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��La Collection STELLA
e.l la collection idéale des romans pour la famille
et pour les jeunes filles. elle Clt une garantie de
.. :: qualité morale et de qualité littéraire. :: .•
Elle publie deux volumes chaque moi •.
V olurnes parus dans la Collection:
1. L'Héroïque Amour, par Joan DEMAIS.
2. Pour Lui 1 por Ali •• PUJO.
,
3. Rêver et Vivre. pAr Jean d. la BRETE.
·1. Les Espérances, pot Malhildo ALANIC.
5. La Conquête d'un Cœur, par René STAR.
6. Madame Victoire, por Marie THIERY.
7. Tante Gertrude, par B. NEULLIES.
8. Comme une Epave, l'or Pierro PERRAULT.
<J. Riche ou Almee? por Mory FLORAN.
10. La Darne aux Genêts, pnr L. d. KERANY.
II. Cyranette, por Norb.rt SEVESTRE.
12. Un Mariage" in extremis ", par CI.ir. GENIAUX.
13. Intruse, par Claud. NISSON.
14. La Maison des Troubadours, par Andr •• VERTIOL.
15. Le Mariage de Lord Loveland, pa' Loui. d'ARVERS.
16. Le Sentier du Bonheur, por L. d. KERANY.
17. A Tnwera les Seigles, pa' Hélène MATHERS.
16. Trop Petite, por SALVA du BEAL.
19. Mirage d'Amour, par CH A MPOL
20. Mon Mariage, par Juli. BORI US.
21. Rêve d'A tnour, par T . TRILBY .
22. Aimé li'0ur Lui-même, po, Male HELYS. .
2~ . Bonsoir Madame la Lune. pa' Mori. THIERY.
24. Veuvalte Blanc por M.rie An .. d. BOVET.
25. Illusion MascuÎine, par Jean d. la BRETE
26. L'Impossible Lien, l'or J.anne d. COULOMB.
27. Chemin Secret, po, Lionel d. MOVET.
28. Le Devoir du Fils, par Mathilde ALANIC.
29. Printemps Perdu, por T . TRILBY.
30. Le Rêve d'Antoinette, pnr Ev.lin. 1. MAIRE.
31. Le Médecin de Lochrist, pAr SALVA du BEAI..
J2. Lequel l'aimait? par M.ry FLORAN.
33. Comme une Plume~.
par Antoine ALHIX.
H . Un Réveil, par Jean d. 1. BRETE.
35. Trop Jolle • .,or Loui. D·ARVERS.
36. La Petiote, pnr T. TRILBY.
37. Derniers Ranteaux, par M. d. HARCOET.
38. Au delà des Monts, p.r Marie THI ERY.
JI). L'Idole, par André. VERnOL.
~O.
Chemin Montant, par Antoin. ALHIX .
~1.
Deux Antours. par Henri ARD E L.
42. Odette de Lyntnille, Femme d. Lettr... par T . TRILBY.
H . La Roch -aux-Al.ues, par L . .le KERANY .
..... La TM'tllne amarl'';C;!.lY.or A. VERTIOI
4S lntè ",."" par P,.", Le RUH U
~b
Vlothnoll. par Joan 1'HIERY
il. Pardonnor, ~ ar lacQu •• GI{ . JJ<':fI Al\H'
4ij. ,II Chevalier clairv oyan t , ,li' J.. 1I0. J . ( o UI OI\ IU
.". Maryla, pa, 1.. 1,.11. SA NDY .
10, 1.11 J\1"uvalll Amour.
î IHII , RY.
H7 l
p_,
�Volume~
-
paru" Jan la Collection
(Sull,).
,.. Mlrag<e d'Or, par Antoine ALHIX.
Les deux Amours d'Agnès, Pli' Claude NISSON .
U La Filleule de la Mer. par H. d. COPPEL.
H . RomllUleaque, par Mary FLORAN.
" . Le Roman de la vin.Hèmo ann';6. par JacQu .. d •• CACHONS.
'6. Manette, par Mathilde ALANIC.
'7. Rêve et Réalité, par Marie THIERY.
'8. Le Cœur n'oublie pas, plr JacQu.. GRANDCHAMP.
'9. Le Roman d'un Vieux Gar.'on PU 1.0n THIERY.
60. L'Algue d'Or, par J.I"no d. COULOMB.
61. L'lnutUe Sacdtice, plr T, TRILBY.
62. Le Chaperon, plr Louia D·ARVERS.
M. Carrnencita, par Mary FLORAN.
64. La Colline ensoleillée, plr Mui. ALBANESI.
M. Phylll., par A1ic. PUJO.
66. Choc en Retourt.pa, Joon THIERY.
67. N~lIe,
plr CHAMt"OL.
68. Kitty Aubrey, per TYNAN.
69. Le Mari de Viviane, Dar Yvonne SCHULTZ.
70 Le VoJle dérhlré, par Edmond COZ.
71. Marla-Sylva, plr LUGUET.FRICHET.
72. L'Etoile du Lac, Plr Andrée VERTIOL.
Les Source. claire., per Mlrauotite d·ESCOL.J-.
74. L'Abbaye, por SAL VA du BEAL.
7.5. Le Tournant, par Pierre VILLETARD.
76. Tante Babiole, par Mathilde ALANIC.
71. Mon Ami 1.. Chauffeur, adapta d. l'anal ai. par Lauia d·ARVERS.
18. De l'Amour et de la Pitié. par JleQuet GRAN DCHAMP.
79. L. Bell.. Hi,toire d .. M.. ae!onu., Par J•• nne d. COULOMB.
~ . La Transtulle, par T. TRILBY.
81. Moosleur et Madame Fernel, par Loui. ULBACH.
82. Le Maria,e de Gratlenne, par M. d.a ARNEAUX.
81. Meurtrie par la VIe, par Mir)' FLORAN.
tH. Un Serment, p.r 1. Baronn. ORCZY.
85. L'Autre Route, per Cloude NISSON.
86. La Lettre rose, par H ..S, MERRIMAN.
87. L'Arnoul' attend •.• p.r R.'" STAR.
88. Sou. leurs pas, par J.. n THIERY.
89. Ahnez Nicole, plr Pi",. GOURDON.
90. Le s.e... t d. M •• ou.. ia, par la !:oullll. ~ . CI\JIlUMI UQvn1f1.
91. La Branche de romarin, pat BRADA.
92 Une beUe-mère, par Rooul MALTRA. VERS.
93. Cœur de Princos .... pot AI"o. fi Ewerton CAST LE,
94. La Fleur d'ArnoUl" par Andr~.
VERTIOL.
95. Mari., s d'Aujourd'hui, pat Mm. LESCOT
96. Danll l'ombre de meR jourlf, p 'lt J acque. d•• GACHONS.
97. Arlette, j*W18 tale ... "dar.... p.t T. l'RILBY.
98, L'Obstacle. par HIIODA tlROUCHTON .
99. La Forêt d'Ar"ent. Ilir A Ju PRADEIX,
100, Dernier Atout, par Mary FLORAN,
101. Le Doublo .Jeu. por G d. VAILLY
102. Le coup de volant, par M ... " THIERY
10J. Idylle Nuptiale, por M.do,n, Jo:, CARO.
10+. COntre Je Flot, ,lot L~:
ROHU .
•
lOS. L'Amour le plus tort, Vif R <I~
LA BRUYERE
106, Cœur tendre et 11er,
la UAwnll. UOUARD
107. Lnquè lle" par JUil n'ANIN
108. Tout .. moi 1 1I0r JN" T!I~:{Y
.
109. Sou .. le Soleil l·d.,
~. t, Il"' J•• " JI·.CO
110. Les Trt.ne* ..'be,· nIe ut, ••• , j. <qu •• CHANLJCIIAMI'.
'2.
n.
".r
Lnohuno: 11•. 50; 1"". 1 fr. 75. Cinq vo'ume. .u chois. Iro 8 Ir.
�RENÉ STAR
L'Amour
attend ...
COLLECTION
STELLA
Édition. du .. Petit Écho d. la Me"" ~
1. Rue Guao. Pari. (XIV')
��L7AI10tl~
attend ...
PREMIÈRE
PA.RT::tEl
- Lili, as-lu bientôt fini Je jouer avec Rip ?
Jacqueline BeauranJ, agenouillée sur le tapis,
tendait un bâton à son chien qui ne St dél:idait pas
à sauter.
- Je ne joue pas avec Rip, maman: je le lais
tra\·ailler. SI ça ne vous gël1l: pas, je l:ontinue; si
vous avez besoin de moi, c'e st fini tout de su;te.
- J'ai hesoin de toi, ju stement, ma chi.:re.
- Eh bien, maman, me voici,
JUl:quehne se redressa d'un bond, non sans avoir
lancé une lap t: sur l'oreille de Rip, épagneul aux
longs poils fauves cl aux yeux d'or bruni, qui s'en
l'lit 'avtc dignité, landis que sa ma1tresst le pourslliva it de s es reproche :
- Le \'ilain 1 qui ne fait aucun progri.:s 1 J'en suis
honteuse pour vous . Allez vous cacher, monsieur 1
Rip, loin Je suivre ce conseil impératif, vint
s'.::tendre avec abandon aux pieds cie Mme lkaurand,
LJ 1I1 prit sa d;:fcllse :
- Tu fati~ues
ce pauvre animal.
C'est-;\-dirl.: que je le préserve de l'obésité.
- Fais-le counr Jans le jardin, alors.
- Ça ne sunit pa<;. Il faut encore qll'il arprenne
~ !' <; {' "rci e!' s : j'n ss lll1l'lis .'fI m/1nwlrc pour cntre-
"
�6
L'AMOUR ATTEND ...
tenIr scs taclJltes II1tell .'t ll ellp s. D'allleur-, quafld
je l'ai un peu tQurment6, il sent mieux ~on
bonheur
après. Pas, mon Rip ?
Rip était un être concilialnt; il répondit par un
regard paisible et secoua la queue en signe d'approbation.
Mme Beaurand venalt de s'asseoir devant l'élégant
pupitre en bois de rose où des livres à peine coupés
et un certain nombre de lettres s'éparpillaient dans
un aimable ùésorùre ; la mine perplexe, elle examinait une feuille de papier où elle venait de tracer un
cafl~.
Sa fille se pencha sur son épaule:
- Voyons, maman, qu'y a-t-il?
- C'e t pour le dIner de mardi; je ne sais comment placer les invités, à cause des Frégeac et des
Gautrait qu'il vaudrait mieux. ne pas mettre à cOté
les un' des autre .
- Combien serons-nou ?
- Tiens, voilà la liste. Nous serons douze.
JacCjudine lança un rapide coup d'œil sur la page
que lui présentait sa m(:re, l:t trouva aussitot unt!
sulutiun :
- Tnvitez les Revel: ça arrangera lout.
- Mon Dieu, oui. .. Coralie est insupportablt::, et
son fils n'est pas drôle: mais cc sont nos parents
tout de même.
- Sans compter que ma tante seraLI furieuse si
elle apprenait que vous avez donn':: le premier dlner
de la sai. on sans les convier. D'ailleurs, ils m'amusent
tous deux, la ml're et le fils; lui, parce (lu'il est le
a cour, LI
seul jeullt.! homme qui ne me fasse ~'as
clic parce qu'elle s'évertue à le suppléer. Entre
deux madrigaux, elle me parle des travaux dt:
~'rançois,
de son Jévouement à scs malades, des
progrès de 'la clientèle. Comm<.: si çu m'intéressait!
" I<'ran~l)is
vient d'être appel0 I!1H;l le gC:néral X.
J1'rançols a opéré de l'appendicik la baronne de Z ..,
L'autre jour, je lui ai crié à brCllc-pourpoint : .. Et k
secret prof~sinel,
ma tante, qu'est-ce que vous
en faites?
Elle a rougi; mais clic a gardé le
sourire. Je puig toul me permettre avec elle: clic
aura toujours le sourire. Parfois clic me donne
envie de me regarder dans la glace pour m'assurer
que le chiffre dc ma dot n'est pas imprimé sur mon
rront. On le dirait, vraiment, tant je sens qu'elle oc
1" perd pas de vue une minute .
..... Tu cxa~ères,
Lili.
�L'AMOUR ATTEND.,. ·
-
!
Oh 1 pardolt, maman, je n'exagère pas. Flgurez-
vous qu'elle a visité tous les plus beaux appartements de l'avenue Mercédès, cette voie neuve qu'on
vient de bâtir perpendiculairement à sa vieille rue
Raynouard. Je vous parie qu'elle pensait: « Si mon
François épouse Jacqueline, voilà ce qu'il faudrait
à ces chers enfants . "
En prononçant cette dernière phrase, Lili, d'une
grimace, abaissa la pointe de son nez, fit un regard
en dessous et une si drôle de bouche en cœur, que
sa mère éclata de rire.
- Tu es une moqueuse impayable.
- Maman, je vous assure qu'elle ne pense qu'à
ce mariage. Ce qui m'étonne, c'est que son fils ne
prenne pas la peine de saccager son rêve.
- Dame, il préférerait sans doute le réaliser. Je
ne suis pas éloignée de penser que sa discrétion
n'est qu'une savante manœuvre ...
Jacqueline rougit et protesta, avec une vivacité,
une chaleur i nbabituelles :
- Lui"i' Vous ne le connaissez pas: on lui orfrirait
douze millions qu'il les refuserait plutôt que de me
prendre avec.
- Par exemple 1. .. Et comment le sais-lu? s'exclama Mme Beaurand, à la fois vexée et intéressée.
Déjà Lili reprenait son teint ordinaire et sa voix
railleuse:
Ne vous afTolez pas, maman: c't:st fini 1
- Qu'e!;t-ce qui est fini r Veux-tu dire que ? ..
occupGc de lui dans le
- Eh 1 oui, je me ~uis
temps. V (Jus ne vous en êtes jamais douté, n'est-ce
pas? Quand j'avais quinze aI1~
- il Y aura bientôt
quatre ans de ça - mon iJéal était de devenir
Mme François Revel. Que voulcz-vous, il m'en
imposait ce garçon sGrieux avant l'heure, reçu le
premier ft tous ~ ·s examens, le génie de la famill"'.,
le modèle des f1Js dc vcuve 1. ..
- 1'.1 alors?
- Alors je me SUIS aperçue que je lui étais tour
a to~r
il~dT:rentc
ou mSlp~)rtabe,.
sui,:unt qu~
je
k las~1
tranlllllile ou que JC m'eflorçals d'altJrer
son attention. Je l'ai doO(.: lalssG tranqlllllc.
- Et maintenant?
Maintenant je n'y pense plus! EL la preuve,
c'est f"]ue jé vou. en parle, ma petilC !nJman chérie 1
pulll quel
:\lvi. 'uu aVt:l, quaud j'ui unt' p<l~siuC
�8
L1AMOUR ATTEND ...
qu'un, on m'arracherait toules le::. del1ts plutôt L[ue
son nom 1
1
- Quelle confiance en ta mi.!n~
- Ce n'est pas manque de confiance, maman;
c'est de la pudeur d'ame, voilà tout - un sentiment
très avouable, en somme, et qui ne doit offenser
personne. De plus, je crois que le silence, et même
la galté feinte, sont un excellent remède contre le
peines de cœur.
- Tu as de ces idées 1
- Je vous assure: je l'ai expérimenté, maman. 11
y a eu des jours où j'avais bien plus envie de pleurer
que de m'amuser, allez. Eh bien, je m'amusais quand
même! Lorsque François m'avait fait de la peine, je
m'appliquais, pour n'en rien laisser paraltre, à montrer plus d'entrain que les autres, à danser et à rire
davantage. Or, qu'arrivait-il Î' C'était une contrainte
pendant un c<.:rtain temps, puis tout à coup ça devenait vrai: j't:!tais joyeuse pour de bon, et je retrouvais
ma lucidité. « .Je serais bien sotte, en somme, - me
disais-je, - de 01<.: faire de la bile à cause de cc beau
dédaigneux. Avec ma fortune ct mes petits agréments personnels, je n'aurai pas de peine à trouver
un mari aussi chic que lui. » Quant il François, à
qui pourtant je ne souhaite que uu bien, je vI)is d'ici
son brillaht avenir: il épousera vers la quarantaine
une Agni.!s cie vingt-neuf ans ([ui aura la tailk plate,
les cheveux raides et une moustache naissante 1
Jacqueline s'approcha de la glace, et caressa, de
sa main menue, les larges bandeaux ondés cntre
lesquels son lin visage avait l'éclat d'un camée dans
un écrin de velours sombre,
- Maman, voult.!z-vous saVOl)' quelle est la plu~
grancle joie de ma vic? C'est d'avoir des cheveux
qui frisent naturellement. Et mon plus grand malheur, mon unique? Devinez un peu.
- .J e ne le vois pas du tout.
- C'est de ne pas être blonde.
- Folle 1 r~ . pérons que tu n'en aur~
jamais
d'autres 1
- Espérons-le. Mais il! VOLIS ai expo'll: ma ml:·
thouc: si le bon Dieu m'envoie des calamités, je
lcs supporterai avec courage.
- En attendaut, je vUlIdnll <, hie Il It "uir IlIl l,l· 11
plUa ~(;rioUS\.
- Pllurqtlûi dUlIc? Ne croy<,:z-\'tlll'. [';\~
qUe "a
irait hl~aucnp
II\nins bien ;\ m()n ~enrc
de heauté 't
�L'.\.\JOUR Aï' l"L D ...
9
Mme Bcaurand hauss a k s (Taul/'s I:n p ersonne
qui dédaigne les pa.roles inutiles f;!t renonce à la
(fiscussion. Cependant Jac<]llclin ' ~: e-xamint
attentivcment dan s la glace.
- J'ai Jes yeux relevés vers les tempes, un nez
\Ians lequel il pleut, et la bouche retroussée par les
fOins: j'~tais
née pour être blonde et pour être gaie.
J'ai manque la première partie du programme, il
faut que je rGalise la seconde, la seule qui dGpcnde
de moi.
Mme Beaurand n'écoutait pas; elle regardait de
nouvcau la liste de ses convives et le carré autour
duquel il s'agissait de les caser. Au bout d'un
moment elle dIt:
- Tu as raison: ça arrangerait tout d'inviter les
Rcvel. Malheureusement, c'est un peu tard pour
leu récrire: Coralie est si susceptible!
- Allez la voir. Elle reçoit aujourd'hui. Vous lui
ré!-cO1te~'z
que .vous ~vel':
attendu afin de lui faire
l'lI1vltatlOn de VI'YC VOIX.
- Ce serait une idée. Mais je ne trouverai jamais
le tcmps d'aller jusqu'à Passy. J'ai rendez-vous chez
mon dentiste à quatre heures; ensuite, je doi s
rejoindre lady Taylor au Carlton où nous prendrons
Je t hé avant d'assister à la conférence de la CroixRouge. Tu devrais, toi, passer chez tante Coralic en
allant à ton cours de chant.
- Jc veux bien me dévouer. Seulement, elle trouvera peu core~
que je l'invite à v?tre pl~ce.
- Bah 1 lu lUI expllqueras que JC SUIS !'urmenée.
que je ne peux pas manquer la Croix-Rouge. Ne lui
parle pas, bien entendu, de lady Taylor ni du
Carl!on.
.
- Oh! Pour qui me prener.-vous, maman? Soyez
tranquille, je remplirai mes devoirs d'ambassadrice
-clon tout cs les règles du savoir-vivre et avec un
doigté impeccable .
•\lme Beaurand avait saisi son crayon et griffonnait
k quatorze noms sans hâte.
- Pariait 1 La table s'arrange toute se ule, l1ain~
tenant.
Dl:barrassi!ed'ul1 gros so uci, elle sc jt:;va et promena
un rcgard charmé SUl' le petit salon miroitant de
l'laces où les boiseries dorées, les soies Pompadour
épanouis~ct
autour d'clic leurs fines sctdptures
et leurs bouquet s délicats.
Jacqueline cut un so urir ' mal\r.;,eux ;
�[0
L'l\ \[OtiR ATTEND ...
- Alors vous èt?s toU)OU. r ~nthr'lSfjsé
.. l~ v(\fr.Louis XV?
- Toujours, et j'ajouterai même que JC n'al jami~
eu autant la sensation d'être chez mOI que depuis
'lue j'ai I\.:nouyc!l; mon mobilier. Je ne lhluvai s l'il S
m'habituLJr ci l'Empire ...
- Pauvre papa! n s'en apercevait bit.!l1, il êtait
navré ...
- Aussi, quclle étrange idéc à lui Jc m'acheter
un boudüir sans s'informer Je mes prL:férenct.!s !
- Oh 1 Vous savez bien commLJ il est: chaque fois
que la fortl.! somme lui tombe du ciel, il faut qu'il
nous fasst.! un cadeau tout de suite. Pour moi, il ne
sc trompt: jamais, parce que vous lui soufflez ce dunt
j'ai envie. Mais pour vous, il ne me consulte pas.
- En quoi il a grand tort, petite Egérie incomprisc,
d':dara Mme Bl.!aurand.
Et écartant doucement lus bandeaux ond65 dont
JacquuJine était si fière et si chagrine tour à tour,
l'Ile posa lin long baiser sur le joli front uni ct mat
où la ligne ferme des sourcils semblait tracée au
lJurin.
Ag':e de trente-six ans à peil1l.!, Mme Beauril1Jù
avait les cheveu1\ cendrés, les yeux pâles, le teint à
la fois animG ('( ranû des blondes qui ont perdu le
premiur éclat de la juuncsse. De haute taille at légl:rement corpulente, clk formait un véritable contraste
HVO<': la mignonne Jacqllulinc, qui n'était d'ailleurs
quu sa belle-!1Ile.
La vraie maman de Jacqueline, jolie créole aux
joUC!; mincus ct aux yeux vdout('s, à qui clic ressemhlait comme unu fleur à une autre fleur, etait morte
en la mettant au monde j elle laissait, fou de df.!saspoir, un veuf lui, aprus LIll chaHfin terdhle mais
court, sc rt:maria l'année suivante.
Il faisait un second mariage d'amour . (] épousait
Ilne tout\! jeune fille, pauvre, nonchalante et dOUCI:.
Letlu folil' tourna très bien: la nouvelle Mme Beaurand se montra pour la fillette trouvée au berceau
une ml:fl 'un peu faible, mai, toujollr» attentive ct
tendrl:.
--- AIIlSi, c'est convenu, ma chérie: tu pa~se
·hel.
la tante ?
- Oui, j'y sllrai v.:rs quatre heures et demie. La
f":<': ption battra son plein, car ma tante reçoit <\
partH de trois heures. Et quelles têtes 1 Le spectacle
vaut l,' Yoyaj.(e. Par cxemplL', je vais poiller avant d'y
�l.'A:'IIOVR ATTEND ...
Il
aller: je ne me soucie pas de boire son eau tiède et
de man~er
ses gateaux à rebours.
- Qu est-ce que tu appelles des gâteaux à rebours?
- Comment 1 Vous n'avez pas encore remarqué
que chez elle les biscuits secs sont ramollis ct les
brioches dures? Ça ne rate pas une fois.
- Mauvaise langue, va 1 Dis-moi, si nous faisions
route ensemble?Ton père a laissé la limousine à ma
disposition ; Joseph me déposerait chez le dentiste
et vous conduirait, toi et miss Toppy, jusqu'à la rue
Rayn ou ard.
- Non, merci, maman: miss Toppy auraLt mal au
I;œur. Elleupporte d'être secouée par les autobus,
par le métro, par un vulgaire taxi j mais mollement
balancée dans U1W trente chevaux bien suspendue,
clle prend le mal de mer.
- Drôle de nature 1
petite mère? ùes goûts, des
- Que vOlez-ou~,
.:ouleur et des infirmités on ne discute pas. Je vais
la prévenir tout de suite que nous sortons une heure
plus tM que je ne pcnsais.
Jacqueline quitta le petit salon du rez.-de-chaussée
1'1 monta dans ses appartements particuliers; avant
d'y arriver, elle frappa à la porte de son institutrice.
- Je viens tout de suite, cria une voix rauque et
précipitée.
Un double tour de clef fit grinl.er la serrure, cl
dan~
l'entre-bilillcment de la porte,le visage de mis~
'l'oppy apparut, tout rouge, avec des yeux arrondis
<l'i nquiétude. La Vlle de son él'·ve la rassura aussitôt.
- Bon, c'est vou~.
Je craignais cette insolente ùe
.Il'nny qui sc moque toujours de moi...
- Jenny est pourtant bien aise aussi lorsque
Louisa lui découvre l'avenir: cl aUJourd'hui, vendredi
lrdze, elle demandera comme les autres, dit d'une
voix sentencieuse une vieille négre~s
accroupie
dcvanl un Jeu de cartes étalé l'ur le parquet - uniquc
cause du grand émui ressenti l'in~ta
d'auparavant
par l'honnête Anglaise.
Cette Louisa, sœur de lait Je la grand'Inl're de
.Jacqueline, remplissait c.hez les Beaurand l'of/1er de
i'f'mmt.: de charge. Investie de la haute surveillance
le p~rsoncl.'
elle. n'aurait pas manq lié de
de t~u
s'atllrer la hame et la JalrHlslC de!i autre!> domc!';!iqucs
~ans
1<.: prestige de sa puissance (I.cculte. On etait
L'n!1vaincu qU'clle avait le pouroir dl' lire i'ayenir, ct
de jeter des sorts, t.:t"ll la traitai! en consl'lJlI 'nec.
�L'A11OU1{ ATTENl) ...
12
- Mi~s
Toppy, je voulais yous prier Je Vuu apvrêter le plus tOt possible. Il faut que j'aille chez ma
tante Coralie. Et maintenant, je vous laisse il yo:-,
mystères, dit Jacqueline avec un regard de bienveillante ~aîté
sur le grand jeu déployé par terre en
éventail.
- Oh 1 nous avons fini. Et d'ailleurs je n'ai pas de
secrets, af(]rma miss Toppy en baissant pudiquement
ses paupières fripées.
La jeune fille se retira néanmoins, laissant en tête
à tête l'Anglaise et la négresse, qui précipita ses
prophéties.
- Voilà encore le monsieur haut placé ... C'est un
monsieur riche, comme qui dirait un gros proi~
taire. Il est de tout cœur pour vous.
:\1iss Toppy se cambra. Sous un visage sillonné
comme une carte de géographie, elle avait une taille
svelte et ronde qui était l'orgueil de son existence et
h.: dé~espoir
de sa couturière.:.
- fi fait une route il votre pensée, poursuivait la
vieille négresse. A la nuit, une lettre ... Je l'ois des
hommes d'affaires réunis au sujet d'une question qui
YOUS concerne. Vous aurez des démarches, beaucoup
de démarches ...
Louisa h~
ita, réf1échit, toucha plusieurs cartes,
pUIS son doigt, dont la chair noire semblait
dévorer l'ongle pale, sc posa sur un neuf de cœur
f1anqué de deux trè!1e.:s.
- Finalement, vous avez le triomphe, et une grosst.:
somme d'argt.:nl.
Miss 'l'oppy ne broncha point. ElIe ne manquait
ni du n~csairt:
ni du supcrflu; la somme d'argent
la laissait indilférent!". Alais son œil roux lança \ln
éclair quand Louisa rt.:prit le lîlon du monsieur haut
plac~.
aurez sous peu dt.:s nouvdles du propriévous serez sem.: qu'il v lUS porte beaucoup
d'int~rC,
car il vous fera une proposition tres avanlage~
... une pruposition 10ut à fait bonne, comme
qui dirait. ..
.\ll:;s 'l'oppy ~coutni,
palpitante. La noire prophé~es
pourtant nt.: risqua point J,: mot de mariage;
die craignait sans doute de compromettre son cr~ùit.
Elle conclut Je ~lIn
aCcent dou~
ct mou ql1i esc;l1l1l1titit Jt)~
r et rai~flt
dll ,'u'lIr 1111 ClI'II()//.
- Je V()I~
\111 gralld .;h:l\gè1'~
de slluaU"ll lrt:s
-
VOliS
taire. I~l
�L'AMOUR ATtEN D ...
favorable ... ct vous serez tout à fait heureus e du ..:610
du cœur.
Miss l'oppy sentit le feu monter à son \'isage, Cl
elle balbutia , pour cacher sa joie: .
- Les afi'aires de sentime nt ne me préoccu pent
point, Louisa. Je désirais seulem ent savoir quand je
pourrai espérer un voyage en Anglule rre.
. La négress e se pencha de nouveau sur les cartes,
les palpa, les renifla, les coupa, en fit quatre paquets ,
les retourn a une à une. Enfin, elle poussa un profond
sO\1pir.
:',:1ntSr
1:- :e~C'
-1';":)::1 , :'\ n, ?<lS de '-oTa;e ~o
:1;:.
:UI tout pas par mer. Espérez pas partIr su; ia
ht-elle avec l'air de co '1doléance d'une brave sorcièl l
mécont enter sa clientèl e aue
qui aime encore mieu~
de la duper.
Il
Mme Revel, que Jacquel ine appelai t "ma tante ,.
par déféren ce pour la mode de Bretagn e et la maturité autorita ire et protect rlcc ,de la vieille personn e,
était la cousine germain e de ;\1. Beaura nd.
Restée veuve à quarant e ans avec de très modest es
ressour ces, elle était n':anmo ins venue s'établi r à
Paris, pour pousse r les études de son fils unique,
dont elle ne voulait pas sc séparer . Elle avait choisi
dans le quartie r de Passy, qui alors étaÜ presque la
provinc e, une rue étroite ct atrocem ent pavée, la plus
provinc iale des rues, défendu e par une forte pente
et une ficxuosité serpent ine contre toutes les lîgnes
d'omni hus qui auraien t pu s'y hasarde r éventue llement, et, dans cette rue Raynou ard, une vieille maioù on ne lui accorda l'eau et le gaz qu'au momen t
~on
où elle renouve la son premie r bail de neuf ans.
Dans une si antique demeur e, Mme Revel avait
aisémen t transpo rlt: et gardé toutes les habitud e. dc
Thouar s-sur-S aOne,' sa ville natale, où il n'y avait
pa'! de théâtre et où l'uniqu e établiss ement de bains
chaudiè res que deux foi par semain e.
n'allum ait se~
Elle exigeait que sa bonne. qu'elle appelai t sa 4l servante ", portât un bonnet et nt la lessive dans sa
de la maison
cuisine . Une terrasse , situ(:e à l'arn~c
ct d'oll l'on découv rait un magnifi que panoram a sur
�L'AMOUR ATTEND .. ,
la Seine, ne lui sembla établie ainsi en plein soleil
le linge au bon air, " C'est une
'Iut! pour faire s~-.:her
d~s
grandes -.:nmmoditl:s di: l'appartement, • disait
pour rien au
l\lme Revel, llui n'aurait démna~
monde, et qui, 1 lut6t qu~
d'abandonner ce logis de
l'ancien temps, avait ~ntrepis
« à ses frais ~
des
rêparations considérables, pOLir installer son tils
dans un cabinet de con~lItai()
digne de lui,
Il avail fallu abattre la cloisoll <lUi formait akù\'t.:
dans la plus grande chamhr'e, cl I)ercer unI.! pOl'le
donnant dIrectement sur li.! sailln, Pendant toute
ulle semaine, les ma\(ons, l'ar..:ils à des diables
enfarinês, avai..:nt mis la maison à -;ac; la bonne les
regardait, la bouch..: ouverll: d le Il!.!?' fruncé, renoll~ant
à toucher un halai tant qu'il' s~raienl
là, lis
partirent enfin, après lju'nn eut mangé, pendant
huit lungs jour, f.llus de platre qU\! d!.! pain, Une
autre plaie sun'int : les peintres et I..:s colleurs, Puis
ce fUI le tour des plomhiers, qui souff1èrent dans
tnu, les coins de murs des flammes mé!phitiqu..:s,
et enfin les tapisApri:s eu\ arrivèrent les rUl1i~t.!s,
siers, Mme I{evel UJl eut unl' crise h';patiquc, ct rata
pour la pro.:miere (ois d..: ~a
VIC ~a
provision ùt:
conHture~,
Quand elle évoquait ccltc péril)Je de son
exish:nce, elh: devenait lyrique: c'.;tait son annêe
terriblo.:,
Cette désolation s'expliquait, son fil' ne lui ayant
donné que des )oi .~,
ct sa prudente ~agesc
la
Il1cltanl à l'abri dl'S ennuis de bonn!.!, Sans doutc ~a
dOl1e~tu',
eXl'l'diée pour clio.: de ï'houars-surSnÎ111e, avait rait !.!nvic aux aulre~
localaires dc la
maIson, qui, J'un ho ut (1..: l'année il 1',\lItre, vpyaicnl
sa lessive Ilott!.:r au soleil cl il la hise comme le
drapeau blan<: d'ulle pt.:rpd.uello: manifestation anllrévolutionnaire; el la vieille rentière, qui occupait
le pn':Jl1Il!r '::lagt:, avail r,"ussÎ à accapurer Uf1l
certaine .J(lsd~
'dont I\lmc ltl!vel vl!\1ait de terminer
le dresa~;
l11an; cc rapt ah()lItit ù unL' catastrophe:
soustraite à la fàml! dll'ectlllr1 dt.: sa pretni~f'c
'::ducatnce, .Jostltte sc gat;l rapidement, el avec un..:
efTronlene scandall'll'l.' quitta la n:lJtière en 1111
emportant sa bague dl.' lian\(ailles ct set; meillellre ...
chemisee;,
Quant à Mme Rcvd, die avait bravement IIppurtl
l'épreuve; bien entendu, elle ne s'6tail pus aVI'lIllllé,'
dan, les bureaux de placcmL'nt pari,iC:l1s - où cil •
..tait cOTlvaincu,' qll'on lié' rl'I1CIll1trilil 'llll' cie- (l:lIl
�L',\ '.IOUR },TTElfJ) ...
"'.Jpach~
'Illt:h, dlJ bOIl C(J~lp
il t"air~.
l!:lk aVall
L:cnt au curé de " cbe/. elle" en lui
demandant quelqu'un de cnnf1ance; el peu de jours
après, elle était all';e cueillir il la gare de Lyon unc
lilk rouge d robu:-.te Ljui avait le même accent et le
1lll:Jl1\! b"nnel quI.: l'auII"!, ct qui c'I'<)"a au, rt;gad~
en\ ieux du \",)i si nage un li llf.'l" d'aussi c,'lutante
candeur.
- Bonjour, ,\ lariellL: . Est ce que ma tant.: rc:çoit ?
demanda ,Ju<':l.[uclll1e à celle brave tille, qui lui
ouvrit la pork avec un tablLer blanc ~ans
leBlon s
gardant encore tou" Il'~
plis du repa~s,
La question etait sUI'erflue: Mme Revel reee\'aii
tous les vendredis de l'année, ~auf
pendant les mOLS
d'aoüt et de septembre qu'elle appelait t()ujor~
" les Yacanee'- ~ L:n "nll\'enlr du temps où "nO fils
allait au Ivcec,
.Iacell1eline lit une entr':t: ~elsati"n1
dans le
salol1, Ill! c:inq visiteuses l!tait:nt Jéjà installées sur
des t'autt'uils _lue Mme HC\"l!1 rallgcait Cil un cercle
le l'lus \'astl' possible, l'our 111OJ1tre!' qU'oLl nc
manquait pa~
de 1,lac(!, qU'1I1l attendait beaucoup
de monde, cl uus. l dan~
le IlUI d'l'viter les a\ artés
et de Ilt.:rmetu'c à la maltresgL: de la maison de
Jirigcr commodémelll Ulle ci1n\'(!r~alo
g0ncrale,
Parmi le« cinq dame s, qllatre ,"taient dL' hahituée,,;
U11t: ,cuiL:, 1<1 It:mllli.: du percepteur .le' Thouars-surSaémc, 'C Ir,)IlValt dc paso.,uge a Paris, Ill! clic venait
l'our la l'n:mi,"re l'OIS
Elle fui narticllli':rLlnent 0hl"uiû I"u'l'élq-\ancc de
celll' ni~ce
inattentillc, (iont lè laillcur 'n t.llldus
tlrqu()i~I'
d'::collL:erta tout, ~ SC~
n"tl(~
sur la
toilette d'ul'rt..s midi. 1,<[ jupe fcndul' qui JéL:ouvrc
lc~
cllt:\'t1ks, ça ~t:
l'lll'tait donc adj 'Ilrs qu'au
thén\I'I.;? Ll' ( l ' l i 11\1 1'<ll'é d'lJI1. sImple- collier de
perles, l'tnit-il I\()SSlhle qut: Cl' rut" I",n !.;t;nre " cn
pl 'i n jour Sans (ilLnpler lju\'lll' iI\,lIt marchand!"'
d's aigrettes il matin mêml', el llu\:lle '11 décou\Tait au moins pour t{"lIis t:cnts franc . sur ce lout
pctit ch;\peUll d'une ~imJ1lct,
SI gamlllc.
- Bltnjollr, ma ch':'rie, Quel hnn vent l'am,' ne u
Illon jour de réceptio\1;' s'étonnait tante Coralie,
dësi:eu e J~,
donner ~ (1L:oscr, Il ces d,~':le
s quc :,u
g,racLcllse nlecc \"eI1<111 la VI1Lr de prclércnct: le~
<Lutrc ' jours dl: la semaine afin de jouir davantaue
.le SOli iJltimil'::,
'
,la.:qllclil1ll fit 1111 joli ,,1111 l.:orrl't'1 I!t indiHerunl
l'n
~jlpC1
�L'AMOUR ATTEND ...
aux dam p.s à qui on la presentait P.t qu'elle comptait
bien ne jamais revoir. PUI S elle S' JO 'J talla avec dCSJJ1volture dan s un fauteuil où elle <.e crol~a
les jambes ,
sans égard pour le~
res pectablt:s personnes qui
l'entouraient et qui, elles, lais5aient ùormir côte à
cOte leurs deux genoux ouatés d'amples jupons.
Jacqueline, donnant clone toute licence à ces dames
d'admirer la finesse de se$ chevilles gainé".s de
soie, s'acquitta de la commission de sa bc1h;-mL:I\:
avec un aplomb plein de grace.
Mme Revel, en accueillant l'invitation, eut un rire
extasié.
- Un dlner sans façon 1 On connalt ks dlners
sans façon 1 de chez vous 1 François vienùra en
habit. Mais tu préviendras ta mi:re que je ne
pourrai pas me décolleter: j'ai mon rhumati sm e à
l'Gpaule qui recommence à faire dl.!s s iennes.
Mml.! Revel ne se faisait faire que des corsages
montant jusqu'aux oreilles; pourtant elle n'acceptait
jamais de venir cliner chez s on riche cousin sans
annoncer qu'elle ne pourrait pas, par extraordinaire,
mettre ce jour-là sa robe décolletée.
Jacquelme accueillit sans sourire l'excu se habituelle, affirma d'un ton léger que ça n'avait aucune
importance, et voulut sc lever pour partir.
- Tu n'y penses pas 1 Tu vas prendre le thl: avec
nous. 11)
- Je vous remercie, ma tante; j'ai dl:jà 1-!oûtt:.
- Ta, ta, ta. Tu es à l'àge oll on goûte deux fl)is
sans inconvénient. En tout cas , tu voudras bien
m'aider à servir ce . dames, ct me donnèr un instant
l'illusion que j'ai une fille.
- Ne vous plaignez pas 1 Vous avez un fils: c'est
bien plus agréable, déclara sans fausse honte la
grosse Mme Bourdonneau, qui, opulente de fùrme~
seulement, souffrait tl'~re
la mère trop bien nourrie
de trois Jemoiselles mùrl.!S d maigre~.
- Et un flls comme on CIl voit peu 1 renchl:rit la
vieille Mme Blanchet, dont François depuis dix-huit
mois apprivoisait patiemment la gastrite chronique,
ct qui pour cela lui vouait lin culte attendri.
C~pendat
Mme Revel avait sonné trois COUP!), CI
Manette, bIen dress(:c, ne tarcla pas à appUl'aHrc
avec l~ th.éièr~
Jacqueline se pr(;ta complaisamment
à lu dlstnbutlOn des tasses d'cau li "de dont elle ne
voulait point sa part; dcrri..:re clle, sa tante, arml:e
l' une pince à sucre fl~L1rant
les serres d'un lion
�L'A"-'IOIJR ATTEND ...
blka,ldjqiJE', fI,.1.Q.i,tionnait
l'ill.ltH' :
.
<: ~
dam.>') 1'1l-l1,
après
- Combien de morceau:>., ma toute bfllUle ? .
Deux pour toi, n'est-cc pas ? .. Et vous, chèn;
madame?
Mme Bourdonneau prcnait le thé sans sucre à
cause de son régime. La femme du percepteur
n'accepta qu'une demi-tasse avec beaucoup de luit:
elle redoutait l'insomnie.
_ On dort si mal à Paris, déplora-t-elle avec u 1)
soupir fiévreux.
.
On lui reprocha de se surmener, et ellt: reconnut
qU'elle avait visité dans sa journée en sus des égouts
et Ju Panthéon, quatre grands magasins. Mme Revel
sc vanta, sur un ton de dignité modeste, de n'aller
qu'au BOil 1I1arché.
_ C'est toujours Je là que ma mère faisait venir
~es
commandes, et je suis trè, traditionaliste, ditelle avec un sourire de femme forte qui ne perd
aucune occasion d'affirmer ses principe'.
Jacqueline fut tout heureuse de quitter la solennité
paléontologique de ce salon, et de rejoindre miss
Topry, qUI l'attendait dans le jardin situé derrière
la maison et auquel on accédait en passant par la
cour de la concierge. C'était, bien plutôt qu'un
jardin, un coin de véritable parc aux arbres robustes
et feuillus; le vent d'automne y avait ~emé
sur
l'épais gazon les premières feuilles jaunies, et il y
nottait une mélancolique douceur à cette heure
crépusculaire.
Miss 'fopry avait lu son mag~ine
anglais sans
s'apercevoIr du charme de l'ambiance; mais Jacqueline le remarqua tout de suite, el f,lratifia cette oasis
d'un sourire enivré.
- Si j'étais ù la place de ma tante, dit-clle, c'est
ici 'lUt; je r~cevalS
mes' visites, au licu de les
enfermer dans unc vit:ille bolte qui sent le poivre t;t
la naphtalint;.
-- C'cst vrai qu'on était confortablement ici pour
lire, renchérit miss Topry. Pourquoi jlt;rSl)nnc du
tout n'en .pro~le·
Tous les locataires ont la jouissance clu Jardll1, n'est-ce pas .~
Jt,eguclioe sourit.
- C'c5t sans doute pour celte raison qu'aucun
d'eux n'y vient: ils ont peur de sc rencontrer les
uns les autres. Cc sont dt: Ct's 1'7('ns qui ne se
montrent qu'en grande toilette, et qui su cachent
�I~
T.',\\I01.I R ATTEND ...
pou mall!;;!!1 C'Jnl~
,,1 ,"doit cOJ1lnlCl1 r c Ul1 criln, ,
J'al demandé une foi~
à ma tante si elle ne UJnalt
jamais ici l'été; elle a été ahurie par l'inconvenance
d'une telle question. ,( Tu n'v pens"'s pas, ma chl'r!.! :
t"~l
k monde nous verrait ,'.)
Comme ellr':s quittaient la maison, les visiteuses
croisèrent un grand jeulle homme d'allure sc!vi!rc:
qui avait Ull feutre noir enfoncé sur les yeux ct
portait sous le bras une énl)rmc servieltc de cuir,
- Tiens, mal/re li'rançoi" Quelle heureuse l',,ncontre! s'exclama galmcnt la jeune IîUl!.
L'interpellé salua, c!'::cou\ran1 un front éleve aux
tempes larges, où des sourcils drus traçaient une
ligne dure, preSlluc droite. L.:s yeu. pensifs, indi/Tér6nts au spectacle dll monde extérieur, regardaient
en dedans, et sous la mllustachc: en Drosse la
bouche hautaine demeurai1 :érieust!, tandis qu'il
répondait d'un air distrait:
- Bonjour, Jacqueline. Tu viens de chez ma
mère, sans doute .~
- Sans doute aucun. Tu peux penser hardiment
que je n'ai pa~
été entamer de~
relations avec. la
demoiselle d'en des~lI
» ou ,Ivec " la dame 'd'en
de~sou
".
,.
Il se décida à sourire, mais cc rut de façon
railleuse:
- Pourquoi pas -~ Ces estimabll.:s personnes te
donneraient l'eut-être d' judicieux conseil '.
- A. qUt'1 ,"ujet"r demanda-t-elle. Et, se campant
en une altitude agre si\e, elle rejeta la têtu eo arrière
c.t r()~a
en oyant ~(l
IHUI l'ied cambré dans un soulier mordo!''::, dont lIne I"urde houcle de Sl'a~s
Cl
d'ar~cnt
rai ail 1 nrailrL enLclI'e rllls délicate la
{inesse ellfantine. •
AI()r~
sculeml.:nt il rt:rnarqlHl It.: laillcur dt: taffetas
hl"u, le can"tier paré d'une fière aigrette, le collier
de p(;)'le" qui lui::.ait si dOl\f,:emc.:111 ~ur
la matité pail:
du cou, ct il reLonnul aVeC condescendance:
- Pas au sujet de la toilette, assurément. MaIS tI
n'y a paH que cela dans !'cxi:;tence.
- ~lon
Llier, dans l'cxi~ten:
il ya lOut ce qu'on
veut blell y mellre. Dans la tiennl!. tu mt:ts te, '::tlIdl!'
et Il:, nwiadt:. ; dans la mienne, je met pcl~-mè'
l(Jue~,
le~
,'h'1SC!:o agré~blcs
qUt! je rt:nconlrl.
- bl quancl lit rencontres dt:1' ch(J~es
dcsagréables Ï'
le plus vite rMsihle. ou bien je m'el'..
- Je pas~t:
�L'AMOUR ATTEND ...
1
force de leur découvrir un c6té séduisant. Vois-tu,
dans la vie c'est comm" dans un salon: tout y dépend
de l'éclairage. Sous une certaine lumi1::re, toutes les
toilettes sont fralches, toutes les femmes jolies;
changez la nuance de l'abat-jour, et vous avez la sensation d'une houtitlue de fripier, d'une ronde
macabre. Moi, je ~Uls
décidée à me choisir pour
Tl1eS jours d" brume ou de soleil un joli riueau de
vitrage, et à voir li! "je en beau, en rose ...
Eire s'animait en parlant, grisée par sa propre éloquence, un peu surprise qu'il l'écoutàt sans l'interrompre, et satisfaite aUSSJ <.le sentir qu'elle l'étonnait. Peut-être se disait-il à part lui: « Elle a donc
des idées, elle sait donc ce qu'elle pense et ce qU'ell"
\'eut, ma f!-llle cousine [ » Mais il ne parut sous le
charme qu'un court instant, ct réagit aussitôt, d'un
Ion brusque ct maussade.
- C'est facile dans ta situation, remarqua-t-il. .Je.:
voud r ais voir ce que lu ferais à la place d'une jeune.:
fille que je soigne en cc moment, el qui est fi la veille
de perdre SOI) gagne-pain, une pauvre pluc? dont
elle vit a 'ec sa mère et deux trères plus Jeunes
qu'elle.
- Oh 1 0st-ce que je ne pourrais pas l'aider?
S'écria Jacljueline dans un grand élan spontané où
elle abandonna sans regret 'le ni subtil de sa philosr,phie raisonneuse.
~
- Non, ma ch1:re, tu ne pOl1rai~
pas. Les vf<lis
p.auvrc!> sont lier .. Et c\:st pourquoi la vic es.t difficile ct triste, qUlli qu'en pensent c0rtallles J011lles
personnes tr(;s ...
II faillit ajouter: " égofstes " mais apr1:s unr hé~i
tatioll d'une seconde,' il dit seulement: • pri"jl~
l!iées ». Alors, heureux de l'avoir remise à sa place,
de lui avoir fait la leçon, il conclut:
- AllonH, il me semble que nous avons assez
l110ralisé pour aujourd'llui, et suri out sur le pas d'une
pnrte. Au revoir, .Jacqu0 Iinc.
main où s'englnutitla pelite
Il lui telldit Ud' la~e
l11ain menu", gantée ue suede paille.
- Au revoir, répondit-ellc, il mardi 1
- A mardi 't répéta-t-il d'un accent intcrrouatrllr.
- Oui, tu umes Ch0Z nous mardi avec ta m~rt.
Une ombre i!1lJl··rceptihle J1a'~
sur le vi~HlL'
froid
du jeune médecill; 01 'un!> d'''lIe il s'en rendit
compte, cal il Se força tCHJ1 de 'llile :i un sOllrin:
aimahle.
�L'A:\!OUR ATTEND ...
:'HI
-
.J'y souscris a\ec plaisir.
il avait lich~
la main de sa cOllsinlt, et il s'inc1inali cérémonieusement devant miss Toppy, qui le
rt::gardait sans bienveillallce, et lui accorda son plu.
glacial salut: un brusque ploiement de la nuque
aussitôt redressée comme par un ressort à boudin.
- M. Revel est bien po~eur,
remarqua-t-ellc apri.:s
avoir gravi toute la rue Raynouard dans un silence
méditatif.
.: acq<'le\ine aV(\"llR avec simpl:cité:
.
- J\ls1cment j'èta1s en ~"'Jn
de penser à lu'. e~ à
30n genre d'or~ueil.
Je CD1S g\1'il s~it
çe qu'il ·"cn:,
et il ne s'en cache point. Maiii ou ·r(;uvez-v u~ 1;'> d"
la pose?
- Il envie la richesse, et il affec:e de la mG priser,
déclara miss Toppy avec une vIolence contenue .
'
.T'en suis süre.
Uu regard stlr~fai
de Jac.:queline fut 1.1 seule
réponse à cette pGremptoire affirmation.
- J'en suis sûre, répéta l'Anglaise. Il envie la
richesse. Tous les hommes sont pareils: ils ont des
préoccupations de fortuhe ou d'amour. Votre cousin
n'a pas de préoccupations d'amour.
- Qu'en savez-vous '?
- Oh! si, jl.! sai~,
nous autres femmes, nOll 5entons ça très bien.
Jacqueline ne n!pliqua rien. Elle se contenta d'examiner miss Toppy avec une clairvoyance apitoyée.
C'était vrai, en somme : miss Toppy était une
femme! Et clle avait raison dt.: le rappeler, pour
qu'on ne l'oubliüt pa~
en considGrant sa tournure
efflanquée, son visage osseux, st.:s dents jaunes sur
lesquelles sa bouc.:he ne sc fermait jamais lout à fait.
« Tout de méme, songea JacquelIne, (;ela me St.:rail
bien difficile de passer rapidement sur les l.aideurs
de la viù si j'avais cette peau wise ct pliss6e de
Vieille tortue expulsée de sa carapace; et commenl
pourrais-je voir tout en beau à travers de si vilainfi
yeux'f "
D'ordinaire, elle détaillait moins cruellement Je
physique de son inshtulrice, mais elle lui cn voulait
à cette heure du jugement Sévère porté sur François
Revel.
D~ià
,
�'AMOU1Z ATTEND ...
21
ll1
Jacqueline lisait, étendue sur le divan oril!ntal d.:
l'atelier qui était son domaine personnel; une vaste
pièce rectangulaire dont le vitrage. converti en verrière, donnaIt une chaude h1mll!re polychrome et
tamisée. Des tapisseries flamandes du xv· siècle
finissant en couvraient les murs; des lampes gothiques pendaient des solives au-dessus de quatre stalues cie saints, demi-nature, en bois peint et doré,
qui en décoraient les angles.
C'étaient l'athlète saint Christophe portant un
Jésus crànement détaché au ciseau ef à la gouge, et
lI'li tendait pourtant les bras avec une douceur
di.vine; la sa1l1te VIerge en robe bleue serrée à la
1aille par un grand chapelet de perles; saint Pierre
t cnant les trois énormes clefs d'or du Paradis, et
aussi saint Jean avec son agneau frisé. Et tm )
quatre semblaient poser un regard indulgent sur la
)(J~i
fille gaie et capricieuse qui se plaisait tant ail
mIlieu d'eux.
- Tu ne les aimeras pas huit jours, s'était écri6
son père quand elle les lui avait fait acquérir à prix
J'or à l'Hôtel des Ventes.
Mais plusieurs saisons s'étaient écoulées, et JacqUeline, qui renouvelait .sans. cesse s~
bibe.I0ts et
Ses meubles, ne Se lassait pOll1t des Vleux sa1l1ts de
bois enluminés de couleurs franches et qui souriaient plus doucement de retrouver ici la bonne
lumière de vitrail de leurs anciennes chapelles.
Jacqueline lisait des vers tout haut. C'était une
lie ses n:créations favorites, lorsqu'elle se reposait
sur le divan large el souple qui occupait tout un pan
de mur de l'atelier. Un coussin de soie écarlate sur ..
portait sa jolie tète hrune; elle était habil16e d'unt"
lunique de f1anelle blanche brodée de galons d'argent, el coifT':e à la grecque avec un joh chlgnon on
pointe dont les boucles folles frisaient sur sa nuque.
A ses pieds, l'èpagncul faisait la sieste, mêlant ses
longs poils roux à ceux de l'ours polaire dont la
d~pule
ne découvra!t qu'un coi~
d? somptueux
lIl\'an, drapé d'une féenque robe chll1Olse.
�eA~üOUR
ATTEND ...
J{ip grogna tout à coup puur annuncer unc visile
insolite, cl Mme Beaurand apparut, chapeautée et,
gantée, en Glégante tenue d'aprè!s-midi.
- Comment, vous sortez, maman?
- Mais oui; ie viens de recevoir un mol d'Anita:
die a remis son voyage, et me donne rewez-vous à
quatre heures. Mais ça m'ennuie vraiment de sortir:
j'ai comme un pressentiment que rien ne marchera
ce soir.
- Quelle idée 1 fit Jacqueline avec un sourire
optimiste:Moi, je suis stre quc tout sera très ré\l~i.
- Peut-être, si tu es a~sez
gentille pour t'en mi::1er. Par suite d'un malentendu, on a commandé ks
suprêmes de [oie aras chez Verchoux, en même
temps que la trl!ite.'Tu sais que le foie gras Je Verchoux ne "aut nen.
- Bah 1 quand on en cst au roic gras, perS0I111L'
n'a plus faim.
- C'est cc qui te trompe: too père, par l'.-emple,
se réso.)rve ton jours pour le foie gras, ct Anita au',si
.- Mai!"> lady Taylor ne vient pas dlner cC snir r
- ,\\nn Dieu, peut-être que si. J'ai bien elHic J,.
la ramener si elle est lihre. Nous serons qUinze au
lieu d,~ quatorze. Ça ne gêne personne; d'autant que
nous avons des messieurs en o.)XCl,s.
- Est-ce quo.) vous aVt:ï, prévenu .roc;eph ?
- Non; ie n'ai pas pu le voir: il était parti tout
dl: suite après Je déjl'uner. .J'ai hien rait le~
recommandations à .Ienn " mais tu sai" comme l'Ile esl
fnllt,. C'c~t
pourquoi il: d~ire'
Ille tu t'en mêles.
I~- l'lique à Josei h l\Il'il mette quatorze cOllveris, ct
l'rl·voit: un COl1vi\" de plus. Quant aux places, Je'
m'en rapporle à toi: rais un second pla:1 de dinr·r.
comprenant Anita; si die vient, on n'aura que les
cartcs ft déplacer.
- Eh bien 1 c'est entendu, maman ...
- A tl rl'voi r, ma chérie.
Mme Beaurand baisa sa belle-fille au rrlJnl cl nt
lIoe fausse sortie.
- Ah 1 Jacqueline, j'ouhliais l. .. Parle aussi il
Joseph au suit.!! de la gla~':
1;1 li 'lîll;:re [(Ii, clle
<lt<1it vraimen~
trop froide: pen;I)(llle n'cm a rt.:pris.
Cc 'lue je veux, c't.; t uil parfait avec beaucoup de
l'ruit:;. Qu'i1téléphont! tout dt. ;;uitc au glncicr, s'il a
1J~d
donné la commande.
.
- Soyez tranquille, maman, j'y penserai, U Sllr:1
Jacqueline d'Ulle v"i aimable t't di tl'aite, taldi~
�T:i\"IOUR ATTE.'D ...
qU'l)l1e r"I('Urnilil ,l,;jà "II ""11H11" 01.' Il'r ' '111'.'1f.venait de quitter.
Il y eut une nou vetle fausse snrt ie dt: M111t: .lkaul'and:
- Oh 1 ma chérie, tu vas sans doute être contran~e
... Puu!' Je surtout Lle la tahle, (In a apporté dt:s
œillets et des roses ...
A ce coup, Jacqueline bondil.
- Comment 1 Vous savic'l. bien que Pierre Villey
dlne ce soir ici, et qu'il sera. furieux s'il n'a pas ses
orchidées habituelles! J'avais donné des ordres à
L?uisa unI.! fois pou r toutes, ct elle sait que Pierre
Villey sera 1<1.
- Que veux-tu? Je te l'ai bien dit, que rien ne
marcherait cc soir! Enfin, s'il n'y a que les fleurs,
ça n'a pas une grande importance .. ,
- Pas une grande importance pour vous, ni J?our
mO.i, ni pour h;s autres convives; mais p~ur
Villey,
qUI n'cst pas seulement un grand artIste, mal~
encore Ull grand maniaque, qui a une maladie d,<!slomue et à qui un rien fait perdre l'appétit, ça a
~Ine
importance col0'\9ale 1 D'où que vienne l'erreur,
11 faut que je la répare Cl qu'on se procure des
orchidée~.
.
- Occupe-t' 'n : je ne demande pas mieux,
Et Mmu Beaurand, satisfaite de voir enfin sa
belle-fille émue Cl prête à l'aclion, sortit pour d~
bon cette fois.
Jacqueline ne tarda pas à la suivre. A voc un groi:i
SOupir, elle rllferma "(ln livre, ahandonna son divan,
prom<.:na un r..:gard de regret sur le ducor charmant
de son studio, ct allongea une tape sur la tète
aSsoupie du bon Rip.
- Allons, mon vieux, c'est fini, la flemme. Suivez-moi. Du graves re::;ponsabil ités nous incombent.
Flanqllée de l'épagneul qui marchait dans SOR
granJs poils d'un pas nonchalant de dame habillée
d'Ilnu robe trol~
longue, ulle de!>cendit à la sulle il
111angl'r, oil cl e tJ'tJllva sur la desserte, disposées
lIao8 deux va e< cie Dclahcrche, It:s gerbos du roses
et d'u_,iJluts li 'stinécs à la décoration de la table,
Une m()u,~
d'impatiL.n((! gontla sa bouche ml~1I0ne,
dont le, uurirt:, depuÎ5 un instant, ~omblai
banni your jUnluis .
. , -- QLle C\:ijt donc difficile dt: i:ie faire servir 1
1...
l "ulollrs rupétl!r le ., mèmes chose~
El ';'apl'l'Ochnnt dll timhre é!t.: 'tril/Il', son dr)ij.(t
�L'Al'vlOU R ATTEND ...
pressa quatre fois 1<: bouton d'ivoire pour :J.ppeler
LCluisa. La négresse au bout d'Wl instant se pr ~
scnta, et son visage de vieux ch~ne
ciré resplendit
il J(I vue de Jacqu Jine.
- Petite malres~
m'a sonnée?
- Oui, Louisa. Je suis fort mécontente. Vous
savez bien que M. Villey dlne ici ce soir, et qu'il. ne
peut souffrir que les orchidées. Que voulez~s
que je fasse de ça .?
Et tout en parlant, elle montrait d'un doigt dédaigneux les superbes œillets aux J)étales si chaudement colorés et d'une si d01icate entelure.
- Ça, les plus beaux œillets de Valentin 1 On me
lt::s a donnés par gràce, moitié moins cher qu'on ne
les vend aux clients de passage ...
.Jacqueline se mit à rire.
- N'ayez crainte, ils ne sont pas perdus, Louisa,
ni lt.!s roses non plus: je leur trouverai une place.
Vous savez bien que je n'ai jamais trop de lieurs.
Seulement, allez vile me chercher des orchidées et
si Valentin n'en a pas aujourd'hui, voyez ailleurs!
La négresse fronça le sourcil d'un air préoccupé.
- Je vous en prie, Loui 'a, dépêchez-vous. C'est
indispensable et pressé. Je tiens à ce qu'on arrange
les OeUfS de bonne heure, avant que Joseph ait
inauguré son rl!f!nc dans la salle à manger.
La nG~res
SIlencieuse nt! bougeait pas.
- Qù'est-ce qui vous prend, f~ouisa?
Avez-vous
des objections il fai re .~
Louisa resta muette, mais son menton s'ahaissa
pour un grand « oui" éneq.dque.
- Quoi donc:
La nGl-:resse alors parla d'une v(Ji~
entrecoupée et
héc;itantc :
- Monsieur m'a donné des ordres. J'ai dépensé
trel1k-trois Cranes pour les fleurs . .Te ne devaiS pas
dépass\!r deux luuis, 'OltS aueun prétexte .
.Jacqueline n'en croyait pas ses orciJle~.
Elfe ouvrit de grands yeux ct secoua la tête à la manil're dc
Rip quand on lui présente ùu pain c;ec.
- C'est extraordinaire. Comment 1 ma prodipalill'
"ca.ndli~
papa, à présent 1 D'habitude, maman
étatt seule à me faire des observations de ce genre.
l':n tout cas, je lui expliquerai qu'une fois n'est pas
C(lut~e,
et li ne me rcfmera rten pour son gra~d
ami Villey. Pour le moment, d'ailleurs ... moi, je
m'en charile. Une mllHlt', s'il vou riait.
�/
L'AMOuR ATTEND ...
;!5
.Jacqueline disparut et reparut avec la rapidité de
l'éclair. Sa bourse d'or luisait entre ses doigts
fébr~les
:
- Combien voulez-vous? Cinq louis, dix louis:- Six. Je m'arrannerai.
- Tenez, en voilà ~uit.
Que ce suit trl:S bien. Et
prenez un taxi en bas, car il est déjà tard.
En attendant le retour de la l1éwesse, ,Jacqueline
passa au salon. II était fleuri oe l'avant-veille, et
elle n'cut pas trop de peine à découvrir quelques
Corolles languissantes, qu'elle remplaça par les
roses et les œillets destinés au surtout. Mais durant
~cte
aimabl.e occupation, elle n~ fredonnait pas un
Joyeux refrain comme à son habitude .
. Un nuage obcurci.ssait SOli front candide,. et tout
a coup elle parla tout haut, en frappant du pIed avec
humeur:
- Ah 1 non, monsieur mon pl:re, si vous V()lI~
(l1~tez
à contr6k!' ~es
dépepses, la vic. ne s!!ra. plus
gale du tout! MalS je sais bien ce que JC ~als
Jaire;
le me marierai tout de suite ... tout de sUite ... avec
n'importe qui!
PUIS elle rit elle-même de cette résolution déscspérée:
- Tout de même, je ne serai pas si bête! Je me
Contenterai d'en faire la menace à papa: ça le rendra vile raisonnabll!
IV
Dans le vestibule Pierre Villey dit au valet qui k
débarrassait de SOI{ pardessus;
- J'arrive il l'avance ... Ne prévenez personne ...
Je vais lire Illon journal.
.
en veston, comme touJours. On salait
II ~tai
une fois pour toules qu'il fallait le prendre ainsi ou
~c
passer de lui. Il parlait au domestique d'un air
Confidentiel et sur un ton plein tle cordialité.
Celui-ci répondil trl.:s correctement:
- Mad~muise\)c
c~t
d'::jà au salon.
- Oh 1 m.tis aloI;, C'c'l charmant. .Je bénis
1';I\'cnc: 'lu i '\ int l'rompu Cfl.l prnrnl. nude, s'écria
" 11li.:y.
Et, ("lIJt/llrs expf;1J~i,
il ;\jollta :
�L·A~IOU1\.
ATTEND ...
J'ai envie de mctln' me,o ~ants
l'our Jill f'airt:
une surprise.
Mais il explorait vainement ses poches quanJ (l11
l'introduisit au salon.
Jacqueline, assise devant Je piano, tourmentait Je
clavi'er d'une main nerveuse. Elle sc pr~cita
audevant de lui, avec une Y~ritable
explosion d'enthousiasme.
'
- Bonsoir, Villey. Comme c'est gentil â vous de
venir de bonne heure 1 Figurez-vous que j'ai des
idées noires ...
- Toi, des idées noires? Quelle invraisemblance 1
- C'est trop vrai, pourtant. Vous arrivez à point
pour m'en débarbouiller l'âme.
- Ah 1 mon Dieu, vais-je ~a\,(Jir
m'y prendre? A
qudJe espi.!ce de noir aurai-je a/Taire ?
- Ne vou!> moquez pas. Je vous parle sérieusement, Villey.
- Eh bien, eh bien, et le respect? Je croyais
qu'il était convenu que lU ne m'appellerais plu:>
• Villey', mais bien « mon oncle ".
Jacqueline ~clat
de rin:.
- Oh 1 non, j'aime mieux être gronJ~e,
j'aime
mieux même avoir mauvais genre que de vous
rendre ridicule 1. ..
- En quoi donc ridicule, déplorable enfant? .Je
ne me cache pas du tout d'!'!tre l'ami d'enfance de
ton père, de SIX mois plus âgé que lui, si mes souvenin; sont exact .... Voyons, il e~t
bien de janvier
mil huit cent. ..
- Pas de Jates, Villey, je vous en prie. J'ai horreur des dates: je leur dois toutes It.!s hontes de ma
vie, mes places de dernière en histoire de France,
sans compter ma colle au brevet simple 1
Villey posa ses doi~ts
d'artiste, tics doigts fragiles
ct fuscfGs sur le chignon de Jacqueline, où un cordon de perks ~'entrlaçi
savamment aux boucles
brlln\!s.
- Ma pauvre petite Vie ell Ros!!, a-t-elle assez
pleuré cc jour là 1
- Cc jour-là et mémL le lLlldemain 1 Il a fallu
POU"" me consoler que vouo., ayez l'id;c de Jn'emm.:ncr au théâtre. et à quelle pièce: l'abbt' Constantin 1
TOUll' mun cmotioll a rtt dHI\'ir~t
du C(,UP, et les
li-te!. rt·IJorbaliv(·' des e amin,Hlmrs ont oml>r~
d.llI le néant, il )nrllni ~clipsé
p:lI lu déliel II t:
�L'A~tOUR
,\Tl'.E. D ...
IlgUl'<? <i<: Ct! bnn " i~l:-'
'~lr"
"1\ >;\1 'l'-, f'l d"
011
II1comraranJr n"v 11, 'C héros Idpal de romance à
dt.!ux sous!
- Ab 1 C'est li ue j'a vais bien choisi. Dame 1 je
connais bien le cœur des jeunes filles, moi 1
- Vous n'avez rourlant pas de l111cs ';.
- Non, mais .:ela vient de plus It>in : j'ai eu trois
sœurs pou\' moi tout seul, pou\' moi, unique h.::ri1ier du nom dans la Camille Villey; j'ai joué â la
Poupée jusgu'â l'a~e
de huit ans - et il a fallu que
mon père Int~rvl
pour que ça ne me durât pas
davantage. Mais il m'en t.!st resté quelque chose,
une sorte ùe miévrerie, de mollesse de cœur, un
brin de sentimentalitt:: qui fait que je comprends
l'ame des jt.!unes filles, une ame qui évolue avec
l'age, mais d\mt je pl.!rçois les. uccessives transfo\'~ations.
Ain"i, loi, par exemple, depuis quI.! tu sais
lire, t'ai-je jamais prêté un livre qui ne t'ait pas
1ntérest::e ?
Jacqueline tendit d'un geste soknnel son joli bras
demi-nu dans la C'lurtc rriuncht.! de t\llle pailleté.
-:- .Jamais, je l~ jure, Villt.!y, vous ûtes I.!xtraordinalre. Vous mllntNiez qu'nn cr(:ilt rour vous l'emploi de surintundant de~
couvents ue France el dl!
Navarre, ..:t vous aurit.!z comme uniforme de gala le
Costume de Mme de: Maintenon 1
- Je le porterais avec dignité, petite péronnelle,
L1it Villey en prenant tout à coup une invraisemblahIe voix Lie dUl:Ane hargneu"c ct olfusquée, ct jL
VOus mettrais en pénilt.!nct.! pour vous <ll'prL'ndre LI
l'cnt::rer mes :<acl'I~e
fonctions 1
I~t
conun' l'irrevérl.!ncieuse ni1:ce s'étran~li
Je
rire: à Ct!ttc rJpliqut irnprévtle, Je bon Villey, repreliant sa vnix nutlll',·IIo:, la ramena :lUX gral'itl's dl:
l'heure (11'1:'sel11u :
- Dans toul c~la,
petit\;! malhl'llrellSe, tu ouhlies
LI· Ille racol1h;r qllCl nouvel "cllec, 'luel slImbl'l:
drame li 11IHclirci tl.!S idées aujourd'hui.
JllCqU 'Iine hHussa l<.;s Ilpaules ct une ombre passa
SUr son frai~
\'isage animé par cette crise de l'IIHe
gaH0 .
. -:- Oh 1 Villey, il m'est arrivé une chose si étrange,
Inattendue: cettl.! après-midi, que pendant un
mnnwnt j'ai ét,~
l'l'aiment malh..:ureu'e.
1[cm 1 p<.;nd~t
un moment 1 C'e~t
grave, cela 1
l\1ai~
peul.~trc,
h la;! Fl~U'!:Z
VOllH que pnpu ...
~I
�L'A\[OOR ATTEND ...
1'\011,11 1)11. .. C'e s t b-: I.e, mais je viens ,}.> 111':1pr::rc('\'f)ir
({Wc lP. ne pe ux pas vous le raC0Dte-r J•.•
- Pas p0 5Gibtl.' J MIl.k<l s'il y a des chosr. s que t1l
cache '; , ml)n rtllp de confli:lent dCYÎcnt 11Illeurrc .
\lui qui me croyaIs Ion grand omi, surtout depuis
que j'avais été, sur les instances de ta mère, promu
.\ la dignité d'oncle ...
- Au fait, s'fcria Jacqueline, je ne vous ai pas
L Il core dit pourquoi je vous conseille de renoncer ù
cc nouveau titre. Quand vous l'avez bénévolement
accepté, vous ne vous doutiez pas du danger q li i
vou ' menaçait 1. •.
- Quel danger? Parle. Je tremble déjà des pénis
où mon hérolsme va m'emporter.
- Mon pauvre Villey, sachez que l'autre jour
une dame ...
A ce mot, la narratrice dut encore s'interrompre,
coupée en deux par un fou rire.
- Allons, allons, ma petite, Je vois que te idée s
noires ne t'ont pas fait tomber tes dents ni perdrl:
la souplesse ùu torse.
- Mon pauvre Villey, répéta Jacqudine d'un '
voix entrecoupée par ùt!s fusées de joie incoercibk,
si vous saviez ce quÎvous est arrivé 1... Une dam e
m'a demanclé si vous ... si vous étiez ...
commence vfaimellt Ù m'in- Si j'étais? Parte,
téresser.
- ... Si vous étiez le mari ... IIi, hi, hi 1
- Le mari? Acb\:\'e 1
- Le mari de ma tante Il! Ah 1 Ah 1 .\h!
- De quelle tante? demanda le reintrc, visihlement ahuri et inquiet.
- De ma tante 1. .. de ma cousine 1. .. de Mme Ferdinand Revel, si VOtlS voulez tout sa\'oir!
Et Jacqueline, brisée d'en avoir tant dit d'un seul
coup, sans rire et sans respirer, s'écroula, à demi
6tnufTée, sur un pouf.
- Ah 1 sapristi de sapristi 1 protesta Villey qui
se mit à marcher de long en lar~e
en se grattant
l'oreille. Ça, ça, c'est vexant 1 a, c cst un coup terrible 1 Je ne me croyais pas à ce point ...
Et sc précipitant devant une {.llace, il tIrailla en
lou!; sene; le tOUpAt poivre et sel qui masquait sa
calvilie naissante.
- Evidemment, je ne suis plus le pOl1Pon rose
dIgne de ~er\'i
cie réclame à un savon cél'èbre 1 .Je
ne ~UI'"
même plu'; ieunet, jeunet 1 Je ne fais plus le
III':
�L'A;\IOUR ATTE1':O ...
rnn:;\<ln t • J~ <.: ~nsel1
m~e,
s'il le fa 'i, ; \livre le
te.rnble conseil d'Horace: Solw, sen"scP l1lem, - le,.
Ç)tM;nflS latines redeviennent à l~
modf - Mai "
m '-oir appnrler à cette vjelll( btqur:'! - ('~cu
» e,
.Jaçqut.!Jint.!, la \'éhémence de mon indignation. J'aime
mieux donner ma démis sion d'oncle, d rt.!noncer à
tous le5 honneurs attachés à celle fonction! Et toi
~i tu as le malheur de retomber dans le respect, si
J,e t~ repince à m!=! donner ce~t
appellation grotesque
il laquelle je n'al aucun droit, tu ...
- Oh! Villey, dil Jacqueline en se remettant sur
ses pieds, j'ai du tact, et vous .-oyez que j'y ai
renoncé de moi-même. Seulement, si maman me
t'ait encore des observations, ce sera à \'()u~
cie ...
- Sois tranquille, je la remettrai à sa place, ta
mère 1 C'est une femme charmante, et je ne ùemande
pas mi~ux
que de passer pour so.n frère ai.né ... :\'1:ais
ctre priS pour l'époux de ta OOU<;IDC Corahe .. .
Ces doléances furent interrompue par l'arrivée
de la maltresse de la maison, qui rentrait, éreintée
et radieuse.
- Je n'en puis plu " confessa-t-elle en se laissant
IOlllber <;ur une bergère donlll:s nombreux coussins
ussuri:rent à sa chute toulle moelleux désirahle.
I;:t tandis que Villey 1 . haisail les Lloigt~
galamment, elle se tourna vers sa fille:
- Ma cbi:re, tu n'as pas idée des merveilles que
nous avons vues chez Delphin. Anita et moi, nous
ne pouvions plus nous en arracher. Jamais la mode
n'a été aussi délicieuse, aussi imprévue et aussi
seyanlt,; que cette année. Ça vous pous~c
vraiment
Ù laire tks rolies ...
- Vous n'aver. ras ramenG lady Taylor? s'infl)rma
Jacqueline.
- Mais non ... Si, lout de même ... C'est-à-dire
qu'elle passe cher. elle pour changer de toilette, ct
~era
ici dans un quart d'heure. Nou~
nous sommes
commanùé la même robe ùu soir. Comme elle la
portera à New-York et moi à Paris, nous pouvons
sans danger nous permettre cette fantaisie. li yaura
d'ailleurs de pc~its
cha~gemt
dans le drapé du
corsaL>e. Et l'lll' la teInte ddTl:rc. Elle a choisi du
rnauve.
- Et vous, maman, quelle couleur ';>
- D.lI \'(:l't • 'il. C'est un peu .08é à mon âge, du
vel'l NI!. QU'I!n 1'l!I1Sl'Z-vrIU ', pCInlre dl: Ioule ' les
\:lé~nces
?
�"0
"
L'A:lfOUR ATTEND ...
OIl:JI1.J (Ill a \'(lS <'h.weux el \'ot((' l 'jnl de pa~le,
Iwll ' d<Jtnl', l'ln pellt tl'lut "e pprmeltre,
- Flatteurl Pour la l'cine, c\:st dan' celte robe
que je vous condamne à m'immortaliser. Car vou~
savez que vou~
faitt.!s nos deux portrait", à Lili ct à
mni, cet hi\er.
- ,Je sais 'lut.! jedois les faire depuis des années.
Lili espère toujours être plus jolie l'année qui vicn!.
Quant à vous, que le présent devrait assez satisfairc.
j'ignore cc que \'ou.' attendez.
- Ne de\'el1t.!7. pas insolent, mon cher. Vous réussissez fort bien les vieilles dames, et \'(Jus n'a \'ez
aucune raison d'avoir peur d'attendre. Et moi, ~i
21range que cela vou!'; paraisse, j'ullends uniqueml!nt
d'avoJr le temps.
- Mai s ça ne me paral! pas étrange du tout; vou'
l:tes beaucoup trop riche pour avoir du temps à
vous . .Te ne plaisante pas. Allez faire un tnur dl'
boulevard, - ça vous instruira : il n'y a {{ue k"
gueux qui osent naner; Inus Il!S gells bien mIs snnt
J1r.;s~
méme CCllX qui n'onl pus encorc d'auto.
- .Joti, le paradoxe; mais nous sommes blaRt:s làdesSllH, maman o.:t moi; et vuus auriez du attendre,
p'lur le servir, qu'il y ait du monde. Si personne ne
prnteste autour, l'effet l:n t.!st manqué. Vous êtes
trop prndi!o\ue de YfJlrc esprit, Villey.
- Lili, comment vil:n~-t
u d'appeler notre ami!
- Par son nom, par ,')(111 nom célèbre, comme le
rait papa, ct vllus-méme, maman, quand vous VOliS
ouhliez, Je vous ai J2jà l! l'liqut: que je ne pouvais
p!l~
lui dire. monsieur -. Vous croyie;: que ~ Illon
\lllclc. arrangerait tout: niais il \ien! .le ml! l'intcrdire.
- C'est que j'ai IIne l'UISlHl l'0ll! ça, une raisoll
illdéniahle, impérieuse, lille ralSu/l déploruhle,
detcstable, al'lilÏlla Villl!V Cil t"I~,ln
avec gravité
Mille He\,1 qui, jll temellt, rUI~alt
son entré,':"suivic:
de :ion fils.
Cepl:l1danl Lili. dHaillunt de rire, s'appuyait
cI)l1tn: Il! piano,
- Quelle ..:harmante galté 1 s'exdama la tante
Coralil' d,'s qu'olle eut e.clIsé sa robe mnntante en
\ vocluunt 1 . l'lu c()mplaisant des rhllmatismes atii·
cululres.
lmm 'diatcment d~rièe
elle arriva ladv Taylor.
a\'l''': un cor~ag
i lih('r,lll'rn 'nt Ilchantr,: Ill'il pa
�l:/\\IOUR ATTEND, ..
rais1'ail furme .1'1111(, haulc cClntur\: ct tk doux
minces bretclles.
A partir de cc moment, les convives se succédèrent sans trêve. Le maltre de la maison survint le
dernièr ue tOU5.
C'était un homme précocement vieilli, au maigre
visage tiraillé par ues tics nerveux. Se yeux distraits
el clignotants rt.ivélaient une intclligt.::nce t.ipui éc
par une préoccupation incessante, par un travail
fiévreux, passionnant et destructeUl' comme le vertige du jeu. [J trouva pourtant un sourire et un mot
aimable pour tous ses hôtes, à deux exct.!ptions
près: son ami Villey et son oeveu Françuis Revel.
Ces deux-là, il les aimait, il le . savait sûrs de lui;
ct il leur serra la main fortement, simplement, sans
fien dire, comme quelqu'un qui n'a plus la force
d'une seule parole inutile.
v
A table, Jacqueline se trouva placée entre Fran-
Revel et un jeune a lOcal, D'lminique J)orl.icr,
(lui 6tait son dt:rnier Oir!. IWe l'avait connu, l'(:té
p r éc6uent, à Lucel'Ot.!, al! moment où, rri e d'une
belle passion pour l'alpiOisme, elle escaladait successivement tous It.!s pics qu'elle apercevait à l'horizon. Ils alaient fait mainte ascension ensemble, ct
vu le soleil sc lever sur t(lutes les vallées qu'on
découvre des sommds du Finsteraarhorn, tics Diablerets, de la Jungfrau, du Wildstrubel. .
Dès le commt.:ncement du repas, Dorzlcr 6voqua
ces poétiques sOll\'t.!\1irs, ct ne pe.rmit gu(:re à
Mlle !kaurand de se tuurner vers le Jeune docteur,
'lui ne faisait d'aileur~
allcun eJrort pour captiver
on attention. II s~ Inis"ait Illi-mème accaparer pal
,a voisine de gaucht:, Ulle jolie hlonde qui, sc disant
dyspeptique, prdcl1dall Ilt' p('llvnir dig6r r la viande.
mais s'e"cu~ait
tI'ell manger tnut tic même en villL'
pour ne pu" st.: Cuire remarquer. l{c\L'1 dut lui lionne!
l'absolUl1nl1 pour u.:t écart de r":gimt.: et lui COI1~l'ÎIN
la pllucln: de charbon.
- (Julli, dvcteur. du c.:harbull ? j\luJliJt.:r du charIJon <)udlu h()l'fl:ur 1 Oh, 11011, ça, Jilma~
1 C'e t
au-dt.:ssu::. dc mes forces ...
~ois
�L'AMOUR ATTli:ND ..•
./a..:queline ne f1ir1.ait qu'il. peine c,;e !loir-M; elle
n'avait pas la coquetterie agress1vê qui lui était habituelle, et accueillait avec une distraction yisible le,
madrioaux que lui tournait le beau Dominique Dorzier, l\léridional à la crinière conquérante et il. l'éloquence facile. Le regard de la jeune fille s'évadait
sans cesse dans la dIrection de son père, de ce pl:re
qu'elle connaissait depuis toute sa vie, et qu'elle
avait tout à coui l'impression de voir pour la premi~re
fois.
Depuis quand avait-il donc ce visage fiévreux,
tourmenté, vibrant d'inquiétude, et comment ne s'en
était-elle pas avisée plus tôt? Tandis qu'il plaisantait avec lady Taylor, la grande rieuse de la table, il
avait l'air d'un acteur qui joue un rôle et qui s'cn
acquitte sans conviction. Un pli fixe demeurait entre
Ses sourcils rarprochés comme par la pression d'un
ressort invisible; un tremblement nerveux tirait par
instant la lèvre inférieure. Jacqueline avait envie de
lui crier: «0 papa, es-tu donc malheureux? Que
nous caches-tu? De quoi as-tu peur? »
- Vous êtes preoccupée ce soir, mademoiselle,
finit par lui dire Dorzier. Votre sourire est lInc fleur
fermée.
Elle se sentit horriblement vexée qu'il eût surpris
le mOUVl.:ment secret de son ame, ct, riant pour se
dunner une contenance, elle interpella son cousin:
- II parait que mon sourire, cc soir, est une fleur
fllrm(:e : qu'en penses-tu, François?
- L'image est agréable, répondit le jeune médecin
avec une ironique condescendance.
- OUI, mais mon sourire i'
. - En ce moment, ie le vois émaIllé de perles, si
j'pse m'exprillH.;r ainSI pour rester dans le ton.
I! répondait ùu bout des lèvres, bien décidé à
témoigner une in 'igne indiff6rence à la charmante
capricieuse, qui rûvait sans doute de renclre jaloux
Ull nal!" jeulle homme pris à SilS filets.
" Pourquoi a-t-il tant d'antipathie pour moi" se
demanda Jacqueline ct elle eut soudain l'impression
.l'être seule au monde ct pauvre,à cette table brillante
"LI parmi l'argenterie massive ct les cristal1x 0lin..:eliluts, les orcbidées 'épanouissaient, étranges el
1111JnstrU\!uses, symbole du lu (' inutile l'I do.: la pern;!" i\~
dt: riche 8. Et I%tail là, jJoUrlallt, c\;l1e vic
brill ;lnt,· (1U'I,O lui enviail, ct qm faisait juger IJ..:i1..:
:,on 01'111111 mc de jeun..: tille oisive cl gâtée 1
)f
�L'A~IOUR
AT TE
D ...
33
le dlner, ~'Ile
pa;~
au fumoir, 01\ suirant bon
habItude, elle fit {l Cj~S
messieurs les honneurs du
dfs cigares. Pl1is elle alla ~aseoil
café, d('s lique.r~,
Cil face de Villey qui fumait en silence,;\ 10ngucs
boulfél:s régulières, comme un véritable adepte assez
attaché à sa passion pour lui sacrifier le charme de
la causerie.
:Elle portait une robe de tulle brodé de perles, à la
fOIS lourde ct légère, tour à tour flottante et plaquée
SUI' ses formes sveltes, et, dans le vaste fauteuil de
~u!l',
où trois personnes conyn.e el!e. auraient tenu il
1 aIse, sa' pose nonchalante etait dellclcuse de gràce
et d'abandon .
.Villey appliqua sa main en lorgnette contre son
exHI:
- Jacqueline, ne bouge pas. Tu es Ja muse orientale du rêve tabagique. Un tableau tout fait. Tu
n'auras qU'à retrouver le mouvement, larobe, l'expression 1 C'est comme ça que je veux te peindre.
- Il faudrait placer Rip à côté de moi pour que je
n'aie pas l'air abandonné,
Debout derrière elle, Dominique Dorzier soupira:
. - Vous, abandonnée 1 Je vous ddie bien d'avoir
Jamais cet air-là.
Alors elle se souvint de la présence de son flirt,
qu'elle venait t1'oublier, et elle regretta la note de
mélancolie qui avait sans doute percé dans sa voix.
Elle était irntée, ce soir, à la seule pensée qu'il pùt
S'imaginer connaltre quelque chose d'elle. gt, cepen?ant, au cours cie leur commu ne villégiature en SUIsse,
Il lui paraissait intéressant et aimable; elle l'avait
h~no.ré,
non pas dc vraies con.!idences, - elle n'en
ralsalt jamais à personne - maIs de q:s fausses I.:onfidences ùont clic se servait si souvent par jeu, quand
elle voulait surprendre ou retenir l'attention de quelqu'un: car à quoi passer le te~ps,
quand on est loin
<.Je Paris, et qu'il faIt un beau SOlr éventé par la brise,
où les étoiles palpitent dans le ciel comme de vivants
Cœurs de feu, où les inc;ectec; invisibles cr6pitcnt
dans l'herbe parfumée et les mouvants teuillages!
Ces soirs-là, on voudrait avoir une âme Infinie
de la vic et cie Dieu' el
Connaltre tous les scrt~
Pour!1e contenter de l'existence, il faut bien me~tir
Uo peu, Sc mentir à soi-même et mentir aux autres 1
C s soirs-là, .Iacqueline agréait le' tendres Œillades
du séduisant Dominique. Quand il lui demandait:
.. Lorsque vous serez retournée dans la fièvre et l'agiApr;
~
87 Il
�: 1
L'AMOUR ATTEND ...
talion mondainef. vnu slJuvi·'nJru··.·l)ll de cc pa\'sa~,;?
,. Elle r~pondait
: « Certes, toujour . ~ Et elle
•• 'en souvenait t'n~ore
à cette heure, et des ~rands
pins é~hevls
par It: vent du soir, et des 6toile" attirante comme le regard d'umb .::hers J'erdus dan,.
une autn: t!. j::.ten.;e. Mais die s'indignaIt que Dominique Dorzit:r partageât cdte vision avec elle, ct
qu'elleut fait semblant de désirer comme lui la
gardt.:r dans ~a mt:moire.
Bru~qemnt
die sc leva ct s'en alla trouver à
l'autre hout de la pièce Françoi' Revel (lui examinait
des photographies, assis devant une petite tablt: à
jeu. Il l'accueillit par un regard ironique qUI signtfiait: « Comment 1 encore toi l " Pourtant elle prit
place à cot': de lui sans y avoir été autrement t:ncourant.:e. li y eut un silenct!.
- Ces vue' des lac~
italiens sont trl's belles, mais
tu le cllnnail:i, ~ans
doute? dit-il enfin avec un
vi~ble
accent de polites e.
- Qui; c'e>.t mCJI qui les ai prises pre~qu
toutes.
Tien:;, cdlc-ci ... c Ile-ci, .. el aussI celle-là.
- Tu a très hien choisI.
- Oh! il n'y a rIen à choisir: tout est superbe. Un
aveu rie tomberait ~lr
des mervttlles. Tu devrais aller
~"nmltrc
ce l'ay~-Ià.
- J'en ai l'intention dt.;puis lonl.(t\;mps t:t Jl' l'aurai
encore lonctemps 1 cut-êt r '.
Tu attend ton VIl ''lue de ncl'~
t ...
- Oh 1 ne parle l'II ,.!t; calamité. je t'en prie.
- Tu c. time que le maria 'e en e '1 unt!':
- Ça dépend de situations. Pour unc Îcunt! fille
qui brüle de sc faire appeler madame et dt! lire de~
livre dcfcndus, ça ['l'ut offrir \Ill ct!rtain a!!rémClll.
Mais, poUl' 1ll1l1, qui ai Il' hnnht.:ur d'aVilir mu ml:rt: Il
1ll0ll IlIvcr, jl! ne ui pas bl n quel gênl'e de charrne
Ullt: felllme apP"rterait ùam; ma vic en échan~e
ùe
toute la perturhatioll qu'elle y aurait mise,
.
- Rn somme, tu con idi:res un t'cmml' comme un
trl,uble-fête Ï'
- Non, comme un trouhl '·tr,IVail, .;e qUI est beauCIIUp plu redoutahle pour moi.
Il aval! un air i convaincu que Jacqucline ne put
s'empecher de riro. tai ce fut un bref clat de ait.
l~
tflllt de lIite ,Iprè , elle murm\lra, la voi basRe,
par une ~lbite
an~l)i
se:
la ph sionnmie chan'
- Je ui venu près d loi pour t parI r li
�L'AMOUR ATTEND ...
3S
L:hoses très sérieuses, François: qu'est-ce que tll
penses de papa?
11 tressaillit, releva la tête, et la dévisagea avec
stupeur. Est-ce qu'il comprenait bien la question?
Est-ce que cette petite écervdée se JéL:idait à s'apercevoir de quelque chose, à se rendre compte que
tout n''':tait pas pour le mieux dans le meilleur des
mondes?
Jacqueline r":péta, de la méme voix an xi eu 'e:
- Comment trouves-tu papa, toi qui es médecin?
Quelle opinion as-tu de sa santé?
Il la devina si rrête à l'affolement qu'il eut pitié
d'elle et la rassura d'abord.
- Ton père n'est pas malade, que je sache.
- S'il n'est pas malade encore, il n'est pas bien
portant non plus. Je t'en sUl'plie, réponds-moi avec
franchise; n'as-tu pas remarqué ses yeux clignotants,
Ses pommettes enflammées, ce tic nerveux qu'il a
dans la bouche?
,--:- Il est fatigu": ... surmené ... mais depuis lOngtemps
dt!Jà... depuis des ann":es.
- Oh! depuis si longtem~)s
1 Et tu ne trouves p::Js
que son état se soit aggravé?
Il hé. ita un instant. mai., reculH devant le ml'nsonge.
- Oui, sans doute. Dans ces ..il· l'111er mois, cel,1
,;'est accentué un peu. Il cloit ;IVOII des préoccupations, des ennuis ..
'Elle l'écoutait, baletn~.
Et tnut à lOUp, ell e l'interrompit:
-:- Oh 1 il Y autre chose qu'il faut qUt! Je tl! dise ...
mais pas ici, pas maintenant.. .. fe te raconterai ccl ..
quand nous serans seuls .
. Comme elle retenait une larme avec effort, il lUi
dit, de ce ton dominateur et apaisant qu'il prenait
auprcs des malades et qui les calmait mieux que les
drogues:
- Sois trallquille, ce n'est f1en de grave. J'y
veillerai. Je Je guérirai. Compte sur moi.
Elle demanda avidement:
- Quand pourrai-je te VOir i' A quelle heure?
--:- Le matlll.le UIS à l'hôpital. Rnsultc, 1 r 'ntn
déjeuner, à mOins qu'on nc me léléphon\:! pour un
cas urgent ...
- Mais quels sont tes jours de consultation où
l'un est SÛt J~
II: trouver che:z toi ~
,
�L'AMOUR ATTEND.,.
- Le lundi et le jeudi, de deux heurcs à quatre
heures,
- C'est bien, ;e viendrai jeudi.
Cependant les dames s'évadaient du fumoir l'u~e
après l'autre. M. Beaurand s'approcha du groupe
formé par son neveu et sa fille.
- Eh bien 1 que complotez-vous là tous deux?
Jacqueline instantanément pirouetta sur ses talons,
et un clair sourire transfigura sa physionomie volontaire et mobile.
- J'ai décidé d'aller après-demain à la consultation
de François.
- Toi? Qu'est-ce que tu as donc?
- Mes cils tombent, papa. Si on n'y remédie pas,
j'aurai les paupières chauves avant ma majorité.
Alors, il est nécessaire de les examiner à la loupe
aun de m'ordonner un traitement rationnel.
Jacqueline avait les plus beaux cils du monde;
elle le savait et ne perdait pas une occasion de le
faire remarquer aux autres.
- Décidément, avec elle le diable ne perd jamais
ses droits, pensa François, en considérant avec un
étonnement où il entrait un peu de dédain cette
étrange créature qui riait ct pleurait dans la même
minute, sans quitter les apparences de la plus parfaite sincérité.
VI
Deux fois par semaine, les jours de consultation,
on astiquait à fond le salon ct le cabinet de travall
de l r rançols.
Dès sept heures du matin, Mme Revel était en toilette de nettoyage, les cheveux voilés d'un foulard,
vêtue d'un vieux peignoir dont elle retroussait les
manches Jusqu'aux coudes. Pendant que sa bonne
exécutait le dur ouvrage, secouait les ndeaux, bros!:jait les tapis, fourbissait les cuivres, elle promenait
la tête de loup au plafond, passait le coin du torchon
dans les rainuc~
dcs meubles, essuyait l'un après
l'autre les barn'am.. dc~
chaises ct le~
bibelots de:
1<1 cheminée.
Dcvanl la tuble Jt.: son Iii s, ( Ilc 'i:\r~tal
plt.:II1C d'uil
�L'AMOUR ATTEND ...
37
sainl re6pect; et c'est là seulement que l'inoffensif
plumeau, réprouvé partout aIlleurs, accomplissait
son office. Mme Revel avait une juste horreur de cet
instrument de luxe qui ne sert qu'à remuer la poussière; mais là où il y a'Vait interdiction de toucher à
rien, de déplacer un livre ou un papier, il exerçait
glorieusement son empire. D'une main alerte et
légère, le tenant par l'extrémité du manche comme
une baguette ma!?que, elle ne se lassait point d'en
chatoUIller les dIctionnaIres d'anatomie, les traités
de thérapeutique, les buvards, les plumes, l'encrier,
le classeur, le bloc-notes, tous les trésors mystérieux
que la volonté tyrannique de François avait soustraits
à l'hygiène trop violente du « coup de torchon ,..
- Ah 1 soupIrait Mme Revel quand elle et sa bonne
avaient travaillé pendant quatre heures san.s désem- .
parer, ça prend \( tout de SUIte?, un autre aIr 1
1<:l1e commandait alors un déjeuner ~ont
.la préparatIOn ne dégageât aucune odeur: nI pOIsson, ni
côtelettes, nt friture, ni oignons, ni choux-fleurs;
l'innocente tomate elle-même était bannIe, et auCUne
sauce ne tr0l!vait grace. Le menu se ~ompsait
généralement, cc Jour-là, d'une soupe maIgre, d'œufs à la
coque, de vIande froide et de pommes de terre en
robl! de chambre.
Pendant les heures de consul1 ation, Mme Revel
nc s'absentait jamai s. Elle tl!nait Ù ûtre là pour le cas
où il sc produirait quelque incIdent; on pouvait
avoir besoin d'elle si une cliente Sl! trouvait mal, ou
s'il fallail tenir un bébé récalcitrant. Cela ne s'était
lamais présenté encore, mais pouvait advenir un
Jour. Elle demeurait donc fidèle à son poste.
Et d'ailleurs, elle avait une grande joie: celle de
compter les coups de sonnette. A les entendre se
Succéder rapidement, son cœur S'accélérait quelquefois au point qu'elle en éprouvait des palpitatIOn:;.
- François a déjà une belle chent i:le. Françol ':i
réu~sit.
Comme il !'aut qu'il soit doué, tout de même,
pour percer au mIlieu de cette conCUTrt!nce formidable, dans la furieuse mèlée d'aujourd'hui, pour sc
débrouiller sans alWmt, sans nana ni rédame qui
attirent le monde 1
Ah ! ~i son .F rançois. é~ait
riche, si :;on mérite était
"ic ulement. mIs en rehei. par un cadre digne de Lui,
..:; "cralt blf'otOt le prèmler médcci n de France rElie
1(· voyait df,à JlloCe eur 1 b Paclilté, I,; her muitn: ;)
�L'A~ICUR
ATTEND",
l'Institut. C'est qU'elle adorait !'Ion /ils, .Mme Ferdi·
nand Revel}
Et son fib le lUi rendait bien, 11 savait qU'elle
"était privée pour lui de tout bien-être, de tout
confort, qu'elle avait renoncé à toutes ses habitudes,
contrarié son amour inné de la calme province, pour
l'emmener à Paris, pour lui donner une instruction
égale à celle de ses camarades pourvus d'un père ct
de solides rentes, Pendant des années, elle avait
vécu sans bonne, s'aidant seulement d'une femme
de ménage qui venait deux heures par jour « faire ~
la vaiselle et les parquets, C'était elle qui allait au:.;
I>rovisions, qui préparait les repas, qui cousait le
linge et racommodait les vêtements, et qui, le soir, à
la lueur d'une petite lampe à essence, tricotait des
chaussettes rour son garçon, La grosse lampe à
pélrolt' était réservûe à l'écolier, qui avait la plus
large fable pour écrire, qui couchait dans la plug
belle chambre et dans Je plus grand lit, qui man~eit
les meilleurs morceaux, malgré ses Y'écriminatlons,
, ,re ne pUIS pas supporter la viande deux fois par
jour: II.! sang me travaille, • disailla mère, qui mon·
t rail la paleur cireuse ct le menton aigu des asci:te::;,
Les frUIts n' lui réussissaient pas non plus, ni I~.
légumes frais; mais elle dévorait des haricots secs
('1 de pommeli JI' 1 rre, 'lui ne lui faigaÎt'nt jamui~
:Ill 'lIn mal.
fi y n des t'nfanb étol1rdls ou cgolstes qui nc
ct1mprenn<,nt rien, et n remarquent pas les pri"a~
tions qU'on 'impos{' pour 'u .. , Mais "'rançois était
1111 petit garçon réfléchi et tendre, qui observait tout,
qui sc rendait compte de cc que sa mi:!re fai~t
pOllr
lui, qui lUI obéissait en souffrant d'obéir, mais parCl'
qu'l! voyait là la seule mnnière de pouvoir lui rendre
un jouI' cc qu'clic attendait de lui, Il acceptait clonc
tuU!! Ics soins, tous les sacrifices, ct il rapportait en
échange des bons points d'ahord, puis des place.
de premier ct des prix, puis des trioml'h '!i dans tous
Il'A concoul' ,
1.;1 nuit, 11 s<, JI'I'all en cachette pour rcpnssrr sc
Cllnll'n itions, t <Junnt! il formait des projet J'avenir. II ambitionnail cn [ln'mi,,!' lieu d' donnl!r à >1:)
ml:rc Ulle Jomcgtl<[ue et des robes Je oi ,Pendant
Jnnp.tt:IllJ s il n'aVilit travaillë que dnns cc but, d
r\: t culement au conr d n pr('mièl' . <lrllll':c d'in11:1 flat «li la pns ion de 1)11 lTluticr '"tnit éveil1~'
t;1I lui, III 'lU 11 a :\lt trlluv .. un b01Ul ur p.. rs(mn 1
�L'A;\lOUR ATTEND ...
39
ri'lns l'ac\)mpi~
l1l(:l1t de sa tache j miilS durant
toute son enfance ct une grande partie de son adolescence, il n'avait ~tudié,
lutté et remporté des victoires que pour cette femme, cette mi.:re dont le deuil
et la pauvreté hérolques avaient veillé sur son berceau.
Et c'était pr6clsément de son culte tilial que lui
venait son intraitable aver ion pour la frivolité féminine. Ayant tou)llurs travaillé et vu travailler autour
de lui, il éprouvait à l'égard des oisifs et des snobs
ùe toute espi:ce un robuste mépris qui n'admettait
point de circonstances atténuantes.
De vraies femmes du monde, des Parisiennes dans
le train comme Mme Beaurand et sa fille, lui parai,,sait:nt les créatures les plus répréhensibles et l<ll:;
plus dangereuses de la vie sociale. If Elles sont presque des cnminelles, avait-il coutume de dire, car
nous sommes contre elles absolument ~ans
défense:
nous ne possl'dons ni armes, ni sanctions pour C011lbattrll Illur influence morbide et délétère. » [l pretendait (lue le clésœuvrement et la vanité sont les
uniques causes de toutes les neurasthénies qui
empoisonnentl'humanlté moderne, et la paraly'ent
dans son essor vers Jes régions slpé'j~urc.
Et cette
austère intransigeance n'avait pas bai~sé
pavillon
devant lc charme 'el les agaceries de sa jeune COUsinll.
Quand il parlait d'elle à sa mère, il disait touJours:
'( Cette follc. ou • cette agit0c Je Jacqueline '. Et
Mme Revel, que le milion d~ dot de s~ nic'ce tenait
Souvent l:lcilléc dans la pUlX de:; nlllts d rêveuse
dans l'agitation des jours, essayait en valO d'amenci
son fils â une juste et saine appréciation dt.!s choses.
- Elle ~st
bit.;n plus séricllsll qu'elle n'en a l'air,
Cette petite. C'e~t
la l'orle t ète de la maisnn, sans
qu'il y paraisse. Adulée cl gatée COInIllt.! elle l'est,
tant d'aulres seraient prétentieuslls et IIlSUpportables! Elit;! dern<.:ul'I.! simp le ct charmante, malgré tout
\!t malgré tous.
l"ral;çois lai"sait dire ~a m'ore, n'aimant pas à la
Cl:lOtrari<.:r; il nl" répondait que quund elle le prenait
dlrCCkmellt Ù partlll,
QU'llst-ce que tu lui reproches, cn 50rnme ';>
- Mon Dieu, maman, tout ct pas grand'cho c. Je
exister au pnint de vue intellui reproche le nc pa~
lectuel ct moral.
. - Ah 1 là-de
su~,
J~ te demande pardon. Jacquehnc e~t
Ir"" int(!lligente. Et je n'en veux 1 our preuvl!
�L'A. IOUl< ATTErTD ...
'lue la
difér~nce
qu'ellp. sait Hablir enu:e toi et
Je
~
godelureaux qui IUl font la cour. Elle s'aperçoit tr l-r;
hien que tu P.S un bom~
supéri~,
UDf> I}l~rge.
une puissance ...
- Oh 1 ma pauvre maman, j~ ne suis qu'un homme
de devoir, et cela n'a rien qui puisse séduire Jacqueline. ,vlais elle voit que je ne lui fais pas la cour
comme tous les autres, et ça la pique au jeu. C'est
ue ma part une originalité invraisemblable, inadmissible, le seul point noir de son ciel rose. i j'étais
bon prince, pour la guérir de moi, je ferais attention
à elle pendant huit jours, et ça suffirait; mais je suis
méchant, et je trouve un malin plaisir à étudier sa
petite coqueluche incurable pour le seul monsieur
qui ne se soucie pas d'elle.
Cet aveu de coquetterie masculine, bien que fait
en riant, était un baume pour le cœur maternel de
tante Coralie. Ainsi elle ne se montait pas la tête
avec de pures imaginations quand elle avait idée que
sa riche nièce en tenait pour son fils 1 Lui, Françoi s ,
qui ne faisait jamais attention à rien, avait puurtant
remarq ué les ccillades de la jolie esri~gl,
et ûprotlve
sa con~lae
De làà être !ouch6, il n'y avait qU'lin
pas, el1 somme; un pas qu'il franchirait sans peine
le jour où lui viendrait le goût du mariage.
~
cla arrive sans qu'on sache pourquoi, p~nsait
Mme Revel; c'est comme les maladies, qui vou ·
prenm:nt au moment où on ~'y
attenu le mojns. "
Cependant, elle entretenait de son mieux la Hamme
sacr':e dans le cœUf de sa nii:ce, vantait les capacités professionnelles de François, son dévouement
filial, et suri out son indifTércnct: à l'égard du sexe
aimable, car .Jacqut'line ne devait pas s'imaginer
qu'il avait le CŒur pris ailleurs. I~t travaillant ainsi
de toul son 1 ouvolr à aplanir les voies cntre ces
deux êtres dignes l'un Je l'aulre, elle allendait l'avenir aVec confiance.
1algré ce brillant eRpoir, t'Ill' tomba de gon haut
le jlHlr où Marielle' lui apprit qU'Llle venait d'intn.duire Mlle Beaurnnd dans le salon d'attenle.
- Vous êtes sllre que c'e. 1 il rTltln fib '1\1' 'Ile WHt
parler?
- SClr', Madame. l'viadcJJ1nisellc l1\'a dit; • Mon
cougin est pr(,venu .le ma vi';ite ...
- E~le
ne sc rappelait dOl1cpa-l qu'JI li (;OI1'lult,ttion aUJourd'hui? C'lst innu!. J.<:t elle a n:fll<;tl dr me
voir?
�1'A;"lOLJR. ATTEND ...
- « Je verrai ma tante tout à l'heure, • qu'ella m'a
fail quand je lui ai proposé d'avertir Madame.
- Elle me yerra tout à l'heure ... Il était prévenu...
Est-ce que par hasard François me cacherait son
jeu? Seraient-ils enfin d'accord ? Ah 1 chers enfants 1. .. Vont-ils m'annoncer leurs fiançailles? Me
demander mon consentement, ma bénédiction?
Les questions se pressaient en foule dans la tête
de Mme Revel, tandis que son cœur, subitement
déplacé, montait dans sa gorge où il battait des
« plouf, plouf» de joie.
- C'est tri.:s bien, Mariette, vous pouvez aller,
n,1urmura-t-elle très digne afin de cacher son émotIOn à sa ~ervant.
Au moment nù celle-ci franchissait le seuil, c!le la
rappela:
.;- Combien de personnes à pa" '<.!f ,avant ma
nlece?
- Trois, Madame. Le monsieur qui tralne le pied,
une dame avec une petite fille et Mlle Blanchet.
- MUe Blanchet? Quel ennui!
Mariette compatit de tout son cœur:
- Oui, quel ennui, comme dit Madame; surtout
que, comme Madame peut penser, Mlle Blanchet en
aura bien pour ...
- Allez, je vous remercie.
Mariette, arrêtée dans son élan, renonça à ses
pronostics, mais reprit néanmoins la parole:
- Oô Madame veut-elle recevoir Mlle Beaurand
quand elle aura fini avec Monsieur?
Mme Revel jeta un regard de sévère clairvoyance
SUr sa chambre, où il n'y avait qu'une fenêtre et
qu'un fauteuil, où le gros lit d'acajou tenl1it le quart
de la place, ct elle répondit sans hésitation:
- Dans la salle à manger.
- C'Ct;t la premi1.-re fnlS, se ('ermit de faire obserVer Mariette, que Mlle Jacqueline vient un jour que
le salon n'est pas libre.
Mais, ne recevant ras de réponse, ellc sc décida
à disparaltrc .
. Quand Mme Revel fut seule, elle leva les bras au
Ciel, puis s'assit Jans le fauteuil; au bout d'un
moment, elle cour'ut au lit pour lisser la courte.
point!.: qui faisait un pli; puis elle ouvrit successive.
Tnt:nt tUlIS les tiroirs dl' ~a commode pour prendn.:
lln lIloul:h.oirpropre; e~lc
ne uvait plus la place des
,-,ho'l' • 111 nlcOlc CC 'lU clIc c.:hl:rdlult. On Ill1 aurait
�L'AMOUR ATTEND ...
annoncé qu'elle avait gagné le gro~t
que son émotion n'eût pas été plus forte.
Par instants, elle s'efforçait de sc calmer en se
raisonnant: u Peut-être que Jacqueline ne nt tout
simplement. .. Mais non, c'était impossible, Jacqueline ne pouvait pas faire tout simplement, sans
aucune raIson grave, une démarche qU'elle n'avait
jamais faite encore! »
L'oreIlle aux aguets, Mme ReveL épiait le départ
des clients; quand elle eQtendit :;ortir le monsieur
qui traJnait le pied, elle eut une défaillance: plus
quc deux à expédier 1 La dame à la petite fille fit
une séance très brève: sa voix résonna vite, Joyeuse
ct claire, dans l'antichambre. Elle répondait à l'enfant: " Non, ma chéne; quand tu auras fini le flacon,
tu n'en prendras plus. ~ Et elle ftt ses adieux au
do..:teur avec des protestations dc n;connaissance.
1\pri.:s cela, par exemplc, Mlle Blanchet s'C!ternisa.
glle comptait ses visites au médecin parmi les plus
grandes distractions de ~a VIe, et elle les savourait
en cnnsétjuence. François s'était déjà plaint de
l'indiscrétion havarde de sa cJiente, et toujours
Mm,' Revel excusait cette vieille amie, ct exhortait
son fils à la patience. Mais aujourd'hui elle était
indiAnée, et songea presque à faire IITuption dans le
cabinet de son fils pour rappeler l'intruse aux convenances. On n'avaIt pas idée d'un pareil manque d6
cinq francs, on n'a pas
lact ! Quand on paie sa vi~tc
le droit J'en raconter pour un loui~,
quatre fois plu,
c rtainement, que ks client ordinaires!
Enfin, Mme Blanchet s'en fut; on entendit le froufrou de sa jupe de soie et les petits rcnincments 'lui
lui ('chapraient quand elle avait parlé trop vite.
Maintenant, c'était lc tour de Jacqueline.
- .l'ai toujours pensé que cette pdite savaIt ce
qu'elle voulaIt, ct qu'elle arriverait ù ses fins, sc dit
Mme Heycl.
Et cH - sc mit à trembler d'émntinn. La joie ct la
loulellr St' combattaient en elle en cet instant
surrl-me. FrançOIs allait être riche, tr1:s riche 1 Un
dOfllcsti'lue en livrée ouvrirait au. clients une pOl1e
;i deux battants capitonnés Je cuir!
~lajs
elle, sa mère, ne vivrait plus avec lui. Carelle
I~tal
bIen r ~olue
ft Oc pa' s'imposer: son parti
tait pris dqJuls lonfternps. El1e renoncerait à son
fils, et tri 'me, puisqu'Ille lallait. elle démcnageralt!
Cet tlp nrtem nt !'eralt trop va te pour el~
sC'Ule ; il
�L'A~lOUR
ATTEND.,.
43
faudrait l reduirc, peut.6tr renvoyer la bonne. Que
de soucis à l'horizon 1 Ah 1 tout se paie en ce monde r
Pourtant la joie, une joie orgueilleuse ct souveraine, montait en elle, submergeant tout, efTaçant
les préoccupations égolstes. François serait riche, il
irait faire ses visites en auto! Et puis, en dehors du
prestige et des avantages que lui conférait cette
brillante situation, le cœur maternd trouvait unt:
profonde douceur dans la certitude que Jacqueline::
adorerait on mari et que FrançOIs n'aimerait pas
trop sa femme. " S'il se laisse épouser, c'est un peu
pour moi 1 » Est-il une réflexion plus propre à faire
a<:(réer et chérir une belle-fille?
Mme Revel était si absorbée par ses sentiments
intimes qu'elle n'entendit point sa nièce quitter le
cabinet de consultation, Elle sursauta d'effaremont
à la voix de Mariette, annonçant que Mlle Beaurand
atttndait Madame dans la salle à manger.
- Bonjour, ma tante 1 Croyez-vous qu'il fait beau 1
011 a chaud comme en été 1 s'écria la jeune fille avec
sa désinvolture ordinaire.
Elte avait quitté son paleit)! et se montl'all en
blOuse de linon qui laissait transparllitre la fralcheur
de a'p. eau et les dentelles de son cache-corset.
-:- (,.:a vous a effarée que je vienne consulter Fran"OIS, n'est··ce pas? Oh 1 rassurez-vous: ce n'est pas
pour ma sallU:, qui est parfaite, Dieu merci 1
- En ellet, tu as l'air très bien portante. Quand
Mariette m'a appris ton arrivée, j'ai pensé naturellement. .. je craignais d'abord .. ,
Sans répondre, Jacqueline s'approchait du dres!;,oir où des pommes rouges luisaient sur un compohUI" de fall)nce :
- On peut y goûter?
- Mais oui.,. Cerlos, ma mignonne 1. .. Attends ...
Je vais le donuer un couteau, une assiette 1... s'empressa tan\(' Coralie, qui avait reconquis tout Son
sung-fn1Id.
Evidemment, cette Jeune personne folatre ne venait
pas de se fiancer r Elle avait voulu simplement voir
comment c'était faIt, un cabinct de méùecin 1 Elle
trouvaIt piquant de venir causer de la pluie et du
beau te1!lPs au milieu des maJad.es. Cette, toquée de
./acquelllle 1 En somme, FrançOIs ne la lugeait pa
trop sévèrement.
S?-ns a,ttendre le couteau et l'assiette, la Jcunc fille
~valt
r tJrl~
son gant, d'où un nuage blanc parfum~
�L'AMOUR ATTEND ...
se répandit sur le tapis, elle m.ordait a beUes dents
dans la plus rouge des pommes.
- 0 ma tante, où res trouvez-vous? Jamais on
n'en mange de pareilles à la maison.
- C'est que je vais moi-même au marché, ma
chère.
- Ahl voilà 1
- Eh bien, ma nièce, et ces graves confidences .~
s'informa doucement tante Coralie, qui tout de mêmt:
~nlait
encore de savoir quelque chose.
Jacqueline fronça le sourcil:
- Oh! François vous les redira. Moi, j'ai assez
parlé de choses tristes.
Et elle entretint sa tante de ses progrès en équitation, puis annonça que Villey allait la peindre en
mauresque, et qU'l!lle comptait passer le mois de
janvier dans l'Engadine à faire du ski. Elle racontait
cela par petites phrases scandées de grosses bouchées, ct quand elle cut dévoré trois pommes clll:
prit congé, laissant la vieille dame à ses réflexions.
François était parti sur les talons de son dernier
client, et cc fut seulement au repas dll soir qu'il
put enfin satisfaire la curiositu de sa mère.
- Ta cousine m'a assuré que tu me raconterais le
motif dea visite.
Il ne faisait jamais de phrases, et il livra l'essentiel
en peu de mots:
- Beaurand est dans une situation tr\:s difficile
pour le moment. Sa fille ~'e 't doutée cl· qudque
chose, et comme clic sait que' jl! soi4ne un agent de
change, clic m'a prit! de prendre des rcnseipnements.
Toute la fortune de 'on père, à cc que je viens d'apprendre, est engagée dans une afraire de mines d'or,
et il lui faut sc débattre contre une coalItion de 'ras
linanclers qui s'efTorcent de Je couler.
- Comment 1 Bcaur~lnd,
qui avait tant de flair,
qui était si prudent 1. ..
il est dans un état de ner- Depuis <;ix ~emain'
vo~ité
qui doit frap~
tout le monde. Je mc doutai<,
hi en qu'i: avait des cnnuis, mais i' ne pensais point
lill'ils fussent si graves. D'après cc que m'a dit
Kolb, ton cousin est peut··être tout pr~s
d'un désastre.
- Et Jacqueline t ...
- Jacqueline m'a demandé de la tenir au courant
de cc que Je pourrais apprendre ...le m'en pas!ierais Olim.
Mme Revel avait la gor~e
sùche: • Ah, mon Dieu 1
�L'A),1QUR ATTEND ...
45
nous l'avons échap'pé belle 1 ~ pensa-t-elle en buvant
un peu d'eau. Pms elle s'informa d'un ton calme:
- Tu crois qu'ils seront tout à fait ruinés?
- Ça se pourrait bien, si le coup réussit. On veut
acculer Beaurand à la banqueroute. On m'a fait lire
un terrible article de l'Echo financier: il n'y est pas
nommé, mais l'allusion est transparente, et l'on
annonce un krack imminent.
- Quelle alTaire, mon Dieu 1
- Je n'ai qu'une crainte, c'est que mon oncle nc
soit pas capable de supporter un coup pareil.
- Et sa femme, sa fiIIe, qu'est-ce qu'elles devlen.
dront? C'est effrayant, d'y penser 1 fit Mme Revel,
qui déposa sa fourchette sur sa tranche de viande
d'un air de renoncement, comme si l'appréhension
lui eùt enlevé soudain l'appéht.
Tout d'abord elle n'avait songé qU'à la chute de
ses propres espérances; puis une SlOcère compassion l'avait émue; peu à peu, une pensée moins
pénible commençait à sourdre dans son cœur:
~ A chacun son tour, de connaltre la misère! »
VTT
La foule des badauds se pressait, intéressée et
narquoise, devant le somptueux immeuble où avait
Son i~ge
la Banque Beaurand, Schould et Cie. Par
la monumentale porte de bronze qui ouvrait sur le
boulevard Ilaussmann ses lourds vantaux surchargés
un do,uble courant ininterùe rinceaux préte~iux,
rompu s'était subitement étabh, le Jour même où le
premi~
article d'un grand quotidien avait annoncé
comme inévitable le l<rack de la Société des Gisements d'or de Maconunga; aux. arrivants, qui les
IOterrogeaient anxieusement du regard, les sortants
montraient des visages désespérés.
Des troupes trépidantes et hurlantes assiégeaient
depuis le matin les guichets gnllés dernèrc lesquels
des employés donnaIent d'une voix blanche de confuses explications: " ... Affolement absurde ... Manœuvres iOfames ... Campagne financière abomlOable ...
Maltres chanteurs de la presse ... Influences ~tran
gères .... Mais ils prêchaient en VUID la confiance el
�L',A . rmT'R ATTEND ...
l'a.palsement débordés par l'affluence Imprevue des
demandes de remboursement, qui presque toutes
provenaient de la petite épargne SI prompte aux
alarmes de ce genre, ils s'étaient vus obligés de
faire attendre les porteurs de titres pour les payer
un à un, et bientôt même, faute de numéraire disponible, de les prier de patienter et de re';enir le lendemain. Et cette terrible réponse accroissait les
l;raintes et exaspérait les fureurs.
La foule de. dupes - dupes vraiment de leurs
frayeurs vaincs - devenait houleuse et menaçante,
Jes confidences, des jugements, des imprécations
s'é.:hangeaient d'un groupe à l'autre:
- Pourquoi le gouvernement ne ferme-t-il pas
cette caverne de voluurs ?
- Le gouvernement est leur complice. MOI, il Y a
~ix
moi" t\u'un me prédisait la failbte de la banque:
mais j'avalS confiance en ce Beaurand 1
- Lui Ï' 11 est aussi canaille que son associé, et
tous devraient être à Fresnes depuio longtemps 1
Un vieux monSieur, agitant un browning, se débattait aux mains de deux garçons de recettes: « Que
Illon sang, hurlait-il. retombe sur leur tête, il ces
bandits 1 "
Durant ces sci.:nes, les huissiers, groupés au fond
du hall, s'opposaient par la force à l'envahissement
de l'escalier, et déclaraient, en répon e a toutes les
demandes d'entrevue, que « MM. Schould et Beaurand se trouvaient l'un et l'autre absents de Paris
pour toutu la journ~c
>.
Pundant Ct; tumps, au premier étage, dans le
hurcau directorial, M. Bcaurand sout~nai
contre
~on
collaborateur une luite désespérl:e.
SdlOUld, petit lwmme court ct gras, dont la
bouchu lippue. le nUI: férocement nail'eur et les
oreilles décollées atte<;taient l'origil c germanique,
,"c tenait as. iH, lcs jambes allongées, h:s mains dans
Il !)uches, It: do enfoncu dan~
le capiton d'un
mou leux fauteuil, dans une attitude gros ii:remellt
Illc;ulcntu.
J)ebout dcvant lui, J 1. Hcnurand, pâle et frémis.
sant, parJalt d'une vni cntrocoup6e:
- Schould, JU vous on conjure, il y V8 pour nous
de l'hon.neur ... abandonner notre entreprise J vnu)ez'ous vOir l'Allemagn s'emparer d'un sol qUI ...
:- 9 h 1 pa' de sl:ntimcnt, mon cher, je vous en
pne, interrompit l-:·cb 1Ut'llt l' lisoçié. La situation
�L'AMOUR ATTEND ...
4'j
est simple et nette, et je vous la résume en peu de
n:ots: les actions de la Compagnie vont tomber il
nen, à la suite des manœuvres - déloyales, je vous
l:accorde - d'une puissante coalition Je capitahstes; ces capitalistes sont allemands, dans l'espèc\!,
Tné!:is peu nous lmport~
:. ils seraient espagnols, japon.aJs, montmartrois, chlhens ou auvergnat s que notre
Situation serait respectivement la même. Or, cc!'
capitalistes nous offrent de racheter tous nos titres
au prix de seize millions, un peu plus ch\.:r qU'ils ne
nous ont coüté. Si nous refusons, c'est la rume sans
p.hrase pour nous et pour les porteurs de nos titres;
SI nous acceptons, nous remboursons tout le monde
et nous sommes remboursés nous-mêmes assez convenablement. N'h(:sitons donc pas. Pour ma part,
moi, j'accepte. Quant à vous, mon cher Beaurand,
votre situation est celle-ci: Si vous refusez, vous
devez, à vous seul, rembourser tous nos actionnaires
et me rembourser moi-même, qui suis, ne l'oubliez
pas, copropriétaire avec vous de ces gisements pour
U;lle somme de cinq millions. Pouvez-vous me rendre
c~nq
millions? Pouvez-vous en outre rembourser les
cinq millions de titres en circulation?
- Schould, dans quelle situation atroce me
mettez-vous!
- Pardon, c'est vous qui voulez bien vous v
mettre, par pure sentimentalité, par Clltêlr ment
patriotique, par mysticisme, que sai~-jc
? Pour moi.
bien que je sois un Français dt. vieille ['(Icbe, pour
moi que le ciel n'a pas doué d'un~
ame sublim',
mais seulement d'un peu de sens pratiquc, j'estime
qu'il est absurde de lutter quand on n'a pa..; les
reins solides: je cède à nos adversaires, tout heureux
de rentrer dans mon argent. Maintenant, si VClUS ne
v~ulez
pas abandonnervùs cspoirs, immcnses. splendides mais relt-~
chim6riques, !ibn: à V(IUS 1 Seulement je vous le rGp<.!te, remboursez-moi d'abord, et
remboursez aussi tous ceux qui, commu moi. nt.:
croient l'lus au succès. Cela rait, vou", re 'Iurez
l'unique propriétaire de VIJ~
gisuments - tlont
l'exploitatIOn vous sera irnpl.Isc;lhle, faute de f"nd. et vous aurez dans vos colfres,. 1nif cent mill"
actions de cinq cents francs à trois sous l 'kilo prix
'
actuel du papier.
- Mais, Schould, 11 est invralstmblable que vou..,
parliez ainsi. Vous 5 vez, comme moi, que l'airait:
est bonne ct loyale, que les is ment existent, que
�l.'A~OUR
ATTENb ...
nous sommes à la veille de l~s
exploiter, qu'en mOl~
trant du courage et de la fermeté nous triompherons
de cette campagne de chantage ...
- Je ne sais rien du tout. Je crois si bien, au
contraire, à la ruine prochaine, que je tire mon
~pingle
du jeu.
- Schould, votre aveuglement me devient suspect.
Prenez garde que je n'arrive à vous soupçonner de
connivence avec l'ennémi l
- Mon cher, je m'inquii;te peu, dit le petit homme
en se levant et en prenant son chapeau, du jugemt:nt qu'il vous plall de porter sur moi. Je pourrais
vous dire que je préfi:re réaliser un honnête bénéfice avec une société allemande plutôt que de me
ruiner hérolqucment et patriotiquement avec vous;
mais je ne veux pas éterniser une discussion inutile.
« Au r.evoir. Si demain à m,idi vous .n'avez pas sig.n~
al'cc mal l'abandon de l'affaire, ou SI JemalU à midi
l' OUS ne lersez pas Jans nos caisses la bagatelle de
di\. millions, je ferme les portes de la banque et je
dépose mon bilan, comme J'en ai le droit. A demain,
et bonne nuit, pui que la nuit, dit-on, porte conseil.
VIII
- Comment, Lili, tu n'cs pas encore partie jl
Pierre Villey t'attendait à trois heures 1
Jacqueline eut un sourire assuré.
- Eh bien jl Dans tous los pays du monde, les
messieurs sont faits pour attendre les dames.
A di '-huit ans, on n'e:;t pas une dame, ma
chérie, et én tout cas Pierre Villey n'est pas un
monsieur comme les autres: un grand artiste, lin
ami de ton père, qui va faire ton portrait par complaisance; tu lui doi~
loutes sortes d'égards, ct
d'abord la .. impIe polit 'sse ..le l'exactitude.
- Mais, voyons, maman, je ne lui ai pas donné
rendel-vous devant l'obélisque: il m'attend chez lui 1
Un grand artiste ne s'ennuie jamais dans son atelier.
D'luJlc\.lrs, qUfllld il Connaitra la cause de mon
1 etard, drne l'arJllllllcra I\lut de suite: c'e<,t Ù faifL
t:hantcr ks \.:I)ut..:ur que j'ai pt'fdu mon temps. Que
PO~l!Z-\'iS
de mon costume'"
�L'A.\IOUR AfTEND ...
49
D'un ge!:>te vif, Jacl.[ueline rejeta la cape de drap
blanc qui la dissimulait toute, et apparut adorablement gracile et souple dans une t.unique de soie au>..
:ouleurs vives, ser~
aux rems par une large
ccharpe de bavadl!re.
- Croyez-vôus que cette ceinture orangée jette
une note assez chaude dans l'ensemble?
- Oh! charmant, adorable 1 SI;! récria Mme Beaurand. Mais où donc as-tu déniché cette soie rayée -r
C'est exactement ce dont je rêve pour doubler mon
manteau du soir. L'autre jour, chez Decroll, on m'a
~ontré
des étofTes pendant deux heures sans que
Je découvre mon at1aire.
- Ah 1 voilà! Je l'ai dénichée entre une soupiè.:re
d.e .métal et une paire de boltes à l'écuyère, chez une
Vieille brocanteuse barbue comme une chenille et
gluante comme un escargot. Sa boutique, au fond
d'une ruelle grise de l'ancien :Vlontmartre, était si
~le
que miss' Toppy n'a pas voulu ~'y
suiyre j elle
est restée à m'attendre sur le trottoll'. MOI, quand
quelque chose me plaitl j'ai du courage. Par
exemple! je. crois que la VIeille so~cière.
m'a vo!ée:
ça sentait SI mauvais chez elle que Je n'al pas pns le
temps de marchander, ni attendu qu'elle me rendît
la ~l1onaie
j elle demandait trente-huit francs, je
croIs: je lui ai jeté deux louis sur un marbre si
Cl'aR~eux
qu'ils n'ont même pas tinté, ct je suis
p~rle,
portant ma soie il. bout de bras, comme
Villey porte les homards qU'il va lui-même choisir
aux halles rouI' ses natures mortes ...
- Ce pauvre Villey, as-tu fini de le faire poser, et
Va -tu te décider à partir? reprit Mme Beaurand
ret~ouvan
tout li coup la notion de l'heure que lui
avait fait perdre un instant la vue d'une soie rayée
selon son goût.
- Tout de suite, maman, tout de suite [ cria
. l ,acqu~line
cn jetant un dern,ier co~p
d'œil dans
l, armolre à glace. C'est Loul~e
qUI a noué mon
ec~arp,
Elle a bien réussi, n'est-cc Pas? Jenny 5'Y
etait essayée d'abord: elle avait fait un nœud
co~me
on en voit SUI' les robes de distribution de
pnx à la campagne 1 Oh 1 mais vous n'avez pas
remarqué le plus beau: mC{l bracelets de chevilles 1
Desyièces authentiques, vous savez, ils provlenncnl
<lu Konak de Sélim Pacha .
• l~Ie
releva un peu sa tuniqu: pour 1t. montrer,
ct I:llmmc Mme Bcaurand. assIse sur un rockin"-
�50
L'AMOUR A.TTEND ...
chair, se renchait trop nonchalamment à son gré
pour admIrer ces merveilles, avec une gracieuse
aisance elle éleva son pied à la hauteur du nez
maternel.
- Jacqueline 1 Quelle tenue 1 Ma parole, tu
deviens d'une incorrection ...
- Si l'on peut dire 1 C'est le salut à la Nijinsky;
ce sera d'un usage courant dans le grand monde
l'hiver prochain. Et vous ne me demandez pas où je
les ai trouvés, ceux-là?
- Non, non, tu es sufrlsamment en retard;
dépêche-toi de t'en aller ...
- Bon, je raconterai l'histoIre à Villey; ça l'amusera, lui, murmura la jeune fille en revêtant la cape
blanche où elle s'engloutit à nouveau tout entii!re.
Alors, au revoir, maman.
- Au revoir, ma ch6ric, répondit Mme Beaurand
en déposant un long baiser sur la fraiche joue qui
s'offrait à ses 10vres.
Maintenant, Jacqueline se dirigeait vers la porte;
mais sur le point de la franchir elle se retourna, et
d'un ton subitement dégrisé:
- Maman, quand je vous ai laissés seuls tout à
l'heure après le déjeuner, papa ne vous a rien dit,
rien du tout j>
- Mais non, ma chérie ... Que veux-tu qu'il me
dise? Tu sais bien qu'il n'aime pas à parler de ses
affaires quand il est à la maison ...
- Aujourd'hui, pourtant, j'ai eu l'impression qu'il
voulait causer avec vous, qu'il avaIt besoin de sc
confier à quelqu'un ... C'est pour cela que je me suis
empressée de vous laisser ensemble. Qu'avez-vous
dit après mon départ?
Mme Beaurand eut un ~est
d'impatience.
- Rien qui mérite d'être rl':pélé, je t'assure: de
vaf;:ues réflexions sur le tcmps, bur les personnes
rencontrées dans la matinée ...
- Et pas un mut de \;et article terrible en première
page du l.ampio71 Rouge?
- Non, encore une Tois, non. Cet article, au sujet
~uqclt
l'aflules, ma pauvre Jacqueline, n'a aucune
Iml'0rt.ancc, ton p"'re J'a affirmé devant toi, cl il
dtllllHut s,[ vl'aie pensée. Chatjue lois qu'Lln financier
mnnte une grosse an~li'e,
ce a fait du bruit dans la
pr~se
ct '!onnc lie~
à qut.:iques' attaques ... Maia
SOIS tranqUille, ça o'emeul personnE: que toi.
-, Papa
rt &i
au (Mfe'untlt 1 Il n'Il ri b
�L'AMOUR ATTEND ...
rnatlge du tout... J'ai fait sem.blant de ne rien V()lr,
mais ...
- Tu as vu des choses qui n'existent pas, mon
enfant. Ton père a.mal à l'estomac,. comme to.us les
hommes qui travaillent trop et qUI ne se sOIgnent
poi~1t
. Dieu sait si j'ai ins.lsté, l'année dernière, pour
qU'Il m'accompagnat à Vlchy,...
.
- Oh 1 vous avez beau dIre, depUIS cette affaire
il y a quelque chose de changé. Et auj~r'hi
surtout, papa était dans un état de surexcitatIOn ...
- Quelle idée 1 Il vient de me téléphoner encore
tout à l'heure en me demandant si je voulais une
loge pour ParSlfoll1
- Oui, bien vrai 1 Il ne téléphonait que pour
~ela?
Ça me rassure. Je dois vous avouer que si
l'ai lambiné à ma toilette, terdu mon temps à rapar inquié.tude 1
Conter des histoires, au fon c~étai
!e ne me décidais pas à m'élOIgner de la maIson:
l'avais comme le pressentiment d'un malheur; et je
parlais, je parlais d'autres choses afin d'étourdir
mon angoisse. Je suis bête, par moment, croye.z-vous ~
Jacqueline s'arrêta, sufT?quée par l'émutlOn, les
yeux gonflés de larmes claIres.
exaltée, ma chérie 1
- Mon Dieu 1 Que tu e~
s'écria Mme Beaurand.
Et secouant affectueusement sa fille par le~ cpaulcs,
elle re_prit:
.
- Cours vite auprès de Villey. 11 chassera k s
papillons noirs. El surtout vcille à ce qu'il te peigne
en beauté.
- Oh 1 vous pouvt:!l. compter sur ma bonne volonté pour ça! Au revou', maman.
Le sounre ùe Jacqueline brillait Je nouveau entre
SC!'. cils mouill0s, cl elle s'élo~na
vive ct. légi:re,
gracc à un de CC!! prompts reYlrcment!:> qUI parl~.
~ent
aLlle observateurs superficiels la marque d'urtl!
nature incomistante ct laiblt:, et qui provit.:nnclll,
i.nlinimont profonde \;t
en réalitt.:,. d'une é~eri.
flch.e, quoIque mal dlsclpltnee.
.
'(lliey hahitait au fon..[ d'Au.teul! une pttite rue
~Iale
où des villa'> coque.lles s'égrenait.>.nt parmi les
que le ...!tlas emb.alllTIéllcnt au prinJard ins f~uils
temps. Son atelll'r, qUI occupait tout Je dernier
étag~
de S0,fi h6tel et où il p~sait
.les troIS ~luartR
de
sa ':'Ie, ét;llt comme un pellt unIvers où 1 pouvait
varier à son Rl'l ~tS
IJccu!lations et son point de VUe.
fi ;wall là, (lutre son aboratoire artilltl uc, une
�:r.!AMOUR ATTEND ...
Serr& plein. de plantes rares, une salle d'escrin,lSl,
une bIbliothèque. «A cOté du travaU, disait-U, on
devrait toujours avoir tout ce qu'il faut pour la tête,
pour le cœur et pour le corps. Quand on a nourri
son esprit, fortifié ses muscles et contenté sa fibre
sentimentale, alors on fait du bon travail. Pour ce
qui est de la petite t':motion sentimentale, moi, je
me la procure auprè:s des fleurs. »
Ce jour-là, en voyant entrer Jacqueline suivie de
miss Toppy, il réprima à peine un double sursaut
Je surprise et de joie; il ne l'attendait plus, et ne
l'avait même attendue qU'à demi: depuis l'arrivée
des Journaux du matin, il tressaillait d'anxiétt': à
I:haque sonnerie du téléphone, redoutant constamment d'apprendre la catastrophe.
- Je suis très en retard, Villey ... Est-ce que je ne
vous dérange pas r
Le peintre sourit.
- Tu t'es lait attendre, mademoiselle. C'est ton
droit. Et mon devoir est de t'accueillir avec reconnaissance quand tu veux bien venir, comme le beau
temps.
Il lui secoua allégrement les deux mains, et, lui
relevant le menton d'un geste familier, la regarda
dans les yeux ...
- Eh bien, je suis très satisfait de ta mine . Passons à l'examen de ta toilette.
- Voyez, dit-elle simplement, en avançant la tête
pour qu'il la débarrassât de son manteau.
Il l'enleva prestement et, l'ayant lancé sur un
divan, battit des mains d'enthousiasme.
- Ça, c'est de la collaboration intensive, ou je
ne m'y connais pas 1 Le tableau est tout fail : pas
une ligne, pas un ton à reprendre.
Elle eut un sourire modeste, ct s'affaira à déficeler un petit carton qu'clic avait caché sous sa cape.
- J'al apporté plusieurs voiles de l'Inde et de!:.
mouchoirs créoles pour le cas où vous voudriez me
faire un turban.
- Un turban 1 FI 1 Quelle horreur 1 Non, non: je
veux dessiner ta tête.
- Ah 1 s'il vous plaH, Villey, n'oubliez point nos
conventlOns. Ce n'est pas un simple portrait que
vous allez faire: c'est un tableau de genre intitulé:
La Vie en rose.
- Tu me rases avec la Vie en rose. Comment
l'C\I:--tu que je compose cela '(
�L'AMOUR ATTEND ...
53
. Mais c'cst lout :.implc, Villey . .Te I.e vois Sl hif;;l..,
lUOI 1 Je suis à la proue d'un navire. accoudée
comme ceci: - voyez-vou.s? - les .maif!s jointes,
les y~ux
cn extase, le so~nre
.émervl~,
le regarde
au 1010 l'horizon rose, et Je valS vers lUi ...
Jacqueline s'était agenouillée sur une chaise
basse, et elle indiquait la pose et l'expression avec:
une si enthousiaste ferveur, que Villey fut inspiré
du couJl.
...
-:- Ne hougc pa~,
cna-HI, que Je prenne un el"<J'lUIS.
Et tout en remuant ses brosses, il maugréaIt:
- Terrible gamIne! Il a rallu qu'elle vienne au
monde pour me faire faire du genre (
IX
Au jour déclinant, Jacqueline quitta l'atelier de
Villey. Elle avait posé comme un modèle de profession, ct ensuite fait honneur aux petits fours dont
le peintre prenait soin de s'approvIsionner quand il
recevait la viSIte de sa jeune amie. Ni à l'un, ni à
l'atltrc, aucune parole n'était échappée qui trahit la
commune inquiétude de leurs cœurs .
. ~ A quoi bon l'éclairer, si elle ne se doute de
l"len? pensait Villey. Elle connaltra assez tôt l'horreur du désastre. »
amI et l'empê1( Pourquoi assombnr ce pauvre
cher de travailler en lui parlant de choses tristes?
sc dIsait Jacqueline. Peut-être d'ailleurs que tout
s'arrangera ... »
Et tous deux s'étaient souri hérolquement jusqu'à
la dernière minute.
l\~I'.
dès qu'cl le eul quitté ~'artise,
la jeune fille
St.:n'It lunùr . sur son àme une ecrasante mélancolie.
Ilnt.: réactwn nerveuse, san' ùoute, suite de la fati:
gue oCl:asionnée par la pose, et surtout par l'eflort
surhumain qu.'ellt.: avait ~ù.rouni
pour garder l'appart.:nl:e d'un Joyeux optimIsme.
7 Dieu ( Qut.: Je suis I~se
( ~urma-lcIJe.
Et dit: héla le premier ta .• gU'elle vit passer
malgré les protestations de miss foppy qUl auraii
[lréf~
~)rcnde
un peu d'exercice.
'
�51
L'AMO UR ATTEN D ...
EJle donna d'abord au rhauffe u! l'adress e. d ..
Mme Revel, avec l'idée de rencon trer spn cousin ~t
d'appre ndre par lui quelqu e chose de nouvea u;
puis, prise d'une hate I11stinctive et bizarre de rentrer chez elle, elle modifia sa premièr e indicati on,
et recomm anda, en prenant bIen garde de ne pa"
i:tre entendu e par son institut rice, qu'on la menat
bon train. Cepend ant, celle-ci , remarq uant l'allure
anorma le de l'auto, comme nça de se lamente r et
\'oulut même interven ir.
- Non, non, mIss Toppy, pour votre propre
securité n'en faites rien, je vou le conseil le: quand
un chauffe ur a la folie de la vitesse, plus on le contrarie, plus c'est terrible ,
Miss Toppy, dont l'effroi dilatait les yeux et enIlait les narines , g~mit
d'une voix trembl ante:
- Quoi 1 Vous croyez vraimen t qu'en le priant dt:
ralentir j'augme nteraIs sa précipi tation horribl e?
- Oui, oui, j'en ai fait très souven t l'exp~rinc,
Et je sais aussi qu'il faut que nous revenio ns vite:
j'ai un pressen timent ... Connai ssez-vo us les presentimen ts, miss l'oppy?
- Non, je n'avais jamais eu ça, affirma l'Angla ist
.IVec autant de froideu r que le lui permet taient le!
frémiss ements de ses nerb et les furieux soubresauts de l'auto emport ée.
- gh bien, tant mieux pour v us, r~pliqua
.Jac(lut.:in~
qui devuna it de plus en plus pale et f';brile,
\.lt 'lui lIurait donné lus plus belles années de sa vic
IHlur arriver instaém~
n la maison .
Quand l'autom obIle ralentit Ses bonds et ~'arêt
,-,o!in devant la porte de l'hôtel, un soudain apaisement ~oulage
le ..:wur do la pauvre petite; ct co fuI
J'un ton calme qu'die demand a au valel de pied
qui lui ou\rit la porte:
- I ~ .. t-..:c que Madam e èst d~jù.
rentrée ?
- MadaoH': cf Monsie ur, l'épondi t le d()me~til[u',
\·:t ur un' lll>lIVcl! C interrog atiun, Il prGcI~l:
- Î\\adam e l t rentrUl' d'abord , ct ,\toosie nr en' uite,
.Ia..:quclilw sc huta ,Ilo!'.; vers la chamhr e dt: sa
mer
Mme Beaul'ilnd, étendue sur sa chaise longue,
o'avait plus t.ract.: de poudre de ri" sur le visage;
clic tenait d'Ullt main uo flawn de sels ct de l'nutre
un petit mouch[ lir de dentcll ' dont clic tnmponnai1
Il '. c~p(·rtm
ni .. !' vell nov~s,
�L'AMOUR
ATEN~
..
55
En apercevant sa fille, elle se redressa un p(,!u,
essaya d'affermir sa contenance j mais la tentative
était au-dessus de ses forces: elle éclata en sanglots :
- 0 ma chérie! Je suis ... nous sommes ... Ton
père ...
Elle tendait des mains éperdues à Jacqueline qui,
devenue livide, gardait tout 50n sang-froid, el se
refusa à l'étreinte trempée de larmes.
- Mon père ... Oui, mon père ... C'est cela d'abord
que je veux savoir ... On m'a dit qu'il était rentré;
pourquoi n'êtes-vous pas auprès de lui?
Pour toute réponse, Mme Beaurand fit un geste
accablé et sanglota plus fort.
- .J e vous en prie, maman, OLI est-il? A u salon?
Dans son bu l'cau? JI est seul, n'est-ce pas?
- OUI, seul, gémit la malheureuse femme d'une
voix entrecoupée. Il m'a renvoyée ... Il s'est enfermé
à c~f.
sous prétexte de ranger des papiers ... Et
mOI, je me figure ... j'ai peur que ...
R.elevant tout à coup la tête, son regard d'épouVante rencontra celui de Jacqueline, qui comprit
aussitôt de quoi elle avait peur, ct qui sans ajouter
une parole s'élança hors de la chambre.
E.lIe gravit l'escalier à cette allure folle qu'elle
avan toute petite, lorsqu'il lui v('nail suudain une
terreur nerveuse d'être prise à cache-cache; et, la
tête jetée en avant, ce fut du front qu'ell ' heurta la
p0rtc fermée.
- Qui est là? demanda-t-on d'un ton parfaiteme~t
calme, d'un ton dont la tranquillité inattendu
élail plus effrayante que n'importe quoi. Jacqueline
en eut un frisson qui la secoua de la tét", aux pieds;
et pla~nt
ses deux mains sur son cœur pour en
\:ompnmer les battements frénétiqul:s ... elle l:ssaya
de prcndre un ton analogue ...
- C'est moi, papa. '.
n 'i eut un silence. Sans doute un cœur avait
h ondl aussi de l'autre cÔté de la porte.
- Moi, Jacqueline! Est-ce que jc ne pUI' pas
cnlr '1' )
La volx, trop paisible pour être sinct.!re, parla cie
nouveau:
- Pas en ce moment, mon enfant: tu me d6rang" s.
J descendrai tout Il l'heure. Va rejoindre la m' Il ' ...
Si - Non papa, non. Je n'Irai,pas r joindre maman,
vou
ne voult? pas m'ouvrir, Je
''OU
a
nds Ici.
�L'A\IOU R AT"J:ENU ...
Elle entendi t qu'il remuait Ullt; d1üj,~
qu'il :,oulevait la portil!rc .
Pourtan t, il n'ouvrit pas. Mai~
il n'y a\ait plus
entre eux que la mince épaisse ur du bois S0n()rt; ;
et elle repnt plus bas, d'unr. voix trépida nte:
- Je vous attends ici, collée à la porte, d'où
j'entend s tout ce que vous faites 1
Il sentit passer dans cette déclara tion le soupço n
terrible . Il se vit deviné ... Et le browni ng qu'il tenait
encore trembla dans sa main brûlant e.
Ainsi, à l'instan t d'agir, il se voyait contrai nt de
remettr e à plus tard le geste libérate ur 1
Quand il avait résolu tuut à l'heure de dispara ltre,
il ne compre nait point toute l'horreu r de l'acte qu'il
accomp lis ait contre l'enfant qu'il allait faire orpheline. Mais à la pensée qu'elle enkndr ait Je déclic
de l'arme ct la chute de son corp , sa conscie nce
endormi~
sc réveilla it tout à coup. L'abom inable
lâcheté de ~a résuluti on lui dcyu1ai t tangible . Il n'
pouvait pas condam ner sa fille innocen te, son enfant
:Idurée, àoufTr ir cela 1
(J poussa un soupir qui ressemb lait à un gémi sel11ent, tandis qu'il précipit ait le revolve r dans un
liroir, ainsi que les trois envelop pes cacheté es où
s'affirm ait sa volonté lamenta ble.
Cepend ant, il travers la porte, Jacquel ine surpril
de lésers bruits, ct se méprit sm le sens des prépilratlfs faits pour la recevoi r.
- Para 1 Papa 1 cria-t-e lle désesré remcnt .
Et s'écrou lant à genoux elle se mit il prier à voix
haute:
- Mon Dieu, ayez pitié de nous, ayez pitié ùe
lui 1 0 mOJ1 Dieu, lie permett cz pas <Ju'il nous abandonne 1 Ayez pitié de lui, mon Dlcu! Sauvez- le,
sauvez son àme immort elle.
En entenda nt cette plainte, M. Beaura nclnc ~()ngea
l'tus à feindre, IIi à compl)$ er sa voi - ou son vIsage.
U ouvrit brusqu ement la pOfte, et relevan t la désespérée il avoua da"s un sanglot convuls if:
- Pardon , ma pauvre petite, pardon 1 Je tl,) promets qUI! je ne le fl'rai pas!
Et par-des sus la duuce têle au:\; boucles lloires,
son n'p-ar..! dl' ïepenlt r monta vcrs les lin ages de
~Ol\.
père yt de a lT1 c' 1'1.', q\IJ, dc' l<:ur~
cadre" d'or,
;l\'~Ien
1;lIlli a ,'iSll'r ,\ ,011 irn'w':d iahh: Ùt:fllitl:, cl,
l'illY l·lh·OI',·, vers I:e Oit.:l1 q\ll: Jacquel ine il1\'nquait
tllllt a l'h"ure, <:1 qui n'avail l'a~
pcrmis ccla, qui
�1
L'N\fOUR ATTEl\!D ...
57
,Jvait envoyé l'cornot bénie unt' s"conde avant Ir
ges te fatal."
- Pardoonez-moi, è>elgl1cur, pardonnez..-moi 1
Crprndant 1,,5 rayons rouses du c?llchaI,lt, entrant
par. la large baie vitrée .q~l
éclnl.ralt la pièce, semblaient une réponse mlsenc(!rd:u~
et éclatante
de Celui qui est la Vie et la f!lolre du monde, qui fait
le soir aussi beau que l'aurore, et qui seul a le droit
tle mesurer nos jours.
DEUXIÈME
PARTIE
Il n'y a qUt!)a l'au\Teté qUI puisse nous sauver
<.lu dl:shonneul', avait déclaré l'infortuné Beauran<.l
en cll:eouvrant à sa femmt! et à ~a filk toute l'étendue
dt; Son désastre.
~t
<.lu jour au lendemain. ils étaient dt.:ve.nus de
\'.nlls pauvres, abandonllant Jusqu'à leur <.IerIllt!1' L'entlme C.l jusqu'aux trésurs de I.:ur mobilier perS(dlnel
(1)ur Indemniser tians la rneSUfl.: Ùll pOSSIble ceux
qu'avait Il:sés la faillit!.: de la banque Beaurand
Sehould et Compagnil·.
'
Tandis que le gros Scboul 1 s'emharquait déjà
dans une nouvelle affaire, son mall1t'ur!.:ux assol'lé
était resté, selem ,,, t.:I'Llclle pr~dit.:l"\,
propri6tairc:
de plusieurs kilos d'at.:tions vendables au pri. du
pa1(~r.
TI avait tenu à les conseJ"\"er, J'ailleurs: 1(:
SCl:rétairc d'acajou du logement garni ou il était vcnu
(;lCl1el' sa d6tresse Cil dem~ul'ai
bourre du haut en
I~:,.
E~ parfoi~,
sc reprenant à l'e~p:ran(,
BeauranJ
I~'lat"
sa fcmmt':
...
Olland j'irai mieux, JI:! me rendrai là-blls";' tu
�L'A':'lOUR ATTEND ...
verras que sur les lieux je trQuverai des cqpitallstC&
capables de comprendre et d'exploiter cette formidable a/raire. Et alors tous ces vieux papiers vaudront mieux que de l'or en barre.
Mais le pauvre homme ne devait pas ~e remettro::
du coup terri hie qui l'avait atteint 0::11 pleine prCJ,;[1..::rité, à l'heure où il venait de donner k maximum
de son elfon et t.:royait toucher eniin au but de toute
~a
vie; l'omnipo<",nce par la fortune. Sa santé, déjà
mLllée par le surmenage, périclita de jour en jour,
et peu de mois après sa ruine il entrait dans le
grand repos, qu'il avait convoité et failli dérober
avant l'heure marquée par k Maitre.
En compensation de la dureté de sa vie, la Providence lui accorda une mort tl'ès douce. Il s'~teign
sans secou~,
entouré des iliens, a5Sl';t~
par son
neveu et par le curé de sa nouvelle paroisilc, une
paroisse de pauvres dans le quartier ouvrier de
Grenclle.
Ses dernibres paroles fllrent pour ~ a tille:
- Je te recommande à ...
[\ allait nommer François, dont la fidèle ollicltuue
nc s'etait POll,t démentie un instant, et qUI, penché
a ~on
chevet de morihonJ, surveillait Cil Cil rt: son
pouls défaillant. Mais Jacquelin .. , devinant sa
pensée, l'arrêta d'un regard plein le supplication,
et il se reprit:
- Je te rt:commandc au bon Dieu. Qu'il te bénisse
en souvunir de Ce que tu as été pOlir moi.
Et il mourut Cllmll1e on ~'enJort,
le yt:ux [1eu
à peu l:havlI'(:s dan;, l:lnuit éternelk, il la va..:illatton
~lt:s
bouglcs qui sc. c.()nslfT~aiut
sur lt: petit autd
IIll1'rllvhé pour le JIV1I1 vlatlqut:.
(1 mourut .Ians une atnlOsphLre dt: ~érnit6
parfaite, le Ç(Cllr apaisC: par l't'xtrèmc-onction, pleuré
par les larmcs silencicuses de eeu qui nt: pouvaielll
l'il' méconnllltre son droll all l'L'POS. Seule, Louisa,
restée ù l'écart à caUilt: de sa J()ult:ur bruyante,
.rnglotait !out haut dans la çuisine. La vieille
d'abandonner
négru e avaIt refusé éncr~Il]emt
ses Il hl1 1l'uS. Hllmble cl ohstînéu, ell!! répondait à
toutt:!l les objl'ctinns :
- MOI pas voulOIr de gages et mangt:r i pcn de
chose 1
Force aVilit ét<! d'acc 'pter son uuv(lucm(:nt ct dc
lUI faire place ,lU foyer exi~l1.
011 elle co Ich,lit
ur
�L'A11OUR ATTEND ...
un lit pliant dans une antichambre ùe trois mdre'
carrés.
En comptant cette se~vant
fidèle,.il y eut six personnes en tout pour SUIvre le convoI du pauvre ju:squ'à sa dernière demeure: les Revel, mère et ms, et
Villey, le seul ami qui eût gardé le souvenir et la
reconnaissance des dIners succulents de jadis à la
table fleurie d'orchidées.
Après une messe basse dans une petite église
Sans orgue et sans vitraux, on le conduisit dans un
cimetière de banlieue où on avait pu lui acquérir
Une concession à perpétuité, grace à une avance
d'argent offerte par Mme Revel.
",
.
- Je n'ai pas osé leur en parler, avait dll F rançol!',
en revenant de fermer les yeux à son oncle. Toi,
maman, va le leur proposer tout de suite .
.Et Mme Revel, Un peu offusqur,;c, avait ob~i
an .
laisser monter à ses lèvres la secrète protestation
de son cœur: " Est-ce vraiment charitable de le~
faire s'endetter encore? "
Elle s'était d'abord adressée à Mme Bl.!uurand,
qui l'avait renvoyée à Jacqueline;
- C'est elle qui décide tout. .le n'ai plus la tél\!
à rien.
Jacqueline, Ile, n'a\ait pas hésité:
- Je vous remet'cie, ma tante, el j'aecel li: aV'r
reconnaissance. ,l'espère pouvoir vous rr;;ndre cel
argent bientôt.
E,ll.' portailtoujôurs trb haut liO petit t.'te hrunr
et fnsée; cl ses yeu. clairs, qui regardaIent drnil
devant eu., parai:isail!nt ne douler de rien.
Une semaille aprÎ!s avoir quitté le luxueux hôtel
où s'était écoulée son enfance adulél! l!l choyée, ell!!
se mettait bravement au travail, acceptant sans
SOurciller tou1t.;g les charges de sa nouvelle existence.
,Elle avait pris la p'·emil·re placl' procurée pal'
VIII 'Y, qui proml.'ltait pourt<1nl de lui trlJuver mieux.
- ,l'en serai quitte pour cllanger si j'y décollvr'
mo~
avantage; mais je veu: travil~
tout dc suite,
<lVa,I(-elle d,':cidé avcc un? fermdé sans. répliqu<:.
I:,t depills, 1!lIc passait toutes ses lournées, dl'
htilt ~)eurc
du matin il six heures du soir, dans un
pensIOnnat de Neuil!' où elle donnait d s leçon~
d~ ~olfge
et cl dt.' s'In. Elle prenait son repac; de
[nldl à une tabl
le (t;fectoir dont on lui confiait
• ~Ul\
ilIlloc • L· jeudi, dIe COtidUlii It le p .. ll,>lurt
�60
L'AMOUR ATTEND .. ,
naires au bois ou les gardait dans les salles d'étude.
Moyennant tout cela, elle touchait deux cents
francs par mois, - cinquante francs de plus que
son père, qui n'avait trouvé qu'une infime place de
second comptable dans un magasin de quincaillerie.
On avait vécu de la sorte- pendant six mois ...
Et maintenant il faudrait vIvre avec moins d'argent
encore et un deuil incurable au cœur.
Pourtant Jacqueline gardaIt son allure fière et
confiante. Elle parlait avec assurance de rendre une
forte somme. Et son attitude choqua Mme Revel,
qui aurait préféré à cette prl:somption injustifiée
des efTusions émues.
- Elle m'a à peine remerdée, dit-elle à son fils
en revenant de l'enterrement.
FrançoIs regarda sa m(:re d'un air interrogateur;
il avait songé à faire son devoir sans escompter la
gratitude, et LI n'y pensait déjà plus. Mme Revel dut
préciser:
- Je parle de Jacqueline, à propos cie l'argent
que je lui ai remis ... Voyons, tu sais bien ...
n hocha la tête.
- Ah 1 OUI, la pauvre petite ... Elle ne doit rien
,;omprendre à cc qui lui arrive, elle qui jonglait avec
les pièces d'or sans les compter. C'est égal, die est
courageuse.
- Hem 1 c/Jurageuse 1. .. EJle a surtout le cœUf
sec, ct elle ne pleurera jamais beaucoup, de crainte
de s'ablmer les cils.
- Oh 1 ça, les femmes 1... Quand la coquetterie est
en jeu, elles sont capables de tout. MaIS que cc SOit
pour cette raison ou pour une autre, notre petite
cousine a un rude ressort.
Il y eut un moment de silence. Puis Mme Revel
l'epnt :
qu'clle reviendra vite surl'cflll. Pierre
- Tu \'era~
Villey, l}UI fi tant cie n:lrIO1~,
trouvera hien moyen
d~
lui aire faire un ridlc mariage. Et tout seri!
encore une fois pour le mieux dans le meilleur des
mnndes.
FrançOIs esquissa un It.I!-lcr sourire ironique:
- Ainsi, maman, vous Ill: ri'vez l'lillo; dl: JIll' voir
épousereettC' Jeune personne i frale 11', ~i charmant·,
1 spirituelle, et ql11 po' l, d!' ~ •.lnS en al'uil l'air Ull"
ensibilit,' l>l l'h •. un(' fdi 'on SI 'lure ... gt plli jll"i
encur' ';1 .Je "l/ll'> el! l'rie, 1 afralchic; C/-III'II 1 \
�L'AMOUR ATTEND ...
mémoire; je ne me rappelle plus tout ce que vous
me disiez à son sujet il ya moins d'un an.
La plaisanterie ne fut pas du goût de Mme Revel.
Elle fronça ses épais sourcils pareils à ceux de son
fils et trop durs pour un visage féminin, et se contenta de répondre à côté de la question:
- Mon cher enfant, j'ai pleine confiance en la
Sûreté de ton jugement. Tu te marieras quand tu voudras et avec qui tu voudras, sans que j'essaie de
t'influencer dans une affaire aussi grave.
Et avec cette inconscience touchante des mt:res
qui trahissent sans cesse le secret de leurs bonnes
intentions, elle ajouta:
- A propos, on est encore venu ce matin de la
part de notre cousine, la jeune veuve de l'avenue
Mercédès. Le rhume de son petit garçon ne guérit
pas. J'ai fait répondre que tu ne serais pas de retour
avant cinq heures. N'oublie pas d'y passer avant le
dlner.
Ce fut au tour de François de froncer les sourcils.
- Le petit garçon se porte comme un charme. Et
elle m'ennuie, cette vieille folle.
Mme Revel s'étonna en toute sincérité:
- Quoi! tu traites de vieille folle celte Jeune veuve,
qui a ce teint mat ct ces cheveux superbes!. ..
- ... Et ces yeux faits au kohl, et du rouge dans
les narines 1... Oui, cette jeune veuve qui a sCirement
doublé le cap de la quarantaine depuis quelque
temps 1
- Je n'avais pas remarqué tout ça, moi 1...
- Vous, pauvre maman, vous êtes une sainte 1
~urma
François avec un sourire qui n'avait plus
l'Ien d'Ironique.
Et dans un élan de respect ueuse câlinerie, il porta
à ses lèvres la grande main ~antée
de laine nOire de
cet.te autre veuve qui, elle, n'avait jamais tout à fait
qUitté le deuil.
11
Six coups sonnèrent lents ct solennels à la vieille
horloge debout auprès du divan étroit qui servait de
lit ~ Jacqueline. La pauvrette sc frotta teli yeux
,'élira, t't ·jveIIl l; nt st: \J;li ssa h(\rs Jes couv<;rturt'"
�L'A\[OVR ATTEND ...
chaudes. C'était son heure, la seule qu'die entendit
à travers son lourd sommeil de jeunesse et de fatigue.
Aussitôt levée, elle écarta le rideau de l'unique
fenêtre par où l'aube pale et glacée versait parcimonieusement sa lumière clans là petite chambre - une
..:trange petite chambre à la fois misérable et
luxueuse, où à côté de pauvres meubles indispensables, sc trouvaient de trè belles choses, comme l'antique horloge qui servait de réveille-matin, le tapis
d'Orient qui cachait le parquet mal ajusté, et les
quatre statues ùe saints qui ornaient jadis le studio
J'une riche et capricieuse jeune fille. C'est Pierre
Villuy qui a racheté ces objets à J'hôtel des Ventes,
ct a obtenu de sa petite amie qu'elle le' garde en
souvenir de lui.
Elle a pu ainsi conserver dans sa vie rudu et austac une partie du cadre somptueux qui parait son
existence frivole d'antan. Et parfois, quand sa petite
t:hambre lui appara1t à la lueur indécise et fantastique de l'aube ct qu'elle retrouve à ses pieds ks
tendres couleurs fondues du tal?is d'Ezankeut, ct aux
quatre points cardinaux les vieux saints candicl.::s
aux faces doucement épanouies, elle peut croire que
rien n'est changé, et que tout à l'heure sa jeune
belle-mère, vêtue d'un élégant déshabillé de taITetas
\'ihrant et de mol1u:-; dentelles, va venir la consulter
sur le choL d'un parfum, la compo .ition d'un menu
nll l'arrangement lliun surtout..
Mais lioudain elle entend tousser dans la chambre
\'Ilisine, cl l'lit; va entr'ouvrir ln porte avec pr Icaution:
- VOli N.:~
déjà r 'vr:illée, petit> mère .~
- Depuis Jongtcmp ;;, ma ch ;rie.
- Voulez-vous prendru votrl' chucolat lout li'
s uite?
- Non, non .. , Fais ta loil 'tte d'abord.
- Rst-cu qllu V'lUq ave1. chaud, au moins ?
- Oh, oui, trop chal1d mêmc
De la fii:\TC, alor .. )
Dans sa IOllglll' t:lll:misu blanche, ,Jacqueline
s':!vunt:c, grat:icllx fnnl!lmc, vers le lit dl' Mme Beallrand, l't l'Ile 1 rl!nd Jan., sa petite mall1 moite 1
potell'c 1','lrnit.:: main \.;<;he cl hrülunte qui Iralne
~lIr
les drap,;,
Mme HeaUl'lIn In'I; 1 pltlF: que l'ombre d'l'Ile-même.
hl1 nn' <lnntc. l'Ill' a vieilli de vingt an ; les jou
'! II l.
1. S pl\\.\pit;rc rouglC:s, le tempes ti ül~
CJ!lOt "
liu r
Il'e la dIre c et l~
..1éc uragement
�L'AMOUR ATTEND ...
par tous les pores de sa peau qu'envahissent d~Ja
le"
rides. La tendresse et la sollicitude de sa belle-fille
ne parviennent pas à lui Infuser une petite part de
l'énergie triomphante dont rayonnent ses vlOgt ans.
:- Ne t'inquiGte pa tant de .moi, ma pauvre petite;
tOI non plus tu n'as pas dormI ton content: tes yeu).
débordent de sommeil.
-:- Oh! moi, je- n'en .ai jamais assez .. Vous Connaissez ma paresse. Mals vous, pourquoI n'avez-vous
pas pris un de ces cachets qu\.: François vou a
prescrits le mois dernier? Vou cn cHiez satisfaite.
- Ils n'agissent déjà plus.
- Alors, allez lui en. demand.er d'autres. Il a JUStement consultation aUJourd'hUI.
Mme Beaurand secoue la téte.
- Mais si, maman, allez-y, insiste Jacqueline. Ça
Vous fera sortir un peu, d'abord, et vous verrez tan!e
Coralie par la même occasion.
- Je ne me soucie pas de la voir; elle est \)dieuSt:
avec sa façon Je \'OUS faire des reproches sallS e~
avoir l'air et de vous donner des cOllsells Impo sibles
à suivre.
- Mais François e t si bon pour nous! lt s'est
montré si dévoué à la mort de papa, vous savez bien.,.
- Oui, oui, je sais ... J'ai tort ... Mal c\:st l'lus fort
que moi. Je sui~
à bout, ma pauvre enfant.
Des larmes rapides se forment entr~
ses paupii.:res
gonnl: es et livides, et roulent sur les j'lues hâves qUI
semblent altérées de celte rosée amère.
- Maman, je vous en prie, ayez du courage ...
- Du couraf(e, pourquoi faire ( Pour me cramponner à la vic où je SUIS à ta charge, incapable dt:
te rcndn: aucun service ...
- Aucun service 1 s'écrie Jal:qudil)e sincèrement
inùg~ée.
Vous n'y pense?: pa~,
mama.lI: qu'cst-ce
que )e 'deViendraiS le SOI/', lor:qut.: Je l'entre <..le
Nt.:uilly, s'il me falla.it dlner to.ule st.:l~e
t:t passer Illa
SOlrL:\.: cn compugi1lC de LOUlsa, qUI ne salt causer
que q uund eIl\.: II re les cartes -...
Un pàlc sourire brille entre les lèvres <.le
Mme Beauranù; et la jeune tille, qui n'a ~uère
de
minutes LI perJrl:. profite de cette accalmie pour
regagner '<1 chambre.
Oc bri.:ves 1\hlutions d'eau glacée, les cheveux démêl(·s l'n hate, le chi~nl)
tllrJu à la diable ... Elle est
prête au bout d'un quart d'heure et ne jette qu'.un
�G.~
j.'kllU 1.. R AI TEi-lD .. ,
'~OUR
d'œil au miroir pour aju5 f er 110 r.ol d, nl0llSSC
line blanche sur sa robe nOIre d'orpheline,
Aussitôt habillée. plIe se dinge vers 1;J CW"lfjf' nI]
le chocolat, pr6parê par les ~otnS
de Louisa. (ume
dans une mlOuscule casserole de cuivre. Il y en a
juste une tasse, une petite tasse pas tout à fait pleine;
- Le chocolat est trop nourrissant pour moi: ça
me uonne mal au cœur, a expliqué Jacqueline à
Louisa qui voulait en faire aussi pour sa petite maltresse, au moins une fois par semaine, le dimanchc.
En hâle, la jeune fille termine les apprêts du petit
déjeuner maternel; Mme Beaurand ne mange que
les tarrthes grillées el beurrées par sa fille, qui sait
l'art de les couper bien minces, de les dorer à point
sans les sécher ni les durcir.
- Voilà, maman, dit une voix encourageante
tandis que les mignonnes mains habiles et soigneuses
présentent le plateau où tout est si appétissant.
Et maman consent à déjeuner sous Je regard attentif de Jacquelinc, qui ne veul pas s'éloigner avant
qu'eUe ajt fini.
Ensuite c'est à son tour; elle passe à la sali\.: à
man~er,
avale une tasse de café et visite la corbeille
à pain.
- Avez-vous déjà mangé, Loui'\a?
- Oui, petite Mademoiselle,
Il reste deux énormc's quignons, que Mademoiselle
enfouit dans sa serviette pour les dévorer en métro.
1':1 après avoir embrassl: sa mère encore une fois,
elle se sauve, vive, Jégi.'re, pleine d'entrain et
d'appétit.
- Au rl:vnir, Louisa, soignez bien maman, cri\.:t-clle de la porte à la nl:wessc, qui la suit d'un rl:gan.l
à la fois admiratif el compatissant.
Quelquefois, !es jours où il ne re~t
. pas beaucoup
de rain dans la corbeille, Louisa n'a flen mangé du
tout. Mais elle ne songe gui.:re à s'en plaindre. Les
yicux, ça n'a !1aS besoin de nourriture comme les
c'est de ne
Jeunes. Le gcU chagrin de la ni.!gl'es~H,
pas faire de chocolat pour J\{ademniselle. El quand
elle sent trop vide son propre estomac, elll pense:
- Qu'elle ait au moins du pain à ~a faim, Il petit
anget
�65
III
Mme Beaurand et Jacqueline terminaient leur
repas du soir, sobrement composé d'une soupe maigre, d'un œuf à la coque, et d'une pomme pour le
dessert, lorsqu'un coup de sonnette Impérieux les fit
tressaillir.
Elles échangèrent un regard .d'ét~nem
in9~et;
qu'est-ce que cela pouvait bIen etre? Une VIsite à
p.ll'ciIJe heure 1 Et d'ailleurs elles ne recevaient persoune, à l'exception ùe Pierre Villey, qui était justement venu la veille.
Cependant Louisa introduisait le vis iteur, dont la
haute silhouette hésita une seconde au seuil de la
~;l le
à manger.
C'était François Revel.
- Pardon, je viens trop tôt: vou s êtes encore à
lable.
- Mais non. Vous voyez: notre diner est fini, dit
.\lllle Beaurand en repoussant son assiette, tanùis
qlle Jacqueline, remise de sa surprise, sc précipitait
au-devant de son cousin, les malfi s tendues .
- Comme tu cs gentil de venir nous voirl
t .. ette exclamation nalve fut faite sans aucune
arrière-pensée; mais François Revel se la répéta
!nentalement comme un reproche: « C'est vrai que
le ne vais jamais les voir. Elles sont mes parentes,
pOurtant. "
Et il en éprouva une confusion soudaine, tandi s
cousines lui approchaient familièrement une
que. se~
chaise auprès de la table, que la négresse s'empressait dl: desservir.
Tante Coralie va bien ?
- Très bien, je te l'I.!mt:!rcie.
- Tu as toujours beaucoup de travail?
- Beaucoup.
Ti ré:rlOn<.!ait avec cllur!, et qllilnd Mme Beaurand
ph: sl:rt lanl qUt: cette \,j~itl:
:lIai t lIlI but, lui de:
Inandn, pvllr le lTl tt!l'e à l'al $l'. " (JU'05l ..:.: ~uc
VVIIS
n<lll, con tt:1 tI.1' neuf') .. JI '<: SPllti! fou !'ir, BICII qll'II
Lill lu COI1IJl:tIOIl d'apl'flll, 1 d'd"I'c',11l11: n/)I1\.:lc~,
il
III 87
�ti6
T.'A~IOUR
ATTEND •••
l:lait,génC: jJour cn parkr tant le candide compliment
de Jacqueline lui ayait été droit au cœur. fi venait
110ur lui être utile, et c'était fort bien. mais m'lins
g0ntil tout de méme que s'il était \enu simplement
pour le plaisir de la voir, ainsi qu'il eût dù le fairc
depuis longt.:mp~
Aus'si, au licu J'exposer tout de
suJte le but de sa démarche, s'appliqua-t-il à bavarder
de cbosl!s I.!t d'autres pendant plusieurs minlk~.
Mais son attitudt.: manquait dl.! natun'l, et une étrange
contraime per~ait
dans c;, manières.
" Est-ce que par ha·;,arJ il serait venu la demllnder
en mariage Ï''' supposa MinI.! 13eaurand, d'imagination
prompte et d'amI.! romanesque. Et elle songeait déjà
à éloigner sa tille sous un prétexte quelconque, quand
il aborda avec précaution le suje.;t de sa d~marcl1.
- Ne vous ai-je pas parlé d'une de mes cliente5,
"'lme Walkinton Ï'
- Il ne m'en souvient pa, fit Mme Beaurand qui
rêvait à toute autre chose.
- Je me II.: rappelle très bien, dit .Jacq udine. C't.:st
cette Améri<.:aine si ri<.:he, qui est paralysée depuis
l'age de dix-sept ans ct pa 'se sa l'ie sur une chaise
longue.
- Oh 1q uelte admirable mél1loi re 1s'ccria François.
gt dire que j'ai omis de lui citer cet avantage quand
le l'ai entretenue de tOI, ccl après-midi.
- Tu j'as entretentll.: de moi Ï' 1\. quel propos?
- Voici: elle avait jusqu'à prciscnt pour so<.:rûlaire
tlnc Anglaise 'lu i s'apprête ù retourner dans son pa 'S.
:Vllstress Walkinloll dt::sire la remplacor par une
Françaisc. Elle m'a dçmandé SI je connais!'''1 quelqu'un: j'al pensé à toi tout de suite; tu n.: f.crnis pri~c
r~Aulièemcnt
que l'après-midi, de Jt:ux àcinq heure,
)our de la correspondance el de.; la lecture il \"oi"
lallle, et exceptionnellement une ou dcu\. fois par
cmaine pour des séances dc musiquc où III a<.:t'ompagnerais au piallo de' ama1curs cie chant cl de
violon ... Tu IOllcl1rrais Irl)i~
cents J'rancs pur m<.>15 ...
C'est peu ...
. Jacquelin , qui dépensait autreoi~
Je!' men uaIté~
doubles [lour sa t(lilctte, bondit dans un véritable tran!-;port d'enthousiasme.
- COrnl1~t
donc! C'est Il: r'·ve! Quel l>onhcu :'1
Qu~J
bonhcur 1 Song' un peu, 1l1<1111an : flOU:; Sl'l'IClllS
jlrtlsque ridl\.! 1"
Mme Bcaumnd appuya:
I
�L'AMOUR ATTEND ...
- Tu pourrais dormir le matin tout tOll saoul. Et
le dimanche nous irions ensemble à la messe.
Par-dessus la table au tapis fané, elles échangeaient des regards d'extase.
François Revel en éprouva une des plus poignantes
émotions de son existence. Habitué au cruèl spectacle de la maladie et de la mort, il ne recevait plus
qu'un choc amorti au heurt des terribles drames de
la détresse humaine. Mais cette humble joie si spontanément avouée lui bouleversa le cœur.
- Que tu es bon d'avoir pensé à moi 1 renchérissait Jacqueline en jOignant ~es
petites mains dans
. un geste instinctif de reconnaissance.
- C'est trop naturel, il me semble, que je saisisse
l'occasion de t'être utile quand cl1e s'offre à moi.
J'aurais même dù la chercher ... Mais je suis très
surmené, comme tous les médecins, et un peu
êgulste, comme tout le monde, avoua-l-il avec une
confusion qui n'était point feinte.
!\lais ~a cousine l'interrompit, prise d'une inquiétude soudaine:
- Et tu crois que je ~craj
capable Je tenir l'emploi?
- Certes, tu en seras capb~e
et bien au delà.
Figure-toi que quand mi stress Walkinton m'a demandé si tu savais un pell d'anglai:-<, je suis resté
perplexe pendant quelc~
~ec()nd.
Jacqueline sc mit à nre.
- Oh! Quel affront au souvenir de miss Toppy!
- Dieu merci, j'ai eu lout à coup la vision de ses
I~ngles
dents subitement sympalhique.s e~ j'~i
pu
repondre avec une as 'urance qUI ne laissait flen à
désirer. Eh bien, si cela li.! t:ol1vient, tu n'auras
qll'à te présenter t:hez ml sI ress Wallmllnn le plus lM
Possible.
- Vas-y di~s
demain, Lily, s'cmpre~a
Mme Beau rand.
.
le v()udral~
bien, fit ,la .icune fille. Mais je
- ,~e
qu'a SIX heures du soir ...
ne qUitte mon pcn~lOat
- Cc serait trop tard, cléclara François sans
hésiter. Mon Aml'ricaine est très f(Jrmali~e:
à parti;
de cinq heures clic ne reçoit qu ses relations mondai,?es. 11 faudra remettre ta visile à dimanche prochalO.
- Quel dommage 1 nDUS ne sommes qu'à mardi ...
Ce sera bien long, opina Mme Beaurand avec L1ne
Impatience rl~6ie.
Tu ne , p()um~is
pas, ma chère,
demander un Jour de crlngl' il Neulllyi'
�68
L'Al\rOUR ATTEND ...
répondit Ja cqucJil)') 'IVf>( fl'I·lt!"l':.
l'r''mi,'I''' rü,-,sp. e~1
dl' rn'a ,:quiUrl Je "la tu.h·
a'·~J"I.
('1 d" Iii' l'a!" '!l'lll'i "J1('t,.~
,~"
-ltuali,HI quI"'
J'al été IH'ureu'" dl' 111\1I\cr et 'III' Je gilld..:nu l't.!ufêtre, au cas "ù ral1in~
quc Françllis me propose ne
"e con cl urait pas.
- Jc suis convaincu qU'elle se conclura, et, que
ma cliente et to-i en sere:'. 0galement satisfaites. i\lais
tu as raison, en attendant, de ne rien d0cliner de les
responsabilités présentes. Donc, à dimanche, jt.!
verrai Mme Walkinton, et je t'annoncerai si tu Il!
désires.
- Oh! oui, je t'en prie. Si mëme tu voulai - lui
demander de me fixer l'heure qu'elle prMt:re.
Mme Bcaurand s'entremit avec vivacitG :
- Pourquoi donc? Tu n'es pas encore à ses
ordres.
François Revel ne parut pas entendre celle interventio~
inlempc 'tive, et il -e contenta de rGpondrl! à
sa petite cousine:
- J'en cau 'c rai avec elle en tout cas, et je t'enverrai un petit mot de précision s'il ya lieu. Pour Ic
moment, voici toujours l'adres~.
Il tira de sa \i,)che so n stylographe el le calepin nll
il 0crivait scs ordonnances, et cn détacha 1I11(! feuill e.:
hulivemc\lt gril1'o\lnée, dont Mme lIeaurand ~e sa i il
la premi i: re,
- Avcnue des Champ . -Elys0es, 7:l bis. Un hotel
particulier sans douI!,) (
Et wmme Fralllfois faisait un s if.(ne affirmatif, ellt
pou~san
grussoupir:
- Quellt.: fol'lUl1l: ~a rcpé~nl
1 D\.:IHJis ( l'Il: \lOtiS
habitons il ('rent.:lle, Li ne me ~eml>
l'as qll'il yail
encore des gcns riches. Mon Dil.!u, comme la \'it.!
change vite!
- Autrdois c'est aux pauvres que ~ous
ne pouvic:'.
pas croire, ne put s'cm[)ècher de faire rt.:Inarquer le
cousin avec une légl:re trrJllie que Mme Buaurand nI.!
perçut point. Et il allait accentuer sa polnl!.!, qualld
Il en fut empêché par .Jacqueline.
Elle (wait Gté se pt.!l1ch!.!r sur l'Gpaule de ~a bcllL:
nll:re et, Ic.:s bras tt.:ndrernent pa~
sé'j
autour Ut.: SOIl
cou, elle disait d'une douce voix compatissant<.::
- Ne pense!. plus à tout cLia, petite ll1atn :II1 ... Cc
sont vos Id~es
n1lire s qlli VOIJS rellt\(>nl i p.de·.
Et rdel'ant ses yeux clairs ljlli allail:llt .t1I""ïlali';<'ulen! de lu dllll!IlIJf't'U f! fi g llr,! '111\,llt· enJuc:;uil :.Ill
L~
NIlI1. rn;)m~,
�L'A:\rOUR ATTEND ...
jPIJII .· d."I!:'lIr halll :lin el il'Ilni'illp,
dil" :
p ]ll"
Gg
s" lT\l '[dit l!Ji
" ltcgill de CP 5 ch,,\'cu\ J étf'll1l s, ces yeu... gonf1,.~
~ fl étrie !':, ('cs Joue!" cr~U,se
qom111cnt \.l uxtu être si sévère( avec elle, qUI Jalt ma1l1tenant partie
du grand troupeau des misérables? "
II comprit le muet reproche de ces beaux yeux inl répides et purs, S'avançant à son (\lUI' vef!' la malh\.!ul'Cuse femme si durement secouée par le deqin, il
saisit la maigre main fiévreuse dans sa grande main
tranquille dont le robuste contact exerçait bU t' tous
ses malades une vivifiante influence.
- Et ces nerfs, comment vont-ils? Est-ce que vous
dormez un peu mieux?
- Non, mon cher docteur, je dors très mal. Et
après chaque repas j'éprouve ces tiraillements d'estomac dont je vous ai parlé, gémit-elle,
.
Cercndant, une subite an}mation réveila~t
l'éclat
de son regard et l'expre ss IOn de sa phYiilOnomie
affai ss,:' e, Depuis qu'elle avait renoncé à plaire l:t à
OCcuper lt; monde de sa beaut(:, la pauvre femnl l.:
comme beaucoup de ses pareille s, n'était plus l'( S~
sédée que par le dC:sir d'intére ssey son p~ochain
à S~ I
santé chancelante. Et lorsqu'on s'mformmt cie se::; insomn ies et de sa gastralgie, elle éprouvait un chatouillement d'amour-propre asser. comparable à celui
qu'clIc ressentait autrcf0is quand on la félicitait sur
la rùussite cie sa coiffure ou de sa derni ère robc de
bal.
Y:ançois Revel avait v!te. remarqué ,ce [aibl,e, et,
clecI(\(; à le comhattl'e, Il In1<:rrompalt d'ordinaire
ce~
doléances d è~ le C\(:hul. Mais cc so ir ill es (:Coula
avec une inlassahk patience, c.ncouragea la malade
par de~
questions. ct d(;l,cn sa toute la diplomatie
dont il était susceptibl e ù lui lai sse r croire que S(ln
cas si hanal était particulier cl passionnant.
, «Pourquoi ai-je joué cette comédie?» se demandait_
Il apr1:s avoir priS congé des deux femmes, Son
examen de conscience fut href, et il sc refusa nettement l'absolution.
11 ~vait
.slIi\i le ,mauvais exemple de Jacqueline,
<;x~lke
aUJourd'huI da.l~s
le d~vole1.cn()m
I:lle
'tait nagll Lre olitranCl cre clans la fT'J\'nllté : maint\.!nant qu'on nt.; la gàta~
plus, il ,fnllail qU'cllc-mC:tnt:
gatat QUt:!clu'lIn. ,L~ 50',f dll ~ a ,c n~c
remplaçait rhez
~'I
cellc l Il pla
~ lr,
l'JI, ('tall l'\.!s lgnùc av ·c net:
n
Illdll1 er)!,' ill,,' cX lrrl', :Il':JI1l' t'. Il' ':!11 ·oul' de l'n e, e~
CI"S Ji'Ilc
�T.',\ TOUR ATTEND ...
somme, dans tout cela ... Il ~'el
"(lulait de oB. crMulité trop pitoyable comme s'il fût tombé dans un
pi0ge grossier, et il se repentait d'avoir fait cette
démarche au sujet de mistress Walkinton sans consulter <;a ffi0 re auparavant.
En rentrant à Ja maiso n, il vit la fenêtre de sa
chambre ciclairée, et il all a frapper à Ja porte .
M me Revel n'citait pas encore couchée ; assise dans
l'unique fauteuil de la pièce, clic: lisait une Méditation
cl!r'éllelllle, et elle fit signe à son fils d'attendre
qu'elle oût DOl 10 paragràphe commencé. Puis elle
posa son livre et parla la première.
- Comme tu rentres tard 1 dit-elle.
Il lui a\'ait annoncé, aussitôt après le dJncr, qu'il
sortal t pour un moment.
- Oui, je suis resté chez 1I0S cousi nes plus
longtemps que jo ne pen, ais.
Elle eut un léger sursaut:
- Ab 1 c'est chez elles que tu es allé ... J'aurais
pu t'accompagner.
Il s'excusa :
- Je no vous l'ai pas offert parce je com\)tals
'implement en trer cl s l'tir. C'est au sujet ~ 'une
place pour J acquol ine ...
H e. posa le cas à sa mè!re, qui serrait le: li.:vres
d'un air contrarié.
- Tu as eu tort, fit-elle b1'l':vement aussitôt qu'il
Se tut.
Il répliqua en manière d'excuse:
- C..:s pauvres femme:; restent seules au monde,
ct hien mal préparées à une vie si dure. J'ai .:ru hOIl
de leul' rendre servie!.!.
glle J'lJ1terrompit d'un ton péremptoire:
- Tu l'l1 auras des ennui!;.
- Il Ile raut pas penser qu'à soi, l111:re, l'I.!marquaEl
t-il, un peu choqué de cette iltrans~e.
d'ailleurs, quels cnnu ls t
- Oh! c'est faci le a prévoir: !li mistrcss Wa lkintoll
t.:s.t m'cont,'nle de ta cllugine, elle peul tr1:s bien t'cn
fa ire upporter leS conséquences.
- Bah ' Une cliente de moins , ...
- Une cli"nte à qui tu en dois une douzaine
'autre, rien que dans la oillnie américaine .
.- C'est juste; mais en cas (k défection, elle ne
.c cntralnerait pas toules â sa suite.
En cff..:t, je ~uposc
que quelques.une d'entre
"Ile sauront apprécier ton mérite et y tiendront,
�L'A roUR ATTEND ...
admit i\lme Re\el, entraînée il cette concession par
l'orgueil maternel.
Mais elle reprit lout de suite:
- N'importe, tu auras certainement quelques
ennuis.
It sourit de cet entêtement féminin.
- Sans doute, on en a toujours dans l'existence.
- Oh! oui, et surtout avec une parenté comme
celle-là.
- Evidemment, elles n'ont pas le même genre
que nous, convint le jeune docteur.
llrevoyait en pensée l'attitude caline de Jac luelioe
enlaçant le cou de sa « petite mi:re " et ce tableau
qui lui avait semblé charmant dans la réalité lui
revenait à l'esprit comme une manifestation de sotte
sen~ibJr0
.
Revel comme
. - Je croyais d'abord, appuya ~lme
SI elle avait lu dans l'ame de son hls, que le malheur
serait une bonne école pour ces natures superIicieUes Id d6séquilibrées. MaiS j'ai pu constater que
.Jacqueline demeure aussi chim6rique, ct Mme 13eaurand aussi incapable que par le passé. Et d'abord,
qu'ont-elles besoin ùe cette n~gres
pour les servir,
comme si elles étaient toujours des pnncesses de
contes de fées?
Et Mme Revel entreprit contre sa nièce cc sa
cousine un réquisitoire d61aillé que son fils. n'eut
garde d'inkrrompre. Tl éprouvait le beSOIn de
connaltre à fond ses griefs contre Jacqueline, et à
mesure qu'ils lui étaient CXP()S~
avee une convainc~nte
précision, il en ressentait une satisfaclion
hlzarre. N'avait-il pas été sur le point ùe soupçonnt.!!"
sa mère d'injustice à. propos cie celle fillette insignifiante? Ne s'~tai·l
pas caché pour accomplir une
démarche toute s imple? Le chà.timent n'avait guere
tardé!
....
Etrangement trouhlé dans su conceplion ordinaire
de la bOllt(: chr"tienne, il s'était abandonné à de:;
sentiments de faiblesse stupide el de complaisanc\.!
perverse. Mais le danger, mainlenant, lui aprni~
salt u:.ec une krril:le nl.!te~é
: après. avoir échappé
aux pieges de l'en)olcu"e. nchc, allall-Il s'y laissa
prendre paret: qu'clic était d"venue pauvre? Soltt.!ment, il lui avait su ~ré
cie gankr . es veux brillants
t:t son frais flurire on (V'pit de la f(Jrttine contraire:
cela prlluvnit tout simplellll:llt que edIt;; créature ~i
In:lt.! t.!1l <lpl'.ut!nct: l'fiS éd.\l1 Ulh: 5<l111":' ~(li
le, Cl
�ATTEND ...
LJA~lOR
personne ne songeait à lui l!ù1~ter
CC mérite.
Mme Revel le lUI reconnut même ùe la meilleure
grâce du monde :
- Ce qu'elle a pour elle, c'est qu'elle est jl:unc d
qu'elle se porte très bicn : aussi reut-elle travailler;
et elle en profite pour dorloter sa folle de belle-mère
et faire parade de son courage. C'est sans doute
là-dessus qu'elle compte pour conquérir un mari,
maintenant qu'elle n'a plus ses toilettes. Ce qui ne
l'empêche pas, d'ailleurs, de soigner ses cheveux et
ses ongles.
Mme Revel reprit haleine quelques instants, puis
acheva sa péroraison aveC une saine et sévi.:re
familiarité.
- Eh bien, veux-tu savoir le fond de ma pensée?
Si elle lavai t sa vaisselle, cela lui ablmerait un peu
les mains, mais ce serait un grand bIen pour son
àmel
IV
François Revel était pour mistress Walkinton non
seuh:ment un médecin en qui elle avait une foi
aveugle, mais encore un conseiller dont elle prenait
l'avis en toute chose, ct un ami qu'elle eût accaruré
avec une a/rection exigeante ct jalo\lse, s'il se fût
laissé faire. Mais bien qu'il Sc JG['endll l!ontre cette
Jame infirme et d'age déjà respectable avec bien
moins d'aisance que contre une Jeune fille à marier,
il savait néanmoins lui inspirer le respect de son
indérendance.
La riche Américaine, qui avait été soignéc et traitée
par toutes les célébrités de l'ancien et du nouveau
continent, n'était fixée sur la nature e.ucte de snn
mal que depuis l'avènement dans son existellce Ul:
cc jeune dOl:leur prl.!~qe
inconnu. Apr1.:s quelques
minute5 d'cxamen etuo très petit nombre de questions précises, il lui avait dit licitement:
- Madanll:,l'a':c·idl.!f11 donl VIIII, .LVe! (·t(· victifTlt'
ta occasiuonl: dld \)I
~ un,! gt,lve lé~IH
.le 1.1 l/lo ·IIL
6pinière; â Cl;lIC pHudy ie '1111 t:11 e,,1 1.1 .:ull '?'1Ut n" ,
la s
fcllCC [Je 'IIlInall
l' verel JnTai~.
l'u
)uant:.tu
lI!
Il'lIll:dt.:. VU11, Ill:
Vllll
divers Încol1vl:olt.:/lt:, d"l1l
�L'AMOUR ATTEND ...
73
v{)lJS souftrez par suite de votr' immobilil!\ ils ont
l(lUS pour 0rigllle Ilnp malaciie parlaitOOl'=!1l curable
a mon sens: f' p. nnlll
A celle déclaration, Uil éclair triste avait jailli des
grands yeux noirs qui illuminaient le pâle visage
d'une finesse et d'une distinction singulières au:
dessus du corps déformé par une obésité précoc<:.
- C'est vrai, dit-elle. J'ai quarante-six ans, et il y
aura bientottrente ans que jem'ennuie ... Ah 1l'ennui 1
On n'en meurt pas: j'en suis la preuve. Mais vous
supposez qu'on en guérit, vous, docteur?
- Je ne le suppose pas? m~?ae:
j'en s.uis certain.
Et la cure est même parllculwrement facile dans un
cas comme le vôtre, puisque vous êtes riche, c'est-àdire en mesure de recevoir ct de donner.
Elle avait eu un amer sourire.
- Quoi 1 vous me conseillez de me servir de ma
fortune pour faire des ingrats, pour attirer chez moi
des gens qui ne se soucieraient pas de ma personne,
mais qUI viendraient simplement boire mon champagne et danser autour de ma misérable chaise
longue.
-:- Non, madame, je ne vous conseille pas cela. Je
n'al point de conseil~
à vous donner, d'abord. Et
c'e.st tOut autre chose que je vous ordonne, comme
sUIte il la consultation médicale que vous me faites
l'honneur de me demander.
- Je vous écoute, docteur.
- Vous m'avez avoué tout à l'heure, madame, que
V?us. a~oriez
la musique; cl: bien, il .fau~
que vous
reunlsSlez chez vous des arllstes, profeSSIonnels ou
am.atcurs, qui vlcndront dans votre salon, non point
b~l.re
v?tre champagne ou narguer votre imoblt~,
malS hlCn cOmmUI1WI' avec vous dans un art que Je
con~il.:re
comme le pfus puissant de tous pOUl'
apaIser le cœur et pour c::lever l'àme. Vous consa~rc:ez
à ces réuniuns vos après-midi ou vos soirées
a votre choix. l~t.
d,ITlS la matinée, vous rtservere;
dt.:u. hèUI'l.:S au moins chaque jour aux. pauvres o~
à ceux qui s'en occuperont en vutre nom.
La gisante Jlroe~ta:
- .Je donne d6jà de l'argent à de bonnes œuvres ...
dunnerez aussi votre tel'!1ps et VOtre inté• - :V()u~
n~t.
dll·cct. Ne POUVi::,H'OUS recevoIr les infortunes
qUI s'adresseront à vuus, comme vous auriez absorbé
les potIOns que vous prescriraient me~
ordonnance '?
�7·\
L'A~IOUR
ATTL D ...
ABa~",e
et 5ubil!g~1'\
à l'i fois [.'a r cette autorité
ImpérIeuse, elle feIgnIt de nre :
- Et pendant combien de temps ce r~gime,
docteur?
- S.ix mois, madame. Aprl:s ce d6lai, 'Vous aurez
tuute liberté de choisir vou~-mêe
"os passe-temp .
et vos dislractions. Jc uis tranquille: vous y aurez
pris goût, et vous ne vous lais~erz
plus manquer
ni des un!; ni dcs autres .
.L1 avait tiré 5a montre et se levait pour partir. Elle
lUI tendIt la main:
- Quand vous revois-je, doçteur?
- Je suis à votre di<;positlOn, si vous vous
conformez à mon programme, madame. Sinon je
préfère m'ab tenir.
- Je. vais essayer, Uocteur. ReVenez demain, je
vous pne.
Deux années s'étaient Gcollkes uepuis le jour
1T!~morable
qui avait {'tt: pour cette femme presque
quinl1!>;~re
l'aube d'une vie nouvelle. Et au
,"urs de ces (h:U;\ années, elle n'a\'uit jamais ]lrÎ~
de
dt:cisÎlln importunte ~al
consulter sIln infaillible
'UUYeUf. Pourtant, bien qu'elle n'attendit de lui que
des IIH:rveilles, elle '::prouva une délicieuse surpnsc
lor que ,Jacquelinc Beaurand lui apparut si aûorahl ment fine et fra1che, pleine de gracieuse dignité
dans son j'une deuil d'orpheline .
• Ma pauvre petite cOUSine frappée d'une façon si
terrible JI, avait dit Françoi ' Reve\. Et mistre:is Wa)kinton 'attendait à un vi age anémié, a une allure
fiévreUSe ct timide, sinon à une m61ancolie geignarde
l;\ guindée. Elle sc pr~ait
à la patience, à l'inûul'en ·c.
, Elle resta slJp~faite
et ruvie, lun lis que la jeune
IIJle s'aval1çait, saluait en souriant, acceptait aVCl:
,lIS<l:nl:e le fauteuil qU'on lui indiquait al! pied de la
ju 'c commt:
chaISe longu', face li fuce aveC ~()n
pour un c. amcn.
[Ilterro J~e
sur t: 'Ulils et ses aptitudl'!\ elle rél',mdit "an tl'oubll! ni bu SI! mode til!. O~
sentait
quc ~hcz
elle l'li <tg' du monue ~tai
doublé d'un
~e.ns
111 né ~I
la. 111.c lIrl!, d'un tact pc!' ol\nel.. très
dEIIl:at qu.! ln ['lr,lIcnt u parole et s 's llIanll'reS,
la 1 lacer partout d,\I1s le cadre qui lui
et eml>~ant
conVenatt le mil!lIx .
c qu'clic l< it, jlllne, hi 'n portante.
. I>:lIu éta~
lohe t nJl~e,
ans Il 111' t .111 hOlll • hile ne t n'
�L'AMOUR Af1END ...
'1':1
tait point de dissimuler sous a robe noire les
lourdes bottines qui atténuaient à peine l'éléRanct:
naturelle de ses pieds menus. Sa main de fillette
aristocratique se dessinait souple et fine sops le
coton vulgaire des gants blanchis et raccommodés
par Louisa. Sous le chapeau de crêpe fané, ses bandeaux noirs ondulés brillaient comme du velours
vivant. Ses yeux, pareils à de claires fen~trs
grandes
Ouvertes sur son ame pure, conf~salet
sans dCtour: « J'aime la vie quand méme », ct sa bouche
prompte au sourire décelait sa nature épanouie cl
tendre.
Quand le premier m()~nl
d'étonnement fut passé,
mistress Walkinton examina la jl.!unc fille avec cc
sens aigu de la critique que possèdent le~
infirmes
ct les sédentaires; et elle demeura sous le charmc.
Lorsqu'elle se décida à congédier Jacqueline,
apr1:s deux heures d'interrogatoire soutenu, elle lui
serra la main avec effusion:
- Eh bien, mademoiselle, c'est cntcndu. Vou~
viendrez dès quI.! vous sercz libérée de vos occupations actuelles. Je suis r<l"ie de V()U~
avoir vue, et jI.!
ne demande qu'à vous n;vuir le plus tnt et le plus
Souvent pussibll.!.
Une semaine après, la nouvelle secrttaire entrait
en fonctions, ct lu juune docteur, à chacune de Ses
visites, .recevait Je sa cliente des remerciements.
enthOUSiastes.
- M.ais c'est UIlC perle que v/)us m'avcz donnée
lù. Elle est admirable, cher docteur, votre cousinc!
Sérieusement, Jl n'ai jalTI.uis ren~ot':
ul1.e jeu.ne
personne qUI mu donnat 1'1111 pressIOn d'un SI p~rlait
équilibre, qui se montrat é~ale1nt
saine de ctlr~,
de clcur ct d'csprit. En véritl:, on dirait votrl: sœur!
François It 'vt:l ne put l;'elTIp.êcher de pen· er à la
grimacc quI.! ferait sa ml're en cntendant d6li\Tcl" à
sa nièce lin tel ecrtilicat de perfection.
Et lui-mêmc cut un pb llIoqueur all coin de la
1 ~\'J"e
lorsqu'il rl'pondit :
- .Il' ne sais si ma cousine. elait flattée du ralpruchement. Pour mon cllmpt(;, je suis un peu
étonne: à premi'·rc vue, je 11C saisis p:IS qllelle sorte
de fratcrnit(, vous pouvez établir cntre ma frll te ,t
provincial\; personne et la subtile Pari i Hile qu', t
Jac9.uelin u.
Il tl 'S W.III illtOll Irdll ,1 Il i> 'l'aul'
- Vutlà bien une de '0, h"ut.ll\; 01 111 • .Il1e ,
�L'AMOLR ATTEND",
mon cher docteur 1 Il va sans dire que je ne parle
pas de l'apparence physique; mais vous ayez tous
deux les mêmes qualités d'ame : force ct sérénité.
Llo jeune homme secoua la tête d'un air ùubitatif.
- Sërt:nité 1 en ce qui me concerne, votre diagnostic n'e t pas très juste ... Quant à ma cousine, il sc
peu.t qu'elle continue à voir la vie en fose, selo n la
deVise qu'elle s'était choisie.
- La vie en rose 1 Que c'est donc gentill Et
comme ça lui sieJ bien 1
- En eJlet 1 Dan le temps, elle n'al"ait que ce
mot-là à la bouche. C'Gtait toute sa philosophie.
- Et la yôtre, peut-on la connaître?
- Oui, madame, mais je vous prtiviens qu'elle est
un peu plus grise.
- Quoi 1 Seriez-vous pessimiste, vous?
- Non, je ne le ~uis
pas, parce que je aois cn
Dieu et que j'aime mon deVOir comme une éllHlllapas cn la 1 ie
tiull de f3a volonté. Mais si je n'e~prais
future, Je trouverais 'lue les jOLlfS d'ici-bas ne vaknt
pas ce qu'ils cuiltent.
- Tiens, tiens, tien 1 lit mistress Walkinton al'ec
un l~ger
clignement de paupii:res.
Elle resta rCl1sive quelques secondes ; ensuite,
elle demanJa :
- M'lll cher docteur, au nom de notre vieille
amitié, l'ouleZ-I'OLlS me permetl re de VOLIS poser une
question trLs indiscrète?
- .l'accepte volontiers, madame, en me réservant
toutefois la liberté de ne pas répondre, au cas Oll
cela mc gênerait par trop,
gst-ce que l'OU5 ,liez <.Iéjà été amourcu.x ?
- Non, madame: je n'ai jamais Cil Il! tcmp~.
- Ah 1 c'e~t
donc cela ... fit la paralytique. C'.~l
~ela
qui ,,'us manquc pour VOir la li, en ro~c.
~ach:z-I,
m.on cher d(Jcteur, quand (ln n'a l'as la
\(~catl)n
rellJ..!ieusc, c'est-il-dire l'amour L'. aIt(; Je
DIeu ct d" prochain, il faut aimer une 1""I11I11C.
- .l'y ~()Ilgerai,
madame, répondit l'rançois imperturbahle,
Au fond, il n'était gUl:rc satisfait de cc renverscment des l'OIes, et R'irntait que ~a malade prétendIt
tu~
à ,c')L\P lui donner des leçons au lieu d'l!n receVOir, l'.lle s'e,n al'r~\I1,
Cl ~an
plu" in islcr obliqua
Yel", le~
c"lllldc'llL"'"
Moi non 1~:
,;c n'ai jal11ill Olim': . .l'ai ell tout
le temps dl! le tmre, mais jiunal l'"cca 'i()~l
: l1Ii!'tcr
�L'AMOUR ATTtNb ...
77
Walkinto11 a demandé ma main parce que r étai!';
riche, et je la lui ai accordée parce que je le savais
aussi riche que moi. Pour faire compensation à mon
existence de recluse, il a tant profité des bLens de
ce monde qu'il en es t mort. Depuis, je ne cesse de
l'aire dire des messes pour le repos .de son ame; je
'"!,c m'étais jamais tant occupée de IUl pendant sa vie.
e est mon grand remords ...
François ~Revl
lui accorda les circonstances atténuantes :
- Vous étiez dans un situation si particulière,
~i pénible ..
- Oui ... Mais ... peut-être ...
Elle réOéchissait, les yeux dans le vague, reprenant une à une les données du problLme qUI lui
avait paru jadis insoluble. Tout à coup, elle s'écria:
- .ie serais curieuse de savoir ce que notre petite
• Vie en Rose» aurait fait à ma place. Il faudra que
le le lui demande un de ces jours.
v
Mistress Walkinton comptait beaucoup d'amis
depuis que, strictement docile aux prescriptions de
son docteur, elle s'occupait elle-même des pauvres
~t donnait des réunions de musique. D'abord tri.:s
l~rmi:es
et réservées aux seuls exécutants, ces réuIlions prenaient de mois en mois une extension plus
grande. LI.! dt!rnier concert, donné par un orchestre
de trente instrumentistes, avait atil'~,
grace au>.
programmes exp!!di"s huit jours à l'avance'J)lus dt:
deux cents aucJLt<:urs, autant dire la totalIté es tlu~
qu'on avait bIen voulu comier.
Mistrcss \Valkillton, d'accord avec vIL méd.!cin
JlIgt;a la fatinuc J'une tel~
réception e>;l.essive, et
décida de r~pati
ses invitations en quatre sene'
~ue
l'un admettrail des sénn cs hebdomair~
à
Jour tixe. Sou!' sa dictée Jacqueline dressa des li 'Ct. .
et,fut char ~c une fois pour toutes d'assurer la dLstnbution de' petit cartons de bristol laconiquement
explicites. .
MhTfŒ'S W\LI\JNTON
Jeudi, ..10
tJ l,c\lrci .t
1Ij,;nuÎl. ~\U:,t
I C.
�L'AMOUR ATTEND ...
La corresponJancc de la riche .\ méricaine emplissait du reste la pre!'l.juc totalite des heures que la
jeune fille passait à l'hôtel des Champ'-'-Elysécs. Ell.e
en avait l'entière responsabilité et ne se trompait
jamais sur la qualité et l'importance des lettres.
- Ne me soumettez que ce qui en vaut la peine,
lui avait dit mislress Wali<inton Jès le premier jour.
Et comme Jacqueline la regardait d'un œil interrogateur:
- Non, non, je ne vous donnerai pas d'autres
indicatio.ns. Vous devrez juger vous-mêll"\e, et ne me
de suite. que ce. q UI vous semcommunt.quer ~out
blera vraiment Intéressant; Je letteral plus tard un
coup d'œil sur le reste pour vOIr si nous somme du
même avis.
Le premier jour le courrier comptait vingt-deux
lettres. Une seule parut digne d'un traitcmt!nt de
faveur; celle d'un jeune musicien peu 0loquent, qui
belles chuses au sUJet du
disait fort mal Je tr~'
concerto de Vieuxtemps exécuté Il! jeudi pr..:cédent.
Le lendemain lt:l courrier comptait lrl'nle-six lettres.
- Il n'y a ;'ien du 10ut, {it paisiblement Jacqueline.
• ~uf
1 C'est presque t roI' beaul pC!1~;a
mi~t
res.s
obllgentt
Walkmtoll, que sa preCl.:dent..: secr~tal
quotidiennement à lire IIne demi-dt)uzall1e dl
demantll:s d'argent et autant de cl)n~rati(1s
banales. Et elle Sc ~()ndal1
le stlir même ù prendre
connais ancc des trois dflllZainl.s dl. Il1i5Sive5. Elit.'
: allCllne de CeS fl.!uilll: s nI.!
fut édifiée ct raS~Llée
méritait de passel" par .cs lIlélil1 .
Cepl.!ndant, ./al:qlll.!linc CITlI)lllyait tout ~"1
tcmp
;1)' rép!)!lÙre. Car i la 1 i1.u v n:.impfl1l'l1lc st: ,Ihrmetlait la (alhc~st:
d, ne IHIIIlI IIr' son cllurner, clic
Ile .méconnaissait pas pl1l1r cela les de\Oil'S dc la
politl.!sst:, el se montrait IOlljours d'lIl1e e aclilude
Je vraie ~ral1ùe
dalll(; L'c."1 Jlollirquoi elle ~'at1.l
l'hait .une secrc1aire l'I\.:sqUl' uiliqu 'l11t.:nt "" '111 'e
à telllr à Jour sa c()re~9onJa.
Cela JI:mcurait
une .corvêc avec l'An!<\lalsc, q Ul ne savait jamai:;
Je ct.:
'Iuoi S'1.!11 l, nif, cl s'il1f"rmall "an ~o.:itle
\."ju'elle Jevait o.u ne devait pas écnrc; mais J'initiative de Jacqueline transforma ce séancell en houres
de ranquillité parfait· pour mistrcss Walkinlol1.
dont el~
ne s~lIict
I.'intervention que 'pour cc qui
cn.
ent.valait la pemc, ainSI que cela lui avait ét6 pres)1
�L'A'\fOUR ATTE.'n",
- Est-cl' que vou .. a\l'I, dc' loisir- dh!Z \OUS ,
mademoiselle.
A cette question, posée à brüle-I'llurpoint au mo,
ment où elle s'apprêtait à partir, Jacqueline se hata
de répondre:
- .!\lais certainement, madame, presque tout
mon temps est libre.
glla avait l'impression d'être devenu.:: rentière
\lepuis qu'clic n'allait plu à Neuilly j et ellc sc prol'osait ù'ailleurs de donner ùes leçons de piano
pendant ~es
matinées; mais Villey ne lui avait
011core trouvé qu'une élève,
- Dans cc cas, reprit l',\ml;ricaine en montrant
la pile de lettres prêtes à l;trc jetées à la poste, vOUS
pourriez faire une partie ùe ce travail cha vous. Dt!
celte façon, il VOll resterait un peu de temps pour
la lecture ct pour la musique, que nous n'avons pas
el1CtlJ'e pu aborder. Si cet arrangement VOLIS convient,
'IIU" touchcrci cent francs de plus par mois.
- Oh 1 maùamc, je ne demanùc pas mieu~
1 Je
V(JUS rt:~1Ccie
beaucoup, ùit Jacqueline tOLIte rouge
de plaiSir.
ht dit! rentra triomphalcment au logis aj)pnrler la
hflnne nouvelle à sa mère. Mais Mme 3euuran 1,
avec on humeur tournl!e au noir, se refusa à voir
l'airain' "us on aspect a\'untugclI x el à s'en 1\:IOutr
a l'CC ellL
Tu n.: devrais pas te lai!:i",cr accaparer par cctte
AII1L-ricaine, ma chl.!re. I~l COll1tnt.!llt rl!ras-tu en 'uill:
pour accel1ler Il!S leçons lJllt.! Villey cherche !,uur
tui Tien~
1 Il sort d'ici, jllslL'1llent. Vdll:v, et il so:
plaint de ne jamais le voir, Tu Pllurrais passer dlez
lui dt.! lem!,,, en temps. il l11e 'mhle.
,1:lcqllehn' ne releva pa cc I:e!'rt~ch
dont la r.::rlllutinll lui Cllt (:tG pllurt81lt hll:1l lu<.:lIe. SI elle 110:
1 Il <,uII pas. nul' 'nt .:\11:1. slIn \'ieil ami, c'est parct.!
'IU't.:llt.! savaiI qlle sa m"re glldl<lll son retour sur Il.!
ca lrllll d' 1<1 pendule. El\o: Se c"ntenta de répondre
Hl! uj t de' leçlln de lliallll :
- Rit.!n ne 111' '111pêche de disposer de me' mutln',(; ft IllU glli!;' ct de m'lIcquilter le snir dt.! la 1:01'rcspnndan 'e.
- l',t Il'!! "Irt'C Illusi\;ale. (JlIt.: 1\1 o\lhlies '?
- Ulle Illl deux fois par emaÎnl.!, vr,\,(,ns, et
même 1 lie; régli~!mcnt
1
1\\ (J\
1\ 'aunt nd l'0\lS 'a li Il gr<l.n i 1111 pi r
�80
L'A. 10eR ATTE D",
Enfin, . i c'" 1 l'01)f Ion bOllheu r, i" ,p'J. bi,,"
m" r·silZn .. r a nf' l'lu r;l '(''Ir dl] t!lut
1a l'Chte 111, l" .:hel1~
III' parlel 1'::\-, 1I.\n<;t ;
vous savel bien que mon bllllhl:u r est ll'être avec
vous, et je vous as ure que ce petit supplém ent de
travail ne nuira pas à notre intimité . Le oir, pendan t
que vous ferez vos réus ite', au lieu de broder un
moucho ir j'écrirai des lettres, et voilà tout.
Mais nous n'auron s plus l'agrém ent li.: .:au~e·
ensemb le.
- Comme nt ùonc 1 Vous pourrez me raconte r
tout ce que vous vouJn!l , et vou verrez si je ne vous
donne pas la répliqu e, a, ura la jeune fille sans :\ucu ne crainte de compro mettre son labeur.
Elle sa\'ait par expérie nce comme nt la pauvre
Mme Beau rand se laissait absorbe r par les cartes, el
combie n elle était rebelle au charme de ces cau~e
ries dont elle revendi quait si àpreme nt le plili. ir à
cette heure.
Jacquel ine n'avait pas encore assi lé au gran ...l
concert hebdom adaire de l'hôtel des Ch mp -Elysées; elle n'y tenait pas, à cau 'e de son deuil, el
mistres s Walkin tnn n'avait pas insisté, pour la même
raison. Comme beauco up de ses compat riotes, elle
posséda it un grand SOUCI du décorum , ct elle ne s'
ouciait point de voir sa secréta ire se produir e dan
son salon en stricte robe noire ct chaussé e de bottinec; à double semelle ,
,,- Quand \'ous le voudre /, \'OU' sere!. la bienvenue, avait-el le dit avcc une imp rceptib le nUun..:e
de l'I'oideur dans la voi,',
Et pour évit r tout mnlenh !ndu, elle ajoutait
presque aus<;it t :
- Vous n'auriez qu'ù metlr.: unc toilette blandle ,
Je vous r~se\'ai
qud IUCS aC~lIm'gncet!,
ct
cela ne manque rait pa~
de vous procure r les "l',ve!',
Quand .Jal:\lueline répéta ~(;
l'l'OpUS à s~
mèn:,
Mille B 'au rand parut \lJtoque e d'une tdle c. tgcnce :
C'e!it, vite dit, une toiletlc Ilanch e; il n'y a que
les ~ens
ncf:t: pour VOliS in..:iter aux dépcl1 e illutlc~.
'. ~u
~que
jlll!rS plus tard, comme la Jeune (ill
etait allée \lIlr Villey ~ur
la recornm andati\l ll
e; ~res
~ de a mtre, lui IIC jurait plus qUI: par leur
Vieil unll, ellc lui découvr it lh <; mani"rr 'l cOlltr,li nle
et un trllnt l'r.l:llc'':!1! C:,
- Allon , ),. \Ill 1It~
<;a n va 1 a tr .. ( mat, Il'
�L'A
:\ [Olï~
AT'! LI) ...
"ffalres, ma F\.' Iit , . n:péta-t-il à J e u ~ ou trI is J'1~
;jyec un mal1qu d'enthousiasme n Slbli'
~I
' f1 ':" \"
Et Il s'exLu~a
de ne pas lui avoir Irollvé d'alrc
~
leçons, qu'il n'avait vraiment pas l'air J'avoir chu'chées. Il l'avoua presque, d'ailleurs:
- Au fait, cela vaut peut-être mieux. Tu as un e
tendance à te urmener, et ta mère craint que ta
santé ne s'en res , ente.
•
- Oh 1 ma pauvre maman 1 Vous savez, Villey,
comme elle aime à se tourmenter, et comme elle est
subtile à en découvrir l'occasion. Je n'ai jamais si
bien dormi et mang~
que depuis que je travaille. Je
!'ouis rutilante de santé, voilà la vérité.
- N'exag~rons
pas, ma petite, "n'exagérons pas.
Tu es très Jeune et tu supportes l't:preuve ... Mais il
c t certain q';lc tu n'es pas faite pour ce métier: ton
pi:re ne t'avait pas l:levée en vue de ...
Jacqueline ,l'Interrompit, le visage empreint d'une
gravit~
soudame :
on, sans doute, mon pèl't: ne me de tinait pas
,
à cette e .. istence ; mais il a eu le temps de voir que
j'aurais le couragt.: de la vivre, et il s'est endormi
tranquille.
- Très ju:.tc, très ju ste... C'est parfaitement
exac1. .. C'est évident ... murmura Villt:y J'un ton
machinal.
Il avait quitté ,son fauteuil ct il marchait de long
t.:n large les mams dans les poches de son éternel
vest. 11 ~Iui
était à la fois sa tenue J'intérieur et sa
tenue Je ~al,
ell fixant un regard attentif sur les
pointe ' brIllantes Je ses souliers,
Svelte et \if Jans tous f;e mouvements, il garJait
une allure d'une jeunesst.: extraordinaire, et Jacqueline en fai ~ ait mentalement la remurque, au moment
Ol! il S'l:cria ;
- Ah 1 tu as rudement raison de prendre J.: s
l:ho es du hon t' lte, pendant que tu as vingt ans 1
Tu verra', plus tard, C'lmme l'hori7.on SI:: ferme, et
C .. IJlIllC le tClTlp . l' L'sc sur I1I1I1S 1. ..
- Bah 1 li Y cn a qui le s upportc:nt tl'''S bien!
V()U
~ , par l: ,emplc ,; \'IIUS n'a\'cl., pa~
l'air accablC,
Villev. Depui. "u~
JC vuus connal , ':DUS ne changez
pas. Je vou' JI toujours vu un peu grl ,un peu pult,
mais alerte comm ' 1111 jr.:lJl1e homme.
- Vraiment, tu trou\'e ' Alerte commc un jeune
homme 1. , s'\, . clamu l'arti s te. Et ce~sant
d'étudier
la p"inte .le " '<'; soulier,;, il It;\'a un regard ra\,ol1-
�<"t'"
l.'.\?lrOl ' R ATl'END ...
Il.1111 \(,1, il VI iICJ~',
'1111 venait de vider IlIlI' ta".~c
dc thl et. c mcttait a ''!'()quer Lks ceri e~ ,nec lIne
sage II1scJUôance.
- Oui, vou' êtes étonnant pour votre age, uéclarat-elle avec énergie, J'abord parce qu'elle le pen. ait,
ct ensuite parce que cela semhlait faire plaisir il
son vieil ami,
li vint s'aSSl.:nir en f'at:t.: d'die à la petite table de
lunch où l'argl.:ntelïc massive brillait sur les fines
dentelles du napperon.
Ma petite Lili, dit-il, il faut que tu me fasses
un grand plaisir.
-:- A vos ordres, cher maître, fit-elle :sans hl: itatlOn,
- Il faut que tu décides ta maman à venir diner
ici avec toi un de ces jours. Réunion de famille, bien
entt.:ndu : nous ne serons que nO\lS trois.
Jacqueline fronça ses sourcilS d~liés
...
~Oh! ct:la ... M:on cher ami, tout ce que VIIUS
\I)Udrel quand ça Ile dél)Cnd 'lut.: de moi ... !\lais
a une l>orle de ncurusthcnie
maman est terrible. I~le
claustrale, si j'ose 111'l;. primer ain,i. Je ne l'cu. pus
TlIéme la l1(-cidt;:!' à Il1l.:ttl'l: le pied dehors pour
prendre J'air. Françoi. lui a dit pourtant que c'était
Indispensable à sa sallt6, ct il: meilleur rem\:de
contre il:s insomnies nerveUSeS, ..
Villey ouvrit une parenthèse inal lt:ndue :
- Vous II.! voyez souvent, Françllis ~
- Ma foi, non. Il n'c5t Venu que II.! jour oÎl il
m'a offl.!rt ma fameuse place.
- Mais tlilc rencontres chez ~a cliente 't
- Jamai '. Il Y va le malin, cl IlH,i J'aprè ·-midi.
- C'e~t
un brave ~arçon,
en 1l1J1n\e.
- Un Ir,. bra,"~
j.!an;on. Et je lui dois beallcoup
dl.! l', connaissance, à III i aussi.
,Elle repOLI ~a II.! compotier de cerisl:s, '1 li 'cil.: avait
VIOl:."\ moit!é, et s'él ous<;ela l 'S lèvres avec la petlle
Cn"ll!ltc 1'11(e cn corn.:!.
- Là, )'UI hien 'Ollt( lit-dl'
~
11 ri ~)lIbta
:
'
.
- J our la p -ine, promets-moi de "cnir dm!.!I'.
, ",Ile 5'171 :'I}"ca plaider fi L ail ',Mai Illand if
'UJut lUI hlJre Jccld 'r le nt 'nu, ulle Sc déroha.
)' - ..~ q.uoi I:"n m.e !neltre l'cau fi la bO\tch ',mon
~ ,:~vle.
VII!I:Y: MOI, )e ne demunderai 1 (1 mJeUX;
li 01 1 .)e SUI,S lire que mdrna-n ne \,(llIdra pa ,
"HIlIIl"111 "ail Itlll l' venl! nu l"I::ic; , Il,' tint Il
?
�L'AMOUR ATTEND •••
promesse et parla de l'in ·itatio!1. A sa! rofonde stupeur, Mme Beaurand accepta tout de suite.
- Ça me changera de mes idées noire , dit-elle.
Quoique je n'aie pas grand appétit, Le serai contente
de m'asseoir à une table bien servi!. Et pui , nous
devons bien ça à ce cher Villey.
Revenue de sa surprise, Jacqueline sourit, heureuse de cet entrain inespéré.
- Eh bien, je vais lui écrire tout de suite, à ce
vieux Villey: Car je m'imaginais que vous n'accepteriez pas, el Je l'avais plutôt découragé.
Elle alla chercher son buvard, revint s'im,taller
auprès tIe sa mère sur un petit guéridon devant la
fenêtre, et traça quelques lignes avec une impétuosité qui dénotait l'enthousiasme, puis s'arrêta toul à
coup.
- Quel jour fixez-vous, maman? Do.;main, aprèsdemain (
- Oh J qut:lleJ1n!cipitation 1
- Alors, mar i Î' mercredi '
Mme 13caurand (Jt la mOlle.
- On pourrait atlendre à samedi prochain, Il m;
semble ...
- Soit, samedi, accepta docilement .Jacquehne.
Mais commc elle saisissait o:;a plume, sa belle-m!;re
se ravisa encore:
- .J'oubliais que le saml!ui est le jnur Ju urand
netto 'age. Souvent j'allie LOllisa ; d méme (\uand je
ne l'aiJ pa" ça mu ratigue de la voi r bou l!VerSel
tout ... Rl.!metlons Il! diner à lundi en huit. si ça t\:s~
égal.
- Nalurdlement ça m'est égal. Entendu pOUl
lundi ln huit. fit .Jacqu~lin
avec la résignation un
peu ahurie des geliS qUI !'enO!lCenl à .con:rrcndrl!.
Elle CUl, dès le lel1llc:maln SOir, l'explicatIOn de cc ,'
atermoiements. Comille clic rcvenuit Je chez mislrt.!!'-'" Walldnton, t:llc trflunl Lnui ' ;1 un fc:r à la main,
occupée à défriper tl.nl.! .jupe 1?lanche. Dt: son c(lté,
Mml.! Bl::aurand tra\'aill'lIl aUSSI à décnudn.: une garniture de cors8At'.
lu robt: en crêpe d· Chine, dit-clfe d'un
- C'e~,t
air ravi, Nous l'avons reluv"~
au fllntl d'une malk
que je n'avais pas cu le courage de. défaire. Il Sera
tri.: ' facile de la mettre à la mode; Je me charge de
la jupe, et Louisa cannait une ouvrière de Pàquin
qui habite dans la maison et qui arrangera la tuni·
qu<.' pllur unI;; pièce dL! di [ranc.
�L'/L'rouR ATTE::\D ...
Jacqueline, charm'::c de cette surprise, mèla poll1'tant se~
remerciement s de confuties protestations:
- Vous i::tes trop bonne de vous donner tant de
peine, ma pt.:lite maman: Villey sait bien que nous
sommes en deuiret pauvres. Il n'a invité que nous,
naturellement.
- Raison de plu pOUl' que nous le récompensions de sa délicatesse. Je suis sû re qu'il sera touch':: ljll'Iln ~e mette en frais pour lui seul: les arti te ' sont plus que quiconque sensibles au plaisir
des veux, et Villey est un grand artiste
~ tant mieux, tant mieux 1 " pensa "hiiosophiquement Jacqueline, qui se rappelait a olr entendu
Mme Beaurand traiter le peintre de I( vi"ux maniaque» à propos du n::gime sévère qui lui était imposé
par son médecin.
11 est vrai que depuis leur malheur il se montrait
\cur seul ami fidèle, leur continuant son d'::voue
ment et même les comblant d'attentions délicates à
l'heure où tout le momie le s délaissait. Rarement
une semaine s 'l:coulait sans qu'une gerbe de fleurs,
une corbeille de fruits rares, ou quelque gibier de
choix dans la saison de la cha~<·,:.
ne vlnt rappder
aux deuli. i ,ll\t.:es que L[lIclqll'lIn se souvenait de
leur eli.istence.
La jeune fille r'::lléchit aussi que les envois, qui
portaient aUln:f(,is L1ne su"-:riplilln pour elle,
étaient depuis l)ucqe~
mois adn'ssés à sa bellemhe; elle sc dit que cettt' manœuvre diplomatique
donnait des résultalg inc;pér('~,
et se promit d'en
féliciter le pemtr\! à la première occasion.
;
VI
l.,c fameux. lundi, au matin, Jacqueli!1e fut réveillé
avant l'h~t
Iaabllllclh: ur lin
léger brui, CIllent de polpier froissé, d en ommn!
i~ ye~x
clic ,lpC 1'<; lit LnUIc;a qui dépo!;ait sur. une
chalg~
~nc
bUlte blanche flcch:\: de ru c, pUI sc
gh~S<l1
u .pa" IClItn:s hors de la chamble.
Cela lUI rappda le ,ouvcnir du plus gro chagrin
de S(11i t.:nfanl:c. Un malin ..1..: l'Ilèl, lor qu'elle étail
\}UdqUCH mll)u\CS
�L'AMOUR ATTEND . ..
l,Jute petite et qu'clic croyait enCDre à l'Enfant
.Jéi:iU ' descendant par la chemin~
puur lUI apporter
lei:i joujoux du C iel, elle a\'ait aperçu, de même
qu'aujourd'hui, la vieillI:! Loui a plaçant un paquet
Jans la cheminJe, puis s'esquivant comme une
voleuse.
Elle en ressentit une impres~un
mélancolique
qu'elle secoua bien yite pour satisfaire sa curiosité
cl sc précipiter vers la bolle blanche qu'elle reconnut aussitôt; c'était un carton à fi1t::ts d'or sorti de
chez Ph0lyx, le bottier de la rue de la Paix qui aya;
t!U sa clientèle pundant des années; il contenait de
délicieuses bOltines de daim blanc ct deux paires de
bas de soie. Au moment où Jacqueline l'ouvrait,
Mme Beaurand parul à la porte de la chambre :
- Eh bien, ma chérie, cs-lU contente?
Ellu portait un peignoir de molleton gris IIsé,
donl le conlra-;tl: avec cc riche préi:ient fit mal au
cœllr de sa tille.
- Oh 1 maman, vous me gatez trop, t rop . .J'ai
honte ...
,lest sur l~argcnt
du ménage que nous avons
Ih.:onomis (·', LouI~a
et moi, dit Mme Beaurand avuc
une orle de hitte à prévenir les qUl:slions.
sa belleLà-ul:sSUS .lacquelllh:, ayant embras~é
mè'rl: el sa vil:illt! bo.nnu, se réjouit nntvement de
celtl: aubaine. La veille, en essayant sa l'ohe en
crC:pc de Chine, elle .avait songé que les souliers
vemis qu'elle comptait s'acheter dans un magasin
tic nouveaulés quelcnnqul:, et qui représentaient
d0jà un luxe inacc,llutum0, ne suraient guère assortis Ù Ra dt!licatl: toilette.
I.'ouvrière de Paquin av~il
réusgi un arrangement
du meilleur go(rt. 1':1 le SOir, qu~n
elle sc rq.;arda
dans la glace, a\1 moment c.le partit', la pauvre orphelin!: put s croire revenue au temps de son impecc:lhlc "Iégancc,
_ Toul de même, on a beau pr0tendre que la
jeun 'sse ct la l'ralcheur suppltent a lout I( reste, tu
cs encore plus jolie comme cela, déclara Mme Beaurand en la baisant au front.
Loui~a
e ·ullait. Elle tournait autour de sa petite
maltrcs.se .avl'c des 'yeux (lUi lanç.i~1t
des éclairs.
Tl. fal aIt un cr"'plhcu e de )I-~ln.
adorahlement
IUInlOeux ct dou:, Cc darne, dt.:C1dcrent de sc rendre à Auteuil en voiture découverte; la négresse
courut chercher un fiacre; Mme Beaurand pria le
�Rf,
L'A~roUR
ArIEND .. ,
cocher lie les conduire très lentement, lUI promettant un bon pourboire, et prit place sur les cou~
sins poudreux avec une satisfaction qu'elle n'avalt
jamais goutée autrefois dans sa« qua~nte
chevaux,,:
- Il me semble que c'est une vie nouvelle qUI
(;ommence pour nous, dit-elle, en humant l'a ir avec
dd ices à la traversée de la Scine.
Et, tandis que le taxi cahotait dans les petites
rues lr~nqui1es
et parfumées d'Auteuil, elle avait
un sourire apaisé aux lèvres.
- Je me bgure qu'on vit heureux, ici, murmuraI-elle. C~la
ne senl pas la richesse, mais le bien-~tr,
el cc d011 être également agréable pour le ll'ava ll el
pour le repos.
.
L'hôtel de Villey, fleuri du haut en bas de glycll1es
mauve~,
lUI fit pousser un cri d'admiration;
- .Mais vous y êtes d':jà venue ~()UVent,
maman?
- .lamais dans cèlte saison. O h 1 l:es fleurs 1
Quell!.! merveille ! Et toi qui ne m'en a" pas même
pari': la semaine dernil're 1. ..
- Non, 11t Jacqueline en nant, nous n'avons
narlé que de cc diner solennel.
"'Cependant un vieux domc tique à tête de 5énateur romain leur ouvt"it la pllrtl.;. C'était . Jn~eph,
que
Villli!y appelait volontiers Philémon, à cause de stln
épouse qui. exactement de son a~c,
ne possédait
pa. p lus de cll\.;\'cux l\Ue lui, mais uvait <Ill mOlllS
autunt de harbe, une 1a l'he dure et piquunt!.! qui
l'ui~at
p(ls~e\'
le" huuts cri aux murmots du voisi11<\(,e quand elle les e\1lhl'a sail; car Marianne, dite
Baucis, nourri, ail la pussihl1 des enfalll'i, et hiell
des foi!-o clic avait "ratilié Jacqueline de sc baisers
piquant~.,
au t l~pS
où elle. faisait gO\lter la p~tie
rnademol!lelle l.tli t rop 1'l.!llte pfltll' que l\O1~cur
s'occupat d'ellc. p'lus tard, pOlir elle la prel1l1' re, il
avail utlnlis 'lU'flll lunchàt dan on atelier. On allait
y dlner aujuurd'hul.
PenJant que Joseph débarrassait ce dame", .le
leun.
m a n te~ux
trop . I ourd~
pOlir la saison, et que
Ba.uc
l ~ Cnllalt ~(ln
œil il la serl'lln.: du -c!>llhule l'ol1\"
VO Ir comment _ la pauvre damc~
avait changé depui ..
,:;cs tnalh eurs , on entend it la voix de Villcy au haut
de l'e!;cu licr,
- .l 'ai fail mettre l ,'ouvert Jans l'atelier, mt!s~
d am es : ce la Vou agrée.t-il!
d uub le a.cela,mati ,," lu i répond it, t andIS qUl!
Josep h sc mêlait d eX(;UScr S(,o malt l'c :
l!ne
�1
r,'A\IOUn
AT:rEITD ...
(;c t p. ul-(·tr UI1 Ih'll 111"110111;11. .. 1\lai C"I1II\1I'
le Limor esl froid, on peut :'e permcttre cpIlc fallt.al sie. S'il s'agi:; ait de montcr des platb chauùs làbaut, dame) ça serait moin commode.
Le peintre apparut, rayonnant. 11 ollrit son bras
à l\[me Bcaurand pour gravir l'escalier, que Jacqueline escaladait lestement devant eux.
En entrant dans l'atelier, elle poussa un cri d'admiration. Toute la pil:ce était ùécorée de roses
blan\;he~,
depuis les hauts vases chinois d'ol! s'élançaient Jes gerbes opulentes jusqu'éIux carafes hollandaisc!> où s'ûpanouissait une seu le neur dans sa
fralche parure de feuillage et de boutons clos, ju qu'à la petite table parsemée de neigeux pétales,
Le granJ velum de soie de Chine qui tamisait
d'ordinaire la lumit:re du plafond vitré était relevé
entii.:rement. et le jour descendait du ciel sur les
choses en une seule nappe limpide ct pure. non
point le jour trop éclatant qui of{ense leb yeux. cl
change Jes vaJeurs, mais le tendre jour du soir 'lui
caresse le" prunelles lasses et laisse à chaque ohlet
bon rayonnement propre.
- Vous nou!> gate;,: trop, mon cheramil s'exclama
Mme Bcuurand.
- Et en quoi donc, s'il VOliS plaît? C'est une
belle heure qui passe, voilà tout. l'ant mieux si on
ln goltte bien ici.
Jacqueline se prit à rire:
- Prenez garde, Vilt..:y. V()US devenez pl)Lte:
vu~
allez être amoureux.
Elle était en train J'examiner l'ébauche d'un portrait de femme, et elle nu perçut point lu malaise
que d6~agcl1
sa plai~nt(;re
innocente. Mme Beaurand fut prise d'une billlrre quinte de toux, tandis
que l'arll te affectait une ",rave perple. it~ cn COIl1parant l'heure dt.: sa montre ct ..:clle de l'horloge.
- Josel h servira quand je ,Ilnncrai, dit il. Je ne
sai :;'il est sepl heures trenll.! IlU ,'~pt
heure quarank-cinq.
- Quelle imlwrtance cula a-t-il? rit la jeune filll.!
en. ' rctl)uman1. Nous mangeron quand VIlU . aUre:l
tâim .
. - Mai (oi, tu as \'oix au chapitre, madcnlOielle 1
-- Oh 1 moi, Je sui' toujour'l pr~le.
- Ah 1 c'est Cll1l11l10d • \Jn e tot1lac ,11: vingt ans 1
•..·cnu le p '1l)lrc. Eh bien, c;llmm'" 1 Illi la prin
�LjA~fOUR
ATTEND ...
c.ipale i!\t res sé , ,,:i ta mère 1< ['Nnlf'l, je ~o n('
tout
de c Ulte· 'OU S :)lJ[I' ns ain i 1111(' 1OIng"" sOlrè a
pat>ser ail jardlII .
- C ' cher jardin 1 gst-iltoujours aussi sauvage?
demanda Jacqu<:line en prenant place à la petite
table précieu~mnt
servie.
- Toujours. Il fait la honte de Philémon et le
désespoir de Baucis, et s'il n'élail caché uerrii.:re la
maislln, je crois que leur n:;pect humain serait plu~
fort que leur attachement pour moi, el qu'ils m'abandonnt.:raient plutôt que de supporter cet afOigeant spectacle. Philémon y vomirait de ' corbeilles
de fleurs en dômes ct Baucis un carré de salades ...
Les pauvres gens mourront sam réaliser leur rève;
c'est un accident qui arri\'e aux manants aussi bien
qu'aux personne . de qualité, pour parler le lanpugc
du grand si~cle.
Qu'en pense -tu, mademoiselle Vie
en rose?
- Tiens 1 Il Y Il longtemps que vou ne m'aviez
pas ap(;\~e
ainsi 1 Je pen SC , cher maltre, que le
meilleur remède à cet accident, c'est de ne pas
nourrir qu'un seul rève. Le monde est grand, Cl
l'esprit humain, si borné que le prétendent les gens
malveillants, emhras:-.e l'univer"i bien au delà uu
monde. 11 faut faire des quantitcs de rêvl.!s: ùe cette
façon, on r~alise
toujllurl'> l'un ou l'autre, ici ou lù ...
- Oh 1 gronda Mme BeauranJ scandli~é.!
de tant
d'optimisme, c'est facile à din: 1.. ,
- Mais elle a raison 1 déclara Villl:)'. Elle a raison,
la petite. QUI.! penscrio-~'1
d'un pavsan 'lui,
ay.ant la propriété d'un champ Imens~,
n'y CUltIVerait qu'une seule plante 't En somme, C'I.!!;! cc que
font la plupart des mortels; et ib s'étonnent J'être
malheureux L ..
Cepl.!nc\ant Joseph venait d'allumer UI1 réchaud
d'a~L(ent
sur lequel it plaça le cun~lmré
de vfllailles,
tju'll servit d'une main IIrt,; apri:'i lui avoir laisse
prendre un dernier bouillon.
Au potalote succéda ulle langouste, puis une pouI~:dc.
a la ge 1.:: e, un foie gras ct ullt.:alade rls~e.
C \.:talt l!1l véritable fe!'.lin, auqud IL. ma1lre de la
m~l(n
l,ut ~eul
:: Ill.! pas faire h'll1l1eur: 'i U gastralgli'
n:: .IU,l I.)~
mit quo u.ne cuillt.r ~e de potalle ct un blallc
d allt, a\ec IUIlI 11 s'occupa de son rniclI: l'0rlallt
bcauc\)up ct sc d~!1el<
cI/mm\.: quatre I~olr
qll .
~n
abstl nt:ncl.! ~l' Iut pa trop remarqué..:.l\lme UeauIMld, au cOl1tr,ur.:, dlna prt,; 'lue au si Illlil que ri
�89
hplle-fille, ~race
il un de ces brusques revircmenls
lie santé fréquent· cho::z les pen;onnes nerveu·es.
A la 11n du rcpas, comme le jour baissait:
- Monsieur désire-t-il que j'allume ~ demanda
Joseph.
Villey, du regard, consulta Ces dame' :
- Mais non, nous y voyons aSSez pour unir. Et
maintenant vous pouvez vous retirer, dit-il au vil:uX
maltre d'hôtel qui venait de poser le dessert sur la
tablc, et qui n'obéit qu'après avoir débouché le
champagne placé dans un seau de glace a la portée
Je Monsieur.
Le clicquot d'or étincelait dans les fines coupes
de cristal, et Jacqueline savourait le orbet aux fruits
à pelites g'lrgées gourmandes, lorsqu'il sc produi 'it
un bizarre sil~nce.
Et, levant le~
yeux, elle aperçut
sa mère et Villey qui échangeai '111 des regards de
conspirateurs.
Elle posa la petite cuiller en vcrmeil Sur la soucoupe de S\:vres où la glace rosée 1rillait comme
un déco!' nouveau, ct elle demanda, un peu dlàrée :
- Que sc passe-t-il ?
- Ma ch6rie.. ma chérie ... commença Mme Beaurand. C'est aUJourd'hui. .. Ce tllner ... Ma chéric ...
Notre excellent ami a quelque cho e à te dire ...
Jacqueline, de plus en plus ahurie, se tourna vers
Villey. Mais celui-.ci! ~evnu
rouge comme un coq,
s' leva de table preCI!)ltammenl.
- Rien du tout, moi, nen du tout 1... C'est à vous
de lui expliquer ... D.ites-Iui lout ce que vous voudrez ...
[~l
ayant balbutIé cette protestation étrange, il
quitta fa pièce.
- Ou'est-ce que tout cela signifie, maman? Quels
~ont
ces mysti·res?
- Tu ne devines pas, ma chérie?
Les yeu,' écarquillés de la jeune [Jlle donnaient
clairement à entendre qu'clic ne devinait ricn en
l'occurrence.
- Ma chérie, notre ami est prèt à mettre à te~
l'jeds, à assurer à ta jeunesse ... Tu sais combien il
... .'l'u \Ois comme, il est alerte pour
aimait tOI) I~l:re
son fig .... 1'.n!II}, il l'eut. .. Il <;sp' l'C ... li flOllS fail
l'IlOnncllr dl III' ,It:mantkr 1..1 mainl
Are CIJUp. ,b(' ueline, '1\11 ût:!,uis LIli 1II'.IIlt;/11 .C
llIolll/Hlf [ll'Inti,,\! l':ll' 1.1
lltr.ri ,c, I."ndll, cl d 1.1
;1[1'1 fI1ùna~t.:/l\e
:
�L'AMOUR ATTeND",
1\ Il 1 bien 1 En voilà une solle idée! Si c'est vous
qui lui avez ffi:is <;a dans la t~eI.
,
,
- Oui, OUI, c'est ta mèrel affirma VIlley, qUI
n'était pas allé bien loi!", et, ayant ,pris soin de n~
1 a~ fermLr la porte derrIère lU!, avaIt entendu le cn
du cœur.
D'un bond, il venait de rentrer dans l'atelier, et il
dIrigeait un index accusateur vers Mme Beaurand,
qlli débouchait un flacon de sels d'une main convulsive.
- Oui, c'est elle qui m'avait mis cette sotte idée
dans la tête! Mais elle en est sortie plus vite qu'elle
n'y était entrée.,. Sois tranquille, ma petite Lili!
vu
La sOiree <lU jardll1 rul mC:lancolique, malgré 1'0::,:
efforts de Villev, qui avait il cccur de montrer JI1e
complète ab. t.:nce de dé] it q\lant au piteux échec
de la ridicule aventure où il s'0tail embarquC: malgré
lui.
Jacqueline éprouvait un léAcr remords , de la
farouche sincéritl: qu'elle venait de met! ra à dISSiper
le malentendu j elle craignail d'avoir manqué dt'
doigté en la cin.:onstunce, et trop peu ménagt.:
l'amour-propr de son vieil ami, si dé\'llll ".
Pour Mme Ueaurand, bien qu'elle s'apl'liquilt Ù
la
fnire bonne contenance, die C!tail sen~ibl1ct
plus affectée des trois 'n voyant avorter un plan qui
con,slituait son œuvre propre ct, oc~upait
dep~li
des
mOIs le centre dc sc' Jl1l:dllalllJns laborJl!uses,
Ain~,
tant de t1illomalil! employée à conùuire à un
manage extrava!-lant un cL:libataire forcen':: ('tait
J1o.!rdue d'un seul coup, l'nI' la faute de Cette toquée
de Jacgueline, qui ne pn:nait même pa la pl.!in· de
~(:nchr
aux avanta cs Je la gituationl Sang dQute,
11 aurait fallu la préparer, celle-là aussi, la cuisiIlt.:1
Innf:\uemcnt, comme 1 !' illll'<:, un vie\lx dur :'t cuil'\'
('epcnda~l,
qU'clle avaJ! !-l\1 alT"I~
a\l P\JIl1t av 'Ci
1I1le SI sure dextérité, Mai comnJ 'nt s'altp.!I\,lr· li e(
['romp! ~t
('n\ r i 111' rchl !ol li' III pari d'ulle lI:t1t,
tourthe f Mille IkauranJ t\Ylllt
uPI''' é 1\11' II,'
�r,'A:\lOUR ATTEND ...
~'r
f ndrait la clwsc galm~I,
cl qu. ' <.:da ~ 'ar,!I1.;cil
·t' ntre deux éclats de rire, le pre mier un 1 e u moqueur,
le 5.econd un peu attendri; mais cette protestation
netk <:1 vigoureuse l'avait surprise sans défense, El
par Jà-dcssu ', <.:c Villey qui se mêlait d'êeollter au)...
portes! PuislJu'il avait jllf!.é pr0férable d,~ sortir, qll<.:
n'était-il sorti tout de bon!
La pau ITe femme repassait dans sa tête les mis~
l'ables in<.:iL1ents auxquels ellc altnhuait la ruine dc
,cs projets, et elle avait maigri! elle le regard moroSe
ct le ri ctus amer dc ceux. qui sentent, à tort ou à
raison, la fatalité contre cux; Je plus, le bon dîner,
qui avait paru léger à ses grands e:,poirs, semblait
lourd à sa décllption, Une averse oprortune fut un
précieux prétexte pour abantlonner le jardin ct
prendre eong~
de bonne hcure,'
Dans le taxI qUI les rall1en:111 <.:bez elks, la ml!re
cl la fil:e n'échangl!rent que tles paroles IOsiflnifiantes;
!\Imt.: Beaurand nt! se ouclait point de discuter Rur
la partie ,qu'elle venait de perdre, ct .laCtlueline
Il'éprouvait aucune tentation d't"craser ~ t! Se s
reproch,e s unc personl~
déjà si acbl.'~e,
Elle pensait d'ailleurs avec l'a~un
que le m~lIcir
mtJyt.:n
d'oublier les choses désa~rhlo.;
~sl
de n'en p,lIint
parler, Le brus~le
ct candIde rcvlreJnt.:nl de Villey
lui montrait clairement ,le Iflle passif joué par lui ~Il
cdte alTaire, cl elle devlllait tilleis trésors d'adresse
el tl'éloquence sa mi.!re avail t li dépenHer puur décider ce vit'lIx garçon à tlé 'cl'ter le célibal.
- Pauvre ml:rel C'I~st
~ cela qU'o.;lk p~nsait
quand
clic avait une wande l'Ide cn:llse entre les deu, '
oureils et 4 u 'clle JI~loyait
à scs • réussites" une
activité rageuse!
gl.lacqul.'line la 'pla~gtUi,
hie,n plus I.lu't:lle ne lui
Cil voulait de son zl'ie II11empt.:t;111.
,\ la maison, L(luisa Ics attendail, p,'{ote il servir
\Ille infll,ion de til) ul ù Madame, qlle cet extra :I\ilit
cl'rllllvét.: sans doute,
,
,
VOliS me l'apporterez au lIl, LouIsaOo' Aldez1I10i ù me coucher tl'abord, gémit Ullt.: VII!. t:xténuée,
- .Vlais. maman, jl,; vais vous aider, 1110i, \;f)mlllC
d'habitude, . ,
La voix c. ténuée recouvra hrusquement 1.. vivacit'" 1l1't.:C l'impatkncl.: :
, - 1'011, je t'en prie: ma chL' re : ~oge
Il te déshahJller d'abord ct <1 SOI '11er ta robe, lu nc sais ra
quand lu pourra s t'en payer une autre.
�L'AMOUR ATTEND ...
Cc
~er.l
l'rnlnis ri ...
~"'
1
hicl1t"1t, aller., IWII11;)11 : ViiI, \' 111';:1
d' 1"\"115 dO' I,innn, el Il la
1)11' PI""(llrrl
OCt 11)''''1',111:11111''11'1111."
,',It'- IdIJ<; r:q i,Je 'l'J(' 1:\ 1,~f
~Inl.
La 1'1),,,·,tc ~\.Iil
Et Jucqudil1 t,; ",'<Ilrda jll!;te à tl!I1\J~
pOlir Ill' pas
dire: « J\1aintenant que tu le laisseras tranquille, ..
Mais le sou -entendu n'0chappa point à Mme Beaurand.
- Que vas-tu t'imaginer là? Crois-tu que ce soit
moi qui l'aie empêdl~
de te donner ùu travail?
s'écria-t-elle.
Et portant son mouchoir à ses yeux, elle se oulagea par une explosion de larmt:S.
Jacquelint.: la consola, c'est-à-dire la dorlota de
son mieux avec de tellllrt.:'; et muettes caresses;
quelles pat'nles pouvait-elle trouv!.:r pour Cl!lle qui,
ayant tort, voulait avoir raison? LJne amertuffit.:
inconnue jusqu'alors se ~Iisat
dans son c(cm en
présence de ce chagrin tlont dIe Gtait la cause, l:t
qui lui imposait d'ùne fa~on
si injuste h.: remords
apitoyé du bourreau devant la victime.
- 'Ma pauvre petite, je ne te reproche ril!n, je ne
t'en veux pas, dIt enfin Mme Beaurand qunnd elle
sortit de ses pleurs.
Dieu soit 1(Ill'; 1 Elle donnait son pardon ~an<;
attt.:ndrt.: qu'on le lui dcmandilt 1 Pour sc rl!n1ettrt.: d.:
tant d'émotion elle huvait son tillt:ul, qni avait
refroidi entre les main de la négresse d(:faillante dl!
sommeil. Et .Jacqudin . l'ut aller reti rer son COI'Sil~t.:
blanc, dont leS houillllnn '.<; de tulle avaient n.:çu 'It:
baptême de l'.:au LI du sd .
Un pl'U plus tard, quand clic "ut fait 'a priire du
slJir, ù gl'noux sur son étroite cOlll:hetlc, ct qu' '11e
enfou it sa tète boud( e dans l'orei 1kr, dIe o\llageu
à son tour son creur gonflé qui palpitait dans' a
poitrim' comme un ()i~eau
hlessé .
.\h.l'inju~tw,
'lut:! turrib1c; maIl Quelle ()dieu~
ct Irntante épre\lvc 1 Sa ruinl.!, la l11<1rt dt' on p: re,
du CICI, ,n Il .(::-. par
c'étaient des malheurs t()mhé~
D,';!U, qui di penSé Il chacun a part dl.! jlli\; et de
Pl.:II)(;S. Mais cc (Pllll)l"t sOllrn"i
ourdI par Sl!S
proches pour lui il11(1o cr 1I1H! l'ie tout autr' quu
(clle ql'~e
voulait acquérir, lui ré\'0lait tout à c"up
la . tyrannll' humaine, la tyrannie r';voltante \.;t
odl<.:Usc!
1::1 l'dit· " Vil.! 1.:11 l'n t: • dormIt tr1:<; l11al edtt.:
111111 1;\, 1:1 le.; I( ndt maill l11i ,tre
Wall illtllll r"1I~l.
�r:lUloun ATTE rD ...
(I";) l'. ,'1'11
;11 "IJI .j j" .
r,q"
il!' dl" ~
)">IIX
~"I
1. 1 1
1'.J,j~IC
'Ill/·I[.· maq'.. LÏ.e ItlIll" l ,', "1 t:1 t .'11 ...
blll!>qlll [r;rIl l'h1 c, 1)11' '. nll" ",.,1 li ,111 I\l ?
Jacgu<:linl' hocha. la lûle gra vellll'Ill.
- Oh 1 rien Ue hlen nouvcau, l11auarne. Ce sont
dcs choses de tous les jour~;
seulement, je nl:. m'en
apercc\'ais pa'.
- l'lIais c'cst tout ce qu'il y a de plus t!ravc,
affirma la perspicace dame, süicusemel1t alann'::e.
Si vous changez votre manii.:re Je vuir Ics cho. eti,
ma pau\'J'c cnfant, c'cn t!sl fait de votre bonheur en
cc monde. Croyez moi, remdta au plus vilc \OS
lunettes rOSes.
- C'cst au moins mon cou.-in qui vous aura ral~
de ces lunette -là)
- Il m'cn a parlé, sans doute, mai' apr',s que j'ai
eu déjà découvt.:rt votrc jolie conceptioll de la vic .
.lu 'qu'à hicr, cda sc lisait à pl'l!mii.:rc vue sur votre
vi~agc,
et c'est pourquoi vos YCll\. battus me flint
tant de peine, aujouru'hui ... Elilin, puis lue VOliS Ile
me jugez pas dlgnc de 'us conlidcnces ...
- Oh 1 madamc, comment l'IlUVCZ-\'OUS interpréter
ainsi ...
- Alors, parlez, si vous avcz
'Iqlle confiance
dan 1111111 aOectillll, in ista 1~lrc"s
W"II,intol1, a\ec
une vivacitt; ill1patienlc.
- J 1<:la , madamc, \ raimcnt je ne puis pas, rurce
llue ...
- Parc' que?
./acqllcline r(l~'it
lé(,!l'rll11cnt.
qu'il mc laudrait hl:imt!r la l'cr on ne
- J>ar~e
'Ille j'aillle le plu.
.
.
.
Ah 1 ça ... ça, "\'Idcmmenl, c'<:s[ unc raison, fit
Icnteftlent l'Amcric(line ùe\~nuc
pcrplc'xc [out à
CIIUp.
Puis, prenant sIJn l'ltrli de hlï~qucr
UIlC intimité
qui ol\.lnçait trop l 'ntemcnl à ~lJn
gré, clic reprit
presque au' it!)t :
"
,
- Dan.' tou ... le:! cas. Je Ilcns Ù vous dire que si
jamai, IIU éprou\'e..: de cnllui<; matériel, j'cntl!nd .
le Cl!ll, au qU"ls l'argent pCUl rl!médicr, l'olt
dcvrl!1 vuus aùrc SCI' a moi sans h6 itation, tout de
u;t ....
I.a mugClJr de .lac lU 'Iinc 'Hecentlla. PUllr la
prclIIi"rc fois cll ol\.!it Ir"nlt; d"·tr\! pall\ft. ,\in i,
ri('he, li rr r fi ,1 JI I.t 1rJt'c dt'
l:cllC dal~
lin
1 nlfU.
<lV"l UIl>'
«II
�L'A~IO(fR
ATTEND ...
'p'II"', " illlalo(illait inunédi<Jlem 'ni 'ilJ"~I\c
manquait de quelque chose, et lui lin rait une sorte
d'aumône 1
J\listres Walkintoll comprit cette su'ceptihilité t!t
St:: hala de poursuivre:
- Une avance peut parfois r..:ndre un grand
»ervice, Vous me rembourseriez à votre gré. ,.
- Je vous remercie beaucoup, madame, fit
Jacqueline avec ell'ort el sans qu'on pùt lire Jans
ses yeux. haissés si elle était dispu::l'::e ou non ù
profiter éventuellement de ce crédit.
Cependant, comme l' Américai ne lui tendait a
. Iungue maiu pàlc aux doigts chargés de perles, elle
la serra avec une e!Tusion involontaire,
- En somme, elle me veut du bien, ongeail-clle,
Mais ma belk-mi.:re aussi me voulait du bien quand
elle tramait le complol de mon manage. Et Villey de
m(;mc, quand il ne me cherchait pas de 'luço~:)
malgré sa promesse 1 lIélas! Est-ce que je ValS
m'offenser de loul , mélÎntenant?
Devant elh:, SUI' la table, le volumineux courrier
qUlltidien ~'tali;
tout en cau ant, elle avait
CllJ\Crt les enveloppes avec un~
line lame d'argent,
d elle se mIt à en parcoul'Ir Il! contenu d'une
niais 'rie, d'une nassess!.: qui l'éc<cur''renl.
Dc~
mendiants cl des tl<JltellI'S, voilà lout ce que
leur fortune alti)'l! au: privilégiês du monde !... Hier
encore, .Jacqueline cùt fall à cc slljet un awéable
\'t.:tour sur son propre ~()rt
: • TOllt comptu fait, il
;aflt miell . manquer d'argenl que d'en trop avoir .•
,\tljourd'hui die :e contenla Je penser que les
riches ct les pauvres élaicnl pllr 'illemcnt malheureux. I!:t cette réllu. ion ne diminua pas sa mélanColie.
Lorsqu'ulle eut expédié C)uelques répon 'cs urgcnleg, 'Ile consulta, comme chaque jour, mistl'e s
Wall inton sur 10 programme dl! l'après-midi: littêratllru ou musique?
- .Je laisse cela à votre chui ,dIt III bonne dame
av~c
une yraic délicatesse à l'égard de cette humeur
Il:)\1''. ql.1I ob curcis ·tit le jeune front
i )oyeu,
d orlhnnlrc.
1~lIe,
11\ait en train lin volume dl: Snmuin ct une
pa~·lt()1J
cl Berlioz, Jacqu lint:, hi 'n qu'elle gOûtat
~Ol t ,l~ ,POt:l!! du Jardin dt: /'I11j'unlt', donn,l la préf"lenc~
.~Il
\'leux maitre rOIl1!llltl l jU" ,t die c mit ù
dechdtrer l'I'/l/allce dll r;/,,'itt, (ont 1 III 'l'V illcllse
'\1'
�L'A,\lotrR ATTE'D",
95
douceur fut un baume ptlur son âme ukért!e, La
simplicité de l'bangile e..,t la, dan;, les longues
phrases limpide qui ctlulent, comme l'cau sur la
plaine d'un ctlur" et:al t.!l dou,', Et Je Miracle yest
au~si,
créant UI1\! atmo"l'hère de l'aix surhumaine
dont le modèh: n'e:,i te point ici-bas. C'est ccl air,
c'est cc cIlallt que doivent re pira cl parler les t!lu
de Dieu, L..:s \'lsa!.c~
de la Vicrge el de Jt' us
brillenl, lù Ids ql1'aùx jours le' 1'~s
émo.lI\'a lis de
Icur e, t1 terre 1re, lorsque le Chnst dall un lout
petil enfant dans le .. hra de l'êlerndle Bienheureuse
que aluLll1 le homme (,l les anges,
,Iucqudllll: ,ll'ail un jeu sur, souple cl uni, qui
convenait parl~iemn
ù 1'l:xl'ression de Ct!lIc.:
harmonie sobre el pUre, Et ellc joua cc jour-Iii
comm elle n'avait jamais joué, de loul son être
ait 'r": d'idéal et tran l'tlrt(. par le génie au , -uil
d'un pa 'l) inconnu, uanJ la dernj'-re note ' -teignit
sous le doigt~
léger" dans le salon recueilli' Oll
deu, ames écoutuient scule"" mistre, f; Wall intolJ
~cntil
une grosse larme sOlJrdre à sa paupière el
rouler ur sa joue pale, perle plus précieu_ e que
cclles dont le tn!,le rang parail ~()n
cou ot St1S hra'
en (oute .;aison.
- .\Iademlll elle ol.J.:qudine, dit-dl -, J\'C': "Ian,
l'OU èle un' véril,lhk artiste,
La jeune lill tre saillit, non de J(lil, mai d s'
cnlil' aITa.:ht'-t.: t't lIne helle piltrie ch'ore ct lointaine,
ù ('c • ilelle' dil'Jll lui demcure dan 1',lir nil lJlle
'rand IlIl1 HIU
'- t c,'halé.-,
- Il faut ab nlument, rcpnt l'c.:nt!tousia le dilettantl', que l'OU l'OUS fa~sicz
'Iltendre;i me conCert ,
,le l'nu" pnhli un, L1CCeS fnu,
Et ù tral'cr ,on émotion ellc.e demandait i 'IIpournll! IH.:rmettrc Ù ~I secré!a~
de venir cn rohe
noire ou 'i 'Ile saurai! la decld r à acceptel' un
cadeau, loI' lue .Iacllu -line sortit tic sa rêverie, cl
décid6rncnl l' 'conqui
au cho, e de la terrc, Illi
répondit:
-.1 'olllui
'''Il
�96
L'A,lOtR ATTÈND ...
l'rdérable, tandis qu'une inl.juidude nouI'clJe !>aisl&~ai
l Jacqu elin e :
- Que ra dire ma pauvre maman ? Cc n'est pas à
(da qu'elle pensait quand elle a fail des folies pour
mes bottines 1
.',{ais Mme Beaurand se dispensa de toute réllexion .
Dans l'après-midi, à l'heure même où sa belle-fille
,~
refusait à jeter le blâme su~
l.a p e rsonne qu'elle
alfnalt le plu , elle avait eu la VIsIte de Mme Reyel ;
ct bien qu'en temps ordinaire elle n'appréciât pas
beaucoup le cœur de cette chère Coralie, elle n'avait
point hésité à y épancher le sien .
Aussi, ce soir-là, François en apprit-il de belles
sur sa cousine:
Ah 1 elle travaillait, la petite; mais elle faisait
sentir durement au monde cc qu'on lui devait 1 El
clle ne craignait pas de dépenser pour son propre
«(I mpt e les trois ~uarts
de ce qu'elle gagnait.
- Figure-toi, l' rançois. détaillait Mme Revel en
yeux ct en
élevant sa fourchette à la ha1Jteur de ~es
co nsidérant d'un air scandalisé une noix de côtelette
qui figurait sans doute à son idée les folles dissipalions de Jacqueline, figure-toi que <:c.tle petite
"~o
lste
continue à se chausser chez Phéllx 1 - oui,
t' nez Phélix 1 Pendant que sa malheureLl e mère et
sa bonne négre sse meurent de faim pour ainsi dire,
ct que son père 11 élé enterré à nog frais 1...
Là-dessu s , Mme Rcvel sc d":cida Il happer a noix
.le côtelette, qu'elle sc mit à muchcr avec la lcnteur
l1as~dc
d'une cnnscience hourrelée ruminant un
rcmords.
;~l\
vnr
On entendait au loin ks gronJ~mcls
tic l'ora~e,
I.]uc}s correspondaient des rafales de pluie qui
If~laen
le~ persienne . pLli~
retombaient avcc un
fenGlrl' .
III \III de d'juches au rebord dc~
:\)tn\! lkal1rand avança la tete à la l'0l'l,, de la
l' ·t ll\: (;hamhn' 1111 sa hcll\!-fill\! ,(. coiffait ,i la doul:'
ItICllrtI61an'·"lh.[IIL' tl'une (lIl, b"""I', Elk :1]'1 r~lIt
10.,,\\ (o.! lIi:c "UT li' .iJvLlO I, 1.lclw l' hll(l' li LI r\)l;,
/ I.:\~C
(:1 ."h, r.cJ.a <Ill J"",H 1 1..:
\l'dlin, s. '1"\ lit'
d,' 1.1 d'_ln~.
d'.L'IlI,flt ,1I['r~s
�T.'i\:I,rOPR ATTEND ...
97
- Tu vas te chausSlé:r de blanc l'al' ce temps '?
interrogea-t-ellc d'un ton plaintif.
Je n'ai pa:; le choix, maman.
Louisa a très bien nettoyé tes soulit::rs de
fatigue.
- fIs. n'en restent pas moins trks fatigu&s, riposta
Jacqueline, qlll sount pour cacher !';on a~cemnt.
- Tu saif; que Louisa a peur du tonnerre; elle
ne pourra pas aller te chercher une voiture.
la concierge de ce soin.
- .Je char~ei
- Ça làa deux pourboires au lieu d'un. Sans
compter qu'il te faudra encore une voiture pour
rentrer. Si tu étai!'; raisonnable ...
- Mais, maman, je vous répète que je suis engag6e vis-à-vis de mistress Walkinton. Je l'ai quittée
toul à l'heure en lui disant: • A ce soir .• Si j'avais
pré\'u l'orage j'aurais (lu à la rigueur chercher IInl
excuse ...
- Ma ch'.re, on peut loujour aV01!' un ernpécl~
ment à la dernière minl1te. SI tu ('tais sujette ù la
migraine commc fT!oi ...
Jacqueline sent.lt des parole", d'impatience lUI
chatouiller le. gO~ler,
Dieu merci, elle n'é 1<11 t pas
sujette à la ml.gra1l1e, Cl elle n'éprouvait nulle envie
de se calomnier à cet épart!. Elle se contenta de
répondre avcc une fermeté tranquille:
- Je préfi!re y aller, maman,
Mme Beaurand p()u~sa
un grand soupir.
- .le comprends que ta vic ne soit pa~
gaie, ma
pauvre enfant, ct que tu res'>entes le hesoill de.: le
di traire.
Et clIc s'en retourna dans la salle il manger.
Mais, au lieu de s'installer devant la tahle ct de
faire de~
réussite. comllle à son hahltud,', elle s'assit
sur une chaise hasse, devant la fenêtre fermée, pour
y attendre le baiser d'adieu de . .Jacqlleline, qui
devait sc rendre compte de sa tn'llesse ct de son
abandon. Elle se jugeait terriblement malheureuse
ct sacrifié " victime d'une douhle coalition des ~trcs
et de~
événements, cl die faisait parade de on
chngrin, ~incl're
d'aillcunl, san sc douler qu'elle
c:aspérait sa .ouffrance II ce jeu sin~uler.
En l'cmbras 'llllt, au moment de l'art ir, la jeune
fille sentit e' joue humides; elle feignit de ne rien
remarquer, pour éviler de nouvelles explication,> ct
dl'S lam ntatinn
IIl'crflue'l, mais lIt! <;'en alla l.!
C(l'Ur • (!rr'"
�98
L'AMOUR ATTE.;\"D ...
Le j.lrand ~:1IJl
<It: 1'!Ji,I,'1 W.tlkinlllil al'i1il élé tran~
fl)rmé en ~alc
de concert, c'est-a-dire aménagé au
point de vue de l'acoustique, sans aucune tenture,
il"~C
une estrade pour les exécutants et de simples
si<:ge~
en rotin pOUl' It;S auditt:urs. Une cinquantaine
Je personnes s'y trouvaient déjà réun;es quand
Jacqueline parut.
Son entrée fit sensation. Les hommes en habit,
les femmes en granJ décolleté, qui causaient par
groupes d'intme~,
examinèrent avec curiosité cette
petite jeune .1lIe inconnue qui arrivait toute seule,
avec une robe montante, des yeux tristes, et une
a~surnce
excessive pour son age -:- pour son r~ng,
ajouta-t-on lorsqu'on 'ut qu'elle ..!talt la • secrt!lalre »
de la maitresse de la maison.
Celle-d, install":e sur son ":ternelle chaise longue,
tout au fond de la pit:ce, à droite de la chemint!e,
accueillit j llle Beaurand avec un sourire contraint.
- Un autre fois, mademoiselle, arri"ez un peu
plus t()l, je vous prie. Vous savez combien je tiens à
]'exa titude.
:- C'est l'orage 'lui m'a ~etardé,
mad~e;
j'e~
SUIS au rCllret, répliqua frOHlement Jacqueline, qUI
jugeait le reproche <;évère et cette brève excuse
suffi ante.f
Mistress Wall inton ne fllt point dt: cet avis ct
elle insista:
VOliS auriez l'u l'rpndrc VOg m,'sure .
A ce mom lit lin' l'Ill ,]'1\ "1111 ne ilJtervint, l6gèr ,ment irooique.
- D,lignl!z on"t!I', madame, qUI' lJ1a cOII'lint.: nc
posst,.'Jt! point d'auloll1obil ' ...
- Ah 1 cher doctilur, \OU'; 'oila enfin ...
- Mai olli, cn rdarJ sans do ut ' pour la 1l1êllll!
l'aison.<tLl' J cquclinc: 1,1 difficulté de se prllcurt'r
Lill taxI.
François Revel, qui aVlIit dll attendre, pour pri~
'nt 'r e!'l homma C~ à la riche Américaine, la fin
du on III 'l" <:lIl1oqu avec H secrétaire, n'avait pu
sc .r<;tcllir d' placlr 'Ion ))lot, au ri que d'\trc aussi
11111 tble à la déft..n e que Ill: n ré. bic à l'accu atllln
en prenant (,i indi cr tcmcnt parti; III ai son .'cns
llOpéhH!llx de lu ;1I~ti
'l' ne lui
crmêttait pa~
de
r~se
neutre dan un débat 011 l'innocencc semblait
patlr.
- La cali . est 'ntcndll ct vou ête
xCllsé
t"ll!; c.l Il ,tlèc1'\Ia mi 'lt:~,
W.llkintun.
<:
�L'AMI VR An E 0 ...
Pourtant, el~
garùuit UnL: IllllUC d'a 'acement, ct cc
fut sur un tfm plus impératif que cordial qu'ellc
engagea la jeune fille à aller 'entendre avec le comt!.!
d'Andillac au sujet de son morceau. Comme de nouveaux arrivant la saluaient et que François Revel
se disposait à s'doigner :
- Voulez-vous vous assel)ir ici, mon cher docteur?
dit-elle en saisissant l'éventail monumental qu'clle
déposait toujours à dessein sur la chaise la plus
vOIsine, afin que person~
n'eût l'idée d'y prendre
place sans en avotr été prté.
Le docteur Revel obéit. Mai un pli soucieux creusait son front et, tout en causant avec sa riche cliente,
il regardait machinalement la double porte cintrée
par où Jacqueline Beaurand avait disparu pour atler
se mettre à la dispo ition de l'ordonnateur Je la tete.
Il se souvenait d'une enfant mal élo.:\'~e
qui avait été
la petite fille la plus gatée de la terre, ct à qui, maintes
fOI ,il avait ouhaik de tout on 'œur le pain sec el
les verges. Et voilà que la même petite fille. un peu
grandie seulement, la mêmo.: p lite fille .::n roi e
blanche, avec les mêmes cheveux noirs et les mêmes
yeux bleu aux cil ' recourbés, devait' aller et \ nir
des autres, esclave autant qu'elle avait clé
au ~ré
reine 1 Il ongeait au si que celle terrible petite fille
n'avait jamais, en somme, fait de mal à Qersonne,
qu'à lie-même; était-ce sa faute, alors, i elle se
voyait trop choyée, trop adulée, i l'on érigeait en
loi ses moindres caprices, si on lui découvrait la
vic comme une fête perpétuelle? Et il regrettait d'avoir
appelc le ~hatimen
s.ur a tête frisée, et il trouvait
qu'elle était trop punte.
Le comte d'Andillac cumulait les fonction dc
chili d'orche tre et Je grand-maltre Jes c~rémoni
•
et il gesticulait an cesse comme 'il condut ail
oixante musiciens dan le dédale d'une symphonie;
il accueillit Jacqucline en le\'ant ses matn \cr le
ciel, les inde dre ~s
en pomts d'exclamation:
c'était sa manière d'exprimer l'embarra ou l'étonnement.
__ Il parait que vous tenez à vou produire aUlourd'bui, Quelle complication 1 ou
omme ct J i
c~r
6s ...
ail, monsieur, je ne tien à
ValJ int 1
m nt, C'est ml tr
, nt-lu r de ..
OU"
110 '"
-
ouo" "...
ri n ~
II ni /1
r on lell ri m n
,.o.,,' tuu,' uS
�100
L'AMOUR ATTEND ...
lrop . Et puis, c'est moi qui dois m'arrallf!er 1 On ne
commence jamais à l'heure, cl il faut linir il minuit
juste. Et je dois fournir un cntr',.cte tic vingt minutes 1
En parlant ainsi, il leva les bras au ciel, comme si
fourmr un entr'acte lui eût coiJt~
les yeux de la tete.
- Enfin, monsieur, dite:;-moi ...
- D'ailleurs, je ne voi~
pas comment je placerai!'
votre" machine» de Cesar Frank ... l Tn solo 1Encore
un solo, quand nous manquons de morceaux d'ensemble. Pour aujourd'hui, il vaudrait mieux, si cela
ne vous fait rien ...
- Rien du tout, à condition que vous expliquie/'
vous-même à mistress Walkinton que je n'ai pas
manqué de bonne volonté.
- Compris, compris 1 cria le comte d'Andillac en
élevant cette fois dix pOlOts d'exclamation, les autres
doigts ajoutés aux indcx. VOU\; me déclare;, ainsi que
vous voulez absulumcnt YOUS faire entendre ce soir.
Eh bien, suit. Je vais VOllS l'nurrer n'impnrte où . .t\ u
début? A. la I1n ? Qu'est-ce que VOUS préférez?
,,- Peu m'import , répondit froidement Jacqueline.
Dan le petit salon q li furmait les coulisses, un
rasscmblement s'était form~
autour d'eux: les gens
souriaient, amusés par le sang-froid de la nouvelle
recrue devant la gesticulation intensive du chef
d'orchestre.
- Eh bien, cria celui-ci, brusquement résigné,
vous sercz Je la seconde partie, l'avant-dernier
numéro.
Et lui tournant le dos, il s'en alla conférer avec une
d\.!moisc1lc au cou maigre, qui penchait de côté sa
tête. de chi:vre ct scmblait écarquiller gC~
grand\.!s
oreIlles pales.
La haI'[H!, une belle brune aux bras nus qui portait
un tortil dc perles sur un chignon en couronne,
s'approcha dc Jacqueline cl lUI uffrit de chucbo·
teuses condnI6ant.:e ..
- Il vous a horriblement placée, apri:s la Danse
d,;s. Sylphes Je la /)1I1/1/l<llio//. VIl~
!-'C'rl'1. plus
qu:cchp. éc, étc,inle. <,:n sc compren~l:
.il ne voulait
~u
un ~(I!),
t.:l:IUl ~e sa lIancée, cette vllall1c l'erson~
,lUX llrclilcs en l:\'\.!ntail. EII' t.:~
la v\.!del!l:, Il: nO .\
de .la ,pl'cmi~"r:
partie. 1~\.!
joue unc!lnate de Bach
'l\1J n tm hm! pu. Elle 't.;« fait Ullt, pccialM dc
1:ih.Bent~
d'lnl!'fprtt3tlOn per nfldll: III (lait •• 1 fi
<.;lll"lre L.;t1,lIn" que ,,'c' t l,· cnllal,!· .le l'lIt. A 111111,
" C 111C Junnl: CII\'ÎC de d'''llIil.
�L'A~JOUl{
ATTEND ...
tot
La • nouvelle. recevait, muette et !!enee, celte
averse lie médi "ances. Elle fut heureuse de voir venir
il elIc un jeune \'Ioloncelliste polonais qu'elle avait
eu l'occasion d'accompagner aux n!unions intimes
qui étaient tour il tour de, ~can<!s
de déchilrraf!e ou
de rcpétition - les seules auxqUelles elle eût asi~té
jus IU'ici, puisqu'elle ne prenait point part aux
concerts.
- Vous C:tes gentille de vous décider à venir, dit-il.
J'espi:re que nous préparerons quelque cho. e
en emble pour la prochaine fois; je serais ravi de
jouer avec vous: nous avons à peu près la même
compréhension. Aujourd'hui c'e t i\1Jle de Guilde
qui m'accompagne, et elle est déplorablement fade .. ,
Jacqueline ne demanda point qui était Mlle de
Guilde, mais il lui parut b,ien que l'artist.e sla.ve avait
Jeté un coul' d'CCII hostile dans la directIOn des
grandes or~ilt.!s,
palt.!s,
- BlIn, le vais Î!tre en conflit avec elle tout Je
tcmps, pensa-t-cIJc. Et cl le entrevit ù l'horizon l'
cortège de dcsagréments et de vexation' que suscitent le rivalté~
artistiques,
Cependant, comme l'orchestre était entré en Sl.ene
ct qu'on entet:daille grincement dt.!s \iulons accordés
pour le premier morceau du programme, la Pathétique de Bcel~oYn,
clIc gagna le salon d'audition,
où elle se ChOISit un coin à l'écart, sur une chaise
oubliée dans une embrasure de fenC:trc.
C'était tr"s loin de la, cheminée, pri:s de laquelle
François Revel se ten~l
toujours à la place d'hl nneur à côté de la chaise longue de la maitrcs 'e de
la maison; pourtant, à plusieurs reprises, le regard
dt.! .Jacqueline croisa celui dt.! son cousin, fixe sur
clic avec une étran~e
cxpression de sollicitude toute
nouYelle el qui lui fut plutôt d';sagréable. Elle avait
cl'; contente qu'il prit sa défense toul à l'heure; mais
elle ne lenait point à t:c qu'il s'inqui "tal d'elle
da\'antage.
Allait-il, lui aussi, ~e mêler de la Ilaindrc ct de la
Irotégcr, comnte ~a
belle-m"re, co III Ille Ville\"
t:ommc mi tre. Walkinloll ( De lUI 1I101n, ('ncor~
que des altre~,
elle e ~eltai
di po cc ci. acrécr cc
genre d'intérêt tyrannique ct malrai anl.
Ll' concert til' déroulait. nans 1., '1""11 l, :\Ion onorc
li li l'J
j IMJ':C ub en'ad \Ill
dlll':C tell 'ieux, 1.1
Hill 1 lUé. h,wlnll, 1,\ fI1\1 l'IUè pl. I1Llll, l't Hill l,pIe
Il,lil '11'llll.lIt,: Il, "",pl.11I1"1l1 ,1 t"llI l, 1.1111111 'l
�102
L'A\IOUR A.TTEND •••
du soleIl, des forêt: en proie au vent, ,les dan ' e~ de
sirènes sur les vagues, et les cris de joie du retour,
et les sanglots des adieux éternels ...
Mais Jacqueline ne regardait point les exécutants
qui se succédaient sur l'e trade, et n'entendait pas
non plus ce qu'ils eXprimaient de deuil ou de joie en
ranimant la voix des génies inspirés. Elle n'écoutait
pas la musique; elle la suivait comme on suit le bord
d'une rivière où l'on re~ad
sa propre image au long
de son propre chemin,
'
Dans les pha cs évocatrices des poètes du son,
c'était sa vie qu'elle revivait, réveillant les jours
éteints, les demeure ' closes, les visages endormis.
Elle voyait la figure de sa vraie maman, la jolie créole
morte au seuil de la jeunesse et du bonheur et dont
le beau portrait souriant ct grave inquidait son enfance heurl!use. C'était sa vraie maman, l'image
pe!nte q~li
ne [louvai! pas l'embrasser ,le matin ni ~c
SOir, qUI la regardaIt pleurer Impas~lbe,
sa H,ale
maman couchée dans la terre el partie pour le cIel.
A cause de cette imag~,
le ~and
mystère avait hanté
snn creur de toutL: pelite entant.
,
Ah 1 Cnmme elle L:n rêvait souvent, de cette vraie
maman t()ujours ab!:>l!nte de la maison, ct qui hahi.
tait à la fois là-haut, au-dessus des nua~es,
dans la
mai on du bon Dieu, et en has dans le Jardin fleuri
des morts 1
aventure dc son jma~i
Cl!ci avait C!té la prlJmi~e
nation; ct la seconde avait été Fran<;ois Revel, Il!
jeune hommL: sérieux et . éV~'rc
qui ne lui accordait
que rarcment son attL:ntio!1, ct son admiration jamais.
Quand tout le IIlllnde .' 'mpressllit autour tI'ellc,
riche, jolie, spirituclle et charmante, il sc tenait à
l'êcart; ct elle avait hl!ll\1 le relancer, le taquiner,
l'attaquer de front .lll 1 arf inte, ellL: ne parvl!nait pa
à lui iml osel la lumi ré de
s ·cu. , ni ;\ lui arracher
un s:,urire nu un cOtnp,limcnt a l'adrL: se de a toute
gracleus pel" onnl: 1 !'.Iil; 'n pleurait de rage quelquef"i' à ln suit de SOlrCl!S olt tant d'autres
l'avaient fêtl!e 1 t flattée.
Dé é!ipérant dc triompher de celle indifPrcnce
rar ses 1 ropres mérite, clic s'était adre ée <lU.
sUints; elle avait lait les ncuvainl il saint . ntoinc
d.cl'a~o
" l'yi a nint .Jnl:qu· on patrn!", pui à
sa~l.t
1 lall .1>1 • P Illi ,l, "'II If 1 ln" l"I.~(J
H vel.
l\\:II' , k l',.t. ,t, Illtll ~lIti
III 111'11111 t l'II 'Ik
Il'U\·.tIL:111 1 il
1': plus l'I11C,1 '~lJUI.
IUle tre:
�L'A mTTR ATTf: Tl ...
1°3
attraIts Al<Jrs ... alor elle 'cHaIl rt!slgnée à Il'y plu
penser ... Parce qu'ellc avait toujour s été très raisonnable au fond, elle qu'il traitait si volontie rs de
« petite folle ». Mais elle se rappela it quand même
qu'elle l'avait aimé de toutes ses forces, de toute son
ame, ct que lui l'avait dédaign ée. Et mainten ant, il
voulait se mettre à la plaindr e ... Ah 1 non, pas cela,
pas cela 1 C'était plus qu'elle n'en pouvait suppor ter.
/
Quand vint son tour de se faire entendr e, et qu'elle
quitta le salon pour gagner la sci:ne par «le coulisses ., elle afTecta un air joyeux en pas ant devant
lui sans le voir.
Elle joua comme elle jouait toujour s, avec cette
émotion subtile et profond e qui venait de son sens
inné de la musiqu e et de sa compré hension parfaite
du maltre. Elle avait pris des leçons avec les premiers profe seurs de Paris., et si cela se remarq uait
à la sûreté de son mécani sme, il n'en transpa raissait
rien dans la nal elé ori~nale,
la fralchèu r spontan ée
de son interprt :tation. Elle tran portait dans son art
cc mélange d'éner rie auvage et de ~ràce
raffinée qui
prêtait tant Je charme ct de force excepti onnelle à
on être fragile.
Quand elle eut fini, des applaud is ement inu ités
éclatère nt; le mes leur avaient ajusté leur monode et les James leur faces-à -main; elle salua le
public parmi de~
excla~tioru;
de ravis~e'!lnt
:
«J<:xquis 1... Parfa.1l1 AJmlr~be
1..:. Des VOIX mtempc tives ail" rent Jusqu'à cner «BI 1. Le chef d'orche tIC, qUI pendan t le soli allall re pirer dans les
couli sc , dut l'n lever les hra!! au ciel, tandi que la
demoi elle au oreilles pale. confiait à sa voi ine :
- Ne me parlez pas des pretend us meloma ne :
Jans un alon, il n'y cn a que pour le Jolies femme 1
Et tout le monde demand e l'ase de celle-ci, comme
i c'était un petit prodige 1 MOI, j'ai cu une amie qui
a cu un premie r pri le piano au Con crvatoir e à
quatorz e an , mal , comme elle avait le teint anémique et le cheveu plat, elle avait beau parattre
cn publi.c avec de robe au genou , personn e ne
s'exta 131t.
Cepend ant, par-des sus la foule indifTérente, le
regard de Jacque line rejoignait celui de Fran"o i
Revel, et elle lUI adre ait un sourire de bravade qui
voulait signifier : «. Tu VOl comme je ui jeune,
,olie. ~ té
n or , mal ré ma l':tuvr té. Comme nt
�T'A'IIOUR ATTLTD ...
101
,~cs
III I11 P ~,lain.jr
aIOSl.
-.'
'1
~!;jl
il Il" k '-"1Il['1ï1
1 '; I ~
u Pauvre pellte! pensa-Hl, comme elle reste sen,
sible, après tant d'épreuves, à une minute de griserie
sans lendemain! Que de dt::ceptions la vie lui tient
en rbserve! »
Et illa plaignait davt1ntage, la juW·ant gans défense
del'ant le sucd:s comme tout à l'heure devant le
blâme.
i\\ istress Walkinton rayonnait. Une partie du triomphe de sa secrétaire rejaillissait sur elle; elle s'en
montrait fière comme d'un bijou choisi p'ar elle,
co.mme ,d'un bibelot acquis par. ses soins. Elle s'ap'pllqua a racheter la récente froideur de son accuell,
ct retint la jeune fille auprès d'elle durant le défilé du
d6part. Quand elles restèrent seules, elle l'attira à
e ll e et l'embrassa sur les cieux. ioues, ce qui était une
marque d'efTusion extraordinaire.
- Et maintenant, dit-elle, je vous trou\'(!rrll autant
de leçons de piano que vous en voudrez.
Pllis, menaçant ln jeune fille du doigt:
- l\. l:ondition toutefois que vous n'abanclr.,nnerél.
point ma correspondance 1
Jacquelin e le promit de bon cœur; e lle aurait
embrassé tout le monde et hondi de joie, tant l'horilOll s'était subit(!ment éclairci pour die. Elle n'allait
plus avoir besoin de personne 1 Personne n'aurait
plus le droit de la plaindre!
Tout son ctre s'élançait vers l'avenir, sOlll(!vé par
une orgueilleusc cspérance. gt, dane; le vestibule de
l'hôtel, le laquais, qui lui prése~ta
son mante~,
lui
par,ut pénétré d'un rcspcct partlcuIJer pour <,a Jeune
~l(fe.
TOllt à coup elle aperçut, à l'entrée de la
porte, un mon leur sévi.:rc qui avait un pardes'ius
boutonné jusqu'au menton et un air impatienté.
- Tien s 1 Tu m'a~
attendue, François ... "
- C'est assez naturel, il mc ~cmbli'.
-.M~n
Dieu, ça n'est pas ind
!> pel1~ah,
ct tu
parale; RI pressé ...
. - Pres ,l; comme tout le monde il pareille heure,
1'C\~!tqua-i
en la pou ,sant dou~el1nt
vers l'auto
qUI ronllait devant h! perron de l'h6tel.
Elle n~ répondit rien, tandis que la voiture roulail
sans ,brull sur l'a<;phalle de l'avenu\.. Elle sc lai~
expr!!s pour,attendre qu'il la félicitai; mais il praéra
\111 rt\ltn: ~,lIet
de l:('l1versati"n ' li, rai .Int allll j'"I
�L'A IOU!' Al J'l'::.'jl ..•
au m'jmenl désagréable du début (. k la hoiréc, il lui
demanJa:
- Est-cc que mi.tress Walkinton est toujours
au si exigeante?
- Ma loi, le n'en ais trop rien. Je crois <.]u'cllc
tient à l'exactitude; mais comme je la satisfais làdessus d'ordinaire, je n'avais pas encore cu l'occasion de m'en apercevoir.
- .Je la sais capricieuse et autoritaire, ajouta-t-il.
iVlais elle parall SI enchantée de toi, que j'aurais cru
qu'elle te traitait avec plus d'égards.
Jacqueline haussa les épaules.
- Puisque je te dis que c'est la premi1!re fois 1...
Cela n'a ét~
d'aucune conséquence. Et aprl:s le concert, elle m'a adressé des compliments qui n'en
finis aien.t pa . Tu en perdais patience à la porte.
FrançOIs ne· parut point rasséréné par ces détails.
- En tout ca. , reprit-il, i elle te rendait jamais
la vic pénible, ne te laisse pas raire. ,J'ai beaucoup
de relations, je sais de quoi tu es capable: je te
procurerai une autre place du jour au lendemain.
- Oh 1 proksta-t-elle, je doute qu'il soit )amals
question de cela ..le suis trl~
contente de mistre5S
Walkinloll.
- Ainsi, bien vrai, hien vrai, tu n'cs pas malheureuse, Jacqudine?
II Y avait dans sa voix une insistance "rave ct
tendre dont elle t.: sentit boulc\'cr!-.l:e tout f">à coup.
- Mais non. Quelle idée 1... lit-elle sans assurance.
,'est que je t'observai il \' a peu d'instants.
pt;ndant le COllcert, ct tu a V 1!-is vraiment l'air de sourfrir ... Si qllelqul: applaudissements ont suffi à te
clin oler, tant mieux.
1~le
rou~it,
vexée qu'il lut si hi en dans son âme,
m,liS tlattJe aussi d'avoir captivé de la 'orte .011
attentÎon; pourtant elle n'hésita pas à dérendre, 1 ar
un men onge, le sancluain.! de sa détresse intime.
Elle ne pouvait pas lui CI'H'r : • .J'aValS envil! de
l'leur r ct dl: mourir, parce que Il! Ille sentai .. trop
seule au Ill. III de 1 l';t quand les g~n
m'ont acdl1~
j'ai cu unI' m1l1ute de joie 1 arcc quI.: le me uis fi urJ
que j'étaIS moins. cule tllUt il CIl.Up .• hile préféra
t 'indre ct l'am 'na tous sc SllllCIS Ù Ilne que tinn
lIIut6ri..:llè :
- .l'étu: in luièl , 1 arec que Villey ne me truuCl pIano. Et mruotenant je suis
\' il 1 n de tl! un
�\
L'X\tOLJR AT1 J::ND ...
satisfaite parœ que mi stress Walkintuli m'a promis
que je n'en manquerais point.
- Ah! Alor' tout va bien, dit-il d'un air bizarrement déçu.
gt il se souvint de ce. que s?- mi:!re lui a~it
raconté
au ;;uJd d'une Jacqueltne qm aunalt touJours la tOIlette cl dont la coquetterie ne paraissait pOint diminuée.
A ce moment, elle sentit le mouvement de recul
de cette ame qui venait de se pencher sur la sienne,
ct elle en cut froid au creur. Follement elle tenta Je
revenir en arrii:re, d'être franche.
- ,\laman et moi, nOLIs ne sommes pas toujours
d'accord ... clJmmença-t-elle.
li supo~a
que c'était au sujet des déren~s,
et il
cnndut d'un air tranquillisé:
- Bah 1 Cela " arn~e
qlland tll !.!a!-\neras davantage.
L'auto s'arrêtait devant la porte, Il '11 dl!scendit
pour sonner; [lUIS il dit \ln . ". au revoir ." hanal,
comme <lutrefois, au temps 1I11 Il Ile prcn,lIt pas la
l'cine d'arrctcr les yeu surelle. TaudiS qu'clic s'engouffrait dans ln maison noire, elle entendit la voiture qui roulait de nOllveau, qui l'emportait, indiff'::rent ct ,listralt. f<:t pourtant, durant quclljues
minutes, ellc avait l:r\I, elle était SlJrC llU'il avait tailli
li 'venir ~()n
ami,
IX
Bien que FJ'an~ol!,
Reve) fill I1n fervent dc musique, il a sistait ral'cment aux rélnio
~ d ' mistl'e~
Walklntl>ll; scs traV<lllX personnl!l l'ahsorbaient
beaucoup: Il préparait un important m~lire
ur
m.aladl.es nel'\
' el~!
dllnt il a\ail fait sa r:ècialt~,
el~.t'
pr,1 dan la l"urn6 pill a eh .. ntèlc, il n'avall
gU"1 I<! liberté d'ecl'l1' qu le bloir.
,lu SI n'acceptait-Il d'invitatÎ'HI qu de
s inti.
me , et cola p. rcc qu'il plJU\.Jit n> S' 'ngagcl quc
sou t"lll
r 'Herve :
.
- ,l, Il' Vou [Jl'IIlIId, 1 i'Il, ,le viendl'II si )1 Il
SIII
p.1
Il "Il Cil Il .Iill dc 1nn.1l11 r.
011 U'lut ce qUt' 'da \IIul,1l1 dire; ct l'insinuante
I:s
�I.'Aum R ATTEN D ...
tyrannllllic mi"'II's Wf!l~int(JI'
Ik-mém e IH. 1 ou
vait Lompter Uf rien,
Cepend ant clic obtint une promes se ferme pour
le cone!:rt du dernier jeudi de juillet qui clOturerait
la sai 'on. Apr1:s en avoir énumér é les attracti ons
~ensatiol
, elle conclut avec une nuance de
dépit dans la voix:
- Enfin vous èntt.!Odrez votre cousine , qui est la
coquelu che de tous le habitué s.
Il ourit.
- Mais oui, il parait que ça dure, cet engoue ment. C'est une exedlèn te a/Taire pour elle: Ile ne
manque plus de leçon, et...
- Oh 1 non, elle ne manque de rien, interrom pit
.l'exi~ant
ml!-Iadc. Mais, entre nous, cher ami, c'est
une fameuse tngrate.
Le sourire de' !<'rançoi Revel s'accen tua.
- Vous ne me croyez pas, docteu r?
- Mun Dieu, pourqu oi non ? L'in~ratude
e t
un défaut si humain , si féminin ...
- Alors, entre deux femmes, vous vous demand ez
de quel côté la placer? Je vais vous faire juge: l'e
voi Mlle Beaura nd pâle, surmen~;
je ais qu'el e
compte rester tout l'été A Paris, et que les vacance s,
dan ces conditi ons, ne la reposer ont guère; je lui
propose donc de l'emme ner A Houlga te, où je vai
pa se~
les mo~s
d'août et ~e
septem bre dans une
propné té admira blemen t sltu~e
au bord de la mer,
parmi des bois de sapins, tout ce qu'il y a de plus
ain au monde. Elle refu. e de me suivre, sous prétexte qu'elle ne peut pas lai ser S8 mère seule J
- Mai cela révèle, il mc semble , une certain e
ab en ce d'é~OI
me ...
- Si C'i t du dévoue ment, c'est un dévoue ment
mal cOlllpris, décida impétu euseme nt mistres s Walkinton. Pour me tenir compag nie au bon air, dans
un site admira ble, je lui olTrais cinq cents francs par
mois: avec et argent, elle aurait pu payer A sa m~re
une saison d'caux, ou un voyage, (lU quelqu e autre
douceu r ...
- 11 e t probab le que ma tante ne goflterait point
cette orte d'arn~emt,
et que ma cou ine, en la
circon tance, e t victime du despoti me materne l.
a, c'est encore po sible, concéd a la vieille
dame. Mais, dans ce cas, vous devriez bien intervenir, mon cher doct ur 1
- MOI? A lU 1 titru'?
el
�JO
T:Ai\T011R ATTE
n ...
~ douhle titre, ("prnme ~ 'ar.l1j
ct c"mnu' m· 'Ji'l' in Yotfr cous in r a silreml'n t bC~\'ln
d'un chang'
mcnt d'aIr. D'adleul!;, pUI;;C]lIC vous \'Iendrez Jeudi
prochain, vous verrez sa mine.
- Si elle a l'air malade, comptez sur moi pour le
lui dire, madame. [vlais cc serait bien la première
Cois de sa vie: elle est batie il chaux ct à sah le, cette
enfant-là.
- Eh bien, je vous assure qu'elle m'inquii;te, et
que je pensais il sa santé autant qu'à mon agrément
en lui off:ant une villégiature..
.
FrançOIs Revel ne fit point à mlstress Walktnton
l'injure de sembler mettre en doute cette affirmation j
il se contenta de promettre .
. - Soxez ~ertain
que je lui ferai sur sa mine un
dIagnostIc stncère. Mais vous aunez tort de compter
sur mon 1I10uence pour modifier scs résolutions.
Le soir de ce même jour, comme il s'asseyait il
table, Mme Revel dit à son fils:
- J'ai vu Jacqueline cette apri;s-midi. Elle est
venue rarporter l'argent que nous lui avions prêt6 à
la mort de son p1:re. Elle y a mi s le temps 1.., Je
trouve qu'elle aurait pu donner des acomptcs au
lieu de rendre toutc la somme d'un coup, Enfin,
c'est une affaire f1~gI6e,
et cela arrive hicn pour la
location de notre villa il Saint-Cloud: je n'aurai pas
besoin de d6placer des fontis. Elle m'a remerciée
sans eHusion. Tu cannai" son genre.
- Elle est toujours la même? interrogea François
qui songeait aux inquiétude s de mistre ss Walkinton.
- Toujours la m,~
e . Tir6e à quatre épingles,
gantée comme une princesse, un air de reine .. ,
N'empêche qu'clic cst bien changée .. ,
- flein 1 nt Françoi s en posant sa cuiller li côtC:
de son asc;ietle,
- Oh 1 oui, bien chanaée, appuya Mme Revel. Et
~I\e
avl~
COU\) ~u.r
coup quatre cUllIerl:Cs d,c potage,
c0n:'me SI le c lan"'Jment 'lurvenu ch '/. sa Ill; cc douhlalt Sfln appétit.
.11 r~l\d(it
s'entendre, dit Fran çoi'l vic;iblemeot
agacl:, Jo.l;t-cllc tOl\jours la même, ou est-ellt,: bien
changée?
Sans S'émouvoir, Mme Revel ah.,nrbn le restant
de .s~n,
con<,nmm(', qu'ell aimait tt't·s chaud j pui!>
elle s t,: ~l1ya
le kvrcs au COIll dc la "rancie 'crv H.:11 '
blanc~
c1epIIlY(',-: SUI' ';1 jupe, ct c li'tiqua ;
- (',11" cst tl\J()r
~ la I1ltômf" l'mIr Il's prl:tention<; ,
�L'A\IOl RATTE
TI) ...
1 OC)
Qual1f au II" 1". dlc~'
f ~ ül • dl.' ;1 fi.
:Jits tir( ·~ ...
Rlll' enlaiJlt .1 YI)' d··..c!l
- Elle est malade, alors .~
- Pourquoi malade') Elle perd sa beauté du diable, voilà tout.
El Mme Revel, reprenant une formule qui lui (·tait
ch.' rc, ajouta:
- qest sans doute un bien pour son àme.
Le Jeune homme, mal~ré
tout son respect pour ~a
mère, ne put retenir un lé[!er mouvement d'épaule'.
- AIl~ns
donc, on ne perd pas sa beauté à vingt
ans; et SI c'est sa santé qu'elle perd, c'est un grand
malheur.
- Il v a toujours deux manil:res de voIr les choses,
dil silencieusement Mme Revel en jetant un re!!aru
de reproche à son fils, qui e refusait à adopter son
point de vue; ct elle s'empressa de m\.!ttre la conversation sur un autre sujet.
Jacque,line n'était pas enlaidie comme sa tante le
praendalt; elle avait seulement maigri et pali; son
visage animé, où ses yeux bleus versaient une plus
grande lumil:re, en rece\'ait un charme plus subtil \.!t
plus émouvant.
Elle ne manguait de rien, selon l'expression dc
mistress Walktnton. Villey, pris d'émulation, lui
en concurrence avec l'Améavait procuré d 7s él.:v~s
ricaine, et Il lUI arnvalt tant de demandes de leçün c:
pour la rentrée, qu'elle song\.!ait à louer un ~rand
appartement et à ouvrir un cours l'hiver prochain
pour pouvoir co?tenter t9ut le monde. Déj~
elle travaillaIt du mattn au SOIr, se levant à SIX heure,;
comme au temps où die était obligée de s'en aller à
Neuilly, et se couchant souvent aprl:s minuit pour
ne pa,; négliger la correspondance de mistress Walkinton, qui était devenue la besogne de ses moments
perdus.
Celle grnnde activité convenait d'ailleurs fort bien
à sa nature alerte ct généreuse, et _on travail n'étall
point la cause de cette fati~ue
qu'on remarquait !;lIr
son vi!;agc, et qui n'était point une fati~uc
plw!licjlle,
mais une la~situde
profonde ct secrète de l'aine.
Jacqueline avait t.oujr~
fort bon appétit; elle
dormait toute la nUIt ù'un seul somme ré~ulie
ct
paisible; elle e portait fort bien. Ce qui était tliminué
en elle, c'était sa pui . sance de ~a1té
et de lendresqc.
La neurasthénie de Mme Bcaurand, son découragement perpttuel, ses reproche injustes et ses apitoie.
�1
r ()
L'A.1f
UR Aï 'l'ENIJ ...
ITlCIItS Irlcon"ldere , "compb~
aWlIt une œu' rc de
sournoise destruction dans les forces vives de cette
jt!une natl!re enthousiaste.
.
.
FrançoIs Revel ne s'y trompa pOlOt. A l'mterrogation avide de mistress Walkinton :
- Eh bien, comment la trouvez-vous -,.
11 répondit nettement:
- Elle n'est pas malade le moins du monde.
- .Mais ne I?en 'ez-vous pas qu'un st:jour à la campagne lui st!ralt indispensable'r
- Indispensable, non.
- En tout cas, ça lui ferait grand bien.
- Peut-f!tre ... Ça dépcnd ...
- Vous le lui conseillerez, du moins ~
- Je nc sais pas.
I! lallut sc contenter de cette répon 't! évasive .
La petite éance de buvardage qui suil'!t le concert
Sc prolongea CI.! soir-la bien au-d"là des limites ordiflaires. On c quittait !,our tout l'üté, et on prenait
congé les un ùes autres en échangeant à l'envi des
prom~
!<cs (lu'on Ile tWl1drait pa .
J)cvanl le 'perron de l'hbtci où les autos luisaient
cl ronOaient, assourdissant les derniers caquetages
le adIeux, Franç'J11l Revel proposa ù sa cousine:
- . Vcu -tu que nOlls rentnons ;l 1 icd ? La soir "e
l!st SI belle .. ,
- A pied l ,,'e clama-t-elle avec surpi~c.
- Est-cc que la l'nJmenade t'effraie Î'
- Oh 1 non, j'adore marcher au clair de lune.
Mai il est bien tard, fit-elle avec ht: itntion.
- !,Ju'cst-ce que tu dis {li n'est plu tard, il ' t
de tri.: bonne heul' ,au contrair . Allons, vien~.
Subjuguée pnr son entrain, elle obéit machinalement et ils e mirent l:n route côle ,\ côte dans la
l'lai:e Iluit d'étù Ol! les étoiles trclllhiaient fiévreuses
cl vives parmi le bleu rul. sellcrncnt Je la lune.
- Cda fnit du bien de respirer, remarCJua-t-il.
>uclle halelJl' il y u\'ait dall II.! snlon 1 C'litait
Il\o rt 01.
Ii~lt.!
l'al?protlva ,d'un igne dc tête, ct pendant
quel~
In~tas
.11 ln regarda murcher en silence
t'u~res
de lUI, petIte mbre muette ct mystérictHil',
Lnvclopp.ce d'une cape ombn.: d'olt on col ouph:
et. son 110 VIsage émcr~eaint
dan une urnaturell
pail ur! elle lui apparut tout U coup si frèle ,( si
f!rp lt:1tne, qu'il fut tenté li lui <Ilsir l ' bras pour
'tl'e plu près d'Ile. tout prêt à la dM 'ndre ~ontr
�L'A. JOUR ATTE D ...
Il t
d'invlsiblt:s ennemi:;. UIll: hmldite bizarre ;e retmt,
il dut s'écarter d'elle au contraire pour lui demander:
- Pourquoi es-tu si triste, Jacqueline?
Elle tourna la tête, die leva les yeux. Elle SUPPI)sait qu'il 'apprêtait à scruter sun cœur à traver
son visage. et el!t: cherchait à nier, à se dérober;
mais elle vit qu'il regarùait droit ùevant lUi, au loin,
dans la nuit claire; et dlc le sentit :;i sincèrement
pitoyable, si dépourvu de curio ité méchante ou
banale qu'elle fut franche.
- Ca se voit dune? lit-clic.
- Sans doute, sans cela ....re ne suis pas sorcier,
4ue je sache ... Qu'est-cc que tu as?
Elle eut un pelU rIre fêlé, Cjui ne mentait point.
- Ah 1 voilà, dit-elle, c\: t lifficilc à e. phqucr.
Elle semblait hésiter au burd de confidence ; il
l'encouragea par un élan dont il ne fut pas le maitrc.
- Tu as montr~
tant de cuural&:e au moment de ta
ruine, puis à la mort de ton pl:n:, et lkpuis ... Je t'al
admirt!e souvent.
Admirée 1 Lui, il l'avait admirée, clic 1 Le cleur d.
la jeune tille saula dans sa poitrine. Cela ctait 1
oudain, si inattendu, qu'elle dut 'arrêter omme
pour reprendre h~lcine.
Il s'arrêta au. SI, la regarda, un peu emharra .~
ct ne rép~ta
pUlofll cette pal"ole extraordinair qu'l'Ile
aurait voulu enfen ire '11l:oro.:.l1 li manda cul ln nt:
- Qu'o.: t-il arri\"l: dc~
UI .
Alors elle se remit il mar'h r, ct raconta. cOlllmc
e parlant à cllc-m m\!:
_ Je nc sais Ir0l'. Autreroi ,l'~a
cnnlenl,> 1 IIlIr
rien. Maintenant ..:'c 1 le ..:ontrall"e ...•Je IIIS ln t
pour rien ... Je ne sai .. , Je v"udrais.:. QuclquefOi ,
Je pense que maman n'est pa . ma vraie m re ... C'e 1
peut-être à cause de cela que nous ne nous entendons pas toujour .
IlIa détrompa avec une vivacité slOgulière:
- Non, ne crois pas cela, ma pauvre petite. On
ne s'entend jamais enhèr ment avec personne, et
lorsqu'il survient un malentendu entre un nfant et
a vraie mère, c'est bien plus douloureux encore.
_ Ah 1 oui? dit-elle Implement, sans s'étonner
ni insister, devinant qu'elle venait de surprendre
une confidence involontaire qU'il pourrait regretter
d'avoir faite, i e11 Il' le omprenalt pa à demi-mot.
[lne atlilosphère l' d.lU cur fraternt.:Ue le8 env
1 pp It; Il en profila puur lUI parler de miau...
�ii2
L'A~IOUH.
ATTEND .. ,
Walkinton, et faire allusion à ses offres. Elle lui
expliqua que Mme Beaurand ne voulait pas admettre
l'idée d'une ~partion
pendant les vacances, si
avantageuse qu'elle pût être
Il remarqua:
- V nus devez étouffer dans votre petit appartemenl Î'
Elle répondit:
- Le soir il y a un peu d'air sur le balcon.
Il évoq ua l'étroite bandl! de pierre où deux chaises
tenaient à peine, d'où l'on contemplait principalement la voie du J'vlétro, et olt on respirait, les Jours
du marché dl! Grenelle, des odeurs dl! fromage, de
volaille et de triperie. Pendant qu'elle prendrait l'air
là-dessus, il serait, lui, ,nec sa mère, à Saint-Cloud,
aux portes du Parc, dans une vdla trois fois trop
grande.
" TI faut que je d~cle
maman à leur Jonner l'hospitaliLt::, pensa-toi!. Le second l:tage restera enti~r
ment libre: quoi de plus simple que de le mellre à
leur disposition .~ ..
Ce serail tOIl\ simple, en effet. Pourtant il prévoyait des objections dl' part ct J'autre ,t ~'apli
quait à y répondre. Ce qu'il ne pouvait pas réfukr,
l'al' exemple, c'était une objection que sa mère ne
lui ferait pa,:" bien qu'elle [lit à 'l'S yeux la principale: pauvre m~re
1 elle allaH a 'oir peur qu'il ne
dcvlnt amOllrl'UX de Jacqueline 1
pas combien il était loin de
[':lle ne ~(l\pçonait
cc sentiment. Il avait toujours consiu0r"; sa cousine
t:nmmc une sccur; ct la preuvl!, c'est qu'clIc lui portait Sllr les nl!rf: au tcmJls 011 l!lle 1111 fai~t
dc ...
af1l·'je~.
Comme il l'tait loill, ll' lellll" ! S'Cil sDuvenait clic
sClllclllent, à celle Ileure
1~le
marchall il 'il!S colt.!s, ~age
1'\ sdellcieusc, respectant le~
réllexinJ1s qui le l'l.:ndaicnt taciturnc, ct
Il' semblait attentive qu'au charme de la nuit \l'ét( .
. ~I
In\'l!r5~iet
lt.: l'Dilt de (]rellellt:, apr"s avoir
SUI"! h'!'> quai . dc)'ui~
l'All11a. Un irnlllcn.,e hO!"lwlI
l~'c c.,eJ, sc dép!Il\:.llt., parsclIIl: d'il1 1111 111 hrablt:':i é!lJlk ...
,t 1,1 ~(;Ine
rnll"llilail HIl 111111 piqu!; .. uc fClIx rnugl''''
ct Vl'I'!s qui trel1lblaienl tiall
cs cau!> <;ombrc'>
comme des fllsf}e. persistantes.
(lue (·'.:5t beaul JJI1JI'rIlIlI.H,iJ 011 l! l'rol11';o,'.
1.1,IIIJ qu'a1l lIl;tlÎII
• E.lle l'approuva, en !iOUlllllt de ,l'II ,(JUill \.. jmléci
�L'A~lU<
Al'TENJ> ...
où perçait sa mélancolie toute nom die, ct il eut soudain une id2c - si simple qu'JI s'étonna qu'elle ne
lui fut pa:. venue plus tot :
" Elle aime quelqu'un qui ne l'aime pa~,
et c'e·t
pour cela qu'elle est triste, ct qu'elle a perdu ses
manil.res taquines ct provocantes. ~
- A quoi pens~-tu
? demanda-t-il bru~qeml:nt,
comme s'il allait du coup surprendre son secret.
Elle répondit , sans quitter son sourire énigmatique:
-:- Je pense aux gens qui croient que la nuit est
nOIre.
- Ce sont les amoureux, qui ne voient rien,
riposta-t-il.
Elle protesta :
,
- Quelle erreur 1 Les amoureux voient fout en
beauté, au contraire.
- Qu'en sais-tu -,.
- Ü toi-même iÎ,hacun sc mit à rire de l'embarras de l'autre.
Ce fut.cl.le .qui reprit la premi~c,
avec a 'surance:
- MOI, l'a l lu ça dans Ic~
romans.
- Ah 1 voilà. 1\1oi, je Il'ai jamais lu de romans, ct
cela me gêne beaucoup lJullnd je cause avec les
de1l101 l!e~.
- Il n'y parait gu~re
avec moi, lit-dlc en riant de
nouveau.
- Toi, tu n'e pas une demoiselle. Tuc ma petite
sœur ch "rie, dit-il comme il
'arrêtllient uevant la
porte de la maison. Et tu dOIS me promettre de me
faire toutes tes confidl.:ncc .
- Oh 1 toutes, ce serait bcauColl\ ... Et puis, Ç,I
ne t',:I1111 l'rait pas, dit-elle ell posant li petIte main
hbitante uans la laI' 'e main qu'il lui tendait impl~
ricusem 'lit.
- Il ne s'agit pas dt.: s'amuser, mais de s'aider
mut~lec,
as. ura-til~'n
ton wa\'e . .Jc veux que
tu pUIS es cumpter sur mOI . .Jacgl1clln ',promets-moi
de le faire.
- Soit, c'e t lin traité conclu, acceptH.t·cllc, un
peu "'née pal' !:>Oll in btanc.; ct pre sée do.: lui r ,tirer
~a
m,tin, qu'il
rrait trol'.
Quelque in tants plu.s tard, q~Hlnd
il sc remit a
marcher .l~u
d:lns !a pUlt bleue, II nc comprit point
pourquoI Il avaIt PXIge cette l'mm' c a"ec tant d"lld 111'. En quoi pouv.lil-il lUI 'll'e ntile, l',d.lci lU 1,1
CIIIl ,,1er lan
1 cines cl cn'llI ') Qu't·nlulIdai .... il
�Jt.j
';"MU K All'.b:ND ...
aux aventure:; stlntuuentales, lU! qUI ne savait même
pas que les amoureux voient tout en beauté?
Et il s'ar~t
un long moment sur le pont de Gre
nelle. Etait-il vraiment possible qu'un amoureux [Ûl
plus touché que lui par l'adorable spectacle de 1<
Seine endormie sous les étoiles j>
x
- Je VOlIS assure, maman, que c'est tout simple.
mIes seraient chet elles, nous chez nous.
- Et le jardin qui n'est dt:ja pas SI grand? réplique
Mme Revel en fronçant les sourcil pour intlmider
son fils, qui ne lui résistait pas autant d'habitude.
- Vous ne vous tenet Jamais au jardin, justement. Vous redoutez l'humidit6, les araignées, les
mouches ...
- Jacqueline ne redoutera rien, elle, sois tranquill.::. Elle descendra à toutes les heures, par tous
les temps. L'escalier saa d'un sale 1. ..
- Oh 1 maman, vous .:onsentell comme YOUS êtes
bonntl!
- Comment, Jl! consens 1 Où prend -tu que je
consens?
-. Mais oui, pUIsque \"Ous dites 'que Jacqueline
sortira par tous les temp s 1
. - .Je t'ai dit cela p(Jur te montrer les inconvénIents de ton idée ct l'our expliquer mon l'du:;.
- Cela ne pcut Gtre un refus, voyons, maman 1
Kou5 di cutons le pour ct le contre. Mme Beaurand
est mulade, sa (ille c t surmen,~;
elles nous ont
r~l1du
l'urllent qu'elles auraient pu employer à une
Villégiature ...
. - Ah 1 si c'e t pour ça qu't:lles ont rendu l'ar~ent,
Je perds au change.
.. - C''. c • I1l1trc de 'oir, maman, je vous a sure, et je
.ou il: demande comme un ervice.
Le ton ~c Fran~ois
était si ému que la voix de sa
mère sc mit il Ir mblcr au i.
.
~I)
tl\.:11 tcllerncllt, lit cll ,lU ai (m;1I que
le n'al Il 'Il a te l' lu '1.
�r:.L LOUR ,\TTE.ND ...
"S
Et elle attacha sur lUI un regard si mqulet et 51
pesant qu'il St: prit à rougir.
- Oui, j'y tiens beaucoup, avoua-t-il. Je considère
que c'est notre devoir, je vous en prie ..
Elle ne le laissa pas achever.
- Ecoute, Françoi , tu le veux: je te l'accorde.
Pour ne pas te contrarier, je vais empoisonner mon
séjour là-bas, admettre dans mon Intimité immédiate des parentes éloignées dont tout me sépare,
lout, tu m'entends bien: les gouts, les idées, les
habitudes, tout ce qui se voit ct tuut ce qui ne se
voit pas. Seulement, en échange, je te demande quel'lue chose à mon tour: François, promets-moi de ne
pas songer à épouser Jacqueline.
- Je n'y ai jamai song6, maman.
- Non, tu n'y as jamai ongé autrefois. Tu te
rendais compte que tu ne l'aimai point, qU'elle
n'était point une femme pour toi, alors qu'elle po • édait une fortune dont je voyai le avantage pour ta
carri1!re et qui me tentait pour toi, je Yavoue. Tu
avais raison alors, ct moi tort: tu vois comme je le
dis loyalem<:nt. Tu vois, mon enfant, que je reconnais mon erreur quand elle exi te.
- Je vous garantis, maman ...
- Non, non, taill-toi laisse-moi parler jusqu'au
bout sans m'interrompre ... Laisse-moi rassembler
mes idées ...
Et elle fit un geste autoritaire pour lui imposer
silence pendant qu'elle reprenait haleine et disposait
ses arguments.
- Aujourd'hui Jacqueline est pauvre, et elle a
gard6 en perdant Sa richesse tous ses goûts de luxe
et de frivolité. Oui, ell est restée coquette et
égOlste. C'e t pour s'habiller à la mode, pour porter
des bas de soie t des gants de peau en loute ai on
qu'ellc travaille, qu'elle veille, qu'elle e ruine la
anté Il plai Ir. Voilà la vérité, que je vois clairement
avec mon bon ens et·mon expérience que n'()hlit~re
aucune passiun. Eh bien, mun enfant, il faut que tu
m. promettes que tu ne vas pas t'embarguer dans
un absurde roman de dévouement, de pitié, de sacrifice exalté ct stupide. Tu sais, je sais que tu
n'aimes pas Jacqueline. Promets-moi de ne pas
l'épou er.
Françoi hésita, un peu ptle, puis il déclara d'un
ton 801ennel ,
�n6
L ' A~rOUR
ATTEND ...
.1,' "ou" prom et, mJ. mLr,' , lJ.up, je u'! me
marierai JamaIs sans votre con sentement,
- Halte-là. Cela ne suffit point. Et je vois que 1('
mal est encore plus avancé que je ne le craignais.Toul
il l'heure, tu m'a ssurais que tu ne pensaiR pas à faire
cette sottise; maintenant, tu me promet s uniquement de ne pas la faire sans que j'y consente. Mais,
malheur~,
t';1 oublies que tu viens de m'extorquer
mon autoflsatlOn pour ces vacances en commun, et
que le premier pas dans la voie fatale est déjà fait.
Tu te figures déjà que tu aimes cette fille. Tu vas la
vOIr tous les jours pendant deux mois, et un beau
jour tu viendras me raconter que tu lui aR ouvert
ton cœur, que VOLIS êtes fiancés, que tu ne peux pas
reprendre ta parole, que ce serait malhonnête, honteux ... que sais-je? Et que pourrai-je répondre? Je
t'en supplie, François, SI tu es sincère, SI je compte
encore dans ta vie, renonce à faire venir nos cousines à Saint-Cloud 1
- Quelle exaltation, ma pau\'fe mi.:re 1 Je ne vous
ai jamais vue ainc;i.
- Comment pourrais-je rester calme quand ton
avenir ct ton bonheur sont l!n jeu ')
- Il ne s'agit pas de tant de chose s , ] ieu merci,
mais de quelques semaines de campagne à passer
dans une <;oclété qui ne vous enthousiasme pas.
Pourquoi bàtir là-dessus des complications imaginaires et vous figurer que je vais saisir cette occa<;ion
pour me fiancer avec Jacqueline, que je connais
depuis l'enfance?
- Tu la connais depuis l'enfance, soit, mais il n'y
a pas longtl!mps que tu la pares de l'auréole du
martyre; et cela te séduit, au rebour'l de sa grosse
dot, qui te mettait en fuite.
Le Jeune docteur ne put s'empf:cher de 'lllUrirc de
la perspicacité maternelle.
- Il est certain que la dot était pour moi un
obstacle; quant à l'auréole du martyre, je ne la vois
p~
encore au front de ma cousi ne, et cc n'est pas
J.allleurs cc qui la rendrait irrésitible à mes yeux.
?,I
n'en.visagl! pas le mariaae comme une affaire,
JC n en faIS pas non plus une CCllV"C pic. et je ne préten~s.pa
que la Providence m'ait élu pour réparer
les lnJ\lstlccs du sort ...
- Ne plaisante pas, mon enfant· l'heure est troç.
grave. Je t'en supplie, François, ~aintc
que je
'7
�L'A~rOT
l'
ATE~])
...
l'ai ùonne Inules 1"5 rai_,·JI d., ma 1 IIlI'nUlle, r'" 'Ir
InTI proi"t, fal~-m)i
la Fracc d'y renonc:"r.
Tout en parlant, Mm.: Revel JOIgnaIt l:olI\"ulsi\"cment les mains.
Son fils s'approcha d'elle, saisit ses maine; tremblantee; et posa un baiser sur son front contracté.
- C'est moi qui 'ous en e;upplie, maman; il faut
cesser cc jeu cruel. VOU" venez de céder il mes in stances; ne me reprenez pas immédiatement ce que
C'e t une très petite chose,
vous m'avez acordl~.
quoi que vous en pensiez. En échange, je vous ai
fait une promesse sacrée et que vou n'avez pes le
droit de mettre en doute: Je ne me marierai jamais
sans votre consentement. Là-dessus vous me parlez
de fiançailles romanesques et d'aveux non prémédités au clair de la lune. C'est une folic dont jc suL
incarablc; et .vous qui me connaissez bien, vou
deVriez le savoir.
- Oui, justement, je te connais pour un garçon
sérieux, trop sérieux, trop raisonnable. Certes, je ne
te reproche pas de m'avoir jamais cau ''; de peines
ni d'Inquiétudes; mais aujourd'hui, c'est cc qui me
fait trembler. pour toi. Ton tour viendra un jour de
faire une fohe, et cc sera terrible; tu t'enliseras à
fond.
François, qui était resté tendrement penché yers
sa mère, sc redressa, à bout de patience.
- Si c'est votre conviction intime en une 'fatatité
inéluctable, je n'y puis rien changer, évidemment.
- Alors, demanda-t-elle toute pale, ton dernier
mot?
- Je n'ai pas de dernier mot à vous donner, ma
mère. Il y a une chose toute simple, convenue entre
nous: Nous allons, ou je vais en notre nom à tous
deux, ofTrir à nos cousines Beaurand un appartement
dont nous ne faisons rien et qui leur permettra de
passer un été confortable.
A son tour, Mme Revel se ùressa en face de son
fil s.
- Eh bien, moi, voici mon dernier mot: jamais
à
tu m'entends bien, jamais, sou aucun pr~tex,
aucun moment, tu n'obtiendras mon conc;entement à
ton mari~e
avec Jacqueline.
Elle l:talt debout, impo ante, formidable, la main
droite étendue comme pour un ermcnt solennel; et
sous ses sourcils contract(·s se yeux lançaient de.;
éclairs d'indiJ:lnation.
�1 J .'
T' \ [~lTR
.\TTENn ...
I.I regard.J, le t'fl'Ill' dl.JJlbl.:!tllCnJ serr·.
PourquoI me refuser a l'avance une chose que
je n'ai pas demandée? remarqua-t-il en feignant un
grand calme. Mais son attitude manquait d'assuran<.:e, ut l'on pouvait surprendre à traers ~a fruideur
le (un dulent d'un enfant pris en faute.
- Pour que tu sacbes à quoi t'en tenir. Comme
je crois que lu es un fils <.:hrétit!n, <.:cla te préservera
peut-être, répondIt sa mère en se retournant au seuil
de la porte qu'elle allait franchir.
Lui, cependant, restait debout, figé, en proie à un
accablement bizarre.
- Mai~
I)on, je ne l'aime pa~".
J.~ ne l'l!im.c pas ...
murmuraIt-li en réponse à une Inqull!tudc Illteneure,
qui lui venait sans doute seult!ment de !1aVlIir' qu'il
lui était défendu de l'aimer.
F'iltl<.,<lJ
XI
Deux jours apr\!s cette scène, Mme Revel, accompagnée de son fil, se rendit chez ses chères cousines.
C'l'talt le soir; Jacqueline ct sa mère, in tallé es sur
leur étroit balcon sans fleurs, r~gadient
le ciel
blanc d'un crépuscule mélanculique d respiraient
l'air tannant de~
suirs sans brise.
glles reçurent fe. visiteurs dans la salle à manger,
ou LUlli a \:mpre "a de rallumer la Sll peJ1Hion
IU'on avait éteinte aus. itôt le diller fini, pour éviter
lu. chaleur du guz. Jks qu'on eut ècltun!-l:ü les premIères salutatiol1 " Mme 13callralld s'écria:
, - ~()u
partez pour la campugn.c,. S-,I1~
doute"?
CombIen YOU UVl.!Z raison IOn étouffe ICI.
-: .'·:t vou, vou ne r,lite point de pr"jds pour
l'éll.! (demallda la tante Curalil.!, au lieu de .. "pondre.
l',I~
e. pérait vu~emnt
apprendre quelque dlllsl.!;
la mOI.nltrc dl!l 0 lui uurait été lin hon prétexte l'our
n!: pn.lnt ex!,,, CI' le uje! Je sa vi ite.
Ma.ls ."Imc IkauranJ se contentu de pOllst:r un
soupIr et une ~. c1amation d'amertume;
.... - Oh 1 .nous, vnus ~avezl
...
.Iac(tucltnc c,)rrigca ~cntim
Cl.!ttc plainte:
011 coml'JOfls d~1l"'na
'cr c'n ,,·t,,1I1" . ,\ \I<;si,
�L'A llltr
AlIEl.Jl ...
1 I~)
pour I~ n.lOmet~
nous allon re_tcl tran4uil~
ct
faire de economl\;.
Ce fut au tour de Mme Revel de pou;,ser un "rand
soupir. Les choses ne pouvaient pas s'arranger
plus mal à son gré.
Mme Bcaurand crut à une manifestation d'apitoiement; satisfaite du résultat obtenu, clic rCI rit, avec
toute l'indifférence des questions de politesse:
- C'est à Saint-Cloud lJue VOUt; ayez loué, je
crois'( Etes-vous sati faite dIJ votre in tallati('ll?
- Oui, e'e t trè blIJll , tr(:1> bien ... ct même un
peu trop grand pour nou ,dit .\1mt.: RC\'cl avec effort.
Alors, nou. avon:; 1 en .; qu ,. 'ilS lourriez 1 eutêfre en profiter ..
I<~rançois
intervint earl'\!ment :
- /1 ya tnut un aJ;>prt~I!1en
que nou n'llccupOns
pas. 11 0.: t a "ntre dl po Itwn. ,l'esp re que ...
- Vrallllent, vous êtes trop aimable ; mais nous
~raindos
d'titre mtliseri!te', hésita l\Ime Beaurand
;t\ec une Ilammc de convoiti e dans le yeu .
- Il c t il votre disposition, répéta lalblcmellt la
tante Coralte, tandIS que S/III fil accentuait:
- Vous nou l'crez beauc'lui LI l'lai ir, et nou
n 'ous gellcrons pas plu que \(HI ne fh'U' dérllngcrcr.. Vous crez chez vou tout a fait.
--Et ave' l'a"l'ément d'un 'hannant ... oi innge,
'e 'rin Mme Beaurand, tre séduile.
glle feIgnit encor' 'lu IluC
crupule pour lu
f.,rm '.
- Je n'o e vou l'rendre au m II. gat-cc bien !;(JI'
que VOU!; diapo /. de tout la 1 lac..: qu'i vou fallf
nns cet appartcm nt?
Pui , quand Mmo Revel, bien à contre- œur, l'eut
rassur 'e, elle prit l'avis de Jacqu hne.
- Si nous ne devuns pa d lan 'cr ma tante,
j'accepte avec r connais ance, dit Il' s simplement
la jeune fille.
Elle pariaIt ain i parce qu'ell \oyait a belle-mère
hien décidée à profil r de l'aubaine inattendue.
Per onne lIement elle e ouciait peu de l'h pitalitt..
de Mme Revel, et surtout de l'inhmit f rcée qui les
rapprocherait dans ces condilic:lOs. Quant a FrançoIs,
elfe connaissait se habitudes de travail et a manie
de solitud , et elle ne comptait p'0int sur a oci6té
lour ompcn l' l'onnui qu dl tillait a ln rc. Pour'I1nl au IllOfTI nt le pr 'Ihll' ong, JI allnch,1 III
elle 'un n.:gard lUI li man.lllli i dair 'm 111 : • g -lU
�120
contente? » qu'elle r0ponJit par Uil franc ~ounre
à
son cordial: « A bientôt, alurs 1 »
Lcs Revel devaient s'installcr à Saint-Cloud dès
le lendemain, qui était un samed i, Il fut convcnu
quc ~cs
c~usine
y arriveraicnt au, Jébut de la
sema1l1e SUivante, le lundi ou lc mardI.
Mme B<:aurand, pleine d'entrain, cummença ses
préparatifs, de départ le soir mêmc, ,c'est-a-dire
qu'elle ::;t mit à dresser la liste des oblets a emporter;
et pendant toute la journée suivante, clle s'occupa
d'emplettes; elle courut les grands magasins ave~
toute la frénésie qu'elle apportait autrefois à ce genre
de sport.
Elle avait terminé ses achats et se croyait prête à
parti r quand une lettre de Mme Revel arriva, donnant
le détail de tout ce qui manquait dans la petite cuis ine, assez summa lrement agencée, du premier
étage de sa villa,
- C'est à croire qu'on a changé ma cousine, tant
elle a des attentions surprenantes, touchantes même,
s'extasia Mme BeauranJ,
Et elle lut à voix haute lin long paragraphe plein
de renseignements précieux,
L'explication de cette complaisance extrême se
trouvait de l'autre côté de la page:
, "J'espère, ma chère cousinl', que [Jourvue de CeS
Indications vous apporterez blCn tout ce qui vous
est nécessaire, Car je ne voudrais ras que votre
négresse, sous prétexte d'emprunter des usknsiles
de cui"ine, vlnt troubler ma servante ct lui donner
des habiluù,,;s de désordl'l' ct de caquetage, Vous
savez ~oment
j'ai dressl: Mariett.,;, et que je ne 1111
I?crmets de frGl}u.,;nter persllnl1.,;, J,"; n.,; peux pas
lUire une e,'\ceptil)l1 en faveur de [,O\ll";u, ct le compte
sur vous pOUl' lui adresser des recommandations ~li
nous \!pargncront toutt!S sortes ùe.: contrari(:tés cl
d'ennuis, "
- Ah 1 ici, par exemple, on la recollnalt : c'est
til: nte Çoralie toule pure, ,;'e.clama .Jacqu -line, gh
bICIl, ,~H
Iq; amellit.,s C01l1l11el1cull ,klù 1.. ,
l\l.lIS Mme lkaul'unJ nt 'ell Illontra pas émue:
- :Je m'arrangerai pUlir IJI1l' Llluisa n'ait 1 as
}~e sol1
d't:ml~rune
la poele 111 le Illtlule à gateau de
s~ b,o~ne(
11- :l1e :1\'\:C dignité, <)uant il empêcher
Cdt\: 1,\11\\" Ill"!,r 'S L' de hd\".\I.\Ll c'o..: tune aulre
al l,II 1'(,; l
Et 'lit:; ,"Dllt" d'un
'
UlI' r,;
pi"gle: •
�L'A fOUR ATTE.TD ...
t :!t
- .re l''JI il' ,'C qu,' III 'U1HJrat; <lu'dl, tr'JIl\l!l"a
mm'en de fa Il 1 I~<
ca nI:! à ~larict
...:... Cela n'en sera pa::. 1-'lu$ drôle, remarqua Jacqueline,
Et elle se demanda ~Jne
fois de plue; quelle étrange
lubie avait in cite .Mme Rcvl!l ù leur ofTrir une villt~!iatlrc
à ses C(Jt:~.
La villa des Ormes était un j,Iii l''avill,,n dont I\:tagc
de luxe, un rez-de-chaussée surdevé auqul!i on
accédait par un escalier d'une dizaine ùe marches,
comprenait un salon, une salle à manger et deux
chambres. La cui~ne
ct ses dépendances sc trouvaient au sous-so l. Un..! vaste buanderie y faisait les
délice de Mme ReYel, d'autant plus que le jardin
()Ilrait une vaste pelouse où le Ill1gc blanchis~
il
miracle.
C''::tait un singulier jardin en pente, impClssiblc à
am':nager bnlr~cC)isemt:,
es allées cal'ricieu. e.
contournant des arhe~
ct.!ntenairt:s qui interd
~aien
t
d'en modifier les sinult~
ex,:l!"sÏl'es. Il (; terminait ù la li sil;!,l! d'un buis auquel il mC:lait ses It.!uillage, ce qUI C;largi 'sail a l'intinl sc~
l'r''l'orltnn
m'::di.ocres. :rel qu'l! é.lait, il lit la conquêtt.! dt.! ,lacquelll1e, qUI ne st.! pnva p"lnt d'y t.!rrer, ù'y flàncr,
voire même d'y t~av,iler
Ù (outcs les heures et par
tous les temps, alOSI que l'~\ait
prédit S? tan~.
L~
premlCr da~'e
du paVIllon manquait d'adleurs
ùe charme. Di"i ~ en petites pii.:ces man ardécs, à
ùemi meublé de lite; phants I:t de tabl es à tréteau. ,
il était el1cOl11hr':: tic bibelots bizarre : fausses chinoi,eries, oiseaux empaillés, chromos cl vcrroteries
de lilire. Son cul a~rél1:nt
était la vue ùu jardin,
lJui vous invitait à de ct.!ndrc.
Mme Beauranù ne répondit gUl:re à cet appel
incessant que l'our une ou dt.!ux promenades quotidienne . Elle était de ces femmes qui ne peuvent lire
oU coudre qll'avec un labour ,\ sou les pieds, lin
coussin dernl:re la nu'luc, et lJlli ne sauralenl vi'rc
~ans
mille ctUlle choses Ù p"rtl'c dc lellr main. Ellc
avait besoin (our atour de on chale , tic ~on
"\'cntail d'un coupe-l'al icI', d'un cravon, el clic ~.
crr/·ait accabléc d'occul':Jtion purce qu' 'lle aiman
;1 c t.raincr ~Ian
le pi~c"
e~1
<lITangeant ~n
tap!
l'ar-CI, un fiLleuu par-la, en e(1llu setant v1l1gt t'Il
la chel1linéc 1111 l'':tagl:rc, et etl repou!> unI .;.,ntre le I11Ut' les 'haist.:" SIlt11\!S du t'ang.
�T.',\ lOTIR ATE~D
...
.Ial:quelillc, qui lie partageait poinl ces absnrb,mts
s'évadait aussit6t levée. Elle emportait une
tablette de chocolat et un morceau de pain, et s'en
allait déjeuner dans la rosée, au milieu des moineaux pépiants qui se disputaient les miettes autour
d'elle.
Chaque matin, quand il (Jartait pour la gare, vers
sept heures, François voyailluire sa robe blanche à
travers les arbres. Mais il ne se risquait pas à aller
lui souhaiter le bonjour, à cause de Mme Revel qui,
debout sur le perron, le front hérissé de bigoudis et
un torchon à la main, le regardait gagner la grille,
qui lui livrait passage dans un vacarme de sonnette
.::branlée.
- Tiens! voilà François qui s'en ya 1 disait Jacqoeline aux moineaux frétillants.
Et de même, le SOir, troublé'! dans sa lecture par
le rn(!me fracas de sonnerie, eHe songeait:
" Voilà François qui rentre. "
Lui, de son cOté, cherchait du regard fi travers la
vel'durc la forme claire, qu'il découvrait toujours à
quelqu'une de ses places favorites. glle en avait plusieurs; d'abord, la tonnelle où les troncs d'arbre
taillés, rangés en rond, attendaient vainement autour
d'une table éternellement vide; elle allait là faire sa
COIT\!sponJance aux heure' chaucles de l'àpri.!s-midi,
ct quclquefois s'y attardait jusqu'au soir. 1<:11<; aimait
aus 1 un vieux banc dc pierre blotti parmi les buis~ons
d'aubépinc et ùe chèvreCeuille. Mais SOli eoin
de 1 rl:,lili!ctÎOll était le creux d'un vil.:Ux saule au
blll·t! Jl1 rUlss\!au qui coulait en lisi"re du hOIS.
e;'..: t ·tonnant ~oJl1me
Ull' l'ohe hlanchc sc voit
vile duns lin puvsage 1 Cr;nt pas fi ulcrnent supnrail.:nl
la nrilll: du jardin dl' la pl/rte du pavillon, d au bout
de' \'C!; Lent pa~
Fral~fi!;
l{l;\'l:.l aurait Il)lI)OUrS su
dlrl.: la pInce l)réCls qlle IHllltalt le hlanl: lant'-lme.
C<; q\J~;
personne n'allrait . li dire, pal excmple, ct
C'~
qU'II ne IIupçonnait pa: lui-l11l:ll1c, c'ec:t la place
'1 l1 c tenait dans su vic celle VI ion furtive, cc l'an de
ll.:lntUl'c. "Il d'ccharl'c cntrcl'u malin ·t <;oir.
Un ,1 'j\!lInait Cil famille 1 • dimanclie tantot RU rcz, Iml' Rdvel [l'avait pas
le;ehall ée, t:.lntot ;'1 l'(;\a~c
) e C "u trall c li la l:orv{;c de cdle réunion heb~mIlr
; il la!lait hi en qU'lin e vit un' fois ou
1.1l11Ie. elle .tV( 11 rl··'f':I·· que cc fuI ù date lixc et
que cda vlnl 'iljolltl!l' Ù ln solennité de la Cète dominlcalt·. dl' Inl'''11 lu'III1 Il'eut l'a "id,' d~
,(' r nCOIlSOUCI,
�L'A ~I(
Il [' AIl J'•• Il ...
trer et de s'invite r à l'impru\ 'ilile. Le meilleu r muyen
d'empê cher l'intimi té de s'accro itre sans a\oir a la
combat tre san::. cesse, était de la canalis er en quelque sorte. Cela avait tout de suite pris furce ùe tradition et réglé les rapport s familiau x qui s'impos aient.
On savait qu'on dl:Jcuna it ensemb le le dimanc he;
cela dispens ait de s'inquié ter davanta ge les uns des
autres.
Si on avait comme ncé à paliser une soirée en. emble, on en aurait passé une autre, puis une autre
encore, et pourqu oi pas toutes? Mais on déjeuna it
ensemb le le dimanc he, le seul, jour où Franço is
n'allait pas à Paris; et cet inconvé nient était suppor table parce g.u'il ne pouvait point se multipl ier.
Chaque dimanc he, lor qu'on n\'ait dé leu né, pris
le café et bavarùë en famille, Mme Revel se ùisait :
ft En voilà pour toute une semain
e " et clic partait
Je C(cur léger pour les vêpres, accomp agnée par l'on
lils jusqu'à la porte de l'égi~e.
Le~
autres jours, clic s'instal lait chaque aprl!smidi devant son mcticr a tapic;~r,
à la fenêtre Ju
salon; ct C'7 st de là qu'elle réponda it maje tu cu em 'nt au petit mot d'amitié que j\lllH.: Bcaura nd ct sa
lillc lu~
adn:s.sa icnt au pas,u"ie . I~n
ommc, la vie
de\'C!lalt rns lbl.e pour elle, r ui!'que son fils .et Jacqueline s'Ignora ient presque aulant qu'à Pans.
Presqu e <lutant. Un matin, comme c1h: était as ise
plus pro.) de l'allé " elle 1 elH:ontr u le rc' rd dl.! François à trav rs les feuille ct lui fit • L onJour • de la
Illain. II répondi t cn ourian! 1 al' 1 m'::mt.! alut muet.
Cette discréti on parut toute nutur Ile à la jeune
fille. Si clic avait manifes té autrcn cnl sa pré cnc ,
'Ile aurait dll aller pré ent '1'.
d vllirs il tall '
Coralie , dcb0l!t comm ~n f.Rrdil.!Jl. t.:1l faction !illl' le
pcrrnll dl.! la villa, ct qUI n clll pUlIlt p,u'don llé u sa
nil'cC' de la urpren dr' dan
on 1 u galant dé habille du matin.
Etait-\.:· un ha arc!? Le 1 'ndcma in .Jacque line rut
as i
il la même place. De nou\"\,;au, elle 'arrC:ta
d ' l.!miellr.: r ,('11 pain aux m"inca u 1 our fair Ull
iJ.:l1c amical Ù (1I1 hot
Et CI.:I.I (\<:\'illt une habilud : h.l'Iue jour il
1111'01(;] .l\'el.; lui le OUI il' dt CI! frU!
i af!. matinal él'anuu i l.;Omml.; Ulle fleur au milieu de feuilla s.
�L'A~lOUR
AI'lt:Nl)",
XII
Quelq uefois Mme Rcvel recevait dc~
visites; elle
envoyait alors Mariette prier les dames 13eaurand
de venir prendre une tasse de thé, car elle était heul'l.!uso.; dl.! présenter à ses connaissance!' les parentes
pauvres qui profitaient de son hospitalité généreuse,
Jacqueline faisait les honneurs de la collation frugale, principalement composée d'un certain gateau
confectionné à la maison o.;l que tante Coralie garJans une boite de ft.:rdait pendant de" semain~
blanc, alors qu'il demandait ù Gtre consommé
frais,
•
ElIl! avait des patissit.:rs une horn:lll' superstitIeuse,
leur attribuait des l!mpllisonnemcnts innombrables,
les accusait d'employer de la \'a~eli
en guise de
beurre, et disait gravement aux personnes à qui l:11..:
ofTrait son cake rassi :
- Vou~
pouvez en manger saus ..:l'ainte: c'e~t
fait
cnCl moi,
sans
On en mangeait sans crainte, mais ~urlot
excès, cl cela n'avait pas d'autre~
~uites
que de desséch,er la /lorge et de décourager les pL:l'sonne s
enclll1cs au jléché de la gourmandise,
- .TL: ne prends jamais non en dehors de mes
l'cras, disaient généralemt.:nt les habitl1~es,
qui conde la maison,
naIssaient la sr~cialté
l\lme Beaurand en était. Quant à Jacqueline, ~a
tante savait qu'elle ~oùtai
tous les jours, ct plu lot
deux. rois qu'une: il lui fallait donc H'exécuter, Elle
St' hcr\'ait ()stellslblL:ment, puis ~UL:tail
le momenl
lav'Jrahl' pour !.~I",sL:r
il- ll1on:eall dal)~
sa l'0cht: Ù
l'inienti()n d" St'S umi" les 111"il"<IU ,
,1 ne aprc:t;-1I1t li, ';Ilmmt' cllt.: IH'c Iclal1 ain i ;\ la
l~trbu
de las l.! dt: thé remplie iL: ulles dl'
Illleui t:t iL:s aulr" de canlO111ilk selon 1t: ehoix dL:s
'(1) 'om1l:ti~,
IlII'! 01:1111':\ l ' Il rll'L' .J,'!.l l'l'Il'·'tiC .Tla '
Il,,n ,le 1" kll!! Il'1 Il, lit 11llllfll' 1111'" <..!
Io,.lt 1 C<.. Ill.: l' l''..:I\;UI! 1 ),,0.;1 Il.li li! n.: l' l'irL' Il 1
�L'A~lO\JR
Al'i'.I::NIJ ...
toules les autr<!~
dallle", dil:l1tcs dl Fr-.Jlçoi~
pour
la plupart.
11 arrivail. en effel; Cl llon seulement Il entra au
salon pour saluer le~
visteu~,
ce qui était son
l.k\llir stnct,. mais ~ncore
il prit place dans le ce.rcle
kmlntn, actIOn qUI fit ouvnr de grands yeux a sa
mè:re. Elle ~'informa
:
- 11 ne t'et rien arrivé de (acheux, au moins?
- Rien du toul. .Je manquais de cœur au travail;
j'ai expédié l'indspe~abk,
et je suis Vl;nu ml!
reposer.
- Désires-tu du tilleul, ou de la camomille? lui
demanda Jacqueline, hésitant entre deux théii.:rt!S.
Il esquissa une moue vivement changée en sourire.
- Est-ce que je ne pourrais pas, avec ta haute
protection, obtenir une tasse de thé?
- Comment, docteur, vous qui me défendez d'en
boire 1 minauda une vieille dame au teint reposé et
aux yeux aimables.
- Et à moi au::.si, docteur, vous me l'avez interdit 1
dama 5,~ voisine, dont l'agitation faisait trembler les
gro ses )out:s. rouges.
- Et à mOI aussi 1. .• Et à moi aussi 1. .. répét1:rent
en chœur des voix chargées de reproches.
l'rançoi sc mit à rire. Il ne se rappelait pa!> a,oir
privé tant de ~ erSOllnes d'une InofTensiye boisson.
C'~tai
éviJemmel1t par la faute de ~a mi're, qui
avait la. rage de lui envoyer en consul.tation toutes
'i~s
amies; quand .on a. nen n'à pl:escnr.e aux gens
hl en portanh, ne faut-Il pas kur Intertitre quelque
chose Î' La ta~se
de thé lui avait paru sans consélluence.
- .Je vous l'ai défendu justement parce que jl; me
le réserve, répliqua-t-il avec une logique admirable.
Mais pour aujourd'hui le Ii.:ve l'interdiction : que
chaculle ,de vou , mesdames, en boive à mon
I:)(cmplc.
Ll'pcndant Jacqueline avait sonné Mariette ct
tout ... simple.
rl'claOl'" dll thé comnw tille cho~e
- i\\aif.. jc \1"'n ai point. madl!nHlI elle.
- Jo:It bien, mOllte!. dl'~!.
nous: Louisa VOl~
en
lonncra.
- Bien. mademoiselle, fil la en'ante en consultant
du regard sa maltr' sc, qui avait suivi le colluque.
Mille Hl.'d , l: t 'll,1I1 lU 1t. 1II '111 f.'vlll SI 'oir 1 t!lle
11Iillt ~Olj\1
1111 111111
au de II" ,\ J\hrlctlc "II
�L'A IOUR ATTEND .•
se résoudre à sortir du salon. La solutlOl\ proposée
par sa ni' ce lui agréa, et elle laissa faire,
Elle n'était pas d'ailleurs au bout de son épreuve.
Comme Mariette rapportait une théière, pleine,
cette fois, de thé, François l'arrêta au passage et
montrant le plateau où le quatre-quarts d~coupé
et
sec attendait vainement preneur:
- Est-ce tout ce qu'il vous reste? demanda-t-il.
Oui, monsieur le docteur ...
- Ayez la bonté de courir chez le pâtissier, et
rapportez ùeux douzaines de brioches chaudes et
autant de gàteaux variés.
Mariette' ne se Je fit pas répéter. Les bonnes ont
plus <!'amour-propre qu'on ne croit pour leo maisons
où eIles servent. Le patissier était à dix minutes de
la villa; mais elle courut si bien, qu'elle fut de retour
avant un quart d'heure.
Toutes ces dames prof1taient de la permission du
docteur et Gtaient cn train de boire du thé. En
l'h()nneur de cet extra, elles rcnonci:rent a leurs
autres principes, et celles qui n'avaiL:nt pas l'habitude de goûter modifièrent leur r6gime.
Cc ful men'dlle de voir disparaltrL: aussitM arrivGs
les brioches, les ~clairs
et les tartes. Mme Revel
refusa d'en prendre sa part.
- C'est fait avec du glucose, un poison, un vrai
poison, xpliqua-t-elle à une chère amie, qui l'approuva tout en mangeant:
- Il n'y a rien de lei que les médecin: pour enfreindre les loi, de l'hygiène. Ils ne s'ell 1 ortent pas
plus mal, d'ailleurs.
Et là-de us, celle dame, d'estomac d~lica
ct
d'esprit fort, prit une seconcle tas e de thé pour
accompagner fin roi si ème éclair.
])u coin .le l'oûl .\lme 13caut'and ob L:n,lit tout
sans en avoir l'air, et riait intl.Ori..:urcment: Ça lui
rap~lt
le petites comédies du .rant! monde où
clk Vlvall aut]" f,)i cl 011 elle a\ait vu tant de ChOSCH
pa~
toujour trè. jolie mai!; si :lm\! ante'>. Il était
~la.r
lll;lc (outes les bonnes ami, dc tante Coralie
JOUISSUlent Liu dépit de cette dam..: encore plu que
du régal InaU ndu qui leur était olh:rt.
.Jacquelint: e r 'élu en celle occasion la seule
aOle compatissant ; lunn
11· cul crvi tout le
IllOn 1 Iltmr,UIll III f' Illll( 1\111 ~I'
1· l,n Il'
plal ,li 1· '; I"au IIIlS, dl,' chui it l''JUI cil 111.,;111'
�L'A IOUR ATTE D ...
127
un gros morceau du quatre-quarts dédaigné et s'en
fut le manger à côté de sa tante.
Peu après, comme elle s'affairait de nouveau
autour de la table à thé, François, qui rapportait les
assiettes vides dont il avait débarrassé quelques
dames, s'approcha d'elle:
- Tu aime le quatre-quarts, toi?
Elle allait répondre en riant à cette enquête compromettante; mais, sans lui en laisser le temps, il
reprit avec un accent d'adoration indicible:
- 0 toi, toi, si tu savais 1...
Et il s'éloigna brusquement, la laissant interdite,
se demandant si elle avait rêvé, s'il devenait fou, ou
s'il... Ah 1 non,' pas cela 1 Elle ne voulait pas le
formuler, même en pensée. Elle ne pouvaIt pas
supporter une telle imagination 1 Elle aurait eu peur
de s'évanouir de bonheur devant toutes ces dames
ridicules aux bouches pleines de confiture et de
mMisance. Ah J Il avait hien fait de ne pas lui en
dire davantage dans ce vilain salon 1
Quand les visiteuses s'en allèrent, François leur
fit un bout de conduite jusqu'au bas du sentier qui
menait à la grand'route; Mme Revel, Mme Beaurand
et Jacqueline s'étaient arrêtées à la grille de l'entrée;
et sans doute elles avaient dû regagner tout de suite
leurs appartements re pecti~
, car le jardin était
désert lorsgue François le traversa de nouveau
quelque mmutes 1 lus tard. Il t'explora d'un regard
déçu et rentra au .810n où sa mère remettait tout
en ordre.
.
Elle a\ait certainement été urprise et choquée
de la désinvolture avec laquelle il s'était penni de
donner de ordres pour le goûter. Et il attendait se
observations pour lui en fall"e d'autres. Mais elle ne
fit aucune remarque, ne posa aucune question; et
il ai it un journal, pour que le sile ne fOt moins
'ênant entre eux.
Elle paraissait très absorbée d'ailleurs, n'en finisant pa de bros er, d'épousseter et de ranger; et
elle devait se demander pourquoi il re tait lA, au
lieu de se retir r dans sa chambre u d'aller lire
dans le jardin. Mai elle ne le lui demanda pas; il
flottait trop d'inusité dan l'air. Elle eo ressentait
de l'inqui6tude. Elle voyait 'IU'il attendai qu'clle
parlàt : ello ne voulaIt pas pnr cr.
,
Cc fut lUI qui dut céder. Lor que ariette vint
Ilnnoncer qu Madame était ervie, il n'y tmt plUi.
�11 sc dressa devant sa mère au momelll vU elle allait
passer dans la salle à man!:'er :
,- Maman, J'ai quelqu t. (.ho
~ t! à vous dire.
Elle le regarda d'un air triste ct humble.
_ Tu n'as pas été content de la manii;re dont je
reçois'" Je l'ai bien vu, va . Une autre fois, je ferai à
ton idée.
Cette dour:eur contrite Jo.! d~cont:erla.
II aurait
mille fois préféré Je l'injustice et des n;proch\.!·
auxquels il était prét à répondre; elle parait le cour.
t1"i.!s habilement, en somme. La voyant si calme, tl
renonça à toute feinte:
- Oh 1 maman, cela a si peu d'importanc~
... C'e.st
de quelque chose de bien plus grave qu'il s'agi!.
Vous n~ devinez pas?
.
.
Elle ftt " non)O de la tGte, landl qu'elle sentait
trembler ses genoux robustes.
- Vous ne devinez pas? rép6ta-t-il en lui jetant
un regard si confiant et si douloureu: qu'cIl\.! en fut
bouleversée.
- Tu es souffrant;> murmura-I-elle d'une voix
faible ct suppliante ...
Mais il refusa le mensonge qu'elle lui om'ait avec
une insistance peureuse.
- Non, dit-il d'un ton ferme . .T e nc suis pas sou!frant: je suis tr;'s malheureux .
.- Tu e malheureux, toi ;.
Elle lui mit la main devant la houche, et jeta d'un
ton saccadé:
- Tais-toi, tais-toi, ne Jis pas cela. Tu es bon, tu
t· sage, tu eo; fort. .. Tu ne dois pas, tu Ile pe ux pas
être malheureux!
- .Je ~uis
tr'·s malheurcu ..
- N.on, non. Ce n'est pa s poss.illie .
. - SI, c'est la vérité, Ecoutez-mOl, ~Clte,
maman:
l'attendrai vDtre permission, l'attendrai volrl! jour et
votre heure ...
- .Iamais, jamai , entends-tu? Que je sni~
vivante
ou mort.c, cc sera cl1ntrc mon CIré que tu éponseras
Jacquellnc 1. ..
comme sl1foqu~e
d'avoir prononc6
Elle s'ar~:t,
cc !J0m ct en(Jc,~
la chose terrible qUI lui causait
mOln'! d'aversion quand on en parlait il mots
couverts. 10.
P?urtant. Frnçoi~
insista encor. sans nVlllte,
,an: pa<;!lIOI1. II parlait d'lIfW ~Ili:
rcspd\l~1
t! .
pleille d, 1 n, rc et dt.: ré~lIt".
�L'AllO UR ATTEND ...
- Je I"1C vous désobéirai poin l, mamc.n: .nais VOUII
me rendez: très malheur-::ux. Si, Ul! jour, vous avez
pitié de moi, vous irez t; " :vt!r Jacqueline: vous lui
direz que je l'aime et qu,:, !e n'ilu r:li jamais d'autre
femmf' qu'elle.
XIII
Il Y eut quelques pluies dans la . econde quinzaine
de septembre, et Mme Revel en profita pour quitter
brusquement la villa des Ormes qu'elle avait louée
jusqu'à la mi-octobre. François, consulté pour la
forme, ne témoigna aucune velléité de résistance.
- Comme vous voudrez, maman, accorda-t-il tout
le suite avec une indifférence qui n'était point feinte.
lui importait'? Il savait mainIci ou là-bas, ~uc
tenant tout ce qu il avait eu soif de savoir pendant
bien des jours sans s'en rendre compte: il aimait
Jacqueline, et Jacqueline l'aimait. Et si d'autres
questions se {lressalent tumultueusement dans SO'l
cœur, .il n'avait p.as l~ moyen de les résoudre: .
« Salt-elle que le l'aime? Que pense-t-elle de mOI '?
Que pressent-elle des obstacle dressés entre nous'?
Il ne pouvait espérer d'éclairci!lsement à ce sujet.
La plus élémentaire délicatesse lui imposait le
i1ence et la discrétion. Mais il souffrait tant de la
contrainte qui lui était imposée, il se reprochait
tellement certains regards trop éloquents dont il
n'était point le maltre, qU'il ne goCltait plus le charme
du voisinage qui l'avait enchanté pendant la premi~re
semaine.
De son cOté, Mme Beaurand se réjouit franchement de cette retraite précipitée. Elle détestait les
manii.>res autoritaires et protectrices que Mme Rc::vel
affectait de plus en plus avec ses parentes ruinées;
ct elle se délectait fort peu de l'odeur de la lessive
et de l'amigeant spectacle du linge séchant sur la
pelouse.
Jacqueline fit semblant de partager cette IOle.
Mais son cœur saignait, et ses journées étaient vides
depuis qu'elle ne guettait plus c son. départ, qu'elle
n'attendait plus « son. retour. Elle avait beau lire
et s'imposer des tàches. elle ne décidait pas le temps
,,,.y
�L'AMOUR AT~ND
...
A couler vite, elle ne réussisiiait pa! à se soustraire
li l'obsédant problème qui ulcérait son ame:
- Pourquoi m'a-t-il regardée ainsi'? Pourquoi
m'a-t-i1 murmuré : c 0 toI, toi, si tu savais!" Et
pourquoi s'en va-t-il sans rien ajouter, sans rien
expliquer? En quoi lui ai-je déplu? Est-ce qu'il ne
comprend point Cl! qu'il est pour moi: tout mon
espoir, tout mon bonhe\'1r? Ou bien, est-ce qU'il le
sent et qu'il n'en a aucun souci?
Elle avait honte de sa faiblesse, et se promettait
d'oublier; mais rien ne pouvait la distraire, et tout
paraissait conspirer pour la condamner à cette
obsession. Tout, le grand jardin mélancolique où
elle avait trop rêvé de lui et espéré l'aveu suprême,
les larges fenêtres closes de l'appartement abandonné, les plaisanteries de sa belle-mère sur tes
manies de tante Coralie, sur l'inaltérable patience
de son c ange de fils».
On voit volontiers la paille dans l'œil du voisin.
Mme Beaurand eût été très étonnée si on lui avait
appris que Jacqueline non plus n'était pas sans
mérite à son égard.
Villey, pour sa part, ne lui pardonnait point la
sotte aventure où elle l'avait entrai né, ct le remords
de conscience qu'il gardait à l'endroit de sa petite
amie obligée de le remettre à sa p,lace . Il évitait la
société de ces dames autant qu il la retherchait
autrefois. A plusieurs reprises il avait écrit à
Jacqueline au sujet des élèves qu'il lui adressait, aU
lieu de venir passer la soirée et bavarder comme il
faisait auparavant à la moindre occasion.
Cependant Mme Beaurand l'avant rencontrê à la
veille du 80n d~part
pour Saint-Cloud, il s'était
engagé à y aller déjeuner avant de quitter Paris.
Elle y repensa lin peu tard, à la fin de septembre:
,-:- C'est étonnant, dit-ellc, que .notl'~
ami Villey
n ait pas tenll su promesse et qu'Il SOit parti sans
nou.s donne!' igne dl! Vil. ':ar if a lIremenl quitte:
Pans cet (t~,
comme tou leS ane,. Qlli sait OLI li se
lro~ve
ù ceU!.! heure? Dans le temps Il nous laissait
toujours son adresse.
- .Oui, dans le temp , mais ça a bien changé
d~pui
, remarqua J cqueline avec ut1e nuance
amertume.
- ()est ta faute, fit vivement Mme Beaurand.
- 1\la faule ') r~pt:1
ln jeul, till e en nUVri1nt d
erélnds yellx.
�L'AMOUR. ATT&ND ...
- Naturellement. Oh! nOll pas parce que tu as
refusé sa main 1 Qui pense enc;ore à cette vieille
histoire'? Mais à cause de la froideur que tu lui
témoignes. Est-ce que tu n'aurais pas dfllui envoyer
un mot pour lui rappeler Dotre invitation. ou même
le relancer quand tu vas à Paris '?
Jllcqueline se rendait au moins une rois par
semaine avenue des Champs-Elysées pour y prendre
la corresp0!ldance de mlstress Walldnton. P~rtan!
l'idée n~ lUI venait plus de passer chez son Vieil ami ,
avec la Joyeuse désmvolture d'antan.
Comme elle ne !!e donnait pas la peine de protester, sa belle-mère reprit:
- Tu devrais y aller demain. Tu l'inviterais a
déjeuner pour dimanche. Il remplacerait avantageusement les Revel.
Jacqueline eut un imperceptible frémissement.
- Voyons, maman 1 Villey n'est pas' Paris' cette
époque.
- Qui sait'? II Y est peut-être revenu déjà. En
tout cas, tu verrais Joseph, qui te donnerait son
adresse. Ce n'est pas trop compromettant, j'espi:re 1
Jacqueline accepta la commIssion sans discuter
davantage.
Une grosse déconyenue l'attendait dans la tran·
quille rue d'Auteuil où le vent d'automne promenait déjà des feuilles roussies, où le petit hOtel,
entil:rement fermé, dormait comme une tombe SOUIi
son riàeau de glycines fanées. La visiteu e sonna
plusieurs fois de suite sans rien éveiller derril:re les
murailh:s sourdes et les fenOtres aveuglées par de
volets de bois plein. Enfin, comme elle allait s'éloigner découragée, elle perçut des pas lourds et la
porte verrouillée S'OUVrit enfin.
Joseph parut, et en la reconnaissant ses yeux se
remplirent de larmes sous ses sourcils gris hérisses .
- Ah 1 Mademoiselle 1 Not' Mon ieur, not' pauvr'
Monsieurl ...
- Quoi 1 Qu'est-il arrivé? Est-il malade?
- Pis que cela, bien pis, ~ademoisl
1...
Jacqueh~
devint toute pàle.
- If est ,"firme, paralysé ...
- Si ce n'était qu'ça 1•..
_ Je vous en prie, Joseph, parlez 1... 0\\ est-il?
Puis-je le voir?
_ Voir Monsieur 1 Je n'sais mArne pas si M.d~
moiselle le reverra iamaIlI1 Pour le quart d'heure,
�L'AMOUR ATTEND ...
,
Monsieur est dans l'Amérique du Sud, et Je n'm pas
seulement son adresse 1
La jeune fille éclata de lire.
- L'Amérique du Sud 1 Mais c'est un voyage
admirable! Il en a de la chance, volre maltre, mor
bon Jo eph 1 Il aurait bien dû m'emmener 1
- \"o;;s emmener, Mademoiselle? C'élait pas une
chose à faire, ni qu'aurait permise madame vot' ml:re.
Mais il aurait pu vous prévenir, et je vois qu'il ne l'a
pas Lüt non plus. Justement ma femme qui m'disait
ces jours-ici: • Joseph, tu d'vrais aller voir ces
dames Beaurand, sûrement, elles savent où se trouve
not'maltre à c't'heure 1 •
- Non, vous voyez, Joseph, nous n'en savons
rien. Et l'Amérique du Sud est grande ... Il ne vous
a donné le nom d'aucune ville?
- D'aucune 1 Et il est parti au bout ùu momie
avec un' p'lit' malle de bord pas plus lourde que
vous, bien sûr. Ah 1 Mademoiselle, un homme qu'a
l'estomac si délicat, quoi qu'il va pouvoir manger,
ch Cl 1 'sauvages?
Jacqu1llll' tenta vainement de rassurer Joseph et
de lui fairc entendre qu'il ya cn Amériquc du Sud
dCt> nallons dvilisées, de grandes villes pourvues de
tous IC$ raffinements de luxe moderne, et où son
maltre sc trouvait en sürcté autant qu'à Auteuil j le
vieux servileur continua de se lamenter:
- Not' pauv' .M onsieur 1 Traverser l'Océan à son
age 1 S'aventurer dans des pays perdus. ue va-l-il
devenir là-bas, sans nous deux ma femme, sans son
docteur, sans son taiJl,:ur, sans son coifleur, sans
son cordonnier, sans son pédicure, ans sa bolle à
peindre 1...
- Il nc vous a p/lS dit quar.d il reviendrait?
-Il ne nous a rien dit Ju tout,t ccla ~igl1fe
qu'il n'en savait ri 'n lui-memc. Mademol<.odlc a peut~tre
entendu racontl.:l' qu'nous sommes /lU service
de Monsieur, nous deux ma femme, dcpuis tantôt
q~arnte
an : ct lamais encore Momicur n'noUl, avai1
fait d'cachotlf'rics. Au,> ' i, cette fois, j'en suif, tomb,'
V'là-t-il pao; qu'il s'cn va un matin à Id
d'mon hau~.
Belle Jar'dzmère ct qu'il rcvient à rniJi avec un com
pl t d'flanelle et c'te mali '-lue je vous ai dit pa~
plu~
grand~
ql!'UnC va1i5c. Il déjcun comme d'habi·
t.u~,
enSUit Je l':url.e à faire son paquet. II m'cn.
~1)t·
cherch r un fa 1; maiS v'll\ qU'il moment d'
�L'A~lOUR
ATTEND ..
monter, Il se retourne, il appelle ma femme l'our lUI
~cre
la main, ct il nous faIt:
Il Ayez bien soin de l'atelier, SUltout . .Te par' pour
l'Amérique du Sud. "
tellement surpris, nous deux ma lemme,
On ·~tui
qu'on en est resté là, et qu'on n'a retrouvé l~ rarole
que quand il était déjà loin. Le surlendemulO, on n
reC(u une carte de Bordeaux, d'où c'qu'i nous écrivait: «Le temps est superbe. Je m'embarque demain.
Portez-vous bien, et ayez soin de l'atelier. " Tenez, SI
Mademoiselle veut vOIr elle-même ...
Il retire de la poche de son gilet 1;4 carte p'ostale
oigncusement enveloppée d'un papIer de sOIe.
Jacqueline, qui n'avaIt pu interrompre le flot des
.:onfidences, sourit:
- Celle-ci ne m'intéresse pa' beaucoup, avouaI-clic. Mais il vous en arrivera san' doute dt là· bas
une autre donn.ant son adresse. Ne manqucz 1 as de
me la commuOlquer.
Et clle prit congé de l'infortunt'· .Jo. eph, qUI
... 5 uyait se~
yeux où plusieur larmes avaient perlé
au cours de sa narration.
Quand elle sut la nouvelle, .\1 me Bcaurand e
répandit, elle aussi, en exclamations apitoy~es:
- Ce pauvre ami 1 Le malheureux 1 Ah, je me doutais bien qu'}l ferait un coup de désc poir 1
- Quelle IJée avez-voliS là, maman .!
- Comment? tu nie' que cc soit un coup de
désespoir? Villey, qui détestait la mer! Villey, qui
n'avait jamais pu e résoudre à passer la Manche 1
.le ne vois aucune autre explication plausible ...
- Moi, j'en voi . Il s'agit peut-ètre dt! sa santé,
depui le temps qu'il e·t neurasthl!niqlJt! et qu'il ne
di~;
re pas 1 Son médecin lui aura pres~it
le grand
d'air! Et pour un changemoyen, !e .chang~met
ment d'mr .. J'ose aIre que ça en sera un J
- Ne plaisante pas, va 1 Je n'ai pas le cœur a
rire ... soupir' Mme Bcuurand.
- Mais ni moi non plus, fit doucement Jacqueline.
CC11es, cHe di ait ·rai. Le front collé contre la
VItre, elle regardait le jardin crépusculaire où régnait
cette lumi1:re ind!cise qui nc montre aucun rayon
venu du soleil, de la Ille ou des !toiles, mai~
qui
semble, suspendue entre le jour et la nuit, fenner
l' blme des cieux et découvrir ln pauvreté de la
�L'A::vroUR AT~ND
•• .
134
terre. Et de cette heure de recueillement s'élevait
pour l'âme de la jeune fille un conseil triste.
c Ne regarJe pas trop haut ni trop loin, vers les
divins pays inconnus, où tes pieds charnels n'iront
pas. Regade, ici et là, les chemins, les sentiers, qui
te sont permis. durement pierreux ou tapissés
d'humbles herbes, sous les arbres enchalnés au sol.
au bord de l'eau furtive qui coule et qui dure comme
un chagrin mystérieux. Voici tout nu le paysage
qui te paraissait riche et splendide lorsqu'il était
éclairé par le soleil et que tu croyais en l'amour.
H~las
1 apprends à connaltre le vrai visage des
choses, et tu seras moins trompée par les yeux
humains ...
Elle se défendait contre ces conseils cruels. La
voix peut bien mentir, mais non pas les yeux qui
aiment. Et les yeux de François l'aimaient, elle en
était sClre, lorsqu'ils la touchaient comme une
caresse à travers les tendres feuillages du matin,
lorsqu'ils criaient en silence, dans le salon plein de
monde, une chose qU'elle devait seule apprendre et
qu'il ne pouvait pas dire.
Les yeux de François l'aimaient, el1e n'en pouvait douter, de même qU'elle était certaine de n'avoir
pas, par son refus, désespéré Villey, le vieux sceptique paisible et charmant, qu'une lubie nouvelle
entralnait dans une aventure imprt:vue. Sa fuite
cependant lui rendait plus lourdes sa mt!lancolie et
sa olitude où elle se débattait contre un r(:ve trop
cher.
- Pourquoi ne descends-tu pas au jardin, fillette '?
demanda Mme Beaurand.
- .J'al beaucoup marché, maman; je suis lasse, et
Il fait trop frais pour rester nssi!;e.
Elle ne voulait pas de cendl'c Il l'hcure où il rentrait d'habitude, olt elle entendaIt son pas chanter
sur le Io(ravier, tandis qu'assise au creU)( du vieux
saule elle mir'llt dans le ruisseau !lon visage pali
d'ur, invincible espoir.
. Elle ne voulait pas descendre. L front collé à la
vitre, el~
épelait seconde par seconde l'heure
blanch lu crépu cule. Et tout· coup, il se passa
quelque chose d'invrai emblablc:
La porte grillée du jardin fut ouverte, - avec
quelle len.teur et quelles précautions 1 _ sans grince.ment nt carillon de sonnette. Et quelqu'un se
Rllsaa il traver les arbres, quelqu'un qui erra,
�L'AMOUR ATTEND •••
135
Msita, et, ayant constaté sans doute que la placo
était libre, marcha et s'arrêta pr<:s du saule.
Elle l'a reconnu, elle l'a vu se pencher, recueillir
d'un geste fervent une feuille ou un brin d'herbe,
puis s'en aller, ombre chérie parmi les ombres
mdifférentes, se glisser jusqu'à la grille refermée
derrière lui dans le même silence de songe.
Ah 1 tout à l'heure eUe croyait savoir, elle se disait
ceI1aine de savoir tout. Mais elle ignorait que la joie
faisait pleurer si fort.
Maintenant, écroulée sur une chaise,le front dans
ses mains, elle sanglote comme une enfant perdue,
tandis que Mme Beaurand, très émue et un peu
effarée se rapproche d'elle:
- Eh bien, ma pauvre petite, tu vois 1 Tu as
réfléchi; tu te rends compte, à présent. Allons,
calme-toi, ma chérie. C'est bon pour le vieux
Joseph de croire qu'on ne revient jamais:de l'Am6rtque du Sud J
•
1
Deux années ont pass€:. Mme Revel demeure toujours avec son fils dans le vieil appartement de la
rue Raynouard, où la vie coule dans une sage et
rigoureuse monotonie. Sans doute les heures des
rep'as ne sont pas très ré~ulièes,
à cause du docteur
qui rentre tantOt p,lus tOt, tan~O
plus tard, selon les
exiAenees de sa client 'Ie; mSls à cela pres, tout ellt
Axe et immuabl e : le lever, le coucher, une Cois par
s.maiae 1. ,rand nettoyaac, deux foie par mols la
�L'A:'dOUR ATTEr "D ...
lessive, un peu de surmenage à l'époque des confitures et à la rantrée.
Et pourtant, mal~t
cette sévère discil?hne, ce
respect de la règle et de l'habitude qui fait que les
jours se suivent et se ressemblent comme les œufs
d'un même panier, Mme Revel ne pos"i:de point II:!
lui étude du cœur et de l'àme. Le bonheur n'habite
plus cette maison si ordonnée et si tranquille.
C'est que François se refuse à comprendre qu'il
possède la meilleure des mères et le sort le plu ·
enviable qui soit au monde. On le chérit, on le
.; oigne, on le dorlote sans exiger en échange IL
moindre signe de reconnaissance ni le plus léger
sourire; il a le droit de rester muet à table, de
manger d'un air morne les petits plat!; ~u'on
lui
prépare avec tant de minutie raffinée. OUI, il:'l le
Jroit de se taire, de ne jamais dire merci pour rien,
de paraître indifférent à tout; mais ce qui torture
~:
J\lme Revel, c'est ce regard chargi! de repoch
qu'il lève par instant sur elle quand elle s'y attend
le moins.
Elle a beau avoir la con , cience nette ct pU! . cr .1
l'o ree dans le sentiment du devoir accompli, (; 1.
regard la bouleverse, l'empoIsonne, lui coupe tour
a coup l'appétit, même de vant un plat de morille
a..:hetées par elle a son marchand de la carnl?agn t.! ,
même quand die a confectionn': de e s 'TI~lns
11 11
cratin de soles incomparable ,
Ce regard la poursuit toute la journée, la r6\'eili<
e ncore au milieu de la nuit, pour la tenir' angoissée
Jusqu'à l'aube. Durant son insomnie, clle rcpasse
o.!' beau.' SOUV CJl irs
d'autrerois, du temps où
l''rançois appréciait sa tendresse maternellt. ct lui
tlmolgnait en toules choses une confiance aveu~lc
.
Et elle compare Ct.! pas st.: au présent, il la souffrance
resignée, à l'indignation contenue qUl! révde au ·
Jourd'hui toute l'attitude tic cc fils adoré uniquement. Il lui obéit, mais de quelle obéissance farouche et inquiètr.: 1 Au début elll! se di sait:
• Encore un peu de temps. Ca lui pa. sera. Et il
rec,?nna.ltra que j'al cu l'al on, (1 me saura gré de lui
flVOlr cné casse-cou. »
\iaintenant. elle comprend que ça ne lui passl!
puS, mais qu'il fait de son côte le même raisonnement absurde: « Avec le temps ma m. rp changera
~'idée.
Elle ne pourra pas me cont;arier ind~ftmel.
';nns doute il l'attend, comme clio l'attend, ct Sluette
�L'AMO UR ATtEN D ...
'37
premièr e minute de faibless e ou dl! lassitud e. r~t
lorsqu'e lle ne peut plus cacher son amertum e, lorsqU'ene laisse percer son découra gement , elle s'an'.rçoit qu'il se réjouit, qu'il reprend de l'espoir .
Alors, pendan t quelqu es jours, le regard charg6
de reQroches est moins cruel. Et elle ne peut pas
se d~enr
d'imagi ner l'explos ion de jOie qUI la
récomp enserai t, si, à bout de forces, elle cédait
enfir.. EI1~
s~ surpren d parfois à prépare r les phra~es
qu'elle dirait pour efTacer entre eux lusqu'a ux mOIDdres traces de ce long malent endu: 0; Mon enfant,
tu compre nds que je n'ai songé qu'à ton bien. SI
j'eusse été heureus e de te voir faire un mari~e
en
rapport avec ta situatio n, ce n'est pas pour mOi, qui
SUIS vie' le et qui ai deruis ma jeuness e l'habitu
de
des privatio ns. Quant à Jacque line ... ,.
A l'évocation de ce nom, ene interrom pait son discours 1 Non, non, elle ne pouvait pas accorde r cela 1
Une antipat hie personn elle trop profond e hérissa it
~ tout son être à la pensée de cette nièce effrontée et
poseuse , qui avait trouvé moyen de faire horreur
à Franço is lorsqu'e lle était riche, et, devenue pauvre, de lui inspire r une passion irrésist ible 1
Pourqu oi ne. se mariait-elle pas, cette petite misérable'? Chez mlstres s Walkin ton, qui recevait tant de
monde et où elle était désorm ais de toutes les fêtes,
ne pouvait-elle prendre dans ses filets quelqu e
millionnaire en peine de ses rentes, et qu'elle con.
duirait à la faillite comme sa belle-m ère y avait
mené son propre père 1 - Car personn e n'Oterait de
l'idée de Mme Revel 'lue les folles dépens es d'un
train de vic seigneu rial avaient été pour beaucoup' dans le krach de la Banque Beaura nd, Schoul d
et Cie.
0; Mon pauvre Franço is 1 murmu
rait-elle tout haut
en se retourn ant sur son lit fiévreux, mon pauvre
Franço is l où prendra it-il de l'argent pour suffire à
une pareille fe~m
? Et il ne pourrai t pas lui permettre de continu er à en gagner en coUrant le cachet
et en s'exhib ant dans les conCer ts: il ne manque rait
plus qu~
cela, que Mme .Franço is Re~l,
femme d'un
ancien lOterne des hôpitau x de Pans, donnât des
leçons de piano 1 ,.
 cette imagination, une sueur d'anRoisse mlluilJait
e front de Mme Revel; et il lui prenait des envies
J'aller r~vci1le
son fils pour lui répéter la tragiqu e
Interdic tion dont elle l'avait d~ja
écrasé à leur
Iitl
�L'AMOUR ATTEND .. .
premier et unique entretien sur cette maudite
alTaire.
" Que je sois morte ou ,·ivante, SI tu l'épouses,
ce sera contre mon gr~.
»
Arrivée à ce point d'exasp'::ration, elle se calmait:
à quoi bon lui r~p':te
ce qu'il savait d'::jà? Elle
n'avait qu'à se taire, qu~à
patienter, qu'à s'en remettre à la Providence du soin d'am":liorer son
destin fatal. Dans ses prii.:res du matin et du soir,
elle demandait à Dieu et aux saints de s'int'::resser
au sort de son enfant, de le guérir d'une passion
funeste, ct de lui in. pirer de l'amour pour une jeune
fillt: qui fût digne, par le cœur ou la fortune, de
devenir la femme d'un tel homme.
Enfin, comme l'intervention d'En Haut ne se produisait point assez vite à son gl'~,
dIe se SOUVint du
vieux proverbe de la sagesse populaire, elle r~solut
de s'aider clle-même, et recourut à l'obligeance de
ses amies; elle leur fit des visites confidentielles,
pour leur parler de son désir de voir son fils s'unir •
à une jeu ne personne sage et pieuse ct qui eût aussi
quelque part aux biens de ce monde, si ce n'était
pas trop demander.
En ces sortes d'afTaires, les sympathie et lc~
collaborations ne font jamais dUfaut. Toules ces
dames s'en occup'·rent. Et chaque fois gue la m' re
et le fils dln~ret
en ville, ce hiver-hl, f' rançois eut
i son côté une jeune fille pluS ou moin blonde.
plus ou moins brune, et dont la dot atteignait un
chiffre ilgréé d'avance par Mme Revel.
vOir que le cher docteur
Main on finit r.ar s'aper~
n'était point mûr pour le mariage, cnl" il dédnignait
rêguJi;'rement de regarder les jeunes pcr onnes qUi
ouriaient a on c6té 1)' III 'ranIs in uccès ralenet
tirent le z'le des amies le mieux iltcn()~es,
Mme Revel s'efforça cn vain dt; le ranimer, en rabattant progressivement de ses prétention,; quant au
qlontant de la ,·ot. Elle se sentait pr te à accepter
une bru sans le sou, el S ut son amour-propr l'cmp~chait
d'en faire l'aveu à ses confidentes.
�L'AMOUR ATTEND ...
139
n
Les relations de famille, qui n'avaient jamais été
très chaudes et très suivies entre les Revel et le
Beaurand, s'étaient encore rafraîchie et espacées
depui~
le ter.rible été à Saint-~Ioud
dont Mme Revel
gardait un SI lacheux souvcOIr.
Elle ne pomait s'accuser d'avoir manqué de prudence, car elle avait tout prévu - trop prévu 1 Peutêtre qu'en déCouvrant à son filS le danger qu'elle
redoutait pour lui, elle avait simplement haté la
catastrophe qu'elle espérait éviter.
San doute, il avait aimé longlemp Jacqueline
ans voir clair en lui-même; et les l·uste alarmes de
sa mère étaient venues jeter une c arté brusque sur
un état d'ame qu'il ignorerait encore san cette aventureuse explication.
Elle se torturait le cœur aveC ce incertitudes: et
loute cette soufTrance secrHement accumulée se
tournait en aver inn contre la c petite malheureuse.
qui était la cause de tout.
La seule vue de Jacqueline lui causait un malaise
insupportable. Et quand par hasard elle rendait
visite à MmeBeaurand, elle choisissait de préf~enc
les jours et les heures où elle savait ne pas rencontrer sa ni ce. Cela n'était point difficile, car la
jeune fille passait au dehor presque toutes ses
après-midi.
Ces dames habitaient maintonant dans le quartier
de l'~toi1
o~
les avait attirées la riche clientUe
américaine récoltée dans les concert de mistress
Walkinton. Trois fois par emaine Jacqueline avait
un cours chez elle de dix heure il midi, et ses autres
matinées étaient prises enti rcment par les leçons
particuli rts. Sans doute la situatio restait très
modeste relativement au luxe d'autrefois; mais la
mis~re
avait fait place à une agréable aisance.
Louisa, secondée par une femme cfe ménage, n'était
plus astreinte aux gros travaux; Mme Beaurand
avait découvert une couturière à la journée qui lui
faillit dea merveilles pour presque rien; elle s'ha-
�L'AMOUR ATTEND ...
billait de nouveau à la dernière mode, et avait repris
un jour où elle régalait ses amies de chocolat
créole dont la négresse avait la spécialit.! et de petits
fours dénichés aux bons endroits. Ça ne l'empêchait
pas d'ailleurs de dire à tout venant qU'elle ne se
consolerait jamais, et de rester fid<:le aux teintes du
demi-deuil; mais ce demi-deuil bien nuancé, doucement gris, tendrement mauve, lui avait pel'lUls de
retrôuver la plupart des relations mises en fuite par
sa primitive détresse.
Tout le monde s'intéressait maintenant à elle et à
sa chère petite Jacqueline, et, parce que la brave
enfant s'était d,~broLliJée
toute seule, c'était à qui
l'aiderait à se d~brouil1e
un peu plus. Les gens qui
lui disaient autrefois: "Je vous trouverai quelgue
chose, ma bonne petite, » et qui ne lui avaient nen
trouvé du tout, changeaient de ton maintenant:
- J'ai assuré à la co~tes
de VB;lmaison 9.~e,
orace à ma recommandation, vous lUI consenhnez
des conditio.ns spécialec; pour, s.a filet~
qui va commencer le piano, Que les conditions sOient spéciales
en votre faveur, bien entendu, ma cMre enfant: la
comtesse peut p~yr;
et comme, dans le piano, il
n'y a rien de SI Important pour l'';lèvc et de si
assommant pour le professeur que les débuts, je
l'OUS engage à la saler.
_ MerCI, mais je ne fais pas de prix de faveur m
dans un sens ni dans l'autre, répondait simplement
Jacqueline.
C'était la vérité. On ne la croyait pas, mais on faisait
. cmblant de la cl'oire, car on a toujours de la déférence pour les personnes qui réussissent,
El la petite Ben':lr!~
réussissait visiblement; elle
po'sédait une actlVlté Inlassable, nne volonté intrépide, et, en dehors de tou.les ses qualités professionnelles, un atout très sérIeux: le salon mu:;icnl de
mistre s. Walkinton,. où elle int;oduisait à son gré
des aUlbtcurs et Jnume des executants. L'en"O\lement Je 1'.\m6ricaine pour sa jeune ecrétaire f~i'al
I!eaucoup d'cnvieu., mais lui as urait aussi bOIl
nombre d'éli;ve' qui n'auraient pas :<;ongé à s'aclre!.
ser à. elle ~'il
ne s'étaient, berc';s du ccret espoir
d'arnver asnsl à e produm~
devant un public de
choix.
Jac: u lÏlIl.: connaissait les caUSeS de ses succ' s,
<;t t!lIc n'cn 61l'ou vait ni fat1iité, ni gri5erie, En
. ,mme, r.'êtait gr' Cl: a François qu'clle gagnait lar-
�L'AMOUR ATTEND ...
gernent de quoi pourvoir à ses besoins et il. ceux de
sa m~re;
et c'était de lui aussi qu'elle avait reçu la
plus dure leçon d'humilit6 qu'un homme puisse
donner à une femme.
Après l'avoir dédaignee lorsqu'elle était riche,
pauvre il l'avait recherchée, par pitié sans doute, et
délaissée ensuite en comprenant qu'elle pouvait se
tirer d'affaire sans lui. L'indifrérence et la compassion
tour à tour, voilà tout ce qu'il avait eu pour elle; ct
quand elle se rappelait son immense espoir à SaintCloud, clle passait machinalement la main sur son
front comme pour en chasser une vainc chimlre.
Chim' re, les yeux qui se fixaient sur elle avec une
si absorbante tendresse 1 Chimè re, le pUerinage au
bord du ruisseau où se mirait le saule penché 1 Quel
vent de folie avait' alors soutné sur son àme pour
qu'elle pût rf!ver de telles choses ou les interpréter
d'une façon aussi romanesque 1
La vie en rose, François amoureux d'elle, Fran<;ois
demandant sa main comme le Prince Charmant des
contes de fées, que tout cela était loin maintenant
de son cœur résigné 1de sa destinée étroite et grise 1
Le bien-être chaque jour accru ne la touchait point;
il ne pouvait pas combler le fossé profond que la
misi:re lui avait montré entre elle et la frivolité définitive de sa belle-m' re. Elle se sentait seule, toute
seule au monde, avec son ame débordante de tendresse et d'enthousiasme inemployés.
Aux rudes iours de 5a pauvreté, quanll elle entrait
?ans le~
égh~es
désertes à la chute du jour! elle
Implorait du ciel des graces et des secours tanAlbles,
et lorsqu'il lui arrivait la plus lég~re
aubaine en ce
!>ens, sa satisfaction matérielle était décuplée pur la
!:urhumaine douc..:ur de sc 'cntir aidée, ':COllt(;C,
e,aucêe. Et maintenant qu'elle ne manquait de ri(;n,
..:Ile priait plue humblement encore:
« Mon Dit:ul ~l(n
Dieu, ayez pitit! de moi! •
•\tais rien ne lui r':pondait, aucune ros.:e ci:}(;!.t .:
ne desccndait à son ClCur affam6 de tenclr'<;~
humaine.
~eul,
tout!.: seul!.: au monde 1 Son existence lui
apparaissait morne ct d~?lé
comme un long couloir menant à la tombe. Iou)ours la même chose:
elle donnerait des leçons, encore des leçons, dc
plus en plus de leçons; à mesure qu'une de ses
~I'oveq
qe marierait. elle en tl'oouvernit un autrtl avec
�142
L'AMOUR ATTEND ...
qui elle reprendrait et poursuivrait sa fastidieuse
tache de vieille fille!
Vieille fille 1... Quand elle y faisait de plaisantes
allusions devant sa belle-mère, Mme Beaurand protestait avec un aimable optimisme:
- Toi, ma chérie? Veux-tu bien te taire 1 Est-<:e
qu'on a jamais vu une vieille fille tournée comme toi?
Je suis sûre, absolument sûre, que lu feras un mariage
splendide !. •.
Elle le disait comme elle le pensait, dans un raisonnement où il entrait assez de logique et pas mal
d'égolsme. Il lui paraissait évid~nt
que seul un riche
parti pourrait décider Jacqueline à renoncer à son
avantageuse indépendance, en même temps qu'il lui
permettrait d'assurer leur sort à toutes les deux.
Un après-midi, comme Mme Revel était venue la
voir, elle lui parla nalvement en ce sens.
Tante Coralie, quoiqu'elle ne se souciat point de
voir sa ni<:ce, mettait volontiers la conversation sur
elle et sur Je sujet brûlant du mariage, Connaissant
la nature étourdIe et la langue bavarde de sa cousine, elle espérait toujours entenùre parler d'un Oirt
sérieux, ou même d'un vague prétendant qui e(')t
suffi à donn,er à la mère de François de la tranquillité
pour l'aveOlr.
QU,an,li Mme Beaurand ~u.i
expliq';l8, moitié par
convIction personnelle, mOItIé pardéslJ' de l'étonner
que Jacqueline ne pourrait épouser qu'un hom~
possédant une grosse situation de fortune, tante
Coralie ,:e Jemanda pas mieux que de, comprendre;
elle ouvnt toutes grandes ses deux oreilles, et insista
fl)rt habilement pour obtenir des détails el des précisions sur ce que gagnait sa ni~ce,
Des précisions, Mme Beaurand eût été bien en
peine d'en donner, Fidèle à son horreur des chiffres
elle ne connaissait pas plus les recettes que le~
dépen~os
exactes de la maison, Elle se contenta
t1'int,liquer une, somme qui pût rcm~li
de stupeur
son Interloèutnce, tout en restant VralSCII1 blablc,
- Le mois dernier elle s'est fait quinze cents
francs, dit-elle,
A cette déclaration, Mme Revel ne 'pilli! ni ne
jaunit comme 'j'y attendait sacousine, maIl> elle parut
sincèrement ravie.
- Ah 1 je ne m'en doutais pas ... Vr iment, le
VOliS félicite J... Et je comprends qu
an c <; cnnd 1·
�L'AMOUR ATTEND,••.
tions une jeune fille attende sans impatience de
gagner le gros lot à la loterie du marie.~
Pourtant, comme Mme Beaurand attirait son attention sur deux fauteuils récemment dénichés à
l'Hôtel Drouot, où elle glanait sans cesse de quoi
améliorer un élégant mobilier entièrement acquis
d'occasion, tante Coralie ne résista pas au plaisir de
lancer une flèche:
- Allons, je vois que vous v,âtez Jacqueline, et
que c'est au mieux de ses intérêts que vous placez
es économies.
•
Là-dessus, elle s'en fut, plus légère qu'elle n'avait
été depuis longtemps. A l'aller, ses bottines neuves
lui rendaient la marche pénible, lui blessaient le
pied à la hauteur des chevilles, et elle comptait
passer chez son cordonnier pour lui faire modifier
l'emplacèment des boutons; elle n'}' songea plus au
retour. Le bonheur de son âme transformait tout son
corps, lui prêtait des ailes; elle filait comme un
.oaVlfj: que fe vent favorable ramène au port, toutes
voiles cféployées.
N'avait-elle pas reçu de la boucbe même de
Mme Beaurand l'aveu spontané que Jacqueline ne
pouvait faire qu'un manage riche? De là à amener
la jeune fille à eD convenir à son tour, il y avait un
pas, sans doute, mais qui ne semblait pOlOt infranchissable à Mme Revel.
Ayant mMité toute une nuit son plan de campagne, -::lIe résolut d'attaquer l'ennemi de front.
Ce ful très simple. Cela se fit sans rendez-vous ni
préparation préalable d'aucune sorte, sur le terrain
neutre de la voie publique. Mme Revel connaissait
l'adresse de mi!tresB Walkinton ct savait aussi
l'heure à laquelle Jacqueline sortait de chez cette
dame. Elle choisit un Jour où elle se sentit J'esprit
et dis~o8
ct 'en fut guetter la
particuli' r.cment n~t
nil ce sur un banc de J'avenue des Champs-Elysées.
Dès qu'eH la vit, elle marcha au-devant d'elle.
La Jeune fille la remarqua de loin.
- Quelle allure 1 pen a-t-elle. On dirait un gendarme... Mais, ma paroJe, c'est tante Coralie t En
dehors de limites de son arrondis ement ... Quelle
aventure L,.
Elle ne cacha point son étonnement, et lf~ne
Revel
Ile perdu point d~
temp à mettre leur rencontre
IOUS l'élUde du hasard.
�144
L'AMOUR ATTEND...
- Je suis ici pour te parler, ma nièce. déclarat-elle sans ambages.
- Pour me parler ? ...
- Oui, je n'ai pas voulu aller chez toi à cause de
ta mère1 ni t'écrIre de peur de l'intriguer. Et j'ai
besoin oc m'entretenir avec toi sans témoin, cœur à
cœur.
Jacqueline sentit un grand frisson qui lui raidit la
nuque et fit trembler sa voix.
- Je suis à votre disposition, ma tante, dit-elle
sans avoir la force de tourner la tête du côté de la
grande ombre sévè:re qui marchait auprè:s d'elle ct
f'entralnait vers un banc isolé.
- Assieds-toi là, veux-tu? Nous serons bien tranquilles, proposa Mme Revel après avoir promené un
long regard sur les alentours.
Il n'y avait point de flaneurs sur l'avenue; mais
les passants marchaient vite, à cause du vent aigu
qui soufflait par rafales.
Jacqueline S'assit, docile, et réussit à se tourner
vers sa tante, dont la grande main se posait lourdement sur lu sienne.
- C'est au sujet dt! mon fils, ma chère nj"ce, dit
tante Coralie en levant son regard au cIel.
La cht:rc ni<:ce s'en doutait bicn; ct ses yeux
démesurément ouverts dans son visagl.! pali cherchaient à deviner la suite. On ne la laissa pas
attendre.
- Il voudrait t'épouser.
« Il voudraitl • Cc conLiitionnel en disait long! El
la tante fit une pause.: 1 our permettre ;\ la nièce d'cn
saiSIr toutc la poil·c.
Jacqut~ljn
: rt:~peca
cc ::.ilencc. Cependant III
petite main qui tremblait lrop s'était retirée, 1 ar
l'rudent:c. i\lme Rl;ve! eut à ce moment la certitude
qu'elle réussirait dan" sa mission délicate, et elle
R' xprima uvec franchise et fcrml~.
- .fe suis opposée à ce J1rnjel, ma t;h"l'l enfant,
cl JC n'ai pas besoin dc te ~velupcr
mes raison;:
tu l: as~e7,
inlch~ot
pour lu!. comprendre t.oute
euh:. \lon fils n'est pas riche; dépourvu dt' toule
tOIIl!ne pen;onnelle, il gagne ~a
vIe cl la l1IÎl'nnt:
;)lnSI que tu lu fais pour toi Cl rour ta bel·m~rc
main 1 r~ 'ment même, car li néglige la client'le
pour s'.ldnnnel à la sCÎ\;ncc pure. Il u'appréte à
rubltcr un ;.:n! volu.me dont 1'6dlti.on. lui coûtera
fort cher t qlll n'cnnchlr<J qnl'! q blblJnthèC]u 5 de
�V.MIOUR A'LTENI> ...
quelques bavants aussi désintéressés que lui-même.
Je fais appel A ton cœur, ma chère Jacqueline :
quelle vie lui donnerais-tu, Si tu l'épousais '(
- Mais je pourrais continuer à travailler, ma
tante, murmura la jeune fille qui était devenue
écarlate.
- Travaillerl Est-ce que tu t'imagines que François consentirait à cela? Moi, je connais mon fils:
je sais qu'il renoncerait à tout ce qui l'intéresse,
qu'il ruinerait son avenir et sa santé plutôt que
d'accepter une humiliation pareille ? ..
- Pourquoi ne lui avez-vous pas dit ces choses '?
- Je les lui ai dites, et il n'a pas compris, il n'a
pas voulu comprendre. A son âge on s'imagine que
l'amour durera toute la vie, et qu'il est seul nécessaire au bonheur.
je suis jeune, ma tante.
- Moi au~i
- Oui, ma ch~re
enfant, toi aussi tu es jeune;
mais tu as connu l'adversité. Tu te fais une idée
; tu es plus sensée
juste des difficultés de l'e:(istnc~
qu'une autre. Jacqueline, je m'adresse à ta raison et
à ton cœur. Réfléchis. Si tu n'étais que rauvre,
encore 1... Mais tu es habituée au luxe, et i y a ta
bcHe-mèrc, si inconséquente, si dépensière 1... Une
pareille charge ...
~ Je vous en prie, n'insistez pas ... Je suis con. valflcue.
Pauvre Jacqueline, autrefois si audacieuse, i
résolue, qui portait si haut son petit front intrépide.
En la voyant toute tremblante et écrasée, Mme Revel
sentit au cœur une bizarre piqClrc, quelque chose
qui ressemblait étrangement à un remords .
• Elle vaut mieux que je ne croyais, pensa-t-eHe,
ct si ce n'était pas une chose impossible ....
Elle répéta tout haut:
- Une cho~e
impos ible 1 Tu en conviens toimême, n'est-cc pas? Alors, i tu rencontrais ton couin r... Si François essayait ...
- Vous pouvez compter sur mon refus, ma tante.
- MercI, ma chère enfant. Je sais que e un
nobl cœur ... Tu tiens cela de ton pauvre père ... Je
m'en souviendrai, je te l'a sure.
Une émotion sin~ul<:rc
fal ait bredouiller
Mme Revel. Elle avait Imawné la victoire bien plua
difficile à conqUérir, mais autrement douce à respirer. Un brouillard obscurcissait sa vue quand sa
ni ce "éloigna d'elle ...
�L'AMOUR ATTEND .••
Elle s'en allait vite, elle se sauvait presque, la
petite « Vie en Rose JO. De son pas 1;~er
et dansant,
elle s'enfuyait, emportant un lourd fardeau de chagrin .. et de bonheur!
Elle savait, maintenant, pourquoi François ne
l'épousait point, pourquoi il n'osait pas lui parler ...
Mais ill'aimaitl Il l'aimait: elle n'avait pas seulement rêvé, mais aussi vécu son beau rêve 1
III
Ce soir-là, à l'heure du coucher, Mme Revel saisit les deux mains de son fils d'un air solennel :
- Mon enfant, jc t'apporte une grosse déception.
J'ai voulu mettre fin au chagrin que te causait mon
refus quant à ton mariage: et c'est un refus que j'ai
rl!cucilli à mon tour.
Il la considéra avcc dcs yeux impassibles. Sans
doute il avait souffert trop longtemps pour pouvoir
souffrir davantage, Et elle remarqua pour la premi' rc fois à ses tempcs de léger, fils d'ar~ent
qui
brillaicnt dans l'épais eur des .:hc\"l:Ux noirs. Cette
vue lui étreignit le cœur d'une émotion indicible.
Avec un sanglot dans la gorge, elle murmura:
- Tu y()is, ce n'est plus ma faute, .. Est-cc que tu
m'cn veux encore?
- Non, m:l m' re. Je vous remercie, répondit-il
d'une voix .)Ianche.
Elle l'attira sur son creur, el il lui rendit silencieuseme nt son étn:inte, tandis qu'elle pensait,
horriblement ~ "n~e
:
• TI va me tlcmandcr des détails .•
Il n'en demanda poi nt, ct elle en donna tout de
même.
- Jc n'y tenais {'lus, en vOyélnt ta peine. Malgré
les difficultéc; que Je pressentais, j'ai fait une tentative: ..J'ai parlé d'abord à ,vTme Bcaurand, puis à
.fnc.<,!ul:line, Ta cousine [l 'ne bC 'lUCOllp d'uq~el1t
ft:1U1n \enanl, ct c1lt; ne "cul faire qu'un manage
fiche ...
Elle ,e tut, attendant une rt1plique ou une ques-
�L'AMOUR ATTEND •••
147
tion qui ne vInrent pas; alors elle recommença de
parler, comme les gens désireux de se convalOcre
eux-mêmes. Il l'écoutait avec une parfaite indifférence apparente, et elle se demandait, inquiète:
c Pourquoi me cache-t-i1 sa déception? •
Il ne cachait aucune déception : il ne songeait
qU'à maîtriser sa joie. Que lui importait ce que
Mme Beaurand ou Jacqueline elle-même avaient
répondu à sa mère? De ce qui venait de se passer,
il ne retenait qu'une chose, c'est qu'il était relevé
du serment qui, depuis deux années, creusait un
ablme de silence entre lui et celle qu'il aimait.
Il pourrait désormais la revoir et lui parler sans
contrainte. Et quels obstacles seraient assez puissants pour résister à l'éloquence ai longtémps contenue de son cœur?
Les obstacles, d'ailleurs, il les imaginait sans
peine: c'étaient les ambitions personnelles que
Jacqueline se refuserait sans doute à sacrifier Il on
mari. !h bien, si elle demeurait Inflexible sur ce
p'0int, ce serait lui qui immolerait ses préférences:
Il renoncerait à avoir une compagne entii:rement
consacrée à son foyer, il consentirait au besoin à
réaliser avec elle une de ces unions modernes 01'1
le mari et la femme travaillent chacun de leur côté,
afln de pourvoir • l'aisance d'une maison plus
luxueuse qu'intime.
Pour l'amour de Jacqueline! lui, si exclusif et si
autoritaire, li se sentait pr6t a renoncer' S8S plu
chers principes, et Amodifier sa conception étroite
du tôle (le l'épouse.
6tait la seule
Entre lUI et le bonheur, èa m~re
barri re infranchissable' du filament qU'ell" s'effaçait, il était sOr de la réalisation de se' espéraneea.
Et il se réjouissait fresque que sa bien-aintée n'eClt
pas donn6 un. ou , qu'li préférait obtenir luimArne.
�I.':A.MOUB. ATTEND."
IV
- AllI vous voila ennn, petite mam'zelle, s'éclïu
Louisa en ouvrant la porte à sa jeune maltresse.
Jacqueline rentrait une heure plus tard qu'à
l'ordinaire. En sortant de chez mlstress Walkinton,
t!lle avait fait une longue pause à l'église. Un orage
qui n'éclatait pas et cront l'encre lourde noircissait
tout l'horizon, éprouvait depuis le matin les nerfs
sensibles de la jeune fille, lui donnait soif d'une
paix obscure et p'rofonde qu'elle avait trouvée dans
la grande nef silencieuse. Et elle était restée là
longtemps, les genoux riv~s
à la paille dure du prieDieu, les yeux fixés sur la veilleuse rouge suspendue devant le malt re-autel, unique étoile dans
l'ombre déserte et majestueuse du chœur.
Cette méditation solitaire l'avait apaisée et fortifiée. Elle répondit au va~ue
reproche de la
n(;gressl; :
- Est-ce que lu Gtais inquit:te, ma bonne Louisa?
- Oh 1 non, moi pas inquiète du tout. Seult'ment,
le docteur Revel est làr Je lui ai dit d'attendre
;\1ademoiselle, que Mademoiselle allait rentrer.
-- François est venu J. .. murmura la jeune fille. El
elle ~enti
trembler se;; doints, qui manquaient l'une
,lprès l'autre les agrafes h: ~on
manteau.
- Il attend depuis une heure au salon 1 Et Madame
qui ne revient pas non plus!. .. fit la négresse d'un
ton de plaintive condoléanc(;.
Toul en parlant, elle avait ouvert la porte du
alon, ct Jacqueline, qui aurait voulu r\!tirer SOli
manteau, on chapeau, rafralchir un peu son visagl.:,
dut I!nlrer tout dl! ~uilt!.
Debout devant la f~nètre,
Françoi;; l'attendait.
C'était la premiL rt; fois qu'il Vl.:nalt depuis une
banale vbite fuite au jour de l'an en compagnie JI.:
~a
mère. Et de tout l'hiver il n'avait point rcpanl
aux concerts de mistress Walkinton: il fuyait évi·
demment sa cousine. Elle savait pourquoi, depuis
les explicaton~
de Mme Revel, et elle devinu aussi
pourquoi il venait aujourd'hui. Surpri!\e à !'impro-
�L'AMOUR ATTEND •. .
149
vista, elle éprouvait un trouble infim à l'idée ae ce
qu'Il allait dire et de ce qu'elle devrait répondre.
Et tout cela était dominé par une inquiétude enfantine d'avoir son chapeau de travers, son lT'~ne&\u
à
moitié dégrafé et les yeux rouges.
t: Est-ce que j'ai pleuré tout à l'heure, à l'~ghse,
et
~st-ce
que ça se voit?» faillit-elle lui demander
lorsqu'il s'avança vers elle en disant:
- Es-tu souflrante, Jacqueline?
Pourtant, eHe se ressaisit, rassurée par la tendresse contenue de cette voix si chère: et elle répliqua avec une intonation gamine:
- Tu me trouves mauvaise mine? Ce n'est pas
cela, mais il y a si longtemps que nous ne nous
sommes vus 1... J'ai vieilli depuis, voilà tout.
- Oui, il y a bien longtemps, convint-il d'un air
grave.
par l'insistance du
Elle baissait les yeux, gên~e
regard qu'il posait sur elle. Comme s'JI eût puisé du
courdge d~ns
sa tim~lé,.I
déclara brusque';lent:
- Tu sais pourquOl, pUisque maman a causil avec
toi l'autre jour.
Elle ne s'attendait pas à une attaque aussi directe,
et elle essaya vainement de retrouver dans sa tête
affo,lée le sage .dis,cours. qu'elle s'était pro,mis de I~i
tenir quand IllOslstermt aupre~
d'elle. hile voulait
lui expliquer que leur mariage était impossible,
mais qu'il ne devait pas lui cn garder rancune; eHe
voulait le supplier de ne pas s'éloigner d'elle plus
que ne l'exigeait la vie, de rester son ami quand
même, son grand ami unique ...
:Ylaintenant, devant lui, elle ne trouvait plus de
parole ni de pensée; toute la paix du ciel, qu'elle
buvait tout à l'heure dans le silence de l'é~ise,
'~tai
~vaporée,
la laissant boulever ~e
et fremie:ante.
n lut SUI' ~on
visag.:: le désarrqi de son ame, <:1,
dédui,gnant lf~
phrases qu'il avait préparées cl q8'il
ju e,ul inutl~
, il prononça seulement 5011 nom:
- .Jucquclm<..: 1...
Elit essaya de crier:
Tais-toi ! ...
IWe ne put prof~e
aucun on. DMaillante. clic
s'assit au bord du canapé. Il s'approcha d'elle, lui
ai il les main doucement, ct rC:pét.l:
- Jacqueline !...
RUe ten! 1 encore lin lIi" de prOie ter; JI le fallait
��L'AMOUR ATTEND •.•
Quant à elle, il lui semblait qu'elle respirait au
fond d'un cauchemar} et qu'elle ne crispait ses
mains que dans l'espOir de se réveiller.
Absorbés par leur tourment, ni l'un ni l'autre
n'entendirent sonner à la porte d'entrée. Et ils surdans le salon, les
autèrent quand Louisa p~nétra
yeux écarquillés et les bras gesticulants.
- Ah 1 Mam'zelle 1 Mam'zelle 1 Il Y a un revenant
qui vous demande 1
v
Jacquehne ne comprit rien à cette agitation désor~
donnée; mais elle crut y reconnaltre l'incohérence
des rêves, et ne songea même pas à répondre. Ce
fût François qui parla, non sans Impatience.
- Si quelqu'un demande ma cousine, faites-Ie
entrer. Qu'attendez-vous '?
- Mais, m'sieu le docteur, c'est un revenant, que
je vous dis 1 Je l'ai fait attendre pour préparer
mam'zelle à la surprise. Les bras m'en tombaient
'luand je l'ai reconnu ... C'est un revenant de l'Amérique du Sud 1
- Villey 1 Est-ce possible 1 s'écria Jacqueline, A
qui l'ahunssement rendait le sens de la réalité.
Elle c précipita pour sauter au cou de son vieil
ami. qui apparaissaIt à l'entrée du salon. Mais elle
h ila un IOstant devant un Villey rajeuni au point
d'en être méconnaissable. Il surprit son hésitation,
'1 lui ouvrit ses bras:
- Sur mon cœur, ma nil!ce 1 Car j'ai bien mérité
tle toi et de toute la famille, annonça-t-il avec un
autorité majestueuse.
Il déposa luatre baisers retenti sants sur les joue
amincie de a jeune fille.
- Tu as maisri, petite Vie en Rose. C'est tr' s tnal.
- Ce n'e t pas comme vous. QueUe mine 1 dit
François en serrant la main du peintre.
- En efTet, cher docteur, j'ai sagné quinze kitlls 1
E pn Cl la graisse, vous savez, rien que du muscle 1
Et mon teint 1 Que dis-tu de mon teint, fillette '?
- Vous avez UQe couleur de pain bien cuit (lui
�L'Al\WUR ATTEND ...
fait plaisir à voir. Tout le monde doit vou:; pl'cndrt:
pour un vieil Anglais sporqf.
.
- Un peu de resrect, s'il te plalt, mademoiselle.
Tel que tu me vois, J'ai accomph de grandes choses.
- Et d'abord vous avez guéri votre maladie
d'estomac; ça ne fait pas l'ombre d'un doute.
- Mon estomac? Apprends qu'il n'a jamais été
malade! C'était nerveux, tout simplement. Neurasthénie, n, i, ni, fini. Je pos~de
à cette heure un
gésier d'autruche. Tu peux me servir des pierres, si
tu veux Car je m'invite à diner, cela va sans dire.
Mais j'ai fait bien autre chose qu'une cure gastrique:
j'ai accompli de sensationnelles performances.
- Vous n'êtes pas revenu de là-bas à la nage?
- A quoi bon, quand les bateaux sont là pour
ca ? Non, non, je ne gaspille pas inutilement mon
énergie, moi. Je ne perds pas mon temps ...
- ... A donner de vos nouvelles à vos amis et
connaissances, interrompit Jacqueline avec vivacité.
Nous nous en sommes aperçus. Ah 1 vraiment,
Villey...
- Tais-toi, tais-tOI, ne m'adresse aucun reproche
avant d'avoir entendu le récit de mes hauts faits de
businessman et de conquistador. Tu auras ensuite
toute licence.
- Mais ce récit, quand l'entendrons-nous?
- En présence de ta belle-mère, dit le revenant
d'un air solennel.
- Elle devait faire plusieurs visites cette aprèsmidi, ct ne rentrera san,; doute que pour le diner.
Vous permettez que j'aille donuer quelques ordres à
!'nuisa?
- .Je te crois 1 Songe que j'ai bon appétit, et que
tu me doi" un festin en l'honneur de mon retour.
- Hélas 1 Ce ~,cra
un festin modcste ...
- Un festin modeste 1 PourquoI, modeste? Non,
mais que dites-vou ùe cette avaricieuse? Attend:;
lin peu quI.: je t'acomp~n
à !'ofhce. Vous ~tes
des
nôtres, docteur, c't:st bien entendu.
~
Non, non, impos ible, dit vivement l~rançoi
.
.le SUI, attendu à la maisun, et ...
- Qu'à cela ne tienne 1 Je me charge de donnci'
lin 1.;01lp' de téléphone à !\tme Revel.
- N n fnites rien, je VOU'l en pne. Ma m~re
dOtestc les impromptus ...
- .Tc. croIs en cnet, IntervInt JacquellOc que cette
diSCUSSion mettait au supplice, que ma tante ..
�L'A iOUR ATTEND...
!
5:~
- C'est bon, c'est bon, on réglera cette question
11n eeu plus tard ... accorda Villey conciliant.
S app'rochant du docteur, il lUI glissa à l'oreille:
- J apporte de grandes nouvenes. Ne partez pas
, ans les entendre.
Puis il suivit Jacqueline à la cuisme, où il commença par mettre un large billet bleu dans la main
de la nésresse ahurie.
- .\IaIS voyons, VilIe\', protesta la jeune fil~.
lai!iscz-moi le plaisir de .. :
- Ne t'inquiète pas, ma chère: ta belle-mère me
rendra ça tout à l'heure. Je m'invite, t'ai-le dit.
Il tira un calepin de sa poche,y noircit une feuille
en s'interrompant çà et là pour ol)tenir l'approbation
du menu 'l.u'il élaborait, pUiS remit le papier à Louisa.
- VoiCI mes ordres, belle esclave nOire. Tu va.
Qrendre un taxi et tu iras porter ça chez Potel et
Chabot.
- Quelle folie r Pardonnez-moi, Villey, mais c'est
la, fin du mois ... Nous ne sommes pas très économes,
et le tiroir doit être à peu près vide.
- Eh bien, tu t'endetteras, ma belle enfant; c'est
le moins que tu puisses faire pour moi. En tout cas,
pour mettre ta conscience en repos, sois sûre que
c'est une simple avance que Je fais à Louisa, et que
tu paieras de ta poche le régal de ce sOir.
de ~rifone
une autre
Ce disant, il recomn~
feuille de son calepin, mais cette fois il exigea une
enveloppe et traça l'adresse de Mme Revel.
- Entendez-moI bien, Louisa. En sortant de chez
Potel et Chabot, vous garderez le taxi, et vous irez
déposer cette lettre à son adresse, rue Raynouard.
Et vous reviendrez dare-dare mettre le couvert pour
cinq personnes.
- Villey, suppJia Jacqueline, 'ous me désobligez
vraiment.
- Ah 1 Ah 1 Vraiment, Je te désoblige. C'est parFait. Mon arrivée a IDterrompu un duo; pour expier,
:. veux dir~e
un quatuor. Et pour cela, Je te tape
J'un petit dlner, d'un pauvre petit dlner A troIS ou
quatre louis par tête. Tu peux bien te fendre de ça.
Jacqueline n'osait plus protester. Mais elle conSImgulétude; estdérait 80n vieil ami &\Iec une v~e
ce que le soleil des tropiques, qUI lui avait SI bien
doré la peau, avait respecté sa cervelle '?
11 naira ce soupçon, ct se mit à rire en poussant
la jeune fille vera le salon.
�154
L A:>roUR ATTEND ...
. '1 es étonnée de me voir si bien au courant de
tes petites affaires ...
- Mais vous vous faites des illusions, je vous
assure. Je n'en suis pas encore là, dit Jacqueline,
gênée par la prtsence de François, qui écoutait
l'explication d'un air amer. Nous avons une installation convenable, parce que cela est nécessaire pour
recevoir mes ~Ièves
qui sont tr(:s riches ...
- Allons donc! j ucune d'elles n'est aussi riche
que toi.
- Vous ètes (;tonnant! Qu'a-t-on bien pu vou"
raconter? Il Y a des gens qui assurent que je serai la
légataire universelle de mÎstress Walkmton. Mais
moi, je sais bien le contraire, puisque Ij'ai écrit son
testament sou" sa dictée.
- Ah çà 1 est-ce que tu me crois déjà au courant
des potins de Paris -~ Je suis arrivé il y a une heure
à la gare d'Or ay. J'ai passé chez moi prendre un
bain et changer de linge, et me voici. Tu vois que je
n'ai même pas eu le temps de faire le tOUI' de boulevards. Et si tu n'e~
pas touchée de cette fidélité et
Je cette hate ... Mais qu'avez-vous donc, docteur?
François, qui marchait de long en large en donnant
tous les signe o d'une impatience manifeste, venait
de tirer sa montre pour la troisième fois, et on aurait
I;U de la peine il le retenir si un coup de sonnette ne
s'était rail entendre. En l'absence du Louis a, Jacqueline voulut aller ouvrir la porte, mais Villey prit leI:
devants.
Mme Beaurand, effarée, crut d'abord qu'elle !le
trompait d'(:tage; puis, ayant reconnu le pe1l1tre, elle
fit : " Ah 1 Ah 1 Oh l " et lacha ùe stupeur son petit
ac ct son parapluie.
Quand elle revint J
on ~tonem,
elle St:
lourna vers le voyageur:
- Nous vous croyions won, 111011 ,.her. PourquoI
un si long mutisme ( VOIUS étiez-vous fait le peintr
,le forC!ts vieq::cs '?
- Moï? Je n'ai pas louché un pinceau dCpUl
j ux ans 1
Pas c pour
- " lor , Ciuai'? 0\1 li, négli ~enc(!?
qu Iques mois. Mais une abstention i longue re~
semble plutôt ù un parti pris.
- ~Jn
parti pris. Vous l'aver. dit. Comme le
n'~vals
pa . lu .I~rce
d'écril '. ans iJrler de ce qui
m IOtéreRIi Il. ,'al résolu de ne pa crir du tout.
�I.,'AMOUR ATTEND...
'55
- Quelle idée? Dis-moi, Jacqueline, et toi, François, est-ce qu'il vous a expliqué L.
- Du tout, chère madame. M. Villey vous attendait pour cela, etd'e commen<fais à perdre patience ...
~tme
Beauran parut flattée de cette attention
déférente du revenant, ct ce fut à lui qu'elle s'adressa:
- Vous restez dlner avec nous, n'est-ce pas, cher
ami?
- Oui, oui, maman, c'est une chose entendue.
Louisa a re.(u se ordres. Et maintenant, mon bon
Villev, exécutez-vous. Nous .ommes tout oreilles
pour-recueillir vos révélations.
- Soit, fit le peintre. Je n'attendrai pas Mme Revel.
- Ma m"re? Mais ma mère ne doit pas venir,
que je sache 1 s'exclama François, plus contrarié
qu'il ne le laissait paraltre.
- Mme R~vel
vIendra certainement. Mais j'aime
mieux ous avouer tout de suite qu'avec elle mon
elTet serait manqué, Célr pour être sûr qu'elle se
rendrait à mon appel, je l'ai mise au courant en
deux mot . Il est donc inutile de l'attendre, accorda
Villey.
Il s'dait ados é à la cheminée, dans une pose
théâtrale, et, le front haut, il promenait autour de
lui le regard à la fois implorant et dominateur d'un
poète en veine de déclamer son grand morceau
devant un auditoire d'élite.
VI
Cependant Jacqueline et a belle-m1!re, tout en
échangeant de regards intrigué , avaient pris place
dans deux moelleuses bergère Louis XV.
François Revel, invt~
à s'as eoir à son tour,
déclina cette olTre et continua d'arpenter le salon
avec une humeur de moins cn molOS dissimulée.'
L'idée que sa m"re allait arriver, et qu'on le garderait
à dlner de gr~
ou de force mettait le comble à son
exaspération.
- Je commence par le commencement, dit le
narrateur. J'ai débarqué à Rio de Janeiro; et je ne
m'y suis point attardé, bien que ce oit une vil~
�L'AMOUR ATTEND ...
d'une couleur étourdissante, sous un climat idéal, et
où l'on mange les meilleures oranges du monde
entier.
- Vous mangez des oranges? s'exclama Mme Beaurand.
- Des oranges comme tout le reste. J'ai un
appétit de requin, qui a fondu sur moi - pas le
requin, mais l'appétit - pendant la traversée, à la
suite d'un mal de mer mémorable, et cet appétit ne
m'a point quitté depuis. Mais plus d'interruptions,
s'il vous plalt, cher public. Soyez attentifs : ça va
devenir tout à fait mtéressant.
,( Après avoir roulé trois jours en chemin de fer, je
liuis arrivé au gros bourg de Piracicaba, et en remontant le Rio de cc nom, au bout d'une semaine de
chevauchées brisantes, à dos de mulets, par des
chemins vertigineux. j'ai atteint le village de Maconunga ...
En entendant ce nom, Jacqueline et ha m~n
,:chang;'rent un regard poignant.
Villey pour 'uivit :
- C'était alors un village de hU1I cenl cinquante
habitants; il en compte six mille aUjourd'hui, et sera
dans cinq ans d'ici une ville de cinquante mille
,lmes pour le moins. L'exploitation de' mines ...
- Vous avez vu les mines! C'était vrai. .. Mon
pauvre papa le disait bien 1 .lmqu'i\ son dernier jour
Il m'a répét6 : • L'or abonde! Si je possédais le~
capitaux et la !lanté n":cessain's 1 our aller là-bas 1. .. ~
- J'y suis allé, moi, aCCl:lltua Villey avec orgueil.
L'c. ploitation est en plein l'apport, non pour le
comF te de SchoulJ, ùont j'ai de joué le plan d'accaparement, mais pour le comptr des actionnaire" dlla première Sociét6 dont je suis, dont vous étes. J'ai
"'U pOlir mu part cette année cent soixante-di -&ept
milk francs de bénéfice net. L'or est à fleur de sol
Vous êtes riches, plu riches qUl~
jamais, mes chères
amie. 1
Il e tut, les larmes aux yeux, attendant un concert
d:alkg.re~s
ct de bénédiction. 'fais li n'entendit
nen. Et 11 Vit seulement, ù'un côté, contre la portl'
~u
salon! une luttll muette eutre François et JacqueIInc, qUi empèchait son cousin de ~orti:
et de
l'autre, Mme Beaurand efîondréc dans la large
bergère Pompadour, où elle semblait pr~te
à rendre
l'arne.
�L'AMOUR ATTEND ••.
157
- Eb 1 eh 1 cria Villey, cn s'élançant vers p.lle, on
a besoin de vos senices par ici, docteur 1
François dut venir à son aide, tandis que Jacqueline courait chercher du vinaigre et des sels. L'évanouissement dura plusieurs minutes; on étendit la
ll1alade de tout 'on long sur le divan, on lui basSlOa
les tempes, ?~
lui tapota la paum~
de~
mains. Lorsqu'elle sc declda en[m à entr'ouvnr les yeux:
- Je m'en charg'~
maintenant, dit le peintre. Vou~,
docteur, allez con~ler
votre fiapcée..
.
Et il montra la lèune fille qUI sanglotait convulSIvement deyant le portrait de son père.
La consoler! Ce mot tnompha des suprêmes héSItations du jeune homme. La consoler 1 Il avait rêvé
ce rOle si souvent, lorsqu'il la voyait, courageuse et
fi~re
dans sa détresse, acceptant toutes l~s
épreuves
sans un mot de révolte ou de plainte. Et maintenant,
voici qu'elle pleurait devant lui, comme elle avait dû
pleurer déjà bien d'autres fois dans des heures d
détresse solitaire qu il n'avait pu surprendre.
Il s'approcha d'elle, il posa sa main sur la jolll'
tNe bouclée. Elle le reconnut sans lever les paupières, el ellu supplia, trb humble, écrasée dan:. ~a
richesse nouvelle pal' lu pOids du mensonge accept.
dans la pauvreté:
- Pardon, Françol~,
pardon!
- 0 ma chérie, murmura-t-il, je sai s bien que CI'
n'était point par égolsme, mais par scrupule. El il
..:clte heure, Jacqueline, c'est à moi d'en avoi r. ..
- Non, non, François, je t'en suppli ll : IIU ml
rends pas le mal qUI! jl! t'ai fait!
Ces épanchements furent troublé par la 101 ' dl
rille)' le magnanime:
- El moi, e "t-ce que l'aurai mon tour ·' SI vou
me demandiez un peu ma bénédiction '(
- Villey, mon cher. cher ami, comment vous
~emrci'
de tout ce bonheur! s'~cria
Jacqueline
dans une impétuo ité de reconnaissance qui concernai! bien moins la fortune que le fiancé.
Et ~lme
Beaurand, que Loui~a
éventait avec précaution. retrouvll la parole pour reprendre ,11 sour·
dine:
_ Oui, cher ami, com~nt
vous remercier'?
__ En m'accordant votre main, jolie madame 1
_ Villey, vous voulez rire!
Non, il ne voulait pas rire. Il était de ces gens qU I
�L'AMOUR ATTEND ...
ne font rien à demi: entré tard d~ , ns
la voie du
d évouement, il n'entendait point s'arrêter en
route.
Sans fausse modestie 'ni exagération, il expliqua
dans la suite son cas à Jacqueline:
- J'ai pris le goût de s 'voyages, et c'est très
mélancolique d'errer tout seul à l'étranger. Et puis,
franchement, je ne pouvais pas te laisser deux
belies-mères sur les bras L.. D'autant plus que la
dernière venue suffira à encombrer ta vie.
VII
Villey se reprocha plus tard ce jugement têméraire.
Mme Revel avait été touchée par 'la grâce au
moment où elle reçut le petit mot lui annonçant que
les vieilles paperas ses laissées à sa fille par le cousin
Beaurand représentaient à cette heure une fortune
de quinze millions .
Avant de se rendre à la fête des fiançailles à
laquelle Vill e: la conviait par ce joyeux message,
elle éprouva le besoin de remercier la Providence.
Et ne se ser.tant pas la con science très nette à
l'égard de celle hériti"re enfin accord ée à son fils,
elle promit spontanément d'expier. Elle offrit à Dieu
s'imposer son cœur
le plus grand. sacrifice que p~lt
de mère pas slonn 6e et exclUSive ...
C'est pourquoi le lendemain du mariage elle
déclara que ses malles étaient faites, et qu'elle
6prouvait le be soin d'aller revoir sa maison natale,
Je recouvrer la paix de la province, agrémentée d'un
jardin potager ct d'une huanderie de premier
ordre.
Toutes les instances de son fils et de sa hru, celle~i llni.C]lICOl nt SOUClell se de plaire à François, furent
ImpUIs santes à la reteni r.
- Je Viendrai vous vOir chaq1,1c hiver. Et quand
vous aure.: de enfants, vous me le,> envcrrez pendant
les vacance!>.
~:\I
S Jacqueline ne veut pas promettre de se
�L'A~fOTR
ATTF.:m...
\~9
Ii!par4r dé ,.. oO(aIUS qui ne sont pas encore au
monde.
'fOUS, dit-elle, qui viendrez les 'foir •
- C'e~t
Saint-Cloud.
.
Son notaire a reçu l'ordre d'acquérir, à n'importe
quel prix, la villa des Ormes et tous les terrains
environnants; on ne changera rien à la vieille
maison, qui restera humble et modeste au milieu
des champs de roses dont on va l'entourer à perte
de vue. Ainsi le bonheur 5ecret, caché dans une
enchanté.
tme, crée â l'entour tout un hO~'izon
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pratique ". C""m.... po.i.1
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quutlona d. toilette... 5. vou. bé,ilcz IUf l<e choix ou le prix
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détira. Il 'fOUI répond en \*OUI donnbnt de. c.onH'iI. "" à volte
cho ••• oit du <,oqui, ou d.. 6vurin.. d. mod. . . J'appui d.
Itl conuul. ct 10 prix d,..... patron. Iut mo urec do cel modàl...
t<tit 1. d_criptioD avec croqu;. rl 10 prix d·une toilette rtpon..
dant • VOt dé.i". avec indication du rn.latin où eJie le Itou ...".
Il •• ~hare.
Ii '/OU' le d' irez. do ,Iou,l'ecl.eter.
conseil
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plu •• indnement 1. c&factère da SlQn",.ite.
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Pour lacJlllef lu rcch.,chcJ t.I 1."II,t leI erreur,. prltre dt
ropp</er. Jon, /oulu le. ,ipo .... • , tn ca. J. rie/amal/on. 1.
détail cl.. p,~dtl.nu
1.lIr..
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P.,I,(XIV·). ". i~
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Ad......, I.tlnt et maadoIH>O'" à Mol. Dlr.cleu d... Potlt E.J..
-•• d.la III"".". Sl!RVICE DESCOURRrERS, 1.... GA ... ,
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La collection Stella est lancée en 1919 par les éditions du Petit Echo de la Mode. Ses fascicules sont des suppléments mensuels...<br /><a href="https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/exhibits/show/fondbastaire/collection_stella">En savoir plus sur la collection Stella</a>
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Editions du "Petit écho de la Mode"
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L'amour attend...
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Star, René (18..-19..)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
[1923?]
Format
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159 p.
18 cm
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Collection Stella ; 87
Type
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