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Pour Lui 1 p ... Alice PUJO.
Rêver et Vivre. par JcOn de 1. BRÈTE.
Les Espérances, p., M.thilde AlAl\IC.
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Madame Victoire, par Mali. THIERY.
Tante Gertrude, par B. l'lEUlLlES.
Comme une Epave, par Pi<rr. PERRAULT.
Riche ou Aimée? pat Mary FLORAN.
La Darne aux Genêts, par l. d. KERANY.
Il.
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18.
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20.
Cyranette, par Norb.rt SEVESTRE.
Un Mariage" ln extremis ", par Claire CENIAUX.
Intruse, p... Claud. NISSON.
La Maison de. Troubadours, par And,é. VERTIOL.
Le MariaICe de Lord Lovelarad, par Louis d·ARVERS.
Le Sentier du Bonheur, par L. de KERANY.
A Travers les Seigles, paf Hélène MATHERS.
Trop Petite, par SAlVA du BEAL.
Mirage d'Amour, par CHAM POL.
Mon Mariage, par Julie BORIUS.
21.
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23.
24.
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26.
27.
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Rêve d'Amour! par T. TRILBY.
Almé pour LUhmême, par Marc HElYS.
Bonsoir Madame la Lune. P4r M.ri. THIÉRY.
Veuvage Blanc, p.. Marie A,.ne de BOVET.
illusion Masculine, par Jean de 1. BRETE.
L'Impossible Lien, par Jeannc de COULOMB.
Chentln Secret, par Lion.1 de MOVET.
Le DevoIr du Fils, par M.tl,i1d. A I..ANIC.
Printemps Perdu, par T. TRILBY'.
Le Rêve d'Antoinette, PII.T E•• liDo le MAIRE
31. Le Médecin de Lochrlst.Ylr SALVA d~
32.
33.
34.
35.
36.
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Comme une Plume... par AntoiDe AlHIX.
Un RéveU, p.r Jean do JI I:IRETE.
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4l. Deux ATnour., par Henri ARDEL
42. Odette de Lymaille, Felllmo d. latlr.. par T. TRILBY.
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44. La Tartane al'1ll\rrée, par A. VERTIOL
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46. Victimes, par Je... THIERY.
47. Pardonnek', pa< :ncQULl GRANDCHAMP.
48. Le Chevalier clairvoyant, p.r Jeanne d. COULOMB
49. Maryla, p,. 1.. ...,l1e SAN UY.
50. Le Mauvais Arnoul', por T. TRILBY.
51. Mirage d'Or, par Antoin. ALHIX.
52. Les d·ux Amours d'Agnès, plr Chude NISSON.
33. La Fille ule de la Mer. par H . d. COPPEL
54. Romanesque, par M . ry FLORAN.
55. Le Roman de la vinlrlième an né • pat Jacques d•• CACHONS.
56. Monette, por M,lhild. ALANIC.
57. Rêve et Réalité, par Marie THIERY.
58. Le Cœur n'oublie pas, p.r JacQuo. GRANDCHAMP.
59. Le Ro m an d'un Vieux Garçon, par Jean TH1ERY.
60. L'Algue d'Or, par Jeanne d. COULO.\1.B,
61. L'Inutile Sacrifice, par T. TRILBY.
62. Le Chaperon, par Loui. D'ARVE.RS.
63. Carmencita, par M..,y FLORAN.
64, La Colline ensoleillée, par M",i. ALBANESI.
65. Phyllis, par Alice PUJO.
66. Choc en Retourt.pnr Joan THIERY,
67. Noëlle, par CHAMt'OL.
68. Kitty Aubrey, par TY.~AN
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69. Le Mari de Viviane, Pd YYOM. SCHULTZ.
60. Le Voile déchiré, par Edmond COZ,
71 , Mar la-Sylva, par LUGUET.FRICHET.
n. L'Etoile du Lac, par André. VERTIOL
73. Les Source. claires, par Marl/uerit. d'ESCOLA.
74. L'Abbaye. par SALV A du BEAL.
75. Le Tournant, par Pierre VILLETARD,
76. Tante Babiole, par Mathilde ALANIC.
77. Mon Ami le Ch.uffeu", ad.pté de rallRlai. par louis d'ARVERS.
76. O c l'Amour et de la Pitié, par Jacque. GRANDCHAMP,
19. La B Ile Hi.·"ire de Mavuehnne, par Jeanne de COULOMB.
80. La Transfuge, por T. TRILBY.
81. Monsieur et Madame Fernel, par Lou '. ULBACH.
82. Le Marbge de Grntlenn", par M. .1 •• AR;'EAUX.
113. Meurtrie par la Vie, par Muy FLORAN.
81. Un Serment, Pat la B..ro, ne 01.CZY,
85. L'Autre Route, par C. NISSON.
86. La Lettre ro .. e. plr H .·S. MERRI MAN.
87. L'Amour attend ... pot Re' ~ STAR.
88. Sous leur. pas, par J.an Ti-IIERY.
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�La Branche Je
•
romarm
1
C'était l'heure délicieuse: alors que la nuit vient
mais qu'il fait encore jour, la lune toute ronde et
d'une clarté ardente, montant dans k cicllimpide et
semblant avancer vers la drllitl'. LI.; mvsll re environnant est infiniment doux, m(;ml: la fJ:aicht.:ur qui
tombe ajoute à la grace d" Clltt. heure.
Quelques rares per~ons
se promc nent lenlement à proximité de la grande bàlisse de l'lv) lt.:]; là,
bas, dans un coin solitaire, des voix douces d'enfants s'élL vent, des silhouettes ind~tc
es
tournent
dans une ronde légLre, Cl dans la paix du soir les
mots s'envolent:
de~cn\1
dans mon jardin
Pour y cueillir du romarin.
J'al
Gentil coquelicot, mesdames,
Gentil coquelicot nouveau.
Une voix de femme, trts claire, les prononce distinctement, et des voix aigrelettes les reprennent
avec cette sorte d'emphase emportée qui témoigne
chez la jl'unese la force du plaisir ... La pet ite ronde
<;'cnfonce toujours plus loin dans l'a~e
profonde,
_lui l'(u'alt l'en~outir;
mais dans le silence, qui
cmpJ'i~one
le moindre son, le refrain se rép~tc;
Gentil coquelicot nouvcnu.
De petites mai'ns se frappent l'une contre l'autre
en cade nce ... la !"ondc s'e~t
di ~ l(q\1é
e , ln jeune
. ft!:mme et l c ~ quarre fillettes qui la J'ormoicnt re\'iLnnènt du c6t(; de l'h6tcl, des !"ire~ :é
~ ers
s'L·gr'. ncnt,
la troupe hcurtme atteint le pe rron. nè'lIx des
fillettes \! détochc:nt, disent affectueu s eHlent hCinoir, ct cmbra<';" llt avec de larFe~
mOU\' nit: nt de
bras enveloppants, et une sorte de \'éhémence, leurs
�LA BRANCHE DE ROMARIN
?etites compagnes, On entend: If Adieu, Marcelle!
Adieu, Genvi~",
adieu ... 0
- Au revoir, il faut toujours dire au revoir, me"
enfants, intervient la j~une
maman; allons, Gene.
vi ;ve, ne pleure pas, nous montons vite nous
coucher.
Et, tr~s
tendrement, Je bra,> maternel enveloppe
une petite tète à boucles blondes qui, avec une
sorte de passion. se presse contre sa hanche; de
l'autre côté la sœur alnée se tient toute proche, se
penchant vers sa cadette, et tout bas lui murmure:
- Ne pleure pas, tu fais du chagrin à maman.
L'enfant aw"itOt jette à la d\!robée un repard vers
le visage maternel, ct sur l'exquise petite figure se
d~sine
un sourire forc~,
offert avec une sorte d'humilité tendre au regarJ de sa m::re.
- C'est bien, trésor, dit celle-ci doucement, ct l'enfant est attirée encore plus r~s
de celle qui l'a
portée,
,\1arcelle a couru un peu en avant, comme pour
montrer le chemin, vers la chambre dont elle ouvre
la porte, et tourne le commutateur. C'est une belle
chambre d'hôtel, propre et nette comme il y en a
tant en Suisse. Une malle tr~s
correcte et un sac
sont placés devant une des fenêtres, et il r~gne
dans
la pl "ce, bien rang ~e
cependant, cettè sorte de
d~sore
annnonciateur de départ. .. La vue de la
malle, subitement révélée, cause à la petite Genevi~e
un paro\ysme de larme5; sa mère la prend.
l'assieJ sur ses genoux, la berce ...
- Mon trésor, pourquoi te fais-tu du cllagrin?
Tu vas t'en aller pour un peu de temps avec ton
papa que tu aimes tant r ... Car tu sais que tu l'aimes
beaucoup, beaucoup .. , - La tête enfantine acquiesce.
- Un mois, c'est si vite passé .. , tu revlendras
trouver maman, tu me raconteras beaucoup de
choses.
- Je ne te verrai ra~
demain soir 1..
Et l'évocation parait si affreuse ù cc pauvre petit
cœur d'enfant, q ue le~
sanglots redoublent.
Le visage de la m"re est tout pale, par un effort
énorme efle ref~n
ses propr\.!s larme'; .a douce
Marcelle s'est approchée, cl. avec la pravité protectrice de ses douze ans, po e une main sur la t~e
fris~e
dc la sœurette, et l'autre autourJu cou dc leur
m"re.
- Marcelle est raisonnable, tu vois, mon étoile,
elle a de la peine, die au~si,
tit- ml! quitter: mais
elle sait qu'elle doit aller voir son papa qui l'aime ...
elle sait aussi qu'un mois e~t
un temps très court ...
�LA BRANCHE DE ROMARIN
-
7
Combien Je: jours? demande dans un hoquet
la pr.ti' e dc.:soI0c.
- Trente jours, seulement quatre semaine:;". ct
puis je t'écrirai, tu m'écriras aussi, tu me parleras
dl:s bétes, des bonn<..s bétes qui vivent aux Ltais; tu
l'amu~ers
beaucoup, tu monleras ce bel ânu dont
tnn papa t'a parlé dans sa leUre ... Tu seras contente
de te promcnur à ane ?
- .J'aime mieux rester avec toi, murmure une voix
étouffée.
La m: re sent que contre ce chagrin les raisonnèments sont pour l'heure inutiles.
- Allons, dit-elle, posant l'enfant à terre, désha- I
bille-toi .;omme une grande filll!; Cl tte \1au\'re Belly
est d0jà si désolc.:e d'être malaJe, l\1arce L va t'aider.
La petite, la~se
et ensommeillée, se laisse faire et
mllimure seulement:
- Tu m'as promis que je enucherai dans ton lit.
- Ce"t convenu, pui 'ILle tu veux lai ssur la
pauvre Marcelle toute seule d::!ns sa chambre.
- Nous a\'ol1s la porte ou\'ate .. ,
- Oui, b':bé, dit tcnurement la grande sœur, tu
. couchl!ras avec maman, Puisllue cela te fait tant de
plai~r.
1
La lon~ue
chemi~
de nuit est t'nfiléc, GCl1evii.!ve
s'agenouill sur le lit, J\\arcelle, tout Cllntre, il tcrrc:
fi Au n0111 du P~rc
ct du hls » ... comrnt:~-(\Jlée
sa voix claire; la mère s'c~t
approchée cl s'a;:;enouillu
aussi, un de ses bras b'appu\t; sur 1('$ üpaulcs de 51
fille alnêc, l'aulr0 [riolé les talons 1'0'(;:" de la enJett!.'.
Marcelle prononce à voix di~tncl'
chaque parole de
la l'ri~e
du ~( .. r, pcnJant que Gene\1 ve, le s yeu'
èlo~,
penche Stltêlc tantôl d'un côté, tantôt de l'autre,
f<ll prochanl Ui mains jointe' de la poitrine, 1 s 010ignanl, les élevant èul'aiL, ~\ idcl1m.~nt
dans le ~crd
de on petit c :.cur aimanl 'e fnrmulu un pritrc: l'olSsionnée, que sa faibles.t. pr~sènte
au rouI PUISsant 1. •. Quand la pri;'rc <.:51 tcrmÎn..:c, l'cnrani, d'un
mOLlVement presque farouche, eulouÎI sa tète SUI'
l'Mci!lC't.
- èouche-l'Ji, maman ...
- Tout ù l'helll'c, mon ~toilc,
tout ù l') cure.
- 'l'u Ile t'dl VilS pa.; ?
- Non, je le II.! pr.lmo's.
Les pnupii il' de Gcncvii:\", s'abi~
nt elle
demellre iml1!O 'II • mais dll.! Ilu dort pas ct s~ In' re
le :I :t.
Clp ndanf.dll' 'enlref' nI tl)Utb<J av l.: ~al
Ile.
- .Je Cnl,11':
ur toi, ma cI!Glil', pour dr\! l'a.lge
gar lien de Gènevil.vl.: ...
�8
LA BRANCHE DE ROMARIN
Et avec un peu de gêne, elle ajoute:
- Son chagrin ferait trop de chagrin à ~'otre
papa.
- Je tach~ri
de la consoler, et pUIS tu sais,
maman, quand elle verra papa, ça ne sera plus la
même chose ...
- Non, heureusement, ma chérie.
- Tu vas être triste, toi, maman?
- Oui, mon an3c; mais il faut savoir accomplir
son sacrifice, j'ai le bonheur de vous posséder onze
mois de l'an~e,
moi 1
Le gracieux visage de la fillette est profond,ément
gra~e,
ell,e rc~ade
sa m' re ayec une exprs!O~
de
séncux SI prolond que celle-cl en est boulevcrs~
...
- Tu sauras plus tard, balbutie-t-elle, tu sauras,
il faut nous aimer tous les deux ... malgré tout!
- Oui, maman.
Les mots sont bref:>, mais on sent que l'engagement est solennel.
II
Elles dormaient enfin toutes les deux; la mère cl
son tour s'est couchée afin de calmer l'agitation de
sa petite Geneviève, qui, blottie maintenant dans
l,~s
b~as
chauds et doux, repose tranquillement.,.
~[ais
la m::re, les yeux grands ou\'erts, ne songe pas
au sommeil. Immobile, la tète un peu soulevée les
ch..;\'cux bruns nalt';s, re,tombant. de chaque côte: de
son vi~agc,
tous ses traits :~ulcrs
fi~és
dans une
cxpression de profonde tnstesse, el~
écoute son
cœur meurtri battre en silence; de lemps en temps
un soupir, trop lou:d pour être. étouffé, s'échappe
Je ses ll:vre . La veilleuse, tamisée d'un verre rose
r6pand une lumi\:re voil6e, mais qui laisse tou~
chose distincte; la chambre banale, l'enfant couchée
prl!s du corps maternel, dans Jequd sa forme lég"re
semble ,s'~ncrul
, et, ,par la porte ouverte,
s'aperçoit 1 autre hl ou ~a fille aln'::e repose. Marcelle
d~jà
maltresse d'ell,c-mem.e, n'a pas donné c!r signe~
apparents cie ~hagl'n.;ms
la mt;re sail, devine, que
Marcelle ,aus~
soun,~
c(!mm 7 sOlf~re
la petite créature paSSIOnnee, pOUl qUI la separatIOn momentanée
représente une torture 1
Ces pensées poignenc la jeune femme ... Comment
n'a\'ail-elle pas prévu ces minltc~
tragiques? Elle
avait cru, en acceptant de reprendre sa liberté,
orienter d'une fa :on plus hcureust ct meilleure 'a
�LA BRANCHE DE ROMARIN
,
9
vie et celle de ses filles; et maintenant la convichon
fatde de s'être grossi, rement trompée entrait dans
son cœur. Genvi~
n'avait que cinq ans de vie, à
l'heure où son père et sa mi.·re divorçaient, et, puisque tous deux chérissaient l'enfant, l'l'pouse délaIssée
et fi~ re n'avait pas prévu de souffrances pour les
petites: elles verraient leur pi.re fréquemment, passeraient un mois entier avec lui chaque année, et de
cette façon d'arranger l'existence, Valérie Monpascal
avait auguré: pour tous un minimum de froissements 1
La désillusion fut prompte: la petite GeneviL ve,
créature délicate, affinée, d'une sensibilité aiguë,
a"ait paru frappée d'une sorte de stupeur par le fait
de la disparition de son plre du foyer domestique ...
Ce pi. re si tendre, si charmant, si {.lai, à qui la petite
enfant était rattachée par des liens mystérieux ... Il
avait fallu, pour calmer le tumulte du cœur enfantin,
multiplier les visites convenues ... Cependant, chaque
départ des côtés de sa mère, chaque adieu (les heures
de grâce écoulées) au père adoré, causaient à la fillette
une émotion violente. La m' re cn avait été témoin
avec une sorte d'épouvante 1 Dans sa résolution un
peu farouche de àisparaltre de la vie du mari qui
aimait une autre femme, elle avait cependant beaucoup pensé aux enfants, et s'était persuadée que
Cette rupture serait un ~enfait
{lour elles; au moins,
leurs filles ne seraient pas témoll1s des sel nes inévitables, elles ne verraient pas leur mi.re anxieuse et
désolée ... tout retomberait dans l'ordre, dans la
dignité exté:rieure ... Irréprochable, et forte de celte
supCriorité, que nul ne pouvait contester, Valérie
s'était dit que, libérée d'obligations del'enues insupportables, elle pourrait mieu'x rendre justice au pi. re
de ~7S
filles, les élever à l'aimer, et, à l'heure voulue.
:i lUi pardonner. Elle savait aussi qu'elle pouvait se
fier Il celui dont elle sc détachait totalement, pour
c\Jn.se"v~r
à son éAard tous les ména~ets,
pour
ne JamaIs la contrecarrer d'une façon occulte. ~ Nous
se.rons tous plus heureux », s'était-elle répété maintes
fOIS avec oh~tina,
à l'heure d" la crise, et voici
lue les événem<.!nts démentaient cruellement ses
pr(:vi~ons.
'
Jamais deux ~tres
humains n'avaient été si peu
faits pour sc comprendre que Valhie Monpascal et
Charles de Pr0mery; leur mariage avait été l'œuvfl:
d'amis Cllmmuns, qui mirent un jour en présence la
ravi ssante orpheline qu'était Valérie, ct l'homme, un
peu léger peut-être, mais si aimable qu'était Charles
de Prémery, généreux, chevaleresque, facilement
amoureu:t; les femmes, et d'abord celles de sa
�10
LA BRA 'CHE DE RO:\lARIN
famille, 1'1\'ait.!nt abominablement ~at':,
il en Jtait
résult~
puur lui une n1\;nt"lit':: p..:ciale, dont il
dem.!uralt d'aill. urs inconsciLnt; inca~)ble
de raire
"vlonlairem.!nt soulTrir personne, mais é1endant
facheusemcnt celte incapacité à lui-m'~e,
les sentiments lcs plus oppos:: s'impo"aicnt à lui avec une
égale sinc0rit0; jl 0tuit si prompt au pardon, qu'il
n'imaginait pas qu'il en fût autrement pour les autres.
La beauté vraiment saisissante de :\llle Monpascal
l'ensorcela de prime aborJ; il ne chercha pas à discerner i leurs caract' rcs, leurs gnüls s'accorJaient;
d'ailleurs, la jeune fille était plutôt taciturne, mais
scs beaux yeux, brillants comme des diamants noirs,
parlaient pour elle; l'homme de trente-deux ans,
parfaitement aimable (elle en avait dix-neuf), lUI
agr..:a de suile; la tante, chez qui Val'::-'e habi1ait
depuis sa sOïtie du couvent, ne d ~sirat
rien tant que
de la marier, craignant que son fils, un jouvenceau
de vingt ans, ne s'..1prlt de sa bt.:lle cousine .
Pr.::mery i:tait riche, bien placé; apr::s un très
court passage aux An'aires étrang,\res, et une brè:vf,!
absence profes -ionndle qui l'avait conduit à Washington, il i:tait rentré dans la vie privée; .Mme de
Prémery, sa m ::re, ayant d':c!aré ne pouvoir Supporter
la s~parlion
d 'av~c
son fils, et les deux sœurs du
jeune homme, bonnes épouses et bonnes m:re~
cependant, avaient abondJ dans cc sens. Charles
adorait la cha :ie, il avait son cercle, sa famille ses
occupations, le gnût des voyages, de la lecture, 'etc.
et même de la politique, à laqucJh: il pourrait
s'aclollner plus lard; les attaches diplomatiques lui
étaient compl:temcnt inutiles, on l'encouragea à les
rompre.
La jeu ne épouse avait été admir~lcn!
accueillie
par la famille f":minine de son man; malS assez rapidement elle leur inspira une sourde JalouRie. On
d~cou\Tit
d'abord qu'elle était trop belle, l'épanouissement du mariage (;t de la materni~
avait donné
une forme plus 0c!atante à une beauté qui n'~tai
encart.: qu'~baché;
ensui1e, il apparut clairement à
Mmes Amcry t:! Chassenay (Jeanne et Louise de
P!\:mery) que Val-,rie n'a\'ait pas le caractL'fe commode, qu'elle prenait plutôt malles a,vis ct les conseils,
et 0t:tit méme purtée il la cul'·rt: J PU! ~ son admirati()ll
conjunalt: rc\"~tail
un carut.:tère insufflsallt; es yeux,
au rc"ard si ferme s'arrêtaient quelquefois avec
d,:sdl'probation sur' son mari, car le caprice ct la
lé" rc:é l'uraissni'nt incompréhen ibles à la jeune
femme, et malheul"t.'uscmcnt formaicnt le fond peu
solide du cara.;tÏ;rc de l'homme à qui elle était unie;
(
�LA BRANCHE DE
RO~fAIN
1!
la sorte de rigidité que Valérie eClt volontiers apportée
dans l'orf'anisation extérieure de leur vie ennuya
vite un homme que toute contrainte lassait; l'antagonisme profond des deux natures s'affirma d~s
le
premier jour, antagonisme qui ne revêtait jamais une
forme hostile, car les époux réci(>roquement s'appréciaient, et même s'aimaient tOUJours, chacun à leur
manii.:re; néanmoins, si charmant que fût Prémery.
il ne sut pas éveiller l'amour dans un cœur ombrageux, et qu'il aurait fallu cultiver avec soin; le
malheur du caractLre de la jeune femme était de tout
prendre au sérieux, et elle se trouvait en face d'un
être pour qui toutes les choses secondaires paraissaient insignifiantes.
Valérie n'eut pas à attendre longtemps l'occasion
d'être jalouse, et ressentit comme un outrage l'attitude de son mari; elle lui parla durement, s'emporta,
précisément dans une conjoncture où la douceur eClt
été nécessaire; la col~re
blessait physiquement Charles de Pre;:mery, toute discussion lui était odieu
~ e;
il
se reconnut des torts, légers à vrai dire, à condition
qu'on n'en parlerait plus; l'éponge passée sur l'épisode facheux, la mémoire devait en être à tout jamais
oblitérée. C'eüt été préférable pour Valérie, mais elle
manquait de cette habileté patiente, susceptible de
merveilles; incapable de compromissions, elle ne les
admettait pas chez les autres, et i,{lnorait systématiquement le sage conseil de saint l'fançois de Sales
que, pour juger un marchand, il convient de se faire
marchand. Témérairement confiante en son jugement, la pauvre femme, de ses propres mains,
détruisait son bonheur.
JI y eut cependant des heures de détente, où l'horizon parut s'éclaircir; la beauté dc sa femme impres-.
~ion.at
soudain Charles de Pr~mcy;
il se conIcs.'a1t à elle comme un enfant CJ.UI se repent, ct rentrait heureux et contrit au bercail; la naissance de la
petite Genvi~,
qui suivit de qU3trc uns celle de
l'al née, fut le point culminant d'une de ces périodes
heureuses; ce fut aus~i
la dernii:rc, la jeune mi.rt!
soins de
voulut nourrir sa fille, ct s'absorba dans le~
sa couvée; elle y trouvait la pleine exransion de sa
nature, ct, un peu Gerté, un peu indifférence elle
permit au mari de ~'en
aller à la dérive ... Toutef~is
la
pensée d'une séparation possible ne lui venait jamais
il l'esprit 1 Elle fut frappée tic stureur lorsque à la
suite d'une alterc~in
a~1 suj~t
d'un.c bagtc~le:
PJ'\:mcry annnnça sa resolullon d ..:n finir et de ùl\'orcer;
il plaiùa mème si {:loquemmcnt l'avantage qu'il en
ré'miterait pour tous deux, que l'épouse, cependant
�12
LA BRA. CHE DE ROMARIN
cruellement ulc6r6e et blessée, adopta le môme point
de vue.
Des mois, bien triiltes, s'étaient écoulés; la dislodéfinitive; elle avait eu lieu, avec un
cation avait ét~
minimum de heurts, et un beau jour, le logis où
avaient vécu les époux, où étaient nées les enfants,
fut vide. " Elle est morle, la maison, » a\'ait dit tristement Marcelle; ce fut le comm.:nlaire unique de
l'enfant, efar~
cependant par tous ces changements.
mais s'attachant pas ionnément à sa m::rc, la sui vant
comme son ombre, dans une crainte superstitieuse
de la voir disparallre 1
Mm.e wlonpascal, car elle reprit aussitôt son nom
personnel, s'installa dans une jolie villa, rue Yvette,
à Auteuil, trouvant une consolation dans la possession d'un jardin; les petites en furent enchantées, ce
jardinet était plus à leur taille que le parc des Etais,
où elles se trouvaient perdues. Maman était là,
Betty était là; Tobie, le terrier favori,était là, on
souvent ... Marcelle s'accoutuma
allait voir papa tr~s
assez promptement au changement, mais Valérie
constata avec angoisse la violence des émotions contradictoires chel sa fille cadette. Betty, la nurse
at1glaise, conta à Sa maltresse, avec quelle frénésie de
tendresse la petite fille se jetait dans les bras de son
pè!re, et sa paleur et son trouble lorsque, l'entrevue
terminée, jl fallait s'éloigner ... La m':re in'lu~te
espérait toujours que chez une enfant si Jeune
l'accoutumance émousserait ces sensations trop
ai~uês;
mais il nt! parut pas en être ainsi, la petite
fllle demeura trépidante et nerveuse, souvent agitée
dans ses rèves.
Peu de mois apr~s
le divorce de son fils, qu'elle
avait honnêtement réprouvé, du moins platonique.
ment, car il lui était impossible de témoigner du
m~conte
à son benjamin, Mme de Prémerv,
encore jeune et forte, succombait nux suites d'une
opération. Cette mort affecta profnd~met
ce fils
qui l'aimait, il ln pleura ct ne de\'ait pas l'oublier;
mais sa nature ne pouvait vivre dans le deuil ct la
tristesse; il chercha des dérivatifs et en trouva i
moins de deux ans apri:s la rupture de sa premi~t!
union, il en contractait une nouvelle, ayant le caract1:re conquérant qui la rendait intéressante; illivait
persuad '. une tr~s
honnêtu femme, point mllht!ul'cuse, mais qui s'ennuyait, ct s'amouracha follement
de lui, de rompre il' cc une existence monotone,
aupr~s
d'un mari b/)n, mais sérieux, mais de vingt ans
son alné; l'unique enfant née de cc mariage as ur';ment mal assorti n'avait que six ans, et occupait
�LA BRANCHE DE ROMARIN
,
1
13
peu de place dans la vie de sa m l re, aimable, égols' e,
Cfui songcait d'aborJ à soi, et tenait l'enfant pour un
frein et un obstacle SOllvent ennuyeux; et puis tout
céldait à la passion qu'inspirait à la jeune Mme de
Saint-Cie:rs le séduisant Prémery; appartenant ellemëme à une vieille famille protestante du Midi,
Mme de Saint-Ciers n'eut pas de scrupule religieux
à vaincre; elle obtint de son indulgent mari que f;a
libcrt~
lui fût renJue , Il préférait lu voir honorabltm<.!nt fix6e à un nouveau foyer que d'ima6iner l'aJultl re dans sa propre maison. D'ailleurs, Mme de
Saint-Ciers se tint parole, et sa liaison avec Pn: mery
demeura inattaquable jusqu'il l'heure du mariaf.\e;
elle maintint par cette ré~cl"\
' e J'empire qu'clic avait
acquis, et une finesse naturelle lui bUf.'géra les
moyens de l'affermir; toujours gaie, rieu
~ e,
con~e
tanie à tous les projet , jamais lasse, jamai" ennuyeuse, elle ençhanta un homme qui a'ait un
besoin chronique d'être amusé. Les bels-~œur
se
montr!rent d'abord peu disposées à l'int imit é, mais
Prémery présenta son mariage sous un si beau jour,
sollicita SI calinement, si bumbILml:nt l'a11 p ui de ses
!iœurs, qu'cn fin de compte il l'obtint. ,a nou\'lile
i\\me de Prémery fut diverselllent iug':e, divertiLl11ent
accutillie; mais la furce du fait accompli milita
sourdement en sa fa\'eur, et dans l'en~01b
elle
n'eut pas trop à se rlail1drc. Elle avait renoncé à . Il
fille, sc contentant de ~ardc
le droit de la \'ull' une
fols par mois, droit dont elle n'usait qu'avec rCt>trictinn; par tendresse méme pour la petite JJlIe, as~u
rait-clic. Clémence était tr" s heun~5
ct pro pl re
entre sa grand'm' re et son p' re j pourquoi aller
troubler cette quiétude .. Et comme tout mauvais ca
est dMendable, la seconde l\1me de Prtmery était
arrivée à persuader un certain nombre de personnes
de sa seniblt~
supérieure.
Le .remariaHe du p're de ~cs
file~
avait été pour
Valéne Monpascal une épreuve beaucoup pluS
pénible qu'elle nec l'était imagin6. Elle avait bien,
du moing e ll e le croyait, renone!! à lous ~e
Jroi" i
mais eIJe eut le sentiment qu'on prenait quelque
cho'e il ses filles, que leur p' re n'était pl~
aulant à
elles. Elle cacha d'abord sOigneusement la ,ituntlon
au: fillettt?s. 1\1aintennn,1 dl~s
allaient v~ir
1'01 a chez
lanle LOUise, sans que lamaiS cette 1 lrtcuaj~
leur
cau 't ~ cie surprise.
ersonnl. llemè l, Pr":mclv ne
comp,cnait pa la nt'Cl'ssité de celle réscl\'c' 'mai~
Valérie lui avait terit afin de la solliciter iu qu'à
nouvel ordre, plaidant le tempérament si délical de
GenevH:ve, on pouvait attendre ... plus tard, .. et il
�14
LA BRANCHE DE ROMARIN
avait promis d'attendre un temps raisonnable. Ses
fille!s devai<!nt n.!cesairm~t
un jour ou l!autre se
trouver en présence de celle qui était devenue sa
femme, qui d'ailleurs n'avait jamais été une rivale
pour leur m ';re, et dont, de l'avis de Prémery, la po ition était toute naturelle ct impeccable; entre lui et
Val~rie
toute attache était rompue aussi définitivem..!nt que si la mort avait passé ... cette emprise
occulte lui paraissait plutôt un peu ridicule; néanmoins il n'~tai
pas en lui de causer inutilement un
chagrin ~i
à la mère ni aux enfants; il prendrait
donc patIence.
Depuis ses secondes noces, Prémery avait séjourné
de longs mois chez lui, dans la Ni::vre, venant toute
les six semaines ou deux mois à Paris embrasser ses
filles j Genevi::ve avait, l'hiver précédent, un peu
langui de cette absence; son papa lui écrivait de
jolies et tendres lettres, toutes pleines d'allusions
aux heureuses semaines qu'il av~it,
l'été précédent,
vécu au Val-Andr.! avec ses filles, qU'escortait la
fiJ ',le Betty.
Valérie Monpascal, durant cette absence, avait ét,;
torturée par l'appréhension de la rencontre des
enfants avec celle qui était de\'enue Mme de Pr!mery j mais l'événement n'eut pas lieu. Il devenait
inéVItable, elle le savait: Prémery voulait Marcelle ct
G.!nevi ':ve aux Etais, et avait chargé sa sœur Louise,
qui sc ren,lait assez souvent rue de l'Yvette, de pr0venir son e.'-femme, et de lui représenter en outre
que la situation fr .lOche et nette était assurément
pr' f~rable
aux cachotteries .
Marcelle était si r,!-isonnable, il.suffisait de lui pre:senter l'état de famIlle! sous un Jour favorable, elle
accepterait sürement les faits avec soumission, et
G-!nevi ~\'e
aimait tant son papa, que celu i-ci se persuadait qu'elle ne se révolterait pas contre unt)
circonstance qu'elle ne pouvait assurément comprendre, mais qui dans se~
elTets im~dats
n'aurait
rien de p~nible
pour elle, au contraire. Jacqueline
ne d~manit
qu'à ch';rir et gater les filles de son
mari, et était dou~e
d'un caractè:re si heureux ct si
en j ~u,
que des enfants ne pouvaient manquer de
subIr son charme,
Bref, Prémery organisait tout dans sa tête d'unt:
mani~re
agréable ct facile pour chacun, ct si l'on
contestait ce point avec lui, il répondait, non sans
une certaine lo~ique,
que tous les états ont leurs désavanta es, ct qUf:l le moyen d'éviter ceux du divorce
7
est J agir de tellil sorle que l'iJ~e
du divorce ne
s'impose jamais à un mari: une femme qui ne peut
�,
,
LA BRANCHE DE ROMARIN
15
être indulgente aux peccadilles n'a qu'à s'en prendre
à elle-même, si des conséqut!nces facheuses sont la
suite de cette rigueur.
Prémery, avec une entière bonne foi, assurait que
lout s'organiserait et, dans son optimisme, en était
intimement pel' uadé; il ne voyait pas du tout pourquoi les personnes intC!ressées, Valérie comprise,
ne pouvaient s'arranger à tirer parti de la situation,
san5 chercher à la compliquer.
Aussi, quand arriva une dl'pêche lui annonçant
gue Betty, prise subitement d'unt! crise de douleurs
qui faisait redouter l'appendicite, ne pourrait, selon
le combinaisons établies, lui amener ses filles à
Montreux, où il était venu les attendre, au lleu
d'ajourner la réunion, comme Valérie le supgérait, il
avait simplement décidé qu'il iraitlui-mtme chercher
les enfants à Bex, et s'était annoncé rouI' le lendemain matin dix neures; on n:mplacerail rrovisoirement Betty par l'ancienne ftmme de chambre de Mme
Prémery la mère, la vieille Pauline, qui, au pr~mie
sigl'e de • M. Charles., quitterait sans hésitation le
pet it pays de Savoie ou elle s'était retirée. Ses
dépêches lancées, Prémery, parfaitement tranquille,
se demanda pourquoi celle pauvre Valérie s'acharnait à se créer des complications. Aller rrendre luimême ses filles parut au pi:re l'action la plus naturelle, d'une simplicité élémentaire.
m
Valérie ne s'était endormie qu'au petit jour, et ce
fut le heurt de la fille de chambre à la rortt! qui la
réveilla. Elle sauta aussitôt du lit, fit une brl ve toilette, !i5sa ses beaux cheveux, enfila son I,imono de
~erg
blanche, et tout doucement alla sc pencher sur
Marcelle pour la réveiller.
- C'est l'heure de te lever, mon ange.
La fillette eut vite chassé le 'ommeil, et, d'un
mouvement ardent, noua ses bras aut()ur du cou de
sa m&re.
- Maman 1 et un tendre baiser s'échangea.
- Oui, mil chérie, dépêchons-nous, dix heures
arriveront sans qu'on s'en aperçoive, il vous faut
pt.:jeuner bien tranquillement; lève-toi, MariEl
l'apporte ton eau chaude, je vais m'occuper de
Geneviève ...
Le mouvement. l'entré~
de Marlll <'lui ouvrait le~
�16
LA BRANCHE DE ROMARIN
persiennes, firent ouvrir les yeux a Geneviève. Elle
eut, avec le premier retour de la pensée lucide, un
regard angoissé.
Mém.e la m.~re,
si passio!,!nément a.imante, qui
courbait son visage vers celUI de la petite créature,
n'avait pas une perception réelle de la souffrance
presque intolérable qui déchirait ce petit cœur
d'enfant; une imagina ion trop puissante pour son
âge, faisait concevoir à Genevi:':ve la séparation sous
l'aspect du d-!chirem~nt
de la mort; la pensée, «jJ
ne verrai pas maman demain, ni apr::s-demain ~,
tombait sur le cœur enfàntin comme un glas; les
yeux bleus, si .profonds, se tournaient vers la
maman idoliltrée avec une détresse soumise; l'enfant
comprenait que des circonstances plus fortes que
toutes les volontés l'emportaient, la dominaient; elle
savait qu'il y avait des petites filles dont le papa ct
la maman étaient toujours ensemble... partaient
ensemble en voyage avec leurs retits enfants; ces
petites filles-là faisaient à GenevIl:vc l'effet de vivre
dans le Paradis.
Quelquefois le soir, avant de s'endormir, après la
lecture de quelque histoire bien anodine pour
d'autres, mais troublante pour elle, l'enfant s'imaginait le bonheur qui remplirait son cœur, si papa et
maman étaient tous deux dans la maison 1 Elle se
plaisait à évoquer des arrangements qui en seraient
la conséquence; par exem?le, la chambre que papa
pourrait prendre pour son cabinet de travail: dans
les livres, le papa a toujours un cabinet de travail;
clIe se figurait, avec une sorte d'ivresse, papa et
mlman se promenant côte à côte dans le jardin, ou
au bois, elle et Marcelle marchant devant. ..
De ces chim=:res délicieuses, l'enfant ne disait
jamais rien à personne, et Prêmery n'avait pas le
moindre doute sur la tranquillité morale de ses filles;
il croyait, en commun avec un grand nombre d'excellentes gens, que les enfants observent peu et
s'accommoJent facilement de l'ordre de choses
existant; l'idée que toutes les fibres les plus dt:licates
du cœur de ses file~
'::taient ~onstamel1
meurtnes,
ne se présentait jami~
à son esprit; la m "re, moins
aveugle, ne mesurait cependant pas la blessure
secr'·te de ces deux petits cœurs. Marcelle, pieuse
et ayant le sentiment de Jis~eno
~raves
entre ses
parents, priait avec une fen'eur angélique pour que
ces dissentiments s'apaisa"sent; tendrement at tachGe
Il son p'~re,
elle se rangeait pourtant instinctivement
nux côtés de sa m"re, secrètement avertie que cellcci était dou' Jureusement lést!e.
�LA BRANCHE DE ROMARIN
f
1
17
Ce matin-là, l'annonce de la venue imminente de
son pt:re troublait extraordinairlment la petik fille,
elle voyait que sa m~re
en était \'ivem~t
émue; avec
toute la grace de cet age charmant, déjà femme par
certains cOtés, Marcelle s'eflorça de soutenir sa m~re,
d'égayer Genvi~
qu'on avait eu grand'peine à
faire manger, et qui, maintenant tout haLillce., son
petit sac à la main, écoutait neneusemenl les
moindres bruits.
A pre 5 avoir regardé la pendule, Mme J\lonpascal
dit à Marcelle:
- Toi, ma fille chérie, descends maintenant, tu
recevras ton para, et tu viendras che l'cher Gcnevi~
ve.
Obéissante, Marcelle, ayant embrassé Genevii. ve,
sortit de la chambre. Valérie feignit d'examiner
encore l~ petit sac, tous les autres colis a\'aient été
emportés.
- Tu as des aiguilles, tu vois, et un dé, tu pourras
te faire un point en cas d'accident; c'est Betty qui
sera étonnée 1
- Je veux dire adieu à Betty.
- Mon étoile, tu l'as vue hier soir, il faut la laisser tranquille pour qu'elle soit vite guérie.
La porte s'ouvrait. Marcelle, un peu pale, parut.
- Papa est monté 1 il est entré chez Belly.
D'un bond, Geneviève s'accrocha au cou de sa mère,
sanglotant.
- Ma chérie, tu n'es pas raisonnable, cours avec
Marcelle recevoir ton papa.
Mais la petite se cramponnait.
Soudain, derrière la porte, une voix bien connue
demanda:
- Puis-je entrer?
Et avant que personne eCll répondu, Prémery,
l'air ému el courtois, parut sur le seuil.
La petite avait tourné la tête.
- Para 1 cria-t-elle, et sa mère l'ayant posée à
terre, elte courut vers les bras qui sc tendaient et
l'enlev/·rent.
- Emportez-la tout dc suite, dit la voix blanche de
la mère.
- Je vous remercie, vous m'c.·cuSCZ ...
La petite avait enfoui sa tète ~ur
l'épaule de son
ptrc, et de ses deux mains fines lui palpait la tete et
le vi~age.
Tout en marchant, il lui parlait ~aiemnt
et cal inl ment dans l'oreille; l\larcclle marchait 1\
cOté, les ayant rejoints en courant, après un dernier
baiser â maman.
Les bagages étai cpt charg~s
sur l'dutomobile.
Lestement, Prémery monta, plaça l\larcelle à son
�18
LA BRANC HE DE ROMAR IN
cOté, gardant Genevi l! ve sur 6e5 genoux.: elle demeurait bfottie contre lui, comme un oiseau erfay~;
au
bout d'un momen t, apr<:s l'avoir care~sé
en iienee,
il la for~a
à montre r son visage:
- Eh bien, petite patronn e, dit-il, reconna is-tu
ton papa?
- Ohl oui.
- Nous allons {aire un beau voyage. Et, sourian t,
il les regarda l'une apr::: s l'autre, elles sourire nt à
leur tour; déjà les enfants subissa ient la fascina tion
de cette vitalité dt!bord ante, de cette tendres se paternelle si facilem ent exténor isée; le pale petit visage
• de Marcell e se colorait un peu, la VOIX chaude et prenante de son p ~ re remuait forteme nt le jeune cœur
aimant; les larmes de Genevi ::ve avaient cess'! Je
couler, et pap'a, avec une douceu r féminin e, en effaçait les traces, soufflai t lég:: rement sur les yeu:oc
rougis. Cepend ant, même dans ce bonheu r involon taire, et que les petites créatur es ressent aient
comme on ressent l'impre ssion du soleil et de la
chaleur , leurs cœurs fi,I ~ les
ne voulaie nt pas se
détache r de la pensée de la maman ch.!rie qu'on
venait de laisser solitair e; un gros soupir souleva la
poitrine de Marcell e ... Le père en compri t la signification , il lui fallait à son côté, ses filles joyeuse s, et,
de plus, son naturel l'inclina it à la compas sion;
aussi, avec une sorte de coquett erie, enla~t
la taUle
de sa fille alnée pour la rapproc her Je lui, il dit :
- Aussitô t à Montre u'\, nous enverro ns une belle
cai sse de roses à maman , cela te va-t-il, petite
patronn e (
Le tressail lement du petit corps, l'illumi nation du
visage de la fillette lui fit voir que Je coup avait porté ...
Clllinem ent, un peu timidem ent, Genod ' ve approch q
sa tête et embras sa la joue Je son pl!re ... Il en fuI
profond ément heureux .
- Mes petites hironde lles, dit-il d'une intonati on où
vibrait l'affecti on pat ernelle, vous m'appo rtez la joie 1
On ne sait pas assez la dilatati on délicieu se que de
sembla bles paroles causent aux cœurs d'enfan ts,
cœur si puissan ts pour aimer et pour souffrir , et si
faibles pour agir. Une sorte d'exalta tion remplit
l'ame des filJe
~ ; leur pl!re en cut l'intuiti on, il
. ellcellait à trouver les mots quI remuen t l'àme; ser,
rant Iles file
' ~ d'une étreint
forte. san!! opprim '1
leurs mouvem en s, il leur chanta à demi-volx :
vous, passAgères hirondel les
Qui n:vcnC2; cllllque prmtumps,
Ol~eut
voyageur~,
mal5 fidèles.
Ramenez-les-mol tous les an!! .
�LA BRANCHE DE ROMARIN
f
19
Elles écouta lent, frémissantes, bercées par cette
voix qui les caressait.
- Hélas 1 ajouta Prémery, votre pauvre para ne
vous posslde qu'une fois par an ... un temps bien
court, hé Ids 1. .•
Les doux yeux répondaient, mais le fi pourquoi b
qui leur brûlait les Il vrcs ne fut prononcé, ni l'al"
Marcelle ni par Geneyil YC; toutes deux plaifnirl nt
leur pauvre papa, ct s'eflorci.rent d'tic1aircir leur
visa[e pour lui complaire.
- C"est cela, mes chéries, souriez, il ne faut ras
gater le bonheur de papa, il ne faut pensa qu·à éd e
cont entes; nous pourrons tnvoyu un ttlégt amme
de Montreux à votre maman, pour lui dire que vous
ê'es contentes! le youlez-vous, le yeux-tu, petite
patronne?
- Oui... papa.
-
Parfait 1
Délicieusement, Geneviève se familiarisait à nouveau ayec son papa, glissant sa ml nolte dans les
roches de la jaquette, examinant le mouchoir, la
bourse, le portefLuille de son pi re; ce portefeuille
était un vietl ami rour lequel l'enfant éprouyait une
prédilection particulière; il s'y trouvait une petite
trousse qu'elle examina avec l'attention qu'elle y
arportait invariable ment; Marcelle, pendant cette
exploration, commençait à bayarder, la féne inséparable du premier instant dc réunion s'effaçait; voulant montrer à sa fille qu'il était à l'unisson de ses
rensées, Prémery lui demanda afctue~mn
:
- Votre maman se porte bien, elle était pale ce
mat in; sans doute elle s'est fatibuée pour Betty?
- Oh 1 oui, papa, beaucoup.
Genevi' ve se taisait, mais écoutait, et son PQre en
avait conscience,
- Il faudra envoyer tous les jours une belle petite
lettre à maman, pour qu'elle ne s'ennuie pas, et pui ,
nous lui pr';parerons une surprise.
A l'instant, les deux petites furent frémissantes:
Prémery, à qui l'idëe qu'il se préparait à énoncer
venait de sc présenter à la secont!e, se sentit presque
effrayé devant cette muelle expectative.
- Voilà, dit-il gaiemlnt, nous allons nous arrêter
un jour à Gen ve, et je vais YOUS faire phot0[.tral'hier
toutes les dt:ux, en !!roupe, apr' s quoi on peindra la
photographie, cc sont des portraits charmants, j'en
ai vu.
- Avec toi, papa? inlL!rrogca Gencvi~
VC, l.:s yeux
agrandis
- Non, mon amour, oon, je suis trop Jait!; vous
�20
LA BRANCHE DE ROMARIN
deux, les deux petits anges de votre maman ... Hein,
?
r
elle sera -:.>nte'~
- Oui, papa, tu c!> bien bon, murmura Marcelle.
Et le myskl'e Je la s.!paralion parut de plus en
plus insondable au cœur de l'enfant,
IV
La journée, commencée dans les larne~,
s'écoula
tr:1'i douce pour les deux petit.;s filles; dies jouissaient mtens mènt de cette tendr~s
retou~,
et
d être en possession d~ leur papa. Il y avait I)r:s de
trois mois qu'elles ne l'avaient vu, un an que es rencontres n'avaient point de lendemain. Le sentiment
de sécurité, dont personne plus que les être:> jeunes
ont besoin, était délicieux. Papa leur appartenait à
nouveau, comme maman.
Gene"i "ve, dont la nature avait tant d'attaches
avec celle de son p::re, s'épanoui'lsai t auprès de lui,
plus même qu'aux côtés de sa m~re
1 Il Y avait là
un de ces myst~re
de l'ame qui ne se peuvent
expliquer; ch "rissant sa m' re avec une sorto de
passion exaltée, la putite fille, qui n'aimait qu'à se
blottir dans cette tendresse maternelle, rcs 'entait
néanmoins occultement les différences profondes
qui les s:iparaient. Valérie Monpascal, arùente à
:limer, capable d'un dévouement illimité, avait
cependant en elle une sorte de s~vérit
et d'intransigeance qui éveillaient dans le cœur de !'cnfanl
qu'elle comblait et dont elle était idolatrée, une -en~
sution de crainte !ate11te. O~o.nt
tout avec sa m"re,
elle en avait néanmoins un peu peur, et si elle l'entç:ndait se racher, en d.:mcurait trnubléll. Avec son
p~ re, au contrair'e, l'cnh nt se lai sait aller tout
entière. Prémery, Mllli aut:une Iwéméditation, mais
d'abondance de cœur, parlait ù la petite fille d'une
fuçon plu - intime, é\eila~
davantage t'es idées,.les
accueillait, le encouragulIt; la m' re, au contraire,
par jwllicitudc, r r~na!l
plutôt l'es~or
do la l'etite
Ina~ji!o
va~bon(le
qUI chaqut. jOllr prllnul! de«
l1ile5, voul, il voler.
parfaite rc;analt enlre le papa i"dul[Jne al~ncû
gent et 11!5 petile fille :
Il'(;lait pa a J\lont rl~t1.
quc tou!e deux bavardaient, riaient, rncontaient fl
rapa ... Elit: étaient si n.i!o"e~
à c n!empkr lue
l'rémc:ry, pour qui l'hem 11rt': ent, élail 101lt, 5"
grisail de leur vue. Gcn~\'I!ve.
avec son 3.uréol$
lilmlneule d~ cheveux h londs ondul~9
et frisé~.
se/l
on
\
�,
,
1
LA BRANCHE DE ROMARIN
21
trait:; si fins, ses yeux d'une profondeur si extrnordinair<~,
toute svelte et d~licate,
~emblait
un ange de
la compagnie du Beato; Marcdle, brune comme sa
m~
Te, un peu grave dt:jà, avec ù'( pais chevl ux que
nouait un large ruban rose, des yeux comme une
chataigne luisante, un teint coloré et clair, une
bouche en fleur, modeste dans tous ses gestts, faisait d':jà presslntir la femme, et le plre se dit que
celui qui un jour posséderait cc trésor, serait un
favori des dieux; les petites avaient secrl!cment
conscience que leur père les admirait, et leurs
reqards purs en devenaient plus beaux.
La I~glre
griserie du mouvement accéléré les pordéjeuner à Montreux fut tr~s
gai; on alla
tait. ~e
ensuite commander les ro<es pour maman, le téléwamme fut rédigé, et l'embarquement sur le beau
bateau blanc qui allait les emporter à Gen1.ve
s'efrectua joyeus<..ment. Par ce limpide jour d'été,
naviguant sur ce lac bleu, sous ce ciel transparent,
dans cet air pur, tenant chacune papa par la main:
le moyen de n'être pas heureuses? Pr~mey
se mit
en frais et fit aux enfants les honneurs du he, leur
parlant comme il l'aurait fait à dLs compafnes intelIgcntes, très sûr d'être compris, comme en eITet il
l'était.
- Eh bien, petite patronne, dit-il: - Prémery
avait baptisé sa cadette ainsi, l'assimilant à la
grande bergi re dont elle portait le nom et sous
l'égide de laqu.clle est Pans, - j'espl re bien que
tu vas nous écrll'e des vers sur ce beau lac?
- Oh 1 para. si tu savais comme elle a écrit de
jolis vers sur« les Saisons ll.
- Me les as-lu apportés au moins, petite masque?
Un sourire d(liclellx éclaira le charmant visaGe, la
petite tête s'inclina ù deux reprises.
- Elle les a dans son sac, sc hata de dire Marcelle.
Maman lui a mis llO pet it portefeuille dans son sac;
fais voir à papa, Geneviè ve.
L'enfant, timidl ment, mais avec une joie visible,
obéit ; b ien abritées, blotties tout prls de leur
ptre, les petites éprouvai;,;nt un bien-être exquis.
Prémery avait déplié la belle feuille de papier
bleu, et lisait ave~
avidité ct t<..ndn:sse, tout
bas, mais assez haut pour être lr1:s bien entendu des
enfants 1
L'été comme..1CC
Les bcth!s \'''Cilnees,
Le soleil d:lrdc.
IRe/nlil/.)
Salut aUl( jours d'été.
�22
LA BRANCHE DE ROMARIN
Gravement, les fillettes reprirent:
Salut aox jours d'''té.
Il continua:
L'automne est arrivé
Les f;)uillc' vont hJmber,
Les !leu rs \'ont ~e fan~r,
L'été et le printl!mps
Depuis longtemps ::;'est écoulé.
(R.efrain.)
Adieu, beaux iours d'été,
Vous êtes écoulés.
- Non, non, dit le
ils ne sont pas écoulésl
p~re,
Les beaux oiseaux qui chantent
Sur leurs nids assemblés,
Ils se sont ell allés.
Le froid les a frappés.
Ils n'ont plus de manger.
(Refl'ain.)
Adieu, beaux iours d'été,
Vou;; etes regrettés 1
- :\Te lis plu ,dit Genc\'i~,
la fin est mal. ..
- C'est très bien, ma fille, dit graveml!nt Prémery ...
très bien ... «L'~té
commence ... Les belles vacances ... »
c'est pour nous, ça ... Je crois qu'elles vont être bien
belles, nos vacances ... il ne faut pas songer à l'hiver,
l'hiver est tr~s
loin .. .
Les troi ' visages se firent graves devant cette
vision de l'hiver.
- ... C'cst-à-dire de nouvelles séparations J
Mai le pè:re cut bientôt donné à l'\.!ntretien un
tour plus gai, et, lorsque Genè:ve parut enfin à
l'horizon, les petites naïvement s'étonni!rent d'être
déjà arrivées.
v
On demande rnaJal1l\.! :\1l)11pascal au téléphone.
é ril~
avait (;té uiÎ peu saiSie de cet appel, et
tremblante dans la cabine.
..:ntra, lég~remnt
EIl.: éleva. !t:s récepteurs l't, le cœur battant,
attendit,
La vou de Premery l\li parvint
Val
�LA BRANCHE ·DE ROMARIN"
f
,
23
- C'est moi, c'est pour vous dire que vos filles
vont tr: s bÏl:n, que Gen..:vi è. ve a pas~
une excellente
nuit, gue Pauline est arrivée, et que tout marche à
merveIlle.
- .M erci d'avoir pensé à me rassurer.
- Vous n'avez pas de recommandation spéciale
à faire?
- Non, aucune.
- Comment vaBetty?
- Pas tr ~ s bien.
- Ah! j'en suis désol
~ . Marcelle est à mon cOté,
voulez-vous gU'clle VOLIS parle?
- Oui, OUI, qu'elle me parle.
- Bonjour, maman.
- Bonjour, ma fille.
La voix changea.
- J'interromps un instant la communication, parce
qu'on pleure un peu de ce cOté, mais fiez-vous a moi
pour les consoler.
- Au revoir.
- Au revoir.
Val0rie Monpascal sortit de la cabine les joues en
feu, le cerveau en ébullition, frémissante d'une
impatience qu'elle avait peine à mailriser, tenaillée
par un désir fou de courIr, d'aller prendre ses filles,
de les emporter.
Ce brd entretien a'u téléphone lui avait donné,
plus encore que le départ de la veille, la sensation
de la séparatIOn. Pendant les longs mois ~coulés,
pendant lesquels elle n'avait plus vu son ex-mari,
Jamais entendu sa voix, il était devenu une r~aliLé
moins tangible.
Puis elle s'était trouv<.!c en face de lui le Jour de la
premiè.re communion de Marcelle, il avait paru clevant
ellc la veille, ct voici que de loin, il est vrai, il venait
d'avoir un entretien avec elle!
Puisqu'il avait refait sa vie~
puisqu'il possédait
une autre femme, un autre lOyd OLI viendraient
d'autres enfants, pourquoi ne lui laissait-il pas ses
filles r
En même temps l'inflexible droiture, qui était le
fond même du caract; re de Valérie Monrascal, lui
c!isait que le p~re
conservait des droits imprescriptibles, et une vuix secri:te, que la femme délaissée
essayait d'étutifTer, lui murmurait, que peut-être, il
n'eût dépendu que d'die de retenir au foyerconju!.(al
ce mari volage, mais si tendre p~re
... et maintenant
les enfants souflrniCIlI. .. ct elle, la m' ft.', "oum'ait
aussi; lui s'~ul,
le coupable ell somml', était ind,·mne?
L'était-il? ce renoncement presque total aux douccurs
1
�24
LA BRANCHE DE ROMARIN
de la paternité était, devait être un châtiment. L'élan
al'ec lequel Gençvi'.ve s était jet6e dans les bras de
son p' re, s'y était fondlle, malgré le d~chiremnt
qui
lui faisait verser tant de larmes, avait révélé à la
m' re, habituée à se considérer comme le centre
même de la vi e de ses enfants, qu'une autre influence
aussi puissante que la sienne, peut-être même plus
puissante, planait du dehors sur ses filles, et devait,
sans qu'clles cn eussent conscit:nce, contribucr à la
formation de leur ame et de leurs caract':rcs.
Valérie avait dé frappée d'un autre fait, mince en
soi, mais qui témoignait de la force de cette
influence occulte.
La nurse anglaise, Betty, inféodée certes à sa
maltresse, avaIt néanmOins été extravagamment
toucb2e par la d,;marche de " l\Ionsieur » venant en
personne dans sa chambre prenJre de ses noul'elles.
- Il est si " clzeerful", avait-elle expliqué à
Mme Monpascal, que, tout de suite, je me suis
sentie mieux, plus courageuse.
Cette fugitive visite revêtait évidemment aux yeux
de celle qui en avait été l'objet une importance de
premier ordre, et la vigilance aITectueuse de la
maltresse qui, avec une bonté assidue, veillait à ce
que Betty ne manquat d'aucun soin, prévenait ses
d~sir,
n'avait pas sur le moral de la malade l'ell'et
réconfortant de quelques bonnes paroles, appuyées
il est vrai d'un solide cadeau en espè:ces; mais Betty
n'était nullement intéressée, ce dont elle demeurait
reconnaissante d ral'ie était la présence de «1\1onsieur» ; il avait toujours été au pouvoir de Prémery
de plier Bd tv à ses volontés, ses exigences revètaient
l'air de faveurs 1
, Une sorte d'étonnement presque douloureux
gonflait le cœur de la femme solitaire. Consacrant
(nute son ardeur J'aimer à ses filles. peut-être à
l'heure de la moisson ce ne serait pas elle qui rL!cueil·
lcrait la plus bt:He llCrbL!! Le charmeur qu'était
Prémery devait nécessairement cxcercel' SOIl empire
sur ses enfants, comme 'ur les indiITérents .. , CL!rtains
'::trcs bénéficient, sans la chercher, d'une indulv,cnce
gl'!1érale, qui n<; s'explique qu'en disant qu'elle est.
inexplicable, Valérie comprit, non sans amertum(;,
que td était 1(; cas de son mari, L'ouvrier de la
unzi~me
heure c~t
{·ternel, celui de la prcmil re Ol'
le comprendra jamais, et éternellement aussi ell sera
jaloux 1
•
Ce fut une journée mortellement triste pour la
mère, privée d.ei de~,I;
'trlola qui étaient l'o,me cie ~a
�,
j
1
,
LA BRANCHE DE ROMARIN
25
vie; elle demeura enfermée dans sa chambre, n'en
sortant que pour se rendre auprès de sa malade ...
elle se fit monter ses repas, ayant conscience que la
venue de Prémery, le départ des fillettes de\·aient
avoir excité les curiosités du monde oisif de l'h6tel...
Dans le plan primitivement établi, Valérie avait eu
J'intention de partir le jour méme où ses filles la
quitteraient; ce mois de solitude forcée devait
s'écouler â. Vichy, où, depuis une jaunisse que les
émotions lui avaient causée deux ans auparavant, on
l'en-;oyait en traitement, là; les soins e>- ig0s, l'absence
de tout souvenir évocateur du passl: faisaient en
somme couler rapidement les jours, et l'auraient
amenée sans trop de peine à celui où elle rentrait à
Paris prépar':r le retour des enfant s, moment exquis
comme la levl:e de l'aurore! Qu'elles a\·aient été
heureuses, ses oiselles, l'année pré..:édente, de se
retrouver dans leur nid 1. .• elles a\·aient, il est vrai,
beaucoup, beaucoul? parll: de papa; mais, sans que
la m~re
se rendit bien compte de l'emprise morale
qu'il gardait même éloigné sur les enfants, et puis,
elIes en avaient moins parlé, et Val0rie, en y songeant,
se demanda si Marcelle, qui devenait persp'icace,
n'avait pas averti Gcnevi~
de nommer plus rarement
papal
En somme, lui, c'était leur p~re,
mais si, comme
Valérie le redoutait, les petites allaient se trouver
en face de celle qui occupait la place de leur m~re.
qu'éprouveraient-clics"? rien ne les a\ait pr':par':es
fi cette rencontre, à cette révélation qui serait foudroyante 1 Malgré la connaissance certaine du fait,
Valérie n'arrivait pas encore dans le tréfonds d'dlem\:me à être absolument convaincue de sa réalité. JI
y avait là, pour son esprit, quelque chose de monstrueux, presque de ridicule, à l'idée que, elle vivante,
une autre était la femme de son mari, et combien
plus impossible une pareille chose devait apparaltre
aux enfants. Cette paix factice, dont, en ;lcceptanl le
divorce, l'épouse délaissé\.! s'était leurrée, combien
clic é.tait trompeuse, quds abimes recouvrai t-elle ;
comblCn les querelles des parents arrè:s toul eussent
été insignifiantes en regard de celt\.! flagrante rupture
de cc qui constitue l'acle de [ni fondamental de
l'enfant: l'union de son père ct de sa mè:re. Contrairem~t
à cc que s'imaginent les grandes personnes,
les d·spules conJugales ont peu de portée aux yeux
des enlants, les troublent comme un orage, malS en
somme laissent ks clnse~
dans l'ordre. C' sont
variations do.: la température auxquell,. s on s'accoutume, et dont, en gcnéral, l'enfant ne mesuro aucu-
�26
~A
DRANCHE DE ROMARIN
nement la portée, CèS id 'es pass' rènt les unes
1l;s autr<!s dans l'e~prit
JIl Val"ric MOllpascal,
et ulle véritable dét resse la mnrdit au cœur, Le point
d'appui Jans l'ex.istence semblait lui manquer et
elle eut la clain) intuition qtle, pour éviter le naufrage
de ses affections, il lui fauJrait accomplir des prodiges d'équilibre, Personne moins qtl'Cllè, droÎ,e
jusqu'à l'Intransigeance, n'était capable de ccite
abnt!gation d'un genre sl1écial; tout!.! les qualités de
son ex-mal'i allaient mi îter contr\! elle; une nholle
douloureuse la fit trembler, ct les larmes vinr<!nt
ennn sotllager on angoisse, L'acc's fut bref, car
elle mettait, die avait, malbeureu:.ement pour elle,
toujours mis une pud<.:ur farouche â cacher ses sauf·
Crances, et Cette r'::servc l'avait dcsscrYÏe aupr~
s de
son mari, naturdlement expansif et qui, ne voyant
chez a femme atlcune marque Je chagrin, n'en sùupçonnait pas l:existence 1 Premery 1118lnit Vall:lïo
plutbt dore et tt1sen c'ible, sauf pour ses enfants, ct se
persuadait qu'elle avait été reu afTccl":e de leurs di~
sentiment!! conjugaux, car lamais la sereine di,~t1lé
du beau vi 'agI.! f~miln
n'avai! été altér":c; jamais
dans l''';preu\·c VaL~rie
n'avait laissé voir un vÎso3c
battu d meurtri; son nrgueil était ,il! sa\'Qir si bien
dissimuler ~es
~ouf
.. anc.:s, ct d'en d0rober à tous
l'humiliation secr'ole! Cependant, ce jour-là, elle
éprouva le besoin d'une sympathie coml'atissante
et entra dans la chambre de Betty, Une garde, qu'on
avait fait ,"enir de Montreux, se tenait pr:'s Je la
malade, Mme Monpa~cl'e
à aller ::,e repo, Cl',
- je vais rCi'>ter là jusqu'nu d':jeunt:r.
Qudques phra:es !'>êchan~ret
au sujet de l'état
de Betty, du traitement, de là mala lie et de la santé
en g~nÙal;
puis la gtlrdc, bil!11 aise d'être rl!cn~e
de
faction, s'éloigna oprL avoir,avec impoI'tance,donné
quelques conseil:!,
Mme l\Ionpascal aprr,)cha alors une cbal~
ùu lit
de Betty, posa une main lêg:n..: sur la cou"erture, \.lt
di!:
.
- Ccla va mieux, Bettv '? Le rcpos suffira,j'esp"re,
- Je l'!sp~rc,
rJI'On tlit une ,"oiÀ afTaiblle; mail'!
vous-même, "dear Madam ", comment êll S-\'OU r
- Un peu solitain.:, Rett\', et Jeu. grosses larme
emplirent le!'. "LUX hruns ; ,,·MOIl. i!'!UJ' ~ m'a tél":l'lwn6
ce màlin de (1cn~\',
- Oh! comme ~'c
t attentir dc sn purt 1 C \1m~
nt
~ont
rnls~
f\hrteJ1e 't mi' _ J 'l1el'l W!?
- Tr' 5 bien. il ('uralt; J\lur.:ellc nu i m'a parl~
au ttlli!rhonc .. , mal l!1I~'
1'1 ''Irait un pcn, nlJ~
1 on
papa a intcrroml u la cnmJ1lunÎl.;atiull,
aFr~
�LA BRANCHE DE ROMARIN
27
- Pauvre darling 1. .. Oh 1 c'est triste, c'est terriblement triste!
- Oui, Betty, bien triste ... si vous étiez avec elles,
je serais moins inquiè te.
- Oh! mais eJ1es aiment tant leur papa; miss
GeneviL ve qui est si timide, ne l'est pas du tout
avec son papa ... il ne faut pas vous tourmenter,
"dear Madam " ... Ah! quel malheur que je sois
venue vous apporter l'ennui d'une maladIe; le vous
en d,mande bIen pardon 1
- Ma bonne Betty, ce n'est pas votre faute,
j'imagine ... restez tranquille, ne parlez pas, je vais
lire.
La malade obéit, mais ses yeux gris se tournaient
avec obstination vers sa mailres:le. Valérie portait
un costume de toile blanche, parfaitement simrle,
mais qui s'harmonisait avec la noble gravité de son
visage, plus pale que d'habitude; BeUy admirait la
beauté de" Madam" et son ame simple, mais profon.
dément humaine, eut la perception de la solitude
de ceUe belle créature de Dieu. Tout d'un coup, dans
le silence. la voix faible de Betty, habituelltment si
respec1ueuse, s'éleva et dit:
- Oh l "dear Madam", je suis si fachée pour vous 1
VI
Prémery. sans aucune bonne raison, prolongea
trois jour·s la halte à Genève ... les petites étaient
si heureuses; du matin au soir, il les menait
visiter quelque chose, les amusait et les intt:ressait
sans une minute de répit. Un malaise inattendu
s'élevait dans l'esprit du pL're à l'idée de l'arrivée
aux El ais ... En théorie, c'était la chose la plus simple,
il n'y avait vu aucune difficulté, ou de SI lég1.res; et
maintenant, en présence de 5e<; filles, sous leurs
regards confiants, il ne savait comment leur faire
pr~senti
la proche réalité. Gt:neviLvl! s'épanouissait dè's Gue le nom chéri tle • maman. passait ses
l~vrcs;
e'le lui avait d(!jà ('crit une lettre .oute frémiss~nte,
ct dont les e.'pressions de tendresse avaien1
vIvement troublé le pi..re.
D'autre part, on les attendait aux Etais. Jacqueline, sc disait Pr('mcry, v allait de tout !<on cœur ct
avait le droit de n't:!rc l"as dé "appointée ... Vaguemerrt avait flott6 dan" l'esprit de l'homme embarrassé
J'idée de passer le mob de \acances sur quelque
�28
LA BRANCHE DE ROMARIN
sommet dont l'air serait salutaire à Genvi~
... Mais
c~te
modification était égalemen.t d'exéc~tlion
diffi.
elle. Prémery, toute sa VIe, s'était volontiers confié
au hasard, dont il espérait toutes les connivences.
L'importance était de conserver son sans-froid. Les
enfants avaient recouvré vis-à-vis de lUI toute leur
liberté d'allure, s'abandonnaient à sa tendresse
paternelle, il en userait pour les rendre raisonnables.
Perplexe néanmoins, il prit la vieÎlle Pauline dans
sa confiJence et lui exposa la situation.
- Monsieur, il faut les prévenir, dit avec décision
celle dont on demandait ['avis.
- Voulez-vous vous en charger, Pauline?
- Ce n'est pas agréable, bien sûr ... enfin, pOUl"
Monsieur... e~ tout bas elle r.o nchonna : " tout ça
c'est des gachls. Prémery feignit de n'avoir pas entendu.
- Ma bonne Pauline, je vous serai si reconnaissant... On nous attend là-bas, je ne puis prolonger
éternellement le sl:jour ici.
tantôt Mlle Geneviève en
- Que Monsieur m~ne
promenaJe, je causerai avec Mlle M.arcelle, qlli est
bien raisonnable.
Si raison nable en effet que fût la petite fille, Pauline se troul'a singulï'rement embarrassée pour
entrer en mati:re; d'abord, ce qui était conforme à
son habitude, elle mil sur le tapis sa défunte maltresse. et questionnant la fillette:
- Vous vous rappelez bien, ma chérie, de 1'0 re
bonne mémG?
de
- Oui, Pauline, je me souviens parfitem~n
ma m.!mt!, j,;: j'aimais beaucoup.
- Et elle, donc 1 pauvre ch:'re dam~,
il n'y avait
rien au monde all-dessus de sec; petites-fille5: \'os
cousins ne l'intéressaient pJ.s moiti:' autant, ah r
elle serait contente de vous voir grande et belle
comme vous voilà, ct 5i raiSllJ)nable; ct les Etais,
ma mignonne, 0:1 nous allons, vous Ile les avez pas
oubliés non plus?
- Oh [ ce n'est pas comme ma mémé; il a cles
choses qui ~ont
broui1l6cs, mais je suis bien heureuse d'aller revoir notre maison.
- On vous y attend avec impatience! lança Pauline ans oser renarder la filletto et tou sant mystérieu'lcment.
- ()ui donc nous attend? c1cmanda Marcelle en
~ouriant.
est-cc Bastien, le vieux na rde? Oh 1 je me
ollvjcns de Bastien cl de son chien Jupiter ... Je
vais tout reconnaltre, j'en suis sûre, et le teint
�LA BRANCHE DE ROMARIN
29
mat de l'enfant sc couvrit d'une légl re rougeur ...
- l'\on, ce n'est pas Bastien, c'est une personne
que vous ne connaissez pas cncore, ma petite chérie
Mademoiselle, et pour qui il faudra être bien
gentille.
L'enfant instinctivement recula, son visage devint
grave.
- Qui donc, Pauline?
La voix avait d(jà de l'autorité; e11(; répéta, parlant plus rapiJemcnt :
- Qui donc, dites?
La bonne créature aurait bien voulu se retrancher
dans le silence, mais le jeune regard, soudain un
peu impérieux, la riva à sa place i presque automatiquem~n,
dIe r0pondit :
- C'est la nouyelle épouse de votre papal
Marcelle ne bougea pas; m0dusée, regardant la
vieille femme avec des yeux qu'une sorte de terreur
dilatait:
- La nouvelle épouse de ... de ... mon papa?
- Oui, pauvre trésor; malhc.un:.usement votre
papa et votre maman sont divorcés ... et alors Votre
ch<:r papa s'est remarié ... c'est son droit...
- Comme si ma maman était morle 1
- C'est la loi, je ne l'aime pas, mais c'est la loi.
Vou~
feriez du charrin à votre papa en n'étant pas.
gentille pour sa femme.
La fillette, d'un geste accablé et touchant, porta
:.a petite main tremblante à son front el cacha ses
yeux.
- Qu'e~t-c
qtlO va dire Genevi1.:ve? balbutiat-cil..:. Dh 1 G..:n..:vi1.:ve ne vouJra jamais la regarder .. .
- Il faut, mon ange, lui donner le bon ex.:mp1c .. .
C'cst cnnu)'..:ux, bien sür, mais au jour d'aujourd'hui c'elOt comme ça, dans bien dcs familles.
,Marcelle demeura un long moment silencieuse,
dans l'el1ort de se pén61rer ék la hituation ..• A la
fin, clle demanda très bas:
- Alors, ma maman pourrait sc remarier?
Le ton exprimait ulle angols5e pre que éperdue.
C'e~t
cc qu'elle ne fera jamais, la ch~r
Jarne,
pas besoin d..: vous tourmenter lù-dcsl;us; votre
maman ne sera jamai<\ qu'à sc petites filles ... Mais
un papa, même le mr'il!el1r, cc n'e t 'pa~
une maman.
Il ne fout pas en voulo1r à 'aIre papa, Il sc trou\'alt
tout seul, pou\'re cher homme ... Il serait désc!:péré
s'il vous voyait l'air chagrin; allons, ma mignonne,
ofTrcL ce petit sacri'Ïcc au bon Dieu ... Votre cher
p Ira VallS aime tant ql1'i~na
pae; cu 1.: coura"e de
vous apprendre la chos lui-m()~.
Promcte~
�30
LA BRANCHE DE ROMARIN
moi d'être raisonnable, votre papa compte sur vous
pour raisonner Genevi:'ve.
- Si on lui dit à l'avance que cette dame est aux
Etais, elle ne voudra jamais y alTer.
- Eh bien, on lUI racontera qui elle est, seulement apr::s qu'elle l'aura vue, suggéra Pauline, bien
aise au fond d'un ajournement.
D'un mouV.!~nt
accablé, Marcelle acquiesça. La
vieille femme la caressa, la loua, l'encouragea, lui
démontra combien il était beau et honorable d'être
la confidente de son papa.
- Maman sait?
- Oui, mon cher trésor, bien entendu j elle a
craint de vous faire de la peine, c'est pourquoi elle
ne vous a rien dit ... l\{ais elle n'est pas rachée, puisqu'elle: 'DUS a laissées venir.
Quand Genvi~
rentra, les mains chargée- de
petits l,a luets : un chalet avec ses balcons, sa large
toiture, ses contrevents verts une belle Suissesse
portant une m:::rYt;:illeuse coiffe ouverte en aur~ole,
sa sœur aln:!e l'accueillit avec une sorte de passion,
admirant presque avec exagération les beaux objets
que la petite rapportait.
- Voilà que votre papa vous a gâtée, dit Pauline
apportant son contingent d'exclamations approbatives. En voilà un papal
Le petit cœur afTectueux était gonflé de plaisir.
- Maman sera contente Je voir tout cela, dit la
petite, je 'ais lui écrire que j'appellerai ma Suissesse Myrtille.
- Quel joli nom 1 répliqua Pauline, qui vous en a
donné l'idée?
- C'est papa 1 répondit avec un tendre orgueil
l'enfant, papa m'a donnC: au moins dix 110ms pour
choisir, l'ai aim.! Myrtille Elus que tout, - et se
tournant ver~
l\larccllc : - fu seras la marraine de
ma fille suisse, nous la baptis.:rons d'Ill. Etuis, papa
m'a promis des dra~t!es.
Le dîner fut t~:s
gai l'our Gelle\ii;ve j elle ne l'nt
pas garde au . i1el1<.:C de Marcdle, que ,on p rc
traita ;lV\.!C une tendre sc discrL:te ... Le>; bl.:aux yeux.
brullS de l'enlant interrogeaient a ',·c ulle anxi6t6
qua'nd on se k"a de table, ct
pres9,ue dnlC)ure~,
quo.; Gt:llt.wii:,,<.: courut I.:n a\'1\nt, pour pr(;Jlùre leurs
place<; sur la terras e d'où on avait une si bl'lle \·tIC.
Prérnery s'approcha ùe .\Hrc~l,
la "erra t~ndrc
ment contre lui, ct tout bas lUI murmunl:
- Je te remercie, mnn enlant cll6rie, je com}'te
sur toi.
La p~tie
fille, tremblotante, jeta ses bra
�LA BRANCHE DE ROMARIN
31
autour du cou de son père, s'y cramponnant avec
une sorte d'anfoisse. PrLmery, vivement ému,
détacha doucement les petites mains:
- Ne crains rien, mon ange, te voir heureuse est
mon premier souci.
Ille disait, et le croyait ~incl
rcment 1 Comme on
devait se meltre en rou'e le lendemain de bon matin,
la soirée fut courte, et, à huit heures et demie, Paul
line vint chercher les petites filles; Genevi1.ve, dt!jà
et les
à moit ié endormie, ne se fit pas prier; le p~re
enfants échangl rent un tendre bonsoir.
Prémery eut besoin, ce soir-là, de fumer de très
bons cigares, car, contrairement à son ordinaire
oplimisme, il était inquiet. Pauline lui avait rapporté l'exclamation de Marcelle : que ferait-il si
Genevit ve se refusait à l'afTection qui voulait l'accueillir?
Ces trois journées avaient fait sentir au plre la
force du lien qui l'unissait à ses filles ... Elles étaient
encore davantage pour lui que l'année derni1.re ..•
Ces onze mois ayaitnt singuliè rlment müri Marcelle,
dont la raison, éclairée par une p'rofonde piété, fit
presque peur au pi. re; et GenevlL vc, si I?rimesautiL re, de sentiments si intenses, et chez qUi on devinait des forces latentes ... L'idée de contrister les deux
enfants fut dure à Prémery ... Un doute effleura sa
pensée ... S'était-il tromp!.! en divorçant 7 L'impression que Valérie avait produite sur lui, dépa sait
tout à fait ce qu'il avait prévu d'une rencontre, il
3\ait eu la sensation d'une emprise, que rien ne
pouvait compli. tlment dissil?er ... La voix, au téléphone, de son ex-femme a\'all eu quelque chose de
si nat urel 1 et l'attachement de la ml re et des enfants
rentrait évidemment dans l'ordre des choses absolues ... Il Il'était pas jaloux; mais il se demanda
si les enfants aurait.!nl rour lui leur pl re, qui leur
élait si dl!voué, une tendresse égale 7 Jacqueline
lui avait dit un jour: «Je leur apprendrai à t'aimer, à
t'apprtEcier, li ct cc propos, qui avait tou.::hé Prémcry, lui parut soudain ridicule ... Quds liens pouvaient s'établir entre cette étrangi re, car il était indéniable qu'elle leur était une élranglre, et ses filles?
La personnalité des enfants se présenta au cœur du
p' rc comme un redoutahle rrobl' me, dont la solution ~e trou\'ail cn dehors de lUI; il avait cu, quoique
s'cn d~fcnat,
l'intuition de l'émollon profonde de
Marcelle, ct, pensant au petit visage convulsé de
Genl.!\·i~
ve à l'instant OCI il l'enlevait aux bras maternds, il redouta l'instant Oll clic franchirait le seuil
de la maison patt.!rnellc 1
�3~
LA
BRA~CHE
DE ROMARIN
vu
Quand l'omnibus automobile, qui était \enu les
cherd1ef à la gare, située à huit ldlom:':tres des Etais,
dépassa la grille du parc, Genevi:':ve, qui tout le long
du voyage avait été fort excitée, frappa des mains,
et dit avec une agitation un peu fébnle :
- Bonjour les Etais, bonjour la maison de mon
papa.
Un calme extraordinaire régnait tout à l'entour, on
ne voyait que des bois et, au loin, des colline bleues;
le sentimt:!nt de solitude était intense; soudain, la
maison se découvrit; c'était une grande bâtisse
genre cottage anglais, que le pi.:re de Charles de
Prémery avait fait construire à quelque distance de
l'ancien chateau, transformé cn communs. L'habitation moderne se trouvait placée sur une légère
éminence, et apparut rost\e dans le couchant et ses
vitres brillant; le perron fai ait une tache blanche,
la porte d'entrée était largement ouverte ... Prémery
mit lui-même ses filles à terre, puis leur prit à
chacune une main, et monta les quelques marches.
On apercevait dan,; le hall une silhouette de femme,
et les petites n'y avaient pas pénétré, qu'une belle
et grande personne, v()tue d'une l(:gère robe grise
flottante, une quantité de, cheveux blonds encadrant
un visage sounant, s'avança, s'inclina gracieusement
et, passant un bras autour de la taille de chacune
des enfants, les regarda longuement, et les embrassant l'une après l'autre dit:
- Que je suis contente de vous voir, mes chéries 1
et, se relevant, elle embrassa à son tour Prémery.
Les fillettes s'aaient arrétées ct ne bougeaient
plus; médusées, Marcelle, toute pale, les yeu'x baissés; Genevi1:ve, la bouche ::.err(;e, l'air lOquiet et
farouche.
- Elles vont monter, dit nerveus-:l11ent Prém(;ry
qui les observait, il faut d'abord les laisser monter.
Pauline, accompagnez ces dcmoi~le
, vou" connaissez le chemm.
- J\[ais vus-y toi-mC:m<:, Charle~,
rlaiJa affectueusement la jeune femme.
Les deux '!Jfants lançaient à cellc qui w'1ait de
parler un COl.p d'œil alarm6, ct, semblables à d~u.
biches effarouch(:cs, parurent prètes Il s'enfuir; leur
père, comme s'en rendant compte, leur avait fermcml.!nt saisi les mains, et parlant, riant, donnant
�LA BRANCHE . DE ROMARIN
33
à droite et à gauche des ordres divers, les dirigea
vers le salon, vaste pii:!ce occupant tou te la largeur
Lie la maison, et au centre de laquelle, en face des
grandes baies, dans un renfoncement profond
qu'égayaient de sportives peintures murales, se
découvrait l'escalier aux belles rampes de bois, et
que flanquaient de chaque côté, aux premières
marches, deux cerfs magnifiques, qui paraissaient
vivants et portaient entre leurs défenses une croix
de Saint-Hubert qui s'éclairait le soir 1 Les nobles
bêtes servirent de diversion imméLliate; Prémery
s'arrêta devant elles et, les désignant de la main à
Geneviève, lui demanda:
- Reconnais-tu tes vieux amis, petite patronne,
ils ont, j'en SUIS sClr, contents de te revoir?
La fillette sourit un peu faiblement; néanmoins,
une petite flamme passa dans ses yeux, et d'un
geste calin elle entoura du bras le cou d'un des
tiers habitants des bois. Les souvenirs affluaient
évidemment dans le jeune cerveau et le détournaient
de l'impression présente. Cependant Prémery ne
s'arrêta pas; à peine, au premier palier, prit-il le
temps de faire observer à Marcelle la meute qui du
mur du fond semblait s'y précipiter; là, l'escalier
bifurquait à droite et à gauche ,pour aboutir à la
vaste antichambre du premier étace, sur laquelle
débouchait également un autre escalier, dont on
usait pour le service; une femme de chambre chargée
de paquets le gra\'lssait et précéda le groupe dans
la belle chamore qui attenùait les fillettes, leur
ancienne nursery, claire, ~aie,
hospitalière . La
fenêtre unique formait une énorme baie, par laquelle
on apercevait l'horizon paisible; au premier plan,
une \·aste pelouse dévalait jusqu'à une pièce d'eau
qui bnllait à la lueur du couchant; au delà, s'étendaient les bois profonds, et, à droite, le~
collines
bleues semblaient une muraille défensive. Par cette
fin de journée d'été, tout au dehors et au deùans
était d'une douceur exquise. La tenture rose, les
deux petits lits blancs rapprochés l'un de l'autre,
la belle vierge dc Lourdes, qui planait sur son socle,
Sllutenuc par les anges, au-dessus de ces lits; l'ordre
charmant, les fleurs sur une table roncle, tout flattait
les sens, et méme la jt.!unes::;c cles deux petites créatures fut st.:nslble à cette ambiance délicate.
- V"us .::tes bien, me~
chéries! dit triomphale.
ment h:ur pi:re, ct, sans plus discourir, après un
re!;iard dt.: connjYent;e du côté de Pauline, il ajouta.
" ::ioyez prètes à sept ht.!ures un quart, je viendrai
vous chercher. " ct sortit.
9 i -II
�34
LA BRANCHE DE ROMARIN
Dès qu'il eut disparu, l'espl:ce d'étourdissement
que, toute ct:tte nouveauté avait caus6 :l Geneviève
cessa; farouchement, elle se jeta dans les bras de
Marcelle et, cachant son visage, commença à sangloter silencicusement.
Marcelle, 1rl:S bouleversée dIe-même, la berçait
sans parler, sans trouver une parole pour l'apaiser.
Pauline vint à la rescousse.
- Allons, allons, mesdemoiselles chéries, soyez
raisonnable, vous allez faire beaucoup de chagrin
à votre papa, qui e~t
si bon, Regardez, il a mis pri;s
de votre lit le beau bénitier de votre m~0
j mais
regarda-le donc! - Genevii;vc ::-oule\'a un peu la tete
et jeta un regard détourné vers le précieux objet qui
lui 6tait signalé - et, là, sur la cheminée, ce joli
portrait de votre maman .. ,
L'effo:t fut 61l:ctriquej se détachant ùe sa sœur, la
pdite cria: <J. 1\laman» et se jela sur le portrait
que Pauline avait pris entre ses mains pour le lui
pr6senlt.:r.
- Là, là, embrassez-la toul votre content, et pour
lui plaire, nc pleurc:z plus,
L'enfant poussa deux ou trois lourds soupirs, puis
trl:S bas ùemanda :
- Qui est celte dame?
- Qui est cette dame? répéta Pauli li\! s'exhortant intérieurement à la vaillance ... l'\'1I1e Marcellc
vous le dira bien, n'est-ce pas, ,\ladcmoisc:lle chérie (
lvlarcelle s'avança "ers sa sœur de la mine rccueillic:ctgrave qu'ellea\'aitlorsqu'elle marchail \'er'
l'autc:Il ct, ses mains juintes, soutenant sa pri~f
intérieure, elle dit :
- C'est J\lme de Prémery, - et, répétant la phra e
de Paulinc:, - la nouvelle épouse dt.! papa 1
Les yeux dilaté;;, sa petite buuche tremhlante,
Gene\'ii:\'e écoutait sans paraitrc: comprendre, ct
Marccllc, les paupil:l'cs baiss0c:s, n'avait é\'idc:mment plu ric:n ù ajouter, Pauline, une fois cncore,
leur l'lit seclllll'able,
- 0111, c'cst.;a, et die l'cut être bic:n grnlillt: (lour
\'OUS deux, .l'ailleurs, commc: le Su\'ail bien l'otre
maman, pUisqu'clic \'Ol1S a permis de \'enir. Allons,
dépl:chl)n' vite de nous habillcr. .le fc:rme un 1110lllcnt la ["n'::lre, enlevez l'otre robe, mil cherie, t
llOU
pa seron dans le bc:all cahint'! d<- toilettl:,
.\h Ion '!Sl hi~n
aux Etais,
- Che/. nllu;; aussi, - répliqua (1 'rC:1l1 nt la l'"
tile l'oi tr 'lllhl,IIlt.!, puis llbitcfJ1<!nt. - .fe ,'cux
m'en alla, je ne l'eux pa \'oir celte dame
- .\11! • !~Jemojscl1
G.en\l~',
je Il':!lWlij OIS
�LA BRANCHE DE ROMARIN
3::'
cru ça de VOliS, voyez l\llIe l\larcelle, qui a fait sa
première communion, et qui est si pieuse, elle est
d~ciée
à ne chagriner ni son cher papa ni sa chère
maman ... Les enfants doivent obéir à leurs parents,
pas vrai,l\1ademoiselle l\Iarcellè ... Vous faites aussi
beaucoup de peine à .... otre sœur, n'est-ce pas, mademoi, clle Marcelle, quc Mademoiselle chérie vous fait
de la peine en ce moment.
- Beaucoup, balbutia Marcelle, ses yeux courageux arrt:tés sur ceux de Pauline, comme cherchant
un soutien.
Geneviève leva brusquement la tête, contempla
un moment sa sœur, puis, sans résister davantage,
laissa Pauline s'emparer d'elle, et insensiblement
le bavardage de la vieille femme de chambre apaisa
la fillette; Marcelle, de &on côté, "habillait, puis
voulut attacher clk -même les rubans de cheveux
de Geneviève; elle noua avec art les belles mèches
blondes qui raY0nnaient comme une lumineuse
auréole autour du charmant visage, et oll le rose
très doux de la soie faisait une tache harmonieuse;
les deux petites, dans leurs robes dl! soie Liberty
blanche, formaient le plus gracieux des tableaux,
que la diversité même de leur type rehaussait;
ks yeux de Geneviève étaient pour l'heure presque noirs, tant l'émotion dilatait sa pupille; de
temps en temps, elle se mordait la lèvre inférieure
et crispait un peu sa main; mais avec une abondance extraordmaire, Pauline continuait à dérouler
Je- chapelet interminablec\e ~es
paroles, parlant de
sa maltresse dHunte, de ceci, de cela, étourdissant
presque la petite fille, qui semblait désireuse de dire
quelque chose à Marcelle, ce qu'il fallait, au jugement de la vieille femme, éviter â tout prix.
Genevil:ve, d'un air méfiant ct étrangement r0solu,
regardait la porte, et dans son for intérieur 0voluait
une âpre volonté de r0sistance? Mais la porte s'ouvrit et Prémery enlra: il élait babillé en tenue du
soir, portait un smokinq, ct sun air d'élégance et dc
raffinement ajoutait à l'agrément rtaturel dt.! a personne. Genevil:vè fut comme saisit.!: " Oh 1 comme
papa ~tai
beau! • Il souriait d'un sourire tendre,
el ses yeux, uh peu anxieux et tri:s doux, inlerropca;' le visaac de ~cs
filll!s ... L'exp! '~sion
dc cl:lJi
de Genevi1:vc ~ubit
une tranbt"onnatlon ... Elle fit,
tout en tremblant un peu, la seule cbose possible,
mettant dans la main OllYerte que son père lui tendait sa petite main, alls"i fine qU'Ulll! patte J'oi"cau 1 Un sourire radicllx la remercia; Pr6merv,
cumme soulagé J'une anxieuse appréhension,
cxu-
�36
LA BRANCHE DE ROM ART ~
mina alurs à loisir les deux enfants, ct dit à Pauline
d'une voix orgueilleuse:
- Croyez-vous qu'on puisse trou 'er mieux, Pauline '?
- Non, Monsieur ... pas possible!
Pr6mery eut un rire heureux.
- C'e.:st bien mon avis, allons, les gosses, marchons ... - et, avec un effort pour parler naturelll!ment, ajouta: - Jacqueline nous atrend.
VIII
Avec ses filles, d'une façon occulte, Valérie était
entrée dans la maison de son mari, ou du moins
de celui qui l'~\"ait
été. Prémery en eut subitement
la sensallon Intense et pénible: : l'imagl! qu'il eùl
volontiers cha:;,séc, se précisait impitoyaule.:ment à
ses yeux, elle marchait devant lui; il éprouvait la
sensation phYSique d'étn: fr6lé par la femme jadis
aimée, et qui depuis plusieurs années avait, du moins
il le croyait, cessé d'exister pour lui; ellc était là;
on parfum préféré émanait des effets des petites
filles, qui, en plus, reproduisaient inconsciemment
les gestes, les intonatiuns, ks expressions même
de leur mère. Prémery en fut profonuément troubl '.
Quelque:> mUIS, une année même ne sont rien pour
1<.:s êtres ayant atteint leur.apogée; mais ces douze
mois écoulés depuis les dernièn's vacances, pendant lesquelles le père avait vécu en compagnie de
ses filles, constituaient pour celles-ci presque un
chang.:ment tle per:>onnalité; par moment le p:':l'e.:
:lIait" comme.: une brùlure soudaine, le s"ntiment dt!
ue pa" les connaltre 1... 11 'entait chez l'une comme
chez l'autre, des r~ef\'s
:.le penst:!es qui lui restaient enti:':rement cachées. Les voir aux Etais lui
étrange ct doux; mais surtout étranf~e;
parai ~ait
évidemment elles n'y élaient pas à leur place ...
Il avait semblé à l'homme optimiste que le" enfants,
l'aimant, s'entendraient heureu 'cment avec ,Jàcqueline, que la clin naissance ct la familiarité seral(:nt
rapiu(:ll1ent dablies, et vllici que d:': . cette premièn:
heure,. ks .;onuuisant lui-m
~mc
'1..:e.: .l\Ue sa pen éc
c l'lai uit à appder la table tam\llUle, le i>~re
él'rUllvait ~Crl:kmcnt
une orte de répugnance.
L'autre, la mère ab cnte, le bantait C(lJnme n funt. ml.:: fantôme extranr lil1.lircI1II.nt vivant, nu t.dant
Pourquoi avait-il eu la falll<! ic,l":c d'alnenar
li1t:~
�LA BRANCHE DE ROMARIN
3i
aux Etais? Un épisode récent s'imposa à la penséè
de Pr~mey
; dans le vit.Ux batimi.!nt où on effectuait des rél aration , un coup de pioche avaitlibGré,
dans un mur, un nid de fourmi~
ailées qui y étaient
cachées; <:Iles s'étaient soudain répandues partout
et, avant cc coup de pioche, on ignorait leur existence; un peu de platre s'effritait parfois, mais
le dommage ex.t~riu
était insignifiant, le nid aurait
pu être ignoré vin~t
ans encore .. , La venue de GeneviGve et de Marcelle apissait d'une façon identique
sur les souvenirs assoupis dans le cœur de Prémery; ils revenaient comme un essain bourdon nant, l'assaillant. Arrivé au premier palier de l'escalier et apercevant les ilhouettes de ses fîllles el
la sienne dans le haut miroir au-dessus de la chemtnGc qui y fai"ait face, il revit dans un éclair la
silhouette waye et tendre de ValCric, descendant
vers lui, l'époux de la v~ ille, un certain matin de
printemps, treize ans auparavant. Il e secoua, parla
tout haut afin de reprendre le sens de la réalité.
Jacqueline, étendue dans un faulcuil profond, à côté
du foyer rempli de fleurs, leva sa jolie tète rutilante,
tendant ses beaux bras blanc vers ceux qui approchaient, et d'une voix cares ante cria palment:
- Dieu 1 que vous êtes gentils tous les trois 1
Le père sourit, les fillettes demeurcrent impénét rables; Aime de Pr('mery possédait la plus indomptable confiance en son pouvoir de séduction et était
bien déci~e
à conqu~ri
deux petite bonc~
femmes, qui ne pomaient .:!trc de taille à résister
à ses a\ances; letlr froideur l'avait un reu surprise,
mais elle jugea sage ue ne pas avoir l'air de s'en être
aperçu, méme vi!;-à-vis cio.: son mari ... Bientôt elle allait
à son tour le rendre pLre, Cl se sentail assurée que
le fils, car cc dl 'ait êlre un fils qu'elle donnerait à
Prémery, remplirait tou lc~
vides que pouvaient lui
faire épi'ouver l'absence de sc' fiJle~,
Car Jacqueline
:-;'avouait à ellc-mêmc qu'elle' étaient charmantes;
Gl nevi;;vc ressemblait à Pr-:mery, ct, pour cette raison , elle l'eCtl facilement aim':e; son indifTtércncc à
l'égaru de l'enfant né de scs <.:ntraillcs était en par.
tie cau éc par la frappante ft! tiembJancc ue la petite
fille ù on l':'re; .rncl}ut:line avait déddé que la <:imi.
Etude de moral devait pmbablemcnt s'affirmer égale,
et que l'enfant s 'rail en conséqucoce parfaitement
cnnuy u e; c'était llnt: vraie Saint-C~rs,
el toute
cette "famille é ail a ~()manle;
tandis qu'une 1'1'('\l1cry portait cn ;,oi toute les rai ons du monde
our être d 'licieu 'C.
- Conduis Gcnevj.::vc, moi je conduis Mar.:cllc,
�38
LA BRANCHE DE ROMARIN
avait déclaré Mme de Prémery, dl!s que le diner
fut annoncé, et, joignant l'action à la parole, elle:
passa gentiment le bras de Marcelle sous le sien, et
ainsi unies d'apparence elles se dirigèrent vers la
salle à manger.
Genevii;ve, silencieuse, se cramponnait à son père;
celui-ci, sane; explication ()fale, mais ayant jeté un
coup d'œil amical et interrogateur à sa femme, rapprocha de son assiette le couyert de l'enfant, dont la
chaise, ur un signe, fut également avancée i la petite
fille s'assit tout contre on pi:re, qui à deux ou
trois reprises lui posa la main sur la tête comme
pour l'encourager. ..
Marcelle, docile et courtoise, ré:pondait d'une voix
assourdie aux questions affectueuses de Mme de.
Prémery, qui était décidée à ne pas laisser s'établir'
un silence gênant i tantôt s'adressant à la fillette,
tantôt à son mari, elle forçait l'entretien à rebondir,
racontant tout ce qU'elle avait fait depuis huit jour«,
et fréquemment soulignant ses anodines anecdote"
de rires prolongés.
Jacqueline de Prémery se piquait d'être rieuse,
comme elle l'exprimait en grasseyant j elle connaissait parfaitement l'emprise de la galté sur les hommes, combien ils en sont avides , et, voulant plaire,
elle avait pris l'habitude de s''';gayer de beaucoup
de choses usez indifTérentl.:s i en général, Prémery
la suivait toujours. renforçant les plaisanteries d'un
rire magnifique. Ce soir de retour, elle ne put provoquer un seul éclat jO}'CUX i la petite figure si
grave, !lUX yeux insondables, a~si5e
à côté de Prémery. semblait défendre le rire. Deux ou trois fois
les grands cils courbes s'étaient relevt!s, et un brt!!
éclair de regard était tombé sur Jacqueline ... D'ailleurs, la petite fille ne mangeait pas; mais hab~lemnt
Mme de Prémery nc parut pas s'en apercevoIr; tout
bas, Prémery souftlait des encouragements à Geneviève, qui se contentait de secouer la tête. Marcelle,
trop bien élev6e pour résister, avalait avec un peu
de peine, mais enfin y parvenait; au bout d'un petit
quart d'heure, la pii.:ce où elle se troUl'ait lui était
redevenue qua!;i familii.:rei cil<: rel!ardait avec une
curiosité émue, tantôt un meuble, tantôt un
autre dont elle se souvenait; un ~rand
tableau de
chasc;e ri"ait ses yeuA. il repl~sntai
un " rendez~'ous
,. aux Etais, chaque 1 er,;onnage était un portrait, et, emmitounée dan!; une fourrure, l'e rHa nt
devina la représentation de sa mÎ!n: ... Elle souhaita
beaucoup que Genevil:vc ne ~'/n
aperçut ra!;;
du reste Gr'llc\ii.:\'e tournait le dos nu tahleau. 1
�LA BRANCHE DE ROMARIN
39
d.; plus ne regardait que le fond de son assiette.
On dlnait rapidement aux Etais par principe; malc.:rü la bri\:veté du repas, il parut long aux quatre
personnes qui y prenaient part.
Mais enfin on se leya!
Le mouvement subit frappa Geneviève comme un
choc, et à l'instant où son pl:rC reculait sa chaise,
elle se jeta sur 1ui et éclata en sanglots; tout pale,
Il la souleva dans ses bras.
- Elle est surmenée, dit-il d'une voix qui se dominait, et s'adrt.!ssant à sa femme: tu nous excuseras, ch<:re amie, je vais la porter jusqu'à sa chambre.
- Mais comment donc, paune chatte, elle a eu
une longue journée.
Le son de celte voix féminine qui se faisait compatissante parut e>..aspérer Geneviève, qui, un peu
apaisée, pleura plus Jort; Marcelle, toute tendre et
alarmée, s'était approchée et caressait la main de sa
sœur.
Mme de Prémery s'approcha aussi, la petite en
eut l'instinct ct, frénétiquement, elle s'attacha à son
p(:re .
\
- Bonsoir tout de même, petite chérie, - dit
Jacqueline, et SI. penchant vers Marcelle, et l'embrassant: - Bon~ir,
mignonne, à demain, dor~
bien.
- Bonsoir, madame, murmura la voix timide.
IX
Mademoiselle Geneviève e!';t malade.
Ce fut la VOIX de Pauline, qui d\.'s.sept heures, le
lendemain, yint avec cc mes'iage réveiller Prémerv.
tL avait entendu le heurt di<;cret.à la porte, s'était
levé instantanément, et maintenant, sans ouvrir, de~
mandait la raison de l'appel.
- l\lJ lade ! Gcnevii;vc 1
- Oui, mon 'ieur, elle il mal au cœur.
- Je viens immédiatement; retournez pr~
de
ma fille, P(luline .
.Jacqueline, dans le grand lit, ~'tira
et s'informa.
- Veux-tu cie moi, mon Charles? dem;:Jnda-l-clle .
'on, chérie, non; la petite est un peu capri.Clcut;e.
- Elle C'il surillulun peu jalouse, je croi'.
- C:'e~t
pns ihl('.
(Jn sourire de t-méraire clll1lianc,: sc rlessin,li ~\l'
S lè\TCS du ln jeune femme, elle rcgarJi1 amourC\I-
�40
LA BRll.NCHE DE ROMARIN
sement son mari, mais il avait délourn0 la tête, et se
diriocait l'ers la porte .
.:: Si je puis être utile, fais-moi appeler, chéri;
demande des citrons, du jus de citron lui sera salutaire.
-Merci de l'Idée, j'en profiterai.
Cinq minutes ne s'étaient pas écoulées entre l'instant où Pauline avait frappé à la porte, et celui où
Prémery fit- son entrée dans la chambre des enfan ts;
on avait entr'ouvert la fenêtre ct le jour d'été tombait largement sur le petit lit blanc; Genev 've, plus
blanche que ses draps, appuyait sa tête ur 1'6paule
de Marcelle et pleurait de grosses larme ; Pauline
frottait alternatIvement le petit front moite, et les
mains molles, avec de l''eau de Cologne.
- Qu'as-tu, mon ange, demanda le pi:!re en s'emparant presque violemment de la petite; qu'a donc
ta sœur, i\larcelle?
- Mal au cœur, papa; elle a do.':jà l'omi deux fois.
Une véritable terreur poigna Prêmery. Genevii.:ve
. malade sans sa mi:!re; qu'allait-on dCI'enir? L'enfant
avait toujours été singulii:!rement fragile, nerveuse,
ct plus d'une fois, leur avait causé de chaudes alarmes. De cœur ardent et dévoué, courageux en face
du péril, Prémery était lâche devant la maladie qui
atteignait ceux qu'il aimait.
- Dis-moi que tu te sens micux, supplia-t-il,
s'adressant à Genevii;ve, et du geste le plus tendre,
lui essuyant les yeux. .
- Tu es contl:nte, ma1l1tenant que papa cc.t là ?
demanda Marcelle.
OUI ... oui ...
- Est-Ct: qu'ellc me désirait?
- Depuis six heures, papa, elle veut que Pauline
aille t'appeler.
- 1\1on Dieu, Pauline, pourquoi n'êtes-vous pas
l'enue plus tôt?
.
- J'ai crail1t dl.! dCranger Mon~ieur.
- Jamais! là, je ne te quille pas, mon tré~ol
et
Prémery s'assit près du petit Ilt, 11 était vêtu d'un
pyjama mauve dont Genevièvc, d6jà presque joyeuse,
car:s~it
le tis.su so::eux. j\laint~
que SOI1 p,"rc
"::talt a son COle, l'cnfant reprenait un l't.!u de calme;
PrGmt.:ry sc lit donner les détails du malaise de sa
fille, dit.: a\'ait mal df)rmi, rl:vant tout haut, ct un peu
après cinq heures, appelé Marcelle, et prc~qu
aussitot avait vomi.
doute qui lui a fait
- C'c,>1 It; chemin de fer san~
mal, Jit PrémerYI pour Cie rassure\,
- Peut-être bien, acquiesça vaguclTIl,.nt Pauline.
�LA BRANC HE DE ROMAR IN
41
Betty, à tort ou à raison, avait des idées précise s
sur la cause, et des notions sur le traitem ent de
n'impor te quel malaise des enfants : son assuran ce
rendait sa pr~senc
un appui. Pauline , au contrai re,
\;n bonnd de nuit et robe cie chambr e de coton nade
foncée, paris~t
confuse et déprimé e, la maladie
1'0pouv antait toujour s.
- Toutes les maladie s étaient possibl es avec des
enfants de cet âge 1 Monsie ur fera bien, dit-elle d'une
voix plaintiv e, de faire avertir le docteur Labat, il
connalt ces demois elles depuis leur naissan ce.
C'est juste, Je vais aller donner des ordres.
- Papa, papa, ne t'en va pas, implora Genevi he.
- Cinq minutes seulem ent.
- Laissez votre papa, madem oiselle mignon ne,
aller donner des ordres.
- Papa te dit qu'il revient de suite, plaida tendremen t ~larce.
La frêle main crispée sur la main paterne lle se
dét endit, pui s'agripp a à celle de M.arcel le; un soupir doulour eux souleva la petite poitrine oppress ee,
..:t les lèvre trembla ntes murmu ri;rent: " Maman ! "
La pauvre Marcell e, à bout de courage , e mit à
pleurer .
Pauline eut une difficul té extraor d inaire à ne pas
en faire autant.
L'absen ce de Prémer y dura un bon quart d'heure
qui parut intermi nable; il avait fallu. en dehors des
instruct ions qui devaien t rapidem ent amener le docteur aux Etais, aller rassure r Jacque line; appuyé e
sur ses beaux oreiller s, elle trouvait tout cela déjà
un peu ennuye ux; cepend ant, fidèle à son syst.me
de sc rendre toujour s agréabl e, elle témoign a la plu~
vive sympat hie, ct, câfinem ent, rassura son mari.
Prémer yavait absolum ent besoin qu'on lui affirml!
que ce ne serait rien.
- UnI! fausse digestio n, rien de plus; tu me ~Ii
que vous avez mangi.! dans le train; ce n'est pas
!l ysién.ique du tout l. .. ~i je P?uvais gou\'cr~e
cette
jolie bichette , clic serait guéne ce sOir; mais Je l'effarouch e encore un peu, c'est naturel. .. Va, retourn e
aupri:s ùe ta fille ... je ne suis pas égolste, moi.
- Tu es adorabl e ...
- Tu m'ador es?
- Tu le __ ais.
- C'est bon; embras se ta femme!
Les époux échang1:rcnt un lon~
et ardent baiser.
.\insi ri.!conforté, Pr6mer y alla reprend re son poste
de (larde-m alade.
Comme le soleil matinal dardait en plein dans la
�42
LA BRANCHE DE ROMARIN
chambre, les stores verts avaient été baissés.
Prémery se flatta que Genevii;ve paraissait dtijà
mieux.
- Ce ne sera rien, ma chérie, lui dit-il d'une
façon afûrmative, une fausse digestion.
Deux heures passèrent lourdement, la petite avait
vomi encore une fois.
L'arrivée du docteur fut un soulagement immense
pour Prémery. Le docteur Labat, jeune encore, gros
et jovial, se porta rapidement vt;!rs Je petit lit.
- Content de revoir ma petite amie, dit-il cordialement, je parie qu'elle m'a oublié.
- Oui.
- Nuus allons refaire connaissance . D'abord, racontez-moi ce qui s'est passé.
Pauline prit la parole et fit un rt~ci
précis et confus à la fois; Prémery expliqua les accidents du
matin. Le docteur, attentif, dévisageait Geneviève, lui
tuurnant le visag..: en pleine lumiè!rl.!; enfin il demanda:
- Est-ce que cette petite personne a eu une
frayeur quelconque, ces jours-ci?
- Oh 1 non, répondit vivement Prémery, aucune.
- Une émotion un peu forte peut-être?
Le p\:re, sans parler, répondit d'un mouvement
de tête affirmatif.
- Eh bien, comme nous a'vons affaire à une vraie
sensitive, la petite demoiselle que voilà S't;!st donné
une légère jaunisse ... l\ITaire de quelques jours, nous
aJlons la mettre au régIme des carottes, et suppriml:r
toutes les émotions, moyennant quoi nous la guérirons rapidement, et, tapotant aflectueusement la main
de Genevii.:ve, le "ieil ami Labat rl.!\iendra demain,
conclut-il.
Ce diagnostic, très rassurant en somme, fit sur
Prémery l'cfTct d'un coup de foudre ... Que fairt!,
wand Dieu r comment agir? ... cacher la vérité a Valérie, quelle responsabilité! la lui dire, quel embarras! Un bref entretien conficlentid avec le docteui
Labat, tout en le reconduisant, convainq uit pleinement Pr6mery de l'urgence d'épargner tout bouleversement, même le plus léger, à l'enfant malade.
Certes Jacqueline était la bonté, l'indulgence
même; mais J'exclure de la chambre cie Genevii:\'c
semblait un alTront presque impossible. Dans son
extrême embarras, Prémery demanda au docteur
Labat de présenter lui-mëme, avec son autorité professionnelle, le cas singulier à Mme de Prémery;
au point de vue ordonnance, l'abstention prendrait
un autre aspect. Et lui qui s'était promis tant de joie
�LA BRANCHE DE ROMARIN
'1-3
d~
cetle première journée aux Etais avec ses filles 1
Tous ses plans se voyaient bouleversés irrémédiablement, car, convalescente, Geneviève continuerait
à avoir besoin des plus grands ménagements. Comment Jacqueline, si aimable, si accueillante, n'avaitelle pas eu raison de l'éloignement instinctif, qui
évidemment séparait Genvi,'~
de la femme de son
pi.:re 1 On aurait pu. av~c
un peu de bonne volonté,
passer des journées si heureuses, maintenant tout
était gaté ... La maladie de Betty prenait dans les circonstances nouvelles 1a forme! d'une catastrophe.
Pauline, excellente et dévouée, était manifestement
au-dessous de sa tâche. En vérité, c'est Valérie qui
~tai
nécessaire au chevet de Geneviève! Valérie si
extraordinairement maltresse d'elle·méme; qui ne
pel' lait jamais la tête, et qui se dressait comme un
rempart entre ses enfants et la maladie ...
·Prémery était désolé, nalvement désolé de ne pouvoir l'appeler ... Mais il s'avouait que le monde était
d'esprit si étroit .. et sans doute Valérie refuserait
de venir.
Il fallait donc aviser autrement, si difficile que ce
f~t;
Prémery pensa alors à sa sœur Louise; elle
aimait les enfants, était très attachée à Valérie, et
de plus la "alait presque auprès des malades' Il
Pouvait l'appeler, lui téléphoner ... mais viendraitelle ? .. . Elle avait d0jà deux fois, sous des prétextes
assez futiles, décliné l'invitation de passer quelques
Jours aux Etais. Son frère savait parfaitement pour(Iuoi ... Peut-être, cependant, dans un cas aussi exceptIOnnel, consentirait-elle il faire taire ses extravagants scrupules. Il essaierait. Car, enfin, il ne pouvait
décemment demander à Jacqueline de s'éloigner.
Elle qui avait tout prévu pour fêter joyeusement lu
venue des filles de son mari dans la maison Je
leur père!
- Cette dame ne viendra pas? avait demand':
Geneviève <.l'un air apeuré à Pauline pendant une
courte absence de Prémery, et en ayant reçu l'assurance, se tut, se laissa aller à sa fatigue et s'assoupit.
Quelques moments aprl;s, Prémery entra, marchant ICgl;rement; il fit signe à M.ar~el,
qu'il venait
appeler pour le déjeuner; quand Ils se trouvi.:rent
hors de la chambl·e, il lui dit, prenant soin néanmoins de parler fort bas:
- Descends d":jcuner, ma chérie, j~ reste ici dan~
le cas où Genevil;ve ~c
réveillerait... Jacquelinu
1':1ltenù en bas; - ct, avec une émotion sincèr(', il
aJouta: - Tu seras gentille, ma fille chérie, ton pau"
\'1'0.: papa est ùl'jà a~ez
malheureux t.:t: matin!
�44
LA BRANCHE DE ROMARIN
La petite leva vers lui des yeux humides ut! larmes, mais dont la douct:ur pénétrante était un
acquiesceml!nt ct une promesse.
- Tu es raisonnable, ma Marcelle chérie, tu e!1
raisonnable, je te remercie; plus tard, je causerai
avec toi, je te traiterai comme ma petite amie, - et.
presque im'otontairement, - il ajouta; Il me semble
que je parle à ta m(:re 1
Tendrement, il accompagna sa fille jusqu'à la porte
tambour derri(:re laquelle elle disparut; l'écho d'un
éclat de rire troubla un instant le silence. Prémerv,
le front soucieux, retourna dans la chambre de
petite malade ...
Ah 1 ce n'étaient pas les belles vacances, qU'ils
avaient tous trois chantées si gaiement sur le bateau
du lac ... Genevii:ve, endormie, respirant faiblement,
avait un air si fragile qu'il parut au pi:re qui la contemplait qU'un soume pouvait ta faire disparaltre ; il
frémit, ni le docteur Labat, ni sa sœur Louise, ne
pouvaient vraiment disputer l'enfant à la maladie. Il
se dit avec angoisse que jamais il n'aurait dù l'daigner de sa mi.:re, jamais surtoUt l'amener dans une
maison où sa mère ne pouvait venir! Pun6tr~
cie
compassion pOlir lui-même, Pr~mcl'y
eut lu bcnsutian accablante d'avoir compliqu6 sa vic d'une façon
irrémMiable 1
Ln présence des deux enfants, comme un vent violent soulf1ant sur lin foyer mal éteint, avait donné
une vitalité nom'elle à la flammù d' tendresse pater·
nello qui brûlait pour dies dans sort cœur; il Atmtait avec rassion qu'c!les lui étaient n~ce98airs!
Marcelle, dans sa tiagcsse innocente, lui paraissait
lIn appui, ct il avait déliciew;ement conscience de
la tendresse admirative qu'il leur inspirait .... Il
s'imagina un in!;tant le passé aboli, Val~rie
entranl
là, par cette porte qu'elle avait franchie si soùvent
jadis, et le regardant de ses beaux yeux d'onyx, il
d~sira
véhémentement sa pr~senc
... Il ferma uh
instant les yeuxpour l'évoquer: il ctut l'entendre lui
faisant de~
reproches de ne pm, l'avoir appelée auprè'
de sa fille... Que lui répondait-in il comprit avec
amertume que la chimère de voir Marcelle ct Gen~
viève heureuses 'ou!> un toit où ré~nait
ceUe qui en
somme avait 1 ris la part de leur ml:l"C 6tail irréalisable; ct chose certes (Iu'il n'avait aucunement prévue, il comprit que lUI-même ne pOllvait ôtre heureux de les y voir 1
A l'instant où elles avaient franchi le seuil, où
Jacqueline leur avait ouvert les bru • une révolution
soudaine s'était faite dans l'âme de Prémf.!ry; il uu-
sa
�LA BRANCHE DE ROMARIN
45
rait voulu avoir Je courage de dire: • Je me suis
trompé, nous repartons 1 »
El pourtant, sa belle Jacqueline, si amoureuse et
tendre, lui était précieuse; mais, pour jouir de cet
amour, de cette tendresse, il ne fallait pas que ses
filles en fussent témoins. Que tout cela était embrouillé, douloureux, qu'adviendrait-il? Jacqueline,
qui, elle, lui avait sacrifié sa fille, . ne pourrait le
comprendre ... alors?
x
Valérie, en tremblant de joie et de peine, lit les
l-'remières lettres de ses filles; ces lettres, petites
messagères toutes palpitantes de vie, lui font l'effet
d'une caresse; elle lit, c'est Geneviève, de son écriture encore inégale, qui a tracé ces mots dont chacun pénètre dans le cœur de la mère 1
« Mère chérie, mère adorée, merci, merci de ta
lettre si tendre, si bonne; oh 1 je t'assure bien, maman, que ta figure, ton regard, ton sourire, tes bai"
sers manquent à mon bonheur. Ah 1 je voudrais bien
être ce petit oiseau pour venir t'embrasser autant
que j'en ai envie; mOl aussi, je ne te quitte pas de W!
pensée j en ce moment, ton portrait me sourit, je
voudrais bien que ça soit toi, mais j'espère que bientôt nous pourrons nous embrasser, pas sur le papier, mais nos lèvres collées l'une contre l'autre.
.
.
. .
.
....
...............
.
Je m'amuse bien, mais je m'amuserais mieux si
tu étais là 1 »
Et Marcelle, si tendrement rassurante, si exacte à
narrer tous les détails du voyage, la belle traversée
sur le lac, la venue de Pauline, toutes les merveilles
intéressantes de Genève, et les gâteries de papa;
te « papa D fantôme inquiétant pour la mère, réalité
bienfaisante pour les enfants! Les petites sont heureuses, quelque chose de mystérieux, d'insaisissable
le révèle clairement à la mère, elle le veut, elle le
désire et cependant elle pleure 1
La solitude l'enveloppe; depuis le départ des fillettes, la susceptibilité un peu morbide et toujours
en éveil de Valérie sent flotter autour d'elle une
curiosité, non pas hostile, mais presque compatissante; les quelques personnes avec qui, à la sortie
du repas, elle échange des saluts, font leur inclination de tête plus gracieuse; les femmes ralentissent
c
�46
LA BRANCHE DE ROMARIN
le pas, comme s'attendant à être arrêtées... sou·
rient ... et Valérie passe ... elle oufTre de la solitude,
et elle en est jalouse; elle ne veut pas qu'on lui pJrle
de ses filles ... leur départ l'humilie, la blesse dans
l'intime fierté de son être, elle sent, comme une blessure ouverte, le fait d'être une" femme divorcée»;
celle qui, si irréprochable qu'elle puisse être, inspire
une pitié un peu méprisante; celle qui, ayant posséde
légalement un homme à elle, son protecteur, son
défenseur, demeure, quand elle en est privée, plus
ou moins faible, plus ou moins désarmée devant les
hasards de la vie; celle en présence de qui la femme
en plein~
jouis an~e
de la {lrotection f!1~rit.ale,
~p.rou
vera touJours une IlnpresslOn de SUpCflOflté, SI lOfé·
rieure que soit la qualité de l'époux qui la lui confère.
L'ordre n'a pas été rompu.
Dans le clos abri de son chez elle, à Paris, entourée d'un petit cercle intime, à qui tous les détails de
sa vie sont connu , Valérie est souvent triste, mais
rarement agitée j ses filles sont tellement siennes;
du moins elle le croit, car depuis trois jours cette
conviction qui a été sa torce et son rempart semble crouler dans son cœur 1 Marct:lIe et Genevièyc
. ont à elle, assurément 1 mais, non moins assurément, elles sont à leur père, il a 1'.) pouvoir, il a le droit
de les mener où il veut, de les conduire à son foyer,
~
où une autre femme porte le nom qui a été celui
de leur mère, possède lous les attributs auxquel,
elle a renoncé 1
Qu'allaient éprouver les petites, mises en présence
de la femme de leur père? car un mot re:ipectueux
d~
Pauline ne laissait subsister aucun doute quant
â la destination immédiate j on partait pour les Etais,
~ où ces demoiselles, sont, parait-il, attendues », ct
en matière de consùlation la vieille femme de chambre assurait Madame qu'elle « ferait son possible
pour que ces pauvres chéries ne soient pas trop
contrariées, ~ ct sur la méme ligne ajoutait combien
elles étaient ravies de revoir leur cher papa qui les
aime tant. Dans l'oppression de son cœur, Valérie
ne réSiste pas, si peu portée qu'elle soit aux conJ,dences, à dire quelque chose de celte lettre à Betty;
celle-ci est convaincue que, privées de ses soins, les
enfants seront très mal dirigées. Leur papa ne peut
pas savoir, ct Pauline est une personne qui n'entend
rien au l,on gouvernement d'u!1e nursel)'. Betty, en
conséquence, pousse des soupirs désoles, et semble
prévoir toutes sortes de catastrophes. A la fin, émue
du visage si triste de sa mallresse, clle 0 'e murmurer:
�LA BRANCHE DE ROMARIN
47
..- Oh 1 dear Madam, quel malheur, quelle pitié
que les choses soient comme cela 1
- Oui, dit gravement" Madam ", oui, Betty, vous
avez raison, c'est une terrible pitié ...
- Prenez courage, dear Madam; ce n'est que
quatre semaines â passer.
- Non, Betty, non, c'est toute la vie 1
Oui, la mère le comprend, c'est toute la vie,
d<':sormais hérissée de complications, d'apréhen~
slons; qu'étaient les cabots d'antan? rien (
Cependant, il faut vivre, il faut faire bonne contenu ~ce;
Val~ric
a tnujl?urs éproyvé une extraordinaire répugnance à laisser devi ner sa souffrance;
Bell\', qui la connait, lui donne l'humble conseil de
sortir, de marcher, l'assurant qUl; le mOll\·ement lui
sera sal'utaire, et le bon sens de Val~rie
acquiesce
à cc con seiL
- Oui, je vais aller prendre un peu d'air.
- Et sans doute, « Madam, » vous rencontrerez
la petite miss Jane qui vous aime tant.
Valérie sourit et passa dans sa chambre, elle est
babillée d'une robe de percale il fond d'un bleu vif,
dont la nuance sied à son teint d'albâtre, elle coiffe
ses cheveux sombres d'une grande capeline blanche; clle se regarde, et éprouve une secrète joie â
être belle, elle y puise une sorte cie fOI'ce, ~n
visage
est un peu froid comme toujours, mais rien n'y
dédie la douleur secrl:te. Dans son long réticule de
soie, ell e glisse les lettres de ses filles,
livre; et,
tout à l'heure, là·haut, dans quelque coin abrité, elle
pnurra s'asseoir, rêver et se reprendre.
Il est trois heures, le babillage post-déjeuner eRt
terminé, les uns sont dans leur' chambre, les autre~
à la promenade, tout est tranquille.
La jeune femme s'engage dans l'allée profonde où
la ronde s'est débandée le dernier soir; elle va entre
les talus cie gazon, toujours montant â l'ombre des
noyers épandus; le parfait équilibre de son être
la fait jouir de la sensation délicieuse de la saison,
du lieu, de l'heure; d'anciens souvenirs l'assaillent ...
Elle sc rappelle des promenades, des heures où l'es~
pérance et la paix accompagnaient ses pas, ct maintenant â jamal S sa jeuJ1(!sse est vouée à l'isolement 1
Pourquoi a-l-clle revu l'hoJ11me qui l'a abandonnée?
pourquoi est-il vcnu troubler le repos dont elle se
nattait de jouir? L'allée toufÎue est calme, d';serte
Ilul n'épie la promeneuse; ello reprend ses lettres'
met à les lire pour cbass!.!r l'iJ?age défendue qui
~ filTre à clic; ct, tout au contraire, cette lecture la
pr,jcis(!, lui dOl ne une force, une attraction nou-
un
s;
�<jE
LA BRANCHE DE ROMARIN
velle. Oui, toutes les lettres qui viendront désormais
seront pleines de ce père retrouvé avec tant de joie
par les petits cœurs fidèles.
Miséricordieusement, à cet instant de défaillance.
une pensée, la brûlant au passage comme un fer
rouge, traverse l'esprit de Valérie. « Il ne m'aimait
pa~:
» et elle est mtlle fois trop fière, non seulement
pour aimer, mais même pour regretter celui qui l'a
dédaignée. Elle relève la tête, tend sa volonté ct marche d'un pas égal, tout en tenant les yeux baissds.
Soudain, deux petits bras enserrant ses jambes la
font sursauter et s'arrêter; une gentille fillette, le nez
levé, l'enlace avec tendresse, et dit de sa voix claire:
- Bonjour, madame, ct 1 uis, annonçant: c'est
papal
.
Un homme s'approchait, que Valérie n'avait jamais vu; souriant dans un visage grave, il se d6couvre, s'incline et dit respectueusement :
- J'ai en vain d~fenu
à Jeannette de vous importuner, madame, je n'ai pu la retenir; ma mère
m'a raconté votre bont~
pour notre fillette, permettez-moi de vous en remercier.
Valérie caressa la petite tête blonde qui se presse
contre elle, et tend amicalement sa main au nouveau venu.
- Mme Faucheux ne vous attendait pas aussitôt,
je crois, monsieur?
- En efTet, madame, je l'ai surprise ce malin.
- Elle doit être bien heureuse, votre venue occupait toute sa pensée.
- C'est que nos séparations sont longues, les
marins ne sont pas des fils de tout repos.
Et, s'écartant respectueusement, le jeune homme
orend la main de la fillette tout en disant:
. - Jeannette, laisse madame continuer sa promenade .
- Au revoir, mignonne, nous nous reverrons plus
tard; au revoir, monsieur.
- Oh 1 madame, crie la petite en protestant, quand
chanterOlfs-nous la « Branche de romarin" ?
- UIl de ces jours, chérie.
- Voyons, voyons, Jeannette, el d'un mouvement
un peu brusque, le p1:re fail virer l'enfant.
Valérie l'entend qui insjstait, plaidait, expliquait;
mais le pas rapiLle qu'avait pris le jeune homme les
met hicntôt hors de portée; de son côté, elle continue à monter avec une certaine hate, sans bien
savoir pourquoi elle se hate.
Betty avait dit vrai, la petite Jeannette Faucheu:l:
":prouvait pour Mme Monpascal ulle véritable J~a-
�LA BRANCHE DE ROMARIN
+9
sion; celle-ci, un jour que l'enfant avait roulé très
maladroitement au bas d'un talus élevé, l'a\·ait ramassée, consolée, lavé sa bosse; la beauté de la
dame secourable avait saisi et ravi l'enfant... Dans
ses sanglots, car elle avait eu grand'peur, elle raconta,
la lèvre tremblante, répondant à la question:
Où est votre maman, chérie?
- Je n'ai pa de mamari ... pas de maman ... seulement une mémé.
La mémé fut découverte, assise aux abords de
l'hôtel, croyant sa petite-fille en süreté avec d'autres
plus grandes, qui, dans leur ardeur à cueillir des
fleurs sauvages, ne s'en étaient plus occupées. Elle
prodigua le s remerciements. C'était un~
lemme apporchant la soixantaine, au visage intellIgent, à l'allure
aimable et vive; elle gronda un peu fort la petitc
vagabonde, puis, comme celle-ci pleurait à chaudes
larmes, la consola ... Marcelle et Gencvi1:vc vinrent
opportunément à la rescousse, et sur l'heure une
grande amitié se cimenta. Jeannette n'avait que huit
ans, mais, 'luand elle ne faisait pas l'école buissonnière, était fort raisonnable ..Mme Faucheux, très
cordialement, se mit en frais pour Mme Monpascal,
dont la personne lui plut tout d'abord. Quant à
Mme Faucheux, on savait, au bout de cing minutes
d'entretien, qu'elle était veuve d'un magl trat qui
avait seni aux colonies; ellc détenait un stock inépui able d'histoires sur les colonies, et sur les faits
et geste5 un peu inquiétants de M. Faucheux. Son
fils unique, resté veuf à la naissance de Jeannette,
~tai
officier de marine; il possédait toutes les qualités qui peuvent satisfaire une mère. Elle voulait
absolument que Denis se remariat, il avait trentequatre ans, de l'avenir, c'était le moment. Elle parlait sans cesse de cet heureux événement 1
d'intimité superficielle s'établit entre
Une esp~c
~alérie
et Mme Faucheux, à qui il ét.ait assez diffiCIle de se dérober; sa petite-fille éta lt une compagnie tout adaptée pour Marcelle et Geneviève, et
!\1me Monf.ascal, peu bavarde, était de par ce fait pl"éclsément 'auditrice qui eonvenait à une personne
a.ussi loquace que la veu~·
du magi.strat colonial; l'attItude réservée de Valéfle charmait l\lme Faucheux
qui précisément toute sa vie avait ét.t: exubérante;
plUSieurs agréables promenades avalent été faites
en commun, Valérie se rendant compte qu'il yaurait
une sorte d'inutile injustice a condamner ses enfants, toutes deux extrêmement sociables comme
leur père, à la vie retirée qui aurait cu sa préférence.
11 ne fut donc pas possible à la jeune remnH~
�50
LA
B~NCHE
DE ROMARIN
J'échapper, apri.!s dlner, à une présentatior. plus cm
forme du nouvel arrivant. Mme Faucheux amena son
lils comme une proie.
- Ch~ro
madame, voici mon marin. Il me dit vous
avoir rencontrée, cet apr1:s-midi, vous promenant
toute seule, et moi qui vous cherchais partout 1MalS
le ne vous abandonne plus, allons, vener. dehors vous
a ~ sel)ir
avec nous. Denis sera J'avi de ca~lser
avec vous,
- ct, dans l'oreille de Mme .M onpascal, elle glissa:Vous lui plaisez beaucoup!
,
C'était vrai i mais Mme Faucheux voulait surtout
qLlI.l tout le monde trouve son fils charmant, et savait
qu'en ces occurrences il n'y avait rien de tel que de
prendre les devants.
Les dc.;ux femmes s'installèrent devant une petite
table, dont ~lme
Faucheux s'~tai
adjLlgé la propriété
particulii.!re; le café fut apporté; Mme Faucheux
appela son fils, qui tout en fumant taisait ~auter
et
marcher en mesure la petite Jeannette, dont on entendait la voix un peu essouftlée répt:ter; « Allons
l'oir si ... » et son p1.:re, la faisant pirouetter, termi,
nait « l'omelette est cuite », Le divertissement ces Ra,
et Denis Faucheux prit la chaise que sa mère lui
ipJiq liait à côté de leur amie.
- Allons, Denis, distrais Mme MonpascaJ avec
de belles histoires de voyage, - cl, plllS nantie
Je bonnes intentions; que de tuct, Mme Fauch, ll \.
<ljouta d'un ton sinc1:remen t aflectueux : - elle a
besoin d'être distraite cn ce moment.
L'offit:ier, qui d'ailleurs avait été déjà mis <lU courant de la situation, ne poursuivit pas le sujet.
- Les histoires d'un sauvage comme moi, répli w
qua-t-il, ne peuvent amuser personne.
Sa voio\. était chaude ct sas yeux g ris s'arrêtèrent
a\'ec une sorte de lourdeur sur le visage de Valérie:
presque involontairement celle.ci détou.rna un pelila
tête. Mme Faucheux in~sta.
- Mme Monpascal est d'une 'famille de marins,
elle a un oncle amiral.
- Son nom?
Valérie le nomma, ct ajouta 1
- Mon cousin germain Jelwn de Bégard est ens"igne sur la Vaillante.
.
Cette révt:lation los mil en payR Je conais~e.
l'enseigne Bégard était fort connu de Denis Faucheux.
- Ah 1 madame, il a Jû certainement me montrer
votre rortrait, car, di:s que je vous ai vue, votre
dsage m'a paru familit.!r; je ne comprenais pas, je
me rends compte maintenant. .re n1" souvien<, là-
�LA BRANCHE DE ROMARIN
~ 1
bas en Ch1l1e, Jehan nous parlait de sa belle cousine.
- C'est possible, Jehan et moi avons été élevés
Comme frl!re et sœur, je suis orpheline.
Denis Faucheux écoutait, recueilli, tout ramasso.:
en lui-même, ses sens n'existant que pour lui dOIlner contact par la vue, par l'oule, avec la crtlature
qui lui parlait ... La nuit était venue, cependant, même
dans l'ombre, Valérie eut conscience de l'extraordinaire intensité dl! regard posé sur elle; Mme Faucheux ûtait OCCUptC de .Jeannette; pendant un bref
instant fugitif, la solitude parut absolue, aux deux
ames qui mystérieusement s'appelaient et se répondaient ... Cela dura quelques secondes, mais qui sul:'
firent pour imprimer dans le cœur des deux créatures vivantes la certitude que le destin de l'un allait
rejaillir sur le destin de l'autre 1 Chez l'homme, la
lucidité fut parfaite, Denis Fauci1eux ne discuta pa~
une seconde avec lui-même. « C'e~t
le coup de foudre,» e dit-il avec ivres e, et il s'y abandonna avec
une sorte de joie farouche.
Chez la femme, au contraire, tout fut trouble et
~bscurité;
Valérie éprouva comme une défaillance
!nvolontaire et subite de ses forces; ses bras, ses
Jambes lui parurent changés en 'une subst.ance molle
dont elle n'avait plus le commanclement; son sana
circulait tout brûlant clans ses veines; elle avai't
baiSSé les yeux., une peur confuse l'empéchait de
les relever; la voix de Mme Faucheux, lui demandant si elle éprouvait quelque malaise, la réveilla
cie son engourdIssement.
- Oui, dit-elle faiblement, j'éprou\e une désagréable somn-olence, et vais aller me coucher.
- :::-;0 n, non, protesta Mme Faucheux; il est trè'
mauvais d'aller sc mettre au lit aprl!s le diner; marchez plutôt un peu avec Denis et Jeannette, mon fil
aclore déambuler, et ne reste assis là que par politesse, pas vrai, Denis?
. - Si madame Monpascal désire marcher unpeu,
Je suis à ses ordres; Viens, Jeannette.
Valérie se leva, et automatiquement se rangea à
côté du jeune homme, dont la main gauche, tenant serrc;es les deux mains de sa fille, enlevait ct
laissait rdomber la petite; à un moment donné,
l'enfant S( dégaf!,ea de l'étreinte qui la maintenait ct
courut en ava"nt: Alors, Denis Faucheux, sans changer d'attitude, dit cI'une voix basse et rapide:
.- Ma rnèl:e, je le ~ais,
vous a appris qu'elle voulait me n:arter; mais elle ne me connait pas je
n'épouserai jamais qu'une femme que je puisse ai~er
avec ma d-air, avec mon cœur, avec mon ame ... J'ai
�52
LA BRANCHE DE ROMARIN
été misérable dans ma courte union avec la meilleure, la plus inoffensive des créatures. Depuis des
années, j'attends celle qui doit remplir mon cœur,
à qui je me donnerai tout entier sans restriction ...
Je suis fou de vous dire ceci, madame, mais il a
fallu CJue je vous le dise ...
Il n'avait pas été interrompu, une voix angoiss.5e
murmura seulement:
- Voici Jeannette!
L'enfant revenait en courant, et se jeta dans les
bras paternels qui l'élevèrent très haut.
- Tu es tout blanc, papa, dit nalvement la petite.
XI
Une semaine avait passé aux Etais, et Prémery
aucune des résolutions diverses qui d'abord
lui étaient apparues si faciles. A la première insinuation d'inviter sa sœur Louise, Jacqueline opposa
afTectueusement llne négative décidée; elle avait
d'ailleurs son projet' à elle, et comptait le mener à
bonne fin. Du moment que les filles de son mari lui
ùevenaient un embarras, elle fut tout de suite décidée
à les éliminer avec douceur; elle ne craignait nullement leur ri valité dans le cœur de Prémery, l'affection
maternelle représentait une valeur si insignifiante
dans sonJ)ropre cœur, qu'elle jugeaitl'afTection paternelle e moindre importance encore 1 Charles
éprou\'ait un engoùment momentané pour ses filles,
elle le Illi passerait, mais ne permettrait pas que ce
.:aprice lui cause, à elle, personnellement, aucun
désagrément.
Jacqueline de Prémery ne demandait pas mieux
'lue d'être aimable; elle s'était persuadée, avec une
vanité naturelle, que les fillettes qu'on lui amenait
seraient subjyguées par sa grâce et sa bonté; elle
était prête à se mettre en frais, à s'imposer même
quelques sacrifices pour arriver à un rés'Jl1at, mais
nu lIement pour about ir au néant! Or, elle était
.:Iairvoyante, el sentit de suite que rien ne désarmerait la défiance des deux enfants ; la douc~r
timide
de Marcelle ne la trompa pas ... jamais l'enfant ne
s'approcherait ù'elle avec afTection, elle ne la repou5gtjralt pas comme faisait Genevii!ve, mais, réanmoins,
sa sincérité ré::.isterai( aux avances; C' le en eut
promptement la preuve, le premier jOli', après le
déjeuner, pendant leq~1
Marcelle aVili' été l'ohj€'t
n'ex~cuta
�LA BRANCHE DE: ROMARIN
•
53
de ses attcntions affectucuses. Mme de Prémery dit
Wacicusement à la flllette, dont le petit visage grave
:
lu i plai~t
- Allons faire un bouquet, veux-tu, Marcelle?
- Oui, madame.
- Madame, seulement?
La petite rougit.
- Enfin, pour le moment, contentons-nous;
allons.
Une jolie corbeille, ayant été choisie parmi celles
éparpillées au salon, fut avec art n~mplie
de roses,
de jasmins et de fleurs délicates, par les mains
adroites de la jeu ne femme. Les yeux de MarceIle
l'admiraient. Quand la tàd1e fut accompl ie, Jacqueline posa gracieusement la corbeille dans les mains
de sa petite compagne et lui dit en souriant:
- Porte-la à Geneviève de ma part.
A la profonde surpl'lse de la donatrice, l'enfant
!le bougea pas, et ses yeux sc levèrent avec une
Inquiétude timide vers la femme de son pèré.
Jacqudine rGpéta :
- De ma part, à Geneviève!
.
- Non, s'il vous plalt, madame, balbutia MarCelle, ct la gentille corbeille fut tendue vers celle
qui venait de l'on·rir.
Il y eut Lln instant douloureux . .Mme de Prémery,
peu l'ujette aux émotions, en éprouva une très réelle:
colère, humiliation, déception; elk n'aul'ait pu diro
Ce qui dominait en elle; elle vit que les mains de
Mart:ellc tremblail!J1l... La f,'mme Înlclli"cnte ct
11abllc retrouva alors son équilibre; p<lsant fc prrnier
ur une table, clic dit d'une voix calme:
1
- En efret, tu a~ raison, ces neurs pourraient lui
faire du mal... Monte, Chlre enfant, retrOuver ta
petite malade, ct, lapottlJ1t la joue Je Marcelle, elle
la guida amicalement ver,> l'l:scalier, dont la Jillette
franchit les marches avec lu lég<;n;té d'lm obeau.
Un moment plus tard, Prémery descendait 1 sa
femme avait eu le temps de faire ses rapides
rél1cxi()ns j les· hommes, et son mari urtOllt, ont
hort"dur deR plaintes, elle n'en ferait donc r1as, elle
ne se poserait pa<; en victime, élie triompherait au
con(~'air
par la perl"t.:ctil.1n de sa bonne humeur;
au SI, quand Pr(:mcry lUI demanda, avec unù Cé:rtaine hésitation:
- Tout s'est bien pas86 avec Marcelle?
- On l1e peut miCux, répondit Jacqueline, elle
est charmante, la pauvre chérie; comment va ma
petite ennemie?
Le ton, le ;Iourite, ôtaient toute porlt.:e tragique
à
,
�5+
LA BRANCHE DE ROMARIN
l'attitude de l'enfant, c'était un caprice de petite fille
gàt~e,
et cette manière d'envisager la situation soulagea extrêmement Prémery; il en sut gré à sa femme,
<!stima qu'clle avait raison, il l'embrassa, lui caressa
les cheveux et la remercia.
•
Jit-dle avec indul,
- Tu ne penses pas, ~her,
genee, que je puisse être jalouse?
- Non, certes.
Il n'ajouta: rien, il détestait les classification::>,
comme Il détestait tout ce qui le contraignait.
L'état de santé de Geneviève s'était rapidement
amélioré. Mme de Prémery avait mis son mari ù
l'aise pour promener la petite convalescente.
- AVLrtis-moi, je lui laisserai le champ libre.
La petite n'avait fait aucune questIOn sur la
« dame»; elle voyait sans faire de commentaires
descendre l\1arcelle à l'heure des rLpas . Les journées de cette semaine s'écoulèrent donc dans une
sorte de paix précaire. Genevièv<! retenait son père
auprès d'elle avec une passion jéllollse; illa prenait
sur ses genoux, il lui faisait la lecture; la petite
s'abandonnait avec une joie wave, elle semblait
réparer une privation vivement sentie; parfois, sa
douce petite main caressait le cou de son père, il y
avait dans cc geste quelque chose qui faisait frémir
Prémery. Quinze jours presque que ses filles étaient
avec lui, bientôt il faudrait les rendre ... et comment
sc passeraient ces quinze jours?
Ce fut Jacqlleiine qui, d'un air dégagé, offrit la
solution. On était au samedi ~oir,
le 1I0l:teur Labat
avait donné un ex(:at définillf à sa petite malade, la
vie normale devait reprendre . Cette pensée préoccupait Prémery jusqu'à l'obsess ion; étendu dans un
très profond fauteuil, il fumait tout en rêvant, et
suivait d'un œil un peu voilé les méandres de la
fumée. Sa femme l'observait. Le tête-à-Wte des deux
époux, dans ce bel ct. original salon, avait généralement beaucoup d'attrait ct d'agrément, clle se parait
toujours, ct sa ga1té animait leur solitude. Le silence
de son mari l'énervait, elle se leva ct s'approcha
lentement. Sa mat.ernité à venir ne lui enlevait
encore aucune gruce, et des draperies flottantes
dissimulaient soil épaississement. Elle s'assit sur le
bras du fautf!uil bas, ct tourna son riant visage vers
son mari; il avait jeté sa cigarette, ct baisa le bras
de sa femme.
- 1: 10 cher mari, j'ai réfléchi à diverses choses.
- Dites-les, amie.
- L'air d'Etais n'est évidemment pas ce qu'il te
faut en ce moment, si tu sui~
mon conseil, tu par-
•
�LA BRANCHE DE ROIlIARIN
55
tiras, armes et bagages, pour. quelque joli sommet
de montagne, où les petIts OIseaux qu~
tu tiells en
cage retrouveront leur gaîl~.
Prémery s'était redressé et enlaçait sa femme; les
étofTes souples dont elle était vêtue dégageaient un
parfum trts fin; elle rejeta un peu la tête en ari~e,
laissant voir ses jolies dents.
- Je te chasse, dit-elle, l'œil langoureux et conqu6ran1.
- Comment? tu veux que je te quitte?
Elle le crut à point, maniable et soumis.
- Mon cher homme, il ne s'agit que de quinze
jours ... dans quinze jours tu me reviendras, j'ai des
projets immenses pour ce moment-là; je te les
ùévoilerai au retour ... non, non, pas avant, et comme
tu m'as donné un bon exemple, Je veux de mon côté
jouer mon rOle de maman ... .le pense que tu n'as
pas d'ùbjection à ce que Clémence vienne ici quinze
Jours avec sa oouvernante? Comme j'en étais à peu
prl:!s S\lre, i'at écrit à Paris, elle pourra arriver le
lendemain de ton départ, deux ou trois jours suffiront amplemen.t à Pauline pour les préparatifs, tu
n'as qu'à téléphoner en Suisse, à Chexbres, par
exemple, où tu as déjà été, et tout le monde sera
Content.
Deux 11;vres fraîches et gourmandes s'oO'rirent à
celles cie Prémery et s'y appuyi:rent un long momen 1.
- Et maintenant, conclut Jacqueline tout inconsciente' d'avoir déplu, je suis lasse, allons nous coucher.
Son mari la suivi[ sans dire un mot.
XII
Prémery demeura longtemps dans son cabinet de
toilette à réfléchir; la combinaison sug~rée
par
Ja~quelin
l'avait frappé d'une sorte de stupeur t
L'Idée de faire partir en hâte ses filles, pour céder
la place à une étrangère, lui sembla monstrueuse;
cette maison où Geneviève était née, « ma maison
de naissance », comme disait l'l.:nfant avec sa grâce
touchante, Cl:tte maison où elle semblait "ivre avec
une joie mystérieuse. Elle avait secf1;lement demandé
ù Pauline où se trouvait la chambre de sa maman,
(;t, la porte lui en ayant été indiquée, elle en avait
�56
LA BRA! CHE DE R01IARL'
baisé le bois. Sa petite ame paraissait unie par des
liens invisibles à tout ce qui l'entourait. Elle disait,
du petit air de sybille qUi lui était naturel: « BonJour, le~
bois, je vous aime, JO ses yeux clairs fouillaient l'ombre des allées profundes avec une Sorte
de délice .. . Elle aurait \'oulu aller toujours plus avant
dans les bois à la n:..:herchede quelquechoseque sa
tendresse inqu~te
cherchait. Elle disait à !:>on
père:
- Ma maman aime les bois, papa?
- Oui, mon ange.
- Je voudrais (IUC nous soyons tous des oiseaux
pour y vivre cachés.
- 11 fait bon y vivre, mi::me sans C:tre oiseau.
Le petit vi age pali se ranimait ù l'air si pur et
calme. la sentcur des all'::es remplissait d'une sorte
d'ivrcs'e la petite cr':ature; ellc, ~i réticente de tuut
ce qu'clle épromait, chez qui une vie intérieure prt.!maturée, se d~velopant
comme une fleur venUe
avant l'heure, parlait tout haut devant son père, en
confiance parfaite avec lui, donnant le vol à tuutcs
ses pensées, ct levant ses yeux bleu', qui paraissaient des !leurs humides dc rosée, vers les veux
bleu un peu plug sombres qui la caressaient do.:
leur regard. Deux fois d":jà, le papa et la petite fil!..:
s'en claient alJ':s seul à seule dans les bois plcins
d'ombre. Prémery avait pris un plaisir exquis à ct.:s
promenades, presquc aussi jeune de cccur que :,a
fille. Il cueillait Jes f1curs sau\'ages pour en çomposer des guirlandes dont il entourait le cou de Gt.:neviè\'e, il cn couronnait son chapeau à larges bords .
. En ces deux oc..:asion;" Pr..:mery demanda à MarCelle, comme une faV'eur, .l'allcr rCJoindreJacquelinl!.
- Je te jure, ma fille, lui avait-il dit, avec une
solennité persuasive, que ma femme n'a fait aucull
mal, d'aucun genre, à ta maman. Quand n0US nou,;
sommes sépar":s, nous t'expliq ucrons cela plus tard,
je ne connaissais pas Jacqudine. Si tu e bonne
pour elle, je pui être heureux encore; dans le cas
contrairc, je serai tri:s malheureux! rcneviè\c e t
trop jeune pour comprendre, trop impres6ionnablej
mais toi, ma grande, tu e~ sérieUSe comme ta maman. Elle te demanderait, j'en suis sûr, de n~
pa
me causer inutilement de chaprin.
- Elle me l'a recummandé dans la lellre que j'ai
reçue cc matin, répond Marcelle, tr~s
bas, mai.,
non sans un secret orgul!il, car clic comprend qu'il
ya là la preuvc de la noblesse d'ame de sa ml·re.
- Je n'en suis pas surpris; elle est foncii:rement
généreuse; va, ma fille, je lui rends justice 1
�LA BRANCHE DE ROMARIN
57
Tous ces sentiment contradictoires surpassent
l'entendement de Marcelle; mais les honnes l'aroe~
de 50n pi.re lui sont néanmoins consolantes, et, pour
lui complaire, elle monta docilement dans l'auto en
compagnit: de Mme de Prémel'y, qui ami.ne sa jolie
petite chienne Friponne, dont la pr';sence sert à
animer un peu l'entretien. Marcelle contemple avec
avidité le paysage, cherchant à se rappeler, et parfois y parvenant.
Ces promenades, qui rarureot si touchantes à
Prémery, et dont il augurait les plus heureuses conséquences, ennuyèrent fort la belle Jacqueline, contente cependant qu'on la vit au dehors avec les filles
de son mari. Néanmoins, un état de choses aussi
anormal ne pouvait durer, et elle se crut infiniment
habile en suggüant le Séjour en montagne.
La pensée d'enlever Geneviève brusquement à
celte demeure qui était assul'l:ment également sienne,
puisque c'était celle de son père, parut d'emblée
Irréalisable à Prémery; déjà la petite parlait avec
abondance et enthousiasme de cc qu'elle ferait la
« semaine prochaine ", quand elle irmt bien ... Avec
la confiance téméraire de l'enfance, elle édifiait ses
projets: un jour on irait déjl!uner dans les bois, on
emmè:nerait Myrtille. Gencviè:ve ne parlait jamais lk
la «dame », cie sorte qu'on ne pouvait savoir si elle
y pensait et personne n'osait le lui demander. Marcelle pratiquait sur ce point une discrétion absolue.
Les petites lisaient enemble la lettre quotidienne
de maman; cette lettre, inl'ariablement vaillante Je
t,on et mème paie, procurait u.n extraordinaire récon10rt à GeneVIève, dont, par Instant, la petIte conscience délicate semblait inquiète.
« C'~tai
peut-être mal d'être gaie quand maman
n'~tai
pas là ? » Elle chuchota cette question à
Marcelle qui lui fit tendrement observer que maman
leur recommandait avant tout d'être heureuses ... et
de montrer à leur papa qu'clles étaient contentes.
Cette assurance calma entil:rement la petite fille.
Dan l'exubérance de son contentement, alors qu'un
peu plus tard, Pr~mey
la tenait sur ses genoux, bien
!i<;rrée contre l'épaule paternelle, elle alla jusqu'à lui
dire: « .Je voudrais vivre toujours aux Etais, j'aime
mieux que tout ma maison de naissance, et rêveusesement : je suis une enfant des bois ... "
Tout le jour, dans ce petit cerveau actif, les chateaux en Espagne se succédaient, divers, préci et
e!lsorce!ants. fiar suite d'un événement que GeneVIèVe ne définissait pas, mais qui arrivait, « maman,.
subitement se trouvait aux Etais ...
�58
LA BRANCHE DE ROMARIN
Oui, maman et papa traversaient la pelouse, allaient
au bateau, appelaient leur petite fille l'our y monter.
avec eux. Quant à la « dame lO, elle fondait sans
doute dans la brume, car Geneviève ne la rencontrait plus sur sa route ... L'enfant pesait pourtant le
pour et le contre des tpisodes secondaires, par
exemple; de quelle façon maman arrivait? quelle
robe elle portait? et Betty qUI était malade? mais,
sans doute alors J3etty st;rait gut.:rie !
Pr~mey
sc rendait compte de. l'emprise extraordinaire que les lieux exerçaient sur Geneviève, le
plaisir de sc trouver aux Etais avait été la réaction
bienfaisante, qui contrt;carra rapidement les émotions du départ de Bex, et celle du soir de l'arrivée.
11arcelle, de son côté, se familiarisait à nouveau avec
toutes choses, elle ne fuyait ni ne cherchait la pré!->I.!nce de l'lime dt.! Prémery, et les atlt.!ntion adroites
de la jeune femme n'étalent pas sans exercer unI.!
action apaisante; après diner, chaque soir, Jacqueline nf1rait à Marcelle de jouer aux dominos, elles
disputaient leur partie en silence, ou du moins sans
elTnrt de conversation; mais les menus incidents
amenaient une certaine familiar ité; l\larcelle, en
plus, cau~it
confidentiellement avec Pauline, qui,
.agement, lui présentait la situation sou.' le meilleur
jour, l'e. horlait à l'accepter, et surtout ne sc la". ant
pas de lui répéler: " Les enfants ne doivent pas
luger leurs parents. ,.
l\Iarcelle, docile aux ensei!:nelllents moraux,
es ayait de toutes se forces de se pénétrer de cette
doctrine; elle hésitait à la communiquer à Gene,:Îève, incertaine si la petite sœur comprendrait 1
XlTI
Le dimanche matin ~e le\'a radieux et paisible; la
plus proche é~lise
sc trouvait à cinq kilomètres des
Etais; :\utrefois, une ancienne chapelle attenant au
château anandonn6 avait êtù re laurée et ornée, 1
on y di ail la me""e pre (!lIe ~haquc
dimanche;
depuis le divorce de ;\1. de >rémery, l't!vèque O1vuit
rt.!tiré l'au\ori 'ulion, et, comme lin /'nfanl \' , é, Pr,'mery boudait l'égi~e.
Tl regrettait ()h~curémnt
luS
{Zestes et l'hahitude h~réditaes
et s'Glait occupé
d'assurl.!r à Sçg filles tnuteS l 'q facil;~
rO\lr
entendre la mes~
ré ulil:rement: VII la maladlù '0
�LA BRANCHE DE ROMARIN
S9
Genevil:ve, Pauline ne pouvant s'absenter, il fut
entendu que Marcelle s'y rendrait cette fois avec le
régisseur et sa femme, et à l'heure dite, elle monta
dans leur cabriolet, et s'assit entre eux. Genevj1: ye,
ùe sa fenêtre, la regarda s'éloigner, elle aurait voulu,
elle aussi, les accompagner à l'église.
- Ce sera pour dimanche prochain, Mademoiselle
cherie, lui dit consolatiyement Pauline, qui, exacte
elle-même aux offices, était troublée de son abstention forcée.
Geneviève médita un moment, puis demanda:
- Et la « dame " elle ne va donc pas à la messe?
Une seconde, Pauline ne sut que répondre ... puis,
elle prit le parti de la vérité:
- Non, ma chérie, ellc n'y va pas, elle est protestante; elle va fi son temple.
- Ah 1 et papa, il nc va donc plus à la messe? el
~\'ec
une sorte de colère concentree: Papa n'est pas
protestant, lui?
- Non, non, Dieu nous en garde, peut-être bien,
aujourd'hui, que c'est pour rcster avec sa petite
ehérie qu'il la manquc.
- Papa a promis que nous baptiserons Myrtille,
elle sera catholiq ue, JC ne veux pas d'unc poupée
protcstante ...
Il y eut un silence, suivi d'une nouvelle méditation dc Gene\'iè:vc; elle continuait à crcuer sa
pensée, car elle dit:
- !vlaman m'a expliqué que les protestants sont
des désobéissants, je n'aime pas Ics désobéissants 1
Il Y avait dc la dureté dans la jeune voix.
- Il faut être charitable envers son prochain,
ré:pondit Pauline, venez, ma chéric, que JC peigne
l'os beaux chcveux.
- Non 1 j'attendrai Marcelle.
- Comme vous voudrez, mignonne, voulez-vous
que je vous lise les prii;fes de la mcsse ?
- .Je veux bien.
Elles s'assirent, firent chacune un grand signe de
croix, et Pauline, d'une voix monotonc et rapidc,
commença: Geneviève suivait attentivement, grave
et méditative. Pauline, qui, de temps en temps, la
regardait par-dessus ses lunettes, s'étonnait de l'expression du visage enfantin... Comme elles e(1
étaient au dernier évangile, Prémery entra, il avait
entendu les paroles que prononçait Pauline, ct lUI
fit signe de continuer; Gencviève ne se départit pas
d.e son attitude d'orante ... puis, après le dernier
sIgne de croix, se jeta avec impétuosité dan~
les
hras de son père.
�60
LA BRANCHE DE ROMARIN
- Papa, tu iras à la messe avec nous dimanche.
comme l'année dernière'?
.
- Mais certainement, ma chérie.
- La pauvre Marcelle est toute seule aUiourd'hui.
.
- Oh 1 non, M. et Mme Raymond la connaissent
depuis qU'elle est au monde, Us ont ét6 si contents
de la conduire.
- Ils sont bons?
- Excellents.
- Je les aime aussi.
- Nous irons les voir, Mme Raymond a un tas
vieux
d'oiseaux, et même un r.erroquet... rto~
perroquet Banzat ... au fai , te rappelles-tu de Ban- .
zat'?
.
- Oui, je crois, il était méchant... il me faisait
peur.
- Précisément, et c'est pour ces belles qualités
que nous l'avons donné à Mme Raymond; mais il
est très aimable à son égard ... Dis-moi, ma petite
patronne, est-ce que tu n'aimerais pas déjeuner avec
nous aujourd'hUi? Dimanche... ce serait gentil.
parce que. précisément, l'amie Jacqueline va être
forcée de s'absenter ... elle pen e aller Il Paris mardi;
alors, si ma petite fille voulait être bonne, et ne pas
faire de peine Il son papa, ni mauvaise figure à
~uelq'n
qui ne lui veut que du bien, ce serait un
oeau dimanche 1
Un combat intérieur se livra dans l'âme de Geneviè"e; promptement alarmé par l'expression du petit
visage encore si pille, Prl!mcry dit viyement :
- A condition que tu ne te fasses pas mal.
- Je ne me feraI pas mal.
Elle fut saisie dans les bras paternels, de tendres
baiser coururent ur ses cheveux blonds, et PréMery, vraiment joyeux, la repo a à terre.
- Je te laisse, ma petite patronne, on m'attend.
A tout à l'heure; Marcelle va nous rapporter nos
lettre, que Raymond aura tHé prendre! La Charite.
Paulillc, enchantée, pour son cher maUre, de la
tournure que prenaient les événements, combla la
petite fille d'éloges et d'encouragements; Geneviève
y était sensible, et quand Marçelle rentra i onze
heures et demie, elle fut toute surprise do Ja mine
6veillée de sa sœurette.
-:' Tiens, chérie, dit-clle en l'embrAssant, voUà
une lettre oe maman.
Gepeviève se jeta dessuo, la porta à seS lèvres avec:
paSSion, puis se retira dans un ,coin pour la hre
1
�LA BRANCHE DE RO;vIARIN
61
Pauline et l\'1arcelle eurent soin de ne pas la
regarder.
Cette lettre répondait à celle qui avait annoncé à
la mère ab~ent
la petite maladie de sa fille, mais
rien, ni dans l'l'..:riture ni dans les phrases, ne
trahissait l'agitation angoissée de cellt;: qui l'avait
~crite.
Chacune des paroles était un doux encouragement, une exhortation à être bien docile avec
papa, une certitude que l'enfant ch~rit;:
~tai
parfaitement soignée.
« Je sais, mon étoile, que ton papa te gâtera
comme je te gate, aussi je ne mt;: tourmente pas ...
ne te fais pas de chagrin pour moi, je suis tout à
fait rai:-:onnable, et je compte que, de ton côté, tu
l'es aussi .. , »
. Il Y t;:n avait encore long dans ce sens et Genevii'.!ve dévorait les lignes en silence; son imagination
arJente changeait les mots en réalités; tout son
petit cœur débordait, elle ne put retenir ses larmes,
et cependant maman expressément les défendait.
« Ton papa m'a écrit que tu pleure::; en recCI'ant
mes lettres, tu mériterais que je ne l'écrivt;: plu '. ,.
je c/{:fe1lds les larmes 1... »
Aussi, la petite main tremblante les refoulait précipitamment; mais quel désir passionné tenaillait
ce cœur J'enfant, tout déchiré entre deux tendresses
également vivt;:s. Peut-être la mère aurait-eUt;: trouve
injuste que le pi'.!re fùt aimé autant qu'elle l'était ellemême, et peut-être en effet l'était-ce: mais des lois
mystérieuses régissent ces choses.
Ce mc::me courrier contenait unt;: lettre de Valérie
à celui qui avait été son mari. En peu Je lignes, elle
le remerciait de l'avoir lui-même ras:iurée, et e.·primait sa confiance,
« J'ai conf1ance en votre honneur pour ne pas me
cacher la vérité. li La l'ue de cette claire écriture, un
peu penchée, du papier bleu qu'il connaissait bit;:l1,
de cette sIgnature: "Valérie", fit unt;: étrange im·
pression sur Pr~mey.
Il st;:rra la lettre dans son
P?rtefeui llt;:, résolu à n'en parier à personnt;: Elle
l'mtéressait donc encore? et dorénal'ant, et à jamais,
l,CS obstacles entre eux qui pendant des années
turent épou.' se dressaient infranchissables. Oh !
qU(; la préSt;:l1ce de Valérie aux Etais lui eût paru
naturelle 1 Dan~
le pas~,
il la trouvait trop gral'c,
point J'esprit, n'y pr":tendait pas; mais
elle n'a~it
quel S01l1 amoureux Je toules choses: ses mouvel~ents
éta,ient toujUl~s
calmes, à. moine;, qU'clic ne
1ut se~OUl:
par la colde. comme Il l'avolt l'ue quel·
quefols, alors que ses }'CUX lancaient des flammes.
�tj2
,
LA BRANCHE DE RO!llARIN
C'était vraiment une créature d'exception, et Prémery songea avec complaisance que, si elle n'était
plus à lui, elle n'était ni ne serait jamais à personne;
.:ette convictiun était pour lui artick de foi.
Valérie appartenait à ses enfants, et ne leur enlèverait pas une parcelle de ~a tendresse; il soupira,
en constatant combien les partages étaient embarrassants ... tout se caserait à peu près, sa belle
Jacqueline, car, ccrtcs, elle était belle et bonne, avait
accepté sans un mot de r":crimination la moclification qu'il avait proposée à son programme de ùéplacements; il resterait, lui, avec lcs filletles la derl11ère
guinzaine aux Etais, et elle conduirait sa petite
Clémence aux bains de mer. D'abord tri:s étonnée,
Jacqueline, après une seconde d'hésitatiun, fit vulte.
face avec la meilleure grace du monde.
- Peut-être, cher ami, as-tu raison; Geneviève
est encore trop fragile pour voyager, j'ai parlé en
aveugle, c' .::st mon excuse; ma gosse sera tout aussi
contente, si ce n'est plus, d'aller patauger dans le
sable, CI, au retour, je te demanderai une faveur.
- Toutes, ma jolie, tu me trouveras très fort ton
serviteur.
La chose ainsi entendue, Pl'émery eut à coeur de
contenter sa femme, et risqua sa requête à Geneviève; le docteur Labat devait venir déjeuner aux
Etais, le régisseur et sa femme furent priés cordialement; lui, était un fréquent commensal, mais
Mme Raymond acceptait très rarcment, retranché<::
derri1:!re ses occupations de m":nagi:re et de maman'
néanmoins, pour faire plaisir à Mlle Marcelle et .i
l\llle Genevii::vc, elle mit de cOté ses susceptibilités
,et ses scrupules, la seconJe Mme de Prémery
ayant, à ses yeux de pieuse bourgeoise, tout l'air
d'une marchandise de contrebande.
Genevii::ve, donnant la main à son papa, entra tout
naturellement, les impressions des enfants ont une
vivacité généralement insoupçonnée; mais leur
nature possi:dc encore une étonnante facilité d'adaptation, et est maniJble comme la terre glaise. Depui s
huit jours, la petite G ~ neviè
pensait à la « dame .. ,
et, inconsciemment, s'habituait à l'id(:e de la subir;
Jacqueline l'cmbrassa, et lui demandJ gracieusement des nouvelles ùe Myrtille.
- Myrtille allait très bien, merci, madame.
A table, aS::.ise entre son p~rc
et le docteur Labat,
Gene\'i è; ve sc sentit tout à fait proté~c;
Mme de
Prémcry eut le bon goût de ne l'as l')ntel'peller, et
le raffinement plus savant encOJ'e de parler peu,
ùircctement à son mari ... La petite créature sen"ible
�'L A BRANCHE DE ROMARIN
63
voyait en face d'elle les yeux tendres de sa sœur, et
les visages tout souriants et bénins de M. ct Mme Raymond, vraiment émus du retour cie ces deux enfants
à la table paternelle; la bonne Mme Raymond
imaginait ce que les petites filles pouvaient éprouver.
~ Diéu juste, que diraient son Marcel ct son Lucien
si une «autre» venait 1 rendre sa place à table,
s'asseoir en face de leur petit pi.re 1 Le divorce
représentait aux yeux de Mme Raymond une « chose
abominable », mais « Monsieur était si léger, si
léger! •
XIV
A la suite du bref et violent vertige que cette incroyable soirée (qui paraissait (cnir du domaine
du r(:\'e) causa à Valérie, elle se retrancha dans
une réserve glacée. Son beau visage, toujours
sérieux, revêtLt un aspect presque sévère; mais
Mme Faucheux ne vit là qu'un symptôme de tristesse, tristesse bien légitime, son bon cœur l'intéressait sincèrement à cette charmante femme, si
jeune encore, si seule, et privée momentanément de
son unique consolation, la pr0sencc de ses chère"
peti~
tilles.
II fallait la distraire, et l\Ime Faucheux pensa y
atteindre en parlant continuellement à sa nouvelle
amie d'elle-même, de son flls, ct des projets qu'elle
formait pour lui.
'
- Voyez-vous, chère petite amie, mon GIs sera ù'n
mari idéal; lia gentille épouse, la maman de Jennnetle, était un peu sotte, ct Denis est un homme
supéneur, il faut bien choisir, tnut est là.
Et Mme Faucheux était si pénétrée de la nécessité d'approfondir parfaitement les caractèrt..'s avanl
de s'unll·, qu'elle s'en allait, dt:manclant à chacun de
lui dénicher une bru, il la fallait riche, bien entendu,
et plut6t jolie, parce qut.; Denis était romanesque!
L'iJée qu'un homme romanesque plit s'éprendre
d'une fcmmL! divorcée, mère de filles déjà grand(:~
n'efOeura même pas l'ame ingénue de Mme Fau:
cheux! D'ailleurs, l'attitude de MOle Monpascal était
faite pour bannir ces sortes de craintes; clIc était
de toute éviclence uné f.".::mmcvertucuse, et, s'apitnyunt
sur son sort aVec DeniS, Mme Faucheux sc déclarait
~onvailc
qu'un mariage, qui avait si filcheusclTlent
tO~lrn(:,
dCl'ulI al"oir éU; conclu sans réflexions ~uW-
�Li 1.
LA BRANCHE DE RO~rAIN
"ante"- 1 Cette pauvre enfant était orpheline, soupirait
..\lme Faucheux. On avait toutes les peines du monde
à arrach<!r la jeune femme à ses fonchons de .gardemalade, et si, apri!s d':jeun':f, elle consentaIt à se
joindre pour un moment aux Faucheux, elle demeurait plutût ilencieuse, les doigts occupés, ou donnant son attentiun à la petite Jeannette, sur qui elle
.:!xerçait une véritable lascinatiun. Mais c<!lle apparente indifTérence cachait un trouble profond; les
yeux de Denis Faucheux ne la quittaIent pas, et, ~
t::couter cette voix chaude et vibrante, Valérie, III
f.:mme délaissée, sentait avec épouvante revivre
de vie et d'amour
en el!.: sa propre persona!Jt~
qu'elle cruyait morte 1 Jamais, elle ne s'était considér":e comme libre, et toute son ame, toute sa volunté
s'élançaient vers ses filles, en même temps qu'involontairement son être goûtait une joie profonde,
secrde et nouvelle; les paroles de Denis Faucheux
s'adressaient la plupart du temps nommément à sa
m:'re; mais toutes étaient à l'intention de Valérie,
qui en avait pleinement conscience. Cet entretien
imper~onl
semblait remplir le vide de son cœur.
AIme Faucheux, par ses insinuations continuelles
sur l'opportunité pour son cher Denis de faire un
« choix ., donnait beau jeu au jeune homme pour
parier librement; aussi, loin de se dérober, il exprimaIt avec ardeu,r Ct! que su.n cœur était prêt à otTrir
à celle qUI seraIt son. cho1:\ >.
Si étrang.: que ce fût, Val":ric sentait qu'un dévouement illimité lUI était oOc!"!.
Elle ne pouvait l'accepter, mais son cccur en tressaillit.
Le soir du troisième jour de cette entente mystérieuse, car Valérie aValt le sentiment presque d~li
cieux que Denis Fauch.:ux lisait ses pensées, il parla
avec un tel feu que sa m\:re cn fut frappée, et dit à
sa jeune amie:
- Ne croyez-I'ous pac;, maJam.:, qu'il a déjà fait
son choix et nuus le cache Ï'
D'une voix un peu ,:tfluIT~e
Valéne répondit:
- Vous êtes seule, madame, à pouvuir recevoir
les conliJeç~
de yotre Iii " ct pendant qllC ses 1(;.
vres lais~ent
tomber ceS banales parolt.: .. , die sentait courir surson visage, comme une brûlure sensible,
le regJrd enflammé dù jeune homme. Il n'avait donné
aucune attention à l'interruption maternelle, ct, SIm
visage basané penché en avant, se!) veux tuut brillants, il continuUlt à parler, évoquant sa vic de marin,
disant l'apre volupté de l'offiCIer en Vigie qui sent
que la sûreté de tous dépend de sa yigilance, et
�LA BRANCHE DE ROMARIN
65
que ni les ténèbres ni la mer démontée, ni les
éh:ments déchalnés ne troublent.
- Le plus grand bonheur pour un homme, conclut-il, d'une intonation vibrante, est de prot~ge
ceux qui dépendent de lui, de les défendre contre
tuute soufTrance, l'amour vrai est toul' ours de« quart».
Toute la personne de Denis Pauc leu:x respirait la
force, la volonté, la sécurité; étendant sa main fermée sur la table, et l'y appuyant fortement, il semhlait la tendre, celle main protectrice, vers celle qui
l'~coutai;
la femme délaissée éprouva, avec um·
amertume dGsespérée, le sentiment de sa solitude et
de son ahandon ... nul ne l'aidait à guider sa faible
barque, nul ne l'aiderait jamais .... Un besoin passionné d'être guidée, ~onslée,
soutenue, l't.!nvahit
tout entière; elle n'osait lever les yeux.
Mme Faucheux rompit le court silencl: et soupira:
- Ah 1 tu es trop romanesque, mon Denis
).lme 1\10npascal, qui .:onnalt la vie, pense com~
moi, j'en suis sCire.
- Est-ce le cas, madame?
- Si la vie était ainsi que vous le dites, monsieur,
Ce serait trop beau.
- La vie peut être ainsi.
Leurs regards se rencontrèrent: une grande vague
chaude passa sur le cœur de Valérie, elle sentit 'lUt
tout chavirait en elle; appelant toute sa volonté à
Ba rescousse, elle dit:
- Je ne puIs abandonner plus longtemps ma
pauvre malade. Bonsoir, madame!
Mme Faucheux lui rendit alTectu<:usement son
bonsoir.
- Je vous accompagne, dit Denis Faucheux qui
!- 'était le\'6, lui aussI; Il marcha à cOté de la jeullc
femme jusqu'au perron de l'hOtel; ils n'échangLrent
pas une parole, mais gOl1tèrent une minute d'insaisissable bonheur.
Arrivée au pied des marches, Val~rje
dit brii YCment: • Bonsoir, bonsoir r » et, sans tenJl'i.: la main,
degrés. Denis la suivit attentivement des
gravit l~s
yeux ct vit Je portier lui n:mettrc IL, courrier du soir
qu'on \'<:nalt d'apporter.
.\I111e J\lnnpa ' cal examina attenti\'ement les ell\!?Joppes, ' ursuuta \:ommt.: ctrrayée, et prc:sque en
I:ourant monta l'escalier.
Une de ce <:nveluppes portait son nom, de J'écritur':! de Prémery.
91·IU
�66
LA BRANCHE DE
RO~
xv
Le lendemain matin, un peu remi;;c de la chaude
alarme qui pendant une seconde lui avait cnlev2 le
souffle, Vakrie écrivait; elle écrivailàl'enfantchérie,
malade laID d'ellc, non seull!m ·. ;nt loin J'elle, car la
question de la distance est aisément résolue, mais
hors de sa portée, la maison de son ex-mari, par la
présence d'une autre femme, lui était interdite, elle
ne pouvait en franchir le st!uil sans sc manquer à
elle-même.
Pendant qu'elle traçait des lignes si cohérentes
et calmes, la m~re
désol'::e luttait contre une angoisse presque insupportable; le cOté violent de sa
nature faisaIt bouillon ner son sang, elle se reprochait, comme une mis ": rable lt'lcheté, J'avoir accepté
le divorce. Qu'y avait-elle gagné? Rien. 'on pas
même cette paix, dont la vision l'a\'ait leurrée ... Ni
épouse, ni libér~e,
soumise à d'insupportables servitudes, elle envisagea J'avenir avec terreur. De la
petite lettre de "'vlarcelle, lettre si douce et si
câline, s'exhalaient la tendresse et la reconnais!-'ancl!
pour ~ papa.; il avait veillé Genevi '·ve,., ~ il fait
tout comme toi, maman adorée, ct il m'a bien recommandé de te le: dire, pour te tranquilliser .. , » M~me
l'amour du I?~re
pour les enfants devenait, pourcelh.:
qui leur avait donné la vic, une sorte d" supplice ...
Tous les autres sentiml:nts etaient balayés par la
passion maternelle; Valérie eut un obscur remords
du trouble inconscient que Denis Faucheux lui avait
causé ... Pendant que ses pensées à elle se détachaient un moment de ses filles, Genevil:ve, la
chair de sa chair, l'enfant dont l'amour lui ~taj
plus
nécessaire que le pain, suuffrait, l'avait désirée,
appelée, peut-être? Le sentiment orgueilleux d'appartenir sans partage à ses filles tandis que leur
p '..re avait contracté ' d'autr~s
liens, d'autres devoirs,
û<JJ1na à la femme, sujette apr' s tout aux humaine
faiblesses, la furce de tout sacrifier pour consen'er
cette sup é riorité sainte; nul n'est à l'abri cie la tentation, mais il dépend dc chacun de vaincre la tL'I1tation 1 Un pclit coup frappé à la porte de lil.
chambre vint l'appcler Valérie au présent.
-
Entr·'z.
C'était Jeannette, tuute fl'alclH: d mignonne, son
�LA BRANCHE DE lW:vlARlN
67
grand nœud papillon menaçant le ciel, quelques
!leurs sauvages à la main, qui parut un peu timide,ment sur le seuil.
- Entre, entre, ma petite chérie.
- Bonjour, madame, je viens vous demander de
\ ()~ nouvelles et je vous apporte des neurs que j'ai
<'ueillies avec papa.
- Tu es bien gentille, elles me font grand plai"ir.
Les' petites filles, même tr,,5 jeunes, ont pour
certaines nuances de sentiments une incroyable
pcrspicacitt!; Jeannette, quoiqu'elle n'eût - que
sept ans, devinait, qu'en étant trl:S gentille ave~
:\lme Monpascal, elle plaisait à papa 1 Aussi, de sa
petite voix la plus douce, elle demanda:
- Marcelle et Gene\'it:ve vont bien?
- Non, ma chérie, malheureusement. Genevi1;ve
l,st un peu malade.
- Oh 1 quel malheur 1 Qu'est-ce qu'elle a? mal à
la gorge? Jeannette en avait été atteinte récemment.
- Non, elle a la jaunisse.
- Qu'est-ce que c'est que la jaunisse?
- Ce n'est pas une maladie grave, on a lc fond
des yeux tout Jaune, et cela attriste.
- Ah 1 commc ça me fait de la peine 1 Voulezvous, madame, dire à Genevil:vt.! que je l'embrasse
de tout mon cœur, puis regardant sùn bouquet
d'offrande, et voulez-vous lui envoyer une fleur de
ma part?
La voix de l'enfant, dans sa sincérité affcctueuse,
toucha profondément Val6rie; elle prit la petite sur
ses genoux ct lui caressa doucement la t(:te.
Jeannelle sc l'cncha en enlaçant le cou de son
amie.
.
- Je n'ai pas de maman, moi! dit-elle tristement.
- ,vlallH.:ureusement! mais lu as unc « mr,;~
"
Jeannctle, ct ton papa est si bon!
- Oui, mais il est toujours parli, ct je ais bien
que les l'elites filles ennuient « mémé » ... Je l'ai
entendue qui disait à une damc ; « C'est instlpportab!.:, les enfants! » Une maman nc trouve pas ses
~'nfals
insul'\-wrlablcs; et encourag~
par la bonté
ùu regard qui s'arrêtait sur clic, Jeannette ajouta:
-- Voulez· vous me prendre pour yotrc petite fille
pendant que :\lar.:e\le et Geneviève ne sont pas là
- Mais, mt:!mc quanti elles sont là, j'aime beau.:oup ma petite Jeannette.
- Merci, madame, ct avec un "l'OS soupir de
regret; - Mémé m'a recommandé de ne pas rc~le
longtemps ... est-ce que Je peux aller dire bonjour ~
?
�08
LA BRANCHE DE ROMARIN
ml!;:; i' J'ai aussi un pelit boulJuet pour elle, je l'ai
lais5é sur une chaise dans l~ couloi,·.
- Certainement, ma mignonne, Betty 5cra tr2s
reconnaissante, je vais t'ouvrir la pOIk.
Elles sortirent.
Au bout du couloir, se tenant devant la fen0tre,
Denis Faucheux attendait.
A la vlle de Mme Monpascal il salua, puis, aprl!s
une seconde d'hésitation, B'avn1nça.
Val":rie, dont le visa:~e
témoignait une visibk surprise, n'avait pas lach~
la main de Jcannllttu.
- Je conduisais ma petite amie che~
miss Betty,
dit-el:e, et comprenant la muette ct respectueuse
interrogation des yeux arrétc!s sur elle, elle ajouta
spontanément: - Je n'ai pas de bonnes nouvel~s
Je ma petite Genvi,~"
M. dc Pr6mery m'a écrit c~
matin qu'clic avait la jaunisse.
U ne compassion infinie éclata dans les yeux. de
Denis.
- Je suis navré pour vous, madame, je connais
les peines d les inquiétudes de l'absence. l'lIais votre
fillette n' est pas lOIn, vous pouvez la rejoindre.
- Pas en ce moment, nlln 1
La préscnce de Jeannette empëcha toute explication plus précise. Le pl!re de Jeannette tenta de
justifier sa présence au premier etage, conscient
qu'clic 6tait désapprouvée par Mme Monpascal.
- Je craignais que Jeannette ne s'égarat dans ce
long corriJor et j'étais venu la cueillir.
- Avant de l'enlever, laissez-la dire bonjour à ma
malade, je vous la renvoie dans cinq minutes.
Il demeura immobile, la porle de Betty s'ouvrit
ct au bout d'un bref moment, laissa repasser Jean:
nl.!tte, seule.
Quand ils furent en bas, la petite fille, pr~tc
à
pleurer, dit confidentiellement à son p' re :
- Elle dit qu'cHe va aller à Genl:ve, pour quelques jours, et les Ii:vres en lippe tremblèrent.
- ru l'aimes donc, ma Jt.!annctte? demanda
avidement le p' re.
- Oh! oui, bt.!aucoup, je voudrais unc maman
cMnme ça.
Il yeut, dans le silence qui suivit, une my.,t&rieusC!
entente entre l'homme et l'enfant.
�LA BRANCHE DE ROMARIN
69
XVI
Pendant les quarante-huit heures qui précédèrent le départ de Mme de Prémery des Etai~,
Geneviève demeura passive; aux repas elle sc tut
levant seulement parfois un regard curiouxsur I~
femme de son père; Jacqueline, d'ailleurs, n'essaya
pas de rompre la glace, souriante, si l'occasion s'en
présentait, mais sans sollicitude.
Vis-à-vis de Marcelle, au contraire, elle se mit
extrl.:mement en frais, lui demandant, au cours d'une
courte promenade, de monter jusqu'à son pc·tit
salon, où elle voulait lui faire voir quelque chose
d'intéressant; il était difficile pour la lIJIette de se
dérober, et, un peu à contre-cœur, Marcell..: accompagna l'exubérante jeune femme.
Le petit salon de Mme de Prémery, situé au premier
Hage, était une pièce vraiment charmante, meublée
dans le meilleur goût anglais de vieux Chippendale.
et dont les canapés et fauteuils étaient COU\'crts d'une
cretonne rutilante à grosses roses roses; les fleurs
fralches abondaient, des photopraphies encadrées
égayaient les tables, ct partout étaient dispers6s
lIne multitude de bibelots amusants et commodes;
rien ne pouvait être plus accueillant. En entrant
Marcelle avait tr(;ssailli de surprise: dans un larg~
panneau exposé. au jour favoraWe, était suspendu
un mer\'eilleux portrait de son pi re j clIc y alla
tout droit, et s'arrêta dans une muette admiration.
- Hein? chI Mme de Pr6mcry la Joignant, et pas:~lnt
son bras caressant autour des épaules de la
I1l1ctte, voilà cc que je voulais te 1110ntrer, - ct levant
{'lIe aussi les yeux vers le l'MIrait - n'esl-ce pas
ché'rie, c'~;t
un beau portrait de ton papa'? il a éd
pl!Ïnt pour moi - et parlant d'Ull Inn plus grave:
- Tu, ais, je l'aime beaucoup, ton cher papa, beaucoup, je lui ai tout sacrifié, moi 1 lavais une petite
fille ... je l'ai quittée! Tiens, Marcelle, reQurde ma
gentille Clémence, ct Mme de Pr~mey
alla .:hoi 'ir
une phot~raic
d'enfant qu'entourait un lafl;'
cadre d'arg~nt.
Voilà ma petite fille, à moi ... j'ni
renoncé à clIc ...
•"1ar.:e1le, pn:sque as omm(:c par de pareilles
révélations, comprenant à peine, balbutia:
- OCI ec:l-elle (
�70
LA BRANCHE DE ROMARIN
- Oh 1 elle est très heureu'c avcc ~a grand'm<:re el
son pè!re; comme je ne veux pas lui faire de chagrin,
je la vois rarement; mais maintenant, en vous
quittant, je vais la conduire aux bains de mer.
,'1:arcelle regarda attentivement l'eftigie de la
petite fille à l'air plutôt compassé, qUI se tenait
manifestement bien droite pour être photographit;;e,
et murmura:
- Est-ce qu'elle vient ici, chez papa?
- Elle n'est pas venue encore, mais elle viendra,
ton pal?a est très bon pour elle.
Une Jalousie désespérée mordit la flllette au cœur;
toute frémissante, elle protesta:
- Elle n'est pas sa petite fille 1
- Non, assurément, mais elle est la mi"nne, et
aujourd'hui je suis sa femme; c'est une bonne petite
fille innocente et douce, on ne pourrait être méchant
pour elle .
- Il ne faut pas le dire à Genvi~.
- On ne le lui dira pas, c'est inutile, j'avais
pensé que tu voudrais être un peu bonne pour
l'amie Jacqueline, qui a mis sa petite fille de côté
pour rendre ton papa heureux 1
- .Je n'aime que ma maman 1
- Enfin, tu ne me détestes pas?
- Oh 1 non.
- Et voudras-tu prier pour moi?
- Si vous le Jésirez.
- Oui, je le désire beaucoup, cl si tu es généreuse, tu prierais aussi pour ma pauvre Clémence;
il n'est pas du tout sùr qu'clle soit heureuse plu ..
tard 1
- Pourquoi?
- Parce que je l'ai quittée! Patience, tout hl
monde ne peut pas être heureux, j'ai pris ma part,
ma lar~e
part, je la garde ... L'année prochaine, il y
aura, j'esp~r,
une personne de plus aux Etnis, une
personne que nous aimerons tous ...
Le visage naif qui l'écoutait exprimait une pel'plexit~
si p~nible,
que Jacqueline n'osa aller plus
loin clans sa rév0Jation.
- Allons, petite fille, ne prend~
pas celte figure
effrayét:, quand cette personne \'iendra, ()n te la
pré~enta
bien vite ..... n attendant je voudrais que
lu emportes un petit souvenir de moi. Tiens, veuxtu cc panicr à ouvrage? Tl est commocl.: ... je ne
demandais qu'à te gilter, tu le reconnaltras. Espérom;
qu cc sera rour une autre foi. - Et apn;s lIne
pauo,c. - Enfin, tu cs là aujourd'hui, et aUlollf<!'hui
c'est toujour:; rlU5 sûr que l'avenir 1 Je vouJrais
�LA BRANCHE 'DF RO:MARIN
7r
que tu me promettes, si jamais tu en avais l'occasion,
ce qui n'arrivera sans doute pas, mais enfin, quand
u stras grande, et ce sera bientôt fait, d'être bonne
pour ma Cltimcncc, veux-tu me le promettre?
- Mais, je ne la connais pas!
- Non, et vraiscmblablLment tu ne la connaitras
jamais, cependant promets-moi; personne, autant
que toi, petite Marcelle, 11(' m'a inspir6 de confiance,
je suis persuadée que tu ne mens Jamais 1
•
- Oh! non, jamais!
- Alors, ce que tu me diras je le croirai, c'est
convenu, n'est-ce pas, quand tu seras grande, si tu
rencontres ma Clemence, tu seras bonne pour elle.
Marcelle hésita, puis, tremblant lCgi.:rement,
dit:
- Je tâc)1erai, madame.
- .Tc te rt.!mercie ... On a quelquefois des idées
étranges; nous ne dirons rien de notre entretien à
ton papa; je veux qu'il soit heureux.
Prémery, en clTet, ne sut rien, ct demeura dans
l'ignorance de la nouvelle secousse morale qu'avait
roçue sa fille aînée; celle-ci sc confia à Pauline, car
le secret l'étouffait.
- Est-cc que vous saviez, Pauline, que Mme Jacquel ine a une petite fille, à dIe?
Pauline confessa être informée.
- Elle viendra ici ?
- Non, chérie, je ne crois pas.
- Sa maman me l'a dit, nous ne le raconterons
pas à Geneviève.
- Bien entendu. Oh 1 qu'il est malheureux que.·cl~
br<lyes gens se mt.!ltent dans des embarras pareils!
~t
puis, ajouta Pauline, de l'abondance de sa conviction et sans trop ftH1échir:« c'est les pauvres enfants
(jui en palissent 1.
Marcelle ne répliqua pas, clle emmagasinait une
[(Jule d'idées extraordinaires; la détente était néces'nire.
.
Elle sllr\'int par Je félit du départ de la chatelaine
kquel s'effectua de bon matin; l'adio.:ll avec Mar:
cellt.! ~:éch"ngea
le SOIr, t?ut bas, sn~
bestcS;
GcneYIL!ve avait tendu le relit bout de mall1 qu'elle
laissait prendre! Quand clle comprit que ~Ol1
papa
<"tait à cJIe sans partage, ce fut UIll' sorte d'Ivresse'
(1) prit ks l'upas dans une petite pil'CC plus intime:
le papa au milieu de la table, ses filles à druite ct à
,·~uche.
« Oh J si maman étai! là, • sc disait GeneV\;'ve, ct l'homme volage sc faisait aussi en secru la
.rnême réflexion ...
Les petites ne se doutaient guère que lcm pi.:rc
�72
LA BRANCHE DE RQ).,lARIN
leur faisait parcourir les mêmes allées, sc rendre
aux mèmes buts, que celles parcourues jadis par
lui ... et leur m::re ... treize ans auparavant. Cependant, d'instinct, il la nommait souvent aux enfants.
Certaines révélations du passé lui échappaient
comme une information due à ses filles. Par exemple,
débouchant, un radieux matin, dans un beau carrefour de la forêt, il dit spontanément:
- Votre maman aimait beaucoup celte belle
étoile, d'où cinq allées rayonnent, nous y sommes
venus souvent...
Les petites filles écoutaient, exaltées. De leur
côté, elIes racontaient à papa comme une chose
simple, et !attendue. tout ce que maman leur écrivait. .. les époux anciens, par ces chers Intermédiaires, avaient vraiment renoué une correspondance
intime et fréquente ... Pr~mey
tenait presque quotidiennement dans ses mains une lettre de Valéne ...
il usait d'habileté pour se la faire confier, les expressions de tendresse si ingénieuses, douces et profondes de la mè: re à ses petItes filles, l'assurance
'lu'elle leur donnait que les savoir heureuses <.!tait
tout son bonheur, la défense de s'attrister, le rappel
;énéreux que leur papa les aimait tant, le touchait
profondément; en même temps, il avait la vision
tr~s
nette, à laquelle d'habitude il ne réfléchIssait
gui!re, de la solitude de Val<.!rie. « .Te vais me promener toute seule, je vous parle tOut haut, et il me
,emble que vous m'entendez ... je suis un peu ' oli~olitare,
mais bientôt nous serons réunies, il ne
faut Jonc ras se faire de chagnn ... »
:Prémery s'émervelliait de la grâce tendre de ces
lettres i cette femme, qui, avec lui, s'était toujours
montrée réticente, et plutôt froide, avait, vis-à-VIS
de ses filles, les plus délicieuses puérihtés que sug~è:re
l'amour, écrivait à Genevi1:ve: « Je te remercie,
mon étoile, de ta jolie petite fleur, Je l'ai embrasstEe
mille fois, je mets mon cœur sur ce papier, embrasse-le hien fort. »
gt à Marc"lle :
«. Tu seras contente, mon trésor, de savoir que la
I?ctite .Jeannette e~t
bien gentille poUl' vl)tre maman i
elle voudrait que je la prenne pOLIr ma petite fille
pendant que vous n'êtes pas là ... mais je ne SUIS la
maman que de mes chértes ... Jeannette, comme tu
~ais,
n'a pas de maman i son papa, qui est marin, et
cannait le cousin Jehan, est venu iCI quelques jours
et .Teannette a été bien jl)ycus~;
mamtenant, son
papa l st parti faire une excursion dans les montagn ; alors, comme Jeannette s'ennuie un peu, je la
�LA BRANCHE DE ROMARIN
73
mène promener; nous nous asseyons à l'ombre, et
elle travaille à mon cOté, je lui apprends le point de
tricot, ce qui l'amuse beaucoup. Elle vous embrasse
toutes les deux de bon cœur, et a bi~n
envie de vous
revoir. .. Surtout que ma petite Geneviève ne soit
pas jalouse... »
Mais précisément Geneviève l'était, et peut-être sa
maman l'avait-elle voulu ... on se défend comme on
peut 1
Même dans l'enchantement des Etais, de la joie
intense d'être avec papa, sourdait dans le cœur d'enfant de Genevihe comme une violente soif, le désir
de retrouver maman ... elle signait ses lettres avec
une ,eassion emportée.
" fa fille qui te chérit pour la vie l 'b ct en postscriptum :
" Dans ce moment-ci ton portrait me sourit, je
voudrais bien que ce soit toi; ton portrait a, tous les
jours, mon premier et dernier baiser.
" J'embrasse ton portrait mille et mille fois, le
verre est tout taché à force de l'embrasser. »
Par ces lelt res, Prémery avait douloureusement le
sentiment que les jours de grace s'écoulaient; maintenant Valérie parlait du retour, le préparait. u Betty
n'cst pas en état de faire le long voyage; mais je la
lai~ser
dans une très bonne maison cie santé à
~lontreux
où elle attendra la convalescence, elle vous
envoie tout son « love », et espère que vous mettez
votre robe blanche tous les soirs et que Marcelle
s'acquitte bien des nœuds de tête de Genevit.:ve
(elle n'a pas du tout confiance en l'habileté de Pauline), ne le lui dis pa , mon ange, et demande à ton
papa s'il croit que Pauline consentirait à rester à
Paris avec nous, cinq ou six semaines; on la ménagera bien, et ainsi, avec Annettl!, notre petit ménage
marchera. Réponds-moi Lout de suite à ce sujet,
parce que Mme Faucheux connalt une jeune personne
qui, à la rigueur, pourrait suppléer Betty. ~
La possibilité n'avait pas fait doute pour Prémcry,
et tout fut rapidement convenu a,cc Pauline, enchantée d'une (ugue parisienne. Comme pour rendre plus
brl!\'cs ces dernières journées, elles étaient d('jà
O101l1S longues, l'ombre tombait plus t6t, on ren:rait
a~tedr
I:heurt; du dlner. GenevlL ve prenait un plaisir SingulIer à evoluer dans le grand salon; assise à
la table ronde, toute couverte d'albums, elle dessinait des bonnes femmes d'une originalit<.: extrême
ùont elle déVidait à mi-voix l'histoirè à mesure qu'el~
leur donnait une forme; elle avait griffonné en
cachette plusieurs chan sons qu'elle destinait à
�74
LA BRANCHE DE ROMARIN
c: maman », mais que:.v1arcelle l'obligea à montrer à
papa. Après dlner, la lecture d~ D ,n Quichotte, dont
elles <!coutaient avec passion les aventures, menait
jusq u'à l'heure du couvre-feu. Prémery s'arrêtait de
temps en temps pour regarder ses filles: ces ch~res
apparitions allaient s'évanouir? cesser de faire partie
de la vie de tous les jours? Marcelle emporterait ses
jolis ouvrages, ses livres d'heures qu'elle lisait si
discr:'tement; les crayon s de couleur, les feuillets
de Genevi ève ne traineraient plus sur la grande table,
elles s'en allaient grandi,' et s'épanouir loin de lui ..
Il en éprouvait un chagrin aigu, dont les lettres
e.'trèmement tendres de sa femme ne le distrayaient
pas ... même l'esI;oir de l'enfant qui allait venir, de
ce fils qu'il a.-a'l dé ir6, ne lUi apportait aucun
al
~ gemnt;
cette vision l'ennuyait plutôt. Marcelle
et Genvi~
suffisaient à sQn cœur paternel, et
quand, au cours de leurs promenades à pied, Mar.
cell e , avec une hardiesse timide, lui prenait le bras,
il était joyeux comme un adole scent en bonne
fortune ... Dans sa répugnance à les voir s'envoler,
il avait suggért5 la possibilité de demander il IL maman» une petite prolongation; mais l'émotion visible de Geneviève, à l'idée du revoir différé, ne laissa
pa:; subsister cette idée. Le mois ~coulé,
il devait
le ~ rendre.
Pour se tromper lui-mêmt!. et tromper la mSilncolie des petites filles à mesure que couraient les
jt>Ul'S, il parla beaucoup de ce qu'on ferait l'hiver;
il les m:nerait au Théatre-Français, à l'Op~ra
Comique.
- Oh 1 quel bonheur 1 cria Geneviève, papa, tu
ne rest<.:ras pas aux Etais comm<.: l'hiver dernier,
.;''';tait trop triste, tu seras tout le temps à Paris 'r
- Oui, petite patronne, et tu sais, sept jours,
C't.;' t bien vite passé, tu me rnconteru des masses
Je choses.
- Oui, soupi,'a la petite; mais on n'a pas les
soir
~ et les matins ...
- C'est l'rai, c'est regret table ...
- Quand on e voit sans le soir et sans le matin,
ct! [J'est pas la m~e
cho~e
du tout. ..
1_
Tu pensera' Ù nos bons matins des Etais ...
- Oui, j'y pl!n~erai
.. ,
toutes le~
petites photo- Tu aura9 à regad~
graphi-~<;
que jl,! t'ai faite .. , tu le' montreras à ta
maman, elle rt.:connaltn: les bois des Etais.
Gencvi"vl! d,lmeurn un long instant pensive, puis
dit, parlant tIn peu bas:
/
- Elle ne les verra plu$ ... jamais?
�LA BRANCHE DE ROMARIN
75
Prémery ne sut que r~ponde,
et embrassa sa
1111e.
- Ne nous attrbtons pas.
- Papa, - demanda Marco.:lle, qui avait écout6
en silence : - Est-ce que la photographie de la
chapelle est réussie?
- Oui, je crois, très bien, je te ferai tirer un
a!'!randissement à Paris.
~ Lu
petite chapelle abandonnée avait retrou\<! une
vie passagl:re: Mme Raymond, qui veillait à ce qu'elle
fClt maintenue en bon état, mais n'osait jamais y
aller, y avait conduit un jour Marcelle ... Ce fut pour
ce pieux et tendre petit cœur un p~lerinag
de
joie; l'Gtroit oratoire, avec sa belle vierge de Loùrdes,
ses tableaux, son autel de marbre, lu"i rarut.l'antichambre du paradis, les vieux prie-dieu étaient là ...
inutilisés depuis longtemps ... Marcelle s'arzenouilla
sur celui que Mme Raymond lui dé"igna comme
ayant èt<.! celui dt sa mlore. Sous la suggestion affectueuse, les souvenirs de sa petite enfance afflui:rent
au cœur de la petite fille ... Elle se revit à la messe,
là, près de son PL re et de sa mère; l'horreur ùe la
pensée, que plus jamais il s ne s'agenouilleraient l'un
pri:s de l'autre, ku rs filles tout pre s, fit couler d"
grosses larmes des beaux yeux limpides. Mme Raymond, seule avec Marcelle dans cette visite presque
dandestinl.!, fut vivement <.!muej elle prit la main de
la fillette, la serra et, sans se rendre compte de la
portée de ses paroles, dominée par un désir réel de
rGconforter cette jeune cr~atue
:
- Confiance, dit-eH.::, il ne faut jamais d":sespél'cr, priez bien la sainte Vierge.
Une illumination parut sur le visage de Marcelle.
- J..; prierai 1 dit·elle.
XVII
Val~rie
allait vers ses filles, vers son foyer, "ers
tout ce qui consti'uait sa vie, et n<.!anmolns cette
longue nuit en chemin de fer lui avait pesé
lourdement sur son cœur. Elle allait vers ses filles,
et pourtant elle souffrait. .. des regrets, auxquels sa
droiture d'ame ne voulait pas donner une forme
l'étouffaient .. Certes, elle était m' re avant tout:
elle immolait à StS enfants chtéries tous les rcves,
toutes les espérances, entr6es en dt!pit de; sa
�76
LA BRANCHE DE ROMARIN
volonté, dans son cœur 1 La maternité seule devait la consoler ùe l'abandon, l'honneur de sa vie
remplacer. l:amour; mais, comme Shak~sl?er
fait
crier au JUlf Shylock:" Est-ce qU'iln JUIf n'a pas
J'yeux, pas de I?assio.ns, pas de sens, pas d'affection Ï" » elle aUSSI auratt pu demander : Une femme
jeune et délaissée e3t-elle dépouillée par ce fait de la
faculté d'aimer, du désir tl'ètre aim6e . Valérie
.\lonpascal avait nourri une foi robuste en l'invulnérabilité cie son propre cœur. Son mari s'était
éloign'; d'clic, clle avai.t accepté. ce~
éloignement;
aucun homme ne pouvait désorm:l1s l'mléresser; elle
!->'était crue certaine d'être à l'auri de toute attra.:tion de ce genre; nourrissant une confiance tém~
raire dan., son insensibilité, et en étant fi're, Et puis
en quelques heures, sous une inexplicable influence:
une sorte de d0bacle de toutes les défenses dont
dIe se sentait ent.ourée, avait e';1 lieu! L'efTroyable
douceur, l'attractlùn tpute pülssante de l'amour
s'étaient imposées à son ame, semblables à de~
intrus qui pén~tre
de vive force dans un enclos
fermé; la créature alarmée n'avait su comment les
chasser, fermant les yeux pour ne pas les voir, bouchant ses ordilles afin de ne pas le~
entendre ...
Elle savait qu'il ne faut pas parlementer avec
d'aussi dangereux ennemis, qu'il faut les fuir ... elle ne
le pouvait d'une façon immC!diate et radicale' mais
s'était absent~c
quarante-huit heures afin de préparer le transfert de sa malade; à son retour, comme
elle inventait de nouveaux. pr":tcxtes, afin de justifier
les refus qu'cil\.! opposait aux avances de Mme Faucheux, le lieutenant s'était rapproché d'elle et lui
avait murmuré:
- Je pars, madame, puisque ma présence vous
d6plalt.
Valérie n'avait pas réondl~,
ne cl:oyant qu'à demi
à Ct.! départ; cependant!l aVait eu lieu, sous le trL's
plausible couvert d'une excursion en montagne .. , et
un matin, sans avoir anl1onc(, la veille sa décision
Denis Faucheux fut, par s~ m"n:, annoncé absent:
- Que voulez-vous, ch 're m.adame, l'existence
monotone n'est t.!\"idemment pas le rait de mon fib'
car, chose curi~,
pendant la Courte année qu~
son mariage a duré, il s'ennuyait... Trl's bien in _
tallt.! à Brest avec une pl!tile femme ex.emplaire uni.
de ~(Jn
i~t.!re,u
de se3 co~pts,
quement. ocu~';e
un prodl~e
d'cclInomle, ,!t;vouL;e à son mari, .. ch
bien, Denis, qui n'a jamais appartenu au ~enr
nai
Je le reconnais, était, au mÎli\.!u de tant d'éltme'"'nts
de bonheur, devenu tout à fail sombre .. , Je croyai~
�LA BRANCHE DE ROMARJN
77
qu'Il prenait plaisir à votre ociétL, vous aVE:Z cornme
lui le goût des bouquins, et pendant votre fugue, il
était de mauvaise humeur; vous revenez, il s'en va ...
C'est le caractl ra du marin l je suppose. Son p: re
~taiun
peu frivule, mais toujours aimable, du moins
au d~hors;
et ce qui plus est, je n'ose Pli" demander
à Denis la raifon cie ces" sautes de vent », il n'est
pas toujours commode, oh! il lui faudr'! une femme
mtelligente ... peut-être tlne veuve sans enfants ... je
vais m'orienter de ce c6t0-là.
Mme Monpascal l'y encoura!'ea.
- Il faudra bien (lue \"(JlIS 'me consoliez un peu
pencla1l1 le temps si court qu'il nous reste à jouir de
votre aimable compagnie. Mais en janvil:r, je compte
venir pour troi mois à Paris, CblZ ma sœur, qui est
charmante, et l'on se verra, j'e::pL re; .Jeapnette fiera
si heureuse de retrouver ses rClites arnies. Denis
demandera ~ùremnt
une prolnnf::ution de congé'
les fièvres l'ont tellement éprouvé, il il besoin cil'
soins, pauvre garçon! j'csp: re que ces a~censio
lui seront salutaIres, nous n'ayons pas de d":tails fi
attendre, car il m'a avcr,ie que je ne recevrai que
des dépê..:hes,
,Jeannette, avec une extraordinaire as~idlté,
s'était attachée à Mme 1\1(1npa8cal j la pL'titc fille
écrivait à son cher papa tous lt:s deux jour, et lui
parlait longuement de sa grande amie, 011 plutôt ne
parlait que d'el~,
" Mme Monpascal m'ql'prend ft f;lire un gilet au
tricot. .. je t'en ferai un, mon ch\..1' I~ar.
<1 Madame iVlonpa,cal m'a menée prom 'ner, 10U~
<lvon:> dansé une ronde fi llPL!S deux , (Ile a chanté
Ir, « branche de romarin ", elle chante si bien 1.. ,
« Marcelle et GL:neviL\'(: m'ont écrit une bdle
lettre, elles m'invitent fi venir jes voir à Paris, ..
~ 1\1iss a ét~
transpnrtée à A{olltrclIx, madame
Monpascal l'a accompaunéc .. , r:lle s'cn va cl:tns
j'ai
cleux jours, elle VH â Pari arr,ln"er sa mai~on,
biep dn charrin de III "pir partir ... "
1\lme Faucheux s'étOlt un l'elt donnée que finn
fils ne revint pas avant 1t! départ de leur aimllhle
amie ... mai'a le c(cur masculin cst si insondahle; il
n'etait pa-- impossible qUl' Deni" Clil lais é lIne
affection, un lh:n qucJcol1llue en Chine r L'urgence
de le marier apparaissait r us clairement à a m' n,
et elle avait confiJentiellelllcnt sollicité l\lmc J\!OIlpascal de chercher si, parmi 'ses cnnnaisoanccr., lin
parti sortable n'existerait ras .. , « Même une veule
comme je vous l'ai expliqué. ,.
�78
LA BRANCHE DE ROMARIN
Le train venant de Suisse entrait en "are. ValérÎr
subit la sensation parlicu~e
qu'am:':ne~e retour aux
lieux familiers; l'a me de voyage, qui souvent a été
vagabonde, semble s'envoler soudain; et l'âme toute
chargée de souci~,
de devoirs réels et imaginaires,
l'âme rapetissée de « tous les jours n la remplace.
C'est comme un déplacement d'optique.
La lan"ueul" qui avait accablé Mme Monpascal sc
dissipa; "'elle se dressa dans son wagon, droite et
vaillante, presque heureuse; ardente à commencer
sa tache, de tout préparer pour le retour des enfants
adol"~s.
Comme le train ralentissait, elle mit la tète
afin, par un s!gne, de s'assurer d'un
à la porti~e,
facteur qui prendrait ses petlts bagages; elle n'avait
plutôt
pas l'habitude de voyager seule? e.t X ét~i
maladroite; personne ne l'attendait, Il tallait donc se
débrouiller.
Les voyageurs <;l,u wagon .sont descendus. Valérie
est restée la derOiere, les facteurs passent en courant, elle n'a pu au pa.ssage arrêter aucun d'eux;
debout sur le marchepied, elle s'est retournée du
côté du wagon afin de tirer à elle son sac, assez lourd,
et qu'elle a posé. à terre.: . .quand une voix, parlant il
son oreille, la foalt tressat\hr : « ~adme,
permettezmoi», et DeOlS Faucheux, .rapldement, enl:':ve le
sac, recueille les autres objets, puis revient vers
Valérie, toule saisie; se découvrant, il s'excuse:
- Pardonnez-moi, madame, d'être venu cc matin
je savais que vous seriez seule, il a fallu que j~
vienne 1
Alors Valérie sent que cette crise qu'elle a tan
souhaité éviter est inévt~ble
... La volonté de Denis
domine entl'remenl la Sienne, elle murmure faibl û ment une réponse un peu sotte.
- Vous vous donnez bien de la peine,
Un heau sourire, un sourire qui dit mille choses
passionnées, est l'unique réponse.
.
- Je vous demande un~
heuI:e, c'est bien peu;
nous allons mettre vos petits coliS à la consione et
dans une heure, nous viendrons les prend.~
' ,
- On ,sera inquiet, chez moi, protesta Valérie.
-
QUI?
A son tour, elle sourit en avouant: ma vieill cuisini1:rc AnneLte.
- Annonçons-lui un petit retard clu train, me Ir
permettez-vous?
Tl comprend qu'on le lui permet.
La dépêche expédiée, les colis à l'abri, Valérie
stupéfaite, montû Cil ·lUtO. Elle n'a pas entendu \e~
�LA BRANCHE DE ROMARIN
79
instructions données au chautTeur, elle n'a pas
esay~
de: les surprendre ...
Deni Faucheux est à son côté ... il ne la serre pas
de pri:s, il n'a aucun geste alarmant, il a seulement
saü;i la petite main inerte, la d~gante
rapidement,
et y appuie ses li;vres ... puis il dit:
- Vous savez, n'est-ce pas, combien je vous aime:
Elle ne répond pas, frémissante d'un délicieux
effroi.
- Vous le savez, vous m'avez compris, parce que
l'rntente du creur vient avec la rapidt~
de la foudre ...
vous êtes libre, je suis libre, nous avont; Je droit,
nous ayons le dtvoir de nous aimer ...
Il parlait vite, trt-s bas, d'une intonation vibrante
et dominatrice; sa main gauche s'appuyait sur la
main droite de la jeune femme, la malOtenant immobile comme on maintient un oiseau craintif. Il vit
qu'elle desserrait les li.vres pour pa rit.! r.
- Ne dites rien, écoulez-moi d'abord: Je vous
apporte tou~
ma vie, une tendresse illimitl!e, le
dévouement Jusqu'à la mor!. .. Vous êks malheureuse, votre jeunesse meurt et s'étiole .. , vos fillts ..,
je sai s, vos filles; mais elles nc sont pas, elles ne
peuvent être tout à yous... clics sont aussi à
Jeur p~re
... et lui a su se créer une vic, sans les
pereire ... ou si peu; dans quelques annt!es, bientôt,
puisque l'al06e a treize ans, vos filles iront à d'autres
affections ... - que vous r"stera-t-il? C'est une illusion 1 des êtres humains ne peuvent vivre de leur
amour pour leurs enfants ... J'ai une fille , je donnerai
ma vip pour elle, mais elle ne peut remplir mon
cœur ....Je s~i,
les mères sc figurent, et puis à la
fin de leur jeunesse le rè:veil est afrreu .... Ecoutezmoi, Valëne, ma bien-aimée, vou;; ne vous cn doutez
peut-être pas, mais déjà vOtre être cst à moi, serit:zvous ici, il mon côté, s'i l n'en était pas ain-i"r Vous
m'avez obéi, parce que vous ne pOll\'icz pas nH.:
désobéir, ct maintenant je veux que VOLIS ml:: disiez
que vous m'aimez 1
Il était tout proche, maintenant. ..
Valérie, pale cnmme la mort, le regarda ... Attentif,
il sc préparait li boire Ic:; paroles qui allaient ttlmbtr de ces 1~\Tes
chhies .
pas si je VOIi aime, mais je sai a que
. - Je .ne ~ais.
le ne SUl,S pas libre...
.
.
- Pas libre ?... ct votre eX~OIa\'1
e t r.:mnl'lL: pa~
libre 1. .. ct comment?
'
- .Te suis liée devant Dieu ... j'ai :un~,
aus
,~ i IfJngtemps que mon mari vivra, jP. ne sui pas libre ...
Mon'lie\II' Fllllc:lJl'l1X, k VOU" ('11 conjure, n'Jhu 'Ci'
�80
LA BRANCHE DE RO!lIARIN
pas d'uJ1 7 sec.onde .de faiblesse ... Je ne veux pas, j..:
ne serai Jamais pafJure... .
.
.
- Vous ne vous remanerez Jamais?
- Jamais, vous entendez, jamais 1 Je ne ferai pas
cette injure à mes filles, à moi-même ... et tenez, je
vais être franche avec vous, nous n'aurons peut-êtn:
plus jamais l'occasion de parler aussi librement..
Même si mon mariage avait été annulé religieusement je ne me serais pas remari",e, il me s'emblerait i~sulter
à l'innocence de nos filles.
- C'est de la folie, de la pure folie; vous préférer.
torturer un homme qui vous adore, et je vous aimerai
quand mème, rien ne pourra arracher cet amour de
mon cœur, ayez pitié de moi ...
- J'en ai pitié ... et de moi (elle laissait baiser
passionnument sa main),)e ne suis pas? moi non
plus, mallrcsse de ce que J éprouve: .. :Je ValS souffrir,
Je le sais, peut-.être .longtemps, mal<; Je ne veux vous
laisser aucune IllusIOn.
-- Val~rie,
écoutez, écoutez,. on ne sait Cc que le
temps réserve ..: Nous sommes Jeunes tous les deux ...
accepter. ma fol. ..
- Non, non, je ne dois pas ...
- Si, mon amie, si, je vous en prie; je suis votre
chose, jusqu'à la mort; ne me refusez ras d'être
mon amie; pas un mol ne passera jamais mes
}"·vres ... J'attendrai, quoi, je n'en sais rien; l'heure
Je Dieu, cette injustice ne peut durer éternellement.
quand je sera~
en mer, i.e ~ai;
demander à repartir:
p(Jrmetz-~lO
de vous L:cnre .... et v,!us, mon idole,
écri vez-mol. .. cela ne peut flen frrllsser en vous ...
vous y trouverez une consolation, vous saurcr. que
hi.-bas au bout du monde, un cœur d'homme ne
bat q~le
pour vous; j'aime vos fille, comme j'aime
.r cannette, vous me parlerez d'elles ... de votre chien
de tout ce ~lut.!
vous aime;: ... je, partirai, ne plcure~
pas ... SI, ~I,
pleur?? .un p~u.
Ecoulez. ma derni' re
pri'.!re : lalsscz-f!1Çl1 franchi!' votre seUil, voir votre
maison ... que Je sache ou vous placer. VOliS ne
tl'Omp?l person,nc, c'cst votre droit strict de recevoir
un U1TIl ... Demam, vous serl:1. encore seule ... je vit:n<Irai à deux heures ... de la part de ma mLre ..Je
In'engage à ne rester que vingt minutes ... dites oui?
-
Oui.
La pluie commençait cl tomber, un'.' pluie d'étt.:
l'auto courait entre les allées du bai:,
fine et sem~,
de Vincennes, infiniment pai'lible li cette heure matina\"'. Une sorte de paix fatiguée semblait tomber
sur 10 h:rre et sur les deux êtres frémissants assis
cOte à cûte; il n'est pas d'~nJojt
olt k5C1ltimcnt
�LA BRAr'CHE DE ROlI,IARIN
81
d'isolement de tous se golite mieux que dans une
auto qui, rapidement, vous empol te; on a !-impression d'être d~tachê
de la rt:alité, d'avoir rompu les
liens avec ceux qui, fugitivement, gli sent devant les
veux.
, Péntr'~s
de cette sensation, Denis et Valérie se
taisaient, leurs épaules se touchail.nt légè rement, et
cc seul el précaire contact leur était une extraordinaire douceur ... La jLune femme leva les yeux sur
son co~pagn;
il s'était décOl;ve.rt, et son visa.ge
expressIf et un peu tourmenté etaIt comme éclaIré
étaient serrées
d' une passion intérieure, les l\.;vre~
sous la barbe brune, le regard, \'oilé el lourd, [tait
fixe ... Tel il devait être aux heures de péril. Involontairement, Val~ri
éleva sa main et la posa sur la
tête de son amI; II ferma les yLUX, tres~ail,
mai~
ne bougea pa&, laIssant ainsi la douce caresse se
prolonger un instant ... LI.! silence était tombé entre
eux, que sc seraient-ils dit'? Denis comprenait que
tout l'avenir de son amour dépendait de sa maîtrise
sur lui-même. Pour ne pas la perdre absolument, il
importait de lui inspirer confiance. Et, en Lffet,
Vo lérie, d'abord troublée jusq u'à l'épouvante, s'abandonnait maintenant à la Joie brL ve de ce tête-à-tête,
qui ne devait pas, ne poU\'ait pas se renouyeler.
Ah! que ne s'étaient-ils rencontrés plus tôt! pui~
le bon sens foncier de la jeune femme rejda ce
regret comme une pure chimè re ... L'amitit? oui,
l'amitié était possible ... C'était beaucoup, elle avait
toujours souITert, plw; ou moins, de la ::.olitude du
cœur. De tr\.'5 bonne h(;ure orpheline, n'ayant ni
fre l'CS ni sœurs, jamais son mari n'avait capté sa
confiance, même am. heures où il etait le plus charmllnt. Toujours elle sentait qu'il pensait avant tout.
inconsciemment peut-être, à lui-mêm(;; jamais il
n'avait essayé de pén,"trer Jan::; ILs arcanes sec rUes
du cœur de celle qui était ~a femme. La tendresse
maternelle la plus Vive, la plus remplie, la plus comblée, laisse neanmoins, clan' un cU.ur de femme,
comme un es race dé~crt
que rien n'anime, q,le rien
ne vient vivifier ... Plusieurs fois, à Rn, Val('rie avait
éprouvé que la pr{sence de Denis faucheux l .li procurait l'impression r0confortante occulte, que donne
la présence d'un chien fid'::le dont les yeux di"ent le
dévouement ... Non, elle ne pouvait retrancher de sa
vie un être qui la chérissait ... elle n'enli.:verait rien
à ses filles, elle se conserverait toute à elles, et ne
donnerait, cn Sllmmc, que ce trésor secret de son
cceur de femme, qui ne leur appartenait pas.
L'auto filait toujours. et !a plUIe et le ~ilenc
les
�82
LA BRANCHE DE ROMARIN
enveloppaiet:Jt 1 Denis, myst()ricue~
averti de ce
qui sc passaIt dans le cœur de son amLC, sc retourna
douo.:cment, et, sans violence, lui reprit la main, la
baisant avec m;;nagement et murmurant entre
chaque baiser :
- Prenez-moi, je suis à vous, dites que vous
acceptez le don que je vous fais de moi-même.
D'une voix à peine imperceptible, elle r":pondit:
- Sans espoir?
- Oui, sans espoir... Vous m'écrirez, vous m'ou"rirez votre cœur, je saIs que vous le voulez.
_. Rentrons, balbutia-t-elle.
- .Te vous obéis, je vous obéirai touiours 1
XVIII
Le père ct les deux peti.tes. filles faisaient leur
ultime promenade, tous troIs etaLCnt dans la charrette anglaise, mode de locomotion que Mat-cel!e et
Genvi~
avaient en passion. L'une ct l'autre mais
surtout la cadette, aV<l;ient .hé!·iI6 de.s Auùts cyn"gt\tiques d? Prémery. L'!nSc~lpO,
qUI, .SOll'; des t'~1 es
de sanglter, abondait aux EtaiS, s étalai t sur le papier
à lettre: « En avant Morvand., exaltait Genl'vitve
tout le cOté poétique de .Ia chasse l'ent housîasmait;
ct le son du cor la mettait hors cl'elle-méll1e.
Prémery, l1us~er
fois, pour le plaisir des
enfants, l'avaIt faIt sonn.er ~n,
a~lbçe
par le vieux
garde B~sti(!n,
e.t la. petite j.remlsa~
d'ardeur, ce,;
héla~,
il n'y
dispositlOllS rav,lssalCnt I~. p·rc ... M~IS1
avait pas à esperer ~e
sl:lours ~ux
btals pendant la
saison des chasf'es; 11 ne verrait pél5 ces pditcs cl
vaillantes amU7.0l1CS courir à ~Ol
côtll !
Celte pen sue lui causait un profond cbar.;rin il
leur avait transmis, par .le ~alg,
se~
gouts' ct
aspirations, et clic:;; grandlssalCnt clans lin milieu 0'1
tont cda serail étnul[C GencYii.;yc, plus ~l!n'
ibl"
qut.: sa ~rcu
aux. inl.lucnc<J:; l:xtëriclIre:;, ('prouvait
une v6ntablc pnvadon lorsqu'dl\; ne S'entait pa,>
autllur d'elle le libre c pace de la campa!-\nc ... clic
était timi.de, les. g~ns
. l'ennuyaient; les bGtes,
au contraire, la réloulssalent. La charrette courait
au-dessus d'eux un beau ciel, d'un bIc u si dou ..'
panaché 'de quelques nua!.!es, s'l!tllloit jusqu'aux I(lin~
taines collines, à l'entour les allues pleines de mys~
ti're ouvraient lourR per .. pecti"l'~
innnÎr<;, un chant
;05
�LA BRANCHE: DE: ROMARIN
83
d'oiseau éclatait parfois comme une fanfare ... Prérnery caressa lég~
rcment sa belle jument du bout de
. on fouet, e tournant à demi vers ses filles, et dit:
- Demain, nous ne verrons plus cela!
Un voile tomba sur les jeunes visages, un soupir
. '~hap
de.s poitrines ~'enfats
.. Marcelle, qui
avait de la presence d'espnt, rGpondlt :
Mais nous y pen erons, papa.
Mme de Pr~mey
avait éveillG la jalousie dans le
CŒur de la tillette, qui éprouvait une vraie consolation à constater que son papa était aflligé.
- Tu seras triste, sans nous, dis, papa? ajoutat-elle, un peu surprise de sa hardiesse.
Mais Prémery avait envie de parler de ce qui
préoccupait sp. pensép ct répondit, sans beaucoup
réfléchir à l'ImpressIOn qu'il pouvait causer aux
fillettes:
- Tout à fait triste, mes gosses, les bl!lles vacances
sont passées r
- Oh! elles ne devraient jamais passer, protesta
passionnément Genevii.;ve.
Prémery fut alarmé de l'expression de J'enfant, il
mulait l'attrister un peu, parce que celle tristesse
lui prouvait l'amour ue sa fille; mais il ne "oulalt
pas que cette mélancolie allat jusqu'à la sounrance.
- Elles reviennent, répliqua-toil, ct puis il ne
faut pas oublier que votre maman vous attend ... Je
suis sür, aI'outa-t-il, regardant à nouveau entre les
oreilles de a jument, que, si vous le lui demandiez,
elle me permettrait, par cc 1 cau temps qui est si
salutaire à notre petite palronne, de vous garder
une semaine supplémentaire.
- Cela ne le d0rangerait pas, papa? demanda
i\larcelle avec une sorte de hill<.; .
. - Mc déranger? (;t comment veux-tu que cela me
dérange ... - puis, comprenanl l'au~ion
cachée ...
- Deplus, l'amie Ja<.:quelinc ne reviendra pas avant
une dizaine de jours, elle finit la ~alson
de bains de
mer.
A l'étonnement de Prémery, Marcelle mil son
doigt sur sa bouche et regarda Gcnevii.;ve serrée
entre elle et son pi.:re. La petilr~
ne disait rien, mais
paraissait troublée: encore lIne semaine aux Elais,
dans les bois ... l'lIais m'1man ! maman? qui les attendait, ct puis, emhra~
maman 1. ..
Marcelle. habituée ù 5U sœurette, dont elle devinait les impressions, lui dit:
- Voyons, tu resterai; bit!n encore une semain'
aus Etai's. ch6rie. si tu ne croyais pas faire de peine
à maman.
�84
LA BRANCHE DE ROltARIN
:'liais ça lui ferait de la peine, dit tout bas b.
peti~.
. 11:1
1
. .
_ Oh 1 non, répondit n arce le a\ec convIctIOn;
oh 1 non, maman serait contente, au contraire j elle
m'a écrit hier qu'elle regrett.alt de p .. n:;;er que nous
allions quilter ces. beflUx bOIs..
.
Genevi:'ve, h~slante.
regardait alternativement
50n p : re et sa S C C ] J f , .
•
petIte patronne? mterrogea
_ Demandos~u,
Prt::mery.
- Si tu veux, papa ...
- Nous ailons troUer à la Charité et expédier une
dépêche. Si ma~
ne 'ent p.as, .eh ~ien,
je vous
fam~ne
aprL:s-demall1, cela ne (Cfa Jamais que douze
heures d'\ clilTérence.
Mais maman envoya sa pleine et enti"re approbation et un nouveau bail Lie f..!licité, de l'éternelle
dur6e de huit jours, commença.
XIX
Sur le mê~
quai Ol\, .cet inoubliable matin, Cl li
déjà semble SI lom, Dems Faucl~ex
l'a accueilltll,
ValJrie, à son tour, attend ses hiles, que la fld~
t\
Pauline doit lui ramener. Les voilà 1 le petit visat'
~
tout palot et ardent de qenevii:ve surgit à une fenèll ','
du wa"on, PUl';, le ~(Jmtn1.
un peu, parait la dOl!
et ray~nte
figure de Marcelle... Encore UIW
seconde et les deux enfants sont enfoui~
dans Ip,
bra,> de leur m"re, qui sent, sur ~a poitrine, palpitpr
leur') cœur~.
• i\1nman 1 maman 1. .• - l\Ion '~toile
1. ..
Mon trl'sorl ... » et des bai~ers
sans nombre "'('changent, cl pui~
enfin la voix briséo dl' ln m(re plaicte :
;. Que je V011" l'l'garde lin peu", et co m"'me temp;
ses bra~
aimants les l'cartent lL!g"remcnl; rll.' 1. \',le~
youx, CI, il son infinie surprise, aporçoit,:,o !enilnt
en (!ril:ft~,
.mais tout souriant, Pr~mey.
~:ifl
voyant
d6coUH'rt, Il s'avant:c ...
- .J'ai voull1 vous les remettre !11oi-mGme, dit-il
COlroi~ment;
dU larnler moment, 11011'0 l'on~
Pauline a cu peur de .a r ·6ponsabilit':, 'Jt, maintenant qu'eIl.:ls Ront on silrclf. ... mon r;)le est tcrmillif:;
je vais, si vous le permctteï:, VO\I<: rn/~te
!eJUte t 'pis en
auto, et je vous expédierai Pauline av .. c les naf,\.1I!C;S ~
- Vraiment. je vous remercie, balblltia Valérie;
elle éprouvait. en pré<;cnrr ri,. '1('1n (..t-m~ri.
l1n,<>
�LA BRANCHE DE ROMARIN
85
gêne singulière. - Nous partons tout de suite,
alors?
La rayonnante expression des jeunes visages a
disparu. Les enfants quittent une seconde leur
mère pour aller embrasser leur père, qui feint la
qaieté ...
- Au revoir, les bichettes, soyez sages.
- Tu as promis, demain matin, papa, gémit
presque Genevii:ve.
- Oui, si maman le permet, - et, s'adressant ù
Valérie: - M'autori~ez-vs
à venir les emerasser
demain matin, je pars à midi'
- Bien entendu, bien entendu.
- Merci; alors, vjte, en voiture ...
Elles sont seules avec leur ml-re, demain on embrassera papa, on peut jouir des délices de la réunion.
Valérie, avec une sensation de triomphe de les
avoir reprises, les questionne; les petites langues
s'agitent avec rapiditti, parler des Etais est presque
y être encore 1
- Oh 1 maman, Jobard, le chien de Bast ien, nous
(1 si bien reconnues, dit Geneviève, les yeux étincelants.
- Il nous a presque jetées par terre, dans son
bonheur 1 compI"te Marcelle.
- La bonne bHe 1 dit la maman ~mue.
- Et, maman, continue Marcelle, Mme Raymond
m'a bien recommandé de te présenter ses meilleurs
respects, et de te dire qUI:: Banzal est toujours
glouton.
- Est-il beau, hein, Banzai, mes chéries r
- J'ai u ne de ses plumes 1 crie Gencvi~;
oh r
j'ai rapporté beaucoup de choses de ma maison de
naissance r
- C'est vrai, Etoile r - Une larme brille sur le
bord des beaux yeux d'onyx; - les Etais, c'est ta
maison de naissanl!e 1
- Et, reprend Marcelle, avide de communiquer
ses nouvelles, une dame que j'ai vue à la messe,
Mme ]\[orel, m'a demandé de te faire ses compliments respectueux, elle a dit: « Ivles compliments
respectueux à Madame votre chi.:re maman. »
- C'est une brave pcrgonne.
- Dans mon pays de naissance, tout le monde
aime ma maman, déclare fii.:rement Genevil:ve; - et,
s'animant de pll1s en plus, - sais-tu, maman, nous
al'ons fait, avant-hicr, un pique-nique au carrefour
Je l'Etoile ... Nous avons fuit cuire nos œufs sur un
�86
LA BRANCHE DE ROMARIN
réchaud; oh 1 maman, c'était si amusant ... si tu avais
été là (
Le diapason de la voix baissa un peu à ces derniers mots.
_ Tu me le racontes, c'est comme si j'y avais été.
_ Maman, poursuivit la petite, aimes-tu Sancho
Panc;a? moi j'aime mieux Don Q':lichotte; papa ~ous
le lisait tous les SOirs, et pUIS nous chantions.
Papa char:tait, et puis nous après.
_ Et qu'est-ce que tu chantais, étoile i'
_ Malbro 1.. « qui s'en va-t-en guerre », et l'enfant, toute joyeuse, .::lève sa voix claire.
- Et toi, ma Marcelle?
- Marcelle chantait: «J'ai descendu dans mon
Oh 1 maman, comment se porte Jeanjardin (~.
nette ?- puis, devenue grave - est-ce qu'die pleure,
quand son papa s'en va?
- Oh (oui, mais comm<: il est en France en ce
moment, elle ne pleure pas.
- Est-ce qu'il est bon, le papa cie Jeannette?
- Très bon.
Sa maman est chez le bon Dieu?
- Oui, ch~'re
ange.
- C'est bien malheureux j j'aime .Jeannette, est-ce
qu'elle va venir à Paris ? .. nous lui avons écrit.
- Elle me l'a raconté et m'a fait voir votre gentille lettre.
- Nous lui avons mis du beau papier des Etai "
avec une t'::te de sanglier ... Tu sais, maman, j'ai vu
un sanglier, il courait. ..
- C'est une méchante bête.
- Je n'aime pas qu'on tue les bêtes.
- ~i
moi non plus; mais les chasseurs ne
pensent ras comme nous.
- Ce n'est pas mal, si les chasseurs tuent les
bêtes i'
- Sûrement non, elles font des dégàts.
- Maman, comment se porte Betty? Oh 1 dit:
aurait 6t':: contente aux Etais.
- Elle va beaucoup mieux; elle connalt bien ta
maison de naissance, ct l'aime beaucoup.
- Papa a dit plusieurs fois qu'il regrettait l'absen~
de Betty, - puis, aveC un rire ~tourTe,
papa dit que Pauline est un peu vieille ganachel
. -: Mais, tu sais, maman, - réplique Marcelle
anxieuse d'être juste, - ellc a été bien soigneuse.
- Oui, reprit Cicnevi1:v\.!; mais ravie de cuntinuer
la plJ.isal1tcne de papa, - un peu vieille ganache 1
Oh 1 maman, papa nous u fait rire, l'histoire du
�LA BRAI"CHE DE R01fARIN
87
bonhomme qui a mangé la chandelle, une histoire
Haie ...
- Tu me la raconteras.
- Je l'ai écrite, tu Yerras.
C'est le tour de Marcelle.
- Oh 1 maman, elle a écrit une si belle histoire:
La Princesse de mai. Papa dit que c'est tout à fait
bien.
La petite s'enveloppe alors dans la douce modestie
qui lui est comme un voile derrière lequel elle se
J'::l'obe.
- Ob! une autre aurait pu l'écrire aussi bien que
moi.
- En attendant, c'est ma Geneviève qui l'a écrite.
- Et Toby, maman, notre Toto, qu'est-ce qU'il
t'a dit, quand il t'a vue?
- 11 a tIti bien content, sa queue [rttillait comme
tu chantes, il va être joliment joyeux de revoir ses
}"etitcs maîtresses ... Tout le monde vous attend.
fante Louise viendra vous embrasser cette semaine.
- Ah! tant mieux. Est-ce que; cousin Oaston est
5age? interrogea M.arcelle, ennemie de l'insubordination.
- Pas trop, lu feras bien de lui ~crie
.
- ?vioi aussi, je lui écrirai, annonce Geneviève.
Oh 1 voilà la rue de Passy, nous sommes bient6t à la
maison. Maman, - et la petite se jette avec emportement Jan8 les bras de sa mère, - je t'aime, ma
maman!
- Allons, allons, pasd'émotiolls, tu vas me
ùt.!~oifer
Quelques minutes, pendant lesquelles Genevièvo;:
tremble un peu; l'allto a tourné] s'arrête, la grille
s'ouvre, Annette parait, ct Toby Jappe éperdument,
On est arrivé 1
xx
Le monde est pellt.
Mme de Prémery, trts él('gante, bien ingtall ~e nu
Tr':port dans le meilleur h61el, accompaf'n('e d'une
fillt.!tte exmplai'\~,
que tlanquait une gouvernante
impeccable, jouissail d'une grande considération.
Souriante, aCl!llcillantc, l'romrte à fraterniser. elle
cssa yait de persuader a trop timide petite Hile à
s'amuser avec les autres enfants.
�88
LA BRANCHE DE ROMARIN
La cabine de repos de Mme de Prémery, sur la
piarre avait, grac<! à quelques naltes et des coussins,
revêt~
un aspect original et gai j elle se tenait là, à
l'aise tians un fauteuil d'osier, ne paraissant pas
faire 'la moindre attention à la correcte personne
qui droite comme un mat, tricotait en face d'elle;
lor~que
la petite Clémence voulait se joindre au
groupe, et sortait son petit tricot, sa jolie maman
i'envoyait en déroute, s'amuser sur les galets.
Celte pauvre petite fille, pas jolie, un peu terrarouchée, n'inspirait qU'une médiocre admiration à
celle qui l'avait mise au monde... cependant,
Mme de Prémery était excellente pour l'enfant, la
et de bonbons, lui faisait rompre
gavait de gàtea~x
toutes les conslgnes.
- Mademoiselle a défendu, balbutiait la craintive
Clémence.
-- Oui, mais petite mère permet, et c'est assez.
Cette m::re, si rarement vue, était adorée de sa
pauvre petite fille, qui retrouvait, en celte présence
protectrice, un souH1e plus libre ... « Petite mi:re »
la libérait des trois versets de la Bible, qui, chaque
jour, devaient être ap})ris par cœur, en vue d'édification, même quand Ils narraient les crimes divers
J'Israi:l... Avec. petite m~re
», l'existence devenait
pleine d'imprévu; les accidents les plus facbeux: de
l'encre aux doigts, un tablier déchiré, un cahier
égaré, n'avaient aucune esp~c
d'importance. Bref,
« petite m~rc
» ne grondait jamais ... t<!ndis que
bonne-maman réprimandait sans cesse ... pour le
bien de l'enfant s'entend, et pour la prémunir
contre une ressemblance possible de caractère avl.!c
sa déplorable m1:rc! Or, Clémence n'avait qu'un but
'peret : res~mbl
cl « petite mère ~,
toujours
joyeuse et de bonne humeur, ct à qui tout le monde
souriait.
En vain, Mademoiselle disait sévèrement à sa jeune
élève: « Les idées de Madame votre mère ne sont pas
celles de Monsieur votre pl:re, Mon5ieur votre p1.!re
est le maUre. ~ Clémence, dans son for intérieur, le for
intérieur si secret el impént.:trablc tic l'enfant qui
subit des influences qUi lui paraissent injustes, en décidait autrement.
Pendant les longs mois de séparat ion, confln'::e
entre sa ~rand'm:e
rigide et son pi.:re attristé,
Ilbjct d'ailleurs de kur plus vigilante sc,Uicitude,
nécessaires,
pourvut.: d'un minimum dl: di~tracluns
Clémence s'ennuyait profondément, of'prcsst!c par
un rnyst~e
qui paraissait sortir de tous les COinS j
• J meurait claire ct bri!o
l'image de « petite m~r"
�LA BRANCHE DE ROMARIN
89
[ante, comme une belle étoile au ciel! Quand, toutes
les quinzaines, - le samedi, ct pas un autre jour,
- elle écrivait à petite ml re, oh 1 que de choses
elle aurait voulu lui dire; mais, Mademoiselle, une
rigide Génevoise, était toujours à son cOté, et surveIllait la rédaction. Deux pages étalent déclarées
suffisantes; Mademoiselle rehsait, semblait peser
chaque mot, ponctuait et parfois faisait recommencer, de sorle que la lettre ne ~ortai
en aucun
cas de la plus pla.te banalité. L'expression « ma chère
petite mère" aVait été réprouvée, « petite m~re»
n'est
pas respectueux.
- Ma petite mtre m'a dIt de l'appeler comme ça.
Mademoiselle ne paraissait pas entendre et répétait:
- Recommencez, Cle::mence.
Et la petite, absolument matée, recommençait.
Oh 1 comme Clé men cc aurait voulu raconter
loutes ces choses à petite m; re quand elle se trouvait seule avec elle, car Mme de Prémery semait
i\1l1e Fuch avec la plus parfaite aisance.
- Je vais faire un tour avec Clémence, ne vous
dérangez pas, Je vous en prie.
Et sOi Mademoiselle (victime du devoir) essayait de
protester:
- Non, non, je vous en prie, je préfère être seule.
La joie de Clémence, en ces occurrences, était
débordante.
En deux circonstances, Mlle Fuch éprouva un"
véritable révolution intérieure.
Appelant un soir Clémence, à 8 heures 1/2 précise, pour la faire se mettre au lit, selon le protocole établi, la consciencieuse gouvernante fut foud;o):é e de surprise en entendant Madame elle-méme
replJquer:
- Un sursis pour ce soir, Mademoisellc; je vai ~
mener Clémence tout à l'heure voir les bateaux de
pécheurs sortir du port; ils sc mettront en mOUI'Cment vers dix heures, c'est un très joli spectacle . Si
vous voulez venir?
Cc dernier mot rendait la protestation difficile;
cepenJant, Mlle Fuch se crut ohlIgée rie faire
remarquer:
-- C'est bien tard pour Clémence, Madame, la
régularité ...
.:-.- On y fera un accroc; ficz-vous à mOI, ma fille
n'en souÎfrrra en aucune façon, ces obligations imaginaires ne m'en imposent pas; regardez les yeu.' de
Clémence, elle les Itent ouverts sans aucune peine .
Le faIt était incontestable,
La soirée était ~i belle que Mlle Fuch, s'autorisant
�90
LA BRANCHE DE ROMARIN
de la convocation de Ma iame, parut à dix heures
avec son chapeau, et suivit Mme de Prémery et la
petite fille. CI-!mence, exalt~
de plaisir,tenait la
main de sa m' re. La nuit était toute piquée de
lumières, les barques se balançaient dans le port,
et faisaient mouvoir les lanternes placi!es au haut
des mats; ks marins, comme de' ombrt:s noires,
évoluaient avec rapidité, I,~ femmes de pécheul's courant sur le quai, actives, tirant sur les cordes, to,lt
le spectacle ,:tait de nature à ravir un cœur d'enfant,
et quand enfin, voiles ddpl(jyées, les barques l'une
apr:5 l'a~tre
piqu:'re~t
vers I.e lar~e,
Cl~menc
pensa
que jamais elle n'avaIt ';u lïe~
a'aussi. beaul Dune
vive allure sa m"re l'entrainalt sur la Jet~
que les
barques longeaient, glissant sur l'ea~,
vives et
lég2res, puis avec. une sorte de soudall1ct.il plongeaient vers l'hoï~n
sombre; la mer faisait un
grand bruit, un bruit mystérièux et magnil1que, le
èiel était opaque; mais Ulle jeune lune y courait
lumineuse et Jouce,
:'vllle Fuch elle-même dut avouer que c'était « tr~s
joli ", chercha dans ::;a m:mÙlre, cependant bien
fournie, un te~
approprié, ne le trouva pas, ct fut
contrainte de sc r~sev
pour un autre jour.
Mais le comble à son a~ilton
fut la d';cision de
Mme de Prémery de conduire Cl0mcncc à un bal
d'enrants au Casino! Mme de Prémery avait ébauch~
d'aimdbles relations av('C nne jeune femme habitant
il: même hôtel; Mme Vailly, femme J'un avocat parisien, ~taj
fol'l amie des Ji:;l'actC)n~
pour elle-mème,
et p0ur ses fillL:ttes, un peu plu', ag,~es
que Clu·
mence, et qui l'avaient pri'ie sous leur protection.
Mme de Pr\:mery, en pa, ant pur Paris. ,wait acheté
pour sa fille, dans une l1l:1i,on sp~cialt,
une petite
robe de tulle, sem0e dt: tlourH, du dernier goût; le~
cheveux. raides .le CI"men t: avaient I~t\:
aC';QIIlmodüs par l'habile main de Mme de l'rémcry, à clU;
le phyRlque un l'eu ingrat do l'enfant intipirail UI1l'
-r.rte de cnmpassion. « Palll re choull:, Ct; n'l;~t
pa
me rer.semblerl -,
de a faute, clic aurait mieux aim~
ct avec beaucoup de ~atisfcln
la jeune l'emrn"
pt:n<ail que l'enfant qlli allait venir aqil tnut.!s k
rai::;on!'; possillks pour POq Gdt:r IIne jolie figlr~;
(.1
alkndanl, L:rnbellir un peu cl'ilc ù qui cct avantat'C
r;tiq,tit d~raut
nc d01'lai ail !)u:s ;\ ,\tme de PrJl\e~
.
l~Je-mC(;
~· .. llIit part;.! il ravir p"ur In(~cr
~a
tilh..
~a ,roht.: ru:OPlo, 1i;I~re
ct perlée,." a grallde ca.pclin.
nOIfl~.,
t;~
lUfttt; 1", Ilombrt: dl.: bl)IItil( et de chain.~
nécessaires pour donner à son él~iuce
une note de
lu,"e solide, la l'endait fort agréaole à contempler.
�LA BRANCHE DE ROMARIN
91
:'lIme Vailly se trouva enchantée de se joindre à elle,
et les jeunes demoiselles Vailly (onze et douze ans)
promirent de faire danser Clémence; et leur petit
cousin, personnage de dix ans, arrivé de la veille, n'y
manquerait pas non plus.
Mme de Prémery les remercia.
,
- Vous êtes trop gentilles; rr..a pauvre choute
danse mal; mais la bonne volonté ne lui manque
pas; elle est comme sa maman, j'étais fort dansante,
et le suis encore l
'
Clémence, qui palpitait d'espérance, assura ses
petites amies de sa bonne volonlô.
Mme Vailly s'occupa aussilôt de découvrir sa
belle-sœur, Mme Labenne, propriétaire de l'uti!
petit cousin; partenaire indiqué pour Clémence.
Elle ncfut pas longue à la découvrir. Mme Labenne
était curieuse.
- Ayec qui ëtes-vous, ma chère, demanda-t-elle
aussitôt à sa belle-sœur, quelle jolie femme et
comme elle est bien habillée.
Mme Charles de Prémery,
- N'esl-ce pas? C'~s
très aimable, elle est ICI avec sa fillette.
- Prémery, mais alors, elle doit être la tante de
ces gentilles fillettes qui étaient à Bex en mém e
temps que nous. Jacques? comm7nt s'appe.laient les
pelites de Prémery, tu SaiS, les fiUettes qlll ont une
si jolie maman?
- ~[arcel
Cl Geneviève.
}tl11e Vailly avoua n'ëlre pas au courant
- Je demanderai ci i\lmc de Premery, je ne suis
'as encore au fait de sa parenté, mais c'est pro)abJe ces petiks filles doivent être ses niL ces.
Le Jeune Jac'}.ue s, cOl1duit par ses cousines, s'en
allait cI":jà vers Ckmence.
Mme Labenne continua:
- Oui, tàchez cie le savoir, la maman de ces
petites Prémery est divorcée, paralt-il, c'est une
très belle femme, qui se tient fort à l'écart; pendant
que ClOUS étions là, il y avait un officier de marine
qui cn paraissait extr(:mement amoureux; mais Ull
beau matin il a filé, elle est rt.:stéej il y a dû avoi ;'
qudque histoire Jà-des~ou.
Mme Vailly promit de s'informer, et fit mine d ..:
retourner vers Mme de Prémerv.
- Tout à l'heure mus me fùez faire sa connaissance, dit I\f me Labenne.
- Mais tOUI de suite si YOUs voulez; précisément
.Jncl)ur:s soulu avec la pe1ite Clémence.
~'me
Vailly amena donc sa belle-sœur vers Jac:o
C'jucline; après quelques phrases banales sur les
l
�92
LA BRANCHE DE ROI\1ARIN
bains de mer, les enfants, etc., Mme Labenne dit
en souriant:
- Je reviens de Suisse, où j'ai été à Bex en même
temps que de charmantes petites demoiselles de
Prémery vos nii:ces probablement, madame?
Sans I~ moindre embarras ni hésitation, la maman
de Clt!mence répondit:
- Non, madame, les filles de mon mari. M. de
Prémery est divorcé, je le suis de mun cOté. La
gosse qui s~ute
.là.-bas e~t
la ulle c!e mon premier
mariage. J'al qUitte ces JOU! s dernl~s
Marcelle et
Genevl"ve, qui se trouvent aux Etais avec leur papa,
ce sont d'aJorables enfants, je suis tout à fait de
votre avis.
Mme Labenne, plutôt interdite, s'excusa un peu
gauchement...
, - Mais de quoi donc, madam e? reprit .Tacqu~
line, la :;ituation est fort simple, l'honneur de tout
le monde parfaitement sauf j de fort bravcs gens
peuvent ne pas s'entendre, ct puisCJu'il y a \111
l'cmi.:de, je trouve prd2rable d'y avoir recours. C'est
ce que nous avons fait.
Jacqueline de Prémery parlait avec le bel aplomb
de ceux qui se moqu ent d~s
jugements du monde,
et li. qui, en général, cette indiflérence ruussit par~
taitement. Le monde, étonné, accepte avec une
sorte de respect ce ux qui s'arfranchissent de ses
verdicts.
- D'ailleurs, continua Jacqueline avec son imper~
turbable; aplomb, j~ suis de famille protestante, et
remariée au l'eligieu.· Cl laIque!
Puis elle se ml! à rire, leva <;a jolie tète et parut
prendre quelqu'ull d'invisible à témoin qu'elle avait
en somme bit.:n le droit cI e faire cc qui lui plaisait;
ct afin de dissiper l'esp\;ce d'embarra., de ses voisines:
- Voyez donc, comme ma pnuvrc Clémence
s'acquitte bien cIe sa tuche; elle a l'oreille jus te, la
matint.:, ~t sauh' en mf.'surc.
Tout Cft parlant, Mme de Pr('n1ery s e lc'a ct fit un
' qui k !Oaisi! .1\1
signt: d'approbation à Cl é m c lc~,
vol. Mme I.abenne, durant cc our! in , tant, chuchota
à sa belle-sœur:
- Ell e est charmante ... une franchic;e, C't.: 5t ddicieux!
El quand .Jacquelin e !le ra~
it. elle renCO'1tra le
plus aimable sourire de llme Labenne et le lui
fi:ndil aVeC usure.
Une des vives curiosités de Jacqueline de Prémerv
était do connal.trc la pl'cmi\;rc femme de son marI.
�LA BRA CHE DE
RO~AIN
93
de sa"olr quelque chOse d'elle; et l'absence de relations communes l'uyait ju~qe-Ià
tenue dans l'ignorance. SUltoul depuis qu'elle connaissait les filles ùe
son mari, leur mère avait ces'~
d'être une personnulilt: anonyme nottant dans le passé, sans lien aucun
aciuel avec Charles de Prémery j l'attitude du p:re
vis-à-vis de St;S lilles avait persuadé Jacqueline que la
m:re devait occuper une certaine place dans l'esprit
de son mari. II importait donc d'ètre un peu au courant des faits et gestes d'lIne personne exerçant une
in{1uence occulte sur l'homme qu'elle aimait. J acque'line savait qU(;, dans la vic, rien n'est indilTêrcnt, et
s'elTol'çait toujours d'êlre le mieux arml!e possible ;elle
Sl télicita donc de l'aubaine ct sc promIt de tirer de
;,\1me Vailly toutes les informa1ions que Mme Labenne pouvait donner. D' s le lendemain elle était
inf(lrm6e de l'existence d'un certain lieutenant de
vaisseau, soupçonné par les hôtes du Cl'and Hôtel
de Bex d'ètre fortemtnt épris de la belle et aust~re
Mml! Monpascal. .. Dos d6tm)s suppl(;mentairl!s laissaient entrl'voir la possibilitu d'être plus comp!!::tement informée, Uoftîcier était en conSé, atlch~
à
Lorient. Mme Faucheux, sa m' re, vivait à OriGans.
mais passait unL! partie de l'hiver à Paris, etc.
~lm!
Faucheux ne rêvait que le remariage de son fils ...
vl.'ufune pn,mii:re fois ...
~ Pauvre ft:mffic 1 SL! dit Jacqueline avec une
inlilnc ~alisfcto,
tant mieux si elle pouvait refaire
Sil vie, la solitude est trop triste 1 lJJ
•
XXI
La fin J(; cdt' journée de retour avait (:té pesante
pour Charles d . . Prémery; depuis longtemps il ne
'était pas senti aussi troubl\!, ct il constatait, avec
une sorte de frayeur, que ce n'était pas uniquement
la Mparation d'avec ses Jillcs qui l'agitaJt, mais
l'Imprl!SSlon produ ite sur lui par leur m: ru 1 111'a vait,
"ons qu'elle le sflt, contemplée librement pendant
l'instant, où, tran~figuéc
par la joie, clic serrait les
ch' l'OS créai ures l'Cl rOU\',~es
sur son cœur 1 Prémery
n'avait pas Cl'll ce beau visage, dont le calmt sou'"nt l'avait énerv~,
susceptible d'un tel raVtlllnt;ment; l'amour le plus chaud y brillait, dal;s une
l.''\pre\ôsion d'infinie douceur, les yeux noir lan'Ulcnt des étincelles, tant iL titaient rEclatanb j la
�94
LA BRANCHE DE ROMARIN
rauque,
voix, générale,ment,un peu souTde, pre~qu
revêtait des mflexlOns suaves pour dire les mOls
maniques: « Etoile " « Trésor .1 Oui, en v~rité,
ces
cré~tu!s
de sa chair lui étaient: étoile et trésor,
l'éclairaient sur sa route, lui donnail:nt tout en abondance, Jamais Prémery n'avait vu son ancienne
femme si bdle, car, au milieu de cette f~licté,
l'œil
exercé de l'homme d'ex.périence discernait un lond
douloureux, Ce qui émanait de Valérie était la joie
as~ur6ment,
mais la joie du sacrifice, la plus divine
Je toutes.
Prémery éprouva le sentiment humiliant de n'avoir
rien connu du vrai caracti:re de sa jeune femme; et
maintenant qu'elle n'était plus à lui, elle lui apparut)
comme un mystè:re ... un mysti:re délicieux dont il
aurait passionnément souhaüé soulever le voile qui
le lui dérobait.
Quand la mère ct les en~ats,
eurent disparu, il
. embla à Prémery que la nUlt était soudain tomb~e
...
Un efTréné désir de les joindre, de les retrouver l'é~ reignit, le tortura .. , Il appela à son aide toute sa
volonté; mais, la lon~5u
habi~ud
d'obéir à chaque
instinct passager, ne lUI en lalss,ut gu1:re pour vaincre l'obsession.
En vain il essaya de penser à Jacqueline aux douceurs que lui donnait son amour. .. Ces Gvocations
~aveur,!1
pouvai.t oublier Jacquelui parurent ~ans
line, comme JI avmt oublie tant d'Idoles brisées; il
ne pouvait arracher de Slln cœur les racines qui
attachaient sa destinée à celle de Valérie 1 Tout en
promenant d'un endroit à l'autre son désœuvrement
Charles de Prémery comprit quc la femme qu'ii
avait vue ce malin-là, avait tenu dans sa vie une place
uniq~e;
elte avait été. l'ép?~\se,
celte avec qui il avait
cru tonder le foyer ue,finltJf; tt, malgrG la liberté retrouvée, malgré la lo!, mulgrl: (\lut, Jacqueline au
fond, n'était 'lue la maitress.: l<!f!itim<:", La l1o;t~nie
de l'autre foyer, du pn:mier, s'imp()~al,
I~ersitanl,
Pré,mery, s~ ',lIt, avec .amert~l!
ql!C .Ia. femml' qui
avait lXCllc SI fort la jalDuslC d.e vaklïl:, provoqué
leur:, ljul!rcllcs, une pdlt\! actncc ru 'Ge et fourbe
ne lui était depui~
I0I1.!temp5 qu'ull objct de dégoùt..:
ccla, pour cetic marclind~e
avilie i'l avait
cl ~our
<=on,trist6,k cccur de celle qui étai,t venue à lL;i vierge,
qu'Il aVûlt rendue femme d tn n., d.' qui 6taienl
nées ces deux enfants, si fort sicn(;~,
dont la priva'j,l1l lllj paraissait d~s()rmai"
un ,upplice. Et à cet
"ta r de ChllS';, aucull n;mL d', aucun l: ,poir d'ar1~
lir,ratioll, au contraire: la naissance d'un enfunt
econd mariage, yh:ndrait complique;
i:, l, ùc ~Ul
�LA BRANCHE DE
ROMA~
95
la situation. Comment annoncer cet événement à
ses tîlles r Il sentait, chez Marcelle, non avertie
certes, mais cependant soupçonnant le péché, une
pudeur d~licate,
que cette nouvelle froisserait; il
avait surpris l'espèce de frémissement de la fillette,
lorsqu'il tutoyait sa femme, et il al'ait eu recours à
des phrases entoril~s
pour éviter ceUe familiarité
conjugale. Ht:las 1 il reconnaissait, trop tard, le bien
fondé de l'objection principale de Si.l bienveillante
sœur Louise. ~ Tu te créeras des embarras infinis. "
Elle avait eu raison. Cette émancipa . ion qui paraissait si souhaitable, le commencuncnt d'une l re de
liberté, avait doublé les jougs. Le passé est comme
nos enfants, une fois qu'il a été, nous Ile demeurons
en rien maltrLs de ses con!'~ques,
pas plus qu'il
ne nous appartient d'empêcher nos enfants de
croître, de devenir des hommes ct des femmes, dont
les actions sont total<:ment indépendantes de notre
volonté, et qui, n~amois,
auront toujours sur nous
leur répercussion. tI. Enfin, je les embrasserai demain, » se répétait Prém'ery pour se consoler, et
fidèle au svstè me de ne pas vOir trop loin, mais de
saisir le bien pr~sent.
Demain vint et le porta à Auteuil.
Ce fut Pauline qui lui ouvrit la petite griIJe du
jardin; dl:s l'entr':e, les deux petites se saisil;ent du
papa bien-aimé et l'entralni.rent dans le joli salon,
où presque chaque meuble était un vieil ami; Toby
au~si,
ivre de contentement, sautait sur son ancien
maitre et pleurait de joie.
- Oh 1 papa, dit Geneviè:ve ravie, .ct embrassant
Toby avec emportement, comme 11 te connaIt,
comme il t'aime 1
Toby avait bondi sur les genoux de son ex-maUre,
et ses yeux lui disaient clairement qu'il était prêt à le
suivre jusqu'au bout du monde.
Les pëtitcs prirent cles si' ges bas, et encadrl'rent
de très pr,5 le fauteuil où Prémery avait pris place.
Il était pale d'émotion; se') filles, cette bête bd: le,
tant d'objets familiers, faisaient renaitre le passé
avec une Illtensité douloureuse.
- Je ne dérange pas votre maman, j'esp~r,
dit-il
enfin, d'une voix dont le tremblement échappa aux
cnfant<:l.
- Non, papa, dit Marcelle, posément, et un peu
tristement, maman est sortie dcplJis neuf heures Ct:
l11atin, elle est allée chez J\lme Bressac, ~ui
est tr1:s
. oufTrantc; maman a reçu un mot d'elle hlcr soir .
de couvent, toujours
.Mme Bressac était une ami,~
restée li~)
avec son ancienne compagne j l'e~cus
•
�96
LA BRANCHE DE ROMARIN
"tait donc bonne et plausible; n-:anmoins Marcelle
aurait VOJlu ajouter: « Maman est bien faell"e». Mais
maman n'avait exprim~
aucun sentiment de ce genre,
et la v~riùque
petite fille s'abstint de tout commentaire' de son coté, papa se contenta de cilre:
- Je' regrette d'apprendre que Mme Bressac .est
malade.
On causa, mais il y avait dans l'entretien, et
chez le p::re et chez les enfants, une nuance d'embarras.
Comme diversion, Prémery observa:
- Quel joli jardin vous avez ia.
- Veux-tu le voir, papa?
- Volontiers.
Tous trois se levèrent. Marcelle OU\Tit la portefenêtn:.
Le petit hôtel avait été autrefois une maison de
eamp~n,
et en gardait l'allure d-:sll\.:te ct pittoresque' j le jardin avait conservé un air agreste j une
premï~
pelouse un peu folle, que terminait un
énorme acacia. en dôme,. était. suivit:! d'un large
espace sablé, ou se trouvait un vieux banc de marbre, très bas, arrondi, accueillant d'aspect; à côté
de ce banc, un arbre morl avait été coupé à haut eur
de petite colonne, que des fleurs surmontaient; un
autre acacia beaucoup plus haut, surplombait le
banc de ses branches toulrues, ct au delà, un énorme tilkul jetait surtout ce fond dc: jarJin une ombre
peut-t7:tre trop épaisse; tout autour du mur d'enclo~
lcsfutaics "taienl drues el vertes, cl comme d'autres
jardins joignaient, on se serait cru très loin d'une ville.
- C'esl tout à fait un petit parc, observa Prémery! ct .s'!lsseyant sur le banc ùe marbre: - On
c.l bien ICI.
Nous y venons tr~s
Souvent avec maman'
l'hiver, quand les feuil~s
sont tombées. i\ ya tou:
iours beaucoup .Je soleJl 1 asur~
iVlarcc1k.
Il y cut un stlenee, s!lcnce Ilwolontaire que la
fine scnsibilit':: de Gcne"i1;vc lui
ro'mprc la
pl'cmi'·re.
- Cc n'est pa.~
beau CUIl1mc ma maiSlJO U~
nais~alc!
soupira-t-elle.
Prémcry ~e levo, l'épre~v(
dC\,enai!. trop lourde;
cl:pendant, Il ne l'ut sc dl:lt.:ndrc Li cxpnm/~rtoui
haut
Uil désir qui le tenaillait ùepuis quelque" instants.
- .Je voudrais biLn C(lnnaitrc VOire chambre
nl:~
~héries.
'
- Vicn~,
papa, vieil s, cria Genc\'i1;ve, j..: \'ai~
te la
montrer.
Ils rentri:rcnt par la porte-fenêtre, tra\es~n
l
nt
�LA BRANCHE DE ROMARIN
97
salon, Geneviève conduisant; elle s\.ngouffra la premil're dans l'escalier: « Viens, papa », répétait-elle,
et Prémery, très conscient de son indiscrétion,
monta derrière sa fille, le cœur battant.
- Juste, Pauline fait notre chambre, annonça
Ge~viè.
Prémery s'avança sur le seuil, et ses yeux mouillèrent à la vue des deux l?etits lits, des meubles
délicats, de cet ensemble d'mnocence et de pureté.
son portrait était accroché au chevet de chacune de
ses filles.
Pauline, un peu ahurie, regardait « Monsieur •
et s'efforçait de réparer le désordre de la pièce.
- Que Monsieur entre, dit-elle.
Il entra.
Une porte ~tal
ouverte, celle de la chambre de
Valérie 1
- C'est la chambr<! de maman, déclara Geneviève,
et elle aurait poussé son père vers la pit. ce; mais
Prémery, disert. tement, se recula; il n'avait donnt:
qu'un coup d'œil, mais ce coup d'œil avait tout embrassé ... Un joli lit Louis X VI, ~troi,
un lit d"
veuve 1 La belle coiffeuse ancienne; celle de jadb,
devant laquelle il imagina Valérie, comme il l'avait vue
si souvent, dans un de ses peignoirs blancs, peignant
ses superbes cheveux, dont les ondes fines et
sombres l'entouraient comme un voile ... Précisément, un peignoir blanc était encore là, jeté sur un
fauteuil, le lit était refait; de la pièce claire et enso·
leillée émanait une senteur délicate, car le cabinet
de toJlette attenant était demeuré ouvert.
Et jamais ...
C'était fini ...
Prémery eut peine à se maîtriser; mais son troubl<:
n'échappa pas à Pauline. " Monsieur» s'était appruché d'elle et lui serrait cordialement la main. Celle
de Monsieur était glacée.
- Au revoir, Pauline, je n'ai pas besoin de vous
faire des recommandations pour contenter Madame.
- J\1onsieur peut compter sur moi.
- Allons, mes chéries, descendon , et regardant
sa montre: l'heure presse; on va s'embrasser et Se
quitter.
Les deux petites pleuraient. Leur père, l'une
après l'autre, les serra sur SOIl cœur ... Elles ne I?arlaient pas, pauvres enfants, que rouvaient-elles dire?
ni : reste r ni : emmi' ne-nous r
Leurs petits cœurs ne pouvaient qu'être broyé~.
Dès que Pauline eut entenùu la grille se refermer,
dIe descendit hâtivement. Les deux. enfants plcu91.IV
�98
LA BRANCHE DE RO:MARIN
raIent silencIeusement dans les bras l'une de l'autre,
s't!treignant bien fort 1 .L\{arcelle, si ingénieuse à consoler, ne trouvait aucune parole de réconfort: un
papa qui s'~n
va pour longteI?ps, longtemps,. c'est
tellement tnste ! et pas d'espoIr que papa revienne
plus tôt qu'nn ne \'esp~r
1 et maman L\ui n'';tait-pas
là 1. .. Marcelle avait trl!S bien compns que maman
était sortie, expr::s, exprès pour ne pas voir papa!
et avec une mordante Jalousie, elle pensa à la femme
d~ son p:':re ... e( à la petite fille de celle-ci, pour qui
son papa était bon ... Ah 1 le cœur de la fillette ét ait
lourd.
Paulin;,; s'approcha, ses yeux fan~s
pleins de
larmes:
- Voyons, MesdemoIselles chéries, soyez raisonnables; si votre maman vous trouve une figure bouleversée, elle ",a être désespérée, la pauvre dame, ct
ça le lendematn de votre retour.
~ C'est vrai, dit Marcelle, allons, mil; Genevièvt.,
essuie tes yeux, pour que maman pUlsse les embrasser.
Geneviève sourit.
- Oui, continua Paultne, il faut faire fête à votre
maman, elle n'a que vous 1
- C'est vrai, elle n'a que nous, rép~ta
Marcelle
et cette pensée fit se redresser la tête penchée d~
Geneviève.
- Il ne faut pas lui camer du chagrin, à votre
chl!re maman, et si vous voulez écouter votre vieille
Pauline, vous ne lui direz pas que votre papa est
monté.
- Pourquoi? demanda Gcnevli.!ve avec un peu de
colè:re.
Marcelle comprenait à demi.
- Mademoiselk ch.érie\ il y.a deo. chose~
que jo;
ne peux pas VOl:S e;\l?tqu~r,
. mal~
cr:o:vez Pauline.
- Il ne faut JamaIs mentir, rçplIqua s6Yl:l'emcnl
la petiie fille.
- Non, bien sûr; mais votre maman ne vous fcra
aucune question, sc; taire n'èst pas m"ntir, ct comme
Annette était l>ortie, si nous nOliS taLons y,)t!'<:
maman ne saura rien ... !\Iaintenant, mont~s
url
peu r?nger vo-, pet.iles afl~irès,
j'ai sorli k' photograrbl(!", ~1l
My tille, ct 1\ fauJra lcs d\!~cnr'.
_ ... 'ous lèS montrcrons à (an le Loui ',cl1~
\'io;l1,Ira. celte semaine, reprit Marcelle \ i\'clllcnt, suivant
la voie que Pauline lui ouvrait !J0llr of'li'ir une divcrl>ion aux idées de Gcncvibc.
- .Je voudrais que maman rent~,
s~upir
la petite.
bH,utO\ onze hçu~-es
- Elle ue tardera pas; 11 <:~t
�LA BRANCHE DE ROMARIN
99
et demie. voilà Annette qui revIent; votre maman
ch~rie
sera là dans un moment.
Et en efTet, un quart d'heure plus tard, la bienaimée silhouette se dressait devant la grille et les
deux petites s'élançaient à sa rencontre.
Cette entrée fut vue de loin par Prémery. Après
avoir quitté ses filles, il s't!tait senti sans forces pour
s'éloigner; marchant de long en large dans la rue
transversale, du cOté opposé à celui par lequel il
savait que Valérie reviendrait, il guettait son
approche ... non pour lui parler, non pour qu'elle le
yit, mais pour l'apercevoir encore une fois ... Il comprenait qu'elle s'était absentée pour ne pas le rencontrer, et il comprenait au:>si qu'il avait outrepassé
ses privil1:ges en lui demandant, devant leurs
enfants, la permission de venir chez elle ... la maladie
d'une de leurs filles lui en aurait seule donné le
droit 1
11 avait comme toujours p'ensé à lt;i-même, sans
réfléchir à l'impression pénIble que cette démarche
pouvait causer à la m~ re de ses filles 1
Quand il voyait Valérie de\'ant ses yeux, il devenait impossible à Prémery de la consIdérer comme
une étrangl.:re. Elle l"était cependant; maîtresse de
lui interdire de passer sa porte 1 ct ceci paraissait
presque monstrueux à l'homme qui avait été son
mari.
La jeune femmc avait franchi la grille, pénétré dans
l'asile clos, où, sous son aile maternelle, grandissaient
_es enfants, leurs enfants, créatures de grace, de
bonté ct de beauté, que le père était destiné à ne
voir que rarement 1Oh 1 comme elles lui étaient pr~
deuses et ch1:res, qu'il eCJt été doux d'habiter cette
petite maison modeste en pareillc compagnie ...
Son, le remords, mais un regret cuisant entra dans
le cœur de Prémery; et, pas de remède 1 non, cette
fois, il n'yen avait pas.
XXII
Valérie, en t:tfet, s'était doignée pour ne pas rencontrer son ex-mari; elle lui en voulait de fui avoir
infligé sa présence, la pudeur intime de la femme
~'en
trouvait frois6~.
Puisqu'il ne lui était plus tia~l,
jamais ellc ne devaIt le vOIr 1 Cependant, une VOIX
secri.;te lui soufllait que, dC';ant Dieu, Prémery éta~
;
:ù·
~
le Il
~
. "'ï
�LA BRANCIiE DE ROMARIN
100
encore et tOUjours son man. Ces entrevues passag' res apportaIent à la jeune fernm~
un trouble doull/ureux où toutes sortes de sen' lments se confondaient.
Bex, déjà, l'appariiion de Prémery l'avait
vivement émue, avivant la plaie, que le temps et le
repos cicatrisaient peu à peu.
Mais, maintenant qu'un autre sentiment, profond
et secret, s'..;tait installé dans l'arcane la plus cachée
de son cœur, la présence de son ancien mari devenait intol~rabe.
Pourquoi v<!nalt-il jusqu'à son foyer?
Elle ne sungeait pas à se pr~sent
au sitn.
Le seul bien de la femme délaissée, c'étmt la
liberté, l'afTranchissement, cette liberté était sacrée
et devait être respectée.
Valérie, dans le doux bonheur de reprendre possession de ses filles, n'avait pas voulu que le moindre
acte, issu de sa propre volonté, leur causat le plus
léger déplaisir. Elle avait YU leur joie, à l'idée de la
visite de leur père. Pouvait-die les en priver? Prém~ry
savait bien qu'elle ne le ferait pas, c'était à lui
de s'abstenir.
La semaine de gràce demandée avait été pour
Valérie une trêve, qU'elle avait accueillie avec recon.
naissance; l'ébranlement de son être avait été si
violent qu'un peu de solitude lui fut un infini bien
moral. La félicité d'être aimée, d'aimer, coulait dans
ses veines comme un baume viviHant, l'unique et
courte visite de Denis, car il avait paru à l'heure
annoncée, lui avait fait éprouv.:-r une sorte de béatitude jamais ressentie jusque-là. Les paroles, de part
et d'autre, avaient été rares ct br\:ves ... Se tenant la
main, il., s'(;tail:nt regardés, sc pénétrant ainsi l'un
l'autre, révélant jusqu'au tréfonds de I.:-ul's cœurs
mt.:urtris.
- Je SUIS tout vôtre. N'ayez. ma bien-aim6e, aucun
secret pour moi, dites-moi tuut, vos pensées les plus
fuaitives ...
Et elle avait l'l'omis.
•
- Ne quilkz pas encore la France ... murmurat-elle
- Non, je ne demanderai rien ... je me contenterni
d'accepter ... Vous décilkrc1. dor~navt
tout de ma
,il: ... Je vnus attends depuis si longtemps, je savai'l
que vous viendriez, ct vous i::te \'I.':IIUC ... Plu~
belle,
plus noblt:, que je ne l'avais re\'é!
Oh 1 quel regard dl.!vorant fait baisser les paui~re
de la femme tremblante.
- Donnez-moi quelque chose qui soit à vous, le
moindre objet. pour m"hre un tali.,man
A
�LA BRA 'CHE DE ROMARIN
101
Non, il n'y avait pas de mal à cela; les amis
dévoués échangent des gaFes, Valérie enlL ve d'un de
ses doigts une bague vieillolte qui lui vient de sa
m~
rc, et la tend à son ami.
Denis la baise avec transport.
- Elle est à moi, et je ne vous la rendrai jamais,
(ilt-il avec violence; puis, adouciesant son intonation,
car il sent que Valérie en est effrlJ.\'ée :
- Que je suis heureux!
_ Vous aussi, balbutie la jeune femme, laissez·
moi un souvenir.
Une flamme monte aux joues d" Denis.
Fébrilt:ment il sorL sa muntre, et détacnant une
pièce d'or attachée à la chaine:
_ Oc tune pii.:ce grecque, c'est Minerve ... c'est
vou -méme!
La main tremblante dt! Val~
ie . erre l'antiq'le
effigie ...
_ Et maint enant, dit-elle, adieu ... pouraujourd'hui.
- Adieu 1. ..
Un IOIl ' baiser sur les chèreq mains, puis Denis,
fid'Ie il ~a
parole, !\ans re/'ardel' en ari~e,
était
sor,i.
Et dans cc si court csp.ace. dé temps, compté Pc:tf
les minute. dans ces discrde caresses, Valéne
avait vécu plus intensément, avait goùté une volupté
que sa prim..: jeunesse avai.t i!lnor~e.
Désormais Il y
aurait deux l'arts dans sa VIC tnténeure, celle de ses
filles, ct celle de l'homme qui l'aimait: C'était presque
trop pour un faible cœur de f<.:mme, Cilr les lettres de
D nis ardaient d'une telle tenures '(., qu'alr~s
le~
a\'IJir hw , Valérie rest:li muette ct palpitante ...
.Mais, il était loin, ct elles étaient là, il. son c6té ...
L:I vie, doucement occupée, rég\li~c
de la m' re
ct de fille r.:commença, avcc ses j()lrn~eS
bien
remplies !"écoulant dans l'a:mnsph' rc aimante qui
rend tout d'::licio,;ux. A Pans, Gcncvit vC préférait
l'hivcr au printemps, qui lui in l'irait la nostalgie
dcs bois, olt sc cueille le mu uet, l'hiver elle aimait
le l'cu, le rer;urdait br~k,
ct parrni l' nl'0'''''0l'hait:
• nrüll:, bl'ltlc, • dl aIt-clic...et ses reg:lrds profonds
suivaient 1:1 fl"lllmc capnclt.:u"c. Et puis, la nuit
tnmh6c, on était i l'ien tian la maHion ti~dc
cl
d~
e, c maman.• é'~it
tlll.ljour la .. :\.larccllc travaillall ft cs tlcv(,lr , Genevi ··c étudJaIl de son COLt.':·
aprl s dlner m;~an
sc mCl.t:lit Ol'Vcnt DU piano.
Id fillette ndorillt ces tranqUIlles séilnce" cl musique;
~a
poupée favorit!! dan!; le<; bra', clic ',1 sc\'ait dans
un fauteuil, placé de telle sorte qu'clic voyait très
bien la fipure de a mi.:rcj le vi age de Valérie s'ani-
et
�102
LA BRANCHE DE ROMARIN
mait alors singulièrement, ses yeux Irradiaient la
lumi~re,
ses joues, un peu pâles, se coloraient.
C'était une autre maman que celle de la vie ordinaire;
mais une maman également délicieuse. Pendant ce
temps la laborieuse Marcelle travaillait à quelque
bel otlvraoe, ou dessinait. C'était un doux tableau,
de paix et de bonheur, et cependant dans
un table~
ces trois cœurs, dans le cœur de la femme, dans le
cœur des enfants, un désir inassouvi laissait sa
tristesse ...
Les petites avaient éprouvé un gros chagrin du
départ inattendu de leur p\;re, pour le midi.
Il était revenu les voir, quinze jours apri:s le retour
des Etais. Elles avaient été cette fois menées chez
leur bonne tante Louise, rentrée à Paris, pour le
rencontrer, et il leur avait annoncé que pour la santé
de l'amie Jacqueline, il lui fallait passer l'hiver à Nice.
- Je ne veux pas 1avait d'abord déclaré Genvi~
non, mOIl papa, je ne veux pas que tu t'en ailles! el
elle avait sangloté.
Tante Louise, présente, avait pris la petite 5ur ses
genoux, l'avait tendrement calmt:e, lui parlant tout
bas .. , les sanglots s'étaient apaisés ...
- Je lui ai dit, ' répéta tout haut tante Louise
s'adressant â son fr~e,
que tu reviendrais sûrement
les voir dans le courant de l'hiver, peut-ëtre avant le
jour de l'an.
- Certainement, certainement, je le promets
répligua c1~aleursmnt
le père.
'
Et li avaIt .fallu s~ .;onte~
de cett.e perspective.
Tante LOUIse avaIt recondUIt ses l11 l.'ces ct ne les
avait rendues à leur mère que tranquilles et résignées'
clles avaient été vite reprises par la douceur envelop:
pante du foyer maternel.
:rante. Louise, qui était une. per,sonne s~ge,
traversaIt la VIC sans encombre, grace a un optlmisme qui
lui faisait attribuer à ceux qu'elle aimait toutes les
qualités imaginables; les manifestations contraires
ne lui étaient pas une d~monstrai,
car alors elle
•.Comme'1 t se fait-il qu'Etienne
disait na~vem.t:
(son man), qUI e~t
SI ~OlX
naturellement, ait pu se
livrer à une pan~il(;
violence? » ct le Ill'::me éton nlment se n:nou\"clait sous des forme~
vari~es,
selon
la. personne incriminée. Tante Louise, du moins
~avit
qu'il n'est pas bon de vivre seul, et reprochait
;i Val'::ne une ~au\'geri
que rien ne justifiaIt:
- Pourqu oi, ma c.h è-re, vou!'> renfermez-vou::.?
vous n'avct aucune raIson pour CI la, c<.:tte solilude
(~st
mauvais,: pour vous, pour Gent::vi vc, dont l'ima.
nination travaIlle trop. Marcelle, heureusement, c!>t
�LA BRANCHE DE ROMARIN
103
occupée, ses cours la mc.ttent en contact avec
d'autres enfants, mais Gcne\'i:"ve vit trop repliée SUI;
elle-méme.
Val":rie protesta:
- l\lais ma chLre Loui!.c,jevois mes amies, Th':rLse de Bressacvient constamment, et am:ne Jeanne
aussi souvent qU'elle le peut, nous ayons des visites,
je vous assure.. .
...
- Pas le quart dt.: ce quI. vous deHiez avoIr ;ma
sœur Jeanne, (lui voit iu~;:c,
a toujours lam~
votrc
installation au lond d'Au~(li;
au point ue vue relalions, cela complique tout. Il fallait re~t
dans vo;re
ancien quartia ... fous le~
jours on me demande de
\ os nouyelles; le mQL:ntl~e
conuuirc Marcelle (~alS
la
le monde arrin;ra bien plu,> \ if<.: que vous ne pensez ...
[Ile va a\'oir tl'l.ize ans; à partir de cet aGe-là, les
nnn0es galopent ... Kous vous appr6cions tous ('ans
la famillo, et nous avons vivement reGret:0 ce m::.lhcureux divorce; mais h6}as, C'C5t fait ... J'ai à .cœur de
vous dédommager ... Votré cunduite ne peut Cju~t:lre
,ldmirée, votre d,~vouemnt
Ù CéS enfants est incomparable, Elienné le diso.it enc(\re hi<;r .. . et, une si
belle ftmme, a-t-il ajout'::, car vous savez qu 'il a toù·
jours en un faible pour vous.
- Je lui renùs son amitiû, dit Valt:rie en souriant.
- Oui, ct nou' compton!; tous <·unoireaffection.
Charles, qui a le C(tut' g~n':rcu;"
car "ous reconnaltrez, j'cil suis pcrsuod'~e,
qu'il a Je cœur (j'::néreux,
CharlLs est heureux de no(re intimit ',; il ne nous ~n
vcut pas de V(lUS ~tre
nd'le, il trill1Ve cela tr~s
n"turel. Quant il nos ch6rie~,
Iles ~ont
failes pour
conqu0rir lc~
cœur ... ainsi, la femme de Charles',
elle-même, en est cnthousiasm('e ...
Une \'Îve rou"cur couvrit le beau "isage pale.
~
.Ie sais ... Pauline m'a dit. ..
cruel pour vous,
_ Oui, ma bonne Val 'rie, c'e~t
et je l'ai d{clar';! S'lns amban:s il, mon f~'" ré, ~cs
renCfJntres ne dOl\'enl pas a\'olr lJcu ... lant PiS rOUI'
Charles, il n'~l\ait
qu'à rtn, chir, el vnus savez, à
mon avis, il n'a pa,:; l·U tnllt la fémme qu'il lui faut...
l'a,; du t oul ; dlLJ t'.1 aimable ... mais rri\'ole, au~i
frivole que qHlrk'; je la ~rojs
hnnJ1l:te pcrsonnt:
lI1a"n~
son dl\'orce; ct mOlntenant la \'<;nuc d'un
•• 1lfant va causer un embnrra, de plur., je l'ai d':clar.:'
il mon fr~(;:
« Tu li" (,it deux pUlt .. d:lll!'t ta \'ie, il
fallt l'y rl:r.iSner. '1\:5, fi tlc:s ~LJ
pourront aimer cet
enfanl-lâ. et mon IIVl5 ~craJt
dl) ne p~!;
leur en
parkr ..... Cette idée ré'\'olte Chnrle:; ... Ce rOUyn'
garçon, ll\CC toute sun inlclli3cn..:e et . (\11 bon CŒur,
n'a pas le sens de la vie, il croit toujours que tout
�JO+
LA BRANCHE DE ROMARIN
s 'arranne. Je crains bien que le jour vIenne où il ne
découv~e
son erreur ... e~ encore, il est privilégié:
avec vous, on est tranqUIlle ... Vous ne vous remarierez jamais ...
_ Jamaisl dit avec une fermeté froide Valérie.
_ Je le sais; votre religion, qui est sincère, vous
l'autre soir,
lc. défend. On parlait de cette éventu~li
et j'ai èit à ma sœur Jean.ne : Valéne n'est pas un e
dévote mais je la connaIS, elle a la foi, l'idée
d'avoi/ deux maris ne lui traversera pas le cerveau 1
_ Vous avez eu raison, et je vous remercie.
comme j'ai
_ Nous avons trop gaté mon fr~e,
lf O p gâté Gaston, qui commence à être insupportable.
Ah 1 les fils 1 quel s. soucis ils Jonn.ent ; André est hors
d'affaire c'est-à-dIre que ses bêtlses ne nous regard ent pl~s,
d'ailleurs il est plutôt r!l.isonnable ... Ah!
Val érie vous êtes heureuse d'aVOIr des filles, clles
seront des trésors pour leurs futurs maris ...
- Je pense quelquefois, dit lentement Valérie,
que le divorce de leurs parents ~ è sera
sur leurs vies 1
répondre.
Mme de Chassenay resta une mmu.te s~n
- Evidemment, c'est une compllcatl?n 1 mais j'ai
confiance j pour l'amour de ,,:os filles, 11 ne faut pas
vous détacher de nous, Valéne.
- Mais je n'y songe pas 1
• .
- Vous n'y songez pas; malS mvolontairement
vous vous faites rare, j'aime qu'on vous rencontr;
chez moi, et vous ne voulez jamais venir à mon jour.
- _ .Te po~rais
m'y. trouver avec ... l'autre.
- Non, Il est facIle de se mettre à l'abri de ce
hasard ... Je voudrais que vous preni~
un jour ...
Comment voulez-vous q~e,
d~
la VIe de Paris,
on vienne au hasard Jusqu ICI... on ne vient
pas, peu à peu, on per ses rela.tions, c'est un e
nrande erreur, dans toutes les CIrconstances et
âan s le s vôtres spéc~alent;
votre instalo~
est
agréable, quelle objectIon pouve j':-vous avoir à
recevoir ?
... ~al1
f que cela ne m'int éresse plus ...
- Auc~ne
- Eh bien, SI Y () U S m'en c!,oyez, V()U S lâcherez d e
.... aincre cette pa r e s~e ... .le saI S, on e!'t parfois d écouragée ; cela ne me charme pas, tou s IC8 lundis d,'
fal're la bouch é en c (~ ur, d d'éco uter d es papotages ,
mai s c'es t une pctlte cur . . " c n{;cessairc... on a
commt.: fo nd, les vraies ami es , qui f'>nt aval er I ~
r (~S te ... le.:; enfant "-, croyel-cn mon ex p é ri e nc (~ , seront
{'lus h el r ~ u~ (;s
d e vou s se ntir c:ntouréc; d e plu ,
seule, le 10 lJf Cl'> t UI1Ç obliPO l! run e )é:.\ll1 e. f~me
:;atJ~n
... La sOhll.lde vous pèsera, vou::. rencontrerez
1l'lêvltablcment des personnes sympathiques, et la
�LA BRANCHe DE ROMARIN
1°5
solitaire, qui se répète un peu, prête tout de
suite aux commentaires ... Avec un jour, on peut,
sans inconvénient, cultiver ses svmpathies ... pensez-y; et tenez, je vous suggi!re le jeudi .. . vos amies,
à filles, pourront ce jour-la les amener voir Marèelle;
ma chère petite nièce est très sociable, elle ressemble
i son père sur ce point-là ... Je dois dire qu'elles lui
ont pris tout ce qu'il a de meilleur. Je comprends
yu'il les adore 1 Si vous saviez ce qu'il souffre en les
quittant, vous-même auriez pitié de lui ...
- Rien ne l'obligeait à s'en séparer.
Valérie, sans
- Rien, en efTet, mais, ma ch~re
reproche, ma sœur Jeanne le disait l'autre jour, si
vous n'aviez pas voulu, si vous aviez lutté, jamais
celte déploïable scission n'aurait eu lieu.
- J'étais trop fière pour garder un homme de
force r
- Un homme peut-être ... Mals un mari. .. il était
',otre propriété, votre bien, on a le droit de défendre
cc qui est à soi ... Voyons, voyons, je vous attriste,
je "ous en demande pardon ... Tirons le meilleur
~1arti
ùe ce qui nous reste. Mais avant de quitter CI:
sujet, j'ai encore une requête de mon frère à vous
soumettre ... Pourquoi n'usez-vous plus du nom de
Prémery ... Il ne sungerait pas à VOtlS inquiéter làdessus ... et pour vos tilh:s ce 5erait tellement préférable.
- Mais l'autre Mme de Pr2meryr
- Vous pourriez vous appeler Monpascal de Prémery sur vo~
cartes ... Cela concilierait tout; cette
différence de nom est une facheuse étiquette; des
gens sans tact peuvent [ai re ùes questions au.;;
enfants. C'est bon pour une veuve remariée, le man
est là ... Mais pour vous, rétléchissez là-dessus ... Par
le fait, vous êtes Mme de Prémcry pour toute votr~
vie, puisque VOllS ne prendrez jamais légalement UII
autre nom; mon fr1::re vous serait reconnaissant de
cette concession.
- Mais sa femnle r
- Oh 1 il faut lui nmdrc celte justice, elle ne veut
empêcher personne de vivre, c'est une bonn e:
créature ...
- Je réfléchirai... et, Louise, je vous remercie de
tout mon cœur.
- Vous avez en mal une amie, Val~rie,
une sœur
ainée ... au besoin, ne l'oubliez pas.
VlSlte
�xxrn
Ltentretien avec Mme de Chassenay laissa une
Jens l'e'prit de Val':rie. chaque
impression p~nible
parole de son ex·belle·sœur lui avait fait sentir à
quel {loint étaient étroites les mailles du 61et qui l'en.
serrait, combien illusoire cette berté, qui devait
consolation 1
�LA BRANCHE DE ROMARL'
1°7
le droit de prendre un autre man; mais elle croyait,
comme à son exi~tnc,
à l'assurance donnt!e pat
Pauline: « Jamais votre mam.ln nc fera cclaf"
En m~c
temps, la fillette aurait voulu que ce fût
impossible. Elle se multipliait pour plaire à maman,
pour empècher que maman ne !>'ennulc.Tante Louise,
qui traitait sa niLce en grande personne, lui avait dit:
- Yoi:>-tu, ma grande, il faut persuader ta maman
.le recevoir des visites, d'en faire, elle finira par s'ennuycr, d'l:tre toujour en cagc.
- Mais nous sommes toujours avec maman 1
- Oui, ma chérie, et vous lui êtes une ch; re cornI-'agnic; cependant, il faut voir des grandes per,(,nneS, il faut un peu de mouvcment, un peu d'impr~vu,
ta mLre est tr~s
jeune encore!
Jamais .\larcellc n'avait pen:>t à cela, elle trouvait
sa m' re admirablement belle, mais le mot jeunesse,
~'apliqunt
à une maman, lui parut singulier ... Elle:
n'en dit rien à personne, mais y pensa beaucoup.
comme à un danger, dont elle nc comprenait pas la
naturc.
Val~rie
s'apercevait maintenant combien était
"errée la trame de ses heures j elle découvrait, dans
un besoin soudain de liberté morale, qu'elle n'avait
pas un instant vraiment à dlc. Sa vie était liée par de!>
fils t':nu· et innombrables à la vic dc ses til:~.
La m~ re occupait. une chambre séparée, mai
la p'0rt\.! en demeurait ouverte toute la nuit; elle
ne Isait, elk n'écrivait, elle ne respIrait que sous les
yeu' aimants qui la cherchaient sans cesse. S'enfermer eüt été un événement douloureux pour les
enfanb 1 La mai 'on était de verre; pas un mouvement de celle qui en était l'ame, qui ne fût suivi et
obsCI"\'l:, lin nuage sur son front, une pah:ur plu,>
acentu~
sur ses joues, alarmait ces tendres petib
CfCurS; die .::tait leur bien, elle Il!ur donnait la vic
chaqul' jour, clles avait:nt besoin de son souft1e pOUl
vi"ifler le leur.
\' al ~rie
cut soudain conscience de cctte emprise,
ct ù qucl point clic ~tal
absolu ...... Non, rit!n désormais ne pouvait interv ... nir dans sa yie ... Elle devina
la ourde inqui.:tude de ses filles, à lui voir recevoir
des lettres, dont elle n'expliquait pas immédiatement
la provenance ... Sous des ref'ards interrocatcurs, elle:
~e
vil un jour contrainte de dire à Genc:\'i~v
:
- C'est une lettre d'affaire, mon étoile.
- Ennuyeu:;c?
- Non, chérie, s~rieu,
les mamans reçoivent d ..·
ces 1 ttro.;S-là 1
�108
LA BRANCHE DE ROMARIN
- Moi, je n'aim; pas qu.e tu e.n reçoives, - déclara
Genevr,ye. Et Val.:r1e ayalt écnt :
c Ami, faites \"os lettres plus rares, je vous l'ai dit ...
Je ne m'appartiens pas; vos lettres donnent de l'ombraCTe autour de moi, je n'ai pas le droit d'alarmer,
si Ié.CT:rement que ce soit, les créatures sacrées dont
j'ai la garde. »
Aucune réponse n'était venue à cette missive, dont
d'injustice; puis, le matin de
Val.!rie sentait l'esp~c
la Toussaint, un pneumatique lui annonçait la visite
de Mme Faucheux et de Jeannette. Elles étaient de
passaoe à Paris pour des séances chez le ~ntisle,
et pro"posaient leur viSite vers deux heures. Ce fut
chez les petites un grand contentement.
- Et le papa de Jeannette, viendra-t-il? demanda
Genvi~.
- Je l'ignore, ma chérie, Mme Faucheux: n'en
dit rien.
- Je voudrais connaltre le papa de Jeannette.
- Il ne serait pas impossible qu'il les accompaRnàt.
Valérie c:tait certaine qu'il viendrait, et cette rencontre lui était redoutable, il fallait d'avance s'armer
de volonté, surmonter cette d~fai1lnce,
et elle devinait que cette dépêche lui a\'ait été envoyt:e pour lui
en donner le temps ... On conftlra un peu au sujet du
goClter à offrir à Jeannette, et sur les jouets, qu'on lui
exhiberait.
- Jeanhe!!e nt; con!1 alt p~s
Myrtille, dit g~ave.
ment GenevI.:ve, le vais la lUI présenter, et pUIS je
lui montrerai les photographies de ma maison
de naissance ... quel est le pays de naissance de
Jeannette, maman?
- C'est Brest, en Bretagne, son papa était attaché
au port de Bre t quand elle est née.
- Peut-être, il ne faut pas lui parler de son
pays de naissance, puisqu,e sa maman est partie.
- En effet, cela vaut mICUX, mon étoile, il faut
être bien gaie, pour amuser Jeannette.
- Est-cc ~lu'e
n'est pas gaie chez elle '?
• - Pas touloul'S; sa mémé e t un peu vieille, et ne
comprend pas tout à fait les petites filles.
- Je voi , dit Gcneyii::ve po ément, et hochant
sa jolie t te; mai , ajouta-t-elle apr~i
une pause •
si son papa vient, elle sera gaie.
•
Le papa vint, non pas au même moment que sa
m' re el ,a fille, mais une heure apr' ... Jeannette
entourée de e deux petites amie, Mvrtille dan'
les bru , Toby la regardant avec bonté, na~elt
dan
la joie; Mme Faucheux, charmée de la jolle installation de Mme Monpascal, racontait su nombuU% et
�LA BRANCHE DE R01IARIN
log
divers campements, de par Je monde ct, revenant à
son idte fixe, concluait:
- AUJourd'hui c'est mon Cils que je voudrais voir
casé, mais il est telkment dircicile 1 A Orl~ans,
on
lui a propos':: un parti charmant, la pie au nid ... mais
il a une nouvelle idée baroque dans l'esprit, il pre.!tend maintenant, en mani,-re de rlai anterie, je suppose, qu'un marin ne doit pas se marier ... « femme
de mann, femme de chagrin, » dit-il; je ne crois pas
du tout à cela ... Nos oflîciers de marine sont au
contraire des maris hors li!.!ne, ct si dans vos connaissances, ChLrl! madame, il existe une perle, pensez à
Denis, je vous en prie ...
Seulement, quand celui-ci eut fait son entrée,
Mme Faucheux abandonna Je sujet
On présenta au noul'eau venu les jeunes demoiselles de Pft:mery; Marcelle J'accueillit avec un
beau sourire, mais Gencl'Îi:ve le regarda avec une
curiosité un peu hostile. Denis donna la main à l'une
ct à l'autre, son visage grave s'était IEclairt!, et de sa
"oix chaude il dit:
- Jeannette est bien bcurcur.C d'avoir d'aussi
gentilles amies. Elle yous a pcut-êt re raconté que
son papa est tr1:s méchant.
- Oh 1 non., protesta .Jeannette, J'ai dit que tu eFtrès bon.
- Notre papa aussI est très bon, affirma Geneviève, dans un subit besoin dIJ proclamer qu'elle
possédait, pour son compte, un papa.
Denis Faucheux devint un peu pale sous le regard
de la petite fllle, et répondit:
_ .Je n'en doute pas du t,1Ut.
_ .T'ai montré son portrait à Jeannette, continua
Geneviève. nlon papa est trloS beau.
- Celui de Jeannette n'est pas ~i beau ')
- Nonl
- Mais toul de m~e
il e~pl:r
devenir votre ami.
- Je veux bien; ct Genevi'.\'e tendit sa petite main .
. De l'oi~,
VaIÙle;tn'i\~,rp
queiqu'es brie~
du dialogue; J\1ml! Faucheux appda son fils:
- Allons, Dcnis, laisse ta fille et vien~
un peu
cau<cr avec Mme i\Tonrascal; cl comme il se rapprochait. - Tu mc parais u\oir fait la conquête de
oit pas un
1 Ille Genc\·il:ve. Malbeureux qu'elle ne
peu 1'1115 a~éc.
Valérie trouva su voix pour dire assez galmcnt :
plutôt ~auvge.
;\la fille cadette, d'habitude, e~1
- Mais voilà, madame, elle Il reconnu que, moi
aussi, je sui. un sauvafll' 1
�t !0
LA BRANCHE DE ROMAlUN
La visite se passa fort bien, 11' goûter procura une
facile contenance à chacun; auparavant, comme la
iourn~e
était très belle, Marcelle et Genevi;';ve in"it',rent Jeannette à venir faire un tour de jardin.
Jeannette, toute bondissante, le~
suivit; elle leur prenait la taille, elle les embrassait ... Oh 1 elle n'aurait
jamais voulu les quitter 1 Quand les trois fillettes
furent arrivées à la petite place du banc de marbre.
Jeannette cria:
- Ohl faisons une rondel
Et se précipitant vers la maison:
- Madame, madame, "enez, ,'enez chant~r
k le
romarin ".
Son appel les fit sortir tous, ,valérie co~ten
de
n'importe quel mouvemel}t qUI l'afTranchlssait du
trouble qu'elle ne parvenait pas à dompkr, les pommette: lin peu colorées, s'avança: Jeannette, imp~_
tueusement, lui saisit une main, G~cvièe
prit l'auire,
Myrtille se balança entre Genevl<.!ve et Marcelle ct
les voix s'élevèrent hauteg et claires:
'
J'al descendu dans mon jardin ...
"our y. cueillir du romarin ...
Ds sont seuls, le malin d'automne, dans une allée
du bois; les frondaisons dél?ouiIlées, la douLeur du
ciel pale, la tiédeur de l'aIr, qui Sent les feuille
mortes, les occupe peu,
Pour ~enir
jusql!c-là, Valérie a dû ~ 'imposer un
grand effort; le matlO cst le seul moment du iour où
clle s'appartienne un peu; à <) heures et demie vient
Mlle Fontaine, l'institutrice, qui, quotidiennement
jusqu'à midi, fait travailler les deux petites fille-:
AUf:.si e!>t-ce l'heure l)UC Valérie chOisit pour ses
courses à Paris ... Elle ~ coutume d'en annoncer le
but à se filIes:·.Tc V:1I!3 au Don March': • ou à tcl
endroit. Jo.. ujourd'hlli dlc a dit: l(.Ie l'ai chcl.l\1. Chabanne ». M. Chal>annc est le notaire, Jo nt l'c"L tf'ncl!
n'cst pas ignrm::c de, enrants.
Genc\'ièvc est toujours un peu inqui\:tl,! de voir di _
paraître ~ maman ", cependant elle ne prote
~ te pa .
dIe l'embras~,
et tOlJt bas lui murmure:
'
- Reviens vite.
tranquille; j'ai recommand6 ;)
- Oui, trésor, soi~
.\ nn '~te
d'être prète pour midi bien précis.
�LA BRANCHE DE ROMARIN
II J
Les deux fillettes se tiennent debout un instant
den'il re le carreau pour voir s'~loigner
leur mi:re.
Elle sent leurs regards, se retourne, et leur envoie
un baiser.
. . . . . . . . ......... .
Le cœur de Val':rie est oppressl!, elle a tt ntt! tn
vain de sc dérober à l'entretien tHe à tête, qu'elle
redoute 1 Denis, ardent, violent et tenace, habitué à
lutter, habitué à vaincre les ~léments,
est décidé à
l'emporta dans le combat qu'il pressent, er,tre lui
et les enfants de la femme qu'il aime. fi croit que sa
volonté sera victorieuse; il ne reconnait pas à des
créatures inconscientes le droit d'accaparer totalement une créature consciente, et cela parce qU'elle
est leur m,'re. Il a imposé à Valérie de prendre cette
heure de liberté, elle est venue pour l'ari~e,
mais,
aussi eÎfray~
d'être là que si un mari jaloux l'attendait au logis. Elle a refus6 le lieu clos, l'auto; elle a
la rencontr.c fortuite possible, les
voulu le grand a~r,
yeux cuneu' C]UI matent les VIOlences.
Mais ellc. est là, et c'est tout ce que souhaitalt
Denis, là, alfrnch~
des regard!> qlli la médusent j il
sait que dans un Instant, dans quelques minutes,
elle subira une autre inlluenc\.! : la !'Î\.!l1ne.
Ils marchent dans la drùite t.:l larp,e allée qui va
d'AuteUIl à Boulogne, et le lonp dt! laquelle à tout
moment glisse un tramway. Ils marchçnt côte à
cOte, trl:!': près l'un de l'autre; sou" la voilette un
peu épaisse, les yeux de Valt!rie brillent.
Deni~
d'abord ne lui parle pas: il se contente de
la regarder, lui enfonçant ses regards jusqu'au fond
du cœur.
_ Ne craignez rien, dit-il douccmcnt en s'apercevant qu'elle trembk.
.
Valérie lève son manchon Jusqu'à 80n visage,
comme pour Ic dissimuler. EJle soupire.
- Nous sommes ensemble 1 reprend Denis, et
dans ces trois molS, il enferme un trésor de f0Iict~.
_ Oui, répond bas la jeune femme, oui, aujourd'hui; mais cda ne doit plus ètre.
_ Pourquoi? est-cc que je vnus 10 rmt:ntt:, est-ce
que je \'<llls impMtune)
_ Ohl Dieu non ... Ohl ami, 1ardonnez-mni.
- Oui, je vous rardonne d'elre si [aibl , ~i crainrive ... car c\:~t
la faib\(!s"l: qui vous domint:, qui
vous empêche de jouir de notre bonheur, ah 1 croyezmoi, rien, aucune joie c;ur krr , n'égale celle que
trouvent dans leur amour deu . cœufs Iïd~les
... et
VOliS ave?: peurl
- .le ne sais ~I j'ni peur ... oui, en f'l1et, j'ai peut-
�112
LA BRANCHE DE ROMARIN
être peur. .. mes enfants sont la vie de ma vie, je sens
qu'en vous aimant je leur dérobe quelque chose ...
Jamais vous ne pourrez être heureu"{ par moi. Ce
qui est arrivé étaIt peut-.êr~
inévitable ... Mais, ami,
il faut renoncer à mOI ; Je ne vous serai qu'une
cause de souffrance . ..
Denis lui prend une main gu'eHe a laissée tOf9ber
en sIgne de découragement; il la serre à la meurtrir.
- Jamais, vous entendez, vous étes entrée dans
ma vie, dans ma chair, dans mon sang, jamais je ne
renoncerai à vous ... Je serai palien~,
!e respecte,
chère âme, vos tendres scrupules: maIs J'attendrai...
de vous soustraire à
Il n'est plus en votre pou~ir
l'influence de l'amour que Je vous porte ... Vous êtes
libre, solitaire, et malgré vos résistances. ma pensée
s'impose ra à vous ... Du bout du ~on.de,
je. vous parlerai et vous m'entendrez 1 Demam, Je pUIS devenir
aveunle, mais croyez-vous. qu'il me so.it possible
d'oublier vos yeux, votre vIsage ... Non, Je les verraI
toujours .. Je ne suis qu'un pauvre homme; maIS j'ai
eu le bonheur inoul d'avoir fait battre votre cœur
et, je renoncerai ... Ah!. il n'y faut pas penser... '
- 'Vous m'avez promIs ...
- Je vous ai promis de vous obéir, et je le promets
encore, vous êtes libre de me faire souffrir. Vous
dites que la "ue de mes lettres trouble vos filles'
pourquoi avez-v?us abdi,qué à ce poin~
votre person:
nalité? C'est folte; contmuez à recevoIr mes lettres
et bientôt elles n'y feront plus attention ... Votr~
fille alnée dl.l\Tait déjà savoir que son père vous a
oravement lésée,
>=> Blamer son père, à ma fille, cela jamais 1
- Parce que vous n'avez pas d'idée de la justice
en génér,al les fem~s
ne la ~omprent
pas; pa~
compaSSIOn, on sacn(je les mnoccnts aux Coupabics; e,h bien, ,moi" je vous dis gu'a~-dcs
de la
bonté, 1\ ya la JustIce .. , Est-ce la JUstice qui donne à
votre mari, coupable envers VOU ", le droit d'afficher
un autre amour, et de conserver cependant intact
le trésM du cœur de ses filles! ct ù. vous, vous fait
incornplde, où votm volonté
vivre une vic ~achée,
est paralysée, et au milieu de laquelle vous avt.;z
mème peur de perdre l'amour dl.! ces enfants qUI
~ont
si fidèles à leur père! Est-cc là la justice? '
- ~o!,.san
dO,ute; mais c~s,t
IJ. vie, j'ai été 61ev.::e aInSI, )e ne PU,IS chan~!r
;,)'alme !l1eu~:,
50utTrir.
- Vous souffnrez, maIs )e contillucrai à \OUS
~ , crie;
vous êtes libre naturellement de me ronvoyer
mes lettres .. , mèmc sans les ouvrir.
Une jeune f\"mm-:: passa portant un enfant.
�LA BRANCHE DE ROMARIN
113
Il Y eut un silence.
- Je ne ferai pas cela ... vous le savez. Je ne ferai
pas cela ... écrivez-moi ... plus rarement ...
- Si vous l'exigez? Ah, si "ous arriviez à dominer
toutes ces craintes puériles 1... moi, pour vous, je
lutte contre moi-même comme un damné 1...
Elle frissonna.
- Nous connaltl'Ïons d'lDelTables bonheurs, je
veux les conquérir un à un ... je ne trouble pas votre
vie, il me semble; je vous en demande une bien petite
part... presque une aumône ...
Elle se retourna d'un bloc... leva les yeux ...
entr'ouvrit les lèvres et se tut.
Mais il comprit.
- Merci, bien-aimée ... moi j'al une confidente, à
qui je parle de vous, qui m'écoute avec ravissement 1
- Qui? Pas votre ml.re sûrement?
- Non, ma fillel
- Jeannette?
- Oui.
- Mais c'est de la folie ... elle parlera à mes
petites.
.
- Elle se ft!rait hacher en morceaux plutOt que
de rép6tcr un mot de ce que je lui dis. Rien au
monde n'c;" t si secret qu'un enfant, je lui ai expliqué
la situation ... comme vous auriez dû le faire à vos
filles.
- Mais encore une fois, je vous trouve insensé,
comment voulez-vous que j'explique certaines choses
à mes filles'r
- En les disant purement et simplement: croyeüvous avoir a~i
plus sagement, en envoyant GeneVlève
rencontrer la femme de son père, dont elle ignorait
l'existence 1. .. Elle a eu le chagrin, avec la surprise
en plus; c'est une chiml re 1 ma bien-aimée, de vouloir éviter toute douleur à nos enfants. Vos soins ne
font que rendre vos filles plus vulnérables. Les
enfants, comme les hommes et les femmes, acceptent l'irrévocable; le blame que leur po' re peut encourir de leur part ne changera pas l'alTection que
VliS filles ont pour lui, mais donnerait plus d'6quité
à cclIe qu'elles ont pour vous. Vous allez les rendre
d.:: plus en plus sensibles, de plus en plus ombrageuses, ct leur avenir cependant n'est pas de rester
sous votre aile, vos colombes quitteront un jour le
colombier, et vous serez seule au foyer désert...
Tandis que si vous \'ouliez 1...
Valérie porta nerveusement ses mains à ses oreilles.
- Je ne veux pas vous entendre, oh, je vous en
conjure, ne me troublez pas ainsi.
�[ I4
LA BRANCHE DE ROMARIN
- SI, je veux \'ous troubler, je veux vous prouver
que vous batissez sur le sab,lc ... Osez, osez, ma bienaimée mon bras vous soutiendra,.,
ValJrie un instant, crut qu'~le
allait perdre pied,
tomber d~ns
ces bras qui l'appelaient,., mais ce nc
fut que l'espa~
d'un m()en~.,
,
- Je puis fall'e erreur." mais J'alla certItude qu'en
me sacrifiant à mes filles Je ne me prépare aucun
remords,
Le visage de Denis était devenu dur et fermé.
- Vous m'en voulez, ami 1 non, quittons-nous
sans col~re,
je ne puis agir difT2rem~nt.
si pour
être moins malheureux vous avez beSOIn de la certitude que je ne peux vous oublier.,. c'm portez cette
certitude 1
Les "rosses larmes commençaient à couler ur le
visage pale de Valérie.
,
"
- Appelez cette aut?, Je vo,us en pne, ~t laIssezmoi monter seule, .. Adleul adIeu 1
- A tOUj' ours 1
L'auto fi a.
uv
L'hiver dans le Midi avait été le ~atire
requis par
Jacqueline de Pr~my
en retour de la complaisance
à s'daigner des EtaiS, à c édc,r la place aux filles de
snn mari, Certes, eJ!~
n,e craignaIt pas le~
enfants;
n~amol1s,
ellc pr"l -.: ralt que ,son, C,barles fùt plus
exclusi\'c,?cnt à elle, 11 lUi ,Jcplalsillt un peu qu'il
fit il. ses tilles une part aus~1
Jar"c.
Lcs voyages à Paris, !'.i l'nn passait l'hiver dans le
Morvan, sc rcnou\'clleraient trop fréquemment et
puis, à vrai d~J'e,
.racque!in~
cn é!ai~
lasse; elle a'vait
accepté la so\Jtudl.! (ks !,tals pO~tl'
bten s'~tablir
dans
son l10uvcau r{)le, pour ImpresSionner fav()rablement
le \'oi~nag;
mai~
ses gOLlts n'dall.!nt pas assez
c,hampêt~'(s
pour sou~aitcr
une ind~fe
prol~ga
tlon de 'IC camp~nl
de, Dans les mntS 'lUt allaient
venir, l'état JI.! sa santé ne lui permettrait aucunl.!
distraction fatigante; la chasse" courrc lui serail
interdite, clle prévoyait donc, in : vitablcs, bien des
heures de snlitudl.!, Prémerv n'aimait pas les hMl' à
domicile, sour quelques hnmm(·s qu'on logeait dan s
une aile plus ou moins restaurée du vieux chateau.
et qu'on appelait. La nau~e,
.Jacqueline a\'nit donc
élabnr6 d ('s rojE
~ ts plus rianl~;
la CMoil l'Amr, avec
�LA BRANCHE DE ROMARIN
1 IS
sa vie facile, était précisément ce qui convenait à
une femme dans sa situation; elle trouverait mille
distractions. Quant à Charles? eh bien, puisqu'il
l'avait, elle, il devait se contenter, et pouvait bien
lui sacrifier quelques mois de chasse; dl sieur réu·
nion, Jacqueline, toute tendre et avenante, les bras
autour du cou de son mari, lui exprima son désir.
Prémery fut d'abord violemment saisi.
- L'hiver dans le Midi? et I?ourquoi, ma fée, n'es·
tu pas bien aux Etais, chez tOI?
- J'y suis à ravir, mais, mon très cher, mais nous
avons toute la vic pour y demeurer ... Cette année,
c'est un caprice, peut-être, mais n'ai-JE. pas le droit
d'en avoir? Tu m'as promis, d'aiIleurs, chéri, avant
que je m'en aille au Tréport. .. pour te débarrasser.
Prémery ne releva pas l'allusion qui le gênait un
peu, la discussion l'ennuyait toujours; en cdte circonstance, il y répugnait; il donna donc sanf' plus
marchander la promesse sollicitée.
- Assurément, ma Jacqueline, tu as le droit d'avoir
des caprices, et vraiment tu t'es montrée parfaite,
parfaite; mais tu as été contente au Tréport?
- Comme je puis l'être sans toi, vilain homme:
mais cette pauvre choute était si joyeuse que j'en ai
été touchée; je ne mérite vraiment pas qu'ellc m'ainH
à ce point; car, entre mon mari et ma fille, je ne
balance pas, moi ... Je te sacrifierai trois Clémencr.,
ingrat!
- Non, Jacqueline, je ne suis pas ingrat, et la
preuve, c'est que ta volonté sera satisfaite.
- Cela te chagrine de t'éloigner de tes filIes ?
- Pourquoi me le deman~r?
- Elles sont parfait ement heureuses, tu le sais;
je n'affirmerai pas la même chose de mon infortunée
gosse; elle a une institutrice formidable, teIlement
bête, qu'clic lui défend de m'appeler « petite m~ re »
dans seS lettres ... - ct, se mettant à rire, Jacqueline
njouta: - Je lui ai mené une vie un peu agilante à
;\illle Fuch; ellc avait l'air tout le temps d'un malheureux poisson qu'on tient hors de ['eau; à la kttre,
le souffle lui manquait 1 ma pauvre choute est moins
Saint-Giers que je ne croyais ... Dans l'avenir, je veux
la voir plus sou\'cnt, pour cilcourager ses bonnes
dispositIOns. Je lui ai parlé du pelitfr' re attendu ...
l'Ile cst clans le ravissement, seuh:ment je lui ai
IMcndu ~'en
souftler mot à JYlademoiselle, t:i à personne;l Nlmes ... Quelle d6velOe qu'(m Ile pUIsse pas
r';;unir tout Cc petit monde!
.
- C'est impossible, dit un peu :,~chem"nt
Pr,:mcry.
�116
LA BRANCHE DE ROMARIN
Marcelle seraIt raIsonnable, peut-être; mais Il
y a Genevï,ve? enfin, on ne peut tout subordonner
aux enfants.
- Leur m~re
y subordonne tout.
Jacqueline alor.s r~gad
son m,ari avec une expression si extraordmalre, que Premery, alarmé sans
savoir pourquoi, demanda brusquement:
- Qu'est-cc que signifie ta mani\.:re de me regarder,
Jacqueline?
' .
.
lu oubl~es
trop
- Rien, mon pauvre vl.eux; ma~s
que Mme Monpascal.est leune, [.<:s belle, ~It-on
de
tous côt~s;
et, assurcment, elle ne peut laIsser les
cœurs insensibles!
- On t'a appris quelque chose, Jacqueline?
Le ton était tragique. n:ais Jacqu~l1e
feignit de
ne pas le remarquer; toulours souriante, elle continua d'une intonation parfaitement naturelle.
- Le monde est si petit 1 il Y avait au Tréport des
personnes qui venaIent dl! B.:x; mOI! nom leur a fait
croire que ,''';tais la tanle d.es genttlles demoiselles
de Prémery, qu'l.!lIes y avalent rencont.rées ... elles
admiraient fort Mme Monpascal; maIS. parait-il
n'étaient pas seules ù l'admirer! - ct dévisaneant
son m:Hi: - Tu sais, m~n
Charles, tu me p~rais
bil.!l1 d~raisonble,
tu fats, ma parok, une tête 1
comme si on t'apprenait que j'ai un amoureux ... ce
qui serail mal! Mais de quel dro,it, à qu 711itre, veux~ e~
aY(~lr
un ... tu as
tu empêcher Mme ~1onpa:icl
bien une femme, tOll pourqUO,1 n auraIt-elle pas un
mari t Ce n'est pas ~gaynt
la VIe dan.:; un coin d'. uteuJ!, avec deux petites qui font leur üducation, ..
l'amoureux présomptif, car on n.e sait rien de positif,
est parti au bout de quelques lours ... c'est un très
galant homme; moi, qui ai bon creul', le me SUIS
réjouie pour cette pauvre femme., et te voilà c'ln:;tcrné,
cc n'est guère flatteur pour mOI 1 mon ex-mari peut
bien épouser autant de ft.:mmes 'Ille Barbe-Bl'!ue luimême, cc que je m'en moque!
- Tu te m6prends, JacquelIDe, je pense uniquemt'nt à me~
filles.
- Mais enfin,. tu n'es. pas un enfant; quand tu as
divorcé, tu a~
bIen en\'lsagé celte. possibilité; tu as
usé de ta lIberté pour te remaner, pourquoi ton
ex-femmt: n'en fl!rait-clle pas autant, je te le demande?
Oll est la difT6renc'~
- Je ne saurai te le dire, mais il yen li une!
- Tu n'as pa~
trouvé qu'dIe existait pour m'li ce
me sem hIe . ch. bi"Jl moi, le ne SUi.5 ras de ton a~'is;
c!.an~,
ces ca:-l0. II; tro.u~·c
1.-: remanage la seule -dutlOn; au m01llS la poslhon est nette ..Je te demande
�LA BRANCHE DE ROMARIN
l
I7
un peu à quoi rime la situation de la m1:re de tes
filles. Elle n'est pas célibataire, elle n'e t pas veuve,
elle n'est pas mari6e ... C'est un sort (;miable vraiment! C'est-à-dire que la divorcée vertueuse mt:
parait une véritable victime ... Je pari" ... que, dans k
fond de ton cœur, tu te figures avoir encore de!:>
droits sur elle ... lui en reconnais-tu sur toi?
- "\ssurément non ... j'ai été étonné, voilà tout!
- Il faut peu de chose pour étonner les hommes 1...
Moi, au moins, je suis logi~ue
: je veux vivre, mais
aussi je veux laisser vivre. Notre séjour à Nice sera
un bienfait pour tout le monde; tes filles me font
pitili, pauvres chéries, à être boulevers(es tous les
huit jours ... et leur mLre doit l'être de son côté .•Ie
n'admire pas du tout cet arrangement. .. v0is-tu, mon
chéri. - Posant calinement sa joue veloutée contre
celle de son mari: - Il faut saVOIr ce qu'on VLut dan::;
ce bas monde, blanc ou noir. Quand j'ai voulu le
dh'orce, j'ai trLs bien compris qu'en me donnant à
l'homme dont j'ét ais folle ... c'est toi 1 le sort me
réservait néanmoins quelques tmbêtements ... Je les
ai acceptés, ct ils n'empêchent pas mon bonheur.
Toi, pauvre micnon, pour un rien tu voudrais avoir
deux ména~es,'
comme le bon patriarche Jacob; ça
Eeu! se défendre; mais ce n'est plus de notre tlmps.
foi, qui es si ~alnt
homme, tu devrais être satisfait
à la pensée que Mme Monpascal pourra heureusement abriter ,a vie ... Qui la protl ge aujourd'hui 7
Pas toi, j'imagine! elle n'a ni pLre, ni frLre; non,
un mari seraIt un grand bonheur pour tlle.
Prémery endurait le supplice de l'écartUement...
Jacqueline, toujours habile, tout en le caressant et
se tenant serrée contre lui, ne II: .refardait pas,
n'épiait l'as l'expression de cc visage troublé.
- Tu. verras, tu y viendras ... et c'est encore à moi
que tu devras de vôir justl.!.
.
- Qui est-il ~
- Tu tiens à le savoir, pourquoi ... ce n'est cn
somme qu'une supposition de ces dames; d'ailleurs,
on ne Pl'ut plus bienveillantes pour l\lme l\lonpascal.
- Dis-moi son nom ... - I:t aVL!C un 1 jcanement
Joulourellx, - il faudra bien qUI! jl: l'arrrenne.
- Non ... je nt.! te Il.! dirai pas aujourd'hui ... C'est
un officicr dc marin!.!, trl:S dl, tincué, raralt-il, la
chose n'aurait donc rien de d':rlaisant pour tes
filles ... Crois-moi, la sensibilit'; de Gl:llcvil V(: est
morhide, on ne lui rend pas service Cil l'encourageant ... maintenant, parlons de notre voyage ... à
nous deux .•.
�118
LA BRANCHE DE ROMARIN
XXVI
Tante Louise était vraiment ':difiée de la sollicitude de son fr:Cre pour ses filles; wllicitude qui s'étendait à leur m' re. Les lettres de Nice arrivaient fr~
quentes, toutes pleines de recommandations à tante
Louise ... « Je compte sur toi, ch~re
sœur. » en était
généralement la premi::re et la derni~",
phrase ...
~ donne-moi des détails, ne laisse pas Val~rie
devenir trop sauvage, c'est n:au.vais RaUl' les enfants, use
de ton influence pour lUI faire vOIr du monde, donnemoi des détails sur ce qui se passe rue cie l'Yvette'
les lettres des petites sont nécessairement incom:
pl~tes
.•
Mme de Chassenay admirait tellement la mentalité paternelle de s~lO
fr~e,
q~'el
ne put Se
défendre de commumquer à plUSieurs reprises les
passages touchants de ces lettres à son mari. M. de
Chassenay en écoutait la lecture d'un air un peu
narquois.
- Comme ce pauvre Charles a du cœur r conclut
un jour Mme de Chassenay en terminant une de ce~
missives.
- Oui, si ça te fait plaisir, Charles a du cœur
surtout un cœur amoureux, il me semble repris d'Ul~
goût tr··s vif pourValériel
- Pour Valérie, tu es insensé, Etienne! tu as vu
Charles avec sa femme, à leur passage à Paris c'est
le ménage cles deux pigeons.
'
- Possible, j'ai mon idée. ct puis, ma femme tu
es tellement natve, qu.e tu n~
recon~ltais
pa~
le
diable en personne, s'.l venait s'asseoir à ta table
avec ses deux cornes !... Moi, je suis moins nalr ct
.Jacqueline encore moins. J'imagine qu'elle a flairé
la ::;aute du vent, d a emmené cxpr~s
Charles dans
le Midi ... Il paralt, ce qui .va bien te surprendre,
qu'à Bex ~a
~el-sœur,
J."~nteds
Valérie, bien
entendu, a InspIré une passIOn ... elle s'est tenue sur
la réserve, ce qui ne m"~tone
pas de sa part, mais
enfin elle ne peut empêcher les gens d(! la trouver
belle; ct, en somme, ellc est libn:, Cette femme, puurquoi ne se remarierait-elle pas?
- Sa reltgion ne le lui permet pa.,.
la pallvre elle
- Je le s:.1is, et c'est fachrux; mai~
nc serait pa~
la premi~
qUI ait donné un acc;'Oc n
�LA BRANCHE DE ROMARIN
l J
9
ses convictIOns; }'a! toujours pensé que Charles,
qui est un impulsif, ne comprenait rien à la nature
de sa femme.
- Tu l'aurais mieux comprise, tOI? dit Mme de
Chassenay, avec une pointe de jalousie.
- Je m'en l1aîte 1 je me croü; bC:1L:coup plus sens"
que ton f .. ~ re; il ne m'e<-t pas venu à lîdée de faire
un cachis de ma vie sous prétc.te de sentiment:.
ir~stble,
et ayant trouvé une bonne femme, de la
mcttre de côté, et de courir à de nouvelles amours J
Mme de Chassenay, Gmue, tendit la main à son
mari.
- Pardon, Etienne, tu as raison. Oui, Charles a
été bien imprC\'oyanl.
- C'est votre 'taute, à yous toutes, ta mère, toi,
Jeanne, avez passé votre temps à l'encensa. Valérie,
qui le voyait de plus prè s, et ne le trouvait pas aussi
parfait, lui a paru inripicle et tl (k, parce qu'elle ne
sc pamait .pas p~rduelmnt
d'admiration; ton
frère n'a jamai:. cu le sens de ses responsabilités.
C'est un excdJ.:nt ['arçon, mai& destiné à rendre
tous les siLns tl"~
mt'lheureux. Ces pauvres petites,
Marcelle et Gellev! yc., languisrcnt d'être séparées
de leur p' re; el quant à JacqucJin.:, elle est sûre
de son arï'nirc; bicn10t il aura assez d'elle. Ce n'est
ra~
une fc:mnH: à ['runds ~enlimts,
comme Valérie,
Je te l'accorde: mai:; dIe a ses bons côtés, ct s'est
donnée sans l"C crye à ton fri.re, pour qui elle a
quitté un excellent mari. En quoi elle li commis une
tf' ~ vilaine ne, i('n, qu'die l'Lt appelé:e à regretter. Je
le le répi te, mu pauvre Louise, ou je me trompe
fort, ou Charks est <n tmin de rt,;devl.!nir amOUfl;U:"
de Val':rie, sur,out s'il CS! piqué par lu jaJou!>ic.
- Elle ne lui l.!11 donnera jamaisl
- Vraiment, tu m'amu'>c' j tu veu:.. que cette
créature, qui n'cst pas lndormiv, vi\'e: du soulcnir
délicieux d'un mari, qui l'a J'abord trompl.c ct
ensuile J·:lai!'.~ée
- Elle del'ait se refusC'1' au dÎI'orce.
ton fJ'he qui ne
- Elle devait. .. ellc <.kvait ... c":~t
devait pa ..
Tante LOUise SOUPlfl1, les horizon que llil décl1~
Iraient :::on Ill' ri l'efTaraien1. Elle ~c refusait Il cnyi~agcr
de CllUSI:' UUS.,I 1L':T!hk~
: le arglm~1!S
lui
manquant, elle finit l'al' dire:
- Je [",rai tout mon [lusblLlc ['our que Valérie sc
tr'OllYe !lourCllS' au milieu dl. nOlis.
- .r e ne th 111:lIIde 1'( mieux; j", SUIS nt' me prêt à
lUI fain; un brin dt: ,:O\lr. comme dérivatif.
- Je te le dcf~
H.I , Elll.'llll.:1
�120
LA BRANCHE DE ROMARIN
_ Je t'obéirai; est-ce que je ne t'ai pas toujours
obéi i' Si tu avais eu un mari de la pate de ton
fr~e
tu aurais été à plaindre, ma pauvre Louise!
AJ cours de ses m":ditations solitaires, Mme de
Chassenay fut obligée de reconnaltre qu'il y avait
ecut-être quelque .vérité dans les révélations stupéhantcs de son man!
L'excellente femme avait, avec une inconsciente
cruauté, établi Valérie dans un veuvage éternel...
elle lui permettait de regretter Charle~,
mais que la
délai.s~e
pClt .se. c?'.1901er par. une. noujeune fem~
velle affectIOn, légitime ou lIlcglllme, ne lU! avait pas
lraversé le cerveau; cependant, mettant bout à bout
les lettres de Charles et les suggestions de son mari
elle s'éveilla à la nécessité de veiller assidùment su;
Valérie d'être pour elle une Y~ritable
sœur a1née
protec~i;
dans la région n<:buleuse des pensées
qu'on ne formul~
pas, Mme de Ch.~senay
avait l'intuition de POUVOII', par cette mal11<.:re d'être, servir
de frein. Elle ne fut pas longue à s'apercevoir que
Valérie n'avait rien à cacher; mais, mise en éveil
étudiant avec des yem: plus ouverts sa belle-sœur'
elle s'aperçut d'un change.ment su.btil et difficile à
caractériser dans l'exprs~On
du visage de Valérie ...
~ Bon, se dit plusieurs fOlS la I?eu perspicace tante
Louise, Valéne n'est plus la memc ...• Cependant
personne en de.h,!rs d~s
amis bie,n connus par tan~
Louise ne venait Jamais rue de 1}.'vette. Les petites
avaient raconté à leur tante la .vlslte de Mme Faucheux et de Jeannette, et aussI celle du papa de
Jeannette; cc fut une alerte. Mais le papa de Jeannette n'avait évidemment pas reparu; à la suite d'interroBations peu habiles, Mme de Chassenay avait
appns qu'il était en congé, et devait bientôt retourner
à Lorient. Jeanneltc! I.:t sa mémG, v,cnant en janvier
s'installer pour troIS mOIs à Pans. Cette petite
enq uête avait eu lieu en dehors de la présence de
Val":rie, laquelle étai~
à .mil~
lieues <;le penser que
créature au monde eut Jamais aSSOCié ~on
nom à
celui de Denis! que Pr.!mery, que tante Louise
fussent avcrt is de son existence, en dehors d'un~
no~iat
banale, lui eût paru une idée fantasmagonque. .
,
Néanmolfis cet être 1l1vlslble, Inconnu de tous
comme c:lle le croyait, prenait de plus en plus d'cm:
pire sur son cœur. Une certaine ténacité, si elle est
Initeromp~.
et soutlpue, a raison de tout; main.
tenant, Valene se laissait el1tralol.:r à envisaner
comI?e posibl~,
un? sOluti?n, ap.r\;s le mariaoco d~
ses fllles ... DenIS l..u répétait obstl1~men
qU'iF vou-
�LA BRANCHE DE ROMARIN
J2J
lait que l'amour qu'il lui portait, fut le hâvre de
grâce, où, sa jeunesse passée, elle trouverait le repos.
Ce n'était plus l'horizon profond sans une voile ... làbas, là-bas, très loin, flottait la barque de l'espérance, sa seule existence est une force aux àmes
désemparées. Et, en attendant, les enfants chéries
étaient là, rai son si puissante de vivre, là, avec leur
tendresse infinie, car Marcelle, qui toujours avait
été si affectueuse, apportait dans es rapports avec
sa mère des nuances nouvelles, dont Valérie s'étonnait presque; sa fille alnée voulait, semblait-il,
devenir son amie, sollicitait d'une façon muette de
l'aider à porter son fardeau! Les exhortai ions de
tante Louise avaient été semCes sur une terre généreuse. Marcelle, avertie par un instinct secret d'un
danger occulte, entourait sa mi.re d'une vigilance passionnée. La visite, cependant si brLve, du lieutenant
Faucheux avait éveillé des inquiétudes qui, chez
Marcelle, ne se formulaient pas, et chez Genevil.:ve
avaient provoqué inopinément, un j our, la déclaration :
- Je n'aime pas le papa de Jeannette.
- Pourquoi, mon trésor"? demanda Valérie, à qui
ce discours s'adressait.
- Je ne sais pas, nous n'avons pas besoin de lui,
est-ce qu'il reviendra?
- Ce n'est guère probable, du moins, avant trl:S
longtemps.
XXVII
Betty était revenue, au contentement de tous, et
avait repris avec autorité ses « petites charges "
comme elle appelait Marcelle ct Genvi~.
Cependant la santt:: de la fidèle nurse nécessitant encore
de grands ménagLm, nts, il avait été entendu que
jusqu'à nouvel ordre, Pauline demcun.:raiti Paulin~
ne souhaitait nen autant, car maintenant, clic
s'apcrccnlit qu'die s'ennuyait beaucoup uans sa
retraite ~a\"oyrdc;
encore alerte ct forte, la vi<:
occupée lui con\'~ait
in(j~met
mieux quc l'oi-.iveté étranglée de son eXistence rt:::strclntei cil<.:
s'élait fort attachée aux deux petites tilles, et à
" Madame » dont le service rentrait absolumellt
daos sos capacités. Valérie, l'esprit absorbé par
�122
LA BRANCHE DE R01IARIN
d'uutres pr,;ocu:1ti~n
, n.'·:1lt lUl'3sé vo1<;lnhers Pauline s'emparer de la IIO;erH! ct Je mulilples petites
surveillances, qui penoant un moment l'ayaient distraite, mais lui étaient devenues fasiidieuses, elle
n'avait plus méme à s'occuper dcs belll:s chevclul'es
de ses filles, car Betcy aurait ressenti comme un
out rage d'être d.:!possédée ~e
ce soin. Val';rie, sans
voulOIr se l'avouer, éprouvait des heures d'ennui. La
'lie extérieure, loin de l'en distraire, l'au~mcnti.
Son « home n si aimé lui pesait parfois comme une
prison ; le lieu. où elle sc plai~t
le l'lus, OCI clle
res'1Îrait avec moins d'opr~siun,
étuit son étroit
jardin. Elle s'y trouvait seuk, sans solitude ... Le
'TIa in, durant la leçon dcs enfants, cllt.: y descendait, malgr~
I~ sai~on
tardive, e~
s'occupait à 'oi3ner les demI' l'CS ilt:urs; parfOIS elle s'amusait à
ratisser les feuilks morl~,;
dans un coin en-.;oleill.!,
jaJis le potager <.le la mUlon chumpètre, se trOIJ\'ait
une cour.le ail ~c,
e~tr
cleu.x. pla' c3~bnds,
Rarnie
d'une hale de rnma1'lns. Val~.ne
en almUlt les rc'ites
Oeurs pal~s,
.le p:Hfum t~l!ca
des branchettes
qu'elle frOissait dans sa mal11; ces (leurettes, si modestes cl'asp.::cl, contenaient cepcndant autant de
l21 iel pourlc3 a.beillcs que les ro:;cs les r.1u" .magnil'que~
1.... OUI, d.cscel:Llre clans son Jardtn ... et
" cuctlltr du ron1:1nn ~ dlll le symbnl' du bon leur
(;ac!l~,
du bonheur qu'l!lle nt! c()n~l1trai
jamnis ...
.\lais au moin, fallait-il que ses filLs fu%ent hcureuses; et Val'·rie ayail pr/ly()I1J~ent
conscience
Cluc leur bOI~heu.r
pr'::sent d J I:cn.dalt d\:llel N "anmoins, ccriallls Jou rs, la luttc etait cruellc .. , Val ric
n'osait jamais l'L'lIrcr.., les petiles s'l!n seraient
aperçues imm ·,u i.. tement, el ,I~s
larmes de leur
m' re leur CJ.U aient une v..: nlable d-::treSse! il
falbit, à tuut rrh., leur pr~
'3 entcr
un visaoc serein.
B:tt y, grande. m?ilr~e,
~ s-hmi~ne,'"
et malgrà
fion culte de plelll air, SCIait permiS, deux ou lrl)Îs
fois,. d'averlir • ~1thJoml!.
que le jardin {Ilail troi)
humide « ce mat1l1-là» pour.y nana ... J\lieu: valait
sorti r au dlO~·.
Val.:rie :1\,lt plaisant!.! et n'était pas
rentr':c une m111utc pius t6t.
Il parut bicniiJt tror é\i lent quc B·tly avait ét~
bon roph~te;
quel'lues jours avant Nol Val'Ti c
I:rrOU\'a, vt:rs. Je s(,ir, cl'abord un frisson,' ruic;" un
exlré:ne malais, une courbatu1'<! générait: de ia dit:'
li-:ulll: à respirer, et le matin, tOlite fi~vreus
ct
nb:1itue, dut sc déc1al'.:r m:lludc 1
L':s deux. pau\'J'cs refit~s
(jlc~
~tai:n
consternéeS
P'1ulinc prcsqL1~
autant, m~i
, h '\HCIlsement l'';ocr:
:.1iquc Betty ne songeait jamai à pereIre: la t6te; clic
�LA BRANC HE DE ROMARIN
J 23
gronda d'abord verteme nt ses « petites charges ",
plus verteme nt encore Pauline , qu·elle traita de ridicule, puis, ayant dépêch ? ~net
cher~
le
médecI n, comme nça l'applIcatIOn des premie rs remt:des: un cachet d'antipy rine, et de suite un bon
catapla sme moutar dé sur la poitrine ; pauvre Madam e
avait si mal à la tète, qu'à peine ramait- elle tenir les
yeux ouverts , et se défendr e contre une lourde somnolence .
- Descen doz, dit Bettv à Marcel le, descend ez,
dear, et occupez -vous de' bien faire déjeune r miss
Geneviève. Votre maman a pris froid dans le jardin,
je savais que cela devait arriver 1. .. il Y a beauco up
d'influe nzas en ce momen t; je me demand e si je ne
ferais pas mieux de vous faire partir tout de suite
chez votre tante Louise.
- Oh, non, Betty 1 non, Implora ;,\1arcelle.
- Je vais cnvoye:r une dépèch e à Mme de Chassenay, quand le docteur sera passé; seulem ent, et
en attenda nt, gardez votre tète, miss Marcell e, les
persan nes qui ne la gardent pas ne sont bonnes à
rien. Quel bien peut-il faire à votre maman , que
Pauline s'essuie les yeux et se mouche tr· s fort, ce
qui est un bruit insuppo rtable dans une chambr e de
malade 1... Dites bien votre prï re avec votre darling
petite sœur, et soyez sûre que je saurai m'occu per
de votre maman ; tout le monde est malade un jour
ou l'autre. Est-ce que je n'ai pas été malade ? Est-cc
que je ne suis pas guérie?
Marcell e, pleinem ent convain cue, :lvait romi~
tout ce que lJctty voulait.
- Et surtout , avait répt~
celle-CI, prenez un bon
déjeune r, être faible ne sert à rien.
L'énerg ie, tout comme la peur, est contagi euse, et
Marcell e mit la sicnne à remont er Je moral de Genevi' ve, à qui clle sut persuad er que, dans deux ou
trois jours, maman serait bien ou presque bien.
Valérie avait dit à Belly:
- Prcnc7. soin des enfants , Belty.
- Oui, dear l\1adam, pa5 besoin d'y penser,
pensez à \"ous-m(;me, étes-vo us plus à l'aise?
- Non, Betty, je ne me sens pas hien ...
Le docteur était venu et avait diagnot isqué une
forte influenz a, diè·tc, catapla smes sinapis és, cache! s,
beauco up de repos ... hoire souvent , le lit, bien
'·nlendu ... il y en avait pour une dizaine de jour~,
au
moins.
En recondu isant le docteur Perrin, Betty lui aVilit
dcmand 6 :
raut-il renvoye r les jeunes demois elles?
�r 24
LA BRANCHE DE ROMARIN
Le docteur Perrin, qui ne croyaIt que médiocre~
ment à la m~decin,
ct pas du tout aux précautions
préven ' ives, avait hoc~
négativement la tête.
_ Inutile, à condition, miss, qu'elles ne restent
pas dans la chambre de leur m' re; envoyez-les se
"romener quanJ il fait beau; si elles doivent avoir la
grippe, ell cs l'auront.
_ Monsieur le docteur veut-il les rassurer, elles
sont là, dans leur salle d'études, t!l Betty ouvrit la
porte du petit salon.
.
_ Bonjour, les demoiselles, dit galment le docteur
Perrin, tachez d'être bien sages ct de ne pas jouer
du tambour; en dehors de cette pr~cau
ion, faites
ce que vous voulez. Votre maman a un gros rhume
dont je la gurirai sans être sorcier; allons, madeoi~
selle Genevil:ve, n'ayez pa~
une mine aussi éplor~c'
il n'y a pas de quoi ... à d l? main, au revoir ... Mi s ~
sait tout ce qu'il ya à faire.
Apr:': s aVOIr OUI'ert la portc au doctcur, Betty était
revenuc aupr:': s des enfants.
.
_ Main tenant, dit-elle, j'exige quc vous soyez
raisonnables; vous allez travailler avec Mlle FontaIne
com~
chaque jour, ct moi je vais m'occuper, avec
I\nnette et Pauline, de ce qui est nGcessaire pour
votre maman.
Les rôles d'autorité convenaient à Betty, qui
n"'~tai
jamais aussI heureuse que lorsqu'elle était en
posture dl.! les exercer; les deux pelites filles avaient
l'habitude de lui obéir el l'habitude de la croire car
Betty était scrupuleusement véridique; aussi, apri.:s
un dernier appel de :V1arcelle:
_ Oe:;t bien la vérit é vraie, Betty r
dear.
_ n.ien que la vérit~,
E\1es furent pIL:ineml?nt rassurées, sinon satisfaites ; l'ain~e
embrassa la cadette; encore une petite
dizaine de Cll.lpe1d supl~mcntaire,
et puis, apri:s
on sera IOLlt à Mlle Fontaine.
'
_ C'est votre dcvoir, avait rép~
Betty, appuyant
sur il; mot, et, pour ces cœurs drOIts, la sl grlllIcation
du mnl devoir est immense.
Tante LOlli e ne se fit pas atkndre, dIe parut
d.;bllrdante de bonté cl de sympathie. et aurait hiel~
voulu emmcner les enfants
_ ;'I;'on, tallte Loui .\.', jo te remerci e mt!le fois.
mais notre d evoir e ( aUl1r" s de rn::tman.
_ .\lai<;, ma pauvre bIche, qu'est-ce 'lu e tu reux
faire pour ta maman?
_ .le sui. qU'clle sera contente de nOlis c;uvoir là.
_ i\lais IL: clllctcur lui d ~' fend
d e l'.trlc.:r, elle il
besoin de caine, elle va se tourml!n'.l!r à votre sujet;
�LA BRANC HE DE ROMARIN
12~
quand j'ai été malade , Il y a ClOq ans, J'Di expédié
Gaston , tout de suite, chez tante Jeanne.
- Oui, tante, répond it Marcell e en rou,giilsant un
peu: mais tu avais mon oncle, aupr<:s de t<h ... Maman
n'a pcrsonn e.
Mme de Chasse nay embras sa tendrem ent sa
nli:ce.
-- Mes pauvres chéries , mes pauvres chéries , ah 1
que c'est triste!
- Bien triste, dit la jeune créatur e les yeux noyes.
Marcell e, ainsi qu'il arnve souven t dans la prime
jcuness e, où tous les sentime nts sont vivaces , était
en train de prendre une résoluti on hérolqu e, la ·
bonté douce du visage de sa tante força sa confidence.
- Maman ne sera jamais seule, je rcsterai toujour s
avec maman .
Unc nou\·cll e étreinte de la part de tante Louise.
- Ah 1 mon enfant, Dieu te bénira ... Mais remettons-no us à lui de l'avenir .
- J~ veux que mon papa soit pardonn &, continu a
Marcell e avec une sorte d'ardeu r.
Mme de Chasse nay contem plait avec une admiration attendr ie cette créatur e de treIze ans, d(jà
capable ue concevo ir et d'exécu ter de pareille s immolations 1 La conduit e de son fr~e
lui parut, vue à
celte lumi" re divine, pureme nt abomin able; c'était
lui, c'était sa légi reté, son inconsc ience, qui char&eait ces créatur es Înnocen tLs de pareils fardeau x.
Sa fille voulait qu'il soi t pardonm :, et, à peine sortie
di:! l'enfanc e, olTrait simplem cnt sa vic pour obtenir
ce paruon.
- Mon enfant, mon enfant, tes prii.:res seront
certaine ment entendu cs, je nI.! ais pas commc nt,
mais j'ai (.;onllance.
- Tu ne dira,> rien surtout à maman et à Gene\ï~"e,
plaida Marcell e.
- Rien, ma chérie, rien, tu peux être as ·urée
d'un secret inviolab le; oni, reste j ta présenc e sera
certain" ment utile à ta maman , et en éloigna nt
Genel"i >e nou" ne fLl·jons que bouleve rser cette
cht:ric; tu l'eml C:chcras de s'e.\alte r trop, et puis
votre Betty a du sens commu n, elle ne permet pas
qu'oll e:ag~
rc le cho.cs; je viendra i tous ks jours
et, cil cas dt! besoin, 011 irait me· t':lt:pho ner chez le
pharma cien. En tout cas, on me donnera un coup dc
télépho ne tous les ~ojrs;
tu verras, ta maman est
robu tc, elle St! gu(:rira vite.
Sous la sage directio n d Betty tout se passa 0
�1 :.!6
LA BRANCHE DE RO~IAN
merveille; le trOlsi i: me jour, déjà mOins accablée,
lui dit en riant:
- Je crois, Betty, que vous êtes contente que je
sois malade, pour avoir l'occasion de me soigner.
Cette id0e avait réjoui Marcelle, que Bdty iniiiait
de soigner une malade : comment il
il la mani~re
fallait s'y prenJre pour arranger le lit; la mani ' re
correcte de confectionner un cataplas me, une infusion, de peigner les cheveux d'une personne qui a
mal à la tête; Marcelle, son grand tablier Je dessin
pass2 sur sa robe, restait aupr:, s d'Annette pour
l'obliger de confectionner le bouillon de légumes
selon les nouveaux principes:
- Un con
s om~
serait bien meilleur pour Madame, bougonnait la cuisini :: re, à quoi cc m~chant
bouillon au herbl!S peut-il senir? vous devnez me
laisser faire, mademoiselle Marcelle.
- Non, Annette, le docteur a prescrit le bouillon
de légumes, et bien passé.
Marcelle le montait elle-même, ct le présentait à
"a maman. Le cœur de Valérie d~borait.
- MerCI, mon tr': sor, disait-elle, merci 1
- Tu es mieux, maman?
- Je suis mil!ux, mais j'aime à être SOignée, j'ai
presque envie de demeurer malade.
- Non, maman.
Un sourire, un regard, c'dalt tout; mais ce sourire, ce regard, auraient fait aller la ml!re nu-pieds
au bout du monde.
Ayant accompli sa tache, Marcelle se prêtait de
bonne grace aux promenades quotidiennes en corn·
pa!.inie soit de tante Louise, soit de Mme Bressac;
celle-ci devait avoir un arbre de Noél, ct insista
pour que Marcelle et Geneviève prissent part à la
réunion; cc lut im~datecn
l'avi s de leur m ~ re;
mai" les enfants sc montrl!rent plus difficiles à persuader. Betty, seule, en vint à bout.
- Pourquoi VOLIS rendre ridicules?
RidicuI.; était un ad/'ectif dGlinitif pour Betty.
- Comment, ridicu es? dit Icnevlc:ve, avec indignation, pal.::e que nous ne voulons pas nous amuser
quand notre maman est malade.
- Oui, miss Gent.:, ridicules, voIre maman est en
bonne voie, je pense que vous êtes tranquilles quand
je suis là, et votre tante Louise a dit qu'clic VOUs
conduirait chez Mme Bressac; en revenant, Vou s
aurez quelque chose à racC':1tcr à votre maman, et
nous allons mettre du houx d du gui partout, nous
ferons notre maison au s ~i « merry» que possible,
cous mangeron s mon beau plum-pudding, votre
Val~rie
�LA BRANCHE DE ROMARIN
12j
le yeut. -. Ce plum-Plfdding était en prépara.
tlOn depuIs plusieurs semailles, et chaque annét
représentait un tr~omphe
pour Betty.
" Facheu.', contlllua Betty, emportée par l'amourpropre professionnel, qUI: nous ne puissions Das
en ~!l1voyer
une grosse tranch~
à .votre papa; il disûit
toujours q~e
personne ne faisait un plum-pudding
comme mol.
- Oh r Betty, nous lui en enverrons, cria Geneviève.
- Oui, appuya Marcelle, dans une bolle de ferblanc, ce sera tri:s facile,
- Weil r dit Betty, un peu efTarée de s'f!tre avancée
sur un terrain dangereux; nous verrons; seulement
vous ne ferez plus d'embarras pour aller ~ I:arbre de
Noel de Mme Bressac. Vous mettrez vos Jolies robes
de velours bltu, et je coifferai miss Geneviè.\'e d'une
façon splendide.
Les deux petites filles embrassèrent Betty; associer, pour si peu que ce fût, leur pèrlj à la fête de
NotH, que les discours répétés de Betty rendaient
spt!cialement importante à leurs yeux, les consola
un peu de la séparati,on; eJl~
aportl:~'e
au chevet
de leur maman des visages nants; maiS, sans s'être
consultées ne dirent rien de l'envoi projeté, Tout
se passa se'lon le programme élaboré par Betty; Pauline escorta les «young ladies» jusque chez Mme de
Chassenay et devait les ramener.
Pendant les heures où les enfants étaient hors de
]a maison où Pauline ou Betty travaillait dans le
cabinet d~ toilette, à portée ue vo!x de la, malade,
Valéri~
jouis~at
pre~qu,
de P~u.volr
€!t,re tnste sans
.:ontralllte, l'Impossibilité mat,l:nelle,ou ~Ile
se trouvait de commul11quer avec Dcnls la pOignait", depu is
qu'clle était prisonnii:re par la forcc des choses, elle
cruel
avait reçu de lui une lettre, à laquelle il ~tai
de nc pas n:pondre, et le m~)yn
lui mar:quait. 13etty
était sûrc, mais à aucun pnx, l'amc dLlicate dc Yulüric ne voulait .,'abaisser à l'apparence de prenu~
unt !'ervante comme confidente.
Et lui, que penserait-il?
Valérie, pL:ndant ces jours silencicux, avait
'u\1vcnt sonlié à la mort. 11 ya des heures de la vic,
ml'me pelluant la jeunc;;"c, où dIe paraIt facile;
presque d(,uCI!. Le probl, me de l'a\'cnir ~crasit
la
créature que la fil:vrc avait débilitée. Elle étail épouvantée ue SI! rcnu!'!! COll1l'lt.! de la plaL:e qUl: Denis
occupait dans son cœur ... Les parolcs d'amour
~ch!lngées
avaicnt été c 7pen;iant si rares et furtives,
le trésor de ses souveOlrs SI léger, et, nl'amoi~,
il
~amn
�128
LA BRANCHE DE ROMARIN
pesait d'une force incroyable sur toutes ses pensées.
C'est qu'une seule étincelle peut faire une brü!ure
profonde, dont jamais la cicatrice ne disparaît 1 La
possibilité que les lettres de Denis tombent sous des
yeux profanes la réveillait en sursaut la nuit. Com~
ment détruire ces lettres? Immobilisée comme el!e
l'<!tait, et jamais seule, et puis l'idée de voir se consumer en fumée les efTusions passionnées que lui
insufflait une vie nouvelle la torturart.
Cet apr~s-mid
de Noël, elle appela Betty auprès
d'elle.
- Mettez-vous là, Betty, et faites-moi une bonne
lecture, en ce Jour de Noël.
- Oh, dear Madam, avec tant de plaisir J
Betty, comme le plupart des catholIques anglaises,
était pleine de ferveur.
- Justement je lisais Jlll for Jesus du père
Faber, c'est si beau!
- Eh bien, lisez tout haut, Betty.
Betty commença j à tout moment, dans les tendres
exhortations de l'oratorien an[llais, revenait le mOl
" amour .. , «il faut aimer., " Il faut aimer»; mai,
cet amour auquell'ame était conviée s'accompagnait
d'infinis sacrifices. fi. L'oblation est quelque cho c
au-dessus de la pri(;re ... Faire des présents est un
signe d'amour. Ainsi tout est amour, du commencement à la fin, il n'y a pas J'autre mesure, il n'y a
pas d'autre principe .•
Betty li ait avec conviction, et ces expressions
extraordinaires de sacrifice et de détachement ne
paraissaient l'étonner en rien; elle s'arrêtait seulement pour dire de temps en temps:
- Je ne vous lasse pas, madame '?
- Non, Betty, pas Ju tout, au contraIre, vous me
rl:posez.
Le chapitre termin6, Betty observa simplement,
mais d'un ton ferme:
- Dieu est très bon, - et ajouta - mêm\.! quand
nous ne comprenons pas; maintenant, dear Madam,
tachez Je dormir un peu.
- Oui, Bettv, mais, avant de m'endormir, je veux
vous demander quclq u\.! chose.
- Quel est votrl: d':sir '?
- Bdty, donnez-moi mes c1~fs.
- Les voilà, mais ne vous fatiguez pas, madame.
- :-.rOll, Betty, je ne me fatiguerai pas ... ouvrez
mon bureau.
- C'cst fait.
- Apportez-moi le petit coOret qui est sur la •
tablette.
�LA BRANCHE DE ROIlIA1UN
l:ly
Betty le prit et le posa respc::tueusement sur le lit.
- Merci, mes clefs?
Le coffret fut ouvert. Bètty discrètement s'était
{:Ioignée, et s'occupait d'arranger le feu,
Valéril! prit un paquet de lettres,
- Le feu brûle très bien, Betty, alors mettez
dèssus, je vous prie, ces ,papiers, et tenez-les avec
les pincettes pendant qu'd,s se consument.
TIetty nL: douta pas un lllstant que ces lettres ne
fussent d'anciennès lettres de son maître, Elle
maintint solidement les ,feuilles pendant qu'el~
Sc:
consumaient, écrasa sOlgneusemènt dans la braise
lèS morceaux calcinés, balaya leur cendre, et remit
une grosse bûche sur le foyer.
Emue, elle revint vers sa maîtresse dont le visage
61ait mortellement pâle"
- Dear 1\ladam, la \'IC est dure, pour sûr, mab
vou~
avez ces deux darlin!2s 1
- Oui, Betty, j'ai mes tllks r Dieu e t bon!
XXVIII
La dernii.:re semaine Je l'année 1913 s\!tait écoul':e
extraordinairement calme dans la petite maison
ct' Auteuil j tante Louise et Mme Bressac se relayaiem
pour emmener ks fillettes au dehors, qt lais~er
à la
convalescente le repos dont elle semblait avoIr un si
grand besoin j cependant, tante Louise s'6tonnait
~le
l'extrême abattement d'une personne habituellement si énergique j mais Betty, qui prétendait être
comp~ten,
assurait que la grippe a très souvent
cette conséquence,
\
avait ajouté la v~ridqu
Anglaise,
- Et pu~s,
Aladam a bien des raisons pour i!tre tnste, Surtout
pendant ces jours de r'~te,
Un " home » sans Son
maltre, quelle chose malheureuse! et pour cc _ch1:rc<.
l'dites créatures qui sont ,si d':\'0,u':es à leur para 1
de compagnie,
lIlme de Chassenay avu!t souplr~
- Elles ne le ver~ont
ml,;~pas
cette annét, puisqu'il est absent 1 1\lIss Gene\'leYc pleure quelquefoi-,
avant de s'endormir, oh 1 des choses comme celle-là
une ombre froide sur la maison,
'
jett ,~nt
nl'
Mme de Chassenay, qui était du mt.'!me a\'i~,
:
,
pur que l'épo~dre
, - Il ~aut
faIre pour le m!eu~,
m,a bonn,e B<.'tty, jl:
Vll'ndr:lL déjeuner le premier JanVier, ct J'am~neri
!J:l-V
�130
LA BRANCHE DE ROMARIN
mon fils Gaston, il égaiera un peu 1:":'; pauvres
chéries; je sais qu'il est inutile d'essayer de les persuader de venir chez nous, elles ne voudraient pas
quitter leur maman.
- Oh oui, tout à fait inutile, mais si madame
vient, elles seront tri.:s contentes, répondit Bett)
avec approbation, et leur cousin Gaston qui les fait
lOujours rire! Oh 1 ce sera une excellente chose.
- Eh bi n, c'est convenu, je vais en parler à ma
belle-sœur; il me semble que si elle faisait un petit
clrort, ce serait meilleur pour elle que de demeurer
tuute la journée à regarder les nuages.
- Il lui faudrait un changement, déclara Betty.
- Quel changement, ma bonne Betty?
Aller au soleil, quelque pal t ... .Je crois, ajouta
contldentiellement BeUy, que la pensée de « l'autre
lady» la tourmente beaucoup!
- Ah 1 mon Dieu, c'est affreux ... Ah 1 vraiment,
dit .\lme de Chasst.:nay avec émotion, la l":gi:reté
Jes hommes est enrayante; mon frère, qui est si
bon ...
- Oui, certainement, Master est lri.::; bon, seulement il ne pensait pas assez à son de\'oir; et alors
tout le monde est malheureux 1
Le premier janvier s'était levé, lumineux et paisible.
Valérie avait reçu à .son rt!veilles baiSl.!rs passion·.
nés de ses filles, t.:! kurs of1randes, travaux charmants pfl!par6s en ca.:hdte. llt.:lty était Yenul.! errii:re les enfants et avait respectul.;usement présenté
sun pt;tit cu'deau, utile, bien choisi, et bien reçu.
Chaque annt:c samaitresse souhaitait àBetly la mLme
éhose : "un bon mari, Betty" et lktty répondait
~aicment
: " Very weil, je l'at tends! » ct les pet ites
la taquinaient, ct cherchaient à dc\Încr de quel coin
de l'h<Jri7.0n viendrait Je mari de Belly ? CI.! premier
janvier-là, on sc dépêchait, Marcelle lot \1<:nc\'j'·, ~
~'urel1t
à pel1le le temps de rcg.trder Ic~
JuIlL'" 1.11 ':11Ilesdc mamall, il fallait al!.:r fi la mes e, .1 l"'" nir de
I)onne Iwure 1',)Ur tout préparl.!r 1.;11 \·uu du déjeuner.
lkttv était dl~ci':
à cc quc l'on fCtal rovalt!mc1lt
tante Louise, et à lui offrir un COUH'rt qui ilc laj"~e
riC:1l u dl'''ircr; on aVilit cnC<l!'l; il achetl.!!' de~
neu. ,
p41ur orller la table: toute cette prl'()ct..ul'ation cm!,'::.
chait II.!:' t'nfants de [roI' petl,;cr il kur pi:rc ab~ent
..
. - LI.! f< cleu!' n'est pas cn~ore
a!'rt\~
?obser\'aa\'ec
qud lue: ::Iarme (;clll.\'ii.:ve au mellllcnt ie sortir.
on, Jear,. les.dt~·
s(ln! toujours un peu en
retard le premIer )anVlCr, vous trouvcrc,: cdlt: 1:
votre cher papa cil rentrant.
�LA BRANCHE DE ROMARIN
13 1
Là-haut, dans sa chambre sohtaire, Val2ri,; se
disait .ave~
angois~e
: « Il. n'aura Eas même un mot
de mOl au}ourd'hUl ... »mals, ces difficultés, en l'éclairant, fortifiaient son courage et sa ferme décision
d'a.:hever le sacrifice commencé 1
A certains cœurs de femmes, même très passionn6s, tout ce qui est clandestin est odieux. Celles-là
vont, selon leur tempérament, au scandale ou à
l'immolation.
Valérie concevait la possibilité de tO!)t quitter, du
mOIDS pour une autre qu'elle-méme, elle avait pesé
dans la balance secrète de son cœur, ses deux
amours, et celui de la mère l'avait emporté. « On ne
peut servir deux maîtres, » parole divlDe et immortelle qui s'imposait sans conteste. Le soupçon est
comme un ver caché qui dGvore intérieuremen: le
plus beau fruit; et le soupçon finirait par surgir
dans le cœur de ses filles. Déjà une vague Inquiétude
leur faisait jeter des regards a.ln~és
autour d'elles.
Pendant ces heures de méditatIOn, que la maladie
bienfaisante lui avait données, .valérie avait pris
une résolution hérolque, elle ferait ce que Denis lui
avait conseillé, seulement elle le ferait contre lui;
elle appellerait sa fille aînée ~ la rescousse, elle
s'engagerait vis-à-vis de sa prenyère n':e, à ne jamais
introduire un tiers dans leur Vie, ct elle révélerait à
l'enfant les torts de leur père 1 Oui, cela était juste;
la vérité, même la plus douloureuse, est un meilleur
guide pour les âmes, un soutien plus efficace, que
ie plus consolant mens.onge- M~rcel.voyait
devant
ses yeux ses parents dlvor~é.s,
11 fallait qu'elle sût à
qui IDCOmbalt la resp~)fiSablté!
c~te
co.nnalssance,
Valérie en était certaJJle, ne nUlratt en nen à la tendresse filiale ùe l'enfant, la véritable affo.;ction est
incorrruptible, nen ne l'altère, rien ne l'éteint.
Val6rie, croyante, n'ftait pas pieuse, dans le sens
ordinaire du mot. Jamais elle n'avaIt mis en doute
les mystr!res dont on l'avait instruite; mais jamais
non plus elle n'avait connu la piété ardente, qui
avait fleuri spontanément dans l'àme de Marcelle, et
donnait à sa jeunesse. si Simple et humble d'ailleurs,
quelque chose d'auguste.
li serait bon, il serait salutaire, de s'appuyer sur
.\[arcelle . La mère ne connaissait pas toutes les richesses de ce cœur d'enfant, mais les pressentait et
comprenait qu'il serait salutaire aUSSI pour l'enf~t
ùe les répandre au dehors.
Pl!ndant cc temps-là, à l'i.!glisc, les deux petites filles priaient.
Encouragées par
, Betty, cites avUl . . nl mis un beau
�13 2
LA BRANCHE DE iW:.\1A1UN
cierge pu ur papa, un beau cierge pour maman, et
les avalent regardés brûler ...
Les bras chargés de fleurs, leurs jeunes visages
rosés sous l':lir vif du matin, elles rentraient, pressées de trollver la lettre attendue.
Annette ouvrit la Brille, et s'arrêtant, murmura
<{uelque chose à l'oreJ!le de Betty.
Instantanément les petites furent alarmées, leur
;'isage changea, mais Betty, prompte à les observer,
s'écria:
- Rien que de très bon, darlings, - et très gra"ement: - Votre papa est la 1
Ce fut vers la maison une course éperdue, Geneviève avait laissé tomber ses fleurs. Marcelle avait
pris le temps de remettre les sien~
à Annette et
arril'a une seconde plu~
tard que ~a
sœur, dans le
salon, où Prémery, tr~s
visiblement ému, se tenait
Jebout; de ses deux bras il encercla seS filles, les
pressant sur son C(l;Ur.
- Bonne année, papa, bonne année 1 et des bai~ers
sans lin.
- Bonne année à vous, mes lourtt.:relles, qui le
méritez bien plus que moi, - et voyant que Gen(:vii:ve était tout près des larmes: - ,\ lions, soyons
lrès ~ages,
il ne faut pas agiter votre maman; com
ment e~t-l
?
- Oh! bien mieux, dit triumphalement Genvi~\',
-:omme si la présence de son père dans la maison
,levait guénr maman.
- J'en suis 'b ien heureux. mais j'ai \~enSé
que
\'Otre jour dl;; l'an serait moi ns gai que l'habitude,
ct alors, je me suis .!chapp': pour "ingt-quatre heure .... Croyez-vous llue voire maman V(lUS permette
Je venir Jéjeulwr avec moi,.
Le petit l"Î:;agc de Geneviève s'allongea.
- Tante Louise ct Gaslon viennent. Nous ne
!louvons pas ~()rli,
- 'l'Il C()ml'rL
~ , n'est-cc pas, papa? plaida
.\Iarct:lle.
Prémcry resta Uil momcnt silenciuux, regardant
lour à tOlir ;;cs fjlc
.~ ... (nfin, <; 'a\lres~nt
phl5 partiçulièrt.!I11Lnt à 1\larcdlc, il dit très ba<; :
.
- Peut-être voIre maman m'auturiserait-elll: à dt:je llllcr al'u: \ ous LI 1I1U Slclll' -'
un moment
Les enfant lkm ClIrèr lJl1t ... ilc1<.:LJ~es
aussi ... pui. (IL llcviève, ell prui " à UIlI.! sort" d'exJ!talion, ~'é.:ria
;
.
11 faut le demander à maman.
- Veux-tu lui demandur, toi? interrog.onPr":mery.
�LA BRANCHE DE ROt.-IARIN
133
- Oui, dit l'enfant avec un léger spasme dans la
Vt1ix.
Elle était lev'::e. Marcell..:, très agitée, la r.:ga~
dait, quand la porte s'ouvrit pour donner pas5~e
â Mme de Chassenay. A la vue de son frère, elie
faillit, d'étonnement, tomber à [a renverse, mais déjà
a vec toutes sortes de bonnes paroles il ['embrassait,
d flattait cie la main droite l'épaule de son neveu.
- Laisse-moi me rt.!mettre, dit Mme de Chassenay, je n'ai de ma vie été plus surprise. Mes enfants, allez faire cinq minutes un tour de jardin,
emmène tes cousines, Gaston.
- Venez; les mioçhes, dit royalement celui-ci.
Quand les enfants furent sortis, Mme de Chassenay demanda:
- Comment as-tu pu quitter ta femme?
- Jacqueline n'est pas seule, elle a auprès d'elle
'il sœur et son beau-frère ... Quand elle a vu ma
grand.e e!1vie de venir, elle m'a donné cons.! de qu~
rante-hUlt heures. Je repars ce soir j le voula~
emmener mes filles déjeuner avec moi, j'avais pensé
que leur mère consentirait, ct aus~i
quu je [es conduise à une matinée; mais quand lu es entrée, elles
venaient de m'apprendre q U'OI1 t'attendait. et rapi~
dement : Crois-tu que je puisbc rester r
- Toi, ici?
- Oui, pourquoi pas ? .. Je suis che/' Valérie, il
est vrai, mais aussi un peu chez mes file~;
tu es [à,
je ne vois pas ce que ma pré!s\:ncc aurait d'incorrect,
j'ai affronté bien des petites choses, je t'a~
, ure, pour
venir jusqu'ici aujourd'hui.
Mme de Chassenay était très perplex..:.
quc le r~I'>ndc
....\ u fait,
- Ma foi, je ne s~i
emmène les enfants, Je m'arrangeraI. .
- C'est impossible; jamais elles n'en ..:nlendront
parler; voyons, Louise, sois lIllC bonne sœur,
arrange celai pui:;quc ~al":ric
gar.de la chambre; l'ai
(·té r,eçu par Pauline qUI me l'a dll ; ma présence ne
peut ras lui pori er ombrage; si j'avais t\0 à Pan~.
Jl1eS filles seraient venues déjelll1<:r avec moi. J'aurai
lin chagrin afl'reux si je suis ohligé de partir tout
seul, ct ces pauvres petites. pom leurs étrennes,
~ er()nt
dcsespérues.
- J'y vais, dJt rés91ument AIm e dl.) Chassenay;
reste là, ne va pas au larc!ln.
- Non. je ne bougerai pas ... ,\h! Ltluise. tu es une
bonne sœur.
- néla~!
Et sur cet h6[as 1 Mme de Chassenay élait sortie,
IYabord clic ouvrît la porte de lu 5.\lIc ù manger
f
�134
LA BRANCHE DE ROMARIN
dans l'espoir d'y trouver Betty, celle-ci y était cITectivement, et répondit de suite au signe J'appel que
lui fit ivlme de Chassenay.
- Qu'y a-t-il, madame?
- .Te veux vous dire un mot, Betty.
- Entrez ici, madame, personne ne vic;ndra.
Elles se tinrent près de la fenêtre, loin des portes.
- Betty, mon frère voudrait déjeuner avec nou5,
cr"yez-vous que c'est possible?
- Il faut le demander à ma maltresse?
- Bien entendu, mais jugez-vous qu'on puisse le
lui Jemandr~
- Si vous voulez que j'y aille? dit Betty j à moi, elle
peut répondre ce qu'elle veut.
- Je vous en aurai une vraie reconnaissance, Cl!
serait si pénible, le premier janvier, d'avoir une
scène de larmes, ces pauvres petites Dlles ...
- Oui, pauvres anges, ,Madame pensera d'abord à
clles, j'en suis certaine.
Et le pas ferme de Betty s'entendit presque immédiatement sur l'escalier.
Cinq minutes passèrent qui furent longues pour
,"lme de Chassenay; vraiment les embarras que
créait Charles Haient sans fin ... Arriver ainsi chez
son ex-femme ans prévenir ... agiter tout le monde,
car Mme de Chassenay se sentait le cœur sens
dessus dessous.
Betty reparut, un peu grave.
- Pauvre Madàme est très bouleversée ... elle ne
veut pas faire de chagrin à ces pauvres darlings j mais
elle demande à Mme de Chassenay la promesse de
rappeler li M. de Prémery qu'elle est toujours disposée il lui envoyer leurs filles; mais gU'll ne doit
pas venir ainsi, bans permission ... PuiS-Je assurer à
ma maitresse que Mme de Chassenay Il! dira à
M. de Prémery?
- Oui, Betty, et très catégoriquement, et je vous
assure que si ce n'étaient ces pauvres enfants, je le
lui aurais dit tout de suite. Les conventions établies
doivent étre respectées ... Ma belle-sœur a parfaitetement raison; elle est vraiment géMreusc j mais
mon fri)re abuse.
Ce..:i dans la bouche de l'indulgente f"mme était
un blilme sévùre.
- Je monte la remercier, continua-t-eHe, mon
r~e
est au salon, allez lui parler, Belty.
Betty alla : l'accueil, les remerciements, les
bonn(;s paroles de Monsieur, eurent vite raison de
l'aspect un peu sévère gU'elle avait cru devoir assumrr. Prémery se précipite vers la lab~
à ccrire, nu
�LA BRAXCHE DE ROMARIN
135
était disposé tout le nécessaire de la correspondance;
en un moment il a tracé quelques lignes d'une écriture qui tremble un peu.
" Toute ma gratitude, permettez-moi de vous
"ouhaiter la bonne année dans le bonheur et la
santé de nos filles, dont à jamais je vous remercie 1
« CUARLES.
n
Et une enveloppe. sur laquelle' il ne trace aucun
llom, est remise à Betty.
- Betty, portez vous-même, s'il vous pla!t, cette
lettre à Madame.
- Certainement, Monsieur.
- Ah, Betty, je suis content de manger de votre
pâtisserie, car je parie que "ous avez fait un gâteau)
- Oh 1 oui, pense Betty en remontant l'escalier,
mon maUre a bon cœur.
~la:ceÎ
'oc~ule
ci t~bl
l~
pl'ac~
d~
~
~':r,
per~
n'est en face d'elle, les quatre cou"erts ont
été placés à égale distance, son pè're à ;-,a droite;
Prémery se trouve entre ses deux (illes, la tahle e~t
admirablement fleurie; la corbeille abnndamment
garnie, de roses, de mimosas, d'anémones, que
• Master " a apportés, ayant été mise à profit par
Betty, qui a rempli en outre tous les va<;(; ' dispo1l1les coins de
hIes, l'air embauml!, le houx fait d<ln~
grandes taches vertes éclatantes, et 3u-dessu ' de la
tête des convi"cs, se balance une grosse tDuffe de gui.
Cependant, quelque chose d'in"isibk p':se sur le
CfPur de tous; par moment, une omhn: passe snr le
\I,:age de Prémery ... Bètty est entrée en silence et a
1'~
le morCl:nu de poulet de-tin.:! à ~a maitresse .
Pï('mcrya sl1i,'i des yeux chacun de ses mouv()ent~
di cret~
... elle ferrrie avec précaution la park, (\n
l'entend qui remonte; la pCl1s('c dl: tous ceux qui
sont là accompaf!n..: "c" pa~
...
Prt:mcrya quelque peine à soutenir sa v..:rv.:, et
celle asse7. terre à terre du petit cOll"in Gaston e~t
hi en nécessaire pnur sauver la face. Marcelle cst
r;rave, la gaieté dl: Geneviève a quelquc chose d..:
fébrile; clic contemple son I~i'r_
a"cc une sorte de
d6tresse, cc soir clIc ne le verra pl\l s ! Tante Louise
parle abondamment de SCC1lr Seannc, "cul sujet sur
Ir:'jucl elle <;;c sente à l'aise avec son frère.
Le dessert est venu.
Le gateau mervcilleux, œuvre de Betty, a été al'r1'l:~one
.: ié.
Piluline vcrse dans le petit ycrre de ces de1l1oi-
�13 6
LA BRANCHE DE ROt-fARIN
selles le vin doux, résen'é pour trinquer li. la nouvelle
année.
Prémery n'hésite pas; levant le sien, il dit en
regardant tendrement ses filles, et heurtant tour à
tour leur verre:
- A la santé, à la paix de votre maman, mes
chéries 1
Elles boivent, et une larme coule sur leurs joues .
- Oui, à maman, à maman, répète Geneviève frémissante .
- Et à papa, ajoute Marcelle ... à tante Louise ...
sa voix défal~e.
- Et à moi, la mioche, interrompt Gaston qui
guette l'attendrissement et veut l'empêcher.
- C'est ça, à Gaston, reprend Prémery, et à Pauline, ajoute-t-il en souriant, et à Betty.
Tante Louise involontairement songe à Jacqueline.
Evidemment, pour l'heure, elle est oubliée.
XXIX
Il est une heure, Prémery, ses filles, tante Louise
et Gaston s'apprêtent à quitter la maison. Un taxi
attend à la grille. Valérie a refusé d'une façon
péremptoire l'offre de Marcelle de lui tenir compagnie.
.
.' - Laisse-moi reslt:r aupr<:s de toi, maman, Je t'en
prie?
- Non, ma bien-aimée, ton père repart ce soir,
donne-lui c:eltc journée; moi je suis un peu lasse, ct
puis l'oncle Etienne doit venir me souhaiter la
bonne année, je ne serai donc: pas seule ... Tu me
cha~rines,
Marcelle, en insistant.
L'enfant a cédé.
Comme la l'orle de la maison s'ollvr..: pour lai sser
passer la pdlte troupe, un homme P?rtant un bouquet hien cnyclorpé parait sur lt: seuIl.
- ,'Iallame Monpascal?
- C'est ici, répond Pauline.
- Voilà.
L'homme remet le bOUl\LJct, une l!n\'
. ~lp'e
est
épinglée au fin papier qui 1 entoure. Pauline dunne
un l.éger pourbi~,
le Garçon tleuIigte s'éloigne.
Rlcn de plus slITlple, ct cependant Prt!l11ery ' en!
une jalousie violente le mordre au cœur, l!1 les deux
petites Rlles suivent avec une sorte d'anxiété la
�LA BRANCHE DE ROMARIN
137
silhouette de Pauline qui, d'un air satisfait, monte
les fleurs à Madame.
- Partons-nous? demande ~lme
de Chassenay que
ce bouquet surprend un peu.
Prémery, qui s'est repris, sourit.
- Oui, et même dépèchons-nous, il ne faut pas
arriver en relarJ.
Oh 1 que ne peut-il rester, pénétrer lui aussi làhaut, dans cette chambre, dont il s'aperçoit que le
rideau est lev'::; mais la seule personne qui épie leur
départ est la vieille Pauline; Prémery lui envoie de
la main un dernier salut.
• Comme M. Charles est aimable, » soupire en
elle-même Pauline 1
La chère présence de ses filles, leur douce animation, leur plaisir visible, ne suffit pas à distraire
Prémery, son esprit est passionnément occupé de
Valérie ... L'idée qu'clic est aimée, qu'elle aime aussi
sans doute, le torture, empoisonne, depuis qu'elle
lui est apparue, toutes ses pensées ... Jacquelinf:,
impitoyablement, est revenue sur le sujet, a communiqué à son mari toutes les informations qu'elle
s'est procurées sur le lieutenanl Fauclteux, toutes
d'ailleurs sont à son avantage, clic y insiste avec
satisfaction:
- Il n'va, dans pareille circonstance, que le
choix de la personne qui soit important, toi, tu as
cu la main heureuse, du moins, je m'en flatte;
Mme Monpascal me paralt être tombée égalemen!
bien.
Prémery avait saisi un prétexte avouable pour
venir à Paris, mais ce qU'il voulait n'était pas tant
embrasser ses enfants, mais apprendre de leur
bouche innocente si un élément nouyeau était instauré dans l'existence de leur mère; il eut tôt fai t de
comprendre qu'à leur connaissance, du moins, il
n'yen avait pas ... Geneviève nomma une ou deux
fOIS Clr::mence ... Mais Clémence n'était pas à Paris.
elle était seulement venue les voir une fois avec sa
mémé et son papa.
- Est-ce qu'il est aimable, le papa de Jeannette?
demanda Prémery, percevant une intonation presque
host ile dans la voix de Geneviève.
La petite fait la moue:
- Je ne le connais pas!
Cette déclaratiflO signifie clairement: « Je ne veux
pas le connaltre 1 •
Prémery sent avec transport qU'il a des alliés ...
<l Jamais, jamais, se dit-il avec joie, elles ne permettront. »
�138
LA lRA~CHE
DE R01IAR1N
Il redouble de bonté, dt.! tendresse; les enfants
éprouvent aupr~s
de lui un sentiment pénétrant
d'être protégées, non seuJemt::nt elles, mais leur
maman ...
Pendant un des entr'actes, Prémery fait signe à
sa sœur d'occuper Genevii:ve, et s'est retiré dans le
salon derrière la baignoirt!, t!Jl compagnie de sa fille
alnée; ils s'as seyent sur l'étroit canapé; !?rémery
prend lendrl.:rnLill entre les sit..:nne,; la petite main
de l\larcelle, el. sans préam bule COmllll.:n r.: e ;
- Tu es si raisonnable, ma tille chérie, que je
vo::ux t'entretenir sérieusement ue la santé de ta
maman . Je n'ai pas eu, hélasl la I~osibl(é
d'<:/I
juger par moi-même, mais d'apr~s
ce que ta tanlt::
Louise et Betty m'ont dit, ta maman est très affaiblie.
- Trè'i affaibli<;! réplique l\Iarcelle déjà toute
tremblante.
Son' père perçoit son émotion .
·
- Ce n'est que passager, et ne doit pas nou~
inquiéter, cependant il faut al'iser ... La grippe lais e
parfois ùe longues comaksœnces, la ~aison
t!st
mauvaise, la vie, un peu triste à Aull!uil; est-ce que
ta maman est gaie?
- Maman n'cst jamais gaie, r,"pond Marcelle ayc,:
une nuance de reproche dans la voix.
- J'en sui;, bien peiné, mais il faut au moins ILli
rendre sa belle adivité; tu devrais, lI1a glande, la
persuader de venir fin ir l'hiver dans lè .Midi ... il
Cannes par cXl.:mple ... la distance s(!rait commodl:
!Jour nous; Betty pourrait l'OUS conduire fréquemment me faire une petite yisite ... Jt.: :;uis cruellemt..:lJ\
peint:: quand vos jolis visagl.:s ml' font défaut.
- Ce n'est pas not re faute, papa 1
- Non, ma t r l:S chGrie, non, ne chen:hons pas li
qui la faute; sois indulgente à ton papa; tu l'aiuH:l>
bj(;n, di:., ma grande?
- Oh! papa, tu sais que je t'a ime dt..: tout mon
.;u~r
1
Elle fut tenùrem.:nt embrassGe .
- Alors, combine cc petit dJplacement, parle')-l.:Jl
à Bctty, ct moi j'en causerai avec ta tante Louise, il
nt! faut absolument pa;; lai%cr ta maman dan. Ce
marasmt..: 1
Lt.! mut impressioJ1nt..: .M arcdk.
- Jt..: tacherai, dit-ell.:, mais, papa, ne disons rien
à Gent..:vlèvc; si cela nt..: se pouvai( pa~,
die aurait k
cleur trop 'I"OS, t..:I cela lui fait mul.
.
- 1 u es la sagt..:ss,: mêmt!, ma cht.:ri". je t'ob~ira
Apr<:: cela ils étaient rentrûs dans la logt..: .
.\ lm\! de Chassenay observa (Ive!.: qul.:lquc .:Ionne-
�LA BRAXCHE DE R01iARIN
139
ment le visa~e
plus grave de sa nièce: « Qu'est-ce
qu'il a pu lui dire encore, se demande-t-elle; vraiment, au lieu de venir sous prétexte d'aflection les
agiter, il aurait mieux fait de rester auprès de sa
femme ... puisqu'il l'a prise, qu'il la garde 1 »
La représentation approchait de sa fin; l\Ime de
Chassenay avait décidé de reconduire, seule, ses
nièces; son fr~e
et Gaston s'en iraient droit chez
tante Jeanne, où avait lieu le dlner de famille, et le
lendemain matin Pr~.mey
partirait passer douze
heure aux Etais.
- Que veux-tu que je dise à ta maison de naissance? avait-il murmuré à Geneviève.
- Que je l'aime 1
Déjàl'enfant tenait son petit mouchoir fin à la main,
et essuyait à la dérobée ses yeux; dans une demiheure, dans un quart d'heure, dans cinq minutes, papa
allait disparallre, s'évanouir clans 1'1l1saisissable ...
Mme de Chassenay feif!nit de ne pas remarquer le
chagrin de la pauvre petite, mais aurait volontiers
battu son frère. Elle bouscula les adieux.
- Pas besoin cie nous accompagner, je m'arrangerai tri!s bien toute seule ... Allons, un bon baiser
à papa ... au revoir ... ct filons retrouver vot re pauvre
maman.
Geneviève avait été emmenée sanglotante, mais
contenue par la présence de tant de monde autour
d'elle, sa tante l'emportait avec une brusquerie
al1'ectueuse. Prémery, tout pâle, demeura un instant
dans la loge, afin cie reprendre son sang-froid; puis,
se tournant vers son neveu:
- Mon garçon, lui dit-il, que ccci te serve de leçon 1
..
. ........... .
Les paroles de son père al'aient fait une profonde
impression sur Marcelle, ct lorsque, encore étourdie
des événements jnatlendus que cette journée avait
amenés, elle se retrouva dans la paix de la maison
d'Auteuil, elle chercha le meilleur moyen d'agir, et
d'agir sans retard.
~ Oh 1 comme maman était pâle, )t ct puis, elle,
toujours si forte, semblait faible, elle avait cu prl:squ,~
de la difficult.:: à 'oulevcr Je bras pour montrer à
Marcelle la magnifique 10uffe cie violettes de Parme
qui ornait son petit gu6riJon, et de lui mettre en
même temps clalB la main la carte qui l'avait accompagnée, celte cartc portait: « Avec les vœux, très l'es
pcctueux ct ~incè;rs,
dc Jeannette ct de son papa. ,
une ligne de remerciements ,:\
- Tu en\'cra~
Jt:nnnette, ma chérie.
- Oui, ma~n
�140
LA B RANCHE DE ROMARIN
La soirée avait 6t6 très courte, Betty n'avait autorisé qu'un souper fort léger, et puis « au lit ", sans
conversation préalable.
- Vous nous raconterez tout cela demain. Miss
Marcelle, votre maman est tout à fait lasse ce soir;
votre oncle Etienne est très bon, mais il parle si
haut, et il est resté très longtemps; maintenant il
faut la paix.
Et, extérieurement, au moins, elle avait été établie.
xxx
Ce fut Marcell<l qui présenta à sa mère l'occasion
que celle-ci cherchait.
Marcelle, après d~j(;unl,r
avait dit confidentiellement à Betty:
- Emmenez un peu Geneviève, j'ai besoin de
causer avec maman.
- Oui, dearie, répondit Betty qui n'était pas san s
avoir remarqué l'air de gravité de miss l\tlarcelle,
« missie a une commission de son papa, » pensat-elle.
La manœuvre s'accomplit tr~s
simplement. Pauline, dont le dévouement réel s'accompagnait d'une
bonne dose de curiosité, fut encoura~é
d'aJlcl' il
}vlontrouge voir une de ses amic:s; Annette demeurerait pour Il; service, et miss Marc<lll<; garderait Sa
maman 1
Et, 8U[' cette assurance, Gencvièvt.! accc.:pta la Colllbinaison.
Valérie était levée, étc.:ndue sur sa chaise longue;
.Marcelle al'ait dorloté sa mamun, jeté partout son
petit coup d'œil averti dL' pUl'sonne soigneuse, ct
tout proche de sa mère:
ônfin, ;O'était as~ie
- Maman, comment tt.! sen~-tu
Î'
- Je m~
~ , ntira·i !l11l.)\:JX d'iCI qu t:: lques jOUI'H, nJa
chérit.:.
- Maman, ct lif i 'une \'oix tremblait, Betty Cl'ilit
~uïl
te faudrait un changcmunt d'air, tantt.! Louis~
1a dit aussi en reVl nant hier, il faut nvLlS on aller,
maman!
- Où ? mon ange?
- Au soltJil, dalls lt.: J\tid i. Papa pense li LIe tu y
serais bien vite guérit.!.
- Ton p<lpll t'<;n a parlé, mon trésor?
- Oui, maman, balbutia un peu faibkrncnt .\br
celle ... Il Il dit qu'ù Cannes ...
�LA BRANCHE DE RO)TARJ:\
1
P
La mère, lin instant, se cou\Title~
yeux de sa main,
fit appel à son courage, puis regardant bien en face
sa fille:
- Ma bien-aimée, si je pouvais, au prix de la dernière goutte de mon sang, t'épargner 10ut chagrin.
je le donnerais sans hésiter. .. l\1atS je ne puis pas!
fi ya, bélas, des choses pénibles que tu vois, dont tu
souffres, mais dont moi, ma chérie, j'ai souffert la
premi.ère, qui ont brisé ma vic! Ton p1!re, mon
enfant bien-aimée, a eu envers moi des torts graves,
des torts cruels ... J'étais fiLre, je l'ai laissé partir ...
Aujourd'hui, il est l'époux d'une autre femme; moi
je ne suis plus rien sur terre que votre mi.re! Dieu
m'a fait ce don magnifique de . mes deux tilles ...
Cependant, je suis jeune encore, et j'aurais peut-être
le droit de refaire ma vie ... Mai~,
ma fiJ1e, bannis
toute inquiétude, je ne la referai jamais. Aux yeux de
Dieu, ton père et moi sommes liés jusqu'a la mort, et
s'il n'a pas respecté le contrat, je le respecterai, moi ...
Ne pleure pas, ma toute chérie ... Oh! oui, cela est
triste pour vous autres; mais ces dloses sont graves.
pt i[ faut agir gravement. Votre père a droit à Yotr~
t~ndresl',
vous devez l'aimer, car [e paune hom~
yous aime ... mais cette affectjnn ne lui permet pa!;
d'cmpi:t~r
sur ma I.ibert.é; à ~oi.n
que \"Ous .ne soyez
malades, Il ne dnlt Jamais venIr ICI, 11 n'aurait pas dü
venir hier. .. Celle qui aujourd'hui cst a femm ..'
aurait le droit de s'en plaindre; et il moi cela me fait
mal, très mal. Nous rapprocher de llli est une folie.
qui ne pt.:ut qu'entrainer des suu/l'rances. UOf
absence, dans un bon climat, me fera. ans doute du
hien; j'en accerte l'idée. Nnus pourrons alleràBinrritz,
par exemple, Jl.! serai bien aist.! de quitter Paris.
- l\laman, maman, tu as du chagrin 1
- Oui, ma tIlle, l'ai du chagrin.
- Maman, je ne tc quitterai jamais, tu ne sel'as
jamais seule, maman 1 ma douce maman!
Oh 1 quels sacrifi..:es ne seraient payés 1'.11' de semhlables parole" 1
Celle qui It.!s entendait défaillait presque de bonheur, la 'nix lui fit défaut; elle rosa <a bdk main
sur la tête de son enfant, d'un gc!-.tc ardent Je hénediction; la pauvre Marcelle, toute frémis~ante,
s'abattit sur la poitrine de sa mi.:rc ...
- Maman, maman, murmura-t-elle, tu pardone~
,1 rapa)
- Oui, mon ange, nui, je lui pardonne. l'l moi.
purJonne-moi ... Je n'ai pas eu USSel. dt.! patience. Si
J'avais été pieuse comme toi, enfant adorôe, j'eusse
agi autrement. Ton pè:I"C a été faible. léger; mai~
�142
LA BRANCHE DE ROMARIN
moi, j'ai été orgueilleuse. Heureusement que \'ous
êtes meilleures que nous 1
- l'v[amanl
- J'ai hésité à te dire ces choses; mais j'ai besoin
d'une amie ... ma fille sera cette amie, veux-tu, ma
MiJ,rcelle ..
- Oh 1 maman, qu'est-ce que je peux faire pour
toi ..
- Etre heureuse, et m'aider à rendre Geneviève
heureuse. Nous nous en irons pour deux ou troi s
mois dans un cOIn bien tranquille, et puis, quand
nous reviendrons, je serai tout à fait forte.
- Est-ce qu'il ne faut pas te parler de papa?
- Si, si, mon enfant, Il faut m'en parler souvent;
je dois toujours me souvenir qu'il est là ... qu'il est,
devant Dieu, mou mari 1
- A.lors pa'pa a fait mal en se remariant?
- Aux yeux de l'Eglise, oui; devant la loi, LI en
avait tout le droit. .. elle est protestante ... elle a pu
recevoir une bénédiction ... elle est moins coupable.
- Est-ce que tu sais, maman, qu'elle a une petite
fille?
- Je le sais... j'ai bien pitié de cette pauvre
enfant.
Marcelle baissa la voix.
- Papa est bon pour elle,
- Ton père est plein de cœur, sans doutè il a
compassion de cette petite créature innocente.
« Toi, mon ange, tu auras toujours ta maman,
tout à toi ... personne, jamais, n'entrera dans notre
vie. Nous n'en parlerons plus jamais, paree que de
pareIls entretiens sont trop douloureux. Tu écriras
à ton père ma décision ... Je la dirai à tante Louise,
qui est bien bonne pour nous, elle m'approuvera.
Si elle avait été écoutée, nous serions tous plus
heureux... Le passé, hélas 1 est irrévocable, mais
l'avenir appartient à Dieu d'abord, et à nous ...
Tachons de le rendre meilleur.
- Maman, je ne veux plus aller aux Etais ... avec
elle ...
- Non, ma fille ... Ton p1:re a exercé son droit en
vous y conduisant, mais je suis certaine qu'il ne
scra pas insensible à notre dGsir ... Elle ne m'a
jamais fail de mal ni de tort ; mais vous, mes fille. ,
vou,> ne pouvez la connaltre, tante Louise pense de
müme, chasse donc ce souci.
- Oh 1 maman, il me semble que mon cœur yole,
il est si léger 1
. - S~is
toujours francl~e
av.ec ta mère, mon a~gc,
clis-moI tes doutes, tes InqUIétudes, tout ce qUl te
�LA BRANCHE DE ROMARIN
143
tourmente. Ma tâche sur terre est de veiller sur me5
agnelets, c'est une belle tache dont je yeux un jour
pouvoir rendre compte.
La force des faibles est une chose incroyable, eux
seuls du reste exercent un véritable pouvoir. Plu~
un enfant est petit, plus il influe sur les êtres qui
l'entourent, plus il domine leurs volontés. Pour
l'amour d'un enfant, les haines s'apaisent, les passions se calment ... alors que tout secuurs extérieur
paralt manquer, le regard limpide de deux yeu:..
innocents l'apporte.
Valérie puisa dans ce court entretien, cœur à
cœur avec sa fille aînée, une volonté de se "aincre,
de tout vaincre, qui devait être inflexible. Elle aimait
Denis, elle eût souhaité passionnément jouir de cet
amour, et cependant, ayec ln rudes!>e clu hÎlcheron
qui manie la cognée, elle l'ril la résolution d'abattre
l'arbre, dont l'ombre, s'il sc développait, étoufTerail
tout à l'entour.
Elle avait dit à deux ou trois reprises, devant
l'bésitation de ses enfants à la laIsser seule au
logis:
- Allez, mes chéries, cela me îait du bien quelquefois d'être seule.
Geneviève a\'ail regardé " maman li avec étonnement, elle, qui tout le jour serait restée pelotonnée
~lr
ses !2enoux; mais Màrcelle avait eu l'intuition
du bienfait d'lin peu de !'()Iitude pour sa mère, et, de
connivence ayec Betty, lUI assurait presque chaque
jour une heure ou dem de parfaite tranquillit.:.
Un apr~s-mid,
ValGrie U'ou\'a enfin la vaillance
d'(:crire la lettre dont elle ressassait depuis tant (!t:
nuits les termes.
" Denis, ami de mon cœur,
" Cette lettre est le fruit dl.! IOl1huCS mGditation<
ct je vous conjure, pour l':.HT~(ur
mé~
que v~us
me
portez, d'en accepter la d~clsn.
Ami, Je vais vou~
fair,· souflrir, je le sais, ct moi-mC'me je souffre, beaucoup, beaucoup 1 mais j'ai regardé toutes les é\'enIllalit0s en fuce.
·
•
" r ans l'Gtat actuel dé 110" CC!.'Uf!', il est certain que
je ne pui, l":trc que ,·otre fçmrne.
n ,Je ne puis le devenir.
" .fe ne parle pas cie scrul~.
l'arec que jl' sai~
:1 n !c certitude que l'amour que je ressens dnmin ,rait tous le'> scrupules l'
elles Sf)nt lin dépbt socré, ;i
« ilrais j'ai mt:s {jle~.
c!J~s
j, puis tOllt sncnfier, et jl' sacri1ierai tout.
• I>ej!\, clIcs souffrent du mariugc de leur père.
�1H
LA BRANCHE DE ROMARIN
" Leur mi:re restera tout à elIes, sans partage.
" Je sais tout ce que vous pouvez me répondre,
mais moi je vous demande cecI: Même, pour venir à
moi, quitteriez-vous le poste d'honneur?
« Nort, non et non 1
« La mort vous semblerait préférable. Eh bien!
moi, faible femme, j'ai un poste d'honneur, je vous
supplie J'avoir compassion de ma faiblesse, et de
ne pas me demander de le J0~erl.
« ,le ne puis ni ne veux vous oublier. Pour le moment ne m'o.!criyez pas, le jour où je sentirai que je
puis recevoir une lettre de vous, je vous la demanderai...
« VALÉRIE. »
• Malgré tout, malgré l'angoisse, je suis heureuse
de vous avoir rencontré, n'oubliez pas que je pense
à vous 1 •
A sa première sortie, Valérie mit elle-même cette
lettre à la poste. Maintenant elle ne songeait qu'à
s'éloigner; le docteur, tante Louise, tout le monde
avait approuvé le projet de villégiature, et, à la mijanvier, la petite troupe familiale, l'heureux Toby
:ompri~,
prenait le train pour Bordeaux.
XXXI
La jolie villa Circé sur la route de Villeft"anche,
oasis faite pour l'amour, n'avait pa,> été, pour
Jacqueline de Prém~y,
le s'::jour d~liceux
qu'elle
s'était crue en droit d'espérer. Les relations mondaines furent d'abord rares; car Mme de Prémery
ne pouvait, décemment, faire des connaissances
d'aventure. Elle excitait la curiosité de beaucoup,
l'admiration d'un certain nombre; mais le ménaue
demeurait à part. Prémery ne paraissait aucuneme'i1t
cherCher l'occasion de produire sa femme; il déclarait franchement ne pas gouler cette société panachée; le soleil trop ardent lui d(Jnnait mal à la tête,
il avait horreur d'étre hors de chez lui, et éprouvait
la nostalgie de son Morvan au ciel gris, de ses
chasses, cie toute son existence de propriétaire
campagnard; pour se distraire, il allait jouer à
i\tonte-Carlo, ce qui ne plaisait qu'à demi à Jacque.
line, à qui les perruches multicolores qui s'y promènent en liberté causaient quelque ombrage.
�LA BRANCHE DE ROMARIN
T +5
Jacqueline, fatiguée par sa grossesse plutôt
pénible, avait parfois des idées un peu grises ... et
s'étonnait sincerement de sentir que sa « pauvre
choute" lui laissait des regrets 1 Ceci ne lui était
jamais arrivé, et elle n'y comprenait rien elle-méme.
Néanmoins, le fait s'imposait, la vue des filles de
/ son mari, surtout la bonne gràce modeste de MarceHe, avait éveillé en elle un sentiment nouveau et
:;ingulier, ce fut principalement pour le satisfaire
qu'elle imagina l'intervention de Clémence 1 L'adoration de l'enfant avait agi, et ses borrs yeux de chien
fidèle manquaient maintenant à la mère. « Comme
elle doit s'ennuyer, » pensait-elle souvent, et cependant il n'était pas difficile de l'amuser, la seule contemplation de sa mi:re, occupée à n'importe quoi,
semblant ~ombler
ses vœux.
L'adieu, malgré les eITorts de Jacquellne, pour Il:
rendre insignifiant et sans importance, avait ":lè
réellement pénible; les yeux de la petite fille imploraient; tout bas, elle répétait:« Petite mi:re, petite
mè!re, " et la mère ne savait que rél'ondre; enfin, en
désespoir de cause, elle avait chuc 10té à l'oreille de
sa fille:
- Sois bien raisonnable, obéissante à Mademoiselle, et je te ferai venir me voir à Pâques.
- .Je serai exemplaire, avait répondu du méme
ton de conspiration la pauvre petite, à qui il semblait qu'on venait d'ouvrir le ciel; et, conséqucnce
de cette résolution, M. de Saint-Ciers, et même la
sévère bonne-maman, se virent obligés de reconnaitre que le séjour au Tréport avait été salutaire à
Clémence; évidemment elle n'avait reçu que de
bons conseils r
Ce retour vers sa fille donna il Jacqueline le désir
de revoir sa sœur; la comtesse de Soulac, de plu~ieurs
années son aln":e, l'avait beaucoup aimée et,
tout en la hlamant de son divorce, lui avait conservé
tout entière son afTeclion, ne rompant jamais avec
elle; aussi, la cordiale invitation du ménage de
Prémery fut acceptée avec satisfaction, d'autant que
Mme de Soulac Vivait d'un bout de l'an~e
à l'autre
dans un vieux chateau, regorgeant de souvenirs
historiques, mais n'olTl'ant pas cl'autre délassement;
le comte de Soulac aimait l'argent, la terre, la bonne
chère, la chasse et sa femme, et rencontrant toutes
ces choses chez lui, s'y trouvait à merveille 1 Le souci
principal de Mme de Soulac était la rraintc de trop
engraisser, la table abondante que son mari
eXIgeait meltant à une trop fréquente épreuve sa
gourmandise natureJle 1
�146
LA BRANCHE DE R01-:IARlN
Les époux furent extrêmement touchés de
l'accueil de Jacqueline; sans enfants eux-mêmes,
l'élément de tendresse manquait totalement à leur
existence, et Mme de Soulac reçut avec une vraie
complaisance les caresses de sa sœur.
Prémery se montra charmant, hospitalier, parfait;
force était de confesser que Jacqueline avait du
moins, dans son erreur, fait preuve d'un goût
éclairé; le quatuor marcha sans heurt; d'autant que
M. et Mme de Soulac se découvrirent d'anciens amis,
quelque peu l"eurs alliés, parmi le petit groupe
correct qui méprise, non sans quelque envie, les
séduisantes aventurières 1 Mme de Prémery, présentée par sa sœur, fut jugée absolument délicieuse.
Prémery avait profité de' cet heureux ensemble de
ciron~taes
pour faire avaler à Jacqueline la ('roposition, un peu monstrueuse, de la quitter a la
veille du jour de l'an.
La jeune femme, fatiguée, n'avait pas lutté; elle
avait même eu compassion du désir de son mari!
Ah 1 si elle avait pu voler vers sa « pauvre choute ~,
et voir le petit visage sérieux s'illuminer et briller ...
mais elle ne je verrait pas 1
Chaque semaine, un petit panier de fleurs
fralches part de Nice à l'adresse de Clémence, ct
leur arrivée procure à l'enfant une félicité exquise;
ces fleurs sont pour elle seule 1 elle sait que personne n'en accepterait, elle n'en offre l'as. Clémence
pos~de
deux jolis vases sur sa cheminée, un autrc
sur sa table de travail, elle les remplit, et les roses.
les narcisses, les violettes lui parlent tour à tour de
petite ml:re. Un jour, Mademoiselle s'est plainte de
l'odeur trop rorte de ces neUfS, mais le regard que
son élbe lui a jeté l'a forcée à se tairel Clémence se
iait, parce que la pensée de Pâqut:s ne la quitte pas.
Les neu rs lui disent patience ... «Petite m~re»
n'écrit
Po.s de lon~ues
lettres, mai.~
ce qu'elle écrit comble
Je cœur de l'enfant cl qui elles snnt adressées; et
It:s lettres de quinzaine respirent une tendresse, qui
perce sous la formalité dcs phrases un peu apprèt';<:5; toutes jinissent par l'assurance:
« Ta petite tiI'Ie dévou'::t" qui t'aime pour la vic ...•
.\{:Jlkmoiselle a hé~it
... il n'est pas possible d'intenlire cd te phra~e.
et. la lettre est mise correcteIllot à la post<:. Jacquelme en attend nerveusement
la venuc.
.
.'Ilme de Souin.; s'étonne des questions que sa sœur
multiplie au sl1jet de Clémence.
- Ma patIVre Minette, je ne puis te rcn~eig_,
je no.: la vois jamais, ou comme hmaj~
: quand i1011.
�LA BRANCHE DE ROMARIN
1
J.ï
allons à Nimes, on me l'envoie pour une visite d'un
quart d'heure, flanquée de sa gouvernante; cette
pauvre enfant, qui n'est pas vive, est emmenée avant
d'être dégelée; maintenant, si tu me demandes mon
opinion, je ne crois pas qu'on lui fasse une vie bien
divertissante; ton mari, j'entends M. de Saint-Ciers,
a l'air plus lugubre que Jamais.
- Il aurait mieux fait de me la laisser 1
- Mais j'ai toujours compris que tu as renoncé
librement à ta fille.
- C'est vrai 1 seulement figure-toi, ma pauvre Zoé,
que cette malheureuse gosse m'aime à la folie, tu ne
son bonheur pendant notre court
peux ima~ner
séjour au fréport. Je ne sais pas si je l'aime, peut·
être pas, mais elle me fait une pitié affreuse; tâche
d'être bonne pour elle.
- Je ne demande pas mieux; Fernand, qui adore
les enfants, serait enchanté qu'elle vienne un peu
nous distraire à Pont-l'Airette, la place ne nous
manque pas.
- Tâchez de l'avoir.
- On s'en occupera; en attendant, ne te fais pas
de mauvais sang surtout, pense à ton dauphin.
Jacqueline ne r~pondit
pas; depuis quelque temps
elle ne sentait que très faiblement remuer son enfant.
Des pressentiments tristes l'assaillaient; sa gaité,
faite d'exubérance physique, tombait dès que sa
santé fléchissait; elle ne soufflait mot de ce genre
d'idées à Prémery, que les pronostics pessimistes
exaspéraient. Il avait hâte que tout fùt fiOl, afin qu'on
pùt rentrer à Paris; la naissance de ses filles n'avait
ras été accompagnée de la moindre complication, et
Il n'envisageait pas la possibilité qu'il s'en présentât
dans l'occasion actuelle. L'hospitalité de la villa
Circé devint bientôt notoire; Prémery, voulant de
bonne foi distraire Jacq uciine, évidemment déprimée,
multipliait les invita tions . Les Soulac, repus de soli·
tude, appréciaient beaucoup ce va-et-Yient de gens
agr~bles.
"Prémery et Jacqueline, les amants passionnés de
jadis, jouaient maintenant vis-à-vis l'un de l'autre
lIne sorte de cométlie afTectueuse, afin de se cacher
leurs secrètes pensées 1
L'événement attendu fondit sur eux prématurément.
Jacqueline l après un accouchement extrêmement
laborieux, mIt au monde un fils qui ne vécut que
quelques heures.
Elle parut presque indifférente à ce dénouement
qu'on lui cacha tout un jour ... Lorsque sa sœur,
�1
~8
LA BRANCHE DE ROMARIN
avec mille ménagements, lui parla de la dôuleur de
Prémery :
- Il n'aime que ses filles, dit lentement l'acc'1Uchée; il sc consolera vite.
Le danger de sa jeune femme éveilla toute la réelle
hf)nté d'ame de Prémery; il la soigna avec la plus
live sollicitude.
- Pense à toi-même, il n'y a que toi qui importe,
1ui répétait-il, et en ce moment elle lui '::tait réellement tr~s
précieuse.
La fi~He
de lait fut extrêmement forle; plusier~
fois, la nuit, la garde entendit la malade murmurer
pauvre choute • .
Et le matin, tout à l'aube, comme on lui accommo·
dait ses oreillers, une embolie foudroyante trancha
la vie de cette belle créature .
1(
. Une .sorte d'horreur tomba sur Prémery quand on
vmt lUI annoncer le fatal dénouement. Il lUI sembla
qu'il l'avait tuée! Ne l'avait-il ras arrachée à la "ie
paisible, dont elle s'était contentée a,'ant de le
connaltre ... La pensée de la petite Clémence lui fut
atrocement douloureuse . Il devinait qu'on laisail
payer à la créature innocente le p0ché de sa mère!
c'est-à-Jire le sien. Une sorte de superstition le fit
frissonner, «Si cela devait porter malheur à se"
filles ... » il se défendait de trop penser à elles ... Le
détachement déjà se faisait si rapide 1
Mme de Soulac s'était emparée de sa sœur morte,
()il lui avait couché son petit enfant dans les bras, et
Prémerv, en les regardant, ~entai
qu'ils étaient soudain si loin, si loin de lui 1
Hier si triomphante, aujourd'huI du l'herbe fauchée !
Mme de Sllulac, vivcmt:nt affectée, envoie les
dépêches qui portent au loin l'avis funèbre.,.; il
COllrt sur le fil myst6rieux, ct un mesa~"
banal en
dépose le texte a la porte de la maison, a'où un jOllr
était sortie, pour n'y plus revenir, celle C"Jui en avait
été la maitresse honorée ct aim6u. Dans cette maison
respire l'enfant de sa chair, que l'amour lui a fait
abandonner 1 Voici qu'à l'imprn\'istc, un matin
tranquille, Clémence est appelée auprès de son
pi::re, et un peu intimidée, mais non craintive, car
son père, s'il est froid, n'est jamais dur, pénèlr~
dans la grande pièce du rez-de-chaussee où
M. de Saint-Cier<; vit très renfermé.
Elle cntre, sa petite tète se tnurnant à droite (:'1 ;i
gauche, d'un mouyement de curiosité inquiète;
mais non, alc~n
inconnu alarmant n'est présent, son
�LA BRANCHE ' DE RO:!'.IARIN
l..J.g
est seul; dit: s'avance vers lui dL: ,on pas
docile, et respectueusement lui dit:
- Me voilà, papa.
Il lui pose la main sur l'épaule et la regard\.!.
La petlle fille Je regarde aussi, et trome au visage
de son p1:re quelq lie chose d'insolite ... mais ne ~e
permet pas de parkr, et attend.
- Mon enfant, dit la voix un peu si::che, mais qui
tremble cependant, j'ai à t'apprendre une nouvdle
douloureuse ... qui va te faire du chagrin.
La petite a ouvert la bouclll', arrondi démesurément les yeux.
M. de Saint-Ciers se passe la main ',ur le front, et
puis brusquement:
- Il faut que tu le saches, ma pauvre enfant, ta
mère est morte 1
- Petite m~re!
petite mè:re! est partie pour
toujours?
- Oui, ma fiUe.
Un cri, vraiment effroyable, jaillit alors ue 'a fmhk
poitrine d'enfant, une telle clameur de d()uleur, si
Illattenclue, gue le p1:re frémit de la tête aux pieds,
il saisit l'enlant éperdue, la pose sur ses genoux,
l'enveloppe de ses bras.
- Ma petite fille, ma petite fine, je t'en supplie, je
t'en prie 1
- Je veux ma petite,mi::re, je la veux!
Et, dans une sorte de convulsion, à demi pamée,
l'enfant sc renverse en arrii::re ... Le cri pitoyable a
l'aie accourir bonne-maman, le spe$!tacle de l'enfant
houleversée la bouleverse à son tour ... Qui aurait
au? pouvait-on soupçonner? Ils n'ont mis aucun
lI1C:nagement à révéler son malheur à l'enfant, parce
qu'illeur a semblé qu'clic devait en être rl:U touchée.
La uécouYt.:rtc ue la tendresse qui couvait dans ce
pauvre petit cœur les frappe de stupeur ... La vieille
Mme de Saint-Ciers marmotte assez doucement des
paroles sur la \"olonté de Dieu, le devoir ...
Clémence ne l'entenu pas; dIe est redressée, tout
échevelée, car son père pleure 1 pleure de gros san"lot c:. Alors, avec pa'lSion, elle Jette ses petits bras
faibles autour du cou du malheureux homme, leur
douleur se confond: ceS larmes conquirent à jamais,
à celui qui a été si dur, le cœur aimant et fid(:!<' dont
il a fait 8i peu cie cas!
l'~rL:
�<':'0
' LA BRA:1\ClIE Dl:
RO~IAN
XXXTI
Oh (Betty, c'est afTreux!
Oui, dearie.
Comment est-ce arrivé, mon Dieu?
Cette pauHe jeune femme est morte en donnant
la vie à un petit baby, qui est mort aussi.
Marcelle devint toute pale.
- Qui vous a appris cette nouvelle, Betty?
- C'est votre bonne tante Louise qui l'a écrite à
votre ch1:re maman, Mme de Chassenay est allée
immédiatement trouver votre papa.
- Papa est malheureux, Betty"
- Je le pense.
- Oh ( je voudrais le consoler ... Qu 'cst-ce que je
peux lui écrire?
- La vérité, dearie; que vous avez du chagrin de
le savoir triste ... mais pour vous deux, darlings, les
choses sont mieux ainsi .
.'v1arcelle parut réfléchir.
- Elle n'était pas méchante, Betty ... et elle avait
une petite fille, elle m'a demandé d'être! bunne, plus
lard, pour sa petite Olle, si j.am<,tis je la rencontrais.
- Vous n'avez pas à vous en occuper; ct, pour cetle
enfant, c'est mieux que sa m1:re ait quitté ce monde.
- Quand je serai grande, je la chercherai, Betty.
- Pourquoi faire?
Pour tenir ma promesse à sa maman.
- Elle vous avait demandé une promesse?
- Oui ... Vous savez, Betty, papa était tJ'1:s bon
pOUl' cette petite fille et j'ai été jalouse d'elle ... si
jalouse ... Ohl Betty, cela fait mal d'C:tre jalouse. JI~
prierai aussi pour ... celle qui vient de mourir. .. elle
mc l'avait aussi demandé; elle aimait beaucoup mon
papa.
- Sans doute, et elle le devait; mainti.!I1ant il faut
l'oublier.
- Est-ce que papa va l'oublier?
- Pas tOllt de Wltc; mais les hommes se consle~
vite; surtout que M. de Prémcry VOliS aime tant,
votre chl:re petite sœur et vous.
- Où cst papa i'
- Aux Etais, avec Mme de Chassl!nay, on est tri.:s
bien à la campa'l',nc après de grandes émotions ... lin
peu plus tard i viendra à Paris pour vous voir ...
Mme de Chasst.:nay l'a éCflt à votre maman.
�LA BRANCHE DE ROMARIN
151
- Je ne dirai rien à maman ...
- Non, c'est inutile, elle m'a commandé de vous
informer de ce qui était arrivé. Je l'ai. fait, -:'est fini.
- Ohl Betty ... peut-être ... les beaux yeux bruns
resplendirent soudain.
Betty mit son doigt sur sa bouche.
- Seulement à Dieu, miss Mal-:elle, seulement à
Dieu ... Il peut tout 1
- .Maman était bien sérieuse Cl' matin, est-ce
qu'elle savait, Betty?
- Oui, la lettre est arrivée hier au soir; votr(;
maman est généreuse, dIe aura eu compassion de
I!ctte pauvre dame, enlcvée si vite.
- Est-cc que? .. Est-ce qu'elle ec;t revenue aux
Etais? près de mon grand-père et de llIa mémt:?
- Non, dear, non, sa sœur, Mme la comte~s
de
Soulac, qui était auprès d'elle quand le malheur est
arrivé, l'a ramenée a J'lmes, dans h: caveau de leU!
famille ... cela e~t
mieux oin»i. Elit.: n'était pas dt:
notre religion; elle n'a pas besoin de dormir pr,~
J'une de nos églises ... Mme de Soulac va aller
bientôt aux Etais pour emporter tout cc' qui appartenait à cette pauvre lady ... Oh! migs Marcelle, les
Jugements de Dieu sont impt:nélrables ...
Marcelle d'abord ne répondit pas, puis eHe
'demanda:
- Le petit baby était mon petit frère?
- OUI, daI'lin~,
votre dcmi-fr::re.
- Pensez-vous qu'il ait éré bal ti$é?
Betty avoua n'en ayoir aUCUIl\! idée.
- Priez Notre-Dame, miss i\larcelle, et IlC cherchez pas tant... Je vous laisse le soin cl'alertir mi~5
Gene, à cause de votre papa il faut qu'e:lle 'iache ...
éVénem"nt, dans un
vuus lui appn;ndrez cc tn~e
esprit chrétien, miss Marcelle, je le "ais.
Le soir même, cnmITIe les p..:tÎtl!S tilles terminaient
leur prière, que l'aln':e ;nait dite tout hau!. .. aprb
1uelqU\!S mols spé-:iuux d'intcn;cssion pour leurs
chers parent. , Marcello.! ajouta:
- Nous allons dire un De Profundis pour un~
a1l1e qui vÎL!nl de quitter ce munde, uni!;-toi à mO I,
Ueneviève :
- Oui, sœur .
• Donncz-lcul' le repos éternel ct que la lurni1:rê
t;tel'Ilello.! les éclaire, " soupire la jeune \'<Ji;,; le :signe
JI.! croix, et, pendant un instant, alant de ~e rele\:er,
le~
enfants plongent leurs visages dans leurs !Dains;
4uund Marcelle découvre le sien, elle dit trèc; distinctement:
�152
LA BRi\..NCHE DE ROMARIN
- Cette prière est pour l'âme de Mme Jacqueline
de Prémery.
- La ~Iame'?
- Oui, chut, ne parlons plus.
Sûrement leurs anges voyaient Dieu!
XXXIII
Quatre mUlS sont passés; Marcelle s'étonne de la
mélancolie cachée de leur mère, elle est seule à s'en
apercevoir, car Valérie a repris son apparence de
forc<! et d'énergie; même souvent elle est gaie extérieurement, et ne permet pas à l'atmosphère de la
maison d'Auteuil de devenir monotone et pesante;
tous les dimanches presque amènent un divertissement: cin6ma, concert, promenade aux environs de
Paris, selon le temps l'lus ou moins beau.
Prémery a fait un court séjour à Paris, et ses filles
l'ont rencontré plusieurs fois chez tante Louise; il
s'est montré meilleur, plus tendrement expansif que
jamais ... Marcelle lui a trouvé l'air de quelqu'un qui
espi:'re, "
Oh 1 mon Dieu, est-ce que la mystérieuse espérance qui couve dans son cœur d'enfant, serait celle
de son père? Il Y a également chez tante Louise une
sorte de sërénité lorsqu'elle parle de l'avenir, c'est
4ue dans la famille on demeure parfaitement convaincu que Chal'1es ne souhaite que réparer le mal
qu'il a fait, et attend l'heure favorable pour en exprimer le désir. D'ailleurs, il ne cache pas à son excel·
lente sœur que Valérie, depuis bier: des mois, occupe
passionnément sa pensée, ct lui aussi a confiance,
la vie lui sera encore favorable ... ses filles rendues
à sa tendresse paternelle; il éprouve au sujet de la
pauvre JacquelIne un J'cmords assez vif pour ras,. urer sa conscience; du moins si son bonheur a été
L'ourl, il le lui a rendu complet.
Sagement, il n'a pas essayé de s'approcher de la
maison d'Auteuil, ni même d'apercevoir Vê\I~ric
au
dehors, " Sl1rtout, tiens-toi tranquille .• lui a recommandé sa sœur, ~ une démarche prématurée pOUI'rait tout compromettre, » et Mme de Chasscna\'
s'impose elle-même une grande contrainte pour ne
laisser rien soupçonner à sa belle-sœur des id~eS'
dont elle se leurre.
Dans le tête-à-tête conjugal elle a plusieurs fuis
dévoilé ses pensées secr1:tes à son mari. « Il me
�LA BRA:NCHE DE R01fAR IN
153
paraH imposs ible gue Valérie , à un momen t donné,
refuse de reconst ltuer son foyer. " Et la réponse
invariab le de M. de Chasse nay: « A moi, cela parait
au contrai re probab le, li la mortifie extrême ment.
- En tout cas, à mon avis, ajoute un jour M. de
Chasse nay, Charles ferait bien de dispara ître pendant quelqu es mois, de faire un voyage quelcon que,
ce serait une meilleu re prépara tion à une rentrée , si
rentrée il doit y avoir, que ces courses perpétu elles
ici, sans but appréci able, qui énerven t Valérie , je le
sens.
- C'est dur pour Charles .
- Dur? vraimen t, tu me fais rire 1 il en a mérité
bien d'autres , il doit à cette pauvre femme, à qui il
avait persuad é de tout quitter pour lui, de s'impos er,
par respect pour sa mémoir e, quelque s privatio ns,
et puisque la seule qu'il ressent e est celle de ses
filles, il devrait comme ncer par celle-là... Cette
pauvre créatur e avait bien une fille, elle 1
- Oh 1 elle n'était pas bonne mère puisqu' eUc
l'avait abando nnée.
- Tu trouves peut-êtr e que ton frère a été bon
père, le jour où il a voulu divorce r?
- Charles n'a pas mesuré les conséq uences de
son action.
- Précisé ment; Jacquel ine non plus, sans doute,
il m'est revenu que Mme de Soulac raconte que la
pensél.. Je sa petite fille tourme ntait beaucou'p sa
sœur durant les dernier s mois de sa vie, et Je le
croirais ; l'enfant avait été avec sa mère pluslcu r"
semain es au Tréport , elle s'est sans doute aperçue
alors, qu'une enfant qu'on a mise au monde, c'est
quelque chose 1 C'est ce que Valérie a compri s, il
~e
pourrai t et je le crois assez, que son cœur ait
parlé ... mais elle a vu, en brave femme qu'elle est,
où t'!tait gon devoir; si jamais Charles la reconqu iert,
ce sera une inj1,1stice.
- Comme nt, une injustic e?
- Oui, car il ne la mérite d'aucun e façon.
- Mais le s enfants ?
- Les enfants , parfaite ment, et à cause d'elles,
qui sont de l'or en barre, j'espère me trompe r.
Val(:ric nI.! laissait rien clevincr de ses pensées , ni
Cl! qu'clic de\'inai t des pensées des autres;
jamais
bavarde , elle se taisait plus que d'habitu de, s'entou rant, vis-à-vis de son excellen te belle-sœ ur, de son
amie dévouée Mme de Bressac , d'une sorte de
réserve , où perçait une certaine défiance.
Depuis l'événem ent foudroy ant qui avait rendu la
liberté à son ex-mari, une angoiss e secrète , enfouie
�154
LA BRANCHE DE ROMARIN
au plus profond de son être, harcelait Valérie; gu'attendaient d'elle tous ce regards nalvcment Intermgateurs? Pouvait·on supposer qu'elle rendrait sa
foi à l'homme qui l'avait dt:libérément mise de cOté?
elle avait immolé à ses filles l'amour qui remplissaH son cœur, mais il y vivait néanmoins, comme une
lumière, cachée à tous les yeux.
Parfois elle sentait frémir en elle une fibre secrète qui l'avertissait que là-bas, bien loin, un autre
cœur frémissait de tendresse en songeant à elle; un
moment le monde extérieur s'I;!'·anoulssait, les ctistance~
étaient franchies, l'amour rencontrait l'amour.
Minutes délicieuses et éphémères où elle retrempait
ses forces pour la lutle. Elle s'appartenait, nul
n'avait le droit de lui demander compte de Ce qu'il
lui plaisait Je dérober au monde. « Sec,.etum melltll
mihi, » se répétait-elle parfois, avec une sorte. de
jalousie passionnée.
.
On parlait tr0s rcu dans la maison ct'A.uteuil, de
c'lui à qui toutes pensaient; un tact supérieur
avertissait Marcelle d'une susceptilité nouvelle chez
a mère, et qu'il fallait ménager. Elle avait dit un
jour à Geneviève, qui se lamentait des lon(~Ie:;
ah~encs
de papa:
- Aie patience, sœurette, ne parle pas tant de
papa, et peut-ètre le bon Dieu nous le rendra tnut à
rait.
- Comment, comment?
- Ne cherche pas, suis mon conseil.
- Oui, clearie, avait appu)'e Belt\', ob6issez à ce
que vous dit miss Marcelle.
.
Geneviève, ivre d'une vague espérance, avait promis.
Et puis, un matin de juillet, les enfant" apprirent
de la bouche de tante Louise que papa se rréparait
cl fairt.! un voyage de quelque duré!.! 1
- II ne faut pa!! essayer de le retenir, conclu!
tante L(l~ise,
ce voyage t.!st une bonn.e chose ..
Les C01l1S de la bOllt.!he de GêI1t;\"J 'H: tomb.;rcnt.
ses paupic'res battirent; mais Marcelle lui serra trb
fort la main.
- Si cc voyage doit faire du bien ft papa! dit la
grande sœur.
- J'espère, beaucoup de bien, l'épondit f.::rmement tante Louise, il nOl~
écrira, il nous enverra de
belles cartes, tll vera~,
Gene\IL\'e, nous serons tout
le temps occupée' de papa à Coderville.
Car il avait été d,~ci6
quc le petites et leur m~re
passeraient l'ét" 11\1 chütcau de CocIerviIJe, chcz lc~
Chassenay. La famille doucement repu'nait no!'i~C
sicln ctc Valérie.
�LA BRA:\CHE DE RO!IURlN
155
XXXIV
:\ près le départ de Prémery pour les Etats-Unis,
randonnée qUI devait se prolonger trois ou quatre
mois, Mme de Chassenay eSl?érait davantage, car
une année de deuil était stnctement n':ce aire;
l'excellente femme ne prévit plus qu'une période
d'accalmie pour la petite famille de son frère. Les
.::nfants se trouveraient bien de l'absence d'émotions
sans cesse renouvelées, et l'idée de leur père
« absent " n'avait pas d'amertume, il demeurait
« leur ", la distance toute seule ne sépare pas véritablement ceux qui s'aiment. Les vraies séparations
sont formées d'autres éléments ...
n ne s'agissait maintenant que de ramener peu à
peu Valérie à l'idée de reconstItuer le foyer d'antan.
M. de Chassenay assurait sa femme que l'entreprise
' était beaucoup plus arelue qu'elle ne prévoyait, el
que rien ne lui apparaissait moins probable que
l'absolution définitive cie Charles par son ancienne •
femme ...
- Il faudrait qU'il arriv{, à ton frère quelque catastrophe extraordinaire aux Etats-Unis, qu'il échappe
d'un train en flammes par exemple, pour recouvrer
quelque intérêt aux yeux de cette pauvre Valérie, et
même alors r...
•
- Espérons, répondait invariablement Mme de
Chassenay.
- Je veux bien, c"est une denrée à la portée de
toutes les bourses 1
La vie était régulière et douce à Coderville, et Valérie, au milieu du trouble de ses pensées, trouvait un
appui clans la simple circonstance d'être entourée.
Aucune surprise ne pouvait l'atteindre sous le toit
de sa belle-sœur; elle y recouvrait peu à peu quelque chose de l'as urance qui lui avait toujours
manqué depuis son divorce.
Personne n'était moins envahissante que Mme dc
Chassenay, elle nc demandait qu'une seule concession à ses hôtes, ne pas rcster indéfiniment dans
leur chambre le matin, afin que le protocole tlu
ménage puisse s'accomplir avec régularité.
On se rencontrait fJour la première fois à l'heure
du déjeuner; Marce le et Genevil:ve jouissaient de
l'atmosphère animée el familiale j toutes les portes
�156
LA BRANCHE DE ROMARIN
de Coderville semblaient ouvertes sur la vie .. , elle
arrivait, en des formes diverses, dix fois par jour,
par la belle allée qui, de la grille jamais fermée,
menait à laJ)orte pnncipale, elle courait sur le grand
t1euve que es navires venus du nord lointain sillonnaient sans cesse; elle entrait avec les voisint<
roulant en automobile, et mème accompagnait les
chemineaux qui pûnétraient parfois inopinément.
L'horizon était clair, les pelouses vertes, les fleurs
abondantes et <:mbauméesj loS fruits, qu'on posait
à quatre heures, pour un g0llter à la française, sur
b table de la salle à manl?er, savoureux et parfumés.
Un vieux rrofesseur oe musique de Mme de
Chassenay était hospitalisé à demeure au chateau
pendant les vacances, et le piano ou le violon rompaient souvent agréablement le silence des fins
J'après-midi. Le soir on jouait aux jeux innocents,
ou aUX petits papiers, divertissement qui passionnait Geneviève; une des réponses de sa fille avait
vivement ému Valérie: à l'interrogation: " Où <:<;1 la
tranquillité?» la petite avait griffonné de ses caractt:res inégaux: « Dans la bonne entente».
Elle .régnait du moins pleinement autour d'eux
• pour !'JOstanl.
M,ne de Chassenay nourrissait une quantité de
projets agréables pour le moment où Gaston arriverait pour ses vacances, ct où André, en garnison à
Orléans, viendrait passer quelques jours en famille.
Valérie, presque à l'insu d'elle-même, trouvait plaisir
à cette existence qui lui demandait un moindre
eff6rt personnel, ses nlles ne s'appuyant plus uniquement sur elle; ct elle jouis~at
du flatteur a~cuei\
de tous; elle n'était pas Vl.!I1ue à Coderville depui~
cinq ans, et 1\.:5 mcrveilleu.' pro(!~s
de Marcelle ct
de Genevièvll formaient le thème des conversatiol1f
des visiteuses; on aurait pu croire qu'elles !'>eult:s
J'enfants avaient accompll le miracJ\.l Je crottn: ct
Je sc dévelorper! Valérie s'était dit une fois l'erml.!ment: • 'La vie rour moi continuera ce qu'ellc est
maintt.:nant Il et é\itait d'arrGler ses pensées sur
l'a l'cnir.
V <:\'s les derniers jours dc juillet, des rumeurs un
peu alarmantes commencèrent à circuler; M, de
Chassenay les traita par le mépris, et avec l'autorité d 'un père de ramille, d'un riche propriétaire, et
d'un maire respecté, ordonna aux siens de mettre
de e<'it(; des craintc!l mal fondées ct ridicuks.
- La gueIT<:? Quelle fnlie 1 il n'y aurait jamui ,
plu!; de g1Jerre 1...
�LA BRA~CHE
DE ROMARL"
1::>7
Et pui~
un divin jour d'été, à l'heure du midi des
saisons, où la terre féconde donne tous ses fruits, à
l'heure des moissons, à l'approche des vendanges,
le tocsin sonna, son appel retentit, d'un bout de la
France à l'autre ... annonciateur terrible.
La guerre!...
Tous étaient touchés dl:: son aile, ct les jeunes qui
partaient, et les "jeux qui restaie,nt; et les femmes et
It:s mères, et les enfants déjà grands, et ceux à la
mamelle .
L'émotion fut, à Coderville, ml:lée d'exaltation et
Je certitude de la victoire.
Les Chassenay yovaient partir leur fils alné, le
personnel était L1isloqué; pari ou'l alllüllr d'eux, le .
de famille rapidemènt s'en
Jeunes homme, les p~res
allaient.
M. de Chassenay regrettait d'avoir passé l'âge lk.
l'effurt militaire, il emlait ses cadets.
- Charles va sûreml:nt revenir, dit-il à sa ft!ffiffie,
il c t officier de la territoriale.
- Ah 1 mon Dit!u ...
- Je ne suppose pas que tu désires qu'il sc telTt.'
c 1\ Californie?
-- Cert~
non ... Ah J Etienne, quclle cat~roph
e
Ille cette l-!uerre.
- Cela ne durera pas, nou:; aurons vitc raison
d·cux ...
furgeait la victoire.
Et leur optim~e
A la raix doml.!stiquL avait succédé une at'itation
fébrile; musique, cartes, (JUU,lg ~ d'agrément étaient
Ili~
de cùtc ; on déchirait le~
draps, et, a\'e~
unt.;
ardeur inten. e, on roulait les banJcs; GeneVIève y
'lpportait unt: orte de pas.,ion; sa petite ame,
pre que farllu.:hcmenl patriotique, ressl.!ntait tvutc
le' Iluctuations.
UIll' idée llu'ellc n'osait exprimer, mai!:> qu'cil<Illurmura un Jour à Marcelle: « Papa·! • la hantait.
- Papa, r~p(jndit
Marcelle en palissant, va Sali !>
dCJute rt!\ cnir.
- l'nur sc battre?
-
()ui. ..
Le pctitt.:s mains e joignirent, puis c tordin':l1 .
- Chérie, c'est le dt!voir, dit lIIarcelic en l'embra ant, tUlle voudrais pa que notre papa soit un
luche .,
Oh nOIl!. ..
• 'OtiS prieron' tant pour lui.
Maman au . i priera?
Je l'espi:rc ...
�lS8
LA BRANCHE DE ,ROMARIN
La causerie d'après déjeuner devant la maison
languit; l'inquiétude flotte dans l'air ... Les mots
s'échangent, lourds de signification sinistre, Une
silhouette parait au bout de l'allée, c'est un officier,
il marche vite, il vient. .. tout le monde s'est levé.
Valérie, d'un mouvement rapide, est rentrée dans la
maison, elle a été la premIère à le reconnaltre ...
Enfin, dans la lumière, le visage du nom'eau venu se
découvre distinctement.
- Charles 1...
- Papa ... papa .. .
Un papa si différent de l'ancien : l'unitorme
modifie totalement son apparence, et puis les yeux
caressants ont un autre regard.
Chassenay, ému, serre la main de son beaufrère.
- PourquoI ne nous avoir pas prévenus?
- J'ai préféré vous surprendre ... j'ai espéré êtr~
le bienvenu.
Les deux fillettes se serrent tout contre leur père ...
elles comprennent ... Maman s'est éloignée ...
- Mes chéries, dit Prémery d'une voix décidée,
allez trouver Betty, et partez faire un tour; vous me
retrouverez à votre retour.. . Mais j'ai besoin dl!
causer avec votre tante.
Se tenant pal' la main? le cœur tout chaVIré, doucement les fillettes se dIrigent vers la maison ... Dix
minutes, et on les aperçoit qui s'éloignent.
Prém~y
a saisi la main de sa sœur; il retient
d'un geste Chass.enay ~ui
ve':lt les. laisser.
- Obtenez-moI, dit-il paSSIOnnement, de parler â
Valérie .. . avant de partlr, je veux l'implore r de me
pardonner, et de me revenir ... pour nos filles! Si je
meurs, oh 1 que je meure son mari ... notre séparation est monstrueuse ... · aujourd'hui elle ne peut
refuser de m'entendre, ce seront peut-être de~
adieux éternt.!ls ... qu'elle m'écoute seulement...
Mme de Cbassenay en larmes s'est levée.
- Je vais la supplier.
El~
disparall, l'émotion de Prémery est si intl.!1~
que son beau-frère en est presq ue el1rayé.
- Je ne pense qu'à cela ... murmure-t-Il. Ah 1 si
ellt.: me pardonne, elle n'aura pas à rougir de mol. ..
Les deux hommes se serrent la main. '
Un long quart d'heure s'écoule; enfin Mme dl!
Cl~aseny
revient, elle est rouge, <!Ile a pleuré, S":l
1'0lX tremble,
- Dans mon pt.:tlt salon, en haut, Charll!S ... ellL
t'attend.
Elle l'attend en effet ... elle sait que c'.:t l'in':l'l-
�LA BRANCHE DE R01L\RL
159
table qui vient à elle... pour se rassurer elle 'c
répLte:
- Je suis libre, je suis libre.
lI1ais elle ne l'est pas.
Aucun être humain n'est libre, ct célte cummuniun
mystérieuse est la clef cie voûte de l'édifice.
li entre, elle tressaute; à peine sous cet aspect
nouveau lui semble-t-il familier.
Ils sont face à face.
- ValGrie, avant d'aller, là où beaucoup déjà sont
morts, j'ai voulu, comme un mourant, vous faire une
derni ère prière ...
Le beau visage triste se contracte, la bvudlC
s0vère ne s'ouvre pas.
- Valérie, ma femme, car vous l'êtes toujours, il
ya des heures où tout s'efface, sauf la vérité sainte.
Au nom des enfants que je t'ai donnt!es, que nous
aimons tous tkux Ggalement, pardonne-moi... je
sens, je connais ma misère... aujourd'hui, il sera
peut-être en mon pouvoir de me racheter ... acceptemoi une fois encore pour ton mari ...
Il y eut une pause.
- Mon cœur ne m'appartit.;nt plus.
- Tu le crois, mais tu te trompes, tu cs maîtresse
lie ton cœur ... je sais, je SUIS certain que tu I.'a
pas connu de défaillance ... Valérie, cette confessioll
ne m'en'raie pas ... Je savais 1 Ce que j'ai Gté pour
toi ... tant de souvenirs, et nos tilles, nos filles. me
rendront leur mère ... j'attendrai ... je ne réclamerai
rien que l'honneur de l'appartenir...
Il se met à genou.', ct lui baise sa robe.
- Aie pitié ...
Valérie l'Gloinne doucement, et mal' Ill! l'erl> la
fenêtre.
- Laissez-moi rétléchir, dit-elle.
Elle regarde au dehors,
SUI' la berge de la Seine, .Marcelle ct Gei1t.:I·ii.:\'e
chcmint.:nt, mais leurs tête sont lournée<> du l:üt6 tk
la maisoIl. Leur mère voit tante Louise les rejoindre,
les enlacer avec une sorte de compassiol1 tendre ...
Ces vies-là, c',::st sa vic, 1icn nI! peut, rien Il' duit
être mis au-des us d'elles.
,
Elle se retourne.
uittez-moi un mnmcnt, j'ai bCboin th: s')liluclc ...
je parlerai ù Luui e tout à l'heure.
- l'on, c'cst à moi qu'il faut parler ... IloS filltl>
vont bien souffrir de me \oir 1 artir au dang ... mais
nous, leur père ct leul' mère, nou al'! Il t\ cel'l.
heure cruelle le pouvoir de les con oler. Valél'le,
nous partageons les rn0mcs tendre!': /' ,k m'Ill ,
�1GO
Lr\ BRANCHE DE ROMARIN
espt:ran,~
... imagine-toi la joie th: G<!neviève, le
bonheur de Marcelle, si nous pouvons leur dire:
Papa et Maman ne se quitteront plus ... nous avons
cela, cette félicité ùe nos enfants, en notre pouvoir...
Valérie reste silencieuse, mais s'approche dt;:
nouveau cie la fenêtre, 1'0U\ï''':, et sa VOIX, qu'clic
6Ièy~,
arrive jusqu'à la berge.
- Marcelle, Geneviève, rentrez.
Et du geste elle les appelle. Leur père qui :1
compris paraît à son côté .. .
.
. ..
Huit mois apr~!:i
:
1\
TABLEAU D'HONNEUR
" L<. capitaine de Prémery a brillamment commandé une section, puis une compagnie sur la ligne
de fl.!u. A toujours tait preuve d'un très bl!au couesprit olTensif au cours
rage, ct d'un r~maquble
des journées des 17 et 20 avril; a largement contribué
à la conquête des tranchées ennemies , grièl'ement
blessé .. . "
. . .
.
Celte qui est sa f~mlUe
a couru au cht;:vct ..iu
blessé, mais les yeux qui avaient soif de la contempler nt.! l'ont pas re:vue .. Ces yeux, _lui ont r~gadé
la vie avec tant d'amour, sont voués à la nuIt éternelle. Prémerr est al'eugle ...
- Tu m'aimeras peut-être: un peu, maintenant?
murmure le blessé à Valérie.
- Oui, mon mari ...
Quand il l'entre sous son toit aopuyé sur celle qui
cst désormais son soutien, qui clira la joie divine des
deux petites créatures enlaçant d'une m~e
étreinte
ceux qui leur ont donné la vic ...
,
FIN
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Puliga, Henrietta de Quigini (1847-1938)
Date
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39. L'Idole, par Andrée VERTIOL
40. Chemin Montant, par Antoine ALHIX.
41. Deux Amours, par Henri ARDEL.
42. Odette de Ly ...,aille, Femme de Lotir... par T. TRILBY.
43. La Roche-aux.Algues, par L. do KERANY.
44. La Tartane amarrée, par A. VERTIOL
45. Intègre, par Pierre LE ROHU.
46. Victimes. par Jean THIERY.
47. Pardonner, par jaCQues GRANDCHAMP.
48. Le Chevalier clairvoyant, par Jeanne d. COULOMB.
49. MaryJa. por habelle SANDY.
50. Le Mauvais Amour, par T. TR1LBY.
51. Mirage d'Or, par Antoine ALHIX.
52. Les d .. ux Amours d'Agnès, par Claud" NISSON.
53. La Filleule de la Mer. par H. de COPPEL.
54. Romanesque, par Mary FLORAN.
55. Le Roman de la vingtième année. par jacques GRANDCHAMP
56. Monette, par Mathilde ALANIC.
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57. Rêve et Réalité, par Marie THIERY.
58. Le Cœur n'oublie pas, par Jacque. GRANDCHAMP.
59. Le Roman d'un Vieux Garçon, par Jean THIERY
60. L'Algue d'Or, par Jeanne de COULOMB.
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61. L'Inutile Sacrifice, par T. TRILBY.
62. Le Chaperon, par Louis D·ARVERS.
63. Carmencita, par Mary FLORAN.
64. La Colline ensoleiUée, par Mori. ALBANESr
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Petit
Echo Je la Mode»
7, Rue Lemaignan, Paris (XIve)
��Le Mari de Viviane{l)
PEEMIÈEE
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""
LE REVe
1
A la recherche d'une comtesse d'Yrgil.
,
La route de Saint-Etienne, au Puy, est une ùes
plus belles de France.
Sauvage ou gracieuse, molle comme une blonde
écharpe ou jugulée par les rocs d'ulle vallée, souvent étroite comme une gorge, la route suit la
Loire, et la Loire l'accompagne du chant de ses
eaux roulant sur les cailloux.
Peu de villages, mais beaucoup d'arbres descendant en rangs pressés du sommet des monts
jusqu'au fleuve. Parfois, la vallée s'élargit, des
pâturages surgissent, limités par ces anciens volcans, auxsilhouclles convulsées, sur les flancs desquels paissent des troupeaux pacifiques.
Pendant l'été, les lointains sont bleus comme
dans les tableaux du Poussin, et cette vapeur azurée
atténue les lignes trop précises des cratères, enve(J) Copyright by YVONNI SCHULTZ, j.n\·;er 19" .
�6
LE MARI DE VIVIANE
Joppe de sa romant ique poésie les vi1lages et les
château x gothiqu es, postés comme des burgs au
somme t de ro.;s en rempar ts de citadell es .
Pourta nt, à Pont-s ur-Loir e, à quatorz e kilomètres du Puy, le château des comtes d'Yrgil , les
premie rs proprié taires du pays, n'a ni donjon , ni
échaug uettes, ni douves remplie s de ruissea ux,
verts de cresson . C'est une aimabl e et galante
demeu re de l'époqu e Louis XVI, avec de hautes
fenêtre s cintrée s et un toit à balustr es où se
déroule la frise vivante des géraniu ms.
Le grand soleil entre à profusi on dans ces pièces
claires et, celle après-m idi-là, il dorait les cheveux blancs de la corn tesse douairi ère d'Y rgîl.
Elle tricotai t d'un mouve ment rapide et machinal, quand Ludivi ne, sa femme de chamb re, frappa
J. la porte.
- Entrez ! cria Mme d'Yrgil .
Ludivi ne parut. La comtes se était assise dans
une ample bergère de velours d'Utrec ht. Elle leva
la tête en entend ant la porte s'ouvri r.
- Un monsie ur vient d'arriv er, qui demand e à
voir madam e la comtes se, dit Ludivi ne.
Mme d'Yrgil fronça les sourcil s: cette femme
de chamb re mal stylée l'agaça it continu elleme nt.
- Eh bien! quel est le nom de ce monsie ur?
demand a-t-elle îm pa tiemme n t.
- Ah! j'lui ai pas deman dé! balbuti a Ludivi nc
en devena nt rouge .
Et, comme la comtes se posait sur clle son regard
surpris , e1le ajouta :
- D'abor d, il a dit comme ça que madam e la
comtes se saurait que c'était lui.
La vieille dame allait hausse r les épaules quand,
soudain , une pensée travers a son esprit. D'un
bond, elle se leva, toute pâle, en répéta nt:
- Lui, oh! m011 Dieu, lui 1
Elle s'appuy a pendan t une minute sur une con-
�LE MARI DE VIVIANE
,
i
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sole, CûUlme si l'émoti on l'eût paralys ée. Puis, elle
murmu ra, en se redress ant:
- Arrive r ainsi sans me préven ir! toujour s le
même, le brigan d!
Et, lesteme nt, portée par la joie, elle gagna le
hall et criai t déjà, en souleva nt une portièr e:
- Toi, Olivier !
Quand un petit vieillard, debout devant un portrait de la douairi ère dans sa vingtiè me année, se
retouru a, sourian t aimabl ement:
- Comm ent, baron, ce n'est que vous! s'écris
la comtes se, en se laissan t tomber sur une chaise
avec une express ion de si vive décept ion, que le
baron des HOUl-ettes remarq ua, mi-sou riant, miülché:
- Quel accueil, ma chère amie. Tourm entel
donc 'Votre gou !le, cueillez les plus belles roses .du
jardin pour venir vous souhai ter votre fête, et être
reçu de cette façon!
- Que n'avez-vous dit votre nom! riposta
Mme cl'Yrgil, en tendan t sa main. Allons, venez
dans le salon, mon cher ami, bien que le haH soit
l'endro it le plus frais du château . Vos roses sont
magnifig ues ... ce son { des «( Wil10w mere ,), n'eslce pas? Ce ton coq-cle-roche eùt ravi Je Titien et
m'ench ante. Ne trouvez-vous pas que certain es
fleurs devraie nt être impéris sables, comme des
objets d'art?
- Je transm ettrai vos louang es à mon rosiéris te,
qui a failli pleurer en me voyant dépoui ller l'arbre !
C'est un tyran. Mais, vous ne m'avez pas dit qui
vous attendi ez, pour me recevo ir aussi mal ... Vous
flirtez, comtes se! et vous ne pensez pas à moi,
pour celtt!
- Mou cher baron, figurez-vous que j'ai cru
que c'était. Olivier qui arrivait ...
- Votre petit-fi ls?
- Mon diable de petit-fils, parfaitement. A
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LE MARI DE VIVIANE
propos, je viens de faire agrandir un de ses porRegardez, au-dessus de la cheminée. Est-il
assez beau, mon jeune comte d'Yrgil?
Le vieillard se leva, ajusta son lorgnon et considéra pendant quelques minutes le portrait d'Olivier
d'Yrgil. Très bien, en vérité, ce jeune homme de
vingt-six ans: de la race, des yeux ardents et un
air de grand seigneur épandu sur toute sa personne svelte. Le baron hocha la tête:
- Vous dites l'attendre. Je le croyais en
Tasmanie, très occupé d'explorations?
- Parfaitement, mais j'ai reçu, il y a deux mois,
une lettre me disant qu'il serait de retour pour ma
fête . Ma foi, il était temps qU'il revint. C'est le
dernier des Y rgil et il doit assurer sa race. Surtout
avec un métier périlleux comme le sien : des
marches forcées, des ascensions, des naturels
féroces, la perpétuelle menace d'être dévoré par
une bête ou un anthropophage! Je ne vis pas!
Le baron sourit. CarMmed'Yrgil, bien qu'elle ne
« vécût pas », se portait à merveill e. Forte, mais
très droite, le teint clair, toute la bonne humeur
provençale dans ses yeux noirs, c'était un beau type
d'Arlésienne. Des Méridionaux, elle avait aussi le
verbe abondant et l'imagination de feu. Elle reprit:
- Quand vous êtes arrivé, je crus presque que
L'était lui, surgissant en surprise. Et cependant,
c'est inconcevable. Olivier ne m'a pas dit sur quel
vapeur il s'embarquait. Pas un télégramme envoyé
d'une de ses escales! Dois-je croire qu'une petite
congaï le retient quelque part?
Le baron hochait la tète, quand Ludivine entra
et tendit à la doull'irière une lettre sur un plateau.
- Mais, s'écria Mme d'Yrgil en examinant le
timbre, voici un mot de lui et cela est daté de
Melbourne! Il est donc encore en Australie?
Serait-il malade? Vous permettez, baron?
~raits.
�LE MARI DE VIVIANE
9
- Ma chère amie, je serais heureux d'avoir des
nouvelles d'Olivier.
La comtesse décacheta la lettre et la parcourut
rapidement. Soudain, ses sourcils se froncèrent
terriblement, elle froissa la lettre et, finalement,
éclata:
- Ah! l'ingrat, le perfide 1 Tenez, baron, n'ayez
jamais d'enfant:,. Tous les mêmes 1
Elle s'arrêta, à bout de souffle. M. des Hourettes,
intrigué, lui saisissant une main, lui tapota la
paume.
- Ma chère amie, vous m'effrayez 1 que se
passe-t-il? Oli vier serait-il malade, ou dément, ou ...
- Plût à Dieu qu'il fClt dément! Au moins,
j'exigerais qu'on l'enfermât ici! interrompit
Mme d'Y rgil, avec ce ton de badinage altier qu'elle
avait emprunté aux grandes dames du XVIIIe siècle.
Ah! reprit-elle, plus sérieuse, j'ai été trop faible
avec lui. Enfant, il était mon petit roi, et j'ai cédé
alors à beaucoup de ses caprices. Puis, il a voulu
partir, et maintenant que je lui demande de revenir
en France pour se marier et fonder un foyer, voici
ce qu'il m'écrit:
fi
Melboumc, mai 19 .. .
« Ma chère grand'mère,
« Je crains beaucoup que cette lettre te parvienne
en retard. J'en serais désolé, car je dési re que les
vœux de ton petit-fils figurent parmi les bouquets
que tu recevras pour ta fête, chère bonne-maman
qui fus le seul appui de mon enfance orpheline ...
- Il écri t avec délicatesse, interrompit le baron,
ému.
- Oh 1 reconnut Mme d'Yrgll, c'est un cœur
excellent, mais une volonté d'acier. Bref, je passe
sur les souhaits de fête. Ah! voici le passage intéressant:
�10
LE MARI DE VIVIANE
dais, partir
tI Je n'ai pu, comme tu me le deman
pour l'Europ e, car Lemarq uoy, le capitaine qui
dirige nos expéditions, entrepr end la traversée du
pôle Sud. Nous partirons de la Tasmanie et, en
passant par le pole, nous irons jusqu'aux Iles
Falklan d, au large de la Terre de Feu. L'expédition
va bientôt quitter Melbourne, je suis lieutenant en
second et serai de retour en France d'ici deux ans
environ ... »
- Voilà ce qu'il m'annonce, s'écria la comtesse,
aussi simplement qu'il me dirait: « Je vais déjeuner au Puy et serai peut-êt re en retard d'un quart
J'heure pour le dlner 1 ))
- Le fail est •.. commença Je baron.
- Et le plus grave, reprit Mme d'Yrgi l...
Mais elle s'interr ompit, car Mme PIère, une de
ses amies, châtelaine des Ormea ux, venait d'entre r
dans le salon.
fin, avec un
C'était une femme petite, au vi~age
ressembler
faisait
air de ruse et de curiosité qui la
voit au
qu'on
Metzys
n
Quenti
aux Changeurs de
musée du Louvre. Elle sourit dans la direction d\).
baron qui se levait pour la saluer; puis, apercevant
Mme d'Yrgil dans son déshabillé de voile noir, elle
redress a ses mains sèches, gantées de suède, en
s'écria nt:
- Comm ent, chère amie, vous n'êtes pas encore
habillée pour sortir? vous avez donc oublié que je
vous emmène au Puy!
- Au Puy, et, pourquoi cela? interrogea
Mme d'Yrgil qui semblait, en effet, avoir oublié.
- Il Y a vente de charité au pensionnat Fré~
mière où est Jeanne, ma nièce, et vous m'aviez
promis de venir achete r à son compto ir, expliqua
Mme Pière.
- C'est vrai, cela m'était sorti de la mémoire,
reconnut Mme d'Y rgil en souriant.
�LE MARI DE VIVIANE
Il
- Et moi, je vais me retirer, dit M. des Hourettes en se levant, je suis du reste attendu à la
Cure. J'espère, continua-t-il en s'adressant à la
comtesse, que vous aurez l'occasion de revoir Olivier avant le délai qu'il indique et, d'ici là, cherchez-lui une fiancée ...
- Hélas! ce n'est pas aussi facile qu'on pourrait
le croire! dit la douairière.
Et, comme Mme PIère la regardait, elle ajouta:
- Je vais vous expliquer ce qui m'arrive, ma
chère amie.
Le baron se retira. Mme PIère demeura seule
dans le salon lumineux et, quelques instants plus
tard, Mme d'Y rgil, assise près d'elle dans l'auto,
franchissait les quatorze kilomètres qui séparent
le joli village de Pont-sur-Loire cie la ville du Puy.
Resserrée entre des montagnes, où les rocs
fauves ont des allures de géants, la route en corniche cOtoyait la Loire écumeuse. Et, au-dessus de
ces défilés d'u ne rudesse guerrière, riait un ciel
bleu, fleuri de nuages roses d'une grâce toute latine.
Mais la comtesse ne contemplait pas le paysage
féodal et idyllique à la fois. Les sourcils froncés,
elle relatait à son amie ses ennuis d'aïeule, soucieuse de la continuité de sa race.
- Imaginez-vous cela? disait-elle. Deux ans d'absence, des périls inimaginables, et, pas de foyer
derrière lui, pas d'enfants! Notre nom risque de
s'éteindre. Il faut absolument qu'il revienne et je le
marierai de gré ou de force!
- En attendant, comme disait le baron, il faudrait lui trouver une fiancée, dit Mme PIère.
- Eh bien, ma chère, là précisément réside la
difficulté, dit Mme d'Yrgil.
Et, comme sou interlocutrice paraissait surprise,
la cpmtcsse développa sa pensée:
- Il est très difficile de lui trouver quelqu'un.
Ce beau garçon riche, porteur d'un grand nom,
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LE MARI DE VIVIANE
ne tente guère les jeunes filles de son monde et de
sa situation, car, pour les autres, il n'aurait alors
que l'embarras du choix . Mais, pour les héritières,
comment accepter d'épouser un homme qui explore
trois années sur quatre? Ainsi, parmi mes amis de
Paris, j'avais pensé à la petite Blanche de Parles.
EUe n'en a pas voulu, cette enfant 1
- N'y a-t-il pas Andrée Rosel qui, je crois, consentirait. .. suggéra Mme Pière.
- Andrée Rosel'? une parvenue! je ne veux pas
de cela pour Olivier. Charlotte de Blécourt serait
idéale: beauté, titre, fortune, mais elle n'est pas
assez sérieuse ... et songez que son mari serait toujours absent! Quant à sa cousine, Madeleine de
Gers, qui est veuve, elle est horriblement coquel1e!
- Ne connaissiez-vous pas une nommée Jacqueline d'Arémollt?
- Pas un sou de doL .. et, cependant, reprit la
douairière après quelques instants de ré(1exion, je
crois que je finirai par ne pas faire grande attention
à la dot! Je demanderais plutôt à la future COllltesse d'Y rgi l de la santé, un beau nom et un peu
d'austérité! Que diable, je ne peux pourtant pas
exiger pour ce coureur d'océans et de pampas une
femme ayanl à la fQis noblesse, richesse el charme!
Mais où trouver la comtesse d'Yrgil de mes rêves"!
Je vous avoue que, dans loutes mes connaissances,
je n'en vois pà5 une seule répondant à mes désirs!
Tout au moins, celles qui me plairaient déclineraient l'honneur d'être de simil i-veuves!
- Ma chère amie, dit Mme Pière qui réfléchbsait profondément depuis un moment, vous ùites
que vous demanderiez à votre future belle-fille :
santé, jeunesse et titre ... et que vous passeriez sur
la dot? Eh bien 1 je connais quelqu'un qui pourrai t
vous plaire ...
- Vraiment? s'écria Mme d'Yrgil. Cela me rendrait un immense service, car, faire revenir Olivier
�LE MARI DE ,VIVIANE
sans avoir, au moins, une personne à lui présenter
m'ennuierait énormément. Vous connaissez une
telle perle? Habite-t-elle .Paris ou le Puy? comment a-t-elle été élevée?
- C'est une orpheline de grande famille ruinée,
élevée depuis sa petite enfance au pensionnat Frémière, le meilleur de la région et où je .vous conduis en ce moment.
- Je pourrais donc la voir? demanda la douairière dans un éveil de toute son impatience de
Méridionale.
- Oui, à moins qu'elle ne soit justement absente,
ce qui m'étonnerait. Elle doit tenir un comptoir à
la vente.
- Son nom, elites-moi au moins son nom? interrogea la comtesse, avide de savoir comment s'appelait cette jeune fille.
- C'est la fille du défunt marquis d'Artenay.
Elle se nomme Viviane.
- Viviane d'Artenay? répéta Mme d'Yrgillel1te ment. Je connais cc nom et cette famille, originaire de la Touraine, je crois ..• vous pensez que
cette jeune personne souhaiterait se marier?
- Vous jugerez par vous-même. Du reste, nous
serons bientôt arrivées.
En effet, l'auto était sortie des gorges cie la Loire
et courait daus la vallée. L'étrange ville du Puy se
tassai t dans le cirque des collines et, sous le ciel
bleu, dressait ses rochers étonnants, blocs énormes
dont l'un supporte une église et l'autre la colossale
statue de Notre-Dame de France. La voiture traversait la ville, propre el gaie, puis, COlllme le pensionnat était situé près de la cathédrale et que les
rues y accédant directcment étaient si roides qu'on
les avait aménagées en escalier, l'auto gravit la
pcnle par des voies détournées, suivant d'antiques
rueIJes bordées de vieux hôtels sombres el verrouillés comme des geôles et recélant dans leur
�14
LE MARI DE VIVIANE
ombre hautaine des meubles anciens, des tapisseries, des trésors inconnus à éblouir un antiquaire.
Enfin, la voiture s'arrèta devant le pensionnat Frémière, ancien couvent laïcisé.
Il y avait beaucoup de monde dans la cour. On traversait le pensionnat pour déboucher dans le jardin
en terrasse qui dominait la ville et les environs.
Là, sous les arbres, des tables ornées de nœuds
de ruban étaient disposées en comptoirs etl'ingéniosité des pensionnaires et des maîtresses les avait
remplies de jolies choses: travaux de couture, dentelles du Puy, miniatures, aquarelles, tout le bazar
hétéroclite et frais des -ventes de charité. Empourprées de plaisir, les jeunes filles rivalisaient d'amabili té pour faire recette.
Très vite, Mme PIère aperçut Jeanne, sa nièce,
une enfant de quinze ans, encore dans l'age ingrat,
dégingandée comme uu poulain.
- Ma tante, dit-elle, excuse-moi de ne pas aller
à ta rencontre, je ne puis quitter mon comptoir de
sucres d'orge, car tu penses, si je serais pillée!
- Et Mlle d'Artenay, quel comptoir tient-elle?
demanda Mille d'Yrgil impatiente de voir la jeune
fùle.
Jeanne regarda la douairière en disant, surprise:
- Vous connaissez donc Viviane, madame? Elle
n'a pas de comptoir et vend des bouquets en se
"
promenant. On se les arrache..
_ Ma petite Jeanne, pourrals-tn me dire ou elle
est?
_ Ma foi non, ma tante. Mais, vous la trouverez
sans peine. Ah! madame, acheva la fillette en
regardant la douairière, vous épuisez mes stocks!
cela va encore renchérir la vie! la vie chère!
En elTct, M me d'Y rgil, achetant une quantité de
sucres d'orge, en distribuait autour d'elle sans se
presser de marcher vers Mlle d'Artenay qui, lui
disait-on, étaitlà-has, derrière le platane.
�I.E MARI DE VIVIANE
15
Elle redoutait presque cette première entrevue
et se répétait, en vain, que cela ne l'engageait à rien.
Au fond, le Dom des d'Artenay lui plaisant, elle
désirait de toute son âme que la jeune fille lui plût
également. Comment allait-elle être? elle ne voulait
ni d'une écervelée, ni d>une hypocrite, et retardait
le moment de voir celle qui serait peut-être un
jour la comtesse d'Yrgil.
Elle s'amusait donc à distribuer des bon bons
aux enfants quand l'un d'eux s'écria:
- Oh:! Viviane,donnez un bouquetàMmed'Yrgil.
La comtesse tou rua la tête. Viviane d'Artenay
était à dix pas d'elle.
Occupée à disposer ses bouquets dans une corbeille, elle demeurait les yeux baissés et la douairière la vit à loisir. Assez grande, le teint d'une
rose de Bengale sous une lourùe couronne de cheveux blonds, elle avait dans sa robe blanche la
fraicheur, la jeunesse d'Hébé.
Cependant, en entendant répéter le nom de
Mme d'Yrgil, la jeune fille leva ses paupières vivement et la ldouairièrc tressaillit.
Les yeux baissés, elle était charmante. Maintenant, elle était micux que jolie, car ils étaient
remarquables, ses yeux d'un bleu qui, dans l'ombre, paraissai t violet. C'étaient des prunelles
humides ct veloutées, profondes et moirées d'or
sous l'ombre des cils recourbés, de ces yeux Ol!
rit la jeunesse, où l'amour semble refléter son
tendre et passionné visage.
- Mademoiselle, dit la comtesse avec émotion,
je voudrais ces roses pour vous les oaTir.
Elle désignait un bouquet dans Ja corbeille et
tendait un billet.
- Oh! madame, vous me comblez! di l la jeune
fille souriant en regardant la douairière avec une
attention particulière.
�•
LE MARI DE VIVIANE
Mais déjà d'autres acheteuses accaparaient
Mlle d'Artenay, des vendeuses entouraient la
comtesse. Elle tarda un peu à leur échapper.
- Eh bien? interrogea Mme PIère triomphante,
qu'en dites-vous'?
- Je dis, répliqua la comtesse, qu'il devrait
être interdit de détenir une aussi jolie personne
dans un pensicûnat, loin des épouseurs!
- Le fait est que, fière et sans fortune, c'est le
couvent qui l'attend, celte petite. A moins que ...
Mme d'Y rgil n'acheva pas la phrase de
Mme Pière, mais, se dirigeant vers Mlle d'Artenay, elle dit à son amie:
- Présentez-moi donc celte jeune fille.
- Ma chère Viviane, dit Mme PIère, je suis
persuadée que vous avez entendu parler de RocheYrgiI?
- Oui, madame, répondit Mlle d'Artenay, Je
sais que c'est le château le mieux situé de toute
la région.
- Mademoiselle, dit la douairière en souriant,
Roche-Yrgil manque de charmes en ce moment,
car il n'est habité que par une vieille femme: moi!
- Oh! madame! protesta Viviane avec conviction.
- Mais je serais heureuse que vous le rajeunissiez un peu en venant me voir avec Mme Pière.
C'est possible, sans doute?
- Très possible, Mme Frémière, ma tutrice, ne
me refusera pas ce plaisir, Mais, je suis confuse."
Et sa confusion s'exprimait sans gaucherie.
Cette grâce élégante enthousiasma la douairière
et, chez elle, l'enthousiasme était un véritable,
incendie. Elle dit :
- Il Y a sans doute longtemps que vous êtes
pensionnaire?
- Oui, madame. Treize ans et j'en ai dix-huit.
Je suis vieille!
�LE MARI DE VIVIANE
17
Oh! fralche vieillesse! s'écria Mme d'Yrgil,
amusée par cette petite maladresse de pensionnaire. Dix-huit ans!
Puis, brusquement, la douairière reprit:
- Au fait, vous avez raison. Toute viei1Iesse
est relative. A votre âge il y avait déjà un an que
j'étais mariée. On s'occupait de cela très tôt autrefois. Je gage que vous y pensez aussi?
- Mon Dieu, madame... comme toutes les
jeunes filles, répondit Viviane.
Elle était devenue très rose, ceHe fois, effeuillant
machinalement un bouton de marguerite dans sa
corbeille de Oeurs. Puis, une ombre glissa sur son
visage et elle ajouta, mélancolique :
- Mais il est pl us sage de ne jamais y songer ...
e(je veux être sage! acheva-t-elle avec une énergie
soudaine.
- Chut! je suis persuadée que les prétendants
ne manqueront pas!
Viviane eut un regard circulaire désignant les
hauts murs entourant le jardin et qui semblait dire:
\( Comment voulez-vous qu'ils viennent? ») et la
comtesse s'éloigna, séparée de la jeune Glle par des
arrivants.
Elle en savait assez. Mlle d'Artenay était jolie,
bien élevée, de bonne famille, elle désirait se
marier et, à sa soudaine mélancolie, Mme d'Yrgil
devinait qu'elle était sans amour ... une joie tuml~
tueuse envahissait cette vive Méridionale. Elle
serrait avec effusion les mains deMme PIère.
- Ma chère amie, il me semble que vous m'avez
aidée à sortir un diamant de sa gangue. Vraiment
celle jeune fille m'enthousiasme et, s'il est possible
que Mme Frémière confirme mon excellente
impression ... je crois que mon coquin de petits-fils
pourrait être le plus heureux dcs hommes!
- Eh bien! voici Mme Frémière. El]e est, je
crois, tutrice de Mlle d'Artenay, le tuteur st à
�18
LE MARI DE VIVIANE
Paris. Si vous voulez 'vous entretenir avec 'eUe?
Mme Frémière était une femme petite, obèse,
mais extrêmement distinguée. Elle était née le
Blignac, une des plus anciennes familles du Velay
ct Mme d'Yrgil pouvait se fier à son jugement.
Avec la franchise des Méridionaux la douairière
lui fit ex abrupto part de ses intentions. Mme Pré·
mière connaissait Viviane comme sa fille. Personne ne pouvait mieux que la directrice vanter
son élégance morale, et sans doute la comtesse fut·
elle suffisamment édifiée, car, le soir même, elle
s'arrêtait à la grande poste pour envoyer le télégramme suivant qui. colporté par la suite, mit en
effen'escence toutes les filles à marier du Puy:
« Oliyier d'Y rgil, hôtel Britannique, Melbourne.
- Je t'interdis formellement de partir pour Je
pôle et te prie de revenir sans délai ft Pont-sur·
Loire pour te marier. - Gisèle D'YRGlL. »
Et, quelques jours après, la comtesse, enfoncée
dans sa be~'gèr
de velours d'Utrecht, abattait la
cent soixante-douzième maille ùe on tricot, quand
Ludivine vint lui apporter une dépêche. Rapidement la douairière l'ouvrit et lut.
(( Impossible revenir, perspective 'projet m'assomme, respectueuses tendresses. - OLIVIEIl. »
Mme d'Yrgyl bondit:
( Cela l'assomme! pensait-elle furieuse, cela
l'assomme . Respectueuses tendresses. Respectueuses! hum! En tout cas le voilà prêt à partir el
il compte, le brigand, qu'il me sera difficile de le
poursuivre dans le~
glaces polaires! Mais, que
faire pour le retenlr? Je ne puis pourtant pas
affréter 'Un yacht p our voler à sa poursui te! Je
suis impuissante, impuissante! »
Elle se répétait cela en soulevant l'tme après
l'autre les longues aiguilles d'ivoire posées sur
�LE MARI DE VIVIANE
la table, en face d'elle. Non, personne ne conajs~
sait aussi bien qu'elle l'orgueilleux entêtement de
son peti l-fi ls.
Toutes les vertus et tous les défauts passionnés
de la race revivaient en lui. L'obstination d'Albion
se mêlait dans ses veines à la générosité, à l'enthousiasme français, car d'antiques aïeux, venus
d'Angleterre, lui insufflaient son opiniâtreté.
En efTet, la famille d'Y rgil était de souche
anglaise. Les premiers comtes d'Yrgil chassaient
et bataillaient dans le Northumberland avant de
suivre en France le Prince Noir qui, pendant la
guerre de Cent ans, se flattait de conquérir la
terre des Lys. Et Ralph d'Y rgil s'était installé dans
les environs du Puy; quand le Prince Noir retourna
en Angleterre, Ralph demeura dans son manoir
de Roche-Y rgil, retenu là par sa femme, la belle
Aude de Saint-Paulien, qui ne voulait pas quitter
sa terre natale.
Dès lors, les fils du comte d'Yrgil servirent la
France et s'attachèrent à leur nouvelle patrie. Un
d'Yrgyl était mort à Agnadel, aux côtés du preux
et beau Gaston de Foix j un autre avait été le compagllOn de jeunesse de Louis XIV et le sang des
d'Yrgyl teintait alors tous les champs de bataille
où la France s'illustrait. Enfin, en 18jo, le mari
?e la comtesse d'Y rgyl, le grand-père d'Olivier,
Jeune et fougueux, avait combattu dans les zouaves
pontificaux et était mort pour son pays.
Et celte ardeur combative se retrouvait dans
J'héritier actuel. Capable des phls belles passions,
sachant souffrir volontairement pour gagner des
terres nouvelles à la Frunce, bon, généreux, chevaleresque ct même Câlin, il pouvait cependant,
si son orgueil était en jeu, devenir le plus froid et
le plus dur des gentilshommes! Etant enfant, pendant toute une année il s'était refusé de monter à
cheval - sport qu'il adorait - parce qu'il (1Vait
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LE MARI DE VIVIANE
dit un jour! (( Je ne monterai pas cc cheval bai»
et, bien que l'animal fùt beau et parfait, il s'était
pri\'é d'équitation plutôt que de céder;'\ la volonté
de son aïeule, elle aussi incapable de plier.
A ce souvenir, Mme Ù'Y l'git soupira et, entendant un bruit de mues sur le gTaviel- du jardin,
elle regarda par la fenêtre. C'était Mme Pière qui,
très intéressée maintenant par ce mariage amorcé
par eHe, venait aux \1 nouve\\es )).
- Elles sont c1ésaslreuses! dit 2\.Ime d'Yrgyl
en fui lendanlle télégramme d'Olivier.
Mme Pière était consternée par la désinvolture
du jeune homme. Elle réfléchit et dit:
- Il n'y aurait sans doute qu'un moyen de faire
pression sur ce rebelle: par l'argent. Mais, cela
vous est-il possible?
- C'est vrai, dit Mme d'Yrgil, j'ai le moyen de
le tenir cn laisse par les fonùs, car Olivier n'a
hérité que de peu de chose du chef de ses parents,
son père ayant dilapidé sa fortune et celle de sa
femme. C'est moi qui lui fais une rente.
Mme Pière hochail la tète. La fortune de
Mme d'Y rgil était considérable. Ellesubvenait <.l'ailleurs sans embarras aux frais occasionnés par les
explorations d'Oli\-ier. Mme PIère dit lentement:
- Eh bien! coupez-lui les vivres ...
- Cela ne suffira pas! rétorqua Mme d'Yrgil.
D'abord, Lemarq uoy l'apprécic beaucoup el serait
~apble,
pour l'emmener avec lui, <.le payer es
dépenses. Non, il faut micux que cela. Car je connais Olivier: un cœur cxcellent mai - llnc têtc
dure comme le diamant! un être exécrable! C'est
tout à fait moi, du reste, il esl charmant. Bref, il
faut que je frappe un coup décisif... et, ma foi,
j'ai mon idée!
- Ah! ah 1Qu'est-ce que c'est, si je ne suis pas
indiscrète.
- Tout simplement ceci ; je le menace de le
�LE iUARl DE VIVIANE
21
déshéri ter au profi l de Madeleine de Gers, sa
petite-cousine, et ma foi, s'il s'obstine à son tour,
je le ferai, répéta la 'comtesse avec emportement.
Son opiniâtreté se heurtera à la mienne, il cédera
de gré ou de force!
- Mon Dieu! s'écria Mme PIère sincèrement
effrayée, 'il est contraint, ne craignez-vous pas
qu'il prenne sa femme en aversion avant de la.
connaître?
- Tiens, je n'y avais pas pensé, dit naïvement
Mme d'Yrgil.
Puis, se mettant à rire avec l'optimisme indomptable de certaines natures, elle ajouta;
- Altons dOlIC! cOJUment sa mauvaise humeur
tiendrait-elle devant ceUe jolie comtesse? Je suis
persuadée q u'ill'adorera. Ma chère amie, voulezvous me rendre un grand service? Mettez en par~ant
ce télégramme à la poste.
Et la douairière rédigea la dépêche sui\'unte ;
Il Reviens, sinon je suspends ta pension et, Je
mon vivant, je fuis don de ma fortune à la cousine
Madeleine de Gers. Ma décision est irrévocable,
j'aLtends la tienne. - Gisèle o'YnGIL. 1\
- Ne craignez-vous pas les indscréto
'~
demanda Mme PIère.
- Non, remeHez ceci à la directrice de la
poste, elle est mon obligée, je suis sûre d'elle,
acheva la comtesse en souriant.
II
Le retour de Daniel.
Duns un palace de Melbourne, les officiers d'un
régimenl anglais offraient à déjeuner à l'expédilion
Lemarquoy qui devait, sous peu, cingler vers le
pôle antarctique.
•
�22
LE MARI DE VIVIANE
Tous les hommes réunis là, jeunes ou dans la
force de l'âge, étaient beaux d'énergie et de gaieté.
Le repas avait été choisi, les vins de France riaient
dans les verres et l'esprit vif pétillait de groupe en
groupe. Au seuil de toutes les grandes randonnées,
on aime à se remémorer les périls passés, comme
si l'on voulait en tirer la preuve que l'on doit toujours échapper au danger, et on écoutait le récit
un peu fantastique d'un nommé Castagnac, un
Gascon:
- Figurez-vous, disait-il, que j'étais alors dans
les monts Atlas. Je suivais un sentier en corniche;
d'un côté un précipice, de l'autre le flanc abrupt
de la montagne. Brusquement, à un coude, que
vois-je? un bloc tombé du sommet ohstruait le
sentier! Retourner sur mes pas, impossible, j'avais
dix lieues à faire pour trouver un campement et je
mourais de faim. J'allais, en prenant le roc à brasle-corps, le contourner quand j'entends un rugissement. En face de moi, de l'autre côté du rocher,
un lion s'avançait à ma rencontre sur l'étroit chemin, subodorant ma présence. L'obstacle l'arrêta
comme moi; j'étais à la fois sauvé et perdu. Quand,
tout à coup, je remarquai qu'un des blocs, tout
pesant qu'il fCtt, vacillait sur sa base et pouvait être
un peu écarté du flanc de la montagne. Tout de
suite mon plan fut tracé; écartant l'énorme pierre,
je fis quelque bruit et, bientôt, le lion passa sa tête
par l'ouverture ainsi ménagée. Mais, au même
instant je laissai retomber le roc.
- Et l'animal fut écrasé?
- Pas du tout. Il fut simplement garrotté par
le cou. Impossible. par l'orifice redevenu étroit,
de retirer sa tête! Alors je contournai le bloc, me
garai d'un coup de griffe possible et gagnai la vallée, laissant le lion prisonnier. Il a dû mourir de
faim!
Les Anglais souriaient, sceptiques; les Français
�LE MARI DE VIVIANE
23
se moquaient franchement du Gascon qui protestait. Ce n'était plus que lazzis et bons mols échangés, les visages devenaient rouges, le ton des voix
montait et, seul, un des jeunes gens semblait
conserver toute sa lucidité.
Un peu renversé sur sa chaise, chassant d'un
geste distrait les volutes de fumée de son cigare, le
comte Olivier d'Yrgil souriait des yeux aux facélies
de ses camarades sans cesser de rester maUre de
lui. On ne parlait plus maintenant que de la future
expédition et, soudain, le Gascon, brave homme un
peu fruste, s'écria:
- Oui, dans un mois on sera partis, n'est-ce
pas, Yrgil? à moins que votre mère-grand ne vous
rappelle encore, eb !
Il rit très forl à celte boutade, mais le comte
fronça les sourcils et répondit froidement:
- De qui parlez-vous donc, Castagnac?
- De votre mère-grand.
- Vous pourriez dire: Mme d'Yrgil, riposta
sèchement le genti lhomme. En tout cas, ajoutat-il, se tournant vers ses autres camarades, je crois
avoit' à cet égard doublé le cap des Tempêtes. Ma
grand'mère doit être en possession de mon dernier
télégramme, je suis libre et, si je l'osais, je vous
oITri rais de boire du moët et chandon à ma
liherté !
- Orfrez, offrez toujours, Yrgil.
.Et le sommelier apportait de nouvelles bouteille. Le vin célèbre bouillait dans les coupes.
Olivier, plus excitéq u'il ne l'avait été jusque-là, leva
sa coupe quand on llii toucha le coude.
Surpris, il sc retourna.
C'était un mailre d'hôtel qui lui apportait une
dépêche.
Reposant sa coupe sur la table sans y toucher, le
j~une
homme tressaillit. et? maltrisant son }mpaLlence, demanda la permission de prendre connais-
�LE MARI DE VIVIANE
sance du message. Naturellement, on la lui accorda
et il fit sauter le cachet:
« Reviens, sinon je suspends ta pension et, de
mon vivant, je fais don de ma fortune à Madeleine
de Gers. Ma Jécision est irrévocable, j'attends la
tienne. - YRGIL. »
Le comte étouffa une exclamation de fureur. Il
blêmit; ses mains froissèrent nerveusement le
papier et, seule, la présence des officiers anglais si
maltres d'eux dans l~s
plus violentes occasions
l'aida à se contenir. Son amour-propre se révoltait
devant cette injonction formelle et, se tournant
vers l'assistance, il dit:
- Permettez-moi de me retirer, messieurs, j'ai
à prendre une décision importante.
- Si vous le voulez, allez dans le fumoir, Yrgil,
dit Lemarquoy, le chef cie l'expédition.
- Je vous remercie. Je vais y aller.
D'un pas saccadé, il se dirigea vers le fumoir, se
laissa tomber dans un des profonds fauteuils de
cuir et saisit son front dans ses mains.
Plus encore peut-être que Je fait de renoncer à
la prochaine expédition, l'obligation de céder à la
volonté de son aïeule J'irritait. Eh bien 1 non, il ne
céderait pas. Il refusait de se marier et partirait
quand même. Certes Lemarquoy appréciait trop
ses services pour ne pas l'emmener. Il redressa la
tête, découvrit son visage Oll les yeux sombres
brûlaient d'orgueil. On imaginait facilement à sa
ressemblance un Lucifer irréductible et passionné.
Debout près de lui, Germain Laufre, son meilleur
ami, le regardait.
- Tu te doutes de ce qui se passe, n'est-cc pas,
lui dit vivement Olivier. Tiens, lis ce télégramme.
Mais je persiste dans mon projet d'expédition,
devrais-je y perdre ma fortune. Tu entends, Germain, rien ne me fera revenir sur ma décision!
�LE MARI DE VIVIANE
Le jeune homme hocha la tête. Il considérait
la dépêche, puis demanda :
- Crois-tu que, vraiment, Mme d'Yrgil te
déposséderait comme elle t'en menace?
- J'en suis persuadé, répliqua nettement le
comte. Dût-elle ensuite le regretter, elle le rerait.
Oh! ajouta-t-il en riant nerveusement, nous
SOmmes bien du même sang, de la même race,
cette race qui a pour devise: « Ni Dieu, ni diable,
ni roy ne me plient; ma dame est Volonté », et je
prouverai que je n'ai pas d'autre dame, en effet, que
ma fantaisie. D'ailleurs, c'est inconcevable, repritil plus ardent, de quel droit entraver mes travaux?
Car je ne cours pas vers les plaisirs, je suppose! je
risque ma vie!
- C'est pourquoi Mme d'Yrgil veut que tu
reviennes.
- Un soldat doit-il céder à la prière cie son
aïeule?
- Tu n'es pas absolument un soldat et tu te
dois à ta race, à cette race dont tu es si fier. Ensuite,
réfléchis. Tu n'as pas, je le sais, l'intention d'explorer toujours sous les ordres de Lemarquoy. Tu
veux de la gloire pour ton nOm se ul et, comment
réaliser tes projets si tu es dépossédé? Vas-tu, Jans
un mouvement impulsif, compromettre tout Lon
avenir? Laisse-toi marier. Ensuite, ton foyer fondé,
ton nOm assuré de ne pas s'éteindre, tu nous
rejoindras, ou bien tu acquerras de la célébrité
pour ton compte per~onl.
N'est-ce pas, capitaine,
que j'ai raison?
Lemarquoy arrivait en effet et, mis au courant,
lui aussi pressa y rgil de céder à la volonté de sa
grand'mère, En somme, ils approuvaient l'a1eule
et devaient engager Olivier à obéir. Il y allait, non
plus d'une expédition au Pôle Sud, mais cie toutes
les explorations de sa vie.
Les sourcils froncés, rejetant d'un mouvement
�LE
M~RI
DE VIVIANE
nel'veux les mèches noires qui tombaient sur ses
yeux, Olivier écoutait impatiemment les conseils.
Il était de ceux que le joug irrite jusqu'à la frénésie
s'ils ne l'ont pas tout de suite accepté bénévolement. Comme son aïeule, il était susceptible de ces
emportements irraisonnés qui ressemblent à de
tragiques enfantillages . Cependant, il sentait que
ses amis lui donnaient tort et, se levant brusquement, il dit, sèchement:
- Soit, je vais partir. Je me marierai puisqu'il
le faut.
- Et vous serez très heureux, dit Lemarquoy.
Je suis persuadé que Mme d'Yrgil a en vue pou\'
vous une délicieuse partenaire!
Olivier pâlit. Ces paroles augmentaient son irritation. Trop attaché à la douairière pour la prendre
en aversion, il fallait que quelqu'un d'autre support:ltle poids ùe sa cruelle déconvenue. 11 riposta,
cassant:
- Je ne serai pas heureux. On ne rend pas un
homme heureux malgré lui et je suis contraint à
ce mariage. Je ne puis éprouver que de l'hostilité
pour celle qui, si mal à propos, a déterminé ma
grand'mère à me rappeler, car, si elle n'avait personne en vue, sans doute le ton serait-il moins impérieux. Enfin, ne parlons plus de cela. Je ne
souhaite qu'une chose, c'est que ma fiancée ne
cherche ni à me plaire, ni à prendre de l'empire
sur moi. Germain, accompagne-moi à la poste, car
je serais encore capable de changer d'avis en
roule.
Les deux jeuneS' gens quittèrent le palace où ils
étaient entré si joyeusement et s'engagèrent dans
les larges rues de Melbourne.
Le temps était exquis; le vent semblait apporter
de l'archipel malais le parfum des girofliers, cl
tou les les végétations étranges et somptueuses tle"
Iles océaniennes. Ils longeaient des boutiques acha-
�LE MARI DE VIVIANE
hndées, des vitrines de fleuristes encombrées de
gerbes d'orchidées. Y rgil ne voyait rien. Une aver·
sion violente croissait en lui contre CELLE qui
représentait l'invisible lien qui le rappelait en
France et, pâle, il rédigea sa réponse télégraphique:
I( Je
vais revenir par s. s. Queen Alexandra,
choisissez fiancée, qu'elle soit sportive. OLIVIER. »
Mme PIère visitait son verger, le plus fertile de
la contrée, et elle admirait l'embrasement des cerisiers, rouges de fruits, quand, dans une allée, la
comtesse d'Y rgil surgit, se hâtant vers elle.
- Ma chère amie, lui dit-elle. dès qu'elle fut à
portée de la voix, j'ai gagné la partie. Olivier
revient, Olivier va revenir, et il accepte, les yeux
fermés, celle que j'aurai choisie. Je suis bien heureuse.
Mme PIère félicita chaudemcnt la douairière qui,
en eITet, exultait:
- Dès demain, reprit Mme d'Y rgil, je vais aller
au Puy et je verrai Mme Frémière.
- Marier Viviane était son grand souci, dit
Mme PIère, e-t elle va vous accueillir avec enthousiasme. Quant à Viviane, je suppose qu'elle acceptera ...
Mme PIère souriait, embarrassée; la douairière
compri t sa pensée:
- En eITet, dit-elle, cette jeune fille 'sera toute
surprise par cette demande en mariage; peut être
même ignore-t-elle que j'ai un petit-fils! Tout cela
est fort délicat, mais il cst impossible qu'Olivier,
d~après
sa photographie, ne lui plaise pas. Il est si
bien, mon Olivier 1
- Certes, acquiesça Mmc PIère, il a tOlite la
male élégance qui fait rêver les jeunes filles. Cependant, ma chère amie, laissez-moi vous dire que
Mlle d'Artenay est moderne, c'est-à-dire qu'clle
�LE MARI DE VIVIANE
répugnerait vivement à la pensée d'être acceptée
par votre petit-fils seulement sous la menace d'un
déshéritemenl.
- Il ne faut pas qu'elle ]e sache non plus! pro.
testa vivement la douairière. J'ai été jeune, je sais
combien on peut être romanesque et j'estime qu'il
faut de la poésie autour des fiançail1es. Mlle d'Artenay ignorera comment son mariage s'est amorcé.
- Cependant, je ne vois pas bien ... dit pensivement Mme PIère.
Les deux vieilles dames suivirent les allées du
verger, indiftërentes aux succulentes promesses
des arbres rrugescents, gloire de la châlelaine.
Soudain, la douairière releva la tête:
- Mon plan est arrêté, dit-elle, un vrai chefd'œuvre. Puisque Olivier doit être bientôt le plus
heureux des hommes, je veux que Mlle d'Artenay
soit folle de mon petit-fils. Quel joli roman sentimental je vais échafauder! je voudrais déjà être
au Puy.
- Prenez garde, dit Mme PIère qui connaissait
l'imagination indomptée de la vive douairière, ne
brodez pas trop, de crainte de surcharger 1
- Soyez tranquille. Allons, voilà du bonheur
en perspective et Viviane ne se doutera jamais de
la façon dont ses fiançailles se seront faites!
En effet, Viviane ne se doutait pas que des télégrammes la concernant volaient du Puy aux anti·
podes. El, cependant, sa courie entrevue avec la
douairière l'avait laissée pensive. Tandis que
Mme d'Yrgil projetait d'aller demander sa main
pour son petit-fils, la jeune fille, seule sur la terrasse du pensionnat, l'èvait mélanl:oliquement ...
Elle apercevait au-dessous d'elle toule la campagne yeJlave, blonde de soleil j ùe fines buées,
comme ùes fumées, estompaient légèrement les
lignes, et le vent, chargé d'un parfum ùe tilleul,
passait sur son yjsage.
�LE MARI DE VIVIANE
Dix-huit ans plus tôt, elle naissait dans un
château des bords de la Loire, en Touraine, là où
le fleuve s'étale câlinement sur un lit de sable couleur de miel. Et les eaux immobiles reflétaient les
tourelles légères, les fenêtres à meneaux, le toi t et
sa lanterne Renaissance, ajou rée comme une
pièce d'orfèvrerie. Les premiers regards de Viviane
avaient rencontré les horizons charmants de la
plus douce province de France.
Son père voyageait alors en Arabie avec un
cousin, Roger Marty, qui s'occupait de médecine
en amateur, mais avec un intérêt passionné, étudiant les diverses aITections des Orientaux. Et,
avant d'être revenu en Touraine, avant d'avoir
baisé le front de sa première-née, le jeune marquis
mourut à Jérusalem d'une attaque de choléra.
Quelques années après, Mme d'Artenay fut enlevée
par une pneumonie. Mme Frémière, son amie,
étant sur place, fut nommée tutrice et emmena
l'enfant dans sa propre famille, au Puy-en-Veluy.
Possédant ce délicieux castel Renaissance et des
fermes importantes, Viviane eût été très richc ...
sans Me Charme ...
Mo Charme! Ce nom, comme un maléfice,
avait résonné à ses oreilles d'enfant. Mo Charme,
f1at~n
la prodigalité de ,la défunte marquise, lui
avall avancé de fortes sommes contre hypothèq ues
dont il exigea, soudain, le remboursemenl. Eloignant habilemcnt tous les acq uéreurs, Me Charme
rendit les propriétés invendables ... puis les rachela
au dixième de leur valeur!
Quand le docteur Marty revint en France, il
était trop tard pour sauver la fortune de l'enfant el
Je notaire indélicat, revendant le château avec un
bénéfice considérable, s'en alla, riche et honoré,
jouir du bien mal acquis en Artois, son pays natal,
011 il habitait le manoir des Aulnes.
Viviane se souvenait vaguement du cho.teau
�LE MAn.I DE VIVIANE
d'Artenay, revu à l'âge de quatre ans, et des salles,
aux blanches statues, où, aurait-elle pu dire comme
Mignon exilée: ( des hommes de marbre m'appellent dans la nuit en me tendant les bras! )1 Nulle
famille, hormis le docteur Marf.y et son fils Daniel,
médecin amateur aussi, se penchant sur les pires
souffrances physiques. Certes, Mme Frémière
avait été une mère pour elle, mais, très austère,
d'une sévérité qui repoussait toutes les expansions,
elle n'avait jamais contenté ce besoin d'affection
qui emplissait le cœur tendre de Viviane.
Accoudée au parapet de pierre, la jeune fille
soupira.
Depuis treize ans elle habitait ce pensionnat et,
pendant longtemps, elle avait promené sous les
arbres touffus de la terrasse son front limpide et
insoucieux. Comme il suffisait de peu de chose
pour la rendre contente! Puis, sans qu'elle sût
pourquoi, elle avait cessé de trouver la vie si belle.
Une tristesse sourde s'était emparée de Viviane et
s'accroissait par les soirs d'été quand elle s'accoudait à la terrasse et que, non loin d'elle, un rossignol essayait ses premières hotes malhabiles et
déjà brûlantes ... Alors, des larmes emplissaient
ses yeux aux reflets d'améthyste et elle ne savait
pas ce qu'elle pleurait.
Puis, peu à peu, elle le sut. Autour d'elle, des
amies aimaient, étaient aimées, se fiançaient.
C'était pendant quelque temps l'exaltation charmante des amoureuses, les félicitations, l'étalage
ùu trousseau. Enfin, elles se mariaient, disparaissaient ...
Certes, Viviane était encore bien jeune pour
douter de l'avenir; mais, sans famille, qui donc
s'inquiéterait de son établissement? Comment
viendrait-on la chercher dans ce pensionnat presq ue
clo1tré? Le malheur voulait que, lorsqu'elle sortait, allait chez des amies de pension, celles-ci
�LE MARI DE VIVIANE
31
étaieut des filles uniques. Enfin, on la savaÎt sans
dot et cela refroidissait le zèle des jeunes gens. Le
désintéressement, l'amour spontané n'existaient
donc pas?
Puis, elle réagissait, et par ce bel après-midi de
juin, elle s'eITorçait de ne pas espérer de toute son
âme quelque prince charmant comme dans les
contes bleus. Elle voulait être sage, comme elle
l'avait dit à cette bonne Mme d'Yrgil.
- Viviane, où êtes-vous?
Mlle d'Artenay se redressa. Une maitresse la
cherchait.
- Je suis ici, madame, répondit-elle.
- Mon enfant, on vous demande au parloir des
roses.
Cette appellation désignait avec plus de poésie
que d'exactitude un étroit jardin fleuri de rosiers
maigres. C'était le parloir d'été. Surprise,
Mlle d'Artenay se dirigeait vers le parloir. Surprise, en eŒet, car il était bien étonnant qu'on
vinl lui rendre visite, un jour de semaine, en
dehors des heures réglementaires. Et puis, elle
connaissait si peu de monde!
Elle parut dans le parloir et poussa une exclamation:
- Vous mon cousin. \ OllS Daniel! vous êtes
donc revenus de terre sainte. Que je suis contente
de vous revoir! Avez-vous fait bon voyage?
Elle tendait son visage au baiser rugueux de son
vieux cousin Marty et oITrit ses mains à Daniel
qui, devenu tout pale en l'apercevant, la dévisageait avidement.
- Je croyais que vous ne reviendriez qu'en
septembre. Mais, quel séjour vous avez fait en
Palestine! J'ai reçu vos cartes postales de Jérusalem. C'est beau là-bas, n'est-ce pas?
- Non, dit rondement Marty, la terre sainte
n'est pas belle; que de fois même elle est désespé-
�LE MARI DE VIVIANE
32
ment banale de lignes 1 Mais, tant de souvenirs
l'ont sculptée qu'elle est toute entière éloquente et
pathétique.
- Je suis süre que Daniel a fait là-bas d'admi
rables aquarelles?
- Daniel? répondit le père moitié bourru.
moitié admiratif, il rêve de fonder des léproseries,
puis de passer aux Indes régénérer les parias!
- Vous avez toujours eu des idées d'apôtre 1
dit Viviane au jeune homme avec une nuance de
respect dans la voix.
Daniel rougit légèrement, troublé par les paroles
de la jeune fille, et balbutia:
- Oh 1 je ne retournerais là-bas que s'il m'était
impossible de fonder ici le foyer que je souhaite ...
Viviane ne paru t pas com prend re le sous-en tendu.
Daniel Marty était grand et d'une maigreur
exagérée, ascétique comme si de trop longues
années d'étude l'eussent empêché de se développer.
Passionné de philanthropie un pen fébrile, on Je
sentait tourmenté comme un homme qui n'a pas
encore trouvé sa voie et à qui fut promis un destin
spécial. Assise près de lui, Viviane interrogeait
M. Marty sur la Judée, la Galilée, les ruines
romantiques de Baalbeck et Daniel ne la quittait
pas des yeux.
Depuis deux ans qu'il ne l'avait pas vue, il la
trouvait três changée. De l'enfant était née une
adolescente élégante, au visage si clair qu'il semblait irradier de la lumière. Cette Viviane n'avait
jamais cessé d'être jolie! Involontairement, Daniel,
avec un trouble grandissant, se rappelait sa première rencontre avec la fillette. Venu passer les
vacances à Ussac, aux environs du Puy, son père,
un jour, avait invité celle petite-cousine d'Artenay.
Mon Dieu, comme celte visite, en empêchant une
c~ursio
projetée, l'avait ennuyé! Et puis, Vivla?e étaIt apparue, bouclée, adorable et sérieuse
�LE MARI DE VIVIANE
33
COlllme l'Ange Gardien du tableau du Dominiquin.
Et l'adolescent de dix-huit ans avait senti battre
son cœur. Ils avaient couru ensemble dans le
jardin et, finalement, vers le soir, comme on la
reconduisait en voiture, Viviane, fatiguée par tant
de courses, s'était endormie sur l'épaule de Daniel.
Le souvenir de cette haleine d'enfant effleurant
Son visage n'était jamais sorti de sa mémoire. Oui,
mais, à cette époque-là il pouvait comme les autres
espérer plaire, se répétait-îl, tandis que lepuis,
par suite d'une chute de cheval, il boitait. Il se
sentait décl"l'll, amoindri, et il pâlit soudain parce
que Viviane, en s'informant simplement de sa
santé générale, lui rappelait son infirmité.
- Je vais bien, répondit-il nerveusement. Natn~'elmnt
je ne suis pas toujours ingambe, je suis
mfirme!
Elle fut attristée par ce ton et dit avec ulle spontanéité charmante:
- Oh 1 mon cousin, ça ne se YOil pas!
- Vraimenl? balbutia-t-il, infiniment heureux.
A propos, je vous ai rapporté des albums de vues
et aussi un chapelet taillé dans le bois des oliviers
sacrés, les oliviers vénérables comme des sanctuaires et qui ont versé leur ombre sur le front du
Christ.
- Oh! Daniel, rien ne pouvait me toucher
davantage! fit-elle, émue.
Elle sortit le chapelet de son écrin, puis dit:
- Mon Dieu, que je suis contente de vous voir!
vous ne pouvez pas vous imaginer combien je
m'ennuyais! Allez-vous retourner 1:1 Paris ou vous
fixez-vous 1:1 Ussac?
- Nous restons à Ussac, répondit M. Marty; et
il faudra que vous veniez nouS voir.
- Avec plaisir, Illon cousin, avec granù pl ai id
- Nous ne regagnerons Paris qu'à l'aulomne
après un séjçHlr à Pau. Nous ayons il étudier les
69-Ii
�34
LE MARI DE VIVIANE
plans du dispensaire que nous projetons de fonder
à Jérusalem d'ici peu.
- Oh! dit Viviane, comme ce sera intéressant.
N'avez-vous pas besoin d'une infirmière?
- Nous aurons comme infirmière en chef
Zulimé Callistian, une jeune Arménienne orpheline, étudiante en médecine, et que nous avons
amenée à Paris où elle achève ses études
médicales.
- Eh bien, reprit Viviane, ne pourriez-vous
m'emmener avec Mlle Zulimé? Je ne peux pas
tonte ma vie rester inutile dans un pensiocnat,
acheva-t-elle avec une certaine tristesse.
- Nous verrons cela, dit gaiement M. Marty,
pendant que Daniel rougissait de joie. Mais
l'heure s'avance, il faut que nous nous retirions.
A bientôt, Viviane.
- Oh 1 vous partez déjà! di t-el1e avec une spontanéité qui troubla Daniel, j'aurais encore tant de
détails à vous demander 'sur Jérusalem et la mer
Morte! je serais si curieuse de voir la mer Morte!
Mais M. Marty se levait pour partir et Daniel
devait s'incliner, sortir lui aussi . Maintenant ils
quittaient le couvent. .. Mlle d'Artenay ne les
voyait plus, mais sa mélancolie avait été chassée
par celle visite inattendue des seuls parents qui lui
restaient. Alors, seule sur la terrasse, elle se rappela cette en trevue et la façon constante dont
l'avait regardée Daniel. Est-ce que ? ... Subitement
la pensée lui venait que peut-être ce jeune homme
l'aimait, qu'il était celui qui viendrait la chercher
pour la faire vivre comme les au tres. Et à cette
id6e son cœur ne bondit pas. Un étonnement doux
lui venait ct, très tranquille, Viviane se demandait en regardant la campagne vellave sous le crépuscule vieux rose:
- Si je l'épousais, ce bOIl Daniel, serais-je
heureuse avec lui?
�LE MARI DE VIVIANE
3S
Puis, elle soupira, se rappelant que, deux ans
plus tôt, elle avait fait un autre rêve. Mais, à quoi
bon y songer?
III
La fiancée.
Le plan de la comtesse d'Yrgil était simple. Il
s'agissait uniquement que Viviane d'Artenay ignorât dans quelles conditions peu !latteuses pour elle
se nouaient ses fiançailles et qu'Olivier ne l'acceptait que « contraint et forcé )J. Or, l'idée lui vint
de dire que le jeune comte connaissait de vue
l'adolescente ... il l':wrait remarquée lors de son
dernier séjour au Puy, deux ans plus tôt, et, n'en
ayant pas perdu le souvenir, il aurait demandé
à sa grand'mère si elle consentirait à devenir sa
femme. Mlle d'Artenay ne pourrait qu'être touchée de la constance du jeune homme et lui
vouerait une reconnaissance attendrie qui, à la
seule vue d'Oli\'ier, pensait la comtesse, se transformerait en un sentiment plus tendre.
Les gens du Nord, logiques et rigoureux, seront
choqués par ce plan: tromperie! diront-ils. Galéjade, excellent stra tagème, répondront les Méridionaux à l'imagination vive. Mme d'Yrgil, animée d'excellentes intentions, rêvant uniquement
de faire le bonheur d'une enfant sans fortune et
d'un petit-fils rell1pli de qualités, s'absolvait. .. et
se louait de cette ruse. Mais, sauf à Mme Pière,
elle n'en parla à personne et quand elle alla voir
Mmc Frémière pour l'entretenir de ses projets
matrimoniaux, elle lui dit sérieusemcnt « que
c'était Olivier qui expressément demandait la main
de Mlle d'Artenay».
Mme Frémière écoutait, éblouie, ravie ... Vi-
�LE MARI DE V1VIANE
viane, sa Viviane, presque sa fille, ne resterait
pas oubliée dans ce pensionnat... On l'avait
remarquée, elle était chérie d'un jeune homme
de son rang. Viviane allait se marier avec
, ce gentilhomme de qui Mme d'Yrgil lui montrait
la photographie; elle deviendmit une des premières propriétaires du pays et aurait son hotel à
Paris, rue de Varenne.
La directrice adorait Mlle d'Artenay . Elle estimait que sa beauté, sa vraie bonté méritaient tous
les triomphes; mais, celui-là dépassait encore ses
prévisions. Une joie maternelle faisait exulter
Mme Frémière.
- Madame, dit-elle à la comtesse, à la mort de
la marquise cl' Artenay, la mère de Viviane, ses
plus proches parents, les cousins Marty, étaient en
Asie pour une période indéterminée. Un tuteur
légal fut donc nommé et, p:1r la même occasion,
on m'accorda d'être tutrice. En mon nom personnel, je me hâte de dire que je suis très honorée
de la proposition que vous venez de me faire. Il
faut maintenant que je corresponde avec Me Soudrier, le tuteur, et je vais le faire immédiatement.
Enfin, je vais parler de tout ceci à Viviane. Je suis
persuadée qu'elle est loin de songer à ce qui lui
arrive et que, sans doute, au premier abord, la
pensée d'épouser ce jeune homme va l'efIaroucher
un peu.
- Je J'aimerais moins s'il en était autrement,
dit Mme d'Yrgil, et, bien lJue je sois assez impatiente de connallre la décision de cette jeune fille,
je ne veux pas brusq uer son consentement. Vou lezvous venir avec elle à Roche-Y rgil, vendredi?
nouS pourrions parler plus librement. Enfin elle
ferait connaissance avec sa future propriété d'été.
Mme Frémière accepta, un peu abasourùie mais
profondément séd ui te, et, le vendredi matin, elle
alla elle-même à la recherche de Viviane qui
�LE MARI DE VIVIANE
37
s'était chargée de faire répéter aux petites un
chœur destiné à la prochaine distribution des prix.
La jeune fille avait une voix simple mais juste.
Pour soulager le professeur de musique, très
occupée en cette fin d'année scolaire, elle venait
de proposer d' « exercer» les pensionnaires de la
petite classe et, emmènant ses élèves dans le jardin,
à l'ombre des châtaigniers) elle les disposa, puis
battit la mesure. Toutes les petites voix acidulées
et pleines de bonne volonté entonnèrent sur un
rythme allègre:
En avant, en avant, Amazones 1
Intrépides BeHones, etc ...
/
Mlle d'Artenay les stimula en riant:
- Plus vite, plus fougueux! Songez que vous
êtes des Amazones, des BeUones, des guerrières
enfin!
A part deux ou trois, plus turbulentes que les
autres, les fillettes se sentaient assez peu <l guerrières », mais, de tout leur cœur, elles ennèrent
leurs voix et, au-dessus d'elles, les moineaux,
furieux de cette concurrence, s'égosillaient éperdument.
Mme Frémière s'arrèta à contempler sa ( fi Ile ,).
Allait-elle la marier? Certes la proposition de la
comtesse d'Yrgil la séduisa.it; mais, comment
aborder avec Viviane la question lUariage ... avec
un inconnu?
- Viviane, dit la directrice en profitant d'une
pause, nous allons déjeuner un pelf plus tôt vous
ct moi aujourd'hui, car, celle après-midi, nous
irons à Pont-sur-Loire, chez Mme d'Yrgil.
- Chez Mme d'Yrgil! dit la jeune fille. Que je
suis contente!
- Cela vous fait tant· de plaisir? s'étonna
Mme Frémière. En somme, vous connaissez fort
peu cette dame ..•
�LE MARI DE VIVIANE
C'est vrai ... mais ... j'ai entendu dire que le
château est très intéressant. ..
La directrice posa son clair regard sur la jeune
fille. Mlle cl' Artenay détournait les yeux. Que se
passait-il? Qu'esl:ce donc qui pouvait l'attirer il
Pont-sur-Loire, puisqu'elle ignorait les projets ùe
la douairière? Sans insister davantage, Mme Frémière poursuivit:
- Je suis très heureuse que la comtesse s'intéresse à vouS, car vous n'avez pas de relations,
tandis que Mme d'Yrgil connaît énormément cie
monde. Si elle s'attache à vous, elle vous mariera ... Vous mettrez votre robe bleue celte après:midi.
C'est ainsi que, quelques heures plus lard, une
voiture emportait à Roche-Yrgil Mlle d'Artenay
cl la directri\;e.
- Il fail un temps superbe, dil Mme Frémière.
Vous allez voir Roche-Yrgil sous son plus bel
aspect.
La jeune fille demanda en rougissant un peu:
- y aura-t-il beaucoup de monde au château?
- Mais, je ne crois pas ... je pense qu'il n'y aura
que 110\1S.
- Ah! dit Viviane avec un léger accent de
désappointement.
- La comtesse recevrait sans cloute beaucou p
si son petit-fi Is étaitlil ; mais, en son absence, elle
vit assez retirée, du moins à Ponl-sur-Loire, car, à
Paris, c'est une mondaine.
- Et ... le jeune comte d'Yrgil est toujours en
voyage? interrogea Mlle d'Arlenay en regardanl
obstinément devanl elle.
- Oui. Il est actuellement en Australie, mais il
va revenir ...
- Ah! Il s'appelle Olivier, je crois, dit Viviane.
- Oh! oh! comme vous êtes renseignée, dit la
directrice, souriante et intriguée.
�LE MARI DE VIVIANE
39
Elle remarquait que Viviane était devenue très
rouge. Celle-ci reprit, devinant l'étonnement de
sa tutrice:
- On a beaucoup parlé de lui au Puy, voici
deux ans. Ne vous rappelez-vous pas, madame?
- Non, du tout, à quelle occasion?
- Quand on a organisé au Puy des courses de
chevaux. Les meilleurs cavaliers de la région ont
couru et le gagnant fut le comte Olivier d'Yrgil.
La lumière se fit dans la mémoire de Mme Frémière.
- Vous avez raison, dit-elle, et je me souviens
parfaitement de tout ceci. Du reste, à ce momentlà, Mme PIère, qui a toujours été liée avec
Mme d'Yrgil, m'avait parlé du jeune homme.
- J'assistais aux courses avec les Valmont,
reprit Viviane avec un peu d'ardeur, ct je me
rappelle fort bien M. d'Y rgil. Un grand brun,
Pollc, les ycux noirs, un air à la fois impétueux et
glacé ...
- Quelle mémoire! dit Mme Frémière très
intéressée.
- Il a gagné la troi sième course, précisa Viviane
en s'animant, bien qu'au dernier moment son
cbeval eût mal pris la banquette irlandaise .. . On
avait craint une chute . Après la course il a pris le
thé à la Régence. Sa table touchait celle où j'étais
avec Margu ri te dc Valmont et sa famille. Croiriczvous qu'à un moment, comme il disait avoir égaré
la fleur de sa boutonnière, celte [olle de Marguerite a pris un œillet à ma ceinture, un œillet aurme,
et le lu i a offert!
- Pas de votre part, j'imagine! dit Mme Frérnière scandalisée rétrospectivement.
- Oh ! non, certainement.
Vivianc se tut, contrariée maintenant d'en avoir
ta~
dit, convaincue que Mme Frémière connaissait désormais le cher secret gardé jalousement
�LE MARI DE VIVIANE
depuis deux ans: le secret de son déraisonnable
penchant pour le comte d'Yrgil.
Certes oui, déraisonnable. Car le comte d'Yrgil,
bien qu'il eût remercié Marguerite et elle-!llême
avec la grâce aimable d'un jeune homme qui sait
vivre, ne l'avait sans doute pas remarquée et il lui
avait fallu faire appel à toute sa volonté pour s'empêcher de rêver à l'infini à des choses impossibles;
depuis ce jour des Courses, tous ses songes
d'amour avaient eu le visage d'Olivier ...
C'est pourquoi elle éprouvait une véritable émotion à la pensée de connaltre oe château de RocheYrgil olt le jeune homme avait passé son enfance.
Viviane ne se trompait pas en supposant que
Mme Frémière avait deviné son secret. C'était
donc là le motif du trouble qui avait envahi sa
« fille» quand elle avait parlé de l'invitation de la
comtesse! Elle connaissait Olivier. Voyez-vous ces
petites cachottières!
La directrice n'insista pas, enchantée que
Mlle d'Artenay sût qui était le comte. Ce n'était
pas un inconnu pour elle. Cela simplifierait singlllièremenlles choses.
Pont-sur-Loire, enchâssé de trois côtés par les
montagnes vêtues cie feuillages, apparut à un
coude, traversé par l'éclair d'argent de la Loire et,
bientôt, Roche-Yrgil sur son rocher ensoleillé
surgit aux yeux de Viviane.
De la base du roc au large plateau terminal olt
s'érigeait le château, ce n'étaient que terrasses,
taillées dans la pierre vive, irrégulières, drapées
de lierre, de plantes grimpantes et fleuries. Et, sur
ces terrasses, l'heureuse opulence des arbres fruitiers, les poiriers lourds, les pêchers roses, les
pesants espaliers de pampres, toute la [ratche
gloire des vergers.
La voilure s'engagea clans l'avenue montante qui
conduisait au château et Viviane aJmirait, se loul"-
�LE MARI DE VIVIANE
41
nant de droite et de gauche pour voir les chambres
de verdure ou les chauds massifs de sapins qui
cernaient la route.
Enfin la voiture tourna devant le château et
Mme d'Yrgil, sur le perron soutenu par des
colonnes, les accueillit en souriant.
- Ah! que c'est joli, ici! dit spontanément 1.1
jeune fille.
- Entrez vous reposer, dit la douairière.
Après le soleil du trajet c'était exquis de pénétrer
dans l'ombre cie ce hall, très haut, autour duquel
les étages supérieurs couraient en galerie. Et, sur
les murs, baignant dans la pénombre dorée, des
tableaux élégants et soyeux, non pas les pastels
Louis XVI dont Viviane avait déjà vu des collections dans d'autres demeures, mais une série de
Winterhalter, le peintre des crinolines et des
amples robes, des bandeaux lisses et brillants
au-dessus de visages d'une incroyable finesse de
traits. En pénétrant dans le salon elle tressaillit
en apercevant, il droite, occupant tout un panneau,
un portrait en pied d'Olivier, en costume de
chasse, un lévrie.r assis près de lui, aussi racés
et fiers l'un que l'autre.
- C'est lui 1 dit-elle furtivement.
Mais elle se lut, confuse de sa spontanéité et,
lout en regardant par la baie le paysage aux lointains bleu tés disposés, eCtt-on di t, pour le plaisir
cie ycux, elle jelait parfois un coup d'ccii au
portrait qui, du restc, semblait, où qu'elle se plaçât,
fixer sur elle ses yeux noirs, doux et sérieux à la
fois.
Tandis qu'elle quittait le château pour visiter le
jardin, Mme Frémière, en arrière avec la comtesse,
lui dit que Viviane connaissait le jeune homme,
l'ayant aperçu deux ans plus tôt aux Courses du
Puy. La douairière se promit de proG 1er de ce
rcnseignemen l.
�{2
LE MARI DE ,VIVIANE
De pelouse en pelouse, les trois femmes venaient
J'atteindre une éminence, à pic au-dessus de la
route et commandant un cirque de montagnes,
feuillues ou sèches, amplement arrondies ou
abruptes comme les pics pyrénéens. Viviane
demeurai t immobile, rose telle une églantine sous
sa grande capeline. Mme d'Yrgil contempla sa
grâce printanière et, enfin:
- C'est ici le point du ·parc préféré par Olivier,
dit-elle à Mme Frémière. Que de fois, d'en bas,
en escaladant les rocs, il est monté jusqu'ici! Ai-je
assez tremblé pour lui! Puis, je me suis aguerrie.
En Europe, il passe son temps à gravir des montagnes hostiles; loin d'ici il souŒre la soif dans le
désert, il rêve de gagner de nOt! velles colonies à la
France. C'est un casse-cou enün !
- Non, madame, c'est un grand patriote! dit
Mme Frémière sincèrement.
Mlle d'Artenay hocha légèrement la tête comIlle
pour approuver sa tutrice. Elle écoutait, très intéressée, les yeux vifs. Cela lui semblait admirable
ce jeune homme qui, riche, soufTrait et pâtissait
pour gagner des colonies à la :ijrance. Et, tandis
que Mme d'Yrgil, d'un air négligent, et sans
regarder une seule fois la jeune fille, continuait
J'exalter son petit-fils, Viviane revoyait l'altière
silhouette du gagnant llu Puy, puis le portrait du
salon, le beau visage ovale, coupé par une fine
moustache noire.
- S'il était un peu plus prudent, je serais tranquille, acheva la comtesse, mais ilestdeceuxqui ont:
Vtlme d'airain pareille à la Victoire antique ...
comme dirait Mme Odette de Comminges, notre
poétesse nationale. La connaissez-volis? demandaI-elle à la jeune fille.
- Oui, madame, répondit Viviane, j'ai lu d'elle:
Le ParJum des Jours.
�LE MARI DE VIVIANE
43
Alors la comtessc, voulant savoir si, par delà cc
front clair et ces yeux profonds, ne se cachait
qu'un cerveau de poupée, interrogea:
- Et que pensez-vous de ce style si abondant?
Mlle d'Artenay rougit légèrement, paraissant
gênée il la pensée de donner son avis, puis répondit
franchement:
- Madame, j'ai l'impression d'un coloris éclatant, des trouvailles ( à la Titien » sur un dessin
imparfail. ..
La comtesse tressaillit, frappée par la justesse
de l'appréciation qui résumait si bien ce style aux
métaphores splendides... et souvent inexactes.
Elle reprit en souriant:
- Elle a ciselé des sonnets incomparables sur
l'Italie, c'est la meilleure partie de son œuvre.
Sans doute, comme tou tes les jeunes filles, rêvez"ous de V cnise, Florence, Rome '?
- Oh ! Venise, Florence, Rome, reprit la jeune
fille, me tentent moins que les petites villes ignorées ... Il me semble que toutes les émotions
doivent ètre cataloguées pour les cités célèbres et
que le guide doit indiquer: {( Devant telle statue:
trois battements de cœur. Devant ce tableau: ulle
lanne est d'usage! 1) Non, acheva-t-elle en riant,
je préférerais San Gimignano et ses tours, Amalfi
et la Sicile qui me fait l'eITet d'une corbeille de
frui ts d'or!
Elle se tut brusquement, positivement confuse
d'avoir tant parlé d'elle. Mme d'Yrgil souriait
toujours. Quelle délicieuse hôtesse pourrait faire
cette adolescente qui, lorsqu'elle sortait de sa timidité, manifestait l'esprit le plus original, retenu
par un goüt délicat. Elle s'apparentait il ulle
Catherine de Vivonne ct, renseignée, sans poursuivre l'entretien sur ce sujet, Mme d'Y rgil reprit:
- Mon petit-fils a, comme vous, une préférence
pOur les sites inconnus, mais il n'est cie périls qu'il
�44
LE MARI DE VIVIANE
n'affronte! Il est de ceux qui trouvent la terre trop
petite pour eux. S'il y avait encore un continent il
découvrir, certajnement il y parviendrait. Mais,
que de dangers le guettent! Les indigènes, les
fauves, les fièvres! Je me l'imagine toujours,
étendu sur uu misérable lit de camp, malade et
seul. EnGn, ne parlons plus de toui cela, allons
goûter.
Elles revlnrent vers le château. Viviane ne parIait pas, se représentant involontairemenlle jeune
héros brûlé de fièvre, délirant, el son cœur
s'émouvait. N'avait-il personne pour le soigner
dans un tel cas? elle n'osait le demander. Mais,
on longeait un « court» cie tennis et Mme d'Yrgil
lui dit:
- Ah! si mon peti t-fi Is étai t ici, il vous ferai 1
jouer au tennis . Car, ajouta-t-elle, ~e souvenant de
la requête d'Olivier et voulant maintenant éclaircir
le côté sportif, vous devez adorer les sports?
- Mon Dieu, madame ...
- Ne jouez-vous pas au tennis? demanda
Mme d'Y rgil.
- Non, madame, dit la jeune fille, je ne joue
jamais!
- Comment! s'écria la comtesse avec une désolation comique, vous n'êtes pas forte au tennis! 11
n'yen a donc pas au pensionnat?
- J'en avais fait installer un, dit Mme Frémière, mais, toujours, 00 envoyait les balles hors
de la terrasse; elles tombaien t dans les champs,
trente mètres plus bas, et il devenait difficile de
les ravoir. On a donc su pprimé Je tCDlIis.
- Jc joue très bien au croquet, dit Vi"iane.
- Ah! le croquet! fit Mme d'Yrgil en faisant
la mouc. Evidemment, le croquct ne représente
pas un sport tumultueux; il n'enlralnc pas à escalader l'Himalaya ou à franchir le pôle.
Elle demanùa :
�LE MARI DE VIVIANE
45
- Et la marche, êtes-vous bonne marcheuse?
- Je fais vingt-cinq kilomètres sans me
plaindre, répondit Mlle d'Artenay.
- Vraiment? vingt-cinq ki lomètres! c'est admirable, s'écria Mme d'Y rgil ravie et émerveillée,
car elle avait toujours marché ... en voiture .
. Puis, d'un air spontané, la comtesse ajouta:
- Eh bien! c'est curieux, Olivier J'avait deviné
en vous voyant circuler, il y a deux ans, au Puy,
le jour des courses. Je l'entends encore me dire:
{( Voici une personne qui doit avoir beaucoup d'endurance à la marche. )l
L'effet fut immédiat. Viviane palpita.
- M. d'Y rgil m'a."
Elle n'osait dire : « Il m'a remarquée à ce point )),
mais ses yeux se posèrent dans une interrogation
ardente sur Mme d'Y rgi\. Cependant, celle-ci
estimait avoir suffisamment stimulé la curiosité
de~
la jeune fille et, sans répondre à sa muette
question, lui dit:
- Regardez donc cette curieuse photographie,
qu'Olivier vient de m'envoyer.
Cela représentait la Fero Tree Valley, une
dépression aux environs de Melbourne toute
jonchée de fougères arboresccn ks. Au premier
plan, dcvant un groupe d'indigènes, se tenait
Olivier lui-même, élancé et mâle,
- Il faut rentrer. la journée s'avance, dit
Mme Frémière en sc levant.
Mmc d'Yrgil repoussa la photo que lui tcndait
Viviane:
- Si yous la trouvez curieuse, gardez-la. J'ai
ici des milliers dc vues du même genre. Vous montrerez ce paysage à vos amis.
Et la jeune fille, très troublée, rangea soigneusement dans son sac le portrait du jeune homme .
.Elle ne parla guère pendant I~ retour: Mme Frémlère ne J'interrogea pas. MaiS, à pell1e rentrée
�LE MARI DE VIVIANE
au pensionnat, Gabrielle Mairet, une grande fille
hardie avec qui Viviane n'avait jamais pu se lier,
lui dit à brûle-pourpoint devant ses compagnes:
- Vous êtes allée à Pont-sur-Loire, cette aprè~
midi?
- Mais qui vous a dit? ... interrogea Mlle cl' Artenay en fronçant les sourcils.
.
- Le bel Olivier est donc de retour en France'?
interrogea effrontément Gabrielle.
- Non, et je ne crois pas qu'il en soit question,
répondit Viviane.
- Ah! je pensais que l'on vous avait invitée
pour vous présenter à ce fier explorateur. Nous
espérions déjà aller prochainement à un mariage.
Viviane tressaillit et pâlit légèrement. La brutalité verbale de Mlle Mairet la blessait toujours.
Elle ripusta :
- Il ne s'agit pas de cela, je ne comprends pas
vos insinuations.
- C'est si drôle, cette subite passion de
Mme cl'Yrgil pour vous, que nous pensions ...
Viviane eut un geste de vive dénégation et tourna
les talons. Les paroles de Mlle Mairet la troublaient. Elle, épouser M. d'Yrgil? C'était insensé.
Il devait avoir le choix. Elle tira la photographie
de son sac et examina attentivement le jeune
homme, son front découvert par les cheveux
rejetés en arrière, les yeux d'intelligence et la
bouche dédaigneuse. Oui, il était bien. Cependant
elle ne devait pas penser à lui.
Sans fortune, elle n'ignorait pas que cela fùt
un obstacle pour un mariage. Brusquement, une
panique s'empara d'elle: Mme d'Yrgil, la croyant
dotée, pensait-elle vraiment à elle pour son pelitfils? Mme Frémière devrait bien la prévenir. En
tout cas, tout cela était absurde, Mlle Mairet avait
eu [O l:t de lui g<lLer ainsi sa journée el Viviane se
pronut de ne plus retourner à Roche-YrgiJ.
�LE MARI DE VIVIANl.
47
Et, pourtant, huit jours plus tard, elle y retourna
sans protester, attirée par un charme învincible
et, malgré toutes ses résolutions, dès son entrée
dans le salon, ses yeux se tournèrent vers le portrait d'Olivier. ..
Mme d'Y rgill' embrassa et, bientôt, parIa de son
petit-fils. Viviane écoutait, souhaitant plus de
détails encore sur ce jeune homme qui la connaissait bien plus qu'elle ne l'avait supposé ...
Mais oui, elle ne rêvait pas, la comtesse disait:
- Dans sa dernière lettre, Olivier me demandait encore de vos nouvelles, car il n'a jamais
oublié la blonde jeune fille vue au Puy le jour des
courses.
Puis, se rappelant ce que lui avait raconté
Mme Frémière, elle ajouta:
- Qu'est-ce donc que cet œillet aurore ql1]il a
toujours gardé, dit-il, et dont il me parle cette
fois-ci '?
Viviane se troubla. L'œillet aurore! il se le rappelait! cet incident availdonc vécu dans sa pensée
comme il s'était, à jamais, ftxé dans sa propre
mémoire? Sans attendre sa réponse, la douairière
poursuivit:
- Olivier s'inquiète très souvent de ce que
vous devenez, si vous avez de nombreux soupirants. Je ne vous aurais pas dit cela plus tôt, Cal"
vous étiez encore bien jeune, mais, maintenant,
vous êtes une jeune fille, une femme demain . Du
reste, à votre âge, j'étais mariée.
Et, eu riant, elle ajouta:
- Je suis persuadée que vous feriez une délicieuse chtltclaine, mon enfant!
Viviane devint très pâle et la tète lui tourna.
Mme d'Yrgil, sans avoir l'air de S>en apercevoir, se
mit à parler des diO'érenles stalions thermales de
l'Auvergne, mais elle guettait la jeune fille et son
trouble la renseignait. Mlle d] Artenay songeait:
•
�LE MARI DE VIVIANE
« Je dois rê\'er ... et, pourtant? Penserait-elle
vraiment à moi pour Olivier? Hélas, je n'ai pas de
fortune, madame, ne me parlez pas ainsi, car si,
apprenant ma situation, vous vous retiriez, je perdrais le courage de vivre! »
Elle se déballait dans une angoisse délicieuse.
Depuis sa première visite à Roche-Yrgil, la
pensée du jeune homme ne Lt quittait pas. Elle le
revoyait toujours aux courses, campé sur son
a1ezan vif. Ou bien au thé de la Régence, disant
galamment en acceptant l'œillet aurore: « Je suis
un heureux mortel puisque les Grâces me fleurissent. »
Toute celte journée-là elle soulIrit et fut presque soulagée quand elle quittcl Roche-Yrgil.
Mais, en rentrant au pensionnat, Mme Frémière l'entralna ùans son cabinet de travail et,
posant se;; mains sur les épaules de Viviane, elle
lui dit, émue:
- Mon enfant, j'ai à vous parler très sérieusement de la part de Mme d'Yrgil.
Et Viviane apprit, tandis que la nuit d'été tombait autour d'elle comme une pluie de parfums,
qu'Olivier l'aimait ... depuis deux ans ... et désirait
en faire sa femme.
Elle! Lui! Moment radieux qui l'inonda d'une
félicité sans bornes. Quoi, ensevelie au fond d'un
pensionnat de province, voici qu'un homme séduisant, fier, courageux, digne d'épouser la plus charmante des héri tières, la recherchai t et de si loi n
écrivait pour demander ~a main! Alors qu'elle se
croyait seule sur terre, là-bas, aux antipodes de
l'univers, quelqu'un pensait tendrement à elle l
C'était le prince charmant des légenJes à qui le
don de son eœur et de sa jeunesse était bien peu de
chose à o!Trir ...
Ce fervellt amour émut Mme Frémière el la
douairière pleura de joie. Savoir que son petit-fils
�LE MARI DE VIVIANE
49
serait 'adoré la combla it de bonheu r. Comm e elle
allait g<ller Viviane ! Et la jeune fille radieus e, sClre
de Famou r d'Olivi er, marcha it confian te vers
('avenir ...
IV
Le bonheur des uns ...
Le bonheu r de Viviane occupa it la ville entière .
Dans toutes les familles où des jeunes filles
souhait aient à la fois l'amou r et la fortune , où les
parents regarda ient avec des yeux rapaces tout
homme suscept ible de donner à leurs enfants la
situatio n qu'ils rêvaien t pour elles en secret, la
nouvelle parut comme un brillant météor e et les
éblouit .
Et, selon la bonté des cœurs ou la force des
ambitio ns, elle suscita des commé rages passion nés.
Quoi! ce comte d'YrgiJ, le petit-fils de la plus
grande proprié taire cl u pays, se décidai t à se
marier ct qui épousa it-il? une person ne sans forlune destiné e au couven t, qui, sans doute, eût
mêmé accepté celle éventua lité et qui tout d'un
coup se trouvai t arraché e à cet avenir, couron née
par la richess e et l'amou r .
Mais, une constat ation abaissa it ce premie r sursaut cle surpris e: J'élue était belle et peu de mères
pouvaien t penser en regarda ntleul" fille:
- Mon enfant était mieux qu'elle ... et il ne l'a
pas remarq uée 1
Enfin, la poésie de cet amoul" qui disting uait
celle Viviane hier encore inconn ue charma it involontair ement et l'on se répétai t, dans les réunion s
élégant es où se font et se défont les réputa tions:
- Quelle cbance elle a, celle Mlle d'Arten ay!
Et nul en eOet ne pouvai t contest er cela.
�5°
LE MARI DE VIVIANE
EUe aura tout, disaient ses compagnes, en
mêlant un soupir à leur sourire, elle ama le parfait bonheur!
- Oh! le parfait bonheur, niaient certail'les
autres, cela n'est pas sûr! S'entendront-ils?
- Elle est si séduisante!
- C'est bien romanesque, ce mariage, disaient
de vieilles personnes d'un ton presque scandalisé,
et le romanesque est bien rarement un gage de
félicité!
- Oui, passée la lune de miel, que deviendra ce
bel amour?
- Il Y a des bonheurs intenses et fugitifs: j'ai
l'impression que celui de Mlle d'Artenay sera de
ceux-là!
- Je ne le crois pas, disaient d'autres, elle
saura changer en une tendre amitié la grande
flamme du début.
Et personne n'admettait, ne pouvait deviner que
ce « bel amour » ne fût qu'une fable. Cependant,
lors d'un thé, Gabrielle Mairet dit un jour, en
montrant dans un éclat de rire bref ses jolies
dents aiguës de louve;
- Etes-vous sûres, mesdames, qu'il l'aime
encore?
Et comme 'on se récriait, surpris, elle ajouta;
- Il tarde beaucoup à revenir en tout cas pour
un fiancé pressé! Peut-être en cours de route a-t-il
rencontré quelque autre personne qui cherche
avec succès à le retenir et regrette-t-il sa décision?
Ces paroles soulevèrent l'audi toi re de curiosi té ...
Le roman sentimental se rehaussait, il était ùu
reste notoire qu'Olivier prolongeait indéfiniment
ses escales.
- Savez-vous quelque chose? que vous a-t-oo
dit?
Mais en vérité Mlle Mairet ne savait rieu d'autre
�LE MARI DE VIVIANE
que ceci: Olivier d'Yrgil allongeait son voyage ...
N'était -ce pas suffisa nt?
- Il ne sera peut-êt re pas de longue durée, ce
men'ei lleux bonheu r! soupira quelqu 'un.
- Il Y en a qui ne durent qu'un jour! dit la voix
grave d'une douairi ère.
Mais, l'impre ssion produi te par ces paroles ne
dura pas. La destinée de Mlle d'Arten ay, le luxe
qui comme nçait à l'entou rer comme une marée
mon tan te de choses mm nées, émerveillai tel,
quand elle passait dans l'autom obile de Mme d'Yrgit, suivant les rues mornes du Puy, on soulevait
les rideaux de tulle des fenêtres et les jeunes filles,
en se mordan t un peu les lèvres, enviaient son sort
et rêvaient au bonheu r de Viviane ...
Et cepend ant, bien qu'elle fû t déjà fiancée depuis
quinze jours, ses cousins Marly n'étaien t pas au
couran t! Au momen t de les préven ir, une sorte
de gêne s'était emparé e d'elle. Elle devinait que
cette nouvelle apporte rait un chagrin à Ussac et
elle reculait devant la nécessité de contris ter ses
cousins. Elle décida de leur annonc er cela de vive
voix, car, vivant très enferm és, sans châtelain
dans le voisinage pour les renseig ner, ils ignoraient toul en elfet et l'attend aient ce jour-là.
Le docteu r ayant appuyé sur un bouton , une
porte s'ouvri t et ;
- Monsie ur m'a sonné? deman da le domestique en entrant dans la biblioth èque du chateau
d'Ussac.
- Oui, répond it M. Marty. Je voulais vous
deman der si on a trouvé des fraises des bois pour
le goûter ?
- Oui, monsie ur, il y en a un plein panier ; la
fermière a apporté :ll'tssi de la crème. La cuisinière
prépare des gâteaux . .
- C'est bien. Dites à Marie de servir le toul à
q ualre heu res el demie.
�LE MARI DE VIVIANE
Le domestique se retira et M. Marly, jetant un
regard sur la pendule, murmura:
- Deux heures ... Viviane et son institutrice ne
vont pas tarder à arriver.
- Peut-être n'est-elle pas pressée d'être ici ...
dit Daniel qui, installé devant la verrière de la
bibliothèque, faisait de l'aquarelle.
_ Pourquoi dis-iu cela? interrogea M. Marty
en regardant affectueusement son fils qui continuait de travailler, la tète penchée.
- Viviane doit être reçue dans des endroits
plus séduisants qu'Ussac.
- Corbleu! s'exclama M. Marty. Certes, Ussac
est sombre comme un donjon féodal, mais je
trouve que cela ne manque pas d'allure et je suis
persuadé que la jeune cousine est de mon avis.
Rappelle-toi comme, lorsqu'eUe était enfant, elle
aimait venir ici. Vous comiez comme des lévriers
dans les corridors.
- Les temps ont bien changé ... Ma cousine
saurait toujours s'élancer sans doute, mais moi ...
- Pourquoi dis-tu cela? interrompit tristement
le père en allant s'asseoir près de son fils. Pourquoi toujours songer il. ton accident? Et d'ailleurs,
cela ne se voit pas tant que cela, elle-même te l'a
di t l'au tre jour.
Simple formule de politesse! répondit
Daniel, et, dans son visage pâle, ses yeux bleus
s'emplissaient d'ombre. Puis, se levant brusquement, le jeune homme ajouta:
- Je vai~
sortir. Oui, il est inutile que Vi\i:1l1e
me trouve ici. Tu lui diras que ... j'avais affaire.
- Comment! tu veux ,f sortir? c'est inimal,ri<
nable 1 que pensera ta cousine en ne voyant pas
Son camarade d'enfance '1
- Jus(ement elle n'a pas besoin de voir en moi
un ,( camarade n, car moi je ne puis la considérer
co'ume une camarade!
�LE MARI DE VIVIANE
53
M. Marty saisit les mains de son fils et l'attirant
près de lui:
- Daniel, tu l'aimes, n'est-ce pas?
Le jeune homme fronça les sourcils, rejetant sa
tête en arrière comme si un aveu était une torture
pour lui . Le père poursuivit doucement:
- Je l'ai toujours su, et pouf'1uoi Viviane ne te
rendrait-elle pas cette tendresse? qui sait si vous
n'êtes pas faits l'un pour j'autre?
- Viviane doit être très recherchée, murmura
Daniel.
Cependant, quand nous sommes allés la
voir au pensionnat, Mme Prémière ne nous a pas
caché ,que sa pupille était toujours libre ... Alors,
pourqi
~ ne
parlerais-tu pas à Vi"i ane? qui sail si,
déjà, elle n'a pas songé à toi! son existence de pensionnaire doit commencer à lui sembler vide et je
crois que la perspective d'en sortir, surtout en
L'épousant, lui serait très agréable.
- Vraiment, père, tu crois ql1'elleaccepterait .. .
un boite ux?
- Mais, qu'as-tu donc à me parler toujours de
cela? D'abord quand tu es assis ça ne se voit pas!
Et puis tu as ton intelligence, et même ton visage.
Une jeune fille, quoi gu'on en dise, n'est jamais
indifférente au pllysique d'un fiancé . Eh bien! jJ
serait fort qu'elle ne te trouvât pas bien !
Et le bon M. Marty s'emballait, devenu cramoisi; mais Daniel sourit mélancoliquement:
- Cher père, dit-il, tu me vois à la fois avec
les yeux de la plus tendre des mamans que tu fus
pour moi et avec la partialité d'un ami . Car tu es
1110n meilleur, mon unique ami. Nous avons toujours vécu ensemble CODlme peu de pères et de fils
le fon 1. Aussi, je le répète, ton jngement est alTrellsement partial. Cependant, je veux espérer. Si
belle que soit Vi viane, elle n'a pas de fortune ct
peut manquer de prétendants . Moi, à défaut de
�LE MARI DE VIVIANE
54
titre nobiliaire, je possède des propriétés dont elle
serait la souveraine ...
- Une souveraine délicieuse, affirma M. Marty.
Mais j'entends la cloche de la porte d'entrée. Sans
doute qu'elles arrivent. J'ai bon espoir, moi, que
la petite cousine accepte tes hommages. A toi de
savoir choisir des termes captivants 1 N'a-t-elle
pas dit, du reste, qu'elle partirait volontiers pour
Jérusalem avec nous?
Et les deux hommes sortirent de la sombre
hibliothèque.
Le château d'Ussac, ancien pavillon de chasse
Jépendant du vaste domaine féodal de Polignac,
aujourd'hui en ruines, avait l'aspect sévère des
bâtiments de celte époque qui, même quand ils
étaient réputés « lieux de p1aisance ll, étaient cependant flanqués de tours, de bastions, d'échauguettes... Des douves profondes entouraient le
parc, mais sur les vieilles pierres de la demeure,
la vigne vierge avait étalé sa frissonnant@ fourrure
de feuilles vert tendre.
Une voiture s'engageait entre les platanes de
l'allée centrale et s'arrêtai t devant le perron où
Marty et son fils attendaient les voyageuses.
- Mon cousin! s'écria Viviane en sautant sur
le sol sans attendre l'aide de Daniel, comme je suis
heureuse de revoir Ussac! II me semble que je
rajeunis!
- Oh! dit M. Marty, VOLIS n'êtes pas encore
à l'âge où l'on s'attenùrit Sur les souvenirs d'enfance. Pour "OllS l'avenir doit sembler tellement
pl us beau que le passé!
- L'avenir! dit-elle, en devenant pourpre,
oui, certes, l'avenir est parfois enchanteur ...
Elle s'asseyait dans un fauteuil d'osier, devenue
:; ~bileD1nt
pensive et agitée à la fois eomme si les
Simples mols de M. Marty l'eussent troublée.
Daniel disait:
�LE MARI DE VIVIANE
55
- Bien que venue en voiture, ,ous êtes pelltêtre un peu lasse '!
- Moi? oh ! je ne suis jamais fatiguée, répliqua
la jeune fille. Mais Mlle Cordier, qui m'accompagne, a souffert du soleil pendant le trajet. Ah!
voici le vieux Vincent qui apporte des rafraJchissements. Reprenez courage, chère mademoiselle ..
Le domestique, grave comme un prophète, déposa le plateau sur la table; Mlle d'Artenay sourit.
- Vous ne me reconnaissez donc pas, Vincent?
quand j'étais fillette et que je venais ici, vous m'installiez des balançoires dans les arbres.
- Oh! ie me (1 remets» très bien mademoiselle, mais ' mademoiselle est tellement embellie!
répondit le serviteur avec un regard extasié.
La jeune fille se mit à rire. Elle regarda autour
d'elle et murmura:
- Cher vieil Ussa.c, !il ne change pas, lui, et à
chaque printemps il a toujours la même housse de
jeune vigne vierge!
- Oui, il ne change pas, dit Daniel, mais il n'a
pas comme vous l'avantage de pouvoir embellir.
Mlle d'Artenay ne parut pas enlendre le madrigal. Elle ne semblait pas pressée c\e revisiter
les lieux de ses vacances d'enfant et demeurait enfoncée dans le rocking-chair, le regard perdu, les
lèvres légèrement entrouvertes snr les petites
dents lumineuses.
- A quoi rêvez-vous? demanda gaiement
M. Marty.
- Je respire, je vis, j'attends l'avenir, réponditelle en se trollblant un peu.
M. Marty échangea un coup d'œil avec son fils.
lJ -r:'y avait pas une demi-heure que la jeune fille
étaIt là et il semblait aux deux hommes qu'un
grand changement s'était opéré en elle. Ce n'était
plus la Viviane qu'ils avaient vue au pensionnat
quelque temps plus tôt, lors de leur retour d'Asie.
�LE MARI DE VIVIANE
Qu'est-ce qui métam.orphosait ainsi la jeune fille?
Ils la regardaient attentivement.
Sur son mobile visage un enchantement était
passé qui donnait une profondeur mystérieuse
à ses yeux ... De temps en temps, une béatitude
semblait planer sur son front et, pendant ces
éclairs fugitifs, on croyait voir, par delà la toute
jeune fille qu'elle était encore, la créature enchanteresse qu'elle serait dans quelques années quand
le charme de la femme s'ajouterait à sa beauté.
M. Marty songeait alors: « Est-ce de venir ici
qui l'embellit ainsi, sans doute aime-l-elle mon
fils. » Cela semblait tout naturel à ce père passionné qui adorait Daniel. Le jeune homme luimême, en examinant Viviane, espérait trouver
dans son expression rêveuse la preuve Je la ten"'
dresse de Mlle d'Artenay pour lui .
Oui, c'était la tendresse qui posait ainsi sa lumineuse couronne sur celte tête adolescente, mais
les cieux hommes ne se cloutaient pas qui en était
l'objet.
En effet, depuis le soir où, bouleversée, Viviane
avai t, par delà les continents et les mers, tendu sa
main confiante à Olivier, son amour pour lui avait
grandi. Dans un enthousiasme ingénu elle rêvait
dc donner sa vie pour lui. NOIl, elle n'était plus
orpheline et, depuis quelques semaines, sa vie
était un conte de fée, si inattendu, si enivrant,
qu'un philosophe eût tremblé ... car tanl de bonheur est souvent une sorte de coupe dorée oLTerte
avant l'épreuve ...
Mais, uul philosophe ne connaissait Mlle d'Artenay; nul magicien ne pouvaillui faire voir, à travers la distance, Olivier, sombre et contraint,
revenant en France en maudissant le destin, et
Viv~ne,
par ce bel après-midi en visite chez ses
':OUSlllS, souriait, un peu gé!née pourtant. Soigneusement, (out en parlant, elle roulait son écharpe
�LE MARI DE VIVIANE
5'i
autour de sa main gauche afin qu'on ne vit pas
tau t de sui te le d iaman t de sa bague de fiançailles.
- Mon cousin, dit-elle pendant une pause où
sa gêne augmentait, vous m'avez promis de me
montrer vos croquis d'Orient, je suis très curieuse
de les voir.
Daniel alla les chercher, passant derrière le fauteuil de Viviane afin qu'elle ne le vit pas marche!'
- sa claudication était pour lui une perpétuelle
souffrance morale, surtout devant cette adolescente - et, bientôt, il revint un carlon sous le
bras.
Alors elle s'extasia, prise à l'enchantement de
ces croquis teintés, qui, bien que succincts, rendaient le style rugueux des terres judaïques e'
syriaques. Le temps passait, on servit le goûtel
dans la salle à manger féodale, [ralche comme un
souterrain, et l'on revenait SUI' b terrasse quand
M. Marty dit à Mlle Cordier:
- Regardez donc, il y a ici une antique inscriplion sur le mur ...
Et, laissant les deux cousins ensemble, il allait
s'éloigner l1e quelques pas quand Viviane le retint
doucement:
- Mon cousin, je voudrais vous parler. ..
Son ton était un peu mystérieux et Daniel, le
CCCur battant sans s'expliquer pourquoi, sc pencha
Sur ses esquisses pour se donner une contenance.
- J'ai une tres grande nou velle à vous apprendre, commença la jeune fille. Mais, d'abord,
connaissez-vous la comtesse d'Y rgil ?
- De nom. Je sais qu'elle habite à Pont-surLoire.
Daniel, penché sur l'esquisse, . ne bougeai t pas
el Son immobilité même rassura Viviane qui poursuivit:
- Elle a un petit-fils, oui, un jeune homme de
vingt-six ans qui est explorateur.
�LE MARI DE VIVIANE
Elle s'arrêta. Daniel, toujours incliné, demeurait immobile. Pas un muscle de son visage ne
tressaillait. Il devait comprendre cependant. Eh
bien, pensa-t-elle, elle s'étai t trompée, son cousin
ne l'aimait pas et, dans la bonté de son cœur dénué
de coquetterie, Viviane en éprouva un véritable
soulagement. Alors elle reprit plus vite:
- Le comte Olivier d'Yrgil m'avait remarquée
il ya deux ans au Puy et il vient de demander ma
main .. . J'ai accepté avec l'approbation de mes
tuteurs et je suis fiancée. Je me marierai les premiers jours d'octobre prochain ...
Elle tendait sa main où irradiait le diamant des
Gançailles. M. Marty, maître de lui, disait, devenu
un peu pâle :
- Je croyais que ce jeune homme était en
Océanie ... qu'il faisait partie d'une prochaine ex'Jédition polaire?
- 11 Y a renoncé pour moi, répondit ingénu.nen t la jeune fi Ile.
- Ma chère enfant, si vous avez accepté la
Jemande de M. d'Yrgil, c'est que vous l'aimez
;ans doute?
- Il m'est très cher, dit-elle avec une voix ca'-essante, et toute la lumière de cc beau jour sembla
3e concentrer sur son front clair. Puis, gênée de
sa spontanéité même, elle baissa la tête.
- Eh bien, laissez-moi vous féliciter et vous
embrasser.
- Et moi aussi je vous félicite, ma chère COtlgine, dit Daniel d'un ton calme en s'approchant
d'elle . Je suis très heureux de votre bonheur.
Et Viviane, lui tendant les mains, s'écria, candide:
- Ah! Comme je suis contenle que cela vous
fasse plaisir!
Il n'était plus question d'aller à Jérusalem, au
l ispensairc, avec Zulimé Callistian, une autre
\cstinéc l'appelait!
•
�LE MARI DE VIVIANE
59
Quelqu es instant s plus tard. la voiture reparta it
vers le Puy, emport ant Mlle d'Arten ay et l'institu trice, et, quand la porte du domaine d'Ussac se fut
referm ée, Marty, se tournan t vers son fils, debout ,
accoté au chamb ranle d'une fenêtre, lui dit simplemen t:
- Tu es un homme , Daniel. J'en connais peu
qui auraien t eu ta force.
Daniel secoua la tête. On eM dit qu'il n'avait
plus le courag e de pronon cer une parole et qu'il
avait usé toute son énergie à l'effort doulou reux
de parailre insensible devant le bonheu r de Viviane.
- Mon enfant, murmu ra M. Marty boul eyersé
par l'expre ssion déchira nte de son fils, ne te désespère pas; voyons, ce mariag e n'est pas encore
fait. Tu as toute la vie devant toi.
-Oui, pour la regrett er! murmu ra amèrem ent
le jeune homme .
- Non, pour espérer . Souven t ceux qui paraissent à jamais séparés sont réunis. Qui sait! Crois
en ton avenir.
- Mon avenir, dit sourde ment le jeune homme ,
le voici: je fonderai une léprose rie à Jérusal em, je
ferai un peu de bien pour oublier le mal que la
vie me fait!
- Voyons, tu ne veux pas partir mainte nant?
s'écria le père.
- Si, tout de suite. Je ne veux pas voir ce
mariage!
- Non, Daniel, ne pars pas. Qui sait si elle serr.
heureuse en ménage. Elle conna!t bien peu 5011
fiancé. Peut-êt re, un jour, aura-t-elle besoin de loi.
- Tu crois? s'écria Daniel.
Puis, après un momen t de réŒexion, il dit:
- C'est bien. Je restera i.
�LE MARI DE VIVIANE
DEUXIÈME
PA:RTIE
L.A RÉAL.ITÉ
l
Le grand jour.
L'heure sonna à la petite pendule d'émail ancien
et, brusquement, Viviane d'Artenay se redressa
sur son lit eu ouvrant les yeux.
Elle vil aulour d'elle sa chambre blanche de
pensionnaire. Au travers des rideaux de toile
claire, un peu de jour perlait et, saulant sur le
tapis, la jeune fille songea soudain:
- Mon Dieu! quelle heure est-il? aurait-on
oublié de me réveiller!
Elle jeta un regard sur la pendule et sourit,
rassurée: six heures.
Elle s'approcha de la fenêtre, écarla les rideaux.
L'aube incertaine errail dans le ciel el de grandes
vagues roses commençaient de refouler J'amoncellement des vapeurs grises qui suivent la pleine
nuit. La rosée se formail sur les plan les ; les arbres
de la lerrasse :en dessous d'elle étaJaient Jeur
sombre parlerre el les douces montagnes, qui
cernenlle Puy, semblaienl formées par les nuages
tant elles paraissaient légcrcs.
-11 va faire bean, so ngea Viyiane en souriant.
�LE MARI DE VIVIANE
61
Très doucement, elle ouvrit les rideaux pour
mieux voir le cher pays de son enfance, puis, sc
retournant, elle jeta un regard circulaire dans sa
chambre.
C'était une pièce très simple, au petit lit hlanc
comme les murs, mais il semblait qu'une fée passaut là venait de laisser tomber une partie de ses
atours.
Sur des chaises, il y avait des lingeries étalées,
lingeries modernes très sobres et patiemment brodées et rebrodées au chiffre de Viviane d'Yrgil,
surmonté de la couronne. Mille choses vaporeuses,
parfumées. Sur Ulle eoifl'euse SOIl nécessaire de
toilette en ivoire, cadeau récent dont elle allait,
ce matin-là, sc servir pour la première fois. Enfin,
dans un angle, le scintillement virginal cie la robe
de mariée près uu voile en point cl' Angleterre fragile, jauni par le temps el précieux comme un
voile cie déesse.
Viviane, pensive, regardait la l'('oe nuptiale. Le
Grand Jour était donc arrivé. Elle allait engager
sa vic il Oli vier d'Y rgil. Les fiançailles - le meilleur temps de 'a vie, lui avait-on souvent répété pr
c \1~ient
fin .. ,
Etait-ce vraiment le meilleur temps de sa vie? II
lui sen blait que non. Oh! certes, au début, ç'avait
ét6 Un rève radieux, l'étonnement ravi du bonheur
inespéré ... Puis, ç'avai tété l'at tcn te, l'arrivée toujours retardée d'Olivier. Enfin, trois semaines
plus tôt, le jeune homme, ac.:compngnG de sa
granù'mère, s'était fait annoncer au pensionnat.
Viviane revoyait la scène. D'abord, sa propre
émotion, puis son entrée dans Je parloir. Il était
debout près de la fenêtre, très grand, svelte, mieux
encore qu'ene ne l'imaginait, el il lui semblait que
la timidité la renùait toute petite, tout apeurée
devant cet homme à qui elle s'était engagée.
Il fit un pas vers elle et, s'inclinant, baisa sa
�LE :\,fARI DE VIVIANE
main. Alors, en voyant cet homme penché sur ses
doigts, elle reprit confiance et sourit.
Mais lui ne souriait que d'uu air contraint. Il
énuméra les différents contretemps qui avaient
retardé son arrivée. A Colombo, il avait manqué
la correspondance pour l'Europe. Puis, survint une
avarie aux machines, en pleine Mer Rouge, sous
un soleil implacable. A Marseille, on avait parlé
dc les mettre en quarantaine à cause d'un cas de
peste signalé parmi l'équipage. Enfin, il arrivait.
Viviane lui paria des Courses, deux ans plus tôt.
N'était-ce pas là, du reste, qu'il avait remarqué la
jeune fille? Il affirma avec une courtoisie froide
qui démentait ses paroles qu'il conservait un souvenir ému de celle après-midi-là. Mlle d'Artenay,
rose d'émotion, lui rappela les œillets que Marguerite avait pris à son corsage pour en fleurir la boutonnière du jeune homme. Dieu sait qu'Olivier
avait oublié ce geste, mais il sourit, et, voyant Ul1e
tOllffe de pâquerettes à la ceinture de Viviane, il en
prit quelques-unes en disant:
- Cela me reporte il ce jour-là!
Elle le trouvait un peu distant, mais charmanl. ..
Puis il se mit à parler avec Mme Frémière de ses
cxpéditions et, oubliant ce quc représentaient les
fleurs qu'il venait de cueillir il la taille de sa (jan~ée,
il les déchiquetait en parlant, atrnchant machinalement les pétales. Viviane ne se doutait pas que
c'étai t le symbole de son ménage, ces pâq uerelles
candides démantclées par ces doigts nerveux et
indiITérents, ct que c'était son ~mc,
I1eurie d'illusions, qu'ils allaient effeuiller ...
L'cntrevue, en somme, avait été courtc au grand
regret dc Viviane. EJJe ne put cacher sa déceptioll
à Mme Frémière. Mais la directrice protesta. Le
~om(.e,
disait-elle, avait été « ce qu'il devait êtrc » :
Il1fimmcnt respectucux. Il cût été de mauvais goût,
assurait-clic, qu'il fût autrement. Au contraire,
�LE MARI DE VIVIANE
son attitude attestart son attachement profond, un
peu grave.
Viviane fut convaincue. La froideur relative de
. sou fiaucé, pendant les autres visites, lui parut
naturelle et protocolaire. Ce n'était qu'après le
mariage qu'il Bevait se montrer plus tendre et,
impatiemment, elle attendait ce jQur où, enfin,
Olivier la regarderait avec douceur en la serrant
dans ses bras.
En somme, ils s'étaient peu vus, Olivier ayantétd
plusieurs fois à Paris. Il lui avait parlé de ses
voyages et, discrètement interrogé par elle, de ses
projets d'avenir. Il ne s'agissait que de randonnées
extra-européennes. Viviane n'osait lui avouer
qu'ene souhaitait l'accompagner. Cette jeune fille,
confiante dans la vie courante, devenait subitement
timide en présence de ce jeune homme, et elle
levait de beaux yeux craintifs et soumis vers ce
fiancé qui ne la regardait jamais avec abandon ...
Enfin, puisq lie cela devait être ainsi! Elevée eu
pension, Viviane n'avait jamais vu de fiancés
ensemble; elle ignorait quel degré de tendresse
peut exister entre eux et croyait enfin que l'attitude
du comte était motivée par son respect. .. D'ailleurs, tout le monde autour d'elle le trouvait beau,
séduisant, parlait. Il n'y avait rien à dire, mais elle
était heureuse que le jour de son mariage fût enfin
venu.
L'or pâle du matin entrait dans sa chambre, le
soleil jetait des moirures sur le tissu de la robe
nuptiale, on frappa à la porte de la jeune fille.
Elle cria: « Entrez. » Une femme de chambre
parut, bientôt suivie de Jeanne PIère et de Marguerite de Val mont, la meilleure amie de Viviane.
- Chérie, nous venons aider à vous habiller,
s'écria Marguerite en embrassant SOIl amie. C'est
moi qui vous mettrai votre voile, on dit que cela
porte bonheur et qu'on se marie dans l'année.
�LE MARI DE VIVIANE
Mlle d'Artenay sourit tandis que Marguerite lui
chuchotait à l'oreille:
- Pendant la messe, tu demanderas une gràce
pour moi, n'est-ce pas?
- 0 brune Marguerite, répondit Viviane ell
riant, je sais bien ce qu'il faut dem~nr!
- Que j'épouse Paul. Dis bien sonllom surtout,
que le bon Dieu, par distraction, ne me fasse pas
épouser Roger!
Elles s'embrassèrent de nouveau, troublées à la
pensée qu'un jeune homme, presque un inconnu,
allait les séparer bientôt. Viviane sentait combien
elle le chérissait, ce pensionnat claustral, ses maîtresses, es compagnes et, malgré elle, son sourire
était perlé de larmes qui s'arrêtaient au bord des
longs cils.
Pendant qu'elle se préparait, Olivier d'Yrgil
déjeuuait à côté de sa grancl'mère dans la salle à
manger cIe Roche-Yrgil. La douairière, un peu inquiète an fond, examinait Son fils et ce visage hermétique, glacial, la désolait. Ainsi, même la vue de
celte belle jeune fille ne l'avait pas adouci! Il
demeurait aussi hostile qu'au premier jour. Et
elle qui avait tant dit à Viviane qu'il l'aimait,
qu'allait-elle penser? Penùant les fiançailles on
pouvait mellre l'extrême réserve du jeune homme
sur le compte des lisages, maic;, après le mariage?
Mme d'Yrgil commençait à s'effrayer d'avoir tanl
embe11i la vérité et elle ne pouvait pas encore sc
douter ùe Ioules les conséquences que devaient
avoir ses imprudentes affirmations ...
La douairière n'y tint plus et dil soudain:
- Oli\'ier!
. - Que veux-tu, grand'mère? interrogea le
Jcune homme en fixanl sur elle ses yeux sombres.
-:- J'cspère que ce soir, quand ta femme sera ici,
assl.se il ma place et combien plus séduisante qlle
lU 01 , lu auras un visage plus aimahle.
�LE MARI DE VIVIANE
- Je n'ai pas envie d'être aimable, riposta le
Comte en fronçant les sourcils.
- Tu es ridicule, 1110n petit! éclata la douairièr.en froissan t sa servietle. Comment, tu vas épouser
Une jolie femme el tu fais une mine de croque-morl?
ahl ton père n'était pas ainsi, lui!
- Mou père, répliqua Olivier d'une voix subitement tremblante, mon père ne rêvait rien de mieux
dans la vie que le bonheur. Moi, j'ai reçu ce matin
Un sans-fil de mes compagnons de voyage. Ils me
félicitent et pendant qu'ils s'en vont vers la gloire,
qu'ils vont conl1allre des terres que je désirais
visiter par-dessus tout, je me marie, moi, je me
marie avec une jolie femme, c'est entendu, mais
Une femmè que je n'aime pas, que je n'aimerai
jamais!
Il s'étai t levé, sortan t de sa poche le fàcheux
télégramme qui, envoyé d'Ull point de l'océan
antarctique, lui rappelait tous ses rêves détruits.
Mme d'Y rgil baissa la tête et une grosse peine
gonfla son cccu!'. Elle avait tant souhaité Caire le
bonheur des deux jeunes gens! Des larmes emplirent ses paupières. Olivier s'en aperçut.
- Grand'mère, dit-il avec un trouble subit.
- Laisse-moi, dit-elle, trop fière pour pleurer
devant son petit-fils.
Mais il s'était agenouillé devant elle el, prenant
lcsmains de la douairière, il les baisaiten répétant:
- Pardonnez-moi ... non, ne pleurez pas, ne
pleurez pas, cela me fait trop de mal. Tranquillisetoi, tu vois, je me calme, je suis calmé. Ne crains
rien. Tu saisquc je suis un galanl homme; je serai
avec ma fiancée comme il faut que je sois.
11 l'embrassa et Mme d'Yrgil, prompte à l'optimisme, crut tout arrangé.
Mais Olivier avait trop présumé de sa force
cl'àme en promettant d'être aimable. Son hostilité
Contre Mlle d'Artenay était trop vive, il avait trop
j\q.TII
�66
LE MARI DE VIVIANE
de préventions contre elle pour être aimable. Rede"
venu froiù, la bouche amère, les yeux ailleurs, il
se présenta peu après devant Viviane.
La pension possédait une chapelle blanche. Par
les claires verrières, le soleil atténué de cette fin
de saison entrait en torrents d'or et l'orgue versait
dans la nef sa foule de sonorités. Le suisse frappa
le dallage ùe sa canne et un frôlement couru t sur le
tapis.
Viviane cl' Artenay, la plus ancienne pensionnaire, s'avançait en mariée au bras de M. Marty,
son seul parent, qui la conduisait à l'autel.
Son voile cachait son visage pùle et elle crispait
un peu sa main gantée sur le bras de son cousin.
Celle chapelle, elle y avait fait sa première com~
muni on ; les joies candides de sa religieuse enfance
l'avaient eue pour cadre. Elley avait connu de purs
bonheurs, profondément confiants, et voici qu'elle
y venait maintenant, envahie d'une joie craintive ...
Elle s'agenouilla sur le prie-Dieu et regarda
l'autel. Il était fleuri de roses comme le jour de sa
première comlllunion... des buissons de cierges
brasillaient et cette chasu ble du prètre, son confesseur, avait été en partie brodée par elle. Puis, tout
à coup, s'éleva un chœur, Crais comme le jaillissement d'une source: les voix de ses compagnes qui,
depuis quelque temps, en grand secret, avaient
appris des chants nou veau x ...
Olivier s'était agenouillé près d'elle. Priait-il?
elle n'osait le regarder. Mais, voici que le prêtre
s'adressait à eux ct il lui semblait qu'elle allait mal
prononcer le « oui » sacramentel, trop haut ou trop
bas. Très difficile à dire le (( oui », si encore on
ajoutait « mou père », cc serait un point d'appui
pour la voix et cela faciliterait beaucoup ...
L'abbé Hamel interroge le comte d'Yrgil :
•
�LE MARI DE VIVIANE
Consentez-vous à prendre Viviane-ThérèseLouise d'Artenay pour épouse?
- Oui, répondit le jeune homme d'un ton tranquille qui ne décelait pas la plus petite émotion.
Elle aussi acquiesça et, se dégantant, elle tendit sa
main qui tremblait.
Toujours maltre de lui, sans cette gaucherie que
donne parfois le bonheur, Olivier glissa l'anneau
au doigt de la jeune fille, puis, selon le rite, il
garda sa main dans la sienne.
Et illa tenait comme il eClt tenu un objet quelConque, sans valeur ou sans intérêt. A ce moment
solennel, toute jeune fille, émue par le grand engagement qui lie sa vie, aime que son compagnon,
par une tendre pression de main, lui fasse comprendre qu'il sera un protecteur, un ami passionné ... Mais Olivier ne paraissait pas comprendre
le trouble de sa jeune femme et, quand la messe
commença, il demeura debout, regardant droit
devant lui.
Sans doute était-ce encore l'usage ...
Maintenant Viviane se raccrochait éperdument
à cet espoi r. Elle refoulait ses larmes. Enfin, elle
leva les ye ux vers celui qui était désormais son
seigncur et maltre.
Mai s Olivier, grave, très pâle, n'abaissa pas son
regard vers celle qui l'arrachai t à la fiancée que
SOn orgucil avait élue: la Gloire! A cause d'elle, il
ne ferait pas parti des conquérants du Pôle!
Et son front se creusait d'une ride amère que
Viviane ne lui connaissait pas jusqu'alors ...
Quelqu'un dans l'assistance étudiai ( l'attitude du
Comte.
C'était Daniel Marty .
. Puisqu'il avait si bien su cacher son amour à la
Jeune fille, il n'avait pu se dispenser d'assister à
SOn mariage. Lui aussi, comme tout le monde,
�68
LE MARI DE VIVIANE
croyait que, depuis des années, le comte d'Yrgil
soupirait pour Mlle d'Artenay. Stupéfait, il regardait ce jeune homme froid qui jamais ne s'inclinait
vers sa femme. Et Daniel groupait dans sa mémoire
les divers jugements formulés sur Yrgil. On ne
disait de lui que du bien, vaniant ses prouesses
avec Lemarquoy. De tous les compagnons du
grand explorateur, il était celui qui risquait sa vie
avec le plus de mépris. Mais, si dédaigneux de sa
propre existence, que pèserait pour lui le cœur
d'une jeune femme? On lui décernait les épithètes
de fougueux, audacieux, n'avait-il pas les défauts
de ses qualités mêmes? La fougue est souvent de
la violence et l'audace de la dureté. Non, il ne
s'expatrierait pas avant de savoir si Viviane était
heureuse.
La messe était terminée. Dans un brouillard
d'encens, le comte et la comtesse d'Yrgil quittaient
la chapelle. Pendant la réception qui suivit le
lunch, Yrgil se révéla brusquement aimable, brillant, com plimelltant les femmes, sans du reste
s'occuper de la sienne. Mais Viviane ne l'avait
jamais vu aussi enjôleur. ElJe reprit courage.
Pourtant, elle sanglota, éperdue d'une angoisse
inavouée, quand elle dit adieu à Mme Frémière et
qu'elle dut s'en aller vers l'inconnu avec cet Olivier, redevenu taciturne et de qui, malgré elle, elle
avait un peu peur ...
Pourtant, il pouvait être bOll! elle l'avait vu, en
partant, baiser au front sa granù'mère avec une
douceur câline qui l'émut. Sans doute que, bientôt
aussi, il aurait avec clle celte même tendresse
réchaulfant son cœur transi!
Le~
invités se dispersaien t. Mme d'Y rgil prenai t
le SOir même le rapide pour Paris et les jeunes
gens allaient passer quelques jours à Roche-Yrgil
al'ant cie gagner Florence.
�LE MARI DE VIVIANE
Prenez garde, madame, vous allez -{ous faire
prendre la main dans la portière!
C'était SOI1 mari qui la prévenait en s'asseyant
près d'elle, clans la limousine. Vivement elle retira
ses doigts et sourit en ripostant:
- Je suis très étourdie!
- Toutes les femmes le sont un peu, répliqua
Oli\-ier. Voulez-vous que je remonte la glace"?
- Non, je ne crains pas le vent. J'adore même
les tempêtes ...
[[ ne répondit pas. Elle n'osa poursuivre. La
voitu re tra \-ersai t la ville, dépassait les dernières
maisons, s'engageait dans le défilé Ol! seules la
Loire tumultueuse etla route trouvent passage entre
les monts solitaires. Olivier d'abord ne dit rien.
Puis, désignant un barrage qui retenait les eaux
du f1euye, il parla de la houille blanche, des entreprises électriques, des travaux à effectuer. Un vrai
marivaudage, enfin!
Et, toujours ce regard distant! Viviane se sentait
horriblement seule et triste. Par la portière cie l'automobile elle aperçut enfin Roche-Yrgil, sur son
rocher feuillu, et, comme ils ralentissaient pour
pénétrer dans la proprieté, Olivier s'anima soudain:
- Aimez-vous le château? c1emanda-t-il à sa
femme.
- Beaucoup, répondit-elle spontanément.
Et elle sc force à parler des pelouses et du verger
quand elle s'aperçoit qu'il ne J'écoute pas. Alors
elle se lai l, tandis· que l'au tomobile gravit lentement la forle rampe qui, en lacets, atteint le ch(\.teau. Il n'y a pas très longtemps qu'elle venait pour
la première fois dans ce parc, et comme SOI1 CŒur
était léger alors! Puis, la blanche demeure apparaît
avec la frise écarlate de ses géraniums enroulés
autour des balustres du toit. Olivier souriait un
peu, subitement adouci. Enfin, les {( usages Il, ces
�'JO
LE MARI DE VIVIANE
féroces usages allaient être relégués dans le passé.
Il n'était peut-être pas impossible qu'elle trouvât
Je mari, le tendre compagnon promis à son cœur.
Devant le perron, Olivier sauta légèrement à
~ er
et lui tendit la main pour qu'elle descendit.
Puis, il entra dans le hall, cette pièce démesurément haute que les étages supérieurs entouraient
en formant galerie . Tous les tableaux parurent
accueillir ,Viviane d'un sourire: et les grandes
dames de Winterhalter, et les aïeules anglaises,
assez nombreuses, car, en souvenir de leur origine, longtemps les comtes d'Yrgil avaient pris
femme en Angleterre. Olivier désigna les belles
ancêtres empanachées, emperlées, fraiches comme
des gerbes de fleurs, et dit d'un ton mi-aimable,
mi-ironique:
- Il faudra que bientôt votre portrait vienne
prendre sa place dans cette galerie. Mais, laissezmoi vous conduire à votre appartement.
Au premier étage, il ou vri t une porte et, en s'effaçant pour la laisser entrer:
- Me permettez-vous de venir vous chercher
pour le dlner dans une heu re d'ici? demanda-t-il.
- Mais oui, répondit-elle avec un sourire COlltraint.
Il était parti . Elledemeura seu\edans ce boudoir
d'un charme vieillot ct se laissa tomber sur la
chaise longue, accablée par le poids de son cœur.
Comme elle se sentait isolée! Non, elle devait
réagir, refouler ses larmes. Viviane s'en rendait
compte, peu à peu: Olivier n'était certainement
pas aussi épris d'elle qu'on s'était plu à le lui représenter. Peut-être, après l'avoir si expressément
demandée en mariage, avait-il changé d'avis.
Alors, c'était à elle à Je ramener par sa grllce, SOI1
dévouement) son amour.
011 frappa à la porte du boudoir. Le cœur bat.,
tant, elle répondit:
�LE MARI DE VIVIANE
Entrcz.
C'était Dora, la femme de chambre, qui venaif
lui oITrir ses services. Eviùemment, elle n'allait pas
se présenter au d111er en costume tailleur et, vivement, désireuse de plaire, elle passa dans son cabinet de toilette.
Quelques instants plus tard, Dora, se reculant
de cleu: pas en aperçevant sa maHresse dans la
glace, s'écriait, sincère:
- Mon Dieu, que madame la comtesse est belle!
Vi't'iane tressaillit de plaisir.
Mieux que la robe de mariée, son déshabillé
d'un rose doux et chaud avivait la flamme bleue
de son regard. Inconsciemment elle se sourit, heureuse d'ètre belle ... li cause d'Olivier.
Ne serait-il pas séduit en la contemplant, tentante comme un arbre Heuri? La confiance l'envi:1hil: bientôt, il se pencherait amoureusement sur
elle, accueillant d'un sourire sa beauté de fleur et
de fruit.
Mais elle enten.dit sou mari qui, passant devant
son boudoir sans s'y arrêter, desccndai t dans le hall.
Avait-elle mal compris? ne devait-il pas venir la
chercher? Sans bruit, car le tapis amortissait le
brui t de ses pas, la comtesse qui Ua le boudoir.
Un bruit de voix lui parvint. Quelqu'un parlait
dans le hall.
Surprise, elle se pencha au-dessus de la bal ustradeetaperçutun inconnu qui causait.avec Olivier.
A quelques mots, saisis au passng(;, elle reconnut
u'il s'agissait d'un ami intime et elle allait se retirer
quand une phrase l'atteignit comme Ull soufflet.
Oubliant, sans doute, que le hall n'était pas plafonné et quc, des étages SUl?érieurs, on pouvait
facilement entendre, Olivier disait:
- Moi, un mariage d'amour! moi, épris comme
Un jouvenccau, ùis-tu"? Ai-je l'air d'un homme
amoureux, par hasarù '?
�72
LE MANI' DE VIVIANE
II
La vérité.
Germain Laufre, le compagnon d'exploration du
comte d'Yrgil, avait un frère: Jean. Et ce Jean
Laufre était un des meilleurs amis d'Olivier. Ils
,3'étaiellt connus fortuitement chez Lemarqlloy et,
~out
de suite, une amitié réciproque était née eOntre
eux par suite d'une grande parité d'inclinations.
Jean était al piniste; les jeux cie la mortlui étaient
familiers, il les domptait avec un sourire égal qui
plaisait à Yrgil, plus impulsif et le regrettant.
Or, Jean avait appris le retour de son ami et ses
fiançailles. Olivier lui avait écrit, l'informant que
50n mariage était avancé d'une huitaine. Mais,
cette lettre avait vainement poursuivi Jean, d'Interlaken à Andermatl, de Brigues à Zermatt. Elle
n'était pas encore en sa possession quand, se dirigeant sur les Pyrénées, il passa par Pont-sur-Loire.
Quand il arriva au chateau, le mailre d'hôtel,
surpris et mystérieux, lui annonça que monsieur le
comte ne pourrait peut-être pas le recevoir. En
effet, l'heure était tardive, mais Jean, fort de son
intimité avec Olivier, insistait pour le voir quand
le domestiq ue ajou ta: « ... à cause des événements,
Monsieur peut comprendre ... )l
- Quels événements? demanda le jeune homme.
Quelqu'un serait-il malade au château'?
- Comment, Monsieur ignore donc? Monsieur
le comte s'est marié ce matin et vient de rentrer
avec Madame la comtesse.
~onfl\s
d'arriver si mal à propos, Jean allait se
rellrer quand Olivier, attiré par le bruit des voix,
paru t dans le hall.
- Toi, mon vieux! s'écria-t-il. C'est ce matin
�LE MARI DE VIVIANE
73
que je t'attendais. Enfin, sois le bienvenu. Tu as
bien reçu ma dernière lettre?
- Je n'ai rien reçu du tout, mais, pardonne-moi
tout de même de venir si maladroitement troubler
votre intimité. Je me retire en te félicitant chaleureusement, car la renommée m'a appris que tu fais
un délicieux et poétiq ue mariage d'amour! Hein,
toi qui jurais si bien que ta grand'mère ne parviendrai t pas à ce bu t. Je vois qu'elle a eu raison de
persister et que l'Amour t'a pris à son piège
COmme un jouvenceau!
Laufre riait. Le domestique s'était retiré . Aucun
bruit ne parvenait des étages supérieurs et, trompé
par ce silence, oubliant la traitrise de ce hall ouvert
à tant d'oreilles, le jeune homme répliqua ironiquement :
- Alors, toi aussi tu as cru dans la fable du
mariage d'amour! Moi, un mariage d'inclination,
moi épris comme un jouvenceau, dis-tu! Ai-je J'air
d'un homme amoureux par hasarù?
C'était cette phrase-là que Viviane, sortant de
son boudoir, avait reçue en plein visage et en plein
cœur. Stupéfait, Jean Laufre regardait son ami et
les traits durcis d'Olivier, sa bouche amère l'avertirent cie son erreur. Il balbutia:
. - En effet, tu n'as pas l'air enchanté. Cependant
J'avais entendu dire que depuis deux ans .. .
- Je connaissais cette jeune fille, n'est-ce pas?
Depuis deux ans je soupirais après elle? Absurdités que tout cela! J'ai vu Mlle d'Artenay pour
la première fois voici trois semaines et, avant, je
ne Soupçonnais pas son existence. Voici la véri té,
ma lettre te disait cela du reste.
- Alors, je ne comprends plus! avoua Laufre
désemparé.
- C'est très simple, riposta Olivier, avec une
irritation qu'il ne parvenait plus à maltriser. Ma
grand'mère, romanesque comme tou tes les femmes,
�74
LE MARI DE VIVIANR
répugnait à uu simple mariage de convenances.
Autour d'une uniou à laquelle je ne consentais
qu'avec colère, elle a éprouvé le regrettable besoin
de créer une fable poétique 1 La fable d'un amour
contenu depuis deux années 1 La [able que je snis
obligé de maintenir et qui m'exaspère 1
- Mais, dit Laufre ahuri, Mme d'YrgiJ en agissant ainsi voulait peut-être obtenir le consentemenl
de Mlle cl' Artenay qui, sans doute, eût repoussé un
mariage de convenance.
- Elle?
Olivier eut un éclat de rire nerveux, puis, plus
bas, avec une réelle amertume, il reprit:
- Celle ruse était bien inutile, car Mlle d'Artenay est une am.biLieuse.
- Tu crois?
- J'Cil suis persuadé. Est-ce qu'on accepte
ainsi un hOlllme sans le connaltre. Oh 1 je l'ai jugée
immédiatement, je suis assez physionomiste du
reste!
[" - Il n'est physionomiste qui ne se trompe.
- C'est ma femme, elle porte mon nom, dit le
comte, par conséquent pour tout le monde c'est
une créalure cl'él ite; je te prie même de le répéter.
Mais à toi, mon plus selr ami, je puis bien le dire,
je suis certain que c'est une habile petite fille qui
a su, sans avoir J'air d'y toucher, arriver à ses fins!
- On la dit très jolie, dit tinùlLemenl Laulre.
- Plus que jolie, mOll cher, une. jeune souveraine. Mais une beauté qui m'aga.ce par son insinuante Jouceur .. . je sens qu'elle veut à tout prix
me séùuire el que son apparence ingéllLle cache,
une ténacité qui me met hors de moi! Oh! non,
qu'elle n'espère pas faire ma conquête! J'ai horreur
Je ces (emmes qui savent indéfiniment courber le
front, accepter les a[ronts sans sc rebeller, tout,
pourvu qu'elles arrivent b. leur but! Sans doute
rêve-t-elle de m'el~orc?
a.jouta Olivier avec un
�LE MARI DE VIVIANE
'15
nervosisme qui étonna Laufre. En tout cas, malgré ma froideur blessante depuis que nous nous
connaissons, elle a conservé cette même attitude
soumise.
Il étouffait cie colère contenue. Non, certes, il
ne se doutait pas que Viviane l'aimait; il ne
croyait pas qu'une jeune fille pùt s'éprendre éperdument d'un homme qui ne lui a jamais parlé;
S'éprendre par cet immense besoin d'aimer qui
remplit un cœur de dix-huit ans. Olivier reprit:
- En somme, je représentais un beau parti
pour cette pensionnaire sans fortune, appelée à
prendre le voile, sans doute, faute de trouver un
épouseur de son rang. Cela valait bien quelques
artifices. Ma grand'mère, si loyale, elle, s'y est
laissé prendre! Mon mariage est une captation.
- Tu t'emballes! dit Laufre désolé, et je sais
que, lorsque tu es en colère, tu cxagères les choses.
- Ah! s'écria le comte, pouvoir enfin dire ce que
je pense! T'imagines-tll ce qu'est ma vie depuis
trois semaines? Ne voir que des gens qui me félicitent de mon « bonheur )l et à qui je dois répondre
par dcs sourires! Cela me soulage de parler en
... car j'ai ta parole, n'est-ce pas,
toute con~ae
que tout ceci est strictement entre nous? Je suis
\ln galant homme et j'ai l'intention d'avoir, vis-àvis de ma femme ... de la cou rLoisie, sinon de la
tendresse. Tiens, quittons ce sujet. Je suis marié,
c'cst irrévocable. Passons. Et toi, q uc deviens-tu 'l
l'ai quitté Germain en bonne santIS .
. Les deux jeunes gens causèr~nt
quelques
Instants, mais leurs pensées étalent ailleurs.
Laufre songeait à la confidence de son ami; el
déjà Olivier s'étonnait d'avoir ainsi confié - fûtce à Son meilleur ami - l'opinion désobligeante
qu'il avait sur celle qui portait son n0111. Sa nervosité était évidente. Laurre le rcmarltua et se leva
pOur partir.
�L'E MARI DE VIVIANE
Sans le retenir, Olivier lui dit aussitôt:
- Je vais t'accompagner jusqu'à la grille! l'air
me fera du bien.
Et les deux jeunes gens sortirent.
Très lentement, s'appuyant au mur, Viviane
d'Yrgil rentra dans son boudoir et tomba sur la
chaise longue.
.
Une si atroce souffrance morale l'envahissait
qu'elle en ressentait un malaise physique. Elle suffoquait, balbutiant des mots sans suite ... La vérité,
elle connaissait la vérité! Voilà donc en quelle réalité s'était transformé son ueau rêve vermeil! Et,
comme des soufflets, certaines paroles d'Olivier
revenaient la frapper: il ne s'étai t marié qu'avec
répugnance? la [able de l'amour! sa timidité de
jeu ne fi Ile éprise taxée d'alti tude doucereuse,
elle accusée de ne l'avoir épousé que par ambition,
accusée de vouloir le séduire à tout prix!
La tête renversée, les mains tombées, elle gémissait, accablée. Le beau songe mutilé de ses
fiançailles pesait sur .elle et elle espérait mourir
d'émotion.
Pendant ce temps, les jeunes gens descendaient
le parc. Ils ne parlaient plus, sauf quelqueg remarques indifférentes sur le temps etla saison. Olivier,
détendu par sa récente explosion, regrettait d'avoir
tant parlé, ct, cherchant un moyen d'eITacer :ses
paroles, il dit:
- Tu sais, il faut en prendre et en laisser dans
tout ce que je t'ai dit. J'étais hors de moi tout à
l'heure; sa vue a le don de m'exaspérer!
.
- Elle est donc, bien que jolie, déplaisante à
apercevoir?
- Oh 1 11on! protesta Olivier avec une telle
vivacité que son ami le regarda ...
Mais le c.Qmte d'Yrgil ajouta nerveusement:
- Il commence à pleuvoir! eh bien, mon vieux,
c'est contrariant,. car, maintenant, il n'y a plus de
�LE MARI DE VIVIANE
J
tfain pour le Puy avant plusieurs heures. Je vais
te donner mon automobile.
- l\la foi, cela me rendra servil.e, répondit
Laufre. Alors, je te quitte. J'espère que je te retrou,
verai de meilleure humeur quand tu me présenteras
à Paris, à la comtesse d'Y rgil.
Olivier eut Ull fugitif sourire et, après a\'oir installé son ami dans l'auto, il remonta hâtivement
au chüteau SOllS la pluie commençante.
En quelques minutes, il gagna le hall, puis le
boudoir dt! ~a femme.
La porte était entr'oU\·erte. Il la poussa saus
bruit et nperçut Vil'iane.
Elle était immohile dans sn longue robe couleur
d'aube et de soleil et semblait somnoler, les yeux
mi-clos.
Mais UDe e.'pression si pathétique était répandue
sur ce visage, que le comte tressailli t. Jamais, non
plus, il ne l'avait vue si touchante. Les longs cils
projetaient une ombre veloutée su r les joues blancbes, la bouche s'entr'ou\,rait douloureusement
sur les dents comme dans l'exbalaisond'une plainte.
Olivier ne comprenait pas ce qui déterminait
cetle attitude et il était troublé par la yue <.le cette
toute jeune femme, sa fçmme . Une grande partie
de sa mau\'aise humeur s'en était allée avec sa
confiùence. II lit quelques pas sur le tapis. Elle
ouvrit des yeux effarés en sc reùressant :
- Oh! dit-il, souriant pour la première fois
depuis qu'ils se connaissaient, vous avez emprunté
à la candide Aurore la plus suave de ses robes!
Elle ne paraissait pas comprendre 1 ruadrigal,
ses grands yeux devenus positivement épouvantés.
Un peu interdit, il dit en avançant:
- Je viens YOllS chercher pour le dtner, Viviane.
- Ne me louchez pas! dit-elie haletante en
reculant vivement.
- Mais, je ne comprends pas ...
�LE MARI DE VIVIANE
Elle prit une grande respiration, puis, lui échappant, courant vers sa chambre, elle dit:
- Descendez, descendez dîner... J'irai vous
rejoindre.
Et elle disparu t.
Olivier, surpris, demeura immobile ... puis, il
haussa légèrement les épaules, ne voulant pas
approfondir celte petite comédie si féminine, et
dont le but lui échappait. Mais, il ne descendit pas,
peu pressé d'entrer seul dans la grande salle à mauger solel1nelle. Au contraire, il s'assit sur la chaise
longue que venait de quitter sa femme et aspira la
fine odeur d'iris que son passage avait laissée dans
la pièce. Il vit sur un guéridon un petit mouchoir
de batiste, il le pri t, tou t envahi de douceu l' •••
Ses préventions s'évaporaient devant un sentiment plus intense. Et puis, bien que ses voyages
l'eussent endurci et qu'il se fClt juré de halr celle
que sa grancl'mère lui imposait, la tendresse naturelle d'Olivier le maîtrisait. Un besoin d'affection
montait en lui, bien qu'il s'eu irritât; il ne pouvait
le refréner quand, très doucement, la porte de la
chambre s'ouvrit pruc1em1l1ent. ..
In t ri gué par cette prudence même, il regarda.
Viviane parut. Non plllS la jeune déesse dans la
robe de l'aurore, L.1ais une silhouette en tailleur
sombre, une valise à la main. Sans voir Olivier,
elle se dirigea vers la porte du boudoir. Très surpris, il dit:
- Mais, ma chère amie, nous ne partons pas
ce soir ...
Elle fit un saut en arrière en étouffant un cri et
demeura debout contre le mur, livide, s'accrochant à LIlle draperie. Il s'était levé d'un bond, lui
interdisant le passage, ne comprenant rien cependant. Elle dit péniblement, les dents serrées:
- Laissez-moi passer. Je vous croyais descendu.
Je l'eux partir.
�LE MARI DE VIVIANE
'19
Partir? s'écria-t-il stu péfait, mais où voulezvous aller? qu'est-ce que cela signifie?
Elie claquait des dents, puis, se raidissant, elle
balbutia:
- Je veux partir pour ne plus jamais vous
revoir. Je ne veux pas, je ne peux pas être votre
femme.
- Délirez-vous? êtes-vous souffrante? que vouIez-vous dire?
- Ceci: je n'ai consenti à vous épouser que
parce que je croyais que vous m'aimiez. Je m'étais
trompée. C'était faux, j'ai le droit de partir. Oh!
non, je ne veux pas rester près d'un homme qui,
à toute heure, pourrait m'accuser d'être une
intrigante!
Olivier, redevenu mallre de lui, la regarda froidement. Il croyait comprendre' et, toutes ses préventions revenues en foule, il s'adossa à la porte et
dit avec ulJe lassitude hautaine:
- Je vous en prie, ma chère amie, épargnezmoi cette comédie! Oui, oui, je devine votre
but. VOliS voulez que je vous oblige à rester pour
pouvoir toujours me dire, dans la suite, que c'est
moi qui vous en ai suppliée, Eh bien, soit, admettons que je vous ai implorée et a1l01\s diner. Je
vous assure que celle mise en scene était bien
inutile!
- Je ne veu"" pas que vous parliez ainsi, protesta
Viviane.
- Oh! vous n'allez pas me faire llne scène, je
suppose! dit-il impatiemment. Ce serait d'Ull
goùl déplorable; je vous sais bien élevée, du reste ,
Comment, d'ailleurs, me laisser prendre à votre
ruse? Vous avez eu des moÏos pour réiléchir, trois
tout
au moins, depuis que je suis re\'enu ,
semaines,
,
'
et c est mal1ter:~n,
à l'heure où, précisément,
tout est devenu tré~ocable
que, tout à coup, VOLIS
vous apercevez que Je ne vous aime pas! que, tout
�80
LE MARI DE VIVIANE
à coup, vous ne p0uvez le supporter! C'était hier
qu'il fallait vous en rendre compte!
- Je ne le sais que de ce soir, répondit Viviane
faiblement.
- De ce soir! une lettre anonyme? interrogea
dédaigneusement le comte.
- Non, c'est vous-même qui me l'avez appris!
Et, fermant les yeux, elle acheva d'une voix
blanche:
- J'ai entendu toute votre conversation avec
votre ami!
Olivier chancela. Et, en même temps, il se rappela que le hall était découvert. Une fois déjà,
étant enfant, la même mésaventure (combien
moins grave alors) lui était arrivée! Et, machinalement, il tentait de se rappeler quelles paroles il
avait prononcées, pour les effacer, les expliquer ...
tandis qu'elle reprenait, indignée, éperdue:
- Oh! comme on m'a trompée! Tous, tous se
sont concertés pour me dllper vilement, faire de
moi un objet de mépris! En quels termes on m'a
parlé de votre amour! Et, quand je vous ai vu,
quand j'ai été effrayée par votre froideur, comme
on a bien su endormir mes craintes, me mentir!
Vos absences? on me représentai t qu'elles étaient
causées par vos missions! votre attitude lointaine:
par vos soucis, votre respect! Et c'est votre grand'.t.uère, votre mère que je respectais, qui m'a
trompée ainsi! C'est mal, très mal!
Au nom de sa grand'mère, Olivier sursauta,
atteint dans son amour filial.
- Ne parlez de ma grand'mère, dit-il. Elle a
agi pour le bien, elle voulail votre bonheur
autant que le mien et cela est rare de la rart d'une
belle-mère. Elle souhaitait que vous vous crussiez
aimée, comptant que vous ne sauriez jamais rien.
Il ne faut voir que l'intention.
- L'intention! s'écria Viviane en se redressant.
�LE MARI DE VIVIANE
Je vois le fait. La tromperie organisée qui m'a conduite au plus sanglant des outrages: être diffamée
par mon mari devant un étranger!
II se mordit les lèvres. Oh! comme il l'avait
tout de suite regrettée, cette confidence déplacée.
II balbutia:
- Jean Laufre n'est pas un étranger. C'est 111 n
allel' ego, mon ami le plus cher, et tout homme est
autorisé à se confier à un intime. J'avais le droit
de lui faire des confidences ...
- Vous n'aviez pas le droi t de me calomnier!
Mais Olivier redressa la tête. Quand cet orgueilleux jeune homme se sentait dans Son tort, il s'en
irritait et se cabrait. II fut injuste et riposta:
- Ne prononcez pas de tels mots! Certes j'ai
ell tort. .. d'ètre entendu de vous; mais, vous, ne
soyez pas brusquement si susceptible après l'avoir
été si peu! Car, à la plus humiliante des froideurs
vous avez, pendant trois semaines, opposé une
douceur qui élailun manque de dignité. Dans quel
but?
Elle se roidit. Oh! tout souffrir plut6t que de
lui avouer: parce que je vous aimais! Tout, plutot que cie reconnallre qu'elle l'avait éperdument
chéri et qu'elle avait été devant lui timide et ans
défense comme une enf.lnt apeurée. Elle ne répondit pas, suffoquée. Il continua, redevenu hautain,
insultant Jans sa tranquillité dédaigneuse:
- Vous vouliez me séduire à tout prix malgré
ma répugnance que, dites-vous, vous n'apprenez
que ce soir!
- Laissez-moi partir, dit-elle brisée par celle
lutte inégale entre sa faiblesse d'enfant, heureuse
jusque-là, el sa force d'homme aguerri. Laissez-moi
partir, je renonce à me défendre. Mais vous? Sans
amour pour moi vous n'avez pas craint de vous
agenouiller devan t Dieu, de me jurer une tendresse
que vous ne ressentiez pas! Gentilhomme, vous
�LE MARI DE VIVIANE
avez menti comme les au tres. Enfin! je vous pardonne tout cc qve je sou[re!
Il bondit, saisit dans sa mrun enfiévrée la main
frèle dans le gant de peau et la serra en s'écriant:
- Ah! comprenez-moi aussi. Tout ce que j'ai
souffert depuis des mois, c'est par vous, à ca use de
vous. A cause de vous, j'ai dCt renoncer à une
noble tâche qui m'était aussi chère que ma vie,
contraint par la force à vous épouser. Vous n'avez
été dans ma vie qu'un obstacle.
- Eh bien, reprit-elle, puisque je ne suis qu'un
objet d'aversion, laissez-moi partir ce soir.
- Non, je m'y oppose! répliqua Olivier.
- Vous vous y opposez? dit-elle dans un cri
désespéré.
- Oui. Je suis votre mari, vous me devez
obéissance et vous m'obéirez .
- Que voulez-vous donc exiger de moi? balbutia-t-elle.
- Il pleut à torrents, l'automobile n'est pas
rentrée, il n'y a qu'un train dans la nuit.
- Je partirai à pied, que m'importe!
- Vous portez mon nom et la comtesse d'Y rgil
ne courra pas les chemins.
- Il ya un hôtel à Pont-sur-Loire!
- Jamais ma femme ne descendra dans n'importe quel hOtel!
- Je ne passerai pas une nuit sous le toit d'un
homme qui m'a atteinte dans mon honneur.
- Votre bonneur! Mais dites-moi donc pourquoi vous m'a vez épousé? vous ne me connaissiez
pas, vous ne POll viez pas m'ai mer 1
- Si, je VOLIS connaissais.. . je vous avais
aperçu aux Courses du Puy, vous me plaisiez .. .
murmura ln jeune femme.
11 tressaillit à cet aveu péniblement sorti des
lèvres exsangues. Il fut rompu, terrassé. Elle se
redressait el sou jeune visage semblait demander
�LE MARI DE VIVIANE
grâce. Des larmes coulaient des beaux yeux de
violette sur les joues pâles. Tout son corps tremblait. Olivier, troublé, murmura:
- Je vous plaisais ... je ne me doutais pas. Je ne
voulais pas le croire. Pardonnez-moi, j'ai exagéré
ma pensée; la colère m'a aveuglé, je suis terrible
quand je m'emporte; j'ai été fou, pardonnez-moi 1
Elle reculait, sans parler; il poursuivit, vraiment repentant:
- Ne partez pas. Restez quelques jours, nous
nous expliquerons .. .
Elle secoua it la tête. Le mal était fait. Certaines
paroles sont comme un fer rouge; rien ne pouvait
plus effacer la brûlante empreinte des mots injurieux prononcés, inùélébiles sur SOn âme, comme
la fleur de lis imprimée par le bourreau sur
l'épaule des condamnés.
- Je partirai demain par le premier train, ditelle, murée dans sa résolution. Retirez-vous, je
vous en supplie, je n'en puis plus.
Elle le chassait et lui, avait honte de sa brutalité, il reprit humblement:
- Ecoutez-moi encore. J'ai beaucoup oulTert.
Et si vous avez eu quelques joies pendant vos
fiançailles, ne reste·t-il rien dans votre CŒur de cet
at tendrissemen t passé?
Mais cet homme, même adouci, lui fai sa it peur
maintenant; une frayeur glacée était en elle. Elle
murmura:
- Ri en !
- Vous ne m'aimez r as, voue; ne m'aimerez
jamais?
Elle tressaillit. Tout Son être se sou leva au souvenir de l'humiliation soufferte et cachant Son
visage dans ses mains, elle dit:
- Tout est fini ..•
- Eh bien! s'écria Olivier exaspéré à son tour
soit, que tout soit rompu. Adieu l
'
�LE MARI DE VIVIAN1.
La porte se refermait. TI était parti.
Alors Viviane rentra seule dans sa chambre, la
chambre nuptiale, regarda autour d'elle les murs
tendus de brocatelle et aperçu t, comme un svmbole
ironiq ne, un tableau de Watteau olt un -berger
poudré jurait à sa belle de l'aimer toujours ...
toujours ...
III
L'obstacle.
Sur les tapis de Perse, sourds comme de
la mousse, la garde-malade traversa la grande
chambre. Les rideaux de lampas étaient tirés sur
les fenêtres et la lumière, suintant au travers de
l'abat-jour ancien, noyait dans une lumière mollc
les meubles et les guipures du lit.
La garde-malade s'approcha du chevet et se
pencha sur la mourante qui ouvrit les yeux
et murmura péniblement:
- Ils ont hien été prévenus, n'est-ce pas?
- Oui, madame la comtesse, répondit la femme
en préparant un breuvage. Dès que vous avez été
ramenée en automobile à votre hôtel et que je fus
auprès de vous, j'ai prévenu M. le comte Olivier cie
l'accidcnt qui VOllS était arrivé et, sans nul doute,
M. et Mme d'Yrgil ~seron
t ici d'un moment à
l'autre.
- Pauvres petits! murmura la douairière en
refermant les yeux.
Elle avait quitté le Puy le soir même des noccs,
tlésiran tlaisser seuls les jeunes mariés. Du reste,
elle pensait que sa présence entretenait la mauvaise
humeur de son petit-fils et que, même ému par
Vivianc, il ne voudrait pas, par orgueil, le laisscr
voir à sa grand'mère. Ainsi elle avait tenu à prcn-
�LE MARI DE VIVIANE
85
dre le train aussitô t et, tandis qu'elle roulait vers
Paris, elle se plaisait à suppos er qu'Oliv ier, pris
au charme de sa jeune femme, connai ssait enlin le
bonheu r.
Vers cinq heures du matin, cédant à la fatigue,
elle s'endor mit. Et ç'avait été le tampon nement , le
choc assourd issant, si violent qu'on ne souffre pas,
l'indist incte paniqu e qui serre la gorge ... puis les
cris, la soufI'rance qui se révèle, l'angoi sse de mourir
seule. En fin, les secou rs arrivèr ent ct elle s'évano uit
dans la voiture d'ambu lance qui, selon son Qrdre
formel, la ramena it Jans son hôtel de Paris,
rue de Varenn e.
Et mainte nant, atteinte de contusi ons multipl es,
Souffrant de toutes les parties de son être, la
comtes se, excelle nte femme en somme , trop souvent dirigée par son imagin ation, la comtes se
songea it que le premie r réveil des jeunes époux
avaIt été assonlb ri par la nouvelle de l'accide nt.
Pauvre s petits! clle s'en voulait positiv ement d'interrom pre dès Je début un bonheu r qu'elle croyait
si vif et si doux.
Et puis, leur voyage de noces en Italie allait
être entravé ! elle ne se le pardon nait pas! Enfin,
s'il lui fallait mourir , Viviane et Olivier n'aurai ent
donc connu que ct uelq nes heures de joie sans
mélang e?
Puis la douairi ère songea avec une amère douceur: « Ils m'oubl ieront, ils sont jeunes, ils ont
toute la vie pour être heureu x l'un par l'autre ! »
Et ee lui était une consola tion di penser qu'elle
mOurrait entre les bras de SOI1 pelit-fi ls, uni à
Viviane, de les voir sc penche r tous deux audessus d'elle, les mains enlacée s et soulevée d'impa tience, elle redema ndait:
. - Vous êtes bien sftre qu'ils ont été préven us?
Ils vont venir, n'est-ce pas?
La garde-m alade acquies ça de nouvea u, la priant
�86
LE MARI DE VIVIANE
de se calmer. Mme d'Yrgil, outre ses contusions,
souffrait - et c'était de cela qu'elle se mouraitd'une lésion au cœur. Il ne fallait pas d'émotion
vive, l'infirmière redoutait presque l'arrivée des
jeunes gens .
...
.
Mais la douamere souleva sa tete, les yeux
brillants . Elle entendait marcher dans le couloir ...
la garde-malade allait ouvrir la porte, on chuchotait ... et Mme d'Yrgil comprenait: Ils étaient là,
ils allaien t entrer tous les deux 1
Et, en effet, Olivier parut, suivi de Viviane.
Ils étaient là, maintenant, penchés au-dessus de
la malade comme elle l'avait désiré et le front
d'Olivier ef!1eurait celui de la jeune femme. Des
larmes coulaient des yeux de Viviane, l'émotion la
faisait trembler. La douairière murmura :"
- Comme je suis heureuse de vous voir
" heureux, mes enfants!
- Oui, bien heureux, dit Olivier avec ferveur,
tandis que Viviane baissait ses paupières rougies
sur ses yeux pleins de larmes.
Un sourire passa sur le visage de la blessée.
Olivier disait:
- Tu es moins gravement atteinte que nous ne
Je redoutions. Dans quelques semaines tu seras
rétablie.
- Je vais vous veiller, madame, je ne vous quitterai que vous ne soyez remise, ajollta la jeune
comtesse vivement.
- N'êteS-VOLIs pas trop fatiguée, ma fille?
- Non, madame, j'ai autant de force qu'il le
fau t.
Déjà, en erret, Viviane se redressait, otait son
chapeau, son manteau, enlevait ses gants, s'installait avec la promptitude intelligente d'une infirmière de profession. En la voyant choisir S(ln
fauteuil, disposer les médicaments non loin d'elle
avec un souci du sens pratique, 10. garde-malade
�LE MARI DE VIVI 'lI'l'E
87
comprit que cette jeune femme élégante se dévouait
réellement à sa tâche. Elle dit:
- On croirait que madame la comtesse a toujours soigné des blessés!
Viviane ne répondit pas. Olivier quittait son
pardessus et s'asseyait de l'autre côté du lit, prenant daus la sienne la main de sa grand'mère.
- Avez-vous dîné au moins? interrogea faiblement la douairière.
- Oui, en route, pour ne pas perdre de temps.
Ne parle pas, ne t'agite pas, supplia le jeune
homme. Repose tranquillement. Tu as tes enfants
près de toi, repose.
La malade sourit encore, les embrassant tous
deux d'un regard, et parut s'endormir.
Un grand silence se forma dans la chambre.
U ne pend ule ancienne égrenai t son i ncessan t ticlac et, personne n'eüt deviné, ell voyant ces jeunes
gens réunis au chevet de la douairière, que ce
n'élait pas un couple d'amoureux, mais dellX êtres
séparés par une scène douloureuse.
Rell\'ersée dans un fauteuil, Viviane, en apparence impassible, s'ébahi sait des événements qui,
depuis quarante-huit heures, avaient bouleversé
le cours de sa vie et de ses pensées.
En quarante-huit heures elle était passée d'une
tendresse inquiète à une pénible aversion; son'
bonheur s'était brisé entre ses mains comme ces
coupes de verre filé qu'un seul choc réduit en
poudre. Au lieu du rayonnant voyage en Toscane,
elle s'était juré de retourner au Puy sans délai.
Cependant, elle était à Paris, près de la femme
qui avait causé SOI1 malheur et dont l'état pourtant
l'émouvait.
Elle se voyait encore se jetant sur 'son lit à
R?che-Yrgil, après la scène de violence qui l'avait
à Jamais séparée moralement de son mari. Brisée
de fatigue et d'émotions, elle s'était endormie tou l'
�88
LE MARI DE VIVIANE
habillée, prête dès la première heure à courir vers
la gare, à regagner le Puy.
Mais le sommeil après les larmes a la profonde
douceur des léthargies. Le lendemain matin on
avait déjà frappé trois fois à la porte de sa chambre
avant qu'elle entendit. Elle se réveilla enfin,
effarée, ne reconnaissant rien autour d'elle ... Puis,
elle perçut la voix de son mari. II disait à travers
la porte:
- Je vous en supplie, venez . J'ai à vous parler.
II est arrivé une catastrophe.
Alors Viviane, saisissant sa valise, effaçant le
désordre causé par la nuit, sortit de sa chambre.
Le souvenir de l'affront ~Ie la veille l'animait d'une
indignation encore fraîche ; elle était prête à
affronter Olivier, ne croyait pas du reste à la
« catastrophe )l dont il parlait, s'attendant à trouver
un mari injuste et cruel comme la veille.
Mais la pâleur du jeune homme la troubla. Il
lui expl iqua l'accident survenu à sa grancl' mère et
sa voix tremblait en le racontant. Elle l'écoutait,
remplie d'amertume. Avec quelle aimante douceur
il parlait de son aïeule! Cet homme cassant savait
donc chérir avec tendresse? Elle eftt cent fois
préféré le croire incapable d'aimer qui que ce
[nt.
- Madame, dit-il suppliant, je viens vous
demander de ne pas me quitter. Ma grand'mère
se meurt et nous attend ... Voulez-vous inOiger à
ses dernières heures l'horrible peine de me voir
arriver seul? qu'elle apprenne notre désunion?
; Et, comme elle refusait de l'accompagner, alléguant que la douairière l'avait trompée, il lui
représenta qu'elle n'avait désiré que leur bonheur.
Et puis, rr'était-elle pas chrétienne? ne devait-elle
pas pardonner'? serail-elle assez insensible pour
attrister l'agonie d'une blessée? Il eut l'éloquence
que donnent les attachements Drofonds ct, ce n'es t
�LE MARI DE VIVIANE
89
pas au mari que .Viviane céda, mais à l'amou r du
fils pour sa grand'm ère.
Du re te il s'était engagé à respect er sa liberté.
Dès qu'une solutio n serait surven ue pour sa grand'mère, elle serait libre de partir. D'ici là, il la considérer ait comme une femme confiée à son honneu r
et non comme sa femme.
Ils étaient partis tou t de suite. Pendan t le voyage
rien ne les avait rappro chés. Tandis qu'elle demeurait muette , s'appli quant à éviter le moindr e contJct, souffra nt presqu e, si sa main, par hasard ,
efGeurait celle d'Olivi er, lui était enfonc é dans ses
inquièt es pensée s et ne cherch ait pas à lui parler.
Enfin ils avaient atteint Paris elle comte était sorti
de son mulism e.
- Pardon nez-mo i, dit-il avec une soudain e
émotio n, mais, ce matin, j'ai oublié de vous
deman der une dernièr e fayeur.
- Parlez, dit-elle en détourn ant un peu la tête.
- J'ai dit une [ois de vous que vous seriez une
souvera ine accomp lie. Or, uue souvera ine sait en
toute occasio n et, quel que soit soil son sentim ent,
adopte r le visage et le ton de la si tuation . Je vous
supplie de ne pas laisser voir à ma grand'm ère
notre inimitié .
- Je ne sais pas jouer la comédi e, répliqu at-elle avec une certain e hauteu r.
- Je ne vous le deman derai pas non plus.
Mais, laissez-moi aU moins prendr e votre main,
m'appr ocher de vous. Qlle notre attitude ne trahisse pas nos sentim ents person nels .
. Elle acquies ça du bout des lèvres. I1ll1i sembla it
Impossible qu'elle n'eût pas, près de la douairi èt'e,
une ex pressio n de reproch e.
Pourta nt, quand elle aperçu lla lourde porte de
l'hôtel, quand elle entra dans la cour et vit les
bâtimen ts qui l'en tout aien t sur t rois côtés, quand
elle entra dans cette maison qu'elle avait d'avanc e
�go
LE MARI DE VIVIANE
chérie comme la sienne, toutel:amertume de la
déception l'étouffa. Et, rompue par l'émotion, elle
pleura en auivanl près de sa belle-mère. Olivier
avail saisi sa main, ses cheveux efllou raient le front
de sa femme sans qu'elle se dérobù!. L'entrée en
scène avail été facilitée par sa faiblesse même,
mais, maintenant, elle sc reprenait et, les yeux
fixés droit devant elle, Viviane paraissait ignorer
la présence de son mari.
, Et les heures, les jours s'égrenèrent dans ce
pesant silence coupé par des gémissements, la
venue du médecin, les entretiens avec les infirmières. Rien ne rapprochait plus Olivier de
Viviane .
Quand le comte était près de la douairière, la
jeune femme s'éloignait sous un prétexte. Quand
Viviane soignait sa belle-mère, son mari évitait de
venir. Chacun prenait ses repas à des heures différentes « pour ne pas te quitter, mère )), affirmait
M. d'Yrgil et, quand ils se reposaient, ils se
rendaient dans leur cham,bre respective.
Viviane occupait la I( chambre d'honneur», souvent décrite par la comtesse pendant les fiançailles.
C'était une grande pièce en damas cramoisi,
meublée de gros de Tours, spécialement décorée
au XVllle siècle pour une comtesse d'Y l'gil issue
d'un prince légitimé et que la famille avait tenu à
honorer particulièrement. Rien de plus inconfor-'
table, du reste, que cette halle solennelle où, par
un esprit de tradition respecté jalousemcnt, il n'y
a\'ait ni électricité ni chauffage central.
Quand Viviane s'habillait dans celte chambre
de parade, devant un énorme feu de bois qui
n'arrivait pas ;'t chauffer, elle se sentait bien traitéc
en « imitée »). Puis, elle se reprochait d'oublier sa
qualité d'étrangère. Etrangère elle était et voulait
le rester dans celte demeure.
Depuis qu'elle avait signifié ;'t Olivier sa volonté
�LE MARI DE VIVIANE
de le quitter aussit6 t que possibl e, Vivian e avait
perdu à son égard la timidit é qui, souven t pendan t
ses fiançailles, paralys ait ses élans et la rendait
gauche . II lui sembla it qu'une profon de indifférence pour le jeune homme empliss ait à jamais
son cœur ... Pourta nt, pendan t les mornes veillées,
elle ne pouvai t se défend re d'éprou ver une lassitude désespé rée. Et si le comte la regarda it à ce
momen t-là, elle se levait et s'absen tait quelqu es
instant s, ne pouvan t souten ir cette atmosp hère de
contrai nte.
Olivier , la voyant se lever pour fuir son regard,
détou rnait les yeux et, irrité, se mordai t les lèvres.
Cette jeune femme qu'il avait voulu I( haïr»
pendan t ses fiançailles, qui, même le jour de leur
mariag e, n'avait pas vaincu son cœur obstiné , cette
même femme, dans son dévoue ment, l'émou vait
malgré lui. Enfin, très opposé au divorce par
princip e, il eùt voulu, à défaut de tendres se, :n"oir
avec Viviane les rappor ts courtoi s et cordiau x de
tant Je ménage s. Mais, chaque fois qu'il essayai t
d'être aimabl e, la comtes se se déroba it avec une
froideu r polie, bien éloigné e de la tendre soumis sion de la période des fiançailles. Cette allitude
presqu e hostile dérouta it son opinion sur la souplesse servile des femmes qui se font épouse r,
mais, en même temps, elle l'exasp érait, car il
n'était pas habitué à ce qu'on résistùt à ses ,wance s!
Vivian e, plusieu rs fois, avait refusé de sortir
avec lui, allégua nt qu'elle ne pouvait quiller le
hevet cie la douairi ère, malgré les deux gardcs ll1alades.
C'était exact, du reste.
Tandis que les contusi ons étaient presqu e
guéries , une lésion cardiaq ue inquiét ait toujour s
les médeci 115 et nécessi tai t l'absen ce absolue de
Contrar iétés. Or, avec l'égoïsm e inconsc ient des
malade s, la douairi ère exigeai t la présenc e de
�gz
LE MARI DE VIVIANE
Viviane, repoussant les médicaments s'ils n'étaient
pas présentés par elle, trouvant un véritable apaisement dans la vue de cette jeune femme qui, tout
de suite, l'avait profondément conquise.
Viviane le sentait. D'abord indignée contre la
comtesse, elle s'était rendu compte que Mmed'Yrgill'aimait sincèrement. Elle se rappelait, pendant
ses fiançailles avant l'arrivée d'Olivier, son séjour
à Roche-Yrgil. La comte se la comblait de tendresse et de cadeaux, jamais l'orpheline n'avait
connu une a!Tection aussi vigilante. Elle comprenait que la comtesse, 'inquiète alors des retards
d'Olivier, redoutant qu'il déçCtt la jeune fille amoureuse, voulait, par anticipation, lui donner du
bonheur.
Aussi Viviane se con acrait à ~,a
belle-mère,
souŒrant seulement du mensonge dans lequel elle
vivait et se roidissant quand, d'un geste désinvolte,
Olivier la prenait brusquement par la taille et, sa
joue contre sa joue, se penchai t vers sa grand'mère.
Elle se roidissait d'autant plus qu'un trouble
':olent s'emparait d'elle et que son visage devenait
hnilant au contacl de celui d'Olivier. Elle avait
l'impression que le geste de son mari était un
piège. Ou'il la senllt un peu abandonnée contre lui
et il pourrait ricaner, avec justesse, qu'elle commençait à digérer l'affront pour entreprendre son
plan de s;écluc lion. A celle pensée, la digni té de
Viviane se révoltait el Olivier, la voyant rebelle,
sentait grandir en lui des idées de violence.
De ces brèves étreintes, brùJantes et glaciales
tout ensemble, elle sortait brisée de corps et d'âme.
Un soir, Olivier, qui était sorti toute la journée,
s'endormit au chevet de sa grand'mère. La jeune
femme ne s'en était pas aperçue, mais la douairière
lui prit la. main:
- Comme il est beau, mon pelit-fits! dit-elle
.. avec l'accent ùes mères passionnées.
�LE MARI DE VIVIANE
93
Viviane , furtive ment, regarda son mari et vit'
qu'il somme illait; ses cheveu x noirs retomb aient
en boucles sur ses sourcil s, ses cils s'allong eaient
sur ses joues pales. Un pli sévère barrait son front,
mais sa bouche s'entr'o uvrait sur ses dents, petites
et fraiche s comme celles d'un enfant; il avait la
séducti on puissan te et silencie use de la beauté
endorm ie. Elle frisson na.
- Tel il est mainte nant, reprit la douairi ère, tel
il était à quinze ans. Je retrouv e son expressiolil à
la fois impérie use el tendre ...
Puis, elle ajouta viveme nt:
- Oh! voyez donc, il est appuyé sur le bois du
lit. Prenez un coussin , glissez-le sous sa tète.
Viviane tressail lit. Avoir cette attentio n pOllr
Olivier ? Et s'il ouvrait les yeux, s'il la voyait,
s'occup ant de lui avec la sollicit ude d'une épouse ,
que pel15erai t-il? Elle sentait que, dans ce cas, elle
avouer ait avoir obéi à la sugges tion de ladoua irière.
Et, nerveu sement , elle ten ta d'élud er:
- C'est imposs ible, dit-elle , je le réveille rais.
La douairi ère la regarda avec surpris e:
- Sur quel ton vous di les cela? Vous est-il si
désagré able d'appro cher d'Ol ivier? acheva -t-etle
en sou riant.
•
- Je vous en prie, reprit la jeune femme en
hâle, ne me forcez pas à le réveiller. Voyez comme
il repose, comme il a l'air fatigué. Je vous en
prie!
- Oh! cela ne le réveille ra peut-êt re pas. En
tout cas, il vaudra it mieux pour lui qu'il fùt clans
sa chamb re plutôt que d'être si mal installé ici. Je
ne pensais pas demancler une chose si grave, vous
qui, pour moi, avez le dévoue ment de la plus
dévoué e des fi Iles!
S 11 regard inq uiet se fixait sur Vivian e et sa
voix trembla it. La jeune femme se mordit les
lèvres. Elle ne voulait pas se trahir après avoir
�94
LE MARI DE VIVIANE
déjà tant supporté d'ht~milaons.
Elle dit à voix
basse, se forçant à sounre :
'- Jenevou lais pas le déranger, c'est pourcela!
Elle s'approcha d'une bergère jonchée de coussins et fut très longue à en choisir un, dans l'espoir q~e
son mari, s'éveillant de ~ui-mêe,
~evan
cerait son geste. Elle les palpait, ne paraissant
jamais les trouver assez mOf'lleux. Enfin, elle
s'approcha d'Olivier.
Le jeune homme endormi émouvait secrètement
sou cœur. Dans le sommeil, ses traits, maintenant
détendus, prenaient leur expression véritable, ils
n'étaient plus ni hautains, ni railleurs, mais adoucis par un air de bonté et de mélancolie profondes ... Elle se pencha et, les mains tremblantes,
glissa le fameux coussin sous .la joue d'Olivier. Au
même instant, il se redressa, les yeux ouverts,
surpris et, machinalement, sa main saisit celle de
sa femme qui faisait un pas en arrière. Il vit le
coussin, crut deviner son attention, pâlit et
balbutia:
- Oh! vous avez pensé? Merci, merci .
Une douceur reconnaissante l'envahissait.
Mais elle eut peur d'avoir été servile et s'écria,
nerveuse:
- C'est votre grand'mère qui m'a dit de faire
cela.
C'était si spontané, elle semhlait si bien se
défendre de son geste, qu'il tressaillit. La douairière regardait les jeunes gens avec une dOLlou~
reuse stupeur. Et le jeune homme, d'abord ému,
sentit une colère sourde se propager en lui; se
précipitant à genoux sur le tapis, il murmura:
- Merci, grund'mère!
Et, saisissant les doigts de la douairière, il
déposa sur la main de son aïeule un baiser brûlant, le baiser qu'il avait perdu le clroit de mettre
sur le front de sa femme.
�ru
MARI DE ViVIAN E
IV
Madel eine de Gers.
II faisait un temps viC et délicie ux: un petit vent
sec et très froid emport ait les dernièr es feuilles
des arbres, fouetla itle sang dans les veines et, dans
le ciel d'un bleu tendre, un joli soleil brillant donnait une illusion de chaleur . Ce matin-là, au Bois,
quelqu es cavalie rs et amazon es fervent es galopaient sous les arbres défeuil lés, les joues roses
sous la fraîche ur vive, et le bruit des sabots,
retomb ant dans le gravier des allées, formait une
basse sourde aux dernier s chants des oiseaux .
Trois cavalie rs et deu x amazon es s'étaien t arrêtés
dans une clairièr e et, tout en flattant leurs fines
bêtes impatie ntes, ils bavard aient allégre ment.
- Si le thermo mètre baitise encore de cinq
degrés, nous pourro ns peut-êt re patiner , dit une
jeune femme bru ne, au teint bistré, aux yeux
intense s.
-- Vous ne rêvez que patinag e, celte année, dit
un des cavalie rs.
- Bah! cher monsie ur, votre femme ne rêve
bien que bals et soirées !
Mme Si\'icl, ainsi incrimi née, bondit légèrem ent
sur sa selle, découv ri t dans un rire ses dents irrégulière s, mais éblouis santes, et avoua:
- Eh 1 ma chère, ce n'est pas en patinan t que
je pourra is montre r mes jolies épaules ! Vous, vous
avez une chevirIe de biche ... je gage que voilà la
raison de votre goût pour les sports ... pédestr es.
On se mit à rire; Mme Clermo nde, la brune
aux yeux intense s, fronça les sourcil s et dit:
, - En tout cas, la saison est longue à s'ouvri r
cette année ... C'est effraya nt comme la campag ne
�96
LE MARI DE VIVIANE
retient longtemps les chatelains, maintenant! La
marquise de Palud veut passerl'hiver en Sologne ...
- Elle qui donnait de si jolies fêtes!
- Les Rosiert sont en deuil...
- Les de Vilère iront à Nice.
_ La comtesse d'Y rgil avait parlé de rouvrir
ses salons en l'honneur de sa belle-fille, et voici
qu'elle est dangereusement malade!
- Peut-être n'en reviendra-t-elle pas!
- Comment va-t-elle? demanda un des cavaliers.
- Ma mère est allée la voir, dit Mme Siviel,
vous savez qu'on ne reçoit personne, on la dit
presque toujours dans le coma. Sa belle-fille la
soigne.
- Ça doit être gai comme lune de miel! dit
M. de Boves.
- Oh! lune de miel! dit Mme Siviel d'un air
ambigu ...
- Que voulez-vous dire?
- Rien du toul. A propos, voici une personne
qui va pouvoir sans dou te nous parler de la famille
d'Yrgil. Regardez au bout de cette allée.
Les unes se penchèrent, d'autres se retournèrent
et aperçurent, venant au trot vers eux, une grande
jeune femme, opulente et cependant souple,
ouvrant, sous de lourds bandeaux roux, d'immenses yeux vert foncé
- Mme de Gers!
_ Madeleine! la cousine d'Olivier.
L'anwzone était à quelque distance d'eux. Elle
riait en les apercevant et sa bouche ayait l'épaisse
rougeur d'une rose vive . M. de Boves murmura:
- Voilà clone les anciennes amou rs d'Olivier
d'Yrgil!
- 11 en était très épris, bien qu'elle soit son
alnée, et l'on a été fort surpris qu'ils ne se mariassent pas.
�LE MARI DE
VIL~NE
97
Mais Mme de Gers arrivait, fougueuse, riante.
- Ah! mes chers amis, pour ma première
promenade au Bois je suis ravie de vous rencontrer, s'écria-t- elle gaielllent.
- Nous parlions de vous ... ou presque, dit
Mme Clermonde.
- Comment! ou presque? questionna Mme de
Gers sans comprendre.
- Nous nous entretenions des d'Yrgil en générai, reprit malignement Mme Siviel, et de l'état de
la douairière en particulier.
- Vous aIle!. pouvoir nous en donner des nouvelles, dit M . de Boves .
- Détrompez-vous : je n'ai pas vu ma tanle.
Songez que je suis rentrée hier après midi de mon
voyage en Ecosse.
- A propos, agréable, ce voyage?
- Oh! délicieux. Figurez-vou:, qu'il y avait là
une Altesse anglaise qui me faisail une cour! mais
une cour !
- Nous ne doutons pas, chère madame, que
« beaucoup ) vous aient ainsi courlisée ... sans
résu liaIs, car vous êtes la coq uellerie même!
-...M. de Gers en est mort du reste! dit en sourdine M. Siviel.
Mais .M~le
ùe Gers ne l'entendit pas.
AlIlSl vous n'a vez pas assisté au n1<lriagc de
votre cousin d'Yrgil? demanda Mme S ivicl Cil
fixant Mndeleine dans le blanc des yeux.
- Vraiment, je n'ai pas pu, répondit Mme de
Gers volubile en rougissant légl:rement, figurezvous que je m'étais foulé le pied ...
- De sorte que vous ne connaissez pas voIre
nou velle cOllsi ne?
-- On la dit très jolie, dit Madeleine en faisanl
face d'ellc-mêmc à l'appréciation qu'elle allendait.
- On dit aussi qu'Olivier en est éperdument
épris ... 11 \Jarait même que, depuis deux ans, il
69-IV
�98
LE WiAl'I DE VIVIANE
soupirait pour elle; enfin c'est un mariage d'amour!
Le rire de Mme Siviel interrompit brusquement
cette phrase; on se tourna vers elle:
- Qu'est-cc qui vous donue une telle gaieté,
ma chère amie? demanda Mme Clermonde.
- Tout simplcmcnt votrc crédulité, répondit la
jeune femme. Olivier aimant 9a femme? ayant fait
un mariage d'amour! quelle erreur!
On l'a assez répété cepel danl.
- C'est absolument faux!
- Vraiment? interrogea Madeleine de Gers en
fixant "ivement ses yeux verts snI" Mme Si viel.
- Tout cela est une fable, ni plus ni moins.
- Mais, d'où tirez-vous ces précieux renseignements'!
- De ma marraine, Mme Pière. Elle est venue
dernièremcnt 11 Paris et m'a tout raconté. Or,
l'été, il Pont-sur-Loire, marraine est la voisine de
Mme d'Yrgil; elles sont très bien ensemble. Il
parall que Mme cl'Yrgil voulant, par Illl mariacre
empècllCr son petit-fils d'aller au pôlc et ue c~n
naissant personne, a accepté que ma marraine lui
présentât une jeune fille noble et pauvre. Vous
connaissez l'imagination de la douairière? c'estel!e
~li
a inventé la fable de l'amour ... En réaiité,
Olivi e r n'avait jamais entendu parler de cette
Mlle d'ArlcnaT, i,l r:e,I'<~m
pas, et il parait que, le
jOli!' li li mariage, JI falStl.1t unc tète ... révélatrice.
- Olli, mais, depuis? si la jeune comtesse est
nussi bien qu'on le dit, tout cela li pu changer,
remarqua Mme Clermonde.
- Eh bien, dit M. de Boves, ma grand'mère a
et! l'occasion dernièrement de les voir ensemble à
la mcsse ct clic me disait justement qu'elle avait
été frnpréc de l'e. trëmc froideur d'~li
vier pour sa
rem me. Elle les a fort peu vus, lllalS, comme clle
~sl
lr's physionomiste ...
- Bref, il scmble donc q le, malgré celle
�LE MARI DE VIVIANE
99
« beauté )l, Olivier n'est pas ensorcelé? dit Mme de
Gers avec un rire nerveux. En tout cas, je verrai
cela cet après-midi, car j'ai l'intention d'aller
rendre visite à ma tante avant de passer à l'exposition de peinture de la rue de Sèze ...
- Nous comptons sur vous pour avoir des
détails, di t Mme Clermonde. Mais nos bê tes s'impatientent, trottons un peu.
Ils s'échelonnèrent en file indienne. M. de Boves
était derrière la belle Mme de Gers, lui parlant
sans arrêt. Elle l'écou tai t dislrai te men l, tou t
envahie par des souvenirs; à q uelq ues pas un
groom la suivai t.
Olivier et elle avaient passé leur enfance pre$que ensemble, l'hôtel des parents de Madeleine
étant contigu à celui de Mme d'Yrgil. Ils avaient
joué et étudié côte à côte, passé leurs vacances
dans les mêmes endroits, toujours en quere lle,
du reste, car ils n'avaient les mêmes goüts pour
rien et Olivier se moquait franchement des minauderies que Madelpine à quatorze ans faisait déjà ...
pour personne, pour elle-même, dans un besoin
d'exercer sa séduction, même sans but. Oui,
vraiment, Olivier riait d'elle ... Cependant, quand
Madeleine eut vingt-trois ans etlui dix-neuf, quand
il la vit au retour d'un séjour en Italie, femme
habile à enjôler ... il ne rit plus; il ne la jugea plus
ridicule ... mais séduisante . Il tomba au piège de sa
coq uelterie et fu t pl'om ptemen t très épris. Madeleine, elle, le jugeait trop jeune; cependant, il lui
plaisai t d'a voir ainsi un adorateur; pendan t longtemps elle le tint en haleine. Il eut vingt-deux ans,
elle en avait vingt-six et, ma foi, un mariage aurait
pu se faire, si, tout d'un coup, Madeleine n'avait
préféré un attaché d'ambassade ... M. de Gers
qu'elle épousa.
Avait-elle vraiment aimé Olivier? elle l'ignorait;
du reste, elle n'était guère susceptible d'aime
.~ , ,.<' ~
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09
�100
LE MARI DE VIVIANE
quiconque, hormis el-m~.
Quant à Oli~er,
il
fut su rpris d'éprouver 51 peu de chagnn au
mariage de son amie d'enfance ... Il se rendit
compte qu'il avait été seulement conquis par la
coquel!erie de la jeune femme et partit, le CŒur
un peu lourd, pour expl~r.
.
Voici qu'à S011 tour OliVier venait de se marier.
En recevant la nouvelle de cette union, nouvelle
accompagnée de lettres racontant le soi-disant
amour d'Olivier pour sa fiancée, Madeleine de
Gers, veuve depuis trois ans, s'était mordu les
lè Tes. Non pas qu'elle désirât absolument épouser
son cousin, mais, la pensée qu'une autre allait
e~ltièr1n
elracer son souvenir clans le cœur du
comte l'agaçail. .. Il lui plaisait par-dessus tout de
se sentir .:hérie : elle perdait là un adorateur .
Aussi, l'indiscrétion de Mme Siviel, affirmant
que M. d'Yl'gil n'était pas épris de Ja jeune comtesse, Jui était infiniment agréable. Elle Ile doutait
pas que son som-cuir Con tribuât à empêcher Olivier
de s'attacher à sa femme; cela flattait Son
immense vanité; elle souriait involontairement en
trottant dans les allées, se sachant belJe et se sentant la force d'éclipser cette « petite proyinciale
démodée ».
Arrivée à un ronel-point, Mme de Gers quitta la
filc et dit:
- l\les amis, je vous quitte, il faut que je rentre
chez moi, je ne veux pas déjeuner tard.
- NOliS ne vous retenons pas, nous savons
quels soucis de toi_le~.
occupent les Parisiennes,.
retour de voyage, dit 1 aimable M. de Boves.
Elle se mit ü rire ct, enlevant brusquement sa
jument alezane, elle fila, svelte, bien campée,
impétueu se. Mme Si\·iel. eut un petit rire sec:
- Madeleine a beSOin de temps aujourd'hui.
Vous pensez si elle va soigner sa toilette pour aller
chez. sa cousine!
�LE MARI DE VIVIANE
101
- VOUS croyez qu'elle désire ensorceler son
cousin?
- Oui et non ... ancienne idole d'Olivier, elle
ne veut pas paraître moins bien que sa rivale! c'est
un sentiment très naturel.
En effet, Madeleine, en pénétrant clans son
appartement de Neuilly, appela aussitôt sa femme
de chambre.
C'était son ancienne nourrice, femme intelligente, dame de compagnie autant que domestique.
- Gertrude, dit yivement Mme de Gers,
donne-moi un conseil. Quelle robe meUre cette
après-midi pour aller à l'exposition? Rétléchis
bien, je veux être étourdissante !
- Vous l'êtes toujours, répondit la femme avec
conviction.
C'était exagéré, mais la nourrice était sincère;
Madeleine se mit à rire.
- Songe que je vais revoir mon cousin Olivier. .. qu'i1 a une j lie femme et que je veux qu'en
me regarda!lt ... il regrette de ne pas m'avoir
épousée ...
- Mais, clans -luel but? YOUS ne désiriez pas ce
mariage, Maud?
J on, non, évidemment, mais je veux qu'il
soit ébloui en me voyant.. . sans aucune intention,
je te l'assu re.
C'était vrai . Par pure coquetterie, par d~sir
d'être la plus belle, b plus aimée, cette jeune
pas méchante, allai t
femme, qui cependant n'~tai
mettre tout cn œuvre pour éc lipse r Viviane ...
Pendant un long moment elle étudia diverses combinaisons cie toilettes, puis, satisfaite, sCtre ù'elle1116n1<', Madeleine de Gers, après le déjeunel',
s'ha hilla soig neusemcn t.
P cndant qll'elle se poudrait avec une minutie
extr~l1,
\ïviane d'Yrgil, assi e au pied du lit de
�102
LE MARI DE VIVIANE
sa belle-m ère, lisait machin alemen t un roman. De
l'autre côté du lit, Olivier parcou rait les journa ux;
puis il bâilla et déclara soudai n :
- Je vais sortir. Le temps est délicie ux pour la
marche . J'ai besoin de respire r, ajouta- t-il, positivement oppres sé par celle atmosp hère doJente que
Viviane, volonta iremen t impass ible, n'anim ait par
aucune repartie , laissan t à dessein tomber dans un
silence morne les amorce s de onversa tioll lancées
par son man.
Pourta nt elle avait l'esprit vif et juste. Il l'avait
entend ue pendan t leurs fiançailles, tenir avec
aisance des conver sations enjouée s. et spiritue lles.
Son mutism e voulu irrilait Olivier jusqu'a u
paroxy sme. Elle ne vou/ait pas lui plai1"e .
. C'était exact. Vivian e n'oubli ait pas son appréciation injurie use: « Elle saura courbe r le front,
accepte r tous les aiTron ts pour arri ver au bu t. )) Eh
bien! elle prou verait le contrai re. Du reste sa si tuation n'était- elle pas sans issue ?
Dans certain s romans elle lisait parfois que des
femmes , accepté es de mauvai se gra.ce, gagnai ent
le cœur de leur mari à force de douceu r, de soumission et de grâce. Mais Viviane ne pouvai t être
douce, séduisa nte avec Olivier . Ces c!i[éren tcs
attitude s appara ltraient simple ment comme un
calcul. Olivier n'avait- il pas dit qu'elle souhait ait
l'ensor celer par intérêt'?
Soit. Elle ne ferait rien pour lui plaire. Il ne
connal lrait paS le charme do son sourire . Et, bien
que cela lui coulàl, elle s'obstin ait à porter ses
robes de jeune fille, conserv ait sa coiffure quasimonaca le et ne levait jamais sur lui ses yeux
humide s et passion nés.
. .
- Je vais sortir, répéta Oltvler .
La douairi ère, ouvran t les yeux, murmu ra:
- Tu clevr;:t is emmen er ta femme. Mais oui,
mon enfant, vous avez besoin de prendr e l'air.
�LE MARI DE VIVIANE
1°3
Vous pâlissez. N'est-c e pas, Olivier, qu'il faut
qu'elle t'accom pagne?
- Certain ement, dit le jeune homme en s'approcha nt vivement.
- Je vous en prie, mère, dit Viviane à
Mme d'Yrgil , car jamais elle n'adres sait directe ment la parole à son mari s'il y avait un tiers, nc
m'obligez pas à me promen er aujourd 'hui. Je suis
lasse, j'ai un comme ncemen t de grippe . Il vaut
mieux que je reste ici.
- Olivier, insiste donc, dit la douairi ère.
- Mais je suis de l'avis de Viviane, dit le jeunc
homme que le refus de sa femme avait froissé.
Avec un rhume il vaut mieux qu'elle ne quitte pas
l'hôtel. Je vais m'habi ller; je reviend rai te dire au
revoir.
Il sortit rapidem ent. L'attitu de de Viviane le
mettait souvent hors de lui. 11 rêvait alors de la
saisir par les poigne ts et de les serrer jusqu'à ce
qu'elle change ât de visage, afin d'arrac her un cri
à cette bouche qui ne voulait pas sourire .
Dès qu'il eut quitté la chamb re, l'atmos phère
redevin t dolente, seulem ent cadenc ée par le
feuilletement léger du livre que lisait la jeune
femme.
Soudai n, la porte s'ouvri t et, théâtra le, fraiche
comme uue bottelée d'herbe s dans sa robe de
velours émerau de, une jeune femme apparu t.
- Oui, ma tante, c'est moi! s'écria-t-ellc en
jetant sur le lit de la malade un monceau d'œillets.
Je n'ai pas ,"oulu me faire annonc er pour vous
ménage r une surpris e. Comm en t allez-vous, mieux,
i'espère"/ Quel hOlTible accident, n'est-cc pas'?
Figurez-voLls que, moi aussi, j'ai eu mon « accident Il. Une foulure, là-bas en Ecosse, c'est pourquoi je n'ai pas pu assister au mariag e de mOn
cousin. Mais, à propos , voici sans doute ma eou-.
sine?
�104
LE MARI DE VIVIANE
Mme 'd'Yrgi l, animée par cette apparition brillan te, se souleva un peu en souriant et di t :
- Ma chère petite Madeleine, tu as deviné
juste: voici Viviane d'Yrgil, la femme de mon
cher Olivier. Viviane, c'est Mme de Gers, une cousine de votre mari dont vous avez entendu
parIer.
La jeune femme inclina la tête en signe d'assentiment et sourit à Madeleine.
- Est-elle charmante! s'écria Mme de Gers,
vous me permettez bien de vous embrasser, ma
(( chère » cousine?
- Mais certainement, dit Viviane, spontaé~
ment gagnée par cette gaieté et disposée à reconnaltre tendrement le moindre signe d'nffection.
Elle s'approcha de Mme de Gers et Madeleine
put alors constater que Viviane était moins grande,
moins décorative qu'elle. Enchantée, ce fut avec
franchise qu'elle embrassa la jeune femme.
- Alors, c'est vous qui soignez ma grand'tante?
dit-elle; oh! du reste vous avez tout à fait l'allure
effacée et discrète d'uue peti te sœur grise!
Viviane allait répondre q~li1nd
la porte de la
chambre s'entr'ouvrit et Olivier, en redingote, un
œillet sombre à la boutonnière, et guêtré de clair,
apparut en disant:
- Alors, grand'mêre, je sors .. .
Puis, soudain, apercevant Mme de Gers, il
s'écria:
- Com ment! vous êtes ici et on ne me le di t
pas? Quelle bonne surprise, comme je suis heureux de vous revoir!
Et, pon tnnémenl, les jeunes gens s'embrassèren t
afTec tu eusemen t.
Malgré clic, Viviane tressaillit: un (lot de sang
colora son visage. Mme d'Yrgil s'en aperçut et,
devinant la pensée de sa belle-fille, elle dit faible
et souriante :
�LE MARI DE VIVIANE
105
Pendant si longtem ps ils ont été frère et sœur!
La jeune comtesse hocha la tête en signe de
compréhension, mais son cœur continuait à battre
tumultueusement. Elle ne pouvait dominer l'émotion éprouvée en voyant son mari embrasser teu"
drement la belle cousine et la serrer dans ses bras.
U ne sorte de révolte, de désir éperdu, de tristesse
ardente s'emparait d'elle, l'épouse, que jamais
Olivier n'avait pressée contre sa poitrine, qui
n'avait jamais connu la douceur de ses lèHes. Pendant une seconde elle jalousa Madeleine; puis, elle
se ressaisit, honteuse de la faiblesse de son cœur
trop avide de tendresse, et qu'elle obligeait à une
froideur perpétuelle. Elle baissa la tête et s'absorba
dans la contemplation de ses mains, nues de bague,
sauf l'étroit filet d'or de l'alliance ... vaine alliance,
symbole vide de sens.
Du reste, Madeleine de Gers avait, elle aussi,
remarqué le trouble de sa cousine; eela l'amusait,
d'avoir, toul comme sa femme, le droit de tutoyer
Olivier. Elle dit:
- Olivier, Viviane est toute scandalisée parce
que je vous ai embrassé! Nous sommes de si
vieilles connaissances! vous rappelez-vous quand
nous jouiions dans le parc? Je roulais mes nattes
en chignon, sans quoi tu les attrapais au vol quand
nouS courions!
- Mon Dieu, que tu courais vite! dit Olivier
pris à l'enchantement des souvenirs d'enfance, ct
tu toyant Madeleine comme jadis dans le parc de
ses parents: - Tu courais si rapidement que je
t'avais surnommée Atalante!
- Et moi je t'appelais Centaure, car tu montais
à cheval merveilleusement!
- Et l'abbé Perreuil qui me donnait des pensums dont tu me faisais la moitié!
- Et miss Dorothy, combien de fois nOLIs
l'avons mystifiée!
�106
LE MARI DE VIVIANE
Tous deux simultanément partirent d'un' franc
éclat de rire! leurs souvenirs de jeunesse volaient
autour d'eux comme des oiseaux heureux; Olivier
fixait sur son éclatante cousine, sur ses joues roses
et sa toison d'un roux sombre, des yeux brillants
de gaieté. Madeleine, plus contenue, se drapait
lentement dans son hermine, heureuse de se
sentir si élégante à côté de Viviane, si doucement
« sœur grise », comme elle avait dit avec condescendance.
Cependant, elle se trompait en imaginant que le
comte pouvait la regretter. Rien ne subsistait plus
en Olivier de son vif amour pour Madeleine; il
n'avait pour elle qu'une affection loyale et purement fraternelle. Infinimcnt moins jolie, il l'cClt
regardée avec la même amitié. Il ne voyait plus en
elle quc la compagne gaie de ses premières années.
Olivier, du reste, n'aimait au mondeque sa gralld'mère et sa vocation. Fatalement, un jour, une
tendre passion emplirait son cœur ... mais il ignorait lui-même à qui il offrirait ce cœur, souvent
durci par l'orgueil, mais si capable d'attachement
tt de tendresse émue ... et don t sa femme ne voulait plus.
Maintenant Mme de Gers racontait son séjour
en Ecosse, donnait des détails sur sa foulure (bien
que celle-ci n'eCit jamais existé ct [ùt uniquement
un prétexte pour se dispenser d'assister au mariage
de son cousin). Olivier l'écoutait el' souriallt, plus
du tout pressé de partir à ce qu'il semblait.
- A vez-VouS vu les Chatre en Ecosbe? ils sont
allés chasser par là?
Madeleine avait vu les Chatre; elle donna égaleJl1ent Jes nouvelles des de Vilère, des Siviel, de
Mlle de Ponlaublé, de Aime C!ermonde.
- La dame aux yeux si noirs '! dil Mme d'Y rgil.
Ils riaient tom, les trois, nommant des séries
d'amis .••
�LE MARI DE VIVIANE
107
Viviane maintenant les écoutait, silencieuse ..•
Pas un des noms prononcés ne lui était habituel,
elle ignorait les souvenirs d'enfance de son mari,
rien de ce qu'il connaissait, de cc qui l'intéressait
ne lui était familier el elle avait plus que jamais
l'impression qu'elle était vraiment une étrangère
dans celle maison dont elle n'avait pas encore visité
toutes les pièces, étrangère parmi cette famille où
elle ne voulait que passer. " Une tristesse plus vive
la poignait en voyant ce trois êtres subitement
animés; elle songeai t : I( Madeleine est veu ve, c'est
elle, c'est elle qu'il aurait cio épouser! )1 et celle
pensée lui faisait mal. Il lui semblait qu'elle aimait
mieux avoir soulTert en ayant épousé Olivier que
d'avoir consené sa quiétude ... sans le connaltre.
Madeleine poursuivit:
- Je vois, mon cousin, que vous étiez prêt i'l
sortir ... avec Viviane sans doute.
- Je reste ici, maùame, répliqua la comtesse
en désignant la malade d'un coup d'œil.
- Suis-je indiscrète en vous demandant Oll vous
allez, Olivier?
- Où votre fantaisie me guidera, si toutefois
elle veut bien s'embarra ser de moi, répondit-il
galamlllent.
- Alors, je vous enlève rue de Sèze, à l'exposition de peinture de Saillant. Des paysage persans, mon cher, les bosquets de roses d'Ispahan,
des palais de majoliques ... A pr.opos de voyages,
vous aviez autrefois l'intention de faire l'acquisi,
tion d'un yacht.
- C'est toujours mon idée.
- J'ai un ami, le marquis de Lencia, un Espagnol, qui désire vendre le sien, un très joli bâtiment, 120 tonneaux, tenant bien la mer, filant
ra pidement. Voudriez-vous entrer en pou l'parlers
a\'ec Lencia?
- Cc!:l m'intéresserait.
..
�108
LE MARI DE VIVIANE
- Le yacht, baptisé Impéria, est à Palma, son
port d'attache, où vous pourriez aller le voir. Un
voyage charmant d'ici aux Baléares avec votre
femme. N'est-ce pas, ma cousine, que vous aimeriez une croisière cet hiver?
Le comte eut un demi-sourire. Naturellement
Viviane aimerait cela! Il allait même répondre
pour elle et fut. stl:péfait de J'entendre répliquer
froidement il nU-VOlX:
- Les croisières me tentent peu. Du reste, j'ai
l'intention d'aller bientôt retrouver mon vieux
cousin Marty, à Pau. N'est-ce pas, Olivier?
Il haussa les épaules. Pourquoi annoncer quasi
officiellement son départ. Il ne voulait pas croire
qu'elle y fCtt toujours résolue : Viviane .était sa
femme et, mon Dieu, puisqu'il devait ètre marié,
autant elle qu'une autre . Au fond, elle devait
penser de même ...
Pourtant, au nom de Marty, il évoqu,l Daniel au
visage pensi r et, pour la première fois, li ne pensée
ombrageuse lui pinça le cœur. Il se rappela que le
jeune homme b.rossait d'agréables paysages et,
laissant Madelellle causer avec sa grancl'mère, il
entraina sa femme clans un salon voisin ct dit avec
unc ironie sourde:
- VOliS allez clonc il Pau. C'est vrai, vous voulez
faire des aquarelles.
Elle ne répondit pas. Il saisit nerveusement la
main cie sa femme:
- Ecoutez, Viviane, dit-il, si je me décide pour
ce yacht, je pars le \oir immédiatement. Grand'mère peut se passer de nous pendant quelques
jours. Je souhaite, je désire que vous m'accompagniez.
ses doigts
Viviane sc redressa, tentant de lib ~re
qu'i l gardait autoritnirt.;mcnt dans le,> siens. Elle
comrrit que l'avenir de ~on
ménuge se décidait là.
Si dle parlait avec lui, unc réconciliation s'cl1sui-
�LE MARI DE VIVIANE
109
vrait fatalem ent dans l'étroit e intimit é du
yachtin g.
Une réconc iliation ! Son cœur frémit. Elle n'avait
conqui s ni son cœur, ni son estime, car ce n'était
pas l'amou r qui rendait Olivier aussi pressa nt: sa
vanité mascul ine était tenue en é 'eil par ses refus
muets, il était blessé devant Madele ine par l'attitude détaché e de sa femme, enfin Olivier , par principe, était forkme nt opposé au divorce . Voilà les
sentim ents qui l'anima ient. Elle se refusa ~l ètre te
joue t de l'amou r-propr e de cet homme qui l'avait
taxée de vénalit é et répond it , impass ible, dégageant sa main:
- Ce matin, le docteu r Lortal m'a dit que la
douairi ère serait bientôt hors de danger . D'ici peu
j'aurai quitté votre toit pour toujour s.
Cet te jeune femme, sans élever le ton, savait le
désarço nner en quelqu es mots. I l avait, en pleiu '
désert, maté des homme s mutiné s; il ne pouvait
faire plier ce roseau . Cet te résistan ce l'exasp émit.
11 di ! :
.
- Avouez donc la vérité: vôusav ez voulu devenir comtes se par votre mariag e, mais votre cœur
VOLIS pousse \'er~
Daniel!
Elle le regard a avec stupeu r, puis se détourn a
sans répond re et tous deu," tressail lirent en en!endant 1 ladele ine qui disait :
- Eb bien! les tourter eaux, Ulle quere ll e'? toujours pour cette croisiè re!
Elle surgiss ait dans le salon . Olivier , pâle,
furieux , bic osé dans sa ,anité d'homm e qui ne
compta it guère de cruelle s, répliqu a viveme nt:
- La comtes se n',l p:l' le pied mariu !
- Elle craint lc mal de mer'? d it Mme dc Gers
ell riant. Allon5, all revoir, ma cous ine, h •.\Ion5nOliS, Olivier . L'c:pos ition fCI me à cinq heures.
Il s p.lrtaie nt tous deu . Vivianc les accomp agna
jusqu'a u pé.ristyle ct perçut la phrase que
�110
LE
:MARI DE VIVIANE
Madeleine disait, assez haut, pour être entendue:
- Olivier, jamais vous ne débarbouillerez cette
petite de sa province ...
La comtesse se mordit les lèvres ... Mais, dominant l'âpre jalousie qui montait en elle, elle se
répéta comme un serment:
- Jamais je ne resterai ici 1
v
Pourquoi pas?
Le matin vêtu de lumière se levait sur la Méditerranée, sur la mer latine, éclaboussant de sa
clarté les terres dotées de climats enchallteurs,
toutes celles, depuis les lIes grecques jusqu'au x.
rivages espagnols, pour qui le triste hiver est une
saison de tiédellr el de beauté.
La Sicile surgissait de la nuit avec ses promontoires couronnés d~
temples antiques, ses villes
célèbres et, la plus éclatante de toutes: Palerme.
Vue du pont du yacht Impéria, ancré depui~
plusieurs jours dans le port de Palerme, la cité se
dressait, vision des plus beaux jours de l'anli l]uilé,
érigeant ses colonnades parmi les sombres ver ..
dures peuplées de citronniers et de roses.
A bord du yacht on faisait le ménage et les
hommes chantonnaient, insensibles à la splendeur du paysage. Autour d'eux, des har lues sici··
liennes à voile latine gagnaient la haute Iller, un
peu d'animation bourdonnait le long de la Conque d'Or, jonchée d'orangers en fleurs ct, comme
le vent attiédi par le soleil commençait d'apporter
jusqu'au yacht son parfum voyageur, plu ieurs
personnes parurent sur le pont, toutes vètues de
flanelle blanche, portan 1 la c1assiq oe casquel te
�LE
~lA:<
l DE VIVIANE
III
des yachtmen, mais, autour de celle de~
dames
ulaitul1 voilc.
- Quel magni(jque spcctacle! s'écria Mme Cler.
monde, vraiment Yrgil a hien fait cI'acheter ce
yacht et de nOLIs fairc làire cctte croisière!
- QuanJ on pense, dit M. Siviel, qO/en ce
momen t Paris est sous la brume et boueux j usqu'au faite dc ses demcures! Ici le plus tendre des
hivers nous offre ses roses et son soleil!
- Je serais bien encore restée quelque temps à
Palerme, dit Mme de Gers en arrivant à son
tour, mais Olivier a décidé qu'on lèverait l'ancre
ce matin même.
- Le toujours ohligeant M. de Boves s'est fait
de:icendre ft terre à six heures du matin pour aller
faire no~
achats en \ille avant le départ!
- Et le voici, le voici qui re\'icnt! Oh! la barque file sur mer comme une mouette. Bonjour,
Yrgil, commCn tallez-vous?
- Comme le temps, répondit le jeune homme
qui SUl'\'cnait sur le pont.
Et \ raiment il semblait d'humeur charm:lnte,
rajeuni, adouci par son costume flottant de llamile molle, promenant autour dc lui des rcga~ls
heu l'cU x ct insollcian ts.
- i\TollSicl1r de Boves, criait Mille Siviel au
g ntilhol111lle qui rcmontait sur le 1'0l1t, mcz-vous
pcnSl: il acheter des p,ltes de fruits? les célèhres
p,Hes dl' fruits l'alt;rmitai!1\;s?
- i\T.\d.ll11e, voyez comllle je suis chargé! il }' a
dcs holtes pour tout le monde et des fruits {'rais
que j'ai découverts non loin de San-Giovanni dcgli
Eremitti, vous vous rappelez, le cloitre l11agnifique
<lVCC sn
foule bourdonnante de roses ct de
lianes?
- Oh! le cloitre des Eremitli est le lieu le plus
enivrant de Palerme!
- Et la c1wpclle Palatine! ajouta Laufre.
S'Cllt'
�112
LE MARI DE
VIA.~E
De plus, je rapporte le courrier, dit M. de
Bovcs.
Chacun bondit, saisissant aviùcment les lettres
et, bientôt, ce fut un grand silcnce: on n'entendait plus sur le pont que le balancement des
rocking-chair, le froissement du papier à missives
ou une petite exclamation en sourdine.
- Mon cousin, j'ai une lettre de votre mère,
dit Madeleine en s'adressant à Olivier.
Moi aussi, ditlVlme Siviel.
- Moi aussi!
- Moi aussi!
Il Y eul un éclat de rire général. Le comte dit
alors:
- Nous en avons chacun une pour le même
motif probablement: ma mère vous invite au bal
travesti qu'elle compte donner le 1110is prochain,
n'est-ce pas?
- C'est cela et COI11.me nous serons rcvenus
à cette époque-là à Paris nous irons, s'écria
Mme Siviel.
- Oh! certainement, un bal travesti? j'adore
cela! Je vais toul de suite écrire à mon couturier:
jc yeux un costume sensationnel.
- Le mien ne le sera pas moins, dit Madeleine
viremcnt, je vais y rêvcr.
- Je suis content, ditlVl. de Boves, de voir que
Mme d'Yrgil est non seulement rétablie, mais
pleine d'entrain.
- Nous allons avoir l'occasion de voir la comtesse Viviane en grand apparat, dit Mme Clermonde.
- Ah! voici le yacht qui démarre! ne parlons
plus, regardons Palerme qui s'éloignc! s'écria
Yrgil ùétournant la conversation.
- Adressons-lui nos actions de gr.lc(.s : cantique à sa beauté, quel dommage que la comlessl!
Vi viane :ti t préféré rester à Paris!
�LE MARI DE
VI1~Œ
l
l3
- Moi, dit prosaïquement Madeleine de Gers,
je rentre dans ma cabine, j'ai à écrire.
Mais, au lieu de rentrer comme elle le disait,
Madeleine demeura accoudée à b lisse, non loin
d'Olivier, guettant l'impression que lui causait la
lettre reçue de son aïeule.
Car Madeleine, ayant décidé que son veuvage
devait prendre fin, ne quittait plus son cousin.
Viviane lui semblait une rirale facile à déloger.
« Ce n'est pas une femme, c'e't un poids mort )l,
disait-elle souvent en riant au comte qui se mordait leslèvres en songeant à l'impassibilité de sa
femme.
Bref, Madeleine, av cc les Clcrmonde, avait
accompagné le jeune homme à Palma pour voir le
yacht. 11 faisait mainknant une cr isière d'essai,
ayant pris à Marseille d'autn.:s Parisiens: les de
Boves, le général de Louvise et cetle princesse
Sam;1telli, sou pie com Ille une pan thère ct danseuse
en ragé0 . L'ani mation étai t in tense sur le joli
bateaullllpéria. « Un n0111 qui m'irait bien,» disait
Madeleine en se reùressant dans les draperies
savantes de ses robes toujours sensationnelles.
Elle savait qu'Olivier - entre deu.· explorations
- aimait à se retremper dans une atmosphère
d'élégance et de beauté . Elle se multipliait. C'était
la marquise de Pompadour de ce Louis XV distrait. ..
Bien qu'il n'eût dit que peu de choses sur
Viviane, la fine mouche avait facilement reconstitué le drame qui se::parait ces jcunesgens et de, iné
Ic; point sensible. Au.ssi, ce matin-là, ·'approchant
de son cousin, elle dIt:
- Eh bien, Olil'ier, YOUS paraissez perdu .ùans
la Ieltre Je ma grand'tan te ...
- Lisez \"ous-l1lèmc, dit Olivier, lui tcnù 'lOt la
lettre dans un 111011'·Cl11ent Jc camaraderie que
justifiaientlcurs années d'enfance.
�114
LE
M~r
DB VIVIA:tm
Elle prit la missive et la parcourut rapidement:
« Mon cher enfant,
« Ce qui suit ne va pas te surprendre, car je
t'avDis déjà parlé d'un bal travesti pour fêler 111011
rétablissement. Je viens d'en arrêter la date .
Comme tu le vois, c'est assez rapproché. Hâte
donc ton retour. J'ai dü presser les choses, car
Viviane veut absolument quitter Paris pour aller
se reposer. Elle n'ira pas à Pau, l~
Marty étant
reVellUS à Paris (des gens charmants, ces Marty,
ib viennent ici tous les jours). Bref, Viviane veut
aller respirer l'air de la montagne, au Puy. J'aurais
nl'lu\'aise grâce de la retenir ici après les soins
l:évoués dont elle m'a choyée. Croirais-tu qu'elle
:,e refusait même d'assister à la soirée! J'ai dù
me faire aider par le docteur qui a évoqué le fantôme d'une rechute possible, pour la décider à
l'ester!
« Je pense que tu seras bientôt ùe retour à
!)arÎs. A propos .•. »
;'\1adeleiue laissa tomber la leU re et di t à voix
(,asse :
- Vous le voyez, Olivier, elle trouve toujours
moyen de rester! Une vraie coméclie que celte
menace de départ!
- Peuh! je sais qu'elle ne partira pas, dit Olivier avec le sourire passablement suffisant d'uu
homme trop recherché par les femmes.
- Je vois, du reste, qu'elle a conquis entièrement la comtesse par sa souplesse ... reprit Madeleine.
- Pardon, interrompit Olivier avec une certaine vivacité. 11 faut reconnaltle ce qui est.
Viviane s'est révélée une garde-malade d'un
dévoucmcnt émouvant. Il n'y a là auculle sou plesse,
mais une véritable abnégation. Madeleine, je lui
doL la vic d'unc femme adorée.
�LE HARI DE VIVIANE
115
La jeune femme se mordit les lèvres. Son tact
habituel avait fait fausse route. Dorénavant, il ne
fallait pas dénigrer Viviane sur ce point. Malgré sa
prévention contre elle, Olivier reconnaissait son
mérite. L'attitude de Viviane au chevet de la
grand'mère, cette dignité qui ne s'était pas démentie une minute pendant cette période délicate,
a,'aient forcé l'estime d'Olivier.
Du reste, ses sentiments à l'égard de sa femme
étaient d'une complexité qui Je déroutait, car
il avait généralement des opinions nelles et
simples.
Or, sans vouloir l'admettre, l'élévation d'âme de
la comtesse s'imposait à lui, surtout depuis qu'il
était sur le yacht, au milieu de femmes affolées
de flirts, de vanités, bourrées de médisances, à l'esprit aussi vide que le cœur! Une Mme Clermoncle
qui, tandis que son Gis agonisait, deux ans plus tôt,
donnait une soirée, n'ayant pas voulu la décommander par suite des frais engagés! Une princesse
Samatelli, gui s'évanouissait l'avant-veille en
voyant un malelot 'entailler la main au cours
d'une manœuvre, réclamait des sels, monopolisait
l'équipage tandis que le pauvre homme demeurait
en panne, la main en sang! Et cet te Madeleine, qui
n'était venue voir sa grand'tante gue vingt-quatre
heures après son arrivée, ayant d'abord, le matin,
fait son « tour» au Bois pour recueillir les
potins!
Mais à quoi bon ces comparaisons stériles?
Viviane ne l'aimait pas. Pouvait-elle même aimer?
Lui était-il possible d'être vibrante? Pendant les
fiançailles elle était souvent timide. Depuis, elle
ne s'était jamais départie d'une impassibilité neutre, même au moment du départ de son mari pour
Palma. Il revoyait le visage pâle de sa femme, les
yeux qui évitaient de se poser sur les siens, l'expression morte qui refusait de s'animer. Etait-cc de sa
�II6
LE MARI DE VIVIANE
part froideur naturelle ou volonté arrêtée? Il se le
demandait constamment et, pour la vingtième fois
peut-être, trahit son doute à Madeleine:
- Quelle énigme que cette Viviane, dit-il. Que
faudrait-il pour que la statue devint vivante?
- Mais, mon ami, dit vivement la jeune femme
que ces quest ions horripilaient, c'est impossible.
Vous vous obstinez à croire que Viviane est inerte
pour vous seul. Quelle erreur! C'est son tempérament. Elle était faite pour être une demoiselle de
compagnie ou une vieille fille morne, chérissant
l'inélégance comme d'autres cultivent la beauté.
C'est pourquoi je vous plains, mon pauvre
Olivier!
- Bah! je suis un coureur d'océans et je repartirai sans doute bientôt, dit-il, énervé.
- Vous n'auriez cependant pas mieux demandé
que de rester! Puis, au retour de vos randonnées,
vous aimez être entouré de grâce et d'esprit
comme Louis XV aimait, après une journée de
chasse, retrouver l'atmosphère précieuse des
petits appartements de Versailles ...
- C'est vrai, dit-il en s'animant, flatté que
Madeleine l'eClt comparé à ce roi dont le physique
fut toujours majestueux et charmant. Quand
j'ai parcouru la brousse ou le désert, que mes
yeux sont pleins de visions de négresses vêtues de
verroteries, de femmes tatouées, d'Ara bcs grosses
comllle des muids, quel délice de rentrer à Paris,
d'entendre causer des Parisiennes possédant l'art
raffiné de porter une robe. Cet art Ci ue vous possédez, ma chère cousine, ajouta-t-il galamment.
- Il faut avoir cela dans le sang, dit Madeleine
enchantée du compliment d'Olivier. Le bal de
l'hôtel d'Yrgil me donne à songer. ..
- Comment serez-vouS travestie '?
Elle hésita, se recueillit et dit enfin, en fixant
sur 1<; jeune homme des prunelles éloquentes:
�LE MARI DE VIVIANE
1I7
- Je serai en reine ... et peut-ètre mon roi me
choisira-t-il cette nuit-là!
II soutint SOIl regard et l'enveloppa d'un bref
coup d'œil. Oui, elle était un peu massive mais
fralche, essentiellement décorative et parcille, sur
le fond azuré de la mer, à une statue de l'Abondance. Elle avait raison. On ne change pas un
tempérament. On ne tire pas une flamme d'un
iceberg. Mme de Gers était un ardent foyer et,
un 'peu troublé, songeant à la phrase: « Peut-être
mon roi me choisira-t-il cette nuit-là, Il le jeune
homme murmura en la regarJant:
- Pourquoi pas?
VI
Zulimé et le voyageur •••
•
Si Je soleil luisait au-dessus de la Méditerranée,
il ne brillait pas avec autant de fougue sur la
région parisienne .. .
Le pauvre Paris, qui ne peut jamais ètre sOr
d'avoir un t:té, peut être toujour:> certain d'avoir
un hiver ... Et quel hiver! non pas la féerie du
Nord où Décembre, barbu de glace, est d'une
brutale magnificence. Non, une liquéfaction, un
délitement général, un ellondrement sous la pluie
ct dans la boue .. .
Et la lumière, cette belle et vivante chose qui,
dans le Midi, transforme un talus pierreux cn une
colline d'or, la lumière à Paris semble proscrite
pcndant des mois. Tout au moins ne la reconnalton pas tant elle est enveloppée de brumes, rrttnpant, se trainant mollement d,lUS les appartements
pour les attrister.
Dans S<l petite chambre d'étudiante, Zulimé Cal·
�118
LE MARI DE VIVIANE
listian, l'Arménienne ramenée de Jérusalem par
les Marty, regardait le matin parisien. Et sa pensée
se reportait vers les jours de son enfance, là-bas
à Sion, dure ville certes, mais violemment
éclairée.
Sur la Voie Douloureuse son père tenait un magasin, une échoppe plutât, où il vendait avec force
sourires et courbettes de faux « objets d'art
authentiques n, ainsi que l'an nonçait gravement son
enseigne. Des vases, des bracelets ternis, des 111onnaiessurtout,I de toutes les époques, à toutes les
effigies, frustes ou polies, depuis les Ptolémées
jusqu'aux deniers romains, tout cela émanant soidisant de ses fouilles. Et il en avait tellement de
ces pièces d'or et de bronze, que c'était à croire
que l'Antiquité n'avait d'autre coITre-fort que le
sol.
Du reste il fallait entendre le père Callistian,
dans l'ombre de son échoppe, parler aux touristes
de passage à Jérusalem, de ses expéditions dans
les monts sinaïtiques où, traqué par des brigands
sanguinaires, à la merci du choléra, il peinait pOUf
découvrir ces médailles, ces amphores, ces plats
pour le moins contemporains de Moïse ...
Zulimé, qui, de l'arrière-boutique, l'écoutait en
faisant ses devoirs d'écolière, le connaissait ce
terrain cie fouilles! Il était situé trois rues plus bas,
dans la boutique du Juif Ephraïm qui n'avait pas
son pareil pour vous fabriquer ({ d'authentiques
antiquités )), Non, vraiment son père ne courait
aucun risque en y allant, et ce n'était pas la peine
que la miss Anglaise ou la jeune Française romanesque pâlissent en écoutant le récit des périls
bravés par Je père Callistian, pour le plaisir de leur
vendre « à un prix dérisoire vraiment, chut! n'en
parlez pas à mes collègues, » des verroteries et des
lampes de terre.
Bien qu'elle ellt été élevée dans cette brocante
�LE MARI DE VIVIANE
119
qui est une des industries les plus répandues de
Jérusalem avec le commerce des reliques et des
chapelets, Zulimé était choquée qu'on fit passer
pour véritables des objets nettement apocryphes.
Elle détestait sincèrement J'ardente mimique de
son père quand Je petit homme larmoyait en se
séparant d'objets que justement, disait-il, « iJ avait
de tout temps réservés pour la dot de sa fille ». Et,
d'un geste, il indiquait l'arrière-boutique oll l'on
apercevait, penchée sur ses livres, la tête brune de
Zulimé indignée.
Du reste, elle ne se mêlait pas du eommerce
paternel. Elle avait fait ses classes à la .Mission
Française et, comme on lui trouvait de grandes
dispositions pour la médecine, elle devint bient6t
aide-infirmière dans le dispensaire de la Pitié, là
où défile chaque jour une étonnante procession de
monstres. Car l'Orient aime l'exagération. A lui
les jardins paradisiaques, les villes de r0ye, les
décors de féerie . A lui aussi ces maux hideux dont
les noms seuls, de loul temps, firent trl:ll1bJer
l'Europe: lèpre, éléphantiasis monumentales, sans
compter les attaques de choléra, les apparitions de
la peste, la menace du typhus. Vraiment, il y avait
pour la jeune Zlllimé un véritable débouché ùans
la médecine . ..
Elle vivait donc paisible quand l'épreuve fondit
sur elle.
Son père était accusé d'avoir vendu comme
a1\thentique à un Américain, chargé d'organiser
un musée aux Etats-Unis, une sandale dite « la
sandale de Salomé li, que Calli ,tian prétenùait
avoir déterrée dans les ruines du palaiS d'Hérode.
Mais l'Américain, flairant une tromperie, avait fait
expcrttser la fameuse sanùale par lImeyer, l'antiCjuaire hongrois,)e oncurrent le plus r doutable
cie Callistian cl celui-ci avait démasqué la supercherie.
�J20
LE MARI DE VIVIANE
Il n'y a peut-être pas à Jérusalem dix antiquaires
loyaux. Qu'ils habitent, comme Callistian, dans un
trou sombre, sentant le musc à en êtl'e renversé,
ou comme Ilmeyer le magasin moderne tout en
vitres et astiqué comme une banque anglaise, tous
trauquent à qui mieux mieux. Cependant, comme
il faut de temps en temps attester la bonne foi de
Ja corporation, tous les marchands d'antiquités de
la ville se dressèrent comme un seul homme contre
J'Arménien. Quoi! avoir trompé, non pas seuJemenl
un acheleur, mais un « gouvernement » étranger!
Haro sur ce misérable! Il fut l'âne de la fable . Et
mis à J'index, Callislian fut contraint deJermer son
échoppe. Zulimé subvint à leurs besoins avec ses
médiocres appointements du dispensaire.
Pauvre Zulimé ... Elle médifait un jour sur sa
chute dans Je jardin des Olives qui, vingt siècles
plus tôt, avait été témoin d'une autre angoisse que
la sienne, quand, tout à coup, son esprit fut tellement absorbé qu'elle en oublia subitement ses
malheurs.
Entre les oliviers séculaires un jeune homme
pale, blond, le visage doux ct triste, se promenait
. lentement. Il boitait légèrement et parlait à un
homme plus âgé que lui, son père sans doute.
En le regardant, Zulimé ne sentait plus ses
ennuis. Jamais elle ne put dire pourquoi ce jeune
homme J'avait à cc point fascinée; pourquoi ce
nom Je « Daniel 1), que lui donnait son compagnon,
lui parut le plus sympathique des noms.
Mais elle Je perdit de vue en rentrant à Jérusalem, et l'étrange impression faite sur elle par le
voyageur s'effaçait quand, deux jours plus tard, il
parut dans le dispensaire de la Pitié où il venait
étudier les malaùies orientales.
Que le sort prll ainsi la peine de faire venir près
d'elle celui qu'elle avait remarqué sembla miraculeux à l'Arménienne. Su perstitieuse, elle pensa
�LE MARI DE VIVIANE
121
que le jeune homme apparu dans le Jardin de~
Olives lui était destiné.
Du reste, il s'occupait dans son service et, trè~
vite, remarqua et apprécia la docilité intelligente de
la jeune fille, en même temps qu'il était touchl
par l'humiliation de sa vie depuis la condamnation
de son père. Elle, de jour en jour, s'attachait ;.
Daniel avec une dévotion d'esclave toute chargée
d'orientalisme.
Or, le père Callistian mourut une nuit d'une
attaque de choléra, ne laissant en héritage à sa fille
que la fameuse sandale ùe Salomé, et les Marty,
rentrant en France, proposèrent à la jeune fille de
venir achever à Paris ses études médicales avant
d'entrer dans le dispensaire qu'ils projetaient de
fonder.
C'est ainsi que Zulimé se trouvait dans la capitale. Tous les matins elle travaillait dans un hopitalj
l'après-midi, elle servait de secrétaire au Dr Marty,
très occupé par les plans. Mais Daniel, habilement,
entrav,iit l'étude de ces plnns, prétextant qu'avanl
de partir il avait « une mission à remplir, une
protection à exercer». Quelle mission, quelle protection? s'était longtemps demandé Zulimé. Aujourd'hui cependant, tandis que de sa petite chambre,
pieusement tapissée avec les œuvres dt: Daniel, ellc
regardait le ciel gris au-dessus de Paris, elle ne
5'interrogeait plus, tout à la ferveur d'un nouvel
~roi.
Car, depuis quelque temps, Daniel, qui jusqu'ici
n'avait eu pOUf elle que la honté di~trae
d'un
homme absorbé par un autre rêve, Daniel remarquait la jeune fille, la complimentant sur ses lourds
cheveux noirs d'Orientale, son teint mat à reflt~
d'or, comme-si le soleil asiatique était demeur(
sous sa peau, tout ce qui était remarquable en elle,
bien qu'elle ne fùt pas absolument jolie. Enfin, !H
lui avait-il pas offert, pour se délasser de ses trn -
�[22
LE MARI DE VIVIANE
vaux de clinique ou de secrétaire, de faire un peu
d'aquarelle sous sa direction!
L'Arménienne n'avait pas le talent du jeune
homme, mais l'amour, qui embellit les filles laides,
donne des aptitudes aux moins douées. Ell e écoulait docilement tle~
conseils de Daniel, heureuse
' juand .il se penchait sur son esquisse, rectifiait,
modifiait, frôlant sa main de la sienne en maniant
le piuceau.
En se rappelant ces séances, Zulimé soupira
d'un bonheur angoissé. Finissait-il par être touché
par son amour silencieux?
Elle le pensait, la pauvre petite, ne se doutant
pas que Daniel ne s'inclinai t vers elle, la courtisant
discrètement, que pour tenter de s'arracher à
l'amour impossible qui le minait; pour tenter
d'oublier sur le cœur fidèle d'une autre femme sa
passion pour Viviane d'Yrgil. ..
Passion accrue, renouvelée depuis qu'il la fréquentait à Paris. D'abord, il avait été très surpris
qu'Olivier ne fût pas là. Mais Viviane, par pudeur,
n'avait pas parlé d'une croisière. Les quelques
mots dits par elle à ce sujet laissèrent seulement
à entendre que le comte avait dû partir pour visiter
le yacht; cela semblait presque un voyage d'affaires,
car elle ne mentionna ni la présence des amis, ni
la vie joyeuse qu'on menait à bord, et, comme la
jeune femme affectait une grande sérénité, le
patn 'e amollreux en concluait que le mén~ge
était
uni et qu'il n'aurait pas à la protéger, à la sauver.
Mais à la voir fréquemment, son cœur était à vif,
et il essayait d'échapper à l'enlizement, voulant à
toutes forces s'attacher à cette Zulimé par exemple
dont il sentait l'amour errer autour de lui. Ah l
oui r aimer l'Arménienne, l'épouser, partir avec elle
pom Jérusalem où tous ùeux s'occuperaient de
philanthropie, onblier l'amour défendu qui le I"onge,lÎ 1 !
�LE MARI DE VIVIANE
1~3
Mais, en dépit de ses efforts, chaque fois que,
seul avec Zulimé, il es ayail de lui parler tendrement, les mots ne venaient pas et il trouvait toujours un prétexte pour dilTérer ce qui pourtant lui
semblait le salut ...
De son coté, Viviane était trop absorbée par ses
propres pensées pour observer son cousin. D'abord
J'absence de son mari avait été un soulagement.
Enfin elle cessait d'être contrainte, vivait naturellement, sans lutter! Puis, très vite, elle regretta
cette présence - pour amère qu'elle fût - elle
soum'it de ne plus entendre le son de sa voix, de
ne plus sentir parfois son bras entourer sa taille
avec un peu de violence quand il la contraignait à
se pencher sur la douairière, sa joue frôlant sa joue,
et qu'elle résistait avec une sensation exténuante
de douleur et de Yolupté ...
Et si, pourtant, au retour, il -avait changé, se
montrait sincèrement convaincu de son désintéressement, naiment épris? Qu'impOl-te, elle partirait. Mais ... peut-être viendrait-il la rechercher,
refusan t de se séparer d'elle, l'aimant enfin ... Et,
à celle pensée, le cœur de Viviane se gonf1ait d'un
espoir si grand qu'il lui faisait mal ...
Non, elle ne se doutait pas de cc qui se tramait
sur le yacht, ni de la visite qu'elle allait recevoir,
quand, cette après-midi brumeuse, elle écrivait au
décorateur qui de\'ait orner la salle de bal. Elle
achevait sa lettre quand sa belle-mère entra,
alerte) [l'niche, pas du tout Yaspect d'une convalescente, car, depu is qu'elle se levait, sa vigou rcuse
constitution triomplwit de la faiblesse. Elle dit:
_ A propos, ma chère Viviane, vous mppclezvous que M. Marty nous avait dit avoir découvert
un excellent chef d'orchestre pour la soirée?
Car le' Marly s'étanlmis à la disposition de la
dounirière pour tous les détnils de la fêle,
Mme d'Yrgil ne jurait plus que par aux.
�I24
LE MARI DE VIVIANE
Oui, répondit la jeune felomue. Il s'agissait
d'un des orchestres des Ambassadeurs .
- Parfaitement, le chef est un certain Krzysztof
Schlonskovski, un nom chevelu et polonais à point
pour nous faire rêver aux délices de Chopin,
acheva la douairlêre en riant. Ne devait-il pas venir
s'entendre avec nous hier?
- Je le crois; en effet, il n'est pas venu.
- Voulez-vous téléphoner au docteur en lui
demandant s'il peut nous dire pourquoi? Ah 1
parlez-lui au sujet des menus. Ceux de mon graveur ne me plaisent pas. Peut-être connait-il un
artiste. Je voudrais aussi son avis pour l'éclairage
électrique. 11 a si bon goût!
- Mère, dit soudain Viviane, comme vous /
pâlissez ...
- Oui, ce n'est rien, toujours le cœur! Je ne
peux me faire à celle infirmité, car c'en estl1ne de
ne pouvoir ni marcher vite, ni parler rapidement,
vivre enfin, sans redouter une sulTocation ! Serai-je
toujours ainsi maintenant? implora-t-elle en prenant les mains de sa belle-fille.
-. Non, non, mère, cela passera, dit Viviane .
Mais n'él:ucnl-ce pas ces malaises persistants qui
l'empèchaient de ruir?
Viviane allait téléphoner quand un domestique
annonçJ. Mme Pière.
- Oh! dit vivement la comtesse, recevez-la, je
vous en prie, Vi\1iane. Je ne viendrai au salon que
tout à l'heure, il faut que je m'hahille.
Elle disparaissait rapidement. ViviJlle lui dit:
- Moins vite, 111ère, voire cœur se fâchera!
- Oh! c'est vrai! j'oublie constamment. Non,
jamais je ne m'y ferai, jamais!
Mme Pière attendait dans le salon. Son fin
visage l'usé, à la Quentin :Metzys, luisait de curiosité. Enfin clic était à Paris, r venue défi nitivemcnl
de Ponl-sur-Loire, à Paris, au cœur des potins ...
�LE MARI DE VIVIANE
125
Elle allait voir par elle-même comment Viviane
prenait sa disgràce, car la vieille dame avait des
griefs contre la jeune comtesse, estimanl qu'on
n':lvait pas assez fail cas de son intervention à elle,
Mme PIère, el sa méchante petite figure se plissait
de joie en songeant à la nou\elle qu'elle apportait
en même temps qu'une corbeille de raisins merveilleux, une mauvaise nOL"'elle glissée parmi les
fruits comme un serpent venimeux . ..
Ma is Viviane survenait et elle lui tendit les mains
avec de grandes démontrations :
- Chère petite madame, j'arrive de la campagne ct, vous le Yoyez, ma première visite est
pour vous. Comment ra cette chère comtesse?
- Vous allez la voir tout à l'heure sur pied,
fmlche comme un bouquet. Jamais vous ne
croirez qu'elle ait été au 'si malade. Un vrai
m iracle !
- J'en suis enchantée, et vous, chère madaule,
vous avez une mine superbe .
- Je su is très fat iguée pourtnnt et j'aspire à
aller me reposer à la campagne , dit Viviane.
i 'aurai-je pas aussi le plaisirde\'oirOlivier?
ùemanda Mme PIère feignant d'ignorer l'absence
du jeune homme.
- Malheureusement non, madame, et il le
regrettera . . Il est absent pou r que lque jours,
répondi t Viviane d'un air détaché en ajoutant aussitôt : avez-vo us des nouvelles du Puy à me
donner'?
Certainement Mme Pière en avait, car c'étai t
une véritable gazelle. Mais, ce jour-là, clle fut très
hrè\'c, ayant manifestement que lque chose d'autre
à dire, Elle demanda enfin d'un petit air léger:
- A propos, avez-vous des nouvelles tle votre
cousine, ;VI me dc Gers '1
- Elle voyage .. , réponùit dubitativement
Vi.iane Cil délournanlles yeux.
�26
LE MARI DE VIVIANE
Figurez-vous que ma filleule, Mme Siviel,
dans sa dernière lettre, me disait laconiquement
que' Mme de Gers faisait une croisière et que,
renonçant enfin au veuvage, elle allait se marier
prochainement.
-- Ah! avec qui donc? interrogea Viviane,
incapable de se contenir.
- Je ne sais, elle n'a pas dit le nom, seulement
ceci, « avec le propriétaire du yacht », dit
Mme Pière hypocritement.
- Et comment s'appelle ce yacht? demanda la
jeune femme en se levant vivement, soi-disant
pour arranger des chrysanthèmes dans un vase.
- Je ne me rappelle plus bien .. . quelque chose
comme ... Régina ...
- lm péria, peut-être, souffla Vi viane.
- Oui, c'est cela, Impéria. Savez-vous qui en
est le propriétaire? interrogea Mme PIère, scrutant les yeux de la jeune femme.
- Je l'ignore, laissa tomber Viviane avec effort.
Mais, voici ma belle-mère. Pu is-je vous prier de
ne pas souffler mot de cette affaire de mariage
devant elle? Je vous dirai pourquoi après.
Et, sanS une parole dei plus, Viviane s'échappa
du salon, laissant Mme Pière avee la douairière qui
entrait.
Ainsi Madeleine à mots couverts annonçait son
mariage avec Olivier ... Ils s'ai maient! Non, elle
n'avait pas à espérer que son mari revint à elle.
Madeleine se l'était attaché! ec comme Mme Pière
- tout en feignant l'innocence - avait tenu
méchamment à la mettre au courant!
Oui, elle allait partir pour le Puy, tout de
suite.
El ensuite, que ferait-elle? C'était maintenant
qu'il lui était impossible cie passer sa vie dans Ull
pensionnat. Ah! fuir, fuir très loin, quiller la
France, l'Europe, s'expatrier, s'intéresser à une
�LE :MARI DE VIVIANE
œuvre grandiose, s'arracher d'~Ile-mê,
rien suyoir de lui, rien!
Elle se redressa. S'ex patrier? u ne
œuvre? Une solution se présentait à elle
billant en hilte, elle quill<l l'hôtel, héla
jeta brièYement une aclre 'se :
- 57 bis, rue La Boétie.
12'1
ne plm:
grande
et, s'haun ta .. i,
Celle même après-midi, Zulimé venait d'arriver
chez M. Marty qui lui disait:
- Vous pouvez, mon enfant, achever la petite
aquarelle que vous avez commencée hier. Il fau t
que je compulse des documents aHtnt de vous
dicter.
Justement Daniel était là. Mlle Callistian
remarq ua son visage tourmen té etle règard fiévreux
qu'il posa sur elle, un regard qui semblait s'interroger lui-même.
Elle s'installa deyant le tableautin dont elle
aimait le sujet. C'était la copie d'une œllue de
Daniel représentant une fontaine aux environs de
Jérusalem: sous l'ombrage de feu d'un laurier,
couvert de fll'urs rouges, une auge de pierre que
surmontait une inscription romaine parlant d'amour ct du temps fugitif.
Soudain Zulimé sentit que Daniel s'approchait.
Il sc pencha el dit d'une voix altér' :
_ Il faudrait placer une silhouette au bord de
celte fontaine ... une femme qui YOUS ressemblerait,
Zulimé, ct aurait vos beaux che\"cle,.
Se plaçant li son côt0, il lui prit doucemcnt le
tableau oes mains cl s'amusa à esquisser la
silhouette dt; l'Arménienne en ajoutant:
'e t-ce pas le cadre r(;vé pour une déclaration d'amour, que cette vasque murmurante sous
l'ombre ardente des lauriers, ct ne faut-il pas
mettre prè' de vous un voyageur ... un voyageur
épris de Zulimé ...
�128
LE MARI DE VIVIANE
Il l'esquissait, ce voyageur qui lui ressemblait
comme un frère. Daniel ajouta d'une voix plus
basse, plus troublée:
- Et ce voyageur qui vous avoue son amour se
nomme ...
Mais Zulimé ne sut pas comment on appelait ce
voyogeur amoureux, car la porle s'était ouverte ct
un domestique annonçait:
- Mme la comtesse d'Yrgil.
Daniel se redressa brusquement en chancelant. ..
Puis d'un pas rapide il marcha vers la jeune femme
qui "enait d'apparaître, lui prit les deux mains,
les serrant violemment en disant:
- Vous, Viviane, vous! vous paraissez bouleversée. Qu'y a-t-il, mon amie?
Oh! ce ton, cette angoisse dans la voix, ce
visage enfiévré! La comtesse fixa sur lui ses yeux
brillants et dit, haletante:
- Daniel, votre père est-il toujours décidé il
partir pour Jérusalem fonder un dispensaire?
- Oui.
- Eh bien, je vous suis! je serai infirmière làbas . Je pars pour la Palestine avec vous!
- Vous, est-ce possible? A Jérusalem! Oh!
Vivione!
Il palpitait, transporté, l'emmenait dans le cabinet de travail de son père où, en mols entrecoupés,
elle racontait les déceptions de sa vie conjugale,
son désir de fuir avant le bal, dès le retour d'Olivier.
- Non, dit M. Marty, pas avant celte fête. Si vous
devez nous suivre, il ne faut pos, cependant, que
nous ayons l'air de vous avoir enlevée, d'avoir
abusé de notre présence fréquente chez la douairière pour vous engager à fuir le domicile conjugal.
Vous d vez parallre à ce bal. Du reste, nous y
sérons. Mais, tout de suite après, partez pour le
l'li)' ct, de là, en Palestine.
�LE MARI DE VIVIANE
129
Ils parlèrent longtemps, enfin il la reconduisit.
Daniel, bouleversé, rentra dans la salle et aperçut
Zulimé. Mais, de nouveau, i1 ne la voyait plus,
regardant en lui-même. Machinalement, il se
pencha sur l'aquarelle inachevée, disant, surpris
et distrait:
- Oh! qu'est-il donc arrivé? vous :avez .renversé de l'encre?
Car le paysage lumineux était endeuillé. Zulimé
avait teint de sombre le ciel d'azur, jeté sur la fontaine une ombre désolée et la silhouette de la
femme assise sur le rebord de la vasque restait
seule, désespérée ... car l'orage avait pris la place
du voyageur qui n'avait pas \'oulu dire son nom ...
Mais Daniel - avec un petil remords au cœurne voulait pas croire que Zulimé eùt compris. Et,
absorbé, frémissant, il songeait:
- Mon heure est enfin venue. Oh! ma Vivane
~
je vous arracherai aux griffes de cet homme!
VII
Rivaux ••. Rivales.
Les dieux et les déesses, qu'un élève de Lebrun
avait peints au plafond de la salle de bal de l'hôtel
d'Yrgil, renaissaient sous l'afllux de lumière des
lustres allu més.
Entre les glaces, les portraits de la famille
d'Ylgil s'animaient d'une vie chaude el fugitive,
même ce couple austère de l'époque Louis XIII,
en velours noir sur un fond noir, dans la manière
monacale des peintres hollandais.
Puis tout de suite, les tableaux s'éclairaient avec
l'époqt:e du roi-soleil. Là souriait sagement une
héritière d'Y rgil de douze ans, guindée dans son
69.V
�130
LE MARI DE VIVIANE
corps de jupe de brocart, une rose à la main. Ici,
Victoire d'Yrgil, jadis admirée par le Régent, riait,
hardie et mythologique, une peau de panthère sur
l'épaule. Et tout un panneau élait occupé par un
tableau de David représentant une femme de vingtcinq ans, ac~udée
à l'antique ~ur
un lit de repos,
laissant dépasser de sa robe un peti t pied nu, candide et provocant. ..
Mais la place d'honneur était réservée à une
grande toile de \Vinterhalter, cadeau de Napoléon III à celte famille d'Yrgil qui s'était tout de
suite ralliée à FErupire, et représentant l'impératrice Ellgénie dans le rayonnement de sa jeunesse.
Le peintre avait rendu avec tendresse l'é11orme jupe
de tulle blanc parsemée d'nne rosée de diamants.
Les épaules jaîllissaient, liliales; ce portrait avait
la magnificence de ce second Empire qlli voulut
imiter le faste de Marie-Antoinette et qui, cette fois
au moins, y a\'ai 1 atteint.
Sur une estrade, l'orchestre préludait, les violonistes accordaient leurs instru men ts, de brefs
accords s'envolaient vers les frises. Les intimes
commençaient à arri ver avant l'heure; tandis que
la douairière et Viviane achevaient ete s'habiller,
Olivier les recevait, stylallt un petit-cousin à lui,
nouv ellement débarqué à Paris, lord Reginald
Yrgil, de la branche anglaise de celle famille
d'Yrgil, originaire du Northumberland.
Fralchement libéré de l'école û'Oxford, enchanté
de venir à Paris, plein d'enthousiasme pour ce
cousin explorateur, le jeune lord Reginalù n'avait
pas encore cu l'occasion de voir la comtesse Viviane; celle-ci était sortie quand il étai t venlt présenter ses hommages à la douairière et ensuüe,
à cause d'une migraine, n'avait pas assisté au
dlner.
Mais Reginald Yrgil souhaitalt médiocrement
connallre sa COll 'ine, car, altx qltestions posées ù
�I.E rJARI DE VI\' I!', ~m
131
Olivier , il avait cru deviner à son indiffér ence
« qu'elle n'en valait pas la peine ll.
Il était blond, rose et svelte dans un habit d'Arlequin; ses réflexio ns, qu'un français barbare rendait cocasse s, amusai ent Olivier , contrac té, depuis
son arrivée , par les reproch es de sa grand'm ère.
Comm ent! il n'était de retour que du matin seulement! On se demand ait s'il ne faudrai t pas décommande r le bal! Enfin, la douairi ère avait constat é
la politesse froide d'Olivi er avec sa fe'm me. Elle
était trop fine pour ne pas avoir deviné depuis
longtem ps que ce ménage ne s'accor dait pas malgré
les elTorts qu'elle avait faits. Elle compta it sur le
:emps, sur le charme de Viviane pour conqué rir
cet orgueil leux. Mais l'attitu de de sa belle-fille ne
l'agaçai t pas moins,
Quoi! pas une toilette nouvell e pour accueil lir
un mari après plusieu rs semain es d'absen ce: Viviane ne pouvai t plus allégue r ses devoirs d'infirmière, puisque , dès que la douairi ère avait été hors
de danger , sa forte constituti on avait repris le
dessus avec une souples se mervei lleuse , Mais, en
vain, elle gourma ndait Viviane . Ayec une ténacité
qui la dérouta it, la jeune femme se déroba it aux
avance s de la grand'm ère, refusai t de se parer et,
finalem ent, recevai t son mari dans sa sempit ernelle
robe de pension naire, les cheveu x tirés en arrière
ct - ulti me folie - les paupiè res baissée s; baissées! quand on a des yeux pleins de lueurs et de
voluptu eux reflets!
C'était absurd e. Que ce genre plût aux Marty,
à Daniel qui avait l'âme d'un ascète, soit. Mais, elle
connais sait son petit-fils, il déteste rait cela! Cependant Viviane lui causa une joie en la priant de s'occuper de son travesti , voulant subitem ent être belle
ce soir-là.
Oui, brusqu ement, la jeune femme s'était révolté e
contre son sort. Puisqu 'on la persuad ait - les
�LE MARI DE VIVIANE
Marty en tète - qu'elle devail assister à la fête,
elle voulait quiller son air de femme épousée par
charilé et, avant son départ, se montrer ce qu'ell e
était à toutes les amiës qui l'avaient dénigrée, et
même à ce petil lord d'Yrgil qui, selon une coutltme séculaire, rappelait, par sa visile à la branche
française, ses liens avec l'Angleterre des Stuart.
Du reste, Viviane s'était juré de partir dès le lendemain de la fête. Sa malle était prète. Elle allai!
s'enfuir au Puy, mais elle voulait partir en beauté.
Olivier ne s'en doutait pas tandis qu'il recevait
les premiers arrivants. Du reste, peu lui impol'tait
que sa femme fût insipide et muette comme à l'ordinaire. Ce n'était pas à elle qu'il songeait, ce n'était
pas elle qu'il attendait impatiemment. Madeleine
de Gers avait mis à prout les derniers jours d'intimité sur le yacht, enveloppant le jeune homme
dans un réseau de flatterie, d'hommages, de tendresse voilée, lui insinuant qu'elle s'honorerait
d'(:lre recherchée par un héros tel que lui, tandis
que Viviane, la sotte pensionnaire, incapable de le
comprendre, se croyait assurée de son pouvoir.
Etre compris par une femme! c'est le piège dans
lequel donl1cnttous les hommes . Et, comme il souhaitait l'arrivée de Madeleine ce soir-là!
- Eh bien, mon cousin, vous avez fait un bon
voyage?
Dell masques vénitiens, en dominos de velours
noir très ample, tricornes ct loups comme dans un
tnbleau de la Rosalba, surgissaient devant lui . Le
plus mince boitait un peu. Olivier reconnut les
Marly .
- Enchanté de vous voir, dit-il vivement. Ma
mère el ma femme ne sont pas encore descendues.
Laissez-moi vous présen\er lord Reginald Yrgil,
le fils ùu « earl ofYrgil )) ...
- Un arrière-petit-cousin à vous '?
- COl1sin ... à vingt générations près!
,
�•
LE MARI DE
VIïA~rE
133
Il riait, sincère en ayant dit: « Enchan té de vous
voir ». Eh! oui, il le devinai t. Daniel, après le
divorce de Viviane , tentera it de l'épous er. C'était
son ri\'al, ce domino vénitien. Peu lui import ait
mainte nant. Il lui abando nnait la pension naire.
Lui, attenda it sa reine ...
Et ce fut une impéra trice qui parut.
A l'extrém ité de la galerie , sous le portrai t d'Eugénie de Montij o, aux côtés de la douairi ère, la
comtes se d'Yrgil venait de prendr e place.
Alors, avec surpris e, on remarq ua j'analog ie
entre le tableau el la jeune femme ... Même robe
d'ampl e écume sous une rosée de diaman ts; mêmes
épaules liliales d'un dessin plus gracile . La beauté
de la fameuse Espagn ole n'amoi ndrissa it pas
"Viviane.
Le petit lord Regina ld, enthou siasmé , en oubliai t
son françai s:
- Oh! beautiful, marvellous, aqueell! balbuti aitil, ayanl saisi le bras d'Olivi er. Mon cousin, venet:
à Londre s, on vous présen tera à la Cour, ce sera
très excitan t!
- Comm ent, excitan t?
- Oui, excitillg! toutes les femmes jalouses, le
roi fou!
Il riait, mais Olivier ne l'écouta it plus. Un peu
éloigné de Viviane , illa regarda it.
Mon Dieu, ce n'était pas le charme de ses traits
qui le surpren ait, il le connai ssait; mais ce soir,
c'était une autre femme qu'il avait sous les yeux.
Un accent imprév u, une ombre chaude modclai1
ce visage, l'anima it d'une sorte d'ondo iement . D'ol!
venait cette intensit é qu'il ne lui connais sait pas?
Des yeux qui ne se baissaient plus mainte nant, des
prunell es d'une humidi té brùlant e entre les cils
bruns; de la bouche avivée par le fard, accnsan t le
dessin voluptu eux de la lèvre inférieu re un peu
gonflée ...
�•
134
LE MARI DE VIVIANE
Qui donc a di t que le visage des femmes, à l'inverse des statues, se sculpte de l'intérieur? La souffrance, un grand rêve détruit, un désir éperdu de
connaltre le bonheur, c'était cela qui avait modelé
ce visage de jeune fille, lui donnait cette séduction
qui auréole les femmes belles, malheureuses ct
passionnées.
Car il y avait de la passion dans les prunelles d'un violet frissonnant et c'est cela qui la
rendait infiniment plus attirante que l'impératrice,
glacée dans sa perfection classique, cela et peutêtre aussi la coiffure en boucles retombant, dorées,
de chaque côté des joues.
Les arrivants ouvraient de grands yeux en reconnaissant dans cette triomphale jeune femme cette
comtesse d'Yrgil tant décriée. Déjà Reginald lui
présentait ses hommages, ne la quittant plus, s'instituant d'emblée son page attentif.
Olivier s'approchait d'elle à son tour. Il s'inclinait, baisait sa main, en balbutiant troublé:
- Pardonnez-moi, j'aurais dii être le premier à
faire ma cour à Votre Majesté!
Ilia regardait avec une admiration intense. Elle
se mit à rire. Il avait oublié qu'elle savait rire. Il
vit briller les dents entre la fraîcheur des lèvres;
elle répliqua, en lui donnant sur les doigts un petit
coup d'éventail:
- L'impératrice vous absout, mon cher. Mais.
par grâce, ne soyez pas pétrifié. J'ai beaucoup à
faire pour recevoir tant de personnes que je n'ai
jamais vueS. Madame n'y suffit pas. Aidez-nous!
- Il me semble, dit-il, que je ne suis plus
capable que d'une chose: vous admirer; savezVOLIS que c'est une révélation!
- Vous êtes en veine de madrigaùx, ce soir!
Que vou lez-vous, je ne pouvais pas pour une telle
fête meUre lin trotteur!
- Daignez m'accorder une seconde, dit·il sour-
�:;JE MAPJ DE VIVIANE
135
clemeut. J'ai quelqu e chose à vous remettr e.
Il l'attira à l'écart et sortit de sa poche un
écrin plat. Il l'ouvrit , Sur un coussin de velours
une étoile d'amét hystes, gravées d'or, un étrange
bijou, patiné comme un joyau bizantin.
- J'ai trouvé cela chez un antiqua ire à Palerm e,
dit-il. Un expert m'a assuré qu'il proven ait d'une
parure de Galla Placidi a, impéra trice ù Ravenn e,
au V c siècle. Les améthy stes ont peu de valeur
intrinsè q ue ...
- Vous croyez ? par contre, dit Viviane en
l'exami nant, son ancienn eté et sa proven ance le
renden t inestimable ...
- Il ne le sera jamais assez pour vous témo.iguer la reconn aissanc e que je vous dois. Vous avez
sauvé une mère que j'adore , madam e. Permet tezmoi de fixer celle broche sur votre corsage . Ces
améthy stes sont assortie s à vos yeux.
Il s'inclin a sur sa femme; le parfum du décolleté
lilial J'enivra. Ses mains trembla ient. Il se sentit
pâlir et leva Jes yeux sur Viviane. Elle était décolorée. Il frémit. Au même instant , une silhouette
fut près d'eux. Il entend it sa femme, disant,
aimabl e :
- Ah! chère duches se, comme je suis heureuse de vous voir. On me faisait craindr e que
VOLlS ne fussiez souffra nte! Que pensez-vou:>
de cc
bijou que mon mari me rappor te de sa croisière'?
Acapr~e
par ses devoirs de maîtres se de
maison, elle se prodigu ait. Enhard ie par son succès, elle avait l'aisance des grande s dames. La
ùouairil:re elle-même ne la reconnaissait pas.
Olivier, délaissé, circula it de groupe en groupe
parmi les Persan es, les laitières à la Greuze , les
pierrot s, les infantes, tout le bigarre men t de ces
fêtes. Mais, en parlant , toujour s il se tournai t vers
Viviane. Il l'admir ait, l'étudia it. Etait-c e une lente
transfo rmalio n? Pourqu oi ce changement'? Pour
�LE MARI DE VIVIANE
lui? il ne pouvait le croire, car elle n'avait pas
cherché à le retenir ...
Mme Clermonde en madrilène avec son toréador
de mari, le vieux général Louvise en polichinelle (!) l'accaparaient, le complimentant sur sa
femme et, du reste, toutes les personnes présentes ne songeaient qu'à une seule chose: l'arrivée
de Mme de Gers.
On savait, par suite des indiscrétions de
Mme Pière, qu'Yrgyl était enfin décidé au
divorce. Mais, ce soir, la comtesse se révélait.
C'était Cendrillon au bal du roi; Peau-d'Ane surgissant en robe de cour. Qu'allait-il advenir?
Qlivier, on le voyait, était ému, surpris en coup
de foudre. Mais Madeleine était une rivale majestueuse. Laquelle des deux triompherait!
Aussi ce fut un murmure indiscret quand on
vit dans le vestibule Mme de Gers qui retirait
son manteau.
Elle était éblouissante. Sa jupe d'or, les falbalas
de perles, les chaines de diamants J'enveloppaient
d'un réseau lumineux. Sa tête altière s'empanachait d'un diadème de plumes. En pénétr::mt dans
le saloll, clie chercha Olivier des yeux. Mais
c'était Viviane qu'il regardait. Et, dans un battement de cœur, elle J'aperçu t!
Les violons s'étaient tus. On était debout. On
croyait revivre les grandes époques de l'histoire,
les folles intrigues de Versailles quand. on présentait à la cOllr une nouvelle favorite ... Les comtesses d'Yrgil, en fontanges ou en paniers, dont
les portraits ornaient les murs, devaient reconnaltre celle atmo!:!phère J'attente, de convoitise,
de passion.
Le choc fut courtois, bref, définitif.
Oh! des paroles gracieuses furent prononcées,
des 1110ts charmants, des « ehère cousine », tout
le pailletage des entrevues mondaines. Mais, pen-
�LE MARI DE VIVIANE
137
dant le temps qu'elles furent face à face, tous les
défauts plastiqu es de Madeleine apparu rent
crûmen t. Elle était corpule nte, lourde d'épaul es,
les bras trop gros . EUe sembla it rutilan te, vulgaire, vêtue de paillons. Un mot courut, juste et
sec comme une exécuti on
- Une comédi enne présent ée à l'impér atrice!
- Et celle coiffure de plumes : une PeauRouge .
- Non, une commè re de revue.
Mme de Gers le sentit. L'aristo cratie de Viviane
l'écrasa it. EIIe n'y compre nait rien. Olt donc celte
provinc iale avait-elle pris cette allure et cette
beauté mürie, éclatan te, qu'un peu de mélancolie
revoilait comme un nuage de poudre sur une joue
fralche ? EIIe cherch a Olivier des yeux et, à son
regard courtoi s, compri t que son règne éphém ère
était fini. Trop intelligente pour lutler sans certitude de vaincre, elle voulut dans sa vanité humiliée se venger de sa rivale et se dirigea vers Je
comte.
Lord Yrgil J'aperç ut. Il la connais sait bien
depuis son récent voyage en Ecosse ; ils avaient
chassé ensemb le dans les forêts d'Yrgil -IlalJ.
- Lady Maudli n! s'écria-t-il, anglicisant son
nom de Madele ine, n'est-ce pas que votre cousine ...
lt n'achev a pas. Pressen tant la gaITe, Mme de
Gers 1ui coupai t la parole en demand an t, familière :
_ Eh bien! Reggie , où en est votre flirt avec
lady Cinthia ?
11 devint grave ct répond it avec toute la dignité
britann ique:
_ Je la marie à moi au printem ps, madam e.
Puis, s'emba llant de nouvea u:
_ Votre cousine est fascinating. N'est-c e pas
qu'elle aura un succès énorme à la cour anglaise?
Mme de Gers appréci a beauco up celle remar-
�138
LE MARI DE VIVIANE
que. De ce jour, le jeune lord fut classé par elle
dans la catégorie des imbéciles. Elle songea:
u Si jamais tu épouses ta Cinthia, mon petit,
c'est que je n'aurai pas eu le temps de lui parler
avant. »
Et, souriant, féline, elle tendit sa main à baiser
à Olivier en minaudant:
- Mon cher, je suis enchantée qu'à votre retou r
vous ayez trouvé une telle femme! Les cousins
Marty ont su l'éveiller. Quelle transformation!
quels éducateurs! Allons, ne faites pas la mine
d'Othcllo!
Elle s'éloignait en lançant cette flèche du Parthe
et le jeune homme palissait sous l'afflux de pensées que les paroles venimeuses de Madeleine
venaient de décharner en lui.
Enfin, il tenait le mot de cette transformation:
les cousins Marty! Sa grand'mère ne lui avait-elle
pas dit qu'ils venaient presque tous les jours,
qu'ils avaient été d'un grand secours pour l'organisation de la fête et pour distraire Viviane? Quelques heures plus t6t, cela lui était indifférent. Plus
encore. De gaieté de cœur il abandonnait Viviane
à Daniel!
Mais Viviane, alors, n'était pas la femme capiteuse de maintenant. Etait-il po!>sibJe que Daniel
eût gagné son cœur? Il doutait, voulait douter ...
Le bal commençait. Il devait l'ouvrir avec
Viviane. Il s'approcha pres'que gauche, lui si
maUre de lui en toutes circonstances! Il ne reprit
son assurance qu'en l'entralnant sur le parquet
ciré, en sentant dans son bras replié la taille flexible de la jeune femme.
Mais elle ne s'abandonnait pa.s, cette taille 1 En
vain, il voulait qu'elle obéit à sa pression; ellc
résistait tout comme jadis au chevet de la douairière. Les yeux bleus, ondés de violet, fuyaient
obstinément les siens. Le sourire pourpre s'aclres-
�LE
:.E .P _ Di:: VIVIANE
I39
sait derrièr e lui à quelqu 'un qu'il ne voyait pas.
Ils dansaie nt, réunis aux yeux de tous et, cep~
ndant, l'éterne lle lutte continu ait. Avec Daniel fùtelle demeu rée aussi roide? Dans un geste involontaire , Olivier la serra si fort qu'elle se plaign it:
- Oh! vous m'avez fait mal!
Ilia lâcha aussitô t, dégrisé , s'excus ant. La danse
unissait. Elle s'éloign ait de lui en hâte. Et, naturelleme nt, c'était Daniel qui l'emme nait pour le
two-ste ps. Daniel!
Une brume aveugla Olivier . Elle l'aimai t. Cela
crevait les yeux. C'était pour lui qu'elle s'était
faite aussi élégant e. Pour lui gue la petite bouche
scellée était déclose par un sourire , et que les paupières toujour s baissées se relevai ent, découv rant
le double joyau des prunell es!
Eh bien! il était intoléra ble que, sous ses yeux,
on lui enlevât sa femme ... Ce Daniel saurait -il, du
reste, rendre Viviane heureu se? Que rerait ce
paisible aquare lliste de celle brillant e Viviane'!
S'était absurd e et inconv enant. Il les regarda it
danser et se persua dait que la comtes se s'abandonnai t dans les bras de son partena ire. Pauvre
!;outien avec sa claudic ation!
Occupé par ces pensées , Olivier se révélai t luimème piètre danseu r et la princes se Samate lli ne
retrouv ait pas l'alerte fox-tro tter du yacht. Une
colère courait dans les veines du jeune homme .
Ah! comme il avait été stupide ùe croire à l'amou r
de Viviane au début de son mariag e! Au fond,
une tête de linotte, aussi vite consolé e que désolée ,
un être vain, frivole, comme toutes les femme s du
reste!
Quelle force d'âme pourtan t, pour se domine r
comme elle l'avait fait jusque. là! Il la revoya it,
infatiga hle, patient e, penché e si longtem ps sur
une malade exigean te ...
Pendan t tout le souper , néglige ant Mme de
�qo
I .E M:Jl1l1 DE VIVIANE
Gers à côté de qui il était placé, OlivIer se laissa
envahir par des pensées qui, tour à tour, passaient
d'un pôle à l'autre, soit que sa violence originelle
le rendit injuste, soit qu'il reprit le sentiment
de l'équité. Non, il ne pouvait rester dans cette
incertitude. Aimait-elle Danjel? Il voulait le
savoir.
Et si elle refusait de répondre? Il savait quelle
impassibilité elle pouvait opposer à ses emportements. Comment arriver à connaître le fond de sa
pensée?
Soudain, une idée lui vint, en apercevant Daniel
près de lui, presque de sa taille. Idée baroque,
mais qui lui parut alors une inspiration . Dominant
l'aversion qui s'amassait en lui contre Marty, il
passa familièrement son bras sous le sien en disant,
affectant l'insouciance:
- Eh bien, mon cher DaniJo, la fête est réussie,
n'est-ce pas! Savez-vous que je regrette de ne pas
m'être travesti. L'habit détonne au milieu de ces
brillants costumes.
- Oh! fit Daniel froidement en dégageant son
bras, car il haïssait le comte et toute familiarité
lui était insupportable, vous n'êtes pas le seul et
c'est moi qui regrette de m'être affublé de la sorte,
car mon accoutrement ne sert qu'à me donner
une chaleur intolérable!
- Eh bien! dit vivement Olivier, suivant Son
idée machiavélique, retirez-le donc!
- Impossible, je n'ai pas de frac.
- Très simple, au contraire. Mon cal inel de
travail est désert. Allez-y, mettez-vous à l'aise . Je
vous ferai porter des liqueurs et vous trouverez
de cigares, des Henry Clay; les aimez-vous?
Vous me direz aussi ce que vous pensez d'une
nou\'elle acquisition: les Fêtes galantes de notre
Verlaine, Ull in-oclavo numéroté sur vélin de
cU\'c, :l\'C~
des aquarelles originales à pleine page,
�LE !\fARI DE VIVIANE
141
par Saint-L éon. Voilà Ci ui ne peut manqu er de
vous intéres ser, monsie ur l'aquar elliste!
Il toucha it le point faible. Grand fumeur et
bibliophile averti, détesta nt le brouha ha des fêtes
et la danse qui le fatiguaient, Daniel fut tenté par
la perspec tive de goûter un peu de fraiche ur en
compag nie des fantoches à hauts talons et à
amples jupes des Fêtes galantes de Verlain e.
- lVla foi, dit-il sans méfiance, j'accep te.
OJil'ier l'entraî na rapide mtnt et veilla à ce que
Daniel dépoSàt son domino , son tricorn e et son
masque dans l'antich ambre qui précéd ait le
cabinet de travail. Puis il le conduisi t vers un fauteuil de cuir, et;1ui tendan t le beau livre aquare llé:
- Là, reposez -vous, dit Olivier avec une
sollicit ude matern elle. On ya vous porter des
liqueur s ...
Et, lesteme nt, le comte regagn a l'antich ambre,
ei'liila le domino , mit le chapea u et rentra dans la
salle de bal.
- Rémy, dit-il au maître d'hôtel , portez un
choix de liqueur s dans mon cabinet à M. Mart)'.
Juignez -y ma Fine 1810, n'est-ce pas.
Le domest ique acquie sça; le comte assujet tit le
masque et, méconn aissabl e, satisfai t de sa ruse,
murmu ra:
Il J'ai au moins une demi-h eure devant
moi. Il
faut que j'en profi te! )1
Alors, glissan t de groupe en groupe , il atteigu it
l'angle de la galerie où Viviane tenait une véritable cour.
A ses pieds, sur un taboure t, lord Regina ld,
ayant pris l'éventail de la jeuue femme, l'éventa it
en lui dédian t des regards langou reux. Olivier
haussa les épaules en marmo ttant: « Ces Anglai s!
on ne parIe que de leur flegme et, de temps en
temps, ils se révèlent d'un romant isme échevelé
qU'Oll ne tolérera it pas à Naples ! )1
�LE MARI DE VIVIANE
Il se dissimula derrière le vaste général de Louvise. Comme il est fréquent dans Fatmosphère des
jolies femmes, c'était d'amour que l'on parlait.
- L'amour, disait la princesse Samatelli, doit
être un peu sauvage. Mon idéal serait un gaucho
argentin qui me prendrait au lasso et m'enlèverait
sur sa selle à travers les pam pas!
- Qu'en pense le prince? demanda Viviane en
riant, car Jacob Samatelli, c'était notoire, ne montait plus à 'cheval, ayant la goutte.
- Pour moi, dit Pierre Soulac, le romancier
en vogue, l'amour est une des formes les plus
remarquables de l'entêtement. Aimer, c'est décider
qu'un être est seul capable de vouS'émouvoir alors
qu'il est évident que des quarltités d'autres auraient
le même pouvoir .. .
- Il Y a des rêves qu'on ne fait qu'une fois! dit
lord Yrgil avec tant de feu que l'on sourit. Qu'en
pensez-vous, ma cousine? dit-il en s'adressant à
Viviane.
- Oh! pour la comtesse, l'amour a fatalement
le visage du comte! dit à son tour le 'général de
Louvise.
- Général, répondit Viviane, et ses yeux profonels se voilèrent, il n'y a que Psyché qui ait Vll
le visage de l'amour. Vous savez du reste quelles
catastrophes s'ensuivirent? acheva-t-elle légèrement.
Elle ri t. Puis, secouan t ses boucles blondes:
- Trêve de dissertation . Le fox-troll nous
réclame et c'est un dieu aussi.
Et, s'inclinant sur lord Reginald:
- Mon page, votre main.
Le général allai t invi ier Viviane, mais, s'interposant lestement, Olivier s'inclina:
- A moi l'honneur, ma cousi1le, dit il à mi-voix
afin qu'elle ne perçot pas la diITérence de timbre.
- Certainement, Daniel, elit-elle vivement.
�LE MARI DE VIVIANE .
143
Depuis un instant elle constatait qu'Olivier avait
quitté la salle. Mme de Gers ne circulait plus dans
la galerie. S'étaient-ils retrouvés? Un sentiment
brellant, plus 'mêlé de larmes qu'elle ne voulait se
l'avouer, la poignait malgré son air désinvolte.
Mais) conservant héroïquement son sourire,
elle posa sa main sur l'épaule de son danseur et
ils commencèrent de tourner quand - on ne saurai L penser à tout - Olivier oublia complètemenL
d'imiter la claudication ùe Daniel.
Surprise, Viviane examina le masque. Olivier
détournait les yeux. Alors elle aperçut sous le tricorne des cheveux noirs. Ce n'était pas Daniel. Et,
Il d'imperceptibles détails, au dessin des lèvres,
elle reconnut son mari.
Dans' sa surprise, elle dansa à contre-temps. Il
dut la maintenir, la serrant assez fort sans qu'elle
protestât, s'interrogeant: u Qu'est-ce que cela
signifie? Que me 'Vcut-il '? pourquoi cette feinte?»
Elle ne remaryuait pas combien Olivier avait tressailli en la serrant. Ainsi, pensait-il, je l'étreins
sans qu'elle se dérobe . Elle accorde plus à Daniel
qU'à moi. La jalousie de nouveau l'aveugla. Chez
cel homme violent j'irritation l'emportait sur la
soufTrance.
De son côté Viviane, très intriguée, acquiesça
de suite quand le pseudo!Daniel lui proposatoujours à mi-voix - de s'asseoir quelques instants
dans un salon, isolé de la galerie par des plan tes
vertes. Ils prirent place sur un canapé; Olivier
:;OU1mença, s'efforçant ùe prendre un ton badin:
_ Savez-voLIS, ma cousi/le, que vous révolutionnez le bal! On ne parle que de vous. CJest un
véritable triomphe!
_ Pourquoi est-ce un triomphe, Daniel, dit la
Jeune femme sans témoi~ner
à Olivier qu'elle
l'uvait reconnu. PourquoI? parce que ces gens
s'imaginaient que j'étais sotte. Personne n'a corn..
�144
LE MARI DE VIVIANE
pris que j'étais engagée d'honneur à paraître telIe,
car, en réalité, j'ai toujours aimé tout ce qui fait
la beauté et la saveur de la vie. En trois mois,
j'ai vieilli de dix ans ... Daniel. .
- Vous êtes à l'âge où les chagrins s'effacent,
dit-il en se calmant. Les pluies d'automne tuent les
roses, mais les averses de printemps les aiclent à
mieux fleurir!
Elle poursuivit, dans ce même esprit de marivaudage qui permet de dire tant de choses sans
dépasser la mesure:
- Il n'y a pas que des averses au printemps.
Les gelées d'avril tuent les bourgeons!
- Mais ils revivent la saison d'après. Vous êtes
belle, Viviane, il y a en vous une volonté de
bonheur qui vous donne ce soir un éclat extraordinaire ...
- Oui, dit-elle avec une ardeur subite, je n'ai
jamais senti comme ce soir un désir de me libérer
des larmes. C'est une chose odieuse de vivre dans
une contrainte morale de toutes les minutes, de
jouer la comédie. Ce soir j'ai voulu tout oublier,
être moi. J'ai repris ma personnali té clans le même
temps que les au tres se masquaient!
Pendant qu'elle parlait, il avait posé sa main
fiévreuse sur celle de Viviane. Elle ne s'apercevai t
pas cie ce geste platonique, absorbée par une
émotion granllissante. Mais tou t sert au jaloux
pour l'échauffer. Il songeait: ( Elle ne se rebelle
pas, elle admet, il lui ptaH 1 ») Sa gorge se serra
avec une telle force qu'il dut allenclre une seconde
avant de dire:
- Olivier vous recherche visiblement ce soir.
Vous l'avez ébloui. Il va vous parler d'amour,
Viviane ...
- Le croyez-vous susceptible d'aimer vérita~
blement? J'en doute!
VOLIS 'VOiliez en douter! di t-il avec un frémis-
�LE MARI DE VIVIANE
145
sement. Vous ne lui avez jamais pardonné son
erreur!
- Je 1uiai pardonné, dit-elle, je suis sans haine ...
- Et sans amour! acheva brusquement Olivier
à la surprise de Viviane. Dites donc le mot qui
vous brûle les lèvres. Vous le détestez, et vous le
détestez parce que vous en aimez un autœ !
Il s'oubliait complètement, ne dissimulait plus
sa voix. Cette violence d'attitude eût renseigné
Viviane sur son identité si elle ne l'avait été déjà.
Olivier ne s'aper:cevait pas qu'il démentait son
personnage. Sa jalousie éclatait:
- Vous en aimez un autre, reprit-il incapable
de se contenir, exaspéré par la pensée qu'on devait
les chercher, qu'on allait surgir dans ce retiro,
enfin qu'il avait espéré mener en quelques minutes
un entretien subtil et nuancé qui eût exigé du
temps.
Il p'oursuivit :
- Vous aimez, Viviane, cela se lit dans vos
yeux. C'est parce qu'il est ici ce soir, et qu'il vous
encense que vous avez cet éclat. Les femmes ne
vi\"ent que d'adulations, et qui les flatte conquiert
leur cœur versatile! toutes les mêmes, toutes!
- Adieu, monsieur, dit-elle en se levant, oŒensée par les paroles agressives de son mari et par
une attitude qu'elle ne p04vait s'expliquer, ignorant que les paroles perfides de Madeleine de Gers
avaient déterminé un accès de cette jalousie qui
rend injustes les meilleurs hommes, à plus forte
raison un impulsif comme Olivier. Il lui saisit le
poignet:
_ Où allez-voUs 7 répéter nos paroles à celui
que vous aimez? Vous rire de moi? Non, pas cela.
Je le tuerais plutôt, votre Daniel!. .
Il arrachait son masque, le froissait nerveusement:
_ Voilà donc vos déclarations d'al!lour, mon-
�q6
LE MARI DE VIVIANE
sieur, dit-elle tremblante. Vous avez pronout:é des
paroles atroces contre un être qui m'cst cher
comme un frère, un 'frère vénéré. Vous n'avez
tout de suite à la bouche que des mots de violence
et de meurtre!
- Pardon, dit-il en se prenant le front dans les
mains, j'ai usé d'une supercherie indigne et la CO\)versation a dévié sans que je sa,;he comment. Dieu
m'est témoin pourtant que je ne voulais pas VOltS
faire de scène de jalousie!
- Mais VOLlS l'avez faite spontanément parce
que vous n'avez ni cœu r, ni pi tié. Vous êtes incapable d'amour. C'est votre orgueil qui crie en ce
moment. Parorgueil, vous voulez garder la femme
que vous dédaigniez quand elle était simple et que
nul ne la courtisait. Par vanité d'homme, vous me
menacez, mais il n'y a pas eu dans toutes vos paroles un seul cri d'amour!
- Viviane!
- Adieu, monsieur. On me réclame!
Elle s'enfuyait et Olivier, emporté par la colère,
n'avait pas su la tOllcher, lui dire les mots éperdus
qui lui brctlaient les lèvres. Il cherchait ù se rappeler à quel moment précis l'entretien avait si
malheureusement bifurqué. Mais, en somme, il
n'avait rien tiré de Viviane et demeurait persuadé
qu'ellc aimait Daniel. .11 COurut jusqu'au cabinet
de travail où il avait laissé Marty.
Le jeune homme feuilletait les Fêtes ga/alltes de
Verlaine et releva la tête en sursaut quand Yrgil
parut devant lui, jetant sur la table, comIlle Ulle
défroquc, le domino et le tricorne. II avait perdu
le masque de velours après l'avoir machinalement
broyé dans ses mains nerveuses. II di l, haletan t :
- Rhabillez-vous, mon cher, et retournez dans
la salle. On vous y attend avec impatience. Allez
recueillir le fruit de vos aimablcs visites à la comtesse pendant mon absence!
�LE MARI DE VIViANE
147
Daniel regarda Olivier avec une surprise si évidente que le comte eut la certitude que jamais
Marty ne s'était permis d'adresser un mot d'amour
à sa femme. Mais il était lancé:
- Seulement, acheva-t-il, mettez-y des formes!
Madame d'Y rgil porte mon nom et, si vous vous
permettez de lui parler de trop près, je vous coupe
les oreilles, monsieur.
- Etes-vous fou? interrogea Daniel se levant,
très pâle, comprenant que le moment de parler
net était venu.
- Je ne suis pas un imbécile qu'on flagorne.
Tenez-vous-le pour dit et j'espère que vous aurez
à l'avenir le tact de ne pas remettre les pieds ici.
- Votre insolence dépasse la mesure et j'y répondrais par un soufflet, dit Daniel, s'il ne s'agissait ici de l'honneur d'une personne que je respecte comme une sainte!
- Mais, monsieur, je ne vous permets pas de
parler de l'honneur de madame d'Yrgil. Il n'est
pas en cause, j'imagine, et nul ne connall mieux
que moi la valeur morale de la comtesse.
- Vous l'avez bien mal honorée en tout cas,
dit Daniel d'une voix méprisante. Vous vons êtes
conduit d'une façon abominable. Vous avez
abandonné la plus admirable des femmes pour
faire une croisière avec je ne sais quelles
créatures!
_ Ah! n'insultez pas mes amis!
Vous n'êtes qu'un butor!
_ Répétez, dit d'Yrgil en verdissant.
_ Tenez-le pour répété et soyez assuré de mon
plus profond mépris!
La main d'Yrgil effleura la joue de Daniel. Il
sursauta à peine et dit seulement! d'une v?i~
plus
basse , se croisant les bras, c\omlllant OlIVIer de
tout l'ascendant d'une ame maltresse de ses mouvements sur un homme impétueux:
•
�LE MARI DE
VI!
~ NE
C'était donc celaqu e vous vouliez ? Un duel !
Je m'y attenda is du reste ~t il vaut mieux qu'i l
en soit ainsi, car si je délivre Vivian e de vou s,
acheva-t-il en s'anima nt, c'est que le Destin
l'aura voulu!
Ils se mesurè rent du regard et compri rent que
la lutte serait sans merci. Olivier dit brièvem ent,
tandis que Marty gagnai t la porte:
- Mes témoin s réglero nt la rencon tre ave~
les
vôtres. Je n'ai pas besoin de vous souffle r le motif
de ce duel: une querell e de jeu, n'est-ce pas?
Voici de quoi justifier la chose.
Il ouvrit un tiroir de son bureau , sortit un jeu
de cartes, l'éparp illa sur une table et sortit à son
tour. Son excitat ion nerveu se était tombée , mais
sa jalousie demeu rait. Daniel, avec sa force morale, n'était pus, en amour, un livaJ à dédaig ner.
II rentra dans la galerie . On comme nçait à se
retirer. Des danseu rs enragé s tournai ent encore .
Lord Regina ld parlait de footing et de tennis ayec
Madele ine. Yrgil aperçu t M. Clermo nde et le
généra l de Louyis e et les entraln a dans son cabinet
de travail.
- Mon cher généra l, et vous, Clermo nde, dit-il
en s'assey ant à son bureau , je vais avoir une affaire.
Puis-je compte r sur vous?
- Hei n ? quoi? rien de sérieux , je su ppose? demanda Clcrmo nde, eITaré.
- Non, dit-il en battant machin alemcu t les
cartes, une querell e de jeu insigni fiante. Mais nous
;\Vons échang é des mots vifs. Un duel est iné\ ita bIc.
- Au premie r sang, n'est-ce pas? dit Clermonde toujour s affolé, tandis que le généra l souriai t
dc'daig neusem enl de l'e[fare ment de son partenaire.
- Nature llemen L .. une simple piqûre ~ répon~
dit Olivier sur un ton si glacial que Louvis c tres-
•
�LE MARI DE VIVIANE
149
saillit. Il examina le comte. 11 remarqua sa lividité,
ses mains crispées sur les cartes. Ce n'était pas là
l'allure de qui se bat pour une bagatelle. Le général pensa: « L'affaire est grave. Voilà un homme
prêt à tuer son adversaire. Un des deux restera
sur le terrain ... »
- Mon cher comte, commença-t-il, j'ai assisté
à bien des rencontres au cours de ma vie ...
Il se perdait un peu dans les circonstances;
mais, sub itemen t, Olivier ne l'écouta plus, toute
sa puissance d'attentioll concentrée sur un détail.
Il)' avait une coupe d'onyx sur son bureau, une
coupe généralement vide et d'un noir intense.
Or, solitaire, un anneau d'or uni y brillait qui
n'y était pas quelques instants plus tôt.
Ille saisit. C'était une alliance de femme. Nerveusement il l'ouvrit et lut, gravée à l'intérieur,
la date de son mariage suivie d'un mot fallacieux:
Toujours!
Il laissa retomber l'anneau dans la coupe. Il
étouiTail. Pourquoi sa lemme était-elle venue
mettre là, chez lui, l'alliance symbolique! Pourquoi'! 11 avait peur de comprendre.
Au même instant sa mère surgit dans le cabinet,
pâle, agi tée :
\
- Olivier, un mot, je te prie ... un mot!
Les témoins s'excusaient. Le jeune homme courut vers la douairière.
_ Qu'y a-t-il?
D'une voix entrecoupée, eUe murmura :
_ Une chose incroyable ... que s'est-il passé
entre la femme et toi? le concierge vient de me
dire ...
_ Eh bien, qu'a-t-il dit, parlez!
Elle souffla à son oreille:
- Viviane est partie
�150
LE MARI DE VIVIANE
VIII
La lettre d'adieu ...
C'est bien ainsi ... les roses de Noël plus à
droite, sur la petite commode. Sur la table de
nuit, ses auteurs préférés: Flaubert, Sully Prudhomme, Albert Samain ... Très bien. Je pense que
Viviane sera contente ce soir de retrouver sa
cham bre de jeune fille.
Et Mme Frémière, prévenue de l'arrivée de la
comtesse d'Yrgil, acheva de disposer sa chambrette de toile de Jouy et de laqué, bien différente,
en effet, de la chambre d'honneur en damas cramoisi et gros de Tours ... Marguerite de Valmont,
qui s'était amusée à aider aux préparatifs de dernière main, demanda:
- Alors, elle vient sans son mari?
Puis, tout de suite, avec un égoïsme d'amie
depuis longtemps sevrée de confidences:
- Eh bien, tant mieux! nous pourrons ca user
à noire aise.
- Sans doute le comte ne tardera-t-il pas à la
rejoindre, dit pensivement Mme Frémière.
Pensivement, car, en somme, elle ne connaissait rien de la vie conjugale de Viviane qui, yolontairement, avait tu son désaccord avec Olivier, ne
parlant dans ses lettres que de la maladie de sa
belIe-mère, puis des préparatifs du bal, éludant
toute allusion à son intimité. Pudeur de très jeune
femme sans doute, que Mme Frémière, par délicatesse, avait scru puleusement respectée ... Mais,
elle attendait impatiemment sa fille, süre de voir
d'un seul regard dans les yeux expressifs de la
jeune femme si l'amour y reflétait encore son
tendre et passionné visage ...
�LE MARI DE VIVIANE
15 1
Elle quittait la chambre de Viviane quand une
domestique vint en hàte lui apporter un télégramme. Un peu inquiète - car, en dehors des
affaires, les dépêches sont fréquemment de sombres messagères - elle déchira la bande et lut:
« Chère madame, je vous prie instamment empêcher que comtesse d'Yrgil reçoive la lettre que
je lui ai écri te ce matin. Remerciements chaleureux. - Daniel MARTY. »
Mme Frémière relut le télégramme, songeant
que Daniel ay.ant envoyé sa lettre le matin même,
celle-ci ne parviendrait au Puy que le lendemain,
dans la journée. Pourqu.oi ne voulait-il plus que
Vi viane prll connaissance de cette lettre? Mais,
comme il était vain qu'elle cherchât à deviner une
énigme dont elle possédai t mal la donnée, elle se
contenta d'aller recommander à ,la concierge de la
pension de ne remettre à Mme d'Yrgil, directement, aUCUIl courrier parvenant à son adresse.
« C'est bien entendu, aucun.' C'est très grave,»
ajouta-t-elle pour donner plus de poids à ses
paroles sans se douter, du reste, combien, en effet,
cette missive était grave ...
Puis, elle attendit sa « fille
Viviane descendit du train dans l'ombre falote
de la gare nocturne; mais, quand Mme Frémière
la vit en pleine lumière dans son bureau, elle s'aperçut tout de suite que c'était le rellet d'une grande
douleur qui assombrissait les yeux de violette.
Alors, appuyant sur son épaule la tête de la jeune
femme, elle recueillit la confidence de ces quelques
mois de mariage.
Elle s'enllammait en écoutant, car cette petite
Mme Frémière avait épousé à seize ans un grand
colosSe barbu et naïf qui, pendant trois lustres,
ilvait positivement tremblé de;ant elle. Elle estimait qu'il faut mener son man selon sa fantaisie
j).
�LE MARI DE VIVIANE
et la condui te d'Olivi er à l'égard de Vivian e la
révolta it. Le dévoue ment cie la jeune femme la
scanda lisait presqu e. Ce n'est pas elle qui eût
accepté de veiller la douairi ère, de s'impo ser une
mortell e contrai nte, de suppor ter l'aband on d'Olivier, partant sans elle pour une croisiè re. Enfin,
au dernier momen t, cette scène de jalousie déplacée, sans fondem ent (disait Viviane qui ignorai t
l'allusi on de Mme de Gers, et la provoc ation en
duel, la rencon tre de ces deux homme s qui se haïssaient mortel lement ).
Mme Frémiè re pensa soudain a.u télégra mme
de Daniel la priant d'empè cher que sa lettre ne
parvInt à Vivian e ... Elle avait mainte nant l'intuition qu'il s'agissa it d'une missive fort grave et
qu'il ne fallait, à aucun prix, qu'elle tombât entre
les mains de Viviane.
-" Ah! disait la comtes se, depuis que j'ai quitté
Paris je me répète sans trêve: Il est jaloux! m'aimerait- il? La jalousie est-elle de l'amou r?
- Non, trancha Mme Frémiè re. C'est du despotism e. Cet homme ne veut pas libérer son
esclave, quille à lui impose r les pires humiliations. Qu'est- ce que celle Mme de Gers? MOD
enfant, il fallait me préven ir. Je serais allée à Paris
et je vous jure que, toute femme que je suis, je
l'aurais mis à la raison, ce beau monsie ur, si
orgueil leux de sa naissan ce! Votre famille égale
la sienne. Philipp e d'Arten ay [ut le compa gnon de
jeunesse de Louis XIV, et, vous vous le rappele z,
Thérès e d'Arten ay étai t dame d'honn eur de Marie
Leckzi nska!
Viviane hochai t la tète. Peu lui import aient ses
aïeux! Elle songeai t désesp érémen t q lie, si Oli vier
avait montré un peu de repenti r et d'amou r pendanlla scène dll bal, elle ne l'eût pas repouss é ...
- Viviane, disait Mme Frémiè re, il est urgent
que vous introdu isiez une demand e en divorce.
�LE MARI DE VIVIANE
153
Dès demain je vous accompagne chez Me Lapalme,
c'est le bâtonnier actuel du Puy. Il vous débarrassera en deux temps de votre bourreau.
Le lendemain donc, elle se rendit chez l'avocat
avec Mme Frémière et, deux heures plus tard,
elles revinrent vers la pension.
Il faisai.t nuit. En gravissant les rues montantes,
la campagne blanche de neige, silencieuse com~
un paysage lunaire, s'apercevait par des échappées,
entre de vieux murs sombres. Un peu avant d'arriver à la maison, la directrice, désirant passer
chez un fournisseur, laissa imprudemment la jeune
femme rentrer seule.
Imprudemment,car au même moment le façteur
gravissait la rue.
n glissait dans la neige amoncelée. Viviane
l'aperçut et, le cœur battant, espérant contre toute
raison une lettre, un mot... de lui, elle dit:
- Bonsoir, père Cavignac. Toujours droit,
toujours alerte!
Le vieil homme releva la tête, assura ses lunettes
ct s'écria enfin:
- Ah! c'est donc vous, madame la comtesse.
Vous n'avez pas ( forci )1 depuis que vous êtes
à Paris.
- Aussi, je viens respirer l'air des montagnes;
à propos, avez-vous quelque chose pour moi dans
votre sac magique?
- Je vais voir, madame la comtesse, je vais voi r.
La devinant pressée, il s'arrêta sous un réverbère qui projetait sur les maisons et la neige une
lueur jaune comme une eau sulfureuse.
Du courrier destiné au pensionnat, il retira la
lettre, la tendit à la jeune femme qui, un peu déçue
par l'écriture, gagna lestemen t la pension tandis
que le facteur continuait sa to.urnée ..
Mme Prémière ne se doutaIt de flen quand elle
pénétra chez elle. A sa question : « Toujours rien
�LE MARI DE VIVIANE
154
pou r Mme d'Y rgil?)) la concierge répondit en écho
(c rien )) ! et la directrice alla frapper à la chambre
de Viviane.
N'obtenant pas de réponse, elle entra et poussa
un cri.
~longée
sur le tapis, Viviane était sans connaIssance.
A deux pas d'elle, tombée de sa main, la
fameuse lettre de ' Daniel.
La directrice s'en empara, mais elle ne la lu t
pas, se hâtant de ranimer la jeune femme qui,
très vite, ouvrit les yeux, balbutia quelques mots
incompréhensibles, puis, apercevant la missive,
retrouva ses sens et s'écria :
- Lisez! lisez!
Et Mme Frémière lut:
t(
(C
p.,r1s. 6 heures du
t1H\tiO.
Ma chère Viviane,
cc Quand vous recevrez ces lignes je ne serai
plus et je vous écris cette lettre d'adieu afin que
vous sachiez bien que je meurs volontairement,
sans regretter la vie ct en VOllS bénissant.
« Tout à l'heure, à l'hôtel d'Yrgil, j'ai cu avec
votre mari une altercation absurde, mais qui,
sous son apparence d'absurdité, cachait ces éternels motifs d'amour et de haine qui divisent les
hommes . Tout à l'heure, comme viennent de l'arranger mes témoins, je me rencontrerai avcc le
comte d'Yrgil, dans la propriété du général de Louvise, à Neuilly.
« Je sais que votre mari est trè~
fort aux armes;
moi-mëme je n'y suis pas médiocre et, avec un peu
de chance, je puis le tuer. Car c'est un duel sans
mcrci qui nous attend. Olivier n'a pas l'intention
de me faire gràce.
« Eh bien, je ne veux pas risquer de tuer votre
�mari. Il pourra, sans lutte, me supprimer, car je
ne me défendrai que pour la forme. Si Olivier
mourait de ma main, je sais trop bien que je deviendrais pour vous un objet d'horreur, car vous
l'aimez, vous l'adorez, j'en ai la certitude et vous
ne me pardonneriez jamais! Que deviendrais-je sur
terre, n'ayant même plus l'estime de la femme que
j'ai uniquement aimée? Et, je comprends si profondément que rien ne nous réunira que, sans
regret, je souhaite ma libération de l'épée ducomte.
« Quand vous lirez ces lignes, ma tendrement
aimée, ayez quelques pleurs pour celui qui préfère
la mort à la vie sans vous, puis, sans remords,
tendez la main à votre mari et soyez heureuse avec
lui, par lui. Adieu!
« DANIEL. »
- Mon Dieu! mon Dieu! murmura Mme Frémière anéantie.
- Ah! dit Viviane 'en se tordant les mains, ma
vie est finie. Moi, pardonner à Olivier le meurtre
d'un innocent? Tendre la main à cette main couverte de son sang! Etre heureuse avec l'assassi n
de mon cousin? Jamais!
Puis, s'écroulant avec désespoir:
- Olivier, Olivier, si vraiment vous m'aimez,
pourquoi avoir fait cela? pourquoi avoir rendu
toute réconciliation impossible J
Mme Frémière lui prit les épaules:
_ Vous l'aimez toujours? di t-elle d'une voix
basse et profonde.
_ Je l'adore, ie ne pu is l'arracher de mon cœur.
Mais, je dois le haïr e~, acheva-t-elle avec exaltation, je jure devan~
Dieu de ,me déto~rne
sans
faiblesse du meurtner de Damel, Je le Jure!
Mme Frémiére lui prit les mains:
_ Ecoutez, j'avais reçu hier un télégramme de
Daniel demandant qu'on ne vous remit pas cette
�156
L.:::, MArrI DE VIVIAJE
lettre. Ne voulait-il plus que vous apprissiez sa
mort volontaire?
Viviane était devenue pltlS livide encore. Elle
dit:
- Non, je comprends ... il aura changé d'avis,
décidant de se défendre, de tuer Olivier. Olivier
est morl! el il m'aimait, j'en suis sûre maintenant.
On ne risq ue pas sa vie pour une femme sans
l'aimer!
Elle était effrayante de fixité. L'amour sans
espoir la ravageait. Elles n'entendirent pas frapper
à la porte qui s'ouvrit. Une domestique parut en
disant:
- Un Monsieur demande Mme la comtesse au
parloir.
Viviane sursauta, haletante:
- Un Monsieur? je vais savoir! a-t-il dit son
nOI11? corn ment est-il?
- Je crois bien que c'est Monsieur le Comte ...
Elle poussa un cri de joie presque sauvage, puis
retomba anéantie:
- Non, non, j'ai juré, je ne veux pas voir cet
homme encore souillé du sang de Daniel... j'al
juré! La situation est sans issue. Mon Dieu 1
- J'y "ais, dit Mme Frémière, allendez-moi.
Elle gagna en hâte son cabinet de travail.
C'était bien Olivier qui l'yattcndait.
Dans la pénombre, elle vit que lui aussi était
méconnaissahle, pâle, les cheveux dérangés par le
voyage. 11 salua et dit d'un ton saccadé:
Madamc ... je désire voir ma femme. Elle e,,1
ici, n'est-ce pas?
l\lme Frémière n'éprouvait pour le comte d'Yrgil
qu'une aversion augmentée par l'horreur de ce
duel impitoyable. Mais, elle était si boulevers6e
qu'clic n'eul que la force de répondre par monosyllabes :
-Oui.
�LE MARI DE VIVIANE
157
- Voulez-vous la prier de descendre ici, ou
puis-je aller la trouver?
-Non.
- Pourquoi?
- . .. Elle est sortie pour toute la soirée ...
répondit Mme Frémière, reprenant son aplomb.
Que lui voulez-vous, monsieur?
- !e viens la supplier de me pardonner,
d'oublIer ce qu'elle a sou(ferl de la violence de
mon caractère, de me laisser gagner son cœur
par la ferveur d'un amour qui ne peut plus se
démentir!
Il était ardent, chaleureux, pathétique. Mais,
Mme Frémière voyait devant ses yeux le cadavre
de Daniel étendu dans une allée de parc ... Elle
di t à voix basse:
- Il est trop tard ... après ce qui s'est passé.
- Ah 1 ne dites pas cela, madame, s'écria-t-il,
ne me retirez pas celle espérance au Dom de
laq uelle je viens de commet! re un acte don t je
m'étonne encore (Mme Frél,nière frissonna). Oui,
je suis coupable. Par orgueil j'ai torturé Viviane,
mais comprenez que je suis excédé par la
contrainte que, depuis des mois, ma femme
m'impose! Je souffre, je l'aime, ne m'empèchez
pas de réparer mes torts. Croyez-moi. Si j'ai les
défau ts des hommes trop passionnés, j'en ai aussi
les vertus. Je puis être le plus tendre et le plus
fidèle des an1ants, l'aimer comme personne ne
J'aimera jamais. Personne!
_ Surtout Daniel, n'cst-ce pas? Daniel que vous
avez lâchement assassiné! gronda la directrice ne
se contenant plus.
_ VOLIS déraisonnez, madame, dit Olivier en se
ùressant, pille.
_ Quoi! reprit-elle, cédant à son indignation,
ce que vous :1\' Cr.
vous osez parler d'amour al~rès
foi t? VOLIS voulez conq uém- voIre femme! Je
�LE MARI DE VIVIANE
devine votre jeu, monsieur. Vous espériez la griser
par vos parolcs; quand vous l'auriez sentie bien
asservie, vous lui eussiez révélé ce que nous savons
déjà: votre crime, votre du cl odieux avec Daniel!
- Vous savez! dit-il stupéfait.
Puis, avançant d'un pas, il dit véhément:
- Mais, savez-vous ce qu'il est advenu à ce
duel? Savez-Yous que, lorsque j'ai appris le-départ
de Viviane, je n'ai plus eu qu'une pensée, une
seule, me tenaillant: ma femme. Ma femme que
je savais irréprochable et que j'adorais! Oui, je
suis allé à cette rencontre et là, sur le terrain, en
présence des témoins, j'ai fai t des excuses à Daniel,
des excuses gui m'ont plus fouaillé le cœur que les
douze balles d'un peloton d'exécution. Je me suis
humilié, moi le comte d'Yrgil, gui serais mort
volontiers par point d'honneur, et j'ai souffert cet
affront afin de ne pas lever l'épée contre le plus
proche parent de ma femme, pour ne pas me1tre
entre nous J'infranchissable barrière d'un cadavre!
- Vous avez fai t cela!
Elle comprenait maintenant le télégramme de
Daniel, annulant sa lettre d'adieu devenuc vaine:
ils ne s'étaient pas battus. Olivier poursuivait:
- Mes mains sont pures, madame. Et, si ma
femme était là, je saurais trouyer les mots pour la
convaincrc de mon amour. Elle me croirait!
Alors, tendant les bras clans l'encadrement de
la porle qui venait de s'ouvrir, Viviane cria:
- Je vous crois!
Il bondit vers elle, puis s'arrêta, n'osanlla toucher que du bout dcs doigts, contemplant ce bcau
visage, sculpté par la douleur el la joie. Tremblant, il demanda, dans un soufne :
- Vous me croyez, Vivianc ... m'aimez-vous?
Mme Frémière avait disparu. La comtesse d'Yrgil fixa sur son mtri ses yeux passionnés et murmura:
�LE MARI DE VIVIANE
159
-Je t'aime!
Il les cueillit, ces mots adorables, sur ses lèvres
parfumées; il les savoura comme un gage d'immortelle fé licité; ses bras se refermèrent sur elle
qui ne se dérobait plus. Un muet délire les rapprochait enfin, effaçant le passé et, dans la
pénombre silencieuse, oubliant tout ce qui n'était
. pas eux, ils échangèrent leur premier baiser
,l'amour ...
El, dans la campagne de Sion, lllland les lauriers rouges épandirent leur ombre de feu audessus de la fontaine biblique où l'inscription
romaine parlait de l'amour et du temps fugitif,
Zulimé vit un soir venir vers elle, mélancolique et
las, Je voyageur qui, six mois plus t6t, n'avait pas
dit son nom, mais qu'elle voulait, qu'elIe saurait
consoler ...
Et la réalité acheva l'aquarelle inachevée ...
FIN
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Collection Stella
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La collection Stella est lancée en 1919 par les éditions du Petit Echo de la Mode. Ses fascicules sont des suppléments mensuels...<br /><a href="https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/exhibits/show/fondbastaire/collection_stella">En savoir plus sur la collection Stella</a>
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Le mari de Viviane
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Schultz, Yvonne (18..-19..)
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159 p.
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Collection Stella ; 69
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