, car il avaiL une acu,Hé d'observat ion cl de juge ment extraordinaire ... MauvaIS, cela! ...
La cudeLle l'amusa. EUe promenait, derrière sa mère
uno mine de pelito b ê l ~ 11 l' ~Llac
h e " oxcé~e
d' êtro t e nu~
en laÎqso . Son visage émgrnahque al1ront alt les gens ct les
choses comme un duelliste so met Cil garde , cl on sentait
s'agiler, sous sa frange do cheveux lisses, milio pensées
conCllscH cL conll'ad icloircs.
TouL do su ile le docleur l'in téressa. Il s'on aperçut au
rayon sympaL
lti ~ l e qui vinl. éve ill er' souda in les prunelles
de velours marron cl à la façon dont oll e fllJÎ vit ses gostes
alors qu'i l 1,tlpportoit, au ll asard de la on versa Lion, un
incidllll de H\6 lointains voyages.
Ali courl> dc la HoiJ'ée. pondanL q~e
Martine s'osseyait ou
piono ù la prii'rc do M~o
Arrnandl11e cL pl uquo iL les premicrH aceord d'une brlllanLe urabcsque de Back, il viL
Nouelte s'éclipse l' lou t douce menl v~rs
10 balcon.
Il s'asw r;l quo touL le mondo éL,nt absorbé par l'auclif
�74
MARTI NE AU CŒUR SECRET
tion magistrale de l'exécu tante et , peu mélom ane cie son
naturel, s'en fu t r ejoindr e la p etite, afm de savoure!' en
p aix , au grand air, ses cigar ettes favo rites .
- A cc qu e je puis voir, vous non p lus, mademoiselle,
vous n'êtes poin t pass ionnée de musique ? s'enquit -il, pour
dire quelque chose, en s'accoudant prês dela frôle silhouette
penchée.
Le brun visage tourna v ers lui l'expression un peu
.
moqueuse do ses prunell es .
- J 'aimo mieux l'entendre d 'ici .. . E lle arrive en sour d ine ... étouliée p ar les murailles ... ct elle gagne en mystère
ce qu'elle p erd en sonorité...
L e doct eur examina Nouch e cur ieusement,
- Oh 1 oh 1 omm e clIo a bien di t ça 1. .•
E t après r éfl exion ;
- Vous deviez joliment bien vous entendre avec
mon ami Rober t?
- Ahl il ôtait votre ami ?
- Voyez- vo us ça 1. .. Il ne vous a donc p as p arl é de moi,
l'ingr at '?. .
.
- N oue nous som mes très p 0U vus, dI t Ann e-Mario
hrièvement.
- 116 116.00' il ét aiL occupé ailleurs, hein? .. plaisanta
un peu lourdement le docto ul'.
.
Il ti ra deux ou trois bouffées de sa clgar etLe , pui s
dovcmnt dith yr ambique ;
- F ichtroment joli e, votre sœur, mademoisell e !. .. Une
r ose ·c1:l tante qu e plus d'un veudrait cueillir. Mo n R obert
a cu de la chance de ln trouver liI.H'O encoro.. .
Nouche cuL un p etit rir e amor.
- La beau té ne suflit poin t , ;l l1 c,tre époque .. . Ma sœur
n'a pas de dol.
A travers la porto- fenêtre, la voix de Mar tine leur par \- inl. E lle chanto..i t un air célèbro d'opéra, li gr ands éclats
de v olx qui faisait trembler les vitres .
- Bigre 1 admira )e docteur, qu oI galoubet 1. .. R obert
m'a.vn iLp a.rl6 doeo/a aussi. .. Il préte nd que c'ùst par sa voi x
qu'il a ét 6 tout ? 'abord ens.orcclé.
Muett e, la petlLe r ('~[l rd o l t la lun e sourire, narqu oise ct
jaune ali -dessus des pms .
Ancelin r eprenait son panégyrique.
- Suns comp ter qu'c lIo. est ... , porniL-il, lrès fine, tr1.s
r ul tivée , romanesque en diabl e, aimant l'arL ct la p o6sie;
h rof tout :'t fait la femme qui con vena it à un l'l:VC UI' commo
mon jeune a mi.
' .
.
11 philosoph a , arllntrntlf cl prolIxe :
- QueJJe élrang J chose que cc soit justement so n livl'c
�MARTINE AU CŒU R S E CRE T
75
qui les ait ainsi 'r'1pprochés !. .. Car, enfin, il n'tva"
guère fait de p o~ i n , ce p etit bouquin-là ... E nt ro' h
nous,
personne n'en a parlo ?..
'
_ Robert P iémont a b oaucoup do t a l e n~ 1 l ai~
bol' Noueho d 'un ton péremptoire.
,,,, >.om , _ ~ h?.
Oh! moi, voys savoz, je veux bien ... Vous
l .~ dmlr
e z . vous a u s~ i, hem? ....Ces pot! Les. fill es 1... ça se
laisse touj ours prondre au pres lige du rlmmllour ...
-:- On p out aimer l'œuvre, même si l'autour vous cs'
a nt~pa
t hiqu o quand on le connait, déclara sèchement l ~
po LJto en haussant les épaulos.
_ Tiens 1. .. tiens l. .. mais 'Vous no me so mblez p as aussi
c?nquise que Mlle Ma rLi~
e par votre fu tur beau -frère ?
s a Visa Ancelin, on exammant drôlement Nouche, p ardess us ses lunoUes d'écaille.
11 n fu t p our ses frais d'indiscréLion, car l'interpellée
ne broncha p ~s . Elle sl;livait des y eux la m.arche r apide
des nu ages qUI s'argentalCnt aux rayons lunaIres .
. _ P as communicative, l'enfa nt 1 50 dit le doctour
ll1Lrlg
ué. habitoz Roquelaure Lou le l'année? insista-t -il
_ Vous
a u boul d'un inslant.
'
NOll he secoua la t êLe.
_ Depuis la fin de l'élé, j'ai regagné Ch arlout. J e ne
viens ici qu o 10 samed i t je r epars J.e lundi avec mon
pl'!re, q ui dem eure là-bas POUl' ses afTml'es .
_ Mais vous devez êlro navrée d'êlre privée do volre
m èro l de votro sœur du ranL la semain.e? ...
_ Ahl Diou non! exhala Anne-MnrlC a vec un granJ
soupir déli vr é.
.
Celll ful si franc el paru t si bien partI du cœur, que son
in ll'rloruleur lu rerrarda uno mi nute , inlerdit.
Confuso , Il e a j o~ l a , C01111111' po ur s'excuser:
_ J e m' 'nlends à merveillo a vec pap a l... 11 me laisse
f, ire Loul co quo je veuX:
_ C'esl uno raison, éVldo m menl ...
(( m serail -il illdiscrol de vous demander on quoi eon sisto les « fo. nt[lÏsies » qUO vou s permet co papa gJ. loau ?
!J' 'nqu iorl 10 doclour a mus6 .
_ D'CIbard jo n I.r,IVllillo plus ... Olli, j'ai éch oué à
nlon bac il Y a quinze jours ... pour la deuxibme fois.
m'a a utoriséo à envoyer promener mes bouJ\lors ,
'uius, cal' il par.1H que j? ~ '(lp [> re n d r a i jamais rien. Jo
n'a ime p HS les livre:>, ... J'U I!Ile L e l~ en~('
n l m ieux r egar d!;l'
es l SI <h/Tér n le, solon qu'on
viv r e autour de /TIoi 1. .. La Vj(~
ye ux vrais .. .
b voit UVO(: letl y oUX des a ulres ou avec ~cs
_ Vous p arlez corrune un vieux philosophe, m ademoi-
0:1
�76
MA RTI NE AU CŒUR S E CRE T
selle, s'étonna le docteur que surprenaient de telles paroles
dans la bouche puérile.
Elle prononça, avec une joie contenue :
- Mainlenant, j'ai toul mon temps à moi ... je ne sui s
plus harcelée par personne ... Papa m'a prise comm e secrétaire.. . J 'ai un pelit bureau vi tré qui surplombe le fl euve ...
Je vois l'eau qui court, lenle ou pressée, ... je la vois
ch a n ~e r de couleur selon les heures et les multiples visages
qui s y r efl ètent .
« Je vois descendre les barq ues, les chalands ehargés de
bois que halent, de la berge , les chevaux en plein effort ...
Je vois les gens cheminer le long de la ri vo ... ot je songe.
J 'im agine des histoires dont co film vivant et perpétuol me fournil les épisodes jamais épuisés . Ah! comme
tout cela es t plus passionnant que les plus beaux ho uQuins 1...
Le vieux doct ur a écoulô avec un étonnement grandissant la voix juvénile prononcer ces choses gra ves.
Qu and elle a fini, laissant 10 silence prolonger son r êve
intérieur, il s'exclame :
- Voyez- vou s cetto potite lampe f e rv ~ nt e qui brûlo
tou lo seu le, dans son coin, sans faire do bru Il 1... Mais VOllt;
êtes poète, VOliS ausbi, mademoisello, et e'us t vous que
Rob ert eûl (I û...
- Quoi ?
gU o l' a inLerrompu , presquo a g r es i v~ .
- Oh! rien, faille brave Anee lin qUl s'av iso qu'il allait
diro une bèLise.
11 pense à ce qu e Robert lui a confié, en lui parlant do
cetto Noucho qui all ait cl ovenil' sa bell e-sUlu r : « Uno
gosso d6sagréo blo cl insignifi ante , mais 'lui doit Oll'O
tendrc au fond, plus qu'on 110 croit , el que ses parents no
savenL pas aimer ... »
Cortes, la mère, sidérée pU I' les quali tés brillanles de
J' o. ~n 60
, a l'air de trailer c.elle-ci en , fj Un ~L i l é négligcablr ,
VOIre nc? mb;anL? .. J\ mls. Robel'L . llll- rnrrnr" qu i RO
piqu o de 1 avou' mi eux comprise, a- t -Il seuJ ement <l6 mêlé
tout co qu'il y a <l'amortumo , de vie inLense , do pcrl:ionnalitô aflirm ée ~o u s cot le figure d' a d o l os~c
nL c ~ a l poussée?. .
- Quel a~e
avez-vous, m a d e m o l se l e ~ s'enquiert Je
docteur avec llllérèL
- Di x-sop/' ans ...
Dix-supL ans ... Ello n'a pas lu fraicheul' do son fige ,
surtout fi cô lé d ~ Martine, donL l'éclat dl' fl eur souligno
davanlagu sa ITl lll gr ' UI' br un e cl sa ns charm e ... Mais q1111
de promessoS da m; les yt ux ve lou l6s qui s'Il ll ongent, myst6rieux, vers les l CHljJls é l 'o i t~s , dans l'a rd eul' t:onlcnu(J
�MARTINE AU cœUR SECRET
77
dA ces lraits mobiles, dans la gr âce sèche de ce cor s
angule uses qui semble détaché d'un bai- , a l~ xf
OrI en la!.. .
1 e le
Sans se douter des réflexion s dans lesquelles elle plong
Nouche s'est rapprochée de la porte:
le -yICUX ~octeur,
fendre qUI ouvre sur le salon.
La musique maintenant s'est tue... M me Armandine et
Mme Châtelain-Prévôt di~cten
avec animation, à grands
renfoJ't~
de ,gestes et de mlT~qu
e .. . , Debout près du piano,
FrançoIs PIémont et Martllle feuJ!lèt ent des partitions
ct parfois on entend le rire roucoulé de la belle rou s~
dont les cheveux semblent accrocher toute la lumière de
la pièce.
,Alors, Anne-Marie se tourne soudain vers le docteur.
D une voix un peu oppressée, ell e d~man
de :
Vous a imez bien Robert, monSiOur Ancelin?
- Cerles 1... Pourquoi.:.
.
'
.
_ Eh bi en, dans son llltéret, conseIllez- lm de r evenir!
Et sans attendre de voir l'efyet produit par ses sin!1ulier es paroles, elle pousse la porte vitrée et va reprendre
son poste près de sa mère .
ar~les
CHAP ITRE Xffl
Dovant lm coiffeuse, rêvûusemenl, Martin e libère ses
(.'heveux des épingles cc invisibl es » qUl en fixent les
"a vantes ondulations.
E ll e sc regarde avec compl aisance , élire ses mains pâles
,lUX ongles soignés que les lèvres du maîtro de la Sauva~S ùre
ont effleurées lout à l'h eure, et elle soup ire, los yeux
pleins de lueurs joyeusos.
Enfial elle est arrivCC au buL q?'ello, s'était marqué 1. ..
L'ours sc IÏ\l'o D clio, piods cl po~gs
ü ~s : el~
l'a apprivois6 complètomollt l... Celt,dc~nr?
so ~r 60 lU] a apporté
1'6claLant témoignage ~e sa dlry
~ Ji o vlCtOire . .
.
Elle va II la cltemUlée, saisit le cudr~
qUI emprIsonne
l'imago tondre do H.obert e~ dOIn?ure un, InstaJ?-t songeuse,
lùv l'os pincérs, 10 front sJllonne do .l'Ides lmportunes .
Qurllc IH.Il"UU secrète lui donne soudam cc masque dur
('cLle m6.choiro volontaire prêto à broyer un inv
s ibl~
obillaclo? ...
L o craquement do la porle la fail tross:.\ÏIlir. Elle repose
brlH;quoml'nt 1(1 photo .
Ln chrllllhre voisinr de la sienne est occupée par Annclju'Wsir, ses vacanc(',;; tcrljn~s,
u
MarÎ\'. dl'jui~
�78
MARTINE AU CŒUR SECRET
l'l'gagné la verte Erin, cl Marline n'aime guère les intrusions de sa sœur dans son domai ne.
- Qu'est-cc qu'il y <l? s'enquiert-elle, en voyant surgir
la silhouette de Nouche sur le seuil.
- J'ai à te parler ...
Le r egard ennuyé de Martine va à la pendule ancienno,
qui profile sa b ergère Watteau sur la console de marbre
rose .
- Quelle idée 1. .. A cette heure-ci? '" Il est trop t ard.
Nous causerons d emain.
Elle étoulTe un bâillement de chaUe entre ses doigts.
Sans r épondre, Anne- Marie s'est approchéo d'un faut euil et s'inslalle, comme une p orsonne qui en a long à
con ler cl qui n'en démordra pas .
Martino, soudain réveillée, examino sa cadette avec
une inquiétud e non dissimu160 :
- Tu v as avoir froid, r ep roch e-l- eIl e, s'avisant que
ce lte derni ère est on pyjama . 'ru ferais mi eux de regagner
t on lil ...
Nouchc croise ses jambes ct riposle, l'air goguenard:
- Tu n'av als p as froid dans le jardin, toul à l'heure ...
quand l' « onclo » l o r accomp ag nait? ...
Marlino rougit el délourne les youx .
- 'l'i ons !. .. tu nous épiais ?
- As-lu donc quolqu o choso à cach er qu e lu cl'aignes
lellemenl d'êtro observée ?
- Pas dll toull prolesto Martine, je ...
- Allons 1 rail rud ement Anne- Marie, toisant sa sœur,
assez de comédi e. Quel jeu joues- lu ... dis ? ... Ose l'avouer ?
Blessée. Mru'line riposle :
- Oh 1 mais quel lon emploies -Lu avec moi!. .. Esl- ce
q ue j'a i cl s comptes à t e r end 1'0 ?
- P arfaltem nl...
- Ça, c'est dl'ôl e 1 ricana l'aî n60 .
- J ~ n c or e plu s quo lu ne p onses ...
BIles fl 'ouservenl comm e des duellisles qui vonL croiser
le for.
M()
~'Lin
o r;'es l décid ée à s';1 sscoir, sur uno ch aiRo , devallt
Ra ,joiiTcuso , ol a/Tecte do se p ohr les ongles, minuli euse m ent.
- J o no sais pus du Loul ce que signifie Lon utli lud r
murmure-t -ell e, haussallt los épa ul es .
'
-- 'l'u m'6 tonn s i ironise lu p etiLe avec un rire Rec .
Jt:Ile s'accoude a u bras du fa uLeuil oL arLiculo d 'unD voix
noLto :
- Qu ' st-cc qu e Lu fais de co bénûl de R oberl (lans La
p elile c:o lllbin niso n?
�MARTINE AU CŒUR SECHE T
79
Martino a tressailli. Sa main abandonne le
qu'elle maniait nerveusement. Elle balbutie ;
polissoir
_ Je ne comprends pas .. .
_ Allons donc 1 Crois-tu que je ne me sois pas a erçu e de ton manège ? Non contente de l'avoir roulé el
lui préparer une atroce déception, tu le dépouilles?
de
. .. .
_ Mais je ne te permets pas...
_ Oh 1 ma ~hère,
j? r,ne pas~ri
de ta permission et
pour uno fois Je te dIraI ce que Je pense, de toi et de ta
conduite! grinça la petite, .don;t les yeux brillent d'uno
flamme lndignée. Non, maIs c est trop fort à la fm 1
Martine l'enchanteresse, la t endre Martine, '10 bon p ~Ùt
cœ.ur, l'être exquis qui e ~sorcne.tu
e ux quil'approchent ,
VOilà une litanie dont Je connaIS les r éponses pour l'avoir
entendue depuis ma naissance ...
_ On sait bien, jette le ti~bre
durci de l'alnée, que tu es
gonflée de jalousie et d'enVIe 1...
.
.
. _ Oui, encoro une 16gende dont Je faIS les frais ... Maia
JO r,n'en moque éperdument ... Seulement, m~
belle, faudraIt pas toujours prendre les a~tres
pour des Imbéciles 1. ..
_ Dos imbéciles! répète dédalgneusoment Martine.
_ Parbleu 1..• Oh! lu soignos ta petito popularité et on
n'y voU quo du fou ... Se ulemenL , moi, jo vis Lrop près de
agir ... et
loi , Lu eomprends, pour no pas to ref]ad~
con: mo je Il'ui pas les yeux dans ma pOC1le, JO tire mos
petllos
d éd ucLions ...
« V ux- Lu quo nous r éLabliss ions la situation, je te
prie? 11 y a trois rl10i s, ton fiancé , :- car quoi que tu
fasses, maintenant, vous êtes bel et bJCn fiancés et tu lui
as donné La parole, - ton fiancé, te prenant pour une
u\llro
_ ...
L'autre c'étaiL toi, essaya do porsifler l\Iartille qui
veI'Clis!;:üt.
_ 'l'on flan' 6 te prenant P?ur ,'!l'Di,. - répéla ln cadetto
avec une colère qui 6teiglllt .llronJ e a,!x lèvr es do sa
J~ dOlS avouor que tu
sœur, _ s'avisait de te ~ourLIse.
:I~ fait to ut eo qu'il fallait pour.l e la!sstr d.an.s l'erreur ...
'1 u cs all é prendra mon mou21t0lr qu J! avait Imprudem ltC,~ l t alla<;hé à la grillo .et, gruce à <;e s lgn~
d~ ralliement,
qu Il a vu 10 même 5011' entre t?S m::uns, Il n a pas dout6
une secolld o que lu ne fusses la Jeune nlle do la forêt...
Oh 1 tu as fort hi en joué ton r OJo ... Tu as changé ton
parfum ... tu as purlé poésio, brof t u .l'cs composé un personnage si ltahilCln enl, que ce d:utn s'y est pris tout
('nlior.
_ 'l'II le traites hien 1. .. C'?stlc grdlld alllour décidément, plaça mécharnrneul MartIne.
�80
nIARTI NE AU CŒU R SECRE T
La petite haussa les épaules :
- Tes railleries ne m'a tteignent point . E n cette histoire, tu es loin d'avoir le beau r ôle ... car une seule chose
pouvait excuser t a tromperie ct la co méd ie que tu as
Jouée : l'a Urait qu'il exerçait sur toi. On ne discute pas
avec son cœur, même lorsque la conscience est en
jeu ...
- Mais pourquoi n' as- tu rien dit, alors? riposta Martine agressivo.
Une grimace conLracta les traits expressifs :
- Pareo que je n'ai pas Lon ph ysiquo avanLageux,
moi ... ct que, dès qu'il t'a aper çue, il est devenu amour eux de Loi. A quoi bon le déLromper? .. . P our lui ablmel
sa belle aventure, ... le désillusionner eL lui montrer que
l'â me et la voix dont il s'était épr is si r omanesqu e ment
avaient une aussi mép risable envelopp e 1. .. Ca r c'est ma
voix qui l'a attiré, tu le sais bien 1. .. Quant à ses vers , lu
n'en a vait jamais entendu p arler, jusqu'au jour où son
erreur vo us a mis face à face ... Seul ement , l'occasion était
trop belle, hein ?... ct il ne fallait p ns la laisser échapper ...
- J e ne t'ai pas empêchée de ùOlend re les chances 1 fil
aigr ement !\Iar tme.
- Ouais 1 en prenant ma place ...
- Puisque tu l'as laissôe prendre de lon plein gré, quo
me r eproches- tu?
Sa sccur l'examina en silence , uno seconde.
- Ce qu e je te reproche, prononça- t -clle it voix 1 nle ...
on pas cc que tu as fait alors, ... mais co que tu lais
aujourd'hnil
M arlino se r efu sa à saisir l'all usion ct pri t )e p.,rli de sc
rélugior dans un mu tis me pruc\ cnJ.. L'air excéd6, elle mordillait S08 lùvrrs rouges, q ui laisstuent luir e l'éclat nal:rô
do sos p o Lit e~ dents pointues.
- Alors, Je veux savoi r, r ep ri t la pet ite , si l u Gompte~
a bandonner Ro~
o rt
ct t'emparer, par un In yr n odi eux,
do la fortuno qtll dovrait, normalelllent , lui r cvenir? ...
- Encore lino fois, quelles sont ces insinuations? criu
Martino, virulento.
oucho bondit ol, s'approchan t de :;(l sœur qu i reculaiL ,
fTrayé :
,. .
.
.
r aS -l\
que F rançoiil
- 'ru oses p nrler. d l~ s rnu al I O !l ? ~le
Pi émont, dans le Jurdlll, C sOi r ITwmo, l'ai t demand6 de
dl'vc nir sa femme?
Ah 1 lança Ma r ti nc, fu rie usf' , (·'('sl hi(' n loi 1. .. 1'0 11 jours au x {!l'out(S 1. .. Tu nous us ( nr'O r .1 espionn6s. »" rl ll" l
J roil ?
�n!ARTINE AU CŒUR SECRET
81
Sa jolie figure s'était crispée dans une expr .
de
rancune haineuse. Au diable, cette gamü;e ~slOn
r ~.p ro ? h es inoprorluns ! l\far~ine
n'était-elle vec ses
d eqUllIbrer sa VIC comme elle l entendait?
pas libre
_ Tu as promis ~ Rober t ! ~cad
Nouehe, tenace.
affalr.e 1 1e lUI al. . promis ... quand je me
_ ~ a ~el!
croyais sure de mOI- me me. MalS est-on jamais sûre de
son coeur ...
_ . Ton cœ ur 1. .. Non, lai s,e -~oi
I:ire 1. .. et ne mêle pas
co vlscèro, _ dont tu ne t e? J~maIs
préoccupée, et pour
Gause 1 _ à tes petites co m~lOa
S? n s . D'a~ord,
tu n'as vu
en nobcrt que le beau parti posslb!e, ... rIChe et joli gar·
çon .qui arri ~ - Ait à p o in~ dans ton eXIslCn?e d ~ jeune fille à
marier... Après, lorsque tu as .su . qu Il n était que le
neveu de son onde, il 1,'a paru moms mtéressant ... Tu l'as
berné pour le faire partir, te réservant éventuellement
cs grâces de cot oncle .ù héritage,
d'entr?r da ns. les bor~n
ce qUi t'auraIt permis cie ~epndro
,~es
pl'eflU?l'S proj ets.
Seulomenl , maintonant, tu t aVises qu JI vaut mieux "'arder
ql!0 de le p a :tn ge~
avec
le gâteau pOUl' toi soule, . plut~
nobert, hoin? .. Et tu te diS qu apres tout, pUIsqu e François Piém nt es L encore ... présentable, autant vaut jouir
do sa fl)' ~ une
tout de suito, on devenant la châlelaine
authcnUque do la Sauv agère ... QuoI ignoble calcul 1...
_ l!:L après? explosa soudain ~'aln
6e .des Châtelain que
ce rôquisiloil'e do sa sœur piquait au vif. Pourquoi r efuRCl'a
~ s- j e la siluation qui m'est oIT.ol·te? ... J ? pense qlleces
managcs-là SI) voient tous les Jours ... SI tu. veux Jouer
chère ... MaiS, moi, j'ai
les sontimentales, libro à toi, m~
assez do la vic étroito et rélréOle. Rob r.rl en me faisant
croire quo son oncle était vieux, caduc, m'a trompéo ...
_ C'f'sl tOIl imagination qui l'a tromp ée. Tu as pris les
(1é8il'5 pour <.les réalitùs......
.'
,
_ Quo i qu'il cn sOIL, J< rançols. PI6mont n est p us
décidé il abandonner ses pr(:ogat~\cs
ot son argent.
SI/épouse le neveu? ..
Alors, quelle esl lu vie qui Il1'~tcnd
Une obswre existence do lemme d employé subalLeme
oJJligée (l'() rn6nagcf los p(lr~nts
do son mori CJ~ vue d'u~
problématique Id:ritoge,,: Ma JUulless o s.o p ase
r~lt
dans les
ruslrictions ct l'économlC la plus strICte? .Jolie p erspective 1. .. :r.I(jrci 1 J 'ni vu, trop près do mOI, un oxemplo
salutaire... (Jui m'a mis en garde contre cc genre de coup
deCeLLo
Li:te ...allusion il la vie qu'avaiL menée Mm e Ch.âLclain Prévôt dnnll son second ménago cuL le don de mcLlr0
Nout!lr. en furrur.
.,
_ Tu ve uX parler de mu merc, n est-cc pas?
G
�!l2
MARTINE AU CO'iUR SECRET
Naturellement, laissa tomber Martine du pout des '
lèvres.
- Ah ! gronda la petito, jo n'ai pas à la juger. Elle cst
ma mère et, bien qu'elle t'ait toujOUl'S pr6férée à moi,
j'ai encore assez de conscience pour ne pas me mêler de
cl'iliqucr sa conduite .
« Mais tu sais bien, comme moi, qu'elle n'a épousé papa
que pour ses sous ... à l'époque où le pauvre homme en
avait encoro ... eL tu as pu juger du résultal d'une telle
union.
Sa voix tremble tandis qu'elle poursuit aV oc une véhémence extrGme :
- Avons-nous jamais senti autour de nous l'atmosphère réchautTantc de la famille, .. . la paix, ... l'union, ...
cotte amitié ct ceLLe confiance qui font la douceur du foyer
des autres? .. Nôus sommes commc des animaux d'espèce
difI6rcnto ct d'humeur inconciliable qu'on a voul~
fourr l'
pôlo-mêle duns la mêmo cage .. . Com~nt
~xlseraiten tre nous do la tenJresso fratLrnelle PUlsqu il n y a pas
d'amour ontrc nos parents?
J..Ies derniers mols sombront dans une sorle do sanglot
étouff6 . Anne-Mario ossuio ses yeux d'un ,!!esto coléreux.
lmo ne vou(ü'aiL pas monlrer à qnol pomt ccL état dr,
cJloties la louche ... Mais il y a si 10ngLemps que louL cela
.
lui pèst1, si lourd, <lU cœur....
Martine a écoulé cetto explOSIon. S<:\I1S l'Ion dire, en
regardant 10 bou!' de sos mulol:> do ~01O
.
l!;llc a un souPÎl' lasf;é :
- Quo VOUX-tU, prononce-t-oHe d'un Lon radouci, je
n'ai pal:! 10 courago d'affronLor la luLLe et 1I10n tour ... Jo
sais Lrop co que la fortune apporte d.e largesse, de
Jibel'l6, d'orgueil satisCail. 11 y Il ou doux phases dans
mon exisLlI1ce ... et j'ai pu laire lu différence. Depuis quo
je vois mère luttor pour nous cO/lsorver co LLo <:\pparcnce
do bion-ôtre qui pose les gO/ls dans llolro milieu, j'ai pris
l'horrou.l' .de la m.édiocriLé. Je no .poUlTais pas êLre hùareuse SI JO n'avalS aulour de mOI uno atmosphère brillunle, luxueuse, suns mesquinerie, ... suns cos déprimants
soucis cIu }oudomnin ot des éch6ullcos do flns do 1110io ...
.fl.h 1 Qa, ~lOn,
.cl'iü- t-ello avec uno sorte d'angoisse, jamais,
JamaiS, laInaIs 1
Et purco qu'Aulle-Mario la rogul'do avoc ctTunlnl 'nt,
(:oll1mo si olle la découvrait, clio sc calme ot achève, honteuso do ces pauvrçs raisons;
- Et puis, j'ùi b!en 10 d,roit de préférer François Piémont à Robert... TOI, tu vou; cc dClllior avec tes youx dll
dix-sopl ans ... Til es prise pal' sa jounosse ct son :l,lluro dt'
�MARTINE AU cœUR SECRET
lJ3
prert;Jicr ~élancoiqu
e . ~10i,
j'aime mieux un 11
d actIOn, energlque, autoritaIre, qui a fait ses r omme
plutôt qu'un rêveur désarmé en face des difficultfs ~ves!
n'est pas capable d'assurer le bien- être à sa femme
qUI
Nouche demeure sans parole devant ces argu'~ent
pérempto ires. Que pourrait -elle objecter? Chaeun tail~
son .~onheur
à la mesur.e de se~ .aspirations ... L'idéal de
Mar LlIle est difTérent du Sien, VOIla tout ...
Elle murmure avec un peu d'am :.> rlumc.
l e m e~l
, je m'aprrçois
_ Tu eS la sagesse même .. . Seu
flue les serments que tu pro nonc ". no pesont pas lourd
w r ta conscienco 1. .•
Martine hausse los épuulcs :
_ Oh 1 les i'ermonts d'amoureux... Il faut avoir ton
âge ... ou l'esprit romanesque de Roberl pour y altacher
ceLte solennolle importance.
.
Lente, elle a reti rée de son dOIgt la bague où brillc la
perle, comrrJ(' une larme.
_ J e la lui renverrai demain, dil -eIle, et je lui ferai
comprcndre ...
'oucho s'est prl'l"ip ilée Rur P1lc :
... Ne fais pas ~a .. . p a~ Cilforc 1· .. So nge qu'il
_ ~on
rst 10~,
seul, le rŒllr plain do tOI ... ru n as pas Je droit
do brIser .1ussi brutalen'H'pt son rC've ... et de démolit'
l'image C)u'il s'ost 101'15 60 ...
François el
-:- MalS l'étorquo .i\l:ll'lino avec im~atone!',
mOl ,sommes prcsqu'rng-:1gés. Il dOit parler il màman
dernam ... Jo ne peux pas garder cct anneau.
La poUte tend une main hésitante:
_ Alors, donne-le-moi, dit- ellc.. . je le lui rendrai.
j~unc.
r:lL\.PI'l'ftE
xrv
_ A qucllr houre le train d.o paqlll) )01. ?
. '
_ Dix heures treille, monsllllll':..
Hobert regardu sn montI'I'. 11 lm l'CotO lt vJIlgt minute::; ...
vingt mlnul s li g"Rpillcl' ,Inns 10 mOlv
er~c
nt bariolé du
port, nu milieu do la fou le hruynntc ct allalrée .
En d'autres temps, il ciil. employ6. ('l'S quelques i!lslanf<;
rlr gr:l.c!' à p(,l'l'ol1ri,' lt's ruJls!'~
prtltes l'U I.'R marselll ais('s,
d'un piod léger, h l'\ll'SUX de fnlre sonnel' sous srs pas le
sol dl' lu t'l'ru rrll'OUV('I'.
AUjourd'hui, il portail ail frOl) l un .trop ll)urd sou"i
pour A'i n tér('~c
Ù Iltllrp chose qu il ~o n IOqulétude.
Cerl<'s, il ne se doulait guèro, en s'em barquant ponr Je
�MAn'!'!:>;:; AU CŒUR SB CRET
bleù, trois mois plus tôt, flue Gon leLOUl' serait si brusqlic,
son absence si brève 1
Au fait, n'était-ce pa~
une folie que ce retour inopiné .. ,
sans crier gare, sans prévenir personne? Une force plus
puissante que toutes les objections de sa raison en émoi
L'avait incité à ce coup de tête, à cetLe décision, si prompte
qu'il n'avait même pas pris le temps de câbler son arri véc
à la Sauvagèro.
En penséo, il revoit le petit reetangle de papicr bleu où
l'a verlissement d'Anne-Marie s'est pOUl' ainsidlrcmatérialisé:
Venez, liotre amour e:;t cn péril ...
Et il sc demande, à ceLLe heure, si, en oh"ü;sant spontanément à la suggestion ù'une potlLe fille, il llJ :/est pas
,
conduillui- même comme UI! gamin ,
Que signiliail celte phrase sibylline? A la clall'e lumière
de co matin dû Franœ, moins cruo que le soleil éclatant de
J ~- h as
qui aveuglait sa conscience indécise cL 10 prédisposail aux gestes excessifs, sa conduite lui poraît assez
imprudente.
Que diable 1 on ne traverse pus la mcr sur la foi d'une
Nouehe 1. .. Qu'allait dire son oncle? Qu'allaiL dire Mal' Lino ? .. l!lt si la petit.e s'était moquée de lui ?
Martine lui échapper? Cela lui apparaü;snit inconcevahle,
raJsons obscures et qu'il se refusait il
CependanL , d~s
r;'avouer - comme si l'évocation mt'me tlu ll1'llhl'l1l' cùL cu
1 pouvoir tir Il: f.!ire 8urt;ir - n'/aienL didé ~a i>ul>ilc décision.
Depuis qUf'lque Lcmp.3, il percevail, d"m; J(' ~ le~( l'CS de
f;i\ fi .weél', uno conlminLo in cxplicnl>le, Co n'éluient plu!';
les élr\ns dll début , la ferveur première', les encollr,lgelnunLs
mêlé. d'espoin, .. Martine évitait de pa!'l('I' cl'cHe-même,
de ses scnlimcn',R, de scs projoLs d'avenir, eL SOR pagos,
plus écourtées, so bornaient li apporter it l'exilé le récit
oiseux deR poLIOS du vJlIflge. JI y avaiL un mois qu'oHe
n'avait pas écrÏL ...
Alors , le 1.6lô;rl'ammo d'Anne-Marie ôtnil arrivé . Sl1n~
l'ôf1éc!tjJ', ob6issall L i\ ulle impulsion irr6si:;Liblc, il a vuiL
Loul abandonne' : LravallX en cour:" personnel il surveillcr
('omanlc~
U1'grnt r s, ct pris 10 prcll!ieI' bateau pour Mar:
sci ll e.
Une angoisse l'ob:;édaiL, qui 10 pourslli vi L, (cn,leo, tonL
fl':\nsforrnl:o en
aH Inng du voynge cl. le 111cha sOl(!T~nt,
impul.il'lll'C nx
i cu~l',
!orsql1'il !'ntrevit ) ps platalwH squl··
IrLtiqllcH qui J1r('~<;ailt
nulOlll' d'.: ln ~al'e
leur cohorl'J
l'lliv(·r.
décillll'l' p~l'
�~!.\nTl:'E
AU CŒUn Sr:CRE T
85
II était près de sept heures quand il débarqua à Ro '
laure. 11 avait connu la petite ville fraiche ct pimpanteq~e
b ~a ux jours de l'été et en go.rdai~
un souvenir joyeux. En~
Im.parut sinistre sous cetto nUIt froid e d e fin novembre
qUl semblait distillar une morne tristesse .
évoquant
_ Mon oncle doit s'ennuyer ferme, pen~a-til,
les bois noirs de 1:J. Sauvagère autour de la maison
défleurio . Ces demeuros estivales manquont toujours do
confort, ct lui qui aime ses aises no s'y attardera p as
lo ngtemps! .. .
_
« Quant il Mme Châtelain, je jurer ais qu'olle m e garde
r ancuno des fantaisies de sa fille qui l'obligent à hiverner
à cause de moi , ..
Ainsi ramené au souven ir de }\Iartinc dont ses préoccupations d'arrivée l'avaient un instant distrait, il arp enta
les quelques t,;inrr kilomètres qui séparaient la gare du
domaino d'un pas nerveux .
, "
'
A cett o éooque aucune voilure ne falsall plus le servlco
entr e la station e t la viJle et Robert, n'étant pas a Lten du,
a vaü dû laissor ses vali~es
à la consigne ct se r endre à la
propriété de François Piémont par ses, propres moyens ,
, L a beauté do la forêt s'était évanoulO ... En valIl, le
J e~n
homme cllcrehait-j] à cueillir, au détour des sentie r.;
qUI s'offraient i.t lui lllfli éclairés pa l' le r ogard blanc de la
lune, les émois d'al{UlIll ... 11 ne r oconn aissaH plus la roule
ram iliere qui s'était si bi en cristall isée dans sa mémoire ...
La physionomio des choses avaiL changé .. , et l 'odeur
fr alche des menlhes dei! mo usses eL des frolises sauvages
placo à l'~deur
morte des feuilles pourries qui
a,vait rai~
d'humus.
s enLass::mnt au creux: dos rossas plein~
,Robert sc défend ail. avec peino con\.1'e l'impression de
t.ru,lc,;so qui lui sarraiL le cœur au milieu do ce pays:Jr;:O
1 . 1?~luJ'n
cl tnl:(ourd i, Aussi poussa-L-il un. so upir de
H,\~IS
r act l oJ\ (16:, que 50 dessina en face d o lUI la masse
nOIre do la :-!<ll1Va"èl'J.
1\ la surprise de Mm o Armandine, à
II son;;,a a l ol'~
l'ac?uei l boul'rl! de (;011 oncle, .. , quo Jui importait ? ... 11
ay::ul dÔCld6, collo fuis, d'en fin il' uvee l'absurde et tyranmque ùmpr isu que Frunçois Pi émo nt s'éLait arrogée SUI' sa
porsonne .
. llilli avait sufll de cos Ll'ois mois pussés à So~s-Bu(1
rld g, dans lu soliLudc le t èle- il- tôLe avOC lUI-môme el
un ,cher souvrnir Jlour ~e r essaisir,
, .
.
a!
Etl'llnge puissance do l'u mour 1 Le rôveur qUI, Jusq~accopLait passivement, p ar veulerie, besoin de f.r~n9U1 lh
to
moral r d é~oM,
do la lutto et mépris des matérl~Jis,
la
silll aLio'n (lU on lui in:posait, 10 rêvcUI' indécis g'éllllL tram,-
�86
MARTINE AU CŒUR SECRET
formé: l'homme d'action, peu à peu, avait pris le dessus,
:mimé d'une tenac:! volonté de réussir, de conquérir ces
biens qui lui donneraient l'indépendance, et il s'était
révélé pratique, agissant, soucieux de ses intérêts et de
résultats t angibles.
Au lieu de s'en former dans sa tour d'ivoire, ainsi qu'il en
a vait usé trop longt emps, il était sorti de lui-même,
fréquentant ses voisins, les gros « colons» possesseurs de
fermes impor tantes, cullivant des slmpathies utiles, et il
était arrivé il sc convaincre que, morne sans le secours de
SOIl oncle, il parviendrait à se faire une enviablo situation.
11 achèterait ainsi sa liberté et celle de la femme qu'il
chérissait, ct, le problème de la vic matérielle résolu, il
puurrait enfin s'adonner au plaisir secrot du r8ve ct des
spéculations poétiques.
Aussi est- e d'uno allure fort alme{ presque désinvolte,
qu 'i l fran chi t le scu il rcdoutablo de l'J'ançois Piémont.
Dè:; que le domestiqu e, Laurellt, reconnut le jeu ne
homme dans tO visiteur tardif, il manifesta il grands cris
IiOll ütonnolmmt ;
- 10nsicul' Hobert 1. .• Hon, pour uno surpliso 1. .• C'est
pas Diou possiblo 1
- Ils sont duj à couch6s? s'informa Robort on sc
MbJrrJs,;anL do SO Il Ll'I.'!leh-coaL .. .
M,tis lIfonHiou r n'est pa,; là ... 1\1 a U1I10 Arlllandine non
[l lu5 ...
1 Où 50nL-j], ùond
- ' l 'ilI~
•. Bon. là-bas. parùine 1. ..
V e SUIl indox tendu, LaurCIIL dûsigllaiL une vague direct ion, de l'ah' do quclqll'un qui annont;O une chose au~si
vir](onlc qu' 110 50 passa dn COllllllen air" .
-- Là- b w? ... OU ~';I?
:.'t lonnu Hobert.
- Chcz lOi) voisins.
m vOyOllt 'lU le voyageul' fronçaiL 1 sourcil:
Chl'Z I\J ll u J\TarLilll' ... 1\ la villa. compléta Laul'~nt
a \ cc uno nU UllCC d'Illlpaliellco.
'
1,0 ~om
ehù;i, .laaL de loi:.; [1/'ononcé Cil Honf:(C, sous 10
t'I( 1 vJ<le du 1 Cl. d. provoljua une rougeur soudnino aux
jQUCS du HolJùl'L.
- Chez Martinr .... r('pé La -t-il, J"H lovrcs Ii(ch~.
Il avait ou un mouvc/l.cllt dc julC. 1\insi , do cc côté du
lJluins. tout. tait aplani. !>u,,'CjUc /lUIl olldo ('L sa Lanle.
~an
crainle de délog('/' il lU''; chin.; habitudes, Sil l'enduienL nuilnrnm rllL chel. les eMtcIHia'? ... InrLino nvuil do nr
J' 6U~;ji
dan., /-in II tlta.ti Vl' do conciliation ut Cil l' l6 1('5 bonnl ;
Ij/ ;t(;('5 des habiLJuls de la SUllvngl'r '.
Chère potite fée! !J\;1l3a.t-il, atLLIldI' i. Imp étullux, 1111
�87
MARTINi': AU CŒUR SECRET
bru~qe
de tendrs~
déferla à son cœur. Ét 't .
prèS d'elle? SI près. que quelques
peme Ir, séparaient du doux reVOlr ...
es
Son désir impatient frémissait jusqu'à ses paumes br"
Iantes, éti:uit se?
un sourire de .bonheur qU1;!iÏ
ne . ,pouvmt maMls,er ... . !Ole d.u reto:ur, Joie ineffable 1
Dél~,
da.ns .son espI'lt agile, bO,l;o~naCIt
les mots qu'il
gtlll l Ul avmt dits en r êve ...
allmt lm dire, ... touS ce~x
là-bas ... dans le bordg IOl~aJ1,
~ux
,heures où il essayait
par un prodigieux efTort d'lmagmatLOn, de saisir l'ïusio~
de la tendre présence .
La Ydix du domestique l'arracha il son enchantement :
, _ Si Monsiour veut passer dans le salon, disait Laurent
Il aurait plus chaud .. . Et puis, le vestibule est si encombré '
,Alors seulement Robert examina les ~îtres
~t s'aperç;;L
d unù chose insolite. La Sauvagère a.valt SUbI d'étrangeH
Iransformations. Tout sentait la pemturc fratelle et le
hois neuf. .. Des meubles, encore pourvus de leurs housses
du hall
d'emb?llage, s'entassaient en désordre au, mil~u
el un echafaudago était dressé 10 long .de 1 es~ahr
.
_ Les ouvriers n'ont pas encore fhll, explIqua 10 valet.
On insLalle le chaufiage central. ... ct bcrn!que 1 Dans une
Rrandr haraquo com mo colle,cl, re n esL pas peli Le
off::dro 1. ..
Hohcrt ouvrait rIes yeuX ahuris.
_ Le chauffage cent.ral? ... Muis n:?n oncle ,.est fou .. .
pour une maison qu'il n'habILer? que loté et qu il ya pro·
bablomcnt revendro un do ces Jours 1. ..
_ Jll'6tollnCl'oili ~J'omca
Laurent en hochant la l&te.
Il avança vers Hobert une bouche encline nux conO.Jonces;
_ Monsieur fait lout refa ire :1 neuf, chuchota-t·i\...
Ah 1 il va y en a voir pour des :lI~ens
..: J1Jt que d'ari~,
mes amis 1 Il est venu jusqu'à lro~
arclutecles, tout clroit
do Pari:;, s'Il vous plalt ... et pUIS un .. . comment qu'il.,;
rlisent ... un .. , lin IIsscmblié .. .
~ Un cl1f:pmhlicr ... , corrigra mo.ohinnlemrnt Robert.
vr~lment
af~ux
minu~l -
SI
l~vres
dan~
J\ lor'l?
. C'çRL ça, 1111 r nsemblier ... un drôle (le lype avpc la
et d(>~
"bCVOUX: clalls le COll comme UIl O femme,
_ J>af'solis. " 1'ollrquo i tou t ça?
_ Den, pour lransformer ... Cef! meubles·là, c'est encore
)'ir n, .. MaiR faut voir ceuX: du salon ... m les lapis!. ..
Qu' st-rc qni est arrivé comme lar is 1 On en avait plein
J's broq pour les monLer (~ans
les plùces du haut ...
_ .Jr n'y (:ornprcnds tiCil, murmura Hobert, éberlué ...
Voyons, j'avais JJ1oi-mCmc mC'ublé Ja maison, cet été, sur
t'lIl1e fille
1
�80
.
MARTl liE AU CŒ UR SECRET
les indications expresses de m<!n 0J?-cI~
qui prétend ait
ne vouloir y faire que les r éparatIons .mdlspensable$ parce
qu'il ne comptait pas garder le domame . ..
- Ah! dame! ... oui, mais Mlle Martine n'enLend pas de
cette oreille . .. Faut changer tout ça, qu'elle a cUL. J'aime
le moderne .. . le b eau moderne aux lignes nettes. Et on a
l'autre mobilier ...
b azardé to~
Hober t tressaillit. CommenL , c'était Mar:tine l'auteur de
ce cllambardcmcnL? C'étaiL donc elle qui r égissait tout,
chez Frnnçois Pi émont? Celte trop fa cile victoire l'étonnait
et l'inquiétait . ..
..
.
Brusquement, un sOuvenir vmt le hanLer. Il revit
Martine, un jour de l'été dernier, avant l'arrivée de
François Piémont, s'extasiant sur 10 beau mobil
~ l' du
château auquel Robert s'éLait cfiorcé de garder son caractère un p eu suranné. . .
Il l'avait m enée vlslter la Sauvagère. Avec lui, elle
avait admiré les boiseries anciennes, les lHllïels ;l crédence ,
l" l dorable et désuet p~ti
salon 1tl30 où POli 6vOfl U:ü t la
pré.3en co de quelque a~eul
Cil capo Le Ileurie, le'l; l arg('~
clH:min6cs où 10 feu pétIllera it si clair, aux soirs froids de
déce mbre ...
EL c'û tait elle q.u i., mainLenant, arrachait pur larn>c~\}:
l'âm e gr ave aL paiSIble do J~ vieille m aison pOUl' J'arran.
gal' au' goût du Jour ? ..
]!ln voriLû lout cela 6laiL loucl! e.
JI nt quelques p~ s vors l'anLi ch alubro pour dût'ober son
au d0r,n0s tH!Ue. Un vngue soupçon se débatLa it
, troul~
pn lUI, auquel il avall peur de s'arl~
t er .
- Les gens de Romarino viennent ici souvent? s'en·
quit-il, d'..m ton qu'il s'elTorça de r r nuro indilTérenL.
- Oll! il n'y a guère quo ~I mo Châtelaill ct sa fiUe. L es
autres ~on
t iCI 10 dimanche soulemellt.
-Ah ...
Laurent, houreux de bavarder, poursuivait avoc un
Gouriro finaud:
- J'ai idéo quo les choses vont p't'ètrl' bien change r
pour l\{mo Armalldine. Elle a quasiment pus voix au chapitre ...
Rob ert so r etourna bru squement , ct , :0 f1x not :
~
Quo voulez·vou s diro?
_ Ben, n'est·co p a~ , ... !jua ne1 1\1110 Ch.1Lclain aura
épous6 le patr0!l~":
c'csL ollo qui y fera tout m archer ...
Mt:1rnc qlle 10 C UI ~ Inl e r pells' ...
Il s'a l'l',' ta tout Ilet, ellarû. Robert marcllail SUl' lui, l c~
yt'llX rOml :
_ H ép(:tf'z? .. gronda le jeune hOJlllII e . Osez r('pélCl'
�MAnTlNE AU CŒ Ur. stcnET
8')
:ces ragots de cuisine ... Martine va épouser mon oncle 1 Qui
1
a lancé ce potin absurde? Allons?
- Mais, me:nsieur, ce n'est pas un secret. C'est aujourd'hui qu'a lieu la dîner des fiançailles ...
Robert eut un vertige. La phrase lui était enirée dans
le cœur comme une lame . Enfin, la vériLû lui apparaissai L1
C'était, brusque, l'éclair qui t l'one la nuit.
Tout s'expliquait : les réLic ences do son ami Ancelin
dont les leUres {)vasives n'avaient pas laissé de le sur prendre, les billets écourtés de MarLine, son silence du
dernier mois écoulé, 10 Lélégramme d'Anne-Marie.
11 s'appuya au lU ur, chancelant.
Laurent le considérait avec une surprise ap itoyée et un
embarras visible.
Voyant que 10 jeune homme demeuraiL immobile ot
flgé, la tête dans ses mains, il prononça il voix basse :
- C'était ùone vrai ce qu'on disait dans le pays que la
demoisell e élait votre promise, monsieur Hobert ? ..
Robert n'o ul pas un gele.
-- Ben, c'est du propre 1grommela le bonh omme hoehanL'
le cher. Ah 1 l'argent fait faire do bien vilains calculs ....
C'est égal, si j'étais femme, moi qui vous parle ... je choisirai s poinL Uli Jl1 ri pour ses sous ... Il a beau être riche,
l\L l'iémont, .. . il est tout de même un p eu mûr pour celle
jounesse , cL Srll' 'lue M, Robert l'aurait rendue plu::>
heureuse ... M.ais 1.,( jûuncsse d'au jom d'hui, m'cil parlez pas !
Ça ne p ense qu'a la t oilette, aux diamanLs, aux l'ranfrelu ches ...
MOIl chapeau ct mon pardessus, interrompiL, la voix
hrève , le jou ne homme, qui n'avaiL cerLainement pas
,entendu les paroles do cc cO::lparAo indiscret.
- Monsieur veul.. ..
- Dép êcllCz-vousl coupa Rob ert, éxcédé.
, 1.'1100J me ne r6pliqlla pas. 11 y avait quelque choso dans
Ile timbro de SOIl inlel'lo cuteur qui l'impl'cssionnaiL, II alla
\C(uérir les vôlemenls demandés ct revint sil enciùusement
'yers Robert.
1 Avec uno Mto fébrile, celui-ci enflla son lrQnch-coaL ,
'assura SOli feuire sm sa tôLe cL d'un pus ducidé gagna la
l'ouLe.
CI1APlTTle XV
Robert. ne .Dl i Lp JS cl i: minu tes peur franchir la disiance
R?mf.lfine..
.
qui séparait hl Elauvt,gi'!re ùe hl vHl~
Une j V l'CSS ùe Vl m;onn 0 1" pO ~ledU
l l, un MSIl' vJOlent
ùe ,;,lif-il' il lu gol'"~
cc' ùo&pOLo sons scrnpuln qui s'Ulllori-
�90
1I1ARTINE AU CŒUR SEC RE'!'
sait de sa fortune pour lui prendre la !em~
qu'il aim~.
Ainsi, il Huit écrit qu'il rencot~l
t~uJors
FrançoIs
Piémont entre lui et son rêve... Il 1 avait ~rouvé
d~eséf
gouailleur et méprisant. de,:ant ~es
aspirations da Jeune
homme; il le retrouvait vlctoneux devant le bonheur
entrevu.
"
Ah 1 cotte rois, c était la l~t
e 1. ..
Peu lui importait, en vénté, quo ce potentat sans scruules fût uni à lui par des liens de parenté 1 La chose se
~aSst-li
d'homme à homme. François Piémont s'était -il
souvenu que Robert était son neveu, lorsqu'il avait bassement profiLé de son absence pour lui enlever le cœur dü
Mart ine?
Cerles, l'aventure avait dû l'amuser, et il avait déployé,
dans celte conquête, toutes les qualilés de capacité et
d'entêtement qui, si souvent dans le combat de la vie, lui
avaient assuro la réussite.
Ln belle victoire que de triompher d'une cnfant faible,
esscllléc, poussée par sa. fa.mille, ovidcmmcnl.
CaT' 1\1 adine est une VIctime de l'autoritarisme maternel,
J10bcrt n'en a pas douté une seconde ... el pas une seconde
~'oubli
et de trahison.
il n'a songé Il l'~ cuser
Mmo Ch!l.lOlo.m, éblOUIe par les mille facettes de l'avenir
brillant qu'on fais.~
~irote
à ses yeux, a exercé sur sa
Ulle tout le pouvoir mSlJ1uant de sa tél ~it(),
el Jo. douce
Martino, si timide, si timorée, n'a p;'s su l'él4isler à la
volonté de cello qu'olle a toujr~
, cramte.
Hobert sorre les poin!5s .de rag conlenue. Ah! comme il
va déjouer toulo cette vllame machination 1. .. Comme il va
la leur enlever, sa Marline, qu'on veut sous prétexte
<fargcnl, marier il u~ barbon :...
'
L'Mgonll: .. NeIUl O:-l-el!c pas monlréll quel point elle
f:en rnoqu~!I"
eqe qUi es~
venuo prononc('I' priJfl do lui,
dans lu pellle égliRe de Samlc-Ourlule, 1eR paroles qui lOf>
()ng!l~eaic.t
tous deux, .et cela le JOUI' I11L!mo où clio Il. vuit
Ilppl'IS qu'JI no po, sOdall rien cl qu'il étai l mcnaco clef!
J'uldrt~;
do son ollcle·/ ...
Ha main pousse furie~cmonL
l a porl (lu Jnrdin de Romarino. Il a un coup d'œil vors le balcon où S'l bim·aimée
lui osl npp'1ruc pour la premit ro t'ois: la fr nèlro est clos ;
sonl ~lIurnioeR,
pt do la sollo il manger
mai,; ('elles d.1I ba~
vienlllJl 1Jf1l1t ga~
<!c VOIX cl do riroH.
- 1114 ion~
en J?1C, pCIl~e
amèr'(,nenl Jo je1lne homme,
mais elle dOIt aVOlr Je Cœur dochiré.
Il sonna nerveusempnL.
pouline se prosenta, coqnctlemenl alliroe d'un tablier il
bavetto ct d'un hnnnet hrodé.
�MARTINE AU CŒUR SECRET
91
En reconuaisliant l'arrivant, elle eut un haut -le-corps:
- Monsieur Robert 1. ..
- Chutl fit-il, appuyant impérieusement un doigL sur
ses lèvres, pas un mot à personne 1... Prévenez MilO Martine et tâchez qu'on ne se doute pas de ma présence ...
Il glissait un billet dans la main de la bonne ahurie.
Celle-ci acquiesça d'un signe de têLe, - l'éLonnement
lui coupait la parole, - eL elle s'éloigna, laissanL son visiteur planLé au seuil du vesLibule.
Quelques inslants s'écoulèrent, puis Robert enLendit un
pas précipité, MarLine appprut, un peu pâle, eL s'arrêta
llès qu'olle le viL.
Ello portait une robe de Lulle rose à grandes poinLes
irrégulières, un bouquet d'orchidées il la cQinture ... Ses
cheveux artisLement roulés sur la nuque attestaient un souci
de modernismo qu'ello avait paru ignorer jusqu'à cc jour.
Tandis qu'il la conLomplalt, figé pal' l'émotion do co
promier revoir, Ile avança vers lui, hésiLanle.
- Bonjoui' Robert 1 murmura-L-ello, avec un peUL
l:iourire tremblé.
Un brusque af!lux de tendresse fit fondro la gêne du
jeune homme.
11 ouvrit les bras:
- Ma chérie 1. ..
1l1'éLr ignuit sans v uloil' romarquol' qu'olle 50 raidissait
le front.
cntre ses ]m"1l ct d~tournai
- Vous allez avoir froid, m-olle, en l'atUrant vcrs l'inLérieur.
- 11 cuL un gesLe de llén6gation, mai consLatant qu'ello
frissonnait sous le Lulle qui lui enveloppail fl'agilement 1er.
épaules, il obéit, chuchoLanL ;
- SUl'touL, qu'on nu sache pas quo je suis ici 1... Ou
pourrions·nous causor en Loute libert6?
Elle l'emmena vers le peLiL salon, de l'autre côl6 do
l'escalier, cl referma la porLe derrière U.L
Son promicr étonnement pass6, l'lIe rivait rrpris toute sa
rnaHriso d'elle-mûmo. J\ecoléo au fauL uil, ollo le rogardaiL,
à Lr.lvl'rs scs cils mi-clOR, avec plu, do curiosiLO quo
d'inquiôLudo.
Toul il l'h!'uro, lorsque Paulino lui avait glissé: « Madomoj,;ellc, c'est M. noberL ... )J, olle tl vail eu pour. MainLonant,
.110 riaiL de HCS alr~es
.. .
Pauvrù Robert 1 Était-il seulement capablo de violonco
ou do l'6volte? ... même dovant un alTront aussi IlDgrant
quo colui qui lui 6taiL inillg6?... Ello lui rcLrouvnit son
r\:-gal'd do chir1U fidèle t ceLLo faco c'\LusiOtl du f",rvent
dovanL lo.l Mndol\!:.
�MARTINE AU cœUR SECRET
Allons décidémont, il n'était p as dangereux 1... Elle ava it
cu tort 'de redouter un drame possible. Cc n'était pas
encore cclui-ci qui lui ferait du maIl ...
Elle eut envie de hausser les ép aules en p ensant à ses
sottes inquiétudes ~t un sourire un p eu méprisant vint
détendre l'ar,) parfait de ses lèvres p emL es . .
_ Comme vous êtes changée : :nurmura-t-ll enfin, quand
l'émotion fJlli le r endait silencieux se fut diesipéc .
Coquette, elle flt valoir la ligne de su robe, d'un souple
mouvement de hanches :
_ Vous trollvez? . . Chic, n'est-ce p as? C'est un ùes
derni ers m"dèles que j'ai r eçus de Paris ... Ça vient d'une
grande m ai:'l0!1. Oh! vo~s
sav?z, je ne suis pas dillicile à
habiller ... , J'a! t out a falL la taille do mannequm ...
L'oeil du jeune homme se durcit .
Eh quoi, c'est Lout co qu'elle t r ouvait à dire, en ceLLe
minute poignante de leur premi er revoir, ... de leur première solitude?
11 s'enquiL brusquement l
- Est-ce vrai ce qu'on m'a dit au château .. . Que vous
vous [lancez auj ourd'hui à François Pi6mont?
L cti y eux bleus se d6tournèrenL... Elle tourmenLa son
ce qui fil luire le magni flqu,
coJIieJ', d'un gcsLe em~!lras6.'
::iolii ail"c qu 'cHu p orLa1L au dOlgL .
Bru LaI, il agrippa la main aux ongles fardés :
_ Ma parolo! mais vous avez dOjiJ. l'all noau? .. ComplimenLs ... Monsieur mon oncle va vite en hesogne 1. .•
- RoberLI. . .
EII e essayait de dégager ses doigLs de 1'6Lau qui los
broy;\iL.
Il Jo. lâcha rudemont :
- EL 10 mien , gro ndu-i-il, souùain v.ih6m onL. .. , l'unneuv
que j e vous aval:; donné avani mon tléparL , qu'en U\u;J;-VOU'i
faiL?
- Voilà ... jo .. .
- r.JurLinc, s upplia-L-il d'un ton conLe nu, jo vous con jure <.10 1110 parlel: fr a n clte
JU ~ ntI.
.. J o no vous nccul:!o pa!:! ,
mOIl pauvro p eLlll. .. J o SillS quell a lutLo vous a vez dù
Hon Lonil' conLre voLre famillu coa lisée ... contre voLI·e mère
surtout. PaI ·b l e~ 1 jc m o douLe bien qu'à ses y oux le propriéLaire do la t>auvagèr présonLo Ull aulrc inlér ùt qu "
voire se rvitour . ..
« Mais, appuya-t-il avrc forcc, on n'a pas le droit de
vous imposer uno tello uni on. On no l'eut pas vou· oblige r
il renoncer à noLrc amour. Je suis Ill, Martine, pour VOU f!
d6fendro conLrc les <1l1lrI'5 ... , oL cont r/) ,0uG-ll1\'me s'il 10
JuuL 1 N'uyel pas peur!
�J.iAr,Ti7U AU CŒU R
~LC
n.L
T
93
Hlui parlait de tout près, une flamme au visa ge .
- Robert . .. calmez-vous .. . Si on vous entendait .. .
Il prit son trouble inquiet pour de j'émoi :
- Eh, qn'on m'entende! J e ne d em ande pas mieux .. - J e
suis décidé à tout, vous entendez, à tout!. ..
- J e vous en prie ! s'exclama -t -elle en jetant v er s la
p or te d os r ega rd s effl'ayés , p as de scandale ici 1.. . Il Y a
d('s invll és 1
- E t après ? .. . Vo Lr e môr e vou s avait promise à moi.
Elle ne p eut p as r eveni r SUl' sa p arole. J e suis là pour
r 3vcndiquer m es droils 1
-. Hé, fit- elle impati ent ée, vos droiLs, toujours vos
droits 1... Vous n e parlez que d' eux ... Et les miens, y.lors?
J o n'en a i pas auss i ?
Il la r eb'Jrcta , interlo qu 6 :
- Qu e voulez-vous dire ?
Elle so morùit les lèv rcs ... Quelque chose d'insoli te avait
sonné dans l e tou de H obert qui l 'incita à la prud·' nce.
- Mon Dieu 1 pro fér a-t-elle avec un feini. d6sespoir, jo
su is torLur6e ... D'un côté , on m e presse d 'épouser François
Pi émont , ... d o l'autre ...
E lle n 'ach eva p as eL ])l'i L Jo parti d 'enfou ir sa tête dans
1 e3 mains, comm e si elle voul ait y cach er d es l al'mes qui
m onLaien L Un h alo do lum ièr e éclair a ses chev eux d'une
ful gurence l'or o, prosqu e irréelle .. . CeL Le vue 10 r emua ,
a lla nL cher ch er en lui des so uvenirs inoubliés : leur d ernière
l)1'Om onade, leur visite à la cha pelle quand Ile a vait éLé,
agenouillée d a ns J'ombre près d e lui, une p etite sainte de
\ itl' ui1 ni rn bée de ruyons ...
- Ah 1 .1\1ar tino 1 di t-i l r adou c i, vous êtes une fragile
cr én Lure 1. .. J1 uis -je vou:> en v ouloir de cell e Iaiblesso si
léminine .. . E couto :, v oul o7.-vOUS vous fi el' à moi, d époser
yoLr e sort enL)'o ces ma ins -là qui sauront vous lracer la
J'ouLe, di les , 10 voulcz - vous?
- Ma is qu oi '1 sOllI)ira- L-ello...
- Un pr o j o ~ m ~e3t
ven u ... Il est rou, p eul- ê Lre, mais
e'est Je seul qUI pUI SSO am n e!' 10 r és ulLat que nous désirons
Ki a rd emm enL I.ous k s dcux . P OUl' con traindl'e voLre m ère
a ne a rd er ce cO lIsrnl.elll enL qu'ello r ofu so 1'0rL déloyalement
,'pr(!s l'ayo ir donn {: ...
- Bh bie n '?
Bil e ,w ail ley é la t '} Lr, écouLant ce qu'l I a llait dire. Quello
a bsurd e p ens6c avaiL Cil C01'O poussé d ans la cervelle l'omailcsqu o de cot xulL6 ? ...
l'arco qu 'il la voyail. louLe t endu o d'aLt pnLion, il cru l
liu'ill':WJ ll rcconqlllSl' ol qu' lle enl.rai L tlons SOli J CII .
�94
MARTINE AU CŒUR SECH ET
Plus proche d'elle, il l'attira , lui serra les poignets avec'
une tendresse impérieuse :
,
- Chérie, croyez-vous quo je me serais laissé prendre un
bien aussI précieux que vous? .. Non ... non ... cette foi s,
je vouS emporte 1....
.
Son rire sonna , vlctorleux.
- VOliS.. . VOus voulez m 'enl ever? h albut ia-'L-ell e, uba ·
sourdie .. .
- Oui. .. vous enlever, comme dans les romans l. .. Quel
b eau voyage que ce dépo rL vers la li berté... vers le
b onheur!. .. Chut , n e dites rien ... ne soyez pas efTrayéc ...
Ayez confiance ...
.
R egardez... le b ateau qU itte le por L. ..
11 appuya la Lête d orée on tr SOli épau l , et, la voix
car essante, sans lui laisser le temps de placor 1':10 dénégat ion, empo r té par la ftèv r que lui comm uniqu ait la seu le
idée de ce dép art, il continuo, lyr ique:
- C'est notre beau balrau, J'l Tal'tine , colui qui no us
entraîno v ers le ch er b onheu l' qui ll'appartiend l'a qu'à now)
seuls, par eo que nous l' aur
o n ~ vo ulu, ct toutes nos fo rces ..
N ous voyez -vous vogll ant vcrs la haute mer avec l'odeul'
d'iodo ol de sel, les dauph ins jouan t autou r des coques et
Jo siJl ago si blanc sur l'ca u vi oleLle ?...
-vou
s p as , ù l'ail' plu s t i!jdo, quo n O l ~
« Tenez ... no ~entcz
approchons de la rivo Douri o... El voici Jes épaissourH
verLes de Mus ta pha ... Ah 1 qu e nons voilà loin de Fr ançois
Piémonl t ùe ses ridicules prélent ions ...
Il s'intorrompit, cal' Mar tme venait b r usl'{uement de se
dégager. L o toisant, ello lui lança avec \1)le so rto d'exaltation rago uso :
- P oèla!. ..
L'épithè te, lancéo comme uno in jurr , tomba sur son
enlhousiaslTw en ùouche glacée.
Il domou ra sans voix, la c0Jl3i rI 61'onL, les youx agrandis, 1
Land is q u'ell e h al~g
i t les épau les Cil a rrangoant, :\ peti ts
co ups légers dp la main, la co llere tte de t ull o quo la fou gue
r.
do Hobert avai t fail gli~'c
E ll e prononça dans 10 sil ence :
- Vous diLl's des M Li scs, mon pauvre am i .. ,
Alors, uno colùru bru s!.{\1 0 10 prit:
- Vo us r ofusoz do m u su ivre ?
- Mais vous èlos fou!. ..
- C'esL bon ... Je va is don c domandor des co mp tes il
François Piémont.
Sombre, il march ai t vers la port,.. . Elle cu t un cri et
s'élança : les hras en croi x , elle Illi b art'alt 10 p assage.
�MARTINE AU CŒun SECRET
95
- Non! Rober~,
vous n'allez pas chercher des histoires
à François?
- François! répéta-t-il d'un ton ame r ... Vous l'appelez
déjà par son petit nom. C'est vrai ... je me demande ce quo
jE fais ici, moi. .. Quel serin!
Elle lui coulaU, pOUl' le calmer, des regards suppliants:
- RoberL- .. , soyez raisonnable 1. ..
H eut il. son adresse un coup d'œil indénnissable ;
- Martine ... je ne sais plus que croire ... est-ce gue je
ne vois plus clair en vous, il. ceLLe houre? .. . ou bien, m'avel.vous toujours lrompé? ' ..
:Et comme elle sc taisait:
- Allons, avouez que vous avez cédé, vous aussi, à
l'appât de l'argent. ?
:Elle baissa la tête , déroba ses yeux.
- Ahl cet homme, grinça-l-il, cet homme m'ops~r.\
donc toujours sos millions triomphants 1. ..
U essayait do l'écarlaI' PO\u' franchi r 10 seuil.
Alors elle cria:
- N'y allez pas, Robert. .. 11 faut que je vous dise ...
Surpris1 il lui nt face :
- Quo!? .. Allons, parlez! s'exclama. t -il avec rudesse.
- Votro oncle n'csl pas au courant .. .
- Pas au courant ?... Que voulez-vous dire?
- 11 ignore que vous m'ayez ... enOn ... nos projets ...
:J.voua-l.elle, chucholanle.
.
Uno stupeur s'alluma tlU)i: prunellos du jeune homme ;
- IlIon oncle n'a pas su que vous éli e,.; ma fiancée?
Elle approuva, le l'ouge au front.
Il demeura une minuto il lu regarder sans trouvol' unu
parole,
- C'est inJl~Q.hc!
murmura-t-il.
Maintenant, il l'obsf' l'vrlÏ l, commo s'il la découvrait pour
la premièro fois, cl, sous l'insislance de ce rogard lourd,
('hul'g6 do lanL do mépris secroL, elle 50 sentit priso d'un
Ll'oublc bizarre.
- Ainsi donc, profél'U-l-il au houl d'ull momenL I]ni lui
n'avez mêmo pas ùaigno informer
paruL un siècle , vou~
mon Ollcle CJuo vous éL,iez. li6e à moi !laI' une RI'omesse? ...
Au fuit, crla cornpl SI pou, les promesses, Il ost-cc pas?
Il ellt un riro brüÎ qui la fil trl'ssaillir. HUl'caslique , il
pOl1rsuivJ.il :
- Et sans douto l'avoz-vous ut~iré
ici cllil i avez-vOus
joué III1J uim.ablo polito ~omùic
pOUl' capter l'altontion do
co mllliOllllUIl'O llyl11pollnque? ...
pas
- Rol.Jf.'rl, ossuya-t-elle de Pl'?tcJler, ue croye~
cela 1... Jo n'ai d'abord cu que le d6sIr dlJ vous être utile, ...
�96
ltlARTINE AU CŒUR SECIttT
de me raire accepter par François comme nièce, arm qu'il
ne songe pas à v~us
dé5hériter ..~
.
,
_ Oui. .. ct pUl~,
vO?~
vous ?t~
dit apr~s,
ep femme
pratique, qu~
le tlire d ep0u,se legülme valait mIeux pour
vous puisqu'Il vous aS.BUraIt la fortune ~lUt
de sUlte ...
'raisez-vousl gronda-t-ll, coupant ses vellmtés de dénégations ... Les mots sont superOus. Ah 1 vous m'avez proprement roulé, mademoiselle 1 Mes compliments. Vous êles
très forte 1
" Et dire, acheva-t-il dan~
une emphase railleuse, quo
je voyais en vous le grand amour de ma vie ... le Bonheur,
avec une majuscule ... Triple idiot 1. ..
Son ironie sc brisa en une sorte de rauque sanglot. II
haussa furieusement les épaules ct, sans un salut, fit mino
de franchir le seuil.
_ Roberll où allez -vous? ...
_ Vous ne prétendez pas m'avoir comme témoin de ces
joyeuses lianç~s?
.... J.e .VOl~
ai déjà ,félicitée, je crois.
Jo n'ai plus rlOn a falfe. ICI cL Je me l'OLlre.
« ServiLeur, ,mademolsello I
Ello le poursui vil jusque dans le vesLibule cL le rattrapa
comme il ouvra,it la porLo ~o la rue:
_ Robert ... , écoulez-mOl ...
_ A quoi bon .. ~
_ MaiS si , fil-elle d'un ton pl'essant. Ne parleil pas ainsi
fâché. Que voulez-vous, nous noUi:' fJommes lromp6s ... Je
n'étais pas il la h auteur ùe votre rêve. Vous m'aviez placée
trop hauL ...
_ Bn effet. .. Ai-je été aveugleI ...
Ello hésita, puis, lui glissant un regard on dessous:
_ Votre bague ... c'esl Nouchc qui J'a ... Je la lui ai
remise pour VOliS la r endre... COlte potilo vous aim!:
Robert ... , el elle vous compl'enrlra mi cu~
que moL. si
VOliS vouliez ...
JI so reLoUI'na, fmiellx :
_ Ah J lion I assez ... Si VOUf! rslimez quo jo n'ai pus 6t()
cnCOI'C surnsammonL ridicule, jo vous d6clare toul net ~H'il
y a uno limite il tout. .. J'on ai « soupé » ùe la famIlle I
Le claq)J~ent
sec de ~a porLe souligna ceLla profession
do foi IDpitlan'J, ol Mar lino sc rotr.ouva ~)cul',
('coulanllC'
r:avJ(~
du jardin.
pas cio HobcrL cru(plCr s';l~,?
_ Quel ours!. .. Ma rOIJ:1I tC'nu ma prom(·ssc ... Nouc1]!)
dira cc (lu'eHo voudra: ce n'est pas ma faule si cc garçon
('st vexé. Jr m'y uLtendais du rosto ... ll,· laiL fou (10 moil ...
BL )a !rndre i.1artine s'en fuL insoucicusfJnlcnl r,wivl'l',
d'un Irail do er3yon, la pulpe charnue de Gl':, !ôvrcs HV3J1l
de rl'gnrr!H'r la snlle Ù IlIHllgr'r.
�MARTINE AU CŒUR SECRET
971
CHAPITRE XVI
Le premier coup de midi avait à peine tinlé au carLel
placé au-dessus de la po~te
d'entrée que M. Beaumarchaü;,
le cD.issier des ComptoIrs Trévol', Crédit Commercial et
Industriel, abaissa d'un geste sec le grillage de sa cage
vitrée.
Déjà, un portier impitoyable, planté au seuil, s'appliquait
à reCouler vers la rue les retardataires qui émettaient la
timide vé1l6ilé d'entrer dans la banque après l'heure réglementaire.
Parmi le fracas joyeux des chaises remuées et des
pupitres rabattus, le personnel gagnait la sortie.
Mis en gaiete) par la perspective de la libération proche,
10 premier commis, .M . Léonce, qui exhibait au-dessous
d'une crinière léonine un visage poupin de garçon insouciant
et bien nourri, fredonna sur un air connu :
Samedi ... J'ai fait un rêCiC me/Cieilleux ...
Samedi ... j'ai planté là les Ciieux registres poussiéreux ...
- Oh! oh! notre chansonnier Ddministralif est en voix,
il cc qu'il me semble ? .. formula un timbre moqueur l
dcrrièreJui. Monsieur Léonce, vous êtesle Maurice Chevalier
de la boll1 que 1. ..
- 'l'ions, pDrbleu 1 mademoise.lle Ane.Ma~i,
co I}'est
pas,tous les jours semaine anglalso.!. .. Faut biC? que Je la
célèbro comme il convient. Quand Je penso ~uo
Je ne verraI
pas, jusqu'il. lundi, la sympaLliiquo tôto chauvo de notre
Principal, j'ai envio de mal'eher sur les mains en signo de
jubilation.
JI s'r.xcJuma, sur 10 moùo lyrique:
- Bénis soyez-vous, dansleTempsetl'ÉterniLé, messieurs
los lnsulairùs, pour ceLLe bienheureuso id6e du week-end
'lue vous avez J'ait passer par-dessus le Channel!. ..
Mais insl'nsiblc Ù co débordemenL de satisfaction, son
interlocuLrice lui tournait le dos, fort occupée, dcjà,.ù
tC'lIil' haut devant clle la glace minuseule de son sac, Landls
que d'une main presLe eUe promenait sur ses joues la houppe
parf1lmée..
,
.
AlI-deSSUS du col Clu\I(!tne, M. Léonce vil luire 1 éclair
d'une nuque parfaite, male ct polie comme l'ivoire.
Il s'assura d'un bl'ef COtlp d'œil ((ut' II.' pçre Beaumarcha,\s
(·tail très absorbé pnr 10 brossage do son vieux vcstor! qu 1.1
::oignail avec amouI' avant de le raccro("h('r li la patere ou
il dormirait jusqu'au lundi suivant, que les dctlxeIllploy6s,
7
�98
MARTINE AU cœUR SECRET
ses collègues du comptoir des chèques avaient disparu dans
c hant
sur la pointe des pieds,
l'ombre du couloir, et, ~'apro
il vint planter un baIser sonore dans le cou de la jeune
..
fille.
. ~
Il Y eut un léger cri.. . au~sJto
SU~Vl
d ' u~
bruit plus
caractérisé: le claquement d une petite mam sèche sur
une joue grasse et rebondie.
.
- Oh !. ..
_ Et voilà ... conclut Anne·Marie, tandis que, tout
p enaud, l'impertinent commis frictionn ait la place mour·
trie.
Il avait l'air si comique, tout rouge avec ses yeux efIarés
qu'ello partit d'un bel éclat de l'ire.
'
_ Avouez que vous l'avez bien méri té?
_ Bah 1. .. pour un pauvre petit baiser ...
Elle imita son accont :
_ Pour uno pauvre p etite gifle 1. .•
_ Mals enfin, mademoiselle Anne ·Marie, pourquoi no
voulez·vous pas? ...
_ J e ne veux pas quoi? s'en quit·elle, jouant l'innocence .
_ Eh bien ... sortir avec moi ... flirLer, accepter de venir
prendre le th6 ou un porto, en quelque endroit pas compromettant ... une torrasso do café, pal' oxemple... J o ne vous
do mande pas grand'chose, pourtantl .. .
Elle haussa les 6paules, agacéo :
_ Voyons, monsieur ~ éo n ce,
voi~à
la dixièmo {ms au
moins que vous, me faltos cct.le. ulmabl o proposition ...
c~ r ... J!1Ulf-l JO la docline.
C'est beaucoup d hon
_ Encore 1... pourquoi? ... le vous déplais donc tant que
ceIa?
Wle l'exam ina, forman~
iJ. demi les cils, une Uxpl'c?'sion
ind éfinissable SUl' son fin vIsage malicieux:
on ... p DS « tant que ce la » ... Plus simplement vous
no mo plail:Joz pas. Un poin t c'ost Lout.
'
_ Vous Ôlos d'uno franchi al1 ... cruelle.
Il hochait 10. Lêle u vac dépit.
Cel te Ano-~.re,
quell e 6tI'al
; ;~
nuc 1... Dopuis trois
la cou~tlsa!
saJlS q~I O ~a p~lonce
rut)amuis latls6c ,
ans qu'i~
Hon attitude VIS à VIS do lUi n av:U l pas varié une minulo.
Bonno carn~de,
pus t>oB
e us(',.~Iio
on !lPPul'ence, mais si
10inLaine parfOIS, elle lUI ap
, 'ral~
s at
toujours ausi'li « ôlrangoro », aussi jnd ~c hjr
ab l o ql . 'U~ 1 pl:omi.el' )our.
Diro qUO depuHl Lant de mOls!ln aVUlt Jamais pu savoi r
où 0110 habitaitt ...
A toules ses questions, 0110 oppos. i t coLLo ôloro"lle bonna
llUmou r, t6lue ct pcrsiflouso, qui cachail l'ilmo vôritablo.
�MARTINE AU CŒUR SECRET
99
- Après tout, vous êtes peut-êtro mariéo ... ou veuve?
avait-il .ieté une fois qu'elle l'avait poussé à bout ...
- Ni l'un ni l'autre ...
Un rire impertinent ponctuait la phraso.
Décidément M. Léonco n'était paB de force. Pourtant,
olle lui plaisait si fort qu'il ne se décourageait pas .
... Pour l'instant, elle semblait Il:! plus se souvenir de sa
présence. Elle avait enfoncéo sur ses cheveux, si noirs
qu'ils paraissaient laqués, un casque de feutre qui accentuait sa ressemblanco avec une étrange création de Foudistrait ;
jita et disparaissait après un si~ne
- Au revoir, tous!. .. A lundJ. ..
Il la rejoignit dans ]0 corridor :
- Mademoiselle!. .. Mademoiselle Anne-Marie!. .. Ecoutez-moi... Que diable faites-vous donc de vos samedis? ..
Acceptez au moins une ballade au Beis...
- Comme une midinette n rupture d'atelier? ... Mon
pauvre ami... Vous ne savez donc pas que j'ai vingt-sept
ans ? ..
- Justement !. .. Raison de plus ...
- Pourquoi?
- Pour penser à fonder un foyer ... Non 1 ne riez pasl
.Te vous parle aujourd'hui 10 langago do la raison. Veus et
moi, nOlis avons des appoint ments ...
- Romplueux 1 coupa-t-olfe, emphatiquo.
- Non ... mais sufllsants pour vivre gentiment. J'ai un
petit logr ment pas cher ... une motocyclette ...
- Assez 1 assez 1 s'exclama-t-ol1o jouant l'épouvante.
o m'écl'osez sous le poids de touto ces richesses. Vous mo
donner. 10 verlige 1•.•
11 llOcha lu tôte, déçu, avançant une lippo boudeuse
comme Urt nrant qui a le cœur gros.
- Vous vous moquez Loujoursf. ..
IWo vi t son air malheureux. Lo souriro s'e.IIaça sur ses
lôvreH.
1!Jlle frappa nmicalC'ment sur l'épaulo du jeune homme:
- Allons, allons, monsieur Léonco . no divaguez pasJ. ..
Puisque jo vous dit que c' st impo~!ble
Soyez roisonf1!lble!. .. Que diablo 1 il no manque pas hC'? Trévm: ~t
alllours, do charmantes Oflrs qui seront ravieR d'accurllltr
votre cœur, votro moto, l'npporlemont t 10 reste ...
" Hans compler qu'à netre )loque t'l' sent là des avantages qui comp Len t J. ..
a m puill, njouta-t- lie n grnnd mystl're, jc ne suis p~s
ùu tout la femmr' qu'il vous faul... Je fais lrès mal la CUI- , •
Rlne cl je n'ai jamai::; pu raccommoder uno haussoHo de m . ~
vic J...
v'
.y'
�100
MAilT I N E AU CŒ U Il SE CIlE 'r
Tandis ~l e , plantant à son amoureux ~ r a n 5 i, elle gagna it
le métro proche, le masque de fausse g a~ e t é sous lequel elle
dêrobait son vrai visage disparut so u~ a m.
Une' expression de lassitude s'ét emllL sur ses traits, les
marquant de rides précoces.
Oh 1 cett e existence incolore, h arassante, sans espoir et
sans joie, comme elle. lt. i p e3a i~ p arfois sur .les épaules 1. ..
Et c'est à cela qu'o.valOnt abouti ses enthousIasmes de jeufrémir en elle, lorsnesse , toute l'ardeur qu'elle s o nL~it
qu'elle était une p eti te fille attentive, guettant l'avenir au
seuil de la vie .. .
Mais trois années de lu tte avaient usé p eu à peu toules
ses révoltes, lui avaient ap pris l'indifférence et la r ésigna lion.
Elle reprit, en montan t l'escalier sombre qui la
menait à l'entresol modes te qu'elle habitait, son masqu e de
tranquillité enjouée, ct ce fu t d'une voix presque joyeuse
qu 'elle jeta , en p énétrant dans la salle à manger :
_ Bo njour, maman 1. ..
M.me Châtelain-Pré vôt li sa it près . de. la lamp e, cal'
l' a p a rt e m ~ n t donnan.t sur la cour é t a ~t SI ~o mb re que p ar
les jours grIs on deva it a llu mer en plOln mIdi.
- Tu eS en r etard, ob se ~v a- ' L- e ~l e , cp p osant ses lèvres
sur le front qu e sa mIe lUI t endaIt. Cl émence est p artie
fnn' S l'vil'. Bile a laissé les pl a ts dans le four ...
_ Ne vous inquiétez p as ... je v ais m' n occuper s'emp ressa la jeuM ml o, en s~ hâtant d'enlever Son c l~ a p ea u.
glJe revint quelqu es mmu tes plus tar d, apportant les
plats qu'elle r angoa sur la t able, ot s'assit en faco de sa
mèr e.
- Hi en de nouveau ? s'enquit ce LLe dernièr e, on aLta quan t
le fil et de bœ uf eL les pommes sUlltées .
-- Non je suis contente d'ètre libre cet après- mi di. J e
p ourrai vous acco mp agner dans les magasins, si vous vou Iez choisil' votre volours.
Mme Ch âtelnin- Prévô t h ésita :
- Ah 1 tu ti ens touj ou rs il cc quo j'aille il cette rûto de
clt ariLô? Not re douil ost en"or o si l'écon t ...
L es yellx do Nouche s'assornbri-:cnt :
_ Quat re ans ...
Une mi nute, elle évoqua la ch iJre I1guro du di ~ p a ru ... ln
maison do SOli onfa nce qu'il avn it fallu vend re a près le
dr ame car les arTaires do 1\1 . Pr6vô t. qui (tvaion L péricl ité
durant' los dernières arméofl do sa vio, étaient fo rt m al en
p oint.
C 'l~t
à p(. in e fi i Mmo Chnlcla in avait flil UVU II"
<1 101(1 11 08 nlllli ('l's de f r a l e~
qui lui aHfiU
r " i (~n t 1111 /) r \; n Lo
�nIAnT1NE AU cœUR SECHET
101
suffisante pour qu'elle pût vivre à Paris et y fréquen'.Cl'
ses relations d'autrefois .. .
Heureusement, il y avait N ouche ...
Car cette Nouche décriée s'était soudain révélée COUl'êlgousc et dévouée. Pauvre petite 1. .. La mort de son père
et le désasLre de la scierie 10. privait de la dot qu'elle aurait
pu avoir et qui aurait aidée il l'établir.
Elle avait dû chercher une situation, renoncer à la
musique qui la passi onnait, à toutes ses folies de gamine
t'xaltée et s'adapter aux exigences d'une existence nouvelle,
dépourvue d'intérêl.
Cedes, 11 me Châlelain -Prévôt eût pu continuer il habiler
Chartout. Elle y eut v.écu plus économiquement quà Paris,
mais sa dignité ne lUI eom!llandait-elle pas d'abandonner
ces lieux, témoins de sa ru me et de ses déceplions? ..
ne réussirait-elle pas mieux
De plus, il Paris, A~ne-Mari
que dans ceHe provlllce dépourvue de ressources?
Sans un mol, Anne-Marie avail suivi sa mère, et elles
s'étaienL installées t?utes deux dans un logement modeste
qu'uno ancienne amw de Mmo Châtelain lui avait procuré.
l'anci en hôlel occupé iad:
~ par la
Cola ne valnit ~as
fomme du grand clnru rgi Cil , cL cetL<! dernière s'6L;.:ü plainte
amèreme,nt, au début.
PuiS e110 s'était habituée. Elle ne mnnquaiL de riell,
Anne-Mario lui remettait régulièrement co qu'elle 1;3!)ll<Ît
fI la banque Trévol', ce qui permettait à Mmo ChâtelainPr6vôt J'a voir une fomme de ménage qui assumait les gros
travaux, cL, une fois par mois, aux réceptions intimes, revêlait le Lablier blanc el 10 bonnet et jouait tant bien
~ue
malle rôlo de femme de chambre, détail qui flattait ,
1 orgueil do sa maîtresse.
été n.om~1
gt;â.co ~ des I!rote~.ins'
dans
J acques avi~
un poslo 10inl.o.lll, mais plem ct avenJl' où Il 0.1'1'1 vermt à ::;0
lairo une silualion.
Quand à Martine, mon Diou, clle avait ?lé assez chic ...
Ello avaiL abandonné il sa mère, suns hésltor, la parl q~i
lui revennil dans 10 petit h6ril~ge,
- si climinu6! - du
docleur Chalelain, qu'elle dOV(llL loucher au moment ùo
son mariago cl qu'il la prière de S 1 mère elle n'avaiL pus
ré lamé alors .
C'était là alors un lleau geste ... 11 n'y avaiL pas il 10
nier ... 11 esl vrai qu'Ale-~aio.
avait a~i
de même cn CI'
qui concernait l'hôritage, hJf'n falhle aUSSI, de 1\1. Prévôt ...
lITais c'élait assez naturel, n'cst-cc pas, puisque, désormais, rlle Ilahitnil Il vec sa mùre ot promall du bien-être:
quo coUr d~rlï
J'C rai~
, d'
l'ôgllor d .. lls 10 logis ...
�102
MARTI NE AU CŒUR SECRET
- 11 Y Il une lettre de MarLine, annonça Mme Châtelain,
arrachant Nouche à ses pensées.
- Ah? .. Elle va bien?
_ Oui ... 11 paraît qu'elle a eu un s u c~ès
fou ,à la Redoute
Bleue. Ello était en Schéhérazade .. . Elle m annonce son
dép art prochain pour le Caire. Nice, paraît.il, devient
impossible à l'approche du Carna vall .. .
_ Pauvro qhérie 1 go ~ a iIl a .Anne-!\1ario sans que Mme
Châtelain puisse saisir l'm.tenhon r,J111euse qu'elle meLtait
dans ses paroles, elle qUI a horrolll' do la foul o, je la
plains 1•••
Mmo Châtelain demeura un insLant silencieuse , 10 fron t
barré d'un souci;
_ C'est égal, formul:vt-ollo au .bo?L . d'un in.slant, je ne
comprends pas ta sœur!. .. Je lUi al dit <tuo JO comptais
aller il cette fêle de charité. Co n'est pas qllO j'ai )e cœur
il l'amusernent. .. Mais je suis dame.putronasse do l'œ uvre
des Enfanls abandonnés ... no l'oubl1ons pas ... J e dois surmonLo l' mes répugnancos .. .
_ Certainemenl, mère. Vous avez raison. Et puis vous
devez bien vous disLraire un peu...
'
_ N'es t- ce pas? s'enquit ingénument ) veuve. 'l'ai, lu
as ton bureau .. .
_ C'esL vrai 1••• J 'ai mon bureau" s'exclama Anne-Mario,
ironique.
. .
'
.
- Moi, ùparL mesvlslteSIJen,eprcnùs Jamais ancun plaisir.
Nous ne sortons paa ... nous. n uJlons p:.\S uu Lhéâtre ...
« Eh bien, Martine qui sail Lout ce lu, au.rail pu tie rappeler que mon manteau de four
~; !" c s il besolll ùe réparations
.
cl quo je n'ai pas de l'obo do sOlréo...
« J 'ai scrupule à prendre l'argent sur notro budget du
mois. Tu as des chaussures il L'acheter .. .
llésiLanlo, elle rega rdait Anne-Mario.
~
r.Ja
i ~ , maman.. Ilt-elle inEi.oucieuscmenL, je les achùlc.
rai )e mOIs proch~ul.
Jo no ~al.
p~s.
au bal, moi ... Je poux
aUcmd,rc ... ~9 u s Irons co sOIr 'holslr votra velours ...
- l u cro Is? ...
_ Ou... Fanny vous forll ça sur le modèle do volre robe
de saLin pour un prix modique. ~t vous sorez certainoment tl'ès él6ganto, v"us verrez 1. ..
il! me Châtelain sourit ;
_ Oh' W'gallle .. . si lu savais comme ces poLites snLiRfaclions d'amour-proprc me lais3enl fl'oido rnuintcnanll ...
~ r.H'
Après los épreuvos quo j'ai lraves
Bile hocha ln tôle, doulo ure1lso flL amollie.
Anno-Marie sonllL venir l'heu r" dos habituelles récriminations. Elle y co up a court ;
�MARTINE AU CŒUR SECRET
- Oh! mère, ce n'est pas le jour d'être trisle! Vous
allez téléphoner louL à l'heure il la Présidente que vous
serez d(\ la fNe et qu'on vous réserve un comptoir.
Mmo Châtelain acquiesça avec un soupir. li lui répugnait
de céder trop vite et d'avoir l'air enchanté.
- Allons 1 je ferais encOro ce sacrifice ... Au fond si je
m'y décido, c'est pour toi, bien entendu,
'
- Pour moi?
_ Naturellement, s'irrita Mme Châtelain. Je m'étonne
flue tu no 10 comprennes pas. Si jo fréquente encore ce
mon do où notre situation actuelle ne nous permet pas de
faire figure, c'est pour tâcher de t'y découvrir un mari ...
~os
don~z
là une poine bion
_ Oh 1 maman, ~ous.
superfluo ..Jo vous DI dOJa dIt que JO ne tenais pas à me
marier ...
commo ce~x
gU? tu vois tous les
. - A voc un rond de c~ir
,10urs, il lou buroau? D accord ... malS SI JO te trouvais un
boau parli?...
.
,
_ Inutile 1 coupa la Jeune mIe d un Lon Sec ....Te suis
hien ninsi ol je no ti ~ ns pas à mo compliquer l' ex i ~te nce.
No parlons plus do ccu, vou!ez-vO'\]s, mère?
M me Châtelain, vexée, regarda sa nJJo el, haussant les
opnules, pl.'onç~
cotte phrase dont. olle ne saisit pas lu
trnglquo cocassorle :
- Oh! toi, tu n'as jamais cu de cœur!. ..
CHAPI TRE XV IT
On avail choisi le velours, un velours souple ct Soyeux
.. qui dropaiL nobl emenl los rom~s
de Mmo ~liftea.nPrévô
cl ra.isait dire il Fanny, la pelIte oulurJùl'O qui Venait à
donicilo oxercer son a.rl :
_ Madamo aura grand air là-dessous ...
Do faiL, Mmo Chatelain étû: it encore .bello. Los annécs
avai nt
écoulées nL cc qu'ollo appelaIt ses « ()~roIlVCS»,
glissé sur ello suns l'~tcmdre,
et en,depll do co besoin
qu'ollo avait do Ae plaindre ot do $0 r~ptHld'e
en lurncnlil1ions, il cortninf's houres, eUo gal'dUll, malgl'o. Jo double
vouvago qui la laissait dans la gCme, une olyrnplCnno s(:ronilé.
Copendant olle s'activnit aux préparatifs de lu fête, no
manfJuaiL pds une des s(-ances, ~ doun ail .un. mal ino~ï,
avec un enthousiasme, uno fébrlht6 qui fUISUlOllt sourIre
Anne-Mario.
Ln 50ir60 de hienfaisance devait avoir liou ù l'hôtel de
Mmo d'Arcueil, la pr6sidente do j'œuvro
�10~
MARTINE AU CŒUR SRCRET
Un soir, Mme Châtelain rcyint de chez" cûtte bonntl
comtesse ", comme elle disait, tout émue et trépidante.
- Anne-Marie! ~pela·t-!,
depuis l'antichambre,
car elle savaiL qu'à cette heure tal'd! ve sa fille devait être
rentrée du bureau.
Celle-ci, fort occupée à surveiller la co~fetin
d'un
entremets dOllt elle voulait pr6puI'or la surpnse il. sa mèro,
accourut:
-
Qu'y a-t-'l?
"
,
- Une nouvelle fit MmCChûtelam, essounee en enlevant
son chapeau . Oh 1 j'a suis venue à, pied el je me suis fatiguée
terriblement... Que les gens qUi ont une auto sont dOllc
heureux 1... Dire que je suis obfigée ~'éconmise
nn taxi.. .
- Ehl bien, la nouvelle? s e~qUlt
A.ne-~arlO
qui sentait sa mère s'égarel' sur le Lcrram des JérémIades.
- Ah ... Mmo d'Arcueil compte sur toi pour chanLer."
Oui, je lui ai dit que Lu ,a vais, une as~ez
jo)ie voix ... qui ne
vnu. pas celle do .I\1artmo, c est vr::ll, maIs nOn. Ces gens
sn'on t indulgents .. ,
« M puis, ajouta .. t-elle, en se laisr,ant lomber dans le
faut~il
s~n
s'apercev?ir. que .10 .v i ~ c\ ge
de. la jeune fille
s'éLall su1J ILement durCI, .le lU! ,al dll aU.S5l que tu avais
com posé dans le temps de petits machms ... et que tu
t'accompagnais sur la sl:io .... Drôle d'idée, mais il paraît
quc ça plaira 1. .. Alors, VOIlà, lu feras un numéro, Je mo
Hors de l'expression de ceLte bonne comte~s,
et. on .teplaeem entro le danseur russO ct MllO LherblCr qtIJ dOIt rccileI' des vers de Victor Hugo ...
« gh hicTl, tu n'es pas enchantée?
La voix d'Anne-Marie riposta durement:
- Je n'ai pas à être enchantée. 11 n'y a du l'esLe pas de
quoi, J e n'il'Ui pas.
'
- Tu n'iras paf} fil Mmo . Châlelain suIToqu.ée, en tournant vers sa ~lc
1 JlLer.~g:1tOn
de ses prunelles arrondies
de stupeur. El ~Ol1'quo!?
Quello moueho Lo pique?, ..
CJU? j O no veu~
pas me produire en public ...
- :~ar(;o
- le prod~l
on pu1Jllcl ... Mais co u'est pas se pro(luiI'O en public que d'accord or Lou concours à uno fûte de
bienfaisance.
- Jo suppose quo je ne chanLerai pas devant les ban(Illettes?
- Naturellement ... Tu exagèl'es Lout. Je veux diro lJu'il
n'y aUl'a (/nn!! la salle quo dos gens connus de nous et" qUI
SI:'ut tout il fait (~ispoé
Ü l'indulgtlll'(' ...
tort peu do l'indulgonce ou de ln sévé- Jo me ~OUCI
l'iU' dos invJl6s de M100 d'Arcueil. Je n'irai pn.' chcz diL'.
Inutilo d'intih:ikr.
�UARTIliE AU CŒUP, SECUET
M mo Châtelain s'agita sur son siège comme une grosse
mouche prisonnière:
_ Ah 1 ça, veux-tu me. dire ce gui te prend? Tu
devrais être .flattée qu'on ,aIt pensé à t?i.. _ Sais-tu que
beaucoup de Jeunes filles d excellente famille sont au programme? Il Y a ~I[le
Arna~d,
la fillo du sénateur ... Campan, deil automobIles ... JullCtte de Barluc qui joue du violon
il ravir ... ct Alice Higgins, qui fera une démonstration de
mah-jonh. T'imaginais-tu donc être en mauvaise compagnie?
_ Je n'irai pa~
1 s'.entêta Anne - Marie très rouge.
_ Quclle obstll1atlOn! As-tu quelque bonne raison à donner? Aucune, n'est-ce pas ...
_ D'abord, je SJis au bureau, et je n'ai pas envie de me
coucher il l':.JUforc ...
__ POUl' une fois, tu n'en mourras pas. Mon Dieu que
celte petile est égoïste! soupira Mme Châtelain en levant
les yeux nu ciel avec une expnssion de martyre.
u D'aill eurs, t.u ne peux ~efus.
e r ... Je me suis engagée
pour toi. M mo d'Arcueil a faIt faire les programmes ct ton
nom est déjà inscrit.
__ Mais je ne voux pas! s'irrita Anne-Mario prête aux
larmes. puisque je VOliS dit que cela m'est odieux, insupporlable ... , que l'idée de parader ùevant tous ces inconnus
me crispe li l'avaJlce 1 ün ne poul ùonc me laisser tranqui Ile il Ja finl. ..
HI'l!squemcnl, elle éclala en sanglots ct courut calmer
son énervement li la cuisine .
Mmo Chflteluin laissa passer l'orage.
IWe avait puur habitude d'accepler l'inévitable ... en
attendant de le faire servir il sa canse.
revenait à la e~HrB,
mais cetto
Unc heuro après, ~lo
fois, douce, persuasive, elle, c.rnployalL les moyens le'
plus propres il Iondl'D cette reslsLunce achurn60 qu'on lui
,opposait.
.
; Anno-Marie no cécla que le sl1rlendomalll, excédée, à bout
d~objctins
el de négations, ct pri~l1t
l~ ciel P?ur qu:iJ. I1li
onvoyât, d'id là; uno bo~n
malaclle qUI l'empocheraIt do
"
pura1tre à la fameuse so!r60. .
Aussitôt Mmo CItûLelaHl, tl'lomphante, s'offl'lt il lm Iaira
u numéro », cc (lui mil Anno-Mario dans une
répetc)' so~
furieuse colère.
.
_ Vous ne pensez pas, crHl-l-elIe, ()Uo j.e vais perdre
mon temps il apprendro dos mOI'ceaux ct à serlller des chanSOIl~?
.. Je ch:.lIllcrai une fois.. lIne seule ... la p!'omi oro
choso qlli mu viendra :1 l'esprit t'l donl je mo fiouvienne,
('1 rj'ils Ill' sont par, cont n' f.: , cr sorn 10 Trl"nW prix.
�106
MARTINE AU CŒUR SECRET
C'éLait plus quo n'en domandai t Mmn Chûtolain. Cette mère
connaissait assez sa fill e pour savoir qu'elle ho
voudraIt pas êLro ridicule devant une foule assemblée
ct qu'elle (( travaillerait» sa partie de façon à so tirer avec
honneur de l'éprouve .
Aussi put-ollc écrire à Martino le lendemain:
obsLin6~
AllIle-Marie ri été sollicitée pal' la comtesse d'Arcueil
pour êtrc inscrite au programme de 8a fêlC du dimanche 12 ...
Elle fera un numéro sensationnel, chantera et jouera de ces
instruments fantaisistcs dont elle Mait la passion jadis ... Ce
.çera très gentil. Si elle poufJait être remarquée pal' quelque
riche irwité, ceserait une ()raie chancc pour elle!
*'" II'
Anne-Marie fut bien oblig6e 1 l'avant-veille du fameux
jour, de so pr60ccuper do « son numéro »_ ..
A sa mèro qui sc mettai t en souci pour sa rObo, elle
a voit ,'6pondu, revôcho : « C'est bien assez bon pour o.muser
le pubIic ... »
Co soir- là, réfugiée dans su chambro, lasso inflnimcnt
eL tristo, elle ne savait pourquoi, ollo fouilla l'armoire aux
souvenirs.. .
Dos chomises do co.rLon , qui onfermaient des papierA
épars, s'elTeuillèronL sous ses doigLs . .11 lui /:lembln qu'elle
ouvl'nit des cel'cueils ... les cercueils où ollo avo.iL, un jour,
dlipouillû sa jeunesse.
.
gUe n'avait eu tout d'aJJord J'intentIOn quo ùe choisir au
hasard lIll morcoau quelconquo, 10 premier qui lui viendrait sous lu main.
Où galopait sa
m vom qn'il s'élovaiL, de ces f O~l iJIotfl
grande ûcrituro capricieuso d'au Lrefoli:l, tout un pUl'fum do
prtflAI'l qui lu grisait commo un philtre.
1.'ècri Luro s'était assagie ... cornlfie son crour. L'adolesrcnte aux aspiro.Lions immenses qui rùvait d'art, do beauté,
do ~é(tlia.Lons
magniCJle~
(,Lo.iL dovo.nue uno petite bureaucri\~C,
sLrlcto eL notto, qUI, Lous IcH .Jour!:!, punch60 .~ 1l' les
livres inélégnntH, alignait d('~
('hlf1'r'l'll on nns caractùres
précis.
m l'amOUl'CllSC do soize (triS, celle qui couraH los boil{
('fI tennnL LI ÙOUX mains sa poi L
rine palpitante, brusquoJnl'nL alourdio d'un l:iocret floulouroux rt chor, s"'Lait transformé" en UIlO prCRfjUO vieille flllo ... calme, raisonnablo et
foi!;onrIUUSI', donll'Idénl n'll11uiL pUfl plus loin C'Juo l'augmcntllLlon dos [Ippointemcntfl do firl do mois, ou le souci
do monter on grutlc, un jouI' procllaill ...
�~IARTlNE
AU CŒUR SECRET
iD?
Au fou?, jls n'ét
~ i e ut
pas mal ces « petits machins »
dl.salt d ~ d,ugne~s?t
~ ma
Châtelain, ces o.ir~
.
ou chantaü son a!Ue de JadIS et qu elle adaptait, d'insLinct,
av:ec une l'are SCIence du rythme, aux vers qui lui plais::uen t. ..
A cette 'heure, serait- elle seulement capable de les
écrire à nouveau ... , de les, c.omposer, dans uno explosion
N o ~ , c.ar el~
n'avait plus
de joie, ainsi qu'elle a v:.ut f a ~t?
la foi ... En elle, la fiaIl}m o dIvme s etait étemt e 10 jour où
ello avait enfermé dans .le secret do cette armoire close
toutes ces folies d'autrefoIs désor mais inutiles ...
Amour ... enthousiasme... bonheur, ... mots merveilleux
rayonnement, qu'elle
que la jeunesse éclaire de so.n ~ur
vjvifie de sa chaleur commumcatJve, qu'elle grandit de sa
,
propre exalLationl."
IIMas ! la vio est là qUI se charge de souffier sur le beau
fOYOl' aux Lons d'au
, ~ or
: .. de chunger en cendres inutiles
Id braise couleur ct 1I1uSlQn, ..
Pourtant, on 50 faisait d'olle Lant de tableaux radieux 1
On l'atlendait. avec une ferveur folle ... ou l'abordait avec
deJ rêves ... do lrop beaux rôves! ... Cinq ans ... six ans ...
dix ans ont passé, et on ne so retrou vo pas plus danB cette
im ago pillie, que d.ans, un.e rob,e p ~ ri méo
. .
Quoil Aune- MarIOd 0uJourd hUi, est- cc hiOn là la Nou
c h ~
rio dix- sapt ans, la « pocheuse de lune ", comm e r app elait
la vieille P a uli~
e ? : , N'as -tu pas envia.de sourire en te rappelant ses CSp Oll'S lI1sensés, ses crédultt6s, sa sentimenta JiL6 bébêLe et cetLe façon qu'elle <.\ v:.tit d'ouvrir' les bras oL
cœur comme si ollo vou,lait étrein?re lt;\ Vi?? .. la via qu'on
voit, avoc sos ycu;x d'o!llant oLson Ima
g .l~ a tIOn
rom:mosquo,
C'ommo nno féo bwnfaJsanLc, une maglclenno puissant e et
honne, (Jui n'os t auil'e q~'un
o. p 6 d ago
? e .revêche, si hou rousO d arracher leurs mlos u nos chlmeres !.,. Oh 1 cil
s'y reprend à plusieul's fois, hœbilement, impitoyablement.
Ce sont d'ahord tle p'etils cra ctll?mcnLs" des ét?nnern cnLs
do uloureux, des déchn'eme.nls Jl1fI IIlCS. Ce que Ion attonda it n'osL pas vr.TlU ....ou bIen ost v o ~1u p.our une autro qui
Ile le méri Lai Lpas. q~l
n'a 'p DS su VOU', m co mpr ondre.
EL on se diL, ce Jour-la, quo le bonh eur a passé sans
un d6scspoir
profit r OUI' pe r so ~n e .. : aL on écou la ~vec
muot S éJoi!fncr Jo ll'éf/llSSemcnL de ses ?lles. ,.
Ainsi de fdure en fêlure, on use SOil ame nenve, on l'use
mu mo ; i {or L (/U 'à rolr.o uver ~rus
C[u c m cnt
, enLre ~r.s
p a~"s
d' un livre ou ( ' 1I1l cuIller, un IfIstantan6 do co LLe anto , dix
;l TlS plus tô t, on ne lu r.ocol)nalL plus ... et ['on est pr is
d'uno OTlvi e abs urdo de l'Ire aL de plouI'er, los do ux à la
fois .. ,
C9mme
�nU.nTlNE AU ca:l:n StentT
Mais aujourd'hui, Anne-Marie se contente de songer c.n
pressant machinalement sur son cœur une reliure précieuse
que sa main vient d'aller chercher en haut des rayons,
dans l'armoire complice, un livre où sourit un jeune vis:lge
grave et beau, au-dessus d'un titre cn leltres golhiques :
Co/tUne on chante cl pingt ans ...
CIIAPl'l'RB XVIII
Robert Piémont éLait descendu il l'hôte! des Ambassa·
deurs.
Naguère, au cours des brefs séjours qu'il fais~
à Paris
ùurant ces dix années qui venaient de s'écoul?r, 11 ne pensait qu'Li une chose: expédier en hâte ses ammcs ct repartir au plus tôt pour le lJlod.
.,
Cotte fois, il était là pOllr un moi s, dIsposé a s'amuser,
il vivre confortablement eL à profiter d.e Lous J ~s plaisir;:;
ÏlItenses autanL que variés, qu lui oITrlll Lla capllalo.
Il avait débarqué à Marseille, huit jours plus tô!, ct
-:ltait vcnu il pditrs étapes, heureux de Il'GLre.poinL \J1'\Jssé
et do flâner ü l'aventure, insoucieux commo :ù!u'él:uL paf;
HobarL Piémont le husinossman bien connu, dirccleur do
i fère, la pI'cmiol'c alTaire de l'AfrigUl1
lu Compagnie l'~ro
du Nord ...
Ce maLin-l:i., il s'éveilla dispos.
.
.
gn pyjama, il courut à la salle de ~ >:'lJns
, esqUlssa quelques 1ll0U\ emcl1 Ls de culture ph yslqlle - son pre mi l'
souci mUlin;1l - admil'Dul uvec unu secrèle complaisance
lu silhouetle MLie ('II f~rce
que refl~tai
la glace.
- Allons ... Jo. colonJC me réUSSIt assez, murmura-L-il
saLi~f.
.. cL ~a ql1~.';ILai
qui n~e
monue(' nn lllL' Lrnit~
pao trop )!1al JU~(I
Jl' l. .. J)ll\blc 1 c est que j'utlI'ai hienlôt
[renLe-bUil uns ...
1
II domeura lm i!l~;tU1
s.ongclIl', rrgnrdanL RCS tempes
lùgùl'cmenL dégarnl('s. 11 lIssa ses cheveux d'une Inlllll
l'xpcrLc, s'.1JlpllqUDllt, ù dissimuler ceLle pl'emil!re aLLeinto
les nns, puis avec UII peliL r,iCflolemcnL llIoqllenr :
- BaIl 1 esL-c(' CJue ça comple" ...
Bt faisant jOllor S08 arliculaLions avec uno faciliL6 dont
il s'émerveilla 1l1i-nll'me :
- Allons, je suis un llommc h('Ul'OUX .•• ct d'exeûllenLc
humeur ... La honru humeur, il n'y a que ça ... .l'ai fuil
('.pUtUlltc, un voyage trl~R
ngrt"'ublc, j'nj
uoe travc.3(~e
laissl' mes bourlS en roul.e . Pl.'flU 110IlV(', âmo nCll\'C',
lllWW)"S nr'il f:;, la sel!loine d6mal'I'u cn soup lesse . l'roOlon"
de!] jUlI!'; ,!"i l'.~,
".1' .
�109
MARTIN E AU c: œUl\ SEC n CT
- Entrozl crai-t-iI, répondant au valet de chambre
qui accourait à son coup de sonnette.
« Vons m'appod ez le courrier ?
- Oui, monsieur.
- C'est bon ... J 'arrive.
11 rejoignit dans la chambre le domestique qui tirait
les rideaux: et servait le déjeuner .
- Ça va ... J e n'ai plus besoin de vous ... Ah 1a ttendez ...
Téléphonez à l'Opéra .:. Jo veux: une loge pour ce soir ...
Et il ajouta p our lUI :môme :
_ J 'ai envi e d 'e nt e fo1dr ~ de la belle musique ...
11 pensa:l la « petIle Jel!-ne femme» refl r:onl rée sur le
bateau ol gu'il s'était promIs de revoir, et il sourit :
_ Jo dOIS avoir sa carto par là ... sa souvin t -il... Elie
m'a dit qu'olle étai,t. « ~ a n s .I ~ couture» ot li bro à par tir
do sept heures. J e 1 mvlteral a soup or el l'emmèner,ü au
théâtre. IWo acceptera sûrement.
Sur 10 pl ateau du d6jeuner, un paquet do lettres attendait son bon plaisir.
11 écarta les lettres d'affa ires , tomba en Grr ût devant
une large enve loppe blanche timb.r6e do Nico :
furieux que je ne
_ 'l'ions 1 co c h ~ r . oncle.:. 11 dOJt ô~ r o
me sois pas :l l'~ e t c à NIce com me. 11 me 10 demandait.
~ [ll'rl v6
il multipli e les
Depui s qu e je S UIS un « hom
inviLuUons ... Ah! c'es t beau la !orLu ne 1. ..
Il allu mait une cigarette, avec cotte précision, cette
ass urance de mouvemenls que souls possèdent eCl'tainc;
Il ommes qui ont mat6 l'existence.
Il décac hela la lett re, lenlemenL :
_ J e no serais pas fâché de savoir ce que devien l la
be ll e ~raLine.
Je parie qu'elle a grossi L qu'olle s'habille
mal... A vingt ans, elle était joli .,. La trenl aino n'a pas
(!fi l'om belli r ...
« Ti ens 1 ils vont au Cai,I;? .. l :on
~ e idée . Il il perdu sur
• Kalli... M'6tonne pas .:. Sil .m ~ ~m L 6.couLé ... J? lui ai
do nné 10 tuyau quand Il falhu f. . LanL pJ ~ p OUl' lu d ... Il a
des do ul eurs ... Pauvre homm e. La mort do tan Le Ar man cline Il dÎI êlro un rude coup pour lui. Sa f ~ m
e rJoiL lrè;;
ma l le soignel' . m puis, il c~ m
e n co li v ieillir ... So uhaitons
quo l ' I ~y p lo lui fasse du I.ncn ....
« !dtoilfo:, bon 1 Un mo l de Mal'Llllc.
)l ,
,( ;l[ 011
« JI!
I IC
chc!" Roucrt,
peux [las m'hab illlcr cl d irc« mon chcr
n C()ClL
» •••
•J,. te eroi[;l Ça lui donne, comme OH dit, de la
i doil l'Ll'c horrill lclT1 1.mL vc:ée quc
u bou',l.'ill" Il ••• 'Wc atl5~
�110
MARTINE AU CŒUR -SECRET
je n'aie pas accepté leur invitation. Merci! Nice à cette
époque, ce doit être intenable: c'est plein de métèques ...
« Vous deC/riez aller "air maman ... et ma sœur Anne-lY.larie.
Elles C/i"ent très seules, très retirées ...
Il répéta machinalement: très seules, très retirées ... tandis qu'il ~horcait
dans son .souv.enir l'ima.g~
de cette
Anne-Marle dont 10 nom ne lm étaIt pas famiher ...
- Anne-Marie ... Anne-Marie ... Ahl mais c'est Nouche,
parbleu '. Drôle de peLile bonne femme 1 rWe n:ost donc
pas marIée? Au fait, elle n'étaU pas bello ... et 51 ~som
mante! ... Mais elle avait été assez chic avec mOl, si jo
m'en souviens bien . l\près .Lout, je ne serais pas fâché de
la revoir.
« Oui, mais il y a la mère ChâLeloin ... Quelle plaiel Ce
que cette femme a pu m'être antipathique, autrefois 1.. .
Mon oncle la diL complètement ruinée. l! paratt qu'oHo
tape Loujours Martine. C'('st drôle ... m(.\lS cela no doit
point faire sourire l'oncle François 1. ..
« Voyons, où perchent-elles? ... Avenue du Maine ...
C'est au diablo.
« Enfln, on v('rra...
.
Et Robert Piémont, plont.:mL lb. pour l'instant ln lettre de
Martine, sc mit insoucieuSeT)1enL à sa tOIlette.
. '" '"
Rober!. avait forL bien retrouvé la carto de «la
petite jeuno frmme » du 1at~u.
li avait même été mis
au courant pnr la même occaSlOn ùe son numéro do téléphone.
- Aujourd'hui dimanche, elle est peut-Otre libre l'aprèsmidi? songea-t-il en d6croc]lunt l'appareil nickelO.
Ma!s la « potiLe jeuno. femme » n'était pas libro. Elle
promil cependant de rejoIndre son aimable r.ompngnon ,
vers dlx heurrs, dans la loge 7, ct do SOUpOl' U voc lui,
après ]0 spectaclo.
- La vie ost belle! conclut Robert en quiLLant lu
cabine téléphonique.
JI M s'ptait jumais senti uussi lértor, aussi dispos6 Ù
mordre il l'existence avec des denls a~ides
et sol idos .
Quoi l"oufTro ontre l'homme qu'il était uujourd'hui,
cynique, insouciul!t, décidé à profitor do Lout sans jamais
ri~quc
rien do !tll dans aucune aventure ot le rimailleur
bMnnL, prosque famélique, qu'il avait -té . EnOn, il avait
compl'is le vl'ni sens de l'exisLencel ... Il 6luiL arriv6 ù se
�MARTINE AU CŒUR SECRi!T
débarrasser dy I?icrobe se~t
im ent.
Quel progrès et comme
tout, depuis, et:llt de:,enu sImple 1 ~omn:e
il était lui -même
devenu fort! On allaIt cherche:. bJ~n
101ll .le secret du bonheur .. . Le bonheur, pourt~n,
~l etaIt pas djfficile à réaliser:
beaucoup d'égoïsme, de l espflt pratique, des visées purement matérielles et cette assurance immense que donno
l'argent.. .
..,'
.
_ Après tout, 51 J allaIS avenue du Mame? se demandaL-il, en achevant l'énorme cigare par quoi il terminait son
.
repas.
..'
11 paya l'additIOn, laissa royalement ymgt francs de
pourboire au garçon ct nt ap~lcr
. un. taxI.
JO :'Iens avec ma voiture.
L::: prochaine fois, songe~-tl,
A quoi servirait une Roll s, smon a épater les populations? ...
Mme Châtelain était seule quand on sonna à sa porte
seule dovant la robe qu'on venaiL de lui apporter
qu'elle devait revNir le soir ... pou,r la fameuso fète.
_ Anne-Marie aura encore oubh6 ses clefsI grommelat-elle en allant ouvrir, la mine maussade.
cc Tu pourrais tout de même penser ... jeta-t-elIo d'un
ton ù':Jgacemont.
.
. ~
,
Mais clic s'Illterl'Omplt ausslLot, s apercevant de sa
mépriso. .
.
.
_ Oh 1. Je vous den:ande I!ardon, monSlCur, JO croyais
.. Vous demandez?
quo c'éLaIL. ma f.llle qUI ront~).
.\u soul'Ire aImable do llllconnu, clio comprit quo co
v isitour n'éLait pas tout il fait un étrangor.
uno voix au
_ Vous ne me reconnaissez pas? dcm~J[lajt
limbro grave.
IWo l'oxamina mieux ... cherchant à Illottre un nom sur
l'C Il traits qui, à pr6sent, lui semblaionL familiers.
_ Martino m'a donn6 votre adresse, oxpliqua-t- i! pour
rompre le silenco ombarrassant.
Co nom amena un trait de lumièl'o :
_ Monsiour RoberL 1. ..
Abul'ie .lVlmo Chntelain s'empressait l
_ Oh" suis-jo sotte de ne p.as vous avoir roconnu I Tl
fuit si somhro rlans colte antJchnmbl'o. Entl'oz ... ontrez
vite, jo vous prio. Votre vist~
ma fuit réellement plaisirI ...
Blle Je précùdait V?fS 1'6 t.I'O 1t, salo,1l ellc.omhré de meublos,
vPHtigrs d'un auLrrfols plus fOl tun6 .
.l!JlIo lit jaiJIir la lumiL
' ~IJ,
vlnL vors l'li, les deux mains
tendues, ·ordia Io eL pl'.ohxo :
_ Ah I m uiJlLeoanL .le vous J'oirou vo 1. ..
_ Jo dois nvoÎr challgli? sourit-il.
_ Oui. .. c'est-à-diro ... à votre avantago.
ct
�112
MARTINE AU CŒUR SECRET
Il goulilla :
- Curieux erret de l'Cg(' ...
Elle rougit.
- Mais non , vous n'aVl ; pas vieilli ... Vous vous êtes
transformé. Vous êtes un homme maintenant.. . plus un
gamin... ct un homme qui a joIimenL réussi, si j'en crois
M arline et François? ..
- Pas mal, acquiesça Hober t, non sans une secrèLe
sa lisfaction .
Il ne lui déplaisait pas d'écraser (~e sa situation présente
~et
femme qui l'avait tant dédaigné jadis, trop pauvre
pour sa fille.
1\[ mo Chii.tdain tOllssa ... Sans doute la même pensée lui
avait-elle tJ;nyersu l'esprit, ct fo.is,.ti t-elle un retour amer
sur elle-même .. _
- La vic change, mnrmma-t-ello srnLencieusemont.. .
La roue tourno. Elle en écrasr plus d'ull.' ... yoyc"/. .. .
Son geste désiJbus0 wontrait la médlOclltô des choses
autour d'el!e.
- Voilà où nous en sommes, nous! articula-t -elle avec
acrnblemcnt.
Il so tut , gêné, puis s'enquit :
- Mademoiselle Anne-Marie n'cst pas là?
- Elle rst 'lllôe parler ses instruments che"/. Mmo d'Ar·
,t/l' il... la comtesse d'Arcuei/. .. a v nue du noulo .. .
Blle nvait pronollcô lo titre en so rengorgoanL, avec un~
soudaine vamté. lŒe non plus n'était pas fûcMo do monirOI' il. HobcrL qu'cll(; gardait ùans Sil rnisùl'c qUO
l qU~
l
relations IlnLt"uscs.
llll l,IH, ajouta.-L-cHe, vous nI' savez-pas ? .. Nom;
donnons cc soir uno grande fi' Lo pour )('s E:nf:mLs a.bandonnés, une œuvre dont je Huis dUfilo puLroncssc, AnneMorie a promis son conca ur., : cllo chnnLura ...
MIlo lInne-Marie chante al\~f.j
i s'é~ona
Robert.
lJ6cidémcnL c'osL de famille.
- Oui... cL elle joue d'un tas d'inslrnments l,izLlrt'l's ...
Des c1losrs 1111'0Ile invenLe ....On no saH d'où 0110 les sort .
Quand clic ôtait cnfun ., ~I!e
av:1i l, Jn. Loquado de la
m\lSiClur ... Ahl die nous a ilIOn fJOllVt'nt donné du souci il
f;on pGrc ct tl moi ... Sans compter quo si ello ll.VaiL l!:a':ail/(', IlU li ( Il do s'anmf,/'l" it louLm) ces Htupi(jités ...
1.0 JI'li~
ch la porte qu'on ouvrait dDWJ l'antichambre
inLc!'('Olllpit
'.1 plll·'IS'J .
la voilà jnstemrnt ...
" l\nne'- ;\laric' Viens pnr ici!. ..
Cr'pendant, clio a "nit rHi; sur lu chrni~e
-- 'J'('1IL'!. •••
lju'('Ue t\: Id ,lit
il son vbiLcul" :
Un') GLtI'Lc
�I!ARTINE AU CŒUn SECRET
113
- Vo:ci une' ent rée pouda soirée. Si cela vous amuse? ..
Robert déclina l'ollre :
- Je regrett e .. . J'ai def; projels pour ce soir . ..
- Prenez tou t de même ... Vous en ferez profiter quelqu'un de vos amis, si vous ne l'utilisez p as .
Anne-Marie qui s'était débarr:-ssée, en hâte, de son
chap eau ol d e son manteau, avança, étonnée d'entendre
parler sa mère . Qui ?iabIe é~ait
. cet
inlemp er,tif visiteur? ..
Un jour où l'on avaIt tant a fal1'o 1. ..
. ~ ma
!-l mc Châtelain,
Devine qui est -là? s'exd~
j ubilante.
.
La jeuno fille s'était arrêtée.
- Tu no r econnais p as RODert?
Hésitant, Hobert Piémont r egardait cette femme nouvelle qu'il avait .devant lui ... cette longue fille souple, à
l'étr ange type orJO~tal
, casquée de cheveux lu strés .
- J'avone qu e Je ne vo t!s auralS pas reconnue prononça- I.-il, s'avançant vers clic .
'
Elle le r eg.lr dait sans paroles.
- Eh bien? Te voilà c11angée en statue ? nt la voix
impatien tée d e Mme Châ.telain . Monsieur Robert, excusez là, elle l:Gl toujours dans la lUJle.
Anne-Mario laissa tomber sa pctilo main fl'oido dans la
main ganléo que lui tendait le visitour :
- Moi non plus, j e no VOIH; 0urais pas r econnu , articulaL-oHe sourdement .
- C'cst oxactement cc Ql!C lJl'a di.L tout à l'heur e
Mmo votre mère . J 'ajoute, sour
i ~-i l, qu 'aprLs dix ans, il
n'y a ri oa d'0tonnant.. .
1. .. Croyez-vous, mademoiselle, voilà dix ons
« Dix ~ms
(fu e nous no nous étions ,,:u? .. : l! /~ut
que je vous r etrou ve
uinsi transforméo , ombellJ c.. SI dl,1!ul'cnte do la pelitc fIll c
dont mes som en irs. gardment 1 J1I1U:;C très puérilo, pour
quo j'orri v~ il Je croll·o.. .
.
_ CoJa prouve, d6~ra
Anne- ~'lao,
cn allant s'asseoir
corl'cctol1lc.:JIt SUl' un com de canapé , quo 10 tomps n~ vous
a pas sernblé long ...
.,"
_ Mais il vous non plus, J mwgmû? .. La chrysalid 0 est
devonue papillon ... you s. ,,:oilà )0l1ll0 Iille au jourd'hui ...
_ Vous pouvr t dll'O Ylclllo fdl e...
.
_ Vieillo flllo!. .. Ayec colle allure do Jc:unrzse conqllt:·
l'ante? Vous \'ou 1,1. rire .. .
ans , et cela n'a lim qui porte il l'ire.
_ J 'ai vin~I,·jtp
Bah 1 Jo temps p <J~so
, acheva-L-(·no, Jl a!-,ssant les {lpau!c:;
pour llI i\Sljul.:!' co que son cAclnmatlOn contenai t de
lClé 'Illll'olic ...
- Oui ... cl il (\ C01Il,': de l'wu som: les ponLs , dUI'<lnL (e$
8
�MATlTlN E AU CŒUR SllC!,\Il'1'
dix années, prononça M ma Châtelain sur un ton catastrophique. Elles compLent parmi les plus noires de ma vie ...
- Maman a la phobie de la plainte, décl::tra Anne -Marie
en se tournant vers Robert.
- J e voudrais t'y voir ... Quand on a 6t6 choyée ol
gûtée comme je l'ai été par mon premier mari, entourée
par le second, qui faisait ce qu'il pouvait , le pauvre
homme, bien qu'il n'ait jamais 6t6 lrès intelligent, on ne se
résout pas facilement à la .solitude ... et il. cette situa tion
précaire ...
Le visage de la jeune fille sc contrJ.cta :
- Crois-tu qu nos histoires intéressent beaucoup monsieur? proféra - t· elle d'uno voix brève.
- Pourquoi pas? ... Il est de la famille ... A propos,
monsieur Robort, - laissez-moi SUPfrimer 10 monsieur,
voulez-vous? - oh bien, sachez que j ai éto très heurouse
d'apprendre quo vous vous étiez réconciliés avec. votre
oncle ... Oui, cette brouille me chagrinait ... Je saValS que
Martine y élai t pour quelque chose ...
TIobert so mil ù rire,
- J', i été stupide, avoua-toi). et c'esl mon oncle qUI
avail rnison. La preuve, c'est qu'on suiv~nt
ses c~nsejl,
jo
suis anivo à la situation que j'occupe nUJo1;d'hu
~ ... Mais
qu.tnd on est jaune, on est un peu fou: on VOIt l'exlsLence il
travers dos verres bleus ou l'oses ol cdu vous mène aux
pires bûLiscs.
.
- Alors vrai vous n'cn \ oulez plus a ma nUe?
- Cclle'bonnh Martine? J\l"i, p::; du lout ... l~Ie
a dû
vous dire que nous échangions du:! le.tr'~)
1.1'l:H arnjcl~
...
Quand ils sont vc·nus mo rondre vIslle, là-bas, danG Ir
bled, nous avons pnss6 quelques jours très ngr6ablcs ... Il
Y a trois ans de cela .... cl j'en gardo le meilleur sou venir ...
- Bravo! Vous êtes tous deux dos gens d'espril. Vou:;
1I0 pouvez pas savoir à quel point j'en suis heureuse ...
La conversation se pourslI1viL qllelques insLantfi, tan':s
qlle , sur l'ordre de sa mère, Anne-Marj,) pr('parail et servait le lhé.
Le jeuno h0l!lrno. pnrlait. (~l
sa vie il SOUS5, de ses
:1 Haires, de sa sllu.atlOn; .., Tl d ~scuta
.finances cl op(·ro.1ions
('e bOllrs!' avec, J mo ( halel(1In, qUI CouservaiL fIUt:!<1 ue ,
titres sauvés du naufrage.
El dans cel entl'ction l'ovonaient san<; C<'!ii;O lf's mÛmes
lIIoLs : valeur, al'gent, gnins,. bénéfices, hau!!s , 1>'1 iSIi",
venlo el achat, tout cela procllllsant lin IOll roulanl d'ùpithèLes avec Ir SI/ur Is le visitour p;müssait JOIl rkl' cornme
aVfC ulle pluie d'OI'.
<>
En vain, une fois ou doux, surprenant, posé sur lui, le
�MARTINE AU CŒUR SECnr;T
regard in~échrabl,
lourd d'il ~e sDvai" quelles pensées
secrètes d .Ane-~lar,
essaya-t-ll de l'cntraîMr dans la
conversatioll.
Elle se déroba avec une obstination visiblr, si bien qu'il
finit pDr éprouver Ulle sorte de. gêne qui parû.lysa sc~ efiets
et éteignit peu à peu son entraIn.
- 11 faut que je prenne c(.ngé, dit-il soudain en
regardant l'heure il la montre de son poignet.
- Déjà? exprima la veix déçue do 111 mo Châtelain
Mais Anne-Marie se levait.
- Je voudrais que vous me permettiez de vous emmener dînel' toutes deux, un de ces soirs, dans le restaurant
yu'il vous plaira? émit poliment Robert.
La jeune fille av~it
disparu ..
Quand elle revmt' une illmute après. rapporlanl. Il.!
pardessus du visiteur et son chapeau et que sa mère Ini
transmit sa dem ande, elle répondit froid ement :
- Je regrette ... J'ai mOIl bureau ...
- Vous pourriez peut-être avoir un congé ou sortir plus
tôt, pour un e fois?
- impossi ble.
Il s'inclina sans vouloir romarqur'r le regnrd furibon(l
ql:O Mmo Châtelain décochait il sa lille .
.- Je suis désol6e que vous nI) puissioz pas venir ce soir,
d 6c1arl.l la YOUVO, tandis qu'il posnit c6rémonieusement ses
J'lvres sur la main qu'elle lui tendait.
J'.ai malheureusemen t pris des eng:1~
- Moi at~si.
ments que Je ne pUIS rompro.
~ Au revoir, mademoiselle Anne-l\1arie... Je vous SDn1':liLe beaucoup de succès pour cc soir ... Je suis sûr qel)
"ous 1ournerez, toutes les létes ...
Bile répondit pal' un sourire contraint.
_ A bientôt 1 cria encore M me Châtelain, pCl1eh(;e sur la
rnmp e d'escalier ...
La pas rle nobol't s'éloign~
~ans
1,0 vestibule. .
La vou va revint \ crs la eUISIllO, ou eUe cnLeudalll'cmuc,l'
Anne-Murie :
_ gnfill d6c1n.ra - t-elle d'un ton l'ogue, comme tu us été
J,eu aimuhle HVOC Robert. PI6mont 1 Tu .os ri.diculo ,1 c'est
al qUI dOit uvolr ,dos
un garçoll lxtrêmefllcnt m(]~ent
reJulicllt; plis~aItc.
11 t\llralt .pu ~o procu~.
peut- et~o
Ulle Situation mC'ÎJloure ... , qUl salt, ~e
denleh e" l'OIseau l'urr le riche mal ii.lg'e? .. Quand Je consLatt' où il
est Lll'l'i\'(: llli 1... ueHe rliHéronco avec Cl' qu'il 6to.ii il y
a di< nns,' lor;qu'i1 fréquentait la Sallvngère! C'<,sl décidéJll rJ)!, un ns....
.
« Eh bipL quoI? ... Ou vas-tu? ...
�116
MARTINE AU CŒUR SEC:\ E T
Les mains sur les oreilles, Anne-Marie s'enfuyait vers
sa chambre.
-- Oh 1 mère, assez l. .. assez l. .. Vous ne voyez pas que
je suis à bout 1. .. que vous m'exaspérez 1. .. que tout cela
est horrible, horribl e 1...
Effarée, Mmo Châtelain entendit le bruit de la serrure
où la jeune fille ff'urrageait avec rage ... puis un autre bruit,
plus faibl e, de sanglots ...
Le.· bras ballants, la mère s'exclama:
. -:- C~t le peti.le devi ent eomplèt.ement. folle 1... Du di~ble
f;l Je s a I S à quoI nous devons cette crise. Ah 1 elle va elre
jolie pour se produire en public, ce soir l...
Etcrispée,gémissant e, en larmes elle aussi. Mmo Châtelain,
!flvant vers je plafond des yeux ch argés de reproches
IMITabl es, s'écria douloureusement:
- Qu'ai-je donc fait au ciol pour avoir si peu de chance 1...
CHAPITRE XIX
Eln sorf,ant ùe la maison où logeait Mmo ChiltelainPrévôt, Robcrt Pi émont ne songo a P[lS tout d o suite il
hél er un laxi.
Il pensait il la récepti on qu'on lui avait faite, à cc qu'il
vonait. de vuir et d'entendre. L'image nouvello d'AnnoMario l' o lJ s6 rl a i ~ .
- Pauvro pelite 1 Foupiro -t-il. L'existen ce ne doit pas
to ujours ûlre drôle pour ell e, aux eôtés de cetto mûre
1yril llllÎquO. C'es l curi eux qu'clle ryo se marie pas ...
\ 1mQ ('h:1telain prélend qu'elle a déjà refusé plusieurs
p J rli
~ con ,enabl es .. .
" Vingt- sept ans... Elle ne les parait pas .,. Elle <'st dev<,nue prrsque jolie ... étrange en Lous cas ... IWo a un petite
t l~ t e lr,)s inléressante. J'ai idée qu'elle m'on veut... cli c a
(;tû pl ,llô1. froide... , un vl'ai glaçon...
'
" Au fail, jo crois mo sonvcnir qu'clI o ôtait ainsi o.utrof.)i" ... bi en qu o.. : p~r
la ~uit
o , j'aio réussi à la dégeler el
:\ r,:lgnor SOIl amlbo. CurlOusc cr6nt.l1rc 1 Pourq uoi s'est -ello
l'd'usée ù accopter mon invitation '?
II marchait d'une allure rapid e, Ilroit devant lui sur (1'
Il'()ttoir, ruminan t. ses pensées.
'
j 1 h;l1~fS
a s ou~ain
les épaules, comme pour sc d6bal' ro.';:5c r cl un souel:
- 13ah 1 ~ 'il Iall ait toujours s'apiloy er snr les mi s~ r r'S
d' :\1I11'1Ii ... P .1l30
n ~ à all l re chose ...
" nrrr ... il 11 0 ]';Jit p .lA chaud dans r:n Paris.
11 fo urr';) srI' ma ins ùnns les poch es ùe son pat(lcssns.
�MARTINE AU CŒUr. SECRET
117
Il s'exclama soudain :
- Qu'est-ce que c'est que ça ? ... .
Ses doigts venaient de rencon! l'cr un objet dur envelopp é d'un papier de soie .
.
il tâtonpa, cl~O:hant
~ s'exl?liquer la préUne. sec~nd,
sence lllsohte de cet obJet qUI 1 etonnaIt ct a en déterminer la nature . ..
:K'y parvenant pas, il l'extirpa des profondeurs de sa
poche:
- Qui donc a fourré ça là?
C'élait un petit paquet blanc, roulé et froissé.
Il déplia le papier: une bague apparut, un fil d'or ora(:
d'une perle.
- Ah! ça! ai-je la berlue?
s'étaient élargis. de surprise . Plauté
Les yeux de ~ober
sur le trottoir, mSOUCletlX des gens qUI le Lousculaient il
contemplait au creux de sa main le bijou inattendu. '
- Jo serais curieux, bougonna-t-il, de savoir qui m'a
fait cette blague-lil ...
Or cet anneau, il le reconnaissnit ...
C'6tait, - il venait d'CIl ressentir un étrange coup au
celui.l.iI même q~l'i
avait passé un Jour,
cœUl', - c'ét~iL
dix ans plus tot, au dOlgt de Mm'lllle, ùan.; lu pelite chapulle de Sainte-Gudule .
~l l~ r~gadil
avec ~n su~iL
émo.i. .. comme si celte pOl'le
qUlIUlsall dans sa mall1 molLe avait eu le mystérieux pouvoir de ressusciter soudain tout 10 passé ot d'éveiller
quoique part en lui, le falllôme endormi de sa jeunesse. '
- C'est bête, murmura-toi! à voix haute, indifIércnt aux
passanls qui s'arrêtaient pour l'observer, ç,a vous fail tout
de même quelque chose ...
Il reprit sa marche à travers la foule, mois ce n'était
plus lu larc~
do tou~
à l'heul'e, la J.11aJ'chc assurée,
s ~lve
do 1 hommo fort qlll fonce sur les
pl' sCJuc I.'glc
obstacles, décidé Ù p as 0cr !l'laJ[)'ré tout. ..
Quelque chO;j:) l'alcntlfsalt ::;0:1 allure; c'csl q~'à
.côl~
~e
lui venait brusqllcrnent de surgIr une ombro qUlIU! fUIs aIt
escorle. Et cotte ombre,. toI « l'enfnn.t v6tu de noir » du
Jivin Mussel, ayaillo vlsag? de 50S vJOg't uus ...
_ Ah J ça, (ju'cst:c,e qUl. me prcnd? f)'l'ogna-t.il, ::;0
frotlant J"5 yeux. Volla que JO me mots à dIvaguer comme
au temps dû ma jeunesse folle ... Et d'abord, qui a fourré
cette bague dalls ma por he?
.
Qui ?... Mais Nouche, parbleu J ... QUI, sinon clio, pouvait J'avoir consorvée?
.
scene restée photoBrusquement, il so .Rouvmt. ... l!~e
gr,lphiée d~lS
son CHprlt - sa OCrnlLl'e cntr{;Yue avec Mar-
�i18
Mf.r.T!:>'1l AU CŒ1;r. srtC!ŒT
Line , fianc.ie, dans le vC5tibule de la villa Ra marine remonta sur le lac figé de ses souvenirs.
Les mots tinLèrent dG.ns sa mémoire:
- VoLre bague ... C'est Nouchc qui l'a ... Cetto enfanl
vous aime, Robert .. .
Allons donc! Quelle abslirde histoire! Martine avait dit
~ , a pOUl' le calmer, pour mettre un baume sur sa blessU!"P
d'orgueil. El puis, aprè:; tout, MIllO Châtelain, qu~
se';
flUes encombraIOnt ct qui ne croyaient guère Cil l'a vemr do
la seconde , aurait peul-être envisagé d'un bon œil de les
« caser» toules deux ensemble?. .
Pourquoi pas? ..
l'ourlant ... Nouche ne s'esl pas mariée ... Quel espOil'
tenace cl absurde demeurait donc encorE, en clic?
11 haussa les 6p:mlcs :
- r;'c:,L ridiculp ...
l;;vidommcnt.. . le n'allait pa' baLir un absurdo rOmnll
:,ll\' d,~
don liées aussi pr6caires.
.
- Je ne roc cl'oyais pas aulanL d'imagIna lIOn, prononçaL-il, se forçanl ù la gouaille. J)(:cidélllenl, le poète n'esl
pas loul il fail mort dans le businessman ... RoberL , mon
nmi, il s'agira do sc soigner ...
l,Jais la mOrne imugo 10 hantait.
JŒc no s'esl pus m3.l'iue ... El pu is npros? Comme s'i l
ôLuiL racl:o il uno Ij lle sallS dol ùe trouver épOUSOU I', SUI'(ouL lorsqu'olle a Uhe 10ère presque complètcnlOnt ~ sn
charge et <los gOÎ1Lil raffiné!; CJlli lu i vÏ('nnonl d'uno 6ùucnLlon
llnprévoyanle...
.
l':L mume, en adlllolLan. qu'elle ail cu pour lui 1111
('apdee, nulr()'oi~,
- cela J\'av:1iL l' ien d'élonnanl , 0\11'
Hi ex~.lt6o
- il Y
avait étô Il!> fillcLl() si l:1i~guo'c
Hv;üt hdl .. llltotll' qu'die devall 1 aVOIr oubJltl .. . Ln preuve
';l~L
C!u','Jlc 110 l':wail rnüI1l0 pas reconnu ... tout il l'i1euro.
11 moÎlH\ qu(' .. . ce Rilencr , cu masque fcrm6 el hesWl"
l'nchuicnl p('ul-ùlre une grande émotion? '"
- Maifl(:ue vais- jo illlaginer là? s'impatiunt e-l-l1, furieux
eOlJLre lui -I1Iome.
JI ('ssnya rio pensol' il autre chose, voulu!. évoqllor les
de· la jeun" Pal'iaionno du baLeau ('clle
1r:dtu (~lÎTo1n!{
qu'il (I<,:\'ait l'uval l', le soir, li J'Opéra...
'
Quoi l1u'lI lit, llllU Il\lLre iJTHl'{e 8'j"~crpoin[,
s'imposai/.
;\ lni IlV{ C uno lul'';o d'ohsof",ion ... (,t c'ULaiL 1 1)f~iL
vi~l:"
1rhn ulairc', l.Ll'uugo cl secroL ('r, Ulle lino csLrunpu japonaÎ' " (lui s'était rov('lû à lui, Ull.) houre J'lius lôt" dun;, l'
.;.l lon d" l ,nrnll" <111 'laine ...
JI l'rnlr.l ft l'hùl l, ";~eé,
1l0rVi'IL".
Nllr la tabh" on aynil Il "po~J0
~on
'~O\lp
de lOf(' ,
�MARTINE AU CŒUR 5ECnt:T
119
- T:mL mieux! p ensa -t-il... Je vais me distraire et ne
plus penser .à cette hislor~
stupi~e.
Au fond, cette petite
péCOl'S aurait beaucoup mJOUx falt de me rendre directement mu bague, puisqu'elle t enait à me la restituer - après
dix ans, à quoi cela lressembb -t -il? - plutôt que
la
glisser ainsi dans ma poche, Elle y a mis par trop de
désinvolture ... ou de dédain .. .
« Son bureau! elle n'a que ce mot-là ft la bouche, Ma
parole 1 un mir.istre en exercice n'y mettrait pas plus de
coquetterie ...
] l r épéta rageusement :
Mllo ~r6ôt.
employé.e de banque ... Pff. .. Il n'y a
pAf, de quOl faIr e tant de brUIt.. .
Il s'llabi lla avec un soin tout particulier, endossa un
smoking de coupe impeccable el sc mira Uvee compluisonce.
l'lais brusquement, à côté de la silhouette que r311é1ail Jo. glace, il en évoqua une au ire ; Nouche en robe de
iioirbe, longue ct fin e, drapée d'étoffes traînantes.
- Ahl ça, m::.is qu'est-ce qui m'arrive? grinça-l-il, en
~I'(,olant
nerveusement la tôte comme pour se débQrJ'ussêr
d'une guèpe importune.
C'ètuit la jeune Parisienne, sa compagne de traversée
'
qu'il escorterait le soir ... ot non pas Mfl. Prévôt ,
Suns comptel' que la promière était , de beaucoup, plus
(:Jôi;unle ct plus llullouse. Elle auruit sCtrcment une robe
tl'i.:il chic, un manteau dans lequel elle s'enroulerait avec
l'l'LLo gl'âce mièvre qu'il avait aùmirée sur le pont de lu
f· ille-d'Oran .. ,
Au rostaurant, il :;'atlard,a- à dîner ... Son invitée ne
dv,,::it :JI'river que vers diX hcul'<ls, il avait tout le
de
ttll'pS.
"
.
il se déCida a 1161er un tuX!. ..
'. .
- A l'Op6I'al... . _
Confol'lablcment lflstullé ùans la yo;Lure, Il s'mtéJ'cssa
au mouvement ÙU la vic nocturne qui commençait.
J"rnboutoi1lo sur les grands boulevards, le taxi prit la file
(.;~ qui déclencha l'jrt~ion
ù fleur. do poau do Hobert.. . '
_ J'arriverai il lu (In dH promlCr acte , bougonna-t-il.
Pourvu C[u'elle no ~ojt
pas là avant !l1oil: ..
~a
main froisul~.
d~ns
]~ P?cho mlérlCure de son pardesws unI' carlo qu Il S obstmaJt à ne pas regarder.
~1ouclai,
il s'entf.d
~t prononcer -. ut il eut exa(~tmIlL
lïrnprcs:;ion quo c etaLt un autre 1l-TI~me,
lm li/connu
qUI vrnD.it de prorér('r ces mots:
_ ~ i 'encore j'otais sûr d'elfü J ,~-bas
il temps pour l'en·
t ndl'c ...
l~Jfj,
�1:'0
;,:AHTI,/Jo; AU CŒUR SECRJ:T
Et ce n'était plus de « la petite jeune femme du bateau»
qu'il était question. "
L'auto stoppa devant le large escalier où se succédaient
déjà lo. Lhéorie des femmes parées et le ruissellement d,es
traînes.
Le chauffeur se retourna;
- C'est ici, monsieur ...
Occupü à déchiirrer un numéro SUI' un carton qu'il
tenait tout pr ~5 de la lumière du plafonnier, son dient no
lui r Gpond it pan tout de suite.
Puis, il ar: icula, d'un Lon impalionté :
Je ne descends pas ... Monez-moi, 152 ter, avenue du
r.ûule ...
CIIAPITmi: XX
Le ridenu retombt1 sur la folie lourbillonnanto et sau,
valle du danseuI' cosaquo, au miJjl)u dos acclamations et
des bravos, se releva sur la scène vieh.
Le décor avait disparu : leF! Dèches, ot l~s,
~ouples
s'cfIllant dans l111 ciel russe, au bord dune rlVlere lenLe
qui charriait des glaçons...
.
Bt voici qur, sur un fond ùo velours nOIr, apparaissait
le numéro suivant : un n jeuno flUo on robo sombre,
étroite eL sLricLe, qui se p Inça dovant la LabIe où d'étranges
instrumenLs ('taienL oJign6R.
TouL d'aborLl, on ne la remarquu pus ... Elle pnraissail
insigniOanLo avrc s s cheveux laqu6s ot sa petite tête pâlo
aux cils mi,elo~.
Le progrnmme annonçait:
Ma(lcnwisc{{c Aune-i\lIal'ic Pré,'ôt, rompo:;itricc ...
Penchée sur la table, Jo. jeune Hile promena ses doigl"
sur un des iw;lrumrnLs; on no vit. plu, quo la Il'JnW'
noire cl ùrue qui cach.üt Ron front. Mais Iléjù on écoutaL
miellx ...
06ridomenl, ceLlo jeune arliflle amateur élait r.)rL
lwbilo : nvcc uno ~imp
lict
6 de moyrTls oxLl'<:rne olle arrivait il pl'oduiro de l'émoLion, ct son jou, orirrin;l n'auraiL
pu!'! déparu un programme de ffiusir;.hnll."
,
011 applaudit .. , IWo salua, san:> qu'un sourire vin:
aùouci r l'expression figée de sa facc ... cl conLinua. I~nLre
ses main'l, la scie cuL dr" lam(·ntation.i cl des rû!rs de"
pl nintes pareille" à des gémis5eJl1cnL3 t!'iill11?..
'
Bile tenait 90n public ... Mais eH" pUI'dis:;aiL jouer popr
clic, uni'luell1cnt .. ,
î:Ïrn:r/( in, dl,' [,' leva el ;>ronon,n d'ull' yoix l,Tl P 'I
·voilé.! ;
�MARTINE AU cœUR SECRET
121
- Je vais vous interpréter un poème de M. Robert Pié.
mont, intitulé la Marche à l'étoile.,.
A cette :mnoncC', un monsieur qui occup:lit, une des
chaises placées dans le fond de la sallo lresS:1illit ; RobArt
Piémont, croyant avoir mol entendu, fixa avec une stupeur éperdue celle qui venait d'articuler d'aussi singuli èr es
paroles .
Anne-Marie aV8it pris son violon ... Ses doigts errèrent
sur les cordes, cherchant à éveille!' l'âme enchantée ... Et
soudain SCI voix s'éleva, fervente , my:it6rieuse, religieuse ...
Les mains crispées sur ses [j'enoux, le buste penché
~
Robert écouLait ... Ah,I cette VOlX, celte voix qu'il aecuil
lait comme 11;'1e préclCuse chose retrouv6e, celte voix qui
plongeait en lui pour aller chercher, tout au fond, sous la
cendre accumulée et fI'oide, l e Robert de jadis ... le soul
vrai, le seul sIncère parce que le seu l tendre .. .
Ces dix années de lu tle au cour;:; desquelles il s'était f;:lit
lIne âme c!ésabnsée, cyn iquo et froide , qui niait tout ce
qui, [ri - bas, roste J'6ternelle et unique beauté de la v je
ce" an1l6cs s'(lbolissaient.. .
'
J':t voici que 10 caelre, aussi, disparaissait: il n'y avait
plus en présonce que le Robert d'antan et la Voix do
jadis , la Voix qui aV:.J.it pris aujourd'hui son vrai visage.
(:ommont a- t -il pu ,jamais s'y t romper 1•.•
Ane·M~1rio
r,hant.c, el, autour d'elle surgit l'aneicn
décor, ... 1[' forOt matinale où les pas do Robert -poèto
s'(>gnrôrent un jour, .. . le petit N:.J.ng noir ~u creux do la
clair~e
rousse, les lroncs parallèles des plUS, los voûles
cloréeR sur /('S nuages hruns des fougères ...
EL tl~ns
l'aube qui s'irise, une forme fuyanle qui s'eLiaca
dallo le lacis dcnld6 des branches.
' L~
Jl{arche ct l' étoile 1 Hélas 1 il s'cst trompé de roule et
'
l'étoile st demcurée lointaine, inacccssible.. .
Lu Voix s'cst Luc ... JI Y,a maintenant la brlli,L imporlun
ri u mondo : cles arpl~Ids(m
c nls"
des rMloxlOns 6chang0C'S , dl ~,' rir 's .. , Le rideau so releve SU l' une joun~
I1lle
hlonde qui sourit et salue cOJllme une p01lpéo méC:l!llquO.
Que font là tous ces, gells? ... QU?,veut ct~e
f~me
Inconnue. Le visago do rove a donc disparu une fOlS de plus? ...
Hobart s' lèvo comme poussé par un ~·c s orL.
11 sort do~
s:tlonr- (0 bouHclJlao L des speetateul's qUI prot stent..
s'hJbillcnt, !rs nrlistC's? dcmanclc- L· il au valet de
do pied planL6 dCl'rH',re J,a ~ortc.
,, ,
L'hOlll me Je cond1llt e. ~ 6lonne .d •. sn fébr.hte .
_ Mlle Prévôst ? f;'C1lr~
le l,lmbre rUl~q
ri? ~ol.>('rL
JI n \,\ bouclle ~Jch('
et un l~6msSüet
a I~t(
:rlCu~
drs
l':JIH~,
f.inoi, les y\,y:>geul'" l"}.l r(·s clunn le IJruhnt 1],:3 'l't
., _'aù
�122
MARTINE AU CŒUR SECRET
!::cntent une fièvre plus violenle s'emp arer d'eux lorsqu'app araît miracul eusement ln. font aine rafraîchissante.
Mai s M lle Prévôst est parti e ... Aussitôt après sa sortiE
de sct:ne, elle s'est sentie brU1Jquement souffranle, et sa
mèr e 0. dO l'emmener citez elle.
Lu brilve dame qui explique cela d'une voix posée il.
nobert s'étonne de le voir s'enfuir, comme un fou, vers le
vesti aire.
Dell (\l'S , le jeun e Ilomme se calm e un peu .. . Il interroge
sn monlre : Minuit.. . Est -ce uno houre à se présenter
avenue du Main e ? ..
No n... Nouchc, ce soir, no saura pas que la pure éLoile
qui s'était voiléo au ci el incer tain de son ami d'autrefois
resplendit à nouveau au soin des espaces i et que c'est elle
qui a r allumé la fl amme engourd ie.
",**
Ce malin , M . Léonce a Lrouvé il Mlle Anne-Marie des
paupières fri pées ot des yeux ro uges qui ne lui disent rien
qui vaille. Parol e 1 on dirait qu' Ile a pleuré?...
}';n vain lente-t -il d'attiror son regard et. de lui cx pli ~
m('r pal' uno mimique appropri ée la part qu'il prend à ses
l nnuis possibles.
,\P IC Anne-M ario, obstin ément penchée sur le livre (]('
ca isse , écriL, ... 6crit, ... avec une rage fa rour,he, sans
jnmais lever la téte.
- Vous d6sirez, monsieur ?
Le singulior cli enl qu 'il vi ent d'inlerpeller ne cl ui,?fl e pas
lui rl" pondre. Furet eurs, ses ye l ~; font le lour du bur :':lll,
IO::lbcnl en arrêt sur la jeune nll e dont la main infatig:)~
l o courl loujours, 10 long des po.ges bl anches.
- ... Parler il Mllo Prévôt.
lIT . Léon ce a un haut- Je-co rps . 11 examino sans dourem cc visite11l' inL ompestif, urreclemcnl sanglé duns \J n
p : .I l' des~
u s do coup e imp eccabl e.
JI répète, indécis :
- A .M u" Pr6vÔt? ...
Mn iR à 1 '6 n ~ n cé
do :;on n OIn , Ii ~ joune fUle a levé le fron l.
-
Qll 'y a- t-JI ? .. .
Son rega rd croise celui du visiteur. gIle a un fri sson
~ 6 prim
r , rl 111. L60nce, très ùistincLequ'Ile no r elt~
I d n , la voll pallr.
Mnis déjil l'Il e s'ps l dom inée.
l'ruco. utionneus."mcnt, ell e pos ~o n por lp-plllffi e S Ul' JI'
l'l'bo rd dc' l'CI1CI'ICr cl s'a va nce y rs 1'6tl'oi le hal'1'Ïùro do
buig oui supare 1 pcrsonnr.l du pu blic.
�1I1AnTINE AU CŒUn SECRET
123
- Bonjour, dit-elle, d'un ton pui.,ible, en tendant la
main à l'inconnu, par-dessus la balustrade.
11 a pris les doigts de la jeune Olle ct les garde entre
les siens. En vain, elle essaie de les rolirer .
- C'est votre mère qui m'a donné votre adresse iei
Nouche, prononce le visiteur.
'
Nouche ! M . Léonce est interloq\rJ ... Quel est cet individu qui se permet d'app.eler lVp IOi\nnc-Marie « Nouclle II
el de lui serl'er los m::uns do celle façon prolongée et
inrOllvcnanto ? ...
Enfin, oHe a tout de mGrne réussi il libérer ses doigts.
Elle dit, et M. Léonce trouve que sa voix n'a pas du
Lout :;on assurance ordinalre :
- Vous avez quelque chose :\ me demander? ...
11 no ruportd pas tout de suite, ... mais il la regarde
- d'une si singulière fa çonl - comme g'illa découvrait
s'il la voyait pOUl' la promiore fois ou qu'il ait pou r de n~
pas emporler d'elle une image assez précise ... et il
déclare drôlement :
- Oui ... J'aurai quelque chose il vous demander .. .
tout à l'heure ... Mais d'abord, je vouclI'Uis vous parler .. .
J.<jlle a l'air Lroublée ... Ses yeux so d6tournellt, sanf;
doulo pour éviLer l'insistance de l'autre regard qui la
dûvisage .
Mon Dieu que ce monsieur est donc mal élevél ... Ah 1
si Mlla Anne- 1\1 arie laissait foire M. L6oncc, celui -ci la
déhurr;tf:;soraH bien vile de l'importun! ...
Il lui cl irai!.
- Monsieur ...
~hj<;
dûcidl'Tncnl., M ilo Anlle- Marie est déconcel'tante
('e ' l~;Jdn
1... La voilà qui, 0.11 li.et~
de ft'n,voyer le,monsieur,
)n~se
par 10 porUllon ct le l'eJOInL ùe 1 auLre cuté ... Et il
'omlJ1ône vors la porte , ... Et elle 10 SUit , comme ça, sans
chapeau, sans mGmo pren ire le Lemps de promener ~a
houpcl,te BUI' lio n n01....
. .?
Qlle dlaJJlfJ j'nit-Cllf) ùrf; traditIOns....
..
Ûnhl1a porl.l' R'OSt reformée sur le couple qU I :l dIsparu,
;'t la barbe do iiI; l :J0 nCO effaré. ,
O(!g'oCtté, celUI-Cl sa rassied a sa place CIL haussant les
f
'·'wal/e;,!...
. l' l I '
_ ... Anno-Marie, J·,·t
c. aiS (.- J/w, 11er
El!o est dcvenu~l
trl)6 pûte. EUe
l'Ir/ne! intrrrogatlf :
Là-bas? ..
.. .Jo von:; ,Ii cnlcnduo ...
LlI· ~' ,nit.
Il l'''P,'CII ! pIllé b ( <> :
.
•
Ol~·
... ,
.
SSlUC cl ar tIculer SU I'
�12ft
f,!ARTINE AU CŒ UR SECRET
- J e vous ai reconnue."
, Dans ce coin banal de café où il vient de l'enlralner
sans qU'ellc en ait même conscience, ils ont tous les deux
l'impression d'être isolés du monde.
- Comme mon erreur fut ridicule, Annc-r,Iarie !. .. Vou s
qui saviez, pourqu oi ne pas m'al'oir éclairé? Vous m'auriez
évité t ant de souffrances? ...
Elle jet te , farouche ;
- Ce n'est pas moi que vous aim iez,
- Vou s savez bien que si ... Vou s n'auri ez pas cc
trouble si vous n'on éti ez pas aussi sûre... Ah? Nouche,
nos sens peuvent nous trahi!,', nolre cœur pout se lromp er,
abusé par une apparence, on s'aperçoit, un jour ou l'aut re,
de son erreur ... Pour quel quos -uns, il est trop t ard ...
D'aulres , cl, Di eu merci, jo suis de ceux-l à, ourent plus
do chDnce 1•••
Il so p oncho vers ello :
- Ch6rie, je vou s attendais depuis toujours ... sans 10
savoir. Moins ignoranle qu e moi, vous avoz ou, il u longtemp s, 10. révéla lion do notro dostinée ...
Ene so recu lo, contractéo :
- Pourquoi m il Llites -v ous cos c l! Of>CS ? ... 'l'out cola
n'est plus H Ui. .. Oui, je vous Hi SI)61'U longlemps .. , si
longtemp s l ... Bt vous n'êtes pas venu ... ct quand je vo us
ai retrouvé, vous n'é lie)'; plus vous- mêmo.. , Le Robert de
mes rêves d'enfant a vai t disparu ...
- Non, polit, il n'avait pas disparu :.. SeulemenL,. il avait
perdu la foi, com me t ant d'uutl'os q UI ont trop ùéslr6, trop
espéré eLqui, déçus, no cro ient plus au bonheur ...
" Alo/'s, il s refermenl soigneuse ment dons 10 recoin le
plus éloigné d'cux- mômes tout ?c qui res Lo do la fortull'l
ébréchée; j ! f, r amassent \11\ petll stock de joyaux uv all l
l'puiso ment total, cu no demandant s'ils ressortiront tout
cela un jour ...
Il Et ce jouI' vi enl, ou il no yj unL pas ... Lorsqu 'il ne vient
pas ot qu'on a.i it qu'il ne vie ndra jamais plus, on di t : le bonheUI', ça n'existe pi s. A moi l 'a ml s~ m () n t , ln l'ichesso , le
passe- Lomps, les honnell1's, tous les vams hoeheLs avec quoi
sc distraient les homm es .. , m 1'0 11 so croit hetl ro ux purco
qu e l'on a oubli é le l'osLe, 10 grand rOvo...
' ,
Nouel1 0 a poso sa t ête au croux ùe sos paumes ou vcrtcs.
AI~
1 qu 'il p ~ rl o encor; .' qu'il .!Tueo, d'un C0Up, touLcs le:
IllI S l'cs aI1CICnn OS , qu Il ressusc ite los ospo irs qll 'cll e cl'Qyait
à jamais morts l ...
Er il poursuit, Il eHuL , slIr co ton gra ve ct po.55iol1116
qu'il est. all o eh; l'chel'. illl,f0 nd cl !l pass6 r ntl' ouv(',
- M alS P al r OJ~
aus'; l k JOU I' fl ITIY C.. , 11 11 d6bu t(· comm" j ps
�MAl\Tl;;Z AU CŒUR SCCnET
125
al~Lrcs.
Il n'est. ni plus ensoleillé, ni plus léger. Mais il est
lUi. On ne le sait pas ... On s'on aperçoit à des riens à un
sourire déjà vu C1:l rêve à des youx de toujours, à l~ voix
'lue l'on entendaIt ...
« Et alors , on entre dans le bonh eur ... dans ce pays fantastique et merveilleux où les cimes et les abimes sont
plus hauLs ct plus profonds d';ùlleurs ...
Elle a g6mi :
- Rober!. ? ..
11 atteint la main qui no so dérobe plus.
- Petite ... depuis hier, j'ai découvert le pays splendide ...
Depuis hier, je suis obsédé, poursuivi par une im age qui
s'est implantée en moi a vec une force irrésisti ble : un
ardent et cher visage aux paupières lourdes qui se ferm ent
~ r Jeuy sec
r e~ ...
pour mieux .cah
« Ch6rie, 11 était écrIt depUI S dos Lemps que cet amour
serait Notro Amour et que je vous emporterais vors mes
rives (le soleil, co mmo uno chère proie r C'c onquise ...
Elle soup ire, ctfarée dev::mt co bonheur si brusquc qui
l'épou vnnle pré'sque pal' sa soudaineté :
'
- I1ob crt... il me sem ble que ·tout cela est un trop
beau songe d'OLI je vais m'ùveiller plus meur lrie... Quand
je plonge dans tout cc sombre pas!;6 où vou s n' étiez pas ...
où je me suis sentie si souve:1 L seule cl déscspérôe j'ai
peine il croire il 1:1 douc eur de l'avenil'...
'
Il sourit plcin de force orgueilleuse :
- J 'ai él.é un sol , Noucho chérie. Mais si vous saviez
comme depuis hi e~ t?ul s'es" tr ans f~rmé
en moi 1J'éprouve
cc grand cnlme qUI lire sa toute-pUissance de la cer titude.
Senlez-vOus flue quelque chose u com mencé naguère ct qu e
nouS avons toute la vie devant. nous pour visiter notre
I)C(\lI navire, dont n0l:ls cxpI?r
r~n
s l es.ob~cu
r es c!1trail lcs et
s mVlto auss I à la régul(!s mystérieux coulOJ rs, malS qUI ~ou
li ère promenade.sur lopont, au brllser cles ye~tf;,aub?n.l
de sc.' voiles qU I palpitent de lout notre Ideal rcssu5cJtC? ..
_ Hober!, vous r e devn~z
po ète !:..
".
_ Jt;t vou'? en éprouvez,. u ma petite musc qUI avJCz fml
par douter de mOI, UI~ r: :lVIS~()mc
lt ~lo
n~ él .
•
« Faites conf]f1nco a la VIC, ch6r1O. Elle nous a galés
jusle à l'heure où n?us ,no croy!ons pl~s
.cn elle. l!;lle est.
belle ct f ~condt)
c[uo
~ CJll on en dlse l Im,l? Il r~ul
écoute!' sa
~ r n nd e leçon d l~ patHncc, de bonlé, d c f; ~ r g1O ... Peut- l'è re
nOllS offrir.t-t-elle do!a sou fTrance . QU,Importe? II faut
nu hen u lia viro entoure do goélands cl. décumo, des cl!o,<Js
1I0irrfl pOUl' le fl1Î f'O avancer, ? o la ~l ol\ l e flu e la fl amm o
purine et donl l'ilme nvol60 11'0. f:lll'O bul lro nos cœurs
plu'] h:1uL .. cl pIns rOi'~
...
�1"26
MARTINE AU cœUR SECRET
« Et bénissons l'erreur ancienne qui donne à nos retrou vailles d'aujourd'hui une tollo ferveur, un tel goût d'inflni. ..
Aurais -j e si bien compris l'âme de Nouehe si jo ne m'étais
pas un jour trompé SUl' l'âmo inférieure de Martine?
Il a pris le cher petit visage où tremble un émoi
passionné:
- Là, petite tête aimée, appuyez-vous sur mon épaul",.
Ne dites rien ... Tout est bien ainsi ...
Nouehe a fermé les yeux ... tandis qu'au dedans d'ellcrnPme elle suit la vision éblouissa.nte du beuu navire aux
voiles gonflées qui danse SUI' les vaglles duns 1:;( houle
•
pailletée d'écume ... vers le large ...
�Pour paraltre la Semllbe proclll.h:e !1I1U le 1) 0 278 de 'Il CoDectioD .. P'AMA "
PAR JEAN DE LA
HIRE
LA REINE
DE L'A'TLANTIQUE
PREl11IERE PARTIE
JACK ET nOSF.'l'TE
- « ViLe, vile, :\Iori~,
tlGpêchez-vous ... Il me i'~:nb
1 e que
nous avons dGpassé l'heure, aujourd'hui. »
Debout au milieu de la salle d'entraînement, le jeune
hoxeul' Jack Taylor, champion ù'Amurique, poids moyen,
que ses admirateurs avaienL sUl'nommo J:wk Tambour
il cause de lu ]'apidiLo de ~es
coups, se rhabillait, après la
séance, touL en frappant le plancher de son pied nerveux·
_ Lit, là ... maugréait le manager, dont un large rÎl'e
secouaiL les bajoues cL Jl' double mcnton, damned!... Quel
enragé ... Elle t'aLLendrq, va 1. .•
Puis, LouL à coup sél'Îeux ;
_ I:lurtout, pas d'excitation, ni de fatigue inuLile, hein ?...
'1'11 sais ce que tu m'as promis. 1,0 match a lieu dans qu atre
jours, ct je ne devrc.lis pas te laissc!' SOl'til' seul.
Oui, olli, tranquillisez-vous, je sorai snge ... Oh Ilà,
lit... HaLanée CI';l vaLe, au diablo la l'l'avale 1...
Cependant, lloigllcurs et cnli'alnclIl'';, rassomblés auLou l'
<.lu chélmpion, formaient un ccrcle où les facéLi~
allaient
(A !Juil1ra_)
hon train_
�8075·31. -
CORBerL, JnIP;]l
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Imprimerie Crêlê.
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Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Magali (1898-1986)
Title
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Martine au coeur secret : roman
Publisher
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Ed. de la "Mode nationale"
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
impr. 1932
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Collection Fama ; 277
Type
The nature or genre of the resource
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Identifier
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BUCA_Bastaire_Fama_277_C90786
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ROMANESQUE
CH APlTRE PREMIER
L'autobus déboucha du carrefour ct enlaidit de sa
silhouette de maswdonte moderne l'enchantement de
l'avenue de Touraine. Le soleil se jouait sur le sable
ct transform.ait chaque dUlle en une montagne d'or ct
de gemmes. Mille facettes renvoyaient ses l'ayons et les
pins eux-mêmes semblaient avoir changé de robe et
s'être revêtus de celle de Peau d'Ane au jour de son
apothéose. Cc jour-là, la Baule méritait bien SOl1 nom
de plage du soleil ct accueillait les nouveaux arrivant!>
avec toute sa splendeur, do même qu'à une réception
do la cour, los monarques parés et superbes n'ont quo
des sourires pour Lous ceux qu'ils reçoivent.
Aliette attendit ù f)eine que le lourd véhicule eut
freiné et bondit au de lOrs avec la souplesse d'un jeune
chat. On entendit des serrures jouer l'une après
l'autt'e et bientôt après des volets claquèrent 10 long
~s
murs avec un bruit sec qui semblait chargé do
Ole. La jeune impatiente courait d'une pièce il l'autre,
cs sortait touLes de louI' long sommeil et en quelques
secondes u Saint-Nolff Il ressuscité laissait apercevoir
de toutes ses fenêtres large ouvertes le plus merveilleux ~pectal
qui soit.
EÙlfiéo sur le sommet de la butte, la villa dominait
les pins environnants et les têtes de cOllx·ci formaient
I
�G
UN MARIAGE nOllIANESQUE
un tapis de ver,luro, cependant qu'ils semblaient
prolongés par l'infini de la mol' d'un bleu incomparable. Accoudée au balcon de sa chambre, AlieLte
retrouvait le paysage famile~'
pour el!e depuis plusieurs années, et qUl:.chau~
JUIHet, ~Ul ~emblait
plus
beau d'être revu apres plusIeurs mOlS ct absence. La
Baille-les-Pins l'entourait de toutes ses maisons fleuries, dont plusieurs ,étaient des non,velles veD;ues dans
celte réunIOn de vlllas; la plus sJmple étaIt encore
ravissante , et toutes semblaient voisiner avec plaislr
comme leurs propriétaires. le faisaie!lt sur la plage.
Penchateau ~t ~hemoul.
avançaIent leur poinLe
dans les floLs, hmItant la baIe, cependanL qu'au loin
le flux se bl'jsaiL mollement contre les îlots des Impairs
de Banuenault, de la Pierre-Porcée et des Evens. L~
mer attirait irrésistiblement Aliette qui, tout à la fois
aurait vou lu déjà s'y plonger et ne pas quitter de~
yeu ce site aimé, retrouvé avec le battement de cœur
<lue j'on éprouve à revoir un ami dont on est depuis
longtem ps séparé.
Cependant des voix bruyonles, le choc des maUes
contre la rampe, les pas pesants des hommes la tirèrent
de sa songerie et un remords lui vint d'avoir pense
d'abord à son plaisir et da ne pas avoir évité à sa
maman ces petits Boucis qu'elle redoutait tollement.
Puérilement elle fiL un geste d'adieu à tout l'horizon ensoleillé ct gnmdioso eL descendit en trombe les
escaliers pour aider Mme d'Hoste de Bon inlassable
activité.
Comme l'avait prévu sa fille, elle était touto perdue
entre les p~tiB
qui ne voulaient pas rester près d'olle ,
les domestiques attendant las ordres, los hommes
réclam~t
plus gu'il ne leur 'tait, d~ . En quelques
mots Ahette remiL tout en place, dIstrIbua les rôles ù
chacun, ouvrit une m.alle, échangoa les costumes de
voyage de ses deux petits Irères contre leurs maillots
de bain, les munit de leurs pellos et les expédia sur
la plage sous la conduite de Rose, robusto vendéenne
�UN MARIAGE ROMANESQUE
7
habituée à leurs cris et leurs disputes, et mental'
inflexible.
Elle revint ensuite près de sa mère qui, assise sur
le premier !li 'ge trouvé, semblait déjà avoir épuisé
toutes ses Jorces ,
« Maman, vous feriez bien d'aller vous reposer d'ici
le déjeuner, Ne vous préoccupez de rien, .je saurai
bien indiquer à Maria ce qu'elle doit faire, débarrasser les bagages, et quand la cloche sonnera vous Vilrrez Il Sainl-Nolff )) tout installé comme si nous étions
là depuis un mois. Cet après-midi j'irai faire placer la
tenle eL quand le soleil sefa moins ohaud vous p01,lrrez venir au bord de la mer. Vous passerez une bonne
nuit et vOus verrez comme demain vous serez vaillante. »
«Tu as raison, ma ohérie, et j'ai bien confianoe en
toi. Fais ton apprentissage de maîtresse de maison
pendant que je vais m'étendro un peu; je suis sûre
que tu sauras très bien te sortir toute seule d'affl:lire. ))
Aliette rougit de joie en entondant Mmo L'Hoste
parler ainsi, mais son p luisit' fut de courte durée en
voyant avec qu elle fatigue sa mère s'éloignait et combien chaque pas lui semblait pénible . La santé de sa
maman lui était un gros tourment; son père, absorbé
parles souois de son exploitation agrioole, n'y prêtaiL
guère atLenLÏon, tenant que personne no doit être
malade lorsque l'on vit à la campagne, dans de bonnes
conditions d'air et d'hygiène. Homme ;goIste, d'ailleurs, ne pensant qu'à lui et à la propriété que sa
femmo lui avait apporLée on dot ct qui était la seulo
chose intéressante qu'il ait trouvôe dans 10 mariage.
Douée d'une sensibilité extrêmo, Mme L'Hoste avait
afTreuscment SOUffOl't dès le début de leur union en
voyant quelle divergence de goûts et de sentiments
}(:8 séparait; elle avait en trois maternités très douloureuses et la dernièro l'avait laissée languissante, '
épuisée pOUl' loujours.
Ce sf1jour annuel, dans cetto v.illa que ses parents
�8
UN MARIAGE ROMANESQUE
avaient fait construire pour elle, était 18 meilleur de
sa vie, car elle pouvait jouir d'un peu de repos et
profiter de ses enfants sans avoir à soufIl'Îl' de la présence hargneuse de son mari. Celui-ci n'avait jamais
apprécié les qualités exqui~s
de sa femme, sa finesse,
sa grâce. Il n'avait d'attentlOn que pour cc qui concernait sa laiterie, ses hêtes et leur rendement et il avait
plus d:empressement à faire
Loujours mis dix. fo~s
chercher le vétérlDUlre pOUl' 1 une d'elles qu'à faire
pl'évenir le doc Leur lorsque sa présence était nécessaire auprès de sa femme ou de ses enfants.
Toute petite, Aliette. av aiL déjà compris à quel
point sa mère avait beSOIn de tendresse et d'afTection,
et dès son plus jeune âge elle s'était considérée
comme son souLien et presque sa protectrice. Sa gaieté,
la vivacité de ses répul'ties désarmaient son père et
souvent, grâce à elle, de pénibles scènes étaient évitées. Il retrouvait en elle son amour du travail et son
esprit de suite et secrètement i1atté de lui voir faire
preuve d'une si belle ferme Lé, il détournait la discussion mal engagée, plutôt que de la voir triompher en
sc rangeant aux côtés de sa mère.
Pendant deux ~ois,
il resLl;lit seul il. !\ ' ~ortagne-su
S~vres,
ct sa famlllf) profitaIt d'une lIberLé bénie
d ur~nt
~ut.
cette. sépar~io.
J\liet~,
la. première,
trépIgnaIt cl ImpatIence des 1arrIvée a Samt-Nazaire
du train qui les conduisait. Les navires en construction, les chantiers, les hauLes cheminées <.Ie3 transa tlantiques, l'animation des bassins, cc premiel'
« revoir» avec l'Océan la fai1\ait fr'émir. Puis Je train
reprenait sa course, Ll'aVeI'sait de mornel! espBces
désertiques; de Lemps en tempR unû ligr!e brillante fi
l'horizon redonnait c!Jurage, les villas se faisaie11t
plus denses, Pornichet étai t dépassé et, semblant fendre
les dunes ou les fail'e écar\.er sur son passage. comme
sur les images des livres d'enranLs on voiL Moïse écal'LeI' les eaux de la mer Rouge, la puissante locomotive
lroyereait le Bois d'Amo:Jr et s'arrêta iL toule vibrante.
�UN MARIA GE ROMANESQUE
9
La pimpanLe gare de la Baule-les.:Fins connaissait
alors une joyeuse animation et Aliette ne savait rien
de plus beau que cette descente du wagon et cette
reprise de contact avec Il sa » forêt et Il sa » mer.
Elle était encore sous ctHe impression de féJiciLé
lorsqu'elle remonLa dans sa chambre une fois sa tâche
terminée à la satisfaction de tous. Après s'être occupée de tout le monde, eHe allait penser un peu à elle,
et à genoux devant sa commode, elle entreprit le rangement de ses tiroirs; avec un sourire amusé elle
retrouva ses trésors de l'an passé, menus de dîners
signés de convives, menus de soupers au cours de
so irées où elle avait été déguisée, programmes du
casino, cartes, guides, statuts du tennis, horaires des
marées, tout un lot précieux qui avait mérité en septembre précédent d'être mis de côté et d'éviter la
uestruction par le feu.
Elle lut attentivement toutes les signatures recueillies et se réjouit à l'idée de revoir bientôt tous ces
bons compagnons des jours de vacances : elle évoqua
lems visages et sourit d:l plaisir à l'idée de les revoir
bientot les uns et les auLres, mais ne sentit fas
qu'elle éprouverait plus de plaisil' à revoir l un
plutôt que l'autre.
Il Ma pauvre Aliette, monologuai.t-elle, tout en
allant et venant dans sa chambre et vidant sa malle
de son contenu, ma pauvre Aliette, tu resteras vieille
flllesi tu conLinuesùaimertoute l'humanité, sans te décidcrà aimerunhomme. Tuas dix-huit ans, c'cstl'âge de
devenirsérieuse, tunesemblespast'cndouter. Tuaimes
hien Guy , parce qu'il te fait gagner au tennis, mais
Lu aimes bien aussi Roger, parce qu'il te faiL bien danSOI' ct Jacques paroe qu'il veut. bien t'emmenol' dans
son canoë, Gilbert ne t'ost pas indifiérenL, parce qu'il
t'emmène dans l'auLo de ses parents ct Bernarù pal'cc
que, Lout agrégé qu'il est, il s'intéresse à Les lectures.
Il Il va QUSSI celui qui dessine si bion et, eeIui-L\ qui
est si tirele, enfin Lu en aimes trop, ce qui revil'nt ù dü-e
�10
UN MARIAGE
RO~tANESQU
que tu n'en aimes pas un. C'est très ~entil
d'avoir des
amis , mais (:'eat encore plus gentil d avoir un mari. »
Et une association d'idées lui ayant remis en tête
un film récemment applaudi par eUe, ce ne fut plus
un e sérieuse petite maîtresse de maison, mais une
pe~it
girl gU,i év ~lu a . SO \l ~ les yeux charmés des
pOlssons stylIses qUl taplssaLCnt ses murs.
AÇloir un bon copain
Voilà ce qu'il y a de meilleur au monde.
Le refrain était lancé à pleine voix cependant
qu'oUe so li 'Irait à mille ébats désol'dormés. Sans
arrêter do danser ni de chanter tout se t.rouva. mis
on ordre et ello-même r evêtue de son maillot de bains.
Lu danse alors prit le pas sur le chant et bien des
la. grâce et l'~git
é ùu
,profcssionnelle.s aura.ient ~nvié
Jeune corps qUl devant l'ImmensIté de l'Ocean , s'enivrait do la joie de vivre tout en chantant le péan de
la jeunesso et de l'amour.
Comme uno jeune gl'ecque célébrant les victoires
rom portées par Apollon, oHe célébrait l es beautés do
ce jour, la splondeur de la vie, le mystère délicieux
de l'avenir. E~
nulle prière n'aurait port,é à Dicll
plus de confiance et de gratitude que los pas
tlchovelés d'une enfant gracieuse aue guotLaitl'AmQur 1
�CHAPITRE II
CI Joël, apercevoir ne prend qu'un p et il faut penser
aux cédilles au cours de la conjugaison.
n Et toi, mon pauvre Jean-Louis,commont veux-tu
comprendre quelque chose au milieu de toutes ces
opérations posées dans tous les coins de ton cahier?
Tu me fais répéter tous les jours la même chose et tu
sais bien que tu n'iras sur la plage que lorsque ton
problème sera fini et recopié. »
Saisio de pitié dovant le visage en détresse qui se
tendait vers elle. Aliette prit le crayon des mains de
son jeune Irère, mit en ordx'e les colonnes fanl&islstes
qui chevauchaient les lignes en tous sens Jt redonna
courage au petit garçon,
sur tou~es
choses, les
Une torpeur écrasante plani~
pommes de piu surchauITées s'ouvraient avec un crépitement sec ct les écureuils bondisa~
de cime en
cime venai~
en cueillir les amandps dont ils étaient
friands. Aucun hruit ne moulait de l'Océan figa luimême dans uno immobilité totale. Nul ôtre humain
n'alIrontait le sable en feu ct, toutes fenêtres closes,
la Baule semblait privée de touto vie.
NuJ le brisa ne se faisait sontir au sommet de 1..
dune où , 'élevait Saint-Nolff, et, à l'ombre des pins
où Aliette régentait ses petit8 frèros et leurs devoirs
de vacances, une chaleur accablante rendait douloureux tout ef1'ort.
�12
U:'< MARIAGE ROMANESQUE
Seul troublait le silence le murmure ùes jets d'arrosage ql,li défendaient do la sécheresse les tapis d'émeraude des pelouses, gardes vigilants qui sauvaient de
la mort le frêle ray-grass eL les massifs multicolores.
De tous les jardins venait le bruissement de l'eau
qui s'épandait en gouttelettes bienfaisantes jouant
comme autant de prismes sur les rayons solaires. On
sem'b lait voir en cbaque endroü l'écharpe d'Iris
venue porter les messages des dieux. Sous cette rosée
maternelle, rosiers et géraniums conservaient leur
vigueur et enchantaient les yeux.
Ali ette ne semblait pas souffrir de cette température tropicale et n'accordait nulle licence aux petits
qui, connaissant sa rigueur, ne songeaient pas à
demander gràce. Un renouveau d'énergie les faisait
se hâter lorsqu'ils sursautèrent en entendant sonner
la doche du portail d'entrée; ils virent le facteur
mettre les let~rs
dans la balte et, sur un signe d'assentiment de la gl'ande sccur, ils coururent lui chercher le courrier.
Elle fut vivement intrio'uée par, une enveloppo
de slUte la porter;) sa
timbrée du Danemark et a~l
mùre qui la lui tendit après l'avoil' lue, tout en gueLLant sur le visage ?e sB: tille .l'étonnement qui ne pouvait man quel' de s y faIre VOlr.
Voici co qui était écrit:
« Bien chère tante,
(( Mon stage est enfin terminé et je quitte non sans
regrets cet hospitalier pays. où je viens de passer
deux bellos années. Mon dlplôme d'ingénieur agronome de Grignon m'a ouvert toutes los portes et je
rovions émorveillé de tout co quo j'al vu au Danemark eL do tout ce quo j'y ai appris. Jo viens de passor six mois dans uno très grando laüerie appartenant Ù UUt' vieillo famille danoiso qui a tenu à me
fail'e partager sa vie. J'ai bridgé avec le pùre, accom-
�UN MARIAGE ROMANESQUE
13
pagné au piano la mère qui a une voix délicieuse,
pratiqué les sports les plus divers avec les fils et tenu
le rôle de conseiller des modes auprès de la blonde
jeune fille qui prenait tous les Français pour des don
Juan et doit être bien dépitée que je ne lui ai pas
même fait la COU1'. Elle a pourtant tout mis en œuvre
pour obtenir de moi une quelconque déclaration,
mais pour elle mon âme est sans amour et mon cœur
est sans mystère ct je ne vois cn elle qu'une gentille
camarèlde - comme ses frères .
« Nous nous sommes tous quittés aujourd'hui avec
de grandes promesses de nous revoir et le ferry-boat
aura peine à naviguer tellement je l'ai chargé d'écrémeuses, de baratteuses et de tous les instruments merveilleux qui vont me servir à faire do la Valinière un
domaine modèle.
« Maio avant de roprendre une vio laborieuse je serais
bien heureux de roprendre une vie familiale, et ainsi
que vous me l'avez si gentiment olIcrL lors de la
mort de mon pauvro papa, je viens vous demander'
J'hospitalité pendant quelques jours. Je suppose que
vous êtes à la Baule et je me réjouis de vous retrouver, bien chère tante, qui êtes toute ma famille.
« Jo vais prendre le chemin des 6coliers pour revenir'
et je n'envisage pas être auprès de vous avant le
d~but
do la semaine pl'ochaine. Voici quatre ans
Inentôl que je ne vous ai revue eL je ne vais certainell!ent pas reconnaitre AlielLe, ni mos petits cousms .
• « J'esfèl'e cependant que nous nous eulend,'ons aussi
blCn qu avec les Siegl'id quo je viens de quitter, eL,
Sur co bon vœu, je vous ombrasse bien afTecLueusement, ma chère LanLe, el je souhaite do tout cœur quo
ma drmande ne vous importune pas et soÜ agréée
favorablement.
Votr'e neveu respectueux,
FRA NÇOIS, »
f
�UN MAII.IAOE P,OMANESQUE
J\lioLle tendit la letLre à su maman et lui dit :
- .Qu'est-c~
~ue
vous. allez répondre? Que vous vo~
·
loz blen de lUl ~ Oh! OUI, maman, recevez-le , ce seraIt
si amusant ce grand. cousin qui serait toujours avec
nous . Je l'emmenerul au tennis et comme il doit sûre·
ment bien jouer , nous battrons tous les autres . Ce
pauvre François, ce doit être si triste pOUl' lui d'avoir
perdu tous ses parents et de n'avoir pIns que vous.
Et ~ncOt
' e vous n'êtes pas sa tante, vous n'êtes que la
cousine de sa mère?
« Oui, ma chérie, mais sa mère et moi avons été élevéos comme doux sœurs , ot j'aime le fils de ma chère
amie comme s'il était mon propl'o neveu .
(( Son père n'a pas survéc u longtomps ù sa femme et
j'ai éerit alors à François ùo considérer toujoursma mal.
son comme la sionne. Il n'on a guèro abusé, puisqu'une
fois sos études terminées il est parti au service, puis il
l'étranger , et Lu vois, il 10 dit lui-même, quatro années
so sont passées depuis que nous nous sommos vus .
« Cela va lui fmre du bien de se trouver un pou au
calmr., dans notro tranguillo Saint-NolfT, car il aura
beaucoup à fairo onsmto pour remettrù au pas ses
métayers qui ont usé ùa son absence pOUl' prendre
des habitudes ùéplorablos. Il fait bien do venir faire
provision de bonne h~moui'
avant de partir afTronLol'
sos gens - 01', pOUl' tOI ce Il :ll'a un grand frère qui te
distraira 01', t'3 réco~pI
.s el'u
de toute 10. peine que tu
pl'onds avec los peL1 ts. »
c( Je suis bien contente [u:il n'ait pas oublié notre
maison, j'ai conservé de lUI le souvonir d'un O"rancl
garçon qui ne faisait gU,~I'o
atlention à moi;" mais
main[.enant pout·ê~e
(JU 11 ne me prondra plus tellemont pour une gamme?
.
« J r. vais aller rendro la. lIborté aux garçons qui ont
tnériLé d'allor se dégourùlr u~
peu les jambes, après
être l'OS tés à peu près Lro.nqulllc3, cet upl'ès-midi . Je
vais les ommenor ù la plago et j'annoncel'ai la vonue
d'\UlllOUveau ·oom pagllon Ù Lout le clan 1 1
�UN MARIAGE ROMANESQUE
15
Et so coiffant d'une vaste capelino d'organdi, AliettlJ
nt l'angor cahier"
Jean-Lo~ü,
qui
condui~at
et livre~
e~ sou!> l'escorta de JojH et
oUe affronta la voio brû,lante, de lumière
à l'Océan b.i enruisant.
nes rÎl'~!\
fusèl.'eo,t ~ous
la tente où touLe la b8.I\de
réunIe et où 10 moindre incident était préte~6
~ mil~e
commeptaires.
(( Voici Aliette et son cousin! »
Les têtes se ponuhorent et tous los yeux se diri·
gèrent vers les d.eux jeunes g lms qui, d'une belle
allure sOllple, marchaient le long du flot et so rappro·
chaient du cenire de ralliement. Un peu plus grand
q1,le sa compagno, François avait les apparences <;lu
plQs charmant cQusin que l'on puisse so souhaitei'
pour agrémenLer les vacances, ot depuis qui!).ze jours
qu'il élait ol'rivé dans la famille L'Hosto i~ n'avait
cossé do donner raison il Aliette do s'ê tre réjouie ~
!'a,vaneo de lia venvo. II réun~sa.iL
à lui seul toutl:1$
IBo quali~é:>
do Guy, Jacques et Gilbert habituels, ei il
~IJ/l.jt
Qn pilli! un charme ot un attrait auxquelf> 11&
J~UTlP
cOllsille n'a vai~
pu l'ester bien longtemps ipsen.
slPle.
'J'oujOUf'1' de bonne bum\3ul' et tOQjours prôL à faire
co q1,l'on proposnit, ~xcelant
d/lnll tOllil lea sports
( lC!.u~rna
il oxr;eUait, en musique, au COl.lrllnt do toutes
~hos
à tel point qu'Aliette l'appelait (( son aouilin
Larous~
», très afIoctueux pour /la tanto, trè~
vigi·
lqn ' ~ pOUl' Joël tlt Jean-Louia, il semblait êtl'o pourvu
do tous lçs dons pOtl!' prep,dro les cœurs .. , eL celui
ù'J\liatte IL'avait pail été Jon~
à f,lfl dOJl1\6r,
SOUIl Iles tlllllrel! çl6tachées, ella S'j3ssflyait à QuchQr
cOQlbjijp elle t\3nl:!.it à la, présf3nce de F rllnçois auprès
d'elle l et combieI1 ellQ voulait qu'il lui accol'dat en
Lout la, pr6fôQ)1O~,
Et lui-même ne demo,ndait qu'à
j'ester près de cette charmanto jeune fille qui lui rené~ait
�16
UN MARIAGE ROMANESQUE
dait le goût de la vie de famille perdu dep uis si longtemps. Après les an!lées d'int~ra,
p'~is
de stages :\
l'étranger, cette reprIse de la VIe famIlIale, en France,
le comblait de félicités et il n'avait pas de mots assez
fervents pour remercier Dieu d'avoir mis sur sa route
solitaire dcs journées si bonnes à vivre.
Un avenir incertain l'attendait dans cette propriété
vendéenne qu'il allait avoir à diriger et à r eprendre
peu à peu des mains (les métayers matois qui, depuis
qu~tre
ans~
~taien
le ~
seuls maîtr~s.
« La Valinigre JJ
était une rcsldence trIste pour un Jeune homme se ul.
Le mano ir ancien était entouré d'un grand bois qui
, l'éloignait de la grand'route et l'isolait des maisons
voisines, cL François envisageait sans gl ande a11é"l'esse la p erspec tive ùe dememer seul dans ces
gra ndes pièces inhabitées depuis 10ngLernps.
Si bien qu'entre ces deux p ériodes de sa vie d'orphelin, le pal:!sé eL le futur, le présent était pour lui
un enchanLement qu'on peut êl['e assuré qu'Aliette
partageait. Infatigables tous deux, ils partaient dès le
maLin pêcher les moules parmi les varechs et les
rochers de Pornichet. Ils s'émcl'veilIaienL des all'l'ues
ravissantes qui s'étalaient en touLe tr'anquilIité dans
un miroir d'cau formé au creux d'une roche. Ils pourchassaient les crabe.> ct les forçaient dans tous leu rs
reLrancbemonts. Ou bien ils parlaient vers le vieux
port du Pouliguen pêcher les ngudeaux. Agenouillés ,
a:'?eur pour en extraire les
li s grattaient le sable ~vec
coquillage.:! dont un mtnce onflce s ur le sol d6celait la
présence .
.
D'autres fois, mUlliS de grands filets, ils allaient à
marée basse fai re des pêches miraculeuses de crevettes gl'ises . ct l'avis. ~e
leur adresse ils arrivaient
en trombo dans la CUlsmo et remettaient triomphalement à Maria le contenu de leurs paniers; et celle-ci,
touchée de leur plaisir, n'osai t manifester Bon mécontentement Ile ce travail Bupplomen taire.
Chaque jouI' au:;s i ils se re nclai!lnt au t ennis et dans
•
�17
UN MARIAGE ROMANESQU:t
ce site ravissant, entouré de dunes, de pins, de jolies
villas qui évoquent la Provence et ses mas, des parties acharnées se disputaient
Rompus à toutes les finesses du jeu, se complétant à
merveille, ils formaient une équipe inégalable contre
laquelle s'essayaient en vain les plus forts. Et pour
Aliette, passionnée de ce sport, ce n'était pas le
moindre mérite qu'avait François à ses yeux de la'"
rendre si souvent victorieuse.
Ce jour-là, ils étaient allés faire quelques emplettes
pour Mme L'Hoste et après avoir musé en route, ils
rejoignaient leurs amis. C'était l'heure traditionnelle
du bain et leur retard n'était pas demeuré inaperçu
aux yeux de leurs compagnons qui les accueillirent
de mille plaisanteJ'ies. Ils laissèrent passer en souriant
le flot de reproches puis, une fois le tumulte apaisé,
Aliette leur dit :
- Tenez-vous bien, je vais vous annonCer une nouvelle sensationnelle: les Anglais so sont faiL inscrire.
Il Comment le sais-tu?
Il Nous venons de rencontrer la secrétaire du club
qui jubilait. Jamais ma\.ch n'I\ eu tellement d'inscriptions et cet après-midi les Robertson qui tergiver·
saient depuis SI longtemps, sont allés la trouvor dans
son bUfoau et apres de longs palabres ils se sont
décidés à s'engager :pour 10 double-mixte. Il n'y a
pas eu moyen de les décider à faire les simples, je
crois que l'un sans l'autre ils ne vaudraient plus rien.
La secrétaire pense qu'ils hésilaient à mettre l'honneur d'Albion en jeu, mais que les aulres Anglais leur
ont paru jouer si mal qu'ils ont voulu es~ayr
de
donner une chance de plus à lour pays d'être triomphateur.
« Ils prennent cela très au sérieux, ils ont demandé
l'adresse d'un masseur et ont expliqué qu'ils ne se
bai.gneraient plus d'ici les tournées, afin de ne pas se
fatIguer. »
Un éclaL de rire général ~ermina
la phrase.
2
�18
UN MARIAGE ROMANESQUE
(( Vont-ils aussi se nourrir de biscottes ou faire un
pèlerinage? ))
(( Eh bien 1 mes enfants, voilà du nouveau, car nous
allons avoir à faire à forte :partie. Je les regardais ce
matin, ils ont un jeu admIrable et ne laissent rien
passer. Ils pilent tous leurs arlversaires et je plains
ceux qu'ils rencontreront, ils l30nt exterminés il
l'avance. ))
(( Guy, vous êtes un défaitiste, et je ne suis pas du
tout de voLre avis. Évidemment, les Robertson sont
d'excellents joueurs, mais ils ont très mrmvais oaractère, et en los houspillant de balles plac6e3 {Ians tous
les coins du court, sans raison apparente, jo suis sû.re
qu'ils seront démontés cL qu'il sera très facile d'exploiter leur rogne pour prendre l'avantage . »
«( Aliette, vous parlez comme un livre, mais je vom
souhaite lout de même de ne pas "tre dupremiel' coup
sur leur liste si vous avez l'espoir de gagner la
coupe. ))
( Nous verrons cela; pour le moment, comme je
ne sacriflerien à mon entraînement, laissez-moiremonter dans la cabine ct dans une minute, tout le monde
en haut du plongooirl
• u' A'no~s
de ;er~i,·Alt
. Si ;ou~
~e g~;ez
jeu:
là je réponds dc]a partie. ))
'Un sourire plein de confiance remercia Fmnçois do
ce mot d'encouragement et bravement la jeune joueuse
prit ues mains du petit ramasseur les premières balles
de son service.
Les voix CJ.ui s'6tai?nt 6lev~s
pendant ~os
quelquA8
secondes qUl séparalOnt les Jeux, s'abalssèrcnt dès
que partit la première balle et au tumulte sucoéda un
silence impressioIUlant.
Tous les spectateurs étaient tendus dans uno môme
a~teno
et .ne per~ait
pas une phase ~u
flnal passIOnnant qUl so jouaIt SUl' le court. L'éqUl~e
L'HostoArtannes avait gagné le premier sat par 6.~,
mais les
�UN MARIAGE ROMANESQUE
19
Robertson avaient remonté le second set et le scorre
~tai
maintenant 5.5.
Toutes les sympathies étaient pour la jaune équipe
française qui faisàit preuve d'un cran et d'une virtuo·
sité admirables . Leurs adversaires, plus scientifiques,
mais moins souples, ::l'employaient de leur mieux et il
était difficile de prédire de quel côté serait la victoire.
C'était un grand match qui se jouait êt nul no
restait indifférent. U Il fluide émanait ùe ceUe assistance où ne manquait aucun des amis de la plage et
François eL Aliette sentaient s'établir un courant chargé
de magnétisme de part et d'o.utre du grillage, de
~ême
qu'eux deux se sentaient unis par un lien
Impondérable.
Dans cette ambiance si propice, un instinct sûr
dirigeait chacun de leurs gestes et ils se sentaient
accrus de cette lucidité que leur donnait la volonté
de ne pas décevoir les amitiés qui les entouraient.
Sa jupe :plissée, tombant comme une ohlamyde SUl'
elle, ses jolIs cheveux blonds serrés dans le bandeau
de soie qui les maintenaient, Aliette semblait une
statue bronzée vêtue de blanc. Brûlés de sel et de
soleil, ses jo.mbes, ses bras ct son visage so détaohaient
Sur co fond de blancheur et rendaient plus visibles
tous les mouvements qui la faisaient aller et venir
dans oe combat qui ne lais s ai~
pas do répit. Elle
bondissai.t commo un félin, puis, dans uno détente de
tout son corps, renvoyait la baUo dans le coin précis
du camp ad'Jerse où olle était le plus diffioile ù
reprendre. Do violents applaudissements saluaient
les coups réussis et, grisée par le jeu, ello atteignaili
les limites de la perfection.
François étant si bien seeondé par une pal'lonaire
toujours sur le qui-vive, réalisait, lui aussi, dos prodiges.
II voulait vaincre, non pas pal' gloriole, mais pOUl'
donner à Ea petite cousine la joie de la victoire. Tout
Son corps clamait tellement l'ardeur de la lutte et le
la taLisfail'O.
désir de réussir, qu'il voulai~
�20
UN MARI AGE ROMANESQUE
C'était si merveilleux de ne faire qu'un, de ne pas
avoir fi parler pour se comprendre et d'évoluer sous
les yeux de tous avec la sensation encore profonde
et mal définie d'êtra isolés des autres et d'être eux
seuls parmi la foule. QueUe impl'ession enivrante
d'être ainsi rivés l'un à l'autre pour un sort commun
qui dépend de tous les réflexes de l'un et l'autre qu'un
seul cerveau semble commander.
François admire sa petite compagne qu'il chérit
d'être si jolie pat' cette belle journée, dans ce cadre
id éal. Son œil enregistre ce film qu'il vit. Il sait que
jamais il ne pourra oublier cette villa rose qui domine
les courts, les pins, les pelouses, les massifs fleuri s, la
foule élégante et passionnée qui s'incrustent sur sa
rétine et forment le fond qui convient pour la chérie
qui, près de lui, semble la réincarnation d'une tanagréenne.
Ses mâchoires, légèremen t contractées, indiquaient
la tension de son être aux aguets. Puis un sourire
juvénile éclairait ses traits lorsque la balle avait
atteint le but. Qu'il était bon d' êtro le camarade
qu'elle avait choisie parmi Lous et qu'il serail bon de
pouvoir dom curer la vic entière 10 camarade qui
essaye de gagner dans toutes les compétitions et
qui peut donner la joie à l'aimée d'être loujours la
première !
Que cetto AlieLLe élait charmante et quelle femme
exquise elle ferait . Elle défendrait son foyer avec
toute l'ardeur qu'elle mettait ft défendre son équipe
et la volonté qui se lisait dans ses grands yeux bleus
assurait qu'elle saurait combattre sans lassitude
pOUt' le bien-être et la sécurité de son ménage 1
La l'oule semblait fondre aux yeux de François qui
ne la distinguait plus. Seule comptait l'allégresse qui
se 1ut sur les traits adorus lorsque l'arbitre annonça:
(( 6.5, MlIo L'Hoste, mène dans le second set. »
Des tonnerres d'appl audissemen ts saluèrent le
résulLat d'un jeu achat'nf\ où chacun avait donné son
�UN MARIAGE ROMANESQUE
21
maximum. Un efTort encore et les deux cousins
seraient vainqueurs, non pas seulement du tournoi
de tennis mais, ils le sentent bien, de l'épreuve ~ue
la vic leur donne pou!' faire éclater un amour qu ils
se sont cachés jusqu'alors.
•
Les joueurs changont de côté, une brève lueur
d'entente afIecLueuse s'échange entre partenaires
dans les deux camps et le jeu reprend, qui peut décider du triomphe. Seule, la voix de l'a!'bitre rompt le
silence. De son siège élevé il domine la bataille et ses
paroles sèches martèlent tous les tympans.
Quinze. .
Quinze à ...
'frente.
Trente à.,.
Quarante.
L'instant est angoissant, les Anglais emporteront,ils ce jeu? François tient le sort de la partie entre les
mains; d'une riposte foudroyante il répond à la virtuosité de son adversaire et par un smash audacieux
ramène le jeu à l'é~ait6.
C'est Aliette mamtenant qui doit être servie. Une
oraison jaculatoire monte ù ses lèvres.
« Mon Dieu, faites-moi gagner. Je serais si fière
d'avoiL' la coupe, pour la première fois que je lutte
avec François. »
Cette prière fervente atteint son but, Aliette drive
avec frénésie et l'Anglaise renvoie la balle out.
« Avantage dehors. »
Une môme oraison monie aux lèvL'es de François:
« Mon Dieu, faites-moi gagner et donnez-moi Aliette
comme femme. »
Et dons un geste supr'ême, jouant .l'enjeu merveilleux dont dépend le bonheuL' de sa VlC entière, François gagne ln balle du set et n'a pas de plus belle
récompense que le regard cha~gé
d'amour et de
reconnaissance que lui lance l'mmée qu'il voudrait
saluer devant tous, du doux nom de fiancée 1
�CHAPITRE lU
« Mme 'de Clèves acheva de danser et, pendant
qu'elle cherchait des y eux quelqu'un qu'oUe avait
dessein de prendre , le roi lui cria de prendre colui
qui arrivait. Elle se tourna, et vit un homme qu'elle
crut d 1abord ne pouvoir âtre que M, de Nemow's, qui
pass.ait par-des~
guelquos siè~el
pour arriver où
l'on dansait. Ce prmce était falt dlune telle sortp,
qu'il était difficile de n'êLre pas surpris de le voir
quand on ne l'avait jamais vu, sur~ot
ce soir-ln,
où le so~
q~'il
avait .llris. de :;le paroI' augmentait
encore l'aIr bl'lllant qUI ~taI
daM sa personne, maiR
il était a\Hlsi difficile do vQir Mme de Clèves pour la
première fois, sana avoil' un grand étonncIJlent.
M. de Ncmours fut tellement surpris de sa, heauté
quo lorsqu'il fut procho d'elle, eL qu'eUe lui .nt l~
révérence, il n~ put s'empô~hr
de dODIwr des TllarflUOII
de son admiratIOn. Quand Ils comm(}ncèrent ft clanser,
il s'élova (lans la salle un murmnro do louaJ;lgell.
MicHo fiuspondit UnQ seconde ln looLure qu'olle
fai sait à voix haute.
~ Oh, mamanl que je vou~rlis
ôtr~
lltlsl;li belle quc
la Princesse de Clèves el VOl!' les I1flnces et tous lea
!1ommeIJ m'admirer comme ellp-méw1 était ~dnûréo.
Commcn\ pet1saH-elle p.e pUiI être heureuao dfl cea
murmtlres de lou~ne
s qui s'élevfllent autour d'pUa? »
Du lit où, o11u élall couchéo dopuis plu/liour!) jOUl'fI,
�UN MARIAGE ROMANESQUE
23
Mm~
L'Hoste r(\~at'd
le tableau charmant que formait sa fille entouie dans un fauteuil, ,près de la
cheminée où pétillait un feu de huches. Eclairée par
les reflets des flammes et par la douce lueur d'une
lampe dont l'abat-jour rose a1tivait ses traits, Aliette
avait bien l'air d'une petite princesse de contes de
fées ·. Ses cheveux formaient un halo lumineux autout'
du petit visage pensif dont les grands yeux tournés
enclos l'appel d'un mot encouvers sa mère te~ain
rageant. Ses longues jambes minces étai{)n~
haut
croisées et servaient de pupitre au livre dont elle
faisait la lecture . Une rohe de chaud lainage sombre
mettait en valeur la souplesse de sa taille et 10 col
blanc faisait ressO!'tir la grâoe du cou.
Charmée par cette vi, ion délioieuse, Mme L'Hoste
s'y attarda et oublia quelques instants la flèvl'e tenace
et le mal qui la minait sourdement, defuis son retour
ù Mortagne. Dans son cccur materne, elle songeait
que nulle ne pouvait être plus jolie que sa fllle et
qu'au hal do lu cour M. de Nemours serait aussi venu
vers elle. Elle avait déjà pu se rendre compte combien AIlette savait attirer toutes les sympathies et
elle aurait fait le sacrifice de sa vie aveu plus de
courage si clle avait vu le mariage do sa fille avant
de mourir.
Car elle sentaiL bien que la source de la vic était
tarie en elle et qu'elle vivait ses demiers jours. C'est
pourquoi elle s'était vivement réjouie il la Baule de
voir l'aIIoctioll do Fra.nçois ct. d'Aliette se muer en
un amour qu'elle était toute pi'êto à bénir. Elle
n'a~rit
pu ~ouheitr
rn.eilleur mal'Ï po~r
sa .fille et
avaIt compns quel excellent protecteur Il. ser/nt pour
elle et ses jeunes frères. Aussi ne POUVaIt-ollo manquer d'être tristemont impressionnée cn remo.rquant
que depuis son retour ù la Valinièro les visites de
François se faisaient plus rares et plus brèves. Et
elle ne comprenait que trop aussi pourquoi AlietLe
souhaitait voir tous los princes ù seEl gonoux ...
�24
UN MARIAGE ROMANESQUE
Rompant le silence qui prolongeait l'exclamation
de la lectrice, la malade eut la force de sourire et de
ramener la quiétude dans le jeune cœur anxÎflUX .
« SÙI'emenL que si M. de Nemours revenait sur terre
il solliciterait l'honneur d'êLre présonté à Mlle L'Hoste,
et. je ne doute pas qu'au casino de la Baule vous
n'auriez gagné tous deux le concours de danse au
milieu d'un tonnerre d'applaudissements comme la
cour n'en aurait jamais connu. »
(( Ah , maman 1Vous vous moquez do moil Mais vous
savez que je ne suis pas si exigeante, et à défaut do
O'!'ands seigneurs,
je me contenterais très bien de mort:>
••
tels moms importants. »
« Oui, pourvu qu'ils s'appellent François et qu'ils
soient un peu cousins. »
Les joues d'Aliette prirent une teiute du plus beau
rose et pour masquer le trouble dons lequel l'avait
jetée celte réponse de sa mère, elle se m iLà ~enoux
et,
sai !lissant le soufflet , se mit cn demeuro d activer le
feu. La flamme s'éleva et fit crépiter l'écorce qui
recouvrait les bÜches, la braise rougeoyante prit une
couleu!' plus fulgurante, un panache d'étincolles
s'éleva et la petite garde-malad() pl'it l'aspect d'une
des belles esclaves couvertes d'or qui aidaient Vulcain, le dieu forgeron, lorsqu'il fabriquait ses armes
étonnantes .
« Il vaut mieux, je crois, si je veux encore danser
ne pas désirer uniqem~t
d~s
Fran9ois, car tous n~
sont pas très constants et .le rIsql!-erals de faire t.apisserie . Tout autre mortel me convwndl'ait aussi bien et
je me sons prête il épouser n'.iroporle lequel pourvu
qu'i l sache m.e dire des choses al!Db~s
et quo je puisse
montrer au leune e1i beau danOiS qu 11 n'esL pas seul au
monde eL que l'on peu L so passer de lui. »
Uno telle amerlume émanait de ces propos que la
malade sentit son cœur se serrer deyant une tristesse
qui ne s'éLuit jamais fait sentir si librement.
La p::mvre Aliette avait tellement de courage qu'elIc
�UN MAIllAGE ROMANESQUE
25
parvenait toujours à cacher ses préoccupations et il
Jaire taire ses angoisses. Mais ce jour-là cette lecture
l'avait bouleversée en lui rappelant les soirées enchantées où François l'avait tenue contre lui tandis qu'ils
dansaient auprès de l'Océan, témoin solennel et bienveillant de toutes leurs jeunes amours . Ce pr0nom lui. même, si bien de l'époque où le livre la transportait,
lui faisait évoquer celui pour lequel un si tendre souvenir était conservé; et de lui aussi elle pensait que
cc ce qu'il avait de moins admirable était d'être l'homme
du monde le mieux fait et le plus beau . ))
Mais les semaines passées lui faisaient douter de
l'attachement de François, à peine une visite brève,
un mot de sympathie pour sa tante ... la vie devenait
de plus en plus triste dans la grande maiEon de Mortagno où s'éteignait celle qui en était l'âme.
Le chef de famille n'avait d'intérêt que pour de
nouvelles installations dans sa laitel'ie, les deux garçons avaient été mis pensionnaires à Nantes. Et toutes
les heures d'Aliette s'écoulaient près du lit de sa mère
tendrement aimée, dont elle savait que les minutes
étaient comptées. Toutes ses facultés étaient tendues
pour adoucir ses sou:ITrances, lui cacher ses appréhensions ct égayer ses journées dans la limite du possible.
Aussi eut-elle un mouvement de regret ù'avoil'
parlé ainsi ct déposant l'innocent soufflet qu'elle
manœuvrait avec rage, elle vint s'asseoir sur la peau
d'ours blanc qui servait ùe descente de lit cl, saisissant
la main pâle qui se distinguait à peine du drap y
déposa un baiser plein de fervente affection.
Un sourire d'orgueil erra sur les lèvres de la
malade; une fugitive animation lui permit de se soulever sur son oreiller.
c( Ma petite ehério, il no faut pas désespérer de la vic,
il ne faut surtout pas se laisser conseiller par le dépiL
qui ne conduit qu'à. des voies néfasLes. Quand tu continueras ta lecture, une autre fois, tu liras bien attentivement les conseils qu'à son lit de mort donna
�UN MARIAGE ROMANESQUE
Mme de Chal'tres il
sa fille devenue princesse de Clèves:
le poril où je 'vOUi! laisse, et le besoin que vous avez
de ,moi augmentent le d6plaisir que j'ai de
qUItter. Il
(( Je ne sais pas si Diou veut encore me donner de
longs jours à vivre, mais je le prie à ohaque insta:nt
pour qu'il t'accordo le mari quo tu m6ritcs. François
me parait digne d'être celui-là, j'ai confiance en lui
et s'il parait te négliger, ne le juge pas trop s6vèrement
sans savoir s'il n'a pas des excuses qui te paraitront
excellentes quand il viendra te les donner.
(( Et maintenant, ma petite fille aimée, loisse-moi
reposel· un peu el, descends voir si rien no cltJcher'u
10l sque .ton père viendra pour le diner. II
Un long baiser unit ces' doux êtres d'6lite, ces deux
âmes qui s'entraînaient au sacrifice on le maaquant
sous un sourir.e, et toute émue ~'avoil.
parlé avec sa
maman de son cher seCl'et préCIeusoment gardé jusqu'alors, Aliette se leva doucement et, avec regret,
s'éloigna de oette pièce où la fin du drame n'allait plus
tarder beaucoup il se jouer.
Il
""Us
De grands cartonniers verts et d'épais rideaux
as!!ombt·ij:lsaie.nt enc?re la pièco 6tro!to qu'un jour
avaro éclairalL à pome. Uno tablo nOlro chargéo do
dossiers quelques chaisos do paillo, tel était le décor
de l'étude de Mo Lenoir, notaire à Mortagne. Il n'avait
été question que de o~iJlr8,
d'articlès du codo, de
dispositions te8am~n3S
et l'appe,l des titres r~m·
plaçait les répons des psaumes de l.omce mortualro.
Depuis quinzo jout's la terl'O recou."ralt 10 pauvro corps
qui avait telloment sou/Tert; déjà les fleut's des couronnes étaient flétrio::!, la chamhre do la malade avait
repris son aspeot habituol et la vie n'accordait pus un
plus long répit ù ceux qu'elle avait meurtris.
�UN MARIAGE ROMANESQUE
~7
Après les sanglots, les comptes. Après les prières:
les lois. Apros la douleur, la lutte.
Car M. L'Hoste n'était plus le maHro de la propriété qu'il oonsidérait comme la sienne . EUe revenait
;l Iles enfants ct ceux-ci étant mineurs, il fallait la
mettre en vente. Le coup était dU!' pour celui qui
l'avait considérée comme sienl1Q et lui avait oonsacr6
le meilleur de lui-môme. Mais In loi était là ot malgré
ses proteslalions il allaiL être dépossédé;
Dos soènes pénibles avaient ou liou sous les yeux
indifféronts do Malesherbes ot de BOl'ryor qui, du haut
de leurs cadres d'or éteinL, aseistaient impassibles aux
luttes conLinueUes donL l'argent 6tait cause . Un conseil de famille avait 6té réuni, M. L'Hosta était do
droit le tuteur de ses enfants et 10 subrogé tuteur
aurait dû être le grand-père maternel, M. do Plaissièr!.\. Mais ao dernier, déjà tl'~S
âgé et très laf\, avait
décliné cotte char~e
qu'il ne pouvuit nSS\lU10r et
avait prié FrançOls d'Artarnno, leur plus proehe
parQnt, do prendro sa plaoe.
C'Mait un devoir difUcile à remplir que celui de sou·
tenir los intérêts d'Aliette contre oeux do son pèro et
il avait bien hésité avant d'noceptor . .
COli dernières jOUl'nées de tristesse et de deuil
l'avaient boulovortlé. Le cl'Ï désospéré d'Aliette au
seuil de la pièoo où agonisait sa. mère t « François, enfin
voue! » ce cri retenlissait sans cosse il SOf! oroillos. 11
Qonlen!lit un . t~l appel do p'l'olocLion o.~ do lIouLien, un
pathétlsIDo St mtonse qu'lI no pouvait plus entendl'o
rien. d'autro depuia, La JUOllranto avait fait un très
l ~ger
JQouvement, oh, ~ jon
léger 1 et i.1 o:yai~
semblé à
}; l'IlUçois, en l'ernbrailllilnt, qu'olle lUl dmuL: cc Mon
fils. »
DieusaiLIl'ila,vaiL dostl'6 pouvoir l'appelor «Maman»,
lui Ilusfli, ct s'il a vai t dfl !If) l'ctonir bien souvent pOUl
ne Pas venir la trouVllf qt lu~
a.vouor son amour pour
celle petite cO\wine ~ui
occupait toutes sù:l p Clllléo;; 1
Un IUnour fou gral1dlSllait en lui i nuit cL JOUi' il pen-
�'28
UN MARIAGE ROMANESQUE
sait à elle et à force de les contempler il avait usé
toutes les photos prises d'elle à la Baule. Il la voyait
nageant, assise sous les pins, dans les dunes, au balcon de cc Saint-NolfT », dansant à Ker-Causette, disputant une course d'ânes sur la plage, jouant au tennis
ou manœuvrant la pagaie, toutes poses où se retrouvaient partout sa grace et sa joie de vivre 1
Pour elle, il se dépensait en eiIorts surhumains afin
d'assurer au plus vite la situation qui lui permettrait
de l'épouser; crainte de céder à la tentation et de
brusquer une demande qu'il ne voulait pas précipitée,
il avait eu l'héroïsme d'espacer les visites eL lundis
qu'il faisait tuire son cœur qui criait d'amour pour
l'aimée, il ne pensait pas qu'il faisait aiIreusement
souiIrir celle qui était le buL de tous ses actes.
Aussi avait-il tressailli en voyant avec qu'elle confiance AlieLte s'était blottie dans ses bras, comme si
avec lui pl' s d'elle, la mort ne pourrait venir faire son
œl1vre. Leur jeunesse défiait la dévastalrice et, brisée
des nuits d'angoisse passées près de sa malade chérie,
ello semblait retrouver ses fOl'ces auprès de celui
qu'elle avaiL si ardemment attendu ...
Il avait été pour elle l'ami qui sait consoler ct adoucir, qui écarte le désespoir ct amène la résignation.
Et maintenant il sc montrait le conseiller sùr, celui
qui ne craint pas le poids des responsabilités ct sait
défendl'o ceux dont le sort lui esL confié.
Dans la sombre étude, il avait dû élever la voix et
fairereconnaitre les droits des enfanLs. cc Le Colombier»
qui avait connu le mariage ct l~ mort de Mme L'Hosle,
avait été mis en vente ~L ava.lt été racheté pal' les
vieux parents de celle-Cl. ~rUlgnat
que leur gendre
ne se remarie ct ne se BOUCle pus de Pl'ondre on mains
les intérêts de sa mIe et ses ms, ils comptaient s'y
installer ct poursuivre lour gérance j llSqU'Ù la majorité
du plus jeune. A cc moment, tous trois seraient on
âge d'aviser et de s'entendre entre eux.
Il était à. redouter, en effet, que le veuf ne so laisso
�UN MAlUACE ROMANESQUE
29
séduire par une autre femme désireuse de s'assurer
une situation et de faire favoriser les enfants qui pouvaient lui être donnés . Et afin d'éviter que leurs
petits-enfants ne soient spoliés, M. et Mme de Flaissières avaient pris la décision de pousser les enchères
afi n de se rendre maîtres du Colombier.
Ceci ne s'était point effectué sans récriminations et
le chagrin ayant eu peu de prise sm son âme,
M. L'Hoste avait cherché par tous les moyens, même
peu honnêtes, il demeurer seul propriétaire.
Mais le fail était là, Malesherbes et Berryer assistaient à la défaite de celui qui , peu de temps auparavant, fonçait comme un vieux solitaire sur les membres
du conseil de famille, et le notaire, blasé sur l'écœurement de ces spectacles, enregistrait les accords définitifs.
Aliette et son père iraient vivre ù Nantes, ce qui
éviterait aux petits d'être plus longtemps pensionnaires . Ils ava lent été tellement accablés de ne :{>lus
revoir leur maman vivante et leur douleur en étaJt si
poignante que leul' gl'ande sœur les avait bien assurés
que tout serait mis en œuvre par elle pour qu'ils ne
soient plus longtemps isolés.
Elle les avait, pris sur ses genoux et avait su trouver les mots qui adoucissent le cœm et font se calmer
ces sanglots qui font mal... Si émouvanLs dans leurs
uni rormes de collégiens, ils ne voulaient plus quitter
leur aînée qui remplaçait si courageusement, leur
mère et tous trois sc tenaient serrés commo le font
des poussins privés de l'ailc maternelle, chaude et
protectriee.
Ils étaient contents de savoir que leur père habiterait sa maison, qui, par miracle, élait vacante, et la nouveauté de cotte vie Ildoucissai L leur chagrin.
Ali ette ne se dissimu lai t pas que les journées à venir
allaient être bien péni lJles et que le caractère de son
�30
UN MARIAGE ROMANESQUE
père ne pourrait que se ressentir désagréablement du
fait qu'il se trouverait dépossédé de son seul amour,
sa laiterie.
Mais elle était vaillante et elle chantait l'espoir que
François la désirait comme femme. Ils ne s'étaient
rien dit, nul aveu n'avait jailli de leurs lèvres j mais
n'était-ce pas l'amour cette quiétude éprouvée lorsqu'il était là, ce baume mis sur la blessure saignante
lorsqu'il arrivait près d'elle et lui disait d'une voix
profonde, dont les résonances la faisaient vibrer délicieusement : « Petite Aliette, je viens pleurer avec
vous, donnez-moi votre cœur, que nOus souffrions
ensemble 1 »
�CHAPl1'HE IV
Nantes, la ville aux dix-neuf ponts, est un enchantement pour le poète qui la parcourt. Paysage d'oau
merveilleux, que ce soient l'Erdre ct ses quais, l'Erdre,'
ce ruisseau qui subitement devient fleuve, s'élargit en
une suite de lacs évoquant les fjords scandinavesou la Sèvre ~ui
ne cherche pas la majesté, mais les
aux âmes paisibles.
douceurs ot l'mtimit6 et pro~e
la douoour do ses rives bordées de grands arbres qui
offrent une ombre tutélaire dont profttont pêcheurs et
amOUl'OUX - ou la Loire, reine majes~u
qui, au
sortir de sites grandioses, de collines couronnéos de
châteaux qui lui forment un diadème royal, doit se
fairo démocrate ct so frayor un passage dans la foule
bruyante qui no vit quo d'ello. Qui pounait. transcrire la symphonio incessante des sirènes, des treuils,
des machines, retracer le spectacle des barques évoluant on tous sons parmi les navires amarrés portant
pavillon de toutes nationalités? ct quels vers dÎl'ont
lu poésie subtile qui 50 dégage de l'acLiviLé inLenso dos
quais, du modernisme de son porl, de la puissance du
lllétal qui triomphe partout, alors que sur ce môme
quai de vieilles demeures évoquent les temps. de calmo
c~mn:ero
mais ~'ûme8
inquiètes? ~evant
l'0.utillago
tltamquo du quaI enfiovr6, la v6nerable maIson dos
Tourelles monLe la ?ardc. Elle consorva l'honnout'
d'avoir logé Honri 1\ lorsqu'il vint :signol' 10 fameux
�32
UN JlfARIAGE ROMANESQUE
édit ... les années ont pu passer sur elle, rien n'a pu
altérer sa sénérité de grande dame qui sait conserver
ses distances ...
Nantes, ville historique où fleurit le souvenir du
sanguinaire Gilles de Hetz, de la duchesse Anne, de
Cathelineau ct de la duchesse de Berry, Nantes, porte
de l'Occident, qui pourrait dire son charme et Son
attrait? Elle évoque tour à tour Venise, Bruges, voir
Bougival et la Grenouillère, avec sanuée de canots qui
dansent SUl' l'eau que le flux agite. L'Océan est proche,
mais avant de le rencontrer avec son âme VIOlente,
qu'il est doux de jouir de Nantes dans ses coins paisibles d'où émanent tous les parfums de la Bretagne,
le genêt, l'ajlJnc ... et même les crêpes de sarrasin
dans lesquelles il faut coucher l'odorante saucisse ou
la tranche de lard poêlées!
Chaque rue a son ambiance propre, chaque monument sa personnalité. Puisqu'un paysage est un état
d'âme, chacun peut y trouver le reIlet de ses pensées
suivant qu'il est d'humeur joyeuse ou chagrine.
Pour Aliette ce fut un dérivatif bienfaisant à son
immense douleur que de venir sc fixer dans cette ville
qui n'avait jamais reçu d'elle que de brèves visites.
Après le ch~grin
a~reux.
qu'el~
éprouva en quittant
'la chère maISon qUI avaIt vu s écouler son enfance,
elle trouva une accalmie salu tairo de sa peine dans
l'organisation de leur vie et l'installation de leur nouvelle demeure .
La joie des petits . collégiens à quitter l'inLernat lui
fit un 11laisir bien VIf ~t elle se mit avec courage à sa
tâche de maman, les aIdant à leurs études, surveillant
l eur santé, leurs toilettes et sortant avec eux jeudi et
dimanche. Ils allaient sans but et découvraient l'une
après l'autre les merv~ls
de cette cité inconnue.
Tous trois s'aimaient bIen et se tonaient unis pour
affronter avec le sourire les colères de leur père et son
humeur désagréable.
Car il n'avait pas pu se faire encore à l'idée de ne
�UN MAltIAGE ROMANESQUE
,
3.3
plus aVQir personne il commandee ct, tournant dans
SOIl bureau comme un ours en cage, il passait des
heures entières à se parler tout haut et à maudire
l'humanité et ses lois.
ALiette arri vait doucement et tâchait de l'amadouer
par un mot gentil ou par une Pl'oposition agréable.
Et elle triomphait lorsqu'elle était parvenue à le
décider à sortir un peu et à l'accompagner dans ses
promenades.
Plusieurs semaines s'écoulèrent, apportant l'une
après l'autre la résignation, puis l'apaisement. Le
printemps revint, avec lui l'espoir, la joie de sc
sentir un corps jeune , une allure bien rythmée, de
sentir dans tout son être un sang énergique et vif qui
transmot la vie à chaque pulsation. La joie aussi de
sentü' un cœur plus amoureux que jamais, alors
même que de nouveau François ost invisible et
préfère écoutor ses stupides scrupules, plutôt quo
d'obéir à la fougue de son amour ot venir souvont
- diro à sa chérie qu'il ne pense qu'à elle et travaillo
pour ello ..•
Souvent son cœur saignait, muis à qui se confier?
Pauvre Aliette , sos amies n'avaient O}lCOre ni soufJert
ni aimé, ot aucune ne pouvait donner l'adoucissement
li'êtrc la confidente, la conseillère, la consolatrice.
Aussi mai et la griserie do la nature féconde lui
donnèrent-ils plus quo jamais 10 désir de sortir.
, A force de se faire câline, 0110 put Dmenef son père
a une conférence annoncée à grands fracas et où
M~e
Orbel, femme de lettres, devait dire des choses
01'1gina les et définitives sur le ( travail des femmes Il.
Ils se rendirent donc un soir dans la salle de
l.'Athenia où se pressait une foule remarquable. Les
etudiantes dominaient et aussi une nuée de sténos et
d.e dactylos toutes prêtes à manifester si les concluSlOns de l'oratrice ne devaient pas être les leurs.
Très peu après l'heure annoncée, le fauteuil qui, de
l'autre côLé de la table couverte du rituel molleLon
3
�34
UN lIfARIAGE ROMANESQUE
vert et carafe d'eau, attendait de servir à quelque
chose, se trouva supportor le ,Poids d'uno fort bello
personne. Sa quarantaine blen sonnéo savait sc
réhaussor do l'usage de lards savants. Un décolleté
généreux laissait voir uno poitrine non moins généreuse.
Sos choveux form.aient une erête qui semblait d'or
SOU8 la lumière brutale des ampoules do cont bougies
et un fourreau do moiro du VOI't le plus tendr~
achevait do la faire ressembler à une réclame pour
institut de beauté chez les classes les plus humblos
des yankees.
Alietto eut peine à réprime!' un fâcheux fou rire
lorsqu'olle vit ce .man~qui
poser sur la table une
main potelée cl, bIen sOIgnée, lOUl'de de bagues et
porlant un volumineux amas do feuilles dactylogra.
phi6es.
(1 Eh bien 1 pensa-t-elle, nous ne sommos pas encore
cOllcher cl nOU.6 allons
sur le point d'aller nO~B
entendre parler du travall des femmos, depUIs 10 jour
nô faste entre tous où Evo dut s'ingénier pour faire cn
vitesso un costume pour son man eL pour olle Ulle
potite robe de voyage.
~ Quelles idées neuves peut-elle bien posséder sUl'le
travail des femmes? Nous ne couperons certainement
pas aux ouvriè~s
que la tuber~los
~'onge
et qui
veillent pour fimr les robes du SOIr des riehes cliontes .
« Mais elle-même, do quel corps de mélier peut-olle
bien se réolamer et au nom do quoi pout-elle venil'
nous parler du travail dos autres? Enfin, attendons
quelques minu~os
et nous connaitl'ons 10 parce que de
tout cola. »
La voix se lov~it,
onvaic~,
bien ti.mbrée, peutêtre un peu manIérée; elle dIsaIt le~ droIts égau~
de
l'homme et do la femme, le drOIt de ceHe-ci au
travail comme lui, a~
sal!lire égal, et à l'accesl5ion
possible il toutes le8 sltuatlOns. BIle disait combien il
était dé~rant,
à la femme, de devoir obéir toujours ù
un man qui, bien souvent, h~i
ôtait inférieur cl la
�UN MAnIA GE nOMANESQUE
35
contraignait à l'esclavage conjugal. Le travail étai~
une libération et quelle femme ne sentait combien
la besogne fastidieuse du ménage la rapetissait, alors
qu'elle se sentait grandie pal' un travail rémunérateur, librement consenti, qui cadrllit uvec ses
goûts?
La voix s'enOait véhémente.
« De quels droits ll's hommes viendraient-ils restreindre le nombre des travailleuses? Nos droits ne
sont-i 18 pas les mêmes que les leurs ct sur quoi se
baseront-ilrs pour décréter qu'eux peuvent se libérer,
tatldis que nous ne devons connaître que les chaînes
de la vie? Déjà nous n'avons pas le droit de vote, ce
qui est inique, pourquoi n'aurions-nous pas le droit
au travail, puisquo lui seul nous permeL de vivre
indépendante? N'êLes-vous pas toutes de mon
avis, mesùames? » Un tonnerre d'applaudissements fut
la réponse attendue. L'arméo des dactylos ouvrait
un feu noul'1'i et adhérait do tout cœur à Pexode qui
lui donnait 10 droit do « vivre sa vic », àe gagner
J'argent indispensable pour les bas de soio, J/\ robe d/!)
crOpe do Chine végétale pour allel' dansur, Jes soulien
de faux vernis cl, tout ce luxe clinquant qui leu'!'
était indispensable et absorbait tout leur gain.
Songeaient-elles que chez elles une mère s'épuia~
au labeur ménager, afin qu'à leur retour du bureau
elles trouvent le repas prêt et la maison accueillant ?
Songeaient-elles que leur devoir aurait éLé de prendre
en mains les rênos du ménage afin do soulager leurs
vioux parents, et quo leur soi-disant travail masquait
au contraire la paresse qu'elles avaient de remplIr lu
mission de la femmo qui est de rester au fGyer dont
elle doit êLre la reine? Songeaient-elles aussi que
plus tard elles ne sauront pas se plier li. la tyrannie
des tout-petits et qu'elles feront 10 malheur de leur
mari et de leurs bébés en refusant de faire leur devoir
tout court et en n'arguant que de leurs droits il
l'indépendance?
�36
UN MARIAGE ROM ANESQUE
Certes, aucune de cesconsidérationsneleseffleuraient,
mais Aliette eut le cœur serré en pensant que la conférencière les entrainait dans une voie bien dangereuse,
dans celle de l'oubli total des sacrifices indispensables
pour le bonheur de leurs familles - Qui pensait
~ncore
à la famille?
Comme elle lui en voulait à cette femme de verser
ainsi le poison redoutable dans ces jeunes cœurs qui
ne possédaient nul aùtidotc, et comme elle cn voulait
aux organisateurs responsables de laisser semer ainsi
l'ivraie au lieu du froment utile!
Tout indignée, elle se retourna vers son père arin
de lui exprimer son mécontentement, et demeul'u
stupéfaite devant ]'ail' de ravissement exprimé SUI'
se~
tra~s.
C'ét.ait presque de l~cxtae,
l'euphonie que
dolt la~ser
~Olr
un homme. qUi allaIt. sc noyeF. et. qui
est repeché a temps. C'étalL pour lUI le pluml' Indicible de voir une femme belle, de voir une femmo
bion on chair, qui donnait envie de vivre au sortir des
,dernières semaines remplies pour lui de souITrance
.de mort, d'embûches légales, de décisions et d~
,changements pénibles. Cela sc lisait si clairement SUl'
son visage qu'Aliette en ressentit un choc aITreux eL
'se trouva cruellement seule avec le tumulte de ses
pensées.
Ainsi cette femme, sacl'iflant la famille, la lradition
encourageait toules ces petites à quittel' leurs nid;
bien souvent sans raison plausible, et dovant coLte
destruction son père no voyaiL qu'uno chose cette
robe ridiculement élégante d'où émergeait ~n
joli
corps.
Que eeAa élait affreux ct que la vic lui apparut
subi tement laide à en mouril' ...
Pelotonnée SUL' elle.-rnêm.e , ses pensées s'en volèrent
qUI savaIt poéLiser los plus modestes
près de sa ma~n
?hoses eL donnmt de la ~aVOl!r
aux devoirs les plus
mgrats. Quen~
namme n aur~lJt-e
pas communiquée
Ù ces pauvl'es wnocentcs qUi appluudiRsaiont le sacca-
�UN MAnIAGE
nOMANE
~ QUE
37
gement de leur bonheur? et tandis ql,l'elle so
réfugiait près de la chère absente, sans pitié ni répiL,
martelaient son tympan les mots honnis: liberté,
droit au travail, égalité des deux sexes, droit au
bonheur, fin do l'esclavage - et une horreur sacrée 1
IUl venait pour ceLte femme qui ne songeait qu'à son
succès d'orateur et ne pensait pas à l'rouvre
néfaste qu'elle opérait.
�CHAPITRE V
Coiffant sa petite cloche de manille noire d'où
s'échappait le voile léger qui entourait son cou cL
retombait sur son épaule, boutonnant sesgants, Aliette
jeta un regard satisfait sur sa glace ct se J'econnut
prête à sortir .
Septembre prodiguait l'encha!1teme.nt de se~
helles
journées ct réserVait aux Nantau:l qUI rentl'aJent de
vacances le charme d'un soleil qui faisait jouer mille
lumlères sur l'eau, s'acel'ochaiL à un balcon de Ier
une sau~e
qui, dovantyne f.onêtre
forgé, empourJ'ai~
à meneau)', donnaIt dola gaieté à ceux qUI habItaient
le triste logis, fai sait r~soti
~ne
poulie qui, au bord
du chéneau, atténdalt depUIS longtemps de voir
mon LeI' à cHe caisse ou sac.
Un saint dans sa niche de pierre avaiL subitemenL
une auréole, les f~ ç ades.
mornes semblaiont en liesse,
la lumièl'e dansalt, ammalt chaque être ct faisait
oublior que la fin des beaux j?urs élait proche.
do la Baule où ils
Les enfants L'Hoste revn~lCL
vonaÏnnt de passer deux mo~s
avoc los parents de
leur maman. Vacances salutalros POUl' los mines do~
poti~
cL pour les nerfs do la grando sœur - leur
courLs séjours et dane
père n'avait fait qlle de tr~s
l'ambiance si paisibl,e e~ SI afTectueuso des grands~
parents, tom;. trois s étal~n
détün~s
eL .avalent vu
peu à peu fUlr do leur poltrmo le pOlds SI lourd qui
�UN MARIAGE ROMAl.'ŒSQtIE
39
les éorasait depuis le jour qui leI' avait rendus
orphelins.
Ce n'étaient plus pour Allètte les vacanMS folles de
l'an passé. François n'avilit pas paru et safi deuil avàit
éloigné d'elle ceux qui n'aiment que les plaisirs gais
et bruyants et fuient la tristesse et la dOuleur'.
Cependant le:; sports avaient repris pour elle tout
le11I' attrait et c'était un visage bruni et bien vif qua
renétait la olace devant laquelle se teuait celle qui là
veille encore, au boI'~
de la mer, plongeait de l'endroit
le plus haut et n'avalt plus le courage de mettre fin à
son dernier bain.
S~
chambre avait un charmant aspect, bien
f6minin et bien intime. Elle y avait mis les meubles
qu'aimait sa mère, la coiffeuse et le bureau de bois de
rose, le tapis de la Savonnerie et le lit tendü do
soierie de Lyon, aux guirlandes à peine fan6es qui
se mariaient avec le mi.noe filet dor6 qui rehausl!ait
la lointe grise du bois - les chaises étaient faites on
tapisserie au petiL point, elles étaient basses et oonfortables et appelaient la halte {Jrolong6e, la méditaLion salutaire.
Toute la maison d'ailleurs était meublée avec le
plus grand goût et par les dimensions vaste!! de sos
pièces, la hauteur do sos étages se prêtait admirable·
mont à mettre en valeur lès moindros moubles. Aliette
lW plaisnit ù la flourir et à la tonir' toujours prête ù
recevoir une vi sile imprévue. Pas de housse ni de
persiennes fe mécs, 'tout j au contraire, donnait l'impl'ession de l'accuoil cordial et do l'union d'ùne
famille qui se p lait ohoz ello.
Cependant, depuis son relour, AlietLe cherohait oe
qui était chanl;Sé dans sa demeure.
Ro!'Jc oL M[l.rJa avaient d6rlacé tant 10 mobilier Cil
J'ofaisant le ménago de Corh on comblo , mais dopuis
des nnndrs lieR "laient coubumières du ttüt el elles
a vaienLl'hllbi Lude dr rrmetLr scrupuleusement chl1quo
meuble t. la placr qui lui nvaH été une Cois attribuée.
�1i0
UN MARIAGE ROMANESQUE
Donc ce n'était pas un vrai changement qui étonnait
Aliette, mais l'impression, l'intuition que quelqu'un
était passé par là et avait laissé une empreinte mani feste qu'il était cependant cl ifficile de concrétiser.
Ce n'était pas le désordre de son père, mais bien
plutôt une visiteuse féminine qui, en .furetant, en
examinant, aurait laissé une trace à peme palpable
de son passage. Cette photo n'aurait jamais dO être
dans cette coupe, et Aliette savait quo de tout temps
le Journal d'Eugenie Guérin était le premier livre SUl'
son étagère et non pas l'Anthologie qui s'y trouvait
maintenant.
.
Soucieuse avant de partil', elle jeta, un coup d'œil
sur l'ensemble délicieux qui l'entouraIt eL se sentait
em~li
d'une hostilité qu'elle ne sut à quoi attribuer.
Elle ouvrit tout grand les fenêtres pour chasser
l'émanation éLrangère et sortit. Très vite, elle sonna
à la maison de son amie, Geneviève Lautier, eL de
grands éclats de voix marquèrent leur plaisir de sc
trouver de nouveau réunies.
cc Geneviève, habillez-volls vite, nous allons marcher
jusqu'au port; avec ce beau soleil nous ferons une
bonne promenade qui prolongera un peu le bénéflce
de nos vacances. J'al promis aux petits de lem
rapporter des noix de coco, toutes fraîches, s'il s'en
venda it, afin qu'ils puissent en boire le lait. C'est \llle
idée qu'ils ont depuis 10ngteIDRs, je crois que nous
a~jourd
.hui, car beaucoup de
pou:rons les c01 ' ~te?-r
navires sont arl'lves ces Jours-cl. »
Une fois dehors les deux amies ne cessèrent de
bavarder et de se raconter tous les événements
saillants do leur exi s te~c
depuis deux mois qu'elles
étaient séparées. GenevIève s'était à peine absontée et
attendait avec impatience o?lobl'e et le retour général.
cc Vous rappeler. -vouS, Alietle, de la conférence sur
le travail des femmes eli de la belle Mmo Orbel? »
L'impression p 'niblc qui han lait l'orpheline s'acc r'ut
instantanémont.
�UN MA RI AGE ROMANESQUE
« Si je me rapp elle cette femme ? certainement oui;
j'aurais t ellement voulu pouvoir lui dire qu'elle
était une empoisonneuse de la ,j eunesse, une créature
dangereuse, que j'ai encore hion vivante tonte mon
indignation à son égard! »
IC Eh bien, je crois qu'elle hab ite tout près de nous
deux, car je l'ai vue passel' bien souvent cet été, et je
vous assure qu'elle D O ri squait pas de restor inaperçue,
ca!' chaque fois elle était toutes voiles dehors 1 »
Le malaise sc fit plus intense et Aliette connut q1te
ce nom r épondait absolument au sentiment vague
mais alarmé qu'elle éprouvait depuis la veille. En
un éclnir elle revit l'expression de son père écoutant
la conférencière, puis elle revit une lu eur qui lui avait
déplu dans son regard quand il venait les voiI' à La
Baule, et enfin cette certitude qu'elle avait qu'un e
femme était v enue clans la maison pendant leUl'
absence.
Etait-il possible que son père ai L profité de sa
lib erté absoluo pour recevoir Mmo Orbel chez lui, oL
nouer avec elle des rel ations qu'il lui fa udrait subir i'
Une nausée de dégoût lui vint aux lôvres. - Cc
nom oublié depuis plusieurs mois correspondait exactement à la soufTrance qui habitait une partie de son
inconscient, et elle comprit que c'était bien elle qui
avait laissé cette ho ~ tilé
que son système nerveux
avait recueillie si profondément.
Geneviève continuait:
cc Et puis elle a une fill e, une pauvre malheureu se
de nos âges, laide à faire peUl' cl fagotée ù faire croil'o
nu carnaval. L'air pédant, chipie, jo vous nSSUl'e
qu'olles n e doivont pas êLre très attirantes comme
voisines; mais je n'ai pas enCore pu repérer' leUl' maison, cL pourtant il n'y en a pas t ellement entre vons
cl. nous. ))
Un froid ùe ~ ' lnce
s'empul'ait d'AlieLLo qui seJlt it
ses jambes relUse!' d'avance!'. Elle se J'app elail.
mninlpnanL que Hon pr re s'était enqnis :'t plusicnr,J
�42
UN MARIAGE ROMANESQUE
reprises et d'une façon in usitée de l'sl?ploi .dé Son
mo,~nt
o~
elle ét~u
s?rtIe, elle
après-midi . Et a~
avait eu l'imp
re~sl?n
':lu Il ava.lt de s.u~te
tcléphoné;
peut-être lui aVait-lI dIt de vemr le reJomdre de su ite
peut-être qu'en ce momf>nt ~Jle
éta~
dans. le s!l-lQn;
assise dans l'une des bergel'es qu affcctlOnnalt sa
maman?
[l fallait en avoir le cœur net, coûte que coûte.
Trop spontanée pour savoir résister à ses impulsions
elle décida sur-le-champ do l'entrer chez elle el'
s'arr ôtant, dit à son amie:
'
cc Geneviève, exousez-moi, je ne me sens pas bien el
je préfère relourncr à la maison. Mais si vous élie?
gentille, vous irirz m'acheter oc que les garçons aLlendent avec tcllem ut d'impatience et que je leur ai
promis. Vous seriez Lien aimable aus si d'aller les
ehorcher à cinq, heures a.u ly.cée,)c crains do ne pas
avoir la force d y al~r,
Je vaIs m étendre ct ,j'espère
bien que cc ne sera l'lon. Il
.
Et pour couper court aux questIons de son amio ct
éviter qu'elle n e se propose à la raccompagner, Aliette
héla un taxi et la laissa Lout étonnée enooro de la soudl1ineté avec laquelle cette .promenado avait pl'is fin.
Enquclqucs Recondes, Ahettc régla PauLO, ouvrit la
porte d'entréc ct se P!écipita dans le salon, uvec
J'espo ir secret do po~vOlr
8e moquer de ses intui lions
CI'I'onées. Elle ouv,rlt brusq,:,emenL la pOtt... pl
demeura sur le seUlI comme III elle avait éLé changé e
cn ~Lntue.
Hélas 1 no,!, s~n
in~ulo
ne l'avait pas Lr'olllpétl ;
olle Ile tonalt .blCn lu, ~ote,
femr~
honnie, parée
omme une ohasse, gonOoe cl orgUOl I, sn main ubulIdonnée dans cellcs de M. L'Hoste, lui-même rasé de
j'rais et habiJlé avec plus ùo soin qu'il no lui était
hnbitucl. II se tenait auprès d'clio. embarrassé mais
henreux, cependant qu'un peu plus loin une ' jouho
fllle contomplait la sCl'ne avec satisfaction.
Au bruit que lit Aliette eh l'en trollt, lons trois
�UN MAIllAGE ROMANESQUE
43
sursauLel'rnL, et à la vue de cette silhouette immobile,
vêtue de noir et luttanL visiblement contre l'indignation eUa honte , une gêne intense s'empara d'eux, aucun
des trois n'osait parler, tous auraient souhaité être loin .
Sentant le ridicule de leur attitude, M. L'Hoste sc
ressaisit le premier et s'approchant de sa fille, lui dit:
(( Ma chère petite puisque te voici je vais te pl'ésentel'
à l\lmc OrbeL que tu as eu le plaisir d'applaudir. C'es L
une âme très sensible, qui a compris toute ma peine e t
s'est appliquée à me l'adoucir. Elle ne demand e qu'à
continuer sa tâche et SOl'a pour toi une excellente
conseill ère . EL voici Cécile OrbeI, la Hlle de notre
uQÜU, gui esL appe l,ée ù devenir la 'tienne. Nous ne
~'atendif)s
pas, }Uai!> p uisq11e le hasard te laiL revenir , nou~
~ ome
s très Iwu
ro u ;~ que tH re~Ls
avec nOUS , )1
C'Q~l\it
avec b eaucoup d e veip.e quo oes pal'ololl
t\VQient été dites : humilié J'aYQir été s urpris, il
auri~
voulu renvoyer Aliette dans sa otlamhl'c .
p'autre P::\lt, prossentanL combien il fleraiL diŒcile
de l'~m
o Tlo'
à admottro qèle l\'IO\C O rhe l ser~j
l bi ont ôL Mmp L' Hosto, il prMérnit ne pas brusquer sn, flllo
c~
eSIlérait qu'avec SOn CUl'flolère aimnl~e
eL enjoué,
clic t,l'ollvcrait un(3 parole de bon acc ucil...
Mnis, saisie' do fur our l'aorée , sont.ant sef! l èvre s
frémir, son cervea\1 s'enfiévrer, sos geuoux trombler,
Aljette redouta ~o diro lm mot. Toujollrs imm obila eL
toujours aussi blanche, elle écrasa q!) dédain le Oor)) s
uo
épflQOui qui S'Q11'flllt à BQ vue, olle jeLa un .reg~('{l
haine sur lajounefill e f/lloto. Uno désapprobation Hll eqso
se dégaO"oait de SOIl s il!)ncQ ct de BOIl im?bjJ~é.
Puis fontemont oUe r eferma ln porte et s qTl hu~
ùans
sa chambre, fle jota sur S Ol~
lit 0 t sooouée do sfl.nglots
ne cossa de crier :
(( Maman, ma jolio marnf.\n, vone!il il noLro secours;
je hais cette femme; défendez-noufI d'elle, m umUIL
chérie, no la lai~sf
pns s'iI!troduiro ioi, il ne p eul
lions venir qt\(J qu malheur' pal' ello, ma. peLiLo
mu l1l1\1'I , au
~eQO
Ul'
tl,
Il u ~QOU
l' a 1... ~
�CHAPITRE VI
Le nO •.. de la rue des Bati('nol1es esl une modeste
maison qui ne dilTère en rien âe sos voisines. De petits
fonctionnaires, d'humbles employés, des commerçants
l'habitent ct aucun de ces locat(nrC!; peu exigeants ne
songo à 50 plaindre de la vétusté des marches de!!
escaliors usées par de nombr'euses génél'ations d'enfants
so rendant bruyammenl chaque jour en cla.sse les
peintures sont écaillées, le papillon d~
gaz éclai;e à
peine, Jo. COUf' est.sale ... personne ne l'eclame. Le travail absorbe les mstants de tous ct malgré qu'il soit
sale le logis est tout de même le havre après lequel
cha~un
aspire au lon~
du jour.
'.
.
La loge de la concLOrge no reçoit JamaIS le soleil
l'odeur de toutes les cuisines s'y réfugie pour n'el~
jamais partir' ct la vie entre le grand lit de bois recouvert de l'édredon rouge, la tablo où BO déposo le courl'iOl' ot le coin où se préparent les ropas, n'a rien do
bien distrayant P?ur une enfant.. . .
Copendant J,omsr. Go)~er,
~t'anls1L,
JDconsciente
de llllaideul' du ca~re
o~
s ccoulait son enfance. Une
disposition tonto SJngulO~'e.
d~ son eSpl'iL l'empêchait
(10 Taire corps avec co qUl
,· ]cto.ll sed J)u('cnLs , son, logement, ses camuy'ades d cco e.
sernblaiL dos son plul5
Distante, hautaine, têtue, e~lc
jeune âge sc vouer ù une d?stl~e
loinLainn, inoonnue
de tOt(j;, mais qui Lui am'ait été "évéléo ct à laquelle
�UN MARIAGE n O MA l'iESQUl·:
eUe Ee préparait. Elle était attirée, en se rendant à
l'école communale par toutes les vitrines des modistes,
des cou turières i elle examinait les toilettes des vendeuses, leur façon de se farder, de se coiller. Puis elle
repartait, lestée de son examen quotidien où il semblait qu'eUe puisait la force de la Journée. Plus attentive que tout autre en clasRe, elle travaillait avec
acharnement le soir dans la loge, et parvint à être
boursière de l'école normale du boulevard des Batignolles .
La petite fille devint jeune fille, toujours aUflsi
distante et aussi peu liante avec les pauvres gens de
Ha maison; elle grandissait et embellissait d'une
manière surprenante pour qui réfléchissait aux conditions désastreuses d'hygiène qui étaient siennes. Mais
sans doute ses rêves lui donnaient-ils aussi l'oxygène
nécessaire, car ses joues étai ont roses et wn teint plein
de santé .
Son acharnement la fit remarquer d'un professeut'
qui habitait la maison il lui donna une recommandaLion pour l'un de Ses amis, Roger Orbel, qui cherchait
une aide pour faire des recherches aux archives de
divers ministères en vue de publier un livre de statistique. Le jour où elle se présenta chez lui, elle eut
J'impression qu'ollo parviendrait très rapidement à
Et, toujours aussi énigmatique, un an après,
ses fin~.
clle sort.ait de la vieille église Sainte-Marie des
Batignolles au bras de Rogrr Orbel, l'alliance au
doigt.
Plus jamais elle ne reparut dans le C{uartieI' qui
l'avaiL vue )jail,re, malgrù les supplicahons de ses
vieux parents qui auraient été si fleI's de la montrer ù
leurs voisin..!, maintenant qu'elle était devenue
. " dame)).
EUo prenait sa revanche dn sort ingrat qui avait été
si~n
jusque-là cL jouissait surtout du plaisir d'être
bion habillée. Ses stations de petite fille dovan L
les vitrines so trallsfol'maient maintenant en station!!
�1i6
UN
MARIG}~
nOMANESQUE
d'essayages ct une fois pourvue d'un vestiail'e importunt, elle prit pleine conscience de sa nouvelle individUalité.
Il ne fut jamais question de gratitude envers celui
qui J'avait aidée ~ s?rt~
r de l'omièrc et c'é,~aiL
tout
juste si elle ne lUI faI salt pas comprendre q1\ Il devait
s'estime l' bien hôureux d'avoir fait d'elle sa femm e.
Lu naissance d'une fille n'amena nulle joie dans ce
ménage qui n'en connut jamais. M. OdJel J'Ht
nommé il Nantes et c'est là qu'une typhoïde lui fit,
quitter un e vic qui avait commcncli à perùre tout
charme depuis qu'il s'était marié.
Cécile avait douze ans, la retraite éta it modeste, il
fallai t vivre dignr.mrnt ct chercher patiemment un
remplaçant ... les années avaient passées, la veu \'e
(StaiL devenue femmo de lettres, eonféreneièro et
attendait toujours, le Illet ù l~ main, qu.'elle puisRo
le rabaUre sur l'hommo qu elle convollerait... ct
M. L'Hoste avait Olé celui-là ...
Point n'avait été besoin .de beaucoup d~ ùiplomutic - une rencont.re fortUito sur les .quais, pou dl)
jOUl'Ruprèfl la conféronce, rencontro qUl s'était l'ÛnOllvrlée les jours suivants avec moins de hasarù. Ulle
Rocondü fois, celle qui avait été 10. petite Louiso
Gohert, sut bien jouel' son t'Ole, s'apitoyer comme illo
fallait SUl' cc veuvage pr ématl
~t' é , prollter de !!(ln isolement !lelldant l'été P?l1f sc her davanLagu, cL jeLn.nt
de l'huil e sur unleu qUl ne demandait qu'à brCtler elle
suL jouer de la haine que fI~. ~'Iost
. rossentai t c~ntl'
l'humonité pOUl' se rcnùl'o IndIspensable comme étant
la srule qui puisso le cOIGp re.ndr·e.
Toutes los résistances ~ vaient été brisées les unes
apl"~s
les autros, ct depllls nn moi~
il y avait uno
~conde
Mme L'Hoste ...
CepenùanL le triomphe n'était pas tot 1 cal' son
sprit avisé lui soufflait qu'on retournan't ù Mol'tagne leuI' budget serait ~lus
i~pOrlo.nt,
plusasstlfl;.
Les gl'unds-lJuronts devulOnL cLrc lus
réllir eux-
ue
�UN ntA.lUAGE nOMANESQUE
47
mêmes? Elle sut décider son mari à leur écl'Ïre et
c'était leur réponse qu'elle guettait ce jour-là.
Aliette avait dû supporter cc qu'elle n'avait pu
éviter, mais n'avait pas voulu céder la place et demeurait au foyer paternel, bien qu'clle comprit à quoI
point son père aurait été soulagé si elle était partie
chez ses grands-parents. Elle était trop énergique
pour battre si vite en retraite et ne voulait pas d'autre
part abandonner ses petits frères.
C'est la rage au cœur, en même temps qu'une douleur sans nom s'emparait d'elle, qu'elle dut abdiquer
ses droits de maîtresse de maison. Toute la souffrance
qu'eHe avait ressentie près du lit de mort de sa mère
revint aussi riche, aussi profonde à voir cette femme
détestée prendre la place de la morte bion-aimée. En
même temps qu'clle s'installait en maitresse dans la
maison, Cécile ne mettait pas plus de délicatesse dans
son arrivéo, ct du premier jour Aliette se sent.it dépossédée ct remisée dans le coin des objets usagés qui
ll'intéressent plus.
Son père ne lui pa l'donna jamais son intl'Usion inopportune et la Jaçon dont elle refusa de sc laisser présenter à sa femme. Déjà aigri contre les Flaissière, il
était tout prêt à l'être contre sa fille, ct le sentant en
paroilles dispositions, Mmo L'Hosto ne se donna que
Jort peu de peine pour amadouer su rétive bellcDUc.
La pauvre Aliette était donc réduite au rôle de zéro,
ct sos confidentes, Rose ct Maria, avaienl bien souvent à calmer ses lO.l'mes.
cc Ne vous enlaidissez donc pas comme cola, mademoiselle, vous feriez bien trop plaisir il cet,te Cécile
qui n tout l'air d'être empaillée, avec sos grands youx
bêtes et son cou tout droit. Laissez donc pas!er tout
cela, notre pauvre Madame n'y est plus, c'est bien 10
malheur, mais si vous plourez comme coIn, qui donc
Il'occupera des pauvres petits quand ils reviondront?
�UN MARIAGE ROMANESQUE
(( C'est vrai que ça fend l'âme de voir une virago
pareille succéder à notre pauvre dame qui éLait si
douce, mais à quoi que ça a vancera de se mettre dans
drs 6t ats pareils? .. »
EL grondant et grommelanL, Maria faisait naître
un pauvre sourire SUl' les lèvres d'Aliette.
Celle· ci ne savait où se réfugier; Cécile entl.'ait sans
cesse dans sa chambl'e et Mmo L'Hoste apparaissait
de suite, qu'Aliette s'installât dans le salon ou dant;
le bureau de son père.
Excédée, clie nni ssai t par se réfugier il la cui sine où
la nouvelle maHresse ne paraissait guère, reùoutant
les coups de langue des deux vendéennes .
Ce jour-là, sous pretexte de tartes à pétrir, Aliotte
se tenâit avec ses dévouées domest,iques , et à l'étage
sup érie ur, le nouveau ménage guettait le facteur.
Enfin,le bruit, de ses pas se fit ?nt~de,
il dépoSH
le COU1'l'Jer dam la boîte, sonna, et Il n étaIt pas encore
parti que déjà les lettres étaient en mains.
(( Facture, félicitations, félicitations, prospectus.
Ah! voici le timbrc de la posLe de 110rtngne et voici
l'écri Lure de ;\1. de FJaiss ièt'e, .. que vous dit-il?
(( Monsieur. »
(( Monsieur, c'cst un pou sec pour un homme qui a
élé son gendr'e, vous ne Lt'ouve7, pal:l, Loui se?
f( Evidemment,
cela commence mal, mais COI1tinuez :
Il
Monsieur,
~ Permettez-moi ,de vou s dil'e quo j'ai raremont vu
pousser si loin le cynisme et l'inconsoience.
u Comment pouv ez-volis espérer que nous vous
ouvrirons les portes de notre demeure où nous vivons
dans le culte et le souvenir de notre chère fille alors
?
quo vous avez une Cem!?o qu'il nous faudrai1. ~ubil'
K Vos sentiments conJ ugaux étaient bien minces ne
vous étonnez donc pas que les nôtt'CS ne soient g~ère
�49
UN 11AnIAGZ nOMAN:C 8 QUE
plus importants . Sous aucun prétexte nous ne
voulons connaître la remplaçante de notre fil~e.
La
propriété est loin de péricliter entre nos mains, nous
n'avons nul besoin que vous veniez la régir.
« Agréez nos salutations,
FLAIssIÈnE. »
. Un temps de silence marqua la fin de la lettro. Puis
Mme L'Hoste se leva et de son pas lent, ql,l'elle cher-
chait à rendre majestueux, se mit à marcher ue long
en large.
« Alors c'est tout ce qu'ils trouvent à nous dire? et
bien, mon ami, c'C[;~al.
Vous ne gagnez rien icimoi non plus,- à Mortagne- nous aurions trouvé le
moyen de nous enrichir, tandj~
que maintenant, je ne
sais ce que nous allons devemr. Vous n'avez certainement pas dû savoir vous y prendre, et je regrette
de ne pas avoir ]u la lettre que vous leur avez envoyée;
sans doute aurais-je pu la rendre plus habile et nous
n'en serions pas là. Qu'allons-nous faire, maintenant? »
« M&is, ma chère l'lmie, lorsque l'on s'aime, tout
s'arrange toujours . Qui aurait pu croire que nous
serions si vite l'un à l'autre lorsque nous nous
sommes rencontrés pour la première fois? Nous
arriverons bien à nous tirer d'affaire! ~
Et M. L'Hoste s'approcha de sa nouvelle épouse et
s'apprêtait à déposer un baiser sur sa large nuque,
espérant ainsi détourner son courroux.
Mais celle-ci était trop.femme de t<;Le pour laisser
ainsi dériver l'entretien. Le fait est qu'eUe était foneièrement déçue de ne pas pOllvoir régner à Mortagne où elle se voyait déjà mairessc, présidant les
arbres de Noël et los distributions de pl'ix.
En fais.mt ce mal'jago, elle avait espéré a r; mrcr la
tranquillité de ses vieux jours et caser sa fille Cécile,
dont la dot et les charmos 6taient égalemenl; nuls.
Lo confort apparent de la maison nantaise lut avait
4
�50
UN MARIAGE ROMANE S QUE
fait croire que M. L'Hoste avait une situation de
fortune en l'apport, et amère avait été la désillusion
lorsqu'elle avait appris que tout, sauf l'immeuble,
appartenait aux enfants. Aussi avait-elle eu le projet
de faire reprendre à son mari ia situation qu'il avait
pl'imitivement et elle avait fondé l'espoir qu'il pourrait en quelques années, mettre une petite fortune de
côté, peuL-être même se rendre indispensable au point
qu'on iui demanderait de rendre sa géru1lce déflmtive.
Cette leLtre de M. de Flaissièrc coupailles ailes de
tous ses rêves, et en se retrouvant devant la triste
réalité, c'est-à-dire devant cet homme qui ne trouvait pas d'autre adoucissement à sa déception qu'un
baiser qui ne lui souriait guère, la colère l'an.ima.
s reproches il son marl SUI' la
Elle li t ùe violen~
légèreté aveo laquelle il l'avait épousée a~ns
même
savoir s'il pouvait la nourrir; puis olle 11:1 1 reprocha
son manq ue d'habileté à 8e débrouiller et l'D~ucès
de
ceLle démarche qu'il aurait dû enleveS' de haute main.
Toutes ses rancœurs se dopnuient libre cours, car
cet to femme avide ne se pardoni~
pas d'avoir si
mai pl'is ses renseignements et de s·être unie Il un
bomme qui ne lui apportait pus la fOI'Lune qu'elle se
souhaitait.
Los années de misère de son enfance lui revinrent
à su mémoire avec ncuit6. Son vpuvago la, laissait
dans uno petitc aisance qui no lui avait jamais suffiit
et elle avait espéré trouver enfin la quiétude dans
cetLe secondo union, avec un hommo qui lui était
totalement indifférent et n'avait d'autre rôle à ses
y eux que colui de b.anq!l~c'
. .
Et, devant cc man qUi lO~ .laL
~ux
jounosamoureux,
dans une circonsLance UUSSI LraglqUO pour 0110, un floL
d'invectives lui monta aux lèvres oL dans cet hamlOni C' ux salon qui avait connu la douceur exquiso de la
maman d'Aliette, cc fut tout !o réportoire des Batignolle s C] ui jaillit devant cchu que quelqu'un allait
enun fuir pUer.
�CHAPITRE VII
Un grincement aITreux montait du salon et vrillait
les tympans de Jean-Louis et de Joël qui, assis dans
leur nalle d'éludes, attendaiont, hébétés que l'heu!'e de
musique soit terminée et leur ramène lour grando
sœur qui avait toujours un mot amusant ou ,gentil à
lour dire, et les aidait à supporter les punitions qui
pleuvaient dru sur leur tête.
Les devoirs étaient en panne, jls so butaient à
dos complications dont ils no pouvaient sort.ir euxmêmes ct, pOUl' rien au monde, ils n'auraient osé
demander à leur belle-mère du les aidel'. Ils attendaient donc, on reporlant sans cesse les youx sur leur
pendulette, dont les aiguilles avaaçaient bien lentoment.
Celles du braoelet-montre avançaient tout aussi
lentement et Aliette leur en voulait do ne pas avoir
un mouvement deux fois pIllS rapido. Assise au piano,
dIe acoompagnait Cécile qui, férue de violon, se suvposait un réel talent et mar~yist
son entourage
deux heures par jour. Sa mère avait "exigé qu'Aliette
lui aocompagnât ses sonates et ses morceaux, et pour
cette dernière c'était une véritable tortmo d'entendre
écorcher ainsi dos compositeurs vénérés.
Ce jour-là elles ropétaient le largo d'~œnel
qu'elles
ùevaient jouer au COurs d'uno réumon ù'nmis que
Mmo J.'HOIiI,(} en 11I})tni l', drmnf;lr, Ce dp,vait êLru Ul~
�52
UN MARIAGE ROMANESQUE
sorte de pendaison de crémaillère de sa vie conjugale;
elle diraIt des vers, les jeunes filles feraient de la
musique, ce serait une matinée littéraire et artistique
comme Nantes n'en avait jamais vue. Cécile se faisait
une fête de cette exhibition et le souci de sa toilette
l'absorbait tO\1,te, pas assez cependant pour ne pas sen·
tir à quel point Aliette mettait peu d'enthousiasme à
s'occuper des préparatifs et surtout pour ne pas se
formaliser de ce qu'elle se refusait à inviter ses
amies . Très relatiounée dans un monde qui jusquelà ne lui avait pas été ouvert, Aliétte lui apparaissait
comme le Sésame qui la ferait pénétrer partout; elle
se voyait invit.ée aux ~rands
bal s, courtisée par tous
et, telle Perrette, faisaIt mille châteaux e~ Espagne.
Et granùe é.t ait sa déception de voir qu'AheUe ne se
décidait nullement à lui faire connaître ces plaisirs.
Pour le moment, Cécile répétait avec ardeur son
morceau et s'irritait que son acomp~ntrie
ne
mette pas plus de conviction . Le regara perdu, la
pianiste jouait bien machinalement et sa pensée franchissant les espaces, rôdait aux alentours de la Valini ère . Que devenait François? Pourquoi s'occ upaitil si peu d'eUe ct mettait-il tant de réserve dans les
lettres si rares?
Elle n'osait plus lui écrire, et do puis un an que sa
maman était morte, elle sentait chaque jour accroHre
ven!r do celui qui,
son chagrin ~t nulle cons!ati~
seul, comptaIt pour elle. C 6tait aupres de lui qu'eUe
fie réfugiait en rêve, lor3que 10 vido laissé par le
départ desa maman so faisait trop pénible, trop cruel,
o âme assaillie par tous les
ot qu'elle sentait sa pau~r
floLs furi eux du d6scspOlr. Sans cesse revenait à ses
yeux le regal'd chargé do tepdl'esse avec lequel il
l'avait récompensée le .jour de lour match de tennis.
Elle avait pourtant bIen cru y voir l'amour à ce
moment-là, la flort6 de sa compagne, le désir d'en
fairo sa femme.
Et lorsqu'il était venu la r etrouver près du lit de
�UN MARIAG E ROMAN ESQUE
53
mort de sa mère, c'était dans ses bras qu'elle avait
il tenait dans son existen ce et comsenti quelle
bien lui seu pourra it doréna vant lui rendre le goût
de la vie. Sa maman avait eu un fils en lui; rien ne
pouvai t le lui rendre plus cher que cette appréc iation.
11 avait usé de la plus extrêm e délicatesse dans loutes
les attentio ns dont il l'entou rait, de ces délicatesses
que seul un amoure ux peut avoir.
Et depuis il deI1l.eurait silencieux et rien de lui ne
venait redonn er un peu d'énergie -â l'enamo urée qui
se languis sait; la vie devena it odieuse dans ce foyer
qui était si peu sien, tout autour d'elle n'était que
ruines et cendres , qui donc ferait reOeurir des roses
pour elle? Qui donc réveille rait son rire et sa joie de
vivre?
Un coup brusqu e la fit sursaut er, du bout de son
archet, Cécile lm frappai t l'épaul e, ,rouge de colère.
(( Mais enfin, vous êtes insupp ortable d'être toujour3
dans la lune ainsi. Vous ne voyez donc pas que je fais
une reprise? Je vais dire à maman qu'elle me procure
une a utre accompalrnatrice, vous me ferez manqu er
tous mes errets le Jour du concer t. »
(( Ehbien ! si je nedois pas vousac compa gner,ce n'est
vraime nt pas la peine de répéter , et comme c'est tout
ce que je deman de, je vous quitte, ma chère Cécile. »
Et, plantan t brusqu ement l'arlisl e, pâie de colore,
Aliette grimpa qualre à quatre les escaliers et s'en
fut près de ses frères.
(( Dépêchons-nous, les poLits, vite les bérets et les
mantea ux et sauvons-nous sans faire do bruit. Ça ira
mal quand nous renLrerons, prenons toujours une
bonno"heuro pendan t la promonade. »
Et , cJIectivement) il leur retour, les choses allèren t
très mal.
Cécile était arrivée pleine d'indignatio.tl auprès de
Sa mère, outrée de voit' qu'Alio tte D.e meLtait nullo
bonne volonté pour la faire bl'llllJr, gnof qui s'ajout ait
ùceluid enûpas vouloir inviter sesarnies. Mme L'Host e,
fart
�54
UN MARIAGE nOMANESQJE
qui souffrait dans son amour-propre maternel de voir
combien la finesse et la grâce de l'une faisaient ressortir la laideur et la gaucherie ùe l'aul,rl' , ne demandait qu'à trouver des prétextes pour laire gronder sa
bello-fille. M. L'Hoste, assez timoré devant sa femme,
dut lui promettre d'intervenir et, dès le retour
d'Aliette, la fit manàer dans son bureau.
Mais cette fois, sa fille sut lui l'épondre. Jusque-là
elle s'était effacf.;e et avait cherché avant toutes choses
à aplanir les difficultés. Elle n'efforçait de tenir le
moins de place possible et de se faire une vie à part
qui ne gênerait personne et où personne ne la gênorait.
Avec 011slin::ttion, Cécile cherchait tous les morons
de lui être désagréable; il n'était de jouI' qu elle
ne trouve une nouvelle rosserie , fouillant d1ns ses
tiroirs, lisant ses lettres, lui caohant le livre commencé
ou son ouvrage. Puis, àtable, les piques pleuvaient et,
se sentant soutenue par sa mèl'O, de jour en jour, elle
sc félisaiL plus virulenle . Si bien que la Lour d'ivoire
dans laquelle se renfermait AlieLte était si violem-'
ment bousculée qll'il n'y avait plus moyen d'y demeul'er.
Aux premiers mots Je l'ep/'oche.> de son père elle
prit ù son tour l'of1'ensive.
(( Ecoutez, papa , il est impo
~ sib)c
que je continue à
mener une vie ~()mlJabe.
J~ ne vous ai jamais ennuyé
de mes réclamatlOns, fiaIS pUlsque vous prêtez l'oreille
à celles de Cécile,. qui estaussi s,o urnoise quo haineuse,
je n'ai plus de raIsons (le me lUlre ..
(( TouLes mes secondes sont empoJsonnées pal' cette
méchante fille qui me dét~so
. ~t ,H~e
jalouse. Commo
je n'ai plus aucune tranqUlll!le ICIde vous avûrtls que
je vais me f;réel' une vic qUi set'U beaucoup plus en
rapport avec mes pensées actuelles,
(( G0J.?-eviève Lau(lct' me propose depuis longtemps
de venIr avec eUe; il Y a une place libre d'infirmi';re
visitoUSEl dans 10 môme groupo usinior qu'oUo ct o'est
�UN MARIAGE ROll1ANESQUE
55
beaucoup plus prudent que je me sépare de Cécile tanL
qu'il ne s'est rien passé enlre nous. Jusqu'ici je ne me
suis pas déparlie de ma patience, mais je ne réponds .
pas qu'un jour ou l'autre, elle ne me fasse sortir de
mes gonds et vous serez alors bien contrarié d'avoir à
donner tort Ô. votre fllle ou ù celle de votre femme.
« Si vous me le permettez donc, j'irai dès aujourd'hui
prier Geneviève de me présenter à la prüsidente de
son comité et je demanderai un service qui m'éloigne
plusieurs heures par jouI' de la maison. Le temps me
pèsera moins ct j'aurai la consolation de me sentir
utile à quelque chose. »
Aliette attendit que son père prenne la pm'ole.
et soupesait les conséquonces de
Celui-ci rénchis~at
cette dücision.
Il ne voyuit, pour sa part, nul inconvéni';)nt à ce
que sa HUe s'initie au l'ôte d'infirmière qui est celui
do toutes les femmes Ô. un moment donné de leur existence, et il voyait avec plaisir Aliette prendre éoul'a~
~eusmnt
cette résoluLion, au lieu de l'accabler do
]é l'umiados et de récriminations. Sa seconde femme
sumsait bien avec les siennes ù lui rendre la vic
pénible, Cécile avait toujours ù se pltündre de
quelque chose, alors que S9 propre fille faisa it preuve
du plus grand sto!cisme.
.
Son égoïsmo lUl en suL gré, et ne voyant vraiment
pas matièro où sa lemme puisse le blâmer, il répondiL
à Aliotte:
« Tu mériterais une punition pOUf le peu de bonne
volonté que tu mets à L'entendre avec ta compagne
qui a cependant beaucoup de bonnes qualiLés . Tu as
le Lort d'êLre trop fière avec elle ct pas ussez aimable
pour sa mère. Mais pour temont.rer qu e, moi, aussi je
voux bien faire preuve de conciliai ion, je t'accorde ln
permission que tu flollicitc8.
« Je ne voux sous auoun pr,"LexLe que ma vic soit
troublée, orrange-toi pOUl' les heures de rO)las ct faÎ.;
en !:lOl'te que llOUq ne nous ressonLions pus ICi ùe cetle
�56
UN MAnTAGE ROMANESQUE
nouvelle lubie. Et que t es petits gueux ne te fassent
pas oublier que tu as des frères qui ont besoin de
toi »
Et, sa tisfait d'avoir donné une apparence de clémence et de générosité à ce qui, au rond, lui semblait
une excellente combinaison pour le repos de sa vie,
il renvoya Alielte qui n e se fit pas prier deux fois.
(( Voici l'inf
rm i ~re
. »
Et dévalant le talus en vitesse, le pelit gamin renLra
dans le baraqu ement de planches où trois lits étaient
alignéli près d'un petit poêle qu'alimentaient maigrement des caisses récoltées çà et là et sciées au fur et
Ù mesur~
des b esoins. Une biJe glaciale s.oufflait par
les fonûtres mal join tes e t sous lu porte qUi fermait ù
peine. Le v ent rabattait la fumée qui empestait
l'atmosphère; avec peine leB visages émerge::uent de
la sombrenr de la pièce et ce fond de mlsère était
r endu plus poignant encore par les toux déchirantes
qui se t'aisaien t entendre.
Uno main décharnée sortit d'un drap dont on
n'aurait pu préciser la couleur, et, s'emparant d'un
pot ébréché, le porta aux lèvres d'un enfant qui but
à pleines gorgées , comme pour éteindre le feu brûlant qui 10 consumait; de grands yeux cernés et
brillants rendaiont plus impressionnantes les joues
creuses et pâles; à peine les pommeLles étaient-elles
un peu colorées et l'?n sentait qu'au poignet diaphane
Je pouls devait ûtre lmperceptible.
De grosses larmes coulaient des yeux de la mère
qui, anéanLie el1e-même par la maladio, ne pouvait
plus soigner ses enfants.
L'autre lit, il droi te du sien , éLait occupé par sa fllletle qui dormait, prostrée par la fi èvl'e . Deux voisines
computissanLes avaient pris les derniers-nés eL éLaient
a lléc!:! prévenir il lu raffineric que ln famille Le Gu ol-
�UN MARIAGE ROMANESQUE
57
de'ch était bien en peine et qu'il faUait venir à leur
secours. Le directeur avait :promis d'envoyer une infir·
mière le jour même et c'étaIt elle que guettait le petit,
posté depuis le matin sur son observatoire.
Aliette, car c'était elle, cheminait à travers la lande
désolée qui, au sortir, de la ville étalait la misère de
ses cahutes lépreuses . Elle tenait bravement tête au
vent qui s'engoufTrait dans son voile bleu et la désignait de loin aux regards du jeune veilleur. Sa cape
recouvrait le grand sac où elle avait son matériel,
remèdes, pansements, instruments, et elle se hâtait,
sachant combien son intervention allait être uLile
dans ce foyer désolé par la maladie.
Depuis longtemps la misère y était installée avec
les cinq enfants venus en six ans, permet tant à peine
à la mèro de travailler; et l'homme, manœuvre à
l'usine, ne pouvait gagner suffisamment pour faire
vivre sa famille. Les aumônes suppléaient mal à
l'insulfisance du gain, la maladie était venue, le froid
ct la mauvaise alImentation avaient merveilleusement
préparé le terrain et l'inexpérience d'Aliette n'eut pas
gt'and'peine à poser le diagnostic de congestion pulmonaire pour la mère et broncho-pneumonie pour les
enfants.
Comment les soigner sur ces grabats où les couvertures si minces les laissaient grelottants? Qui les veillerait nuit et jour, leur donnant les soins de tous les
instants indispensables pour les arracher à la mort?
Et encore, pouvaient-ils être sauvés?
Frémissante de pitié, AlietLe contemplait cette
femme usée, aux os saillants, au cou maigre, dont les
mains disaient les annl!eS de labeur et de dur travail;
quant aux petits, le lait maternel avait certes dû être
remplacé par de l'eau panée, faute d'argent, pour
rendre les biberons plus substantiels, et ces pauvres
petits dos étroits et maigres, secoués par les quintes
épuisantes, laissaient deviner les petits squelettes rachitiques que ferait bientôt d'eux la sinistre faucheuse.
�58
UN MARIAGE ROMANESQUE
Elle so rapprocha du lit de la pauvre maman et lui
prenant gentiment les mains, sut mettre dans ses
pal'oles ct dans l'on regard touto la sympathie qu'ello
ressentait pour celte malheureuse qui semblait lui
confier son sort et no pouvait attendre que d'elle
l'allégement de sa peine. Elle sut ne pas l'ell'arouchel'
et lm faire c~mprendo
qu'il fallait qu'elle ~o laisse.
conduire à l'hôpital avec ses deux enfants, que là seulement ello pourrait se faire soigner et revenil' tout ù
à fuit guérie. Elle Buvait cependant quel dücha,înement
do protestations et de supplications amenait ce mot
d'hôpital qui semble toujours sonner le glas ... Mais
tant de persuasion et tant de bienveillancc émanaient
do ses dires qu'elle détruisait les appl'éhensions eL
calmait les alal'mes.
Les pleurs qui avaient rodoublé se raréfièrent et
colle que guettait la morL s'abandonna complètement
ù la radieuse jeunesso de cello qui venait il son secours.
Une paix indieiblo l'envahissait. pondant qu'AlieLLe
ranimaIt 10 feu, tirait de son eac la lampo ù alcool sur
lo.quelle un pot d'infusion fralcho fut vite prôparéo.
L'infirmière couvrit de ventouses los Lrois pnuvren
dos, ]o.is8a un sirop calmant, rotapa los lits, secoua
les oreillers, mÜ de l'ordro dans 10 Laudis ct en moins
d'uno heure ramona sur torre les trois êtres déjà si
près do l'nu-delà.
Elle leur fIL des piqûres d'huilo camphréo on assurant ù la mum n qu'il fallait qu'olle dorme hie n tranquille en altendan.t l'ambu.~co
q':li allait vonir les
chorcher i t un frlss.on do ~atlsfQcOn
la aaiRit, on so
re~oul'UanL
une dorn~è
fOI~
au moment do pal'tir, Ù
vou' l'ordro et la paIX succeder au décor de détresse
qui l'avait accueill ie.
Un sourire d'encouragement, puis fermunL 10
]oquot qui tenait si mal l'ensemble do planches
disjointes qui ~onstjuai
la p~rLe,
elle reprit nllégl'ement 10 chemm do la raffinerlC où olle demanderait
ù voir le dil'ecteur.
�UN MARIAGE nOllIANESQUE
59
Elle le savait accessible à la pitié ct voulait lui
recommander tout spécialement les Le Guelde'ch et le
prier de Léléphoner lui-même à l'hôpital afin qu'on
ne perde pas de temps à venir chercher ces malheureux.
Une sensation de délivrance l'étreignait de nouveau,
l'activité lui rendait la vie et en \' oyant tant de
misères qu'elle pensait soulager. en faisant renaître
un faible sourire sur des lèvres désolées, elle oubliait
ses propres peines et le fardeau de la vie, tellement
plus pesant pour tant d'autres.
Les heures passées chez elle ne comptaient pas;
comme SUl' une surface lisse, les allusions désagréables
s'écoulaient sans la pénélror. Ello était présente dès
quo ses frères renLraient do classe, plus que jamais
olle so faisait maLornl.lllo pour eux ot s'enorgueillissait de lours progrès et do lems belles minos. Ils no
souffraient en rien de sos nouvelles fonotions, ot,
pour ello-mêmo, c'était uno libération de quitter la
maison paternelle et, voiléo do bleu, d'aller se
ponohor sur les misères auprès desquel)es la sionne se
plaisait.
Ello allait à pas rapidos, sachant que sa tâcho
n'était pns encore torminéo ot ses yeux no souffraient
pas de la lnideur onvÎronnanLn.
Ne portait-ollo pas on olle 10 plus bol amonr ql1i
soit, l'amour du prochain, ct 10 plus beau trésor,
celui de la jeunesso qui rayon no ?
Et no portait-elle pas aussi, tout au fond de son
cœur, en son 'coin le plus ocr~
ot 10 moins accossible
aux rogards profanes, l'espoir jamais pordu d'être
aiméo do celui qui faisait battro Bon cœur et qui ne
se décidait pns à so prononcer ~
�CHAPITRE VIII
« Eh bien 1 Me demoiselle, quelles nouvelles nous
apportez-vous aujourd'hui? Pour quels malheureux
venez-vous intercéder?»
Un rire clair frisa les lèvres d'Aliette tandis qu'elle
s'avançait vers M. Marc Hansant, le directeur de la
raffinerie, qui mettait toujours tmt d'empressement à
l'obliger.
.
.
Assis devant sa table d'épures, Il qUlLLa son travail
pour recevoir sa vi8iteuse et il ne son~eait
nullement
à prétexter qu~le
rendez-.vous pour ecourter l'entre·
tien. Il trouvmt, au contraIre, tellQment de charme fi
ces entrevues qu'il s'ingéniait à les rendre fréquentes
et av~it
to~jurs
.quelq:ues. cas à, signa
l~r
à l'at~nio
de l'mfirmlère; xl eXIgeaIt qu elle VIenne lUI faire
un compte rendu de ses enquêtes et de ses démarches
et il faisait preuv~
ensuite de .l'e~prit
.le plus judicioux
pour aplanu' les dIfficultés qU1lU1 aVaIent été soumises .
Orphelin do père, alor~
qu'il terminait à peine les
études qui lui avaient fait recevoir le diplôme d'ingénieur de l'École Centrale de Paris, il avait dû prendro
do suite en mains la direction de l'usine ct menait
une .vie très laborieuse ..La crise économique l'avait
attelllt parmi les premlOrs et ce n'est qu'ù force
d'intelligence eL d'énergie qu'il sauvait son afl'airo du
désa~tre.
Par des prodlges d'adresso il était parvenu
Ù éVIter 10 chômnge, et S03 ouvrier,; lui étaien t très
�UN
~lAuGE
ROMAN ESQUE
61
reconnaissants de toute la diligence qu'il mettai t en
toutes choses et qui leur profitait directe ment.
Mais cette vie de labeur intensi f était très dure
p'our ses jeunes épaules. Il avait juste ~ingt-sx
ans;
li habitai t avec sa mère un pavillon situé à l'entrée
de la rafIinerie, dans la plus vilaine partie des faubourgs nantais et, bien rareme nt, il trouva it le temps
de s'évade r et de se distrair e.
Aussi la venue d'Aliet te, dans tout l'Gelat de la
mission à laquell e elle so consac rait était-elle pour
lui un rayon de soleil.
n ne pensait demeurerinsensible à une si jolie jeune
fille qui mettai t tout son cœur au service_de l'huma nité. soulTrante; et d'autre part sa converS'ation était
si agréable, si spontanée, qu'il ne se lassait pas de la
faire parler et de l'écouter.
Il savait bien à quoi il devait attribu er son arrivée ,
ce jour-là ; mais, comme un chat guette une souris,
il voulait la laisser dire, s'amus ant à l'avanc e de
toute la diplomatie dont elle ferait preuve pour mettre
la question sur le terrain .
, Elle s'assit sans embarr as ct s'amus a devant les
yeux interro gateurs qui la fixaient.
cc Je n'ai pas grand'c hose à vous dire, aujourd
'hui.
Je viens de voir un homme qui n'est pas de chez vous,
un couvreur qui est tombé d'un toit ct s'est fracturé
l'omop late.
c( Sa 'femmo ost en pleurs, car elle est persuadée
que
le docteur se trompe ct ne va pas savoir lui soigner
son mari. Ello me disait en pleuran t, (c le docteur me
dit qu'il a une fractur e. Je sais bien que ce n'est pas
vrai et que son épaule est cassée. )J
« J'ai cu toutes les peines du monde à lui expliqu er
que cela rovena it au mllme, mais je ne l'ai pas convaincue. EUe me répond ait: cc Oh, bien sftr, que vous
allez être du côté des docteurs, c'est voLre devoir.
mais ça n'empê che pns que j'ai raison ». Je n'ai rien
pu lui tirer d'autre . Il
�UN MARIAGE ROMANESQUE
Le directeur lui demanda:
« Avez-vous revu votre petite Jeannette? Il
(( J'y suis allée hier, la pauvre petite a toujours une
grosse fièvre, le thermomètre marquait plus de
•
39 degrés et la mère m'a dit:
« Cotte petite rosse, tout de même, pour le plaisir
de se faire soigner, elle est bien capable de chs.ufIer le
thermomètre en sourOant dessus pOUl' le faire monter. \
y a pas plus vicioux que cette enfant. Il
« En fait de vicieux, elle est surtout le r.ésultat des
vices des parents et je ne sais pas trop ce que nous
allons en raire. Elle n'est pas la seule qui m'embarrasse d'ailleurs. »
Le directeur la regarda du coin de l'œil ct comprit
que l'instant était venu . En efIet, Aliette repl'onait :
« La pauvre Mme Le Gueldé'ch a dû quilLer
l'hôpital aujourd'hui ot rentrer chez eUe avec ses
petiots, ils sont à peino remis et je ne sais pas oe que
le mari Il pu mettre de côté pendant leur absence.
Do longtemps la fomme ne pOUl'ra pas travailler et
nous ne pouvons pas faire grand'chose pour eux
notre caisse n'est pns l'emplio ct la soirée que nou~
organisons au profit de notre œuvre n'a lieu que 10
mois proc . . . ain. D'ici lù, notre cOlltribution ne peuL Oke
que minime.
Un temps d'arrôt ... Hnl encouragement à continuer
ne vint de Marc Hansant, Aliette qui parlaiL les yeux
dans le vide regarda brusquement son interlocuteur
üt saisit uno luour égay6e qu'il n'out pas le temps de
faire disparaître.
Ses joues s'empourprèrent; se moquait-il d'ello, pal'
hasard?
Marc comprit qu'il l'avait bless6e et, ne voulant
plus retardor' dnvanLage la bonne Eurprise qu'il lui
r6servait, lui dit:
( Madomoiselle, pour une l'ois, vos renseignements
sont el'Ionj~_
»
1 COUUllpnt en'Wléi?
�UN MARIAGE ROMANESQUE
63
« Mais oui. VoLre protégée n'est pas dans son
taudis, il n'y a plus de taudis, d'ailleurs; le baraquement a éLé démonté et Mme Le Gueldé'oh habite
un logement en plein soleil où elle est concierge. »
« Mais où donc? »
« Ici mêmo, mademoiselle . Une vieille gardienne
demandait à être remplacée; à l'hôpital il m'a été
affirmo qu'avec de bons soins et une bonne nourriture,
dans un mois no~r
malade serait lout il fait d'aplomb.
Je l'ai donc fait transporter dans sa future demeure,
ma brave Marie la mettra peu à peu au courant et
lui passera la main le mois prochain. Elle aura une
légère rétribution eL pourra S'occ\.Ipor ainsi de sa
nichée. Vous voyez donc, mademoiselle, ql,1e, pour une
fois, vous n'éLlez pas au courant! »
Aliette éLaiL touLe émue de l,a nt de bonté cachée
sous cet enjouemenL apparent.
« Comment vous l'emercier de cela, cher monsieur?
Je dovino quel est l'insLigateul' de ce petit mystoro et
je comprends quo c'ost vous qui, seul, avoz si l:)ien
combiné co changemenL. Je ne peux vous dire à quel
touchée, car cetLe femmo ost d'un
point j'en ~lUis
'cou rage et d'une r61lignat ion si o.dmirablos flue je
m'efTrayail'l pour olle de son reLour dllPs 10 baraquement. »
« Mais je savais bien que vous vous en efTrayiez,
aussi ai-je voulu vou!> rassuror cL jo pense que vous
êtes saü:;fui Le ceLLe fois-ci? »
« Oh 1 commant pe 10 sorais-je pas? Comment
pourrais·jo assez voua remercier? »
« D'uno façon bien simplo. Vous m'envorrez une
Cfll'LO pour le hal flo votro comité ot vous m'accorderez
une danse, à n'imporLe quel momont de la soiroe.
Vous voyoz (IUO je ne suis pat! bien exigoan~?
Trouvezvous que co lioiL encore Lrop demander il»
SponLan6mont AlioLte lui tendiL la main qu'il
porta respecLueusemont à BOS lèvres.
CI Non, monsieur, co n'csL pas beauooup demander
tO~
j Qui oonfuilo qu'uno COUl'to dMBQ puisso payer
�61
U:i MARIAGE ROMANESQUh
tout le bien que vous ~lez
faire à cette famille.
C'est m'estimer bien haut et je crains que vous ne
fassiez un marché de dupe. »
(( Eh bien 1 alors, vous m'accorderez deux danses et
nous n'en reparlerons plus. MaisMme Le Gu eldé'ch serait
bien étonnée si elle apprcnaiL qu'elle fait l'enjeu d'un
marché chorégraphique 1
Un double éclat de rire rotenLÏt et Aliette dégagea
sa main que le jeune directeur gardait emprisonnée
dans les siennes.
Ils se ret.rouvèrent un peu troublés, l'un devant
l'autre, et lorsqu'elle fuI, repartie, Marc appuya le
front à la vitre et suivit longtemps des yeux l'agile
silhouette qui franchissait tous les obstacles en se
jouant et parlait, plus loin, semer le bonheur et la
félicité .. .
Encore confuses, les idées s'éclaircissaient peu à
peu el, sortaienL d'un brouillard épais pour se condenser en visions plus claires - comme en unkaléidoscope
des rythmes, dos images, des phrases se heul'taienL
et s'enchevêtraient - puis brusquement J'élat do
sommeil disparut el, Aliette, d'un bond invisible, fuI,
de plain-pied d.ans l~ .vie.
.
hIle ~e sentait déhCJe~snL
bIen el, .n'éprouvait
nul déslr de se lever Dl d arracher le bIOn-être qui
s'aLlachaiL à el~
comme. un c~aud
vôtement, le lit,
moelleux, un raIS do soleIl matlDal filtrait à travers
les persiennes et venait donner une âme à la Mgère
robe jetée sur le dos d'un. fauteuil. Frôle dépouille
après avoir été l'objet de SOinS minutieux ...
La lingerie soyeuse, les petits souliers de crêpe de
Chine, les bas arachnéens reposaient ù côté témoins
d'uno fêLe qui était finie et dout les souvenirs avaicuL
hanté le sommeil de la dormeuse.
Un sourire errait sur ses lèvres, copendant qu'elle
s'étirait paresseusomont el, réveillaiL la courbature de
�65
UN MARIAGE ROMANESQUE
sei membres endoloris . Dopuis bien longtemps elle
,n'avait tant dansé, certainement elle aurait peine à
marehel' aujourd'hui, mais qu'importe 1 Le bal avait
pleinement réussi, la recette était splendide et sa robe
blanche lui allait si bien 1
.
Près de deux ans s'étaient écoulés depuis son dernier bal et celui-ci avait bien l'ambiance favorable
:pour lui permettre de s'amuser_ Tout en dansant,
\Aliette pensail à tous les malheureux qui allaient être
soulagés, et, avec malice, elle acceptait l'oITre de tous
ses danseurs de la conduire au buffet afin d'accroître
la receLLel
Elle n'avait donc pas de remords de profiter du plaisir qui lui était procuré puisqu'un bienfait devait en
résulter pour tous sos chers prot6gés et elle ne manquait pas une danse; ses amies, toutes heureuses de sa
joie, lui présentaienL toutes leurs relations et sa grâce
et sa beauté faisaient d'elle une des reines de la soirée.
Sa modestie s'en apercevait à paine; cependant, au
cours de l'examen de conscience auquel, en quelque
sorte, elle se livrait à son réveil, elle devait se dire
qu'elle était ravie d'avoir été en beauté.
Et sa franchise vi.s ft vis d'elle-même ne pouvait lui
cacher qu'elle avait saisi avec un vif contentement la
snrprisû heurcII,Je qu'avait laissée poindre Marc RansanL en l'apercovant.
La voyant si entourée, il n'avait osé l'approcher,
mais il la contemplait avec un tel ravissement, avec
une Lelle extase, qu'elle sentaiL son regard la suivre
sans la quitter uno seconde.
Et clic était si touchée de cet hommage muet, de
cette délicaLessc qui l'empêohait (le venil' réclamer la
récompense qui lui était due, qll'elle tint il veniL' le
Ll'Ouver avec son amie Geneviève, afin qu'il voit bien
qu'elle n'était ni une oublieuse, ni une ingrate.
Il s'enhardit alors à lui rappeler sa promesse et dès
que l'orchestre reprit, l'entraina parmi la foule des
couples enlaoés. Aliette se laissait guider par lui et
~
�66
UN MARIAGE ROMANESQUE
Bongeait quels contrastes la vic sait amener dans une
même journée. Le matin la cape au signe rouge qu'arboraient les croisés, les lai.deurs insoupçonnées de la
majorité des gens qui l'entouraient, les drames de la
misère, la lutte pour la vie... et ce soir uno robe de
bal a fait suite à la blouse blanche, de même qu'un
habit a remplacé le veston du directeur. Lui-même a
rempli sa duro tâche et ce soir il n'en oonnait pas
d'autre que do donner à sa chôre visiteuse la. Joie
qu'olle est en droit d'attendre de ces blues.
Leurs deux corps s'harmonisent, ils ne f0!lt qu'un
et s'enivrent de la musique qui les empht do ses
['ythmel'l m61a.ncoliques et guide leurs pas sans effort,
ni reoherche.
ns évoluent avec une telle aisance, une toUe perfec·
tion que, passionnés tous deux ùo la danse, d'un commun aocord ils restent ensemblo pour la de\.!xiome,
puis la troisième reprise do l'orchostre. A poine
échangent.ils quelques moLs. Quo diraientrils de plus
que co qu'ils rellscntent, l'éternel p.laisir de deux jeunes
ôtres enlacés, pénéLrés par ln mUSIque et extériorisant
par leurs mouvements l'émotion qui est en eux, comme
aux tomps jadis los peuplos honoraiont leurs dioux )?ar
leurs danses, Salurs d6 la priô-re?
La premioro, Alietto sutlompre le charme qui les
envoûtait et donna teJlemont de grâeo à son refus de
continuer davantago, qu'ello pansa ainsi la blessul'e
qu'ello vonait de fairo. Marc pro~sa
de lu reconduiro
prés du grou'pc do se~
amies et ~ y dirigoait uvec ello
lorsque 6urgIL, en bol~d,
MmQ L Hoste dont,jusque-là,
AliotLe avaIt semblé Ignoror lu présonce.
Doson liL, olle so remémorait son mouvement d'impatience devant l'intrusion do sa belle-mèl'O dans leur
amitié commonçante. Elle. n'avait pu éviter la préeentaLion ot Mrua VHo.ste aValt IIU arraohor au joune in~é
niour S9. promesse do venir à. sa proohaino soirée artIStique.
Celui-ci avait aocept6 avec ompr091GnlCnt et, désolé
�UN MARIAGE ROMANESQUE
67
d'avoir à se séparer de sa danseuse, avait trouvé, pour
la rejoindre, le prét.exte de la présenter à sa m9r'e.
Il l'avait conduite auprès d'une vieilla dame charmante
qui avait eu tellement de bienveillance dans son accueil
qu'en y resongeant, Aliette eut un bondissement.
cc Pourvu qu'il n'ait pas l'idée de m'épouser T» Comme
un coup de tonnerre dans un ciel bleu d'été., cette idée
la fit tressauter.
Elle n'avait pas pensé à cela j Ilsqu'alors, mais ce
1
matin l'idée lui apparaissait dans touLe sa force et sa
logique. Comment avait-elfe pu ne pas comprendre
encot'e qu'il devait l'aimer, qu'il mettait une complaisance extraordinaire à servir ses deswins dans le but
de lui faire plaisir et de se rendt'e sympathique? et
comment surlout n'avait-elle pas encore compris qu'il
mulLipliaitles occasions Je la revoir; non pas par amour
de son prochain, prÏf.! dans le tenne général, mais par
amour pour elle, Aliette, qui uvaité'té û.vougle jusque-là?
Roulée en boule sous ses couvertures, elle songeait
profondément. Que dire? Que faire? Elle ne pouvait
cependant aller le trou ver et l'averlir qu'il aurait tort
de s'attacher à elle qui n'avait de pensées que pour le
cousin lointain.
Elle ne pouvait pourtant pas non plus risquer de perdre
un appui si précieux à ses ' protégés, si elle changeait
du tout au tout de mani()re d'être avec le directeur.
Elle ne devait pas non plus le laisser s'éprendre et
sembler l'encourager puisqu'elle ne voulait pas l'épouser 1 et d'autre part, ilpouvait être un ami charmant si
elle savait manœuvre.1' avec assez do tact pour ne pas
10 meurtri!' ...
Petite robe blanche de bal, souple et légère, tu ne
sais l)as quoI tÔlo tu as joué au cours de ta première
soil'ée ot tu ne sais pas non plus de quelles épreuves
tu vas être causo.
Et si tu le savais, pourrais-tu venir au secours de celle
qui t'arevêtuc?'ra blancheur pout-elle conna1tre la noirceur de l'envie, ta candeur connait-eUe la force dumal?
�1
CHAPITRE IX
Au même étage, dans une autre. chamb.re, une autre
jeune fille sortart également de l'mconsclOnC? du sommeil et retl'ouva\t, avec 10 retour à la conSCIence des
choses, l'amertume de ses pensées.
1 rés d'elle, une l'lObe de )::lai était jetée d~ même sur
le dossier d'un siège., une robe d'un rose VIf ornée de
de multiples volants koncés qui ne pouvaient manquer
d'enlaidir et d'engoncer colle qui la porlaiL. Mille bibe·
loLs disparates et de m.auvais goût encombraient le~
6tagères et la cheminée, ct rien ne venait donner une
bonne opinion de celle ql'Ü habitait cette chambre .
Rejetant à demi ses cou,vertures et sortant ses bras
pOUl' s'éL~re
tou~
en bâillant , ~el
gui se rév~iIlat
lai ssa vOir ~on
VIsage ct ua o:nl mdlScl'et aurmt pu
l'econnaîlre Cécile ... mais, au contraire de sa voisino,
nul souriro ct nulle grâce no l'embellissaient.
Un pli désen chanté creusai t,son front ct l'obsession
do rôves désagréables noLLait e.u core dans fjOn regal'd.
Que voyait-elle?
Elle voyait Aliette fêtée ot enL\1uréo. Aliette remarquée etinvitée entre touLes pen~'lt
qu'cllo l Cécile,
fai nait partio do la masse, élait no)\ée uans la orisaillù
do l'assislance.
b
A peine !:la m ère et son beau-père ~\Va
i enL-jlB
pu la
fui re danser deux ou trois fois. Mais Sf( lourdeur et, flefl
pCl'péLuels fuuxpas avaient découragé le~' bonnes volon-
�UN MARIAGE ROMANESQUE
69
tés les plus fermement ancrées, et la haine au cœur,
elle avait dû se résigner à voir le succès d'Aliette,
dont elle enrage!iit.
La jalousie lui avait fait percevoir que Marc était
épris de l'infirmière qui venait à son usine et, ce CJ.ue
nul autre peut-être n'avait remarqué, elle avait 'vu
combien tout, dans ses manières d'être, impliquait la
fervente admiration.
Elle s'était jurée de venir à la traverse de cette
union et de détruire cet amour naissant qui faisait
lever dans son âme le triste ferment de l'envie. Pourquoi était-elle si laide que pe~sonl
ne l'aimait? Pourquoi était-elle repoussée ct pourquoi Aliette seule
attirait-elle ainsi tous les regards?
De lourdes larmes de désespoit· et de rancœur roulaient sur son oreiller cependant qu'une vision cruello
s'enchâ~ait
dans sa rétine et ne voulait plus s'en
offacer .. . Aliette et Marc enlacés et communiant dans
le même amour de la danse ... Le thème dujazz vibrait
à ses oreilles de toule sa mélancolie syncopée et la
désespérance totale entrait au tréfond d'elle-mêm .
C'était sur sa demande que Mmo L'Hoste s'était
arrangée pour sc faire présenter l'ingénieur et l'inviLeI' à sa réception prochaine. Il lui fallait le revoir 0 t
olle comptait sur le hasard pOUl' lui permeltre de
détruire l'amour que pouvait éprouver Marc. El, à
l'avance, les tendres paroles qu'il pourrait prononcer
pour Alietle se changeaient en gouttes de plomb bl'ûIantes qui tombait droit dans son cœur à vif...
Les jours s'étaient écoulés dans cet.te maison
qu'habi taïent la mésentente, luhainc, les vmns l'cgr-ets,
l'envie. Le moil! s'était terminé, dans 10 mêmo enthousiasme pOUl' Aliotte plus que jamais conquise pal' son
rôle do sœur de charité oL qui puisaitle goflt et la fOI'ce
dl' vivro dans son conlaet quotidion uvec les malheu-
�70
UN MARIAGE nOMANESQUE
qui l'accueillaient comme une fée. Ils guettaient
passage et même, si sa venue n'était pas util e, il
fallait qu'elle s'arrêtât dans toutes les maisons où elle
étaIt connue et qu'elle ranima les courages vacillantfl.
Ello évitait cependant tout ce qui la rapprochait
trop de la raffinerie et ne retrouvait plus sa ca lme
aisance devant los yeux du directeur qui la regardait
avec tant de tendresse.
A chaque visite, elle promettait de lui parb' franchement, afin d'éviter qu'un malentendu ne comprom~te
leur bonne amitié. Mais lesmots lui manquaient
quand eHele voyait si heureux devanLelle et elle n'avait
pas d'autre courage que celui d'espacer les roncontros.
Illuï pOl'mettait de faire Lant de bien dans le oercle
d'enquôtos qui lui était attribué qu'clic sa Bet'ait raiL
de grands roproches si elle avait détruit par sa faute
cette sourco bienfaisante quo rien d'nut!.'e n'aurait pu
remplacer.
Et d'autro part il était si discret ot si réservé que sa
modestio lui reRI'oohait souvent do prondro pOUl' des
témoignagos d amour co qui n'6Lait peut-être que de
l'esLimo ou do l'amitié.
Indécise sur la conduite ù tenir, olle laissait donc
los jours s'écouler jusqu'il celui quo portaient les car·tes
d'invitations.
( M. et Mme Jean L'Hoste recevront 10 jeudi
16 mars, Ù 0 heures. )J
Les préparaLifs avo.i~nt
été une torture pour Aliette
exténuée de cOmiS'ln~
, do répétitions, de trans:
port de moubles; ello avalL pressé cles citrons, beurré
des sandwichs , tourné du choco lat, foueLté de la
crème.
Par ses soins le bufTet avaiL l'aspect le plus engageant qui soiL; 10 salon, malgré 10 dém6nDgement
mdispensable qu'il avait fallut opérer, était arrangé
aveo le plus grand goût eL un éclairage très heureux
d~nit.
une ~mprosi.n
de fète ~t
en même temps
d'mtlmlLé qUl préparaIt une amblanoe sympathique.
reu~
Bon
�UN MARIAGE ROMANESQUE
71
Et pendant qu'elle travaillait ainsi, mettant tout
SOn ct13ur à rendre la maison aussi agréable que possible,; eL mettant en jeu l'honneur de son nom plus
que ~on
plaisir, la détresse habitait son âme.
Jamais elle n'avait ressenti la moindre attirance
pour sa belle-mère qui ne cessait do la considérer
comme une ennemie. Et, non seulement elle ne l'aimait
pas, mais encore, elle, Aliette, no pouvait l'estimer et
soulTrait de sa vulgarité et du peu d'élévation de ses
pensées.
A l'idée que tous ees meubles qui avaient appartenu fi sa maman allaient servir aux invités de l'exmadame Orbel, son cœur se serrait, et elle souhaitait
le cataclysme imprévu qui viendrait empêcher eeLte
réunion .. .
Mais le cataclysme ne vint pas, et la soirée poursuivit sonCOUfS suivant le programme élaboré. Aliette
eut le supplice d'accompagner Cécilo plus grinçante
que jamaIS, tant avec son caractère qu'avee son arohet.
Cetto dernièr'e se sontait chez olle, entourée des amis
de sa mèro, soutenue en quoIque sorto par le01's
anciennes relations et elle était bien déoid ée Il ne pas
permettro à Aliette de triompher là où ù l'avance elle
voulait triompher elle-même.
Elle se garda b ien de la présenter à ses amis et lui
fiL faire, par l'intermédiaire do sa ml)ro, les plus désagréab les corvées, parler aux personnes âgées, les
acoompagner' au bulTet, lournor les pages des artistes,
la faisant s'eITaeor le plus possible, ct Céoile guettait
10 moment où Marc Hansant arrivant, elle pourrai.t
enfln se venger dos alTronts reçus au oours de la S01rée précédente où tout l'avait acoablée.
Ello oommençait à désespérer cal' les heures s'6coulaient, il était bien près de minuit et le directeur
n'avait pas encore paru; un soupçon lui vint qu'Aliette
l'avait prié de no pas venir co soir-là, et la hargne la
mordait nu w 'ur à l'idéo quo son plnn uehouel'ait.
Plus forte que tout, cette vengeance la poursuivait
�72
UN MARIAGE ROMANESQUE
et l'empêchait de jouir des compliments qui lui
étaient iaits var des hôtes plus soucieux de politesse
que de véracité.
Elle aurait pu croire leurs paroles, s'enorgueiliir de
succès dont elle aurait pu ne pas senLir la vanité .. .
mais rien ne comptait ù ses yeux que le moment où
Marc paraîtrait .. .
Et enfin ce moment vint .'B ion pris dans son hahit
dont le gilet blanc e t la bonne coup e conlrast;tient
avec les smokings usagés d es autres hommes, l'alluro
aisée, la façon dont il s'inclina devant la maîtresse de
maison, en lui baisant la main, lui conquirent lous les
sufl'rages . Tous les yeux féminins s'attachèrent à lui
et toutes les fcmmes envièrent Aliette quand elles le
virent se diriger directement vers elle et l'entrelenir
avec animalion.
Marc renouvelait les excuses déjà faites à
Mme L'Hoste, une explosion de chaudi(·re qui l'avait
retllnu tant que tout dangor d'incendie n'étai t, pas
conjuré. Il déplorait quo cet a'Ccident l'ait, privé de
bonnes heures à passer en sa compagnie, dans une
in timité que l'usine ne p ermettalL pas et il allait la
prier de lui accorder la prochaine danse lorsqu' il fut
interrompu par la beUe-mère d'Alietle qui venait à
lui avec sa fille.
(( Cher monsieur, je vous présente Cécilo Orbel, ma
fille, c'est une excellent e danseuse et, jo pense que
vous serez ra vi d e débuter avec elle dans ce salon où
j'espère vous J'evoil' souvent, »
Trop bion élevé pour r epou ss er une olYre si directement proposée, Marc dut, t aire ses sentiments ot jelan t
bl'ulcment un regal'd de l'egre ts vers Aliette, indignée
de cette brutale mise en demeure, il saisit Cécile par
la taille cL se mit à danser, Mais hélas t les pas les
plus simples eux-mêmes s.'accomrnodaient mal de la
m esure; il avait beau la gUIùer de toute son expérience
de rian~eu
éplouvé et mettre en jeu toute son habileté, ri 'U ne pou "ait empêcher les souliel'J vernis et
�UN MARIAGE ROMANESQUE
7,3
ceux de satin d'entrer en violent contact plus fréqnemment qu'ils n'auraient dG.
n souffrait de sentir accroché à lui cette grosse fille
vulgaire , alourdie d'une robe sans grâce, dont l'orgueil
sautait aux yeux et non pas le charme ou l'intelligence.
Et pendant qu'il pestait intérieurement de cetle
intervention maternelle , sa danseuse donnait libre
cours il la joie qu'elle 6p·rou vait d'avoir Ilubtilisé
Marc au moment où Aliette pouvait espérer' l'avoir
pour elle. Mais cetle vexation n'6tait pas suffisante
pour assurer son besoin de revanc.he et un subLil instinct féminin J'averti t qu'il valai t mieux cesser une
danse si malheureuse et assurer une base plus solide
il son entretien.
Elle pr.\texta donc la fatigue qui s'emparait d'elle
et conduioit Marc dans un petit salon où elle le fit
asseoir' près d'elle.
(( Je sui s bien heureuse, lui dit-elle: qne vous
soyiez nn ami pOUl' Aliette, car cette pauvre petite a
une vie bien trisLe, hien que nous l'entou rions de
nolre miellx. Elle sait qu'elle n'a aucun espoir de se
mnfier eL cherche à se faire une vie qui lui convienne
et lui permette d'oubli or qu'elle ne pourra pas avoir
de foyer comme ses compagnes . »
(( Et pourquoi Mllo L'Hoste ne pourrait-elle se
marier? »
(( Parce qu'elle sait que sa mère est morte de tuber~
culose pulmonaÏf'e et, qu'initiée par ses rtudes d'infirmi ère ù ce qui l'attend l elle s'est jurée de ne pas 0
marior. Je vous confie cel car je sois que vous l'esLÎmez ut que je suis bien ass urée que vous vous emploierez pOUl' l'aider ù.tro.uver de l.'intérô~
à .son .exisLence.
« Son père se réjouIt de la VOlr partH' hl VaIllamment
dans celLe nouvelle voie eL il cherche il encourarrel'
tous ceux qui sont fi uprès do sa IllIe. J'ai pu v~us
Juger assez homme de cœur pOUl' être assurée que
vous êLes digne de recevoir' celte confidence s'ms
�UN MARIAGE ROMANESQUE
jamais lui en faire la moindre allusion qui la mortifierait, afTreusement.
« Elle parle de vous avec beaucoup de respect, sa
situation est si modeste auprès de la nôtre 1 Et,
sachant lui faire plaiûl', ma mère s'est empressée de
vous demander de venir, car elle ne connaît personne
à Nantos ct tous nos invités ce soir ne sbnt que de nos
·::tmis.
« Mais j'abuse de vos instants, monsieur. Veuillez
me reconduiro dans 10 salon et jo vous rendrai votre
libcrl6. »
Et Marc élait allé retrouvor son exquise poti te
amie, tout vibrant encore des paroles qu'il venait
d'entendre où le fiel ct le miel étaient égaloment dosés .
U senLait confusément qu'une intrigue se nouait
aulour de lui, mais ne voyait pas, do prime abord , où
l'on voubit en venir.
'
Commo co ne pouvait pas êtro au nours de la soirée
qu'il pouvait espéror la dénouer, il prit 10 parti d'y
renoncer pour le moment ot do donner ù la jolio infirmière toutcs les joies qu'ello pouvait attendre de lui.
Pris de nouveau dans l'enchantement do la danse, ils
no sc quiLLèl'ont plus ot tout cn appréciant la souplessc de sa danseuse, malf?r6 lui, il remarquait la
lraÎcheur de son teint, la vIguour do son corps qui
respirait la sHnté ct la vie; la petito main ferme qui
s'abandonnait sur son ép:\Ulo avait de jolis ongle~
dont les nombreuses lunules attestaient l'énergio.
Il l'avait vue, sans trêve ni répit, arpenter los
landes boueuses, dévastées .par un vent cinglant, toujours souriunLe, sans le momdre rhume ni le moindl'o
malaise.
Comment oroire oe qui venait do lui être dit?
Ce Iut, très perplexe, qu'il rentra ohez lui, mais
malgré toutes les pr6cflutions prilleB, il na put éviter
�UN MARIAGE ROMANESQUE
75
de réveiller sa mère qui l'appela lorsqu'il passa
devant sa porte.
cc Eh bien, mon grand, t'es-tu bien amusé et la
jolie Aliette a-t-elle toujours autant de charmes à tes
yeux? Comment sont ses parents? et comment était
cette soirée? »
Encol'e sous l'impression de oe qui venait de lui
être révélé, il ne puL cacher à Mmu Hansant les paroles
de Cécile, ni la mauvaise impression qu'il ramenait
do oette maison où la petite Aliette semblait une
colombe gueLtée pal' des vautours.
11 avait à peino vu le père qui n'avait pas quit~é
la
table de bridge, mais il lui avait paru violent e~
1;0 remetLant à sa femme du soin de toutes choses.
Quant à Cécile , il rapportaiL d'elle l'impression d'une
laideronne aigrio ct envieuse .
Au contraire de ce qu'elle attendait, 81'S allusions
perfides avaient fait comprendre il Marc combien il
s'attachait de jour en Jour il ceLte adorable jeune
fille dout la présence élait tout son bonheur. Il avait
lu en lui combien il auraiL do regrets si los dires de
Cécile devaient s'avérer jusLes; et il n. serait -pa
arrivé à une compréhension aussi totale, presque tangible, si au lieu de pal'oles mauvaisefl clio n 'avait
employé que dos louanges. Tant il est vrai quo la
cramte redoublo l'amour.
Ses pensées lui paraissaient passer au travors d'un
tamis au fur et à mesure qu'il les énonçait uans
l'afTectuouse oausorie qui l'unissait à sa maman. Et,
de mômo quo le oultivateur au sor'Lir du Lrieur trouve
son blé amoncelé en trois ou quatre las, do mômo le
chaos do ses sent iments se révoltait peu à pou on
trois points principaux qui firent un syllogisme:
Il (,Ioulait le bonheur d'Aliette,
Lui seul était capable de le lni assu.rer,
Donc il fallait qu'il épouse Aliette.
�76
UN MARIAGE ROMANESQUE
La conséquence jaillit comme un cri de victoire.
Les faits imposaient sa conduite et il aurait voulu
que sa mère sortit de son lit pour écrire la lettre de
demande à M. L'Hoste.
« Voyons, maman, vous êtes bien réveillée maintenant, il fait bien chaud, je vais vous apporter votre
hlec dans votre lit ct pendant que vous y êtes décidée, vous allez tout de suite vous donner une bellefille délicieuse.
cc Elle a toutes les qualités, vous verrez comme elle
saura vous gâter et vous tenir compagnie pendant
tout le temps que je passe à l'usine.
« Allons, maman, un peu de courage et ne résistez
pas plus 10ngLemps ! »
Il fallut de 10nlSs raisonnements pour que
Mmo Hansant persuadât ~ on fils que l'on n'agissait J?as
ainsi à la ltlgère et qu'il fallait s'assurer que nen
n'était vrai de ce qu'avait avancé la haineuse Cécile.
Elle avait uno amie, mariée à Cholet, qui connaissait touLes les familles de la région ct sOl'ait bien trop
heureuse de s'occuper d'un mariage pour ne pas laire
alLendre les renseignemenLs qui lui sel'aientclemandés,
Elle lui écrirait siLôt levée ct il faudrait attendre
la réponse avant d'entrerl'endre quoi que ce soit. En
attendant, elle demandaIt seulomenL le droil au sommeil et pensait ne pas être trop exigeante en priant
qu'il lui soiL accordé?
Mal'c ne put s'empêcher de rire en se voyant toujours en habit alol's que l'aube allait bientôt poindre,
ct en pensant que so.n amour faisaiL déjà preuve d'u?
hel égoïsme en ne lalssanL pas môme sa more dormIr
tranquille.
Il sc pencha vers lei'> ?~aux
choveux blancs qui
cncadl'alent une figure Sl mtlulg 'nte cL i aimable ct
d6podunl un baiser plein ~e chaude tendrosse sur los
joues maternelles, il la qUItta enfin en l'assurant qu'il
n'tillait pa'! repllrtir avec une échelle de cordo pOIH'
culeve!' l'aimée à son BarLholo féminin!
�CHAPITRE X
Le manoir de la Valinière, situé à quelques kilomètres du riant bourg de Mortagne-sur-Sèvres; avait
eu son histoire au temps aITreux de la Terreur ct de ]a
guerre de Vendée.
Tous les habitanLs de ]a région s'étaient soulevés ct
s'étaient enrÔlés dans les bandes dont Charetle était
Je ~énra
l.
Bande de « bligands »), mais brigands
décIdés à tout pour purger leur pays des Républicains
dont ils ne connaissaient que la corruption, les massacres, et qu'ils rendaient responsables dc l'exécution
de Jeur roi ct des persécutions infligées à leurs
prêtres.
Pour permettre fi ceux-ci de célébrer librement
leur culle, pour rendt'e au pauvre orphelin du Temple
un trône qu'il no devait jamais occuper, 'Lous ces
hommes avaient abandonné lours Lerres, lours
familles, et se joignaient aux maralchers, aux (( pay<trets » qui, depuis plusieurs mois, combattaient pour
une cause désespérée.
Aux courses épuisantes à travers landes cL bois,
par les terribles chemins creux où les bœufs peinent
pour tirer canons ct convois, où les hommes s'embourbent dans les périodes pluvieusel3 et où la faim
se fAit cruellement sentir, succèdent le pillago des
villages dont les bleus ont dll fuir sans pouvoir
emporter les pl'ovisions. Ce sont alors des journées de
�78
UN MARIAGE ROMANESQUE
ripailles et d'orgies au soir desquelles, aux sons de la
musette eL de la cornemuse, tous se délassaient,
hommes cL officiers, en ùansant avec toutes les filles
du village. Les royalistes sortaient de tous les abris
où ils av, ient dû se réfugier et. venaient. acclamer
l'ancien cadct de marine qui se faisait. maintenant le
libérateur cl leur territoire.
Les Vendéens repartaient., chargés du butin des
bleus, couraient. à leur poursuite, les délogeaient. des
villages occupés et remplaçaient par le drapeau blanc
les trois couleurs dont ils ne voulaient pas.
Celte guer!'e n'accordait. ni trêve ni répit et nombreux étaient les blessés vendéens qui tombaient au
cour!1 de combats et reslaient abandonnés aux mains
d'inconnus don t. on ne pouvait savoir s'ils étaient
amis ou ennemis .
C'est ainsi qu'était lombé Louis d'Artannes, alors
qu'il voulaiL venger, en ce début de 1794, les quinze
conLs royalistes émigrés ct innocents massacrés dan
l'l1e de Noil'ffiouLiers par la mauvaise foi et lu
cruauté sanguinaire de parlemenLair'es de la Convention.
En vain les généraux républicains plaidaient-ils
la miséricorùe ct le respect do la parole donnée, rien
nc puL assouvir l~ soif d~ ~an
qu'avaient cos brutes
expcrahles, honmes par 1 hIslOlre.
Louis d'Artannos fut ramoné par dos ûmes généjus~e
chez lui.
reusos, .do cachette en. ~ache.t,
Hocueilll dans des métalTles sltuéos lOIn des rouLes ,
gîtant dans des boC{ueteaux mal accessibles il avait
connu toutos les épreuves durant 10 trajet du retour
ot revint chez lui moribond.
Sa femme s'installa près do lui et refusa de le
quitter, so conflnant dans uno retraite qui ne lu i
permit plHl ùe s'inquiéter dos colonnes infornales lancées par la Convention pour exterminer cL détruire
touto la Vendée, jusqu'à ne plus laisser debout ni
arbro ni maison.
�79
En. vain ses doml'stiquee; la pressèrent-ils de fuir;
elle les pria de partir au plus vite avec ses jeuqes
eqfants, ses bijoux et toute sa fortune et de cheroher
refuge dans le Poitou où ses parents leur ollriraient
un ijbri sûr,
Elle-même devait les rejoindre sitôt qlle son mari
serait guéri ou bien aurait rendu le dermer soupir.
Et, volontairement, elle attendit la mort inexol'l1hle. Peu à peu les ( brûleurs II approohèrent de la
Valinière, marchant de massaores en maGsacres,
vivant dan~
une tuerie perpétuelle, guidés par des
chefs toujours ivres et dont l'âme n e oonnalDsait ni
honneur ni clémeTlCe.
Ces hordes avinées, saoules de vin et de sang, parvinrent jusqu'aux grilles qu'elles défoncèrent et,
foulant 1013 parterres, arrivèrent jusqu'au seuil de la
maiscn.
A l'étage supériour des voix se fai saient entendre,
un chapelet faiblement murmuré où une voix de
femme répondait ù celle d'un homme ...
Suprême d6fe~so
de ces deux êtres qui savont quo
l'heura do mounr ya sonner.
Des bleus montent, en se bousculant, 10 bel oscalier
de pierrQ dont la rampe est llne dentelle de fer forgé;
à ooups de crosses ils ouvrent toutes les portes ot
arrivent dans la chambre où, tout habillé, la croi~
de
Suint-Louis sur sa poilrino, Lo\üs d'Artannes les
attend, usai:> dans un fautouil ot plus pros dos portes
de l'étornité que do la terro.
A BOB oô tés 80 tient sa fidôle compagne, tout de
blanc vêtue et qui n'a d'autres armes que ce chapelet
qu'elle égrène. Devant oe couple sans défense un
frisflon dt) oruauté parcourt les veines des sans-oulottes.
( Descndoz~l'
l), crie l'un d'eux. Et, !lOUS la
poussée des baïonnette$, soutenu par Mille d'Artannes
Rui ploie sous 00 fardeau, le mourant descend l'a se a11er qu'il ne remontera plus.
Al'rivés sur la terrasse, ils durent assister, dobout,
�80
ON MARIAGE ROMANESQUE
à une parodie dc revue faite en leur honneur, puis
des soldats tirèrent leurs sabres ct sc ruèrent sur
eux, les hachant littéralement eL faisant jaillir leul'
sang SUl' toutes les pierres de 'la façade.
Non satisfaits encore, ils dressèrent un bûcher en
haut duquel ils juchèrent les cadavres et mirent le
feu au tout.
Les flammes léohèrent 10 château, les volets
prenaient feu lorsque par miracle, une averse diluvienne noya le début de l'incendie. Au même moment,
comme pour venger la mort de ces grands cœurs, des
sons de come se lirent entendre au loin.
« Les Brigandsl sauvons-nous 1 1)
Et, abandonnant les corps, que la flamme n'avait
pas encore consumés, les bleus s'enfuirent à l'ap~ aient
de leur
proche des bandes de Charette qui mena~
[aire subit' un sort semblable.
C'est grâce à ces paysans solda ts et à b pluie providentielle quo le manoir était encore debouL.
Les Artannes l'avaient toujours habité et conservaient comme des précieuses roliques le fauteuil d'où
leur ancôtre était parti pour la mort, ct le chapelet
retrouvé dans les cendres.
Bon sang ne pouvant mentir, François d'Artannes
tenait de ses ancêtres leur dévouement, leur courage
et leur fidéli té.
Et toutes ces belles qualités ne lui permettaient
pas do demeurer insensible à la lettre qu'il venail de
recovoir et relisait attentivement, un pli profond au
milieu du front prouvant la concentration de sa pensée.
( Mon cher François,
« De bien longllOs journ()os se sont éeoulée!! depuis
la dornière vislLe que vous nous avoz IaiLe. Je ne puis
croire que vous oubliiez votre potite cousine alors que
vous avez su me donner tant de témoignages de YoLr~
attachement aux durs moments d'6prouvos quo j'ai
traversés.
�81
UN MAlUAGE J:OMANESQUE
« Vous avez su adoucir la peine aITl'euse quo j'ai
ressentie lorsque maman nous a quittés, vous étiez
Je moi me lais~t
moins
Iii et votre présence prè~
comprendre que j'allais dorénavant être privée de
tendresse.
~ Le courage ne m'a pas manqué et mes deux pauvre
~
petits frères ont toujOUI'S trouvé en moi une grand I;
sœur compatÎl:isante et attentive.
« J'ai fait de mon mieux pOUl' rendl'e ln maison
agréable à mO!1 père et le consoler de la gl'osse déception qu'il avait eue en abandonnant l'exploitation qui
absol'bait toutefl ses facultés. J'espét'ais qu'en retrouvant une autre propriété, il reprendrait un air moins
Bombre ct s'occuperait un pou plus de nous trois.
« Hélas 1 vous le sa vez, Fr'ançois, il est marié depuis
six moi~
ct malgré toute ma résignation et le d Ssir
(lue j'ai do ne vouloir que le honheul' des miens, il
m'est impossible non seulement J'aimer ma bellemère, mais encore de continuel' plus longtemps à
vivre chez elle et sa fille.
« Ça serait tl'Op long de vous expliquer par lettre
tout ce qu'elle me fait subit', mais je n'ai plus aucune
énergie, et devant une telle méchanceté et un désir
si évident de me persécuteI' , je n'ai d'autro secours
il attendre que de vous.
(c Cher Fl'ançoi~,
si vous avez un pen d'aITectioll
pour moi, venez me voir. Si vous êtes libre Jeudi,
venez dans l'après-midi, je serai seule avec les petits
et je pourrai vous dÎL'e toute ma peine.
cc Je vous suis d'avance inllniment reconnaissante si
vous voulez bien me fail'e ce plaisir ct je vous envoie,
bien cher Françoi~,
mes pensl
~es
bien amicales et
bien reconnaissantes,
ALIETTE. »
François demeura pemür, une rois sa lecturo terminée pour la seconde fois. Pauvre petite, fallait-il
qu'elle se sente traquée pour appeler aillsi au
G
�82
UN MARIAG }; ROBIAN };SQUE
secours, elle dont il savait toute la vaillan ce et tout
le cran.
Il sc reproch ait de l'avoir négligée appare mment
alors que son souven ir hantait toutes ses pensées, que
f;ans cesse il regarda it ses photos, trouva nt dans cette
contem plation le courage de travail ler et de pourwivro la tâche qu'il s'étaiL donnée.
Epouse r Aliette 1 c'était un rêve si fou, un souhai t
si hardi, qu;il osait ù ,Peine se le formul er, consoiemment, alors quo son subsco nscient était tout imprég né
de celle dont il voulai.t faire sa femme. Mais lor3que
l'on pOl'Le si haut ses ambitio ns, il faut pouvoi r 011'ri1'
il l'adorée une vie qui soit diguo J'elle et il faut pouvoir la moUre do suite dans le cadre que l'on rêve
pOUl' elle.
Pour cela il ne fallait pas se laissor distrair e de la
voie rectilig ne du travail . Sans arrêt, il fallaiL donneI'
Jos ooupe do collier n écessaires pOUl' aboutir au plus
vite au momen t où la Valinière, en plein rendem ent,
noul'l'aiL recevoir la jeune épousée.
• Et, s'il ne pouvai t réllssir , il fallaiL éviter un
engage ment quelcon que qui pousse rait Aliette à
l'épous er, par pilié ou par respect pour la parola
donnée. n la connais sait trop pour Ignore r l~u'e(j
demeurol'ait fidèle ù sa promesse ot il no voulalt pas
l'entm,l nor à partage r sa vic s'il ne pouvai t la lui
assurer' fi uiète et confort able.
A ussi s'était- il absten u de rendro visito fi. sa petite
cousine (lepuis son installa tion il Nantes , Bachant
bien qu'il aurait Oté incapab le de taire ou do dissimu ler S(lU amour ct voulan t éviter toute oompromission
à sa ligne de oonduiLe.
Il ne sc doutait pas, malheu reusem ent, de l'angoisse qu'il causait à celle qu'il aimait et dont la
triste vie n'était pas illumin ée par l'amou r qui aUl'aiL
pu adoucit, sa soli~ude.
Il craigna it telleme nt de no pouvoi r réalise r ce beau
projet qu'il pr6féra it renonc er il toute occasion de
�UN MARIAGE HOMANESQUE
83
voir Aliette jusqu'au jour où il se d.onnerait le droit
de demander sa main.
Et en lisant cette lettre de détresse il comprit que
ce moment élait venu où il lui faudrait se déclarer.
Sa tâche n'était pas encorc terminée, mals qu'étaitce à côté de la ;;ituation poignante qU'JI devinait?
...
..........
..
, A peine la sel'vanLe avait-elle introduit François,
ce jeudi, dans le salon, qu'Aliette était près de lui,
et spontanément, sans chercher à maitriserson réfloxe,
elle se jeta dans ses bras comme eUe l'avait fait au
jour où il lui était apparu dans la chambre où agonisait sa maman.
En même temps les pleurs jaiJlirent de SCg yeux
et les sanglots la SQ )ouorent SI uouloureusement
qu'elle dut se jeter su!' un fauteuil sans pouvoir prononc&1' une parole. Un flot d'amerLume, de désespoir, d'accablement, la saisissait et l'anéantissait.
Elle avait pu jusque-là conLenir sa peine, mais, à
revoir François, l'émotion rompit tout 10 barrage qui,
si frôlement, retenait les laI mes et rien ne put plus
endiguer le torrent qui se donnaÜ libre coure.
Toute secouée de sangloLs, elle aurait souhaité mourir là, ne plus avoir ~ supporLer la vie qui s'avérait
si cruelle, si peu clémente. On lui faisait. mal, pourquoi Dieu ne la prenait-il pas près de lui, près de sa.
chère maman?
Le désespoir l'envahissait, les pleurs redoublaient.
et François contemplait avec une pitié infinie la
petite silhouctLe vôtue do noie, prostrée dans la bergère aux somis de rosos, rose elle-môme parmi les
chardons qui la meurtrissaiont.
II. savait 10 bienfait cles larmes eL comprit, devant
cette crise alTreuse, de combien do chagrins bravement rofoulés 0110 était composée. Aussi laissa-t-il
Aliette épuiser toute sa poine et lorsqu'il vit que ses
nerfs, à bout, allAjollt enHn se calrr el', il s'asslt doucement auprès d'clio et lui caressa légèrement les
�8ft
UN MARIAGE ROMANESQUE
cheveux puis les mains, sans lui parler, laisllant à ce
seul contact le soin de lui dire qu'ello n'était pas seule
dans cette eXRlosion douloureuse, que quelqu'un se
tenait près d elle .. Ses caresses se firent lègères ct
t~ndres,
et, p.renant sa p~u
vre tôte l?urde. de tant d.e
maux ill'altlra sur son cpaule et IUl permIt de s'apal" l' d~ns
une déLente bienfaisante.
" Le calme revint enfin eL, rougissanle, Aliette Sl'
déga!Jea du bras quil'ena~t
doucement.
(C \}ous êtes bon, FrançOls. Vous seul pouvez ainsi
me reLirer ma peine. Les autres sont si mauvais si
vous saviez cc qu'ils m'ont fait 1 »
,
Et les pleurs rejai)\n~
de plus belle.
Ah.ette,. ne re.commencez plus
« Voyons,. m.a petI~
fi pleurer. aInSI, ou ~Ieu
.Je valS ?roJJ'e que c'est moi
li \li en su lB ca~s
et Je vaHl .repartIr.»
.
Aliette sc saiSIt, de ln mam de \; rançOiS et s'(;cria :
« Oh non I)e vous en p,r!e, 11e Ine"quiLtez pas, reslez au conl,l'a1l'O,. co ,q~e
J al à vous a Ire esL bien long
cl je veux avon: fllll lorsqu~
mon père reviendra.
Laissez votl'C malll uans les mwnnes, SUl' mes genoux.
Cela me donnera UU cOUl'age pOUl' vous dire toute ma
peine. »
.
.
Et AlieUe, à VOIX basse eL brisée, reprit le récit de
sa vie depuis son arrivée ù Nantes: elle narra le
mariage de son pè~c,
.leur, vie en commun enlaidie de
disputes vI, ~c. l'écrJmInat~os,
sa décision de se fairc
infirmière VlsJLeuse et sa JOIO
se sentit' utile et de
tiC libél'el' un peu de la présence incessanto de sn
helle-mère cL de C{:cile.
l'indignation
Arriv,ée au po.inl capit.al ùe HO.Tl ~'écil
ralTcrmtL S:1 VOIX et elle pOUI'RUlVIL, toute vibranL{'
les fails qui a~ient
moL~vé
sa 10tt.1'0 d'appel.
'
QIlf'lqueH Jours lpr
o ~
la eoJl'(!(! organi ol;e pal'
Mme L'Hostf' Hon pùl't: avaIL l'eçu la vigiLe de MmoRanBanI. venant lui (lcmandt'r, pOUl' son fili'! la main de sa
iille Ali 'I.le.
'
1l1ui avaiL ùemandé quelqueij jOUl't'l ùe r~f1exiou
oe
�UN MARIAG E nOMAN ESQ UE
avant dc donner sa répons e ct, l'a vait laissée reparti r
sans lui accorde r le moindr e mot d'espoi r.
Il avait mis de suite Mme L'Host e au r,out'ant de
cette démarc he et de suite, ce fut le dram0.
Cette dernière prétend ait que Céci le étant l'ainé e,
jamais elle ne laissera it faire ce mariag e tant que sa
fille ne serait pas pourvu e, et que, d'autl'e part, Marc
lui plaisan t beauco up, elle ne ferait pas il sa fille
J'aITront de donner à une autre le mari de ses rôves .
Son ordre Cormel fut qu'il [allait écrire à Mmo Ransant qu'on accepta it son fils comme gendre , ù condition qu'il sc déc1are pOUI' Cécile.
La réponse ne se fit pas aLtendre, sous formo d'un
l'ofus catégor ique et d'unc nouvell e demand e d'AlieU e.
La rage dos deux femmes noconn ut plus do bornes
eL elles obligèren t M. L'Host.e à écrire une lettrc des
plus gro8Rièl'es, intirua nlù l'ing('n ieur de cesser toute
J'olation avec sa fille.
Puis, afin d'achev er leur Œuvre destruc live, elles
Je chapitl 'èrent si véhém enteme nt qu'il fit appele, '
1\ liette nans son bureau ct, devant elles, lui défendit de continu er son sOl'vice d'infirm ière, BOUS le pl'étexte qu'il la meHai t on contac\' avec des débauc hés,
des COUl'eur's de filles, ct ct u'il exigeai t d'elle un comptet renonc ement de ces occupa tions qu'il avaiL
tolérée s jusqu'aIOl's.
Aucune des dénég:üionii d'AlieLte n'avait. atteint la
uirasso de son Îndilrprence patemo llo ot de (:u
veulerie conj~gal.e
et)1 l'avait m?oacé c des pires sancLions lii ello n obélssa lt pas sans discute r à ses ordres.
(( Compl'enez-vous, Franço is, quelle Cgt ma "in
mainte nant i' J'ai connu la libérati on de l'âme, ln
Hflllsulion mOI'vp.illeusa d'êtro util e et d'avoir' rnitll'
li end qui, me rattach ant à mon pl'Ochain, rn dlJllnaif'u t une raison de vi vro et non pas de végéter .
CI Jo n" lais plus une orpheli ne délaiss
ée, mais lf~
soutien do tous ces braves gens pour lesquel s mon
voilr bleu étai L le (h'upcau de l'assist ance miséricol'-
�86
UN MARIAG E ROMAN ESQUE
dieuse . Comprenez-vous cette chose merveilleuse,
être attendu e, guettée pat' tous ces malheu reux qui
trouvai ent nupr0B de moi le soulagement de leurs
maux et apaisai ent leurs souffrancos à me confier la
Lriste3se de leur sort eL leurs perpétuelles épreuv es!
« Et mainte nant tout eela est fini, et brutale
ment
fini. Je suis espionnée sans arrêt par Cécile ; je ne peux
plus sortir sans qu'elle m'accompagne ot, pour vous
écrire, j'ai dû attendr e le sommeil de toute la maisonnée.
« Heureusement nous avons croisé, un jour, dans a
rue, ma gentille amie Geneviève et sa mère .
« Celle-ci s'est arrangée pour marche r en avant avec
Cécile, et Geneviève a pu me dire en quelques minute s
rru'elle me rempl,açait mainte nant et que, soupçonnant une rossene de la part de ma belle-mère et
ayanL été mise au couran t pal' moi de la démarche
de Mme Hansant, elle était allée bravem ent la trouver .
« CeUe aimable deme no lui ~lVaiL
rien caché ct
l'avait même mise au couran t de la félonio de Cécile
dont le mensonge avait éLé rendu flagrant par les renseignements re~ms
d'une amie de Cholet. Ceux-ci détruisaient tout Jo plo.n échafaud" par ma jalouse compagne.
« Geneviève m'a dit eombien Mal'c
fiansanL s'était
attaché fi moi eL quel désir élait 10 sion de m'épouser.
II ne voulait rien brusqu er, mais sa mère ot lui mettaienL touten œuvre pour m'arrac her de cette maison .
« J'ai chargé Geneviève de remercier Marc de toute
son a'frection ... »
« Oh 1 Aliette vous voulez l'épous er? »
Le cri sortit des lèvres de François en môme temps
qu'il sc levait brusqu ement.
Les yeux d'Aliet te rencon trèrent son regard, ohargé
de surprise, de crainLe, pout-êtro même de désapprobation .. . Elle sentit le choo doces divers sentim ents,
en même temps qu'elle ressent ait la cessation de l'euphonie où l'avai t mise la présence docile eLsilencieus e
de François à ses côtés, sea maine pros des siennes.
�UN MARIAGE ROMANE SQUE
87
Mais .pourquoi ne l'épousorais-je pas ~ ))
Vous ne pouvez pas aimer cet homme, vous ne le
connaissez pas! ))
(( Je le connais pour être un homme de cœ ur,
F rançois, et le seul qui s'intéresse :J. moi. »
« Non, pas le seul, ne soyez pas injuste . Croyezvous donc que d'autres ne pensent pas à vous, ne
rêvent pas à vous, croyez-vous donc que seul Marc
RansanL fasse le projet merveilleux de VOU3 épouser,
d'unir sa vie à la vôtre? Non, il n'est pas le seul
audacieux qui souhaite romettre son bonheur entre
vos peliLes mains, no dites pas cela, c'est trop affreux
:J. entendre. )1
(t Mais alors, François,
qui d'autre s'intéresse tant
à moi? )1
Un sourire inquiet errait sur l es lèvres de la jeune
fille qui attendait At redoutait à la fois Ia chute des
paroles qui décideraien t de son sorlj ...
C'est long, une seconde, quand elle contient peutêtre le bonhem de toute la vic ...
Mais un frisson rapidement la saisit, cur le mot, si
ardemment attendu a été dit :
( Moi, ma chérie, moi, . mon adorée, moi qui ne
songe qu'à vous, qui n"aitd'autre but dan: ln vie que
de vous rendre heureuse , de vous entourer' de tout
mon amour et qui dôplol'e tellement aujourd'hui
d'IHre resté si longtemps silencieux .
« Vous l'aimez , ce Marc, dites, chél'ie? C'esL lui qui
a vos préférences ~ Ah , comme je serais puni d'avoir si
mul compris qu'un alltre pouvaiL profitel' do toute
votre détl'esse , pen~at
que je ne vivais qu e pour
vous, sans vou s le faIre savoir.
« Aliette, vous me rendez fou. C'est lui qU D :JUS
allez épouser? 1)
Pour Loute réponse deux lèvres se posèrent sur son
front et une voix. d é li ci\~ns
lui dit: ,
, mon se ul ami, puisque vous le vou« Ce sera ~ 'ous
lez bien .. , ,1
«
«
�CIIAPJTRE Xl
Gand ('st une jolie peti te ville de Belgique eL tous
ceux qui l'ont pal'courue en conservent le meillem
xouvonir.
Ils padent de la cath6dl'ale Sainl-Bavoll, de ses
candélabres provenant du tombeau de Henri Vll!
d'Anglolerro ct porlant les armes de ce roi. Ils
udmiI'enl que 10 beffroi puisse ronl'erm fH' un carillon
do quarante-quatre cloches ct s'oxlasien t lorsque
iouLes cntront en jeu.
.
Ils découvrt·nt sur la place Smnte-PharaJlde le
noble châLeau des comtes de Flandre li ue construisi t
Beaudouin lor; ils ne manquent pas de faire le
Lour du chemin de ronùe etùe frémir d'angoisse devant les salles de torture et d'inquisitioll qui évoquenL le passé terrible de cetLe grande ville.
,Leul' visiLe se complète par celle des béguinages,
vdles dans la ville, avec leurs J'ues el leurs églif;es,
ct ~eurs
maisons gothiques ,où viennont se reposel' les
fa lIgués do la vio, ceux qUI atlewlenl, en se chaufTanl
au soleil, quo la mOI't vionne los prendre.
, OU,i, Gand esL une jolie petit..c ville et nul n'a
.lamalS dit ou pensé aull'ement.
Cependant, ùos fenêtres d'un couvent dont les
hauts murs séparent du monde, ùont la poeLe fermée
uvee de loul'ueg serrures évoque la prison, Gand
apparnÎl suns charme.
�UN MARIAGE ROMANESQUE
89
Qui pourrait dire si ce jardin obscur que le soleil
éclaire avec avarice, si cet arbre pâle, si ces pierres
moroses, si ces grands barl'eaux qui garnü;sent toutes
Jes fenêtres du bas, sont de Belgique ou d'ailleurs?
Ils n'ont pas d'autres caractéristiques que celles de
Lous les pays, Ide tous les end roi ts où la lIberté est un
vain mot, où l'on sépare de l'univers des êtres que
l'on veut maler.
Ce n'est pas une prison, certes. Les Sœurs sont
avenantes et s'emploient de leur mieux pour adoucir
le séjour de celles qui leur sont confiées, Les jeunes
filles sont libres de leur temps, .. mais ne sont libres
que de cela.
Aucune promenade, aucune sortie, aucune correspondance. C'est la retraite, l'adieu à tout. lien avec
l'extérieur ...
De sa chambre, une jeone mIe contemple avec
tel'reur les lieux où il lui faut vivre, où depuis une
semaine elle tourne el retourne ses pensées sans trouver la solution souhaitée.
Elle n'a commis aucune l'aute, elle n'a rien à se
reprocher .,. Son seul défaut est ü'être trop bonne et
trop jolie, et d'être aimée de deux hommes,
C'est pour cette chose terrible, êtl'e jolie eL être
aimée, que son pèrJ l'a brutulement mise à la porte
de chez lui, et, sans lui donner le t'1mps d'avertir qui
qUA ce soiL, lui a fait prendre le train et est venu la
conduiro lui-même dans cet.te demeure où les parents
savent que leurs ol'dres seront ohéis.
Pauvre AlieLLe 1 la vie so chal'gt>uit de la frapper
jeune et do lui faire payer cl'uellement les cadcanx
fJu'elle lui avait t'oit, le charme el, la beauté.
Coupablù d'êlro belle ... Voici Cf) qu'aurail pli porlOI' la pancw-Le clouée ù la porte de >a chambl'e;
crimo nITreux, faule impardonnable. :Ri!'!) belle et
plaire, comment espérel' fléchir les bourreaux, app eler
la miséricord ., retl'ouver la libe
rl~
'}
Chuqu tou ;' ÙO l'oue, dans 10 lrain, l'avait éJoignée
�90
UN MARIAGE ROMANESQUE
de Marc et François qui complotaient son bonheur;
et bercée par le roulement du wagon, elle avait revu
ces dernières heures de cauchemar qui la conduisait.
elle ne savait où.
Ce baiser de fiançailles ... baiser si pur, baiser de
sœur qui scellait leur promesse de s'appartenir, de
lever tous les obstacles qui pourraient se mettre entre
eux et leur bonheur.
Baiser dont le souvenir la faisait défaillir alors que
pur les vitres du train, la France défilait devant ses
yeux qui ne voyaient pas.
Baiserhref, mais décisif. Baiserqui déci.dait desa vie .
~ran
ç ois
n e voulut pas perdre des heures qui pouvaIent êLre si précieuses ct au lieu d'attendre le retour
de M. L'Host e, lorsqu'il avait accouru à l'appel
d'Aliette, il préféra se rendre à la ra ffinerie. et falI'e à
Marc un exposé loyal de leur situa lion réciproque .
Leur entrevue tut très dramatique. Marc raconta
combien il s'était atLaché à cette charmante jeune mie
Ri vaillante et si dévouée et combien chacune de ses
Vi 8 ~t c s
la lui rendaiont plus sympathique ot plus
attu'anto .
Il eut la conscience qu'il devenait profondément
amoureux d'elle au premier bal où ils dansèront
onsemble ct son dtS pit fut grand de constater que, pal'
la suite, Aliette venait moins souvent le trouver et
semblait perdre près de lui son enjouemont hahituel.
Il attribuait cette réserve il quelque timidité de jeune
fille, mais lorsqu'il fut reç·u chez elle il se rendit
compte quo cette enfant était entourée de haine et son
misérable sort le décida de domander tout do suite sa
main. 11 esp6rait la rendre heureuse et éprouvait pOUl'
elle un amour immense qui le poussait ù vouloir Caire
l'impossible pour lui donner 10 bonheur.
Les. doux demandes avaiollL été repoussées, il savait
~':lAe.t
étaient on quelquo sorte séqu strée et il
S Ingüll1?lt à tronvPl' 10 moyen de délivrer cette petite
.des malUS de l'oiseleur.
�UN MARIAGE ROMAN ESQU E
91
Puisque François se présentait à l ui comme le
subrogé-tuteur, il pensait trouver en lui une aide qui
faciliterait les choses et ferait gagner du temps.
François était profondément ému devant ces sentiments exposés avec une si boUe confiance, une si touchante smcérité et l'émotion le gagnait, de devoir
détruire l'espoir qu'avait cot homme symp athique de
fonder un foyer avec la femme qui venait de se promettre à lui .
Avec beaucoup do douceur, beaucoup de tact, il lui
dit qu'il venait le trouver de la part d'Alilltte qui
l'avait appelé à Bon secours ne sachant comment se
sortir de l'impasse où e lle Be trouvait.
Marc ne lui ayant jamais fait connaître son amour,
elle n'avait jamais eu à lui dire qu'elle se con
~ idérat
comme fiancée à FHmçois.
Et depuis quo, Marc avait fait sa demande, elle
avait dû jurel' à son père de ne pus chercher à le
revoir ct de ne pas lui écrire.
Elle lui avait donc envoyé une lettre, à lui, François, et il sortait de chez elle, où il avait pu la revoir
seule cL où. il retournait. affront")r le père parce que,
lui aussi, voulait épouser Aliette.
A cos mots, Marc out un regard désolé .
cc Que vous ëLos heureux, mon <lleur, si c'est vous
qu'olle préfère et quo je vous félicite si vous obtenez
sa main 1
cc Nulle auLre femme no lui esL comparable et j'aurais
béni le ciol s'il m'avait donné Je bonheur de m'unir il.
cotte ra vissante joune fille.
c( S i c'est vou~
qu~ol
aime, ct depu~s
.l~n
g temr
s , je
no peux quo m lTICl1ll0l' devant sa dCClslOn et JO lu
remercie de vous avoir choiJi pour me la fai re connaître.
« Le coup est moins dur quand il est porté par une
main si légère. Mais la blossure n'en subsis te p9.5
moins ct je ne vous cache IU1S que je soufIre beaucoup de j'écroulement de mes rôves ...
�92
UN l\IAnIAGE ROMANESQUE
« Dites à votre fiancée que j'avais souhaité qu'elle
fut mienne, mais que je ne peux que la féliciter de
son heureux choix.
fI I?ites-lui aussi que tout mon dév<?uement lui ~st
acqUIs, et qu'elle p eut user de mm en toutes Cll'constances. Par le Lruchement de Mlle Lautier, sa
remplaçante, elle pourra me faire savoir ce qu'elle
veut de moi, sans manquer au serment fait à son père
de ne plus m'écriro ni cherchor à me voir.
(( Et pOUl' vous-même, monsieUl', considérez-moi
comme un ami.
(( Généralement doux hommes rivaux se détostent eL
chorchent à sc nUlro. A liotte esL trop au·dessus dos
autres femmes pour que nous no soyions pas, comme
elle, dilTérents des autres hommes. »
Une vi~oures
poignée de m~ins
scella leur acc?l'd
ct FJ'ançOls se sentait bouleverse de 1, nL d'abnégahon
ct de stoïcisme si simplement exposés.
Il revint ensuite chez M. L'HosLe et cuL le bonheur
de trouver AlieLLe encore seule. IlIa mit au COUl'ant
de sa visite et de l'impl'olls ion excellenLe que lui
avait faiLe Marc oui, avec un sentimenL très chevaleresque, s'inclinait devant le choixdc celle qu'ilairnuil.
Tous deux avaient en lui un ami clévoU0 lJui saurait
meUre au service de son an'oction tout ce qu'il aurait
voulu mettre au se/'vice de sail amoUl'.
Et le père d'ALieLLe HaiL renLr6, cL rie suite l'explication devinl violenLe siLôL <{lie Fl'ançois cuL demandé.
n:v ec tout le respect souhai table, la main de sa couSIne. Sa femme, l'ayanL l'cjoint, unit, sa voix à celle de
son mari et déclara qu'AlieLLe était une mau vaiRe
tête.qu'il fallait discipliner, pOUl' laquelle le couvont
~erI.lL
meilleut' que le m /Il'rage, quo d'ailleurs lis
etalOnL Lous deux du même avis et ne donucl'uio/lL
la ~lu
je~n
qu'après 10 mariage do leur aînée.
l',I'an 0?IS ayant épuisé tous les arguments, ct sontalll ( 1ùl ~ heurtait il une l'ésolution bien déterminée, "" ('cLita on annonçant qu'il reviendraiL le lende-
�UN MARIAGE ROMANESQUE
93
main connaitre le tout dernier mot de M. L'Hoste
avant de rejoindre la Valinière . ..
A peine fut-il parti, que le départ de l'infortunée
fiancée fut bâclé en vitesse . . : les petits avaient
entend.u toute la scène et la lui avai ent narrée pal' le
menu; et le désespoir avait eu à peine le temps de
l'envahir que l'épouvante la saisissait en se voyant
arrachée à sa maison sans savoir où elle était emmenée.
Elle dut enfouir avec précipitation linge, livres,
robes dans une malle qui lui fut apportée avec
l'ordre de la remplir vite. Fort heureusement, Joël et
Jean-Pierre avaient l'esprit vif; eUe leur dit de partir de bonne heure le lendemain matin pour leur
classe et d'aller avertir François il son hôtel de tout
cc qui venait de se passel' en le suppliant de cherchel'
..\ savoir où elle étalt emmenée aOn de venir la délivrer.
Les petits sc suspendirent à son cou en pleurant et
elle dut les prendre sur ses genoux, les câlin et',
essuyer leurs larmes, bien qu'elle mêlât les siennes
aux leurs.
Ils se mirent il genoux devant la photo de lem'
maman ct firent une prière bien fervente pour qu'elle
ne les abandonne pDS et leur envoie, d'en Haut, le
seeours quo la terre leur refusait, Tous trois éLaient,
calmés ct H'activaicnt il Lerminer la malle lorsque'
Cécile monta dans la chambre pour jouir du chagr'in
qu'elle supposait général. Grande fut sa décepLion de
voir dos visages normaux, car ils purent. pal' un prodigue d'énergie, feindre l'indifférence et lui rBLirer Je
plaisir de se complaire dans leur peine.
Jusqu'au bout i ls gardèrenL cet.te m( ~ me
atLitude cL
lorsqu'Aliette Jes emb!'assa un.e dern.ièl'e Jois, en mel tant tauLe sa fMvelll' dans cc baiser suprême, elle JeUl'
murmura:
(( Pensez ù maman, pl'iez-In bien et aLLendez-moi,
je l'eviendrai bien vite. li
�94
UN MARIAGE ROMANESQUE
Tout son voyage n'avait été que l'évocation de ces
heures affreuses. Dans un rêve elie avait quitté une
gare à. Paris pour en retrouver une autre, la frontière
fut traversée sans qu'elle trouva une distraction dans
l'arrivée des douaniers belg-es dont l'accent mettait
tous les autres Français en Joie.
Elle vivait dans l'imprécis, l'informulé, et c'est,
ainsi qu'elle arriva clans la gare de Gand, où son père
la fit uescendre.
Il la. conduisit dans un grand bâtiment ~'aspet
monacal et après ravoir présentée à la SupérIeure, Il
repartit, sans un mot alTectueux · ou encourageant,
sa~
rien qui puisse faire croire que c'6tuit un père
qm se séparait de sa fille .
. Huit jours s'étaient écoulés ainsi, dans une demi-réaht.é qui ne lui uvait pas rendu pleine conscience deB
faItS.
Elle vivait dans un isolemont faroucho et sitôt les
ropas terminés, remontait dans sa chambre où elle
retrouvait ses songeries.
PlJ.~mi
ses compagnes, il y cn avait qu~
n'étaient p.as
ÙO mecha~ts
filles et qui ne domandalOnt qu:à .her
conversatlOn avec la dernière venue. EUes devmawnt
une situation poignanto qu'elles voulaient adoucir, mais
elles se heurtaient à un mutisme et à une obstination
farouches qu'elles-mêmes connaissaient bien pour avoil'
agi de semblable façon lors de leur propre arrivée.
Elles attendaient donc qu'Aliette sorte peu à peu do
aa rêverie et de son engourdissement et se trouvaient
toutes prêtes ù lui témoigner une sympathie dont elle
so~blat
peu so soucier, no trouvant de bonheur que
pres de sa fenêtre, où nous la retrouvons. Pendant ce
temps que se passait-il en France?
;' ioël'et 'Je~n-Pi;rfl
'n';vaient p~s
~ub ' 1ié ·le·dL' pro:
mes~
et, dès le lendemain mutin, François avait été
avertl par eux du départ pr6cipito de leur sœul'.
, Comprenant ù quoI point M. L'Hoste était sous
�UN MA1UAGE ROMANESQUE
95
l'empire de sa femme et combien il était vain d'espérer
de lui un éclaircissement quelconque, FrançoIs se
résolut à partir pour Mortagne afin de mettre les grandsparents d'Aliette au courant de la disparition de leur
petite-fille.
« Le Colombier » qui abritait leur vieillesse avait
été témoin de bien des scènes déchirantes.
Celle-ci ne 10 l'ut pas moins et les grands-parents
furent douloureusement fra p~s
par cette épreuve inattendue. MIne de Flaissière dit:
« Pauvre petito 1Quelsmauvaistraitementsn'a-t-elle
pas eus à subir, quels affronLs n'a-t-elle pas eus à supporter puisque son pore a pu en arriver là, simplement
parce que deux jeunes gens, dignes en tous points de
sa fille, sont venus lui demander sa main et non pas
celle de sa belle-fiJ!e 1
Cette femme nous hait de lui avoir refusé son entrée
au Colombier où ello aurait pu, plus facilement qu'à
Nantes, jouer à la grande dame. Ne pouvant, en tous
points, prendre la place do notro fille, c'est sur A lieLto
qu'ello se venge de sa rancœur. Ces petit.s ne lui por""ent aucun préjudice tandis que son orgueil souffre de
voir Cécile paraltre plus laide encoro aux côtés de
notre potite-lilIe.
u Puisque vous êtes libre de votre journée, voulezvous avoir l'obligeance, François, de téléphoner à
Mo Lenoir do nous rejoindre ici au plus vite 1 C'est un
homme de bon conseil et je serais étonnée qu'avoc lui
parmi nous, une solution heureuse ne soit pas trouvée,
oar il faut songer que la pauvre petite doit passer dos
moments aITreux, si, comme tout le fait envisagor, il
lui est inLerdit de faire connaître sa retl'aite.
1
Me Lenoir ne tarda pas à venir. C'était un aimable
homme, curieux comme 10 sont généra lement les.hom- ,1
mes de loi de province qui ni ment volontiers être les
premiers renselgnés sur toutes choses.
Cet appel inaccoutumé d'une famille qu'il appréciait,
�96
UN MARIAGB nOMANESQUE
hautement, ne le laissa pas indifIérent et il ferma
volontiers les dossiers qu'il était en train d'établir pour
se rendre au plus vite là où il pensait glaner quelque
nouveauté.
Mais il ne s'attendait plU! à un événement de si
grande importance et son indignation prit le pas sur
la simple curiosité qui l'attirait.
L'homme de 1cri reparut de suile, prêt aux concl usions
juridiques, aux dispositions légales.
Se tournant vers François, il lui dit:
« Votre titre de subrogé-tuteur ne vous donne aucun
droit pour intervenir, puisque c'est le père de votre
pupille qui l'a emmenée et qu'il peut arguer judicieusement du droit qu'il a de mettre sa fille dans le pays
qui lui convient.
c( Il peut l'avoir confiée ùdesarnis, mise dans unpensionnat, l'avoir placée comme institutrice dans une
maison étrangère, toutes décisions contre lesquelles
nous ne pouvons rien si elle n'est pas mal traiLée et
ne subit aucune violence.
u Donc, ne comptons pas sur le droit, mais sur la ruse
:>t justement Jehasard veut que j'ai entre les mains une
combinaison merveilleuse pour connaitre la ville qui
la recèle.
cc Parmi les biens acquis par la communauW et quifont
partie de la succession, se trouve une petite scierie dans
Je village môme et pour laquelle je viens de trouvcr
acquéreur.
cc Mlle Aliette étant émancipée, son autorisation doit
nous être donnée au même titre que celle de son père
pour permettre cette vente qui amènera une somme
assez importante dans le portefeuille de M. L'Hoste.
~ Com~e
je sais que sa deu ième femme est aussi
aVIdc oi, Intéressée que votre nUe l'était peu, madame,
- et le ~otaire
se tourna vers Mmo de FJaissière qui
ne 'P.crdalt pas un mot de la conversation - je pense
q.u'lls feront toute diligence pour nous envoyer les
sIgnatures demandées.
�UN MAHrAGE ROMANESQUE
97
« Or, etc' est làle point important, j'avais déja prévenu
votre fiancée, monsieur d'Artannes, que, lorsqu'elle
aurait cet acte entre les mains, il faudrait qu'elle signe
avec l'aide d'un officier d'état civil qui devrait lui-même
signer, dater et indiquer le lieu où se serait effectuée
cette autorisation.
« Je serais bien étonné qu'elle ne fasse pas l'impOflsible pour nous faire connaître la ville où elle réside,
sachant que je: dois fatalement avoir cette pièce entre
les mains pour signer l'acte de vente; et dans leur
joie de recevoir l'argent, il est possible que M. et
Mme L'Hoste ne songent pas à vérifier si rien ne viendra
trahir une retraite qu'ils désirent tellement garder
secrète.
«Re'prenez donc courage eLattendez quelques jours,
je seraIs bien étonné que mon moyen ne se revêle pas
excellent. Et ensuite nous laissorons l'amour faire le
miracle do nous ramener MIlo Aliette. »
�CHAPITRE XII
Sous les mêmes regards blasés ct mornes de Berryer
et de Malesherbes, Me Lenoir, ce jour-là, arpenta it
flon cabinet .en se fr~to.n
les main~
et en parlant tout
haut, ce qUl pour lUl étaIt la mamfestation suprême
de son contentement.
'
cc Elle est maline, la petite. elle les a proprem
ent
mystifiés. Quellepuissnnce a l'argen t pour que, devant
lm, disparaisse toute autre considération, même la
haine 1
«Etait-cc assez bien amené, de la part de cette jeune
fille, de profiter de ce haB de page, où olle devait
signer, pour dissimuler, dans le cacheL grassemont
6talé de mon confrèl'e belge, un petit cc Gand )) d'allure
,,;i modeste qu'il a passé inaperçu! Elle a dû pousser le
coude du confrère pendan t qu'il manœu vrait son
tampon , d'où l'écrasement des caractères qui ronden t
illisibles le c( Royaume de Belgique n qui aurait attiré
l'attent ion de se~Frnt.
.. Et dans lesbnv ures oficel~,
il fallait mon OJI mqulSlteur pour trouver ce potIt
moL que les autres n'ont certain ement pas ùécelé.
« Je me fais l'effet d'un monsieur qui arrache rait une
souris aux griffes d'un méchant matou. J'atten ds avec
l'impatience d'un amoureux à son premier rendez-vous
quo M. d'Ar Lannes me fasse connaltre le résulta t de
~es
premièreB démarches. Il est débrouillard, lui aU3si,
et diablement épris, ce qui donnorait de l'esprit aU
�UN MAI\IAGE ROMANESQUE
,dernier des butors ... Allons, je crois que jo vais avoir
bientôt un bon contrat à rédiger. »
Et tout en se frottant les mains, le brave notaire
retourna consulter l'horlocie dont 10 balancier s'activait dans un coITre de chêne sculpté, depuis de nom-'
breux lustres.
(( Il doit êLre arrivé à l'heure actuelle. Que le bon
Dieu vous bénisse, ,ieunes fiancés, ct que n'ai· je encore
votre âge pour me livrer à des escapades semblables. Il
Et avec un petit soupir de regret, Me Lenoir
quitta son bureau et rejoignit dans la salle à man~er
sa large épouse, dont la vue ne ranima nuls transports
de:guis longtemps éteints ...
Et pendant qu'il savourait la bonne soupe au lard
et aux chouJ<, chère aux Vendéens, FrançOIs, dans un
hôtel de Gand, compulsait un annuaire ct notait
diverses adresses.
Cette Hn de mai éLait délicieuse et l'air luger,
ébranlé de carillons, avait une douceur ù laquelle
il était impossible de ne pas se laisser aller. Aussi, ses
J'OnseignemenLs pris, François jouit-il profondément
de la pureté admirable de cette soirée qui le détendait du voyage où ses nerfs contracLés le faisaient cruellement soufl'rir.
La hâte de rejoindre l'aimée, la crainte de la trouver malheureuse, lui faisaient troùver le trajet interminable. Et pourtant une consolaLion lui était venue
de savoir AlieLte à Gand; il lui paraissait impossible
l'tu'en Delgique il n'y ait pas que de braves gens ct à
voir leB bonnes figures qui l'enLouraiont, il reprenait
courago pour l'attente jusqu'au lendemain.
1
De bonne heure, il sonna au consulat français et se
présenta comme le Luteur de Mlle Alietto L'HosLe, une
Française qui avait dû arriver dans le eourant du mois
ct donL il désirai L avoir l'adresse afin de l'entretenir
de diverses questions concernant son mandat.
Le consul, à qui ses heures nombreuses de loisirs
permettaienL de s'occuper lui-même de toutes so~ '
(
~
"':
�100
UN MARIAGE ROMANESQUE
afTaires, répondit qu'il avait dû délivrer un certificat
de domicile à une Jeune fille de ce nom qui avait eu
à signer une autol'lsation de vente. Elle demeurait au
couvenL des Carmes, dans une communauté réputée
pour recevoir des mauvaises têtes que l'on voulait
mettre ù la raison, mais dont le régime de vie très
Lolérant aUénuaiL les rigueurs de l'internat.
François ne lui cacha pas q n'il aurait sans doute
besoin do son aide et, le cœur baLtant, se dirigea vers
les Carmes d'où il se voyait déjà faisant sortir sa douce
fiancée 1 Ce couvent ne faisait pas menLir la réputation
qu'ont toas les couvents d'avoir à l'entrée un chien
méchant ou une Sœur tourière hargneuse.
De sa petite loge d'où elle surveillait les allées et
venues, les entrées et les sorLies, la sœur Exupel'
semblait une araignée immobile au milieu de sa toilo
et guetLant les innocentes petites mouches qui viendraient, dans leur grande inconscience, se faire prendre
dans ses mailles.
Elle apparut telle, lorsque François eut déchaîné
l'énorme cloche qui annonçait chaque visiLeur. Et
pourtant elle avait été femme, elle avait peut-être été
courtisée; avait-elle donc perdu Lout souvenir de ses
vingt ans et toute indulgence pour la jeunesse dont
elle se faisait la geôlièl'e?
La franchise qui se lisaiL dans les yeux de François
et la décision de ses gestos l'impressionn '['euL favorablemenL et elle se hâLa de tintor plusieurs coups qui
appelaient la Supérieure au parlolJ" où olle conduiRit
ensuite son visiteUl'.
Les barreaux auX fenêtres, l'austérité de la. pièce où
l'emplacement d'honneur' était donné à une grande
vitrine de minéralogie, lui serrèrent le cœur. D'un œil
vague il considérait les échantillons de touLes couleurR
et parcourr.it les éLiquettes qui se or'cssaient dans
un alignement impeccable : gypse, silex, ardoise,
kaolin, lignite, jaig,ambre,sytinito, selgemme,oligistc,
hématite, pyriLe, galène, blende, porphyre, diorite,
�UN r.lAnIAGE HOMANESQUE
101
obsidienne... que lui importaient les nombreuses
recherches dont celte majestueuse collection était
l'aboutissement? A l'autopsie, 1es cœurs de toutes
les gardiennes ne se révleain~·s
pas aussi froids
ct inertes, pétri fi( ~ s?
Un faible glissement de chaussons feutrés sur le
parquet étincelant, ot le cliquetis de croix et de
médailles se heurtant le firent se retoumer et il so
trouva devant la Supérieure qui ne manqua pas de
l'examiner d'un œil soupçonneux.
Des chaises de paille enLouraient un guéridon recouvert d'un tapis fait d'une multitude de fleurs de crochet de toutes teintes, dont les couleurs heurLées eL
disparates firent tiqueJ' F tançois, si sensible aux tons
et aux couleurs .
Une mesure du prélude debussyesque se leva brusquement du fond de Dieu savait, quel recoin de son
cerveau, et 10 retour de ceLte phrase musicale ensorcelante le rendit il lui-même ... il s'assit sur une chaise
haute et droiLe, sur un geste d'in vite de la religieuse
ct après s'être rrésenL6, demanda la permission de voir
sa _p upille qu'i savait être là.
Imperturbable, sans qu'unrouscle de son visagetrahtt
la moindre impression, son interlocutrice diL :
« Je regrette vivement, monsieur, que vous soyiez
venu de si loin pour vous heurter à un refus Iormel.
M. L'Hoste, pour des raisons qu'il est mieux quo quiconque à même d'appl'écier, tient absolument à oe que
sa fille no reçoive ni visite, ni correspondance.
« Notro l'èglement ne connait que les ordres donnés
par le père eL, s'il n'y consent, un subrogé-tuteue luimêmo, n'a pas dl'OiL de voie une dos enfants qui nous
sonL ronflées.
« M lle L'HosLe est fOI'\' bien traiLée, l'assurez-vous, je
ne Veux l'ion vous dire de plus eL vous engage il
rejollldl'e Nantes sans cherchel' davantage à insisLe I', car vous vous heUl'Lerez toujours au même
l'efus. ~
�102
UN MARIAGE ROMANESQUE
Et, en se lovant, eUe signifia que l'entretien avait
pris fin.
François se leva également eL dit:
cc Je regrette, ma Sœur, que vous ne compreniez pas
mieux quelle est ma déci~on
bi~n
art3é~
de ne quitter Gand qu'avec ma pupIlle qm est aUSSI ma fi ancée;
car je vais employer tous les m~yens.
quo la loi met il.
ma disposition ct je regretterai qu'll vous en arrive
guelque désagrément .
. -cc Mais puisque vous ne comprenez pas que M. L'Hoste
anuse odieusement de la puissance paternelle et puisque vous ne m'aidez pas à modérer d'injustes rigueurs,
trouvez donc tout naturel que je cherche par tous los
moyens ù délivrer cette pauvre petite qui n'aurait
jamais dLl connaître pareille torture. ))
Et sous l'œil malévole de la Supérieure, François
q~ita
l~ parloir, retrouva la S~ur
portière qui l'exam~
s~lgneumt
avant ~e tirer le cordon qui lui
ouvnrall, la porte, comme SI elle redoutait que dans
les plis do son manteau .se cache quelqu'une des pensionnaires dont elle avaIt la responsabilité. Et rassurée sans doute par son inspection scrupuleuse' elle fit
le geste qui lui ouvrit les portes de la liberté. '
..
..
..
..
..
..
.
, ..
. ..
A pei~
Françoi.s .av~t-il
quitté la communa uté que
la SupérlCure sc clll'lgealt vers la chambre d'Aliette et
entrmt sans frapper.
9è~le-i
à sa place. habituelle, assise près
Elle tr~uva
de la fenetre d ou elle apcycevUlt un haut mur qUI lui
barrait touLe vue SUl' ]0. Ville. Dans la cour, quelques
moi.neaux picoraient, la pelouse était garnie de massifs de Heurs, de ces merveilleuses fleurs dont Gand a
le secret, et cc coin de végétation charmait les songe.ries de la recluse dont la pensée s'envolait bien
lOIn.
Tant de douceur, de tristesse et de distinction
émanaient de cette pens.ive jeune 11110 que la roligieuse
s'attarda quelques secondes à la contempler, et dans
.
.
. .
.
.
.
�.
son cœur qui aurait dû être blasé,
UN MARIAGE RQlIfANESQUE
103
un sentiment de
pitié se fit place.
Le jeune homme, lui aussi, avait un aspect franc et
sympathique qui contrastait avec la violence et la
dureté dont le père avait fait preuve. Il avait exigé
que sa fille soit isolée de toute communication extérieure sans fournir aucun prétexte, aucune justification
d'une rigueur dont les autres parents s'excusaient par
des motifs qu'ils discutaient longuement avec la reli.gieuse ù laquelle ils conflaient leur rebelle.
Ils s'en remettaient à son expérience, à l'habile té
avec laquelle généralement elle sa vait apprivoiser les
âmes les plus révoltées, les plus farouches et obtenir
d'elles une confession qui faisait connaître la source
du mal et permettaient bien souvent de remédier à un
état. de choses qui n'aurait pu qu'empirer sans son
interven lion.
. Avec Aliette, elle se trouvait ùans une situation
très difficile: d'une part, des recommandations très
strictes et très sévères du père; d'autre part, une
enfant docile, réservée, fmsant preuve ({'une très
grande piété el qui donnait l'impression à chacune
deR longues slations qu'elle faisait à la chapelle,
qu'elle remettait entièrement son sort entre les mains
de Dieu.
Nulle hypocrisie ne se lisait dans ses yeux, nulle
soumission sournoise; seule, une gl'ande élévation ,
(['âme et une immense confiance dp.ns le Père ToutPuissant pouvaient expliquer sa conduite.
Et la VIsite de son ûancé alléguant un abus d'autorité du père, le soupçon qui se faisait jour en ello
pouvait êtl'emlse en jeu, lui fit \
qu'une qnestion d'in~érôt
craindre d'être complice d'une sanction bien arbitraire.
Aliette, perdue dans ses songes, ne sc rendait pas
compte qu'ello n'était plus seule, el au bruit volontaire que fit la Supérieure en refermanl la porte aprèf1
être entrée, elle sursauta violemmenL, son visage se
couvrit de confusion d'avoir été surprise ainsi et elle
�10~
UN MARIAGE ROMANESQUE
se leva avec un geste charmant d'excuse qui acheva
de conquérir la sympathie de sa visiteuse.
Cèlle-ci lui dit:
« Mon enfant, M. L'Hoste m'avaiL donné la cons igne
absolue de vous conserver ici sans que personne ne
connaisse le lieu de votre retraite.
« Or qUélqu'un s'est pr6senté auj0.r~'hi
pour vous
voir, etsuivant les instructions que J'al reçues, je doif;
vous faire changer de mais.on. Vous allez ~onc
faire
de suite votre malle et partI!' dans notre maISon mél'e
de Bruxelles, en même temps que je vais aviser télégraphiquement, M. L'Hoste et de la viflite que j'ai
.
:reçue et do votre nouvelle adresse. »
: Les couleurs d'Aliette disparurent de ses joues eL la
pâleur qui leur succéda fit craindre à une syncope.
Cepenùant ell e raITermit son courage et demanda:
« Pouvez-vous me dire si celui qui est venu vous
voir est FrançoiR d'Artannes, mon Iiancé? Il
Une lueur d'h6siLation traversa les youx de la relig.ieuse .. Pouvait-el~
donner ceLLe sat ~ sfact~on
à sa penslOnnall'e sans tI'ahlr la confiance qUl avait éLé miRe en
elle.
11 lui sembla que rien ne pouvait l'empêcher ùe le
faire et que ceLte jeune fil~
si facile et si gracieuse
,méritait une favour d'exception.
« Je no devrais pas vous le dire, mais en récompense
de voLre borme conduite, je veux VOliS donnel' coUe
petito joie. C'esL en eITet vot!'e fiancé qui est venu,
Imais j'ai dû lui refuser ~'auorJStin
qu'il me demandait, celle de s'entretenu' directement uvec vous.
« Et maintenant, mon enranL, ne Lal'doz pas li fail'o
votre malle et ne désespérez pas de la bonté ue Dion
qui prend les voies )es, plus divÜI'ACS pOlir faire le
bonheur tlo celles qu ,1 almc. »
« Jevous remercie, maS~ul',
de la compassion dOIlL
'Vous faitos preuve vis-à:vJS de moi. Je ne veux pa~
accuser mon père, il est hbre d'agir ù sa guise el selon
ce qui lui semble juste.
�UN MARIAGE nOMANESQUE
105
(( Mais sa main pèse lourdement sur moi et dans
ma dure épreuve c'est un rayon d'espoir que vous
faites luire à mes yeux, en m'annonçant que mon fiancé
a d6couvert ma retraite.
(( Dans une demi-beure je serai prôte eL j'irai où vous
m'enverrez, Jluisqu'il est impossib le de faire auLrement; François a su me découvrir ici, je ne doute pl1i{
qu'il ne me trouve aussi bien il Bruxelles eL, une fois
de plus, à la grâce de Dieu 1 »
..
.........................
.
Une heUl'o ne s'était pas écoulée depuis sa première
visiLe que François sonnait de nouveau aux Cal'mes,
accompagné cetLe fois du consu l de France qu'il avaiL
su convertir à sa cause.
Ils firent venir une seconde fois la Supérieure au
parloir eL le consul lui expliqua qu'un subrogé-tuteur
avait des droits presque semblables à ceux du père
eL que Franc;,ois avait le pouvoir de demander des
moyens légaux poU!" revoil' sa !lancée. I I. faisait 1'0Sflorti[' Il la Sœur combien ce seraiL fâcheux pOUt' elle
qu'une perquisition ait liou dans ]e couvont si eUe
rerusait de faire venil' AlietLe JevanL eux, eL que son
intérôt lui recommandait de ne pas s'entèter dans sa
ligne de conduite qui n'amènerait que des compli caliom.
Au contrail'e de cc qu'attendait, Fmnço.is, la religieuse leur parla sans aucune mauvaise gl'âce et leuI'
expliqua que pour oMir' aux ordres . lai ssés par'
M. L'Host.o 011 0 avait dû envover Aliette dans un autre
MablisBomenL quo le leur, o"l que la môme réserve
J'empêchait de leut' désigner.
Mais elle ajouta que cetLe pensionnaire lui avait
semb lé si diITérente des révoltées qui leur étaient
amenées d'ordinaire, qu'elle lui avait dit, par mesure
tout il l'niL spécin le, que son fiancé était venu la VOil',
voulonl, aiosi lui donller lIn peu d'elipoiI'.
Sur ceLLe nouvolle, AlieLLc lui avai t répondu qu'elle
ôtait bien sûre quo son liunccl so.\.lI'aillu retrouvor et
�106
UN lIfARIAGE ROMANESQUE
c'éLait sur cette phrase gui montrait sa confiance que
toutes deux s'étaient qUittées.
La Sœur ajouta qu'il lui était impossible, sans
d6roger à son règlement, d'en dire davantage, mais
que Mlle L'Hoste lui avait fait si bonne impression
qu'elle ~rieat
chaque jour pour que son épreuve
..
..
prenne fin.
François et celuI qUl l'acomp~nt
prtrent congé
sans être plus avancés, mais décIdés à en appeler en
haut lieu pour arriver à leurs fins,
�CHAPITRE XIII
Marc lut eL relut la leltl'e timbrée de Belgique. Le
roi guerrier, coi1fé de son casque, ornait l'enveloppe
dont le contenu bouleversait le cœur et la vie paisible de l'ingénieUl'.
(( Mais c'est du roman-feuilleton, du Jules Mary, du
Paul de Kock. Qu'esL-ce que c'eRt que cet enlèvement, cc couvent de Gand, cc tJ'ansfert subiL dans une
autre maison, siLôLla cachette dénich6e? C'est à ne pas
oroil'o que nous vivons en plein vingtième siècle à
lire une histoire pal'eille.
(( Ce pauvre François, je comprends son angoisse ct
sa hâLeà délivrer Aliette, mais comment veut-il que je
l'aide à tl'ouYer au plus LOL, ainsi qu'il me le souligne,
la seconde prison do sa fiancée? ))
Une grande perplexité se lisaiL sur ses traits qui
soudain s'éclairèrent.
(( Mais
pense 1 A la soirée où je me suis trouvée
ehez les L Hoste, j'ai rencontré mon camarade Leclerc.
Il est joli garçon, fm causeur, plein d'astuce.
(( Je vais lui (lemander d'nller faire une visite de
remerciement chez Mme L'Hoste, au besoin de se faire
précéder d'une gerbe de roses rouges. Chacune de ces
deux mégères croira que ce symbole d'amour ardent
est pour elle eL cela les disposera favorablemont.
(( Elles ignorent qu e nous nous connaissons eL ne
feront aucun rapprochement enLre ceLte visite si natu-
fY
�108
uri
MARIAGE ROMAl'lES(,!UE
l'olle do la part d'un homme de bonne éducation et le
départ d'AlietLe; dans le courant de la conversation,
peut-être Henri pourra-t-il recueillir quelques renseignoments intéressants que je pOUJ'J'ai envoyer de suite
à M. d'Artannes qui dOIt sc morfondre Hl-has.
« Si Henri Leclerc n'obtient rien de cette première
entrevue il faudra qu'il loU!' propose de les emmener'
dans sa ~oiture
dimanche, soit qu'il les conduise boire
du muscadet à TI'enlemoult, soit qu'il leur fasse
prendre]e bateau jmque CI~âte.au-Théd
..
• cc En cours de rouLece seraiL flOn ]? diable SI le petit
Vl1l les fleurs, l'herbe tendre n amolhssent pas un peu
leu~s
cuirasses blindées ct si elles ne se départissenL
pas de leur hermétisme.
cc C'est ?gal, jamais je, n'a~ris
cru que .Jes pleurésies
de la famille Le Gueldcch ment un pareIl rebondissement ct me conduiraient ainsi à faire le paladin.
Quand on .(>ar!e de la virulen.ce des microbes, on n'exagère pas à vou' la perturbation qu'apportent les pneumocoques d'une de mes ouvrières. Il
Et tout en monologuant ainsi, Marc s'app r'oeha de
Hon t éléphone ct demanda le numéro d'appel de son
ami pour le prier de passer tout de suite à son usine
pou.r IIne affaire très sérieuse.
C~mle'
l'~vait
prévu Ma~c,
'son' an;î Lecir~
reçut
\ln accueil des plus empressés de la mère ct de la fille
peu habituées à de pareils égards d'Ull jeuno hom~
si élégant.
..
Cécile, surtout, so sentit parLl!;ulièl'oment fluttée, sc
croyant visée, elle seu le. Son ûme \,t'ès romanesque la
où tous Jes
faisait vivre dans un monde ima~nre
hommes lui faisaient la cour et Ile rllBputaienL sa main.
Elle ne sc voyait q~e
belle, merveJllcusement paré
ct entourée d'uoe petIte COUI' <l'amour où elle ,'lignait
sans conLcsLc.
Aussi n'euL·elle jJ3S le ~?indl'o
SOup~:on
en voyanL
'Jntror Hemi Leclerc peu d lfisLants après qu'un fiou-
�UN MARIAGE ROMANESQUE
109
riste ait déposé chez elle un superbe bouquet. Ce ne
pouvait être qu'un de ses admirateurs secrets et il
venait demander sa main ..•
Au contact d'Aliette, Cécile avait appris bien des
choses et malgré elle ses gestes copiaient ceux de sa
rivale. Pat' un phénomène commun à toutes les
femmes, elle insistait, inconsciemment, mais enfin
eHe imitait et la façon dont elle reçut Henri le stupéfia, lorsqu'il se rappelait la gaucherie de ceUe jeune
fille lors de leur soil'ée.
En mème temps, un heureux changement dans sa
coilIure, une robe d'une teinte unie et foncée, d'une
ligne simple mais élégante comme étaient celles
d'Aliette, tout contribuait à la tl'ansformel·.
Au lieu des gestes gauches et imprécis dans lesquE:ls
s'embarrassaient sa timidité et son manque d'habi tude
flu monde, elle sut s'asseoir avec aisanco ot lui indiquer un siège, tandis que sa mère tardait un peu à se
poudrer et à so farder.
Elle profita de ces quelquos minutes de Ulte à tête
pour mettre en jeu tous ses moyens de séduction, se
lit très aimablo, s'enquérant de la situation d'Hemi,
de sa famille, de ses,habitudes.
A son tour elle parla de sa vie depuis le remariage
de sa mère, deieul's relations, do leues sOl,ties. Elle le
fit non sans intérêt et sous le regard volontairement
bienveillant de l'ami de Marc, olle se laissa allor à de
vraies confidences.
Sans doute, Mme Orbel ct'Ut-elle aussi que M. Leclerc
venait pour' sa fille, car les minu(.os passaient sans
qu'elle se présentât.
Cécile put donc tout à son aise profiter de l'attention que lui témoignait un jeune homme si semblable
ù ceux de ses rêves. Elle lui raconta sa jeunesse sevrée
de plaisirs, sanR compagne de son âge, que sa mère se
souciait peu do lui procurer, les longues heures passées
choz elle tandis que sa mère 6tait au dehol's. SouvenL
eHe n'avait pas le courage d'aller se coucllel' seule) elle
�110
UN MARIAG E ROMAN ESQUE
veillait jusqu'a u momen t où le sommeil s'empa rait
d'elle, et lorsque sa mère renLrait au milieu de la nuit,
elle la trouvai t endornlie sur la table de la salle à manger ou dans un fauteui l du bureau .
Très coquet te et fière de son physiq ue, sa mère faisait de grands frais pour sa toileLte cL Cécile devait
s'accommoder de ses vieilles l'obes.
«Vous ne savez pas , monsieur, combien c'est aiTreux
pour une jeune fille de ne jamais avoir une robe neuve;
et quelle jalousie peut s'empa rer de nous lorsque vous
voyez auprès de vous des gens él.égants, Loujours bien '
mis qui font paraîtr e si mcsqum es vos propres toilettes.
à quel point on
pas non. plu~
(c. Et vous ne save~
VOUS n'êtes inviJamaIs
lorsque
SOI
de
douter
à
arnve
tée, jamais courtisée.
à vous pOUl' la
je me cO;tfle ai~s
q~e
Il C.'est r~icule
pl'emlère JOIS que Je vous VOIS, malS Il y a des jours
où le chagrin m'éLoufTe.
, mais au fond
Il J'a1Tecte de faire l'orgueilleuse , la fière
et j'ai peur que cela ne me
je souiTre hor:ible~L
rende mauvaIse. J aI telleme nt peu de sympa thie
aulour de moi et si peu d'amis quo) bien souven t je
et j? sais que s~u
desBéc~;
sens mon cœt;r co~me
vent je paraIs mcchan te, malS aUSSl c'est que je
.
.
sou fTre trop! »
essayer de change r
I( Eh bien 1 madem01selIc, Il faut
cela. Vous voyez comme le hasard vient vous aider '
nous voici seùls, et vous me fai tes des confide~
qui me prouve nt que vous avez bien compris que je
ne demand ais qu'à être de vos amis . Nantes n'esL pas
rencon trer dans plusieu rs
nou~
infini, nOllS po~vn.s
ces renconLres. J'ai des
naltro
falfe
salons, nu besolll
amis qui sont des garçons charmanLs, ils ont des sœur!;
voir que voLre cœur
tout aussi agréab les, V?US ~lez
va connaî tre l'ondéo bIenfaIsante de l'amiti é et des
1
distractions.
c( D'ailleurs, si madame votre mère ne pout sortir
�UN MARIAGE ROMANESQUE
111
toujours avec nous, vous avez , je crois, un chaperon
tout désigné, car il me semble avoir entendu dire que
M. L'Hoste avait une fille de votre âge? »
« Oui, en effet. Mais Aliette est actuellement en
,
voyage et je ne sais quand elle rentrera. »
c( C'est bien contrariant, voyez-vous. Nous sommes
on mai, au joli mois des promenades et nous avons
justemenL un pique-nique organisé aux bords de la
Sèvre dimanche prochain. Après le déjeuner, canotage,
mis le bain vers quatre heures et nous renLl'ons dans
a soirée. Nous organisons très souvent des promenades 66mblables et je suis bien sûr que vous vous
amusel'iez ct chasseriez vos vilains papIllons noirs en
si joyeuse compagnie.
(c Vous êtes bien sûre qu'il n'y la pas moyen que
Mllo Aliette renLre dimanche? Elle n'est peut-être pas
abaenLe pour très longtemps? »
Un bref combat se livra dans l'âme do Céeile, déjà
li Vl'ée au remords depuis le départ, do sa victime. Elle
avait attisé les mauvo.is sent,iments de sa mère ct
était complice de la séquesLraLion de celle qu'ellepersécutait.
Depuis plusieurs .jours elle so sentait mécontenLe
d'elle-même ot sa conscience lui rellrochait la cruauté
avec laquelle toutes deux condamnaient Aliette à être
séparée de Bes deux frères et de son fiancé, car elle
savait lOB titres qu'avait François à ce nom.
C'était sous l'émotion de ses remords qu'elle s'était
soulagée en sc confiant à ce jeune homme qui su montrait si bienveillant pour elle et paraissait prendre
une part si vivo à tout ce qu'elle disait d'ellemôme.
11 avait raison: si elle pouvait s'amuser, avoir des
amis, elle ne serait plus si jalouse. Aliette était si
complaisante qu'il y aurait peuL-êLl'e moyen de
s'entendre avec elle pour sortir ensemble les jours où
sa mère n'aurait pas envie de le faire?
Le regard d'Henri pesait sur clIo. llllavait de quelle
l
�112
UN MARIAGE ROMANESQUE
natme éLaient les hésilations et sc gardait bien de les
brusquer en quoi que ce soiL.
Cette jeune Jille lui ouvrant son, coou,r meurtri
d'enfant délaissée et peu aimée l'avaIt apItoyé et il
comprenait quelle soufIrance d'amour-propre l'avait
ai,yrie j llsqu'a la rendre haineuse.
,
~Ialg'é
lui, un sentiment de sympatlllc se laissait
voir dans ses yeux et Cécile s'en étant rendu compte
cru Lvoir 10 paradis s'ouvrir pOUl' elle.
Elle reprit:
« Je ne devrais pas ~ous
dire où est AlieLLe, monsieu!', car son père déslfe que cela Ile se sache pa~,
Mais enfin, je veux bien vous dire qu'elle est en Belgique, Elle doiL être aetuelJernent à Bruxelles, mais
mon beau-père a reçu une dépèche hier qui l'a fait
partir. Je Cl'ois qu'elle it'a en Angleterre ... »
(c Bn Anglelèrre?
'
« Oui, sans doute pour sc per
, f~ctioner
en anglais.
« Bt par où Lraversel'a-t-ellc ?
cc Je pense qu'ilS s'embarqueront à Ostende à destination de Douvres. Mais je vous initie là à des conversations qui n'auront peut-être pas de suites et à
des projets qui devaient rester en famille.
'
cc Mais, vous m'avez tentée en évoquant pour moi
Loutes ces journées ùe fête et je serais bien contente
si Aliette pouvait l'~veir
e,t m~
ch,ap?ronner.
« Je vous remerclC d a,:o~l'
mIS amSl un peu d'espoil'
dans mon CooUI', votre VIsüe a été une bonne action
ct je vous en suis très r~cnaisLe.
cc Ah 1 je crois que VOICI ma mère. »
En eJJet, MmcL'Hoste,apparaissaiLcL après quelques
minutes de banal enLretlOn, M. Leclerc pl'enait congé,
nOll sans serrer un peu fortement la main de Cécile,
comme pour sceller leUl' accord de bonne amiti6.
�11:;
UN MARiAGE nO .\lANESQUE
A son hôte] de Gand, François avait reçu, peu
tl' heul'es après la visite d'Henri Lecl(' rc à Cécile, un
long lélégramme où lui était résumée la siLuation
d'Aliette toIle qu'on pouvait la connaître.
Il se préclpitasur les horaires de trains et de bateaux,
et vit que si M. L'Hoste avait rait partir sa fille de
Bruxelles sitôt qu'il y était arrivé, ils pouvaient
prendre le bateau le jour même.
lll'Îsq uait, ena llant à Bruxelle:;, de perdre du temps,
mieux valai Lparti!' pour Ostende eL s'enquérir adroilement au bureau des passeports, Le Ll'ain le retarderail, il fallait, absolument qu'il se procure une puisliante aulo qui, enune heul'e, Je conduirait sur lequai
d'embarquement d'Ostende.
11 avait déjà fait le tour des garages et alla directement chez celui qui lui avait paru le mieux pourvu
de bonnes au tos. Le temps que le ehaun'eur se pl'épare,
il avait rôglé sa note d'hôLel, pris sa valise, et en
quelques minllLes il quittait les portes de Gand pour
lâcher de ravir sa bien-aimée.
La journée se terminait el François ne savait ù
l'avance si l'obscurité du cl'épuscule sel'ait favorable
ou non au pl'ojet qu'il formait. Il avait promis un
Rél'iellx }loUl'hoire au chaul1'eul' ct celui-ci demandait
ù la voiture le mnximum de son rendement.
J)s évitèrent toutes les voicH encom bl'éel:!, les faubourgs populeux, eL en moins d'une heul'e, la mac.hine
vibrante de la coursc éperùue stoppa SU[' le quai
J'Ost.cnde.
Un navire se balançait à l'anc!'e etla sa ison aUit'ant
les touristes, un va-et-vient intense régnai\' dans le
petit port. Le chargement des bagages commcru,:ait, ~\
fj' nllcetuel'. Malles eL caisses d(jCl'j vaien L une courbe,
s'ùlovnienL puis retomba ient dans les profondeurs des
cales, Les vivi'cs étaicnt appol'l,éei:! pour Jo l'cstaurant
8
�114
UN MARIAGE ROMANESQUE
du bord, les voyageurs allaient du bureau des bagages
à celui des passeports, se renseignaient, s'appelatent,
peuplaient de leurs cris et de leur agitation ce quai
parfois si désert.
François arrivait juste en même temps que les
. voyageurs qui descendaient du train de .Bruxelles il
n'y avait pas do temps à perdre il fallait véritablement tirer de chaque seconde le maximum de profit.
Il pria le chaulIeur de s'avancer le plus près possible
du bureau des bagages, d'où il avait devant lui la
vue sur tous les quais. A tout hasard, avisant un
gamin qui, les mains dans les poches, badaudait en
sifflotant comme le font les gamms sous toutes les latitudes, il le héla et lui mettant un~
pièce da!ls la main
lui demanda de rester près de lUI et do faIre scrupuleusement ce qu'il lui commanderait; il peine se l'étaitil attaché, que cent mètres devant lui apparaissaient
Aliette ct son l'ère ...
n en ressentit un tel choc quo le sang, affluant à
ses tempos, lui fit voir tl'ouble; tout dansait devant
ses yeux, allait-il perdre le sang-froid nécossaire pour
mener à bien son entreprise?
Se raidissant contre l'émotion do voil' si pl'Of:\ de
lui celle qu'il aimait d'un amour épol'du: il griITonna
sur une page de son calepin les mots suivants:
. «. Écartoz ~otre
~èl'C,
ven~z
aux ba~go
)~. Puis
fille ~u petit garçon, lllUl dIt:
ll1dlquant la Je~n
« Anange-t?l p~ur
lUI re~t
ce 'papier sans que
son père le VOlt. SI tu réuSSlS, Il y a vmgt francs pOUl'
Loi. »
Il diL au chauffeur de mettre son moteur en route
et d'être prêt à démarrer ct regarda, du fond de l'auto,
Je petit qui courait à per~
haleine en faisant des
signes à un personnage Imaginaire. Arrivé devant
Aliette, il la frappa du coudo pour qu'elle prenne
garde ( lui, et s'ét~la
~e
'tout son long. Pendant
que M. L'Hoste contmualt sa route sans avoü' remarqué l'incident, Aliett.e se haissait vers le petit qui
�UN MARIAGE ROMANESQUE
115
poussait des cris affreux. Il lui mit Je billet SOUG les
yeux et lui murmura:
cc Le monsieur est dans l'auto rouge. Débrouillezvous vi Le. ))
Puis il se releva et en clopinanL vint toucher le
prix de sa ruse, tout en restant aux alentours, très
excité de jouer un rôle dans cette intrigue.
Aliette, elle aussi, ressentait une émotion inten se,
et, ainsi qu'elle avait Jait au moment de gagner le
match où leur amour s'était relevé, une oraison
ardento lui monta aux lèvres tandis qu'entre la réclusion et la libération elle optait de suite pour elle-là.
Elle rejoignit son père et lui dit:
cc Je crois que nous allons être bien nombreux sur
le bateau. Si nous voulons être assis à l'avant tant
que les côtes belges seront en vue, il serait pruden t
de retenir nos places.
cc Laissez-moi m'occuper de ma malle, dans une
minute je vous rejoindrai, nous aurons encore Je
temps do regarder ce pays avanL le diner. ))
Sa fille faIsait meuve d'uno tollo soumission, d'uno
telle passivité, qûe M. L'Hoste, fatigué par cos deux
journées de voyages, envisagea non sans plais il' de
s'asseoir sur l'un des transatlantiques qui étai en t sur
le pont.
Sc dirigeant vers la passerelle, il s'assura qu 0 sa
compagne entrait dans le bureau des bagages. A
peine avait-il tourné la tête que d'un bond François
la rejoignait.
1( Faisons vite, chérie. Où esL votre malle?
1( La voici, celle qui est en haut de co chariot
)) .
François so dirigea vers l'employé.
cc Monsieur, nous avons changé d'avis et ne partonfl
que demain pour Douvres. Voici notre bulletin, pouvons-nous reprendre notre malle dont nous avons
besoin? ))
Flatté, que ceux qu'il prenait pour des jeunes
marios aient été séduite par sa ville, il ne fi t aueuno
�116
UN MARIAGE ROMANESQUE
difficulté pour délivrer la malle; en quelques secondes,
elle fut sur ]e siège, à côté du chauffeur, FI'ançois et
, Aliette s'engoufTrèrent dans l'auto qui démal'ra à toute
vitesse ]e long du quai.
Sans s'êlre rien dit, les deux fiancés se t'etournèrent
et virent, paisiblement allongé el plein do confiance,
celui qu'ils venaient de berner cl qui, sans remords,
aLlendail la fllle que sa femme mourante lui avait
recommandée dix-huit mois auparavant.
Il goûtait la détente du repos après la fureur où
l'avait mise la dépêche de Gand lui annonçant la
visite de François, la bousculade du départ, sa rage
qu'AlieUe ait été si vite dépistée. Il jouissait ù l'avance de la mettre encore mieux à l'abri de toute
tentative de rapprochement ... El tandis que l'auto
roulait, à toule allure, les deux fiancés regardaient
Lanl qu'ils furent vi sibles ]e bateau et cet homme
allongé qui élaiL enfin si contenLl
A Namur, les deux fiancés quitlèrant le conducteul'
qui avail si bien su faire diligence, el ils prirent le
grand express inlernalional où ils passèrent vingl
heures .
François avait, cu l'idée de t'emettl'e sa fiancée
entre les main s de se.s amis danois avec lesquels il
continuaiL d'enLretemr une correspondance si cordiale.
Il savait que les mœ urs scandinaves sonl moins
timorées que les mccul'.s françaises eL quo l'excellente
Mrne Siel>rid accopLerl\lt les bras ouverts celle qu'il
amèneralL eL que ses JeUres lui avaient déjà fait COllnaître. Aase seraiL .un~
gentille compagne, loujours
de bonne humeur amsl que Ses frères Axel eL Alar,
et.dans co pays éLranger dO~L
lils nouvoauLés l'amuseralenl eL donL les paysages m connus la charmeraient,
Al ieLle trouverait un repos cl une distraction qui lui
éLaient nécessaires après les lrisLesses passées.
Leur voyage fnt un en~hatm;
tous deux se
demond:ürJJl s' ils ne faisawnt pas un rêve et remer-
�UN MARIAGE ROMANESQUE
117
ciaient les braves cœurs qui avaient facilité cette
évasion. Dans sa joie d'être près de son fiancé, sa
tête appuyée su/.' son épau le, tous deux seuls par
miracle, pendant une grande partie du trajet, Aliette
ne conna issait que bonheur et sérénité. C'est à peine
si elle eut quelque regret en songeant à la duplicité
dont elle avai t Jait preuve vis-à-vis de son père, elle
si droite, si esclave du devoir.
Mais j'amour est également sourd, s'il est aveugle,
et il n'entendait pas la voix de la raison. Hn'entend
que la voix aimée dont tous les projets sont enebanLeul's, il ne voit que lui etignore toutce qui n'estpaslui.
Vingt heures ... c'est encore trop peu et tout n'est
pas dit de ces journées de séparation, ils continuèrent
leuI' entretien tandis qu'arrivés à Warnemunde, ils
prenaient le ferry-boat qui les déposaient à Gjedsel'.
Ils étaient enfin dans le Danemark, dans cette He
Falster où François avai t passé de si bonnes années!
Aliette était toute heureuse d'être pI'ès du terme de
ce voyage ct admil'ait tout ce qui 1 eutouraiL et que
]e rayonnement de son amour lui fai sait paraître plus
beau encore 1
Ils faisaient un voyage de noces avant les noces, cl
tant d'énergie et de décision émanaient do François
qu'elle le suivait en toute confiance, cel'taine qu' il
avait raison et que de lui tout était juste.
Ils traversèrent une partie de l'ile l'ianLe, les vallons semés de lacs, couverts de champs de blé, do
Ileigle, d'orge. Au sommet de molles ondulations, des
maisons rustiques aux murailles de briques et entouJ'ées de parcs évoq:uaient ]es cours d'caux sinueux
au près desquels palssaient les tl'oupcaux.
Nul cadre plus propice ne pouvait êtrc l'êv6 pOUl'
Jeurs fiançailles qu'ils célr.bl'aient sans nulle COllIl'ninLe 111 nnlle alar'mc. Mai somait Jf'S Heul's sous
lellJ's pas cL l1eurissait lem· ar'rivéc ..• Voici bicnt\îL
NylcicuJ(illg ... ct voici la demeure aimée où ils
viennent chercher refuge eL aO'ection. ,.
�118
UN ?IARIAOE ROMANE SQUE
Deux merveilleusesjournéess'éeoulèrent, deux jOUl'n ées pleines de rires, de jeux, de confidences, d'émerveillements ct de surprises réciproques. Aase avi~
oITer~
sa o.hambre m~is
~litc
n'avait pas accepté
pareIl sacnfice ct avaIt eXIge qu'elle y demeure, consentant seulement qu'un second lit y soit monté pour
elle. L es deux nouvelles amies s'entendaient à merveille et supportaient leB plaisanteries incessantes des
fr ères aînés , ravis de retrouver leur ami François.
ForL heureusement, ils parlaient tous très bien le
françai s, et voyant avec 9,uel1e chaleur Alietto était
reçue, François songea qu'Il serait préférable que lui·
môme retourna en FI'ance.
De Namur, il avaiL envoyé uno dépêche ù Mortagne,
afin de l'assurer les grands-parents. Mais une fois la
fièvre de la réussite disparue, I~ réalité lui app'arut
ct avec elle le cortège des contlllgences dont Il esL
difficiJe de s'évader.
C'était chal'mant, cette vie joyouse où Aliette
s'enivrait de grand air ct do liberté. Une grande
blouse sur sa robe, elle aidait Mmo Siegrid, l'ecueillant
la crème qui sortait du beau lait amené tout frais il
la laiterie, elle malaxait le beurre ct faisait, disaitelle, son apprcntissnge de future maltrosse de maison
ù la Valinière !
François avaiL le cœ ur serré de la quitLor et ne
voyait pas sans appréhension la longue distance qui
allaiL leB séparer. 11 la recommanda mille fois à ses
amis, fit juror à Alaf ct Axel do voiller sur elic
comme ils le foraient sur l'être qui leur serait le plus
cher ...
Et à 1?eine tranquilliSé pnr tant de serments ct de
précautIOns, il reprit seul la rouLo de FI'V.ncc.
�CHAPITRE XlV
« Eh bien, mon chor ami, vous avez faiL du bel
ouvrage : enlèvement do mineure, savez-vous que
vous tombez sous les rigueurs du code et que vous
êtos passible des Lravaux Iorcés? »
« Je m'en doute un peu, mais que voulez-vous, il
fallait aller au plus pressé, n'est-ce pas? J'ai enlevé
la mineure, mamtenant reste à déjouer le code; il.
vous, cber maître, de gagner la seconde manche. »
( Mais croyez-vous, jeune présomptueux, que l'on
joue ainsi avec les lois? Que comptez-vous faire,
maintenant que votre dulcinee est au pays d'Ilamlet'?
Vous n'avez pas l'intention, j'imagine, d'aller y planter
votre tente? »
Me Lenoir contemplait François d'un air narquois
et cherchait à noircir la situa Lion dans laquelle il
s'était mis. M. et Mme do Flaiasières, très heureux de
prime abord de savoir leur petite-fille en si bonnes
mains, commençaient à s'inquiéter des paroles du
notaire. Mais François ne se troublaiL pas, connaissant le caractère du tabellion qui se plaisait à asseoir
ses clients sur le taboureL de la torture, quitte
ensuite à les rassurOl' avec l'appui de touLe sa compétence.
( Je crois, mon cher maître, que la seule chose que
j'aie à faire, c'est ù'épouser Aliette au Danemark: SUT'
le territoire français, je suis ù la merci de lOlls les
�120
UN
~IAn
GE
nO
~ r AN
E S QUE
ge ndarmes qu e je renconLre ct je ne suis venu ici qu e
m'entret enir' av ec M. el. Mm e de FJaissièl'es et
avoir d'eux l'a ulorisa tion qu e le pÙI'e me l'd use .
« Je I? eux me dispense r de l'au tori sa Lion pat ernell e,
~
je ln saIs bien, mais ni Aliet te ni moi ne v o udrion
nom; ur. ir sans la vôtre. cher monsieur ül chèl'o
madam e. Cela nous est dt\jà fOl' L pé nible d'avoir à
user ùes somm ations respec tu euses; ct san s votre
bénédi ction , il nous sem blera it {\ tre au ban de la
famill e. )1
'l'l'ès émue, Mme do FJaissières s'approcha uu jeun e
homm e et l'embrassa aITec tu eusemenL,
(( Remettez ce baiser de ma part à notre peti Le-DII e,
c'es t. ce lui d' une gl'and-mêre qui se réj?uit de Aon
bonheur ct vou s donne il ell e avec la crr tltud e de lui
donner un mari digne d'ell e.
(( Sa maman vous aimait bea ucoup, Franço is, et vous
d éflignai t comme HO Il /Hs dans SC!) derni ères recommanrlations, C'es t pourquoi nou s nous d :joui ssons do
voir qu e VOliS allez l' 'pou se l'. Notre peng(\ e V OIl ~
suivra lout au long de vo l.J'e voyago de l'e tout' et
noLre cœ ll r se ra pl'ès do vou s lorRque 10 prê tre vo u~
llnira. C'es t en Vend ée qu e nnus auri ons voulu vOÎl'
vo Ll'c 11111l'iagc céJébr'é , dans ce LLe rontl'l'e, si ri che
des souvenirs de nos deux famill es.
(( Mois Dieu nous diri ge et nous conduit à sa ~ ui He .
Ham enez-nous v ite notre petiLe-nll!:', mon cher }fl'a nço is, ct donn ez-lui touL le bonh eur dont sa jeunesse a
,"Ir' priv('e jusfJu e- It\. ))
ApJ'ÔH avoir pri s co ng(' des F lai ss iùres ot avoi,'
donn ri ù ]\ ]e L enoir LouLes les indi ca tions nécessail'c8
p Oll!' l'Hnbl issoment , des ac les qui leur serai enL indispensabl es pOUf oL tenil' ,l eU!' mal'iuge Ù J'élrange r',
Fl'nn çois l'eloUI'na chez lw, à la Valini ôre.
So n premi er bo in fuL d'appel()I' Marc nan snnL au tél.'p hone a fin d'avo il' dl' lui dcs nouvell e!! de M. L'IJos IR ,
tl ps ir'cu x dt, po uv oir dire ù ~a fi ancée qu'il n'y av ail
l-1I.1Q liNI dt! a' ~n'lui
éLel'
un sUJ OL de !ilo n lllll'fol.
p O Ul'
�UN MA RI AGE nO)I ANES Q UE
121
P ar un e très longue conversa tion, il apprit ainsi
qu'un qu atuor de conspirat eurs prenait sa cause eu
mains et que c'éta it bien heure ux car ses afTaires
allai enl mal.
M. L'Host e é Lait. revenu dans un élat de fureur
.indicibl e el avait déposë une p la inte à la police d'Oslende contre le ravi!:iseur de:;a fill e. Perso nne n'a va i t
dû Je tra hir ca r il n'ava it aucun e id ée d e la façon
dont s'éta iL opérée ce LLe évasion el n'avait pu dire
au x poli ciors belges si Franço.i s l'avai t e ITec tuée Jui mêmo ou pal' l'intermédiai re do compli cos, ca r naturellement los soupçons s'é taient portés d e suite con tre
lui. Donc , r ue Henri-IV, c'é ta it la guorre déchalnée, le
ménage liv ré à la rage.
Ma is une alli ée ina ttendu e leur 6taÏL acqui se,
Cécil e, qui n'avu i t plus d'ye ux qU\=l pour Henri L eclel'c.
ft av ail su lui pl'oc urer un dim anche merveill eu x
gJ'âce à un e a ut l'e alli ée , Genevi ève La tltier, qui
s' ' ta it o ITer te pour a ller' la chorchor a fln d 'év iter ain si
il la jeune ba nde d'ami s ln présence d e Mme L ' Hos te .
Cécil e ne s'était jamais ta nt amu sée de sa v ie, le mol
d' ord re a yant é té donné d'ê tre pl eins de p ré venanees
pour ell e. Un t emp s merve ill eu x ava it favori sô le
déjeuner au bord de l'eau, la ba ig nade, ensu ite il s
1 étaient
tous rentrés dans u ne guin guette où ils
avai en t dansé . Cécile n'ava it pas man q ué uno danse
c t II emi Lec lerc étai t s tu pMait du change ment que
le p laisil' amena it sur son visage. E lle perd a it cet te
moue désagr éabl e e t. ce r egard so ul'n ois et lu jeun esse
chanla nt en ell e lui donna it. un attrait bi en in soup ço nn é jusqu e-l à .
TIre f, R eO!'i L ec lerc , ol'ph elin et sev ré, lui au ss i, de
tendresses , l'esse ntait une Ll'È:s vive symp a thie p OUl'
Ct'c il e cl. lous deu x ne dema nd a ient. qu'ù sc voir trùs
souvent.
Lui, MUI'c , voya iL cha que malirl Geneviève q ui
av ait pr is la pl ace d' inlll'mière dE' son ami o Ali etle . 11
la trouvait cll armanl e, Cal' ell e l'écoulai L pul'lel' in ler-
�122
UN MARIAGE ROMANESQUE
minablement de l'absente sans en montrer le moindre
déplaisir. Marc n'avait pu s'empêcher de dire au
téléphone il François:
« Prions Eros, pour lequel nous travaillons tous, de
permettre que Geneviève puisse remplace! Aliette en
tout et pl'Onne la placo que je lui destinaIs chez moi.
Je me sens afl'reusemenL soul depuis que votre fiancée
est partie. Et comme je ne veux pas ni vous jalouser,
ni vous attrister de mes regrets, je voudrais être, moi
aussi, à l'unisson de votre bonheur. ))
Donc François savait que l'on s'occupait de lui,
et que Hemi Leclorc s'éprenant visiblement de Cécile,
saurait la meUro dans leur jeu 10 moment venu. Maru
ne voulait pas lui dire brusquement qu'en épousant
Cécile l'obstaclo tomberait qui empêchait l'union
d'Aliette. L'amour est chose légère qui risque de cas·
sel' s'il est forcé.
François raccrocha l'appareil, puis fit un tou/' oomplet de sa pl'opriété, donna .ses in~Lructos
en vuo
d'une nouvolle absence et, ptlL ensUi Le un repos bien
mérité.
Après une nuit do pI'ofond sommeil, il se sentit
merveilleusement ~ispo,
fit prépal'er sos bagages, y
fit mottre son habIt, retourna près de MC Lenoir, il
Mortagne, où il reçut les paI?iers quo celui-ci avait
préparés, fit une derni ère viSIte aux grands-parents
d'Aliette, puis rentra chez lui pour en partir quelquos
minutes plus tard, en l'ouLo ' do nouveau pour 10
Danemark.
Une fois à Paris, i l sc rondiL da.ns une maison do
couture eL demanda uno toilette complôte de mariée.
.lui expliquer qu'il ~'éLait
Les vendeuses ourent be~u
pas d'usago de vondre ainS I une robe, FrançOls leur
déclara qu'il n'avait confiance que dans eette maison
qui lui avait été recommandée, qu'il devaiL prendre
]e train 10 soir même pour le Danemark où son
mari~e
allait être célébré, et qu'il entendait ne par·
lir' qu avec Lout co qu'il fallait pO\lr revêtir sa fiancée.
�UN MARIAGE ROMANESQUE
123
Amusées de la décision de ce jeune homme si symt'athique, les vêndeuses firent venir le direoteur qui,
séduit lui aussi par la nouveauté de cette commande
faite pal' le fiancé, sc mit à son entière disposition, lui
proposant môme de s'occuper de tout, depuis les souliers jusqu'nu voile 1
Les vendeuses ct les ouvrières firent telle diligence
qu'à l'heure dite tout était prêt, et aucune d'entre
elles n'avait négligé la tradition de faire coudre, dans
l'ourlet de la longue robe blanche, une mèche de leurs
cheveux, chacune d'elles sc souhaitant un mari aussi
épris et aussi séduisant.
C'est donc sur les bons vœux des graoieuses cousettes qu'il quitta Paris, et tout au long du voyage il
regardait les deux alliances dont il s'était muni, souhaitant de toute son ilmo que le moment soit venu
d'en glisser une le long du doigt fin de sa pupille chérie.
Combien elle avait fait preuve d'innocence et de
confiance en partant avec lui, à Ostende, et avec
quelle sérénité paisible olle avait remis son sort entre
ses mains 1 Tant de pure Lé émanait de sa conduite,
qui, aux yeux du monde, devait sembler du dévergondago éhont6, que François frissonna d'amouI' en songeant avec quel chasto abandon Aliette reposait sa
tôLe sur son épaule durant toutes leurs eauseries, tandis que l'express l'emmenait loin de sa famille et de
sa patrie.
Uno créature si pure ignorait le mal, bien que le
mal ait voulu s'acharner SUl' elle ct c'était lui, François, privé depuis si longtemps do famille ct do tendresse qui recovnÎL pareil Lrésol' 1
Combien la vic serait courte auprès d'elle ct combien il sc jurait de n'agir quo pour son bonheur, que
pOUl' la romercier de l'aimer ct do sc donner il lui. Et
qu'il avait hâto do la retrouver, do la ravoir, d'être
assur6 quo rien ne l'avaiL atteinto pendant ceB quelques jours do s6paration.
�124
UN MARIAGE ROMANESQUE
Une angoisse prémonitoire l'étreint, une anxiété
sans nom s'empare de lui. Que s'est-il passé, que sc
passe-t-il, vers quelles nouvelles épreuves court-il
encore?
Les heures s'écoulent lentement, il sent sa chérie
près de lui, comme au dernier voyage, il voudrait la
saisir dans ses bras, baiser ces chers yeux qui sont sa
lumière. Le temr.s se traine, frontières, nuit, jour se
succèdent si pémblement et pendant ce temps que se
passe-t-il dans la campagne danoise toute fleurie, où
Aliette est fêtée par ses sœurs les fleurs, toutes moins
jolies qu'elle il
Voici enfin la fronlière danoise 1 François baisse la
vitre du couloir et détend ses nerfs à regarder le va-et·
vient des douaniers. Soudain, devant lui, une silhouette familière lève les bras de joie, el un instant
plus tard Axel est auprès de lui. Cc brave gal'çon voulait le recevoir au seuil de son pays ct le rassurer de
sui te SUI' le sort de l'heul'euse J1ancée qu'il allait
l'elrouver.
Elle était l'idole de la famille qui se désespérait de
ne l'a voil' connue quo pou/' la perdre. Mais il y
avait une ombl'e au tableau, c'est que la police belge
avait découvel't leue pisle cl M. Siegrid avait l'ecu
]a visit? d'a,gents d~nois
qui lui avaienl réclamé le
Ft'ançals qu lilogeall.
Se liant à la parole d'honneur qu'il leur avait donnée, ils ne firent pas ~e
perquisition, mais intrigués
pal' la présence d'Ailette, ils J1e quittaient pas les
environs, afin d'apPI'éhonder FI'ançois alors qu'il
viendrait l'cjoind~
sa fiancée. Axe! venait donc 10
prévellit' qu'i! fallait aUcl' Ù Copenhague où un appal'lomenl leUl' avail l'té l'éserv(' dall!! un de:; "rands
hô lels de la vjlle,
'"
POUl' no pas alcrLoJ' ~a
poli('c, AlieUe (JI'(,lldrait. le
Il'ain suivant eL Je miJllsLt'e de Franco, averti, devait
les mariel' de suite. Ainsi tombCl'ait do lui-même le
moLif qui aUl'ait pu conduiro Fl'anr:ois on [lrisoll.
�UN MARIAGE ROMANESQUE
125
Axel riait, si content du bonheur Lout proche de
son ami; mais François ne s'abandonnait pas encore
il sa joie... il fallai t traverser une grande partie des
Iles danoises et atteindre la capiLale, puisque NikiœJing, pas plus qu'aucune ville plus proche ne possédait de consulat français.
Quelles embûches la fatalité ne pUl'viendrait-elte
pas ù mettre sous leurs pas, pendan t ce délai supplùmentaire mis il leul' réunion?
Heureusement Axel avait une réserve inépuisable
de bonne humeur, tant et si bien que François ne put
faire autrement que d'oublier Jes alarmes et de se
meltre il l'unisson d'un moral si heureux.
Tout a une fin, cerendant, ct, Lonnes ou mauvaises, les heures n ont jamais plus de soixante
minuLes ... et voici celle où Aliette va devenir sa
femme. Elle n'a voulu Jui apparaitre que revôtue de
sa liliale toilette, comme elle l'aurait fait s'il était
venu la chercher ft Mortagne pour la ronùuire dans
la vieille église vendéenne .
Son fin visage, plus ravissant encore d'émerger du
voile qui l'auréole, est pâle d'émotion, mais tant
d'amour s'y lit, ct aussi un appel si vibrant que, sc
libérant de toute contrainte, François court au-devant
d'elle et lui rend enfin, devont tOUR les Siegrid, dont
Jes yeux s'embuent, le baiser de flançadles qu'il a
reçu il Nantes, le jour où il répondait ~ flon eri de
secour:!.
Rien ne viendra plus détruire leur bonheur. Complice heureux de leur jeune mais ardent amour et de
leur belle énergie, le diplomate, puis le prêtre, les
unisscnL ct F,'ançois met enfin au doigt de sa femme,
l'anneau qui est le signe de leur union.
Leg eloh~
sonnent, ùes visages heureux les
enLourent qui, au eours du repas qui les réunit sur
�2624.32 . -
CORBEIL. IMI'IlIMERIE Cll}; TÉ.
�126
UN MARIAGE ROMANESQUE
cette terre étrangère, remplacent les visages familiers
qu'ils ne voient pas.
Et lors~u'enf
ils furent seuls, à la minuie suprême
où tout n est que bonheur pOjJr eux, terrassés pal'
l'émotion, vaincus par la félicité comme ils ne
l'avaient pas été par l'adversité, ce furent en larmes
que se retrouvèrent Aliette et son cousin 1
Et là-bas, en France, Jes cœurs amis s'unissent à
eux et attendent le jour prochain "qui ramènet'a dans
leur nid ceux qui s'aimaient d'amour tendre ei ne
durent qu'à un mariage romanesque d'avoir droit au
bonheur!
FIN
�pour paraître jeudi prochain
lOU$
le
DO
323 de la collection" FAMA ..
LES
CŒURS PRÉDESTINÉS
PAR
ANTOINE FRANCIS
CHAPITRE PRE MIER
U N D ES TI N TRAGIQ UE .
La campagno s'éveillait sous les clartés bleuâtres do
l'aube qui, doucement, mon tait de la mer. Les rossignols
interrompaient leurs roulades amoureuses qui avaient
charmé cette tiède nuit de printemps. Le ciel s'imprégnait
de lumière, les ombres se dissolvaient et, dans la brume du
matin, se dessinaient les contours de ce pays sauvage,
perché comme un nid d'aigle, d'où l'on distinguait, à l'extrémité, une grande bâ tisse en construction.
Les fondem ents sor taient du sol et annonçaient qu'une
demeure grandiose allait s'élever dans ce petit coin, caprice
sans doute d'un millionnaire qui n'avait pas reculé devant
les diITlcultés d'uno bâ tisse dans le roc qu'on avait dû
entailler.
.
Les portes des habitants s'ouvraient ; SUl' le seuil, on
voyait des hommes r egarder l'horizon illuminé, puis tous
tournaient la tête vers une maison plus importante,
d'où devait venir le signal qui commencerait celle journée
do travail. En eITet, un coup d simat sc fil entendre et,
aussitôt, on aperçut une flle d'hommes de tout âgo qui tous
sc dirigeaient vers la bâtissl) en constru ction.
Depuis quelques mois, la vie de ce pays avait été
bouleversée. Nul ne s'en pl aignait, CUl' une ère d'abondance
était venue avec ce M. ùe Nièves, touriste de passage,
(A suillre.)
�2624·32. -
CORBEIL. IMPRIMERIE CHBTf;.
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r. .'-G. TOUDOUlE
Le Maître de la mort froid~.
Larnava.1 en mel'.
..
'... .
HJ;:RVE DE PESLOUAN
L'Énigme de l'Élysée.
I-!
rue
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.fID~- .... ..................... ..... .... . ........... ...... . . ............ ...
94,
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d'Alésia . PAR IS' XIv e "
I!.I
�Corb ei l. -
Imprim eri e Cré lé.
�
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Corday , Pierre de (18..-19..)
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Un mariage romanesque
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Ed. de la "Mode Nationale"
Date
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impr. 1932
Description
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Collection Fama ; 322
Type
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BUCA_Bastaire_Fama_322_C90795
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IUC ' U' d, · Inn'" . · 411111111111 ... • .h· 1"" ' HO ·S, OCi , ....... IIln Il
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luult ' .a ....... C' OI", u"ult' .
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�VEUVAGE BLANC
1
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VEUV
E BANe
8
ROMAN
)
ÉDITION
DE" LA MODE NATIONALE ..
94, Rue d'Alésia, 94, - PARIS (XIVO)
��VEUV AGE BLANC
CHAPITRE PREMIER
En ce logis dévaslé pal' la douleur, l'orpheline est.
seule. Son corps souple el.. frêle, qu'affine encore la
mince étoITe noire, s'afTaisse sous le poids d'une peine
tl'.OP lourde. Ello demeure inerte, la pentlée éteinte.
Meurtris par les deux nuittl de veillée funèbre, brûlés
par tant de pleurs l'épandus, ses grands yeux de pervenche errent ::Iuns regard à Lravers la pièce sombre
déja, où f10Lte cet on ne sait quoi de lugubre qui est
Comme l'odeur de la mort.
Dans co t!alon luxueux, de froide élégance Louis XVI,
l'ombro va I:i'épai::lsi 'I;ont. Du dehors ne pénètrent
plUt> quo faibl ment le!! bll'mes lueurs d'un déclin
do journée gl'i:;e 1.. mouillt\ . La jcuno fille en deuil
ne !longe poiot ù donnel' la lumière. Cc n'cst pas los
domcHtirlucs qui y ]Jenseront.. Au fond do leul' office
ils ti oncnt gl'alul conciliahule, Dan" l'évidente débâolo
lcul't! gages 'Il l'I'tal'c1 /1 l'ont il!! payés)
L'oq>hcline n l'intuition Je cc qui se passe dans ce
bass08 c l'vellos cL n'os plut! dOllnel' d'ordres, A cinq
11 w'os cependant, pUI' 10 jeu automatiquo du service,
On lui a apporté le thé, la fomme do chambro a mêmo
insÏ!it6 pOUl' quO Ile goûtât.
- Il fuuL bien qu mademoisolle so soutienno. Voi!;,~
deux jours qu'clic no prond rien, Elle flnim par tombel' mahdn.
C'est d'un timide merci que la jeune maître, so a
�G
VEUV GE BLANC
accucilli l'attention. Le plateau est encore là, sur la
table de laque; le samovar s'est éteint, la théièl'e
s'est refroidie. Etl'orpheline est seule. Quelques amies,
à la vérité, l'ont entourée depuis le tragique événement, ce matin l'ont soutenue sur ce chemin de croix de
l'église, du cimetière, l'onL l'amenée chez elle quand
tout fut consommé. Elles J'ont assurée de leU!' sympathie, lui ont fait des ofIres de service . Puis elles
sont retournées à leurs afi'ail'es, à leurs plaisirs. Elle
est seule, an{'antie, abîmée dans son chagrin, plus
cruel cent fois que celui habituellement causé pal' la
mort d'un père.
Une sonnerie électrique la faiL tressaillir. Le cousin
Sigebert, sans doule qui renke. N'ouvre-t-on donc
point, et faut-il qu'elle y aille? Mai si: voilà qu'on
parlo dans l'anLichambrc. C'esL hi Il la grosso voix
enrouée du notaire qui répond à celle, l'eRpectueusement 6toufIt'-e, de .Joseph. Itetombée RUI' le siège où,
depuis plusieurs heurcs, elle demeure comme paralysée dans son accablement, elle n'ont nd pas le 01·
loque ct Jes brusques rrpliques de flOll cousin aux inEi·
nuations obsélJni'u:;c~
ct soul'noises du valet dr
chambr(l.
- ~lais
oui, mais oui, Dr> vous inquiét z point ...
pl'ivég~fI
... Si mademoisell
VOllS tes cr60n 'ier~
re&tero ici :) ... Non paR, dites ft lu femmo de chambl'
do pr "purcl' HOt! malles .. , .r c l'emmène uh z moi. Dum!
quelquos joul's je l'ovlendl'oi. T'01lI' 1 momenL vous
ctos gardien des sce116s. Tcnez·vouH lranquille pL pro.
noz soin de Lout.
Aussitôt quo Mo SigC'bcl'L esL cnLr'(~
dans le salon,
suiviL du domestique (lui tourne 11':> commuLulelll'S lu
jeuno flJJe sc dl'OSHC, angoiss6C'. Lorsque, r pris de z'èlo
pour le sorvice cl puis qu'il Be sail investi d'un privill'gc, Joseph u baissé les stores de soie clain" l' mis 011
ol'dre quelques moubJ 5, gu'il Ptlt BOILi enfin, mpor-
�YEU\' \GI:; BLAr\C
ï
tant le plateau, ;\le Sigebert s'éclaircit la voix.
- Eh bien! ma pauvre petite Louise, vous sentezvous un peu mieux? Vous avez pris votre thé, je
vois ... C'est bien. Il faut réagir, ne pas laisser vo
forces s'abattre ...
Par une habitude machinale d'ho~pitalé
:
- Vous en voulez peut-êtl'e? balbuLie-t-elle, sachant
il peine cc qu'ellc dit. .. Je vais sonnor ...
- Non, non , mel'ci, je n'ai besoin de rien. e vou
occupez pa de moi.
Elle n'y pense déjà plus. Prenant la main du
notaire, qui s est assis au pr'!:l d'elle, SUl' le canapé,
d'une voi." étranglée pal' les larme qu'héroïquement
d1e refoule:
- Oh 1 mon comin, dites-moi bien Loute la vérité,
jl' veux savoir ...
- La vérité 1. .. II ~las
1 ma pauvre enfant, c'est une
péniblr misRion qu la mirnlle. Ce que j'ai appris
au COllrA d m Il hûLives démarches n confirme
que trop le!! apparenclls ]1l'emiôres. [l ,st malaisé dl'
mesurer dès a JOUI'd'hui ayûc 'xacLiturle la profond ur du désa'lll' . Un fait bru laI toutl'foiR, un fail
douloureu" d'ores "t déjà est Oubli ...
L'~molin
du nolairo se trouvant en conflit av ('.
l'uauell Holennilé do son langage, un mbnI'rns d' 10('lILioll en résulte qui l'oblige, reprendre halein av c
grand l'en fort de cOllpa d mouchoir sur leH temprs. Du
grstr fumilicdtl homme habituellement cungC'stionnu,
il passe l'in(\ ." rntl'o SOI1 ampl' run. roI pt 11' gros
rou l'I'plet,; pui!!, l'nfmichi, il ontinill':
Otl'C' pèr nvait pl'i cie rOl'~
p03Îtions cl ns la
!'atnpngn ue huuas d _ cC' gr nd llpéelllutol1r dont la
l'I'troli '!lo ntr déconfiLure virnL de prO\'oqu l' l kra 'II
du maIC:hf. des S\lCre '. Tl'llc'm nt C{1l sc capitaux,
jl1 qu'au dornirr fiOU, sel'ont. loin d, t1ufIirc t'I!le 'n, a·
gl'nlflnt!l, n sorle que ...
�8
VEUVAGE BLANC
Arrachée maintenant à sa torpeur, vivement Louise
l'interrompit:
- Oh! mais ce n'est pas de cela que je voulais
parler. Depuis ... depuis l'aiTreux malheur, j'ai bien
compris que c'est la ruine et je ne m'en suis pas
beaucoup affiigée. Ce qui me déchire, voyez-vous,
plus encore même que la douleur de l'avoir perdu,
c'est qu'il m'ait quittée ainsi, volontairement ... c'est
qu'il n'ait pas pensé à moi, au chagrin qu'il me causerait... c'est qu'il m'ait abandonnée, qu'il m'aiL
laissée seule au monde. Il m'aimait bien pourtant
et il savait bien que je l'aimais. Et ce serait par
crainte de vivre pauvre qu'il s'eRt .. qu'il a fait cette
horrible chose? Mais, mon cousin, j'aurais travaillé
auprès de lui ... et puis jc l'aurais consolé. L'argent,
mon Dieu, ce n'ost pas tout dans la vie ... Et parce
qu:il n'en avait plus, il m'a abandonnée ... il m'a
qmtLée volontail'emenL. ..
Ses dernières paroles so brisèrent dans un sanglot,
socouant ]0 corps monu depuis la nuque jusqu'aux
talons. La large face colorée do Mo Sigebert tourna au
pourpre. Du mouchoÎl' dont énergiquement tout ft
l'heure il s'épongeait, avec br'uit il Be moucha.
- Volontairement, ropéta-L-il... il savoir. Il est
tristement vrai que voLr pauvro p "re s'est donné la
morl. Mais était-cC' bien un acte prémédité?
Violemment il toussa. EL elle, un rayon passant,
dans sos prunelles voilées de pleurs:
- Vous pensez, mon COU!ljJ1 ?... Vous pensez qnr
ce sorait dans une minute d'égo'l'omonU ... Oh 1 r,'rst
mal ù dire, mais j'y trouvorais lino consolo.tioll.
DerecheI, le notairo chassa Bon pnrouement.
- Mais c'est évident, c'est cortain. Voyons ma
chère enfant, pouvez-vous admettro que votre père
qui 'Vous chérissait, 12ft\, froidement envisagé Ja POI'S'
p.a<.ltivo de vous laissor lioule nu monde en flet, avPC'
�VEUVAGE BL \NC
9
celte aggravation que vous vous trouveriez dénuée
de ressources? Non, non, ma chère petite cousine, un
homme de cœur, quand il a charge d'âme, ne se tue
pas parce qu'il est ruiné.
Son accablement secoué à présent, avec l'ardeur
désespérée du naufr3gé se cramponnant à une épave:
- Et puis, s'écria-t-elle, lorsque à l'heure habituelle il est parti pour son bureau, s'il avaiL eu dans
l'esprit ... cette chose ...
Les pauvres lèvres tremblantes se refusaient à
articuler le moL rempli d'horreur.
- S'il l'avait eue, ne m'aurait-il pas embrassée de
certaine manière? Et moi j'aurais dllviné ... un pressentiment m'aurait averLie ... Et je l'aurais retenu, je
me serais attachée à ses pas... Ah 1 mon Dieu, si
j'avais fuit cela, mon pauvre cher père vivrait encore.
Au milieu des larmes qui recommençaient à couler,
elle gémit douloureusement.
- Allons, allons, gronda Mo Sigebert, palernel,
voilà que ce serait votre faute, à présent 1... Cela n'a
pas le sens commun. ous disiez bien tout ù l'hew'e :
'Votre cœur n'aurait pu s'y tromper.
L'orpholine ne demandait qu'à tre convaincue.
- N'est-cc pas? Et même ... j'y ai tant et tant songé
depuis ces deux jours, j'ni tant essayé de me rapp ICI'
ges moindrl's mots, ses moindl' s jeux de physionomie ... memc jl' jurerais que, ce matin-Ul, il était
plus calme. Car il Caut vous dil' , ces jours derniers,
j'avais Li n rrmorqu6 qu'il ('lait inquiet, un peu
:lombre. Je savais pal' les journaux la débûcle des
sucres. Quoiquo jama.is il no me pnrJût de ses
o.fTairo8, j'avais PlU, ,oyant son souci, pouvoir lui en
loucher un mot. 11 m'avait r('pondu que c'était une
crise passa.gèr , une alerte assoz chaude, muis dont
on :oviendrait. Mais ce matin-là, mon cousin, cn
matm-là, oh 1 oui, j'en suis bien sOrp, ù pr~senl,
il
�10
l';UVAGE BLANC
m'avait paru presque gai. Très pressé seulement ... Il
s'en allait vite, vite . .. à peine l'avais-je entrevu . Je
l'ai accompagné jusque SUl' la porte, et de l'escalier
encore il m'a souri si gentiment. On n'est point ainsi,
n'est-ce pas, quand on part pour ... pour mourir?
Tandis qu'elle parlait, Mc Sigebert avait récupéré
quelque assurance.
Parbleu! approuva-t-il... Tenez, ma chère
peÜte, voici comme je vois les choses. D'après ce que
j'ai ouï raconter tantôt, la veille de votre malheur le
désastre en effet semblait devoir être conj uré. Il y
aurait eu de grosses pertes, dcs liquidations onéreuses,
mais enfin, Lant bien que mal, on s'cn tirait. Des
arbürages intilrvenaient, un consortium de grandes
banques ... que vous diraHe?.. Ce serait diificile à
vous expliquer et d'ailleUl's oiseux. Donc, le matin,
il est parti plein d'espoir . Puis, ù son bureàu, il aura
trouvé des télégrammes, le téléphone aura parlé ... il
aura appris que l'accord ne se faisait pas, que le
marché s'ell'ondJ'ait. Et alors, il aUra perdu la tète ...
(( Peut-être' aURsi aura-t-il crain t ... quoique sans
fondement, ù coup sûr ... que vînt ù être mise en
('ause son honorabilil6 ...
L'orpheline euL un sUI'saut.
Oh 1 mon cousin ...
Mais puisque je vou..; dis que non ... Appréhenilions imaginaires ... Je mc suis discrèt ment informé...
Il n'a péché que pUI' imprudence ... PeuL-Gtre mêmo
pst-ce malchance seulemenL. Une conscience 8cruj.lulcuso copendant est prompte Il s'alarmer. JI était
trop hon~te
homme pour rail" un bon spéculateur.
- C'est birn ce que ma pauvre maman lui disait
quand il a voulu quiLler l'armée.
- Voilà précisément ce qui l'aura perdu, 11 n'avait
pas le front d'airain de Plutus.
\ vec Hon équilibre il p U pl' \8 )'CCOIlVrl;' le:;
�VEUVAGE BLANC
expressions pompeuses revènaÎent sur les lèvres de
Me Sigebert.
- Bref, un vertige l'aura pris. C'est si vite fait ...
Remarque naïve qui provoqua chez Louise un
tressaillement de doute et d'angoisse.
- Mais comment, demanda-t-elle, avait-il donc
son revolver sous la main, là, à son bureau où jamais
il n'allait le soir?
- Eh! que sait-on? .. Tous nous en avons un qui
'traine dans quelque tiroir. Et lui qui avait été
militaire .. .
Sentant son explication boitouse, il s'on évada pal'
un chemin de traverse.
- Ah 1 quel malheur que je ne sois pas arrivé rue
Réaumur une heure plus tôt. Je m'y suis rendu
pourtant dès la descenle du Lrain ... Je veux dire que ...
Sans le youloi)', la jeune IUle vint ù son secours on
l'interrompant.
Une bien élrange coïncidence aussi, mon
cousin. Cal' nous avions si l'arement le plai il' de vous
voir ... Papa parlait quelquefois ... souvent de vous
avec affection ... !\Iais onGn ... il était si absorbé pal'
!les occupations .. .
Bonhomme, le notairc campi La la pensée qui
hési lait ù se fairo jouI'.
- Puis lc cousin Fresnaye ct moi, nous avions
bifurqué. Entl'û un tabollion de village ot un financiel'
parision, il n'y a guère de points de contacl. Tout de
même, la fumille esL la ramill . On se pord de vlle
Juaie le lien du saug est loujours là qui HC l'essorri"
dans lns conjonctures graves.
.
OllS me le prou vez bien, mon. chel' ot bon
COUSin. Sans votro dévouement, que serais-je devenue ~
Elle lui sCi'I'aiL éperdument le8 mains.
- Je vous n prie, no parlons pas do cela. C'est
t Hement nat.ul' 1. ..
�V!:U'VAGl'J 9tA.!H"J
- Et c'est Dieu vraiment qui vous a envoyé.
Un nouvel afflux de sang empourpra les grosses
joues rasées entre les favoris gris. Et un instant une
quinte de toux l'étrangla.
- Voilà comme c'est arrivé. Un de mes clients, qui
a un gros paquet des raffineries de Thessalie, très
atteintes par la crise, vient me demander si je pourrais lui procurer des renseignements. A qui m'adresser mieux qu'au cousin Amédée? Je prends donc
l'express du matin et au débotté je me rends à son
bureau, afin de pouvoir télégraphier à mon client
avant la Bourse. Comme les choses s'arrangent
singulièrement dans la vie 1...
L'orpheline se Laisait. Lasse de parler, elle retom·
bait dans l'atonie. Le notaire en profita pour
poursuivre son avanlage.
- Au surplus, ma chère petite, que sert de ruminer ces tristes choses? Une autorité compétente entre
toutes a tranché 10 doute si cruel qui vous obsède.
S'il y avait si peu que ce soit présomption que l'acte
déplorable de mon pauvre cousin a élé accompli de
propos délibéré, esL-ce (!ue votre paroisse lui eûl
accord6 lei:! prieres que l'Eglise refuse aux r Ions de
soi-môme?
Louise J'edressa vivement ln tôt penchée Sur sa
poitrine. L'al'gument la lrappaiL.
- Si, ce que vous avez approuvé, j'ai décid(: avec
le curé de Saint·Philippe que les obsoques seraient
célébrées sans apparat, c'est que, vu les cil'conslances
douloureuses du décès, cela nous Il pal'u plus convenable. Mais dès qu'il était acquis qu'un mouvement
de délire avait armé le bras du défunt, le péché
n'existait plus. Ainai en a jugé un prêtro éclai1'6 el,
d'esprit vraiment chrétien. Pouvons-nous mieux Caire
que penser comme lui?
D'une voix !Jasse, étoufTcie clnns un profond soupir:
�YEUVAGE BLANC
- Merci, mon cousin, répondit-elle ... C'est un
poids bien lourd dont vous me déchargez le cœur.
Mo Sigebert aussi soupira, mais du soulagement
d'avoir doublé un cap périlleux. Tout cependant
n'était pas dit encore.
- Au seuil des plus cruelles douleurs, proféra le
notaire avec solennité, l'obligation s'impose... et
peut-être est-ce un bienfait après tout, en arrachant
les affligés à la prostration qui les accable ... l'obligation, dis-je, s'Impose d'envisager certaines quesLions
d'ordre posiLif et de toule urgence, hélas! presque
avant que soit l'efroidie la dépouille mortelle de l'être
flimé . C'est pourquoi, ma pauvre enfant, le
douloureux devoir m'incombe ...
D'une VOlX qui tremblait, mais dans laquelle Sl>
sentait, profondément touchante, une détermination
de fermelé, Louise l'interrompit.
- Je pressens, mon cousin, le sujet flue VOLIS allez
aborder. D'après ce que je sais déjà, mon père nc
laisse que des deltefl.
- 1,0 mot n'osL pas lout ù fait oxact. En langage
financier, cola s'appelle deR découverts.
- Peu importe le moL... ot sans douto aussi lu
Somme, puisque j \ mo trouve dans l'impossibilité do
désintéresser coux à qui il doit.
- AURSi est-il c 'p6dient quo vous rononciez ù la
succession. C'esl l'unique moy n (Jour vous de HaUV('1'
'0 que VOllA pouvoz Lonir d votl'O môl' . Vous êles
majeUl'c depuis deux ans, si je no m'abuse'. VoLrr.
pèr'e vous avaiL-il (' ndu SOR comptes dl' Luf,,,lle?
- .JnmaiH il n'a été quostion do rien do lJal'cil ontre
n?us. Tl me donnait do l'ol'gent LI' s libéralement,
bJrn au cloln de mes modostes besoins de jeune fille.
Je ne suis l'ien do cc qui m'appartenait on propre . .le
Il'y songoais gUCt·p.
Tout u fuit aITusqu{, dans an menlalité d'allici \('
�1'1
YEUYAOr. llL.UiC
minisLériel par tant de légèreté, Mo Sigebert fronça
le sourcil.
- Il pensait apparemmenl faire mieux fructifier
votre petite fortune en la mettant dans ses aITaires.
Les spéculateurs ignorent toute prévoyance ...
Retenant sur ses lèvres les paroles de blâme qui
allaient en sortir:
- Toul, porte donc à croire, reprit-il, que cela
a été englouti également. On parle d'un déficiL
de près de deux millions. Je vous demanderai une
pl'Ocul'aLion el, je verrai à débrouiller cela. 11
me para1L sage, cependant, de nous attendre au
pire.
- Je m'y atlends, mon cousin.
Par ces paroles si simplement dites, la frêle et
pâle figure se trouvait grandie de Loute la hauteur de
l'héroïsme. Sous son épaisse carapace, le notaire en
fnt touL remué,
- Pauvre ch ~l'e
nranL, mUT'mura-t-il en lui
pl'essant la main ...
Après une pause:
Tou t cc qui eHL ici, l'eprit, Louise avec enorL ...
Lout, n'est-ro pas, Ilppal'ti nI, aux créanciers?
La saisie csL inévilnblo ...
LQ vaillante petite âme so fwnLit défailli", TouLe
raisonnable ~L Il ~l'ieUB
quP fùL eLt<' jeun fille la
perLo do sa fortune, celn no lui l'opréscnLail :ien
tlnCOl'O d'imm{·diIlL, cl
tangible. lais la s~partion
1)I'uLaie d'avec ces objets familie)'s faisant, pour ainsi
dil'o pal'tie ~ 'cllc-mêm, pOr~aJlL
l'cm preintc touto
chaude du hC'!' rnol'L de la vrille ... ('ola lui I.ordnit l,·
e 'ur.
- Je vouùrais, dit-elle dans un souffle ... Jo voudroill
m'rn alloi' avant qu'on vienne .
.J'y ai dôjù p ns~,
mon , nr~,
Voua avez 1 droiL,
. la s'entenù, d'emporter lous vos cll'cls Pl"'Jonnel::l,
�VEUVAGE BLANC
15
hardes, vos bijoux. J'ai pris sur moi tout à l'heure
de donner des ordres à votre femme de chamb re. Il
me faut retourn er à Bruyèr es, où les affaires de mon
étude sont en souITrance. Je vous emmèJ1e, avec votre
permission.
Prononcé!; d'un ton de véritab le bonté, ces mots
néanmo ins rendaie nt imméd iateme nt sensibl e à l'orpheline son désemp aremen t, sa brusqu e chute dans le
goufire d'un obscur inconn u. Et des larmes lui montèrent aux yeux, en même temps qu'elle balbuti ait de
vagues express ions de grat..itude.
- Par exempl e 1 protest a Me Sigebe rt par une
locutio n bien champe noise ... Quoi de plus naturel ?
Ne sommes-nous pas vos seuls parents ? Et très proches ,
après lout. Le père du vôtre était cousin germai n du
mien. Vous êtes, en y songea nt, quelqu e chose comme
une petite-n ièco à la mode de Bretag ne. Du côté de
votre mère, vous n'avez pel'sonne, je crois?
- Elle était fille unique . Quelqu es cousins luirost ent,
mais à la Réunio n, d'où elle étail origina ire, comme
vous savez. Et c'est il peine si elle les connais sait, étant
venue en Fl'ance toute j une avoc mon grand-p ère,
commissaire do la marine , qui s' 'tait marié là-bas.
- Eh bien! tant mieux, !l'exclama rondem ent le
notaire . Ainsi le privilèg e nous apparti ent-il sans conteste de vous donnel' place ü noLrc modesLo foyor. Mn
femme eL mes filles foront d leur mieux pour vou'
ontoure r de sympat hio, d'nITocLion. Ce n' st chez nous
VOUIl n voua y
qu'un gros boul'g tout rustiqu e. Mai~
.
d6plail'oZ pas Lrop, j'espère
- Oh 1 mon cousin, jo me plairai auprès de vous,
tl'ès bon. Et mes cousines aussi
pal'ce que vous ~Les
pa,
tieronL bonnes pOLll' moi, j'en suis sûro. Je n'av~is
l'ude81
frappéo
m'a
coup
ce
...
cola
il
encore l'éfléchi
menl. .. Muis où serais-j e all{'c ~ ... Jo dois avoir du
courage ... J'on aurai, j VOU!; assur. auleme nt los
V03
�i.6
premiers jours, on n'a pas la force ... Dans quelque s
semaines, si vous voulez bien me garder jusque-là ...
- Quelques semaines 1. .. Que voulez-vous dire?
- Ne faudra-t-il donc; pas que je cherche du travail?
Ce mot austère sonnait si étrangement dans la jeune
bouche qui bravement le prononçait, que MB Sigebert
en fut choqué comme d'une discordance.
-Par exemple ! s'exclama-t-il, ne sachanl que dire ...
- Et pour cela vous m'aiderez ... Vous me conseillerez. Je n'igore pas combien c'ost difficile à une
femmo ... Et moi, je ne sais rien faire ... La musique,
l'anglais, comme toutes les jeunes filles. Enfin, avec
de la bonne volonté, on s'arl'ange toujoul'S pOUL' gagner
son pain, n'est-ce pas?
Ello s'exaltait, un peu de fièvre venait colorer SPs
joues pâles.
- Voyons, voyons, s'exclama le notaire, presque
bOllrl'U, de quoi allez-vous donc pader? Est-ce que
les Sigebert ne sont pas là ?
Et coupant court. aux puroles pour lesquelles s'entr'ouvraient les lèvres de Loui~e,
incohérent, il re!Jrit:
- Je vous demande un peu si c'est 10 moment...
A chaque jour sa peine ... Pour l'heure, il s'agit de
quitter oelto maison. Cortos, ce sera un gros déchirement. .. Aussi, n'êtes-vous point d'avis que le plus tôt
sora le plus sage? Puiscruo vous ~tes
tellement courageuse, vous sentez-vous en élat. do partir dès domain?
Oh 1si vile ... A ceLLe p nsée, le ro.uvre cœur oha vÎl'a..
SuIToqu6e par les larmes, Loui Ho so jeta dons des brus
'lui, poternellement, se l'cfel'm OI' nl SUI' jo menu corps
vôtu do noir'. Un mfl Lant, sur lu largo épo.ule , elle sanglota. Puis, o;'a rrac!tnnt do l't;ll'einte, 0110 s'enfuit.
�"E U \' ~\.(
E I:! l
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";
li
CHAPITRE II
Louise Fresnaye fit l'effol't de prendre place pour le
diner en face de son hôte. Simple formalité en ce qui
la concernait, les besoins de la nature paral:ysés en
eUe par l'atroce révulsion morale. Belle fourchette et
Bolidc buveur, Mo Sigebert se sentait une manière
de honte de s'abandonner, devant cette pathétique
figtu'e, à son appétit aiguisé par les émotions, par les
agitations dc ces trois journées. La cuisinière avait
tenu à honneur de soigner son menu comme d'ordinaire. Joseph avait pensé rendre hommage à la mémoire
de son maître en décantant, avec son soin habituel,
une boutcille de ce vieux pomard « que le pauvrc
monsieur aimait tant ».
BL il Y avait une iL'onie de suprêmc amel'tume dans
cc l'Cp ail de gl·ande chère sel'vi avec élégance en un
adre somptueux - co repos, le dernier que l'orphe line dut prondre sous 10 toiL écroulé. Les choscs onl
leur vir. Tout inLéricur pOllsède un CCCUI' qui palpite,
Hne âm qui rayonnc - l'âme Llc cccu!· de ceux qui
l'ont créé et qui l'alliment, et qu'en retour il réjouit 011
il console. La dispa,·ition d'un foycr n'osL pas sans
EL daus quelles conanalogie aveo la mort d'un ~tro,
ditions oruollement bruLalf's colui-ci était-il voué à la
destruction ... Dcmain, tout oe qui le constituai l serait
dispel's(] ail' qualre venL~
dCR ('O·hè[,l~
publiques,
omportantde-ci ri -là unpeude 'eux qui y ovuient v(;ru.
Plus que 11' l'f'>gret du luxe perdu, 10 senliment de
celte séparation pesait fHU' l'o,'phrline. Quant à Mo Sig b ~, o'ost 10 oôlu positif de la. 6jtua~ion
qui l'apiLoy~l.
Avoir joui de tant de bion-litre et 50 trouvcr,
du JOU)" nu lendemain, précipit6' dans le d6nÛment ...
Cet homme débonnairo sentait monLer clllui une v6rî-
�18
VEUVAGE BLANC
table indignation c<llltre Je père dont l'imprudence a
causé un tel désastre et assez lâche ensuite pour se
soustraire à ses responsabilités.
Le triste repas fini, Louise demande à son cousin la
permission de se retiror. POUl' être prête à partir, elle
a tant à faire ...
Rentré dans la chambre où, hâtivement, un lit lui
avait été dressé l'avant-veille, il tire de la poche inté.
rieure de sa redingote deux papiers qu'il étale sur la'
table.
Sigebert, notaire, Bruyères-sous-Laon.
(( Te prie instammont prendre demain maLin express
h. 20 et venir directement à mon bureau, 132, rue
Réaumur. Il y va des plus gl'n~s
intérêts. Compte
absolument sw' ton afIection et dévouement. Pl'ière
répondre pal' dép~eh.
AmiLiés.
« F IlESNA YE. ))
«
)\Jo Sigebert avait élé passablemont intrigué. Y
avait-il quelque corrélation ntro la requêto do Bon
cousin eL la rise financière dont les journcaux donnaient 10 détail asscz alarmant? Bn pareille con joncLuI'O, 'ost il do gros npitalisleB qu'on n rocours et le
notairo do campagno n' n postlédait point dans Ba client' le d'assez considérablcs ... Mais pouL-rtre Amédéo
voulait·ille con8ulL r tlUl' qu lqu point de judsprudonce? Cola le flat,t,a, al' il tlO piquaü do compétence
on la matière au delà do l'ordinairo do son 'tal.
Do 10. gal'c du Nord à la Boul's , la distaneo n' st
Po.s longuc. A vaut onzo houres il nLl'aiL clans la loge
de la rue R6nllmlll' ot demandait los burelluxdo M. Fl'C'snayo.
- 1. FI'osnayo? Ah 1 mon Diou 1monsiour, VOUF! ne
avoz donc pas le malheur?
Celte figure ron vorsé • ces bras tragiqll ment lov ' Il
�YE;lJ"AGE BL~"'C
Hl
au ciel... Une sueur L'oiJe pas~
dans le dos du
notaire.
- Le malheur? Quel malheur?
La concierge le dévisage d'un air severe, comme
pour lui reprocher d'être mal instruit de l'événement
du quarlier. Puis, SUl' ce ton apitoyé et important il
ln. fois des subalternes sejugcantgrandis d'êtl'etémoins
d'un drame.
- M. Fresnaye vient de se bl'ûler la 'en"elle.
- Ah 1 mon Dieu, mail Dieu!, ..
Ses jambes tout d'un coup molles se dérobant sou,'
l,~ corps pesant, il dut s'accrocher ù la parLe.
- . Oui, monsieur. Tl ya une demi-heure peut-être".
jusl cODlme 10 facLeur passait pour la seconde distribution: (,'D raiL sur les dix nt quart ... un des employés
est descendu quatl'e à quatre. Ils avaient; ntendu les
ùHonatiol1s eL étaient ontl':'s dan;; son cabinet, où il~
l'ont trouv6 ~tendu
sur le tapis, avec un Lrou dans la
tl'te, Je pauvre monsicw'. Nous sommes mont 's bien
vit , nous deux mon mari... h! monsieul', c'était un
hase ùe voir ça ... Un mrd cin eRt vcnn t.ouL de suite,
Inais e','tait bien rfni. Si monsiC'HI' \' ut monte!'? ... Le
eommissairc de police ost là-haut, pOUl' les constataLiOI1H.
Le l10Laire continuait .\ h ~gay
l' machinalement:
hl mon Di H, mon Dieu 1. ..
Heuevenu touL pâle apl'ès j'affJ llX ùu Hang qui d'abord
l'avuit empourpré:
- .Jn Huis son parent, l'epl'il.il. .. J'avais l'eçu un L~lé
gl'ammo .. ,
- AloJ'i{ bif'1l HÙI' que c'cst j.lOIlI' VOll:i ln lcLll'l'? Pal'ce
qrr'en Ul'I'i vunL eo 010 Lin, J\1. 1- rc:maye j'Il remise eL a
l'oC:OInIDUnth' ([1I'on la donnc il un monsieur' qni viendraiL Ir demunt/t'I' \ erl:l les onzl' hr1ll'es... i\fonsirul'
Si~f'bcJt
,1
C LLo IOUru qu'à peino u vuü·jj ou verte et parcourue
�20
VEuVAGE DL .\~{C
auprès du cadavre, puis lue ensuite avec soin, à présent il la relit encore:
«
1\lon cher Alcide,
« Bien que les circonstances nous aient 610ignés l'un
de l'autre, je n'ai pas oublié - et toi non plus, j'en
suis certain - nos aITect.ueuses relations d'enfance ct.
de jeunesse. Dans les aITaires on est très occupé, préoccupé plus encore. Tellement qu'en souLIre même l'inl imité du foyer. 1ais ne pas voir ses parents aussi souvent qu'on le voudraiL ne signifie point qu'on soit.
déLaché d'eux, et. c' st en Loute confiance qu'à l'heure
suprême où je me tl'Ouvr., jr viens ù Loi comme il mon
lO('iUeur, ù mon plus sûr ami.
r( Tu auras vu peut-foLI'P mon nom men t.ionnr parmi
c('ux dos grosses maisons de courtage Jo plus gravement aLirinLrs par le krach des sucres. Pour une fois,
la presso ser'a demeurée en deçà de Ja vr"riLé. C'est, Je
flésastro complet. Non s ulement.lc ('upiLnl flue j'avais
acquis pnr mes sp('eulaLÎons ant.él'j'urcs esL fondu
comme ncige au soleil, mniR jn suis engagé pOUl' de!l
flommes cousidf\rables, sans pouvoit' fair'c hono ur il
ma signature.
« Ln faillile, quand ello n'mIt. f'ntach\c d'aucul1('
rorulu'\lVI'(' fl'Ullduleuse - CIU' je ne crois pas que l'ien
puissp Î'lrc J'rlcv', conLro moi c n'esl pas Jo d "8honneur. Bicm d'a11(.rcs onl passé par lù, qui, fOl'L sag Inpnt.
pt rouragcuscIncnl, oul ('opl'is J Ll'avail BUI' de nouvrllcs bases. Mais en dép\JsonL l'unifol'mr, aans douL
n'ai-jr pus Mpouill(; ln mentalité mililair . Que domain
doive ftT!' oJ'l'aoh(' d ma hOlllonniùrc cr l'uban rouge
f'OllC[ub ait fpu, celn rquivnul pOtll' moi qUllsiment :\
la dt"gr'oc!tüion.
cc PouI'quoi a)ors m'pire mis clanslr!! u,fail'cs?
ueslion oiseuse a pOJor oujourù'hui. J'aimais l'urgent, Je
�souffrais de n'en point avoir assez . J'aspirais à la grande
vie, je voulais la donner aux miens. Si ma femme
avait vécu, peut-être aurais-je résisté à l'entraînement,
car elle me retenait de tout son pouvoir sur la pente
périlleuse. Peut-être aussi aurais-je cédé quand mème.
Le vertige de l'or m'avait pris. Il m'a emporté et,
comme tant d'autres, aujourd'hui il me tue.
CI Cal' je vais mourir. Ce que tu diras en lisant ces
mots, je l'entends. Tu considéreras qu'il est criminel
d'abandonner ma mIe sans ressources. Pauvre chère
petite, je la chéris pouriant. Au moment où je poserai sur ma tempe le canon de mon revolver - mon
ancien revolver d'ordonnance - c'est son nom qui
sera sur mes lèvres, c'est son image dont se rempliront mes yeux avant que de se fermer à jamais. Et
c'est pour elle cependant qu'il faut que je meure. Tu
me comprendras, Aleide, quand je t'aurai dit que je
suis la proie d'une aITection nerveuse des plus graves
et sans remède. Un seul espoir me restait d'en atténuer l'acuité: me retirer des affaires, abolir de ma vie
cet élémenl permanent de sw'excitation, de tension
nerveuse, d'auLant plus épuisant quo le spéculateur
doit sc couvrir d'un masque impertw'bable. Aussi en
avais-je pris la résolution. Do bonne foi je m'éLais fixé
eommo Ler'me la liquidation de ceLte campagne de
hausse conduil par un grand financier illvariabl mont
heureux cL quo si souvenL j'avais suivi au succès. Le
desLin n a disposé aull'omcnt : c' sLla baiss qui est
venue, une baisfi(' injustif1 rc , cxll'Qvagnnte, t pOlir
moi l' lTondrcmE'nt toLu!.
(( Dt's lors je !luis condamt~.
Le repos m'aul~
porllliH
do vivl'o et 10 l'OpOS no m'cst plus permis. Le tl'a~i
no m'csL pas possihle davaulage. A causo do LOUIse,
j'aurais accepté lu déchéanco. Mais co cruel revel'S il
bl'isu cn moi tout rossort. Jc ne serais plus désormais
qu'un nr-Hoputhe non seulement inapte à remplir mes
�22
VEUVAGE BLANC
devoirs de chef de famille, mais constituant pour ma
fille une lourde charge morale autant que matérielle.
Je sais ce que c est, vois-tu ... J'ai vu souffrir ma mèrl?
Et je sais ce que ceux atteints de cet hOl'l'ible mal font
souffrir leurs proches autant qu'i Is souffrent eux-mêmes .
Ce martyre-là, je ne veux pas l'infliger il Louise.
(( Et au surpus, de quoi vivrions-nous? Impuissante
à gagner son pain, la pauvre enfant, faudrait-il pal'
surcrolt que je lui doive le mien? Et comment le gagnel'ait-elle? En me dérobant par la mort aux privation ,
aux humiliations de la pauvreté, aussi à des souffranoes
qui deviendraient intolérables, j'encours le reproche
d'égoïsme, de 15.cheté. Mais en même temps je rends
à ma fille ootte pauvreté moins lourde, jo brise la ohain'
du boulet qu'elle aurait à trainer derri "re elle. Quelqul?s
épreuves que la vie lui réserve, 0110 sera moins malhoure,use sans moi qu'avec moi.
(( Mai~
voilà bien dos phrases pOUl' mourir. PasRons
aux dispositions pratiques.
(( Fort do l'assuranco que Lu m'on as donnée pal' Lon
lélégrllmm ,j compto sur ton ul'l'.Îv60 ruo Rénuml1l',
vors dix houros trois qual'ta ..J'nurai i'o'il sur ma monLr , de Inçon quo cC' qui doit ~Lr
faiL ne 10 soiL ni
Lrop tard ni trop tÔt. POl'dOnn0-moi, mon bon Alcide,
]'c'nnui cll' mbarrM (IUO j Le donne. Lo plus dur pOlll'
t.oi sora d'annono '1' < LouiRO ln llol1voll ... Mais tu
n'aurais pas voulu qll' Ilo la tint cl quoique subalLerno ou indiJTérenL. Pauvro onfallL 1... La pen ée dp
fion chagrin me déchit'O 10 '(t'ur.
e( Le coup que Lu amas il lui pOlter, jo nc Le (lis pa!!
<l'cssayo!' do l'adoucir... 'st un moL qui n r6pond u
J'ien. Je souhnit rais n "11 nll10i li '1 que lui fl'U dissimulée
la vérité ompi L - colle quo Lu OB soul il savoi!'.
La réalité du suicide, olle ne peut l'ignoror. Mai tu
pourrai!> lui fairo croit'!' à nn IlC~8
de d~rangcmet
cér6bral, la version d'usngo n l lie OCOUI' nec, Car j~
�VEUVAGE BLANC
voudrais qu'elle respectât la mémoire de son père, et,
malgré les circonstances atténuantes que j'invoque,
serait-ce possible si elle apprenait que je me suis donné
la mort dans la plénitude de mon sang-froid et de ma
raison?
cc Tu voudras Lien ensuite vaquer à ces lugubres
soins qui sont le cortège de la mort.
cc Sous ce pli cacheté tu trouveras cinq billets de
mille francs - tout ce qu'il me reste de liquide. Je ne
fuis pas grand tort à mell créanciers en los soustrayant
à leurs revendications pour te permettre de subvenir
aux dépenses indispensables t pl'emières. Car même
mourÎl', cela coOte de l'argent, puisqu'il faut être
enterré. Quant à l'arrangement de mes afTairel:1, ce
sera fort simple, hélas! Je meurs insolvable et o'est
terminé. Tu n'auras qu'à protéger dans b, mesure du
possible ma pauvl'e petite fille contre la meutc hurlnnte qui va se ruer sur les miettes demeurant d rière
rnon cercueil. A cot égal'd 1 mieux que moi tu sais oe
qu'il convienl do fail'o.
I! .Te oompte aussi que tu auras la honLtl ùe lui ùonncr un asile Lemporairo, puis dans l'av nü', pour elle
~ i sombre, à l'assister de tout lon pouvoir. Là-dessus
jo n'ai rien ù le dire de pr ;cil:l. C'ost le doulour'eux aléa,
e'osl le fer rouge me m Ltnnt au CCf.'lJ rune plai plus
('l'Uello que oelle dont Loul à l'h ure jo vais avoir la
ll\Le trou(,c. Tu s ])(\1'0, Altiùo. 0 qlle Lu l'orns pOUl'
mon t'nfanl, GO sem rD vrnsunL aux tions Lc' aL dans
!C't! Liens que Dieu Lo Je J'evu\ldra.
(( Adit'IJ, mon cher' AI ide, mon vieuxeamaraùeues
hons jourtl , Adiou LmOl'ci. M l'ci ù t.oi, merci à ma
cousine Léonio do qui jo bD is Jes maillR en la priant
d'litre ùe moitié uanR lu bOnlw action pOUl' laquelle
puissent lous los bonhf'ul'f! VOllS récompcnsel" VOliS pt
les
VÔLl'1S.
Il
\méùé
FIIBR.
YJ~,»
�24
VEUVAGF. BLANC
C'est avec ces ayeux en poche que Me SigebC'J'L
avait plaidé auprès du curé de Saint-Philippe-dn-Roule
l'irresponsabilité du suicidé .. .
Pensif, il replie méticuleusement la lettre, qu'il
insère dans son portefeuille, et soupire:
- Le malheureux garçon!. .. Il Y a de la vérité làdedans, et à tout prendre il n'est pas sans excuse.
Seulemenl c'ost ceUe pauvrc petite ... Tout ça, dirait
Léonie, c'est bien malheurelLX:.
Ce rappel d'une locution familière à la philosophie
assez courte de Mme Sigebert pour synthétiser toutes
les vicissitudes humaines, depuis un rôti brûlé jusqu'à
une catastrophe mondiale, ramène l'esprit du notaire
vers des objQts positifs L domostiques . Dans quelle
chambre installera-t-on l'orpheline? La maison esl
grande, mais nombreuse la famille. Enfin, on se srrrera. Puis les aJTaires de son étude lui reviennent en
LGte. Cependant il est las. Ses idées se bl'ouillenL. Il so
cO\1che et bienlôt sa respÎl'ation sonore marrlue que Jf'
l'CpO.> est venu de tant d émotions eL de fuLigups.
A l'exlrémité opposée de l'appnl'L ment, cn une
frniche chamb/'c laquéo crèmo et prkin pompadour,
toute la nuit, Louise s'efforce de dormir. Cela l'ail partio de sa rrsolution do courago, car elle n'u pas le droit
de tomber malade. I10rs d'(ltaL néanmoins de vaquer
ù aucuns soins praLiqu s, olle 8' n est remise sur la.
femme de ('.hambJ'o du nécc.ssoire a pl'éparer pour son
départ. Stimu l60 pal' les bonncs pUI'C'les IJtlC JOB ph
avnit rapporlées il l'office, cl'lIe-ci J'a nssur('c quI' tout
S l'ai t fnit.
Dévêtue, étendue SUl' le lit, dans la pénombre du la
pièce faiblement !>clail'él' pUI' lIne pctite lampe 1'01'phe~in
~pelo
le sommeil q~i
nOLl~
aU,lOu~'
de ce 'eor'ps
épUlS{>, l effieuront de son mie, pUIS s éloIgna.nt, puis
,'e,'cnunt, la jetant dans de brefs aSBoupis!\Clncllts qU('
roupent de brusques retours ù la connaissance.
�VEUVAGE BLA:;';"'C
A chacun de ces sursauts, une plainte d'enfant
malade monte aux lèvres de Louise et elle gémit :
- Mon père est mort ... Il s'est tué. Il s'est tué et je
liuis seule au moruie.
Des visions de fièvre alors passùnt devant ses yeux
telloment brûlés de larmes qu'en esl tarie la source.
Tout son passé si court, d'abord paisible eLdoux comme
un beau songe. La jolie mère souriante ct languissante,
précoce valéludinaire à peu près consLamment étendue,
auprès de qui la petite fille sc lient bien sage, ainsi
qu'on le lui recommande . Elle-même, enfant docile,
tendre et graye, une ombre de mélancolie planant sur
sa petite tête blonde. l\Iais chérie, choyée, heureuse.
Elle admirl' son père dam; la sévère élégance de l'uniforme à rollct dr veJoura noir, elle aime jouer avec lu
dragonne de l'épée, avec les fl'n.nges des épaulettes d'or.
A Grenoble - donL clle conserve le souvenir le plus
précis - c'est sa joie cL Bon orgueil de le voir ~ cheval
en WIn tic la co paglie d'alhlétiques sapeUfS dont
brilll'n l uu soleil le:; cent cinquante baïonMttes. Lol's(lue, pans~
dans l'Mat-major pal,ticulier de l'arme el
otLaché ù ln rhcfl'erio du génie d'Ol'an, il part seul
pOUl' l' \Ig~l'ie,
où l'étal do sa femme lui interdit de 10
suivre, l'enfant a un gros chagrin, cal' elle s'imagine
qu'il no J'l'\'icndrn pus.
ce f;ouvenir ('voqu(', la réalit{t féroce se rue sur
eUe, ft de nouveau elle grmiL:
.- Il elll mo' l an jour d'hui, ill'!\t mort ... .T ne le ver-
n\! plus ...
A lors une Pl'riode de soliLuùe avec sa mùre de plus
(m plus alangllie, qui souriait doucemenL au mal implacable dOllL la grayitf\ ne lui appal'aissaiL poin.t.
Un jouI' 11' j>èl' élait, l'evenu, disanL qu'il ne retourncruiL pus cn '\frique, le bonheUt' ùe l'enfant gâté un
peu quand .II avait nppris qu'il ne porterait plus la
tunique à collet de velours el, le:l 6paulettea d'or. Las
�2G
\'r.WVAGE BLANC
de l'austère et monotone routine de ses devoirs de soldat, ayant trouvé pour ses connaissances mathématiques un emploi pius rémunérateur dans l'industrie,
le capitaine Fresnaye donnait sa démission et prenait
la direction technique d'une des grandes raflineries de
sucre de Saint-Quentin. Dans la nouvelle demeure,
auprès des hautes cheminées fumeuses et des machines
grinçantes. la mort déjà un jour était entrée. Et toutes
les larmes qll'avait alors versées la fillette, après dix
années remontent à la gorge de celle qui aujourd'hui
se trouve orpheline pour la seconde fois .
Les fantômes enfin s'enfuienl ct font trêve. Les yeux
appesantis se ferment, les ténèbres enveloppent et
bercent le cerveau malade. Quand brutalement
viennent les rouvrir ces invisibles tourmenteurs, elle
croit avoü' dormi longtemps et co n'a été que quelqueB
minutes.
mesure cependant que s'avance la nuit, hantée df!
ces cauchemars éveillés, plus longues el plus lourdes
deviennent les périodes d'assoupissemenL.
u petit jour blPme onfin, le sommeil, le vrai sommeil éCI'BSanl, semblable à celui dont on ne revient
PQS, prpnd piLié d'elle ct la terrasse.
CHAI ITHE III
\ 1(\ gal'o <Ir Laon, au pied dola viII juch "e SUI' sa
haul collino que coifl'cnL lnf-l mnjofllllcuS08 lO1lJ'S cal'.
ellos do lu caLhétll'ale, los voyageurs éLui nt ttenuWi
par une façon ùo char-ù-bancll pOllvant à la l'igu 'ur
prétendre au nom de bl'cak.
- Bonjour, Clovis, répond 10 lluluiI'l' au salut du
ùomcstiquo en capoLe grise rt cnsqueLte dp livI'(·e. Htu un ChUI' pOUl' les bagages"
uÎ, monsi ur. Fl'uctidor' 'Lait \'OIlU appul'lpr au
�VEUVAGE BLA1'C
chemin de fer des sacs de farine. Il preI'ldra les malles.
Ayalltremis le bulletin à un homme d'équipe, Me Sigebert se tourne vers Louise et sous les voiles de
crêpe il croit percevoir un faible sourire .
- Ce sont ces noms, lui dit-il, qui vous semblent
drôles? Vous en entendl'ez bien d'autres . Cette particularité locale faiL la joie dos étrangers.
- Mais, mon cousin, jo ne suis pas une étrancrère.
C'ost mon pays aussi à moi, le pays des miens. S~ule
ment j'y ai si peu vécu eL j'étais si p Lite ...
- Cela servira quand mrmo ù vous y acclimaLer
mieux. La raco ne so perd jamais ... Allons, vos petits
colis sonL hargés. ous monLons?
Elle monte. La voiture file au Lrot vif d'un robuste
ardennai, t bientôt c'ost la grande route poudreuse
allongeant son ruban do quelle onLre les champs de
olza, de betteraves, d'artichauts. Damlla vaste plaine
ondul/le les cultures, lrès soignées, alternùnt avec les
prairies Llos pièces de luzerne, monotonie peine l'ompue, dr place en place, par quelqll bouquet de bouIt'aux ou les lignes d grêles peuplier:! eL de saules
trapus oul'lant les p tits 'ours (l'au invisibles. Surl
large horizon bas, des colline IHiblcm nt indiquées
1;' stompenL l'n bleu sourd dans des poussières loinlainps. Louise regarde auLour d'clIc, vaguement. L'air
pur cL fruiR de ces grands cspaces Cv uL ~s meL un peu
de 1'030 Ù Br!! joues pâles.
- Pas Lien brau, IloLl'e pllyH, J'rmal'f)ue Mo Si geb rL, maia \ln hon puys quund rurmo. El puis c'est
iei le Hoyau rie ln 1"l'on' ,J'anoien !'oyuume d Neustrie,
]0 berceau des Cupé'lic'ns, ]0 domaine do Robert le Fort,
auLOUI' duquel s sonL, d'âge n âge, soudées les provine s donL l'agré~
a fini pal' ('onslit\~r
c royaumr:
qu'on disait nu vi ux t('lmps rll'r le prf'tnl r après celUI
dr Di u.
L'llo-cl -Frunce, précis Louise. C' sL un beau nom.
�28
VEUAG~
BL.I.NC
- Nous en sommes fiers et no~s
nous targuons de
celui de (( Français », comme nos voisins sont Picards
et Champenois. Oui, oui, ma peLite llousine, vous êtes
(( Française». Mon granrl-père, ModesLe Sigebert, avait
une sœur qui épousa votre bisaïeul, le docteur Fresnaye,
de Château-Thierry, un jeune chirurgien des armées.
A la Restauration, il s'est fixé dans sa ville natale,
dont il a été maire pendant toute la monarchie de
Juillet. Et près d'un demi-siècle durant il y exerça.
- 11 est mort à quatre-vingt-six ans, n'est-ce pas,
d'une attaque d'apoplexie, lors de l'entrée des Prussiéns
dans la ville?
- Depuis Craonne et Montmirail il ne les avait pas
vus. CetLe nouvelle invasion a été trop pour lui.
- C'est bicn mon arrière-grand'mèl'e qui avait eu
une avenLure avec les Cosaques? ..
- CCl'les ... Le fait de guel'l'e de la grand'tante Palmyre, c'est la gloire de la famille. TouLe jeuncIemme,
pendant que son mad faisait la campagne de 1814,
ello habitait chez SOIl frère, alors titulaire de l'étude
dont, après une généraLion intermédiaire, a hérité
votre sel·viteur. Un mnlin, commo ello so trouvait dans
le vCI'gel', llnivc une palrOllÎlIo do mangeurs de handrollr., touL vel'mÎneux SUI' 10\l1's p LiLI! chovaux hirsutes,
et ils commenernt ù fairf' uno razzia de poules. Au li 'u
de so sauver, cllf' lelll' crie des injtll'es, el, elle Ù 'chain
cOll!.l'e ru.' 10 'hi'm de garde, LanL cL si hien qu'une de
ee:! brutos la poul'suiL 1'1, la blesso d'un coup de Inn e.
'l'l'ois moi!! pl11S tard, volre gl'OnÙ-l)l\re venait (l'U
monùp .•. Ah 1 los fel1Unf'R n'nvuipul pnl! froid aux yeux
dtlJ11l no tnm p;;-là.
- Et dnns Ilotl'e pnys. Papu mo disait, suuvenL que
c'est Ulle p6piniol'e de bona soldats.
- Oui, répondit {o igebert. Nos paysans sont
bambochoIU'ci, qUL1l'elleur:i cl, bl'aillat'dtl, quoiq un pas
Jnauva·.; diables au rond, mais ficl' , hardis, durs à la
�YE;UVAGE BLANC
29
peine, laboureurs solides, uvec des accès oe flâne et deri botte, de rudes gars parmi lesquels se recrutent des
cuirassiers et des canonniers à cheval. De purs GalloGermains .. • Rome ici n'a pas laissé de traces. Mais je
vous fatigue, ma petite Louise, avec mes discours.
- Au contraire, mon cousin: o'est très intéressant.
Et les yeux de pervenche qui, au nom du mort évoqué s'étant voilés de larmes, fixaient sans regard le
lointain vague, revinrent poliment au notaire.
- Il faut vous laisser distraire un peu, reprit-il.
Cela n'empêche pas le chagrin, mais aide à le supporter . Et puisque vous voici revenue au terroir, vous
devez êtro instruite de la chronique locale et familiale .
Le pauvre cousin Amédée ne devait pas vous en parler
beaucoup .
- Il était toujours tellement occupé ...
- Puis dans ce grand chao' de Paris, on oublie,
Lout. a' fl'aco. Nous autres qui, do père en fils, ùemelll'ons acagnardfR Ù notre petit coin de terro, nous avons
du temps pour ruminer les tl'udi tions ct les conservel'.
Sav(·7.-VOUS bien que, depuia l'annre où Louis XIV
est morl" s'il vous plaît" touj01lrs, il y a ru un Sig r bert noLaire à DfIIyol'es-sous-Laon? C'est d'aujourd'hui, d'aiU urs, ceLte dispersion dos famill s. Il n'y
a pas bien longtemps encor on demeurait eDl'uciné
nu 1>01 naUll, ou dn moins y vrnaiL-olI nnir ses jourH .
Votre aTcul, quand il a "Lu r traité comme lieutenant'olonel ù'urliJ!rl'ie, s'esl fix{' auprès de S011 vieux
prc, ùans la mai son où il ('lait né cl que VOt,l' pèro
depuiR a YCnùufl.
~ , lo Sigebel't soupil'a n hochant la t '\Le. Ln pens('()
Jui était venu que crtte maison avail fondu dnns le
cl'e~18L
du jou, L son rcspect pOur l'immeuble s'en
~tfThgeniL.
- C'élait, l' prit-il,
((U
.1q ues annl'es Ilvnntlo. gucrre.
L s'e~L
dis lingué ù
Le colonel l'epliL du service
�VEUVACE BLANC
Bapaume, où il commandait un rt;giment de marche.
- Papa était au siège de Paris, dit Louise, un petit
mouvement de fierté secouant son accablement. C'est
là qu'il a été décoré . Il n'avait que vingt ans.
De nouveau se fit sévère l'expression naturellement
bourrue du cousin Alcide. SU!' son ample poitrine il
sentait cette lettre dont la pauvre enfant devait ignorer le contenu, et il savait que cette croix glorieusement gagnée pal' le soldat, la mort seule avait empêcM qu'en fût dépouillé le spéculaLeur. Un instanL il
garda le silence. Ce n'est pas elle qui l'eût rompu.
L'épuisement causé par lanL de larmes ['avaiL plongée
dans une sorle do stupeur bienfaisante.
Comme on allait au pas, monLant une côte, lenoLaire,
SP retournanL, aperçut en arrière le char des bagages
qui lrottait dans le plat de la route.
- FrucLidor nous aura bientôL l'üjoinls .. . Il a une
bonne paire do chevaux. Clovis, a1'1'êle un peu dovanl
la forge: j'ai deux moLs à cl it'o. Lise z l'enseigne, peLiLe
cousine ... oH vous amusora.
Tundit! qu'il s'enquiert d'un réparalion ù sa gr'ill ,
Louis' sourit vagurffient do 1ire: « lodomir' Mâche
f r, maréchal-vétérinaire, 1"01'1'0nnel'io ». El il a bien
quelque allure de loudc mérovingien, cc grand gaillard
sec comme une triquc, au. IOllgUPS moustaches l'OUSSPS,
dont les bl'aH lIoués do musclos cL los largos IIwÎnf! bl'ù lées n' ussenL pas 'Lé ombo1'1'u!ls(;Cfl dobl'uncli(' ln j','uneiHquo gulo~se
ou, ~a l'',umue g~l'mufjq[.
CcL Ûpl'~
puy,!
donne UlIO smguhnr'o Jlf/pl'OSSlon do forco.
Quoique do Lout LelIlps lOf! Si~
,bor'l 'lU!SCllL [)J'ofos s{'
HOU!! do!! ChUlg.~
'nLs d'élj.([~ce,
ceLLe opinio,:
IIloyE'nnO de la VI Ille boul'ge J1SH' pruvincial fo.iLc du
libé,'uliSffie pl'udcmme,nt "ClPIlIl, fl'OnÙeU3c
l'autoJ'ité eL ri lu,' 'ligiofl, maid m{,nunL!' dn la libcrl '. , '
ftll:ltunt 1" péril de lu Ul ~cl'éut(
, 10l's dl' la RuvoluLioll
ue
ilil uvaiuuL
l:iU
s'Il.ccûmmude,· aux circollslunceil eL eu
�VEUVAGE BLANC
31
tirer profit. Le comte de Vorges, dont: 6. Line 1i8% ct
demie de Bruyères, le château sc terre eh 1111 yalilln
boisé et humide, ayant émigré, le labellio[l lI'alOfll.
Théophile, avait acheté pour une poignée à'aslligr!;tI.a
sa maison « de ville n, devenue bien naljonal.
Au fond d'une assez vaste cour de belle orUOnlltillc,;,
que sépare ùe la rue une clôture en fer forgé ancÎt.lIJ,
un bâtiment de bon style Louis XV. érige sùn étag'"
do pierre grise un peu verdie par ie temps, qUt> coiÏle
un toit aigu en ardoises. Faisant relour d'équel1'c,
deux ailes basses, donL l'une est aiTecLée tlUX bUfoûux
del'élude, l'aulre aux dépenuancesl'oJalivement impù.. ·
tantes d'une habilation semi-rurole. Et, CIl mélauco·
lique contraslo avec les reluisanls panonceaux du portail, au-dessus uo la porLo il laquelle ou Ul'fÎ ve par uu
perron arronrli, va s'eITriLnnL l'écusson sculplé dos hUlI'
nerots éteinls qui avaient accompagné Thibaut, com""
de Champagne, à la conquête du SaillL-Sépulcro.
- F ' dora, Fédora 1 ceio uno voix forte ù laqutllle
fait écho un aboiement enroué ... Voilà monsieur qui
arrive ... Vener. prondl'o les paquets.
gn même tomps que la grosso cuisinièro, Mmo Sige-·
b?rL apparalL (ln haul des marches au pied desquelles
vwnL de fi'al'rôLer la voilure. EL avanl quo Louiso ait
u l Lem ps do BO r connunl'e, elle so Lrouve enlacée
nLre les longs bras osscu.' d'une grando femme hom~
m~
s
qui fuiL cluquel' SUI' flel! jouos délica.tcs deux: groi,
balsors do nouJ'rice, S'/;Cl'ÎvnL apl'B chacun:
h 1 ma pauvl'e enfanl, ma. pUllvre enfant 1...
Puis, tout d'une l ftlrine :
- Muis en[roz donc. Vous dovez avoiJ' besoin do
prendre qudqno chose. Jt' 'dora, Fédora 1... ApporLez
le malaga ot les biscuitll.
Fédora en alti, (M forL emp~chéo,
uyanL leB mai.ne
pleines des flll.CFl et va lis os quo lui pasllalL Clovis. Mai
elle juS' a sup l'OU do pl'oLestol' con LI' coLLa déraison-
�VEtYAGt BLANC
nable exigF'Dce. L'inlassable aqtivité de Ime Sigebert
l'inritr en appels sans cesse réitérés aux domestiques,
lesquels, faute de partager avec leur maitresse la don
d'ubiquité, ont pris le parti de n'y répondre que 101'3qu'ils le ,jugent expédient selon l'ordre et les besoins
du service. Au surplus, elle n'insiste guère, ayant
ordinairoment oublié ce qu'elle demande avant que
soit venu le temps de renouveler son ol'dre.
L'introduction parmi des inconnus, même présumés
bienVf'illants, à la curiosité de qui on se sent ofTel't en
p!Hule, comporte une gêne . Loui 'C avait le sentiment
Ù~
ce que sa détresse était inhal'monique cn cette
ambianco paisible, heureuse sans doute. Elle mesurait
la disproportion profon<ic enlr·r. dos témoignagos de
sY!llpathil' BL(;réotypé , qUOiqU0 ~inc(\l's,
et une douJ 1)[' tello quo la sienne.
Si~ùh('rt,
suroxr.ilfr
L'huhit\lcflo pétulHlH'ù de ~lm,'
illljouT'rl'hni U!' CO}! h'énernrnLl\ ~rn
IIlwolIDels, la sauva
Ull pe 1 de ~on
malaise, Los Lrois cousines de Louiso
lui fUl'nn!,llommres 1'11 sucl'r.3~ion,
Polim('nt,ea!~uI
l~fI
,'r.r.Oltnfl it.l'I~
pOll1' JI'8 I\voi,' \'urfl lino rois qU.clq"p,i
d IIIZ" al~
plu:.! tôt. Do(·il .. , r]Jr. . P "ollmiL il la doubl<'l
;1 Golanr de chftcurH, l'I'r>p('cliv ml'nt accompagner.
d'un:
OU!; avoz l'niL bon vnyug(!;'
VOllS n'i1.o~
1 as t.l'Op j'!l~igu;o:
Déhal'l'usseZ-volls donc dl' votro mantoau.
IWo n'rut. pn<; la pr.in do 'hcl'chm' (11)8 l'Pponeo/!
qu'nu fILll'pltlfl 011 n'nttPIHloit point, Mm' Sigrb "L 'Lant
flUSf\it<ÎL l'rpDrtin dnl~
lu voil' dn l'ntt.l'ndI'ÎsRolnrnt,
hrllyon!.
_ Pauvrf' pr.litl', paUVl'll pnlitp ! .. , qu P c;' ,al donr:
rnnlhcul'(·u. tOllf. celn. Enfin, 111111, il fUItI, avoir du
('oulug'! ct prr.nd,·" SU" VOliS ... Va don voit', Ludlvinr,
pOIII'quoi on n'a ppOI Ir point Ir malag rL le'! biscuits.
Les pommelLe" (,(·haufl'{'rs lrgl'I'ement pnl' le doigt
�33
VEUVA.GE BLANC
de vin qu'il lui avait fallu accepter, tant bien que mal,
Louise tint tête aux questions de Mme Sigebert, telle,ment pressées d'ailleurs, et entrecoupées d'exclama'tions, d'interjections, d'onomatopées, que le joint pour
;placer son mot ne se trouvait pas aisément. Assises en
rang, ses trois cousines la regardaient. Encore que ce
fût avec des yeux apitoyés, l'orph eline, si eITrayée hier
de la solitude, en éprouvait tout d'un coup l'immense
hesoin.
Proccssi6nnellement enfin on la conduisit à sa chambre, et tout d'abord Mme Sigebert insista pow' qu'il
fût procédé au récolement des colis. Un petit sac étant
signalé manquant:
- Clovis 1 Clovis! clama-t-elle du haut de l'escalier.,.
Ce qu'ouïssant, celui-ci, en train de mettre le couvert, empoigna son panier à boutailles ct se dirigea
vers la cave, prétexte honnête pOUl' so dérober à un
appel qu'il estimait oiseux autant qu'inopportun.
- Va dQllc voil', Ludivine ... ce suc doit être resté
dans le vestibule... hl la trompe du messagor .. , Il
faut que j'aille vérifier mes paquets ... Vous permettez,
ma chère petitr i' ... Nous devons tout fuiro vonir do
Laon, et encore nous n'avons rien. hl ce ne sont pas
les ressources de Paris ... F ;ùoru t l'éclora!
A quoi lu cuisiuièrf', ocoupoe à battre ses blancs
pOur l'Il œufs il la neige, ne l't'pondit qu'pn mano'uvrant le moussoir avec un l'eùoublement de vigueur,
ce qui pouvaiL nu bcso'n lu dispC'l1Rcr d'avoir entendu.
Son cmpl'rssement d'nillrtu's eût 6Lt) superflu, lu vigilante muitJ'C'HSO de maison Mllnt dôjà en fluerelle avec
ù demi dôfonc,é ..
le vnitll l'icl' au fll ljrL d'llll cnrlo~
- Tns livI'ps duivC'nt (t1'O nITlv6~,
Aurore, dIt USOIl
:lillée la plus jeuno (lcs lroi' S(»UI", EsL-c~'
que tu n'on
J" }lIlS il l'emdt,'o pOli!' i'lLI'o rond us dernulO "
- Oui, oui, j'y vui '.
3
�ri'
v1
VEUVAGE BL,\.NC
.1 ulie, la seconde, s'était esquivée déjà, cal' elle
attendait un chapeau .
CHAPITRE IV
Pour iitre au nomb['o des Grâces, los dcmoisellos
Sigebert n'en possédaient point le attraits , Bien quo
la doyenne eût à peine attoint la trenlaine, un embonpoint précoce alourdissant encore la structure naturellement massive qu'elle tonail do son porc, déjà sembloit-clle hors d'âgo. Son ronom local de bol esprit
!l'élait pas rondu mftnifcsle pal' 10 rcgard terne des
petits FUX myopes, porcés on trous do vrille dans ur..
"jsuge houfii do hlonde lymphatique. il est positif
cependant (PlO rarement urate' était VIlO sans un livro
l'nt!'!' so~
mains grasses t blanoh fi. Invuriablemont
(ru vrr.s d'imagination, de toutes farine:;, lou' cs au
'ubil1et de lr.clure du cbeI-lieu 011 bien rnl)l'untéoH
lrè: Join il la l'and!'.
~IHjtl,
pal' ~Il'roit,
elle éel'i vuiL Tous 1f'8 COl/rricrs c~
le6 JJ1rssagl'.rs, lOllll'8 1 S I~loi'{s
rL 1 .. Srntincllcs, los
11I:vrils pL Jrs (-:chos du rJ.;pnI'LCOlcllt cl do ceux liJOil rophcs rIlaionL Mpu~ilnJ'eH
d" fi proso mclIifluf' s'épnn,!JUilL Il cOI\Lpt! 1II01'U1I., 1l0llvollNI Senlimf'ntnlcl!,
plly oInnol'lCS j'lylliqucH, yu,.iI;U,s illHll'lwtive , do ponHir,' (ogD.J,'m~l
donL plllSloult; nvnionL éll' COUI'l1H\r~
pn!' dOfl neadl;mie.; régionnlmi. néd igl101l3o dfl ln lllOdo,
tltl coifful'. LouL Oll hOllClcl;, W'JIl'O SLvigllé, nvniL pour
objot el'u 'l)J'imol' Bon lime lyt'ique. l' r'illomcnL !Ill
hauLe inlc·llcl'Luolit.é .. 0 lfl1(llli. it-cllo on OOSt.l ~H'!I
cl'inll"I'iclIl', lug1itj do hll11lo !"\I1Lnil:!ic pal' cc:; damcfI df'
UI'uytil'ns·oL 10nlbfl'1luiL
!.J romrnunC'sjnml'lIoKct. l'Onç,lIH tbn, 11n ,'C'J1Liml nL ol'ienlal Clui no 111 flsa Ri~
point Ù HOIl ( Ilondrf'mrnl, rl'oduli 1"(1;('.
- .\1 110 ,\ul'orc n' I~L
pu.; la 'îlo il m(\I'ÎOI', di, urnl.
�VEUVAG E BLANC
les bonnes âmcs .. . Il lui faudrai t trouver un homme
d'espri t telleme nt supérit>ur ...
Julie, au contraire, était la beauté de la famille.
surtout dans sa propre
-!3eauté très relative , existan~
Imagination ainsi que l'aveug lement do} ses parents .
Avec sa maigre ur, t1'Op fortem ent charpe ntée pour
être élégante - ncore qu'au moyen d'artifices ùe LoileUes et d'aLtiLudes étudiée s eUe s'cITorçât de la rendre serpent ine - son teint mat que d'aucun s déclaraient jaune, son proO! de cavale, les yeux noirs, groR
eL L'onds qui, moins vides de toute pOIlspr, Cus::lcnL
COnsLltué son meillru r atout, Ur croyait fermem ent
l'éaliser l type do la brUlle ardente qui, en littérat uf'r,
exerce d tel(j l'avagcs dans les cœU1'S masculins. Le
roman, sans doute, n'est qu'une image imparf aite de la
vie, car, SUl' ses vingt-h uit ans, clle en l'tait ù attendre 1'6pouseur sortabl e. Peut-r.Lrc nOl1l'l'issaii-ell> des
J)j'éLentions 'xcessiv s. Volonliers elle le Jo.issaitcl'oil'e,
pensanL ainsi se ronf{>l'C'J' du pl'osLige en même temps
qu' 110 y Lrouvait Ull 1l1olif plausiblo il la pr'olongllLion cl son 6libaL.
Tout ù faiL dallK 10 Lruin, Julir ne cl'Uigno.iL pa. d
padel' ce qui ùe l'at'goL parif3icn pénèll'" dans los proviII l'!:I, pussD.bJrmenLcn l'rLal'dcLsouvl nLù ciJtr. Am:
l'al' '9 jl'une!! hommeB dll
fins de rnicu." fusoini'l' If'~
: paLinngo, croque~
SpOl'lR
aux
aiL
s'adonn
l'Ile
puys,
utl.urù 'CH (>nC01'e l'11 Iavl'll1' d[lnf! ,('!; 1 l~gjonH
l'li s'HaiL
uont
,
!'éel'nLc
pHfin, cl'impol'laLiol1
tf'~lniH
I1-nil
upparLC
auqurl
club
Ull
fond!!
ayonL
',
lUIt l'apûL1'1
lin CUl/rt Cl'é; 011 Ull cojn dl' l' 'fi plaCl'mf'll Ldes ulcin~
l'emporLs. !\llle ,JuIil' Sigcbl'I'L !,t.aiL UllO pe1'SOnrll'
considé rable, qUOiqlll'. rorume toutl' /'oYD.lIL(" 1 SiCflllf'
n'ail l pas saUR t)po~iLO!l.
Quant h I,udivilll', l'I'Litl', maigl'iol , J'oussoLc, 1011c-IlOlllle, r Ile u{.t nuit, sans illusion pt :nns cunLe:,l "
l'elllploi dl' laidf'I'OIl, l'llil-\fillt lIl' ll1rrn(! le,i hllllllPlI l.:
�3û
VEUVAGE BLANC
de son cciI qui regarde en Picardie hrùler la Champagne, selon la très eXflcte façon de dire de la région
sise entre ces deux provinces. Le visage cependant,
plat et ingrat, tout constellé de taches de son, s'âclairait d'un somi 1'(' ~;i franc, si cordial, qUI' la sympathie
allait droit il elic . C'est co qu'aussitôt l'csscntiL Louise
lorsque, deInI'Ul'Ôe seule de la famille, Ludivine lui dit
d'un ton do ~entil
malice:
1 OIlS étions naiment trop tout à l'heure. Mais
Ri je vous ennuie aussi, ne vous gènez pas pour me
mettre à la rorte.
Ei pl' 'venant les pa l'oIes do protestation:
- Je ne le Ll'ouverais pas mauvais, allez. Dans voll'r
grand chagrin, cc doit ~trc
t.ellement odieux d'avoir
ft faire la bouche en c('rul'.
- .Je scruis bicn ingrate, au contl'aire, Ai je n'('tai,;
profond 'ment [ouch'" et reconnaissante de l'accueil
que je trouve ici.
- Bien snr, nous n' sommes pus m('chants ct On
fail ce qu'on pcut. 1\'1ais co qu'on dit il ('eux qui souffr'ent esl lf~I'ment
au-dessous do co qu ilô l'cssentent
qu'on doit kUI' pmnÎll'c idIOt"
Il était offimunicul.if, cc lluuriro dc la petite l'OHRsoLe. Et c'est. do même /JllC Louiso lui 1'6[londit. :
M, penn Z-HlllH asscz dl'I'uisonnahle pOUl' pl'r1 nùl'o quo la terl'o csac de t.ournel' pal cr Ci ur jll
.uis danR ln l)t'ine i' Je me l'rn/h co~pte,
au contl'uir'/\
do mon tOl'L Il VOllt! appo/'tl'r ma tl'lRII'')!je.
C'est nOtlR nlol" (lui s/'['ions ù'afTr'l'ux ('gOïsLc!l. Il
me Rembl!', il moi, flue CC11," qui ont. du chagrin doivl'nL plcl1l'el' quand il R n ont. onvie pl que le mieux
l'st d ne paR ICI:! toul'mcntrr' sous PI'liLcxLo dl' lf'fl ('011Holer ou dl' l CR distraire. Tpllc n'l'Hl donc !lOFI mou
inll'ntion, maig Rrul ment dl' VOUA aider' <'1 dMail'e vo:
1TI0011C.i, Ri IOlltefoiA VOUH n avn7. hpsoin.
- Besoin, non. Mais /~elu
me fOl'o. pluisil', ma cousine.
�VEUVAGE BLANC
37
- Dites, vous n'allez pas nous traiter ainsi cérémoMes sœurs encore, à première vue, je
comprends qu'elles imposent: Aurore avec son port
majestueux et notre ténébreuse Julie ... Mais moi! ...
Savez-vous que, dans mon bai> âge, j'étais grosse
comme pour deux liards de beurre et assez drôle
parait-il, ce qui faiL qu'on m'appelait « le petit bout
Ça m'est resté longtemps ..• Si bien que, quand vous
me dites « ma cousine» gros comme le bras, il me
semble 'tre ma propre gl'and'mère.
petite Ludivine, le tact qui vient
Elle avait, cet~
ùu cour et ne cherchanl pas les paroles stériles pOUl'
la consola lion des affligés, eavait trouver celles qui,
un insLant, l a délourncnt de leur afniction .
Les besognes manuelles aussi, lorsqu'on est en état
de s'y livrer, constiue~
un dérivatif salutaire. Abandonnée à elle-mème, Louisc peu~-êtr
n'aurail pas ou
10 couragc de s'occuper déjà li son installaLion. Avec
auprès d'ello ceLlc gcnLilJe activilé tt'oLLinantc, son
goilL pOUl' l'ordro lui l'ovint.
_ Mieux vaut ne sortir que le nécessail'c pOUl' quelques jours, ('onscilla Ludivino, cal' vous aur"z la chambre verte'. ~ 'uus nvon,; (>lé prisos dl' ourt el, le temps
a manqué pour la ft,iJ'o à rond. 01', plutôL quc m LLl'e
qllrlqu'un dun" une chambre qui n'csL pnt; Caitr à fond,
maman c(>clt'mi l lu sionne.
De nOlivau, Louise tloul'it.
Ollll ('Ll's dOlle provisoirement dans la chambre
de mon fl'èl'r. Comme il vient COUc:hCl' ÙO Lemps ù
'mLl'c, rIle raL toujours en HaL. Mêmo cola scnt quelque poulo. eiguJ'oLLc. Vou.:> nr cl'uignez pus cetLe odeur?
Mon pauvle pree fumaiL beaucoup.
Oh! l'horreur' de ccL imparfait... Lf!s jolis yeu.' de
p J'vencf)(1 s'obscurciront.
1ln gJ'uLlcrncnL denière la port!' vinl faiJ'c di version.
-- C'Otit !'ol'Lhos. Il s'imagine gue Clauùe esl aJ'l'ivû.
nieusm~?
»:
�38
YEUYAGE BLANC
Sans daigner prêter nulle attention aux personnes
présentes, le vieux braque bleu fit deux ou trois fois
]e tour de la chambre en l'enifiant avec force . Assuré
que son jeune maître ne s'y trouvait point, il s'appro'ila de l'inconnue qu'il sc mil à flairer longuement,
mais avec plu:> de délicatesse. A mesure qu'il s'avançait dans cet examen olfactif, sa physionomie,
d'abord sévère, allait s'adoucissant. Son tronçon
de queue commença a remuer d'un mouvement qui
progressivemcnL s'occéléra jusqu'à ce que, en sachant
assez, il s'assît sur le derrière en face de Louise, pour
Ja dévisager de ses beaux yeu:~
d'ol'. Enfin, bravement,
il lui ofl'rit une paLte, puis J'antre ct comme elle lui
HaLLail, lu t, te, do deux grands coups Je langue SUL'
la main il achovJ. de lui souhaiter la bienvenue.
- U11 vrai suce '8, déclara Ludi vine. Porlhos n'esL
l,as du toul b 0.1. Avec ccu,' qui n'onl 'point l'heul'
:le lui plairc, t c'e dl le grand nombre, 11 n'y a pas
pluil l'onchonneau. l\-lnis vous, il y est ... VOli êtos dll
la fumille il 1)1' ;senL, (Ut "itam œ/rrnam.
l'avait hien dit:
J,ouis soupir ,Ennn, tIl Si~ebrL
il chaque ,jOUI' RU peine,
J\1011 l'ousin
luud n'csl plwi avec vous?
dcmnnrln-I· Ile 0.11 bouL d'un insinnL,
- Oh 1 le p'l Vl' garçon, il a Oll birn des onnui . Il
Il ;lllit pl'clsellLé li l'Erole fol' R~il\
l' e de
ancy .. , al'
c'rsl lino mo.nit·l'e de sauvngo, flgurez-voll!', un homme
ries hoii\, qui ne HO plalL pns dll louL au commcrc deR
humuins. 11 avait 6tG admifl:;ihle hauL III mnin el Nait
tJcJ'Lnin d'(~LIO
roçu ]'anll(e suivanto, Oui, roait! voihl
jour;; avanl 1.:; cXllm nH, il tombe
tIue, qle~Jucd
malade. C'(LlIit une JiI;\'J'O IYl,holdc qui l'a Lenue Lroi.,
moi' entl'e]a vi a ('i, lu mort. BI' ,1 l'école u vau-l'cnu,
la limiLf) d'rige f'LnnL p'isstie. Enfin, il sL guuri à fond,
tl'lJp ;'1 fon ' I, cal' on Je lrouve f'l. cellent pour le sprvice
Pl cc .. onlse" Ll'oia ans il Lir l', lie jO' lissant plus ri la
�dispense. 11 les a fails de bonne humeuI' qnand même,
étant très cocardier. Puis il était aux dragons d'Epernay et il adore les chevau x. 11 avaiL eu des vélléiLés
de piocher pour Saumu r, m:>.is papa l'en a dissuadé
prétend ant que le métier d'officiel' do cavalerie n~
convient pas à un garçon sans fortune. Si hien que
Claude s'est conten té du beau gt'ade de maréchal des
logis. Il voudra it aller en Tunisie ou même plus loin
pOur faire de l'agricu lture, Et afin d'appre ndre le
méLier, il est depuis six mois dans une grande ferme
à moutons du pays l'émois, un élevage très connu où
On fait des reprodu cteurs qui sont demandés de lou~
les payi; du monde.
- Ludivi ne 1. .. Ludivino 1. ..
Cet appello intnin n troubla pas la jeune l111e dunH
:leI:! arrangemcnLs. Et fi jusLe l'aison, cal' aussitô t la
voix sonore se fit entend re, interpe llant su cessivement Clovis et Fédora avec pa"eille véhémence.
r: omme ' ;ta it aux fins do s'informer prémat urémen t
pourquoi on 11e servait poinl, nulle aulre r('ponse n"
lui fut faite que, quelqu es inslant s plus turd, par la
cloche du dinor.
Ce soir-lit, avant cie s'enùor mir, Louise passa '/1
l'evu sc::! p"ojels Ù'avenir'.
D, flon chogrin il lui sembla it ne jamais devoirê tl'
onsoléc l au surplus ne le souhaitait-elJe point. Mais
la
Jes épl'ouv s matérielles qui so dl' 's!!aienl devaTl~
l'uihlcss cl B s vingt uns, eJl les v lllait ull'1'011 t. ','
mêmo, tellement plus
fi nI:! dNailla ncc. Son ungoisfl
ej{'nûment, combir n
Ir
que
it-il,
sembla
t"uclle, lui
Ri no se fûL ouvert
fTcl't
SOl!
pas
t-ellt'
Ù
11
n'
ntugc
<luvo
POU," 11e, refuge npl'!'!! la alustl'opll(' L halte au
L, on
R :U11 cl l'incon nu, cr foyer UlI<Jll 1 généJ'eusrmen
t
réVl-lai
s'
fragile
corps
0
Duns
i,',
l"I1viLnit Ù s'1\seeo
lin de' res 0 urs sloïques qui se hausse nt Ù SUppoI·trr
pOl' la pensé qu'ils ne sont pas les premif'rs
la tlo,r~\I'
�ItO
VEUVAGE BLANC
à la connaltre , qui, loin de maudire le destin pour Lout
cc qui aggrave leur peine, lui sont reconnaissants
c1es petites consolations propres à l'atténuer.
Ct>pendant elle 'tait unI} enfant encore, pt qui do
nOU3 ne le l'cd evient au.' heu1'Cs de détresse? .. .
- Entrez, cria-t-elle, croyant entendre quelqu'un
derrière la porte .
Personne no répondant, elle ouvrit. C'élait le vieux
braque bleu. Ainsi que de droit, il entra. Comme
Louise s'asseyaü pour 10 care. ser, il sc serra tout
contre eUe, el lui allongea sur les genoux: son museau
humide. Plus encore - elle en eut un pou do honte qu'à ['afl'retlleux baiser de Ludivin qui, la dernière
lui avait souhaité le bonsoir, l'orpheline ful sensible,
il cût humble ct muet témoignage. l ounnl ses bras
autour du cou de Porthos, dOlwem nt ello pleura SUI'
la grosso trlo dont la regardaient, gray es et tendres,
ct de fidélité.
les bOllfl yeux d'p ~1 0ur
CIIAPITHE V
La mai80n Sig berl. ost situro il la lisiùrr ùu bourg,
son jardin, pl'imiLivcmrllt usscz {'Ll'Oit, a' !lant ar,rall'l;
UIL' déprns du L(,)'rain clr l'ancionne enceinte jetéo bas,
dont il engJoh lin souhaUBerncnt, de LOlif' habillé de
lierl'o. Uno bHl'I'wrc sC'par!' Ir potag(!I' d'un bouL Ù"
prp qui ùe!lc nd on prlltp donee vcrs un (ILI'oiL l'ui,,S('UU uasoz profund, Lravl!l'sP pHI' un pont rusLique, au
de'là duquol un poLiL bois do bouleullx mel son )'idoau
de vordure lclgl're d<.lvant la pt'l'Per:tivo flon l'plier rI ~
champs d'mtichauLs ct dc colza. Au long cl la bOl'go OH
dO'l snules Lëlnrds al ignont 1(>\lI'A gl'OSill'R bOlil s d
rl'lIIllagc pLUe, un Rentier herbu con Lourne lr bois 'l
s'en vo lomhm' SUI' la grllllÙ(' route de Laon qui, UII
�VEI:V\CE J::I\::\C
41
pell plus loin, aboutit à l'entrée principale de Bruyères.
pe cette petite oasis de fraîcheur cL d'ombre au
mIheu do l'échiquier des cultures, Louise avait fait
son ordinaire promenade. Parfois mêmo y apportaitelle un livre ou un ouvrage et, sous la garde du vieux
Porthos, qui désormais ne la quittait non plus que
son ombre, assise au pied d'un arbre, olle y passait
plusieurs heures. En outre de la solitude chère à sa
lristesse, elle y trouvait cet attl'ait si vi[ qu'e "erce la
nature. De la campagne, qui aujourd'hui se rév6lait
0. elle, tout l'amusait: les poules picorant un fumier,
les pigeons roucoulant sur un toit de chaume, les
vaches ruminant à l'herbage eL fixant l'inconnu de
Lur grand œil profond et doux; le reLour, au crépuscu~e,
des travailleurs las, regagnant le foyer dont les
gUlde la fumée grise montant ,lans le ciel; la rentrée des
moutons, pressés les uns contre les autres en une
vapeur chaude, et bêlant à la bel'gerie vers laquelle,
atlcnLif et haletant, le5 pousse le graD:d chien h1l'Suto;
la descente, grave ct lourde, du béLl:ul aux mares où
les mufles roses soulèvent des bulles dans l'eau~üuLes
ces choses humbles et pourLant augustes qui,
lü,nL la poésio do la terre aux pays même les plus
depourvus de beauto.
Au conlncL da ceLLe vic intense de la nature
L,ouis n revivait. La fleur brutalement froissée de scs
\'lngt uns so rouVI'ait et s'épanouissait avec les lilas
SOus la al'essc du soleil v nant réchaulIer le pJ'i nLemps des ordeurs de }'élû proehe. Et on même lemps
l~
douceur l'nll'ait en elle, moLtant un haume SUl' ~a
1~lac
Iluignnnlc. Si ell avait pu bannit' do sa pensée
1 ungoiRsant pl'oblùme do l'avonir, il lui semblait
qu'ollo 80 rÎlt endormi dans coLto grande paix qui
monte de ll.llert'c, borceuse rumm(' unr bonne nourrice,
lu torrr· bienfuiFonle ct. Rel'eine, fOI'le de su pussivit ~
ct tic SOil élernité.
�ft2
VEUVAGE BLANC
Cette paix du moins et ce~t
douceur, sans abolir
son souci, l'allégeaient, lui donnait la force de le
considérer en face. Les prévisions de Me Sigeber&
s'étaient réalisées: l e petit avoir que Louise tenait de
sa mère se trouvait englouti avec le reste. SUI' la
somme qu'avant de mourir Amédée Fresnaye avaiL
confiée à son cousin , les funérailles payées, quelques
menues dépenses faites, une cenLaine de louis demeuraient, constituant touL]e b.ien terrestre de l'orpheline . Sur 1 conseil du notaire, elle les avait placés en
compte courant dans une banque.
- Ce sera, disait- )j", ma peLüe l'rsel've. Combien
dans ma position n' n pos:5èdenL pas aulant, !
Elle souriait d'un faible sourire qui, pOUL' témoignel'
de sa vaillance, triomphail de sa trislesse .
- Vous n'o.v z b soin de rien, cn (Tet, remarqua,
pratique, Mmo igebl'rt. Et m5me votre deuil fini,
on ne fait guèl'e ici de toileLle.
rais, ma cousine, bien avant la fin de mon d()L1il
so.ns doute, je vous aurai quittee.
- Pnr exemple! ...
elle e. clamation avail am Ill; dcs larmes aux yeux
de l ,ouiso. Puis, !ln d~licaes
l:!'alal'manl ùe co quo
peul-pll'n srA p T'enls pussrlll pl'ondre ombrage du
d('Hil' dl' sc HousLl'uil'C' Ù leur bospitaliL', touto rougiswlIlli' cL 'o11f\lsO è mmo si 0110 sc fOt nccus60 d'unr
n1uuvni.e rcns{'c, cil!' nvuiL d6clal'é Hon intention de
f'llcrch l' un rmploi c1nns un familll. nI,) nouveau,
l' "collenl \ f Jnmo Jl'()tC~L\
aveC v Ih6ml'ncl' :
- 1uis CI' n'osL pm; si leuiblo, avait l'I'pris Louis.
Apros Ille nOliS avons porùu IOn
. pauvro maman , n
voulunt pUll mo m ltl'C en penSIOn, mon porI' m'avniL
donné uno iI1BLiLutricC', puis, jusqu'a cs tont dornicl'~
tr'mps, j'nj u une IUlI1c do ompngllio. ElIcA n'onL
f'JS ÙII tout ('1(' mulhel)l' usrs, jo vous UBSlU'C.
- .Je YOUS 'roi3, fi'"tait im]létneu~C(
l'r\cri('c
�VEUY AGE BLA!'!C
43
Ludivine ... Elles se trouvaient a UPI'''S de vous. Mais
,,:ous, qui sait aup:'ès dv qui vous \ ous tl'ouvenez?
SUI' quoi, se mouchant avec force, le noLnirJ av it
clos un entretien qui le troublait.
- Bon, bon, ma chère petite, vous avez tout, I l'
~emp8
de songer à cela. On en reparlera. POUl' l'f PUl' ,
11 s'agit de vous remettre, de rc'lIéchil', sans vou~
presser ... Il peul arriver tant do cho.,03 ...
En prôsence de Lou te difficullé il 'laiL pour le.
moyons dilatoiros. Mai::; LOlÙ 30 nr professaiL p s son
optimiste simpli flcatcUl'. La fore de son {pJ'.n h'lll
sonslui tenuntlieu d'cxpérience, pllo n" schel'~niLro
l
do mots. Elle n" voyaiL pas la vic dans le mi:'oir mr.nÂ1H'or'o,
teur du l'oman tf'l qtW le concevaiL s< COI~ine
lc roman niai!:iemenl facilo où toul, E\'afl'ungr VCI" ln
troil'l-r.enLiùrn page. Non que ln vivace jeunr>ose,
malgn; tout, nI' chanLât en rlle la chanson d' espoir.
Mais Ra confiancr n'rtniL pa'! faite d'iI11l sions . I~l
pCllsniL seulemenL qu'à brebis Londur Dieu mf'Sure le
venlo
En attendant, ('Ile so reprenaiL.
Lo 1I1He , ce maLin-là, s'ét,aiL atLardée il sa promenade.
9uand l'angélus dr midi, sonnnnLà la vieille (lhba~i',
1avertit qu'il ('laiL Lemps de renLrer, elle se trouvaiL
au drhollché du peLiL ·h min des bouleaux. Demeudo
l'an t, indécise, à calcul l' si elle aill'ait plus cour~
pl' ndl' pUI' la rouLe ou de reLourner sur ses pns 10
long du boiH, I)on aLtention fut o.LLirér pur les oboie~enL'
c!fl l'orthos. Elle le viL Cl IIi déLalait dans ln
dlre?lioll d'un peLit nuage de poussière d'où omE'rgeaiL
lIll LlnL nenL dn greloL.
PorLhos 1 Porthos! cria Louise, craignant un accidrnt...
l, EL ,:i~emnt
olle s'avança Bill' lu l'ouLe, Hi bien que
a colhslon sc lB'oduisit quelques pas d'ollr.
�44
VEUVAGE BLANC
- A bas, mon vieux, à bas 1. •• Mais finis donc,
idiot ... Tu vas me faire casser la tête .
Le Lon de la jeune voix vibrante n'était que d'un
reproche mitigé. Aussi le chien n'en tenait-il aucun
compte, bondissant joyeusement autour du cycliste,
qui prestement miL pied à terre et se trouva en face
rie la frêle silhouette noire anêtée au bord du rossé.
Par un geste de machinale poliLesse il souleva sa casqueLLe et, apl'ès une brève hésitation, il s'avança vers
la jeune fille:
- La cousine Louise, j'imagine? ., . Dois-je me présenter?
- Inulil l' , cru.' alors VOllS êles mon cousin Claude.
Gentiment elle lui Lendit la J1win, cependant que
légèrement embal'l'assés ue ne sa voir que sc dire, ils
sc regardaienL n souriant,
- Est-ce pOUl' m'avoit' vue voilà si longlemps que
VOliS m'avez reconnue? demanda-l-clle enlin,
Sans le rnanr\l!o dr l'orlhoi , sali :.! e grand deuil
aussi, j'aUl' is hl'gité 08bUl'énwJlL,
- C'esL fluO nOlis ayollS un peu chang(·'.
!\Ioi smtollt ... du moins je l'C;;pl'I'(', ca" 1 ,"ouvcuil' Ill \) rr:Hlnil d'une charmante: pütito ('ollsiur., lOllL
il faiL ~ ;l'ipusc el tr(;s jolie u(jiL, qui m'inlirniduit.
beaucoup, Londis que j'I"lais un afll'rll.· collégirn.
- ,'\lnis pus du loul. J(' me l'apPl'lai:; au contl'ilil'O
llll gI'und cousin tri's gentil, (illi g'da it 1eoll<:0llp
OCCllP<' dc lJloi.
- Eh hienl mn. cOI!siIlC, VOliS me pc l'fllcLlrcz CI1l'IH'(!
fiino!l ogl'l'aLll', u\llanl qu'il sera
de me 1'('IHI,'p yli(~,
en mon pOIlVOIl'.
Tûl
.~ k vi'tLr 's ~()1.
inl1nimelll bOlls p01l1' mui
(il, je Il'atLcnc!!l pus moillH ur vou s, mon cousin .
Un Ht: 'r nl dl' (risLessc nvaÎL lf\gc"rcIllcnL alLé!'!', sa
voix ('l, de J'( ·nlcndl'r., llnr. gl'avil(; possa dUlJS la physionomÎu du jeune homme, Lui, appuyé tHll'le guidull
�VEUYAGE B!.A!iOC
de . sa machine, elle tapotant doucement ]0. tête du
rh1On, un instant encore ils demeurèrent sans parler.
- Vous rentriez? fit enfin Claude ... Prenons donc
frais.
pur le pré: il fe:'a rlu~
Cheminant cnte h ctlL" dfllli:l !'()(,('oit. senlier, il::!
devisaienL mainLcJlant avec celle ai 'unce que ùonne la
franchise dll caracl,ère . Jls avaienL en commun les
souvenirs rle la journée unique passée ùouze ans
plus tôt par Louise Fresnaye chez les cousins Sigeberl,
et uno intimité naissaiL entre eux de ces puérilités l'emémol'éos.
- Je vous ai baln~e
sur l'escarpolette, disaü-il,
CL, pOur vous taquiner un peu, jo VOUH lamais Ll'l-l'
haut. Mais vous (,tiez brave.
- Jo mourais do peur, au ronLI'ui1'e. Seulement jo
nI' youlais pas l'avouer.
- EL lu tortue ZI)phyrine, VO'IK vous en sOllvenoz?
Elle no m'élnlL pas trè.:l Aylll po tltiqllo.
, -:- Co sonL des animaux qui gagnent à être conm:H.
]"t llf! ont leur jugeoLLe. Ello avait clé oubliée, figurez-vous, dans 10 Journcuu de la buanderie . Quand on
U o.,llurné pOUl' lu lessive, une fâchcuse odeu!' de
gralsso fondu Il 1',\vM' sa pré(;cnce. n l'a retil'éc fl
demi grilléc eL plon",',p dan~
un Il au d'eau, d'où elle
:SL SO,l'lie pal'fuirm~nL
gaillul'Je. Toutefois, uno mai·
Hon 0\1 un osl rxposé h do lrll :.; mo lenconLl'es ayant
r:f?SS(', ùe llii llinil' lin lH'(lu jour l'lIr a dil'paru . .Te
l'
.
,
nVUIf{ rcmpIftc("f' pUJ' lIU hrl'isson.
-. ":OUA (limr7. LoujoUl'S Ir!; hi'l. 9, Ù ce (1'1
diL
~:,ldJvne.
SculemenL au.io~I'Jhl
~:o sont,los chlonA ct
H chevaux. loi UU3Ri d'UIlJcUI'R, JC les OIme.
il, C,f'la p"OllV<', m
ol1fli,nr, qu~
n?us sommes cl
J (.I'~
IImeH, Ne rie7. ra!'; ... Ceux qUI filment l"s hi'LeA,
e, h('LeH }eH aimenL ... Voy 7. Porthos ...
. C' 'HI pourquoi \-OUR les pl'dércz aU,- hOlDlDcs ...
lOUlOUl'H 8010n "oLre SO'UI'.
n:o
�46
VEUVAGE BLANC
- Oh! la peste ... Elle m'aura dépeint comme une
manière de Pcau-Rouge ...
- Un peu. Mais jo vois que vous êtes quand même
assez civilisé.
- Grand merci, ma cousinr>. Pour tout vous dire,
la civilisation de Bruyèrcs-et-Montb érault ne m'auire
que faiblemcnt. Vous y êtes depuis un mois et n'y
connaissez que les igeberl, lesquels sont d'assez
bl' vcs gens . Attendez un peu ... Quand vous aUl'ez
pressé la citron ...
Le soupil' de Louise n'échappa point ft celui qui
marchait tout ontl'c Ile dan!! le chemin très l'étréc i
en ore à cette place. Et sous la Illlnièl'e atténuée de
ce clair sous-bois, il s fai sai ent un aimable coupla. Lui,
cl taille plutôt petite, mais lobwlte on sa souplesse
juvé nile,1 t eint hâlé un peu, l'œ il brun, vif eLhardi,
flOUS la fin mOll Htac!J o 1l 0il'e lin beau souriro de
lo yauté. Ell e, lm jolicsse bIollde cn cOllLl'asto att nuri.;sant av ec l'auslér'i té des vGtemen ta ù ùeuil, sa
li ' licate pûleur Qnim
l~1
par la mal'ch et]o gr'a nd air
qui avai ent mi f! aussi dans les y , ll . do perv '/lehe unf'
Ilnmmo 11)11 ' (l.
hl Jiavo!o 1 s"cl'in Claude tout U' UII coup, L
mon ami quC' j'ai oublil' ... Oui, LIll amnraùe qu e
j'.lm
l~ l1 e .
~ 'c l l tout!' un'" hi Rloil'e. Il avait a/l'aire ù ln
posLe do I ,GOll ct !laL gl'Împ(' PI1 villf', lundi- quI' j('
pl' nni " IPH cl vanl!; [lOlll' OOlIOII C('l' li mu ml\rc la YCIlUC'
df' drux all'a ml'H .
Ji ll (lI '(,H~I
I ' nl le pCl R. Ini ii , POU
sS ( ~ ' il ln JOuin lu
bic)" 11'1I (' n'allai LgUI\ J'O vi LC, o'e1.('('I'oohall Laux h e d')p ,~ ,
\IIIX mil 't'K . Lu pllSS 1'1'110 clIIin fuL f"ullohie. Pal' uo!ù
II jJl a n(' ' ( '~ 11(1 pois eL dl' Naluc/e, jlll ap . l'(' Ur' nL tlll
Illin fil'"" Si 'Lel'L dont 1(, y ' ll. pOI'I;ullLs dé>couvril' nt
II': d l' II \ j"lIlH'., gc ns qui hcminuipliL Ù Lrav l'S J pl ' ~.
cIo, i. l 'Ia in -l-elI I1 , CI Ilvia ' ... \ oil ù 1. Clauu, ' ,
J\l t· ll t·z
,l ,' il ll CI JlI\' l' l'l.
�VEUVAGE BLANC
47
CO,mme elle venait au deyanL d'eux, le dome,;ticrue,
au, ~leu
d'obéit' ù son injonction, sc dirigea vers la
CUIsIne, estimant d'urgence plus imédat~
l'avis
d'avoit' à forcer l'omelette, A peine Mmo Sigebert avaitelle embrassé son fils qu'également elle y song"a,
- Fédonl, !. .. F étlora!. ..
Mais une méprise du jardinior sollicitant son
attention:
. - Que faites· vous donc, Arisl ide? .. Je vous ai <.lit:
a gauche les bégonias et les géraniums à droite, où il y
a davantage (10 soleil.
Louis s'ôtait esquivée, discrèto, laissanL la mère
t le lils t l'urs épanohements.
- Tu HS déjà {'Il nom) connaissnncc. ù co qu P jr vois,
avec la polilo cousine . Pauvre l'nfantl comml' o'est
J:nalh('ul'pux tout coIn ... Elle osL si intOI'!'!sfiente, si cout'ugrus .... Tiposl qui donc viont là-baû
Pur 10 passage qui , du côté du puil,S, ,meL 10 jardin
n comm unicatioTl avec ln cour, Mmo Slgebort avait
Opel'~1
un gl'ancl garçoll hlond, cn knickorhock('rs cL
VUI'PIISO dn f'yelisLp, ([IIi, mllintf'nunt sa mnnhino,
chorrhoÎt do ~ ; yrllx quoIqu'un pour l'introduire. Vigou-
rOU601l'\ ut, Clnllr!c Jn ht'la.
_' fllocnnn, .il! VOU!! pnlsonte nalldolph CUl'ti<!, l'lui a
f'IlL lnlltlo rhomin rll! Cnnada à ln f(,l'lllr, dllllllle but
df' nOlldllClwll'l'dcs htlliol',;" . Célrbl'iLémondia Ir, comme
~OIlB
veyr'!.,
hirn f1n\.tPUB POUl' 101:1 Champr.noi;;.
dovrnuli dn grand ami, cL j'ni pl'i:,
1" I;bl'rl,é (10 ons l'amollot', d'nut.anL que nOlis aUJ'ons
il VOUf! elll.l'p!I'lIir' VOliS pl pnpn, d'lIllO poLiLo affaire.
'0 l,HI liOll1ll1l,
Soyo"- 10 bip~lvon,
monsiolll'. l\lois mon onfanl,
110 m'avoir' plHI l'nvoyr une fi "pêchr. r .J'aueu;'
hlll moltr'fl 1111 dindon en brocho. Que c'est dono mul-
f;'ôl\n~it
P~Ut'loi
houml!,' ".
\vBnL fjllfl
1'("tI'HllrtOl' l'lîL pH placer Ilnr parole, clle
V01'8 1 cuisille Lunùis que, gl'llvisliunt la
�48
VEUVAGl: BLANC
. perron, son fils, très rassUl'é) car il connaissait la plantUl'euse cbère de la maison paternelle, lui criait:
- Nous montons dans ma chambre pour nous épousseter.
Et cela jeta Mme Sigebert dans une nouvelle surexcitation.
- Justemenl on vient de la passer à l'encaustique
eL je crains que ce ne soit pas sec ... Que c'est donc
malheureux ... Laisse la fenêtre ouverte au moins, car
vous prendrien mal à la tête .
. La présence des deux jeunes hommes donna beaucoup d'animation au repas un peu retardé, que la calme
activité de Fédora appuyant celle, exubérante, de sa
maîtresse, avait corsé Buffisament pour ce surcroit de
convives bien endentés.
Très ému d'abord par la pensée de recevoir un
Anglai~
à sa table, lafamilles 'étaitl'ussérénée enconsLatant qu'il parlait cou.rammont le français. Ce fuL pOllr
10 notaire l'occasion de placer Ba petite conférence
SUL' l'odgine du Canaua, cnlto Nouvelle-b'ance où, dès
Françoil:l 1er , avait éLé al'bor' 10 drapeau blanc, COI:l
« quelques arp oLs de neige », abandonnés po.,'l'impertillentc Iutilil' do 10. monarchie en décadence. Comme
toutefois l'érudition donL il BO piquait ne dOduignajt
nulle occasion de s'inslruire, l jeune étranger fuL mil!
Ù l'UrIe éprPllvc par d'ahondnnlos quosLions.
Ainsi apprit-oIl que son pèro possédailll uelr{up parL
cnLro los Incs Maniloba pL Winnipeg, d~a
pûturag(l~
fj' tondunL Hut' un nombre d'acros don~
l'énoncé manqua jetor en npoplr.xio l'officiel' ministériel. Comme
Mme Sigehert soupiraiL quo c'esL bien loin:
-
J'lon, rectifia Hundolph
~IClif
lulis: cIu lIuvl'C
li QuébcI', ncufJolU'B denavigo liofl,donLll'oisBul'lc Suin LLaurl'nt. Puil:! quelques qunl'Onle heure:! de Lransconti-
Hcnlnl,
rlO\i~'
('C
ruban d'acie)' rIIIi,
'l'nll; lieues,
J'
"0 lisr: ,
SIll' IlIt!'
!ongut'1Il' do
npl'b; talllôt Illlull'c si \clo~,
�VEUVAGE BLANC
40
le rêve de Jacques Cartier cherchant vers l'ouest la
route de la Chine. Ensuite, à cheval ou en chal' à bœufs
un peu plus que la distance de Laon à Paris, et on est
rendu. Une promenade.
Beau pays? Certes. Et le patriotisme coloni;.d,
plus ardent encore que celui de la métropole britannique, fit luire une flamme bleue aux gl'ûnds yC '..lX
couleur ciel d'hiver du Canadien- Des eaux magnifiques.
La prairie aux horizons infinis où, pendant des milles
e~ des milles, on galope sans rencontl'Cl' trace d'humanLté. Parmi les herbes hautes comme ça, des Ll'OUpeaux
Lie dix, de vingt mille têLes, à l'état quasiment sauvage. EL les for6ts aux futaies gigaJJtesques. EL la
chasse au terri bIc ours grizzly dans les MonLagne:3
Hocheuses ... Dans ceL ÉLat, quinze Iois vaste commH
la France et huit fois moins peuplé, on trouve dc:;
Solitudes inexplorucs encore. Précisément arrivait-il
d'uno excursion vers l'ALhabasca 01. au grand lac de
l'Esclave. Très amusant. Pas aussi exciling néanmoins
quo de cherchel' los bêles à fourrures danô les réglons
glacéos du LabradOl' ... Les poLits youx d'Auroro s'écarquillèl'ont, car ainsi prcnait uno réulit·\ vivante son
collot do vison .
. Do touLos C08 choses, Randolph Curtis parlait avec la
!>ImpliciL6 positive et tranquillo de l'Anglais qui dédaigno Louto amplilicaLion, 10 fuit il ses)'oux v~lant
uniquement pal' lioi-même, ot POUl' qUI co serait aute de
mauvais goût que fairo élat des privations endurées,
<los périls COUl'US.
Lu JmLDr .f ulie était passablement émoustiU' 0 par
10. présence d'un jeune célibo.tuil'p c!'(l118Si bonne mine
ct ?'appliqllo.it rn son hOllll Ul' Ù ses pinK Ilol'penlines
I1ltlLuùcs, chrl'chunL ù monopolillcr son attention.
1'1'\s h 'nu gars vraiment, c J anclolph CUl'Lis, dans
la purott:' cl LI Lypr anglo-saxon plus en muscles qU'OIl
cervelle, ICt! épaules d'athlète emmanchées d'un cou
4·
�50
VEUVAGE BLA C
de gladiat.eur faisant con~rasle
avec le clail' teint de
fille du masque aux tmits fins, un peu aigus, strictement rasé,:aux cheveux soyeux couleur de blé mûr, bas
plantés SUI' le front étroit. Mais 13 physionomie se virilisait par la coupe puissanle de la mâchoire, meublée
de dents de loup entre les lèvres fraîches. Eniln, s'allianL
à cet aspect de vigueur, d'endurance, d'énergie latente
du jeune animal bien en forme, quelque hose de celLe
ingénuit; prêtée aux héros irnpa vides de la mythologie
gel'manique.
Ll1divinc, ellc, n'avail d'yeux que pOUl' son fl'èr " de
qui aussi élait-elle no toÎl'ement la fa vOI'ÎLe. Cesentimcnl
d'ordinaire so lraduisait en taquinel'ÎC1s réciproques
dans lef\quelles il n'avail pus SOU vont le dessus, 'Mais
l'Il '0 mOlllent Claude no s'occupaü point de sa fj(J'111',
absorbé qu'il I\lail pal' les desol'iptions d]cos l' cils do
son amal'ad!', Pl les J'échauITunL d 'ommcnt9,il'cs
nthousiastos. 1.,0 joune {'ll'nI1O' l' avaiL l'évolulionn;
o pHisiblo inL l'ioul'. J',l quand n fllL passé nu ,iuI'din
pour pl'!'lIdl'!' ln l;nfl'" 'Imo <':igobrl't miL lino cOl'dialill!
Loute pnl'ticlllièl'e il II' pJ'i('l' d'y drmour l' pendant le
l'ongr qUI) lll'l'lluit son fil!!.
C' sI, 11'1'8 '\imaul!' do \'OIlA, l'I'polHIlL Hand Iph
Cul'lis, dn !Jui 1 fI'flIlCO-CI\JllHilPll purfois s'émnillniL
ri 'Hl1glir'.iBIIH'h,
Elin f,'llol111n
un \Oi,'nCIll')ltl'" l'Omlllf' allanL dr hui
unt' ill it.alion ([IIi, srlon IrH IIll d )n vipill polil H. n
hourgr.oiRr, Hurait du pruvor).llllf Ull ('omhat pItu; 011
moint! prolongr, quoiquc d'iHHllC Ol'I'laine. :\lmoSigebe''L
ignor il quo l'hospiLullL(' Jll'ovineinli' IJst pl'U dn eho.iO
aUr"I\S 01' cello des pnYR ri' ull'f'mc,',
lit ,Iaud , qll ,
- JI' 1Ji' VOliS en 'h ro..i pas, ,Jnm!~
prP\oy ... nt YOd b nnes l?L(,1O~
JI' l'avois f'Jl;r gé il
mrLLrcs valisn BU ch ffilll do f "ov 01 miennl'.l)'irio
soir 011 troll vrl'H birn Il ne oorn6ion pOil l'l cs fa il'(, PI'(1T1dl'r.
Mail; cil ' no l' ntoudail plu '. lJ 'p\ Ile ,IV lÎL npprlf
�VEUVAGE BLANC
51
les dome!!tiques qui, attablé s, demeur aient sourds à
son intemp estive réquisi tion. Sans les attendr e d'ailleurs, elle monta afin de vaquer elle-mê me aux soins
prélimi naires de l'instal lation de son hôte dans la
petite chambr e bleue.
Le momen t était venu pour Julie de prendr e sa.
revanch e.
- Nousnv ons ici, dit·elle , un petit teIU1is -club- elle
pronon çait avec un accent britann ique à l'excès - dont
c'est tout à l'heure précisé ment jour de réunion . Si
Vous vouliez , monsie ur, nous faire le plaisir de vous
mesurel' avec nous ... en nous rendan t des points, Lien
entend u,carno usne somme s pas detrès fines raquett es ...
Vainem ent Claude fit-il de gros yeux à son ami.
Celui-ci accopta de particip er à cet anodin diverti sScment avec autant d'entra in que s'il Be fût agi d'une
partie do chasse au bison. Ludivin o étail réfracta il'c
au tennis, peu faiL, disait-e lle, pour mettre en valeul'
HOn genre do beauté. Quant il Claude , son éloignement.
pOur les mondan itétl locales l'avait toujour s retenu
d'aller, m 'lme en spectat eur, jusque sur le terr'ain, NI!anmoins PI'oposa-t-il à Louis!' la promen ade et, pOUl' la
de ln ramille,
promior'e fois depuis qu'ello faisait parli~
.
rotl':ute
sa
do
l'orpho line eonson tit il sortir
ux le
bandeu
noirs
Res
SUI'
it
épingla
Tandis quo Julie
puillasson canotie r avoc lcquoll a chemis ette en oxford
Ù ln mOI'inij\('o, la ceinLurcdo do.im aLla
!)Ien, 13, CI'(lvaL~
JU pe rourLe do piqlll" blanc constit uaient un costum e
lout il foil sport» disait-l'lIo, d'un ton acidulé , elle
' l'omm'que :
r·1. ;/' sa 1\(J.' UI' ainée cotto
Los VOi';'t ins6par ables. Pour s'etre vus une foiR
quand ils étaient gosses, on dirait qu'ils ont gardé lo:!
vache:! ensemb le.
- L'{lLernplle chanso n de la joulloss ,profél' u AurOI'l'
j'OUp
Hvoe !lOIl A0urÏJ'C' sup{orÎour.,. Pf'ut-êt re est·(;(> le
!Ir> foudl P.
(1
�vv.ry\r.r. nLA 'G
- Tu plaisantes ... Claude serait vraiment inflammable 1 D'autant qu'elle est bien gentille, la pauvre
petite, mais tellement insignifiante!. .. On croirait
plutôt qu'elle arrive de Pontoise quo de Paris. Et
en outre, dans sa position, cc seraÜ mal do lui donner
des espérances irréalisables.
- Le cœur, ma chère, a des raisons que la raison
ne connaît pas.
Le bel esprit de Bruyères se plaît à citer ses auteurs,
sans commettre la faute de goû.t de les nommer. Et
comme ils sont pour la plupart peu connus dans son
entourage, ainsi lui fait-on volontiers crédit de pensées
remarquables. Julie, toutefois, jugea celle-ci fort saugrenue eL, haussant ses épaules anguleuses:
- A V(le ta manie d'écrire, ma pauvre Aurore, tu
vois du roman purlout.
dIAPITHE VI
- Hello 1 Jlllie ... vous êtes en retard, ma ch,\re.
Ti1ms, pt VOUA voila, 'laude ... Comment va?
Par cette lw\lynnto et cnvali ra far'on d'intol'poller
ll's gens, les demoiselles Pépin pensaient affimrI' le
gr'n,'o amt"l'jcaiu, on qu'elles jugeaient tel, on étant
f(,/'u S ;\1.1 point d'avoir modifié en Nelly ct Daisy 1 Ill'S
noms vulgairement rrunçuis IIél no ut Mal'gucritc. TI' s
modol'1les, ceB deux jeuncs p l'son nos, Jilles d'un riclt
cL nutres tissus
fnbricunL do !lergo, escot, anncoflt
dt' lainr l'use le Soissons, pl'opl'iéLair du petiL châtcau
dl' org H 011, dès les promiers beau, jours, eUes
venaient s'installer sous 10 chupC'l'onnago conventionnel - 1 ur pèro était vouf - d'uno vieillo purent'
pallYrIl.
ussi ne Inis8aienL- Iles pas dl' fuirc allx pl'P.
�VEt1VAGE BLAl'fC
53
tention s de Julie Sigebe rt une sérieuse concur rence.
Celle-ci néanmoins s'était mise avec elles sur un pied
de grande intimit é, affecta nt de les tenir pour les
seules relations du voisinage dignes de SQ propre
sUpériorité d'élégance.
Elle avait aussi d'autre s motifs, chucho taient les
du pays, ou plutôt un seul, lequel pourra it
l~gu"es
bIen être l'existe nce d'un frère associé au tissage
venant chaque semaine avec son père, du samedi au
lundi. Précisé ment se trouvai t-il là. Gros garçon roux
et joufflu, le front bas, des yeux de rumina nt couleur
bleu de faïence japonai se, la physionomie têtue (et
sournoise, ce jeune coquebin, assez empêtr é auprès
dos femmes, n'était pas des plus séduisa nt, mais pOUl'
la médioc rement pourvu e beauté de Bruyèr es, il eût
constitué un beau coup do filet.
D'auta nt sc trouvai ent diminuées les faiLles chances
du second clerc de l'étude , blondin rOBe et poupin ,
subjugué par les ténébre ux attraits de la fille du patron,
mais qu'une humble naissance et l'impos sibilité d'acheter jamais ]a charge vouaie nt à l'emploi do ver de
Comme il tiieù toutefois
terre amOUl'eux d'unr (~toilc,
Julie daigna i t accorde r
char',
àson
co:'urs
drs
er
d' enchain
ù M. Achille quelques mrnus suffrages, rût-ce uniqueluent daus le but de piquer' au jeu le receveu r de
l'enrogitlLroment, 1\1. CosLerollsBc, Tou]ousain au verbc
aonore, dont Mue Sigebert cadpLte au besoin se Iùt
aceomodél' ('ur il ayait,ù l'en croir'o, quelquo bien chez
lui.
dll dub (·taienL de moilldl'c
Le3 ouLI'p!> nl 'mbl(,~
importance, Lu fi Il Il d li juge d(! paix aPJJaJ'tcnaiL ù eo
type, quolifi é l'n idiomo Jocul dl' (( petite ingl'atitudc »,
pas, Ù l't\gal de Ludivi nr, en !>l'rlldl'e
Et ne ~'uc hanL
d,o bonno humeu r son parti, c111' puisait dans la consCloneo de su diBgrâco lIur gaucher'ie qui faisait d'elle
la tC!'reur de !Je:l jlurLenuil'ct!. Puis ln }ll'Ogéniture du
�54
V];UVAGE BLA,C
maire, très gros marchand .de grains, de souche
paysanne, dont les héritiers, décrassés par l'éducation
reçue dans les institutions religieuses Jes mieux fréquentées du département, répondaient respectivemenL aux noms indigènes de Laure, Lauris et Laurisson, Celle-là, compagne de couvent de Julie. Des deux
fils, le plus jeune, se reposant avant, le service miliLaire des fatigues d'un baccalauréatpéniblementdécroobé, était un long jouvenceau quasiment albinos,
dont, chaque fois qu'une personne de l'autre sexe
lui adressait la parole, les joues, vlcl'ges de tout
poil s'empourpl'aient au poinL de donnel' il croire
qu'il allait péril' par asphyxie. L'aîné, gl'and gars
faraud et uvanLageux, maniel'e do coqdo vil1ag ,chasseur, buveur, employait le m .iIleur do son temps en
pal'Li ;l de billard au caf, ùu Coq d'Or.
LaU/'is Lehupier n'ayant ail un goût pOUl' la bonne
'ompngnie, on ne J'avait point vu sans (;tonnem nI,
,e laisser mûl r d ns :le 'Iub 10 tonnis. La J'umeur
publique allribuait ce hangrmenL d'humeur ft lu vive
Impl'cssion qu'ulll'nit. pl'oduitc SUI' lui la IUI'bulenc
gal'ronniùl'e do lu p litr Oniay P\pin. l~L Ol! supput.oiL
el' CJ II , 10 cas ehéunL) pourraiL don C1CI' lu LOlaliBalion
Ilo ct ux forLullcs bion fnilcs pour s'allior.
Ollolle cnt,!' Lriomphale au milieu do (:0 m{'diocr'
eonlingr.l1t mllf!llldin fait nujolll'd'hui Julie Sigehot'l
l'omol'quunt un Hi houu l', vnlier, ([I,'nll1'('olo encor IlU
nalional iLt"! ...
- C'l'sl l('\lt'lTloIlL ditlling\l6 (l'llLr'e "lIgai~'
'\ eouLllmo rio dil'o lIne ehûl luilH' dll \oisillugl', clienlo de
\1 0 ,Sigl,h 'ri, la vi il10 h l'OIln,P LI' 1l0uRHol, d(mL
1 b Il'' pl, 08f:lIl'(' t·on, fol Ire .I o unrHf!n s'esL ('coulée
;\ rUI iH, HII Lemps dl' LOlli; Philippe, 011 flOU,' J'Ii ail ,pic' El dll duc cl'Odé. ml s'in[.l'o,Jlli[,it rH Fmnco 10 hri-
lnnnisml'.
EL 'luud Sig bOI'l 'n 'orc, qllello uubain ! Ca!',
�VEUVAGE BLANC
55
pres tige d'ex osti sme
?utl 'e sa bell e min e, à défa ut du
pou r la peti te coteri~
Il poss ède celu i de son déd ain
verr e d',,'1u tan t de
un
s
où fini ssen t en tem pête dan
usie s, de coq uett ejalo
de
,
lités
p.rét enti ons , de riva
féroces.
rieS naïv es eL cep end ant
nt faite s, et les vigo ureu x
fure
s
tion
enta
prés
Les
c les dem oise lles Pép in, le
ave
s
sha ke-h and s écha ngé
l, pou vaie nt met tre le
?ou de levé à la hau teul ' de l'œi
u côté de l'At lant ique
nLa
Jeune Can adie n en dou te qua
ies s'or gan isèr ent.
part
les
s
Pui
.
sur lequ el il se trou vait
tous joua ient fort
JI ne tard a poin t li s'ap erce voir que ami , ave c qui il
son
x
yeu
mal . Bie ntôt il che rcha des
pro men ade en fum ant
eût mie ux aim é fair e un tour de
pas cru dev oir se persa pipe de cha sseu r qu'i l n'avaiL
es au sort ir de tabl e.
met tl'e d'al lum er dev ant les dam
là.
Mais Cla ude n'ét ait plus
aprè s un mom ent,
- Cela VOUf! inté ress e, ava it,
les rega l'de r saut iller
ùem and é il Lou ise son cou sin, de
toit ?
un
sur
uinsi ù J'in star de moi nea ux
le tenn is m'e st
que
ir
ven
con
- Oh 1 non . Dois-je
, j'en suis dem euré e
fout li fait étra nge r? En fait de jeux
enfa nce .
au volanL eL aux grâc es de mon
par t, je pl'ùfère une
ma
r
- A la bon ne heu re. Pou
qua tre coin s ou de
de
u,
fond
val
ho nne part io de cho
c'es t gai, c'es t sam;
halle en pOlltUl'C. C'es t fran~:iB,
sine , dc les semel'
cou
s,
prét enti ons ... Que pen scz- vou
?
long
et de l'cnLl'CI' pUI' le pl us
Ain si ava ient -ils disp aru.
rcp rit Cla udc , j'aim e bien mes
--- Voye~-vls,
ôt calm e, sau f notr e
paro nts ... Mes SOJU!'S, c'es t plut
èrc com me il con vien t
bonne peti tc Lud ivin e ... Jc vén
vivr e ici, je m'e nmon cloc her ... !\lais pluLôL quo do
Je m'e n trou vo
t.
ulan
gagor'nif! dans un cil'que amb
vou s vou s y
que
cc
Est.
près
môme hf>allCOUp trop
adro ssl' ... J'on amusoz, vou s ?.. , Pal'donnl'z ma malr ù des dive l'tis cœu
tl'nda bieu que VOli S n'avez pas le
�VEUVAGE BLANC
~emnts.
Il faut pl'endre le mot dans son acception
artisLi(J.ue: trouver aux choses du caractère, de l'intérêt...
- J'ai trouvé ici de l'aITccL:on, .. C'cst tout cc dont
j'ai besoin.
La voix de Louise, musicale, un peu voilée, avait
un charme très prenant. Dans la gravité douce de
l'accent, Claude crut senLÎr un roproche et il rougit.
- Pal'don encore ... Je ne songe pns assez au grand
cl1ugl'in qui vous remplit le cœur. Certes, cc n'est pns
ù présent que Paris vous manque.
-Il ne me manquera jamais, car je ne suis nullement
Parisienne. Vous n'avez pas idée combien je prenais
peu cl part à ses plaisirs. Les pectacles? 1\ utant que
j'en puis juger, il n'en cst guèro qui conviennent à
une jeune fille. Le monde? J\Ion père trouvait ral'ement
le loisiz' de m'y ol1cluil'c, ,t cela no me privait pas
du touL. Quelqu s intimités assurômenL m'étaient,
agrrables, mais ola, j'imagine, RO pou 1, LI'OUVOI' partout. S'il fnut l'avoue!', d'ail1eu~,
je oc suis pas mondniuC', ni ml'mc tl'PR lianle.
ne :l(\'ag~
commc vOL l'C srl'vi teur ~
- L moL scrait bien gro 1. ••
- El puiB il no vous sirrnit vJ'nimcnL plU;.
Il lc'ni~
un pl'U prélcnLiPllx.
BonI. .. IInc pil'l'I'o ctallR mOIl jardin .
Mais lion, mon cou!lin. Un homrnn P('II t avoir df'H
0" 'upaLionll inLelligcntm! et fOl'Lo!! qui J'ploignent dr.
Jo vil' des slllonH. Tandis (I\H' llUtH! nutl'l'H, fJl1 If; mOLifs
alléguef pOlll' nou!! sousl"uil'o au,' oLlignLiolls social t's.
- (lur cos obI igalioIlH vou!:! mbl'tclIt, purLlou 1 El
d'aillours, où sonL-cli ~ refileR, jr. VOUK j1I'i~?
- VOUK avoz ('té soldai, mOIl ('ou in, pt bon soldat,
jf' le sois . ous Suy Z dOllc lr pl'ix d 1 disciplinc.
CI oyez-voliS quo sous lrs dmp OIiX Il ull'ment dl !luit
J1i CI' ni"l<'
'r.st dnns l'advr~iV
qll'on z'C'connlllL
�YEUY \.GE BLANC
57
?ombien il estsalulail'e de s'être, au temps du bonheur
Imposé une discipline morale.
'
La féminité si jeun!', !li délicaLe de Louise, cn même
Lemps que faisunL singulier conlrusln avec la gravité
~e
ces paroles, leur enlevait tout caractère dogmatlque. Craiernant néanmoins que leur rùt donnée une
telle interp~éLa
on, avec un faible sourire, elle reprit:
.~
Mais ne me faiLes pas dire que j'ai des goûts
Serieux. Je ne voudrais point paraître pédante.
- Vous y auriez de ]a peine, répartit Claude vivement. Non, je ne vous vois pas en concurrence avec
ma Poétique SO'UI' •.•
- . Me prêtez-vous la mauvaise pensée de l'aire
allUSIon à elle? Ce serait vous méprendre. Ma cousine
Aurore est lrès ... très littérail'c ...
~ Votre h 'ailation sUI'le tiua1ilicatif qui lui convient
la Juge mieux qu'un mot de raillerie. Pauvre Aurore,
fourguoi d'ailleurs la }Jlaguel'? Sml ïucubrations onL
e mériLe d'être inofTensives. Tout al! plus est-on Lenll
de subil' une foi~
ou deux l'Ode .'t Molinchart, mais
enfin On n' 'n meUlL pas.
LOuise ne put sc dérendl'e d'un légel' éclaL de ril'c.
C~tL'
c( Ode à Bi bl'ax )), don t Claude LravesLiss!\iL irr \v('reneieusC'mcnt le liLre, \tail le chcf-d'O'uvre de
Mllo Sigcbcl'l ainrc. l~L olle sc miL à déclamer ùouce-
menl:
Lo \'ieu x pays III1\rovingicll
Où 1'Ill111CjufJ Hibl"ll" dros~
S(1~
IOUl'S, h(lu~in',
Nirl d'niglr dominant. la pAlo al. vaste plain!',
Col 0 pl'O payR, c'ost le lIll 'no
Go lier pa.ys, {"/l' ur do 10. l"runer,
Clovi •..•
Où nnc(uH Rllinl Hl'fIlY 'lui hapti~o.
\laifl Clalldr s'pLait houché' lr~
OI'ril<,~.
- Oh 1 non, grûc<" gl'ûrr ... Il y rn a qunll'e-vingt-
�58
VEUVAGE BLANC
dix-neuf strophes dans ce goût autanL que de couplets
à la complainte de Fualdès.
1
- Je vous trouve sévère, mon cousin. N'a-t-on pas
le droit d'écrire de. vers sans que ce soit du Lamartine
ou du Victor Hugo?
- Le besoin ne s'en impose pa'.
- Ceux-là ne me semblent poinL si mal faits. Les
rimes sont Lrès riches.
- Oh 1si, elles le sonL ... Ne sommes-nous pas Iauréale
de l' cadémie Sparnassienne, oui, madamcr ... El cc
nom des indiO'ènes d'Épernay les prédispose évidemment au goflt de la poétique harmonieuse. Certes, elle.
sont miIJionnail'es, nos rimes: paLrie t eustrie, Chilpéric et Alaric ... celui- i subsLitué pour les besoins de
la prosodie à ttila, lequel assiégea noLre bonne ville
de Laon quelquo lemps avant Blücher. Il n'y manque
J'j n, sinon pourtant les haricots
L les artichauts qui
'onstitu nt notre plus pure gloire.
- Vous me fait,cs ril'e, mais c'est :l mon COI ' ~S
d ~rndat.
J ne raille pas ICI; hORes dont j' flol'f.US
incapable.
- .1' sp ' 1'0 bien qlle vOllsI'Nes do taquiner la musC',
TouLrfois dois-je l'endrr Ù ma SCl"ur ttC' justice qu' Ih'
ellt cnlé cn histoil'C'. r n' !:Il pascll quiLombero,itdans
l'ol'l'clI1' d la fcmm du SOUH pl'éCot nouveau yrnu li
, iRBonR. A II ct \botlé, cott éruùito dame s' sL nquisc
d'IITI m\ls'r municipalot'J rllovel'J'uitlc fameux VIl,Rt'".
ous bl' dez, mon cousin.
- Plll'ol' d'honneur. Et quand on lui a o.ppl'ifi qll<',
I.e 1 ceilli d M. Snlly-1 mdhommc, il fiL drpuifi long'
Lcmps hrisr" ('110 csi. dCmOl'(~
p \niblemcnL imprcH'
HiollJl6 d'lino Hi ('oupubl inrlll'ir.
n joli l'ir'o argenLin fwlU des l ;vrcs <.10 LOlJiso,
l't''volt ùr la jPllll 'S80 contl'r la don! lU'. 1ais 10 voile
cl CI'!!PO un i nslanL Houl(lyt'l l'clombn SIII' SOn ûm 1'1
Claud , l' Ar l'la 1(\ ll'iAtcHSf' l'CVI'1l11r dnllH lin ROl1pir'.
�VEUVAG;:; BL.\NC
59
Ils é.taient parvenus auprès de la vieille 'église aux
gargoUIlles réputées. Une forte commère qui sortait
d'une masure accolée à l'abside leur donna le bonjour.
h - Ça va, Orphise? lui demanda Claude. Et votre
omme, il fuit toujours ses farces?
- No m'en parlez pas, monsieur. Cc galvaudeux-là,
figurez-vous, était de noce samedi à Montbél'Ilult. II
est rentré saoûl comme la bourrique à Robespierre.
Au moment de sonner la première messo, j'ai eu beau
taper dessus, pas moyen de le révoillor. Alors, qu'estCc que j'ai fait? J'ai enfilé ses culottes ct je suis montée
~as
le clochel' où toute l sainte matinée, monsieur,
j al sonné que je Le sonne sonneras-tu. Il ne s'est remis
llU[' ses quines quo pour vêpres .
.- A la bonne heul'e, voilà une malLresso femme qui
fa}t honneur au sexo, J' spèro que pOUl' le l'olever du
poché de paresse, vOui:! lui avez flanqué une bonne
exc 1iournéo ... 11 fauL ous dir , cousioc, Il ue not~e
;~L
Bonnelll' Vil'gilr, quand il ('sL dans les vlgnos ~u
, el~n
lll', s'ollblio parfois à cognel' Rllr BU femmo. MalS
'Ipl' 's, co qu'pli so l'attrape .. , Et il Lend 10 dos, car'
un' fois clégl'jsé il n'y a pus plus doux que lui. Ils font
hon m'nago, n'est-cc pus, 0'1 hise?
f[uanl( môme trl~s
. - PUI'di 1 oc n' sL pas pour uno l'ÏhoLLc ptll'-ci pue1" qu'on va so ffli'hcI' nBomble.
, - Des 1.) I11'H, cs puy~n
. ; (( fl'D.IH;ais », l' marqua
~,I."lco
QUU!1<[ iL! Re fUI' nt rloignés. Il n'y a qll'rllx
IC[ fJ!li ni nt 'onRer'v!> de lu couleur. Nnguùr(', r[ullnd la
provincréLnitvl'uim 'ilL L l'oncièl'ernollt [l1'OVillCo,ignoj'Mt los singrl'ica parisionnes ot lOf! anglomunies do ces
p6cot'os, Hoi l dit HUIlS oITcllfwr Julio, p uL-L'Ll'!' notl'o hourgroisil) (;luiL-elle pllls inL \['Ol:lsanLo.
A rll jugel' d'npl'ùs ma hisuiOlllo Fl'c ~ JlIaye
...
La gl'und'Innlc Pulmyr
L sa hl BSU!' do
g,UCI'I'('? ... Ah 1oui, lIne vraie luronne, on pellL 10 diro ...
Entro temps elle a donné le jour à quatorze enfants.
�60
VEUVAGE BLANC
Puis, quand le dernier à été établi, toujours rose et
toujours souriante, un beau matin, elle fait ses paquets
pour l'unique voyage de sa vie. Une idée fixe qu'elle
nourrissait depuis un demi-siècle; voir Amsterdam.
Je l'ai connue, moi qui vous parle. J'étais tout petit et
elle m'avait considérablement impressionné avec sa
robe de soie puce, sa tabatière, et, sur son chef un
peu branlant, une espèce de mitre en satin bleu ouaté
coiITant une perruque blonde il frisotons. Vous riez? ..
Eh bien 1 elle était cocasse, mais pas du tout ridicule.
Une seule fois elle était allée à Paris, qui ne lui inspirait aucun intérêt, et elle sorefusait absolument à monter en chemin de fer. « Pourquoi aller si vite?)) disaitelle. « On n'est pas pressé ... la vie est longue ... JJ
Sous 10 souffie de cette verve jeune et franche,
Louise se sentait réchauITéo jusqu'au fonù de l'âme.
POUl' être demeurée élroitement attachéo à son
coin de terroir, dit-elle, mon ani ~re-wand'mô
mu
l!I'roble n'rn avoir pas 6tl' plus sotte. Peut-être Ruis-je
un petit csprit, je crois que jp m plairais à une de ces
l'xist nccs réglées t cliscrôLrs ...
Mais avant qu'ello cOL Jini ùe parlt'I', un passage de
ll'l tl tCBS' était vellu l'assombrir. /)alls quels inconllut;
au con lr'uil'cl'ullait j leI' le dCRlin? Ourla vents l'empol'lNaient cumul!' f(.tu pnl'If' ,asll' monde:'
NOlls padons cl'uutrerois, répliqua Claude. Ln
vieillI' hnml' qlli li donn(' J s hilLons de I!~Cl'(
dr
pomme Il SOli tt1'l'i(' ('(" pl'til,-nevr.u rpH' voici. t'Lait un
ulIl1chl'oni:lllp, uno ('pn\'c d'ligea unlt':Jiluvip lH!. Si dl'
AOIl tl'mlH; il y l'Il avait 1!t'l\lll'otl[l de rnplI1r. trempe,
ln pl'ovince pOll\llit C:ll'p habilnbll', Mail! II' moulr l'Il
"HL blist', . ]l'HU' LI'ouve)'lu l'oison de ('elu, jo III! (miK r(l~
tin pfiychologlll, oh 1 mail! pu du lout 1. ..
Nu bCl'ait-co pas un peu Ira 'hemi118 ci 'f r coUt;
!Jtil noir'c de lu grand'm(~
PalrnYl'e . Cjlll emporlcnt
le meilll ur d'un puys pL y upPoJ'lenL le moins bon tlt'5
�VEUVACE BLANC
Cl
autres? Pour croire cela, il est des esprits attardés.
- Possible. Mais alors je me demande où passe cet
?~
ne sait quoi de bon. Il n'est plus ici et il n'est pas
<\lUeurs. Volatilisé en-foute alors?
C'est BW' le même Lon de badinage qu'elle l'épondiL:
-:- PeuL-êLl'e en eITeL les voyagea lui sont-ils contral~s?
Ou bien - plus probablement - c'est mon
explIcation qui ne vaut rien.
- Mais si, mais si, cousine, je la Ll'ouve excellente.
~ la vérité je ne suis qu'un homme des bois, pas in leleCLuel pour un sol...
- Et moi qu'une petiLe femme Lout unie ...
- Vous me cl'oirez si vous voulez, cousine: je nous
trouvc Lrès bien comme nous sommes. TanL il y a, sans
n?US ombarrasser' davanlage de raliociner, que la pro"Ince présentement est un nid à vanité, ù prétentions
et à sottises. Lorsque par mésaventure je prends contac.t avec 10 TouL-Bruyères où vous venez d'être intr?duIte ... eL le TouL-Molinchart lui ressemble fort ... Je
me Sens devenir l'Iroquois sous les traits duquel
m'avait dépeinL ù vous ma mauvaise gale de petiLe
sœur. Vous venez, cousinc, VOLIS VOl'I'ez il l'usa~c.
- 11 Be p uL que vous ayez raison, mon COUSlll. Ce
q~e
SUI'Lout j'aimerais, il me semble, c'csL.la camp~gne.
Al dour de néophyte sans douLe ... Je SUIS en tl'alll de
lu d'CCOUVI'I!'
. cL elle m'enchanLe.
-:- Oien <le Jo. bonLé p01l1' la pau\ï'o ampagno <l'ici.
Mal~
Lout cst rclatif. Et fluand mûrne c'o!!L une analogie
dc goûts entre nOUA. SoulomcnL j'éLouITe autant" moi,
d?ns cos chnmpH LI' \s civilisés que dans une l'UO ùe
vlllo.1l tn fuucll'o.itdo vasLes cspaccll àJ' ntonr,hoauconp
tl:air pOUl' mo r mplir les poumons, lin ait' pur, li n
(ur neuf, qui n'uiL pas ét6 l'espil'(' pal' lanL d gens.
lV!o.rC?UIlL toujours, ils étaient ul'l'i.'Tt\S Ù la bUl'rièrc
Jal'cl!n. Comme Louise n poussait, pour l'enLrer,
a. porLe (CI'rnée au loqueL, Claud , d'un gesto dont
fU
�62
VEUVAGE BLANC
l'afTectueuse familiarité excluait toute apparence de
hardiesse, lui mit la main 's ur le bras.
- Pas encore, cousine, voulez-vous? Puisque le
hasard de l'entretien nous a fait parler de ces choses,
il me plairait que vous fussiez la première à être informée de certains projets ... Car vous me comprendrez,
j'en suis sÙr. Poussons jusqu'au petit bois. Nous n'y
serons pas dérangés ... Vous êtes la seule ici il avoiJ'
des gollts aussi bucoliques.
Quelques instants plus (.arù, assis tous deux sur la
mousse, elle dans une jolie attitude de pet'sonne qui
sai t . coutel', les mains cl'oisées SUI' un genou, la t te
légèrement inclinée, les yeux dans les yeux de celui qui
pal'laiL, lui ayant demandé la pormission d'allume l'
une cigarette, il ommPllra:
- Ce n'est pas, v us le pl'llSCZ bien, aux flns cl lui
rail'c visitel' notr estimabl hef-lieu, maJgl'u 10 jusle
renom de sa athédral , Ics méJ'iles do ROTt hôtol ùo
ville gothique ct de sa moyenûgouse chapolle des Templiers que j'ni amrn ~ Curtis. Jl s'agit d'lino aO'aire me
('onCCI'nant t sur laquell , bien qu'absolumen Ld \cidro
dans monsprit, je veux pour ]u forme, consulter mef!
par nls. C brave arnuJ'udo avcc qui, l'n quilllw jourR,
je me suis ]ir de la plua soJid amili ... moia olli, cousine, il n' n fnut pas davantago, Curtis done m'ayant
heaucoup pllrlr de Il n pays, jc me Huis mont" le houl'l'ichon ù en p rdl' 10 boire t 1 dormir.
- Do l'amour. alorA, l'cmnrquu LouiHc vec lIne
petito pointl' d guilé.
- Tant ct !Ii bien fille ... ne sont vl'aiment deI:! ha"ul'dll
commo on n voit <1UI1I:I lcs lincH ... 11 me propOI:!l' l il
pas do m' mmcne!' uvee: lui II L nI' rlevage pl'end'
ehaquc jour du cl Iv [ol'pontenl. SOli P(\l'C f;e fail viou\.
Lili peL plus omaL \li' do SpOI't qu' de tl'uvai!. BI' f, il
Y aurait plue pour rn j, nOIIf! I1P RnVOl1fl I1C01 e trop 1\
<lUf>] titI'!' pL unllH rfuclJps rondil(JI~.
TlWi.i r f' ,j
�VEUVAGE BLANC
63
ll,Importe
"
guèro, L'essenLiel, c'esl d'y ètre. Je serai
vI~e
au couranL du métier, lequel, avec un peu de connaIssance du bétail, que je possède, demande seulement de l'activité, de la vigueur, de l'endurance, ..
tout cela, j'en ai à revendre, Dieu merci, enfin l'hahi~ude
Lie goüt du plein air et du cheval. L'anglais,
Je l'aurai vite appris, ayant d'ailleurs moins à parler
aux humains qu'aux quadrupèdes. Et là-bas, après
tout, c'est llu vieux morceau de France, où notre
langue a conservé droiL de cilé eL où on n'a pas oublié
la mÙl'e-pakie. Si avec une pareille entrée de jeu je
p,crds ln pmtie, c'esL que je no suis qu'un imbécile.
E.L au pire, vaille que vaille, faute de fairo fortune, je
V1VI:ai au large, sous le soleil du bon Dieu. Voilà de
qUOI 1101lS Rommes venus enlretflnil' mon père ct ma
l~è'("
Ils vont èLl'c un peu estomaqués ... mais quoi?
o cst ln vic ... bit 1 bien, cousine Louise, m'approuvezVOllS i'
- Jo \' OUS ,llJ prouve, cousin Cluude. Si j'avais éLé
homme, il me s mble qne j'aurais embrassé uno de ces
professions on dehorB, toules cl'[\n rgie, an labeur un
P!'u rul!': soldA L, mal'in, labouretll'.
esL Iii
" ,EL, liez nOUH, quo Cair en c g!'un<' T~uL
l~OIL,
81 onroml l'l' ... on s marche sur les pl ds .. , Jo
~,UIS
LI' \S , l" -'5 hClIJ'rux fJur vous soyez rln mon avis, ar
J atwH'hr bruuCOllp do prix à votre jugemenL.
10 vûll'o r:)L bion prompt.
- Gl'and mCl'ci, ~lais
Depuis (~ombicn
d'heur s nous connaiuson ·vous?
, L· sympathie, cousine, lu sympathir ... Ello ron~olgne
bien mioux que clr Jongs palabros ...
Asse;,: 10ngLemps ils dom urèrent, ussis sur l'horbe
dans le bois dn lJoulrullx . TouL bOllllIonnant, Claud
c.:poi;uit SOli pl'ojoLs, ses espoirs; nvec une ardentr
~lvacié,
il dt'poignait l'cxisonruv~
vers laquelle
Il,1I11nll, (!onfiant, joy ux L fort, Lom 'c l'tlroulait.
~lcnviaLo
ol douce, clio souriait ù son cousin. Une
�6~
VEUVAGE BLANC
grande onde d'amertume cependant noyait le cœur de
la triste orpheline qui, de son propre avenir à elle,
faible, sans armes, de cet avenir si incertain encore,
savait seulement que ce serait un humble, un précaire
destin.
CHAPITHE VII
Essoufflée, car, revenant de faire des emplettes au
bourg, elle se trouvait un peu en retard, cn déployanl
sa serviette Ludi vine annonça:
- La nouvelle du jour: notre grand homme esL
ici ... Eh bien t oui, le général.
- Tu l'as rencontré?
- Non, mais je Liens son arrivée de la métayère de
la Saulaie qui allait aux provisions.
- Ce doit 'Lre lui alors quo j'ai renoontré ce matin,
d iL Louise. Haute Laille, moustachc grise, la rosette ...
Il soJ't.aiL du cimetière.
- Excepté quand il faiL ampagno - co qui lui
an'ive lo plus souvent possiblo -- haquo ann ~o jl
vienL visilor scs tombes. C' 'HI, bien vraiment un enfant
de Bruyères, Je gt'n -l'al Thierry. Tous les siens y sont
nLorr<,s. luis il règl les afJaires d su propriété, pell
de chose en somme, l il rcgagnp sa garnison.
- CeLLo roi~-cj,
pnro.!l-il, c'rHt POll[' demeurcr plusieurs mois.
Par '.'rmplc 1... fI s<)rait Jonc en disponbtL(~?
OUf! prn!lc~
bion, papu, quo l'f'xcellenLo Th 0deb 'l'Le, quoicrltO vorbw~c,
nf' m'('ll u paB diL UB~l
long, cl, pour callSC, mai:, IlOlIh!mrnL qu'il esL sOllr
i'rant Pt. li bl.soin do l·OpOl;'
- SouJrl'nnL? t'la ne llli IC!ll6cmbll: gUl;['t'. n vrai
" Franc'nip », Thierry, uu chêne ...
Enfin, (;'/:st sûr (!ll'il va fui('o SI"jOUI', CUI' il u
amen \ s 's chovnu:.
�VEUVAGE ·BLANC
- Ce bra vo Thierry 1 s'exclama le notaire, cela me
fera plaisir de le voir autrement qu'à la volée, C'est
que nous sommes de vieux camarades. On a polissonné ensemble à la sortie de l'école des Frères, puis
usé sos fonds de culotte sur les bancs du collège. Une
bonne vieille famille d'ici, les Thierry, maUres de
posLo, de père en fils, et déjà propriétaires de la Saulaie
av.ant la Révolution. Le geand-père éLait parti volonLaIre en 92 j il a été tué à Leipzig, colonel des voltig~u:s
de la jeune garde. Un autre, établi au chef-lieu,
ou 11 avait une grande entreprisc de roulage, y a corn·
mandé la garde nationale pendanL la Res Lauration.
Un troisième, rplus jeune, a été rotraité chef d'esca~rol
do gendarmerie. Quant au père de Charles, il a
cLé LrcnLe ans juge de paix à Bruyères, et a vécu assez
pour voir son fils devenir général.
- Général de division? demanda Louise qui, de son
enfance, avait conservé cie l'intérêt pour les choses
militaires.
- Ceetes, ct il a été un des pIns jeunos do son
grade. Des rLIlLs dC' services superbes ... Tout n'est
qu'heur ct malheur on cc monde: c'est le grand chagrin de Ha vio Cl ui Il fait sa belle carl'ièl'e.
- Contez-moi crIa, mon cousin,
~1l:
le chapitrc des annales local os, Mo Sigeheet
etaü Intal'jssable.
Voici comment. Depuis cinq ou six ans il était
marié à IIne charmante femme qu'il adorait, quand
clic vionL fi mourir en couchos, pL l'enfonL lui survit
S(\~lemnL
de quelquos semainos. Il "tait jeune capiLame alol's. La violence do su donloul' a été Lone ql,lc,
POlir avoiI' la pOlHûbiliLé de vivre ou. Lrouver l'occasion
d(' mou l'il', il u dornanr'é !lU mulaLwn uan!> un régi~e.nt
d'infant orin coloniale en pOl'lunce pour l'expér!Jllon du Tonkin, où il gagnait la graine d'épinards.
,\yanl conLinué à Berd!' dans le8 postes présenlant le
.
,.
"
�66
VEl:VAGE BLA.:C
plus de périls, il a consel'vé son avance, et à cino
quante-six ans il avait décroché la troisième étoile ,
Un beau soldat dans touLe la force du Lerme , ..
Depuis la veille Claude manquait à la LabIe de
famille, Il était retourno à la ferene pour prendre
congé définitivemenL, Randolph Curtis l'attendait à
Bruyères, Les deux jeunes gens ensuiLe devaient aller
à Paris, d'où le Canadien se rendrait cn Angleterre
afin de rendl'c visite ù des onclos ct cousins qu'il
n'avait jamais vus, Claude s'occuperait de son équipement, puis reviendrait passer auprès des siens les
deux mois il courir jusqu'au jour de prendre la mer,
Celle grosse décision n'avait pas Lé sans provoqu l'
dalls la maison Sigebert quelque 'moi, Le notaire
copendant reconnaissait que ette l Le ardente sc
l!crait malaisém nL accommodPe aux roulinières, aux
médiocres b sognes du vieux monele, t l'occasion
qui so présentait pour Lent rIa fOl'Luno 'Lait bonne
corLcs à saisir aH passage, SUJ'loul se proocupail-il du
moyen do 1'6aJiser sans Il l'lo lino dizaino d mille
Il'anrs qui soraiont le viaLiquc de l'émigrant. La mt'l'c,
t'Il', pronaiL davantagc it C(l'Ur 1 HopanlLion. Ello
'1ppal'L nait toulefois ù ceLl!' vieillo (Icol Iamili' Ir
cnnnL qu'on \} \v SOM enfanls non pour Roi mais pOll!'
oux, 'haqul' g6nrrnLion rn nynnL ù aon Lour le pt'ollL
pl, la peel', Enlierc tian Ra graisflo 'L ju h6 SUI' Jn
liLLrraturo, Aurol'c ne SI' dopnl'LisRait Jloint de Hon
oJympionn B l'pniL(', QuanL Julir, jJ '11 oût rnllu
bi n ùnvnnLngo POlll' quo la Loucltll.t un r\\'('l1om nL
qui ni' lui ('Lait pns pOI'flonn 1.
l ,uui vino nu ontrui\'(' &0 d('Holait. ,Q n'l'sI, IHl'! HOIllomont k ompngnon de jeu cl son ('Ilran 'C' qu'ellc
pel'daiL, 1 rl'( t'p oll'rclllPlL' ol gni, nUl.Ît! flOIl ami, ('olui
qui pùL (ILô son confiùont si ptt gf'ntillc lwlito Ame
implo ri Jlaisiblo n avuil 011 ,'jOll 11l'fIV(;10I',
-.J JW voudl'l1ie pas pos J' pOlll' C 1Ir qui osi
�Vr,UVAOli: DLA:\Q
07
incomprise, disait-elle à sa cousine, la larmo à l'œil
et le souriee aux lèvres ... C'est toujours assez ridi~ule
et ce le serait plus encore d'une petite bonne
.emme do mon modèle. TouL de même, avec Claude
Je m'entendais si bien ...
Randolph Curtis employait son temps on longues
randonnées à bicyclette. Pourvu que fût mise en action
son énergie musculaire, peu lui en importait le but.
Ce rnatin-Ià pOl.lrtant se proposait-il d'aller visHer
Notre-Dame de Liesse. r\'I~
Sigebert l'avait copieu~
sement documenté sur la légt'nde de ce célèbre lieu
de pèlerinage.
, - Et SUl'Loul, ajouLa-t-il au moment de retourner
ü son éLud
ne nlP.nquez pas de vous faire montrer
les. LIais cldches. 11 yen a une que les femmes sonl1~enL
pOUl' devenir veuves. Colle-là, ft force do sel'V!r, la co t'de en l'st usée voici bel âge Lon ne pout
P!tIS l'o.lL('indl'c. LeI! cleux auLI'(ls ont pour objets respOcLifs de Re procurer un mari et de rendre mèl'c.
"a.r mo,lheur dans leur pl'ocipiLaLion, l s filles. souL l'une avec l'nuLre .
vent confd~
. Le rire sonol'e, enfantin un peu, du jeune homme,
repondiL il. la gross hil!\l'iU' du notaire .
. Chucun 'tanL ullé à ses occupations, Handolph CurtiB s' miL cn devoir do v6l'ifi l' Bes pneus.
011.1 VallS l'rLl\\'flerail-i1 beaucoup, monsieur, de
me ?Ollnel' quel~
minuLes d'enlrotien ~
V1vomrnl, il ac l'edl'essn. 11 so lrouvalL aeul avec
Louise uuns 1 jardin.
,
-:- Au diuble la pr'omenndo, roadomOlselIr, Hl Je
PUIS VOIIR êll'e do qu lque sOI'vico.
,
Ohl 0 ne sora pus long. J e~orch
l\ me placor
comme gOllYOT'nunLe dans uno famLllo. Il me semble
uvoir plus do chancos d'y réussir on nglotel'r p ur
L'ns :igncI' J français fi dra Cl~runLs
ou Ir parler uvee
dcsJt'unesnIl 1;..Je m' pl'OpOSQHl de mdLl'eune annonce
�68
VEUVAGE BLA:i"t
dans le Daily Mail de Paris et dans des journaux dr
Londres. Mais par la voix de la publicité, il y a tellement de concurence.. . J'ai ùonc pense, monsieur,
que peut-être dans vos rela Lions pertionnelles vous
pourriez me Lrouver cela.
- By love! s'exclama le jeune homme, frappé par
10 calme et la fermetu de cc langage auquel il ne
s'attendaiL guère ... Je demande votre pardon, mademoiselle, mais cela est si soudain ... j'étais si loin de
me douter ... enfin c'est une chose qui sonne trUement absurde ...
- C'esL que vous ne connaissiez pas ma posiLion.
Mon pl'l'e avaiL fait de mauvaises aITaires ct je me vois
oblig(;e de me suffire ù moi-même. Mes ousins Sigebor't sont la bonLé n personn " mais je ne saurais
abusel' do leur all'ecLueuso hospitaliLé ... Puis-jo espé)'01', momie ur, que vous vous en occupe)'cz ?
[{cmis cl Ha prime surprisr, et sa montalilé anglosaxonne rstimanLo.sBoznol'maluprès LouLccLacLed'ind ;prndulwr, Handolph Curtis Ill'omi!! do « ne paB laiss!'J'
Hnp pior'f() sans f>tro roLoumér » }WU)' découvrir CI'
qu'clio flouhoiluiL.
- Si vous 10 voult,7, bi en, ajouLa-L-olle, cc i resLCJ'3
lCJ1IL Ù faiL onLI'(' nous. lJnf' BUPOI'sLitioll flue j'ai: les
chose, r{'UllHiss nL bien mi"ux qunnd on n'pn parle poinL
û J'avllnrf'.
- Louise, Louiso 1 cl'in lllll' voi," nigu!; ...
EL.J uliC', ('11 eo~lum
ùo Lrnn iB, appal'uL Ull cléLoul' do
l'ull(·f'.
- Pardon si jn "OllS dr./·ung(· ... N'uul'ioz-vous Jln~
vu mu l'UClurLLcil .Il' ('/'oil!l'avoil' }Jo,t"C HIll' 10 bane ...
lais 11 m, l'llo nr H'Y trouvaiL poinL. Lr jC'U!l!'
IHlmmfl Il.'/lnt prill !ln mnrhinc (laI' 10 gllidon p01l1' ROI"
lir du .Îul'llin cl 8r m"l L,'o Il IOlltp , 1110 SigehOl'L
('adpLL(' fi' )'l'Ippc'Ju soudain l'avoi)' luislI('1J don!! JI'
ve ·libulc.
J
�VEUVAGE BLANC
60
- Awfully nice girl! sc dit Handolph Curtis tout
en pédalant avec vigueur .
Ce n'est pas du tout à la serpentine brune que
s'adressait cette énergique compliment.
Le surlendemain, dans le train qui les emmenait à
Paris, il répéta son jugement sur Mllo Fresnaye à
~ l aude,
qui chaleureusement s'y associa. Après avoir
tIré quelques bourrées de son cigare:
-:- Dites, old fellow, lui demanda-l-il à brûle-poUl"pOInt, est-ce que Vous êtes amoureux d'elle?
- Moi? .. Quelle idée t
- Pourquoi pas?
- Parce que ... parce que ..•
Cette bi7.arre position de la question l'interloquait.
- Vous pourriez plus mal faire. She is a tmmp,
don'l yOlL know ... Comment dire? . .. Un alout ... Enfin
elle ferait une capitale petite femme .
_ D'accord, Seulement c'est moi qui ne ferais pas
Un capilal mari.
Claude ,'iait rlu moL drôle. fais tout d'un coup
dovl'oU s l'ieux.
- D'a.bord jo Ruis beaucoup trop jeuno.
- A vingt-cinq ans? ... C'ost vrai quo nous sommes
du m'me âcro. Mais dans nOS idées do l'autre côté
cl l'cau, je" suis cn l'olard et jo vais considérer la
chose.
Agne; sans trop savoir pOUl'<Jnoi, c'est avec un rien
de s(;cher'ess qu' son ami répliqua:
- VOUf! ôtes J'ioIte mon h J', Un pauvre diable do
~n s~rle
n'a pas le (iroiL do fonder ~m
famillo avant
d aVOIr trouvé 10 moyen do la nOul'tu'.
- Chez nous oela ne fail pas obslacle. On s'engage
eL On s'attend.
- LCH fian('ailles ne sonL pns dans nos coutumes
françuidf1S.
Absllrcl people!
�70
VEUVAGE BLANC
Après un instant de réflexion, Randolph Curtis conclut :
- Mais puisque vous n'ètes pas amoureux de voh'e
cousine, ce que je viens de dire ne signifie rien.
- Rien du tout.
Jusqu'à destination Claude demeura quasi muet,
enveloppant de la fumée de ciguretLes renouvelées
sans cesse une mauvaise humeur dont il eüt été bien
empêché de donner le motif...
Les plus attardées condoléances maintenant épuisées, l'orpheline recevait peu de lettres. Ce ne sont
pas les morts seuls qui vont vite. M. Fresnaye ' avait
u moins d'amis qu de relations. Pour avoir pu se
réer un milieu, sa fillo ' tait trop jOUM. Et aujourd'hui, auLour du trou fail dans l'eau par la pieno qui
y tombe, déjà s'agrandissaiont los ronds eonccntriques
donL bientôL s'(lifacora Loute tl'aee. Un matin, Julie
ayant pris le courriot' des mains du facleur, cber ha
Louis. Elle la trouva assise sur les marches du per1'00, aidantLudivin il l' gut'tlir los jardinières du salon
tlo fi Ul'S t do mousse fmiches.
ne lrLLl'e pour vou ,Louis ... unc lctt ro d'AngleLerro.
Do voir une vivo J'ouge1l1' ehvnhil' J visage de sa
nousino, II fut incompr6honsiblomolll choqU\~e.
EL
do RU voix ln plll B poin~u
:
- 1 e8 nOllv!'Jlcs cl 11. CUI'Lis, poul- 'LI' ? 11 vous
donne ln pré! ',1' 'noe.
ivomonl Ludivine vint à lu l' SCOllSI! .
,'nill-L1l s'il C'H~
oapablo d' 'c)'il'o propl' mont III
frunçair;?.. 'ost bien uuLr hoso que do pUt'lcl'. EL
qui flfliti'nnglnis ici, oxc ptû Louiseil
Sltitout co s rai t LolJem n [lfN('I'ablo do ne paS
f\pilogu r IIllf la orr tlpondan 0 du pl'Och in.
Ellos n'avaÎ JÜ pus \lI Claudc, nccoud6 dot'ri 1'0 ol~
,', lin' f nêtr' du fPz-do-rhullS8h'.
�YEUVAGE DL,L'C
71
d - Où ,est le ma! 1 ripost~
Julie. On v.oit sans regarer, et SI, en famIlle, on n a pas le droit de faire une
remarque.,.
- Ces remarques-là s'appellent des indiscrétions .
II parlait avec rudesse. Sans qu'il s'en rendît bien
e~actmnl
compte, cc n'est pas seulemenl les propos
aIgres-doux do sa sœur qui l'avaient irrité. Quoique,
p?ur eonfol'mer l'exemple au précepte, il eût; dû
detournor ses yeux de Louise qui lisait sa lettre, il
remal'qua, lui aussi, qu'à pI'ésent elle était un peu
pâle.
- C'est bien de M. Curtis, dit-elle en la reployant
avec 8oin, Jo lui avais demandé un servico et il a
l'?bl.igo anco de mo renseigner à ce sujot, .. en anglais,
:lLnSl que jndicieusement le présumait Ludivine. Il
youa onvoie à tous ses Icind regards el, bientôt, Claude,
l} vous écrira ,
Aprùs un inslant olle regagna sa chambre.
Dans l'attendl'is;ement de la séparation prochaine,
Lu~ivnc
n'avnit plus le eccur à taquiner son Crère.
~als
la douce petite malicc qui était en elle trouvait
li s'épancher au tT'omcn t.
, - SaiH-tu, ,Julio, ù quoi je pense? dit- 11e confidentlelloment il sa S(1'III' ... Si au lieu d'emmener un Français av c lui ccl, indi!7ène du Manitoba en 'mmenaiL
ct eux, dont. une
' Fl'ançaise
t>
~ ...
Los gros yeux en boule de jais en sortirent quasiment do louI' orbiLe.
-:- Tu us lu trop ùe romans anglais, ma chère, et tu
OI'OlA que c'est llt'l'i vu.
.
u'y aUI'aiL-il donc d'invraisemblablo? En ces
blenhoureux pays un homme ne so pr'occupe pa!! do
l'arg nt que peut ~voÏL'
une fi Ue 0 'g qu'il en st amoureux.
Au vif (iLonnl'menL des cl 'ux s ,urs, l'intervention
Or son Cr l'f' oispensa Julie d cheJ'l'h r un l'iposte.
�YJWYAOr: BLA::-1C
- Quelle rage, dit-il, tient les filles de croire que
deux individus de sexe diITérent ne peuvent s'approcher sans que sévisse le fatal béguin ...
- Toujours ce n'esl pas à mon profit que je le
croirais. Et puis, tu sais, espèce de Patagon, si on
supprimait ça, lout de même, le monde finirait viLe.
- Tu n'as pas le sens commun, Ludivine, répliquat-il arracé.
- Connu: c'est ainsi qu'on s' n tire quand on est
a quia. Vous seriez bien embarrassés l'un et l'aulre
de m'expliquer en quoi mon idée st Lellemrnt saugrenue.
- Je ne dis poinL qu'cIl 1 soit, r CODnut Claude
honnêtemenl. lais comme nowi n'en savons rien du
lout, ('e nc sonL que des papolagrs.
- Du moins ne font-ils de mul ù personne et c'rsl
mi ux que casser du SUCI' sur la Lf.tc du prochain.
Malaisémenl dN l'rée, lu p litc roussolte d'ordinaiJ'c
avait Je demi!'r mot. So trouvant d'accord ceLLe faiR,
pal' hosu['<1, landl' L Julie, haussanL 1 s clpaules,
tirr\renl rharun li son côt,C>.
l'oaÎI ivement, il csLitoaiL ahHurdo l'hypothèse' de sa
j 11111' .'>1 "111', beau' up plus qu'à 1'(' Ilmen ne lui srmblniL celle ('mi sc par son ami. I ~t lui, !li peu sprculntiC,
il s' sUl'prit Ù songer. JI songrait omme jamais pncoJ"
n'avaient Rongé HP!; vingt cinq nns. Les longu s flan('uill s, oui, de primr ab(ll'd 'l'la bl('s8(' ces ido il <fui I10
sont quc ùe l'accon LllmOllce li unell'adilion. Au pays où
en (l iflLr l'w;age, n'esL-oll pOA ehOC[Uf', louloul'phoUI'S,
de ln pl'{'ci piLalion a voe q IlOi niJlcllI'1:I ICH 0 mOlll'CUX
Sl! l'UC'llt SUI' 10 mnl'iag i' EH l'fT 'L, ne duil il pa y
nvoi[' UJI chUInte c1(;licaL dnns le temps - dfls annéflS
purfois
pendont ]r<[U ·1, cie loin comme cl' PT'I A,
SI~pU't
mtme pnl']I'S mOI'A, bullent u l'unisson deux
rU'llI's lC'ndrl'A LfldùloH ?,..
uell!' dOllCl'Ur ce doiL Nl'c,
dalls le:! pcjl\(~:!
cL Ics pUl'iltl, d'a voi,' !\llI' 1PH l'\yrcs un
�VEUVAGE DLANC
image chérie ..•
nom aimé, dev ant les yeux: une
me de la race,
ticis
par t, objecte le scep
~'autre
trou vera pas
se
ne
e
quis
con
si la réal ité
~ait
~UI
rté sans la
libe
sa
tnfé neu re au rêve? Puis, aliéner . Bon cela pou r
fit..
pro
compensation de l'im méd iat
ste, car par le goû t
l'Anglais froid et facilement cha
femmes... Mais le
des sports il trompe celui des
plus léger, s'en
nt,
tem péra men t français, plus arde ille ave ntur e, il
pare
er
tent
r
aCCommoderait-il? Pou
aussi bien sûr d'un e
faudrait être bien sûr de soi, être
femme ...
conçu cett e idée ...
Cependant, pou r que Lud ivin e eût
de Julie? ... Les
che
grin
la
Et
te.
peti
EUe est futée, la
limi er. Et les
de
filles ont pou r ces choses un flair
de fer, est-ce
min
che
en
,
paroles de Curtis, l'au tre jour
voulu, en
it-il
Ava
es?
ieus
anc
qu'eUes aura ient été tend
t libl'e?
étai
champ
loyal compagnon, s'as sure r que le
gours'en
Il
ent.
Co SOUpçon irrit a Claude violemm
dans
qui
r,
sœu
ne
bru
sa
manda. Eta it-il donc comme
elle.
onn
pers
nse
offe
une
ait
voy
le moindre flirt surpris
it
ava
On
...
oires
A.h 1 et puis au diable toutes ces hist en tête pou r ce
tel
mar
blo n uffaire de lui met tre ainsi
ière ...
qui no le con cern ait en auc une man
rvé . .
éne
fort
eura
dem
il
Quand même
nt le jard in pou r
ersa
trav
en
,
tard
s
~
]
p
e
r
heu'
Une
la cible qu'il
sur
bine
cara
e
aller essuyer f,a nouveJl
ise 10 rejoignit.
avait installée au bou t du pré, Lou
elle, n'a rien de
- La lett re de votre ami, lui dit- vin e, je vous
udi
etL
s
vou
secrot. S'il n'y ava it eu que
tena nte.
en aurais donné la lecture séance
rru, invo que r des
bou
si
qua
l
fit-i
c,
don
- Allez-vous
vous des cho ses
ers
ex?uses pou r conservor par dev
e?
qUI no rega rden t pers onn
cOllsin ... elles
- Mais elles vous regardont, mon
me portez de
s
rega rden t tQu s ici, car tous vou
~?uS
nt connaisauro
en
nts
1Intérêt. Dès ce Boil' vos pare
�74
,EUVAGE BLANC
sance . Puisque cependant vous m'aviez l'autre jour
fait l'amitié de m'informer, moi la première, de vos
desseins, il me plairait d'en useI' de même avec
vous .
Claude priL place sur un banc auprès d'ene . Elle
lui traduisit la leUre. Lorsqu'il la quitta, sa méchanLo
humeur s'était fondue en un profond aLLendrissement.
CHAPITRE VIII
- Rien de grave: des retours de malaria d'Afl'ique,
avec complico.Lion d'un peu de conges lion au foic
rapportée d'Extrême-Orient.
la rigueur j'aurais pu
garder mon command m nL. Mais je ne sais pns faire ma
b sogne ù demi. Jo n'uuI' iH eu qu'à me Ll'ouvor sur le
[Janc au momonL des grandes manœuvres ... Le climat
cl Toulous aussi, av c son v nL d'autan qui sL le
sirocco alt6nu', ne convi 'ut gu [' ù co gonro d'nIT clion. Si birn que j'ai pris six mois de lisponibilit '!
pour me m LLI'o au v l't.
- Allons, protesta 1\10 igcberl. Tu os Rolide ail
postr, mon cnmtll'ad ' ... J' n voudl'o.i pouvoir dir l
uutnnl, aj~u
l ' -L-il avoO un ('?go.l'U mélancoliquo SUl'
INI gl'Oss 'H J rob s courtes qUI suppol'tnnL la pl'oémin nc d, Hon umpl nbdomrll .
D fait, t bi n qu'un pou son 1l1né, il s mb1 ou
ontl'lliro 10 'udoL do quinze an8, l' soldat HOC oL droit
oromo tllll' laLLe, maintonu vigourclI_ ' pUI' l'rntl'nlnc
monL d'uno vio a Uv .
- P uh 1 l'\''pond 10 win "l'nI, 11 Y tI nc J'O dr III
far;ud .. , lai~
]ps chul'I1iùl'oS commone 'llt Ù flO l'ouill l',
mon bOIl ... TonL quI' j' "Luis 011 s He, jo pOI'lui beau.
l'OUI' Jo TH'II do l mpA (!ue j'ai mis pied l torl'!', Je
p 'rJ~
mn rOJ'ml'. TI m scmbh' qll j m'ufTuis" '.
�VEUVAGE BLANC
75
Toutes les fatigues si gaillardement endurées me
lombent sur les épaules.
_ Laisse donc ... Quand tu te seras reposé, tu feras
un nouveau bail.
- Pas bien sQr . Je te le dis au contraire, depuis
que me voi 'i temporairement méLamorphosé en bon
bo.uJ'~is,
offet de l'oisiveté, de l'air du pays, que
slus:Je? une mollesse m'engourdit. Et sais-tu bien à
qUOl très sérieusement je pense? puisque j'ai dû faire
halte Sur la route, sera-ce bien la peine de reprendre
~n?
course dont le terme egt aussi proche? Et ma fois,
l'al quelque vôlléiLé de demander la liquidation de ma
pension.
- Tu n'cs pas n ligne pour les plumes blanches?
- Trop Lard. Le coche est manqué.
_ Avec ton ancienneté pOUl'tant, Les beaux services ...
_ On ne sail jamais pourquoi, ni commenL ces choses-là s'arl'ang nL. Dans notrc grade, nous nous valons
à. peu près tous. L'un décroche la timbale, los o.utres
restenL en rouLe ... il n'y a pas à s'on ohagriner.
So.us sa philosophie, une m61ancoli so devinait, Le
nOLan' obje Lu:
_ Mais lf'~ services que Lu peux encore rendre au
pays ...
-FauLe d'un moine, l'abbaye ne chômo point.
- UIID (.lIIl/lso Tlon deflcit aller ...
- Si tu pr'.rù'ros. Jo ol'ois pOtlvoir, on consoience,
~c
r ndre oe LtCl juslioe d'avoir bien servi. Mais, moi
InSlallé dons m s pantouflos, un camarade chaussera
mefl h LLo!lllnns qu'il Y aiL rien cl hangé on ]Irance,
qu'un nom SUI' J'Anlluaire cL un l'rLI'ail ' do plus. En
m~n
l mp!! d'I.lill 'UI'S, je pruconiaaiu, omme la ~('
d.OIL, 1 rajeunissemont des oadres flup6rieul's. 11 mesSI cl dl' l'Ol! blier quand on sl ù son tour pnsso virille
hudrrnf'. ])(' loute façon d'ailleurs. l' 'lat-major
�76
VEUVAGE BLANC
général devra bientôt se passer de moi. A quoi bon
dès lors l'encombrer plus longtemps de ma carcasse
passablement déjetée, quoi que tu aies la politesse
d'en dire?
Sa physionomie s'assombrit pour continuer:
- Je suis seul dans la vie. Pas de fils, pas de gendre
en faveur de qui exercer ma petite influence militaire.
Pas de fille pour qui m'attacher un officier d'ordonnance propre à lui faire un mari. Je n'ai qu'à m'occuper de ma personne. Ce n'est pas bien intéressant,
mais quand même il faut vivre.
- Précisément parce que tu n'as guère d'intérêt que
dans ton métier ne devrais-tu pas, ce me semble, y
l'ononcer avant le temps.
La mélancolie du général s'accontua.
- Ah 1 c'est que nous avons, nous autres, à passer
par une c1'Îse ignorée dans vos professions. Quand on
a eu la chance do parvenir, lentoment, laborieusesement, au sommet de la hiérarchio, il n'esL d'humilité cbl'étienne qui omp~ch
de so senlil' grandi un pou
pUI'l'e. orcico do l'autoriLé ... davantage enCOl'O pal' 10
!!enLimenL cl la l'esponso.biliLé. C'est quelquo hose,
vois-Lu, d''\Ll'o Ù cheval sur le front cl dix mille baïonnoLLrs soudées daml votro main on un bloc d'acier
dans lequel baLL nL dix mille cœurs, frémissent dix
millo j unes cOlll'nge!! ...
Confu!! do c l accès d'{>loquen '0, bntl:lquem nt il
!!'!IJ'1-Ptn. il physionomie plutôt séver , qu'avait illuminpr lino flamme' juv('nile, priL un exprossion de
bOllhomi un pell rude Lnndia qu'il continuait:
- Eh bien 1 choir do là, bruLalement, sans LI' neition, du ROi!' nu malin u la letLrc, pOUl' drvenir un
vioux mOmif'llI' clécOI'é, lIûnnnt sans buL, SOn pal'apluif'
sous 10 bras, c'est du l', mon 'hc!' i\lrid , tl'r.a dm.
Lort;(!11r approcho l'rcltéancr, on He B nl daM los di..,Pl) .iLioll; clt' colu i qui a unD d 'nt il so fuire !lrroellel'.
�VE"trVAGE BUNO
77
N
d'est-il donc pas plus raisonnable de sacrifier ses jours
e grâce?
-Et tu t'établirais ici?
. - Bien heureux d'avoir un point fixe à rallier, au
h~u
de planter ma tente au hasard de la dernière garnIson, ou bien d'élire domicile à Versailles, cette nécropole des vieux pompons.
- Ne t'y ennuieras-tu point?
_ Pourquoi m'ennuierais-je? N'est-cê pas le vœu du
"age au termo de sa carrière: s'asseoir à l'ombre de sa
vigne ou de son figuier? ... Les oocupations au surplus
~: me manqueront point. Fer pour fer, je troquerai
1epée contre le soc de chalTue ...
- Cincinnatus ...
- A cela près que je n'ai pas sauvé !a patrie, et
qu'elle ne viendl'a point me relancer . . SI, commo le
commando la prudence, je laisse la culLure .aux soins
de mes méLayers, j'aurai du moins l e jardmage ... la
chasso, tanl qu'il me l'es Lora assez de jambes pOUl' aH!}I'
t~1 plaine cl rrière un bon pointer. Je ferai mon apprenl~sage
de pêcheur ù la ligne. Puis quelque manio me
VIendra peul-êLre ... Les fouilles par exemple ... Nolre
~o l n'ost-il pas J'iche en antiquités?
Comme il sied ù un nolail'o ù'espl'iL cultivé ct
:l'ClIhe traditionaliste Mo Sigebcrt était passionné pOUl'
J'aI'ch601ogio locale. S'échauffanL aUBsitôt à cette ]1(WSPIJotivo:
Tu nc cl'ois paB Hi bi n clire . .Tustome~
il la lisière
~n
crrl(de la luzern , jouxtant les terres ùu ~alrQ,
~ant
uno tmnehéc d'irrigation on 0. mIS nu Jour Ors
oss monts mêlés do fi bules. Jo Jes ai l'ccueillis pour Le
~es monLrer'. JI y avait là auLrcfoi!:l dos tumuli qui onL
l'té J'as6s du Lemps do ton père. Toujours j'ovnis pensé
que 0(' devait Nr'o le lieu de quelque s('pultul'o m('I'ovingiellne. EL do l'auLI'C côt6 do Montb61'oulL, ln
Lnl,(liLion, L'en HOllviens-Lu? place un comp l'ornain
�78
dont on 8, retrouvé de faibles traces . Celui de Labiénus, peut-être, quand il fit campagne contre les
Lingons.
- Tu vois, dit 10 général en riant, me 1'oici avec du
pain sur la planche. Noul> en popaderons ... d'autant
que jo sens grand besoin qO me documentet' sur la
matière.
Et avec un souri/'e goguonard ;
- Enfin, poursuivit-il, j'aurai mon travail Star la
rforganisation de l'armée, l'épée de chevet ùe J'omcier
g6néral en rrkaitl', chacun Son plan de l'(>formes, toutes
meilleurp les unes que les autres. Cela ne l'aiL pa ue
mal, puisque cela l'esLe Sur le papier et 0'0 t toujours
birn au.:lsi intelligent qu'unr collection de t,imbres.
l'enlluyCI' :> ... A d'autres, mon bon ... J'cn aurai pl in
1'8 main' au ont!', il'O.
- AlOI' , c'l'iiL choso résolue?
A pOIL pnJs. Ainsi, UUpt'PIi dos LambeR de rf'IlX quo
j'ni aimoR, attondrai-jo que, pOlU' m'on voyer l" J'ejoindm, la mor'L vienno me ('horchel' dans mon lit puit,qu'dIt n'a ]lll, voulu llc moi nu l'l'Il,
quo j' JUI! 0
pl'MtI~
'el't'II, Enlln, !'OIlHflllLil 1 C\'kt dl' bien mour'ir .
.l'y lrÎcltcl'ni, ommo j'ni rniL de mon mi 11:\ p01l1'
LlIrn ViVl'll. EL P ut-lÎtl'O mil col d'n III 01 li' fi 1 fi "II-t"III' pUH Ir'Op mnuvnisl' cIllund jl' Inl' Jll'éKCIIlll' i 1111
'l'und l'apport dn Ih·hnuL.
l'I'llfiqllP IL' 1I0LtlÏl'O l'uvinl al1x rhoK K c n r'l 1.
l'Il mai 011 Ulira besoin UI' ({urlqU(1 /'ûpal'otiQnil,
- Elit! ùU/'ol'nil bic n toujOlll'd 1\ u LanL ({lit' moi. l';nfin,
-
vPI'l'ui III mulLr'o maç·oll.
I:t umm(' .\l u Sig'CDQI'l d[o!nmnil:
• p{/~,
/lcore cie ba/il', /It(li,~
- Voilu hi n,
l'
l'IUIIII'I' Ù C 1
ait.... D
prit-il, la trislosso dr Inn vi .
bflli ai j ?
qui plaul 'l'ni jn, Pll nlTut, t m~I1lo
POli l'
�YEUYAGE BLANC
70
- C'esl vrai : tu n'as pas d'héritier proche.
- Aucun autre que le fils de mon unique cousine
ge.rmuine, Rose Thierry, qui avait épousé le substItut do Vervins, mort conseiller à la cour. Ce garÇon est richo, car Plon oncle avait Cai Lune jolie for Lune
comme ingénieur au percement de l'isthme de Suez.
Je ~e connais peu, ce neveu à la modo de 'Drotagne,
mais assez pOUl' no l'estimer guère. Il n'a que faire de
mes quatre sous ot, éLranger au pays, il s'ompresserait
de vendre ma pauvre Saulaio . J'ai trop aimé ma
chère femme ... J'aurais dû mo remarier pouL-êLre pour
avoir dos onfants Ù qui Lransmettre 10 morceau de terre
ror;.u do ID s !)arenls.
U~ léger coup f['appé à la porte du ca~inet
no.laria,l
1 B IntorI'ompit. C' LaiL Louiso.
USSltôt arl'lvé a
Druy' l'es 1 énéral avaiL dù allol' n BroLagne pour
nssist l' c~me
l ~moin!;lu
mariage d'un do sos OmCiOl'd .
:'-u r Lour, un ac ~s do fi' Vl'O l'ayanL l'eLenu quolquo
lOU~8
il ln hambro, o'ôLait sa pc"mi~I'e
visito ft son
anO!on am c'ado. in i n suvait-il rieu onooro do 00
n uve u mombro do ln famillo.
, n.ans la l'uino cl flon JoyO!', Ba paLel'l1it', perdue
.\Vaü laiss un si cui!lanL l'ogre 1, il oe CO"UI' JaiL pOUl' los
urr'ction dom sliqu s, quo touL j uno nuo r neonlrl\o lui inspin il un in Lrl'iiL att ntlri, Coll -oi éLaiL bion
PI'OPI'O ft l'attil'l'l' pnrLiculil'I'cm 'nt, avec l'ngl'omenL de
~ 1 physionomi dislinguéo oL lin(' le hnl'mo di 01'01.
pm
, ananl do lOlllo 8n pOfsonno frôla' nfln, pur-dcssu
l'cl'
.•1, quelque cho!! d gmve t do 'Hol'. L08 Jll' sonlat,IOI.HI, Inil(~",
qlldqu('!l l'ropot! vchnng ~s,
Luui'o s'éluuL
l~roe
<Iprl's avoit' rendu h' mCHHug Il Ill1'avuiL chnl'~c
1rnu Sigeh('I'L, le l'eglml dll ,énrl'lll inLerl'ogea.
!:)aua Re fam' JlI'iPI', l, IloU,il'C lui J'IlCOuLlIl'hislo i J'e. El
POUl' finir:
• ( ," l'sl <l !o{l'fllld (1 ur q Il' ma femme eL moi l'a~on
ncru illic cL hll'n ,. lonliCl's, oorte 1 1I0lltJ III gnrJ 1'1OUS
�so
YEUVAGE BLANC.
auol'ès de nous, car chacun l'aime ici. Malheureusenous avons de lourdes charges. Aussi , malgré le
charyrin que nous en éprouvons, ne pouvons-nous
trot1'ver mauvais qu'elle songe à ravenir. Sous son
apparence délicate , elle a une énergie, cette petite ...
Figure-toi, Charles , qu'elle-même , sans nous en dire
mot, s'étaiL mise en quêLe d'un emploi. Et pal' l'entl'Cmise du Canadien dont je t'ai parlé ft propos de Claudo,
elle vient de trouver .. D'ici trois mois, la personne
qu'elle remplac:e ne qUlLLant qu'en oCLobre, elle parLira pour l'Angleterre, comme gouvernante de deux
fillettes dans une famille de propriétaires campagnards .
Ouinze cents francs pal' an.,. EUe sc Lrouve chanceuse
l~me
si cHe entrait en possession des mines de
Golconde. Et hicr elle avait à [lal'is Son auLo ... Cela
encore ne serait l'Ion. Mais à vingt-Lrois uns, s'rn
illIer ainsi pa!' le mondc, dans une sÏluation dépendante subalterne, précail'e ... Ah! le pauvro Améd';o,
de Iii ~I) il esL, s'il voit le l"s!!llaL de sa folie, combien
il doiL avoir de ['('g['ct eL do honLo .
.J'ai cu 10 c piLainc FJ'csnayo SOIIS ffiCd oJ'drcs rJl
\Jgéric. EdpJ'iL LOUI·IDC'.lL6, je In J'oppellr, Cl'V au
rhimrl'iC!IH', ~
rmpolllon.née d'alnbilion d'arg nL,
Enr,oro une VICtime de cc mJragf' rio la rorLIIIH' qui l'aiL
lüchf'I' la pmi!.: pour l'omhr ,S't;carLol' des voioll droiLcs
rL f)l'cIHlre Ipli chemins LOI'Lurux qui m 'nrnl n lu rulbuLl'. 11 uvniL do Ja vn! Ul', il :;eruiL au moins ('olollol
ÙO l'cxil!III1JolJrù'hui, uvcc l'honol'ubililü l'L la 8 ~CUl'it6
trncr ... Oui, (~cl'e:i,
il u ('t6 coupable ...
m~nt
SO\lvl'nt le g{;IH:rlll Thicl'l'Y revint du'lZ Ics Sigrbcrl.
S'l'luIlL fait ('onnaiLre à Louit/Cl commo un /lnci n chd
d"on pl'rr, ln gla'c aussitôl ,jvniL rté rompuI". Il élait
�81
VEUVAGE BL.\:'iG
~e ces hommes d'âge qui, aimant à regarder 'vivre la
Jeunesse, la mettent en sympathie et en confiance. Cc
pe~chant
paternel ressenti pOUl' celles en qui il croyait
~olr
1image de ce qu'eût été sa fille inspirait à leur
egard au vieux soldat un peu austère des délicatesses
dont elle8 étaient touchées. Il savait leur parler, il
comprenait leur langage i mieux que cela n'est habituel aux hommes, il lisait dans ce livre clos qu'est une
~me
de vierge . Celle-ci lui parut de qualité l'are: très
Jeune et cependant sérieuse, femme émine~t
par
la finesse ct la grâce, mais avec tant de rruson, de
fermeté, de vaillance .
. Assidûment il fréquentait hez les 'igebert; volonlters les priait-il ù venir chez lui. Claude aussi lui
~laist.
JI ne craignait pas quc fOL un peu elTerv.escento la jeune virilité. Dans le fils de son anClen
camarade il aimait la te tiLuue la loyauté, la spon~n,6ü'
du caractère. JI aPIlrou~iL
ceLto résolution
lnle de chercher pOlU' son labeur un champ plus vaste
eL plus ruele, MonlanL chaque matin, il prêtait ù Clau,de
~n de Iles doux chevaux ct, bi n que padant peu, lh;
s ~n,tedai
Il merv ille, celui-ci rempli d'afT'ctueuse
<leret'once pour ln double antorit; des cheveux gris et
(10 brodories do feuill 'S de chône celui-là lui marquanl
cotte bonhomi un p u brusqu ' qui eBt la l'orme amicale dons les commerce!! masculil1tl donnée par ulliong
exe
' du command mellL.
• }'CICO
s l~n'(
oes ~oux.
jeunes gen!!, 10 ~(;n6l'Q1.
Thi:-l'l'Y Sf'
cnlalt d VPlllI' pere oL Il Y trollv/u l uno mnntO douCe ur, 1l,l
'
'
ullion d un
Jour, L'un partirait, demain, ensu~t
c,o I!cruill'uult' . De ccllo-ci Bouvenl il so préoccupait,
hl Ba Il 118ÔO alol':1 rotournail bien loin en arrièro, à co
po~it
~cI'lio
dons leq\lC'1 avait ,tl~
omwveli tout 0
qUI IUt reslait il eh 'l'il' en cr lIlonde.
U' houros de
l~ cho,
cel homm d'acLion t.oit un rêveur. Dr la
Pellto itml) q\li n'nvniL fail qu' 'fllelll'el' lu Lrrrr dl' son
(j
�82
YEUVAOE BLANC
aile, ayant existé juste pour laisser un nom sur une
pierre, son imagination avait si bien modelé la figure
qu'il la voyait parfois vivante, telle que les années
l'auraient faite. Et il J'aimait ainsi plus qu'il n'avait
aimé la chair débile et vagissante dont la naissance lui
avait coûté son bonheur. La femme qu'elle serail
aujourd'hui ressemblerait à sa mère peut-être, à celle
qu'il avait si passionnément aimée. EUe serait sa
lumière et sa joie. Il lui aurai.t faill'c -iatence douce.
Des chominsoù elle eUt marché, il aurait ' cartétoutes
pierres, élagué taules ?pines .. .
Chimèrc, hélas 1 mIrage ... Le trésor d'amoul' qu'il
eût dépensé pour elle demeurait intact et superflu au
fond de ce vieux cœur ~o1itarc,
Et tandis que lui
n'avait point de fille, un Joune et charmante créature
était là qui n'avaÎL point d pèl'O, seule aussi, sans
1endresse, et, la pauvl'e enfant, sans protection, sans
r ain . Quand il s?ngeait à c.eJ~ - il Yang aiL souvent
- le g'néral Thierry soupll'alt, ne pouvant s défondro de jug r quo los chas s d'ici-has pal'fois sont nrranf1~OB
bien in jus Leme nt.
t> Certain après-midi, venant
1 maison. igebl'I,t
rhercher l' Lui à cigares qu'il croynit avoil' oublicl
la veille, personne n sc trouva pour l'introduire.
Mais les altI' s 6taienL familiol'fI uu visiLaur. Du jal'din,
il flUa IIroit au salon par' la porle-ron LI'. omm il
fif' dlposail li LirOl' 1 s perlli Oll(>S d mi ·cl05 s ont!'c
la cholcm, }(' spectacle aperçu par lour enlr -bailleJI1cnt l'arr la 8111' pIao . D vant uno table, l'lin Lout
t'ontrr l'nut!' , I... ouiso t Claudr rLaienl 11.881 , pon Me
III' un livrE'. Un l'ai cl
floteil v noit dOI'or la nuqne
blond ol meLtr n viguoUl' J pl'om brun. Lui tomnunt 11' dos, ils n pouvaieulle voir L, tr Il nhSOl'b6s,
n'nnLplldm'nl point ri l' }(' snblo. Un sourire p ssa
~ous
ln p/'O!lRP. mousl..tlch gl'iso. Cc eoldnt. lIvait dOIl
lr'Itre •. I~n s'éloignant, il pnll d,. loup, il Jnll'mUI'U:
�VEUVAGB
BLA~O
83
« Et ce jour-là ne luren t-ils point plus avant. .. li
:renant à ce porle-cigares eL s'en inquiétant, dans la
sOlré~
le général revint. On J'avait retl'ouvé. Un instant Il demeura avec toute la famille réunie au jardin
autour des verres de citronnade. Un détour de l'entretien lui donna l'explication de la petite scène du
~antô.
Depuis qu'était décidée l'expatriation da
llaude, sa. cousine, quotidiennement, lui donnait une
aCon d'anglais. Et ce livre vers lequelle gonéral avaiL
vu les deux tôtes inclinées et rapprochées, c'('tait la
cla.ssique Il istoire d'Angleterre d'Oliviel' Goldsmith.
Le chapitre qu'en ce jour avaient lu les deux jeunes
gens était-il celui des amours de la belle Rosemoude
et du l'oi Henri PlanLagen L? Peut-être. Aprè que
~ha:un
se fut retiré pour dormir, Loui!!e s'accouda à sa
~cLre
ouv rt. ouvent ainsi assez tard, elle demeu'
1J'a1t U. r spÎl'Cl' 1eR parfums qu'exhalent
à celte heure
~s flelll'8 i Vl'e ùo Lout e soloil qu'elles ont QU, Elll'
~lmaiL
6coutl'l' le concert st,'idonL d 'B cigales au fond
Hes ,blés mûrissants, 1 chœur m 'Iancoliquo des greOl,UUoe QU bOl'd <.les eaux mOI'tes et ces bl'uissements
va ~UC8,
CilS mystérieuses rumeurs ' nocturnes d la tel'ra
~UI
se l'anime' o.pl'Ù~
lion IIpuise1l1enL sou los ardentes
~uros
s do 10. chalour du jOlll', Loin d 011 aLro utl'~!jé,
ans Cc:> ll\lwb"J'!) .ibrnntcs rL rhullc!ls !l'('panonl sali,
lion o.rnf'.
r Ello IJ'uhan<.lonn iL ù uno eommunion intime, »1'0Ollùc, uv c) naLu" vivifiallLl' EL ùe faibles sourÎ]' fi
venaient roI ÎJ'f l' SOIl ponséos si g' l'UVl'tI, Et de!J voix lu i
Ptt!'!'"IPnt,
"
"
l.Ionl
bi~n
qu Cf' rùt ('n UOl' langue 'Il1eOIl'lU " Il f' Ilpl'ouvnlL
~
"
'
U 10 consolatIon,
p CP lJoil'-lù plu qu'aucun nuL,'p onef,H'O co fut ui~sl"
bOUI' ln pr 'mi J'C foi urpuis le Ùl'a1l111 qui les ~v I,t SI
r UllJ,lcl1l nl rnllchr, , il lui srrnblu que J'u1(l~S:Ient
CU;vIIIHL ail'!,
'ntcntlunl du;; p
Il
ùuns l'ombre, LOl'lS(' ,'pl3/lchu
�V1WVAOE Br.ANC
pour voir. L'affectueux aboi du vieux braque enroué
témoignait assez que c'était un ami. Celui-ci, de son
côté, pel'cevant au-dessus de lui un bruit léger, leva la
tête.
- C'est vous, cousine Louise?
- J'allais vous poser la même question, cousin
Claude.
- La chaleur est étouffante,_ à n'y pas tenir dans les
chambl'es. Cela ne vous dirait rien de descendre faire
un tour?
- Il est un peu tl'OP tard.
1mperceptible avait été l'hésitation. Et encol'e que
sans sécheresse, le ton du l'efus décourageait j'insistance.
lors causons, dit-il.
- Causons.
l\fais ils demourèrent Sans B rien dire.
La fenütl'c de Louise donnail I!Ul' 10 toit plat d'une
pi Cl' du r'C'z-rl -chaussée, construit" posLél'ieuI' m nt,
,(, qu i faiHaiL avant-corps Hlll' II' jal'din, n l'a vai t
aménag \ n façon de ~prl'asRt).
11 jn ':lmin de Virginir'
CI IIi Y grim paiL tOI'dUlt RPR rnnll'Ull" ptH'-dessus J(,H
bnluBtrel! dl' briques n bOI'd lll'l'.
fin c1'nlL'\nuPI' lu
halour' rayonnont!' rlr lu ('OIlVOI'tUI'(' PT! zi/lf', on ,r
avait r1i!lpos(' qUf'lquC's grfllwdicr'n ûllaurif'l's-ros s danB
10111' jan'es do grl:s v l'dlltl'P., 'ntl'I' ICHqlwJlrs l'ourait
un tl'(l jIlllgl' ou s'accl'ochuipl1t onpllrÎII K pl, voluhilil!_
;c jlPLil jlu'dill s uspl'udtl, c1f'!iigrll\ dnlls ln fllmillf' HOl~
Jo nolO dl' (( Bubylolll' n, dait l'invenlion 10 LudivÏJw
<lui 1'11 l'honneur' de Rrt (,olJ~i1u
l'avait pl'r'r ctionnl'.
" des CUISiI!''! vel'Lr~8,
' He rn,', du l'{'Brdn,
J)nIlH
0I
() J
HVlllt,
r{'pi1l
~ dl';\ hr"lioLropml. A VfJC d('H bl'lIllchofl d'OBiPI' 011
S'PlIl'ofllaiplIL dnf! gOb('llH, oIlp avuit f\dili é 11111' pl'lil<'
lonnplll'. Cumm!' ou y pOllvllit. aCf'{>df!l' lllliquOll1l'I1t
pur' 'die f"nt'lrp, r'r,tpm un mal'chr.pictlùplu Îl'u!':!
,\chulons (fU'OIl v descendait pOlll' ar1'0801' 1'8 )J)unl B;
�VEUVAGE BLANC
85
et parfois les deux jeunes filles s'y asseyaient un
moment. Ce degré était volant afin que, par mesure
de. sécurité, on pût le retirer le soir. Mais Louise n'étrut pas peureuse et souvent l'oubliait.
EUe il sa fenêtre, lui au bas de la lerrasse, quelques
remarques distraitement échangées sur la beauté de
la nuit, sur III probable continuité Je la chaleur, de
âouvcau ils sa turent. C'est qu'il n'est pas kès facile
A~ S?utenir la conversation à un étage de distance .
. InSl Claude en jugea-t-il. Et tout d'un coup, posant
Un pied dans la fourche que faisait le tronc noueux
~u Jasmin de irginie, leste ct souple comme un ohat,
Il ~e hissa jusqu'aux balustres, d'un ,:igoureux rétablJSBemonL sur les poignets les francluL, et se trouva
rendu dans « Babylone Il.
d :- Voyez, cousine , comme ce soraiL facilo de g'inLroUlro chez vous.
:- A sUppOSOI' que quelque inconnu nourrit ce des~eln,
Porthos, j'imagine, l'eÎlt déjà appréhendé aux
(,hausses,
EU à sa fon"tro lui maintenant SUI' la terrasse, dc
nou veau il clme~'èont
silencirux .
. SavC'z-vous, reprit enfin Claude, il l'Juoi je SOIl~oa"
Il musant au ,' 6toil s? Que clans huit jours, je
cs ConlplUpl rai du pont cl 'C' paquobot qui va m'emIllenol' loin d'ici,
- Co aC'l'u toujours los même!! étoiles, cousin, qui
~Utl
:: gord ron L.. rL qui vous protégeront, jo le
uhalto do tout mon C(l'Ul'.
lIo-.ro HOI'ois bien hru"ou. de penaQl' quo, pour le le~1'
~nùol',
vousl srcgo.rdel'oz nroêlU temptl !lue mOl.
n
o
~
nr(J('nL
clécelail Ulle émotion nll
on ne
lui1 conna
.
'1
.
.
~Bnlt
gUI!)'I'. Eflt-cr pUt'Ge qllo Louiso la C vina
qn clle Ill' r pondit rien,'
- Ponse!' 'z-vous '1 Ur1f)llPfoiti il }'o. ilé, ,ousin r .'
- Pllls ,ouvent, j'imagine, l'Ju'il n'> p"n 1.'1'0 ...
�VEUVAGE BLANC
Très légèrement elle hésita.
- Qu'il ne pensera à nous. Vous allez avoir bien
d'autres sujets d'intérêt ... tant de choses nouvelles ...
- Et vous croyez qu'elles me feront oublier mon
pays ... avec ceux que j'y laisBeil
Visiblement ce pluriel aussi était voulu.
- Ce n'est pUR peu de chose, allez, que s'arracher
ainsi à tout cc qu'on connan ct cc qu'on aime. Voici
deux mois, je me réjouissais tellement de ce voyage ...
jÇJ comptais les jOUl'B omme font au régiment les
homme de la classe. EL aujourd'hui... je me sens une
tl'istessr ...
- Parce que l'heure esL proche. 11 y a toujour:
quelque choso do ~élan
olique dans un départ.
- Peul-êLre. 1\1a18 'esL pOUl' lino autre raison aussi.
tto raison, Louise ne s'en montra point curieuf:jr.
ELDit- '0 parer qu' Ilo la pressontait:l
- D a quo voua am 'Z mis Jo pi d HUI' le hauw u,
dit-clle, etto impl'nssion !l' nvolorll. Et; puis quoi? ('0
n'psl pas pour loujours. ous l'cvicndl'cr..
- Qui !j[1it ;' ... Et. quand ?... Et d'ici là , LanL dr.
'ho8rs aUl'ont pu Hl'flVcr .
Louiso nc s enquit pail non plUH U ('CH ~vcntuli'
auxl'{ueJlca il faisait allusion. Et drl'cch r onLl'1' ru.'
Ir si)rn('fl tOloha.
opuis dp\lx mois qu'il vivniL n 'ontacL intimo
fiV(1(l ccLLe I6minit.é d'lin clHlI'run cl lient tay6 RIlI' III
nohl(,f:I!!C' du cara'l l'P, il n'avail pas lu bion e1nirrln nL dans eN'Luins tl'onhloH don~
jamnis nCOfe il 1If'
!l'ôtait a 'nli /'/llTlué. 'e soir-là., IlTl lumiôr(l soudain
~·P.tui
faile. 11 Dvan 'il d'un pns vrrfl ln fonêtr!'.
-Louis .,.
Mais .omme il ch l'cltaiL BC: par'oles, cil sn h la de
proncll'o 108 uevants.
- C' ,sl vr!limcn~
IFml cL ln nuit 8r. fait frfl che. Il
.cl'uit lcmos, if' crois. <1'0111'1' dornlll'.
�VEUVAGE BL\:>IC
87
, Très doux était l'accent, quoiquo, comme tout à
très ferme. Mais au fond, bien au fond, il y
1ho~re,
avalt un émoi,. . oh 1 tellement subtils et profonds
de l'âme.,. Clatlde ne répondit
sont oes mo~vents
pas. Sous la faible clarté blouo de la lune Qui se
lovait, faiblement on distinguait son fin profil u~
peu
pâ~e.
Muet, il la regarda. Puis ses yeux ardents se
balBsèrent sur oes trois petits degrés, si faciles il
gravir, qui lc Iléparaicnt d'ene. Faciles? .. Non pas,
car ù leur pied l'honneur veillait en gardien séVI're.
Brullquoment alors, presque fâché :
- Rentrez votre soalier, cousine.
A bout de bras il le lui tendit. Elle 10 roçut, If'
rlépose. dans la ohambr , puis BO ponchant au dehors:
.
- Bonnl.' nuit, Claude.
Il saisü la muin que lui tendait la jeune fille, attm.\.
vers lui rallo qu'on ne lui offrait point ct sur l'une,
puis Bu/' l'autrc, posa sos lèvrflB bl'ûlo,ntoB: L~ f~u
qui
monta aux joues cl, Louise 1'ombr le lUl dlf~una.
Pl' IHom IÜ il enjamb la b~lst'ace
et dégrin~Ql(.
par
!u In';mo voie qu'il uvait. prillo pOUl' l'osca~dr.
Un
lnlJ.lo.ut. 1\(' '.oouta ,ws p qui s'61oigno.ient dans la
n\nt.. [>erllOnn non plus n' ntondit son soupir, et
~Qn,
bruit, 1 fcn(\tr'r 110 l rmn.
:flAP!Tng
LI' génl~'(
ThiPI'ry 1 tait. nbsorI.H·, tlOllOioux, en proir,
.0. LIllO visiblo ogit.o.t.ion. l'Pl' Il avoir ch vauche
dl' malin
soull.l pI'6s JÜ, parti ~on
jeuno compagnon
hl "pl'om 'U(1dH _ l'\prù~miu
on Ir voyail Ilrp !lt. l' .le
il Ol . t. ~u pl in , mGchonnant III uigul'o q\IO, d!!Ml.llt,
1 !l\ISSUIt. a'6t.oindl'(. fi ùcvo!lnit nl'I'YCU.' et celu no
Ut t' lIsrmblait guère. Lili, d'une Bi culm formelé
ÙallS 10 t'omllH\lld ffif'nt, il l' lIt'pl'roait. Ù l'Ildoym' Kon
;nom
�88
VErVAGE BLA'IC
ordonnance, à tr8casser sans cause ses méta.yer~
Une fois que le général étai~
allé à Laon, il avait
eu - tout se sait en ces mornes villes où l'on a pour
unique spectacle les alléos et venues du prochainun long conciliabule avec le bâtonnier, juriste réputé
dans la région. Me Sigebert s'en était trouvé un peu
froissé, atteint dans ses prétentions sur ce chapitre.
Ou bien c'est donc que Charles faisait des cachotteries? Il était moins oxact il la table do bridge. Il s'y
oubliait à couper des carlos ~aHrose,
à jouer la
fourchette hors de propos, parfoIs sourd aux invites,
transgressanl même, lui, un slratège qui savait If'
prix de l'offensive, au sage principe que le percepteur
- ancien lieutenant d'infanterie ~e
marine amputé
d" la jambe à Raz illes - formuJall pur cette facétie
tl'Op souvenl répétée;
JI e.'isl dos famiJ1es
entiùres qui sont mortes
.
du choléra pour n'avoll' pas Joue atout.
La lIoLail'c n étuit lout inLI'igué.
- Mais qu'ost-ce qu'il a ~onc,
c POUY/'o Thiel'/''y l'
1\ quoi su fomme l'épondOlL ~
- Srs fi(\vl'es qu i l tourmentent. Cela po/'lt> à lu
tH!' qUf'lqurfois. C'est vl'uiment bil'n ln' IhruI'f'1l x.
Sans douLp aUAsi se Pl'('occupnil il de lu gros l'
/. 'ol\1tio11 il prcndre, C pURSUgO pUI' unticipation ail
1 ad/'p cil' l'r , cn'!' dUllt il avnit ntl' 'L nu Hon vipu:
('ul11l11{1d('. I/H)!\nL sondii il co llujPl, I~eli-r
n'avilit
()htl'lill Pli J'ÔpOll 0 qu'un hr f ;
./l' Ill' flllis pflf; encore ri l'. id(.,
Cü/'Iuin jouI' - unI' huiLniull upros «110 Mu Sigobl'rt
M'lit l'I'VI'nu d'rmbul'quc/' Hon lilll uu lIul'!'p
HOIl,
lin p/'étp -t mal (!L'fini, 1, grllél'Ol villt Ù l'Hurll'.
Ap/'I'!I qu 'lclllP, pl'O~
dont l'incoh{'reoc' s' cCOI'dail
mu! Ilver 8011 hnbiluùll w"rision toutl' militail'p
ri,. huI. cn blnlli' il lui dit:
'
- Sai -lu, 1\lcidl', tille id '" qui m'psl \'('0111' ?,.
,
"
�Sq
VEl'VM}E BLANC
Est-cc qu'entt'e Claude el sa cousÏ1lê il n'y aurait pas
eu quelqlle fleureLte ?
Le notaire en demeura tout interloqué.
- Comment l'entends-tu?
- Comme je le dis. Serait-ce si invraisemblable?
Il est genLiI, ton garçon, bien tourné, sympathique.
Elle,., elle est charmante, Pourquoi donc pas?
_ Mais parce que... parce que mon fils est un
honnête homme. N'étant pas mariable, il n'aurait
aSsurément point parlé d'amour à une jeuno HIle.
-:- ,Peut-êtrc csp ' re-t-il se fairc rapidement une
posltlOn là-bas.
_ Sous scs apparences de cerveau brûlé, il possède
bea~coup
Lrop de raison pour faire élal d'un aléa
pal' 11.
- C'cst qu .. ' à no âges on l'oublie volontiers .. ,
cc polisson d'amour' souvent Lfrc ft hue quand la
fûch usc miaon tiro il d Îu,
D'ne orel. luis ici c'eilt 't,(! unc J{'gèreté très
f'Oupable... EL llJ as ('u occasion d'apprécicr la
(~roiLI1'
dn lauc\l' .. , Tu IDI' l'as dit, loi-m';m(': de
101' Oll bal'I'c,
, .r r. Tll' m'en
':IOJ,l
d,', rI i~ pUR. j\iusi vraiment, Lu n'nA
vu, l'il'Il ,'('marqué q\1Î saiL palU' donner il
[roll' , •.
Mon Vi Il, les jeunes geus sont jounes. Cc lIel'nil
If'lll' demllnc!pr Cllle "ivl'e Bi pl'l\R l'un de J'aull'I'
Huns RP " gUI'dPI' peul-dru av .c de!! yeu.' doux. luill
l'n numclLallL qlll' ilIOn fil!-\ ail Opl'OUVI\ p01l1' LouÎ!\o
~n !\l'nl i/llel1L plus c:ul'aL(ori~\
il aul'U BU /\'(')1 tail'p,
1 nn moll"lù!! mu main HU feu.
- SUlIS UO\lLI', hnns douto ...
CUI' nein, l' priL le l1olui.·(l, IIi nous 1 nons CI\~t1f'
l'OUI' IIIcnpnbJo d'uvoil' tl'ouhll' 1 no""' de su ro Il.; Il Il'
tl'Op
Ull 1t1001
'nt. ml'mo d!' s't;II)Îgncr
)I01l1'
\ln l('IP~
,dollt
10. durée lui st inconnue, ,'esL qu'alors il Y UUTlut
PU
�9b
VEUVAGE BLA,'C
échange de paroles. Je ne suis pas partisan de ces
engagements. à Jongue et aussi incertaine échéanCB ...
Mais eussent-ils fait semblable folie, mon fils du
moins l'aurait loyalement avoué à sa mc.re et il
moi.
~
Et s'il a cl'aint que vous le déaapprol:\viez ? Tant
que cette jeune fille se trouve sous votre toit...
- Sommes-nous donc des ogres? Mais elle-même
qui a tant de dignité, de délicatesse, csL-ce qu'el~
au!'ait aocept6 une Ilituation aussi oquivoque ?
Vivement le gén6r{l1 se l'écrin. :
- Non non, certainement non.
- Eh bien al a!'!! ?... QI:\'as-tu dono, Charles ù
vouloir absolument que ces nrants Raient amour~x
l'un de l'autre?
- Je ne veux rien du tout, bien au contraire ...
C'cst·à·djre, IlO repriL-il, quo si los oiroonstances lell
('onditions matérielles l'cussent permis, leur unio~,
je
croie, QUl'uit lé pour le bonhour de toua les doux. EL
1 ur porLant Ù tO\lil lOIi deux: un alTecL? li . jntér t, j/1
l'aul'aill 80uhaité ct grand CU'UI'. MalI! Lu as l'ai\Son :
1,'6LaiL impossible.
le g6~Ih'al
fr q uentu chez
L s jours qui ~ui.vl'en,
1 s Sigebert plu ae81dû~nL
~uo
Jomais. EL !Ions qu
'cIu pUl'ûL, ayant nppns ù 1I1'!' pn l'He, il Ludiait
all utivcm~lL
Louille. Non cerLes : nul 8CCI'fJL ne 8n
Jiuim\lJ it ùerri l'a Ct· front pUI'. Ml\il! lIll ohngrin?
P Il dnvaD t go n Jo dise rnu.-t-il. L'ornbl' ùonl Huil
voil 10 It'uil! vie gt' Ill' justifiaiL USII ,7. pUt' 1. It'I).r!l
d'hier, pUI' l , angoillsol.l ct domnin. Plus ·port ù
j ugel' Ju \'oJour des humrncs, 8011 ob8l.>rv~Lin
nI'
jJl1néll'Uil-l'lIe P?9. assez av?nL daruJ 1 j l'llin r68Cl'VI'
d'un CO-'lU' f6nunm J fOI L nell'/' L li J'? il ft 1 il
allait bieu Il voit' ...
O\li, mon,iourl gon 'l' 1, lOl,)t 1 foondo est p l'ti
u lu villt pour un nooo.
�VEUYAGE BLANC
91
Il s'en doutait parbleu bien el, riait sous cape de sa
petite ruse.
- Il n'y a que Mlle Fresnaye. Elle est au jardJlt..,
- Bien, bien, Fédora, je connais le chemin ... Ne
va JS dérangez pas, ma fille.
S'accolant à la grosse tour découronnée, un berceau
dc chèvrefeuille égayait le rébarbatif granit au
manteau de lierre sombre. C'est là que Louise habituellement se tenait, occupée à quelque couture ou
locture. D'un pas ferme et résolu, avec dans
l'allure aujourd'hui quelque chose du Boldat en
('olonne d'assauL, tout droit le général y marcha. Elle
lui sourit. Mais avant que fussenl prononcées les
l'ormules d'accueil :
- Mademoiselle Louisc, dit-il, voulez-vous laisser
un momanL votre ouvrage afin de me mieux prêtel'
Il ttention?
13i 'U qu'il mîL parlé sam; emphaso, on 110 sait quoi
dnns l'accent ilL qu'un tonnomont traversa. les clairs
yrux de pel'vcnoho.
POUl' toute réponse ellc piqua son aiguille dana 1"
balisto du mouchai!' qu'eUe ourlait. Et prenant SOli
uttitude familière, 10 busLo rn avant, la tôto légèrement inclinér sur l'épo.ulo, croisés dnus son giron lC'"
doigts menus auxquels ne brillail Iluouno baguo, ollri
so mil en devoir d'6 ouL r.
ous 10 savoz, repl'it-il, si iru l'avait permis,
.i'uurais présontement une illle, à peu pros da votro
ago, eL dont j'eusse souhaité qu'olle vous J'oss mbHlt:
FIllL B-moi donc lu gl'ilco de nl(' eonsidéror comme Sl
j'('tais votr p6rc... Cola ru l'end l'a plus aisée mn
pulÎle confid nco. Je suis, pouL- Lre aussi no l'ignor~z
vous point., SUTIS aucune IHmillo. Au SOli' do la :VIC,
(' (!,l uno lourde Lristesse do sontir qu'on est uhle ft
pl'rsonn on co monde. Souvont j'avais song à adoptp,
un nfant ... nne lille en souvenir do ma petile Chris·
�92
VEUVAGE DL.!.. C
tine. Mais voilà qui ne se rencontre guère dans les
oamps. Loraque r:;ti connu v~te
isolement, lorsque se
sont révélés à mOl votre merlte et votre grâce, j'ai
pensé combien j'aimerais que cette fille adoptive, cc
fût vous.
Elle fit un mouve~nt
pour parler, Mais du gest.e
il l'invita à garder Je sIlence.
- Un instant, oui, j'ai caress6 ce rêve .. , subordonné, cela s'entend, il votre consentement. Malheureusement ma volonté ainsi que la vôtre n'y suffiraient
point.. Il fau,drait. que je pusse l?rouvel' vous avoir
donné des SOlOS pendant un ccrtam nombre d'années,
C'est absurde, c'est stupide, mais Mias 1 c'est ainsi.
Viv m~nL,
avant qu'elle eut 10 temps de l'ien dire
il ajouta:
- nosLe donc un moyen, un soul pour vous,
demand l' d'associer à mes (jheveux gris vos blonds
vingt ans.
(~c générul I:l't~cair(j]
voix qui Lout <Pun coup so
voilait.
- Co moy?n ,prrscntol'ait \ln, double A.vantage ,
Pardonnez-moL d aborder 10 chuIHtl'o de cos réalité
(lue pel'sonne n~
peuL 50 ~on
.1',le ]uxe cie méconnaiLI'c. VOliS (JIll t'tos lu l'alson mcrne, VOUf! 1 savcz
comme moi ... J)OIlC, je ne po:mèdl' qu'un lrèl:! modesle
avoil'; ceUt' petito lorre de ln Saulair, que j'aime
pOUl' y [oll'o nr, p~lIf1
quclquCi"! cQnol~Pi"!
r 'ulîaDos
tlrpui~
1ll01l aece, Jon aux grades 8UPCl'lcurs, éLant
obl'e dnn/! lne!; gOÎlls c~ n'aY;.l llt UUCltnO rhll1'gO. l'VIais
apl'l\a moi ...
J)rl'ech~f
il chassa l'cn~ou
onL.~
Un faible rougeul'
vint tlil S I colorc/' 10 IOulo VI age ba8nnl), eL \.J'cilait
10lc~an,
C~d
mi,u'cl,urs do Limidit; c~lez.
celui qui
jaroul.'! n'/lvo t(, I:nl "l' 10 f/'on~
l\olltl,ln I,nllmdlo.
-- Apl"
mOl lU VPllV(' loull'alL d Ulle pellsion do
l'Etal, ITlsni iSIl"bll' eL În
ihlc, do Ll'Oi. lI1i~
IIi,
�Vr;UVAGE BLA.NC
92
cents francs ... Pour être exact, trois mille six cent
soixante-six francs et soixante-six centimes... Le
budget a de ces plaisantes précisions. Pour ma veuve
se trouverait ainsi doublé mon médiocre héritage, et
je serais infiniment heureux qu'après ma mort cette
bien petite aisance pût assurée à la fille d'un ancieIJ
compagnon d'armes , réduite par la sévérité du sort à
ne compLer que sur son travail.
Louise de nouveau voulut parler.
- Pas un mot, je vous en prie, dit-il douéement,
avec autorüé néanmoins, en lui posant la main sur le
bras. Vous alliez protestei' de votre fierté, n'est-c~
pas? Je ln connais, ma chère enfant, el je l'admire.
Je connais voire vaillance, votre fermeté d'âme dani'l
l'adversité. La société cependant n'est pas organisée
pour permetlre au - femmes de cerlaine condiLion de
gagner 1 ur pain. 'i peu qu vous connaiAsiez encor
les laideurs de la vie, VOLlS n'ignorez pas de quelle.
difficullés t'Ill h('I'Ïss6 l chemi!\ d'une f mmp de v lre
ilg 1ivl'('(' Ù srs seu les forces. I ~h
bi n 1 pal' sUl'croit,
aux fuiblet; avantages positifs que présenterait mon ...
ma combinaison, j' 'n vois un nuLl' Jo llature moral :
('('lui d'un prol, cLion lou[.!' paLl'l'Ttt'1! ...
I('~
c fllL lui-ml'me qui s'inlNI'ompiL par lIoe 1{'gl~I"
h('si Latioll u fOl"rn ulo/" Hll pensé,:
\OllS me eomp" 11 7. bil'lI, mon rnfnnL ? .. \ OUEI
('ornprenc7. quI' j'ai pOUl' Illliqll!' ambilioll cl!' rrmpiao l' do Illon miru: orlu; ([ue VOIiIl avez pel'tltI ~
H. apeelant, III l'OUgl'III' ([IIi l;laiL lllonlpp nu vislIgl'
de Louis!', lin instant. il détolll'J1tl d'plie HCB yeu.' ct,
tl'I'H viL il e~on
Linull :
- Celle p,'olcct.ioll, ail1, j vlll/' monel .. , \OllH H'rnil
If'quille pal'll' :{('uJ [uÎl dl' porI. '1' Illon Hom: C nom
";ll hOllOl'nhl ; j'Ill!' RUÎfI t'110I'CI' du 1111 d011nl'l'
({lwJe/i1f 11181,1'1'. Si 'ou IW' fniteH. l'honn;UI'. d,t'
l'Ile oplor. 0' 'HL moi !J.ui mu licutlrui pOUl' l obhgl' ,
�VF;UVAGF; BLANC
puisque j'y gagnerai une douce et gracieuse présence
qui sera, le soleil de ma, vieillesse.
Par suite du désordre de sa ponsée, Louise demeurait muotte, Des larmes dont elle n'aurait su dire la
nature lui montaient aux yeux:.
- Deux; mots encore, reprit le général. Jusqu'à
présent, je n'ai exposé que 1 s bons côtés pour vous
et pour moi de... de cet arrangement. R,este Ô. examiner les objections. D'abord le ridicule d'uno union
lellement disproport,ionnée qu'elle en prendrait même
quelque chose d'odieux ...
- Comment pouvez-vous dire ? ..
- C'est 10 monde qui le dira. Mettez-vou à sa
de vieux Jou ..• Cela m'est çle
place. On me tr~ia
peu. Que par aInSI vous. L~ou
~Iez
la sécuril' QI, [a
plAi~
1, qu'importe les crJalUones? Comme le di~en
les Afl},b s; le chien aboio, la caravane passe." SUI'
unpoint ~ouleri8
seraient-elles jU!itiflées pOllt-êlre. Ne
dom-je p~s
me faire scrupule d'enoha1ner votre
jeuneS!l6? A celu,
es~
vra~,
pourvoira \(' oours
natul'ol des chosos. J 0.1 des moLlfs do ne> pas mfl croir
destiné 0. une trùs longue vic."
- Oh J général. ..
Le joues d Louiso s'étaienL Cmpour(~B.
- Eh quoi ? .. C'ost moi qui podo. Diou fOl'a <l
moi il sa olont(·, mais 8 Ion Loulf'B vl'aisombla.nce!l
bUl1laineB, VOU8 Il 'l'CZ libre !,lBS 7. lûL POUl' connaiLr/>
l'amoul' d'un mari... Chut J chut J fiL-il avl'c un
bQnhomi d.oue ,pas d'obBOt·vuLionll .. ,
Sc levanL, il ajoutu :
- 1 UB 11011 plus de l'éponso uujouI'd'hui. Je Il(> veux
point OU!! pr ndl'c pur 8urpl'i sc. RéfléchissQz. CQnsuacz oll'o !'(liso~.
Yotl:e .CO'UI' I,UlIlSi, rar Upl'I!I$ tQuL,
(;'e~L
i -0 lUI que Je I$olhclt ". un cœul' lilial. .. POUl'
mu h' donnor n6om~s
dans de!! 'QIlùiLio1l8 si P l'ti.
ouJi~/'es.
eD.COl'e Iaut·tl que vous n soyez ontièremenL
P.
�VEUVAGE BLA C
os
maîtresse. Lorsque vous aurez pris une décision, v'o us
me la manderez.
Déjà il s'éloignait. Après quelques pas, se retournant:
- J'oubliais ... Bien que je ne veuille point vous
presser, force m'est de vous faire connattre ceci. Une
veuve d'officier n'a droit à la pension que si elle a été
mariée deux ans au moins avant la retraite de son
mari. Or il ne me reste plus que deux ans et quatre
mois d'activité. ous voyez qu'il y a urgence.
Et rapidement, comme qui vient de faire un mauvais coup, il disparut au tournant de l'allée.
CIIAPITIŒ
l
Deux mois plus tal'd, Ludivine écrivait à son frère:
ff Il est toujours facile de plaisanter, mais je partago
l'avis de et aulre :
QUI fa il trop Il malin quclqU!'rOl 5 failla hét,..
I(
L'auteur de
e judicieu
aphorisme ? .. Inutile
que je 10 demando à AUl'ore : EUe n so rappoll
jamai de qui sont ses traits d'osprit. Don 1 Tout-
Bruyèr s, 8ans om tlro lontbérault, l' Tout-Molinuhart, y compris s gal'nison t l s châleaux oirconvoisins, ont jasé, glo é, clabaud à langue quo
V(lu,-lu. Un mari g oomp l'tant rruaranto ann608, d
difT rence ntro Jes conjoints, Il n'est pas ol'dinaIrO,
JO l'accord. v c la logiqu qui cal'actérisC' 10 mond ,
lout on l'oy nt d voir r Ipnndre SUI' Louise desla~
do crocodil", on déclat' 1 moiLié figue, moitié ra18U\,
qu' 110 trouvé la pi nu nid. Il faudrait pourt~L
s'ont ndro: li 0110 l'st un vieU me ou bien Ile Il mIS
dons Jo millo - r'rst l' tm ou e' At l'autre.
�96
VEUVAGE BLA:';C
« Pour ce qui est moi, je suis très, lres heureuse de
cette solution. D'abord parce que Louise ne s'éloignera
guère de nous, en~uit
qu~
ceux qui ~'aimenL
doivent
se réjouir de savoU' son eXistence fixee dans des conditions plus qu'honol'ables. Quant à la plaindre
d'être la femme d'un vieux, maif. je n'y songe même
pas. Il est certain qu'à première vue, cela choque.
Cependant, s'il n'esL pas un jeune homme - ni même
un homme jeune - il est général. TouL ce que tu
voudras, mais cela ne fait pas du tout le même erret
que s'il était notaire par exemple - soit dit sans
ollenser la respectable corporalion à laquelle nous
appartenons de père cn. fils .. Tu diras que j'ai de
l'imagination, ne l'ayant Jamals vu qu'en pékin, Mais
j'ai assisté à des revues do gI'undes manœuvres et du
14 juillet. Je me 1 l'apl'ésenLo donc très bien ù cheval
sur;o Iront dos lroupes, cn culotle blanche ot ceinture rouge eL 01', avec les fonLes en peau de l'opard,
levanL son épée po~r
c?m~n,l'
10 (,16fi1é ot salué par
le dmp au,'. ,Julw, a CJ.lll JIU faIL part de coLLe
r(lflexion puprilr, s' st roui ~c, remarquunt, non BallS
raldon, (lUI' Sil femmo 10 verm plu!! SOuvenL Tl
pan Loul1l's pt bonnet gl'ec~
Oue vùuX-Lu, ces choses-la
no !;jO l'ltisonnonl p~lnt.
EL qlland llIu rno, Linus, hi l'
nncoro jo 1 voyms l'entrOl' de 811 promrundr on
simplC' vr.lon 'i leggings. fi 'Lait. SUI' ee grand' pur
8ilng qlle tu 01\ monLe Salivent, CenturiO/t. Eh hi"n 1
:u. COSLpf'OUS8C, llV'C !!l'I!
je L'ussul'o quo I,n ,t"n('J~/
nirs Frar,!lssc, CIIU J fJ CI'OIll(; RlII' la rouir, t1'élnit. nulle
pllrt. nupJ'ùII do lu.i,
"
(( AIIIHII'plua, Il,~o
Il (lglt. pas do ç'a. Co rn ,'inge-là
n'esL pmI un m,lrwgo commo lin nutr '. Lorsque
j' nLcndll tr itel' le g(\nf.ral do vi ux tOf{ur, celu rM
rn l r.n colèl'O, c'Ir quolquo oholl(' me dit qu'il il f/lit
lino lr 8 hello action rL ln:!! d~ inl (l'CsBrie, E L.e il
nLcndro <1 110 fi ':iOU ('titI' Louiso l'nit ('pou!!6 pour lu
�97,
VEU\'.I.GE BL!.'C
posItIOn qu'il lui donne? Jam~is
de la vie: elle est
bien trop fière. Et si ene a consenti, c'est qu'elle
l'aime ... Ne ris pas, Claude, je t'en prie, ne ris pas ...
tu me ferais de la peine. Bien SÛI', ce n'est pas de
l'amour à en faire du l'oman. Comment dirai-jo ? .•
C'est tellement difficile à expliquer, et pourtant je le
scns.
({ A ussi, d'entendre l'aire des gorges chaudos, donl il,
faudrait être bien bouchée pOUl' ne pus comprendre 101
sens, je son; do ma peau, sans pourtant trop alleI1
contre, cal' enfin, pOUl' parlol' comme Julie, ce nc,
!lerait pas le premier ménago auqucl il arriverait mal~
heur, m"'me sans la. circonstance atténuanto ùe;
quarante ans de trop. Soit. Mais, jc lerépûLc, il y n.
(IUclqnc cho~e
dans ce ménago qui me ~emblc
le,
dill"ércncior totalemont dcs autros. Louiso c!'ailleUl'fl
c t la loyauté mêmo; dès qu' '110 s'csL engogpc, c'esl
en connaissanc de couse, t ello fera honneur li
lia parole, j'on jlll'l'I'uid comm de moi-ml'lllC'.
(( Il va Huns dir 1 mon cher Claude, que tout cc qur.
je le ('onfic ici, la l'etenur séant Il mon âgo et à mon
'CXC, scIon lrs liol nncUcs cxprcHsions de papa, m'cm
Jlèc:hr. de le di!'('utel' en société. Voilà bicn donL j'enrage, cal' HHlSÎ doiH-je lai ,,"r pasdel' ('ent sottiscs.
Il EtanL delltillôc, UII IlUI'plus, il noîfT l' suint Catherinr., j'ai de pin d' IlC point m't': LcrniSN dan' cct
,"IIlL amphilJil'. Je SHi:; Üt"e;d 'C
m'érnanripol', 10011
1
h"",
je L'Cil
f)/'évion~.
Honni soit qui m'li y pcnsc!
l'upn Icvl:fl1 Il'iI bras au plufonrl, lrloman s'rxclllmPlli
I{UO c'psL vraimont hien malhclIl'CU.· ; pui!! ilfl f;'y
l'oront, uyouL hi"l1 Ll'Op ri" sel1s p01l1' nf' pllS, au foud,
parll1"or ma fll\.on do voil'.
Il ~Jai!l
me voicl loin do l'ohjol, li celte IcLlr~
...
(( Il onL dOllc ,t(l mari('s SUl' )cs neuf hou 'Pd 011
fllillill ;'1 ln mnirie
011 nOll
IlVonB •dl! U8 uym' (1 llTl
•
,
P dl du pl'I"C Lohllf'iol', jc no lu dit; quo (.:. lIll>
7
�98
YEU\'AGE Ilt,.\'C
dans notrc bonne vieille église, il l'auLel de la \ïer:;",
comme de règle pour les veufs. Personne crue nous ct
les quatre témoins. D'abord, papa, puis un ami du
eOllsin FJ'csnaye, venu de Pans. Pour le général, deux
anciens camarades de Saint-Cyr, dont l'un Commandant en chof, s'il vous plaît", Et, ceci donne bi,m
raison il ce que j'écrivais tout il l'heure, malO"l'o
l'absence de sabre, et d'éperons et de Lout l~u['
flana, je te prie de croire qu'ils éiaient quelqu'un,
( L'un du trpe se~
~usi,
un ancien hlo,nd ü peLite
muu-lache hérIssée, 1 aIr pa~
c?mmod, ,malS blagueul'
- ce qui, en langage academlque, s appelle tout à la
piarre ei un chic épatant. C'est d'ailleurs un cavalier
rt lin grand seigneur. L'a~tre
-,celui aux plum n
blanches - plutôt trapu, Je ne Sais quoi de net de
rlru de arr, nt avec ç de très hon. Un hrros ~OIlS
,
"1
,
a raconté
notrr eOUi)lll",
car ~ ~ ' y a pa~
il dir , Je
grnér'al Thierry eAt nO,tl'e co UAlfi a yl'éHenL. En lndoChin, pal' son Rung-froul, s n Ilergl , san inLl'rpidiL0,
il Il flauvé du maSSElCl' 1.( nto unI' peLite rolonnr.
altir 'n clan, un gllst-apE'ns, qu'n v ail'Ilt HBAaillir, it la
fHVClll' d'une rrve, do forccf! vingL r is IIllprl'i ur s.
Eh bi n! mon rhe!', Lu me rl'oil'al si 1.\1 voux, crI so
vnit. S us sa simplo l'oscLl , on devino Je gl'and 'O\'c1on.
u hL puis,
qu'il!! pnl'lrnL hiülI, CP/! fiOIHifll'd ...
Ils ont vu tant dc gens, ta/lt dl' ch(Jtj~,
IlnI\H comptrr
cplles CJu'il:! ont fuit Il ... Ait 1 ce n' 'ilL P!\R Ilver- ITIoi
(1110 reIn pl'eflc!t:a, J~
J~g(mdo
du.1 amollol. Comment
lIolfliL dlo posfllblo 1 SIon 1('11 lnepLes fal'r Ill'ri qui
l'onl inventée, ('l'fl hommo, c!onL ln vic F1'csL pas~
Il
('Il ('ommlllelO!' d~f\ltJ'LS,
jlBr~I'H
dt'.' vingt-riner l'L
If' ntr mille 1'('1l0IS, p05sédernl"~
If' drgn\ !l'in\. lIi('rucr d'lin pOltip/,-GOTlsign r ...
ela nr 8e discul
ma Il\('
Il
pOR.
Voila l'opinion d
Lulli vinr. Sigeborl, Inquollc
�VEUVAGE BLANC
90
croit n'êtra pas plus bête qu'une autJ'c, voire que ces
messieurs qui mettent du noir sur du blanc.
« Au surplus, je prêche un converti. C'est
dommllge, Claude, que tu ne sois pas resté soldat ...
« Pour finir un récit qui s'allonge, après la bénédiction nuptiale, beaucoup plus brève - bien que,
n'ayant jamais vu trois généraux ensemble, notre
excellent curé n'ait pu se tenit' d'y aller aussi de son
alloculion - on s'en est allé déjeuner à la Saulaie,
Maman a pensé faire une maladie de cette dérogy.Lion
à la coutume. Car enfin, soulenait-elle, « je représenle la mère de la mariée ». A quoi il a répondu:
« Et moi, hère madame, je Buis son p ra ,), d'un
Lon si imp l'utif, lout en étUllt bonhomme, qu la
question s'est trouvée résolue.
« Louise était Mlicicllse en rob p, ùe laine bhmçhl'
toute simplette, rouis allant ù merveille, petit çhapeau
d tulle garni cl!' clémutitr, av c un rien de /lelll'
d'oranger, e~ voil Ut' 'n poin~
dt' Bruges. Encore unf;l
lungulal'ilf'> qui a fait fail" à maman ses grands bras.
Mais c la, (.' Lait l'itlée d, Louitj
tu pens s bien
qlll lf\ grnéral n'av'lÏl pus mit! le nez dam; lu question
ehilrons - et cl! tllJtl:li a sa l('t "
jusqu':l
« Ils vonl l'US LeI' LI'o.nquillomPIlL chez eu
11\ Tousslli nL, l''porllll' Ù laql1ellc ils il'onL pl'cnul"
)lo!l\:!e Hiull do IPIII' l'ommunucmcnL. 11 'sL . P U Pl' '.,'
f,ll' ü'ubtl'Ilir ln uivilliun de Il 'imll. Cl! soru le r" e)
Il'! lanL qu'u dOll\' hrume de Luon cL ain!li POIII'I'u-L-on
\oisinl'I' aisément Mmo Thirl'l'y - j'l' 'ris c lu pOUl
m'y llUbiLucl'
w'a d('jù engagée d'uillplll'H Ù pussel'
~1(jlq
lpn1pll 'luprt\S ü' 110 ({uand ils 1;wI:onL
I~tnl',.
Lu gl'UI)t!,. vip, mon ch '1'.., :J'ûep ù DieU,
mon geul' dl' bPIIIIL(' n'l'st pns do ux qui inspu'enL
dei:! pt'ni;Jt.:ps d'l'nh'vI'IflClll, {,Ul', au sein dell,camps.aLy(!' Jloblp
1\ fJllI'lH pél'ils Il' m'I' 'posPJ'(u nL POlllt
lllilH ill!:linalwlIs lJulJut:hal'll ,,, Lu JlIul'ul/'l' nuture
�100
VEUV\Cr: BT \XC
ayant mis bon OI'dre, on peut. m'y lâcher en toute
sécurité. ))
Claude répondait brièvement, mais assez exactemen! aux longues épîtres hebdomadaires de Sa sœur.
Après avoir reçu celle-ci, il laissa passer plusieurs
COUJ'riers. Puis il écrivit, sans faire au mariage de sa
cousine aucunc allusion. Dans l'intervalle il avait
adl'essp à .Louise quelques lignes de bancl.{es félicitations.
CIIAPITRb XII
Dons cette grandr ville illrlustl'jrlle de Reims, la
1'0Joni' militaire Ile trouve eomml' noyée. ElI!> s'y
dispC'l'se. EnLre l?s grosses fortunes. du champagne eL
de la Inine, ellc LICn~
une plncl' mOlflS pl'{'pondérante
qu'en d'alllre& gnm.lsons. ~a
venue 'cpendant du
nOllYNllI divisionml1l'e excita un inV'l'êL assez vil.
Avont môme qu'il elÎL paru Ou ([\Ial'lirr gpnéral, LI
mali~é
fJ'éta..iL dOllné ample Cnl'i~rf.
Lorsqu'on ]e~
l~onIL,
rruehl ufl chos'. d.ar~fl
l'alLll.llde ,'p,cpecliv(' UCl
la jruflc fcmmc et du \'1011 'pou: bIentôt intimida! '9
langlles.
Tout RlIPf'I'flci('lh'mcnt C[lle jUgl' le monde, L dan::!
lin rsprit d'invrÎab~c
dénig['cIl10t~,
Il'',.l\illct''rilé pOl If'
f!ll soi uno fol' '0 qUI pills Oll mOlnfl Il IrnpO:lc, 1'J]('OI'P
qUl'
l'upinioJl n'oT! vrllil.ln
JlIH!
eOllv Ilit,. :\iruü
bIll'
appellatIOns, <JOl1Jugulf'!j t'Tl SOmml',
IC Illon urni
JJ
pl cc ma 'ht'I'c enfl\1lt )) semblaicllL
prrndf'f' JI'III' Ilercpl!on. lil.lérnJI', rl~vant.
j v('['it lblement. un I~?halg:
d. al1l'ctlon pt de ,palcH'nit", quo Il!!!
rogurnurJlscfl fal ul/mL long feu. U HII(' lUS ROlll'ÎnÎpnL
nv'c indulgrIlcc, !l'aulres pCl'sif1nj p nt, ('n appelai 'lit
IrUI'IJ '(\TP~
:\ lu
1001 air
('.Cd
ont )':10"( e, maÎ:-l
("('lait !l1~
('Ollvi!:liO/l
�VEUVAGE BLAriC
101 ..
bien profonde. Peul-ètl'e se rencontra-t-il quelques
jugements assez fins pour soupçonner la vérité.
Ceux-là toutefois qui sentaient ainsi n'avaient point,
le courage de leurs conclusiolls, car ce sont sujets sur
lesquels on redoute de sembler naïf.
Pareillement en allait-il des faciles pronostics émis
SUl' l'avenir du ménage. Les hommes mêmes qui
'afl'eclaient de se préparer à tirer profit d'un cas aussi
anormal élaient déconcertés pal' la façon d'être de
cette jeune femme, jolie pourtanL, d'un charme si
pénétrant surtout. Non qu'clic fiL élalage d'aucune
sévérÏLé. Très simplement, elle demeurait elle-même
Le 'tait le meilleur moyeu assur/'menL pOUl' soutenir
une situation particulièl'o jusqu'à n '\trc scabreuse.
Quand au général, la digniLti très haute mise en lui
pal' un long passé d'honneur le pr'pservait du ridicule
et de l'odieux qu'il avail prc%enti~.
11 ('lait l'officiel'
instruit, laborioux, ûe 'alt~r.
il't;po~habe,
qui
dans Ir m(·tiel' dos Ul'mes apporL un peu do J'austéritè
J't'ligiuus . Et il :wuil élé d'autant plus prufondémont
atL!lché au dr'apeall qu'il "L'l iL sevré do touLe
a(\ t'lions, ri oulant pl1ls injJ~xbl
l mcl
sclllv du
dr.voiJ' mililairo que dans son l~oJcm
'nL de cœur, llul
do BO trouvcr jH muis en I;onfli~
nVCG
;lIllr'c l1r. ri~({lIaL
('elui·lù.
L dP.llil l'li 01 qui avait pr.. ; 8111' 10 plein rlo sa
muLllr'ill;, Cil) conl1nanl dam; une vio relil'éc ct
SCJVl;r'(', J'uvoil incliué VOI'S lu l' '·I!exiou. Possédant
d la cullure, cie ln IceLlIn', il s'étail fait. sn pl'Opl'I'
philodophio do!! chosos, UII pOLI synLh ',tisé!) pout-êtm
au gl'c dos ospl'Ît. curial!" d'aflnlycp, mai!! ollo l:'C~
('lait qu' plltfl fOl'lc, <'l sCl'eine aussI dnns tin s~v
'lt~,
,JamniB il /l'avait lité ll'è pl' liq1lnnl, muis louJou,l'S 11
,'tait l'I~ lé l'eligiou . nt dans sa foi, J'obu le q,llOlqllC
ou urcc Ipll1 simplifiée, il pui ait lu dl~
de.
potiLe,; vil ·nie, commr: dOl! pcLilt'S vanit;5 d'IOl-bos,
�102
YEUVAGE BLANC
Son bonheur de ce foyer reconstitué n'était pns
p~in
1~ sucrin ce demandé
égoïste; il ne m~conaist
il un cœur de VIngt ans. Là etaIt a ses yeux le point
d'ombre. Du moins sa reconnaissance attendrie en
donnait-elle plus de chaleur encore à sa tendresse.
sans doute, au
Quant à l'av oni:, 'pour lui si b~ef
regard de celle qm SI longLemps lm survivrait, il s'en
rcposait sur Dieu.
Et Louise, était-elle heureuse? C'ost là un mot
dont les acceptions sont diverses. Elle avait la vie
douco ot sûro, elle était honorée et chérie. A celui
qu'elle appelait son m~ri
<:llo pOl'tait une affection
quelCJue regret de sa
profonde. Si elle nourI'l~sat
liberté aliénée, de sa Jounesse cntrav60 par une
fic lion cela, personne no 10 savait, jamais no le
saurait. Le savait·olle môme, voulait-oUo le savoir? ..
Sa raison MaiL. de celles .<f ui fJO~L
assez fermes pour
fj'OI'J"Lor ail seml do corlUlllS ropiIs du COOIl1'.
fin d'gaycr' (le\' intérieul' uT,l peu gravo, le général
avait souhaité quo la plus Jouno <.1 t:I rlcmoi~es
Sigebert fùl souvont oupr:s do flU cousine, do qui l'Ile
avait fail lia sœur d' loctlOn. ",ntretenanl < vec son
1"1'01'0 une acLive olTespondnnc, il n'fllnit gUt'ro de
}pttl ccl Ludivine qu'ollo ne lui parlât do Louise.
« Tu n'as pns ouhli6, j'espéro, colto scie de famille
que nous nvions puis60 dans los Lettres d'italie ùu
présidont d.o Br05SOS - ~uol1
rrudit}on 1 - : Il Commont l,cuL-1l tant pl UVOll' Il un aussI petit cndroiU ))
hu' annlogie j? L dirai : ~'OSL
in oncovnhlo co quo
peuvent l'Lr'o 16condc9 en ov llcmonLs no!! JocalitéA
grrtnd08 commo unf' hoit il violon. L'lIlÜI'O jou r, jn
L'avui:j mand6 11 mill'Iugo d'Hôl '111'... Plll'don do
Nelly l'rpin avec un officiol' cl'lIl'lill rio d!> la ':'1\1" .
CalH n'llvniL rion do bien l'cmul'quHbll'. Mill C Ur.
f' mill(' fournÎL à ln chroniquo 1!0ifl!ilmnniRo, aill. i fJu'lt
�VEUVAGE BLA!':C
103'
la nôtre, étant à demi Bruyéroise, un chapitre plus
sensationnel?
(( Ce grand nigaud d'Édouard ... je veux dire Eddy,
avait conçu une passion délirante pOUl' certaine
Dolorès ou Mercédès, première (et unique) chanteuse
et danseuse espagnole - d'origino auvergnate - au
beuglant select de la ville i1lus Lrée par son vase et
ses haricots. Comme de juste, la sefiorüa n'avait pas
cru devoir tirer de sa jarretière le traditionnel
poignard aux Hns de se défendre contre les entreprises
de ce bon jeune homme. Tout au rebours. Tant et si
bien que les écus de Pépin père dansaient une cachucha non moins effrénée que los malaguefias, habaneras
et aulres séguedilles de cette étoile chorégraphique.
Bref, pOUl' extirper le mal dans s racine, on a coupé
les vivres à cc jeune cornichon, d'où rafraîchissement
notable ùans les sentimonts do la demoisello. Ensuite
de quoi on l'a conduit à Bordeuux oL oxpédié, LeI un
simple colis, au correspondant de la maison l épin à
Buenos-Ayres, où il va faire onnaissanco avec les
moulons dos pampas, dont jusqu'ù présent il n'uvait
vu la luine que sur les broches ue l'usine.
I( Ce n'e:;\' pas poliner que di!'
quel coup en a rcçu
notre .fulir. ,ar, bien quu dCPlli;; quelques mois son
f1irl avl'c 10 jeune châLoluin de Vorge!:! !:!e tl'ouvâL
{'maye eL pour nuse, -llo n'avait pas abllndonn,', 1
pal'li " ayunl, al1n de l'entl'clenil' au cour!:! de l'hiv'I',
ace pte plusieuJ's invitation Ul ville 'hez les Pépin.
Son humeul' n'esl PU,j sans uvoit' SouJTel't ùo ce
mvcomple. En personne de Lêto, toutefois, elle le ùi~
simule ussel: bien.
u JC' cl'Oin:i fort que cela loul'no nu profil dc ce
hellâtr!! dl' Coslerollsse. Il s'occupo beaucoup <.l'pile
Cil
morn nl ct dlp no 10 regurùp pUeI J'un œil
d~faYol'ub.
01' ' gUl'çon m'l\ toujours profondément
hOI'l'i!,lill'. C'l'st le l('l'idional dans tOl1Lt' ;Ion ho 1'1' 'UI',
�1Olt
VEUVAGE BLAXC
baval'd, flemmard, vantard, hableur et avantageux.
Ces jours-ci, toutefois, il nous est revenu de Laon
qu'il joue beaucoup au cerele - la corruption des
grands centres, comme dit notre curé - et cela sans
doute la d6frisera quelque peu. Dans l'intérêt mème
de notre sœur, je crois que nous devons nous en
l'éjouir.
« Comme Lu vois, nous avons qlliLté Reims. LouiRe
pst déjà insLallée à la Saulaie, pour tout l'été, eL le
crrnéral vienL du samedi au lundi. Les trains sonL
t:>
très pratiques. De temps à a,!Lre aussi elle va passel'
l1n jour ou deux auprès de lUI, « pour s'assurer si ses
chemiseR ont des bouLons )J, dit-elle en riant. La
vél'il,; esL que Louise lui esl profon,lémr.nt dévouéc eL
à juste l'aison, car il la comblC' d'aLenlio~,
de bonLés
lonLeR put (,l'DOIIOB.
cr 11 tient, pal' c,'omplo, il cc qn'ellc gouvel'llC SOUvOl'ainemenL lu Saulaie. Elle s'en acqlliLLo fi ravi/'.
Ccla IlC t'pLonnera poinL, sachunt comhien elle sl
s,\riewo\p, appliqw;c, inll'l.ligente: Papa c pendant
n'I'll revionL paK Je lu vou' s'nsf:llmilf'l' si vite (Il Bi
birn l,.'l chwrs l'male::!. Elle ]ll"\Lenrl qlH' c'est sa
vocation qlli 8e l'l\vèlc. Si Lu 'H l'IHlmml' dm; hoill,
('lJl' Nil III fomme des ehamps.
OIiS 11111'10ns l,ien soment Ife toi. Elit' S'il(.e~I
bcaucolljl .\ fc~
nfraires el jo lui ljf! l ~ lpl!rr.\,
IcsCJllolics c(']Jl'wlan L!-lonl Lrop Aohm, df) Ù':·Lllila. Cclu
l' semble toull'!implc el nntul'd d' 'Ll'Ù nll Manitoba
l':-.pècl' ùo Huron. tllaiR nO\l:3 fl.1I tI't'!1 , apprenùre ur:
pou comml'Ill "r, L fall 'L ('e qui ii'y pailse, roln nOUf!
dJnngei'ml. ngd'ablrment dit ù('jà lnl1cml!nL VII Ùl'S
ImssiH de l'Aisne cL II' ln l1ul'l\('. )1
1(
S<'lIsi)J~
Il C'p replochr, C.JOUÙ? ""':l'iviL pllls luugue'Ill. l':uLs <Ive!!' cl'llp slmpl! !lll! (f1~
l'nt'()Pl1t li"
\ {,'it· l' Hd éJO(\1lf'rrl , se l'l,il., Iles description
!Il
�YEUVAGE DLA?i'C
10'1
allaient de la maison Sigebert à la Saulaie, où, touL
comme Louise, le genéral y prenait un intérêt
sympathique .
- Nous en avons donc encore, disait-il, de ces
Français aventureux et intl'épides qui ainsi renouent
la chaine des traditions. Cal' ce n'est pas seulement
au Canada que nos pionniers onL tiré les marrons du
feu pour l'Angleterre. Dupleix aux Indes ... et la
f otùsiane, et Maurice, ceLte autre Ile-de-France ... Dr
lout eela nous n'avons rien su garde!'. Puis, à grande
dépens de sang eL d'argent, nous sommes allés conquérir l'lndo-Chine ... au profit du Japon, qui ne lnrdera
pas à nous en .soulager. Nous sommes de bien Ill'uves
gens, mai pourquoi tellemenl dénués de sen' commun?
Ludivine, de son côté , conl inunit ù lenir SOIl fl~re
au courant de la chroniquo localo.
( Quand je Le Je disais, que le remarquable bourg
"it nallro esL un nid ù (-v/;neIDenLR ... Voici
Ir. de!'fii!'r' rD dat, t lout chaud. L'autre maLin
ul'l'i ve a llrllyèl'es un inspcctcul' cl rB finance:!. CI'
llll:ffif' soil', le plasLronnant CosLerous 0 mon lait en
1'(lJTiol(' pOllr flO rcndre ü la gare. De mUllvaise.4
1I0llVl'IJrs dc chez lui, disait-il. De fuil, ceux qlli l'onL
perçu (:onHlnLI f'l'nt, qll'il I~t(l
M ompoliP. Et, onr.quc;
Ill' If' f'(!Vef'l'onH-nOllH.
,e rlldl !lX pl'l'bOnn gc :n'ni\.
burboll' qllinzf' milll' fI unef! dn~
fin ('aisse POUl' 11.1 y(' f'
il 's <.Ir-Lt 'H <.le jr.u. Oien l1ulf'ndu, il KU PI'l)(~uiL
ÙI'
l'l'meUrc l'Hl'genL qualld nurail, l.oUl'n,; ln "cino pL
"nllb dOlll ce u'ùlnil po la IJI'cmil'f'c foif\, Lui R lnllL
\0 lu ('f'U IH' Ù l'I'nll. .. [Ji'c!', If' VlJici J'I"V{HJlI!\ l'Of~I
'
dt! droil, 'l'In,; crjlCfldauL vll'p pOli f'l ' lli\'i , aa fUI.HIlI'
uy nI, llvisl': l'udmillhLI'ulion flu'I'IIe l'cmh,)tI~rL.
Il
C pUl'alt JI' qu I({uf' fOI'Lllne, Pt. . on l't'l't' /l'l's\' qu'un
IIlOÙ sLI' 1116ùcl;in Ù" cUlTlpognr.. C'c:;L lu puuvre dot
<\,. [1 sœur' qllÎ pniel':l le: pol,s (!a\l"l'fll ...
qui nOUH
�10G
\" E l VACE nI •.HiC
c( Nous voici donc débarrassés du Toulousain. Papa
ct maman en onL une souleur de cett.e histoire-là ...
Tu penses!.. . On s'explique à présent. ses empressements subits . Bien que chez nous il n'y ait rien de
riche, sinon les rimes d'Aurol'c, un peu d'argent
liquide lui aurait tiré du pied une forte épine et
ensuite, à la grâce de Dieu ou du diabl e, selon l'insouciance de ceux que papa nomme les amants de la
dame de pique. Julie, q'!i ~écidment
a de l'estomac,
afIecte une profonde mdlfIérence pour l'incident.
lais j'ai tort de plaisanter, cal' elle l'a échappé
belle, la pauvre.
cc HernaJ'ques-tu, Claude, c?mme l'ex cc peLit haut »
tourne au philosophe? .Cela VIent. de chez les Thierry.
nous; mais enfln
Je ne dis pas qu'on salt bête c~ez
je n'avais point encore eu p~l:eI
commerce d'espriL
San privilt\ge de fe~m
marwe donne à Louise plus
d, libcl'lu pour exprImer sos façon,i:! de voit"~
Icsquelles
sont touL il fai t. fines, avec leur'pettL grain caustique, et
lui, c'eot la sagesse ~ême
, .le Jugement le plus sûr, le
plui:! tll'oil, sans que 1tigo nl l s chagrins l'aiont rendu
InOl'03C,
cc La noll:' hllrlesquo qui so Lrouve en taUles chas i:!
c"t donnpc pUI' ceL imbUci.lc d:Achil1e qui, voyunt 10
tOI'! nin déblayé devant lUI, fall plus quo jamais ù la
fillo du son patron ~e:l
yo.u' de curpo frite. Un peLiL
hr.:-riln"o Vil'lÜ de J.Ul c.hol!' eL co 110 sOl'aiL pus SUI'pI'CI1Hnl quo quolquo Jourtl'sc~b.
tOU.L Bun coul'oge,
co qui n'rHL pus beaucoup dJJ'c ... MalS 'U dépit tlo
loute- ceR fâchl:'uscs avcnturcs, papa nc VOUtll'U ril'Il
su '011', maman pas davanLage, j' 'It suia bicn ct'rLaino .
.Id!' dirn i IJ li SUI'plu!! qU!' nous voyonR Ll'cs peu J uli " POlir'
i 'Il maI'quer' suns douLo tlUO nul dOSHOill SUl' Eddy ne
l'attiraiL Il \Ul'g 's, 1'110 y va f.llu::> quo jarnai",
lIot.llnmont lOIH lo!! tli,?anchos. L~
mui wn . igi'bt'I'L
s' \'id . ct llllln:)1l nt' salLpu~
(fliC fnll'c de lion activité.
�VEUVAGE BLANC
107
Un mois plus tard:
cc Eh bien! mon Claude, si, comme l'exige l'ordre
des préséances, tu as ouvert avant la mienne la lettre
de maman t'annonçant la grande nouvelle, es-tu
tombé pile ou lace? Hoin 1 On ne s'y attendait, guère
à celle-là ... cc Pépin fils açulso non deficit Pépin père » 1
a dit le juge de paix. Encol'e que ce propos fasse rire
un peu aux dépens de nolre sœur, je ne puis me
défendre de 10 trouver plaisant. Combien vrai qu'il
ne sied point de diz'e : fontaine ... Julie, qui s'était
tant apitoyée sur le mariage cIo Louise, épouse
aujourd'hui un quinquagénaire en bonne marche vers
son douzi me lustre ... Et ceL estimable autant que
bedonnant induBtl'iol no posstidant pas la prestance ni
l'enverguro d'un g6n6ral do division, j'es1.imr que la
dizaine d'annéos de plus au profit, ou plutôt au
désavanliago do noLre cousine, se trouve largement
balanl'ée.
« u vrai, il y a des componsations . On s'enrichit
plus dana los tisslIs raf! qu'au I>orvice du pays. Jnli _
va nous (~blouit'
de son t'as Le. cc Ello sera une grobse
dam » , dit admir blomenl,. Clovis. Loin 10 moi IR
p nsé do crilir[llel' son ChOIX, pa:; plus quo j n'approuvais ses romul'qu 8 au Hllj t do l'elui do LouiH . Il
no fnul point arranger 10 bonhoul' dOR gons il sa
pl'opre mnde. EL puisque Jlllir Il dn gOÎlt pour l'al'gent,
nous c!ovona lui souhaiter j Jjo dl tout cœur'. No ..
parent!!, it ({ui importe peu l,. l'ev. 1'8 de la médaillo,
r. 'ulLenL, commfJ tu peux lunagme/'. Lo s ul point.
noir, (,'t t Daisy. EU,. no so voit p. 'i volontiol's
,uppl nLt1p clnmls tl fonctions cl chitL Inine dt' Vorges,
cc aVt'· la ('ÏJ'cOllsLance aggl'avanto, assez ironique,
cio l'amie d'hic/' devenant ln bell ml\re cl demain .
. ussi y not-il 011 de c heI quelques pI'npo aigrescl ux éch ngoa, 10 vinait;re l'cmpol'lanL UI' 10 mi 1.
�10.3
YJ:;UVACC .BL.\NC
:\Iaman S'CIl fait du souci... il faut bien qu'elle sc
lourmenle dû quelque chose, Cela sans doute se
Lassera.
« Toul va bien à la Saulaie, Tu sauras que j'ai
donné à Louise le vieux Porthos, lequel était toujours
fourré chez elle. Toutefois veut-il bien nous rendre
cl 'amirales visites; et quand les Thieny sont absent!:!
il rapplique chez les Sigebert.
'
(c Nous arrivons de Reims, où nous nous éLions
ll'unspol'Lés pour donner une gL'ande fôle ; comédie eL
musique, suivies d'Ull cotillon eL SOuper par peLiLel:l
tables. La saison est un peu avancée, mais il avail
fallu aLlenùL'e l'expiration du deuil, cl le gf!nél'al
:<'impose de dl1pcnser int~gl'acer:
ses frais d l'epr'ésenwtion. Aurore ct JulIe en CLUlCllt aussi ct en onL,
l'aiL Ir plus bel oJ'~eIln.
Moi, ?n mu qualité de
quasiment cc cl?IllOlS, lie. de la ma1Son », on m'avait
adjointe pour aldcl' a f:lu'o les honncUl's à lu Iemmn
du pJ'rmi l' officior d'ordonnanco. Bion ({ur ces vanités
110 soiclJL poiul pour ioL ;l'cse~
l'Algonquin qlW Lu Cd
dp.vellu, j'l'JI l'emets les df.L<~s
Ù lH feuillo aupplémcnlaire quo J'ujouLe 10 rnaLm ~lu
Coul'rier. Aujourd'hui te dimi-ju sl:ull'Inell1, COIl:UWIi L~Hi!le
~lt
Jolie.
En toiletLe: de salill blanc gal'fil d(, POIl1L dl' \ Oltls!' L
dr.s r()se~
.all <:OJ'RI\g'f' .. . UIlO J'{:~élnLio,
rj~u['(!-\.oi,
!tf'nll'(!e ie) pOllltllnt ct ayont l'Cpl'lll SOit pl'tit COSLIIIll
gris, ello d! cIal'(' ?!.! 1'~Lroucl
tlulla /:jOll IIlmo pllol'c.
Vraiment, ;'t 1(1 vou' BI gl'uC'l(!use, Il VOc (;(1 je ne suis
quoi d'ais!! ej, de libl'e que IrH feJUm('~,
jo cl'oiij bifJll,
;I('quil':l'cnt uniqr~cl
Il PanH
?" no lu !Toirait
Jw'ij fuite pOlit' 10 VIC. !'u~al.
~)lInL
Il 11101, il osL plus
llulureJ qw', di: r'f~
UjJ1!f'lJll'l'CIl gl',lnÙf.'liJ'S, le l' Lomuo
Hn sr.in de Illes flrHU'S cL do mCil pOlllcs .. ,
" P._t;. - Foin (lu bal Ill. cfe
bion ,lut)', cho v pOLIr l'emplir 1
r,['5
!lJllf'lidf)lJr 1 .l'Hi
dQl'ni"rc
l'llhri rJ1JIJ<<
�\Et \',\GB BLANC
109
nouyelles ». A l'inslant nous apprenons que Daisy
Pépin couronne enfin la flamme dont se consumaiL
Lauris Lehupier. Vraisemblablement le légitime dépit
de voir son pèro convoler a-t-il contribué à cette
décision. Mais jo soupçonno qu'y aura eu sa part la
mort du maire- dont je t'avais mandé le coup d'apoplexio - qui faiL de ses enfants de riches seigneurs.
Daris le pays on parle d'une succellsion do Lroi',
millions. Papa, qui l'a liquidée, ramène à quelque
sf'lpL cenL mille franc la part ùe chacnn. Dnisy ayanL
rent mille écus de dot, lu vois qu'ils n'auront point ù
:" faire inscrire au bureau de hienfaisance, Daisy ~B
propose de ReCOuer la pou:lsi~re
do Ars pieds et di'
R'l?lablil' Il Paris, Mais au pl'éalable, Lehupirl' ayanl
besoin d'être un hl'in polier" ils voyagrronL. li:! VOHL
('ommml'iel' IInp automobile de grand tourisme (t.
la côle d'Azur. CI'and 1>irn le1t1'
passel'onll'hiver ~1'
fasse.
u C nonvcl hyml'Il va l'clanle1' un pCII coilli dl'
Julir. Il serait malséant quo, loIs un fl''.I'C pl, une
Mmur, 10 pl\re cl la fille fus"clü conjoint!> simultan'·'IlIenL, (Ill m0me !lnLcL On sera bien trisLe ùr. ne pas
l'avoir "Il ceLLe occaqion, CUI', d'aprl\~
l.rs lelll'cH, il ne
'a urait ~l'e
quoslion de JonO'lrmps fllle Lu fnHRe~
Il
\,()yàgp. En manil\l'c de t.1'I\fI insnfliHnn[,r cooRolnlion,
nOl~
jouil'on!l do la pr\o,'cnco d'Edùy PI'pin, S uul
cinpc uyan L glli I.L," Sois 'Oll!i - sallH Ini 50!' d'alll'e ,He
- on "lILi/lHl ponvoil' k relov,,!' d sn pénitnl'p, cL il
rmb(u'q\lp ~\l1'
le prochain pnqlloboL, >uand POlll'I'OIHlions en dire aul,onL <Ir loi, <fui cs pOl1l'Lnnl biell rollin ~
Jilin i' Non, vl'aiml'nl, lu ne )louI'/'ai;' pas ?.,
Non, C1nlldo nr. pouvait vmimonL pIH, Hllndolph
vunait dl) St) ::ll'ipl' cl s'on allnit. faire son voyngp J,
1I0(!US aux Indus, Ilia .Jupon ..\1. CUl'i~
pÔl'C Inl'ltaiL
l)1~r
~u ('onfiullcn l'Il lui ]JOIl/' Hupplt,cl' on m'l, cL il
�110
VEUVAGE BLANC
travaillait comme un bœuf. Il se' di3posait à partir
pOUl' explorer ,de vastes fO~'êLS,
à 1'0.Lo.L, quasi vierge,
en vue d'étudIer leur explOltatlOn, amSl que l'établissement de grandes sc ieries hydrauliques, car l'exportation du bois en planches est beaucoup plus avantageuse qu'en billes. Très belle aITaÏl'c, à laquelle il
scrait intéressé dans une large mesure.
On s'étonna chez les Sigebert que ce succès imprévu
ne mît point dans ses lettres un accent plus joyeux,
CIl PITRE XJIl
Les jours passèrent, appor'tant à chucun la joie ou
la peme et le soul'ire. sl,lCcédant aux pieu l'Il, J'cvers Ù
ceux-ci, ::t ccux-Ia Lnomphe, ù la plupart de menu:;
l'vénements suns relief, sources de petiLs bonheur.:!
à tous, ~a fuite inexonlble cl li
011 ct puérils chag~'ins"
temps, chaque osclllatl?D de 1 aLemel balancicl' alTachollt un lambeau de VIe, t'our Jc génpl'al Thiel'J'y, ils
am nr\I'ont l'in[]{' iblc terme ùe IW. al'l'illl'e de li voil'
pt d'II nneUl',
LOI',J(lll
Ic commandant rlH la 12 0 division l'lut
dOllllP sa d l'nie!'!' signal ure militail'e, lnise u bas de
l'OI'dl, du jouI'
pUI' lequf'l, PD bl'ôves et noblcs
purol \ , il udJ'eseuil.au ~'(lPo.I
flO~
salut d'adiou, un
'1II0t ion pl'ol'onde vwt 1 etl'cm 11'(' (1 10 gOI'ge, Mais S h'
Y'u: PU '~
il,lslant, !' ncolr)~'u
l~'R
youx df'
jJ l'V
ncll!' qUI lUI A(~l'anL,
du 1111 ('11 CI'
UI1JJJ'Pi!
JOlll'.
Loulso nV~lt
voulu 'LI'o
Allnnt li .111" JI lu baillll (lH
Iront,
Lp bonheur, dit-il, l'I'lld ingl'o.L, Vous m'y 11.\1'7.
L JlpllIl'lIL ho.bitup «li j 'ollblinm C' ((Ile, 1:\31hl \ oLn'
!'I li 'j'! pd':lf,)lJ(:c, m'put étl~
pire la l'ijf!~c
tic c LLp
!Jf'I1H',
Fi.
~ dl~iu'Ias.
IJUUI' ...
accuIIwlil' ce qu l, de:lill
�·EUV.\G E BI
~?iC
111
lui réserva it d'année s, dans la demeul 'e qui l'a,-ait vu
naîLro, c'est en sage qu'il y organis a son ex.ist,ence,
selon ]e plan naguèr e exposé à Mc Sigebe rt. Toutefo is
renonça-L-il aux fouilles .
Qu'a "ait-il besoin de cet élémen t d'intér êt? L'austère joie de ,découv rir sous les décomb res d 's â~l's
écoulés quelqu es armes rongées de rouille, des OSS(lments réduits en cendre , le cédait à celle de regarde r
s'épano uir la jolie floul' de jeuneos e dont s'ornaiL son
foyer. Le souci de la renùre heureu se remplis sait son
'ieux cœUI". Craign ant pour elle l'ennui de cette vie
retirée, padois lui propos ait-il un petit séjour à Paris,
pour qu'olle revit ses amis d(' Ilaguèr e. Mais ('Ile refusait.
- Je n'ai, lui disait-e lle, de meilleu r ami que VOUi:!.
El quand au reste, no voyoz-v ous pas que j sni' uno
cs plaisirs sont ici, avec llll'S
âme campag narde?
brlos, roes fleur,;, même mcs !(!gllmes. N VOllS
moquez point ... Ne s'esl-il pati trollvo nne lyre pOUl'
leH chant r)
pa.; seuleCal' on lisait ;'t la Saulaie , on nf' r 'li~at
ment, fOt 10 mou vernent liLtérai rr y prnéLraiL. 1 ar Ull
"cnv !'Sl'ment des rôlos COll Lumiel':!, Ll'èi:! j ustifiéo en
ln c-ircon:luncl', c' st ln jeun femmo CJ.ui avait pl'i:
'!targe des occupa lion:; acLive;;, s'y nLonùanL 'n elT t
il miracle L y trouva nt un très viC intSrôt , Lili, nu
ConLI',lÎl''' mitigea it pm l'étud 10 J'cpos uuqu"l il sc
compla isait plu fJ.u'il no H'Y fÏlL aLLonclu,
- Co n' st jamais trop Lan], ùéclul'l\-t il, pOlll'
nppl'ondro Iln pOll tout en lJu'on IgonOl' .
1,0 tomp, dovait lui mnnr[lH'I' pour s'lJ1sLruil'o beauI·DUp.
n al1liltCl Il' li 1l1lP.
polHin du lM
n\gion
ln
dan
f!."prdilion d'ingrn iours
d'y prosnoc fine
.
,all
k
Klondy
1
vors
OUI'S,
ÙU Grand
,laud
,ïgohC'1 L s' 'tait joint
�112
terdesgisements aurifières . Plusieurs selnaines durant,
sa sœur avait interrompu une correspondance qui ne
l'aurait pas joint. Retour à TIOis-Hivièl'cs, parmi les
lettres qui l'attendaient, celle de Ludivine, comme
d'habitude, fut la première qu'il ouvrit.
cc J'ai à te mander un grand malheur. Notre cher
eL bon gélr~
n'est plus. ~ouvent
il le disait en faç.on
de plaisanterIe: c( La retrallo est pour nous. une époque
climatérique. Si elle ne tue pas à brèvc échéance
clle délivre un brevet de longue vie. » Hélas! Il n'~
pas mis quinze moi~
à en mourü', Depuis quelquo
temps nous remarquIOns quo sa santé s'altérait. Il
maÎrrri.;sait son teint s'était plombé, il se 'assait un
PCl~
~Iais'
cola som~lait
naturel. .Quand On esl
domcuré très vcrt et vlgouroux, on vlCilliL tout ù'un
'our, cL certes, à soi,'unte-six aM, nous pouvions OS]lt';r'OI' lu ronse!'v!:'!' longtemps encorc, Malheureusemenl
son ol'ganisme si l'obus~e
était miné pal' lu malal'iu.
Lorsquo os fièvres revlOnncnt SUl' 10 tUI'd, parait-il,
clles .'C 'l'crnt do profonds ravages. PUI' là-destlus
s'Olaienl rrreflés des déSOl'dr :l uu foie. Enfin l'ul":mic
" eL c'eôt ce qUI. l'a empor'tr,
R'V "dL mii;c
• (( Il n'a f'!l(, ~'Inim(]l,au?e
au lit qu't~n
moi~
PCIlal~d
leqllel, blCn qllO r me aIClo de mon IOlf'UX, Louig e
Hll l'a pU'I quilL'; d'llno hellr '. LeI:!. (!('l'nic,'s jouI sou-
IClnl'lll, l'Ilu
dil pl'endrr. une mhglO1I8p pOlir le. IlOIIsO.llfTrl'l, ((\,ec 111l"
palif'llt:p, unn dOtlf~(',
lIJJ? l'e!i1gn~tO
nclrnil'nblr.s .
.Ju fllI'a 10 fin il n. conAel \'n Sil plcllno COnIlÜ.~ce
Llli-m0mc Qvnit clcrn. ndP. les sncl'C'mr'n t (llu\ne! il n
/iNt! j t;OIl heure proche, pl 11 n monl l' llne f 'l'lllr.té qai
11 'l' 1 puint pOUl' (~I.)lr/'
de ~,I purt.
Il JI Il rplldu 1(' dPI'rIl 'r tiOlllJll' dans les braH dl' Loui.n
c!o/lL ln 110111 tH t' t. pr'olond '. Tu sni ..; eornbicTI eUr' Illi
,(~tiL
nlt'\oh,;c cL cor le.'! il le mél'iluiL 1I1111'1rm. lit.
li
Jug .. r. Ll' }>llIIHe g{'rd!fui a hCllll('I).Up
�VEUVAGE
113
ELA~C
D'ailleurs ne laisse-t-il que des regrets. Tout ]0
pays le tenait en aŒ::ction et en vénération. Dam;
l'armée on ne l'avait pas oublié, cal.' nombre d'officiers
de tous grades son~
venus aux funérailles, en sorte que,
sans les honneurs militaires réguliers ni aucun apparat, la cérémonie a éLé vl'aimcnt grandiose eL très
Louchante.
)) ScIon sa volon Lé expresse, il n'y a pas eu de fleurs
f'L aussi avait-il proscrit les discours. Un de ses caman.des LouLerois - le commandant en chef, lu sais, uu
}Jeu gros, qui avait élé témoin au mariage - a cru
pou voit' prononcet· sur sa tombe quelques paroles,
tellement émues que j'ai vu beaucoup de grosses mousdans le ncz. Tu ne seras pas
taches qui remonlai~
surpris d'apprendrc quo papa sc tamponnait à tremper
son mouchoir. lnutile do mentionner que je sUllglotais.
!\ vec maman nous n'avons pas qui LL" Louise, qui a
tenu à l'accompugnel' jusqu'au hout. C'e 't inconce"able co (p'il y a d'endurance daus crLLo petite femme
d'appal'cnce si délicaLe.
«
i115i quo c'uluit à prévoir, le LesLamenl, qUI LI
l'lü ouvert. hier, l'insLitu légalaire universcl.\(~
!JIl prn!lion celn lui fniL dun!! lm; huit mille francs d,'
l' ntf', plUt! ln!; nVllnlagr'3 en nature de ln maition, dit
Jurdin, de la petiLo l' "serve. Pas le Pérou, remal'cllw
J'die, conùescendanle, mais nfin de quoi vivI' . Pnpa,
qui n'a point l' '!!pl'lL porLé O,u grand ainsi que notl'o
opulente SltUI', estime (lue jolie, aimahle, occolllplic
eomme l'esL J,ouist, ('(!ltc modeste fDrLune - donL la
moitié, ù III vt:l'ilrl, ('ilL \In l'nvcnu viager - lui permeLLra Ù" 1;(' J'clO'l'iel' dons <1'1' 'collcnLell ouditioll.
J'ai jeté le!! ha\lts cl'iJ d'abord cL je l'ni conspu6 fort mcnt pU1'l111 prapo, qll je qualifiuis t!'aJrreu ...\1ai'. il m'r.
l'oit. l'omw'qllor, avec bcaucoup de SCIlH, que mon illdigllution IiLniL cnfantine. A moins dl' vingt oopt au!!,
clJr n, \11 C 'l'lnilloTllcnL pas sc condamner au vellYngf'
t>
�VE {;VAGE
ELA,'~
pour l'existence. San doute y a-L-illoi::,ir d'y penser.
Mais le temps va vite et papa, homme sage, prévoit
les choses de loin. Puis, chez lui, professionnel : après
les successions, les contrats - toute la vie est là. On
nait, on meurt; ceux qui reste chaussent les Bouliers
de ceux qui sont partis. Si c'était autrement le monde
finirait.
IC Sachant que je t'écli~
la triste nouvolle, Louise
me chal'ge del'excuser pour ne t'en point faire part ellepersonnellement
même. Je suis ertaine que tu ~eras
affligé, car il t'aimait bien, le bon général, eL dans ses
demiers jours il a souvent parlo de toi. 11 s'intéressait
à ton expédition. Il exprimait l'espoit' quo tu reviendrais bientôt faire une visitoà la vieille Europe. PuisseL-il avoir dit vrai!. .. ))
Il avait diL vl'ai. Peu apl"rs avoÎl' ét.é informé do cet
fiYénemenL, Claudo écrivit quo l'état do sos affaires
)1Ii prrmottaiL d'I.n(lo~r
la perepoetiv? d'un con~é.
Cr. ne :Joraii pas unmedml poul'Laot ... 11 He pOuvaIt
dire ;1'1 jusLe ... l'hiver suivûllt sans doule.
" Tous ici, rrpondit Lu~i
vi~l!J,
nou.,; u.ttcndon. lU) pa(iemmonL Ir retoul' (le lonlant prc,dlguo. l\fais quI'
c'PAL donc loin eJl('orc 1, .. J 0 POIII'I'ais-Lu II' HILpl' un
peu:' ))
11 sc hâta. Cnl' quelque!; Hcmuinûs plu~
tat'd (oullltnitlc coup de foudl'c. Débarqué au lIo vro par le pl'(
miel' paquebot qu'il, vlliL .pu IH'cndro, Cluudc rOJoignit flon régiml'~t
~!ln;
nvol~
o~brs6
les siens, pl'I
onnioNlon LOl'l'ltoll'O cllvrt!lI. Amsl leur fUl'ont n Lou
profondément. doulourouses leB quntrl' Itltn60B tra giques. Pflr l'intormédiairo d'amis suisses, qunlqucs
hr6vM nouvelles furent échangées. Il suL simplemont
qu'on e() portait binn, nu" (fl1'illlvaiL été blf}HS " mai
Wl10rnnt 80n l'rond sl"jour ill'hÔpilnl où il r 'naa mou-
�, ELV,,-CE BLi\NC
rir. Ce n'es~
qu'à Metz, où il e1,lt la joie d'entrer un
des premiers, qu'il écrivit enfin, des volume!!, ct en
reçut, particulièrement de Ludivin<:'. Elle lui parlait
copieusement do tout et de tous. Louise, on le ponse
hien, n'était pM oubliée.
cc Tu sais Jo respect quasi Iluperstitieux dos Boohe!!
pour le galon. 10 fait d'ôLre veuve d'un général conférait à Louiso un prestigo et une sorte d'al.ltorito
momIe dont elle a sn user dan!! l'jnlérêt commun.
Ces gens-J, }le sont pa tous aussi mauvkifl les uni'! quo
le autres. Parmi ceux qui nous onL SUQCQfjsivemont piéLn~B
-. des Brandebourgeois, ùes Bavarois,
des Hessois, df;'s Mecklembourgoois, d(1i! BI'Unswiok;oi$,
des HanovI leDf!, dOIi Poméraniens, des Saxons ... toute
la. lYl'C ...... il Y on CI eu :l,VOO qui on ij'arrangeail ttlnL
bien que mal. .. pllllôL mal quo bien. Mais nou IFonR
joui dEl qlle]qllPs brutOfl Ù qui Louiso a Lonn tôLe
~vec
une énergio qu'on n'aurait pas soupçonnéo oher.
'lie, Iii frôle, si dOllC'O,
En ouLl'r LO\li~1
sait l'allemand, CI' qui l\ ét(! lit'!!!)
ul ile. Flle li. sou vl'nL parlomonté uvoc los en v:\hiH:iOUl'llot on finiBR3it p'lr il'I.ulrosser ù elle pJu~
SQuyonL
qu'uu mnil'l', 11,)([u '1 d'ail! urs fi l'Il uno ~cl('nLo
atti·
Ll,ldc. L'c. \~rnpk
de Gotte « fuiJ>1r- fomml' », romme Qn
dil, rl je rnr armu.HIIl pourquoi, l'avait électri 6. Si
,'f lui tlont pllp porlr le nom a vu cf'ln d r. h)'·haut, il a
cil quoi pn 1Lrp 0('1'. Enfin.io n'cxag'\"l1 pns rn disant
'1110, gl'ÎlOO 1\ Louise, Bl'UYOI'OH n'a ('prou\'u que JI'
minirnuJlI de HoufTrullcl' ·011 cn a \ uil quand m['mf'
!In claquo - l't, s'il y n 11110 jUl>tico 011 ('1' mondl',
,)U devrait J ui 1.11'\ ('1' unI' Htnl\w, 011 louL n LI moin.\ li Il
bUl:Il •
I( Quand \ tOIl petit bouL Ill' s ~Ul',
tu te l'\lppell '.-l
t:ommcnl la qUlllifll.lit notre flxcellflHllatini l de JUg'I'
ut: p~i:<
: CI lempetllosa flll P{{1I >1. C'e~t
t dire Qu'cn
�HG
pr(.sence de ma surexcitntion, la famille m'a mC'nacee
de m'atlachrr, car j'aurais fini par lait'e brûler le
bourg ct fusiller les notables; papa y compris. Comme
j'ai tout de même certaine jugeotte, je n'ai pas tardé
à comprendre]e danger d'ardeurs et d'emportemenls
ne ReI'Vant absolument à rien, et puisque c'était sans
espoir pot:!' moi de conquérir la croix de guerre, j'ai
jeté l'cau froide de la sagesse sur l'ébullition de mon
patriotisme (style du Phare ménichildien,' aulrement
dit dr Sainte-Menehould, pays des piedsl. ,Jr mr suis
raltl'appre au premier passage de nos soldats,
A ce sujet, figure-toi, il en esL arl'ivt', une bien bonne,
Nous autl'üs, nous n (~Lions
enCOl'e aux pantalons
1'0Ilrp~,
Dp- sorte que, devant des militaires ùe couc' ~tai
de la colonial - on 0. Hé
leur moutarde
/ out ahuri, La brave Orphi~e,
qui lf's 0. vu vrnÏ!' de
loin, Rll/'la rouLe d'Al'çon, a galopé jusqu'au bour" en
r.rinnL : « C'est des JaponaIs qUI alTlvent ». Japonuis ou
Javanais, je n'y ai pas /'cgal'u6 d'aussi jlrès et je mp
fluiAjpLre au COll du chef d? bataillon, ohl phi qui
n'avait pa.; Jo. mou tache gl'lse, , C?m me il Q CH lu
galanterie d'en pamÎtl'e chal'U~é,
HIIIHI la IOllchonnc que
lu COnnn!H a-t- Ile cu son pctll fluccè!l une fois danl:! sa
vic, lic/ Il ! ... fnulilr d'ajouLel' qUI ppJa 0. ~l(,
llll gl'!lOd
.conclnl '. On l'n rodera Jongtempfl ail fivr. n'cIock1'0 lins de 111" Snlnberge.
,
Il
Mamnn IlllI'nit ~t;
,
,
V'olonliol'i! dalli1
1:)
mOIl gOl1l'O,
Le
l'l' 'miel' fr.\d-g/\Ill qn 'Ile li VII l'u {'chnpfll! belle
'1!I'l'lle lui uiL IHluf{! il la gOl'g". daill l'nOn, Ll'lll' If'
Mn/'"eill/l is do Dél'olllllde, clin ij'PIlL Lenllr, TIt imn.gi III fl
{'ornbi(!Tl di' fois Pil CP.A l'flin t l'C nnfl (Jl\ 1'1\ l' n tonù 11(' "{lel'jOl'
(:(1, 1~'O:l/,
bj"ll mnlhl'uvc/wcniL PUI' ùe cc:! excès d'activité
donl Oll n C?1Tl pl'rnu P~g
ql~'fI.
Il ',nit dl'Illli; longtrmps (;té pnllUl'cmrnt dl'\'ol'ce ... ~Ilt'
outre qUll c'cRL
ir!' '~Jl ·('ltH'II.· ri, bJagt ' ('(' 110 l'C ('h '\' maman, e'~t
l'!. QVI'r. f{lIf'llf' mge : IC Toul
1"11: Il,
/';llr
SI'
�VE ·V.\OI; DI,A:;C
mal, car elle a fait un bien immense, soulageant de
son mieux les détresses, et Dieu sait s'il y en avait.
Moi aussi j'ai tâché de me rendre utile eu la secondant.
Aurore a fait ce qu'elle a pu. Pas grand'chose, car,
c'est cUl'ieux, quoiqu'on se soit mis la celntme ct
comment, elle a trouvé moyen d'engraisser encore.,
Bien entendu, sa muse s'est épanchéo en copieuses
inspr~to
patriotiques. Elle en a plein un tiroir.
Jamais 10. presse régionale ne suffira à écouler un LeI
slock. Tu me feras le plaisir de n'en pas rire à ton
habitude, mauvais plaisant, car il y en a de pas mal
rlu Lout. Attila et Aétius ... Sainte Geneviève et le
Fléau de Dieu .... les Champs Catalauniques, rimant
fastueusement avec les hordes germaniques ... enfin
c'est épalant.
1( D'aillours, on n'a plus le cc..cur de l'aille!' pel'soune.
(,:a roviendm, mais pOUl' 10 momenL, bienveillance
universelle. Co pauvre Eddy, pal' xemple, combiol1
jo regrotte de m'êLre lanL payé fla tôLe, à Ill'ésent qu'i 1
f!st rcsté au Chemin-des· Dames. Je sais bien qu'on peut
Î'tre tu6 s tH; êll'c un hérO!I - qu'il a peut-êtrc été,
d'uilleurs. Mui tl pas moins, on esl mor'l ]lOUI' son pay:>
pL c'rst déjà Lil'n uasl"'z. Ce grand hutor de Lauris Lehllpic!', lui, néchnogr! \lne dl' ses jambes contre lu mérlai\lp
mililairo; je Lrouve flll'il y a gagné. Quand à son albi1103 tir l'['{lre, il n'a pu ac cOIl\Til' ci gloir - de quui
au fllll'p!lH! (,t:lil-iJ pou jalou: - nyanL él~
'-'01':16 duns
J'ullxi. QUClIlI mêuH', il u raiL (!lIcl(Ille' d1050 comme
louL 10 mfJnrlC', en quelqllc loinlain Carcassonnc, Où il
lemuaiL dos c, pol 1:\ uu ITlllga.;În d'habillemenl, [l ell
full nit bien flllS!li de ceux-là, après Lout.
Il Papa ayanl cCl't,nill01l1cnt 111'gligé dan'! sa léLlre
de te PUrl!'I' de lui, jt' Le dirni <[lH', pOUl' un lIimpl
(1
ivolul n I)l un puciliquo tahellion, il a éV' trè,; chic.
IJ~,
l'OPP1'OI 'hc de., élI'mlle:! üll,'mand·s il l:lnit parti
i VCG k . fond eL Ic ,~
LI) , ltllcnls c1es li('!nls pOli r l'i)
�11S
YLUVAGE EL :-;C
déposer chez un confrère de Dijon, Quel voyage 1. .. 11
passé quinze heuree; dans la guérHe d'un garde-frein,
assis sur sa précieuso valiso, pendant trois jours ne s'est
pas déshabillé, ni lavé, et a vécu de quelques crouteb
de pain . Sa terreur étaiL de ne pouvoir revenir ù temps.
Cela non pu seulement pour être auprès de nous - il
avait po.rlo rie nous faire partir ... Ah? il a été reçu ...
- mais aussi parce qu'il considérait comme Bon
devoir de partager les souffrances eL les périls do ses
('oncitoyens. 11 a rendu do très bons services aux
l'équisitions et au ravitaillement, non sans avoir été
deux ou trois fois arrêté nommo otag
1, lnenac'
r!'ôtl'C envoyé en Allemagne'. Je n'en dit'ui pas autant
de certaines autorités qui avaient filé avl1C la vélociV.
rIu zèbre ... Bah 1 laissons cela. Les Boches ont l'OÇU IH
pile, Metz eL Strasbourg sont à nous, nOf! chevaux
bOlvent dans le Rhin - ceci pris dana des stances: la
Victoire, dont tu dovinrs l'auteur, EnJ\ll ccrtain Claude
ft
Sigebert a l'upport6 IIOS deux bras.. ses deux: jambe.' 1
bOS cl ux yeu
plus quolques glof~u
' lI'ous à la pellu
placés do far on qur demeurent, Intacls sos remor
<{uahlos av~lges
oxtéJ'Ïoursj ~nl
un h au petit
morceau do ruban rougo flUl'lu pOltrlll', 'ôté du c( U!'.
none, toul l'fiL hion, tout st brou ...
~ I\rrivn-nous bien viLe. Tu o.s 10 rlt'oiL El lo p f1 rmi .
'Ion, il me somble, otslns tI'OÎnol'. Jo n le clis pa
'Tu'on Lll:0ro 10 youu gras oL pour CI106(', ot.telldu qno,
iiI, par lmpotls1blc, on retrouvait un Vi HU, il f,OI'HÎt
f!lU lettiquo. Mais on fera cc C[u'Ol! poul'rn.
1
1( p,- '. Si tu p01l1 ais uppollel' quclrf1lea 1ond6 cl
Muci!! ()n, on fl'en (or~lt
dl! hien Il.
Claudl' annon ll A son ill'I'ivéc. 1,'agitatlOn 00 1rn~
. 1gebcrt ~l ,risqué. de jct l' d?IlS ,Ill. moj~?
quelqll
d!6ordr , ln Il ~'lIt
)'I0url'U 1fleln ilé mlcu. 1"t~'6
�J 19
ùe l'imperturbable Pédora et du flegmatique Cloyj,;;
qui, simple R. A. T., avait gardé les voies du côté de
Vesoul. Revenu dès que les routes avaient été
ouvertes, sa femme PavaiL accueilli par un calme :
( Comment va-tu? )1 auquel il avaiirépondu non moins
simplemenL : « Très bien. Et toi? » Après quoi, empoignant son balai et Bon plumeau, 11 avait commencé
ù faire son service.
Claude arriva. Si ce ne fuL pas grande chère, ce ful
grande liesse. On s'embrassa beaucoup, on pleura un
peu. Afin que fût complète la réunion familiale, Julie
Pépin était venue avec son mal'i de Soissons, où
l'usine n'avait pas trop soufTel'L des bombardements.
Tls amenaient, pOIlI' le présenter il l'oncle d'outre-mel',
un marmot dont t.irait grand orgueil le fabricant de ti5sus ras. Ce haut fnit, sourcC' d'infiniment de déplaisir
pour Nelly pt Daisy, avail inspiré il. la féconde muse dl~
Bruyères une piè e dans la manièr d.. Victor II ugo, rapprochement. romantique enLre Jo. tôte blonde et la tH"
"lise, médiorr('ment agl'énble au beau-fI'ère d'Aurore.
Louise Thier/'y, ccl allait ùe soi, 0\ aiL !Ia place
morqlP à lu t hl de famillp le soil' mêmo ou "rivu
le ch T' soldal. L Lemps écoulé n'avaIt puP pp .. une
once IIUl' ln lr1 Ln fine aux clairs yeux de p,'rVl nl'he,
~ Il . cheyeu." d'un blund ]r'grt' cncudI'ulIl, It, pUI' frunt
de ,'ie
blanc. Joudr, on contl'aire, devaiL" cp. '1lI"~
libre et forLe, uivies do l'rs onnl'eH d'h-"JLlï~!n,
f'f'L 011
fl(' Huil quoi dn pI'('('iR, do d('linitif, q1li, un p.lI plu"
Ir)L, un plu" lard après III ll'C'lltuilw l'é\'\llll n , li:œ
lllOmnlC dnllll ,HI caI'arLèl'C', uveC' InuL II' 1'11.11':11
1 nCOl'r d, l'I"clal que donll
le feu de la jellll' 'l',
mais l'u saghlsemcnL ([t'ln mall1l'ill'.
>\ CI' dilJ~'
on pu do beaucoup, g6n 'f'(ilc'menl, lou, ~I
1.1 fois, Opl{ r\'l"llfimOnLFI trQ_~i'l(
qui, ID&.inll!flanl,
mbluil'Ilt tlvoir pu 'Sé ('Omlll" un rupidc' CIlUI h ·nI'll'.
�120
On s'inql1iéta des uns, des autres, souvent pour dil'r :
c{ Mort ... mutilé ... disparu ... )) Et Handolph Curtis?
Claude leur apprit qu'il avait vaillamment fait son
devoir dans les troupes canadiennes, vaillantes entre
toutes celles porLant 1 uniforme britannique, jusqu'au
jour où, gravement atteint par les gaz et réform\ il
était retourné à Trois-Rivières. 11s avaient, ces temps
derniers, activement correspondu avec, pour lui, un
résultat des plus intéressant. M. CUI'lis senior, décidrment valétudinaire, venait d'élire domicl~
;\
TOI'onio, où était établie sa fille, mal'i~e
à lin rIChr
banquirl'. HandoJph, dl' qui la femme autant que lui
l'tait épri-<~
de voyages, c;;Limait bien lourde l'unique
,'esponsnùiliié de et immense ('le\'agc augmenté d'unI'
le jeune
florissante exploitation fOI'estièl'r. El. ain~
Frnçai~,
p,'ésentement second fils de la maison, ayant
rait Ges preuves de copacit6 el, d'auiol'iié, HU tl'ouvaitil as~ociô
au.' affaires dans Jes ollJitions les plu,>
uvanlugcuAes. C'I'lait l'expaLl'iation pOUl' la vie Fan'!
douLI' cu roe pays qu'il aimait ."tl'i)mem"n1 , Tl'l's Grr
dl' l'homme qu't"loiL devenu Bon garçon, 10 p'!,1) GOupi,'a
lin peu . .\l mo igebf!rt s'ahandonna plu ùruyamment
Ù \.In l'''greL l't"l!ignl'!.
- C'!!3L bien mulhct'r~
tout. ça, conclut-clip ...
Li!!n rnolheun'II . pOUl' nOUR, Vf!lv-jr dire ... l\Iui:l quoi.'
il ne fOllt. pnB êt f'e rgoïstC' eL 1 I! rn fan I:J doi vent \'j ",'e
lic lol1 IpUI' gOÎlt.
- 1:01 1 allil'mn (.Ionde Ir voyn f;o l'st prn Il
Clho P ... on pClI.L rnirr.d? lp!JlJlS en 1~'lIJf
.lIne fngu!'
:111 pOy', hL lOI, LuclJvInc, p01ll'quoi ne VH'Tld"uis-lu
IH)ij Yi ÎleI' JI' \1nnitobu ",1
GuielllPlli ln jf'llrle sn Ill' fI'r.xelnrnn :
- Eh hicn 1 n'e t. l'clOllt' ÙP Jn paL1'i(> d()~
Micmacs
pL ùes Chicllcha!\ que j'ournill un SI!'CÛ~
dOll,' Ju l'('gi 11
ÙP JuJinchnrl. .•
Pui, e l' mlll'Illii nul, (,III' njnlllu :
�yr.tiVACE DL.\NC
121
- Mai,) tu te mat'i.el'as Iii-bas un de ces jOUfR eL
bientôt tu ne te soucieras plus guère de nous.
Il sourit, puis d'un accent plus grave :
- Certainemenl fai le désit', et très vif, du
mariage, mais sans que cela risque de me détacher
des miens, tout au conlraire.
L'apparition du pudding au rhum , concentrant
t.oules les attentions sur le soin délicat de le fair'e
flamber, empêcha que des éclaircissements fussent
demandés sur celte intéressante déclaration.
Quand on se décida à se séparer, il était tellement
lard que Claude voulut escorter jusque chez clle sa
rouHinc.
La nuit était tiède, la lune, lev ée dans un ciel Lrl\R
pur', jetai Lsur la campagno endormie la magic de son
voile d'arg nt. Ce n'était qu'à un quart do liene <.111
bourg. Mais au lieu ùe suivre la grande route, il proposa de prendrc pUI' 10 pr~Lit
bois de bouleaux, ce qui
('onslit.uaiL tout l'opposé d'un l'accourci. La promenade
dlll'a fOl l, longtemps.
CHAPITR.E
1\\1
10
IV
malin, le pelit bCJ'gr)f' dl' la Saulaie appnr'lait ù
Sirreb l't \lne lrLLl'c :
JlH1Î30n
Il
I\1011 bien che)' c()uHin Claud ,
e H' 'st [Juint,
Il Si jn nl(' l;uiH Mrobé ! hiel' I;oil',
'
(Dmme j l'ai nll';glll\ rlut' j'eIlSHf' uP~Din
do réflcchir'.
lk pui, IOIlgtemps, l'Il cllet, j'ai pris unp résolution
douL ,i"n no me r 1[1 l'evenir, r'i n, pas môme 1> cba"l'in do \OUS affliger un pell. P'lI'donnez-moi ùe ,ce
prlit SlIblf'l'nl:;:1' , C'uRt, quo cc qu'il mt' rulloit vous lll! l'
(' l plll:'! ni {. :1 f~l'Iir.
�l22
VEUV.\CE nl.A r;C
(( Vous m'avez posé une question, puis adressé une
demande. A la question, voici ma réponse très sincère.
Oui, mon cher Claude, si Dieu l'eût permis, je YOUs
aurais aimé. Oui, la pensée de faire à votre bras le
voyage de la vie m'avait traversé le cœur et elle m'eûl
été chère. Oui, ainsi quo vous aviez cru deviner
mon penchant pour vous - qui donc se tromperait.
à ces ohoses? - j'avais eu la présomption de vous en
croire pour moi.
«( Mais, comme vous aussi, je savais que le mariage
alors nous était pratiquement impossible. Comme you:,
sans être intéressée, Dieu merci, ni ambitieu"c, Jl'
savais que la vIe n'esL point de la littérature. Je savaii>
comme vous que, si humble qu'il soit, faut-ll avoir un
foyer, et aussi quo, quan 1 10 cœur fer~it.
pour soimême bon marché des nécessités de 1 eXistence, lu
!'nison doit song!'r à ceux qu'on n'a pas le droit d(~
metlre au monde sans leuI' avoir pl'épar,) un nid. VOU:l
aviez été tenlé , me diles-voUs, de m'oITril'.
votre '
fui
pour attendre l'avonir, L VOliS ne l'avez pOlOt fuit, p:lI'
scrupule de me lier dans ue3 ronditions uU,Ai ineerl:lines. Lorsque, aprrs si peu de Lemps, la fOl'lune vou:-;
a él(' favorable, vous a\ ez conçu l'amCl' regret dr YOUK
;'ll\l [1bs~cn.
Au risqll de l'augmenter, laissez-moi,
Claude, vous eu donn '1' l'ussur'ancl' : si alOI'.:! je mt'
russc trouvéo libre, non certes, l'exil li. vos côll,' ni'
111'!I1I1'uiR pns fail pOUl'. MaiK jo nc l'l'tais plus. Pmu'quoi 111 sNais-je gal'd{>o, clet! '1" 0 nOllfl n'avions pnR
,oulu, qu'c~
honnt-tel,p nous n:avion;j pos pu {'change!'
nOS parolc~:
Cal' 1<> ml'm sontImenl qlli VOllf; a J' .tNlll
ri' m'o.!Iril' ID vutl'e T~'c.iIL
dt'ololll'néo rlc l'arc pLrr. 1('
Il'ouraB p'l con: (Hll 1 li mdll'I> lln" rntra VP li yol r,'
cl-\\1'iùrp.. MOIl refus ournil Clt un mulif do plus: e" l
.In génél'l'u\!1' hu~pit
1qu'il m'tÎt 'lemblt': uinsi LI'~lhi
lité de vos parents. AuralCJl -JIll Uppl'ouvP. que !li
il'l1nl', leu!' fils l'ngag(,lîl :\ vip? El JI\."'i, (lnns' Illet
�YEUVAGI; BU
C
123
p03itwo Lcllement pl'(Îcuir'c, n'eussé-jn pus "oulu
ollcourir certain soupçon que vous devinez bien. Quand
on est très pauvre, Claude, do crainte de n'êlte pas
assez fier, 00 devient orgue.illeux.
« Quo tout ce temps si long, en pl'ésence du faiL
accompli, votre souvenir me soit demeuré fidèlo,
vous m'on voyez louchée, mon ami, au delà de ce que
Je saurais dÎt'e. Mais tandis que, si loin cl si longtemps
vou!> me demeuriez aLtaché, sans espoir, moi, je me
consnerais toute à l'homme admirable que je pleure à
présent. La naLure de cetlr douleur aasuréÎnent ne
meLLrait pas obstacle à uno nouvelle union. Lui-même,
dans sa solicitude patcrnelle, lUe l'a recommandée à son
heure dornièr . Lortlque j lui eus fermé les yeu.
('''pcndanL, jo 010 suis fait le serment de conserver Bon
nom., de l'est l' tCI'nellemenl fidèle à sa mémoir .
Il Le mobile auqud j'ob('issais
sL ussez diflicile à
(léflnir. Jo vais essayeI'. Si e'cst un pou complexe,
1 xcuBoz-moi, Claude,
al' c'est profond6ment sincère.
Il ]\fu petite 'xpériencc do la vie ne m'a pas montr
10 mondr aussi méchant pf'ut-Nro qu d'aucuns 10
J'll'étendent. lais il alléger et il N!t dénigrant. SaUlI
(IouLe par 0 qu la grandeur' d'lime sL l'are, volon1icrs HO refuBo-l-il à 111 reconnaître où 110 se trouye;
, 1. cc qu'il ne compl'clld point, il 1 bl. me ou il 1,
J'aille. Eh bi n! pour' moi, pOll!' me B UYOI' de ce qui
(Init pire que lu misèl'I', d }'isol 'ment, de 60s trislesAes,
(10 8 .!l périls, 1 (:MU!' magnanim
qllo VOU8 IlV Z
(onnu n'a pas (,l'l1inL d'alTronLol' cotte Bolle J'ailleri ,
l'Ill injuste hlâme. Sentez-vous quel dovoir m'imposl'
(c sflrl'ifico (lU il m'a raiL~
(( Sons doule o~L-iI
lt\giLime de proncll'o un second
éPOIIX, m"'mo ayant aimé le premier, même l'ayant
/limé d'amour. Encore que ln scrupuleuse délicatesse
( n f)()iL un p \1 froissée, il n'est rien non plus de l' prr.
h~n
iblp il porlel' chef: celui donl on pl'ûnd 1 nom
�'124
\
l'héritag~
V~UAOE
BLANC
de celui dont on quitte le deuil. A e.ombien
plus juste titre encore lorsque cet héritage est en réalité comme si on l'avait reçu d'un père ... Oui, mais le
monde ignore la réalité et quand bien même je consentirais à faire bon marché de ma dignité, il m'appartient de sauvegarder celle de ses cheveux gris. Je me
dois à sa j ustificati.on posthume, même si je renonçais
à la mienne. Puisque nul autre que vous, Claude, vous
Cl ui les aviez devinées, ne peut connaltre les circonstances si particulières de cette union, je me dois, je
'dois il celui qui n'est plus de prouver du moins qu'en
la contracLant je n'ai point fait un marché avilissant
pour mon caractère et qui aurait diminué la hauteur
ùu sien. En me voyant, si jeune encore, me confiner
dans un définitif Youvâge, on cessera de m'allribuer
une arrière-pensée odieuse, à lui un rôle de dupe ct,
pire encore ... On dira: (( C'est éLrange ... elle aimaiL
co vieillard )).,. On renoncera ù me prêter des senLi·
menLs bas. EL lui surtout, lui, on ne le l'aillera plus,
on l'enviera peuL-êLre ...
u On, m'objecterez-vous, qui cela, on :' ... Qui s'oecupr
dr moi dans ma modosLc l'eLmite L. Et je buis bi eu
ubstH'de ~uns
doule ct bien orgueillouse ... Oh 1 mOIl
ami, laiss z-moi aussi VOliS 10 dir'e : si je n'uvait; faIt
\IU l\el'mcnL, peul-atre aujourd'hui n'o.uro.ill-je pa, 10
courago dc mon orgueil cL d(~ mon ab!iul'ùiLû. 1ais ce
sOl'menl" jo l'ai raiL. Je l'ai fa il BUI' un IiL de mo 'L.' Je
nt' l'ai fail, il pel'tionne qu'à moi-mllme; pOUl' m'lm
rolC'vel' il n sL ùonc porson no . ,J'ni raiL un flf'I'mcnl
Cluude ... .1e suis drux fois fi 110 de soldal: je le liondrni:
(( Cc que VOUS pourriez mC répondr , j le sai3 mon
ami. C.'esL b UI1 mOL, dil'ir'z-voll!:l, quo ju fI~erio
notre commun bonhour. L'honncllr, il rllL vrai, n'c.ll
Illl'IIJl mot, tllait! \ln moL pOlit' ler{uol vou!> I1vet. donné
volro ang. 1'!\l'ce qUl' JI! ~UiH
\lnf) femme, m'c.llm"·
rir.Z.voUs Ilf) mo vou' \' fot'fair ' '~
�125
VEUVAGE nr.-\:'iC
I( Et au surplus, Claude, à quoi bon Lout cela? .le
vous connais. Pas plus que moi, et moins encore, vous
n'aW'iez pu être heureux avec ce parjure entre nous.
Ne m'en veuillez donc point de vous causer aujourd'hui un peu de peine. Plus tard, bientôt, vous reconnaîtrez que nous avons bien agi, car nul bonheur ne
saurait être fondé sur une mauvaise action.
I( Avez-vous remarqué, mon ami, une singularité de
nos rencontl'es? C'esl sous des vêtements de deuil que
vous m'aviez connue; c'est de même, quoique adouci,
que vous me relrouvez. Cela ne serait-il pas un signe "
ApparrmmenL je suis née sous une étoile douloureuse.
( Sans doule, n'éLais-je pas faite pour connnnîtl'o
l'amour. La vie grise est mon 10L. Il en esl de pires . .If'
demeurerai donc dans cetic Saulaie qu'aimait mon
second père. Par respect, pll!' tendresse pour sa
mrmoire, j'en prendrai soin. Je pl'endrai soin de ses
morls et do lui-même. Ce Caveau où a éLé enseveli Ir
ùernier des Thiorry, l'heure vonue il se rouvrira pour'
f'elle qui, Ll'OP peu de temps, a lenu au près de lui ln
place d sa fillo. D'ici là, !la brnédiction sera Stl/.' moi
pOUl' me proL(.gf.'I', pour me soutflnil', pour adoucit"
pour embcllir ma "C'lrnilo eL ma soliLud .
IC Quant Ù VOU3, mon ch('l' rOURin Claudr, VOIUI
qu'il oslimoil, Cju'lI aimait, vous mnr'cllC'l'C'z dans le
eheroin (lui :"O/lVI'C, large ('~ cluiI', clcva lL voLre jru
I1rssi', cl, où jo souhnitc vivemrnl que VOlllll'f'nconLI'il'z '
10\la lm; s\I(J('[\s, lou!! lml bonheurs. DUni-I rel rspoÏl', je
VOliS pric dl' mo gnrllcl' un sOllvrniJ' allocl,uctlx commc
(l(.Jui que toujoul's je VOLIS garderui. ))
o
Por \In billet
ndl'os!-H~
Ù
Ludivi/ll',
(~lc
annonçait en
même lem!>!! son immédiat départ pOUl' le DéaJ'l\,
illViLc!C! par III fomme ùe j'unci('n ol1'ieiOl' (l'orrlonnaucr.
du
g'~l1érui,
<llll!
lu guel'l'o avait fuit eolonel eL qui
�12G
commandait le régiment r.n ga1nison Ù Pal) . Sa sant!'·,
un peu altérée se trouverait bien d'y achever la ma.uvaise saison.
Clauùe Sigebert abrégea son sôjour au pays nalal .
D'abord il crut que jamais il ne sc consolerait. Mais
la jeunesse eet plus forte que 10 chagrin. Il vient dl"
prendre (emmo sur les l'Ives du Saint-Laurent où il
élèvera une de ces familles candiol'~
qui reporLent
aux {lpoqu~s
p<l.triarcales . A la Sauloie, LouisE' Thierry
viplHr~
~vec
la fierté <;le son lIr,lcrifice. Elle y trouve
un
:,),1.1
t!\re bonheur.
FU
•
�Pour l'araiire la 5emaino prnchaine ~O,
PAR
le nO 282 d~
la Col~ctin
.. FAMA"
T\L A. I!ULLET
LE VOYAGE
VERS LA DESTINÉ,E
A l'ombro dù 13eroardtU do Saint-Pierre,
je dédie c livro tOut silllple !jui, sou,
1'ù.dlUirablo végétaUon des tropiqu ps, essa I!'
rlu chanter un nouvoau Paul, un e nou\'011 " Virginie.
M.-A. lIuLLt:T .
ClIAPlTRE PREMIER
Le châLe u cleii Hochol:! p.sL l>iLuo LouL au bord de
l'Océan, ~ l'enirée mrme de la baie d'Etel. CetLe baie,
ft qu olllLl s kilomètres de Lorient, esL remarquabl
par 10 chenal hél'Ïssé d roches poinLues qui on PCI'met l'n{c
c~.
Cellcs-ci sc drcHscnt à une faible distAnçc
les llll CH d Il aull'l'f! cL jalone~
la passe itroit cL
profoll!.[r. C 'st cJ 'C\lPH que le rhflLeau a reçu lion nom.
J\ cn crain' hl ll'Udition Iocalr., il a !<:isté do tout
1l'1llj>5. nl' rnil, il mouLe dClllhlll'aillos.léznrdé Il drl!
IOlll'ellos 1\ demi d(;truitcf! L CH c.éJu sUltoul justifianl ln légen de - un floubass<'menL plus anLiqn
(lue 1 temple <le Salomon lui-même, puisqu'il ne
c10iL l'ien;'1 1" main des !tommes: def:! l'och s érupli\' 1l nllciunncJ, CIII" ciné es nu sein cl Il LOITe, 1\ onL
r il. lefl fl'uis.
H;îLi !,UI' ccL nlablemcnL naturl'I ùe gl'ani~
surplomhant lu wcr ,t fUrI HUlL Lcnusse , le ficl' chùLeull Yoi~
(A
suiprc.)
�A27S.3-32. -
COHSEIL, IMPIUMEnlE cni;n;,
�D,eve
BIBLIOTHÈQUE
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OMAX'
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'~nt:mel,
ct, de ,t~/.drcS!
c, ,~or.t
1'8d~on
vive, d"liCt'I~n
nUillllee. sart rele'lIr Jusqu a la de/more IWIlL l "tlt'III'OIl des Il'dl/ces.
les u uncs puhlice, par la
BIE LIOTH ÈQU E D ' ÈVE
parlent au cœur des IcfllIlH·S.
r~pochnl.
tation
de lo"d et d,· forme. discrètefllent elég Il,ts par leur présen.
par faite.
ce_
mlufllcs constituent ufle Bihl",lfté"""
!iI Femme ct la J'llll!' FIIIl'
idéale
pout
ANITA ET SA CHIMERE
\"lr \1.\(; \ LI
UN CŒUR DORMAI r
Il.11 '.-,,,, ,k 1., r \ 1'1 Il I{~
EST. CE DONC L'AMO UR ?
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1'" '''1''
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LE CHANT DU SILENCE
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IJOI< ,'\
L'ERMITE DE ROCI-! EMAURE
p.,
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LE CŒUR DE CENDRILLON
l '
111.01,
~I.\
l'] lit
LA MO.TIÉ DE MON AME
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III ï 1 1- 1
LES OISEAUX DE NOS CŒURS
l"
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1\1,01
SOUS UN TOIT NOR MAND
1'.1' \J d.· ( 1· 1 1
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LA MAISON DU SORTILÉGE
p.,
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QUA D L'AMOUR S'EN MÉLE
l' , (1Iud,"
\ 1 \'.\1
UN CRI DANS LA TEMPf:n :
l' 11 \tIllr'
'HAT
("'.aque ",,'un. e : 7
f"~'CN
veli te chez tous les L ibraire , dan s les B ibliotheque.
du Gare. e t a LA M ODE NA TIONA LE, 94 , r u e d'A lé.ia,
PARI S (XIV).
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Bovet , Marie-Anne de (1855-19..)
Title
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Veuvage blanc : roman
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Ed. de la "Mode Nationale
Date
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impr. 1932
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An account of the resource
Collection Fama ; 281
Type
The nature or genre of the resource
text
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BUCA_Bastaire_Fama_281_C90787
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