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■ i I
COUR
1 '
--
MÉMOIRE
D'APPEL
SÉANT
A RIOM.
P
o
Jacques
u
r
C H A V E , appelant
;
C O N T R E
J e a n n e V A L L A , et E l i s a b e t h F E R R I E R ,
1
sa f i l l e
majeure , intim ées.
L A recherche de la paternité est interdite , et c’est
dans nos mœur s u n scandale de moins. D ans ce secret de
la nature , le législateur ne pouvoit que s’en rapporter à
la crédulité de l’hom m e, ou se jeter dans le vague des
conjectures : le premier parti seul étoit juste; la loi l’adopte;
et aucun enfant naturel n’a le droit de nommer son p ère
que celui qui a voulu se déclarer tel.
Nul acte ne doit donc être plus légal, plus libre, que
cette déclaration. L e soupçon seul de contrainte est incomA
�O )
patible avec elle ; car si elle n’est pas clairement reflet
spontané de la réflexion , le but moral de la loi n’existe
plus*
L ’appelant réclame contre l’oubli de ces principes, et se
place sous la protection de la cour, pour faire annuller un
acte inform e} auquel on l’a fait participer par la violence ;
il demande à n’être par forcé de reconnoître un enfant
qui ne fut jamais le sien.
Les premiers juges, n’ont pas voulu admettre la preuvequ’il étoit à même d’offrir ; et si cette opinion pouvoit
prévaloir , il en résulterait que , contre le vœu de la loi,,
un homme donneroit son nom malgré lui à un enfant
naturel ¿seroit Contraint de prendre soin'd’un étranger^
et de lui laisser sa succession.
; n
v. ^ .
F A I T S .
C1
r
Jeanne V a lla , et Elisabeth Ferci.'er, sa fille, habitent lelieu de M azet, mairie de Chambon. Leurs habitudes et
leurs mœurs étoient à peine connues de Jacques Chave,.
qui demeure à la distance d’environ une lieue de leur
domiciLe.
Son âge, plus avancé même que celui de la mère, ne luii
eut donné aucun prétexte de se,rapprocher delà fille. U a
séducteur à cheveyx.blancs est rare ; au village-il ne connoît pas l'oisiveté qui nourrit les illusions, et la monotonie-,
de ses ti’avaux. rustiques avance l’amortissement de ses,
. sensations, en occupant toute son existence.
( Ces femmes étoient donc absolument étrangèresà Chnve,,
lorsque, tout d’un, coup il s’est trouvé mêlé à leur destinée;
�( 3 ;)
par une de ces sourdes manœuvres que l’enfer sçul.pçut
faire concevoir.;
yl . f
i;
. .!: •
■Un matin à huit heures ( le 21 germinal an 9 ) ’„ Jacques
C h a v e, malade, est brusquement arraché d,erson lit; par
deux frères de la fille Forrier ,.suivis de trqis.autres jeunes
gens armés de bâtons ou de iourch.es. Il se disent envoyés
par le sieur de Bannes, maire de Chambon , et comman
dent à Chave de les suivre dan^ la maison de ce sieur de
Bannes. Il Çs’habille
et les suit.
, itr.
'
1
. .
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II. .
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Là il trouve Jeanne Valla qui paroît en grande, co lère,
l’accueille par des.injures grossières, lui dit que sa fille est
accouchée , depuis |quinze jours , d’un garçon dont il est
le père , suivant le récit de sa fille et de Mv le maire ,de
Cham bon,, et qu’il'fautf,signer sur le champ l’acte de
naissance.
... .
Chave , étourdi d!uue, .vespériç aussi inattendue, pressé
entre les cris de la mère ,,les coups de poings des frères ,
et les menaces de leurs trois hommes d’escorte-,iveut élever
la vo ix , et invoquer la notoriété pyifyliquÇpdes¡bâtops sont
levés contre lui pour toute répons^ : il solli^itç la justice
du maire mais, le maire le prend à part pjsup lui dire
qu’il jÊ tÊ té céder à la circonstance, et q;ue sa vie n’é^#?
pas en sûreté. L ’avenir a appris AjÇhave quel intérêt pres
sant le maire lui-m êm e avoit à ce que la .calomnie eût
une direction certaine.,
On comprend alors que cette dernière insinuation a
ébranlé le courage de Chave. L e sieur de Bannes prend
aussitôt le registre des actes, y efface quelques mots, en subs
titue d’autres, et remet une plume à Chave : une seconde
résistance amène de nouvelles violences. Il fait enfin ce
quTon exige j il signe.
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�C4 )
En sortant de chez le ‘maire , *les satellites le inènëht ait
cabaret, se font donner à boire, le forcent à payer, mettent
Fehfant dans ses bras , lùi font les plus horribles- hlenaces^
s’il.dit un mot ; et èe'retirënt.
' Sans doute il’mâîiqùë'à.'ces füits beaucoup de circons
tances importantes; mais' Chave , glacé d’épouvante r
étoit-il1libre rde réfléchir'? La plupart de ces détails ont
échappé ;Ps;iJiVi^moirè/ou plutôt à son attention.
Enfin Chave, revenu de sdn étourdissement , put réflécliii* sûV lés cbn!st*qtfcnceâ‘ de 'Pacte'1qu’on vehoit de lui,
extorquer, ‘et ¿ur le p;a rti iju’il avoit» à prendre.-'
-:
X»a dém arche la plus pressée et la plus indispensable-,:.
ét6it‘id’é fsë d^ârraisier d e H ’innôceiitë* Créatü’re- qü’üriëmÔré'tdéniftüFéfe') avb itJire|é'tèc' ?dfe1^ës'^Biiàs^ pou r ’Pk'ban-i
donner aux soins d ’un étranger. Chave hésita «’ il las
rapj^brteroit1
, claris -la'1h u it,
la jp6rtexlés'Fert;ier!: cëpén-
darit lia r e lig io h ^ l’hündimit'é1, ‘peut-être- la térreUr pbuirlüi-Hlêittë / Péinipbrtëi’èht sur:son d'ég’cmt ,Jbt•il?1fït) '^drteifré iifa iit ;à.‘"iinfc‘ nourrice.., * 1'Ui5i'),: 1
" 10 t /;()V '
 ïaîs1a u s s it ô te t :en Signe* de sa pl&téstà tib ia il’ rendit
^ l'in te aii^juge 'de- paix d e'T én ce ; le juge^ ^ a ix lertÊiiroya au'magistrat'die 'sûreté : mais commë-wÇ|ainte*
etoit dirigée- ah^r'cOntre lé -¡Maire 7 ‘les autorités déli^
bérèrent¿t■
é
b,
: iî .
7 ’ne* itësôlüïehtr r
4î
Chave inquiet, et ne voulant pas'cjüe'sofr'¿{lfence put
déroger à son d ro it, sè décida- ;V citer, le 5 flol’éal iiri g ,
tant'Jeanne V alla' et'sa fille , que le maire Ihï -fncnie,
pour voir dire qu'il'kèrbit restitué contre la i'éiioniibissance dé paternité1qui ‘ltli‘ «voit été 6jitovipiéii!ipai;,'laviolence', et Ijùfe ïe maire seroit téüu de raycif du*registre
�( 5 )
ce qui çoEceVnoit' ladite ’ rèconnôissance y'èt la mere et
la fille pour être condaïnn^ès à Reprendre l’enfant, payer
ses alimens
chez la*1; '■nourrice
..avec
dommages-intéi’cts.
•
1. , j I J* : v“j ;
•
; J'
;
.' |
On pense bien .qu’au'bureau dé paix(la fille Ferrier
ne manqua pas de ¡faire, la réponse d’usage, qu’elle avoit
élé séduite et abusée sons promesse de mariage , et qu’elle
seroit en état de prouver les familiarités de Chave avec
elle j^cehii-cl l’on îdéfia^et¡ajouta même qu’il ofiroit de
prouver cëïtâ avèlc qui èïle avoitJeu fréquentation, i
T o u t cela étoit de trop de part et d’autre , puisqu’il
n’est permis de rien prouver ; et la fille Ferrier ne1
risquoit rien à faire bonne contenance. Quoi qu’il cri
soit, un premier jugement,' du 28 pluviôse an 10, mit
le inaire hors de procès, comme ne pouvant etre’ juge
sans autorisation , et appointa les autres parties en cjroit.
Cet appointement lie fburiyt’ pas plus d’eclaircissc-ment. Chave' persista toujours à offrir la .preuv.ç’ de la
violence exercée contre lui : et les femmes F errier, q u i,
y -ii.
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.1. ■ i-.
au bureau de paix , n aVQient paru avoir aucune crainte,
firent leurs bil’orts pour soutenir cette preuve inadmis
sible. Leur système.j)rovaîut'; et le 14 fructidor an 10^
le tribunUl d’Yssengeaux rendit le jugement qui suit. ***
<r C orisîU étfan tqu e l^ à rticl^ i'tìu ' titre 20 de ¡’o rd o n n a n ce d e î GGj
ddfèttd’ ‘d e recevoir la preuve; pai1tditaoins c o n tre et ou tre le c o n te n u
a n x i é t é s ) p u b lic s ; q u ’à la vérité; la f o r c e , l a v i o l e n c ô , Sont u n
iï)o^erypo;qr ,leS fa ire rescin d er * m ais q u 'e n ce cas il fa u t a rtic u le r
d^. m çn a ce ç!g ra v e s, q ui fe ro ie n t cra in d re p ou r la-vie metus mords,
ou q u e la p a rtie o b lig é e a u ro it s o u ffe r t ch arte p riv é jî, ainsi q u e
l ’en seign en t D o m a i en ¿es L o is éiv ile s,, et! P o lliie r en son T r a i t é
<ì«'si ¿l'j^tidh’ÿj
• - ü» .
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�(S )
» Considérant que Jacques Chave n'a articulé qu’il lui ait été
fait aucune m çnace, ni qu’il ait été commis aucun excès sur sa
personne, ni dans son dom icile, ni dans celui du maire où il s’étoit
rendu pour reconnoilre pour lui appartenir l'enfant dont s’éloit
accouchée Isabeau Ferrier; et qu’étant dans ce dernier dom icile,
il pouvoit articuler sans crainte les excès ou menaces qu’il auroit
éprouvés, contre ceux qui s ’en seroient rendus coupables envers
sa personne. »
Jacques Chave est débouté de toutes ses demandes tant princi
pales que subsidiaires, et il est condamné aux dépens.
r
Cependant Chave avoit offert expressément de faire
preuve de menaces et violences : ses écritures en font foi.
Il «toit privé alors d’un mo}ren important. L ’expédition
de l’acte de naissance produite aimé au procès, ne mentionnoit ni les surcharges ni les ratures ; elle étoit délivrée
par le sieur de Bannes, m aire, qui avoit trop d’intérêt
à, en cacher l’irrégularité' pour la faire soupçonner. A u
reste, Chave s’est pourvu en la cour contre le jugement,
et il sera question d’examiner de quelle influence la forme
de cet acte doit être pour la décision du procès.
M O Y E N S .
*
L ’ancienne législation française étoit extrêmement dure
contre les enfans naturels; et cependant, par .une étrange
inconséquence, elle admettait les preuves de patèrriité
sans distinction. Aujourd’hui la loi a fait pour -eux
davantage : mais sans vouloir percer le mystère qui
couvre leur naissance, elle rejette désormais les proba
bilités et les fausses conséquences ; elle ne voit dans
l’enfant né hors le mariage qu’une innocente créature
�( 7 )
digne de la pitié de tout le m onde, mais ne tenant à la
société que par celle qui lui a donné le jour. Si cepen
dant un homme , guidé par des apparences qu’il aie droit
d’apprécier lui - même , et cédant à l’impulsion de sa
conscience, veut se donner le titre de père , la loi le
lui permet, s’il n’est engagé dans les liens du mariage :
mais comptant pour rien aujourd’hui toutes les démons
trations extérieures, elle exige une déclaration authenti
que et non équivoque ; elle prescrit à l’acte une solen
nité plus grande que pour la naissance même de l’enfant
légitime.
, L ’intention du législateur étoit si claire, qu’elle a ôté
tout prétexte à l’astuce, et n’a laissé de voies qu’au faux
ou à la violence. Mais à qui peut être réservée l’une ou
l’autre de ces voies criminelles ? Ce n’est pas à la fille timide
q u i, rougissant encore d’une première foiblesse, et par
tagée entre l’amour de son enfant et la honte de sa naissance, n’en ose nommer le père que dans le secret de son
cœur, et se fait l’illusion de penser que le mystère dont
elle s’enveloppe la protégera contre l’opinion qui fait
son supplice.
Mais que feront ces femmes déhontées , qui ne voient
dans la prostitution qu’une h abitudedan s leur avilisse
ment qu’un état, et dans leur fécondité qu’un accident?'
Incertainesi elles-mêmes d’une paternité qu’elles déféroient
naguères suivant leurs convenances, elles n’en arrachoient
pas moins des sacrifices pécuniaires aux hommes qui leu r
étoient souvent les plus étrangers,, mais qu’épouvantoit
la perspective d’une honteuse et publique discussion. Si
on leur laisse entrevoir aujourd’hui une tolérance quel-
�. r , .................. ■. . .
W ) .................. . .
coriqué, que Tevar cou fera-t-il de tenter d\iutres voies pour
en venir aux mêmes fins?'Et s’ il est près de leur demeure
un citoyen paisible, qui, par ses mœurs douces et réglées,
puisse passer pour pusillanime, quelle difficulté y aura-t-il
de rejoindre adroitement que c’est là le coupable, d’inté
resser contre lui quelque personne crédule, de l’effrayer
lui-même sur les’ dangers de’ sa résistance, d’ameuter s’il
le faut ceux qui ont un intérêt réel au succès de la négo
ciation ! Jadis il falloit des témoins,1aujourd’hui il ne faut
qu’une simple signature; tout cela peut s’exécuter avec
rapidité : ce n’est qu’un changement de complot.
Heureusement cette rapidité même ne laisse pas au
criminel le calme de la réflexion: souvent ses fautes le
trahissent, et, quelques légères qu’elles soient, il faut les
compter avec scrupule; car on est bien assuré qu’elles ne
sont pas un simple résultat de’ sa négligence, mais qu’elles
ont échappé à l’excès de sa précipitation.
Ceux qui ont guidé la fille Ferrier dans ses démarches
n’ont pas visé à l’exactitude ; la cour en sera convaincue
bientôt par la forme de l’acte de naissance qui fait son titre.
Une seconde découverte la convaincra encore qu’il ne
s’ agit point ici de réparer, envers une fille séduite, des
torts que' la malignité suppose toujours. La fille Ferrier
a , le 20 prairial an n , donné une nouvelle preuve de
sa continence, en faisant baptiser un fils sous les auspices
de son frère et de sa m ère, que l’acte apprend môme avoir
été sage-femme en cette circonstance.
Il ne paroît pas que pour cette fois la mère et la fille
Ferrier aient jugé à propos de réunir un conseil pour
disposer du nouveau n é , et lui élire un père à la plu
ralité
�( 9 )
ïalitc des suffrages; il est vraisemblable que la précédente
tentative lesavoit intimidées. .
Q u oiq u ’il en soit, et soumettant cette découverte pré
cieuse aux réflexions de la co u r, l’appelant ne s’en occu
pera pas plus long-temps, et se contentera d’observer
q u ’il n’y a rien de légal dans la prétendue déclaration de
paternité qu’on lui a fait signer, et au surplus que les faits
<3e violences articulés suffiront pour la détruire. C’est à
l’examen de ces deux propositions que l’appelant réduit
sa défense.
i°. L a déclaration de -paternité ri est pas légale.
La loi du 12 brumaire an 2. s’occupoit de trois espèces
d’enfans naturels, après avoir décrété eu principe qu’ils
étoient successibles.
i°. Ceux dont le pèreétoit décédé, et il leur suffisoit
de prouver une possession d’état, par des soins donnés
à titre de paternité, et sans interruption ; 2°. des enfans
dont le père et la mère seroieut encore vivans lors du
Code c iv il, et leur état civil y étoit renvoyé; 30. de ceux
dont la mère seule seroit décédée lors de la publication
du C od e, et alors la reconnoissance du père, faite devant
l’officier public, rendoit l’enfant successible.
Il s’agit ici d’un enfant de la seconde espèce ; et le pré
tendu père , quel qu’il so it, de même que la m ère, sont
dits vivans.
O r , quelle nécessité, quelle urgence y avoit~il de
prévenir la publication du Code civil , en faisant faire
«ne déclaration que la loi ne demandoit pas, et qu’elle
B
�C i° )
ajournoit au contraire ? N ’apercevroit - on pas déjà le
dol dans cette extraordinaire prévoyance ?
D ira-t-on que le Code civil prescrit aussi une décla
ration authentique, et qu’on n’a pas violé la loi en la
devançant? Mais qui blâmera les législateurs de l’an 2 ,
d’avoir voulu prévoir que leur système ne seroit peutêtre pas celui du Code civil ? qui leur reprochera d’avoir
supposé que les dispositions de ce code seroient déli
bérées avec plus de m aturité, et de s’être défiés de leur
premier systeme sur une innovation aussi importante?
Ils voulurent régler le passé seulement ; et les débats
qui ont eu lieu sur la loi transitoire du 14 floréal an 11
nous apprennent assez qu’il n’y a eu , dans l’intervalle de
l ’an 2 à l’an 11 , 'aucune législation touchant les enfans:
naturels. Les bulletins de la cour de cassation sont aussi
remplis d’arrêts qui ont cassé tous les jugemens dans les
quels les tribunaux avoient voulu ré g le r, même provi
soirement , le sort de quelques enfans naturels , pendant
cette lacune de neuf ans.
Il ne pouvoit donc être question de fixer l’état de
l’enfant d’Elisabeth Ferrier qu’après le Code c iv il, dont
l’art. 334 porte que la reconnoissance sera faite par un acte
authentique, si elle ne l’a pas été par Pacte de naissance.
Mais fût-il indifférent que la reconnoissance contestée
¿lit été faite avant ou après le Code civil, malgré la sus
pension totale exigée par la cour de cassation ,-et rappelée
par la loi transitoire ; cette reconnoissance n’en est pas.
moins irrégulière} car elle n’est faite ni par Pacte de
naissance lui-mèm e, ni par un acte séparé authentique..
Voiei comment cet acte est littéralement écrit au registre*
�C II )
À'CTÏ
DE N A I S S A N C E .
n D u huitième four dit mois de germinal, l’an g de la répu
blique française. A cte de naissance de Jacques, f ili.e ( Ce mot
est effacé, et on y a substitué au-dessus , dans l ’interligne,
F e r r ie r , que Von a encore efface', et Von a écrit à côté C h a v e . ),
né hors de mariage, né le septième jour du mois de germ inal,
à sept heures du soir, fils d ’Isabeau F errier, non m ariée, domi
ciliée du lieu de la M arette, susdite com m une, et Isabeau Ferrier,
non mariée; le sexe de l’enfant a été reconnu une ( On a couvert
d’encre la lettre e. ) f i l s , né hors de mariage : premier tém oin,
Jean-Pierre Ferrier, demeurant à C h am b o n , département de
la H a u te -L o ir e , profession de cultivateur, âgé de tren te-n euf
an s; second tém oin, Pierre R u e l, demeurant à C h am bon, dé
partement d e la H a u te -L o ire , profession de tailleur d’habits,
âgé de cinquante-quatre ans. Sur la réquisition à nous faite par
M arie R u e l, sage-fem m e de ladite accouchée, avons inscrit.le
sus-nommé Jacques F e rm e r ( Ce mot est raturé, et Von a mis
au-dessus, dans Vinterligne, C h a v e .) , portant l e nom de sa
mère ( Ces mots ont été rayés, et Von y a substitué ces mots :
l e nom du ri:nE. ) ; et ont la déclarante ne savoir signer, et les
témoins signé. F errier, R u e l, signé à Foriginal. »
u L ed it Jacques Chave père reconnolt ledit1Jacques son fils, de
» ladite déclaration de la présente, acte; le’ reconnoît pour son
» véritable fils, avoir droit à tous ses biens, en présence de Jean» Louis Riou. ( -{- Ic i est un renvoi. ) Constaté suivant la lo i, par
» moi A nn et de Bannes, maire de la commune de C ham bon, fai» sant les fonctions d ’officier public de l’état civil. Ledit maire
» approuve toutes les ratures ci-dessus. D e Bannes, maire, signé.
»
Et de Pierre C a llo n , et de Jean-Pierre Frescliet, et de Jean» Pierre Ferrier ; et dit Jacques Chave a signé avec les témoins.
’
B 2
�(
12
)
» O n t s ig n é , le d it P ie rre C a llo n a d é c la ré n e sav o ir s ig n e r , C h a y e ,.
n
R i o u , F r e s c h e t, F e r r ie r . D e B a n n e s , m a ire » sig n é . »
( N ota. L ed it renvoi est en marge, en travers. )
Pour copie figurée :
L e secrétaire général de la préfecturede la Haute-Loire ,
B A R R É S .
Il est aussi évident qu’il puisse l’ê tre , que cet acte se
Compose de deux parties bien distinctes , qtii ne sont pas
d’un même contexte , ne sont pas l’ouvrage du même
m o m e n t e t cependant ne sont pas deux actes absolu
ment séparés.
i°. Acte de naissance bien parfait et très en règle, d’ui*
enfant né d'Isabeau F e r rie r , sans mention du père*
O n lui donne le nom de sa mèi*e. Il y a deux témoinsde cet acte, Joseph Ferrier et Marie Ruel. L ’acte est
donc complet i le vœu de la loi du 20 septembre 1792
est rempli.
2°. Vient ensuite une déclaration de Chave, qui est à
la suite du premier acte, et qui a exigé des surcharges.
Mais peut-on , de bonne f o i , y voir un acte authen
tique , une reconnoissance de paternité telle que la loi
la commande et que la raison la conçoit ?
Cet acte n’a aucune date , parce qu’en effet il a eu lieu
le 21 germ inal, et a été ajouté a un acte terminé depuis,
le 8. Comment supposer en eflet que cette déclaration
finale fait partie de l’acte du 8? Les témoins dénommés au
premier ne signent pas la déclaration»
�( 13 )
On a rature et interligné le premier acte de naissance,
sans faire rien approuver aux premiers témoins. L e maire
seul approuve to u t, même ce qu’il lui plaii-a de raturer
encore; les autres tém oins, Chave lu i- m ê m e , ne font
aucune approbation. O r , il est de principe que les ratures
et interlignes sont inutiles dans les actes, s’il n’y a appro
bation des parties et témoins.
. Il est un autre principe élémentaire en rédaction d’actes,
quelque peu d’importance qu’ils aient, c’est que les témoins
dénommés en l’acte signent à la fin : ici la sage-femme et
le frè re, qui ont déclaré la naissance le 8 , n’ont pas signé
à la fin. Si c’est un seul et même acte, les uns Font signé
au m ilieu, et d’autres à la fin : chose bizarre et ridicule,
qui ne peut s’allier avec la gravité de l’acte qu’on prétend
maintenir.
Que p e u t-il résulter d’un acte de cette espèce, si ce
n’est de la pitié pour ses rédacteurs, et une conviction
intime que ce n’est pas Chave qui est allé déclarer la nais
sance d’un enfant comme s’en disant le père ?
L e but de la loi n’est donc pas rempli ; car dans quelque
forme que dût être une reconnoissance de paternité , il la
falloit dans l’acte même portant la déclaration de naissance,
ou bieta il falloit un acte particulier, daté lui-m êm e, et
qui ne fût pas rédigé dans une forme ayant pour but de le
rattacher à un autre acte, auquel il ne peut appartenir.
Car rappelons-nous que l’article 334 du Code civil d it
que la reconnoissance sera faite par l’acte de naissance,.
ou par un acte athentique ; à quoi l’article. 62 ajoute que
Pacte de reconnoissance sera inscrit sur les registres ¿1 sa
d ote, et qu’il en sera lait mention en marge de lVcte de
naissance..
�(( H l
RappelonsHnous encore que le but bien positif de la loi
est de ne compter pour rien les reconnoissancesantérieurea
au cod e, quand l’auteur est vivant. Il en est de cela comme
des testamens antérieurs à l’an 2, qu’il falloit refaire pour
les circonscrire dans les termes du droit' nouveau. La loi;
a eu ici un but plus .moral : les changemens apportés au
système passé justifient sa mesure dilatoire.
E t ne nous abusons' pas sur l'importance, des formes
dans une matière aussi délicate; : on est si scrupuleux
pour tant d’autres actes! Uri,seul mot équivoque en un
testament, détruit toute la volonté d’un père de famille-;
une donation exige encore des formes plus multipliées.
Ces actes sont-ils donc aussi importuns que celui où il s’agit
de transmettr^son nom et sa fortune ;,où il s’agit de plus
encore, de vaincre l’opinion et de surmonter sa propre
répugnance ? D ’ailleui's , pourquoi ne pourrions - nous
pas dire pour un tel acte ce que Ricard dit des testamens,
« que toute leur force consiste dans leur solennité, et toute
« leur solennité consiste dans les formes ? »
A ujourd’hui il faut y ajouter, une vérité bien certaine,
c’est que la seule supposition qu’un homme est tenu et
obligé de se charger d’un enfant naturel sans sa libre
vo lo n té, est incompatible avec le système indubitablement,
reçu sur la législation des enfans naturels,
)
O
20. Cette déclaration de 'paternité est nulle , s’il y a
violence. L e s J'aits articulés suffisent. Z,a preuve en
est admissible.
On est extrêmement sévère dans le monde pour juger
�( i 5 '}
des effets de la peui’ d’autrui ; e t , quand on en com
mente les particularités, on détaille très-ponctuellement
la conduite qu’on auroit tenue en pareille occurrence.
Cependant rien n’est plus difficile à régler pour soi-même;
car, en deux cas semblables , le même individu se con
duiront rarement deux fois de la même manière. Mais
celui qui raisonne ainsi est de sang-froid , par cela seul
qu’il raisonne; tandis que le premier effet de la terreur
est d’absorber toutes les réflexions , pour ne laisser place
qu’à une seule idée dominante, la conservation de soi-même.
Quelques auteurs, partageant sur ce point les idées du
vulgaire, sembleroient aussi se montrer difficiles à ad
mettre la plupart des excuses fondées sur la crainte. Il
faut distinguer, disent-ils, la crainte grave et la crainte
légère , et on ne peut trouver de moyen rescisoire que
•dans celle qui suiïiroitpour ébranler la fermeté de l’homme
le plus intrépide, metus non vani horninis , sed q u i in
hominem constantissimum cada t, 1. 6 , ff. Quod metûs
causâ.
Ces auteurs, s?en tenant à une loi isolée démentie par
«■beaucoup d’autresy n’ont pas voulu apercevoir, dans cette
rigueur étrange, un monument de la fierté romaine plutôt
qu’une règle générale. Ce peuple, qui avoit détruit le
temple élevé parT ullus à la Crainte, n’étoit, en la pros
crivant par ses lois, que conséquent avec ltii-même. Sons
un système de conquêtes sans bornes, et avec une consti
tution toute militaire, quel romain pouvolt alléguer une
crainte légère! Elevé dans les camps, son excuse même
•eût consacré sa honte , et la'loi étoit rigoureusement juste«n exigeant de lui l’intrépidité d’un soldat.
'
�( 10 )
La France militaire ne réprouvera pas cette législation
sévère; elle l’eût créée elle-même, s’il falloit un code au
courage. Mais les actes civils des simples particuliers ne
se x'ègleut pas par des maximes nationales; la théorie
principale des lois consiste à les approprier aux mœurs
de ceux quelles doivent régir.
Gardons-nous donc de l’exaltation , quand elle est hors
de mesure; ne nous obstinons pas à trouver un Scévola
dans un laboureur tim ide, qui ne connut depuis sa nais
sance que sa charrue et le hameau de ses pères.
Les auteurs les plus judicieux du droit n’ont eu garde
aussi d’appliquer sans distinction la sévérité des principes
romains. D om at surtout, î\ qui les premiers juges ont fait
l’injure de prêter une opinion si contraire à son discer
nement , D o m at, dont l’ouvrage immortel n’est que le
précis des lois romaines, bien loin de se fonder sur la
, loi 6, ne la signale que pour en blâmer la rudesse.
« Nous avons vo u lu , dit-il, rétablir les principes na« turels , et rendre raison de ce que nous n’avons pas mis
« cette règle du droit romain parmi celles de cette sec« tio n .........Toutes les voies de fait, toutes les violences,
c( toutes les menaces, sont illicites ; et les lois condam« nent non-seulement celles qui mettent en péril de la
« vie ou de quelque tourm ent, mais toutes sortes de
« voies défait et mauvais traitemens. Et il faut remarquer
« que comme toutes les personnes n’ont pas la même
« fermeté pour résister à des violences et î\ des menaces,
« et que plusieurs sont si foibles et si tim ides, qu’ils ne
« peuvent se s o u t e n i r contre les moindres impressions,
« un ne doit pas borner la protection des lois contre les
• « menaces
�( *7 ) '
menaces et les violences, à ne réprimer que celles
qu i sont capables d'abattre les personnes les plus
intrépides ; mais il est juste de protéger aussi les plus
timides...........
« Il est très - juste, et c’est notre usage, que toute
« violence étant illicite, on réprime celles même qui
« ne vont pas à de tels excès, et qu’on repare tout le
ce préjudice que peuvent causer des violences qui enga« gent les plus foibles à quelque cliose d’injuste et de con
te traire à leur intérêt : ce qui se trouve même fondé sur
« quelques règles du droit ro m ain ...........et ces règles
* sont tellement du droit naturel, qu’il ne pourrait y
« avoir d’ordre dans la société des hom m es, si les
« moindres violences n'étaient réprimées. >3 ( Sect. 2,
des vices des conventions , préambule. )
Il est peut-être inutile, après avoir cité Domat, de faire
d’autres recherches -, mais les premiers juges ont encore
fait l’injure à Pothier de lui prêter des principes qui ne
sont pas les siens.
Cet auteur cite les lois romaines, et par conséquent
les rappelle telles qu’elles sont. Mais il termine son
article de la crainte par dire que « le principe qui ne
ce connoît d’autre crainte suffisante pour faire pécher un
cc contrat par défaut de liberté, que celle qui est capable
« de faire impression sur l’homme le plus courageux, est
cc trop rigide, et ne doit pas être suivi parmi nous à la
cc lettre ; on doit, en cette m atière, avoir égard à Page,
« au sexe et à la condition des personnes (1) ,* et telle
«
«
«
«
(^Expressions copiées mot pour mot en Fart. 1112 du Code civil.
c
�C iS )
« crainte qui ne seroit pas jugée suffisante pour avoir
« intimidé l’esprit d’un homme d’un âge mûr ou d’un
« militaii’e , et pour faire rescinder le contrat qu’il aura
« la it , peut être jugée suffisante à l’égard d’une femme
« ou d’un vieillard, etc. » ( Traité des obligations,
page i re. , chap. I er., n°. 2 5 , in fin .)
Si l’opinion respectable de ces auteurs avoit besoin d’être
fortifiée par d’autres citations, on les puiseroit dans les lois
romaines elles-mêmes, qu’il ne faut pas juger par un
fragment unique, et qui, au contraire, nous enseignent
ce que Domat et Pothier viennent de nous apprendre.
T out consentement doit être lib re, disent plusieurs
lois; et, pour être restitué, il n’est pas besoin d’une vio
lence corporelle, mais seulement d’une crainte inspirée
à celui qui contracte; quoad justam restitutionis eau-,
sa/n niZiil refert utràm vi an metu quis cogatur. . ..
et quoad effectuai ju ris utrobi deest coiisensus, ac
libéra voluntas patientis, utveUe non vide a tur. L , 1 , 3 ,
7 et 8, ff. quod met. C. L . 116 , de reg.jur. ( in Corvino. )
Ces lois étoient bien moins dures que ne l’ont sup
posé les premiers juges; car elles ordonnoient de recevoir
la preuve de la crainte, quand même Chave auroit été
hors d’état de désigner aucun de ceux qui la lui avoit
inspirée; non tarnen necesse est designare personam
quœ metinn in tulit, sed sujjficit p r o b a r e metum, quia
metus habet in se ignoranham. I .
cod.
E nfin, ce qui achève de convaincre que ces lois savoient
aussi se mettre à la porlée de la foiblesse des hommes,
c’est qu’elles expliquent qu’il n’étoit pas nécessaire de
prouver l’cxisteiicc d’uu danger réel , mais seulement
j
�( 19 )
la crainte de ce danger, qui en effet devoit détruire le
consentement. S i causa fu isset, cur periculurn timeret j ’
quamvis periculurn verb non f u is s e t . . . . non consideratur eventus, sed justa opinio. L . 14. j f . eod.
L e tribunal d’Yssengeaux avoit donc un guide bien sûr.
A u lieu d’adopter l’antique rigueur d’une loi oubliée par
les Romains eux-mêmes , il a jugé que la crainte inspirée
à Chave n’avoit pas été un m otif suffisant pour le con
traindre ; et cependant il ignoroit jusqu’à quel point
Chave avoit été contraint ou menacé ; il l’ignoroit et a
voulu l’ignorer toujours, en refusant de s’éclairer par une
preuve : cependant les faits articulés étoient graves. Chave
oiïroit et offre encore de prouver ces faits articulés , et
notamment, x°. que le 21 germinal les frères Ferrier et
d’autres hommes armés de bâtons sont venus chez lu i;
2°. qu’ils l’ont forcé de se lever et de les suivre, en lé
menaçant; 30. que chez de Bannes ils se sont opposés à
toute explication, l’ont injurié, menacé et frappé; 40. que
de Bannes l’a pris à part pour l’exhorter à céder à la lorce
et éviter un plus grand mal ; 5 °. qu’on l’a forcé de venir
dans un cabaret, où on lui a remis un enfant, avec de'
nouvelles menaces.
. . . . . . . .
M ais, a dit le tribunal d’Yssengeaux, Cliave, sorti de
sa maison et conduit chez le maire, pouvoit réclamer.
Ce seroit une réflexion bien naturelle, si les faits même
de la cause n’étoient déjà venus la détruire ; car ce maire
lui-même étoit si peu disposé à user de son autorité ,
qu’il est difficile de ne pas le juger au contraire intéressé
à l’événement.
Mais à quelle protection., il fout le dire, auroit pu
�(r 20 )
s’attendre un malheureux à la merci de cinq individus,
dans le domicile isolé d’un maire de village? Battu à ses
yeu x, Cliave pouvoit-il se croire dans un asile inviola
b le ? L e maire lui-même, l’exhortant à céder à la force,
mettoit le comble à sa terreur, etdéclaroit, ou sa propre
com plicité, ou au moins son impuissance.
L ’acte le moins important de la vie seroit vicié par une
semblable violence , à plus forte raison celui de tous les
actes le plus incompatible avec la moindre coutrainte. Un
père de famille a contracté un engagement sacré envers
ses enfans par son mariage; mais celui-là même qui
auroit proci'éé des enfans naturels, ne tient à eux par
aucun lien civil : son honneur et les sentimens de la
nature deviennent leur unique titre , si la paternité lui
a semblé certaine. Les enfans naturels n’ont point de
famille ; tel est le langage de la loi : elle ne veut pas qu’ils
çn aient une. Quand leur père se nommeroit hautement
dans le monde, il ne seroit tenu à rien; la loi lui permet
seulement de se déclarer tel par un écrit libre et authen
tique : forcer sa volonté seroit donc se croire plus sage
qu’elle.
Mais si la loi n’exige rien d’un père , si elle consi
dère comme un vice moral de lui donner un lils que
sa propre volonté cependant n’a pas désavoué , peut-on
soutenir l’idée révoltante qu’un homme sera contraint
malgré lui d’adopter un enfant dont il n’est pas le père?
Qui lui donnera la force de supporter, dans sa de
meure, la vue habituelle d’une créature si étrangère,
placée là pour sa honte im muable, sans aucune com
pensation, satisfaisahte ? et qui oseroit répondre que dans
�( 21 )
cette situation de désespoir, aigri par un sentiment d’in
justice , il pût assez maîtriser une fureur convulsive,
qui seroit tout à la fois le tourment de l’innocence et
son propre supplice ?
Eloignons plutôt de vagues suppositions fondées sur une
pure chimère. L a prévoyance des magistrats distinguera
la vérité et les convenances , et éloignera d’aussi sinis
tres présages. On ne donne point à un homme l’enfant
qu’il repousse avec mépris , quand la loi n’en fait pas
un devoir. La cour doit prononcer ici sur les consé
quences d’un acte lib r e , et tout prouve qu’il n’y a pas
eu de liberté dans celui qui donne lieu au procès. Chave,
conduit par la forçe , menacé dans sa ro u te, a signe?
sous le bâton; et, pour se sevvir des expressions de Doinat,
§i un consentement de cette espèce étoit jugé valide , ce
seroit un attentat au droit naturel ; il n’y auroit plus
d’ ordre dam la société des hommes.
La conduite d’Isabeau Ferrier , l’époque de ses cou
ches, c’est-à-dire, de celles qui donnent lieu au procès,
le choix de ses croupiers, le lieu de la scène, la cir
constance qu’un acte de naissance a été changé, etc., tout
cela donneroit lieu à des réflexions beaucoup plus éten
dues , mais qui seroient oiseuses, tant que la preuve
de la violence ne sera pas ordonnée.
Cette preuve, sans contredit, e§t admissible; aucune
ordonnance ne la prohibe ; et ce qui étonne, c’est que
les premiers juges n’aient pas voulu prononcer en connoissance de cause.
Il est possible que la malignité toujours avide de calom
nie , et toujours difficile àdétrçynper, prétende que Chave
�( 22 )
n’a pas été tout à fait innocent envers Elisabeth Ferrier
de ce dont on l’accuse : mais il en prend le ciel à témoin,
cette femme lui fut toujours étrangère.
C h ave, maître de ses actions , célibataire, feroit sa
jouissance principale de se voir revivre dans un fils qu’il
croiroit le sien ; à son âge, et avec ses principes religieux,
il s’en feroit un devoir. Ces deux puissans mobiles ne
peuvent donc être vaincus que par quelque chose de
plus puissant encore , une conviction intim e, une insur
montable répugnance.
Il ne demande pas à être cru sur parole ; et si son
premier moyen ne suffit p a s, il offre la preuve des vio
lences qui l’ont forcé à donner sa signature : et certes,
quand la cour se sera assurée que Chave a été forcé de
sortir de son dom icile, mené chez le maire par cinq
hommes , menacé et battu , elle appréciera alors toute
la valeur d’une signature donnée dans de telles circons
tances ; et lo rsque la vertueuse Elisabeth Ferrier sera
convaincue qu’il ne lu i est plus libre de faire de sa pro
géniture une charge publique, peut-être s’efforcera-t-elle
de mettre un terme à sa fécondité et au scandale de sa
conduite.
M . G I R O T , rapporteur.
M e. D E L A P C H I E R , avocat.
M e. M A R I E , licencié avoué.
A R IO M , de l'imprimerie de L a n d r i o t , seul imprimeur de la
C our d ’appel. — Therm idor an 13.
�
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Factums Marie
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Description
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Title
A name given to the resource
[Factum. Chave, Jacques. An 13?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Girot
Delapchier
Marie
Subject
The topic of the resource
reconnaissance de paternité
Description
An account of the resource
Mémoire pour Jacques Chave, appelant ; contre Jeanne Valla, et Elisabeth Ferrier, sa fille, majeure, intimées.
Publisher
An entity responsible for making the resource available
De l'imprimerie de Landriot (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa An 13
1801-Circa An 13
1799-1804 : Consulat
1804-1814 : 1er Empire
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
22 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_M0307
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Marie
Language
A language of the resource
fre
Relation
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BCU_Factums_M0705
BCU_Factums_G1502
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The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Chambon-sur-Lac (63077)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
reconnaissance de paternité
-
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b6c247e4fd66c5a717f15e6b498afd70
PDF Text
Text
M
E
M
O
I
R
E
.
RECONNOISSANCE
DE
PATERNITÉ.
�COUR
D ’A P P E L
M
É
M
O
I
R
E
SÉANT
A RIOM.
P O UR
J a c q u e s C H A V E , appelant ;
C O N T R E
r
♦
Jeanne
V A L L A , et E l i s a b e t h F E R R IE R ,
sa fille y majeure, intimées.
' ’
L a recherche de la paternité est interdite , et c’est
dans nos mœurs un scandale de moins. Dans ce secret de
la nature , le législateur ne pouvoit que s’en rapporter à
la crédulité de l’h o m m e, ou se jeter dans le vague des
conjectures : le prem ier parti seul é toit juste; la loi l'adopte;
et aucun enfant naturel n’a le droit de nommer son père
que celui qui a v oulu se déclarer tel.
N ul acte ne doit donc être plus lé g a l, plus lib r e , que
cette déclaration. L e soupçon seul de contrainte est incom
•
A
�( o
patible avec elle ; car si elle n’est pas clairement l’effet
spontané de la réflexion , le but m oral de la loi n’existe
plus.
L ’appelant réclame contre l’oubli de ces principes, et se
place sous la protection de la c o u r, pour faire annuller un .
acte in fo rm e, auquel on l’a fait participer par la violence ;
il demande à n’être par forcé de reconnoître un enfant
qui ne fut jamais le sien.
Les premiers juges n’ont pas voulu admettre la preuve
qu’ il étoit à même d’offrir ; et si cette opinion pouvoit
p révaloir , il en résulteroit que , contre le vœu de la l o i,
un hoinme donnerait son nom m algré lui à un enfant
naturel y seroit contraint de prendre soin d’un étranger>
et de lui laisser sa succession.
;i a T : •
F A I T S .
Jeanne V a lla , et Elisabeth F errier, sa fille, habitent le
lieu de M a z e t, m airie de Cliambon. Leurs habitudes et
leurs mœurs étoient à peine connues de Jacques C have,.
qui demeure à la distance d’environ une lieue de leu r
dopiicile.
Son âg e, plus avancé même que celui de la m ère, ne lui:
eût donné aucun prétexte de se rapprocher delà fille. U n
séducteur à cheveux blancs est rare *, au village il ne connoît pas l'oisiveté qui nourrit les illusions, et la m onotonie
de ses travaux rustiques avance l’amortissement de ses
sensations, en occupant toute son existence.
j.
Ces femmes étoient donc absolument étrangères à Cha vc,.
lorsque tout d’un coup il s’est trouvé mêlé ¿1 leur destinée
�(3 )
par une de ces sourdes manœuvres que l’enfer seul peut
faire concevoir.
•
. U n matin à huit heures ( le 21 germinal an.9 ), Jacques
C h a v e , m alade, eàt brusquement arraché^ d^son lit par
deux frères de la fille Ferrier , suivis de trois auti'cs jeunes
gens armés de bâtons ou de fourches. Il se disent envoyes
par le sieur de B annes, maire de Ghambon , et comman
dent à Chave de les suivj^ dans la maison de ce sieur de
Bannes. Il s’habille et le^uit.^,, ......
^
L à il trouve Jeanne V alla qui.¡paroît en grande.colère,
l ’accueille par des injures grossières, lui dit que sa fille est
accouchée, depuis quinze jours , d’un garçon dont il est
le p è r e , suivant le r é c it é e sa fille et de^Mv l,e maire (de
C h am b o n , et qu’il faut, ^igner, sur le champ l’acte de,
naissance.
■ ..
. -1.
C h a v e , é to u r d i d’une v e s p é r ie aussi in a tte n d u e , pressé
entre les cris de la m ère , les coups de poings des frères ,
et les menaces de leurs trois hommes d’escorte, veut élever
la v o ix , et invoquer la notoriété publique; des,bâtons sont
levés contre lui pour toute réponse : il sollicite la justice
du maire , mais le maire le prend à part pour lui dire
qu’il falloit céder à la circonstance, et que sa vie n’étoit
pas en sûreté. L ’avenir a appris à.Çhave quel intérêt près-,
sant le maire lu i-m êm e avoit à pe, que la calomnie eût
une direction certaine.
,
j’ *
, )
:l
O n compi’end alors que cette dernière insinuation a
ébranlé le courage de Chave. L e sieur de Bannes prend
aussitôt le registre des actes, y efface q u e lq u e s mots, en subs
titue d’autres, et remet une plume à Chave : une seconde
résistance amène de nouvelles violences. Il fflit enfin ce
qu’on exige \ il signe.
�(4 )
E n sortant de chez le m aire, les satellites le mènent au
cabaret, se font donner a boire, le forcent à p ayer, mettent
l’enfant dans ses b ras, lui font les plus horribles menaces
s’il.dit un m ot ; et se retirent:.
Sans doute il manque à ces faits beaucoup de circons
tances im portantes; mais Chave , glacé d’épouvante ,
étoit-il libre dû réfléch ir? L a plupart de ces détails ont
échappé 'à°sa; ta'érfibirè,1 ott pltitôt i\ son attention.
Enfin C h ave, revenu de srînJètoàrdissem ent, put i*éflé~
efrir sifr ïéy fcâtféfruëmîes' dé 'l’âcte* qu’ on venoit de lu i
extorquer ;'e t sütU’é parti qu’il avoit à prendre.
Lîï dém arche la ptus pressée et la plus indispensable,,
étoii de se débarrasser de' l’innocëüte créature* qu'uné'
irtèrë1dénritiitéë1avo it rejetée1'd e ses1 bras poufc l’aban-donner aux soins d’un étranger. Chave hésita s’il 1&
rap p o rtero it, dans la nuit , à la porte des F e rrie r: cepen
dant la religidû , l’hum anité', peut-être la terreur pour
Îirî-mêm’é , Fefri^ortèrent sur son d é g o û t, et il fit porter
Penfant à unë nourrice;
M ais aussitôt, et en signe de sa protestation, il rendit
plainte a a juge de paix de T en ce ; le juge de paix lerenvoya au magistrat de sûreté : mais comme la plainteétoit dirigée aussi contre le m aire, les autorités déli
b érèren t, et ne résolurent rien..
!:l '
Chave in q u ie t, et ne voulant pas que ¿on sileilce pût
déroger à son drrti't, se'décida à citer, le 5 floréal an 9
tant Jeanne V alla et sa fille , que le maire lu i-m ê m e ,
pour vôrr dire q u ’il scrôit r^ titu é côtitfü la reconnbissrince de paternité qüi lui avoit été extorquée par la
violen ce, et qtie le jnail'C seroit tenu de ra^çr du registre
�( 5)
ce qui concernoît ladite reconnoissance ; et la m ère et
la fille pour être condamnées à reprendre l’en fan t, payer
ses alimens chez la nourrice , avec dommiiges-intérêts.
O n pense bien qu’au bureau de paix la fille F errier
ne manqua pas de fqire la réponse d’usage, qu’elle avoit
été séduite et abusée sous promesse de m ariage , et qu’elle
seroit en état de prouver les familiarités de Chave avec
e lle ; celui-ci Pen d éfia, et ajouta même qu’il offroit de
prouver ce u x avee qui elle àvoit eu fréquentation.
T o u t cela étoit de trop de part et d’a u tre , puisqu’il
n’est permis de rien prouver ;. et la fille F errier ne1
risquoit rien à faire bonne contenance. Q uoi qu’il en
so it, un prem ier jugem ent, du 28 pluviôse an 10 , m it
le maire hors de procès, comme ne pouvant être jugé
sans autorisation , et appointa les autres parties en droit.
C e t a p p o in te m e n t ne fournit p as p lu s d ’é c la irc is se
ment. Chave persista toujours à offrir la preuve de la
violence exercée contre lui ; et les femmes F e r r ie r , qui
au bureau de p a ix , n’avoient paru avoir aucune crainte,
firent leurs efforts pour soutenir cette preuve inadmis
sible. L eu r système p ré va lu t; et le 14 fructidor an 1 0 ,:
le tribunal d’Yssengeaux rendit le jugement qui suitt■
« Considérant que Particlo 2 du titre 20 de l'ordonnance de 16G7
défend de recevoir la preuve par témoins contre et outre le contenu
aux acte6 publics; qu’à la vérité la fo rce, la violence, sont un
moyen pour les faire rescinder, mais qu’en ce cas il faut articuler
de menaces graves , qui feroient craindre pour Ja vi e metus mortist
ou que la partie obligée auroit souffert c h a r t e privée, ainsi que
renseignent Dom at en ses Lois civiles, et Polliier en son T raité
des obligations j
�( 6)
» Considérant que Jacques Chave n'a articulé qn’iî lui ait été
fait aucune m enace, ni qu’il ait été commis aucun excès sur sa
personne, ni dans son dom icile, ni dans celui du maire où il s’étoit
rendu pour reconnoitre pour lui appartenir l’enfant dont s’étoit
accouchée Isabeau Ferrier; et qu’étant dans ce dernier dom icile,
il pouvoit articuler sans crainte les excès ou menaces qu’il auroit
éprouvés, contre ceux qui s’en seroient rendus coupables envers
sa personne. »
Jacques Chave est débouté de toutes ses demandes tant princi
pales que subsidiaires, et il est condamné aux dépens.
Cependant Chave avoit offert expressément de faire
preuve de menaces et violences : ses écritures en font foi.
Il étoit privé alors d’un moyen important. L ’expédition
de l’acte de naissance produite alors au procès, ne mentionnoit ni les surcharges ni les ratures ; elle étoit délivrée
par le sieur de B annes, m aire, qui avoit trop d’intérêt
à en cacher l’irrégularité pour la faire soupçonner. A u
reste, Chave s'est pourvu en la cour contre le jugem ent,
et il sera question d’exam iner de quelle influence la form e
de cet acte doit être pour la décision du procès.
M O Y E N S .
L ’ancienne législation française étoit extrêmement dure
contre les enfans naturels', et cependant, par une étraijge
inconséquence, elle admettoit les preuves de paternité
sans distinction. A u jourd ’hui la loi a fait pour eux
davantage : mais sans vouloir percer le m ystère; qui
couvre leur naissance, elle rejette désormais les proba
bilités et les fausses conséquences ; elle ne voit dans
l’enfant né hors le mariage qu’ une innocente créature
�k
(7)
digne de la pitié de tout le m o n d e, mais ne tenant à la
société que par celle qui lui a donné le jour. Si cepen
dant un homme , guidé par des apparences qu’il aie droit
d’apprécier lui^ -m êm e, et cédant à l’impulsion de sa
conscience, veut se donner le titre de p è r e , la loi le
lui perm et, s’ il n’est engagé dans les liens du mariage :
mais comptant pour rien aujourd’hui toutes les démons
trations extérieures, elle exige une déclaration authenti
que et non équivoque ; elle prescrit à l’acte uue solen
nité plus grande que pour la naissance même de l’enfant
légitim e.
L ’intention du législateur étoit si claire, qu’elle a ôté
tout prétexte à l’astuce, et n’a laissé de voies qu’au faux
o u à la violence. M a is à q u i peut èti*e réservée l’uue ou
l ’a u tre de ces v o ie s c r im in e lle s ? C e n ’est pas à la fille tim ide
q u i, rougissant encore d’une première foiblesse, et par
tagée entre l’amour de son enfant et la honte de sa nais
sance , n’en ose nommer le père que dans le secret de son
cœ ur, et se fait l’illusion de penser que le mystère dont
elle s’enveloppe la protégera contre l’opinion qui fait
son supplice.
M ais que feront ces femmes déhon tées, qui ne voient
dans la prostitution qu’ une habitude, dans leur avilisse
ment qu’ un état, et dans leur fécondité qu’un accident?
Incertaines elles-mêmes d’ une paternité q u ’e lle s déféroicnt
naguères suivant leurs convenances, elles n’en arrachoient
pas moins des sacrifices pécuniaires aux hommes qui leu r
etoicnt souvent les plus étrangers , mais qu epouvantoit
la perspective d’une honteuse et publique discussion. Si
.on leur laisse entrevoir aujourd'hui une tolérance quel-
�CS )
conque, que le.ur coûtera-t-il de'tenter d’autres voies pour
en venir aux mêmes fins? Et-s’il est près de leur demeure
Un citoyen paisible, q u i, par ses mœurs douces et réglées,
puisse passer pour pusillanim e, quelle difficulté y aura-t-il
de répondre adroitement que c’est là le cou p able, d ’inté
resser contre lui quelque personne créd u le, de l’effrayer
lui-m êm e sur les dangers de sa résistance, d’ ameuter s’il
le faut ceux qui ont un intérêt réel au succès 'de la négo
ciation ! Jadis il falloit des tém oins, aujourd’hui il ne faut
qu’ une simple signature ; 'tout cela peut ¿’exécuter avec
rapidité : ce n’est qu’un changement de complot.
Heureusement cette rapidité même ne laisse pas au
crim inel le calme «de la "réflexion : souvent ses fa u te s le
trahissent, e t, quelques légères qu’elles soient, il faut les
com pter avec scrupule; car on est bien assuré qu’elles ne
sont pas un simple résultat de sa négligence, mais qu’elles
ont échappé à l’excès de sa précipitation.
Ceux qui ont guidé la iille T errier dans ses démarches
n’ont pas visé à l’exactitude ; la cour en sera convaincue
bientôt par la forme de l ’acte de naissance qui fait son titre.
Une seconde découverte la convaincra encore qu’il ne
s’agit point ici de rép arer, envers une fille sé d u ite , des
torts que la malignité suppose toujours. L a fille Ferrier
a , le 20 prairial an n , donné une nouvelle preuve de
sa continence, en faisant baptiser un fils sous les auspices
de son frère et de sa m è re , que l’acte apprend môme avoir
été sage-fenune en cette circonstance.
Il ne pnroit pas que pour cette fois la mère et la Cllo
T errier aient jugé à propos de réunir un conseil pour
disposer du nouveau n é , et lui elire un père à la plu
ralité
�( 9)
ralité des suffrages; il est vraisemblable que la précédente
tentative les avoit intimidées.
- Q u o iq u ’il en soit, et soumettant cettedécouverte pré
cieuse aux x-éilexions de la c o u r , l’appelant ne s’en occu
pera pas plus lon g-tem ps, et se contentera d’observer
qu’il n’y a rien de légal dans la’ prétendue déclaration de
paternité qu’on lui a fait signer, et au surplus que les faits
de violences articulés suffiront pour la détruire. C ’est à
l’examen de ces deux propositions que l’appelant réduit
sa défense.
i° . L a déclaration de -paternité n e s t pus légale.
!La loi du 12 brum aire an 2 s’occupoit de trois espèces
d’enfans naturels, après avoir décrété en principe qu’ils
étoient successibles.
1°. Ceux dont le p èreéto it décédé, et il leur suffisoit
de prouver une possession d’ éta t, par des soins donnés
à titre de paternité, et sans interruption ; 2°, des enfans
dont le père et la m ère seroient encore vivans lors du
Code c i v i l , et leur état civil y étoit renvoyé; 30. de ceux
dont la mère seule seroit décédée lors de la publication
du C o d e , et alors la reconnoissance du p è re , faite devant
l’officier p u b lic, rendoit l’enfant successible.
Il s’agit ici d’un enfant de la seconde espèce ; et le pré
tendu père , quel qu’il s o it, de môme que la m ère, sont
dits vivans.
O r , quelle nécessité, quelle u r g e n c e y a v o it - il de
prévenir la publication du Gode civil , en faisant faire
une déclaration que la loi ne demandoit p a s> et qu’elle
B
�( 10 )
ajournent au contraire ? N ’aperCevroit - on pas déjà le
dol dans cette extraordinaire prévoyance ?
D ira-t-o n que le Code civil prescrit aussi une décla
ration authentique, et qu’on n’a pas v io lé la loi en la
devançant ? Mais qui blâmera les législateurs de l’an 2 ,
d’avoir voulu p révo ir que leur système ne seroit peutêtre pas celui du Code civil ? qui leur reprochera d’avoir
supposé. que les dispositions de ce code seroient déli
bérées avec plus de m aturité, et de s’être défiés de leur
prem ier système sur une innovation aussi im portante?
Ils voulurent régler le passé seulement ; et les débats
qui ont eu lieu sur la loi transitoire du 14 floréal a n n ,
nous apprennent assez qu’il n’y a eu , d an s l’intervalle de
l’an 2 à l’an 11 , aucune législation touchant les enfans
naturels. Les bulletins de la cour de cassation sont aussi
remplis d’arrêts qui ont cassé tous les jugemens dans les
quels les tribunaux avoient voulu régler , même p rovi
soirement , le sort de quelques enfans naturels, pendant
cette lacune de n eu f ans.
Il ne pouvoit donc être question de fixer l’état de
l’enfunt d’Elisabeth F errier qu’après le Code c i v i l , dont
l’art. 334 porte que la reconnoissance sera faite par un acte
authentique, si elle ne l’a pas été par l’acte de naissance.
Mais fût-il indifférent que la reconnoissance contestée
ait été faite avant ou après le Code c iv il, malgré la sus
pension totale exigée par la cour de cassation, et rappelée
par la loi transitoire; cette reconnoissance n’en est pas
moins irrégulière ? car elle 11’est faite ni par l’acte de
naissance lui-m êm e, ni par un acte séparé authentique«
V oici comment cct acte est littéralement écrit au registre*
�(-!■))
' ’
:
- ■
A c t !
de
n a i s s a
ü;-' . ■
■:
n ' c ' e . ,:
.
■
\l L '
rr Du huitième joyr du ntois de germinal, l’an 9 de la repui> blicjue frarçca^sç. A cte de naissance {Je Jacques, f i l l e ( Ce mot
» est effacé, et. on y a substitué au -dessus, dans Vinterligne,
» F e r r i e r , que Üon a encore effacé, et l ’on a écrit à côté C i i a v e . ),
» né hors de mariage., né le septième jour du mois de germ inal,
» à sept heures du soir, fils d ’isabeau Ferrier, non m ariée, domi» ciliée du lieu de la M arette, susdjte commune,.et-Isabeap Fermier,
» non mariée; le sexe de L’enfant a été reconnu u n ;e ( Qn a couvert
* ^*
» d’encre la lettre y.. ^f i l s , né hors de mariage : premier témoin,
» Jean-Pierre Ferrier, demeurant'^' Chambon , Méparte'merit de
» la H a u te -L o ire , profession de cultivateur, âgé de tren te-n eu f
» ans ; second tém oin, Pierre R u e l, demeurant ¿1 Ghambon , département de la H a u te -L p irp , profession ¡de tailleur d’habits,
» âgé de cinquante-quatre ans. Sur la réquisition à nous faite pxjr
» Marie R u e l, sage-femm,ef<|e ladite accpucbqe, avons inscrit le
» sus-nom rué Jacques F e r m e r ( Ce mot est raturé, et Von a mis
» au-dessus, dans l’ interligne,
»
mère
»
le
C
iiave.
),
portant
le nom
de
sa
( Ces mots ont été rayés, et l ’on y a substitué ces mots :
nom
du
pere
.
) ; et ont la déclarante ne savoir1signer, et les
« témoins Signé. F e rrie r , R u e l , signé àtPoriginal. »
•' ■'1 >!'/ • ", ■
(t ,
« L ed it Jacques Ch ave pèretreconnoît ledit Jacques son fils, de
» ladite décl^ratioij de <la présente, lacté-; le rçcqnnolt pour ^sqn
» véritable fils, avoir droit à tous ses bien^, en p n v s c n c e . d e Jean» Louis Riou. ( -J- Ici est un renvoi. ) Constaté suivant la loi, par
» moi Annet de Bannes, maire de la,commune de Cham bon, fai—
» sant les fonctions d ’ofiieier public de l’état civil. Ledit maire
» approuve toutes les ratures ci-dessus. D e B annes, maire, signé.
» ^ Et de Pierre C a llo n , et de Jean-Pierre Frescliet, et de Jeanj> Pierre F errier; et dit Jacques Chavc a signé avec les témoius.
B 2
�» Ont signé, ledit Pierre Callon a déclaré ne savoir signer, Chave >
» R io u , Freschet, Ferrier. D e Bannes, m aire, signé. »
( Nota. Ledit renvoi est en marge, en travers. )
Pour copie figurée :
L e secrétaire général de la préfecturede la Haute-Loire ,
BARRÉS.
Il est aussi ¿vident qu’il puisse l’ê tre , que cet acte se
compose de deux parties bien distinctes , qui ne sont pas
d’un même contexte , ne sont pas l’ouvrage du m ême
m om en t, et cependant ne sont pas deux actes absolu
m ent séparés.
i ». A cte de naissance bien parfait et très en règ le, d*ua
enfant né d’Isabeau F e r r ie r , sans m ention du père
O n lui donne le nom de sa mère. Il y a deux témoins
de cet a cte , Joseph F errier et M arie R uel. L ’acte est
donc com plet : le vœ u de la loi du 20 septembre 1792
est rempli.
2°. V ien t ensuite une déclaration de C h ave, qui est à
la suite du prem ier a cte , et qui a exigé des surcharges..
M ais peut-on , de bonne foi , y v o ir un acte authen
tique , une reconnoissance de paternité telle que la lo i
la commande et que la raison la conçoit ?
Cet acte n’a aucune date , parce qu’en effet il a eu lieule 21 g erm in a l, et a été ajouté a un acte terminé depuis
le 8. Comment supposer en effet que cette déclaration
fiiinle fait partie de l’acte du 8? Les témoins dénommés au
premier ne signent pas la déclaration.
�( *3 )
On a raturé et interligné le prem ier acte de naissance,
sans faire rien approuver aux premiers témoins. L e maire
seul approuve to u t, même ce qu’ il lui plaira de raturer
en core; les autres témoins , Chave lu i- m ê m e , ne font
aucune approbation. O r , il est de principe que les ratures
et interlignes sont inutiles dans les actes, s’il n’y a appro
bation des parties et témoins.
Il est un autre principe élémentaire en rédaction d’actes,
quelque peu d’ importance qu’ils aient, c’est que les témoins
dénommés en l’acte signent à la fin : ici la sage-femme et
le fr è r e , qui ont déclaré la naissance le 8 , n’ont pas signé
à la fin. Si c’est un seul et même acte, les uns l’ont signé
au m ilieu , et d’autres à la lin : chose bizarre et rid icu le,
qui ne peut s’allier avec la gravité de l’acte qu’on prétend
m a in te n ir .
Q ue peut - il résulter d’un acte de cette espèce , si ce
n’est de la pitié pour ses rédacteurs , et une conviction
intime que ce n’est pas C have qui est allé déclarer la n a issance d’un enfant comme s’en disant le père?
L e but de la loi n’est donc pas rempli ; car dans quelque
form e que dût être une reconnoissance de paternité , il la
falloit dans l’acte m êm e portant la déclaration de naissance,
ou bien il falloit un acte p a rticu lier, daté lu i-m êm e, et
qui ne fût pas rédigé dans une form e ayant pour but de le
rattachera un autre acte, auquel il ne peut appartenir.
Car rappelons-nous que l ’article 334 du Code civil dii
que la reconnoissance sera faite par l’acte de naissance,
ou par un acte atlientique ; à quoi l’ a rtic le 62 ajoute que
la cté de reconnoissance sera in sc rit sur les registres () sa
date j et qu’il en sera lait mention en marge de l’acte de
naissance.
�C H )
'
Rappelons-nous encore que le but bien positif de la loi
est de ne com pter pour rien les reconnoissancesantérieures
au c o d e , quand l’auteur est vivant. Il en est de cela comme
des testamens antérieurs à l’nn 2, qu’ il falloit refaire pour
les circonscrire dans les termes du droit nouveau. La loi
a eu ici un but plus moi'al : les cliangemens apportés au
système passé justifient sa mesure dilatoire.
E t ne nous abusons pas sur l’importance des formes
dans une matière aussi délicate : on est si scrupuleux
pour tant d’autres actes! U n seul m ot équivoque en un
testam ent, détruit toute la volonté d’un père de fam ille;
une donation exige encore des formes plus multipliées.
Ces actes sont-ils donc aussi importans que c e lu i où il s’agit
de transmettre son nom et sa fortune ; où il s’agit de plus
encore, de vaincre l’opinion et de surmonter sa propre
répugnance ? D ’ailleurs , pourquoi ne pourrions - nous
pas dire pour un tel acte ce que Ricard dit des testamens,
« que toute leur force consiste dans leur solennité, et toute
« leur solennité consiste dans les formes ? »
A u jourd ’hui il faut y ajouter une vérité bien certain e,
c’est que la seule supposition qu’un homm e est tenu et
obligé de se charger d’un enfant naturel sans sa libre
v o lo n té , est incompatible avec le système indubitablement
reçu sur la législation des enfans naturels.
2°. Cette déclaration de paternité est n u lle , S il y a
violence. L e s jfà its articulés suffisent. I ta preuve en
est adm issible.
On est extrêm em ent sévère dans le monde pou r juger
�( i5J
des effets de la peur d’autrui ; e t , quand on en com
mente les particularités, on détaille très-ponctuellement
la conduite qu’on auroit tenue en pareille occurrence.
Cependant rien n’est plus difficile à régler pour soi-même;
ca r, en deux cas semblables , le même individu se conduiroit rarement deux fois de la m ême manière. Mais
celui qui raisonne ainsi est de sang-froid , par cela seul
qu’il raisonne, tandis que le prem ier effet de la terreur
est d ’absorber toutês les réflexio n s, pour ne laisser place
qu’à uneseuleidéedom inante, la conservation de soi-même.
Quelques auteurs, partageant sur cc point les idées du
v u lg a ire , sembleroient aussi se m ontrer difficiles à ad
mettre la plupart des excuses fondées sur la crainte. Il
faut distinguer, disent-ils, la crainte grave et la crainte
légère , et on ne peut tro u ve r de m oyen rescisoire que
dans celle qui suffiroitpour ébranler la fermeté de l’homm e
le plus in trépid e, metus non va?ii hom inis , sed q u i in
hom inem constantissim um ca d a t, 1. 6 , ff. Q uod metûs
causa.
Ces auteurs, s’en tenant à une loi isolée démentie par
beaucoup d’autres, n’ont pas voulu apercevoir, dans cette
rigueur étrange, un m onument de la fierté romaine plutôt
qu’une règle générale. Ce p eu p le, qui avoit détruit le
temple élevé par T u llu s à la C rainte, n’étoit, en la pros
crivant par ses lois, que conséquent avec lui-m êm e. Sous
un système de conquêtes sans bornes, et avec une consti
tution toute m ilitaire, quel romain p o u v o it a llé g u e r une
crainte légère! E levé dans les cam ps, son excuse m êm e
«ût consacré sa honte , et la loi étoit rigoureusement juste
en exigeant de lui l’intrépidité d’ un so ld a t.
�( i6)
La France militaire ne réprouvera pas cette législation
sévère ; elle l’eût créée elle-méme , s’il falloit un code au
courage. M ais les actes civils des simples particuliers ne
se règlent pas par des maximes nationales; la théorie
principale des lois consiste à les approprier aux mœurs
de ceux qu’elles doivent régir.
Gardons-nous donc d e l’exaltation , quand elle est hors
de mesure; ne nous obstinons pas à trouver un Scévola
dans un laboui'eur tim id e, qui ne connut depuis sa nais
sance que sa charrue et le hameau de ses pères.
Les auteurs les plus judicieux du droit n’ont eu garde
aussi d’appliquer sans distinction la sévérité des principes
romains. D ornat surtout, à qui les premiers juges ont fait
l ’injure de prêter une opinion si contraire à son d is c e r
nem ent, D o m a t, dont l’ouvrage immortel n’est que le
précis des lois romaines, bien loin de se fonder sur la
loi 6 , ne la signale que pour en blâmer la rudesse.
« Nous avons v o u lu , d it-il, rétablir les principes na« tu rels, et rendre raison de ce que nous n’avons pas mis
« cette règle du droit romain parmi celles de cette sec« tio n ......... Toutes les voies de fait, toutes les violences,
<f toutes les m enaces, sont illicites ; et les lois condam« nent non-seulement celles qui mettent en péril de la
« vie ou de quelque to u rm en t, mais toutes sortes de
« voies défait et mauvais traitemens. E t il faut remarquer
« que comme toutes les personnes n’ont pas la meme
« fermeté pour résister à des violences et à des menaces,
tt et que plusieurs sont si foibles et si tim ides, qu’ils ne
k peuvent se soutenir contre les moindres impressions,
<c on ne doit pas borner la protection des lois contre les
« m enaces
�('17 )
a m en aces et les v io le n c e s ,
.
à ne réprim er q u e celles
« q u i so n t capables d'abattre
les personnes les pluà
« in trép id es; mais il est juste de protéger aussi les plus
« tim ides............
« Il est très - juste, et c'est n otre u sa g e , que toute
« violence étant illic ite , on réprim e celles m ême q u i
« ne vont pas à de tels excès, et qu’on répare tout le
a préjudice que peuvent causer des violences qui enga« gent les plus foibles à quelque chose d’injuste et de ccn« traire à leur intérêt : ce qui se trouve même fondé sur
« quelques règles du droit ro m a in ........... et ces règles
« sont tellement du droit n a tu re l, q u 'il ne p o u r r o it y
« a v o ir d'ordre dans la so c ié té des h o m m e s , s i les
« m oin dres violen ces Tiétoient réprim ées. » ( S e c t. 2 ,
d es v ic e s d es c o n v e n tio n s , p r é a m b u le . )
Il est peut-être inutile, après avoir cité D om at, de faire
d’autres recherches ; mais les premiers juges ont encore
fait l’injure à P oth ier de lui prêter des principes qui ne
sont pas les siens.
Cet auteur cite les lois rom aines, et par conséquent
les rappelle telles qu’elles sont. M ais il termine son
article de la crainte par dire que te le principe qui ne
«
«
«
«
connoît d’autre crainte suffisante pour faire pécher un
contrat par défaut de liberté, que celle qui est capable
de faire impression sur l’homme le plus courageux, est
trop rig id e , et ne doit pas être suivi parmi nous
la
«■ lettre ; on d o it , en cette m a tiè r e , a v o ir égard a P ag e ,
« ait sexe et à la con d itio n des personnes (1),' et telle
( 1 ) Expressions copiées mot pou'r mot en Fart. 1 1 1 2 du C ode civil.
c
�( 18 )
« crainte qui ne seroit pas jugée suffisante pour avoir
« intim ide l ’esprit d’un homm e d’un âge m ûr ou d’un
« m ilitaire, et pour faire rescinder le contrat qu’il aura
« f a i t , peut etre jugée suffisante à l’égard d’ une femme
« ou d’un v ie illa rd , etc. » ( T raité des obligations,
page i re. , chap. I er., n°. a 5 , i n f i n . )
Si l’opinion respectable de ces auteurs avoit besoin d’être
fortifiée par d’autres citations, on les puiscroit dans les lois
romaines elles-m êm es, qu’il ne faut pas juger par un
fragm ent u n iq u e, et q u i, au con traire, nous enseignent
ce que Dom al et Pothier viennent de nous apprendre.
T o u t consentement doit être lib r e , disent plusieurs
lois ; e t, pour être restitué, il n’est pas besoin d’ une v io
lence corporelle, mais seulement d’une crainte inspirée
¿\ celui qui contracte; quoad ju sta m restitutionis cau
sant ni/iil refert utrhm v i an metu quis cog atur. . . .
et quoad effectum ju r is utrobi deest co n sen su s, ac
libéra roluntas p a tien tis, u tvelle non videatur. L . 1 , 3 ,
7
quod met. C. L . 116 , de reg.jur. ( in C orvino.)
Ces lois étoient bien moins dures que 11c l’ont sup
posé les premiers juges; car elles ordonnoient de recevoir
la preuve de la crainte , quand même Chave auroit été
hors d’élat de désigner aucun de ceux qui la lui avoit
in sp irée; non tamen necesse est designare personam
quœ rnetum intu/it, sed sujficit p r o u a r e rnetum, quia
me tus habet in se ignorantiarn. L . 14. Jf. eod.
E n fin , ce qui achève de convaincre que ces lois savoient
aussi se mettre à la portée de la foi blesse des hom m es,
c’est qu'elles expliquent qu’il n’étoit pas nécessaire de
prouver l’existence d’uu danger réel , mais seulement
�C 19 )
la crainte de ce danger, qui en effet devoit détruire le
consentement. S i causa fu is s e t , cu r pericuîurn tim eret,
quam vis pericuîurn 'i crc non f u is s e t . . . . non considé
ra tur even tu s, sed ju sta opinio. L .
eod.
L e tribunal d’Yssengeaux avoit donc un guide bien sûr.
A u lieu d’adopter l’antique rigueur d’une loi oubliée par
les Romains eux-m êm es, il a jugé que la crainte inspirée
à Chave 11’avoit pas été un m otif suffisant pour le con
traindre ; et cependant il ignoroit jusqu’ù quel point
Chave avoit été contraint ou menacé ; il l’ignoroit et a
voulu l’ignorer Loujours,. en refusant de s’éclairer par une
preuve : cependant les faits articulés étoient graves. Chave
ollroit et offre encore de prouver ces faits articulés , et
notam m ent, i° . que le 21 germ inal les frères F errier et
il’ulitres liommcs armés île hfitous sont venus chez lui ;
2°. qu’ ils l’ont forcé de se lever et de les suivre, en le
menaçant ; 30.’ que chez de Bannes ils se sont opposés à
toute explication, l’ont injurié, menacé et frappé; 40. que
de Bannes l’a prisi\ part pour l’exhorter à céder à la force
et éviter un plus grand mal ; 5°. qu’on l’a forcé de venir
dans un cabaret, où 011 lui a remis un enfant, avec de
nouvelles menaces.
'
M a is, a dit le tribunal d’Ysscugeaux, C h av e, sorti de
si maison et conduit chez le m aire, pouvoit réclamer.
Ce scroit une réllexion bien naturelle, si les faits même
de la cause n’étoient déjà venus la d étru ire; car ce maire
lui-m em e étoit si peu disposé
user de son autorité ,
qu’ il est difficile de ne pas le juger nu contraire iutéressé
à l'événem ent.
Mais à quelle pro tectio n , il faut lo d ire , auroit pu
�( 20 >
s’attendre un m alheureux à la merci de cinq in d ivid u s,
dans le domicile isolé d’un maire de village? Battu à ses
y e u x , Chave pouvoit-il se croire dans un asile inviola
b le ? L e maire lu i-m êm e,l’exhorîMnt à céder à la fo rce,
m ettoit le comble à sa terreur, et ctéclaroit, ou sa propre
co m p licité, ou au moins son impuissance.
L ’acte le moins im portant de la vie seroit vicié par une
semblable v io le n c e , à plus forte raison celui de tous les
actes le plus incompatible avec la m oindre contrainte. U n
père de fam ille a contracté un engagement sacré envers
ses enfans par son m ariage; mais c e lu i-là même qui
auroit procréé des enfans naturels, ne tient à eux par
aucun lien civil : son honneur et les sentimens de la
nature deviennent leur unique titre , si la paternité lui
a semblé certaine. Les enfans naturels n’ont point de
famille ; tel est le langage de la loi : elle ne veut pas qu’ils
en aient une. Quand leur père se nom m eroit hautement
dans le m onde, il ne seroit tenu à rien; la loi lui perm et
seulement de se déclarer tel par un écrit libre et authen
tique : forcer sa volonté seroit donc se croire plus sage
qu’elle.
M ais si la loi n’exige rien d’un père , si elle consi
dère comme un vice m oral de lui donner un fils que
sa propre volonté cependant n’a pas désavoué , peut-011
soutenir l’idée révoltante qu’un homm e sera contraint
m algré lui d’adopter un enfant dont il n’est pas le père?
Q ui lui donnera la force de supporter, dans sa de
m eure, la vue habituelle d’une créature si étrangère,
placée là pour sa honte im m uable, sans aucune com
pensation satisfaisante ? et qui oseroit répondre que dans
�(
21
)
celte situation dé désespoir, aigri par un sentiment d’in
justice , il pût assez maîtriser une fureur co n v u lsiv e,
qui seroit tout à la fois le tourment de l’innocence et
son propre supplice ?
Eloignons plutôt de vaguessuppositions fondées sur une
pure chimère. L a prévoyance des magistrats distinguera
la vérité et les convenances , et éloignera d’aussi sinis
tres présages. O n ne donne point à un homme l’enfant
qu’il repousse avec m é p r is , quand la loi n’en fait pas
un devoir. L a cour doit prononcer ici sur les consé
quences d’ un acte lib r e , çt tout pvouve qu’il n’y a pas
eu de liberté dans celui qui donne lieu au procès. C h ave,
conduit par la fo r c e , menacé dans sa route , a signé
sous le bâton; et, pour se servir des expressions de D om at,
si uu consentement de cette espèce étoit jugé valide , ce
serait un attentat au droit n a t u r e l i l n ’y auroit plus
d ’ordre dans la société des hommes.
L a conduite d’Isabeau F errier , l’époque de ses cou
ches, c’est-ùidire, de celles qui donnent lieu au proçès,
le choix de ses cro u p iers, le lieu de la rscène, la :c ir
constance qu’ un acte de naissance a été ch an gé, e tc ., tout
cela donneroit lieu à des réflexions beaucoup plus éten
dues , mais qui seroient oiseuses, tant que la preuve
de la violence ne sera pas ordonnée.
Cette p re u v e , sans contredit, est adm issible; aucune
ordonnance ne la prohibe ; et ce qui étonne, c’est que
les premiers juges n’aient pas voulu prononcer en connoissance de cause.
Il est possible que la malignité toujours avide de calom
nie , et toujours diilicile ù d étro m p er, prétClide que Chavc
�( 2 2 )
n’a pas été tout à fait innocent envers Elisabeth Ferrier
de ce dont on l’accuse : mais il en prend le ciel à tém oin,
cette femme lui fut toujours étrangère.
Chave , maître de ses actions , célibataire , feroit sa
jouissance principale de se voir .revivre dans un fils qu’il
cro iro it le sien ; à son âge et avec ses principes religieu x,
il s’en feroit un devoir. Ces deux puissans mobiles ne
peuvent donc être vaincus que par quelque chose de
plus puissant encore , U n e conviction in tim e, une insurm ontable répugnance.
¡:
Il ne demande pas à être cru sur p a ro le; et si son
prem ier moyen ne suffit p a s , il offre la preuve des v io
lences qui l’ont forcé à donner sa signature : et certes,
quand la cour se sera assurée que Chave a été forcé de
sortir de son d om icile, mené chez le maire par cinq
hommes , menacé et battu , elle appréciera alors toute
la valeur d’une signature donnée dans de telles circons
tances ; et lorsque la vertueuse Elisabeth F errier sera
convaincue qu’il ne lui est plus libre de faire de sa pro
géniture une charge p u b liq u e, peut-être s’efforcera-t-elle
de mettre un terme à sa fécondité et au scandale de sa
conduite.
M . G I R O T , rappotteur.
M e. D E L A P C H I E R , avocat,
M e. M A R I E , licencié avoué.
A R I O M , de l ’im prim erie de L a n d r iot , seul imprimeur de la
C o u r d ’appel. — T h e r m i d o r an 13.
�
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[Factum. Chave, Jacques. An 13?]
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Girot
Delapchier
Marie
Subject
The topic of the resource
reconnaissance de paternité
nullité
violences sur autrui
Description
An account of the resource
Mémoire pour Jacques Chave, appelant ; contre Jeanne Valla, et Elisabeth Ferrier, sa fille, majeure, intimées.
Publisher
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De l'imprimerie de Landriot (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa An 13
1801-Circa An 13
1799-1804 : Consulat
1804-1814 : 1er Empire
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
22 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_M0614
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Marie
Language
A language of the resource
fre
Relation
A related resource
BCU_Factums_M0307
BCU_Factums_G1502
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/5/53874/BCU_Factums_M0614.jpg
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Chambon-sur-Lac (63077)
Rights
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Domaine public
nullité
reconnaissance de paternité
violences sur autrui
-
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e69c6b6506b285ce5d41f1396d09c474
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Text
COUR
M E MOIRE
D ’A P P E L
SÉANT
A RIOM»
P O U R
J a c ques C H A V E ,
appelant
C O N T R E
-
Jeanne
‘
}
rr
V A L L A , et E l i s a b e t h F E R R I E R ,
sa fille , majeure, intimées
l A recherch e de la paternité est interdite , et c’est
dans nos mœurs un scandale de moins. Dans ce secret de
la nature , le législateur ne pouvoit que s’en rapporter à
la crédulité de l’h o m m e, ou se jeter dans le vague des
conjectures :1e prem ier parti seul étoit juste; la loi l’adopte;
et aucun enfant naturel n’a le droit de nomm er son pèrç
que celui qui a voulu se déclarer tel.
N ul acte ne doit donc etre plus lé g a l, plus lib re , que
cette déclaration. L e soupçon seul de contrainte est incomA
�C2 )
patible avec elle *, car si elle n’est pas clairement l’effet
spontané de la réflexion , le but moral de la loi n’existe
plus.
L ’appelant l’éclame contre l’oubli de ces principes, et se
place sous la protection de la c o u r, pour faire annuller un
acte in fo rm e, auquel on l’a fait participer par la violence
il demande à n’être par forcé de reconnoître un enfant
qui ne fut jamais le sien.
Les premiers juges n’ont pas voulu admettre la preuve
qu’il étoit à même d’offrir -, et si cette opinion pouvoit
prévaloir , il en résultèrent que contre le vœu de la loi ,,
un homme donnerait son nom malgré lui à un enfant
7
n a tu rel, seroit contraint de prendre soin d’un étranger T
et de lui laisser sa succession..
• .i : V:
F A I T S . .
Jeanne V alla,. et Elisabeth F errier, sa fille, habitent le
lieu de M a z e t, mairie de Chambon. Leurs habitudes et
leurs mœurs étoient à peine connues de Jacques Chave>
/ qui demeure à la distance d’environ une lieue de leu r
domicile.
... ■•
Son â g e , plus avancé même que celui de la mère,, ne lu î
eût donné aucun prétexte de se rapprocher de là fille.. Uni
séducteur à cheveux blancs est rare *, au village il ne connoît pas l’oisiveté qui-nourrit les illusions, et la monotonie'
de ses travaux rustiques avance l’amortissement de ses
sensations, en occupant toute son existence.
Ces femmes étoient donc absolument étrangères à Cbnve,,
lorsque tout d’un coup il s’est trouvé m êlé à leur destinée^
�(
3 )
par une de ces sourdes manœuvres que l’enfer seul peut
faire concevoir.
U n matin à huit heures ( le 21 germ inal an 9 ), Jacques
C h a v e , m alade, est brusquement arraché de son lit par
deux frères de la fille Ferrier , suivis de trois autres jeunes
gens armés de bâtons ou de fourches. Il se disent envoyés
par le sieur de Bannes, maire de Cham bon , et comman
dent à Chave de les suivre dans la maison de ce sieur de
Bannes. Il s’habille et les suit.
L à il trouve Jeanne V alla qui paroît en grande colère ,
l ’accueille par des injures grossières, lu i dit que sa fille est
accouchée, depuis quinze jo u rs, d’un garçon dont il est
le p è r e , suivant le récit de sa fille et de M . le maire de
Chambon , et qu’il faut signer sur le champ l’açte de
naissance.
Chave , étourdi d’une vespérie aussi inattendue, pressé
entre les cris de la m ère , les coups de poings des frè re s,
et les menaces de leurs trois hommes d’escorte, veut élever
la v o ix , et invoquer la notoriété publique;des bâtons sont
levés contre lui pour toute réponse : il sollicite la justice
du maire , mais le maire le prend à part pour lui dire
qu’il falloit céder à la circonstance „ et que sa^ie n’étoit
pas en sûreté. L ’avenir a appris à Cfcave quel intérêt pres
sant le maire lui - même avoit à ce que la calomnie eût
une direction certaine. .I
O n comprend alors que cette dernière insinuation a
ébranlé le courage de Chave. ¡Le sieur de Bannes prend
aussitôt le registre des actes, y efface quelques mots, en subs
titue d’autres, et remet une plume à Chave : une seconde
résistance amène de nouvelles violences. I l fait enfin ce
qu’on exige •, il signe.
�( 4 )
E n sortant de chez le m aire, les satellites le mènent au;
cabaret se fon t donnerii b o ire , le forcent h p ayer, mettent
l ’enfant dans ses bras , lui font les plus horribles menaces
s’il dit un m ot ; et se retirent.
Sa n s doute il manque à ces faits beaucoup de circons
tances im portantes; mais C h a v e , glacé d’épou vante»,,
étoit-il libre de réfléchir?- La plupart de ces détails ont
échappé'à sa m ém oire, ou plutôt à son attention.
Enfin C have, revenu de son étourdissement,, put réflé
chir sur lés conséquences de l’acte qu’ont venoit de lui.
e x to rq u e r, et sur le parti qu’il a voit à prendre;.
L a démarche la plus pressée et la plus indispensable,.
ëtoit de se débarrasser de l ’innocente créature qu’une
mère dénaturée avoit rejetée de ses bras pour l’aban
donner aux soins d’un étranger. Chave hésita s’il la
ra p p o rtera it, dans la n u it, à la porte des F e rn e r : cepen
dant la re lig io n , l’humanité , péüt-être la terreur pourhii-m Bm e, Tertiportèrent sür son: d égo û t, et il fit porter
Penfant à une nourrice.. j
’
^Mais, aussitôt, e t:en'sîgne de-sa protestation, il rendit
plainte au,1juge de- paix de Tence ; le juge de paix lerenvoya au magistrat de sûreté “. mais comme la plainteéto it dirigée auîssï C ontre'lél(h iaîre, les autorités déli—
’
1i
'' »
b é r è r e n t,:e t 'n e i'ésbhïrènt rien.,
Chave in q u iet, et ne voulant pas que son silence p u t
déroger à son d r o it, se d é c id a A citer, le 5 floréal an g r
tant Jeanne V aïla et sa fille , q u e le maire lu i- m e m e ,
pour v o ir-dire qu’ il serôit Vôstitué contré la réconnoissànce de paternité qui lu i''a v o it été extorquée par la
violen ce, et que le maire seroit tenu de rayer du registre
�ce qui concernoit ladite reconnoissance *, et la m ere et
la fille pour être condamnées à reprendre l’en fan t, payer
ses alimens chez la nourrice , avec dommages-mterets.
O n pense bien qu’au bureau de paix la fille Février
ne manqua pas de faire la réponse d’usage, qu’elle avoit
été séduite et abusée sous promesse de m ariage , et qu’elle
seroit en état de prouver les familiarités de Chave- avec
-elle; celui-ci Pen'-défia, et ajouta même qu’il offroit de
prouver ceu x avec qui elle avoit eu fréquentation.
T o u t cela étoit de trop de part et d’ç u tr e , puisqu’il
n’est permis de rien prouver ; et la fille F errier ne
risquoit rien à faire bonne contenance. Q uoi qu’il en
so it, un prem ier jugem ent, du 28 pluviôse an 10 , m it
le maire hors de procès, comme ne pouvant êti’e jugé
sans autorisation , et appointa les autres parties en droit.
Cet appointement ne fournit pas plus d’éclaircisse
ment. Chave persista toujours à offrir la preuve de la
violence exercée contre lu i \ et les femmes F e rrie r, q u i,
au bureau de paix.,, n’avoient paru avoir aucune crainte,
firent leurs efforts pour soutenir cette preuve inadmis
sible. L eu r système p réva lu t; et le 14 fructidor an 10 ,,
le tribunal d’Yssengeaux rendit le jugement qui suit..
« Considérant Ique l'brticfle a'du titre 20 de l'ordonnance de iGGy
défend de recevoir la p r e u v e p a r témoins contre et outre le contenu
aux actes publics; qu’à la vérité la fo rce, la violence, sont un
moyen pour les faire rescinder, mais qu’en ce cas il fqut articuler
de menaces graves, qui feroient craindre pour la vie metus mortis
ou que la partie obligée auroit souffert charte privée, ainsi que
l’enseignent Dom at en ses Lois civiles, et Pothier en son T raité
des obligations ;
�(
6
)
» Considérant que Jacques Chave n ’a articulé qu'il lui ait été
fait a u c u n e m e n a c e , ni qu'il ait été commis aucun excès sur sa
personne, ni dans son dom icile, ni dans celui du maire où il s’étoit
r e n d u pour reconnollre pour lui appartenir l ’enfant dont s’étoit
a c c o u c h é e Jsabeau F errier; et qu’étant dans ce dernier dom icile,
il pouvoit articuler sans crainte les excès ou menaces qu’il auroit
¿prouvés, contre ceux qui s’en seroient rendus coupables envers
s a personne. »
Jacques Chave est débouté de toutes ses demandes tant princi
pales que subsidiaires, et il est condamné aux dépens.
Cependant Chave avoît offert expressément de faire
preuve de menaces et violences : ses écritures en font foi.
Il étoit privé alors d’un moyen important. L ’expédition
de l’acte de naissance produite alors au procès, ne mentionnoit ni les surcharges ni les ratures ; elle étoit délivrée
par le sieur de Bannes, m aire, qui avoit trop d’intérêt
à en cacher l’irrégularité pour la faire soupçonner. A u
reste, Chave s’est pourvu en la cour contre le jugement,
et il sera question d’examiner de quelle influence la form e
de cet acte doit être pour la décision du procès.
M O Y E N S .
L ’ancienne législation française étoit extrêmement dure
contre les enfans naturels; et cependant, par une étrange
inconséquence, elle admettoit les preuves de paternité
sans distinction. A u jo u rd ’hui la loi a fait pour eux
davantage : mais sans vouloir percer le mystère qui
couvre leur naissance, elle rejette désormais les proba
bilités et les fausses conséquences ; elle ne voit dans
l’enfant né hors le mariage qu’ une innocente créature
�( 7 ')
digne de la pitié de tout le m o n d e, mais ne tenant à la
société que par celle qui lui a donné le jour. Si cepen
dant un homm e , guidé par des apparences qu’ il aie droit
d’apprécier lui - même , et cédant à l ’impulsion de sa
conscience, veut se donner le titre de p è r e , la loi le
lui perm et, s’ il n’est engagé dans les liens du mariage :
mais comptant pour rien aujourd’hui toutes les démons
trations extérieures, elle exige une déclaration authenti
que et non équivoque ; elle prescrit h l’acte une solen
nité plus grande que pour la naissance môme de l’enfant
légitim e.
L ’intention du législateur étoit si claire, qu’elle a ôté
tout prétexte â l’astuce, et n’a laissé de voies qu’au faux
ou à la violence. M ais à qui peut être réservée l’une o u
l’autre de ces voies criminelles ? Ce n’est pas à la fille timide
q u i, rougissant encore d’une première foiblesse^et par
tagée entre l’amour de son enfant et la honte de sa nais
sance, n’en ose nommer le père que dans le secret de son
cœ ur, et se fait l’illusion de penser que le mystère dont
elle s’enveloppe la protégera contre l’opinion qui fait
son supplice..
Mais que feront ces femmes déboutées , qui ne voien t
dans la prostitution qu’une habitu de, dans leur avilisse
ment qu’un éta t, et d ans leur fécondité qu’un accident ?
Incertaines elles-mêmes d’une paternité qu’elles déféroient
nnguères suivant leurs convenances, elles nTen arrachoient
pas moins des sacrifices pécuniaires aux hommes qui leur
étoient souvent les plus étrangers , mais qu’épouvantoit
la perspective d’une honteuse et publique d isc u ssio n . Si
on leur laisse entrevoir aujourd’hui une tolérance quoi-
�(B )
conque, q u elc.u r coûtera-t-il de tenter d’antres voies pou r
en venir aux mêmes lins? E t s’il est près de leur demeure
un cito3ren paisible, q u i, par ses mœurs,douces et réglées,
puisse passer pour pusillanim e, quelle difficulté y aura-t-il
de répandre adroitement que c’est là le-coupable, d’inté
r e s s e r , contre lui quelque personne crédule, de l’effrayer
lui-m êm e sur les dangers de sa résistance, d’ameuter s'il
le faut ceux qui ont un intérêt réel au succès de la négo
ciation ! Jadis il falloit des témoins, aujourd’h u i il ne faut
qu’ une simple signature ; tou t cela peut s’exécuter avec
rapidité : ce n’est qu’un changement de complot.
Heureusement cette rapidité même ne laisse pas au
crim inel le calme de la réflexion : souvent ses fautes le
trahissent, e t, quelques légères qu’elles soient, il faut les
compter avec scrupule; car on est bien assuré q u elles ne
sont pas un simple résultat de sa négligence, mais qu’elles
ont échappé à l’excès de sa précipitation.
Ceux qui ont guidé la fille F errier dans ses démarches
n’ont pas visé à l’exactitude ; la cou r en sera convaincue
bientôt par la forme de l ’acte de naissance qui fait son titre.
U ne seconde découverte la convaincra encore qu’il’ne
s’agit point ici de rép arer, envers une fille sé d u ite, des
torts que la m alignité suppose toujours. L a fille F errier
a , le 20 prairial an n , donné une nouvelle preuve de
sa continence, en faisant baptiser un fils sous les auspices
de son frère et de sa m ère, que l’acte apprendm êm e avoir
été sage-femme en cette circonstance.
Il ne paroît pas que pour cette fois la mère et la fille
F errier aient jugé à propos de réunir un conseil pour
disposer du nouveau n é , et lui élire un père à la p lu
ralité
�( 9 )
rallié des suffrages; il est vraisem blable'que la précédente
tentative les avoit intimidées.
Q u o iq u ’il en soit, et soumettant cette découverte precieuse aux réflexions de la c o u r , l’appelant n e s’en occu
pera pas plus long-temps , et se contentera d’observer,
quîil n’y a rien de légal dans la prétendue déclaration de
paternité qu’on lui a fait signer, et au surplus que les faits
de violences articulés suffiront pour la détruire. C ’est à
l’examen de ces deux propositions que l’appelant réduit
sa défense.
i
'è
i° . L a déclaration de -paternité n e s t pas légale.
ï,a loi du 12 brum aire an 2 s’occupoit de trois espèces
d ’enfans naturels, après avoir décrété en principe qu’ils
étoient successibles.
i° . Ceux dont le p èreéto it décédé, et il leur suffisoit
de prouver une possession d’é ta t, par des soins donnés
à titre de paternité, et sans interruption*, 2°. des enfans
dont le père et la m ère seroient encore) vivans lors du
Code c i v i l , et leur état civil y étoit renvoyé; 30. de ceux
dont la mère seule seroit décédée lors de la publication
du C o d e , et alors la reconnoissarice du p è re , faite devant
l ’officier pu blic, rendoit l’enfant successible.
Il s’agit ici d’ un enfant de la seconde espèce ; et le pré
tendu père , quel qu’il s o it, de môme que la m è re , sont
dits vivans.
O r , quelle nécessité, quelle urgence y a v o it - il de
prévenir la publication du Code civil , en faisant faire
une déclaration que la loi ne demandoit p a s , et qu’elle
B
�t IO )
ajournoit au contraire! ? 'N’apercevroit - on pas déjà le
dol dans cette extraordinaire prévoyance?
D ira -t-o n que le Code civil prescrit aussi une décla
ratio n authentique, et qu’ on n’a pas violé la loi en la
devançant ? Mais qui blâmera les législateurs de l’an 2 ,
d’avoir voulu p révoir que leur système ne seroit peutêtre pas celui du Code civil ? qui leur reprochera d’avoir
su p p osé.'que les dispositions de ce code seroient déli
bérées avec plus de m aturité, et de s’être défiés de leur
prem ier système sur une innovation aussi im portante?
Ils voulurent régler le passé seulement ; et les débats
qui ont eu lieu sur la loi transitoire du 14 floréal an 1 1 ,
nous apprennent assez qu’il n’y a eu , dans l’intervalle de
l’an î à Fan 11 , aucune législation touchant les eufuns
naturels. Les bulletins de la cour de cassation sont aussi
l’emplis d’arrêts qui ont cassé tous les jugemens dans les
quels les tribunaux avoient voulu régler , même p rovi
soirement , le sort de quelques cnfans naturels, pendant
cette lacune de. n eu f ans.
1
11 ne pouvoit donc être question de fixer l’état de
l’enfant d’Elisabeth Ferrier qu’après le Code civil , dont
l’art. 334 porte que la reconnoissanee sera faite par un acte
authentique, si elle ne-l?a pas été par l’acte de naissance.
Mais fût-il indifférent que là reeonnoissance contestée
ait été faite avant ou après le Code c iv il, m algré la sus
pension totale exigée par la cour de cassation, et rappelee
par la loi transitoire; cette reconnoissance n’en est pas
moins irrégu lière, car elle -n’est faite ni par -l’acte;de
naissance lui-même, ni par un acte séparé authentique.
V o ici comment cot actetist littéralem ent écrit nu registre.
�« D u huitième joiif du mois de germinal, l’an g de la rcpu« blique française. A cte de naissance d e Jacques, f i l l e ( Ce mot
» est effacé, et on y a substitué au-dessus, dans l'interligne,
» F e r r i ë r , que Von a encore effacé, et Von a écrit à côte C i i a v e . ),
» né hors‘de m ariage, né le septième jour du mois de germ inal,
» à sept heures du soir, fils d’isabeau Ferrier, non m ariée, domi» ciliée du lieu de la M arctte, susdite commune ,-et-Isabçau Ferrier,
!i
•:.. i
r;
» non mariée; le sexe de L’enfant a çté reconnu u n e ( On a couvert
(
. 11
N
#
t
.
» d’ encre la lettre e . ) J i ls , n é h ors d e m ariag e : p rem ier t é m o in ,
» Jean-Pierre Ferrier , deméùraht
Cliam bon , département de
» la H a u te -L o ire , profession de cultivateur, âgé d e tren te-n eu f
» ans; second tém oin, Pierre R u e l, demeurant à C liam bon, dé» partement de la H a u te -L o ire , profession de tailleur d’habits,
» âgé de cinquante-quatre ans. Sur la réquisition à nous faite par
» Marie R u e l, sage-fem m e de ladite accouchée, avons inscrit le
» sus-nommé Jacques F e r m e r ( Ce mot est raturé, et Von a mis
» au-dessus, dans Vinterligne, C i i a v e . ), portant l e n o m d e s a
» m è r e ( Ces mots ont été rayés, et Von y a substitué ces mots :
» l e n o m d u p è r e . ) ; et o n t la d é c l a r a n t e n e s a v o i r - s i g n e r , e t l e s
« témoins signé. F errier, R u e l, signé à l'original. »
u L ed it Jacques Cliave père reconnolt ledit Jacques Son fils, de
» ladite déclaration de la présente, acte; le reconnoît pour son
» véritable fils, avoir droit à tous ses biens, en présence de Jean» Louis Riou. ( -\J ci est un renvoi. ) Constaté suivant la lo i, par
» moi Annet de Bannes, maire de la commune de Cliam bon, fai» sant les fonctions d’officier public de l’état civil. Ledit maire
» approuve toutes les ratures ci-dessus. D e Bannes, maire, signé.
»
E t de Pierre C a llo n , et de Jean-Pierre F rescbet, et de Jean» Pierre F errier; et dit Jacques Chave a signé avec les témoins.
B a
�( 12 )
j> Ont signé, ledit Pierre Callon a déclaré ne savoir signer > C h a v e ,
» R io u , Frescliet, Terrier. D e Bannes, m àire, signé. »
( N ota. L ed it renvoi est en marge, en travers. )
Pour copie figurée :
L e secrétaire général de la préfecture
de la H aute-Loire,
BARRÉS.
I f est aussi évident qu’il puisse l’être, que cet acte se
compose de deux parties bien distinctes , qui ne sont pas
d’un même contexte , ne sont pas l’ouvrage du m ême
m om ent, et cependant ne sont pas deux actes absolu
ment séparés.
,
i° . A cte de naissance bien parfait et très en règ le, d’un
enfant né d’’Isabeau F e r r ie r , sans m ention du père.
O n lui donne le nom de sa mère. Il y a deux témoinsde cet acte, Joseph Ferrier et M arie Ruel. L ’acte est
donc complet : le vœu de la loi du 20 septembre 1792
est rempli.
2°. V ien t ensuite une déclaration de C h ave, qui est à
la suite du prem ier a c te , et qui a exigé des surcharges.
M ais p e u t-o n , de bonne f o i , y v o ir un acte authen
tique , une reconnoissance de paternité telle que la loi
la commande et que la raison la conçoit ?
Cet acte n’a aucune date , parce qu’en eiïet il a eu lieu
le 21 germ in al, et a été ajouté a un acte terminé depuis,
le 8. Comment supposer en effet que cette déclaration
finale fait partie de l’acte du 8? Les témoins dénommée, au
premier ne signent pas la déclaration»
�( 13 )
On a raturé et interligné le prem ier acte de naissance,
sans faire rien approuver aux premiers témoins. L e maire
seul approuve to u t, même ce qu’il lui plaira de raturer
encore -, les autres témoins , Cliave lui - même , ne font
aucune approbation. O r , il est de principe que les ratui’es
et interlignes sont inutiles dans les actes, s’il n’y a appro
bation des parties et témoins.
11 est un autre principe élémentaire en rédaction d’actes,
quelque peu d’importance qu’ils aient, c’est que les témoins
dénommés en l’acte signent à la fin : ici la sage-femme et
le frè re , qui ont déclaré la naissance le 8 , n’ont pas signé
à la lin. Si c’est un seul et même acte, les vins l’ont signé
au m ilieu , et d’autres à la fin : chose bizarre et rid icu le,
qui ne peut s’allier avec la gravité de l’acte qu’on prétend
maintenir.
Que p e u t- il résulter d’un acte de cette espèce , si ce
n’est de la pitié pour ses rédacteurs , et une conviction
intime que ce n’est pas C have qui est allé déclarer la naissance d’un enfant comme s’en disant le père?
L e but de la loi n’est donc pas rem pli ; car dans quelque1
forme que dût être une rcconnoissance de paternité , il la
falloit dans l’acte même portant la déclaration de naissance,
ou bien il falloit un acte p articu lier, daté lui-m êm e , et
qui ne fût pas rédigé dans une forme ayant pour but de le
rattacher à un autre acte, auquel il ne peut appartenir.
Car rappelons-nous que l’article 334 du Code civil dit
que la reconnoissance sera faite par l’acte de naissance,
ou par un acte athentique; à quoi l’article 62 ajoute que
l’acte de reconnoissance sera inscrit sur les registres à sa
d a te, et qu’il en sera fait mention en marge de l’acte de
naissance.
�( i4 )
Rappelons-nous encore que le but bien positif de la loi
est de ne com pter pour rien les reconnoissances antérieures
au code , quand l’auteur est vivant. Il en est de cela comme
des testamens antérieurs à l’an 2, qu’il falloit refaire pour
les circonscrire dans les termes du droit nouveau. L a loi
a eu ici un but plus moral : les changemens apportés au
système passé justifient sa mesure dilatoire.
E t ne nous abusons pas sur l’importance des formes
dans une matière aussi délicate : on est si scrupuleux
pour tant d’autres actes! U n seul mot équivoque en un
testament, détruit toute la volonté d’un père de famille-,
une donation exige encore des formes plus m ultipliées.
Ces actes sont-ils donc aussi importans que celui où il s’agit
de transmettre son nom et sa fortune ; où il s’agit de plus
en core, de vaincre l’opinion et de surmonter sa propre
répugnance ? D ’ailleurs , pourquoi ne pourrions - nous
pas dire pour un tel acte ce que Ricard dit des testamens,
« que toute leur force consiste dans leur solennité, et toute
« leur solennité consiste dans les formes ? »
A u jo u rd ’hui il faut y ajouter une vérité bien certaine ,
c’est que la seule supposition qu’un homm e est tenu et
obligé de se charger d’ un enfant naturel sans sa libre
v o lo n té , est incompatible avec le système indubitablement
reçu sur la législation des enfans naturels.
/
2.0. Cette déclaration de paternite est nulle , s ’il y a
violence. L e s j à i t s articulés suffisent. l i a preuve en
est admissible.
O n est extrêmement sévère dans le m onde pou r juger
�( i5 )
des effets de la peur d’autrui ; e t , quand on en com
mente les particularités, on détaille très-ponctuellement
la conduite qu’on auroit tenue en pareille occurrence.
Cependant rien n’est plus difficile à régler pour soi-même;
ca r, en deux cas semblables , le même individu se conduiroit rarement deux fois d e là m ême manière. Mais
celui qui raisonne ainsi est de sang-froid , par cela seul
qu’il raisonne , tandis que le prem ier effet de la terreur
est d’absorber toutes les réflexions , pour ne laisser place
qu’à une seule idée dom inante, la couscrvation de soi-meme.
Quelques auteurs, partageant sur ce point les idées du
v u lg a ire , sembleroient aussi se montrer difficiles a ad
mettre la plupart des excuses fondées sur la crainte. 11
faut distinguer, disent-ils, la crainte grave et la crainte
légère , et on ne peut trouver de m oyen rescisoire que
dans celle qui suffiroitpour ébranler la fermeté de l’homme
le plus in trépide, m etus non va ni hom inis , sed q u i in
hom inem constantissim um c a d a l, 1. 6 , ff. Quod metûs
causâ.
Ces auteurs, s’en tenant à une loi isolée démentie par
beaucoup d’autres, n’ont pas voulu apercevoir, dans cette
rigueur étrange, un m onument de la fierté romaine p lu tôt
qu’une règle généi'ale. Ce p e u p le , qui avoit détruit le
temple élevé p a rT u llu s à la C rainte, n’étoit, en la pros
crivant par ses lois, que conséquent avec lui-m êm e. Sous
■un système de conquêtes sans bornes, et avec une consti
tution toute m ilitaire, quel romain pouvoit alléguer une
crainte légère! E levé dans les cam ps, son excuse m êm e
eût consacré sa honte , et la loi étoit rigoureusement juste
eu exigeant de lui l ’intrépidité d’un soldat.
�C 16 )
La France militaire ne réprouvera pas cette législation
sé vère; elle l’eût créée elle-m êm e, s’il falloit un code au
courage. M ais les actes civils des simples particuliers ne
se règlent pas par des maximes nationales; la théorie
principale des lois consiste à les approprier aux mœurs
de ceux qu’elles doivent régir.
Gardons-nous donc de l’exaltation , quand elle est hors
•de mesure; ne nous obstinons pas à trouver un Scévola
dans un laboureur timide , qui ne connut depuis sa nais
sance que sa charrue et le hameau de ses pères.
L es auteurs les plus judicieux du droit n’ont eu garde
aussi d’appliquer sans distinction la sévérité des principes
romains. D o m a t surtout, à qui les premiers juges ont fait
l ’injure de prêter une opinion si contraire à son discer
nement , D o m a t, dont l’ouvrage immortel n’est que le
précis des lois romaines, bien loin de se fonder sur la
loi 6 , ne la signale que pour en blâmer la rudesse.
« Nous avons v o u lu , d it-il, rétablir les principes na« t.urels, et rendre raison de ce que nous n’avons pas mis
« cette règle du droit romain parmi celles de cette sec« tio n ......... Toutes les voies de fa it, toutes les violences,
v toutes les menaces, sont illicites; et les lois coudâm
es lient non-seulement celles qui mettent en péril de la
« vie ou de quelque to u rm en t, mais toutes sortes de
«
«
«
«
«
«
voies défait et mauvais traitemens. E t il faut remarquer
que comme toutes les personnes n’ont pas la même
fermeté pour résister à des violences et â des menaces,
et que plusieurs sont si foibles et si timides , qu’ils ne
peuvent se soutenir contre les moindres impressions,
un ne doit -pas borner la protection des lo isco n tre les
a menaces
�« menaces et les v io len ces, à ne réprim er que celles
« q u i sont capables d’abattre les -personnes les pluè
« intrépides ; mais il est juste de p ro té g er aussi les plus
« tim ides............
*
« Il est tr è s -ju s te , et c ’est notre u sa g e, que tonte
« violence étant illic ite , on réprim e celles même q u i
« ne vont pas à de tels ex cès, et qu’on répare tout le
a préjudice que peuvent causer des violences qui enga« gent les plus foibles à quelque chose d-’injuste et de con« traire à leur intérêt : ce qui se trouve même fondé sur
« quelques règles du droit ro m a in ............et Ces règles
« sont tellement du droit n a tu re l, qu’ z'/ ne p o u r v o it y
« avoir d’ordre dans la société des h o m m es, si les
« moindres violences ri étoient réprimées. » ( Sect. 2 ,
des vices des conventions , préambùHi. )
I l est peut-être inutile, après avoir cité D om at, de faire
d’autres recherches ; mais les premiers juges ont encore
fait l’ injure à P othier de lui prêter des principes qui ne
sont pas les siens.
Cet auteur cite les lois rom ain es, et par conséquent
les rappelle telles qu’elles sont. M ais il termine son
article de la crainte par dire que « le principe qui ne
« connoît d’autre crainte suffisante pour faire pécher un
« contrat par défaut de liberté, que celle qui est capable
« de faire impression sur l’homme le plus cou rageu x, est
« trop r ig id e , et ne doit pas être suivi parm i nous à la
« lettre ; on d o it, en cette m a tière, avoir égard ci Page y
« au sexe et à la condition des personnes (i) ; et telle
(i)Exprcssions copiées mot pour mot en l’art. 1112 du Code civil.
C
�C i8 }
« crainte qui ne seroit pas jugée suffisante pour avoir
« intim idé l’esprit d’ un homme d’un age m ûr ou d’un
« m ilita ire , et pour faire rescinder le contrat qu’il aura
« f a i t , peut être jugée suffisante à l’égard d’une femme
« ou d’un v ie illa rd , setc. » ( T raité des obligations,
page i re. , chap. ie r>? no, 2 5 , i n f i n .)
Si l’opinion respectable de ces auteurs avoit besoin d’être
f o r t i f i é e par d’autres citations, on les puiseroit dans les lois
romaines elles-m êm es, qu’il ne faut pas juger par un
fragm ent un ique, et q u i, au contraire, nous enseignent
ce que Dom at et Pothier viennent de nous apprendre.
T o u t consentement doit etre lib re , disent plusieurs
lo is; et, pour être restitué, il n’est pas besoin d’une v io
lence corporelle, mais seulement d’une crainte inspirée
à celui qui contracta ^ quoad ju sta m restitutionis cau
sant m in i refert utrimi v i an metu quis c o g a tu r .. . .
et quoad effectum ju ris ntrobi deest co n sen su s, ac
libera voluntas p a tien tis, u tvelle non videatur. L . 1 , 3 ,
rj et
quod met. C. L . 1 1 6 , de reg.jur. ( in Corvino.')
Ces lois étoient bien moins dures que ne l’ont sup
posé les premiers juges; car elles ordonnoient de recevoir
la preuve de la crain te, quand même Chave auroit été
hors d’état de désigner aucun de ceux qui la lui avoit
inspirée ; non tamen nccesse est designare personam
quœ rnetum iiitu lit, sed su jjicit
probare
m etum , quia
inetus habet in se ignorantiann. J . 14- ff. e°d ‘
E n fin , ce qui achève de convaincre que ces lois savoient
aussi se mettre à la portée de la foiblesse des hom m es,
c’est qu’elles expliquent qu’ il n’étoit pas nécessaire de
prouver l’existence d’un danger réel , mais seulement
j
�( r9 )
la crainte de ce dan ger, qui en effet devoit détruire le
consentement. S i causa fu is s e t , cu r periculuni tim eret,
quam vis periculum ie r c non f u i s s e t . . . . non conside-
ratur eventus, sed ju sta opinio. L . 1 4 e°d ‘
L e tribunal d’Yssengeaux avoit donc tin guide bien sur.
A u lieu d’adopter l’antique rigueur d’une loi oubliée par
les Romains eux-m êm es, il a jugé que la crainte inspirée
à Chave n’avoit pas été un m otif suffisant pour le con
traindre ; et cependant il ignoroit jusqu’à quel point
Chave avoit été contraint ou menacé ; il l’ignoroit et a
voulu l’ignorer toujours, en refusant de s’éclairer par une
preuve : cependant les faits articulés étoient graves. Chave
offroit et offre encore de prouver ces faits articulés , et
notam ment, i° . que le 21 germ inal les frères F errier et
d’autres hommes armés de bâtons sont venus chez lui ;
2.°. qu’ils l ’ont forcé de se lever et de les suivre, en le
menaçant ; 30. que chez de Bannes ils se sont opposés à
toute explication, l ’ont injurié, menacé et frappé; 40. que
de Bannes l’a pris à part pour l’exhorter à céder à la foi’ce
et éviter un plus grand mal ; 5 °. qu’on l’a forcé de venir
dans un cabaret, où on lui a remis un en fan t, avec de
nouvelles menaces.
M ais, a dit le tribunal d’Yssengeaux, C h ave, sorti de
sa maison et conduit chez le m aire, pouvoit réclamer.
Ce seroit une réflexion bien naturelle, si les faits môme
de la cause n’étoient déjà venus la détruire ; car ce maire
lui-m êm e étoit si peu disposé à user de son autorité ,
qu’ il est difficile de ne pas le juger au contraire intéressé
à l’événement.
Mais à quelle p ro tectio n , il faut le d ir e , auroit pu
�(
20
)
s’attendre un m alheureux à la merci de cinq .individus,
dans le domicile isolé d’un maire de v i l l a g e ? Battu à ses
y e u x , C h a v e pouvoit-il se croire dans un asile inviola-'
ble ? L e maire lui-m êm e, l ’e x h o r t a n t à céder à la fo rc e ,
m ettoit le com ble à sa terreur, et déclaroit, ou sa propre
c o m p lic ité , ou au moins son impuissance.
L ’acte le moins important d elà vie seroit vicié par une
sem blable violence , à plus forte raison celui de tous les
actes le plus incompatible avec la moindre contrainte. U n
père de famille a contracté un engagement sacré envers
ses enfans par son m ariage; mais ce lu i-là même qui
auroit procréé des enfans naturels, ne tient à eux par
aucun lien civil : son honneur et les sentimens de la
nature deviennent leur unique titre , si la paternité lui
a semblé certaine. Les enfans naturels n’ont point de
famille ; tel est le langage de la lo i : elle ne veut pas qu’ils
en aient une. Quand leur père se nom m eroit hautement
dans le m onde, il ne seroit tenu à rien; la loi lui perm et
seulement de se déclarer tel par un écrit libre et authen
tique : forcer sa volonté seroit donc se croire plus sage
qu’elle.
M ais si la loi n’exige rien d’un père , si elle consi
dère comme un vice m oral de lui donner un fils que
sa propre volonté cependant n’a pas désavoué , peut-on
soutenir l’idée révoltante qu’ un hom m e sera contraint
malgré lui d’adopter un enfant dont il n’est pas le père?
Q ui lui donnera la force de su p p o rter, dans sa de
m eure, la vue habituelle d’ une créature si étrangère,
placée là pour sa honte im m uable, sans aucune com
pensation satisfaisante ? et qui oseroit répondre que dans
�( 21 )
cette situation de désespoir, aigri par un sentiment d’in
justice , il pût assez maîtriser une fureur co n v u lsiv e,
qui seroit tout à la fois le tourm ent de l’innocence et
son propre supplice ?
Eloignons plutôt de vagues suppositions fondées sur une
pure chimère. L a prévoyance des magistrats distinguera
la vérité et les convenances , et éloignera d’aussi sinis
tres présages. O n ne donne point à un homm e l ’enfant
qu’il repousse avec m épris quand la lo i n’en fait pas
un devoir. L a cour doit prononcer ici sur les consé
quences d’un acte l i b r e e t tout prouve qu’il n’y a pas
eu de liberté dans celui qui donne lieu au procès. C h av e,
conduit par la fo r c e , menacé dans sa route , a signé
sous le bâton; et, pour se servir des expressions de D om at,
si un consentement de cette espèce étoit jugé valide ? ce
seroit un attentat au droit naturel ; il n y auroit plus
d’ordre dans la société des hom m es.
L a conduite d’isabeau F errier , l’époque de ses cou
ches , c’est-u-dire, de celles qui donnent lieu au p rocès,
le choix de ses croupiers , le lieu de la scène, la cir
constance qu’ un, acte de naissance a été changé * e tc ,, tout
cela donneroit lieu à des réflexions beaucoup plus éten
dues , mais qui seroieot oiseuses , tant que la preuve
de la violen ce ne sera pas ordonnée.
Cette p re u v e , sans contredit, est adm issible; aucune
ordonnance ne la prohibe ; et ce qui étonne, c’est que
les premiers juges n’aient pas voulu prononcer en connoissance de cause.
Il est possible'que la m alignité toujours avide de calom
nie } et toujours difficile àdétrom per prétende que Chave
3
�(
22
)
n’a pas été tout à fait innocent envers Elisabeth Ferrier
de ce dont on l ’accuse : mais il en prend le ciel à tém oin,
cette femme lui fut toujours étrangère,
C h a v e , maître de ses actions , célibataire , feroit sa
jouissance principale de se voir revivre dans un fils qu’il
cro iro it le sien ; à son âge et avec ses principes religieu x,
il s’en feroit un devoir. Ces deux puissans-mobiles ne
peuvent donc être vaincus que par. quelque chose de
plus puissant en core, une conviction in tim e, une insur
m ontable répugnance.
• Il ne demande pas à être cru sur p a ro le; et si son
prem ier moyen ne suffit p a s, il offre la preuve des vio
lences qui l’ont forcé à donner sa signature : et certes,
quand la cour se sera assurée que Chave a été forcé de
sortir de son dom icile, m ené chez le maire par cinq
hommes , menacé et battu , elle appréciera alors toute
la valeur d’une signature donnée dans de telles circons
tances ; et lorsque la vertueuse Elisabeth F errier sera
convaincue qu’il ne lui est plus libre de faire de sa pro
géniture une charge publiqu e, peut-être s’efforcera-t-elle
de mettre un terme à sa fécondité et au scandale de sa
conduite.
M . G I R O T , rapporteur.
(
4
M e. D E L A P C H I E R , avocat.
M e. M A R I E , licen cié avoué.
A R IO M , de l'imprimerie de L a n d r i o t , seul imprimeur de la
Cour d’appel. — Therm idor an 1 5
�
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Factums Marie
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[Factum. Chave, Jacques. An 13?]
Creator
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Girot
Delapchier
Marie
Subject
The topic of the resource
reconnaissance de paternité
Description
An account of the resource
Mémoire pour Jacques Chave, appelant ; contre Jeanne Valla, et Elisabeth Ferrier, sa fille, majeure, intimées.
Publisher
An entity responsible for making the resource available
De l'imprimerie de Landriot (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa An 13
1801-Circa An 13
1799-1804 : Consulat
1804-1814 : 1er Empire
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
22 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_M0705
Source
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Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Marie
Language
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BCU_Factums_M0307
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Chambon-sur-Lac (63077)
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