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COL LECT IO N
FAMA
t' UBLI CAT IONS el ÉDITIO NS de la MODE NATIONALE
PARI S - 94. Rue d' AI~si
(X ive)
�LA COLLEC T ION
FAMA
'est une excellente collection de Roma n , d estiné Il la Fa mille, Son élooe n'e., t
,p lu s à fai r e; elle e~ t connu e de touS CCliX et cel les Qui ai m ent à se d"tra,re
<l'un e m an ièr e h on nele, en ooOtant l e ~ io i e ~ de l'esp r it et d u c , u r.
Ch an ue ou vraoe est sig né d'un au teu r c noi si pa r mi les llius estim és et l ,
pl u, morHU' rte notre époq ue. offra nt ainsi Id douhle oara nt ie de la val eur
1l11t'r .llrc ,.1 de la mo ra lité.
Au , itou , le,> roman s de la CO LL ECT ION l A l A peuvent-ils Nre mis e ntre
tll uh'S les mains, da ns to ute les Biblio th èq ues de , cercles. i nsti tu tion .,. patro
naaes. etc ...
Pr ésentée SOU\ unc couvertu re a rtisti qu e en trich r omie. la COLLECT ION
fA M A par son forma t heu r eux et é!éaan t o ff re l'ava ntaoe de nouvoir se lire
en voyan e. en pro mc.1ade. dt: e ol i "er cf" n, la poche ou da ns le ' ac de voyage.
Sa place est éga leme nt indiqu ée au sa lon com m e Sur la tab le de chevet.
IL PA RA IT TR O I S VO LUMES PAR Me lS (les 10. 15 et 25).
Ohaque volume , de 130 page' environ , ut en velite parlolll 1 Ir. 50 . Franco ronl,.
mnndat-po, te d. 2 jranc,. Troi, !Hllum.. au c/wi>: contre 5 Iranc,.
MON
JOURNAL
FAVORI
(LA MODE N AT IO NALE)
REVUE
B I -MENSUELLE DES MODES, PATRONS
DE LA FAMILLE
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JO LI ES pnl MlS OrFEI1TrS AUX NOUVE LL[S ABONNtES
O n peut réduire au m i nimum les frai s d 'envol en fai san t établir, pa r l'Aoen t
<les ro ostes, un mandat,posle ord,naire Il l'ordre de notre Comp te Ch eQue.
Posta l : PAn l S 176,5 0.
r NVOI fRANCO D'UN SpI
Adre5ser Letrc~
IMEN SUR DEMANDI: Ar fil AN CII I E:
et Co mm a ndes
tl Mo nsieur le Direc teur de LA MOD F
PAR I S. 94, ruc d'Alé5l a (X IV' .
Té l. : \''' '' l(lrurd 14 2!i
AT IO'lA LE.
�LE FIANCÉ
DE JOSETTE
��JEAN DE
I~E
SAINT ~MARC
FIANCÉ
DE JOSETTE
ROMAN
.
ËDITIONS DE .. LA MODE NATIONALE"
94, Rue d'Alésia, 94. -
PARIS (XIve)
��,LE FIANCÉ DE JOSETTE
CHAPITRE PREMIER
Lebout surun léger 6chafaudage, Luc Freinville travaille gaiement, la palette d'une main, la large brosse
de l'autre. Il est en train de peindro sur le grand côté
d'une salle do bain une scène aquatique .
Son imagination se donne libre cours. Il a en efIet
carte blanche. On lui a simplement demandé de « faire
gai et lumineux)) .
- Comment pourrait-il en être autrement dans co
pays? monologue-t-il, en mêlant sur sa palette diversos
couleurs, afin d'obtenir le ton qu'il cherchait pour la
ohail' d'une nymphe. '
Il se retourne machinalement vers la large baie qui
s'ouvre sur un merveilleux panorama. A ses pieds,
c'est un jardin qu'on dirait un peu à l'abandon, mais
où les frondaisons vertes ont une merveilleuse oxubé·
ranco.
De ci, de là, les boules d'or de quelques mimosas en
fleurs ressor lenl plus violemment sur le fond 6meraude.
Plus bas, c'est la descente verte et blanche de la
coBine de Cimiez, où les villas BO blottissent parmi
le feuillage; plus bas encore, c'est la masse, éclatante
sous la lumière, do Nice - Nice-la-Belle 1 - endormie, dirait-on, encore, à cetto heure matinale, au bord
de son golfe aLtj6di .
.
Plus loin, la mer 1... La mer tour à tour bleu sombre
�6
LE FIANCÉ DE , TO~1:E
ou bleu clair, verte aussi dans le lointai n; seulem ent,
là où elle rejoint la ciel, légèrem ent grise.
Comme chaque fois qu'il conlem ple celte vue
magnif ique, le jeune homme oublie son travail. Les
paupiè res à demi-fe rmées, il cherche à saisir le jeu '
mcomp arable des nuance s qui se jouent sur les lignes
encore floues du paysag e.
Tout à l'heure , le soleil sera trop éclatan t pour que
subsist ent des nuance s différen tes. Elles se fondron t'
en couleu rs vives, nettes, arrêlée s ; pOUl'les fixer, ill
n'y a qu'une minute , unique 1
Mais..il hausse les épaule s: les fixer! Quel peintre
serait assez hardi pour s'y risquer , sinon avec la cortitu9.6 de faire un à-peu-près, de courir à un demiéchec?
Luc Frcinv ille a vingt-q uatre ans. A oet-âge -là, on
conserv e sur la possihi lité de son art de nombre uses
illusion s encore . Mais il es\' trop inLelg~t
pour ne
pas se rendre compte , au moins vaguem ent, de la
marge qui sépare les idées les plus chèrem ent cares-,
sées, des réalités .
Et puis, il a déjà person nellem ent une expérie nce
assez rude de la vériLé éternelle: cc il y a loin de la
coupe aux lèvres >l.
En effet, il appartient à une excellente famille
d'Eure- et-Loir . Son père est avoué à Chartre s, et son
étude est certain ement la plus import ante de la petite
préfect ure.
Norma lement , Luc devrait , à cette heure, être penché sur des grimoir es, dans l'étude paterne lle, ou tOUt l
au moins, usc!' des fonds de culotte s SUl' les bancs de '
-la faculté de Droit.
Au lieu do cela, son baccala uréat à poine obtenu , il
s'est orienté du côt.é de l'École des Beaux- Arts,
d'abord sans en rien dire à son père, qui lui versait
l'argen t nécessa ire à son stago dans le temple du Code,
et ~'a
appris. quo plus tard l'emplo i cc extrava gant »
qu'Il en faIsait.
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
7
Le jour ol) Luc, admis à l'Eoole des Beaux-Arts, fi.
cru pouvoir s'appuyer sur ce succès. pour obtenir la
pel'mission paternelle, ç'a été une bolle scène 1
Pâle d'indignation, monsieur Freinville père ne
trouvait plus ses mots pour traduire les sentiments
qui l'ét.ouffaient.
Quand il a pu parler, ç'a été pour dire hon fils :
- Tu t'es conduit comme un garnement, et tu a~
commis il mon égard un vérit~ble
abus de confiance.
Tu as détourné de leur usage les fonds que je te confiais. Dorénavant, au lieu d'avoil'unc chambreàParis,
tu vivras ici. Tu partiras, chaque matin pour suivre tes
COUrS. Dès qI/ils seront terminés, tu rentreras ~ la
maison, où lu Bl,lÎvras, en somme, leI:! meillel,lres
l'épétitions cn t'occupant avec moi des dossiers.
Le jeune homme s'est emporté. Il a crié sa vocation, la certitude où il était de « faire quelque ohose ».
Peine perdue 1 Mon sieur Fl'einville père s'esi mon trer inOexible. Et comme Luc ne pliait pas, il l'a
puremcnt et simplement mis à la porte, le prévenant
que cetle porto ne se rOUVl'irait devant lui qu'au
moment où il reviendrait repentant fuil·c sa soumission au Dalloz, et aux autres autorités de la chicane.
De l'aisançe dans laquelle il vivait, à la « purée
noire» où il est tombé, il y avait tm saut, Il l'a exé~
cuté sans même fermer les yeux. Et pour lui a commencé oette vie extraordinaire que connaissent trop de
jeunes arLlstes à leur période de formation, et où les
repas constituent de véritable s problèmes, difHciles à
résoudre.
Il parait quo o'est au contact de ces difficultés que
les vocaLions se forlifient et que l'art. s'épure. De
graves auteurs l'affirment. A co compte, celui vers
lequel tend Luc n'aura certainement pas beaucoup
d'~aux.
Enfin, tant bien que mal, il a vé~t,
suivi les leçons
do différents manres, et est arflvé à se créer upe
�8
LE FIA.NCÉ DE JOSETTE
manière déjà très personnelle, dont l'audace a été
remarquée au dernier salon des Indépendants.
C'est même à la toile qu'il a envoyée à ce
salon qu'il doit le travail inespérü dont on l'a
chargé.
Dans l'atelier de sculpteur - espèce de grange au
sol bétonné, et dont le toit constitue le seul plafond qui lui tienL lieu à la fois do logement, 01" comme il
dit plaisamment, de « moule à chefs-d'œuvre », il a
reçu un beau matin la visite d'un monsieur correctement mis, qui lui a tenu co langago:
- Monsieur, vous êtes l'auteur d'une toile intéressante. Etes-vous retenu à Paris?
- Cela dépend de ce que vous entendez par retenu,
a riposté Luc, un peu surpris.
- Pouvez-vous vous absenter pour un délai de
deux ou trois mois?
- Pour aller où?
- A Nice.
- A Nice 1 cela tombe bien, je comptais justement
y faire une saison. Et je crois que le moment est particulièrement bien choisi; n'est-ce pas celui des gens
chics?
L'homme n'a pas sourcillé devant cette plaisanterie, et a continué:
- Si vous consentez à partir pour Nice, j'ai un travail agréable, je crois, à vous proposer. Il ne s'agit
pas de peindl'e sur Loile, mais de la décoration d'une
villa. Cela vous intéresse-t-il?
POUl' lutter contre la ( faute de pécune», Luc,
depuis sa brouille avec sa famille, a consenti bien des
travaux assez loinLainement apparentés à son art. Il
a notammenL manié la longue br osso des décorateurs
de théâtre. Tout ce qui est style décol'atif Ile lui est
donc pas inconnu.
Evidemment, il préféreraiL faire autre chose. Mais
Nice, l'hiver, c'est bien tentant.
PourLant, lnstruit pal' certaines expériences, il ne
�LE FIA~CÉ
DE JOSETTE
9
veut pas manifester SI rapidement le plaisir que lui
cause cette oŒre.
11 répond:
- En principe, je ne m'occupe pas de travaux de
ce genre. Cependant, si je suis assuré de jouir de
toute ma liber Lé, aussi bien dans la conception des
panneaux que dans leur exécution, nous pourrons
discuter.
- Vous serez absolument maUre de travailler suivant votre goût. Votre prix sera le mien. A condition, bien entendu, que vous restiez dans des limites
honnêtes. Vous aurez dix pièces à décorer. El les l'eprésenLent au total un millier de mètres carrés de surface.
Luc Freinville n'a pu se retenir deril'e; cette façon
d'évaluer la peinture au kilomètre lui paraissait assez
originale.
Mais du moment où il avait aITaire ù un mécène disposé ù payer largement, il pouvait bien passer sur
cetle originalité.
Rapidement, il fit un calcul du temps qu'i! devrait
consacrer à ce travail. Il l'évalua il trois ou quatre
mois au minimum. Et avant de fixer le chiffre, il
s'enquit, d'une voix un peu timide:
-- Je ne sais guère quel est le peix de lu vin à Nice.
Vous comprenez, mon déplacement eL les frais que
j'aurai là-bas ...
- Tl'ès exact, mOllsiem. Aussi, ai-je mission car ce n'est pas pour moi que vous travaillerez - de
vous proposer la combinaison suivante: on réglera
votre pension dans un hôtel de votre choix, à Cimiez ;
je vous remettrai en outre, en même temps que le
premier acompLe, si nous tombons d'accord, le prix
de votre voyage. Vous n'avez donc qu'à fixer celui de
votl'e travail.
C'était une aubaine inespérée! Et Luc, très hésitant, se demandait combien il pourrait exiger, quand
l'homme, sans doute prcssé, pour en finÏJ' avec unc
vi sile fastidieuse, proposa:
�LE FIAN<;:É D~
JOSETTE
- Voyons, est-ce que dix ~il1e
francs VOl,lS .~on
viendraient? Cela représente mIlle fl'ancs par plece.
Avec le temps de votre séjour et votre voyage payé,
c'est cert.ainement plus du double que vous vous
trouverez avoir gagné.
Luc Freinvillo n'avait pas pu répondre iméd~te
ment. C'était un véritable éblouissement qui ven~it
de le frapper .
Dix mille francs 1 Alorfl qu'il aUI'ait à peine osé en
demander )e tiers. Pour un peu, il eût gambadé d~
joie, nonobstant la dignité de son visiteur.
Enfin, faisant un effort Sur soi-même pour reprendre
i~ avait. murmuré:
..
son san~-froid,
- SOIt, monSIeur, Je consens ... Quand devraI-Je
partir? .: "
,.
-Mms, le plus tot pOSSIble, monsieur. Tous le'$
travaux sonl finis à la villa, et on attendra que \"ou.s
ayez terminé pour procéder à l'installo.tion défiI\)tive .
Ce disant, le :vioiteur avait {lorti de sa poche un
él~an
porlefeuille el en avait tiré deux billots de
mille francs en prononçant:
- Voici, comme convonu, le premier açompte. Il
vaudra seulement pour mille fl':;mcs; le l'est. repl'ésente vos frais de voyage.
'"'"*
Depu.ts deux mo~s
~t demi qu'illro.vaille à cet~
décoration, Luc Fremvl11e se demande encore parfOIS
s'il n'a pas rêvé.
.
d'un mot d'introNanti, avec les ùeux mIlle fr~lDCs,
:luction pour le comte Alonzo y Canohès quai des
Etas-Unis, il a débarqué un beau mati~
à Nice, a
trouvé à l'adresse du des~i.natr
de sa le~Lr,
un
homme d'vne trentaine d'années, d'une élégance un
peu voyante, ma~s
t~ês
cou,rto}s.
Lecomte, propnétalre de la VIlla enquestion, l'y acon-
�LE FIAN CÉ DE JOSETTE
11
duit avec son automobile. II a p<'JUssé la prévenance
jusqu'à l'accompagner ûnsuile dans un des hôtels les
plus chics de Cimiez, où toute la valetaille s'est précipitée pour le recevoir.
Il lui a fait do~m
e r uno chambre confortable, avec
Ralle de bains, et a prévc.nu le directeUl' qu'on eût à
inscrire à son compte ta\, tes les dépenses que ferait
( son ami, monsieur Freinville )).
Après quoi, il a proposé :
- Pendant que j'y suis, je vais vous accompagner
également chez le tailleur ot chez le chemisier, car
dans cet hôtel, je vous préviens que vous devrez vous
mettre en smoking chaque soir.
Déjà grisé par l'atmosphère de Nice, Luc n'a pas
protesté.
Mais le comte de Canohès avait paru choisir et
commander commo pour lui-même, le peintre, en sortant, a murmuré:
- Je crains bien, monsieur, que les dix mille francs
convenus suffisent à peine au règlement de ceLLe
garde-robe somptueuse.
- Vous plaisantez, monsieur 1 Il n'est question de
~ien
de pareil. Mon homme de confiance ne \lOUS a-t- ·
I~ pas spécifié que vous seriez défrayé de tout? J'estIme que les dépenses auxquelles vous entraine forcé,ment votre séjour ici, doivent être à ma charge.
Il a ajouté avec un sourire:
- De la sorte, vous conserverez, au moins quelque
temps) un souvenir de votre voyage à Ni?e. Car je
connaIS suffisamment los artistes pour saV01r que les
quelques milliers de francs que vous allez gagner ne
dur~ot
pas longtemps!
AmsI, ayant commencé à vivre ce conte de fées, Luc
F:reinville a pu profiler, sous toutes les formes posSIbles, de son séjour. Libre d'esprit, débarrassé de
toutes les préoccupations matérielles, son travail s'en
osL ressenti .
.Tl a tenu d'ailleurs à faire bien, Lout à fait bien,
�12
l.E FIANet DE .rOSETTE
pour manifester sa reconnaissance de cet accueil.
A l'origine, il comptait bâcler un peu ce travail, sortant de sa manière habituelle. Maintenant, il s'y con·
sacre avec enthousiasme, et a déjà signé la plupart
ies panneaux contrairement à son intention primitive.
'" Soudain, il est tiré de sa contemplation énamourée du paysage par le son de deux voix qui s'approchent.
Sans le vouloir, il entend distinctement les paroles
des deux hommes qui viennent ,'ers la villa, à travers
les Allées du jardin.
L'un deux esL le comte de Canohès lui-même; il ne
connait pas l'aulre, dont la face rasée, aux paupières
tombantes, est assez neutre.
Pourtant, le jeune comte s'adresse à lui, sur un ton
d'amicale déférence:
- Oui, mon cher Erstein, tout-à-fait délicieuse ...
Aussi, je la chaufIe de mon mieux ... Je serais surpris
si je ne parvenais pas à mes fins avant longtemps ...
- Et la famille?
- Aux petits soins pour moi, bien entendu 1
- Cela se comprend, parbleu 1 un comte.
Les deux hommes rient. Luc Freinville se demande
quel est le motif de celte hilarité .
-Evidemment, reprend M. de Canohès, la conquête
de cette demoiselle n'est pas aussi aisée que celle de
certaines dames de notre connaissanee.A dix-neuf ans,
avec l'éducation qu'elle a reçue, Josette croit de bon
ton de manifester une relenue avoisinant la froi·
deur.
Le prénom a fait tressaillir Luc.
Maintenanl, il tend l'oreille presque avec angoisse.
De qui s'agit-il? ...
- Bah 1répond Erstein, cela se tassera. Pour elle
aussi, un comLe, cela compte. On a beau posséder r.ar
héritage une pincée de millions, une couronne n est
pas à dédaigner ...
�LE FIANCt DE JOSETTE
13
- Heu! eUe croit que le nom de Cernay est
.:rue1que chose ...
CeLLe fois, Luc Freinville a failli lâcher sa paleLte.
Il a pâli et promené autour de lui un regard efTaré.
- JosetLe Cernay 1. .. Elle est ici 1. .. murmure-t-il
à part soi.
De nouveau, la voix de Canohès parvient à ses
oreilles .
- Je compte beaucoup sur la prochaine redoute de
l'Opéra pour avancer mes afIail'es . Une indiscrétion de sa
femme de chambre m'a permis de savoir quel costume elle portera. Elle sera en Ophélie, manière
comme une autre de faire valoir ses merveilleux cheveux blonds. Je pourrai donc l'intriguer, toute la soirée, et j'en profiterai pour être ardent ù souhait, puis
me démasquer pour signer, en quelque sorte, les
paroles prononcées ...
Sur son peI'bhoir, Luc Freinville recouvre son sangfroid.
Un souril'e passe sur ses lèvres, et il se dit:
- En Ophélie ... le renseignement est bon. A moi
d'en tirer parti.
CIIAPITIŒ Il
- Que comptes-tu faire tantôt, Josette?
- Hien de plus que d'habitude, maman. Si nous ne
sortons pas en auLomobile pOUl' une promenade dans
les environs, comme papa l'avait projetée, j'irai faire
un tour sur la promenade des Anglais, et je rentrerai
à l'heure du thé. Au fait, le prenons-nous ici?
- Comme tu voudras, mon enfant. Et où voudraistu aller?
- Il Y a, je crois, un gala au Négresco.
Madame Cernay hésite un moment avant de poser
une question qui lui brûle les lèvres.
�14
LE FIANCÉ DE JOSETT E
Elle se décide enfin et pronon ce assez timidem ent:
- Tu n'as rendez- vous avec personn e, pour cc
thé ?
Trés étonnée, Josette Cernay hausse les sourcil s, et
répond imméd iateme nt:
.
- Absolu ment avec person ne, maman . PourquOI
cette questio n? Je n'ai pas d'amief; ici pourle momen t.
Avec qui penses- tu qUG je veuille ue rencon lrer ?
- Je ne sais pas, moi, s'empre sse d'expli quer la
maman : avec un de tes danseu rs, par exempl e.
Un frais éclat de rire accueille c(;tte explica tion.
- Avec mes danseu rs? Je n'ai pas besoin de leur
donner des rendez- vous pour leo re:Lrouvcr. Je ne Sais
par quelle télégra phie ces gens-là f ont avertis de no~
moindres déplace ments. Mais nou.1 ne pouvon s pus
mettre les pieds quelqu e paeL sans les voir surgir
imméd iateme nt, comme dps diabl t:;,; d'une trappe. Un
véritab le cauche mar 1
Elle hoche la tête, cette gaîté pa ~ sag~l'e
déjà disl3ipée, et d'un air un peu las, elle ajoJte :
- Ah 1 cen'est pos une sinécur cd'êlre Mlle Cernay ,
la future héritièr e du grand industr iell Je portera is
une robe cousue d'or etomée de diaman ts ,!:ue Lous cell
jeunes imbéciles ne s'attach eraient pas avec plus de
persévé rance à meS pas.
- Tu exagères, Josette . Ces jeunes gens sont fort
aimable s. Tu leur plais eL je Lrouve cela fort naturel ,
pour ma part 1Pourqu oi les suspec ter tous d'inten tions
aussi mauvai ses? Je ne dis pas que dans le nombre ,
il ne s'en trouve pus que l'appâl de la fortune attire.
Mais, pur contre, certain s autres ...
- Peut- Ll'e; mais la mental ité des uns me f~it
prendr e en grirpe ~os
les ~utres.
Et j'en viens à
l'egl'eLtel' mon séjour ICI. A PariS au moins nous avons
la paix, nous pouvon s aller et veniJ' sans celte eaco: te
d'oisifs, empres s ',s à faire la rQue autour de nous.
(( Quelle fâcheus e idée nous aVOlls ue de venir ici
en pleine saison, au lieu de nOUSal'l'ûtel', comme nous
�L~
fIANCÉ DE JOSETTE
15
le faisions les années précédentes, dans un Min retiré
de la côte, où les élégances ne sévissent pas avec là
fureur qu'elles mettent à le faire à Nice.
- Ma pauvre chérie, ton père a cru t'être agréable
en t'amenant ici. Te voilà à un âge où tu peux profiter mieux des plaisirs mondains. Tu n'as pas paru
les dédaigner, cet hiver, à Paris. Il est naturel qu'il
ait songé à te procurer les mêmes distractions à Nice.
- Justement, maman, les cc joies» de la saison
parisienne m'avaient comblée. Je n'aspirais qu'au
calme, et en fait de calme 1. .•
Mme Cornay regarde aveo inquiétude du côté de la
. porte. On dirait qu'elle craint de voir surgir là
quelque témoin indiscret de la conversation.
Elle traduit exactement sa pens.5e en disant:
- Chut! Josette, si ton père t'entendait, il ne serait
pas content. Il rodoute tes tendances à to montrer
trop cc pot-au-feu », comme il dit. Ta situation
t'oblige à une vie tout à fait différente. La fortune
comporte, ma fille, des n6cessüés auxquellos tu ne
peux te dérober.
- C'est cela! répliqué avec galté la jeune fille:
esclave do mon argent 1. •. Eh bIen 1 n'en déplaise à
papa, j'entends secouer ce joug-là, dès que j'en aurai
l'occasion; qu'il ne se fasse là-dessus aucune illusion,
je préférerais de beaucoup renoncer à tous ces millions
que les porter comme un fardeau durant toute mon
existence. Il me traitera peut-être de révoltée, mais
tant pis? ..
Elle cessa de rire, et poursuit:
- D'ailleurs, je le connais, par,a. Au fond il
m'approuvera. Il ferait beau voir qu'Il ne fût pas finalement de mon avis sur un point queloonque.
Ayant achevé cette profesllion de foi, Josetto va à
la porte-fenôtrè du petit salon dans lequel elle oause
aveo sa mère, l'ouvrooL passe sUr 10 balcon. Un soleil
radieux illumine devant ello la Promenade des
Anglais, et plaque d'al'gent le bleu do la. mol'.
�16
LE FlANCt DE JOSETTE
L'appartement que la famille Cernay - Monsieur,
l\ladameet Josette - occupc à l'hôtel Royal, au milieu
de la superbe promenade, comporte trois chambres à
coucher, a vec autant de salles de bains, ct deux salons,
c'est à dire que la moitié dQs pièces en façade, au premier étage, sont réservées à ces hôtes richissimes.
Richissimes, c'est bien le mot. M. Cernay, en eITet
- le grand maiLre de forges - esL à la tête d'un consortium qui réalise, en somme, le trust de la métallurgie de !orance.
Les millions dont parlait sa fille, illes a « remués à
la pelle », suivant la pittoresque expression populaire.
Il est inLéressé dans la plupart des grandes entreprises relevant plus ou moins directement de l'industrin m ème qui est sienne.
Et des sens, bien informés en général, prétendent
qu'il est Incapable de fixer le chiITre de sa fortune,
étant donné que celle-ci s'accroit sans esse.
Son mériLen'est pas mince. EneITet, M. Cernay, sans
être à proprement parler parti de rien, a eu une origine assez modeste, comparée ù sa situation acLuelle.
Son père possédait de petites forges près de Nevers.
Il a su, par son travail, son sung-froid - souvent
aussi par son audace - donner à ses aITaires un développement inoui.
Mais, précisément à cause du travail incessant
auquel il a du sc livrer, M. Cernay, en dehors des
affaires, est resté très naïf. Ses relations avec les
autres princes de l'industrie n'ont pas entamé ses illusions premières. Et il a, entre autres, le travors de
professer pOUl· les titres nobiliaires un fétichisme
mvraisemblable.
Sa femme, Parisienne de naissance, ct nlle de commerçants pourvus d'une situation assez coquette, voit
peut-être plus clair que lui dans bien des cas. Cependant, elle appartient à un monde où ces hochets de la
vanité sont encore appréciés. Elle garde cerLainesfacul·
�17
J_E FIANCÉ DE JOSETTE
tés d'admiration pour la noblesse que n'ont pas les
gens d'origine molUS obscure.
. . .. Sans doute, la question que Mme Cernay adressait à sa fille, quant aux rendez-vous éventuellement
pris par elle, avait-eUe un sens plus précis qu'elle n'a
osé tout d'abord l'avouer.
En effet, quand la jeune fille, Jasse de cOI;ltempler
le calme de la mer azurée, revient au salon, elle
hasarde:
- A cc gala du Négresco dont tu parles, le comte
Canohès ne doit-il pas aller?
Un léger froncement de sourcils indique l'ennui que
la se/ûe audition de ce nom provoque chez Josette.
Elle répond:
:- Je ne le lui ai pas demandé. Mais c'est trop certam. De tous, peut-être, celui-là est le plus « cram~on
)) . J'en viens à croire qu'il entretient ici des intelhgences avec lcs domestiques, afin d'être renseigné sur
nos allées et venues? Tu avoueras qu'il est insupportable! Quand nous partons pour une excursion enl
automobile, à peine nous arrêtons-nous, que sa voiture arrive; ce brillant automobiliste bloque ses
freins, et donne les signes de la plus grande Joie, en
se répandant en exclamations sur le hasard qui lui a
permis de nous rejoindre.
, Mme Cernay hoche la tête d'un air de reproche.
, EUe murmure:
- Le comte est un ~arçol
charmant. II est difficile
de rencontrer jeune nomme aussi courtoiR. Il me
comble de prévenances, et se monlre avcc toi d'une
corr.ection dont rien n'approche. Je ne vois pas pourquOl tu lui fais grise mine!
- Précisément pareo qu'il est trop correct!
SuLToquée, Mme Cernay regarde sa fille.
- Que dis-tu là, Josette?
. - Oh! rien qui puisse te choquer, maman. J'entends
SImplement que ce garçon, habillé comme une gravure
de modas, eL sans cesse en train de faire des ronds de
2
�18
LE FIANCÉ DE JOSETTE
bras, quand ce ne sont pas des ronds de jambe; plus
apte aux courbettes que s'il était le dernier portefaix
de son pays, me porte sur les nerfs. Ses propos sonL
coupés avec autant de rectitude que ses cheveux lustrés. Il n'yen a pas un qui dépasse, et je ne sais rien
d'aussi insipide.
- C'est précisément cette éducation, mon enfant,
que j'apprécie en lui. Elle laisse loin derrière elle
celle de tes autres danseurs. Non pas que ces jeunes
gens soient incorrects; mais enfin, ils se ressentent
tous de cette affectation d'un laisser-aller actuellement
de bon ton. Tandis que, chez le comte, la politesse
seule suffirait à garantir l'aristocratie des origines.
Josette coupe:
- Tu as bien dit cela, maman; je dois eependant
te prévenir que je ne partage pas complètement ton
avis. En effet, si les propos d'Alonzo y Canohès sont
en général tirés au cordeau, et si son français constitue un outil aussi soigneusement affilé que le rasoir de
n'importe quel académicien, il lui arrive parfois de
commettre des erreurs propres à me faire douter de
l'ancienneté de cette éducation que tu prises si fort.
- Oh 1... tu plaisantes, Josette 1
-Comprends-moi,maman ... Jenedis pas ~u'ilnappartienne pas à une famille très noble. Mais s il a reçu,
enfant, d'excellentes leçons, illes aurait oubliées pendantlongtemps, depuis, que je n'en serais pas autremenL
surprise. On sent qu'il fait efTortpour atteindre à cette
courtoisie dont tu le loues. Et cela seul suffit à me la
rendre suspecte.
Mme Cernay semble très gênée par ce jugement sur
un jeune homme auquel elle avaIt accordé toute son
estime. Elle hésite un long moment avant d'élever la
voix pour dire:
- Je crois savoir que ton père est loin de voir d'un
mauvais œil l'empressement de M. de Canohés près
do toi.
Interloquée, Josette so retourne brusquement vers,
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
19
sa mère, la bouche à demi ouverte, et la regarde fix ement de ses beaux yeux vert-bleu où scintillent des
paillettes d'or.
Puis elle abaisse sur Jes lumineuses prunelles ses
,longs cils, et :) travers eux, scrute la physionomie
maternelle. Au bout d'un instant elle murmure:
- Cela veut dire quoi, maman? .. Que papa 8:utorise
M. de Canohès à me faire la cour? .. Qu'ü enVIsage la
possibilité d'une union a vec ce fantoche?
Mme Cernay, déconcertée par Je ton assez violent
dont ces mots ont été prononcés, n'ose pas répondre .
Et son silence même est un aveu. Aussi, plus véhémente encore, Josette reprend:
- Eh bien 1 Je l'attends, papa! Je lui chanterai une
chanson sur un ail' qui ne sera peut-être pas de son
goût, mais qui, si peu musicien qu'il soit, lui fera
co.mprendre l'inutilité de tels proj ets. Je préférerais
n'l!Jlporte quoi, plutôt qu'un mariage avec ce PortugaIS qui me déplaît souverainement. D'abord, je suis
~rançise,
et fière de l'être, je veux le rester. Ensuite
le me demande un peu quelle idée, de se toquer ainsi
d'~n
homme que nous ne connaissions pas il y a
qUInze jours; qui nous a été présenté vous ne savez
rn.ê,~e
plus par qui; de qui vous ne savez ;ien, ~ino
qu 1.1 porte un titre ronflant. Et papa, SI adrOlt en
~ml1refJ,
et si prudent quand il s'agit de s'engager, me
Jetterait ainsi à la tête de cet individu? Pourquoi? ..
Parce qu'il est comte? S'il savait combien cela m'est
égal 1
1 Submergée par ce flot de protestations, Mme Cernay
ève les bras au ciel, et murmure:
-:- Je t'en prie, Josette, ne t'emporte pas ainsi. Je
n'~l
rien dit qui te permette de courir, comme tu le
faIS, à des conclusions aussi rapides. Laisse-moi
T'étonner pourtant, que tu fasses fi d'un beau titre.
CU n'as pas cacM toi-môme que tu trouvais M. de
anohès très beau garçon, quand tu l'as vu.
Déjà calmée, JoseLte Cernay reprend:
�20
LE FlANC}: DE JOSETTE
- M8n admira Lion était alors désintéressée. De là
que rirai choisir mon époux parI?-i les fi~s ,
de la pémnsule, Il y a un fossé ... Et si sportIve que Je
sois, je ne me sens pas le courage de le franchir ... Je
craindrais de me noyer dans le Porto ...
Sur cette boutade, eUe s'enfuit dans sa chambre,
avec un grand éclat de rire, tandis que sa mère lève
une fois de plus, ses bras au ciel. ..
à conlur~
CHAPITRE III
Le flot presque ininterrompu des équipages et des
automobiles déferle au pied du perron de l'Opéra.
Le temps, pour les occu:{Jants de chaque voiture,
d'en descendre, et le véhlCule repart afin de faire
place à d'autres.
Tout Nice afflue, ce soir, dans la vaste salle où se
donne la plus grande redoute carnavalesque.
Les couleurs imposées sont, cette année,le blanc et·
le rouge, et l'aspect de la salle évoque un champ de
neige taché de sana .
Un monde fou. ~'est.la
seule façon de désigner la
cohue à l'heure de l'arl'lvée.
Mais bientôt, tout se tasse. Les porteurs de coupons
de loges gagnent leur place. Les danseurs se groupent
autour de trois orchestl'es. Et uneharmonie s'organiscl,
à laquelle la musique n'est peut-être pas étrangère.
Naturellement, tous ces gens costumés portent SUl'
leur visage, soit un masque complet, soit - et c'est
la majorité - un 1011P de satin et do dentelles. Quelques
hommes ont profité do la licence qui permet de reslel'
en Irac, à condition de le recouvrir, au moment de
l'e!ltrée, de quelque amp le manteau aux couleurs prescrites.
Ils font taohe dans cette Ioule blanche. On dirait
�LE FlAN ct DE .JOSETTE
21
d'en haut d'énormes mouches tombées dans du lait.
Postés près de l'entrée, un Pierrot blanc à larges
boutons rouges guette avec attention les arrivants. Il
cherche évidemment quelqu'un.
Malgré le loup qui recouvre sa face enfarinée, on
devine cn lui une déception de plus en plus vive au
fur et à mesure que l'heure passe, sans amener les
personnes qu'il attend.
- Il a pourtant bien dit en Ophélie. mmffiure-t-il à
vOÎx basse. Je n'en ai pas encore vu une. Moi qui
craignais une trop grande abondance de déguisements
pareils me mettant dans l'embarras!
cc Je suis stupide ... Comme si je pouvais être embar~asé.
Sa taille seule, si souple, ne me suffirait-elle pas
a la reconnaître, à moins qu'elle ait bien cbangé. Et
puis, en tous cas, il y a ses cheveux. Je défie bien à
une autre Ophélie d'en montrer de ~areils.
A peine a-t-il achevé cette réflexlOn qu'il réprime
une exclamation de joie.
- La voici!".
La porte vient en effet de s'ouvrir, livrant passage
à deux nouveaux masques. D'abord une dogaresse, a
l'allure assez imposante, à la stature plutôt étoffée, et
derrière, la plus blonde des Ophélie.
~es
cheveux: d'une teinte légère - d'une abofb4iance
î'1·alI.nent remarquable, en ce temps de chevelures à
.a Nlllonou à la garçonne - dont le flot soyeux tombe
Jusqu'au-dessous de la taille, et un bandeau rouge
pOur les maintenir un peu. Une ceinture de même
couleur pour marquer - à peine - la laille de la
robe ample, flottant autour d'un corps qu'on devine
gracile, mince, élégant sous le costume qui le dérobe
parfaitement aux regards indiscrets, en dehors des
bras nus, un peu malgres encore, eL des chevilles fines
au-dessus du pied mignon chaussé d'argent.
L'apparition de cette Ophélie soulève sur son passage des murmures admiratifs.
Les deux femmes fendent la foule,etse dirigent vers
�22
LE FIANCÉ DE JOSETTE
à. distance pal'.le Pierrot,
l'escalier des loges, ~uivs
que ces marques d admlratlOn ne paraIssent pas
'enchanter autremEnt.
En eiIt~
par les trous, de son loup, on voit fl~m
boyer les regards de col.ere qu'il attache sucelV~
ment sur tous ceux qUI se permettent des complIments trop vifs.
,
.
En saison de carnaval, et dans une redoute, blCn
des licences sont permises 1
Le Pierrot fait ainsi escorte, à distance respectueuse,
aux nouvelles venues, jusqu'à la porte de leur loge.
Quand il a vu celle-ci se refermer derrière elles, il
s'embusque dans un coin de la galerie, y donnant
accès, ei, patiemment, attend le moment où cettel
porte se rouvrira.
Sans doute pour se distraire des longueurs de cetto'
faction, il reprend son monl~ue
silencieux, inter-'
rompu par l'arrivée de ccllo qu'Il guet Lait.
- Il no se trompait pas... Seulement) qu'il le
veuille ou non, le premier à pronter durenselgnement,
ce sera moil
Un sourire éclaire le visage enfariné, mais fugitivement. Car cette face reprend aussitôt une expres·
sion inquiète.
- A moins qu'il ne vienne la chercher lui.même ...
Dans ce cas, je serai bien embêté ... Bah 1 ce sera bien
le diable si, au cours d'une danse ou d'une farandole,
et à la faveur de quelque remous, je ne parviens pas à
les séparer.
« Je me ferai. aussitôt reconnaitre; el, ou ,je me
trompe fort, ou Il perdra pas mal de temps à la retrouver ...
La porte d'une loge voisine de celle occupée par la
dogaresse et OJ>héhe vient de s'ouvrir. Le guetteur
s'y trompe un mstant, et s'interrompt aussitôt, attendant la sorLie qu'il espérait.
M~is
i~ constate son erreur, et reprend ses réflexions
à ml-VOIX.
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
23
-Jecroisque même sans avoir de renseignements sur
son costume, je l'aurais reconnue ... Ouels cheveux 1 et
quelle grâce dans la démarche 1. .• Plus de six mois,
pourtant, que je ne l'ai rencontrée 1. .. Et encore combien brève cette rencontre, et combien désolante la
nécessité où nous nous trouvions de nous taire alors ...
Sans doute, cette réminiscence change-t-elle le cours
de ses p"ensées, car maintenant, le Pierrot se tait, et
paraît se plonger dans une méditation mélancolique ...
'" Cette fois, c'est bien la l?orte surveillée qui vient
de s'ouvrir; la blonde OphélIe en sort vivement.
Avant de la refermer, on l'entend prononcer:
- Un tour seulement !... Je veux voir si l'un de ces
. jeunes prétentieux me reconnaîtra. J'ai parié avec tous
que non .. : Il ne faut pas qu'ils m'accusent de les avoir
mis dans l'impossibilité de gagner, en m'enfermant ici.
Légère, elle se dirige vers l'escalier et s'apprête à
mettre le pied sur la première marche, quand elle
entend une voix murmurer derrière elle:
- Bonjour, mademoiselle Josette.
Elle sursaute, et se retourne, déjà dépitée d'avoir
perdu son pari.
Quel est ce jeune homme assez perspicace pour
l'a. voir reconnue? .. Elle détaille le costume de celui
qui se tient incliné devant elle. Elle ne voit qu'imparfaitement la coupe de son visage, et cherche à le
reconnaître à son tour.
Mais elle n'y parvient pas... Le masque juge sans
doute que la plaisanterie àassez duré, car il se redresse,
et prononce cette fois de sa voix naturelle :
- Vous ne me reconnaissez pas, Josette?
L'accent est très doux, mais avec comme un reproche.
Il sufl'it à l'idenLiflcation du Pierrot car, sans même
examiner mieux la partie du visage laissée à découvert
par le loup, ni la. couleur des yeux fixés sur elle, Josette
Cernay tressaille et murmure:
- Luc! ... Vous ici?". Quelle surprise 1
- Ne rest,ons pas là. voulez-vous? reprend la voix;
�LE F1ANCt DE JOSETTE
nouS sommes au plus mauvais endroit possible pour
causer. Et j'ai tant de choses à vous diro!
- Où alltlr?
1
- J'ai découvert un coin dans lequel nous serons
parfaitement.
Ce disant, il lui olIl'e le bras, et l'entraîne le long de
lagalerie jusqu'au bar, où un jazz-band sévit.
Une ligne de plantes vertes délimite l'espace réservé
aux danseurs, le reste étant occupé pal' de petites tables
où peuvent s'asseoir les consommateurs.
Une de ces tables est libre, tout contre la barrière
de verdure.
Luc FreinviUe - car c'est bien lui - y conduit sa
cavalière, l'installe sur une chaise de rotm, en prend
une autre, se débarrasse rapidement du garçon venu
pour prendre leur commande, et s'adresse à sa compagne.
- Vous ne m'attendiez pas ici, n'est-ce pas?
- En effet ... Et c'est pour moi quelque chose comme
un miracle! Vous avez fait un héritage? ..
Le jeune homme rit joyeusement.
- Un ~iracle,
c'est le seul mot 1 Il est même
double. D'abord parce qu'il me pel'met de me trouver
il Ni.ce en même temps que vous, ensuite :(lal'ce qu'on
m'a indiqué à la rois, et votre présence iCl, et le costume que vous y porteriez.
Devant l'interrogation des yeux de la jeune fille, il
explique tout au long l'histoire de ses tro.vaux à la
villa; puis cel)e de la conve~sali
surprise, 1ui donnant un rensmgnement préCIeux SUl' le déguisement
adopté par Josetta Cernay.
Ce~J-c
écoute, absolumenl stu~éfale.
~ais
ceHe
stupefachon se change en une galeté Juvémle quand
elle entend le narrateur ajouler :
- Je vous ai dit, Josette, que le nom de mon
Mécène se confond avec .celui de mon précieux dacumentateur. Vous ne devmez pas de qui il s'agit?
- Pas du tout!
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
25
- Vous le connaissez pourtant très bien, parait-il :
le comLe da Canohès.
Un rire lrès frais fuse, perlé, qui fait se retourner
la plupart des conSOffimateurs.
- Ah ! comme je m'amuse, Luc 1 Vous ne pouvez
croire à quel point c'est drôle 1
- Mais si 1 non seulement je me l'imagine, mais j'en
suis sûr. Dans sa conversation avec son compagnon,
M. de Canohès ne cachait pas son désir de profiter
de cette soirée pour démasquer ses batteries, et emporter de haute lutte la place que vous défendez, paraîtil, si bien .. .
- Cet assaut aurait été, en tout cas, bien inutile.
J'espère que vous n'en douLez pas, Luc? Mais je préfère encore qu'il soit remplacé par notre rencontre. C'est
infiniment plus agréable pour moi, à tous les points
de vue.
Elle a prononcé ces derniers mots sur un ton plus
bas, et en mettant dans son timbre une douceur infinie.
Violemment ému, le jeune peintre murmure:
- Vraiment, Josette, vous n'avez pas changé d'avis ?
- Pour qui me prenez-vous? Je ne suis pas une
petite fille. Je sais bien que nos engagements réciproques datent déjà de plus d'un an et demi. Mais
voyez-vous, au cours de nos vacances d'autrefois, dans
!a grandepropriélé de maman, à Beaulieu-le Coudray,
fai tollement pris l'habitude de votre jeune autorité;
Je me suis tellement habituée à l'idée qu'il n'était pas
pOur moi de vie possible, dans l'avenir, sans vous,
que je ne pourrais, même si j'en avais l'inlention, ce qui n'est pas le cas, - revenir SUI' cette tendance.
- C'est gue, Josette, vous êtes si riche 1
- Jc l'étalS déjà; ou plutôt papa l'était déjà, quand
nous nous rencontrions.
- Sans doule; mais alors, je n'étais pas brouillé
avec ma famille.
b -,Ou'est cc que cela signifie? Croyez-vous que cette
romlTe - passagère, j'en suis certaine - peut modi·
�26
L~
FIANCÉ DE JOSETTE
fier mes sentiments? Non, Luc, je vous l'ai répété<
quand nous nous sommes revus à Paris: je vous aime
de tout mon coeur .. .
(( Je serai votre femme, dussé-je pour cela braver,
moi aussi, l'autorité ~aternl.
J'espère que nous ne
serons pas obligés d en arriver là. Votre notoriété
s'ailirmera peu à peu . Vous êtes déjà - je l'ai vu dans
les comptes-rendus du salon - en bonne voie pour
y parvenir.
« Enfin, dans un an, ou deux au plus, on ne jurera
que .par ~ous,
dans la jeune .feint~r
Et papa sera
aUSSI sensIble à cette glOIre-là, J en SUIS sûre, qu'à celle
d'un titre nobiliaire plus ou moins retentissant.
Ces paroles sont un nectar pour le jeune homme, qui
le boit à longs traits. Il a saisi la main que la jeune
fille ne lui retire pas, et dévotement, i11a porte à set<
lèvres en murmurant:
- Merci, Josette! Dans les heures dures ~ue
,
j'ai traversées, et qui vont peut-être prendre fin - j en
accepte l'augure de vos jolies lèvres! - l'idée de vous
avoir à moi m'a soutenu sans cesse.
« Mais je n'ai vraiment abouti à quelque résult at
que depuis le jour, que vous rappelez, où j'ai obtenu
l'aveu formel de votre tendresse en échange de celle
Ique je n'osais 12as, moi, vous ofTrir, dans la situation
lamentable où Je me trouvais.
« La certitude d'être aimé m'a galvanisé. Et si je
parviens, jamais, comme vous le dites, à une notoriété
quelconque; si mon a~t
peut me procurer des satisfactions, je les reporteraI toutes à vous, qui avez été mon
inspiratrice; on quelque sorte ma petite Muse chérie ...
..• Ils se taisent, se bornant à échanger à travers
leur loup un long regard très tendre, tandis que leurs
mains se prennent .
. .. Ils ne se doutent pas que, derrière la barrière de
verdure qui les sépare de l'espace réservé aux ébats
chorégraphiques, un homme guette, qui a surpris leurs
propos : Alonzo y Canohès.
�LE FIANCÉ DE JOSETT E
27
En efJet, après avoir cherché partou t la blonde
Ophélie, le jeune comte, en dés'espoir de cause, est
venu jeter un coup d'œil sur le bar.
De loin, il a aperçu Josette, et vu qu'elle causait
avec animation avec un inoonnu.
Oubliant sans doute ce à quoi l'obligeait, non seulement son titre nobiliaire, mais sa dignité d'homme,
il a osé, comme un valet, écouter leur conversation!. ..
CHAPITRE IV
, Puisqu 'ils s'aime nt; puisqu'ils se le sont dit, une
fois de plus; puisque Luc est rassuré sur l'issue des
,t entativ es du comte de Canohès;' puisque, officiellement, ils ne doivent pas sc connaitre ce soir, les
deux jeunes gens n'ont plus qu'à se séparer, si pénible
que leur soit cette séparation, après une bien courte,
entrevu e.
C'est ce qu'ils font, le jeune peintrp. reoonduisant
Joselte jusqu'à la porte, derrière laquelle Mme Cernay,
aveugle et confiante, attend le retour de sa fille.
Maintenant, rien ne retient plus Luc à la redoute.
Il se soucie peu, malgré sa récente élégance, de ces
manifestations mondaines.
Celles que consLituent pour lui les diners à l'hôtol
suffisent amplement à la satisfaction de ses curiosités.
Il s'en va donc, dôdaignanl les oiTres des chauiIeurs
et cochers, ot remonte, après avoir traversé le Pail10n
la côte qui mène à Cimiez.
'
Pour une fois, le peintre est insensible au charme de
l'~,eur
pourta nt exquise en sa douceur déjà printamere.
n est vrai que dans cette nuit sereine les harmonies
des couleurs sont abolies, et ce sont en réalité les,seules
auxquelles il s'in:t6resse.
�LE FIANet DE JOSETTE
Les seulos? ... Non l. .. C'est bien une harmon ie qui
chante en lui: celle des souvenirs exquis de cet amour
tout neuf, et, déjà vieux - vieux de quatre ans au
moins 1 - qui l'unit à Josette Cernay ...
. ,. Elle avait quinze ans. Il en avait tout juste vingt.
Déjà, clandes tineme nt, il commençait à prendr e des
leçons de dessin .o~
.d~
peintur e. Et au cours des
grandes vacances, li faIsalt confidence à sa jeune camarade de cette vocation art~sique
qu'il sentait , impérieuse so développer en lUI.
Ils ~e connaissaient, mon Dieu 1 depuis toujour s.
Chaque année, en effet, Mme Cernay venait s'instal ler
dans sa proprié té de Beaulieu-le- Coudray pendan t la
saison d'été, afin de goûter ainsi le repos de la campagne, sans cepend ant s'éloigner trop de Paris.
. .
De la sorte, M. Cernay pouvai t, chaque samedI a
mi:li, abando nner ses affaires pour rejoindre sa femme
et sa petite fille.
Seule, celle-ci se fût ennuyée . Houreu sement ,
maUre Freinvi lle possédait, on bordur e de la proprié té
de Mme Cernay, une « campagne » assez confortable;
et s'il y venait rareme nt lui-même, son fils en protltait amplem ent durant la période des vacances.
C'est là qu'ils s'6taien t connus, qu'ils avaien t joué
enfants .
Luc avait vu grandir sa petite camara de. Il s'était
étonné, un jour, de la ltransformation en papillon de
cette chrysal ide jusqu'a lors assez insianifiantc. Et la
grâce .de sa quinzième année ne laissait pas da troublor
ses vmgt ans.
.
Ce trouble , pour le l~ r6véler à lui-même, il fallut
une circonstance fortUIte.
Certain soir, après une longue partie de tennis, ils
s'étaien t pris, en rentran t à la malson - par le chemin
des écoliers, bien entend u - à se poursu ivre; ils ne
savaien t trop pourquoi. Pour jouer, sans doute, comma
dos enfanLs 1
Luc avait rattrap é Josotte ; collo-ci, défaillante du
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
29
'long eITort fourni, et le souffle à peu 1?rès coupé, autant
par ses rires que par la course, sc laIssa aller dans les
bras de son grand camarade.
,
Ce fardeau lui parut bien léger? Et plus qu'il ne
l'avait fait encore, il vit de près combien fine et transparente était la carnation de cette jolie blonde; combien diaphane l'auréole de ses cheveux éparpilUs par
le vent; combien prenant le parfum de son jeune corps.
Poussé par une force irrésistible, alors qu'elle se
courbait toute entière en arrière sur le bras qui la soutenait, il se pencha, lui, en avant, et posa ses lèvres
sur la joue satinée.
'
Josette rougit violemment, mais elle ne se montra
pas fâchée, au contraire.
Rouge lui aU3side son audace, le jeune homme mur~
mura:
- Petite Josette ... Je vous aime.,. Consentez-vous,
un jour, à devenir ma femme? ... Oh 1 beauçoup plus
tard, quand ce que je porte en moi sera sorti sous une
forme qui puisse s'imposer; quand je serai un grand
artiste? '"
Toujours rougissante, mais sans détourner les yeux,
et en découvrant dans UD adorable sourire ses petites
dents blanches, Josette répondit:
- Quand vous voudrez, Luc ... Il me semble que je
ne pourrais pas, moi, être la femme d'un autre,
Je pense Il vous trop souvent pour cela, quand nous ne
s?mmes pas près l'un de l'autre. Jo De sais si c'est cela,
!:I.lm~r
... Si oui, c'est que moi aussi, je vous,aime.
'
Rien de plus. Ils étaientrenlrés vers lamalson en se
terant 1?ar la main, tout comme les jours précédents. Il
n'y avaIt entre eux de changé que, la conscience de leur
secret tout neuf . Et aussi l'ex.{lression deleurs regards. ,.
'" Puis, la bourrasque étaIt venue, née de la révolte
de Luc contre l'autorité paternelle. C'en était fini de
leurs belles vacances en commun 1. ..
Le jeune peintre s'était vu fermer l'accès de la maison de Beaulieu-le-Coudray, comme celle de Chartres.
�30
LE FIANCÉ DE JOSETTE
Elles ne se rouvriraient que s'il faisait amende honorable, et il ne se sentait nullement disposé à ce
voyage à Canossa.
Evidemment, il lui en coù.tait de ne plus revoir
Josette, celle qu'aux pires heures il n'avait point
chassée de son souvenir. Mais pouvait-il encore compter sur la fidélité de son cœur? Elle était bien jeune
quand elle avait parlé.
Et, sans doute, ave~
l'éducation qu'elle avait reçue,
jugeait-elle sévèr.em~nt
l'attitude qui le mettait en
lutte avec l'autOrISatlOn du chef de famille.
n n'osait naturellement pas se présenter avenue
d'Eylau, à l'hôLel des Cernay, afin d'y demander son
ancienne camarade de vacances .
D'abord, il ne s'était jamais permis do ces visites,
durant les années précédentes; ensuite, certainement,
Mme Cernay (sinon l'industriel lui-même) était au
courant de sa rupture 9vec sa famille; et elle ne lui
réservera,it pas un accueil très aimable. Enfin, et surtout,
dans la Il purée » dans laquelle il se trouvait, il ne
posaédait pas un cast ume convenable pour une visite
de ce genre.
Heureusement, le hasard - ce dieu des amoureux,
_ l'avait servi. Luc était très lié avec un journaliste,
de cinq ans plus âgé que lui, qu'il avait connu alor'l>
qu'il entrait au lyc~e,
et que celui-ci était près d'e n
sortir: Fe:nand D~say,
reporter à l'Aube, le gl'and
journal d'mformatlO!ls ..
Fernand Dissay frusaIt tout ce qui dépendait de lui
pour trouver de temps en temps, à son jeune camarade, quelques travaux passablement rémunérés, qui
l'aideraient à vivre.
Il poussait encore plus loir,t l'intérêt qu'il lui tém~i
gnait. En effet, l'homme ne Vlt pas seulement de palU.
Il lui faut d'autres aliments moins matériels. Et à qui
travaille et souffre, des distractions sont nécessaires.
Certain après-midi, donc, le jo urnaliste avait débarqué d'un taxi devant l'atelier de Luc, et l'avait enlevé ,
�LE PIANeÊ DE JOSETTE
31
presque de force, pour le conduire à la garden-party
offerte par la ville, dans sa roseraie de Bagatelle, fêt~
pour laquelle il avait deux invitations.
.
- Mais ma défroque 1 protestait alors le jeune
peintre.
- Ne te préocupe pas de cela. Passe ton meilleur
complet. Il est encore très présentable, car tu n'en
abuses pas. Et puis, ce n'est pas une réception très l
chic. Les invités y seront très nombreux. Nous ne
nous mêlerons pas aux mieux habillés, et ainsi nous
ne ferons pas tache parmi eux.
Or, quelques instants I:'près leur entrée dans le merveilleux jardin, Luc avait eu la surprise de se trouver
nez à nez avec Josette. La jeune fille était venue là
en compagnie de deux amies. Celles-ci dansaient pour
l'instant sur la :pelouse, au son de la musique de la
garde républicame.
Elle profitait de leur absence pour se promener
sous les arcades fleuries et embaumées.
Michel hésitait à l'aborder. Mais elle l'avait
reconnu; avec une expression de joie indicible sur
son. jeune visage, elle courait à luiet luitendaitles deux
mams, en murmurant:
- Luc 1... Vous ici?.. Comme je suis contente!. ..
Méchant, pourquoi ne m'avoir pas donné de vos nouvelles?
~t
c'était le récit simple el franc de ses misères,
qm amenait dans Jes yeux de la jolie blonde des
lar?1.es apitoyées. C'était pussi le renouvellement plus
p~ecls
cette fois, plus éner~iqu,
de ses en~Pf5mts
vls-à-vis de lui, ct la manifestation de la fOl mébranlable qu'eHe mettait dans son jeune talent.
'" Il Y avait de cela un an ct demi. Depuis lors, ils
s'é~aient
bien rencontrés une fois encore, à l'inauguratlOn d'une exposition de peinture.
Mais là, Mme Cernay était présente. Elle avait
réser,:é au jeune pointre un accueil plutôt froid, et
n'avaIt pas quitté sa fillo d'ulle scroQUe, si bien que
�'32
LE FIANCÉ DE JOSETTE
les amoureux s'étaient vus obligés de s'abstenir de
tout propos intime ...
***
Naturellement, en quittant l'Opéra, Luc Freinville
a retiré son loup. Nullement gêné d'avoir dû enfiler
son manteau par dessus son costume de Pierrotde telles mascarades ne sont pas l'ares à Nice, en
période de carnaval - il marche allègrement, tout en
se laissant aller à la douceur des projets qu'il forme.
Il ne se doute pas le moins du monde que, pendant
une partie du trajet, un homme s'est attaché à ses pas,
dans le but de savoir où il se rendra.
Cet homme, c'est le comte de Canohès. Mais la
filature de ce dernier ne se prolonge pas longtemps.
A la traversée d'une petite place, en effet, Luc se
trouve soudain en plein sous la lumière d'un réverbère, et malgré la distance qui les sépare, le comte
peut reconnaître, à n'en pas douter, celui qu'il surprît
un moment plus tôt en conversation si galante avec la
riche hériLière.
Il s'arrête stu~éfai,
et murmure:
- Le peintre .... Ça, par exemple!
Il lui ost désormais inutile de poursuivre son espionInage. Il connaît l'identité de son heureux rival. Et,
mieux que personne, il sait où le prendre, le cas
échéant.
Il demeUl'e donc un bon moment immobile, au
milieu de la place, perplexe, cherchant évidemment
quolle détermination prendre.
.
Puis il revient vers l'Opéra, avise une auLomobile
de place qui attend à quelque distance ct lui jette:
, - Au Cap Ferrat, devant le port ...
~e
chaulieur parcourt rapidement le trajet, fr~n
cblssant sans s'y anêter Villefranche, el mOlDS
d'une demi-heure plus lal'd, arrête sa voiture à l'ondroit indiqué.
�LE FIANet DE
JOSET~
33
- Attendez-moi là, intime le jeune comte.
Il dépasse l'hôtel, gravit la petite côte et s'arrôte
un peu plus loin, devant un haut portail percé dans
le mur plein d'une propriété.
Il sonne malgré l'heure tardive, ct prononce quelques mots à l'oreille du portier accouru; traverse un
vaste jardin, et pénèLre dans la maison, don~
tout le
l'ez-de-chaussée est encore illuminé.
. Le long de la façade opposée à celte par laquelle
11 est entré, une large véranda s'étend, ouvrant sur
une autre partie de la propriété qui descend, en pente
douce vers la mer; on entend le murmure des flots
au bas des rochel's.
Sur cette terrasse, dans un rocking-chair, un homme
se balance. Il tourne la lête au bruit des pas du nou'Veau venu, mais sans manifester la moindre émotion,
et murmure:
. - Tiens! Ici, à celte heure? ... Je vous croyais en
flIrt, four l'insLanL, avec la belle Josette? ...
d - l s'agit bien de O.irL 1 répond d'une voix chargée
}'e rancune le jeune homme ... Tous nos projets sont à
, eau. La coquine a un amoureux. Ils se sont encore
Juré fidél.ité éternelle à ma barbe. Il va falloir renonoer à conquérir ce morceau de roi.
Les sourcils du maître de maison se sont froncés
et il réplique assez sèchement:
- Les détails, je vous prie ...
Le comte fait le récit de Ce qui s'est passé et conI
eut:
, - Quant à mon rival, je vous le donne en mille!...
C est ~out
,s.implement ce meurt-de-faim de Freinville,
le petIt peIn~r(1
quo vous m'avez fait ervoyer de Paris .
.~ Cela le montre plus intelligent que vous ne lui
faIBlo.Z !'honneur de le croire. Mais je conçois votre
ennUI j Je le partage même, qui plus est. Nous n'avons
rien lous les Irais que nous avons engapas faIt pou~
gés. La :partlO est trop grosse pour l'abandonner ainsi.
~ous
aVlserons ...
3
�34
LE FIANCÉ DE JOSETTE
- Nous aviseronsl Vous en parlez à votre aise,
Erstein. Si vous croyez que c'est faoile de lutter contre
un homme qui a 6U conquérir l'amour d'une enfant
de cet âge!
- J'espère que vous êtes bon à quelque chose!
Sans quoi, je ne me pardonnerais pas de m'être
aussi grossièrement trompé, et d'avoir fait crédit largement, vous en convIendrez - à votre habileté.
Quant à l'obstacle matériel, rassurez-vous; je ferai le
néoessaire pour vous en débarrasser. Quand ce peintre
en aupe.-t-il fini, à la villa?
- Avant la fin de la semaine. Il met la dernière main
à la salle de bain.
C'est bien. Prévenez-moi, deux jours à l'avance,
<!p la date exacte de son départ, et ne vous occupez
re. rien autre. 'Je vous mettrai au courant, en temps
,utIle, de mes déoisions. En attendant, ne négligez
pas, sous ce prétexte, votre cour à MUe Cernay. Faites
,comme si vous n'aviez pas écouté aux portes ... Bornezvous à ne pas remettre à votre peintre 10 prix de son
voyage de retour. Je me prQoocuperai d'obtenir le
coupon nécesl:laire ...
. Erstein n'en dil pas davantage. Il so renferme
dans un silence un peu méprisant. Fortement vexé de
cet acoueil, le comt e de Canohès n'insiste pas et prend
congé en quelques mots, pour aller relrouver la voiture
qui J'attend.
1
-
CHAPITfiE V
- Fernand ne manquera pas de dire que je mo,
dessale », murmuro Luc Froinville en sorlant du
baIl de l'hôtel Royal.
Il est en effet lrès fier de son audaco. Pl'ofttant de
l'heure, encore très matinale, pour Nice, il vient de,
cc
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
35
passer quelques minutes au bar de l'hôtel en prenant
une consommation.
Il a attiré dans un coin un chasseur et lui a glissé
dans la main un large pourboire, en lui disant:
~
Voici une enveloppe sans adresse. Elle est destinée à Mlle Josette Cernay. Mais il faut que perSonne
ne te voie la lui remettre; tu entends bien, personne ...
Le chasseur a cligné de l'œil, et empochant à la
~os
le billet bleu et l'enveloppe, a répondu d'un ton
InImitable :
- Monsieur peut être tranquille; c'est justement
moi qui distribue le courrier du premier étage ...
Elle contient pourtant fort peu de choses cet~
lettre:
JOsette chérie, ma tache est terminée ici. Malgré
respirez, je rentre
Immédiatement à Paris. '
Il J'ai hâte de retrouver mes toiles, et de fair.e un
nOuvel effort vers cette notoriété que vous m'assurezi
Pour un avenir proche. Je serais indigne de VOl,lS si jel
m'attardais à paresser sous la caresse du soleil.
Il Je n'espère pas, hélas! vous adresser la parole:
encore une fois, avant mon départ; mais peut-être
aourrez-vous, vers une heure, tantôt, être au balcon
te votre appartement. Je ferai accomplir à ma voiure un. crochet, en me rendant à la gare . Ainsi, je
passeraI sous vos fenêtres. Il me serait précieux d'emporter avec moi, dans cette séparation, le souvenir de
Votre sourire d'au revoir ...
(( Tendrement à vous.
cc Luc. ))
Il
!a peine de quitter la ville où vous
.~ ..Les amoureux savent se contenter de peu. L'apparltlOn sollicitée de la blonde Josette à sa fenêtre
Suffirait à combler Luc.
.Depuis ~eux
jours, celui-ci cherchait comment
JOIndre la Jeune fille . Il a ce matin seulement découo
�36
LE FIANCÉ DE JOSETTE
vert ce moyen. Il tenait en effet pOUl' impossible de se
montrer dans les lieux où elle pouvait fl'équentel'
avec sa famille. Car Mme Cernay l'aurait certainement
reconnu, et sa présence aurait pu éveiller chez elle
des soupçons.
Comme cela, si le chasseur accomplit adroitement
sa mission, il ne risquera rien de pareil .
L'avant-veille, il a donné !a dernière touche au dernier panneau de la salle de bains et prévenu le comte
de Canohès de l'achèvement de son travail. Le jeune
aristocrate s'est déclaré enchanté du tout, et lui a remis
immédiatement un chèque de dix mille francs en ajoutant:
- Ne vous préoccupez pas de votre billet de retour.
Je suppose que vous ne serez pas fâché de res.ter
quarante-huit heures oisif ici. Vous trouverez à votre
hôtel, après-demain matin, tout le nécessaire pour ,
votre voyage.
Effectivement, le peintre a reçu ce matin même,
dans une enveloppe, un coupon de première classe,
pour Paris, avec le reçu de location d'une couchette .
... C'est un homme heureux qui, conduit par le contrôleur de quai, gagne son wagon à la gare de Nice,
au train de 13 h. 45.
En erret, Josette lui a dédié son plus ensorcelant
sourire, et il a cru - Dieu lui pardonne 1 - voir les
lèvres de la jeune fille mimer un baiser à son adresse Il
- Voilà votre couchette, monsieur'. Vous y serez
particulièrement bien. C'est celle du bas, dans le
sens de la marche.
Luc inspecte son compartiment. Les quatre places
sont retenues. Mais bien que cinq minuLes seulement
les séparent de l'heure de départ, il est le premier l
arrivé. Pas d'autres bagages, encore, que les siens.
En examinant mieux los fiches, Il constate que la
place du bas en face de la sienne est louée à p,artir de
Nice, mais les deux autres seulement, au départ de
Marseille.
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
37
- Rien de mif'ux, se dit-il. Nous aurons ainsi du
large, mon compa~n
de voyage et moi, jusqu'à la
fin de l'après-midI. Après il sera bientôl l'heure de
dormir, et on ne songera plus à houger avant Paris.
I! ne regagne pas sans un ceI'tai~
plaisir la capitale.
~on
pas pour les distractions qu'Il y prend; mais,
aInsi qu'il l'a écrit à celle qu'il considère comme sa
fiancée, à cause de son vif désir de sc l'emeLtre tout
de suite à travailler.
II ne tient pas en erret pour rouvre ulile les peintures auxquelles il a consacré les trois derniers
mois.
Préjugé de beaucoup de peintres! Co ~u'ils
font
pOur un cliont leur para iL sans intérê~;
ils n en apportent qu'à des rouvres longuement méditées, eL fOUlllées
avec soin pour la seule satisfaclion de leurs tendances
arListiques ..
,,- Mes&ieurs los voyageurs pour Paris, en voiture,
s Il vous plaît ...
Ceuo inyite est suivie du mouvement général qu'elle
pr?voque d'ol'dinaire sur le quai d'une gare :. dernières
POIgnées de main éch.'lngées entro ,ceux q,Ul s'e~
vont
et ceux qui restent, escalade rapIde, pUlS sortIe des
mouchoirs pour les derniers signaux,
Ace ~oment,
un porLeur appamit préc~italmen,
tel!a?t a la main un sac de grande dlmenslOn, et
SUIVI d'un homme de mise correct.e, d'une élégance
Sobre, qui porLe, lui, sur le bras, une couverture de
Voyage ,
- Ic~,
monsi ur, crie ]e porteur.
Cc dIsant, il ouvre la porlière donnant accès au
compartiment dans lequel se lrouve Luc Freinvil1e.
1 A ~ein
le voyageur retardatairo y est-il, monté que
e tram s ébranle et quitte lentement la VOle.
, - Il élaiL temps! prononce en souriant Luc FreinvIlle.
En exc,ellente humeur, le peintre 50 sent do caractère parllCulièrement liant, ct il ne lui déplairait pas
�38
LE FIANCÉ DE JOSETTE
de lier conversation immédiatement avec ce compagnon que lui donne le hasard.
Le nouveau venu ne répond pas autrement que pat
un hochement de tête approbateur. 1l est très occupé
à sortir de son sac un livre, une casquette de voyage,
par laquelle il rempla~o
son chapeau de feutre, une
paire de lunettes destmées à le protéger contre les
charbons de la locomotive, et des pantoufles de cuir
souple, qui lui permettront de retirer ses chaussures
vernies.
- Un monsieur qui sait voyager, constate in petto
le peintre.
Il n'ignore pas non plus comment on s'y prend pour
cela. Jadis - au temps lointain où il recevait encore
de larges subsides paternels - il a parcouru bien
des coins de la France. Il a même poussé
quelques pointes à l'étranger. Mais les temps ont
ohangé.
- Il y a belle lurette, songe-t-il, que je n'avais pas
mis les pieds dans un compartiment de première'
classe. Le comte abien fait de nepas me,re!llettre l'argent
du voyage. Nul doute que, par espl'lt d'économie,
j'eusse, comme en venant de Paris, pris modostement
un billet de seconde. De cette façon, je n'ai même
pas le droit do regretter la dépense. Mon billet, c'est
en somme la carte forcée ct gratuite.
Cependant, son compagnon de route ayant ~ris
toutes les aises néceSSaires à un long parcours, s est
confortablement installé dans son coin, du côté de la
fenêtre, ct a OUVOl't son livre.
Cola ne fait pas l'affaire de Luc. II se sent une exub.~rance
inacoutuméc, et désire extérioriser une partlC do sa joie on propos mômc oiseux.
- Je vois que vous cllez à Paris, monsieur, commence-t-il. Il en est de même de moi. Cc n'est pas
très gai, en somme, do quiLLer Nice où 10 soleil luit,
avec la certitude do se trouver bientôt au mi1ieu des
brodillards de la Scine ...
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
39
L'homme relève la lête, envlop~
le bavard d'un
1
.
regard glacé, et répond:
- En effet.
Sans se laisser déconcerter pal' ce laconisme, et
convaincu qu'il saura contraindre ce silencieux voyageur à lui répondre autrement que par monosyllabes
Luc Freinville reprend:
'
- Vous êtes Parisien, monsieur?
- Quelquefois.
Le ton, cette fois, est si sec, que le jeune homme
reste déconcerté.
Insister serait vain. Il finirait par s'attirer une
réponse désagréable. Il se tait donc, et faisant contre
mauvaise fortune bon cœur, quitte son compartiment,
pOur aller dans le couloir regarder défiler le paysage
du côté de la mer .
. n esL si beau, ce panorama, si diversement coloré,
SI chaudement surtout, que, bientôt, il en oublie ses
velléités de bavardage, et se consacre tout entier à
cette contemplation.
Ainsi, tantôt fumant, allant de long en large, dans
le. couloir, tantôt revenant s'asseoir pOUl' quelques
ffil\ Inutes sur la banquette, Luc Freinville arrive à
1arscille.
La nuit est déjà :{Jresque tombée. Il profite du court
?-rrêt pour se munu' à la bibliothèque de quelques
~urnax,
afin de tuer le temps jusqu'à l'heure dé
ormir. Puis il regagne sa place.
C'est seulement au moment où le train s'ébranle
qu'il observe à part soi:
- Tiens lIes placQs louées ft partir d'ici restent
vacantes. Nous allons avoir ]e compartiment pour
nous deux.
Son compagnon de route Il déserté la place, dès l'anÏonce du premier servico pour le wa~on-restu.
"Uc a pris un ticket du deuxi me serVICe. Il ne Commencera à dlner qu'à Tarascon.
Ce repas est d'ailleurs rapidement expédié. Et
�40
LE FIANCÉ DE JOSETTE
tandis que le train, maintenant, s'enfonce dans la nuit,
il revient enfin à sa couchette, dispose les deux oreillers dont il s'est muni à l'arrêt de Tarascon, remplace,
lui aussi, ses chaussures par des pantoufles, s'enveloppe
dans une couverture de location, et s'étend pour
chercher le sommeil.
A son âge, il est en général facile de le trouver.
Sans être un grand voyageur devant l'Eternel, Luc
Freinville jouit du p~ivlège
de ceux qui ont beaucoup
plus (( roulé » que lUl. Il dort aussi bien en wagon que
dans le plus immobile des lits.
Aussi, ses yeux ne tardent-ils pas à se fermer, et,
bercé par le ronro.nnement des r~ues,
par le bal!3-~e
ment du wagon bIen suspendu, Il s'endort aussItut,
et les rêves les plus radieux l'assaillent bientôt.
Avant de sombrer ainsi dans l'inconscience, il a eu
le temps de constater que son compagnon l'y avait
devancé.
, Le souffle égal de ce dernier indiquait en erret son
entrée dans le royaume des songes .
... Il y a combl~n
de temps qu'il dort ainsi? Il ne
faudrait pas le IUl demander, Le train a traversé la
gare do Valence sans qu'il s'en aperçoive.
De nouveau, le convoi est reparti il grande allure,
sautant avec fracas les aiguillages des petites gares.
Rien ne trouble le repos du peintre .
... Pourtant brusquement, comme dans un cauchemar, il lui semble qu'on le Louche. Comme si on
écartait ùoucement la couvcrtlll'e qu'il Il en dOl'mant
/'emontée frileusement au-dessus de ses épaules.
En effet, au fur et à mesure qu'on s'éloigne des
pays méridionaux, le froid devient plus vif, en dépit
du chauJfllge inLensif des wagons .
... Mais oui? ... Une main étl'angôre fl'ôle son busle.
Ce n'est pas !lne illusion ..: Mais que lui veut-on ? ..
... DOI't-il ? Ou passe-Lod du sommeil à la l'éaliLé?
C'est assez difTIcile à ·tablir pOUl' lui. Pas de situation
dans laquelle las idées soient aussi peu marquées que
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
41
cet état de demi-lucidité succédant au sommeil et
précédant le réveil déHnitif.
~l a bougé! ... Et il lui semble que tout contact désa~reabl
cesse. Sans ~ute
s'agissait-il d'un cau~emr
.
n changeant de position, il en a éca~t
l'empr1se .. .
' " Pourtant non 1 Hevoilà les mams tatonnantes.
~les
sont même moins légères que tout à l'heure. Elles
elcartent presque brutalement les obstacles qui gênent
eurs mouvements.
Cette fois, Luc Freinville se réveille tout à fait.
L'obscurité la plus complète règne dans le compartiIl?-ent. Il a éteint la lampe avant de s'endormir, et les
,r tdeaux du couloir sont strictement fermés.
fil Cependant, à travers ces rideaux, une lueur devrait
tr~
1. . . Comment se fait-il que règnent des t~nèbres
aus.S1 compactes? L'idée que la lampe du coulOlr a été
étemte ne lui vient pas immédiatement.
Il Sursaute en devinant plutôt qu'il ne le sent, le
mOUvement d'une ombre s'écartant de lui.
- Que signifie? prononce-t-il ù haute voix.
En même temps il bondit do sa couchette vers le
commuwleul' de la'lampe .
.Mais il n'a pas le temps d'atteindre le bouton. Un
faIsceau de lumière l'aveugle, et un ~oup
vio~ent
rappé sur le crâne - pas un coup de pom~,
cerLame~enl
rlutôt le heurt d'un objet dur - 1 étourdit à
em!. 1 retombo sur sa couohette.
~érailnce
passagère. Elle suffit néanmoins pOUl'
<J;u1 1 ne puisse s'opposer à la sortie hors du compartIment de l'ombro en question ...
It entend la portièro claquer derrière elle.
D Quelque choRe de chaud coule le long de son visage.
d,e chaud et de gluant; il s'on rend oompto en portant
Un gesLe machinal ses mains à son front, là où il
ressent une vive douleul' maîntenant.
-. Blessé! se diL-il.
. ~a conscience d'un événement extraordinai['e suffit
a e galvaniser, malgré l'étourd isaement qu'il ressent.
�42
LE FIANCÉ DE JOSETTE
Il se remet sur ses pieds, ouvre la porte du couloir
pour se précipiter derrière son agresseur.
Mais il a trop présumé de ses forces ... A peine a-t-il
franchi cette porte et fait en même temps le geste
nécessaire pour que la lumière inonde et le compartiment et la portion du couloir où il se trouve, qu'il
trébuche, puis s'abat, et reste étendu sans connaissance.
En tombant, son coude heurte la vitre de la porte
qu'il vient d'ouvrit' et la fait voler en éclats.
Aussitôt des compartiments voisins, une rumeur
s'élève. De nombreux dormeurs ont été éveillés. Ils se
précipitent à leur tour hors de leurs places, et donnent
eux aussi la lumière.
Tous, au fur et à mesure qu'ils arrivent dans Je
couloir, poussent la même exclamation de terreur.
- Qu'y a-t-il? ... Qui est ce t homme? ...
CHAPITRE VI
- Où suis-je? .. murmuro Luc. en OUVl'ant les yeux
et en les promenant avec sw'pnse sur les personnes
qui l'entourent.
Il est dans une pièce exigu", 6 tendu sur ur brancard.
Pas très confortable, cette pièce. Des murs que
décorent Reules qw31ques affich s illustrées de la compagnie du P.· L.· M., et d'autres beaucoup plus sévères
sur papier blanc: des affiches officielles 1
Quelques chaises ... Une table bureau ... Un granù
classeur derri 1'0 L ..
Les personnages sont au nombre do quatre: devant
la table, assis, un homme (lU visage neutre, dans
lequ.~
semblent vivro seulement Jes yeux d'une
moblhté extrême; près du patient un autre homme
penché, un flacon à la mam ... à quelque qistance,
�LE l'IANCÉ DE JOSETT E
43
deux aulres individ us à mine plutôt rébarba tive,
semble-t-il à Luc.
L'homm e au flacon se redresse et interro ge du
regard celui qui est assis devant le bureau .
. Ce d.ernie!' fixe sur le jeune homme sorti de son
eyanoUlssement prolongé un regard sans douceu r et
repond :
- /). Lyon ... dans le bureau du commissaire spécial.
. - 11 Lyon ?... murmu re le peintre ... Qu'est- ce que
Je fais ici?
La mémoire ne lui est pas encore revenu e et s'il a
Vaguement conscience d'avoir été mêlé à des événebizarre s, il ne peut coordonner sufi~ament
me~ts
ses Idées pour rétabli r l'encha înemen t des faIts.
- Nous vous expliquerons cela tout à l'hllure, prononce l'homm e du bureau .
Puis, s'adres sant à celui qui tient le DaGon, il
demand e:
- Vous le croyez en état de répond re, mainte nant,
dacteur ?
. - Je pense. L'évanouissement était dû au choc
Maisla plaie est très superficielle. L'hémo rrhagie
~IOenl.
taH arrêtée bien avant que le pansem ent fût falt.
vois aucun inconv énient à cc que vous lui
f e ~e
vous voudrez un interro gaa~SIez
t aIre. subir quand
remerc ie, docLeur. Puisqu e l~ blessé n'a
1- Je v~us
us .be.sOIn de vos soins, je m'en voudraIS de vous
IYto::ur Ici plus longtem ps.
C osL un congé poli, Le médecin le prend pour toI,
et s'on va, après avoir échangé une poignée de mains
avec son inLel'locutcur.
té Ce .dernier fait des paupièr es un signe aux autres
mOInS de cette brève conver sation.
même mouve ment ceux-ci se sont rapproc hés
d D~un
sur lequel Luc vient de se soulever, et
d u ,ranc~d
o s aSSeOll'.
- Pourriez-vous me dire, monsieur, ce qui vous est
ï
r.
�44
LE FIANCÉ DE JOSETTE
arrivé exactement? demande l'homme assis devant le
bureau.
Le jeune peintre a suffisamment repris ses sens
pout· répliquer:
- A qui ai-je l'honneur de parler, monsieur?
- Au chef de la brigade mobile de la Sûreté Générale do Lyon.
Le peintre incline légèrement la tête à l'énoncé de
ce titre, et après un silenco commence:
- .Te sais en somme for~
peu de choses. Je dormais,
j'ai eu la sensation d'une présence insolite dans mon
compartiment. Il m'a semblé qu'on cherchait à me
fouiller. Je me suis levé d'un bond, pour atteindre le
commutateur et donner de la lumière. Mais j'ai reçu
un choc sur la tête j et quand j'ai voulu, après un
lél$er étourdissement, me précipiter à la poursuite de
celui qui m'avait frappé, j'ai perdu connaissance.
Aucune expression n'a passé sur le visage du policier,
tandis que le jeune homme résumait ainsi brièvement
ce qu'il savait de son avenlure.
De la même voix froide, distanle, il reprend:
- Vous étiez monté dans le train où?
- A Nice, monsieur.
- Vous alliez où?
- A Paris.
- Vous habitez dans celte ville?
- Oui, villa d'Alésia.
- Alors, vous êtes Luc Freinville?
Le jeune homme, surpris, regarcle son questionneur
et murmure:
- En elIet. Mais comment savez-vous ...
- Peu imporle. Vous étiez à Nice depuis lontemps?
- Depuis trois mois.
- Où logiez-vous?
- Au Winlel'-PalaCe, ù Cimier..
Le chef de la brigade hausse des SOUl'cils étonnés .
Il. se tourne vers l'un des deux hommes et lui
d!t:
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
45
Allez imméd iateme nt ajouter cela à mon télégl'amme, Boucha rd.
L'indiv idu interpe llé sort de la pièce.
L'inter rogatoi re repren d:
- QueUe est votre profess ion?
- Artiste peintre .
- Ah 1... Vous avez de la fortune person nelle?
Ces questio ns paraiss ent à Luc tout à fait oiseuses.
Il fronce les sourcils, ct agacé, riposte :
- Je me deman de en quoi cela vous intéres se, et
Surtout queJ]e relation il peut exister entre ma situatio n
de fortune et l'agression dont j'ai été victime . Il semblerait, à vous entend re, que j'aurai bientôt à répond re
devant la justice des coups que j'ai reçus.
- De ceux que vous avez reçus, c'est peu probab le,
mais de ceux que vous avez donnés, c'est tout à fait
certain 1
Ebahi, Luc mur,uu re :
De ceux que j'ai donnés ? Ah 1 ça, je deviens
rou 1
- Inutile de jouer la comédie, mon ami. Vous
p.arle pas à. la
verrez tout à l'heure que je ne v~us
légèro. Mais reveno ns ù notre quostIon, Je vous prIe;
quelle est votre situatio n de fOl'tune personnelle il
Le ton est si impéra tif que le jeune homme , complètem ent démon té par ce qu'il a entend u, ne songe
plus à protest er, et dans son désarroi, répond :
-. Person nellem ent, je n'ai pas le sou. Mais j'appartIen s à une famillo assez riche. Mon père est avoué
à Chartre s.
'1 - Vous êtes snns le sou ? .. Comm ent cela se {ait1
?
- .Mon père ne partage pas mon enthou siasme pour
1a pemtul'o.
- Ni pour vos séjours à Nice, sans doute?
Et .snns attenùr e la réponse que Cait prévoir l'expressIOn dos traits du blessé, il poursu it:
- Comment expliqu ez-vou s qu'un homme sans le
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
sou ait dans le portefeuille contenant ses papiers, dix
billets de mille francs.
- Le prix d'un travail que je viens de termin er à
Nice. Vous êtes si curieux 1
- Un travail payé dix mille francs ? •. A vous ? ..
Vous bluffez? .. . C'est bien inutile 1
- Il sera facile de vous assurer du contraire. Je
viens de termin er la décoration de la villa du comte
',de Canohés, à Cimiez. Il est assez connu à Nice, je
pense, pour que vous puissiez lui !aire poser rapidement la question.
Puis passant sans transiti on de l'étonn ement de
tout à l'heure à une violente colère, Luc se léve tout
à fait de son branca rd, et faisant un pas dans]a direction du bureau , frappe du poing sur la LabIe et
s'écrie :
- J'en ai assez, à la fin. Il est vraime nt inadmissible que vous me parliez SUl' ce ton. Je voudrais savoir
en quoi c'est un crime nécessitant un tel interrogatoire que le fait d'avoir reçu un mauvais coup? Je
voudrais que vous m'expliquiez un peu plus l.airoment
ce que vous disiez, on parlant , tout à l'heure, du coup
que j'aurais pu porter, moi?
L'homme rest~
~o.ns
la pièce après le départ de son
compagnon a SUIVI le mouvement en avant du jeune
homme, et viens de le saisir par le bras sans douceur.
- Laissez, L'Évei l, ... ordonne le chef de la brigade
mobile avec un sourire. Ne troublez pus le jeu de
l'acteu r. S'il ne peut plus ponctuer ses déclarations
de gestes appropriés, elles perdro nt certainement de
leur saveur.
Il continue à persifler en disant :
- J'aime assez ceLLe bollo indignation. Mais, avant
de l'apprécier comme il convient, j'aimerais que vous
m'expliquiez par quel phénomène extraordinaire vous
avez oublié si bien le pass récent. Le coup que vous
auriez reçu aurait-il J.>rovoqué chez vous un peu d'amnésie? .. Auquel cas ]e ferais rappele r le docteur.
�LE FIANCt DE JOSETT E
~7
- VOS railleri es, monsie ur, sont d'un goût au moins
douteu x. Je ne manqu erai pas d'en faire part à un de
mes amis qui trouver a là matière à ...
- C'est cela! Le coup des hautes relation s, mainte nant. Décidé ment, c'est un novice? Mais comme coup
d'essai 1. .•
Puis il change de ton:
- Alol'S, vous vous en tenez à cotte explica tion sur
l'origin e do vos dix mille francs? Vous ne préfére z pas
me raconte r, par exempl e, que vous les avez gagnés
au Casino, ou à Monte- Carlo? La vérifica tion du conserait plus malaisé e qu'avec l'origin e que vous
tra~e
aSSIgnez à cet argent!
Luc Freinv ilJe hausse les épaules , ct ne rép'ond plus.
Il doit avoir afTail'e à un mODomano j et Il songe à
la formule amusan to d'un do ses camara des:
« Il ne faut pas conlrar ier les aliénés parco que ç,a
les « l'end fous» .
Peut-êt re a-t-il lui-mêm e un peu de délire.
Il ne doulo pns de sa blessur e puisqu 'il a sent i
tout à l'heure le bandea u entour ant son front.
Mais prrcillomenL, cette blessur e ne Pl'ovoq ue-t-ell e
pas chez lui une BorLe de cauche mar, et la réalité des
paroles qu'il entend est-elle bien éLablie?
Pendan l qu'il se pose la questio n, la voix du policie r
S'{!Iève do nouvea u.
- Je vois quo vous ren9ncc z à l'indign ation pOUl'
au mépris . C'osL une attitud o plus difficile à
Pns~or
lOlllr. Mais vous y arrivor oz peul-êt re. Quostio n d'entraînemonL. Voyons , si nous franchi ssions très rapidecc stade, pOUl' parven ir de suiLe au seul où vous
m~nt,
PUISSIez vous mainle nir : celui des aveux? .. Que vous
en somble ? '. NOLls vivons à une époque où lesmoindl'OS
de temps conslit uent à elles seules un crimo.
~erts
chargez pas la conscie nce de ce déliL supplée vo~s
ntenLaIrc.
Pas plus quo toul à l'heure , le peinLrc ne daigne
r 6Pondre .
�48
LE FIANCE DE JOSETTE
Il se convainc davantage de vivre dans le délire.
- Vous ne voulez-pas? .. Vous vous obstinez maintenant dans le silence? Alors je vais parler pour vous ...
D'abord êtes-vous Freinville ou Barcou? Parce que,
dans le portefeuille de Freinville on a trouvé dix mille
francs, et dans celui de Barcou pas un sou.
- Je ne comprends rien à ce 9-ue vous me racontez,
;murmura le jeune homme.
- Pas possible 1 N'aul'Ïez-vous pas eu le temps
d'opérer le dépouillement de votre prise? Je l'aurais
cru pourtant r
- De ma prise ? ..
- Eh oui! du portefeuille cueilli sur voLre victime.
Est-ce que cette dernière s'appelle Luc Freinville, ou
Alfred Bareou?
Le jeune peintre porte d'un mouvement saccadé ses
le crâne.
deux mains il ses tempes afin de sc .c0!lpr~me
Il est très douloureux, certes; malS lllUl semble surtout sur le point d'éclater à cause du tourbillon
effrayant 'qui agite. son ceryeau. .
- Je vous en prIe, monsIeur, qm quo vous soyez,
quelles que soient vos intenLions, parlez plus clairemenl. Je vous donne ma parole que je ne comprends
rien à ce que vous me dites.
- Allons, mettons les points sur les i, pour vous
convaincre une bonne fois de la complète vanité de
cette comédie . .Je ne sais pas, je vous le répète encore,
quel nom vous donner pour le moment. Nous avons
en effet trouvé sur vous deux portefeuilles.
« L'un contonait simplement des pièces d'identité,
l'auLre, des pièces diverses et les dix mille francs en
question.
(( Il n'est pas douteux, ù mon avis, que les choses
se sonL déroulé s do lu façon suivante : profitant du
sommeil d~ voLl'e compagnon do voyage, vous avez
tenLé de lmdérobel' son portefeuille. Vous y êLes même
parvenu. Mais au moment où vous vous r tir'iez afin
:le passer BaDS doulo dans un autre compal'LÏmO'llt, cL
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
49
d'attendre le preIpier arrêt qui y<?us p~rm6tai
de
descendre et de prendre le tram. SUlvant; à ce
Il?-0ment-là, dis-je, le volé s'est révelllé. Il a eu consCIence de l'acte que vous veniez de commettre. Il a
\?rti de sn. poche le casse-tôte qu'il y portait à demeure.
ous en ave" reçu un coup sur la tête.
cc Mais vous avez cependant eu assez d'énergie
pou.r riposter encore avec votre poignard. Vous deviez
Lellir celui-ci au poing et prêt à tout événcmenL. Il
vous a suITi d'allonger le bras pOUl' frapper. Votre coup,
d':l.llleurs, était admirablement calculé, car il Il atteint
en plein cœur le malheu.reux.
cc Il a dû tomber sans même dire cc ouf 1 )) Ensuite,
Poursuivant l'exéQution de votre plan, vous avez
tenté de SOl'tir. Mais là, le sang que vous perdiez en
abondance par vott'e plaie du cuir chevelu, et aussi
s,ans doute, comme vous le disait le docteur tout à
1heure, Ju commotion du choc, vous ont fait perdre
c~naise.
Et vous êtes tombé dans Je couloir, là
ou les agenls de la oompagnie vous onL ramassé un peu
plus tard.
cc C~r,
dans votre chuLo, vous aviez brisé un Carreau
o,t attlré - oh! bien à votre corps défendant! des voyageurs occupant les compartiments
1o.!t~ni
VOlStns.
Pondant que le chef do 1:1 hrigade mobile donne
complaisamment t01lS ces détails au blessé, celui-ci
Sent ses cheveux se hérisser sur sa Lête,
1 r~s intelligent, i [ a conscience do sc trouver dans
\.tne sltuuLÎol1 int'xll'icllblo, si l'on ne parvient pas à
t;neUtre
dont il a
ct.
. la main sur l'auLeul' de l'a(!]'cssion
0
o VIctime lui-même.
t Il se l'end compte on erret quo dnns ce coup-là,
.
outfs les apparences paraîtront c?nlre. lui.
D uno VOIX 6lranrrJée pal' l'émollOn, 11 balbutlO :
-:- C'est eITl'oyable 1... Etre acu~é
d'un pareil crime,
moll ... C'est fau.'! ...
- Je ne peIl3C pas qu'il y ait lieu de vous accusor
�50
LE FIANCÉ DE JOSETTE
d'as sass inat je m'e mpr esse de vou
s le dire .
préméd itat ion ~iest
en eHet pas étab lie dan s monLa
esp rit.
(( Je crois comme je vous le disais
tou t à l'he ure, à
un acc iden t' professi?nnel 1... Vou
s.
ave
les exp loit s de cert ams rats de tram z :,ou lu .im iter
tanc es vous ont am.ené à frap per, . Mals l?s Clrc,~ns
pou r ~vlter
d etre
pris en flagrant délIt d.e ~ol.
L~
cou
telle sorte que votr e VICtIme n en p a eté por té de
est pas reve nue , et
n'en revi end ra jam ais. C'es t là surt
out que l'aITaire se
gâte pou r vou s.
Le ma~istr
ùe se dép art pas
son calme, ni de
de sa frOIdeur. Et son ton rend de
plus terr iblo s encore
les parolos qu'i l prononce.
.
Vis ible men t, dan s son espr it, il
pou r le dou te. La culp abil ité de n'y a pas de place
en face de lui est larg eme nt dém celui qui se trou ve
ontr
- Je vou s assu re, mon sieu r, que ée.
une erre ur terr ible . J'ai moi-même vous com met tez
agression. La pers onn e que j'ai sen été vict ime d'un e
tie en trai n de me
palp er est cerlainm~
le coupable de l'as sass inat
que vou s met tez mai nten ant à ma
charge ...
- Cet~
mauvi~o
exp lica tion pou rrai t teni r, jeun e
hom me, SI vous aVIez eu le tem ps
du port efeu ille de votr e. vict ime de vous déb arra sser
. Mais rend ez-v ons
com pte que votr e évano:
l[i~
emnt
Votre hist oire ne tien t p.l ' deb out.vous en a emp êch é.
oITet d'ex pliq uer, par la peti te Je vous ùéfie on
légende quo vou s
inv.enLez, la pl'és~nce
~anB
v~tl'e
pocho des deu x porLefeUIlles avec des IdentItés cilITéron
colle du mor t, on n'en a trou vé auc~e. tes alors que dan s
Luc Fre invi lle n'av ait pas ponsé
à cela. Dan s son
indi gna tion con tre l'ac cus atio n don
t il étai t l'ob jet il
ne songeai~
même pas à co d~lai
écra
'
Il prodUlt sur lUI une tolle Impress sanL.
se déC0n:tpose et qu'u n trem blem ion que flon visage
nerv eux l'agiLe
tou~
on~Ier.
p y a l~ en offet u~. ent
effroyable mys t ère
qU'I~
1,Ul est Imposs.Lble de s'exp~lquor.
.
SI 1 omb re mal fais ante don t 11 a
sonll la présenco
�LE Fl.U1Ct DEi JOSETTE
51
avait voulu le voler, elle aurait eu tout le temps de le
l'aire, nvant qu'il se réveillât complètement. Surtout,
elle n'aurait pns glissé dans sa poche un second
portefeuille, celui de la victime, très certainement.
- Que signifie cette horrible machination? Qui en
est l'auteur?
. Deux questions auxquelles il lui est absolument
lmpossible de donner le moindre commencement de
réponse.
C'est à un tel point qu'il en vient à se demander
s'il n'est pas atteint d'une de ces maladies, très rares,
~ans
lesquelles joue un dédoublement de la personnabté .
. N'aurait-il pas, réellement, dans un état d'inconsClence absolue, commis cet épouvantable forfait?
Il s'eITondre tout à fait sous l'influence de cetie
pensée accablante, au moment où il voit le policier
prendre dans le tiroir du bureau un objet et le lui
montrer en disant :
- Voilà l'arme du crime ... Ne la reconnaissez-vous
pas?
Un cri de terreur s'échappe des lèvres du blessé qui
é~e!ld
les mains en avant, comme pour repousser une
VlSlon infernale.
Il vient en erret, dans l'objet ofYert à Bon examen,
de reconnaître un stylet à lame très affilée, don du
Comte de Canohès, en guise de coupe-papier, un des
premiers jours de son séjour à Nice, alors qu'il coupait
;ve.c une carte de visite, dans le jardin de la villa, les
oulllets d'un livre qu'il vel'ait d aoquérir.
'" A pal'Lir de ce moment, lout ce qui Be passe
futour de lui lui parvient comme à travers un brou ilard sanglanL.
,Il .se sent devenir complètemenL dément. Et il ne
rcaglt même plus quand la voix du commissaire de
PoILee prononce :
- Etant donnée la graviLé des chargos relevées
COntre vous, en attendant l'ouverLure d'uoe inslruc-
�52
LE fIANCÉ DI: JOSETTE
tion en règle, je vons n:ehl cI?- élal d'arreslalio.n. O~\
vous ramèpera dans la Journee à Valence, le heu ou
votre crime a l'té commis releyant de la juridiction du
parquet de cette ville ...
CHAPITRE VII
- Tu cs bien silencieuse aujourd'hui, fillette.
Serais-tu souITranle?
,
Josette Cernay, tirée de sa rêverie pal' la quenlion
de so" pûre, s ursau 1 e, et. répond: .
- Pas du tout, papa, JC te rem~clC.
- Alors, d'où vi<:>nt cet aÏ!' morose?
- Le sais-je? On n'esL pas toujours maHre de sa
joie. Peut-êtt'e est-cc simple nen.t r~actlon
conlre ce
ciel implacablement hleu. 11 fimt par me donner le
tararJ.
- Ça par exemple 1
~ iles
de l'atmo- J'en arrive i\ rdgrctler les gris
sphère parisienne. Il fait vraiment trop soleil ici.
Est·ce que nous r"n trerOn3 bientôt?
Monsieur ct madame Cernay ùchangent un regard
étonné et embat rassé il la fois.
Le chef de famille répond :
- P.as encore, HlJet.Po~r
une fois que j'ai réussi
à me hhérer de mes SOUCIS, Jn pr 02 f ~ r \ ' profiler de mes
vact1.!lces ici, plytât qu~
revenir à Pari" où je n'éch,apperul p1S, que Je le vellllle ou non, à cU'laines oblIgations.
Josetle n'insiste pas. Elle n'est pas éfl'olste au point
de sacri,fi?r .le repo~
p a ternel fi une vag~e
mt"lancolio,
ot au do;;tr mnvoue de se l'approcher du lieu où Luc va
reprendre la lulte.
C'est à son fian::é qu'olle pense' à lui ct il celte
bataille dans laquelle il va rocm~n
Il se jeler à
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
53
corps perdu, afin de se faire un nom, et de pouvOIr
ainsi la mériter.
Elle ne se fait pas d'illusioIlS, certes, sur la résistance qu'elle rencontrera de la part de M. Cernay.
Non pas qu'il fasse entrer ,en ligne de compte la BiLuation financière du prétendant. Il a assez dit devant
elle qu'il la considère assez riche pour doux. Mais, par
contre, elle n'ignor.e pas qu'en échange de cette
l'lcbosse , il entend qu'elle acquière une situation
mondaine très supérieure à collo qu'il a lui-même.
C'est une manIe chez ce fils de ses œuvres. Il
regrette de n'avoir pas eu le temps de se créer les
grandes relations que lui faciliteraient sa fortune.
Il regrette aussi, sans se l'avouer, que Bon mariage
ne lui ait pas apporté lesdites relations. Mais il compte
que celui de sa fille réparera cette lacune, et qu'en
tout cas, elle profitera, elle, pleinement, de tous les
avantaoes de la fortune.
L'industriel adoro sa fille. L'expression mélancolique qu'elle a co matin l'inquiète. Il voudrait lrouVer quelque cbose pour chasser cet ennui sans cause.
Mais ses efforts ne sont pas couronnés de succès. Elle
l'epousso en effot les unes a'pr0s les autres, d'un air un
peu las. toutes Jes proposÏllOl1s qu'il lui soumet pOUl'
l'emploi du temps do Bon après-midi.
- Non pas, décide-l-olle enfin. Jo vais restor dans
ma chambre jusqu'à cinq heures, alln d'écriro dos
leUres à mes amies do Paris. Je les ai un pou nég'igéos,
Ces derniers temps. Et il cinq heures, jo prendrai 10
thé ici même, dans 10 hall.
Du moment où elle parlo de thé, monsieur Camay
80 rassérène.
, Les minimcs préoccupations de cello qu'il continue
U appeler fllletle ne sont pas bien graves, puisqu'elle
bOngo au fi vc-o'clock. Il ne doute pas, on efTet, que 10
tho de cinq hllures soit uniquement une occasion de
l'encontr l', dans le salon transformé en dancing, ses
cavoJiers habituels.
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
Dans leur nombl'e, un SU1'tou t lui parait intl;l'essllnt.
Mais le momenL d'en parler n'est pas encore venu ...
Contrairement au programme qu'elle a exposé à son
porc, Josette n'a pas écrit le moins du monde. Tout
l'après-midi, elle est restée étendue sur sa chaiselongue, la pensée 10inLaine, toute à celui qui vient de
partir.
Dans leur courte conversation de l'autre soi!', Luc
Freinville lui a fait part de l'aubaine inespérée qu'était
pour lui les travaux de la villa. de Cimiez. Elle le
sait donc en possession d'un peu d'aJ'gént. Mais,
d'autre part, elle ignore l'attitude du comte de Canohès lors de l'arrivée de Luc.
En femme pratique, elle calcule que le séjour à Nice,
ses dépenses vestimentaires doivent avoir écorné
sérieusemenlle petit capital de l'artist e.
Combien de lemps pOlU'l'a-t-il vivre avec ce qu'il
remporte? Sera-t-il obligé bientôt ;\e re~l'nd
sa
vie de privaLions, qu'elle devine pluLÔl qu elle ne la
connait, puisqu'il s'est montré fa r ouch
e m e n~
dis creL
sur cette question? CeLLe éventualité la peine ct c'est
de lù que lui O S ~ VQnU cet air morose du déjeuner, sn
tristesse pl'éBenle.
e nt
do se se ntir' au
Elle souffre presque physiqu~m
milieu d'un luxe Ll'OP grand, alors q l") son finn cl> :1
déjà si fiouvent manqué du nécessaire, et os t peut-êtro
destiné à en manquer encol'e demain .
... Enfin, comme elle ne peul pas l'es: or tout l'apl'èsmidi enfermée , sans courir le J'isquc cl 'i nquiél er Si!
rn h'r, ct pal' conséquent c.elui d'a vol . il ri pon dre il
une roule de questions, dont ell e S'ént"'ve Jw r nvancr,
l'lie fie décide, VOI'S cinq heures ) à de f~ve n re dans le
haU.
Quand elle ne sorl pas de l'hôtel, Mmo Cernay sc
�I.E fIANCÉ DE JOSETTJ;
55
dispense souvent de l'accompagner. Elle est très sûre,
on offet, que, dès le bas de l'escalior, plusieurs des
représentants de cette jeunosse dorée qui papillonnent aulour de sa fille vont se précipitor pour lui faire
escorte .
. En effet, Josette a à peine franchi la première moitié do l'escalier que déjà doux jeunes gens se lèvent
du fauteuil dans lequel ils l'attendaient.
. Et quand olle met le pied dans le hall, ils sont là,
Inclinés devant elle et s'empressant de prévenir ses
désirs.
'
,- N0.us dansons, n'est-ce pas, madeoi~l.!:
.. Je
tn en BUlS douté : vous nierez encore les mtUItIOns 1
Et j'ai rotenu une table parfaite dans le coin au. fon~
.
~oste
ne daigne même pas sourire. Plus que JamaIS
aUJourd'hui, ces flirteurs enragés l'agacent.
Elle leur octroio une poignée de mains indifférente.
Et machinalement elle les suit vers la table indiquée.
Un public extrê~mn
élégant peuple le salon où,
alternant, un orchestre et un jazz-band entraînent les
C?u.p les tantô t clans d es val ses langoureuses, quali fiées
d aIlleurs <.le noms bizal'l'es tantôL dans des danses
fr~ntiques
qui se resnt~
visiblement de leur
orJO'Ine à demi-sauvage.
S'ans perdre ni une bouchée de O'âleau, ni une gorO'ée
de boisson bouillante lS8 fem~
eL les jeunes flfies
~'examint
récipoq~emnt
avec des mines dénuéos
e bienveillance.
los toilettes exhibées par chacune,
Elles ~ueltn
~otenL.iCl
un pli, là une faule de goût - ù leur avis
U mOlDS.
P~sivoment,
à deux ou trois l'oprises déjà, Josette
~ Sl1lVl dans la cohue tourbillonnante l'un ou l'autre
ct e ses cavaliers, quand un nouveau venu fend la foule
Cs danseurs et s'incline à son tour devant la table
Ch~rgéo
d'assietles de pâlisseric, et de lout le nécesS,nt'e pOUl' le thé.
- Mademoiselle, je vous présente mes respectueux
�LE FI AN CÉ DE JOSETTE
hommages . Je suis vraiment très heureux de vous rencontrer ici. Je vous supposais au Savoy. Il me semblait vous avoir, entendu dire hier que vous y seriez.
Ne VOlIS voyant pas venir, et désespéré, je me suis
mis à votre recherche. Hien d'élonnant, d'ailleurs, a
ce que je vous aie tout de suite retrouvée . La lumière
des étoiles n'a-t-ella pas toujours guidé les voyageurs
égarés.
L'outrance de cesco ;np limenls qui, d'habitude, la fait
rire, a le don aûjourà'hui de lui déplaire souverainement.
Elle affecte donc de pas tendre la main au nouveau
venu. S'il ne tenait qu'à elle, il resteraÏl bien debout
devant le ~uéridon;
mais les deux jeunes gens qui y
étaient aSSIS et qui s'honorùnt d'une relation aussi chic
que celle du comte de Canohés; se sont empressés
d'appeler le maître d'hôtel, et celui-ci apporte déjà
un siége.
Comme elle ne l'a pas invilé à s'asseoir, Alonzo de
Canohès Msite un instant.
Mais eelte hésitalion est très courte. Il se croit assez
familier pour pouvoir passer outre à ce qui est certainement de sa part un oubli.
Sans se lalsser démonter par le silence qui a
accueilli 8es premiers 'propos, il reprend :
- Quand je suis près de vous, ma joie est telle que
j'en VIens, je crois, ù perdre un peu la tête. Cela a dû
se produire hier . Je m'étais tromp é, n'est-ce pas, en
pensant avoir entendu que vous il'lez tantôtau Savoy.
- Non paa, répond sèchement Josette, je me souviens on effet avoir dit quelque choso de ce genre. Je
n'y avait d'~ilour8
aLtaché aucune importunce . Je
savais que vous ne restcrJCz pas seul là-bas, même si,
comme cela m'est al'l'ivé, je devais changor d'avis.
- Pas seuIl Mais mademoiselle Josette, resLer unt?
journée sans vous voir aurait éLé pour moi un désaü·
trû!
- Un désastre qui vous aurait atteint seul en tout
�LE FIANCÉ DE JOSETT E
57
cas; car je vous avoue que moi, je ne m'en serais
même pas aperçu e.
Le comte feint de prendr e en riant cette rebuffa de .
Ill'épli que :
- Ah 1 les Parisie nnes! commo elles ont la dent
dure 1 Aussi, je n'ai que cc que je mérite! En somme ,
c'était peut-êt re pour m'écar ter de vous que vous me
donniez rendez -vous au Savoy, alors que vous l'estiez
ici?
- Votre perspic acité esten défaut, monsie ur de Canohès . QuanJ je veux me débarra s3er des gens , soyez
assuré que je n'empl oie ,pas de tels procéd.és . Pour
a voir ma tranqui llité, je S:1IS mettre les points s ur les i.
J 'espère que vous ne me mettrez pas dans cette obligation.
- Qu'ente ndez-vo us par là? madem oiselle, interro ge
le comte assez vexé, ct n'en croyan t pas ses oreilles .
- Rien de plus que cc que siO'nifient mes paroles .
Vous compre nez, j'imagi ne, suffisam ment le françai s
pour qu'il ne soit pas besoin de vous traduir e ce que
j'ai dit?
CeLte allusion plus que cl'uelle à sa nationa lité étrangèro fait oOlltractcr légèrem ent les mâchoi res dujeun e
homme .
Les deux témoin s de ceLte scène ont bonne envie de
rire j mais ils n'o sent, car le comte pas:)e pour dt3
carack re pen commo de .
11s prMere nt même s'éclips er .
D'un cornm un et, tacite accord, ils se ll)vent et se
dirigen t \'ers deux tablea dilTérenLes où sont assises
de jeunes personn es de leuI' connais sance, qu'ils vunt
in" i tel' à dt1TIscr .
M. de Cnn0hès est soulagé par ce départ.
Il change tle Lon, f.;e faiL supplia nt pOUl' diro
- Mademui:;elle, vous êtes avec moi d'une cruauté 1. .. Que vous ai-je ùonc foiL?
- Ce que vous m'avez fail? .. . Absolu mentri en . Ne
me fait pns qulllqu c choJe qui veul. Quant à ma
�58
LE fIANCÉ DE JOSETTE
cruauté, je ne vois pas où vous la Erenez. Est-il donc
cruel de laisser entendre à quelqu un que ses assiduités sont déplacées?
Il
Votre protestation se com.:pr~ndait
si je vous
avais jamais encouragé à me poursuivre comme vous
le faites; mais je ne me rappelle pas avoir prononcé
une parole qui vous utorise à le penser.
I( Dans ces conditions, vous concevrez que je sois
un peu agacée de ne pas pouvoir risquer un pas sans
vous rencontrer . Il Y a des gens qui gagnent à se laisser désirel' un peu .
Il A vous prodiguer, suivant votre méthode, vous
gaspillez une séduction fort prisée, si j'en juge par les
paires d'yeux actuellement braquées SUI' vous .
Sous cette avalanche de dures paroles, Alonzo de
Canobès courbe la tête. Il a bonne envie de se
fûcher. :Mais il sc dit, probablement, qu'il n'avancera pas ainsi ses affaires.
Il murmure donc d'un ton attristé:
- Je préfère supposer, madomoiselle, que vous avez
aujourd'hui des raisons de nervosité . Et je vous quitterai aussitôt que vos deux compagnons de tout à
l'heure seront revenus.
- Inutile, monsieur de Canohès; J'estez plutôt ici.
Car, pour ma part, j'ai suffisamment dansé; je me sens
un peu soufiranLe ; je J'CmoIlte il mon appartement,
Et sans donner à son vis-à-vis le temps de se précipiter pour l'accompagner, elle so lève, glisse il truvel'&
los couples , ct disparait dans la direction do l'escalier.
DéconcertG pur ceLLe fuite, Alonzo d Canohes ne
reste pas longtemps attablé .
Il hausfle leB épaules, ot s'en va à flon tour . Un sourir'e cruel SUl' ses lflvr('s, il murmure:
--:- Tu crâneras moins, d'ici quelques jours, ma
petIte 1
�LEi rIANct DE JOSETTE
'59
.Au moment où, après avoir pris son pardessus, son
chapeau et ::;a canne au vestiaire, il so dirige vers la
porte à tambour de l'hôtel, il se heurte Ii~téralemn
à un homme d'une cinquanLaine d'années, q~i
arrive
en sens inverse .
- Je vo~s
demande pardon, monsieur de Canohès 1
- Oh! monsieur Cernay ... C'est mQi qui ...
Les deux hommes se serrent la main, et M. Cernay
interroge:
, - Vous partiez déjà?
- Oui ... JeI).em'amusc guère ici. .. Je préfère rentrer.
- Etes-vou!) pllessé? .. Venez prendre un cocktail
au bar?
Une invitation de M. Cernay 8ert trop hien les désirs
de Alonz;o y Canohès pour qu'il refuse .
Il consent done immédiatement.
-Avecplaieirj monsieur Cernay 1. .. En votre compagnie, je suis sûr do ne pas perdre mon temps . Tandis
qu'avec tous ces pantins, ..
Du geste il désigne le salon où les danses se poursuivenl sans arrèt.
Il lui semble en effel de bongout d'adopter vis-à vis de)
ce grand brasseur d'affaires l'attitude d'un homme
assez peu encLin à partager les manies frivoles des gens
de son âge.
Mais l'industriel no prend même pas garde aux propos du jeune homme .
Ille précède vers le bar, choisit une table devant un
canapé 4ecuirxtûmon~fJ'abl,
et lui demanda,
après avoir commandé 1013 consommations au garçon
emprossé:
-- Vous n'avez pus vu l'la OUe, tantôt?
- Si faiL ..Je la quiLte à l'instant.
(( ElleesL l'cmonLée chez olle, carelle sc plnignaitd'un
Iégrr malaise.
.
Colt indicnLion inquiète le père, qui murmure:
- En efT t, au déjeùncl', elle m'a paru moin3 expansive que d'habitude.
�60
LE FIANCt DE JOSETT E
- Oh! je ne pense pas qu'il y ait là rien d'inqui étant.
Mlle Josette me semble posséder au contrai re une
excellente santé. C'est un charme de plus chez elle,
qui n'en manqu e pas, dèjà!
- J'aurais mauva is goût, monsieur de Canohès, à
vanter les qualités de ma fille. Je ne puis cepend ant
m'emp êcher de vous dire que je partage absolu ment
votre avis. Malgrl3 la partial ité d'un père, je vois peu
de jeunes filles, dans le monde que nous fréquen tons,
qui la valent.
La tournu re de cette conversation surpren d légèrement
le Portugais. Mais de façon très agréable en tout cas, car
son visage un peu crispé sc détend , et c'est d'un ton
enthou siaste qu'il confIrm e:
- Aucune, monsieur Cernay! Aucune, très certainem ent !
Et comme le père sourit d'un air encour ageant, il!
ajoute sur un ton moins haut:
- L'endro it n'est peut-êt re ras bien choisi pour ce
que je "Vais vous dire, monsi.eur Cernay ; mais les occasions de vous rencon trer seul ne sont pas si nom·
breuses. Vous m'excuserez donc de saisir celle-ci ...
Est-ce que vous verriez un inconv épient à ce
que Mlle Josette devienne comtesse de Canohès?
La face de M. Cernay s'épano uit. Comtesse? Quel
beau rêvo pour sa fille!
Cortes, depuis longtemps il observait, sans en avoi r
l'air, 10 manègo du Portug ais; mais i! ne le suppos ait
pas encore si décidé.
Il ne doute pas de la satisfaction qu'aura sa femme
- ct Josette elle-même, - lorsqu'elles appren dront
ceLLe démarc he officieuse.
- Mon cher monsieur, il me faut fi 'abord vous diro
que les paroles que nous prononçons aclllcll emcnt
n'engag ent ni l'un ni l'autro de nous. Cat' volt'e
démarche n'a rien d'officiel, non plusqu e ma l'éponsn.
Person nellem ent, je ne verrais pas d'un mauvai s œil
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
61
l'union à laquelle vous faites allusion. C'est de ma fille
qu'il convient de vous faire agréer .
( J'ajoute môme que, Je cas échéant, je lui ferai part
de mon opinion sur un tel mariage.
Le jeune homme s'incline et murmure:
- Je ne sais comment vous dire ma joie, monsieur.
Naturellement, je chargerai un de mes parents, le
moen~
venu, do fnire au pros ùe vous une démarche
plus correctement officielle.
- Nous n'en sommes pas là. Il ne faut rien brusquer.
Notre séjour à Nice se pr'olonget'a pendant quelllues
semaines encore. Nous pourrom donc reprendre cetto
conversation en temps utile .. .
. - D'ici là, monsieur Cernay, il me parait nécessaire
que vous puissez prendre SUL' moi tous les renseignements ...
- Votre nom est suffisamment connu dans l'aristocratie portugaise, monsieur, pour que je me dispense
d'une enquêle l:J.l,lesi mesquine . On ne traite pas un
mariage comme une affaire. Croyez qUI) tout business man que je sois, je sais établir la diITorcnce entre l'un
et l'autre.
CHAPITRE VIII
Onze heures ct demie . Les lar~e3
troLtoil's de la
Promenade des Anglais sont envalus pnr une foule de
promencllr.' d(gan~fJ.
Du côlé defJ hommes, costumes Il'!g01'3 eslivaux, où
la Onnelle ct le piqué büme voisinent avec le « ru il
fil ».
Tout t::e mondl>-là, où à peu pl'ès, est Lèle nue; bien
enlenùu Ù cO'1dilio l que ladite tête possède encore
quelf[ues cheveux.
Côt~
des femmes, sweaters de couleurs éclatantes,
�62
LE FlANC$; DE JOStTTE
jupes courtes et plissées, gamme innombrable de chapeaux de toutes formes et de toutes teintes.
Faits à noter: la plupart des promeneurs masculins,
tous ceux qui se targuent de quelque jeunesse, s'en
vont les bras ballants ou nantis tout au plus de journaux, tandis que nombre de jeunes femmes ou de
jeunes filles arborent des sticks légers, voire de lourdes
cannes d'entraînement.
Toutes les nations européennes et passablement de
nations américaines sont représentées.
L'Asie elle-môme délègue quelques Japonais et un
certain nombre de Chinois.
C'est l'heure chic par excellence. Celle, sans doute,
où l'air de la mer est meilleur d'être ainsi respiré par
tous les prêtres et prêtresses du snobisme.
Celle où le soleil, consciont de ses devoirs, se fait
plus tiède pour caresser des épidermes aussi distingués.
Sur la chaussée, soigneusement asphaltée, des équipages se succèdent, emportant d'autres femmos en
robes claires, d'autres hommesvêLus suivant les mêmes
exigE'nces de la mode.
Quelques autos puissantes et silencieuses. Mais en
peLit nombre.
Ce mode de locomotion est réservé aux randonnées
de l'après-midi eL aux sorties nocturnes. Il esL du
meilleur ton de se montrGr avec un attelage plus lent:
il permet de voir mieux, ct surtout d'être vu.
Depuis deux jours bientôt - exacLemenL depuis
que Luc a quitté Nice - Josette montre un caractèro
que son entourage qualifie d'insupportable.
Mais il résulte simplement de sa nervosité.
Quant à. la cause do ceL état, elle serait assez embarrassée elle-même pour la préciser.
Elle dort Lr's mal, et vIt avec la sensation bizarre,
inexplicable, d'une angoisse qui ne la quitte pas. Elle
ne saiL à quoi l'atLribuer.
Les personnes plus âgées, ayant eu maille à partir
�L~
FIANCÉ VE JOI>E;'r'l'E
63
avec les difncultés de la vie, connaissent parfaitement
cet état d'âme.
Elles le traduisent en afTirmant qu'elles possèdent
l'intuition des désagréments qui vont leur arriver.
Mais que peut redouter Josette? .. Elle vit en pleine
sécurité, auprès de parents qui l'adorent, ct dont la
tendre afTection suffirait à la garder do tous les périls,
si tant est qu'elle en eût à craindre.
Quoi qu'il en soit, la jolie blondo no connaît plus
cette joie dans laquelle elle vivait depuis son arrivée
au pays du soleil.
Et, comme si elle désirait se fuir elle-même, ou tout
au moins fuir le caùre de son insomnie, elle se lève
depuis deux jours de fort bonne heure, et s'en va,
Loute seule, fairo une longue promenade dans la direction du champ de comses.
Elle en revient, un peu avant l'heure élégante, pour
s'enfermer dans sa chambre.
Ce matin, uborbée plus que la veille, sans doute,
dans ses pensées attristées, elle a prolongé trop sa
promenade.
Si bien qu'à son retour, elle commence à croiser
nombre de voitures portant de belles occupantes.
Cela lui fait froncer un peu les sourcils. Car c'est
la corti tude pOUl' elle qu'un peu plus loin, ello so hourtera 3llX piéLons, et vralsemblablement, dans 10
nombre, à quolques-uns do ces jeunes gens acharnés
à l'accabler tIo prévenances.
EfTeotivement, à la hauteur d'un petit établissement
sis tout à fait au boru de l'eau, ct devant lequel il est
admis do s'arrûter pOUl' abnol'ber du porLo, 0110 tombe
dans un groupo uos jeune3 gens en question; ils sont
Lellemont occupés que, d'abord, ils ne l'aperçoivent
paÈllo se félicite déjà de ceL événemenL? quand l'un
d'eux, se rotournant, la voit, ct so p1'6cJpite pour la
salueI'.
Immédiatemont. les autres imitentleul' compagnon,
�64
LE FIANCÉ DE JOSETTE
et bientôt, elle est enlourée de sept ou huit élégants
qui s'inolinent tour à tour devant elle pour le shakehand d'usage .
Parmi eux, et venu le dernier, oontrairement à son
habitude, le comte de Canohès.
Il tient à la main un numéro déplié du Petit Niçois.
Agressive, Josette prononce:
- Ah !. .. l\L de Canohès vous faisait sans doute
un cours de politique étrangère?
- Mais non, mademoiselle, répond un des jeunes
gens sans comprendre l'ironie de cette phrase qui vise
la nntionalité du comte, M. de Canohès nous racontait
combien grande avait été sa surprise en voyan t arriver chez lui, hier soir, deux inspect eurs de la brigade
mobile, pOUl' lui deman 1er des renseignements sur
son peintre , "
Joselte blêmit.
Elle n'a pluo, cerles, l'esprit à persifler, maintenant.
Elle balbutie:
- Des nouvelles de son peintre ?.. . Que signifie? ...
Le Portugais ne l'a pas pcrJue de vue . Il r éJ)rimo
un sourire de triomphe, et laisse encore à un tIers le
soin d'expliquer,
- Mais oui, mademoiselle, L'auteur de cet assassinat, dans le train, c'est 10 pointre qui d6corait la splendide villa de notre ami, à Cimiez.
JOBelte a l'impl'ession que lout tourne aulour d'elle .
Elle sent ses jaJnbes flagooler,
La voi}Ç du jeune ma.rquis s'élève alors pour dire :
- Ne vous ' mouvez donc pas à ce point, mademoiselle; je suis sensible à celte marqua de volre sympalhie .. . Dieu merci !l'assassin n'a pas lenLé d'exercel' ses talenl:! chez J(loi.
Grâce à un appel à toute son énergie, Josette réussit
à se ressaisir, ct elle interroge d'uno voix blanche :
. - Le peinLre qui travaillniL pour vous? Un assassma.t ?... Que signiflt, cette énigme?
- Quoi jl VOU1 n'avez pas lu les journaux de cc
�LE
F[\~Ct
DE JOS ETTE
63
matin? Si vous voulez vous donner la peine do jeter
un coup d'œil, mademoiselle ? .•
Et Alonzo Canohès tend le journal à la jeune nUe .
Celle-ci le prend (l'une main lremblante et réussit,
à travers le brouillal'd qui obscurcit sa vue, à lire un
assez long article, dans lequel on conte en détail la
criminelle agres~ion
nu train de Paris, l'avanl-veiHe.
Le llom cie Lnc Fr'cinville y figul'r en loutes ]rlll'es.
Et le Pc/il JVicois ajoute aux l'ensc!f;llements douM'
pal' l'Agence Havas nnr enquête à l~icr
et nnr courte
Interview du' co 'Il le de Canohès.
lit pourtant les
Bien qu'elle soiL atterrée, .Jo ~iC lc
r!éclaraLions du PorLugais. Ce dernier fait l'éloge du
laient du peinlre, mais indique qu'i l sn livrait à Nice
il des dépenses très uu-drssus de ses moyens.
De là à croire qu'il conclut' ù la culpabilité de Luc,
il n'y a qu'un pas.
H ne le franchit pas, certes, de façon explicite, mais
cette opinion prrce entre ses paroles.
Josette Cernay retrouve peu à peu son sang-fl'oid.
Tout au moins, ce dont elle a besoin pour ne pas
défaillir devant ces jeunes gens. Une vive rougeur
fait suite à la pâleur qui avait tout à l'heurr (mvahi
~es
tl'aits.
Elle rend au comLe la feuille, et d'une voix coupante que Ja colère> plus que l'émotion fait tr"mbler,
elle d mande :
'; ~ péU' co journal comm/}
- Le>s propos rapoL
venant de vous sont exacts?
Alonzo de Canohés sent arl'i ver un orage d'une
violence donl il ne se doutait pns.
I! pâlit à son tOUI'. Mais comme il vient de Be taille!'
Ilu vériLnhle succès dans le groupe des.i unes gens,
l'U commentant ses déclarations ù la presse, il muI'.
mure;
-- Oui, mademoiselle.
- Eh bienl monsieur, vous rn avez menti. Vous
èLes un Jilr'he eL un goujat 1 M. Freinville Col un de
5
�66
LE FIANCÉ DE JOSETTE
mes camarades d'enfance . Je n'ai pas l'habitude de
laisser insulter mes amis. Je suis sûre, moi, de son
innocence . Et s'il vous plaît de soutenir le contraire,
il faudra que cc ne soit pas en ma présence; sans quoi
je vous apprendrai qu'en France, les femmes sont
quelquefois capables de défendre les absents.
'
Un silence de mort plane SUl' le groupe j Alonzo de
Canohès, de pâle, est devenu vert.
Il se mord les lèvres jusqu'au sana. Un pareil
esclandre est fait pour le perdre à jamais dans le milieu
des snobs qu'il fréquente.
La situation est presque inextricable pour lui.
Comment riposter à cette enfent déchainée? Il ne le
pourrait qu'cn sacrifiant définitivement ses espoirs
matrimoniaux .
D'autre part, reculer est également impossible.
C'est se couvrir de ridicule aux yeux de tous les spectateurs de cette scène inouïe.
Il prend donc le moyen terme, et aIIecte une courtoisie un peu condescendante vis à vis d'une représentante du sexo faible .
- Il va sans dire, mademoiselle, que vos opinions
sont pour nous une loi, et que je Buis tout disposé il
oublier complètement cc que je sais ct ce que j'ai vu,
si tel est volre bon plaisir.
(1 Je re~t
même de n'avoir pas connu plus tôt
les liens de camaraderie que vous évoquez. Je mc
serais efforcé d'atténuer nier mes déclarations à la
police. Et j'aurais été heureux de donner ainsi à cB
monsiour une chance - oh 1 bien faible! - de
salut ...
- Cela revient à dire, n'est-ce pas, que vous per.
sistez dans votre opinion SUl' M. Ft'oinville?
- Mademoiselle, vous m'embarrassez fort. Je SUIS
tout disposé, je vous le répèle, à travailler, de mon
~ncux,
dans le sens qui vous agréera. Mnis oomllle
ICI personne n'est de la police, jo peux bien dire}1l
vénté ... Je fais la part de votre nervosité à l'annonoo
�L~
FlAN ct DE JOSETTE
67
d'une nouvelle qui vous émeut à juste titre •.• Mais
me demander plus.,.
- Vous vous trompez, monsieur. Je ne vous
demande rien du tout. Vous êtes libre de garder votre
opinion . Ma,a je vous prie dorénavant de ne plus
vous trouver sur mon passage.
(( J'oublterai que "ous m'avez été présenté. Je souhaite que vous fassiez de même et que vous m'épargniez désormais l'insulte de votre salut.
Alonzo de Canohès est devenu livide. Les spectateurs de cette scène s'entre-regardent, oomplètement
éberlués. Sans tenir compte de leur stupéfaction,
.Tosette fend leur groupo et se diri;;o, silencieuse,
maintenant, vers l'hô el.
Elle trouve en arrivant sa mère penchée sur le Petit
Niççu, tandis que M. Cernay fait les cent pas dans
Je salon .
.
- Ma petite Josette, commence Mme Cernay, il
vient d'arriver une aventure .spouvantable. Quand je
pense que ce Luc Freinville était à NIC1:l; que nous
aurions pu le rencontrer: que tu amais certainement
causé avec lui, suivant Lon habitude; qu'il travaillait
chez M. de Canohès, c'est-à-dire qu'il a fallu un
ho.sard extraorJinail'e pour que cette rencontre n'ait
pas lieu; et que oe malheureux s'est laissé aller à une
acLion criminelle, comme le relate le journal, j'en
sUls complètement bouleversée.
La brave dame tenù 1 journal à sa fille qui fait le
geBte do le r'epousRer et réplL.{ue :
- Inutile, maman, je suis au courant. Et je viens
de dire à M. de Canohèll lui-môme oe que je pensais
de son attitude imbécile. Je l'ai prié de cosser de
m'adresser la parole. Si j'avais été homme, il aurait,
certainement, rcçu ma main sur la figuro .
~
Oh 1 s'6crie Mme Cernay, sidérée par ceUe violence froi 'le.
Quant à l'industdel, ill'egal'<;le sa fille avec des yeux
iltupid s.
�C8
LE FIANCÉ DE JOSETTE
Elle lui apparait sous un jour tellement différent
de la Josette qu'il connaît, qu'il n'en croit pa"! ses
oreilles.
.
- Il ne faut pas t'émouvoir ain si, maman. Je suis
absolument sûre que Luc n'est pas coupable. Ln
vérité se fera certainement jour avant peu .
- Comment peux-tu affirmer cela, mon enfant? Si
tn lisais a t tentivement le journal, tu vp.rrais que tout.
le charge.
r( Et puis, enfin, un garçon capable de se séparer
de sa famille comme il l'a fait, ct que tu as per'du de
vue depuis des années, peut avoir changé énormément. Tu cs bien imprudente en te faisant sa garante
avec enthousiasme. Et ton attitude envers M. dr
Canohès est vraiment ...
-J)'abord, je n'ai pas perdu Luc de vue. C'est si
vrai que je l'ai rencontré l'autre soir, à la redoute de
l'Opéra; que nous avons pa ssé un quart d'heure
ensemble; et que je lui ai confirmé mes promesses,
vieilles déjà d'un an cl demi.
- Tes promesses ... intel'fogc M. C rnay l'oreille
dressée.
- Oui, papa, J'aime Luc . Il m'aime . Nous sommes
fiancés.
La foudre tombant aux Qieds de 1\1. Cernay lui produirait salis doute un l'Ilet analogue à CE'Iui de la
phrase sèche de sa fille.
n balbutia :
- Fiancés 1." Tu cs foUe! .. . A vec quelle alLo·.i~u
Lion? ... Puis, toi, devenir' la f('mme de ccL individu ...
- Je L'en pfif', papa. Je vien:; ùe rabrouer verLm("n~
M. de Calloh H pour sa libCl'tr) de langage vis-à-vis
d'un abscnL, incapable de se défendre. Je compte
surtagénérosiLé pour que Lu 11e l'imites pus.
« Nous nous expliquerons à un anLl'e moment SUl'
mes. intentions n c qui conceme mon futul'
manage.
l( Pour l'instant mon devoir esL de ne pas resLer ici.
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
69
Je ne le pourrais d'ailleUl's pas, car tout m'y est
devenu odieux, depuis plusieurs jours '; et l'esclandro
que je viens de provoquer sur la Promenade des
Anglais nous y rondrait le séjour inLolérable. ,
cc Si tu m'en crois, nous partirons pour Paris dès ce
SOÎl'. Nous aurons le temps de nous étendre en route
sur l'histoire de mes relations avec Luc.
Elle ajoute:
- En tout cas, je te connais suffisamment pOUl'
savoir quo tu ne me blâmeras pas de ne pas abandonner, au moment où il est malheureux, celui qui a
été mon camarade d'enfance, avant de devenir mon
fiancé.
CHAPTTn.E IX
- Pourrais-je parler Ù lvI. Fernand Dissay?
- Je ne sais pas s'il est à Paris pour l'instant,
mademoiselle. Je vais voir au servico des informations.
Vouloz-vous avoir l'obligeance de mn l'omettre votre
carte.
'
J OGette fouille dans son petit sac ù main, et en tire
un bristol qu'elle tend il l'huissier.
Celui-ci traverse le vasLe hall, et disparaît derrière
une porLe.
JoseLLe Cernay est rentrée ù Pa l'is depllisla veille.
Malgré la violonLe colère qui a snisi son pèro après
ses déclarations très neltes relativement à Luc
gain do cause en ce
Freinville, la ,jeune fille a. o~lenu
qui concerne le départ de NICe.
L'industriol, à la réflexi.on, a j Ugll préférable de ne
pas heul'terde front Joselte, en proie à une exaltation
sans limite.
- Un LeI déchaînement, a-L-il dit ù sa femme,
s'accronrait encore s'il rencontrail uno résisLanco.
Mieux vaut avoir l'air de céder. Elle sc convaincra
�70
LE FIANCÉ DE JOSETTE
avant peu de la folie de ses illusions en ce qui touche:
ce garçon.
(( Il sera temps alors de ren~c
avec le cOJnte de
Canohès. S'il tIent à Josette, il passera facilement SUl'
les vi"Vacités de langage qu'elle a pu commettre à son
égard. Cédons, donc, sans plus attendre, et, après notre
rE1ntrée à ParIs, ne faisons rien pour restreindre sà'
liberté.
« Plus elle aura tenté de démarches on faveur de
ce dévoyé; plus, quand elle aura constaté elle-même
la réalité de son forfait, la réaction sera gri:mde, et le
dégoüt qu'il lui inspirera profond ...
Il a ajouté avec un soupir:
- Le mal était peut-être grand, mais le remède sera
énergique.
Malgré sa fébrilité, qui lui a ôté le sommeil depuis
l'efl'royable nouvelle, .Josette Cernay a réussi à dominer sa nerv.osité, afin de raisonner' le plus froidement possible sur les circonstances d'où découle,
l'apparente culpabiliLé de son fiancé.
Mais sef! réflexions sur ce point, autant à Nice que
durant le trajet de retour et les premières journéos
de sa réinstallation à Paris, ne lui ont pas permis
d'aboutir à une conclusion logique.
Elle ne peru pas, sans doute, SQ foi en l'innocenco
absolue de Luc. Mais, dans la leclure plus altentive
des journaux de ceux de Paris nolamment, qui,
l'actualité chômant, ont donné une grande place à cc,
fait-divers, elle ne réussit pas à trouver la moindre
fissure par laquelle clIo projetterait quelque lumière
sur ce chaos ténébreux.
Aussi, quand, brusquement, un nom ost venu à sa
mémoire: (( Fernand Dissay D, elle s'y est raccl'ocbée
C'Q'Y'me au seul Bpoil' de salut pour Luc FroinviUe.
Peut-être le journaliste, qui lui avait été présenté
par son fiancé le jour même de leurs fiançailles, c'està-dire lors de la, garden·party do Bagatelle, $'OCCupaltIl déjà de son ami. Josette a donc décidé de lui rend~
�LE FIANCÉ DE JOSETT E
11
une visite à. l'Aube, afin d'appre ndre à quoi a déjà
abouti l'enquê te qu'il a probab lement menée de son
côté •
... Josette Cernay n'atten d pas longtem ps. L'huiss ier
n'a pas disparu depuis cinq minute s qu'il revient , et
s'inclin ant avec les marque s du plus grand respec t:
- SI mademoiselle veut bien me suivre ...
A travers un dédale de couloirs, il condui t la visiteuse j Llsqu'à un petit bureau dans lequel l'attend le
grand reporte r.
Celui-ci, d'une taille un peu au-dess us dé la
moyenn e, possède un vi ~ age
rond, dans lequel
s'ouvre nt de petits yeux gris, sans cesse en mouve ment, et dont le regard est perçan t au delà de toute
express ion.
Mais ces yeux reflèten t, pour l'instan t, unique ment
une vive curiosi té.
Doué d'une mémoi re prodigieuse, Fernan d Dissay
se rappell e parfait ement le nom de JosetLe Cernay ,
et dans quelles ci.rcons tances il l'a connue .
Il SEl demand e ce qui. lui vaut sa visite. Elle n'est
pus, en eITet, de celles qui peuven t venir en solliciteuses près de lui.
Elle n'appa rtient ni au monde du théâtre , ni à celui
des bas-ble us. Elle n'aspir e à nulle publici té. En quoi
a-t-ell 'l donc ber,oin de lui?
- Peut-ê tre est-ce pour Luc Fr~invle.
Depms
fort longtem ps, il n'a plus donné de nouvel les.
Serait-il malade ?, ..
Il n'a pas le temps de formuler cette questioJl, cur
la jeune fillü, dès son cJltrée, passan t par-des sus
toutes les phrases prélimi naires, interro ge avidement.
- Dites-moi vite ce que vous savez . Je meurs
d'angoisse.
Les sourcils du journal iste remont ent jusqu'à se
trausfo/'mer en accents circonl Lxes, et sa. boucho
s'ouvre de stupéfa ction.
�72
LE FIANCÉ DE JOSETTE
Il ::t CU dam sa vie l'occasion de connaître quelques
surprises, mais pas encore de ce calibre-là.
Il J1mrmm'c:
- Mais, mademoisclle, à propos de quoi?
Un découragemenL sans limite faiL pla~e
il. ]a
lièvre, chez Joselte. Elle sc laisse Lomber sur un Riègo,
sans même y êLre invitée.
Bile balbutie:
- Mon Di0U 1 Mais vou:; n:a 'e~
donG J'ien fait pOllr
Luc.
- De gl'âce, mademoisoll(', expliquez-yoult. Pour
Luc, vous savez bien que je ferai n'importe quoi J
Encore faudrait-il que je susse dans quel ordre d'idées
j!' dois agir. Qu'a-t-il ? Est-il malade? ..
Et comme le visage de la jeune fille se convulse
pour retenir' nn sanglot, II' reporteJ', bouleversé,
!Ijoutc :
- Quelle que soil 1(1 question, mademoiselle, ne
vous désolez pas ainsi. Je poux pas mal de choses,
malgré ma modeste situation. Qu'y a-t-il?... La
l'umill!' de Lue, sans rloul!'? J'ignore lout. Je suis
J'cnt!'!'! Ù midi d'un voyage à l'étranger.
- Toul. s'I'xpliquc <llor5! f;'excl3mo la jeune fille
douLC', la terriblE'
soula.gé!). Vous n'avezyHls Ill, ~HUl;'
aVl'nLul'o;'
-l\l,li; l;)r!llCllf' :'
- Luc est ar'rH,., fler'usé d'ilvoir as, aS~jiné
dans un
t,'Qin un voyageur pOUl' le voler.
Fernand Dissay pâliL.
I! r6pùLc, d'un ton qlli ll'Urluit immf;dialemcnl une
vive inquiétude:
- Accusé d'avoir assasliiné un voyageur? Mais
c'esl fou 1. .. Où ?... Quand ...
Puis, sans attendre 10. réponse de sa visiteuse, il
presso sur un bouton, ct au garçon accouru:
- La collection, de;puis mon départ, vitel
Avant que Josette ait achevé- le récit dB J'événement,
iJ a. déjà les numèros de l Anbe entre les mains, (t
�LE FtANCî, DE JOSETT E
parcou rt rapidem ent les reporta ges dG' SPS confrèr es.
Il passe sm son front une main trembl ante et
murmu re:
- C'est complè tement idiot!.. . Mais toutes let;
appare nces semble nt plaider contre lui ... Venqu ête a
dû être mfméo d'une façon ridicule . Voyons , que
savez-v ous, vous-m ême ? .• Qui pourra it avoir ell
intérêt à perdre mon ami il Il Y a certain ement dans
tout cela quelqu e chose de très louche.
Josette hésite un long momen t avant de répond re.
Elle cherche éperdum ent. quel cnnemi pouvai t avoir
Luc.
Elle connaî t, en somme , très peu de sa vie, puisqu e
elle est restée des mois et des mois sans le voir.
Et lorsqu' ils se rencon trent, comme l'autre soir Ù
la redoute , ils ont tant à sc dire que Luc ne lui parle
gUèl'C des menus inciden ts de son existen ce quotidienne.
S'il s'est créé des adversa ires, ('Ile l'ignore tout à
fait.
Mais ùes l'ivalitù s ul'LisLiqncs sonL-eUes assez
vigoure uses pOUl' déclanc her d'aussi odieuse s machination s?
EUe faiL paJ't finalrm cnt ùe ceUe hypoth èse au
journal iste, qui l'i Itcrl'ompL pl'osque aussitô t en
disant:
- Non, madem oiselle! .. , Nonl ... de cc côté-là,
nous ferions fausse route.
cc Pendan t que vous réfléch issiez, je songeai s
à mon
tour. Si je ne connais sais pas le profond amour de
mon camara de pour vous, et sa condui te exemplaire, jc pemera is plutôt à uno vengea nce féminine.
Cl
Cola ressem hle assez à la méLhoùe de ceriain r"
femme s, résolue s ntout pour punir un infidèle . Mais
cpla n'entre pas en questio n avec Luc ...
Josette a rougi cn entend ant rappck r la tendres se
cl" son fiancé à son égard.
�LE FIANCE DE JOSE:TTE
Et cet hommage rendu à sa fidélité, ne la laisse
certes pas insensible.
Un peu gêné, le jeune hommo reprend après un
silence:
- Excusez -moi, mademoiselle, de vous poser une
question qui vous semblera peut-être indiscrète; mais
au point où nOLlS en somme3, il ne fauL pas que des
vétilles de ce genre nous arrêtent dans l'effort à tenter
pour sauver cc malheureux.
« Veuillez me considérer un peu comme son grand
frère, et répondre sans ambages.
- Parlez, monsieur, je vous jure de vous dire tout
ce que vous me demanderez.
- C'est très bien, mademoiselle. L'hypothèse de
la vengeance d'une amoureuse délaissée s'écarte
immédiatement.
« Il nous faut songer à la contre-partie. N'existe-til pas dans vos relations, un jeune homme susceptible
de se trouver lrsé ou de le croire par votre affection
pour Luc Freinville?
Ln jeune fille a un mouvement, et réplique:
- Impossible monsieur ... Tout le monde ignore
encore notre tendresse récipropre. Je viens sou!ement,
il y a trois jours, de l'avouer' à papa ct à maman. Nul
ne ponvait donc en prendre ombrage et chercher à se
débarrasser, en mon pauvre Luc, d'un rival dangereux.
- Etes-vous sûre de n'avoir jamais été surprise
avec lui?
- Hélas l Nous nous sommes vus si rarement 1Deux
fois en un an et demi 1 enoore la seconde entrevue at-elle cu lieu en présence de maman.
« Il a fallu un hasard extl'aordinaire pour nous
mettl'e en présence à Nice, cL me permettre de
m'enlreLenir un insLant avec lui sans témoin.
Brusquem ent, elle murmure:
Oh 1 A moins cependant que ...
-:- A moins que quoi \.. presse Fernand Dissay,
flaIrant UllP. indicaLion précieuse.
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
75
- C'est toute une histoÎI'é. Le propriétaire de la
vill.a gu'iI .déc.orait s:était. avisé de me faire la Co~l'.
Mals Jé SUlS bIen sure qu'Il ne nous a pas vus ce sou'là. Contrairement à toutes les probabilités, il n'est
pas venu à la fameuse soirée.
- Ah ? .. vous dites, contrairement à toutes les
probabilités. Il vous avait donc prévenue de son intention de s'y rendre?
- Certes. Il avait même soud~é
une des femmes
de chambre de l'hôtel pour connaître mon déguisement;
et c'est ainsi que Luc, ayant surpris une conversation
dans laquelle il était question de moi,a pu me joindre.
- Singulier !. .. Et vous me dites qu'après cela, il
n'est pas venu?
- Mon Dieu!. .. Je ne l'ai pas vu de la soirée en
toul cas ...
- Alors, il y a gros à parier que, contrairement à
Loutes vos prévisions, il vous ~ vue, lui. Et s'il ne
s'est pas montré ensuite, c'est peut-être il. cause de la
rage suscitée chez lui par le tête-à-tête dont vous me
parlez; peut-être ... Maia Luc était déguisé, lui aussi i'
- NaLurellement. Il était en Pierrot.
- Avac un masque i)
- Oui, un loup. Mais pourquoi?
- Parce qu'à la place du ciloyen en question,
j'auraIs voulu savoir, moi, quel était mon rival préféré.
« Et je l'aurais sUIvi à la sortie jusqu'à co qu'il se
démasque, ou me conduise il son domicile, au cas où
son visage découvert ne m'eftt pas suflsamment
renseigné.
- Oh ! vous croyez que ...
- Je ne crois rien, mademoiselle. J'envisago
seulement une possibilité.
- Mais c'est eITl'oyable 1. .• Le comte de Canohès,
se livrer à une machination aussi odieuse 1. .•
- Notez que je ne l'accuse pas encore. Je note
seulement l'intervention possible, cn cette affaire, d'un
candIdat évincé.
A
�76
LE FL\~CÉ
DZ JOSETTE
Josette se tait de nouveau, ~t apr;~s
une méditation
très courte, reprend:
- Evidemment... Le ton de sa déposition... Son
attitude quand je l'ai rencontré le surlendemain ...
Tout cela est bizanc, el voLre hypothèse me tl'ouble
infiniment.
Le journaliste se hâte de conseiller:
- Ne YOUS laissez pas uller) mademoiselle, à des
soupçons trop prücis. Il no s'agit dans mon esprit
que d'une indication très vague .
« II me faut voir les choses de plus près, avant de
me prononcer . Je sUls bien fatigué, après un voyage
très long. Mais il ne saurait être question d'écouler
ma fatigue, alors qu'une accusation si grave pèse
sur mon jeune camarade.
« Dès ce soir, je vais parLir pour Valence . .le verrai
(m tout cas le juge, et si besoin est, je pousserai
jusqu'à Nice.
- Oh 1 oui, monsieur, prie JoseLLe en joignant les
mains. RefaiLes-la, cette enquête . Montrez combien
injustes sonl les accusations portées contre Luc pal'
M. de Canohés. Je suis sûre qu'elles constituent un
des éléments les plus graves, à la charge de mon
fiancé. Et s'il faut engager des dépenses, n'hésitez
pas; toute ma bourse de jeune fille est à votre
disposition pour cela; et pal' chance, clle se trouve
assez copieusement garnie.
Fernand Dissay sourit, et sc levant pour reconduire
Mllo Cernay répond:
- Inutile, mademoiselle, d'engager des frais de ce
genre. Je vais partir churge> d'une enquête nouvrlle
pUI' l'Aube. Sa caisse peut payer l. ..
�LE FIANd: DE JOSETT E
CHAPITRE X
Fernan d Dissay , avaLt la trentai ne sonnée, est dèjà
une notorié té du reporta ge parisie n.
Il ona réussi de telleme nt difficiles, tenus réellem ent
pour impossibles, aussi bien par ses confrères que par
l('s directe urs des journau x il qui il les a proposés, que
quand il pénètre dans le bureau du rédacte ur en chef
cie l'Aube, afin de lui proposer quelqu e nouvelle
expédi tion, il obtient imméd iateme nt gain de cause.
Pourta nt, quand, cinq minute s a,près le départ de
Josette Cernay, il franchi t une fois de plus le seuil
(lu cabinet directol'al ct déclare tout de go : « Je pars
ce soir à neuf heures pOUI' la Côte d'Azur ll , son
interlo cuteur interro ge:
- Pourqu oi faire, grand Dieu? La saison est finie,
ou sur Je point de finir ; e~ pas le moindre scandale,
pas lallus petite histoire à sc mettre sousIa dent ...
«
moins, mon cher Dissay, que vous ne
vouliez vous reposer un peu ?.. Vous en avez
le droit, après le travail quc vous venez de fournir.
- Mo repose r? 11 n'cn est pas question. Il s'agit
de l'affaire du train 17.
- L'affaire Freinvi lle il tllais qllc voulez-vous
chel'cher à ce sujet? Tout a été dit.
- Toutcs les âne ies poa~
; jbles,
oui, nous sommes
d'accord
Interlo qué pat· ccLLe réponse, ]e f(;Jactcur en chef
IG l'cgnrdo et murmu re:
- Vous ôtes sévère pOUl' Pagès.
- Dieu m'en garde! CeL cxcellenL gaJ'çon a liré
vraime nt de la chose tout co qu'olle pouvai t donner ,
avec ce qu'il savait. Mais il se trouve, moi, que j'ai des
\ ' ('n~eigl1mts
particuliel's. Une fois de plus,
�78
Lt PIANCi!: DE JOSE;TTE
l'Aube va, je crois, apprendre à la police un peu de
son métier.
Cette affirmation, venue de Fernand Dissay, vaut
une certitude . Le visago du rédacteur en chef s'éclaire
d'un sourire de satisfaction et il s'écrie:
- Ah ! de la bonne « copie » , alors , en perspective?
- Je l'espère. J'ajoute, car je ne veux pas vous tromper, que je pars avec un parti pris formidable.
- Vous n'allez pas saccager ce pauvre garçon? Ila
beau me paraitl e tout ce qu'il y a de plus coupable,
je ne puis me défendre d'une certaine sympathie . Je ne
le connais pas, mais c'est un sentiment irrésistible, né
du courage qu'il manifestait dans la lutte pour la
vie.
«( Pourquoi diable s'est-il écarté de la peinture au
moment où l'on commenç'ait à parler de lui? Je parie
qu'il a joué là-bas, hein?
- Si vous no connaissez pas Freinvillc, je le connais l
moi. C'est un do mcs hons camarades . Je suis sû.r qu'il
est innocent. C' st la démonstralion de cette fameuse
innocence que je compte prochainement donner dans
les colonnes de l'Aube.
De plus en plus surpris, le rédacteur en chef fait
entendre un léger sifflement, mais no discute pas .
It altire à lUI un bloc, et demande:
- Combien, su l' la oaisse?
- Heu 1. .. La provision ordinaire. Je ne pense pas
.
avoir de très granùs frais .
- Vous partcz il quelle heure?
- A neut heures cinq.
- Ce n'es~
pa~
le meilleur tr.lin.
- Sans doute. Mais j'ai encore affuireà Paris. Jene
vous ai pas donné mon dernier « papier JJ de Bulgarie.
Et puis, fal envie d'aller faire un tuur à Valence chez
le juge d instruction.
- Le p IUvrc homm 1 murmure, Iause(lment apitoyé, le rédaoteur en chef.
- Çal après ce qu'il a laissé public!' par les con-
�LE J:lANCÉ DE JOSETTE
79
frères, s'il n'a pas la preuve formelle de la culpabilité
de mon camarade, je lui en réserve de dure:; ...
Une heure plus tard, le dernier arLicle de son
l'eporta*~
, à l'étranger est terminé, Fernand Dissay
- quitte lA tbe aussitôt.
Il fait si.gne au premier chauffeur qui passe, et lui
jette :
,
- Rue des Saussaies . A la Sûreté Générale .
Arrivé à l'adresse qu'il a donnée , il descend de son
véhicule, et dit au chauffeur:
- Attendez-moi dix minutes.
- Bien, répondl'autl'e, en le voyant disparaîLre SOUR
la porte cochère connue.
Deux étages gravis quatre à quatre, et le reporter
demande au garçon de bureau:
- M. Tram çon est là?
- Je vais voir, monsieur Dissay. Pour vous, c'est
probable.
,
EfIectivement, le journaliste est aussitôt reçu par le
chef du service de Contrôle de la Sûreté Générale;
celui de qui dépendent directement toutes les brigades
mobiles de France.
- Quel bon vent, mon cher Dissay?
- Du très mauvais. Vos commisaires et inspecteurs
en ont fait de belles .
- Diable 1 répond en souriant le haut fonctionnaire,
qui connaîL le caractère combatif de son interlocuteur.
Qui allez-vous ('ncore écraser, de ce coup-là?
- Ceux de vos subordonnés qui séVIssent dans la
région de Valence, mon cher monsieur Trameçon.
- Qu'est-ce qu'ils ont fait? interrogea sur le mêmr
l,on le contrôlour général.
- Ils ont coffré un innocent! parbleu!
- Eclairez votre lanteme. Lequel?
- Luc Freinville, dans l'affaire du train 17.
M. Trameçon pouffe.
- Ah ça 1 vou!:! déraillez? Je sais bien qu'il s'agü
d'une histoire de chemin de fer ... Mais lout de même ...
�80
LE FIAi'lCÉ DE JOSE'f'U
Innocent, le monsieur qu'on Lrouve en Lêle-à-tëLc, ou
presque, avec un cadavre, et porteur du portefeuille
de la victime .
- Ouais l d'un voyagtllll' don L le portefeuille esl
vide .
- Mais . ..
- Freinville avait sur lui los dix mille ft'uncs qu'il
venait de toucher de M. do Canohès . Comme on n'en
a pas trouvé davantage sur lui, ilfaut en conclure que
la 'vicLime dont YOUS parlez voyageail « sans un Il. Je
"ais bien que les fauchés se paient plus yolontiers des
premières afin J'être moins dérangés, mais tout de
même 1. ..
Le front de M. Tl'aIDOçOn se rembrunit.
Il murmul'e :
- Vous avoz des tuyaux personnels sur cette aUaire?
- Peut-être. En tout cas, je suis sûr de ce que je
vous dis là. Au fait, une question, voulez-vous?
- Deux.
- Expliquez-moi pourquoi vos communiqués et
ceux du juge d'instruction sont muets sur l'adrosse de
cette victime jl
Le haut fonctionnaire sursallte. Il répond, mais d'un
Lon hésitanL :
- Qu'est-ce que vous me raconlez-là?
- Relisoil los rapports de votre commissairo, ('hol'
monsieur Trameçon. Jo ne les ai pas encoro ou entro
Iles mains, je me hâle de vous le dire.
« Mais enfin, il y a assez longtemps que je lis ks
,communiqués de votre boite pour savoir qu'ils sonl
faits sur un moule inusable dans lequel figurent for('ément quelques déLails, si succincts qu'ils soienL, SUL'
la viclime; saufnalurellcment lorsqu'il s'agit de quelque
lrès haut personnage, donl on a dos raisons de ménager la famille. Mais alors, los dils communiqués
~'évêLent
une forme gênée, qui n'échappe pas à un vioux
,IO\ll'nali'.!te comme moi. 01', rien cie pareil dans ceux'
la ...
�LE FI.\.NCt DE JOSE 'rTE
- Le diable d'homme !. .. Onnepeut rien Iuicacher ...
Puisque vous avez tiqué là-dessus, inutile que je joue
au pIns fin avec vous. C'est vrai, sur ce M. Barcou, on
a trouvé pas mal de papiers, mais aucun indiquant son
origine ni son domicile.
« Nous espérions que la publication de son nom
suffirait à nous amener des visites ou dos lettres de
proches parents. Et personne n'a bougé encore ...
Fernand Dissay n'a pas parlé tout à fait au hasard.
Mais :il n'espérait pas cependant un succès aussi
immédiat. Il se frotte les mains en murmUl'ant :
- Mon cher monsieur Trameçon, on peut dire CH
qu'on voudra, mais dans notre métier il faut toUjOUl'b
piétiner sur los plates-bandes.
« Si je ne vous avais pas mis le couleau sur la gorge,
vous me cachiez un détail dont j'avais le plus grand
besoin. Il est vrai que je l'aurais reconstitué sans vous.
Mais c'est toujours quelque templl de gagné, et je tiens
à aller vile.
- Pourquoi cette hâte?
- Primo: pour ne pas être grillé pal' un confrère
plus malin; secundo: parce que le coupable que vous
avez trouvé est un de mos meilleurs amis ...
- Vous m'en direz tant 1... Alors, je peux préparer la mutation de mon « spécial » hein? ..
- Je le cl'ains. A moins qu'il n'ait raiL l'éellemenL
tout son métier. Auquel cas, cc n'est pas sa peau quo
j'aurai, mais celle du juge d'instruction. Car, forcémenl, l'un des deux est coupable.
- El peut-on vous demander où vous allez d'abord?
- Aucune raison de vous 10 cacher [ TouL droil à
Nice [
- Si je vous connais bien, cela signifie que vous
d6barquerez ft Marseille ou à Toulon n'esL-ce pas?
Le journalisto sourit, el répond, do son air le plus
naïf :
- Pourquoi suspecter ma bonne foi?
' - « Chat 6chaunél D ... Vous me l'avez déjà faite.
S
�82
LE FIANCÉ DE JOSETTE
- A qui la faute? Je vous ai dit que je voulais travaillet seul et tranquille, et, régulièrement, vous me
coJlez deux inspecteurs dans les pattes, dont la seule
présence m'empêcherait de réussir, neuf fois sur dix,
si je ne savais les semer aussitôt. Je ne leur en veux
pas, vous savez; mais ils sont un peu voyants, vos
gens ...
- C'est bon! On vous laissera travailler en paix.
Mais j'ai bion pellr que, pour une fois, vous manquiez
de flair, mon cher : les antécédents de votre ami
plaident contre lui.
- Confondriez-vous votre bureau avec celui d'en
bas: ( Recherches dans l'intérêt des familles? ,l Car
je crois bien que le seul reproche que vous puissiez
faire ft ce jeune Freinville, c'est de s'ètre mis en révolte
ouverte contre son avoué de père, qui détesto la peinture.
.
- ça ... Et d'autres choses aussi. .. Ses depenS8f:
somptuaires à Nice, entre au1res ...
- Bah! Pourquoi ne di les-vous pas tout de suite
qu'il y a une femme derrière? goguenarde le journa-
liste.
- Si je ne le dis pas, ce n'est pas faute de le pen-'
sel'. Mais, comme vous l'avez déJà deviné, et comme
vous en triomphez sans modes lie, justemont il a
été impossible, jusqu'à présent, de trouver cette
femme.
Le journaliste se met à rire, et se lève. Il tend la
main à son hôte en lui disant:
- Alors, oher M. Trameçon, un conseil : faites
jouer le télégraphe tout de suito, et dites à votre
commissaire de S6 dépêcher ùe la trouver. Dan!l
quelques jours il ne sera plus temps 1
- Allons, Disstly, !loyez ohic 1donnez-le m.oi, V'otre
tuyau 1
- Mtllo regrets, mon cher M. Tl'ameçon. Mais je
ne Sùis pas candidat à un poste chez vous. Et tant
que je mangerai au l'atelier de l'Aube, vous 30ulIl'irez
�LE FtANCli: DE lOS:ETTE
83
qU& je ~éel'v
à. cette honorable ffiLl.ison la primeur
de mes mformatlons.
Lé contrôleur général lève les bras au oiel.
Et le repolter dIsparaît, dégringo'ant l'escalier avec
,la rn/hue agilité qll'ill'a monté tout à l'heure.
- Fel'Mnd Dissay 1. •• et l'ién autre sur 00. Carte.
Qu'est-ce qu'il me veut, ce monsieur 1 D'où tombe-t-
iU
- Je crois, à SOn accent, monsieur la juge d'ins·
truction, qu'il arrive de Paris.
~ Mais ~i monsieur le juge d'instruction veutme perrnettré, je lui ferai observér que le nom de ce monsieur
est assez connu.
- Assez connu, bougonne M. Sécorille ..• Qu'entendez·~ous
par là?
-: C'est un journaliste qui écrit dans l'Aube.
- S'il n'est connu que pour cela 1 murmure dédaigneusement le magi~tr.
.. Enfin, s'il s'agIt d'un
journ lliste, faites-le entrel'. Je n'ai pas de ra lBOilB de
lui refuser des renBtlignement9, alors que j'en ai
donnés à tous ses confràres j il ya queillues jours.
Ma.lS l'Aube dont vous me parlez, n'étuit-eUe pas représentée?
- Si fait, monsieur le juge d'instruction. Par un
homme bion gentil, ma fOlI ..•
- C'est Vl'QI • • • Il me s"mble m'on souvenir. Alors
pourquoi m 'en voie-t-on celui-là?
Le grdIier esquisse un geate d'ignorance et répond =
- 11 vous le dira oert uinement, monsieur le juge
d'instruction ...
Et le digne hommo quitte 10 cabinet de M. Sécorille
pour appeler Fernand Dissay qui fait les cent pa
dans le couloir l un peu nerveusprncnt.
, - Vous déslrûz me voir monûeux' ? demando du
�LE FBNC"(.: DE JOS ET;'''';
haut de son faux col le juge d'instruction. Mon greffier me di.t que vous venez proba.blemen t en qualité
de journaliste? Votre carte ne donne là-dessus aucune '
indication.
- Excusez-moi, monsieur. Ma qualité de journaliste est une de celles dont il ne faut pas 8e targuer,
surtout vis-à-vis de certains fonctionnaires.
« Je ne dis pas cela pour vous . J'ai vu avec plaisir
que vous ne cachiez rien à mes confrères de ]a façon
donL vous entendiez mener votre instruction ...
« Tant d'autres se montrent si. peu abordables 1. ..
Aussi, je me permets de venir vous demander, sûr
d'avanre de votre accueil, quels progrès a fait, ces
joul's-ci, cette inslrudion?
1\1. Sécorille ne peut pas ne pas reconnaître le persiOage sous le ton du visiteur. Aussi, répQnd-il sèchement:
- Précisémrnl, monsieur, il ne m'est plus loisible de parler aussi librement que je le faisais à l'origine . Si vous vous reportez aux indications données
à vos confl'ères, vous constaterez que je leur ai eom·
muniqué ce qui était Sil de tou~
le monde déjà. POUI
le reste, je commettrais une lourde faute en gênant,
par des détaIls circonslanciés, les recherches entreprises sur mes indications.
- Je suis bion fâché, dans ces conditions, monsieur'
le juge d'instruction, d'avoir fait le voyage de Paris.
Ou plutôt de m'aire arrêtû pour prendre contact avec
demi-journée perdue. Et puisque la
vous . C'es~ln
police travaille sur vos indications, il serait ul'gent
pour moi d'aller vil.<.>. Je compte bien trouver avant
elle et l'adresse de la victime, et celle de la demimondaine pour qui M. Fl'einviUe aurait dépensé
joyeusement une somme, mon Dieu 1 rondelette, qu'il
aurait voulu remplacer par cell', exactemenl ùe
même valeur - voyez comme tout s'arrange 1 -trouvée dans le portefeuille de M. Barcou.
Le journaliste a prononcé tout cela d'uu ton
�LE l'lANCÉ DE JOSETTE
83
très doux, et d'un air de parfaite candour.
Pourtant, le juge d'instruction rougit violemment, et bégaie:
- Que .. . que voulez-vous 'insinuer, monsieur? .. .
- Moi? ... insinuer quoi quece soit? Oh! loin de moi
cette pensée, monsieur le juge d'instruction; mais je
vous fais part. simplement de quelques observations que j'ai soumises à M. Trameçon, 'avant de
quitter Paris . Le contrôleur général de la Sûreté n'a
pas crû devoir me démentir quand jc lui ai dit ma
cortit.ude quo les recherches de ses agents étaient
orientées de ce côté-là.
« Il importe donc pour la saLisfaction des lecteurs de
l'Aube que j'arrive avant eux.
-Mais, monsieur, je ne sais pas jusqu'à quel poinL
vous avez le droit de gênt!r ainsi les recherches de la
police officiell .
- Insinueriez-vous à votre lour, monsieur le jage
d'instrucLion, que les journalistes feraient partie
d'une police privée? Il ne le faudrait pas, vraimenl. ..
Sans quoi le public no manquerait pas de reconnaître
la supériorité do cette police privée sur l'autre. Et ce
serait, croyez-moi, du plus fâcheux effet.. .
« Non, laissons la police agir d'un côté , les reporters de l'autre. Et plaignez simplement ces derniers
de ne pas avoir pour les guider les instructions que
vons n'avez pas épargnées aux premiers ...
« Vous avez dû leur dire éga.lement, de retrouver
tous les voyageurs du wagon tragique, n'eat-ce pas? ..
.Te m'en occuperai aussi ... Dommage que VOltS ne m
donniez aucun tuyau là-dessus. Je tâcherai de m'CIl
passer ... M. ' le juge d'instruction , j'ai
bien
l'bonneur dl! vous saI uer!
Fernand Dissay s'est levé, et avant que M. Sécorillc
ait pu revenir de l'indignation qui l'étrangla, il a déjà
disparu dans le coul )ir ct arpente le rues de Valence
à grands pa' dans la direcLion de la gare où il va
prendre le prochain tl'ainpOLll' la Côte d'Azur.
�86
LE FIANCÉ DE JOSETTE
Chemin faisant, il murmure:
- C'est égal 1 Je crois qu'une fois de plus, suivant
le principe que j'exposais à ce brave M. Trameçon, je
viens de piétiner un peu les plates-bandes L .•
CHAPITRE XI
En attendant l'heure de son train, Fernand Dissay a
eu le temps d!3 se faire montrer la voie de gar~e
sur
laquelle est placé le wagon mis sous scellés, et d vhtenir d'un homme d'éqUlpe quelconque le numéro du
compartiment, et celui des plaoes occupées par les
deux acteurs présumés do cette scène tragique: la
victime et l'inculpé.
Malgré la nervosité explicable qui l'a envahi depuis
la visite de Josette, il possède suffisamment de maitrise de soi pour dormir durant le trajet.
!lIui faut en effet être lucide pour débrouiller cet
échrveau qu'il devine compliqué.
Or, pas de lucidité sans somrr eil ; c'est du Troins
sa théorie. Quand tous ses confrèrrs galopent des
nuits entières à la pours11ite de l'élément mdispensahle d'une enquêLe, il va, lui, S8 coucher et attend,
suivant son expression, « qu'il fnsse jour)).
Il s'en est toujours bien trouvé, ot s'impose de ne
pas s'écarter de ceL te méthode, alors même que son
meilleur ami est en causc.
I! est réveillé pur le convoyeur, quelquos minutes
avant l'arrivée à Nice, et en descendant du train, il
sc fait conduire à l'hôlel Royal.
C'est à dessein qu'il a choisi de préférence à tout
autre, cet établissement qui abrit~
la famille Cernay.
Son intention promière est de ne pas négliger le
�LE
F~ÇÉ
DE JOSETTE
87
rOle de ladite famille. Il est convaincu que le no;lud
de l'intrigue est Josette el1e-même.
Plus il réfléchit, moins il voit d'autre explication
posslble à ce drame.
Mais, en admettllnt ridée d'une accusation forgée
de toutes pièces contre son ami, afinde l'évincer delns
une compétition dont l'héritière de la fortune du
grand industl iel est 'l'enjeu, il se trouve en présence
d'une formidabl~
inconnue.
- Tout cela est fort beau, monologue-t-il à part
soi. Mais il y a un cadavre qui me gêne joliment l. ..
Ah 1 on l'aurait accusé de tout autre chose, je serais
beauCQUp mçins embarrassé. Mais cet homme? ..
Ce Bareou à 1 adresse inconnue? .. D'où sortait-il? Il
n'est tout de même pas admlssible qu'on ai tué un
homme uniquement pour faIre accuser Freinville de
son assassinat 1 Alors? '"
Cela complique terriblement, en effet, le problème
à résoudre.
Aussi renonce-t-il, pendant qu'il prend un bain, à
faire jaser d'abord le personnel. Il s'habille, sort,
remonte paisibloment l'avenue de la Vicloire, apràs
avoir traversé la place Mas~én,
et s'en va au bureau
de location du P.-L.-M.
Une jeune préposée, toute souriante, le reçoit.
- Pour quelJo heure, monsieur?
- Je vous dirai celu bHmLôt. Pour le moment, je
viens vous parler du passé. ConLrai.rement à ce qui
pas
conseille la chanson, j'espère que vous ne l'aYe~
encore oublip-...
Cette façon joviale de se prosenter, si diITérente de
]a raideur des Anglais, ou des snobs qui forment la
majl:mre partie de la clientèle de la préposée, a le
don d-e dérider celte deI'nièro qui réplique:
- Vous n'êtes guère galanL, monSIeur. Comment
voulez-vous qu'à mon âge j'aie déjà un passé?
- AXe 1je touche les épaules du premior coup. Jc
n'entroprendrai dono pas la lutte avec vous. J'aime
�88
LE PlANet DE JOSETTE
mieux vous dire lout de suite qui je suis! un malheureux journaliste chargé de découvrir du nouveau
sur une affaire dont on a déjà tout dit. Vous vous
rendez compte si c'est gai!. ..
- J'aurais tout de même de la peine à vous
plaindre. Vous n'avez pas l'air birn malheureux.
- No vous fiez pas aux apparences, mademoiselle.
Et soyez gentille: voyez un peu dans volre livre, et
dites-moi quand on est venu louer la place numéro 3
du compartiment 4 dans le train 17 de ffilll'credi dernier?
La jeune fille , toujours l:iouriante, atteint UIl
registre et murmure :
- La place numéro 3, dites-vou/>? .. Mais ... il
s'agiL d'un compartiment couchettes.
- Oui, c'est bien cela.
- Alors, les deux couchettes du bas, le 1 et le 3,
ont été louées en même temps.
Fernand Dissay sursaute .
D'une voix étranglée il mUl'mure :
- En même temps, vous êtes sûre de ne pas VOliS
tromper, mademoiselle?
.
- TouL à fait sûre. Elles ont été délivrées le lundi,
aprèR six heures.
-Comment pot1 vez-Yous préciser l'h('ure, mademoi.
Relle?
- Parce que c'est moi qui les ai données.
- Ça, pal' exemple 1 c'es1. une chancé 1 Mais pel'mettez-moi d'insister: comment vous souvenez-vous
que Irs deux places qui ont Hé loures à ce moment-là
sont bien les deu. qui nous occupent?
- D'abord, mon écriture sur le registro, ,cher monRieur. EnsuiLc, un petit fait qui vous échappe, li VOUR,
mail) qui ne peuL manquer d'at.tire!' l'attrntion de
crux qui sont dans le seCI'et.
- Oh 1 mademoiselle, si vous êLù3 grntille, vous
me direz un peu de quel sec!'et il fl'agit. Je vous pro-
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
89
mets une corbeille de fruits confits de chez Vogadc,
si vous vous montrez indiscrète.
- Ah ! si vous me prenez par mOIl faible! répond
en riant la jolie fille ... Mais ne croyez pas que ce soit
l'appât de cette corbeille. Puisque vous êtes journaliste, vous n'ôtes ici que de passage. Vous ne risqueZi
donc pas d'abuser de ma confidence.
(( Voici :- aucune place du compartiment numéro 4
n'est louée à Nice, en saison, plus tôt que l'avantveille du départ du train à six heures du soir. A ce
moment-là, nous recevons un télégramme de Marseille
nous disant quelles places restent disponibles dans
ce compartiment, réservé jusqu'alors à la location.
dans cette dernière gare.
, - Je commence à comprendre.
- Vous êtes intelligent. Vous saISIssez qu'ayant
reçu moi-même ledit télégramme, j'ai pu répondre
affirmativement à la personne qui voulait ces deux
places-là précisément.
- Ah! ... on voulait celles-là, ct pas d'autres?
- Oui!. .. Il Y a de ces maniaques 1 Naturellement,
du moment que le Lélégrammr marseillais libérait les
deux eoucheHes du bas, je n'ai pas eu de raison pour
refuser. J'ai même remarqué qu'il était étrange que
les clients marseillais aient loué les doux couchettes
du haut, alors que, généralemenl, ce sont les autres
que l'on préfè·re.
1
- En cITet ! murmure Fernand Dissay .•. C'est tout
ù fait étrange... Mais puisque vous ave7. si bonne.
mémoire, jolIe demoiselle, vous allez pouvoir me dire.
qui était ce client si désireux d'obtenir les places.
numéros 1 et a du comparliment q ? ..
- Hélas 1 non, ma science est en défaut. Non pas
nIa mémoire, comme vous serie7. peul-être tenté de le
Croire. En réalité la personne qui est venue ne possède
pus d'identité intéressante pour vous.
- Ma.is encore? ..
- C'rst un intermédiaire que je connai" bien, cal'
�90
LE FIANCÉ DE JOSETTE
il vient au moins une fois par jour, sinon davantage.
Et malgré qu'il ait, lui aussi, de la mpmoire, j) douto
qu'il puisse, à une semame de distance, vous rensi~
gner. je vois bien la ralsonpourlaqueUevous voudnez
savoir . C'est la fameuse affaire de l'asin~\t,
hein? ..
- On ne peut rÎi:m vous cacher, mademoiselle. C'est
bien elle, en effet.
- Je ne retire rien de ce que j'ai dit tout à l'heure
quand je vantais votre intelligence. Vous me croirez
si vous voulez, per30nne encore n'est venu me deman~
der ces renseigaem mts.
- QUOI? Pas nlême la police.
~
Pt3rsonne, je vous dis.
- C'est un peu fort 1... Vous me disiez donc,
enchaîne le journaliste, que si cet intermédiaire avait
bonne mémoire, il venait trop souvent accomplir des
missions analogues pour avoir conservé le souvenir
des personnes qui l'en voyaient? Ca doit -être le chasseur d'un hôtel, sans doute. Me trompé-je?
- Non. Vous êtes vraiment étonnant. C'est en
effet le chasseur du Ruhl.
- Tant pis ... Je crains, en effet, comme vous le
disiez, que oet homme n'ait depuis longtemps oubliG
les gens dont il s'agit. Je no vous remercie pas moins
de tous vos renseignements précieux. Et plus enCOI'C,
de la gf3ntillesse avec laquelle vous me les avez fournis.
Je n'al qu'une parole: dites-moi, je vous prir, ,'otra
no n, et je passerai tout à l'heure, (place Masséna.,
dans la maison en question, afin de vous envoyor ce
que je vous ai promIs.
- Vous ôles aimable, cher mon~ie)'.
Mais je ne
poux paf! accepter.
- Olli le saura il
- KIùi, et cela ,;ulTit. Je fi'! permets pas qu'on
m'envoie de tels cadeaux. Je puis tout au plus accepter d'aller grignoter a vOC VOIlS quelque!! gâleau~!
arrosés d'un verre de porlo, ou d'une tasse de thé, tl
votre choix.
�LE FIANCi DE JOSETTE
91
Le sans-gêne , de la jolie fille amuse le journaliste.
II réfléchit que, si pressé qu'il soit, il aura des heUN5
à perdre, et que ma foi, autant vaut les perdre en
agréable compagnie,
Il se dit melue, après avoir mesuré d'un coup d'œil
Son él~aILe,
sous la blouse noire, que cette petite
cc chemmote » peut lui être une auxi1iaire précieuse
par sa seule présence.
On remarque un consommateur isolé. Qu'il se trouve
en compagme féminine et il passe inaperçu, dans une
V'ille co nme Nice.
- Après cela, mademoiselle, ie ne serai pas quitte
avec vous, au contraire: Je me· ~entira
enaore redeV'able de tonte la joie que me procurera volre présence
à mes côtés.
cc Mais si cela VOllS est égal, au lieu d'aller prendre
le thé chez Vogade, pourquoi ne nous installerions
nous pas au Ruhl! Il y a un très bon orchestre,
m'a-t-on dit.
!..... Excellent, en vérité... Et puis, je vous vois
V'enir, allez! vous vous dites: puisqu'elle connait le
chasseur, elle m'aidera à le faire jaser. Ah 1 oes journalistes parisiens 1...
Fernand Dissay prend le parti de rire, de so voir si
bien découvert.
Il murmure:
- Savez-vous que vous me rendriez des points ?...
Allons, je ne finasserai pas av oc vous. Je mène une
enquête qui me tient à cœur pour de nombreuses
raisons trop longues à vous raconter jei. Je vous en
dirai deux mots en prenant le thé. A quelle heure
êtes-vous libre?
- A cinq heures.
- Alors, je VallS attende à cinq heures et demie
duns le hall du RuhI. .. Cela VallS va ?...
, - Très bien ... Soyez tranquille, vous n'auroz pas
Il. rougir do moi. Jr sais m'habillel' ct me tp.nir.
- Cela se voit. Vous pensez bien que si je ne le
�92
LE FIANCÉ DE JOSETTE
croyais pas, je ne vous aurais pas proposé une des
salles las plus chics de Nice 1
Très flattée d'avoir été ainsi jugée par un Parisien,
la jeune fille sourit et lui tend la main en disant:
- Entendu donc, monsieur ...
Elle suspend sa phrase de façon très interrogative.
Le reporter s'excuse:
- Fernand Dissay .. .
- Ah 1 de l'Aube ... Je suis contente 1
Fernand n'est pas vaniLeux; pourtant, il est agréablemenL chatomllé de cette déclaration spontanée.
Il raillera peut-être tout à l'heure ce mouvement
de fatuité ... Mais pour le moment il s'avoue sensible
à la petite gloire .
- Allons 1 à tantôt, et pas de lapin, surtout? ..
- Soyez tranquille 1
Cinq heures et demie ... Le hull du grand hôtel qui
fait l'angle de la place l\Iasséna et la Pl'omenade des
Anglais, est envahi pal' une foule très dense.
Le journalistr., qui guette depuis un moment, voit
le tambour de la porte tourner et livrer passage à une
très élégante personne, vêtue à la tout dernière mode
et dont le costume rappelle de fort loin seulement la
blouse noire aux écussons rouges de la préposée aux:
renseignements .
Heureusement qu'il est physionomiste; Bans quoi
il courrait le risque de ne pas la reconnaître. Il se
p1'6cipiLe devant elle et avec une grande aisance baise
la main gantée qu'elle lui tend. On n'esL pas plus
régence 1. ..
Charmée de la galanterie do cet accueil, la jolie
brune découvre en un délicieux sourü'e la double rangée de sos dents blanches, et pour récompenser immédiatement cette courtoisie, elle diL :
- Voilà jUlltement le ehasseul' lù-has. Nous allonS
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
93
lui demander le renseignement qui vous intéresse.
Avec ce sang-froid i't cette discrétion qui caractérisent les serviteurs des caravansérails où l'on est
habitué il tout, le chasseur en question, appelé d'un
signe par Dissay, accourt et s'incline devant le couple,
sans que rien laisse supposer qu'il connaisse la jeune
femme.
immédiatement la parole.
Mais celle-c:i p~'end
- Dites-moi, Marcel, il faudrait que vous fassiez un
gros effort de mémoire pour m'être agréable, ainsi
qu'à monsieur. Vous ne perdrez pas votre temps.
Pouvezcvous vous rappeler qui vous a envoyé louer
les places un et trois du compartiment quatre dans
10 train 17 de mercredi dernier?
Le chasseur, toujours avec le même flegme, dévisage
Un instant le eompagnon de la préposée; certain, après
Ce court examen, qu'il ne s'agit pas d'un membre de
la police, et que, par conséquent, le pourboire
unnoncé implicitement par son interlocutrice ne res~
lera pas dans le domaine des improbabilités, il
répond:
- Pas besoin de me fatiguer les méninges pour
cela, mademoiselle Suzanne. Ce n'est pas souvent
qu'on réclame si instamment deux places dans un
?ompartiment où d'habitude il n'y a rien à faire
Jusqu'à la dernière minute, parce que tout est loué
quinze jours à l'avance en cetLe saison.
.
« Je suis allé chercher les places en queslion pour
tl.D client qui vient assez souvent à l'heure de l'apél'i,
tIf, au bar: un original, mais très chic ct Lrès large,
M. Erstein.
Fernand Dissay pousse un sou pit- de satisfaction.
Jusqu'à cc momenl, une ungoissc Je tenaillait,
tnnlgl'é sa volonté de nc pas sc ficl' aux apparences
clans touLe ceLte aITaiJ'e.
Il se demandait quelle contenance il tiendrait s'il
lrrivait à cette découverte que les deux places eussent
(oté louées, soit par Luc, soiL par Alfred Barcou.
�94
U: FIANet DE JOSE'I'TE
Cela équivaudrait en effet à étàblir qu'ils se connais·
saÏlmt avant le départ. Dieu merci 1 11 n'en est' rien .
11 tIre de 60n portefeuille une coupure de cinqllante
francs. Il tient én erret à faire honneuI' à la parole de
sa gentille compagne.
n tend le bIllet au chasseur qui le prend avec une
courbette, et ajoute:
- J'ai reçu ordre de louer ces deux pIMe; le mercredi à midi, tOut de suite après que M. Erstpin eût
obtenu aU téléphone la communicn i 10 IIveo Marseille
qu il avait demandée en arrivant à l'ap6ritif.
Ce renseigne nent a-t-il vraiment une grande importance? F rnond DIssay ne peut pas se faire là-dessus
une opinion immédiate.
Il le not2 cependant Bois neusement dans sa mémoire.
Il elit des enqu&tes particulièrement difficiles dans
IGI!.quolles il ne faut absolument rien Ilé~iger
.
TOllt en ga(7n
~ la table vers laquelle un maitre
d'h6tclle conduit avec sa compagne, le jOUl'naliste se
dit:
- Dans la machination montée contre mon ffi9lheu'
l'eux Luc, on avait tout prévu, je crois, sauf le petit
grain de sable qui U1'l'llte et fait grincer les rouages les
mieux graissés .
(( Ou Je me trompe fOl·t, ou l'histoÏl'e de la. location
des deux couchettAs ensemble est ce g ' ain de sable
qui arrêtera finalemont le mouvement d'horlogerie,
en attendant qu'il fasse arrêter ses auteurs eLlX'
mS~sl
CHAPITRE XII
Connaltrc l'adresse ùe ee M. Erat in, dont parlait
le chasseur, était moins rommoJe à Fernand Dissn)'
qu'il ne l'imaginait tout d'abord.
11 suppo it ('n effet qu le perlilonnel d'\m établiS"
�l-E FIANCÉ DE JOSETTE
95
sement qu'il fréquentait si régulièrement devait être
fixé sur la résidence de ce client.
Mais il se trompait. On savait simplement qu'il
habitait hors de Nice, dans la direction de MonteCarlo. Mais était-ce à Villefranche, Beaulieu, ou au
Cap-d'Ail? Personne ne pouvait le préciser.
Le chasseur chargé de prendre ces renseignements
vint dire au journaliste l'insuccès de son enquête,
avant même que ce dernier eût quitlé le salon de
thé où il s'entretenait avec « Mlle Andrée D sans parvenir toutefois à oublier ses préoccupations graves de
l'heure.
Il fronça les sourcils et murmura:
- Bien ennuyeux! ... Réfléchissez un peu au moyen
de me donner ce tuyau. J'en ai besoin, d'extrême
urgence .
."Lechasseut, qui sc piquait au jeu, et tenait à paraître
bIen documenté auxyeuxducompagnon dela préposée
du P-L-M., se frappa 10 front.
- Je vais peut-être trouver... Si monsieur est
encore ici dans un quart d'heure, je viendrai lui dirc
ce qu'a donné cette dernière tentative.
- Allez 1 nous vous altendrons, l'{>pondit la jeune
femme sans laisser à son oompagnon le temps de parler.
Elle se retourna vers lui après le départ du ohasseur
et lui dit:
- Excusez-moi d'être intervenue directement. Mais
j'ai vu que vous craigniez de m'ennuyrr en m'impoGànt la prolongation de notre séjour Ici. Je me sui"
donc empressée do vous tiror de souci.
Un quart d'heure plus tard, le chasseur revenait,
l'air triomphant célt1e fois.
- Je "iens d'u 1 petit bal' fl'équenté à peu près par
tuus les chauffeurs, pendant que lee voitures de leurs
~alrons
stationnent devant les hôtels de la Promenade.
e savais 10 prénom de celui de M. Erstein: Jules.
« J'ai rencontré là-baB plusieurs de ses camarades.
�96
LE FIANCÉ DE JOSETTE
Ils n'ont pas pu me donneL' l'adresse exaeLe. Mais ils
savent qu'il rentre tous les soirs à Saint-Jean-CapFerrat. Le pays es~
tout petit. Ii ne serait pas difficile à monsieur d'obtenir là les renseignements cornplémontaires dont il a besoin.
- Je vous remercie, dit Dissay en sortant de sa
poche un nouveau pourboire aussi copieux que le
précédent. Na~urelmnt,
pas un mot à quiconque
de tout cela.
Le chasseur eut un sourire enLendu, et promit:
- Monsieur peut-être tranquille. Cc n'est pas
dans mes habitudes.
- Attendez; faites-moi un peu le portrait de
M. Erstein.
- Ça, c'est plus difficile 1 Il n'a rien de particulier,
cet homme. Il est de taille moyenne, avec un
visage comme celui de tout le monde. Les traits un
peu empâ~és
et des petits yeux marrons qu'on voit li
peine parc'e qu'il n'ouvre pas les paupières.
- Ah t Et sa voiture?
- Il en a deux, monsieur. Une Panhard carrossée
pOUl' la ville, et une voiture de course très puissante,
Je ne me rappelle plus de quelle mar'lue. Mais cellelà, il ne la sort à peu près jamais.
Fernand Dissay était suflisamment renseigné.
Il n'insista pas, ct congédia d'un signe le chas'
seur .
S'adressant ensuite à sa compagne, il lui dil
galamment:
.
- J'arrête là mon enquêLe pour aujourd'hui. AUSSI
bien, il esL trop tard p<lu!' tonter quoi que co soit. Je
suis désormais entièrement à vous. J'espère que VOll S
me ferez 10 plaisir de partager mon dîner. 0 Ù al1'On~
nous?
- C'est que je ne sais si je dois ...
- Allons! Pas d'histoires 1... VOllS avez été po lU'
moi la meilleure des collaboratricos aujourd'hui. Vous
ne pensez pas quo je mc srparcl'ai do vous de cette
�97 '
LE FIANCÉ DE JOSETTE
façon-là, aJ;lrès avoir usé de vos relations avec tant
d'indiscrétIOn.
La jolie brune ne fait pas plus de cérémonie.
Et les deux jeunes gens sortent pour une promenade le long de la mer en attendant l'heure du
tUner ...
Le lendemain, vers huit heures du matin, le reporter, malgré la fatigue du voyage, et les ùeux nuits
successives passées dans le train, descendait de
tramway au carrefour de Saint-Jean, après s'être fait
indiquer le chemin à suivre pour gagner de là la
petite localité où il avait affaire.
Il n'avait pas eu la patience d'attendro le tramway
direct qui part à intervalles éloignés de la place
Masséna, et s'était embarqué dans un de ceux,
beaucoup plus nombreux, qui desservent Beaulieu
et les au-delà.
Traversant un petit pont, il suivit une "'oie assez
tortueuse, et déboucha, après vingt minutes de
marche, près du port de Saint-Jean.
Là, le premier fourniàseur venu lui donna le renseignement utile sur la demeure qu'il cherchait.
- La maison de M. Erstein? Plus loin que l'hôtel,
. Un grand mur porcé d'une
dans la ruo qui mon~e
porto cochère ploine.
.
Le journaliste alluma uno cigarelte et la canne sous
le brlls, on promeneur ]?aisible, grand admiratour des
~eautés
du paysage, Il s'enfonça dans la direction
de loin on loin pour contemIndiquée, on s'ar&~nt
pler un mimosa chargé de fleurs, un mandarinier
Couvort de fl'uits d'or.
En un mot, il s'olTol'ça d'écarter de son attÏlude
tout ce qu'olle pourrait avoir d'inquisitorial. Sans se
prossor, il attelgnil ainsi le grand mur annoncé. Il
le longea d'un pas indifTércnt..
7
�98
LE FIANCÉ DE JOSETTE
- Fichtre! se dit-il, le monsieur qui habite làdedans ne me parait pa.s tenir essentiellement à ce
que ses voisins so rendent compte de ce qui se passe
chez lui. Se pri ver d'une partie du paysage en édIfiant
un par~il
mur, quand on n'a pas pas de raisons pour
cela, c'es t inadmissible!
Il continua à gl'imper la côte très rude, espérant
que, de plus hau~,
il découvrirait le terrain délimité
par ce mur.
Mais il ne tarda pas à constater que, de ce côté là,
une rangée d'arbres, plantés très serrés, empêchait la
vue de s'étendre sur le jardin, enclos par des muraillos
de tous les côtés.
- Décidément, murmura-t-il, tout.es les précautions
sont prises. Me faudra-t-il frêter uno barque pour
ad '11irer les jardins.de M. Erstein depuis la mer? Je ne
vois guère d'autre solution.
Cependant, avant de se résoudre 11 employer co procédé, il avisa une sorte de sentier, sur la gauche du
ch~min
qu'il suivait, sentier orienté vers la mer.
- Pourquoi ne pas descendre un peu ce côté-Iil?
monologua-t-il. Qu'est-ce que jo risque? L'oblÏlralion
d'ac00mplir en sens inverse un parcour3 un pC11
pénible, parce que ce sentier me semble ver~ignux?
Mais cela ne peut que me fuire du bien. Je manque
d'exorcice depuis quelque temps. En voilà un tout
trouvé.
Sans se soucier des superbes chaussures jaunes
arboréo:! pOUl' cc reportage en lerre élégante, le
journalisLe s'engagea sur cette penLe Lrès rapide, cl
semée de cailloux pointus, très préjudiciables à ses
semelles minr,Bs.
En cinq minutes, il !le trouva de nouveau pl'ÜS de la
mer.
La longeant alors dans la direotion in VOl'Se de cell o
qu'il avaIt suivit:l, il revint du côtô du port
Il ne tarda pas à constaler que, sans Al ra ph1.>
viBble~
de ca côté-là, car le ridelu d'arbres se
�prolongeait jusqu'en bas, les jardins de M. Erstein
n'étaient pas complètement clos par le grand
mur.
Dans le bas, doublant en quelque sorte le rideau
d'arbres, il n'y avait plus qu'une grille de fer.
Encore celle-ci ne descendait-elle pas jusqu'à la
mer elle-même.
- Curieux 1 murmura-L-il d'abord. Pourquoi se
fermer hermétiquement en haut, et l<.: isser à peu prèi'
Ouvert le bas?
Puis il se rappela opporlunément qu'un règlement
voulait propriété de la marine toutes les côtes, où
qu'elles se trouvassent, et que nul obstacle ne devait
s'opposer, le long du rivage, à la circulation clef!
douaniers.
- C'est pour cela que l'ErsLein n'a pas pu se clore
complètement. P01u'tant, il a là une gare à bateaux
admirablement construite ... Ma parole, elle pourrait
contenir un yacht ; une véritable rade en miniature ...
« Et, naturellement, à côté, une barque de pêche,
un canot automobile. Je pari.erais bien que son moteur
ne le cède en rien, du point de vue ùe la puissance, :\
celui de l'automobile de coul'se dont me parlait le
chassour du Ruhl. Ce M. ErsLein est un homme aimant
Pouvoir se déplacer vite ...
Tout on poursuivant sa marche, et sans se gêner 10
moins du monde, puisque rien ne s'opposait, ?n
somme, à ses investigations, il flânait devant la petIte
rade et examinait le cunot automobilo aman'é là.
Malheurousemenl, un capot hermétique le recouvrait.
Il ne put donc se livrer à. aucune con tatation
louchant la cylindrée de cc moleur.
Avant de reprendre sa route, il se retourna, dos à
la mer, afin de regarder les jardins de la villa
mystérieuse.
Peine perdue. Des arbres, plantés non plus (m
~
"
�100
LE FJAI'\CE DE JOSETTE
ligne, mais disséminés, apparemment au ha3ardformaient de ce côté-là aussi une barrière infranchis,
sable aux regards.
A peine, au dessus de leurs cîmes, apercevait-il le
toit en terrasses d'une large demeure.
On n'en voyait même pas les fenêtres les plus élevées.
- Quelle science dans l'art de se dissimuler! Rien
que cela. suffirait à me faire croire à la conscience
plutôt inquiète de l'occupant .. .
Au surplus, à la distance réglel'rlfntaire de la mer,
la barrière en fer forgé recommençait, parallèlement
cette fois à la plage.
Au milieu, un portillon assez large servait d'accès
\'ers la gare des ba1eaux.
- M'est avis que pOll!' en1rer là-dedans, il doit
falloir montrer patte blanche . J'ai bonne envie
d'essayel' . Pas de ce côté là, évidemment , car je ne
vois aucune sonnelle.
Il s'interrompil en murmurant :
- Mais justement si ... Ça 1 par exemple t
Il s'approcha de la porLe et vérifia que ses yeux ne
l'avaient pas lrompé.
Derrière le pilier de fer constituant un des côtés du
cadre de cette porLe, il y avait un petit bouton de
sonnerie électrique, en fer forgé, comme son support
lui-même; donc à peine apparent.
- J e n'imagine pourtant pas que les fournisseurs
viennent apporLer les provisions de cc côté-là ! A
moins qu'ils n'arrivent en harque, eux aussi 1. ••
«Et d'abord, s'il en est ainsi, pourquoi chercher à
dissimuler ce bouton? D'habitude, ce n'est pas à
l'intérieur qu'on le met, mais à l'ex térieur bien en
évidenco 1.. • Tandis que celui-là, quand on n'a pas des
yeux de chal comme moi, il faut connaitre son existence pour le découvrir.
Toutes les faculLés d'observation de Fernand Dissay
étaient maintenant tondues à leur paroxysme . Il se
Sil. vait depuis 10 veille SUI' la bonne pisle.
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
101
Il ne doutait pas que la solution du problème arQ'U
à laC{uelle il s'était attelé ne se trouvât dans cette
encemte si bien gardée contre les regards indiscrets.
- Inutile de m'éterniser là! murmura-t-il. J'y
gagnerais tout au plus de me faire répérer, et ce
serait la pire des sottises.
Sans perdre de lemps, il rebroussa chemin, et
remonta le sontier emprunté pour arriver au bord de
la mer.
Cette ascension l'essouffla pnssablement. Mais il ne
regrettait pas sa peine, el quand, au haut de la côte,
il se laissa tomber un instant sur le gazon pour
reprendre haleine, un sourire détendait son ·visqge,
que l'intensité des réOexions contractait tout à l'heure.
- Résumons-nous, se dit-il en allumant une nouvelle cigarette . Les places de Luc et de son compagnon
ont été louées par le citoyen Erstein. Pour qu'il
envoyât le chasseur avec mission de prendre celles-là
et pns d'autros, c'est qu'il les savait dIsponibles ...
« Comment ?... Par le cou.{' de téléphone dont me
parlait hier son commissionnaIre.
« Cot individu a agi avec uno habilité consommée.
S'il avait retenu les quatre places au départ de Nice,
le8 deux places inoccupées auraient pu être louées,
suivant les règlements de la compagnie, soit à Toulon
soit à Marseille.
« Au contraire, on rotenant deux places au dornier
arrêt où, normaloment, les voyageurs pouvenl réclamer dos couchettos, il s'assurait contre cot éV('nemont gênant pour la ré~site.
do son pla~.
« Je parie qu'à Marsoülo Je ,trouverrus t!ace do la
location des places 2 eL 4 du momo compartlmont par
un seul individu. Il est même probablo que le compartimont voisin a du êlre retenu de la même façon.
Car l'assassin, puisque assassin il y a, éLail placé à
proximité de la victimo désignée.
(( Quant à l'armo du crimo, ce stylet que Luc
a. reconnu comme sa llropriété, c'est plus compliqué.
�102
LE FIANCÉ DE JOSETTE
Je me demand e comme nt l'Erste in se l'est procuré ...
Ah! s'il m'était démon tré que cet individ u est en relations avec le gigolo portuga is dont m'a parlé la
petite Cernay , cela change ralt de note! Il faudra
que je mène une enquêt e sur ce point dans les bars de
Nice ... Il est vrai qu'ils sont fichus de n'avoir apparemme nt aucun contact .
De nouvea u, les sourcil s du reporte r s'étaien t
froncés . Une ride vertica le bOIrait son front. Il constrUIsai t dans son cervea u toute une explica tion de la
traO'édie.
. Niais, comme la veille, ca qui le gênait là-deda ns,
c'était le cadavr e.
Il en revena it toujour s à cette conclus ion:
_. Imposs ible d'adme ttre qu'on ait tué un bonhomme quelcon que unique ment pour faire tomber
la respons abil1té de ce crime sur Luc Freinvi lle.
«A quel titre ce Barcou compta it-il parmi les
relation s d'Erste in? Quel rôle jouait-i l auprès de
lui? Il fallait qu'il le touchâ t de bien près pour que
l'autre fit retenir une place à lui destiné e. En ce qui
concer ne celle de Luc, cela peuL s'expli quer, et cc
serait au fond lu preuve des relation s entre mon
homme et 10 Canohè s ... Car c'est cerLain ement ce
dernier qui a remis à son peintre le coupon du retour.
Il venait d'établ ir, par le simple raisonn ement, la
jonctio n entre le proprié taire du jardin si bien gardé
et 10 prétend ant à la wain de Mlle Cel'IVW.
D'un tic familie r, le jO:ll'nalisLe se frotta les mains.
- Çà se tient! Ça se tlO nt 1. .. murmu ra-t-il avoc satis:action . lHon alTaire prend coeps. Il me faut maintenant voir do mes yeux les cleuJÇ compèr es. Je n'ai
rien à faire ici. Rentro ns à Nice.
CeLte résolut ion prise, Fernan d Dissay descen dit
allègre ment 10 chemin en pente qui revena it vers le
port.
Il jeta en passan t un coup d'œil un peu ironiqu e
sur III porto de fer qui cléfendaiL j'accès de la demeur e
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
103
de M. Erstein et, en montant dans le tramway qui
allait le ramener vers la place Masséna, il murmura:
- Une veine que cette enfant ne soit pas de service
aujourd'hui. Notre rendez-vous de ce matin, à l'apéritlf, va encore servir de paravent à mes observations.
CHAPITRE XIII
Ravie de se trouver mêlée à l'enquête d'un grand
Journaliste, la jeune Andrée n'a eu garde de manquer
le rendez-vous qu'ils avaient pris en se quittant, b3.
veille après diner.
{
A onze heures, plus fraîche et plus resplendissante
de jeunesse que jamais, coifIée d'un chapeau fort
coquet, la johe fille rejoint il la terrasse de la Potinière Ferdinand Dissay.
vers le bar du RuhI, et s'y
Aussitôt, ils se dir~ent
installent à une petIte table, devant des cocktails
compliqués dont la confection a beaucoup amusé la
compagne du journaliste.
Ce dernier a eu, en rentrant, la précaution de dire
aLl chasseur, son précieux informateur de la veille:
- Quand vous verrez arriver M. Erstein, s'il vient,
lraversez la salle el lai Les-moi un signe de l'œil. Rien
qui puisse aLLirer l'attention de quelqu'un autre. Cela
suffira.
Un soleil radieux luit au dehors. De nombreux
promeneurs vont et viennent sur les troLtoirs de la
Promenade des Anglais.
Des consommateurs entrent dans le bar et en sortent
en parlant avec volubiliLé. Tous portent des costumes
1\gers et clairs.
On se croyait vraiment sur une plage estivale. Et
cetLe animaLion réjouit l'œil du repoJ'ter qui arrivait,
au moment où il a guitté Paris pOUl' venir ici, d'un
pays infiniment moms agréable.
�104
U: FIANCÉ DE JOSETTE
Il csl, en train, afin d'alimentér la conversation, de
raconter ee voyage à son aimable invitée, quand le
chasseur traverse la salle, et se retourne légèrement
de son côté, avec un cligncment rapide des paupières.
Un homme, au mômc moment, franchit la porte
du bar, ct vient s'asseoir à la table voisine de celle
occupée par les jeunes gens.
Le journaliste n'a pas bronché. A peine un silence
très court a-t-il suspendu un instanL la phrase commencée. Il la conLinue dn même ton ... mais sans
perdre de vue son voisin.
Le ehasseur ne se trompait point.
Rien de saillant dans cette physionomie. UUf'
neutralité absolue .
- Trop absolue, môme, se dit Dissay pOUl'·ne pas
ol.re voulue. Il s'agit certainement d'un homme qui,
depuis des années ct des années })eut-être, s'impose
la discipline de ne pas laisser un sentiment modifier
l'expression de son visage.
Il Il y est aidé par la lourdeur de ses paupières qui
ferment presque complètement ses yeux, même
lorsqu'il regarde, ct empôchent, quiconf[ue de saisir
la signification de son regard.
Est-ce par Li pris? Est-ce le résultat des renseigne·
ments déjà recueillis? Mais le reporter de l'Aube
trouve à cette physionomie un caractère tl·ès déplaisant.
Il serait fort en peine de précise!' en quoi. Il s'étonne
que cette remarque qui le frappe n'aiL pas été déjà
l'aite par d'autres.
M. Erstein parait en tout cas jouir de la haute
consid,'ration de Lout le personnel. Dès son al'l'ivée, le
garçon s' 'st précipité pour prendre sa commande, et
Je barman Ll, en un clin d'œil, confecl,Ïonné le breuvage
demandé, abandonnant. pOUl' cela des clients qui
précédaient l'habit nt du Cap Ferrat.
M. ErsLein a posé snr sa table, (ln arri vant, un
paquet de journaux achetés, sans doute, CIl passant. al.l
�LE FrANcf~
DE JOSETTE
105
kiosque de la place Masséna. Une fois sa consommation servie, il commence à déplier les feuilles l'une
après l'autre, et les parcourt rapidement.
Fernand Dissay continue à converser avec sa partenaire . Il a même forcé la tournure joyeuse de leur
bavardage . Elle ne se rend pas compte que c'est de sa
part une manœuvre, et sc laisse aller, elle, sans
réticence, à cette gaîté .
Elle ne se doute certainement pas que leur plus
proche voisin est l'homme qui intéresse tant son
compagnon.
Mais tout en devisant ainsi, le reporter ne perd pas
de l'œil le consommateur silencieux, et un mince
sourire passe sur ses lèvres quand il constate que ce
dernier a eu vite fait de dérouiller les journaux.
- Parbleu! pense-t-il. l s'inquiétait de savoir si la
presse (( marche)) toujours autour du drame du train
17. Il doit éprouver mai.ntenant un C'eltain soulagement à constater quelle est muette ... Attends, mon
vieux, tu n'y perdras rien ...
Au moment où le citoyen Erstein repousse d'un
geste indifférent le dernier journal de sa collection,
un jeune homme entre dans le bal' par la grande
porte communiquant avec ~e hall de ~'hôtel,
vient
directement à sa table, et lm serre la mam on prononçant:
- Bonjour l.. . Vous allez bien? ..
- Très bien, je vous remercie.
Le nouveau venu s'assied en face de M. Erstein,
commande un porto, et reprend p~ur
son compte la
besogne que vwnt d'!lchcver celm qui l'a précédé:
le dépouillement c1es W~lfnaux.
..
Fernand Dissay s'esL mterrompu cette fOlS laIssant
même sans réponRe une question de sa compagne.
n enveloppe d'un regard aigu le nouvel arrivé,
constate la perfection de sa tenue, l'élégance aITectée
dp SPS rnanièr >8, et la valeur incontestn.ble des deux
�106
L~
FIANCÉ DE JOSETTE
seuls bijoux qu'il porte: une perle à sa cravate et un
diamant à l'auriculaire gauche.
Ce dernier est d'une fort belle eau. Et si la perle
est baroque, elle est d'un orient des plus acceptables.
Cet examen ne dure pas longtemps .
Pourtant, la jeune femme, interloquée de voir la
question qu'elle posait demeurer sans réponse, a suivi
le regard de son compagnou, et retient à grand'peine
une interrogation.
- En quoi ce jeune homme vous intéresse-t-il ? .• Il
n'a rien de commun avec ce M. Erstein, tel que vous
l'a décrit hier le chasseur . ..
Heureusement, elle se rend compte qu'une t elle
observation peuL être dangereuse ct elle reste silencieuse.
Mais ses yeux traduisent si bien son étonnement
que lorsqu'il reprend la conversation interrompue, le
journalist.e croit devoù' lui indiquer d'un clin d'œil la
nécessité de ne pas broncher.
Il regrette d'ailleurs cet instant d'oubli. Car, maintenant, sa compagne, beaucoup mo.ins experte que lui
0. de tels jeux, arrive mal à la république.
Leur conversation devint factice. On la sentempruntée . Rarcs sont les femmes capables de demeurer naturelles dans le ton, lorsqu'elles savent qu'elles jouent
un rôle .
Il n'y a heureusement pas à craindre que leurs voisins s'occup enL de ce qu'ils disent" et professent à
leur égal'd la moindre méfiance. Pour Lan t, Dissay prend
soin de parer à crtle défection partielle de son mterlocutriee en se montrant plus bavard encore.
Mais il a changé complètement le sujet de leurs
propos .
Rien maintenanl qui puisse faire reconnaîtrc en lui
le reporLer. Tl se donne l'allure d'un hivernant très au
courant des choses niçoises.
Et sa nouvelle camarade demeure émerveillée de
tout ce qu'il sait sur une ville qu'elle habite elle-même,
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
107
où elle est née, et qu'elle connaît cortainement moins
bien que lui.
Cependant, le jeune homme élégant a terminé à son
tour la lecture des journaux. Il ne commente pas,
mais échange avec son vis-à-vis un très rapide regard
au moment où il repose la dernière feuille.
- Ils ne eont pas bavards, ces doux bonshommes,
se dit le reporter. Pourtant, à voir ce jeune homme,
j'aurais parié]o contraire . Dommage qu'au liou d'un
brillant, il ne porto pas uno chevalière. J'aurais aimé
voir de loin ce qui en constituait le cachet. Je parierais
chol' que c'ost une couronno de comte.
Celui qui l'occupe ainsi a pivolé légèrement sur son
siège, et paraissant so désintéresser de son compagnon, promène sm le bal' d'abord, puis sur la partio
de la promonade qu'on voit par la portA ouverte, un
regard blasé.
Il échange avec quelques consommateura un bref
salut, mais ne parle toujours pas.
Il déguste à petils coups sa consommation. Quand le
verre est vidé, il se lève, jette sur la table quelque
monnaie, et tond la main à 1\1. Erstein en disant:
- Je vais faire un tour avant 10 déjeüner. Naturellement, cela ne vous Llit rien.
- Rien du tout.
l'vIais en répondant, l'interpollé a gardé ].'1 main du
jeuno homme, et la serro sans doute avcc une insistance parLiculière, cal' celui-ci incline 10 buste dans sa
direction.
II fauL l'oreillo Lr "s exorcée de Fernand Dissay pour
Gaisir les moLs ajouLés très bas à ce l'efus ;
- Co soir, di.- heures ...
L'élégant jeune homme répond par un battement
de paupières, ct s'en va. Son compagnon ne tarde pas
à l'imiter.
A l'instant où il monLe dans l'automobile arrêt6e le
long du troLtoir, Fet'danu Dissay interrompt la phrase
commoncée pour dire ù la jolie Andrée:
�108
LE PlANet DE JOSETTE
- Eh bien? comment le trouvez-vous, M. Erstein?
-- M. Erstein?
- Dien sûr, le monsieur qui était à côté de vous.
- Ah! par exemple 1 Eh bien! du diable S1 je m'en
serais doutée. J'ai cru que le seul type qui vous intéressait était son compagnon, et je m'étonnais justement de l'attention que vous manifestiez pour lui. Car
il ne ressemblait pas du tout à la description de celui
que vous attendez.
Et elle ajouta admirativement.
- C'est égal! On dit que les femmes sont habiles
à. dissimuler. Je vois que les hommes ne leur doivent.
nen.
Le journaliste ne répond pas à ceLte pointe.
Il a déjà appelé d'un geste le chasseur, reparu
comme par enchanlement dans l'encadrement de la
porte. II lui dit, au moment où il arrive, en lui remettant encore un billet de banque:
- Le compagnon de notre homme, n'était-ce pas
le comte de Canohès?
.
- Oui, monsieur.
- Vous le connaissez bien?
- Oh 1très bien, monsieur, c'est un excellent client,
il vient à tous les galas.
- 11 habiLe Nice depuis longtemps?
- Cela, je ne pourrais pas le dire à monsieur. Depuis
deux hivers, au moins, en lout cas.
- EL avant? ...
- Je ne sais pas ... Il me semble cependant avoil'
entendu dire qu'il était dans sa famille, à Lisbonne ...
Lo journaliste réfléchit un inslant.
Puis il tire de sa poche un peLil calepin, le feuillette,
pointe du doigt ce qu'il cherche, el, ordonne au chasseur:
- Demandez· moi donc Lisbonlle au téléphone. Le
3-28 inter-urbai.n.
Pendant que le chasseur s'empresse vers la cabine
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
109
de la maison, pour exécuter l'ordre de son client, ce
dernier dit à la jolie Andrée:
- Je m'excuse. Je vais vous contraindre à déjeûner
ici, sans avoir sollicité votre avis. Mais la communication avec Lisbonne demandera pas mal de temps . Le
mieux serait donc de se mettre à table pour l'attendre.
-'Comme vous voudrez, murmure la jellne femme,
très intriguée par celte demande de communication.
Elle comprend parfaiLement que son compagnon
veut se l'enseigner sur le comte de Canohès.
Mais elle ne saisit pas très bien pourquoi, surtout
comment il compte opérer.
Cet homme possède-t-il des relations lellement étendues qu'il puisse ainsi, ù l'improviste, d'un coup de
téléphone, obtenir toutes les références dont il a besoin
sur t'el ou tel individu?
Fernand Dissay n'éprouve pas le besoin de lui expliquer que le numéro qu'il attend est celui du correspondant de l'Aube, et un de ses amis personnels ...
***
- Allo, c'est toi, Poncet?
- Oui, qui est à l'appareil? .
-Fernand Dissay. J'ai besoin d'un tuyaud'ul'gence.
Il y a des comtes de Canohès à Lisbonn\:!?
-Oui!
- Vieille famille il
- Très.
- Des enfants?
- Une fille .. . Tu veux l'épouser?
- Pas de blaO'ue! pas le temps, .. Pas de garçon?
- Non ... Atl~nds
... Si, une espèce de chenapan qui ~
a fait ici Jes cent dix-néuf coups ct que sa famille a
chassé, si j'ai bonne mémoire. Je me renseignerai
davantage si cela t'inLéresse.
- Naturellement. Mais vite. Appelle-moi ce soil',
pour six heures, au Royal. à Nice.
�110
- Entendu ... Grosse affaire!
- Peut-être 1 Je te dirai cela ... Ou plutôt 'tu le
verras . A tantôt.
Le journaliste a déjà raccroché l'appareil el il revien ~
en souriant vers la table.
En se rasseyant, il dit:
- Ma belle enfant, je crois que je n'ai pas perdu
mon temps, voilà à peine vingt-quatre heures que je
suis ici, et je tiens déjà tous los fils de mon affaire.
Beaucoup grâce à vous . Aussi, vous pouvez compter
sur toute ma reconnaissance.
.
cc Si vous venez à Paris et je suis bien sûr quo
yous y viendrez, - comptez SUl' moi pour vous gaver
de bIllets de théâtre jusqu'à ce que vous criiez
cc assez )) 1
La jolie brune fait une moue, et murmure:
- Si vous vous bornez à me les donner sans
m'accompagner, cela ne sera pas très chic, vous savez.
- Hélas 1 vous me demandez un bien grand sacrifice. Mais je tiens à vous montrer l'étendue de ma gra·
titude ...
cc Encore que j'aie horreur de ces trucs-là, je vous
pl'o7l1els de vous chaperonnor, autant de fois qu'il vous
plaira!
Le soir, il six heures un quarL, Fernand Dissay, qui
s'est installé dans sa chambre ù l'hôtol Royal, est
app elé au téléphone, et comme il s'y attendait, trouve
au bout du fil son camarade de Lisbonne.
AussiLût qu'il l'a avisé de sa présence, celui-ci
Jévide Lous les renseignements l'ecueHlis.
- Le seul descendant mâle des COIn les d0 Co.nohès
est un garnement de la pire es-pèce. Il se prénomme
Alonzo. Sa famille très noble, mais Lrês peu argentée.
cc Il a croqué, joyeusement, tout co qui lui l'estait;
s'cst couvert de deUes, a fait le désespoir de ses
parents pal' sa conduite scandaleuse.
�LE FIANCÉ DE JOSETTE
111
« Finalement, il a été pris à tricher au jeu dans un
cercle. On a eu toutes les peines du. monde à étouffer
le scandale. Et, pour comble d'infortune, son malheureux père a appns en même temps qu'il avait signé
plusieurs chèques sans provision.
« Il a fallu. que la haute société portugaise; qui professe une grande estime pour les Canohès, intervînt
pour éviter l'arrestation de cet aimable individu.
« Depuis lors cela retombe à cinq ou six ans il a disparu. Des gens prétendent l'avoir rencontré à
Nice. Ils supposent qu'une passe de veine insolente au
jeu l'aura de nouveau enrichi, car il y mènerait grand
train.
- Je te r l'mercie, mon vieux, c'est plus qu'il ne
m'en faut. Tu viens de me rendre un fier service. A
charge de revanche, Au revoir!. ..
Fernand Dissay regagne sa chambre en silllotant,
ct en disant :
- Il faut absolument que je sache qui était ce Barcou . J'imagine que si je pouvais assisLer en tier3 au
rendez-vous pris pour ce soir, j'aurais là-dessus des
tuyaux de premier ordre. Mais cornmenL faire? ...
CHAPITRE XIV
- Qu'est-oe qui ma vauL l'honneur de votre visite?
- ELes-vous bien sûr, monsieur la vùmmissuire, de
n'en rien savoir?
Fernand Dissay a répondu en souriant à la question
du chef de la brigade mobile du littoral, chez qui, une
demi-heure après sa conversa lion téléphonique av~c
Lisbonne il vient de se présentel'.
- Je ne cotnprends pQS, riposte 10 magistrat gardant
un sérioux imperturbable.
- M. Trameçon a donc Lenu sa promesse do ne pUf!
VOltS ayiscr de mon arrivée?
�112
LE FIANCÉ DE JOSETTE
- Je vous affirme ...
- N'affirmez rien, monsieur le commissaire. Vous
devriez voir, à la façon dont je parle, que je suis en
relations assez suivies avec volre grand patron pOUl'
que nous ne nous cachions pas grand'chose.
« J'ai la conviction qu'après notre conversation,
lors de mon départ de Paris, il vous a fait part de ma
prochaine arrivée, et même de mes intentions de vous
gêner, et de vous malmener un peu dans mon journal.
(( Il n'en est rien. Vous devez savoir que je n'ai
encore télégraphié aucune ligne à l'Aube. L'enquête
que j'ai menée n'était pas si facile. Je comprends qu'elle
vous ait donné du fil à retordre. Je viens donc en ami
et non en adversaire. Vous pouvez me recevoir comme
tel.
Si le commissaire connaissait le journaliste, il se
tiendrait pour rassuré par cette déclaration.
Mais il n'a jamais eu affaire à lui, et, visiblement,
l'avertissement donné par M. Trameçon l'impressionne
toujours.
Car il ne se défend J!lus d'avoir été averti de l'arrivée de Dissay, mais Il ne se livre pas pour autant.
Celui-ci, qui le sent toujours sur la réservo, lui déclare:
- Je ne puis mieux faire, pour vous montrer ma
bonne volonté, que vous soumettre la proposition suivante: vous allez appeler d'ici, usant de votre droit
do priorité téléphonique, le service de la Sûreté général. Quand vous aurez M.Trameçon au bout du fil,
vous le préviendrez de ma présence dans volre buJ'cau, et de mon désir de lui parler.
(( Vous enlendrez ainsi notre conversation ...
Sans avoir jamais été en l'apport avcc le grand
reporter, le chef do la brigadc mobile du liLto.l'al le
connait de réputation.
Aussi, consent-il Bans difficulté à ce qu'i11W demande.
�1
LE FlAN cf, DE JOSETTE
113
- ~Ioil1s
d'un quart d'heure plus tard, le contrôleur
général des recherches est au bout de la ligne.
Et, après avoir fait part du désir manifesté par Dissay, son subordonné passe l'appareil à ce dernier.
- Gardez un. récepteur, monsieUl' le commissaire,
prie le jeune homme.
Puis, s'adressant cette fois au grand chef, il prononce:
- Monsieur Tl'ameçon, j'ai tout lieu de croire que
je vais, ce soir, meUre le nez dans la plus formidable
affaire que j'ai traitée depuis longtemps. Loin de vouloir vous ê.tes désagréable, je compte au contraire faire
profiLer im~daten
vos services de ce que j'aurai
trouvé.
« Il va Si'J1S <.lü'l"que je me réserve l'exclusivité, au
point de vne jnformation ; c'esL-ù-dil'c que rien ne sera
(~omlniqué
à mes conf J'ères avant que mon premier
article ait paru dans l'Anbe.
« Si vous acceptez, je m'engage à apporler dans ]a
nuiL, à la bI'i~ade
mobile, un rensoignement sensationnel. J'en al dr'ljà prosque tous 1I's éléments. Je vais
courir de gt'ands risques pour obLenir ce qui me manque ... Vous dites ? ..
« Non, ce n'est pas pour cela que je vous téléphone, ..
Je préfère me garder tout seul. Vous pensez bien que
si je m'amenais avec uno escorte, je n'obtiendrais rien
de ce que je prévois ...
« Mais je voudl'ais que vous disiez il voLl'e collaboraLeur local que, quand j'arriverai chez lui, il y alll'a
liE:u de ne pas perdre une minu te pour pl'ofitor du l'en8cignemonl que je lui apporterai: ..
(1 hntendu.
Au reVOIr, mOnSlCur Tl'ameçoll, ot il
bientôL ...
Il pose Ir l'l'CCP Leur cL sc reLournant vers le commisgo.ire, lui diL:
, - Si vous désirez parler à votre paLron sans quo
J'éCOULe, voici.
LI' cJwf de la hrigade du liLlol'al csl éviùrmmclJL
fi
�114
LE FIANCÉ DE JOSETTE
surpris de ce qu'il vient d'entendre, autant de la bou·
che de son visIteur, que de celle de son chef.
Ce dernier a en effet accepté avec enthousiasme la
proposition de son correspondant.
Cela lui donne une haute idée de l'estime en laquelle
les qualités du reporter sont tenues dans un milieu
partIculièrement compétent.
Néanmoins, il défère à l'invitation de Fernand Dissay, et avertit M. Trameçon qu'il est désormais seul
ù l'appareil.
Sans doute cette indicalion n'impressionne-t-eUe pas
'normément l'intéressé, car la conversation est presque aussitôt interrompue, et le commissaire, s'adressant au journaliste, lui dit:
- M. Trameçon me donne l'ordre de me mettre
entièrement à votre disposition, monsieur. Je vous
écoute . ..
- C'est trùs simple. 11 faut que vous alertiez ce soir
lous vos hommes, pour dix heures ct quart.
(( A partir de cette heure-là, une moitié se tiendra ù
mu disposition au carrefour de Saint-Jean, près de
J'arrêt du tramway. L'autre, montée Jans deux ou
trois canots automobiles très rapides, croisera à la
hauteur du phare du Cap Ferrat, ct accostera au point
que lui indiquera cn temps opportun un feu de Bengale. Mettons-le rouge, si vous voulez.
(( En outre, il me faul, un el'gagomént de votre part
de ne pas me suivre, ni me faIre suivre, à pattir du
moment où je quitterai votre bureau, tout à l'heure .
.l'ajoulo quo ce serait absolumenl inutile d'essayer. Je
n'en suis pas à semer pour la première fois des indiserets, vous le pensez bien ...
- Monsieur, mes ordres sont formels, je m'engage
très volontiers à lout ce quo vous me demandez, puiSque je dois me conformer à tous vos désirs.
- J'ajoute qu'il se pout que nous fassions, oe soi!'.
uno manœuvre inutile. Auquel cas ce serait simplement
partie l'cmise. Il faut donc que du haut en bas de
�.. F. .F!ANCt Dt JmlI':TTE
115
l'échelle, la discrétion la plus absolue soit observée,
sans quoi nous perdrions toutes nos chances pour une
prochaine expédition.
- Mes hommes seront muets comme des carpes, je
vous le garantis. Pour plus de sécuriLé d'ailleurs, je
lJrendrai moi-même le commandement de l'équipe de
Lerra, et je confierai il mon adjoint celui des canots
automobiles.
«( Souls, nous saurons tous deux co qU!) nous avons
ù faire, suivant votre demande.
- Eh bien! je n'ai plus rien à vous dire. A ce soir,
j'espère, et pour une retentissanto opération ...
Sur ce, le journaliste se lève, gratiJie son hôte d'Ull
vigoureux shake-hand, el s'en va sans hâte dans la
direction de son hôtel.
Il (line paisihlemont, puis monle ~ sa chambre.
Ce n'osl plus un genLleman d'une élégance impeccable qui en descend, une demi-heure plus tard; mais
Un touriste fortement chaussé, les mollots pris dans
des guêtros de cuir, un complet de sport très ample
SUr le dos.
Cet homme-là passe rapidement devant le bureau
(lu portier sans rien dirp., et avisant une automobile
ri e place à quelques pas, dit au conducteur:
- Combien, pour' rester à mon service toute la
nuit.
Le chauffeur toise ce client, et répond:
- Ça dépend si vous allez loin ou non.
- Pas Lrès loin, mais tu auras Hne longue atlente.
Compte la valour de touLe La nniL avec trente kilolllètres au maximum de trajet.
. - Trois cents franes, répond l'homme sans Sour·
I)lUer.
- C'est chor! tu me prends pour un Amé1'icain.
�116
LE PlANet DE JOSETTE
Enfin, va pOUl' trois cents francs! Mais tu feras exactement ce que je te dirai, n'est-ce pas?
- Bien sûr.
- Alors, roule dans la direction de Bealllieu. Je te
(lirai en rouLe où 1.u dois t'arrêter.
Le chauffeur quitte Nice sans se faire prier. A la
hauteur du carrefour Saint-Jean, le journaliste frappe
au carreau, et crie par la portièl'e :
- Va-t.-en au C'lP Ferrat. Tu tourneras par la petite
rue à droite avant d'arriver au port.
Quelques minutes plus tard, il est à destination. Il
descend de sa voiture, et intime au chauŒeur :
\ - C'est bon, nous n'irons pas plus loin . Attendsmoi là . Voici la moitié de ta course; tu auras le reste
quand je reviendrai.
Ayant l'emis au chauffeur cent cinquante francs, il
s'enfonce dans la rue qui longe le port, et passe, plus
loin, devant la demeure du sieur Erstein.
Malgré l'obscurité que les étoiles d'une nuit rDdieuse ne parviennent pas à dissiper, il s'engage sans
tâtonner dans un sentier vertigineux descendant à 18
plage .
- Crocheter la porLe de fer av ec ccl outil, se ùil-il
cn caressant un instrument d'acier dans la poche de
son veston, sera un jeu. Je gagnerai ainsi, à travers
Je jardin, la maison d'habitalion. Et cc sora bion 10
diable si je ne parviens pas t: me glisscl' à portée de
la voix do ces deux meSSIeurs.
I( D'ailleurs, je suppose que je ne 10:\ lrouverai pas
seuls . S'il s'étaIt agi d'Ul'10 conversation on Lête-à~,
Erstein aurDiL éviLé de convoquer son camul'ado iCI.
On peut parler cn se promenanL ùans Nico même,
Lout au moinR 10 long de la plage, dans la direction
do la Californie, sans risquer des oreilles indiscrètes·
« M'est avis qu'il doit y avoir un conseil de guerre,
auquel seront convoqués d'autres comparses . On nO
monte pas un coup de ce genro, à doux person n eS
seulomenL. Il a fallu nolammont l'assassin. avec 1'us'
�LI: FIANCÉ DE .TOSETTF.
117
sassiné. Et puis, toutes les précautions priscs autour
de celte maison me font considérer ladite maison comme un repaire. Or, qui dit repaire, dit bande organisée. Si je me trompais, cela m'étonnerait rudement.
Le journaliste arrive au bas du sentier.
Là, le reflet de la mer rend l'obscurité moins profonde. rI distingue nettement l'emplacement de la
gare à bateaux et s'y dirige à coup sûr.
Soudain, il- s'immobilise l'espace d'une seconde.
Puis profiLant d'un rocher qui SEl dresse à pl'oximité,
se cache de manière à se dissimuler complètement.
- Que signifie? murmure-t-il. .. La consigne seraitclle mal donnée? Au lieu de canots automobiles,
auraient-ils de simples embarcations à rames? C'est
bien le bruit d'une paire d'avirons que j'entends.
Il est furieux.'
Il voue déjà il tous les diables le commissaire imnécile quan~,
à sa gl'ande stupéfacLion, il voit le canot
émerger de l'ombre et se diriger vers la gare à ba.
Leaux.
Aussitôt qu'il y aborde, un homme en saute, le tire
!:Iur le rivage, et gagne la petite porte de la clôture.
De loin, le reporter ne peut pas distinguer ses mouvemenls. Mais sans doute doit-il sonner, car au bout
d'un moment, il disparaît, et la porte se referme derrière lui avec un bruil, sec.
- J'y suis, c'est un parliculiel' qui s'amène par
cette voie discrète de la mer. Pas mal trouvé 1... Quelques minutes plus tard, il me surprenait en train de
cambrioler la porte.
A ceLLe pensée, Fernand Dissay tâte dans sa poche
son brownmg de taille respectable; et, en même temps,
ses doigts rencontrent un paguet de feux de Bengale
apportés pour le signal promIS.
11 attend le temps matériel nécessaire il l'éloigno·
!nent de ce visiteur nocturne, à travers le jardin, puis
Il Re dispose il le suivre par le même chemin, muis
plus discrètement.
�118
LE FIANCÉ DE ,JOSETTE
Au moment où il va sortit' de l'ombre de SOIl rocher,
il sursaute.
Un bruit vien~
encore de frapper ses oreilles. Il lui
semble entendre des pas du côté par où il est
venu.
- Ah ça !. .. Il Y en a une fourmilière 1 CAr celui-là
doit se rendre au même endroit que l'autre. Attendons!
Effectivement, arrivant de l'extrémité du sentier,
un homme passe d'un pas pressé devant lui. Et comme dix heures s'égrenaient à une horloge lointaine,
le deuxièmo vjsiteur arrive à sa hauteur.
Tapi dans l'ombre, retenant son souffle, le journaliste le laisse aller. Puis, il se dresse derrière lui, et
ètouffant dans le sable le bruit de ses pas, 1e suit il
trois ou quatre mètres de distance.
Et quand l'homme s'arrête devant la porLe, avant
même qu'il ait eu le temps d'allonger la main vers le
bouton de la sonnerie, une voix s'élève dans le silence
de la nuit, par ùessus le léger clapotis des vagues, ct
prononce sèchement:
- llaut les mains, ou je fais feu 1
L'ombre sursaute, mais aussitôt obtempère ct
s'immobilise, les deux bras levés.
Son pistolet automatique au poing, Fernancl DissaY
rejoint l'il1connu, cl parlanL plu:; bas, J'interroge:
- Tu allais an l'ondoz- VOliS ~
- Oui, rél/ond l'homme qui, se voyant pris, n'a
aucune raison de nicf'.
- D'où viens-Lu?
~
De Marseille.
- Ah! C'esL toi qui os loué les placC's daus le traiJl
17 ?
- Oui.
- C'est bon. Ton a1Iairc serait claire, tu t'en rends
compte, si je t'arrêtais tout de suite? ... Veux-tu que
que je te donne une chanco de t'en tirer?
- C'col selon ...
�LE 1'IANCÉ DE JOSETTE
119
- Ohl tu sais, Lu n'as pas le choix. Ne compte pas
que je vais te permettœ de discuter.
« C'est simple, je veux, moi, assister à 0e qui se
passe là-dedans. Il faut que tu mo donnes le moyen
d'entrer et celui d'entendre sans être vu.
L'homme reste un moment silencieux, puis il murmure:
- Qu'est-ce qui me prouye que, si je vous obpls,
je ne serais pas inquiété?
- Idiot 1 pendant que je serai là·dedans tu [r
Mpêcheras de te débiner ...
- C'est vrai! Mais puisque vous savez ce que j'Gi
fait à Marseille, vous connaissez aussi mon adresse!
- Naturellement 1 répond le journaliste imperturbable. Mais, si on avait voulu te « fail'a », Lu sel'ai,;
déjà en boite depuis longtemps.
Cet argument paraiL péremptoire au complice.
Il murmure:
- Soit ... EL puis, comme VOUH le dites, je n'ai po!'\
l'embarras du choix ... VOUf; n'avez .qu'à. sonner ùeux
poups brefs, un coup long et pu is vous mareherez tout
ur'Olt jusqu'à la maison, ('l, vous entrerez à droite pal'
la porte basse, ù côLé du garage.
- C'est cela. Tu m'envoies me faire pincer, hein?
- Pas du tout. Nous savons bien chez qui nous
venons quand on nous conYoque. Mais nous ignorons
fl'li assiste le Erslein.
- « EL pour cela, Lout ce passe dans l'obscurité la
plus complète. Nous autres, nous ne sommes que des
(·ornpnrses. Les chefs, ceux qui indiquent les coups ù
raire, ne Re chargent que de n6gociel" les titres et Je:;
bijoux, puis cie nons remettre ~otr.e
part, mais n0l111
llf\ les voyons pas, sauf Erstelll, Justement, et birn
rnrC'mlln{.
C'esL bon, je (e crois. Tu n'aR aurllne raison de
me ment h' d'ailleurs, ~t1isql(,
Lu ~ais
que nous connai!<sons ton adresse. Inutlle de te prùsenter ù la fronüère.
Elle est bloquée. Tu fcras bien d'attendre quelqueg
�120
LE l'lA Nd : DE JOSET~'
jours. Allons, adieu, et que je ne t e revoie plus ...
- En tout cas, ,ie tiens à ce que vous sachiez tout
de suite quelque chose. En louant les deux 1?laces en
j'ignoraIs tout à
question, et- l'autre compartien~,
faiL pour quelles raisons on prenait cette précaution
et à qui elles étaient destinées ... C'est seulement en
lisant les journaux que j'ai compris,
- Bon!... Dis-moi, pas de contrôle d'identité à
l'arrivée?
- Si; mais au larbin, vous n'aurez qu'à répondre
(c Marseille, numéro II ».
- Ça va. Fil!')!
Le journaliste attend que son bénévole informateur
se soit éloigné, que ses pas aient décru rapidement
dans le sentier, puis sans une hésitation, il se dirige
vers la porte et fait, manœuvrer la sonnerie suivant
les indications du complice marseillais.
Presque aussitôt, la porte s'ouvre, déclanchée do
loin par un (c cordon)) électrique.
Il entre, la referme, et, un pou hésitant, à travers
ce jardin qu'il ne connait p~s,
il va droit vers l'emplacement de la maison.
Dans le sous-sol qui s'élend au-dessous de la ~erasc,
très visible à cause des vitres do la véranda SOUR la
pâle clarté nocturne, il aperçoit une porLo Mante.
n va de co côté là, et franchit le seuil. i\ ussitôt, il
se sent saisir par le bras, ol il entend une voix étouO'éc
1ui demander :
- Oui es-tu?
- Marseille, numéro II, répond-il sourdemenL.
- Bien, avance,
Il fait noir comme dans un four dans ce local.
La main gauche éLendue, il se guide en LouchanL le
mur. Il doiL êtro dans un couloir, il va le suivre jlls·
qu'à ce qu'un obstacle quelconqw.l l'arrête.
Il tient dans Ra poche, de la main droite, son pis:
lolet armé. 81'usquemon.l, une boulIée chaude luI
vienL au vir;ago, et an lien do HenLil' l'lOUS ses pirdf
�l.I: rL\ 'let DE JOSI;TTE
21
lm dallage, il marche sur du parquet. Il doit se trouver
dans la salle.
Le bruit de ses semelles sur le parquet l'effraye. Ses
mains se crispent Vlus nerveusemellt tiur SOIl arme.
Mais sans doute n attendait-on que lui pOUl' rom·
mencer, car aussitôt, une voix s'élève qui, au jngé,
lui pal'aît provenir d'un point, siLué SUl' sa gauche, r.t
qUÎ dit:
- Nous sommes tous là. Numéro G, nous vous
écoutons.
- Rien à dire de plus que cc que vous avez lu sur
les journaux. Aucune diflculté dans l'exécution cie vos
ordres. L'individu occupant la place nU 3 ne s'e~t
même pas défendu. Le coup a porté en plein cmm.
Comme convenu, j'ai retiré de son portefeuille les
fafiots. ns sont là, dans une enveloppe.
« Puis j'ai mis son portefeuille ainsi vidé dans la
poche de son voisin d'en face qui dormait comme une
souche. Malheureusement celui-là s'est, réveillé alors.
Et comme il menaçait de m'embêter, je lui ai collé
un coup de casse-tête.
« Cela m'a donné le temps dr. filer, et de regagner
mon comparLimrnL.
« Je snis allé jusqu'à Dijon, suivant les orùres . .T'ai
ensuite changé pOUl' la direction de Genève, et je suis
l'evenu aujourdjhui. Nulle part le moinùre ennui.
- C'est bien . Il convienL que vous sachiez tous
q Je l'opératioll rtai L à double effet.
« D'aboru amener' l'arrestaLion d'un homme qu i
nOUF> gênait, puisque sa présence pmpêchait, ln J'('ali·
HaLion d'une opél'ation extrêmemenL fructueuso pOUl'
nous . Ensuite, supprimol' un inrlividu, le nllm "1'0 IL
de Barrelonr, 'qui avait cherché ù nous rouler LOll!'!.
(C Dans l'hisloire des bijoux (le Madrid, il ne vous
avais l'emici qne le Lirrfl cl rc qu'il avait pris, prétcndant quo le J'P, Lr n'éLait pas où on Ir lui avait inùi·
qué. Mai' nOWi (\YOl1fl faiL vrrifiel', r.L BaUR avons ('OH!;·
laLI'> qu'il mrmlait.
�122
LE FIANCÉ DE JOSETTE
« Ce n'éLait d'ailleu rs pas la premiè re fois. On gars
de ce genre risquai t non seulem ent de nous porter
préjudi ce, chaque fois qU'OIl aurait besoin de lui, mais
encore de deveni r danger eux, parce que, pour couvrir
ses détourn ements , il pouvai t penser à nous dénonc er.
« Nous voilà mainte nant à l'abri de ce côté-là. Que
chacun se le tienne pOUI' diL : chaque fois que quelqu'un flanche ra, c'est un sort pareil qui l'attend .
Un silence , puis la même voix s'élève de nouvea u
pour dire:
- No II, dans cette affaire où il n'y a eu que des
Irais, lu ne touche ras rien, sauf les débour s de Lon
voyage ici.
(( On te les ajoll Lera dans le partage procha in. Tu
peux t'en aller.
« Num6r o 6, attends ; pose l'envelo ppe aux billeLs
lù où tH sais. On va vrrifleI', et on te remett ra tu
part.
'
Le pseuùo no II ne se f<Jll pas répéter j'invita tion. fi
sort, uvee une hâte bien compré hensibl e.
Dehors , la lune vient de sc lever, eL lui permeL d('
sc dirige!' ù travel's le jardin avecll ne très grandt'
rapidit é.
Il ne R'esL pas préoccu pé ùe savoit' comme nlla porte
sc l'ouvrir ait devanl lui. Il suppos e que le contrôl eur
d'ident ité est chargé de sa manœu vre.
I! ne s'est pas trompé . Car il en entend le déclic
au momen l où il arrive au grillago . Aussitô t il tire de
sa poche un feu de Bengal e et l'allum e. S clarté
::;'étend nu loin sur la mer. Mais elle dure seulom ent
un instant .
Tout rentre bicnLôL dans la nOl'male, cL on admetLunt que quolqu' uD guette d'en haut il a pu pensor il
un jeu de quelqu e pl'omcn eur sur la pln~e.
Il faut si
peu de chmH.'~
pom' amURer de jeunes oisifs 1
Bientô t, le br'uit de deux canots aut,omo biles arrivant il tonte allul'f' vers la pel Îte plage, rl.evient. (listintl.
�LE FIANCÉ DE JOSETTe
123
Quand ils abordent, huit hommes en drscendent.
L'un d'eux se détache, va vers Fernand Dissay, qui
lui dit brièvement;
- Rien d'autre il faire que de rester ici, cn face de
cetta porte, et de cueillit' lous les gens qui essaieront
de sortir.
« Pendant ce temps je vais chercher les autres, moi.
Sans attendre de réponse à ba consigne, il se l)récipite le long du senLier, le grimpe avec agilité, ne s'arrête pas uno minute pour reprendre haleine, dévalle
au galop la penLe, eL va retrouver son ta.·i dans la
ruelle où il lui a donné ordre de l'attendre.
- Vite, en route 1 au carrefour SainL-Jean.
Le chauffe Ut' ne se faiL pas répéter l'ordl'e. Il com,
mençait à se morfondre dans cr coin désert, et se
sentait seulement ù demi-l'assuré.
Il monte la côte de toute la vitesse de son moteur,
el stoppe à l'endroit indiquA.
Dès que le journaliste desoend de voiture un homme
sorl de l'ombrr et vient à lui ; le chef de la brigade
mobile.
- Vile 1 Vite! ... Suivez-moi avec vos hommes.
Attendez. Nous avons deux voitures un peu plus
loin.
- BNlvol Je n'y avais point pensé!
- Vous aviez padé d'expédILion ..Jo me suis douté
qu'il y aurait nne abondante cueillette il raire ...
AloJ'd ...
-
(fIlO
Je ne sais cnCOl'C 'ombien ils seront... Mais e
je puis vous dire, c'e,iL quP, Hi petile que. soit ln
qlluntilé, la fjualiL6 la remplacera. Quels bandits 1
ÉPILOGUE
Contrairement à (le qu'esp6rait le reporter, on avait
vu de l'intérieur son feu de Bengale, et l'alerte avait
été donnée al~sitô.
�121,
LE FIANCÉ DE JO SETTE
Nature llemen t, on n'a pas su exactem ent de quoi
il retourn ait, et par pruden ce, les princip aux mem·
bres de la bande, en l'espèce Erstein , et le jeune comte
do Canohès, ont expédié en avant le complice resté
derrièr e le « numéro Il de Marseille », pour liquida tion de ses compte s.
Dès son arrivée à la grille, celui-ci s'est senti appréhendé par les inspect eurs de la brigade mobile .
Furieu x, convai ncu qu'il avait été « donné» par
son complice sorti le premie r, il a.dit imméd iateme nt:
- Je suis rait. Mais je ne veux pas l'être seul. Dépêchez-vous d'entre r, vous cueillerez là-haut le gros
gibier.
A sa grande stupeu r, les policiers, fidèles à la consigne reçue de Fernan d Dissay n'ont pas bougé.
- Toujou rs la même chose, a grogné 10 bandit. Ce
sont les petits qui trinque nt et les gros qui passen t il
travers .
Pour une fois, il s'est trompé . En erret quelqu es
minute s plus tard, les deux automo biles amena nt le
reste de la brigade , ont sLoppé devant l'entrée oOïcieHe de la maison .
.
La sonneri e n'a pas été actionn ée, cal' mieux que
certain s cambri oleurs, un de ces messie urs était CH
6tat d'ou vûr les portes sans raire usage des signaux
d'appeL
Il a donc crochet é avec un « ouistiti » la porto
cochèl'e, ct, à sa suiLe, tons ses oamnra des sont
entrés.
Aussi, qUflnd Erstein cL son compli ce, inquiet s du
silence comple t de l'homm e envoyô en explora tion, on t
suivi, ils ont été cueillis dès la porte de la villa par le
cheI de la brigade mobile du littoral , et se sont vus
immédiatemenL, malgré leurs protest ations indigné es,
passel' cie solides menott es.
Alors, un coup do sifflet spécial a l'appelée n haut les
autres membr es do l'équip e policièrc. Ils ont pénéLr6
pal' le jardin ct les deux troupes se sont ainsi roncon-
�LE FIAI,CE DE .TOSET'l'1
125
trùes, ramassant au fur et à mesure les serviteurs de
la maison.
Tout Cf' joli monde, entassé dans les ,'oitures de la
hrigade mohilf', a éLé inuuédial.cmenL dirigé sur les
burea1lx de Nice.
Le promier inLel'l'ogatoil'e a (~té
fuiL Helon la règle,
séparément. 11 a ainsi pOI'mis rl'ob~cni
de l'assassin
des aveux complels
Naturellement, celui-ci a, dans ses déclarations,
ûhargé Lant qu'il a pu les di['igeants, allirmant, selon
la réalité, qu'il n'avait été dans leurs mains qu'un
agent cl'exécu lion .
A la suite cles révélations de ce complice, le comte
de Canohès s'est déoidè lui flussi, à passer dos aveux .
Il a prélendu n'avoir rien fait. Son rôle s'élail,
a-t-il affirmé, il remettre le billet à Luc de Freinville.
1'1-ais le jour~aliste
qui, par faveur spécial.e, a~siLt
à l'mtenogatOlt'e, l'l. fait observer au commlssmre que
sa part a été plus grande qu'il ne voulait, le dire: qui,
pn efl'et, aurait pu dérober aH peintl'o le sLyleL, arme
du crime, sinon lui?
Pris de la sorte, il a reconnu le fait. Cela a été
sutûsant pour qu'on pût l'inculpel' de compliciLé d'assassinat.
D'Erstein, bandit d'autI'e envel'gure, il a été impossible d'obtenir quoi que ce soiL. JI s'est enfermé dans
le mutisme le plus complet, et force a été au chef do
la brigade mobile d II littoral de l'e.'péelier avec sr>:
deux complices sur Val(>nec, pour êlrl' misù la di"J)osil ion du Jllge d'instl'uclion.
**
L'enLrevuo entl'e M. SécorilJe el, Fcmund Dissay a
manqué de charme rom le magistraL. D'autant plus
que le journalii:lte n a pas cachr ù ce dernier la dÉsagréablo surprise que lui apporterait le prochain numéro de l'Anbe.
�12
LE FBNCÉ DE JOSETTE
Néanmoins, bon gré, mal grt>, le juge d'instruction
a dû signer une ordonnance de non lieu en fayeur de
Luc Freinville. Et le joumaliste esL allé lui-même
cueillir son jeune ami à la sortie de prison.
Inutile de dire leurs effusions et la gratitude de Luc.
- Mon cher, sans ta fiancée, j'étais fichu de ne
m'apercevoir de rien pendant quelques semaines
encore. Et ensuite il aurait été trop tàl'd ...
cc C'est donc à elle que tu dois tous les l'emerclrmenls
et non à moi. J'ai été entre ses mains un agent d'exécutIOn .
•
cc Je ne te plains d'ailleurs pas de ton incarcération.
Elle aura été pOUl' loi un grand Ruccès . Car }'erreUl'
dont Lu as été victime a fourni à la jolie Josette l'occasion de proclarrer ses sentIments à Lon égUl'd à la
barbe de son père ...
cc EL la moindre réparation que puisse te donnel' cr
dernier, pour avoiI' cru Ll'OP vite à ta culpabilité,
sera naLurellement de l'accorder la main de sa fille.
Commr un bonheur ne vient jamais seul, je Le garantis que lon mariage aura tm fail de te l'pconciliel'
avec ta famille ...
cc Aujourd'hui le bonheur ... Demain, la gloil'e ... Tu
aS touLes les veines!
FIN
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Le fiancé de Josette : roman
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