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Éd;tol~
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Je la Mocle "
" Petit
7. Ruc LemaigRRn
PAlUS (XIV")
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Les Publications de la Société Anonyme ~
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1. L'Héroïque Amour. po, Je.n DEMAIS.
A li e ~ PUJO.
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J. Rèver et Vivre, ""r Jean d. 1. BRETE.
of. Les Espérances, par Mathild. ALANIC.
~ . La Conquête d'un 'Cœur, par R.... STAR.
6. Madame Victoire, par Marie THIERY.
7. Tante Gertrude, pa' A. NEULLIES.
8. Comme une EpAve, p.r Pierre PERRAULT.
? Riche ou Abnee? par Mary FLORAN.
10. La Darne aux Genêts, par L. d. KERANY.
11. Cyranette, par Norb.rt SEVESTRE.
12. Un Mariage" in extremis ", par Claire GENIAUX.
13. Intruse, par Claude NISSON.
14. La Maison des Troubadours, par Andr •• VERTIOl..
15. Le Mariage de Lord Loveland, par Loui. d'ARVER:S.
16. Le Sentier du Bonheur, par L. d. KERANY.
17. A Travers les Seigle8, pu Hélène MATH ERS.
18. Trop Petite, par SALVA du BEAL.
19. Mirage d'Amour, par CHAM POL.
20. Mon Mariage, par Julie BORIUS.
21. Rêve d'Amour, par T. TRILBY.
22. Aimé pour Lui-même, par Marc H EL YS.
23. Bonsoir Madame la Lune. par Mori. THIÉRY.
2... Veuvalo!e Blanc, par Mari. Anne d. BOVET.
25. IIlu8ion Masculine, par Jean de la BRETE.
26. L'Imp08sibie Lien, par Jeann. de COULOMB.
27. Chemin Secret, por Lion.1 de MOVET.
28. Le Devoir du Fils, par Mathilde ALANIC.
29. Printemp8 Perdu, par T. TRILBY.
30. Le Rêve d'Antoinette, par Ev.line le MAIRE.
31. Le Médecin de Lochrist, par SALVA du BEAL.
32. Lequel l'aimait? par M"", FLORAN .
33, Comme une Plume." par Antoiae ALHIX.
3... Un Réveil, pat Jean d. la BRETE.
35. Trop Jolie, par Louu D'ARVERS.
36. La Petiote, par T. TRILBY.
37. Derniers Rameaux, par M. de HARCOET.
38. Au delà des Monts.!.par Mari. THIERY,
39. L'Idole, par Andrée VEKTIOL .
.. O. Chemin Montant, par Antoine ALHIX.
41. Deux .\moura, par Henn ARDEL .
.. 2. Odette de Lymaille, F........ L.ttrll, par T . TRILBY.
O . La Roche.aux-Aicues, par L. de KERANY .
..... La Tartane amarrée, par A. VERTIOL.
..S. Intè.re, par Pi.rre Le ROHU.
46. VlctJmes, par J.an THIERY .
..1. Pardonner, par Ja. Que. GRANDCHAMP.
~S . Le Chavalier <:Jalrvoyant, p.r J.ann. d. COULOMB.
49. MaryJa, par I.abell. SANDY .
.~O . L. Mauyrt.la Amour, pa, T. TRILBY.
11 ·1
2. Pour Lui! par
�V olu~es
parus dans la Collection
(Sul/,).
51. Mlra,-", d'Or, oar Antoioe ALHIX.
52. Le. de~
Alnours d'Agnès, oar CI.ude NISSON.
53. La Filleule de la Mer. pu H. d. COPPEL.
~ ... ROlnaneaque, par Maf7 FLORAN.
55. Le Roman d. la .,in,ti"me annoe. "or J.CQu .. d.. CACHONS.
'6. Monette, pu Matbilde AlANIC.
51. Rêve et Réalité, par Marie THIERY.
58. Le Cœur n'oublie pail, par Jacque. GRANDCHAMP.
59. 1.0 Hainan d'un Vieux Ga... ·on .,ar J.an THIERY.
60. L'Algue d'Or, par JeonM de COULOMB.
fil . l.'lnutJlo Saodtlc:e, par T. TRILflY.
62. Le Chaperon, Dar Loui. D'ARVERS,
6). Carmenc ita. par Mar!' FLORAN.
6+. La Colline ensoleillée, par Mar ... A LBANE!!.
6,5. PhyJlis, par AU.. PUJO.
66, Choc en Retour. par Jean THIERY.
67. Noille. par CHAMPOL.
68. Kitty Aubrey, r;>U TYNAN.
69, Le Mari do Viviane, par Y~onM
SCHULTZ.
70. Le VoUe déc hiré, por Edmood COZ,
71. Maria-Sylva. par lUGUET·FRICHET.
72. L'Etoile du Lac, par André. VERTIOL.
73. Les Sources claires, par Marlluerit. d·ESCOlA.
74. L'Abbaye, par SALVA du BEAL.
75. Le Tournant, par Pierre VllLETARD.
76. Tante Babiole, par Mathild. ALANlC.
77. MOD Ami le Chauffeur, adaplé de raolll.i, par Loui.d'ARVERS.
78. De l'Amour et de la Pitié, par JacQu., GRANL>CHAMP.
79. La Belle Hiatoire d. Muuelonu... par Je&llDodo COULOMB.
80. ~
Transfuge, per T. TRILBY.
81. Monsieur et Madalne Fernel, par Loui. ULBACIi.
82. Le Maria"e de Gratienne, p.or M. d.. ARNEAUX.
83. Meurtrie par la Vie, pa, Maf7 FLORAN.
84. Un Serment, par 1. BaroM. ORCZY.
85. L'Autre Route, par Claude NISSON.
86. La Lettre rose. pa' H .•S. MERRIMAN.
87. L'Amour attend .., par René STAR.
88. Sous leurs pas, par Jean THIERY.
89. Ailnez Nicole, par Pi ...r. GOURDON.
90. Le Secret de Marouttia, par l, Co.'ul. 4. ClSTILLUI ICQUl1Ill.
91. La Branche de romarin, par BRADA.
<)2. Une beUe-mère,
Raoul MALTRAVERS.
93. Cœur de Princesse. par Agnè. el Eg.rton CASTI.E,
94. La Fleur d'Alnour, par And,é. VERTIOI..
95. Mariages d'Aujourd'hui, Pat Mm. LESCOT.
96. Dans l'ombre de mes jours, par JacQu •• d.. GACHONS.
97. Arlette, jeune fille modo..... par T. TRILBY.
98. L'Obstacle, par RHODA BROUGHTON.
99. La Forêt d'Argent, par A du PRADEl X.
100. Dernier Atout, par MarF FLORAN.
lOI. Le Double Jeu. par G. de VAILLY,
102. Le coup de volant, par Mari. THIERY.
103 Idylle Nuptiale, par Madlmo E. CARO,
104: Contre le Flot, plr LE. ROHU. ,
105. L'Arnoul' le plu. tort. par Reoa LA BRUYÈRE
106. Cœur tendre et lier, par la Baronne BOUARD.
107 Laquelle? Par J.... D AN IN.
108, Tout il moi 1 Pit J ..n THIERY.
109. Sous le Soleil ardent, par J••n JEGO.
110. Les Trônes .'écl'Ol!lent, por Jacque. GRANDCHAMP.
"a,
�NORBERT
ft V ESfRE
Cyranette
(.!ui ne ;;ai t celer ne sai t aim er.
(Vie ux co de d e l'amou/',)
1
COLLECTION STELLA
Éditions du .. Petit Écho de la Mode ..
l, Rue Gauo. Paria (XlV-)
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CY
~ RANET
A
ma
jà)/}Il~
N . .').
PREMIÊRE PARTIE
1
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1
Dans la salle à manger, où vient de l'introduire
tout à trac celte petite folle de Juliette - «( LieHe)l,
comme on dit familièrement -l'abbé Divoire ne
peut réprimer un léger mouvement à la vue de la
table desservie et sur laquelle il n'y a que quatre
tasses fumantes.
- Déjà au café? s'effare-t-il, avec sa rondeu!" de
vieux commensal de la maison.
M. et Mme Daliot, et leur autre Glle, l'aInée,
Denise - qu'on appelle ( ise)l tout court - se
sont levés avec le plus aimable empressement, et
c'est à qui le débarrassera de son chapeau, qu'il a
oublié d'accrocher clans le vestibule et que LieHe
n'a pas songé davantage à lui prendre des mains,
quand elle est allée lui ouvrir ln porte du palier.
_. Excusez-nous, mOI1!ieur le curé, répond
Mme Dalio!. Nous n'osiom; pas compter sur vous
t:e soir ...
- .le m'en aperçois t
- Puis il va être l'heure d'aller ~l la gare, ajoute
ingénument LieHe, pendant Llue M. Daliot
é 'lJauge une vigou relise poignée Je main avec h:
pl'elrc t:t llue Denise, retenne par une c1i-:aétioll
n.aturelle bien ùifféren te de la spon tanéi It pl li tôl
t'xlIbérLlnte Je sa caJt-Ite, attend 1:.1 petile 1'1(1(' \ilil'
�Lt joue Junl M. le cu!"'::, elll'areilll: o-:-:urn:nce.
lié
manque jamais de la gratifier :Jffeclueusement.
\fais ('t'lui-ci, Ulle t'ois de pll1s, rar:JÎt penaud.
- A la gare'?
,\1ais OI1;! dil Lielte. Ikvine/' ce "!IIi 110Us j
allire, l11ol1sieur le curé '? ... .Je VOliS Je dOline (;11
mille.
Mme Daliot, d'un signe, fait comprendre il. la
bavarde qu'elle aussi voudrait bien pOu\'oir placer
un mot.
- Ne cherchez pas, monsieur le curé. Il s'agit
d'un passage de soldats anglais. Un détac'hemenl
J'artillerie lou rde à destination de l'Italie .
- Première nouvelle! concède l'abhé Di\'oire ...
Eh bien, mes coquines, dit-il aux jeunes filles, en
J'air de
voilà une aJTaire l. .. Et moi Ljui n'avais pa~
m'ell douter! Allons, bonsoir! Je me sauve! .Je
m'en voudrais trop de vous raire manquer une si
hene occasion.
- Permettez! intervient M. Duliot. Rien ne
presse ct je ne sais olt ma femme avait la 1t!le de
nous faire mettre il. table si tôt.
- Mais, papa, murmure Juliette, leur Irain
ilrri ve il. dix heures!
- Il n'en est que neuf, huit au soleil, ct je parie
Ljue M. le curé n'a pas dlné.
- Je vous demande parùoJJ, mon ami.
- Bien vrai, monsieur le curé'? insisl l '
Mme Daliol.
- Puisque je vous l'assure ... J'ai uiné SUI' k
pOlIce dans l'idée ue VOIlS su l'prendre ail desscl'I.
Erreur n'est pas compte et j'arrive comme h."
carahiniers ... Ai-je droit à une lasse?
- Oui, monsieur le curé, acquiesce Liette.
l)arcc que c'est vous ...
l~1
die court ~l la cuisine cherchcr 1<.1 verseuS(;
'lui n'a g-u~J'e
dt! refroidir, lanl il I~li
chaud t'II
cette beIJe soirée de juin 19T7.
Sl>ufllanl, \j'épongeant, M. le cllrG \)UlIllt' It:
lillltenU 'LIIC Illi pl'l 1,l)s~'
,\1. J),tliot.
�1
1
\
CYRANETTE
7
- Pas de fauteuil, llon, merci. Une chai::.e
cannée, comme lout le monde.
Et ce n'est pas humilité chrétienne, l11:1is bien
plutôt poinl d'honneur de chanoil1e hOlJoraircel. ..
quinquagéuail", qui n'enlend [aire aucune COllces~ion.
à sou léger emhonpoinl, "Plu~
Illaigre QIl pins
douillet, il Il~
s génerait pa · pour occupe'- C .
~ ; ,ge cl
~ ybarite.
Chez les IDaliol. : n'es t-il pa~ ,
t' he! lui? Mie"
que cher, 1111 \)Ù, de 'i ()11
plopre aveu, il doit lcompter ;JVCç If' despoIl ';II1C ancillaire d'ul1e vieille gOlln.rnullle quilllC'llse ef tatillonlle.
r/abbé DivoÎrc, curé ùe Sainl-Pierre ue M<Jché,
;'1 Chambér), cousine avec Mme Daliol. A le:, voir,
grisollnant, l'autre si [l'aiche encore, on
J'un déj~1
ne dirait pas qu'ils sont ùu mème àgc, à quelques
années près. Quand ils ,staient jeuD~,
leurs
parents logeaient porle à porte, rue de Derrièreles-Murs, une antique venelle, tout ce qu'il ya de
plus l).onnête, mais d'assez pauvre aspect, drangléc entre de maussades hàtisses larchiséculaires
et les lourds conlre(orts du <.:hàteau. Leur amitié a
pu évoluer; elle n'est pas moi ns con.liale et sûre
qu'co ce bon temps-là. Et, si Mmc Daliol marquc
aujourd'hui tant de défércnee à l'abbé, si elle lui
dit « monsieur le curé» comme son mari Cl ses
fillcs,lc'est par respect l'OUI l'hahit qu'il porle ct
qui évoque nécessairel11en t son ministère. Lili, au
contraire, ne continue à voir cn elle quc la cOllsille
et il l'appelle par son prénom comme autrefois.
M. Daliot n'a garde de S'CH formaliser. Se formaliser, mon Dieu, cl pourquoi? Lc prêlre qui a béni
son mariage, puis t[lli a baplisl! cl l'ail -:ommunier
scs enfants, cc hon pn\lrl'-Iil n'esl-il pas doublemcnt de la famille'? QU'OIl l'nccueille ft hr;)s
ouvert·, c c~t
loul natllrd. On csl d'ailleurs thn ...
l'hospitalière traditioll L1·s S. voisil'ns, Imlll" qui
fout vi"itt.<ur e~t
l ' üllll1lL IUll1JvdL.
'.:J:trJ LIn: dOlljll l, j';,hh Di\OJlt Il'CI! . !llUt p ... .
Illoin, ,,'S
;1\ ,,' S .
l'asli 'lIl'd'III1I'llI'llId\'II,e p;trtll"l',
�CYRANETTE
toule en vieilles échoppes, en vieilles croix, en
vieilles fontaines, il ne lui déplatt pas de niche,
sur l'éminence qui la domine. Le docher de SOIl
église s'y perd dans les magnifiques frondaisons
du Grand-Jardin, et l'ancien presbytère, lamenlabJem.::nt délabré, y menace ruine. Mais l'abbé S'y
est fai 1 construire, dans un pelit terrain à Jui, 1~
logis agréable et commode. 'N'empêche qu'il est
hien seul là-haut et, quand sa gouvernante ~( .
muntre tror acariùtre ou qu'il désire passer Il ,li'
honDe [mirée, il descend chet. les Daliot. qlli
habitent rue Nézin, à l'aulre boni d l' la ville. dans
IWC maj
~ ol'
moderne, dont leut" appartement
Il'OCCUPA que le second étage'. Le site esl joli, moins
retiré, plus vivanl, q Lloique presque aussi agreste
que les haliis cl superbes parages de Saint-Pierre.
Et l'abbé, en leur compagnie, savoure cette douce
intimité de famille que l'ecclésiastique ne )1eut
qu'envier aux laïques.
Ils sont si simples, les baliot! Ils sont si charmants, si affables! La bonhomie du père, l'égalité
d'humeur de la mère ct de Denise, la gaHé amusante de Liette composent une atmosphère où
l'abbé Divoire peut redevenir lui-même et s'épanouir avec délices, après ses exercices religieux,
ses visiles aux indigents, toutes les charges d'un
sacerdoce renclu nécessairement plus lourcl par la
mobilisation de ses vicaires. Il aime tant cet intérieur coquet et très suffisamment confortable cie
provinciaux ayant du goût.
Car les Daliot ont du goût, témoin cette spacieuse salle à manger, dont les fenêtres, larges
ouvertes sur le parc Lémenc, en aspirent tout l'air,
toute la lumière, cl que décorent, sans prétention,
mais 11011 sans un certain cachet, quelques toiles
plaisantes à Fœ!l, quelques beaux grès flammés
comme on en fait à Chambéry ct quelques-unes
cie ce!! 7ieilleries de bOll aloi L{U(' ron clénÎl:hail
;-ba~ets
des m.ontognar:ds.
jadis daus les. rusti~
La guerre, Jl1 squ 'CI, n a rien change aux peilles
"
�1
\
h:.lbi t ude., des Daliot.lls n'cn ont tiré aucun profi f,
mail, ùs n'en ont pomt souffert.. L'orage les :)
épouvantés d'abord. Leur ·émotlOn pcu à peu s'est
,:.almée, parce qu'ils n'ont personne au front ct
que, Dieu merci, le front est loin, très loin de leur
chère Savoie, vrai pays de cocagne où, en 1917, on
peut encore vivre de la même "ie qu'avant 1914,
sans trop se ressentir de la raréfaction ni de la
cherté croissante de toutes choses. Bref, ces heureuses gens sont si bieh ~1 l'abri de la tourmen te
que Mme Daliot - qui fut gentiment dotée en
son temps: de q lloi clou bler les revenus de son
mari, appointé comme archiviste municipal u'a guère que le souci d'établir ses filles. Encore
n'est-6e pas là un souci particulièrement pressant_
Denise n'a pas vingt ans; J ulietle n'en aura dixneuf qu'à Fautomne; ces chères petites peuvent
donc attendre, J ulietle surtout. Car, pour Denise,
21 vrai dire, peut-être ne la mariera-t-on pas racilement.
Non qu'elle sail uisgraciée cie quelque manière,
Denise. Loin de là, et elle a de qui tenir, gracieuse et svelte comme un lis, jolie comme on
l'est en Savoie, comme l'était et l'est encore sa
mère. Intelligente avec cela, très observatrice el
très fine, capable de se faire une opinion ct de s'y
tenir en son for, inexpugnable citadelle de celle
faible. Mais, par où elle pécherait peu t-être. c'est
par un excès de douceur, de bonté et de modestie.
Elle aimerait mieux souffrir millc morts que
de peiner autrui et elle :;'cnfonœrait sous terre
plutôt que de chercher il se faire valoir. Et
c'est bien par là aussi qu'elle diITère tant de Liette
- que l'une est il l'au 1rc cc li ue le jour est à la
nuit.
Denise est l'etTacement même! Depuis qu'elle a
terminé sas études, qui ne l'ont pas conduite très
loin, arrêtées avant le baccalauréat, son adolescence s'écoule, calme et discrète, entre de menus
travaux d'intérienr et les furtifs j pteSCJlle Taintifs
�10
rYRANETTE
regard;; lju'elle risque par-dessus cct étroil
11Orizo)1, vers les magiqucs, mais un pell troublante;; pcrspective C!U mariage. Au lieu LJue
.Jl\liette ne doute de rien. Enfant gàtée de la
maison, elle en est auslii l'enfant terrihle et elle ne
cacht:: pas son Î!llention de s'y « morfondre» It::
moins longtemps possible.
Il n'y a pas, du reste, l'ombre de méchanceté
dans son cas, du moins de méchanceté foncière, et,
;;i elle réfléchissait toujours avant d'agir, si elle
n'agissait jamais qu'à bon escient, elle ne ferait
pas de mal à une mouche. Mais il ya chez elle un
fonds d'égoïsme qui s'ignore et un caractère à la
fois mutin, fantasque et autoritaire qui lui composent une nature singulièrement complexe, où le
romanesque et le frivole le disputent i un sens
très positif et très pratique de la vie.
Cœur et cervelle de linotte corrigés par une
sorte d'instinct qui lui tienl Ï1eù de bon sens et qui
la rend assez forte pour vouloir ce qu'elle veut et
assez clairvoyante pour discerner son lntérèt:
telle est cette étrange petite LieUe, qui, nonob tant ses petits caprices, ses petits traver et ses
petiles infériorités morales, se charge de réussir
là où Denise, si vertueuse et si bien douée soitelle, risque c1'échouer par trop de timidité ou de
sentiment. Quand LieHe se mariera, il y a gros à
parier que son inclination s'accom moderade solides
espérances. Nise, elle, sera toujours à la merci de
SOIl cœur. Et Mme Daliot, qui sans doute le comprend, ne respirera vraiment que le jour où
Denise aura le bon époux qu'elle mérite ...
l\1.ais revenons à M. le curé. Epanoui, guilleret,
il hu Ole son moka par peti tes gorgées, puis fouille
dans la poche de sa soutane et, tranquillement, en
lire une pipe de bruyère, au court tuyau d'ambre et
au \oyer artistement I( culotté »). De tout/> évidence,
pris au charme du milieu, il ne pense plus à la
promenade que ses hôtes doivent faire du côté de Ja
!Cu l'e. I.i( \te :'1'11 n vhœ et, ri(\(I"(·. 1(> ttl 1H1I'(" d Il tloigl :
�CYRANETTE
,
1.
1J
Et nus lommies, monsieur le -:uL'é?
Aïe!
Comiquemen1, l'abhé rengaine sa pipe, ainsi
4u-'un collégien pris en défau!. Tout de même, iLt
privation lui est pénible et il ajoute d'lin ton
piteux:
ALI moins, s'il me faut renoncer au tabac,
l;lÎsse-moi souffler Ull peu, Lielte !. ..
- '1';;111 [ CJue yons vOlldrez, lUllll:;icllr le curé, Jit
Mme DaJiol. Et filme/. don~,
je VOlIS prie. Si VOliS
(~C:')l1te/.
Liellr, malntenanl. ..
- Dame, Il'a-L-elle pas raisoll dl' lUe rappeler
;', l'ordre? Mai'" jl' lui demande en gr;:\ce de ne pa!-.
)1lC meLt re à la porte avant CJ ue j'aie pu t::changc,
un mot avec son p\;re.
- Pourqnoi Ile nous accompagneriez-vous pas'?
dit l':lrchivisle. NOLIS aurions tout le temps de
causer chemin faisant.
- C'est ça! Vive le plein air el tant pis pour [a
pipe! s'écrie LieUe.
- Permcllcz, mes enfants. .. A quelle l1eure
dites-vous, ce train?
- Vers dix heures, répond M. Daliot.
- Vers L .. TIeu ! lIeu! e'esl bien élastique, ces
vers-là. Et si je me laisse induire en tentation, que
Jira ma gouvernante? Agathe me règle comme un
chronomètre, vous savez. De plus, et ceci est tout
~ rait sérieux, quand je me couche tard, je m'éveille
tard. Or, je n'ai personne pour dire la messe basse
i\ ma place demain matin.
- Sept heures de sommeil ne vous suffisenl
pl us! persifle Liette.
- Tu peux te moquer, toi! N'as-tu pas honte
de me reprocher ma paresse? Combien d'heures
durent tes nuits?
- Oh! cela dépend, dit Mme Daliot.
~
Dui, convient l'abbé. S'agit-il d'a11er à la
gare II! soir on Je partir en cxcursioll dês le matin.
mademoiselle- tenonœ volontiers :llt doJo. Mais
!'(l111 le rc~l
! ...
�T2
rVRANETTJ..:
~
.\.11 faIt, diL l'archiviste en s'interposant, il y
a bwn longtemps que nous n'y sommes allés, en
excursion, qu'en pensez-vous, monsieur le curé?
- Mon Dieu, oui, bien longtemps.
- Et s'illlous faut attendre la fin de la guerre!..,
- Ce serait désolant! diL Liette. J'ai un tel
désir de retourner ~l Aiguebelette! Vous n'imagineriez pas comme je raffole d'Aiguebelette, monsieur le curé. Aller par chemin de fer, déjeuner
sur l'herbe, relour à pied par le col du Crucifix,
voilà mon programme. Qui m'aime me suive !
- Ça va ? faiL M. Daliot.
- Ça va, dit l'abbé.
- Mais quand'? demande Mme Daliot, accoutumée à bien faire les choses et pour qui ces
sorLes de parties équivalent à de vraies expédiliuns.
- Oh! pas demain, bien sftr, répond l'abbé.
LJ Il de l'es dimanches et sous réserve que j'aie
trouvé un remplaçan1. Mes paroissiens d'abord,
\'()llS comprenez,
LieUe déchante à ces muts el ne peut s'empêcher de faire la moue. Faire la moue lui réussit
Irès bien, d'ailleurs. La moue peut n'être qu'une
grimace, mais elle peut être aussi uue séduction.
- Bien la peine de prétendre que ça va, quand
ça va si peu qu'autant dire pas du tout! Vous nous
mettez l'eau il la bouche, monsieur le curé. 1.<;1
puis après, c'est la poire d'angoisse. Vraiment, cr
u'e:;l pas très charitable.
- Liette! murmure Mme Daliol. .. Ne répon
clet pas, monsieur le curé. Votre café va refroidir.
- Par cette chaleur! ... Anormale, cette chaleur, insiste l'abbé à dessein; et, jetant un coup
d'œil par la grande baie qui lui fait face: M)est
avis que nous pourrions bien avoir de l'orage
ayant ta nuit.
Tout alarm"e de cette innocente taquinerie,
Liette ne fait qt'un bond jusqu'à la fenêtre.
Un peu de vent c;ouffle ùu sud, par illtennit-
�CYRANETTE
1
\
•
tellces, el n'apporte que cles bouJTées de chaleur,
car il est brùlant et chargé de poussière comme le
siroco. Dans le parc, les ramures jouent languissamment de l'éventail, puis s'immobilisent com~
piètement, comme accablées par la lourdeur de
['air. Symptôme plus inquiétant ' encore: de
grosses nuées basses et sombres roulent sur la
campagne, vers le Nivolet, donl le cône semble si
proche qu'on croirait y atteindre en allongeant la
main. Mais le ciel n'est qu'une opale et la cime du
mont s'y détache neltement, avec sa croix lilliputienne.
- Eh bien? interroge l'abbé. Ce vieux Nivolet
a-t-il son bonnet?
LieUe se retourne en battant des mains. 1
- Nenni, monsieur le curé, et c'est un excellent signe, ne vous en déplaise.
- Oui, convient-il. Je me trompais, allons!
L'orage n'est pas encore pour ce soir.
Lentement, comme à regret, il achève son café,
en discutant de choses et d'autres avec l'archiviste
qui a la manie du paradoxe et qu'il prend plaisir
à tag uiner.
Les deux hommes sont aussi érudits et aussi
bons causeurs l'un que l'autre el ['on a fort à faire
pour mettre fin à leurs controverses politiques,
scicntifiques ou historiques. Mais ICllr marotte,
c'~t
le Granier et son catlc!ysme légendaire.
Celte célèbre montagne des environs de Chamhéry se feudit en deux ver~
le milieu 'du dou 'l..ièl11c
siècle, pour des causes encore mal définies, cl il
Cil résulta Ull énorme glissement de terres. Il y
avail, au pied .du colosse, IIllC [vallée profonde el
vaste, peuplée de gros houqjs ct de nombreux
hameaux. Tous furent englùulis par la prodigieUSE! :I.\-alanche. Et, depuis vingt ans, M. le curé
et M. Daliot, aux prises sur ce problème, font les
recherches et les études les plus savantes s~n
que
ni l'un ni l'autn: ait r~usi
il dlicouvrir l':lrgumt:nt
uc:cisi[ qui lui pt:J'mctlrait dt: pt:n;u:lder enfin l,·
�CYRANETTE
conlraui-:teur. Pour J'abbé, la catastropile serait
attribuable ;'( une fonte brusque des neiges, succédantà un hiver particulièrement rigoureux. Tandis
yue Nt. f)aliot soutient mordicus qu'elle n'a pli
résulter que J'une sc ousse sismique. Désagrégation des roches'! Tremblement de terre? Le Granier {Tarde son secret.
A
f~lVeur
d'une reprise d~ celle docte discussion entre les deux hommes, Mme Daliol s'est
arrangée pour suivre Lielle ct Îse qui sont <Jl1ées
mettre leurs chapeaux. Elles reparaissent bientôt,
raI issantes IColl\tes trois dans leurs robes claires.
Ainsi (( habi liée lI, Mille Dai iot rait l'efret d'une jeuJ\e'
femme, Jont elle;J encore la gràce et la rraicheur.
QlIilnu 011 parle d'elie à M. Je ctlré: (( Gennaine '?
dit-il, Mais c'est le printemps perpétue!!» Et c'esl
mieux qu'un compliment. Les quarante ct quelques années de Mme Daliot lui pèsent si peu qu'on
ne lui en donnerait guère plus de trente.
- En route, papa! articule Lieite avec aplomb,
Il e~t
l'heurt:.
M, le curé se lève brusquement.
- Je t'en prie, ma fille! dit Mme Daliot. Prenez votre temps, monsieur ,le curé, et ne vous
occupez pas de nous,., LicUe est insupportable,
Néanmoins, l'abM rait mine de se piquer,
- Du tout! On me chasse, ad ieu!
- Restez, monsieur le curé! s'écrie la cou pable,
Je ne recommencerai plus.
- Je file, mademoiselle.
Serait-ce sérieux? LieUe t'observe <lv('c émoi,
surprend un battement de paupières cl se met il
rire,
\'OllS n'èles pas fâché?
_
Moi? Pas le moins du monde.
Alors on sort ensemble?
OUI, dit Mme Dalio1, mais de grflce, lais-toi.
Tu nOlli; fais mal ü la tè1e.
'la
•
�(·YR.\ 'l ETrE
'5
Il
L'abbé, dont c'est le chemm, ne peut se dispenser de faire un bout de Conduite à ses amis sur le
quai Nézin. De vieux platanes y forment un long
el bas portique de verdure soutenu par leurs
troncs noueux et quasi humains qui donnent l'illusion de monstrueuses cariatides blanchâlres et
-:hevelues.
Ce quai borde la Leysse, torrent tantôt fougueux, gonflé de Ioules les eaux de la montagne;
tanlôt réduit à un mince chapelet de naques qui
se dessèchent dans son lit de béton, voûté çà et là
en tunnel sous les pelouses el les corbeilles de
jolis squares. En ce moment, ce n'est qu'un filet
d'eau et elle ne dispense pas plus de fraîcheur que
le feuillage terreux el étiolé des arbres, sous
l'arche desquels la poussière se rabat en trombes
et en remous.
Incommodé par la chaleur 'lue le coucher du
soleil ne tempère mème pas, M. le curé ne cesse
de passer sur son front moi te le large mouchoir 'à
carreaux dont il s'éponge. Des groupes qui nânent
le saluent respectueusement. Parfois d'autres promeneurs, qui se dirigent eux aussi à tout petits
pas vers la gare, lui clisent bonsoir. On cause un
petl et tout cela retarde encore l'allure des Daliol,
déjà trop lente au gré de LieHe, qui s'impatiente.
Ali coin de la rue Sommeiller, M. le curé prend
~n.
.
- Bien du plaisir, mes enrants! souhaite-I-il
uo brin ironiquement. Je regagne mes cimes. On
nc respire plus dans vos bas-fonds.
Pendant qu'il tourne par le pont du Reclus,
ùevant Notre-Dame, les Daliot conlinuent lqul
. liroit, s:lf1S 'le presser.
�,::;
rr hom( n.:uJe ne denwlIrer<l i 1 ~ 1 r place) lige
sa contemplation. Lietle, au (,;l)lltrain', viendrail à rencontrer un prince charmant, le prince.
il coup sür, ne manquerait .ras de la distin&"uer.
Du moins elle en est eonvalileue. Au reste, 11 ne
faudrait pas lui manquer et elle a horreur des
impertinents. Qu'un [a~
s'avise de lui décocher.
une œillade trop audaCieuse, elle le regarde SI
fi xement et de si hau t, avec tant de pudeur tranquille et de souverain mépris qu'il ne s'y frotte
pas deux fois. C'est ce qu'elle appelle « l'art de
(Tarder ses distances ». Et sous ce rapport, chape~onée
par elle, Nise ne craint rien.
- Nous en avons un succès, Nise! constate-t.elle.
Nise, Ull peu rouge, détourne les yeux, sans
relever la réflexion.
~n
'
) '111 \
- Il Y a un soldat qui nous salue, reprend
Lietle. C'est le sergent Lugon. Tu sais, le fils du
percepteur. Réponds-lui donc, Nise. Il est très
bien, le fils Lugon, et il a la croix de guerre ...
Tiens, le voici qui parle à papa.
Les jeunes filles s'arrêtent, reviennent sur
leurs pas, mais M. et Mme Daliot, au soulagemen t de Nise, ne cherchent pas à retenir le sergent qui, de Son côté, a la délicatesse de les laisser
poursuivre leur route.
Tout le monde n'est pas admis sur le quai de la
gare, mais LieUe n'a de cesse que M. Daliol,
lisant de toule Son influence et de toute son éloq uence" n'ai 1 forcé la consigne au profit des siens.
Cela fait, autre rencontre, plus mouvementée
t.:elle-ci. Une dame de la Croix-Rouge, personne
d'un certain âge, rondelette el sémillante, ~e
précipite vers Mme Daliol:
- Vous, ma chère Germaine! C'est le ciel qUI
\'ou~·
envoie! Nous voulons offrir le lhé fi ces
braves tommies et voyez notre embarras! 011 nous
;1 prévenues au dernier moment, rien n'est prêl,
cl c'est à ne plus savoir nit donner ùe I:J 1('le ... Ji.'
r~qlje"
VO'l sel'vil'PS,
1
�rYHANETTE
Le crépuscule, QOUCemelll, descend dans le
beau cirque que les montagnes dessinent autour
de la vieille ville. N'était cette température sénégalienne, l'heure serait divine. Pourpre encore au
couchant, le ciel s'irise merveilleusement derrière
la chaine, naguère violette, maintenant bleu sombre, presque noire, de l'Epine. Et voici qu'au sudest un dernier reUet de l'astre naufragé, une sorte
de rayon cramoisi qui fait t1èche, ensanglante le
chef tragique du Granier, cependant qu'en face le
Nivolet et son voisin le Revard se drapent fantômalement dans des brumes grisàtres où palpite
parfois la sourde réverbération d'un éclair.
,
- Eh! mais, il a l'air de se coiffer, le Nivolet!
remarque M. Daliot. L'orage pourrait bien éclater
tout de même!
Liette ne s'émeut pas outre mesure du pronostic.
On approche du chemin de fer. Si l'orage éclate,
on s'abritera sous le hall, voilà tout.
Cette sorte de philosophie a pour eüet habituel
ùe désarmer l'archiviste qui a eu soin, d'ailleurs,
d'emporter son parapluie. Aussi bien, ne s'aventure-t-on pas plus que les nombreux concitoyens
qui affluent du côté de la gare.
Toute la ville semble dehors et l'incroyable est
que M. le curé n'ait 'pas entendu parler plus tôt de
ce passage d'Anglais. Lui seul devait ignorer la
nouvelle, si l'on en juge par cette animation insolite qui rappelle celle des beaux dimanches du
temps de paix où, jusqu'à une heure avancée, le
bon peuple chambérien envahissait ses jardins et
ses magnifiques allées de platanes, illuminées a
giorno par les globes des lampes à arc. Mais ce
soir, ce peuple est mieux qu'un troupeau moutonnant derrière un autre troupeau. C'est une foule
silencieuse et recueillie, une foule qui ne rit pas,
crie pas, qui va dignement, gravement, .
qui
comme à une cérémonie. On est en guerrP. et on
va voir des soldats alliés, de braves troupiers britanniques. Les saluer. leur souhaiter bonne
ne
�rYR/!'NETTE
chance, c'est sans doule un plaisir, mais aussi
t'est un devoir. Ils ne s'arrêteront pas IOllgtemp&
- à peine quelques minutes. RaisQll de plus
poor les fêter un peu, ces garçons.
Bras dessus, bras dessous, couple charmant qui
attire tous les regards et les retient invinciblement.
les petites Daliot précèdent leurs parents, mi-amusés, mi-ennuyés de ces marques d'intérêt qu'elles
reçoivent au passage. Pas un jeune homme qui ne
les suive d'un œil langoureux. Elles sont si jolies!
Mais, comme toujours, c'est Liette qui l'emporte,
parce que, tout en ne faisant rien pour forcer
l'attention, elle ne fait rien non plus dans le sens
contraire. Elle se sait séduisante, ne le montre pas,
mais en est flattée. Au lieu que Nise, pour peu
qu'on la fixe, a vite perdu toute assurance. Outre
une invincible timidité, n'y a-t-il pas chez elle un
fonds de réserve, dont l'ombre estompe sa grâce?
Et cette grâce, celle plus vive et plus attrayante de
sa sœur ne tend·elle pas à l'éclipser? Fine peau mate
et rose; grands yeux bruns, arqués de sourcils fin s
et veloutés de longs cils; lèvres pourpres comme
un œillet frais éclos; petites dents éblouissantes
qui font étinceler ses sourires: LieHe est si belle
en effet. Trop belle peut-être. Non point sans
doute de ce que les mauvaises langues appellent
\( la beauté du diable ». On dirait plutôt la beauté
des anges. Encore ne faudrait-il pas trop s'y fier.
Liette, à vrai dire, n'est ni un ange ni un diable.
Elle est ce qu'elle est: un type intermédiaire entre
la coquette et l'innocente, entre la femme et l'enfant. Aussi n'a-t-elle pas une piètre idée d'ellemême et ce soupçon de vanité, qui transparaît
à la façon dont elle porte la tête, contraste avec la
chaste réserve de son aînée.
Si Nise était seule, elle ferait bien en sorte de
passer inaperçue. Sa figure calme, un peu mélansoliqul>, et sa modestie, si prompte à s'effaroucher,
ne lui vaudraient pas un sourire. Personne ne se
retournerait pour la voir' encore une fois; aucun
�CYR
A
~ET
r:
- \ 'olontitl's , répond Mme Da lio t.
- Puis-je vous être utile à quelque chose? demanùe J'archivi ste.
- Vou s , non. Un ho 111 me !.. , Mais les petites ,
parfaitement, co mme leur mère, et je ne les consulte même n as ,
LieUe se penche à l'oreille de sa sœur.
- Crois-tu ?, .. Gageons que c'es t pour nous
rai 1'('; rincer scs tasses !
'
- S o tt e ! dit 1 isc. Des I<l SSCS pOUl' des suld a ls l
- Ces Ang lais Il e sont pas ùes l7ru nçai s , El il s
(l!ll IID e !dk ha hitude du co nfo rt!
- f:h{' /. èux pe ul-é trc . En l' <l IUp J.glll: , ~' c s l
différent, e t je pl'l;su m e que le ur ( l[lI arl ») ùoill e ur
s uffire. Et pui s , quand o n devrait me tlre la m a in à
la [hUe, te croirais-lu déshonol'éc, Li e Ue ?
Liette pl'Otes le pou r la forme:
- Pas ~e moins du monde. A la Croix-Ru~c,
il n'est pas de vile besogne, lu sais . Ce yui
m'effraie, c'est une relégation dans le fond de
leur cantine ...
- Vous venez, mes petites ? hèle l'amie de
Mme Daliot.
- Oui, madame, crie Lietle sans grand enthousiasme.
Elle relient Nise qui va pour s'élancer.
- Ne t'emhalle clonc pas! Je te disais ... Ah!
oui, voilà ... Ce que je crain s, c'est d'être laissée à
l'arrière. alor'i gue je suis laite pour le front.
Quand on a des armes, on doit s'en servir. Or,
nous parlons anglais, nous. N,o us pouvons briller
comme interprèLes. Good evening, sir ! ... floui do
yOIL dO? .il cu,p of tea ? (1)
- bllle ! dit Ni se en riant malgr6 cIte.
Les larmes aux yeux à force de rire aussi, LieUe
enfin se laisse entraiDer vers l'ann exe du buffet,
aménngé en cantine el 011 Mme Daliot , 'occ uy>C:
d€j~,
{II
IXtll 10ir.
Jlhl llSie .
r Commt ul .. Ilt l.
vou,
'J
( Hl e tf(~·;
t
d, thé"'
.
�20
CY.RAN ETTn:
Son ilmie n'exagé rait pas. Rien n'est prêt, ni le
thé, ni les sand"wiches destinés aux guerrie rs
kakis. Heureu sement , M. le curé est bon prophè te.
Selon ses prévisions, le train des Anglais a du
retard. Une demi-h eure se passe sans qu'il soit
même signalé. Tant et si bien que le pauvre
M. Daliot, qui ne sait plus comme nt trompe r
l'attent e, finit par s'agiter nerveu sement sur le
quai, où il se voit réduit à faire les cent pas. ,
. Liette s'en aperço it,' au cours de ses propre s
allées et venues. Elle bourdo nne en effet de-ci delà, import ante et affairée, très fière du rôle qui lui
est dévolu et qui vaut infiniment mieux qu'elle ne
craigna it tout d'abord .
- Comme tu te tourme ntes, mon pauvre papa!
dit-elle à l'impat ient. Une chance , ce retard. Nous
autres de la Croix-R ouge, on le bénit. Il nous
sallve d'un beau fiasco!
Puisqu 'il faut en prendre son parti, M. Daliot
allume une cigaret te. En somme , il n'est pas seu 1
dans son cas. Et, rejoint par M. Noblet , le mari
de la grosse dame, homme bavard et renseigné, il
achève de se dérider ell s'entret enant avec lui des
événements de la guerre.
Tout arrive. même un train en retard. A On7:e
heures cinq, le fameux. convoi brûle les disques et
vient stopper à quai. Premiè re satisfaction, qui se
uouble d'un petit rait tont il J'honne ur de,>
tommies. Il y a UI1 momen t, ceux-ci s'accordaÎ('nt
encore tOllte licence, enguirl andant de leurs torses
puissants et de leurs faces hilares les portièr es des
'wagons, sur les toits desquels les plus turbillents,
téméra iremen t juchés, faisaient de la voltige. Et,
tous, en bras de chemis e, lc col échanc ré il cause
de la chaleur , de pousse r des cris sauvages qui ne
sonnaient qu'à demi comme des hourras . Mais,
subitem ent, un curieux phénom ène de bienséi1nce
collective et spontan éc leur a rendu leur Ilegrne et
leur correct ion c),.cmplaire dt: troupie rs hrilannillllcs. L<t raille roule encore que ct:s grands
�21
diables hurleurs et tapageurs ont repi~
lute tenue
impeccable. C'est que quelqu'un leur a crié:
4! Attention, les gars l TI )' :l des dames! » On est
galant ou on ne'l'est pas.
Sans précipitation, dans un silence, un orel rc
qui font honneur à leur discipline comme à leurs
vertus chevaleresq ues, ils descendent du train et se
rangent devant la rame, sur le quai. Ainsi la tâche
des dames de la Croix-Rouge et de leurs
auxiliaires se trouve bien simplifiée et, chargées
qui d'un broc fumant, qui d'unc corbeille de pain,
elles peuvent procéder en toute quiétude à une
distribution diligente et équitable du thé et des
sandwiches. Cette belle ordonnance ne nuit en
rien à la cordialité de la réception. Bu le thé,
chacun recouvre d'ailleurs ses franches coudées ...
dans les limites de la gare et du peu ùe temps dont
on dispo5e. Des groupes sympathiques :;e forment
autour d'interprètes occasionnels et plus zélés que
compétents. On cause comme on peut et l'on
s'entend de mème. Le détachement vient en droite
ligne d'Angleterre. Il se rend sur le rront des
Dolomites et comprend cinq cents gaillards rompus
à la pratique de leurs pièces avec lesquelles ils se
promettent de faire des hécatombes d'ennemis.
Liette rayonne. Elle est :t la fète ; elle s'en donne
il cœur joie. Après s'êtrc surpassée pour le servicç
- de.1J'- brocs de thé, plus trois corbeilles de
sandNl~he
en dix minutes; un record! - ne
rient-elle pas d'accaparer un jeune et beau lieutenant?
• Grand, distingué, plutôt sérieux, quoique d'une
amabilité charmante, cet officier a tout du
gentleman et doit ètre lord ou fils de lord. Quand
ellc s'est approchée. il parlait à Denise, restée
modestement à l'écart de la foule des soldats. Fort
en peine de se donner une contenance, Nise devait
souhaiter la fin de ce tête-à-ti!te, passablement
tlUbarrassaw.t pow' elJe. Telle fut ùu moin~
l'impression
Lil.!ttt:, qui jugea bon cle voler::t
ue
�22
C'YRANETTE
son se~our,
quoique le beau lieule11ant ne
l'assiégeât guère à vrai dire. Et Lielte s'y emploie
si hicn, y apporte tant de dévouement que
l'oflleier n'a plus d'yeux et d'oreilles que pour elle.
Ainsi couverte, masqllée, complètement évincée, Nise se yoit l'éuuite à écouter le babif
puéril de sa cadette. Chose curieuse, au lieu de
lui en savoir gré, elle lui en veul un pen. Avait-elle
lant besoin d'être prot<~géc
'! Pour Illle fois, clic sc
le demande. Ce beau grand garçon, ::;i simple et si
l'ourlais. l'intimidait-il bicn Lant CJu' cela? Elle en
doute. EL - IOle!. sa prfsn1l1ptio1J ! - ellt'
s'imaginc presq li ' qu'clic ;111 rail pli se tirer d'<, (raire
conmll' un
sans Lieite, dont lïnitiati,'(' Illi ~ause
\'ague sentimeLll de regret cl d'humiliation .
Pcu en clwl1t à Liellc, (lui ('sl loin de soupçonner l'étal d'esprit de son aillée. L'officier
p:1rI:111\. assel. bien français, l'enlrctien ne languit
pas et, avee elle, il n'y a pas de J1egme qui lienne,
la glace a lôt fait de fondre . Pour discret ql1'il
soi t, le beau lieu tenant ne peul que se mettre au
diapason. Questions ct réponses se croisent dOllc,
tous deux mêlant le français à l'anglais et riant de
leur accent ou de leurs pataquès. Au bout de
quelques minutes, on dirait qu'ils se connaissent
de longue Jale. C'est là, proprement, prérogative
de mondains. L'hahitude des sa lons n'est-elle pas
une seconde nature? Et si Liet le ne fréq uen,!': pas
encore dans le monde, la nature ehez elle supplée
;) l'habitude.
Bref, elle est ù son affaire.
Mais la halle est courte; l'heure s'avance el il va
l'allair se dire adieu. L'ofjicier s'cn avise et, avec
unc belle franchise gui n'exclut pas celte parfaite
délicatesse que 1'00 appelle le tact, il exprime à
LicHe le plai ir qu'il a eu de faire connaissance
nvcc elle et sn dGsolation de la qui1ter si vile. Mais
pCl\t-~n;
.oudrait-eJk hien lui faire l'honnelJr de
l'ngrécl' comme correspondant?
,Comment? minuudc-t-cllc, ravie :Ill lond,
�CYRANF:TTE
ql1oiljl1C perplexe. VOliS n';tle:r. p:1S de ll1arnlil1<'
'lui \ollsécrive? '
- Ni marraine, ni s1/fcetlw(.11'l, affirme-t-il d'un
accent convai ncanl.
- Oh! alors, je ne demande pas mieux, moi!. ..
VOLIS m'enverrez des cartes, dites? ... Des cartes
illustrées, en noir ou en couleur, peu importe,
C'e~t
pour un album. J'en fais collection.
- Promis, dit l'officier, Mais y aura-t-il un
accusé de réception?
Certainement.
- Merci, mademoiselle.
- De rien, monsieur.
Il lui tend un élégant carré de bristol dont elle
voudrai t bien déchiITrer tout de sui~e
la suscription,
mais qu'il lui paraH plus convenable de glis 'et
négligemment dans son réticule. Et, à son tour,
sans emb~ras,
tout naturellement, elle lui donne
son nom, son prénom, l'adresse de ses parents,
toutes indications qu'il s'empresse de noter sur
Uil calepin. Nise S'Cil montre légèrement scandalisée. A son sens, LieUe exagère. Elle ne devrait
pas. C'est aller trop loin.
- LieUe, murmure-t-elle, voici maman!
LieUe se retourne:
- Et papa!. .. Comme ça tombe! Juste le
temps de faire les présentations. Mon père, ma
mère, annonce-t-elle avec désinvolture.
D'abord, M . et Mme Daliol ne comprennen:
rien à ce qui se !Jasse. Les tommies se rembarquant, ils étaient en quète de leurs filles. Que
l'ont-elles avec cet officier et pourquoi celui-ci les
salue-t-il eux-mêmes si ostensiblement et si révérencieusement?
Plutôt interdits, ils lui rendent sa politesse. Un
coup de sifflet rait diversion. Le lieutenant saute
dans son compartiment et se met à la portière.
LieUe, sans façon, lui tend la mam. Le train
dém:lrre et la poignée de main se prolonge.
- LieUe 1 dil Mme ))aliot,
�Lil:t~
troltine le long <..lu yuai, tOllt prè'; lill
wagon qui rou.le. L'officier lui a. enfin lâchfi, k ,
doigts, mais continue de causer avec cUc.
- Liette! répète vivement Mme Daliot. Pl"end~
garde! Veux-tu bien faire attentioll à toi?
L'imprudente s'arrête, rose de plaisir.
- Oui, mère ... Farewell, sir! Good luek! (Au
revoir, monsieur! Bonne chance!)
- Au revoir, au revoir! répond le lieutenant en
agitant son mouchoir.
Il est déjà loin et LieUe aussi agite frénétique.
ment le sien.
- Vous tiendrezvotl"e promesse ? .. Vous m'enverrez des cartes?
A cette distance, il faut rugir pour se faire
entendre. Elle crie si fort 'que Je fracas même du
train et les hourras des hommes ne peuvent étouf. .
fer sa voix ... Il a compris. Il incline la tête.
- Juliette, tu me désoles, dit simplement
Mme Daliot avec l'indulgence des mères.
- Mais, maman, il n'y a pas de mal, voyons,
a11irme Liette. C'est mon filleul!
Et elle lui montre le bristol, après y avoir jeté
un rapide coup d'ccii qui lui a permis de lire, sous
la clarté d'une lampe à arc:
LIEUTENANT ROBERT vVELLSTONE
J 5·
Ré~
:ment du Royal Artillel'Y Corps
�CYRAN .n T!::
2J
ITI
Dans l'esprit de Lieue se font parfois de curieuses classifications qui relèvent d'une hiérarchie
h elle. Ainsi elle donne le pas aux militaires sur les
civils , notamment quand ils sont jeu nes et qu'ils
0nt un grade. Et, encort' qu'elle se défende d
mésestimer le moins du monde ses compatriotec;,
elle a comme qui dirait un faible pour les alliés,
parce qu'ils viennent de loin el qu'elle sc les
représente sous des couleurs plus romanesques.
A ce point de vue, les Anglai s ont toujours eu sa
sl' mpathie ct elle leur accorde une ceri aine prédilection.
Aussi, les jours suivants, toute à la pensée de sa
t'encontre de la gare, ne tarit-elle pas sur le
compte de son « filleul l' . Elle parle de lui en
toute assurance et en toute sérénité, comme d'un
excellent garçon, d'une vieille connaissance, d'un
ami de toujour , fidèl e, solide, éprolll'é . Elle se
complait à le décrire, à le prôner, à le porter aux
nues. Si aimable, si co rrect, si élégant, n'est-ce
pas une perle, un phénix, le plus racé et le plus
chic officier de l'année britannique?
Elle en prend :Nise à témoin, qui se récuse sans
se récuser, tout en sc récusant. Car Nise est de
l'avis de Marmontel. Peut-être a-t-elle ses prédilections, elle aussi_ Mais, âme délicate, ell e s'arrange pour les concilier avec les bieméances,
c'est-à-dire qu'elle les tient secrètes. Assez peu
rompue à cet arl, Lietle prenclle change et s'étonnc
que le beau Robert vVellstone n'intéresse pas
davantage SOit ainée.
garçon '!
- M:1is C'n{in, quc lui reproches-tu, le~
!tll dC'manclc-I-clle.
- Mni? Ahso ll ll1lelll rien.
�CYRANETTE
-
Il ne le plait pas?
Qui a dit cela?
- On le croirail, ma foi.
- Eh bien, on se tromperail, dil Ni'ie, llllsrrieuse, mi-moqueuse.
_. Jo. 1<1 bOl1lw bcun :! .l'ai pleine couti<lllCf' eJi
IOH jugement tll saÎ~,
el je serais navr ·e s'i l lui
r:'ait défavorabl . Ml". I{nberl p.,/ si bi en! .j l'omm/'
il faut!
Bref, il n'esl pas c.\.agér f dG dire qUè le b 'ail
lieutenant oc~upe
dans les p e n ~êcs
de Lietle 1'1 c-,'lue autant de place ' lue 1.t l1ouvellf' robe l IU C·
Mme Daliot, slir scs in s lallc .::;, "ient de lui ,'(ljl)mander pour !LI (èle de cbarité qui "a c Irc donne:,·
prochainement en yilk, au bénéfice des orphelins
de la guerre, cl où elh; clai 1 tenir rallg de chanteuse
et de quêteuse. Car il y aura cOllcerl et 1'011 dira
toutes sortes de chansons de soldats, anciennes el
modernes. Liette a fait choix d'un air qui date un
peu, mais qui, de l'avis unanime, n'en a que plus
de saveur. El elle le fredonne ,complaisamment, en
attendant, sans trop d'émoi, ia redoutable épreuve
de la scène:
J'ai pour amoureux dans la ligne
Un aimable petit solùat;
.l'puis vous a~5urc
qu'il est dign!:
n'faire battre un cœur délicat.. .
Ou'i1 e~t
gentil,
'Ion p'lit pioupiou!
C'e~t
mon chéri,
C'est mon bijou.
Bien astiqué,
l'ropr' comme Ul1 sou,
(,lu'i1 est gentil,
~\on
p'tit pioupiuu 1...
Une semaine se passe ainsi, puis L1ne autre, en
cssayagC's et ell répétitions. Mais au furet il mesure
r que le grand jour approche, il n'y a pas ;·1 dire, le
·,ouvenir de Ml'. Robert 'VellstÙJle recule d,
plu
~ t:=tl plus, à l 'b !l.:ière
~p la1J
des pléo,:,cu pJ.tlOtJ :"
�(\'P .. NETTT:
dL: Lietle. IJ" laLite cn est à sa nouveJle nJhL:. Elle
en surveille la confection avec tant d'a~siuté
Iju'elle ne peut vraiment pa,; S'O\XU pel" d'n ut I"c
,·llù<le. Cetl~
robe, d'Hl 1 lv style Illi ~I (ot.:: slIgg'::ré
P:I)" un modèle de la \ 'raie Mo,le de h11·i.-;, l'st Cil
ll10usselinc de soie blanche el toule simple, m;lis
d'une ligne, d'une élégance, d'un cachel bors pair.
Encore faul-il la réussir, la rendre tout à fail
seyante, el, snr cc chapitre, Licite ne transige pas.
La couturière le comprend el sc. voue [\ sa lùche
avec une conscience, un amour-propre, un arl,
bien faits pour apaiser les craintes de sa pratiquc.
hncore quelques peti tes relouehes, un peu plus de
« fronces )) aux: hanches, et de « vague )1 à la ceinlure, el cette robe-là liendra positivement du chef·
d'œuvre. Telle quelle déjà, l'lise la trouve ravissanIe. Mais Nise a loujoul"' peur d'ennuyer son
moncle el de sc rendre importune en exigeant de
lui un petil effort. S'il lui rial! d'êlre « fagotée),
libre à elle. Liette entend « s'habiller j'.
Faut-il convenir qu'effectivement Denise n'est
guère coquette'? En tout cas, mème à la vcille de
celle fameuse fêle de charité, où elle ne doit, il est
vrai, ni chanter ni même quèter, elle n'a pas
l'esprit à la toilette.
Que se passe-t-il en elle? Quelqlle.chose d'insolite ct que, toute la première, elle ne s'explique
rns très bien. Rêveuse au delà de l'ordinaire, bien
qu'elle le soit souvent, elle songe moins à demain
llll'à hier, moins au théiltrc municipal Oll Liette
compte éblouir la « galerie j) qu'à certaine g,lre
olt, certain soir, passa certain officier britannique.
Eh hien, oui, voilà. Nise songe à MI'. Rohert
\ Vellstonc ct, au rehours de Lîelte, pl LIS elle
va, plus cette songerie l'ahsorbe. En même
temps, clans le fond jusCjue-là un peu hrul11ClI:'\
de son âme, elle sen t éclore une ch:>sp pu I"t:
et ,Jouee comme un rayon de soleil printanier.
POLIr pal'ier .:Llir, le heau lic·t1tenant :1 [,Iii 1I1lt'
profonde imprcs,.iou ~lIr
~lt')
li C!1Ic.: .'Lll'Jl' ~1
�\
souvenir nostalgique dc leur urève cn lrC"j )(',
'I,tÏs d'autres èlémenl:; I) 'e ntr~
!i i e nt -i l ~ pa6 .-1 ;\11 '
le sentimelJt \.'omplexe ' lui la trouble mystéri<.:u'ement '!
Les façons cie sa sœur l'ont quelque peu peinée
el cette peine, qui de\'rait s'apaiser, s'aggr:l\ e
plutôt à la longue. Evidemment, J ulielte n\;s t 1':.l S,
.:omme elle, une pauvre brebis sentimentale, condamnée à laisser cie sa laine à toutes les ronces de
la route. Avec la bonne opinion qu'elle a d'ellemême, elle ne se gêne pas pour se mettre en
avant. Oh! sans penser à mal, car, s'il y a quelque vanité, il n'y a pas l'ombre de méchanceté
dans ses prétentions. Tout de même, il lui arrive
d'exagérer.
De quel droit a-t-elle si lestement évincé Nise
l'autre soir? Outre qu'e11e est la plus jeune, on ne
lui demandait rien. La discrétion lui était donc
commandée en l'espèce; elle n'avait pas à se mêler
de ce qui ne la regardait pas, ni à accaparer
:vII', Robert Wellstone qui, bientôt, ne s'étai t plus
occupé que cie son encombrante petite personn e.
Mais àqui la faute aussi? Nise elle-même n'a-t-elle
pas sa part de responsabilité dans J'affaire? Anraitelle dCt tolérer le procédé pal' trop désinvolte de
Liette? Il est nai qu'il lui était difficile de la
ra brouer devant cc gentleman. Par surcroît, ri en
ne prouve que LieUe eût accepté la leçon, Un sang
rebelle gronde parfois dans ses veines et alors elle
n'en fait qu'à sa tête. M. et Mme Daliot en savent
quelque chose, qui ferment peut-être un peu trop
les yeux sur ses peccadilles. Sans lui sacrifier précisément Denise, ne sont-ils pas persuadés, eux
aussi, de la supériorité de leut' benjamine? Il Y a
un peu d'orgueil paternel et maternel dans leur
aveuglement volontaire.
Voilà pour le passé et Nisc ne II'ouverail gui.:rc
de réconfort à s'y appesantir, car elle pourrait se
remémorer d'autres petits griefs contre l'innocent
égoïsme de sa SITur, Quanl à l'(l\l'nir, il rrc-nd la
�fol'1.11 Cd'Uti immense point d'inl l'rogalion. Mt. Ro·
bel-t \VeUstone s'est eng>3g(' à t'Cl-ire à l.il"tlr. Tiendra-toi! sa promesse?
Lei> premiers jours, quand Nisl: se posait la
question, c'était pour y répondre par l'affirmative,
et cette assurance n'était pas exempte d'une légère
amertume. Puis, rien ne venant, pas une carte,
pas un mot, le doute s'en est mêlé el dans son bon
petit cœur, craintif et tendre, l'appréhension fait
place à une espèce d'anxiété qui s'avive de plus en
plus. Il n'y a là, du reste, rien de contradictoire.
Après avoir vaguement redouté un flirt entre sa .
sœur et Mr. Robert Wellstone à la faveur de leur
correspondance de filleul et de marraine, maintenant c'est le silence ambigu de l'officier qui lui fait
peur. Que signifie-t-il et comment J'interpréter?
Mr. Robert Wellstone n'a pu se moquer. Nise ne
le connalt guère, mais elle ne lui ferait pas l'injure
d'un tel soupçon. Alors? ..
L'imagination de ln jeune fille s"enfièvre et
hli représente toutes les calamités susceptibles de
s'abattre sur un combattant. C'est bien toujours le
même état d'âme, puisql1e c'est hien toujours yers
l'officier que se tend sa pensée. Mais d'Olt vient
qu'elle porte un si vif inlérèt à cet étranger avec
qui elle n'a pas échangé dix phrases el qui, en ce
qui la concerne, ne s'est mis en frais d'aucun
engagement? Que ne prend-elle exemple sur
LieHe, chez qui un clou chasse si bien l'autre que
le nom même de ML Robert Wellstone ne revient
plus dans ses cOllYersations? Jusqu'à quel poin1 il
est déjà oublié d'elle, on ne le soupçonnerait pas!
Les Daliot ont lel1rbolle à lettres dans Je couloir
commun du rez-de-chal.lssée et c'est généralement
Nise qui se charge d'aller y prendre le courrier
après 10 Qassage du facteur, Or, un matin, elle en
J'dira un pli dont l'adresse, le 1imbre, l'écriture lui
causent une émotion qui n'est pas encore clissipée
quand, ayant regrimpé "escalier quatre à (qu:llre,
elle hèle sa sœur;
�( '':RI NF:TTF
.'0
.>
Lil:llt.:! ... Vite! Une lettre!
Lielle esl en train d'achever ~ toi let k, llpératloll
délic3teq n'elle fait souvent durer plul'\.jue ùe raison.
- Pour II1nï! demanùe-I-elk t'Il jetant lin çoup
d'q~il
criti'ille d,lOS son miroir.
- Dame!
- De qui donc '?
- Devine.
- Ma langue au chat.
- Ça vient d'Italie.
- Ah! dit tranquillement LieUe. Ce doit étre
de Mr. \Vcllstone.
Elle décachette le pli, cl'oLI elle extrait une carte
illustrée, Ulle vue sauvage des Doldmites.
- Oui, c'est bien de lui ... Tout de même, il se
décide! 11 y aura mis le temps! Enfin, mieux vaut
tard que jamais.
La « vue)) ne paraît pas l'enchanter ou tre mesure.
Des cimes neigeuses, aux arêtes vives; un paysage
<l lpestre et hivernal, on connait cela en Savoie.
Elle aurait mieux aimé clue lqu e chose d'inédit.
Au verso de la carte, huit ou dix lignes d'une
écriture ferme, aux grands jaJlbge~
aristocratiqucs. Liette IiI à mi-wi., devanl Nise, ql1l
l'écoule en s'agitant un peu:
« Mauemoiselle et honorée petite marraine, votrc
fIlleul s'excuse en toute sincérité de n'avoir pu st'
rappeler plus t6t à votre bon souvenir. N'en accl1sez que ses tribulations el les exigences d'un service qui ne le laisse pour ainsi dire pas respirer,
el ne lui refusez pas l'absolution qu'il sollicite de
vojre bienveillance.
«( Comptantrecevoiràson lourdevosnollvelles,
il VOllS prie d'agréer, mademoiselle el honorée
petite marraine, l'hol11mage dt' "'011 souvenir le
plus respcl~x.
Il
P.!:J. - Se" re'1pecls égall:'ll1enl L4Hn VOU", s'il
,"OllS
plal1.
1)
•
�CYRANETTE
.'"1
Liette lance un pelit éclat de rire sa rcastiLluc.
- Eh bien, 11011, franchement, ça ne me riait
pas, rtl':
~ l 1. .. Est-elle assez baroque, sa c<u·te, di ,.:
dOIlC, l ~i se ? .. Honorée petite marraine? .. Pourquui pélS C( gente princesse » ou « hall te ct três gr;l~ ,
ci('usc demoiselle )1, pendant 'lll'il y es t'!... Et pli
l:e lte ra.ÇOil impersonnelle cl' '"GUS raire ses c omplirI1p.nts, est-c asset l'raid, asse,: 'nrred, ;)SS"'/,
english 1 ...
Denise s'enferme daus tilt silence plein d'agil;Jlion, tandis que Juliette, d'ull geste distrait , Iai s:c
choir la carle dans un casier, sur le guéridon de Srt
chambre, 1\ ne délicieuse cha mh re tte de jenlle (illc;1
lits jllmealt"X ct il tentures blanc hes et roses, que se
partagent les deux sœurs ct olt lies sc retirent en
grand ll1ys tère chaq ue rois qu'elles ont quelque
chose à se confier.
Cinq minutes sc passent. Lielle, retournée
devant l'armoire il glace, se reprend il minauder en
fredonnant son cher refrain:
Qu'il est gentil,
Mon p'lil pioupiuu 1
C'esl mon chéri!
C'esl mon bijou 1. •.
-
Tu ne lui réponds pas?
l)f'ni:-;e.
-
ri ~ que
timidement
A qui?
- Mais à Mr. 'YVeUsto!ll:, ~a n ' doule.
Lielle sc récuse d'un mouvement plein de
'liignité qui ferait sourire Denise en d'aulres circonsta
~ ,
- Comment veux-tu? [\ Y a répétition générale cet après-midi, il faut hien gue je m'apprête ...
.Tc sais: notre comité et toi, ça rait deu '{. Tu es si
drôle! Qu'est-cc qui t'empèche d'ell ètre?
Kenol1çant à justifier son ab-;tcntion, Deni se se
l'enfonce dans une de ,'cs rèveries qui, dcpuj·,
'Juim.e jOl1r
~, rOll! (lIre à ':èS farmliel's qu'elle esl
1.' '1jlllll " d , IIl S
1;\
111IH',
El
1;1
jO\lll1(oC "'(' I1:1S"(, pntl!'
�CYRANEl'Tt
elle, à la maison. en menus travaux d'intérieur,
comme d'habitude, alors que LieHe, qui s'esl
joyeusemen t échap pée a près déj euner, ne ren tre q ue
vers sept heures du soir, peu donc avant que l'on
se mette à table.
Cependant, le lendemain, Nise essaie de revenir à la charge:
- Voyons, Liette, quel temps te faut-if pour lui
mettre un mot, à Mr. Wellstone?
Mal lui en prend. Liette a sel; nerfs en effe t. U1:'"'
anicroche imprévue. Elle <J cru découvrir. après
livraison, un léger défaut à sa robe neuve. D'après
elle, la jupe ne tombe pas I01lt à fa.it bien encore
f't elle voudrait la reporter chez la couturière.
Mme Daliot es t d'un avis contraire, et Denise .
prise comme arbitre, s'est prononcée dans le
même sens.
Agacée de l'insistance cie son al née, Liette la
rembarre donc sans façon.
- Flûte, là!. .. ES-,' a contente? .. Ma parole,
on n'a pas idée 1... Ne t'ai-je pas dit, mille et
mille fois, que je n'ai pas Lill instant il moï?
Réponds-lui si tu \'eux, à ce brave Mr. Wellstone, mais de grâce, ne me demande pas l'impossible, rends-toi compte que je suis débordée ...
Dé-bor·dée!
- Ne te fUche pas, répond doucement Denise,
Mais ce n'est pas à moi qu'il écrit, tu vois bien.
- Qu'est-ce que ça fait? L'une ou l'autre, c'est
blanc ct noir, noir et blanc. Et dès lors que je te
passe la main ...
Tant de logique ne peut que désarçonner Denise
qui n'a garde d'envenimer la discussion. D'antre
part, il lui parall peu charitable, pour ne pas dire
cruel, de refuser à Ml'. Wetlstone les nouvelles
qu'il sollicite si cOl1rtoi!'ement. Comment trancher
la diŒcullé?
Après mûre réflexion et bien des Msit:l[ions,
profitant cl'un moment de solitude, Denise C'nfin sc
décide:
�CY~ANET
"")
,).)
\
'( V(lU" ,~tes
fout ex,;u:;é , ..:her monsieur Wellslune. Si ("ourte Ci Ue' soit votre carte, elle a été la
bienvenue, car nous commencions à craindre que
les trop brefs instants qu'il nous a été donné de
p:l ssel' :lve..: vous .n e fussent sortis d e votre
rn6moire. Quand on est so ldat, 011 dl)it avoir tant
de ..:hoses à faire, taIlt de 11'<1..:as, [:Int de sou..:is !
« Merci donc d'une attention à laquelle nous
sommes infiniment sensibles, mes parents et moi, '
et croyez bien que notre pensée vous accompagne,
cher monsieur Weil stone, ainsi que tous nos
vœux ... »
Mais au moment de signer, sa timidité reprend
le dessus, elle laisse tomber la plume avec découragement.
- Non, de moi à lui, pas moyen décidément.
Que penserait-il? Il n'y comprendrait rien ou
serait capable de croire que je le joue. Dieu sait
pourtant... !
.
Elle soupire et saisit la feuille comme pour la
déchirer. A ce moment, elle se ravise:
- A moins ... Et pourquoi pas, somme toute?
Liette m'a chargée de répondre poureHe ... Ma foi,
tant pis, je la prends au mot.
Et bravement, elle achève ;
1(
Votre peli le marraine,
.. Juliette DALIOT. »
�TV
Il n'y a rien d'inéga l, dans leur durée mhthématiquem ent égale} comme les heures et les journées,
suivant qu'elles sont heureu ses ou malheu reuses,
vouées :au plaisir ou au chagrin , au travail ou au
désœuv remenl ,làla tranquilli té d'espri t ou àl'atten le
fébrile d'un événement.
Denise el Juliette , pour des motifs différents,
en font le constat . L'une dans l'expec tative d'une
nouvelle lettre de Mr. Robert Wellsl one, l'autre
dans la joyeuse impatience de son fameux concer t
de charité , trouven t le temps si .long qu'il leur
parait li ttéralcm en 1 ; nlermin able.
Enfin, pour sa part, Liette va touche r la
récomp ense de ses peines. La fète effectivement
tient ses promesses et lui procur e un franc succès,
tant comme chanteu se que comme quêteuse.
Le théâtre regorge de monde quand vient son
tour de paraHre en scène. Aux fauteuils ue balcon,
M. et Mme Daliot, très émus, osent à peine regarùer le rideau qui se lève. Quant à Denise, rouge et
pâle tour à tour, le sang lui manIe à la figure ou
se glace dans ses reines.
AIn. place de LieHe elle mourra it de peur. Jamais
elle n'aurai t le courag e d'affron ter tous ces regards !
Pensez qU'lI y a là M. le préret et Madam e,
M. le général de division comma ndant la place et
Madam e, toute:> les notabilités chambé riennes el
tous les officiers de la garniso n, sans compte r la
colonie étrangè re, ùes [taliens, des Belges, des
Anglais 1 Et tout ce monde tient les yeux fixés sur
Liette, légèrem ent inquiète au fond, mais qui
paie d'assur ance et ne cède pas au facbeux ( trac
deI> planches ».
1
Jolie
Ù
A·avil dans s. l'obc de mousseline, le
�CYRANETTE
35
(l'int frais comme une rose sans le secours du
crayon, elle sourît de toutes ses dents éblouissantes, quand, d'une voix claire, bien timbr':e,
lUusicale - peul-être uu tantinet tremblante pour
débuter, mais si peu! - elle chante avec accompagnement de piano:
."!l.i pour amoureux dans
13 ligne
!Jn aimable petit soldat
.l'puis vous lIssurer qu'il est di{;ue
n'felre bjltlre un c(eur rtélic t.
T~a
salle, ch' rmée, couquisp., écoute eu $Ilene ,
pllÎ6 éclat!' en bra\·os. Les applaudissements
redoublent guand LieHe s'incline avel~
gnh:e et,
.si M. le curé était là, il serait le premier' à convenir
{(Ile ceHè jolie chanson, qu'à part soi il jugeait
peut-être un peu leste, ainsi chantée ingélUJ1~t
ct artistement, valait bien d'être admise au programme. Par le fai t, elle em porte les honnel1 rs de
la journée, C'est de l'enthousiasme, de la frénésie,
de l'emballement. On bat des mains ft tant rompre; on crie ({ bis! H à tue-tète; bref, on fait une
telle o\'<ltion à LieUe qu'il lui faut reprendre le
dernier couplet et le refrain.
- nn triomphe! se réjouit-elle en quittant la
scène.
Oui, et ce triomphe, après la fète, se Iraduit
cm:ore par une pluie de compliment· 01 de félicitations q ni font se rengorger l'heureuse interpriltc.
Celle-ci les accepte sans fausse modestie. ElJe est
aux anges.
,
- Vraill1ent, vous avez été merveillel\se, ma
petite, lui dit Mme Noblet qui a chanté aussi ...
Radieuse, LieUe rentre au bras de 60n père.
- Hein, papa, lui dit-clle fièrement. J'en ai cu,
Ju succès! Au moins autant que Mlllc • 'ohlet,
n'c!>t-ce pas?
- Au moins, couvient san:> pei no M. Daliot.
- Elle chante poun'!nt bien, MWf Noblet!
lllllrUlure LICIIt:. Même, 011 1It: lt.l dirait l'a hl.,
�~tI
CYRANETTE
voir car elle est un peu forte et poussive. Quand
i'au;ai son âge, j'espère bien être plus minc~
.. Et,
entre nous, je crois que mon talent sera supeneur
au sien.
- Tu ne comptes pas te vouer entièrement à
la musique? dit M. Duliol, avec un soupçon
d]inquiétude.
- , Oh! non ... Il faut savoir varier ses plaisirs.
L'ennui ne naît-il pas ùe l'uniformité? Mais, vrai,
je suis bien contente de ma journée, papa. Juge
donc! C'est moi qui ai fait la plus belle recette à la
fjuête. Deux cent cinquante-sept francs. Il n'y il
que Mlle Yvonne Meris gui m'ait approchée.
Encore est-il qu'elle n'y a pas grand mérite. Une
fille de préfet, tu comprends; les ( officiels II sont
obligés de la favoriser ... C'est égal, termine Liette,
je connais un petit père qui ne dira pas que ses
filles ne lui font pas honneur!
Cependant, Nise, qui suit avec sa maman, médite sur les lenteurs de la poste par ce temps de
guerre el suppute le temps approximatif qu'il
faut à une lettre pour voyager de France en Italie
et vice versa. Cinq ou six jours au bas mot et
huit peut-être, sinon davantage, à cause des formalités mititaires. Or, il n'yen a pas quatre qu'elle
a écrit à Mr. Rober t vVellstone, sous le couvert
de Lielte. En admettant même qu'il réponde
tout de suite, sa réponse peuL donc se faire
désirer pendant quelques jours encore. Et c'est
long!
Si long, ell vérité, que Denise a l'impression
d'avoir attendu une éternité quand arrivent enfin
les nouvelles qu'elle souhaite ardemment. Bien
entendu, elles. sont destinées non pas à elle en
personne, maIs à Mlle Juliette Daliot, puisque
c'est Mlle Juliette qui a, soi-disant, accusé réception cie la carte. Et non moins logiquement, c'est
Liette qui décachette la <if;'conde missive de
Mr. Roberl vVell"tone. Elle Il1i parait d'ailleurs
moins <1 haroque » que la prelllière. El Nise n'y
�contredit ras qui lit
sœur:
ra~c1estl
l'épaule de sa
(1 Madcmoiselle ct chèrc petite marraine.
« Votre gentil message m'a très touché ct j'ien
remonté. Car je dois vous dire que toute la beauté
tlll ôel piémontais et,du pays qui m'environne ne
m'empêche pas de faire du spJrClt depuis que je
suit> sur 1(' front iîalien. La guet re n'aurait-elle
plus d'aUrait pour moi? Naguère, je Ini trouvais
nne sorte de chélnne qui, joint il j'idée que j'ai de
notre canse, m'aidait il en accepter philosophiqueIllent les lenteurs ct les ennuis. Voici maintenant
que je la trouve fade et que ma pensée se retourne
1l'Op souyenl vers tout cc que j'ai laissé de bonel dl'
cberderrière moi. J Téanmoins,eten dépitde toutes
le!'> vicissitudes cie la campagne, j'en reviendrais vite
;t mes heaux enthousiasmes du début si une svmpathie mutuelle et durable pouvait découle): de
l'inoubliable rencontre qu'if m'a été donné de
raire, un soir, sur le quai d'une gare, dans une
ville étrangère que je ne connais encore que de
nom.
« Puissiez-vous donc continuer à m'écrire de
temp en temps, chère petite marraine! Ne vous
désintéressez pas du triste Robinson que je suis
forcément ici, perelu avec mes pièces et quelques
pauvres tommies, parmi des glaces et des neiges
assurément admirahles, mais bien insipides en
somme dans leur immuable splendeur .•• Il
Delllse, palpitante, dit en s'efforçant de mesurer
sa voix :
- Cc.tte fois, j'espère' Ci lIr lu ne le plaindras pas)
Lielle. ct que tu ne le feras plus tirer l'oreille pour
dOllner la réplique à ton correspondant.
LieUe veut hi en cOI1Ycnir que cette lettre lui
p1atl assez. 11 y a progrès "lIr la carle, c'cst inrontestnble. cnçore ClIlC: le too. n'en soit pHS très ga i.
- Mais, 'ljo\lte-t-elle en riant, le moyen cie me
�"~
.)
CYl{ANETTE
rendre à ton invite, ma chérie'! Rélléchis, mon
écriture ne ressemble en rien à la tienne. A moins
de la contrefaire - ce dont 'je suis incapable,
lu as UllC si belle main! - j'ahurirais ML Robert.
Après avoir admiré ta cursi,'c, l[uel nez ne fer~it-l
pas, le pauvrB, deVôl1l1mcs palles cie i11011che !
- Alon;?, ..
Eh bieu, l'oJ1tiulJe !
- Tu a.,; çOl11/11enL:é, ma li~.
Denisc proteste pour la forme:, Sans grandr
COJlvictiou, ellç: se plaint d~l
rôle '11,1C llli ip1Pos r
sa sœl)r, Ce l'ole, jlU fond, ellc ne d~1al4c
pa~
l1ie~
qlle ùe le remplir. La preuve Cil est que, le
jonr mème J ayant capitulé Sllr toule la ligne, ellc
sC substitue une fois de plus à LieUe comme
correspondante ùu beau lieutenant;
,( Ma !:lympathie vous est tout
a~quise,
monsieur Robcrt. Vous l'avez eue spontanémcnt.
Il ne déppnd q lIC de \ DUS de l<l COl1seTYer . .le veux
dire qu'elle ne demeurera pas en restc avec l'amitjé
ylie vous voudrez bien avoir pour ll1oi.
(' 'Tous q li i faites la guerre, vous la trouve/.
faùe. Moi lilli ne la rain pas, je la trOllve horrible et
je me demande comment elle ;t jamais pu revêtir
quelque attrait à, \'05 yeu\.. li est vrai ctlle rien
nJarrête ceux ljlil on[ le cœur bien plac6 et il me
semble II lie, si j'étais lin hOlUme, je nç me consolerais pas d'èlre il l'arrière tanlque nous ne serops
pas venus à bout de ces affreux Allemands.
:;r'i Illrorle ! Quand je songe où VOLIS êtes, - et,
depuis qUe le plus fortuit des hasunls a fait se
croiser nos chem~ns,
jJy songe sou ven t, croyezmoi, cher monsIeur Robert, - je ne suis pas
tranquille. On parle dJune nouvelle ofTem;ive
Italienne. ()ue d'inconnu cl de dan~er
encore!
I~t-c
c ~der
au pefisi l\i~nH:,
ellt.œ mnnq uer ùe
confiance en 1101 re ,'au'>C, que d'aspirer COllljlK
VOII", plus .1I·d(!1/1 Ilwnt '[lI' ~n\lb,
dt [ouI\.: w<m
:'\l(Jt
~I la 1111 .tli calldltllfliq "'" .hTllhh ""l,,,
11\;,II'WIII,,·IIt;(· 1l11111;1I1ill.:'?
�<. VR\ ,l
l ~' ITE
I( J'igJl(JI(' v{Jlre religion, cher JllOllSicUl' R(,!J<.; I'1.
!Vlais, ou je Ille trompe fort, ou vous en a\'e,.t.'ulH,
et moi, catholique, c'est du fond de mon cœllr
\.fue je prie Dieu d'étendre sur vous sa proteclioll.
,( Bien aiTeclueusemenl.
« JUI.1ETTE,
)l
Le lieutenant semble prendre goflt aux exercices
épistolaires. 11 répond, poste pour poste:
I(
Chère mademoiselle Julietle,
,( Je suis anglican, mais Dieu est Dieu, el, quand
je serais athée, commenl n'agréerait-il pas les
prières auxquelles votre hon petit cœur veut bien
'''1'associer ?
« Mais, puisque vous êtes croyante, chère macle·
moiselle Juliette, pourquoi .parler ùe hasard '1
Le hasard n'est rien, s'il n'est la Providence, Nos
vies sont dans les mains du Lord et rien n'arrive
que par sa volonté, ettoul ce yn'il rail est juste el
bien. Si donc nous nous sommes rencontrés el
s'il en est résulté entre nous un courant de sympathie, c'est que cette rencontre et ceUe sympathie
étaient dans l'ordre divin des choses.
« Je ne me permets pasde conclure, chère made1110iselle Juliette, mais j'espère beaucoup dl'
l'aŒeclion dont vous voulez bien m'honore!". ElitIlle comhle de joie ct ne clou tel pas de b ferme
volonté qlle j'3i de 111' en monlrer digne.
« Votre reconnfJissanl t:l lid~t'
({ H,OHERT.
li
�v
Le 7 juillet de ce lragil1ue été 1917, les Daliol
dînèrent au presbytère. Il faisait si beau que l'ou
avait dressé la table dans le jardinet curial, sous
un pêcher taillé en tonnelle et dont les branch"s,
alourdies de fruits presque mùrs, retombaient
autour des convives sans trop voiler la doucc
lumière du jour finissant.
Tout en savourant les petits plats d'Agathe,
gouvernante bougonne ~ais
excellent cordon-bleu,
on ne laissa pas de babIller beaucoup d'un bout à
l'autre du repas. Liette plus que tout le monde,
comme chaque fois qu]il n]était question ni
d]histoire régionale ou locale, ni d]archéologie ou
de géologie, thèmes ingrats qui l'inspiraient
médiocrement et qu'elle écoutait sans aucune
espèce d'indulgence. Que la catastrophe du
Granier ait été causée, comme y tient son père, par
des infiltrations souterraines, consécutives aux
fontes des neiges ou par une forte secousse sismique, comme l'assure avec .llltant de conviction
M. le curé, qu'est-ce que cela pcut bicn lui faire
en vérité? Et il lui est nOn moins indifférent que Je
crochet de fer ~Ie l'antique rue LI LI Sénat soit ou ne
soit pas le même où le guet, au bon vieux lemps,
fixait la chaIne qui barrait chaq lIC soir la. rue J ui"crie. Parlez-nous d'une excursion à Aiguebelette!
Cda, oui, à la honne heure! SlI\·toul si le programlllt: -:omportc Ulle heure de callotage sur le
lac, avant d'aborder I)escalade du Crucifix,
par la vieille voie rou.laine - Via TOlHt.LUa, comme
dit l)archiviste - qm serpente jusqu'au col si haut
perché. M. Je curé sait ramer, père aussi, et leur
prudence rGpond de la sécurité générale. Avec
�CYI\AN ET'l'E
p:
~ux
pas d'inquiét.ude fl u\'oir; un1 danger de
prendr e un bain intempestif.
Ainsi discour t la bavarde, à batons rompus . En
revanche, Denise se montre si rêveuse, si distraite,
que l'abhé Divoire ne serait pas l'abbé Divoire s'il
n'en profitait pas pour la taquine r un tantinet.
- Eh bien, m;:tdemoiselle Uranie 1 Toujou rs
dans la lune?
Liette saisit la balle au bond.
- Dans la lune? Je vous crois, monsie ur le
curé! Elle n'en redescend plus. Voilà un mois
qu'elle y plane comme une âme essorée !
- Oh! alors, tâchons de la ramene r sur notre
pauvre plfnète ... Répond s, Nise, peut-on compte r
sur toi pour l'excur sion de demain ?
- Oui ... :pardon ••• quelle excursi on, monsie ur
le curé?
- Là! Elle n'y est pas, mais pas du tout!
triomphe Liette en battant des mains.
L'abbé , patiem ment, s'expli que:
. - Nous allons il. Aiguebelette. Train de 6 h. 32.
Juste le temps de dire ma messe avant de l'attraper. J'ai mis la main sur un prêtre séculier, un
hrave garçon , convalescent de Salonique, et qui se
dévoue à l'une de nos fondations sanitaires en
attenda nt de retourn er au front. Il se charge de la
~rand'mes.
- C'est que j'aimerais autant rester à la maison,
bégaie Denise. Je ... je ne me sens pas três dispose
en cc moment.
Le saint hOll1me ne cache pas sa déception.
- Allez donc arrangel' une partie 1
- Mais, monsie ur le curé, mon abstention ne
doit pas vons empêc her! Il ne faut pas s'occup er
de moi.
Est-ce bien l'avis de M. et !Mme Daliot ? L'abbé
les consul te:
- Qu'en dites-v ous? Ce serait domma ge de ne
pas emmen er cette petite.
- Baste! répond le père, si elle préfère rester,
�~'
,,'
CYRAl'iETT.I!:
llll't;lk reste! Elle ne s'ennui era pas l:hel nous,
Elle aime tant lire!
- Et écrire! ajoute perfide ment Lictle. Ima){inez, monsie ur le l:uré, que mon fllleui et elle
en rt:gle.
entretie nnent une ~orespl1\.bnc
le el baisse les
coupab
eune
Denise rougit comJU
retourn e vers
se
curé
le
M.
,
sement
Heureu
yeux.
Liette.
- Ton filleul '? '. Qu'est- ce à dire? Tu es clone
marrain e aussi, toi '?
Mais oui! VOLIS \'OUS rappele z hien. Cel
oflicier anglais que j'ai présent é à papa cl à
maman , sous le hall de la gare, le soir des
Tommi es. Un gentlem an, Mr. Robert WclJstOIlC,
du Roycû Artillery. Il m'a envoyé des caries
d'Italie . Je n'avais pas le temps de lui répond re;l
de notre fète de charité . Nise m'a servi de
~ause
secréta ire, n'est-ce pas, Nise '?
L'interp ellée demeu re lèvres closes. De nou\eau, elle se sent rougir jusqu'à la racine des
cheveu x.
- Tien,;! tiens! tlit ironiqu ement l'abbé. Et
ça contin ue?
- Il faut bien.
- Tu m'en diras tant! Si l'on joue aux Sévign é,
à Dieu ne plaise que j'insiste .
Et au soulp.g ement de Denise , gui est sur ies
épines, on change de conver sation.
Le lendem ainmat ill, dès l'auhe, grand bran\chas, rue Néziu. Debout la premiè re, LieHe s'el11presse de jeter Ull coup d'œil par la fenêtre ct
laisse échapp er l1n peti l cri désenc hanté. Le ciel,
si pur la veille, est nuageu x; l'air, frais; la montagne, nimbée de vapeur s.
t Le Nivolet a son boonet t
- Fl(~e
En saut-de -lit, ses deux longues nattes ramené es
sur sa gorge comme lin I( tour de cou Il, la jeune
hile va frapper ~ la pori!! de ses parents qui
L'()ttchent dans une chamh re l:otltigut:: il. \.1 chamhr c
,l('s dellx SŒU r5.
�C"YRM\ETTE
1.",
Père! Mère! On se lève "?
V Ollà! Quel temps fait·il? i1J leI logé M. Dabo!.
- Comme ci, comme ça.
- En ce cas, il n'y Cl plu q L1'à Y renoncer.
Mais LieUe n'a pas dit son dernier mol,
- EtM.lecllré?
C'est ce qui m'ennuie. Je vais courir lui
donner contre-ordre.
Dérangement pour dérangement, si on
essayait de partir tout de même? insinue Liette.
- Il ne pleut pas? demande Mme Daliot.
- Non, mère, et ça paraît se remettre.
- Soit! ESS3.yOlls, on verra bien.
M. Daliot n'a plus qU'à s'incliner. Folle de joie,
Liette bal des mains, gambade, valse, fail le diable
à quatre et entreprend le siège de Nise, gui ne Se
rend pas d'ailleurs et 90urit à la dérobée. Etre
un peu seule, ne pas avoir cetle folle de Juliette
sur le dos toute la journée, quel bonheur! Elle a
hesoin de se recueillir, de se consulter, Denise, et
non moins 'Ille sa SŒur elle appréhendait une :1l1Îcroche :lU dernier moment.
Le départ même des excursionniste::; ne la ras'iure qu'à moitié. Anxieusement, elle scrute
l'horizon. Quoi qu'en ait pu assurer LieUe, il ne St"
dégage gllere. Le soleil ne perce que pour repasser derrière de lourds nuoges qui dérivent I,.;n(ement du sud-ouest el qui menacent de crever.
Denise allonge le bras par-dessus la rampe du
balcon. Uue goutte d'cau s'écra e dans le creux
de sa main. Elle gémit:
- Ils sonl capables de raire demi-touf l
Une sonnerie en ville la rassure: les sepl ,,;oups
de l'heure. Il y a longtemps que le train doit ~In'
parti. Allons, bon voyage!
Sa toilette raite, la jeune Hile va entendre unl'
m,.;sse basse à la cathédrale ct revient s'installel
devanl la fellNre, à sa tahle à ét:rire. 11 n'y .1 pas
~'I dire, pont" elle, c'est une détente qui l'allège
ph rsi4lu.:men 1
el
mOfnlemen t. l)('s ~ C)ltr~es
du
�('YI~ANET
brise lui apportenl la fraîcheur exquise ù'uue
ondée bIenfaisante, les parfums de la ,ampagne et
de la montagne, ct les cris joyeu). d'une troupe
d'enfants qui, l'averse passée, vont s'ébattre au
parc. Un long moment, elle Je,meure, immobile,
regardant vers le pont du chemlll de ler.ol," plus
haut, plus loin, vers les penles ensolc~
du
.:"Iivolel, encore empanaché de nuages à sa cIme.
Puis, sa pensée vagabonde se calme ct se précise:
elle ouvre un tiroir el en lire ulle liasse de carlt:,
t;l Je leUres.
Ce tiroir est sa cachette; cette liasse, Son trésor,
car taules ces lettres sonl de Rober!. Progressivement, il s'y est départi de sa réserve. Dans les
deux dernières en date, ce n'est plus le gentleman
qui parle, mais l'homme. Cesonl celles-là' surtout
que Denise tient à relire, celles-là qui l'ont
incitée hier à décliner l'invite de M, le curé el, ce
matin, à se déroher aux suprêmes instances Lle son
petit tyran de sœur. L'une est arrivée il ya trois
jours. Elle 11 'est pas très longue, mais contient un
aveu qui est très net. Elle Jit :
Chère LieHe,
I( Permette!., je vous prie, que je vous appelle,
moi aussi, Je ce délicieux diminutif. De filleul à
11arrainL', la familiarité pourrait voUs choquer.
Mais moi, elle m'enhardit à vous ouvrir un cœur
qu'il ne m'appartient plus de VOliS fermer Jav;;l1«
tage.
If
Chère ,LieHe, dès notre première et unique
entrevue, SI courte, hélas, j'ai éprouvé une joie
comme une crainte, une crainte qui était
qui ~Iait
L'omme une joie. Comment vous dirc '! Vous m'atliriel el vous me faisiez l'CUl' lout ensemble. Ne
voyais-je pa:; en VOllS je ne sais quelle jolie petite
chose frivole el fantasque? Excusez ma franchise.
Je ne devrais pas appuyer et je serais au Jéscspoir
Je vous causer une peinc mème rétrospective.
mais il est de fait qu'i'! ce moment-là je.: doutais lin
�CYRA:-JETTE
peu 4ue vous pussiez être l'âme tendre et\sfrre à
qui je rêvais déjà obscur ément.
« Combi en ce doute était injuste ! Et combie n
eussé-je perdu de m'en tenir à cette sotte impres sion! Vos lellres sont venues, toutes imprégnées
de votre esprit, de vutre âme et de votre cœur.
Au travers d'elles, vous m'ète,. apparu e très différente du jugement que j'avais d'abord porté sur
vous. Je vous ai devinée et je vous ai compri se en
les lisant. Et le doute s'est dissipé, et l'impre ssion
est devenue si favorable qu'il n'y a plus eu que de la
joieet de l'amou r en moi. Et mainte nant, ô Lielle,
vous ne me faites plus peur du tout. Je vous connais, je "ous apprécie et je suis heureu x et fier de
vous aimer comme je vous aime, ardemm ent, passionném ent, de toutes mes forces, pour la vie.
Il
ROBERT .
»
« P. S. - Voulez-vous mettre le comble i:l ma
félicité? De grâce, faites-moi l'envoi de votre phot(.graphie en échange de celle qu'au risquc de
passer pour un fat je prends la liberté de vous
dédien ;i-inclu s. Je ne sais, mais j'ai idée qu'elle
me portera it bonheu r. »
Le post-sc riptum fait pousse r un gros soupir à
Denise, qui déplie la dernièr e lellre. Arrivée de la
veille seulem ent, celle-ci confirme la précédcnte
et n'est pas moins toucha nte, avec son pur parfum
de spiritua lité ct de nostalgie.
« Avant hier, LicHe, je vous ai fait, en tau te
simplicité, l'aveu Je mon amour. Aujour d'hui,
Jans l'attent e de votre réponse , voulez-vOlis sou!:'
frir les réflexions Ci ue me suggèr e notre cas '!
Voulez,volls me laisser philoso pher un peu à mOn
aise? J'y suis enclin parfois. D'un Anglo-Saxon
cette prédisp osition vous étonne peut-êt re. Raison
de plus pour m'expl iquer. Je vous connais. Conll;lissez-moi à. votre tour, chère petite 3.me.
Jt;; pentle !l la
1( Ce à quoi je pense est grave.
�CYRA
guetn' ou plu'ot à. ses c on
N ET~
_ équenc
e~ el il :,es répe 1 ,
cussions possibles. Fécond en biens .:omme en
maux, je pense qu'elle ne ti endrait pas taules ses
promesses comme elle a tenu malheureusement
ses pires menaces, si, entre autres compensations,
elle ne vous valait pas, à vous Fra nçais, et à nous,
Anglais, une plus subtile et plus saine compréhension de nos natures respectives. Une glorieuse
« Entente », trempée dans le sang ct au feu de
tant cie batailles, fait déjà commlmier les deux
peuples par le CŒur. Mais il en est des nation s
l!oTîune des ménages: pour gue leurs alin~
ces soient viables, il faut que le sentiment
Cfuî les a inspirées s'appuie sur une estime réciproque. El comment s'estimer, même en s'aimant, si l'on ne se connaît pas? Et comment se ,
connattre, si l'on ne se voit pas, non commè nous
monlrent les apparences, mais comme nous
sommes uu fond? Et comment aller au delà des
app.arences sans dissiper d'abord les nuées qui
s'interposent enlro l'œil et l'objectif'l Ces nuées.
;) 'nollceléeH \.:omll1e il plaisir entre deux grands et
Iwbles peuples, la tempête qui souffle fmr l'Europe
les déchire sans doute Ull peu plus chaque jour et
les emporte lambeau par lambeau. Aux clartés
CrLlCS du grand drame, les ilgures se silhouettent
autrement qu'aux douteuses lumières d'écrivains
sophistiques ou sarcagtiques. Voyez Stendhall
Qu'a-t-il voulu retenir de la joyeuse et loyale
Angleterre étudiéeobjectivomcnt? Cant et bashjulncss! IYro~
, risc
de moralité; timidilé orgueill~use
cl sOL1lr~ne,
voilà tout! Notre pudeur'? Un
VIce! Ettlne fausse honte notre discrétion! J'es
~
père que I~s
Français ont UIlO meilleure opinion
de I:\)US maintenant ct que de telles billevesées ne
sufltscnt plus il. leur édiflcotiol1 COn1tbc du Icmp"
de Stel~L,Ia.
Mais leurs }ÙtlX sc Sont-ils ouvert s
tout il. JOli? En sont-ils venu ' il. nous bien voir et II
nous bien comprendre'? NOl1s-mi'l11cs, est-cc ' \lIe
.mu; VOliS Compl'fllons bit 11 'l
�( ' ) RANETTE
\( Considérez, chère Lielte, en quelle lourde
méprise m'induisaient naguère, à rotre endroit,
mes préventions britanniques! La jeune fille française, que savais-je d'elle ayan t notre rencontre'!
Qu'était-elle pour moi, quelle falote petite chose,
quelle poupée mécanique! Et de nons, Anp;lais, si
positifs en aü'aires, si égoïstes même qnand sont.
en jeu nos intérêts privés ou notre grandeur
nationale, quelle singulière idée se font probablement encore la moyenne cie vos compalriotes?
Parce que vous aimez à rire en Frant:e, que VOliS
êtes liants et empressés, voilà nos puritains en
émoi et qui vans tournent en marionnette::.! Parce
\fue, au rebours de vous, nous sommes rorl pen
communicatifs, ct toujours sur nos gardes ave,;
l'étranger, c'est tout juste si l'Olll1e nous ignorait
ras autant que des Indiens on cles Chinois. L'An~rais
du home, combien de profanes pénètrent jus'-IU'à lui? Et, après tout, si nous avons trop le respect de notre vie priYée pour y introduire d'emblée tous venants, est-il bien sC1r que les vôlres ne
défendent pas aussi jalousement leur vraie inti milé?
« Ne vous lassez dont: pas de m'eut! clenir de
vous et de vos proches, peti te sweelheart. Je vous
en prie, parlez-moi longuement de volre bienaimée famille, de yOS amis, de votre bnn M. le
curé, en un mot de tout ce qui vous entoure et qui
vous tient. au cccllr el donl je ne sais rien encore.
E pliquez-moi comment on peut chez VOLIS être à
la fois si versatile et si constant, si timide et si
rtudacieu " si faible et si fort. Dites-woi bien tout,
ô mOn âme, que je comprenne toul et mieux 1 Je
n'ai presque rien Vil dc votre Savoie, traversée de
IJuit, à toute vapeur. A peine en saÎs-j qu'elle a
de belles montagnes el de beaux bois 'que Lamar.
t ine chanta. Dites! Avez-vous de verts pacages,
avec des saules qui bai~nel
dans une ca 1 claire,
('t de f!rands bCCllfs indolents, et d'agiles et hennisS:lllh\ ]rOllCYs? Voit-c)\1 luire, entre le:-. longuet.
herbes de vos l'uisSC:l lX, l';m.:-en-clcl ,.. rlif des
�•
cmANE TTE
truites? Vos arhrcs tlcllren l-ils la resll1c, el ,"os
landes Ic thym el la brllyèr c? Les soirs d'.hiver ,
quand le vcnt pleure et h urie, ou que la pluie bat
les tuiles sonores du toit, ave7.-VOUS de ces douces
réunion s qui rassem blent tour à tour le voisin ehez
le voisin, dans le sitting- room, où le thé fume sur
la grande table nappée de fraiS, avan t q ne la veillée
ne comme nce aux chants et aux jcux des jeunes et
aux soupirs attendr is des vieux? E.t le ~ilUnche,
après le sermon , dans la détente bIenfai sante des
âmes et des corps, entcnd- on l'allègr e carillon des
cloches paroiss iales? Et, q ualld tevienn ellt les
beaux jours, à la' brune, par les sentes discrète s,
entre les hai~s
de chèvref euilles et d'églan tiers, les
fiancés s'en vont-ils amoure usemen t vers le petit
oratoir e qui se cache sous la charmi lle Comr~
un
nid dn bon Dieu?
Il Si YOUS saviez, ô LieUe, si vous
pouviez seulement s,woir comme elle est pure et simple e\
belle, notre vie de gentlem en-fann ers, là-bas, dans
les Il South-IIal11s » du Devons hire! J'ai passé pJ.r
le collège d'Exete r, nolre chef-lie u de comté et qUI
est une très viei.lle ville, fameus e par le grand
nombre ~t
l'ancJ~eé
de ses églises, quoiqu e
tout à [ait « fashlon ahle )J. Mais ni Exeter, ni
Devonp ort, ni Darmo lllh, ni Plymou th mël11e, ni
en vérité quelque autre ville que ce soit du comté,
- qui est bien le plus pittores que et le plus savoureux de tous les comtés anglais - ne vaut !) .... ~re
cher petil Sidmou th, et son cie] si clémen t, el ses
env.irons si charl~nts,
où le myrte pousse en
pleIne terre et ou les champs rejoign ent les
gr(-\,e.::. C'est là que je me promet s de vou,> conclnin', ô J110n ;ime! Là que prient pour moi 111011
p<-n", 111<i mère, mes ::;œurs, dont VOIlS beret 'out
de suit aimée.. .
.
, u A demain , LieUe, je suis obligé cie VOIlS
qllltter. L'enne mi s'agite. On m'appe lle à la batterie, où nous devons toujour s être prêts pour \a
ri poste comme pour l'attacLUe.
�CYRAtŒTTI':
,( l\j'oubliez pas que j'attends un accusé de
réception à ma lettre d'avant-hier. Et surtout, surtout, par retour, votre chère photographie ... »
Sa lecture achevée, Denise prend le portrait de
l'officier et]e contemple longuement. Et voici que
ùeux larmes glissent le long de ses joues. Car
il est dans son cœur comme devant ses yeux,
et un remords lui vient du rôle qu'elle n'a pa~
craint d'assumer. A quel étrange, à quel fatal
malentendu aboutit l'innocent subterfuge des deux
sœurs, se substituant J'une à l'autre pour écrire à
Robert et Je laissant ensuite dans l'erreur? Denise
se voit prise à son piège. Quelqu'un l'aime, qu'elle
ni me aussi. Mais cet amour qu'ellc a fait naître ou
lJui du moins, sans elle, ne se [cü pas déclaré, ce
grand amour si probe et si confiant, il ne va pas à
ellc, mais à J ulietlv. Et il demande réponse! Celle
r6rtollse, peut-elle prendre sur elle de la faire, une
fois de plus, au nom de sa cadette! Le moment
n'est-il pas venu de s'expliquer? Mais, s'expliquer,
est-cc possible? N'est-il pas trop tard? Quel efl'et
une telle révélation produira-t-elle sur Robert?
Que pensera-t-il d'uu tel expédient? El que lui
dire, mou Dieu, que lui dire? Ceci, peut-être, pour
I:ommencer:
« Comme vous, mon cher Robert, j'ai un gros
aveu à faire, un aveu que je suis bien coupable de
ne pas avoir fait l,lus tôt. Vous croyez correspoudre avec ma sœur Juliette. Or, en réalité, c'est
moi, Denise, qui voue; ai toujours écrit. C'est donc
moi également qui ... Il
Mais non! Elle ne voif plS de suite acceptable à
cct exorde déjà baroque. Elle Imagine la ~lrpisc,
Iii douleur, le courroux de Robert, se croyant
joué, renonçant à lire le reste et hrisant là. Dame!
quel rourrait être l'état d'esprit d'lin garçon quise
'ieJ'ail per,;u:lJé qu'il :lime une jeune fille et ~ qui
�(YRAI ETTB
une autre jeune lille viendrait dire toui à trac:
Il Pardon, pardon, c'est moi qui vous ai écrit, c'est
donc moi que vous connaissez et que vous aimez. »
L'imbroglio, si étourdiment noué, il ne dépend
plus d'elle à présent de le dénouer. II lui apparalt
tel qu'il est, inextricable . Sous l'affligeante conviction de son impuissance, Denise songe à demander conseil aux militres de la liUérature qui ont
bien dCl imaginer une situation analogue à la
sienne et y apporter remède. La bibliothèque de
M. Daliol hospitalise les meilleurs romanciers el
les lI1eillellrs dramaturges. C'eslle momenl de la
mçttre à contri!?lltion . Avidement, la jeune fille
feu,illette dix volumes, vingt volumes, lant de
volumes qu'elle} gagne llne violente migraine.
Mais c'est tout ce qu'elle y gagne. Il ya bien unepièce de lhéâtre dont un des personnages se trou l'e
à peu près dans son cas: Cyrano de Bergerac.
Seulem ent Cyrano ne lui peut suggérer qne l'héroïque et fatal recours du silence:
Ah 1 que pour ton bonheur JC donnerais 1c utien ...
Quand même tu devrais n'cn Savoir jamais rien.
Mélancoliquement, elle répète les vers sublimes
el elle se demande avec désolation:
- Est-ce ùonc cela qui m'attend? Devrai-je me
sacrifier, moi aussi, et n'(:tre yu'nne malheureuse
Cyranctte
.~
�CYRANETTE
VI
Cette question n'est pas faite pour calmer la
fièvre de la jeune fille, ni pour lui remettre les
idées en place. Accablée, elle songe qu'il lui faut,
comme d'habitude, emprunter le nom de Liette
pour répondre à l'officier et, de plus, lui envo)er
le portrait qu'il demande et qui n'est pas le sien. 11
le faut, mais comment s'y résoudre? Enfin, après
un long débat, sa décision est prise: Robert aura
satisfaction, elle en passera par là.
. • . . . . • . Eh bien 1 écrivons·la,
Cette lettre d'amour qu'cn moi-meme j'ai faite
Et refaite cent fois, de sorte qu'ellc est prete
Et que, mettant mon âme à côté du papier,
Je n'al tout simplement qu'a la recopier.
Reste à savoir si elle t,'ouvent le temps de l'écrire
en toute quiétude. Elle Il trop hésité, eHe s'est trop
attardée à ses investigations littéraires, d'où elle
espérait le salut et qui ne lui onl servi à rien. La
journée s'avance et il pleut, de sorte qu'elle doit
compter avec un prompt retour des siens. Elle
essaie pourtant. Mais, tout à coup, ellc entend du
bruit sur le palier. On frappe, on sonne, on
l'appelle à tue-tête. Précipitamment, elle fait cfisparul1l'c dans son tirbir la lettre inacIlevée et va
ouvrir la porte du vestihule, qu'elle a eu soin de
\'crrouille,' en rentrant de la messe.
LicUe, crottée comme un barbet, lui saute au
cou:
- Ouf' je suis éreintce, ma pauvre chérie! Au
moins vingt kilomètres dans les jambes depuis ce
matin. Juge un peu. Mais quelle bonne journée'
Comme tu us penlu de ne pas venir avec nous r
-. I\ssliie les pieds,.r Il J1el1e 1 g~i ni Mme Daliot.
�CYRA~ET
Mon parquet! Tu l'~ranp:es
bier~
! Et ~Ol
para"
pluie, si tu le mettais à 1egouttOlr au heu de k
laisser faire une mare?
L'excursion s'est terminée sous une pluie bal.
tante. Néanmoins, à l'exception peut-être de
Mme Daliot, 011 rentre gais et contents.
- Eh quoi! Nise, pas même « mis» la tablt: '/
s'exclame M. Dàliot. J'ai une faim d'ogre, moi!
- Serais-tu plus souffrante, ma petite? interroge
la mère.
- Un peu mal à la tête.
Au fait, la pauvre enfant a totalement oublié que
l'on dlnerait, comme elle a totalement oublié de
déjeuner elle-même, la femme de ménage, qui
aurait pu lui rafralchir la mémoire, ne vel!,anl
jamais le dimanche. Il n'y a que demi-mal d'aIl.
leurs. Comme bien souvent, le soir, on en sera
quitte pour s'accommoder d'un repas froid. Et le
couvert ne tarde pas à l'tre dressé. Pendant que
Denise se charge de ce soin, LieUe va se changer.
Ce n'est pas trop long, car elle a hâte de rcjl.)indre
sa sœur, moins , pour lui donner lin coup de main,
;\ vrai dire, que pour lui narrer les mém.)rables
péripéties de la promenade.
Et d'abord, peu s'en est fallu que l'on manque
le 1rain. Même, on l'aurait manqué pour de bon s'il
n'élait pas parti avec quelques minutes de retard,
juste ce qu'il fallait pour qu'on saute en queue du
convoi, dans un compartiment de seconde classe,
à la portière duquel M. le curé, déjà installé, ges1iculait désespérément.
- J'ai vu le moment où il allait flOUS semer
malgré lui, ce pauvre M. le curé! Pense s'il se
tourmentait! Il avait bien envie de descendre.
Mais n'étions-nous pas dans un autre wagon'? Il
n'en était pas plus sCtr que ça et il ne vI. Jl1lait pas se
meUrt: dans Je cas de nous laisser part:r sans lui.
Le pis est que la pluie tombait déjà. Moi, je m'en
moque, de la pluie. Ce n'est pas comme mère. Si
on l'avait écoutée. on serait encore à l'auberge
�C.YHA.\ETTE
..
,
2'."'1
(!'Aiguebelette. Un drole de boucho!l, lu sab, tvut
J.u bord du laI'. On ::,'y et.llt cugouftrés, bien aise:,
d'y être au :'l'( . Et puis il y avait un petit vin blan'
ùont M. le curé a redemandé. Moi, je ne l'aime pas
beaucoup, le vin blanc. Ça ne vaut pas une bonne
orangeade. N'cmpèche que j'cn ai bu deux doigts.
Denisc sourit malgré elle. Quand elle s'y met,
cette LieHe, elle dériderait Ull convoi ü'enterreIllent.
- Tu parles d'une saucée! Ça piquait le lac.
110c ! 110c ! pas moyen de canoter. Une seule yole
à l'eau et, dedans, un 1 etit monsieur a\cc sa petite
ùame, tous deux en waterproof... Mon Dicu, que
i'ai ri! lis barbottaient, ils s'ébrouaient, plouf!
plouf! de vrais canards. Finalement, ils y ont
renoncé. Leurs têtes en cherchant refuge au boul:ho!1, non, tu n'as pas idée! Ils se sont fourrés
dans un coi n et ils ont feuilleté u 11 vénéra hIe album
d'images. C'était d'ull comique !...
. - A tablcLintcrromptM. Daliol.La mùntagne,
l'len de tcl pour vous mettre Cil appétit!
- Oui, pèce, je raconte nos aVt.:nure~
~l )lise.
M. Daliot hnusse les épaules.
- Veu.-tu l'intéresser'! Park-lui plutôt Je
ce~
te belle eau dormante, si floue parfois, à p inc
gns perle, ct parfois si vive, si miroitante, si ril.:hement nuant:éc de turquoise ct de héryl. ..
Sur quoi, en verve lui aussi, J'archiviste entreI?renù de décrire le tableau qui lui est apparu à la
laveur d'une éclaircie.
C'étnit de tout là-haut, près clu col, avant de
dévaler l'autre versant Je la chaIne. Une bourrasque
vennit Je nettoyer le ciel; elle rabattait vers les
montagnes de l6gers charrois de nuées et, dans
l'air redevenu transparent, ces pâles dragons de la
tempètc fuyaien t il \ la débandade, puis s'engOUffraient, horde après horde, entre les tours et
Ic.>-' ...locht.:tons Je l'Epine. Le soleil triomphait ,.il
ùorait le bc; il régnait sur les collines et les bois; il
révélait la splendeur jnsou.)~ée
Je mel''Veilleu.
�rv RA N r:TT I~
lQintains, fouillés, ciselés comm e dpc; fonds de vj~u'
rétables ...
Maistoutce beau ly'rislUt:: de M. Daliot n'aguen;
de succès près de ses filles, dont l'une pense toujours i't Robert et dont l'autre ~ tant de choses i't
dire encore.
Dans leur chambre commune, après dîner,
J ulietle s'en paie à cœu r joie:
- Et toi, chérie, qu'as-tu fait de beau, seule,
ici, toute la sainte journée? As-tu écril à mon
filleul, au moins?
Deni,;~
ne peut que secouer la tète.
- Tiens ! 1iens 1... serions-nous en froid '?
insiste curieusement LieUe.
Quelque peu agacée, Nise a la riposte plus vive
que d'habitude:
- Pourquoi veux-tu?
- All right! Mais remontre-moi sa photo. Je
ne sai5 pas, elle ne m'a pas paru lrès réussie, A
mon avis, il est bien mieux au naturel.
Denise :s'exécute bon gré mal gr6. Juliette ex a,
mine le portrait de Mr. "\Vellstone, auquel, faute de
temps, ell e n'a accordé ql1'un coup d'œil assez distrait. Celte fois, l'examen ~st
plus posé, moins
'iuperficiel. Et le jugement y gagne.
- Mais si, c'est bien lui! se ravise-t-elle. Les
traits, l'expression, le regard m~e
et jusqu'à cet
air dc distinction Ci ui me plait tan t chez lui, tou t y
cs!. .. Ne trouves-lu pas, Nlse '?
Nise, décidément, est muette ce soi r. Elle s'en
lire par un gesle vague, aussi pel! 'exp licite que
peu compromettant. Lictte l'i1to"pr~e
J'ailleurs
~0I1e
un assentiment et continue:
- Une riche idée qu'il a CLIC 11'1, cc cher Robert.
D'un autre, ça pourrait parallre prétentieux, cet
envoi spontané Je photo. M.li" lui, il est si simple,
si droit, si bon Cl1t~n
! Il n'aura songé qu'à m'èfl"(.;
agréable.
~I\e
se recueille un instant, puis déclare:
'- Tiens! si jnU1ais k me! marie, - c l jl' l'JI.; vois
�CYRA)\ETTE
pa:; pourquoi JC lin irais "ici Ile fille, - je. pre 11l1ru 1
quelqu'un comme lui. C'est tout à fait le genre
d'homme qu'il me faut. JI enlrc dans mes idées,
quoi! Il répond à mon rêvc.
Elle dil cela très sérieusement, tout badinage à
part; mais Denise en souffre plus que si elle per:;iflait.
_ A propos, reprend-elle, que Llevienl notre
commerce, belle épistolière? .. Dire q1ic je ne
décachelle même plus les leltrcs lj u'il m'envoie!
_ Parce que tu le veux hiell, répond un peu
sèchement Denise.
_ TYac.:corJ, et je Ile tc reproche rien, chérie.
plus que ça !
_ Il ne mantl~ri
Du COllp, Lietle se rebiffe :
_ Quel Ion est-ce tü '1 •.• V ra:, Denise, lU C~
d'une humeur. ce :;oir.
La pauvre enfant lulle avec elle·même. Su
bonne nalure l'emporte el elle embrasse sa sœur:
_ Ne fais pas attention, LieUe.
Lielle se montre magnanime:
_ Bon! Je nc demande pas mieux, moi ..Mais
,(u'as-tu? Voilà ce que c'est de sC claquemurer il
la maison. On s'y eunuie, on broic du noir cl on
devient grincheuse commc une vieille chipie.
Denise est bien près de pleurer.
_ Je suis si ennuyée!. .. Lis, tiens!
Sans trop s'y appesantir, LieLle parcourt del1x
ou trois lettres. Les suivantes rclicn!1ent davant<lge son attcntion. Elle s'attache mèmc aux dernières, riant parfois, de son Tire si gai, purrob
(rès grave el dodelina Il ( clignemen t de la t~c
:
_ Veux-tu ma façon de penser? .. Il esl déliLICUX, noire filleul! Mais. ~e
reprend-elle tout à
(OUP, qu'est-ce que je dIS. notre tilleul! C'esl
notTe amoureux qu'il faut dire.
_ Hélas! pense Nise.
_ Et moi qui, sottement, croynis ~ une amu~ct,
:i. lin flirt sans constquence'l Mais, Ni<,c,
('CSl llone ,>l!riCllX '?
�.... 1;
Ci."RA1\·E"r JE
- Trop sérieu \, Lieuc. Je ne sais plus comment
l;lirc . 'Ill dois comprendre mon emharras.
LicUc réfléchil. Elle ne réfléchit pas Souvent,
mai" ses médita1ions lui réussissent presque
loujours.
-
Oui, convient-elle. Peut-être n'aurais-je pas
gl~and
temps
d'aviser.
dn te passer la main. 11 est temps,
Ce préambule ne rassure pas précisément
Denise, mais LieUe, elle, est pleine de confiance
en soi.
- Ne te tourmente pas, va! dit-elle, d'un petit
ton protecteur. Tout s'arrangera: ,je vais}' mettre
bon ordre. Une réponse tapée. Sur brouillon,
s'entend, à cause de l'écriture. Tu recopieras. Et,
puisqu'il réclame mon portrait, à cor et à cri, eh
bien, soit, je le lui bombarde! Que veux-tu? Il
m'envoie le sien. Donnant, donnant, c'est bien
SOn droit. Justement, j'ai une assez bonne épreuve
qui a été prise le jour de notre fête de chari té. Il
ne s'en plaindra pas ou alors c'est qu'il est bien
difficile. Tu mettras, en manière d'hommage :
ft
A mon cher Robert. -
Lovingly".
Voilà bien ce que craignait Denise. Avec Lielte,
c'est tout l'un ou tout l'autre, l'indifférence ou
l'emballement: il n'y a pas de m;lieu.
- Ne crains-tu pas ... ?
- Quoi?
- Mais ... que ce soit excessif?
- Excessif! quelle idée, Nise? Je lui plais, il
me plaît, il s'est déclaré: pourquoi tant de façons
entre nous? Si lu crois que papa et maman seront
fàchés 1 Notr~
dot n'est 'pas si lourde : vingt
malheureux btllcts de mille! Et c'est un richr
parti. qui s'ofr~
lil, un. pil rti inespér<.'. Song(,
.:béne, ces offiCIers unglul<, mais cc ~onl
tous fils
de famille et cousus de bank-nOIes! Et quelle
éducation! Quelle. di~tnclo
1 Quelle él~gance!
Robert surtout. PUIS, Il sait le français et il l'ér.rit
presque aussi bien que llloi. I111'a PlS de mal, du
�( Yl<.\ . El fE
L es le ttres n ' VIII joITlais ~t é 111') 11 ff)lt , dit
Lie tlf. f'u .:h<\nt ée dc son leu de m o : ~ .
Denise, ell e , ne rit )1:1: . Elle ~olre
du puénl
ycrbiage de sa cadette, qui batit déjà for.:c
.:hàteaux de cartes :
- Quand nou s seron
~ mariés, ln sais, je compte
hil!11 nt: pas prendre racine en Angletern:. TH
viendras nous voir el nous retournerons souvent
cn France. J'aime tant les voyage~!
Surtout par
eau! La mer ! Tu te rappelles l'été que papa nous
a emmenées à Nice? Cette Méditerranée, c'est s i
hean! Enfoncé, Aiguebelette!... J'attendrai la fiu
J e la guerre, par exemple. Nous vois-tu torpillés
loin de la côte? Sans doute, il y a les canots et les
ceintures de sauvetage. Tout .de même, je ne m'y
fi erais qu'à moitié.
•
Sur cette réflexion judicieuse, LieUe se décide à
prendre la plume. Pendant quelques minutes, elle
la laisse courir el 1'011 n'entend plus que son léger
grincement sur le p apier. ?'lise allend, mal à l'aise,
pleine d'inquiétude. Que sera-cc quand LieUe,
trt:s fière de son improvisation, lui en donnera
lecture "!
J"" t.G.
:~i )l "
rnel
({ Très cher Robert,
« Merci, mille el mille fois, pour votre portrait,
qui est on ne peut mieux réussi. Denise l'admire
l' omme moi el est d'a vis qu'il ne pourrait être plus
ressemblant, ni plus vivant. Aussi vais-je m'empresser de lui donner un joli cadre pour le mettre
slir ma cheminée, avec ceux de papa el de maman .
,( Votre aveu ne m'a pas fail moins plaisir. Je
s ui ~ ravic de la honne opinion que VOLIS avez d e
l1loi cl du ;,cntiment que je vous inspire. Senlimelll
r é ~iproque,
rassureZ-VOliS, trt:s ..:her H.llber!. S i
j'i)cI:Upt: ulle pelite pla~c
dans votrt:: ~Q'lIr,
cru Yez
Il li e VUII S en ()~cupt:z
IInt: bien grande dans le miel!.
Il Il Y 3, il eat vrai, nos familles . Mais je ne crois
pas que nOliS ayons à. craindre qu'elles contrarient
1O~
priljd s. Ou je me trompe forl ou Ill es r a re nh
�Irr0111 bUll J\~ciel
i:l votre demande, quand ·... 11·;
jugerez convenable de leur écrire. Et cc que VOliS
me dite~
des votres me fait bien augurer de leur
sympathie. Il me . cmble que je m'entendr;li r~lci
lement uvee eux, et mon seul regret e t de ne
pas les connaître encore. Mais, comme \' OUS le
dites, très cher Robert, patience! cela viendra!
Nous en reparlerons, n'est-ce pas? Car je serais
bien dupe et bien Llchéc, si je ne vous revoyais
pas avant peu ct, de toute façon, bien avant la fin
de la guerre. Il faut vous arranger pour revenir à
Chambéry le plus tôt possible. Je vous montrerai
la ville et les environs, et VOLIS ver~
que notre
Savoie n'est pas indigne de \' otre Devonshire.
« C'est entenùu? A bientôt donc, très cher
Rohert, el le meilleur, le plus tendre souvenir
de votre
•
« LŒTTE. )1
L'auteur commente d'un ton satisfait:
- Tl! vois? Pas plus sorcier que ça 1. .. Toi, je
~ais
bien, :'-!ise. Ce n'est pas la même chose. Ton
mtérêt n'est pas en jeu. Alors, ces réponses-là te
donnent trop de tintouin.
Une phalène entre pur la fenèt re et stupidement
tourhillonne Ulltour de l'ampoule électrique. Lictte
se lève avcc tant d'impétuosité pour la chaSSEr
qu'die renverse sa chaise. Fracas! Eelals de l'irl' !
Et lin!, voix sévère crie de lot l'hambre :1 côté:
- LieUe'? Est~ce
fini, tOltt ce bruit? Fais-moi
le plJi'iir d'éteinùre la lllmière et de nous laisser
reposer.
J
- Allons bOI1! J\lllrmUI\.! LiellL:. Et, pCIlt'h6~
l'oreille de ?t:nisc : ce <Jlll' j';Ji hille d'ètl't lJri~t'
pour pOllVolrme L:IHtc1!Cl':C mon helll' , !. .. Enfill,
je J1e :-euli.. pa~
la l'ontran '\', cetlL' j1i.111VIt; mère ...
Bonson • .:héne. Tu pen 'eta i.I mun uff:l.În=, di,!
Al'nt~:
((.li, il
faut "lue J;) lellre parte. ave..:
rn;1 , photo. p"r le l retnit.:r l")LIITit l' d l)l.lÏn
III tlf\.
.
�CY.RANET~
VII
Depuis tiue1yuc le1l1p , Denise ne dort guère.
la fièvre, je ne sal~
k ~hagril,
Cette nuit ~lrLout,
la tiennen t ilupla"
e
physiqu
et
moral
'luel tOUfrpent
entrf:! Sf:!S drap~,
tourne
se
Elle
.
éveillée
enl
l'ilblem
dan ...
ck compte r jusqu'à mille', de fi~er,
clle ~fi!';ac
ÏhvpnoL
arri\'er
nez, pour
le noir, le hOllt tir ~on
qui
,
Robert
de
pensée
La
il.
\1.ueI116nl an '5omme
l'aime en C1'oyant aimer Juliette , mais qu'elle ne
d
peut lirer cie so n erreur, ne lui rermet pa~
les
s,
éloigné
moins
repos . A interva lles plus ou
tjuarts, les demies , les coups de l'heure lui par\ iennen t Je diverse s horloge s de la ville. Elle rève
parfois tout éveillée ; et c'est comme un délire:
- Rohert ! Robert ! ne me \ iendrez -vous pas en
Dès votre premiè re entrevu e avec Juliette ,
aide'~
\ OliS l'onc/. jugée. Vous m'avet. découv crle ensuite
~l (ravcrs mc!> lettres. Si intellig ent, si clairvo yanl,
,'omme ot ne .:ompre ncz-vol ls pas (lue nos deux
natl1l'c ' sont in.:omp alibles et que vous :1t1ribuet.
il j'une çe 'lui revient ü l'autre? Devine/.-ll1oi!
qui Cil appelle fi votre cœur.
Ecoute z mon cœ~lr
.k sui'i l'ùme quc vous aimez. N'aime z plus que
Illon ùmc !...
El ses lannes conlen t, cl ses soupirs finiraient
par réveille r LicHe, si LieUe ne dormai t il poingb
l'crm6s.
Le matin, râle, les yeux battus, Denise sc fait
peur Cjuilncl clIc sc regarde dam; la glace. Il 1111
fallt, rour f(\pn'n drc figure, ~e haigner les tempes
;, l'cali fJ'oide, puis ;) l'air vif qui descen d dt> lot
\1lfll1tngnc. Cola lui ,ôus ... it si hien qu'elle trouve le
,oum!;;/: dt, teuir la PIOllWS &( l'lIit!, ;) ' 0) ;0 ur. S, ,
ur',
1 (les t dfliH· l'II ~<m'
" ,n 'l n;.H,1 qu'il
.1
'1Ilt'
''lIl
1'
:1I11"I,I'S
d
Il';dli 'Hl'i, t'lit:: s'aI'l ,1!lW'I':'
�CYRANETTl;;
copie ne respecte t{ue jusqu'à un certain poin t
l'original, dor:t I? fon ct la. tournure ne lui plaisent
pas ct ne plaIraient cert~I1Cln
pas non,plus à
Robert. Ces phrases fn"oles, ce ton Icgcr el
suffisant contrasteraient trop avec les belles lettres
"raves ct a(fectllellscs de l'orticier et avec celles,
~i simples ct si touchantes, où Denise n'a jamais
mis que ce qu'elle a de meilIeur. Et ce n'est pas ce
qui lui coQte le plus, niais d'avoir à joindre à
l'envoi le portrait de Lielte. Encore a-t-elle eu soin
également d'en modifier la dédicace au préalable.
L'inconscience de sa sœur torture la pauvre
enfant qui se voi t prise dans un engrenage où il
...VIais qui soupçonne
lui faudra passer tou~enièr
son mal! Qui donc y compatit? A qui confier son
cas ':!t demander aide et conseil? A M. le curé?
Oui) peut-être, car il est bon et compatissant.
Pourquoi ne s'y résout-elle pas? Craindrait-elle
qu'il ne prît pas la. chose au sérieux?
Quoi qu'il en soit, les jours suivants, alors que
son chagrin va empirant ct qu'elle n'est plus
toujours en mesure de le cacher, au point que
M. et Mme Daliot commencent il s'inquiéter de sa
mauvaise mine, de SOn peu d'appétit et de ses
silences, LieUe continuera de ne s'apercevoir de
rien. Et comment s'apercevrait_el le de quelque
chose? Tout lui sourit, il elle; tout Iut réussit, et
elle est tout il la joie de SOn triomphe. Elle a fait
voir à ses parents la photo du lieutenant ct, maintenant, elle se complnil ;\ la montrer il ses amies
et connaissances. On l'en complimente tellement.
De l'avis .unanime, l'orrki cr est beau g-arçon ct
marque blCll • .M. le cu ré, lui-même, appelé il se
prononcer, convient de la chose et que Mr. Robert
Wellstone pourra Caire lin excellent mari.
- A quand vos noces? dem:tntle-t-il il l'intéressée. Pour après la guerre, je présnme?
- Pourquoi pas anx calendes? dit Licite.
- 1'11 es hi en press(>e rie nous quitter, ma
petite, fait oh<;enf>1" Mme 1)aliot.
�CYRANETTl!:
,JI
Mais non, maman, puisque, tant que Robert
ne sera pas libéré de ses obligations militaires, je
~ompte
rester à la maison.
- Ma is, est-ce bien le moment de te marier?
Songes-y, ma petite: un combattant.
Liette semble contrariée :
- J e t'en prie, mère!
- Que veux-tu, Juliette. il faut penser à tout.
- Oui, sauf à ça .. . D'ailleurs, lous les soldats
ne meurent pas â la gue rre.
M. Daliot juge bon d'intervenir dans le débat:
- Et puis nous ne sommes pas si avancés.
Avant de bâtir des chateaux en Espagne, ma fille,
il sied d'attendre que ce jeune homme ait demandé
officiellement ta main.
- Pouvait-II la demander sans m'avoir consultée
d'abord? rétorque Lielte. Patience, va! ce ne sera
pas long.
De fait, à quelque temps de là, M. Daliot reçoit
une lettre de l'officier. Et si ce n'est pas encore la
« demande» annoncée par Liette avec tant d'assurance, c'en est é\'idemment le prologue, car
Ml'. Rober~
Weil stone explique qu'il compte obtenir une permission, qu'il doit passer par Chambéry
pour se rendre en Angleterre, et qu'il serait
heu reux, à cette occasion, de présenter ses ci \'ilités à M . et à Mme Daliot . L'archiviste, se rendant
à l'évidence, admet qu'il ne s'agit plus de temporiser et en confère avec sa femme:
- Se fiancer en pleine guerre, drô le d'idée!
Mais qu'y faire '1 Si ce garçon aime Liette et qu'elle
l'estime capahle de la rendre heureuse, autant lui
qu'un autre, après tout.
Tel est bien au fond l'avis de Mme Daliot et, la
voyant à court d'objections, Liette exulte .
- Rohert va venir! Rohert va venir! s'exclamet-elle en sc précipitant au-devant de sa sœur qui
rentre d'une cOllrc;e.
1.:1 nouvelle br ltlc\(;l'sC Denise. Elle ell reçoit un
�CY1{ANETTE
lei choc llu'il lui esl impossible de ne pas accuser
le coup.
- Qu'as~l?
lui demande Lietle surprise de
cc désarroi.
- Mon rôle a été si ridicule! dit la pauvre
enfant. Jamais je n'oserai reparaitre devanl lui.
Lielle se met à. rire:
-. Grande niaise! Ecoute! J'ai réfléchi, moi, et
j'ai trouvé une explication qui a.rrange tout. On
lui dira que tu écrivais à ma place parce que je
me voyais empêchée de tenir la plume. Ce ne sera
qlJe demi-mensonge puisyue, Comme par LlU fail
exprès, je me suis coupé le pouce hier, cc qui me
prive <.le l'usage de mu main. C'est mêm,e bien
gênant pour me débarbouiller et me coiITer.
Denise ne trouve rien à répondre el va s'enfermer dans sa chambre. Elle n'en veut plus il celte
écervelée de Lietle - à quoi bon'! _ mais elle ne
peut s'empêcher de comparer leur sort respectif.
Si chacune était servie seloll Son mérite, les rôles
ne seraient-ils pas tout différenls? Quelle est la
cont ribu tion réelle de Lielte au sentiment de
Ro bert'? Sans doute est-ce elle CIu i a fai t le premier
pas, et sa grâce ingénument prO\Qcante n'a pas
été sans effet sur l'officier., Mais cet 'elfet même
était-il si favorable? Rober( d'instinct, ne s'in terdisait-il pas d'y céder? Il sc déll>lit <.le ln sirene.
Bien mieux: elle Ile répondait nullement ù ~on
idéal. Les quinze premiers jours, n'hésitait-il pas ;1
lui écrire et sa première carte n'était-elle pas
comme un cou r de sonde dans une flme énig-matil[lle, troublante, où il cherchait le reflet de l'âme
I"èvée'! Pour le rassurer, il a fallu les leUres de
:'\ise. Suns elle, qui s'cst si bien acquittée de sa
mission épistolaire, llui l'a tellement prise à cœur,
que serait-il <1dvenu d'un nirt vOl1é, dès le début,
:1 la méfiance et j'l l'indifférence'! Etait-il viable,Ulcloenl? Après en avoir fail LIlle amuselle,
./ulictt ';'011 ùésintélc '~;lt
El 'l\I;m~1
elle ~é fUl
lilI/III r e 1110111 . k:gère, l jl!illltl ellt Se LCloI i f al tachée
�[ \ I{,\ ' 1 1 1 1:
Robert , qu,llld Il lui eCll inspil L' dt l'atfecti on,
comme nt, réduite à ses seuls moyens , eût-elle fait
qui
éclore l'amou r dans le cœur d'un hom~ue
I1ltme,
ent
sévèrem
si
appréci ait si franche ment,
son insignif iance et sa fri,'olit é?
« Vos:let tres sont venues, toutesi mpr6g néesde
votre esprit, de votre âme et de votre cœur. Au
travers d'elles, vous m'êtes apparu e très différen te
du jugeme nt que j'avais d'ahord porté sur vous ... »
Qu'est- ce à dire, sinon que celle qu'il aimait n'était
pas LieUe, mais sa corresp ondant e, sa vraie
marrain e, Nise, Nise qui ne lui écrivai t rien qui
ne vInt du cœur.? C'est si clair, telleme nt probant qu'il faut toute la suffisan ce, toute la cécité
morale de Lieite pour ne pas s'en aviser et faire
cesser le quiproq uo.
Hélas, mainte nant, il est trop tard! Loin de
rendre à lise ce qui revient à Nise et Je renonc er
à Robert , LieUe tient un langage nouvea u et se
montre posiü,: cment jalouse de ses « droits ». Elle
exige lIes lettres de J'ofjjcie r comme si c'était sa
proprié té exclusi ve. Elle les lit avant sa sœur, au
lieu de lui laisser la mélanc olique consola tion d'en
respire r le premie r parfum . Et, sans rancun e,
sans colère, sans basse enyie, Denise ne s'en
ressent pas moins de ce bonheu r qui s'épano uit ù
ses dépens .
Elle aime! Et, qui mieux esl, elle a réussi à St!
laire aimer. Mais l'aimt:, mai:; l'<lllloureu x, lout
Lomme LieUe, .:ontil1ue d'avoir un handea u sur
les yeux. Malheurcl1'l(' Denise ! Elle n'est bien
qn'une Cyrane lle. Et elle l'est il <;on corps
défend ant. Cal' l'ahnGg:Jtion est involon taire dans
clic- ne S~
."Hl ca.." gllt. I\/'C rt:\olte pas, mai
, c'est
sacrifie
se
davanta ge. Si elle
rt:signe ~l('
comme
est
Elle
ent.
:lUlrem
tIll'dlt: \lt: peut faire
filles gui prennen 1 le voile et à qui il
,'C':> pauvre
manque fa vocatio n •••
j
�VIII
Sans précis/Ho autrement ,la date .de ~a vel~.
ML Robert Wellstonc a parle de la ml-aoû 1. DepUIS
{ors deux semaines ont passé. Le 15 aoû t approche: On y touche J?resque
Lietle,
tience grandit de JOu~
en JOur, ne salt que faire
Je Son importante petite pe.rsonne. Pour tromper
l'attente, elle échafaude projets sur projets.
Robert, suppute-t-elle, ne pourra faire autrement que de lui consacrer la moitié de son congé.
parties que l'on fera!
Les bonnes, les déliceu~s
~'est-c
pa~,
Nise? On Ira aux Charmettes, pèlede~
fian~és
chambériens. On
rinage obliga~re
ira aussi à Alx-Jes-Bums, II va sans dire et au
Bourget, et plus loin, si c'est posibl~,
à la
Grande-Chartreuse, aux gorges clu Fier tout au
moins jusqu'au Granier. Des amoureux' rien ne
les arrête. fis ont des ailes.
'
Des ailes! Liette est sûre qu'il lui en pOusse, cl
elle ne doute pas davantage d'avoir quand il It:
faudra, le don d'ubiquité.
'
~l
~ont
l'im~a.
Qu'i! Cst gentil,
Mon P'Ut piOUPiou
C'est mOn Cheri.
C'cst mon bijou ...
Tou t cela est joli, en erre!. Mais, avant dt: volel'
par monts et par vaux., dans le plus merveilleuA
pays du monde (nprès le Devonshire), ..tve..: le
~I /<0)'(1'. trtillcry, il importe Ut;
beau lie1~na\t
laisser venIr' t:eltll-Cl. Or, Il ne vient pas vite, Et
]lllis M. le curé s'en mèlc, tallUlIlallt Lielte, tjui,
il est vrai, ne s'en émeut pas beaucoup, Uu
anglican '! flem l A en croire l'abbé [);\,oire, ça ne
l'enchante guère. ~es
fiançaillcb_là.
�CY1{A~ET'l
E
Si Mr. W cllstone se l:ollvertiL, parfai t! On
s'cntendra sans peine. Sinon, dame, ce sera ri us
difficile .. .
- Bien, monsieur Je curé, répond tranquiUe
ment J'imperturbable Liette, j'en fais mon al1'aire.
- Oui, oui ... nous nc sommes plus en temps
de paix. Il faut être « large ). Mais si FUll de vous
deux doit faire des l:oLH:essions su r ce chapitre,
autant que ce ne soi t pas toi .
En réalité, le brave hOlllme n'est pas sans inquié·
tude. SlIrson conseil, avant tille les jeuncs gens ne
se soient formelJemcn L engagés, M. Daliot. en
répoudant à l'officier, a rait allusion à leurs
confessions respectives. S'y serait-il pris maladroitement el MI'. \lVelbtone, blessé ail vif de ses
sllsceptibilités religicuses, lui en garderait-il l'an,
cIlIle? Mr. \Vellstone n'a plus récrit en tout cas.
Et le temps passe, et LieUe se mct à bouder aussi
de son côté. Piq uée, elle entend demeurer sur ses
posi tions et ne yeu t pas que Nise fasse des avances.
La correspondance chcîme donc de part el d'autre,
ct M. le curé en tire d'asse], f.lcheux augures . II
n", a pas que lui. Que dire de 'ise?
Tous les matins, :\ l'heure du courrier, dès que
le facteur 'engage dans le couloir du rez·dc·chausont leur,; boites à lettres, la
sée olt les I()catir~
pau\'l'e enfant dégringoleLluutrc à quatre les deu:\.
étages de l'escalier. Et, challue fois IU'u n sou rd
grondement signale un train venant de Modane,
c'est un nouvelle émotion, clic se précipite li.
1;1 fenêtre. Le train rranchit le j1<1ssage il ni\ eau de
1,1 rlle Nél.in avant d'enfiler la prolonde tranchée
dll parc. Pressés allxporlières pOllr nc rien perdre
dl' l'admirable point de vue lju'oll're l'entrée de la
ville, les \"()\'agcurs entrevoienl la silhouettc quusin(oril:lllH' dl: celte jeunc fille qui Sl: penche :\ son
halcoJl, Et il } l'Tl :t ljui IHi sourit'nt L'Il agitant
gala III 111l: Il 1 la m:Jin. 1>111' n'l:Jl :1 cure, le regard
.!J"lu vers ces figures inconnues qni déliknt rapi~
del11cnt dnns SOI1 chnmr dl' visiol1, cherchanl,
"
"
�66
CYRAi\;ETTE
un espoir loujours déçu, toujours renaissanl,
le ..:her visage qu'elle ne distingue pas. Le lrain
prend la courbe proche de la gare, et on ne le \'oi l
plus, on ne l'enlend plus, que Denise, l'œil fixe cl
le cerveau vide, reste là, immobile, lournée vers
l'es l, "ers l'Alpe dont la barrière, celle Cois
encore, ne s'esl pas ouverte devant celui qu'elle
,1 ttend. Que devient-il dans la si procbe et si loinlaine Italie, qui pOlir lui n'esl pas le royaume dll
',oleil el de l'arrlOur, mais le pays des nelges et de
la morf '? Lc revoir OLl avoi r de -.;es nou\elles csl
son l1niq Ile pensée. Cetle ohsc:i~l
la laisse indiflërenle ~ lout le reste. La vic sans lui n'est pas lIoe
vic. Petits calculs, petiles occupations, peti!!;
:-;ollcis - loul r est si pelit!
- Le revoir, ne serail-ce llll'lIne hellre!
Après .. , elJ bien r c'esl vrai, tout serai 1 li ui. Mais
est-ce Ci LIe je serais plus à plaindre CJ Lle mainlenant?
El j'aurais été heureuse une heure!
<Juelquclois, elle a maille à partir avec Lietle,
qui peut d'autanl moins sc p8Sser d'elle qu'clic
mCIi rt eJi-tl1~
d'ennui.
- Enfin, Nise, qu'est-cc 'lue tu o.s '1 Comme lu
Cl> étrange ! ... Si lrislc, si fuyante, on ne dirait
plus loi!
- Mais non, je n'ai rien, prétend invariablo_
III en t Nise.
- Mais si, insisle non moins invariablemenl
LieUe.
Et Lielle 011 n:lêre à M. cl il MnlC ])aliol, '1 11 ';1lallllcill de plu!> cn plus les longues reverios dl'
Icur Glle ainlic, sc;; distractions continuelles ct
"urloull'espikc de bngllcllr qui s'en melc cl qui
les persuade CJ Ile sa santé n'est pas cc llu'cllc devrail
(;11'0. Dans leur sollicitude inquièfe, ils insislent
pOlir la conuuire au médecin. Ell e résisll', puio;
,'ède. J ollrcombledc malchance, l'homme de 1':1I't,
pren:lIll k· ~hauc
J'on tOlll pilrle Ut' ('11101'11
,1I1':Tllil' (l III é,:OIW,I' lUIt III ( Ih Till d
'1 lilllol
1~ hlll l ' ,III l',111 dl' I, Il,III1'he, ni, , 11r- ,,'111 l' d,Iii
a\"e~
�( \"I~
\1\1 I.T'I 1:
leur" ubslinénl"lll d'aller suhir le:; si" semaine' d\l
traitement.
Et li n jour enfin elle n'y tient plus. C'en (''il lrop,
cl puisque Lietle, par orgueil, s'entête dans son
veto, Nise passera oulre, prendra sur elle de
griffonner clandestinement ct uelq ues lignes à eelu i
dont sa sœur, décidément fi'oissée, en vient à ne
plus vouloir enlendre parler. Ah ! ce n'est pas long
et elle n'a pas hesoin de sc met! rc en frais de
style.
Elle est seule dans tia chambre. EUe peul y
exh:1ler lihrement le cri de détresse qu'elle retient
etl[u i l'étouffe. Personne, sauf Robert, ne l'entendra :
« Mon cher RoberL,
Que devenez-Ious ?
(( Pourquoi mes dernières lettres sont-elles
demeurées sans réponse el 01'1 en est votre projel
de VOLIS arrêter ~I Chal1l hér l en allant en Anglelerre'?
'
li .le Iremhle llLl'il ne VOLl'" soi,t nrri\'é <llIclqul'
accident.
•
<C De gn1cc, rassur<::/-mol!
r~endcz-m()i
la 1 ie !
li Votre pauvre relitt;
c(
LIETl'E,
C(
, l\~ais
d~s
sanglols la seco~lt
e~
el~
~?il
II
,s'en-
loulr le vIsage d:111s .;;es 1ll:1lllS. Lletll, lou)oltrs
Livllc! TOlljollrs cc n()m d'emprunl, celle !:lIlSSL
sigl1atllre qni lui Coll le comille UIlC. ;1j1os1asie! ~l\'
Ill; donncrall-elle pas pour' pOll\Olr lllelln: le Slell
'Ill h'lS dr' cette p;lge loute baigl~ée
de ses larl1les!
1 ~lk:1
dc pll1s noirs prcssenllll)('llls quc M. le
';1),(~.
Son imagination cnfié\rée l'el1lporte vcrs lc.:
11'011\ auslro-il'aliell, vcrs ccs cimes farolll:hcs des
Dololl1iles qlle l'of(jcier d6.:rivâil encore réœlll III n\ el qu'elle se r~pésentc,
telles qu'clips sonl,
"VI'I' leul's glaces ri I('urs nr.igcs jadis \':ergcs,
lLljrllll'r1'hlli Ir,\lIll'!> [~cl1h()J
~6cs
d'lin "':Ing .. én:-
�rYRANJ.:TTE
reux. Dire: ql1C Roberl Ll (!uitlé :ion ria ul cl ckmeut petit Sidmoutb pour ces mornes ct l) s tile~
solitudes! En reviendra-t-il jamai:-.? A l'heurv
'lu'il est, n'expire-l-il pas à J'abandon, sur quelq Ile
Icefield ou au fond cie quelque crevasse? Elle n
Ï>can fai!'e, d'affreuses hallucinations Je lui 11,1011tl'enl mourant de mille morts, lantùl surpris cl
massacré par d'implacables ennemis, lant6t balay'
par une avalanche avec ses hommes el ses pièces.
Et, chaq [Je fois, c'est vers elle qu'il se retourne
pour l'invoquer in extremis, pour lu i demander
pardon de s'être trompé, de n'avoir pas su deviner
à temps son amour et son su bterfllge.
Dieu grand! Serait-ce qu'elle ne]e devait gagner
que pour mieux le perdre, elle qui donnerait tout
ce g u'ellt:: peul donner, sa \'ie, son bonheur, si, il
ce prix, elle le pouvait sauver? Et, il genoux, elle
supplie avec égarement:
- On ! non, pas cela, pas cela, mon Dien!
\
�( ' YI{"L ' ETTE
IX
- r Deni!:le ...
- Monsieur le curé?
- Tu as les yeux rouges, mon enfanl, constate
un matin l'abbé Divoire qui vienl J'arriver, ~l l'im_
proviste, rue Nézil1, en l'abseoce de Lieue et de
M. el Mme Daliot. On dirail que tu as pleuré.
- Vous aussi, monsieur le curé.
En proie ~l une émotion qu'il dissimule mul, le
prêtre n'a plus, en efTet, sa figure épanouie el joviale
des hons jours. Il est grave, soucieux, el il toussole, el il se mouche, comme en peine d'une contenance.
- Non, murmure-t-il, pas moi, car je n'ai plus
de larmes il répandre depuis la morl cie ma pauvre
mère. Pourtanl, je l'ossule que j'ai le Cccur gros
.wjol1l'd'hui ... Mais parlons de toi. Qui est-ce qui
t'a l'ail Je la peine, ma petite?
- Persolllle, monsieur le curé.
l. e te dérohe pas. Je ne suis pas aveugle.
TlI as quelque chose, lv'est cerlain.
- ~on,
1 ien, je ne !:lais pas.
'J'LI Ille rassures ... Mais, dis-moi, reprend le
pr\::ll'(,: au hout d'un temps, ta sc.cur n'est pas l~ '?
- Elle vieut de sortir avec maman.
Seront-elles longues ft rentrer '?
- .Je ill' crois pas. Lietle s'élail commandé un
le décommande.
l'hnpeau. 1~le
Ton père Ilon plus n'est p:lS i'l la maison?
~
;\Ion, monsieur le curé, il n'y a que moi.
- .le v:lis ;I!tendre, décide J'ohbé.
F~hriJel1t,
il arpcnle Je tapis du houdoir, pui-:
il se met au hal~oJ1.
C'est sameùi, jour de mar~h(·.
P: ... 1.1 l'OllIe Je Lémcnc, en longue file hiératique,
pl'!1(~sione
de IOllrds l'hars pa\' S<ll1 S : les
�hUlIIlllCS, dt:s vien» !1IHII' la plupart, ellgun.;('
dans leu!":;, courles "1"lIsc'> bielles f:lil ' un pi'il
comnH.: d<.;s é(olt:s, marchent !c;n[ell1enl, solennellement, d'Ull ras quasi rituel, devant leurs bœufs
accouplés. Com hien de ces patriarches pIeu renl
en secret un fils ou un petit-Gis tué à l'ennemi? Le
chagrin ne les abat pas cel1endanl. Ils fonl
front à l'adycrsité, continuenl cou rage li semen t
leu rs labours, leu rs semailles, leurs récoltes,
après comme avant ces tueries. LeUt" vie simple
et tenace, modèle de patience et de dignité,
rait mieux que de résister ;1 la morl : elle la
domine.
Le prètre, plus calme, comme réconforté luil1lt!me, s'atlarde sur le balcon. Derril?:re lui, au
paroxysme de l'anxiété, Denise aitend qu'il se
relourne el qu'il s'expli'iue. Ce lJu'il peut avoir it
lui dire, elle le pressent trop bIen. Et c'est elle qui
prend les devants qllnlld il rentre s'asscnir dans le
petil salon: '
- Une Inallvaise nOl\velle, monsieur le curê '1
11 aCJu iesce de la tête. .
.
- ()ui nOLIS concerne? balhnlltH-elIe.
- QUI con.:<:rne ta sœur.
:"lise se raidit .:onlre la peul' ql1i lui bat la
gorge.
, _ ')
- Ah ! ... LI !talle - Précisémelll. Vois ce qui m'arrive!
i)'IlIlC main,_ si tremhlante qU:Oll dirail un gest<:
de vi<:illc, DCIlIse prcl1l1 la f(,llIlle <]Ul' lui t\:!l1tll<:
pldre - ulle It'lln: ;'\ en-tl!te dl' 1,1 Croi.-H.rlllgtil;tlicnn - .\Il. le CIl\"(, sOIlg"cur, It, IlOnl Il'n~,
lit"
l':Jil pilis hivll alll'Illltln ;1 ellc:. Il dil, et cll<;llToil
~1Ildn'
llllC vui" dl c:Ilu.:helll;tr :
- Je cOll1ple ',ur loi, Je eornplL- :->UI vou;., Illu'
pOlil- m'aider;t pre-paru Liettc ~l cc coup 1:'1.
ElIc Ile répond Ill' Il .. _ Elit.: lit: COtnl11cul p. 111_
cil ? (JlIet
~ for e b soutient, pelldunt que, dl!Valll
'e S y IIX Gl:trgis po']r l'hnrreur 1. 1 ~tr()c>!l'I
';ecs,
It:~
li14nes dansclli el va"illenl:
�CYRAl\;ETTE
71
., Mont.ieur le curé,
'( ;\"ous avions ici un officier anglais, Mr. Rohert
\Vellstone, lieutenant au IS° R. A. C., de qui je
l11'occupais tout spécialement. Il j' a Cjllinzc jours,
pendanluD violenl bombardement, un éclat d'olnl'1\lvaif atleinl ell pleine poitrine, cl son état n<.:
1;1 issuil gnère d'espoi r.
Nohle enfant! Je m'élais attachéc il lui comme
:/ 1111 fils d'éjection, el il J))';l\êlil prise pOUl" confidente, m'enlrelem1l11 sans cesse tic son pays, de S<1
b1l1ille et de sa liéllll'éc, Mlle Juliette I)<lliot, de
Chamhéry , L1ne de vos paroissiennes, m'a-l-il dil,
cl qLle vous èles prié, en son nom, de hien \"Ouloir
;1Iorlir . .J'aurais dù vous écrire plus tôt. Pourquoi
complais-je sur je ne sais quclmiracle? Ce miracle,
la scicnce ni Dieu ne l'onl produit. Depui~
Ct"
matin, tout est lini; le lieulenant \Vellstone n'est
plus. NIais je ne connais rien de plus beau et de
plus serein que sa mort.
« Magnifique officier, il a\ait fait supérieuremcnt
son del"oir. l feureux de s'\' ëlrc sacriliG dc Ioule
"on ,lme el de tOl! [ son s~ng,
le soki:11 repa%ai 1
derrière l'homl11e. Et l'ho11111 e était :lussi épris de
I"cve que le soldat J'étail d'aclion. C'était un nostalgique, cll(uand \'inl son heure, clic ne pouvait
0trc celle du commulJ. Celle lie qui lui écharpail,
illa ressnisiss,lil mysliquemenl cl. jusqu'au bOUI,
le mirage de son p"ys et de ses amours allait faire
sour ire ses claires et graves pr\lnclll.!·; pll\ti qU'il
demi <.:ll'lnle5, mais qui di'icl'rnnienl des choses ct
('omme des présence" <j LIe nous ne \ oyions pas.
Dans notre Irisle ~1l hl1lancc, cnl re nos mon ts
p_lles ef froids, si 10il1 de s;\ pclill' \"ill(' l1"talc CI
des siens, il sv l'rol,lil en \ngll'terrc, devallt 1('..,
"ais horizons des South-Hams, Jans le hume dH'r
'1 son ('ccnr el 011,
hil'nheurellx visionnnirl', il
'Imaginail l'en Ire')' ;lVCC une clouet' compagnl' qui
1(
l:t
étt" lIIl
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i Il't,,,ll'ï -'
Il Il '
l'il Jli'"
l(I'ililil •
l'
.. il
1)1111
�CYRA~ET'r:
{'allons pieUStm1ellt ensevelir, Robert "Vellslone
gardem l'illu"ion de la patrie lointaine et poursuivra éternellement son beau rêve mystique.
« Dites-le à sa fiancée, puisse-l-ell e en retIrer
quelque con:;olation et daigncz agréer, Monsieur
le curé, l'hommage de mes plus respectueux sentiments,
« Bianca BELLOVICI,
[n{]rmii:re bént:vole,
Croix·Rouge d'Italie, ambulance n'
«(
f>.-S. -
Je pré\iclls
1;1
f:tmille ...
Ij.
II
Voila C(' ljltc Iii Dcnise. Etill'iluant Cilie 1;1 fè'uill,Irf'lllhlc- \1;1110., S;I Illain, que Il(: re~sJl-(·c
pa~.
'11l,-.J!c s"llffralll'" .Iigll':, quel déc hin.: 1J1l' Il 1 J<JJJS
sOli paU\Tl' pl'lil (CUI' "l"i, COJlIIlH; celui de M. lel'lin:, n'il plus liL: l;ll'111eS à donner '!
LI IUJllière d'or dont le soleil inonde le b"ko!l
lui parait s'assombrir tout ~ coup cl ses }CllX qui
se lèvent tragiquement au cIC I le voicnl noir, tout
Iloir, comme en pleine nuit. Dans le même instant,
1:1 lettre lui l'chappe des doigts. Elle veut sc soutenir au dossier d'un fauteuil. mais ses forces la
[ra hj~scn
t et clic s'alfaisse sans connaissancl; .
- Là ! lit! î\10\1 Dieu ... Denise! ça ne va pas,
ma petite?
Et, pri..; de courl par .:elfe complication, M. Ic
curé a très peul'. Tout pan toi:;, il ne sait à qnel
sainl se voucr jusqu'au retour du père el de la
!lll:rc Ci lIi, pOlir COlll hic d'i n fortune, n'en finissen t
P;\S ,k l'l'ntrer.
�CYR1\Nl':'I"f
}~
DEUXIÈME PARTlh
l
- Le facteur est passé, Agathe?
Agathe continuant de vaguer rageusement à son
ménage, M. le curé, rompu de longue date à ses
lubies, répète la questiolJ avec cette patience angélique qui fait ~a force.
_ Agathe, je vous demande s'il n'y aV;1it rien
au courrier du soir pour moi?
La gouvernante, ..:elte roi~,
daigne répondre ...
Sur quel (on, Seigneur!
Si fail, il y avait qudque dlOse au courrier: une
JeUre. NIais cette lettre-là, I( on )1 a bien failli la
jeter au feu quand on » a vu d'olt « ça venait n.
Point n'est besoin, cn cnet, ù., la dtcacheter p011r
deviner de qui clic émane, pnisql1c l'enveloppe,
estampillée :lU chiffre de b Croix~R1\gc
ù'ltalie,
porte Jans un coin Ct nom et l'{'11t; adresse:
r(.
BW.CA ggU ,OV1Cl,
InfirmiL:fC hi:I1CV()h:,
amhulilflCC n' 1/ - ~. l'. ~ 1:\.
El tout s'explique en somll1e : l'humeur maSSacrante; J'Agathe, comme ses n:tle"iolls acriml)~
niellscs et ses gestes saccadés.
La s(~maine
dcrniçre d{:j:l, une Icttr ~ identillue
n'a~t-cl1
pas trouhlé la p:li' relativl! dll presbytère '!\u recu de .:eHl! prcmii'rc lettre, ::-'1. le curé
ne s'est-i l pas mangé les (i>Î s ~t tOllrné les sangs,
plus pcut-ètr{; lllle si on lui nvait nnnonct' le Jugement dernier'? Cela. Agathe Ile relit II rnrdonncr
�1
('YR.\NETI~
;', la signora Bellovici. IIi l11éme .1 j>il\fortUlll!
:\11'. \Vel!stonc. Un él! anget quI' j'Ol' llP c.onnalSsail cl'Evc ni cl' clam, étall ce pCJ'JJli , de iC mettre
dans des étal:; pareib à son sljc~
?,
- Je l' DUS en prie, Agathe, disait M. le curé.
Une fois lancée, la vieille ne s'arrêtait pas en SI
heau chemin.
- Oui, je sais bien, marmonllait-elle. II était
Jans les papiers de l11ill:1'zelle Juliette, ce garçon,
El puis après? C'est-II une raIson pour vous
rendre plus malade qu'elle '! 011 les connait, ces
jeunesses, Allez, allez, ne vous tOllrmcntâ poillt,
elle au ra tôt r:.tit de sécher ses) Cil x.
Bref, pendant quelques jours, le 'ainl hOl11llle a
essuyé de tels ,lssauts qu'il ne tient pas à S')
rerrotler.
- Bien! bien! ma nlle, dil·il, remettt:z-l1loi
L'elle lettre ct ne nous tâchons pas.
Afin de se déroher à la redoutable so llicitude de
la \ irago, il sc h:He d,e s'e.nfermer dans son cahinet
Je travail. Cci dn 1~0:S,
11 sera tl'anljuillc. Agathe
dle·même n'oserait 1)' rdancer, tant es! i1l1pl'( 'sil la Jois sGVl!rc et relisiollnanle l'()rdOI~a1ce
"jeUS\! dc cette pièce, où les ohjets de piélG voisi.
~cnl
:lVCC d'antiques bouCjuins, n:nérablemclll
reli(, el qlli sc;mhlcnl rccGlcr, SOIIS leurs heau\
ft;J'moirs de cuivre et d'argent IOllll' la sagesse
hUIn:!iIH;. Ailleurs, il sc peut qu'dIe mène Son
llHlItrc tambour hallant. Mais céans, c'est Contml.:
~ l'église: le prèln' recouvre loute son <Illtorité, ct
elle Ile s'y fie point.
()Ul' veut la signoru Be\lovici ct pourquoi prendL:lle h peine de récrire ;11\1. l'ohht! I>ivoire'! C'esl
l'C que AI. l'"hht', i)j\'oire Sl' delllande ail il'U'il'Illent. Peut-ct!'!! :lvait·elle Ù Illi f:lire part dl
j('<.:lqUl!S délails il1~dts
sur h fill ~ditaJ1l(;
dL'
1\11', \V'cJJstoIlC. j\~ais
l'cu t-êt re aussi s'agit-il d'UIK
pl:llibk coltlmission dont il va èfr' ch<ll'gé :tu nom
1Il
i
IIh'
JI) I~rl
hC:ro,.
111. il n
nll'l' de
'111'1
Ir'!ol n,t/iol. Cefi
�t YRt 1\ETTE
IvU l':,-CI, il.} est allé
les soi l':', ali n tle remonler
parl lui, il
doit convenir qu'en ce qui concerne Juliette il n'y
a pas trop mal réussi et ùonc qu'Agnthe n'avait pas
lout à fait tort.
C'est curieux ..;omme elle rebondit, celle pelite,
comme ellc passe I"acilement d'un état d'<1me à
l'autre, comme le sourire il vite fait de percer à
trn\ers ses lai mes! Na.guère aballue, on la sent
déjà résignée à l'inéluctable. Tandis que 1Jise, Je
coup l'a hel et hien frappée au cœur, el M. le curé
craint fort qu'elle ne s'en remette jamais.
Lui se reproche SOI1 aveuglemenl. Dire qu'au
reçu de l'all'reuse nouvelle, il songeait il Nise lour
\' préparer Lielle! Dire qu'en b ~o.}ant
tomber
comme une masse, il n'entendait encore rien à son
cas! Mais. lout d'un coup, ses yeux se sont dessillés. Il a Hlli par deviner le cher ct cruel secrel
de ln pauvrette. Il a lu ù livre ouvert dans ce petil
cccur meurtri, tlont la plaie continue de saigner
lllrocemcnl. Moins avertis, M. el Mille Daliot s'en
tiennent aux e'lll,' de la Hauch '. Comment soupçonneraient-ils la véritè et 'llI'llll él ranger \cn li de
si loin, et loul aussitôt disparu de leur ciel comme
ces rapides oiseaux. migrateurs qui Je traversent
au printemps, .1 emporté l',)me et la pensée de
Nisc '!
LieUe, oui, on comprend qu'elle ne soit pas
cl 'llIcurée indifrércllte au trépas de Hobert, qu'elle
Cil nit ('proIlV~
hcaucoup d'élllotiol1, ncaucollp dl'
regret, bf'aucoup de chagrin. Meme il eCll été
malséant qu'clic en accueillit tror légèrement 1,1
nOllvc!le cl qu'on ne la vtt pas, pendant quelques
jOlln:i, dolente et morne, comme une fiancée qui il
pt'I'du sni fiancé.
n quoi vou- concerne-t-il, ce
Mais YOII'. ~isc.
",dud nalhe Ir'! Robert. qu'était-il pour vous?
I·:tiet-volls sa swcethearl? Vous etH-il emmenée en
Angleterre, chns ses paisihles S()uth-Hams d Il
D'voll.1 il"e. (Ill il ruit SI bon v. l'cele ln vil'J ure 1
lùU~
lln peu le moral de leu rs filles. Et, ~l
�f' \'RANF.TTE
sil1lf'I" dt:s b<';1l1klllen-fal'mers ct uù prient pOlir
lui un jJl:rc, Ill1e mère, des sœurs dont sa COmpagne eftt été tout de suite aimée?
Eussiez-vous, lj Cyranette, battu à son bras les
l'as tes pacages ombragés de saules qui baignent
dans une eau claire, et les landes qui fleurent le
Ihym et la bruyère, et b. sente discrète, bordée cie
chèvrefeuilles ct d'églantiers, qui mène au petit
oratoire caché duns la charmille comme un nid du
bon Dieu?
i aD, non, rien tie tout cela ne \OUS était destiné! Tout ce bonheur revenait de 'droit à Lielte,
et c'est elle, elle seule, qui est à plaindre et à qlti
est dù le viatique des bonnes paroles,
Pourtant, ce yiatique, M, le curé s'est efl'orcé
dc l'administrer aussi à Nisc. C'était avant-hier
soir. A/in de distraire leurs filles, M. et Mme Daliot les avaient cmmenées au parc . L'abbé Divoire
accompagnait ses amis, Après un bout de chemin,
on prit place, VCrs le haut ùu jardin, sur deux
bi/ncs l'ustiques, Par ce )calt clair d'éloiles, Ics
cimcs fantomales des grandes Alpes sc devinaicnt
dans la lIuit velolltée, au delfl el ail-dessus df's
ÎCIlIlCS frC)n(klis~
\fui s'abaiss,lient ,1\ec Ic (CIr,lin, Le banc 011 LieHe Gtait assisc entre 'it.s
l'dl'Cll(S 'iL', trouva,il quelquc peu t! l'écart dc celui
et l'ahbé. A celte <.1i~talce,
'lu'ocCUP<IlCllt ~Ise
,OIlS l'nlllbl'C dt's ilrhres, on pOII\.tit C;tU9Cr inlime-
Ill' '(11.
p'lr.!"hd~,;
iVl. k curt:; en proliUl pour dire ;'1 la jeilne fillr :
Denise, Illa chi:re enfant, pnrt!ontll'-moÎ dc
1111 11101 de Ct' paune Hnbcrl, miJis JI
-
(/fIl IJkll f;lil bien ~'e
ql/'il bil CL'It,c <T1lC?nr
'
....
" t 1111(' lnJlllClIse c.)j ,lmité Elle UC(Ul.IIU!, lf':.
1 UIll" .• 11- deuil, Ic, IlIforlull '. ElIe hrisc )r-,
.',>1, rili
d!'s 1I1prt:s, des /emlJsctd;~
fiancées. M,lis
maux ne 1I0US eo épargnent-ils pas de
funostes encore?
L,Tnl.,
rlu~
tnus
ce~
,1 .. , .le prGehe, ncnise ?... Peut-aIre. POllrl,Jllt,
.;onsidt:rc ton l'as. Tu .Ii mais _ ne ùis pJS qoU,
�/
("YRA TET"I"P;
77
sai:; - tu aimais Mr. \Vcllslone. Que fM-il
arrivé et Cju'eusses-tu l'ail s'il avait vécu?
Dans la paix du parc doucement enténébré.
M . Je curé recueillit un soupir qui n'alla pas l lus
loin que Nise et lui.
- Oui, reprit.il, tu n'aurais rien dit. Tu aurais,
parton silence et ton effacement, essayé d'assurer le
bonheur de LieHe et de Robert, comme Cyrano
celui de Roxelane et de Christian. Mais cc bon~
heur, 111011 enfant, il ne dépendai t p~s
que de toi,
Il dépendait pour le 1110ins autant de lui et d'ellc,
Franchement, crois-tu gue deux jeunes gens donl
l'union procède d'une telle équivoq ue puissen t êlre
lout à fait sûrs de' leur avenir ? ...
Mais M. Je curé se tut.
A côté de lui, jugulée par un mouchoir, rùlaitla
plainte sourde d'une gorge battue de sanglots. El
ce soir-là encore on s'est quittés bien tristement.
Seule LieUe, par intermittences, se reprenait ù
rire et à caqueter sans rime ni raison. Un perpéLUel besoin de joie et de distraction la possèdc. S'il
lui fallait vivre dans Ic recueillement d'un c1oltl'c,
clle n'y résisterait pas, Et on l'étonnerait bien en
lui dis(lnl 'lue son babil, plutôt fatigant il la longue,
avive la peine de ~isc
qui, pour sa pari, n'aspire
tj Il'',111 silence et à la solitude,
M. le curé remonte sa lampe el clwrcbc ~OI1
hi lIoele pour li re la lellre de la signora Bcllovici,
Or) dès les prcmières phrases, il a lIl1 lei haut-Itcorps 'Ille la feuille llli échappe: des doigts l't qll'il
l'<;quisse le gesle machinal de l'homme qui sc
dUllancic s'il est hien Cveilk. Mais non, il Ile IC\('
pas. Il a beau S" l'roll ries yCIlX, GssU)'cr rcbl'il. ~
Illl'lll se, verre, 'iltJllr1 t1I,lpproche lu leltr dt' L.
l.lll1re, il lui faut biw sc rcndre ù l'évidence:
Je
1\3
(( Monsieur le curé,
(( U Il mol cn M,te,
( Contrairemcnt ~l ce que je vOLIS mandais hier,
1\111'. H.oh'rl \Vellstone n'a pas succomhé il il bit',
�i'
( \'IZANE l' rL
SI rl,; .•\1011 erreur s'expliq ue par celle des médecins.
Trompés aux apparences, JÙ\\'aient-ils pas cru
pouvoir délivrer Je permis d'inhumer, alors que le
l'atlvre garçon, pris d'une syncope, n'était que dans
l'état cataleptique? A la mise en bière, la position
jnsolite des membres nous inquiétant, les infirmiers
el moi, nous primes sur nOlis de surseoir ù l'enterrcment et de signifier nos doutes au major dont
l'intervention énergique eut lesplus heureux clTCts .
.TL! m'empresse d'ajouter li lie, d'après lui, celle crise,
qui aurail plI entrailler de si épouvantables conséqIlC'lIce:;, dnil ètrl' considérée comme salutaire ('1
ql1'il es/inle:\ll r. \V cllslone tOl1l ù fai / hors de danger,
{( Mais moi, quoiqul' je n'aie à me n:prochcr
CjIl'1I1l excès de zèle, rien n'égale ma confusion dl'
\OUS avoir écrit dans les termes oli je l'ai fail hier,
,i cc n'est ['lIllll1eIlSe allégresse donl mon CŒur
déborde ;1 la pensée de pouvoir IOUS rassun'l' plei
nCIllCnt sur le sort dl! fiancé de Ml/cJulielte Daliot.
.J"lurais voulu vous lélégraphier de ne tenil' aUCun
compte Je ma dernière lettre. 1[élas, nos bureau'
Je la zone des armées n'acceptenl que les dépêches
officielles. Mais comme celle Ieltre lit; date que dl'
vingt-lllLltre lwufes et que, dil-on, le contrôle
llIililairc arr':te SOUI'en( le courrier il la Irontière,
j';li bon espoir que ceci puisse vous loucher à
lemps pour épargner (oute émotion à Mlle Dalio/.
« Ouoi 'IU'il Cil sc)it, soufl'rc/. que je VOLIS réitèrl'
Illes plus si/lcl:l"es excuses, monsieur le- curé, VOliS
pouvez dire <1 cette jeune Iilj" que SOn fiancé Ill'
l'oublie pns, qu'il va mieux ct que, bientôt, il
1"Cl:0Il111WIlCera sans doute à lui envoycl' dircctcnll'n t de scs nouvelles ... ).
l\llIll'i, ct Dien sait llll'on It srrait à moills, l''!l,hl'
Divoire reprend cinq Oll six foi~
de suitp 'U I~cl\n'
.ll'unl d'Cil croirt' scs ynl\;. Pour c1,lires llllC sOlt'nl
les e;o.;plicatioI1s dc sn corn.:spondante, il s'y L'Ill.
hroullle. Selon elle, qui dil \rai, les cachels de /;1
po,le CJl fl'llll roi, ce 111(11 Il't.' 1 1 :trll qu'lIlI jl)11I
�CYRANETTE
après l'aulre, Par quelle fatalité est-il parvenu à
destination huit jours plufi lard? La faute en es1
probablement à la censure qui aura laissé passer
la première missive el retenu la seconde.
- Eh bien! eh bien! ne peut que répéter
M. le curé. Ce n'est plu", aux Sévigné que nou
jouons, c'est aux Balzac!
Nouveau Lazare, Robert y..r ellstone n'est-il pas
ressuscité d'entre les morts, comOl(; cet inrortuné
colonel Chabert dont l'auteur de la r'omé.liL'
humaille évoqua si puissamment ['atroce ()dys~é"'!
En pi'oie à une agitation qui ne se calme pa~ ; . !t.
prêtre arpente son cabinet. S'il s'écoutait, il retuu 1'nerait rue Nézin, sonnerait chez les Daliot, n'at_
tendrait pas une minute de plus pour leur faire
part de la miraculeuse nouveli'e. Mais il rét1échil
q Lie les trop grandes joies, tou t comme les trop
grandes peines, peuvellt ètre l'alales aux CŒurs
sensibills. Et, puisquc le mal est !':lit, il reste il ne
pas l'aggrn ver inconsidérémen t.
la réflexion, il dé"idc donc de ne riell entre]1r('n ln: aV<lnt demain. La soirée s'avance, d'aill:Ir~,
cl, s'il s'avisait ue ressortir sans y ètre
absolument contraint par les charges de son minisIt:re, Agathe aurait de nouveau" grids à faire
\aloir COli tre la Croix-Rougc italiellne, coupable dt.:
provoquer dl..! tels dérèglemcnts. Aussi bien fa nu il
portc-t-clle conseil. Et quand, tombé à genoux,
M. le curé a dit avec [cneur ses prières, déjà il
entrevoit la main de Dif li c1HIlS l'aventure inollïe
()ll il sc trollve mêlé.
Il Que serail-il arrivé si Mr. Wcllstone avait
véclI"» cl 'J11andait-il naguère il Nise. La qucstion
va sc poser dans toute son acuité. Muis ne peul-ol!
pas sc deJn,tnder également C(, qui serait arrivé si
l'of(jcier n',lvait pas eu cette cns~
de catalt-psit· ct
SI l'on Il'avait pas dru à sa mort .~ La réponse e~t
simple. Lui, M. le curé, n'cCii point surpris Il'
"l'enl de Ni.;e. Parlant, il n'tfll point rempli Sl>11
1(' f)Îr d ' di,' 'clell!' cll' (!nllSCII n,es. \\ lieu '1~: ... ,
�(VRA
]!:'!''J'E
fixé SUI' le réel degré J'affection que lcb dei!:
,;œurs portent à ce jeune homme, il Va pouvoir
lenter d'arranger tout cehl de son mieux. Il faut
'lite LicHe ait 1111 hon mou\cment, qu'elle se refuse
;'\ bùtir son a l'en i r sllr le sacrifice de sa sœur, qu'elle
s'explique sincèrement avec Ml'. \Vellstone et lui
expose tout net la situation. Cela ü\it, le reste ira
lout seul. Pleinement édiGé, comment ne verrait-il
pas cn Nise ln pltrc incarnation de SOn idéal
d'amoureux?
c( Allons, tout s'arrangera, murmure le prêtre.
La 'lie se Illunl rera moins i ncxorablc quo b
navrante fiction du dramaturgc. Cyrano cs! 11101'1
de Son amour. Sl'igllt'lIr. Seigneur, ayez pitié de
Cyraneflc! Secourez-la! Faites-illi miséricorde'!
Oaignez exaucer ses vmu.' ! )
�CVH..\NLTTE
II
A quelque temps de là, l'occasion que cherchait
l'abbé Divoirc lui est enfin oilerte d'avoir un tèteà-tète avec LieUe. L'autre jour, cléjb, chez ses
parents, il a pu lui glisser en 'Ol1rdinc:
- .le voudrais te dire quelq\1e chosc, mon
t'nfant. Tâche de monter une de ces ::tprès-midi ft
Maché.
C'est personnel?
- Et confidentiel.
- Il Y a urgence?
Mon Dieu oui.
- Vous ne pouvez me par er ici?
-
Non.
.
- Entendu! a dit Liette, considérablement
iJltriguée.
Elle ell! bien insisté pour savoir au moins de quoi
il serait question, mais M. Daliot <;'est mis à interpeller les conspirateurs:
- I1ep là! qu'est-ce lille vous complotez, vous
deux, dans volrt: coin .?
_ Oh! ril'lI, a r~ponJlI
Liette avec son aplomb
orùin~c,
pendant ql1t: M. le curé, gêné, r.:ramoisi,
toussait, se mouchait, pour éluder toute llllcstioll
indis.:rète.
Elle comptait grimper au presbytère dès le 1(;11demain. Seulement, depuis que Mr. Robert WeIlstone est ressuscité, elle ne fait plus tout ce qu'ellc
veut.
L'histoire, d'ahord, n fait le tour dc ta ville. 11
e'it incroyable comme celi sorh's dt· nouvelles se
propagent rapidement lorsqu'on n'.\ aUCun intérêt
li les garder pour soi. Ll feu, an long d'une !ralnée
dl! pOl1dr(;, ne court pus plus vitt!. En un clio d'œil
�CYRANETTS
' hacul!
Cil
d'Il
esl informé cl 10ul le monde en ,parle-
l -"f!nement sensationnel
DaI] · l'lnfortullc, LieUe goutait une sorte dl'
plaisir amer aux condoléances Jes lins et de.;
autres; il lui paraissait preslJue doux d'èlre consiJérée elle-mème comme une victim8, d'être plaintl' .
en, conséquence, cie deviner que l'on disait enlrt'
'01lm~
SOI :
- Juliette Daliot n'a vraiment pas de chance,
- Croyez-vousA ma chère? Au momen 1 d'épouser Ull ge~l1an,
le perdre à la guerre, c1le doit
Cil ayoir le creur fendu,
:vbis si toute celle mélancolie avait son channt!,
,'C chal'lne même
n'était yu'ullc compensation
Ilégative el que l'Oll ne ::;anrait comparer aux avalllages substantiels d'une situation rétnblie com01C
par enc1wntement, il la suile d'une aventul'l
l'ornanesllnc,
01', 'luoi de pIns If>JlHlDC's\lue Lille l'aventure de
[,iette ?
Pleurer i\ dwudes larmes un fiallce; que tOtlt Il'
IlHlIlde L'I'oyaillrépao.;sé; puis, un h(;<lU mutin, <llnr..;
'11It! 1")11 t:ol1J(~nce
il réagir COlltre ~a douleur _
pour Ill! ]las I.tire comme Tise, cn train de tourJler
.Ill hOllnet Je nuit, - apprendre de huI en hlLIlle
llu'il j' Il maldonne, 'lue le prétendu mort sc porlt'
-;illon comme un charme, du moins assez hien pOUl'
que son entourage répn/1de de lui, assurément
voilà qui sort de l'ordinaire!
Que dis-je! Rien de tcl pOur vOus mettre en
Icdelle et vous donner li, l'importance ~ 11/1 dcgrtIlll: le plus franc succès, nu mieux réussi des l'OllcI'rH de chnrilé, Ile pouvait surfil" à \'(lIiS l'onll'/'l'r,
Ct! n'est plus Sl'tilement de h sVl1lpathÎl' (11It' 1 s
,Jll1ics cl connai ssanees de Li 'tIc Illi t~nlOig'I,
Elle est partllut l'objet d'lin accu ,il ' Upr0nll'1I1t!1l1
n.1l leur. On s'engoue pn'iitivemcnl LI 't:! IL Jans les
~:1lon.;
challlbéricn) où l'on ne conçoit plus tll'
ré'cpti ( 1) possihl' snno.; Sil pl'- Cille, POlir III, p c u
nll ,l'III 'l1ch,,' tit. Il Illi fnllt l'lÎl"lI1 11'('; (l'illn 111-
�r\'fü\
LTTE
hrable~
invitatioll!'>, se prodigut:r, rt:dirc nulle '1
mille fois les fabuleuses circonstànces du draoll'
qui la pose en héroïne , Et le plus curieux, c'e:i(
'Iu'en dépil du surmenage qui en ré, llhe pour dIe.
elle ne se fatigue pas de celte vogue extraordinaire,
Sa maman, qui la chal eronllC, en cr les iambes
rompue:i et la tête cassée, Et Nise, loul en nc se
r(~j)uisant
pas peu de l'hel1reuse nouvell e, s'nrr.lIIgl' l'oUI' rester il la maison ntl il y ;1 healicolll'
:1 l'ain, Mais Licite, elle, n'a qll'Iln regret: c'est
cI\;trt: l:n peine dt' troU\'er le temps d';tller '\oir
\\. le l:uré, Di 'u sait pOuI'tant LJut:llc· \'Ill'iosité il
('\'C'illél' chel clic avec tOIl ( son mystèJ:c!
- Qut: pellt-il hien ,1\ oir ,'1 me li i re en part iCIIlier'! Ill' cesse-t-elle de !lC demander,
I·:nlin. n'y tenant plus, cl'" décidt: dl' prélevcr
.1
Ill\l'
heure sur ses obligations pUJ't:menl mon-
d'lines. Il lui reste ùc nOlllhrellst:s \'isites il fairt:
en elfet eL Mmc Daliot, com plètellleo 1 1'011 l'bue,
dOit renoncer ;\ l'm;compagnt:J', C'esl Il' 11l0menl
de s'échapper, Rose, e:ü:itét:, elle l'scal.llk la hU11\.'
de Maché el SOllile à la grille du jardin t curi,lI,
Agathe, pill. rl!\ èche et bougonne lJlle jamai:;,
la reçoit sans aménité, lmpavide, la future
1\1 l'S, "\V('llslonl: lie sc laisSt: pd: désarçonner pour
si peu,
• I-il I:I? IIlSlstc- Olli (lll 11011, .vL le CI1t~'
1-t'IIt',
.le
Ile
VOLIS
I,iette, et
Id vieille
silis pas,
devricz sa\'oir.
:t\CC
IlW h01l1ll', r0(1 lir111 \'
tanl d"lssural1c' el dt' Ilt'lIv\l: (l'Il'
St' Ir. ticilt pOlll' dit.
Perd.lI1t pi ,cl. Ag-:lthe pataugl! pllt'l\SCIllC lt :
- .le \:b voir, ma petite dCl1loisl'lJe. Enlr '/
Joujour, ,t prenel lu peine dl' \OU.., d . lOoir r'lI
,1 t 1endanl.
I,iette sC' 11101' 1 les l '\ï'l' P,lU,]I po 111'1' .III,
éd Ils cl 1:1 déçonlitllJ" dl S:I 1 ~d()lIt.he
,hil ('1'.tire. PIUf> (:In!. quan 1 clle su 1 lU lire, dl! maiOll,lii cliC' 1 J" m,tlllt'l11 d'l\flH dc", dorne.li'llleS
�:;-1.
( \' kA.t\ETn:
aussi mal éduqués, elle se chargera de les mellre
au pas.
M. le curé, qui étudiait dans son cabinet, évitc
il dessein de descendre.
- Vous pouvez monter, ma petite demoiselle,
;,é)ùescend dire Agathe de son ton le plus aimable.
Magnanimement, la jeune fille remercie d'un
petit mouvement de tête. Enfin, elle va donc savoir? Cette pensée achhe de la rasséréner et
c'est o-aîmelit, en lui secouant très fort la main, à
l'ang~ise,
qu'elle s'écrie d'emblée:
- Ah ! monsieur le curé, quelles cachotteries
.vous me faites faire!
- Je me le reprocherais vivement, s'il n'y allait
ùe 10n bonheur comme de celui de Nise, mon
enfant.
LieHe ouvre ses. gta.nds yeux candides, qui
reHètent une vague ll1qUlétl1cle.
- Comme vous dites ccla, monsieur le curé!
Savez-volis que VOliS me faites peur '?
- .T'ai lorI en ce cas. Mais ce lJue j'ai à te dire
csl si délical que je ne sais Irop comment m'y
prendre, ni par quel bout commencer.
Voyanl 'lue la chose est d'irnporlance el très
flalll't: 'Ille M. le curé en, ienne à Iruiler avec elle
dt: puissilncc :1 puissance, la jeune fille prend lin
;tir grave cl se ùéganlc avec componction.
- Puis-je VOllS ,cnir en aide? inlet'rog~-c
ingénllment. De quoi s'agit-il?
- Dc ton projet de mu riagl:.
Un émoi s'l'lIIparc: cil' !,iel(c, (l'li a saisi la
• llllan.:.c. M. le cllré n'a pas dil: I(.dl' lo lll1Wlïagc)l.
Il,1 (lit: I( de Ion projet de nWl Jilgc \l. El. cc 0'('<:1
"ilS pré~·j"l1(:J
- Mon
lil
l11eJn(
J1!.J,iJgc? ...
AlIri./'-VOJHcft:1g(~vj;
chose.
L(· cl0<;approu vcriCI.-VOUfi ?
.
_r... e silcnce du prclre ~chèv
de h rend re llC 1'ycuse. 11 est mul à l'aise al~si
et Ill! lient pas ell
plal'l:. L'aŒ1Îl'e, il en a convenu, (',1 dtlicale cl il ;1
l'illll're';sion 'lu't'ile n'est pa, bien elJr~!c.:t
"':llll.
�f\:RAt\ETTE
~5
il rompre le IcI' ou l'engager:t fllurl '! Il h1l1ternc.
tergiY~
et tâtonne, sans se décider, LieUe est
comme lui, sur ùes charbons ardents, mais elle
réagit. Elle s'était levée, Elle se rassied. Elle était
sérieuse. Elle se fait cüline et persuasive.
- Non, n'est-ce pas. ce n'est pas possible?
Votre petite Licite, yons ne voudriez pa lui causer un tel chagrin,
-; Entendons-nous, mon enfant, dit le prêtre.
Et d'abord es-tu süre que ce parti te convienne ?
Liette évite de répondre directement.
- Alors, c'est vrai? fait-elle d'lin ùoux ton de
reproche . MI'. Wellstone a cessé de vous plaire?
- Qui te parle de ça?
- Mais ,'ous, je suppose, monsieur le curé. Si
Robert gardait toute votre estiml', est-cc que
"ous m'inf1igeriez une question pareille '?.. Et
qu'a-t-il fait pour encourir cette disgrâce'/ SOllpire-t-elle sans s'arrêter au geste de protestalioll
du prêtre. Que lui reprochez-vous '? Ce n'est pas,
j'espère, de ne pas être 1110rt pout' de bon "
L'abbé a tiré son sempiternel mouchoir à carreallX, dont il s'éponge frénétiquement. Il ouvrc
la houche, mais LieUe ne le laisse pas parler.
Non, poursllit-elle, et je ne dl:vrais pas dire
ça, l:e n'est pas bien. N'avez-vous pas été le premier à faiJ'p son éloge C[lIaud nous pensions IlC
jaruai5 le reyoir'? Vous le l.:ol1sidériC'z comme IInc
nalll!"e d'ëlik, un nohl' cn'ul', Ull C':-,ccl1cnl garçon . .le VOliS aV<1is fait lire S(;S lettres, rappclcl.VOLIS. Son .1me, ;, chaque ligne, ) Ir'lllspirail; le
Inol Il'e~t
pas cl· moi, mais de vous.
l~
jç 11\,! me cl(~dis
pa >, Lie III •
• Tnl~
Hly ./' bien!. .. \II! JUou,Îc.lLr k liB f,
(,'~cri
1 il h ;f\qucmcllt l,) Jeune hUe, cluand 011 C 1
cCllulllcnl Ile lui renclrol;l-
jll ... lc cnJnIllC \OIlS l'etes,
on pas j lI~ic·t
N'ayallt pas changé d'opinion sur sol?compte, 111011 jugcllH.:nl lui est tOlljnurs aussi
favorJhle. Je dirai 1Il01lle que !t.: d.lI1g!:1 ~lu'i
a
�86
CYPANEfTE
v01trll ct ~on
espèce de résurr..:clion Ille le rendent
encore pIns sympathique.
.
,
- Eh bien l mais, pourquoI douter d un tel
parti?
M. le curé se résout à démasquer ses balleries.
- Écoule-moi bien, mon enfant. Tu m'as fail
lire ses leU res ? P récisément et c'est pourquoi, à
t;J place, il mc viendrait 1I~
scrupule. J e voudrais
raire mOIl C,<llllOll tic conSClünce avant de prendre
Ilne déci~()n
irrév0cable et me demander, en toulc
Sincérité, ~i "mon cocu!" vibre bien à l'unisson dll
SICII.
- .Je Il'y suis plus, balbutie LieUe. IIm'a;me ...
- [~n
\!s-lll sùrc i'
- DrlJnt.:!
- Qui lui écrivait?
- Mais, monsiour le curé .. .
- Oui lui é":l i\ait? répète gravcment le prèlre.
Si je ;lC m';:tbus(', .::c n'était pas loi.
CC COl1p droit, LieUe se dresse Pl\!sque agI es1
si rCl11en 1.
-
qui
Pardon, monsieur le curé. Es't-ce ma sœur
a prié de me faire la leçon?
VOliS
- Ni clic, ni qui que ce soit.
- Alors?
- Tu le demandes de lluoi ie me mêle, hein?
- Une tclle impertinence, 11011, je ne Ille per111 ct li :lis p~lS,
affirlllt:! Lietlr.:.
- Snn'j le Jin.:, on pCUI le pel1ser. Eh bien!
l"i~sC-10
le répétel' l.ll1C jl' Il'ai en vue qm: 1(111
honl! 'IIr ct Ccliii de Nlsc::. Jc l'ai prh'Cl1l1l' qlll ,'t'
'Ille j\l.\'uis il le dire était déli~a.
Ce n'est ras ln'~
.JgC:<lblc 11011 pills, j'en Con, iClIs, ("1 encor.' moins
P,"I-être ponl' moi 'Ille pOllr loi . .\lai., )C veu
IIlII hi711. mon .enfant. Mun ;Ige, 1ll01l car.lcl ft.
1,t1rt.:chon que Je h' po rie '1 qlli ne ~c ùémentiI,1
Jolmais, quoi qu'il arrive, me donllent le droit t'I
I~m
me font un devoir de Ic p'lder comme je le
I)arl , .Je 1'(11 .lIpplie, Lietle, dit le prelre avel'
':111111;1111. renlre (,~l
loi-même. 1 e Ni: e (III de 1('1,
�rYRANETTE
~st
qUI a:,u gagner le cœur Je Mr. '\ TdlstOllC ') Tel
le cas de conscience que 1'1 dOl~
resoudre.
"Émue aussi, mais pas assez profondément puu!'
Elire bon marché de SOI1 dépit, Lidte ne cède pn~
au généreux élan qu'espérait le prêtre.
- Mais il est tout résolu, monsieur le curé,
répond-elle J'une voix qui s'altèrc insurfisamlllcn t
h son gré et en versant des larmes un peu réti les,
~{ohert
nOliS a vues toutes les deux. II a fai t son
L"llOi'\. Ce I.l'est pas ma faute, à moi, s'il m'a dOllné
la préférence slIr ise.
l~1e
a tiré son Illoll..:]wir, el!t.: aussi, l!t elle s'y
l'nlouil la figure. Paternellemellt, l'abb(: Dil'oirè
lui tapote la joue.
- Allons, allons, remets-loi, mon enfant. 11 l'a
préférée, dis-tu?
- Mais oui. N'est-cc pas moi qu'il n :.tgréée
comme marraine dès le premier jour'!
- Cesl
isc qui lui Cil H seni eITecti"emenl.
- 1~l
mon nom. b:{ quel porlra;1 lui a-t-on
l'Il voyé '! Le mien!
Oui, {oui cela est bien complillué, COlll:èc.lc le
]'l'\:.tr('. Vlllls ;1\C/, 'Ise cl lOI, COlllrihné tOliles
deux au st.;ntillH'lIt lll- volrt.: chlr Rohert. Toi, p_Ir
la jolic frimousse espiègk el la gr;h:l' pnmesnnlièrc - suis-jc USSCI franc, hein'! jt- ne te l'envoie
pas c.Iirt~,
- die, par la tendresse lju'elle a Sli
meUre dans ses rapports érislolnires avec lui. S'il
s'agissait d'ull coup de fOlldrl', je Il'hésiterais pas
:'1 t'en attrihuel tOlit le mérite. Mais, mon c:nfanl.
,"èst peu à peu quc l'amolll'a t:dos, plIi,' gralldi
dans ce Cll'llr d'holJ1mc, cl Sl'lIlclllCllt dalls he
IIH':SlIrl' où MI'. \Vl'Il·tolle .c péllétrait dl.! l'ès
llagl.!S CJlll' t<1 slellt' pl'\1sait inltll'>lll1 'III avant dl'
b.; écrin:. C,tl', s'il Ile lui ,lIall 1 iCIl illspiré :1 t'IIt'IIIClne, aurait-cllt: pli lui faire Ùt' si belles lei Ires ..'
- Pel'lIlcttcl., l1o~icur
le curé, objèctc Lil!tte.
ail trop ~e
soucier J'être toul à l'ni 1 'inct:l'c (1
véridique. Ces helles lettres-là, je le. lu', dil·I.lIs
(III 'lqllcfoi ' El, l'II I.)II! ('(1. i 1 i
tÎnli' I{CI" 1'1
�eYRA
' }(f
n:
cc qui Ille surpr,end, en~r
nuus, -;- je ~r,
lui
reconnais pas ,le drol t de pretendre q Il eUe 1 aune
mieux '1ue mOl,
,
- Ne la metlons pas en cause, la pauvre pel lte.
E lle souffre déjà assez, sans que nous lui fassions
encore du I.'hagrin.
.
- On m'en fait bien, à mOI! gémit désespérémen 1 LieUe. El croyet:-vous que je n'ai pas sou [_
fert aussi CJua.nd VOLIS m';lVC7. montré la première
[eltre de Mme Belloyici ?
- Nise a failli en mourir.
- EL moi donc? sanglote Lietle , J'ai eu une
mi~rane
atroce qui m'a torturée toute la nuit et,
le 'lendemain mntlll, il a fallu taire yenil' le dOLteur.
l'vI. le curé, en d'autres circonstallces, ne pourrait réprimer 1111 sourire légèrement scepti lue,
Mais l'échec de sa tentative lui coûte trop pour
qu'il se laisse dérider aux enfanti!Jages de Lielte.
- N'en parlons plus, répond-il tristement. Je
t'ai dit ce que je croyais avoir;) te dire, 1 Je n1l'
suis trompé et si je t'ai rait de 1<1 peint::, je l'en
delllande pardon. Si, par L"mtre, "'csf toi qui,
COlUmt! jf' le crain,;, es dalls
l'erreur, Dien
l'assiste, Illon enfant, -:Olllllle nous t'assis terolls
IOIlS, ~IU
besoin.
- /<:t VOlJ" priercl. pOur ml,i '! dt 'IIl<llld e I,Hllt .
'illi cesst: enfin de sangloter.
- l'eux-lU en dOIl tcr '!
- Et vous bénirez mOIl IIldfJag/; '!
- Je ferai tons mes V(('IIX pOli l' lJu'il réalise Jes
tiens.
- Sans arlil:re-penséc '!
Le hOIl prr' (re, spontanément, la StOne contre sa
pOItrine.
.
~ Chèn.: pclite, nul pilis que moi ne désire 'Ille
la vie te soit foujours facile cl douce. Puisse aUCun
regret, anCll1l remords n'assombrir cet avenir
inconnu vers lequel tu t'élances avec une si helle
insouciance. Je plains
j"c. PI:lins-b :1l1s-;i, maj.,
�CYRANETTt:
puisqu'elle doit boire Je calice j lIsq u'à la lie, ne lui
parle de rien. Et surtout promets-moi d'être honnc
pou r elle comme elle ]'e t pour toi.
- Je VOLIS le iure, dit Liette, réellement attend ric cette fois.
Pendant qu'elle s'éponge soigneusf'mentle yeux,
puis regarde dans son miroir de sac s'ils ne ont
pas trop rouges, M. Je curé, levant les siens au ciel,
en invoque la protection pour cette jeune tUlle qui
manque de sagesse. Licite surprend le mouve1I1(,llt cl plaillt Cl' paUHe M. le l'l1ré de se Illettre
,lillSi 1Ilartel '11 tète. Mais clic Ile TCIlI 1';1 ' laisser
\(Jjl' cette dcrnière laibles e qui, si plie" SUCCOIll"ait, risqllcr<tit dl' b mcner trop l'lin. Et afin cl ....
1 ('prendre tlil crall ct d'en rendre ;J1l<.:si <Ill saint
h011111.1e lll1l semhle n'êtr plus 'ui-llIcJl1e depuis
lluclql\es jours, ellc lUI 'onûe d'ull tOll cnjollé:
- J'oubliais de VoltS dire, monsieur le curé.
Vous savez, Agathe'? Eh hien, je l'ai l'emh.c à sa
place. Ça lui apprendra à ,ouloir brliler vos JeUres
d'Italie. Un bcau coup qu'elle aurait fait là, ma
foi!
�CYlülNETTE
m
1elld,1Il1 que Liette maintienl ses positions cuntrel'attaque à revers de J'abbé l)iyoirt' et réfléchit <lU'
Illoven de les rendre inexpugnabJ' s, qu' st-Cl que
Denise peut bien penser du fait nOllVeau ùont p'lrlc
tout Ch<1mbéry '!
b:n apprenant la résurredioll de l~()bert
cl tjllL'
son rétablissement n'est plus qu'affaire de patience
de dirc qu'ellc a été hcureuse.
ct de soins, c'est pe~
Telle COnd,ll11né qui obtient sa grD-ce, ell e a passé
instantanément d'une morhe désespérance à une
joie assez profiJl1de, assez intense, assez divine
pour la payel' de toutes ses souffrances el de toute:>
'cs larmes.
Le souhait ,lrdent 1.1'1'elle a\'ait forll1ulé dans lin
.dfreu:\ mOIllC11 t de détresse; cc cri tragique Je
on instinct d',Illl.lnlej cette pncrc presq ue farouche
lue lui arrachait la doulcur el qu'ell e élcvnit éperdUlllent vers le Très-Il:1ut, le Très-Hau t l'a en te11due ct e, :Jucée.
Elle lui de1llandait d\:p.l1j.(ner .vll". \\ clislollt:,
Il l'" l!j1<1l'gné. I~n
échange <.1e son o,;lIul il lui, Lllt'
1:110,111 l'offr<l!1de J'clle-I11t:1I1c, ct son holocatlstc :1
cc 1l1onwnt-I:'1 11(' lui eùl rien cotît!". 1\lIssi, depUIS
'iu'clle sait l'officier sauf, sinon tout :'1 fait saill
l'IH:orc, n'est-il pills '1Ul'stion de' ln conduil'e
,1 1:1 Hauche. IJ.I cure s'cst 0l1l"I'(ot' lotlicellle,
IU:I.,I 1I1IracnlcllsemL'nt, C01l1nw !ln ns le cas JI'
I{(lh~r,
Mai." p:11' lin dl' ,'cs revircmenls (1I1 l'tin' tin CP
détaillunes dont nos pau\res l'tt'lIrs .,0 Il 1 COlttllruit r ,Ut a·f, He l, 1 Iprès Cpl irnlJlJ Il t: ~tfl\
• dc'
lollf',
1)(' 1
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V'II "111111 l
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111\ '1
�( \ ' l' j\ ' , l " 1 1 1:
~)
1
()!ltes les épreu\t:'; 'lui 1';l.\1tnu('nl cil':Uj't' , ('011:; Tel."a-t-elle intacte cetle Jorce Il'JU \el le q lIJ l'a' 1
efficacement r~lI1imée
et qui continu\:! \.iL; l'e'"altel"!
On verra bien.
En attendant, sa félicité plane assez haut pOUl'
qu'aucun chagrin ne l'y pu isse alteindre . Et c'est
heureux, car, ayant j'intervention de M . le curé,
Lielte ne l'a guère ménagée, allallt jusqu'à lni
reprocher d'avoir cessé trop yite d'écrire à Robert,
dont le silence, alors incompréhensible, s'expliquc
très bien mai ntellant.
- Mais n'cst-ce pas toi gui t'irritais de ne plus
rien recevoir d'Italie'? a rait ohserver Nise. 'l'II ne
voulais plus entendre parler de lui.
- Moi? s'est mise à protester LieHe, dont la
mémoire offn:: de ceg sortes de laclInes à l'occasion.
Peux-lu bien dire?
- La preuve en est, a rétorqué malicieusement
~ise,
que je lui ai écrit tout de IlH\me.
- Comment] A Illon insu?
- Eh oui, puisque tu le boudais.
- Oh ! mais, je ne veu. pas de cela, a déclaré
LieUe. A partir d'aujourd'hui, du reste, je ferai
ma correspondance moi-mème. Il n'en est que
temps. Et puis Illon doigt est ~uéri
.
Son entretien avc~
l'abbé Divoil'c, sanS aboutir
précisément ;lU résultat lllle celui-l:i cn espérai l, a l'li
dll moins pOlir eflt'l d'ellgager Lil'tlc .1 renure 11lSlice:1 Sail ainéc. Obligée <l!.: re~ol\aî
t re Cil s()n fol'
'1u'elll' lUI doit he;!l1coup ct l]lll' la pllllvnttt' C'I
hieu ~ pl,lÏndl'l'. t'lit- H'ut tenil S~I prolllesse d'(;lr,'
bOllne ]10111' 01i"e. 1~lk
1':1 jUI'l- li Nl, lt· (.un:, el 1111
crlllent. e'e,,1 ,,;11'1'(0. Mnis Ù" IWlIl'L'IlSL'S displlsilil)lI Ill' 11clll'ûni 1't:lllpl:ch 1 dl' \lli/' cc ljlli ('<;1 cl
,Ti'il', pOlir dll', ('s t lin!: rivak. Oh ! lllll' ri\:!I(' /lil'II
dtlCél', bien lI1odeste, hien peu ;/ cl'aimlre S,Ill
li ute. Ulle rivale lui esi t<lut II.' contl'.dn' d'ull,'
intrigante et yui l'a surubonùamment pl'Oll\é. M· i
"fin 11lH' 1'Ï\':Jlc tOl/1 de mè1l~
.. 1 '1111 l "l\fr~
dl" Cllil' t:lIIgl'!"l'II"t' litai, rl' ~ ('lIe, i Hoi cri appl'l"
�ÎYH.\~ETJ
nait la ,l'litt;. Il n'y ;1 pas à l'é"Îlll;' 1. Elle ,,'t'SI
désistée dl' son chef. TI n.'en c~t
Pd" motOs prudeul,
utile l:llll'(cssaire de ne pll1s lui abandonner cxdusivemcn t, .:omme autrefois, le soin de correspondre
avec MI'. YVellstone.
C'est à quoi songe la fine mouche en s'en reve
nant du presb)'lè~
et .elle acor~le
tanl d'impor~
tance à la chose l{u au beu cie contmuer sa tournée,
elle renonce ~t toute autre vtsite pOlir rentrer plus
(ot rue ~ézil.
- Ma chérie, dit-elle à Nise, avec une tendresse
insolite je crois t'avoir fait de la peine.
,
? .
r
- Quand ça. Ll1terr.oge • Ise, agréablement
surprise de tant de gentillesse.
- Hier ou avant-hier.
- A quel sujet'? Je n'y suis pàs du tou!, vois-tu.
- A propos cie ma corre pondance intime.
Cette fois, lise « y est ». Et Son silence l11ème
ne manque pas d'éloquence.
- ,J'ai été méchan.te, n'cst-ce pas? dit LieUe.
-Mon Dien, je ne prétendrais pas quc les
reproches m'ont [ait plaisir, mais tu étais un peu
nern:use et je n'y ai pas ajouté plus d'importance
'lu'ilnc convenait.
1
Lietle sc suspend au cou de son aînée cl la
mange ue baisers et de caresses.
- Chérie, chérie, III cs Ull ilmour <.le sœurette,
tiens! Je ne t'an'ive pas à la che, i lie.
- Oh! si, dit gaîment l fisc, enchantée <.le St!
découvrir IIne cadette si nflcctuellse ct qui lui lienl
lI11 IJngage si touchant. Perchée sur tes L'othlln1l's.
III es 111t:111\.: rlusgrande LIlle Illoi.
- Je parle au figuré, chérit', ('1 toul i'l fail sérieusement. '1'11 as des qualités!. .. des Lfualités! ...
- Encore un compliment cl je me sauve.
Hon! Tcnons-nous-el1 là pOlir celle rois. Mais
sache, 'i~,
'llW je déplore mes vivaoilés ct les
paroles illconsidért:'es llui m't:\.:happent pnrfok .Te
l\1'en veux que lu aies .\ ('n souft'rir.
- C'esl hiell ;) loi, Litlle, répond Nise, en
�r"H.\;,\ETTE
tour. i\imOllS-1l01h birl1, 111,1
l" lite, Non.;; nous elltenclulns cl\; 11l"'111C.
- Jc sai::., va, je sais ! .. . Dou.:, .:onsidi;:IL' 'llll ' jl'
ne t'ai rien dit, l'autre jour, ou plutùl que je ne t'ai
ricn di l que de très raisonnable et qui puis e rallier
ton approbation. Car, pour en rcvenir ü ce cher
Robert, il faut bien, n'est-ce pas, en arriver
enlin il lui expliquer commenl el pourquoi tu
lui écrivais il ma place.. . Le moment est mal
dlOisi? Mais non, je t'assure, il me paraît assez propice, à moi. M . le curé, en répondant il Mme Bellol'ici, lui a demandé de bien vouloir m'écrire dire.:tement à l'avenir. Je ne veux pas attendre la prochaine lettre de cette dame pour la remercier Je
l'intérêt qu'elle nous porte et de tout ce Cl u'elle a fail
pour nous . Ces remerciements, j'ai ellYie de ks lui
écrire de ma maih. et, du mème coup, je la prierai de
dire à Robert ce 'lue je complais lui dire moi-même,
de viœ vuix, sur JUon hobo et sur J'impossibilitl:
matérielle olt je Ille trouvais de tenir une plume.
- Comme tu voudras, soupire Nise.
- Ça ne t'ennuie pas trop, ma chatIe ?.. . BIen
entendu, lu ..:ontinlleras de m'aider de tes conseils
d même de tes ( tournures ») . On il beau prétenùre
lJUC ce que l'on conçoit bien s'exprime facilement.
tcl n'est pas toujours mon cas. Tl! es une admirahlL
l~pistoèrc,
suréricuremcnl doul!e pour le style.
Tandis que moi, l Ja pension, je n'ai jamais brillt
en compusition française. Tc rappelleS-lu commenl
mes deVOirs Glaielll annlltés par Mlle Acléluïue.: '?
H i'llédiocre.:. Pas de l'onu. -Iuées supedicielles
t.:xpriml!es dans une forme tr"s rd;lchée.:.,. .l'e.:n
passe.: e.:l dcs meilleurs! Ainsi, quand tu me serv:lis
de cnpisle, nous n'étions pus dans nos rôles. 'l'li
s\!ras beaucoup miell.' dal1s le tien ct moi dans le
Illien si J e.:cris SOli" Iii dictél', Ell'vc .Juliel!e, pro.
I<!s-;('l!r Dl'lIist! : cc.:lu te \ ;[-{ .. il '!
.- Ille.: j'.lUt hien, répond Deni'ic.
1~lsrct,;èOmpoiq
r.litlecomptcdeLiclle,
les delt . st,Curs ,'imilallcl1l lkrrièrc leur écritoire.
''l ' ll1braSSanl ;'l SOli
�1 YI!,\ . 1>1'1'1
IV
Lettres d'amants, purs et chers reuillets que
j't'une détache du cœur quand clle s'élève aux cil11L:s
([u'il sait attcindre, \'(~s
accents, pl~S
\ariés et plus
nouveaux Jans leurs eternelles redites que tous les
sons qu'Orphée tÎrait de sa lyre, tiennent en Uil
mot: «( Je t'aime! )1 Mais .:e mot sacro-saint c'>t CI
doit ètre 1,1 rançon J'une destinée, et qui je profau{;
ou, grisé par sa magie, le pronl~e
~l la légt'rl.!, sc'
rail ie plus sùr arlisan de son inrortune,
C'est cc lJue Lieue se dirait si clle en voulait
croire M, le curé, dont l'e, pl~'ienc<.!
du cœur
humain vaut bien la sienne, 110Ia ... ! lluanu clle 1
Jécidé de n'cil faire qu'à S:I I~tl'
, (ous les curés du
Jllonde ct leurs meilleurs ullls .... i 1... n'y pourra iUII 1
rien! El Il; s'est (mharlj ué\.! iq ycllS()11Il'n t pOli r
Cythère, 'oglll: la harque contm v 'nts ct J1Wn',(,,> ,
t'l fuin du trop prudent pilotetlui la voutlrlit n'Ienir au
rive..;!
Aimer l'édkment, l.!lk Ile sait pas cc Llue ('e'>\.
.\his elle cl,'oi t le savoir et c~h
Sil eli t ;) sa pn:sol11 p_
tll\.!lISc' pl tlte personne, qUI ne doute d,' riCIl vi
d'clic lllOins que de tout.
pas de jour l'Il jl)lIr meilSOli rolll,lll ne pl'~j-"
1t:1IJ'(; IOlllllurc '? I~l !o)es 1L'llres, l)()I1lIllL' ci'lIl' " dl '
I{(lb '1'1, JI(' sonl-t'lIc-; P(\', dl' InlÎe!'; !l·tire.; d':1TlHlllr'i
(;'11' I~'
It! rn,l,lIpll ;1 ~!l:_r(.'IHA
hOlii dt· '1 1l\:I'Iul,; ,
' alL't
ph, ,1 Ille ahsolue, IWlllhll!
'-;C 1Il;11 nt:, LI I~
I(llcllt.: 1:1 ... 'gl()~.I
, BclJol'lci éCl'il'nil pOlir lui, Jc'
Jl'llli 'lJ(llllllle, c"trt: francltel11cntl'n con\"le~èL
ne:'
Il jlll 'llfill r0-rir' I"i-m ml'.
.
L,
Il ;t rcpri.; sOli proj\.!t de s'nrt~l
:'1 Cftal1h~'\
'
L II .tllan.t ll1 l\lIgJctel'l'c, plOjl't yui {ol. il " lll'Ie !loin!
d ',I!Jnll Ill' '1 u ;lnd un I1wkll 'ontn'u' l- ht 1.1'01111 <;
·~t \ (; IIU IIl"t bOlll, "crser. Lic. ll c pnrtn 'cs 1 10gitiUI
!l'
�('YIz':L'ETTI::
95
impatienœ et le presserait de falS~e'
compagnie
à ~Ol
médecin et à sa garde, Sil I-;C n'y mettait Je
holà. Faut-il gue MI'. \Vellstonc, par trop de précipitation, s'expose à une rechutc? Les majors ont
mille fOls nlison de le retenir i\ l'hôpital jusqll';t
guérison complète,
- Mais, 1ï ,e, il est guéri!
- C.>st lui '[ui le prét nel ct foUs l ,~ bJessp"
lienncl'1lle méllle langage dès (t'l'ils peuvC'nt meHl't'
1111 pied devan f J'atttre.
Fidèle au pacte '1 lit. 1'011 s<lit, Licite Il ' veul l';J~
C'ngager IIne? discllssion tn'l' vi"e avec sa ~Il III.
l11:Jis au rond clip. pen ... c que M. le curt a dll
s'exagérer ljllelque peu 1.· péril. Si . ~i"'e
<llIl.IÎI
Koberl COllll1Je il es aimé par 1I1le e quise jeunc
fillL lille Liclle connaît bien, adoptcrait-elle tOIljour::. le point de vue des majors contre cdui de:,
fiancés? 11 est vrai qu'elle n'est ]1:1S fiancée, clle
riel1 ne la presse,
Nise, et que, dans ces condil1~,
Lc mois d'octobrc s'avance, ,lVec son cortège de
rrimils qui grillent les dernicr: fClIilhges du parl'
ct qui cha~senl
les Iroupe:lll. lie Icul' pacge~
,d pestres, quand cn li Il MI'. \ \'~ 1J.., tOIlC :lIll1Ol1ce son
arrivée.
Au jour dit, 0'1 l'Il 1If'(' dil '. Lielle el ses parellts
sc rcndenf .1 b g" re, <lll-UI'\ an t de lui. il/isc sc défil'nlit-dle dc s s rOl'C~
',' hn vain J'a-I-OI1 <Id jurée
d'êlre d la pilrlic_
- La m:lisOI1 ne peul l'I .;lel' vide, arguai t-ellL' ,
- Puisque Jo fcmll1" de ménage est là , rélorq lI:1 i 1 Licue:.
- 1 aison de plus, il faut quclqu'nn pOUl' la survl'illcr. 011:111 1 on s'est promis de hi('1l /;Jil'(' Ics
,'l!fJ t..' ,0/1 Ill' les lail pa. :1 d 'mi, n1:l pctite.
/)OJlC Deni e S'OCCllP' activcm nI de dernici S
.Ipprl!ts. [1'. \Vcil. (olle cOllch 1':1 :1 l'illite 1. où
. T. n, lint lui a r lel1u UIlC chal1lhre, mui" on rrel1JI'. le:> n:,,:.! Cil f'a III i1J. , 'oul Il';Cl it~ dol'. (1
r tnl'tlU, .1' lit 1 l 'i"e. t: Olr, 1 1 1..11l'é e 1
l "Il ·if. III
·i.
�CYRA.'ETTE
Encore quelques re<':olUlllanclatioIlS, quelques
suggestions à la femme de ménage plongée dans
la frénésie culinaire, devant le foul'Ileau où s'élaborent des plats fins; un dernier coup d'œil à la
salle à maoger dont la table .est dressée, parée,
tleurie avec cet art, ce goùt qUI font de Nise la fée
du logis, puis la jeune fille I:'asse dan~
~a chambre,
afin de retaper un peu sa totle.tte . COIOée, habillée,
un hennissement de locomolive dans la frallchée
ùu chemin de fer J'attire précipitammen Lau b,1!c0n,
L'express de Modane! Son train!
Seconde émoll\ante. D'ills1Înct, cOl11llle,IÎmélufé
lc regard de Nisc plonge dt:oif ,ur bnl. A celt~
portière, celle pâle et helh' hgllre d'oHicier hritilnniqnc, Ô Lor~l,
c'est lui! Et d:llls snn trol1f-,ie
ilit! icible, elle dOit se comrrt 111er la gorge ponl' ne
pas sc lr<lhir par ce cri ùu cœur:
- Rohert!. ..
Le mème magnétisme qui rascine Nise opère
sur Je jeunc homme. R~poncla.
à la suggestion
cn quelque sorte hypnotlliue qlll les y attire ses
y~ux.
se lèyent inyinciblement sur celle fe~êlr
qu'il ne sail pas encore être celle des Daliot.
Rccollnall-il Denise, comme elle l'a reconnu
d'emhlée? Lors de leur unique rencontre, il n'a
~lère
fail que l'en(rv~i
et ùepllÎc; ~lc
nc lui a pas
envoyé sa pholograplue, comme Llcllc la siennc.
Cependant le \'agl~
-;ol"en~r
,qu'il pouvail garder
J'elle para!l sOllùam se precIser el, avant qlle le
tra~n
ne s'engouITre SOl~s
le ponl roulier, avant 'Ille
la fl1mée Je la locomotive ne sc r:thalle entre l'Ile
cl llli, la jCln~
,fille recueille son grnvc souri,,(',
l'lire courtOISIe, peut-être, mais qu'clic ;li1 (;16 la
prcmièrc à le revoir el que ce soit cl Je '1 11 ';1\';1111
loute aulre il ail s,tluée, l'incidenl à son sens rck\'(:
ùu merveilleux. La supcrstition de l'amollI' \' veut
IrOllver son cOlllple et comme unc ;,orle de
rl'\ ,1111'11(, 'iur le de:-;l1n.
A III gan:, cependant, Ljel~
It ~pigl\!
c 1J11\ll' "i
,'Ile :Ivuil le diable au COI ps. Les vI SCI ",Ilions
�CYRANETTE
aigres-douces de sa mère n'y peuycnt mais. Il ne
passe pas un employé qu'elle ne le hèle pour savoir
;t quelle heure exacte arrive le train. Et quant au
chef et au sous-chef, ils n'osent sortir de leur cage
de verre jusqu'où elle les relance impitoyablement.
- Eh bien! est-il enfin signalé, ce malheureux
\!xpress?
Qu'est-ce donc, lorsqu'il s'arrEte à quai et qu'en
descend le beau lieutenant du Royal Artille1')"?
Tout protocole est mis de côté, nonobstant un
suprême tentative de Mme Daliot pour sauver
l'étiquette.
- Ah 1 dear, dear! roucoule élégiaquemel'tt
LieUe, les mains dans celles de l'officier. Est-CL
bien vous, dea1-, en chair ct en os, ou n'est-ce que
votre ombre?
Lui 0. déposé son sac de voyage à terre et mis
sa. canne d'invalide sous son bras. Une prompte
intervention de M. et Mme Daliot le dégage, mais
il s'incline devant eux avec moins d'aisance que SI
l'étourdissant accueil de leur fille ne l'avait légèrement interloqué.
- Madame ... Monsieur ... Mad ...
- Appelez-moi donc LieHe ! coupe l'intéressée
ou bien je vous appelle Mister WeIl stone, gros
comme le bras, you, naughty boy!
11 rit, mais sans beaucoup d'entrain, comme
gêné de tant d'C'xubérance, comme s'il avait perdu
le souvenir de la petit folle qui, sur ce mème quai,
six mois plus tOt, lui faisait de si bruyants adieux.
M. Daliot s'est baiss6 pour prendre la sacoche.
L'orficier le prie en vain de n'en rien faire.
- \ TOUS êtes ;1 peine convalescent, mon ami,
dit pnternellement l'archivisle. Laissez-moi vous
alléger Je ce sa..:. ous n'habitons pas loin, d'ail·
\eurs, ct si V'JUS \'oldez faire la route en voiture ...
Oh! je puis trt:s bien la faire il pied, assura
Ml'. \\'cll"tonc. Mais il n'est pas convenable que
je vous Jais<;c vou<; rntiguer pour moi.
A la faveur de cet aSSaut d'amahilités,
4'
�li,
1
vRANr.l 1 l'
Mme Daliot gronde Liette, qui n 1'.1 .:erte pa'
,olé.
_ ~\'la
fille, tu manques de tenue à un . degré
incro} able.
non, maman. Seulement, (l\CC loi, il
_ ~Tai",
ùuJrait toujours étre empruntée ... Vous enez,
dear?
_ Attends un peu, dit M. Daliot. MI', ' V-cll stone;) sa cantine <lUX bagarFE's. Je vois m'occupel
Je l'en retirer et de la f.Jire porter tout de suite à
l'hôtel.
_ Merci, mais c'est inutile, d ~clare
le lieutela 13i !'el
la (JI sivne, [j me
nant : .Mieux ~atl
but repartir demain .
Ses trait un peu tin:' , Ill, i qui t'mhlaient,;c
détendre, s'assombrissent ü nouvea , t nn grand
froie! s'abat sur les épaul 'de i\L et de .VIl1lc DalioL
LieHe ·!le-ll1cme. tOllte saisie des dernier' mols
de l'olficier. ne snil ({u'imaginer.
- Demain! s'effare-l-clk, Comment! Déjà?
- Jc sui si inquiet pOUl' la santé de Illa 11<:1'\.: !
répond tristement le jeunc homme.
Allons bon! li nc manqunil plus ljll' 'cla ! El.
,(lui dérange
navrée. de celte nou\·e1le. comp,li~atn
lInc fOh de plus ses petite atlaJl'es, Lletle écoute,
la m011 dan., l'flme, cc pauvre 1 ohert don! lu
IIHIIll'\l1 \ n si l1Ial.
C'est l'émotion qui a été l'une te'l M,'s. Wells1011C. Elle n'a pu suppol'Icr impunément 1 uoubl('
COUD qu'Ile a reçu e 1 apprenallt, il quelques jOlll..
d'inlervalle, le II ~pa
t r umé, pui
l'ino pérée
résun cction Je SOll (il. Li, Ht·, !jl)lTltllU IOllte , n'cil
est 1 : trop Ul'pllse., ( ~Il uOlle, miel! qu'elle,
pourrnlt comprendre 1 Il t de c terrible émo.
lion -l, ? • ·'en a-t-el! pa<, p. ti cil -m'IU au point
lie 1(' ùocteur Illllllen'el1ll' 1 l'obli rel' penu lit
luarant -huit heures' g.m.l J' la c lamhre?
..
1 imen!, cil
li 1 pl inc, Li lie. Elle plulIIl
tte t-onne c.le-llle V, ell tone elle pl inl on çhel
Robert e lE' f'lit pa oir, (ntr r 1(. que 111I
��100
CYRANETTE
_ Je ne le suis pas moins de vous voir parmi
nous, rétabli, répond le prêtre en lui rendant avec
usure son vigoureux shake-hand.
_ Ma fille alnée, Dfl,nise, reprend rituellement
M. Daliot.
L'officier s'incline:
_ Je connais mademoiselle. Et, ajouta-t-il en
retrouvant son grave sourire, j'ai déjà eu l' honneur de la saluer aujourd'hui .
Lielte ne saurait tenir sa langue indéfiniment.
_ Aujourd'hui, dear? Par quel sortilège?
_ Le train passait sous vos fenètrcs.
_ Et j'étais au bakon, avoue r'ise en toute
sim plicité.
.
Si Liette ne se mordait les lèvres, elle laisserait
échapper une s?ttise: Une s,ottise ct, qui pis est,
une méchancete. MalS ce n est pas pt.:rdu et CC:
qu'elle n'ose dire tout haut, elle le pense 10111
bas.
_ Voilà donc pourquui lu tenais tant à surveiller la femme de ménage, . l'lise ? Ail 1"ight) ma
coquine! Nous t'allons survellier <lUSSJ, loi!
�CYRANETTE
101
v
Licite n'a jamais su apprécier, comme son père
ou sa S(cur, la sULtvuge et gramliose poésie des
hivers savoisiens. Quand les monts d'alentour
s'ensl:\'disscn t da ns les brumes ùe novembre;
'lll'aH'l" déccl1I bre sc succèdenl les lourdes tombées de llI.ige lpti ouatcll f les toits et les rues de lé!.
ville et [ont de scs environs un paysage arctique;
r:l qu'il semble que toute gulté sc soit réfugiée au
Ir/gis, dalls l'a tre qui IOn!1e et pétille: aloni
comml,; dés,\l11t;e, elle 11' sait plus que faire, ni que
devenir.
Cet hi\er de 1917-19[:), si rigoureux encore,
lluoique lin peu moins hyperboréen que le précéJenl, de glaciale mémoire, lui parall si long et si
exécrable 4u'ellc craindrait dt: n'en \oir jamais la
fin, n'étaiel1~
les distractions qu'elle se donne el
qlli J'aident à ( tuer le temps »).
Actuellement, sa marotte - elle a toujours une
l11aroUe, qui dure autant que peut durer lin
caprice - c'est le patinage, 1 our se perfectionner
dans la langul' de Shakcspeare el de Byron, qu'il
lui raudra parler correctement lIl\e fois mariée,
sous poin • d'litre ridicull', elle fréquente quelques
jellnes misses de ln colollie anglaise, ct depuis que
la saison Il't'sl pills propice au tennis, au rowing,
,III golf, :1 l'alpinisme, férue de sports 'Il plein
,Ii!', cllL' S'l'st mise;) l'école de ses 1I0lt\ellcs amies
<Jlli s';JClol1ncnl avec ardeur au\. joies du skating .
Joies rL'l,llivl:s d',lillcurs, pour 1I1H' 1111\ ieu lui a
"1:lt~
slIr Il' tard et qui Il'e..;1 P;IS CJ1l'Ol't' dl'S pllls
l', J Cl'I(:' d,tll ,1',111 d\;!~,gli.at:
irnpt:c ',lhl,'·, ."1 d,'
Ill'ul,' It:lrrnùoi "1 cs, <-htdquc,; " billel:; d(' P,\l'~
1/'1"1'(' )' qll'tll/' Ill' 11<'111 '1'111 1'1'(." hl rd,' r,II11:1<; ,'rel
��( \ 1: \, 1'.1 1'1
~ a~
app".. J h; h ""n ·éCI·atiOIl qltici('lI, .le s,'s fiancailles?
C'est dans les (ormes en effet, II uuiy ne . an .
( tralala »), que MI', \Vellstone a rait sa demande .
le soir même de son arri"ée, en présence de l'ahl>0
Divoirc. Les jeunes filles s'étaient retirées, mais LILleur chambre, en prêtant lin peu l'oreille, un
entend ce gui se dit au saloll, où M . cl Mme Daliot
I"l:uaient ùe passer avcc leurs invités.
l Tul besoin au demeurant d'0tre m,lgicit.:Ill1é
pour deviner de quoi il s'agissait , Et quand l~ohei
quitta la maison, en compagnie de.M . le ell!'': C)l1i
s'était obligeamment offert ü Je conduire; ;'1 l'hôtel ,
Lietle était fixée sur le résultat de celte grave dC-libGration, dont ses parents ne lui fnurnirenl le
compte rendu que Je lendcmain matin.
M,.. "Vdlstone avait hel et hien sollicitê l'honneur d'ohtenir sa main . 11 étrlit ;lgréé comme rUlUr
gendre par l'heureux pere ct l'heureuse JIlère, l~1
tout avait élé prénl ct rég-lé pour le miell , s:tuf
ta date précise du m'lI'iage ql1i, comme dl: juste,
ne pouvuil etrc céll;hré [out dl' ~l1ih.:
..M. cl Mme
Duliot tenaien t a ce jll 'il CUI lieu il Cham hé!"},
mais par cela 111 'mu Robert allait a, oil' plus Lie
formalités fi rl:JJlplir qu'iln\;n :llIrnit cu en Angle-
terre, où l'on
Sl.'
lllnrie ave
une fticJ!ité dont
\)11
n'a l'ilS idée en France. Les fiancés s' . rrésentl'Ilt
LI '\"ant Ull clergyman quclconque, le IUt.:! leul' IiI
1111 bout dc papierC1t Il'UI' rClllclUll cerlifical, apr0
1111 geste de bénédictÎ(lI1. C'esi t0111. \',1' dl' hallS,
1 \)~!
pas de PltlIIÎ l .ltiol1, pas d 1('1I10;1l, pa Je
Iliec s d'idcntilt! L'lrYlIlt'n fi 1:1 \IIPCIII" d lil ix·,uatrc.drll 1 Et II \ oilà I(")ul li, mCtn\;! l'our
I,t dl: 1
.\l:il l'Il 1001'.1/11'C 1111 ail)l" ù taire le. l,;hu t· plu ...
pu (Ill 'nI. Dc pin, [{ohln IlIi·1I 1 III étnll d',l\ 1.
l'Jl! Il Il ch <; jouI. Illoins tllsl 's. I;~tu
de sarlie:
Je 5.1 Illl'!' 1 uu il 'lliléliolcr el 1 InilittJiJ't" ljll'il
cl
it
11 11lt:, ' " t(Jul
dénOllCmt:n 1. Il Ill: le
lIité t'I
lJ i t
1 IH! pl
hrlll;4 t1l
pa,. r tOlllllet
l,'
II fronl,
�sa blessure quoique cicatrisée ne lui permettant
I)lus de braver les fatigues de la campagne. Mai:>
.'Ivant d'être radié des cadres, il allai t avoir a subir
d'autres visites et contre-visites qui le pouvaient
mener assez loin .
. - Eh bien, avait dit M. Daliot, si vous voulez,
Illon ami, ce sera pour le printemps. Vous aure:~
le temps de vous retourner, n?us aussi. Et j'es..
père qu'alors madame votre mere pourra etre' des
nôtres.
Un point délicat avait été également abordé:
.:elui de la dot de LieHe. Effleuré plutôt, Robel1
n 'attachant aucune espèce d'importance à ceUt'
question, comme le montrait assel son sourire.
Néanmoins, M. Daliot avait tenu à faire obsen'cr
que, sous le rapport de ~a fortune, .les deux jeunes
gens auraient pu être mIeux assortI·.
- Monsieur, avait répondu Mr. Wellstollc,
,"ous me peineriez d'insister. Ce n'est pas ma faute
si ma famille est riche et il y a quelque chose qui
me parait int~me
plus précicu· que l'argent:
c'est une affectIOn mutuelle. Or, nous nous aimons.
Mlle Juliette et moi.
- Une grosse dot n'exclut pas nécessairement
l'affection, mon ami.
- Sans doute et je suis. heureux de savolJ ~le
ma compagne aura ltne VIe large ct facile. Mail;
tjue pourrais-je attendre d'une « héritière » CJui nt'
m'apporterait que la \·anité d'une ,\mc vénale Olt
mondaine? Ce genre de femme m'inspire une telle
fraycur, dit t'n riant Robert, que jl' \1' 'Il \ouùrais
pOllr tout l'or du monde.
- Quel digne et bon jeune. homme! s'était
\:tissé <Iller ~l dire l'archi,istc, en rapportnnt eel
('n trctien i) sa fille cadette.
- Une perlc, papa, une vraie pedc! avait r(;l1(;héri Liette. 011 nic {Jue la pCl'fettion soit de (;(;
l'1oude. On a tort. Lu i est parfait.
~ntrc
I(.'s fiancés, la COlTCSrOndollec avait rcpri '
dès le .. premiers jOli rs d(' Irll r llol1vrllc < ~'pu
t"<J lioll,
�CYRANETTE
Ijui n'avait pas permis au jeune homme de \oir en
Liette la petite chose frivole et fantasq ue dont il
se méfiait . Ses légères incarta des de la gare ne
tiraient pas, en somme , à conséq uence. Ce n'était
là, pensait -il, que le faible de cette délicieu se
enfant, aux spont:m éités un peu parado xales, mais
non inquiét antes pour qui connais sait ses vertus
foncièr es.
En ces vingt-q uatre heures passées dans son
intimité , la gràce de Lielte - d'une Liette que les
cir-:ons tunces obligea ient de s'obser ver - n'avait
pas dément i l'opinio n qu'il s'était faite d'ell e à travers des puges sublim isées par un grand et pur
amour. Et il J'avait quittée , plus épris peut-êt re
CJ u'il ne l'étai t en arrivan t.
Nise s'en était rendu compte . Avec elle, il s'était
compo rté comme un frère qui en viendra it à se
découv rôr une sœur longtem ps ignorée ct pleine
de gràce aussi. JI lui avnit témoig né toute l'atten:ion qu'il lui pouvai t accord er en l'espèc e et que
son éducati on raffinée savait nuance r il mervei lle.
Mais clIc n'avait pas d'illusi ons il sc faire. Elle
voyait bien que ce frère ne l'aimer ait jamais que
comme une sœur, alors qu'il aimait LieUe tout
autrem ent. Et, quoiqu e le contrai re ne fùt ni
possibl e, ni m\:.J11e désirab le, mainte nant que le :,ort
en était jeté, c'était comme s'il avait retourn é le fer
.Iano; la plaic. Mais si la sontfru ncc étai t aiguë,
lancina nte comme aux plus mauvai jours d'avant
Il- dmme, l'antido te, :l présent , sc trouvai t près du
poison.
- 11 yil! se disait-c lle.
Et qu'il ,,!Jcut, lui dont dlu avait crll pleurer la
mort, cctte hellrellse: réalité faisait coutrep oids ü
l't~ToukJ1e
définiti f de son n~vl'.
Ver:; le mois dr janvier , h.
nouvpll e'
Ju Mrs. \Vellst ool s'étaien t bitL" de plus e]) plus
alarma ntes. Quand son fils l'nvait rejointe , UJle
rt,linc :Il1l-:JionliolJ ,Ivait paru , e l'roc\ui n d,Ill
__ ')Il
,: 1I f, ! ' ,Clrtt' qU'OH '-;rérait pres JIll" 1111
��CYRJ\NETTE
hôlel pari culier, auto de nWllre. ~roJl:;
et laquais
grande livrée, La fut.ure 1\11' , \\ dbl01l jUOlor
nt! donnera Jamais dans ç Il'al t'I":,-1.1 , Elle a bien
trop peur ùu ridicull
- Tes bijoux. mOn l'nfanl? dit Mil1\: Daliot.
Laisse-les dans lcur -.:ohn,l. Tu peux t'cn passer.
Denisl.:, pendanl (C tehlps, r.:lit la triste missivt!
èn
où Robert
ct
épanché SOI1 afflie li ou filiale:
Chère petite LicHe,
plus de mère, Ma
dépêche ,'ous l'ri appris. mais YOUS, d01l1 les
lntn:nts sont si alerles et:-i JCUIlCS, (outlllenl ima~inerc/-l'OUS
toute 1'l:lI.:ndue d'une lelle pertc'!
«( Elle
n'est plus, l:1 honlll mère (lui s'esl
pcnèhée tan t de fois sur 111()11 hl 1(cau de hahy, q li i
Ill';! ,tppris mes premiers mots el mes pn':ll1iers
P"", consolé de mes prcl11 ier" (hagri ns t'I (IL- mes
pl' mins d(oboire ! ,T OltS ~1\OIlS
pVl'JU la g~lrdi(;Jn'
du home. l'admirable édlleatric'l" ll\li s'in,4'(:lliail ;t
l1IoJell'J" IlH'S s(t;urs sur ~on
ill10g1 l.:t ;1 111l' IGirl
dlglll d(' mon j1L're, h01ll1t t.: d'"horJ lin pl'II rigiùl
lot fluiJ, Ill'Iis hOIl Ù:tIlS l'oInH", jus le l"O Il 1III l' III)
tint C" il 'lui !'aIUl'h"ieot dl'S li( ilS -"UI' IC..;qUl'ls Il.:
temps ,,'a jal1uis II lk pris', I)all\ le père! AI l'ès
.Ivoir trf'l1lblC- pour elle, je ais Irembler pour lui,
lJili n'est pllls ll"'un corps snllh DII1C,
Il Chère petite Little, vons Il)(' (lilrdOIlI1Cn.:z de
VOII mOlltrer Illon l'ft'UI :1 dl. ()1I'il \OIlS appar
lienlle, yOlt>; n'l'Il ;11 riez dnulel", lll:1i,., 111011 amOUI
!l0lll l'OUS s\ sliperposait. sail" l'e clllre, ;l IllOIl
allleJlJr ('cJIlr mimer" cl "OU" aUI"l.:1 hl'nucoup a
':lire pour \ l'olllhlt,[' un si f.{I';Jl1d "id\'.
l' lelid
( 0 111.1 1 iCfl-a i Ill(:e. tOlt tl: ma pen t:~
I(
« Plaignei',-moi! Je n'ai
l'
'I~
1 ()lr 1 mit' 'S c.
(omm'
V('r',
le Sllll
ilal11herlll
qui t 'I.tir ilia lluit! \'ou, tf! Il (JI] éloik', \ 011"
et l' 1ll0l1 <.: 1'c!I"ln'CI' ~l ml! lOI! i\il1l 'i-moi da\':1I11.lgl' ellcor' i plls"ihk, ' ':C.I ,'C IU(' J.IIl'lId LI.
VIIII
1 c'C'il Il: ll'1oln qll( \ lis voud! / \ 'l' Cl
111 Il (II 'fi III' )l1i t cl: hire".)
�Et llualld :\ise a lini Jt; la relire, ceHe triste
lcttrc qui Cil évoque d'autres dont elle pensait
mourir comme en est morte Mrs, Wellstoue, son
ahattement contraste avec le sang-froid de <;;\
cadette, o-:cupée clc détails pratiques.
[) faut répondre pourtant ct la collaboration des
deux "cents aboutit une fois cie rlus à ['une de
ces pages que Robert sai t si b~en,
apprécier.
- Souffle-moi, veux-tu, NIsc? a supplié LieUe.
Et Nise, d'un jet, lui a dicté ces 'luel<'j1\cs lignes:
« Je souifre avec vous ct pleure avec Yous,
mon Robert, mais je vous crie courage:, parce qu,'
tout en moi s'insurge contre l'idée impie CJuc 1"
mort puisse èlrc la lin de tout. S'il en ét~li
ainsi,
il vaudrait mieux ne jamais nailrc, puis lue, trop
souvent, vivre c'est souffrir. Dans sa justice, Dicli
a ,"oulu la souffrance. Dans sa bonté il a voulu le
bonheur. Nos joies hu.maine~
,sont trop fugitives
pour compenser nos mfi rJ11ltes. Cette compensation, il nous faut l'attendre ù'un munde meilleur
el, bien souvent, ceux qui parlent sont moins il
plaindre yue ':ClIX qui l'l'sIen!.
I( SOFt \ aillant d:.illS cellC épreuve .:omUll j'ai
essayé de l'cn~
ùans la mienlle, t'1 t::tchez d,.
1 cmonter
monsieur voIre pl:fC, dont 1I0U~
concevons ici toutc la douleur. Vue ne sui '-je prt:'7
dl vous pour vous y aider de III un mieux! Comml
je l'aimerais aussi, cc pau\ 1\: et hOIl père, COmlll('
je m'appliq lierais il lui plnirc cl à lui changer les
idées 1... Il
LicH(; cesse un instant d'écrire.
- Parfait 1 approll\'c-t-elle en connaisséusl:.
C'es., simple et bie.n sent.i. Mais, en nous y <lppesantlssant, nOl\s rlsquertons de rater notre eflet.
, isc. ,"cs-tn pas de mOn avis? Moi je trouve 'Ille.
pour nOlis chang-er ks idGcs, il sl-rait hon de pad r
d':lUtr l'!Jn"'c. Hobcr' rEchme sans l'(; sc de no<;
Dou\('lles Il r:IOük dt· détail" in('dit. ('cordon
�CY1<Ar ET'fE
109
lui satisfaction. Ça lui sera tout aussi salutaire et
agréable que nos larmes et nos soupirs, voire qu<,
nos évocations des félicités posthumes. Je suis
croyante, moi aussi . Ne le serais-je pas que M. le
curé, qui est une façon d'apôtre, aurait tôt fait de
me convertir. Mais, soit dit entre nous, si je ne
doute pas de l'immortalité de l'àme, ni d'une
seconde existence, l'au delà ne m'attire guère en
ce moment-ci, je m'accommode des faibles satisfactions que l'on peut trouver dans cette vallée de
larmes et, sans m'écrier, comme je ne sais quel
roi : le Après nous le déluge! » ou : « Après nous
la fin du monde » - je ne me rappelle plus bien,il me semble sage de profiter un peu des biens terrestres. Plus tard, quand je serai toute ridée et
ratatinée, peUL-être ne raisonnerai-je pas ainsi.
Peut-être aurai-je hàte de dépouiller ma guenille.
Mais ...
Mais Nise l'écoute-t-elle seu lement?
Elles ont beau se faire des concessions mutuelles
- Nise surtout, - jamais leurs idées ne concordent étroitement el vient toujours un moment où
tout ce que peut dire l'une n'a plus d'intérêt pour
l'autre, quand pour cette autre tout cela ne détonne
ras étrangement.
·;:' e5t ce qui navre Nise et lui inspire tant d'inquiétude ponr l'avenir. Sachant à Ci uel point Robert
communie avec elle, elle se Glemande comment il
pourra s'entendre avet: LieUe, qui n'a ni son tour
d'esprit, ni ses penchants, 111 ses aspit'ations proCondes. Et la réponse est si désespérante que, pour
ceci comme pour le reste, elle n'a d'autre re,-ours
que de s'en rem('lIre à Dieu.
��CYRANETTE
li
Je ne dis pas, mais et toi, mère, ne vet"~-u
pas lui être agréable? Nous ayons decidé de ne
rien faire. Vais-je reyenir sur nos conventions?
Et puib .:e rien faire, ce n'est pas ù la portée de
tout le monde, et ce sera hien plus original
comme cela.
Le 1110t est lâché. Ètre originale, poltr Liette.
c'est le comble de l'Ht en matière de mondanités,
comme en peinture ou en littérature. li rte faut
jamais sc mettre à la remorque des fou es, de leurs
.;onvenllol1s et de leurs préjugés. Un prëjugé, la
mbè hlanche. Un autr préj"gé, les dèmoisel~;
c!'honllcur. Et quant ., l'étalage de la corbeille,
'Juant au Iner, quant VU bal, Liette y voit autant
ll'archaïsmes.
- Et nos 'uui:., qu'en' ais-tu? dit Mme Daliot,
comme suprème 4lrgument.
- Oh! ils pourronl assister à la bénéJiction
nuptiale si le cccur leu r ']1 Jit. Mais il n'} aura pas
de « faire p:lrt ".
Mme Dalio! n'est lullement con ertie. j fèllle ',,1
(ontrariété n. rait guère de doute. Mais pOlir les
mères t ce n'e51 pas la moindre épreuve dt
leur \ ie toute d clé OI1t'Dlcnt - l'heure Je l'abdication sonne tût ou lard et elle ~en
( bien qUe sa
fi Il 'lui ·chappe. Dans un mois, Liette :sera femme.
Comment, d'ores et déFI, ne ,'essaierait-elle pa.'.1
voler de ses propres ailes'
- Toul de même, pl!Tl l! Mme Dalio!, j'ai toujonrs ménagé m'lIn,ll1, n1oi. Aussi flle \'crS.::lit-el1e
Il:5 trésors de son r. penenc et de sa tend S5c.
Une m6lancolie la gagne, \j' i ln reporte de Ilngt
'ct quelques années en ,trrièrc. Un qual·t de slède,
ponr qui a.nticil e ,;UI' l'avenir, c'est commé l'éternité. Pour qui St: retourne v 's 1 pas è, c'est bien
ments qui y
peu de chose t il semble Clue les ~vén
fan! t!poquc affluent nu,' premier,:> plans de la
mémoire à tne '11". ql'i~
reculent cinn J'ordr'
hronologiq ue.
~1
n',) ql1'lI clnre, dem 1
ngi
�TI2
( YRANETTI.
-:0rébrale opère, revÎyjfiant intensément les moinùres souvenirs de ses propres fiançailles. Comme
tout y avait été bien préparé, calculé et réglé,
depuis la savante ordonnance de la première renI:ontre jusqu'à la minutieuse composition de son
trou seau! Et quel sage et harinonieux acheminement de son inexpérience l'ers le sacrement qui
de la vierge fait une épouse!
On n'était riche ni d'un coté, ni de l'autre, mais
on appartenait à de bonnes familles, respectueuses
des saines traditions . Et, dans la fleur de ses dixsept ans, quand, sous l'égide de sa mère, Germaine avait fait son entrée dans le monde où elle
:lilait conuailre M. Georges Daliot, alors tout
jeune fonctionnaire, bien qu'une inclination secrète
ne dCtt pas tarder à le lui rendre très sympathique,
clic ne se fùt pas permis de contrarier ses parents
"ncorc moins de l:ul" tenir t~e,
si,. dans leu r prl~
dcnce cl leu r 1 reyoyance, Ils av;:uent cru dcyoi r
choisir pour elle un autre parti . Mais lluel :luIre
parti lili eùt pu mieux convenir'? George' l'aimait.
Il avait J'excellentes manièrcs, des qualités que le.
rrcmier venu n'a pa~,
.tout. ce qu'il fnut pOllr
,r arriver li ùans l'a ù1l11l1lstrallOl1. On IlC pouvai 1
donc Il' voil d'ull tla\'i~
œil, ni faire cn sorte
qu'il n'approchüt point Germaine. S'il cherchait
les. occasions ùe la IC~lcot:er,
il y apport'lit
d'a!lleurs beaucoup de dtscretton, savait s'effacer
:lll besoin r.t :Jltcndre stoïctltcl11elll de pouvoir
0dH1I1gcr quclliues mots H\'CC clic sans qu'en 501lfr"issent Ics convenances.
"v1l1lc
Daliot .revoit
,.. . la honnc
. figure du vieil
.
amI COl~UIn
qUI s.eti'lt cntrCl11l: comme négocin- '
[C\l~'
pre,; cl, son pere. Elle rC\"C)lt i\1. Daliot père,
r;n jaquette. halll de forme et gants chamois, sc
présenter ,1 15011 tour pour la clCOloll1de 1'11 l1arÏ:g~.
1~I(,
n'a..;sislait pas :1. ~etc
cntrevue, il va sans clin.
\rai~
rue de Derrière-les-Mur,;, quand un visiteur
lirait la sonnette, on n~garlit
par une pCI' iennc
pnur savoil';'l Cjlll on .I\',lit atlair-: ... Et pui~,.
,1\:Jnl
�CYRANETTB
l T.)
"'
la première vIsite officielle de Georges agree
.:ümme fiancé, ç'avait été son ,premier envoi de
de muguets dont Gc'\"t1enrs blanches, une ~rbe
maine, en toilette rose, avait détaché un brin pour
le piquer à son corsage. Ce soir-là, pour la première fois, elle lui tendait la main en le remerciant
de son bouquet et il prof! tai t Je la circonstance
pour lui remettre une bague toute sim pie, ornée
seulement de quelques perles. On dînait entre
intimes, les fiancés réunis au bout de la table, et,
huit jours plus tard, l'invitation était rendue, dans
les règles, par la famille du fiancé, Germaine prenait place entre son lutur beau-père, côté gauche,
et Georges, coté droit.
A partir de ce moment, lui, Georges, pouvait et
L1elr ait la venir voir chaque jour, en présence de la
maman de Germaine qui dirigeait la conversation,
s'associait aux projets d'avenir des jeunes gens et,
al"ec une délicatesse \nfiuie, SOllS ombre d'un
ordre à donner, de quelque détail domestique à
régler, s'arrangeait pour leur ménager un instant
de tête-à-tête au salon, dont la porte restait entr'ouverte, L'intimité, ainsi, s'établissait progressivement, sans heurts ni à-coups, On s'était dit d'abord:
<1 monsieur ,. ct l( mademoiselle lJ. Puis: « monsieur Georges l) cL I( mademoiseIle Germaine )'.
Maintenant, on se di-;ait : « Georges II ct I( Germaine II tOllt court et l'on n'avait pas l'impression
(lue ce füt osé ou déplacé, taut c'était venu naturellement. Le fiancé ne se départait pas encore
de toute réserve d'ailleun;, loin de là. Bien que
son couvert fut toujours mis chez sa nouvelle
fanlille, il n'abusait pas de cc privilège ct se conJuisait en garçon bien élevé ct non en pique
as~,iet.
Vers le milieu des fiançailles, obligé de
s','bsenter Je Chambery 1'0\11' quelque temps, il
,lvaJl )ollicitê et obteuu l'autorisation d'écrire il
Germaine, mais Germaine montrait ses lettre à sa
llIcre et n' , faisait jamais réponse qu'elle ne l'eût
(onsultée au préalable.
�('YRAI ET TE
Par la suite, sou~
le même chaperonnuge bienvt;il1;:ont encore que vigilant, ils étaient allés au
concert, au théàtTe et même au bal, où ils ne dansai 'nt qu'ensemble - Les im'itait-on dans une tierce
Illuison? lb évitaient de ~}y
rend~
de compagnie .
•\11 surplus, jamais ils ne ru sent sortis seuls en
\-ille.
Le l'es e il l'.lven:Ul t. lien Cf ue de conforme iHL
hiellséat ces el ù la tradition, les invitations pOUl." l,
mariage rédigél:.s ~\'c
soin c~ réparties illdicicn.
"Lment entrl': la famille, les a111IS et celles des notahilités sus 'f'ptiblcs d'honorer la cérémonie de le!]r
pr'sen e :
Memi.ur Leu" (7J{1r.ltJ(D.
v.:t.,,1' du /1fu.ù de la 'ViI/"
Itcro"4iu cie la Soci,li J'j7rchio10Kic 4.1" S".,oi., of/kirr de /'1",Ir"cI,on Il/lbli'1uc,ellIf.:da",c lOlli,
G~lr)U(D
onl'h~Ir
d, vou.
(."r~
p.:rl cllI mariage df /lfade",o"el1e Germ,une G7V'VJl1{D.
1",1' fillr, a.,eC )/fo,... i"ur Georgel
(O'UC'
DJlL107.
Mons,eul' Philip;, il 'iLlOr.
n'-greffiu du 7,';b./1.:1 ",uil d,'
Chambéry tn '·tlrf:i~,
mtmb,
r
honor,:irr J., l'Auoci.:I~,
bi ;
I,ch'''qlle, ch,ulllic,. .i.' l'Ordre d"
.;'/férUe agricole, cl .;;i.td.'nre Philippe DJlllOT enl l'hMllellr 1
'UOIII faire pari cl" "htnage ,le
';"Olureur G,org.: DJ\1.10T. leur
fir.. "DIIC M.tdcllloi"116 Germaine
G}(1'V.ltJ(D.
cl UOUI pritn/ d'au;,/,r à la Héntaiclion Iluplia/t
'1"i Iclll ..ra dom,il le jeudi 29 avril 1897. à ",idi l'rédl
en /If CalbiJrale,
•
Et Iucd'alltresdi positions, Cjucd'autresapprèts
IV. III 1 gland jour ()ù tOlite III mai 'nn a1l1Gnagt
puur l'Cl! voir le:; invi1és regorgeait th.: monde!
Enfin, Ilahilléc .I"ec amour par Ses suivantes, la
mariée prenait pJac(' t1an~
le landall rangé bien :(
l'avil\1cc clev<Jnt la porte. El le ClJrlcge s'orgatJi~1.
l~n
tête, elle et cs pèr e et mère; dans la second
cal che, Georges el ses parent ; et dan les autre ...
t le invité. Et quand, sortis de la
r all'i , 011 arrivait a l'église, la mariée y entrait
olennellcment au bras de M. Grivard, entre deux
haie de curieux. Alors, éclatait une 11larche allè-
l.t bmillc
gre et l'OJ'gue accompagnait Germaine qui, le"
}'Ill
ch.\ lemenl b liS és, gag nit on fauteuil .. ,
�("vrtA
1.'1 '1'1,:
Mme Daliot lai~se
échap~J'
un soupi;·.
Que tOlJt :a .\3t loin e+ que les temr~
30nt dont
changés!
Dépourvu de la mise en 'ct!l~e
inJ~pesabl
à
son éclat, que va èlre le marwgl Je Liette? Ce
'l'tl'auront été es fi:lJlpilles, qu'_ig ue dlOse d'incoli
lestablemenl original, mais aussi, hélas, de lrt!s
choquant pOlir qui a le respect inné des convenances. Outre-Manche, on agi t comme on l'entend
ct il se peut qu'il soit normal de s'y Gancer sur le
quai d'une gare ('t de s\ marier en mackintosh.
:\llis Chambérr est en S,woie ('t la France n'ec;1
pa~
l'AngletcITl'.
EnGn, il faut se résigner Cl Mme DaliOI essaie
d'en prendre son p,~rti
mais 'Vraiment c'est dur.
Si cncore toute 1.1 vie conjugale de LieHe et de
Robert ne de\'ail 1 a~ se ressenti!' de cette absurde
dérogatioll aux principes!
Mi-indulgence, mi-prudence, M. Daliol a pré~
féft! ne se mêler ùe rien, Pl • ilôe obsel'\'e la l11êm
retenue. Peu lui en chaut de savoir ~ornmet
Juliette se mal iera. Ce qui l'~poU\ante,
c'e t ll'
J'nit en lui-ll1ême : Li( He c; 1l~ 1 ie et !oie rnal ie m'e~
Roher! !
l'~e
jculw h0ll1l11e n'appal'lient plus i\ l'armée.
Toutefois il n'a recouvré tpl'une libertlt relative,
son p~re
lui ayant pa 'sé la main pour l'exploitalio/l dll ~aste
domaine rural d'oil les ""cIISlollC
tirent le gros de leurs reveI1U';. Alll'si ne passeIa-
(-il pas cn Fr:1nl~e
(out le temps qu'il dé!oiircrait. "
.\ITi"cra huit on di,' j()urs r1\"alllle mari'lge, clJ1l11è1\('1". ~;l jeuJle femme pour huit ou dix 'Illtrr. jours
(II Ullcourt 10', g ,de I,OCl' d,m leMidi, et l"t
Il'
tlr:1 fil'ct: ,1] Llil
SIS adil.Jll. h M.l,t MIIlC Dali( t
;!~.1I\
de l' 'pren Ile le chchlin du home, )'al' Pari!>.
,j,
Boulogne, Foll, , ln le, Londros c PlynH lIth.
],jetto C prom t lie s'arr t '1' lin peu pal·tout,
liO(nTl1lllenl 1) P;Jri~,
,)11 clic désire répol1dre h j'illl'il tion d'une amie IIldrié
,IV III elle d'lui)
n!si le. ~i dOliC mllintendlll lé lemps.: 'ou J Il <Ir>
�vite au gré de 0:ise, il traine jolimcnt au gré dc S<l
sœur qui, comme les soldat!; à la caserne, compte
les Jours sur le calendrier.
. 1.. .. P1us que .SIX
. ,••• • P1us que
- - Plus que 11Ult
quatre!., . songe l'une en frissonnant malgré elle.
- Encoresept!. .. encore cinq!. .. encore trois !.. .
geinll'autre qui bout d'énen'emenl.
Et avec ;on égoïsme qui s'ignore, t:ette incon5cience qui lui est habituelle, ce peu de mémoire
l\l'elle a dès lors que son,illté,rèl Ol~ son plaisir est
en jeu et que, sans mtv~lIse
mtentlOns, par étourderie, elle fait abstractIOn de ce que peut penser
et endurer l ise, dont après tout elle n'est pas
censée savoir le secret, Lietle déclare:
- Je m'explique à présent pourquoi les tommies chantent" Tippe-rary". Dieu que c'est long,
:'-1 ise ! Dieu li ue c'est long!
Elle jettc un coup d'œil par la fenêtre, constate
que Je ciel est clair, que le Nivolet n'a pas son
bonnet, et reprend:
- Tiens! je voudrais être plus viei ll e de trois
jours et même cie dix. ;:-.rous nous amuserons bien
pendant le séjour de Robert à Chambéry. Nous
retournerons à Aiguebelette m'ec lui et tll nous
a.:compagneras cette fois, Nise, ainsi qu'à Aix lesBains, au Bourget, au Granier, aux Gorges du
b'icr, bref. partout Ol! je le conduirai. Mais tll COnnais les idées de maman. Elle ne nous h\chera la
le cou que Jorsqu'el~
ne pourra plus
bride Stl~
nOlis tenll'.' et no~s
nc serons vrallnent tranquilles
{Ill'une fOIS manés. A lors mon seul chagrin sera
de VOLIS quitter, papa" elle et toi, peut-Ctre pour
tn\s longtemps. Pas Je Jour de mes noces, puisllue
je vous reverrai après notre petit tour dans le
Midi. Quand noue; filerons sur Paris, veux-je dirc.
Car il parait qu'il est extrCmement difficile d'obtcnir des passeports entre la France ct l'Angleterre
ct, si la guerre ne iinit pas bientôt, ce qui est neu
probable dll train dont vont les chose~
- ceg
Ilollvell,., olfensÎ\'C's boches, qu'en dis-tu. hein? ~
�CYRAXETTE
TT'j'
je ne serai p.:..s près de refranchir l'ean nue fois dl'
l'autre côté du détroit. .. Mais qui sait '? Tont. s'al
rangera peut-être, Nise . On dit qU(' Foch prepar\'
un coup . S'il culbute Ludendorff cOlllme le pèrL'
.loffre a culbuté von K luk, sur la Marne, la pai.\
ne tardera guère. Et alors les autorités française'>
IO!t britanniques ne nous raseront plus avec leurs
formalités. Les trains remarcheront comme aupara\'ant, les paquebots reprendront leur serviœ
réguliel' et, si je ne ,iens pas la première, vous ell
serez quittes, mère, père et toi, pour aller me voir
dans le Devonshire , En tout cas, ma chérie, promet solennellement LicHe, compte ,;Ul" moi pour
t'écrire. Je te mettrai un mot de Paris et t'eLlYerDi
des vlles de partout olt nous passerons, et aussi de
longues leltres olL tu trouveras mes impressions
d'Angleterre ... Es-tu contente '? ... ~on
L . Tu ne
réponds pas L. Tu te détournes?.. Ah! Nise,
1 ïse, ce n'est pas bien, ça. Pleurer parce lll1e je
ris! Te rendre llullwurel1se cIe mon bonheur!
).l'ise a ULl geste de protestation violente, mais
elle nI peut dissimulel' les larmes 'lui lui jaillissent
des yeux. Liette lui passe les bras autoul du COli.
- M~
chérie, pardol1 !.. . EIDbr~se-moj!
Je
,'aimt; bien, tu sais ... Oui, va, je m'explique t;1
pcine.,. Mais, puisque jl..! te n~viel1dmj
bienlOt!
Pui"l{ue tu iras me voir I;)-bas! Allon':, laisons
risette ;\ votre jeune slCur, gramll vilaine, cl
cmbl'assons-la, embrassons-la \'ite, llIieu . que cela.
'\ lIln:ment, damc. je crou'ais ... Non, cc n'est pas
vrai. Je ne crois rien. Mais embrasse-moi, Nisc, cl
lie pleure plus. Ul, c'est lini! Tu es la meilJeul"l
lies' Iles, 111a .:hérie. Et rappelle-toi ce que je te
dis: avant Jongtemps, lu feras un hon mariage, loi
aussi, ct lu riras bien en pensant tllle lu avais du
chagrin, parœ que, moi, la cadette, j'ai trouvé à
me C:lser :lvnnt loi,
�l .) '.
II
,El']
E
VII
Et maintenant tOul est consommé. L'irrépat" hlt·
est accom pli et _Tise a bu la lie de son cabee,
Del'ant Dieu <"t devant les hommes, Liet1e: est unie
pour la yj(;; a Robert!
S'il nous t'allait tirer la morale de ce Jllariage ,
en tallt que ('Grémonie, tenant compte de ln
dGcom cnue de i\lme Daliot, mais dussi de l'GI<11
J'esprit de sa fille aînée, HOUS ne salrion~
1'iell
t.tire de mieu, que de "cprcndre à notre compte
l'humaine cl profonde sagesse du \ ieil adage:
'l' q uelq lit' chose malheur est bOIl. "
Cette mer il pu .oulll:il dans SOlI légitil11e
.lInour-propre de hourg;()~st:.
Ce ~n ... ri<lge a pli
lJ1anqucf' dl' grandelJr. I!..t Il est \ rai qu'il cn eCiI
Gté totalement dépourvu, sal1S le curactere d'élén{.
tion chrétielll1 qll'en officiant l'abbC Divoirc a Sil
donner 1'l 1.1 cérénlàni . l'lais, ell -;OlJlJllt', .lll point
de Yu de, i.,l!, ne "L!lait-il pas illiCH 'lu\' tout e
pass.1t 111rt: illtillle' et en tOlite illlplicité'?
. pn:s la torl11l1lc sal.'ralll\!llfclle cie l'E" 'C(JI1~
jllngu )'O.~
ill 11I11/'imollilllll .l la pl'~sntaj()
rituelle ch- l '<1 11 Ih';[11 , ljualld M. le llll'l\ faisant le
siglle dt: Id cn,i slIr IC5 épollX dg '1IOuill(O..;, b; n
:-;olenllelll'IIlLlli hé\ll', i/l /lol/Ilile /) lll'is, el J.'ilii cl
I,}Jirit/ls .') IIlcti, puis, d'ulle voi CJll'il s'cllim;a:'
d'affermir. ,1 psalmodié un PIllOllv;lI1t 1\\ l'il!, cid
S/)I,l'i~
lcJ.\h:e~
OU', S.t erni dg'l\1i,cllcllus i
- S ignclIr, .1 'CI riti;! ( i1ri l, .1\ l. pitié!
l'l.li
Sd
Toi
" l'cllt-l·lI· p.1 CC!'.I e(', e!J· l'ill-
omri i c, 1., 101110111\ u ',1.1 sacrifi e, i cil 1\ Iii
dil la porter lout Ull j01l1 de pOlllp' '1 le !Jcss ,
p; nlli les n'urs, l'Cil Cil S cl 1.1 11111 iq tiC, t 1 J
ItJ Cl! ho IIIll!> d'Ulll: loul d'ill\ it( '! CI 111 Il i
t't. I/lUI P ri 1 ('Il 1\1 l.i( I l , 0111
�Ill]
« tralala )J; cette cérémonie dépouillée dt: Loute
mise en scène d comme escamotée, quelles souffrances ne lui ont-ils pas épargnées? Si clone, en
les voulanl tels quels, Lieu' ne songeait pas seulement ù se singulariser, si une pensée compatis- ,
:-.anle l'engageait à rendre moins cruelle supplice
de Nisc, il se peL1LlLue, 1':1r ailleurs, elle ail heau,
l:OUP péch0, cette bonne' pensée, on d0vra lui en
I{'nir C01l1plt" et ililli ,er;1 beallcoup pardonné.
IléL,~
pourquoj ses meilleurs élans s'an'ètenl.ils Collrt '? J ( mqlloi est-/!lIc si étollrdie, si sujette
;lll
réJl', iO!ls inco 1sidére~?
<lri"t:l' par ::'<1 forIlllW,I'0!lrqulli, nI' le point dl parti, 1 n voyag de
Iloe ';l, <1+ 'II lait 'Ileore dt; h 1 eint;" ) Ti<:t; Il bis'.ll'I &~h'IPr
-
Cu Illol lU lheul'eu
:
l'e trol \ s' 'P IS. chéri " que cela l'es'-emble
,1 Ul t'llIèvCllIcnl
'!
Avant leul' 111.1 rl,lgc , Jurant les huit jours que
I~oberl
(1 passés a Chamhéry , Ie:. ii ..1I1cés <l\ aient
di·jù. pu prendre com:nc un avant-goù! dl! !cnr l,une
dl' miel. Le matin, il n'était plu..; hesoin Je secouer
Licite pOtt l' qu'elle S<lul:lt Ju lit. Debout la
prl'llIière, C'él,\it elle qui se c.;hargeait li SOllnel' le
hrnnle-b .. s d~s
qu'ull rayon de :;oleil, liltrant de
hiais à travers les jolou ·jes, faisait dil1~e
... 1l1 coin
dt; la chambre J'agile corpuscuks d'or. Car le
moi de llIai
'ioleil se Il\onlrait hon prince: iam'l~
1J'.lvnit plOdi rut.! pilis de tiédelll' prc~Col'
à la lelT',
d(~
;tp lé i t(,l d It:llr" l;apllchl Je neige le \{ 'vard
t'I l 'ivol l, l1lét:llIlOl'pho-,é si dIe la vnlléc en lin
ill1111e/1 { hOllquet d I1lCrio;iCl'S '1 l' lcacins ('n
I1cI\I , Et telle ét,lil l'dtlit', Ile\' d cc lw:lll temps el
dc cott 1)'111' ,lmpagnc, qu'il r,i11:lit partir dal't'
clare. ~ 'C 011 ans M, et Mme Daliot, mais tonjonr.
a.v'c 1i , dont 1.1 m re joignait se in lances à celle
d s fianl.-é pOlir qu'elle les accom pagno.t :1' Ih
1 ur rand nné s cl' xcursionnistes inl:\ligab! ,
Rohf1l l, r'lde' fl'était une IIllo 1\I'il c()I\c\lIi
. il Ini.rn me t ùont Lielt , qu Ind 011 cl. il I"il!
,1 h il! t r"tend " 'lppr ndl
1 nir le \,,) ni
�I:lÙ
CYRANETTE
- ~Ial
, LieLte, tu vas nous jeter dans un ravin!
sc récriait Mme Daliot, peu disposée à courir le
risque d'un capotage.
- N'nie pas peur, maman, répondait Liette, entre
deux inquiétantes embardées que la poigne experte
de Ml'. \Vellstone s'arrangeait heureusement pour
rcndreinoff'ensives. Je t'assure)l n'y aaueundanger.
- Tu en disais autant du patinage.
- Oui, mais Robert n'était pas là. N'est-ce pas,
darling'! N'est-ce pas que, si vous aviez été là, vous
ne m'auriez pas laissé bousculer par ce stupide
lycéen?
D'autres fois, on se contentait de prendre le
1rain, puis d'aller à pied par les chemins de la
montagne. Mais, :w bout d.e trois ou quatre jours,
iVlme Daliot et M. Daliot lUI-même, qu'exténuaient
ces marches forcées" avie~t
dl~
demander grâce,
et les jeunes gens ne s en plaIgnaIent pas.
- On esl bien plus tranquille comme cela,
urinait Liette.
Robert pcnsail peut-être de même et il n'était
pas jUSqLI'à Nise qui ne s'accomlllodàt assez bien
dl' ces sorties à trois.
Ml'. 'YVellstone, en effet, ne sc croyait plus tenll
cie ne lui mdrquel qu'une courtoisie banale. DOlll:cment, IJ glJ.cc londait entre eux, COrnille cliC'
s'était hrisée tout de suite entre LieUe ct lni.
L'lwrmonie llni régn;1it dans leurs idées et leurs
sentiments les engaguait à de longs entretiens ou
œrtaine étournette de fiancée ne trouvait rruèrc il
se mèlt!r, car ils portaient exclUSi v e1llent ~lr
des
~uiets
intellectuels qui n'étaient pas de son ressort
comme les caquetages où elle excellait. Elle Cil
éprouvait hien quelque agacement, mais sanS le
L1ire voir, parce 'lue ce', édlange~
de vues SUI l'arl,
1<1 science' 011 la religIon n tirJicn 1 pas à con:,e'1uence cl 'lu'il Il'ttilit pas l11<luvni que Hobert
se fH une haute opinion de la culture de la famille.
Cependant, Ml'. \VelHone s\ compl:Ji~t
peUl
èt n' Ul! p li trnp, à ces nt l'l't l'ri 1:1 nt ~Jns
llégll.
�CYRiL·ETH.
121
gel le moins du monde sa chère petite LieHe, si
vive, si enjouée, si spirituelle même quand elle s'y
mettait; tout en continuant d'être pOUl' elle le plus
empressé et le plus galant des fiancés, il 'lui arrivait de s'étonner des paradoxes et des imperfec.
tions qu'il constatait chez elle, comme il s'émerveillait de la pondération ct de l'équilibre de S3
sœur. Aussi le danger de ces dialogues, que LieUe
é.:outait distraitement, quand elle ne les coupail
pas d'un éclat de rire ou d'une réflexion baroque,
était·il plus réel qu'elle ne l'imaginait. Et, moins
indifférente à sa menace, elle se serait félicitée que
ses affaires fussent si avancées.
Nise ne s'y trompait pas, elle, et ne laissait pas
de s'effrayer un peu d'une sympathie qui lui était
infiniment précieuse, mais qui ne pouvait se déve·
lopper qu'au dam de Lielte. Là était le péril, et un
péril capable de ruiner d'autres vies que la sienne.
Mais comment se soustraire au charme subtil et
inespéré du curieux revirement qui s'opérait chez
Mr. \Vellstoneet qui prouvait q n'en somme,dansson
cas à elle, Denise, tout provenait d'un malentendu?
Le courage lui en manquait. Et puis tout 11<;
conspirait-elle pas contre elle? Songeant (lue le
jeune homme ne s'appartenait plus et que ni la religion, ni l'opinion, ni la conscience n'absolvent le
parjure, elle sc reprochait son intimité croissante
.lVCC lui, première ombre sur h.: soleil conjugal de
Liette. Et elle aurait "oulu pouvoir l'éviter. Mai~
on la poussait en quelque sorte vers lui,
Mme Daliot ayeuglément, parce qu'il n'cid pas été
convenable que les fiancés sortissen t seuls; Lietle
elle-même, sans réfléchir suffisamment, quoique
par calcul, pour garder prè.; d'elle la sage conseilfière qui lui :\vait été si utile dans sa con'llll'tt!
de Ml'. Welston(~
,ker, il était temps de sc séparc!', du propn'
aveu de i<;e, qui, d'ailleurs, ressent cruellemeT1t
lt: vide de ce départ des jeunes mariés. La maison,
ans LieUe, n'est pins la maison. C 'Ile pC'litC' follt
�1 \ ,.' \ ",-: 1 1 l,
y lellail
(.lUi dt: place! El qui occupera lamaI., celle
que Robert, en quelques soirées, a su s'r faire '!
Lorsqu'on 'i')' retrouvait réunis, npl'ès les longue
et sentimentnles promenades de la journée el
qu'elle bruissait des fredo,ns el des ,cLiquets dt:
LicHe, c'était comme un corn de pnradl8 terrestre.
A I)ré 'ent , c'est comme
, un désert Olt 1\ise erre a
l'abandon, quêtant tnstement des souvenirs qui
n'allègent pas sa pei~.
1
•
Ici, dans ce fauteuIl, Robert gofttmt 1.1 poesie dt:
l'heure quand clle s'était mise al! piano pOUl
accomragner ,LicHe qui lui wHllait chnnter le
Temps des censes,
luant! nou. l:hanll!rol1S 'c temps des l'en c'
el merle moqueur
.,
Seront [OU" l:n fCte 1
IH "<li rosi~n()l,
[{élas, le poète a raison. Les j10l:1t'., onl toujour';
raisoll qui nous l'appellent que loutv
\Î(',
'()Il)I1I('
toute gloin.:, passe et lombe, éphémère,
.\Iuis il est bien court. h; kmp.· des l'fri~c
,
OiJ l'on s'en YiI dc\l:'c' cudllir en ri! anl
D<. p<.:ndanls u"Jrcillc"",
l:c1'l51; d',lmlJur :lU. rOSl!. p:lrl:llil ,
rumb.lnt ,011" la feuille c:n goUlt s de ~n"
...
\\ 1 il L t bien court, Il.: t IIlp d<.'i <'\;1' S' •
l'cnd:lOi!l dc (;Ilrilll qu'on clIlIllc <:11 n'v nt
�CYRANETTE
:\Ioins emballé, son flegme nalJOnal le lui interdit, 1\:11'. vVellstoue parait un peu déçu. Oh! très
peu, si peu même que es be3U':-parents ne s'aperçoivent de rien. iY1a~
llue1quc aiguë lue puisse
ülre la clairvo) ance J'un père ct d'une mère, ellc
d~
ùon ùe diyi;le sattrait se comp;lrer i) l'esrè,~/
llation qui est propre aus C/'P.ur' en mal d'amour.
Et celte imperceptible nuance n'échappe pas à i Tise
comme a M. et Mme Daliot.
- Mon Dieu, déjà! se dit-elle.
lais Ilon. Elle veu t s'êt'e trompée. Robert ur:
peut brûler si vite ce lll'il ",dore et, à défaut de
..·unstallce, Si' loyan té ,P.'11t lui in ferdirai 1 de ~e
détacher de Licite amnl d'avoir (out. faif pour la
,:urnprcndre d lui mettre lin grain de sagesse dan,
la lèlt.. Cependant, si ce n'esl pa,., .;\,:Ia, c'est <l,ulre
chose. Car il )' n que1llue chose, quelque chose
qu'il el difficile J'analyser, eIlCOl\: plus de définir,
'[qui rcssL:l1lblc Ù Uil premier ci vague désenchn,nlement. En cc cas, le dt:voir d,a Tise est tout indiqué.
Il ne faul P"" 'lue Hobert puisse r ~'lirc
certaines
cOll1pclraion qui, l' 'ut-l·tre, n'ont pus lourné ;t
1';l\anlag-e de Lielte. Hnc faul P,IS, dt' tonte m~ces
silé, (lue ;'Jisc ait Ù 0 reprocher d'ayoir Glé cause
d'unG lllé intelligence slIsl'eptihlc de d6unir Il'
jl'Ilne l11élwge. Et, j11'(.tl tllntulH' violente rnigraine,
,·lIe g,lIdu 1.1 challlr'l'e afin dn Il plu' l:changcr
.nec ~I ... ~ cil IUIH qU'lin mot hall.1l au moment
d S ldieu •
Cda r.lil, ellc Il'est pas Ilès ru~sl'tie
encore cl
la premiè,'c prièn' qui du C<CUI' lui monte UlI·
lèvres qunnd cil s' gCllouille, le oir, 'ur 50n pricDieu, c 1 pOlit' app 1 l' 1 s grllCI's J'en hallt slIr sa
( III' ct '(l11 hl llI-lrl:l', :
S(l~'1
t0111 .1 Lit Ill,
Il H,)herl! El toi, l ,it Ill'.
i'i 1011[( il lui! V, III Il\U tr lIt 1.1 \il poU \OU"
l'Iudicl. "nu CQllPl'CIl Ire, \(lU ailtl ·r. Pui
10 S y réufI t et
'u . Cl; 1 itu
ide; l
.mIe le&-y!
r
�l.:q
CYRA~'ET
1
VIII
Dans lt;: Midi, Liette n'a pas tenu sa promesse
J'écrire à Nise. Mais il ne s'agit plus d'un fau\..
Jépart, celte lois. Robert et e!le se sont mis en
route pour de bon et quand reVIendront-ils? Bien
téméraire qui prétendrait répondre à cette que:;tion
par le kmps qui court. Elle l'a dit: toul dépend
du ma, -,chal Foch et de ses armées. S'il boute le
Roche au delà du Rhin ct qu'un Dieu de c!émencr
ramène enfin la paix parmi les hommes de bonnl'
volonté, il ne sera sans do~te
plus besoin de pas~e
port pou!" se rendre de F rance en Angleterre et
vice versa. Par malheur, on n'en est pas enc()re 1ft,
fin de mai 1918.
Où va-t-on? Chacun se le demande, Lielte
comme tOltt le monde, quoiq lie en toute sérénité.
Car si ljuelqu'un ne (( s'en fait pas)), c'est bien
l,Ile. Et elle a raison. Qu'arriverait-il s'il n'y a"ail
'Ille de ce'i bro~eus
dc noir qui, 1'00'eille tentlue au
grondement sourd du canon et l'cl!il hypnotisé par
les carIes où des épingles jalonnent l'avance alkI1WI1t1e, ne s:\\'(,ll1 plus à quel saint se vouer cl
doutent de toul, l11l!Il1C d'un miracle renouvelé de
celui de la prel11il:le Marne? On ne l110urrait peutèt rc pas sous la botte ennemie, mais à coup sflr 011
. l l' appre'1 lellSlon.
.
1'1
fllOllrr:lIl
~
ee 11 ' est pas la peine
vraiment! ~l'
v<lul-il pas mil'lIx avoir confiance l'II
ulll'her (Olllll1e Fod\ l'l en des hOl1lllles l'O!1lm ':-l~
I,oilus?
Donc Lielte se garde bien tIe sc laisser Glier au
t!{ost'spoir, El \oici 1<1 pn;mièrc lettre 'lue liSl
11 ...·011
d'eUl', U'W longut~
kltr!'
dal~t·
d~
P:lri, . 1
h,lclét· :. 1.1 di:thl<:, p:II\.. l! '1l1t lrt vie d'ulle jl:\111 '
11I11'iée n't'st (IU'lIlll li "v 1'(' t'I .lll s si l'al'. t' qu'Cllll'l
�CYRANET'l'E
sœurs on n'est pa s tenu comme entre fiancés de
ne Ras dirc tout ce qui nous passe par Ja tête.
« Ma chérie,
Dieu que j'ai eu peur!
« Pigl1re-toi ...
c[ Mais n'anticipons pas, comme disait la sagace
Mlle Adélaïde, à la pension. Tu te rappelles, et
quelle drôle de bouche elle faisait en articulant
cela?
([ le commence donc par le commencement, Et
d'abord un mot de notre voyage. Il s'est bien passé,
malgré l'encombrement des gares, la fréq lIellCe des
arrêts et les formidables retards des trains sur tes
lignes du P.-L.-M. Dans notre express à nous, il
n'y avait pas trop de monde. On ne va guère ;)
Paris en ce moment-ci. On le quitterait plutôt
comme tant de paniquards - vilaine engeance 'lue
J'abhorre - et comme tant de familles auxquelles
je ne saurais rG$1rocher d e vouloir meU re leur progéniture à l'abri. Les enfants, Nise, c'est l'espoir
de la race, c'es t la France de demain. II ne devrait
pas en rester lin seul clans la zone où sévissent les
grosses berthas et les ignoblcs gothas. Mais les
vieu" froussanls qui ne songent qu'à ,se défiler, si
j'étais du gOl! verncmenl, je les ferais houcler dans
les catacombes et les}' laisserais :tu pain et à l'eau
JusqU'à la lin des hostilités. De celle (lçon, ils
n'iraient pas démoraliser la provincu.
I( .Je l'avais dil
notre intention de uescendre
cher. Yvollnu '1'ui5sic1' - aujourd'hui Mme Le Bail.
A la bonne ben re! Elle est fidèle (Ill poste, elle,
:tu woius, ct nons J'avons trouvt!e qlli nOliS Ittcndait il la garc.
r( L'avenue [~cilt.:,
où dit.: hahite (Ill cinyuiclllL
étage d'une grande m.lison du rapport, longu le
has du parc de Montsouris - un joli parc, tu sais,
dans le genre du parc de LemcJlc - ct se coudt! i\
,1Ilgl<.: obtu. ' en.. lil rue d'Alésia, 'lue prolongt: 1,1
Ill e if: 'l'nlhi:ll·. L',lpp,lrtCItlL'l\t, hielJ dbposG, c1.lir.
c[
�eYRA. ETTf::
spat;ieu dOllue <lia fois par JeHlnt ur la parti,·
de J'avenue bord€e d'acaci s qui est txposée ù
l'est et, p; r derrière, sur des jardins, de basses
.:on~lructi=,
d'usines et l'imll1cn ·c q uadrilalère de
l'asile Sainte-l nnc, lO'll planl6 de beau." f,rand"
111arrollnicrs. l'ulle rart, la \ Ill' Il'e~1
url'ètée. D('
l'il, dt) l't!~pac.
On ~ urQirllit p t~ 'que cl Chamhél • i ce n'~
( qu'il y fl plus ie loi~s
que dt'
lnUntaO"lles aUN enviroi1 , et que ces montagne>.,
même ~el
de Sainte-Geneviève, que 1'011 découvre
d'ici, comme on découHe la bullfl Montmartre.
p
ienl de simples taupinières prè~
du (vard ni!
111 "volet.
I(
C t'étonue p, ~ [l'Op, Illil chérie, de ces détails
l()p~gr,hiq1e
dont .1'!mp o rt.?tl1cc l'apparaltr.1
Jaus lu slIile' dc 111 ( 1) ree1l, 1 r'''e pa~
d'histoice.
s'il (, pIaf!. Une page in(dile, 1l1l!I1lC, et <.jui, Ît'
['t t'p're, ne tombera p;.\~
sous l'tcil d'Anustasil',
Sail;; qlwi, dame, j pOllrt\li'l passel' un mauI'His
qu.rt d'heure. i\'h{ foi tanl PIl-', .Je ~l1i',
pour la sin,'ri té, moi, Pa:. de clér, iliblllC, 111alS pas de bourl,tg\: d
'l,<lne,; non plus. Il raut l'oir 1 ;; cha,
II s sont, I,,'en pl:IlS s-tu, l Tise? Or il n';'
est rev.nl\ sur ln
C Il) "\ell !' : l' 'ltH~i
Ialllt: ',à 1 heul't: qu'il est, ,1"Cl! tou' e \"- l.
vit'nt de lJïp~S,
nou' ig l !o1"Onf> 11C\ I t'C 1 It()\
l' }url'oll pd '1; '1' Il.: t: llI,d.
,( On "ùlï',1 hi Il. Situ:lti"!1 l'itllill
signili'
p;l~
partie per,lm:, Les Alli ~ri
lins 1\1 ivent
1
foule. Llo) 1 <reorg c nOliS en \ lIll' ,Hl 'si du rellfort. nl' 1 ur o)té, nos hrul'e poilll Ile tï CIlIl'll[
Pl' pus :"1 pa lt. .. chuli taï '01\ -IHIlIS, ll1t:lioll _
1101\<, 111 lis Sd he qu'il c 1" ép i ' 1 r,liment li
J"llldl
chll ('1;. \101' pourquoi dés p~rl?.J'
1 11 10 IÎ) Il (lit lUt' 1)lIlIS ,'rion \.Iillqu( lI!'s LI 1.1
f l ,1 ,J' If6nl\ à (11)11 1'( ,Ill. !<:t pl
llllllt, h,
l', rce (lUe j'ai cl "ri li J lotiJ. dl Il
abert est clDIlI
oi. 11 l !-ll.lf",u 1
p travaille :lllr nou ,q 0 ç tI
l'Pin Inll
1;1 ·r1p.mnt pa
��CYRA. ETTE
une cave où, sous ses six étage~,
il n"y a pas
grand'chose à craindre.
Il Elle appelle la bonne, une brave Lannionaise,
pas très dégourdie, et lente à s'émouvoir comme
;) se mouvoir.
Il Fermez le compteur, Francine. Puis, ous
prendrez la lampe Pigeon pour conduire mon"ieul'
et madame à la cave.
\( _ Et toi, Yvonne? Tu ne descends pas?
« - Mon Dieu non.
( _ Pourquoi, chère madame? lui demande
Robert.
Il Oh! une idée à moi ct comme une SUpcl'~
tition. Mon mari se bat, je .. eux prendre ma part
de risques.
.
le - Mais, madame, nposte Robert, quand
votre mari peut se mettre à couvert, il le fait
assurément, comme je le faisais moi-meme, sans
fausse honte.
I(
_Peut-èr~,
muis.'jc.vo.usen prie, n'insistez pas.
( - Au mOInS, lUI diS-Je, as-tu une Néneltc ct
nn Rin tinti Il?
" - Oui, me r~pond-el
sans rire el elle nOlis
montre un médaillon contenant deux miniatures:
le portrait de son mari et celui de sa mère.
Il Cependant, l'aert~
se propage rapidement,
houleversant le quartIer dont tous les chien ...
gémissent ou hurlent. Les locataires du sixlèmc
dégringolent déjà l'escalier. El Francine, qui
nOUS a plongés dans les ténèbres en éteignant lu
gaz, tarde à rcparaltre avec sa lampe Pif{ on
yu/elle est alléc chercher J. la cuisine. Yvonne \ ' <1
l') relancer. J'Cil profite pour clirc à Robert:
Il E~h:C
que nous allons descendre sans
clle, darling'!
1 II m'a pris dans ses bra~,
car je tremblais un
pcu. Et c'était trl-s dou\. dJt"·trc enlacés ainsi, Cil
pleine obscurité, tandis que ln sirène ululait diaholiquement et que l'afrJlemenl régnait dans ln
maÏ'wn.
�CYRANETTE
129
Vous avez peur, chère âme, murmure-t-il.
Po., du toul.
e,(
Si fait, et il n'est pas bOll que vos nerfs
soient trop secoués.
« - Oh! dis-je, je ne suis pas une femmelette.
J'ai escaladé deux fois la dent du Nivolet et une
fois l'accore du Granier.
« - Ce n'est pas la mè1l1\.! chose.
,( - Mais Yvollue, darling'!
,( Alors, il m'a donné
baiser el je le lui ai rendu
avec usure. Même que, venant à rentrer sur ces
entrefaites, la lampe Pigeon il 1... main, Yvonne a
dù s'apercevoir de quelque chose, car ellt: a eu lin
léger sourire qui signifiait ; tl Eh bien, ne vous
gènez pa::" mes petits! Faites "omme cbez; VOU'i! ,.
<f Bref, nous sommes restés, malgré les objurgations de notre amie, dont c'était le tour de nous
precher la prudence. Cc que voyant, Francine a
fait comm' nous et nous voilà tous les Ci uutre,
attendant les é"énements L\-haut. autour d'une
lampe Pigeon, dC1Tii're les volets hermétiquement
tirés d'lIne des fenètres donnant sur l'avenue.
L'allcnte ne dura guère. Tout à coup, boum! crac!
pan! cl reholllll! boum!
t(
Des hombes, [{obert! des bomhes!
1( Pas encnre, c\.pli'lu\' Yvollne (lui s'y COll'
nall. L-.bis Il ils Il arrivent ct la défem'c lé.:lanchc
Son Ill' de harragl"
" - Si près de che!. loi '!
..
Oh! les forts de i\lalakoll, de lVlolltl'Ouge
cl Je Bicl:tre ne sont pa, très loin, ct nombre
d',lutos-canons tirent de P'lris m"'me.
t( Quand vous en aure/. .Issez, chère {tJlH.',
me dit Robert il l'oreille, prévenez-moi.
tI ' Merci, pas en.:orc.
,( <'>u!:'i(llleS minutes S'~clLmt.
L, can()l1 1.lil
~(lg"
t lu maison en tremble, d clOif'\; qu'il titt,
~ur
neu • M.us malgré ma fIeus~
- CI, )1:: peu
bIen te l'a\ ouer, à toi, j'avaIs une trousse tel
nhl('
'~Iilt
il 1111<; qu'une r()n~
envi· me prend
te -
« -
un
60
�.,
1"0
CYRANETTE
de mettre le nez à la fenêtre? Les feux J'arllut;es,
tu sais, ç'a toujours été mon fort et, avant la
guerre, à Chambéry, je n'en ratais pas un.
(f _
Yvonne, dis-je, est-ce qu'on ne pourrait
pas entr'ouvrir les yolets! Ç,a doit èl re si curieux à
-:ontempler, un ciel de bataIlle! ,
Il y aurait danger à le f~lre.
(f _
" _ Pas plus qu'à nous tC1lIf clans ton salon.
~ _ Si, pnrce que les balteri~s
contr~
a\ ions
tirent .1 shrapnells oll-dessus Je Paris 111 l; me, l'I
'1 ue les édah retombent Il n peu partou l. La llerIlière fois, j'cn ai n.llllass6 un sur le halcon .
je n'y lenais plus, ct Robcil a cu "C ..IU
•f ~hlis
,,'en 11101el' et déclarer que c'Gt.lit parfaitement
insensé - r(J/ject/y Joolish, ùldced!
il a dl!
mellre les pouces.
l( _
Soumons la lampe, alors! a soupiré
Yvonne.
l( Aussitôt dit, aussJtut fait. Puis Robert pOLIS e
un peu les volets e,l regarue. le premier. Que se
P:.ls?~t-i
l?our.~1
ne me Imssc.-t-il pas regarder
aussI? Je SUIS obligee ue Je sllpplter.
" _ Laissez-moi \'oir, darling! Juste Uil coup
d'cciI.
«( II
y consent enfin ct, enlacés, nous nOLIs
penchons sur le bakon, dnl1s l'enlrehtlillcmcnl
Lies vol~s.
Que c'était heau, lïse! ne la Cene-1re
oÎl nOLIS nOliS tenions, on cOl11mande toulle secteur
l'st dl' la ville, du norJ ,!LI suu. Et des l'cnètres
qui s'ouvrenl p"r derrière ct où, après, nOlis
sommes alJçs voir nllssi, c'cst l'aulre moitié tic
Paris que l'on C'mhrasse, depuis h.: Sacré-Cœur
Jusqu'nu docher de Snint-Pierre de Montroug-c.
Or, on tir.îit de partont il la fois cl le ciel f,,'urmillait de jolis édatcl11enls qui s'Illlumaient,
p.J!pitaicnl cl s'élelgnaient comme des étoiles.
Pui , soudain, les projecteurs se dél11:1'i litèrent.
Leu!". :,q,lUJt lent.t.ule ligidt"', grlJIl pé\" Cil
,. ire! .. Ll. 1 s'é... ll.liCIII 1.;1 ~t'
1:'1 1)( och~jl
III IH Il
'1 lll 'llIl'nt l "lIr ('""ill,'\' la 1I1H', "IIi 1~li[
.1'1111
�l''f
"
~ombartlcn
"ris :1'.. ', • fOlie'; el pOl1ln1l'Ife Je petits 1 U lte''',
blancs.
t( Lielte, je yous en prie, assez! me di ';,1 i 1 cc
pauvre Rohert. Vou' etes une désobéissante pt:lile
femme.
cc Oh! non, darling, mais laissez-moi regarder encore Ull peu!
t( Une vraie féerie,
cc spectacle, ma chérie, et
je ne pouvais m'en rassasier. Des fusé es s'élevaient,
bleues, jaunes, yerles ou l'ouges. El puis il y eul
des étoiles li Jantes et ùes espèces dc chenilles
volantes, tout comme chez Ruggieri. Des signaux
d'avions, m'expliquait Hobert. Les es ... adri lles de
la défense é\'oluaien t au-dessus de nOliS, lt::s golhas
aussi probablement el les torpilles :lllaienl pleuvoir.
\( - Rentrez, Lielte! il faut tirer Ics volels! Oll
entend des moteurs.
If Oui, lout de suite . Pins ql1'l1n pelit COllp
J'cciI, le dernier.
cc Je parlais encore, qUétlHt 1111 [ra 'as t:POll\;\lltable me coupe le soufl1e. Rubert m'al raCIH' de la
fenêtre, la j'crenue et me lient tlans ses l)r:1S.
« - IJs nous bombardent, <ladin!)! Ils nous
!
Oui, mon âme, mai~
ne criez pas, ce n'e<;\
rien.
" N'cmpèehe 'lue Ja lorpillc l!'lnÏl tomhée IOllt
pl'l:'" de l'hl'/. 1I0US, l'Ile de Toli>i;lc, slir une Ill,ti-;ol1
'lU' ,JI, d0trlli..,it aux trois <jltarts, comme jl: m'l'II
~; lIis
f'l'Ildll l'om pte cc l1l:tlin. Cl:rlailltIlWllt, ;\ 1CIl
d'c)i,e:lll, Li di 'taflct' \l'e,Xcèùe pas cinq cnl~
1~trL'
'.
Dan<; le jour, l)uan [ (out est rClI~
en ol'drl', cl
{IUC 1'011 sC 11';111 ',porl<.: à pied d'un point à l'ilulre,
ça 1;111 1't.:f1i.:t d't!lrc a-;sel loin, l'intI Ctnts ll1l:trl:s.
Mais la nllil, ;lVC,' la \'itesse des avions ct IJ
pl1is <Inn: dc l'es l'l1gins-l", on n J'illlprc 'sion de
lout rCl.cyoir ~l1r
J,I Il~(',
qU3nd ils t\:lalt'nt Jons le
CI
-
\'oi!-.ill.lg ,
IC
-
JlIlic.,ttl', III
V.IS
tt: !'elldlï' 111.d."I,·.\ "nloir
�CYRANE'l'TE
rester en haut, m'a. dit gravement Y,·onnc. Il faut
descendre, ma petite.
Il Pas sans toi!
<1 _
Tu y tiens! Allons, soit, pour te [aire
plaisir!
.
I( Et nous sommes descendus tous, moi dans
les bras de Robert, trop secouée pour pouvoir
mettre un pied devant J'autre san.s rouler du haut
cn bas des marche~.
Yvonne, qUI a un cran Haiment étonnant, om-rait la marche al'ec la lampe
Pigeon, rallumée en h~te:
~t
Francine formail
l'arrière-garde, ce qUI cléllt assez dans son
rôle.
Il Les torpilles, 'pendant ce temps, succédaient
aux torpilles. Crac! crac! crac! Et chaque fois,
croyant notre dernière henre venue, je serrms le
cou de Robert, à l'étrangler. Enfin, nous arrivons
au rez-de-chaussée. Et comme il )' avait une
accalmie, avant de nouS enfoncer dans la cave,
j'ai pri6 mon cher porteur dl' se déharrasser cie
son fardeau.
,1 Ça va micux, darllllg, laissez-moi marcher.
Il ne faut pas que les troglodytes d'en bas se
moqllent de \otre petite fcmme.
Il Et je suis ùeseendllt: sur mes jamhes, toute
eule, bravement, en riant de ma frwellr.
Il JI n') a pas d' <[liai rire, alle1.! m'a même
dit la conil.r~e,
ljlli était el1 train de prophétiser'
(l'S pires c:1l;lmités, quclqucs-ull'i dl' ses locat;\ire~,
group(:s ;Iltlo\lr d'ellc, dnns 1111 C:1\ca\1 ;'\
l harl'ol .
Ah! 1 r:1il11cnl" ai-je répondu. Mnis qu'y
fairc si l'est pills fort que moï?
'
,e - Pens z aux vidimes t :1 gmmmelé tlll('
vieille ùnlllc en peignoir ct mantille.
(lm a-t-il beaucoup'! me slIi<;-je l'I1(Pi~
I(
-
Innocemment.
,Mais un "iell. monsieur en bonnct cl loutre
robe de chambre - son ~rol.
, je crois - m'~1
remhnrréc cle helle façl,n :
'1
et
�YRA. ·ETTE
133
«
l' \ - Cl aurjt-~il
qu'une, Inadctnlc., cela
cJC''fait \"QU5 suffire.
Rubert m'a eTnpechéc Je continuer la dlS<..ussion 'lui menaçait de s'aigrir et Yvonne a tout
arrangé en expliquant au monsieur que j'étais une
jeune lad} peu au courant des raids, bien que mon
mari, ici pl'\;senl, eùt fait campagne jusqu'en lC:J 1 7
et rapporté de la guerre, en sus d'une grave
blessure, trois ou quatre citations ct la Victoria
Cross.
« Aussitôt, changement à vue. Le I-ieux monsieur a serré énergiquement la main de Robert,
la vieille dame est devenue on ne peut plus
aimable avec moi et la concierge m'a déniché un
tonnelet sur lequel j'ai pu m'asseoir. Au fond,
vois-lu, nous étions enlre braves gens cl je me suis
richement amusée, car c'étaient des types, tu sais.
Une aulre dame, très lianle el empressée -- ln
voisine du dessous d'Yvonne - avail ,uucné son
petil chien, un amour de King's Charles, laid ft
rari , Ilargneu. de même et répondanl au nom
distinvué de 1 ép(:. Deu - antiques demoiselles, les
sQ'lIr~
Plulllel, hien déplumées d'ailleurs dans
k:llr loilclte de nuit, étaient a<.:cnmpagnées de leur
chal Kiki, de leur serin Fifi ct de leur j'oisson
rouge Coco. Citons encore Ull gros honhomml'
rondo-uillnrd el grassc',ll1t, très f rrG snI" la ljllC,tioll dts points de chilI '; une jeune lelllll1e distlllgUl't ljui sc ticllt lrl's hil'Tl ,,\ la carc; une <lulr('
jl'UIll' f,'n1I11(' moins distJl1guGc ci 'lui s'y lient lrl:s
mal; un 1 i illard SoupçOllncu: qui ne lache pas
OJ1 sac de cuir bOllrrCo, dit-on, dl' hijou.- el ci .11"gent; 1 l'as de l'équipe, un beau petit jcune
hrlTJlIIH' pille ct mince, cn pallloutle ct redinguc,
r'!I,rml- III) .:!, je crois, pOUl' faihlessl! de l'onsli
lulion, IIwis orateur de pl" 'IIJÎt\n' fi)rCl', Ires
informé des des ous de l:t gucrn' ct lilli, par des
lrgument<; saisissants, réussil ;,\ mO"ermir les COl1rUO-l:S quc Icc; sombre prédictions dc fa concierge
.( la 1()T1gllt'T1 r i IHlsi llo(, dc' 1"llt rIe .1 l'n il'll t il uclquc
I(
�1.: 1
( \' I{.A. '
'I·:TTE
peu éIJr'1I1Iés. Et 'luant! la herl0'lu\' .1 -;"llllt\ \'GI .
Jeux heur~
du matin, j'ai presqne n:gl'(;ltl' 'lue Cl'
raid n'eftt pas duré une heure de plus, car le
digne jeune homme était en train de Il!)lL' révéler
de' secrets milit:lires el politiques donl je ne le dis
y,uc ça . .\l:\is il bllail hien raire comme Yvonne,
Francine, Pépé, Kiki, le;; demoiselles Plumet, ln
inmpe Pigeon, etc., el nous sommes remontés,
Robert cl moi.
« Voilà, Illa chérie! Juge si je commence bien
et si l'on a tort d'assurer que les l'oyages forment
la jeunesse.
'1 Mille el mille haiscrs ;\ père ct mère, avec
notre plus atredueu.· "ol1venir pour vous troi" et
aus'i pour M. le curé.
,1 Ta sccur (lui t'aime,
" Juliette
\YEI.LSTONF.
ft
cc P.-S. - J'espère que celte copiellse tartine
;lpaisel'<l Ull peu la fring:lle de Iloll\'clles, grande
gourmande, cl que {lU nr me reprocheras plu<; ma
pa rcs<;e pOli r écri re. ~
�CYRANET'I'E
[35'
lX
Il Y il Cl~orc
passablt:l1len t de légèreté Jans les
("lucubrations épistolaires ue la jeulle Mrs . \tVellsIUlle, passablement d'infatuation ct d' inconscience.
Et, à la lire, Nise éprollve parfois celte crispation
illl'o loJllaire el œUe souffralJl:C aiguë qu'il lui a
fallu si soul'enl subir depuis les Gançailles de sa
Sf\.~ur
Mais son parti est pris. Elle n'oubliera
jamais el, n'ayant pu êlre ü Robert, jamais elle ne
sera à lin autre : seulement, la résignation est
I·enlle. E l, si son cœur est un peu plus torturé
li uand Lletle 1ui pa rl e de Robert en termes dithyrall1 hiq ues, son ,1me all contraire éprou l'e comme
ulle ùouce détente ù b pensée que les jeunes époux
font bon ménage. Après tout, Le n'est peul-être
'Iu'une affaire de concessions réciproques. Si
Lieue se montre aSSez aimante et pas Iror l::tntasque, si Robert, de SOIl côlé, renonce à s'exr li ' Iller l'inexplicable, pourquoi l'entente ne régnerait-cllt: pas cntre cu . eomme elle finit par s'établir
dll'!. des COli pics assli rémen t moins bien p,ll'tagés'l
Ik Londf"(;
~ , Lictte il écrit ce 'lui suit:
( Ma Ni:,c,
(Ive/, du, père. 111ère et toi. - sans
receVOir les VlIes quc
Je VOliS ai envo}ées dl' Boulogne ct de Fol kestone.
C)uc ICfllCS détails toutcloi . SUI' la tra\crsée ct l"
reste ne vous parailroll t prohablemcn t pas:'11 per11 liS, car je n') ai lait qu'allusion dans Illes dernières C:lrtes,
" La J\i1 IIlClw 11(; r\ ~s sel1
bic p:! du lOti t :1 1"
, \r~d4;1
ail ~(> , 111.1 dlél ie. Blt:1l qll'Oll , ,);t :(11 III"i ,
d" jilill, il ~ · cl1t . 1Ï ,j d(~I1
' ,)( ' r Ir', J,:1I'l1' le , '1 II ,lIId
Il
~ ()Ilptcr
VOliS
M. le curé, -
�CYRAKE'ITE
notre PilL! uebot a pris la mer. C'est te dire si elle
était méchante, la mer! Une furie! Les Boches ne
sont 'lue des agneaux fI côlé d'elle. Ajoute que
c'cst de nuit que noUS nous SOll1JllCS embarqués,
le sen'ice de jour étant suspendu ~l cause des sous·
marins dun! j'avais et ai t!nco~
une peur bleue .
Cc n'c:,l pas loyal, .::elle arme-là. On ne lieHail
pas en tolérer l'usage. Il est vrai qu'avant de s'en
servir messil!urs les Allemands n'ont pas songé ;1
nous cunsulter et qu'ils en usent el abusent avec
un parlait mépris de l'opinion yue je peu.' professer sur !curs méthodes dt' ,,;ol1loat.
,( Aussi, s'H.:Il<tnt ce qui m'alielJd"it en C;J~
d'atliJL!ue, aVdi:,.je pris mes précaution~
et m'êta' "
je pourvue de queklues vessies dl' porc que je
comptai:, gonfler daus
ca~ine.
C~est
\tu vieu:
matp/ot de Boulogne lt 1l1 111 a pas. c la recelle. Il
parait 'lut: !.:C1.1 \'uut mieux que tontes les ceintures
de liège pour vous tenir il. Ilot lorsqu'on vient ;1
raire nalllr;tge. Et puis, c'est heau, les .:eintures
de Ijl~gc,
mais on n'en a pas toujours une sous la
nuin au 1ll1)!l1enl psydlOlogique, tandis que mon
~lparei
nal,ltoire, on penl le disposer d'a\;ul!.:e
~u r sui. Le hrave hOll1me nÙII'ai t III 0 Il 1ré la r,II,:On
de m'cI senir. Rien lh:: plu.; simple. LI t'aut llualre
vessies (on ell trollve chu, lotis Il!s Lh.lI·cutiel's).
Bi 'n 1 s gonfler, cn serrant filt'1 la li.:t:lle pour
lU\ Iles Ile Sl! JC'go!lflent pas l'Ilstlilt' peu 1\ peu,
Hiis 5l! les att;ll'her autonr dn bllstt.:: un point,
lU':
'est IDUt. !l;lr e.\l!fllplc, ,nDir <,,,in de les rell10nter
tHiS les aissdll's. A la taille., Cl' ~l'"it
plutt')t d;1l1:{el'l!ll', car il pourrait y .Ivoir rupture d'équilibrl!,
lors de l'illlllll'l'siol1, entre It:s jall1llt! et le hant du
corps, el l'on l'loUerait biell, mais la tcte Cil ha~
cl
,cs pieds en l',,ir, ce Cjui l1l: !-ocrait pas UIll! soludon idéale. Tu !lIe \ois d'îl·j da!ls cetk p()~tnre
il congru!;, l!l gigut_ull Jan' le \ iJt:, ct l'l'nO Iallt
~ùuf,
l'onde alUère comme uu jeunt: C' ch o! qui
10:;8 C.I 'Ct\Ulll cl 1" Iucllt: ' • Jercl! pil. d Q<1,
rtrol
�CYRANETTE
.( Aussitôt gréer - comme disull les marins_
mOIl lOte nt ion ~tai
de r'!mOI\Ler ~ur
le pont, en
disr.ilflulant mes vessies sous ma p~lcrin
de bord.
Tu comprends, je ne von lais pas me tenir en has,
Lorsq u'on est torpillé, l'eau peut envahir la cale
avant que J'on ne s'en échappe et l'on risque d'y
être noyé comme une souris dans un baquet. Mois
la t('mpête était si violente lille d'énormes raqut;ts
ùe mer balayaient jusqu'à la dunette ct que, pOlir
nI.: pas ètre enlevée, j'ai dù me hlottir ùans l''entrepont, entre deux grandes caisses ::ISSCZ bien arrimées .
•( Robert ne me sav,!-it pas 1.1. Sur l'CS maudits
pa4ucbots qui piaffel' 1 ct se ..:ahrenl à la lame
comme des chevaux-marin", les messil'urs ont
leurs cOllchetlcs :1 part des dames d il me croyait
dans la mienne. i\1ais, au hout d'un quart d'heure,
0tant vcnu \'oir comment j'étais installée, Cl' 'Iui
I~tai[
'on droit, el si je ne soulTrais pa<; trop du ma!
le me!; œ qui était son devoir, voili'l.-t-il pas qu'il
const:1tt: ma disparition. Gros émoi, d':l.l1tant qw'
1.1 .'tewardess dl' .;ervict' n'aait ,lU courant de rieu.
Trè', iuquict, il I1lt': dlt'rche partout (,[ finit pal' lOt:
d~cf)u"ri,
t,-anit' ct mourallte, cntrc Illes cai St"',
.,nus ma f'l'I( rine (oLlte In~l/pé:;
aVll.; mon ~,lC
;1
main él ma l'cillturc Je vessie ' .
•( - U .. ,J()lIe, (IUC failt:s-vous Iii, Lietle'! . 'ctr,lrl'-I-il .
.( M.oi, j'avaic; J peine 1.1 ti'l'ce dl' pMI 'l',
., Vons \O)'l'Z, darLillf.f, jl' ~l1i
Cil train dl'
l'cml,- , l'. I1ll 1',11' amour rouI' vou . .le Ille suis ('11.ragé tl VClU.' sui\ .. , t'omm!' \'(llre oll1bre. Je \.011<;
,,"ivl'ai . .i\tLli " de gr:icc, ne JIll: 1,.Il'k~
plus dt, 1,1
111er. .Je la )lais.
1\
V 'nez, mon cnti1l1t. Il 1:1111 VOU:-- l1cl1rc tl
l' Ihr; n bas, ,
.( - .10n! lion! Oll r ('st trop mal, en J ne.;. Ct·la
,,{'nt trop l'huile, Il.: .:amhouis et k '-L'lIlÏ,'I'U1(:.
I( J I"rs il (' ,t 111l{o
her II('I" dl" or -iller ct d
\' .11 l 'Iltr 1 fllll' 11', '1 Il 1 111 11id J \u dt lnl
�CYRANF.TTF.:
où li est re::ité ;') sc morfondre
,IVCI' lU'll
JUS/lu';'1
notre arrivée dalls les jetées de Folkestone, C't:st
IIll si bon garçon, Robert! Et qu'i l m'est doux de
l'cntendre m'appeler « ln)' ehilll », Son enfant, des
ti)is, ise, il me semble que je le suis plus que sa
femme, bien qu'il ne soil pas d'age à être m0l1
père, tanl s'en raut. Il est si sérieux, lui, si posé,
si réfléchi l Et moi je suis si turbulente, si évaporée, si petite Ii.lle!
C( Londre..;, Otl nous sommes arrivés hier, un
peu rat ig-ués, ne m'a pas. pl u, de prime abord,
~'oml1c
Paris. On me dIt bIen que sa physionomie
a changé depuis la guerre et qu'il a passablement
sCllll1'crt des raids de gothas et de zeppelins , Possible. M ais Paris aussi a souffert et s'il n'oITre pas
plus d'animation lJue Londres, surtout en ce
!1loment-ci, il garde, même dans le danger ct l'an.crùnc ct de pimpant
goisse. Ull je ne sais ~tl?i.de
que je chon.:be en vam ICI, 011 Ics gens me déconcertcnt par leur f:{ravité morose. On dirait lille
toute joie est bannIe du royaullle ct c'est, dans les
rues, C0l1111W un défi lé (Fall ta 111 <1 tes pensifs cl
silcndcu ' qui, le nez dans Icur gazette, semblent
,i,' r e. l'xclusivcment cles nouvellcs de 1.. guern'.
I~
ruis, avec Ics Anglais, il l'au! constamment
s'ohsl!l'ver, Au Clariug'l!, 011 nOtls sommcs descendus, ce Il'cst P;IS commc d,lit nos braves petits
htltcls du Nlidi, Ol! je me sentai ... toujours fI l'aise.
11 )' st:vit un règlelllent drllconiCIl hien plus :1
l'us:lg'e des vieilles Illlsses et ues alllhassaùeurs
qlle des jeulll's lllari(Os, Ain si on n'y dl ne qu'l'Il
habit ct t'Il toilette de soirét'. Et cc qu'il y ,1 dC'
lIlieux, l'e,> t que Hohert trouve cela toul Ila!url'! .
.le IL' Il' dis elltre nous. Ne va pas le répéter :1
111 a III a Il , elle Ill! manquerait pas d'en tirer argulIIent ~ ' ()ntre
moi \jui, naïvemt:nt, croynis à l'absellcc de préjugés et de cOllventions che!. !lOs
voisin" ct qui I1U': suis mariée toui bonnelllenr
('Il l'ohe dt! ville, J \~;l
'onsnlatioll , c'eL:I ,[ue Lon
~I'
ot l'llÎ Sidlt QII(h. CIl t'dl (1 Il • 1• • bl\~.
!Iltl
�crRA.'ETTE
..:héric,
f39
que l'esprit e::>t mOlns étroil,
c~pérons
Llioins rigide" ,
l)
Cet espoir de Liette, 'i Nisc en juge par la suite
dt: sa correspondance, ne parait guère devoir se
réaliser. lIcurellscmclll, œ n'est là sans doute
qu'un petit mé..:ompte et qui ne donne que plus de
piquant à sa verve cndiablée :
(1
Oak Gropt' , Sidmoulh, le 25 Juin 1918.
« Ellfin, ma honne cbérie, nous wilà donc à
dcslilwtion l Si Ic~
\ o\'age" J'orment la jeunesse,
ils contribllcnt ég'<llcmcnt ;\ lUI ôler tluelqlll:s illll~ions
el je \·iens J'al'prcndre à mes dépens (Ju'~l
n'va pas que sur le P.-L .-::\Jl. ou sur la compagnie
du Nord que les Irail~
lullenl Je lt:nlellr avec les
lortues el partent ou arrivent yllallu il leur plail.
ru peux franchir Je délroit. Sous ce rapport, lu
ne seras pas trop dépa) sée.
t( En rc\anche, méfie-toi de certaines descllplions imagées dont le lyrisme s'ex.cuse d'ailleurs
chez Ull soldat (lui a une ;lme de poète et qui, dans
son exil, n'entrevoit la patrie qu'à travers le prisme
de Sil 1()~talgie
(ça, c'est une phrae Je compo!'.ilion fl"anc;aisc lue je J't'pèche Jans le répertoirc de
ùllic Adélaïde). Je ne veux pas dire par fü lille It:
Ik\"on snit de la gnognotte en tant que pays. El,
\l'après ce gll . j'.li pu voir all cours llt.:S quelque::>
1 rom 'l1adcs que nOllS avons déj~l
fUites à droite ct
11 gauche, mon mari et moi, le cudrc est bien td
llll'iI110ll!'.1 peignait dans ses Icltr 's u'ltali ... Tu
y l'clrollvcrais !C,., vert:-. p'1CUg 's qu'il 'éléhrult, 1
grèvc~,
cl sc's
scs be,llIx cha/llp:, (lui rcjolgne1t~
joli chemins bordé: de dl~·vr
nille.., et d'églanticl's, M: is, il! n' sais pourquui, il me :.cmblc qlll'
ur le rarier ça faisait l1lieux qu'nu nalurel et, te
rappelant notre Savoie, !-itt couronne de nciljcs ct
la s, tu 1\('
li ' rIUl'(' ;; , ses g<)rges, :.es '·lllt'es t.!1 ~Cs
1 (Ill 1 r ai ,'cru pr- ·!Jer dl.! pt'nser q S l'II \ irllll de
SldTlll)lIth : Il Eh) quoi, n'(' t·e '1 Ill' l la'?"
�CYRANETTi:
I( Ce n'est llue cela, ma chùic, cf. je t'avoue que
chez nous c'est autrement grandiose, autrement
impressionnant. Oui, c'est beaucoup moins plat, la
Savoie, beaucoup moins pot-au-feu, à mon avis,
'i ue le Devonshire, et quelques arpents de landes,
quelques carrés de myrtes n'y feront rien. Il me
faudrait autre chose pour me faire oublier nos
vergers, nos rochers et nos sapinières, et je reconnais que papa n'avait pas tort de s'emballer ur
des sites comme ceu. de l'Aiguille ct d'Aiguebelette, \ us du col du Crucifix, qlLand Il.: solejl révèle
({ la splendeur insou pçonnGe Je llIel"yeilleux lointains ». Robert a beau dire, ils n'ont pas ça à SidlUouth . Je ne veux pas le peiner, bien entendu, et
je m'extasie cOlllme il sied avec lui sur « l'éclair
fllrtif des truites entre les longues herbes Je ses
ruisseaux JI, sur ses saules ( qui baignent dans Lille
cau elaire JI, sur ses « grands bœuls indolents» et
~es
«( agiles et hennissants poneys lI.
Après toul,
(:e n'est pas mal. Seulemenl, il y a l11ieux.
( Mais si, au lieu de le Jécrirc à Illon tour le
cadre, jc te parlnb plutôt de mon nOtlVC:lll domaine
et de mon entourage immé liat ?
Il 0,11 Grovc)) esl une bçon d'ancien 111' noir
:-.itué c . ..:entriquement par rapport a l'agglomératlClll prorrement dite do SiJmouth. Son !lOm n'c!>t
l'a~
trompeur. LI' 'orr s de logiS cl ses dérendalh:e!> sC IruuYent en end au rOI1J. d'ulle ehènaic
arclliccnll:?airc et si, t?uffue C[U:OIl s', perdr.lil
san!'> l'admirable s 'mclne des allt,('", C'est ntdcment cilic, eette \ ieillc demeure dl.! w'ntil'ihol11ll1cs
campagnards ct je m'y [lIai rai énormément, p<Jll\'\'lI
qu'on ne Ill'" tienne pas enrl:rJ1\é<.: (oute l'année,
I( CC 'Iu<.: je lui reproche 1I11 peu, l:'c 1 d',lhol'd
son isolelllellt 't, ensuite, s 'S dinlCl1'iioll' l':CCS.
ives. 'J'II ne l'imaginerai pas la g-randellr des
pièl,;es, ni la h ulcur Je plafonds. ,l'V doi faire
('dfel d'une mouche emprisonnée sou. tille cloche
il t'roroag . Encore est·il qU'UllO mouche, ça vOltigt·,
Inodi<; que moi je n'li pm; d'aih.
1'1\)\11
rot: doun. 1
�CYRANETTE
�q2
CYRA1·ETTE
incline il croire qu'eu voulant alléger sa peine je
risque de l'aggraver. Comme nous sommes destinés à reposer sous le même toit et il manger à la
même lable, il faut bien faire en sorte de nous
regarder autrement qu'en chiens Je falcnce, lui et
moi, n'e~t-c
pas, chérie? Mais, jusqu'ici, je
confesse llue mes ,l\'ances n'~t3uère
eu de succès.
J'ai beau raire, il ne se dénde pas , Non qu'i! so it
préc isément renfrogné, II est trop gellLleman pour
me manguer J'égards en quoi que ce soiL SCille.
ment, ses silences penJant.les repas, ses longues
distant
rèn:ries ensuitc, font de lUI un hôte a~scl.
llUÎ me bIrJa;;e ct m)empèclw d'être nllli-lIlème
q lland nOLIS sommes en tète il tête.
" 'l'li n'ignores pas que mes d~ux
belles-slellrs,
Gertr el Gladys, ~e SOllt manées de Icur côté
dcpu-is que Robert est revenu du front. Si e'est
heureux pOLir cle~,
c'est regrellable pour n1oOi, car
k:ur compagnie m'cCLt cmpêchée de trouver le
temps long en I)absence de mon l1lari, 11 Ile m'a
pas encore quittée. Mais il ne sera pas toujours
lIn:c moi, je \eux dire toute la journée.
« llier encore, il m'a dit:
\1 Chère üll1e, je vais être obfig~
de reprendre
cont<lct an:c nos gens. Ce qui nous dirrGrcncic des
lallJlorJs, des grands propri(!laircs foneiers, nOliS
gen lIell1en fanners, c 'cst Ci ue nOlis n'avons pas
d'intendants, pas lllèll1t: de mét.tycrs. '\Jous exploitons direl'teillent nos h.:rrcs.
Oh ! Hohel't, JC ne VOllS vois pas très bien
eonduisiLnt une ch.lrrlle ou ulle herse.
« Ce n'est pas de mOlll'esSor[ llOI! plu~,
quoique j'y sois as'>el. habile il l'occil!;iol1 . Mais nos
J.:~ns
ne .,auraient êtrl' livl'l(s pll1' longtemps.1 ('11,.,_
mêmes. Le maUre doit toujours pa el' dl; sa persnnne ct Inon p~re,
û,i-je besoin Ul! VOliS le dire, ne
s'occupe plu" ue rien.
d,ll'« - Ac,-ordt'z-!I1oj Cl1cnn.: qlldqu 'S j()lIr~
Illlg! Le t( IIIpS de Ille. r(lIÎia~e'
un l'Cil :l\tc le '
.\lIrc~
I( -
�CYRANETTE
'43
Soit! a-t-il consenti.
Mais ce surgis ne durera pas éternellement et
je me demande avec quelque inquiétude ce que je
vais devenir lorsqu'il partira le"matin pour ne rentrer que le soir. Je l'accompagnerais bien dans ses
tournées, mais il assure que c'est impossible, que
ça me fatiguerait trop. Et puis ça ne se fait pas.
Une lady - et je suis une lady, Nise - ne doit pas
se commettre avec les gens de ferme. N'en souffle
mot à maman, I.}ui rirait bien ùe me voir si attrapée, mais, plus je vais, plus je m'aperçois qu'en
rait de conventions et de préjugés mondains,
sociaux et autres, les Anglais ct les Anglaises n'ont
rien à envier aux plus collets montés de nos compatriotes. Chez eux, c'est jusqu'au bout des ongles
que l'on est aristocrate ou bourgeois. Et moi qui
admirais de bonne foi la simplicité de Robert,
je m'aperçois qu'au fond iJ est raffiné comme un
dandy, quoiqu'il n'ait pas cru déchoir en s'alliant
avec moi.
1.( Very weill
ous avons un rang à tenir, nous
le tienùrons. Mais tu sais, ise, j'aurai quelque
peine à m'y (aire et il me faudra ouvrir joliment
l'œil pour pouvoir toujours répondre de moi ••• »
(1 t(
�CYRANKTTE
x
Telles sOIlt les premières impressions de la nouvelle Mrs. Wel15tone. Hl.-bn .... dans le home cher à
Robert.
Rue Nézin, t1n ne s'lm émeut pas outre mesur",
Seule, Nise, experte à lire entre le" lignes, craint
'lue Liette ne soit pas rait/) pour s'adapter ail
sévère milieu d'Oak Grove, r.ertes, If' deuil de Son,
mari et Je m'lriage de scs belles-sU'urs tombent
mal rour dl . Elle va Sl' trou 'cr bien esseulée
cJans (,;1' vieux manoir perdu atl fond de sa chènaie, et il est <'1 redonter qu'elle ne s'y aceolllmode
guère de l'ausl0rc compagnie d'lin vieillard que le
~hagrin
consume et quc fatiguent son habil, SOIl
rire trop gai, JU$qu'ti son désir de lui etre agréa
ble. Si jamais beau-père pt belle-fiIJe furent pell
l, Ils pour s'entendre, ce sont hien eu:\..
\ cc yieillard désoltn(\ qui riPoU re sa femme et a
d':ji'l un pied Jans la tombe, il !:lUdrait lInc tout
;Jutre hru, tlllt: de Cl'S douces CI'l:alllres 'Il1\! leur
patience, leur bonté, leurs verlus filiales ct domt:siiques désignent pour les grands dévouements. 11
faudrait unl' sainie et non tin diablotin, une attentive et non ulle étournette. l/uelqU'lIll donl la
réserve répondrait ~l ses sil nces, Jont les attentions
préviendraient sc désirs et qui, ù force de soins
di 'crets, par la lente persuasion d'une constance
que rit~n
Ile rehu(e, arriverait il le réconcilier avec
la \'ie ou tont .1lJ moins à Ini rendre If' COtll'age d'en
porter le faix, Et si, dans la situali')Jl de 'LieUe,
Denise eû( pu remrlir ce n'ilc de sœur de charité
et y trouver satisfaction gnlce ;'1 1;1 reconnaissance
dt' 'Rohert, LieUe, pour dis~:oéc
qu'elle .,·oit rl
hien faire, l'est-elle suffisamment l)réparée?
�(\'l'ANET1 E
:VIais yui s penl anter d'être à sn place ici-bal) ':
. 'on plus qne Liette, Denise n'est faite pour le r61,.
<luq~1
~lIe
r,e condnmne et, en fie vouant au célihat, ne ,'a-tol(~
pas anéantirl' rurtn:sord'amo\ll'
qui gil '11 llle'! Est-il hien v'"'li, d'ailleurs, (1\I'On
ne puisse aimer qu'une foi-; cl ll\l'Cn aucun cas le
cœur qui s'c,,[ donnl: Ile puisse se reprendre '!
Dans l'ignorance Oïl ils sonl du secret dc leur
fille, M, ct Mme Daliot ne songl'nl même pa. ;\ se
poser la 'lul'stion, Quand UI1 parti s' présenter;)
pour clic, le parti a\lql1el sa SŒur a fait allusion,
sn mèrt~
ne s'étonnera donc pas pcu dl' son obstination à n\'n pas vouloirt'ntondre parler.
Le pis est que .\1nll' I)aliot, qui ,'onnalt de long-ul'
date ta ramille du jeunc homme ct qui le tienf
en haute estime, croynit avoir supéricurelllenf
matH~uvr(-,
~e
voulant pas forcer Denise, clle
s't:tail ingéniée à préparer le terrain avnnt de se
décider à lui demander:
- Eh bien, ma petite. que pellses-tu de Bernarù
Lugon?
Bernard Lugon? L'e -sergC'nl Lugon? Le fils
Ju percepteur, ce hrave gar:on de qui, d~s
l'an
Jernier, Juliette disait tant dl' hien et qui, depuis
lors. est rentrG dans ( ses foyen; » comme « inapte
définitif), ? Mon Dieu, Denise l'estime à sa valeur.
~éanmois,
sous le coup de celte questioll au sens
duquel il ne lui est pas permis de se méprendre,
elle a eu un in 'tinctif mouvement <le surprise et
de révolte_
Voilà donc pourquoi, depuis quelque temps, on
Ile.illr,e plus que par h:s ~_ugon?
P1lu,rlluoi on les
\'Olt SI souvent, pourquOi on les rcltent à ùiner
san: façon, à la fortune du pol, comlJ1e i\i. le curé?
Pourquoi, enfin. Bernanl est si attentif, si empressé, lui qui passerait rlutôt pour un sauvage?
Ju'que-Ià, elle ne s'était aperçue de rien, ~ise,
Tout ce manège lui avait complètement échappé.
Bernard lui adressait-il la parole? Elle répondait,
mais si di<;traitement! En vérité, s'il ayait conclu.
•
�C'YRi\NlnTE
dei\.:S tlislra'::lions que c'est lui llui b lruublail CI
la l'endait j"veuse, II était enCQte plus .l eugh
qu'eIJe !
- HCl'Ilard Lugon? Mais je ne S:1is pas, moi!
n·l-c ll c bal hu tié.
- C'est que ... je vais tl'ùire, Denise, il cst toul
disposé à demander la main.
- Qu'il s'en garùe bien! s'esl-ellc réCI'i6e avec
une vivacité une agilaliol1 e:-.1 r:lOrdinaires.
- AUI':lis'-tu un' nutre parli en l'UC, ll1a fille'!
a in terrogé, d'li n Ion légèn:nwn [ causl iq lie,
M l11e Daliot.
- Aucull.
-
Tu m'étonnes ... Voyons! Bernard ne peut
antipathique?
- Il m'est indi tTércn t.
Mme Daliol, du coup, a jugé bon de jeter du lest.
- Soit! C'est qu'il ne f,llira pas bien fait sa
cour, ce garçon. 11 esl limide et donc asse7_
emprunlé_ Dans J'ordin:lirc de la vie, tous les
héros
front sont de nH~Il1C
: une gaucherie
incroyable. Ai-je besoin de te dire 'lue cc n'est
pas là un signe d'infériorité morale'! Timide, qui
l'est plus que toi?
- Je t'en prie) maman, a supplié la )etme fille.
N'insiste pas.
t'~lre
uu
-
Pourtant...
- Je n'ai pas enlie de me marier. Ne Suis-ie
pas bien avec papa t:l toi?
- Mais, mon enfant, il fuut songer à ton avcnir !.. Je ne prèche pus pour nous. La maison n'est
Jéjà plus ce qu'elle. était
du temps de Liette et ,
,
quand tll seras partie a ton tour, nous y pousserons bien des sou pirs, ton ptTe et moi. Mais si les
purents peuvent ressentir leur ahandon, cct abandon est trop naturel pour Cju'ils songent à s'y soustraire. C'est là un genre d'égoïsme qu'on ne leur
con'''lil guère, Nise. Ne nous accorde donc pas
plus que nous te demandons. Poun\! qlle tl1 '>ois
j)iep ~1hlje.
le l'Il:;te importo 1 cu -
\
�CYUNETfC
�I·IR
CYRANETTE.
-- ()ue vas-tu chercher là, ma pauvre CTernwine!
Denise ;limL'r? Allons donc!
- Eh bien, explique-moi son cas, t01, gros
malin!
-11 s'explique assez de lui-meme. Tu te places
dans l'absolu. Je m'en tiens, moi, au relatif. Autrement dit, elle n'est pas bien fixée, celte enfant.
Aujourd'hui elle ne veut pas se marier. Demain,
cesera une autre chanson, j'espère. Souvent fcmme
varie.
- Je n'ai jamais varié quant à moi, proteste
assez vi veillent Mme Daliot. Et tu n'as pas été si
rou de t'y fier.
- L'exception, ma fcmU1l!, n'infirme jamais la
règle, répond l'archiviste en l'em brassant. Ce que
j'en disais ne s'applique pas à 10i_
- Tu as dc telles boutades aussi!
- Bon!
, - hnwrc, Sl tu m'aidaiS à déchitli'er celte
énigme! se lamente Mme Daliot, qui y tient.
- Denise a été très soutfranle l'été dernier.
As-tu oublié la peur qu'elle nous a faite le jour où,
en notre absence, elle a eu ce long évanouissement
qui durait encore à notre retour?
La lumière que Mme Duliot réclamait COlune~('
à se faire dans son esprit, quoique tout autrement
q ne J'imagine J'archiviste. Et tandis que celui-cI
lui rappelle l'espèce de langueur dont :;oLtfrrait
:'ilise, :;es périodes de dépression et de surexcitation,
SOIl refus incompréhensible d'aller se soigner li la
13auc.:he, les dernières écailles tombent des yeux
de cette mère qui se remémore elJe- même mille
petits faits paradoxaux, dont l'explication lui ava;t
toujours échappé, et qui, se souvenant notamment
que sa fille lisait la lettre de Mme Bianca Bellovici
quand celte effrayante syncope l'a terrassëe, se dit,
avec autant d'horreur que de consternation:
- C'était donc cela, mon Dieu?
Elle ne fait part de rien à M. Daliot, 'lui n'y
,:r(')i~t
pas. y croÎt..eIJe hien elle..même? C'est
si
�149
invrai::;cu.blable, cette explication-là, si gra\ e, si
inadmissible pour la femme, la mère et la chrétienne
qu'elle est!
ise aimerait. Et qui, grand Dieu? Le mari de
sa sœur, son propre beau-frère 1
Epouvantée, Mme Daliot se ha te de quitter 5011
mari afin qu'il ne lui demande pas la cause de son
désarroi. Mais l'archiviste pense sans doute à toute
autre chose, car cette brusque sortie de sa femme
n'a mème pas le don de l'intriguer.
u Je vais voir M.le curé! » s'c t dit Mme Daliol.
Et elle monte à Maché comme y était montée
Juliette quelques mois plus tôt, un après-midi,
clandestinement. Dieu soit loué 1 Agathe n'est pas
là et c'est l'abbé Divoirc en personne qui reçoit la
pauvre femme.
Comme il fait chaud et que la gouvernante.
partie en courses, ne doit pas rentrer tout de suite,
on s'assied dans le jardin, sous le pécher taillé en
tonnelle. On y est un peu comme au confessionnal.
et l'agitation de sa visiteuse avertit M. le curé
qu'elle vient trouver le prêtre autant que l'ami.
- Qu'y a-t-il, Germaine? Rien de facheux,
J'espère?
Mme Daliot se contient depuis trop longtemp .
C'est plus fort qu'elle, il faut qu'elle donne cours
à ses larmes:
- Ah 1monsieur le curé !... monsieur le curé!...
- Voyons, voyons, répète-t-i1, très inquiet.
Liette va bien?
-Il ne s'agit pas de LieUe ... C'est Denise qui ...
- j'étouffe, monsieur le curé, quelle honte! Je crois, je ne suis pas sCtre, mais j'ai tout lieu de
croire qu'elle aime Mr. Wellstone.
- Eh! je le savais, répond l'abbé.
Mme Daliot n'en revient pas.
- Vous le saviez 1... Denise 1... car j'ai dit
Denise, monsieur le curé, Denise, pas Liette !
- Oui, murmura le pretre, .t c'est un malheur,
ma paun-c Germaine, mais qu'V faire?
CYRANETTE
�l~()
CVRANETn;
AVl:c 'lccablcmClll, ,\-lmc Daliot ~c
pCllche su,'
son sii:ge le front entre les mains. Elle espéraIt du
secours Cl \oiei Lille ce qu'elle enlend achève dc la
Jésem parcr.
~
Alors, c'est vrai'! .Je ne IllC trompais pas?
J'ai deriné j l1sk '1 .•• Mon Diel1 ! IllOl! Dicl1! Et vous
le saviez, ct vous Il(': m'aviez l'ien dil"lll1oi,sa mère?
El, mainlenant encore, Inus VOLIS COlllcntc,. Je me
dire: ql1'V f'ljre '!
Germaine, il faut vous calmer, 111011 enfant.
NC)l1s sommes ici pOlir '1l'Clir Ilne cxrlicatÎoll.
;\ y011s-la de sang-froid, si pénible soi t-elle . .1(' ne
VOliS .Ii rien dit parce (Ille j'ai le rcsrl'ct Je n' <Jlli
est respcclahle ct que je Ile sache l'as que Iknise
ail rien ~l sc reprocher el1 l'e!>pe(;C.
- COll1lllent, rien à sc reprocber'! Unl: telle
passion! Vous l'excuser.? Mais c'esl monstrueux!
N'exagérons L'as, Germaine. Et perillettezmoi de VOliS dire 'Ille vous n'y êtes pas. Est-cc
Dellisc(jui vousalivr6snn secret?
\
11 n'aurait plus milllql1é que cela!
- C'esf donc fortuitement que VOliS l'avc!.
découvert?
- Oui, toul à l'ail fortuitemcnt. Pouvai~-jc
supposer ...
M. le curé l'arrète.
- Vous avez eu raiSon de venir llle trOll ver,
Germainc. Le mal n'est pas où vous le vOyez.
Le mal c'est que Mr. W cllstone ai l épousé LicIte au
lieu d'épouser Nise. Et la ~olpabc
- si coupable
il y a) car nous SOlllmes hllhles ct nos défaillances
Ile doivent pas êlre jugées avec trop de rigueur_
la coupable, Germaine, ce n'est pas Nise, cc n'est
mème pas LicHe.
(}ui serait-cc alors '?
Mais VOU~.
Moi? sc récrie la pauvre femme.
Si coupabl\.! il)' a, vous ai-je dit. Parcequ"C? ••
l'al\'C (lUt; VOUs ave!. été trop mère dans un Cas et
11 ;1"; assez d :lll<; l'autre, Trop mt'n' Lll'n: Julietle.
�(YR ,\
ET'! E
t re avec: Tise ... \ : \ Oll S '_'c itel p'I::'.
1 j pour IIOU t I1t t Ildr
dir
~ 1U1'.
\'érit
~ . Et, Cil von s cli:-ant les vôtres, je n'ai pu~
l'intentiun dL' VOli S blesser, IllOil enfant, mais ùe
\(HIS montrer d'où est vt'nu le mal lllli a déjà { ~ ti
une \ ictimcellJui, hélas, risque d'en l'aire d'autres ,
malgré l'ardeur de nos Vlt' UX pour le conjurer. Le
mal, Germaine, est venu de votre extrêmc indulf.{ence pour votre henjamine ct , d'autre part, d'un
défaut de pénétration qui ne vous :1 pas permis Lle
lire dans le cœur de Nise , COlllme j'y ai lu 1110illIl!m , trop t:1rdivCffiellt.
Toute bonne chréti enn e qu'es t Mme Daliot, il
f"ut que ce soit l'ahbé Divoire qui lui parle ainsi
pour qu'elle l'écoute sans sc f;1cher, tant elle cst con vaincuc d'Ctre ulle mère juste cl qui Ile fait aucune
ditrérence entrc ses l'llCants. Mais, le premier mouvement d'orgu eil passé, il } a trop dl' bonne foi cn
elle, et elle a trop conscience de cc qu'il cn coi'lte
:1 'c c vicil ami de lui dire si Cranchl'ment sa façon
de pe nser, pOlir llu'ell e ne l'l'connaisse pas cc qui
est. Et, s i elle n'a pas pt!dH
~ s-:ieU1J1l ent, n'a- t-dle
pu pécher par inac\ vertance? 11 nc l'ac c use pas
d'avoir sacrifié délibérément l'une de ses (jll es ~\
l'autre. Cc serait inique parce qu'excessif. 11 ne
prétend mèllll' pas qu'elle aur:1it pu agir autre ment
qu't' Il e Il l' " ,\ hil. Il sait llu e 1,\ perfection n'l'st pa s
lk cc llIond e . 11 constat(,) s implement que, s'il y
a un e coupahle, la coui ahle n'est pas Denise.
Denise, coup'lhle'! Et lk quoi donc, Seigneur?
ne s'être cfbcée? D'avoir la iss( Lielle circonvenir
cc cccu r d'h0111 me qui, ail f()nd, ne ballait que pou l'
die, comme le sien ne battait que pour lui?
- Et est-ce sa faute, () celle chère petite, si
sa chair n'a pas toujours été aussi stoïque qu e son
,1me? pbid t: éloquemment le bOIl rrêtre. E s t-cc
sa faute si cel amour qu'cHe a refoulé tout au rond
J'elle lui an-1che encorc parfois un soupir ou une
lanne?
~
Non. con vient ;\'T 111P. Dali o t. {mu e ait dela do
';1S~
I{; r. l' l' II t-t'
TOU"
OUlm "
Pa
l
�CYRA 'ETTE
' e qui !:ie peut exprimer, mais d'une touf autn~
émotion que précédemment .•. Ma pauvre petite 1
\Iton enfant, mon enfant! Je ne t'ai pas comprise
non plus, moi Ül mère, qui te chéris pourtant ;1
l'égal cie LieUe. Mais je vais t'en demander pardon .
Et je ferai si bien ...
- Vous ferez si hien, l'interrompt l'abbé
I)ivoire, avec sa rude bonhomie, VOllS ferez si
bien que, si vous ne voulez pas m'en croire, VOllS
la rendrez dix fois plus malheureuse qu'ene n'est.
Croyez-moi donc, Germ:tinc. Tenez-vous lran<Juille. Ne Illi bissez pas voir que vous <lvel.
'il1rpri!:i son secret. La rçsignation, je le sais, est
venue pour elle. Ne rouvrez pas sa plaie. Laissez
plutôt opérer le temps. Cesl un grand médecin
I.'t, s'il n'est pas tout-puissant, nos prières aidanl.
Dieu fera le rest~
�CYRANETTE
153
XI
Deu." mois S'é~Oldcnt.
Régulièrement, chaque
semaine, Licite éait à Nise qui lui répond poste
pour poste. Faut-il que la jeune Mrs. Wellstone
ait des loisirs pour qu'elle se montre si assidue!
Elle en u, en effet, et plus qu' lie n'en souhaite.
Elle ne le cache pas, ni qu'elle s'ennuie à Oal
(.Jl"Ove. Elle s'y ennuie beaucoup. EUe s'y ennuif'
tellement que Nise, de plus en plus, a peur qu'il
ne lui ait servi à rien de s'immoler et q n'au lieu de
faire le bonheur de Robert et ue U~lte
elle n'ait
contribué qu'à faire leur infortune •. ~m lIle la sienne.
Au si respire-t-elle en recevant ce ' pages moins
déprimantes où sc retrouve la verve gamine d'une
~adetl
qu'elle connalt :
" Brighton, le 18 septembre 1918.
\( Hip! hip! hurrah!
I( Je
t'ai laissé entendre, ma chérie, que je
manœuvrais de manière à envelopper Robert et à
l'enlever de S011 poste de commandement, sur
notre insipide front du Devonshire. Victoire!
L'opération, préparée avec soin, exécutée avec
brio, il réussi
ment, comme dit le commua: on
Oak <lro
la
�('Y f:{A"J'E fTE
\( Je ne dis pas llLle je m'y amuse -:0111me une
petite l'olle, oh! non. Les conventions. chérie!
Toujours ces assommantes conventions! Il n'est pas
d'lisage ... II n'est pas convenable ... Il n'est pas cle
hon ton ... Voilà ce que j'entenùs sans cesse ici
comme. ailleurs. Croirais-tn ljll'aux bains les
(Tentlemcn n'onl pas le droil de harboter avec les
1'>
.
'1
léldies? Dans les plages f nmç'lISCS,
1 y a des bains
ll1i'l(les, ail moins, et s'il VOliS prend une crampl'
on si tille lame vons roule, voll',' mari est Iii pour
vnus porlersecours. T;lndi~
qll'i) Brighlon on ne
peut compter qne slIr SOlon sur les l11:!llrpsna~et1rs,
des IllcJ'l'enaires qui, "pJ'l's tnnt, no sont
pas obligés de hoire un coup cn l'bonneur d'unc
pauvre petite femme l[ui sc noie.
« Mais ne déblatérons pas. Vérité Cil deçà de
la Mancbe, Cl'reul," au delà, comme dirait
Mlle Adélaïde. Et si je ne suis pas précisément à
la fète, je ne m'em bête pas com me à Oak Grave,
Dieu mcrci! Ces derniers temps surtout, ce n'était
plus tcnahle . Je ne sais ce que Illon pauvre beaupère peut bicn avoir coutre moi, mais il me saute
de moins en moins au ~ou,
et l'on croiraitljue
tout ce que je dis et tout ce lJuc je rais pour I\lJuadouer n'aboutit qu'à le rendre plus coriace . Tl esl
hien à plaindre d'avoir perdu Mrs. VvelJstone
111ère. Moi anssi, la! Car j'en supporte les cQnséli I1cnces ct ce n'est pas l'ni ichon !
( Il n'a pas voulu ROUS accompagner aux bains.
En revanche, Gert y ct Gladys nous y onl rejoint,
a vec leu rs maris, deux ~[(icers
hors cad l'es qui De
relourneront pl us au j ranI. Ils sonl bien gentils
tOtiS les quatre. Gladys me plait. Elle a de beaux
yeux, de belles dents, Ull trt:s beuuteinl aux lransparences de nacre, cl clle serait tout à fait réussie,
si elle n'avail les aUaches un peu fortes. J'aime
moins "a sc'Cur, qui est plale ct comme gui diraif
ht)ma~C;f'.
Ct; n't.;sl pas qu'elle soif pimbêche,
Geny, m!l1S Hec elle si l'OTl nt; fij t pas eX3ctement
L'C qne ron doit l'aire, c:ommc il fau( le faire el au
�(','1' ,\
IlHJfll III
IllC\' i t>
UII
Il;
1. 1 Il :
:t lIel1
d' Il'
Lti
l~,
l, II,
C I i~'
.\
1.\ lésolO1llOll, .l '01, Ir Il':11 Il \,
été élevée LInn s Il nc nursery, Les us l'I cOlltum\.'..,
d'Angh.:lcIT' lW IlW snnl pa s en.:orc très lamiL'r~.
Alors ' C sont L1 ~s (l })Oll'{ S.1\" . ~() ») el LI ':; C( /)(J/t ' t
,tu il )) ~ l1'en plus finir, cl llcs c( SIIOc/,in;.:! )', el
Lies Ct nc correct, /Je ca/'cful, /)jiolll iette l), (Gert y III
pourra jamais dire ,( .Juliette » .:omme toi ct moi).
l( Son mari, le capitaillc Sir Franl 'l'C)\I l1shriùg-c,
magnilillut: échnnlilJol1 de port~la,
tOl1t cn
muscles t en os, cst Ull grand champion de
cricket. Il sc proposait de m':lppr>ndre les règles
du jeu, mais Gert \" prétend que j'ai passé l'ùgl' de
m'" mettre. Elle a pourtallt deux ans ft; plllS que
moi, COlllme je le lui ai rail polim enl 01 sel'\·cr. Au
fait, c'esl 1110i lui déli 'ns le record dt' la jU\'énililé,
Gladys mème élant mon ainée de trois mois et six
jours, Et trois mois el <;ix jours, c'est qul'llJue
chose dan:> la vie d'ul1 felllmC': jl' m'en sui s
aperçue ~ Sidmolilh. ()unl11 au lieuteuant Simpsoll,
,( Dick" com111e Oll l'appL' lle famili\r menl, ~()n
gcnre me conviendra i 1;IS'lCI (cn g-énéral les Anglais
sont mieux ql1 le ... l l~ais
e s) , san s la coupe de sa
moustach coupée h('i.!u,,;uup Ir)p ra~.
Cela Ini fail
.,ous le nez une espèce de brosse à dents qui ne lui
va pas du tout. \1 serait mieux frandle11lenl barhu
ou complètement rasé. C'est ce que je dis:li ... , pas
plus tard que ce malin, à sa femll1L', quand Gert)'
- de quoi sc mèle-t-e1le'? - l1)'n hellement renlharréc :
'l Aultl sllOchillMl f)O/l', sa l' sn, j>jioulicllt', il's
1', lbOlllllld tlO JI
J~
I/ul !a.l)"li/,ü!
I( Elltin, :'t IllCln ,ll'is, il n'y :t encore lJue Rohert.
11 a scs idées, lui aussi, cl mème ses marottes,
mais il n'en fait pas un plat. II vous souf!1c hahilement votre l'ole, vous reprend sans acrimonie,
dlcl'che à l' OUS expliqllcr pourquoi on doit faire
ain~
el 110n d'aulre façon. Si je l'ayai's toujours
pl' s de ll1ni , c nlllll1 l' cn ~'e
moment, je n ' nl1rnis
jalllai:o le C:l hrd. Lu i nOll plus. nit Illo;n<;, je le
�CVR,\ . ' ETTE
t::. t . . 'près Ir
mariage, ce n'est pas tout à fait cornIUr- ""ant.
·on, pas tout h fait, on 5""11 rend compte pen à
peu, ;\ des riens . Le fi ancé sc je([erait carrément
au feu pour sa fianc{oe. Il se pn':L:ipit c rait sans
hGsiter dans n'import e quel ab!01 c. II sc [L:rait
couper en quatr" :-,ur un signe d'clIc . Elle n'aurait
qu'à lc\e1' Jc. petit doigt pour qu'il nille au pùle
Hon!, à Z:mzibar on en Patagonie, qu'il escalade
l'lIimalaya, qu'il vol~
de Sid1l0u.t~
il Pékin Cil
:ll'ion cl de Pékin il Slclmouth Cil dtrlgeahle. POUl'
un peu, il décrocherait la lune. Du moins, il
j'affirme ct l'on sent qu'il cst de bonne foi. Le
lllari, c'est différent. Quand on lui sUè)gère de
\ous emmen e r à Brigh ton, il ne dit pas « no! li,
mais Dieu sait ce qu'il faut user de diplomatie
pour le décider à dire « yes! li Pourtant, cc n'est
pas la lune, Brighton, cc n'est même pas le pôle
nord, et l'on s'y J'ase bien moins tille dans le Devon.
C( Mais
ne récriminons pas, encore une fois.
]) ail leurs, notre deui l a pris {in d je m'en félicite.
A n01re retour à Oak Grave, il est entendu que
Robert m'intr~du
clans .les salons de la gentry
locale, ct .que J au rai mon Jour. Je me propose, en
outre, de me rendre utile à mon nouy~a
pays,
c'est-à-dire à l'Entente tont entit-rc. eu m'occupallt
d'œuvres charitables, A 1111 moment donné, je
songeais à m'enrciler dans le Womcll's Royal
NCl1'al Sel'llÎ.Ce, le « Servi ce na\" ,11 f0minin», où l'on
reut remplir les lonctions de cuisinière ou de
c b:.1U{Ieuse, de secrét"Îre ou de téléphoniste (ce
qui est plus rel evé) on même d'officier (ce 'lui est
réellement smart). El j'aurais été Gèr n de porter
1'1I111forme et de me soum ettre à la discipline
générale. Mais, primo: je n'ai pas Je pied marin et,
même dans les bureaux, il paraît qu'il faut l'avoir;
secundo, Robert n'a. pas approuvé mon projei,
parce que j'aurais dù vine à Plymouth, où l'on est
logé dans des baraques. aux frais de j'Etat. Donc,
i';1j décidé de me f:1hattre sur le Chlb local de
SUppO:'.ll , cal .le ~ .; hommes, V' oi ~· t u .
�\. YRANETTF.
l'y'
'vV. C, /\.,
("fOt/nf!
Women's ChnstLa'tf Asso-
,·;a,twn). en bon français l' A~sociltÎOT
chr6tiennl"
des jctlTles femmes. Dalls cc domaine. je serai 011
Ill' peut mieux (\ mon affaire. 11 se prépare déjà de
grandes « festivitics») pour Christmas. J', chanterai le NoN d' \ugusta Ilo1~s.
Tu te rappelles
quand nous l'aprcion~
an pensiont1:1t, l Tise, el
comhien l'air cl les ]lamies nous l'Il plnic;(1jpnt ')
Trois anges snnt veJlUs Cl.! soir
,\l'apporter cie bicn hcltes chos.:s.
l'un d'cll.· avait un enc<:n<;oir.
].'autn: avait lin chapc:.1l1 cie J'lises.
~;l
le troisii:nlc avait en mnin
Unc robc toute l1eurie
Ile pcrtes fincs ct de jusmi n,
("omme en a Jl1:1ll:\Jl1C .\\ar1c ...
« N'est-·c pas délicicux, ma chl:rie? 1;:\ le l'drain.
dis? Qu'il l'S! Lion~'
joli, musÏl'al, quasi séraphiquc 1
"oUll "loGII
Nous venons du Ciu]
T'apporter ce Ljue tu
E~t
cl6~irs
Car le bon nieu.
Au fond du cicl bleu,
chagrin lorsquc tu ~ol1pircs.
« Sur cc, gnod bye, ma bon ne chérir! Il ier, un
tennis, j'ai été pri. c sous une <lyerse. Mais, avant
espoir de ligurer daJ1s la fil1aiL' du championnat
donblc-mixte (ladies cl gentlemen), je n'ai pas
\oulu déclarer forfait ct j suis restée lit, $ans
prendre le temps dc retourner me changer, bien
que je fusse trempée comme une soupe. Il ne
faisait pas chaud avec cela et, aujourd'hui, je
tousse un pe!l' Cc n'est rien. L'essentiel, c'est
d'(1~oir
pu tenir assez bien ma raquette pour battre
lcs Townsbridgc que nous avion:; comme adversaires. Robert et moi. Gert y enrageait, mais moi
j'ai bien ri. Et ce matin, comme le temp~
paratt
remis, je ne tiens pas il manquer mon hain dont
\'oici l'heure. Les bains. j'en ratfole. Cela ne me
�"OJllflll' l, pa ~luG(J.
El, pre,;s~
la l11i1rée nl! 'ous attendra pas, ynu
(iIIOJl', [)jiouletlt'.' je termine Cil 1't'mhrl1ssnnl
hi en tendrement, ainsi que papa, maman el M. le
curé.
J
'nt! pil~
Jllai:Jd,'
paJ' (jelt y
,( Ta
LIETTE.
( Ecris-moi vite ici, au Victoria Ilô/c!. »
Par malheur, la lettre suivante, qui se fait
passahlement attendre, détl'llil lout J'cael de ces
lignes cnc.liahlées. Jall1nis la jl~une
Mr5. '\Veilstone
n'a cn d'accents si tristes. Le rirc, çà ct là, YOUdrnil rcparallre pnnni les hOlltades mélancolillUCS
de la déracinée. fi sonne faux comme certums airs
Je bravoure.
« O:\k Clrovc. le .( octobre Ifl18.
« Ne l'étonne pas du retard qlle je Illels à le
répondre, ma palll're Denise. La l'aute en est à cet
affreux guignon qui s'achurne contre nous ct qui
vicnt encore de bouleverser tOIlS lues proJets. Le
lendemai Il même du jour 011 je pren,lis plaisi r à le
les ex roser, ne recevions-nous pas li ne àépêche
qu i, toute villégiature cessante, nOlis obligeail de
rallier immédialement Siumouth avec les Simpson
el les TOlI'llshridge? C'était le méùecin de l.l
f'dlllille lilli [JOllS télégraphiait. l\110n heau-père
;1\'<Iit ('li lIoe attaquc. El nous somme:; ilrrivés
jllsll' à temps pour recueillir son demie," soupir.
I( .l'ai
he:llIcollp, benlll'oup de chagrin de 911
fllort, 111.1 I.:ltérie. Il ~lYait
rC!'l'is connaissance il
Ilotre l'l'tOI'" et il m'a reconnue quand, tout cn
lalllles, je suis tombée à genoux, la I~tc
I.:ontre
son lit.
« Vous êtes une bonne petite fille, Juliette,
m'a-t-il dit de sa voix éteinte, en me caressant
les cheveux de ~es
longs doigts jaunes et
dhharnés.
\1 Lei;; sa l1~k)ti;
m'étranglaien 1 tctkn1e1l1 'lue ie
�1 j~1
n'ai rien r 1 rlponJre \;tlue la bonne Glau)', lI1'a
emmenéc pour que Gert} ne me fasse pas je IlC : ai!'>
qllcls reproches absllrdcs sur ma trop grande
sl'nsibilité.
I( l 'OUS savions bien quc le pauvrc homme n\:n
,1 ni t pl us pOLI r très longt cl11 ps II vir<~
el li Il'il sou ha ilait ardell11l1cn t rcjoinù re M l's. \V cllstone. '1'0111
de mêmc, ça m'a prise J l'imprév u, cct te fin prcsq lit'
subite, ct je 1l11' d"llwnde si j'ai bien rait t01l1 Cl'
' Ille je dt'\'ais pour gagner son :Jfrection. Oui, S , IIlS
lhllllc,p"isllu'il m'a ditlJlw j'étais UIlL bOlllle l'c tile
fillt:. i\laisj \; Ill' aoyais l'ilS Illi ètre si s)'Jl1pathiqlll'
cl je n'ai pas 010 1ll;lItrcssc de Illes nel'fs l'Il Il'
retrouvant d.ms cet état. 11 f:\ut dirc ;llIssi que
j'ét;lis et suis encore tout , p;ltraquc, ma l'auHl'
l:hC-rie. L'émotion et la J~ligue
venant après Cl'
maudit rhume que j'ai pincé au tennis m'ont mise
hien bas moi-mèll1e. J'ai tenu hon jusllu'i\ l'cnterrement, mais aussllùt après la flè\ re m'alitait et cc
pauvre Robert, si cruC'lIement frappé dans ce qu'il
a ùe plus ch\;r, a Jù tout quiller, SŒurs ct bC<luxfrères, pour s'installer 21 mon clH.!\'et.
'\ Gerty n'a pas été très gentille, lu sni.... Je \'eux
bien être bonne ct je le suis toujours quanu on l'cst
pOlir moi. Mais je n'admets pas qu'on s'immisce
dnns mes afl~ires,
ni qu'on me mal' 'he sur les
pieJs. Or, pendant les tristes jours que nous
\'('nions de passer ensemhle, clic m'avait UC-j:1 bien
éncn'ée, Gert y, el j'a\ais dü me gendarmer contre
sa prétention de tout régenter à Oak Groye, maison
ct personnel. Elle est lllon ainée, c'est vrai. Mais
elle est la cade Ile Je Rohert ct, en Angleterre,
c'est toujours le fils qui relllplace le père ct 'lui
recueille la majeure partie de sn SUl:CC'';SiOIl , Ici, je
suis dOllC bien chez moi, S'il)" a UIlC mailre~sc,
cc
n'es[ pas Gert}, l1ai~
:\lrs,"\Yclistoll e junior. Je Ille
~lIis
trouvée dJl1s ln pénible llt- 'essité de Il' lui dire
et je le lui ai dit tout nd, l1a:~rCses I( ~hud.in'
, ! "
r;I '" 3" Don' t sn ' " , Djiouli tt ! ,.
Que <:\'\1;1: - 111, Deni, ',' .l':li {'li ' I., SC/, ,,\ f"i, ~ l'our
�lflo
CYRANETTE
établir mon autorité sur des domestiques qui ne
m'ont pas vue, d'no très hou œil, succéder à la
vieille Mn;. \V cllstol1e. N'ai-je pas dù en menaCCl'
nn ou deux cie renvoi avant de leur faire comprendre que je ne badinerais pas sur ce chapitre,
ct ljlle la foreigller 1'« étrangère )1, comme ils
m':lppclaicnt entre eux, avait drnil ù leur respect?
Ils sont très tiers de Jeur uationalil(>, ces domesliques anglais, très i1ll1m,.; de Jeur importance
sociale, j rl:s persuadés (Ill 'cn dehors du RoyaumeUni, il n'cst ricl1 ql1i v<lillc ici-has.Gerty, dans son
gcnrc, a Uil peu Llc cette mentalité-là. Pour ellc
comme pour ('ux, il n'vaque J'Angleterre qui
compte. Il n'y ,1 qll'unc Anglaise' qui soit capable
de tenir un home ct dl' comnwnùer aux gens.
POllvab-je, par ma sOllmission, li1 confirmer dans
<.:ettc erreur? Je nc l'ai pas cru.
\. Française j'étais, Française je reste. El je n'ai
pas à rougir de mon extraction, Robert sc charge
de j';lpprendre à ceux qui l'ignoreraient. Je ne lui
ai parlé Lle rien, parce LJlle je ne suis pas une
cafarde ct, de son côté, cette vilaine Gert y s'est
bien garùée de le prendre puur arbitre. Mai~
ellG
aurait mérité Ilnc petite leçon cl llu'iJ la remil
vertement à sa place. Elle nc ~erait
pas "enue
ensuite me gronder pour l'imprudence tlU'il parait
que j'ai faite en continuant de prcndrc des bail~
au lieu cie soigner mou rhume. Des bains! Toujours
ses exagérations! Car je n'ell ai pris qu'un après
avoir cu froid ~l
icnnis ct ct: n'cst sûrement pas
ça qui il pli 111e faire mal. Si mil Laux ~'est
aggravée
l'l si la fièHe s'en est mêlée, c'est bien plutôt à
cause dn voyage, du chagrin et du mécontentement.
I( Le médecin, Llui revient me voir cha'lue jour,
Ill' ll1'n pas dit l't.: llUt· j'a, ais. JI Ill! l'a dit liu'à
J{ob~rt,
devant moi il (;Sl \rai, mai::. en anglais (et,
",n anglais, les termes ùe médecine, Je n'y entends
goutte). Mais si, d'après mOIl cher mari, ce n'es1
p:tS gn1Vc, ç'flul'oit pu l'être d).1pr~!';
Gert) l[lli a
�YRANETTE
1air de penser que je ne l'ai pas volE et qu'une
autre fois je ne recommencerai plus. En ce cas,
elle s'abuse étrangement, Gerty. Je recommencerai
si je "eux et ce n'est ni elle, ni ses rappels à l'ordre
qui m'en retiendront. L'ennui est que la saison des
bains est passée et que, même moins souffrante,
je ne retournerai pas à Brighton, clouée ici par
notre nouveau deuil et par le temp qui est affreux.
« h, Nise, nous qui, en Savoie, avons de si
beaux automnes, si clairs, si ensoleillés; dont les
hivers mêmes, une fois les neiges tomhées, sont si
secs et si propices au skating ou au toboggan,
quel changement quand, de ma chambre où je
suis encore consignée pour je ne sais combien de
jours. de semaines ou de mois, j'entrevois, li travers des baies sinistres - nos fenêtres sont à
guillotine et jouent comme des couperets - ce
pan de ciel morne ouvert sur nos têtes comme
une écluse?
ct La pluie ne cesse de jour ni de nuit. Elle "!
commencé aU lendemain de l'enterrement et dure
encore à l'heure que je t'écris. Eh bien, ils doivent
être jolis, les ruisseaux de Robert! EUes peuvent
s'en payer, des cabrioles, ses truiles! Et ce serait
tout à fail le moment de nous rendre bras dessus,
bras dessous, lui et moi, par les sentes discrètes,
au petit oratoire caché sous la charmille comme un
nid du bon Dieu !
. « Au moins, chez nous, ma Nise, quand il pleut,
on en est quitte pour une bonne averse, comme la
fois oô. nous étions allés sans toi à Aiguebelette et
au col du Crucifix. L'oroage arrive. Gare là-dessous! On se met à l'abri dans un bouchon quelconque. Le vent se lève. Les nuages déguerpissent.
Coucou 1 c'est fini. Tandis que dans le Devon
quand on croit que c'est fini, ça recommence et
quand ça recommence, àh t ma chère, ce 'est pas
fini 1
« ,Mais, Tas-tu dire, ça doit avoir SOJ1 chilrme l
ta Teillée. Oui, à condition d'être biet1 portante et
•
�et agréable 0 i6té. Alor 1 diiw
l'intervalle des chant et der; jeux, entre les <;0\ pir ~
attendris des yieu .· , il e peut que l'on aime preter
l'oreille aux hnrlemenls de l'Illlrag<l11 et 1\ la lillll bourinade sonore des cataractt" céle~('s
sc dévers.ml généreusement sur le (nit. li s(" petlt. .. li ~e
peut ... Et je ne conteste pas qu'à l'occasion j\
serais sensible, à cc dràlc de charme-là. Mais les
grandes eau: du matin nu soit cl du soir au matin·
~n cicl funèbre ct pleurard q1li ne s(· lasse pns d~
doucher vos ardoises et \i0"; "itres, de !"ctire gargouiller vos gouttières et sangloter \ os citernes;
les gibou lées succédant aux hourrast[ues ct les
; cl n'avoir devant soi,
h lurrasques aux gib(,t1ée~
pour tout reposoir, eD premier plan, que les
pelouses ct les corbeilles d'un jardin à l'anglaise
(qui tourne il l'aquarium) et, d,ms le recul, CJu'une
immense "liée où s'égotlU"tll les tütes échevelées
de vieu. cbênes qui, telles les S<Cllrs Plu md, sc
déplument un peu plus chnquc jour, avouo, mil
pauvre chGrie, 'lue cet cn~elhi
'Ùl rien de
!"u!ütre lorsqu'on quinte comme lin asthm, tique el
t]u'afCaissée sur une immense hergère, dcvant les
immenses haies d'une des plus immenses chambres
d'un vieil et grand manoir, on évoqlle malgré soi
les harmonieux horizons
puys natal, ses ciels
~i purs, ses monts si pittoresques, ses lacs qui ne
débordent pas; ct que, d'alllre part, on sonac
qu'il va falloir renoncer aux petites distraco~
que l'bn s'était promises cl à ces festivities de
Christmas où l'on devait chanter un si gentil
t( Noël ))!
« Que n'e -tu près de moi! C'est t!goïste, le cri
qui m'échappe là 1 Mais toi, Nise, lu te plais partout. Un rien t'occupe et le distrait. Et tu me serais
J'un autre recours que Gert;- et même queGladvs
pour me changer les idées. Au reste Gert} et Gladys sont sur le point de partir. Le c~lpitan
Townsbridge et le lieutene.nt Simpson ayant étt.
rappelés à leurs postes respectifs, il leur tarde de
eu uomblt,;U~I"
uu
�eYRA! ETTE
les r joinùre. Tout le monde s'ennuie il Oak Grave.
Il n'} a que Robert pour ~'y
plaire. Mais, lui, il
n'est pas ':01111110 tout le monde. II s'occupe.
d'abord. Puis, tout comme toi, il adore la lecturl;.
Enfin, il est poète pour de han ct fait Jes vers à
ses moments pt:rJus, cc que je ne s:l\ais pas.
Depuis que je le sais, il m'en ré -ite quelquefois.
Seulement, ce sont des vers anglais et il n'y a rien
Je plus difficile à comprendre que ces vers-Ià,
quand ils ont ce que tu appellerais une certaine
tenuto littéraire. Moi je ne
connais pas 6nor
�CYRANETTE
XII
- Licite, j'ai à sortir, mon enfant. J'espère
qu'en mOIl absence vous serez bicn sage. Le
méùecin ...
La jeune femme fait la moue :
- Oh! le médecin ... Il est comme Gert y : si on
l'écoutait ! ... D'ailleurs, pour yenir à hout de cette
vilaine tou: qui mt: déchire la poitrine, je sais bien
ce qu'il me faudrait, darling. LI me faudrait changcr d'air, aller un peu là olt il y a du soleil. Que l
malheur que la Savoie soit si loin! Et puis, traverser l'cau en ce moment, je lI'en aurais pas le
courage. Ça vous secoue trop, la Iller. Mais quand
je serai mieux, nous irons à Chambéry, n'est-ce
pas?
- Certainement. Je ne veux pas vous voir t'Ou1er à la neurasthénie, chère petite. Et, puisque
'{ous vous ennuyez tellement ici, j'ai décidé de
vendre mes terres. TOUS garderons le manoir
qui est le patrimoine J'u'ne longue lignée d~
Wcllstone et que je voudrais pouvoir transmellre
à mOIl fils (si le Lord nous t:n donne un) comme
je l'ai reçu de mon père. Mais nous n'y viendrons
lju'en été et n'y séjournerons qu'autant qu' il vous
plaira. Le reste du tem rs, nous serons en Savoie,
~l Brighton ou ailleurs.
Lielle tend l'es bras au brave garçon qui, depuis
cinq mois, s'ti.ppliLJue patiemment à déchifirer son
(]trange petite nature qlli, pOlir lui, tient de 1.1
';phynge.
, - Ça, c'est mi);l1on, darling ! Je ne sais si nous
<lurons Ull fils, mais assurément vous êtes !lU
amour de mari .. .
ns soU à l'étage d'Oak I...rrc;ve, dans la gwndt:
�CYRAN ET1E
.:hamb n: du devant réservée à la malade et dOllt
les fenêtres s'ouvre nt sur le pelouses du jardin et
l'allée matlresse de la chênaie.
Liette va mieux. Toutefois Jes pré~aution
s'imposent si l'on veut éviter une rechute qui,
d'aprc!'i le doclt:ul', serait très grave. Elle comIl1Clh':C à se leyer el m me Ü lIuitter sa bergère, et
dIe pourrai t des \.:Illlre une heure ou deu.· chaque
jour dans le parc, au hras de son mari, si les
hrumes et les nuées du DC'\01l laissaient percer le
p:lle soleil d'automlle. Mais l'humidité persist e;
1111 cra~hi\l
tcna~
pOÎSSl: 1'.lir, enveloppe le rus~
liquc château d'une fiue poussière d'embr uns qui
f n detrempCll1 les lestons de lierre.
Aussi Robert
"est-i1 rendu au CUlI cil Je son médecin, lequel,
comme la jeun lemme elle-meme, estime que cc
dimat, si tempér é soit-il, nt' lui convient pas.
Encore faut-il pouvuir l'emmener. Et Mr. \-V c1lstone, qui a des dispositions ü prendr e, préfère
attendr e llu'elle ait recouvré ses forces.
- Quand parton s-nous ? ibterro ge LieUe, au
bout d'un temps.
Il s'est assis à côté d'elle, car déjà elle ne tient
plus en place.
- Dès que po sible, mOIl enfant. Patientez
encore quelques jours. A la premiè re éclaird e,
nous filerons.
Le sein de Lielte se gonfle.
- Quelques jours et quelques jours, cela fait
bien des jours, darling ! Et si la pluie ne ces e
pas? Pleut-il toujours comme ça, chez vous?
- En cette saison-ci seulement. Vous avez VI.
la douceu r de nos étés. Nos printem ps sont égale'
ment fort -agréables. Mais en automn e et ell hiver,
il arrive qu'il tombe beauco up d'eau.
- Oui, beauco up, murmu re Liette.
Robert lui tient compag nie encore un momen t,
causant de cho es et d'autre avec elle, notamm ent
de l'Jl'Tivée possible des siens, à qui elle a deman dé
de enir la Oil. S'il viennent. comment fera-t-on?
�IGG
CYRANETTE
Qu'il cli! Ile 1Îen ne. M r. '" ell,.;lonc ~Ol1pLe
louer
toltl u n l~otagc
là où l'on ira. On ' 'al'1'a ngera pour
les )' reccvoir ,lUssi hospitalièrel11l'nt qu'à Oak
Gra\·c.
Allom;, Jit le jeunL hOlllme, an revoir, chère
petite chose. J',li a/li.tire, \OIlS "lIve/.. Il me fau1
harceler l'avoué qui s'eslchargG dc ln liquidation
de mes hiens.
J)'ordinaire, ljll:Jnù il 1.1 'juill,: 'Iln:-;i, cc n\'sl
j llllais qU',IP'l:S lJllt' 1 dite ~(l ; ne
\Iii, avec "ct
1\ ['anuie d'l'nf,HlI I11n 1,\1.1(' , Ile lui rcprlldH de 1,1
I"i~s('r
:\ l'.lbamll111. ;\lnis Il'Ik t.sl 'j:J juil: Jf! Id
dlkisiun qu'il .\ l'ris\.: de Yl!lltln: scs lelTe,.; qUl',
l'die fois, elle ne cllerc\w p.IS:1 1<.: l'ct nir.
_ Good byt', darling.:. Dites ;\ Mary de mon
ter, I"OUlt:Z-H)IlS'? (Juand Jl' la sonne, elle n'en finil
pOIS de répondrc il mcs appels, ct c'esl aguçanl. Jl'
vnud rais Pat :tllssi.
_ Bon. dil Robert, COlllpll:Z snr moi.
l'nr IL- rail, deu: minutes :llwès, hOliSCUlill1t ln
Il aid pOlir clllr;.;r plus \ tic, Patrick, un jeune fou
dc cocker irlandais, hrun SIIl' le Jos, blanc sous le
'! entre. ;lVCC 1111 poil cr"pu comm une laine, de
larges oreilles lomhantes, des yeu: d'lIltelligcllce
aux rdlets presque humains, sc précil)ilC vers le
fautcuil de sa maltre~s.
aulou!' dc qui il gambade.
saulc el jappe, cn 1LI i léclwnl les mains ct lui {;\isanl
millc :lmiliés, mille caresses,
_ Doucement, Pal!. .. Vous mc salissez, my
boy! Ob ! l'amoul" de loulou!
_ l'\'lal1umc désire? inll'rroge la maid.
- Le courrier n'est pas arrivé?
- Non, madame.
_ Dieu élue c'esl long L . . 11 esl souyent en
l'elard le COllrrier. I~
trOll\c/-\OUS pas, Mary'?
_ Oui. lIladamc, répond impassiblemcllt ' 1.1
mail.!. lui a 1'<111" d'une ordollnance plutôl que
d'lHlt: chambrii:l'l', um' ordonnann: trop roulpue
,111"
dnll"
' l.lU lègJl;lhtnt
SOli 1in' , j:111I li J
! .•
mlli\aue,
fJOlli
lamai:..
,l'; PII (il d'lIlIl' ltlitl1t1c m,IIII 'tl r ,
�1 \'1'.
1 1 Il,
m'l OJ III 1
I·ou h, 1 Illt IUOII III Illi ,il
,-in:: sè lu parok, ct Ile n pOlldnnl, d'adlelll "1"1
par mono.;\ IInlws.
\ ou d, \Tic.:z Il' f.lire okervCI' :IU i'act 111.
- Bi!.!ll, llIdd,llll!.!.
l lais Cl' n'esl pcul-0In.: pas sa (;llll', j ,'C
hr'n'l' hOllllllC. C'!.!!it sansdoulc la poste 'Ini llJ:ln:hL
111:11, ()u' n l'l'Il ,,l'Z-\ OIIS, i\b rl'?
- .k Ill' 'ais pas, nl.ld,lIn '.
- \ llloins L[lIe l'l'Ill snil 1" pluie 'lUI l'arrL'le
'II rOllte. rC-I1(~chil
Licltc. Il nl' doit pas èlrc.: ;1 la
1t;II' tOllS 1 S jours quand il fait sa tourn~e
. Comment peut-il)' tenir, :\'\.11) ?
- Je nc sais pas, mad,ullc,
Licite hoche la 10te. La nib 1 icn rCl1sei-
!
"n~c
- Sois sage, Pa\.., 1\1 r , \\' ellstol1c nt: \'0 ,1 pas
'Ille nous fassion-; les fOIl, 1.1111 qlll' k seJ':li
patraqu .... M:lI'\ !
- rv1:ldal11c?
V()I1~
pou\'ez \,OllS retirer, 111.\ lillc. Si j'di
de!i lettres au C HIl'rier, 1'''11 l1W les monler!.!z Inut
de suite. Ll S jOl1rnallx ,11 si, Les journ,lUx fran' li~,
s'!.!nknd, car 1 s aulres .. , ;\lais ils arrivent hiell
irrégulièrcment, le,; journau iran';:Iis, et avecdc
rct,lrds épol1\ ,1I1tnhles . .. Ah ! l'plie gucrre, .Mar\',
'ettc gucrre, junnd finira-l-elle'Z
.le ne 'ai, p;1S. 111.1 lame,
l~srC-o
qll\' T scra hient!;!. Le-; Blllgar!.!s
ont
,lpilulC. LI'''' ~lIrj'hi
,'Ollt Cil pleille
dt-rllLltl, Sl'ul<" It-' BrtclH.' licl1l1ent ('n or , 111:110.;
"Il It's :1111 " 1\1.11'\', (l11 1 s :llU :1 ... \ ',I1~
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Il! 1t' "Il .I\lné'~,
111',11 t:1.-1 !l~
dit :'
'ull, m,ld,L1Il!',
- C\' t phIl. ,Il: con!OIlÙS al~'
Flor,l. Yous,
~l.r),
vou \ :'\l? \,,)trc « ho) ". Il' 'st- e P'\ '!
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Non, ma
bill',
- Ait! oui, \:"est t)1I~.
;lve7. Llu'l1n o\l..,in '?
- Uui, madame.
Vou, 11rY, ,
,li.
n'
�l(iR
1 VJ' ,\
Un .aporal,
' 1:'1''1'1 :
.ir. "mis ';
.- Uui, madame_
11 est venu jusqu'il Oak Grave lors ùe S:1
dernière permission?
Oui, madame.
- Vous devez hien l'aimer, cC hr:1l'e cousin '!
- Oui, madame.
- Mais pas d'amour?
- Non, madame.
- Tant mieux pour VOUS, ma fille. L'amonr,
voyez-volis, ça ris luentit de VOliS mener trop loill .
.J'Cil sais quelque chose, moi qui ai quitté la France
pour l'Angleterre, la Savoie pOlir le Dcvon, Chambéry pour Sidmoulh el la rue Né7.in pour Oak
Grove .. _ Vous n'êtes jamais allée en France,
Mary?
- Non, madame.
_ Cela vous fera plaisir d'y venir avec moi?
- Je ne sais pas, madame.
LieUe pari d'un 6clal de rire '-lui fail aboyer Pal
et mel 'aU front de la 111aid un pli soucieux. Elle
craint que sa m,ütresse ne se moque d'elle el, toute
militaire qu'elle est dans l'ùme, COT11me le caporal
son cousin, elle il le sens de sa « respectabilitv ",
ainsi qu'il si eu d'une chambrière de bonne el pure
race hritanniqlle. Très cligne, elle insiste ;,\ dessein:
- Ion, je ne sais pas, madame. Je ne crois
pas, madame. Je ...
_ Mais si, mais si, vous verrez! pouffe LieHe
de p1us belle. Je vous présentera.i à Agathe, \a
terreur de M. Je curé. Elle ne saij jamais non plus,
elle. JtsÎnus asi111un (ricat. Vous VallS entendrez
très bien toulesles deux.
Et Mary, gui n'y a rien compris, s'en va de son
pas de genda.rme, que LieHe rit encore en embrassant Pat, dressé sur le bras de son fauteuil.
_ Quel numéro, cette Mary!. .. C'est pourtant
vrai qu'il faudra que je la présente à Agathe.
Mademoiselle Agathe Routin, gouvernante en chef
de M. le curé de Muché ... Miss Mary Broomstaff,
�CYRANETTE
premicre camériste du manoir d'Oak Grove que dis-tu de ça, mon Pat? N'est-ce pas que cela
fera très bien dans le tableau?
Un ace!!' de toux interroIflpt brutalement la
petite folle qui, de pàle devenue rouge, et les
larmes aux yeux, repousse le cocker, cherche SOIl
mouchoir ct, ne le trouvant pas, appuie sur la poire
de la sonnette électrique volante qui pend du plufond à portée de sa main.
Reparait Mary.
- Un mouchoir, ma tille, dit LieUe.
Et, après le mouchoir:
- J'ai les hronches en feu. DOl~nez-moi
vite
une tasse de tisane.
Et, la tisane apportée:
- Dieu que c'est amer, cc lkhen! Je n'en veux
plus, vous ent ndez, Mary '!
- Oui, madame.
- Désormais vous ne me ferez que des infusions
de mauves.
- Oui, madame.
~
Allez, ma tille, et pensez à mon courrier.
Altlsi se passent les matinées de la jeune
Mrs. \Vellstone à Oak Grave. Et ses après-midi
n'en diffèrent guère, sauf n plus (( saumâtre Il, car
le courrier lui est généralement d'une grande
distraction et le facteur n'en fait qu'une distribution
par jour.
Certain matin qu'elle se morfondait dans son
attente, Je regard tendu sur la grande allée d'où il
débouche lléces airement, elle le voit qui arriv à
pas mesurés, comme un homme que rien ne presse.
Oh r la lenteur des minutes qui s'écoulent entr
cette apparition et le moment oà Mary lui apporte
le plateau traditionnel! Elle se tortille sur sa bergète, la tête tournée vers la porte qui tarde tant à
s'ouvrir.. ElÛln, voici la maid, moins pressée encore
que le facteur et qu~el
a d~à.
sonnée deux ou
trois fois.
- Eh bien, Mary, que faisiez-vous"l
�('YRA,'ŒTTE
17°
I{ien, tllauame.
Vraiment? Vous ne Jormiez pas'!
-
>.
Oll, l1~tÙae.
Lietle Iù:n est p_ s trb; ~On\
ain~l:
l1Ialgrl: se~
d0négalions. Mnis elle a miel! \ ~'l (tin: 'I"e Je
lancer Mary ct elle s'empare avidement des deux
lettrcs qui sonl sllr le plaleau, deux leltn.:s Je
France, i) l'é~riue
familière, une de Nisc, lIllC
dL' M. le curt:.
~isc
Illi é~rit
Je .Chamhéry, ù la date
dll 6 1l0VCmhrll 1010 :
I( Ma hlen chère secur,
PuistJuc lu tc languis lant dl' nous ellluC rl~ta
de ta santé ne tc pcrmet pas I.I',tfrronll'r les I;ltiglll:s
du l'ol'agl', papa el 111;1111,\11 Ille chargent de le dire
qu'ils fçrllnt l'imp(lssible pour t'aller voir en
Angle(çlTe <lussit(il que l'oll ne sc hnltra plus. Or
les uerniers COl1llllUllÎ lués Ollt si fière allure 'lue
celle échénncc, désirée de hms, parait imminente.
()n 'ISSU rc quç les }\llemands ladl<'11 t pied su r
toutç ln ligl1e cll/ue, s'ils veulent l:1 ite!' un tlL:-,;astrc,
un imlllense Sedan, ils n'ont plus un jour i\ penJrç
I,our implorer la pai,. Puisse-t-il en ~tl':
ainsi! Il
est h:mps tpte ~es
aŒreuses boucheries prennent
lin, que nos pauvres cl brayes soldats recueillent
le bénétice de leur \"aillancl! l'l ql.e leurs falic~
cessent de trembler pour eux.
c( Je voud rais bien accom pagner papa ct Illam<lll
et serais infiniment heurcuse dc répondre ainsi :1
ton invitation, mu cbère petite. Mais ne comple
pas trop sur moi. Je suis assez soulrrante moi-même
ct, Lilloiqu'il n'y ail pas liell de s'inquiéter à mon
sujet, peut-être v<lut-i1 miell.· que je reste à la
maison. Aucull!;" d(~i')1
n'est encore prise ponr
ou contrc. Tuut dépendr,t Je mon degré de soliJité. Qucl que :oil mon désir de nous retrouver
llll peu ensemhlc, tll comprends hil n en dJe( ~lI'i
Ile serait pas raisonnahle dt.: m'ç" pO~L:r;\
tOlnb<:1'
maladt: COlllme loi ... »)
I(
�YRA ErTE
17'
Llette, que le début de h lettr •. it enchantée.
ne \a pa ph15 lom et lai sc rctnmb( l' l hl'as avec
ù couragement, C'est son lour d'apprenùre (\ lire
~ntr
les lignes el elle ùc\ine ce 'I"e on ainée
h site tI lui annoncer crûment. Nise ne \ Icndr..
pa . D'ores et déjà, ellc Cil est I.:ertainc. Et si Ti~e
ne vient pas, ce n'est point que la traversée l'effraie
comme elle voudr it le fair croire, mais qu'elle
ne tient pas tI repasser pm' ail elle est passée à
enuse Je Rohert.
- Re t donc tranquille, Pat 1... Tu e assommant, ce matin. mon pauvre ami!
Pena:\(1 de la petite tap qu'elle lui a IIlflig "e,
le cocker lève sur sa maitresse le dou reproche
de ses bons eux étollné.. Et, c'est plus fort qu'elle,
voici que Liette se met à pleur r. Elle ne sait pas
Ir s bien ce qu'elle a ou plut telle 1 sait trop bien.
Lorsqu'elle a épou é Robert, 1\ quel mobile
n-t-elle obéi? Vaimait-elle vraiment? Grand, beau.
distingué, son genre lui plaisait beau ·oup. F.t elle
-tuit 1ière de se montrer 1\ son bras, comme on
l'cst qu,ml! on a été lIlle pelite jeune fille salis
gr.mù avenir de\ant soi et que l'on se voit éJevéfl
,i la dignité de dame - d'une dame richement
rentée. d'une lad du meilleur monde roulant
tout un tram de maison. Mais
auto et
�( V I{A l' I" r ·, E
l, ')
,llltremeni '1IlC \ OlllllU' 1111 l'élléll lt
C)u'~l{
appréclf'
qualil ~s ct qu'elleIrULI\(e e:-.quis parce qu'il 1111 cst indulgl;nt C0I1111W
"M. Daliot et hienYcillant ':OlTIll1e M. le curé'?
"\lon, clle n'en est pas trl'S sllre, ct c'est cc qui
1ui arrache des larmcs. Elle se rappelle son <lyert is,,;c1J1ent,;1 M. le Cl1r~.
Elit' sc rc\oit délihéranl avl'C
Illi dans sun cabinet de (r:lv;1il cl 1'l'l1lend ('11\:1)["('
lui dire d'un ton ,.;i solennel :
- Chl're petite, Hui plus lJue llloi 11e désire ~1\Jl'
la vie te soit toujours fneile el dOl1L:e. Puisse aUCUll
regret, aucun remords n'assomhrir cet ,1\"cnir
inconnu vers lequel tu t'ébncC's ayec Ulle si Ill'Ilc
insouciance!
Cel avenir, :1 présent qn'elle le connni1, répondil bien à ses espérances? Et llll'll1<:. r('polld-il
hien aux nspirations de Hoherl '? L'aime·t-il bien,
Robert, l'aime-t-il passionnément comme il ,limail
la Lietle d'avant le mariage - une LieUe qui
n'était pas laJ Haie LieUe, qui n'en était que le
rrète-nom?
Infortunée Denise!
Est-cc l'efiel du mal 'lui JJ1ll1e I:! Jeune 1'.1rs. '" ellstone et donl, non plus (Jue son entourage, clle ne
soupçonne pns encore toute la gravité? Est ce le
résultat de cette sou/Trance où le sceptique yoit un
motif de plus de douter, mais où le croyant VOil,
lui, une :1l1tre raison de croire parce qu'il la sait
purifiante et régénératrice'! Le remords n'est pas
étranger :l la crise de la jeune Mrs. Weil stone et
elle commence :t comprendre qu ·' elle n'a pas bien
agi en donnant le change ü Ro'., rt et en n'écoutant
r ns .NL le curé qui s'cHorç;<l de la mettre en gard~
contre les conséquences de celle erreur.
Mais que peut-il bien avoir encore à lui
reprocher, M. le curé? i'l"e serait-cc pas de lui
avoir écrit pour le prier d'insister près de sa sœur
et de ~es
parents afin de les décider fi l~ venir voir?
VOYOll S un pev cC' q n'il cl i t :
,am,u<I.de, un
do pIns
1'1)
c:hR.rmant!;~ç(l
e,
,UlU. Illl 1'01 1
l''ns pour
!Ollte" ~es
�rYRA ETTJ::
'73
( Ma chere enfant.
J'espère que ce mot te trouvera plu .. vaillante.
Cependant, je me suis empressé de déférer à ton
lésir et d'appuyer ta requète. Sache que tes parents
sont disposés à y donner suite ùans la mesure de
leurs moyens. On parle d'un armistice prochain.
S'il est signé, ce ne sera plus pour eux qu'une
question de formalités et là encore je Pllurrai t'etrc
utile en leur facilitant les démarches de mon mieux.
« Mais, ma chère enfant, ne me demande pas
l'impossible. Quelque disposé que je sois à te venir
traen aide dans l'e pèce de crise que tu ~embls
verser, tu ne peux attenùre de moi que je fasse
pression sur ta sœur pour qu'elle aille là-bas.
Denise a toujours besoin de beaucoup de ménagements, mon enfant, et, il serail inique de lui
imposer une épreuve qui pourrait avoir de si dé plombles résultats. Ta maman qui, je ne sais comment,
a fini par découvrir la vérité, partage mon sentiment à cet égard. Je ne doute pas que tu le partages
aussi et qu'en y rét1échissant ... »
~
Pour la seconde fois, les mains de Lielte retombent lourdement. et se. larmes coulent, lente el
amères, le long de ses joues creuses où la fièvre
met comme un éclat de mauvais aloi.
- Pat 1••. Viens, mon chien! Console-moi! Je
suis si misérable 1
Une réaction se produit sous la première pensée
qui lui vient et, dans un ressaut de volonté, ayant
�(VRAl ET',,·;
I,;au e de Ro el t. Mai~
si j'éloigne Robert de moi,
dIe pourra venir sans inconYénicllt, je présume ..
Oui, mais, comment éloignt!r Robert?
Cette aut re réflexion eoupe l'inspiration à LicHe.
- Mary! l'vlan'!
- .\1udnllle?
- Décidémcnt, je ne me sens pas cap<lble de
répondre à ces lettres aujourd'hui . Remetter.-moi
dans ma bergère, ma fille ... Et pnis jetez donc une
büche clans la chemilJée. Ce n'est pas le bois gni
manque à Oak Grm'e et, moi, je n'ai pas chaud.
Dehors, la tempête mugit el bouscule la chênaie;
les averses cognent aux vitre~
et le gràod feu qui
brûle jour et nuit dans la chambre de la convalescente n'y maintient une température assez donce
qu'autant qu'il donne toutc sa flamme.
Voyant que sa maltresse n'est pas d'humeur à
jouer, Pat va se coucher sur la dalte du foyer,
entre les sphynx hiératiques des landiers monumentaux qui l'encadrent. Et LieUe, derechef
esseuIêe, se ,'onsole comme elle peut.
-- Eloigner Robert, nou, je n'en a~
pas le
moyen ... Enfin, tant pis! ... Si Nise reste à la maison, tan t pis pour moi. Je ne l'aurai pas volé et c'est
plus que je ne mérite si papa et maman se décident
il venir . .. Mais quand vienJront-ils ? Mettons qu'il
faille huit ou dix jours pour les formalilés. Je pense
bien qu'jln'en faudra pas davantage. Mais ce délai
ne courra qu'à partir de l'armistice, a l'air cie dire
M. le curé. Voyons un peu ... Mary! ... Allons bon,
elle est redescendue (noll\'eau coup de sonnetie) ...
Il ne faut pas vous sauver comme cela, ma fille,
tians savoir si le n'ai plus besoin de vous .. , Qu'eslce qne je voulais vous demander déi~l
? Je ne me
rappelle plus, tenez, VOllS me ftlites perdre la tète ...
Ah J oui ... les journaux! Il n'yen ayail pas au
courrier?
- Non, madame.
- Pas mème cIe journal!. anglais '1
- Si, madame.
�'YRANETTE
17
Qu'atlendcl-voUS pour Ule 1 mont r?
La lDaid, toujours impassible, redescend chercher le!> fel1illes. LicHe en déplie une et la parcourt
fébrilement.
- Le c0mmuniqué ... Où diable niche-t-il, le
communiqué, dan vos gazelles anglaises, Mary?
- Je ne sais pas, madame.
- Vous ne les lisel donc pas 'Z
- Non, m,Ida me.
- Eh bien, \OUS n'êtes guère curieuse, "ma
hlle ... Ah ! le voici, tenez, enfoui ct comme caché
dans le has ùe celle colonne. Si c'était le compte
l\!ndu l'un match Je boxe ou de football, il s'étaIerait sous une Ulanchette d'un pied, dans le haut
delupremière page. Mais un communiqué ... peuhl
En~
s'arrête un instant t pousse un petit cri:
- Mais non, je n'y étai pas. Ça, ce n'est que
le communique de l'armée d'Orient. L'autre, le
hon, est bien cn première page el en caractère
,ras. Il parait mème joliment intéressant!
Elle s'absl'rhe dans sa lecture, arrêtée par des
illoIs rares, des termes tedll1iques, des phrases.
diffidlcs. Mais l'ensemble la satisfait beaucoup.
- Les Boches demandent la cessation immédiate
des hostilités, Mary! Hier, le maréchal Foch, mon compatriole, 'fOUS savez,- a reçu leurs plénipotentiaires. On s'at\end à la signature d'un armislice pour aujourd'bui.Youl:i \oyez que j'ai bien fait
de regarder dan le journal. Mr. Wellstone ne
m'avait rien dit ct, si je savais déjà que ça marchait
t.rès bien, je ne m'attendais pas à un pareil coup
de théatre.
Dans cet instant, du côté de la mer, des salves
ll'artillerie grondent formidablement. Ce sont les
batteries côtières qui tonnent toutes à la fois, faisant trembler les vitres d'Oak Grove et jusqu'aux
tableaux de ln ·bambre.
- Mary! ... Le canon!
- Oui, madame.
- Est-ce que tes pourparlers ont rompw;?
-
�(YRAN ETTE
guerre recomm ence peut-èt re. Pellt-èt re les Boch~
nous tendaie nt-ils un piège pour mieux bombar det
Sidmou lh.
- Je ne sais pas, madam e.
- Moi non plus, comme de juste, mais vous
feriez bit:n J'aller voir. C'est très import ant, cette
canonnade-là. Çu me rappell e les raids dc gothas
à Paris. Vous n'avez jamais été bomba rdés à Oak
Grove, Mary?
- Non, madam e.
- Je ne vous souhait e pas Je l'être ... Allez voir
et ne soyez pas trop longue, mu fille ... Pat, ici!
Ne t'Cil va pas, toi. Toute scule, j'aurais trop peur.
Et puis, s'il ya un débarq uement avant le retout'
de Robert , tu me défend ras, dis, 111011 petit chien?
Mary revient bientôt . Elle revient avec Flora,
avec DOIa, av('c toul le personn el féminin d'Oak
Grove, '!ueslli t tout le personnel masculin. ht c1wi
ces gens si flegmutillues, c'est une émotio n, une
effervescence cx (mord inai re.
- Oh ! madam e ... Oh! llndam e ...
- Quoi? interro ge ardemm ent la jeune Mn;.
Wellsto ne, gagnée par la contagioll_
- L'armis tice, madam e! L'armi stice!
LieHe, surexci tée, transfig urée, s'est levée d'un
bond. Elle a tout oublié, sa faiblesse et sa langueur, la promes se qu'elle a faite à Robert d'ëtrc
hien sage en SOIl absellœ , jusqu'à Sil dignité Ull pell
factice de grande dame.
- Nous somme s vainqu eurs?
- Oui, lllLldalllc, dit un palefrc nier. Vive la
France !
- Vi ve l'Angle torre! s'écrie LieUe, cumplè tement emball ée.
- Madam e, reprend le palefre nier, avec une
belle révérenëe, nous voudrio ns bien aller voir un
peu au village. Monsie ur n'est pas at home. Si
madam e avait la bonté de nous permet tre ...
- Mais oui, me:-. amis. Courez !... Courez-y
tous! J'y vais lnoi-m~e.
�CYRANETTE
177
- Oh! fait Dora. Si j'étais de madame, ce n'est
pas là que j'irais.
- Et où iriez-vous, mn bonne?
- A Plymouth, madame! L'escadre toute pavoisée, les équipages à terre, le défilé de ln garnison:
c'est ça qui va ~tre
beau!
- Vous faites bien de me le dire. Il faut que je
voie cela. L'armistice 1... Ln victoire 1... Pareille
occasion ne se rencontre pas deux fois dans la
vie ... Mais dites-moi, Fred, comment Mr. Wells·
tone est-il sorti?
- Monsieur a
�CYRANETTE
()uinl.c jours plus tard, ayant r~condljt
le docteur j llsqu'à \;1 grille du parc, Ml', vVellstone, Pille,
soucieux, COlllme harassé. donne nct'velsm~
sc:; inst t'uctions ail.\. dOl1~stiq
ues avant de remonter
près de sa femme, laissée à la garde de Mury.
La rechute qui était à craindre a terrassé Lil.!lIe
au t't'lour de !:la foLie équipée de PI\ mouth. Et ce
soir-Iii, d toute b 11uit. pendant que l'on courait
de droite d de gauche après le médecin parli soigner d'autres malades, Robert il dù veiller la chère
ct imprudente c!1fanl. Bnilée par la fiè\'l'e et toute
délirante, ne se aoyait-elle pas tantôt rue N6zill
011 au pr~sbytèe
de Maché, tant()l il Paris. pendant
le r,tilt des gothas, "LI su r !I.! paquebot, au fort dc
la tempête? Puis, subitement, sans transition" elle
échangeai t des propos aigres-doux ~lvec
Gert y ,
pourchas~it
Pat dans la grande aJlé~
d'Oa 1- Gro\'(;,
ou prenait part il l'explosion d'allégress(' qui avail
accueilli la nouydle tle l'armistice. Et, bien que
101lt cela l'lit aussi décousu, .1llssi incohérl.!nl, aussi
absurde que le peuvent êlre des scènes de e<luehemur, Rohert n'en était que plus douloureusement
<l fTcclé quand, penché sur eUe, de tou te sa lenJresse
conjugale, il s)efTorçait en vain ù'endiguer cc not
de propos étranges qu'entrecoupaient Lle brusques
~anglos
et des éclats ùe rire nerveux. Loin de sc
taire comme il l'en conjurait, e lle s'était mise à
'hanter, Jlon pluscle sa jolie voixde soprano, d'une
petite voj, fèlée, lointaine, connl1e réduite il un
fi let et llu'unc quinte de toux, un l'Ale achevaient
parfois de hriser. Et c'était tolti son répertoire qui
y avai\'p;''> ,lJ IHr bribes et p,l[' morœau:x, depuis
le « Pet il Pioupiou» du COllCl:rt de (hari 1(: jllsqll'à
�YRA ETTE
179
\. délicieux « No61» d'Augusta Ho!mês qu'ell
rappelait r6cemment ~ ise, mais qui, nasil16 ainsi,
par cet organe de ventriloque, duns cette lugubre
nuit de nov mbre, RU tond d c vieu manoir
battu par la phli et le vcnt, détonnait il faire mal:
Trois anges sunl venus cc oir
M'apporter de bien belles cho cs...
Un uir surtout revenait en leitmotiv, lancinant,
obsédant comme une hantise, ]'alr alel,"te et triomphaI de cette Madelon dont la "ogue s'étendait à
('Angleterre t que, ('autre jour, en plein Plymouth, dans les rucs débordantes d'une foule ivre
de joie, elle s'était mise à reprendre de toutes ses
forces, dix fois, ~en
fois, jusqu'à épuisement:
Quand Madelon vient nous verser à boire ...
Elle a délire! ainsi durant des heures et des heures,
et délirait encore à l'ariv~e
tardive du MEdecin
dont les remèdes n'ont réus i qu'à couper sa fi~ r t
car depuis lors, sous l'œil impuissant de Robert,
atterré de la marche rapide, implacable, du mal,
elle n'esl as sortie d'une prostration, d'une atonie
plus effr antes ~eut-êr
que on d~lire.
Pourtant, ce matin, qUQnd BOb mari est allé
reconduire le docteur, elle semblait moins déprimée. Et il se peut que ce ne soit là que ce mieux
qui, si souvent, prélude au pire, mais à peine les
deux hommes ont-ils eu quitté sa chambre qu'elle
a ouvert des yeu dont la flamme naguère vacillante, comme éteinte, paratl se raviver. Pénétrée
d'une douce langueur, d'une sorte de béatitude,
elle a regardé un moment autour d'eHe et ' st ue
esseulée dans son grand lit bas, tendu de rideaux
�( 'V RA 1\"
1 ~ TE
..1 1'<_ pl'llou.ses rnouill ';es , si vertes touJours,
monte I1n arOllle de foin 'lue li'! chambre aspire par
"es baies entr'onVCl'tes.
- Mary, soulevez·moi s nr mes oreillers, voulezyous? J'ai à écrire.
La muid hésite. Si m adame enfreint ft nouveau les ordres du docteur, que dir:l monsienr '1
,\1ais madame insiste:
- Entendez-vous, Mar) ?
1'\'\ary obéit ;1 regret. Pour li Il soldat, le devoir
n'est pas très clair dès qu'un chef ùonne une con~
signe et que l'autre la viole. Et quand monsieur a
dit ceci et que madame l'nit ce la, la maid, volontiers, rentrerait sous terre.
Liette doit faire un g ra nd cHort pour tenir la
plume, mais elle sait s'a rmer en pareil cas d'une
volonté, d'un e énergie qui confondent Mary, comme
elles passent Mr. W elJstone en personne. Ce qui
(ait qu'au bout. d'un petit quart d'heure, venant à
rejoindre sa femme, ledit Mr. Wellstone la surprend une fois de plus en Jlagrant délit de désobéissance. Discrétion ou tout autre motif, Mary
s'esquive sans demander son reste.
-Liette, mon enfant, vou s faites mon désespoIr!
-J'en suis désespérée moi-même, darling,
assure doucement la coupahle. Mais il me fallait
écrire cette lettre. Et, l'ayant commencée, vous
permettrez que je la termine.
- C'est de j'avoir commencée que je vous fais
reproche, LicHe. Quant à vouloir la terminer,
faible comme vous l'êtes, en vérité, mon enfant,
vous n'êtes pas raisonnable.
- Raisonnable, darling, je ne l'ai jamais été. Il
est un peu tard pour m'y mettre aujourd'hui.
- Vous n'êtes qu'une enfant.
~ - Oh ! non, Robert. Autrefois, je ne dis pas.
Plus maintenant, mon ami.
Elle s'exprime si gravement que le jeune homme,
un instant, en demeure interloqué.
- Vous êtes une enfan1, répète-t-il maehinale-
li,
�C
YI'A
F.Tn:
ment. Si ous n'en étiez pas une, il y <L longtemp'
que vous 5eriez: guéri~
et que nous auriouc, qulttrOak Grove. Mais \ ou:; ne faites ri 11 de 'C qu'II
faudrait faire pour vous rélahlir, ma patl\ re LieUe.
Le jour de l'armistice, par exemple, quelle imprudence de vous en aller à Plymouth SOllS la pluie et
par le froid!
- Pouvais-je demeurer insensille il l'enthousiasme généra\'! Vous-même, Robert, entendant
les cloches et le canon, n'avez-vous pas renoncé ù
vos démarches?
- Oui, pour rentrer chez nOlis ct ne pas vous
\' trouver, hélas!
- Mais VOliS m'avez rejointe en ville!
- Trop tard 1 Vous vous étiez échauffée et brisée il crier et à chanter.
- On m'avait reconnue comme Française et on
m'acclamait de si bon cœur, on poussait de tels
hourras en l'honneur de mon pays, que n'importe
qui, à ma place, eût fait comme moi. N'aurais-je
pas eu mauvaise grâce à me dérober, quand ces
hraves gens me demandaient de leur chanter la
M.;lrseillaise ou la Madelon?
- Oui, mais dans quel état je vou ai retrouvée!
LieHe baisse la tète avec accablement. C'est
vrai, elle a été bien imprudente encore ce jour-là
et, depuis, son mal s'est terriblement aggravé.
Mais ce qui est fait est fait. 11 n'y a pas à y re,"eoir.
- Ne me grondez pas trop, darling ! Je suis si
punie!
11 l'embrasse tendrement et veut lui ôter l'écritoire qu'elle tient sur ses genoux, mâis elle supplie:
- Non, Robert, iHaut que je termine cette leUre.
- A qui est-elle destinée '}
- Vous êtes bien curieux.
- Pas du tout, mon enfant, mais comme j'ai
écrit moi-même à Chambéry. pour presser
M. et Mme Daliot de venir...
- Vous n'avez pas écrit à M. le curé. Et moi,
darling, je veu que M. le curé vienne aussi.
�Cy RAi', r~T'
l~
S'il vieut, il sera le bienvenu, articnlœ avec
effort Mr. Wellstolle, dont l'émotion va grandis.
Mais pourquoi lui écrire de votre main,
Lie,lte'? Je pourrais très bien le raire, moi.
- Ce ne serait pas pareil, darling. J'ai de!choses à Ini dire ... Et si, par malheur, il ne vienl
pas, ces choses-là, j'entends qu'il les sache tout de
même.
- Quelles choses, mon enfant?
- Des choses que vous saurez aussi un jour,
H.obert.
- Pourquoi pas tout de sllite :'
Liette le regarde étrangement
1
- Au faIt, vous avez râison . pourquoi pas tout
de suite '1
Assis sur le bord du IiI, il lui a passé le bras
autour de ln laille pour la soutenir et il sent battre
contre le sien cc pelit cœur de linotte.
Elle se recueille, puis câline:
- D'abord, darling, laissez-moi ,'ous chanier
quelque chose.
11 a llll léger tic, l'ail' de dire: « mon Dieu,
encore! )1 mais elle va au-devant cie tOtl te objection.
- Oh ! pas la Madelon, bien entendu, eHe ne
serait plus de mise. Quelque chose qui vous fera
comprendre ce que je ressens, c1arling.
Il n'ose lu mécontenter.
- Chan lez, mais très bas, mon enfant.
- Oui, en sourdine, à voIre oreille.
Elle tousse, exprès cette rois, pour se dégager It\
gorge, et sa voix, contenue, mais redevenue mélodieuse et où ne lremhlc qu'un gr;md attendrissement, s'élève à peine dans le silence intime de la
cham bre,
:;:1.111.
Combien j'ai souvenance
Du joli Heu dt! ma nais!,ance.
~la
sœur, lIU'il:; ètuient beaux les jour,;
De France!
o mon pay~,
soi,' mes :nUfiurs.
Touîours!
�CYl~
ET TE
Raoerl, à cette poignante évocation de la patrie
lointaine, où il retrouve ses propres nostalgies de
soldat, ne sait comment retenir les soupirs qui
l'oppressent. Mais LieUe s'en aperçoit et ne va pas
plus loin.
- Oh! darling, ne voyez pas là un reproche.
J'ai le mal du pays, mais vous n'y êtes pour rien.
- Je ne sais, balbutie-t-il. Si je vous avais enve·
loppée de plus de soins et de tendresse, le spleen
ne vous ravagerait pas.
i vos soins, ni votre tendresse ne m'ont
manqué, darling. Mais - et c'est où il me fallait
co enir - je n'avab pas droit à votre amour,
puisque votl·c cœur ne vous appartenait plu~.
Un trcssaillement involontaire trahit le jeune
homme lors mème qu'il protes! :
- Oh! chère aimée, pouvez-vous bien ... "/
c m'appelu pas ainsi. Appelez-moi plutôt
votre enfant, bien que, je vous l'ai dit, je ne sois
plus la petite chose frivole et fantasque qui s'est
jetée étourdiment en travers de votre bonheur.
- Que voulez-vous dire, Liplte'! balbutie-t-il
ùans son émoi.
- Quelque chose ùe beaucoup plus douloureu
encore pour InoÎ que pour vous, mon ami. Quelque
chose que je n'oserais jamais vous dixr si je n'en
étais au chapitre de la mort.
- De la mort! Vous, Liette? Quelle idée!
Elle se hlottit contre lui, qui semble lui faire
rempart de sa force et de son affection.
- Ce n'e t pas une idée, c'est une conviction,
llne certituae que j'ai depuis quelques jours. Je ne
reverrai pas ma Sa oie. Et si papa et maman, si
ma chère sœur Denise et notre bon M. le Curé
bientôt, je sais que je ne les reverrai
n'arrivent p~
pas non plus.
- Nonsense! s'efforce-t-il de se récrier bravement. Auriez-vous encore de la fièvre?
Lietle hochn tu tête: elle a senti {ri sonne,' le
~ne
homme, qui ne sait pa mentir.
�I~'
1
l,
n ' RANETTE
~j
iièvrL', 111 délire, non. Et combien de tob
devrai-je VOLIS r~péte
que je ne suis plus une poup(;e? La poupée, déjà, est morte, darling. Il :t suffi
ll'un choc ct elle s'est brisée ell morceaux, ne laissant l\:happer l[Ue du son. Beaucoup de bruit
pour rien.
Elle sourit vaguement de son calembour, qui a
d'ailleurs échappé à Robert, et, avec cc sérieux,
cette gravité sereine qu'il ne lui connaissait pas
depuis leu r mariage:
- Le médecin m'a condamnée, Rohert. J'ai lu
son verdict dans vos yeux. Mais vous n'y êtes pour
rien encore une fois, et il est juste que je m'en aille,
- Ma chère petite, je vous en supplie, ne parIez pas ainsi . C'est blasphémer.
~
Oh 1 non. C'est t;econnaltre mon erreur, une
erreur qui, M . le curé m'en avai l prévenue, porlail
son chàtimen t en soi. Je ne devais pas m'interposer entre vous el celle que vous aimiez, Robert .
.le le devais d'autant moins qu'elle vous aimait
aussi el qu'en vous donnant le change je la livrais
au désespoir.
- .le ne comprends pas, je ne comprends pas,
assure le Jeune homme, en toute sincérité.
- Allendez, vous allez comprendre, IllOU ami.
Si je ne vous arrache pas plus vite à vos illus ions,
c'est qu'il m'est très pénible de le faire ... Qui aimiez-vous avant notre mariage '?
- Mais vous assurémentl
- Non, Rohert, pas moi. Cclle qui vous écrivait sous mon nom et ùont les qualités ~'harmo
nisaient si bien avec les vùtres. Et ct.:lle-lil, vous la
connaissez, mon pauvre ami. C'est la meilleure, la
plus dévouée des sœurs.
Ml'. Wellstone blêmit. Pour lui, qui cherchait la
vérité depuis six mois, quelle brùsque clarté,
quelle révélation 1
- Denise?
. ~ Dewse! affirmc véhémentement Lietts ...
Oh! croyez -moi, Robert. je n'ai l,éché que par
�r Vl
ErTE
.):;.
légèr1t~
~t uu peu aussi pat vanité. Mals j'al besolll
de votre pardon comme de celui de ise, mon cher
ami. Je ne pUIS m'en aller sans l'assurance que
VallS me serez indulgents tous les deux et que mon
souvenir ne vous abreuvera pas d'amertume. 1 0n,
Robert! Je ne puis partir ainsi, sans avoir au
moins l'espoir que le mal que j'ai fait involontairement, mais fait tout de même, n'est pas irréparable et qu'il sera réparé un jour.
Et avec exaltation:
- Songez-y! Puis-je comparattre ùevant Dieu
avec cette tache sur la conscience? Denise vous
aime. Dans sa timidité, ellc a fait un secret de cet
amour. Dans sa modestie, elle s'est effacée devant
moi. Dans sa bonté et son abnégation, elle s'est
sacrifiée tout entière, et c'est miracle qu'elle ait
survécu à ce sacrifice, M. le curé vous le dira
comme moi. Et qui plu est, vous n'avez jamais
cessé de l'aimer, vous, Robert. C'est elle que vous
aviez découverte, elle, l'âme tendre et sQre à qui
vous rëviez obscurément. Moi je n'étais que ]a
marionnette qui vous faiSflit peur et l'impres. ion
que j'avais produite sur vous n'était pas trompeuse,
comme vous en veniez à le penser sur la foi de
notre correspondance. Les belles lettres que vous
receviez n'étaient pas de moi. Elle étaient de Nise
t toutes im
de son esprit, de son âme ct
�r-~'"
~
-~
-~
-~
( \ 1'.\
l'. J J J'.
T.lCtte, ,'III lUI Iwquet qui JonTll" \ onlllle un ~i1l
g lot, <<lIT("te, épuisée . Dans Iii tête de Robert,
to ul n'est tlue ver tige. Un immense désarroi lui
bou leverse l'~1e
el le creur, el pCllt-6tre . a-t~il
~hez
lui, il ce moment, comme un eHroi, cnmnw
une répulsion - l'épouvante dc tout ce qn'il vient
J'entendre, le choc en retour d'une afrection 'lui
se brise. Mais ce n'est là qu'un sentiment p:\ssagel' et ql1i l'eflleure à peine. ALI fond de cette
.1me si nohle, scule la pitié suhsiste; pour ce eCClI \'
si génl'e1~
ne comptent tille la franchise de LieUe
et la sincérité de sa contrition. Et (ette pitié grandit,
ct celle générosité emporte;: tout, quand l'homme
sent défai ll ir Jans ses bras la frêle et déconcertante créature qui a rait le mal sans le savoir et qui,
sachant l'avoir lait, en a tant de regret, tnnt de
chagrin, tant de remord..,.
- Lietle, m.,' chihl, 111011 petit enfant!
Le soleil danse par le travers de. la chambre
comme il dnlls:1il chat]ltc l11:1ti11 dans celle des deux
sœurs, à Cha 111 bér) . Il arrive jusqu'au lit olt, sans
les hras qui I·enla~.,
Licite retomberait, l"l111ée
de douleur.
- Mon enfanl, revenez à vous ! Vous vivrez,
Liette! VOltS vivre7., VOltS dis-je, par amOllI' de
Nise et de moi!
- Là-haut, oui, dit-elle en levant les yeux au
ciel. Et je Ile serai plus entre vous comme une
ombre. Je planerai sllr votre honheur comlUun.
J'en serai l'ange gardien.
fi ne trouve plus rien à dire que ceci:
NOllS "errons ce que M. le curé el'_ pense.
Car il \ a yenir, mon enfant, jl \ ,1W: réponds -Iu'il
'1:1 vemT.
- Oui, n'esl-cL pas? 11 le lt 1. Et VOLIS COllveltel.
llue je n'ai pas tort de lui écrire .
- Oh! dit Robert, en se contr~ligaf
i't un
sourire confiant, je ne VOltS m:lis pas attendue
pour Je fairt:, Liette. Je lui ai déJ~l
écrit, C{lmlllt" il
vos parents, et même lélégraphié. Mon intention
r\
-.,
�CYRANETTE
était de vous faire la surprise de son arrivée, qui
est imminente.
- Il vous a répondu?
- Oui, mon enfant.
- Et Nise vient aussi '!
- Oui, mon enfant. Je les attends aujourd'hui
même.
- Ah 1mon Dieu, merci! Ji t Lielte a ,"cc ferveur.
Sa jolie petite tête pâle et maigre, où les yeux,
immenses, cernés de bistre, scintillent comme
/es étoiles derrière l'embu de leurs larmes, sc
retourne vers Robert qui, à bout de vaillance, les
dents plantées dans les lèvres, ferme les paupières
pour retenir l'eau qui les gonfle.
- Ne pleurez pas, mon ami. Dieu est juste,
Dieu est bOll. Et puisque sa sascsse nOlis éclaire,
nous devons l'en remercier...
En bas, dans le « parlour», les domestillues
tiennent conciliabule.
- Il va être l'heure d'aller au train, dit JOh.l, le
chautIeur. Mais je me demande comment je ais
identifier la famille de madame.
- Ce n'est pourtant pas malin, répond Fred,
le palefrenier. Monsieur vou a dit à l'instant,
devant Dora et moi, qu'un pr tre {rançai accompagne monsieur son beau-père, madame sa bellemère et mademoiselle sa belle-sœur. Une soutane
en gare de Sidmoulh, il n'y a pas moyen de s'y
tromper, mon vieux.
�('VRANETTE
pllU'..Iit Sl' raire aimer vraiment de lui, cOlllme '.111-:
swectlteat't de son sweetheart, sut être une si gentille petite femme et se laire chérir comme un
enfant?
- My ch ild ! .. , .11)' OMt dCcll' littlc chihi!
- Ne pleurez pas, Robert, ou je vais pleurer
aussi et ce n'cst pas It: moment, puisque, ditesVOltS, père, mère, Nise et M. le curé sont sur le
point d'arriver, J'aime mieux chanter, chanter
ellcore ... Oh ! laissez-moi chanter encore un peu,
mon ami! Riell qu'un couplet, pendant que le
solei l me caresse ct m'empèche de tousser. Le
so leil, c'était ma vie, il moi. Le soleil et la neige,
comme j'edelweiss qui pousse dans l'une et fleurit
dans l'autre. Et vous savez, darling, en France,
fout finit par des chansons.
Il se raidit, parvient ù sourire comme elle.
- Ne vous fatiguez pas, my cbilc1.
- Au contraire. Je vais me mettre l'âme 'en
fète pour mieux accueillir les miens ... Vous vous
rappelez, Robert, le jour où nous étions allés au
Bourget avec Denise'? Le lac était si beau, vers le
soir, avec ses eaux bleues, roses et violettes, que,
si je vous avais écouté, nous aurions manqué le
demier train à force de nous attarùer daus leur
contemplation. Denise rêvait comme vous . Et
moi, petite folle, je fredonnais je ne sais quoi, tout
ce qui me passait par 10 tète, quand vous me
dem:J.nd:\tes le Lac de Lamartine. Mais je ne voulus pas le chanter. Un caprice. Et je ne chantai
4ue te Temps des Cerises, comme pour faire un
peu plus de peine encore à ma pauvre sccur :
.J'aimerai toujours le temps des cerises
C'est de cc temps-là que je garde au cœur
Une plaie uuverte !
Et dame Fortune, en m'étant offert<:,
1\e pourr:l j(1)TI<tis lcrml'r ma douleur.,.
If
J'ai eté mtn vila.inc ce ~oir-L:!t,
mon
Cl.llU.
Mais
me mentt1ls··jc t'lnt ~1 moi-I11t:Jllt ('Il pt! ,li'lnnt;
�eYRA ET TE
des L:erlscs,
Quand vous en sere!. au t~lp:;
chagrins d'amour ,
Si vous avez peur de~
Evitez les belll!5,1
cruelles,
Moi qui n~ crains pas les pein~s
Je ne vivrai point sans soulTrir un jour.
Et puisque ce jour est venu, ô Robert , je veux
vous le chanter , le Lac. Je veux VOLIS le chanter
comme je VOLIS l'aurais chanté là-bas, sur sc:.;
belles caux dorman tes, si je vous avais aimt3
comllle vous aimait Denise :
o IdC, l'année fi peine a fini sn carrière
Et près des flots chC::ris qU'clle devait revoir
Regarde 1 je viens seul m'asseoi r sur <:eUe pierre
Où lu la vis s'asseoir ...
Un soir, t'en souvient·i1, nous voguion;; ~n siienc·:
On n'entend ait au loin, SUI' l'onde t;l sous Ics ciClI\,
(..lut: le bruit des rameurs qui frappaie nt cD c3den.:
Le!; flots harmoni eux.
- Ecoule z! dit Fred, dans Je parloir . Je crois
que madam e chante.
- Diçu l'assist e! murmu re Dora. Le rossign ol
aussi chanle avant de rendre l'âme ... ;)épêch ezvous, John! Mais dépèch ez-voll s donc, lambin !
Et ramene z vi le la famille Je madam e, car, croye/moi, il n'y ,a qu'un ange pour chante r un chant si
suave ...
�Ig0
CYRANETTE
ÉPILOGUE
Novembre 19181." Novcmbre 19~)
!... Un ail
d'écart entre ces deux dates, dont l'une a vu
s'essorer une àme naguère puérile, Illais qui,
grandie.' SOUù;] i 11 p<J 1 la souffrance et com me touchée de la gril.ce, a pu prendre place parmi les
justes et les saintes. Douze mOLS bien longs, bien
douloureux à maints égards pour ceux qui ont mIs
Liette en tombe et qui reviennent de faire Je pf>lellnage du pelit oratoire il l'ombre dnquel elle
rc'pose, sous la dwrmille, comme elI un nid du
bon Dieu. Mais <!Ilssi, ;) d'antres égnrds, douze
mois bien employés en fortes ct :>aincs médita-
lions.
A.vanl de mourir, à J'arrivée des siens à Oak
Grove, Lietle al'ait dit à :Nise, confidentiellement:
- Ma chérie, un jour viendr:l, je le sais, où
Robert le demandera de lui permcttre de réparer
mes torts envers toi. Ce jour-Jà, promets-moi de
ne pas te dérober?
Et à j'abbé Divoire, qni Dxait plI la confesser en
pleine lucidité, avant de lui administrer les
secou rs de la religion:
- MOllsieur le Cil ré, si vous l'o'ulez que il'
comparaisse sans crainte ·devnnl Notre Seigneur,
proJlleltez-moi de préparer p,Ij1;1 et 111:11)1,111;1 Cl'
qlle vous saVl:z. Vous les )' préparerez pl:U il peu,
n'est-ce pas? Nise aussi qui, autrement, ne prelldrait peul-ètre pas sur elte de déférer :1 Illon
désir, hirn qu'nll font! il vielll1e ù l'appui de ses
V(cux.
LieUe a bien fait de tout prévoir et d'e:\prilllCr
cl;Jirement sa volont6. Denise, ail retour du çimetièl'e, n~ s'appui"l'.l.it P",' :1in5i au br.ils de Roben,
cf, le\ant sur hl! un regard tent!(!lllenl mél.an n ,
1
�('('
l)ali0! n'ac,;~ptfr
il jClffi<1i
l 'l
fiançOlille5 au_ qut"lIe prélude ce- l;l'uel
pèlerinage, rail en commun, avl'C tant d'émotiol1
el de recuei1lemenl, si l'une l'I l'autre n'a\-aient
{ique
~econds
NI'.rff'
j
Mme
(;oll,>..:iencc que le momenl est venu de les en\-is;!
gel' sous peine de désohéir à la chère drspnrue_
Et quanel le devoir - ct le plus sacré de lous,
l'exécution d'une vnlont( posthume vient ;\
l'appui Je l'nnlour - ct du plus pur, dtl moins
~goïstc
des amours - le resl'e.:t bumain n'n le
droit d'intervenir que pOlir 3 s sig-ner une durél'
suffisante aux manifestations de nos- douleurs. JI
n'eût pas élé digne de Rohert, encore moins dl'
Nise, d'ahréger leur deuil. Vouloir Ic prolonger
indéfiniment serail sc cl61'uher 1\ une obligation
ùont M. le curé, fidèle ct persuasif interprète dc
la pensée de Liette, :\ su montrer la nécessitt"
comme la grandellr, C0111n1l \:1 portGc féconde el
hienfaisan le.
Robert demcura!)1 \c ,fave..: Icdouhll: désespoir
d'ullc affection ü jamaIs 11crdue cl d'ull <I1110Ur -lui
lui échappe; Denise (Jl\1pren<lnl mal son rôle el
s'ohstinant dans un' immolation stérile, cc
seraient dOllx autres vies ruinées sans rémission.
Tandis qu'en joignant leur foi, sa puissance souveraine leur est garante d'un hel avenir,harmoniotlx
et lumineux.
Car, Lictte l'n dit, ')\ltre eux son souyenir ne
mettra PD'> d'ombre. lIq ne )'é\'()qucrollt pus
comme un f:1nlôme. Elle planera lutélairemcui
sur !tur bonheur. EJ1e ne sera plu..; la ri\ale de
Nisc, la première femme de R)bcrL Elh~
sera ce
qu'elle a to\iu~'
ét~
en "outille pour eux, si pr6,-ocement grayc..;: lme cnf:ll11, lIne chère retil~
.îmc d'cnfant capricieuse el g;1l0e, llue l'on regrette
ct que j'on pleure, mais qLlC l'on sait heureuse
:lUssi, là-haut, avec les anges ..•
Le temps est superbe aujourd'hui. Si LieHe était
encore de ct! monde, elle ne reconnaTtre.it plu,; le
lugubre pa:vs~
qui, l'an dernier, à pareille
�CVRANETr~
(:rV1i Uf , ,I~\lubri
r ;sait
:,ec, .teltli·l:.. jt,tLlI:,. Cette
ann{'c, il n'cst presque p"s tumbé d'eau, daM le
Devon, depuis octobre. Avec ses nues ensoli~
lées et se~
tiédeurs printanières, novembre a pres~
que figure de mai. Et, dans les haies qui bordent
la sente discrète par où l'on rentre du champ de
repos, les chèvrefeuilles refleurissent çà ct là, au
milieu des houx, tout égayés déjà ùe leurs jolies
grnppcs rouges.
Ainsi, nature ct ciel semhlent sourire à un honheur renaissant. Cette sérénité des choses apaise
les su prêmes convulsions des tlmcs q ui ~e souviennent et des cœurs qui n'oublient pas.
- Que ce pays est beau! murmure l'at·chiviste.
- LicHe aimait mieux la SaVOIe, soupire
Mme Daliot.
- Nous l'y ramènerons, ma femme, répond
M. Daliot, en lui prenant doucement la main.
M. le curé, qui lit son bréviaire, marche i:t
côté de ses amis, derrière les deux jeunes gens.
Et parce que l'apaisement sc rait dans ICi;
cœu rs ulcér~s
de ce père et de cette mère; et
parce qu'il n'y a pl us d'iJlcomprise, plus de sacrifiéc, plus de Cyranette, mais une (iancée au bras
de son liancé; et aussi parce que le ciel est bleu,
l'air tiède, Cf ue les oiseaux chantent dans les
arbres encore parés de magnifiques feuillages ;.l1lX
tODS de rouille et d'or, le prêtre pense rrofondeSment cc qu'il lit, et que Dieu est juste, et que Dieu
est bon, et que Dieu est miséricordieux.
NOllembr'e
FIN
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Title
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Collection Stella
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Description
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La collection Stella est lancée en 1919 par les éditions du Petit Echo de la Mode. Ses fascicules sont des suppléments mensuels...<br /><a href="https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/exhibits/show/fondbastaire/collection_stella">En savoir plus sur la collection Stella</a>
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Dublin Core
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Publisher
An entity responsible for making the resource available
Editions du "Petit Echo de la Mode"
Title
A name given to the resource
Cyranette
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Sevestre, Norbert (1879-1946)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
[1920?]
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
192 p.
18 cm
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Description
An account of the resource
Collection Stella ; 11
Type
The nature or genre of the resource
text
Language
A language of the resource
fre
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Bastaire_Stella_11_C92538_1109552
Source
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Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Relation
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