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ROGER LIQUIER
L'exil d'I-lenriette
Le piano des Benoitel
La rose bleue
ILLUSTRATIONS PAR PAUL STF.CK
DEUXIGME tOlTlON
. "'.,~
PARIS·''>
~ :J
LIBRAIRIE ARMAND COLIN
5,
RUE
DE Mf:zlÈRES,
1903
Tous droits réservés.
5
�����L'exil d'I-lenI"iette
�BIBLIOTHtQUE DU PETIT FRANÇAIS
3 fr.
Volum es in- lB jésus, brochés: 2 fr .; reliés toile, tranches dorées:
Hichemen \ illustrés.
L 'Ami BenoIt.
L'Appre ntie du Capitain e.
Les Aventur es de R émy.
Au Clair de la Lune.
Corsaire s et Flibustie rs (Chevalie/'s erranls).
Le Capitain e Henriot (C heva,
lic/'s e/'1·allls).
Chez Mademo iselle Hortense .
Chryséis au Désert.
Les Colèresd uBouilla ntAchlll e.
Le Droit Chemin .
L'Émera ude des Incas.
En haut du Beffroi.
L 'Exil d 'Henri.tt ll.
La Famille Fenouill ard.
RUa (Les Filles da Clown) .
Tante Dorothé e (l. es Filles dit
Clown).
Les Fredaine s de Mitaize.
Fréres de lait.
Histoire de deux Enfants de
Londres .
Histoire d'un Honnête Garçon .
Histoire d'un Vaurien .
Historie ttes pour Pierre et
Paul.
Le Hochet d'or.
L 'Idée fixe du Savant Cosinus.
Jacques la Chanoe et Jean la
Guigne.
Jamais oontents l
Journée s de deux petits Parisiens; Jacques et Juliette.
Jours d'épreuv es.
Kerbinio u le très madré.
Les Lunette s bleues.
L es Mathuri ns du " Bayard ».
Mémoire s d 'un Éléphan t bla nc.
Les Mémoire s de Primevè re.
Mon Ami Rive-Ga uche.
Le Moulin Fliquette.
Le Mystère de CourvaiU an.
Le Pari d 'un Lycéen.
Le petit Grand et le grand Petit.
Les Petits Cinq.
Les Petits Patriote s.
Pierrot et CIO .
Le Portefeu ille rouge.
Princess e Sarah.
Les Prisonni ers de Bou-Am âma,
La Providen ce de François .
Le Pupille de mon Ami.
Les Robinso ns de la Nouvelle Russie.
Robert le Diable et C".
Le Roi de l'Ivoire.
Le Sapeur Camemb er.
Six nouvelle s.
La Teppe aux Merles.
Le Théâtr e chez Grand'M ère.
Un Parisien aux Philippi nes,
Une Histoire de Sauvage .
Les Vacance s de Prosper.
Voyage du matelot Jean-Pa ul
en Australi e.
Voyage du novice Jean-Pa ul à
travers la France d'Amérique.
Yves Kerh61o.
Envoi (mnco, 8ur demande, du Catalogue BibUothèque du PeUt Franoa1S,
pllyS,
Droit. do traduction e t de re production ré strvé8 pour tous ICI
J comllrls ln Jlollande, la Suède e l la Norvège.
�ROGER LIQUIER
L'exil d'I-lenriette
Le piano des Benoitel
La rose bleue
ILLUSTRATIONS PAR PAUL STF.CK
DEUXIGME tOlTlON
. "'.,~
PARIS·''>
~ :J
LIBRAIRIE ARMAND COLIN
5,
RUE
DE Mf:zlÈRES,
1903
Tous droits réservés.
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��L'EXIL D'HENRIETTE
CHAPITRE PREMIER
EN
GARE DE SAIN'f-AUNEL
La jolie vallée dauphinoise de Saint-Aunel
était toule grise de l'approche du crépuscule.
Malgré quelques ])l'umes de novembre, on
distinguait encore, espacés dans le paysage, les
points notables du site: ]e bourg de SainlAunel, chef-lieu de canton, que les gens du pays
appellent « la ville », - la grande maison à
pigeonnier, qu'ils nomment le ((château» d'Aumérac, - et enfin, ù. distance de la ville et surtout du ch:1teau, la gal'e, que les plus arriérés
intitulent « l'embarcadère ».
L'EXIl. D'lIENIH!..:TTE .
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�L 'EX IL )) ' II EN n lETTE
Au x abol'd s de ce lle gare m odes te arri vait en
ce m ome nt un a Llelage assez pilloresque, C'é ta it
un anliqu e cabriolet j adis peint e n j aune, h aut
p erch é s ur ses g rosses r oues, pan su el dégingand é . Il éla it lra ln é pal' un cbeval Llan c, vieux
serviteur esso ufl1é qui lirail la lan g ue. Celui
qui condui sait, seul SUl' le siège, é taÎlun h omme
d'ùge, co iITé d' un feulre n oir e t co uvert d'un
parù ess us de même co ul eur . Un e p réoccup ati on se mhlait le di stt'Uire de so n offi ce de eo ndu cle ur, e l le qu adr up ède, lrou vanl o uver te la
ba rri èr e de la voie, alla it s'engage r lo ut droil
c1 eval1llui , sur le passage il. nivea u , de so n pas
lenl et rés ig né.
- IIalle ! cria l'h omme .
Le ch eva l stoppa lout doucemen t.
L e m aUre e ul Li enlôl n oué l' ex lrém ité ùes
r ênes à un e ferrure du cahriole t. Il ùescendit
d' un m ouve menl assez p res te, qu i d ul secouel'
ses ff,onge ri es. Pui s, s'adressanl il so u cheva l,
q u' il g ra tifiait d' un e lape amicale s ur le mu~ea
u cl d' un e cro ûte J e pain:
- '1'11 t'en allais donc ù Lyon , mon vieux SalI t-ll'C'? On n e peut plus le rcLe nir, maintenant!
�L'E XIL J) 'll EN nIETT E
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L'équi page se trouva it à deux: pas de la ga re,
c t n'a ul'ai.t eu (IU'à obliqu er un pC' u tl ga udlC
po ur se r emise r SUL' le len e-plein llui s'é teuoait de vant la fa çade à brique s rou ges . De
l' autl'e côté, s ur la droite du g rand chemin ,
s'olTrait plu s près en co re , l'inévita ble Ilôlel des
Vo yageurs , simple aub erge avec bu ve lle. Cc
fut vers cc log is qu e se loul'l1 a le m ons ie ur au
ch eval blan c.
- Oh é! de l'auber ge ! cl·ia-t-il. Ohé ! la mèl'e
Trinq nie r!
Plusie urs roil:! il répéta so n app el , san s que
l'inton a ti on , d'aill e ul's, en devint bmlale ou
vulgai re. Tout en app ela nt, il allum a it la lantem e de so n cabriol et , dont la lumi ère m a inten ant se mêla it sur son vi sage à la lu eur g ri se
du j our tombé.
Un e femme parut enfin s ur le se uil ci e l'auberge, fil (lu elqu es pas vel'S ce lui qui avait pron onc é son n om, et tout à coup , le r eco nn aissan t:
- lIé ! mais, s'écria- l- elle, c'es t monsie ur le
ma rquis !
E ll e déb ita to ut un chapel et de polites ses;
en uite elle enfila les ques tions : pal' quel ha-
�L'EXIL D'IIENnlETTE
sarù voyait-on M. ]e marqui s ù'Aumérac? Il
venait peut-être allendre quelqu ' uo 11 la gare?
M. le marquis parai ssait en deuil. Qui pouvaitil avoir perdu?
Elle interrogeait loujOUl'S, avec une gloutonnerie de curiosité, espérant que, dans le
nombre de ses questions, quelqu'une aurait ]a
chance d'obtenir une réponse. Un gesLe l'al'rêla:
- Écoulez, madame Trinquier, laissez-moi
vous dire une vérité, cl'aborù : vous êLes bien,
autant que je puis vous connaître, la personne
]a plus curieuse et]a plus baval'de du canLon de
Sainl-Aunel! A pr'ésent, comme je n'ai l'ien 11
cacher, surlouL à une brave femme, et comme
le moindre mystère vous empêcherait de dormir, je veux bien vous apprendre ceci: oui, je
viens de pel'dl'e quelqu'un : mon frère cadeL.
- M. Gaspard d'Aum6rac, parti du pays
depuis si longtemps?
- Lui-même . Il est mort dernièrement à Paris,
laissant une fille orpheline . Celle enfant se retire chez moi, au chàteau d'Aum6rac. Je viens
l'allendre au train de cinq heures vingt, et me
�5
L'EXIL D'lIENnlETTE
trouve en avance. Là-dessus, Lrêve de questions, je vou s prie, et faiLes-moi le plaisir de
vou s êles la plu8 bavarclo do loul le panlon .
veiller sur Salpêtre, qu 'o ll Il e le vO.le ou qu 'il
ne s'en aill e.
- Oh! mon sieur le marquis ... , tout à voLre
service! balbuLia l'aubel'g isle ah uri e.
L
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L' EXIL n'II EN RlETT E
Rapid ement le marquis tl'aversa la gare où
s'allum aient de s lampes, et où pi étinait un
g roup e de pa ysans épiant l'ou verture du g'uichet.
Arriv é sur le qu ai de débarqu ement:
- L e train de P aris-Grenobl e es t bien à
cinq heures vin gt ? de manda- t-il [l un employé .
- Très précises, m on iem. lVlais il a tous les
jours un r etard de dix à quin ze minutes ; et,
comm e il est très r ég uli el', nous l'auron s pOUl'
sùr à la demie ou i.t trente-cinq.
M. d'Aum érac n' était pas ve nu avec des di sposition s à la j oie. La pel'speclive d' un e demih eu('e d'allenle acheva d'aigl'ir so n hum eut'.
C'é tait bien la peine d'in venter les chemins de
fer, pour qu'ils fu sse nt en r etard qu and Salpêtre était en avance, el mi ssent à l'épreuve
la palience des honnêtes ge ns !
Et, tout en mau g réant il pa1'llui, le marquis
al'pentait dans sa long ueur le troUoir qui bo1'daill a voi e. Il s'é tonnait de co mpter ses pas , de
compter les minutes . Ne serait-il pas toujours
assez tôt pour entrer dans l'in co nnu ell'inquiétant? Il n'y avait pas tl dire, encore qu elques
�L' EX IL D'H EN RI ETTE
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minute s, e l, qu a nd sa ni èce déba rqu erait là,
un e è re n ou vell e co mmenc erait. A h! qu eUe
a[ aire que celte a rri vée el que ce lle fu tur e vie
à de ux! A so n âge, ~l près de so ixanle a n s , on
,lVall bien beso in de ces co u ps de lhéâlre !
L e tin-lin précip ilé e t inle l'lnitlen t d' une
so nnerie élecl['i que annon ça l'a l'l'i vée immin e nte
du lntin. Bientô t une rumeul' ha letante et un
co up de siffl et se m êlè renl à Cju elqu e di s ta n ce
enco re. De ux lumièr es lro uèrent la nuit c t
g rossire nt r apide menl; leurs re a els SUl' les
rails allu maienl des r ub ans de fe u qui s'allon geai ent devanl l a m asse n oire de la loco m oti ve
e t s'appro ch aient avec elle , tandis qu e le bruit
g randiss ait. En Ull clin d'œil la m ~c hin e fut là ,
én orme e t g rond ante : le tra in u[Tivai l en gare .
L e marq uis intel'l'o geait d' un r egard anx ie ux
les p ortièr es qui s'o uvraie nt. Il n e tarda pas
à aper cevo ir, parmi les l'ures voyage urs qui
desce ndaien l tl la sla ti on de Saint-A un el, un e
silhou ette de jeun e fille qu e de long's vê tem enls
noirs désign aienl à son a Ll ention .
Ma de moiselle IIel1l'ie tle ù'A um érac , j e
crois, dil-il en s'appro chant.
�8
L'EX IL I)' IIEN HIETTE
- Mon oncl e !
- Mon enfanL!
Ils s'e mbrassèrent. L 'éla n qui venait de les
pousser l'un vers l'a utre di ssipait tout emb arl'as,
au moins pOUl' qu elques secondes .
Mais après ce premiel' mouvem enl, il s en
eurent un autre, au ssi instin ctif et néanmoin s
tout d ilférent : ils se reculèl'ent un peu par
l'eŒet d'un e mème pensée, J ' un mê me dés ir de
s'examiner.
Le marqui s se trouvait en pleine lumière.
C'était un vieillard resté sain et robu ste, a ux
tl'ails sé vères , un peu déform és par la vi e l' UStique , avec (les broussaill es de cheveux sur un
front parcheminé.
Quant à Mlle Henriette d'Aum érac, cc n' était
plus tout à fail un e fiU elle. Elle venail d'atteindre sa quinzième année. Elle était brune ou
à peu près, plulôt g l'ande , et d'allures g racieuses, mais décidées. Sa phys ionomie ouverte
et fine, où per çait un e poinle de gaminel'ie que
annon çait un
l'fige n'avait poinl encore ~ e fa cée,
caractère primesauti er et une intelligence probablement buissonnièl'e el indépendanle .
�' .a joune fille se jota dans los b,'as cio son onclo ,
�10
L'EXIL D'IIENHIETTE
- Heureux de vous voir, ma chère enfant, ct
de constaler que vous arrivez à bon port. Votl'e
voyage s'est eITeclué sans incidenl'? Vous avez
su vous [irer d'aITaire loule seule?
- On étail venu m'accompag ner jusqu'à la
gare, cl puis, vous savez, je suis déurouilta1'de!
- Vous diles '?
- Je di s : j e suis débrouillarde!
- Ah! fil simplement le marquis, un peu
surpris cL choqué,
Quand on eut rranchi la parle de sortie:
- Il s'agit mainlenanl, dil-il, de retirel' v'os
bagages, Vous n'avez pas perdu voLl'e bullelin?
- Ah! sapristi, non!
Le marquis la regarda. Ifcmielle ne s'en
aperçut pas ct poursuivit:
- C'est ça qui ne serait pas à faire!
Celle fois le mal'quis fit tout de bon la gl'imace. Ce langage l'ofTu sq uait décidément, lui
qui ne parlait, en provincial bien élevé qu'il
était, qu'un fran çais COl'l'ect ct simple, le fmnçais des livres, ct considérait comme conlmil'e
au respect de soi-même l'emploi de certaines
�L 'EXIL D'H EN HI ETTE
11
express ions, pa rticuli èr em ent déplacées oans la
bou ch e d'un e jeun e fill e.
n se
tut Jl éanm oin s, r eme ttant à plu s lard les
oh servation s qu'il se proposait oe faire s ur ce
point à sa ni èce .
L es bagages fur ent donc r elÎl'és san s autre
in cid ent et ch argés tan t bien que mal sur le
cabriolet. L e m arquis donn a un pourboire à la
m èr e Trinqui er, pui s inslalla IIenri eLle sur le
siège, à cô té de lui , e t avant que l a patronn e
de l'lIôlel des Vo yageurs eùt pu examin er à
loisir la P arisienn e :
-
En route, Salp êlre ! dit-il.
��CHAPITRE II
L'ÉDUCATIOI
D'liE ' mETTE
Les frères d'Aumérac, Raymond et Gaspal'd,
éLaient les derniers rejetons d'une ancienne
famille du Dauphiné.
Le castel plus que modeste auquel éLait
aLtaché le tilre de mal'quis, porté par l'aîné,
élait à peu près le seul hériLage qui leur fCIl resté
d'une fortune dissipée en partie à la cour de
Louis XV par un aïeul fastueux, et emportée
pour le surplus, pal' le venL de la Hévolulion.
Exempt de visées ambitieuses, Raymond était
volontiers resté ce que la naissance l'avait fail :
2
�L'EXI L D' IIENHIE'f'J'E
un vrai genlilhomme campag nard, un peu
allardé peul-êlre; il s'en rendait bien comple et
s'en vantaiL volontiers, glorieux qu'on du de
lui: cc C'esL un homme d'autrefois ». Excellent
homme au fond, de mœurs el de goûts simples,
en harmonie avec la médiocrilé de son patrimoine, il gardail dans ses rapports avec lous
et avec chacun une dignilé aITable cl bienveillante, à peine alLérée par quelques aspérilés
d'humeur.
Toul autre avait élé Gaspard. Têle folle et
ingouvernable, il parlait sans cesse de courir 10
monde.
A la suite d'un voyage à Lyon, il s'engoua
de pein turc cl, malgré les inslances de son
aîné, il voulut partir pour Paris où il se déclarait appelé par ce qu'il nommait sa cc vocation
d'arliste
emporlant, ù la suite d'un parlage
avec son frère, le monlanl de cc qui lui revenail des débris de leur forlune.
Après quelques années d'une exislence assez
décousue, le nouveau Parisien s'élait marié.
Sans préjugés aristocratiques, et avec un désintéressement conforme ù son caraclère, il avait
1),
�L'EX IL l)' II EN nl ETTE
15
épo usé un e sim ple ho urgeoise qui, à défaut
d'arge nt, lui apportait en dot les plus séri C'uses
qu alités de Lête et de cœ ur , Elle exe rça sur lui
l'inOuence la plus heureuse . L a n aissan ce d'un e
IilI e se mblait devo ir a chever ce tte m é lam orphose inespér ée ; la m orl en décid a autrement.
Un m a lin , IIenr iette n 'e ul plu s de m èl'e e l GaspUt'd plus d'épouse . .
Co fut un g rand malheur pOUl' tou s , L e
peintre n e tard a pas il ê lre r essai si par ses
h abitudes de paresse, enco re imparfa itement
cO l'l'i gées . A trave r s l es lig n es des rares mi ss ives
qu'il écriva it à son fr èr e, celui-ci devin a qn e le
malh eill'eux de ce nd a iL un e pente au bout de
laque ll e la misèr e é tait peul-ôlI'e le m oindre
dange r pour un d' Aum émc. Et pourta nt il élait
père, il avait ch arge d'âme, à prése nt! 116so lu
il Lentel' un suprême et derni er eITort, R aymond,
dont les r emonLranc s élaient vain es, partit
pour P ari s, da ns l' es poir de r amener son égar é
en lui ofTnwt de reve nir avec sa fill e dan s ce
bon petit chllLeall d'Aum érac o lt il s pOUl' raient
tous vivre en famill e, r es pec tés et tranquill es .
Il n 'aboutit qu'à un éch ec . Devant les r ésis-
�i6
L'EXIL D'[[ENRIETTE
tances qu'il renconlra, Raymond s'6lail emporté
con lre les arlisles on $'énéraL ct avaÎl émis des
doutes injurieux SU I' le talenl de Gaspard,
qu'à vrai dire il ne pouvait juger, Celui-ci le
traita à son toUt' de « fossi.le »; l'entretien
dégénéra en altercation ; bref les deux frères
se quillèrent lout ft fait brouillés.
Cependanl Henriette grandissail dans l'étroit
logis paternel. Elle était laissée, pendant l'inlet'vall e des heures d'école, aux soins d'une
viei lle bonne, enll'ée dans la maison depuis la
maladie de Mme d'Aumérac, qu'elle avait soignée avec un dévouement admirable. Quanl à
son père, c'é tait plutôl pour elle comme un
grand ami lrop indulgent, un fl'ère aîné reslé
trop jeune, rianl le pl'emier des excentricilés
de camc Lère ou de langage dont il lui donnait
l'exemple, el ne lui faisant que dcs recommandations dans ce goû l :
- Soyons « nature », petite, soyons « nature »!
Fort intelligente, du resLe, ct point ennemie
du ll'avail, IIenrielle 6lait la meilleure élève
de la pelile école qu'clic fréquentait dans le
�mNFIETTE'-
Mlle Henriette d'A um6rac.
2.
�18
L'EXTL O'llE NnT ETTE
qu arti or , élonn ant sa maltrosso ct ses compag nes par la justesse ct la vivacité de ses réparti es.
Mais oll e ne pouvait, dan s ce trop modes te
é tabli ssement, pousse r' bien loin ses études .
Et un jour vint Olt la maîtresse ell e- même sc
crut obligée, v u l'âge ct la force relative où
son é lève était parve nu e, de pri er so n père de
voul oit, bi en la retirer.
La qu es ti on d'arge nt ne pc l'mit pas ù Gaspard
cl'Aum émc de la meUre en pension. P our lui
donn er un gagne-p ain , il s'occ upa donc de lui
enseigner son art. HeOl'i cLle y apportait des
aptitud es remarqu ables ct nt, en peu de mois,
malg ré la médi oc rité de son professe ur, ùes
progrès étonn a nts.
En même temps, elle fut prise en affec tion
par un e dame Berlh oli er , qui habitait avec son
mal'Ï , s ul' le même palier qu e les d'A um érac.
M. Berth oli er étai t aUaché 1:t un g l'and j ourn al
co mm e s impl e correcteur cl'épreuves . Sa femme
donn ait en viÏl e, au cachet, des leçoll s de toutes
so rtes de choses . Ell e avait d'ailleurs un e in struclion aussi solide qu e variée . Henriette se
�L'EXTL U'lIENRlETTE
19
plaisait beaucoup ü sa conversation, et s'y instmi ail. Elle pl'iait aussi souvent Mmo Berlltolier de sc meUre au piano ct l 'écoutait avec
ravissement. Comme olle poss6daiL les p remiers
rudiments de solfège, I.a filieLle eut bientôt fait,
sous la. dil'ectioll de son ob li geante vo isin e,
d'apprencll'e à jouer ct même il. déchiffrer quelques morcenux faciles. Mais le se ntim ent musica l devançant chez ell e l'agilité des doigts, ses
la po lages ne pouvaien t la satisfai l'e. E ll e avai t
d'ailleurs l'horreur do la hanalité ct des mélodies vulgaires. Au. si, pr6f('l'ail-e lle écouter les
morceaux d'un gO l\l plus PU[' el d'une exéc uli on
plus difficile, que le tal ent de Mm. Bel'tholiel'lui
permellai t cl 'aborder.
Malheureusement, celle·ci élait absen te la plus
gran de partie de la j ournée, ct son influ ence ne
pouvait con lrehalancer, sous le rapport des
manières et du langage, l'exemple paternel.
Un soir que les quatre personnages composant les deux familles prenaient ensemble le
thé, en vo isins:
- Vous savez, monsieur ù'Aumérac, dit tout
à coup Mmo Bert holi er avec une franchise auto-
�20
L'EXIL D'llENRlETTE
risée par l'intimité, que votre petite est fort mal
élevée?
- C'est une erreur, chère madame, elle n'est
pas élevée du tout, répondit en riant Gaspard,
avec une insouciante philosophie.
En présence de l'indi(férence du père, Mm. Bertholier laissa désormais aller les choses, vaincue
d'ailleurs par un mot câlin d'Henriette:
- Méchante! qu'est-ce que ça fail, si vous
m'aimez quand même lelle que je suis?
Quelques mois après ce petit incident, Gaspard d'Aumér-ac mourait subiLement dans son
aLelier, frappé d'une attaque d'apoplexie.
La douleur d'Henrielte sc traduisit d'abol'u
pal' une sombre et morne stupeur. Ce ne fut pas
trop cIe toute l'affecLion que lui Lémoigna le
ménage Berlholiet' pour la sauver d'un ébranlement qui menaçaiL sa raison.
Mais après les demi crs devoirs, une question
sc posait: qu'allait devenir la jeune orpheline '?
On n'avait écrit à l'oncle Raymond - vu la
rupLure avec son frère - qu'une lettre laconique pour l'informer du nouveau malheur qui
�L'EXIL n'HENRIETTE
2t
frappait sa nièce. Il n'y avait; pensait-?~,
rien
à allendre de lui. Et llenriette, (lui s~ rappelait
vaguement l'avoir enlrevu autrefois, dans les
circonstances orageuses que l'on connaît,' n'aurÇlÎl voulu, pour rien au monde, avoir l'-air d'implorer quoi que ce soit d'un homme que ses
souvenirs lui dépeignaient si fort irrité' contre
son pauvre père, et qui, sans cloute, les haïssait
lous les cleux.
.
Mais, a la nouvelle de la morl de Gaspard, le
marquis avait senti s'évanouir tout son ressentiment. Prévenu trop Lard pour assislel' aux
obsèques, il répondit à la sèche communicaLion
qui lui était faite, par une leLtr'e très sim.plè ct
ll'ès louchante. Sans prétendre exercer aucune
pression sur les désirs Je sa nièce; il lui oITrait,
comme autrefois, et en termes où perçait une
Lendresse contenue, mais sincère ct digne, de
]0. recevoir dans sa maison comme sa propre
fille.
Celle missive causa à Henriette aulant de
iurprise que de trouble. Il n'y avait pourtant
pas à hésiLer. Il fallait accepLer bien vile l'offre
providentielle de l'oncle Raymond, qui méri-
�22
L'EXIL n'HENRIETTE
tait, d'ailleurs, qu'on rendit hommage il. ses
dispositions s·énéreuses. C'est ce qu e les BerthoLier n 'e urent pas de peine à faire comprendre à la jeune orpheline, malgré ses répugnances.
Mal heureusement, ces mêmes Bertholier,
qui , nés sur le pavé de Paris ct ne connaissant
g uère la provi nec que par quelques romans ou
par les joul'Oaux à caricatures, nourrissaient
contl'e elle des préjugés injustes et surannés,
mêlaient à leurs exhortations des reS'rets au
moins déplacés.
IJenrielle, ayant grandi dans le même milieu,
sc trouvait d'instinct en pleine communion de
sentiments avec eux, et fondit en larmes il la
pen sée de cc qu'ils appelaient ensemble « son
exil ».
On dut s'empresser d'ajouter, pour adoucir
so n désespoil', qu'il n'y a pos d'exil ' éternel.
Plu s tarù on verrait à lui trouver, dans ce Paris,
hors duquel iL semblait qu'il n'y elll pas de
séjour possible, une situation qui lui pel'lnîl de
l'eyenir s'y fixer défJnitivemenl.
Celle promesse, qui devint pour la fillette
�L'EXIL D'llENlllETTE
23
une idée fixe, lui fit brusquement accepter sa
situation avec plus de sérénité .
Après loul, la leUre el l'olTl'e de son oncle
étaient d'un excellent homm e et cl' un parent
dévou é, et prouvait, comm e l'insinu aien t ses
amis Berlholier , qu'elle avait eu tort de le
juger cl'après les impressions flui lui en élai ent
restées .
Puis, une autre considération qui, sans qu'elle
en eù t rien clit, a vai t frappé so n cerveau cl' enfant , conlribu ait encore à la consoler . E lle serait
« cluUelaine » d'Auméruc. Et ce titre apparaissait à so n imagin ation avec tout l'éclat qu 'elle
lui trouv ait dans l'histoire et dans la légende.
Peu s'e n fallait , en dépit de ce qu'elle avait
pu apprendre sur la véri lable situation de son
oncle, qu'elle ne rêvât de hallebal'diers, de
pages, de demoiselles cl'honn eur, et qu'elle ne
se vil pompeusement traînée dans un carrosse
armorié, so ulevant la poussière des grandes
roules, parmi les populalions inclin ées au passage, ou chevauchant libremenl sur une beUe
haquené e blanche.
AUSSJ,
quel désenchanlement quand, pour
�24
L'EXIL n'lIE filETTE
commencer, elle i]e renconlra à la gare, avec
son oncle venu seul, sans suite el sans pestige,
qu',:!n fantastique cabriolet jaune traîné par une.
haridelle poussive.
�CHAPITRE III
ARRIVÉE AU CHATEAU D'AUl\lÉRAC
Il faisait très noir, et l'équip age trottait cahinculla ùans un brouill ard qui sembla it Oger les
p:lfoles au bord des lèvres.
L'entre tien aurait pu, à ceLLe heure, en l'absence de tous témoins, deveni r intime , mais
voilà qu'au contra ire il menaç ait de deveni r
lan guissa n l.
llenrie lle restait peloto nnée dans les plis d'un
vieux châle 6pais, se conlen tant de répond re
briève ment à quelqu es questio ns banale s de son
3
�'26
L'EXI L n'IIENRIETTE
oncle: « N'avez-vous pas froid? .. Il doit vous
larder d'arriver? »
Ou bien c'élaient de l'ares observations, d'un
inlérêt médiocre: « Voilà la rivière de Buize .. .
Nous lraversons Sainl-Aunel. .. Voilà la mairie .. .
Nous serons chez nous dalls cinq minutes ... »
En peu d'inslants, en elTel, on arriva. Salpêlre, senlanll'écurie, avait donné un coup de
colli cr et pressé le pas.
Au hruit du véhicule dans la cour, deux personnes s'élaient montrées. C'étaient d'abord
Tislou, le fermier, (Jui, sOl'li d'un logis voisin,
salua: « Monsieur le marquis et ta compagnie»,
ct, sans autres paroles, sc mil à déleler le cheva l. Ensuile, SUI' le seuil du principallJàliment,
parul une vieille femme qui, une bougie à la
main, vinl éclail'er les voyag'eurs.
- Monsieur le marquis a fail houne roule?
Mademoiselle a fait Lon voyage '?
- Oui, Reine, dil le marquis, Failes porler
ceLLe valise dans la chambre de ma nièce. Moi,
je vais inlt'oduit'e jWlo d'Aumérac.
Il meLLait dans ces demiers mols une sorte
de gravité inconsciente qui ne fut pas sans
�L'EXIL I)'IIENH IETTE
27
frapper IIenrie lle. C'était un homme lrès simple, mais, en faisant acle de prolec teur el de
second père, l'espril patriar cal, l'espril de famille
solenn isaienl pOUl' lui et malgré lui l'entré e
de la fille de Gaspard dans la maison hérédi taire.
Elle n'avail pourta nt rien de bien lriomp hal,
celte entrée -là: un vieillard de mise fort ordinaire, une toute jeune fille emmit ounée dans
un fouillis de lainage s plus chauds qu'élég ants,
el, ferman t la march e, une servan te portan t un
flambeau qui projeta it une lueur douleuse, gravissaie nt les quelques marches d'un perron
branla nl.
Ce perron donnai t accès dans une sorle de
grand vestibule nu comme la main, el donlle s
murs blanchis à la chaux ct le pavé fail de simples brique s n'élaie nl pas pour donner ridée
cl'un grand luxe. Une petite porte, percée dans
un mur fort épais, s'ouvra it sur un petit salon
aux parois recouv ertes d'un ancien papier il
ramage s. La pièce était éclairée, dans le jour,
par une très haute fenêlre aux boiseries vermoulu es, cachées par de longs et épais rideau x
�28
L'EXIL D'llENnJETTE
de serge rouge. Malgré 10 feu qui Gambait dans
une cheminée dont le marbre sculpté conlraslait avec une garniture indigente, l'aspect
général de cet intérieur, si éloigné du conforl
moderne, glaça la pauvre Henriette. Elle en
éprouva un confus sorremen t do cœur, augmenté par le sentiment plus accrû que jamais
de son isolement, et dut faire appol ù. touLe son
énergie d'enfant pour ne pas éclat r en sanglots.
Reine la conduisit dans la chambro préparéo
pour elle, arin qu'olle donnât quelques instanLs
aux soins de toiletle quo nécessitaienL les traces
poudrouses du voyage. Elle reparu t biontôt
après dans la salle à manger où son onclo l'attendait.
Le repas fuL sommaire et assez silencieux.
La même gêne régnait entre ces deux personnes
appelées à vivre sous le mtlme toit, dans la plus
étroÏle inlimité familiale, qui se connaissaienL
oncore si peu, et étaienL, d'ailleurs, d'âge eL de
goûts si différents 1
Le marquis cependant, ayant remarqué l'impression qui paralysait Henrielte, lui dit:
- Vous vous senLez peul-être bien dépaysée
�3.
�30
L'EXIL D'HENRIETTE
ici, mon enfant. J e ne puis vous promettre que
vous y trouverez un milieu qui ressemble, même
de loin, à. celui que vous quittez. J'espère néanmoins que vous ne vous y déplairez pas trop.
Je ne connais moi-même que fort peu de personnes avec qui vous puissiez vous lier, car je
ne veux pas vous condamner ù mon isolement,
mais je vous présenlerai dès demain à. MITIOBonnissel, à qui j'ai déjà padé de vous ... C'es t une
excellenle personne qui habite ici près avec son
fil s, le meilleur notaire de Saint-Aunel, - des
amis très dévoués. Elle se charg'era elle-même
de vous Cl'éer des relations. Je ne saurais vous
remettre pour un pareil soin en de meilleures
mains. Enfin, je ferai, soyez-en assurée, tout ce
que m'inspirera l'affection quo je porte à la fille
de mon pauvre frère ...
La voix du marquis s'était quelque peu allérée
à ces derniers mots. Ilenrielle, de son côté,
sentit un flot de larmes lui venir aux yeux et
les cacha dnns ses mains, tandis quo le marquis
conlinuail :
- J'espère que vous saurez vous montrer
docile ct bonne.
�L'EXIL D'nENR lETTE
3t
Puis, senlan l que l'entre lien devena il lrop
atlendl 'issunt, il se tut un momen t ct, détour nantIe propos :
- Il faudra aussi vous intéres ser aux
soins du m énage. Voyon s, que savez-v ous
faÏt'e?
- Peindr e un peu, dessine r, pianolCl', repriser les gan ls, prépare l' le thé ...
Reine, il la dérobé e, joigna it les mains.
- JJum! gromm ela le marqui s ... vO,i là des
lal ents utiles ... Enfin, Reine vous initiera ...
Reine, vous aurez toule la déféren ce possibl e
pour Mlle cl' Aumér ac. Vous, mon enfant, vous
aurez des égal'ds pour Reine. Wle es l née
dans la maison ct ses parents servai ent les
mi ens - les nôLt'es, pourra is-je dil'e. Ces phénom ènes- là 11\' se vo ient guère plus, même dans
nos m0l1tagn9s. Il esl bon de vous préven ir
qu'elle est hahilué e à go uv erner un peu. De
plus, elle a mauva is caractè re .. ,
- Oh! monsie ur le marqu is! protest a la
vieille femme .
- Vous avez mauva is caractè re, ma bonne,
c'est incontesLoble.
�32
L'EXIL n'UENR lETTE
- Eh! Diasl1'e! s'écria Reine, monsie ur le
marqu is aussi!
- D'acco rd, et moi aUSSI, Je ne le nierai
point. Enfin, pour couper court, veuillez con~
duire ma nièce à sa chamb re: elle tombe de
somme il. Et demain , tous les lrois, nous aviserons à nous débrouillarde,.... non, à nous
débrou iller ensem ble.
Il Lendait les deux mains à IIenrie lle. Elle
fuL lent6e de l'embr asse l' pOUl' la seconde fois
et de meUre dans cel embra ssemen t un remerciemen t cordia l, une effusion de reconn aissance. Mais elle ne se sentit pas encolH'ag6e, eL
le serrem ont de main fuL l'uniqu e adieu du
soil'.
Le marqu is, resté seul, se mit il. arpenl er la
salle, comme un homm e hanl6 de pl'oblèmes.
Quand Reine redesc endit de la chamb re
d'IIeOl'ielte :
- Eh bien! demanda-L-eIJe avec sa familiarÏl6 sans impert inence , que pense monsi eur le
marqu is de nolre demoiselle?
- Et vous-m ême, Reine, qu'en pensez vous?
�33
L'EXIL D'HENnlETTE
- Pas grand'chose encore ... . Seulement j'ai
commo une idée qu'elle va loul brouiller ici .
Mais le marquis, d'un Lon qui ne souffrait
pas de réplique :
- Ma nièce est charmanle, Reine, elle est
charmanle, tenez-vous-le pour dil!
f
��CHAPITRE IV
CHEZ LES BONNISSET
Le père d'Ilenrietle n'avait laissé pour tout
héritage que des dettes, à peine représentées
par la valeur de son mobilier . .
En oulre, la jeune orpheline n'ayant d'aulre
parenl que son oncle, qui l'avait recueilli
comme sa propre fille, la question de la lutelle
se trouva, pour cette double raison, résolue de
fait Sans qu'il eût paru ulile de recourir aux
formalités légales. Le marquis avait d'ailleurs
élé heureux d'éviter des complications cOûleuses ct notamment de faire lui-même un
�36
L'EXIL D'HENRIETTE
voyage dispendieux et pénible sous bien des
rapports.
Le notaire Bonnisset avaiL, sur sa prière,
chargé un de ses amis de Paris de s'assurer, à
litre puremenl personnel el amical, de l'élaL
de la succession. Celui-ci s'étaÎl donc rendu
au domicile du dMunL ct, s'élanl abouché avec
les Berlholier, chez qui llenrielle s'élait provisoiremenl relirée après le décès cIe son père,
il ful promptemenL cL clait'emenl convaincu de
la vérilé de la siluation.
On convinl d'un commun accord qu'après
un choix de quelques bihelots ou menus objets
qu'Ilenrietle désirail garder comme souvenir,
le resLe du mobilier serail porlé il l'Ilôlel des
Ven les; que la somme qu'on en relirerait servirail à payer les fournisseurs, et que le reliqual,
s'il yen avail un, serait envoyé il Sainl-Aunel.
En aLlendant, l'orpheline irait rejoindre son
oncle.
Deux jours après l'arrivée de sa nièce, le
marquis, ainsi qu'il]e lui avaiL annoncé, l'avail
conduite chez les Bonnisscl.
Mme veuve BonnisseL cl son fils SaLurnin
�L ' EXIL D' II EN I1I ETTE
37
haoita ient il l' extr émi té du fa
uo ou\' o', cc qm
m ella ll leU!' dem eur e tl <! r ux min
utes du ch ùLeau d'A um ét'ac ,
C'é tait une maiso ll pro pre LLe ct
cré pi e il neuf,
avec deu x pan onceau x fl amh ant
s a u· des s us de
la por te ,
~L
d'A um érac ava it l'h ahit ud e tl'a
ll el', deu x
ou lI'ois foi s par se mai n e, y pass
e r la soir ée,
C'était un e trad iti on an cien n e,
C~ l ' ell e data it
de fe u M. Bon niss e t le pèr e,
décédé dep uis
qu e lqu es a nn ' es cL il qui Satul'll
in ava it s uccédé .
La pré sen la ti on ,"é tait faiL e Ll'ès
sim plem ent.
Mme Bon ni sse L ava iL acc ueilli lI elll'ieLl
e ave c
un e affa bili té touL e con li ale. L
a situ atio n de
ce lle or phe line la Lo uch ait, c t
l'in térê t qu'elle
lui porL a iL par ava n ce sc li sait
S UI' so n visa ge
cL per çait da'n s le son de sa voi
x.
Ces sy mp aLhies anti ci pée s son t
l'a rcs à P aris .
Dan s le deu il qui l' avait r éce
mm enL frappée
Ilen ri elle n'av ait poi nt r eç u à parL les Rer tholi \r - de m a rqu es d'affecti on
qui pa ru sse nt
a ussi pro fon des ct auss i sincères
. EL e ll co \'c
l'acc ueil de Mill 0 Bon niss e L ava
it-il (lue llIue
L'EXu .. IJ"HEN nIETT E.
�38
L'EXIL D' HEN RlETTE
chose de plus caressa nt, do plu s malern el.
IIenri eLte en fut toule pénélr ée.
Malheu reu semen l, los préocc upati ons de la
bon ne dame ne comp taien t pas parmi cell es
qui sonlle plus en h onneur dans les intérie urs
d'ar tis tes. Après les premi ères politesses :
- Ah ! ten ez, m onsieu r d'A um érac, dit-ell e,
pend ant que j' y pense ... .J'ai rédi gé pat' écrit la
r ece lle de ce tte fameuse co nfitu re de ch âla ig nes ..: , vo us savez... , qu e vous avez trouvée
si bonn e. Vo us la donner ez à Ueine.
Il enriell e !il un e m oue imperceplible . Cela
lui parut sing uli èr ement « provin ce » .
D'o rdin aire, après quelqu es instant s de co nve rsalion , le mar q ui s cl alUl'ni Il , al'1'ach é,
pour la circo nstance à la Revue des Deux
Wondes , entam aient une parti e d'échecs, pendant qu e Mmo llonnis se t tl'Uvalll aÏl à d'in ler min ablqs ouvrages au croche t. Cc soir-Ht, pour
occup er et intéresse r llemie lle, on co nvint de
fa ire un domin o ù. quatl'e .
Henrie lle connai ssail tout au plus les dés .
M. Honnisse t, qui l'avait pOUl' parten aire, fut
chargé de l'initi er aux fin esses de la par tie :
�La jeune fille fut accueillie avec affabilité.
�40
L 'EX) L )) ' 11 EN n) ETTE
- Jouez dans ma pose .. . V Oli S avez le derni er quatre : réservez-le pour ferm er ou fair e
, domin o .. . N'ouvrez pas les as, vo u voyez bi en
fJll e mu mère y boud e !
lI enri eLLe, déconcerlée par un e aval anche
d'obse rvations auxquell es les deux autres
ioueUl's pœ naient part, ne savait où donn er
de la tête ct j ouait il rehours du hon sens.
Le notaire, de son cô té, élail quelqu e peu
dépilé de vo ir ses ex plicati ons si mal c9mpri ses
ct les èo ups les plus impe1'dables ain si co mpromis. Qu elque soin qu'il mil il le di ssimul er,
llenri etl.e, plu s aLlentive aux déla il s de cc
genre qu 'aux ,'ègles du j eu, trouva qu'il cc faisait un e têle » cl .l e ne sais quel lulin raill eur
vinl agilel'l e IJo ul de so n nez. '
Salul'l1in s'en aperçut-il! Fut-il plu s confu s
qu'irrite - ou plus irrité qne confus de se
sentir la ri sée d'une impertin ente gamin e?
Touj ours es t-il qu 'à. partir de ce moment ses
co nse il s dovimont plu s raros ol aussi plu s
obscul'!; cl plus incohérents. E l HOnl'ieUe do
so diro :
- II (( bafouill o», décid ément, il « bafoll il le »...
�L'EXI L J)'IIENTUETTE
"3
HenrieLle se lut, un peu confuse, mais non
amendée par celle brusque sortie. Elle pensa,
sans oser celle fois le dire:
-Eh bien! c'est un Cujas empolé, voilà loult
Elle avait soin toulefois, pendant ses visites
aux Bonnisset, de sUl'veiller d'aussi près que
possible ses excenlricités de langage et d'allures, garchml malgré tout une aisance aimable
de l'excellente
qui avait achevé la conqu~le
Mmo Bonnisset.
��L'EX IL f) ' l fE:-I HI ETTE
IlcUl'cuscmcnt ni M. d'Aum érac ni MIllO B OIl nÎsse l ne sO upçonnèren t ri en de cet incid cnt.
Mai s, après cel essai malh eurcux, lc domin o ù
qualre ful aband onn é dans les ve illé('s qu i suivirent.
li s onlnmaienl unr l'nrtie d'écbeos.
De faiL, hi en qu ';îgé (l'u ne trentaine d'an née s
el pOurvu d'une instnlCtion peu CO l11l11l1ne,
M. Saturnin Bonn isse l élait res té, en dell ol's
des afTaires de so n éllld e, d'u no timi dité qn i
le r endait gallcll e. A 10 voir passer ponrl uellement , aux mt'mes hcul'es , dans les mêmes
rues bOll eusrs de Saint-Aunet, le parapluie so us
le bras cl le panlal0n soigneusemen tl'clroussé
4.
�L'EXIL ]) ' IIENlllETTE
autour de la ch eville, saluant d'un air' emprunté
les perso nnes qu'il r encontmi t, quiconque juge
les gens d'ap rès les cô t6 s plus ou moin s brillants de leur exlérieur l' e ût pl'is volonliers
pour le plus insi gnifiant des labellions. de provmce.
Quant à )J enri e tle, de lelles allures et le
prénom do Salurnin avec lequ el, sans qu'ell e
eût pu dire pourquoi, elles lui paraissaient si
hien cadrer, n e pouvaient manfluer d'exciter sa
verve moqueuse.
Un jour, devant son oncle, elle laissa il. son
sujet échapper le mot « d' empoté » .
Cc néolog isme il'l'e:>peclueux fit honùlr le
marquis :
~
« Empot6? » Qu'entendez-vo us par là,
mad emoise lle! Renoncez, j e vous prie , une fois
pOUL' loules, il des expressions pal'ticulièrement
déplacées daJl s la bouche d'une jeune fille. EL
quant il M, llollnisse t, sachez qu'il n'es t pas de
ceux qui peuvent donner prise ù. la raillerie ...
C'esl un espl'll di slin g ué so us tous ]es rapports, el, commejurlsconsulle, c'esl un Cujas Il
1. Célèbl'cjul'isconsultc français né i.L T oul ousc (1522- 1G\lO).
�cnAPITfiE v
LE S
DEUX
AllUES
La « sociélé )) Sainl-Aunello1 se , peu nomhreuse , d'aill curs, Il e complait pas beaucoup
de jeunes lill es (Jui, par la conformité de l'Age
el du milieu social, pussent se lier avec Henri elte. En Oulrc, plus d'une mère de famill e
avait cl ef; préj ugés con tre ce LLe « Pari sienn e )),
fill e d'nrti sle, ù qui l'on trouvait des o.11's trop
délurés, et, POUl' tout dire aussi (ce qu'on se
glll'duit bien d'avo ller), une élégance native qui
Conlr'aslai t fAcheusel1len t avec les ai l' S 1111 peu
B'uinùés de quelques-unes de ces demoisell es.
�46
L'EX TL D' lI EN RlETTE
Une de celles-ci pomtant sc trouvait atlirée ,
malgré les diITérences profondes de leur éducation respecli ve, vers la nouvelle venu e.
M1 lc Laure Albussy, d'un an moins âgée
qu 'IIcnrieUe, avait, sans s'en rendre comple,
dev in é e\1 sa récenle ami e des aplilud es el des
qu alités d'espril peu co mmun es il Saint-Aun el,
cl ell e en avait confusémenl éprouvé le charm e.
Héunics un j Olli' chez Mmo llonni ssel, elles
elll'enll'id ée d'ouvrir le vieux pi ano de famill e,
end ormi sous sa ll ousse verle.
- .J ouez-m oi quelque chose, vo ulez-vou s?
demand a Il l\['i eLl .
- No n: vo us d'abol'd.
- Moi, je ne sais ri en par cœ ur. All ons,
vou s me forez lant de plai sir!
hl Mil o Albussy, sans plu s se faire pri r,
entam a le derni er morceau flu 'ello avail appri s,
celui (lu e, pour le momenl, ell e faisail nlenure
invari ablemenl aux personnes qui , ell vi sile
chez sa mère, la pri aienl de se meUre au
pi ano, ca l' o ,~ disail (( qu'ell e avail beauco up
de di spos iti ons )) .
Tous les deux mois nvirol1 , sa mailr sse lui
�Jo;!I08 ouront l'id60 d'ouvrir 10 vioux piano.
�48
L'EX) L D'II E~
lUET
donnait ù étudiel' 1111 morccau nouveau qu'elle
lui faisait piocl,cr i.l l'exclusion de t,out autre,
jusflu 'ü cc qu'elle le possédât pal'faitemenl.
Une fois u, cl d,"'ant deux mois, led it morceau devenait ct demeura il Cil quoique so de
co nsacré, Laur' no l'appelait plus que \( mon
morceau » , Sa mère el les fami li rs do la maiso n
di sai ' lit « LOI1 morceall », « votre morceau » ,
El il sem bl ait que c'ellt Mé IIIl C lI surpalion
ind él icate si fluelqll'lllI il Sainl-Au nel CI'tL, pendant la ml'me p6ri ode, fait 1'l'lf'lllil' so n piano
dc la m '·lodi· donl :'11 11 " Alhu ssy scmblait [10 8séd('1' lemporairemcnt la monopole, Ali slll'plu s,
cc dangC' r n'é tait pas à craindre, l'uniflue
maLlrf'ssc de piano cl la pclile vi lle ayanl so in
de Il e pas ('réel' elltl'e ses (l i ves 1111 parcil 'ùnn il.
Lourd oll1 cllL , ù l'écolih'e, mais '01'1'CCI ' ment
en so mll1e, Laure exéeula JOIIC, pOUl' Id. CC I1Lihn e roi s peu l-t'oll'C' , C il s'app lifluant de so n
mi eux, {('S Clo(' IlCs ti n JJOltflsl!)rG,
(~ :
Qlltllld Ile ('ut l (' l'mi
COllllllelll lrouvez-volls IUCS Cloches '!
,l clll:tnda- l-e ll c,
- Pus mal, pus mal, répondit Ir 'l1I'jelle
�49
L'EXlL D'II E 1 BlETTE
éva~irmenl.
.. VOU S ne savez pas autre chose?
~ .. si... , seul eme nt je
- Non ... , c'esl-àdi
ne m'en so uviendrai plu s assez ..Mais j'ai app ris
aussi le COT des Alpes,. vou connai ssez? so l (a
mi, si d.o mi la, sol ... et Un pl'e17âel' .tImott1' :
si do Té, l'e l'e do rio .. .
, - Une muzul'ka , je ceois, fit Henri Lle
d6c1ai
g neu
~e m nl. Vous suvez, enlre nou s,
c' 'st un peu loc .
- Vou s LIiL s? fl r manda Laure, c1 éconl nanc6e ellégèl' men t allUl'ie ...
- Oh! je vous de~lan
e pardon, mademoisell e. C' st encore un ~our
qu e m,e joue ma
mauvaise éducalion. El pui s ... je pois que je
vous ai fait de la p in e, é' st hi en su ns Je voulOir, je VOliS jure, l vo us m'en voyez désolée .
C s franch es xpli calion s rassérénèreJllLaur
Comp'lèlel11 r llt :
'
- Mai s vous-rnA'me, dil-e ll e, si vous av iez
l'ohligeance de me jouer qu Iqu e clto e aussi?
- Oh! l11oi , je vo us l'ai dil, je 11 sais l'ion
PUI' cœur, mais, si vous youl z, j 'a i à la maison
tIn pr ll dr I11l1 siqu qu m'a donn ée Mme Berlh oli )', Ull e de nos a.mi s de !>uris, el. ..
5
�50
L'EXIL D' IlE:-I RIETTE
- C'es t cela, vou s me prêterez un morceau;
je dirai il. ma mailresse de me Je faire apprendro.
- Mais non: no us le parco Ul'l'ons ense mble :
c'es t bi en plu s amu sant!
- Vou s savez donc déchiffrer, vous?
- J 'ai moin s de doigt é qu e vous, mais j'ai
peul-ê tre un peu plu s d'hahilud de la lecture
mu . i 'ale. Vous vous y f e r e~ bi en vile, et vous
v 1'1' 1. qu Lattrail vo us y l 'o u ver~
! D'ailleurs,
j n'ai fJu des mol' ca ux facil e, vo us pensez
bi en, mais MmoBertholi l' dil que cc sonl qu and
môme ùes ch efs-d'œ uvre. Ah! celle-là, il faul
l'enlende 1 mazell ! .. .
Ell e n prit pas gal'd e elt fois à cc l autre
mol malheureux qu' 11 pronoll ça n fai. anl
claquer ses doigts, el polll'sui vit avec enth ousiasme :
- Ten z, l'Ol1vedure de R ovin des B ois, vou s
n connaiss ~ pas'? .. non? .. Ça co mm enc
ll·'·s lenl ment et, cl s les premiers acco rd s, on
éprouve je n sais pourquoi (peul-ê lre à cause
du Litre?) l'impression (Ju 'o n esl dans un o
gl'and for l, lu nuil. On nt nd li s cors qui
s répond nl au loin. e )1 ' st que Le piano CI ui
�L'EXIL D'lfENn lETTE
joue, mai s on comp l'end bien que cc sont des
cOt'S. El l'ail' - l!'\S simpl - a qu elqu e chose
de fantastiqu e qui donne la chail' de poule.
Ensuit e, c' sl comm e un mugiss menl qui
ressemb le tt un ap pel, et après, ùan s un mouveln enl vertigincux, c'esl une menle qui s'élance
cn aboyalll, dall s une chasse infern ale. Tenez ...
avez-vous lu la légende du bea?t P écopin, do
ViClol' lIugo? .. 11 y a Ut un e cha 'sc ... Eit
la.. . n
hicn, c' sl quelqu e chose comme
mu . iqu e. Mille clame ul's con fu s s, mêlées an
hl'uit d'u ll vent qui gémit dans l s rameaux
pt'essés <l'arbres sécul air s - sans qu'au mili eu
de celle so d e de toul'billon sono re on ccsse un
seul inslanl de s nlil' un e harm oni e atlmi'''tbl .
Pui s touL s'apais , ct 1111 mélod ie sel' 'in e cl
léghc sc d \gûg' lonl à CO llp .. , Oh! je ne peux
pas vous dire : mais 'esl beau, c' st beau!
Et lIenri elt , dan s un lransporl juv \nil ,
fai sait Il ""rand s bras, ouvrait dcs ye ux ardenls,
fredonnait, sans so uci de paraÎlre rirli cule, les
passlt"'es qui lui l'CY nai nl, ssayanL de supplé l ' par I(' s ges les, pal' la physionomie, par
tout . (lui "lait 0 11 cil " Ù l'iusnfflsanco dos
�L' EXlL D'HENH IETTE
pal'ole., afin de rail' partagel' il son amie
SO li enLhou 'iasme p OUl' l'œuvl'e mag isLrale ùe
W cLet'. Lauee éco u LaiL, lU terloquée cL sa isie.
Elle n'avait jamai ' entendu pader d'lut
all1SI.
- Nous jouerons cela?
- Oh! non, 's t trop difficile, je vous l'ai
diL. ~lais
j 'ai du JlozarL. .. , d ravissanLes mélodies de la Fl ûta enchantée, \" Marche ttwque,
cLdes sym phoni s d'Haydn, et puis aussi quelques pag's, parmi les plu s sill1ples, d s compositeurs mou rnes .
Un auLro jour, c'éLaient des dessin s, li 'S
aqllarelles, essais inllDbiles mai5 pleins de
Jlromess s qu ' Henri etLe montrait a son ami. '
Et . lle- 'Î de s' 'xclutllel'. Oh! omm 'o la
l' 5sc m blai t peu aux dcss i 11 5 maladl'oi L
emont
fir;nolé8 qu'ell e avait vus SUI' \es albums des
nTandes jellll s nu s de 5U 'ollnaissance!
Traits ou OUI'llt'S 5 mhlaient j tés ù la
diabl e sur Je papi l', el donllai nL pourtant, en
d \l'iL des li ', rauLs de l'exéculion, un impt·ossion do v ;l'iL" LouL il fait s "duisallte.
J!Pmi Llc Il 'élai L poin L vaniteuso. Et quoiquù
�53
L 'EX IL D' H ENl1lETTE
fl allée de l'admiralion n aïve qu e lu i témoignait LaUl'e ;
Un nul l'o jour, c'6lail los dessi ll s, 106 (lquarollos,
-
nOn! dil-oll e en ri ant de loul cœ ur, co ue
So nt lit que do méchallls croqu is!
fi,
�54
L 'EXIL D' IIEN RI ETTE
-
vos
(lU
-
« Méchanls croqui s »? Co mm ent so nt donc
modèles?
Mes modèles? .Te n'e n ai pas, c'esl-à-dire
j e dess ine ou pein s d'après nalul'e.
Oh! vraim enl! Vous m'appr IIdrez, dites !
.J n demand e pas mi ux. Mais 'il faut
p OUL' cela du 1 mps l hi n tI s ssais pl'éparaloir s, el pui s, vous am z en moi un pièh' pror ss Ut'.
- .Je n'c n crois rien, l d'a ill ur, ce se ra si
UJ11l1 sanU
Jl rul donc co nv nu qu 'au pt'emier jOllr, rTn ri ' Lle, qui n'avail pas do pian o à sa di spos iti on
dan la maison do s n oncle, appol'Iemit eh z
Laur un peu de mu si(lue, avec l'aLlirail né '('ssail' pour dess in er.
Les Albll ssy, (Juoi(lll joui ssanl (l'un assez
bil e rorlun e, m ' naienl un e vic forl simpl (',
labOl'i euse cl lrès hOllrg oisr . Le pèro surveill ait
lri's a 'li ve mcnl ses (1l'opl'i(' 1IS; d(' ux ga r ~:o n s,
l'un plu s ,lgô, l'tllllr pili s jelill e f(U P l(' ul' sn' ur ,
raisa ielll Ir urs c1 assps aIL Iy(;(',p d Grcll ol'( p, .
Enfin Laur , ('!evôo dans un p pPlil(' pcnsion de
'ainl-A uli 1, J' cc\'a it (' II ll1 èmo l ' lIlp S, <l sa
�L'EXIL D'IIENHIETTE
55
mère, un e édu calion lrès praliqu e, el avail élé
inili ée de lrès bonn e hl ~ ur ea u x so ins du ménage .
Mn.. Albussy cL
Sil
fillo raoJ:;caiollL,
, on amie l s trouva donc l'une et l'aulre au
mili li d' un ~ nol'm
e las do lin ge.
- Ah! c'<,sL VOliS, madcmoi s Il e JI Ill'iell ,
dil Milio Alhll ssy en l'ap l'cevanL. Nous :dOliS
l'ail hi er' la 1 ss ive, cl vous n OliS voyez occupée!> tl l'(\ 1l''''C l' lOlll ,la dans nos armoire .
II micLL p nsa :
�L'EXI L D'lIE lUETTE
Poul'qu oi ne laissent-elles pas celte
besogne il leue bonne?
Pui s, ouvrant de grands ye ux devant les
montagnes de draps de lits, les collines de
nappes, les éminences (l e servi tles et les monli culC's de Jinge de co rps:
- 'Tai s c'est ù vous tout ce lin ge-là?
Et clle pensait a ux dçux ou Il'ois lil'oirs de
coml11od qni enf l'm aient , Ù Pari s, tout leur
prov isioll, - si indigente qu ' les l'elards de la
hlan chi sse use les Ill ettai ent pUl'fois dans l'imposs ilJilité de sor Ur, cl (JLle, (ILl ant! par hasard,
ct tl lill'e de récipro ité, les BcL'lltolicl' dîn ai nt
'h z ux, il s apportaiellt 1 urs sel'viell es, sans
plu s de 'érémollie.
- Cerles! répondit ){,UO Alb1lssy non sa ns
'") , 1\,'ÙI'C pointe do fWl,t ". Et cncol'C', vous Ile
voyez pas loul. NOlls a\'ons d "'Fl mi s d cô té
10llte lIll . corbeille d'e ffets tl rac 'ommodel'. Ces
Juro uses n'ont au 'un soin.
- Voilà tI"u tl.·avail pOUl' la Iiugèl'e, dit HC' I)l'iette, pen sallt clol'o] pl'OpOS.
- La lingère? dit LUllI' à .80n tOUt' Mais
c'es t nou s, la Jingè l'
�L'EXI L D'II ENlllE'I'TE
57
- Comment? c'est vous fJ.ui ...
- Je crois bi en! Et c'est moi, en particulier,
qui repa se Lout le lin o'e pl at.
Pendant ce coJJoqu , le lin rre s'emp ihit doucemen t dans la gmnd e ~ r'm oi J' e de noye r. Laure
avait une dex Lérité S UI' [)!' nante à ranger rapidement chaqu o so d e d'objets Il pil es r ;guli \ res . El la mère ct la j un e fille meUa i nt à
cc lI'avail, qui paraissait à Il 11l'ielle aussi
fa stidieux qu vu lgail" , j e ne sais quelle minuLi amoureuse.'
C'6tait hi en (( province » ell cfTc t, mais cela
avait l'a ir COSS II tout de mt'me, cl propre ct
}'éjouissanl, c s rayo ns lout hl all cs, pl'6s nlanl
l'aspe'l sym "l!'iqu e d'un e hiblioLhè(lll e cl d'où
s'exha lait lin fmi s eL ,[tin parfum li' lavande.
VOliS excuse rez Laure, mademoise ll e
Hellri ell , dit {"'OAlbussy, si jl' la r li ens quelques illstanls. Mais nous allolls uvo ir fini.
Pui s louL ü co up:
- Ah! m OIl Di eu, qu ell e 0<1 'Ul' Il e brtll é
JU slin e sera so rti , eL \'oil il sa hlanquetle qui
Va se lllir la fum ée ...
Et Laure, loul aussitCll :
�58
L 'EX IL D'II ENHIETTE
-
J'y vais, maman, Venez-yous, Henrielte?
Ell es descendiL'enL les lemenl à la cuisine, Un
res le de gigo t, accomm odé en hlnnquelle el
tl'O p longlemps aband onn é, ' rissolait en eIT t,
répand ant un e odeul' m(l naça nl pour le succès
ue la cui sso n.
Laure cul bienlôL fail de prendl' une aull'
casserole cl d'y mellre la bl anqu Lle.
h n uil cil pui sa da ns la marmile, où milollnail 1 pOL-au-f u, IIne cuil! réo d houill on
qu'oll e ve rsa pl'ompLom nl SUI' lu viand e ]éjo't
rouss I .
- Là, diL- Il e, je crois fJue vo ilà 10 mal
réparé.
IJ enri elle élail, il so n Lour , ébahi e de vo it'
lin o j eun fill moin s:'lg 10 qu'ell c, presqu o lin o
enfanL, !ùlc quiller av c ce lle sôt' lé cl so ill s
domes liqu s donl lle-mêm étail profond ém III in capahl e. Il lui s mbl ail flll 'à êlr fuil s
d'aussi bonn grâco par des main s bl anches el
délicales, c s so rl s cl ho 'O'rnos p ' l'dai 'Ill un
pell d l'odi ouse vul garilé qu'o ll o leur lrouvait.
El , ' Il Y réfl échi ssanl , ell ' fu L bi n obli géo,
�L'EX[L D'HENRIETTE
59
en dépit de ses préjugés de fille d'artiste et de
Parisienne, de se reconnaître - au moins en
un point - inférieure ft celle petite fille il la
fois bourgeoise et provinciale.
��CH APITRE VI
U E EXCUnSIO
La belle saison éLait venu e. Les bois qui
dominaient, en le surpl ombanL presqll e, Je casleI tl'Aum 6ruc, noye rs, chênes el châtaigniet,s ,
avaient rev'· tu Jeurs fr ond aiso ns, cL1 s prairies
flui s'élend aient JUSqU'il la rivière s'émaillai ent
de pâqu e!' Lles el de boutons d'or.
Le l mps était propi c aux xc ursions. Un
jour que Laure était v nue pass r l'après- midi
ch z lI enri ' Lle, les deux j un es fill es, l nlées
par le clai r cLgai soleil , s'uye ntul'èl' nl qll elquo
peu a.ux environ s de la ma.ison. Pui s, pal'
6
�62
L'EXIL n'HE NlUETTE
ardeur juvénilc cl presquc sans y penscr, ellcs
escaladèrent lu colline, respiranl avec délices
l'ail' pur de ces fraîches régions, ce jour-là.
délicieusc mcnt alti' di cl imprégné dc scnteurs.
Et c'étaicnt il chaque inslant dc pclits cris de
joi e, à mesurc qu o le panorama sc dévcloppait,
q lIand un buis on accrochait leurs j 11 pes ou
((lland un oiselct effaré s' Ilfuyait hrusqucment
av c un hruiss m nl d'ailes. C' ' lait mieux
qu'ull e pt'om nad " c' ' tail un véritable explorali 0 11. A chaqll . pas, flOU v 11e surpl'Ïse, exclamali on nouvclle. Tout Ics cnchantait : la purelé
d" ciel , l'horizon où les Alpes d.lI Dauphiné
déco upai enll urs silhou eUcs enCO re neigc uses,
'l, prcsqu e il leurs pi ds, la l'Lvi rc de lluiz
scintillanl dall s 1 tcndrc fcuillagc d s sa lll s,
cl Saint-Auncl, donl les loils de luile l'ouge
jelai nl dan s ce hleu, ce vcrl l 'c hlanc UIIO
not vibmnle l gaie.
Toul à co up, dans 1 calme el la sérénil '. dll
déco r, ull e cloebe tinla, so nol' et leule :
- L Il clo ,It Il du mOllllsl\ l'o! s'écria malici usement Henri 'lle, dont Je caractère un peu
gouaill ur reprcnail le dessu!:i,
�L' EX IL O'lIE:\iHIETTE
•
Laure rou git. l)ui , avec
ll'ainte :
Ull
63
peu de con-
- Vou s en voulez beaucoup il mes pauvres
cloches. Je vous acco J'd e que c'es t un e producli on médiocre : j m'en rends parfaitemenl
Compte mainlenant, el gl'Clce il vous. Mais ne
trouvez-vou s pa s qu ces rosonances soudaines,
gl'tlYes el dou cs, ajo ulent à la sé rénité du spectac le qui nou s rnloure? Ce so nt comm e des
ae enls inarli ctMs qui l)\'oqu enl je Il e sais
fluell, s idées sa illLes cl héllirs ... Il me se mbl e
qu'un composiLeul' pOllyail bi r n, sans ridicul e,
cssa.yel' de s' n in spircl' . S' il y a. mal r éuss i,
es l-cc un' raison dc raill l' d'aussi loucllanles
irnpross ions? Cc sc l'ail montrcr qu'on nies
Compl' nù pas cl h ire prcuv pal' co nséqucnl
d'unc séchcrcssc dc cœ ur dOlll vous Nos bi en
éloignéc, - ou bi ell qU'OB cs l méchanl , ce
qui cst n '01' moin s vo tre cas.
La l ç n 6lait fail c d' un vo ix un p CIl LI'cmhlanlc, Otnme si Laul'e eùt éLé cll c-tn5tn c
>!frayéc d sa ha.J'di rssc, mais d' ull Lon n('l
pourtant, où s'af(1l'mail av C fOl'meté lu fl'aicheut' de s nlimenls qu' un ' éducalion hi ' Il
�L'EXIL n ' II EN RIETT E
dilTérente de celle d'Henri ette avait développée
dans son ùme.
Si nouveau qu 'il fl:.t p OUl' ell e, (' l poul-être
même à cau e de sa nou vea ulé, e langage
fr appa la P al' isienn e, qui, loin de s déco ncerler, lI' s primesauli ère et tri'5 bonn c, au
fond:
- Vo us val z mi eux quo mOl, ma chère
Laure, dil- 110 Cil l' mbrassant. E nco re lin o
fois, .i ' vous d mand e pard on, je ne vo ulai s
pa vo us laquin cI·. N'e n parl ons plu s 'l onlinu ons Il olr promenade.
L'in cide nL avai l néanm oin s j lé un fl'o id.
L'enlr li en languissait, el pui s, l'on s'était dé.i à
io s nsibloment écal'té du chft Leau plu s qu do
raison : la pro mcnadc l c l a~ iL li lourn cl' à
l' scapad . Lauro s'on apcrçul la [lI' mièl'e
parl a de 1'ovoni r. Une nouve ll e ex 'l all1 uli onlui
r épondil :
- Oh ! UIl Ll chèvre, un o ch "vre loule hl al1 ch '!
Venez dOll' vo ir, Laure : 1111 0 chèv re, deux
chèv l'cs, un troupea u de '1I \\'I'C5!
CC sp cluc!' "luilloulll ouvea u p Oli l' la Parisienn e.
�L'EX IL D' li E ' [U ETTE
Laure s'approcha, moins pOUL' sc repaître de
celle vue qu e pour réitérer ses in slances .
A u même moment, une frimou s e éveillée
sO I'lil du tailli s. C'é lait le chevrier, un pelit
garçon ébouriffé, avec des y ux diaboliqu es ct
un œil farouche des plu s amusa nts.
- Oh ! ce pelit sauvage, s'écri a Uell1'i etle,
qu ell e têle à croqu ot'!
- El ~ L débarbouiller, fil Laure en ri ant.
- A débarbouill r sur to ut. Dis- moi, peLil,
Veux-tu que je l cl 'b al'hou ill e '?
L'enfaol ouvl'itdegl'Undsy uxsa ns l'\po ndr .
- Di s, ve ux- lu '? poursui vit Uelll'i elt , je le
donn orai un so u.
Le jeune pillr allall pl' ndre la fuite, qu and
le l11 0l de sou l'arrêta. Pres tement, Uelll'i cl le se
relrou ssa 1 s ma.nches, trompa so n mouchoir
tlall s l'cau lI' 'S clail" qui bondi ssait il deux pas
d là, ct tandi s qu'c il, pl'océdait il l'opémlion
mal r' l'é les 'Tima 'C ' du gamin :
- Il '1Il'i clL " Henri ette, qu o failes- vo us?
rép ' tait Laur ' slup \faite el quelque p ' u scanclaU s"0; si l'o n n Oll voyait !
Au même lIl om nt Il effet, g ràc il un petile
li.
�66
L'EX IL ])' II EN n IETTE
pnl' où l'on ap rcevail un hOlll de senti er desservalll qu elques habitati ons éparses
dan la montagne, ùn vil apparaître, abritée
d'un e ombrelle jaun e el vê lue d'une robe violette de co upe sévère et simpl e, un e femme qui
s'a rrêla il la vu e du groupe qu'el! avait so us
1 s ye ux. C'é lait M il o 'tèche, une vieill fill e de
Sainl-Aun l, longue l maigre, marcheuse infaliS'ahle, qui parco um il vo lonti rs 1 s nvirons
de la pelile vill e les joues de beau l mps cl qu e
les habitants du pays, habilu és il la l'enconlrer,
sai uaienl avec respec t.
- C'est donc vo us, Lanr ! s'écria- l-ell e n
r co nn aissant Mil o Albu ssy . Qu ' sl-ce qu e vo us
failes là?
- J e ... je sui s av c lIenri elle d'Aum érnc,
ré pondit Laur cmbaI'l'asséc.
- Ah ! mac! moise lle e t lu ni "'e du mUl'qui s d'Aumorac? dit la vi iJlc fill d'un ail'
qui parut il JIenri ollc un p Oli pin cé. El il
n'y a p rsonn alllre av'c vo us? onlinual- Il e.
- Oh ! nOli s n ri sfJll ons pas de nOli S perdro,
dil tl so n lou!' JJ cnri r ll d'un 10 11 qui , sans ôll'e
~c l n il' c i e
��6d
LouL il fail in co nve nanL, avait pourtanL l'ail' de
slo'nifl er : « de qu oi sc mêle-L-ellc? »
- Mais, s'emprcssa d'ajouter Laure, nous
allons descendre [l l'in sLant.
- Et cc pctiL berger ? .. interrogea encore
Mil O. tèc he.
- No us l'avons débarbouillé, répondiL fi èrement IIemi eLle.
- Mais il n 'es t pas co nvenabl e de .. .
Puis, press nlant qu elqu e auLre rip os te qui
au l'lLi Lpu ell ve llimer le (li alogue :
- Je crois qu e vo us f l'ez bi ell li desce ndrc
au plu s viLe, vo us du ~o in s, Lauro, ra r je ne
co nn ais pas madomoi cli o, diL-o ll e d'lin ail' plus
pin '6 (Ill e la premi ère fois: vo Ll'e mèr poul'l'ait
êLI" en pein e ci e VO ll S, rl ell e n'aul'ail ce l'tainemOlll r as l'id ée de \'Ollit' VO LI S ch ' l'ch0 1' ici.
La vieille fill e poursui vit SO Il clH'lllin , lUlldi s
qu e Laurc t J1elll'iolle, lu tôle un peLi Lasse ,
l'l' dcscend uicliL pres lom nll a. co llin.
- Je vais N I' " l'ond ée, pour S lU ', diL La uro
tri 'lolll ent, omm e sc pad anl il Ile- mê\ mo ot
sali s ]e moindre ac 'elll de l' (It'oche à l'adl'esso
d' II '/ll'i II .
�L 'EX IL D' lI EN HIETTE
fiO
- Grondée, pourqu oi?
- Ma man no sera pas co nlonlo de colle
avenluro.
- Il n'y a pourlanl pas de quoi êLre ffte hée ,
el d'ailleurs, cluello JJ écess iLé de lui raconLer ? ..
- , i olle m' illlerrog , il faudra l)ion qu o je
lui r épond. Du res le, ?l111. Slèc he, qui voit
SOuve nt ma man, ne manqu era pas de lui I.l
fai l'C pa rt.
C'os t ela ... E l r n amplifiant sans
doul e ?
-.To no Hais pas, dit La ure naïvomenl.
- Si, si, clilii enri elle avee impélu os ilé, n
amplilianl. Et j'aurai aussi mon paqll el, moi.
Oh ! les vieilles fill os, loules havard o::; el
mécllilnles lall g uos ! Tell ez, un e se mbl abl e 'h oso
H OU H mil arri vée il Paris, (Ill e perso llll n sc
se rail avi s' d'y fourrer so n 11 0 7., el de polinor,
L cl ja boLol', l do papoler Ih-doss us co mm o
s'il s'ag issait d'ulle affaire cl 'lhal.
0" a rrivail au chft Lea u (l'Aum érac . La bonn e
de Lllure étail ve nue la 'hordl ' l' et, déjit
inqui \ L , oll e parCO U1'I:tll uv le R lin les alen-
�70
L'EXIL J)'IIENn IETTE
tours de l'habitalion iL la recherche des deux
jeun s fiUes.
Laure mit promplement son chapeau el prit
iL la Ml congé de son amie.
�CHAPITRE VII
Cc qu 'cil redoulait ne manqua pas d'arr iver,
Mll e Sl\che fil d' s le lcnd main i.t Mm
o Albussy
lin l'écil comp laisanl de la scèn dont e1l avail
élé lémoin, n l'accompagnanl d réJlexlOn
peu obligeantes, quoiqu sincères, il. l'adl'csse
de lu <1. Pari sien ne! 1> • S S yc ux, pour êlre
l'l'anche, JIlIOAlIJUs y a V'.l.ll cu le lorl d laisser
sn. fill e sc li l ' aussi ~ tr o iL e m nl avec un e
nouvell e v nu , ul'l'i v'e on ne savail lrop d'o ll
cl él vée ù la di able, i Mm o Bonnis 'c l, pal'
égard sans doute p OUl' 1 marquis d'Aumérac,
�L'EX IL n ' li E ' nI E'["j' E
un an cie n a mi de feu son mar i,
ava it pris elle
peli te SO I1 S son pat ron age et en
par aiss ait vér itabl eme nt coif fée, co n 'é tait pas
un e r aiso n
pou r qu e les mèr es avis ées n'ag
isse n t pas avec
plu s de r éser vo .
1\1'"0 Albussy n o lais sa pas de fair
e la par t
des exa gér ati ons pr ob able s con
tenu es dan s )e
réci t do Mil o S tèc lt o, ré dui t d'ai lleu
rs par Lam o
à de plus jus tes pro por tion ' . E
ll o pre ssen tait
sur tou t so us l'em pire de qu ols pré
jug és é troits
et inj ustiflés la vioill e dem oiselle
lais sait ainsi
pel' Ce l' SO li anti p athi e pou r une
j eun e fille
ch ez qui l'ex t6ri eUl' , les allu res
, les pon sée s,
les sen tim ents, tou t c qu'elle
a vait vu ou
appris d'elle, éta ient si con lt'ail'es
à ses prop res
instin cts e t fa iLs pO UL' Les cho
que r. E lle fut
n éanm oin s influ encée par touL es
ces co nsid éra ti ons.
Du r os te, l'a ven ture colp ortée dan
,; Lou" les
« salo ns» de Sai nt·A un el,
dev int le bl'llit du
j our . Henri ette pas sa po ur un
e éce r velée ,
cap abl e de lou t s les exc e ntri cité
s , et qu 'on n e
po uva it, san s i mpr ude nce, don
ner po Ill' com pag ne à un e enfa nt de so n ~g-e
.
�73
L'EXl L D'Il E TIl ETTE
P eut-ê tre y avait-il a u fond de tous ces cancans il propos d'un e fort min ce aventure,
g rossie à plaisir, un peu de j alousie e t co mme
un e revan ch e m éch ante à l'endroit de ce lle
« P ari sienn e sans le sou », donl la gr tlce et
l' esprit naturels avaient c~ u sé plus d'un dépit
sec ret dans la co terie féminin e de la r tile vill e.
Quoi qu 'il en soit, Mme Albu ssy cru t devoir,
malg ré ses sentim enls pe l'so nn els , emprein ls
de plu s d'indulgence, céder à l' opinion . A par tir
de ce m omenl donc, L a ure, so us des prétex tes
divers s uggér és par sa m èr e, s'ab stint d'all er
chez Uenri elle. Cell e-ci, touj ours bien accueillie
- quoique avec plu s de réserve chez
){n,o Alhu ssy, ne tarda pas ù deviner la pe tite
co nspira tion ourdie conlre elle. njour qu 'elle
élait dem eurée se ul e un in stant avec L aure,
el le laissa écl a.ler devant son ami e, el en term es
mal m es urés, lout ce qu'elle avail sur le cœur.
Ces déclaralions, faiLes d'ull lon légèrement
exa lté, e urent pour rés ulta t de pro voqu er chez
Lame un e crise de la rm es . Mme Albussy
aCCO ul'ue, e L tout en émoi tl 10. v ue de sa lilI e
en pleurs, murmura le mot d' « exlravaga nte » .
L'l:XIL D'liEN illET" t; .
7
�L 'EX IL D'HENR IETTE
C'en élaillrop: Henrielle, frém issan le, re lourn a
a ussilôl ch ez So n oncle, se promeltant bien de
vivre désormais il l'écarl de lo ul ce monde de
Sainl-Aun el, au ssi méch anl, pensait-ell e, qu'il
était bêle el so t.
Sans voir ce qu'il y avail d'excessif e t d'injuste dans son accès de mép risan le colèl'e, elle
se confina ,donc dan s sa retm ite e t dans son
isolement.
Le m al'quis, mis au CO ul'n.n l dos circonslances, se borna il faire, po ur la vin g tième fois,
des r emontrances à UCl1l'ie lle S Ul' son excentricité, mai s en prése nce de l'atlilu de prise à
l'égard de sa nièce , il fut le premi er , pa r le
sentim ent très vif qu 'il avait de tout ce qui
toucllili l à sa di g nité prop re ou à celle des siens,
à l'enco urage r dans sa r ésolution de ro mpre
loules r elali ons avec la sociélé Sainl-Aunelloise .
Il l'engagea donc plus qu e j amais à s'occ uper,
pour empl oye r son temp s, des so in s du m énage ,
et même, dans une certaine m sure , des travaux de la ferm e.
Henriette s'eŒorça d'y pl'enure gOLLt. Mais
Rein e était une lJièLr e initia tri ce, pe u claire
�L'EXTL D' HENRIETTE
75
dans ses explicalions, qu'elle donnait d'ailleurs d'un ton bourru, ennuy6e qu'on ne lui
".
11
ci' d
Ello commença nno longuo leUre.
la iss:\l pas faire tranCJll ill ement sa besogne
loule se ul e, co mm e à l'ordinaire.
Alors 110 lourna les youx vers P a ri s ol com-
�7(;
L'EXIL n ' HEN RIETTE
m en ça un e long u letLre, da n laquell e ell o
fai sait pad il Mm" Be rlh oli l' de so n a mel'tum e
e t de ses e nlluis, la p l'essan t de ll'Ouve l' un
moye n - qu 'elle n'enlre voyait pas elle- m tl me
- de l a l'a ppeler là-bas . P uis clio r éOéchi t
qu 'ell e dépend ait de son oncle; qu e d'aill e urs
ell e n e pouvail, S;lIJ S in gra lilud e, so nge l' Ù. le
quilte t' ain si, lui q ui l' avait l' cue illi e, e t qui,
m a lg ré les as périlés de so n caractè re , se mo ntrait au fon d tl'ès Lon pOUl' ell e. Il aurait fallu
co mm encer par fail'e au mar q ui s l'a veu pénible
d' un désil' il pe u p l'ès inéalis able, a u moins
pO Ul' le momen t. Tout cela était il la fois cruel
et pu ét'il. Elle r ésolut clonc d'a LLen dre on co re.
De fait , M. (l'Aum érac, hi en qu'il s'appli qu â t,
da ns l' a uslè re ri gidité de ses ma nièr es, il n e
pas le la isser tl'Op voir, s'était pris peu ù. peu
pour sa ni èce d' une a ffecLion lendre et pate rn elle.
Il ch l'cha donc il adou cil' la lrisless e de sa
so litud e m Ol'ale .
- llenri cLle, lui dit-il nn j om, j' ai Cl'U
m'ape l'ce voir qu e vo us liriez vo lonti ers, si VOll .;
av iez C]u elqu e chose il lire. Moi .le n'ai que des
�77
L'EXIL n ' lm RIETTE
livres qui ne conviennent ni ù votl'e âge, ni ù
votre tournure d'esprit. Mais je .pourrai faire,
M· BonniSS8L.
pour vous quelques empl"UnLs à la bibliolhèquo
de mon am i Bonnisso L. ..
« L'empolé! » pensa II enriette, est-ce
qu'il va m'offri t' à déchiffrer sos grimoires?
1.
�78
L'EX lL D'IlE NIHETT E
Mais Bon nis cl, co mm e le disa
it so n onc le,
étai t au fond un esp l'ill rès cult ivé
. A la dem and e
du mar qui s, il se nl un plai sir, par
mi le nom bre
r elativem enl co nsid érab le de volu
m es qu'i l possédail, d' n meU re un cerlain. nom
bre à la dispos itio n d'U emi elte .
Il en fit Ull choix aus si jud i cieu
x qu e var ié,
cl qui dén olai l en lui un lacl lrès
fin , un' goù t
Irès sllr. J] enr iell e lrou va à cc.
lecl ure s un
dla rm e infi ni cl sc demandrt, dan
s sa naïv elé
e ncOI'e enf anti n e, com m enl un hom
m e lc l que
Mo llon ni ss l, av c so n par aplu ie so
us le bras,
son pan lalo n r elro uss é, el don
l la pro fess ion
con sisl ail il. libe lle(' un tas de c!tr>
ses pou r les
« fulu r s co njoi nls », pou vail
pos séd er, lire e l
""O lltel' lui- mêm e des ouv rag es
si déli cate men l
pen sés, si agr éab lem enl écri ls. C'é
lait pou r ell c
un phé nom ène inexp licable.
L e n olai re j oig nil e ncore à ces prê
ls - tou jou rs fail s par lïnlerm éùiail'e
du mar qui s que lqu es ouv rag es de vulg aris atio
n scie nlifiqlle
qu'H enr i ette ne lu t pas ave c un inlé
rôl moi ndr e.
Son esp rit mù riss ail , déc idém
enl. Elle s'in iliai l ù mil l e ques tion s don l ell e
n 'avait jam ais
�L' EXlL D' HEN RI ETTE
79
entendu parlC' l' da ns le mili eu étroit e t spécia l
olt e1l avail été élevée, ou qu 'elle s'é tait habitu ée à con sid érer avec dédain.
On voiL pal' là que s i e lle avait à pell près
cessé tOllt r apport avec L a Ul'e Albu ssy et les
autres de moiselles de Saint-A un el, ses relation s avec la m a i. on Bonni sse t n'e n \ta ient qu e
plu s r esse n ées , i\'l'uo Bonni sse t tennit d'a ill eurs
à protes ter co n lre l'o stracisme dont on a va i t
fl'app é sa protégée .
Quant a u notaire, il se tenait tL l'écart rl'[l enrielle , de qui il s'é tait senLi secrèlement morJll é ,
11 ne lui en v o ulait pas, néanmo in s, n e se ll'oavant null ement a tteint par l'ironie mu r llr t
so ig neusem ent co ntenue qu'il presse nla it c hez
ce tle gamin e san s méchance Lé, m a is en qui la
go uaillerie é tail lin o seconde na ture . S urLolIl ,
il se ga rd ait bi en de laisse !' pa raiLre q1l'il e ùt
rien devin é, de peUl' qu e sa m èr e, bi n éloignée , d 'aill e urs , J ' un pareil soupço n, n' en
conçût un re sc nLim nt que lui-mê me n 'épl'oUvait pas .
Il savOllrait môme, pour le m oment, comm e
un e r cvulI c.he gé né re use, le plaisir de voir, par
�80
L 'EX1L D' HENRIETTE
l'accueil fait .à ses
teuse avait pris
co ns tater, d'apr ès
clu el point elle les
livres, l'inlérêl que l' emprunà leur lec tul'e, heureux de
les déclara tion s de l'on cle, à
goCtluil.
To ut efo.is il n e se so ucia it pas, depuis la
pa di e de domin o il qua tre qui avait m arqu é le
déout de leurs r ~ l a t! o Il S, cie donn e r un n ouvel
a liment à ce t in slin ct de « bl ague» à outl'an ce
qui é tait un des cô iés l ~la Ü lC ' u~ : e U ;{ du ca ~acL
è re
de la j eun
e
ml
o,
e
t
il
év.iLa
il
de
la
r
encontrer
.
.
. .. .
.
. .
�CHAPITHE VJ n
PAPOTAGES
Bien quc recevant beauco up de monde, [L
rai son de sa silua tion de forlun e ct du nombre
de ses relalions, MlIlo llonni ssel n'avait pas de
jour. Quico nque allait la voir éla il aussilôt
reçu, à moins qu'clIc ne fùt absente. Comme
elle était d'allleurs très accueillante ct fort peu
cél'émonieuse, on allait sans façon chez elle,
n 'imporLe il quel mom ent de la journée. Si
les visiLeurs la sUl'prenaient dans sa Lenu e dc
m énagère ou si le saloll n' élait pas fait, elle
s'en excusail gaiemenl cLfaisait entrel' les gens
�8'2
L'EX IL D'llE NnlE TTE
dan s la sall e tl ma nge r , t OUj OUl'
S bal ayé e cl
épo uss e tée dès la pre miè re lI eu\'
.
C'é lait un e tou le petite pièce très
clai re cl
très gai e , écla irée par un e gra nd
e fen êlre qui
don nait sur 1 j arù in c t par où
a rri vaie nl au
lH"inlemp s des erauv es par fum
és. Mmo Bonni ssel , du r ste, aim ail bea uco
up les neu rs.
SUl' la che mill "e, out re les de ux
gra nds vas es
qui , avec deu x flamb eau x de
bro nz e, enca- .
dl'aient la pen dul e, vin gt petiles
pot eri es g racie uses où s'ép anoui ssaient de
m inu scules
bou que ts, ren ouvelés avec soin
, oITr aien t la
biga rru re emb aum ée d'un par terr
e artiflci 1.
L e mobili er sim ple ct co nforLab
le nnn onçait
le IJien -ê tre.
Au x mu rs , pas de tabl ea ux il l'hu
i le, mai s,
fral chem ent encadr ées ,. deu x. cau
x-fo rtes d' un e
véri labl e vale ur . Par con ll'e,
en face de la
fenê lre, au- dessus ù' une con sole
, c'es l-il- dire ù
la plac e d'ho nne ur , s'étal ait un
aITr eux pas t 1
au x t ons r ances et dur s. C'é tait
le pOl' tmi t en
hu ste ùe feu M. Bon nisse t pèr e, œ
UVl' e anc ienn e
d'un arli ste de pas sag e . Il é ta
it sa ng lé da ns
une r eùin go te don t le coll et
r emo ntai t ju '-
�L'EXiL D' Il ENUIETTE
83
qu'aux or eilles ct laissait voir, par devan t, le
nœ ud d' un e imm ense cravate à plusieurs tour s
llont les bouts r etombaient sur un g ilet jaune.
L'air austère et solennel, illenait à la main, un
peu plus haut qu e son gousse l, un livre au dos
duquel l'arti ste avait écrit en leUres voyantes:
Code.
On devin è qu e ce portrait n'avait pas échappé
aux remarqu es moqueuses d'lIenrieLLe . L e personnage lui paraissait, dans sa raid eur auslère
et gauche, a ussi bien que dans le port prétenli eux de ce volume de lois qu'il se mblait
presse r sur son cœur, incarner la race des
Dounisse t, ge ns grave et réservés , voués de
père en fils au tab ellionage . Elle allait jusqu'à
y retrouver cc L'Lains traits de aturnin, à qui,
pOur co mpléter la r esse mblance, elle prêtait
en imagination la m ême pose prudhommesque.
Pui s, par un r etour d'esprit: « Fallait-il,
pen sait-ell e , qu 'ils e usse nt peu de go ùl, ces
Bonnisset, pour meUre en aussi bonne place,
dans la pièce la plus habitée, ceLLe grotesque
enluminure! Mm. Donnisse t, passe encore! mais
�84
L'EX I L D 'u EN n IETT1!.
Son fils 1. .. DécieJémelJl il n'avait, ll ors de son
élud e, aUCun e nolion des choses ... .. »
Les deux eaux-forles, récemment achetées
par Salu rnin, déme lli aient ce jugemenl; mais
quoi? c'était encore là une de ces contrad icti ons qu 'Il enr iell e renonçait ù s'expli quer, préférant s'en lenit, ft l'opinion fJui r épond ait ]e
mi eux à ses tendances malicieuses.
Elle n'avait pas deviné, ' enfant qu'elle était,
que l'h on neui' fait il ce lle grossière im age, en
dépit de ce qu 'elle po uvait avo ir d'imparfait et
m( ~ m e d'un peu ridi cule, élait un homm ago
pieux rendu par la mère ct ]e ms à l'ancien
chef de la famille.
Sur lu console, s'é tageaienl , à cô té leJ 'un
Ouvrage d'aiguille, tOUI' à Lour qllillé el repris,
fJlI elrrues li vres, el surlout un monceau de j ournau x el de rev ues lémoignanl que Sa l~rni
passait Ù la mai son, en Lôle à Lôte avec sa more
fJu'il allorait, ses heures de loisit' et de di stracti on intellectuelle. C'es l dans ce ll e pe tile pièce
(lue Mil o StècLe venait d'entrer, r ej ointe quelques inslants après pa l' Mm on onnisse l qui, préve nu e, se rendit auprès de sa visiteuse.
�85
L 'EX IL D'HEN nJ ETTE
- Mille pal'dons, Mademoiselle, j e vo us a r
fait allendl'e .. .
- P as du loul. J e m 'amusais à fUl' eter , en
indiscrè te que j e sui s .... Vous a vez co mm encé
lù un hi en joli ouvrage au crochet.
- Vo us lrouvez ?
- J 'ai aussi ouvert un de ces volumes : le
R oman d'un brave homme. C'es t vo us qui lisez
ça ?
- Non.
- A h! c'es t M. Saturnin ? J e le croyais plus
sé rieux .
- Oh 1 Saturnin doit l'avoir lu depui s lon g Lemps. l)our Je moment , c'es t un prêt qu 'il
<Wail fail indirec tement ù. HeOl'ietle d'Aum él'ac
ct qu 'elle m'a rendu hi e r.
Des romans? une j eun e fill e? .. fit
Mll e S tèche scandali sée .
- Oh ! celui-là !. .. l'a vez-vous lu ?
- Certes non. Des r oma ns 1 on ne m 'amait
pas pe r mis ça.
- Autrefois, mais auj ourd 'hui .. .
- Auj Olll'd'hui c'es t moi qui m'e n interdis
la leclme il. m oi-mê me ... par principe. Des
8
�86
r omaus ! Ah! ell e n 'il pas bes oin
Mil o
de ça,
d'Aum orae , pOUl' avoir la lête i.t l'eu vers !
- Vous en voulez lJea uco up à ce tte pauvr e
JJ enri eUe ! QU 'es t-ce qu 'elle vo us a donc fai t?
-
A moi , ri en ... qu oiq u'a u fond ...
- Elle a pOur·tant bon cœ u!", j e vou s ass ure.
Tenez, bien que m on témoig nage pui sse
paraÎlre intér essé , j e veux vo us m ontrer ce
qu 'elle m 'a donn é p OUl' mil fê te.
Et Mmo Bonni 'se l all a cller cllOI' ùans un e
pièce voisin e un olJj et min co et long, so ig n eusement env eloppé, qu 'elle tenùit il Mil o S lèc he.
-:- Un éventail! s'écri a ccll e-ci en le déployant.
-
C'es t ell e-mêmo qui J'a point , aj outa
Mmo Bonnisse t. Co qu o cola a llù lui co ûl er de
travail!
Sur un o band e do salin , Henri ette avait
l'oproduit ù fa go uac he un e v ue do Saint-Aune!.
La rivi èr c, le pont , le cloc her , l a di sposition
do.s maiSons ot dos collines vo isines y
étaient assez oxac tem ent r cprésen tés et da ns
un e j olie teinte. Au-des OIl S, un e g uirl a nd e do
broussailles fl euri es, ct, V01'S le ha ut , un e cein.
gén é r~l e
�111'" S tèch o lld6 p]i a ]'6vrn ta il,
�.,
88
L'EXIL D'llENI1IETTE
ture lIe nuages dans un ciel changeant entouraient le paysage d'une Co uronne g l'acieusc .
A ga uche, tout en bas et di stiucts du suj et principal, ll'ois petiLs amours, rLeUI'S el boum s, se
bousculaient en cabriolant autour d'un t6lescope pal' olt il s étaient censés arel'CeVOil' le
panorama de la petite ville.
L'exam en du cadeau fait il Mmo llonnisset
fut interrompu pal' l'an'ivée J e Satumin. Après
avoir -le temps étant hrumeux _ so igneusement déposé son pararapluie dan s l'antichambre et rab allu Son pan Lalon su l' ses
IJollines seco uées, il entl'a dans le potit salon.
Il salua Mil oStècho do ce l air gauche que lui
fai sait toujours prondro la présence d'une perSon ne 6ll'angè rc.
- Vous arrivez bien, mon sieur Saturnin,
lui dit la vieille fill e. Votre mill'e me demanue
comment je trouve l'6ventail fIll e lui a donné
M1Io d'Aum6rac. Le salin est j oli et la monture
est fin e ; mai s quant ù la peinlul'e, co mme j e
n'y connais rien, j'aLLenus, p Olit' savoir ce qu'il
faut en penser, que vous m'o n ayez dit votre
. sentiment.
�L 'EXIL D' HENRIETTE
89
- Eh b ien , mais, dit Sa turnin emb arrassé,
il m e se mble qu e c'est assez gentim ent fait.
- Et ces trois amo urs?
- Ces trois am ours . .. ils sont d' un e j olie
colorati on et d'un dessin agréable.
- Mais trouvez-vo us qu'il s so ient bi en il
leur l,l ace?
- Co mm ent, :\ leut' place? On n e pouvait
pourta nt pas les m eUre au milieu de SaintAun el ?
- Ce n 'es t pas ce que j e veux dire. Ne
pensez-vo us pas qu'on a urait pu avantage usement l es supprim er ?
- L es supprim er ... à la rig ue ur. Mai s al or s
on aum it plus qu'une vue bana le de pe tite viIl e,
a u lieu que ce petil gr oup e re lève la save ur du
suj e t , lui donne qu e lqu e chose de piqu ant,
d' ol'ig inal.
-
« Orig in al », c'es t ce la? Cc n'es t pas moi
qui vous le fuis dire - e t j e 11e vous dé mentira i pas 1 Orig inal! a h! vmiment oui! e t cela
n 'es t pas pour me sUl'jJ t'e ndl'e . Mais franchem ent , es t-ce co n venable pour un travail de
jeun e fille '?
8.
�90
L'E XI L D'H EN RIE TT
E
- Vo yo ns , Mademoise
lle, int err om pit à so n
tou r MID OBonni sse t, on
voit pa rto ut des gr ou p
es
an alo gu es , ct ju sq u'a
u fron tispice de voLt'o
jou rn al de mod es ...
- Je ne r eço is pa s de
jou rn al de mo des.
- Mals tou les ces
demoiselles de Sa int
Au nel en reçoiv en t 1
- En tou t cas, ell es ne
s'a mu sen l pas il (1essin er elles-mêmes de
pareilles choses .
- Elles on l pe ut- êtr e,
mu rm ur a Sa tur nin ,
cl' excel len tes rai sons po
ur cela.
- Pa rce qu 'ell es ne
saven t pas dessi ner?
Mais croyez-vo us qu 'il
so it nécessaire de savoir
de ssi ner po ur faire de
joli s ou vr ag es , cl to ul
aussi art ist iqu es? Te ne
z, on nie mo nt ra ill 'au
tre
jou r une tap isserie, un
ùess us de fau teuil, ou
plulôl de ux, ca ril y av ail
le pe nd an t. L' un rep résen lai t Fm nçois lor arm
é ch evali er pal' Baya rd,
l'a ulr e J ea nn e d'Arc au
siège de De auva is.
- Je an ne IIach etL e, vo
ulez-vous diro?
- Vous croyez? C'e st
possible. Le modèle
avait été publié dans
le Mo nit eu1' des lm va
ux
d' aiouille. Et cela vau
l bie n , excu sez ma fra
nchise , un e pe int ure aussi
salissante.
�L'EX IL D'H EN RTET TE
91
- Ma is enfin , se r écri a Saturn in , il n e
s'agil pour les travau x dont vous parlez, e t si
au co urant, que de rempli r ser vije sui s hie~
lement les interstices d' un caneva s avec des
fil s de laine d' uno nu ance indiqu ée, suivan t des
donn ées rigour eusem ent précises. C'est là un e
))esogn e un .pe u mach inale, je crois , et sans
compa rnison avec ...
- Qu 'impor le, s i l'eŒet obtenu es t impo sant
el gracie ux ! Au s Ul'plu s, l 'obj et en questio n a
été oll"ed pOUl' notre loterie annuel le de bienfai sance. J e so uhaite qu e vous le gagniez .
- Vous êles bien aimabl e; j e n'osera i s
jamais m 'asseoi r dess us.
- Comm ent cela?
e fCtt-ce qu e par respec t pour les fasles
de notre his toir e nationa l e .
- Oh! mais décid ément., madam e Bonnisse t,
j e n e r eco nnai s plus M. Salurn in; es t-ce qu e Je
Vent d'ironi e qui so ume dep uis qu elque temps
clu chfl teau d'Aum 6rac auwil pénétr é dan s
votre maiso n ?
- Encore celle pauvre Henrie lle 1 s'exclama
l'excel lente clame ; c'est donc un e pcr sécutiem?
�92
L'EX IL D'HE NRI ETT E
Nul lem ent. Mais vou s ne m'e mpô
che rez
l)<1S de trou ver ·t nou s so mm es d'as ez
viei lles ami es, n'es l-ce pas , pou
r que je pui sse
vou s dil'e ma pen sée en lou te
fran chi se, san s
crai ndr e que vou s m'a ccusiez
de méc han celé
ou de des. eins cach és - vou
s ne m'e mpô che rez pas de lrou ve l' que cell
e P aris ie nn e
éva por ée a un Lon déle labl e, et
que c'es L HlI
fort mau vai s mod èle pou r no s jeun
es fille s de
Sai nt-A une l,
- Un modèle ! Mais ellc ne s'im
pos e ù person ne!
- C'e st fort heu reux, en e{1'e l.
- El pou r Loul dire , tt mon Lom
, tand is que
parlouL j'enLends parl er d'elle e
n Lerm es désoblig ean ls, je doi s lui ren dre cel
hom mag e que
dev anl moi, du moins , eHe n'a
jam ais rien dit
de hain eux ou d'ag ress if co nlre qui
que ce soit.
- Oh! elle n' en pen se pas mo in
s , la sai nlenito uch e ! On dilq u' elle a rempli
tou l un albu m
de cari calu res don t les orig inau
x ne so nt
aulr es qu e des ge ns de sa con
nais san ce, et
qu' ell e l'a inti lulé : P anthéon Sai
nt-A une llois.
- L'a vez-vo us vu, cel albu m?
�L'EX IL n ' IIE NIUETTE
93
- Non, ce r'tes; co mm ent pourrais-je l'avoir
Vu? Son existence n' en es t pas moins très aulhentiqu e_ Vous riez, monsieUl' SatUt'nin?._
Allez, allez,
VOliS
devez y ê tre , vous tout le
premi er, e t en bonlle place encor e!
-
Pal' exemple! s'écria Mmo llonnisse t.
- Eh Il ien , ma foi, dit gaiment Saturnin, la
chose fùt- ell e aussi vraie que j e la crois fau sse ,
j'avou e que j e n'aurais pas le courage d' en
vouloir bea uco up tl l' arti s Le, cal', après Lout,
ain si qu 'e Ue le dirait peut-être elle-même, ce
n'est pas le lapin qui a commencé_ Au ssi, Lrouvemis-je volontiers sa petile vengeance a ssez
légitim c. Et co mme ell e es t fort anodin e, en
somme, ;je sel'ai s tout di sposé à lui pardonner
pOur ma pari , en fu ssé-j e victime, si dans la
gucl'/'e qu'on lui a décla rée, qu elques-uns de
ses LmÎls s'éLai ent ég::u'és s ur d'autres personnes
que l es helli gémnts_
- Vous êles gé nél'eux.
Comm e Lo us les gen s timid es, Saturnin , une
fois la g lace rompue, s'animait et devenait au
conLmire verbeux et eXlIuémnl.
- Enfin> qu' lui veut-on? Voilà un o e nfant,
�94
L'EXIL U'lIE NHl ETT E
une orp heli ne, une « san s-le-sou
» - c'es t, je
croi s, l'exp ression éléga nte et
poli e don t sc
serv ent co ura mm ent il son égarei
les per son nes
qu e cho que son lan gag e lrop peu
châ li é - la
voi là don c qui arri ve ici, rec ueil
lie pal' so n
oncle, un vieu x gen tilh omm e viv
ant forl r etir é
ct jou issa nt, je cro is, de l'es tim
e gé nér ale. Il
sem bl e qu e sa silu atio n étai l
di gne de lou l
inlé rêt el qll e le se ul sentim ent
qu'e lle pÎll
insp irer dev ait êlre la sym path
i e. Or, so us
l'empire de j e ne sais que ls pré
jug és, 011. se
mêl ent peut-êl re cert ains se ntim
enL s mes quin s
el peu lou ables, on faiL le vide aut
our d'elle, et
peu s'en faut qu'o n ne la mo nlre
au doig t. C'est
ça qui n'es t pas gé nér eux !
- Ta, ta, ta .... On n'e ûL pas dem
and é mie ux
que de l'accue illir. La vér ité, c'es
t qu' il était
imp ossible de lai ssel' fray er un e jeu
ne fill e bi en
élevée avec une gamin e san s éd uca
tion eL san"
lenu e .... Mai s, tenez, je l'ap el'ço
is au fon ei du
jard in. Elle vien t vou s voi r chè
re mad ame ;
moi , .l e mç sauve. San s ran cun
e, mon sieu r
Sat urn in. Ne me croyez pas trop
méc han te.
- Moi'? je vou s ti ens au co ntra
ire de tou s
�L'EXIL D'1I ENRIETTE
95
points pour un e excell ente pe rsonn e. Seulelllenl. ..
- Seulement quoi ?...
- Seulement vo us ê tes un peu trop ... de
Saint-Aunel.
- Allons l'injul'e n'es t pas Lrès g rave. Au
l'evo ir, mes bons amis.
MiloSlèchc, reco nduit e pal' Mme Bonnisse t, se
croisa SUl' la porte avec IlemietLe. Ell es écha ngèrenL un bref el froid salut, et la j eune fille fit
assez impétu eusement, à so n ordinaire, irrupLi on dans le pelit salon. L a v ue de Saturnin
l'arrêLa net comm e une écolière en fauLe.
De son côté , le notaire qu e sa timidité avait
ressaisi , cherchant un prétex te pour s'échapper,
avait p ri s le R oman d'un brave homme, posé
SUr la console, et se di sposait à le rapp orter,
en homme soigne ux qu'il était, dans sa biblioth èqu e.
En réponse a u salut de la nouvelle venue,
il murmura un indistinct: « Donj our, maùern oiselle », et se r etira avec so n livre, q u'il
tenait gauchement à la main , le bras r eplié
Co ntre sa poitrine.
�96
L 'EX IL )) ' II EN n LET'l'E
Henriette, après l'avo ir l'ega rd é so rtir , leva
les ye ux vers le pas te l où un a utre Saturnin _
quoique vi eilli et d6IJgm é - se mbl ait fi gé dans
le m ême ges te , el pensa, touj ours prompte il
saisir les rapports piqu a nts ùes choses :
- Oh! c'est tout il fail, tout à fait ça !
�CHAPITRE IX
ART ET BIENFAISANCE
Henrie tte était venue, ce jour-là, annonc er à.
Mnlo Bonnisset une grand e nouvelle. Son oncle
venait de lui achetel' un piano , ct g râce à une
entente avec un march and de Grenob le, il
l'avait abonnée il la musiqu e.
Par aITection pour sa nièce el pour qu'elle
eûl de quoi se dislrai re sans sor tir ùe chez elle,
le marqui s s'était peu il peu engagé dans une
série de dépenses dispro portion nées avec son
état ùe fortune .
Il avait, en outre, sans qu'elle le lui
9
�98
L'EX IL n ' HEN Rl ETT E
deman d ât, r emplacé le papi er fané de sa chambre par un papi er neuf , de nuances claires et
fraîches . Ense mLl e, ils fir ent un choix parmi ses
dessin s et ses aqu arell es, et l'on encadr a les plus
i oli s, qui égayèr ent un peu partou t les so mbres
parois du vieux cas lel. L e marqu is cOll sidél'a
même co mm e un devoir pieux (ce dont IIenri cHe fut profon démen t touchée), de faire ù un e
toile de so n fr ère, rappor tée de P ari s, les honneurs d'un cad re splendid e ot do l'accrocher en
bonne place au mili eu de quelqu es vieux portraits J 'ancê tres, poudre ux et rancis, dans la
salle a ustère et froide qui portait touj ours le
nom de salon bien qu 'o n n'y reçClt plus perso nne.
Do transfo rmatio n en transform ation, l'antiqu e bâtisse avait été peu à peu rafraîchi e et
rajeuni e. Ses vénérables et tris les murail les
n'en revena ient pas de se voir en proie a ux
peintres et aux ta piss iers. A l'extéri eur, la
basse-co ur avait ét6 d ' placée et, devant la
porte, s'é talait maintenant un coq uot pal'lerr e
avec des allées sablées. Il ne res tait plus qu 'à
échang er Salpêt re el le vieux cabriol et jaune
�L'EXIL D'lI ENRlET TE
99
co ntre un attelag e plus élégan t e t plu s m oderne. C'es t à qu oi M. d'Aum éeac se r éserva it
de songe r.
De l ongs m ois s'étaicm t éco ul és. IIenrie tle
n 'é tait plu s m aintena nt .l'enfan t espiègl e dont
le langag e et les m ani èl'Os, empre inLs d'une
gamin erie ù pein e tolé rable à quin ze ans, eussen t paru lout à fait choqua nls ch ez un e
g t'and e j oun e fill e e t donn é r aiso n a ux bonn es
â mes qui s'en étaielll dès l'abord eITar ouchée s .
Ell e avait ce pendan t gardé ses inslin cts et
ses gOClts, Bien qu'e ll e se le r eproc hâ t à ell em ême, ell e n' avail pu mo rllt'e enco re aux so in s
du ménag e . SO Il oncle, qui la Im ilait déc id ém enl en enfa nt gâtée, n 'a vait pas vo ulu lrop
la CO lll l'ilindre, en sO l' le qu e c'é tait louj ours
Hein e, qui , co nform ément à so n n om , r ég nait
So uveraill e toule-p uissan te S Ul' la cui sin e ct
la hasse -co ur , r eco nn a issante, a u fond , à la
nièce du marqu is de ne pas lui avoir ravi ce lle
a uloriLé dont ell e é lait si j alouse .
lIenrie Lle n'étail pas r éconciliée davant age
avec la provin ce . A paet so n oncle et MmoBon:, 1\1
Cil
~
. . .,
...",
ûJ J( r ) j~1
"Ô • ~ ..
1
�100
L'EX ] L D'lI EN n lETTE
nisse l, don t ell e avait a pprécié les quali tés
de cœur, elle avait pris plus qu e j amais en
aversion tous ces gens de Saint-A un el, que,
dan s l'isole ment où elle vivait, elle ne co nnaissait pour tant g uère davant age qu e les premiers
jours.
E ll e se suffisai t d'ailleu rs à elle-m ême . Outre
la led ure ct la musiqu e, ell e avait encore ses
crayon s cl ses pin ceaux . Avec l'indépendan ce
d'allur es qu e Saint-A un el n'avait pu lui pardonner , mais qu e 'son onclo avait fini par accepte r,
ell e allai t volonti ers lou te se ul e , ses carton s sous
10 bras, sa ns trop s'écart er pourla ntdu domain e
d'Aum érac, en qu ête do sites à dessin er .
Un in ce ndie ayant r éce mm ent co nsum é un e
mas ure des environs où hahitai ent de pauvres
gO Il S, IIenri elle eut un j our l'idée de se diri ge
r
ve l'S ces ruin es, qui devaient présen ter un
aspect vérita bl ement p;Ll oresqu e.
Anivée sllr les lieux , elle apel'Qu t, sc profilant s ur un r ocher hérissé de hrouss ailles , un e
masure de pauvres gens, lézar dée et branl ante,
dontl a moiLié avait élé dévo rée par les fl a mm es .
Bi n vile, IIenri eLLe sortit un album , et, à
�1<:11 0 so mit à. c rayonno r la masuro .
!)
�102
~ inquat
e
pas (le di stance, abritée par un petit
mur, la voil à en lruin de crayo nnel' ces débri s
enco l'e à moiti é fum aIlts. Comme l"ébauche
avançait:
- Domm age , pensa-t-ell e, qu'il n'y ait pas
autoUt' quelques personnages pO Ul" compléter
le tableau!
A ce moment même, une femm e, des enfants
en haillons, sortirent de la partie de la cahute
reS lée enCO l'e debout.
- Voil à mon alfaire, se dit Ilenl'iette .
h t ell e se mit en devo ir de croquer ce
groupe de loqueteux.
Mais, en levant enco re lIne fois la tête, ell e
aperçut a u milieu de ces pauvres gens une perSonne déce mm ent vê tue qui sc disposait à les
quilter.
En même temps des vo ix s'élevaient:
-- Mille bénédi cti ons, mademoise lle ! Sans
vo us qu'es t-ce que nous deviend rions?
La personn e bien vê tue n'était autre qu e
Milo Stèche elle-même, Milo Stèche en tournée
rie bienfaisancl) - car c'étail là le but des fréqu entes promenades que la vieille flU e avait
�L'EX IL D' HENRIETTE
103
Co utum e de faire, les j ours de beau temps, aux
en virons de Sai nt-A unel.
Sans aper cevoir Henri eLle, elle reprit doucolllent le sentier ravin é qui la ramenai l à la ville.
Alors la paysagisle se dil :
- J e faisais poser la mi sère landi s qu e
d'autres vo nt la so ul ager. L e speclacle de ce lle
lamenlable pauvre té , où j e ne voya is qu' un suj el
de cr oqui s, insp ire à cles cœ urs qu e j e croyais
moins bons que le mien un acle de charilé.
Aussitôt, pli ant so n lége r a Uirail, ell e franchit rap idement l'espace qui la séparait de la
cabane cl faisanl i1'l'uplion au milieu de ses
pa uvres habitants allUl'i s, ell e leur om' il avec
instances le peu d'arge nt qu 'elle avait sur elle.
C' es t ' ain si qu 'II enri elle apprenait tl deven]e
moins sup erfi ciell e, à voir auprès des lrave rs
cl des pe lilesses qu 'e ll e avait pu remarqu er
autour d'ell e, des qu alités qui compe nsaienl
défaulS ou ridi èules, el qui n'é laient pas si
co mmun es qu e cela, pui squ ' il fallait qu 'o n
les 1ui apprît à elle, la « Pari sienn e» t
��CHAPITRE X
RÉvf: LATJO
DOULO UIŒUSE
Bien qu'i l fùt déjà lard qu and JI enriell e
r enlra il la ma iso n, elle n'y lrouva pas son
on cle. P arti le malin pour ]a foiro de SainlMa l'ce llin, le marqu is n 'é lait pas enco r r evenu.
Cc re tard commençait à deveni r alarm ant, bien
qu e R ein e l'expliqu â t pa r la lenleu!' ordinaire
du pa uvre Salp ê lre.
Le fel'mi r 'l'i slou, qui avail fait ]e même
voyage S Ul' sa mule, é la il déjLL de l'e lour.
- Ne vo us inqui élez pas , madem oi sell e,
�10fi
L "EX IL D' IJ EN HlETT
E
dil-il , M" le ma rqu i s
n' est pas loi n: je l'a
i
cro isé en ch em in.
Co mm e le cl'6pu scule
tom ba it tou t à fait,
He nr i Ue all a sc po ste
r su r le eu il de la co
ur .
po ur éco ule r si ell e n'e
nt enda it pa s de loin le
br uit de l'é quipa ge .
Cc posle d' obser va tio
n
élait II po rtée (lu log
is de T ~'! t o u.
P ar un e
fenêtr e ouv ert e arr iva it
la voix nu fe rmi er , qu
i,
san s sc do ute r qu 'o n
l'e nte nd ait, di sa it à
sa
fem me :
- Bi en sû r qu ' il n'e st
pas loi n, le ma rqu i s.
Se ule me nt il fau t lui
do nn el' le temps . Il s'e
n
revi en t tl pied co mm e
il s'e n es t all é.
- Mais il es l pa rti en
vo ilu re ...
- Au pre mi er toul'I1 an
t de la rou te il desce nd
loujoUl's , pour ne pa
s fat ig ue l' P-alpè lrc .
Ce
m ati n, ur ma mu le,
j e r ai oh ser vé de loi n
...
Et le fermi er raco nla
it qu e le mal'qui s a va
it
fai t ses hu it kil omètr
es an s re mo nte r un
e
se ule fois en cabl' iol el.
Mê me , de loin en loi n,
qu an d Salpê tre av ait
l'ait' de so uffl er tro p for
l,
on s'a rrê tai t po ur re pre
nd re ha lein e en sembl e.
A l' t'n lré e de Sa inl-M
arcellin , il av ait ce pe
nda nt re pri s sa place
su r le siège . Vo ilà co
m-
�~
"
""
'C
l;
�1.08
L 'EXIL D' UEN HlETTE
m ent M. d'Aum érac se donn a it l'ail' de voyage r
en voiture .
Mais , répond it la femm , ce nouve au
cheval qu 'il devail achete r ?
-
Ah! bi en , ouiche ! On dit qu'iL a ach e vé
de se ruin er en niaise I'i es de toules sodes . Le
p e int ~e et le tapi ss iCl' lui ont fait faire deux fois
plu s de fr ais qu 'iL n' a vait prévu. Mais ri en n'es t
trop cher pour sa nièce ... C'es t Hein e qui m'il
dégois é tout f,;a.
- Comm e'n t, tu crois qu e 1 IIHl.l'Llui::>'l ...
- L e marqu i s, qui n 'a j ama is é té ri che , a
pour le quart d'heur e les plus sél'Ïeux embarr as
d'argen t. ... L e Crédit foncier , uuqu el il a vail
empru nlé, le Lalonn e, si IJien qu'il en es t,
co mm e on dit , aux ex pédien ts.
Ces propos firent s ur Henri elte l' e/Tet d' un
coup de foudre . Ainsi, c'éta it ell e qui é tait la
cause de la ruine ou tout au moin s de ]a gê ne
de SO li oncle 1 Elle lui avait bien entend u souvent dire vaguem ent que la t ~r r e n e rappor lait
ri en , que les fermag es r entraie nt mal, mais le
m arquis n e )ui a vait j amais fait 11 ce suj e t
aucun e co nfIdence pl'écise , et clle s'acc usall ùe
�109
L'EXIL j)' Il Er-i RI ETTE
n'avoir pas elle- même, avec son incuralJle
légè reté d'espri t, deviné la r éalilé des ch oses ,
qu e SO I1 oncle, par délical esse, s'effor çait de lui
laisser ignore r', Elle en éprou va un p1'ofon d
serrem ent de cœ Ul', mêlé d'un profond a tlendrisse ment. Et qu and a rriva enlin le mar quis,
lIenrie Lle, sans ri en ose r lui dire, lui sa ula au
cou e l l' embras sa, les jo ues humid es, a vec un e
c (fusion inusité e .
- All ons, bon! s 'écria- t-il , q ueHe es t ce lle
lubie de m 'é loulTel' il propos de hoLLes? Toujours orjgill ale! Touj oul's !
E lle n e s'ex pliqua point, n e trouva nt rien à
lui diTe. Mais elle a vait une en vie de lui crier
qu ' il était bon e t qu 'e lle éta it malh eureuse ...
lIemie Lle ne ùormit pas, ce LLe nuit-là . E lle
senlait qu 'elle avait un e de lle à paye r ; ell e
était cn ttge, mainten ant, ùe so nge l' à s'acquitter .. .. Oui , mais comm ent ? Que po u vait
faire lIn e j eune fille de dix- huit ans , san s resSO urces et sans pos ition, pour ve nir en aide
il un propri étaire obéré?
E lI.e son gea lt dOllner des leço ns de dessin .
Mais qui donc' ù Saint-A un el se so uciait de
L":.\\l1..
1)·I.
~ NIlt"'-
;.
10
�110
L 'EX IL D'IJENHIETTE
cultivel' ('et arl? Et puis Son oncle, loujours SI
fi er malgré sa pauVI'elé, pel'metlmÏL-il qu'une
d'Aum érac COurùt ain si le cachet dans la
peliLe ville? Si encore ell e ponvail cesser d' être
une charge pOUl' lui .... Mais alors il faudrail
quiLLer Saint-Aullel, retourn er à Pari s",.
!IOUl' la seco nd e fois, Henriette eut l'idée
d' écrire il. Mme BerLh oli er. Mais elle se nlit que
plu s que jamais la reconnaissance lui faisait
un de voit' ùe ne pas quiller le vieillard qui
élait devenu So n seco nd père el s'é lait pris
poUt' elle d'un atlachement profond.
La situation paraissail don c sans issue, et
pllls elle y réfléchissait, moins elle enLr'eVoyait une solution.
Dans ces in cerLitudes, elle r 'solut d'aller
demander conseil à Mmo Bonni sse t, qui avait ,
Comme on dit, « un gl'and hon sens »; on senlait en elle une amie, eL quelquefois le cœur,
ùans les cns désespérés, trouve des moyens
que l'esprit se ul n'eùl pas imaginés.
�CHAPITRE XI
LA MAMAN
S'étant levée de honne h eure, ell e atlendit
don c avec impalience le m omenl OlL e ll e pourr ail
décemm enl se prése nte r ch ez Mmo Bonni ssel.
Qu and elle so nn a ch ez ce LLe derni ère, la
honn lui répondil qu e M ilI O Bonnisse t venait
de so rlir , m ais qu' elle n e la rd er ail sans doule
pas ù r en trer.
11 en l'ieLLe l' alLendit don c dans le pelit salon,
n proi e all x senliments qui l'agitaient si fort
de plIi s la veille. Celle pièce n 'était sépar ée de
l'é luù e que par une élroite anli ch ambre. Des
�1 12
L'EX IL D' II EN Ul ETT E
voix confu ses s'entend aien t: l' « emp
oté » étai t
en a ITaires .
Bie n que les par oles n'ar rivassen
t qu e lrès
ind isLinctemen t ju squ'h elle, il
lui sembla
r eco nn aîtl' , répond ant an notaire
, la voix de
son oncle. Dans ce t ent reti ell sc cl
'·battait p e ~)t
être la questi on qui la préocc upa
it lant. Une
indi scré li on invo lontair e t fort uile
J'avait déjà
mise cn possess ion (l'uo s cr et qui
lui créait
des devo irs. A d ux pas cl ' He,
mai nte na nl ,
s'éc h::mg ai nt d s paroles, qui,
en lui révélant d'un e mani ère plu s compl Le
la situ ati on
du marqni s, pouvaient all ssi, dll
mèm
up,
r éso udr e 1 doulout' ux prohlème
qu' 110 so
posait , n l'éclair ant Sil l' la condui
t qu lui
di ctaient la r onn aissn nc ct J'h onn
eur. P uvai t- li e y d mourer étra nrr re? Il
Y all ait, 11
C moment, do Ir'op gra
v s inté rêts pOlir qu 'cli c
s'art' tùt à d vaill s scruplll es do
di scré ti on.
Ell e ouv rit dOll c la pod e sall s bru
it ot s rrli ssa
fu rtive ment dans l'anti ·hamhre .
- Non , mOJl Il l' atu l'I1il l , di sait
M. d'A umé rac, c'es t un a/Ta il'e (Ju je vr
ux con luI' ,
ce n'es t pas un ser vico qu e j . vo
us cl l1I and o.
�113
L 'EXIL, D'H EN RIETTE
- Mais, mon cher mon sieur d'Aumérac, c'est
bien un e affaire que j e vous propose.
- Allon s donc! un e alTaire désas lreuse pour
Ello
nlondail
<t OK
voix confuses.
vo us ; cela crèv 1 s ye ux, l les vô tres tout les
pl'emi ers. Noufl vo us avo ns <lSS z à'obligation s
de lout fl sO l'les; j vo us J'ai touj ollrs dit: pas
de se l'vie s d'ul'g nl cnlt'c nous. D'aill eurs, jo
iD.
�11 4
L'EX IL n' rlE:-<nm TTE
ne Y' l1 X plu s empl'lIn te r : j e n'ai qu e trop
empru nté. Tro u\' z-moi seulem ent un acquéreul' j)o ur 1 pré qu j e possède li ' ITière le
Mo ulin-V ieux: j ' m'en dMcra i sali s trop d
regre t, cal' il ne faiL pas partie du domain o
d'A llmérac. ' " Voi là toul.
- Eh bi n, l'acqué r ur 'st lout lroll v'.
- Vo u ' ll cor, n'es l-' pas'! Laiss z- moi
dOli C tranq uill e! Esl-ce (lU vo us cn av z b so in
cl
pl'é? P al'ions qu e vo us all z m'o lTril' de
le paye r un pri x xO l'bitunl. Tn z, mo n cher
atumln , qu allllj 'e li l nds dire qu e vo us incal'll oz
Ir typ dll pUl'fait nolail' ...
- Ali ! on di t? .. . arLi ul a Satul'I1in piqll é.
- Dame! il faut bi ell cO ll ve ni r n orret qu '
pal' c l'laiLI S c(Ms ....
,omm ' nt, « 'onv nir »'! Co nve nir Il quoi'!
lais, s'em pr lisa d'inl l'rom pro l , marqui s, om bi en, pO lir (illi \'OUS 'ollll aÎ L mi ux,
VO li S dém Il lez SO l ~ (['a ll ll' s rnppo rLs plus
imp0l' la nts les Ll'Uils ssr nli{' ls qui di s Lin g u (~ 1 L
I('s ln 'mh res de la COI' [lontl ioll !
in si, s' "cri a ~a lur
i l tlVre vivac:il(S, YO li S
all ss i VO li S (' Il N 'S (' nCOl'e :w typ' du « parfait
�L 'EX IL D'I-TEN nlETTE
11 5
notaire» ! P ourqu oi dOli c mos coll èD'll CS t moi
aurioll s-nous élé jetés dans LIli moule uniform e? Voyons, mon cher mon si ur cL'A umérac,
es t· cque je vo us fai ' un méril , moi , de ne
pas r ssembler au ma rqui s de Carabas?
- Eh, Hl! allez-vo us vou s emport l' pour si
Il LI ?
- No n mais c' sl exaspé l'anl tl la rin !
- Exas péranl '! hi , j e ne VO li S ai jamais
ri ' JI dil qui .. .
E t ttllll'l1in co ntinu ail, ave Ull e anim ati on
à lnqu 11 le marqui s ne omprenait ri en:
n notai r ,c doil êll'e né 'C'ssu il'oment,
n'ps l-il pas vra i, un homm e ridi 'ul r mcnt p OIl Ctu el (co mm moi, en off t, pal' r qu ' j e slIi s
m'n a"'" l' de mon t mps l (III ' j crois poli dl'
ne pas pOli S l' il l'imputi lI ('e les g'ell s qui
m'allencl cnl), - m ' li 'lil r us menl soi"'n ux (j'ai
la faibl css cl 11 ' pouvo ir me so uffrir av ' ti rs
IT ls 'l'o U 's), - h dOlill ant 1 à moiti ~ chauve
(c(' Il ' st pus n('ol'(' m OIl as, mais' la po urra
v nil' , 1 (' SO lit li "fauls qu 'o n ohse rve chrz
nomill'O d'llO nn (' lcs LI '). Ali moral : ompl bt ment indill"/"lIt 0 11 'Imn" l' il lout (' qUI
0 '
�11 6
L'EXIL O' HEN nTETTE
n'es l pas vente, conlrut, pad age ou testam ent;
ft me vulgai re ct mesqu in e, ans fl amme, sans
idéal, sa ns verlus ni lalenls , et qui r épand
autour d'ell e co mme une odeur rance dé papier
timbré ! Et s'il arri ve qu'à un moment ùonn é
on croie lui trouve l', au susdit labelli on, un peu ·
de mu]' ou d'inlellige nce. il se mble qu'il ment
a ux punonc aux pl acés au-dessus de !la pod ,
ct qu'il doit y avoir elT ur!
- Mais, d mand a le marquis allllri , .\ propos
dc qu oi ce lle affreuse calomni e? cl ft (lui 11
a vez-vo us '?
alurnin élait décid{lment lan é. Il poursllivit :
- Vous, du moin s, vou s Il vous piqu ez pas
d(' modernisme . Mais qu de gens d' sprit ct de
CW IIJ' , iL la co nsid érati on de qui 1'011 ti endl'ui
t
(el 'a lul'Ilill appu ya S Ul' ces de1'l1icrs 11I0ls), qui
nous regard ent, vo us ct moi, co mm e cl s pl'Ovin cinll x u ri é l '~s,
en so i 'nt enco re eux- mOm s
à juge l' les gens d'après cl s lypes sIIrann 6s
d'an ciens va ud evill s, voil à c qlli m' "lonn e ct
ct c qui 111 pein e.
- VOll s fuilcs sans doute allu sion (Lm a ni èc .
�L 'EX IL n' II EN fi IETTE
H7
Ne lui en veuill ez pas. E ll e vous es lime beaucoup, au fond. Mais elle 11 des idées si exlraorcl ifi ail'es ...
El saisissanl celle occasion de détourn er une
conversati on qui le meUait mal à l'aise :
- Ahl voil à, mon cher Satu min, conlinual-it en haissant la vo ix, voilà surlout cc qui me
préoccupe pOUl" l'ave nil', plu s encore que la
question d'argent dont je vo us entretenais lout
à l'h ure ! Qu e faire de ce lte enfant-là? P as de
dol, el si ori gin ale ! Charm anLe, malgré tout,
intelI igen Le ct bo nn e .. .
- J e le sais parbl eu hi en 1 murmura le notaire comm e à lui -même.
- ... Mais ol'igin ale ! Olt trouve r qu elqu'un
d'ussez exce ntriqu e cl d'assez désintéressé ...
- Dés illtéressé... pcul-ê tl'e , balbutia Salu l'ni n.
- Oui , mais excentrique'?
- Exce ntriqu e ... ah! voil à!. ..
Jl ellri eLLe n'avait pas alt ndu la fin J e l'entreti en. D i!s les premi ers mots do l'allusion
dOIl Lell e élait l'obj el, elle avait quitté la place,
trouulé' cL1Il 0dili ', une fois ùe plus.
�11 8
L'EX1T. D'lI EN l1 lETTE
EII renlra ch z r ll e sans all endl'c le relour
de Mlllo Bonni sse l, s' nf rm a dans sa chambre cl
sc li vra à un sé vèr examen de ronscience.
Ell e sc lrouvaiL in ju s le, m "chant e t so Lle, cl
sc senLait h la fois a Ll nrlri c ct co nfu se.
Outr la qu es li on (Jui la tourmenLail ri pui s
la v iii , 11 s demand i'l it quell e cont nance
ell e aUl'ail mainlenallt 1\ l'(ln'al'cl de son on le,
cal' ell ne savait u"re di ss imnlel', t il lui Il
'oùtail de laissel' so up <.:o nn cl' so n indi s 'l'élion.
Mais Je marqlli s r nll'a plu HPl' ~oce
np é CJu' 11 ,
t, comm c so us l'rmpil'c d'lin étonn emenL dont
il no pouva il rovenil', il marm ollait dcs mols
sans !mite :
- n onnisse t n'y p ns pai'l .... Av c sa fOI'Lun e .. .. ll ex lravag ue, lui ausi'l i, pos iti vc m nL.. ..
Cc s mit lrop beau .. . ct d'a ill eurs, jamais II n ·
ri Ll av c SPS id ées toulrs fail s SUI ' les eltoses
cL les gens .. . ,0 Ll afTail'c, Mcidém ùnl! Mais
aussi, ql\i di anLrc so sc mit altondu !... .Je lui
parl o - simple pl'OpOS en l'ail', Di cu n, ' Il st
lémoin ! - de (JI 1 lqu 'un d'cXCC lIll'iqu ', aUl'aisj e jamais pu p n8e r qu e lui , llonni s!H' l, si 1'1''''1'.,
si rang{· .... Et su Ill ' re, tll'l'iv'" là-dos 'uH, qui
��1~O
L'EX IL D'HENR IETTE
s'est mise à la rescousse! ... Tout cela pour
aboutir il un refus cerlain, flui hrisera peul-être
ou refl'oidim lout au moins nos l'apports jusqu'ici si cordiaux! ... ,'o lle, soLle afTaire!
El le marqui s poursuivait SO li monolo gue
in oh6renl, Il bralllanl ] 0. r'le, vi ibl meut
aLll'islé t d "c lIra g~.
fai s quand, ap r"s hi n des h ', ilalioll s cl des
d6toul' s, M. c! 'Aum él'a' sc hasarda il faire il sa
ni 'cc les ollve rlurrs 'lu 'il s' ~ l a il
ho.rg6 de
tran Sl11 eLlr , il fut rlleot' hi Il plu s su l'pri s du
l' vil' 'lI1ent qui s'(' lait op ' r ~ cn cil , - Il nl'i eLle, dan s la fran chi s ,t lu sponlun 'it6 do
sr ' sr lltil11 nls, les a 'c ueillil ave' allendriss Il) nl cL l'
ollll uissull ce ,
EL il fallul toule l' 'Ioqll n 0 d Bonniss L,
UnT"" dMinili\'cJ11r nL , de maÎlr
aLurn in llol)ni ss 1, Imnsfigur'· pL pas (1 mpolô Il du Lou l,
('Oll1l11e il lui avait palï l l'''tr si lonrrt mps,
pOlir lui p ['suad l' fil!' e' ~L "il à lui il la l' 111 )'(' i cI' t il lu h 'ni)',
- Allons, diL le marqui s rayon nallt, Il fi
fl'oLlullll 's main ,' , la provin a 'o nqui s Pari s !
- Put' is, eliles-vous, l' ~ (l o ndit
JI mi ' tl l la
�121
L'EX IL D'J-I EN nmTTE
main dans celle de so n fian cé. Oui , j e m e fig ur a is être de P ari s. J e comme nce à croire qu e j e
n 'Mais que des Bati g noll es!
- Et pui s, dit Mmo Bonnisset en l'a ttirant sur
so n CŒ ur, vo us a urez m ainten ant, po ur deveni r
tout ù. fail parfaite. ce CJui vo us a m anqué jusqu'i ci.
- Qu'es t-ce donc? ùeman da la jeun e fill e.
E tl 'exrell ente femm e, l'e mbrass a nt a u fr ont
avec un e larm e :
- L a maman!
fi
��LE PIANO DES BENOITEL
��CHAPITRE PREMIER
LA MAISON DU DOCTE UR
- Los n onoilol onl un pi ano!
Ce lle nouv 11 0 fil la ll'aîn éo do poudl' dans
la potilo vil! où so passe cell hi stoiro l qu
nous nomm ero ns Suinl-Gabin pOUl' ne pas pOl'meUre aux indis T ,ts de la r tl'OUV l' SUl' la
ca rle.
L'.in slrum nl en quos ti on arrivait à peine, el
les ~ ! 1)00 habilants d ce lto aimabl e so us-préfecture d'ull de nos départements ÙU 'onll'e
élui III mis n rum eur' déjà pal' l'importalion
J onl les Benoitel v nui ' Ill do s'o lTl'Ïr 1 luxe .
11.
�126
LE PIANO DES BE 'O ITEL
Et pourtant les pianos li e so nt pas l'arcs dans
la localilé. L'appariti on de celui- ci pouvait
s'ex pliqu er, d'aill eurs, pal' le retour réccnt J e
!\IIIC Céc il e llenoit el, qui sodait d'un pensionnat
du chef-li eu, impati ente sans doute de mauifes ter ses talents d'agrément.
Son père n'ell était pas moin s un mod sl
employé de laso us-préf CtUI' . Or, il Sailll- abia
t peut-ê tre uilleurs, le piano st l'affirm ation
visibl d'une prétention social inlerdite aux
g ns besogneux. Par J ur acquisilion cOI'll use,
les parenls de Ill o Cécil s mblai nt don' 0
poser en gens arrivés qui so mêlent d'uvoit' UII
salon. VoiUL pourquoi l s 3 :;00 :1me8 cl "'ainlGabin)' 'p6laient ce I1IULiu-Ià :
- Les B >noilel ont un piano!
Ce fut nalur Il ement parmi les pl'och 8 voisin s de Lle famill e, déso rmai s n ved II , que
la nouvelle cawm le plu s d'émotion.
La mai so n dont les Benoitei 0 cupai enl un e
porlion éLait des plus simpl es mai s li s plus avel1antes ll -lup·li levill . urJ a monoL oll jlrsp clive du Cours des l)tatanes, il l'angl- cl la ?'ue
du Mm'che, s \gayai tl a blan heut' ù sa façad .
�LE PI ANO DES BENO IT EL
1'2 7
Elle était précédée d'un assez grand espace
il ciel ouvert, d'où émergeaient, par-dessus le
mur de clôture et la grill e emb roussaillée de
vigne vierge qui l'i solaient de la voie publique,
deux acacias symétôqu emcnt plantés. A l'ombre
de ces arbres verdissaient de ux jardinets séparés pal' un e haie d'aubépine. L'un était celui
ùes Benoite], qui habiLai ent le pr mier étage
de la maison, l'autre dépend ait de la parti e du
rez-de-cbaussée qu'habitait ]e propriétaire de
l'imm eubl e, l docleur l)l anad .
C'é tait un homm nerveux, ma is d goùts
tranquille , ve uf Il epui s assez longtemps, à peu
près re Liré de ] 0. méde in , qu oique ù pein e
sexagénaire et ne nourrissant plu s maintenanL,
après s'être tenu toute sa vie à l'écarL d s compétitions locales, qu e l'ambiti on secr' le de dev nir à un Litre qu elconque un homme public,
sc ule préo 'cupati ofJ qui troubl ât parfois la qui étud e d so n xistell ce eLt' mpêchùt de savo\ll"er
cllimix 1 's p Lits plats doux que lui cuisinait sa
vé nérabJ e go uv rn allte, M.I IO Iymp , un co rdon
J,I u émérite.
P our compl ét r Je dénombrement des hôtes
�128
LE PIA NO DES HE D/TEL
de cc modes te mais poinl dépl aisant logis, il
nou s res le ù mentionner la famille Rabasloul.
Cc nom, qui sentait son origin e méridion al,
s'élalait en jaun sur un bouti que conlig uë
par derrièr e aux app arlemenls du docleur mais
donll' enlrée donnait dans la rue ùu March é el
sur 10 fr onlon de laquell e on lisail :
RABASTOUL
VENTE ET AC I/ AT DI, l\ŒUIlLE
CAllli'\ET DE LECT
n ' o CCAS ION
nE.
C'es t là, qu 'au mili eu le qu elqu es vi eill es
crédenc R l d'un anci 11 f nds cl bibliolh qu e
donl ill ouait los volum e. ~ l lu se main e, lrônait
du maÜn au soir M. clave Ilabas loul, ancien
ga .. on coifTeur dôbal'qu ~ jadi s de Toulou s ,
pui s élabli ft ainl-Gahin.
lll'ocanl ur pal' go ùt, il avait fini pur abandonn l' le peigne p O lll' fai re dônniliv m nt so n
méli l' d' e qui "lait hez lui un ' vo ali oll
il'résis lilJl .
El ù. vrai dir , il n'avail pas eu lieu de s' 11
l'ep nli... 'cs peliles afl'ai.. s n'allai III point
�LE PIA NO DE
BE OlTE L
129
m al , el grâce à sa faconde el à ses airs bon
enfant, il élait devenu une m anièl'e de person-
C'ost III '1\1 0 trÔnAit M. Orl.llvo T\ahastoul.
nage el l ' ull des m omhl' s i s plu s écoulés du
conse il muni cip al.
�130
LE PI ANO DE
BE OITE L
a boutiqu e étai t le rend ez-vo us de
bien des
désœ uvrés qui ven aient en fuman
t lem pip e y
disc ute r la solidité de l'équilibre
européen ou
cell e des bah uts désarti cul és qu'i
l mellaiL Cil
vente.
En revanch , sa femme, ma l init
i ée ù son
comm erc , n'y parai sait n'ubr et
il n avait
absolum ent inte rdit l'en trée à s troi
s nfanls :
Gu lave, Cés at'in e et T LOI', depui
s le joUI' où,
eux-ci aya ut vo ulu co nsid érer une
raï nce d
Lrop près , il en élait rés ulté un mal
h ur dont
GusLave acc usa it C"sa l'ine, qui ell
l'ej tait la
responsu]Jilité sur Totol', lequ el s'ét
ait borné,
v u so n Clge , tl prot stOl' en vag isse
ments indisti nels.
Ces qu atro m mbres de ]a famille
Rabas toul
s trouvaient dOli C, pour l'ordin ail'o
, relégués
au doux ièm cL dem i t' élage d
la maison ,
occ upé pat· les aut res dépend an' s
de 1 ur L s'em nl. Ma i Gus tave eLCés Ul'illo ~ l a
i e nt
so uve nt
fourr és c h e ~ le doc teu r où Mi lO Oly
mpe los co mblai t de cha tteries.
�CHAPITRE II
ENTRE VOISINS
Toul ce monde, au surplus, vivait en parfaite
intelligence .
Nullemeut misanll1l'ope malgr6 l'i solem nt
où l'availlaissé la morl de sa femme, se lrouvanl sans en fants ct même sans pro ches parents
à l'ex ceplion d'un « coquin de neveu » qui achevait ses 6tuùcs de m 'cl cine à Monlpellier, le
doctour Planacl voisilJai t volon ti ers 11 vec ses
10 'ulair s.
Durant les long ues heures que M. Denoilcl
ptlSsail ù la sous-préfecture, occup6 à notifier
�1 32
L E P IANO DES llEN0 1TE L
au x maires de l'arrondi ssement la date de l'ouverlur de ]a cha se, ou tl vé rifi er les bud ge ts
des communes, Mme Benollel s'in stallait sous
so n acacia et passait des après-midi enlières
dan s celle solituùe emhaum ée, à co nfecti onn r,
en pensanL au jour' prochain de son relour , un e
fou] e d'ouvra.ges à l'aiguille pOIll' sa fill e ch ' ri e,
qu e 1 s nécess ités d son éducaLion l'avaient
forcée d'exiler loill d' II .
Qu and, ~ l es momenLs, le docLeur Planade
venait prendr l'ail' parmi les arbusl s qui
égayai nl le devant de son logis, on s'interp ellail pae-dess us la huio avoc Ulle familiarité r sr cLu euse :
- Touj ours il J'ouvrage , mad n.m BenoiL I?
- Ah 1 c'es t vo us, docLeur ... Vous voyez : je
Lravaill e pour Cécil e. Ell e va hientôl nous aITi ver, t pour de hon ce lle fois. Il faut hien fJu e
je m pr "o cupe de la v" lir auLrem nt qu'en
pensionnair . El vo us, st-cc qu les malaùes
vous lai ss nt tranquill e?
- Oh 1 vo ilà longleillps qu e jo n co urs plus
apl' 's la cliClIL"le. Je ne me d \runS'e plu s, vous
le savez, que pour qu lques familles amies qui
�.
M.' flonoitol installéo
BOUS
Bon acacia.
12
�134
LE PIANO DES BENOITEL
veulent encoro à l'occas ion réclamer mes soins.
A mon âge, j'ai bion gagné mes Invalides ot le
droit, après mon diner, de digél'er on paix tout
en lisant mon journal.
- Cc n'es Lclone pas vrai, c quo dit Olympe,
que la 1 cLuro ùo vOLre journa l trouble votre
digesti on '?
- Olympe est une mauvaise langue lJ.ui
devrait avoir, dopui s qu'Ile me connaît, renoncé, il y a belle lureUe, il me régont or. Diou
morci , 1 s feuilles publiqu es ne m'ont pas donné
de gastrit o... Il faul ùire aussi, ajoula-l-il en
baissant un peu la voix, quo j'ai un bon
esLomac.
- Lit! vo us voy z, dit en riant Mmo Denoitel,
vous n'en pouvez s ulement pas parler sans
amertume.
- Oh! sans am rtume ... d'aille urs los amees
sonL fav ol'abl s à. la diges Lion. Mais aussi ...
non , Lon z, jo voux VOliS fail' jugo!
Et sail'l issant dan s lu vaste poch do. a redingoL J domi l' num éro clu P1'opagateu1' aint.Gabinois, le tl o l ur, pal' li Ile ollvol'LlU' m ' nagée
toul xprès ct qui lémoi<rlluit do leurs rapports
�LE PlANO DES DENO ITEL
135
de bon voisinage, pénétrait claus le jardin et deR
Benoitel. Puis, s'étanl assis en face ti c son interlocutri ce :
- Connaissez-vous la derni ère ineptie de
nolt'e conseil muni cipal ? Vous savez qu'il étai t
qu es ti on d'in staller aux frais de l'État ct du
département, SUl' les hauteurs qui avoi sinent
• aint-Gabill , un sanat01·ium .
- Un sana? ...
- ... 'l'orium. C'es t un établissement où l'on
aUl'ail envoyé les enfanls malingres ou anémiques de la région pour leur redonnel' du sang
ct des fOI'ces en leur faisanl respil'er l'air pur cl
vivifiant Je nos montagnes . C'était pour le pays
une exce ll ento aubain e. La pm péL'ilé de la ville
éLail intér ssée à celle créali on. Eh hi ' Il, la commun e vient de s'y opposer. El savez-vous S Ul'
le l'apport de qui ? SUl' Je rapport de Malbridet,
le vé lérinaire ! Voil à. quelles ge ns on charge
d'étudier les qu estions de cc l ol'dre 1
- Qu o vouleZ-voll s, docteur, s'il n'y n a pas
de plus co mpét nls au conse il municipal.
- NOIl cCl'le., et c'es t un honte ! Tenez,
autre choso. Mon vi eil ami, le professe ul' HOl11 a-
�136
LE Pl ANO DES BE ' OITEL
gnol, a donn é, il y a deux ans, il la ville, son
riche cabine t de numi smati que ...
- De numis? ..
- ... Malique. C'est lout au plus si on l'a
remercié. Et sc b li es co ll ections de médaill es
allende nt encore un m uble et un e salle pour
s'étale !' aux regards des érudits el des chercheUl's. - Enfin , voil à plu s de six mois qu 'on
lanLern e aulou!' de la ques ti on, sa ns qu'on ait
ncore in slall é à la porle de la mairie un baromètre anéroïd. .
- Vous dites : ané? ..
... R o'idc .. . Pour savoir le l mps qu'il
fail. .. qu'iL fera, v ux-je dire.
C'es l dans de lels enLreti ens qu e le docleur
Planade, pl ein de l'ambition la!'dive qui l'avait
saisi l qu 'il n' ùt point avo uée , xhalail sa bile
de n'ê lre pas « quelqu e chose », aLors que tant
de non-va leurs présidaienl aux destinées de
aint-Gabin 1
Mais il oublia it aisémenl ces rancœ urs qu and,
à 1 Ut· reloUl' de l'école, il nlenda it 1 s d ux
a1nés dcs nfants Habas loul faire bru yn.mm nt
irruption dans la maison. Plu s am r oncoro quo
�tartin o.
Césarino et Oust avo munis d'uno
12,
�138
LE PIANO DES BE ' OITE!.
sa nostal g'ie des affaires puLliques était pour
l'excellent homm e le regret que feu Mme Planade fût morle sans lui laisse r de poslérité. Il
s'en consolait donc de son mienx avec les enfanls
des autres.
Césarine et Gu stave Rabastoul, avant de
grimper leurs deux étages, eott'aient chez le
docleur comme chez eux, le plus souvent
muni s d'un e tal,tine qui témoig nait tl'une preml'J'e escale faite à. la cuisine de Mil o Olymp e.
Cent foi s et vain('ment M'"o Rabastoul avait
di t il ce li e dem ière :
- Vous g~ l ez ces enfants. Vous leur donnez
tle trop bonn es choses, ils ne veulent plus rien
mange r chez nous.
Rien n'avait raison des gâteries obslinées de
la vieille fille , g~ l e rie s encouragées d'ailleurs
par l'exemple du docteur lui-môme. Il avait
toujours d s histoires à. l'acon leI' à. ses jeunes
amis, des journaux à gl'avures à. leur monlrer,
des xp lication s intéressan tes à leur donner.
Un jour, ù propos d' un rat pris à la so uricière ,
il leur avait so ulenu que ce pelit animal aux
yeux Hoirs, au poil ras, ù lu queue longue élait
�1. 39
L E PI ANO DES BENQITE L
de la m êm e fa mille q ue les gros lap ins a ux yeux
roses, a ux poil s longs, à la queu e courle qui se
Lo doclcur d Oll llllil dcs ro n.cil •.
gavai enl de la itu e e n capli vité dall s
lIll CO LI)
du
j.tl'din. E l landi s qu e Césl1l'in , pal' lin r épuSlI anc in slin live, po ussait des cl'is t' ffal'o u bés,
il a vait brav
III
Ill, a ux ye ux cl e Gu stavo moius
�140
LE PTANO DES DENO TTEL
elTrayé, contraint successivemenl et d'une main
exercée ces divel's rongeurs à monlrer leur syslème denlaire, idenlique chez l'une el l'aulre
espèce, ct unifol'ln émenl caractérisé par l'absence cl canines el par la solution de conlin uilé qui sépat'e les incisives, lrès développé s, des molaires dissimulées au fond de leur
mâchoire.
M. Rabasloul père appréciail forl ces instructi ves leçons de choses que 10 docleut' donnait
ainsi il ses enfants. 1110 lenait pOUl' un érudil,
ce qui, dans la bouche d'un bl'ocanleur qui so
donnait pl'esqu des ail's d'Ul'chéologue, n'élait
pas un min 0 élogo.
De son côté, le docleur ne dédaignait pas
non plus d'e ntrer n passant dan s le capharnaüm où s'enlassait l'ébénisleri sUl'ann 6e dont
son lo calaire fai sait commerce.
- Ti ens, vous avez là un nouveau bahut.
C'est du Louis XIII?
- 11e01'i 11 , mon sieUt' Planade, du pur
lIemi III
- Ah 1 vous savoz, moi je ne m'y connais
guèr ...
�LE PI ANO DES BENO l'f E L
141
- Que voulez-vous? chacun sa parti e, disait
d'un ton co nciliant ct avec la modestie des
gens capables, l'ancien coiffeur toulousain.
Ainsi s'écoulait doucement la vic dans l'immeuble Planade, entre les braves gens qui
l'habitaient. L 'arrivée de MilOCécile, qui quit lait définitivement son pensionn at pour habiter
désorm ais avec ses parents était encor e venu e
égayer ct embellir ce lle paisible ùemeure.
a présence a u logis ava it cu pour pre mier
effel un raj eunissement complet du j ardin et
Benoite), où un coqu et parterre soigneusement
en tre ten u n e tarda pas il. r em place r le carré
de lég um es moin s réjouissant à l'œil. Mmo Ben oitel avait conse nti sans résistance il ce tte
lransformation et imp osé silence devant 10 désil'
d sa flll e il ses préoccupati ons utilitaires . Et le
docteul' s'y était directement intéressé, éclaira nt la j un o flll e, dans sos ossais horticoles,
des co nseils de sa science pratiqu e. C'é tait sans
cesse ntre eux, d part t d'autre, un obligeant échange d'idée t ù hons procédés, il. la
fave ul' du qu 1 s'é tab lissait p u il pe u ntre le
vieux médecin ct la, gamine d'hier , auj ourd'hui
�142
LE PIA NO DES BE OITEL
dan s tout l'éclat de ses di x-sept an s, une afTeclion dou ce et quasi familiale ...
Si bien qu'au sein de ceLLe sereine qui étud e,
le docteu r, qui philoso phait à ses heures , se prit
un j our à songer à part lui, en s'a sseyan t à
table, qu e c'était foli e après tout et ing ratitud e
envers la Pro vid ence qu o de sc meLlre m artel
en tète pOUl' des bill evesée s ambiti euses ,
quand il était si simpl e à lui de s'ahan donn l'
à la féli cité intimo de sa calme e~ i s l o n ce ,
exemp le d'infirm it ' e t de tourm ents.
C fut jusl à ce mom nt, qu' en déposa nt sur
la n appe un e so upière d'où s'exha lait l'arom o
d' un e julienn e exqui e, Ol ympe laissa tomb er
c s mols qui, p u d' heUl'es apI' s, avaien l faiL
le lour cl la viII ct qui pour l'inslan t firen t sursauler le dod our etiui coup èrenl lout appéti t:
- Les Benoit el ont un piano!
�CHAPITRE III
TOUT A LA JOIE
- Vous dites, Olympe?
- J e di s : L es Benoitel ont un piano !
- .ravais bien enlendu 1 murmu l'a le docleur
d'un ail' so mbro.
- Monsiour a l'ail' lout ch ose.
- J 'ai J'air qu o je dois avoir , Olympe, ré pliqu n.- l-il d' un Lon sec.
La go uve rn anle, inlerl oqu ' e, s relira sans
mo l dire.
Elle revinl quelques inslanls apr ès, apporlanl
la plus app6li ssanle des galanlines.
�fil 4
LE PlANO DES BENOITEL
- Monsiem n'achève pas son potage?
- Morci, je n'ai pas faim.
Puis 10 docteur, toujours à son idée:
- Et depuis quand?
- S'il vous plaH, monsieur?
- Depuis quand les Benoit 1ont-ils un piano?
- Depuis ce matin. 'es t un surprise qu'ils
vionn nt de faire il leur dcmoi elle .
n piano 1 répéta-t-il. machinalement.
- En polissand1'e, poursuivit Iympe. Oh 1 le
socret avait été bien gardé 1 Ni Mil o Cécil IIi
personn ne s'on doutait. Quund, ce matin,
p ndant que vous étiez sOI'li, une grande caiss
st arrivé du chemin de for .. ,
Et ]0 docteur, pri s d'une rémini scence classiqu qu'év illai ont ces cl l'Oiers mol ' t la cli sgrâ' imprévue qui 1 fl'appait, marmo nna enLre
ses denls :
Grandi s epi lola venil
A Capreis 1
l , " Une gra nd lettre arriva do Capr >e li , citation du
po le latin Ju v'na l (42-12:1) rclalive il éjan, favol'j dc
'rilJ (' I'C (1\·31). n forlulI' Ilail au combl " quand
une l 'LLre
VCII U de Pile de Ca(1rée, où s'élnil r ' liré 10 vieil
mp r ur,
lui 8ignina tout Il coup inopinCIl1 'nl sa di sg rtlc . - L'hi s·
tori en lalin Tacile (5 ; ·13~)
n écrit l'Jlisloire de ce lte (1ériod e.
�Los Benoi tol out un piano! ...
L'EXIL. DITlIlNIURT'l'1'l
13
�146
LE PIA NO DES BE1'\OITEL
Un eaprice? peut-être bien, balbutia
Olympe" ,
Ce coq-à-l'âne ful accueilli par un hau ssement d'épaules accompagné de bredouill emonts
indistincts où se mêlaient les noms de Juvénal
el de TaciLe,
La vieille mIe ahurie, regarda ce LLe foi s so n
maître avec inqui étud ct pensn :
- Tacile? .. , s mit-celà e qui Je r nel si la iturn e?" Comment diantre a-t-il co ntt'uclé ce lle
maladie-là '1
D'ol'! venait en elTetau docleur Planad e l' ' moi
profond 01'1 Je plongeait l'innocente nOll v 11 0
don l sa go u ve mante YC ll ait de 1ui rair' pari '1
L' xcellenl homm avaiL hOl'l'eur d , la ITIU sie[u Il ""\nél'al et du piano en pilrticuliel', Pal'
temp ' 1'[(111 Ilt il élait .. éfl'aclairf' aux tapolat;'f's,
qui l'ohsé daient, 1 tt'oublaielll, l'agne,aienl ,
l'irritaient.
Cos di sposition s 11 \vl'Opatltifpl savaient ét',
eHcor exaspéré '8 pClIlhnl ull e IInion IIll peu
tal'di ve, qui ne fuL pas sans illi at;' s pt ail '/) Ul'S
<le h\.flu Il f li MUIO Planad o l'avail so umi s il
cl s pianotages in onsidéf'()s, tJ ollllc fond , PPII
�LE PIA:'<O DES BENOITE!..
1'17
varié , élait principalomont conslitué par 10
Bean Danube Meu, ]0 Quadrille cl'Orphée ot la
M(l1'che indienne, qui jouissont, on 10 sait, d'uno
uni vorsello voguo panni los pianisLos un pou
atlardés dos poLiLs coin s do province,
Commo los épo ux Planado n'avaiont pas
d'enfanls ct (lu e les soins d'un ménage do deux
}l l'sonnOs éLaiellt loin ùe l'abso rbol', l'aim ablo
dame avaiL le loisir de S'OII donn er i'L cœ ur joie
du malin au so il'. Le docleur {'chap pait d'onlinail'O pal' la fuile il crs lO/'l'culs d'harmolli ,
mais so n ox i 'lcnco s'on ll'ollvait loulo dél'anO'éo ,
lIomme d'inl6l'i III' , II n'aimait guèrû ùbalLro l
pavé de . aillt-GaLin, pell redil e d'ailleurs n
distracLi ons. Le l'c]e mèm ,l'unique corcle de
la pelile viii, ne l'aLLil'ait pas; il n'avait pu 50
l'és igner, apr'·s quelques ssais, à poursuivl'e
durant dos apr'.s-müli nti '.l'OS d'inLerminabl es
parlies do bésigue avec 1· consorvaleur des
hypoLh'. fJu es ou 10 capitaine do g ndul'm ol'i',
" rand s amal('ul's do ce jou paisiblo mais pou
captivan t. En SOl'te qu o, partout aillours qu'au
chevo t ci o sos malades, il 50 senlait dépaysé cl
pl' squo malh eur ux ..
�H8
LE PlANO DES BENOITEL
Allait-il donc maintenant après plu sieurs
années d'un tranquille veuvage, - qu'il avait
inauguré en res titu ant à la famill e de sa défunte
Uoctour, vonùz UOIIC voir noLro pia1lo.
femme Je piano compris oan s l'appol·t doLaI, _
voir renaitre son supplice? Ses lectures, ses
rOveries au coin dll foyer allaienL-elles se
Lrouver Lroubl ées pal' Jos douhl es croch es que
Milo DenoHel forail pl ' uvoil' S UI' lui à travers
�149
LE PIA NO DES Il EI OITE L
l'épaisseur ùu plancher? Il épl'o uvait , rien qu'à
y songer, uno ap pl'éhr n. ion qui était presqu e
de la terreur.
Il ne s'ouvrit point il Mlle Ol ympe des pensées
qui l'agilai nl. D'abo rd parce que la délicatesse
el le sontim ent de sa dignité lui inlerdi saient
d'initie r ~a go uve rnanle aux ennuis qu'il avait
dans sa vie conjugale, ensuite parce
l' ' n co ntr é~
qu'il r edouta it de la part d la vieill e fille des
cancan s qui aum ient pu refr oidir s s relations
avec les llenoi leI.
Ah 1 si du moins il avail pl'évu le cas , bien
sûr il n'aurait pas r nouvelé leu!' bail! mais
aucune claus n'interdisait à. ses locataires d'introduir e lIll piano ch z ux ni même de s' n
servil' ..... On ne pense pas ù tout!
Il en était là de sos réflexions quand un frémi ssemenl sonOl'e vill t lui co nfi rmel' la navranle
r "u lilé. Mlle C; ·il sc dérouill ait J s doigts sur
l'inslrum nt il peine déball é. Ce fut d'abord le
B eau Danube bleu, pui s la .Marche indienne, puis
l e d'Orp hée .. . juste le réperto ire de
1 Q~tad?'i
Mme Planad !
Lo docte ur, nerve ux, s'étail lev \ a rp nlalll
13.
�150
LE PI AN O DES BENO ITEL
la petite salle il mange r en quête cl' un parli violenl , qu and la porte s'o uvril avec impélu osité.
- Docleur , docteur, vous ne vell ez pas voir
nolre pi ano? ... Nou s avons un pi ano !
C'é tait Milio BenoiL el qui éprouy ait le heso in ,
dans un mouve ment de sali facli on va niteusc ,
de faire parl ù Lout le voisin age de la 1' ; 'enle
acqui . ili on.
- Cécil e le désil'ail Lanl - !jans oser le dire !
son plH' et moi nous avolls co ns nti il ce !jacrifice - un gros sacrifice pOUl' nOli S, doc Leul', lIll
ll'ès gros sacrifice ! - mais elle es l si co ntellle ,
Sl onl ote, c Lle chère enfanLl Cal', fi gul'ezVO liS.. . nous lui av ioll s luiss \ ignol' J' la chose
ju sqll 'il l' ul'ri v \e même du meubl e. Au ss i qll ell n
surpri se ! qu Il e j oy use slIl'pri s ! No us u- t- Il e
assp z cmbm ss "S son père c t moi! A Il! lell cz,
ajouta (' xcell cnle f ·mm e n ess uya nt IlIl e
lurm p, dans c 's mome nls- lil, on 0. J) uu uvo ir
faiL lIll e foli e, n Ile p ut pas Ja l' C'F I' ' lll' l'!
Dcvant ccs (ru sion s cl cc t aU ' l1dl'i ssemenl,
Je docleur LI 'mellru cl '·sul'm é.
- Eh hi Il ! do luI' , on dirait (Jue ce la 11 0
vo us fail pas pl uisir '!
�Co Ho (lpTonait 110 vni;uos nrpôgos.
�152
LE PIA NO DE
BENO ITEL
- Moi! comment donc! au conlrait'e, balbulia-t-iL.
- Allons, venez voir nolœ piano.
Et bon gré mal gré, le docteur dut monter
ch ez les Benoilel.
n lrouva rassemblées dan s le salon un e demidouzain de voisines on train de s' xtasiel' sur
la beau lé du bois, sur la blan cheur des touches,
SUl' la so norité de L'instrument. Au milieu,
Milo Cécile, rayonnant, égrenait de vagues
arpoges pour se donner un e contenance.
- Cécile, cria eu entranl M'''o llonoiLel, voici
monsieur Pl anaùe 1
On fit au docLeul' qui s'avançait assez pilous mont un enlréo ll'i ompllal e. Chacun s'écal'la
pOUL' lui pr rm Ur d'admiror le piano.
- Eh bi en! qu' n dites-vo us?
- Très bau, lrès beau, murmurait-i l, n faisant comiquemclIL violence i.L so n dépit.
-(ja m uLl e hi l1,u'cs L- 'epas?Huito'lav sI
El une sonoril'·!. ... Vou s n'avez pas entendll ?
- Je vous demande pardoll , madame, s'eme l' vivem nt avec Ull g sle
pressa-l- il ti c l' ~ pliqu
éuergique.
�LE PI ANO DES DENOITEL
153
- Cécile, continua MmoBonoiL el sans l'écoulor, jouo donc qu Iqu o chose au doctour .
- Mais j'ai ente ndu, je vo us ass ure, j'ai
enlend u, appuya- t-il supplia nt.
Des voix se croisèr ont, chacun e cles personn es
présontos réclamanl so n morceau préféré .
- Lo lJeau Danuùe bleu, uno si jolie valso 1
- Lo Quadrille d'Orp hée , c'os t si dansant!
- No n, la J}/a?'che indienne.
- Mo n Diou, fit le doc tour du lon ù'un condamné qui sollicil un e co mmuta tion ùe poin e,
Milo Cécil o vient do jouor ces morceaux-là . Ello
pour rait peut-ê tre nous jouer mai nlonant quoIqu e nulr chose .
- C'est cela, dit quelqu 'un , la Marc he funèbre
de Chopill.
- li eu 1 c'es t hi n trist .
- Ou 10. Marc he tlwque .
- Enco r un marche?
- A. h ! je no poux pas 10. jouer soul o, obj ecta
Mlle C6 'ilo.
ui , conl1 rma sa mère, e11 no sait oxécul l' co lt mal' he qu 'à qu alre mains.
En fin do compt , Milo Bonoil ol, qui n'é tait
�154
LE PJANO DES BENO IT EI"
ponr le mom ent en étal de jouer que les lrois
Un lJél5 ig'tlo, voulez-l'OIi K'!
morceuux cl 'jà el/t enou s, les J'eprit l'u n après
J'uulre dall s l'ord re invc/'se.
L9 docleu l', trouvanl san s doule que ce n'6lail
pus une f u~on
Suffi sal1le de les varior, s'csquiva
�LE PI Al 0 DES BEN OlTEL
155
le plus tôt qu'il put, poursuivi par ce tte mu sique
endiabl ée qui le faisait tourn er en bounique.
Il ne s'arrêla pas chez lui et so rtit dans la
rll e sans trop savoir où il irait, co mm e qu elqu'un qui fuirait un cauchemar.
Cin q minutes ap rès et presque sans y songer
il élait enlré au cercl e, où il ne me ttait, autant
vaul dire, jamai les pi eds.
L capitaine de gend arm eri e s'y lrouvait s ul
devant so n absinthe habiluell e, a tLend anl pOUl'
leUl' par tie quolidienn e le conserva teur des hypoth èques, qui menaçait ce jour-là de ne pas
venir.
- Eh ! c' st donc vo us ! s' xclama-l-il en apercevant le doc t u ... Il y a des ann \ s qu 'on ne
vous avaiL vu ici! P a .. qu el hasa r'cl ? ..
- MOIl Di eu....J passais, j 'avais 1 temps ...
je sui s entré.
- Un b 's igue, vo ul z-vo us?
Au souve nir évoqu é pal' ces mots l docL ur
eut lIll rega rd de morne s tu pe ~r. Pui s avec un
so upi r:
- To ut de même! fil-il en s'asseya nt sombre
eL résigné.
��Cll APlTRE IV
DI sc n ÂCE IMMeRI TÉE
La pt'emi ère audition musica le improv isée
comm n J'a Y U, clt e7. 1es llenoil 'I, eul d bl'il]auls lend main s.
l m. Benoil el, lOllle glol'i use du LaIent de sa
fil! ,en qui Il e voyait ull virtuose co nso mm ée,
ne ri emand aiLqu'ü la prodllir . Bi nlM,o n orgalIi sa Il pe tiles l' luni ons olt Ics jeun s 1111 s lapotaiollt ou hanlai 'nl, Landi s que les mamans ausaiellt nlre ell es, sc l' \ ri ant S Ul' la cherlé du
b ul'I'e ou 1 s x.i rre n cs des dom 's liqu s, cl
s'inter rompaient par inlerva ll 's pOUl' ap pl audir
H
�158
LE PIANO DES BENOITEL
de
ou pou sser des « pat'faiL, parfail! » avec p~us
complaisance que de conviction. Peu s'en fallul
que Mmo Benoitel eûl ses (i ve o'cloclc.
Si l'on en par'la dans aint-Gabin!
Les uns rendaient hommage ù l'amabilité de
l'excellenle dame et à la bonne grâce de sa
charman Le fille ; les au Lres lrouvaient qu'il.n'appal'lenait pas il la IamiJl d'un modes te gl'allepapi er de faire tanl d'embarras. Celle censure
ll'o uva sa formul e citez la femme du receve Ul'
des finances qui déclum péremploirem nl:
- Ces g ns-Ià ne sav nl pas se lenir à leur
place!
Les Benoitol ne recueillai nl d, ces cancans
que les \c IJ os qui fl aLLaien l leur amo ul'-pro pre,
in conscients des inimilié ' so urdes el stupid es
qll 'ils so ul evaient innoce mm nt aulour d'eux.
Un jour, ' Il 50 rel1lIanl il so n bureau, M. B 'noitcl renconlra MiliO ailll-Frusquurd la so us-·
préfèle, dans l'escali er. Ilia salua avec déférence
cl. se rangoa pour la lai sser pusser. Ell ' J'arrôla :
- Ah 1monsieur Bonoit l! Mes co mplimenls,
monsieur Beno it l, vous êtes 10 héros do SainlGabin.
�LE PIA 10 D ES ]JE 10 lTEL
159
- Moi , madame?. .
- Ou plutÔL, si vous aimez mieux , l\1'no el
Milo Benoilel. Il n'es Lbruil que des réunions qui
se donnent chez VOll S.
- Oh! mad ame, c'esl ma fill e et qu elques-un es
de ses amies ... cela n'a aucun e imporlan ce ...
- Ce n'esl pas ce qu e l'on dit. Il paraît qu e
Mil. Cécil e a un vérilabl e lalenl de piani sle eLqu e
vos invitaLi ons sonlll'ès r cherchées , Tou. mes
complim enls, monsieur, Lous mes complim enls.
Elle le quilla sur ces mols prononcés d'un Lon
pincé qui laissa le pauvre employé abaso urdi ,
Henlré chez lui , il s'empressa, loul lroubl é
ncore, de fair parl il sa femme de ce l enLrelien.
- En somm e, conclul-il , il m'a paru qu'ell e
élaiL fClchéc (l e n'avoir paA olé invitée.
- Mais je ne po uvaifol pas invil l' la f mm
ùu promi er magislraLde l'arrondi ssemenL, qll
je vois il peine une ou d ux fois dans l' année, il.
cl s l'é unions d'un cat'Ucl 'I'e aussi inlime !
- TouL ce que lu vomIras; je le di s qu 'ello
es t fù'ché .
- Alors il faudrail in viter plu s ù mond
donn er un e vé ritable soirée.
�160
LE PIA NO n ES ll ENO ITEL
- Di able ! ça va nOLI s co Cttel' bon.
- Qui veut la fin , ve ut les moyens.
Au fond , il s éprouvaient, dans leur naï ve té,
une salisfac tion vani teuse il la pensée que la
sous-préfèle avait \ln leI désir d'entendre leur
fill o qu'e ll e leur faisait des avances pour sc faire
inviter chez eux. Et leur r ésolution était il pein e
pri se de donn er, en elTet, un e gmnde soiré que
Mm" Uell oitel all ai t répétant parlou tl e vo isin age :
- C'es t MOI" la sous-préfète qui vo ut entenùre
Cécil e !
Mais qu anù, ayant revôtu sa plus bell e toileUe, oll e alla la pri ol' de vo uloir hiOll hli faire
l'honn eur .. , c'es t à pein e si ell e put acllOv r sa
plu'ase, tant fuL glacial l'accueil fail il ce lle
ou ve rture. Mm. SainL-Fl'u squard se mit <'t peill e
en frai s d'un prétexle pour co lorer so n refu s
décl aigneux.
Cependant, d'autres in vitati oll s avaiellt été
lan cées en même temp s ù. l'élile de la sociélé
Sainl-Gabin oise . Les g l' O~ fonctionn aires furent
assez surpris de recevoit' semLl abl e polilesse
d'ull bureaucra te subaltern e. Toulefois, comm e
Olt savait (lu e J sous-prMel et la sous-préfèle
�161
LE PIANO DES BENO lTEL
avaien t dû ê Lre égale ment priés à la fameu se
soirée , on acce pLa génér alemen t. Puis, quand
on apprit le r efu s ess uyé de cc côté-là par les
Ben oitel , les plus polis . s'empr essèren t de sc
dégage r , ct les aulres s'abs Linrent tout bonnement, san s excuse s ni explica ti ons.
Cc fut donc un e débâ.cle . Le salon de Mme Ben o iLeI ne reçu t qu e le men u fre tin de ses invi lés,
il pein e qu 'qlles person n es de plus qu 'il n'e n
ve nait d'ordin aire a ux ré unions ü1lim es où les
ûmi es de MU. Cécile avaien ll'habiLude de chanlonn el', tapo ler cl sautill cI' ense mhle .
P urm i ces bo nn es el sim pI cs ge ns se trou vo it,
qui " am ait cru ? le docle ur Plan ade lui-mê me.
Celui-c i, par avance cl (l ès le pre mi er j our ,
s'é tait exc usé au près des Benoit el, po ur un moLif
lrès ing6 ni useme nl im agin é, de oe pou vo ir « il
son très g rand regret », di a il-il , assis Ler iL leuI'
intéres sant co ncerl sui vi de sa uleri e .. . Ma is
qnund il e ut appri s J'humi li a nte défle l'lion qui
m enaçai l ses :lIni fl, il ava it, en mani èr e dû
pt' l sla tioll cL par ull e voIle-face gé nére use,
l)rave me nl a ITronL6 mu siqu o et pia no po ur le ur
upporl er l'appoi nt de sa présen ce .
14.
�16'2
L E PI AN O DES BENOTT EL
Ceux-ci comprirent qu 'il s avaient co mmis une
grosse maladr esse, « un formiclabl e impair » ,
comm e disaien t les malicie ux en r ianl de leur
déco nvenu e. Depuis ce lle malen conlreu se soirée, M. n elloÏtel lJ e savait trop quelle altitud e
gard er auprès du sous-préfet, qui ne lui parlait do ri en , mais se mlJlail all'eclel' il. so n égard
un e froid eur Dal'qu oise. Ce qui ac beva de gâ ter
les aITair s, c'es l qu 1 S bonn es lang ues se prirenl il dire - et le P 1'opagalew' l'imprima (lue c'élait un e jusle leçon dOllnée pal' un
mod es lo empl oy6 au plu s haul représenlanl du
pouvoi r c nlra l dans l'arr ondi ssemenl , lequ el
n « receva it » jamais, au grand pl'éjllcli c dll
co mm erce Sainl-Gabinoi s. Le rep rocll e était
. fondé : il porta, l chang a li no malvoillan co
(lui n:e l'tl élé sali s doule qu e passagè re on lino
impl acabl e l'anClIlI e.
l'cu de jOll n; après, so us pl'étcx l d'un documcnl égal' ;' cl qlli ne l[(nl a pas (]'aillrl ln; ;\ so
rclrouve r , M. Bonoil rl élait rO ll gédi() de la sou spr6feclllre el perd ait so u empl oi.
�CHAPITRE V
UN I-; r. O'\'S llI .TA TIO '
Co fut un co up de foudre.
Les Benoil el n'étaient pas sans pos!'lédcr un
p tit avo ir personnel, mai!'l ]o traitement du chef
de la famil le JI 'e n d meuJ'ait pas moin !'l indisponsahl e à l'éc'l uiliIJl'e de JOUI' mod sle IJilIl ge l.
Co qui était plu s sensibl e onco re peut- '· tl'e au
pèJ' ci e Cécil e que les co Il!'léfju once!'l p6Clllli llil'oS
de su di sgl'Ctce, c'é tait de se vo it· rO ll voy \ brlltalement, il la manièl'e (l'un domes tif[u e illfidèle
et com me si un e fauLe co ntl'e la délicale8se ou
l'll onll eur , so ud ain emont déco uvorte, l'elü frappé
d'un e irrémi ssibl e indignité.
�164
LE PIA NO DES DENO ITEL
Heureusement, personne ne s'y trompa. E t
les marques nombreuses de condoléaneo ct do
sympathie qu 'ils reçurent à ce tte occasion ne
fur ent pas pour ces braves gens , chez qui
l'am ollr-propl'e clio sentiment de l'honorabilité étaient si vifs, un mince adoucissement ~l
leur in rorlun e.
Il s faisai nt tl'aill elll's bonl1 co ntenane , parbnl sans tl'o uble appar III d l'injustice subi
commo d'lin sorle d'acc id ent qui serail bi n
vite J' "pal' : on pouvail Di eu m l'ci! ll'o uv l'
mi ' ux qU'lin l'ond de cuir il lu sO li s-prOfcctul".
Se ul e, Milo C ', 'il e laissail pal'a1ll'e SUl' so n
visag l'asso mbrissomont d'ull VU"' U souci.
Car Les jOlll's s passai nl , etl s semain es, el.
M. BenoileL n pal'v nail pns à ll'o uver un
nouv 1 mpLoi p OUl' rempl acer 'elui qu'iL avail
p l'tlu . ,' ainl-GaLin prése ntait p II d l'essour cs sou s cc rapport. .. Qu elle oc 'upati on
pouvail y ôtr olTel'l il un hommo qui n co n!l uissait pa s d'autro Ital qu o c lui (l ' ICl'i vassol'
dan s Lill O admillistruti on publi (Ju '? L 's p tilrs
éco nomi es Il la famill \ eommen 'aienl don c iL
s'ée 1'11 0 1· .. . li a situ ati on, loin de s \ M'nou 'l',
�LE PI AN O DES BENOIT EL
165
allait s'embarrassant de jour en jour davantage .
Mais, les Benoil l, aITermis dans leur fierté,
s'eITor çaionl de n ri en lui sel' pamUr e de leul's
graves préocc up aLi ons.
urLout Cécile, di sait Mmo BenolLel, ne
nrgli "'e pas Lon piano : on croirait qu nou s
So mm es Ll'i sles!
Et 10 docteur Planad lout n compa tis ant à
1 ur maIll eul' , san s n ou pçonn el' pourLa /l t
louLe l'él ndu , pe l it de plu s b Il ontre co
malh oul' ux pi ano, caus do Loutl mal , cL qni
continu ait ü l'agaco r Curi Il so menL.
01', un jour qu 'aRs is à l'ombl' o ùe so n acacia
il li sait, à son ordill ail'o, le P 1'OpCt(J al eu1' aintGabillois , cal' ssant son rôve favo ri cl se demalld ant un rois d plu s par qu Ile porle il
pourl'U.it nfin nlt' [' dans la vie publique, il
s' ntendit doucem nl app 1er cl l'autr cô L
cl la hai :
- Monsi ur Planad e, vo nez voir m s ja inth
c~d
C'é Lait ~ 1" 0 Benoil 1 qu 'iln v yait presqu o
plu s cl 'pui s qu e son pi ano lui raisait d ~ l a i se r
�166
LE PIA NO DES llENOITEL
les soins qu'elle sa vai t si gentiment donner à
son jardin et. EU revenait donc à ses Ilem s?
Le docteur s'empressa d'approcher el pénétra
dans le domaine BenoiLel.
Mais les j acintlJ s n'étaient qu'un prétexte.
Après quelques cil' uits autour des co dJeilles t
quelque" t:ircuits auss i dans la co nve rsation,
la j un fil 1 s'asseyait SUl' un han' )'usliqu e
près de son ami C il chev ux hlancs; puis, omme
Ulle persollne qui prend hravemenl so n plU'li :
- Doct ur, lui dit- Il e, j'ai il vo us raire UIlO
gross confidencc'.
- Oh! oh ! !';'écria-I-i l, un l'oman?
11 roma n! Oll! la mauvaise langue!
Vous saure z, doelt'ur, C[IH Ils jeun 's rill!' !'; sans
dot n'ont pas do romall. NOIl, nOIl, il s'agit
d'alltro chose. 11 s'ag'il de mOIl piano.
- Ah! s'écria 1 cOllfident, ll'ès frappé.
- Voyons, padez-moi fran 'h melll. hsl-ce
<J1I mon piano n v us onn ui e pas?
- Pl aît·i l? Vous me cl mnlHll'z si vol l'e' piano
111 ' 'n llui c'?
11 rlll slIl' 1 point de pousser 1111 ri du ('rIJUI',
do r~pnld'c
(lans lino exclamalio n élocJu nl'
�167
LE PIA 0 DES BENOITEL
lous ses énervements comprimés jusqu'à cc
jour. Mais sa sympalhie, sa faibless e loules
~pl'
UClloilcl l'inlerpella pnr-ù
ijSUS
ln Imio.
palernell S pOUl' L' ' JI fan l gttt \0 le l' LinI' nl uno
foi s enco ro :
- JI 'u! II u! murmura-t-il ...
- Eh bi n! moi , il 111 'é ll l'V , illterrompit
C "ci l ' 11 l'OU rriSStllll Ù son Ill ell songr .
�168
LE PI AI 0 DES lJENO ITEL
- Bah! mais alors, ne put s'empêcher d'obsery r le docteur, dont la physionomi e s'éclaira
pourquoi en jouez-vous?
- C'est mamau qui y tient, ct je ne v ux
pas la chagrin er, mais en somme il me donne
des mi graines ct des envi es de pleurer qu'on
traile de luhies si j'ai la faibl e de m'en
plaindr .
-IL ne faul pas, diantre 1 il ne faut pas ! Je
prévi endmi vos par nls.
- Oh ! merci , mon hon monsieur lll anad . Voil à justement
que j'es pérais de
vous.
- Je vais de cc pas leur parl er n médecin,
car vo us êtes ma malade il. présont. Il faut
qu'on f l'm e le pian o un fois pOUl' toutes .
C cil e hésita un jnstant; pui s très vivement:
- Mi eux que cela ; il faul qu 'on le vend e.
- Hein? le ve ndr ? Eh Li en, vend ons-le.
Au fait co mme cela j S l'ai plu s sÎu'. ,. vo us
sel' z plus sôre, ve ux-j dil' , qu'o u n le l'OUvrira pas .
Ju geant sa « malade » d'upl' \g lui-m' me,
�169
LE PIA 0 DES BENOITEL
le confiùenl trouvail le cas extrêmement
simple cl n'y entendait pas autremeut malice.
Malgré cet avi s radical, excessif, <le meUre
en venle l'inslrumenl incriminé, il ne •deviua
pas que Cécile afin ù'all6nuel' la gêne présente
ou prochaine de ses parenls avait eu recours
iL celle feinl pour les d \lerminer iL se dMair
d' un ohj t cl valeur l réaliser ainsi quelque
al'gent. La jeune fille avait compris qu'e lle
n'aunlÎt pu les y amener pal' les voi s ordinail'cs, qu e leur intl'aitable amour-propre ct
l'afT'ect ion qu'ils pol'laienl à. lelll' fille, dont
il n'auraient pas voulu accepter Je ùévouefil nl, les eût ()mpêchés de consentir ù cellc
aliénation, pourlant opporlull , sinon encore
lonl iL fuiL nécessail'e. De lit son slralagème
pieux cl su généreuse ul'rièl'e-pens .
Empl'essé cl lirel' parti de ces conjonctures
ct dominé pal' SOli id, fixe , le doclelll' élait
déjà -chez lml Benoite1.
- .fe vi 'liS ùe voir voLr cb -re nfanl. Je
viens vous parler d'elle. VOli S le diruis-j ? Il.
sanlé m'inquiéle un peu.
Le lerraiu se trouvait pl'opal'6 mi ux que
1fi
�170
LE PI ANO DES n ENO lTEL
le -docteur ne s'y altendait. Les parents convinrent spon lanémenl que Cécile semblait
maigrir , devenail encline aux larmes et perdait même l' appétil.
- Inappétence ... hum euL's noires ... symptômes névropathiquos. Une pnfant si impressionn able, qui ant'aiL hesoin du gt'and air et
qui s'é ti ole devant un pi ano!
- C'cs tta faule, Il crmance , dit M. BenoiteI,
tu as voulu ce pi ano.
- C' st la lielln e, Th éo dulo. Esl-ce flu e lu
n'é lais pas maLLre dc l'édu calion do Cécil e?
- Ah! votre éducati oll moderne ! intel't'ompille doctellr avec un e IJf'u squerio qu'excusait
la, co nviction : sédentarilé, anémie, SL1rIu enage ... su rm ûnage jJltellecluel ct surm cuage
des nerfs, sous prélexle d'arts d'agréments.
Enfin savez-vous jusqu 'o ù les lrilles et les
arpèges peuvent conduire volre chère enfanl'!
- Docteul', suppLi èrent dellx vo ix, diles (lu e
vous exagé rez 1
- A la névrose ! fil-il impiloyalJl
- Une névrosée 1
- Voil à.
�LE PIANO DES DENOTTE L
171
Un si.lence se fil. Le docteur sentit que ses
airs de sauve ur brutal lui réussissaient. Il
conclut du mê me ton énergique. Le piano,
c'élait l'ennemi. Il n'ex igeait pas qu'on jetàt
celui-ci au feu ; mais il fall ait s'en ù6fail'e au
plu s lôt pour que la malade ne fû t pas tentée
d'y rove nir.
- Vendre le piano, s'écri a Mm o BenolLel ~
qu e dirait-on dans Saint-Gabin ?
- Qu e c'es t par raiso n de santé !
Ce t argument frappa les Bonoitol. L'amourpropre serait sauf!
La bataille était gagnée. Le docteur pour no
pas compromettre son triompll e prit congé par
un e hl'ève formule. Il reotra chez IlJi en se
fr oltant les main s, tout ù la joic de sa déli vrance
prochaine.
A tabl e, il retrouva so n appétit des beaux
jours, el, la Huit, plein de l'eni vremeul de sa
vicloire, il eut un rêve daus lequel il crut vo ir
un a.t'change Saint-M ichel qui lui r ssombl ait,
en train de tor['assol' le démOli, dégui sé transfol'ln ali on LizcllTe ! - so us J'apparell ce
(l'un pi ano - d'un piano à queue.
�in
LE PIA NO DE
BE ' OJTEL
Appelé
lend emain dès l'auhe au chevet
d'un malade, à la campagn , il partit en carriole tout O'uill l'cl, aspil'ant av c délices l'air
baiO'né de vapeurs roses co mme ses pensées,
cl salué au passage pal' le con ert des oisraux.
Cc qu'il s hantai III cc n ' 'lail, Di ou merci!
!li le Quadl'ifle d'Orphée, ni le B eent DCtntllJe Uteu ,
ni la Mrl1'che indienne; c'élailla belle mu sique
du bon Dieu, hi n di{l"'r nle de l'aulr ! Alissi 10
do L ur, si Il II mélomane qu 'il fût, éco ulait-il
'ello sYlllphoni criarde , incoh éronle, 'pordue,
mai s sublime av c lin pal'liculi ' (' ravi ssoment.
�CTl
A PJTm
~
VI
DE CIl AnYB DE EN SCYLLA
Qll a nd il r ev int, n' ayant pas encore Ji gél'é
son
_
bonh eur, Ol ympe lui dil :
l\'l onKienr Rait (lu e les Benoilel veul ent
've ndl" leur pi ano?
_ Olli , je sais, je Kn is, fill e (locLellt' so uri anl
ù q Je ll O, nI ai s avec UII O feinle indilTérence .. .
_ \1 Il'es lm iJ me plu s chez eux.
un e ex pl o_ Vl'ltim ell l'i déjà ! s'6el'ia-l- il ü.ve(~
sion (l e j oie invo lonla ire.
_ U n'osl plus chez eux, lIl uis il Il 'a pus
quillé la maiso n. Il esl chez M. n a lllls iold.
1;, .
�174
LE PIA 0 DE
BE NO ITEL
- Le marchand cl e vieill es armoires?
- Oui , mon sieur.
- Comm ent, Rabasloul a fait achat d'uo
meuble de celle valeur?
- I l ne l'a pas ach lé. Les n noitel, ne connaissa nt personne ù qui le céder, le lui ont
laissé en quelque sorle en dépôt. EL M. HabasLoul, donlla boutique reçoit beaucoup de visites ,
s' sL chargé de 1 v Ildre pOlir 1rur compte. Il
r \pu""'nait t1'aill eurs à nos vois in s du premi er
de ch rch r ux-m -'mes uo acquér eur ct d' Iltrer n mpporL dir cts pOUl' un Re mblable
aITair avec 1 un s t les autres ... à ause do
leur amour-propre ...
- En so rle, interrompit 1 doctellr, que j'ai
n ore là tout pl' S cl moi, dan s Ilne pi èce co nti guë> il mon cabin teLle foi R cc malh eur IlX
instrum ent! Mais c'est dOli C un l~ano
do
Nessus t!
- Ah! je no sais pas, mon si ur.
1. Allu s ion mylholo giquc. II prculc ayanlrC l'ûlu, dit-o n,
la
robe du cI'n l/ltt 1'(' 'e~ws
qu'il ava it lUI' d'lInc Il èc lt (' 'l1lpoiso nné', st' nLit le v('ni n p('n(,lr 'r dans S('S l'cines, nt(\i
~ il s ne
]lut St' !I1' barl'{lssc r du falal vêlemcn l, li so rll1ai s 'o ll é il
HOII corps, et mourut ains i.
�LE PI ANO DES nENOITEL
175
Et sans relever ce LLe r éponse qui aLLestait
l'insufn sance des connaissances mytholog iques
de sa gouvernante :
- Espérons du moins, pensa le docteur, qu'il
ne restera pl us longtemps sou s mon toit, et que
qu Lqu e amaleur ne tard era pas ~ L m'en débar)'usse r' ,
Au surplu s, même en L'état des choses , la
situ ation demeurait touj oUl's très favo rahl ement modifi ée, Rabas touL . ce n'était pLus
comme MilOCécil e; il n savait pas jouer du
piano, lU l; par con seq uent l'in strum enl, desc 'nJu maintenant dans sa boutique, allait
dl' meurel' mu ,t, ce qui étail, en somm e, le
point 'sse nli l.
A tout prelldre don!", ri en n'é lait co mpromis,
la vi ctoire de la cill e res lait touj ours gagné ,
pui sql1 e Je piano, en SOlllme, devait se ll'OUV r
réduit au sil eIl c ,
Ces rél1 rxi ns rass urantes fur nt tout à coup
et brwHlll ement interrompues par une résonance hi Il co nnu e, tl'Op co nnu e l
- Hein ! fit le doct ur avec un so ubresaut,
10 brocanteur eH pince auss i!
�176
LE PI ANO DES RENO ITEL
Cello foi s ce n'était pas 10 Quadrilte d'Orphée
ni le Beau Danttbe 1Jlett ni la Mcwc he indienne
ùonl vibrait ]0 piano, C'é lail bi en pis .. , Un
doig t in exercé so promenait on lâlonn ant sur
les louches, guid é par une vo ix slriden to qui
cllantait:
o Ma.thilde!
ido le de mon âme !
Lo doc teur ignora it , lui qui savait tant de
choses, qu'un vrai toul ousain do race, no
cOllllùt-il pas une note do musiqu e, est mélomane par' in slinct el téno1'ise plu s ou moins,
llauas toul avait d'ailLours été dans 10 lomps
aLlac hé co mm o garçon coiITeur au lh éâtt'e du
Capilole, à Toul ouse, auss i se pi/lu ait-il do co nlI aÎlI'Oso n répel'loi l'e !
El le docteur suUil tout' il Loul', il la fois marlelés SUl' 10 clavier ol poussés pur la voix aig ll ü
de Ilauaslolll , le gl':lll tl morc au de la Favori te :
(( Léo nor, mon amour bravo .. , », la roman co ùe
JVJi!J1ton: (( Elle 11 0 croyait pas .... » 10 récitat if
do F aust: (( Salut , ô mou d l'nier malin ! »
D Oll 'cs anlil ènes, morc a ux d , force, lous les
ge ures étaient h 0 1l 8 il c pitoyahl e lénot' - lénor
�LE PIANO DES BENOITEL
177
~ d'org ue
impitoyable. Il multipliuiL les poinl
pour mi eux,s'éco uter chanter, et, incapable de
\
\
",
'\
.
'\,i
( 1
-
.
• C'ost trop longtomps sou n'l'il' !
n
jouer un molif suivi, les soulenuiL pur ùes
trémolos puissants.
Le do cteur élait dans un étut voisin de
l' exas p6mtion.
HuLasloul venait maintenant d'aborder le
�178
LE PIANO DES llENO ITEL
g rand air de la Juive : « C'es t moi qui le livre
au bourreau. »
- Oh! certes , pesta le do cteur, le bourreau
c' sl loi- même !
Puis fai. ant ex plosion :
- No n, cela ne peul durer ain si. Il n'es l pas
ad mi ssible qu' un Iionnè le hommo pui s 'e êtro
impun 6menl pers6c ul6 de la so d e ! J deman derai pl' L cticrn aux lois de mon pays 'ontre
cl s 10ca lair s qui m'a sassin ent. Je plaid rai
a u beso in!
Co fut dans cos di spositi ons que, d6cid 6 à
frappe r un granù co up, il 'lllra hm v menl chez
Habaslo ul au momellt ot't ce lui-ci nlamail
l'air de bl'avo ure cl es Iht(Juellols : « En mou
hO Il droit .ï';li co nnan - UIl - an - an - c ! ».
- .J e n VO li S savais pas 'hanl lIr, ditl do l UI' dès l' nlt' 'e 't sans aull' pl' \ambul o.
- 13onj oul', doct lIr , fil l'n.nti qullir
n se
] vaul .. . C' st qu e jo n'avais pas d· pi ano... l
vo us savez, aj outa- l-il <LVO faluit " j e n'aim o
pas ù chanL r SU Il S ac ·o lllpagll emenl.
- Tandi s CJu 'à P" 'se/ll ...
pl' \s nl j'ai lin pi ano, le piano d s
�LE Pl ANO DES DEN OITEL
179
BenoUeI... Seulement, je ne le garderai pas
long lemps, cal' je cherche acquéreur, alol's,
vou s comprenez, j'en profile.
- El, inlerrogea le docleur avec une lu eur
d'espoir, pensez-vous lrou ver bienlôL à le
v ndre?
- A vo us dire le vrai, j' n do ute ... J n'ai
p l'sonn e en vue. C' st cop nd allt un bon in slru ment, cL sonore !... Au ssi, au Lan L pOlll' me
dislraire Cju pour aUirer les cli enls, tout la
journée , j'abaLs des noles .. .
- Ah! vo u abaLlez des noix .. .. . li s noLes,
veux-je dire ...
- Oui, cL j e Lape ferrn pOUl' qu'o ll m' 11ntl .
- l\1ais VO LI S ne craignez pas d'ablm er .. .
- Commenl donc! au cOlllmirc, inL rl'ompil
Buhas loul. L pi ano sL neuf, c'es L-à-dire un
pou dur; il a !wsoin d'êlre jou6.
- Vous croyez qu'il en a tanL beso in que
celu?
- Cel'lain menl. Il vo il bi n que vo us no
vo us y CO lln aissez g nèr . Enfin , Il ' sl-" pas
ùocteur, ha ' UII sa parti e. Ah ! c' ~ qu 'ici, à
�180
L E PJ ANO DES BENOl1'E L
ainl-Gabin , il n'y a pas beauco up d'arlisles.
Tenez, figurez-vo us que l'aulre jour au conseil
municipal. ..
A cc mo t, le doc leur dressa l' oreille subit ment inléressé, ct oublia pour un moment sa
colbre cl ses rancun es.
- .,. Au co nseil municipal j'ai failune moli on. J'ai proposé la création d'un conserva toire
tl e musique.
- A Saint-Gabin ?
- A Saint-Gabin. Eh bien ! croiri ez-vo ns qu e
lll U propositi on n'a pas lI'o llvé d'écho? C'est
ll' ist , lriste p OUL' notrc pays 1
- Mais je ne vo is pas qu e le beso in s'en [asse
bi en vive meut selltir ...
- Vous ne voyez pas, vo us ne voyez pas ...
l'arec qu' lIll e créati on nc paru1L pas répondre à
des hcso iu s maté riels cl irnm (;di als VO li S la jugez
inulil .! On doit, Cil admini slratioll , voir les
choses dc plu s klll L. Il faul dans les aO'aires
Jluhliqu es ... Enfin que vO lll ez-YO ll S, chaeu n sa
partie., .
- P erm ettez; cll uc un sa parlie ... pro letl ta 10
docleur, vcxé d'NI' laxé tl'in col1l pé lcnco on
�'181
LE P IANO DES BENOITE L
admini strati ve malÏ.èl' e et mi s en quelqu e sorte
au r ancart.
- Eh, oui! les affaires publiqu es demand ent
des aplllud es , .. spécial es el aussi de la pratiqu e.
C'es t domm age que vo us ne vou s y soyez point
adonné , vo us, mqnsie ur Planacl e, qui êtes un
homm e in struit et intelli gent. Vous y auriez
réussi, j'en suis sùr.
Cet éloge flalla d61icic usementl'amour-propre
du docteur,
- Mais, poursui vil Rabas toul , vobs vo us
tenez [l l'écart ; vo us Il e pouvez pas être au
couran t tl es choses .. , Ah ! si vous vo uliez, en
vo us laissan t pousse r tl/1 peu, un homm e de
votre va leur arriver ait hi en vite et nou s rendrai t
bi en des services.
Le bon doc leur huva it du lait. Ainsi, tout
illfalllé (Ju' il fôt de lui-même, le hrocanteur
pensait que lui , le docteu)' Planade, pourrait
avanlage use ment jouer uu rôle dans la vie
publiqu e. TI lui oITl'ait même indirec lemelll de
lui n facilitor l'accès .. .
Sans éprouve r la moindre humili ati on il la
pensée de He mcUrc ù la )'emorqu c (l e l'ancien
1 ~ 'I ,:1(
I , J)'II 1';N lliL/1 TF:.
16
�182
LE PI AN O DES DENO ITEL
coiITeul' , le cl ocl "ur , sUl'monlant enfin la fausse
hont e qui lui f l'm aill a bouche, allait lui faire
fr anchem nl l'aveu de s s aspirations s crèles.
Mais l'aulre, loul \ a premi ère id e, pour uiviL:
- On obj ecle qu 'il n'y uuruil il ainL-Gabin
ni professeurs ni élèv s. Comm e si c'élailull e
raison 1
- 11 me s mble poudant. ..
- Laissez uon , uocLeut': hncun sa pa1'li,
VO li S di s-j ; l'imporlanL sL ci e cré r IIn e co mmi ss ion d'iniliuli v ave ' un so us-commi ssion,
L, il la lt'l de l' nlrepris , lin prés icl nl, ::un at ur co nvain cu ,t capabl e .. . D'aill eurs, je sui s
lenace ... nou s verron s !Ji n ,
La conversali on avait trop compl' lem nl
dév ié pour qu le dort ur plll mninl nanl la
l'a m ner il J'obj t qui l'ava it co nùuil hrz 1
hrocanleur. Il u surplu s, dans so n lro uhl e t son
énervem ilL, il ne s'étail :L1'J' i\ L'· en 'or il aucull
moyc u pl'atique' de s d "bal'J'nss r dll paill o
p l'séC llleul'. 11 haLlit dOli C (' nCor' IIn e fois Il
r eLmiLe ' l l'cnlra 'h z lili plu s morn e ·t plu s
ùéconfit que jamais.
�CHAPTTHE VII
OU LII DOCTr.UR PREND ON PAin! D(.:CTSIF
Lu si Lllati on devi n t bi enlôt intonabl e, RubuslOti 1 avait arGché 1:1. la porte de sn. bouti fllle un
écrit au flambo ya nt:
A vend1'e
UN TilÈS BEAU PIANO D 'OCCASION
Éta t do neuf,
Low; 10:0; fl ù,ll eul'S du qllarli er entraient en
!liU;Sil ll l pour admirer ln meuble, Rubasloul faisai tl 'ul'li cle :
(( Iluit oclaves, En palissandre. El sono re! »
I ~t
�184
LE PL\ NO DES BENO ITE L
Puis il l'ouvrait, plaqu aiL quelqu es acco rds,
esquissait quelqu es trémolos, et pour peu qu 'on
l'y poussât, entamait une revue générale du
« ré pertoire ».
Et les bonn es gens qui l'éco utaient de se
dire :
- Ce Uabas Loul , louL de même, quell e vo ix 1
S'il passait dans la pe tite ville un commis
voyage ur qui se piquiH Lant so it peu - ct le cas
n'rs t pas rare - de culLi ve r l'art Iyr'ique, on
l' amenait Je soir chez Habus toul. C'é taient alors,
nu milieu des bocks eL des pipes, des jOLtles
mu siealcs où la vo ix et l'instnlffient luttaient ù
se co uvrir réciproquement.
Le brocanteur, qui enl nd ait la r '· lame, sc
disait qu e ce la ne pouvait que faire <lu hi en à
son commerce , et h~i amener un jour Où l' autre
un acheteur p OUl' le fameux pi ano, cal' il n'é tait
bruit dans toutes les Lables d'hôte de l'arrondi ssement qu e des auditions musicales de chez
TI a,bas toui.
Dans la joul'I1 6e, las de cll anLot' Lout seul ,
Habas-Lo u l, leva nt la vieill( co nsifrll e qui leu ['
illl t'di sait le se uil du sa nctu aire, avait admi s
�i 85
LE PIA NO DES BENO IT EL
ses doux aînés , Guslave el Césarine, à y entrer,
l\ub(U~)I
ll.vnÎl llrndlO un
1~{,t'lOf
flamhoyunt.
cL leu L' faisaiL répéler lui-môme leuJ's chants
,l'éco le, en les acco mpagnanl ù su. faço n.
16.
�186
LE PIA NO DES BE~orTL
Les enfants, hériti ers des instincts patern els,
prenaient beauco up de plaisir à ces répétitions,
ct les préféraient même aux livres d'images et
aux histoires du bon docteur.
Celui-ci, clone, sc réfugiait pour J'ordinaire
dan s son jardinet olt il sc trouvait du moin s à.
peu près à l'abri cles résonances importunes CJu i
troubl aient sa vic.
Mais i l n'y apercovait plus Milo Cécile pardessll s la haie, ni même MUI. Denoitel en train
de co udl'e sous l'acacia. L s neul's qu'on avail
plantées ense mble "taient délaissées ct lri stes
comme lui, les mauvai ses herbes pOlissaient
partout, sans que p l'sonn e s'en inquiétât ct prlt
so in de los alTac)lûr.
C'est qu'ils avaient vraiment d'n utres préoccupalions, les Benoîtel ! Leurs embal'l'Us levonai en t pressanLs; M. lJcll ollcl demeurait toujours sans mploi. 11 avait cepenullnt fini par
trouvor un pou de besogne chez les noLnires en
sc fai sant donn er fJ uelqu es ac tes qu'il co pi ait
sec rètement chez lui, tuudis que Cécile 'cL sa
mère s' usai nL les doigts ct los ye ux il eo nfcctionne!' - toujours 0 11 cachotte, il cause do leur
�LE PIA NO DE
BE O)TEL
187
amour -propr e ! - de!> ouvrages de broder ie
p ur un magas in de lingel'ie de la petite ville.
i aigres et in suffisa ntes ressources qui ne pouvaient guère retarder Je jour où 1' 0 11 commencerait ù s'encle Uer .. . Or ces braves gens, par
prud ence l par scrupule, élaienl dé 'id és il subir
tOlit s les privaLion s a vant de s'engager dans
'eLLe voi : pal' prlldence , car ils redont aient
1 s dange rs de (' ot eng'l' nage fun es te aux ge ll s
besogneux; pal' scrupul e auss i, parc quo, dans
lotir probité, il s n'aura ient pu s ré. otlrlrc Ù
cO lltracte r un m[ll'unl sans savo ir comm ent l
qualld il s pourrai nt sc libérer.
L docleur ne so up Of1nuit pa s cos mi sèrf's,
jalou 'em nl di ·simld ées. Lili -môme étail d'a il!eufs poss' cl é Il so n id ée fix : fair d6guC'l'pir
r. pi ano qui l'hébétait.
Un jOlll' (lli O Hahastoul , plll s en VO I X fi Il ,
1' e :
jamais, beuglai ti c l ~h s e l' e l' e tlu 'l1 '~uvè
'es t lrop IOll gl IlIpS,
C'es lll'O p longlemps so uffril',
- II a raison , hondil 1 do teur , c'est lrop
longlemps souffrir!
�188
LE PIA ' 0 DE
llENOIT EL
El av cds airs de révolLe, il sc précipita
chez le brocanleur.
- Eh hien! monsieur RabasLoul, pas encore
vendu, e piano '? ..
- Non docleur, pas encore ... On n fail pas
ce qu'on veul Ll'on faiL ce qu'on ne chel'Cbail
pas ù fair. Tandis que je ne puis lrouv'l '
acquêl'e ul' pOlll' ce maudil insLmmenl, fig ul'ezvous que je vi ns de v Illll' , presqlle tl mon
'orrs déf nuant, allLr 'hos qui n' 'LaiL pas il
vendl'e! lais cela 111 'a pal'll si drôle! ...
Et ln curiosilé l'empol'lanl un momenl sur
le dépiL :
- Vraimenl, qu'esl-ce don '? d mnnùa le
Jocl UI'.
- Vou s connaiss z bien le haron du Gom<lin, 0 hoboreuu du voisinage (lui, purco qu'il
a, dil-il, a sisL " tl Il UX Olt lroi s chass s imp \J'ialcs so us l ::;crollu mpirr, s pronel pOUl'
un (1 s plus iLlllsLl' s (' préscnlanL du pat'li
d('c1Il1 ...
- Oui. Qu' sL-cc (IU'il VOlIS a donc achf'1 \'1
- Vou s IlP li 'vineriez jamai s ... Hi r, ' Il
pan'ouranl de' 1'( ·ill S l'ayon s de mon cabinet
�LE PI ANO DES BENO ITE L
189
de lecture, il avise les Châtiments , de Victor
lIugo : « - Vo us mettez ra en leclure? me
dcmand e-l-il (l'un ail' il la rois il'l'ilô cl d6daigneux. - Mais ce rlainement. - El ça so lil?
- Deall co up. - C'es l abomin able. - Commenll Ce sont de lrès beaux ve rs. - Fi! donc,
un hain eux pamphl el cOJlll'e le l'l\gime impé-
�HJO
LE PIA~O
DES BENOITEL
rial. Voilà comme on empo isonne l'espril
public. - Oh! monsie ur le bal'on, di s-je n me
moquant un peu d lui , vou êles sévè re. - Fi
donc ! vous dis-je; on cl 'vl"ait Mfendre co lle
pl'oparralion mon 'lrueuse. Mais, ail fail , conlinu a-l-il , pri s d'un e id \e slIbile, il appart ient
aux bons citoye ns de cO /'l'igc r 1 s l'l'ours
in co nsciontes ou vo ulu s cl s pOll vo il'S publics ...
J , vo us l'a h \t . - Vous, monsieur le baron ?Cel'tainom nt! - Mais il n'ost pas il v nell' .
- Eh bi en! je VOLIS Je 10 ll : j suis un cli onl
omm o UII autre, jo su ppose'? Sou lem nt, ne
s y z pas pl'oss6 d me 10 ré 'lanwl', jo VO li S on
préviens, - Au pri x ordinaire de la loca tion
v us pourr z le garder tant qu'il vo us plaira .. . »
- Co mm nl! M. du Gourdin ve ut liro les
CMtim cnts?
- Mai s pas du lout! Ll v ut au co nlt'air'o l s
jet l'ail fou ou les nrouil' dans le co in 1 plu s
obs ' \Il' ri sa bibliolh èqll , .10 ne 1 s lui réclam I"ui pas, mais il doux so us d 10 'ati oll par
s 'main cola fait inq fmn 's vin O'l con lilJ1es au
hout do l'année, aulant quo le prix do l' Ollvrag ! C' st un pla ornent il ('l' lit pour cen l.
�LE P IANO DES BENO ITE L
1!)1
Qu 'es L-ce que YO US diLes de mo n opéraLi on?
A so n tour le docteur venait d'ê tre frappé d'un
trait de lumi ère. C'é tait Lrès simple en effel. ..
coûLeux sans doule, mais très simp le cLsurlout
radical. CommenL n'y avait-il pas pensé plus tôt?
- Eh bi en ! M. Rabas toul , dit-il tout à co up , si
nous faisions auss i un e alfaÎt'e ensemble ... un e
.S'l'osse a n'uiro, appu ya- t-il on ll ésllunt un pe u.
- Très volonti ers, ùocteur, cLvo us me Lrouve ri ez moin s in tru ila bl ... Es t-cc que vo us en
vo ul oz aussi à mes li vres?
- No n pas : j'ai assez ùes miens cLn'enlenel s
pas gC· ner dans leur choix les abonnés de vo lre
cabin t de lecture. :\'Iais cc pi ano .. .
- Ah t cc pi ano es l Lien à vendre cl non Ù
louer ..
- Eh hien 1 si je VO li S l'achelais?
- Vous, doclell d ... Et pOUl' qu oi faire? ..
- Ah! monsieur Habas toul , ccci fri se lïndiscl'étion ...
- C'cst jusle, monsieur Plall(,ule, cl je VO LI S
fuis I1l s excus s.
- .J'ai mon id ée .. . qu'il vo us suffi se de
savoir qu e j'ui mon id ' <:.
�192
LE PIANO DES IlENOITEL
HalHl.stoul , curieux malgré LouL, lui lan ça un
regard pénétra.nL
- Vous savez, c'esL un huit-oc Laves, en palissa.ndre eL so nore!
Il avait déj à ouvert l'instrument et ulla.it
poser les doigts S Ul' le cla.viel'.
- C'esLinutile, diL le docteul' en reLenanL son
bras d'un geste énergiqlle.
EL il a.borùa a.llssiLôll.a (Ju es tion d'al'genL, qui
fuL bi enLôt réglée, le bl'oca.nLelll' n'ayallt vou lu ,
en cetle affaire ù laq uell e n'é taienl intéressés
que des voisins et des ami s cLoù il ne sorvait
que ù'intermédi aire, prélever aucun hénéfice.
Le docLeur paya 1·ecla eL alln onça qll'il désirait fair e tnlII SpOl'ter allssitôt 10 piano chez lui.
Haha.sLoul n 'ell revenait pas:
- C'os t égal, mon fl iour })[un uf1e, ne pul-il
s'emp êcher de (lire, je ne VO li S savais pu s amn.leul" ...
- C'est comme moi (Jlli lJù VOliS savais pas
ehanleut" On a.pprend Lou s les jours il se CO IllIuÎtre!
�CHAPITRE VIII
BIENFAITEUH SANS LE SAVOll\
La boutique de Rabastoul était de plain-p ic,l
ayec l'appartement du docteur, auquel, <1.\'onsnou s dit, e]] e était en outre COJlti g'lI ü. Sans
communiquer ense mble dil'ectc mcllt, l'un ct
l'a utre prenaienl accès pal' dcrri èrc uaus un
v stibul c com mun. Il n'y avai t ù Oll e Ijll 'à
fairc l'oulor le meubl e en Je pOlitisant l'espacc
de quelqu es mètres . Ol ympe et Hahas touL
se chargèrent eux- mêmes do ce lle facile
besogn e.
En un install llo huiL-oc taves fut
Oll
placc.
17
�194.
LE PI ASO DE
ilENO lTEL
Le docteur demeuré seul le contempla longuement. Cetle fois il en avait cu raison! Il
, e lairait enfin , l'in strum n Lmaudit, ct pOUt' d
bon 1 Plu s de B eau Danube bleu, plu s d
Mise1'el'e du T1'ouvèl'e ! }lll1S de lap olages sur
sa tête, plus de lrémolos accompau nés de
b uglements ù trave rs la cloiso n ! On all ait
enfin r ell'Oll V l' la quiéluù S l'elll dcs heureux jours ! • on home, qu 'il ch ' ri ssail, ' allail
enfin l' devenir habilabl ! 11 avait pa)" ass z
cher, il st vrai, sa lranquillil ; l' 'cOIHlui se, mais
après toul, Il'ayant pas (1' ' nfallls, qu el m ill ut'
empl oi pouva it-il faire de so n avo ir (Ill 0
d' "carl l' do sO n xisL nc lout · 'auso de
de tourm ents ! C'é lait aulant d,e
troubl e
J'o on ; SUI' rh '\ l'ilagc CJui ['rv i lI<ll'ail Ull jour
il so n ct coquin do nov u », muis cr Uo ll1 oin svalue n dcmoul'ail- Il e pas l'<'pl'ésollt le pal'
Jo m ubl o aC'l r l '~ Et, lui morl, on pourrait 10
rouvrir Jl suile lanl qu 'o n vo udmiL.
POUt' 1 momelll, il dOI'J1l ait d'un somm eil
qu'oll n'interromprait plu s, dOlln ant d'aill urs
un ail' plu s 'oss u II cel illlél'i ' ur , dôjù co nforlahl e, olt il faisail un h UJ'(' ux Il Ild ant il la
�Olympo ot Rabastollilo Ilronll'o\llor.
�t96
LE PI ANO DE
UENOITEL
bibli olll èque viLréc, plein e d'ouvrages de médecine ou d'histo ire nalurelle : l'art Cil face de
la science!
TouL ompte fait donc,le docteur ne l'egl'eHait
pas le sacl'ifice d'argent auqu 1 il avaiL clù sc
résoudl' . Il jouissait déjà de sa sécurité désormais assul'6l' t savoumit sa vi cto ire n adversail'e 8"(; n6r ' UX, sans co lcl'c pout' so n enn emi
déBtl rlll é, c' st-il-dire r ;duit au sil nc . Même,
pl ein de solli ciLud e pour son enveloppe de palissandl'e :
- Olymp , avait-il diL, vous l'épousseterez
régulièl'em nt ave soin.,. sans l'ouvrir,
Ccp lIe1ant Rabasto ul s'était ht\t6 de monLel'
cil z 1 S n eno ileI.
- Monsieur, Madame, (liL-il à peine entré, le
piano est v ndu!
CP rut ull e tripl e ex 'lnmation de slIl'prise et
dr joi e' secrète:
- 11 rst v ndu!
- El pny6. Que di s-je, payé : il st déjà
tl'illl spOl'lé 'h z l'a 'q UOI't' UI',
- Et qU'1 esl cl acquéreul"? dpmao(la
MIOe Benoit J.
�197
LE P1 ANO DES UENO TTEL
- .Je po urrais vo us intr ig uel' long temps si je
vo ul ais vous le laisse!' devin er . Mais n ous
avon s mi eux à fai!'e qu'à nous amu ser. Voici
l'argent.
É t Rabas toul ali gna sur la laùl e J' or et les
bill els qu'il venait de re cevoir .
- Vous oubliez, lui fil-on obso l'ver , de prélever vo lre comm iss ion .
- Ma comm ission? Vo us me failes injure .
D'a bord j e l' ai louchée d'uno cer lnin o mani ère.
Voil tt lrois mois quo j 'en j oui s de vo lre piall o .
En suite , j e ne saurais, da nf:l une se mblabl e
uflaire prélever nne co mmiss ion ni sur vo us,
ni sui' le doc te ur .
- Com menl, le (locteur? Quel docteur ?
- L e docleur Pl all ade do nc! nob'e prop ri éLaire. Ah 1 j e ne vo us ai pas di l .. . C'es t lui,
l'acqu é re ur.
L es Ben oilel se r egal'dèrenl. Qu'es t-ce qu e
cela voulait dire? Le docle ul' n'avait nul besoin
ni proba bl ement null e e nvie du piano. Qu et
élait son dessein en l'ac hrlanl ? A vaiL-i L pélléLI'6 ]e soCt'el de leur délresse et usail-il d'un
m oye n détourn é d(' vr ll il' ainsi il leur seco urs !
17.
�HJS
L E PIANO DE
n E~O
l1'
E r.
Lellt' ind omptabl e amour-pl'O pl'e co mmençait
à s'alarmer et ils se demand aient déjà s'ils
devaient accepter celte aumône dégïlisée .. ,
- Mais, interrogea Mmu Benoitel, sans rien
laisser paraître des pensées qui l'agitaient, elle
et so n mari , savez-vo ns ce qu'il ve ut en faire
de ce pi ano, M. Pl anade? .. .
Pas précisé ment ... l'éponditle brocanleur, Pl' sqn e honteux d'avo ir à faire J'ave u
de SO li ignorance.
- Cal' enfin , il ne s'occupe pas ùe mu siqu e,
el il es t surprenanl ...
- Surpl'enanl, slll' prenant, répéla Habusloul
Il hochant la tt'L ... pas talll qu e cela ! Voul ezvo us mon avis? Je ri cLeul' n'es t pas Ult homm e
onlinail'r .. . .lI rs l de ces gell s qu'on croit co nnaître .. . et qll 'Oll Il e conn ait jamais il fond .
Jl méditr heauco up , il pari pell , je Je crois
tr1 ~s fort ... III1 'y a il s'ô lonllC!' de ri (' n avec lui .. .
Voil tl mon opini on.
Et sati sfaitd 'ayoir émi s, (['un ail' ent nrlll , ces
c ()l s idl ~ rati
o n s(Jui n'expliquaienL l'ir n dul ouL
- Ilahas LolIl Il l'oLim accabl é de remerclillellts
pOUl' so n 'ntremi se oLligeulll
'l désinLéressée.
�LE PIA
1)
DES BENOITEL
i99
Quand il fut parti, M. et MnlC llenoi tel se consu 1tèrent SUL' l'attitud e qu'ils prendnlÎent il J'égard
du docteur. Devaient-il s le remercier? Non, car
c'eùt été impLicitemen t avouer les dirficultés de
leur situati on ct paraîtr e accepter un bi enfait
bllmili ant. Le plu simple était donc de pal'allre
cOll sidér r la choso com m un marché ordid'au tre chacun n'avait
naire 0''1 de part
Co nsulté que sa co nv nance personn elle. Qui
su it , d'aill eurs, si, co mm e le JaÏossait entendre
Ilabastoul , il n'avait pas obéi. en effet ù quelque
p nsée intéressée. n bl'Uve homrn e tout de
mf'm n! Mais combi en ils aurair nt mioux aimé
Cjll J'argent reçu leur vlnt d'un so urce moins
sll spcctr ft 1 Ut' amour-propre!
Tam1 i Cjue c s scrupul es Jaissaien t perplexes
so n pèl'e el sa mère, Ct! ·il n'éco ulant qu e so n
bon cm ul' et cOllvainclle, quant il elle, ct de
prim e ahord , que l'achat du docteu r n'avait eu
d'autl'e mohil e que su délicale et discr te gé néros ité, descc ndit1 es t menl au rez-de-chaussée.
Elle pénétl'a éto urdimont chez so n vieil ami,
pou ssé pal' le d "sir irrésis tibl e de le voir el
ùe Je remerc ier, sans fausse houte.
�'lOO
LE PIA NO DES DENOTT EL
Interd ite néanm oins ù. sa vue et ne sachan t
trop qu e lui dire :
- C'es t donc vrai, do cteur , que vou s avez
acheté n otre piano ?
Elle docleu r, non moins embar rassé :
- Oui, en effet, j e ... je l'ai achelé .
Puis la j eun e fill e, a vec un e mali ce affectu euse :
- Vou s vo us ôtes doue réveill é pianis te un
J e ces derni ers matins ?
- Moi! oh! ce n' es t pas cela .... . Vous
savez.. , ce piano ... j e l'avais e ntendu . .. cl
a lors ...
Le docleu r, pris au dépour vu br Iloui liai l,
ne sachan t qu elle mi so n pla us ibl il pour'I'a il
donn er de son achat. EL, so us l'œ il de C6 'il e
qui l'obs l'vail, il poursuivit , patau gea nl de
plu s en plu s :
- Oui , j e l'avais Ille ndu, el comme il r~8 l
ll'ès so nore ... , j'ai pensé qu 'il f rail pendan l à.
ma bibli otltùc!u e ... Il meuble bien, n' es t-cc
pas?
Cécil e, incréd ule, bl'anla il 1 nt m nt la tt" 1 1
pui s avec un e explo sion d'all ' lIdl'isse m nl :
�LE PIANO DES BE
~O
T E L
201
Oh! vou s êtes hon, m onsieur Planade,
_
vous Nes bon!
Oh!
vou s
NI'~
hou ,
IllUlI :1 iul ll'
Planndc .
El clan s un mouvemenl il'\'6sislible, elle
sc jeta au cou du docleul' on fondant en brmes.
, ~ lpMai,
sou s colle éll'cinle, 10 doctour se
d6lmllail, p nsant:
�?OZ
LE PIAN O DES BEN OITEL
- Sapristi 1 voiHl la névrose qui se déclare !
Pui s, avec les inlonations tl la fois fermes et
douces qu'il avait pOUl' ses malad es :
Vo yons, calmez-vous , mademoiselle ,
calmez-vo us ! ce n'es t r ien: ..
Mais Cécile ayant après un instant apaisé
ses sanglots et repri s son sang-froid:
- Ce n'es t ri en, di.tes-vo us, gé néreux ami!
Ce n'es t ri en qne d'avo i,', avec la cl airvoyance
de vo tl'e bon cœ ur, devill ô nos mi sèl'es, si
jalouse ment cachées , ct de nOlls ve nir si largement en aiue 'e t d' une faço n si discrètement
dôLourn ée !
Le doc teur LombaiL de so n hauL. C'é taiL
p OUl' lui ull e révélalion tout ù rait in attendu e.
E h, qu oi! les l3enoitcl étaienL cl ans un e pal'eill e
détresfle? Co mment ne l'avait-il pas so up çonné!
Et VO i11l maintenant que pal' une singuli ère
méprise on le remerciait d'un acLe puremenl
égoi:s te co mme d'till e go nérofl ité délicate eLtouchanLe 1 IL ne pouvait pas , sans usurpaLi oll ,
acce pter ces témoignages de reco nnaissance
Mais il ne vo ulait pas nou plus révé ler Je vériLabie mobile de sa co nduite et donner ainsi ù
�LE PIANO DES BENO lTEL
203
ces braves g-e ns le regret d'avoir un in slant
troublé sa vie ct d'avoir élé eux-mêmes la première cause de ce sacrifice fo rcé dont il s lui
rendaient grô'ce main tenanl comm e d'un bi enfait.
Il se borna donc à se défendre en termes de
plu s en plus embarrassés .
- Mais non, vo us vo us trompez, je vous asSure, je n'ai pas l'intention que vo us croyez, ...
j 'ignorai s d'ailleurs .. . cc que vo us venez de
m'apprendre.
- Oh ! monsieur PJ anade, ne niez pas, je
VOUS en pri e. Vous êtes hon, vo us dis-je, vo us
ôles bon!
- Oh! oui , monsieUl' es l bon , répéta une
autre voix nou moins altérée pal' l'émoti oll.
C'é lail Olympe qui venait d'entrer et qui,
ayant été, de la cui sin e, et sans y prendre pal't,
témoin ùe la scène qui venait de sc pas::;er ,
n'avait pu s'empêcher de faire écho à Mlle Be11 oile1.
- VOLlS aussi, Ol yml 01 s'écri a sévèroment
le tlOClPlIl', impatienté ce lle fois. Depuis quand
VO us ln -lez-vo us cl'omelll'e des approciatiol1 H
ùe ce caractère ... sur mon carac tère?
�204
LE PlANO DES ' I3ENOlTEL
Vou s direz cc que vous voudrez, mon·
sieur, vous ne m'empêcherez pas tl e dire cc
qu e disent tous ceux qui entend enLdire ce que
mademoiselle vient de dire et que tout le
monde diL!
Et s'essuyant les yeux du revers de son
tablier, elle sorti t accompagnée ùe Cécil e.
BienfaiteUl' sans le vouloir, mais ench anté
d'avoir renclu servi ce à ses amis, le docteur
dul se résigner ft passer aux ye ux d'Olymp e
ol de Cécile pour la Prov id ence des fi noitcl,
eL ressentiL, lout co mpt fait, ft ln. pensée
cl'avoir obligé si 0ppol'tunémenl de bl'Uves
gens dans l'embarra s, une satisfacLion presque
aussi vive que ce ll e Cju'il ép rou vait de s'ôLre
afTranchi lui-lllôme d ' II11 0 [l orsécllLioll odieuse,
TanL il est vrai qu'une honn e ac ti on porto
loujours en so i sa réco mp ense , même quand
elle est involonLaire.
�CHAPITltE IX
L' EN ' EM! DANS LA PLACE
ui vanl le consoil de Scapin , le sage en rentrant chez lui ùoit se faire d'avance à l'idée quïl
va trou vel' so n argent dérobé, sa maison hrùlée ,
sn. f mm ' ct ses enfants assassinés . C'es t ainsi
(ju'au lieu ù s'exposer à quelque désagréabl e
surprise il se ménage J'occasion - probabl de ·onstll.t 'r qu e Lou s ces malheurs Il e lui sont
pas surv nus ù la fois t, qu'il en éprouve
al ors un joye ux soul age ment.
,' i 1 docteur Planade eCLl pl'uti quu eLLe philosophie chagrine mais pl'é"oyante, il n'eCLL pas
18
�20B
LE PI ANO DE
I3ENO ITE L
r essenti , quelqu es j ou!'s apl' \s les 6v6n mcnl s
précéd cuts, le violen!. d 'pit qui r étreig nit lout
à co up ct le s uŒoqua au point qu 'il eùt pu , chcz
un homm e pl'édi posé à l' apoplexie, délermin cr
pre qu e un co up de sang .
Il r egagna it tranqu illemen t son domi cile, cc
bon doc teur, san s so nger à rien e t ne so up çonnant pas , à la v ue de so n immeubl e qu 'il ap ercevait de loin sur la per spective du Cours des
Platan es , baigné des rayon s rlu sol eil co uchant ,
la catastr oph e qui l'y allenùa it.
Mai s à qu elques pas de so n se uil, il s' arrêta
et dressa l'oreill e, déjà hal etant. Ce brui l, ce t
aITreux bruit ... En core un pi ano ! Ma is que l
pian o? Il n'y avait pas dans le voisinage d'aulre
p iano que le pi ano des Ben oil el - son piano
mainte nant. Qui donc se perme ttait d'en j ouer?
. Ah! bien, il n 'allait pas prendr e des mitain es
pour faire cesser le concer t et congédier les
import uns!
Il entra.
Un en emble que tout aull'e qu e lui eût trouyé
aimabl e, frappa sa Yu e:
Cécile, radieu se d'avoir r e ll'ouvé un clayi er
�JI drossa l'orei llo ... Encore un piano!
�208
J_E PIANO DES BENOlTEL
ses main s agil es, se mblait effeuill er la
Va lse des R oses , A ses côtés , ti c droite et de
gauche, les en fanls Habas loull'éco ulaienl ravis
ct bouche bée, tandi s qu e fOt'mant le fond du
tableau , Olympe elle-même, les deux mains
SUl' les h anches , ouvrail les yeux et les
oreilles, pleine d' un e admi n tli on naïve et profond e,
~
Ol ympe ! gronda le docteur , n 'osant pas
inLerpeller de ce Lon bourr u le charm ant pelit
monde qui avait envahi son logis ,
Toutes les têtes se retourn èrent.
- Oh! docteur, ne gr ond ez pas Olymp e, dit
en sc "levant Cécile avant qu e ]a go uve rnante
eû t trouv é un mot. C'est mo i seule qui suis
co upable d'avoir ain si pris possession de vo lre
appartement.
La j eun e fill e n' ayant j amais so up çonné
l'aversion du docteur pour ses innoce nts pianotages ne songeai.L à s'excuser que de la liberté
qu'elle avait prise en s'insLallan t comme chez
elle dans le logis de son vieil a mi, penda nt son
ab sence , avec les enfants Rabas toul , - liberté
qu e la co rdi alité ct ]0. fréqu ence de leurs rapSOU S
�209
LE PIANO DES BENOITEL
porls ûntoris a ient presqu e cl clevai nl en lout
cas fair excuse r .
- Ne vous filc lt ez pas tl'Op forl , docleu r, co ntinu a-t-ell e avec IIn e confll sion charm an te.
J 'étais descen duo pour rendre à Olymp e un
objet de cu isine. J'ai ape l'çu Césarin e ct Guslave devant le piano ...
- Comm ent, Olymp e! inlelTo mpit le docteu r
courro ucé, vous avez permis il ces en fants .. .
- Que vous c1imi- je? poursu ivit Céci le, cela
rn'a lentée . Je m'y su is mise aussi. Il y avait
si lon gtemps que je n'avais posé les doigts su r
los lOuches! Ah! cela m'a fail plaisir l ... gmnd
plaisir! ... Gronde z-moi donc mainte nant!
L e hon doctc Ul' n'y était plus.
- Mais . .. vos migrai nes?
- Oh! docten r 1 fit Cécil e en haissan t les yeux.
- VOlre mère va s'alarm er.
Non: j e lui ai tout avoué.
« Tout avoué » ... avoué ... quoi? L es mlgraines ... la co nsu lta tion ... C'était donc un e
frime! Il avait donc été j oué, lui, le docteu r
Planad e, par une pe tite Il e!
Mais au momen t où il allait dire vertem ent
-
n
18.
�'HO
LE PIA :-lO DES n ENO ITEL
son faiL ù la gamin e don t l'o
ITl'o nleri o ava it
dù le fair e pas s l' pou r un m éde
cin iO"n ora nt ct
10 tein ter (l e ridi cul e, une lum i èr e
sub ite se fil
dan s son esp rit. Il co mpr i t ce
qu e les r emer cim onL s de Cécile apl' è l'ac
ha L du pi ano
n 'avai ent pas suffi ù lui r évé ler;
il dev in a Lout
à cou p la pie use fein le de la j
eun e fill e. So n
dép it fit alor s place à un a lten dris
sem ent qui le
dés arm a, el cha n gea nt de Lon:
- Eh bien ! non , j e ne vo us g
rond erai pas.
Cl'o yez-vo us, aj ouL a-t-il e n don n
anL à son m enson go un Lon d'as sur an ce im pel'
turb abl e, que
j e n' e usse pas dès 1 s pl'e mie r s m
ots pén é Lré le
secr e t de vo tre fau sse confide nce
?
- n é ! quoi doc Leur !. ..
- Ah! vo us pen siez qu 'o n peu t
co mm e cela
don n er le cha nge au doc te ur Pla nad
c ! Vou s êtes
con vain cue d'av oil' devin é le m otif
qui m'a faiL
ach eLer vot re pian o, et vo us vou
s fig ure z quo,
moi n s clai r voy a nt, j e n 'avais pas
pé nétr é, m oi,
le m otif qui vou s en avait fait
so uha ilor la
ven te ... Eh bien! vo us sau rez que
co mm e per spica cité nou s n e som mes pas en
r es te l'un avec
l'au tre.
�LE PI A ' 0 DE.
BF.i'lOl'l'EL
21i
- A insi VO li S éliez mo n co mpli ?
- En av iez-vo us cloulé, chèr t gé néreuse'
enfanU
- El vo us ne m'e n uisiez rien!
-- A so urn oise, so urnois ct demi .
El le docteur, sc senlant douce ment gagner
p Ul' le. tannes, sc moucha longuel1l ent.
'- Oh! bon docteur , bon doclc nt'! dil Cécilc
en ballant des main. Alol's vo us me pcrmetlrez Li e ve nir jouer chez vo us? .. . so uyent ?
- Hein? fit-iL e[ al'é en r culan t a' un pas .
ous aussi, nous aussi ! crièl' nt en chœur
les enfants Rab as Loul.
- Comm ent? VO li S aussi ?
- Oui, suppli a le plus j eun e Cil le tirant par
la manche, lu ve ux hi en, dis, monsieur Pl anade?
Ain i, après avoir fait si longt emps la chasse
à cc pi ano, après s'èlre ré olu il l'acheter luiIllèlne pour êtr enfin sùr Li e ne plu s l'entendre,
voilà il qu oi il avait final emenl abouti! IL
n'avait fait qu'inLroduire l'ennemi da.ns la place
ct sc meltre lui-mème directement il la mercI
de ses alleinlC's ! Ccci passail la 111 sur.
�21 2
L E PI A. 0 DES BENO ITEL
- N ous verro ns, no us verrons, fl l -l'l évasivem ent.
A voir son fronl r edevo nu so ucieux, Cécile
comprit qu'ell e devait se r elil'e r.
D'instin cl, les enfants la suivil'enl. E tl e docteur, de meul'é se ul , pl'il sa lête dans ses mains
e t pensa que puisq ue so n mll.rlyl'ologe devait
se prolonger, ce ne serail du moins pas p OUf
long lemps .
El s6ance tenanle, il éCl'i vit a ux divers j ourn aux de la r égion, pour y faire insér er l'ann once s uivante :
A vendl'e
TRÈS BEAU PIANO D'OCCASION
ÉTAT DE
EUF
Conditions exceptionnelles
S'ar/ I'esse)' au,v bU!'caux du Journal.
(Nota très important: Sil hâter.)
�CHAPITRE X
TOUT
S'ATIRANGE
- Monsieur Planade n'a rien reçu '!
C'étaille lroisième jour que, chaque malin,
Rabasloul sc faufilait myslériense ment choz le
docleur pour posel' il Olympe cette indiscrète
queslion.
Le docleur n'avait rien reçu. Il n'atlendai.t
rien d'ailleurs _ qu'une 011'1'0 crachat relative
à Son piano, qu'il était plus que jamais décidé
à vendro il n'importe quel prix.
Car n'ayant pas ou, en fin do co mpte la force
de s'opposer au déSir que lui avaient si. càlinc-
�214
L E PIA NO DE
BENO ITEL
m ent ex pl'im ~ Cécile ct les pe ti ts R abas toul , il
fl'é taiL v u a ussllôL débord é pa l' cc trio de "ir.
tuo ses, dont deux e n IICI'he. C'élait pIS
qll ' ,nU
heau te mp s de fe u 1\1'''0 Pl anade.
Celle foi s même, le docteu r n 'avait pas essayé
d'e ndig uer le torrent d'h armon ie qui le su hmer geaiL. Après tout, ce n 'était qu e l'aITair e de
quelqu es j ours, pendan t lesquels le plu s sage
éLait de patient er, en aLlend ant qu ' il eût réali sù
son peti t co u p d'é La t, ecrète men t prépae 6.
Il avait don c ju squ e -là rongé so n ft' ein rageusement , so utenu pal' la pensée qu'il a urait bientôt la joi o ve nge r sse de s'écl'ie r : « Dispar u , le
pian o 1 padi , le piano! adi u le pi a no! plus de
piano! »
Cepend ant les amatcu l's ne sc pressaient
g uère au g ré de so n irnp atience . Celle expectative allait-e lle se prolon ge r long te mps? des
semain es , des moi s r euOt-ê tre? ... No n, n on. Il
fallait en finir. Et puisqu 'aucun acqnél 'eur n e se
présen tait, il allait directe men t écrire au m a rchand qui avait vendu ]e piano, e n lui olTl'anl
de le lui r étro céde r aux conditi ons qu'il dicLerail lui-mê me.
�LE PIA NO DES BEN OIT E L
215
Sur celle r ésolulion, le docleur s'emp ara
QussilÔl d'une helle feuille de papier ù letlres et
se mil en devoir de rédi ger sa missive.
- Drelin t drelin!
On sonnait à la porte d' entrée .
- M. le do cleur Planade, s'il vous plait?
- C'es l ici, monsieur, r épon lil Ol ymp e,
Veuillez vo us donner la pein e ...
- Oht c'es t inutile. C'élail seulement pour
lui l'emettl'e ce pli de la pa rt d.c M. le maire .
A. ce mol per çu de loin, le docleur leva la
lête. Le maiœ ? Qu'es l-ce qu'il lui voulait ce t
inlriganl_Ià?
Olympe r evint, rapportanl le pli annoncé,
un e enveloppe large e t solennelle. Il l'ouvrit
avcc componclion et lul :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
(( Monsieur el. ch er concitoyen,
Il Le conseil municipal de Sainl-Gabin a, dans
SQ dernière séance, décidé en pri~l
c ip e
la création d'un conservatoire de musique dan s nolre
�'liB
LE P lANO DES BENOITEL
ville. La munici paliLé, chargée -de faire c h o j~,
pOUl' conslituer et préside r le comité d'inili ative,
d' un homme capable de mener à Li en celle délicate entreprise , a l'honn eur de vous prier de
vo uloir bien accepler ce LLe mission.
« E lle ne saurai l, en effet, tro uve r nulle part
un amate ur a ussi convaincu, étanl donn é les
témoig nages éclalanls que vo us avez ùonnés de
vo lre ar ùent am our pour l'art mu sical en achetant un piano sans savoir vo us en ser vir el en
in slituant chez vous pal' anticipa tion un conserva toire au petit pied.
« J 'ose ùonc espérer , monsieur et cher concitoye n , qu e vo us voudrez bien répondre à l'appel
qui es ( fail ù. vo lre ùévo uemenl pour les intérèts
de n olre chère cité, et vous en ex prim e, par
avance , mes plu s chaleureux r emerc1ments.
« Recevez, etc... »
Le docteur lut et relut celle leUre il plusieurs
reprises sans pouvoir eu croire ses yeux . Ainsi
on avait pensé à lui, qui n 'était rien encore aU
conseil muni cipal , ni .ailleurs, pour l'inve tir
d' un mandat public, officiel! Oui mais n 'était-ce
.
�LE P IANO DES BENOITEL
2f7
pas une mys tification ? Une miss ion par eille! Se
serail-on moqué ue l ui?
];lI e rovinL uvoc Jo pli unnoncé.
- Eh bien, doc teul', vous acceptez?
C'était Habas toul qui ve nait d'entrer sans plus
de fa on, le visage triomphant.
19
�218
L E PIANO DES DENO ITE L
-Ah! vous savez déj à? .. dille doc te ur sO
demandan t enCO I'e quel ail' il devait prendre.
- J e crois bien ! Qu an d j e vo us disais qu'il s
y viendraienl, à. celte cl'éalion 1 Ah! j'ai eu du
mal à les y amener! « Qui vo ulez-vo us, m'obj cctaiL-on , que nous melti ons à la lête de cette
enlreprise? No us n'avons personn e. » E l le fait
es t qu e j e ne voyais pas moi-même ... L orsq ue
l'acha t du piano et les co nce rts qui se donnent chez vo us et donl mes enfa nls m 'appo rtent les échos, m 'ont ouverL les ye~ l x. « L e
doc teur Pl anade, ai-j e dil, vo ilà n otre homm e.
C'es l un ferve nt, c'es t un apôlre ! » L a cause a élé
a ussilôl g agnée. Votre nom, j e dois le dire, a
été acc ueilli avec une sympa thi e un anime. Ah!
si vo us vo uli ez, comme vo us deviend riez aisémenl populaire !
- Vous croyez'? monsieur Rabas toul , fit le
docteur dont les youx s'illumin èr enl.
- N'e n doutez pas . Seulement, il ne faut pas
t ouj our s se lenit· il l'écart. Ain si, po ur commencer, il faut toul de suile répondre a u maire pal'
un e leUre d'accepta tion que nous ferons insél'ol'
dans le P ropa!}atew' .
�I_E PI ANO DES BENO ITE L
'! 19
es t néc essaire? ... obser va
r pUO'll ait.
le doc teUl' à qui cc cha rla tani sme
vite .
- C rlain em nt. Écri vez, éCI' i\'ez
hés il r .
Et co mm e le doc teur par aissai t
- Ten ez, je vais vou s di cl r.
r nég ocie r
El sur le papi er déj à pré par é pou
ent re la mula ven le de son pian o, ct opé rer
rc , le doc teur
siqu e e t lui un irré vo cabl e divo
:
trouhlé, vain cu, écri vit (Je qui suit
V OUS cl'o yez qu'i l
-
«
Mon sieu r le Mai re,
la pl'OpOJ e sui s pl'Ofonclé men t tou ch é de
vo ulu
bien
vez
~ it o n . i spo nta n ée don t vo us a
so nt en effe t
m'h ono l'el'. N ul , plus qu e moi , ne
la créa tion prol'in térê t sup é rieu r qu e prése nte
prés id ent qu e
j etée . S'il vou s suffit don c qu e le
e un e con vicvou s ch er ch ez app orte à son œ uvr
r lou t ce qui
lion éga le à son dévo uem ent pou
dér obe rai s pas
lou che à not re chè re cilé ,j e ne me
me cha rge r,
au mand a t don t vou s vo ulez hien
ons qn'i l m 'im pl ein eme nl co nsc ient des ohli ga ti
pOse c t qll je sau rai r emp lir.
« Ve uill ez ag réer , etc. »
«
�2 20
LE P I ANO DES BENO ITEL
En relisant ces lignes d u style de Rabas toul ,
le docleur , avant de les signer, éleva quelques
obj clion s .1I leuI' tl'o uvailun tour un peu déclamatoire et ama it voulu a tténuer ce qu'il di sait
de sa co nviction Louc ha nt l'utilité d'u n co nserva toire à Sai nt-Gahi n .
- Du tout , du lout, docleur, se r éc ri a R abasLoul. C'es t la n oLe, je YO US ass ure. Vous verrez
quand vous serez lout ù fait devenu un h omme
public .. .
Celle es péran ce fit laire ses scrupul es : il
sig na bravement. Il é tait deve nu qu elqu e cho se!
Or~
à l)eine en co ntac t avec l es autorités
locales, M. Planade eut la plu s heureuse occasion d'exercer son in flu ence naissante. Un mOllvement administra tif ve na it d'appelel' le sou spréfet Saint-Frusqu ard à un e aulre r ésidence .
Son s uccesse ur , sur les démarches pressanLes
que le bon docte ur fit ou fit faire auprès de lui ,
s'e mpressa de r éinlégrer M. Benoitel dans so n
emploi.
L es ma uvais jours élaient fi nis, elle bonh e ul'
r e vint au premier étage de la j oli e maiso n cl LI
Cours des Plata nes !
�2'21
LE PIA NO DE!:; RENOT'fEL
Au premie r étage.. . et au rez-de- chauss ée
aussi, cal' le docteu r, comb lé de rernerc îments
el de bénédi clions, savo urait le plaisir d'avoir
tiré d'aITaire ses bons amis, et intenti onnelle Ihent celle foi s, en provoq uant un e mesure de
juslice et de répal'a tion, - de r éhabili tation ,
di sait M. Benoit el.
Il y avait bien encore le piano, cc le pi ano de
Nessus », comm e r épé tait Olympe . ans comprendr e, qui était toujou rs là ... mais la reconnaissance inlerdi sait mainte nant au docleu r cle
lui en vouloi r. Et d'aill ours, il élail déjà abso rbé
pal' les lnttes élector ales, en vue de la campagne qui se prépar ait.
La fonclation projeté e d'un co nserva toire
n'avait pas a bouti. Mai s au fond, person ne ne
le r egretta it sé rieusem en t. En essaya nt d'y
travail ler, le docteu r avait toujou rs gagné de
se mellre qu elque peu en vedeLLe el de faire
appréc ier son se ns pratiqu e et s ûr , l'affabi lité
de ses manièr es et surtou t la droitur e et la
bonlé qui formai ent le fond de son caractè re et
constit uent le meill eur de ce qui fait la valeur
d'un homm e.
' I ~.
�222
L E PIA NO DES n EN0 1TE L
Aussi, au renouve ll ement du conse il muni cipal, arriva-t-il des premiers S Ul' la liste. Babast oul était élu en tête. On lui oITrit la Mairi e. Il
la refu sa el l l'oposa qu'on donntLt l' écharpe au
docteur. Celui-ci n 'accepta qu'à la co ndition qu e
R abas toul serait son premier adj oint.
Depuis ce t événemenl mémorable, le doc teur,
absorbé par la vie publique, a aba ndonné co mpl ètemenlla médecine. Mais il a cédé sa cl ientèle ù son « coquin de n eve u » , un j ovial et
brave garço n, qu'il a appe lé a uprès de lui, aussitôt ses derniers examens s ubis. Puis il s'es t
occupé de le marier , et l'on devine qu'il n'es t
pas allé chercher bien loin la comp ag ne qu'il
s'agissait de lui donn er.
Ayant mis la main du j eune homme dans
cell e de notre ami e Cécile, il a lui-même in stall é
le j eune ménage , avec le fameux piano po ur
cadeaux de noces, dans un e maison louée tont
exprès par lui - à l'autre ex trémité de la vill e.
�LA ROSE BLEUE
��CHAPITRE PREMIER
ANDUZE-SRGO~
Au pied mt'me des Cévenn es méridi onales ,
au fond d'une vallée r6tréci e brusqu ement vers
le nord, et l'CSS l'r6e entre deux hauteu rs qui
semble nt vouloi r l'étoulTel" se ùresse l'an cienn e
-( ~ arct pittore sque peti te cité d'Anuzea-sl
don.
Quoiqu e déchue de son ancien ne activité,
elle a cepend ant conser vé un air <1. ville », ct
pal' le nombr e de ses magas ins, dont le comInerce sc soutien t encore grâce il ses march6 s
hebdom adaires toujou rs suivis, ct aus i par
certain s traiLs des mœurs de ses habitan ts.
�226
LA n OSE DL EUE
Ceux-ci , sans ôtre plus in s tl'Uits qu 'on ne
l'est d'o rdinaire dan des bom gades d'importance 6gale, ont gardé d' in s tin ct U11 altachCll1en L
aux préoccupati ons inLellec tu elles qui Lient ü
de vagues traditions dont ils s ubi ssent in co nscie mm ent l'inITuence .
L e « salon » du principal perr ufJ.ui er de
u~
l'endroit, la boutiqu e du libraire où les d ésro
n és sc r éuni sse nt pour déchiITrer les mots
ca rrés des j ournaux illu strés, le hangar de la
hall e aux g r a ins qui leur sert de promenoir
six jOUl'S de la se malO e, entendent de fi ères di scussi ons ! Ag ronomie, cy négé tique, politiqu e,
h is toire , liLLéra ture, géographie, phil ologie,
tou s les suj e ts y so nt tour à tour ab ord és ayec
un e égale assurance ct un parfait éclecti sme.
Car personn e ne paraît avoir en a ucune mati ère
une compétence plu s spéc iale , e t le i, qui , la
veille , avait traité ex p1'o(esso la ques tion des
cé pages am él'i cains, demain, à propos d'un
nouvel opéra r écemm ent elltendu à Mar seille,
dira carrément son fait à la mu sique modern e,
en atLendant que l' occasion l 'amène fi. d iscourir
sur no s expéditions coloni ales, en homme pour
�LA HO E BLE UE
227
n'au rait pas de
qui la topo gra phi e du Dah om ey
seCrels!
mar que que
C'e l mêm e un fait dig ne de l'
cho ses étra nchacun par le plu s voJ onti er des
me le cas est
gères il. sa pro fess ion. Et si, com
é pat' goù t,
fréquent ù And uze au, il s' ,t vou
études ou des
piqué de que lqu e tare ntu le, ù de
t être stlr que
rech rch es par ticu lièr es, on peu
t auc un rap Ces élud es ou ces rech erch es n'on
and ent une
port avec l'él at qu'i l exe rce et dem
ner ni la pra COl1lpétence que n'on t pu lui don
n r égu lièr e
tique de Son mét ier, ni l'in stru ctio
qu'il a reçu e.
pha rma cien ,
C'est ains i que M. Mollient, le
live au, l'en cult ivai t le viol onc elle ; que M, Bal
ù rim er des
trep ren eur de bâti sses , s'oc cup ait
paix se piq uait
POésies pato ises ; que le jug'e de
cap itai ne en
d'ar ché olo gie, que M. Boul'ga cha rd,
inté ress an l.
retr aite , ava it con stit ué un her bier
s ou moi ns
Mais de lous ce bra ves gens plu
inte llect uelle}
possédés de que lqu e mar oUe
pré occ upa tion s
auc un n'en fais ait l'ob jet de
M. Pey rem al,
aus si Conslantes et aus si vives que
.
Un des not able s bou rgeo is du lieu
�228
LA nOSE BLEUE
Pas plus que ses conciLoyens - ct moins
encore peul-êLre - sa profession ne J' eùt dis~
posé, s'il n'y avait cu une propension naturelle,
à devenir songe-creux. Bien qu'il eû t faiL, Jans
le temps, des études classiques, il n'avait paS
embrassé de carrière libérale, sa mère, qui était
veuve cL dont il était l'unique enfan t, n'ayant
pas voulu sc séparer de lui pour le laisser con~
tinuer ses études ou lui pel'lneLlre de se créer
une position daus un centre plus important.
Elle lui avait achelé, au décès ùu titulaire, un
important portefeuille d'agenL général d'asu~
rances. Et c'esL ainsi que M. Peyremal était
ùevenu à Anduzeau le représen Lan t de la coJ1l~
p agnie la Zone t01'?'ide.
Mais on devine que les travaux de cores~
pondance et de comptabiliLé qui, avec quelqueS
tournées, formaient le fond de sa hesog'n e ,
n'é taient pas pour le passionner. Aussi avait-il
pl'is comme employé un adolescent du n0 111
cl'AnLonin, qui n'était occupé que quelques
lleures par jour à la parLie fastidieuse eL l1achi~
nale de ses travaux de cabinet: copies, cIase~
ment de pièce5-, relevés divers, eLc., et était,
�LA ROSE I3 LEUE
229
quand au surplu s, à pe u près' devenu po ur
mille peli les lttches en rapporl avec son ttge ct
ses forces, le fac tolum de la mniso n.
Lo phar muc ien c ulLivaiL 10 violoncell e.
Bien qu'assez peu laborieux, les quelques
écrilures dont il s'acquittait tant bien que mal
créaient des loisirs à M. P eyremal , et lui permeUaienl de passer la plus grande parli e de
Son lemp s en de solilaires m éditatiens, à la
poursuite ùe qu elque chimère.
Ces rêvasseries fai saienl le désespoir de
20
�230
LA n OSE BLEUE
Mmo P eyrema l, qui se pl aignait , n on sanS
r aison, de l'ail' touj ours absorb é de son
man.
ouvent , pendan t le déjeun er , celui-ci, en
proie à quelqu e obséda nte pensée , gard ait un
mutism e obstin é, ayant l'air de suivre de l'œil,
par- dess us la camfe, la soluti on, prêle à
s'échapper, de qu elque ques tion d' un, intérê t
primor dial, mange ant ct buvant machin alement, le r egard fix e, l'altilu de indiIré rente .
Son excellente femm e, qui , après vin g l-cinq
ans de mariag e n'avait pas encore pu se faire
à ces manièr es de vivre,' l'interp ellait alors avec
sévérit é :
- Mon sieur P eYl'e mal, à qu oi penses-Lu?
. - Mais il. ri en, ma chère ami e , r éponda it-il,
aimant mieux s'en tirer par un menso nge que
d'enLre r dans d'inuti les ex plica ti ons.
- A lors, di s· moi qu elqu e chose .. .
- Que veux-Lu que j e te di se ?
- Mais je ne sais pas , moi ... quelqu e chose .
On a touj ours quelqu e ch ose à raco nLer . Cela
ne s'es t j a mais vu, de mange r san s rien dire
comme nons fai sons 1
�LA ROS E BLE UE
231
- Eh bien, parle toi-m ême, si lu veux. E stee que j e m 'y oppose ?
- Non, mais lu ne m' écoules pas . Ou du
moin s, tu n e r épond s ri en .
- C'es t sans doule qu 'il n 'y a ri en il r épondre à ce que tu dis - et cela prou ve beauco up
en faveur de ta conver sali on.
- C'es t bon, m oqu e- loi de m oi il présen t!
Si pourLant l'un de nou s deux prêle à rire ...
- Oh! lout beau, j e vou s prie , madam e P eyr emal. J e connai s votre anti enn e .. .
- Mais sérieusement , mon ami, e l parlon sen un e fois san s nous fâcher . N'es t-il pas ridiCule el lam entabl e de te voir perdre le m eill eur
de Lon Lemp s il des bill evesée s?
- L à ! Nou s Y voici!, .
- Eh bien , j e r elire le mot, p~ i s qu ' il le
bl esse . Mais, po ur Di eu, éco ule-mo i , j e t'e n
supplie . Convie ns qu e lu as toujou rs l' es prit ple in
d'Uull'e chose qu e de ce qui devrai ll' occup er?
- Ta, ta , la . . . ma chère femm e, laisse- m oi
fair·e. Es l-ce qu e je vais me Ure le n ez, moi, dan s
le ch audron où lu me fabriqu es les exqui ses
confilures ?.
�232
LA nO SE BLEUE
- Mais en fabrIquant mes confitures, que tu
qualifi es d'exquises pOUl' m'adoucir, j e remplis
mon r ôle de maîtresse de maison, de ménagè re, au lieu que loi, tu négliges tes aITa ires,
tu lai sses tes concurren ts te co up er l'herb e so us
le pied, et c'est ce dont j e me plains. Car en fin
lu as un méti er.
- Oui, h6 l.as! j'en ai un. Dieu m'est lémoin
qu e les circon , lances seu les m'ont voué à
ce lui-là. EL si l'on pouvait fair cc qu'on ve ut .. .
- Il est heureux que la force des cho cs
le contrain'ne ~ l une besogne qui nous permet
du moin s de nouer les deux bouts et d'élever'
notre fil s ... Est-cc que l' aven ir de cc cher eufant
ne le préoccupe pas?
M. Peyremal eut un é loquen t regard de protes Lation alTeclueu e. Il allait répondre; sa
femme ne lui e n laissa pas le Lemps.
- Oh! j e sais que c'esl un poinL SUl' lequel
tu n 'as pas besoin de te juslifier. Àussi, n'esLcc pas, au fond, une question que je t'ai posée
- j e ne t'aurais pas faiL celle injure - mais
simplemen t une id ée, un sen timent que j'ai
voulu évoquer.
�233
L A n OSE BLE UE
is iL n ous
A la bo nn e heu re . E h bien, ma
Iot. 11 a pris ses
fait h onn eUl' , n otre bra ve Cha l'
rse de lice nce
deu x bac hots t co nqui s un e bou
de Mon tp elli er.
près la Fac ulté des sciences
e ur, et pro D'ici peu d'an n ées il ser a pro fess
s a u bul .
fesse ur disLin g ué. No us Louc hon
mar iage , il
- P as enco re . E t jusq u 'à so n
nou s .
faut com ple r qu 'il aur a be oin de
sé quelqu e
- Soit. Lui ai-j e jam ais r efu
cho se?
es n 'es t pas
- L e m ome n t des g r os sacrific
co mm e pOUt'
en co re .ve nu ... E nfin , pou r lui
ge nt co mm e
n o us- mêm es, pou r des r aiso ns d'ar
a iso ns de SO Ilpou r d'a utres r aiso ns - des r
te vo ir moin s
lim ent, si tu veu x - j'ai m era is
ftLCh ée, pein ée
préo ccu pé de chim èr es . J e sui s
pas plu s com padois, q ue Lu n e te co n acr es
a ffaires, à ta
pl ète men t, plu s a ctiv eme nt à les
qui n e dev rait
fa mill e, c L qu e tu fass es de cc
L'obj e t de Les
être qu'u n sim ple pas se-t emp s,
plu s con stan tes pen sée .
P eyr em al ,
Ces dolé ances éLaien t fond ées . Mmo
bien Lout efoi s
en fem me de bon se ns, se gar dait
rim oni eux ou
de lout, don n el' un acce nL ac
20.
�LA ROSE BLEUE
méprisa nt qlli au rait pu , en blessan t so n man ,
avoir pour co nséqu ence de Je r endt' e enco re
plu s con ce ntré.
Ma is le ton a ITec tue ux dont ell es étaient
présen lées ne ser vait qu'à les faire docilem ent
éco uler , sans amene r a ucun change ment ch ez
l'in corri gible r êveur à qui elles s'adt'es saienl.
�CHAPlTIŒ Il
ElI1AL
LES JWE NTIO 'S DE M. PEYR
A quo i rêvaiL don c M. Pey rem ul?
con cep tion s
A lu fois ou Lour il tou r, mille
ent en Ll'avait.
han taie nt son cerv eau con sLa mm
le plu s sou Pro jets qu'u n rien fais ait éclo re,
ois aus si qui
VenL éva nou is aus sitô t, mai s parf
moi s dur ant ,
le pos séd aien t ell'o bsé daie nL des
ne eùt défijusq U'à cc qu'u ne nou vell e turl utai
. Peu per séniti vem ent cha ssé la pré céd ente
itat ion s ou seg
vér ant en som me dan s ses méd
rech erch es.
EL cela pou r deu x rais ons .
�236
LA
no
E BLEUE
C'es t qu'il avaiL l'espl'lL ex tl'èm emenl mobile,
incapa ble do s'a LLacher long lemps à un môme
obj et. C'es t a ussi que, n'ayan l, à part les connaissa nces spécial es rela tives à so n é ta l, qu'un e
ins truction généra le sup erfi cielle, il ma nqu ait,
la plupar t du temps, des dounées scienlifi ques
qu' eussen l co mp ortées les ques li ons qu'il prétendait r éso udre.
Et, circon slanco plu s gra ve, il ne sou pÇonnait pas à quel point ce LLo culture premi ère,
ces n olions techniq ues, lui faisai ent défaut.
Trop confi anl da ns l'ingé ni osité in co nteslable
e t les r esso urces n aturell es de so n espri t, il
cl'oyait qu 'un e i nlellige nco primes auli ère n' avait
qu e faire de palienles élud el? long lemps poursuivies . S urtout il dédaig n ait de s'en quérir des
c!Iorts tenlés avant lui dans la voie où il s'engageai t. C'é tait même de préfére nce les CJueslion s r épulée s insolub les ou n on r ésolu es
encore par la Rcionce a uxCJu elles il s'adon nait
le plus volonti et's .
P armi colles- ci, on sait qu ' un e dos plus
célèbres ct des plus obstiné men l cherch ées es t
10 m ouveme nt pe?'pétttel, problè me co nsislan t
�LA ROSE BL EU E
237
ne ma ch ine capable de
dn ns la co ns tru cti on d'u
ce ay an t
e la force mo tri
rég én ére r en ell e-m êm
u, en so rl qu e so n mo
sCI'vi II la mcltl'c en jeu
rp étu er ind éfi nim en t.
VCment po ur rai t sc pe
it jam ais étu dié la
M. Pe yr em al, qu i u'a va
i
oi il au rai t su po urq uo
ll1écunique - sa ns qu
cpri nc ipe s ce lle co ns tru
ct en ve rtu de qu els
l
tiJ
ma
s'é ve ill a un l)eau
tion est irr éa lis ab le eu x
en po sse ssi on du fam
avcc l'id ée qu 'il éta it
up
éta it ve nu e tou t à co
SCcret. La ch os e lui
i,
qu
ati on s so ud ain es,
dans un e de ces ins pir
ir,
nc ell es, le ma tin , le so
COmme de su bit es éti
as
ass is, pe nd an t ses rep
qu 'il marchftt, qu 'il fùt
e
ist
ov
ve na ien t à l'im pr
Ou mê me son so mm eil ,
es.
vr ai feu d'artifice à idé
em br as er so n esp rit ,
le ch arr on et chez
Il co ur ut au ssi tôt chez
mforce ex pli ca tio ns acco
le se rru rie r et fit, avec
cssi ns il l'a pp ui, confe
pa gn ée s d'i nfo rm es de
an t:
tio nn er l'a pp are il su iv
la lI'anche ex tér ieu re
Une ro ue lég ère . Su r
is
à dis tan ce s ég ale s, tro
de la cir co nfé ren ce et
,
etto éta it fixée à la ro ue
ch arn ièr es do nt un o ail
he
it ad ap té pal' so n ma nc
tan dis qu 'à l'a utr o éta
on
. La rou o éta it mi se
un e so rte ùe ma rto au
�LA nO SE BLEUE
mouve menl suivan t un pl a n ve l'li cal L'un drs
marlea ux é tan l al'ri vé au poinl culmi nan l de
l' appare il , devail, au momen t de décline r, subir
brusCJllem nl, pal' le .i cn des chal'ni i' l'es cl el1
décriva nt un arc de cC I'cle, un e so rle de chuLe
accom pagnée de choc, ce qui, vu le poids du
marLea1l e lH renouv elé l'impul . ion premiè re
assez puissam men l pour l'ame ner à son Lour
audit point cu lminan l le second marlea u.
Celui-c i, pal' un phénom ène sembl ahle, eM
pUl'mis l' asce ns ion comp lèle du trois ième mal"
Lea u cl ainsi de slliLe, la roue receva nl LOUf à
LoUl' de ch acu n de ces lrois martea ux ct à des
illLervall es voulus , le renouv elleme nl de force
n écessa il'e pour perpél uer sa rolalio n. N'était ce pas admil'a ble '!
Aussi, avec quels battem ents de cœur
M. Pey remal, ayant placé sa roue suivan l un
Dxe parfait ement rig ide et horizon tal , avait
comme ncé à la m ellt'e en branle. Mais après
<]ll elques t ours, le mouve ment, d'abord r ég uli er, ne s'é ta il so utenu que par de pénible s
so ubresa uls cL s'é Lait bienlôt complè Lemen t
al'rèlé. L'expé r ience, plusièu rs fois renouv e lée,
�LA HOSE nL EUE
23'J
avail touj ours donn é cc même r ésulta l n égaLif.
M. P eyr emal fuL donc co nlrainL d'y re noncer
11 cou ru t au ssitôt ch.z 10 charron.
~ an s avoir jamais co mpri [l qu oi lenait son
ll1 succès, cl pourquoi celle r oue s'obstinait il.
�240
LA
no E
BL EUE
ralentir pui s i't cessel' son m ouvement, comm e
so us l'empire d'un e falale lassitude.
Mais il n 'é tait pas h omm e il s'aba nd onn e!'
lon g temps au désa u oi intellectu el où l' avait
un mom ent j eté ce dém enti brutal qu e la stupid e et inexplicable r éalité infligeait à la logiqu e
de ses co nceptions . Et il n e tard a pas il enfourch e!', comm e on dit, un n ouvea u dada .
Cette fois, il ne s'agissait de ricu moin s qu e
de la dit'ec ti on des ballons. Aux fl ancs de
l'aéw sta t e t il distances égales, il avait im agin é
d'attach er qu a tre ap pareils de so uffleri e qu e
l'aér onaute m an œ uvr erait ù son g r6 el à so n
ch oix du fond de la nacelle . Ces appar eils
mis en mouvem ent projetter aient de l'extérieur
ver s l'ac !'os tat de pui ssanls co uran ls d'ai r. Il
n'y aurait dès lors pour orienter le ballon, qu 'à
faire man œ uvrer le soumet opp osé il la direction qu'o n voudrait suivr e. C'6 tait génial , tout
sim plemen t.
Malheure usem ent, l'expéri ence n 'é tait pas
fa cile à r éalise l' . Vu les diffi cultés ell es frais
qll'eùt entraîn és la cons ll'Uction de so n n ouvel
aéro sta t diri geab le muni de ses so uffleri es,
�24t
L A nOSE B LEUE
on ce r a u m oin s pr oM. P ey rem al av ait dù r en
idé e . On
do nn er CO l'pS à so n
visoir em en t à
ve n ait plu s La l'd ...
cc up ait pas se ule me nt
Au s urp lu s, il n e s'o
ces
mé ca niq ue . L es sci en
de p hys iqu e o u de
tre
nt a us si. Il av ait en
mo ral es le so lli cilaie
evue
t iflSé J'er da ns la R
temp s , r édigé et fai
lé :
es un m ém oire int itu
p hilomathique de Nîm
de
tes SU? ' le personnage
R echerc hes biogmphiqt
ce
e qu i a donné naissan
l'histoire ou de la légend
mme
iale : « Tm nq uille co
à l'exzn'ession p1'ovel'b
tem e iL ce s uj et cin qu an
B ap tis te » . Il reç ut mê
ns, au xqu ell es, co ns cie
six leUres r ectifi ca ti ve
it.
cie us em e nt , il ré po nd
es
e tem ps , ses rec hm'ch
u
elq
Mais de puis qu
le
a utr e cô té, et de tou s
éta ien t lou rn ée s d'u n
spa
it
us, au cu n ne l'ava
rêv es qu 'il avait conç
dr e
ier qu i ve na it de pr en
sio nn é co mm e le de rn
rit .
Po sse ssi on de so n esp
2t
��CH APITRE III
VOCATION NOUVE LLE
A trois kilom ètres d'A nd uzeau , sc trouvait un
domaine appelé La P ru deri e, dont le propriélaire, u n amateUl' ri che ct éclairé , avai t fait un
champ d'expéri ences hol'licoles . Il y avait là des
par terres e t des ser res qui faisaien t l'ad miralion des visiLeurs ct qu e les con naisse urs
mêmes venaient voir de très loin . L 'e nlrée de
cc vas le ct splendid e j ardin éLail ouver le a ux
promeneUl's, ct c'é lait pou r les habi tants d'Anduzeau un but habiluel d'excursion .
Il y avait surtou t une co ll ec ti on mer veilleuse
�244
LA n OSE BL EUE
de r osiers de toutes so d es . Ces arbu stes étaient
di sposés a vec art, de m anière tl prése nter dans
la bell e saison un ensemble somptue ux: où les
diITérentes espèces s'ha rmoni saient en des fl ots
mulLicolores qui ravissaient la vu e ct faisaient
r êver a ux paradis emb aumés des légendes
ori enlal es .
M. P eyr e mal, qui allait so uvent promener
ses m éd ita tions à trave rs les a.ll ées de ce t éden
fl euri, s'intéressait au x essais tentés , aux transformations pél'iodiques qll e le j a rdinier en chef
lui faisait subir suivant les sai sons.
Celui-ci, en l'a bseoce du propr iétaire qui
habitailla grande ville et ne v nait faire à La
Praderie qu e de co urtes apparition s , é tait
chargé de gérer le domaine et de s'abou cher
avec les am ateurs.
- Vous avez-l à, ne put s'empêcher de lui dire
un jour i\I. P eyremal, une bi en belle coll ec ti on
de r os iers. Vou s possédez sa ns do ute toutes les
varié tés co nn ues?
- Oh! non, monsie ur , il s'en fa ut hi en ; tl
peine un tiers . Du moin s, nous avons les
ly pes les plus camcléri stiques, la nt CD cc qui
�245
L A ROSE BLEUE
Con cern e le n ombre et ]1.1. dispos ilion des pélales qu'en ce qui conce rn e la ri chesse el la
-?oc:::;::
- -"
CommOl1t
~
n ' l ~ t -o n pas \ l é(~ OlV
C I ' t lu
ra MO
bl eue ?
diversité dos nuances . E t, co mm e vou s voyez,
ce La présente à l' œ iL un e aSsez j olie paleLLe . Il
2i.
�24.6
L A nOSE I3 L EUE
y en a de r ose pâle, r ose saum oné, rose vif, jusqu'au rouge ponceau. Il y en a d'un blanc neigeux ou carné, ou jaunâ lre, et d'un jaune éclatant. Nou s en avon s d'un beau vi olet évêqu e et
même de vertes . Ch acune a son nom - des
noms souvent bizan es ct difficiles à retenir.
Et notez qu e cc n 'est pas fini; chaqu e ann ée,
les amateurs obti enn ent des vari"étés noUvelles ...
- Comm ent se fait-iL donc, demanda à ce
propos M. P eyremal, qu'on ne soit pas encore
arriv é il obtenü' la ro se bleue?
Ah! cela, dit le jardini er, satisfait de
montrer à son interl ocuteur, qui passait pour
savant, sa petite érudition, cela , c'es t la pierre
philosophale de l'horticulture !
- Mais on la cherche toujours?
- Assurément. Il y a toujours des g'ens
qu'aiguill onne la pensée d'un e déco uverte ct
qui s'acharn ent d'autant plu s à la poursuite
d'un e idée qu 'ell e paraît impossible à réaliser.
Il a vait dit cela sans intention malicieuse et
san s voul oü' fair e au cune allusion au cas de
M. P eyremal.
�LA ROSE IJLEUE
Celui-ci, qui venait de sc sentir piqué d'une
tarenlule nouvelle:
_ El au fai t, pourquoi ne réussiraient-ils pas?
Courage , nous
C h el'c
h on~
10.
ro~O
bleue !
_ Ah! je n 'en sais rien. Je sais que jusqu'ici
on n'a pas r éussi, voilà touL.
Et M. P ey remal s'en alla song e1ll·, avec un e
lubie de plus en tHe .
n poss6daiL aux portes d'Anduz eau , en un lieu
�218
LA ROSE BLEUE
a ppelé la Mo ntade, lIlt pe tit clos où M",e P eyl'emal venait fr équ e mm ent passe l' l' ap rès- midi,
Il y avait qu elques carrés de légum es a uxqu els
Antoni n é tait censé donner de vag ues soin s, ct
quelqu es fl',uiti ers sur lesqu els il ne m anquait
pas de préleve r secr ètem ent la dlm e. En outre,
autolll' du pavillo n, s'é talaien t de modes les co rbeilles de fl eurs avec qua tre ou cinq r osier s de
médio cre venu e.
C'es t sur ces humb les arbu stes, qui ne s'en
doutaie nt guère , qu e M. P eyrema l avait fond é
déso rm ais l'espér ance de sa futur e gloire.
Puisqu e les procéd és ordin aires n 'avaien t pas
r éussi aux horticu lteurs qui les avaien t essayés , il
n e s'agiss ail plus de r econrÎl' aux moye ns conn uS
employés pOUl' l'JJybrid ation . D'aill eurs ces procédés demandaient trop de temp s et le tempér a me~t
de M. P eyrema l n e s'accom modait pas
vo lontier s de délais qui eussen t mis so n impatience e t sa ver satiLité naturelles ù un e trop
rude épreuv e .
Il avait entend u dire qu e le sulfa te de fer
versé en di ssoluti on dans un vase d' horten sias
b leuissa it les neurs ro ses de ce LLe p lante. En
�LA n OSE BLEU E
249
arrosant les pieds de ses rosiers avec un e llissoluli on se mbl able ou analoguc, qui sail si les
pélales des r ose n e subiraient pas un e métamorphose pareille?
El c'élaient des arrosagcs sans fin, impos6s
au j eune Antonin, qui lui faisaienl r egrellel' les
heures de flânerie du bureau.
_ Courage , di sail M. p eyremal , pour souLeuir l'a rde ur m ollissanle de son collaborateur,
cOUl'age , nou S cherchons la r ose bl eue ! Si nous
l'obtenons c'est la gloire pour moi, cl pOUl' loi
une belle montre en or que j e L'achèterai!
��CHAPITRE IV
ROSA COERULEA PEYREMALI
Cette promesse fit briller les yeux du bureaucrale jardinier. Éclair de joie aussitôt éteint par
une gt'Ïmace significative, car il ne partageait
pas les illusions de son patron. IL n'avait jamais
cu, d'instinct, qu'une confiance très limitée clans
les essais scienlifiques de lous genres lenlés par
lui cl auxquels il s'était h'ouvé plus ou moins
associé. Leurs avortements successifs l'avaient
aITermi dans l'opinion qu'aucune de ses expériences ne pouvait r~usi.
La montre en or était donc un leurre; mai.s
�25'2
LA ROSE OLEU E
cc qUi ne l'élait pas, c'é tait ces sempiternels
et fati ga nts arrosages qui le meUaient en sueur
ct auxCJuels jl sc voyait co ndamné ind éfinim ent , ou lout au moins jusq u'à ce que
M. P eyrcmal eût renoncé ft poursui vre sa
découverte. Voilà qui n'élait pas drôle ! Décidément, il lui fallait so rtir de ce mauvais pas et
trouver , lui aussi , quelqu e chose, d' abord pour
échapper à un e cO I'vée qui coûtait tant à sa
paresse . ct ensuite pour décrocher la montre en
or par-dess us le marché, si c'é tait possible.
Et notre Antonin de médiler ft son tour jusque
devant ses paperasses. Si bi en qu e dans le
bureau d' assuran ces, l'un et l'autre, le co mmis
ct l'agent général passaient maintenant des
heures entières à rêvasser de compagn ie.
De temps en temps celui-ci, à qui les casiers
qui s'élevaient sur sa table de travail cachaient
la vu e d'Antonin, l'interpellait comme en sursaut:
- Antonin, tu ne fai.s rien!
- Si monsieur, répondait l'autre effrontément, un mom ent seco ué ..
- J e ne l'entend s pas. Tu lis des romans?
�253
LA R OSE llLEUE
_
Non mon sieur , j e co pie ln. police d'assu-
ran ce de M. de Camp eyri go us.
Ce n 'é lall pas pour rien qu e ]e j eun e g raLLepapi er vivait en contac t qu otidien avec un
homm e au ssi pl'odi g ieuse ment inventif que
'M. P eyremal. Voilà que l'id ée ch er chée lui vint
toul à co up en l'esprit - au ssi simple qu'infaillible.
Deux jours après, un boulon fraî chement
éclos sur un des l'osier s qui ornaient ]e pavillon
de ]a Montade montrait, à travers son calice,
des r eOets azurés. Celle co nsta la tion ca usa à
M. P eyremal de véritables lransports de joie
el d'org ueil. Il avail don c, dès cc premier essai,
trouvé la ro se b leue ! Il n 'osait y croire encore.
Surtout il n e fallait pa ébruiter la cho se
avant que la découve rte rùt bien é Lablie et mise
hors de toule espèce de doute. Il conta le fait
iL sa femme (le l'air mys lérieux et grave dont
un avare e ùl r évélé en confiden ce en quel lieu
sec ret éLait caché un Lrésor.
Mme Pey,'emal fut d'ab ord très surprise, cal'
ell e non plu s n 'avait jamais donné dans les chimères de so n mari . E lle savait, d'aill eurs, en
!..' F.XII ... l) ' IIE N AIF.TTt;,
22
�25'\
LA HOSE BLEUE
ptll'liculier , pOUl' l 'avoü' enlendu dire, fJue la
rose bleue élait un e variélé réputée impo ssiLle
il. oblenir.
Cependanl, il fallait bien se l'endre à l'évidence . L e boulon étail sur le point de devenÎl'
fleur, et les pétales en étaient d'un bleu éclatant. D'autres boutons avaient paru , qui tous se
nuancaient de la même teinLe cé les te. Il n'y
avait pas à en douler, le fait élaiL acq uis, la
science avail fait un pas do plus, la rose bleue
éLaiL Lrouvée! Il ne s'agissait plus qu e de lui
donner' un nom: M. P eyrem alla bapLisa : 1'osa
cœrula P eyl·emati .
Jalousement on se ga rdait de touch er à ces
fl eur s encore uniques en leur espèce , Il fallait
allendre leur épan ouissemen t co mpl et pour le s
r épandre et en faire un bouquet qu'on enve rrait
il. quelque société savanLe.
Toul a u plus osait-on les {lairer délicaLement.
Mille P ey remal leu r avail même trouvé une
odeur bizal're , La senLeur naLurelle de la rose
s'y percevait cependant, mais elle était m êlée à
une auLre odeur plus pénétranLe et S Ul ' tOIl~
moin s agréable .
�LA ROSE BLEUE
255
_ Tant mieux 1 s'était écrié M. Peyremal, ce
délail n'en atteste que davantage sa rareté . .Je
l'losa cœrula Peyrem a1i .
voudrais qu' ell e
mt
fétide: 1'osa fœtida . Cela
lui assurerait une vog uel ...
Cependanl le j eune Antonin étail impatien t de
recevoÎl' sa monlre en or. pour achever de la
m ériler, il se montra parliculi èremen llabo ri eux
�256
LA ROSE BLEUE
a u bureau , cl cul en quelqu es ll eures mi s au
co uranl des écritur es en r elanl qui lraînai ent
sur sa lable depui s un e quin za in e.
Ce t accès do zèle sc l ro duisiL juste à point.
M. P eyr emal r eçut précisé ment sur ces enlrefalles la visite d' un 111!' pecleu r de la co mp ag ni e. Toul élail en règle, mais l'in spec teur
remarq ua un peu partou t , dans les ma l'ges, sur
les do cumen ls qu'Ant onin venait d'écrir e, des
mac ulalure s bl eues .
- D'o lt vienn ent ces [ach es? uemand a- l-il. ..
- J e l'i gn ore, balbuli a M. P ey rcmal; j e ne
vois pas ...
- Comm enl , vous ne voyez pas?
- J e ve ux dire : j e n'y co mpren ds rl Cl). J e
Il'y vois que du bl eu.
- Précisé menl, moi aussi. E h bien , pourl'i ezvou s m'e xpliqu er pourqu oi cc dossier' semble
passé au bl eu? Cela ne vou s sUl'p rend pa ?
- C'es l- à-dire que moi-m ême j'en suis bl e u,.
A moins quo cc ne soi.t mon co mmis .. . J e va is
lui demand er ... Anloni n!..
Mais Anton in, dès les pr emi ers mols de
l'observa tion faite par l'inspecteur , s'était loul
�25;
LA HOSE BLEUE
ù CO Up apc rçu qu'il n'avait pas de plumes cl
était subrcp ti ce01c n t SOI'LÎ... pour a ll er cn
acbc Lel·.
Quand iL revint - deu x h eures après
M. P ey rém aL s'app rêLait à le rabrouer d'impOl'la nce.
Antonin cr ut que le plus s tlr 6lail d'entrer
dans la voie des ave ux:.
_ Monsieur, cc son t vos {leurs .. .
_ Quelles {le urs?"
_ Vos roses bleues .. J 'avais pris de l' cau de
Leinlure .. . qui m' es t l'es tée auX mains ... Voyez.
Et il tend a iL ses main s, to utes bl eues en effet.
~I. P eY l'e mal élait s i co mpl èlement possédé
de so n idée première (IU'il sc rn 6pl'i t SUl' la révél aLion qui Lui é Lait. faite.
_ A h bah! Lu arro sais m es rosiers avec de
l' cau de leinture!
_ Commenl, « a rroser »? pensa Antonin
ahuri.
_ Ail! so urnois! tu L' é Lais aper çu que le sulfaLe de fer ne réussissait pas c l tu as vo ulu
essayer loi auss i, sans rien dire, lon pelit syslè me . Eh bien , mais, iL es t excellenl lon sys2'2.
�25S
LA ROSE BLEUE
(ème ! Antoni n, aj oula-t-iL avec solenn ilé, te
yoilà de moi li é dans ma d éco
u ve~'t
. Tu n'aUl'US
pas aITaire à un in grat. Mais, dcmancl a- t-iL en
baissan t m ys lél'ieuse men L la voix, qu ell e es t
don c ce lle lein lure?
- C'est de la teintur e .. . de chez le teintur i er.
- Nous lui e n deman d eron s la formul e. Ou
plulôt n on! Nous tâch erons de la découv rir
n ous-m êmes , a fin de ga rd er pour nous se nl s
l'honn eur de l'entrep ri se . S tupid e teintur ier!
pensa- t-il in petto, qui baig ne se~
é toITes, sans se
douter de rien, da ns un co mposé chimiq u e dont
l'appli ca tion Ù l'an'os age des r os iers donn e des
r és ulLats qui vont boulev erser l' horlicu lture.
M. P eyrem al s'obsLinant à prendr e Je ch ange,
Antoni n, r evenu de so n premie r ahuri sseme nl,
r ésolut in co nlin ent de profile r du quipro quo et
même de l' entrele nir au besoin , - au moin s
ju squ'à l'achat de la montre en or.
�CH APITRE V
PHYSIOLOG IE
VÉ GÉTALE
L e lend em ain m a lin, dès la premi è re h e ure ,
M. P eyr em a l all a r e nd re viRite à ses ('os iers .
Un orage ava il éclaté pen dant la nuil , acco mp agn é
d'un e
plui e
abon dante.
L es fl e urs
n 'avaie nt heure use me n t pas é té e ITeuill ées, m ais
en s'approcha nt, M. P eyrem al crut r eco,nnaîlre
que Je ut' teinte avait sen sib lom ent pâli , cha ngé
m ê me . E ll es n 'é taient plu s bloues, ellos tournai on t a u ro se, p osi li vem en t. É tt'un ge e t déso lant
ph énom èn e ! Eh qu oi ! un orage aurait pOUl' e ffe t
de dé lruire les m erveill eux r ésulta ts ob te nu s et
�2GO
L A n OSE DLEUE
de Lransform er la 1'OSCt cœ1'~t
l ea
Peyrerncdi en
rose vul gaire ! Insond ables mys tères de la ph y ~
siologi e végé tale 1
Mais peut-ê tre après tout, n'6lait-ce là qu 'u no
altéraLi on passagè re. On fabriqu e bi en des r oses
artificielles, a ppelées roses bCt1'omé triques et fol'mées d'UB mOl'cea u de tull e trempé dans un o
soluLi on de chloru re de co balL , qui, bleues avec
le beau Lemps, ros issent avec la pluie. Les roses
de la !\Ion tade seraient-ell es sensibl es aux mêmes
in{]u ences?
Celte teinLufC bl eue, se disait notre homm e,
dont AnLonin arro e le pied de mes arbustes,
ce n'es t pas as u[' é mCl ~ t du chloru re de colbalL,
qni est rougeil tre; muis il y entre peut-ê lro
du bl eu de cobalt , eLdu chloru re peot se form el'
- q oi sai l? - par de mys térieuses co mbin aisoJl s
avec les sucs de la terre ou pal' suiLe de l ' as i~
milalion du liquid e avec les Li ssus de la plan Le ...
Ainsi r aiso nnait M. P eyreln al, en chimi ste
am ateur, dont l'imagin ation et la pro J..l ension
au merveilleux dépassaiL de beaucoup la science
ct les con naissances positives .
A vrai dire, l'hypoLhèse lui parai ssait bi en
�261
LA nOSE BLEUE
un peu invraisemblable. Une rose baromé-
triqu e natur elle! Cela sel1~
l ail un peu forL. Il
était pourtant ind éniable que, la veille, avec un
)
1\ l'épnndiL une conche do peinLul'e,
heau tem ps, les fleul'S é taient bleues et que
c1 ep ui s l'orage de la nuit ell es étaient deve nue s
r oses . On verrait avec le retoUl' du soleiL ..
A peine M. P eyr emal avait-il quiLLé le clos,
qu'Antonin s'y rendait
pOUl"
Y remplir sa tâche
accoutumée.
Comme 0'11 l' a bien deviné, cc n'esl pas à un
�262
LA naSE nLEUE
stéril e arrosage qu'il employait sa teinLure. Il
procédait d'un e m~ni
ère
beauco up plus simpl e
c L plus sÎtre en Leignant direclementles fl eurs
els-mè~.
Par malh e ur, la mixture donL i l
sc se rvait n' élai t pas lrès bon teint el c'est
pourquoi la pluie en la délayant avail r endu
aux r0 5e'5 leur couleUl' vériLable. Il s'e mpressa
donc de réparer le dégùt e n l'épand ant s ur les
pétal es une nouvelle co uche de teinture hleue.
Aussi, quand peu d'h eures a près, eL so uS un
ciel r edeve nu ser ein , M. P eyr emal fil un e no uvelle excursion à so n clos, il retr ouva l'azur' de
ses roses plus pur eL plu s éclatanL que j a mais .
Cependant - ro se hl eue ou ro se harom étl'Ïqu e, - la déco uverLe de M. Peyl'emal s'é tait
r épandue , et lui-m ême n 'en fai saiL plu s mystère.
En traversant la halle aux grains, il fut arrêLé
et interpellé par le gro up e de petils bourgeois
qui avaient l'habitud e d'y promener leur flân eri e.
- Qu'es t-cc qu'on dit, mon sieur Peyremal,
que vous avez déco uvert un e varié Lé de roses
in co nnu e ju squ'ici, des r oses ble ues?
�E
J,A nO SE BL EU
263
ir m ode. te
po nd it- il av ec l'a
- En elI'et, ré
ch an s ro ses bl eu es ...
de
s,
nt
va
sa
s
'ai
de s vl
èr e ...
l'éLat de l'a tm osph
ec
av
e
êm
m
s
te
ge an
e ex cl am aar m acie n, eu t UD
M. MoUie nt , le ph
e sc ep tiq ue s.
tio n et un so ur ir
. B ou rlu i fit ob se rv er M
s?
pa
oi
qu
ur
po
t
- E
ni st e po us sé
ut or ité d' un bo ta
l'a
ec
av
d
ar
ch
ga
N ou s avol1s
an ci en miliLaire.
so us l'é co rc e d' un
chuLe du
qu i aLLendenLIa
it
nu
de
s
lle
be
s
bi en le
qui ac co m et le to um es ol
r,
ri
uv
s'o
ur
po
jo ur
ur fa ire to ut le
en t g ira to ir e po
pl it un m ou ve m
s fle ur s de
leil. Po ur qu oi le
so
au
lle
se
ri
te m ps
s pa s au ss i
m on tr er aient-e lle
se
ne
al
m
'e
yl
Pe
M.
og ra ph iq ue s
an ge m en ts co sm
se ns ib le s au x ch
es ?
ou m ét éo l'o lo gi qu
co nc lu re
s'e m pr es sa de
s,
lu
rp
su
u
A
à la di sc us si on ,
ur co up er co ur t
M. Pc yr em al po
èn e. Je
en co re le ph én om
e
di
tu
j'é
e
êm
m oi -m
re .. . Car vous
bj et d' un m ém oi
l'o
ire
fa
en
ux
ve
da in su pe rb e,
ta -t -i l avec un dé
co m pr en ez , aj ou
ta te r st um e ho m er à co ns
s
pa
ux
pe
ne
qu e je
re ch er ch er les
it, je ve ux en
fa
un
t
en
m
de
pi
cl si la ch os e
nd aI lt toutefois,
ca us es . En al le
ferai un
ag ré ab le , je m e
u
pe
it
so
nl
ta
t
vo us es
�LA ROSE BLEUE
véritable plaisil' de vous montret· les pt;emiers
spécimens que j'ai obtenus.
- Tout le plaisir sem pour nous, s'empressa
d'affirm er M. Mollient, afin de répat'er, auprès
d'un cli en t, le fâcheux effe t de l'altitude dubilative qu'il avait prise tout à l'heure. Et si
même je ne cmig nais d'être indiscret, je vous
demanderais la pet'mission d'amener mafemme,
qu cell visi le intéressera beaucoup.
- Comment donc! Je pl' 'viendrai MilIOPeyr emal qui sera enchantée de la recevoir.
Et tout le mond e sc donna rendez-vous pOUl'
l'après-midi il la Monlade.
�CHAPITRE VI
AU CLOS DE LA MO TADE
Celle visIle s'anno nçait comme une vraie
première, et M. Peyrem al Mait à la fois radieu x
et nerveu x comme un jeune auleur dont la
pièce de début affronte le feu de la rampe .
Mmo Peyrem al n'avait pas cru devoir moins
faü'e que d'oITrir à. ses hôtes quelqu es biscuit s
qu'on arrose rait d'un excelle nt vin blanc du
crû, le tout déposé sur la lable de pierre de la
tonn elle.
A l'heure dite, les visiteUl's attend us firent
leu r entrée . MIOO Mollient fut particu lièrem ent
23
�266
LA ROSE BL EUE
r 'çue avec un empresse ment des plu s aimables .
Ch acu n s'ex las ia sur les roses, mainlenan t épanoui es, donll' éclat cérul éen élait tout à la fois
un e surpl·jse e t un enchanlemen t pour les ye ux .
Après qu 'on les eut qu elques in stants admirées :
- I l ne suffiL pas de les rega rd er, dil M. P eyr em al. Nous nou s sommes j usq u'ici scrupul eumenl a bsl 'nus, madame P eyremal cl moi, d' on
cueillit' aucun , vo ul ant laiss r à la fl oraison
le Lemps de sc l)J'od uire auss i compl èlem ent
qu e po, sibl e. Auj ourd 'hui , 10 fa it es t co nslant,
j'ai pu vous faire j ouir les premi ers d' un speclac lo uniqu e au m ond e et que la lI almo se charge ra déso rm ais de r el1 ouvelor. J e ve ux donc
qu vo us emp ortiez un lémoig nage de vo tre
visilo ici, ct de la co nqu êle dont l'h orti culture cl la science vonl sc lro uver déso rmais
dotées .
J oig nanl 1 ges te à la paroI , il saisit la
li ge d'ull o r ose, la rompit , ct offranl la fl eur à
Mm o Molli onl avec un e exqui se galantorie :
- IIoun our a ux dames! dil-il.
Chacun sc munit avec di scr 'tion d'uno fl eur
�LA HO SE BLEUE
267
et l'on se diri gea vers la tonn elle où attendaient
les l'afraîcherne nts.
-
Elles ont un e sing ulière odem, vos ro ses?
lI onn ollr nux dames ~
ne put s'empêc her de faire ohservel' le capilain e Bourgachard qui nairait la sienne avec
porA i. lance.
�268
L A n OSE BLEUE
.Je le sais, répo ndit M. P eyromal, c'est
un e parlicularité de plu s, non moin s cur ieuse
qu e sa couleur. Je regrotte même qu'e ll o no
so; l, pas fl'anchement fétide : 1'osa cœ1'ulea
(crtida !
- Pi 1 l'horrour, protes ta Milio Mollient.
EL chacun de se fourrer sa fl our dans les
nal'inos pour en analyse r l'ode ur, pendant qu e
MiliO P eyremal, empressée, faisa it circuler los
bi scuits et quo son mari décoiffait les bouteill es
de vin hlanc moussoux dont 1 s bo uchons bondi ssaient avec des détonatio ns joye uses qui
sombl aiont des salves ti réos on so n honneur.
On toas ta gaîmont ot M. P oyremal connut
la gloire !
Mais en s'essuyant los mouslaches, M. Bourgachard co nstata qu o son mouchoir s'é tait teinté
de bl eu. Il interrogea du regard son voisin qui
do so n côté consid érait avoc une égale stupéfac tion ses mains ogalement bl eui es. L'un ct
l'autre, en levant les ye ux, ,'e murquèr lit qu e
le sO llrire de Mmo Molli ent , on train de fail'o des
gl':\ces s'épanoui ssait so ns un e tac he indi go qui
marqu ait juste l'ex trémit é du nr z, tandi s qu e
�23.
�'270
LA nO SE ULEUE
son mari, les lèvres largement azurées, rappelait pal' son air le légendaire si1'e de Barbe-Bleue.
On sc regarda les lins les auLI'es avec des
airs drôles".
M. Peyremal, interdit, murmura naïvement
un « qu'est-cc que c'est? » Puis voyant chacun
l'l'essuye r obstinément la fl g'ure, c qui avait
pOil l'
ffet de répantll'o la co ul eut' S UI' tout le
visage, le souvenir des éCl'itmes d'Antonin
macul ées de bleu, traversa son es prit. Il prcssa
fl évr usement un e rose entre ses doig ts, qui
gard èrent l'ompreinte cl la teinture, ct pt\lit
affrellsement.
Le capitain e nomgacharcl , (ur'i cux d'avoir été
mystifié, allait, dans un e apostrophe d'une
vi .... u ur louL mililaire, dir so n fait au mauvai s
plaisant. Mais il la vue de la min e navrée de
l'inrorLulI ~ Peyremal, il comprit que lui-mf'me
avait été jou é.
- Vos roses, se contenta-l-il de mUI'murer,
ne sonl pas bon Leint.
Et P yremal, livide, bégayait:
- C' st vrai. " je Ile m'expliqu e pas !. . Ce
doit Nre Antonin!
�LA ROS E BLEU E
271
Tou s les invités avaient une enVIe folle
d' éelatel' de rire . Mais l'embanas cruel de leur
hôte , le martyre qu 'il subissait visiblement et
qu e parLageaiL MmoP eyremal , rou g e de dépit e t
de honte, les larm es aux yeux, leur fit compassion. Il s prirent brièvement et polim ent con gé ,
en évitant des ex pli ca tions pénibles que M. P eyr emal, stdToqn é, n 'e ut ni le co urage, ni la for ce
de Jeur donu e!'.
��CII APlTRE VII
LE Pl\ RE ET LE FILS
rs r aill erie s
Mai s au ssit ôt hOI's du clos, leu
des r oses
sc don n ère nt carr i èl' . L ' histoire
P ey t'em al sc
bleu es c l de la d6co uve l'lo do M.
pon dre dan s
1'6p and it com m e un e lraÎn6e de
l'o n on fit des
la pelite vill e ct l'o n pen se si
me il cc suj et
go rge s cha ud es ! Il co ur ut mê
à la ve r ve de
un e chanso nn elle palo ise du e
1 co uvr ait
M. Balli vea u , l'en lrepren eur , qui
n'os ait plu s sc
de ridi cul e. L pau vre homm e
m onl rer.
eux, s'a])5Sa fem me, pl ein e d'un lil ct aIT ctu
�274
LA RO SE BLEUE
Lint d'accroîll'e par des récrimination s inuLil es
l'amerlume de Sil morlifi calion , s'attac IHl.nL
pluLôt pal' de tendres pré venances ct un feint
enj ouemenL à la lui faire oublier,
Qu ant à Anlonin , il Ile réclama pas sa
monlre en or , cLJugea même opportun de ne
plu s parallr e au bureau d'assur ances ni dans
la mai son de son paLron,
Une joie réel le cl solid e vinL heul'euse menl ,
SUl' ces enlr faite" secouer l'aIJaLL emenL de
celui-c i cl co mpenser sa déLresse momie, ou
GI s, 1'e ' U li c ncié ès sciences , ve naiL passe l' ses
vacall ces auprès d lui .
Ce ful à ses cO lés, comm o s'il eelt u besoin
de cc pall adium conLre la malignilé publiqu e,
qu e M, P eyr mal osa pOUL' la pl'emi èt'e fois,
depuis quin ze gr'and s j ours, s'aven lur r dans
les l'u es d'A ndu zeuu, TouL s les main s sc tendaienL pour féli ciLer le jeun e ct h,' ill anl étudi anl. Comm enL auraiL-o n Pli , du mêm coup ,
avo ir l'ail' ùe nargue r !.ion il ' l' q1li l' acco mpagnai L'? EL, à clr ac un e de ces ' ll'einL s cordi ales au xquell es il ~s i s l a il altendl'i , le brav'
homm e sc sen lait co mm e ré lr abililé!
�LA n OSE J3LE UE
275
Mmo P eyremal avait, en confidence , raconlé
ù so n cher enfanlla mys lificalion cru elle dont
les lurlutaines de son père avaient fini par le
rendre victime. Le j eun e h omme feignit auprès
de celui-ci de n 'en rien savoir . Un jour pourtant dans la conversali on, une allusion lui
éc happa ... M. P eyr emal ne pu t s'empêcher de
r ougi!' cl de baisse!' les ye ux avec confusion.
L e fil s compl'il aussÏlôlle mal qu 'illui avait fait
sans le vo uloir, el dans un mouvemenl sponlané de lendre effu sion, co mme au temps des
enfa ntines caresses, il sc j eta à son cou po ur
sc faire pardonner.
L a s L11e barrière qui gênât la liberté de
leurs enlretiens, élait mainlQnant lomb ée.
On cuusa sciences . M. P eyl'em al fil parl à
SO li fil s de ses conceplions e t de ses r ch 1'ches . Le j eun e licencié r é pon~
a il g6néralem nl avec Ull e modeslie sincèr e :
- Ce lle qu es li on es l intéressante, en eIrel,
Jl OLl S l'a vons à peine v ue. Mai s il exisle de
profonds lmvau x sur la ma lière ...
E l il cilail de savanls ou vrages de lel professe ur d'Allemagne ou d'Ilalie olt toules les
�276
LA llO SE BLEUE
solutions propo sées du problème, jusqu'aux
plus r écenles, élaient examülées el criliquées.
Il résultait de ces échanges de vues que, sur
toutes les découvertes poursuivies pal' M. Peyl' mal, son fils qui prélendait toujours « n'avoir
pas étudi é lu question », possédait cependanl
des lumières suffisantes pour d.émontrer la
pu érililé des tenlatives pateI'I1elles. Et il propos
de « rose bielle », il projelait juslement d'écrire
sa lh ès de docloral sur un suj el de physiologie végétale ... Il avait apporté, pour n jeter
d'ores ct déjà les premières bases, qu elques
ouvrages spéciaux ù cons ullel', - une pleine
malle de bouquin s, - mais il lui ra ll ait un
laboratoire et un chal1Jp d'ox péri ences qu'il ne
IrouveraiL qu'à Puri s, Oll il d yait conqu "l'il',
après avoir subi les \preuv's de l'agréga tion ,
cc demi r ct suprême grad '. Il indiqua il
geands traits dans qu Ile voie t co mment il
entendait diri ger ses ll'tlvaux, salls pl' It ndre,
di sait-i l, api' 'S 1 s avoir menés ù bonn e fin,
dol r l'humttu.ité t la s ·ieJl· d'a ucune de c '8
conquêt s qui assurent le l'eHOm d'un homme .
La seule ambition qui lui ml permise, du moin s
�LA ROSE BL EUE
277
pour le mom ent , c'é tait celle de deveni r un
professe ur es timabl e ...
Ces déclara tions et ces confide nces firent une
profon de impression sur M. P eyrem al. Les
écailles lui tombai ent des yeux. Il se r endait
compte mainte nant ù qu el point les conditi ons
intellectuelles aussi bi en que ma téri el les où il
sc trouva it, lui interdi aienL la réso luti on des
gr and s problè mes scientifiques qu 'il avait ave uglémen t abord és .
Cc lui fut d'abord un chagri n e t 'un e am ertum e de plu s. Mais n'avait-il pas son fil s en qui
il se voyait r evivre? C'es t lui , qui, malgré son
admil'a lJle modes ti e, re ndrait un j our célèlJre
cc nom de PeYl'emal qu 'il s po rtaient l'un e t
l'a ulr . Et, sembl able à un so uve l'ain qui abdifjU O en cé cl antl e trône il son h éritier na turel,
ce lle ponsée le fil sc résig ner sa ns trop de
r eg rels.
D'aille urs, l'hi stoire de la ro se bl eue l'avait
dégo ùlé. Déso rma is, il ne s'occup a plu s que
de ses assura n ces . P ourtan t, comme on ne se
refait pas co mpl lem nl, SUl'lou t à l'âge où il
' lait parv enu, il s'occup ait encore , en dehors
24
�278
LA ROSE llLEUE
de sa besogne ordinaire , de certains travaux
plus ou moins en rapport avec sa profession.
Il conçut même l'idée d'un extincteur automatique appelé il rendre les plus grands services
ùans les incendi es . Mais deven u plus avisé, il
découvrit, en creusant un peu la question, que
sa théorie se heurtait fl un principe d'hydraulique qui la réduisait à. Iléant.
Renonçant donc définitivement à ces incursions inconsid érées dans le domaine scien tifiqu e, il se cantonna dans les choses de so n
métier, qu 'il connaissait bien. Et du j our où il
y apporta lout l'efI'ort de ses faculLés, la Zone
I01'ride s'aperçu t qu'eHe n'av ait pas en lui un
représe nlant vul gai re. Il imagina des procédés
simplifiés de comp tabilité que la direclion . fit
aùopter dans tout s ses agences, cl de nouvell R co mbinai sons poUl' le pai ement des
primes, qui, 'gaIement approuvées par le Conseil d'adminislration, donnèl'ellt les moilleurs
rés ultats.
Enfin, dans le même numéro d'un e revue
sava nle, pawrenl ù la oif ~ d llX o'l'ticl s
LiblioO'l'Uphiqu es des plus \log ieux consacl'és
�LA n OSE BLEUE
279
l'un à la th èse brillamm ent so utenu e en Sorbonn e par M. Charles P eyremal, docleur ès
sciences , et l'autre à un mémoire, « d'une
sin gulièl'e et féco nd e ori ginalité de vues » ,
écrit par M. Peyremal père, sur les Contmts
d'assttrances à lm ve1'S les âges.
C'es t ain si qu e notre héros r econquit so n
pres tige auprès de ses concitoyens. M. Dalliven.u lui-m ême r egrottait ses rimes n arqu oises ,
ayant été chargé d'importanls travaux po nr le
p l'co rn ent d'un o nouvelle a rtère, à laqu ell e,
par un hommage indi stin ctement r ondu au
père ot au fil s, on pad ai t déjà do donn er plu s
tan) le nom de n ue P eY1'emal.
��TABLE DES MATIÈRES
L'EX IL D'ilE! RJETTE .
CIIAPITIIE PIIEMlEn. -
II .
III .
IV.
V.
VJ.
VI/.
VII/.
IX.
X.
-
En ga rc de Saint·Aun c\...... ...
L'édu ca ti o n d'Henri ettc . . . ... . ..
Arriv ',c au chdt a u d'AIl J11 6ruc. .•
Ch cz Ir.s Bonni ssc t.. .... ....... ..
Les deux ami es ...... .. ..... . ...
Un e cxc ursio n..... . ........ . ...
L'i so lement. ....... .. .. .. .. . ....
Papotag es ....... .. .. .. ".. .. ..
Art e t bi enfaisa nce ...... . .. . . . ..
Hèvélnti on do ul o ureuse. ........
i
13
25
35
"5
61
11
St
97
iO G
LE P IANO DES llE OITEL
CIIAP ITIIE l'IIF.Mllm . -
II.
III.
1V.
V.
VI.
-
La ma iso n du doc tcur ........ ...
11ntr'C vo isin s .... ........ .. .. ....
Tout iL la j oic .... .. ........ ......
Disg rùce i rn rn 6l'i t 'c.. . . .. . .. .. .. .
ne co nsultati on... . .. ... . ......
Ue Cha rybd e en Scyll a .. ........ .
125
131
fil 3
1:j1
103
173
�TABLE DES ~ l AT
2R2
CIIAP ITIIE
VII. -
I ÈRES
Où le docteur prend un parti
décisif....... . .. . .. .. . . .. ... ...
Bienfaiteur sans le savoir.......
L'ennem i dan s la place ..........
Toul s'arrange .. ... ......... .. .. .
VTTT. IX. X. -
i83
193
205
213
LA ROSE BLEUE
CIIAPITIIE PI\R~lEn.
Anduzeau-sur-Gardon...... .. ...
Les in ventions de M. Peyremal...
111. - Vocation nouvelle........... . ...
IV. - " Rosa cœ rul ea P yrema:i. ""
V. - Phys iologie végé ta le .... ,., , ., , ..
VI. - Au clos de la Montade .. ,.", ....
VII. - Le père et le fil s ........... .....
-
II. -
PariS, -
F,.
KA"", I mpri~u,
83, ru() du Bao.
225
235
243
251
250
265
213
�������
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Bibliothèque du petit Français
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Dublin Core
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Title
A name given to the resource
L'exil d'Henriette
Le piano des Benoîtel
La rose bleue
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Liquier , Roger
Steck, Paul (1866-1924)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
A. Colin
(Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1903
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
286 p.
18 cm
application/pdf
Description
An account of the resource
illustrations par Paul Steck
Bibliothèque du petit français
2e édition
Type
The nature or genre of the resource
text
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Centre de documentation de la Maison des Sciences de l’Homme (Clermont-Ferrand) C90697
Language
A language of the resource
fre
Rights
Information about rights held in and over the resource
Pas d'utilisation commerciale
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BUCA_Bastaire_Bibliotheque_du_petit_Francais_C90697
Relation
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