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1
( COLLECTION FAMA )
E DI T I O N S
MARCEL
DAUBIN_PAR I S
�MODE
LA
NATIONALE ·
FONDÉ E EN 1885
publie c1.aql/e saison cles albllms de macle
,lonnant les clullières 110 Il vea Il tés ell pa/l'ails.
Viennent de paz'aître :
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Broderies et Lelll'es pOUl' draps, taies, linge de maison.
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ÉDITIONS
94,
RUE
D'Al~SI,
MARCEL
DAUBIN
PARIS-XIV'
oUtra: AU3Ia)
�c..,
1
JEUNESSE EN FLEUR
5
��MARCEL TRIAIRE
JEUNESSE EN FLEUR
ROMAlv
•
LES rml1:IONS 1\1.\ HeEL DA l 'B1N
S. E , P . J. A. !H, Hu c d'Alésiu, !J4 - PA rti S (X I V' )
��JEUNESSE EN FLEUR
La mai son d'éducation de s damcs Dubois était
connuc dan s tout lc départcmcnt et sa réputation
s'étcndait mêmc aux départemcnts voisins. Elle était
méritéc. Là, les demoisclles de bonne famill c rcccvaicnt unc éducation so ignée ct un e in struction assez
so lidc pour lcur fairc obtcnir un diplôme qui consacrait ct couronnait ceUc instruction. Ce n'c st pas
,q uc Ccs dcmois elles eu~scnt
l' intention de s'en scrv ir
pour gagncr kur vic ct entrer dans unc administration. Non; leur ' éludes finies, cle~
rentraicnt dans
l eur famillc ct bientôt après sc mariaicnt; mai s il est
toutours flaLLcur de pouvoir cncadrcr un parchelllin;
el pui s, disai nt les mamans prudentes, « dan s la
, vic, on nc sn it jamais cc qui p eu t arriver l !
Celle b elle matinée de juillet consacrait la fin de
l'année scolaire par une brillante distribution des
Pl'ix, 13e:lllcoup des nolabilités dc la villc honorent
le pensionnat des damcs · Dubois de leur sympathie
et nc manqucnt pas d la lui témoigncr cn venant cc
jour-là assister QU défilé de ses élégantcs élèves ct
applaudir il leu l '~ succès scolaircs.
La cél'émonic venait de finir. Les dames Dubois
nc savaient il qui répondre: clics dép16yaient cn ce
jouI'· dc fête un luxe inaccoutumé ct ne rcculaicllt
dt'vanL aucun sacrifice pour soutenir le hon renom
de leur établissement. Débordées, aITolées, clles
remcrciaicnt les notabililés qui avaient bien voulu
sc dér,lnger POUl' lcur apporter leurs cncouragements,
cl les damcs de la ville qui soutcnaient lelll' l"'putalion ct leul' envoyaicnt des élèves. ElIcs allaient de
rune il l'autre, agrippécs au pnssage pal' une maman
qui prenait congé,
'l'oules ces jcuncs flllcs qui ont gardé pendant deux
heures une imlllobilité impnticnte, ct qui ont écouté
bien gentiment lc discours d'un monsieul' grave,
�JEUNES SE EN FLEUR
s'ébrou ent mainten ::mt avec une vivacit é, une exubé...
rance trop longtem ps compri mées. A cet instanl pré~
cis, les vacanc es comme ncent: les vacanc es, c'est-àdire le voyage à la mer ou à la montag ne; plus de
classes , plus de devoirs ; les jeux et la liberté toute
la journée . Le premie r momen t des vacanc es, (:'est
le meille ur: demain , peut-êt re tout à l'heure , le
départ. Mais ::nrp a rav::m t, il faut dire au revoir aux
camara des: on les cherch e, on les appelle , on les
trouve, on s'embra ssc, on se souhait e de bonnes
vacanc es, on s'invite lcs unes chez les autres pour
ne p as re stcr deux longs mois sans se revoir. Toutes
,ces enfants en robe claire qui s'agitai ent, qui parIaient haut, qui riaient, cela faisait une mêlée confuse et gracieu se, lin ramage étourdi ssant et
charma nt.
Les grande s formai ent un groupe plus loin, mais
d'où pnrtaie nt égalem ent des exclam ations joyeuse s,
des l'clots de rire, des cris enjoués ; puis le groupe se
disJoqu e dons un envol léger de jupcs el un autre
se forme un peu plus loin . Les robes blanch es, les
robes SOy~use
aux fraÎ Iles coulcu rs vont, vienne nt,
s'entrem êlent et s ~ croiscn t en une foule allègre, élégante, bi~aréc,
parfum ée pépian te.
Parmi les plus gral1 des,' u ne des plus animée s était
Franço ise Rémuz at, une bclle brunc dc dix-hui t ons,
le teint clair, l'œil vif. toutc débord antc de santé et
de saine gaieté. Elle était la reine d'un grOU]1e qui
s'était formé un pcu ft, l'écart cl qui comprc nait les
plus grande s, celles qui avaicnt termin e Icurs études
ct qui aUaien t (Juitter le pensio nnat pour n'y pllls
revcnir .
Par momen ts, une omhre, une pctite vague de tristesse pas~il
sur le groupe ; 011 est conten te rIe partir
en vacanc es; on est conten te d'en n\'oir fini avec lc
pensiol lnat, de dire adicu pour tOl1jours aux livres dc
classe; et pourlan t, ce n'e!'it pas sans quelqu e pcinc
<Iue,l'on quillc ccltc maison où on a passé ses années
de Jeunesse, Oll on lais~;c
dcs souven irs qui nc sont
na~
, lous amers, ct des maîtres ses pnrfoi~;
sévères .
�JEUNESSE EN
FLEUR
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mais toujours si bonncs, et surtout, surtout des camarades, des amies que l'on ne revcrra plus.
Que l'on ne reverra plus! Est-ce possible! Non. ce
n'est pas possihle : voyons. on a vécu ensemble pendant des années. on a partagé les mêmes travaux. les
mêmes jeux. on est lié par cles souvenirs très chers,
et puis au moment où cette amitié cie jeunesse devrait
prendre un essor nouveau, voilà qu'au contraire elle
s'éteint et cesse tout d'un coup: on se disperse ct on
ne sc voit plus ...
- Vous comprenez bicn que ce n'est pas possible,
s'écrie Françoise Rémuzat; d'abord nOlis allons nous
promettrc de HOll .· écrire, sérieusement.
- El réguliè·remcnl.
- Mais oui, régulièl'cment. in s isla Thérèse Lauris.
- ... Et non pas comme il arrive toujours. c'est-àdire qu'on écrit une foi'!, deux fois, ça va bi en. on
tient sa promesse, ... mais bientôt les leLlres !'lC font
plus rares; peu à peu elles s'espacent de plus en plus.
Un beau jour, on sc dit: « Comllle il y a longt em ps
que je n'ni pa s écrit Ü mon amie!" Et il y a si longLemps qu'on n'ose plus écrire: et voilà comment on
se perd.
.
ne l'entendons pas ainsi, s'écria Macle- ~ous
leine Cazals.
- Cc:rtes non ...
- C'est trop triste. amrma Françoise. Et pour ne
citel' qu'un exemple, tenez, notre pauvre Denise
Beaumont.
A cc nOI11. tous ces charmants visages sc rembrunirent.
- Oui, Denise .... cette délicieuse petite Denhe. si
jolie. si douce, si bonne camarade eL qui est partie
bnlsquemcnt au commencement de l'année.
- Elon n'a jnmais su exactement pourquoi!
-- Mais si, voyons: son père ruiné, mauvaises
affaires. revers de fortune. et la mort de ses parents
qui a suivi peu après.
- Pauvre Denise!
- Elle avait bien promis d'écrire, de nous tcnir
au courant ... Parmi ses malheurs, notre amitié lui
�JEUNESSE EN
FLEUR
Oll 'oH été une consolation et, qui soit, peut-être une
aide: pourquoi ne l'a-t-elle pas fait?
- Par fausse honte, douleur de nous eXl?oser son
infortune après avoir été notre camarade.
- Qui sait ce qu'elle est devenue?
- On ne sait pas au juste. Quelqu'un de sail pays
que je connais m'a dit qu'après la mort de sa mère,clle a tout vendu et qu'elle a disparu; on suppose
qu'elle est allée il Paris chercher un emploi pour
vivre: dactylo, secrétaire dans une administration,
on ne sait pas au juste.
- C'est-à-dire prohablement pas heureuse.
- Sans doute, mais que Caire ?
- Toi, Thérèse Lauris, qui rentres à Paris après
les vacances, tu devrais chercher un peu.
- Je ne demande pas mieux; je serais trè s heureuse de la retrouver, de renouer amitié et de lui
rendre l'existence un peu moins amère, il celle
pauvre Denise qui a dn bien soufl'rir, si douce, si
délicate, si pell armée pout' la vic ... Mais vous rendcz'v ous compte des difficultés cl du peu de chance de
trouYer quelqu'un clans celle forêt d'ètl'cS humains
qu'est Paris, ... it moins d'Ull hasard ...
- Eh bicn! espérons que le hasard vans J11clll'U
en présence.
- Toul celn prouve qll'il IlC falll pos nons perdre:
écrirc. écrire SOll\'ent ct profiler de toutes les occasions pour nOLIS rencontrer.
- Pour moi, dit Fr:lnçoise Hémllznt, VOtlS sayez
que j'hélhite Ù Châteaunellf, une grande lI1nj~o
capable de VOliS loger tOlites cnsemhle, au milieu
d'n.ne ,grande propriété, jellx, plOmetlnc1es, de qllOi
snlIsfull'C les plus tlirTiciles : J\Iesdemoisl'lJes, j'attends
votre bonne visite. njollta-I-clle en riant ct en Inisnl1l
ln révérence.
Un? dn~lc
assez forl • comprilllée dans Ul1e robe
de SOie nOI~e,
nrbomnt SUl' ses chevcux gris un toquet
rlvec une algrettc 01'(.:11 'iJ]cuse, s'nvilllçnlt a<;scz lourdement.
-. Mon enfant, flit-clle :l Françoise, il l'st temps de
uurtlr SI /JOliS ne voulons pas manquer le in in.
�JEUNES SE EN FLEUR
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- Tout de suite, mnmnn , répond it Frnnço ise.
Elle embras sn avec effusio n toutes ses cnmnra ùes
en renouv elant les prome sses:
- A bientôt une lettre .. , el votre visile .. , C' st
enlend u!. .. C'est promis !.. ,
Et si l'une d'entre nous a des nouvel les de
Denise Beaum onl, eHe en fera aussitô t purt aux
aulres,
- Comme de juste,
- Allons, au revoir, mes belles!
En deux bonùs, Franço ise rejoign it sa mt're qui
faisail ses adieux aux ùames Duboi " Déjà bien des
person nes étaient parties : l'assist ance étail moins
compa cte; les dames Dubois , qui avaienl été ùébordées tout d'abord , ne sachar. t il (Jui ré[)om! re, commençai ent à respire r plus ft leur aise ,
- Alors, ma chère enfant, rlit l'une d'el les, voilà
tel'll1in ée votre del'llièl 'e année et "ous nOliS quittez
san), l'spoi,' de re tour,
- Il Je faut bien, :\fadam e, répond it Franço ise, ce
jour-là devait fntalem ent arriver ,
- COl1lllle elle dit celn! répliqu a la maîtres se de
pension en sourian t. Ah! l'ingral itude des enfnnts !..,
Gardc-r ez-vous du moins de celle maison un assez
bon souvcn ir?
- l\ln<lamc, je gord rai 1 mcilleu r souvcn ir de
cclle maj~on
el de vOlls-m l'me, el soyez pe,'~undéc
qu'il nc s'y ml'Ic-ra aucune ingrati tudc, au contnlÏ rc;
mnis vous ne voudl'Î ez p:1S Ille gardcr 1:'1 tout' ilia vic,
lt, COlllllle je VOliS dis, cc jouI' de s('parH lion dcvoit
arl'ÎYcr ,
- C'est vroi, continu o mélnnc oliquem ent :\1"" Dubois; nOlis prcnon s 'cs enfants toutes jeunes; d'une
:lIln ',c il l'n~
nOliS les \'o~()n
gl'andi r; nous nous
altacho ns li ('Iles; \Ics sont lln peu il nom;, si bien
<lU' nOll'; nOl~
figuron s aSSt'l n:.i\'ClI lcnt qtt'clle s sont
Iii pour tOUjOUI'''", Et Pli is un jouI' nrri yl' où clics
pm'lcnt POUl' Ill' plu;; l'cv'nir .
:\lois IlOU'i reviend rons vous voir, ~Indme,
Ah! voilà unl' bonnl' parole, Illon enfnnt! C'cst
\'l'ai, Châtea uneuf J1'c~l
IHI'> si loin, ?'\e l'oubli " !ln." ..
�10
JEUNES SE EN FLEUR
Et mainte nant, bonnes vacanc es, bonne santé et au
revoir!
ErTusions, sourire s, serrem ents de mains, embras sade s.
. '
, 11
_ Vile, Franço ise, dit Mono Remuz
at des ~u ~ es
furent dehors, nous avons à peine le temps ct arnver
avant le départ du train .
Elles pressèr ent le pas et arrivèr ent juste pour
s'instal ler dans deux coins d'un compa rtimen t de
deuxièm e classe. Le train partit. Franço ise regarda
défiler le paysag e qu'elle connai ssait bien avec une
certain e mélanc olie. Mainte nant qu'elle était seule,
que la séparat ion était crTective, ses réflexio ns lui
revena ient; finie sa vic d'écoli ère; finies les bonnes
parlies avec les camara des; c'était une tranche de
sa vie qui finissai t; une vic nouvell e comme nçait; ct
comme tout change ment, mëme désiré, compo rte toujours une certain e tristess e, Franço ise sc sentait
toute triste. Peut-êt re aussi le souven il' évoqué tout
à l'heure de cette pauvre Denise Beaum ont qu'elle
aimait tant, qui était peut-êt re sa meilleu re amie, cl
qui avait disparu si lament ableme nt!
Une vie nouvell e! Oh! elle n'en attenda it pas
grande surpris e, de celle vic nouvel le! Elle la voyait,
elle la connai s sait déj1l, heureu se, confort able ct un
pcu monoto ne, entre sa mère ct son oncle; un peu
de lecture , un peu de musiqu e, un 11eu de couture
auprès de sa mère; ct au dehors, avec son oncle, des
promcn ades lentem ent, à pied, dans le domain e, pour
examin er les champ s et les vignes, ou au loin en
voiturc , à cheval. .. Comme elle nllait s'en orTi~,
de
ces bonnes promen ades il. cheval, qu'elle aimait tant,
malgré la terreur qn'clles inspira ient li sa mèrc!
Et puis une pensée qui amena un léger incarna l
sur les joues de la jeune nUe: ce jeune voisin qui
avait été le compag non de jeux de son enfanc e ...
Le ,trujel. jusqu'à ~hâteaunlf
n'était pas trës long.
L'a~lve
l!1tert'o mplt les rêv,eries de Franço ise; le
.trall\ s arrcle, cl toul de SUite, devanl la portièr e
ouverte , l'oncle Victor qui tend les bras à sa nièce.
Elle s'y précipi te avec toute la sympat hie, tout l'élan,
�.JEUNESSE .EN FLEUR
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tout l'amour filial presque, que lui inspire ce bon
oncle. Il reçoit la jeune tille dans ses bras vigoureux
et embrasse paternellement ses joues fraîches. Puis
il se met en devoir d'aider sa sœl1l' à descendre.
- Vous avez fait bon voyage?
- Excellent, mon oncle; il est d'aiJleurs assez
Court. Allons, Sultan, allons !. .. s'écria-t-elle en s'adressant ù un magnifique lévrier qui bondissait autour
d'elle.
Mais Sultan n'entendait rien et, tout il la joie de
retrouver sa jeune maîtresse, il cherchait à raccabler
de caresses dont elle avait peine ù sc défendre.
Enfin, tous les trois se dirigèrent vers une charrette
anglaise dont le cheval était attaché ù un arbre, dans
ln cour de la gare. L'oncle Victor installa sa sœur el
sa nièce, détacha le cheval, prit les rênes, et la voiture pnrtit ù vive allure, suivie de Sultan qui trottait
sur Ics bas côtés de ln roule.
Cette rout , bonlée de grands arbres, traversait une
campagne déjù Ull peu roussie par l'été; un moment
elle longeait la rivière qui s'en allnit, lente et paressruse, ct qui reflétait le soleil par mille plissements
légers, comme 3utnnt de petits miroirs. Le cheval
nllongenit le troL cL la voiture roulait rapidement, ft
la grnnd sntisfnction de :\1"'· Rémuzat qui ruisselait
de sueur el <Iésirnit une prompte nrrivée.
Bientôt, 011 nrri\'tl ù ChftLeaunt'uf ct on tra\'ersn la
grande pInce ombragée dc platnnes, l'église, les cafés,
les \llus bcnux l1lagnsins et quelques maisons bourgeoises, celle d..ll notaire, du vieux docteur, de 1\L Pertuis, l'architecte, dont le
.Jncques terminait ses
études de médecine ù Pnris ct dont le vieux (loctellr
nttenflnit impatiemmcnt J'arrivée pOUl' lui c('der sa
cHentl'le
t prendre un repos bien gngné. Les
J'ctl'ailés de Châtcaulleuf qui sc reposaienL sur les
b:lIlcs saluaient nll passng' ces dames de la l\U'sangere ct l'oncle Victor, qui rendnit le salllt en levant
son fOlleL.
Encore un petit kilomètre ct la voiture quittait ln
g!'unde route pour s'engager clans le chemin bordé dt.
VICUX Orllles qui montait entre les vignes jusqu':"!
ms
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.JEUNESSE EN FLEUR
la maison d'habitation. C'était une vieille bâtisse,
grande, fraîche et confortable, précédée d'ulle large
terrasse sur laquelle retombaient les branches d'un
énorme tilleul.
La voilure s'arrêta devant le perron, ct l'oncle Victor jeta les guides à Alfred, le petit domestique
accouru au bruit. Déjà Françoise avait sauté à terre;
l'oncle Victor sauta aussi, avec une légèreté que l'on
n'aurait pas attendue de son âge, et il aida sa sœur
à descendre.
Françoise avait gravi le perron en deux Oonds.
Chaque fois CJu'elle arrivait, son premier soin était
d'aUer emhrasser la bonne vieille cuisinière, Marielle.
C'est que Marielle faisait elle-même partie de la maison. Elle y était depuis si longtemps! Elle avait vu
na1tre Françoise, elle l'avait vue grandir ct elle allendait les vacances avec autant d'impatience, presque,
que la jeune fille, rouI' la revoir lin peu enfin ct pour
lui onreelionl1er les plats fins ct les gourmandi se!!
qu'elle aimait.
Elle-même venail au-devant ùe la jeune fille, riant
Ile toutes ses l'ides, pous),:lnl des exclamations et
brandissanl sa cuillère à pot au hout de son bras
levé.
- Ah! le voilà! s'écrinit-elle. Enfin nous allons
t'llvoir un !1eU à nous ... Tu ne rcpnl'liras plus ... Mois
lu cs encore plus belle ... Fais voir comme lu es
belle !...
.
E~
l\ar!et~,
porlanl cl riant, s'éloignait, sc rapprochait, faL~lt
toul'ller .Françoise, qui se prêtait de
bon ne gl'ace aux cordwlcs familiarités de J" l
'
vieille.
" 1OI1ne
Puis FrançOise descendait voir SOll cl
l 'f'
leva, lom. l'
.11
.
pe lt e. qUI accuell a t a\'ee des hennissCITIc lt · 1
. . . cIl capo
t
tal' t l' enco l ure de la br"v 1' 1t .1 S (C
JOLe,
Al'
·
'1'
" C le e . 1
1. VOl a que nous nous retrouvons
compagnon de promenade 1... Tu cs eOII 't ' nl01' lon
1
"• evo'lr ,... mo',
. ... e t'
en t ce
1 .11ISSI,
' JC te promels C
f me
Ille
nous
erons
l 1ongues COurses dans l' l '
ensem 1)1e (e
la montagne.
.\ P ame ct dans
L'appel pour le déjeuner l'etentit . u'1-.1IS
" (l'S
l'
<lU
, clic
�JEUNESSE EN
FLEUR
13
eut pris son café, Françoise continua sa tournée
d'inspection pour refaire connaissance avec la maison. Après la salle à manger, le grand salon, qui s'ouvrait comme elle par une large porte-fenêtre sur la
terrasse . Elle y retrouva son beau piano à queue; elle
l'ouvrit, mais sc contenta de plaquer deux accords;
la musique, ce serait pour un peu plus tard; ct ft côté '
du grand ~alon,
une autre pièce plus petite, une sorte
de boudoir intime, avec des livres et deux fauteuils
profonds, petite pirce retirée qui semblait faite
ct disposée pour la lecture ct la méditation silencieusé.
Au premier étage, clic retrouva sa chambre disposée ct décorée selon son goüt; elle passa deux
heures :'t l'ellletll'e en ordre ses affaires ct ù se
réinstaller, définitivement, celle fois. Et au",dessus
c'etait le gren i.er, vaste et mystérieux, où étaient reléguôs les vieux meubles, les malles d'autrefois, les
cOJIl'es remplis de choses anciennes, vieux vêtements,
vieux livres, vieilles étofTes, bibelots qui avaient
c.~sé
de plaire. fnl.lçoise n'y monta pas aujourd'hui;
mais il lui était arrivé souvent, aux jours de pluie,
d'aller y fouiller au hasard ct d'y faire de merveilleuses découvertes. Llle descendait en porlant triomphalement ses trouvaille!>.
- Où ali-tu encore déniché ça? lui demandait sa
mère.
- Au grenier. Tu vas voir comme je vais arl'Ul1gel' ça!
Et presque toujoul's. avec ulle vieille étoffe ou un
~)ibclot
dédaigné, -Ile réussissait il faire un abatJour, un Cudrc, unc couverture de livre ou une
applique POUl' une lampe. Cc serait pOlir plus tard.
Ellc descendit, tl'ouva sa mère sur la terrasse ct sc
rrposa un moment auprès d'elle, Puis, ln chalcul' un
peu tombée. elle fit lc ~our
du jardin, coupa quelqucs
l'oses ct alla les (Iéposer, avec unc prière, sur la
tombe de son père, qui était mort nlors qu'elle avait
quatorze ans. C'est li cc moment-là que l'oncle Victor
élnit venu demeurer' avec sa sœur et sa nièce ct avait
pris la direction du tlomainc.
�14
JEUNESSE EN FLEUR
En rentrant, elle le trouva qui revenait de voir un
fermier.
'- Eh bien t Françoise, te retrouves-tu chez toî?
- Mais Qui, mon oncle, je ntis commencer à
reprenùre mes habitudes. Et vous, toujours au
tra,,:1il?
- Ille faut bien si on veut que ça marche; je viens
ùe voir les 1uzernes, là-bas, et demain mati n je ferai
le tour des vignes .
J'ai bien envie d'aller avec VOllS.
- Si tu veux; mais je partirai d'assez bon matin.
- Eh bien t je Ille lèverai de bon matin; ne me
voilà-t-il pas camp::lgnarde, maintenant?
- Alors, intervint MDl. Rémuzat, il faudra vous
coucher de bonne heure; nous nous sommes clëjà
fatigués aujourd'hui; n table, et au lit!
L'oncle et Françoise se regardèrent. Habitué à
cOllllJlander cl ù être obéie, IWO' Rémuzat ne pouvait
s'empêcher, même clan s les plus petites hoses, de
montrer son caractère autoritaire; il faUait que tout
le monde marchât à l'ordre. C'était, au fond, ct ù part
ça, une excellente femme.
Dans sa chambre. debout devant sa fenêtre, Françoise contempla un instnllt les splendeurs tranquilles
de la nuit éloil(·e. Puis son regard red~cnit
slIr
terre ct parcollrut lc domnine endormi. Après leurs
1erres commcnç:lÏenl les terres dll domaine voisin,
lcs Tremble s; eUe voyait ln maison, J:'1-IHls, oil brillall
rnCOl'e une lumière: c'était ln (lell1eul" de :\1. el
M'"' SéderOIl. leurs plus proches voisins, et de leur
ms Pierre, qui avnit été le compagnon de jeux dr
son ·nfonce. Tiens, comment sc fnisnil-il qu'il IlC soil
1):15 venu ln voir dès nujounFhui, Pi('ne'? D'habitudc,
il );e lllOntruit plus emprcssé; il dcvait ccpendant
savoir <\u'cllc était arrivée. Ce sernit pour <Jemain.
Fl'ançoi~c
ferllla sa f 'nêtre et sc coucha.·
...
�JEUNESSE EN FLEUR
15
Le soleil n'était pas encore très haut, le lendemain
matin, quand Françoise et l'oncle Victor sortirent
pour la promenade projetée. Ils longèrent la pelouse,
traversèrent le bosquet d'arbres et se trouvèrent bientôt dans une pièce de vigne à laquelle l'oncle donnait
tous ses soins.
Vieux garçon, très gai, d'un caractère égal et d'une
bonne humeur un peu gouailleuse, très alerte pOUl"
son ftge, il avait réalisé quelques économies et songeait ù se reposer quand son beau-frère mourut. Sa
sœur lui demanda de venir habiter ù la Mésangère,
pour Ile pa rester seule avec Françoise dans cette
gr:lIlde maisoll. II accepta et vint s'installer. JI supporta <lyec le sourire l'humeur un peu despotique de
sa sœur; il se mit ù aimer Françoise comme si elle
eût été sa fille; Françoise. d'ailleurs, lui rendit largement son afTcclion; l'oncle ct la nièce s'entendaient
le Illieux du monde ct formaient une pnire d'amis
insépnrables. Et !leu à peu j'oncle se mit au courant
de la culture et dirigea le domaine.
Françoise ct lu( allaient lentement, d'ulle souche
à l'autre, soulevant les feuilles, appréciant les grappes
qui sc gonflai.::nt d~jù.
- Je crois, disait l'oncle, que si rien ne vient l'abimer, noue; aurons une belle récolte; jusqu'ù maintenant, tout va bien; il a plu assez, pas lI'op, et juste
au moment youlu. Allons, nous aurons peut-être la
récompense de notre pei ne!
- - Et vous vous en donnez heaucoup, mon oncle;
la Vigne est admirablement tenue, pus une muuvaise
herbe.
- JI le faut, mon enfant, si on veut récolLer.
Tout Cil parlant et el1 allant ainsi, ils étaient anivès ù la limite de lu vigne; une haie peu fOlll'l1ie la
séparait de la propriété voisine. De dCl"rière cette
haie, Une silhou!!lle surgit, la silhollette d'un jeune
homme qui salua ell s'écriant:
- Eh 1 bonjour, monsieur Victor; vous visitez
votre vigne de bon matin.
- Comme toi-même, Pierre. Je montre la vigne à
ma nièce Françoise.
�16
JEUNESSE EN FLEUR
Ah! parùon, MatlcmoiselIe, s'écria Pierre en
rougissant, je ne vous avais pas vue,
Pierre franchit la haie, serra la main de" l'oncl!' et
s'opprocha de Françoise pendnnt que l'oncle s'éloi·
gnait de quelques pas en marmottnnt :
,
- Petit masque !.. , tu crois que je ne te connaIs
pas 1.. , mais tu ne m'y trompes pas, tu sais très bien
que Françoise est arrivée hier .. , Tu l'es tenu il qlwtre
pOUl' ne "pas venir 1<1 voir tout de suite; mais, dès ce
matin, tu cs ,"CHU rôder ùe notre côté pOUl' voir ~i tu
aurais la chance de la rencontrer, Eh bien! tu 'ois,
tu ns la ch:lIlce 1 Il n'y fi que les amoureux pOUl' ayoir
de la chnnce comme ço .. ,
Et, glissant un rcgnrd du côLé des jeunes gens, il
ajouta, eomme s'il s'adl'essait il Fl'unçoise :
- Et toi, petite dissimulée, crois-tu que je n'aie
pas deviné pourquoi tu as accepté si volontiers c tle
promenade matinale avec Lon vieil oncle! Au fond,
tu te moques pas mal de la vigne ct de ton ol1cle;
mais tu espérais qUe ton ami Pierre nurait le bon
esprit de venir faire tin tour par ici. Eh bien! tu vois,
ill'u eu; vous avez réussi tous les deux .. , l'l VOliS \' OllS
imaginez que \lotl'e vieille bête d'oncle n'y voit rien 1
Ah! jeunesse, jeunesse .. , J\1uis il (1 été jeullc ~"'lnt
vous, votre vieil oncle, ct il s'en souvient .. , "Et il /00'('11
souvicnt non pus pOlir tOUl'lllcntcr les jeunes sous
prétex,te <[UC, sO,n Îlge est pn~sé,
mais ponr les rpf.(m'd;r d un œIl favol'able .. , AIIl1C'Z-vous, mes cnf;JIlLs,
oest le grand honheur de la vie, ct cc n'est pas moi
qui y llIettrai obsl acle,
, ?t l'oncle Vi~lO]",
p,cnché sur lIne souche qu'il foi.
sall"semblant ct exn,l1l1nCI', regordait du coin de l'œil
les Jeunes gens, et Il conclut:
- Quel beau couple ils feront tous les deux!
Cependant, Piel'I'e ~cl'rni
la main que lui l 'IHtnjt
franchement :Fra?çOlSe et la gnn!uit ql1elques
secondes dans la SlCnne :
Mademoiselle Françoise, "ous "oilit donc
revenue!
Depuis hier, Pierre, cl ]10l\l' toujour s,
Vous ne retournerez dOlle J)lus en fl l 'n~i()
'l
�JEUNESSE EN FLEUR
17
- Non, c'est fini.
Ils restèrent un moment immobiles et silencieux,
Un ]Jeu gênés; ils auraient eu tant de choses à se dire;
mais le voisinage de J'oncle les intimidait un peu el
ils ne 'savaient comment commencer; cependant,
leurs yeux se pr~naiet,
leurs regards se liaient, restaient fixes un moment, puis se détournaienl.
L'oncle s'éJoignnit tloucement, d'une souche a
l'autre, pour les laisser plus libres, et Pierre dit
enfin:
- Je savais que vous étiez là depuis hier; je VOli S
ai vue passer, mnis YOUS ne m'avez pas vu,
- Non, Il fallait YOllS montrer, Pie lTe .
- VOllS êtes passée trop vite cl je n'ai ]Jas osé;
j'aurais 'll l'a i l' de VOLIS attendre; il Y nvnit y ln
ml're avec VOliS, en yoitL1l'c, Elle II1C fnit toujours ur.
peu peur, vot re mère .
- Et Illon oncle'!
- Voire oncle, 11011, c'est un si brave 110111Ille. Ainsi
dOllc, VOllS ne partirez plus?
- 1'\on, Je viens de finir mn dernière année ,
- Oh! vous Ille l'aviez déjù dit; mais tant que cc
n'était ))(15 arrivé, je Ile pOllvnis pas y croire, Ainsi,
vous scrcz Iii toute l'année; quand, de chez moi, je
regarderai chez vous, je pourrai me dire: «Elle e ~t
Iii! ~ ct Lous les joUI'S je pourrai [\\'oir le uonhcul' de
VOLIS rcnconln:r,
- Mais oui, Pien'c.
-, Ah! si VOUS pouviez savoir comme j'a\'ais le
cu .' u~'
sene! jusqu'à mainlenant, chnCfuc fois que \'OIIS
parlIez POt1l' des ahsences dé plusieurs mois!
- Cc n'élait ]lUS très gui pOlll' moi non plus. vo lS
snvl'Z, PiclT'!
. - Sal1s doute, Fral\!;'oise, nwis 1110i qui ""US
<lJ1~,
.. , l110i qUI \'ous aime depuis loujours ... " (l US
~el1('Z
paSSer vos YHCanCes, huit jours :1 ~()'1,
(Jnin7e
a )~iC[ul's,
... je vous \'oynis deux 011 trois fois" .. IllllX
nI?l)' Cil ,'0111 ct sejllemIJre .... c'élait déjù un Il '\1
!l1l ·ux, !JOllS )loll\iolls nOLIs rellconll'er plus sOllyenL.
Ça paraît illt('l'lllinuhlt', dellx mois, slll'iont n\l ( r)l ll Jl1encemelll; 1lI :lÏ f, ça ilniL tout cie mênIe Dar pa s .c r;
�1&
JEUNESSE EN FLEUR
ça passe même très vite quand on est heureux ... Un
jour venait où vous me disiez: « Je pars demain.»
Demain! Et puis, trois mois sans VOliS voir ... Ah!
c'était pénible, Françoise ... Et maintenant vous ne
partirez plus ... Si vous saviez comme mon cœur déborde de joie, tellement que j'ai peine il le croire.
- C'est pourtant bien vrai, Pierre.
- Il ne manque donc qu'une chose il mon bOI1~
heur, Françoise.
- Ah! Et quoi donc?
- J'ose il peine, Françoise ... mais il pourrait manquer ... comment dire ... mais ... votre volonté, la bonne
amitié accueillante que vous m'avez toujours Illontrée ... je VOliS ai. toujours trouvée douce ct compatissante; vous avez deviné mon amour avant même que
j'aic osé vous l'avouer, et loin de me décourager, vous
m'avez toujours tendu dcs mains miséricordieuses.
- C'est parce que je vous ai reconnu sincl're,
Pie1'l'e!
- Oh! sincère jusque dans mes moindres paroles.
- Et dans vos nct s surtout. C'est sans doute
quelque chose que des paroles, mais il est si aisé rie
s'en scrvir pour travestil' ses sentiments; les actes
trompent moins, surtout quand on lcs obscrve pendant ussez longtemps.
- Comme vous avez raison, Françoise!
- ~ruis
oui. Que ùe gens qui se vantent (l'avoir tel
ou tcl sentiment, qui l'nfTichenl tant que ça ne Icur
coCite r·jen, ni argent, ni l)eine; ct puis, le jour où leur
fidélité il cc grand sentiment exige d'eux le moindre
sacrifice, ils haus<;ent les épaules ct Ir renient.
- Cela nl'l'ive, mon amie, lorsque ce sentiment st
factice, .et $uperrir:iel; mais quund il est el1l'aciné
prof?ndernent dÙ,ns votre cœur, lorsqu'un amour fnit
partlC de vous-mcme, lorsqu'il VOllS Il pris tout entier
e;!; CIuC VOliS ne pOlll'ricz )las vivre sans lui, pas plus
q~1C
!'jans votre cerveau ou votre cœul', IOI'squ'iJ pénctre (~vc
votre sung (~ans
tout votre être, l'imprègl1e
cl dcvlent sn seule 1':lIson ct sa seule possibilité de
vivre ... et il en e~t
ainsi, ,FI'nllC:oise, depuis que Ines
yeux peuvent VOII', depUIS que mon cœur peut sc
�JEUNESSE EN FLEUR
19
gonfler d'une douce émotion ... mon amour a grandi
en moi, avec moi, il fait partie de moi-même ct ne
l ourra mourir qu'avec moi.
Les deux jeunes gens firent quelques pas en silence,
faisant semblant, pour cacher leur émotion, de s'intéresser à l'état des vignes, connue l'oncle Victor qlli
se tenait toujours à une certaine distance toul en les
guettant du coin de l'œil.
- Vous VOLlS SOll\'enez, continua Pierre, lorsquc
nOlIS étions enfa'~
? .. Pour moi, lorsque je me remémore mes plus lointains souvenirs, je ne m'y retrouve
jam.ais seul, mais toujours avec VOliS ... Ah! si je voulais les faire tléDIer devant vous, comme cc serail
long !. ..
- Oui, dit Françoise en souriant, trop long: ce
sera pour plus tanl, pendant les longues veillées au
coin du feu.
- Merci tic voir ainsi dans l'avenir quand je VOllS
parle du passé; mais je suis sür que jc vous aimais
déjù cn ce lemps-hi, seulemenl je ne m en rendais
pas compte; mon affection d'enfant, c'étnÎt déjà de
l'amOllI'; mon db,ir de VOliS retrouver pOlir joner
avec ,"oue;. c'étnit déjù de l'amour ... je VOLIS aimais
mais jl' n'app'cl::l Îs pas les b:ttlemenls <le mOIl cœur
cie leur vrai nom ... La preuvE' <Ille je VOLIS aimnili,
("est mon désespoir le jour où VOLIS êtes pnrtie en
lwnsioll pour I.a première fois ..../ vous ai fuit mes
adil'UX nu moment où vous montiez en voiture, puis
je sllis vile rentré il ln mnison; j'ai dit il lJJa mère
fJUl' j'étnis malnde ct j'ni pnss(' ln (}l'cmièr' nuit ù
))Ielll' )1'.
Vous m'avez dit nu mOlllent du départ: « Tu ne
IHIS là POlll' jOli cr :1\'C(, moi demain!:. ct vous.
m'aYez embrass "l'.
- Oui. NOLIS nous disions
Ill ) il Cc montenl-lil ct
nOliS nOliS
mhrassions, soupira Pierre cn glissa lt
un reg!lrd d'envi vers la helle HIle qui Tllnrck il
IHlprès cl lui.
Nous "Iions des nf:mts, répOI1(lit-ellc; nOlis
,IOUS rtl1111siol1s et nous parlions comme Il s enfan!., .
Oui, dit Pierre. Avec l'fige, les scntim nts ~ ; e
-
s('r:t~
�20
JEU NES SE EN FLE UR
tran sfor men t; une sort e de pud
eur inst inct ive vou s
défe nd les fam ilia rité s des
prem ière s ann ées; non
seul eme nt vou s
enie z une élég ante jeun e fille
,
mais n'ous ne vividev
ons plus l'un prè s de l'au tre
la vie
d'au tref ois; je ne YOU S voy ais
plus qu'à inte rval les
éloi gné s et ene ore pas très
sou ven t; mai s, mal gré
votr e abse nce , vou s n'en étie
z pas moi ns ma pen sée
de tous les 'jou rs; et je les com
ptai s, les jour s; je les
rega rdai s imp atie mm ent tom
ber dan s le pass é,
puis que cha cun m e rap pro cha
it du jour où vou s
revi end riez pou r ne plus l'ep
:Hli r.
_ El voil à que ce jour est arri
vé, Pie rre.
_ Gui , Fra nço ise, puis si ez-v
ou
' en ress enti r une
,joie auss i pro fon de ((ue cell e
qui me fait batt re le
cœu r. La pati enc e est parf ois
amè re; mai s elle fait
pell à peu m(l rir de s frui ts qui
son t bien dou x. Vou s
ne part irez plus , Fra nço ise, et
je vou s retr ouv e toujour s plus b elle et touj our s auss
i bon ne, auss i com pati ssan te à celu i CJui tcn(1 vers
vou s des mai ns cha rgées d'am our .
Un lége r inca rna t anim a les
joue s de la jeun e fllle
eL elle tour na vers Pie rre son
hea u visa ge clai r ct ses
grn nds yeu x où bril lait une
flam me pur e. Pie rre ne
s'y trom pa pa s; il aurn it vou lu
scel ler l'en tent e amo ureus e d'un g ste, du seul gest e
qui sym boli se l'am our ,
le bai ser ... mai s imp ossi ble là,
en plei n air, Cl dev ant
l'on cle.
Alo rs, il se bais sa le plus
qu'i l put dev ant un
so uch e:
_ fl.e gnrd ez , mon ami e, CJue
de rais in s.
Frn nço ise s'in clin a et <l e la
mai n reto llrn a les
feui lles . Pie rre saisiL cell e mai
n, la por ta viv men t il
ses lèvr es, l'y pres sa ave c ferv
eur, essa yan t de fair e
pas ser dan s cell e carc sse tout
c l'ar dcù r nmo ureu se
qui enfl amm ait ses ving t-ci nq
nns.
Pui s, tout dou cem ent, ils rejo
igni rent l'on de. I11>
arri vaie nt au bas de la vign e.
Ils l'cm bras sè rent d'un
con!') d'œ il d'en sem ble.
- Eh hien ! Pier rc, dem and
a l'on de mol i ieu semen t, com men t trou ves- tn lIla
vign e?
_ Mag nifl que , mon sieu r Vic
tor, répo ndit Pie rre;
�JEUNESSE EN FLEUR
21
Vous y avez pris de la peine, mais vous sere;: récompensé; vous aurez une récolte au-dessus de la
moyenne et de qualité supérieure.
Ils remontèrent lentement vers le petit bois.
- Je fais quelques pas avec VOliS, dit Pierre.
- Si tu veux, mon garçon.
Ils marchaient lentement, examinant encore quelques souches au passage et arrivèrent ainsi au petit
bois qu'ils traversèrent. La maison apparut.
Allons, je vous laisse, dit Pierre, il bientôt.
Tu ne veux pas venir te reposer un moment?
Merci. Il est trop Lard.
Comllle tu vOlldrlls, ce sera pour une autre fois.
Poignées de mains; Piel'l'c fit demi-Lour, ct Prançoise ct son oncle gagnèrent la maison.
- Comme vous avez Lnrdé, dit 1\1,.0 Rémuz;lt en les
oyant, il doit faire atrocement chaud dans les terres.
- Oui, dit l'oncle, beau temps pour les raisins.
- ][ellt"eUSernent ([u'ici il fait frais, ajouta Françoise en suspendant son chapenu de soleil dans le
vestibule.
Et VOliS devez avoir faim et SUI·tout soif.
- Pour ça, oui.
- Eh bien! à tpble, il esL l'hcUl'e.
Assis Lous les trO,is dans III salle il I1lnnger olt la
moslùque enlretenuil une agréahle fr~ichel,
ils cornmen 'èrenl un de ces excellents déjeuners presque
entièrement fournis par la propriété: légumes frais
du jardin, volaille de la basse-cour, vin de leur vigne.
El tout en tléeoupallt le poulet rôti ft point, l'oncle
tlit :
Tiens, tout ù l'heure, nous nvons rencontré
no[re jeulle voisin Pierre Séderon.
Prançoise regarda son assiette et 1\1",0 Rémuznt ne
'dit rien. L'oncle ajouta:
- Cc garçon faisait le tour de ses propriétés
Comme nous.
- Si c'est tout ce qu'il a [rouvé ù faire dans l'existence, releva celle fois 1\1"" Rémuzat tI'un ton de
reproche, avec unc pOinte de mépris!
- Ca n'est déjù pas si mal, rectifia l'oncle Victor.
�JEUNESSE EN
FLEUR
C:v~!"'e1l
coupa Mme Rému::at. Tu trouves!
Voilà un jeune homme grand, fort, intelligent, qui
avait tous les moyens de s'instruire, qui aurait pu
devenir avocat, ingénieur ou médecin comme le
Pertuis, et qui a préféré rester pay~n!.
- Tu as l'air, ma sœur, répliqua l'oncle Victor, ùe
prononcer ce mot-là avec un certain dédain; mais
n'oublie pas qu'il est aussi honorable d'être paysan
que d'être bien d'autres choses, et souvent aussi difficile.
- Oh! ça!. ..
- Mais certainement. Tu dis que PielTe est un
garçon intelligent; je suis de ton avis, ct c'est précisément en cela qu'il a montré. on intelligence ... ct
j'ajoule qu'il est aussi très instruit.
- La belle a/Taire! Il a été il l' 'cole d'agriculLure!
- Il a été ù l'école ù'agriculture ct il a travaillé
alors que tant d'autres vont il ]' 'cole de droit ou il
l'école de médecine el Il'y font pas grand'chose . .le
trouve que ce jeune homme a très bien choisi sn voie.
Certainement, il aurait lHI, tOllt comme un autre, devenir avocat ou Illécl('cin Oll fonctionnair ',lais p:lr
bonheur pOUl' lui, SOI1 pt're possédait des terres et il
a voulu apprendre à Ics faire fl'l1clifl r 11lutôt que de
les nbandonner pour :lller vivre li la ville; il toute
aulre, il a préféré la vie <les champs, saine, lihre,
large, la vic en plein air ct je trouve qu'il n en par'faitelllCllt rai~on.
- Ça n'est pas celle vic-là C]ui donnera de ln distinction!
. - Evidelllment, C]uan~l
il fait le tour <le ses terres,
Il chal~se
,de gros. sOlillers ct Ile ~e
met pns Cil jaquelle; m:us M'" ,"ctements de grosse toile sont toujours très propres. D'ailleurs, ne vous y trompez pas;
non ~e\lIC1ct
il est grand, solide ,t alertc, mais il
ne ll1:lnCJue pas d'une ccrtainc Onessc; les traits de
son visage sont assez cléliruts, ses yC\I'X sonl intcllig~nts
et il. est trl'~,
b!e!l élen',. ncganlcz-Ie le
dImanche: d est :mssl U lalse dans son veston clntl'é
,t ses chnessures fines que Ces messieurs <le ln ville.
' - Dieu r Que tu cs entiché de ce garçon-Iii r
ms
�JEUNESSE EN FLEUR
2 ,")
Entiché! Non, mais j'y vois clair et je lui rends
justice; j'aime sa compagnie, car il connaît à fond les
choses de son métier et il est en même temps très
cultivé; parlez-lui littérature, peinture, musique,
théâtre, il est très renseigné et vous répondra d'une
façon juste et sensée.
.
La discussion tomba. Mmo Rémuzat continuait à ne
pas comprendre que ce jeune homme eût préféré restcr un paysan sur ses terres plutôt que de devenir un
monsieur à la ville. Quant à Françoise, elle pensait
1lxactement comme son oncle, et l'aurail embrassé
d'enthousiasme POUl' l'avoir si bien défendu alors
qu'elle était tenue, elle, à un silence prudent. Oui,
Pierre avait eu raison de préférer la vic libre ct saine
des champs, ct elle la préférait aussi. Les plaisirs que
nOLIS offre la ville ne sont pas tellement variés ct séduisants, ct presque toujours au préjudice de notre
santé; la vic au grfl,nù air, au contraire, est la seule
vie large cL rationnelle. Non, vraiment, Françoise
n'en veut pas d'autre, Habituée dès son enfance à
vivre dehors, elle a trop soulTert pendant plusieurs
années d'être enfermée au pensionnat pour accepter
d'aller se murer un jour dans une haute maison, Oll
elle viyraiL en commun, chacun dans sa cnse, avec
beaucoup d'autres gens, cl ùe n'avoir pour toute vue
que les voisins d'en face et Ja perspective de la rue.
Quelle différence avec la Mésangère 1
Françoisc monta dans sa chambre ct, entre les
volets à demi tirés, elle regarda la cnmpogllc; d'un
côté, Son regard suivait les molles ondulations des
ter,"cs cultivées jusqu'aux hauteurs boisées qui bornaient ::Ill loin l'horizont de l'autre. au~de
l à de quelques cll3mps moissonnés, elle !lpel'cevaÏl Ull bouquet
d'al'hres et, .it Lravers les branches, le toÏl de la maiSon de Picl're.
Piene 1 Ah 1 comme il nvoit cu raison de l'ester lit
Cl de préférer il toule autre cetLe vic saine ct simple;
et comme elle la préférait, ellc aussi, ... eomll1e lui. ..
comme lui" .. avec lui ...
�24
JEUNESSE EN FLEUR
·..
Après le déjeuner, Françoise monta dans sa
chambre pour laisser, derrière ses volets clos, passer les heures trop lourdes de ln journée. Elle se
reposa jusqu'à quatre heures, puis redescendit. Sa
mère était étendue sur sa chaise longue, il l'ombre
du lilleul, sur la terrasse.
- Commenf, d it-elle il. Françoise en la voyant, lu
ne le reposes pas plus longtemps?
- Non maman, c'est ennuyeux de resler enfermée; j'ai;lJe mieux aller faire une promenade à
cheval.
- Tu sais que je n'aime pas heaucoup que tu t'en
nilles il cheval toute seu le.
- Pourquoi, maman? Trompette esL ln dOllceur
même .
- Ta ln ... ça n'e~
; L pas si sùr C]tIt' ça ... il a sn tête ...
- Bien slIr, i l n'niOle pas être brusqué, l11tiÏs il n'y
a pns de ra ison, el avec un morceau de sucre, j'en
fnis ce que je veux ... Et tu sais que 'est pOlir 11101
un grnl1 d plaisi r.
- Oui, un drôle tic plnisir ... Je comprends une
promenade en voilure, à pied J1Il'mr, mais ft cllc\':JI,
je sais que pOUl' moi ...
Françoise se mil il rire il l'idée de voir sa mère :'t
cheval; elle se dirigcn vers les écuries cl donnn
l'ordre il Alfred de seller TrompeUe. Elle s'approehn,
donna ml che\'al le morceau tic sucre (IU'il nttendllit
('t se mit en sr)}e.
- Sois prudente nu moins, lui l'fia sa mi'rc en la
"oyant J)[lsser.
- Ne crains donc rien, maman, nOLIS sommes bons
amis, Trompette ct moi.
Françoise \ll'il la route de Chiitr:ltlncuf, contourna
ln bOllrgndc pOlir !le pas ln traverser, oblifJun clu côté
de l\Iérindol cL revint, après une pelit!, henrc (le proIllennde, par le chemin du Grnld-Ch~c.
La l11iitinc
ilin('raire, de fa~'on
ü longer, au
;'''..Iit cOll1biné ~on
�JEUNESSE EN FLEUR
25
retour, les terres de Pierre. Cet arrangement lui réussit. Pierre était en train de pnsser le grand rateau
dans une luzerne que l'on avait fauchée quelques
iours auparavant et l'entrée la veille. Dès qu'il vit
Françoise, j} planta là son rateau ct accourut.
- Comme je suis content de VOliS voir! s'écria-t-il,
en levant la main vers la jeune fille pour saisir la
sienne.
- Je ne sais pas si je dois vous croire, répondit-elle.
- Comment! 11t·il un peu inlerloqué.
- ;\1nis non! II vous est si facile de venir me voir
et voilà je ne sais combicn de jours que vous Ile VOLIS
êles pas montré.
- Ne soyez pas méchante, mon amie, mais Cl'oyez
bien ...
- Ne cherchez pas d'excuse: vous n'en avez point
de valable.
- Une seu le, je vous l'ai dit : j'ai toujours un peu
peur de voire ml!re. Elle ne me fait pns un accueil
lrès engagean t, cl alors ...
- .,. Alor's, vous pl'éférez ne pas venir ... cl vous
dites que VOliS m'aimez ... el VOLlS n'osez pas endurer
ce pelit illconvéuient ... que deviendrions-nolis alors,
si nOlis :lIVions conlre nOllS des obslacles séricuxl
- Ecoulez, F/'an~oise,
j'aimcrais peut-èlre mieux
avoir ù vaincre des obstacles sérieux pour nl'l'ivcr
jusqu'il vous, que celte altitude presque hostile de
vol1'e tnl're.
- Mais non, Pierre, VOllS exagérez ... maman n'esl
pns hOi'llilc; li peinc a-t-elle ulle petite mOlle; jc \'O\lS
"ai dit: clic IlC comprend pas qu'ull gnrçOIl comllle
vous soit l'c:'ilé SUI' ses terres pour les cultiver au lieu
de cher' 'hel' unc situalion :\ la ville.
- Ah! vous "oyez hien!
- Mnis moi, je le comprends; lIloi je VOLIS
al l prOl1\'; j'uillle hlen mieux que vous soyez reslé
~1I'
"0: lelT('S, que vous soyez resté un paysan,
" onllne elle dit lin peu dédnjgneusclIlenl. Alon;, que
voulez-vous de plus?
Je suis hcur 'u~
de \'otre sentiment, Françoise.
�26
JEUNESSE EN FLEUR
Et même si ma mère ne vous fait pas très bon
accueil, ce n'est pas une raison pour ne pas venir.:,
au contraire. C'est en vous montrant que VOliS ::Irl'1verez à vaincre celle prévention ... Sfms compter que
vous ferez plaisir à mon oncle et à moi-même.
- Pardonnez-moi, Fran,ç oise; mais je vou<; ai me si
uniquement, vous êtes à cc point ma seul:! pel~sé
et
mon seul espoir que j'ai toujours peur de f;ure un
geste qui viendrait contrarier 111011 amOlli'.
- Et celle peur vous empêche de rien raire pour
le servir; et aInsi, jusques il quand piétinerons-nous,
Illon pauvre ami? Jusqu'à cc qu'uil autrc prétendant
surgisse avec l'approbation de ma mère?
- Ah! taiseZ-VOLis, Françoise, je vous en suppl ie!
- Que je me taise ou que je parle, cela 'n 'em pêchera riel, surtout si vous ne faitcs rien vOLis-mêmc
pour assurer notre bonhclIr!
- ~otre
bonheur, avcz-vous dit. Ah! Françoise, cc
mot me redonne du courage,
- Eh bien t ne le savez-vous pas, Pierre, qlle votre
bonheur sera aussi le mien; ne le savez-volis pas que
la douce affection de notl"C enrnnce s'est Iransformée
comme nous-mêmes; nprès la période Lill peLl incertaine, indécise de l'adolcscence, elle a rejailli, mnis
métamorphosée, changée en un sentiment hc~itan
d'aborù, irrésolu et qui chel'chait son nOI11 ...
- ... Notre amOllI', Françoise, s'écria vivelllent
Pierre; je clisnis Illon amOlli'; maintcnant, je dirai
notre amour ... notre amour qui n'c-:;t encore qll'en
pensée, en espérance dans 110tl'C cœur, mais dont je
vcux faire une maglliilquc et éternelle réalité.
- A la bonne heure, Pierre; ch bien! n'allelldez
pas une minute de plus. Je l'entre il lu Mèsangèrc,
vencz avec moi.
- Dans cclle tenuc, c'est impossible, Françoise!
Eh hien! passez chcz VOLIS; jc vai,; rcntrer lentement ct VOliS arriverez pCll de tCl1p~
après moi:
je VOLIS atlel1cb,
Picrre courut il travcrs son pré jusqu'il sn maison,
el Fran~'oisc
mit TrOJl1I)cllc au pas. En arrivant, elle
�.TEuNnSSE EN FLEUR
27
jeta la bride à Alfred et monta à sa chambre pour se
rafraîchir le visage.
Peu de temps après, Pierre arriva et pt:esque avec
lui l'oncle Victor:
- Ah! te voi1à, mon garç.on! s'écria-t-il; mais on
ne te voit plus; si tu n'étais pas veou, je serais allé
de
te chercher pour aller voir ma vigne du quarti~
Grimaud qui ne va pas si bien que celle-ci; je veux
que tu me dises ce que tu en penses; nous irons demain, n'est-cc pas?
- Si vous voulez, monsieur Victor.
- Françoise, appela l'oncle, apporte-nous la bouteille de pastis avec de l'eau fraîche; il fait chaud
et nous avons soif.
Françoise parut et adressa à Pjerre un sourire qui
1ui fut une bien douce récompense. Elle mit des
velTes SUI' la table avec la boulei.lle et l'cau demandée, ct l'oncle prépara selon les règles les mieux établies le breuvage rafraichissant.
Mn .. Rémuzot parut et ne fit pas grise mine il Pierre;
au t'ontru.ire, elle était dans un bon mOmenl et fut
aimable. Elle voulut hien s'asseoir el boire avec ces
rnessieurs_ Ils parlèrent tel'res et cultures, espoir de s
prochnines vendanges; Pierre était un paysan; mais
un paysan Cort éclairé et averti; l\1me Rémuzat le savait bien el elle prisait fort ses conseils.
Cc fnt une heure hel1r'c~
pour les jeunes gens;
Fr3nçoise s'était os isc un peu en rctrait; ils échangeaient des regarcls cnlendus, et leur pensée allant
hC~l\Icoup
plus vite que les événeJl1ents, ils Se faisalCnt, il celte soirée douce ct reposante, une idée
de l.cul' bonheur' futur, prochain même ...
Pl(~rc
prOlongea celle visitc, mnis pas trop cependanl. A regret, il fallut partir; il salua ces dames ct
seITa la 1l1ain il l'oncle Victor:
- Alors, c'est entendu, Pierl'c : demain, TOU venez me ChNCh '1' ... cl nc VOllS faites pas si rare,
voyons; nOliS sommes voi sins ct on ne VOllS ,"oit
j1"csque pas ... Venez de temps cn temps prendre
l' upé'"i li f avee nOLIS comme cc SOI r.
- Oui, volontiers, mais le travail...
�28
JEUNESSE EN
FLEUR
Je sais: le travail commande; mais il faut bieD
se rcposer de temps en temps .
Françoise fut tout heureuse de cette soirée; s~
mère avait été aimable, ct son oncle ... ah! le bravi
homme d'oncle, comme il comprenait la jeunesse!..
Après le dîner, Françoise monta dans sa chambri
et, avant dc se coucher, clic écrivit à son am ic Th~
rèse Lauris, à Paris. Elle lui l'acon Lait par le dét::l1
tout Ce qu'elle avait fait dcpuis leur séparation, voiil
déjà Lrois semaines, après la disLribution des prix dt
['institution des dumcs Dubois. Elle lui racontait SOli
installation et lui purlait de s pcrsonne s qui ['cntotl
raient eL dont elle faisait unportrnit fidèlc, parfoi:
avec unc pointc d'humour: sa mèrc, son oncle, MD
riette; pui s, entl'::1inée pUI' 1::1 vé racité de son récil
elle pal'la de SOIl voisin ell termes asscz froid :
d'abord; mais commc un scntimcnL uussi sincère qu(
celui qui l'animait ne pcuL pas s'exprimcr en Lenne
illdilTérenLs, clIc fit une nllusion discrète il l'amOlli
tl Pierre; un peu plus loin, clic avoua que ceL amOlli
pourrait bien êLrc parLngé; cL enfin, elle lais sa purlel
son cecur libremcnL ct reillplil la dernière page di
sa leLLre de lcur Lcndressc ct de leurs espoirs.
Il p:ll'aÎl que 'cst unc prêcicusc consolation qui
de conficl' ses chnSl'ins il lIne ame chnrilable; nlors
il doit être vl'ni rlus.,i que de confier S:l joie eL sor
espérance doit être un stimulant, unc exaltation.
Le cœlll' de l~ra1çoisc
ballait hien fort en écrivan
sa lettre; quand clIc eut fini, elle s'avança vcrs sI
fenêtre ouverte ct leva vers le ciel étoilé un rega rC
1fervent, un regard de remerciement, de suppliC'Mioll
J'action de grâce, d'offrandc, de prièrc ...
...
A Paris, boulevard Saint-Michel, les cafês, le!' l'CS
tourants, les lihraires, les l11agasi ns de III odes, ]r
foule des éludian ts qui 111 t du haul en bas UIlC
joyeuse animalion. A midi, les administrations, le'
magasins, les banqucs lnchent l'ul's ell1ployés qld
rendenl plus compacte ln circulation. Les UliS SC
�JEUNESSE EN
FLEUR
29
l1âtent vers leur logement souvent lointain Ol! Ils
n' auront que peu de temp s pour préparer leur déjeuner ct l'alJsorber; ceux qui demeurent encore plus
( loin sc pl'écipitent vers la plus proche bouche du
métro; CCLIX enfin qui n 'ont pas assez de temps pour
r( rentrer chez eux envahissen t les restaurants où ils
prendront serrés les un s conlre les autres un repas
qui n'aura rien ùe la douceur familiale,
Parlout, c'est une hiite, une fièvre, une bousculade
t
semblab le il cejJe d'hier ct 111i sc !'épétcra demain ct
toute la vic, Ah! comme l'on lomprend Pierre ct
Françoise de préférer à cet.te VIC agitée une exi s tence
plu,' calme dans rail' pUr de leur campagne! Existence laborieu~
et qui a ;,ollvrnt des mécomptes,
mais qui n'irrite pa '; et n'use pas quotidiennement les
nerfs, et qlli permet une vie de ramille plus large ct
pl~
saine,
Parmi les étnùiants qui sor la ient de l'Ecole de
Médecine, Jacque,> Prrtui., ::-e hâlai, vers le pelit restaurant <lu père Sicard, l'ue Saint-André-des-Al't s,
C'e~t
lù qu'il vennit prendre ;'('sulièrelllenl ses rep ns,
Ainsi, il ne penlail 1):1<; ' le temps en déplacements
inutiles, TI avait trouvé une chnmbre rue ~[onsicur
le-Pl'Ïnce ct il 'wail dé(")uvert cc petit houchon où le
père Sicard fahnit iui-rnême une cui sine loute simple
qu'il sen'ail il un prix relati\'ement raisonnable,
Tout en t)('enant SOn modeste r pas, Jacques pensait qu'il vivait su c] e rnièl'(' année de Paris; il terminait ses "tudes; à la fin de l'anné il serail reçu docteur et il pal'linlÎt ,:'étabiil' a Chfltealln uf, fi s'installrrait dans la gl'ondè maison de ses parents, sur la
place de 1'{'Slhl! ; il :-,olgner,tit )e ~ hOlls villageois; il
~e
muriel'nit, el 1:1 vic <;'focoulernil ainsi, simple et monotone, lui appol'Inllt sn part de joies cl de peines,
Celle pells{'e s':1i'compngnnit cie conlent 'menl ('l
de l'e8ret, comme tout changement. Certaillem 'nt. il
rcgretterait Paris; il n'y m nait p:l~
ulle vie cie plaisirs à grandes gUHles; ses ':tud s et sc.., ressources Ile
le lui permettaient pas; mois enfin, il nHait de l mps
cn lemps nu th é:H,e , au concert; ù 10 belle saison,
il partait avec dc hons amarades passer la journée
�30
JEUNES SE EN
FLEUn
il Saint-C loud, li Saint-G ermain , ù Fontain ebleau, ou
plu s simple ment l'après- midi au Bois de Boulog ne.
En reyanç he, il aurait une yie confort able auprès de
sa mère qui le dorlote rait, en attenda n t de trouver
une femme parmi les héritiè res des environ s.
A insi pensait J acques quand ses réflexio ns s'envolai nt ycrs ses parenls et so n ave nir procha in; ou:
bien il dépliai t so n jou rnal et le parcou rait tout en
dl'j€'u n a nt.
Et voilà qlle ce jour-lù, en levant les yeux, il aper;
çul. installé e ù l'aulre coin et déjeun ant comme lui,
la plus jolie petite mignon ne qu'on pût voir: un
visnge clair, transpa rent, 'l umineu x qu'on aurait dit
éel a iré de l'inléri eur, COlTlme ces poupée s de porcelain e fine qui recèlen t une lampe; et, cncadr ant ce
vi snge délient , une chevelu re de soie ct d'or, souple,
](~gère.
tIont les lJOllcJes descen dnient jusque sur ses
ép a ules ct d[\l~oicnt
choque fois qu'elle tournai t la
lêt r .
Ja cqurs 1\':5ta pétrifié , immob ile, la fourche lle en
l'rlir: comme nt ulle aussi resplen dissant e créntl1r e
était-el le lù, drillS rclle humble gargo te, clic qui méritait tous les luxes, tous les homma ges, toutes les joies
dc ln vic; comme nt ne l'uvait-i l pas rcmnrq u('e 1)lu s
tôt? .. , C'était donc ln prcmiè re , foi s qu'elle venait? Et
rcviend rait-ell e encorc ? El s i clic ne revena it pns. il
scntait qu'il serait fort 111:1lhcul' ux mainte nant qu'jl
l'avait vue une rois.
Elle sentit le regnnl de Jncque s posé sur clic cl
leva la tête cl tourna Ics yeux vers lui: dc gr:ll1c!s
yeux clairs. limpide s, qui semhln ient éclaire r tout cc
qu'ils l'l'gard aient. L('urs reganls l'estèrl' nt deux secondes liés; puis elle détourn a la lête cl con tinu a il
déjeun cr tranqui llemcll t.
De plus 'n pllls cnflam mé, .Jarque s se posait ln
qUt'stio n flngois< ;nntc: 1eviend rn-t-rll c? Tl voulut
mcttre tontes Ics chance ., de son CIllé; il exp(:di n 1:1
fin de son ,ll'iel1ner ,[ s' tint pl'(o[; ct, <!llfllHI clic sorlit, il sortit nussi. Ell e fil quc!qu 's pns SUI' 1· IlOUI ':\1'([ Saint-G erlllain , s'urrêta :\ ln vitrine de quclqu
s
Jlwgnsi ns, puis revint ,t enlra dans la librairi e Ha-
�JEUNESSE
EN FLEUn
31
chelte. Voulait-elle acheter quelque livre ou bien y
était-elle employée? Jacques fit les cent pas sur le
trottoir pendant une bonne demi-heure et ne la vit
pas ressortir. Il en conclut qu'elle y était employée
ct pensa aussi que c'était pour cela qu'elle venait
déjeuner tout à côté, chez Sicard. Cette pensée le
rassma : s'il en était ainsi, elle reviendrait demain
et SOuvent.
Et Cil eITet, le lendemain, elle revint. Jacçjues déjeuna ùans une joyeuse ct tcndre contemplation. Il
sortit encore en même temps qu'clic, la suivil et la
vit encore entrer à la même heure chez Hachette. La
preuve était faite. La semaine passa ainsi ct la suivante. l\lais ce n'était pas tout. Déjeuner presque
chaque jour dans le rayonnement ùe sa beauté,
c'était bien; mais il aurait voulu lui parler, lu voir
autrement ct mieux que dans cette petite salle de
pelit l'estaurant. !\lais comment faire? Lui adresser
quclquc banalité? ... I\'on. Et si elle ne voulait pas
l'ent ndre, tout serait fini. Et Jacques laissait passer
les jours, embarrassé ct perplexe.
Un hasard le servit. Cc jOl\l'-lù, le lemps était incertain; il sc mit il pleuvoir; Jacques avait pri~
son pnrapluie; la .i 'une fille n'en avah pas; comme elle allait
sortir, l'averse redoubla; Jacques 'tenait derrière clic;
il sa hit l'occasion;
- Mademoiselle, dit-il, si vous voulez bien acecp~cr
la moitié de mon parapluie, je vous conduirai où
11 VOliS plaira.
Elle leva vers lui le regard clair' ùe ses grands yeux
ct sourit:
Ma roi, Monsieur, vous êtes bien aimable ct je
VOus remercie; j'ai peur que celle pluie dure longlemps ct je dois être il l'heure.
- Vous VOU!! seriez fait tl' mper.
- Aussi, j'accepte volonti 'l'S. D'ailleurs, je ne VOliS
conduirni pu<; loin.
Ils partirent, serrés sous le parapluie, et il la laissa
il sn porte.
Le lendemain, elle lui dit bonjour en souriant. Trois
�32
JEUNES SE EN FLEUR
jours après, jJs sortirè nt ensemb le et firent ensemb le
quelqu es pas sur le boulev ard. La seIDr>ine suivant e,
il lui offrit une tasse de café qu'elle accepta . Et quelques jours après, il lui dit :
- Madem oiselle, nous dégusto ns en même temps la
cuisine du père Sicarù et il quelqu e ùistanc e l'ul1 de
l'aulre; ne penseZ-VOllS pas qu'il serail plus agréabl e
de nous rappro cher et de bavard er lout en
déjeun ant?
Elle sourit encore, ct il partir du lendem ai-n, ils
déjeun èrent il 1:1 même table. Ce Iut ch:lrma nt t
Jacque s, mis en verve pm' la présen ce de la jeune
fille eut une conver sation variée el assez brillan te;
ellc' lui' répond ait, car elle avait, e)Je aussi, l'e~prit
asscz vif. el ils sc sép:lI'è renl enchan tés l'Ull de
l'alllre.
Quelqu es jours après, il voulut l'emme ner au
théfllre ; mais, de peur d'un refus, il llsa d'un subterfuge :
1\1:1<1(,l11oi5elle, dit-il, je devais aUer dimanc he
il l'Opéra -Comiq ue avec 1111 cie lI1es amis; j'ai les billet s ùans mo poche; mai!' yoil:'l qu'au dern ier 1I101liCI ll
il ne peul P(]~
\'enÏJ' : accepte z de venir il sa pl a ce.
\ OliS Ille ferez grand plaisir.
Apr('s une hésitati on cie quelqu es second es. l'lIe
[lC(,l'pt'l.
- On joue Manon. ajouta Jacque s; <;a n'esl pns du
nouvea u; Illais on entend tOujour s avec plaisir celle
lUusiqu e C~I'
ssanle ('1 IHlssio nnéc.
Cc fut Ulle soirée éIllouv nnlc; dall S l'omhre de la
salle, .1 nC(jucs osa prel,Hlre ln mai,n de Jo jeulle fille
et la gunlcr dnns les Slenncs . Pro!ond élll<'nt tr'ouIJ !('c
)Hll' l'exemp le nmourc ux qui sc déroula it lInl'
nwllicll SClllcnt de\':lnt cux, peul-êt re aUSsi pur lIlI sentil1l{'lIt
naissan l qui l'inclin ait \cr~
Jacque s, l'Ih' Ilt' SOIl
{~ l' , t
pas :\ la retirer, et ils éco uti'rellt ni~
l'hi loire
en musiqu e d'UllC des plus tOllcha ntes héroïnc s
d'amou r.
La nuit étall assez fraîche . mab C'lairc cl sereine .
_ Voulez -\'ous 'lllC nOLIs rentrio ns ü pic(l? lJro-
�33
JEUNESSE EN FLEUR
Posa-t-il. Après ccs émotions, quelques pas da'ns lc
silence de la nuit nous feront du bien.
Elle prit son bras et ils partircnt. Elle demeurait
COlllme lui de l'autl'c côté de J'eau.
Et tout en mnrchant, il lui dit :
- Mademoisellc, ce spectacle émouvant, cette nuit
limpide, et vous à mon hras, je ne peux pas taire
plu:; longtemps le sentiment qui fnit bnttrc mon
CŒur; la première fois que je vous nj vue, jc suis
l'~sté
émerveillé, fasciné par votrc beauté si doucc,
Sl Ie:ndrc, si délicnte ... El presque aussitôt, mon admiration s'est doubléc d'une crainte, d'une peul' atroce:
lu Peur de nc plus VOliS voir après VOliS avoir vue,
Heureusemcnt, le pctit dieu d'amour n'a pas 'oulu
m'inlliger cettc peine; je vous ai revuc, je vous ai
!'evlI' presque chaque jour, et chaquc jour, je sentais
s' 'nfonccr plus profondément dans mon CŒl1r les
r,~cils
de cpt amouI' que jc peux ,' ous avoucr aujourllIHll ... Je ne l'ai pas l'ail, ... je n'ai pas voulu Ic faÎl e
plus tôt; j'ai voulu être bien sür moi-même de la soli~Iité,
de la sincérité, de la pcrsistllJ1 'C de mon amour;
b~. n'n,i pas voulu non plus quc vous m'accllsicz d'une
.It· lIleertaine cl fragile ... l\lais aujourd'hui je pcux
lJ?r/cr, je suis bIen sür fi vous :lil1lcr; je suis bien
~l'
qu~
Illon plus gr:1nd bonheur serait de m'attacher
u \'OLJ~
J10lII' 1:1 vil'.
JacquCs ],arlait lentellH'nt, presque en cherchanl
ses ll10ts J10l1r qu'ils Ile trahissent pas sa Jler.~éc
ul'(len le; ct el1(', j)l'ofondéJllell t t l'ollbléc aussi, se MISpcndait plus lourdcment il son bras et sentait Ics
Jarme~
mOlllcr il ses yel~.
- :\,. me l'é]lOIHlcz pns tout dl' suite, continuait
Jacques; jc serais heurC'l1x si vous pouviez me rendre
1l~,
tcndresse; ItHlis je ne veux pas que notre amour
SOIt 1111 b1' ... f hasard; nous s:nons 011 nouS retrou\'cr,
nOllS nOLJ~;
conllaîtrons miCll '; vous réfléchirez; nous
Ilarlercns etc noire pnssé d de noire avenir, el, si
yOlls voulez mettrc vos mains dans les miennes, nous
lI'OIlS dans la vie ConllJlC nous nIIons cn cc moment
dQn~
cette nui\ serei ne.
- lfll/ voilà chez moi, murmura-t-ene,
2
�34
JEUNESSE
EN
F LEU R
Déjà ! tH J ac qu es.
Il p rit ses deux m ain s e t les ser ra longuement sU
ses lèv res .
- A bie ntôt, ... il de main, ... comme d' h abitude.
E lle l'e ntra ct il di sp amt d a ns la nuit.
Il s se r e trouvère nt le lend emai n et tous l es jour!
c t même plu sieurs fois p a r JOUI', car il leur a lTi vai
ÎTla int e na nt de se re lrouver le so ir po ur dî n er ct paS
se l" la so irée e nsem ble. Chacun ava it raco nté il l'a ul r
son h isto ire : lui, J acqu es P e r ~uis,
ter m inait sC
él ud es e n médec in e ; il la fin d e l' an née, il se rait doc
teur et il ir ait s'i nstall er da n s la bourgade qu' habi
taie nt ses p ar e nt s et ùo nt Je vieu x m édec in a tte n da i
im pa tiemm e nt so n m rivée p our lui p asse l' sa clie !1
tèle ct sc reposer e nfi n.
E t cli c, De nise Bea um o nt , lui dit sa jeun esse hell
l'cuse, SO Il (' du ca tion da ns u n ric h e pens io nn a t ; pui
les ca tas tro phes tomb a nt sur sa fa mill e, la débft cl l
de la fortun e dc 50 11 pè re, e ntr nÎ nnnt sa m ort ; SOl
dé pa rt hr usqu e de la p ensio n, ~a
vi c av'c sa mè r!
se débutt nnt tout es les dcux da ns un e success iol
in extrica bl e ct u ne s itu ati on désas treuse; ln rn isèr'
ct le ch ag rin nceahl:lIlt sa 111è re qui Il C ta rd a it p as'
succomb e r il son tOllr. Alors, cll e a va it tout ve ndll
elle av ait eoup é toute s Jes attnche s qui pouvaient }tl
r :!J)pelc r cc )) assé do nt le souvenil' do" prClI1i è ri.'
ann ées h eure uses lui re ndait plu s cru els en co re le
malheurs q u i lellr avaienl slI c&tdé, Et elle é tait vc nU
il P oris olt ell e ne eonnai sso it pcrso nn e et oil cIl
ava it trouvé ulI e place qui la faisa it vivre mod e)
tern ent.
L'infortun e d e De nise la rendit plus ch è re en co rl
Ù J acqu cs ; il resse ntit un e joi e d'ê tre lù )lOUI' la pro
téger, pour lui fa ire oublier scs m a lh eurs, et d'ê tr'
tout POUl' ell e pui squ'e lle était se ul' nu mÔnde. Et j
ressentait un e émotion sin cère ct pro ro nde ftCV (l 1l
cette jeune Illle au cœur pur, de ('o u diti o n mod
c~ t '
sans doute, mais d' une édu cation ct d'ullc vol eur JJi c1
supérieures ù sa condition.
Et elJe repl'<!n a il goül ü la v ie d eva nt l'adorutio 1
de Ce grand garçon qu'cHe sentait sincère. Ses mol
�JEUNESSE EN FLEUR
35
heurs étaient trop récents pour qu'elle pût les
oublier; mais il lui sembl:,tjt que le de stin voulût lui
nccorder une compensation et qu'après l'ayoir accablée, il ouvrait devant elle une vie paIsible et sans
doute heureuse.
,
Jls vécurent ainsi, côte il côte, se :relrouvant à midi
et Ilarfois le soir. Le s-nmedi et le dimanche, quand
il s avaient un peu plus de temps pOUl' rester
ensemble, ils nJ]aient au théâtre, au concert; ils passaient deux heures dans les galeries du Louvre; ou,
ql1nnd le temps le permettait, ils allaient jusqu'au
Boi,; et faisaienl le tour des lacs.
- Denise, disait Jacques, je suis heureux de YOUs
C,Ollnaitrc: je suis heureux que cc soit moi qui sois
Ja près de "OtiS... Soyez persuadée que "ou s avez
li auprès de vous un !11l1Ï, ••• un ami qui VOliS aime, ...
qui \'Olls aime sincèrement. .. pour vous-même, c'est1 ù-(li,re pOlir VOliS J'cndre la vie plus fa cHe, plus
, agl'cablc, plus heureuse ... Del1ise, je suis heureux que
( \·o us ' l)'CZ accueilli tendrement mon nmour, l'amour
1 lI,ne m'on t in!.pir" votre !Jeauté, votre chnrme, l'an gélique douccur qui se lit sur votre yisage et dans la
profondeur lumineuse <le vos beuux yeux.
la Mésangèrc, les vendanges :wnicnt éli: ln rêtc
(le la Joie eL hl fèle rlcs 'œlr~;
ln fêle du soleil qui
:Wnil dOI'-' les gr:appes, 1:1 Cèle des li';1vnmeurs qui
recueillaient le fruit <le leurs peines. Ln récolle était
I1lngnif1qllc; un beau lemp), pCl'sistanl fnisail de l'au1
tomnc une suite de J'él" /Jlus doucI.' ct encore éclnIl I[~ntc.
Comme il ('st d'usngc, on s'cntr'nidc entre voiSIns, PIerre villl ven<ll1nger chez l\J"'. Rémuznt et
J'O,ncle Victor, qui la semaine suivante rendit Ja pal
l'cllIe:i Pierre.
,
Françoise se mil de 111 pftl'tie. Pour se donner de
l'
1 )'uctivité, pOUf nider il la "en(lange, pOUf )es raisins,
!lour Pierre, clIc sc leva de bon matin ct sc lTlit au
travail. Ils prenaient-deux lignes purnllèles ct allnienl
ùu même pns, coupanl les raisins, remplissant leur
�36
JEUNESSE EN FLEUR
p a ni er, tournant la t ête pour se voir e t se sourire;
eL, d e temps e n Lemps, Françoise s'approchait, un
raisin ù la main:
- Regardez ce lui-là, Pierre, eommc il est doré et
commc il c!> t doux ... Golitez ...
Picrre s'approcha it à son Lour, et tous lcs deux,
grain à grain, mangeaient la gr appc.
- Oh! lc beau grain! ~'écria
it FranCohe.
Et du bout des doigts, ellc Jc tcnda it ù Pierrc qui
happaille grain YCl'l11cil ct baisait les onglcs roses .
Enfantillages charrnnnts, mcnue monnaie de
l'nmour, tout petits honheurs, dont on se souvien t
avec a ttendrissement ct dont la somme finit 11:11' faire
un grand bonheur.
Et puis, p eu il peu, les jou!'!> se firent e.1 ore pluS
courts ct plus somb r es. La pluie Sc mit il tomu er, c loîtrant Françoisc il la maison. Plus de promenades,
plus de rencontres fortuit es avec Pierre. L e fr oid
vint qu'clI c préféra ù ln plui e: la plui e empê h e dc
sortir, mais pas le froid, tant qu'il n'e st pa s trop vif.
Elle mettait de fort es ch nussures ct un g ro s mantent!
ct s'e n allait d'un pas ra pid e. Pi ' rTC était aux aguets;
il accoura it; il s sc rencontrnient au détour du che lllin
cl échangeaient quelques mots, mais ne pouvaient pas
rcster lon l-t temps enserllble.
Françoise rcntrait ct sc mcttaiL au pian o . La II1Usique adoucissait sn p ei ne. Elle n'é tnit pas un e ]lianiste virtuose, mais nssez fortc lOllt de rn êm ' pour SI'
fai r' plai sir il elle-m"me
t même il ceux qui
l'é co ulai e nt.
•
Il il un, le s jour's pn ssa ienl. Pi e lTe trouv a it hien
de temps en t 'lI1pS un prétexte pOlir vcnir voir
l'oncl e Victor, ,t l' lui-ci , qui aimait cc grand Rar~'O
J1
~1et
cl franc.• le r etenait aussi longt 'mps qu'ill1ouvnit;
Il appelait Françoi se pour leur se rvir qu c lqu' hoisSo n chaude; et l'aprè s-midi passa it ai n s i :\ parl er' dl'
leurs projets t d e leul's idées sur la ult~re,
s urto'\lt
ln <;uJture de la vigne qui leur te nait :\ cœur.
hncourag< par l'on t " Pi 'lT C s'enhardit il venir
plus SO llvent. M'·o n "Illuzal ne manqua pliS de l' n"
marquel'; elle remarqua aussi que lorsqu'il était lil.
�J EUNESS E EN
FLEUR
37
Pra nçoi se ne s' éloig na it p as . E lle n e dit ri en; m ais
ell e comm e nça à so upço nn er un e e nt e nte secr l· te
entl·e les je un es ge ns et elle les ob se r va .
II y eut deux e t m ême tro is se m a in es vra im e nt a m igea nt es ; la neige to mb a e n abon da nce et p ersis ta; imPossibl e de me ttre le n ez deh o rs; enfi n, le dégel vin t,
m a is r end it les ch em in s imp r a ti ca bl es pen da nt longtem p s.
La fln d e l'hiver p assa ain si; pu is, b ru squ eme nt , la
et coma rut
tem p éra tu re se d éte ndit; le soleil r é~ lp
u x sc
sea
oi
les
;
pée
détrem
erre
t
la
er
h
séc
m e nça à
r em irent à ch a nt er da ns les bui sso ns, et les la boureurs se prépa rè r e n t à com me n ce r les trava ux po ur
les l' ·'co ll es futures .
Al o rs, à m es ure qu e les jours p assè rent et q ue le
b ea u temp s fut plus ass uré, Fra nço ise c t Pi e r re e uren t
plus <l'o ccas io ns de sc ren co ntrer e t ils mi re nt u ne
subtil e in génios it é il faire n aiLrc les occas io n s qu a nd
eU,es Il e se prése nta ie nt p as asse z fréqu emmen t ell esIl CI ~ es . C'ét a it f:lc ile : les de ux propri étés sc to ucl UIJ e nt; il s n'a va ient l'lin e t l' autre qu' à se pro lll ener
li ur leurs te rre s ; il s s'a pe r ce va ie nt d e lo in et se rapP r och :lielll, Lü, ~e ul s a u mili eu d e l a bell e n a ture,
n'a yant pOlir co nfid e nt qu e le ve nt qui é pa rpill a it
leurs p a rok s, il s é ta ient plus assurés du sec r et que
da ns un e pièce dont le s murs p euvent nvoir des
ore illes .
- Mn bie n-a im ée di sa it Pi e rre, comme voilà lon gs a i pa s vu e !
temp s qu e je ne vo~
.- Lon gtemp s ! s' éc riait Fran çoi se . Mais avanthlcr· ...
- C' est bien cc que je di sai s ... Ab! on voit bie n
le temps d' l'abse nce ne vous dure pa s. Je vou s
q~le
UI ch er chée hier ...
- Hier, je s ui s allée ave c maman faire d es empl elles ü Ch5te tl ull euf.
- Ah! s i vou s m'aimi ez comme je vous aim e 1. ..
- Allon s, Pie rre , n e soyez pus inju ste: vou s savez
hien que je vou s aime. Se r a is-je 1:'1 ... et vou s aura is-je
assul'é de 111011 attache ment 1,., Seulem e nt, je sui s
peut-êt l'c plus patient e que vou s, c'e st-à-dir e que je
�38
JEUNESSE EN
FLEUR
lai sse passer Je temp s qui nous sépare encoF,e sans
gémir .... parce que cela ne sert à rien .
, ;----- C'est vrai. Françoise, pârdonnez-moi... Voyez'
vous, j'ai toujours un peu peur ... Votre mère ...
- :\ e vous plaignez pas de maman; elle doit
s'aperceyoir que nous nous r encontrons assez sou'
vent et elle n 'a encore rien dit. .
- C'est un succès ! dit Pi erre avec une pointe
d'amertume.
- Et maintenant. sé paron s- nou s, Pierre. N'ou'
blions pas qu'on peut !lOU . voir des fenêtres de l~
maison. et je Ile voudrais pas que ma m ère me fil
cette observation qu'elle n'a pas encore faite.
- Au revoir. Françoise, mon amour, mon seul
espoir.
Ils s'éloignèrent snns se ret~ul'1
e r.
Déjà les blé s nouv aux formaient sur ln pl a ine uJ1
tapis vert que lu straicnt les coups dl' vent. Fran oisC
pronlait dcs plus be aux jours pOlir fair e IIne })l'01l1C'
nadc il ehcval ct 'l1e s'f1rJ:tnge~d
presqu e toujour!
pour lon ge r en )'cvcn::tnt le:; terre s 011 l'icrre travai l,
lait, et c'daienl Cl1rOI c quelques lIlinut s de gagnée5
Un mois encore. et les ccrises commencèrent il
rou gir.
Un jonr, fi di'jeun '1', 1'011c'le Victor dit:
- .Je vais aller tout il l'heure voir Ic pré au hord
de la Gaude; il est toujours en (I\'anc' • p eut-ê trC
se ra-I-il bicntfll bon ù fHuchel',
- ,J'irai (I\'C(' toi, mon oncle. dit Fran\'oi se.
Pi 'ne s' trouva toul nutu\'cllcll1cnl SUI' lcur
chemin,
- As-tu une hel1re il nous donn er. mon gnrçon? dil
l'oncle, VirIls avec nou s, tu me donneras ton avis.
Pi el'l'e mm'cha :\ côté de PJ'ançoi 1'lc ; nu halon('e'
mcnt de la marche, lems moins sc frôlnient; il s:1Ï'
sissnit les doi gts de ln jeune fllle ('t l 'S s nait c1ouce'
III nt. ,t ccll
ll'11IIr' pl' 'ssio1\ étnit ol1s~i
perslHlsÎ\'C
qu'nn ~H'rlcni
lI'nmOllJ',
Il fut entendu (flle le PI" sn'ai t f.llH'hé la semoine
suivante, Pirrrc viendrait nid l' l'ol1c1c, cl PrnnçoisC
lle manqucrait pas une si belle occasion.
�JEUNESSE EN
FLEUR
39
L'herbe coupée sécha pendant quelques jours; puis
il faUu{ la retourner; Pierre et Françoise vinrent
. avec une fourche de bois sm l'épaule; et tout en marchant, Pierre dit:
1 - Françoise, je m'entruine depuis quelques jours ft
. une épreuve, ct quand j'aurai acquis assez de sangfroid, i'afi'ronterai le péril: c'est - parlons sérieusement _ c'est d'aller, avec votre permission, demander votre main à votre mère.
- Vraiment ? ..
, - Il faut bien que cela arrive un jour ou l'autre,
n est-cc pas? Alors, pourquoi a ll cnclre plus longtemp.s? Voilà bientôt un an que vous êtes revenue de
pensIOn; sans doute était-il raisonnable de nous impo~er
cc délai; ma is maintenant...
' - Oui, Pierre, vous avez raison; c'çst une démarche qu'il faut faire sa ns tarder; mais pourquoi
vous en fait
e~;·vo
u s une telle pellr?
- Je ne sais pa s: dès que je Ille trouv e devant
votre mère, je me Se ns glacé; c'est pm"ce que je cornp.rends qu'elle n'a pas pour moi beaucoup d' a fl'ectlon ni d'estime.
-:- Mais non, Pierre, cc n'est pas cela: maman
est.llne s implement que vous vous seriez élevé s i vous
aVIez étudié pOUl' être avocat ou docteur, lIlais qu'en
restant ù cultivel' vos terres, vous VOliS êtes classé
d~ns
une catégorie inférieure.
- Et cela suffira pour ([lI'elle fasse des difficultés
à m'accorder la main d.: sn fllle.
- Mais non, Pierre; d'ailleurs, moi, je ne partugo
pas ces idées rousses.
mon espérance, ma divine espé- Et VOliS êk~
ranCe ct mon éterllel amOllI'.
Quelques jours après, le foin était sec; on le chargea sur une harrette; Françoise monta sur le ralle
ct ~>
installa, Pierre prit la bride du cheval et condUlsll Cc trône cahotant où la jeune nIle se balançait
COl11ll1e une l'cine sur son chur de triomphe .
...
�40
JEUNES SE EN
FLEUR
A Paris, Jacque s et Denise laissaie nt passer les
jours et les mois dans l'émervjJ~n
de leur te.ndresse. De plus en plus, Jacque s :ummt cette ravlssanle jeune fille, simple, douce, délicate , dont le
charme mettait une lumière si pure dans sa vie jusquc-Ià monoto ne. Et elle s'était prise d'unc fervent e
tendres se pour cc grand garçon sérieux , un peu
timi(le, respect ueux dc sa faibless e et qu'elle sentait
sincère .
Ils continu aient à se rencon trer chaque jour, SOllyenl même deux fois par jOllr, et les heures qu'ils
pa!osnicnt cnscmb le étaient commc unc fraîche oasis
parmi leurs occupn tions grises et arides. Cepend ant,
avec les jours qui passaie nt, les examen s définiti fs
de ,Jacque s apf)l'oc haient. Denise lui dit :
- Ecoute z, Jacques , notre bonheu r est de passel'
quelqu es heures ensemb le; mais vos études ne
doiven t pas Cil souffri r; vos examen s approc hl:nt; il
faut que vous soyez reçu. Kous nous retrouv erons
chnquc jour fi déjeun er; il faut tOlljOllrs déjcunC l',
n'e~t-c
pas, ct cc sera plus agréabl e cnsemb le que
chacun de notre côté; muis le soir, nous ne nOlis
retrollv erons plus, ... plus qu'une fois par sell1ain e. Il
faut travaill er, IlHlÎS il ne faut tout de l11(;me IH\S que
le travail tlevienn e du surmen nge; alors, si vous vouIcz, nouS nOlis accord crons ulle soirée pOUl' aller au
théàtre ·t la journée <lu dil1lan ch' pOlil' ,,11er il la
eHmpngne.
l1~me;
Denise , répond it .Jnc(ju 'S, VOliS êtes 10 sagesse
il 1I\e sera pénible d(' ne plus venir vous
attendr e le soir COllillle je faisais quelqu efois; mais
je re~t:li
au trnvnil l'Il pensan t que ("est l' 0 ll!' VOliS
!)u 'je travaill e, cl je Ille COllsoll'r:1Ï pnrce qlle (' 'Ue
pcriode dc sacriJk (' sera assez brève. Dans deux mois,
Illes examen s comille nceron t; on n' 'st jnmais sÎlr (lu
l·ésulla t d'lin examen ; llIais j'ai lOliles raisons d'eS)lCrcr être reçu, ct alors, Den ise, l'aven i r s'ollvri ra !levant nous, ... un avenir qui consac rent notre honhcu r
en nous unissal lt pO\lr la vic ... Mes parents SOllt hons,
mon alllie; VOllS les aimer 'Z ct ib VOliS aimero nl. ..
Celte image attendr issante tic leur félicité pro-
�JEUNESSE EN
FLEUR
chaine leur faisait monter les larmes aux ye 'x. Denise élait ~I l'âge où le cœur a besoin de- tendresse,
d'une double tendresse: celle que l'on veut donner
et celle que l'on veut recevoir. Plus que Ioule autre.
elle ressenlait ce vicie clu cœur qui est souvent si douloureux. Depui!!. ses malheurs, depuis la mOl't de ses
Parents et son arrivée à Paris. elle vivait seule. sans
amis avec qui elle pût partager ses peines et ses
Pauvres petites joies. personne ft qu i elle püt se COIlfier' librement.
Ce besoin d·aimer. de se confier. si lourdement
comprimé en elle. ne flemandait qu'une occasion de
jaillir, de' s'épanouir dignement. Et \'oilù que cette
occasion s'offrait : elle trollvait UII compagnon 1>inc,ère ct digne d'être aimé et qui lui offl'ait une situatIon solide, lin avenir assuré. une famille accueillanle
en plus de son amoul'.
Elle IllUl'lllUra •
Quel rêve! ...
- Mais nOIl, mon amie. rclcvn Jacques. ce 1) est
)las lin rêve. ou du moi.ns pus lin rêve inaccessible.
impl·olJable ... C'est un rêve très raisonnable ct qui
l'leut très hien devenir une réalité .... que dis-je, qui
deviendra bientôt IIne réulité; nous ne nous perdons
Pas dans les nuages, nOlis ne demandons pas ua
Illil'Hcle. Illuis le cours tout naturel des événements":
re~'lI
il IllOll doctorat. je pars. je rn'instnlle, je pnrle
de VOliS il mes IHII'ents en des termes qui leur donnerOnt l'envie de vous \'oil' au plus tôt devenir leuJ'
!lll(.... Et \'011:\1 ... C'est simpl· ...
,
Oui, ,J:lCqlll'S, c' 'st Simple, là. en paroles; mnis
Il al'l'ive souvrnt. ..
- Que voulez-vous qu'il arrive, 111011 nmie? Auriez\'?1I~
l'esprit inC]uiet et llIéflnnt? répontlit Jncqlles en
rIant.
- Non, Illon (uni, non; mnis l'avenir que VOliS é\'oIllipz l\ IIl'S yeux l'st pOlir moi tlll bonheur si inattendu {fu'll Ille p:'lrnlt ilJ\'raiscmbluble.
- Eh hien 1 Denise, ayez encore un peu de patience
~t l'Olllptt.z SUl' 111011 :1IlH/ur pOl r l't'Illlr ce bonheur
!>urfailclIIcnl \'rai~cJl1bhe
et réd, ct nvcc un ell1-
�42
JEU NESSE EN
FLEUR
.seme nl ct un e fe rv eur d'autant plus grande qu e
pre
s bonheur et le mIen
.
11
votre
so n 1·1Isepa~ '
a)
es.
.
J 'lcque s respecta le pro gramme fix e par Denise;
leu; meilleur moment était l'he~
du déjeuner qu'ils
prenaient toujours ensem.ble; Ils allaient au th éât re
généralement le mercredi, pour couper la sema in e,
et le dimanche ils se r etrouvaien t d'assez bonne
heure et partaient une foi s d'un côté, une fois de
l' autre, et passaient la journée en plein air dans u ne
de ces magnifiques for êts qui environnent P aris:
Saint-Germain, Sénar t ou Verrières; ils couraient,
ria ient ct jou aient comme dellx enfants débridés dont
le seu l bonheur est d'être ensemble. Et il s r e ntraien t
le soir, les poumons r evivillés par l'a ir pllr, un peu
las d'une bonne et sa in e fa ti gue, ct prêts à r epre ndre
le trav a il pour une semaine.
L es derniers temps, Jacques, pour donner l'ultim e
coup d e collier, proposa de supprimer ces petites
escapades du dimanche. Denise s'y opposa.
1\on, .Jacques, dit-elle; si VOli S n' êtes pas prêt
pour votre examen, ce n'e st pas cn deux ou troi s
jours que VOliS l e se rez; ::tu contraire, un trava il ininterrompu VOLIS causerait une fatigue qui vous serai l
plus préjudi c iabl e qu'avantageu se; il faut a lfl'ontcf
l'exame n l'esp ri t lihre, léger, déga gé, ct non pas
exténué par le surme na ge des derniers jours.
- Vou s avez r aison , comme toujours, Illon amie;
le dirrlancbe, la veille de l'o uverture de s examenS,
nou s irons à Robin son, nous nous promènerons hi en
sflgemc nt, et je rentrerai me co uch er d e bonne h eure,
pour être frais e t dispos le lendem ai n.
Ce (urent quelque s jours de fièvre el d'inquiétude;
la pensée de Deni se ne quittnit pas Jacque s, COlllille
si eUe eftt pu le suivre pas ù pa s; ils se rctrouv aient
à midi et le so ir; .Jacques fa i'HI Îl part tl so n ami' de
ses espoirs et de ses craintes; ellc tremblait; rnai
~
on sn il que le s impre ss ion s du candidat so nt génér(l:
lement {otlsses ; ce sonl ceux qui croient avoir réU SSI
leurs compositions qui les ont.le plu s lamentablem e nt
manquées.
lacqu es fut reçu. Ce {ut une explosion de joie·
�JEUNESSE EN
FLEUR
43
Deni se attendait. Jacques courut il elle les bras levés.
Il s s'étreignirent longucment.
- ~Ion
amie, mon amie, murmurait-il, c'est la porte
Ollvel'te au bonheur !...
Ils firent une infidélité au père Sicard ct allèrent
fêter l'événemcnt dnns un rcstaurant des boulevards.
Le Icndemain, Jacques écrivit il ses parents. Maintenant qu'il était uélivré de tout travail et ùc tout
Souci, il pouvait bien 5'accordcr quelques jours de
répit dans ce Paris qu'il allait quitter. Il passerait
UVlC Denise tous :,es moments ue liberté, uvant la
séparation inévitable.
Le surlendemain, il reçut ln réponse de sa mère.
La digne damc ~c réjouissait dll succès dc son fils.
". et tOIl père se réjowt (Il/tant quc /liai, ]10llrSuivait-elle; III sais, IIlOll chcr enfwll, que 1I01lS ne
pas riches; 1I0US auons fait des S(/cri{te.~
que III jJuisses pOll/',wiv/'c les éludes de médccille; {aIL SUCC1\: /zous Cil récol1lj)c/lse aujourd'hlli;
(/ j il'I:S ces quelqucs (Illllées rie sépa/'utioll, lu vas revenir l'inslalle/' (tl/f/rès de nOllç cl III IIC quilleras plus
CheÎleclllnclI/; 110 Ire bOIl viel/,r c1o('lelll attend Ion
C/rl'iuée lIVCC impaticllce, Je pcnse quc cc JI'cst plus
qU'IIIll! IIn'airl' de quelqllcs jOllrs,' pelll-Nfe as-Ill
fIl/,l'l'lucs demières fOl'llwlilés cl réaler ci Paris; hôle/01 ('/ arJ'ive. Je vais prépaJ't'I' /0 chOlllbrc en allcJI(/Clnl
lu IClll'c qlli llO/Iii (/I1110//('el'(/ 10/1 C/rrll1ée pOlll' ne jllus
/lOIlS f/l/iUer, MOIl ('({'/II' dl' 111((11/(/11 bal 11/1 pl'Il pills
fort ql/llnd je jJel/se flue je l'flllbl'(/SSCl'Cli bielltôl cl
flllc jc l'embr(/sserai 10l/s les. J)II/tins ava/lt 1/111' fil lie
/JaJ'/e s li 101/ 1J'cilla i!.
1
l'O/l père est ollé ces jOllrs dcrniers li la Mésall{]h'c,
III sais, la propriété cles damcs Uélllll:al, pOlir e,t'(J/1/I1~r
Ic,s dé!;âls ('(tl/sés p(tl' l' Itiuel' el Ic~
répnm/lOllS
/l ecCsslIires, el il e/1 est l'elle/Ill Clvec unc idée, ... lIlais
cc Il:''8t cncore qll'Il/le idée donl {a r éa lisa lion ne
JJOuJ'rail êlre (IU'usse: lointaiJ1e; al/ssi je 11C l 'en porle
[J(/s [I/II S IOI/(jll clllcnl; /lOIlS l'exlIminerons qual/d III
8Crus là ,..
,lrJ/III11CS
/J(11I1'
A bielltôt dOliC, mail cher el/fanl ...
�44
JEUNESSE EN
FLEUR
Jacques lut 1:1 terre de sa mère avec attendrissement: sa mère, SOli père, la grande maison d e son
enfance, ses souvenirs de jeunesse ... Il se dcmanùa
quelle était ;ette idé.c «. dont la ~·éa.listo;
ne pouvait être qu assez IOll1talllc », malS Il ne s y allarda
pas. Denise l'allenclait; il prcssa lc pas.
Dcpuis que Jacques était libéré, ils ne se quittaient
que le moins possiblc. Ils déjeunaicnt toujours ensemble; et, lc soir, Jacqucs venait attendre Denisc;
ils se promenaicnt au Luxembourg et s'y reposaient;
puis, quand le crépuscule lcs chnssail, ils rcvclwicnt
lentement chez le pèrc Sica rd pour le repas ùu soi r;
et tout lentcmcnt encore, Jncques raccompagrwit Denise à sa portc et rcntrait chez lui.
Ils nc parlaient pas de la sépnralion prochaine; ils
scntaicnt tous les dcux quC l'émolion étl'anglerait leS
mots dans leur gorge cl feruit monter les larmcs Ü
lcurs yeux.
Jacqucs laissa ainsi passer prcsquc UllC scmainc; il
y avall déjà quatrc jours qu'il av ail reçu la lettre de
sa mèrc; il pouvail bien uvoir quclqucs affaires il
réglcr avant dc quiller définitivemcnt Paris; mais
tout u unc fin, ct il 11ft pouvait guère tarder davantugC'
Ce soir-Ill, il fit un elTort ct sc décida. lis étai ·n l
assis dans un coin retiré du Luxembourg; après Ull
moment de silence où chacun suivait ses pClIséc~,
Jacqucs dit':
-- Mon amie, j'ai reçu une leUre de ma mère.
Dcnisc pftlil. Elle savait bicn quc Jacqucs allail
partir; mai~
on a beau s'altendrc ù un événcmcnl
péniblc, lc momcnt où li arrive vous porte loujour)
un coup,
- Elle me presse de partir, !)Qursuivil Jacques.
- Eh bien! puisqu'il le rauL." murlOura Denise,
- Oui, fi le faul. .. Nous le s, vons dcpuis 10Jl~
tell1ps, qu'il le faul; muis le moment fatul n'cn es l
!1aS 1110ins crucl.
- Du courage 1 J acqucs, fit-elle avec un pctit SOli
l'ire ll'isle.
- Oui, du courage, ... il m'en fuu! pour m'éloigne!
de vous que J'aime ommc mu vie; mais J'ai unc COll
�JEUNESSE EN
FLEUn
45
solation : notre séparation sera brève; hientôt, vous
prendrez le mêm e chemin que moi et vous vienùrez
me retrouver pOUl' ne plu s me quitte r.
li s r es tè rent un mom en t s ilencieux; puis elle
reprit:
- Quand p enseZ-VO lI S partir?
- Je pen se qu'il se rait rai so nnab le de partir aprè sdemain, ou au plus tar d le jour suivant. Demai n
j'éc r'irai à mc s pare nt s pour leur annoncer mon
arrivée .
. Ils sc levèrcnt, J acq ues prit l e bras de Denise et
Ils s'él o ignèrent lentem ent.
Pend a nt ces deux derniers jours, il s tflchèrent de
P5\" aÎl re gais ct in soucia nts; il s riaient, mai s d'ull
1'",c un pcu scc et ncrveux, e t la triste sse alourdis)Jait leurs p a rolcs et voilait le urs rega rd s, maigre
leurs eITorls pOUl' la rejeter.
- Nou s avons bien tort de nou s attristcr, s'écriait
Jn c,!ucs, ]1llisque cette séparation est inévitabl e ct
qu'ell e est indi spcn sa ble pour préparer notrc r é uniun
ùéOn Hi vc .
. - C'est vrai, Jacque s ; mai s un e sépara tion est touJ.o~Irs
))éniblo; depui s que je "ous conllais, VOliS Hliez
~te.
Un ami charmant ct si préci eux pour moi qui
etuI s toujours se ule avcc le sO llvcnÎl' dc mes malheurs.
- Eh bien 1 m~lintea
vou s aurez le I>ouvenir de
110S heures hcurcu ses.
- Oui, mais vou s, vou s allez rctrouvcr vos parents,
vous allez être occupé par' votre installation; et moi,
l\lnlRré mes souvenirs, je vais retomber dans ma
So l HUde ...
1 ,J e VOliS promets que cc nc scra pas pOli r
Ongtemps.
Le Jour' du départ al'l'iva. Jacqucs n e voulut pa s
qUe Deni se v1nt il la gare.
w.- Non, dil-il, des adieux SUI' le marchepied du
1·IRon, le mouchoir qui s'agitc, non. J'ai un train à
~ eux heures; nous déjcunerons en sc mble, comme touJours ; je vom embra sse rai cl je m'éloignerai rapiùel\1ent.
Cc ùe/'nier déjculler fut assez silencieux; parfois,
�46
JEUNESSE EN FLEUR
ils tournaient la lê~c;
Icur.s rcgad~
~e
prcnaient une
secondc, puis sc detournalent ?USSltOt pOur quc chaCUIl ne \ ' Îl pas quc l'aut:c aVJ~
les hu'mes aux yeux,
Quand ils sortirent, l~S
.a~?lent
encore lc Lemps,;
iL'> se hfltèrcnl YCrS la PC~I1J(l'
du Luxembourg, ou
il n'y avail ft cc momenl-la personne; Jacqucs prit h.'
jcune fille dans ses b~as
~t
la .sc~ra
,sur ~Ol1
cœ~l',
,
- Denise, Illon amIe blen-aJll1ee, Je rends grucc a
l'amollI' de vous m'oir mise sur mon chemin ... Votre
charme si doux, si pm', vos adorables qualités d'c sprit el de cœur ont fait l'enchantement de ces cl '1'nicrs mois et m'ont allaché Ù vous pour toujours .. ,
.Je pars, Denise, puisque celle séparation est indispensable, mais je pars en emportant \'otrc souvenir,
votre pensée, votre amour el l'espoir, quc dis-je? la
certitude de VOlls rcvoit' bicntôt .. , ,fe YU is lra vailler
à la roi~,
ù mon inslallation ct ;\ notre union prochaine, cf. je VOllS écrirni, D nise, je VOLIS tiendrai
ail rou <1:1.', pas il pas, de ('C~
dellx projcts qui sc
touchent , qui se ticnnenl, cl quand tout sCl' a prN, je
'ous él.:!'irai ulle derni(.'rc leUI' nonr VOliS <lil'e:
« Vcncz vite, ma bien-aimée, tout Cl>t prêt jJOIIl' vons
reccvoir ... Je VOliS attends avec l'impnti nec d'un
nmOll1' qui vcul r[lire dc vous lInc femm ' heureuse ... ~
A hlenlÔI. Deni Se, i, bientôt et pOllr toujours!
JI l'cmhra
s~ n une dernière fois cl pnrtil en courun!.
...
DCJluis plus d'unc sel11nine, lin hon ~olri
(le ju~]Jd
aeltc\'nil <Il' IIIlrl'ir I('s blés l'l :ll't'ahlait 1\1"'" Hémuzot.
La honne d nlll l', lin fl e u lourd .. , supporlnit lIlul ln
chnlcul', Héfugi('e dans unc pi '.cc frn1ehc pendant
les hcures tl'op'écrns:lnles de III journée, clic vennit
cnsuite s'in~laJe(
SUl' ln terrasse dès que Ic sokil
tOlll"l1aÏl ct qlle sc faisait sentir UIlC hri~c
légère.
FranCoi.,l' s'installait, clic allssi, sur liMe chnisc
lonf(ue vohine de ccII, li' sa ml'I'c, un livré rI ]:l
main,
~J1ol\·Int:."'
-
Qul'l .su]l)Jli c! marmottait ln honne dame, celle
chaleur ne va donc pao; !Ji 'nlôl Onir?
�JEUNES SE EN FLEUR
47
-- Mais non. maman . protcst ait Franço ise. il fau.1;
qu' elle durc encore au moins tant que les blés ne
Sont pas fauché s et rentrés .
- Ah! oui. lc s blés ... En attcnda nt, j'étouff e et je
rl1i ssc lle dc s ue ur.
- 1\1a pauvrc maman !... Allend s, je yais tc préparer lIne citronn adc glaGée.
Elle se leva pour allcr cherch cr lcs citrons ct l'cau
fraîche , ct comm e clic di 'posa it lcs verrcs sur la
Pelite table, Piarre arriva.
- Bonjou r, Pi c rrc! lui cria FranCfoise. Vous aniVcz bicn ; j'ajoutc un vcrre pOlir VOli S.
- ]\Ia is non, ne vous dérang ez pa s.
- Voilà le dérang emcnt, dit Franço i sc cn lui
approc hant un sii'ge ct en posant un ycrre devant
lui. Quc pen SeZ- YOllS de Ce temps, Picrre?
- Magnif ique, ... admira ble .... pourvu qu'il durc encorc au moin s unc scmain c!
- Prcnez gardc, Pierre. dit Franço ise cn éclatan t
de rire. vous n'all cz pa s "· trc d'a cco rd avcc maman .
Pierrc tourna un r egn rd inquiet vers 1\1'00 HémuzUot
et il
qUI s'épong cait ct haletai t SUI' sa chaise longue,
sc rcprit ;
- .J'avoue , dit-il. quc pour lcs pcrso nncs qui !:illpPOrLcnt lI1al la chaleur , cc temp s cst plutôt aacabla nt. ..
Mai s POUl' lus blés. Madam c, c'cst supcrb e ... Quelle
belle moisso n nous allons faire!. .. Cela vaut bicn dc
SOuffri r un pell ...
égal ù
- Oui. rétorqu a M'''· nérnuz at, cela VOli S c~t
vous tlui avez l'lwbilu de d'"'tre cluns les challlp s
mêmc par le plus gros :,oleil; mais moi que la chaleur indispo :;e ...
Pierre eut llli geste des deux lIlain s pour montre r
qu'i1 cOlllpa lissait :
- Uien !jltr, Madam e, ... jc comprc nds. c'cst ~ scz
Pénible ... Mais la moisso n, l\[uùalll c, la moisso n ... Jlfflteillent j'étais vellu pour voir 1\'1. Victor ct nous cntelldre POUl' nous prêter mutuel lement les chevau x
et IlI'cnclr e jOllr pOlir fairc venir la balleus e.
est justem enl parti
' ois',
(, -:- Mon oncle, dit FraJ1~
ulre 1111 tour ùu côLé des champ s de blé de Grimau d.
�48
JEUNES SE EN
FLEUR
d te pour voir s'ils sont bientôt bons à fauche r .
ou voulez, tout 'l'h 'e nous no
VOLIS
(\
em,
.
us <a v a nceron s
au-dev ant de lui.
.
_ Bien volonti ers, MademOJseUe
.
.
_ I\Inis nupn!'n vant ,. buve.z donc tranqU Illemen t
't
citronn ade. monsIe ur Plene; vous avez bcuu y
\ 0 re
'
" ICi. ,
êtrc
habitué , il f nl~ . tou t d
e mcme
mel'Il eul' a~sl
a
l'ombre qu'à COllnr dans les tcnes au soleIl.
_ J\I~tis
certain ement, ~ladme,
dit Pierre.
_ Voilà donc une période pénible qui va commencer , di l encore :\1"'· Rémuz at.
_ Eh oui 1 Madam e, mais si pénible s qu'elles
soient, les période s de gros labeur, il la campag ne,
pn
~ l1en
toujolll 's un ail' de fêle; nous avons d'abord
les foins, avec la jeulless e armée de fourclle s ct l'épandue dans les prés; puis, en juillet, 1::1 lois~()n
qui
est la plus pénible , parce qu'elle arrive en grosse
ch nle tll', mais [lllS<;i la plus riche ct la plus précieu se,
quand on voit le grain dOlé I:uissele l' <l e la hall 'lIse
ct rcmpli r les sacs; puis les vendaJ1~s,
pl'nihll' !;
aussi; mais, fin septcm bre, il fait déjà beauco up
moins chaud, ct les raisins ct le vin nouvea u enlretiennen t la gaieté.. . Enfin, de véritah les fNes n\" c
10 joie !l'empl ir les grenier s ct la cave du fnlÎl de
ses travaux .
- C'est ''rni, accord a 1\1'•• Rémuz at; il y a 1I1l0
:lulre r ubon encorc : c'est que ccs travaux s' .. lleetuent Cil plein nir, au so leil, ~ous
le t:iel bleu,
- En eflet, Je Irnyai JJeur ell plein ail' est plus
l'uyonn ant que l'ouvrit '!' enferm é en usine ou en ,ltclier; il e~t
plus pri's de la nature; il ft la joie de voir
le fruit dc ~()n
tl'l1vail naître" ~I':tldir,
se (.(oll/ler ct
lllClril' sous sr~
YC\lX; il voit sr ... blés ~'I I01rcli\'
peu :\
)leu cl sc', raisin'.] ~c gonlh l' d sc dorer ... Lt voyczVOliS, l\ladlllll c, j. nc ('l'OIS pas qu'il y nit unc satisfaction qui puisse égnlcr t'l'Ilc-l.i.
Pierre ~'nJlima
en pnrlnnl , C01l11lle un pny sn n etui
aimc son Illétiel', qui aime sa lerre, CJlli l'st Jlr~
il accepte r sans trop d'amcr tume les déhoire s que
lui inlligen t les illtempé ric!';, ('ni' tout n'r . . l IJ:1S
1)rol1t; Illuh qui csl prêt au s~, i il ~l' rl·jouir cl il rendre
S:lI1S
Si
�JEUNES SE EN
FLEUR
4:
gl'[lces au Ciel dans les années d'abon dance
Ayant ainsi parlé, il vida i>on verre , Fl'anço i!je, qu :
altenda it. ce momen t, lui dit :
Eh bien! mainte nant, si VOU!j voulez, now
avance rons jusque- là pour voir si nous voyons revenir mon oncle.
Pierre se leva, salua 1\1'»0 Rémuz at, de!jcen dil l(
Pen'oll en deux ~a ut s ; Franço ise fit comme lui et il:
s'avanc èrent vers Je bosque t CJu'ils devaien t trarers e.
qu'il :,
)JOUI' gagner Je quartie r de Grimau d- Dès
eurent dispuru derrièr e les arbres, Pierre saisit 1:
main de Franço ise cl la pressa avcc ferveur SUI' se
lèvres en lui disanl :
- l'lIa hien-ai mée, je vous l'l'mer 'ie d'avoir cu 1:
bOll lle Ilcllbée de m'acco mpagn er pour aller au-deva nt
'
de votre on 'lc,
- l\lnis, Picrrc, je voulais fair,c ma pC lite promenadc C(uotid ienne; quoi de mieux que de la faire avec
Vous?
- Françoi s/.', \'O US uvcz toujour s Ull llIot pOUl' fnin
fllnisil'; vous êtes Ulle Ilalure délicicu s/.', un êlrc
li'é lill.' , ct je suis assez heureu x ... enfin, si j'ai le hon.. " je veux dire ~i Ull jour YOUS êll's ilia fellllUc,
~Ielr
Je Ille fais de Illon n\'enil' un tnhleau ... cnlin, u nc félicité si hnute que j'ose il peine y pcnscr.
, - 1\lais, Pierre, il fuuL y penser, ou contrai r('! ~I.'
ullliez pm
III ayCZ-Vous pus dit qlle vous VOLIS :t('('out
la pcnsée il vaillere celle :lpprHl cnsion qui VOLIS tOUT
tl'Oll\et ùe\'tlllt ilia JlIt,t'c'l
IIH'nte quanti VOus VOIl~,
Oui, t'est Yl'ui ...
Eh bien! aITÎ\'cZ-\'OUS li VOliS enhnl'c1 ir"
Bien lenL 'tllcnt, je ,'ous J'avouc .. ,
EL IItoi, je VOliS accord e qlle jc VOLIS cOtllpl' end,\
lin j)rll : lltalllun est lrès honne .. , il conditi on que J'on
fasse cc ([u'elle "edL.
Ils sc mirenl il ril'e toU!; les dellx, El Frllllr:o isc
ajOlttn :
Voyez- vous, il faul 11l011tl'l'1' dl.' la volonté d n e
peul'.
avoir
I>as
- C'est fueJlc à dire ... 1\lais <Junnd je pense qu'elJ~
n'u pas Ulle sympat hie JJieJl JTwl'quée pOUl" moi ...
�50
_
JEUNESSE EN
FLEUR
Mais non, Picrrc, vous vous trompez ... ou tout
moins vous exagérez beaucoup; ainsi tout ù
Il
al\
.
.
l'hcure clle a été tres alma) e.
_ O'u i, c'est vrai ... Si j'ét~is
sfl.r. de la trouvcr tou'ours dans d'aussi bonnes diSpositIOns ...
J _ Pourquoi pas? D'aillcurs Ilotr~
vie, notrc avenir
ne se jouera pas en quclques mll1utes; lorsçluc la
question scra p~séc
devant ma mèrc, elle se posera
:tussi devant mol. ..
_ Ah! Frnnçoise, vous me redonnez du couT'nge;
1;11 Il amour, qui parfois laissc tristement retomber
:,cs ailes, relève la tête et laissc éclater la joie dans
~ cs
y ux quand vous me dites un 11101 d'cspoir ... C'est
(IUC je vous aime, Il~on
fi m i.e .... ct si pa~'
malheur il
mc fallait renoncer a vous, Je ne pourraI quc trn1ner
ulle vic lamcntable ct tout serail fini pour moi.
_ Pourquoi :.l \'ez-vous de ccs idées qui ne pcuvenl
que VOliS c1cprill1cr c.l VOliS attristcr? Je VOU" aÎlnc,
Picrrc; j'flime Je petit compagnon de jeux de mon
enCan 'e, devenu l'ami de mu jeunesse, el je veux qu'il
deviennc le compagnon de IOl~e
ma vic; je \'eux partager votre existence large cl saine; je veux vivre
au milieu de nos terre ' qui nous donneront l'abondance quand les miennes seront réunies aux vôtres;
voilit ce que je veux, Pierre; el en supposant que ma
mèrc rns~e
que lque objectioll Ù notre mariage, je
saurai bie:'1 lui prouver quc mon bonheur est l à, avec
VOtlS, et je liendrai bon ... Elle parle haut el je Illi
cède dans le courant de lu vie quotidienne; je ne
veux pas engngrl' de discussion pOlir des choses sans
gr.lvité; mais lorsqu'il s'ngira du bonheur de ma vic,
VOliS verrez que je tiendrai bon.
- Vous me donnez du 'ollrage, Françoise ...
- Mais je suis pers'Iadée que nOlis nOlis alarmons
trop vite; tout ira bien; et puis nOlis !lurons pour
nOlis Illon oncle Victor; il \'ou~
aime beaucoup, mon
oncle.
- Oui, je le crois .
.- Alo l's savez-vou!; ce que VOliS devriez fuin\
PIerre? VOliS devriez lui parler il lui (\'nhord. Je Ile
~crnis
pas surprise qu'il ail deviné depuis longtemps
�JEUNESSE EN
FLEUR
51
que nous nous aimons. Parlez-lui: d'abord ça lui fera
plaisir que nou~
lui fassions nos confidences rt que
nOlis lui montrions confiance; et nous aurons en lui
un allié qui pourra nouS guider ct nous donner de
bons conseils.
_ Vous avez rnison, Frnnçoise; il ln premi(:re
occnsion, je lui p:::rlerai.
_ Eh bien! elle sc présente en ce moment-même,
la première occasion.
_ Quoi, vous voulez que .. . lout de suite ... ?
_ Bien sür! Pourquoi attendre" Dès que nous
apercevrons mon oncle, je m'en retourne ct je vous
lahse ~cl
aller vers lui; parlez-lui.
_ Bien, Frnnçoise, bien ... ,Tc vais lui p:lller ... Il
m'écoulera ... M:lÏs malgré l'appui <lU'i1 nous donnera,
j'espèrc, Illon Jl~
grand espoir, Illon amie, c'est
vous-même. Si nous avons «l!elqlle ohstacle li vaincre,
c'cst <luns notre amour, c'est dans ln ferllleté dc votre
CU'ur que nous en trouverons ln force ct Ic courage.
Quoi qu'il arrive, je l'esterai hcureux cl conflant t:lnt
que yom; Il1c dire!. comJlle toul 11 l'heurc : if- Moi :lu ssi,
je vous ni III ' . )
_ Oui, Piel'l"c, 'l jc \ ' OUS ail11cr[1i toujours; mon
;'1ll01l1' n'{;st pas un caprice de petite Dlle; il est le
:: cntill1ent <;él"icux d'ulle femmc qui ellgnge sa vic ct
(lui Il' l'engnge CiU' ~ur
l'appel imJ11uable ct irt'é sistihlc de son cœur.
'
Ils marchèrenl <ltlclqucs instants cn silence. Pirrrl'
avait repris 1[1 m:ün de la jeune JlI1c cl il ln gm'<1nit
il totlmait ln tète
tOlite frélllissante dans ln ~iel;
vers elle !'l il allnlÎr:üt SOIl profil nct cl fier, sa houche
bien dcsil(,t~
qui s'cntrouvrait sur des denls éclatantes, son nez On cl droil, son pt'lit menton volonl'tire 011 se creus:IÎt une lIlillnonne fo~,>etc
quand elle
riait; ct sa hellc chevelure brune, donl Ics houcles
s'Juples dans:lient sur ses épOlll s ;', chaque. pus. El
SOn Cfl.'Ur hondissait dans sa poit1'ine en· pensant
<J,u'ulle jeulle fllie aussi Il -Ile, nussi douce, aussi senSII!lc, voulait hi n u cueillir ,t lui fendre son amOtll".
),:- Ah! voili\ Illon oncle, dit Frn~ojse;
je vou s
.lIsse; IJurlez-lui el soyez pel'su:I,if.
�52
JEUNESSE EN
FLEUR
Elle fit "demi-tour, et Pierre s'avança seul vers
l'oncle Victor.
- Ah! le voilà, mon garçon? s'écria celui-ci en le
voyant. Je viens dc voir mes Illés de Grimauù, il va
faÙoir v mettre la moissonneuse sans tardrr.
- C;esl pour cela que je venais vous voir, pour
prcndre nos disposilio.ns; nous commencerons par
les vôtrcs ou par les miens?
- l\OllS allons décider de tout cela; mni~
Françoise n'e~t
pns ;)\"cc toi:
.
- Elle était avec mOl; m::u s quand elle vous a vu,
elle S'Cil est retournée.
Et pourquoi? Est-ce que je lui fais peur,
:::lljourd'hlli?
- Oh! cc n'est pas cc lu, monsieur Victor; mais
c'est Qu'elle n voulu que je vous parle. Je ne veux pas
faire de Dnesse avec vous et je vnis VOliS dire tout
simplement. .. D'ailleurs. je lle serais pus surpr'is que
\ ' ou~
VOLIS soyez aperçu déjà que, FranÇ"oisc ct 1I10i,
nous nous :1imons.
- Et ee n'est pas difficile, dit l'oncle en riant; ees
amoureux sont tous les 1l{'e~
: ils croient garder un
seen:t; mais tout les trahit, leurs paroles, leurs gestes.
leurs rcgards, ... et les voilà surpris qUtlne! on leur
dit qu'on fi deviné lellr secret!
- Oh! hien, tant mieux! dit Pierre llprès deux
secondes d'h(·sitation. Je n'en serai que plus à l'aise
pour vou~
dire donc que notre plus cher désir est de
nous marier.
- Bien, biell ...
- l'lIais je vou~
avoue que j'ai un lIeu peur de
Min' RClTluzat; je crois bien qu'elle n'a pas henucoup
d'admiration, IIi une trop grnnde sympathie pour
moi; je crois qu'elle me reproche d'être resté il la
terre nu Iicu de devcnir avocat, ou médecin, ou
fonctionnaire.
Et tu as bien fail. mon garçon, s'écria ['oncle
Vielor; moi, je t'approuve.
- Votre sYlllpathie me rassure, dit Pierre, ct c'est
!IOUr cela que nOliS avons décidé, Françoise ct moi,
�JEUNESSE EN FLEUR
53
de vous faire nos confidences à vous d'abord, et de
vou s demander votre appui,
_ 1\[on garçon, il ne faut pas vous faire d'illusion
o
sur l'appui qu e je peux VOtl S donner: 1\lm Rémuzat
(,st la maman; moi, je ne suis que l'oncle; je peux
toujours exprimer mOI1 opinion; mai s je n'ai aucun,e
autorité. Cependant. cette ré se rve faite, soyez persuadés que ma sympathie vou s est toute acquise, que ce
mariage me rendra fort cont ent et CJue je ferai tout
POlll' vous aider ù vaincre les rés istances si vous en
rencontrez.
_ Ah! merc i.... merci, mon s ieur Victor!
_ 1\1oi, j'ai beaucoup d'e stime et de sympathie
Pour toi; tu es un garçon intelli ge nt et III as bon
cœur. Tu appliqu es ton intelli gence aux choses d e
la t 'rTe; c'est p Cllt-être plus diflicile et plu s compliqué qlle d'aligner des chi n'l'c s ; cn toul ca s. c'est plu s
vivant. Et lu appliquera s ton bon cœur ù faire le
bonheur de ta femme.
_ Oh! pour ça, VOliS pouvez en être sÎlr.
,_ J'cn ~lIi s tellement sClr quc je pousser:lÏ autant
qu'il me sera possible il la réalisation de votre projet.
- t\lcrci encore ...
_ Et quelle belle vie vous :nlrez! Les lorres de
Françoise ct les tiennes vonl vous faire un domaine
magnifique; moi. je me fais vieux. mais tant que je
tien d rai dehout. je t'n iderai ù les mellre en valeur ...
La vic rêvée. te dis-je,
Le visage de Pierre rayonnaiL; dans ses yeLix hrillait une flamme d'espoir; puis Loul il coup. ils s'assombrir nt :
_ Oui. murmura-t-il, mai s il Y a Mn.. nému~t.
_ Il ne faul pas avoir peur, mon ulni; je l'accorde
que Mm. Rérnuzul a l'habitude de commander et de
voir tout plier li 'vant su volonté; mais, au fond, ce
n'esl pas une mauvaise femme; si pur hasard elle
faisnit d'ahonl op~itn
à votrc mariage, je suis
persuadé <[ue votre persévérunce ct la fermeté de
votre amour al'riveront fucilement il la vaincre, Tout
est lil : vous étes bien décidés?
_ Oh! oui, monsieur Victor! s'écria Pierre; et
�54
JEUNESSE
EN FLEUR
Françoise est dans les mêmes sentiments q~le
moi.
- Eh bien! alors, ayez conflance; quand lis ,ont
unis et résolus, la jeunesse et l'amour ne craignent
pas d'obsLaele ct arrivent Loujours il les vaincre.
- Ah! monsieur Victor, vous ne POuvez pas savoir
t
J" aJnle F rançOlse,
.
quel Lien me font vos paro 1es....
ct si par ma lheur je devais renoncer [\ elle, je serais
le plus malheureux des hommes.
- Il ne fauL pas pensel' au malheur; au contraire;
il faut penser à un bonhe~lI'
qui n'est peuL-être pas
éloigné , EL maintenant, Viens avec moi jusqu'à la
route de Piégon; j'ni Hl-bas une autre pièce de blé et
nous enuserons des moisn~.
En quillr111t Pierre, Frnnçoise était remonLée lentement \'CI'S ln maison; elle sa\'nit d'nvnnce cc qui allaiL
sc passel' 'nlre son oncle L PieJT', Son oncle l'aimait
ellr-I11':111e comme si elle eCtt été sn nll(', ct il :wail
henueoujl dc sympathie pour Piel'l'e, Elle était hien
cel'taine qu'il sel'aiL f:l\'Orahle il IlUl' mariage et qu'il
s'en réjoulrniL lui-mêm .
Elle al'l'i\'a en mt'Ille temps qnc J\L Pertlli'i, l'ar('hiteete de Chiitcalilleu r.
Le,> hOllrrnsquc<; avaient CnU'il' quelques d('giits il ln
toiture; cc n'était P:1S gr:11Id'chose, si peu de chosc
qn'on n'y avait pas pris gan1t'; la Il('gligen('c <1vaiL
fait 1llus de mal qu' Ic IIwllvnis temps; d'ailleul's,
1\1"" Hl:Il11lznt vOllloit lIPPol'lcl' (JIIl'lqllt's lrIodi(Jcntions
HUX chnmhrc<, l'I elle avait Jll'ié 1\1. Perttlis de \'cnit'
étnl~ir
lIr (tt·vis.
Fran~'oise
repnt sn pInce SlIl' 10 1(,1'r:11;s(', et :\1'''. néJnllzat U"ee l'nrchit('clc allt-rt'llt eXlllllinel' les (ll'F(:'lts.
Quar.d ils rcdcsc 'IHlir 'nt, l'Ile lui offrit de sc rarrntchir, ct Fr:mçoise lui préparn lIn(' citronnade n\'re
so parfnitt' bonll grilcc. r. Pertuis a(lll\irn la bellc
situation l't Jc~
flF(r"rnents de 10 Ini~o.
- VOliS Nes :'t la cnrnpllgne, dit-il. n\'('(' tin jorclin,
dc~
nrhr 's, ct VOllS '·t s :'\ d lIX pn,; d(' Ch:îtrol1nl'uf;
�JEUNES SE EN FLEUR '
55
:vOUS pouvez sortil', prendr e l'nir et vous instnUe r à
l'ombr e sans sortir de chez vous.
- J'avoue que ln situatio n cst bien agréabl e, dit
Mm. Réllluz at.
- Tandis quc nous, avcc notre maison située Sur
la placc, nous nc somme s pas chez nous; si nOWi
ouvron s la fenêtrc , c'cst la poussiè re, ce sont les gen~
qui passen t, ct si nous voulon s sortir, nous somllle :
SUl' la placc au licu d'êtl'C, comme vous, en toutc Ii bcrté sur une terrass e ombrag éc.
- i\lais qu'cst-c e qui vous elllpêch c d'habit er la
campag ne?
- Hé, mon métier, Madam e!
- Eh bicn! vous habitcr icz ln campag nc et vou '
n'aurie z ù Chiitea uncuf qu'un JJurcau .
- Ça ne serail peut-êt re pas très commo dc. Et pui "
nous allons avoil' notrc fils Jacque s qui va venir
dCllIcu rcr avec nous. Nous l'attcnd OIlS après-d cmain
Il n tCl'min é ses études de médcci ne; il vient d'être
de notre
rcÇu doctcUl '; il va prendr c la suc~ion
pour se
arrivée
son
attend
qui
'
doctcul
vieux
bon
rcli rCI',
M. Pcrtuis J)rlrlait dc son fils Jacquc s :lVCC la COIllplaisan cc lIll peu vrlnÏleu se d'ull père fier de son fils.
- Ah! vraime nt? Jc VOLIS fais omplill lcnt, répondait Mme Rémuz at; vous dcvcz être heul'cu x dl' voir
Votrc fils s'étahl ir aUJ)l'ès de vous; et Mn.. Pertuis
Jlcut-êt re encorc plus quc vous.
- Oh 1 certain emcnt; vous savez, ... les maman s ...
Elle a suppor té avec impatie nce ces cinq années de
Sépara tion, pendan t qu'il faisait ses études ù Paris ...
:Elle trembl ait :'t la pensée qu'il aurait pu être tenté
Var la grande villc et s'instal lcr il Paris même; mais
il n'en a jamais pnrlé, ct mainte nant nous voilà rassurés; il est docteu r depuis une quinza lnc dc jours ft
Veine ct il a écrit hier qu'il revena it définiti vement
après-d emain.
- Eh bien! Monsie ur, encorc unc fois nos compli ments pour votre fils ct pour VOlis-mêmes qui réalisez le rêve de vlvrc en famille .
M. Pertuis se levait. Il assura M'n. Rémuz at qu'il
�56
JEUNESSE EN FLEUR
lIait faire le nécessaire pour effectuer les réparale plus tôt possiblc: il rcviendrnit ~ans
quelqucs jours; il salua ~I"
Rcmuzat et FrançoIse et s'en
alla tout songcur.
<
Il s'cn alla toul songcur parce qu'il venait d'avoir
unc idée; une idée encore flottante, indécise; mais
il laquelle il fallait réflch.i~
et qu~
POuvait très bien
deyenir unc beul'euse réallte. AlI~S,
pendant le dîncr
du soir, il en parla tout de suite à sa femme:
Tu sais que je suis allé tout ù l'heure chez
:\1"''' Réll1uzat, il la :\lésangère; une maison bien inst.dléc el où rien ne manque ... Une large tcrra sse et
des ombrage'; ...• pt ùcs terres cn plein rapport, des
champs de hlé, des "ignes ...
- Pourquoi me dis-tu cela?
- Parce <ju'il y a aus~i
unc jeune fille, une très
!Jl'I!e mll' ...
1\['"'' Pertuis cOlllprit tout d, ~uite
:
Tu penses il Jacque s '!
Quel établisselllent ça lui fenilt!
.Jacques Ile voudl'U p(l~
se lIlariel' tout cle ~uite
,
Sans sc llIarier lout de suite, il peut toUjOlllS
fuire acte cie prétendant.
Et ('rois-tu qlle ces dnllll's accepteraient?
Comment! sc récria 1\1. Pertuis, un docteur! Le
docteur du pays est un des principaux personnages:
tout ' S les ambitions lui sont permises.
- Oui, l'n ef1'el, ct puis, .racque~
l''ot be(lU garçon ,
- Je te dis qu'il y a IiI unc situation n(]mir<lhle, ..
Tu Ile connnis pas la ;\Iésnngi'l t'?
:\011, je nc connai s (Ille cc qu'oll en voit Cil pas1.1I11t SUl' ln route,
C'psl-:',-dirc riell, Achnir'nhll', je te dis, .JOCC(UN'
al'I'i"e aprl's-rl'mnil1; je dois relourl1l'l' ln bus ln
sl'lTInine procllfline pour COllllllelH'Pl' les réparations;
jro )'('lIIl1lènl'r:1J UV('C moi.
- l'luis oui; il V '1'1',\ toujours",
':a con\'er"'Ilion l1e ~e
poursuivit IlfIS' plus [lvnn l;
Il.HIIS 1)('IH)OIlI les jours (lui suivirenl,
J. Pertuis n'
tacha p.IS SOli idée,
Jacque s alTh" I il J'heure fixée; ~('s
p:lI' ' nts étaient
~iOIlS
�JEUNESSE EN
à la
d'un
joie
_
Fais
FLEUR
57
gare; ce furent les tendres effusions du retour
retour définitif: sa mère pleurait des larmes d~
et d'admiration:
Enfin, Le yoilà! ... Tu n'es pas trop fatigué? ...
voir comme tu as bonne mine. Enfin, c'est fini,
Ces éludes, tu ne nous quitteras plus ... Je pourrai te
soigner Cju:J,nd tu s.eras fatigué ... EL dire que tu es
docteur !... E~t-c
possible! toi que nous avons failli
perdre J'année de La scarlatine!
La bravc felllIl1e avait pris le bras de son fils ct se
redress a it en ayant l'air de dire aux pas~nt
:
_ Vous voyez, c'est Illon fils, le docteur Jacques
Pertuis ... VOliS pouvez être malades maintenant, soyez
tranquilles: il vous guérira !...
,IacCJues monta il sa chmnbrc, f1t un brin de toilette,
!luis s'rsquivlI pOUl' courir ù la poste cl envoya un
tél~ramJe
à sa chèrc Denise qu'il \'ennit de quilter :
'" Bon voyng·. Pense ù vous. Ecrirai demain. Vous
('l11brasse. ~
Pl'l1dllllt les premiers jours, il rl'Ot connaissance
avec la maison, C!l Ch[lteauncuf, ct quclqucs amis; il
alla voir Je vieux docteur:
_ Ah! vou~
voilil? .J'en ~;uis
en 'hnlltt·; je vais POllVOU' enfin me l' '11oser.
_ L(lissez-Illoi soulTIer un moment, s'éeJ'Ïa Jncqurs
Cil liant, j'nrrivc il Il 'ine.
~olf1{'z
1111 mome,nt, muis ]l(lS longtcmps; dans
qUl'lqucs jOllrs, vous m'ncoIl1Ju~er7.
dnns mes
vhiles, pour faire cOl1nuissnnrc (lYee mcs rn:dades,
ct peu il pcu, vous me l' IlIplnccrcz .
. Il en rut convenu ainsi, dnlls unc quinzaille de
JOUI·S. En allClllhnt, Jacques écrivnit :\ Dcnise tous
le~
malins, ù sa chère petite Denise qu'il sc rcprésenlait rC('ev:mt sa ILltr UYCC lin 1ll0ll' Clll 'ni dc joie. JI
lui donllait des di:tnils sur la vic nouvclle qui comI11cnçait pour llli, il lui parlait dc sn petitc vjlle, Ile
1>Cs P(ll 'ais, ct suJ'loul des hures )wurcllscs CJu'i1s
a~'i
'nt passt'es ensemblc: leurs <!c'jcuners chcz le
PCt, Sicnrd, leurs soirécs :nl tltéfltre, leurs promeIlades (Jans 1 s bois 'nsoleiJlés ... Commc cc bon l 'mps
UVail puss', vitc !... ~Iais
il revicndrait bicntôt; dès que
�58
JEUNESSE EN
FLEUR
so n in stall a tion serait finie e~ qu'il :n~rait
organisé sa
nouvelle existence, il parleraIt d'elle a ses parents, et
elle viendrait, ct le bonheur r ecom mencerait, un bouheur qui se rait toute leur vi e, complet, définitif ...
Deni se, dans sa petite ch am bre, lisait ces lettres,
les yeux pleins de la rm es, ct les rangeait soigneusement pOUl' les relire, le soir ...
Un jour, 1\1. Pertuis di t à J acq ues :
- 1\1011 garçon, je vais voir une cliente ... Une petit e promenade; viells avec moi.
J acqu es prit son chapeau, ct ap rès qu ara nte
minutes de marche, il s ar riv è r en t il la l\lésangère. LI
étai! environ cinq h eures: 1\1"'0 Hémuzat ct Fran ço ise
étnien t assises SUl' la terra sse, lisa nt, tri co t:t nt. Les
deux b 01l1mes y prirent pla ce aussi, cl Françoise prépara des b o issons frate hes .
- Alors, Monsieul', dit l\ln" Ré l1luz a t, vous voillt
docte ur cl vous VOtlS insta ll ez il Chflte:.1Uneur'l
- J e n e dirai pas 4: à votre ser vi ce >, Madame; je
vous so uh a it e plutôt de t'cster cn bonne santé; Illais
enfln, p e rsonne n'est à l'abri de la maladic.
- Je vous rcmercie tout de mêmc ... Et \ ' OUS n'avez
pas cu la tent a tion d e vous fi xe r il Pal'i s?
- Ccrtainement, après qu elqu es annécs de Pa ri s,
je ne l'ai pas quitté sa ns r eg r et; P a ris ... oui, p OUl' les
théÎllrcs, lcs concerts, ICls mu sées , les monulllents,
ùépe nse r hcaucoup d'argcnt, ... mais s' il fuut sc donner beauco up dc jll'j nc POUl' le Hogncr, celte olll igalion atténue bien le pl a is ir ... Tandi s qu'ici j'ai m es
parent s, j'ai IIIU maiso n; je lIl è n 'l'ni Lill e petite vic
monotonc peut -ê tre , mui s I.I·a nqllille,
- J e crois qu e VOLIS avcz Cail sage ment.
1\1"" Rémuz a t (ll M. Pertui s /)'éloi!( nèrent pour cxaminer un e foi s encore les dégâ ts ct dé 'id '1' définitivement ùes réparation s. He sté se ul avcc F l'u nçoi sl',
Jo.lcqUCS lui IJUl'lu de Pari s, de s (\ cl'nii-res pi èccs qu'il
avait VllCll, Fr:ln~
'o i se
l'('cout nit toute sO lll'iunt e, cl
Jacques Ile j)cuvuit pas lI'ell1llêchcr de rcmarqucr su
�JEUNESSE EN
FLEUR
59
bcauté éclatante, son visage expressif, ses yeux vifs
et IUll1i neux.
Commc ;\Im. Rémuzat et ;\1. Pcrtuis redescendaient
l'onclc Vielor arriva; complimcnt!i, <.le part,et d'autrc;
la compagnic resta encore un moment sur la terrasse . Jacques <.lit toute son admiration pour cctte
mai so n, cctle propriété, si agréables , L'oncle Victor,
qui cn était ncr, oli'rit de faire quclqucs pas, Il fit
faire aux visileurs le tour de ln pclousc; il leur fit
travcrser le vosquet et lcur montra de loin lcs
champs moissonnés, le ' prés, les vignes où Ic raisin
mürissail doucemcnt.
_ C'cst unc situation a(lmirahle, di%Iit 1\1. Pertuis.
_ Vous avez toul, renchérissait .Jacques: l'utile,
l'agr(oahlc, la mahol1, Je jnrdin, les bois, ln eampagnc,
il deux pas de lu petite yiJJc ... Vraimcnt, il n'L'st guère
l)o ~s il)e
(l'a\'oir une in s t:dl ntiol1 aussi hcuJ'e use.
L'oncle Victor sc l'en gorg ail.
_ ,le VOliS fai s tous mes (,ol11plill1e11ls, lui <.lit
1\1. Pertuis Cil prenant congé. .
hwnd \'OUS voudrez bi'cn revenir nous) voir,
_
'OIIS nou
fercz pJ(li~r
,
._
1\Joi, je suis obligé <.le re\'cnil' POUl' les répnrat~ OI1S;
d je pense que Jacques m'nccompagncra \'olonl~ers
pour profil -l'un peu de lu campngnc ct de sn
bhel'té, ovant (\'l'tre toul il fait pris par Ics nwlude~,
,Incqucs a<,\ur:l qu'il en ~er:lt
tl't'S helll'ellX ct il
s'éloi!-{lHl nver son pl'l'C,
1\1. Pt'I'tuis revinl il la Mésnngl-!'c asSeZ souvcntj les
l!'av:lllX demnndni('Iü Sil présence; m,lis il rcvint plus
~Ol\'cn
quc Ile l' .:igcaicnl les lrnvuU"-j, son intention
l'lait (l'y nmener .JoCCfU s a\'CC lui. Et, en cITet,
Jn('qu-~.
proOlullt de ses rlcrll icl'S jours (le libcrté
POlir faire qul'l<ll1l'S proHlenades, Y revint assez sou\' 'Ill. lui aussi,
~1'".
Hé11luwl Il''.. :lccueillnil vo!onli ors; ,Jucques SI'
l"posait sur ln t.rrosse l'Il ('olllpn/olnic de Françoise,
l'l l'onel' Viclol' était heureux de leu!' fnire admircr
le domaine qu'i! IIlnintell:lit cn parfnit élal.
Cc fUl, l'n J't'v 'IHl1It, ullsoir. <IU ' l'II. Perluis parla:
_
)uclle siluution JI1ngniflque! .. , Quellc belle mai-
�60
Jr::UNES SE EN
FLEUl\
son où rien ne manqu c !... ~t
ce ~or,:ainc
... Tu as vu
comme c'est tenu, comme c est sOlgne 1. .. Quel rappor t
doiven t donner ces prés, ces champ s et ces vignes!
_ Oui, . approu va Jacque s, c'est une jolie fortune .
_ Et qucl agréme nt de dcmeu rer là. Cettc terrasse, ... ceS ombrag es ...
_ Surtou t l'été.
_ Et Ics habitan ts sont charma nts; Mn" Rémuz at
nous accu cille aveC unc bonne gl'ftee ... et l'onclt! Victor, quel brave .homm e!. .. El Franço ise, un hcureu x
caractè re, intelhg entc, bon cœur ... El, cc qui nc gâle
ricn, unc belle brulle.
_ Oui, approu va encorc Jacque s, unc splcnd ide
jeune fllle ...
_ Je pense, continu a le père, quc le jeune homme
(lui entrera dans celte maison en qualité cie gendre
ne s 'ra pus à plaindr e.
,a, c'est probab le.
- Et sais-lu à quoi je pense, .JacQues? C'est que
si tu voulais , cc jeulle homme , cc sel' nit toi.
Jacque s fut si surpris qu'il ne répond it pas; mais
:lussÎlô t se dessina devant ses yeux ln douce imag \ de
sa chère petite Denise qu'il avait laissée !i Paris en
lui jurant de ne l'oublie r jamais ct de l'aimer toujour s.
En homme qui savait que pour réalise r un projet
il ne fallait pas appuye r trop tôt ,t t l'Op vile, M. Perluis n'insist a pas, ct ils rentrèr ent en silcncc , Mais
le soir, lt table, il s'adres sa il 1\1'''' Pertuis , lui raconta
leur promen ade, et il ne lui ful pas dimcile d'expri mer son admira tion pour les agréme nts (le la maison ,
l'amabi lité ùe se~
habitn~
1 la richcss c du dOllllline.
- Et sais-tu cc quc jc disuis il .JncC[ues? .. C'est que
le jeune homme qui entrera it (\nns relle 11I11hon nc
serait pas :\ phintlr e; il y trouver ait d'abord ln muison hien in1>tall',c, une ]ll'opri été en plein rapporL cl
Ulle femme charllla nte.
Celle fois, ,Jacque s nc pouvai t IHIS ~'cmp
~chet'
de
relever l'invita tion:
- Oui, obj 'cLa-t-il, mai .. il e~t
prohnh l' qu'aya nt
de si nomhre ux aVlIllLofles de il'ur ôté, ils se montre ·
ront difllcile s; ct ib Cil ont le droll,
�JEUNESSE EN
FLEUR
61
- Sans doute. mais ton titre ...
_ No us sommes de condition bien plus mode ste
qu 'cux.
_ Ou i; mais, .te le répète, ton titre ct ln situ a tion
qu'il va te permettre de te faire: docteur à Chftteau~lCf,
tu p e ux devenir un des personnages les plus
unporta nt s dc la ville ... Je ne dis pas tout de suite,
ma is dans qu elque s a nn ées tu peux devenir maire,
consciller gé n éra l, député. s i tu voux ... Ça n 'es t p as
ri en, ça, ct les gens de la :\Iésangère s'en r endron t
Il arfaitemen t compte ... 'fou tes les ambitions s'ouvrent
d evant toi, ct jl~ten
un riche mariage pcut t'être
d'un puissant secours .•
- Oh! un ri ch e mariage... nc s impl e a isance ...
- Non, n o n, mon am i, pas un e simple aisance:
lino fortun e ... Cro i<;-l11 oi, j'ai l'h ab itud e d'évailler les
choscs nu coup d'œi l ... L a maison ct la propriété,
Une véritable fortun c, sa n s co mpt e r les va le urs qu e
M'u , RéllluZ ll t fi d e côté; et je II C se rai s pas s urpris
qlle l'onc le Victor nit d cs économies qui reviendront
natllrcl lemcnt il sa ni~
ce.
- C'est poss ible . mai s cela ne s ig niOe pas qu'elles
accepteraient ...
-. Çn, Illon garçon, no us n'cil savons rien. ct il n'y
a qu'un moyen de le savo ir: c'es t de le leur
dcm a nd er.
-- Eh bien! nOliS verrons .... plu s tard ...
- r\on. P as plus tord : le plus tôt poss ibl e. Tu
comprends hi.en qu'ullc situation hrillante ct ull e
hell e j 'un' Oll e vont nttirel' Ic s prétendnnt s. Il n'y a
qU'une chose qui m 'é tonn e, c'cst qu ' il n'yen ait pa s
déjà lInc deJl1i-douzaine aulour d'clic; c'est SUIlS
ÙOUle parce qu'elle s viv ent assez retirée s t'l ne voient
Pus grand monde; I11 nis, so is tmnquille, ces choses-lit
~c
re s t~n
)Ja s longt e illp s i g nol'~c
s . L'llll.née d ernièt'c,
rUllçolse étnil encore cn pen SIO n; niaiS III nouv elle
s~ l'épandra vile c\nn s ln rég ion CJu'i1 Y a, " la MésangCl'C, Une l'i he héritière, Tu n'as qu'un moyen cie
rrévenir les concurrent s, c'est de po se r ta C::'01didaUre tout de suite.
�62
JEU NES SE EN FLE UR
Tou t de suit e! s'éc ria Jacq ues
. Je ne suis pas
pres sé de me mar iel'.
.
,
,
_ Pas pres sé, pas pres se!
reto rqu u son pere . IL
ne s'ag it pas de te mar ier ùan
s l?s huit jour s; mai s
tu peu x touj our s pos~r
ta, candltur~.
Q land on
sau ra qu'i l y a à la i\Icso~1gre
\In fian ce en exp ecta tive , les autr es ne Se pres ente
ron t pa., .
Que lque s répliquc~
enc ore, et Jaeq es, le. cœu r U11
peu lour d, mon ta uan s sa dla
mh re plus tot que les
autr es soir s.
Dep uis qu'i l étai t reve nu de
Par is, il ava it eu plusieu rs fois l'int enti on de 1 évé
ler ù ses par ents J'ex istenc e de Del l!se ct de leur fair
e par t de ses inte ntio ns.
Il ne l'av ait pas enc ore fatt;
il !llT ivai t il pcin '; il
atte nda it ul1e occ asio n f:wo
rabl e; il par lera it il sa
ml'r e d'ah ord ; un CŒur de mèr
e com prcn d mi 'ux le
c(('l Ir ùe SOli fils; il crai gnn it
que son pi'r e ne fît des
objctin~;
voir son fils épo usc r une jeun
e fille slins.
fam ille, san s fort une , c'{>Lait
asse z pén ible pou r lin
Pl·re qui ava it fail des sacr iflc
cs
fils une hell e situ atio n. Que sera pOlir don ner il S'lll
it-'e nwi nlen Hnt ((u'i l
s'l·t ait mis el1 tête de lui fnir e
épol~er
l'r(\I1~oise
Hi'III li 7,nl !
.Inc que s mar cha it (bn s sn cha
mhr e d'un pliS ',;1eend é; puis il s'n~eY:lit.
les t'ou des sur sn tabl e cl ln
1('le l'litr e les m:lÎ ns ... D ·nis e,
... le pau vr peti t visn ge
trist e de Dl·n isc, ... il lui sem
l>ln it qu'i l sen tait I)CSer
SUI' lui le l'el-l!lrcl
dl' la l'di te nim éc, lour d
de
n·pr och es ... Mnis nOl1, il Ile
you lnit \las 1':11>:111(1011ner ... II l'ail11:1it ... Il lutt crni l,
... il fern it com pre ndr e
ft son lll·n · ...
l\tn lhru rcus clllc nl, c'ét ait son
Pl're qui ava it tous
lc~
nl';;lUllll'lIts pOlll' lui; cc mnr
inge Q\' C Fra nço ise
IH'm uzat on'r nit tous les nvn lltag
rs : une fam ille hOl1orahl t·, la fort une , une b Ile
jeun e ml .... fi n'y avn it
ri 'II ~'l redi re ..Jncq ues nvn it hea
n che rch er, il n trou vait rien 011 ncc roch cr ln pIns
pctl lc obje lion . Et
qu'n vait la })nUVl'e peti te Den
ise Ù opp os'r :'t tous ccs
llva ntng cs écra san ts? Rie n. Rie
n que la fine sse émo u:vnn!r. !Ir. son vlsn~c
ct l'nm onr rIe .TocfJues.
•
JncfJl1cc; 'dor mit ',l'u n sommeil
tour men té. T~"
lcnd c4
�JEUNES SE EN
FLEUR
63
main matin, il voulut écrire il D e ni se; il s'a ssit à Sa
ta bl e e t prit la plume. Mais dès les premie rs mots, il
Se trouva embarr assé . D'habi tude, il écrivai t sa le ttre
d'un se ul trait ; il n'avait qu'à laisser parler son cœur.
Ce malin, il trouvai t mal les mo ts de tendres se; il
avait peul' de laisser nercer l'inqui étude qui l'opprc ssa it. Quelle désolat ion celle pauvrc petite D en ise
n'a urait-ell e pas l' sse nti e si son instinc t de femme
aimant e lui :1Va it fait devine r, il travers les mot s inCerta in s. l'angoi sse qu i pesait sur le cœur de Jacque s!
Il jeta sa plum e, r cmit sa le Ure il demain ct sor'lil
Cn pensan t quc lc grand ail' rafraîc hirait sa tête
bt'Crl a nt e,
L a questio n était J1 0sée coml1l e les fondati ons d'unc
y appor ta sa picrl'c,
maison ; c h aque jour, ou J>r e~qu,
n jour, M. P e rtui s parlait dcs vignes d e la l\Iésangèrc qui promct taient lInc hellc récolle ; le le nd emain,
d e la maison clle-mê me qu'il é ta it en train dc réparer; pui s de M'''· Hém uza t, qui é ta it s i aima hl e, Il rescnsuitc d eux jours su ns ri cn dirc, pOLIr laisse r'
~ait
trn pcu de répit il J acques , Et, sachan t qll'on fuit
cntrer unc idé· cn tapant dcssus il petits co up s, il
nel1le nt des
1 eprc lluit ; l'ollclc Victor qui avait cer tai
économ ies" .. ct, parfois , Franço isc qui était ull e bi cn
b ell e brune. intclli gc ntc, a im ab le, sou ri ante .. ,
Ainsi, J acqu es avnit toujour s à l'esprit l' illln gc <lc
ln l\lésa ngè rc, ct il était bien obligé dc conven ir qu e
So n p è rc avnil ,'o iso n, ct qu'il avait lc droit de s'é ton Il c r de Voir so n m s montre r s i p c u d'C/1lp rcsseme nt.
Quand il allait il la l\lésang èrc, il d c m a nd a it à
J acq ues d'ull ton d é ta c hé;
- Vicn s- tu avec moi?
J acques n'avait aucullC raison d c r cfu se r, Unc foi s
Olt deux se ul crne nt, il essaya d c s'esqui vcr ;
- Mni s nou s allons cnnuye r 'cs gc ns- lil cn alTivnn t
uussi so uvcnt tou s les deux 1
- Pa s du tout. Il s nou s ont cllgngé s il venir avec
u<;scz d'in sis tancc ct ils nous rcçoivc nt loujoul' :'; ù ' une
façon t l'è s aimabl e,
Et c'était Vl'U i. D'aille urs ccs promen ad cs étaient
lin Plais ir, même pOUl' Ja cque s; lc r epos s ur lu ter-
,
�64
JEUNESSE EN FLEUR
rassc, l'apéritif glacé sCI'vi pal' F~ançoise,.
toujours
si gr3cicuse, les ?a\'3rcl~gs
?VCC 1 ~ncle
ylCtOI' ... Et
Jacques nc pouv31t pas s empecher cl établIr une comparaison: Deni se était angéliqucment jolie, mais
Françoisc était flèl'cment belle, ... ct c'est elle qui possédait la l\Iés3J1gère. Oh! J/lcCjucs Il'hésitait pus
cllC'ore; il repoussait avec indignation J'idéc d'abnndonner Denisc; mais il ne pouvait pas s'empêcher de
reconnaitre les nvantnges el les charmes de Fl'ancoise el de la ~Iésangère.
Cne fo .i s sel~nt,
Fr~tnçoise
étnil partie faire une
proJllcnadc il ch e vnl. Elle nlla droit devant elle; mais
en c alculant SOli lemps ct Son ehcJJJin de façon à
passer \' 'rs le soir près de la vigne où trnvaillail
Pierre. Ils revinrent tous les deux lentement, dnns
les chl'Jjn~
creux bordés d'aubépines; FrançOi<;c
avait mis ]Jied il terre cl Pienc tenait Tr'omp lte pnr
la bl'Ïtk
Qunnd nOliS S rOl1s lIlari ~s,
dit-il, vous viendrez
aU-dt'\'ilnt de moi, le soir.
- "lais certainement, Pierre, puisquc j'y viens
d('jil J1winlenunl.
C'est vrai, Fr:lIlçoise, pflrdonn 'z-Illoi.
Cependant, si vous continuez, Cc mariage n'est
pa ... prochain!
PiPlTl' slntit ('cs mols comme un l'eprocl!, :
\'otre mère ... , nllll'l1Il1rn-t-il. ..
\'OIiS
attc/ldez sans dout, int 'rrompit-ellc,
qu'un :llItrc IH' "tenuant se prbrnt '; nlors, Cc qlle
V(HI ... c.. tilllez di/Ticile aujourd'hui st'ra bien plus difJkile (' neore.
Françoii>l', a\'e(' SOli suhtil instinct rie fell1ll1e,
aYait-plle d 'vint'" dn~
les pnroles, lei> ntlitu<les de
1\1.1. Pel tuis pi'fl' et 1J~
nvnit-dle de\'inê Irurs intentions, ou hicn parJnit-:'lIe ainsi un Il 'U nu hnsnrd?
l'Ïl'ITt' avait j>ùli.
OUI, Françoise, lIIurlllurn t il l'IICOr', mai. ...
,l, sais, interrompit la kunl' fllle, 'ous Il\' Z
Pt'UI dl' ilIa IIIl'l'e; lIIalS IIll peu plus lM llll pcu plu,>
tard, il raut en palis '1' pnr lù ... ou renoncer.
- Oh! Fl'ançoisel
-
-
�JEUNESSE EN
FLEUR
_ Yous rl\ ez voulu parler d'abord à mon oncle
pour avoir wn appui. Il vous l'a donné sans réserve,
voilà rJéjù assez longtemps, el il doil commencer à
s'étonner lui-même de , 'olre silence.
_ Oui, Françoise, oui, ... vou s :wez raison ...
Ils marchèrent quelques minutes sans rien dire; et
romllle ils arrivaien t au croi sement du chemin qui
conduisait chez lui, Pierre voulut quiller Franro ise.
Non, Pierrc, protesta-t-elle, VOLIS ne me quittez
nas; venez uvee moi.
- Dalls la Icnue où jc suis? ..
_ Vous ête s en tenue de travailleur; mon oncle,
quand il vient de faire Je tour des terres, est dans
cctle tenue-Iii . Vous avez certainement quelque chose
~ ' ui dire; cl puis, nous SOIlIJ1leS \'oi'iillS depuis ussez
~ OIl
J.( lcpS.
c ..
Il
Dcpuis nolrc plus tendrc enfallce, Franço ise,
Irc alPour !late dl' ce t(,lIlpS loinlnin.
.
\' ilS \oy 'Z bicn, Vous n';\vez lIll'II1C p:1S hc soin
(le pl"'lext' pour v(:l1ir chcz nous, Vous allel. \ons
reposer LIll mOlllcnl SUl' ln l'IUS~C;
vous b:wardcrez
:~ ' l'(, Illon onclc; jc vous prépal'rrai UIIC rilrolllllHle
lien l'l'uiche, cl ce sera cnrol'C unc hOllne heure que
' lOll ';
P:t SSCJ'OIl'i t'IlSClllbll',
_ Fr:;n~oise,
vou,; "tes :1(lol':lulc ... Je ne puis que
hl :': laisser diriger pflr VOliS,
_ C'e s t cc qll c vou,; :.\' ('Z de mieux il fuile, répon(lil-tllc cn l'iant; ceJl~I1f:t.
Il'oubliez pDS q\le je ne
"u ., p:l'i lout fairc,
, Is :Jrriv.lielli. Alrr d vinl prelldre ln ln idc de
r()IlJ~t
' pOUl' 1(' conduir' Ù l'(\ri~,
Pierre cl Françoi\c tourlll'rCll1 Il' coin d" ln IlHlISon, cl Cil arrivant
~Il'Vn
le pel l'ail, ils virent ~1.
Perluis, pl~n'
t'l /lis,
11l\lnllh sur lu tl'l'raSSC, Piert c 'uL un Jl10uvemenL de
Iccul; I1wis il élail trop nV:lncé pOlir sc d{~robe;
(l'uilleurs l'onclc Vic[ot lui pnrlnit :
1Jolit 1 Pierre, tll flrri vcs h iell; j'ai justrmenl
<JUCI«Ul' chast' :1 t, demandcr, lIlni); louL il l'heure;
l~HI'
l, lIlorn 'nL, viens te rafraîchir, car lu us l'ai.
1 avoir chaud; assieds-toi lit; Françoisc Vfl le don:lCt' Un "errc.
�66
JEUNES SE EN
FLEUU
Le cercle s'élargi t; la conver sation sc fit généra le;
mais Pierre n'y prit pas grande part; en voyant
Ja cques installé là entre Mm. Rémuz at et l'oncle . Victor un tremble ment l'avait pris en se souven ant des
pa;'oles de Franço ise: « VOl~S
a.lle?de z. qu'un autre
prétend ant se présent e ... :. QUi salt Si ce Jeune homme
n'avait pas justem ent l'intent ion?" Et quel rival
redouta ble! A pcu près du même âge que lui, mais
élégan t, les mains blanch es, docteur , avec tous les
avantag es dc SOIl litrc, et promis ù un brillan t avcnir,
En voyant Mm. Hél11uzat aimabl c avec lui, Pierrc frissonnait dc tou s ses Illembr es; il voyait Jacque s avec
une chemis e blanch e. cravate , comple t qu'il avait
rappor té de Paris. ct il abaissa it les yeux SUI' son
vêteme nt funé de toile grisc ct ses grOS':ies chaussmcs .... ct il rcgrctt ait d'êtrc venu jusque- Iii.
EnOn. ces messic urs partire nt avec unc invitati on
il rcvcnir de la part de Mme Hému'Zat; ct au,;silÏ)t.
l'oncle s'adres sa ù Pierrc :
- Ah! il nous. 1110n garçon 1 j'ai un coin <1e ma
vigne lit qui Ill'inqu it,te; les feuillcs ('onlll1enO 'nt il
Se faner ... Ça n'est pas naturel . .. Viens voir ça ...
Il le prit par Ic bras, ct ils s' "loignè r 'nt tOlis les
deux,
Franço ise enleva les verres t J'angea les sl \ges.
Et comme ils s'en revena ient tout dOllcem ·nt.
M, Pertuis revint SUI' la possibi lité de c' nwrhlg c.
mais d'une façon Irès calm '. I>HnS grands Illols Ili
grands gestes, Olllllle un homl11e qui sOlltien l ulle
alise telleme nt excelle nte qu'il n'y n rien ù dire
ol1lre elle 'l qu'on peul -'Ire sftr de son MI 'cès ,
- Vrrlimc nl, disait-i l ü Jacque s (['une voix posée
el persuas i"e, je ne ('o1l1pl'cnds pas tOIl h "sitatio n;
je ne le redis pas les avanlag es qui 'le trouvcn t réullis
lù; ils y sont tOtis. ,t il faudrlli l qlle tu sois hicll
avcugle pour ne pas l' '\1 rendrc ompt' : tu pOllrr'ais
aller loin il Irl ronùe cl hallre toute lu rég"~1
pOlir 1''1
retrouv er entre 1,'1 mains cl'lIne j'une 1111 '; 'l lOlls
.:c~
avanlag es. tu les as 1:'\, Ù tlorl ée de tn maill .. , 1'11
le mariera s un jour. peut-rt re hienlôt . 'al' ennn. tu
C011l1l1 'nces it a\'oir vingt-c inq ails. Alors.
il quclqu cs
�JEUNESSE EN
FLEUR
67
jours près, ]lourquoi ne pas saisir avec empressement cette situation magnifique, inespérée? .. Réfléchis un peu sérieusement, et tu ne pourras pas t'emnècher de trouver que j'ai raison.
Hélas! i) le sa vai t bicn, le pauvre J acqucs, que son
père avait raison; seulcment son père ignorait )'existencc de Dcn ise, et son amOllI', et ses scrmcnts ! ...
Ah! s'il n'y a va it pas Cll Denise!
. Et Ic pauvrc Jacques rcstait immobilc il la croisée
-lcs chemins, le cœur serré, la volonté oscillante entre
enise, qUI n'avait pour eUc que sa grâce ct son
G~nour,
ct l'ranc;oisc, qui ajoutait il sa heauté une
:ntuation solide ct brillante,
Et Frrlnçoise avniL de plus pOlir IIc l'insistance
Continuc, pcrsistant ,inlassabl de l\I, Pcrtuis auprès
ol e son fil-, Denise était loin; elle ne pouvait priS sc
défendr '; son inJ[1f(e, SOIl souvenir s'cstompaient
drillS le passél Françoise étrlil Iii; il la voyait aSsez
'Ou vcnt; alors, pou l'quoi ne pas 1 n tcr sn chanel'?
Et cn S01l111H" C1u'[lt'rivcrait-il? Lc jour où Denisc
Compl encirait que tOllt était fini, ell vcrserait quelipll's ~al'.cs;
el puis, cliC' se consoleroit vilc;. ~l
ouhlJcr[llt; 'II' trouvcrait un jcunc hOnllllC qUI 1 al11el'ait ct qui 1wurrait l'aimcr sans obst:l<'les; tandis
~l1C
lui, s'il pcrsistait ù pOl1rsuiwc celtc idylle, quc
'" complications!
Ayant ain~
arrang(' 'es chosrs, .lncqurs s'allanr ~l1
rit' plus en plus ù suivre l 'S conseils dc son
Pt'I'e, Il lIvait bicn enCOl'e de tCIllPS en tcmps un
"Ul'S:1ut de const'Îencc; p:l\IVI'e pdile Denise, !>i jolie,
.;~ douce, t'l qu'il uvait aimée si sinct'J'el1lcnt, qu'il
"Illlllil encore qU:1nd il dt'sccn<lnit au rOI'rl de son
cn.'ul'; mais hientôt lui apparnissnit l'image triom'.1 lante dt, Françoise, d:l11S tOllt l't:clnt de su beauté;
11 s' voyait iuslallé en lllaÎtre .\ ln l\IéSHnH('l'c; Il:
':lu\!'.' :11110111 dl' I)('nis(' lHlIlvnil-il êtrc assez puisSU,l\ (JO'.ll co,lln.:II ·t1an('cl' (' 'Ill' fOl'tunc'/
�68
.JEUNES SE EN
FLEUn
Restée seule à Paris, Denise avait naturel lement
continu é à aller à son travail quotidi en; elle continu:lÏt à d~jeunr
chez lc père Sicard, triste et seule,
en se souven ant du temps encore si prochc où
Jacque s venait s'asseoi I' en facc d'elle. Et le soir, la
journée finie, elle faisait une promen ade avant de
rentrer dans sa petite chamb re; lc plus souyen t, elle
montai t au Luxem bourg, où ils s'étaien t si sOllvent
promen és ensemb le. Comme ils faisaien t tous les
deux, elle ne s'attard ait pas sur la terrass e Cil demicercle Ol! les promen curs défilen t et où les étudian ts
s'assco icnt devant le~
blanch es statues des reines de
France , ct d'où on aperçoi t, ~l tnlYers les hautes frondaisons , les tours jumelle s de Saint-S ulpicc.
Au temps où ils venaien t tous les clcux, ils trouvaient qu'il y avait là trop de monde ct que lcul'
amour deman dait lin peu plus de mystt'r ', cl ils
allaicnl se réfugie r parmi le~
allées hi 'n l1loins fréquentéc s <le ln pépiniè re; Iii, ils étaienl bien plus
tranqui lles. Scule, c'est là encore qne D 'nisc vennit;
l'Ile lrou\'ni t t1nns ces allées écartée s le calme t le
silence qui conv nnient il ln solitud e de son cœur;
elle purcou rnil instillc tiveme nt les mêmes nllées; clic
s'asseY :lit au Illl'me point où .Tncql1es s'étuil assis nuprès (l'clic ct nvail gard', ses mnins dans les sien Iles;
puis clic repnrta it, lIIeltnn l ses pus dans la Inlce de
leurs pas.
Elle retrouv ait Ifl ses souven irs avec une l)récisiOll, '
une fidélité qui faisait battre SOIl cœu!' ct l'cml)li ssail
ses yeux de larmes prêtes ù couler. Les paroles
rnrll1es de .Jacque s llli l' venaien t LI la mémoi re, ses
inl1cxio ns de voix, Ics express iolls (le son vi~age
ct
cet accent de sincéri té qui .Ivait ..;:tgné SOIl C<l'ur.
Puis, nu cl'l'pus tule, quand la retrnilc la chnssni l
de son chel' jardin, clic rcprcnn it lentcm ent le chemin de sa petite chamh re; cil plissait devant la loge
de ln concier ge t s'nrl·~t
. il : il n'y avnil pas de lc\ll'e
pOlir elle? Ton. Alors, elle montai t tristel1l ent 'hez
clic. Ou hi n, s'il y avait lin' Jellre Ile ""11 l'p~
l'ait ct sc sauvail vite. Elle recol1n 'nissait l' ··critur e
sur l'envelo ppe. D'ailleu rs, Jacque s selll J>ouvait lui
�JEUNES SE EN FLEUR
69
écrire, puisqu' elle était seule au monde, Avant même
'd 'enleve r son chapea u, elle ouvrait la lettre et la par'C ourait toute, rapidem ent, ju squ'a u hout; puis elle se
ln ellait à son aise, ell e s' in sta llait commo dément , ct
alo r s elle repren ait la le ttre et la l'eli 'a it, mais lentem ent, celle fois, mot :1 mot, ct c h ercha nt sous
les mots la palpita tion impatie nte de l'amo ur . de
1
J acques,
A midi, dle n'avait pas lc temps de revenir chez
elle el d e prupar er SOIl déjeun er; mais le soir, elle
fai sai t ses provisi ons ct prépar ait tout doucem ent sa
cui sinette ; cc n'était pas très g::1 i de p r e ndre to ute
Seule so n diner s ur le coin de sa pet it e table; mais
Cela Illi revena it moins c h er qu'::1t1 l'estaur nnt; c'ét::1it
bi en ::1ssez d'y a ll cr :l midi; ct puis, l'I ll' était chez
elle, av 'c srs ::1O'aires qu' cli c rangea it :1 S::1 fantaisi e.
cl quand elle ava it diné ct r angé son peti l l11énage,
ct qu'elle n'avait pas reç u de IcLlre nouvell e, c li c
r eprena it les aneic nn es c t ICI'> relisait cn y r herch::1 nt
les ra isons d'espér cl', Oh! cli c anlÎl toute conl1::1nco
en Jacque s; il l'ailllni t cl il étn it narli c n lui jurant
qu ' ils se retl'Oll 'craien t bientôt pou!' ne plus sc
sépnre r,
Et pourtan t, malgl'é clle, un tremble ment léger la
rai sa it fri sso l1l1el' : il pouva it :1I'r ivc l' tant de c h oses;
les projets cl \ honh eu l' sont si fmgilcs 1 En relisan t
ainsi to ut es les lelLres qu'elle u\'n it r eç ue s, Ile lui
sem bl ait- il pas qU I! Ics premiè res étnicnt plu s lon g ue s
nonl Qu'alc t plus tendres qu e les suiva nt es? .. l\fi~
lait-c il im agi ner lù 1. .. El pui s, Illl'Ille si c'é tnil vrai,
la c h ose s' 'xpliq mil toute s(!u le; il Ile pouvai t tOllt
lI l: n1èmc p as r é pétc l' inlnssa blcll1l'1l 1 la mVrnc chose;
ct ~j 'i1 écrivui t l'n pcu moins souven t, 'cs t qu'il était
Pris p a l' 1 8 so ucis ct lcs fa ti g ucs rie son installa tion.
NOliS sommc s s i crampo nnés à l'e spoir que 11 0 118
ch ' l'('hon s toutc s les rai so n s de ne pas y reno nce r,
tluitt e li nou <; trompe r nous·m êmcs,
CCPf.'lI dnnt, les le ttrcs sc fa isa ie nt vraimc nt ,,'oJ)
l'ares cl, cc qlli é tait peut-êt re plus gl'avc enol'c~
s in<lilTércn tc s, Delli se s' in géniait il e n cherch er
~lI
1Cx li se dan s les occupa tions de plus en plu&
�70
.JEUNESSE EN FLEUR
sérieu~
el pressantes de Jacques, mais malgré elle
une ùouloureuse angoisse commençait à lui serrer le
cœur, Allons, on a beau avoir des journées lourdement remplies, il ne faut pas longtemps pour IracC!'
<juelques lignes; et s'il avait toujours été aussi aimant
ct aussi sincère, même apr('s une journée accablanLe
il n'aurait pas hésité il prendre dix minutes sur son
sommeil POUl' donner ù ln bien-flimée les nouvelles
rns:;ul'anle:; qu'clle attendait avec anxiété,
Allons! L;: rêve était tl'Op beau! Sc mariel' avec
un docleur, inaugurer unc vie calme t hcureuse dans
Ull anJour ]Jnrtagé, cc bonheur n'était pas cncore
pOUl' e)le; J'lI1fol'tune Cjui la poursuivail, elle
t les
siens, depuis deux ou trois ans, ne vOllluit pas Iflchcl'
prise,
Or, un soi l', elle vennÏl de quiller son travail et
suivait JI' boulevard Saint-Germain, C(U,IIl(] elle vit
v(,llil' ver~
('Ile llll(' jeune p rSOI1I)(' qui ln rcgarda,
qu'elle rcgal'(l:!, Elles ('urcnl Ioules les deux tl'ois
s('condes d'hésilnlion, ù peine, ct elles se PI'('cipitl'renl l'ull(' vers J'aulre avec deux cl'is, cieux nQms :
- Denise!
- Thél'c"sc!
Elles s' >rnlJas~i'e.
COIlII1I(> k suis hellrruse cie II' reIH'onln'r!
- Oll! moi nussi .. , :-\OIlS él i()l1~
si bOI1Jll's :tlllies !.. ,
- Alol's, rIl'Ill,lncl:! 'l'héri'H', pourquoi ns,tu dispnru? PourquoI 11';'s-11I jalllais clonné dl' les nOIlvelles?
Denise cul lin 1('/-(el' J110ll\' rIlH'nl (Il'S ('P:1l1JC's :
- SHit-ou jnJII:lJs! 'lu le SOU\Ît'n<; cil' Jlll'S llIolhf'uJ~,
.. , Id ruine cl la 11Iorl cl t' Illon p(')'ei ("est il Cl'
11If)lllt'nt lù qUr j'ni quille, la pension pOUl' rt'stl'J' (lUpl'h <le Illll I1Il'J'r,
Oll i, il' Ille SOli\' icns cie 1011 IJru.qllc d('pat't;
IIlais tu avais promis de 11011<; dOllller d(' Il's nOll\L'Ile' '"
1.11 t'n'l'l; mais le
dil Dt'nl\e,
HnÎ\oll de 1111l'i!
.(JIl, vois-tu; l11a
111 (lllIl'lll'
llliTC'
s'c'l arll:lI'llé
n'/I P;I'>
Illi
Sil l'
Illoi,
l'hislt'I' li lOl1t
�JEUNES SE EN FLEUR
71
'd'infor tune; elle était d'aill eurs de santé débile et elle
n'a pas tardé à s'éte indre à so n tour,
- Raison de plus, encore une fois, affirma , Thé. rè se; tu sa is que nous t'aimio ns bien; nous étions un
groupe d'amies ,
, - Sans dOllk, ma is vou ' étiez restées à la pen sio n,
lnsouc ianles, heureu ses .. , Tu vois l'eITet du récit de
mes malheu rs tomban t au milieu de votre ,'onde
joyeuse ,
- NOlis cro is-tu donc si peu de cœur?
- Oh! non, se récria Denise ; mais, \'ois-tu, on a
'les scrupu les ù é taler sa misère devant des gens heureux; on a l'air ue vouloir forccr la pitié; je n'ai pas
Pli m'y résoud re,
- Comme tu as cu Lort ! .Je sn is persuad ée que tu
aurais trouvé dans noLrc ami lié un réconfo rt, un
cncollr agem nl.
, - Ellcore Ulle fois, jc n'ai ]Jas voulu; vous l'cstIez
a la pension jus,qu'ù la fin de l'année ; puis vouS alliez
hacul1e s uivre votre existen ce COlTltlle elle avait élé
lr:\cée; ct moi, l'estée se ule eL presq ue sans ressources . j'allais être obligée de gngner ma vie.
Ma pauvre umiel
- Oh l 'te n'cst pn s cela qui me fai sn it peur!< 'pi
Seulem ent j'avui s eu la consola tion de garder maman 1
El tu :1S trouv(:'?
,- ,J'ai pensé que c'cst à Pnris quc je lrouver ais Jc
Inloux, Alol's, j'ui lout vendu; je n'ai gardé que les
d'une
sOllV ' nirs ouxque ls je tennis ct, munie ainsi
chance
la
eu
j'ai
cl
velluc
suis
je
,
somme
)1etite
de lrOllvcl ' assez l'npidel llcnl une pInce dans la
ll1uison IInchel le d'olt je sortn1s quunù tu m'as
rCIICo nll'ée,
Elles urrivai ' nt nu coin de la l'lle de Seine <[ue
l)?nis e Ill' 1111 il pou r mon ter au Luxem bourg cl y
fUll'c sn promen ade quotidi enne. Elle s'arrêla it.
- J~l mnintc nant, lui deman da Thérès e, où vas-tu?
Que faÎ <;- tu'l
- Je vuis prendr e l'air un momen l au Luxcm bOUI'U; llllis je l'entrer ai chez moi pour diner et roe
cOUcher,
�JEUNESS E EN
FLEliR
- \lais non, se récria Thérèse, je ne te lâche pas!
J e !> ui's trop contente de t'avoir retrouvée.
- l\[oi aussi, dit Denise; IlOUS pourrons nOlis r e ncontrer encore.
- Ce rtainem e nt; mais cc soi r, tu ne me quittes
pas. Tu vas venir chez moi; ,mes parents seront trè s
contents de te revoIr; tu dll1eras avec nou s ; nOlis
passerons la so irée en!>emble ct nous conviendrons de
nOlyce~
r e ncontres .
Deni se hés itait, mais Thérè se fut si aimabl eme nl
persuasive qu'elle se lai ssa entrainE'l'.
- \'oyons, im.istait Thért'i,e, des amies comme
nous :1\'On5 été ne peuycnt pas sc quitter ninsi, cl
pui s 1l0US avons tant d e cho '.es ù nOliS dire; nous
)l a rleron s de no s anciennes Call1nl',Hles,
- Tu sa is cc qu'elles so nt devenues? d emanda
Deni se .
- Pa s toute s; d 'a illeurs, il V ('n avait beaucollp
qui ('laient <le hOllne s camarade s sn ns doute, lI1ais
pas de yél'iln bles amies. ,le suis re sté en relation s
plus 011 lllOlns su iv ies avec trois Ou qu nll e .
- ~()tr
e grOllpe !>Y lllp at hiqll e .
- Oui, notrc groupe sYll lp alhic(lII' ... Nous d'ux
<l'nbol'cJ, ~Ia(\elin
Cazals, J en nn ' Cnlllnr 1 cl M II'10llt Fran çoise Ri' l11u zn !. ..
- Tu l'S ('Il rOII'l'spond:lIlCt· ayee Fr:1I1çoisr n(' J1l Uzat? c!t-lIwllda Denis/'.
(hu. Lill' III ';1 1ll"llle (ni t JlI'O
,~ctlr'
cJ· al.
la
voir :\ Ch:îlrH\lllcllf. .. ,l'ai )ll'OlIl is ... ~lais.
tu sn is, 011
JlJ'oml'l, l'l il Y .1 toujO\lI'S quelqulJ l'ho c qui VO li S
('Illp tr lrt' dl' It'Ili r votre prOllll'S\l'; IIwis , IIll peu plu s
Ifî l 1111 P (' lI plus tnn), j'inli. .. Fr nl~'oist
dait notn'
I1lt'illt' III'l' all lil', 01 1 Ill'ut hien fain' Ull Jletit rlrort
pOUl' {'Ol1sencr ('cs IIlIliti{s de klll1essc ... Ainsi, je
I>ui ... s i l1l'tu'(' u se dl' t':lvoil' r eIH'o nlr('('!
,\u nOJ1l dl Chflleallllcllf. ))eni se fI\'nit trc ssaill i :
n'{Init cc p:1. );'1 qllc' ,laeC!lIl's, ..
'lais cil!· Il!' dit l'Îc'lI. J)' nillclll's l·IIc· ... n l'J'i \';IÎl'nl. L '<;
IHII'l' nl ... dl' Thl'I'hl' h ,l hil ,li4'n t UIlI' dl'" prc'lI1i~
Jlai
~() lI s du houll'\':\rd Hnspni l. S'I Illl'rl' lit 1111 accuei l
Chnl'Jll:lI1t 1\ Veni se . Av'c Thén:se e ll e 1I~l',
clics
�JEU~S
EN FLEUR
73
fircnt tout pour fairc pa sse r une bonne soirée à l'orpheline, une soirée qui fut une joie dans sn vje
triste et monotone.
Dès que son père rentra, on sc mit il table; elles
évoquèrent leurs souvenirs de pension .. .
Lorsque Denis e partit, elle clut promettre de revenir la semaine suivante; el ain.;i, pendant plusieurs
semaincs, l'hnbilLlcle fut pri se : Denise anlit son
jOlll'.
'
Or, un soir, clIc trouva Thérè
~e tout allimée d'une
joycuse émotion.
__ 11 t'nrrivc donc quelque chose d'heureux? lui
t!rmancln Denise.
Thérèse J'entraîna dans sa chamhrc ct lui dit en
confidence:
_ Figure-toi, une demande en mariage... n jcune
ho ll1l1le charmant que j'ai rencontré plusieurs fois
eh(,z des omis ...
El elle rnconta il so n amie toules les circonslnnces
lh, ('ct hCllJ' ux é\'t'nclllenl. Lc honheur ln lran~gu
rait. Dcnise écoulait, loul lllur tise, clic aussi. du
bonheur de son amie; ct l1o~r',
lotit son cœur sc
~(,l'J
,lÏ t en pen ~ l1t
([UC cc bonll 'Ill' ntlruit pu aussi
1:tr(' le sien.
Tu t'olllJ"'etHh, disait Th,:'r\"l', lu comprends
<'0111111(' jl' !ouis beun' u s" 1
l'IIl S. s'apcl'cC'\ an IOlll il coup de ce ([ue pou\'oit
aVOIr d'{'golslc ct dl' penible l'i,tnlnge !Il' cr honheur
c1~\'al
lIlle :lIIlÎl.' qui t'II était pl'i\,l'(', clic sc ]ll"l'Cilllta l'l 1"'J1Ihl'assn ;
~I.lis
loi lIus<;i, s'l'crin-t-elle, oi aussi lu seras
hClIl'l'Il,e Ull jOllr! ... Tu le J1I('rite,!
. _ Oh! moi, <lit Dcni<;e, qui clOllt pOUl'rait sc sou'I('J' dl' l11oi 'l
" _ Oui'?k lH' snis pas; I1ni
~ :eln" 'J'Ï\'crn un jour .. ,
l
Cs as' "'/. joll(·.
_ P('l1
l~. tre;
mais je n'ni ni dol. !1! forlune,
_ Oh! III sais, il \' n ('JH'OJ'C c1\'~
jl'lIncs gens qui
Ile CllllSic\l'l'('nt ni la ("ot, ni la fortUlle; il ' sont r<1J'es,
!'ans dOlllt'; lIIai il \' ('Il H. Il ... 11(' tll'Il1I\1Hlent qu'une
fll
jolie. inlellig(:nle, agréulJle, de hOIl caractère ...
lllille
li
�74
JEUNESSE EN
FLEUR
Ça ne t'est pas encore arrivé de rencontrer un jcune
homme? ..
Qu'est-ce qui poussa Denise r~v?lc
à son amie le
seCl'et de .son cœur? Ce secret etmt-ll donc trop lourd
ù porter? Pensa-t-elle arl.oucir sa tristesse en la fai.sant partager à son amlC? Voulut-el le se confiel' a
Thérèse comme Thérèse se conflnit ù elle? Elle
répondit:
Si, uue fois.
- Eh bienl lu vois bien ...
-- Oui: mais le résultat n'est guère encourageant.
- Pourquoi? C'est rompu?
- Rompu? Oui. Oui ct nOn. Il n'y a pas Cil vraiment rupture; mais les communications sc sont distendues, relâchées peu il peu jusqu':'! cesser tout à
fait, ct maintenan t clIcs ne reprenùront pas.
- Vraimcnt? Raconle-moi un peu ...
El Denise raconta SOI1 histoire: sa rencontre avec
Jacques Pertuis qui tcrmiuail ses études Cil médecine; leurs premièrcs COllvel'sutions; les heurcs qu'ils
avaienl pac;.,ées ensemble au spectable, :\ .Ia ))rOl11enaùe; hcures heureuses. Car c'était un charmanl garçon qui lui témoignait beaucoup de tendresse ct qui
édifiait POUl' tous 1 s deux des projets de bonhelll'.
Ses éludes finies, il devait l'entrer chez lui, il Ch:1teauncuf...
?
- Comment dis-tu? ilJtel'('ompil Thérèse vivement,
il. Chilt"aullellf? Est-cc Je même Chùtenulleuf qu'habitc Françoise némuznt?
- .Je Ile sais pas. C'est possible.
- I l faudra le savoir. El apl'ès'l
- Apl'ès? Eh bien! il est )1urli Il me jurant qu'il
m'aimai t, C[u'il Ile m'oublierait jamais, qu'il allait
parler cie moi ù ses parents, ... enfin, toutes les promesses qu'un jeune holU le peut faire Il une jeune
flUe ft qui il veut faire partag r su, vic. Et en effet,
les premicrs Icmps, les lettres sont arrivées, fréquentes ct très tendres; puis elles ont été l'ares, de
plus en plus l'lires ct de moins Cil moins tenùrcs ...
E t enfln, voil:'l longtelllps que je n'ai plus rien reçu .. ,
�JEUNESSE EN
FLEUR
75
'Commc tu vois, il n'y a pas rupture, il y a
cxtinction ...
D e nise avait les InrIne s aux yeux. Thérèse l'embrossa:
- Console-loi. Ce gtlrço n p!'ouve qu ' il n'e s t pas
digne de to i.
- Peut-être. On ne sai t pas. JI ne fa it peut-être
Pas facilement ee qll'il veu! ...
- Tu lui chc l ches des excuses ... Mais ce qu'il y
a d'étrange, c'est cette coï n cidence ci e Chflteauncuf...
Comment s'appe ll e- l-i l ?
JacCjues, Jacques Pertuis.
Et il es t médecin?
Oui. Il vient dc s'ins ta ll e r li ChâleHl1l1rllf.
Bo n. ,Je Il o te le nOIl1. Qua nd je verrai Francoi!>e .. , En at tendan t, loi, il ne fa ut p as le faire de
e h agrin. Ce bonhomme t'n ban d o nn e, lan t piS pour
lu i ; c'es l lui qui y perd; il n'rlflÎl p as dignr de faire
Ion bonhe ur; l'm'c ni r' te dédommagera, crois-moi ...
E t Ill llÎ lltenant , yiens; il es l l' h c ure d e dîn c r; mon
Pl'Ie \'fl bientôt 1e nt rer .
Pendant toute celle soirée, ln honne Théri'sr s'jn (i'nia pour di stra ire Den ise plus encore; (,Ile q ui élait
'leu n'lIsr, il s('m IJl a it qu'elle avait un peu h onte cie
.';') n bonheur clev nn l un e amic malh eu r euse ct (( lI'e ll e
Vou lClt se le r ~ lir c pnrdonner. Et ([lI an d Denise par' 1 , clIc l'emhrnssa tendremenl c l lui dit ;
- Oublie, Drllise, tt\l'hl' d'oulliier, ,t rsp('l'c ... Tu
'.U I [1<; tn rcvanche; ton hon hl'ur ~ern
d';llIlanl plus
" J:l t nll t qlle lu )'nllras nltcndu plu s longtcmps d qu'il
"HII':l ('ofl té plu
~ de lilrllles.
)cn ise eut Ull pelit sOl1l'in' tri sle l'l s'c n ulla.
Ainsi, J'ill'isl:lnre conlÎnue el inkl ssnhle dc son
nl'I (' 'Ivait \ninC'u la rhisl;lllel' dc J nc ques . A forC'c
de s'ente ndl r dire que so n :1\'t'lli r el son honheur
('lail'Ilt il ln l\[h~('1
l',
'etlc itl t'e s'était ilTllllnnlée
~i
!>l'OI'OIl<lt'IllCl1t l'I I lui qu'il nc pouvait plus ni la
(' Olll)wll l'(', ni ~'\
dl'roher.
�76
JEUNESSE EN FLEUR
Et pourtant elle n'avait pas complètement éteint
son amour pour Denise au fond de son cœur; l'idée
d'abandonner celle qu'il aimait toujours lui causait
une douleur sincère et il frissonnait à la pensée de
ce renoncement et de celte mauvaise action.
Parfois, haletant, à haut de forces, il avait la tentatioll. de tout avouer il ses parents; mais il reculait
tOl1jours, de peur de déchaîner un orage; et justement, au moment où il rassemblait son courage et où
il allait ouvrir ln houche, son père reprenait:
_ Ah! mon garçon, quelle situation, quel ay('ni,·,
quelle fortune!. .. Médecin il ChfltcallnCl1f, propriétaire
à la :\Iésangère, et plus tard, qui sait, ... maire, député ...
Alors, Jacques sc sauvait, grimpait dans sa
chal1lbre, s'asseyait, la lête entre les mains, ct laissait rouler quelques larl1les en lllurmurant:
_ Denise, ... Denise! ...
Mai<; il n'y avait plus rien il fair('. 11 él:lÎl pri'i, il
étail dominé par une volonté plus forte que la sienne,
il était entraîné comme une branche par un lorrent.
01', là-bas, Pierre aussi était dominé pal' une
volonté plus forte que la sienne; mais une volol1té
avec laquelle la I:.ienne s'accordait pal"faiternenl.
Françoise ct lui-même avaient le même lJut, le mêml'
désir; une seule chose retenait Pierre: c'était ln
crainte de 1\1"'0 Rémuznt, lu peur qu'elle fît m:1uvnis
accueil il sa demande. Françoise le rassul'nit; il prenait des résolutions tant qu'il était :lvec elle rI qui
s'évanouissaient dt-<; qu'il sc retrouvalt seul. Elle
avait beau lui dire: « Un pell plus tôt ou un peu plus
tard, il faudra vous décide)· ... ~ , il Ile se déci duit )HlS.
Il avait lI1is l'oncle Victor dans leur secret pour
sc dOllne)' lin peu <!'ns'>lll'ance; et l'onC'le lui :lvait
promis sa sympnthic ct son appui. JI f:lllut pOUl' le
Ilécidel' ln cOlllmotion qu'il ressentit lorsqu'il t rOllva
lln iou\' .Tncllues Pertuis in1,loll" SUl' la tel"l":tsse de
la l\lésangen'.
- Eh hien! lui avnit dit Frnnçoise, VOUf> all 'IHler.
qu'un nutre pr('lencllll1t sc prl-sente?
Cel·tes, Pll'l'I'e igl10rnit les intentions de Jacques
�JEUNESSE EN FLEUR
77
et il ne pouvait pas penser que le danger ffIt si
prochc et si précis; mais tout était possible; aussi
il résolut de faire cette démarche au plus tôt, si
pénible qu'elle lui flIt.
Il arrive parfois des choses étranges dnns l'existence, des hasards qui rapprochent ou qui éloignent
des fails ou des pel'sonnages qui voudraient ou qui
ne voudraient pas se rencontrer, qui agencent des
combinaisons inallendues, qui ruinent les espoirs
les plus légitimes, ou au contraire les rénlisent
contre toute espérance.
Une de ccs circonslnnces bizarres se rencontra
ici: i\l"" Rémuzat reçut les deux demandes en mariage presquc cn même temps. Ce fut d'abord celle
de Picrre. C'était entendu avec Prnnçoise; elle resta
dans sa chambre ct clle Je vit venir par la fenêtre
aux volcts mi-clos. Il avnit fait lin peu de toilelle.
Il Ic\'n lcs yeux, ct Françoise passa ln main pOLlI' lui
fairc un petit gestc d'CnCOUl'<lgelllcnt.
]\[IO" Hél1lllzat, Ù qui il aVl1il del11andé quelques instants. l'allendait Cil ba~;
il se préscnta asscz tremblant d'aboN], JI1ai~
il se mssura plus vile qu'il
l1':llIl'ail cru. Il rappela leurs J'clalions cie bon voisinage; M"" Hémuznt le connaissait depuis qu'il était
('ofant; 'lIc pouvait donc :1\'oir toute conflnnce en
lui; ils avaient joué ellseml>le, Françoise el lui, depuis Icul' pl~
lendre enfance ct passé ensemble les
vacances dc leu\' jeunesse; celle :lInilié qui datait de
si loin élait devellue de l'amour, cl il suppliait
Mn.. Hémuzal cie consacrer cel amour pal' un mm'jage,
ElI.e J'écoula, le visage impassible, au moins cn
apporence, cl lui assura qu'elle rélléchirait cl qu'eHo
pal'l 'rait de 'elle dérnorche aVCC Frunçoise.
Picrre se reUra aSsez imprcssionné, mais enfln pas
lrès mécontcnt. 1\1"" Rémuzat étnil restée calmc et
impassible; Illois il ne s'attcndait pas ù une cxplosion
de joie.
En s'en allant, il rencontra l'onclc Viclol' el lui
J'U onta l'enlrevue. L'oncle lui prit Ics mains cl lui
([it :
- Bon! Nous attendons ln communication om- 1
�18
JEUNESSE EN FLEUR
ciclle. Tu connais mes sentiments; je yeux yotre bon'heu)" comptez sur moi.. .
Pi~rc
le rcmcrcia et rentra chez lui. P ndant que]ques jours. il trou"a préférable de ne pas se monIrel" il resta dans ses terres ct attendit Ull signe de
Fra~çoise
qui ne manquerait pas de l'avertir dès que
sa 111ère lui parlerait de sn demande.
l\[nis Mn" RémuznL n'en parla pas lout de suite.
Pourquoi? Refléchissait-elle? Estimait-elle que rien
ne pressait? Sentait-elle confusément que cc chapitre-là n'étnit pas épuisé?
Et en efTet, la semaine n'était pas (coulée que
M. Pertuis lui demandait un mOlllent d'entretien, et
la sCl'l1e sc renouvelait. J\J. Pertuis parln (le son ms,
UII
gnrçoll intelligent, sérieux, trnvailleul'... Elle
J'a\',1it vu plusieurs fois; elle l'nvnil sans doute appréci '.; il étnit docteur; un nvenir hrillant s'ouvl'nit <]evnnt lui; tou,; les espoirs lui étaien t perlIIis. 11 avait
vu ;\["" Françoise; il nvnit été touché par sn heauté,
~a
honne grflcc, tOlit es ses qualités ... 1\1. Pertuis estiJllait, ajoutait-il, que les situations pouvaient s'ac('or<]('1' .. , Aussi, si. romllle il l'espl'rait, 1\1"· Frnllçoise
voulait bien autoriser sn recherche, il mcllrait tous
ses soins il nssurcr son bonheur,
1\1"" Hémuzat ('coutnit, hochnil ln tête, ct un orgueil
un peu n:1Ïf /o(onflnlt son (,<l'Ul'. Cependant, l'Ill' s'ing('niait Ù Ile pas );liss('r JWlnÎtrl' sa sntisfaetioll intime,
Elle rl'slaiL calme el (roide cn apparence, {'OJ1l1l1 il
('ollyient Ù ulle 1l1('!'e Ù qui on dellwnde III lllalll de
sa fille; llwis l,Ill' sc l'ejouissail siIlCt·J'('Hlcnt. Elle
rl'pondit à )\1. Pl'l'tuis qu't'Il(' étnit trios Jlat(~'
de sn
;1 Frnçoi~l';
IlInis
dl'lI1:1nfle, qu'clic la ~1"lns'trai
C)ll(', pOUl' elle, l'Ill' se [('Ii('itait dh lIIaintenant <le ('e
1II:,ringe qui unirnit sn JlIle ('hérie il lin jl'UIl(' hOllllllC
si disLn~lI(',
si l'lhOl'iellX t'l d'un avcnir si brillant.
;\1. Pellui, s'inclillll. Les "bil('" ofTi('i '11t's doi"enl
NI'(' COlrl't(·s; il ('xprill\:1 1'I'spoir que ('l'S dames lnl!'
J1l'rll1l'ltrnienl, :\ son nI-, ct il lui, dl' venir :1SSl'Z souvellt. Et, l1lllni dl' <,cite Jleris~o,
il sc relira.
Si 1\1"" llélllllZat avail tardé ù faire part Il Fr:1nçoise
de la demande de Pi('J'I'(', l'Ill' ne <ln'ait pns larder
�JEUNESSE EN
FLEUR
79
à lui faire part de celle de Jncques Pertuis. Pcut-être
mêmc n'aurait-elle pas parlé de la pl'crnière; mais qui
sait si Picrre n'en nvnit pas parlé lui-mf!me à Françoisc ou il l'oncle Victor? Elle ne pouvait donc pas
l'escamotcr, malgré l'envic qu'clic cn eut.
Eilc fit donc venir Françoise, ferma la portc ct
lui ùit :
- Mon enfant, il nous arrivc une chose assez
étrange ct qui doit être assez rare. Il peut hien arriver, certes, qu'ulle jeune fllle rcçoi ve plusieurs demandcs en mariage; mais elles s'espacent sur un
tcmps plus ou moins long; mais, pOlir toi, voici
qu'elles arrivent en même ternps.
Françoise avait rougi d'abord; puis elle pfdit. Elle
espérait bien que la demande de Pierre serait flcceptée, réglée avant qu'unc autre pût sc proùuire; et
voilù qu' lles arrivaient en mêmc temps 1 C la COIllpliquait ln situation.
Mm. Réllluzat continuait:
- La première de ces c1t'rnnndes vient de notre
voisin Pierre; il est vcnu il y li trois ou (Juiltr' jours;
,je l'ni écouté par politesse; je ne lui pllS répondu tout
de suite, quoique je ne doute 1)[IS de la réponse que
nous lu i rerons.
Ces parOles jetèt'elll plus cncore )e trouble dans le
'œul' dc Françoi.se; cependilnt, elle voulut, avant de
répondr , attendre ln fin du discours de sa mère.
Celle-ci, en en'et, ajoutait:
- Enfin, comme pour renùre ccLLe réponse négnlive
inévitnhle, j'ai l'CÇU tout ù l'heur une demandc,
séricuse celle-Iii, de 1\l. Pel'luis pOlll' SOli /lIs, le clorleul' Jacques PCl'ti~.
Tu n~ rnit IIlle \'Î\'c impl'es~o
SUl' cc jeun' ho III III e. Nnturdlcmellt, je n'ni pns voulu
avoir ['nil' dc nous jcter il Ictll' t "te en ncceplant tout
ue suite, I\ni~
je leur ai pcrmis d'espérel' ct de
revenir.
Françoise était livide. Lc,; paroles de sa ml'I'e mar((uaient sa préférence; cl ceLLe préférence n'était pas
la sienne, 11 faudrail dOlle lutter; mais COlllllle elle
savait qu'il ne fallait pas résist '1' ouvertcmcnt il sa
mère, clic répondit ;
�80
JEU:-<ESSE EN FLEUR
C'es t bien, maman .
Le ton n'y etait sat1S doute pas, car sa mère lui
ùemanda :
_ Tu n'as pas J'nir enchantée, Françoise?
_ Enchantée? Pas précispment, maman.
_ :\l'expliqueras-tu?
- Oh 1 c'est bien simple. La demande de Pierre,
je l'attends depuis que nous faisions des pûtés ensemble avec le sable du jardin: cc n'c st clonc pas
une surprise; or, c'~t
!>Ilrtont la surprise qui fait
l'enchantement. Quant à l'autre, je ne pcux tout de
ml'me pas me mettre ù sa uter de jOie parce qu'il a
plu ù un monsiellr que je ne connais pas de me demancler en mari age !
- Que lu ne conn:1is pas? ...
:\on, maman.
- l\lais il esl venu ici même .
- Oui, mal1wn, il est venu ici trois ou quatre fois;
nOlis avons bavardé ulle heure ou deux; mais j'cstime
que cc n'est pas suffisant pour connnÎll'e quclqu'un,
surtout un lIlonsieur dont il s'agit de fnil'C Ic compttgnon de toute son cxistence.
- Eh bien! il reviendra, ct VOliS fel'ez plus ample
cOI;
nis~,lce.
D'ailleurs, tu sais, maman, si, comme tu lc dis,
j'ai l'ni t unc vi"c irnpres!>ion SUI' ce jeune homme, il
n'cil ri pns élé dc même pOUl' 1110i; sa présellce m'a
Ini!'>sée p,lI'fnilelllenl ('alme, cl j'ai bien peur que ses
visiles ultérieures ne péln' iennl'nt pas il m'émouvoir, ...
toul au moins pas nssez pOlll' que j'~J(rcple
avec enthou~iaslIe
~a
demande.
- Comllle tu parles!
- Librcll1l'l1l, peul-être, mais son~e,
nlOmnn, qu'il
s'agit de ilia vil', de 111011 bonheur, Pl que je Ill' le vois
PélS ellcore ('11 t'OIIlIHlf.{nie de Ce jeu Il l' hOlTlllle. Si les
trois ou <!uéllre heures qu'il n pnssées ici lui onl sufIl
pour ~tl'
li Xl' ';m' s 's sentiments :\ 111011 ('f.{nrc\, pOUL'
moi je ne suis pas si prompte cl je ne Veux pas Ille
décider avet' (·('tle prkillila!iol1.
Et {fUC' lu i \' 'JlI Of' lH's-lu'l
- ,Je Ill' lui reproche ri '11 <lu lout. Il csl lort pos-
�JEUNES SE EN
FLEUR
81
sible qu'il soit orné de toutes les qualité s que nOlis
voudro ns bien lui accord er: je dis simple ment que
je n'en sais rien cl quc, pour Ic momcn t, il me laisse
parfait emcnt indiffé rente.
- Tandis que Pierre ne te laisse pas parfait ement
inùiffé rcnte, n'est-cc -pas? dit lw ne Rémuz at, dont la
patienc e comme nçait ù se lasser.
Sous l'altnqu e brusqu éc, Franço ise eut un sUl'snut ;
elle rcsta quelqu es second c s intcrloq uée, faisant leus
ses eJfol'ls pour rester calme; puis elle répond it d'une
voix
ans timbre ct avcc une Icntcur prCStl.l e
solennc lle :
C'c!,l vrai, maman . Si je ne connai s pas
M. Jacque s Perluis , en revanc he III m'acco rderas CJUC
je COIlIHli" Pierre. Tu sais COJ1\lIle moi qlle nom
[1\'0~
joué tOlll cnl'nnls : ccltc arrectio l1 d'cnfnll (,('
s'('sl prolong ée cl fortifié e il llll'sur€' quc les nnnée!,
pas:"lÏc ;iI; cl nOIl l-iculcl11cnt -Ile ~,'l\
fortifléc , mai~
.
elle s'csl Iral1~ft)'ü;
l'lI(' eq c!e\-"IIUC dc l'amoll r,
llll [tIllOIlI' qui nOlis uUnche J'lIll Ù l'aulrc pour la vic.
- Ah! t ri's Il iell ... 'l'II sn Vc l i '; donc que Picrrc étui!
v nu 1':1IItrc JOUl faire :"a deman de?
Ou i, llHltnllll.
- Et tu épouse rais l'iel rc?
Oui, Il1nnJnn, c'est lui quc je "eux épolli'il'r,
Le visage de :\1'''. Héllluz at e'\pl illlll une slupéfil Ctioll ('Olllille .-,i Franço ht' eùt proféré Ulle énon lité
Illal'Oll nhle,
i\l:iis lu es Colle, Illon enf[lnl, III devicl1 s COI1'P)"lelllent folle L .. COll1m enl! lu ('<; <Ielllnn dl'c en m:lrinH c
pDI' IIll jeunc hOlllmc distlllg ué, I1n docteu r qui la sc
faIre une hrillull te siluatio n, il qui SOIl tilrc perlllet
loutl's Ics al1bito~,
qui peul deveni r Je IHl'lllic r pe\,~()nIHl.e
de ln ville d salis dOllle 1111 de~
prenlÎ!' !'" du
di'palte lllenl". . cL lu accl'pte rais d'épou ser un
]la ysnn 1. ..
Quclqu es sccond es d'un silence pénible , puis Fran~'oisc
répond it lentelll ent :
J\(!l'tHl Il , il sc peul CIlle M. ,Jacque s Perli~
de\'i('I1I1(' un d('!; pf('mie l's pl'I'son lwges du
dépnrll 'lIll'nt.
.le le lui ~ouhrtic.
mais ~'a
m'est ('g:t1, JI sc peut iltlSSI
�82
JEUNESSE EN
FLEUR
que Pierre soit cl reste un paysan; mais ce paysan est
la nature la plus franche, la p lus sincère qui puisse
exister; il a un cœur d'or; il m'aime ct il m'aimera
toujours; je l'aime aussi. Sans doute, tous les deux,
les grandes ambitions ne nous sont pas permises ct
nous vivrons modestement, m:1is je suis sûre que
nouS serons heureux.
Depuis deux minutes, l'émotion serrait la gorge de
la jeune fille; l'effort ([u'elle fit pour prononcer ces
derniers Illats sans éclater en sanglots épuisa ses dernières forces de résistance. Elle ne pouvait ni Cil
écouter ni en dire plus, ct elie sc sauva pour cacher
ses larmes.
Françoise aurait pu grimper (lans sa chambre; co
fut sans penser il rien qu'elle sortit sur la terl'asse,
descendit le pcno n et courut droit devant elle. Et
comme elle traversait le bosquct, elle tomba dans les
hras de son oncle Victor. Le brave homme l'embrassa
doucement:
Allons, allons, française, cc gros chngrin ...
- Ah! mon oncle ...
- Voyons, ne pleure pas ... ct l'acon tc-moi.
Il la JlL n~scoil'
5111' un banc ct sc mil il côté d'ell'.
fl"1T' çoise sc call1la peu ù peu j clic essuya ses larllles
ct raconta il son oncle ln conv rsation :lniméc qu'clic
vcnnit d'm'oir avee S:1 I1ll'l'e : les deux delllandes, le
décllÎn de sa Illl'I'C pOlll' Pien> ct son désil', lin désir
im}lCl'icux, clc lui voir épouser l'autl'e.
__ Et tu n'en veux pas, de cc prétendant?
A IlUCUIl prix.
Et Pierrc'!
Ah! mOIl WIle!C, nous nOLIs aimons tant!
C'est hall, 111011 cnfant, c'est bOIl ... Tu snis que
ce sentiment-là n'est p:lS pOUl' me d "p laire. Tu sais
flue, pour ma pori, j'aimerais mieux te voir épouser
cc bOll, hrave, solide ct rl'ane p:lyS:ln, commc dit ta
mèrc, qui li toujours vécu 1:'1, sous 1l0S yeux, que cc
monsieul' qui est ~aJlS
doute t['''s sYlllpathique, mais
qu'cnnn IlOUS Ile cOIlI1:lisSOIlS pns.
-. Ah! 11191l ollcle, CO\1lllle je suis contente!. .. Mais
'ue faire'?
�JEUNES SE EN
FLEUR
83
- D'abor d, mon cnfant, il ne faut pas heurter (le
front les volonté s de ta mère; tu sais comme nt elle
c -t. Elle nc veut pas qu'on lui résistc; mais clle est
honne, au fonet Nous trouver ons bicn le moyen de
gagner du temps ct nOliS arriver ons à la persua der
que ton bonheu r est là, avcc nous.
Alors, mon onclc, vous nous aiderez ?
- Mais certain ement, mon enfant.
- Alors, tout ira bien.
Celte confial lce fil sourire l'oncle Victor. JI em}Jrassa tendrem ent sn niècc et ln ramena tout doucement vers lu mnison .
- Sculem cnt, Franço ise, dit-il, cc quc je ne veux
plus, c'~l
cc déscspo ir, cc sont ccs larmcs . D'abor d,
ça Ile sert ù rien et ça nblmc tes beaux yeux. Tout
n'est pns perdu; nous allons travaill er il fairc tourner lcs ('vél1cl11ents cornille noUs les vouloll s; mais
pour ccla il faut du calme, du sang-fr oid ct pas de
larmes.
Quelqu es jours p.'ssl'rc nt snns nmellrr d'é\"("l1eIllcnts dùcisifs , ct dUIIS lIlI calmc rclntir. 1\ln,,' Réll1uzn f
et Fr:lllço ise vi\'aiel lt J'Lille :1upri:s de l'mItre en
:-.ilel1(,(,.
COllllne il Cil "vnit obtellu la permis sion, Jacque s
vint plusieu rs fois passer ulle heure ou cieux il la
]\1{'s.l\Igl're. JI M' rnolltrn i t empres sé auprès dc Frnn~'oist,
mais timidel1 1ent ct ('OlllnlC s'il Il'osnit ellcore
trop s'u\'nlll 'er, Pourqu oi celle discrét ion? Etait-c c
)WI'('e qu'il se souve\l ait eneore trop exactel llent de
Denise ; Oll bien silJlple mcnt puree «ue Fl'açoi~
(' L '
l'en{,ora~it
gUl'rc '?
QU:lIHI elle «0 \'o~
nit urri\'{'I' , ('JI(, a\' nit ulle yiolcnt( !
tentulio n !I(' s'cnft'I' ll\er dans S:I l'h:lIllhl 'c ou d'.llIer
retrouv er PielTe. Cc suh('rf\l~,
l'I1l1raÎl pcut-ét re
\ulI\'éc ulle fois; mais, à III Sl'l'(}\1(! p, S:I IIl l' \'e n'aurai t
11:1': 111:1nf(ué dl' lui dert1(1IHIl:\' des cxplica ti(, ns d de
(nire lin '·clal.
Conll11 ' Ile voulnit é\,jter tOllte scl.'ne pénible , l'Ile
�84
JEUNESSE EN FLEUR
l'attendait et le recevait avec une politesse froide t:t
distante; ct elle avait une façon glaciale de le saluer
ct de lui répondre qui n'était pas faite pour l'encou·
rager.
:\f me Rémuzat, au contraire, l'accueillait avec un
empressement sonriant; elle l'accablait de prévenances; elle parlait toujours de lui avec enthousiasme;
c'était un garçon très intelligent, très distingué, quj
avait un hel avenir devant lui; elle lui ménageait des
tête-à-tête nvec sn fille; c'était le gendre qu'elle avait
rêvé, car il épouserait Frnnçoise, elle l'avait décidé;
allssi, elle ]e trailait. comme s'il eût déjà fait partie
de la fnmille; ct il était assez singulier de voir le futUI' gendre et la belle-mèl'e sc faire des amabilités
SOIIS le regard fro i ct de la illle,
El chose Cil rieuse, mais Lout de même assez
humaine, celle résistance de Françoise, que J ncqucs
sentait tr~s
'bien, au lieu de le décourager, ne faisait
au contraire que le piquer ct le slÎmuler. Si elle
l'avait accepté tout de suite el qu'elle en eClt manifesté
sa joie, peuL-être aurnit-il été moins empressé; mais
elle résistail, nlon; il sc piquait au jell cl s'en têtnit :
011 verrnit bIen qui, des deux, l'emportera il.
Il fnul hien ajouler aussi que la beauté de Frnn·
çoise cl tous les avan ln ges nltn hé s il sn J1)nin, cl c10nt
il sc rendait compte de mieux Cil mieux, étaient JJicll
fnits pOlir éblouit" Jacques Cl lui fuil'e ouhliel' la
pauvre pelile Denise, hien jolie, mnis bien 1l0de~t,
ct qlli n'était pas lit pOlir sc défendre,
Un soir qlle Ja,cqucs étail Ill, Mn" Hémuzat en(.(n(.(ca
les cI'ux jcunes gens :\ Caire un tOUI' de jardin; clic
était fatiguée cL Ile h's accompagncrait pa~,
Lu joul'née (wait "té assez IOllnle; Il1nis le soir rnmenait un
peu de fl'nÎcheur. Françoise accepla d'un signe de
tête,
Jl s firent done le tour tlu jardin, cnusnnt d'nbord
de choscs indiO'él'entcs, admiranl les I1eurs, cc qui
umeno Jncqucs il compnl'er Icur éclnt ct leur fl'nÎelleur au teint ct ù la frnÎclleur de la jeunc fille; il
fit des rapprochements aimables cntre la teinte délicate des roses cL ln hJanchoul' transparente oes l is,
�JEUNES SE EN FLEUR
85
et les joues, les lèvres ct la carnati on de la jeune fille .
Il lui fut facile de conclu re qu'eUe était très
belle et qu'on ne pouvai t guère l'appro cher sans
l'aimer .
- Aussi, continu a-t-i1, c'est dès le permie r jour,
Madem oiselle, que votre heauté a fait dans mon cœur
une illlpres 'ion qui ne s'efface ra jamais ... Au COIItraire, chaque fois que j'ai cu le bonheu r de vous
revoir" elle' 'est lIe plus en plus profon démen t
en fOllcée ...
Franço ise rénéch issait et ne répond ait pas; cc
silence n'était pas fait pour encour ager Jacque s;
cepend ant, il contin ua:
- ... Oui, l\ladem oiselle, un sentim ent il la fois très
doux ct très lourd ù porter, ... mon amour pOUl' vous ...
Oui, je VOllS :lime, ... et c'est cet amour si sérieux , si
sillet·I'C, qui Ill'a [ait deman der ft Mm o votre mùre la
con~érali()J1
la plus douce ct la plus durnblc ...
Frnl1c;oi se Ile \'épond nit toujour s pas; mais, depuis
un in'ltal1t, ulle idée lui était venue qu'elle hésitait
Ù fOl'llluler; lIIais que risquai t-elle? ... Et COllllTle
ils
quittaie nt le jardin pour pénétre r dans le pelit bois,
elle sc décida :
- Monsie ur, dit-elle , vous avez deman dé Il1H lI1 ~ lin
ft ilia mt're; je suis Jlattée de celte déll1nr ch·, mais
'est tout, Monsie u\·. La situatio n est nssez sérieus e
pOUl' Ile pns la rendre encore plus pénible pm' des
Illnlent endus; aussi je vais vous parler franche menl,
dussé-j e vous Croisser. J'ai fait sur VOLIS une impres sion profon de, me (liles-v ous; mais moi, Monsie ur,
malgré ' vos mé\'iles quc je reconn nis, je n'ni pas été
impres sionné e du tout; oussi, quoiqu e ma 111ère ait
encour ngé voire recherc he, je vous prie, moi, de YOIlloil' bien y renonc er.
Jacql(e S J'esta deux weond cs stupéfa it pnr celle
déclal'<ltion.
- Madem oiselle, dit-il enfin, je suis doulou reusemcnt surpris ... Laissez -moi espére r que vos paroles
ne sont pas déllniti ves.
- Au contrai re, Monsie ur; ellcs ont été nssez pénibJes à pronon cer; Cl'0y.cz bien que je me serais
�86
JEUNESSE EN FLEUR
épargné c~te
peine si e]Jes n'avaient pas dû êtrc définitives .
_ C'e5\ votre conviction aujourd'hui, Mademoiselle; mais avec lc temps, avec. mes soins, elle peut
se moùifie r .
_ N'y comptez pas, repartit vivemcnt Françoise.
C'est une convic tion trop solidemen t ctablic pour
qu'ell e puisse changer .
Ccpendant, Mm. votre mère ...
_ Ua mère, Monsieur, vous \'oit d'un œil favo rable, je le ~ais;
elle rend justice à vos mérites, ... et
moi aussi, d'ailleurs, .. . je reconnais volontiers quc
ùnns le difTérenù qui nous sépnre, c'est moi qui ai
tort; mais, que voulez-vous, il Y a des choses ~ue
l'on
subit sans les commander, ct malgré les avantages
<le votre situation ct vos mérites évidents, il m'est
iI1lpossible ...
Oh 1 l\Iademoiselle, laisson s III mes mérites, si
vous voulez bieu ...
_ COlllllle il vous plaira; re tenons seuleinent que
le point de vue dc ma mèrc et le Illie n nc s'accol'flcnt
pus.
_ .l'Cil sui!. désolé, .. . ct
'cst avec un véritablc
doull'H1· ...
_ :\lol1sil'uJ', je VOliS dirai ]10Ur votre dou lcu r cc
que VOliS .nc dbicz :\ l'inst'Ill t pO li r Illa convic t ion ct
mc~
·enlil1lcnts : :l\CC ], temps, e lle changcra ct clic
s'étl'inclrn, ct sans dOllte pJus rapidcmcnt que vous ne
l ' ·spér\.:z ,'olls-même .
_ ,1(' ne Je cl'ois pas ...
El rnainlelHlnt que ic VOllS ai dit ma pensée.
Mons icur, je crois quc nOl~
pouvons mettre le point
nn :ll il celle conversation qui Il't-st ngr('ahle ni pour
vous, ni ]10\11' moi. Si VOliS youl('z biell, reve nons vcrs
ln IlI:lÏson d parlons d'autre chose.
JI : Naienl arrivl' .; il 1:1 lisii-re dll I>ois; pl'13 loin
s'(otclldnienl Je,> 'i;gn~
fic la :\Iésrlllf.'i'l P, el plus loin
(,llcore, cclles de Pierre. Et, l'n S(' retouJ'nant, Fr:lllçoisc l'aperçut lü-Il :!s ; et lu i-1I11'1lI C, tout ('Il fni"':lllt
s('rnhlnnl (('cxnmincr 'i(", sou<"11l 'i, Ile I!'s quillnit pas
'lu l'l'gn 1'<1.
�JEUNES SE EN FLEUR
87
Pour ne pas inqlliét er Pierre, Franço ise ne lui avait
encore ricn dit, ni des intenti ons de sa mère en
fa veur de ,Jacques, ni des visites du jeune docteu r;
mais Pierre, qui était toujour s à l'affût des occasio ns
de rencon trer Franço ise, ne pouvai t pas manqu er de
s'en aperce voir et bientôt de s'en inquiét er.
Aupara vant, quand Franço ise le voyait, elle accourait vers lui. Là, elle l'avait certain ement aperçu ;
mais elle était encore avec ce docteu r de malheu r;
eL au lieu de ycnir le rejoind re elle s'en retourn ait
avec lui. Que signifia it tout ccci'! Il éLait nécessa ire
d'~lvoir
au plus tôt une explica tion avec Franço ise,
Ccpend ant, Franço ise et Jacquc s retoul'l laient vers
la maison . « Parlons d'autre chose :., avait dit la
jeullc fUIe. 1\1:\is nprès une conver sation aussi pénible ,
il ét['it hien difficile d'nfTec lcr Ull ail' ùétaché pour
parler d'autrc chose. Aussi c'est dans un silence
embnrr assé qu'ils arrivèr ent sur la terrasse .
1\1"'0 Hémuz at s'y trouvai t; el pour ne pas prolonger cette contrai nte Franço ise trouva un prétcxt e
pOlll' montcr dans sn chamb re ct laissa Jacque s seul
avec sn mére.
- Eh bien! MOI1 sicur, cl it celle-ci , je crois que vous
venez d'avoir avec Frallço ise Ulle conver sntion assez
longlle.
- Oui, Madam e, assez longue et assez pén illIe.
- 1\ h! Que sc passe-t -i!?
- J'Hi dit ù 1\1"0 Frnnço ise tous mes espoirs . tout
mon amour, tout le bonheu r que j'allend ais cie cette
union, ct clIc ne m'a répond u que par des mots
décou ragea nts.
- Eh bien! il ne faut pas vous décour ager tout de
même; vous savez, avec le temps ...
- Je voudra is l'espére r, Madnm e, Ics mots peuven t
quelqu efois ne pas J'clléter exactem ent la pensée
qu'ils veulent exprim er; mais le ton nvec lcqul'l ils
sont pronon cés trompe moins, ct celui de lW" Françoise était énergiq ue ct décisif .
- J'ni peur, l\lonsie ur, que VOLIS exngéri ez ce qui
n'est au fond qu'une hésitat ion de petite fiUe ou ulle
opposi tion un peu puérile à une situatio n qu'elle ne
�88
JEU~S
EN FLEUR
veut pas avo ir l'air d'acceptcr toute fail e el comme
on la lui préscn le,
_ ,le voudrais, Madame, Ic c r oirc comme -,OUS,
m ais Franço isc affi rme avec force CJue so n point de
vue clI c vôtre n e sont pas les mêmes .. _ Commen t, pas lcs mêm es ! s'écrin Mnle Rémuzat,
bl essée dans son auto rité.
_ ." Et je vous avoue qu c maintenant je me t.ouve
gêné , ... gê n é et d éco ura gé ,
_ Non, Monsieur, il nc ÜH1 t p as VOI1S décourager
si vitc; je sui s p ersu adée Cjue cc nc so nt là qlle propos
d'cnfant, parolc s cn l'air Cjll;clle re g rcttera lorsqu'elle
aura rél1éehi. Aussi, je vais lui parler.
J acqUl's , qui cn e fl'e t ~e
se nta it \'ra im e nt gêné,
s'était levé. ~1"'·
R ém uzat l' acco mp agna quelques pa s,
pui s ell e lui te ndit la ma'in e n rép étan t:
_ J e "ai :; lui parler, ... je vois lui faire entendre
rai so n; revenez après-demain, Mo n s ieur, c t vous verrez qu e tout se rn l'entré dnn s l'ordre .
Et tandi s que J ucques s'éloig nait , ell e monta
rejoindre Françoise, ct aussitôt clic éclnta :
_ Que HIC <l it ;\\. ,Jacques! Il d c m a nd e ta m a in et
lu le di'coul'l1ges? ..
Depuis qu c lqu es jours lIne pnix relali\'e régnait;
mnis \ln' pni. · lourd e rI(' 111 'nn('es ct qui n e p ouva it
p a~
i-tre définitive; il ra llait que cc diffé r e nd e ntre
l n 111l'1'e ct la fllle SUI' le ellOix du prét e nd an t flit
r(' g li'; il fa ll a it flue J'UIl(' ou l'nutre cédât, ct cela
n 'il'nil pns sans di scuss ion sn n s dout e assez 5pre.
FI'.,nçoi
~c
pCllsait bien que .)oequ es, resté seul avec
sa IlIl" e, allnit hli rnpPol'tCI' le ur convcrsa tion ct lui
fnire H'~
pl n int es; aussi, elle nllcn(]nit le choc .
L' en trée de sn IIlt're Il e lui l a issa pill s <IIICUII doutc,
c t il sa question elle répondit fl'oi<1cl1IcnL :
- Oui, maman.
EIl(' ronnaissait le C':lractl' I'e :lutol'ilnirC' de sa ml' I't';
('Ile snvail qu'il ('taiL illlprud c nt de lui l'(o s istcr; mais
puisqu'il fnllait quc l'ol'uge ('datât, <Iutnnt aujourd'hui
que plus tarc!; peut-êtrc, nprl's. y ,"erruit-on plus clair.
ComlTlent! r Oui, f WI1WI1! ,'ex('\:nnn la bonll('
<l'tnw en leYfll1t le s I>rn s ... Tu OiCS di rc oui!... Un
�JEUNES SE EN l'LEUR
89
jeune homme parfait . appelé il un si brillan t avenir,
un parti inespér é, il deman de ta main ct 1>.1 le
décour ages !...
- Oui, maman .
- Encore ! l\lais pourqu oi?
- Je ne l'aime pas et je ne me sens :JUcune dispositio n il l'aimer et à en fai re mon nrari.
- L'aime r ... disposi tion ... Qu'est- ce que c'est que
ce langage ? ...
- Un langage très naturel , maman ; je ne veux pas
pass er ma vie aux côtés ù'un homme qui me serail
indifJ'é rent.
- D'abor d, M. Jacque s Pertuis ne peut pas être
indiffé rent... C'est UI1 chDrlll ant garçOIl, rempli de
qualité s, intellig ent, sérieux , ... et en aclmell ant que
tu n'aies en ce momen t aucune disposi tion, comme tu
dis, tu feras comme si tu en avais, ct tu verras que
tout s'arran gera.
- Je ne C'rois pas, ITHllllan. Ce n'est pas en forçDnt son C'œur qu'on ohticlld ra qu'il :lccepte par ('ontrainte ce qu'il ne veut pDS accepte r de son plein
gré.
- Tu ne ferais pas tant de difficul lés s'il s'ngissa it
de Pierre!
- Certain ement, maman : Pierre est un garçon
aussi charllla nt, aussi intellig ent ct aussi sérieux que
Jncquc s Pertuis ; et je suis süre des qU:llité s dl' Pierre,
tnndis ([ue je ne suis pus sCire de!! qU(llités de Jacque s;
je suis snre de ln tenures se de Pierre et je ne
suis pns sÎll'e de celle d' Jncquc s; je suis sil!'e d'être
ll('ureu se avec Pierre, cl je ne suis pns sOre uc l'Nre
av!'c .hleqne s; Pierre est 11l0n compag non depuis
notre )Jlus tendre enfance : : nous 110US aimons , nous
tt'ollve lons le honheu r dnns notre mariag e, ct là seuIcmcn l..
- l'rdl're r un paysan quand on est recherc hée
)1UI' lin docteu r! Quelle aberraL ion!
- En nppare nce, peut-êt re; mais Pierre n'esL pns
lin pnysan ordinn ire; c'est un jeu Ile homme qui
a
reçu ulle excelle nte éducati on qu'il perfecl ionne
chaque jour par des lecture s bien choisie s; il a le
�90
JEUNES SE EN
FI.EUR
bonheu r de posséd er des terres comme nous, et il
met son intellig ence et son activité à faire prospé rer
ses terres, au lieu de cherch er ailleurs une existen ce
qu'il trouve chez lui plus large et plus saine. Et je
trouve que c'est très bien. Et c'est cette existen ce
large et saine que je veux partage r.
- Ecoute , mon enfant, tu parles là sans trop savoir ce que tu dis; entre nous, cela ne compte guère;
mais il est regrett able que tu aies parlé à M. Jacque s
comme tu l'as fa it; enfin, pour une fois on te pardonner a; mais écoute- moi bien: 1\1. Jacque s reviendl'a après-d emain, tu le recevra s en oublian t toimêmc et de façon :i. lui faire ouhlie{' ù lui aussi votre
cOllver sation d'aujou rd'hui, enfln comme un jeune
homme qui doit deveni r et qui devien dra bientôt
ton J1\ari.
Maman , je ne m 'y résoud rai jamais.
- Et moi, je prétend s qlle lu te dis.pose s à m'obéir .
je t'âssul'e qu'il me sera imposs ible
- ~Ialn,
le sourire un homll1e que j'aimer ais
avec
illir
d'accue
micux nc pas voir.
Franço ise avait parlé: d'abord avec assez de calme;
mais cette deuxiè me scène suivant de près la première la mit pcu il peu dans un état de nervosi té: qui
cOllllllençait il la faire trcmhl er; sa mère, elle aussi,
les dernièr es répliqu es furenL échan' nil;
~'él1eJ\
ton qui faisniL craindr e un éclat plu~
\In
SUl'
gées
viole Il t.
01 0
- Je le ferai hien ohé:il', dit sèchem cnt 1\1 flé/11uzat.
Fri1nço isc allait l't!pliqu er; mais cllc compri t instinctive mcnt <[u'clle ne serail plus maiLressc de ses
paroles et elle prMéra s'enfui r.
Elle dcscen dit l' 'sculicr très rapidcm cnt; eL dès
qu'cil' ne fuL plus en présen ce dc sa mère, cctte efTcrvescenc e qu'elle avait cu bcauco up dc mal :\ contcn il'
ne deJJlan da qu'ri éclatcr ; scs yeux étnient fixes, ses
mains trcmbla ient, clic (wait Ilvie de cricr et de
frappe r; il lui fallail, COll1llle on dit, passel' sa colère
e Cil deux
SUI' quelqu 'un. Elle franchi t la terrass
bonds; u nc idéc suugrcl lllc lui passa par la tête; ellc
�JEUNESSE EN
FLEUR
91
courut du côté des écuries, et du plus loin qu'elle \'it
Alfred, cll e lui cria:
- Selle-moi Trompette!. ..
Alfred s'empressa. Françoise faisait les cent p as,
agitant sa cravache comme pour fustiger des ennemis
invisibles. Alfred amenait Je cheva l, d'un bond, Françoise fut en selle; elle assemb la les rênes et cravacha
sa monture. Trompette n'était pas habitué ft la cravache; il fit Ull écart; Françoise redoubla. Il fallait
bien que quelqu'un f(H victime de son exaspération :
Ce fut son pauvre Trompette. Il était parti au galop
dans le chemin creux qui s'enfonçait sous bois. Frflnçoise, qui ne le frappait jamais, le cing lait toujours;
elle ne savai t plus ce qu'elle faisait. Le cheval
s'ébrounit, couchait les oreilles, se ramassait sur ses
jnrrets, tout f/'éJli5~ant,
puis relHll·tait au galop il
unc allure folle. Et bientôt Françoise n' en fut plus
maîtresse; le cheval lui-mênle ne se connaissait plus
et ftlait droit devant lui dans un emballement furieux.
Françoise voulut le 111[IÎlri se r; mais e ll e ne put pas.
Lù-bns, le chemin fai sai t un coude aigu, hordé par
, 1111 fossé profond.
L e cheval, que den nc gouvernait 111us, prendrait-il
touI' nant, ou bien pllltiH, elllporté par sa galopade
folle, llierait-il [out dl'oi[?
, Dans lIlI éclair, Prançoi se entrevit ce qui allait se
passer: le contour, le fossé, lc tnlll s, la cullJllte .. ,
Elle :Irri"nit ml coude. Le chcvul n'ohéissnit plus
il la prcs~iol
de Fr:\l'çoi':c qui tinlÎt dc toute sa force
SUr le~
l'l'Il cs. COIl/IlC UIlC Ili'che, cJl1porté ]lnr SOIl
élan, nt' pIHI\'ant IlIl'lll plu,,; J11odiOl'/' lui-mi'llll' sa
dircction, il Il e prenait pw. le lourllant ('[ nllnÏl flIcr
toul dr o it: l'elait ln chlll" In(-';Ïluhll' ct terrible.
Soud ai n, unc fOl'1I1c 1 li ilia il1C ~ul'git
('Ulllllle si elle
~ol'tni
!lu fossé'; lIl1(' llI :lÎn d" rel' saisit tes l'l'IleS, illllllobil isa II' clll" al qlli plia Sil:' ses jarreh de dCl'1'ii'J'("
('t Fr lJJ('oi',., ('lIIporté/' pal' 1'('J:\11 el épuis('e IHlI' tant
d'('/lIoj iOIlS, lOIll br: ('Y li nOllic,
l'il'IT(', qui ,',t:,i t dans 1.1 [e l'l'l' oi sinc , avait Yll
vl'nir l'' cl 11'\' a 1 cl sa cttvalj('re, ('f.(aIclllc Il [ clllllnllh
IOl, s les dell ; t:llltli; CIlie le chelilin s'allongeait fi
�92
JEUNESSE EN
FLEUR
travers champs, il avait coupé au plus court, et en
quelques enjambées, il avait franchi la distance, il
avait dégringolé le talus juste ft temps pour saisir les
rênes du ch e.val et s'y suspendre.
Quand Françoise rouvrit les yeux, elle était couchée a u revers du talus et Pierre lui baignait doucement le visage avec de l'eau fraiche. Elle eut trois
secondes d'er-farement, puis la mémoire lui revint.
Elle reconnut Pierre penché vers clle et fit un mouvement pOUl' lui tendre la main.
_ Ne bougez pas, dit-il; rien de cassé?
_ Non, je ne crois pas, répondit-elle en faisant
un mouvement des bras ct des jambes; mais je ~mis
brisée ... Sans vous, Pierre, je me tuai s.
_ Vous auriez pu, en tout cas, vous blesser grièvemcnt.
Jc nc sais pas cc qui m'a pris ... .J'étais cxaspéréc au plus haut point nprès ccs dcux scènes,
j'avais les ncrfs tendus ù crnqucr, ... jc n e 'invnis plus
ce que je faisais ...
_ Dcux scènes, Françoisc? intcrrogca Pierrc.
Puis, se ravisant tout fi coup, il ajouta:
_ Mais pardon ... Vous nc pouvez pliS l'est cr lù
plus longtemps ct vous ne pouvez rentrer chez vous
ni il picd, ni à che\'nl ... Comment pourl'ions-nous
faire?
_ Allez chcrcher mon onde :wcc sn voiturc.
_ Vous Inisscr Hl toute seule!. ..
_ Pourquoi pns? \'ou~
ne l1lellrcz pns si lon~
tcmp s; je nc suis )HIS cn dan ger, el pcrsonnc nc
viendra m'<,nlever.
A cc moment, Pierre entendil dans le 'hemin le
roulemenl d'une charrctte, cl hicntôl il vit lourner
:lU conlour le père Courhon, qui ramenait trois ou
Clualrc bollcs dc foin.
_ lIé là, ma pauvre demoiselle, qu'est-cc qui vous
arrive'l
_ On VOUs dirn ça loul ft l'hcurc, père Courbon;
pour le moment, vous allcz m'aider il hisser ~Tadel\1oi
selle sur votre chnrrctlc, ct nous lu couùuirons il lu
l\Iésflllgère; ça ne VOliS rct:u'dern guère.
�JEUNESSE EN FLEUR
.93
- Il faut faire ce qu'il faut, dit le bonhomme.
- L'équipage n'e·st pas très élégant, dit Pierre à
Françoise, mais vous serez encore mieux étendue
:ml' ce foin que dans une voiture.
Les cieux hommes prirent Françoise sous les hras
et l'aidèrent il se hisser sur la charrette où ils l'installèrent commodément. Et ell route, tout doucement,
pour ne pas lui infliger des cahots brusques; et
Pierre ~uivat
en tenant Trompette par la bride, les
regards fixés sur Fra nçoise, n'osant pas encore l'interroger sur ces ùeux scènes dont elle avail parlé,
mais pensant qu'il s'était passé quelque cho!'1C d'assez
grave.
Quand M"" Hémuzal vit arriver cette charrette et
Françoise étendue dessus, elle Se mit à pOllsser les
hauts cris en levant Ips bras au ciel. L'oncle Victor
altendait l'heure du dîner en prenant J'apéritif sur
la terrasse. Pierre sc précipita vers eux:
- Restez calmes, je vous en prie; je vous assure
que ce n'est rien.
Pierre et J'oncle soutinrent Françoise pour descendre de celte charreLte el montel' il sa chambre, où
sa mère el Muriette la mirent au lit. Elle n'avait pas
de blessure :lpparente, mais elle était courba lue
comme si elle avait reçu cent coups.
- Pierre, je vous en prie, allez vite chel'cher le
docteur.
Pierre courul prendre sa bicyClette et fila.
M"'· l1émuzat commençait il accabler Françoise de
questions; mais celle-ci, qui lui gardait eneore un
Peu de rancune, ferma les yeux ct fit semhlant de
s'assoupit'.
En route, lInc question se posa ù P·ierre. Le docteur? Quel docteur? Le jeune, le nouveau, ce J acqucs
Pertuis qui était toujours fourré à la Mésangère ct
Ùont la présencc assidue commençait à lui donnel'
tics inquiétudes? Ah 1 mais non 1
Et il alla chcn:hcl' le vieux docteur, l'ancien, celui
dont il n'avait rien ù craintlrc.
Quand Françoise le vil nu chevet de son lit, elle
Compdt et sourit.
�94
JEUNES SE EN FLEUR
L'exam en fut rassura nt: rien de cassé, pas même
de contusi ons graves, mais un ébranle ment nerveu x
qui nécessi tait pendan t quelqu es jours le repos le
plus comple t.
Fr:mço ise dina légèrem ent et s'endor mit d'un somle lendem ain
meil un peu lourd; elle ne ~'éveila
e suffi il
presqu
avait
nuit
qu'asse z lare1. Cette bonne
, EJle voulnt se
rendre il ses membr es leur souple~
lever pour déjeun cr; elle eut bien une minute dc faiIJlesse en mettan t le pied il terre; malS ce fut bref
et elle put descen dre, appuyé e au bras cie son oncle,
Après le déjeune r, il fallai t se remettr e nu repos;
mais ell e ne voulut pas remont er; elle se r ail mieux
en plein air que dans sa chamb re; on lui installa sa
('h:llse longue sur la terrasse , avec des coussin s, et
l'He s'y étendit dans le plus comple t abando n, tantôt
laissan t ses pensée s var,abo llder dans sa tête encore
un pel! lourde, et tantôt sOl:1me illant.
Vers le soir, Pierrc vint ])l'CIHlrc des nouvell es.
Franço ise n'avait pas bougé; clic lui tendit la main
en souria nt:
- Voili! 1110n sauveu r,
- Ne VOliS moquez pas de moi, répond it Pierre en
rou~isant.
L'oncle YictOI' étaitlù , Franço ise lui raconta l'aventure delle :ljouta :
PicITe; j't"tais telleme nl e ll'ondré e,
- l~xeJsz-Ioi,
hier, qlle jr ne \OI1S al 1I1llIle pas rCI11CI'ci{',
Pi erre la rcgard: l cOJJJllle s'il Il(' C'omprc Il,tlt (HIS cc
langng "
l\Iais oui, mon ami, VOllS m'av(>z épargn é un
accidcn l qui aurai pu Nrc gr:l\'C, cl WHIS nuric7. (HI
d'lllF!c rulscIll cnt blessé,
VQUs-Jn l'Jnr êtr
- Peul-êt re. d't Pierrc, mais tout est pOlll' le
mieux; vous CI :;crcz ql1itte pour quclr[\ICS Jours <le
repos -t nOlis n'cil parlcro ns pl~,
Pierre Ile prolong e'll pas sa VIsite, L'oncle Victor
l'aecom pllf.(na jusqu'li ln limitl' rie lellrs tencs; il Jl('
dit ien, rnnis il serra IOllf.(uellll'llt ta main <Ill jl'UIIl]'omm( ',
lcndcm niJl, Franço ise fit dcux lois Je tom de lu
L~
�JEUNES SE EN FLEUR
95
terrasse , appuyé e au bras de .son oncle. Elle repren ait
peu à peu l'usage de ses membr es; mais il ne fallait
,pas se fatigue r trop vite. Elle reprit sa place sur sa
• chaise longue d'autan t plus volonti ers qu'elle savait
que Jacque s allait venir. Ça lui serait un bon moyen
d'esqui ver le tête-à-t ête ct la conver sation.
En effet, son heure habitue lle arrivan t, elle fit scmblant de dormir ; elle l'enten dit venir. M"'o Rémuz at
alla au-dev ant du jeune homme ct lui montra Françoise endorm ie; ils s'instal lèrcnt il quelqu e distanc e
ct elle lui raconta l'accide nt.
Franço ise entend ait il dcmi; sa mère dit quc c'était
le jeune voisin qui avait arrêté lc cheval, mais sans
fairc dc réflexio ns, ni compli mcnts, ni rcmcrciemen ts.
Jacque s fut un pCll surpris ct humili é qu'on cM
fait appel au vieux docteUl', mais il ne di t rien; ccpcndan t, il aUl'ait vou lu savoir si c'était Franço isc
qui avait deman dé à voir son vieux collègu e au lic~
de lui-mêm e.
Quand il fut SUI' le point de sc l'etirer el pour Clue
sa mère ne pût pas l'accus er d'avoir fait exprès de
ne pas ]e \'oir, Franço ise ouvrit les yeux ct lui pal'la;
elle fut mêl1lc :1ssez aimabl e ct répond it à ses queslions. Il la félicita d'avoir échapp é ù un acciden t qui
aurait pu être grave ct lui reconlll 1allda de ne pas
sc fatigue r.
Le soir même, Franço ise reçut lIne lellre de son
amic Thér\s e qui acccpta it son invitati on de venir
Passer quelqu cs jours avec elle li la l\Iésang èrc; clic
Sc réjouis sait de revoir son ancien ne camara de de
Pension ; clics avaient tant de choses il sc dire; clics
êvoque rnicnt les souven irs; elles parlcra ient de leurs
COmpaglles quc ln vic avail dispers ées, ct juslem cnt
clic lui dOIlJ1ernÎl dcs nom'cll es de Denisc UeaulDont,
qui avait disparu si brusqu ement, qu'elle avait renContréc par hasard sur le ùoulcv nrd Saint-G erllluin
ct qu'elle revoya it au moins une fois pal' selllain c.
Franço ise reslait sur sa chaise longuc, pensive , sa
1 LLre ù la main. Ainsi, Thérès e viendra it ln voir;
lUuis quand? Plus tard. Muis cc n'cst pas plus lard
�96
.JF.UNESSE EN
FLEUR
qu'elle devrait venir, c'est tout de suite. Cette querelle ouverte avec sa mère leur avait déjà valu plusieurs scènes déplorables, et ce n'élait pas fini; il Y
en aur:üt certainement d'autres encore, jusqu'à ce
que la question fùt réglée, c'est-à-dire jusqu'à C'C que
l'une des deux eClt cédé à l'autre. 11 était hien évident que l'arrivée de Tharèse n'apporterait pas une
solution; mais enfin, sa pré sence pourrait tout de
mêJ1le être pour Françoise d'un grand secours. Devant elle, sa mère ne pourrait pas engager de discussion, ou du moins pas avec la vivacité cl la véhémence qu'elle y mellait deyanl Françoise seule. Et la
présence de son amie lui serail précieuse pOlir sc
dérober quand, par hasard, elle sentirait venir
l'orage. El puis M. Jacques Pertuis l1e la trouvcrait
plus seule; clic mettrail Thérèse dans ses secrets;
clics ne se quilleraicnt pas, cl Jacques ne pourrait
plus, devant elle, J'accabler de ses protestations
d'amour.
VI'aill1ent c'était tille bonn e idée. Aussi Fra n çoise
mon ta dans sa challlbre cl ;crivit lout de suite ù son
amie. Ellc disait il Thért' se combien clic était heureuse qu'elle t'lit accepté son illvitation; et clic
njoutnit :
... lIlais je (c (/ell1wule de fair" IOIlI 10H possible
)iOIl!' liCllil' 11011 li Cil> l i l/.~
IlIl'rf, l1/(/is (Oll[ clc SIli/I', CUI'
c'eM maintcnollt qlle lu Jlréscl1ce T1Ie l'l'ru pllls jlréciCl/se. Je viens de faire ulle chille de cI!evul, "curel/semclIl fias fj/'{/Vl', !nuis qui vu pCIlt/anl fI/lcif/lIt;
temps rédllire 1ll01l aclillilé. Qumui je l'e . ~l('
l'C/jJl'(;Smidi sllr 1l/il chaise IOll{/lIe, III ))(·U.l: pensel' si je
l'Cff/'clle qlle lu Ile sois pliS dêjâ al/fJrès de moi.
1~
puis ill/a l'Ilcore allirc chose:
1/1/
mal'iuoe! Un
/I!(/ria{Je qui se présente d'ulll' façofl (lssez étron{Je:
de'll.t· fJréil'nd(/It.~,
ma chère, [)(IS /Ill cie moills! .le
pillisa/lle, mais je /1'('1/ ai fJllère envie, jJorce que ma
~OIJl1(,S
pas cl'crccord : die lienl
p01l1' 1'1111, el moi JI()llI' /'(/iltre ... Muis je L'expliquerai
tO/l1 ce/a mieux de /lÎ/ll' 1I0Ü', bient6t j'espère . .Je le
(Iirui selllcment fJue les humeurs sOlll asse: ai{Jdes
li/ère l'i 1lI0i, flOIlS Ile
�JEUNESSE EN
97
FLEUR
el que IlOIlS avons déjà eu deux Ol! Irois scènes orageuses. Ta jJrésence amènera certainement une tréve
dont nous avons le, plus grand besoin .
Fais /ln petil effort pOlir ton amie qui t'embrasse
bien affectueusement.
L'~cident
de Françoise et ensuite lc besoin de
calmc ~\'aient
doigné toute qucstion irritantc.
IWn , Rémuzat nc pouvait pns, dans l'état où était sa
mIe, réamorcer ln discussion. Pierre venait la voir
ns-sez souvcnt, mais ne s'arrêtait guère; Jacques ne
ycnait pas si souvent, n'ét~
p~s
voisin, mais s'att a rdait plus longtemps.
FI'nnçoise, pcndant que son onclc lui tcnnit comJ1~gnie
ell son repos forcé, lui nvnit raconté toutc
J'his!.oirc. Lc hrrlvc hommc était désolé de cclte mésentenle entre sa nicce et sa sœur. Toutc sa sympntllic :llhlit :\ Pierrc, pui sque c'ét~i
Pierre que Françoise aimait; mais il n'aurait p:1S voulu hcurtcr dc
fmnt les volontés de sa sœur; c'eM été l~ rcndre plus
obstinée encore; il cherchait l)flr quel moyen plus
ou moins détourné on pourrait arrangcr cc'uc affairc;
cc n'éiail ]1flS l'ueilc, et il n'av:1it encorc ricn trouvé.
L:1 constitution rohustc de Françoise l'elit vile
remise sur pied; elle était complètement d':1plomb,
lI1~is
Ile fnis~t
expres de prolonger celle période
de repos et de tranquilli té, ct ellc continuait il pasSPI" ln plus grande partie de ses rlprès-midi SUI' sa
chaise longue. Ce n'était pas ulle précaution inutile.
Déjl't sn 111ère nvail Cil quclqU(a' Illots et quelqucs allu:iions; mais Françoise s'était tournée de l'autre côté
rlvec 1111 gémissement, ct 1\1'''' Réllluzat n't""ait pas
insisté.
Quand Jncqucs vennil, clic laiss:lÏt volontiers lcs
jeunes gens seuls; mais qlland c'était Pierre, elle
ne s'{'loignait guère, de façon il gêner leurs confluences.
Françoise s'impalienlaH : Ils avaient l~n
de choses
4
�98
J EUNESSE EN FLEUR
à se dire r Si bien qu'un jour, elle trouva une minute
pOUl' dire à Pierre:
- Maintenant que me voilà vaillan te, il faut absolumen t que nous trouvion s le moyen de causer un
moment; il y a longtemps que cela ne nous est p!lS
arrivé, et il f::mt que je VOLIS r aco nte bien des choses.
Demain, tenez-vo li S à proximité de la vigne, l à-bas ...
J e tâcherai de m'échapper ... J e traver serai le petit
bois, et nous lÜcherons de bavarder lin moment.
Pierre acquiesça it cn hochant la tête :
- C' est entendu, à partir de trois heures.
~l"'
· Rémuzat s'app rochait; Pierre r esta quclques
minutes encorc, pu is s'en all a.
Le lendemain, l'après-midi, Françoise reprit sa
place sur la te rrasse el s'endormi t, ou p lutôt ftt semblant de dormi r. A partir de troi s heures, ell e commellça Ù obsen'cr autour d'elle, avec la crainte que
sa mère ne vînt, elle aussi, s'asseoir sur la terrasse ct
n'en p lus bouger, Mais n on, 1\1'''· Rémuzat devait avoir
des occupatio ns cbns la maison; j)arfoi<; elle faisait
une brève appar ition ct l'entrait aussitôt.
Françoise chois it bien so n moment; elle sc leva,
descendit le perron SUI' la pointe des l)Îeds ct sc hâta
vers le petit bois; elle le traversa; lit-bas, Pierre la
vit \'('ni]' ct s'avança vcrs ell e,
- 1-:nll n !.. , vous \'oilà 1.. , Commc il y a longtelllps 1
- CrOYl''Z bien que je le déplore autant quc VOLIS,
Pierre, plus qlle vo us.
- Est-cc possible 1
- Dans lotis les cas, si notrc sépum lion vous es t
pénible, COlllIlle il moi, vous, du 1110ins, vous avcz
voll'c tranquillité, landis qu e moi, je suis cn l)Ullc a ux
harcèlclIlcnts dc ma mère .. ,
- I1ncontez-mo.i, Françoise, l'acontez-moi vite.
Lc chemin form ait là lIll talu s; il s s'y assirent l' un
près dc l'autre; Pierre prit les mains d e Françoi se
d ans le s sien nes; ct clic lui l'aconta avcc tou s les délails tout ce qlli s'é tait pa ssé ùepui s qu'c lic n e l'ava it
pa s vu, ju squ'à ce mo ment d'éga remcnt qui lui avait
fait fU 1>ti ge r Trompett c et av a it causé l'acc ident.
Pierre écoulait sa ns l'int e rrompre, tantôt rouge dc
�JEUNESSE EN
FLEUR
99
colère, tantôt singulièrement pâle. Il ne disait encore
rien, mai s il était secoué par une colère qu'il avai t
de la peine à contenir. Enfin, il s'écria:
- Et vous dites que j'ai ma tranquillité! Qu and
j'ai au contraire de si sé rieux sujets d'inqui étude!
- Qu elle inquiétude, Pierre? fit Françoise, ûtonnée.
- Mais l'inqui étude, ... la présence de ce 1\1. Jacques
P ertui s et cett e obstination de votre ml're à vouloir
vou s marier avec lui!
- Qu' e' t-ce que ça peut vous faire, Pierre? Je vous
ai dit qu e c'est vous que j'aime ct je ne ve ux pas co nn aî tre 1\1. Jacques P ertu is; Est-ce que cela ne vous
suffit pas?
- Ah ! F r a nçoi se . pardonnez-moi .. . J'ai l'air de
douter de vous, et cependant je n e doute pas de vous;
mais, malgré tout, il l'este au fond de mon cœur une
inquiétud e,... oh ! rien,... un frémisseme nt im percep libl e.. .
'
- Ce n'est pas bien, Pierre !
- Pensez donc! Il est docte\1I', il est toujours bien
habill é ... Avec son tÏlre, ii pourra all er habiter ù la
ville quand il vo udra ... Que d'avantages il a SUI' moi!
- C'est vrai, Pierre, il a sur vous de bien grand s
a\'(lntllgcs ... Bt vous, mon pauvre Pierre, vous n'en
:Ivez qu ' ull : c'est que c'est vou s que j'aime.
A ces 11I0ts, Picrre por ta vivement ù ses lèvres les
11l :IÏ Jl S de Fra nçoi se ct les couvrit dc hai se rs.
- Ah! FJ'::.Inçoise, ma bien -a imée, soyez bénie pour
cette pa rolc qui me renù l' espoir avec la vie 1. .. Vou s
savez 'omhien je vo us aime, vous savez que mon
amour se confond :lVec ma vie mêm-., et chaque fois
que je re spire, l'ail' pUI' qui me fait vivre remplit
llla poilrine et mon pur alllour fait battre mon cœur.
Au ss i, FrAnçoi se, songez il cc que sernil mon dé sespoir si celle vic tic bonheur qu e j'espè re ...
_ Pierre, je n e ve ux plu s que vous parliez ainsi ...
Jc IlC \'eux même plus que VOliS pensiez ...
- Comme VOLIS êtes d a ns mOIl pa ssé aussi loin que
)lCllvent remonler me s sOllvcnil's, vOliS êtes dans mon
avenir. plus arùemment encore ...
- Oui, Pierre, notre avenir esl il nous;
�100
JEUNESSE EN
FLEUR
le mien se confondent et s'uniront dans la vie comme
il s son t uni s dans nos CŒurs. Je vous l' ai promis et
r ie n ne me fera changer; aussi, je veux que vou s
bannissiez toute inquiétude.
A ce moment, un bruit de p as leur fit tourn e r l'a
tête : Jacques Pc[tuis était à dix mètres d'eux et les
regar dnit d'uu a il' narquois, tell drement penchés l'Ull
vers l' an tre.
Après le départ de Françoise, III'"' Rémuzat était
venue s'asseoir sur la trrra s5c, un peu étonnée de ne
plus y voir sa fill e. A p eine y était-elle que Jacq ue s
arriva .
-- 'Lens, lui dit-eHr, monsieur J acques, je ne vous
atLcndais que demain?
- Ou i, Madame, excusez-mo i, mais je viens de
voir un JIlal:1de un peu plu s loin, e L COIIllne je passais
près de chez VOLIS, je me suis permis ...
- Vous avez bien fail; cc que j' e n dis n'est pas lin
r eproche.
Ils cousèl'en t ainsi pendant (ill elques minutes, puis
J,1(;ques remarqua:
- :'Il"· Fr n~ ' o i se a quitt é sn- chnise de repo s, aujourd'hlli 'l...
- Elle y étailit y a qllelqtH's jn ~ Lant
s a peine; elle
:J dn sc leve r pOlir f[lIre un pelit t.our. 1\lais descendez dOllr. jusql1':1tl petit bois, VOli S nllez la l'enCOIItre r, certninel1lenl.
Jneqll es descendit, tr:Jyersa le hoi s, et ne lTIanqu:J
pas de tlllcOLIvrir Françoise ct Pierre qui avaicnt t'ail'
do fort bien s'cntcndrc, assis et il demi cachés pal'
un cep h a ut et toullll.
En entendant ses pùs, il s Se Icvèrent, assez gênés.
Jacques nt quelqucs pas CI1<-OI'C et diL Ù FI'ançoise,
en affectant dc ne pJ S voir Picl'l'e :
- Ah! Mademoi5elle, je lie m'étonne plus, maintenant...
- Qu'cst-ce qui ne VOLIS étonne plus, Monsicur?
- Mais CIue VOLIS résistiez il ma recherche, ... à meS
:,vn nces ...
- Eh hien! Monsieur, je ne suis pas fâchée de
�JEUNES SE EN .FLEUn
101
l'avent ure: ce qu e vous voyez vou s èn appren d plus
qu'une lo ngue conver sation,
- Je compre nds, .. , je compre nds .. ,
- Mais, l\IonsieUl-, je s uis libre, dit Franço ise,
- Et s i vous ne compre niez pas, intervi nt Pierre,
qui conten nit mal sa colère, nous pourrio n s trouv er
de s argume nts qui achève raient de vous convai ncre,
Et ùéjù il serrait les poings,
- Des mennce s? releva Jacque s, • lais, Monsie ur,
je pourra is trouver à vos a rgumen ts des r épo nses tout
:lllssi CO ll va i ncnn tes .. ,
- C'est à voit'!. .. En tout cas, je n'adme ttrai pas
facilem ent que vous veniez vous interpo ser comme
vous le fait es entre l\Iadem oiselle ct moi, .. , ct je me
défen drai par Lou, les moyens ,
- Et moi, je vous répond rai, je vous le r épè te,
I)nl' des moyen s se mblnlJle s,
Déj!l les deux h0111111C S faisaien t un pas l'un vers
l'autr e, l a main t endu e pour ~e saisir,
FI'Hnç'oise se jeta entre les deux:
- Pas de scan(\n le, n'est-cc pas; je vo u s suppli e de
rester calmes !
.
- ,Je veux biell l'ester calme, dit PIerre, mais il
concliti on qne Mùnsic lIl' l'l'conn aisse qu 'i l vicllt !>c
jeter ici ù la tl':wcrs c de nos projets , ct qu'il disparaiss e,
- ,Je ne reconn ais ricn ùu tout, répond il Jacque s.
CJlIO la eolèl'e cOlTImcnçnit il :wrug lcl' ct qui Ile
v0ulnil
pa s uvoir l' air dc cédel',
Alors Pierrc slii sit Jacque s :lLIX rovcrs dc son veston, ct Jacque s ~ > étail
mis sur la déful1sive ct avait
pris, lui aussi, ulle altitude mcnaça nte, Franç'oi!>e
avait une pCLlI' épouva ntable, Qu'adv iendrai t-il si los
dcux jeunes gells en vcn~liet
aux mains? Que dirait
sa mèrc'l Elle IIC manqu erait pas d'en {':.tirc rclomb er
la faute SUI' Picrre ct en tirerait encore un argume nt
contrc lui,
Elle jeta les bras entre lcs deux, dans l'c spoir de
leu\' faire ItlChel' pri se, ct se tournai t tantôt vcrs l'un,
tanlôt vcrs l'autl c, cherch ant des paroles pOlit' les
ou llllcr; ça n'élait pa " Cacile, Cal' l'un cl l'antre 1Il0n-
�102
JEUNESSE EN FLEUR
traient une animosité froide et résolue, fermant des
poings menaçants:
- Allons, disait-elle, je vous en supplie, tous les
deux, re~z
calmes, ... reti rez-vous !... Faites ça POUl'
moi... Vous ne voulez pas me mettre dans un cl'uel
embarras ... Que dira-t-on ?... Et tout cela ne signifie
rien, ne mène à rien qu'à envenimer la situa tion ...
Allons, soyez raisonllables ... Tout cela est affaire il
llloi ... Taisez-vous, éloignez-vous; c'est avec chacun
de vous que je yetix remettre l'ordre et la vérité dans
celte question angoissante, avec chncun de vous,
posément, et non dans unc ntmosphère de colère et
de lutte ... Séparez-vous ...
Ils écoutnient en silence; mais leur animosité était
si vive qu'ils ~Ilendait
dans l'expectntive et qu'ils
ne f se lüchaienl pas. Alors, Françoise s'ad ressa ft
Pierre COlllllle étant celui sur lequel elle avait le p lu s
rl'influence :
- All o ns, P ierre. soyez rrlisol1nable el obéissezmoi: rentrez chez VOLIS ... Vous voyez bien C]ue je ne
cours aucun rlanger, con li l1un-t-elle en sOllrian t, je
VOLIS reverr:lÏ bientôt, je vous le promets. En allendant, n'oubliez pas ce que je vous ai dit cl soyez sü!'
que rien ne me fera changer.
Et comme il hésitait Cllcore, clIc ~Ijouta
:
- Vous voulez passer votre vic ù ["ire mOIl bonheur, comJ1lencez :i me prouvc]' <lue vous pouvez me
faire quelque sncl'iI1ce.
Alors, lenlement, comlne Ù regret, Piel'l'e l âcha le
vêtelllent de Jucques et fll trois ]las en arrièrc. Fran~'oisc
Ic remcrcia d'un sourire et lui serra la main.
Pierre s'éloigna. Elle s'adrcssa alors ù Jacques:
- l"lonsieur, lui dit-elle, le lJnsard vous a', livré
mon secret, mais loin de m ' Cil aflliger, je su is contente que vo.lIS soyez rcnseigné !'lUI' lIIes sentiments.
- Des sentim~
peuvent chnnger, essayn de rnccrocher J acques .
- Non, l\lonsieur, n'y comptez pas; je ne changerai IHlS; aussi, je ne peux que vous répéter les
pal'oe~
que je vous ai déjù dites: votre r 'cherche
me flalte beaucoup, Tnnis je ne peux pas y répondre ...
�JEUNES SE EN
FLEUn
103
J e r econ na is vos mériLes, je r econ n a is que c'est moi
qui a i tort e n r epo ussant votre demand e, mais, que
voul ez-vous! ôn ne se refa it pas ct on ne comma nde
pas à son cœur.
- J'espér ais, Madem oiselle, que, petit à petiL .. ,
balbuti ait J acques cn l'aj ustan t lc co l de son veston.
- Non, l\l01l si Clll', n'espér ez rien, et je vous le
r épète encore, je vous prie de consid érer mes paroles
comme définiti ves.
Jacque s resta quelqu es second es sans répond re; ils
avaient repris le chemin de la maison . Comme ils
allaien t sortir du petit hois, Franço ise ajouta :
- Quoi qu'il en soit, .Ionsicl lI', j'espèrc que VOliS
youdre z bicn Ile pas dire Ull mot de ce qui vicnt de
sc )lussc r ; cet i ncid ent ne regarde person ne, ct nous
ne pourrio ns, e n le répé tant, que nous créer des
embarr as hien inutiles , ct jc VOliS prierai , dc plus,
d'atlcnd l'e quelqu es jours avant dc rcvenir ; nOlis
a\'OIl~,
tOllS b esoin dc rctrouv er notrc ca lm e et de
réfléch ir ù la situatio n ... 11 vous sera facile de trouYer parmi \'OS occupa tions, Ull prétex te pO li!' excusc r
une absenc c d'une. semain e .
.• Indelll isclle, sou,; serez o]Jl'ie, t laissez- moi
VOliS expr imer une fo is tl· plus IllCS l'(·grcts ...
Mais l' J'an çoise fIL ([uelqu es pas plus rapidem ent;
ils ar rivai ent au perron .
- Eh hien! VOltS l'avez trou\' ée? s'écria 1\1"" né/lluzat, qui allenda it S UI' la ter ra sse.
J acq ues prit pl ace il côté d'elle et il s causère nt
ensclIlu lc, car Fnll1çoi!>c s'était remi se sur sa chaise
lon guc et, ferman t les yeux, elle fe ignit d' être fatiguée pour n'avoir pa s ù prendr e p art ù la conver sation. Mais Jacquc s ne s'attard a p:1 S; cet inciden t, la
prése nce de Pi e rre, jetaien t un jour nouvea u S Ul' la
si tu ation, ct il avait be soi n d'y rélléch ir longue mcnt.
Il saluu ces dume s ct partit.
Thérè se Lauris avait reçu la lettre de Franço ise .
au bon momen t; elle venait de passe l' trois semain es
�104
JEUNESSE EN FLEUR
a\'ec ses parents sur une petite plage de .Normandie;
elle recevait la lettre de son amie deu~
jours après
leur rentrée à Paris.
Un de ses premiers soins, dès son arrivée , avait
é té de revoir Deni se Beaumont.
- La pauvre petile, dit-elle à sa mère, elle est
restée au trava il pendant que nous étions ft la mer ...
Voilà trois sema ine s que je n e l' a i pas vue, je ne veux
pas tarder plus longtemps; je vais la chercher et je
l'amène dîlHlr avec nous, d'autant plus que je vais
l'abandonner encore pendant quelques jours, puisque
je m'en vais à Chftteallnellf, chez Françoise.
- A peine arrivée, tu repars? lui répondit sa mère.
- Maman, tu as HI la lettre rie Françoise; clic a
fait une chute d e chcva l; elle est immobilisée pour
quelques jours; je Ile peux pas la faire attendre.
- Bien, hien, 1110n enfant, va; je ne veux pas
l'empêcher de voir tes amies; va cherchel' Denise
pour dîner, el tu p~lI'iras
chez Frnnçoise quand tu
,"olalras.
Une heure après, Thl'rèse ramenait Denise ct l'emmenait c!nns sa chnm bre, cn nttel1clnnt que so n Pl·re
rentrûl et qu'on sc mil ù taLle. Den ise avait re ssenti
d'abonl une certaine gêne ù êt re invitée si so uv ent
1)al' son amie; mais Thérèse y metl:lit tant de bonne
gr:ke cl d'amitié tout e simple, ses parents tant de
sympathie pour la pauvre orpheline, qu'elle Sc se n tait aupr~s
d'eux cn cordiale nrrrclion.
- Tu comprends, di sa it Th(~rè
se,
je viens d'être
:lh~(,te
pendant trois sema ine s, je ne t'ni pas vue
pendant cc temp s-lit; je vais rep ar tir encore dans
clellx 011 trois jours; je ne pouvai s pns re s ter si longtemp s snns que tu viennes un p eu il ln maison.
- C'est chez Françoise Réllluzal que tu vas'l
- Oui. Voi!:\ Ml leUre. Quel dommoge que tu ne
pli~se
pas venir avec nous! Nous, Jes trois amies de
la pen sion , les tl'oi s insépa rable s.
Et pend nnt que D e ni ~e lisnit ln JeUre de Françoise,
Thérè se ajoutai! :
- Tu pourrai s bien avoir un congé ft la mai so n Ol!
lu travaille s?
�JEUNES SE EN
FLEUR
105
- Oh! oui. J'ai laissé d'abord prendre lcur congé
aux collègues qui étaient pressées, parce que moi, un peu plus tôt, un peu plus tard, ça m'était égal. .. Je
n'ai personne il voir; mais mon tour va venir.
- Figure-toi que j'ai dit il Françoise quc je t'avais
rcncontrée ... Si j'avhis su, je lui amais souillé l'idée
de t'inviter aussi.
- Oh! non, protesta Denise, non, je t'en prie!. ..
- Pourquoi? Au moins, tu aurais pu voir toimême si lc Châteauneuf de Françoise est bien le
mt'me que celui de ton docteur qui prétendait t'aimer
ct t'épouse r, et qui te délai sse si honteusement... Le
traître et le maladroit, qui n'a pas compris quelle
adorable petite femme il ::nll'ait eue avec toi ...
Le so uvcnir de SOli idylle ayec Jacqu es Pertuis
avait fait montcr les larmes aux ycux de Denise; et
cepcndant elle souriait û la Vivacité de son amie.
- C'est vrai, pour~ivat
'l'hé ri'se,il y a des gens
qui frôlent Je bonheur et qui nc savent pas le sa isir;
011 le leur scrvirait Mir un plat d'argent qu'ils sc
détourneraient. .. Mais jc ne le tiens pas (Juitte .. , J'ai
noté lc n0111 Jacques Chapui:i,... Dupuis, ... Biscuit ... ,
je nc sais plus bien,
- Pertuis, dit Dellisc en riant.
- Bon; mais c'est 1I0té, te dis-jc, ct je saurai bicn ...
Doctcur' Ù ChiltcallJ1euf ... TI ne doit pas y cn avoir
hC;IUCOllP, et quand J/lC:mc, jc trouvcrai bicn, et mêmc
s'il faut faire semblant d'C:tl c IlHllade pour lc voir, jc
le "errai, el si j'cn tl'OU'oC l'occasion, jc ne l1lanquenlÎ pHS dc fnire allusion ù volrc hhloi rc ...
_ Non, 110n, dit vivcmcnt Denisc, ne dis rien, jc
t'Cil prieL
_ Ça nc 1>crail pAS difficile; si je pcux causer avec
lui, jc lui glisscrni négliF(cmment quc j'ai à Paris unc
amie <lui s'appellc Dcni1>c Bcaumont: ça sCCOuera
Un peu ses rC1Jlod
~;,
ct jc vCl'rai bien la têtc qu'il
l'el"n.
_ Non, répéta Deni sc; tout cela scrait bicn inutile; c't,~
llIrC nfl'nirc qlli est ilnie, lc micux est de
tout oublier.
- Tu as raison, Denisc, oublic loi-même, puisque
�106
JEUNESSE EN FLEUR
.u estimes que tout est fini; mais moi, même sans te
,nommer, je m'informerai du bonhomme qui te connai ssa is, qui t'a juré amour et fidélité et qui a
méconnu son bonheur.
La mère de Thérè se clôtura l'entretien el1
appelant:
- A table, mes enfants!
Pendant le c1îner, Thérè se s'in gén ia à distraire son
amie dont ces souvenirs avaient assombri les traits;
elle y parvint, et le rep as fut assez gai.
Comme d' h a bitude, Deriise ne se relira pas trop
. tard. Thérèse, en l'embrassan t, lui dit :
- Dès que je serai arrivée, 110U S t'écriron s, Françoise et moi ...
- Mais oui, je senti trè s contente d'avoir de ses
nouvelles et des lienn es. Amusez-vous bien, promenez-vous. Je vous souhaite du b,eau telllps; profitez-en!
- Et il bientôt! Dès mon retour, tu viendras passer une soirée avec nous.
Trois jours après, Françoise allait avec son oncle
Victor allendre Thérèse il la gare. JJ eureuses de se
retrouver, les Leux amies s'embrassèrent:
- COInllle je sui s contente que tll soh yenue!
s'écriait Françoise. Je te tiens et je te garde 101114temn s 1
- Mais oui, mais oui, nccordait Thérèse; il y a
longtemps que nOliS ne nOLIs som llles vues, et nous
avons tellement de choses il nous dire!
Ln soirée fut consacrée ù son installation.
Le lendemain matin, Pierre vint voir l'oncle Vic101' pOUl' une machine agricole; Françoise l'entendit
ct dc !>ce ndil, comme pal' hasard. Sa mère était occupée dans sn chambre. Elle pul accompagner Pierrc,
lorsqu'il partit, jusqu'au pelit bois.
- Voire amie est anivée? demanda Pierre.
- Oui, elle esl arrivée hier soir. Elle sc repose de
son voyage, oc malin.
�JEUNESSE EN
FLEUR
107
Je YOUS verrai donc encore moins, ces jours-ci?
Au contraire, Pierre. Vous pensez bien que je
vais mettre tout de suite mon amie dans nos confidences; et nous irons nous promener toutes les deux,
,et rien ne vous empêchera de venir nous r.ejoindre.
- En effet, c'est une bonne idée ... Mais, l'autre, ...
M. Jacques Pertuis?
- Après l'algarade de l'autre jour, je l'ai prié de
rester une sema ine sans venir, et en effet, je ne l'ai
Vll qu'une fois et très bri èvement.
- Enfin, tant mieux ... Mais ce n'est pas encore
une solution ...
- Elle viendra, la solution, Pierre, elle viendra;
ne so~rez
ni soucieux, ni impatient; la situation est
pénible; mais nous avons un grand espoir': c'est
notre amour qui est immuable.
Pierre eut un élan vers elle, comme chaque fois
qu'elle lui rappelait la constance de leur tendresse;
il pressait ses petites mains dans les sien nes :
- Oui, Françoise, VOliS' êtes mon seul espoir, mon
impé['issable tendre sse ...
Elle se dégageait ct se sa ll\'ail.
Elle trouva Thérèse qui déjeunait dan s la salle il
manger.
- Déjà dehout!
- l'lIais oui; si je suis quelques jours ù ]a camJla
~nc,
je yeux en proJlter. C'est le matin qu'il fait
bon.
- Eh bien! si tu veux, nvant que le soleil ne sail
Irop chaud, nous allons faire le loul' du jardin et de
la pelouse.
Elles partirent en bavardant. bras dessus, bras
dessous. Françoise fil il son amie les honneurs de
ln partie du domaine la plus proche de ]u mai son;
elle lui montra Trompette en passant.
- Le coupable de ton ncciden t ?
- Oui. Et je ne sais COlllmcllt cela s'est fail, ou
plutôt, si, je Je sais: c'est moi la coupable; j'étais
en colère, je l'ai cinglé; il n'a pns accepté la correction ((u'il n'avait pas méritée et il ~'est
emballé.
- Et pourquoi étuis-tu en colère?
�108
JEUNESSE EN FLEUR
Ça, c'cst toutc une histoire que je te raconterai
au rcpos, ce soir ...
Elles arrivaient au petit bois, le traycrsèrent et
rencontrèrcnt l'oncle Victor; il les ftt avancer jusqu'à sa vignc, son orgueil, où les raisins mûrissaient.
Thérèse le complimenta.
- Il faut rester avec nous jusqu'aux venda nges,
lui dit-il; vous verrcz commc c'cst intércssant. Et
vous goûterez lc vin nouveau.
- Pourquoi pas? appuya Fmnçoise.
- Cela me parait bien loin; maman me réclamera.
Ils l'cmOlllérent vcrs la maison. L'heure du déjeu11(' r npprochait; ellcs 0 rfrircnt leurs services à
Ma riclle et mirent le couvcrt. « Cela sicd bien aux
flUes. l>
Après le déjeuncr, ellcs s'installèrent sur la lerrassc, un pcu ù l'écart, cl commcncèrent ù dévider
leurs souvcnirs : lcs dames Dubois, Ics deux sœurs,
cellc ([ui dirigeait les éludcs ct ccllc qui dirigeail Je
pcnsionnat, ... ct lcs profcsscurs, ... lc vicux profcssclll'
de mu siquc :\ qui clics fais-aicnl tnnt dc niches inoffcnsivc s, ... ct lcs c:1mnrndes que ln vie :1vait dispcrsées ... POlit" dcux ou trois qu'elles n'avaicnt pns pcl"
ducs de vue, combien d'autrcs qui étaient J):Jrt ic,
cll:1cunc de lcur côté ct qu'clics nc rcvcrr:1icnt p[m;,
sauf un hnsan[ cxccptionncl?
Et Thérèsc s'êcrill
- .le t'ni ~cril
que j'll\'ais rcncontré Dcnise
Beaulllont?
Chère Dcnise, comment l'as-tu trollvée?
Toujours ln mêmc, quoiquc plus tristc cl bien
jolic clans sa petite robc noire.
C,ommc jc la l'cvcrrilis volonticrs!
Ellc m'a raconlé pourCIuoi clIc avait qu illé
hrusqucmcnl ln pension,... Lous scs malheurs, la
ruinc cie son père, puis sn 1I10rt, suivic peu dc temps
après par' la mort de sa mère ...
- Pauvre H1nic!. .. Pourquoi lc malheur, Lous ces
malheurs ont-ils accablé cellc pauvre fIllc, faiblc et
charmunte?
- Alors clIc fi lout vendu, Ile gardunt que scs
�JEUNESSE EN FLEUR
109
chers souvenirs; elle est allée à Paris et a cherché
une place pour gagner sa vie.
- Elle a montré beaucoup d'énergie; d'autres se
seraient abandonnées à un chagrin stérile et déprimant. Et elle a trouvé une place?
- Oui, à la jibra{rie H8chelte; c'est en pass8nt
boulevard Saint-Germain ct comme elle en, sort~li
t
que je l'ai rencontrée, un soir'. Je l'ai tout de sui te
emmenée dîner à la maison, et depuis elle revient
une fois par semaine.
- Comme tu 8S bien fait! C'est toujours un soir
où elle n'est p8S seule. Mais pourquoi n'a-t-elle p:1S
écrit '?
- Par discrétion, par fausse pudeur, pour ne pas
étalcr so n infOllul1c devan l ses anciennes c8m8l':1dcs
restées riches ct heureuses.
- Mais c'est biell mal 1l0U
~ conn8Ïlre; ce n'est
pas parce que notre amie 8 élé frappée pal' l'infortune que notre amitié en lUirait été diminuée.
- Oh! non, cc n'est pas qu'elle ait craint que son
infortun e nous niL l'Ioignées d'elles, non, ce n'est ]J:1S
ça: c'est plutôt lin :,entiment personnel, lIne sorte de
crainte, de fierté un peu ombrageuse de ne pas vouloir sc montrer clans un état d'infériol'Ïté ù ses
anciennes c:ul18rudes dont elle :wait été l'égale, ... ct
peut-être aussi de ne ]las vouloir leur in sp ircr de la
pitié.
- Oui, oui, je ln comprends un pcu, accorda b'ançoisc; mais, en revanche, notre amili'é lui nur8it certainement apporté quelque soulagell1ent.
- Elle cn aurait cu bien besoin; cnr, figure-toi, ellc
a é~
dc plus victime d'unc a\'cntuJ'e qui n'est cc l'les
llas comparuble à ses précédents malhclll's, mais qui
lui a tout de même causé lin gros chagrin.
- ?,we lui cst-il encore arrivé, il cette pauvrc
pet ile l
- Elle n f.ait la connaissancc, pal' je ne sais quel
hasard, un voisin de tablc au rcstaurant, je crois,
d'un étudianl en médccine qui en était à sa dernièrc
onnée, c'est-à-dire qu'il allait être docteur; ils sc renContraient assez souvent, ct Ce jeune homme s'est pris
�110
JEUNESSE EN FLEUR
d'un amour assez vif pour Denise, du mcins à ce
qu'il lui disait.
- - Ça ne m'étonne pas, elle est assez jolie pour
cela. Et elle?
- Elle? Eh bien! à force de le voir et de l'entendre, elle s'est mise à l'aimer aussi ... Toute seule
et sans aucune affection. elle ne pouvait que rendre
sa tendresse à ce brave garçon qui lui jurait qu'il
l'aimait et lui 0 ffrait de partager sa vie.
- C'était une famille qu ' elle trouyoit, dit Françoise.
- Justement, poursuivit Thérèse, la pauvre petite
isolée n'était plus isoJée, elle avait ulle affection, un
appui, sa "ie avait un but; ct pui~
, il parait que c'était
un charmant garçon qui se montrait très attentif,
dé\'oué, sincère ... A leurs heure s de liberté, ils faisaient quelques promenades ensemble, ils allaient au
spectacle; il la fln de l'année iJ serait docteur, il irait
s'installer dans son pays, il parlerait de Denise à sc .
parent s, il leur assurerait ~on
intention (le se marie/'
avec elle, il J::, ferait venir, ct ce sernit Je bonheur.
- Un beau pl'ogl'nmme ...
- Oui, objecta Thérè se , 1l1[lis tu vas voir. Et ici,
tu vas peul-être éclnircir la situation. Cc pays où ce
jeunc docteur s'installe el devait faire venir Deni se
POIII' l'épouser s'nppelle Ch~leanuf.
Fr
:l I1~'oise
devint livide:
- Que dis-tu? c\l'lllllIHIn-t-cllc d'une voix snns
timbre. Comment dis-lu'? ....J'ni bien entendu? ...
- Chflteaunellf, répéta Thérèse; je sais bien qu'il
y a beaucoup <le Ch:îtenulleuf en France, mais tu
pOllI'I'as nOlis J'enseigner et nOLIS dire s'il y a un j une
docteur installé dnns ton ChÎlte:lIInellf ù toi depuis
peu de tem[ls?
Françoise, que cette 11011\'elle nvnit un peu stupéDée, rcprenait ses esprits. bondissait vcrs son amie
ct la prennit aux épaules:
- Son nom?.. Sois-tu son nom'? Dis-moi vile son
nom !...
- Je ]e sais, oui... S.i je me rappelle bIen ...
J'Icqucs ..., Jacques Chopuis ... , Dupuls ...
�JEUNESSE EN FLEUR
111
- Pertuis, rectifia Françoise, Jacques Pertuis ...
- Oui, il me semble biçn que c'est ça. Mais attends,
j'ai noté le nom exact sur un calepin qu i est dans
1110n sac, dans ma chambre; je vai s le chercher.
Elle s'éloigna rapidement, et Françoise retomba
sur sa chaise. Elle se cacha le visage dans ses mains,
des pensées tumultueuses la faisaient trembler. ..
QlIelle histoire, quelle coïncidence étrange!. .. Jacque s,
son prétendant... Denise, so n amie; cnr c'était lui,
. c'était certainement lui... Tant de choses concordaient, et son 110m ... elle ne voyait pas encore très
hien toutes les conséquences que celle révélation
allait apporter dans son hi sto ire, mais elle allrlit en
apporter certainement, eL peuL-être de déci i"es ... Et
elle riait et elle pleurait Lout ù la fois.
Thérèse, en redescendant, la trouva dans cet état
d'exaltation :
- C'esl bien ç'a! (lit-elle cn lui tendant un papier,
Jacques Pertuis! ... !\lais qu'est-cc que tu as? ... Tu
]ll eures? ..
Fl'ançoise lui Hl signe de la main comme pour
del 'lander ql1~ues
instants de répit; dans le silence,
elle rcprit l'Yeu Ü peu ses esprits et enfln répondit:
- Ecoute, il se rencontre ici de s circonstances
extr:lOrdinaires; je vais t01\t le dire, mais auparavunt, terllline l'histoire de Denise. Son jeune docteur
IH.lI'li, ([u'e st-il arrivé?
- Il est donc parti, compléta Thért'se, en lui
jurant qu' il l'nimerail toujours, qu'il ne l'oubliernit
, jamais, ct <Ille, dès ([u'il aurnil pnrl6 il ses Il:lI'OJ1t8,
clic viCllclrnil le re.ioindre pour ICllr nHlI'jagc. Lcs
Ill'emier s temps, il écrivit assez souvent des lellres
très longues cl tl'ès lcndres. Le honhclIl' continuait.
Puis, peu ù peu, les lellres se J1rent plus rares, moins
longnes ct moins tenùres; puis elles s'espacèrcnt de
)llus en plus, et enfln cessèrcnt tout à fait; et Denise
n'en a pus reçu depuis si longtcmps qu'clic considère
cclle a/raire-là commc terminée. Et c'est lin chagrin
de plus.
Il y eut un silencc; Françoise réfléchissait. Thérèsc ajouta:
�112
JEUNESSE EN FLEUR
- Je lui ai dit que, puisque je venais te voir ù Châ t eauneuf, je m'assurerais si- ton Châteauneuf étai t
bien celui de son docteur, et que je m'informerais
de lui; mais clle m'a bien défendu, 'si je le voyais, de
prononcer son nom et de faire un e allusion à cette
aventure qu'elle considère, te dis-je, comme terminée .
- Nous allons voir, murmura Françoise; et eHe
retomba daus ses réflexions.
Puis, après un moment de si lence, elle reprit :
- Après l'hi5tùire de Denise, yoici la mien ne .
Nous ayons ici un voisin, Pierre, qui a été mon camarade c!'cnl'nncc et de jellnesse; avec les années,
celle affection est devenue de l'amour ...
Et ell e dit :1 son amie cet amour immuable qui les
aUachait l'un il l'antre pOUf la vie; mais, au moment
où ils pouvaient songer il se marier, avait surgi le
docteur Jncques Pertuis qui avait ùemandé sa main;
01' sn mère dédnignait un peu Pierrc, qui était rcsté
propriétaire-pnysan, ct fut flaltec de la demande du
jeune docteur; aussi clic voulait l'imposer ù Frnnçoise, qui ne "oulait pns en entendre pnrler cl reslnit attachée il PielTc. Ni l'une ni l'autrc nc ,"olllait
céder. Les choses en étaienl là el mennçaient de s'envenimel·. Déjù nvaicnl éclaté que!cjues scènes
pénibles.
!\fais l'histoire <le Denise :lpportail <les é.lérncllts
nou veaux; il fallait voir quel parti elles pOli-r raienl
en Lirer.
- Ca, pnr exclI1 pIc, c'cst \"J'aimcnt cxlraord i na i~'e!
disait Thérèse.
- Sa ns doutc. Et voici comment j'explique ce qui
s'est passé dans l' 'sprit dc JneCJucs Pertuis; peulêtre élnil-il sincère quand il disait il Denise qu'il
l'nimait cl qu'il voulnit l' épouser; mais, en nrrivant ù
Châteauneuf, il s'est heurté il l'opposition de ses
paren ts; il est venu ici, ;\ la MéslIngère, avec so n
père; il m'a vue; je ne lui aurais ))cul-êlrc pas fnit
oublier Denise; ln:lis son père :1I1rn fnit ressortir tOIlS
le s avantages d'un maringe aVeC moi; nu lieu d'épouser une petile qui vcnnH on ne sava it d'où cll qui
�JEUNESSE EN FLEUR
113
n'avait rien, il entrait dans un~
famille assez riche
ct bien établie dans le pays, ce qui était très précieux
pour un jeune docteur .. Et Jacques, peu à peu, s'était
laissé gagner; les lettres à Denise étaient devnu
~
plus rares et avaient même cessé tout à fait, tandi~
qu'il venait ici "pour essayer, avec l'appui de ma
mère, de me décider il ce mnriage. Voilà, je pense,
ce qui est arrivé.
- C'est probable, approuva Thérèse; mais mainlenant, Cjue comptes-tll faire?
- Je ne sais pas bien encore; je te dirai seulement
qu'auparavant, je ne voulais pas épouser Jacque~
Pertuis, et maintenant que je connais son histoire
avec Denise, bien 1I10ins encore!
L'effervescence que cette nouvelle avait causée i:
Fl"rlllçoise s'ét~li
apaisfe; ct c'est d'une façon très
calme, très froide qu'elle réfléchissait; il fallait agir
trc's prudemment et tirer lout le profit possible de
celte situation nouvelle.
l\l'no TIéml1zat, qui en avait fini nvec les soins de la
maison, était venue s'asseoir non loin des jeunes
mIes. Sn présence mettait fin ù leurs confidences;
elles avaient un 1I1oyen hien simple de sc retrouver
seules: c'étnit de partir en promenade; mais lhançoise ne voulut pas s'éloigner juste au moment où sa
Ill('re venait les rejoindre. Elles enusèrent toutes les
trois; 1\1"'" TIémuznt, très aimalJlc, espérait que Thérèse
se plairait ù la Mésnngère ct qu'clic y l'esterait longtemps; Françoise s'y Irouvnit souvent bien seule, ct
ln présence de son nmie lui :tppol'lait une précieuse
di,·crsion. Françoise approuvait et Thérèse rcmerciait.
L'oncle VictoI' passa
- Eh bien! ln jeunesse, s'écl'in-I-il, il commence
il faire moins ch:ll1d, "enez-vous avec moi fa.ire un
tOUI' dnns les vigne~?
Les rai!>ins Ile sont pas encore
1J1.el1 mürs, mais VOIlS ferez tOlljours lIne promenade.
Les deux jeunes fllles se levèrent.
- Passez devant, ajoutn l'oncle, je vais prendre
mon sécateur ct je VOLIS rejoins.
�JEUNESSE EN
FLEUR
Elles descendirent le perron et se dirigèrent vers
le petit bois.
- Je crois que j'ai Ulle idée, dit Françoise à son
amie, dès que personne ne puL les entendre, oui, une
idée que je crois .bonne; mais auparavant, je veux
tout dire Ù mon oncle; c'esL un hmve homme, de bon
::onseil, qui m'aime beaucoup, qui nous approuve,
~ )ier
et moi, (fui esL d'accord avec nous ct qui est
" 'out prêt à nous aider; d'ailleurs, nOllS aurons besoin
le lui.
En sortant du petit hois, elles virent Pierre, là-bas,
lui était aux agnets, dans l'espoir de les rencontre r.
,'rançoise entraîna Thérèse vers lui ct préscnta l'ul1
i l'autre son amie eL SO\1 fiancé, pas officiel encore,
nais choisi par son cœur.
L'oncle les rcjoignait. Pierre faisaiL mine de sc
·clirer.
- Restez avec nous, lui dit Françoise; nous allons
10 US éloigncr dans la vigne, cL lil-bas, llOUS nous
n 'isié rons sur le talus, loin de LOllte oreille indiscrèLe,
l je VallS dirai un secret que je crois assez intéresanL. .. Vous entendez mon oncle, poursuivit-elle, j'ai
'es confidences il vom faire cL Lill grand service à
OllS demander.
- Tu me fais trembler, 1~ :0 I1 cnfanL, répondit-il
~ Il riant.
- Tremblez, mon oncle. mais je suis süre que vous
"\e rcfl~et'z
pas ù voLre chl're cL unique nièce, quand
\'OUS J1leSurerez l'importance rie ln démarche ft faire.
- .J'écoulcl"ni, répondit-il Cil rianL encore, ll1r1is je
,IC m'engage ft rien.
Tout Cil purlant," ils étaient arrivés au bout cle la
vigne. Il y :1Vait là lin talus herheux; ils s'y assirent.
VOliS n'êtes pas de trop, Pierre, dit-elle Cil surpl'cllnnL lIne lIésitaLiol1.
Puis elle comJJlcnça Ù leur I"[\conter l'histoire
rllt'cllc ,"enait d'apprendre dc son nmie Thérèse:
l'existence de leur umie Denise. ses malheurs qui
'avaient mise dans )'obl~aLin
de gngner sa vic, sa
'encontre il Paris d'ull étudiant en médecine qui
~.'étai
pris d'amour pour elle ct Je serment qu'il lui
�JEUNESSE EN
FLEUR
115
avait fait de l'épouser dès qu'il serait installé à Châteauneuf, car cet étudiant n'était autre que M. Jacques
Pertuis.
A ce nom, Pierre s'exclama, si profondément impressionné quc les mots ne lui venaient pas pour
exprimer sa stupéfaction:
- .Mais alors, ... mais alors, ... qu'en pensez-vous, ...
et votre amie? ...
L'oncle Victor manifestait moins vivement sa surprise; mais il réfléchissait à cclte coïncidence étrange
ct à la tournure que pouvaicnt p.:endre les événements.
-- Ainsi, disait-il, 1\1. Jacques Pertuis se serait engagé cnvers UIlC jeune fille qui est restée à Paris?
- Oui, mon oncle, engagé par des promesses formelles et des serments de J'aimer toujours et de ne
l'oublier jamais.
- Et cette jeune fllie est votre amie?
- Une amie charmante: Thérèse, l'Ile, Denise, ct
moi, nous étions lin trio inséparable. En la quittant,
M. Jacques Pertu is lui a promis de la faire venir à
Chùlci!uneuf et de l'épouser.
- Et il est en train de l'oublier pour demander
la main. En vois-tu la raison?
- Mon oncle, je n'en vois qu'une: c'est que j'ai
une situation de fortulle assez bien établie, tandis que
Celle pauvre Dcnise n'a que son charme ... Il est vrai
qu'clJe est délideuscmcn t dOllce, dél icate ct jolie ...
Certainement 1\1. JaeC]ues Pertuis la regretle-t-il cl
l'ailllc-t-il toujoul's; mais sans doule préfèl'c-t-il encore entl'el' il la l\lésnngèl'e en~
qualité de gendre.
Pierrc écoutait; ùes pensées tumultueuses'· roulaient dans sa tête et il n'arrivait ni à les fixer, ni à
ess:lyer de comprendre cc qui pouvail aITivcJ'; mais
il ét:üt ce1'tnin que cette découvcrte nUait bouleverser
la situation.
F l'ançoise, Théri.'se cl J'oncle rél1échissaienl. Il dit
enfin:
- Et alors, Fronçoise, CJue penses-Ill de lout cela?
Quel changemcnt celle l'encontre peut-clIc npPo1'ler? .. ,
- Mon oncle, intcrrompit Fronçoise, nous sommes
�116
JE~NS
EN
FL~UR
ici quatre dans le secret, à réfléchir, à nous interroger, mais il en manque un e ci nquième, q ui est, avec
Pierre et moi, ]a principale intéressée: c'est Denise
elle-même .
- Eh bien! il faut lui éc rire ...
Un échange de leltres, ce se ra long et incertain.
- Ecris-lui pour l'inviter.
- Elle viendra ou elle ne viendr a pas; ell e est il
]a fois fière et timide; en ]a qù ilt ant, Thérèse lui a
dit que, puisqu'elle venait à Châteauneuf, elle all ait
s'informer du docteur Jacqucs Pertuis, et 'Denise l'a
pl'lée cie ne pas remuer cc lt e affairc, ou tout au moins
ùe ne pas prononcer son nom: elle s'c méfiera et ne
v icndra pas.
- Alors?
- Alors, il n')' a qu'une chose il faire: c'est d'aller
]a chercher.
- y penses-tu?
- Oui, mon oncle, et très sérieusemen t ... Et il n'y
a que vous qui puissiez y ::lIler.
- Moi! Pur exemple!
- Vous ct vous seul, mon von petit oncle ... Vous
allez inventer un pré tex te, vous direz que votre ami
Ponlillanl est très malade et veu t vous yoir, ou bien
qu'il y a en ce J1JOmer.t un e exposition de machines
agricoles que vous voulez vi siler ... Vous verrez Deni se, vous lui dire z que vous passez tro is jours il
Paris ... C'est le moment où le s employés ti ans les
administra ti ons ont leur congé. Vous lui direz que
Thérèse passe quinze jou!":; il la l\1ésangère auprès de
moi, ct pui sque nous avo ns cu le bonheur de la retrouver, nOll S voulons qu'e ll e vienne aussi poUl'
r eco nstituer .Ie trio d'amies que nous éli ons il la pensio n Dub ois.
- J e te lni sse aIlcr, je te laisse dire ...
- Oui, 1I10n bon petit on le, vous nllcz faire ça
pour mol... Songez que vous n'avez qu'ulle nièce et
que c'est moi, ct que mon bonheur est en jeu ... El
puis, un voyage ù Paris, çn ne se ra pas désagréable ...
Il n'y a pas de tra va ux. en cc moment... D'ailleurs, si
q uelque chose n'allait pus, Pierre est là ...
�JEUNESSE EN FLEUR
117
Certainement, monsieur Victor, appuya Pierre,
soyez tranquille, je veillerai à tout.
- Vous voyez bien, mon oncle! Vous verrez Denise, vous serez éloquent, vous la déciderez sans lui
parler de Jacques Pertuis, bien entendu; vous direz
simplement que Thérèse et moi, nous l'attendons ...
Nous vous avons donné la consigne stricte de nous
la ramener, et VOLIS nous la ramènerez, n'est-ce pas,
mon bon petit oncle? ..
L'oncle Victor n'objectait plus rien; il était très
ému; les oncles ne sont-ils pas faits pour exnucer les
volontés de leurs nièces? Et celte démorche pouvnit
avoir des eonsé([uences nssez heureuses pour qu'lI
ne se fît pos prier plus longtemps.
- Et quand faut-il que je parte? demancla-t-il.
- Ne pensez-vous pas <[ue le plus tôt serait le
; mieux'l
Ils se levaient ct s'en revenaient lentement. Au
petit bois, Pierre les quitta.
-- Courage cL espoir, Pierre! lui dit Françoise en
, lui serrnnL les mains.
- Bon voyage, mon s ieur Victor! dit-il il l'oncle.
- Tu te moques de moi, répondit l'oncle en riant,
mais je te reyaudrai ça!
Ils rentrèrent Cil silellcc, ch " cun r(·néchi ss::1nt aux
événel11e n ts.
Le soir mêmc, nu dîner, l'oncle flnl10nçn son
Voyage: sur un journal agricole que lui flv.lit montré
Pierre, 011 donnait la description d'ull nouveau pressoir :'t m ,isins; il vonlnit sc rendre cOlllpte; si le rendemenL était vraiment supérieur, il l'achèLerait pour
les vendanges prochaines ... EL puis il y avait longtemps qu'il n'nvniL pas fnit un lour :'t Paris, et son
(lIni Pontilh1l'd qui l'invitait depuis <les (Innées ...
M"'· Hénlllzat le regardait Cil silence ct dit enlin :
- En voilà ulle idée qui Le prend tout il coup?
- Pourquoi pas? Il Il'y a rien ù faire en ce mol11ent 'Sur ln ]lropriété; je profite de celle période
CI'euse Dour aller ftllre un Lout'. Nous Ile bougeons
jamais ... Ca me dégomdira 1111 pell ... Je partirai de.
lUuin soir.
/
�118
JEUNESSE EN FLEUR
Eh bien! mon oncle, dit Françoise en tremblant
un peu, puisque tu vils à Paris, tu serais bien gentil
de voir notre amie Denise Beaumont, que Thérèse a
retrouvée; maman voudra bien que je l'invite à passer quelques jours avec nous... Nous étions, trois
amies inséparables à la pension... Elle est si
malheureuse; ça lui fera du bien de passer quelques
jours à la campagne ... Tu veux bien, n'est-cc pas.
maman? Ça sc ra unc bonne action ...
- Mais ccrtainement, dit j'lIme Rémuzat.
- Tu la ramènerais avec toi, n'est-cc pas, mon
oncle?
- Très volontiers ...
Une joie indiciblc faisait battrc le cœur de Françoise; déjà un plan admirable se dessinait dans son
esprit, un projet qui allait LouL remettre en place et
l'épandrc le' bonhcur sur tous lcs acteurs de ce petit
drame. Le soir, nvant de sc séparer, elle en parla
longuement avcc Thérèsc, ct elles réglèrenL les détails
comme si les événemcnts 'd cvaient leur ohéir. Et
pourquoi pas? En sommc, Jc dénouemcnt qu'clics
voulaicnt donner à l'avcnturc n'était pas ~i déraisonnablc ni si invraiscmblnhle que cela!
Le lendcmain, el('~
(IOl1lll:rcnt ù l'onclc Victor Lous
les renseignemcnts pOlll' trouver Denisc. EL Francoi sc lui rèpétnit :
ALI moin s, mon oncle, rall1enez-ln,... fnites
l'i l1po ssible pOlir la ramener ...
QUl1nd il fuL parti, ](os (lPlIX :llllies vécurent plus
auprès dc lui Cil inwgilwLion qu'cil rénliLé à la Mésangl'r : cr MaintenanL, il alTivc ... » EL Je Icndeml1in
so!r: .. M~lintca,
il doit sc prépMer pour nllcr la
voir ... MainLcnant, ils causenL cnsemble ... Elle va
d'abord rcfl~
... Pourvu qu'eilc nc soiL pas déjù
partic en congé!. .. Mais 110n; où ii-ait-elle, Ja pauvre
pelite? elle n'a pcrsonne ... Pourvu qu'il réussisse ù
la convaincre cL il ln l'nlllenel'! ... ~
Le soir, clics partaient cn jl['omcnaclc; Pierre les
rcjoignait, et les supposiLions l'ecollllllencaient.
Ccpcndant, l'oncle Victor avaiL fneilement trouvé
Denise; il lui dit d'abord qu'il éLaiL l'oncle de son
�JEUNESSE EN FLEUR
119
amie Fran çoise, que leur autre amie Thérèse était
auprès d'elle à la Mésangère et qu'elles seraien t heur euses si Denise voulait venir passer quelques jours
auprès d'elles. Elle balbutia:
- Mais, Monsieur, je ne sais pas ... Vraiment, ... ce
n'e st guère possible.
Pourquoi? \'o us devez :1\'oir droit à un congé ?
Oui, il comme nce la semaine prochaine.
Eh bien! nous sommes jeudi.
Vraiment, je n'ose pas, dit-elle encore .
Mademoiselle, je ne vous écoute plus; vous
n'avez aucune raison de refuser; Vos amies YOUS
attendent; elles m'ont donné ordre de vous ramener;
yous ne voudriez pas qu'elles me fassent une scène
pOlir nvoir écho ué dans mon ambassade? Et où iriezvou s passer yotre congé? I ci, ù Paris, sans changer
d'air, sans aller :l la ca mpagne? ... Non, non . Vous
serez mieux Ù la i\fésallgère. Donc, je vous emmène
ct je dresse le programll1e : nou:> somllle" jeudi; demain, vous failes vos préparatifs. cc Ile scra pas long,
et vous me l'a il es Je plaisir dc déjeuner a\'ec moi. ct
smnedi, nous parlons. Voilù qui es l cntendll, et je vais
télégraphier notre arrivée il \'os hlllic:, qui vont sautel' de joi .
En cn'ct. quand elles reçurent le télégramme. Thérè se ct Françoisc su rtout. qui é tait l a principale intéressée, Cil ressentirent lIne émotion profonde. La
nrem ière partie du programme sc réalisa it, ct c'était
ce lle crui était dout euse ct in ce rtai ne. Alors il n'y
u\'ait pas de rai so n p our que la suite ne sc dél'ou[[ll
n us COlllllle les deux nJ11ies Cil avaient établi la
Ill arc he. Elles Cil narlaie nt ct cn repnrl:licllt, fix unt un
dét a i.l, précisant un point qui n'était pu s trè s net; si
cli c vient, ... ct si elle n e vient p as ...
Le télégra mme de l'oncle Victor mil fin à leur inquiétude. Elles le r eç urent ù l' hcure du déjeuner; aussitôt après, elles s'e n allèrent vers le petit boi s. Pierre
était déj à ù son poste. Dè s qu'c li c le vil, Françoise
agita le papier bleu; elle ne voulut pas crier de loin;
luais qlJ und jls se fUl'ent rapproché s, elle lui dit :
Boune nouvelle, Pierre! Espoir, courage,
�120
JEUNESSE EN
FLEUR
palience! Denise a accepté de ve nir; elle sera là avec
mon oncle demain so ir. .. Ce premiel' point était le
plus in cer lai n et il est acq uis; le r este ira bien, vous
verrez ...
Il s firent un e lon gue promenade tou s le s lrois en
parlanl de l'évé neme nt et en l'examinant so us toules
ses faces.
Le lendema in , elle s se dem a nd èr ent si elles iraient
il la gare ; il leu r larda it d'embrasser leur amie, et
Franç'oise était tellement imp a ti ent e de la voir, d'être
süre qu'elle était lit; mais, d'a utre part, se livrer à
leurs eff usio ns, il leu rs embrassades clnlls une ga re,
uttirer l'allen tion des gen s qui se r a ient là, cela comportait quclque imprudencc. E t e ll es se contentèrent
dc gue tter l'arrivée des voyageuJ's du hout du chemin
de la l\fé sangère .
Quand Fra nçoisc vit Denise aux cô té s dc so n oncle
qui pC'l'tait sa petile vali~e,
cllc cou rut vers clic cl l a
P l' il dans ses bnls comme )1 0 111' l'cmpêcher de
s'éc happcr :
- Denise!
- Fr.ulç'oise!
- COl11l11e je sui s COli tenle de le revoir !.. . Depuis
'Ille III as qlllLlé la peH "io ll ...
r e ferez conn ais- Allons, intC'!'vil,l l'olôcle, VOl~
so mme !> fnligl:és du voyagc
s,wcc ù l a mail>on; nO \f~
(;[ il nou s larde de dîller.
Le s conve rsa tion s commencèrent :\ lable; le s so uvI'nirs, les confidences cl les « Lu te ;,ouvie ns :I-.
J'lmdanl une arcnlmie, M'''' Rémllz:ll dcmunda }l so n
!rère :
- Eh bien! cc pressoir'i
- Pcull! dédai gna J'oncle, rien de bien extrao rdinaire.
- De sorte que lu ns mil un vOyAgc inutile.
- Qui sn it! Les voyages faim 'nl lA jeune sse .
Le s jcunc s fille s éclntèrenl de rire, cl ln converSAlion J'cprit , mAis elle IIC sc prolongea P[\ ~ trop dans
ltt .':i oiréc, sur l',i nlervcntion de Mme. nérnuzat :
- Allon s, voLre amie a besoin de sc reposer; lais-
�JEUNESSE EN FLE'UR
sez-Ja cc soir; vous avez demain tout :e jour pour
bavarder et les jours ~1.li\'ants
Elles ne s'en privèrent pas. Le lendemain, Denise
remercia encore Françoise pour son invitation et
1\lm, Réll1l1zat pour son bon accueil. Les trois jeunes
filles passèrent la journée dans le salon, sur la terrasse, ct, vers le soir, firent llnc promenade. La journée pnssa comme un cnchantemcnt.
Le jour suivant, après le déjeuncr, ivl'u' Rémuzat dit
ft sa fille:
- Fran~1)isl',
ne vous éloignez pas trop; je crois
bien que M. Jacques Pertuis viendra cet après-midi.
Françoise réprima un frémissement. Heureusemcnt, Denise n'avait pas entcndu.
Vcrs quatre heures, Françoisc prop.osa de rester
au salon pour voir' des photos.
Vingt minutes après, ellc entendit un bruit dc pas.
racques Pertuis arrivait et ·.ltlluait IW'" Rémuzat sur
.n terrasse. Cinq minutcs après, Françoise quittait
Scs amies, se llIontrait sur la terrassc ct disait fI
Ja"CJucs :
1\[, ,Jacqucs, ;,roulez-vous ycnÏJ! ulle minute? Je
:Vcux vous montrer quelque cha e.
Comme il était entendu, Thér('se s'éclipsait.
Jacqucs entra ct At deux pas dans le salon.
- Monsicur, dit Frnnl:oi!le, je \'ous présente unc
de mcs am rcs.
Dcnise s'était levl'c, }.lIe reconnut Jacques, et
,l;,cqucs la reconnut. ns rC'.'lj!èrcnt tous les deux unelllillllt· JI1I1ClS, tremblanls, n'en croyant pas lcurs
Ycux. Quc se pnssn-t-i1 dans l'esprit ct dnl1s le cœur
cie .Jacques? Sans doute tous Ics souvcnirs ùe sa
chèrc Denise passèrcnt en quelqucs secondos devant
:;es yeux.
Qu'nllait-il fairc? Allait-il sc mcller? Allnit-il accus.er Françoisc de l'avoir attiré dans 1111 guet-apens?
Mais enslIÎle, il fallait se sauvcr honteusemcnt ct ne
Plus revenir, ct pal' conséquent perdrc il la fois Fran~'oise
et Dellise. Sa chère Denise, llC l'aimait-il pas
toujours? Il s'ét:\Ït laissé cntraîner ft demander la
111ain de Françoise, ébloui par les avantages quc ce
1
:
121
�122
JEUNESSE EN FLEUR
mariage présentait pour lui; mais en réalité, c'était
toujours sa chère petite Denise qu'il aimait; et son
amour, un moment refoulé au fond de son cœur, ja:.!lissait de nouveau, plus vivace en se retrouva nt
devant elle.
Denise, écrasée d'émotion, était rctombéc sur sa
chaisc. Jacques se pré cip ita à scs pieds, prit ses
mains, y cacha so n visage el laissa couler quelqucs
larmcs :
- Dcnise, ma bien-aimée, pardon nez-moi l. ..
Françoisc les laissa une minutc à la joie de sc rctrouver, puis elle dit :
- Monsieur Jacques, voilà un mouvement qui vous
fait honneur et qui sans doute vous fera !1ardonlJ cr
bien des choses ..Je tiens ù vous fJ.ire que mon amie
Denise n'e st pour rien dans cette petite scènc : c'est
la suite dcs événements qui vous a l'emis en prése nce ; il est vrai, ajouta-t-elle avec un !>ourire malicieux, qu e je les ai lin peu dirigés; mais, je vous k
répète, Denisc Ile savait \Jas qu'clle albit se trouver
en face de vous .
Elle s'avanp vcrs Deni se, qui esquissait un mouvement ùe retraite, c:L la l'ctinl :
- Denisc, pardonne-moi, j'ai hésité à lc mcllre
au couranl de mes projets; pardonne-nlci dc ne
l'avoir pas fail; mais j'ai cu peur que lu te cabres el
que, par ficrté, tu fns ses loul échoucr, el jc l'ai envoyé
chercher pal' mon oncle ct j'ai préparé cettc cntrevue en secrel, pour ussurer ton honhcur el le mien.
Pour le momenl, lu es tl'Op trouul ée ... Va te reposer
un moment; nous venons un peu plus tard si j'ui
réussi.
Denise monla tians sa chambre, se jela sur SOli lit
cl luissa couler ses larm es.
Hestée scu le :wcc Jacques, Fl'an{'oise lui dit :
- Monsielll', ceci vous prouve quc jc sais lout. Ne
croycz pas que cc soit Dcnise qui ait formulé quelque
plainte, au conlraire, Thérèso lui a arraché son histoire uribe ù bribe; el cn vcnant ici, clle ignorait
mes inleo~.
A mon tour, j'ignorc le s vôlres;
cCIJcndant, votre mouvcment de tout ù l'he urc m'en
�JEUNESSE EN
FLEUR
123
fait bien augurer. Monsieur, je n'ai pas à vous dicter
votre conduite; mais lai ssez-moi YOUS dire ceci: je
refusais de vous épouser parce que \Jous avons
échangé des promesses immuables, Pierre et moi;
vous comprenez que j'y consentirai bien moins encore maintenant que je sais que vous êtes engagé
envers mon amie Denise; ma mère elle-même, qui
était fière de me voi"r épouser un docteur au lieu de
Pierre qu'elle appelle un paysan, ma mère ne pourra
que s'incliner deTant celte révélation: donc, avec
moi, fini. Alors, n'oubliez pas que Denise vous aime
et que vous l'aimez toujours. Elle n'a rien! Mais vous
al Jez vous faire vou s-même une brillante situation:
Denise est jolie, intelligente, <.louce ... Que peut donc
valoir un sac d'écus ù côté de toute une existence de
bonheur ct d'amour? .. Et vous n'empoisonnerez pus
toute votre vie de regrets et de remords pour avoir
abandonné celle pauvre chère Denise qui a été si pen
heuJ'euse cl qui mérite tant de l'être ... Vos parents? ..
Mais cc sera il vous ù leur prouver que votre bonheur
est là, ct ils céderont. .. Et désoJ'll1l'1is, vous reviendrez
ici, non pas pOUl' moi, mais pOlir ellc.
,Jacques uvait écouté cc petit discours les yeux
haissés. 11 sc leva, prit les mains. de la jeune fllle et
les pressa sur ses lèvres:
- Merci, lui dit-il. J\Iusset termine une comédie,
Vn caprice, je crois, en prétendant qu' « un jeune
elll'é fnil les meilleUl's scrmons ». Le vôtre m'a été
jusqu'au fond du cœur, Je voudrais voir Denise avant
de partir .. , VoudrieZ-VOlis êlre assez aimable pour le
lui dire '1
Trois minutes après, Françoi1!e ramenait Denise et
,Jacques lui disait :
- Denise, ma bien-aimée, cncdl'e une fois pardonnez-moi. Je vous dirai peu à peu ce qui s'est passé
depuis que je vous ai quittée en vous jurant de VOliS
nimer toujours. Cc so.il', je ne veux que vous reJlouveICI' mes serments devant notre amie; je vous aimc
toujours et je ne veux aimer que vous,
Françoise rappela Thérèse pour qu'cUe prît Sa part
de J'aJJégresse gén"rale; pcndant Ull lJloment ce ne
�124
JEU NESSE EN FLEUR
fut que compliments, projcts, so urires, la rmes et
baiscrs.
Puis les troi s jeunes filles r accompagnè r en t
J acqucs ; à mi-chemin, la troupe joyeusc r Cllcontra
,Pie rre. Françoise le mit H U courant ùe la scènc q ui
venait de sc dérouler dans le salon : J acqucs épousait
Denise; Pienc cl Françoise éta icnt dOllt: libres ; Ics
dcux jcunes gens se serrèrent la main, Cc qui vaut
mieux quc dc levcr le poing.
Et, en sc séparant, ils prirent rcndez-vous tous
pour lc Icndcmai n, su r la terrassc .
Dès lors, lcs évé ncmcn ts nc pouvaicnt quc marchcr
dan,; 1:\ voie où Françoise lcs avait si habilement
cngagés. Jacques rllcOllta son histoirc ~\ ses parc nts,
ct il eut avec eux dcs convcrslliions gl'aYes et prolongées: l'héritière de la l\lésangè ('c lui échnppail; alors,
IlC va l ail-il pas mieux sc conduirc cn honnêtc homl1le
ct tc nir SC'i serments? Et scs parents Ilnirent par
s'inc li ner.
L'onclc Victor, inÎormé Ic prcmier - ill c méritait
bien, - sc réjouit d u Mlccès dc l'affairc cond uit e pur
sa n il'cc.
F( :I~cois
raconta à su mère J' hi sto ire de Denise ct
dc .Jacque'i ct lui d él1lo ntra qu'il lui {'I:1it imposs ible
'l'épol1 ser .JacCIues, c ngagé ainsi cnvers so n :lIl1ie, ct
que son bonhl'ur était ~uprl's
de Pierre, puisqu'ils
s'a im aient. 1\1'''' Rémllzat rcchigna hien un peu de voir
que c'éta it Denise qui épo usait le « docteur :., tundi s
que Frun\'oise épouserait ce « pnY Stl l1 :' ; mais ell e
éta it ensenée pal' les ciron~l:es.
Dès lors, la situation était nette; le s inlérCSSl's
n':\Vnicnt qu'il l[i ~sr l' cOlllel' h·s jours en attendant le
moment de fix er la d a te d es diverses cérémoni es
h eu reli ses .
.Jacques vcnoit passer ù ln Mésungère lout le tel1l ps
que lui .Iai ssa ient ses malades; il fut e ntendu qu e
Denilic ne rcprendrait pa s ,'011 emploi ct ('cs terait nuprès de Fn\~
'obe
ju ~ qu'ù
lellr mariagc, Thérè se J)ro-
�JEUNESSE EN FLEUR
125
ron gea son séjour. Pierre était là tous les jours. Et
tous le s jours, c'étaient des séances de musique au
salon, de lon gues causeries sur la terrasse, oe lon gues
promenades à pied ou e11 voiture il trav ers la campagne.
Jacques laissait rayonner sa joie d'avoÎl' retrouvé
Denise:
- Denise, m'avez-volis pardonné? Je vous aime
]llus que jamais.
Elle levait \'ers lui ses grands yeux limpides:
1 _
Ne parlons plus des jours sombres. Remercions Françoise.
Françoi.se avait sa p(lrt (le bonheur: elle appl'ochail, suspendue au br[ls de Pierre:
-- Je suis heureuse pOUl' moi et pour vous-mêmes ...
L'oncle Victol' proposa de céléhrer ensemhle les
deux fiançailles, il la fin des vendanges. L'idée fut
aCC'lleilIic ayec Ull enthousiasme bru Y[lnt. Lorsque les
PHl'enls de Jacques <1vaieill Vll Denise, si jolie, si
douce, ils avaient compris l'amoul' (le leur ms et
avaient accueilli la jeune fille anc la meilleure bonne
gr5ce.
Cepen dant lc solei 1 (le septem hl'e achev[llt de dorel'
les r(1isins, On vendangea d'abord chez Pierl'e, puis
:.\ la Mésangère. La jeunesse se répand dans les vignes,
coupe les l'[lisins e t lll[lnge le s meilleurs: ce ne son t
qU e ('ris, rires et propos joyeux, L'oncle Victor, qui
l'ajeunit au conl[lct de C!ette jeunesse, intervient en
rianl :
- Allons, déj.ll:rhon s- l1ous un peu! ... Nous n'au·rons
]1n~
fini avant la nuit ...
Le raisin écrasé hout dan s les cuves, Une longue
tabl c est dre ssée su r la tcrra sse. l\1[lrielle donne le
coup de Sl'ûce fi Ull plantureux déjeuner. Le s jeulles
filles s'empressent. L'oncle Victol' monte dc la cave
les ll1ei Ileures bouteilles.
A table, le commencement d'un repas est toujours
assez silencieux; mais bientôt la joie reprend ses
droits.
Devant deux couples qui s'unissent pOLIr la vie,
J)fllU' le meilleur el pour le ]lire, cOmlIle on dit,
�126
JEUNESSE EN FLEUR
comme dans la vie même, les moments d'émotion
alternent avec les explosions de gaieté.
Les voilà donc fiancés! Tout à l'heure, aV 2 0t de se
séparer, les parents fixeront la date du mariage.
Et en roule pour Je bon heur! Quan d ils se regardent. quand ils y pensent, ces fiancés s'étonnent un
peu d'avoir conquis le bonheur malgré les obstacles.
Mais que valent les obstacles, « quand la jeunesse
et l'amour sont d'accord 1>?
FIN
�.--------------------------------------------N° 113 1. - E. M. A. C. _. C. O. L. 31-1112
Dépôt l égal n O 282. -
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Triaire , Marcel
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Jeunesse en fleur : roman
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M. Daubin
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DL 1949
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