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Édllions du
Pelil Echo de la Mode
1.RucGazan .PARIS,.,
�PubllcaUons périodiques de la Société Anonyme du " Petit Écho de la Mode",
f, rue Gazan, P~RIS
IXIV",.
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BRADA: 91. l.a Branche d. romarin.
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J'OD d. la BRETE: 3, Hiver 01 Vi.,e.
A.dré BRUYÈRE: 25~,
Ma cou. in, Ra/,in·hrl
306. SOUI la
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R..N. CAREY: 230. Pem. Ma". - 2~,
(n Chevalier d'au/ou,d';'ul.
Mme Paul CERVIÈRES : 229, 1.a D.rno",lI. d" <0",pI16/1ie.
CHA 1POL: 67, NoW •. - 209. 1•• Vœu J'AnJ,é.
CHANTAL: 339. C",ur de Daool...
J. CHATAIGNIER: 342. V"ilable amour.
COmt.... CLO : 277. - L'/nél·ilubl••
M. d. CRISENOY: 2')8. L'Eau qui dari. - 310.1.0 Con,ci.nce Je C.Ibtrle.
Eric d. CYS et J•• o ROSMER: 2~8.
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Zén.id. FllURIOT : 213, l.oy"u/é.
M.ry FLORAN: 32. Lequ,1 l'aimail ~
63. Carm.ncila - 83 MeurlfIC
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173. Orgueil I)U{fI(U .
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H ,but FLOW RDEW: 322. C",ur aff,an"".
Jacqu .. du GACHO S: 148. Comme uno la,. anl tau ... - 330. Ho...
011 la llanc/e .le p,ol'lnc<.
341. 1 c Mouvai pa.
An.·~l'"
GA ZTOWTT : 326. la Scrur dll boncit/
P,erre GOllRDON: 2·ll. 1 e Fianci dl,par". 30lo J; A ppcl du />"",
J.,q." GRA DCI/AMP: 232. Yaimer tnco, .
J... HlRICART : 272. 1 el C",urJ nou.eou •.
M,·A. Il ·I.UT : 159. Seult dan, la de. - 21'9. f " Ce",l" J" c",ur.
Mu Hl!N<".ERFORD: 319, Amt d. cDqutll•• - 338. /) ru.
J... JEroO: 311 [1 l'amour vlnl ... - 32Q l.'Amou,.u.' de IJ~
.
M.rc IIDIfRS: 308, 1 t .lfarlaee de "'·tl/y.
Rué. KER'ADY t 287, Crutl Dtvolr.
( Suite au vuooJ
�flrincipao: volume. parue __ la CeIIectiM (Juile).
l. cie LANGALERJE: 325. VArnour l'emporle.
H. lAUVERNltRE : 2i' 1. En mar/anl 1.. aulr... -
292. Un Elrange
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M. J. lEDUlC : 309. VEnigm • .
Hél ••• lETTRY : 265. Fleur ,auoage.
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J.aa MAUCLÈRE: 193. Le. Li.n. brj,iJ,
304. L. My,/érieux
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Edith METCALF : 260. L. Roman d'un joueur.
M'iali MICHELET: 217. Comme jadi, ...
J••• nett. ~IORET:
331. Jo ..lle, dac/ylo .
Aune MOUANS: 250. La Femme d'Alain. - 266. Delle .acrk 281. Plu. haull- 314. La Bu/".nnitre. - 337. C/,tle exilée.
JOlé MYRE : 237. Sur l'honneur. - 335. L .. F/ ança/Il.. de ROleltt.
Berthe NEUlLlÈS : 264 Quand on alm....
Claud. NISSON : 297. A la l''/èr. du bon/•• ur,
O'NEVis : 291. La Brèch. dan, 1. mur.
Flor•••e O'NOll : 323. La Dam. d'Auri!.
Ch.rle. PAQUIER : 263. Comme la fleur .. fan ••
~l ....u.rite PERROY: 285. ImpoSlibl. Ami/ié,
Alie. l'UJO: 2. POllf IlIi!
A. c. ROllAND: 269. Enlre deux coeUfI.
J•• n 1I0SMER : 290. I.e Silence de la coml.....
SAI/il'.CÉRÉ : 307. Sœuf Anne.
lub.lI. SANDY : 49. Maryla
Pierre d. SAXEL: 284. Une Belle·/I,[è,. à loul /alr., - J16, Pour
elle!
Norbert SEVESTRE: Il Cyranell.,
Gilborte SOURY: 324 Maryal/s.
Jean THIÉRY : 312. ,,'ollveaux oenu.,
M.rie THIÉRY : 279. La Vierge d'Ioolr••
Lëon d. TINSF.AU: 117. I.e l'Inal. d. la Symphonie.
T, TRII.BY : 21. Hlve d'nmour. - 29 Prinlemps perdu. - 36. La
Pellcte. - 61, L'I"ullle Suer/fice - 97. Arielle, Jeune fille modern •.
122. l.e Oroil J'aimer - 14-1. l .a Ro"e du mou lm.
Maurie. VALLF.T : 225 1.0 Cruelle Vlcloir<.
C. d VÉRI NE : 255. Telle que j. 'u;,. 274 La Chan.on de
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Vue ,1 KERf.VEN : 247 Sulula .
Mu ~u VEUtIT: 256. I.a Jcannelle.
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IL l', R IT DEUX VOLUMES PAR MOIS
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volume," au choix. franco: 8 franc ..
CIRq
�c 2.
BRADA
APRÈS
LA TOURMENTE
)
COLLECTION STELLA
Wtion du .. Petit tcho de la Mode·
l, Ru. Guall, Pari. (XIV' )
��APRÈS LA TOURMENTE
1
Henry-Louis-César de Lacoustande. avait été, dès
prime jeullesse, aùmis i\ la familianté de M, le duc
de Chartres et, à l'exemple d\! cc prillCt::, s'engoua dei!.
idées nouvelles, prôn,lIlt tC,mC,r,lil'l'11leut les doctrile~
l'C,galité et proclamant l'urgen e des mesure:; quI
;oulagl!raien,t les pauvres; fm) 'ml de bonne heure
a\ e,' les phllosoplt 's aux utovie les plus hardies, ;1
apprît à railler cc roi faible <lui allait sî ,locllcmellt
à Il messe! Lui-même H,1it unlquelll nt dé\'ot .\ JeanJacque' et considérait le Contrat ,1ocial comme 1'( 'livre
maîtresse de l'esprit hUl1lniu; p!l-Ill th: sen,ibihté .lu
reste, et s'éprenant de toute doctrine qui lui p~rais
sait devoir h5ter la venue de l'lige ù'or auquel il
croyait avl'C une foi enlière; bref, un cÎlartllant ·t
dangereux exemplaire de cs gentilsholllmes :luxquc1s
pet1~ai
la pauvre reiul! lorsque, dllls une visiol1 prophdlqllC, elle s'écriait un jour, aplès une méditatlOll
<loulou reuse : • Cette noblesse llOUS perdra 1 »
'é III 111 0 IIlS , malgré [oule ('ctle tUl11ultueuse eff rve,,'ence intellectuelle qui
• dépensait surtout en
p,Hol·s, le jeunc comte ùe Lacou,tan<1e n'avait escompté, ~l1cor
'lue plaloniqucl1lèIll la, rèlonciat~{)
aux pnvlkg'~
de sull rang et de sa naIs anCl:, .I!rolt'e
auxr[uels 11 s'.tllIa, ,Ians sa \'in~t-duxlIc
nnnUe,
la f,uuille de très haut ·t tre~
jJui"ant seign 'ur, le
duc de Barsac, ùont il épOUS:llt la tille cadette, l'exSil
�APRÈS LA TOURMENTE
6
quise Souveraine de Barsac, âgée de seize ans, Jolie
comme les Grâces, et qui sortit du couvent cie Peu illemont, où s'était faite son éduGltion, la ,-cille dl se
i=puusmlles. :'II"'· la duchesse de narsac était une des
nngt-qnatre dames lJonr aCCC,lTIpagnc.r de • Imo la comtesse de l'ro\ cnce, et nul n'ignore que, dans la petite
,our de 1lùnsieur, ne régnait J,as le rc'spect parfait
TJc,ur la persollne du roi! Toutes les dang reuses YaI,~urs
qui, à <:ette époque, HottaIent oaus l'nir, gn'Lftmt la Jeune (,)lIh~'S!
de LaCollstaudt:; elle portngea
l t outra même les opinions a,nc~t.
dt:: 5011 In:lri,
npplaudi 'ant an,c cl autres in~el
~LS
au.' lLte~
de
d 'oLélssalw
qUl t:clnt:lient pnrtuut,
"Ioll'Ilh
t
fut ciu uombre de edits
<-mbre ; la charmautl' fel~c
qUI di=clarnicnt Cl! rlanl lromer fort natmel qUl' le
peuple ne \'cuilk I.ay~r
ni il11l,ût , ni droit!;, III !ICt!t..S!
COI\\"nillt'u mnlgrf tout de la bonlé fOl1cièn: lI, la
D:lture hUIll,1inl', :1l1lle, seloll l'exprcssll'!1 ,lu lClI1T'S,
de 1n\l!/It/iOI/S dO/las d pl'rsuadée qU'l:!1 \ a atJt
r
tOU S UII
pc upie
OiJtil'lldr'lll tout
Cl: 'lU '011
\'olllJroit
Ùh L01l
!.Jn.llld il dn tilt é\'ident, lllt'nw pour les préveutlOns
le plu oplimi tc., que la di l!te IIICllaçatJte pourrnit
bIen ':In: 'lt'COlllpa, née de (II "<Jucnces {-ricu l:S, le
('( mIe l· la (,OIl1t sc de Ln('tl~a!He,
avec une hdlc
ardeur dl' néophytes, quittèfl'Ill hrn\'ernent l'hôld de
Bar"a, où ils Lrillaielll ct S'CIl allèrenl h leur ,h"lenu
d Salllle-Honne. dnn le Hordelai!', afin de foir régner autour (l'eux la félicité dunt ln réalisation Il ur
parei Salt l'ho~e
si ol.é('. II !'uft!/81.t d\! IlIdtr
Il Jlratl lue kur th"ones pour 'Ille 1 agitatIon souNe, ('nt
ln dOllnITlUe de Lacoustollde, (kl1ur~e
~ Saintc-J:()IlII
ra:
pa lait H\Cl flll)enr dans se lettles, dbpar li~"
pidulllllt.
_ltmc la pri~c
de ln Baslille Il'ébrnIlle pns la SlIl'me
('ollfi"ncl' dn sei 'lleur Il Sainte-BoIlnc d Il'! l!lle; pr che
l.Iltentc fraternelle de toutes lt;s clùs cs. ~c
LC TTlSpond:lIlt (Je Pori cxnlh;nt III UlagIl Il1!it~
clu pt:upll',
ct Il I&ch
111:1'1 ner du j.(Ou\'ellleur, qui s' 1 ft.;udu
~lIr
l'
ml,t SOL ré ' « Foi d 'o!TIciet », est l,or té nu
hapitr lit
reidcllts III Iheurcux que Jlul IlC /lcut préVOIr.
L'uu
IL,
prilleipallx correspondnuts
{l
"'1
de
{st SOIl Ir te Jluîné, 1'DLbé de ;\1c oc;
ct;lui-cl, Il!1 P u. cOI;trefait, mal, .d'e~pit
vif t i,(;l~
pl ae , fi clé Ollcnte vers ln carnère 011 Il pOli 'OH le
mit u:'t fair' fortull • denx de SC9 o!!cles étnllt h'':'lucs;
ilu'o encole reçu C]1I{ les ordres nllueurs ct n'u ullCUlle
tilt I1tiOIl d't'Il n'l'nOIr d'autres; parfaitelllcllt inCfln Ollt cc qm' il 111 1(' e<t cul ;\ ignorer, cléhaul hé
('11 Sten:t, tlmhitieux ~ous
dl~
dehors d'humanité, il
Q('{'uL:.lle avec ulle joi féroce chaque nouvelle ecùus:.e
1.3C()U~tolHk
��8
APRP'S LA TOURM ENTE
il a rt'nepnt! ~ d~s
reR"ards, il a ~urpis
des propos dont
la ~;Jgnifcatol
ile laisse aucun doute... à SainteBonnt!, dan~
lL pa\s, c'est pis. Etiennt: Lasbiec , l'intendant fidèlt: et intellige nt, qUI, lUI, a compris l'illlprudf.l1c e ùef; concess ions rél,étées , ne cuche pas la
\ érité à son seigneu r. 1>l ~ émissai res sinistre
('ourent la campag ne et SOllt apparus snr la pl ..scèpardu
dll ... e à plu~ers
re)irlses I,c~
menson ges l, s plus
l'1l0rDlU ; troU\' lit l'r':dlt et ont (les
Olle!: pour se
lépandr e, IJr{:parnnt SClurnO I'llllt'nl lous 'es êtrt.:S
ruut ;\ L Jlfilliquf. qui dltole la btte humain e IgIIOt la
rend IllJplaca blc
Ils IIJ1S dlselll ql'~
le mi a r tiré
~a
parole JUlée d qll'il ne Îant pIns c 11er an. noblc;
d'autres annon(e nt tille ill\ilsiolJ prochai ne de bngands ... anglm (t br ton,,; on \'a lIIl'mJu sqn 'à t;Jl cHier leur nombre ... ; chacun se croit en daager, l t la
l'eur a\fugle règ~1C
j pr squc tous les pays~l
, sous
l'(peron Il ln cramte, trouven t au foad ,1 S YI li.' ùas
où "e cache la pauvre épargne les dix ou douze liHPs
née 5.lln.sà l'achat d'un [u il, afin d'être t;l1 n,csure de
~{'
<lU mite Je jouI où SOll!lèra hl tocsin; Il'a-t-il pa~
d Jo\ relenti un matin dans clnquatlt t.: paroise~
à la foi !
1.e I,éril se J'approc he, d Etienne Lasbiec multipli e
l~s
a ertiss ment!:, M li I,acoust ande, triste et clesa·
bl1sf, c,nlIe à Eon tonr ;\ quitter III Fran e; mais, ,lans
sa tém "THlIl,' urallCC, il a lais é conh ries sunalllt'
S
t:t le J1Ioi~,
et mainlen ant un obstacle presque in urIllOutnlJlc l' drc.'e dcv:mt lUI . la jeune (,ol1te~s
c ... t
arrh'ée au d mier lenm cl 'un' gro,scss e lon~tmp
,
nId Illllleut dé·irée, mais qui a été tr~s
pénible, t son
état de santé actuel rend l' ntrelJrÎs e d'u11 départ plus
ou lIIoins précipit é trop périlku sc; il faut, pour l'cxl:cul r, attendre Il". rel \'tlÎlle 1 Du r & e, maIgre tant
ch d{boire s lt (1<, (rist sscs, le ... dgllt.!ur de ~aintc·
Bonac l'persua de qlll ni lui ni les 5iens II( cour nt
,Il, clnn 'cr r';el; il aime à c répéter et à répéter li sa
{([nille 11\1(" véTlt': qui lOI scmulc conclua nle : Nous
,.'avOIls ;al'Illis fait qlle clu biclI, qui PLllt nOI(S en
<'''II'"lr7 IIéltT!\ 1 dte affirmat ion COll sol ante était des·
llll': à rt.:celoir une rude r':polls!:
II
L 'lI ~IH'1(:lt,
qui, en d'autres temps, etH prm nqué
Illlt allé Tr 5 t: élllrai sur ln t(;TH de • ain(I'.Bol1l1l
s't' t I~a
<t- d'Url.:! folÇOlI )ln~que
c1a!!de.-...inc; com 1~
(ln l'ramt tout, 1... sage-fem me a été IDlrodu itc en sc·
�APR1i:S LA TOURl rlENTE
9
par
cret et est pattle de même La chambr e oc upée
se trouve à cIIe tourelle ù'üugle
la jeune comtes~
11
d fait partie d'ua apparte ment complet (comn'e
y en a plUSieurs semblau les dans le cllût au) Ù011t
conlluan d{nt et où l'on U'occl:ùe
~e
toutes les pi~ces
que par UUe [troit<- antlcham ure, mume d'une porte
solide; un escalier iotériem l:ommu nique aH'C la chapeile, et, en cas ùe besoin, on l'eut gagner le dehor:;
u11 S'" trouve donc il l'abn dt: tout
sans ttre ob~ervé,
espionn age.
,Ilueaux de boisene ,rhs
Illt,'
Van" la bell .. plt~C"
de nœuds d'amou r ou, le<;<jl els de colomue s se Leeht
~(l
quettcn t, :\1100 de Lacoust ande, couchée dDn~
de sOie blauche [lU_ rldeau_' relevés par des bou(Jue h
ppa1
l:lIcore ctltourt: e de toute
de plumes, ~5t
qUi l'oot accompngllL'e
rence du lu. e et du reSlA~ct
. Elle dort, d tout selllblt: pa,slbl
dep111 ~u nai~s,lIce
l\;'"
(-t oùr autour d'elle; etes uougies , placée" dans
de bronze duré, de chaflue côté de l ('heaphque~
de bOIS
tnmh', j tlent uue l'laTté douce; dC\'ant le f~lI
g lienH nt d l1X ICllImes sont assises 'tll' cl Il
qui n~plt'
ur
taboule b Las; l'l11le st _"aneUe, la llOurnct:,
de lait de ::\pne de Lacol1N lande: la paysann e Il <e\ ré
son pr"I,re enfant pour \' Illr cherche r la nul!\ dll
1ll'C rIe la mai on de ses selgncu rs auxquel , iid( 1 à
lot a\eu
UllC longue h'rédlté de bienfait s reçus, elle
C s temps de dïc' 'tlOll et
dé\·ouée . DQll
~1'le
d'dfro\ abl' IIlgratit ude, 1 5 maîtres de Saint ·Boum
de
sa ent l'0uvolr s'en n:mettre à la fidélité ahsolu(
tout devoir il 1.1 !-'Otl\ llle-ci ('on~idèr
• Rb lte,
le mime Jour
CIui, c;tI III l1an~t
l!tllll' dt' Hal'~c
qu'ell -llllllIl', lUI. fnlt de,n du petIt bien où e1l. \Il
(t
trnllqud ll fl\ C" ';011 Il In ri , ut! habIll for!!, rOll: l'I~
h<"!rrl'ur tout"
pIeux ct simpl 5, )Rnt ~1
lui ,t,ul '~us
lIol1\'e\h: <" d, en kl1rs Il HI III , J'cnfant
le lIa!gd1t'e~
née clan .:ll: temps i tl1nlh ur II.' era en s(nel,: 1
M"'· de LaCOllstnll\le
la ~épnratio,
Ùllll 'Ille ~OIt
ne sent que tllot,jlen talll:l. car
S 1II111.e,. l'al' ~Il('e
(~t
échéanc e', csl intact ,Ians
l'e pOl! de tetou', à l.!·\'~
par\:uts, Souda III l 'al couchée se ré, edll cl
1'<Îltlt (~l
apI,cll
mUe 1
c'est une belle ( éa·
\e nu~ilôt;
au visag .. éncux, aux yeux l10ir ; llle
t s'al,pru llie klltCIIILllt du ht;
Il l'nll (alllle d robu51('
lIfaIlt (1IIIllDllt S Lru , (,lie berce <JOU( CrllCllt 1'(
llUIS
I:gnrde
;\Im dl' I.ac()ust l1'c; l~
ltll·t lt ~Idorlic.
( redit
1111 11I0lllcil t tonte' deu.' tIl 511clll·C, ~I(
un l,eu ur c oreiller ct, 'adre!> allt il l'autre
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fUlll111 qUI lI'a pas bou é, dit dounm lut
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�APRÈS LA TOUR:\ IENTE
10
Aurore, pa~se
dans mon cabinet, laisse-m oi un
moment avec ::-;anette, je veux lui parler,
L 'unlre e~t
obéi sans un mot. l'il le Aurore l'1iquet
possède cependa nt toute la confianc e de sa maîtres se
<:t 1.1 l1~rie{
mais elle sait la gravité de l'h('ure, ~'OIl1
prend "t n: erme di~crètemn
la porte.
:\Inoo cie J,acousta nc1e ne palle pas d'abord ; son !l racil.'uX \'isage, qui semblai t pétri pour les ris et Que ~es
récentes souffran ces ont pali, est revêtu d'une expr(;ssion dc tristesse profond e j ses yeux erreut autour
d'tl" avec une l:\'idente détresse ; 1"lme de la fr'::le
[etllllie est vaillant e, sans doute, mais en ce moment
le ul l'~
affaibli trahit sa \'olonté ; la yoix trembla nte,
elle ,h!I11:lllde à ~anet
de lui remettre l'enfant ; la
petite fille change de bras sans que son sommei l en
soit 'Ilterrom pu; sa 111ère la contemp le 10nguell 1t:nt..
- 1'\allettl.', dit-elle enfin - ct le regard de ses yeux
cl 'un bleu p:de plonge m'ec uue sorte de passion inql\ll:tl! d,lIIS les yeux sombres ,le la pavsaUl le qui,
les I<:vres serrée>, comnw CI,l~'!ntr:e
cn elle-mêm e,
l'l:coute relll{icu sement, - • 'anette, je te confie ma
filk, Il! trésur lJue j'ai attelldu (li" ails. J'avais touJOU!" c'I,,,r,,, si le buulicur d'élre 111ère m'était a'cordl'
Ilu 'HI!' mou cl1f.l!1t ùe 1110n l'lit, ct il faut que j'" r'~
nonce... Ah 1 continua -t-elle cil fri~sOl1at
tCII !la nt
l'orolle instinct ivement , ,~o1tlmc
ùans l'atténte ,l'un
un: l illlTlI1:lnt notre (langer ('st bit'n grand .. , J'ai
bu
l
le i ul de la l11t.!rc,
Nnueltt.!, je t'ai faite la marrain e (le
1111 lillc ... ,\S-tll bi,en compris à quoi tu
t'en~agf1is?
UlU, notre ch~re
,Lll11e (lu bon Dieu, OUI, n'a'tez
\J ' ( .. ~ c)juntes , cet u~
mUll\',lIS 1I10lllent à passer;
d'let un an, tou5 l'CS l~e('hants
auront disparu, vous
Ill,' 1:"'I,1~nl
\·,)tre mlglloll llt'.
~r'"
th: LacousC ltJlle SOUI"rt" dUlie petite brille
fl'rt \c' (oule sur sa Joue; elle .l'arr<'l<' (Ill
doigt
l' Il: cllcr de tom bcr ,ur le \'1sa '(' de S:l Ji Ile : pour
Je l'al <'ru, Nanl:lte ,; .l'~I
,'ru au bOllheur pOlir
tl"
)L: \oul.I~
y nl<!r.:r, Je Il:, en», l)lus,.Je Ile Sil!,
('(' r;l1I ,,,Iv ICI1?'lra cie llO.US, 111<11'i ntl)!'c le-tm,
raI>'~lc1,1 l'te 1 te f<lb gan!lultl !-' ,des t \()Ils dc 111:\
hile .. ,
Tu Ile 1 ahalll]()lll1l'raS J.ulla" ' ...
_ ~ur
11IP!\ s,dut
n!p~>I1.d
grn\' I11l'nt h (l'I\"ianl le,
Â
j \'011 III n,ole 1111 <:tre
tHlde, cie dOl1l1er, s'II le fnut
SlII \ II,; IJ()lIr e - I l e ! .
;\1 1 i, '.11 lC lte , mercI; je le crois et J ',Ii con-'
ti
lIh (
II \ .1 tllte l'o!l"lc pa IIS,C , puis ~a,
paysann e a/oute :
1,;11,' ~ ra IJ1L'11 SI)~l!C,
LI dICrtl!, en nltell\ ,llIl ~a
('1 Il' tn
111111.
_ (lui - el /l\,(~'
1111 l'"~
dantl :-:ll1ellc , ou\re ~.1l
<;o~lpir,
- I:n nou~
atteubrUll mou bureau 1
�APRtŒ LA TOl1R:\1ENTE
II
La nourrice exécute l'ordre d, !lttentl\ e, en attend
un autre. :\1"" de Lacou~tlde,
berçaut sa fille sur
son cœur, contmne d'une voix bas::.c
- Tire Jç tIroir de droite 1
- Ce t fait.
- Il \' a uue boîte devant toi?
- Oui, ... MeC une peinture dessus,
- C'est cela; prlnds-la et ujJpurte·la-llIOl,
La Luite est mi e fntre les mains de 1.1 1Il de La·
cou~t
m!c qui l'cxamme avec uue sorte de {el\,(,lH,
Dans un cadre ovalt.: SLfti d'or, Ih:l1ry-Loul 'lésar de
La< ou t llIcte, ,eigut:ur de Sainte~BùIl,
et Som 1 ûlr.e
de Dar,ac, sa jeune éllouse, sounent à des sJlect tl ur»
IIll. glll'ire . Les vOIlà donc tous deux 1... Elk, pote
unt. ulrl ... !llie de tue~
pctlles fleurs dans cs ch '.~ux
poudrés t.t dressé. en pvralIllde; des f lbalas
charmants la v~tJ
sent, tlD ami)le fichu blanc com re
, éJ1aul~,
t U1I large ceinture l d'un ru e \ If, lUI
eUllt la taille; le br.! arrondis tll'nnellt, d'ul! ge le
nlJguard, If! guÎtflre, duut un dOIgt iu::.cll: eflllur l(~
t'Urùl . Lui, sous la neige légere de IOU pCrU(l~.
ic·
('01\\ le un front pleIn de lloblcs,e et un vlsag" jumê
(t tin, à la bOl!che Ldle et Lien modelée; au 1 \ crs de
l'll,lIJlt gris tourterelle, une gro ~e
TO e
'épanouÎt..
C'eot l.l to Jt 1t! pa sé U\ tC on él~um'!
sUJlTlc11le H
C
~on
IU 'Jl1Clance. Et que Sua dcmnlll'
l'l''''' <1..: l,a"'ol1 tande ~ent
qu'elle Ile va plus être
maitres e de son émotioll ; elle se détol! rue de sa Lt.UtcnlplûlJon, soupire et reprend :
. - .. 'ailette, eIl\ eloppe et~
boite cl prcnùs·c Il ~OIn;
Jt: \ cu. que ma fille colln.llS c no traits, l ' lIe oe
doit pa nons re olr .•.
t Il sanglot coupe ln parole à la j une comt
e,' Il
s'Illcline lin instant u\" le p<.tit \ 1 age paisibk d,
ré QhUI1f:llt, e domine :
ur tOI?
- l'ourruti·tu cacher cette lJOÎt
1)'une voix sourd ct nHoCJuh', • 'onctte réfJund :
- l'our ûr 1
Lacol1 tande 1'0'1; a lille sur l'orelllt'f
AJor :\fm" d~
t lnlcve d, .1 ('(li{{' de ùcntcl!t tille épingle (l'ur; t
de la pOlllte, sur J'écailll' llltl'TleUle Ùl' Id boîte, au
T(:\~rs
de ln pellltlltl·, d'ulle 1ll0l1ll de\ l'nul' <-"ml ')1
fi l'Ille, lr:lce <Il carnd le gnffés: .J'(l/II 11It! rll. »
ht, Llu·dc sou 1 a\t.:c al plÎLaliulI, ajoute .cs 111ltl JI s.
- 'ru ne . 0:5 pa lite, tOI, • 'ElIlltte; lllalS l!le !1I.ra
III e.
- lhIJ, t'li saura hre
Ln l'Olle e t nçl1e ('OlllIllC tlllt Il hq'U, mr,nl':c
d'abord ÙIIll lIl! mouchoir de lOll1cur, Jluis di par 't
dal} la. poeh d'llll Ù
BIll])I. JllJllS
• la 1I011fTlCe
qUl lJ:)lse <.;Il Iule dé,votellllut la mali! (le ~.J
lIuble
�APRÈS LA TOt:R1-IENTE
I2
maîtresse; celle-ci a clos un instant les paupières,
jJuis. comme 5urprbe par une douleur subite, appuie
une main sur son cœur dont elle semble compnmer
les baltements. Enfin elle murmure:
- Un lève ma tille, sa vue me fait trop mal; il faut
que je I;(rlrde me. forces ...
Ut elle répHe ;
- .:\Ies forces pour partir ..
• -ailette rdourlle près du feu. serrant l'enfant plus
étroitemellt contre sa poitrine. que bientôt ellc découlre. et offre le sein aux petites lèvres andes
Au bout de quelques secondes, la clochette plac~e
au che\'t:t de Mm" de Lacou lanùe tinte et rappelle
Aurore. Ellc paraît. tenant 'n mallls un bol li 'urgent
plein dt.: bouillon qu 'elle présente il. sa maîtresse,
Ccli -ci. silenCIeusement, le boit. et ensuite. d'un ton
crallllli. demande :
- J'l'l1 de /lou\'eau?
_. 1 ILIl du lout, :\Iadame la comtesse,
:\1' de Laeoust.lnde a appuyé sa tête sur l'oreiller;
elll! ,~t
si faible que son courage dl!faille la per~
llll! .le l'épreuve (JUI l'attend l·accable. Eile fcrme les
}'('IIX
~nl'or!
un peu dl! sommeil dans cette chambre,
'ou 'I.! toit •... l't il faudra partir. ..
L.' l' PlIS de l'ac{,ouh(~
est dl:! courte durée. 11. de
L tClJl1slnlllle " elllr'oul'ert nne pl'lite porte du che\'et
d ',II'.IIH'e Snr k ~euil;
il jette un regard mquîet l'cr
le 11 l'ni", surlllollt:lllt son truuole. sourit il. sa jeune
f l'IIIl!.! :
_ Comment êtes-vous. mon cher çœur?
1\ru de: I.nclJllst;Jnde a pressenti immédiatement
qu 1 Illl! l!IO S • tic gr,ll'e; si lIo1(!ute auparavant, toute
son énergIe lUI e~t
revellue ;
Jt· Sl1i~
IJicn, flenry, trè oiel1.,
Et (lie ,ljoute :
_ l'r'te 'il le f llIt .. , Est-cc pour ce ~oir'
-
..
n, 1•.'
Co.!
oir,
111011
ch 'r
n:tt10UT. ]>a~
('C
11 f,l: présenle
,;oir;
ulle
elll'oy<:r :>;anelll! à Bordeaux, (·t
T)I'ul-être s.lRe ù'cn prunter,
11l C'lclll!/. :'1<:11. Illon ami, ... 5nUV0l15 au 1110l1lS
notr
'lI 111t .. ,
-'1I1elll: e t pr0le, N'est-ce pa~,
m.l
Jill
11
'l'rêle'
LI :.O!.lI'n 'C s'e l dressée, belle de vIgueur cl de
\OU, .1l(!~Z
pi1s;
ho il Il (,,'l'.1"1011 pour
Ile
Il
~eulmn.t,
1.
(\ • '1 1011
_ Je
.UI. prêle!
11'Cl' une sorte de gr,ll'ité ;\P"
de
tan le, pin u.hn,che que e oreiller. \'01. j" 1
lJ<'1l1 mJ petIte tout a 1 hcure, .. Il' l11e 1,1 monlre pl
Hellrl -LOUb-Cés ir de L'lcoustande ~'et
retourne et
J~
l',1t );el1! dit
1 011
�APRÈS L.\ TOlJRMENTE
13
se tord les mains a\'ec oé~epir,
puis, faisant yolteface d'un ton naturel, il réplique:
- ' .\Iors, touL de sui Le.
_ La mante de Nal1ettc et les effets oe la petite
sont oans mou cabinet, répond Mm" ùe Lacou~tnùe
...
Surtout, que la petite n'ait pas froid .
_ Ne craignez rien, mon cœur; tout est prévu, il
n'y a rien à craiuùre.
Les 'cux d!latés ùe J\pne de Lacoustande demeurent
fi.xe· pendant que, sans un autre mot, N.mette se . dlngl' vers la porte,.. quelques pas, ... elle y arnve.
='L ùe Lacoust::l1lJe l'a ou\ erte avec une h:lte' fébrile.
(;ne seconùe encore, et la femme et l'eufant l'ont
Jl1 sée, ... et la ml,r' seut que jamais plus elle ne les
rc\'<;rra ... Elle ne crie pas, elle ne pleure pas i elle est
fi:::fe d'lns l'angoisse . .:\I. de Lacoustunde a tiit à Auron: avec précipitation:
- Prenez SUIll de i.\[m.' 1.1 comtesse, Je rc\'Ïens .. .
Et .\urore s'empresse nllLonr de sn maîtresse, elle
lui hit respirer de l'l'nu de la rcine ùe Hongrie, di'
frotte ses mains eX,[lllgues
d,nt"
- Mon Dieu, répète :\111,· Mlquet entre se~
tout en s'efforçant de ranimer la malade, eUe ne
pourra .inma~
partir, ... nou
sommes perducs, ...
perùues ..
1 Lndnnt cc kmps, pnr l'escalier intérieur, :\I. oe
La IJustanùe, Hne l,mtl'rne à 1 main, pr"c"de Nanettl'
ql l, oc ses brns forts, protc,,"c la l'dite enfant; IItl
l' ,S,II:(C <lH)oI~he
dnlls la tribune réservée aux ch:ltel'Îlh et domillant la chapellc; une chal1llelle est
po ft! à terre el donne une faible clarté Nanl·tte yoil
JCI II1t cil" It; curé de Sainte-Bolllle elle le n'col1n(lIl
au ns.1\(C, car il porte une gro'iSC hO;lppclanc1e de ,'ouleur; c'l,t qu'Ii e. t venu. au mépris du péril, ùOIJ!ler
ft Sl,n ,eigl1l'ur l'avis du d'l11l:(cr pre,sant.
l)1\ parlc, COmll1l' li 'ex\Jlflib r:loricux, de h r\e~l
ru\'t!, 11 des chiiteaux, dont a nouvelle est accueilhe al 'c
Ullt' ~ortc
d'exaltation; le paysan sait qu'il n'va plus,
dé~ormais,
à craint!r' h l1aréchus~'
qui li'ose pi!
marcher contre le peu pIc; pourquoi I~ peuplc , e ,('m',
rait-il) Les pires instincts sont oéchaînés, et des 1'0\1·
t'Iltabules tumultueux sc succèdl"nt dans le l'ilLlge;
Ce[leIHl.l1lt, clueJqlles paysans rési~tel1
encore, avouflllt
leur répugn'\l1(' :\ s'attaC]u or à un si hon sel~Iur.
mili il est certilin '1u'il- seront <léboro.:s, on \ ' l ju'qu'
. ~ Icur (lir.! que (''l'st pIT pT/ln du roi .. D'un lllstant, l'lutre, la (Il 'ue protecLric(', faite cie l'antHluc
respect, sen r'll11l'ue.
L'un de '('\IX qUI eSS:JHnt de ré_hter ou courant
�l4
APR~S
LA TOUR:'1ENTE
a eu le courage de vcnir prévenir le Vleux curé de
l'immlIlEllCC du IJ-éril; on parle d'aller saccager le chflteau, il faut av~rli
le ~elgnur
afin qu'il pUls~e
llll'ttre
au lIloins les siens à l'abri ... Les dctl.· hODlmes, III
pt:u de lIlots, s't.:lllt!ndent.. Jamais un Périsse n'a
manqué a ~on
!'eigneur, et cefui-ci lie veut pas C011111Il'urer; 11 doit pléci.émellt aller à Bordeaux, a bonne
j11ll1CIIt l,l capable cle parCourIr la dlstauù' salis fail,lir. et, sous ln b;îche de sa carriole, il dlsslmulera
faulem nt une femme. .. Tout ~st
combiné, et, l'.lme
l<llllmée par l'idée dt.: .e d':'"out:r, le CUlé ~e
mlt t.:11
ronte; comme il pos.èdt: tlne clef de la sacri~t,
11 d
pu pénétrer ùan~
le château, au" qne la ,aletaille soit
lIlformée de sa présencl j Je:; aitrL~
lui sont famIlIers,
ct il a rejoint ::\1. de Laroustande à qui il d~IÎ\
re (Jn
me age., PUIS il retonrne, toujOurs sans ltre "lI,
ln chapelle et nltend celJps qu'on ,'n lui confier
I.n nrrl\'ant devant la tri Lune, :\1. <k Lacou 1.lIlde
<lit tout Las :
- Le voilà, :\Ionsic:nr le ruré: .' IIttte est couragcu e j fi Hordcau,', el1 a une COU~lI(,
modIste, chez
!j111 dIe j/cut aller en toute sérurité, d, dal~
quelques
jour, dIe ad er.l i\ rejoilldre ~Ol
mari.
l'UI, c raidi. sant, ;\1. <h f,acoust,I](lc aJoute:
- .\dieu, ~';l1etc
gord iJi<.:11 Ill:l tilk.·
- le la garùerai biell, ;\[011. ei 'tleUI, f)lalSc '" Tlitul
'AI<,r" p,r!;; Leshil'(' verra ft lt: (Olll1er dl' 110"
lIOU ellL"' ... Adieu 1
nré pous~
don emult 'ouette \'€ rs la pOlte
1..
d'. Il étroIt escaliel, !Hllb re"kllt 1I1 nrllL,rC pOllf Il1urIII rl"f 1I1COrC tille fOI~
:
Le pb tôt po r,ibl(', le d(part lt rellll (le illm, la
('P', tc,-se, illon.elglll:ur, le pl1~
tôt pos ibll.. ... J Hiun ml .. il 'c (h main .
C!' Il de ,·ous en\'OH~r
• '1: nsquéz ticli. Alln, ;\1011 iUI1 l'auLé, IIC per-
pa cie tt'Illps.
• <1 mi-hl'llfe C]ui s"'tait ';1'0111,'. :\\' lit
IIlbl': 111il 1:1 paU\'ft: ,\urlOr< [<'nlin,:\1. de 1.. 11'0\ ,t'lllle nparaît, il lst fort p,'\le l'l 'np)llo 11/ cil llenc
d· "a h IIl111C, ,lollt .11 bal,(' pa . IOIlIIC:nlult Jo. III .11I.
H"
oukve \ ers lUI C,lI dou. \"I5lg. houlL \'tr G Ll,
dan 1111 oUnIl', dUllalldc :
_ l'.ntie?
_
(lUI; lll' tt: tourlllcnte pa , IIlc.11 an 'C', c'est notre
1'011 l1r~
lui Ils rOll':lIil, .. lIll hol11\1lc dcmt il ~ t sûr
Il J1I~\<.:
dal~
sa carriole ... C01l111le tu ~i,
c'c t la
fOlie gra (de Bord ;111.- l~
~c
mOllll:tlt; • 'lllldtt! passer,1 l,OUf la fem1l1e ùe Pert c.
lit \lotie lilk pOUT la "1<.:11111:?
de l
1~'l.nabk
flOI, .. , héla 1
1I~l
soit DIE!l!.
�APRÙ:S LA TOUR;\1ENTE
IS
Maintenant, remets-tO!, el ùemam, si tu en .b
la fClrc\:! - croi~-tu
C11 avoir la force? ... nous nous
mettrons en route de notre côté ... Il faudra marcher à
qut:lque dl!'taun: puur gagner nutre cnrrosse qUI nous
attendra; il e~t
préférablt.: que nos gens ne SOIt:llt pa
au ("uurant ùt: nos mouvements Lesbiec prépare tout;
lllUll cu:ur, crois-tu pouvoir k faire, cet eftort?
:\1"'" (It.: Lacoubtallde saisit le bras ùe bun mari:
- Si nous pallIOns Ct! soir, tout ùt: suite. . (Ill 1
j'a! {leur ici, .. JI me semble que de partout ou \'lent,
ou marche \'ers nous .. . Je \ais 1I1e lc\'(:r, Jt; st;ns quc je
pUIS marcher; partons, IIenry, jt: t'l:n supplle ,
- ;\l.tis, mon amour, où inons-nou,; cc sOir? _ 'on,
cc "I:nlt tout compromettn;; LeslJ1cc ne sera de rt:tot!r (lU 'au petl,t jour, et demain, au contraire, tout c~t
prl:vu, combml:.
;\(11) de Lacoustallùe nt: répond P,IS, II se fnlt c11
t:l1c un déracinement ùe toute choses, l'OJl1JlJe ,\
l'approche de l 'ht:ure ùernière; dnns l'angojs,/~
qui
l'étr<:int, un Ul1J(!ue sentiment detneurt: \'iv,ll:e : l"elui
de Ile pas. e sép:ucr ùe l'~tre
protcl'tl:ur dont 1,1 scul~
prbence la ras~ut'.
Je \'eux quitter mon lit! dit-clic avec une volonté
entèt-,e Je veu," Hre prète!
SOli mari l"ombul d'abord cellc pensée, Jl1i~
s'v
~ésilIe;
peut-être, ('II dft:t, l:Sl-ce ltllt:UX l111151. .. Oll1,
li \'IUt ,1I1\:UX qIH' ~ou\'crainl!
se lève.
- ~Ion
l'œur, faite~
seloll \"otrc déSIr. Il me fnllt
d'sI cnclrc en bas Ill'as urer quo.: lout <:,l Ilil'lI f 'mil: ;
\êtrl.-\"()O.Js, et vou~
pourrez cnsultc vous ('tendrc sur
votre lit dc repos cl tflcher d'y t\()rmir ,
- :'olc Il ami, nl' rc,tcl. pas 'lolll!;temps absent
- !\"Il, sO\'ez trauquilk .. Aurorc, tirez k verTon
dettlen: moi. ,
I,:t, comme la sUlvnnte l'acc()mpagne j)'JUr [Ir 'Ilcln'
çt:lll: J> 'l'l",lllti"n, il lUI murmure tdllt bas
!\'IIUyrCl ll11iqu meut qu'à III ,1 \'oix
lIt plth htls Clllore '
i i
- JI crains qu'il. n'y ait .les lr'ic~
Le \'l:rrou (st nllS, cl, l'œil \'l l'ull'dl\.' ;"\11 ~1"t,
Aurore habille sa llJ.lîtn:"e; elk lUI p'l,;se 1' 5 li Ibit·
de IJollrgeol C, l'eux cl\: :\1"'0 Le bit,\, qui cJ1l1 l·t ~ l'ré IIrés l'Il \"tle (III dC:part. Sou\(~rlin'
demeure pr' Cjue
inert d sc hh (' habiller, Le \ i,apl.' tl 1t i \111<'
f 111111<, L t cl'une pillcur de lis, les yen,' hnll nI étrall'
g<:111 'l1t, ct CLpCI1<l-tnt le (1 Ill,; lt1.lllo'lte, s\:ntre- Il,,un tremhlemcnt ill\olon(.llr,',
<]u nt (i1I~
()Ile M.ulame I.t comtesse: ~'ap1"O(:he
1111 in,t mt
du fl'Il, supplie ,\lITote, qui a\';1nre ulle 1.11">: l' l'n,t 'U e
en flct· du fover,
La Jeune femJ1lc 'y afiais:.e e:t, [lendant un J1lulllellt,
�APR~S
LA TOllR.:\IENTE
paraît ab~orée
par 1" soin ùe e réch a uffer I.e silence
dune un temps apprécinole, 011 pen;OIt dl~t(:me
Il IJruit du vent qui s'est lt.:\ é ~t 9111 S Cl:D U' lt s "rbres
UI rafule" , :'olon. de Lacouslalld" ecoute, les pauplt:res
lo~es;
enfin die dit :
'
- C'e,;t sculemLtlt le veIlt, Aurore?
- (jui, :'oladamc la ('omtes c, seulement le vent 1
Le désir de fuir mord au Ueur la l"'ll\r :3011\eraine,
dl'sir dont la \ io!t.:nC'e l'élC.!IIIH: elle-même d qu 'e Ile
nf,mIL ... lIenry ne lui a-t-il pn!'> dit qUI c'est imposIble c, OIT, l'Ile étral~c
idee lUI VIt nt, IcHe d'a ller
~
I~lg
r dal15 Il- petit temple d la l-Ointé, ho rs
,lu 1 h:itLUU; oui, elle en fera III propo ,JtiOli à son mari,
quand il \'a r VI ni!.
11 teYÎcnt, ct Its paroles préa~l!
IJ'arrnent pas à
sortIr d's lèl"res de :'ol n., de 1"lcoustancle, le \'Isnge de
Icl1r\'·Louis-Cé~a
est si graY(, si résolu; il Il'' ,1 qu'à
lu, ,fJéir.
l'our commellcer, il ordonne LI sa f<:mme de s'étendre
sur ll' ht.
Je rl'<te:rai ,In'atlt le feu, que J'alimenterai, et
vou~;
mOI1 a 111 Je , l'OU d'lrnlÎrez, votre santé l 't:xi 'e;
111'1 pire inquiétude (st pour vutre chère santé, le Tl: te
illl lllt:lI, JC le sais, lIOUS :t\'on, cnron' des eH ur~
lid':-lcs
Illltllur de nous; tout il l 'lwUl c e t arnn: Illon t'ol1sin
<le Sincen\', il n:ntf! chez lui, \euant dc Lyon, et S'test
arrlt{· ici' pour pHmlre de nos nouvelle'; Il cOllche
nu château, ct sn ,Présence fo<:i1itera. notre clé!,art. ..
Je. \ ,n~ expltqu tul lcla dt:mHm, mBlIJtellllnt, obéis5('/,11101,
l, t, prenant ~ouvtraile
dan ses bras, ;\1 . ,l, ta(,('Il'tande la porte dOUCCIt1C'llt jusqu'au hl, l'\' {tUl(\
pl'nelont qu'Aurotl' la recou\ re d'une chaude nlllrte:
IH)tlltL.
l'fore l'OU II' .J Ils le cnlJinet derrièr· la <h:lInbrt:
{I .11 dl' Lal',lI1stlllllle l'v l'l1\"1,ie bientôt
'
1 l ' l Il 11 L' paIx Il]>P,ll lite tombe sur le chtllcrIU d ses
Jl3bllBnts L,.; i illies ('p ux, :'ar Ill' 01 vingt- IX nus
, C ul, 111111t, l',,xquisc
OU\ 'rallie, et 1'\:\)oux n'Ill il
ljl1e tn 11t" ~()nt
ln, 'l'ul <1n115 le dl'cor (élil'in\" pn'lpa l' Juuis POU!' ll' b"~lht:Ir,
ct tou dcux, au folld de
km l(l.. ur, g~)lIte
1 nl11ntullll de la ~lOrt.
Cc qui
1l1l1l3l'l' l!el'ulS tnnt de. lt1 l , II a quOI il. n'ont l,as
VOl lu crUlre, appr!>C!lc, II. ne Dvcnt sous quelle [I)rme.
IJlll1 Ir enltl1L' qUI 1 entoun .\r. cie Lacou tOI1c~
TC\ oit
cie \ i"agt:~,
Clltlllll de \'IIIX dout l'évocatioll 1 (ait
fl~
t>llll{r. Il \' n Ull 1lI.'.'lIIl1lt l'ue1~t
qUL', bltme
11\ I11lJt11111 ,
01l 1'( Il III StIJl~1\'
1\11 a fait un ;Iffrcux
ri, Il . • lit lu; f '1I11l1CS IlC ' 'Ilt p<ls épHrglll'('S 1» ;'lIais
il· l,artltOlll, <;n '11(101\( dt \'\le (" ur CI! brigauùs.
HellT) 1 BJlJ)C lie la \'OlX fiole.
�i\.PRÈS LA TOl'R :\IENTE
I7
- OUI, 1ll0ll cœUf, Je su s là Que n IIx-tU?
- Partons, Je t'.,n pr.~,
partol1~,
n ' importe où,
n'auend ns pd , __
Et ks HU, remplIs d~
larmes Implorent,
l.\1 de Lacou"tundc a Ulle !;ecoude d'hésItation, pUIS
l'Lul.ntude ne ne J3mnis fuir, un ~enti1l
d'(Jrgul:II
lIll:xpllCaLle à cette hcure de t:rise pn:11d lc de~su.
Jo '(m, il est impossibk d'expo:;er \:ctte l'l'<:ulurl fragile
à "'1 rel' dan:; la nuit, elle pourrait, dans une pa cille
\:l1ln:pnsc, trOl1\'cr la mort ; .. _ le sang-froId es. LIIL'Ore
le 1l~iIeur
conscllkr, il sent qu'il l1'CIl manqul I>J, ;
IL· gentilhomme, lJra\'c jusqu'il la folie, ne ,'esl jalll,,'is . e1lti si bnne ... Sou SOli propre tOIt, d 11S ce
dlrlteau dont 1 s IJICITCS out abrite tant t C gen~rati(ls
de ses ancêtre", 1 est impo sIl)It' fjU'jJ ne delllt:ure pas
le m~îtn',
il en ortira librement .. ClpCllllant cS
pen ées s\:ntre-dlofjuent .. . Si le chAleau esl nttn'lu ? ...
l.\lnis Ilon, il lle k Rem pas, l'ingr, litu Il: 11l111lJl1le ne
Pt:ut alicr Jl1sq\c·h\, H, dc plu., II e CT(,it sftr de
POU\'OH il l'orcdsioll donl1:, r 1
pa iOIl. èc H!S
lJa~
Sau ..
La \ 01 Villie et ferme rll oml dOIlt' :
1I.S fJ'n\,t'l11s ~ont
_IOll ange, l'aIme-tOI, l(J1~
dl' mauvois fantômes de la nuit .. \"~ur
mënt, l'dler\'(:'C(l1ce populairc est inquiétante pOl11 le 1lI0lLlIlt,
maIs .i 'ai conti. Ille flu l'da lie dur ra pas.
- • "ou n'aHms fail que du \JiUl, 1J11Hl11UrL :-1' ", de
Lac Il] tan de avec augoi 'e.
- C'e t notn- furct', j '~1
SUI pu:;uadé; dur , ~ou
\Ual11 , dors 5\ tu III ',lIllles 1
1. Cl oux (' T garth:nt, et dan cc rcgarrl é<1l011 "nt
\:1 t(;]1(11( se <1" leu} «L'llr (jlll, dcpl1 l " cJI1elIJ1'l moi_,
a}ln Ul1e mtt'11 It" rt une prolonlleur IJICOllnu
lU.'
jOlIl s de pro pérIt", ...
- l'oUIVU tJue nou ne oyon. pas {par(, 1I1ur~ÙU\
cm Ille
1 t l'illtol1!lti o n cie a \'oix, ll1 plfJllOn\'ant rc slIll!Jks
part,ll , ( -pll11le toute ,il plll"lC.
!"IJU, III 11' se!"")l., pa". Ilpt}IHl a\'ec tl(ci ion
HUll ,-I.l\uis·':~tr
Ft n ttl' millute ru 'ltl\ fut peul-Hrc la plus douce
dl' Icu. \le.
I11UH
III
matin e 1 v('uu, tout sttri té de brouillard, la
ur le pnrc, h(\ 11 lit 1,\ yue, cl <IIILle
tl'llOlIlIltll' dt nt ull Il}' rçoit 18 haute
illto l1l!tte e dlc'''ant tlcrtlllt'ut Cil ace de la route
l
111\
l11t' .;'étend
clOl
la 'rilk
�18
\PRi,;S LA TOURMENTE
(Cmduit à Salllte-nO!lue; les cieux corps de logis,
à <l'(,;te ct à gauche de b rour d'honneur, et la façade
du l'1!ült:nu, avec sc, dlx>sl!pt fenHreb, découpent leur
m".,l! lIupusante contre le cIel bas. Dans la campagne
soi!talre, le château se dresse, emblème de force et de
domination, s\ mbole longtemps respecté de la puiss nee. d'U\l~
c>asle, symbolt; ?e\'n~
,exh:n! 1.", et que
l'l!ll\,(: la rancune, la t11lsere heredllalre re\'ent à
n:tte Ité'lll'C du monde Je détruire et de balayer de la
Il ne.
En ce momcnt lllêtlll', dans les maisons ba~se
dt S. lIlte-llonne, (Ians ces abris misérables où le pa\"
51n .1 n .()\l~
affamé terre sa dun.: eXIstence, la haine,
la h 1111(' dc 1.\ brute féroce est en tram de battre le
r -'1'(.1.. l'ersonne ne s(lit qui a ~)arlé
le premier{ mais
1 \ l'atole " ét~
(!tte ce matin-la; «Il faut al er nu
II [nut prendre la fanne 'lu 'Olt y cache rlaub
ri, Ll t;, ~l:
1\'''J'OI r 11 'affnmer le pauvre monde.» Sur la place.
q.: Iqul!s hommes appa 'aissent d'abord, parlent, ge~·
t : , 'cnl: (bns la grand salle de l'auberge, leo; yerre:;
li \ lt1 pa, ent de main en main, la lit~ne
furwuse
li • ~rl
: fs
('ommence, et les femmes, changées en VIr
5, ln n:j>.clln nt et l'augmentent avec frénésie ...
(), , l'he:urr. est \'l:nuc ... L'ne m'·gère, yGlue d'une jupe
n, 'e, surgit loul il coup dans la pC,nombre. EJ1c portl!
SUI ses ('/J"lulcs LIll bouchon de paille vl:tu d'uue coqll tIc 1'0 Je de snie (c'est ulle robe de ln Jeullc cornle ~i d ,'nlff':' d'un bonnet de dentell' ct d'une m.lOte
ru liée !"ous le ]loi,!" im<tgll1aire, comme sous un fard \1\ 1ccilblant, la paysanllc se courbe tout en ru" )lnt :
.."nu le' [l\'(IlIS portée, assez longtemps: à !Jotre
t Ir 1
' ('st Iii l '(otincellc nltelHlue qUI met le feu ;lUX
l ' u'~r
s ('ne d.IIHcur retcntlt, l'l ':'OUd:lIll LIlle mam
~ 1 1"1 le ' .... l:br<lnll! la ClcJdl' ,le l'é,,(li C ·t SOl1ne It' t<) , 111
q 1 l tend sur h: sletJci~ux
brouillard ~(Jn
lUl;:ulJr'
de la brullle, cles hommes .uri:1pp 1 .. .\lol's, s(J1·tan~
\ e llf , h~lon1'\x,
1111séralJlc,', q uc1qul's>UI1 !lu>pieds
l , \eux, dans les fnce" h:IVCS, éllncelants <le {olèr~
Il 111\ g l ,
epuHhlll ils (Iemelll'l!rilient dé elllpHés cl
it\(l~
i , si d '11X hOIlll11 " le visage lIoirci nfin d'0tre
IlI'Cnllll'lissahks, ll'lhillé {"omlll' des s.::nlém'!lh él'h p_
1" , n',tlhll'Ill de l'uu. l'ilutre, répél nl les ,,>IfuratlPIlS cl1conr'lgennlcs : • C'est le roi qni pern1l't 'lu 'on
,Ill ,. les nohles, ... ccux (Pli c.·ploitent le (leuple .. "
r. J1r()p~
le' plu effrnnlllts volent Ile bouche en
L \ 111"11 • J)'nilleurs la loi n'exisl' plus pour p r~l)1c.
«,Il ~('rlJI
la InbJes~c'
» s'élèvl' suhitement ('olllme
1111' cl1mcllr (l'ournR'an et est répété p:!r cent VOIX ...
(JI'
uln \PIX chm!: :
L rui \ eut II ue uou soyons heureux 1
qUI
�APRttS LA TOl'R.:'IŒ. 'TE
-
IQ
OUII OUll
en dOl1l1t. du cœur ;l ClOUX qui hésitaient en-
f\t \:
core
l'II ft'mme hurle;
_ • "JUS ullon,; lUH ~ra
h
lt: cc ur!
Et k troujJcau hUllalll, h,t! tul: il tic C'Jlldult, se
rUl Colkme::t deI ra.r
LtU.
qUI ven" lit 1 lllcller n
ln curét:
- ;llQrt <lUX Il caparcurs! rngit uu des \'a' ùOllds
ù la f':H.;e n01rcÏL .\11011" ' ...
Et il montre le chellllll.
Alors, conuue U11 tromù, cette horde cl 1 lu" de
deux ceuts homm
t femme6 s'ébr3nl ; on l~
Salt
d', 'Ù L t orti UII tanlbuur dont ltll jeune homme t 1H~
hér 'tlquemellt, d la troupe maTche, fonçant cn .1\I1nt,
pOll s'c par S,l fun:ur ct sa plUI, rar tous ont peur;
la hICku c peur, la panique irrais nuée
t la llI,dallit!
ru Illoment, celle qui chang!:: le hOllllJ1e cu fuu\l:s.
l'ec UIl bruit ourd, qui augmcllte de minute ell
m'JlLlle 1 la proce !'Ion l110nstrueu e a\'ance sur la route
aux Cf! des felllmes, au.' cri de
nfants, cnr 11 y
(( de-; enfants, et le tambour redouble son battement
arh rué, la bnnde S~ gro sit de rcc ues Ilouvell
que
IL' te III i1IJp.:lalt ..
.:'11'11" dt LocoustandC nIl.!1J sa cham ure blauch~,
tClIll \"(:l1Ir iu qu ';\ cH la pr ml re rumeur ntlll! lIeintrin' ÙU p~ l'il. I.e ~Ol
de la cloche battant le t"e III
pen'l le ilellee, et ll'uTI Lond de biche surl>rihc {ait
,l: jcter :\ terre 1'1 Jeune femllle ..
- Voil:\, dit·clIc, ultme ct tremblante, les voil:\ 1
Au IIlt:InC instant, l\I. d Lacougtanele valnît, rCI'eliant de la COUI d'honneur où il a été uuservcr II qUI
Se pa e sur III ruute Le dOlt~
n 'c t plu" Il mu , le
pa)bans sont en ll!archc .pour ttoquel le. (h,îteau.
- :'11011 amour, Il s'agIt Ile Ile \M aVOir l' 1I1, J
Ille t. is fort 11 lenl" tenir tête; IIcdor m'nldnil, I.l bi~c
c t là an i, au moins (H.· cle IIOS h()le~
ou'!;
Iitll1 ,je vIens de faire enfermer 1 ,. tr-oi::. dont 11011
(\oulol1 • J' l'al
llll' dat:ndre, IIlnl
Je cOl1111lencerai
par parll'l1lcnll r; ne bou z pas d'ki ct, si JI r I11nlll ur
lIous· étions forcé ,réfl1~cz-\'u
av ( \ U fUll Ille dan
la cll,]P' lie.
S uHraillc . i,dé l:S bras ùé~c
Ilérélllllll autolll du
('01 de
b011
ln
ri ;
Ilclll\: IH Ille quitte pas, Vi(,I~
fu\'ol1 tout ùe
lIit , lc 'chcl11l1l de la chap Ile l t liure, fll\(JlIs.
-
III)'ons.
AHC dou cur, mai
fermement,
Ull man lui fait
�APRi,;S LA
TOUR:~IEN
l '; pri~e
ct baise knJn:JlIcl1l les petites mains qui
lJlll f\!Slole ...
- 11 cst trop lanl pour fuir, la camp~ne
esl oun:rte, ... CL: SL:I.lit pi:;, uil:l1 piS ..• Ici, nous sommes à
l' bri ... Je nlÎs leur fain: ounir la eCJul' ,l'honncur
atin de ne pas donner tle prélexl\;s aux \ iolcl1ces ..
Cn hurlemcllt continu, qUI semble tout proche, lui
('JuI,e la parole ... SOU\Cr.lllle est sans force;. tout son
S.lllg", à cc cri sinistre, S'L:st glacé ùans ses \'l!l!lCs; elle
ne l,eut ni parler ui rbister; les yeux dilatés, elle
reg.mIe :;on Ill.Hi ~'éloig1cr;
à la porte, il se rduUlne,
re\ i, ut rapitlunent vers elle, l'embrasse, la remet
<.Ian, 1..:, ulas ù'.\urore folle <.l'épouvante, et cett\! fOIS
disjJ:;rait. ..
l\Iainlenant la bande est arrivée à la grille d'honneuI'; ceux qui la conduisent sont étonnés, de la trou'
ver ou"crte ... il \' a une seconde d'hésitatIOn, comme
un Hottelllel1l, '. 'la crainte d'un piège les arrt:te un
moment, pll1S Chambaud, l'ancien valel chassé ùu
ch;lteau l'"ur \'01, nie qu'on avance, que les ca\'e
sont à droitt:: ... Alors, ùans une sorte de folit:: orgueilleu ,e, le 1~érablt:
Billon franc111l le premier la grille,
lui, le pau\ re S~\etlr,
vilain, fils de vilain, qUI vient
br.1 'er ~01
seigneur 1... De toutes les poitrilleS un ru!.(Is;,ement s'élcvc :
- La farine, nous voulons la farine 1. .•
Et m'lintclIant ils se tienneut :-errés les uns contre
h:, autre, effarés encore de sc lrou\'er là, T'gardant
('cHe façnde (1. IJÎerre. qui, si IO:lRlel11jls j 1t::UI a !Jaru
nI "ll,lbl' ",t IIlfranchl ~able
... Cumme ties fauves ils
Idcnt leur proie. Soudain la J.{n\llde porle du ch.lt
~
l
'
S
,
e
t
~
H
U
O
et
le
seigneur,
,Iroll, ficl, le chapeau
t III
à 1>1 1111111, la tete haute et renVl'rsée dédaigneusement
('11 dl nèr. ' s'nyullce au c1ehors de quelque
]l'IS ct,
,1'1111' Vol.' d,li rl' '. s'ndre"saut au malr(', dt:m md' :
(!u'e~lI
q1l1 Ille vaut le pl'llsir Ù'" vo(rc \'hll"
Il' bfJ1<l 1Jl(ent~
Bl1lon ne trou"e pas 111l l110t l'ui"
1\
. 1'( prend, stimulé par les cris d",nièlC lUI (
II llliotle qu'on leur a COI11I11.1n<1(: de s'clIlparer du
('1 1"111
1 de LacOlhlant!c, toujollrs av('c (~1Ile,
pra' qu'ou
lUI lIlontre l'ordre.
1")llr toule réponse, Dillon hurle'
- (ous sOUlmes t~u
égaux ,t l~US
cnlrcrol1 l(~us
1
F tI ,'eut e préCIpIter cn \ :tnt, m.lis ;\1. de L,I'
COli lll1de a vU I~
1l10i!\·CIlW!.II, l'a ,levanl'é, t 11 por c
c t,ID e. a\'nnt !]u· Btll(J!1 [lit cu le lemp ,l" arriver.
C Itl.: [OIS cnCOle, le troupeau esl h"sitanl; mais une
"OIX crie:
_ .\ux ,'ares d'Ilbord!
A eOllps de hache, une porte ,Ionnant Su r la cour
][1<
��APR~
22
LA
10CR~HNTE
féroce de trioml'h ..... sUivit; aus~itô
de l'a:;cension de
Lttes brutes. iUl:s de VID, de ang el d~ cris. .. Le saDg
coule, Cur ;,\1. de Lacoustallùe \:t le jt>Ulh! > inceny
tlrcut lHLIl; maintenant ib ont l'épée il la 111 il 111 , et les
épt':es Iruut l,elT"r la I.JOi,tri.nc du prt.lI1ler qui s'apr~
chel a .\Ior;; lu VIrago Il Jupe rouge, l'ar uue IDSlll'
ration slitflll1que, JaUlpe l:lltre les hommes, pas~
sur
l'~cah
l, pUIS souùn1l1 le manl1cljuill tout flambant
l",t jcl~
~ur
la tête de :\1. de 1,acoustHIICle qUI, saisi
d'hüTrLur abai se une seconde son arme, et un couteau alls;ilôt lui tranche la gürge. l'r~sé
de toutes
l'arts, e dtflndnllt pied fi pleù. le jeune de SlIlCtIlV
sULccmbe à .011 l',ur .. I/horrible mannequin flambe aù
llllllen des hurlemenb, les coups de hachl.! s'lbat~n
. nr la r ort Je l'appartement de la l une comtesse, ..
reh:nh saut d'nne fùÇOll efCro,}"able.. Enfin, l'hUIS
. '( br~nle,
et, d us une pons. ée où les femmes sont
1 :élinées, le Hot 11t1mam ellvahit l'appartemeul, ...
tOlite. 1 5 l'Ott s sont ouverte '"
- C' t là 1 c'est là! cne lIUC femmë. Etoufl1~
la
1011\ e et SOli petit!
Et édlc\ clée, sanglant , pareillp. Il une ménade. clle
)1. aÎI sur le c 'uil; des t/!te grilllU<,:antcs la ~uivelt
et
1'1 nl()urent ..
:--t lle, appuyée contre le mn~,
1 5 bras étendu~.
ses
1'( t tes mlil11 Llache~
se cn I?lint sur la hOI,,'rie
bo l\ ('roine <le I,acou~tnde
se tient debout. HIlL lI'~
l" fuir, la force lui a f!lanqué. I,n mort peut \cuir,
(lit' est llleoprthle de faire un pas !Jour
y dérob r.
J , dans le cerveau de la falull femme, la mort
]
li lite. formidablf'. m~lIs
prt' qae majel tu~
Et
'djljJnritlOn 5ul.)1te. de tous ('( ~ sin~e
convulsés, dont
l ~ HUX, lane J!t Qf s, édalrs de h:llne, frnpJ,>e la réa1 ~
déltcate d nm. (POil\' 111(' saliS J1l)Jn. Cil in tant
(. regarde. clk cnt nel, puis brusquent nt le ong
.,
~OI1
ur. C COO!{l11l', ('l. c1'ull mouvement ud t't
r:ljoHl . eol1lme un (pi fou hé, elle tomll à terre,
mOTh.
C'e t la fiu ù
iote-Boulle.
l'Hl) lit: rêvée par le
eigocur de
IV
La petite enfant dort sou. la protectIOn rIe ,Ieux
tlt qui l' 1I1portclIt loin du pénl, ltm s do ile
t
forte cn <llll la volonlé d'aCC011lplir leur llUlI1hl d"OIr dOllllll toulc al'préhen Ion }Jcrsonllclle. lJ'atlleurs
Just l' ri sc afilrml' qn'il n'a Tlen à crainùre, chaque
�APRÈS LA 1'OCR: 'IE.'Tg
borne de la route lui est familièr e; il entrera fi Bordeaux sans eucornu re, car, extérieu rement t:!t ofticldlem.:nt. rien on l)lt:!u peu de cllose u'est t:!ucore 'h'lllgè
à l'orgalll sation J" la ne 'ociale; néanlllo ills l'en""e,
hOlllme simple, .1 coutume Je réfléchir , et il a l1e~ur
toute l'étendu e du danger ljui meuace • les ari"tocrates », ce lI1ut qnl "e répète mainten ant a,'ec e.'écra-é
tion; comme il est taciturn e ùe son uaturel. Péris
a pu , sans sCdnd'lI iser personn e. se taire sur la chose
IJubltqu e j mais il a é('outé, et, ùepuis qnelque s semailles. 11 épie les meneur s, à Sainte-B onne, et soupçonne Je qm ces semeurs ùe haine sont les émissai res.
Cette petite enfant qui repose sur le sein robuste
de l'ignora ute paysann e est l'uni(luc obstacle qui
empê..:lle J'abbé Je :\Iessac d'être l'ltéritÏt: r ùe tout le
bien dc son frère,.. si ce frère disparai ssait! l'érisse
sait (' 'la ct a tiré ses conclus ions; il a \'u tant de
choscs extraord inaires, ces derniers mOlS, 'lU 'il croit
tont possible ]
MaIS Périsse n'est pas homme iL suivre il la fois
plusieur s idées) il s'alJ'orb e donc dans cclle .Ie la üche
la
'lu 'il a acceptLt! .... lin pressen timcnt l'avertit que de
Jctite innocen te "lIr laquelle il vcille allra besoin
Ul,
Nanette , qui av:tit -;ommei llé, a Ou\'ert les n:ux, et
ses n.:c:ards an,·jeux interrog ent Péris,t! ; snllS -attendre
il parle spontan ément:
de ljuestlO u préc~e,
- Nllnf tte, dlt-il tout bas, c.lr, mah.:ré la IlUlt et
laolitu de ap1Jaren tc. il sc Rurde ù'éh:,'cr la VOIX,
quel nom ,'n "tu donner ;1 ton nourriss on quand tu
rentrer,I S il \ 'cnrc'
- I.e Sien, hiÎ:n so.r ' Péronne rle Lacoust anùe; c'e~t
un honneu r ba:n I!ranù pour une Fis 'ou de nOllrrir III
,
fille tic son se~gnur
..les
- Hh lJil'll 1 n1.1 bonne. il ne faut pas .. , Je sai~ il faut
redire; .. ùe 1l(h jours,
('h(hl' , .. , inutile de le~
gel1s qui se:lJ .l)l'l-1l h. - il, taire ; ... l111i5 il ., fi de~
'
('o ul,'nl", (I~ n)Îr disparaî tre celte petite qUt dort
r.lu;nt
t\,lll'llli ll'llll-nt : il ftut qu'on ignorc li \'e ' rac (l'où ellex
\'lcnt . 11 ne llI111qlle pas de bourRco i il Bordcau
qUI cn\'()1 'lit hour enfant t!n nourrice ; ... sait-on i "ey,
r,le que tu ét i au ch;"lt~au
- ""on; ;\!onseil ;:neur nous (l\'ait dUendu d'ln n:1r1er. il n', .1 quc mon homme et Il''! r' 1I1crC qUI le
_.i\' nt; jTai dit (lue j'allais i\ Bordeau x ,
- Hh bien] i faut contlllu cr i\ c t lire ct éle\er
cl'lte petite c{,mmt! une hll de I!ou rt..: coi ,
mauvais jours 111.' 'ont ;lOlTlt (lur~.
- ;\his le~
l'm pnll'h,\l ll, blell sltr,
l\I le curé 110U l'a n ~ur'-;
le !! l.l.:"n\:111' rc .. iendr 1 'Ill (h:ltl':lU
à avoir.. J'al idée que tout Ç,\ Il \-,t pas
- C'c~t
f
�APRES LA TnrRMENTE
24
fini. Je diabJ~
mène la danse .... le mieux toujours e~t
de se montrer prudent; promets-mOl de l'être
~anet
réfléchIt un m"talll, l,lUis T':I'ClUd :
- Je dirai la vérité à ma cousine Léocadle, on peut
se fier à elle comlllC il moi 1
- Peut-êtn:: à elle, mais il t'!le seule j est-ce Juré!
- C'est juré, maltre Pénsse 1
Nanette soupIre profondément.. ,ct s~
beaux ~'eux
reprellllt.:ut l'eXpTlSSI(lll de gravIte rehgleu c' qUI les
a\'ait illl1111l1lt: au mulI1cnt dè sn sol nuelle promt:SSe
à :\IlIle de La(,ol1tId~;
l'humble crénture sc sent
tout à coup illvestie d 'une mIssIon dont la grandeur
l'oppre e, ce dépôt sa CT " qu i repo~
sur ses ClIOU.,
d'avollce, elle hu Immole tout. elle le d "{(II cl ra au
IHl.\: (h: sa YI ...
Le jour n'était pas levé qllllllcl Ils elllrèr nt clans
BordfilU " la foire d'octobre \' amenaIt les pa\'~ns,
ks \1gn ~ou
, Ils 1lI ri\ ai nt cie t"us l'lité ; é'~tni
1'agit 'tlOn normale ct SHllle d '~tres
hut1lain~
\ t:uant au
lalwur qui fait \"ivre
I.. a VIlle elle·mlm , l' ,11<: de'
nobles l'\ dc~
bou rgeois, dorm3 it encore .
l'~n
Sc II1d sa carnok d sa jument il 11111.' aube ge
(·u 11
t CJIII1U, et . 'al1l'tle sc repo<c clcvallt le feu;
Jjl;r~OtI.:
d, ,'( n;
IH!
~'ilqu:t
ni Il' Ill'
111
(1e ~(Jt1
tl,rï~!o.(
('pt heures, sous l'e~cot
d" l'hisse, elle
nrri\ ( n la rUt' poi ilol
débouchant des 1111 'es de
'l'oHnn', où ri ~OUSIl1
L~o
ad le Ld)u!1 a on I,etlt
('011lml ree.
fJt\8l1t ln n1U1son de ~,Il.
Ld.lOl1, l'énsse tll ml
C(>Ilg~,
prolllettant lit: re\(I11r plu taH!, afin cie s' ntendre sur la JlJarche il SUll'le.
DéFI la portl sm ln rut: étilit ouv~rtl',
Nonette suit
lt' l:l sng' ob Cl1l et 11\01lt(' l'escal}lI qUI IL:1~
au
petit tlltn.ol au·(\ S~l
dt' ln boutlCjue j d'l\ll' malll
qUI tr(.IJILlc uu peu, elle tile la clo 'hule
J'n 1J ... lllle tl,l\aillell c, l.éo adie 1. hon 1.: t ur pIed
l'l <Il loir{ !'t "ami ole t!<: lIult. mai tJè al CHante:
répoll(1 pro11lI'tell1!'l1l.:\ l'appel et, on p tit qllllll/U t
:i h 1I1.l11l, vn OU\'TlT. ,\ l'asped de ... Taneth: UI1
ellhllt 1Ir ll's hrn s • elle re ute dt surpri ('. li.OIS
Ct Ilt t1Ik tI'e prit pmlllpt, cl!' se le. ~nl
It a~1
slt6t'
,t, Silh l'0. et tle, fjUcSti')1I . oi eu L' ,1.'11 (ail (Jltr ;
K Ilette, PPI ci 'rnèr' lI! tire I1J~(!at:
III k
10
\ IIOU dl la lorte, érolltc. Ull 1I101l1tllt, l'orcilll ,outrc
le l,altant, d, (lte quI.: Il Il Ile huu l' ~l"
tUliml \' I~
la Il 11\'1.' Il Y('nut' et 1'lIl1bril t' cordlBll'IlI lIt
- L6Qcadt(" dit (Ill ltôt. "tI1ett( (I~
or" chailtalltl. peux·tu 111(' gnnkr cieux (m troi Jour, 11\ el" mon
1\(Il\1 TI ~(l1J?
-
13nt que tu \'ou,ha , . 'an~te,
PB ~OIlS
dans 11\
��APRES LA TOURMENTE
Ah! Léo a(lle, que <levient ft cette heure ma chère
<lame?
- Ils sont partis, sans <loute; il part ùes seigneurs
tous les jours ,
- Ah! oui, 'je l'espère.
- C'cst quu,i sllr. Là, 1'\aul:tle, dit-cllt tU IUl présentant un bol <l~
vin chaud, lIluinl\:nal1t étends-tul .. ,
Je viendrai t'appeler, dors.
Léocaùit: clôt ensuitt presque complètement les Jeux
battants légers qui fOrJ1umt porte et, le jour, dissimulent 1 akô\'c. Bientôt le silence cumplet lui appreud
que l'Cil rant et la nou rrice dOrllltut paisiblemeut.
Alors la jeune modistt s't!loigne sans bruit ct pa 'se
dans son étroite cuisine, Jusqu'à l'âge de quinze ans
Léu allie Lebon est retée à Veyrac, enfant gaie et
laborieuse; à ('e moment, sa mère, veuve, était morte,
et la tilletle a\'ait été amel1l:e à Bordtuux par -a
grand 'mère qui y était strvante; mise en apprentissage, la petite devint rapidement une habile ounière
et, à vingt ans, il y avait trois ans de cela, s'C:tablissalt
marc!J::lI1de <le modes pour son propre compte 1. •. Nanette, nuÏ\'e et ignorante, ne cOllnut aucun dHail
de l'existencc dt sa cou~ine;
elle la "avalt seulement
pan:llte lIdèle et fiJ1e dénluée, car l.éocadie avait recueilli ~a
vieille ({ran(I'mère devenut infirme et ne
comprenant guère plus ce qui se passait autour d'tlle 1
L(oca,Iic, fort jolie, ailllllit arùemmcnt le phisir
et acœptait 1ft "ie n\'cc philo ophie, san~
s '<:ncombrer
ù'un' idéal trop difficile à alteillùrc; elll! travaillait
('oumgeusement, parce qu'il faJlnit la sérurité du p:tin
quotidien, mai, donnait (bn,.a vic ulle Inr~e
p,nt
à l'aç:réme,nt r4 a pre,m}(,re affall'c clt ,'œur dt la j('nne
oU\'nèrc Il D\'alt pas ek henreuo;e, elle cut gral11clllenl
:\ s~ Jl.u,(I~e
,l'ull L~?u.
trgent des ganhs {ranç'li e ,
Mill la /ollt' fille 11 ct.ut pas d'un t'.tràdcre l sc 1 ml'Iltcr on-:temp .. ,
yunt ptnln 1111 umi, elle en
tron\ l un autre, IClrçon Sl1j.!l· ct paisible, \,()1l1Il1iq IIU.'
hun'ln.' (lu l'~ ' l'ur
g(n':ral, qu'cllc Ill' d(scspéralt pas
(\'épon,;er U11 .J0IH t'l dfllit iii g(néroslté lUI a\'llit 1)\·1'mi ,le l!tn'l1lr " !JatrOlllle. li 011 tour. Commc cl',liI1 nrs elle était lia )ile, l'leil) 'de 'ont et Ilussi (le d(O(,rel~
p~J\lr.
ses nobl~s
cltt'!lll'S, ellt' pro, p(rn. ,\ristoCT lle d'lI1sttllct, elle ecoul.llt anl' horreur le, rél'Î~
de
1,\ chose pnblique que lui f.lis~t
le commis ,le;\[ (,erIllillier,
t, Il'eût été SOI1 Il11p(rieux hesoill (l'(tr'
henrell 'e, ellc se senut pe,nt-Hre compromi e en l'mcla·
f11111t toul h.lut se. sentiment,; malS l'i~t(
de la
(:,uritè pel' !lnnelle ].l 'uitlnlt i bien qu'elle ét:llt
\lIe d'ull bOIl œil par tous sc voi~ns.
rA Jlr( cnec de -,allctle.I:i ,(m, i\ l'heure du diner,
n'élOllll:l qu'a denll la vleille gr llld 'mhe. Léo('lIdie
��APRtS LA TOURMENTE
20
qu "'st-cc (lue hit lt: rOI?
Ah çà! qu'avez-vous, ma
fillt. "' ... Vidon:Il!! Plu\"inet! a<:court!z VIt<!, :\Ille Lebon
se trou \'e 111 !l !
Le Ill' fut qu'ulle défaillance de qudqul!s instants,
dont Léoc.1dle, hUl1lbll!ment, s'I!xcusa; mais ]\[me Gl!rmillIer, mi,e f'n goût, sans doute, I!ut à son tour unt!
vi'llent<' crise de nerfs; ses fem11l1!5 la délacèrent, lUI
11rl!l;t rl'''p·r..-r .le l'l'ou ,le la rt:int: de Hongrie d entin
l'étcllllir nt sur un lit de repos ... Le moment de lucIdlt~
pour la friH)le kml11\:, commc pour tant d'autres
dur.l peu; au bout d'une dl!llli-hl!url!, M'me GerminIer st: rt:ndit ('ompte que sc IJoule\"crser alOsi pour
le, .Illtres n'était d'aucune utilité, d, ayant exprimé
\"~hl:.t
l'espOIr 'lUt: le rOI mdtrait promptement toutl! ('elte canaille ,i I~
raIson, elle consentit
à s'occuper ,lu chapeau <Iut' :\1" 0 Ll!bon lui a\-alt
apjJorlé, cOllgédla la tri.;tesse el I!ugagea Léocadie à
ne 1''' "frapper l'imag-inatio!l_
«Ce p:lU\'res gens Ilvaienl Hé imprudents 1 ilI de
La( ()u~l.1dt!
l:t:lIt un allll lll!s Idl:es !lom·elle,;. » Peutêtre [Jens,ut-elle qu'il (tait juste qu'il eu fût chrltié 1
v
nuulJd Léocudlt! prit It! <:lle1llill du rdour, Il faisait
IIUlt, t'ar ellt: s'ét,lit nltnrJ6c clnn un IOllg entretien al"c': le t'otnmi" cie :\I. Germillier; celui-Cl l'avait
nfeclu~C\!t
cnouragl:~
d,lllS son intention de
protl: 'cr au 1IIIeux ln tille de l S /llll iClls st!lgn urs.
l' 11111 ,le Léocndic fut tont pOIlé ,\ croire (lue ceu.- (Jui
11\ al lit COl1ll1lh ou in. pire k fOl fall qui vcnait lie
'Il' <lm]>llr ne rel.(anleraienl g-ul'rt' ;\ se défaire d'une
('nfilnt cl .1 lJ,llltyer IlmSI la f Illlille; tI pr01111t i't t~u
Cl le le se H_llsllgller ct, L'n ntlend,ll1t l'engagea '1
IJlclldre une I1I111C pIns gait', l'Br il fllll',111 "c l1lé1icr
de dll('UI1 ct ~urto
des \"(lIsins, l'œil peint sur II!
ll11r, dl' cluos j~cobin"
n'{,tail l'a; un \'um simulacre
li 1 loilll'ur Gallrht't, llolalll lI1l" nt, qui del11curait tout
pr')(,'1' dl' L(o(';!rlic Lebon et causait volontiers avec
l'II..:, pa '\Ït pour un hO!,Il11e. fott lhng'creux, I.,éocarlle
(Olll!,nt ct ~'l!ngt.:ea
fi ,1 'Ir a\"l~t:
la p lus extrtl11t!
l'ru fen 'C le :tlut (le 1.1 pelile Péronne lui import It
J"sl)rai~
aut nl CJu';\ Nam'tte el-I~m
1
1 lelllllt, le, nFIÎ~;
(~an
,It· l'0C!IC de on '[entd
t
r, pui qu'l,Ile ~ ct lit (Il'barrns el! de son carton,
1.
1 lie JI
sl I,'nlement dey,lIlt h boutique du tail1 ur, h 'z III tI éclllréc [J'Ir Ulle s~ule
chandelle, m.li
(,Ù II ~tl
Llllur.: oct'upé ;l travatller; l'ombre d'uue
rl~j.1
l,"
�APRES L,\
TOüR~IE.
'TE
femme devant la porte fit lever les yeux à l'homme,
et, ayant reconnu Léocadie, il la ~,lu
a par SOli uom
Bonsoir, citoyeune Léocadie; <;~
111 lrche ,
les
affaires el les amours?
- ~IalS
oui, cito~
· en,
répliqua LéocalÎl(; l'Il s'arrê,
tant, provocante. ,. Et vous-même ?
- Comme vous vovez! Seulement 1 Il hC'lI1l11é 'lU!
!lime Id chose publique n'a pas gralld re!J(Js , dll
11 Y a encore à faire: ,'ous savez, la belle, " 11 : , L' Ill '
à la raison ; IL' l'ai L C il d it
mene.! à mettre les cun~s
il Uuco~lé,
je le COllnalS depuis qu'il 0l<l' 1 go ,m ll l
- C'csl un gentil garçon ,
VoiJ:, de quoi s 'occ upent les jeu liesses 1
-:- Et de quoi voulez-\'oIlS que nous nous o.ClUpi,lllS ~
MOI, d'abord, je sUIS tuuJours contenté, Je ne Ille
SOUCIe pas de ce qu'on fait il Paris.
- Ah 1 je le crois, je le dis toujours : Léoc 'Hlll!
Lp.bon ne pense qu'à ses amoureux; seulel1l(:l1t, ma
ch'lrlnante, il faut bavoir les bien choiSir,
- Eh bien! gros papa, je viendrai \Ol\'; Ctill ulter
la IJTochame fUIS.,. l'our le moment, je nntr', j 'rli ma
COIlSllle Nonette Fissoll arrivée du pays puur pl
~ n Ire
un nourrisson i\ Bordeaux .
'
- Tiens, tiens, dit Cauchet d'un air tinant!, un
nourrisson chez vous ... Enfin, liberté pour l o u~
!
- C'est ça, citoyen, liberté pour tous!
Et, avec un éclat de rire et un sourire (Iélicie ux il
l'adres e du tailleur qu'elle eût voulu Hran,-":le r , T,éoc 1,-\1" continua son chemin; mai~
la grus ihc 1' , li~
te':le de Ga';1chet venait de lui suggérer UllC idée nOlly , Il ; au (ait, pourquoi pa. ) Elle ne se SOUCItlIt gUl-rc
du qu'(;n-rlira-t-oll, et elle gagnait a sez d'an:ent pour
U\"(II T les .moyens de pan:r une bonne nourrice .. T~'lfi,
on \ e rrait ., Aill5i quiil est déjà arrh'é rle~
molli r
de fOIS en ce monde, une }''lrole Cil l'nir allait IIll1u c n,
cer to ute l'orientation ù une destin(,e hU111ain e 1:11
atlendunt, Périsse n'avait pas'lcon~
rep,lru, l:t ~ l,
nette s'inquiétait, Aussi interrogea-l-elle uI'iLlclllellt
Lé'>l'IHlic. ~u 'uyait-clle appris?
- ~ra
fOI, Nnnettc, je Ile puis te cacher (Jue les n'JUvellcs ne ~I)nt
pas rassur mie ... J'ai entenùu ral(lIlt r
th . ~rl
(;ermini r que les gens de Sainte-n"nne
"(t.lienl J>0rli:~
sur le chf.lcnu cc mntll1, ct s.ms dout.!
Péri ~e
tache d'apprendre ("1: qui ~ 'e!,! pus~é
()h! !lieu de bonlé 1 Et le comte ct la COIllt .SSl' 1
-:- Un assure qu'il, étnient partis avallt ,I.c J,OU!',
aflItt:: Léocadie avec nfJlomb, pensant qU,I) 't rut
tont ,1 fnit IIlutil'! Il, hou everser N,lnette; ,[ al1lulIs,
ce mensonge bienfnisnnt lui al' il été in~pré
p:Jr le
l'onllllis dc ':\I, Germinier.
N lIlctte respira, les esprits déjà étaient accoutulIl.:s
��APRES LA TOL"RThŒNTE
ignorant des ternbles é\"{;nements,, ', Rariden;ent elle
nut un doigt 5tH sa bouche et Ill! souilla tn!s \'lle :
:- .\.ttentiO!l, il ne faut pas qn'dle apprUlUe, son
tut pourrait tourner.
- C'est juste,
I~t
l'hul11me lil lks chorts pour ra~séne
son expre'SlOl1,
- Entrez, Elle a enlendu la sonnette l et elle SaIt
qll''':1 a el1\'ahi le ch;ltcau, mais elle croIt qu'ils sont
jl,lrtlS .. Ah! maître Périsse ! .. ,
hl, ,l'uu geste d'hOIreur, Léocadie JOIgnit ses mal11S,
-. l't!usons il l'enfant, j'al jurl! de bien ,-eiller 5ur elle
- "'[,Iîtrc Péris~e,
reprit vivement Léocadlc, pour
Li mettre, sÜremenl à l'abri, SI Oll la faisait passer
!J eH\1 ma fille-/
- Votre", fille?
- OUI Je me moqoUe du monde, et mon ami le
vcut bien,
l~t,
dans la implicitl! de letlf s cœurs dé\'oués, Lis
crurent tous deux avoir trouvé le salut de l'enfaut.
VI
En l'an V de la République, le petit bourg de Veyr II ':t III tr,lllfJuille, com1Ïle as oU[li dans une paIx !.Iite
cl, ,rUUle ,(touffée et de lassitude, Cepcndant, dl:\cun
('C>I'1,lIIC'nO;<llt ~ rc~!i
après le~
années crucl}es,
I.e 1~loIn.!
rCpUbll'<lm, gro vigneron, ne s'etait Jl?-S
Ill' Iltre lrr,p 1aCll\111, intl:rJ>rét:lllt 1:l1"I{l'mcnt les !OIS,
l'.
11 qu'il put,
i1n~
<:trc l11ok,tl!, ucquérir 111i('\t~
llt:llt des IJiuI d<: l'E~1se
el des émigrés, Il ~e
te:1 It l'OUf conh'lIl
1. lur~,
1'.liJb'· 1> FClzilhc, n\'1lt été arraché de
for e, !/ar ses ou tille, nu ' gt.:llùannes, et depUIS se
t 'n, l, gr;lcc i\ cl· 1101llureuses compliCités, dans Ull!>
l' lit, :,ür~
cOl1tinuaut i\ exercer secr~tml
son lili111 tt-re, f)'aill.lIrs, k m,lirc j.lcouin Duvivier, jlrofon'.I CIl 'llll lacll<: de 011 naturel, éprouvail une (lt'\lr
lfHJlt\ Rnllble des urig Illas rO\'IUX, dOllt un c<:rtatO
lit lnl.r • l' r"unlssaient parfois' d.l11s les grolles natuIl
cl.. l'lIviron-, où personne ne ongealt Ù aller
l'~
tI 'rlI,'1I 'r; l'ex",'ullOlI très s01111llairl', par unl' nurl
IJ' il 1100re, de (lemc ou trois patriotes trop ml1t'~
,1 1,1 région avait imprimé drlns I.e c?!ur (le Icur5
l'JI ds nlle tel fl'lIf <.alulaire, ct partJcul,lcreme11t '.111119
(' ·111 du l'l,ire de \'L:\'rac qui se sentait fort élolgllé
d<: i, ut ,ll'rui.
.
'1.,
�1
32
APRf,;S LA TOUR: \ŒNTE
Aus i, pour les h ~Ul,
les annLls s'étalen t écoulée s
Ulll' sécurité 1 elatl Vl.
Lo squt! .. 'aoc-tte a\'ait appris - t:t on ne put le lui
cacher qne peu de jours - la fin tragique de ses e:hers
seigne ni " tidèle à ses prome~
Cs de faire valoir les
droits de l'enfant qui lui était confiée, ellt! n'eut
qu'une idée: informe r ans r tard ~lm
la duchess e de
Ban,ac que sa pt:tüt:-fi lle V1\ ait! Une: le.ttre fut écn!e fl.
cet effet par fe commis du pa\Cur gen(:ral CelUI'
CI,
à force de s'tnqui: rir (I\-ce di~'crétonl
avait fini par
saYOlr que ~ln.c
de Bar ac 'était ré ugiée à Berne.
Une missive adre sée par une \ oie sûre clemeul.l S liS
répouse ; la telltati n, quelque s mOIs après, fut rcnouvelée !lvec le même Insucc' s; l'aLLé ~azl!1c
qUI,
mystéri eusemen t, d"mcnr alt en commUlllcatlOll avec
de émigré!' , reçut plus tard l'inform ation 9ue )I~
la
dl1cJ~se
de Barsac, sous le nom de .MDI" .. Olrmals
végétait à Hambou rg.,. On lui tcrivit à Hambouon,
rg,
mais ce fut en vain_ ..
Personn e, d'ailleu rs, ne s'occup ait spéciale ment ù
Vevrac de la fille nourrici ère de N'anette l/intérê
que Léocadi e Lebon témoign a la premlèr alllll<.; det
sa naissanc e à l'enfant couvain qult quclqut.:!'o
mères que la petite apparte nait à la jeune modicom'te,
et celle-ci, mise au pied du mur, se défeudl t mal...
La petite, assurait -elle, était fille d'une de e amies!
t't elle n'en était que la marrain e ... Lue marra IDe qUI
lui voulait beal1cClup de bien, assurém ent..
Cepend ant, quand Pl!ronnc eut un 1111 et que le
événem ents prir nt une tournur e nUa. te, . quanù
Nanette et son n!ari apri~nt
E1.vt.:t' tUl'cur
la
famille royale était pnS(,lln lt're, 11 fut con\' IlUqueavec
l,éocadi e, . venue précl~ent
à Veyrac au momen t
d{'s \'cndang e s , que la I!etite 611' ~crait
dorénB\ aIlt
\~tue
comme le enfant de pav an : il importa it ,le
n(' pa attirer l'uttenti on ~l1r
dk - ct l'or de :\1. cl
La ou!\tand fut Qi 'Dl'U cm nt cac'hé dans un coin de
la forge, n prhisio n de l'avenir
\'cr 1 prmt t11p de li93
cunllté de lireté
gl-n'ralt ' e forma à Bordea'ux et 1\1, Gennin ier,
tr" Il ptct depui longtem ps 'se vit li pendu de
8e fonctio n, eu attenda nt pire', Endoctr iné Jinr Léon Ill, Il- Jeune commis , Léon La Valtière , ul1i(Jue
"(ll1tIUI, Il est vrai, d'une vieille m re qui le supphal t
de III J> s
compro mettr a\ ail un peu lâclll ment
a limé 1 apparen es d'un' bon patriote et OUI ait
d la prot ctlon du tBill ur Gauche t, devenu dans a
section un per otlnllge f rt importa nt. ~uoiq'
~le
abonuuâ t le bonhouIID , Léocadl e lui réservai t ma.m
~nal1t
ses plua gracieus es coquette ries. Et, pour bien
affirmer son attitude , elle dansait dans les bals publics
dan~
a
Ul;
a
1
l
i
�APRÈS LA TOURMENTE
,l\'ec les
33
de clien-
ou
mor -.
35')-Jl
�APR)'.;S LA TOGR.1ENTE
l:t nul ne l'al'dit remplacée ... Ce fut Antoine qui vint
au ~eCf)urs
de !>'l. mère inqult!te :
- J'apprenùrai, moi, à lire à Mignonne.
- TOI, mon fils?
- Uui, mère.
- ~Iais,
mon Toine, pas ùans les livres où il y a
de mal'i_e~
choses.
--; l'\on, non; j'ai celui que m'avait donné ~1.
le
cure.
.
..
:\lollgré sa répl1~nace,
elle se soumit aux lllJonction~
fJu'elle considérait comme sacrées. Sous le sec.lU
du ,ecret ct après serment solennel, la vraie pe,r0llnnalIté ù'.! l'ent,ll1t fut rél'élée li Antoine ... AI'ertl l',lr
des ba\'rd~es
des I·oi.~ns,
il la croyait la fille ~e
LéocacHe ... A partir de cette heure, l'éronlle de\'lllt aux
yeux tic ['aùol scent cc qu'eussent été pour lui, en
d'~utres
temps, les ~aints
,le l'église; il.lui en eign~
à
lire cOl11me il aunit bccompli .dc" actt;5 jlICUX. ta l'IPldt;
intelligence de Péronne, qUI formait uu contraste SI
frappant avec l'c~prit
lourd de ses frères ct tiU!urs,
n·mplb ... ait .\ntoine d'adUliration. Péronne lUI in:ipir.lit une orte de crainte ... La petite fille, trop Ratee,
m:lnif ·~tai
parfOIS Ill:,; entêtements capricieux et tm}tait Ull pen SOI1 grand frère Toine en csl'lllve; môllS
1'1 de CeI1ÙulIl<: des noùles maisons de LaC"ol! taude
(;t de Barsac, heureuse dans son ignorancc totale Ile
tout ce qUi la concernait, hornait bon hOrizon il papa
Fb~on
t malllan ~anet,
à Jacquot, le fr~c
ùe lait
de son ;Ige, uon CliC mt parlant peu, pen aut moins
neon:, ct aux den.' IJdites sœurs, Aimée ct Virgllllt!
h d rIIière-néc.:.
'
Lu, clIO"", cu Haient là qnand advinl "événement
le plu, llnpr(:\ II : un exli.di de la premiere ùécaùt- du
lill"is de floréal, IR tr n.qlullIté pesante du bourg, que
n 'cgayalt plu". 1.. son ]oyct:x de, cloche." Icsqudle ,
Jl 11<1l,nt ~lc;
lècle, en al rllent ét~
la l'le, fut rompue
ur 1 nrnvee uru\'unte ri, III ùIII!{cl1,e <le Bord aux
n'Iyonne; salt:, dt:hbrée, elle délJoul'hait ,hn un
lIU«'
tic potlssiere" tirée par des hGridelll's attelées
dl' cordes; ~éanlois,
les po. tl110n aux lourdes
h"Ue claqu:l1cnt bruynll l ll1cnt leurs foud~
ct bisaieut
l;
:1Uver peurc.:l~n1t
quel lue cnf III qui lOU lient
dan le ~aiJlc
aut"~
rie l.t font.lill l ' <.;t e ,li pcr l'r,
('pOlIl IIt·C
tt [lllll\au e, unc clCllli.(\OIlZ lille d
,uILs llI'IIgre ; lIlI dl1en Il rgncux, rél Cillé l'n
:Illt, IbOl lit .ll·ec furcur, d, au l11ih u de 1 lt, ('1 0ph nie, l'éqlllpa 'l' br. nllllt_ 'ngouftr It, Ollfllllt Il
ierraille, ou Il cid de vout de 1 port' l'llalr tlere
d l'auberge ,lu S"ldl d'Ur, qui ten.lll l, )10 t
(.\
m~lI
011 (1(' Fi ~()n,
uu )lcu en r~(,1I
ét It t,ut \ \,;Né,
c, nu hruit de la d&ll 'Cil ,le )letlt ):llql1(1 , t Il lit
�APR!~<:
LA 1 {'(,R~mTE
3S
mOll1
pas ln
(01
'
111e
Léo-
on, si
�APRttS LA
TOUR~IE
'TE
L l belle cito\'enne riait ÎL ple1Oe5 dents et paraissait
plu., Jeune qué dix ans auparavant, Nanette, un peu
n.:1l~e
de SOli étonnement, lui ofirit cordialement un
:-,iè TC :
- S0i~
la bienvenue, Léocadle; chauffe-tOi, le \'ent
est .liRre Oh: cousine, je n'oublierai Jamais comme
tu as "té bunne jadis,
Et un gros ~ouplr
s'échapp:'! de la poitrine de NaIlltte,
-- • 'ou.; parlerons de tout cela plus tard; pour
l'heure, 'lue j'embras e grand'mère fis~()n,
Et, joign,lIIt l'action à la parole, l'cx-modiste mit
d 'U.' bal el''; ~onre5
sur les joue~
de la vieille felllme,
QO!lt k; yeux faué-; étincehicut ct qui répt!t:'!it avec
SIl!"P"1 e :
l.éocfulie, tOI, Léo :td!c 1
L lCl1Ue f mme !;'assit 10,; f~çon
au pied du lit:
Uui, c'c, t mui .. Ilame, IJue1!Jucfois je crOIS aus~i
rê\ cr, 'ilr j'ai UII hôtel aussi beau que celuI ùe
!II n. C 'rlllinier; il appartenait autrefoi il <les nuules
trc'> riches ... Le veut a bangé) ce n'est pa, la peine
d', lé '"ter, Il vaut mieux se bl er porter ... !.lu esl-ce
qu tu \ 'IlX, le" plu~
(orb sunt le .. plu,; furb !...
~l1btme,
ùc\'in,l l'apo ta~le,
ct son VI• '(tle~,
t<'I.: l' IllOntr 1 :
- .\ i(Jr , t":1 lIIan? llit·elle, itHJlllèt(,.
\h' .l'lIle, oui, c'e t UII rl.:JHlbli ,lin farouche:
il n'Il Ile III le prêtr ni les noble!;. A part cela c'e l
un boll hOllll11e. tout, Ile !TItille \"ois-tu, :-:dIlI.:Ùe. j
Il',1\'11
l"
(,Il\'le <jU ull me l'Uup!: la téte CUmIlH! 1
hl Il d'aulre , l'a, plus. nO!Jle qu moi; m~i
on ell /1
\ Il de
l hose
extraonlmBlre u! tlerni r, mOIs . •\_
tu nt llin j>:Irlt r llu gént:!"nl 1\, laparle'
\utulllC ll1 p Irle, dit li voix étouffé
~al1et.
Du\ i\ 1er, IIrltn 1l11ir', lui prête Il feuIlI 5 l'1bique~.
\'oi -tll, • ",in 'lle, je ui, f"lll! de l·t lomme-Il.
J 011 Lk 1 \ "ir l'a er a revue I.:n ll':cn<li. II, OUR a
d 'l1X 1.
P ut-'·tn: bien JI fera Tcn'nir 11.: fUI, murmure
tt .
l' ut-':tl'C bien! Fmnclll li ' l i ' 1.:11 n 1111' 1,.'tlT
. • l'JI, <Iu n,l Il Ille dit u!1 , je l'appelle fI)S e
hn Itteu 1 nt, I~ génr~l
Llit rOUVrir le '. ,11 • ,
, ' • une f meu • idée
\11' <lIt :>iandlc Il jOigll.Illl les 1l1:1ill , \aloine
1
naOllcé, filai jc n'v no ',li5 l'lu
C t \'r II, pPUl't,l1It. • • j',lÎ ':té Il 'olr '[)~1l
•••
n l' urllt, C l' n' t p~
tilll ... j'~i
blell Olllpri,
• 1~
,'nér,t1 Vl'lIt 'lU tout le monde oit cuUlent,
u.· .. ,
JI! . " cl le 11<111\
-
( \1 .t; n'JII\l:llI.·?,
�APRES LA
37
pardi, et bien d'autrc.s Telle que tu me
j'al été chez SOI1 épouse. une Jolte femme. fol!e
de tOilette ct Il v ;J.\'ait du beau monde . .. . de vraIs
noblL, "
,
,\h! dit t\lmette. presque apeurée de tout ce que
lui 1 Il'ontait sa cousine.
- ()ue veux-tu ma bonne chacun son tour, je n'y
puis rien :ii les ;:utres n'v s~ut
plus.,. J'ai cu l'oecaSiC,HI ,l'apprellùre ulle cliose bien extraonli113ire (l~i
mil ,h!rllke an voyage de Bordeaux, .. , parce que, \OlStu, I~,
lettyes, je n'ai pas contiance" ça, s·ouvre, .. ,
e~,
(jualll l, randlst~y
a quelque aHane 1)Jortan~,
c e"t 111,,1 qUI 111 '<:n éharg-e .. , 11 r a beau tem~,
que Je
me langlll::>,als de re\'oir Bordeaux et les lourny ...
FranchisUgll\', h"ureusement, y a eu de affaire" pour
le l,(oUyernelll"nt, .. , HuUS avons même voyagé en
po~t(;.
. IIier, j ''li dit à Franehi~tg\'
: «Je vais t'hez
nLl cou in,: _ '(lIlette, à Ye('we, tu pourras m'y trouver », C lT II ""t Jaloux .. , Et il m'a don ut: congé pour
troIS Jours 1 J'Irai à l'aubergc Jlour Ile pas t'embarra"c:r •.,eulement, tu Ille feras des cr-'pes, tu les Llls
an 1 IJI"11 qUl' f"lI Illa pau\ re « vieille •. Elle durait
été lo!tment fière de me ,'oir où jl;! suis ... ~Iais
tu ne
nte dCllundcs pas ma llouyelle?
- JI.: t'écoute
- C'est au sujet de Péronne. Où e5t la pauvre
chéne?
- Derrière ln mai-on, avec Tome. Oh! L'::ocadie,
est-ce que tu apportes de, nouyelles de 1IImo la ,luchesse, di~'
l'arle \'ite!
, [·.Ill lIl\:, • '11l1ctte; \'Ols-tu, cou ill\!, J'ai tuuj l1ITS
pelJ ,(' ,1 c~lte
mlguolllle. COII)lue Je tc le di lÎs, j ' , 11
Cil 1)"'a~l,m
li. un bal, car II \' a ,les Inl ' <tuu-iull'llt
t011 S le Jour, de danser a\ ec un cl-cle\',mt un de l 'lIX
Cl Il ~ "l t reu tr'::" parce C]U 'i 1 acceptcn t 1" n{ontle coml1le
il \ .lut C,?ll1me il 1.: 1I10nlr it fort Itc)l1llt:t\:, je lui ni
dUll.11l1é SI, ,Iall 1 5 pays étr,lllI!CIS, il mUlt jnllluiR
~l1>h
parl r de 1,\ ci-de\oI11t du hessc tle Har oc •.
Il m'" r~p()ndl
tr~,;
)Joliment l'o\'olr lencut~é
tl v
aln dIzain' (l'ltlnées; llIals il 1;1 l'IOVùlt morte"
tl~·,
dl lit-IJn, par le chagrin que lui ,j Lall (, 1 lin
altI' lise ,le S'l fille ct de son g IlIlte, . \h 1 les
l110n tr~
1
- C toc(;! que la, porte est blCn ferlllé') Illt rn> 'ca
al1.'ILU"~et
Il \'ICIII 111 r' qui "i\ntt uU une peur
contlllllcllc.
- .'·/lyez ,' l', mte, notte mèrl;!, tout c t '\0 .
- C' t b011,., contll1u,l Léoca,!tc .\Ior Il 1 ajouté
qUe. pui que je 111 'Ilto~rcs
Il 1 11 f 1111l11· ,1, 1.0' ou.tan.! • JC l'I dl ,\ ur 'ment al
de '1 '1I1r que 1 pr-·
tuler <.:on~ul
\Ient dl: leur 1 Ir' rUldre leur blell ct
VOI~,
-.
TOUR~IEN
~loi,
��APRf,;S LA TOeR~m.
-TE
39
à faire, mai<; Il pa,,,en rlE'SU~,
commc il a passé ur
le~
.\utrichi<.:u" lU pont II '.\rcole", »
,
"K.1llellt: tremblait un pt:u,
- Tu mc lai, pt:ur, Léocarlie j Je ne 5.11 S'Il est
pen!llS ùe dire tout ça j (!uanù 1~0I
~\nt,.>
l1e 'muute
la tete sur l<.:s Victoires, Je le fol'; tane, ct Je:; lUI \lt~
:
« Rnppelle-toi qu'Il" ont coupé la to?te au TOI: »
nOll
Naneltc,
ce
ne
s'mt
pas
euX,
11
Ile
faut
- ;\Iais
plu~
parl<.:T d~
l'CS vieillerie"
1 .\ntollle \ eut partIT
pour l'armée, Il aura j<Jltment rabon j surte lit, lie Je
fab pas sc suustralre :\ la 'ollseriptiol1, tu le verre\S
re\'enlr nvec l'Il bd ull1forme ct de la glOIre, , Il Ill!
faut jamais I>cn~<.:r
il hier, mais à ù\:ll1.1m
lit, sUp]lO~t
avoir "ultisammcnt a,'coutumé .i. 'ane~t
à SOli appan:n<.:e noU\'elle, 1 citoyenne Frandu li Tri;." t'llle\ ri sa l'al,ote ct son \'()i1e ct parut n\ec
ses ,lte\'cu,' courb et fri é, qui lui alhllcnt il ravIr;
ell' cntr'ou\ rit a douillette ouatép ~t montra l'étroite
roi)" blanche qu'un rull'1l1 \'crt Houait uu les e!lls;
une or te dl! ('ol! rclt<.: brodée, très /Impie, ét:ut errée
al~tou'
tlu cou :n'ec tks rubans tIe même uuan 't,! ct
couvraIt un peu ln gorge
- Comme lc voil;"! hC\billée 1 baUnltl,\ • '.mette, cn
son 'C Inl nux vaste Jupes ct aux ,11111'1 s li,n~
de
sa chère m,lître"e.
_ 1)' me, c'e~t
b mode, Frl1lchi,tlgnv tient >t (c
qu j porle ce qu'il \' a de l'lu, nou\ cau l' rSOl1ne
ne YUU dClll:lUlle, il 11heure Ll'auJuunl'hui, (l'ou \OU,
yen z ()11 re~nlt,!
comment \'ous He. attifée
\h 1
Mme (;C'rmillicr crait bi n t:tonnl:e i elle lUe r nl >11trait! Elle n:\'i 'ndra un <!<: ce jour, tout 1 monde
rc\ !l'n,Ira, ..
,1 "rite l,lit e,
•\lor , lin mign0lllle retrou\'et
dit • nette Il\'CC 501 nnité, Ilieu ~oit
loué! \'ol~·u,
Léo, \Cite, le c ur me faut qu nd jc \01 1 ftl l de
Mon i 'lIenr et tle ){1uo \.\ comtes " qUI ét lellt tkrs,
li
1
Ù T1l.'tre tobl l't trn\atll111t
II \ 1 Ile nu 1 la
t rre, c r clle Tl pcut r tcr 1;) un TIen t lie, l't' S'rail péché j 1lIr1.1 , tout tle même, je lui ni fait appr 'lIdn:
il lire, ç'a él6 IH<.: que le (lcruici lIIol d l ,II 're
d'lIne : «Hile <lur'i hre » Et clle llÏt 1
- {lui lUI a 1I10Tltlé 7 ,\\'ez-\'ou unc école'
. - Ah 1 non; c' st !Tl Il .\ntoine. i\1. le url: l'Ilv lit
1Il truil pdi , dlr Il ~ pér81t (lU' \ntOllle ur ut la
\'Olatwn
- T1I1t mi ux! \'01 -tu, 'flnette, le ylu Vît nous
1 (l'ron connaître.
i.J111i11·, le ml<.:ux Lei V.JUùru pour dl
- l'our îlr 1
:'-[01 JC lrou\'e qu'il iaudr.ul lui 'l!lprcl1(ln: qui
elle cl.'
�40
APRÈS LA
TOVR~ŒNE
11 , en a, à \'(~
rac, qui croleut qu'elle est ta
iillL , Lro(. (he.
- le ,a.:;, ..
l'ni )JCI ne, Léocadlc ajouta •
' ; ) US a\ ons peut-être
Il tort de le laisser croire,
- Je lI'al Jamais neu dit; quaud ou me demande
CJllI ~Olt
.cs parents, je réponù" : 1 Des bonrger.i . de
Borùeaux ... » , Et pourquoi ils ue la reprennent pas ?
• (,:a, c' t leur affaire ... D gt pUIS, vois-tu l dq>U19
IOllgt<lnp ou ne ~'el
OCl'UJl\! pIns . Je Il 'al jallHlIs
oublié 111011 serment, Ll:ocadlt: ; J'ai juré de défcllùre
les dr. Itb Oc cclic gui a ou mon lait, que j'ai reçue
(hs U1alll. de 1 mère, Je les déf<.ndrai.
- ru ne sCIas 1 as • ule, 'anctte 1
causè:cnt encore IOllgtemps dans
Le ù U;' fc.1ll1ll
la l'Ièce oil le Jour oalssalt: la \'lcille mère s'était
assoupI" l'Uls soudalll le loqn t cl 'une porte 1lité·
nenre fut soulc\'é, dUlie tillett , pIeds nu ~ , SUI\ ie
d'ulle autre, Jll d nu ,>01 llIellt, l'Iltra en coup de
\Cllt
faiu.
.daman • 'aurtte, dama la Jeune \'oil{ fraÎcht, j'ai
1
\'II
�APRttS LA TOURMENTE
Quelques mOIs auparavant, Nanette, ouéissant à une
voix 5l'crète, avait montré à PêrOllllt! la préc)(~use
boîte sur laquelle était peinte la res,;emblance de son
père et sa mère' la petite fille les ay it contcmplés,
pl~ine
d'admIration, les envio ageant comme des dIes
lQllltain!>, luut :i fait ton dehur~
de la sphère ùe sou
existence; évoquant cependant il leur égard une sympathie illl'."pl!quéc, l'Ile était testéc .Iongtemps l longtemps en l'OlltemlllatlOll, pUIS avaIt murmure, car,
élevée dans des temps mauvais, elle sn, it l'importance du silen.:l' :
- C'e t Il' roi et III telllc. dis, moman :::\'unl'tte i
lIIignonuc, rt:pollùit Nauette en plcu 1 unt;
4 "un,
mais ils étaient roi ct tliue chcz eux, d, tOI, tu cs
née sur leur lcrre.
- A lors, il fant les aimer)
- lIni, les aimer ct prJcr pour Il,".
- Je ,ycux. bien, avaIt ri'punùu l'enfant.
ta uUltC dl parue et sOlglleu.cment lIJI e dl' côti:,
les IlIl.lges <]11 on lui a\ait montrées ontllluL eut il
flotter dans l'esprit de Péronne et oud in cn \ \ allt
LC:ol;ndlc, il lui parut qu'UllC dame sembl~t:
: celle
du l'urt ait était dcvnnt st:s yeu" et sous l'a!;' ct
d'une \'h allte réalité.
•
Cl'S lIaju~
de L';ocadi(', doucement cL déllll! m nt,
car !\OICIll l 'cnfant .• 'onette tn éprouva \1ue
rt\. de
Jaln~IC
ouscure
- Po~c"la,
ùit·cllt· ù Léucadil', clic . t tlOp grande
pour etre pri e ~\lt
le genoux.
- Jc J'ai déjà uerc(c.
- I.)ui, malS cil' était plus petite
th dam
DlI nOIlU', c t ma COl1!;ille L ocadlc.
'
Lt IlO!lI a\ ait dC:jn Hé prOHon é d \ ont Péronn
qUi ount ct demeura là il die ét lit, tO\lt 11 dl
dl lu JCl1l1C femme i )l111 , au L, ul <1'1111 111 tant tlle
dCll1 utin, grll\ ct tl'uu ton de 11lH! 1< •
- n t- . ljl1C '" t la dallll dl' 'In boite?
- Dl!! 11011, dl't 'au tte, indIgnée; ~1c
n Ini T 1111 1 pa 1
- (Incll holt) lIItl'TrO' , 1.(0 lflH,
N Iltll IIllt lIl1 doigt
Pl. S
InrnllS clJlliuercut l! H!l1,"
La ('ltO\ cnnc J'rIIndii tigllv ('n11lpnt qll'"
a\ nit
dan la quc tlO11 de l\'n{aut IIll :llIu IOn , la dlfuute
C IIItl' e ùe l.acoust,llldc; j'voquant l'ÏJuag
il
noble l Il ltelatut: de Snllltc:-H,mnc, t Ile e III t fit! e
nt d
<l'un 1 itlé immcn e poor l'orp!t 11n, rundl
1 pau\Ore Ill! ne liT de h ,n qlll par i! 11 1,1 l,me
fell1ll1t!, cl OlllliU
hal.)\lué an lu , un n~lc
ben
misél Ille
1aut d'événements mOUI • ùOllt clIc (1 étC! témoin
��ArR~S
LA TOt"Rdr;. TE
43
les
r~spie.
r tlùalt
t
Joli '
50 plI!
e.
'on, on
11
peut
�44
APRES LA TùUR:\IENTE
Un peu blessée, Nanette répondit:
Dieu ne lUI cn a pas laissé d'autre. Elle n'a
jamais manqué; aux plus mauvais jours. on s'est
toujours arrangé pour qu'elle nc patb~l
pas. Pas
vrai, not'homme?
- C'est vrai.
- Ecoute, cousine, repnt Léocadic, on .... ·1 !;'arrallger
pour que tu te rendes à Sainte-Bonne, ... et pUIS après
on verra ...
Elle contempla rêveusement le feu, s'H1ra d'un
mouvement de chatte et ajouta:
- J'ai une idée, mais 11 faut que J'en parle d'abord
à Frallclustigny.
,
.\10:5 elle ~c
IC\'a, le s1lence étant sou dam tombe
sur tOU5. Anbin.:, pren~t
la lanterne, l 'c cort.l J USqu'au seuil du Soleil d'Or. Il ava1t nu,; h profit l'dte
Ixèvc minute de solitude i\ deux, car, vant d\:ntrer,
Léocadie murmura, o\'ec un regard encourageant de
se, l)caux veux :
- Tu as raison, 'folne, et le t'aiderai.
VIII
�APRttS LA TOUR:\IENTE
45
lèvres, malS, rapidement Il 5C reprend; les pen. t:es
encouragt;antes se succèdent dan~
son cer\"\!:\u; l:argent, et 11 en a beaucoup, réparera. tous le:; ùe~ats;
trois ou quatre années, au plus, et Sainte-B,on,ne re,:,ivra avec la splendeur d'antan, et lUI, Renc-l'rançOls,
devenu de plein ùrOlt le marquis de Messac, en ~era
le maître' l'injustice du sort à son t:garù sera reparée, .et sC:n fils, :;on pt'ht Gabnel, gril~da
l'h':ntier
légitim e de la terre de ses an('êtres. DISSimulant son
émoi inténeur, Il il repns sa place dans le fond de
la ,"oiture, et cl'une voix sèche, mais qUI veut être
gracü,use, il dit à la jeune femme assise à "on côté
et qUI n'a pas bou~t:
:
- Regardez, l,:\l1ienne, vous \'ollà arri\'ée à votre
ch.îte. U' il ne Te semble pas, je l'avoue, à SamteBonne dont je me souviens, et le premier coup d'œil
m'a surpri , llI:\is, p'üience, nuus lui rendrons sa
mme d'ilutrefuis,., J.: vous ai toujours assurée que
vou se.lez ùame de Samte-BonUt: le ne vous ni pas
trompée!
'
1..1 pâle jeune femme, qu'un manteau il. pèlerine
d'une étoffe verte rayée faisait paraître plu' !l,île
encor.:, répondit très bas :
- Ces ruines me font pem .•
- \'ous êtes une cnhnt, Gallienne 1
- Je pense il. ... ;\ ceux qUI ont péri SI affreusem nt.
Et les main (lé!tcae~
se portent aux \'eux ,l'un
b.l eu d· pcrn!llche, comme pour leur dérolJ·r la viSllln du ('h~te
lU d~mlnteé,
~
\ ous fl'rie7. mit 11.', nu lieu ù'é\'oqu r c!'ll111tde,.
sOll\'euirs, <10.: p nser il votre fil
E :\1 ,le. 1 nc, cu s'aches nu uu Joil g ln ,)!ln t
0,,'15 ur le trapontill ùe la !l0rticr •
'
. - Res;p.rcle, (,ahriel, Ùlt-ll, ù'une '\01,' que l' 1ll0tllln f lisaIt \'lU:tll1tC, en bee, il. ,lrOlt , ft ~ III he.
tout ç e t ,1 tOI , Tu en sCias le ma1tre IIll Jour
.L,cnflnt 1 ve. n tête intelligente ,l'un ,ur', la fois
llll1ld· ·t lI:u,l!, t, pel1dant que ,e \' llX étoIlllés
errellt dO; tous., ùt"" il a 1111 .ourire lIn lJeu tll te,
et .1 'petIte 111.111\ l'he rche celle de ~a 111ère
l'ch 7, 111011 tille, reprCl111 ?IL Ile ;-'Ic!l l , de
Illf'l,trer 11l1,lI\dll'lll' \i_l,I(C; tnu
t Illpnr(' p'Jllr
Uor,s 1 C\,)lr dnn 1"lIlel 'l1ne lil',i on dl1 r( 'l'ur,
(n atlCluhnt qu'ul1
ppartell\c Il "il 1111 Cil (nl~
dlll I·,lt tau: Il<,illc\, que J'\I l1\O\C 111,,1111 ur,
( t 1111 homme ~itr
et habile d ri h' Il 11 (. cl· l' U\'Hrs
il' lui :1\ i ,11111L
L ~ U IlTll tu!', cl S 1) liS
(1\1'
JIlOIl fr~
lI11t l,té nll
de!wl
"1111 • ,l\1jo\lrtl'll1l1, 11
di lite 111 011
81011 ..
Il' li pa
1111 .ré III"i..
J
(e
p~r
DOII1 \
Je
lU'
'crlt lU l' lloli\l,;lU l111lre
Il
(r,,1Il0111C;
dC,?lt ,I( po
!;ut
en
Il!;: S ..lIut
·Id ..
-11 )nl l(~
r
��47
��Al'RtŒ Lf. Tul'R:\IENTE
49
tombée pendant le court chcmin du r tour. La vieIlle
Virgmie purtait l' llfallt Iqs et 'jUI dornw!t. COlllme
les deux felllmes d '~(l:dae
t UII pt:u hâtl \ ClDt nt la
rue Garanc 'ère uue umbn se détacha suba IlIcnt du
mUT, tout pr 'de la fontaÎne. et Gallienne vit surgIr
devant Ile UIII! Jeune f~lIme
,1I~X
\ tCIl~S
us~
qUl,
d 'un gt:~
d/sespêré, lui lcudll la IlIqlll, SOI,!JC1t.Ollt
une aUlllône l.n JI ur et la Slll}.JTlSe hrent s arret r
brusqucmeut
LClIC
qui Hait qU':I!1~ét"
tout
l'dfra\ait <:t elle le\' le. yeux augUl St: \"ers la
Ilaheùr~s.
I.c Jour lot. Il LlICO!e sultisant. pour
dl'tlllRuer le traIts ct en \"OHlllt {'CUX dl' l 'III ecrtunée ~41i
venaIt d'lI~)Jore
Sa chanté, Gnlli !lue lallIrt VOU SCI uu cn l~1e
l'étouffa d'lllstl11ct et Lalbutla,
L\J{;I lue'
louuuent, tOI,. tOI, Françulse?
- • loi i Diell, qUI III \:tmuaÎt (
- • Jais ... moi, G .. :.IClll1e._
I.t ~ II lIX jeuu s fe lnllle npn a\Olr jeté Ull regard
fu ti dnns la ruc ,,,lltal;c, c ra!lprn( 11 r ut 1 Ilr,;
~,.n·
se ]Oiglllrellt, t Iln bref l t !.Jol 'uant dIalogue
"lchallgLIl '
1 \~ l'roy liS lI1::.rtc, (,alhcnllc, a\ U' ma l'au 're
tolll\l
- JI
été sauvé. ; Jt' te rO('Ollterlll Ùl! qu Ile fùç<..u.
t')I, l'rnll<,:oi t·, tu (tai. lnllgr(c; "lUltl lit (,.tu
'..
o1l1m nt, (01I1I1ICllt l -tll . /
COll1l\lel1t su. 'Jl! ùaus la Ilil èr ? .\11' (,alIt I1ue, ,.1 'i( III t. li
1110rt". mun pCIC,.. DluD
luan, . IIh:'lI fil~,
(l, maladie t:l de prl\ atioll .. J'ai
su gue 111011 fr 'I~
LOUI , le prt-trc, étaIt 111 lad l t
traqu " alor , plut<Ît quc de Il! tu seul Cll pa} dr li
ger, lC slll ,(Ill'".
ous nu fall.' I1om, 1l0\.lllt qu Il
ser81t po slbl
de \ 1\ le, th Ictrull\l:r quelljUê cl. c
de (C 1)111 111' 'IJil rti lit,. J'ai joint Loui
tl tra\ 11_
lait ml' r hl IIIUIt, comme éiJ IIIstc Ilo~r
CXI tu
C IlX qUI }' hnl~I1t
Ollt ù,c uro\cs gens, ,ma'
;
JJalln , 1) l,uI qUlllzc Jours, IllOIl paunc Louis
cst rnola~
li Il
15 quitter 011 grabut
011 Il'U\Oll
plus Ull . igll,lt, ('\' ,( la fnim cl urtOllt 1 Iro
HIll, j'cll Ili1Illlié; • aujourd'huI, Jl ncollllllcnç s._
~Irls
rn~lI.'
\ mlà
1
l,'t la créntllrt qlli S\ ait (,1'
Il'U ~.
tut UII rin dé ~ »~ré,
(,allll'llll' tr~ILlai
(l~
pi d
b 1ft, Il rc cl heu-
ù ln
te
une
Illllk cl n rU' \lU, i~
cl
e {Ir~
cl Il "011 (cn ( u'
pour ln l'rClIII rc fI)l dl :1 \ Il' (Ill fllt IIhlÎtll
d~
S pe 11 (c t t li e
a fi r le :
- Val iii Il a Igl1 t , J'lnllçoi ~ ; "('lld ( (II -moi
Ou
Jt IlflUITOI te tlOU\ct, l' t'sIÙCr81,
Je)llll
t'saler.
��APRttS LA TOCR:\1E:-lTE
SI
n e le déte, taIt pas; n'était-il l'J~
toujours bon Jlour
ellt ( lIt il la Jéf n,lait de tout ilia 1 11 a\'alt o!Jél ~ d,t!
gcn':rcux ultraÎnclllt:llt<;, .\U:'~I,
\'o\ant qu II <.:tait
.lntentl! et prt:t il l'écouter" elle lui llarra la rencontre
t::>. traol dillalre a\ cc -a C(JuslIIe, • uppnmant totalunc11t
la p rS011uahté du prêtT~,
.
- • laiS certalll<:ment, Il faut secounr votre pa re!lle ,
Galht:llue'; je pourfai m'occuper de ~OIJ
ca ...... ()lIS
la (ér0115 rayer de la liste des émIgrés .. , Quelle fol~
d'être rentn:e ainsi au hasard, sal1~
soutlen 1 Ou
logt:+elle'
, .
- Iilll' n'a pa,; \,(Julu me 1 dIre, par fierté, Je 1 al
bltll \ u, car dk est liau\re
- Commcnt, a\cJrs, a reverrez-vous 1
clle revI udra
- Uh 1 nous aV011 pris relJdz-vou~,
là où je l'ai rencontrée el' soir,
- \).cz tOllS les détaJ!~
de a situatIOn, et je v rrai
la lIlarche à SUlue Il faut être bien prud nte. 11Iun
t:llfdllt
Et l'œsl à ln pU(l111 pre qu imllloLile lant; un
re T<lTl p IIHrant sur 1(1 j une femmc,
- Jt: lt ,cr:ll, ùlt-dle SIIIli'IUlltut
- Cc t bon, on .nra ('C qUI e t pOSSILlt pour cette
pau\ ft: fem1l1e
C'était 1.1 coquettcri ù",:\I
0 de parai rc IiU,
'l ux de
n fI; lt1 mt' UIll: LOllne :,nl
lIlllp lt!'~.
ut! l.1!
ujtt épui 6, 11 C0lT1111CIlCèlt.:1Jt alor 1 I,urta: de
da1l~s
qui 0 ul'Ill 1ll\onûlJ1emtut l ur S01l((' jU qu'
l'hturc du "J,ucher dt: (".\henne, jamai {nhf,.\
pluSer~
!epn ~.
on molT! lUI I1\Oll prol" • dt! 1
lie rdu ait trllll,klllcnt
Dien r au spednc:ll, ilia!
Pl't .1 ohélr, rnab ,1\ouant sa préUrLllcc pour rc. t ;
au 10 i
Ht JusqU'Ici cctte }JT fér o(e a\Olt touJo r
Ir-là, .:omlnC ou leot
été C III -téL; c p I\llilnt (t!
d' \( 'r un ntout nOu\'cau ùan SOli JCU, .It! oc dl :
coutent, 1l0u trOllS
- 1- li hi n! ito\ ellU, 1 tu
en .1luLI nu recta le tlcmalll, on lie p ut tOU) UT
1 tTl-l l!l nt, je III \'etlx Il
que IlIa fll\1mc
surpn
de SOli mari,
(,alJ~o1c
,\nlt lé-
�52
APRÈS LA TOURMENTE
qui pouvait flatter un homme, Galltenne ignorait de
quel prix elle était aux yeux de cet i!poux devant qui
clle tremblait,
Le lendemain, Gallienne avait revu sa eousine;
ccH'-ci, l'e prit aiguisé par les circonstance, habituée
aux métamorjJho C', parut dans le jardiu siu Luxemuourg ~rJUS
'aspect d'une march[lnde de -gâte.lUx,
Vêtue proprement d'une bonne Jupe, d'un fichu et
d'un uOl1uet, t'He ne ressemblait plus à la mendiante
,le la l'cille, Elle n'tut aucune peille à avoir 1\0 '01loque live..: la Jeune citoyenne qUI, 50U5 prétexte
d'allluser ~Ol
fil . errait Jè droite il Ram'he, L'al'erti, ement de (':Jllienlle tut 1Jref et l'ill'ide :
- S':pare-tOl de tOll frère l'our un peu de temps
car je serai sans doute sUn'eillée et tOI aussI. ()u 1111
tout sera en rt=gle IJour toi, Oll verra ... j'tlUr31 uu
immen"e service à dcmamlcr à Louis .. ,
- Parle, Gnllienne, lequel' Ah! il a bien pil;é de
toi, il cOllljJl"ell,1 (jue, pour être échappée à la Illort,
tu l dù faire quelque terrible acritice.
1. 1 jeune fCllIme rougit JU qu'à la racine ,les
ch ICUX :
S lth
-tu de Loui '
jeune 1 mille
l'U
III r, d,
�.53
homme terribJe elle porte le nom j clle ne s'lit rien des
agllüirJ1ls qUI, à tout momeut, cOllvubcnt P tris,
Ul:lll1tcllaut qu'ilu'y avait plu:> ù'échafauù, dIe I:royait
la Révolution l'mie ...
Le singulier ménal5e se mit en route, fi !J1ctl, vers
<:1IHI heures, La tenue de ~rcsa
,"t lit ne ·llI?et' et
d'une simplicité étuùi6e, Gallienne, Ilabill6e seloll les
instructions ùe s.)n Jllari qui s'occupait de lui t.:u\"I)\'er
jJort:tit une robe de lill()n jaune, que ·reSes IJarue~,
C'JU\ relit une écharpe de g.lze lIUlre; se~
dll!\'eux
(.Imtt
,walt été accommotlb à la Ù 'rni~e
mode, et
l'Ile tait coitfC!e d'un chape,lu de p~ile
à larl.(e ('abr;,,1 t. Sur t'e cllapeau elle avait jeté un voile de
dentelle bJ.l!1clle qui lui recou\"l'ait l'Il partie le \ !sage;
tllc .. il lit d 'uue allure timide et aurait sonhaité
UlOlltLr en tiacre, ~Ials,
C01111l1<! de coutume, elle
u'os.Iit ril.:ll ùlre, march:lIlt do 'ile et crailltl\ e
On r ncontrait de temp' en temJh, d'll1 le rueS
sale ct ni 1 pavées, ùes type' étran Te , d ~[e
ne
lui-IJ1C'me h:lta le p.!s, .\u nlUlIl nt oll le t:[lOIl: dé,
b'lIl< il Il!nl ,ur II! quais par la petite rue <le Il '" Ill',
il.., 1ilrC'llt ,urpri pHr le bruit et lt.: fra dS <l'ulle rixe
t'Jute pro he. ~'IlC
trr>ujll! dl' j un 's 'elh, Il IJlIl':s
<\'Il'lIJit " t'olkt noir~
et \ Inlet s , .. uilf~
Ile 11 1)!I'anX
de kul rI! à Inrg(' )xmls, la gro e t'm\',de nillallt
SOUs !t: 111\!l1ton, arrivaient ClI ioPoupc serr , IC\'llut
h.lut leur, gourdins et i'0ur,UI\ lit \Ille troupe
tl'!tol11ll1es qUI, Ilurl nt et cn lIt, \oU!:11 'II r '1IIIlllter
la rue du Il:te, j)'UIl côté. 011 'ntencl It 1.1 l'1,I1l1eur
Pelldez le, J lcüuin , ce ~Ult
de ('oqulIl 1
I)t l ',lUlrl! :
\ Il
le (hou 1 nI ..
groupe
e rlppro('halent, se ollLt, icnt m'ec
t
unc \ IOlence extrl:me
Hpolt\'antt!c, Gall1ennc, ms incti"cl1Ietlt, lit qn luues
Il
en arrier, e di il\1ullllt ùcrn l"e \111(
ilh' du
Ulur ,l,> 11 lJ1'lI un 'lui formaIt l 'nngle, \ u mC1I1e lIlSt lIlt, deux jeulle. 1lOllll1l ,;ll'p:lrtcIlOlIt <1 1 (,t~gJrie
de "lilllBble du juur., .Iperçunnt :'Ile Ile et
'en
illPro Il Illt \'Ï\'elllt.'ut, l'ul1 d'eux ('n,l :
"
- \lai c'c,t lin ail illt 'tl de 1 méu Ige rie J I{()uine,
dili-là, je 1.: ('oI11l,li 1
l~
le l.(()urtl!ll, touruillonnant, vint
tête de l'an ien j cobill qui, ét()urdi JI Ir 1 \ \ 101 nee
du !tr)c, tornua cn l'qui ant Ull ge te t1 tlHell c •. _
~ 11
'nrrc!er ni ~")CuP
r l,lus Ile 1 lIr \ Ictlln • les
rune élég nt • tout en ri nt tr huut, lir nt voltelice ·t rejoi nirent le Sl;roujlC IJrll\aut ,le 1··fel1 l'urs
1~ 1\ contre-révolution, ·t le ngit,lteur curent bientôt
"1
ru du (juai.
1 fallut un long moment à :'Ic "ae pour r prendre
!l'
��55
de phi-;ir, de dlstracll0n l'avait en ·ahie. Tout de
suite, elle se rendit t'owpte de::. cumbats qui se livraieut dans 1'.1me obscure du man de Gallienne,
devin'l toute l'ambition reutrée de l'c.··]acobin, le
dbir secrd qui le tourmentait de se réhabiliter aux
yeux de ceux de sa ca 'te, et elle résolut de tirer parti
de "('5 di~postn
pour son propre profit.
Gaillelllle, apres ses anuées de triste isolement,
fut ravie de trouver dans sa pan:nte une compagne
dont tous les di cours étaient rassurants d qUI, par
Suru'oil, lui vantait ce m3ri devant lequel plus ou
m'mis clIc tremblait; celui-ci, flatté de sun côté, heuleu. d'être ::.ulltcité, promit il )Ime d'Brian han de
s "'C ll)'Lr d'obtcnir .:1 radiation de la lite de émigré" 1'.lIlicn, qui lui au,si était gentilhomme et fort
lié .I\'CC :.'tIcs ne, fut con<;ulté, ct. sa boune volonté
.Icqui,e, leurs efforh unis couronnés de succt:s; au
COll1lJ1ellcemt:nt de l'an VIII, )1"'0 tl'grlnllc!Jan avait
"lJtellu le clroit de n!\ Ivre au grand ::.olell et cdui
cl'e,pl.r r le r::cuuvrClJ1cnt ,l'une partie de .1 fortune.
Le cCluces"ioll c Ile lUI coûtèrent l'as. Vétue
la
cl 'rllicre mode du jour, heureu e d'être bellc cncore
lot de c l'cnlendre dire, elle dia chez la ito eone
T'1111 'n et v lit !icn~:tlo;
1:1, elle rcncontn Ja Clt'J\ !lue BoÙajlllrtc, ,\ qui die se réclama d'uue lointUII1" parenté a\'ec le Bcauh:unais La ch.1rm~lte
Cré'Jlc nccueillit IIvec bonheur l'ancienne éml r~e,
lui
(JrorIi ua e gr[lce" le, plu~
em'cluppalllcs t, ponta·
Uélll nt, lui otIrit l'appui ùu élléral dè qu'il rcntrerait Il Franrc, COlU!11C le jour en cmbllit proche.
'Irè avisée, renduc [Jer plCllce par Sa dure x]>€:rieu ", .\I/JI6 <l'ü1~ha
cut l'intuition qu'un 'tr od
clt~1
el1n~
e préparait Ù IIlS J'ordre :.ocial. Ù~
ise
!l'un air de friv"litè nu milieu d'un cerde cl· "aiUlIl,le (Ill JlJur., ,bn'i le joli aloll Ile la dtov nne
I~J1)'lre,
rue Ul.Illlcreine, la lJ1'IrrJui e oberi.tit le
nl'm, nou\'e.lu ct ... préparait un plan de c mp.lglle.
Cc lul 'lle tjlll, nu Sitôt Ic retour du éllértl BUIlI[J ,rte
Cil \ ndél11i,tirc, per uilda ~le
ae ~Ie
'allach r ouvertCIIlU!l III je11llc "ld,lt ~le
fortune qui al111t raui uer
l '.,rdlc ·t l'eu).:.I),:e·1 a se lrou\'er I1U premier r nlo{ l'Hml
c 1 x qui applludirent au h:lrcll {'ou\, rie Bl'UI1l ne.
1\/
c, ou j'égllle de ~lm.
(l'I~rL1ch.n,
e vit
hl ot6t il1\ il':
lU.' d Jeun r
ill1l1ll s que le con 111
dOlllLllt au Lu.' IlIhouty Bon p Irle. en cc ( J '
av l Il r ri f Ill1tli rllé
,tlilll' 'lui !li tl
l' 1
C ('0I1V1\,'S' de
sllnil'llnt cl' l'allel Il é lIne
ét.l1l11t "u llolllbre: (' Ir JI) 'l'bill' Ivait Olll né "1 1).
tltt . L, petit lOI l nl~
joue. nell Cg, au Vl!;.lgc l'.Île,
81 Il11ple d Il
on fr . d .Ir p olne, (uri ux ct 'lues·
t lO UU 'ur, d~\'il.t
promptelllent {; II.' qui POU\ lient
��APRSS L.
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TOUR~m.
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lit uue,
����APRtS LA TOURMllNTH
65
L J> hl gar~un,
qui l'.p~:<;OI,
aU~ltô
s'~lnC
vers l'Ik, l't, (out ba , parI lit d'UlIl \tJl.' 1lL'~ad:
al\~C-OU
tuut <IL sUlllè; ou \~ul
\O\b lulllè
du 111": ..
- WUI ? .. d~lI1aÙ
,·aldt~.
- Chutl rt.!pUllÙ 1'~lfut.
.. J'al entenùu _ Il faul
)srlu \It ... I1n 'y a persolluc ... Et, ttuez, \011<\ pour
lalnlltr la l,ctlle fille ..
Ut, a la 5tul,aactlll1l de ~ "nette, 1 enfant 1\11 !(;lllt.;!
un p, quet d'effet, rOl~s
qu'il U J1o"é ,\ terre ~1
11·
hallt. ::jans sollicller ù'cx)Jlkdtiul1-, ~an
III chuL'her,
}:alH:Ue sai It le paqud et découvre U11 lo~t1e
tic
g r~ou
: ulouse, JI IItalon ct un léger chapeau ùe
feutre.
- Un vous fait dire de l'habiller alllSl, répète le
p tit gar<;ol1, les }eux urillants, la \'OlX hal tante ...
,Vite, nte, d dl! !)artir. .. \dte, halJlIl<.:z·la.
lUI quelques tnll1utes, • 'andte a ef1edué 1<: changem~nt
l!t reparaît ùans la chaJ.lelie av cc l'étunlle
tran~fumée.
Le IJctit Gaunel de .:\Ie sa, (j11l t t
toujours là, la n:garde avec cette admiration l:jJetùue
que It5 cufants <lut parfois les un" pour It:s autre ;
~UI
œur d'enfant adore la petite fillt. Tinlldullent,
Il lui dit:
- .:\Iailltenant, sors la pre~iè,
va en courant jusqu'au petit uois.
Pfronue hésit .
- Ubl:is, mignonne, dit fermement Nanette. Ce
n' 5t que quel~
pas. Je te rejoins.
l,a l)orte est cntr'ou\"erte, Péronne s'y glis~e
Les
échafaudages des ouvriers qui coustruisent la tourelle
lllasquent eutièrement le chflteau. Et, une mJ:1ute
ajJl~S,
NaneUe l'" rejointe. Pl:ronne, courant toujours
eu avant, ('omml! uu garçonnet qui s'amuse, nune
la marche. llientôt elles sont dans les vignec; ct, pnr
dts chemins de traverse, un heure après, atteiguent
Sainte·BOllue. Là, Nanette se sent sauvée. La ('baise
de poste de la citoyenne Franchistignv est bientôt
attelée. Le" quelques mots de 'anettê ont alarmé
grandelllent Leocadie, et p ndant qu'dIes rO\1l lIt c;ur
la route de Bortleaux, che l:coute avec inquiétude ce
ql1e sa cousme lui rapporte de l'entrevue .
nous nous sommes trolllpées,
. - Ma pauvre ~anet,
11 faut la cacher ... On la mènera à Paris ... QUI, . OUI,
1I0us la mèneron à Pari ... Ah 1 il dit qu'elle e t ma
1i~c,
eh bien 1 il \'erra comme je la défendrai! Je yerrai le consul, nous la mettrons sous sn protectlOn.
Péronne, épui~{;e
d'l:motions, s'est elldor·mie et,
tranquille, repose sur le sein qui )'a nourrie.
I
359-m
��APRt8 LA TOUR.IENTH
des mémoires, SUI lbqueb l'aimable femme Jetait un
coup d'œil dl~raJt;
d'auln:s mémoires s'éj>arpillaiull
à tene, Ces sort s ùe \lrji'ato1J~
étaienl trt: antlpatl1quc~
à l'~c.1Se
lIu (l'I~u;
clic accueillit <1\ tC
bl'auulup de ~alsf(tion
l'uPI,urltlO11 de la cito, U11le
rrulll lustl '11\ (]UI .\ mettail Jill,
'
t(,U, Cts papiers, on \CTra
- Angêl1(juc, ra Ill. 5~\.Z
plus tarù
h[, 'aùre ~Îlt
à h \"i~t
<e :
.h l'hère belle, VOl1~
t:ks l.1 biu1\tuue ...
Ilt, ,l\allt rcmi-, "a tds~L
LllcolllLrantc Il '\11 '':Irque,
Sillh se'lever ni l>e déranger, l'Ill' lt:IIÙlt graCÎcl1s llllnt
SlS IJ1as à l'arrivante, pui~,
a III 1 'alollt:llt, lUI fit plnre
à SOli c6té sur l 'ottOI1l il11l: , Tout en s'informant dls
wO
nouvelles de ::\l
llonapnrle, 1,éocmhe, avec beaucoup
de tacl el lout comllle si dit t;ût possédé l'halJltu(1e
Ù~l>
ClJllrS, sut d'auord Ill: pas dirl' un mot d'elle Il.':'11](',
Dl' parla que du gélléral <1ont la j'rdllle atlelltlait ùe
nouvelles \'ictOlres H, très ha1Jiltll.t:nt, 5 'étendit ~ur
l'excelleute illlpression que le~
clernlcrs (;\'l:llCl!Ilnts
a\aieut faite tU proviJlc~
LI sur j'aIlL:ctioll qu'(·\t:dlilt
daus les cœurs l':pou~e
du con~ul.
]oséJJllinc, do!Jà
accoutumée aux hOl1age~,
buvait les flatteries ~ans
cflort, Léocadie, du reste, ne prolollgea pas au-cll'l.l
de ce qu'il fallait S('5 réflexions sur la politlque l,Ile
avait apporté dans lion sac ùe délicH!uX échanlilluns
de broderie à faire a rIll1in:r, lt sa propre toikttc l:t:lit
d'une l:1gaJc~
~r
svante, It· cnapeau qui la coiffait
SI iu~ùt
que ;'11 11 " Bonaparte en fut plus occupée que
de~
h':n~let>
]>nbllCS et l'examina avec le plus Vif
intérêt.
()uand Léocadie la crut arnvée ft la disposition bvoral.:ile où elle avait voulu l'amener, d'un geste câlin,
H' mdtallt à 1ll00tié à genoux, elle sc hasarda à dac,
appu) anl sa rt:qul:te de l'élu<juence de son regard:
l'dl! Madame, je veu.· YOUS demander \111e grande
fan ur.
Cnle phrase était familière à l'oreille de ]oséphlIle,
et elle y faisait toujours bon accueil, car elle éprouvait à obliger un réel plaisir. Aussi, son petit mouchOir sur la bouche, dans le geste doux qui lui (tait
coutumier, elle rt:pondit avec douceur:
- J'our quelqu'un de vos ami::.? Parlez, ma dlère
Franehistigny .
pour. quelqu'uri dont j'ai l'amlJi. - Oui, Maù~le,
bon de vous vOir devemr la patronne et la protectric .
Alors, 11011 sans un peu de confusion dans son Tl'nt,
elll entonna de ~a
voix chaude et Vibrante l'histoire
dt, P~rOle,
(onta l'invasion du château par les vassaux rhollés, le massacre du bon seigneur, la mort,
�68
APR~S
LA TOURMENTE
dc peur et de doulcur, de la jeune mère qui, la vdUe,
jl.lI· un prcsselltllllcut suprt!U\e, avait fail cmporter
SOI1 cufaut; le départ de la nourrice ct de l'enfant dans
1.1 lllli l, l 'arn vée il Bordcaux, le Jévollelllcnt pas'
SI()nlH~
Je NUllt!Lte ]JOur sa lille nourricière, la tCllt.lti\e
ré,enle pour f.LÎre reconnaître l 'cnfant par les sicns,
l'épou\'ante où la pays\llue vivait maintenant, craignant 'Iu'ulle "cngeance ne fît disparaître h petite
lilk
- Nanl!tte m'a dit que cct affreux hOlllllle lUI ,lvalt
lancé d<:s regards f6roces ....Moi aussi, j'UI peur pour
la pctite. Alors, Madame, l'inspiration lll'est \'enue de
let mettre sous votre pwtection, vous qui êtes :;i
!.Jl)nne!
J()~é>hine
écoutait, attcndrlc, elle n'a\"ilit pas oubhé
la 'j'ern'ur 1
_ En \'011;\ encore une que la Révolution a bro\'~e,
(lit-die cn suupirant. :'lIais, Franchi~tgl\',
vous- Ile
Ill' \"<:z pas r61"élé le nom de l'onde de cet eufant.
\Vl!C
une hésitation inquiète, LéocaJle numma
~I
de Messac.
- Ab 1 nraùame, ou raconte à Bordeaux des lust"ir", affreuses sur son compte, quand il était abbé ...
On dit qlle ce sont ses macltiuations qui ont causé la
mort <le son frère aîné.
MD'. Honnpnrte demeura un moment silenCieuse,
émotion ùans la voix qu'elle tlt
IHtis, avec une I~Rère
suurJ\;!, r(:ponùit :
_ Petite Franchistlgn\', Ile faites plus allusion ,\
cc anciennes histoires, on ne sait jrlmals qui écoute .
Je \ errai ce que je pourrai pour cette pau\'re enhnt,
C,ir Je vous crois ....\h! je n'Ignore pas que des ch",cs
ternblcs sc sont passées ... Mais ::\lessac e"t ùévoué au
gCnéral, il est en outre l'ami de Fouché, je ne ,;(Us si
)HoU5 aurous raison contre lui. Cependant, jc tenterai,
je \'ous le promets.
("Ile couleur plus vive Hait montl:e aux joues de
Joséphine, et !'es yeux charmants ~rilaent.
Ce n'~tal
pns :,eulelllent son cœllr compatissant qui l'incitait
a ng"lr : le nom de Mcssac, puur la personne duquel
elle avait d'instinct rcssenti de l'éloignement avait
é\lJq~6
l'image 'plu~
!Jro<:he de 1\1'no d'Erlanch;ll. ]0s~plne
sc SU\'alt 1 affcctlOll fondamentale de l'époux
qui subissait sc:; grflces d'enchanteresse, mais cette
convictIOn ne l'empêchait pas d'êtrc jalouse des alltres
influences féminines; elle avait entendu avec déplaisir
le premier consul loue~
d'une façon presque outrée
les 111111ii:res, le langage de :\rme d'Erlanchan, les déclarant ceux de la noblesse d'avant la Révolution et
propres ft imiter; les belles du Directoire, par leurs
allnres et leurs costumes, se rapprochaient ùes courti-
�APR!,;S L,\ TUUR:\Œ 'TE
69
sanes, et Donaparte était fort sensible (L Ct:s IlnanêeS ,
Pleine (lt! n:l'Unnalssance, Léocadle répundit uvec
expansion :
- ,\h! Mlldamc, si \'OUS promettez, notre (';In~e
l' t g,lgnée, cl pUIS ne sait'on pas que le prelllit!r
cCllbul \'\!ut la justice pour tout le monde?
- .\h! mo chère, je ne cherche jamais à savoir où
est la Justice, mais seukment si les gens ont besoin
de moi
l'dSO!1!1e ne pull avoir plus besoin
Lette
paulre Iletitc n'a snI' terre que deux pauvres icmmes :
ma cousme r\r\1ll'lte Fi~son
et moi, pour défendre ses
droits , Ah! l'bIlame, ~l vous consentiez à la l'Olr, ..
- La \'olr r :'lIai, où ùonc est-ellc?
- Ici mênll: Uui, je l'ai amenée avec sa nournce
qUi est ma cousine, Ah! je ne rou'iis pas de Illon
ongiut!,
- \'uus sc riez bien folle 1 Où sout-elles'
- VallS la loge. J'ai espéré de votre Lunt" ..
Péronne n'avait que neuf ans à peine, mais, ju qu'au
derJlIer Jour ùe Sd l'ie, die se souvint de cette hellrc ...
Les Lnhnts ont un don d'assimilation si extraonlll1:ure,
et latayisme se réveille si facilement d;lI1s les 'réatun:s hnnI:\illeS qUI: 11. petite fille, Cjui m'ait Vl:l LI ~1,e
V!.'lic !lans la paUITC maison dl: \'cy1<\C, dont l", "eux
ne 'ét"ient jamais arrêtés que sur l'humble décur de
~a
delllcure de s!.'s parents nourriciers, s'était trouvéc
Immédiatement à l'ais!.' dans le fa,tueux hôtd de la
rUe de Bellechasse où régnait la triomphante Léocallie.
L'enfant avait peu parle pl:ndant le .... o) ,l:;:e de Borde lUX à l'ans, peu depUIS sun arrivée, ne L'wh 'lI1t
gu~re
la main de r\anctte, car la courte scène dl' la
chapelle de Sainte-Bonne avait frappé l.1 jeune Lr'::ature d'mit: terreur profonde. Celte terreur ne se manifestait plus au dehors, mais n'était évidCl11mull ln,;
dl . sipée , Tout d'abord, Léocadic avait \'oula que
:t-<nndtc lui confi."ü l'enfant:
- !lolllle-la-moi pour un temps, je la mets :\ l ';lhri
de tont péril, l't, si nous ne réu sissons pas, eh bll:ll!
P.ourIJuOI 11< l'adopterais je pas? Elle sera an m\)!lIS
Tiche ct t1l:urcusl: .
Nanette se refusa à entendre pareille:! propo. ~hlIS
SltIuns :
- Elle nI'a été confiée; notre chère dame m'n faile
sn Ill<lrraine,. Jamab je ne la quittcral que pour la
tendr" Ù 5., famille,
- Tu o.. peul,être raison, Nanette, avait avoué Léocndle, un peu tnstement, en embrassant sa cousine.
Néanmoins, malgré la répugnance de la paysan Ile,
le Voyage à Paris qu'offrait Léocadle dut être a'ccepté;
�APRÈS LA TOUR.!\IE. TE
(' fut l'n\ is de FJ~,on
ct cdU! d'Al.tom , c~lu
aussi
du curé de 't'vrac.
Et V::u "die 'rild~tgny
tlelllt :;u11 Lut et luJU
scs pl UJllesst:s, lJUlsquc l'~r()1nt
e t cn 1 r<.:~cl'C
dc
l'cpuu;,c du prelllier (,(l11:;ul. .• -anctte c t!l:llt timidement ft la porte, <.juoiqu'unL \oix engageante l'II1\lte
5' dPIJ1'udlL r. l'l:I (June, s,1I~
hl:~itaon,
llli be.lU uulirc' c: I.urant Je cltannaut VIsage d'une grun: t"ut
< rt~L()ClaiJ1H:,
s'avauce \' rs la l.Je·lle dalIle dunt h:s
lIlalUS COl1\l'TLéS dé l>n.\lues étlcane~
lui flml Slgl1t:,
La petite fill est 1I~.ée
SUI 1'utlo!a1~
d, tOt te
rouge, un l'cu opprLssée, y dLDleun: illlJl1uuilt.: d
sileucieu. c',
.
Léocadle Frallchistigu) s'~
t mi,!: n genuux, l t ,un
bra 'auche enlalC la taille de l'enfant.
~
\llgnonne, cette dnme ,i lJOnlle "l'ut être yotre
amlL ..
beaux yeux I.Jlcus profond ct un
llol ':lI1e Ihe ~es
peu tr tl .. "crs le visage Ut! ct:lle qu'on !tu dcsigue ...
Elle la ru(arde lougtemps, aycc une é,'idlnle aduHr. u<llI; alun; Joséphine, conqul e, l'tmura,se' et la
c:,llllt.: lui di~Jl1t
tout bas à l'oreille de~
]Iarol s qui
f(,nt rlt-~
ln ]' tlte ... Cependant, au bout d'uu moment,
l'~I<n
, d'ull geste timiùe, appt:lle Nanette j celle-ci,
1!l,ith l'olr :.\lllJC Bonaparte ft oucir, s'approche .. Alors,
gauchelllent, cl1barn~sée
par les yeux fixés sur elle,
l'éHJI~
' l pcn.:he vers sa mt're nourrice d, la forçant HUS i à se ]Jencher tout pro( he, lui demande :
- I!;ot·ce qu'elle conualssalt aussi la dame de la
boîte?
XII
Un tnwail mystérieux se faisait dans l'esprit de
associant ,l.a personne si, beIJe et si élégante
qUI lUI parlaIt à 1 Image de la Jeuue mère pal ée et
charmante qu'on lui a montrée. La question est répétée à haute \'oix par ~anéte
et charme ceUe qui en
e.st l'objet ~è.s
qu'on.lui en a expliqué la significatlOn; la preCieuse bOIte que • anette porte sur elle
doit être exhibée et est examinée avec le plus vif
inttrêt par l\l'ne Bonaparte .. , ElIt la tient assez longtcml)~
l'Il main" . souplTe en pen~ot
au sort tragique
des ~ux
tetres 'harmants qut: la pemture fait revivre
dans la ilt!:r de lcur âge et de leur bonheur.., Pui§.
l'enfa~L,
�APRr.;8 LA TOURl\IHNTE
71
attirant à elle Péronne, elle cherche at~ni\"l'1e
sur
Ses traits et trouve la resbembltlnll.! à ~l:X
'Illl IlLl
ont donné la vie.
- Laissez-moi cette boîte, ùit-eUe, Ile me ~era
utik, et comptez sur 111oi,
Nt Nanette ni Léocadie n'osenl prulester; elles
voient la précieuse boîte Utsparaltn! dan le tiroir
d'un llleuble, puis, a!Jrès quelques phrase,; .:aressantes, Joséphine les congédie ane une ùemièl e
parole qui combla d'aise la pauvre Kiltll:ttc d dont
J'écho ne fut jamais oublté par l'~rone
.
- l\Ia chère Franchistigny, Ùlt l'épouse du cousul,
achetez en mon nom la plu ' beUc poupée 'lui se l'm,se
trouver pour Mlle Péronne de Lacoustauùe
Après le grand frémissement de triomphe qm a SUIVI
Marengo, le premier consul e,t vellU s~
reposer à
le~
la l\Ialmaison qui est !Jour lui, !Jar-d,'ssus tOl1~
antll's, le heu de délassement et de dhlraction 1>aus
ce ehez soi luxueux, préparé llar la gral'leuse Jo~é
phine J il subit plus qu'ailleurs l'lll!luence de S,l felll llle ,
JosC),lhine, plutôt étourdie qu'exalté\! par ~on
extrnorùll1aire fortune, vit dans un état de fri\'ollte
anxleu el car déjà la crainte du di\on:e la tfJltrlllente :
sup'~rtile,
elk ~e phît à sc figurer que ccrt.1ines
actions doi\Oent lui porter bonheur; l'Image de la pehte
Péronne la hante; elle a pns à cœur de faire relldre
à la jolie enfant le nom et la fortum: qUJ, elle en
c!:.t persuadée, lui appartiennent légitinJf.:nJellt
JILin" Bonaparte il entretenu de edte Illtére,,"s.1I1le
chimère sa tille, la «petite chOUanlll:)l, rOl1~
1 UJlpelk gaiement son beau-pél'e, et Hortense s'est enth()u~iJmée
:\ 5011 tour. Leb deux femmes impresSlIJl111dUles ont vu, dans la r6intégration de l'inllocente
dépnsséd6e, unc action d'éclat suscepüblt: de rLllausser
le prestige de Bonaparte d de harmer cette partIe
dl! 1.1 noblesse qui, ne ùemandnnt qu'à respirer en
Inix l'air nat.11, ~e
rapproche peu à plOU du pOU\'OIr
et quête des emplois,
Joséphine connuît à meneille l 'humeur de son man,
et un matin, sous prétexte d'apporter des fleurs, lie
P,"Ul:tre dans le cabinet de travail où BOll.1parte est
Occupé à écrire, Là, dans le décor qui al11use ses) eux,
au milieu du luisant des acajous incrustés de pl'erres
r"res, du poli des marbres, il Ilourrit les ~ecrt:ls
pens,"es qUl plongent dans l'avenIr
En voyant cntrer sa femme il la suit des veux,
penùant que silencieusement elle se meut avec ' ,'ette
Rrâce qui caresse toujours les sens ùe l'époux; rependant il conserve son immobilité de splllIlx, attt'lI but
�APRÈS LA TOT'Rl\fE 'TP
que JO~Cl'
pari , rar II )'C!hUlt Ulll requête.
COl'Illle die !-lro.:;L t J ~c taire, Il ,.lit ~udail,
d'Ulle
VOIX Lru.qul, m b
1I11eale:
~ur
- APJlTl.:uds-ll1oÎ vIte, ll!l>U amlC, cc qU( tu a~
1 CŒur.
J 'scpJJllIe ne ~L' fait la, lépétcr l'lIlvitallt li , D'u11
ml LI CllH:lIt spontané lot t~lJdr,
ll1 ,'apl'Iot:h, V<:tue
d n1le Ifgèlc IOUl' blauche, die a !'ur ln t0te U11 voile
l'\; dentdlc qui l'tuveluppc cumule
Ulle Il .Jlltllle d
(1 ut die joue a\ec un art infinI. ASS1.C ~1
U11 large
t~IJl1',
,Ih: ,lppuie son bras :;ur la table dn cOl1~u,
LI, J, S,l VOlX cnjolante, elle raconle nnc Ulle l'élilable
< 11lOtll 11 la IISltc qu 'die a reçue ct s'aUcudnt au ~uJet
dl l'l1lnoccnle cn~,
t11le rejd~
par le sicn-, Je cette
'Jill' de 1l0lJk élcn'!l' comme ulle tIlle ùe ]la\ san~.
"Il fOlld, l'ambItion !'>tcrdc de .1o~':phile
uù:t de
\Olr BOl1:Jpark rappelt:r le rOI légltllllr. Aus i, e11l1'0l t( e pal. ~es
ilhlslons, ellc I~al!e
anc t::logUl:I,ICe
dl l'effet Illcnetlleux que prodll1 TaIt ecU!: Tl'<tltuhon
gl'I~eu
lt, ~L'lO
la Justice, ~ur
l' <j,rit dl:s rOl'a'
li tl~,
"UT le roi exilé lui-mêllle l,..
- Le lOI c~t
Ù :\litnu, qu'II ~
rl~t',
JJTonullce le
C('l1~u
d'un ton qui n'admet pas de Tl'plique,
1'D~,
al1ouci~t
sa \'oix dont j'jutonatioll delll<:ure
sèdle :
(Juant ;'1 {' Ue l'nfant, toute celte lllstoire est lllle
illl},,,,,tl1Te dUllt j'ai été infonné ... Les ren"l'Ignements
!.UI' J
p~,(
ct" lu, cltoyullIe Franc!listigny ,ont mau\i1~
.. 11 faut dorcna\'ant, mOIl anllC, l'accuetllir av C
llIt:1é à Lien des
n en l: .. Sun Ilwri, en outre, ~st
trll'0tag<:5 suspecls qui doi\'Cnt cess!;;r ct ceSStrollt ..
CeUe pdite fille lst probaLkment la fille de la l'tanchi tl).:J\\ tlle-même ... Tous l'CS gens out voulu, mon
amie, abuser de ta bonté, Il imjJorte qu'ils sachent
qUI tu cs tc1anée, 1'1essac, qu<: ('ctte affaire ilt~se,
s \, t muntré dnns le B(}nlea~
un zélé sét\'lteur de
l'ordre actue'l, jl' vuis compter sur lui. Il ne s!:ra
',lS dépouillé par moi; ne me parle jamais de cette
} llstOl TL'
[0"':]11I1ne plaida UJ "aill, offrit de montrer à Bonapùl~
k portrait des (pou?, ,I<aCOl1stalldc, l'assurant
(lue la petite fille res'emblalt ltoIn~m(,J
à. la jeune
l'omt 5se; tous Ils arguments avalent été mutiles, ..
l'cul·Ure 1e prLCmier ('u1J~l
11 'Uait-il pas très éloigné
dt, ClOi;e 9ue !>a feu}In<; disait la \~rité;
mais, m~e
Je cas cehcnltl, la l'crltc en ecU CUcoDstance étaIt à
S('!, \ lUX unt: qualité négltgenLle, Bonaparte avait
110rréuI dl' tout Cl' qui lui portnll omLrage; il n'étai t
pn odml5 ibJe que le. <ort d'~lc
petite fi)le pOt lui
fallt: përdre des ~er\'ltus
ullle". ]oséphme se tut,
clll: possédait l'arl suprême de savoir se soumettre ;
�AI)Rt:~
LA
TI">l Rl\IE. TIl
;3
noneh lanl\ et rl ' LU l, sa 10lle malll au Iront, elle
S'npprol'lH.' d'ullt, ÙtS ('nHH:. lt regad~
au dthor r ,
Honapartl, pt:llSif, 5'étatt Tel~
il écnn: , il III \'tut
un JI u à JO~lpe
, d"tre, \'~lJue
~rubl(,
, a Quietude
nJ\Jl11elltanéc ~oLH1.lJ,
Il lt:\'t sa tell: lU1(lt'ntu ,
- '1 tl Ille dOl,no s, 111011 al1i~,
('dte boit dOllt tu
nlt parlJ~
tout a l 'li,t1 t~.
- (tttl boîte, l,our (Juoi Imre?
- Je la dé ne; \H sur l'heure tIl~
la ch relier,
Il lJ'y a 1);\5 à dl.cuter, ~udqes
miunt "plu tard,
la boltt: d'éc:llllc est }JO Cl' sur la table on \OÙ nI
Il la con~irlèe
attLnti\'t:mclIt; le beau jcnllc ('lIuple
Il ~oulè\'e
le couvert}' url 'llIdlt:mble l 'intére~sl
catlull dt: Jo t'phm(- ct c.'amine le , cara t~re
gntfl!i
llar l'tél'Illgle d'or Sa petlt· main f~rm
ct blonc!.l'
r place habilement le LOuvercle tt lait gl~<n
IL- joii
Objet daus Ull tlroir
- J ne sui~
pas in<enslble, mon amIe, dit-il (Il
&1: It,vant, mais d'abord JI tant penser au rcpos \Ct au
bonheur de la Fra 11 ('(;,
]osél'hJJ1t: nc COllJpn:11l1 pas 01 quoi la re('ol1nais·
Saille Je Péronne pourrait r !Julre, Illais elle sait qu'll
est superflu d'in~ster
:
- 1\1on 1111, tu es lt' maître.
LI: surt dl' l'ér,onne c"t scellé,
~'lI
années a\'aknt passé, s'égrenant lourdcs et sipour 1 humble famille du forgeroll de \"ey'andll n'avalent changé tll rien,
!élC, Ni lui 11J
iUlmuables dans Il nr~
convictIOns ancie~5,
Les t'Il'
ants, \' <:OIDJlris la fille nourriCIère, ~ra!JdiKlt
dans la crainte de Dieu; l'eul l'aîné, Antoine, engagé
\olontaire à dix-sl))t ans, a\ ait quitté lu lliabon
}la te rmll t'.
d A.u l,oJlJ s'était déro~l
la grande, ~poée,
et le fils
,ts hs-.on avaIt SUI\'l à travers 1 Europe le \'01 de
1 al~c
\'1ctorieux, non plus humble pa/san courbé
sous ILs servitud~
l't!réditaires, mais mue en bel offiCIer, tout flambant dans son superbe uniforme, le
~olna
crânement Jeté sur l'épaule, la culotte brodée
ans la botte, le bonnet il pOlI sur le front,
Peu à peu, 1 jeune homme, dont le!. lettres \'enaient
lencit'u~s
Le~
�74
APRÈS LA TOURMENTE
de SI loin, était devenu pour ses p:1.rents un per~on
Il.lJ.(c quasI fabuleux, A l)(~ine
quand, il de longs iotcr",alles, "a l1t'!r~
le voyait arrivait-clle il le re~onaît,
A \ 1,.1 dlrc, son Antoinc remplissait d'une espèce de
cralllte la pauvre Nanctte, incapable de comprendre
cc l'h,lllgcment complct de l'être qu'elle avait mis au
mOllde
Elle écoutait avec stupéfactIOn les réCits de soO
fils, h • gloire)J, ce seul mot si souvent répété,
l'c!ray~.
Antoll1c, fanatique de son «Empereur »,
cn parl.'ut dans des tt:rlncs qUi alarmaient presque
la l'OllselCUce de l'humble femme. Le brillant offiuer
s'exaltait ('0 narrant l'as~enio
prodigieuse de tant
de Simples ::;0ldat5 de fortune, parvenus aux grades
1,-" plu,; élevés. Et alors, pourquoi pas lui?
Aujourd'hUi, proclamait Antoine, un homme
hardi ct résolu peut tout espérer de la destinée 1
l'el1lpereur lui-lIlcllIe a été un petit offiCier pauvre.
l'érùllue écoutait, trelllbiante et émerveillee, car
Antoine lUI promettait d'être son défenseur, de l'arracl~r
il son ob~curité,
Rlcn, ni la longue ab"ence, III les pénis, ni les
phi~lr",
ni l'ivresse des récompenses méritées, n'avait
ùi~tra
le fils aîné des l'issun du culte qu'il avait
voue à la fille nourricit'!re de sa mère. l'éruune était
re,tée le lllv"térieux stimulant qui le fai~t
o!trc ~i
ardent à cu-unr sur la ruute de la gloire.
l't,;ut-êtt'e, sans l'influcllcl' IOllltaine ct intcrmittente,
Illflb uéanUJoil~
efficact!, d'Antoine, la fille du comte
de Lacuustandc, suus l'inévitable et lent travail du
tCIJ)~
qui allait atténuant le5 50Un!nlrS du pas:.é,
dit-elle perdu, aux yeux de ses parenb nournciers,
à l'le5Ure qu'on cessait de craindre ou d'espérer à soU
sU1et, sa véritable pcrsuIlllJ.lit'=, l:oC serait-elle confondue de plus eu plus avec leur:. autres eufants.
1'endaut IO , n~teIlJS,
"(Jr~
le triste retour à Veyra,c
qUI avait briS\! leurs e"pcrUllce5, les parents nourriCiers de l'éronue demeurercut sur l'alerte 1 Nanettc
vÏ\alt sous la tern.:ur dt.: l'cl1ll\'ement de l'enfant ct
ne pouvait vuir une ombre incunnue passer devant
sa fenêtre sans trembler d'apprl:hl:llSIUU. Durant des
aUnl:e5, les l'issun s\:lltircnt dutuUI d 'eux une atmusp'hère d'espionnagc.; il \lIOI'U5 de rien, on \'!t il plusieurs repnst.:~
parallre d,lllS le pays des gens llICOnllUS
el inqUiétants tfui, ~Ulb
différcllts ]Irétextes el muni,
de papiers olliclel;, s'llltruduisaienl dans les maiSOns,
qUl'stiunllaiellt celui-ci ,t celle-là, ~Ials
Nanette tenait
sc It,\TCS cluses, aucunc parole imprudente ne lui
échapp,lit. Sollicitée un Jour par un de ces intrus de
dirc si elle élevait une enfant étrangèré, elle avait
répondu par la négative la plus décidée; néanmoius,
��APR!S LA TOURMENTE
port hardi, son air fier et brave, Il serait le bon servitl'nr dont e1le avait besoin.
- 'l'oine, lui avait-elle déclaré dès lendemain, je
"eux savoir écrire,
Et, Il\'ec un tremblant orgueil, le jeune homme
a\ 'lit cOl1lmencé ~on
enseignement, Péronne adolesl'l'Ill,' ~tai
toute semblable à la petite fille impatiente
et a II t()~iare
à qui il <n"ait appris à lire; elle domin,lit SOli maître et l'intimidait. Le beau capitaine,
qui a\ait approché des femmes admirées, se ~eltai
repris par le rôpect d'antan .. , Cne ou deux fuis,
itl.,tincttvemeut, il lui arriva de l'appeler «Mademuisl'iil: ", E1le rougit de joie, sourit, reconnaissant sou
dû. N'était-e1le pas une fille noble?
- Toine, sOllpirait-elle à la tin de ses patien~
efforts, qu," c'est difficile! :IIIais je veux savoir, je
ùois sa\'uir,
Et, commandant à son émotion, le jeune homme
r~j>()l<1nit
:
- Oui, E,œur, tu dois sa\'oir, et tu sauras.
Les ) eux bleus de Péronne se remplissaient de
larmes, et Antoine se rendait compte que la jeune
fille était là, au milieu d'eux, comme un oiseau pris
au piège, Il'aspirant qu'à s'échapper; eUe les aimait
cependant, mais, depuis que le rideau qui cachait
le passé avait été tiré pour elle, quoique partageant
et 10: pain et le travail, elle se savait dissemblable il
eux, Nanette, pour ne pas cultiver la secrète exaltation dont elle avait l'mtuition, évitait de parler à
Péru!lne de sc,; parents, mais parfois elle y était ontraintl:, La petite fille manifestait en ces occasions
une \ ':ritable passion de regrets et, après ce~
entretien,;, restait quelques jours silencieuse, rancunière,
prc"que hostile. Puis, S011 cœur prenant le dessus,
elle accablait Nanette de caresses,
Péronne, ardemment, interrogeait Antoine sur la
vic, sur le monde Extérieur vers lequel s'élançaient
ses désirs, Les récits du soldat de l'empereur répondaient aux aspirations de Péronne, remplis qu'jls
étaient de changements de fortune les plus étonnants
qn'on pût rêver. Antoine racontait le prodigieux roman que virent ces années inoubliables, les royaumes
distribués : celle-ci hier n'était rien, aujourd'hui elle
était reine .
Péronne écoutait fébrilement et vibrait d'émotion
contenue, dardant es yeux influiets sur Nanette occupée d'un air soumis à dé "ider sa quenouille; Aimée
et Virginie demeuraient stupide"" ne comprenant qu'à
demi ce que disait leur grand frère,
Pr:is, un jour, Antoine était reparti, la campagne
�APRPtS LA TOURME 'TE
d'Espagne j'avait pris, et la vie à Veyrac dc~'ilt
tnonotoue, ditlicile et obscure .
G.Lr les temps étaient durs ,
lJ~
Le~
choses inertes ont une vic propre dont le~
pénpéties bont p~ l'fOlS aussi singulières que celIL~
de~
dest1l1ées humalllcs
La précieuse petite botte d'écaille, jadis confiée ù
~net
par la comtesse de Lacou~tnde,
allait, .lprès
Un long sommeil, reparaître à la lumière et contllluer
le rôle mystéritux que la volonté d 'une morte lui avaIt
aS~Igné
ru jour de printcmps de l'année 1812, dans ce ri,lllt
salon de la Malmaison, cadre de tant J'heures triomPhantes, l'épouse divorcée, touJuurs impéntriœ, il
est vrai, rêve tristement. Sa maison l'entuure comme
au temps de sa splendeur, mab l 'enchantement est
fini, Il ne reste que le' regrets,
L'ex-souveraine est a%isc de\'ant un métier à tapisserie et, distraitement, à Illtervalles r~glie",
tIre
l 'aiguille; le VIsage t:st toujours fin, mais la boudlt:,
qui se retroussait en arc, est détendue, La jollt: tête,
qni a reçu l'onction sacrée, est coiffée d'une capote en
forme de turban qu'orne une plume noire; non loin.
la marquise dt: Messac, dame du palais de l'impératrice depuis six ans el qui l 'est de1ltHé~
dans la demi qIsgrftce, est :tssise sur un :,iège à forme antique et
bent pusée sur ses genoux une élégante lyre dorée
Sur laquelle, d'11lle main exercéc, elle jouc des airs
lttéhncoliques . EUe-même a l'air triste ct doux, car, il
la suite d 'une fiè,'re typhoïde contract,"e lors de son
prl'mier séjour à Sainte-Bonne, sa santé est rest(;e lm&lle, Néanmoins, M . de Messac ayait exigé d,! sa
fenlllle qu'elle acceptfü d'être une des d.lmes du palaIS
~e
la noU\-elle impératrice, en compagnie, du rc,.,tl.',
es plus grands noms dé France, d , malgré son goût
~oL1r
la retraite, la jeune femme ne Inutcbla pas. Sil
ouceur plut à Joséphine dont elle gagna tOLlte la
f~\'eur,
et elle-même, qui avait admiré Mmo llonapartl',
Il att,lcha fortement à la graCIeuse souverall1e qu'~le
Sen'ait.
Celle-ci, à qui Messac était antipathique, a";lIt sou~ent
en \'ain essayé de faire sortir sa dame d 'hon neur
e sa réserve, Mme de Messac s'obstinait à garder,
!lltr tout ce qui la concernait personnellement, une
extrême réticence, et la bonté naturelle dt: ]os~phine
Ile 1ui permettait pas d'insister.
Selon toute apparence, les époux de Messac vi\'8 ient
en excellente II1telligence, quoiqu'un observateur un
Peu perspicace ellt remarqué qu'ils sembla ient mu-
�APRÈS LA 10URMENTE
tnellement se u J11Ùre. L ur fil~
unique était l'objet
de Il ur q;all ntfection; Dl i~,
ab~oré
}Jal SeS olcul,ati'I~
pO!JtlqULS, }l. de .:\Ie~ac
ne s'en OCCllpnit 'Ille
SlljJl rilLldlc111l'1lt. l'n lxccllult précepteur, Ch01si p'lf
M. de hll1lnllc , dirige lt l ',"ducatlon ùu JUill Galmel,
Le U1ufqui de :'-Iessac faisait ùe fré<jllellts vO\ages
d 1I1!-o Il: llonk1. i~,
m;n~
~s
.fjour- il ~{)1l
château de
Sal1ltE'-HOlll1C l:tail:lJl "~lr,dU!t
blt:f~;
ft l>artir dt!
Ib{l7, Ils le èrent p{,l1d~
t plu ieurs Ulllltl!S, I.e marqUIS, \" r" ccttl ép()ljlH, ayant souhaité lUI poste
ÙlpJomatHll1C Lt !!yant (·teS uccréLhté, CUl1lllll: IlJIlllstre
l'kniputcnl!air , à unc cuur alkmunde, :\1"· d(; :\lessa", jug(e trop délicate, IIC Payait pns l1Î\·j l:t conIInns son hôtel de la rue de
tll1lJalt li \'lyrC à Pari~
Surll .• ". Chaque année, p(iul' sa santé toujours dlilllcelallte, dIe se rendait dan!' les Pnénl'cs; Cnbrid l'v
a(,(ol1lpoR'lIait, la mère d le fils' ne paralssf,Jlt falle
qu'un
~,I:ul
l'll:nr.
La l1Iarqi~'
de .:\rc%ac fut, au moment du Ji\"orce
impérial, U!1e des con1iùt:ntes de la douleur dt Jos"::·
plllllC, LI u!pelldont les pnrok de résignation pr~sque
fetalbll's CJu'cllt! opposait aux éclats de Jo vi\'t! crtéole
llC puraLsaicllt guère de nature il rép(llldre il Ct: que
nIll-ci att(!1dait; elles l'apaisaient 1l":.1Ill11uins,
- On 11e jJ(:ut échappel' à ~a
dl !-tllll!C, di~at
la
l'tilt marqui~c
aVLl' n11e illtol1nlion <iouluureu!'e, et
alOI S Il fant l'accepter,
l'.,~f()is
ln grande pitié d't:le-rn~m
qUI tf'naÎt
JOSt jJhil1l" chongetllt d 'oujet el allait à ~n
dallle
ù'l!I,IlI1Cur.
- \ uns avez ~oufl'rt
aussi, ma pauvre bonne? dismt'l IlL nffectut'ust:lllent.
- Oui, 1IIadnme, beaucoup.
- lIt \'0\1'; êtes résignée?
- Je suis résignée.
!'t ce calme extrprne, cette résolution froide arrêtaiUlt les lnrmes ct les cris de l'impératrice.
Aussi était-dIe heureuse lorsque le roulement du
scr iec ramcnait Mme de :\Iessae auprès d'elle.
Cl' jour-là, quand Mille de :\Icssac eut plllcé le dernier
un'l'ge, Joséphine, qui manifestement avoit depuis
Ul! 11Iomcnt cl1\·je de l'MIel', levn la tête, remercie.
d'ul1 mot aillldble et ajouta a\"Cc vivacité:
- Ah! cht!r(; omit!, Jluhlnnt que je vous écoutai~,
je 'lIt suj~
som'enue que j'ai il yoUS l110utrer qudque
chu,\' dl' natlHt" à \ ou, Ilt-r:s~c;
montons donc ull
nlc,ment si \"Ol1S le \"oullz biln,
I.,'invitntion, qui était un ordre, fut immédiatement
obéie. La dame d'hOllueur se kva l et Joséphine, serrant autour d'die son Lçhllrp(, se ~Irjgea
,"ers la port~.
Mme de Messac l'ou\'nt ct SUI\It. L'Impératrice fit
�APRÈS LA TOURM ENTE
amicale ment f-igne à sa lectrice, qui ~e
trouvait en
tiers, de demeur er où elle était .
~uald
res deux femmes se trouvèr ent dans la
chambr e même de' Joséphll Ie, cclle-ci dit il voix ba~se
- Assurez -vous, ma .cht'!re, que nous sommes seules.:
Mm de Messac fit une brhe inspecti un dcs pièn:s
voisinl:s et revint.
- Toutes seules, Madam e.
Déjà Joséphi nc tenait en mains un objet qu'enveloppa it un léger papier de soie . Prenant place sur
sa chai~e
longue, elle ordonna à Mmo de Messac de
s'avanc er un siège.
- Il v a deux ou trois semaine s, soupira Joséphi ne
ü'unc voix douce et plainth' e, j'ai rangé quelque s
objets que l'emper eur a lai~sé
dans son cabinet de
tra\'ail, où seule j'entre, et j'ai trouvé, ense\'l:l ie sous
de vieux papiers, cette boîte ... Tenez, madame de
Messac, regarde z-la.
La marquis e prit la boîtc ronde que Joséphi ne lui
présent ait, et ses yeux s'arrêtè rent interrog ateurs
sur
la peinture du couverc le .
- Ah! cc sont des gens d'autref ois, dit-elle, les
larmes surgissa nt au bonI de ses longs cils; i 'ai vu
Ina mère habillée ainsi.
- \ ' ous 11l' les connais sez pas? continu a Joséphi ne
avec surprise .
- Non, Madame
- Consult ez vos souveni rs .. .
, .- Je n'ai Vlus, depuis longtem ps, aucune mémoir e,
iilt cl 'une VOIX angOiss ée .r.l'"" de :\Icssac, tout en se
pa sant la main ~ur
le front. Les grands événem ents
d~
ma Vie seuls subsiste nt dans llIun esprit; éclairez Jnoi, Madame .
- Eh bien! c'cst le portrait (le votre beau-frè re
~
de sa femml' , la déliCieu se Souvera ine de Barsac:
le l'ai connue dans sa fleur,
- Ceux qui... à Sainte-B onne?
- Oui! Les pauvres gens qUI ont été massacr és
dans leur chtttcan ... Elle, assure-t -on, est morte de
Peur quand ce ._ monstre s ont pénétré dans sa chambr e,
et voyez, sur le haut de la peinture , cette inscript
tracée en caractèr es si fins : « 1'cn/plc de la Frlicitéion
»,
Qllelle ironie!
- ,\11! ~onpira
Gallien ne de Messac, comme meatlable d'ajoute r une autre parole.
- Vous ne me demand ez pas d'où vient cette
boîte)
- J'attend s que vous me l'appren iez, Madame .
- C'e~t
une llistoire singuliè re !... 1\1on Dieu, qu'il
) a longtem ps de tout cela! C'était pendan t l'été de
l'an VTlI, alors que Bonapa rte faisait la camp:lg ne
�APRÈS LA TOUR~mNE
80
d'Italie,..
la vi 'ite de
a\'cr. jdlllais
clItcllùU parkl'? ' Ile ura; C néatur , partl~
de rien,
qui n"Ull épu~,
sous le Dln:llulI,,; 1111 1Il1l11ltiolillalrc
très rkhe. La fin de tuut cda a l:tL' tragique: lui,
antté l'Dr l'ouellé, J>UI~
liutré, a lilé LIl AlllSletene
OÙ il s'cst rUlllé, l'vllllllUlt, JC l'igllUrc, ~a
femml',
ulle HllCICllllC J)Iodi~tl,
JJ1 'a,t,01l dIt, a ou"ert uuuttque
li LOl1de~
l';nIiJt, il l'époljuC dOllt tl s'agtt, cnte
Fntlll hl.,llgll)' UnIt heurl:1~
Lt pu),pèrc ct ~ùl
Infl~i
tout dénJlll: au prcmier cOll511l Je li! reccvais ,lune
a\tl' plahir.
« 1.1' jouI ,le la visitc ell qucstloll, elle UlL ral'"uta
UIlC Illsloirc t:xtraordinaire, quoiquc, :\ Hai dlle, dalls
cc l mps-Ia TlLll n surprcllail. D'aprè~
le Tt! it qu'elle
me fit, sa cou"iuc, uue brave paysanne, aurait élL: la
nourrl,'c dt: ln fille du romte t:t de la l'J1ItL~
de Lacou~tnlde,
Ill:e quelques jours st:ulement a,'ant la
l'at;l,.,ttophl:. edle felllme, me dit la l'r.lnclti"ti!o(Il\',
a\'alt, ,ur l'ordte de la COlJte~
de L(1COustallde
('l1II11Cllé l'cufant le soir précédant le 1l1:1lhet1r et juré
de \~iJlT
fidè1l'ment sur elle, .. La mère avaIt relUis
à la nourrice edte IJoît.: comllle gage précieux et
al1s~i
pour que ln petite fille connflt leurs traits s'ils
dt'\UICllt ùisparnitre ... Ah 1 je vois que cela vous
l-lIleut, paU\"Il' chi·re! Mais j'e rue suis prol1Jis de vons
conter l'Lttc hisluirt: .. Franc listigny, pour donner plus
dt pOltb à ce e;u'ellc avaw,:ait, Ill'avalt ameué la pelite
fillt:. Jc l'dl eue là, sur me~
genoux, et je vous a\'oue,
chl're amie, que cette enfant était d'une grâce t:Xtrême. Elle m'a\'ait si hien séduite que j'acceptai de
l,laider la cause de cette pauvre orpheline. \'(Jtre
mari, le san:z-,'ous, a\'ait refu~é
de la reconnaître, t'ar
la .1l(,urricl! la lm a\'oit C'onduite il Sainte-Bonne! Je
pns DIors cette boîte qui me fut Illontrl:c pout. la faire
voil ft BOllapaite; 111als, lorsque je lui parlai de l'ttte
affairc, il 1I1'nftirllla que tout cela était uue tromperie,
un coup monté, que cette petite fille appartenait probablement ft lu Jo'ranchisti\rDv. Bref, il JIlC fallut rcnonccr cnti('rem~l1
à 111011 idée, et clUense me fut
faite de raeonter à personne cette histoire. J'ai tenu
parole. Mais elle est si ancienne aUJourd 'hui que la
révé ln tÎC,ll Il 'a pl1~
d 'il1l]1orlnllC'c ... L'empereur 111 '3\'aJt
obligC:e de lui remettre la boîte ... Elle a (;té oubli(:e ...
Je \ons ln dOllue, puisqu'Il ~'agit
de per~ons
de
votre famille. »
tn,mblait si fort que l'impératrice,
1\1'''. de !\Ie<~ac
soudAin inquiète, lui dit:
- Etcs-vous malade? Voufe/-vous que ] 'appelle?
Non, 11on, Madame, je \ou!' cn IJrie 1
- Ne vous faites surtout aucun souci de ce que je
ilpn"
T'ai
1'1 1I1H..f1l
rtC;U,
Ici,
,ug Il \ , Je lit
SaJ~
Uli
~I
lllatlll,
\
ail
1:11
��APRÈS LA TOURMENTE
un moment, mais SlllS laisser aucune trnce
son esprit.
Et, pour l'aillla!Jle cl (rnole femme, le sUJd '::tUlt
clos
;\[111" de Messac, depuis SI longtemps haùitu~:
Ù ~ e
contraindre, ne moutra ni ce jour-hl III l'eux (lUI SUI '
;\'in'nt le profond bouleversement de SUll ,Îlne, d
J05~pltine
ne soupçonunit guère quels poil;('ll, nb cl
affreux suuvelllrs sa ré\'t;lation inattendue avait
évoqués
Tes~é
ddUS
XIV
Nul n'avait connu le secret de l'angoisse cachée
oe ?lIme de Messac, dcpuis le jour néfaste, à jamaiS
inou!JJia!Jle pour elle, où un pur hasard lUI avait fait
surprèlldre l'entretien de son mari avec le sinistre
~oiley"
Remontant des prdins, afin de venir chercher sur
la terrnsse la !Jalle (lue le petit Gabriel venait d'y
1 \l1cer, marchant à pas légers selon ~a
coutume un
peu peureuse, s'étant approchée cl 'ulie des fenêtres
OU\'f:rtes du ca!Jinet de travail de M, de Messac, elle
entendit des VOlX, et, craignant d'être surprise par
son mJri qui lui avait enjoint de s'éloigner, elle
s'efhça contre le mur et demeura immobile
1\[als les paroles qui arrivèrent à son oreille la frappèrent (l'abord de stupeur, puis la glacèrent d'effroi .. ,
A mots couverts. il était question de se d6faire d'une
enfant .. , Par uue de ('e~
mystérieuses intuitions qUI
rien ,l'humain n'explique et qui ont qu Iql1l' cl lOS'
de surnaturel, la jeulle fem1lle eut la sOl1dai~
rl'vé
latiull de la vérita!Jle nature (le son mari .. , Elle comprit qu'il était capable d'l1ll nime, en avait peut-Hre
d\!jà commis .. , lme eut la certitude d'un péril imminent pour l a petite enfaut laissée dans la chapelle
et, snns chercher à rirn s'expliquer résolut de l'y
SOllstraire, L'habitu(le du danger, cel~
de chercher le
moy en d 'y échapper comptaient parmi les premii!reS
expériences de la vie chez Gnllienne de Messac, dont
l'do~cen
a\'1it été, écras6e par l'ambiance de: 13
Tl?rrenr. AUSSI" en un ll1stant elle eut fait son plan,
e., <jHl'[r111es mll1utes plus tara, le petit Gabriel, heUr eux (['etre chargé d'une mission de confiance, s,e
glissait dans la chapelle de Sainte-Bonne et appelalt
l-hnette .. ,
��APl{J',;S L\ '!'Ot'IUIHKTE
lI-hL m:Ulltl'lIlllt c-:lle petIte IJoitc qUI lUI avait été
reJll"e, l'etL<: clIO',C fl"L;lk lju't:lil' auraIt Jlll l.tn~'r,
COIllIl.Hlldait t-iklll'i,,:uSl'JIll'lIt :1 :\1 1110 de Me~<lc
de
sortIr de ~ul
inertie; ulle in\'ltlcd)le attirance la forçait à r(;!ganler ,~lb
Cl'~SI
le portrait des jeunes
ép' 'd .. morts ~I lIQ':1l1uemcllt, et elle avait l'obse~in
qU:b lui urd,mllaieut ù\lgir.
;\[ de l\Ies~;r
.. d,'lns SUIl exil diplomatique, éprouva
llll jlt:U de "urpnse lorsqu'ulle lettre de sa femme lui
ant JIl';a qu 'dIe !Oe prui>~at,
si tuutefois il le jugeait
1, JI!, de pa~scr
quelque" Sema1l1l'S à Sainte-Bonne,
C,,' ·ticl ntilnifcstant lc lléslr d'y fane un séjuur. Ce
d" ni r [Jr(tcx~
(lait conforme à la vérité, très l1abllC!ll(llt M'm' ,10; :\Icssnc avant suggéré à son lils de
vouloir ce qu ',·ll,' sonhait:lil. l/assclltiment du marquis
f'lt imm(,llat, sI' l'Clltc:nt:lIlt tl'exprImer à 1\1'''0 de
1\[ , ~ac
l'c,poll que son s(Jour dans le Bordelais serait
a~rl:iJc
et lm octroyant carte blanche pour tous les
trwullX qu'elle aurait un'ie de faire exécuter.
,\[m. dc ;\lc:~,t
CH sc tralJ~o1
à Sainte-Donne,
ol/'I~
it à une ;lllira!1('l! superstitieuse j elle se figurait
ùe\oir y trouver l'inspiratiun qui allait guiùer sa
t;.J1111uitc.
li lUI semblait 'lue l'esprit des morts, celui du père
et de l:t mère de l'enfant orpheline, devait flotter
d 1115 r~s
lieux 011 ils avaient vécu, où ils avaient subi
kur IIl.rtvre.
~.[
• de ':\.IC:SS'lC, en proie à une mélancolie inquiète,
p;trcourt 1t:s Ilppartements restaurés et, à tout maDI nt, -e lil:(ure qu'elle va rencontrer des ombres.
f,1 m\'st:rien~
petite bOÎle d'écaille a beau étre
s Ple~mct
cachée 0,1\1' un coffre dont la clef ne
q mte pas Gnllldlne, cette petite boîte, dont nul ne
(1 '11'1,lÎt l 'exi<;tence, pèse
né,lIlmoi ns dans sa vie
C()l1Ime Ull remords, L'n conflit douloureux se livre
ù Il le cœur rie la m\re de Gabriel; d'un côté, eUe
n' veut j>35 trahir son époux; d'un autre, elle sent
('.
rC11l re il. ('eux il. qUI elle al,partient la boite
) r cieuse que Joséphine lui a remise est un acte
{!' rH;OurclIsc l Llstice. SOrement, c'est une volonté
s' ),;rrellre et dlvme 'lUI, après tant d'années, a fait
t nl,,,r cettc boitc entre ses mains! Si, vràiment,
1 .!fnnL (lui a été menée à la Malmaison est la fille
d comte ùe Lnrollstnnrle, comme, dans le fond ,le
"oH ÎIIIl', Gl1lienne Ile )leut se défendre de le t'will',
ai,lcr, Jlar lInl! abstention roupable, à la dépouiller
e'it III crime, et un crime ne peut porter Lonhcu r à
G tlJricl.
l':kn; par sa mère, le jeune homme nourrit sur le
poillt tl'houneur les plus d{:1icats, les :plus chevalere~'lL;
sentiments... Aussi, après aVOir mOrernen t
����'1'(,ut proche, :\10: If l', t. Ilt pro he 1.1!Cletl,
\ 1 l l, cllcvnJ Ùl :,\101 iUlT l'lIU: 11"',Oll lt. ..
1." Jeune homllle JJJlut ;,urj,n d IIll nomplt 1 hôte se :
l'Js~on?
\,(lU~
dIte que Je 111nré"llal ferrant
s'/1Jlpdle l'I~sO
~
- Ul1i, :'IlCllSIL'Ur, d lC n'( t pa cl 'hier qu'II, ,'t Il C
C(lt1'~
SOli
méti~I·.
Ah
1
JI
tll
d
JCtrl'
de
bête,
U1
Il
UI
a
pa .:, ICI, depUIS quatre an , .1t,~
homlllL ct dl,.. l'ilL'
vau.'! .. :>1 :\IOIbl ur \eut (Iltt t daus la maIson, mon
gnr~'ol,
!j11l ,'y cunllUÎt, roullt1lrn le chl;\';l1
- ~ Ll"ci, :\ladome, )ec IC\'lendrm tout ù l'heure;
marLll01l , l'allli, Lt attt'ntwll,
- N'a \ lZ pas cl 'inquiétllde, ::'!onsleUI', Je connaIs
mt>1l ;Jf{. Ill, d Fi"~OI1
vous fellL' nn chev'nl comme
pa UI1, TCII'l, '(Ji];\ Iii-bas, devant la {orge, le
JUlIL.ll où s'attaclu:lIl les büe!', ct j 'cl1tends le bruit
du lIh,rttau!
LIlle toute petite all':'e lougeant l'Innl1ble maison
dl' 1'IS ... U1] mène ft la forge, sorte de hangal, as ez
)la1lt tt paL'ieux, dans la pC,nombre, car, entièrement
()U\Lrt~
d'un côté, la forge n'a pas de fenêtre, Les
(til'ek~
volent, .. A l'entrée se ùdache Ulle silhouttte
félItlllint: nppuy<:e contre le mur et toumant le dos
à l'a~e;
mais ~oudain,
a,'(Ttie par le bruit des pas
du chl'\al CJui s'appro,he, la jellJJe fille se retourne;
("( ~t 1'(rol1nc 1
Son \..eau teint de blonde c~t
hâlé d un peu gâté
par Il' granù air ct le soleil; ~le
ne ressemble plus,
tOmme aux jour~
dl son enfance, à sa mère, si dial'h:l11e ct fine; les traits de Péronne rnpl-H.:llent maint'lI~n
plntÔt ceux du comte IIellry-L(.uig·César. Les
~·t ll.' !JkU5, profonds ct m) sténellx, sOllt, aùmirables,
Jl"!L 'Ctllcnt ellfo!1cC,s sou,; l'alcade sourCIlIère que desSIIH 1111 tmtt s01l11J1e, mince d l'lIr. l.,a jeune fille est
gl nndt" robuste, ct portc a\f.;C une sorte de fierté
l1f1tllldk son costumc de paysanne, l'li bonnet Il
vol,mt pljssé encadre son \"Ïsage et lais~e
â pdne
voir deux 1l:~he5
de ~hc,'
ux de chaque côté du front;
sa jupt, dl lfllne. t\ ralcs est (,otlr~e!
et sur son corsage
est J'o~c
UI1 petit fichu de fallt,alSle, dont les pointes
dn,ll1t sunt cachées par le taLlter froucé tt plissé qui
Dlollte tr':s haut.
A l'apparition. inflltenùuc du ,'oyageur, pc,ronne
s'l'carle ct, sans Jeter un coup G'œil au nouveau venu
remonte l'élroite allée; elle frôle en passant le cheval
dont dit.: cnresse l'en('olure,
Le jl une cavalier se Heule pour faire place à la
bl'llc fille et salue ('(,urt())stment; mais Péronne, inconsciente, ~'élojg1e
(11 hâte, la rencontre d'un étranger
�pUllble ù sa 1ilt té OllllJf,lgluse;
est tc,uJOl11 ~
~lIe
se
dt'Tol. (<Ill me un m"'(olll ,'rallltt!,
II j>ll,ùallt h ,·)n, Tl»ondallt li l'appel du pl{'fn~·
nil'r dn SuIe Il ù 'Ur, est ch jà "ort! ù(" la forge, d dé):l
da l'hnal. Le pwpriét liTe li, la
t!xall1l1\t: l '" ~nhotb
bhl' n',1 1"~
plOllOIll'l' un mot, 1l1,IIS l'issull Jl'cst III
bayanl III ob,en .. teur: Il écoutE:' padfiquclIl 'lit 11-,..
e01IJtlar~
ycrbcux on pal frulicr ct 1Cl1tll' dalls
la fmgl puur ) JlI( p:ucr U11 fer. An hout Il 'UI1 m", {'lit,
Il rq>aralt, l'allur.: trailCjt11l1e tt Jl:1b 1\ c : aloN k JI ulle
IOlligulr, qui, aprl'" llli 1ll0Ul Cil t tl dislrad.oll, c' t
t('I'Ulll uu cntllll<:1It c!c III réaltté )lré~
IItC, avert;l le
forgeron, d'uII tl n Ull peu hautain, que son d,uaI
ebt plutôt llnlhragt LI
- HaL! répouù Il .on, illùifférent, maillant lh: ~cs
iPu~"e
lI1ai~
fortc~
1 sabut dn d,el'nl
N~a1l)IS,
a\ec l'IlIstinct du ÙOII OU\T1er, qlli ne
n(gltgc pmal"- hs pT':: alltion-;, il use cie douc nr ct,
Cil f.illnrc, pOUl. L1Ît sa be~ogl1\',
Le jeune ('n\nlin l'o>sCT\"~
attc!lti\"Cl11cnt, la l1111le
cneu~
d emùarrassée i il paraît ('];ercl:er LIli!' or q~iotl
d'~l1gaer
l 'elltlctien, mms Fissou e~t
obst !l':m, 1 t
t aciturne Eufin, al"!'c quelque hbitati(JII, le \0) a:;cu r
d emanùe :
- C'est yotrt fille, forger n, qui S't'Il nlluit?
UUI, l\IoIISil'UT.
- \uus en an?z d'aut res?
-
-
lkux
autl~<
s ~ont
Ki 1
K011; l'ainél' est
El1~
rclt~i\
à Rouleau.', .
r':poncl nl'ec !Jq]ite"l, parre que toute l'n l'ie
il s'est "Otlnll:> aux II1tlrroqatiol1s de SIS slI]lricLI';,
m ais cette ré~jg-nati()1I
Ile l'unpt-chc pas d',~Y()ir
h" Il lion' un În~ta
ks \. ux IlO, T
r ur dl's qU~sti()IH
don1Jrr un CO\l1) Il'0:>'1 " son intulo{'lltlTT clollt l' •• n
Ù~
hallC'hi c <.:1-11 lelle minl' le ra~Sl1eJt.,
C'l~t
l J":;eOll11lllt .Îl11l'klll·lIt un pllrtÎculicl l'llIieux qni p'!:e
pour ne Tien l;,rc .
Il
• Il Y (1 cles qens ('o:n:lle çn ~, jll'Ilft' r1.~'
Cq'cndant l'éll aug r p:1rnîl ~lITe
une j,Ile, car il
_
Fi~son
r eprend :
- Vous
Cette foi~,
des fils, Illon bra\'C')
le sang mOll te ull pl'U à b tète Il ris <1)1;
l éanm(1I~,
tont cn enfonçnllt un clou c. 11 k ~t1b,)
il donn ~nrC'
l'inforlllation requi"l :
- J'tm "~i Ùl nx, Monsieur; m, 11 nill': e<t cfipit, 'llC
d e grcn;}cht'rf. ...
Il antJol\("~
Il' fnit avcc orgll(il, tt un 1 (\1 ,h <1G1
r ésonne d:l1I~
~3
\'oix ; ,'l!'t qu'un \':JRUl <01'1 \"n " ~ nt
d e lui tl<1\cr,..er J'c!'Jlrit. Fn hn11l1lf' C) 11 ~ \ , .. lin il,
il s'avise que le fer uu c!)(\,al :lW.'I, 1,,( il l'! ltle
:-'0,:(;1
�Al'RES LA TOURMENTE
arraché exprès ... A cette idée, à l'idée d'un nouvel
c 'pivllnlg-e les mouvements du forgeron deviennent
brusque>, fa bête sensible frémit, un fris50n la fait
tremul 'r, ses naseaux se dilatent ..
Attention 1 ordonne impérieusement le jeune
homme
b. ',on, mécontent, use d'un geste presque brutal
puur calmer l'animal exn~J>ér
... Subitement et avec
11,le 'ap!dité fnudroynnte, le cheval bondit, rue sauva·
g'm nt, ct Fisson, qui e1>t penché en avant, reçoit
1.' CU1\p de sabot en plein front et, le visage couvert
(.' ~,n\1g
tombe à terre, inanimé.
Le ll'llefrenier ü'e~t
jeté sur le cheval et le maitrise,
p nd,mt q ,le ie jeune \'oyageur, pétrifié par le spec·
t3cle, demeure un instant immobile, puis, d'une voix
{-j'OU' antée, s'écrie:
- Gr.md Dieu, le malheureux est mort 1 Du secours 1
\'ite, du ~el'ours
! ...
E~,
t(j!lt tremblant, il essaye de soulever la tête
du hle,sé.
L'appel a été entendu, et Péronne, la première,
arci"e en courant, L'a~ltion
rehausse sa beau'té.
i \ e douceur et !'ang-frOld, elle couche sur ses genoux
Il tête de son père nourricier, étanchant le sang et
•
l'sJ1pelant à mi-voix :
-. l'cre 1... Père !...
Mais il demeure immobile. Le jeune voyage'Ur
donne fébrilement des instructions :
lit; lavez la blessure.
- Qu'un le porte sur ~on
j',li d ns na ,·ali. c une petite pharmacie, je cours la
cJ'ercber.
Et, s'adressant directement à Péronne:
- N'ayez pas peur, je connais les premiers soin~
à donner; le malheur est arrivé par ma faute, je me
charge dc tout.
Et, :\ grandes enjambées, l'étranger s'élance dans
la direction du Soleil d'Or.
En m(t,; rapides, il informe l'hôtcsse accourue à
51.' 1 Ilcontre, de l'accident qui vient d'~vel1ir,
puis
ajout :
- Je suis el1 route pour les Pyrénées où je vais
rel(>.!1,!re ma mère. Je m'appelle le vicomte de Cabanne Et tenez, Mauame, voici une lettre du baron
G ln IllC recommandant aux maires des communes
où Jo,; pourrais m'arrêter.
L~
lettre du préfet de Bordeaux requiert, en termd
cat~
... nques, la bonne volonté de tous vis-A-vis
du p' rteur, fils d'un des meilleurs serviteurs de
S. :'II l'empereur.
Celte lettre produit un effet magique sur Mmd Duca~se.
l'hôtesse, laquelle révère l'empereur à l'égal
��9~
APRJ'~S
L.\ TOUR:.\IHNTE
toi <,urtout ne leurs filles », s'imposent avec une force
cxtnorùinaire à la pensée du Jcune hommc Il parle
il [>(:1'o11ne de l'ét:lt du bk~sé,
ct elle, vlgtlanle, atlelltl\'e, l'aide d:lllS l'applicatlon dt!s rClllèdes que cOlltiull
sa pellle l'hann:lcic de \'O[l~e,
;\[;llS leurs lentatl"c"
,onl vaincs : Fisson delllL'lHc tIans un état \'oi~l
du
COlll,!. Et on se résout, 1.:11 atlcll(!ant la vcnue du docteur, :\ l:lissc!' le malheurcux 1.:11 paix. Gabricl, (ILs('l'ètCllll:llt, sc retire un peu à l'':' art, el l'é'ronlle se
rapproche de sa mère N,lllette qui, assise devant le
f()\n, le t'orps courbé: cache son visa~e
ùans ScS
m:lin~
ct sauglote ... Le jour baisse, Pérol1nc allume
l'UllHjUl.: C'hnll(lelle dont la tremblante lumièrl! édaire
fnihlL'lllcnt h scène qui est tl'unl' lnsks,e p(ll(:llallte
["1 sLnihlt~
(le Gabriel de Messac t'st vive, presque
morbide, comme t'elle de sa mère, el 1'l!xÎstellce qu'il
a mcnée, exempte ù'aucun contact rude avec le'
rC: dités, l'u encore développée. L'iùée d'Ure la cause
in\'olontnire, mais directe nl'anmoins, ùe la mort d'UT!
père de fnmillc r l~Î
c:111Se ulle (louleur aiguë, EddC'mT11t'nt, LI dOIt lllspm:r (le l'horrcur à ces paU\ l'es
g~I1S,
t'nr h fille flu hlcs~é
l(:mJi~1e
ù 'une rés rve
farnllt'llc, regardant à peine l'C:tranger, n'usant l)our
lui p;nler que <le monosvllabes; il est impossible
d 'I1T:\cllcr une seule paro!' (\ Nnnette! La créature
fi(lèle, au l1i~u
de son n~Olse,
n'oubl1e pas l'(:ronne
dont ellc de\ ine la secrète hUll1ilinbon en présence
d'ml homme <le sa caste, devant 'lm clle apparaît
COlllllle une SImple prlysal1ne, cl, quanù le docteur
arrÎ\'c enfin et adresst familièrcmellt la parole à celle
qu'Li consi(lèr~
comme lrl fille des Fisson, la tuto\'ant
ainSI qu'il n l'habitude d'C'n user (n'CC toutes les 'jeunesses !ln Jln~',;
Nancttc sent la rl!\'olte gronùer chez
5:\ fi Ile non rricii·oe.
Enfin, "ers neuf heures, nu grand soulagement cie
Nnndtc, Gabriel et le docteur quittent la maison (leS
Fhslln pour aller souper, uno~':lI1t
qn'ils reviendront
dans une heurc, D'iCI là, le docteur estime que Fisson
aUL) re'pris connA.issauce, et, s'aùressant à l'é"i'ol1ne,
il t!nnllc cles inn irations préciscs :
- 'ru as compris, ma fillc?
- Om, :;\IOIlsleur le docteur ...
T,a voix de PC'remuc esl étranglée et de grcsses
hnncs remplissent ses yeux.
Ll'S deux hommes trouvent au Soleil tl'Or uu ex('l'lient St,uJler et un joli fcu (le bois, car les soirées
<.l"1llt0l1111e sont fraîches; le Vll1 est bou à Vevrac et
le (!'K'leur Galtier s'en \'erse de <:opieuses rasaûes, 'En
tout temps, il est IO(ju'lce, mais ce soir, enchanté de
f:lIre ln contlais~'
n'un aussi charmant jeune
hOlllllle que h! vicolllte <le Cabô1nac, il pA.r1e ù'abon-
�APR~S
LA TOURM ENTE
93
4ance, raconta nt tout ce qu'il salt au sujet des Fisson.
est
- Braves gens, IIssure-t -il. Vevrac, d'ailleu rs, est
bon pays.; même penùan t la Révolut ion, on s 'y
~
"""-u tranquIl le.
c Entre nOliS, Monsie ur le vicomte , je crois les
l'lsson attachés aux Bourbo ns; la femme de Fisson
• été élevée chez des nobles .•
docteur a entendu jadis des histoire s vagues
,_~e
"""t il ne se souvien t plus très bien; mais, certallI.ement, il v a eu dans le tt!mps des raconta rs à pn>reste ...
Pos de Nanette Fisson, . . rien de mauvais , du
Gabriel écoute, attentif , et t!ncoura ge les confidlaences du docteur à qùi le ,·in, largt!mc nt versé,à ùélie
peu,
. langue et semble éclairci r les idées .. . Peu
en nourl~ arrive à se souveni r que Kandte a ~ardé
une enfant qu'on disait apparte mr à quelqu' un
~ce
.riche à Bordeau x, peut-êtr e, soupçon nait-on, à des
~_
"-lIllgrés 1
- A des émigrés ? Ah 1 c'est curieux 1
- Oui; mais toutes ces histoire s sont si ancienn es,
tt il s'est passé tant de choses depuis 1 Mai.s, bien so.r,
les Fisson sont du brave monde.
Le Dr Galtier loue fort le capitain e Antoine FisIon : lin fameux soldat, il est en Russie pOUT le
foment . Ah 1 il n'est pas royalist e, celui-là 1 C'est un
qui l'a décoré de sa main.
de l'eni~ruT
~natique
'In bel homme qu Antoine Fisson, qui, dans tous les
s le docteur
!la}S, a dO. plaire aux femmes Et là-dessu
entame une narratio n croustil lante qui intéress e peu
Ion interloc uteur .
.Cepend ant, la bouche eS,suyée, le Dr Galtier rc:del'lent sérieux et, encoura ge par les larges honorai res
qu'on lui fait entrevo ir, promet de passer la nuit,
de Fisson; néanmo ins, pour être honnête
~lI.près
~_ Se voit contrain t d'avoue r qu'il trouve l'état du
ourgeron très grave :
- Que voulez-v ous, Monsie ur le vicomte , tous, tant
qUe nous sommes . nous sommes exposés aux acciden ts.
1 ~t cette constata tion, dont il use quotidie nnemen t,
Ul paraît répond re à tou t.
Quatre jours ont passé avec une rapidité vertigiIleuse, quatre jours dont presque tous les instants
été consacr és à Fisson qui vivra. Le Dr Galtier
~nt
tassure, mais ne promet pas la guériso n, la vie s,eu4l:tnent.
Depuis que Fisson est l'objet d'une sollicitu de si
t;lI:traordinaire, tout le pays s'est mis d'accord pour
tbanter ses louange s : c'est Mme Ducasse , c'est le
de
tlefren ier, ce sont les postillo ns de la diligenc e dès
ayonne et les voisins, hommes et femmes , qui,
'lue l'ocrasio n s'en présente , entame nt une litanie
���TOURlIJtNTlt
�APR 1·$ LA TOURMENTE
97
pne, ne m'1lJterro 'e pas. jc ÙOl à ton père; OUI, Je
suis oblig(e de lUI ollélr, de le crOlrc ... AIC pillé ùe
mw.
•
- Cependnnt, \·ous avez voulu savoir après tallt
d'alJéc~
j pourquOI 1... Je ne vous lllterrogerni pas,
paUYle nI'::T j mais dItes-moi, je VOliS le dl'mande il
gelloux, cc qt1~
\ ()U~
pouvez dit c. Pourquoi m'avez- '
VOU!; cnvo} l: à Vcyrac (
!II '"' de l\lt;ssac prit les mains de son fils entr les
SICIITlCS, !:t, sans lever les paujète~.
pllrlallt comme
dan un rhe, elle dit d'une voix qu'on cntendait à
l'C1l1l'
- Gabriel, tu es mon fils, mai!"> tu es au ' si mon
ami, tu cs m, conscience vivante ... D puie: des années,
je ~oufIrc
d'un remords au sUjet de cette enfant ...
J'aurais dO chercher, approfundir, car, nlUl, Je CroiS
quc • 'andtc Fissun disait la vérité,. et l n'al pas
osé, . llon, je n'ai pn~
o,é .. Je dob tout a tou l,cre,
je lui dOlS la de . Mais j'ai toujOUl:' ~u
peur de lui .
Je n'avais que seize ans lorsque je SUIS de 'eIlU( a
femme, ... dans des circonstances trngiqut' ,.. Quund
on trop souffert, vois-tu, Gabriel, on d \'i~nt
un peu
indifférent... 1.a seule personne a vee qui, au Lrl'fOls,
je parlais librement HUIt ma l'OUSlIle Jlraçoi~
... Tu
ü : ~ou\"Ïens
l'Jlcore de 11'"0 de Saint- . Lacum.' u; elle
s '(tlu t 1eHIIl riée parce qu 'dIe 6tait trop las<e,. . elle
Hait heureuse, ct puis alors elle e~t
morte. Elle, qui
cc,Ilnaiss. it la vie mieux que moi, m'avait jur{' que
Cl'tL r':('}0111atiotl des FissOl1 Hait lIl1t: hi~tor\!
II1\'CI1tt·,·, l'(.l!u\·n' de cette an(';ulne grisette de lIordeaux
dl\cuu' l'l'pollsc d'un TIche fourniS cur ,\ l'flrllltC
Cette ie1l11lic avait été Ju~q'à
Joséphine, ("étmt p, Tldant 1 COlJsulat, l't le ménage était bien VlI du ,onsul . 011 aVAit remis à Joséphll1(" comme preu\"l', une
boite j .. ceUt' buîte, clle l'aulit gardée 'pour la fnire
et lui
vOir à non parte qui ne la lui renrlit Ja1l~
ddcnùiL, ~Ul1S
aucun Jlr~tcx,
de lui reparler ùe (ttte
hlstnir
« l)crlllèr ment, à la Malmaison, lA paUHe IJ11JJératricl' a r ·tr(Jl1\"é cette boîte, qui avait été ol1b!J(e
dan~
un tlTOIr, <::t dll' me l'a rloll11ée . .. J'al cru \"oir là
le d(]l~t
de ln ['ro\'Î(leuee, UK an'rtJ5semcnt cl 'a\'oir
à ~ortL
ùe Illon apathie ... Je ll'i!\·H1S. d'antre n!oy~
d .. lII'lllfoT111H qu en recO\lmnt Il tOI ... J n'Ill l':ts
In'\,u Ull 1l~t
, lt
la possllJlltté que cette pau\'re' 111le
de paysans Jl6t t'intéresser. Gabriel, il faut l'()ubl:cr;
jamllis, j connais ton père, lamaiS JI ne te l,ul11cUra
de penser à (:lIe.... et, s'i ~Oupçol1ait
tes 'l'ntinH'nts,... tu l'expo~rai,
tlle, pent-être, il d s
lllalheurs ... A mon retour à Fari~,
je parkrni il l'I111pél"atrice, je tâcherai de m'assurer de sou llltérêt, ~t die
3S9 IV
���'100
~PR
LA TOURMENTE
sa chambr e. Là, la remetta nt à ses femmes , il lui
balsa tendrem ent la main.
- Merci, ma mère, dit-il, mercI!
Elle le regarda du regard apeuré de ses beaux yeux
toujour5 inquiets ; pourtan t, elle éprouva it l'allége ment
de l'être qui a décllarg é son secret.
- A demain 1 répondi t-elle.
- A demain, ma mère bien-aim ée!
Ht ces dernIère s paroles furent prononc ées avec une
intonati on presque solenne lle.
~
* :':
Quand le jeune vicomte eut disparu t à ses yeux,
N::mette Fisson demeur a un long momen t sans bouger,
en proie à un violcut combat intérieu r, partagé e entre
l'attiran ce singuliè re que lui inspirai t le jeune étranger et un soupçon qui venait de naître dans son
e5prit : ce voyageu r SI compati ssant, qui s'était insinué chez eux, avait peut-êtr e pour but de les espionnt'r, de découvr ir quelque chose au sujet de la fille
du comte de Lacoust ande
Gabriel de Messac n'avait pas su comman der à
ses regards qui chercha ient sans cesse Péronne , et
Nauette s'en était aperçue
« Qui sait, se disait la brave créature , si la remise
de' cette boîte n'est pas un piège, un moyen d';tourn é
de me faire parler? ... »
La terreur du marquis de Messac demeur ait vive et
intacte dans l'âme de l'humbl e femllle dont tous les
sentime nts, concent rés sur un nombre restrein
t d'obids, n'étaieD ;t en aucune faço~1
atténués par le temps.
Sans savoIr pourquo I, ouélssnn t à cette sorte de
sage5se d'absten tion qui est l'arille des faibles elle
résolut de I;le nen apprend re à l'éronne du ;etour
eotre ses mains de la précieus e boîte. Debout près
de
l'étroite fenêtre, tournan t le dos à son mari, Nanette
dt:pollil la l'objet fragile des em'elop pes de fin papIer,
dont une m~in
soigneu se .1'avait entouré , et contem pla
avec une pOignan te émotIOn 1'lm aRe de ses lHeo-aim és
seigneu rs. Depuis tant d'année s de séparati on, leurs
traits étaient devenu vagues dans sa mémoir e; il lui
parut qu'elle les revoyait vivants comme eu l'ette
dernière fatale veillée cl 'octobre 1 HIle se demand e,
a\' CC uue humilité scrnpule use, si elle a
été bien fidèle
au ~ermnt
prêté, ct sa conscien ce l'ausout de toute
déhillan ce ... Les larmes rem!)lis sent les yeux de Nanette, car elle désespè re de vOIr jamais Péronne renclue
au ranI;' qui lui appnrti ent; cette enfant précieus e estelle condam née à demenr er enseveli e dans une basse
conditi on?. Parfol:; un rêve, auquel Nanette ose à
peine donner une forme, traverse involon taireme nt
�APRns LA TOURMENTE
101
l'esprit de celle qui a été la mère de l'orpheline . Antoine est un si !Jel officier, Il approche les gt!néraux
et les princes... Peut-être Péronne pourra-t-elle un
jour, faute de mieux, jeter les yeux sur lUI7 ... Antoine
la défendrait ... Voici dix ans que la hantise incessante
des Flsson s'incarne dans la crainte d'un danger pour
leur fille nourricière. Ayant~
dans leur jeunesse, vu
disparaître et mourir tant a'êtres innocents et charmants. l'Idée du crime possible lt!ur est familière: les
tigr~5
qui. Jadis, ont dévoré tant de vies préCieuses ne
sont peut-Hre pas repus, peut-être errent-ils encore
dans l'ombre?
Plus Nanette réfléchit sur les événements des derniers jours. tournant les choses dans un sens ou dans
un autre. plus elle trouve au passage et au séjour du
vicomte de Ca!Janac à Veyrac quelque chose d'inexpli cable et d'inquiétant.
Une conspiration nouvelle, dont la femme de Fisson
ne prétend pas deviner la nature, doit se préparer
en secret contre Péronne, contrt! la véritable héntière
de Sainte-Bonne; mais Nanette se promet d'être vigilante et de dépister les méchants. Dès que son homme
ira mieux, elle lui communiquera ses alarmes .
Elle n'eut pas à attendre longtemps pour le faire.
Deux ou trois jours (llus tard, la nuit commençant
à tomber, Nanette assise à son rouet près du lit. les
époux seuls et silencieux, Fisson, qui parlait encore
avec difficulté, dit soudain:
- Femme. je n'aime pas la venue de ce beau jeune
homme chez nous. Je n'ai pu encore te le raconter
mais, pendant que je ferrais son cheval. il m'a posê
m1intes et maintes questions ... On ne m'ôtera pas de
l'idée qU'il venait pour nous espionner ... Sais-tu ce
que j 'al pensé tantôt? Peut-être bien notre Antoille
a pu parler à l'emnereur et le décider à rendre sa
fortune à Péronne, et. si ceux qui gardent cette fortune le savent, ils sont capables, ma femme. d'essayer
de la faire mourir.
A lors Nonette, se contredisant el1e-mêmt!, répond:
- Ce jeune homme avait pourtant l'air bien honnête, et, mon homme. il ressemble, comme un pois à
un autre, à M . le comte.
- fi. Monseigneur! Ah! Nanette, gardons bien notre
Pérenne •. .. ils venlent peut-être l'enlever, . et qu'estce que n o t1~ ferions? Moi f liblc et bon ti TIen . .
_ Ne te chagrine pas, mon homme, tu reprendras
tes forces .... et on sera prudents ... T~is-to,
tu pourraIs avoir la fièvre de trop parler; disons pllltot un
tll'C, et la bonne Vierge npus aidera .
.
La prière fut murmuree par Nanette, et FIS50n.
dévotement, donna le répons ...
��APRÈS LA TOUR:\ŒNTE
I03
XVI
La marquise de Messac était à mille lieues de se
'douter clue ce mari qu'elle croyait détaché d'elle et
inclitfércut à ses actions la tenait sous une étroite
surn:illallce occulte,
Fouché était demeuré l'intime ami de :\1. de Messac,
et, grâce aux 50ins ùu mlllbtre de la poltce, le personnel de l'hôtel de Messac comptait invariablement un
informateur, par qui r.I. de :\Iessac <:tait mis au \:ourant de~
actions, de la correspondance el I>re~(lu
des
pensées de lIime de :\lcssac,
L'émissaire de Fouché, sous h forme d'un \ alet
de pied, l'avait accompagnée à Sainte-Ilonne, où le
üépart solitaire de la marquise pour les l') réu<:cs
et les mouvements dc Gabriel furent l'objet de la plus
vigilante obscn'ation. III. de Me'is'lc se trouva rapideIllt!nt informé du séjour de son héritier à Veyrac
et de la pré en ce assidue du Jeune homme sous le toit
des Fis"on; il apprit également l'état ù'agitation de
l\I'" de Mess.lc après que son fils l'eût rejointe
A la suite de ces révélations, le mini tre ùe Fwnœ,
m tigré la 'l'ravité de la situation politique, montait
d1tl~
sa haisl! d poste et prenait, par la route la plus
directe, le chemin du Bordelais, et un soir d'octobre,
presqUl! à la ,ble {'tu fatal anniversaire, à la stupéfactlOn ,k ~Iu,
de ;\Ie,sac. une berlme de voyage entrait
d'lIb Il cour. d'honneur ùu clLÎlctlu, et le marqui' de
Mes~n
'. sounant el courtois, faisait ft sa fcmme et à
son fils la surprise (lt! ',on arrivée,
- Tbl marquise et Gabriel se pr<:paraicllt à Se meUre
à tabk ponr souper quand les portes b,tttanlcs du
Sillon où ils se tenalL'nl S'OU\ rirent pour donner p:JSsage au maître dl! la maison. L'étonnement rendit
pn:sqlle muette l\[m" <1(> Me~';flc
que tout ahrm'lt,
et _.e" jambe, tremblèrent si fort qu'elle ne put se
lever.
M, dc :'IessJc l 'ltborJa affectueusement et, en termcs
gracieux, s'infornn de --a ~Jnlé,puis
l'mbr.1S a G'lbr:el
qUI ball.lUti 1 des parole' de bIenvenue, el dIt avec
lieaucoup ù· sang-! rOld
��APRttS LA TOURMENTE
105
tian qu'il s'était promis de poser au sUjet du pas é
!!lOuraIent sur ses lèvres.
~)ual1
à ?l m • de .:\lessac, la conscIence d'a"Olr agi
&aU5 con ulter son mari, d'avoir rhélé à leur uls des
f8.it~
qu '11 voulait tenir eadll:s, la faisait défaillir int •
ril!urclll nt de frayeur. 'Ùcmulante sous le regard
P~nétra
de 1\1. de :.\Iessac, elle (:tait prête, Il la pre!!lil!re iltcro~a,
ft avouer tiU conùuite; llIais au<'une question, heureusement, ne lui fut posée. M. d('
M ssac se contenta de dlfe à sa femme qu'il comptait
Sur la raison dont elle avait donné tant de preuves
Pour accepter la séparntioll 1l0uI~aéc
n,cc 80n fils.
_ Un hoDlme doit I1éCeb~airm!t
sui\"! UI1~
carrihe, mou rôle e t de guiller mOll fils dan la ~lcne;
chacun notre tour, n'e t·il pas \'rai 1 VOU" 1 compren z, j 'Cil SUI sûr, chère amIe!
IUle murmura un fBlbl ,lcqUlescem nt.
- J'ai toujourl; eu coufiauce cu 'ou, contlllua :\1. de
Messac, )Jour ce qui regardnit notre fils; J'e pt: r(' que
Vou Ille fuez cr{'ùit de la même façon . .le Ile COlbultC
pa Gauriel, car i 'attends d" 10011 fils uue tutière
&ounl1 . IOU
Les paroles, prolloncêes cependant d'uue voix douce,
tintent Culllllle martelées, ct la lJau"re ]',1'"' de ]',Icb :tl',
ttouffallt bOIl angoisse, se demandait comment elle
a\ ait eu la témérité ùe b 'émanciper de la tutelle de
c~
tèrriblt homl11e.
Cc fut un ~oulag
meut 'pour tOtlS quand, de bonne
htllTc) ;'1. de ;-,rC5S"C, plaIdant la fallgue du \o'a 'e,
se rtUr,1 dans sun appartement situé au rez·cl -chau" 'c
du l'hattl\u. C lui de ;'1 '.• de ;'!e ·.le (:tl\it au JlI IlIl r
t ag et jadi~
avait Hé occu'pé pal la douairi Il! de
La\"Oustul1de; Gnurip! couchait dan une pt'tit 1,1 c
dtrrlen l'alcôve de ~R
mère. ]',lm de :.\1« s ac était
d !1lcur(:e très pcur u"e, ct la présence de sc fClI1IU
dt lha nlm: l'l'es cl' 11(: u'Burait pas sufli, dAns cc
/:1 and l'h lteau, pour la rassul r :'tIais son fils IUl
un hou<;lier i~vnlérabe,
anssi l'idh dc le
}"la lilI S ,~it.
vOIr ~ dOigner t dlsparaltre, lni cau.a lion seuilluent
Un~
douleur aiguë. mais de l'épouvante 1
(lu IlÙ dle cul été mise au lit; Gauriel vint, comme
il"'t-lI avait l'hauitnde, donuer e bom;oir à sa 111 re.
l~
Sl re TarO 1eni d'abord Il silence, tous detL" ~fm
blait"nt érra és par une force supérieure. Gabriel, qui
ch~
reliait des ça'pi.tul~Ons
avec s.a con.ciellce, dit
a\"Cl IllI 1!t:t1 d 'heslt t1011 :
_ Je me rendr!1i a.ux désirs. de mon père, jt 'tllX
~agner
SOIl amitIé, Je ]lourral alors lUI pn,l r l'lus
hbrement. .. A mément, II e~t
de bonne fOI <: c t Illon
devoir de le t'Toir !
_ OUI, mou enfant; oui, sois pati nt, très 1 atient.
�106
~PRÊS
~A
TOURMENTE
Ton père est disposé à avoir pour toi toutes les indulgences, lie le heurte pas"
Et plus bas elle ajouta :
- 11 est mielix lDformé que liOUS, quelque chose
me dit qu'il usait », Je crains d'a\'oir étl! imprudente,
PUIS, avec un frisson de terreur, elle reprit, sa VOlJ'
se fai~tuI
à peme perceptible :
- Au nOill de ta tendresse pour mOI, ne lui parle
pas d'elle, il 11e me pardonnerait pas,
- ~Ia
mère, je puis me tane uu temps, mais il
hut que je sache la vérité, J'aime Péronne!
- Chut 1 Chut 1
~eR
doigt:; fuselés se posereot vivement sur la
bouche ùu jeune howme ('umme pour la sceller,
- Reposez-,'ous, maman, nous caust!rons au jour
plu,.; lih1'l:mcnt ct plus trnnquillement, Odde pourrait
sllrprt!lIdre quelqnes-unes dc 110S paro1t!s, c'est inutile,
11 Hl~(,ir
ma chère maman!
- Bullsoir, mon Gabriel. Bonsoir 1
L' \ cllt ~(;mit
comme il gémissait vingt ans auparal'.W.tllt, le hrouillanl enveloppe Sainte-Bonne, ù'invjsiblc~
pr(,sences semblent avoir envahi le cllilteau,
empi'chnnt ceux qui en sout les habitants dt! trouver
le repos,
.:\[ (le :'vlesqac, vers nne heure, se réveilla en sursaut, fiévreux et agité; la \'ision de son frère ainé, de
ce frén: (\onl il rtvait contrihué à cause" la mort tragiljuc, e dressa extrnonli!wirement distincte devant
lui; le Ecu, la date, dont Il eut le souvenir lancinant
en ouvrant les yenx, Les préoccupations qui, depui.:l
un" dizainc de jours, ne lui laissaient aucune trêve
SnfiiSaH!nt amplement pour expliquer cette hallucina'
tir'll , Il es sa va de réagit"
Cil (plOi c'c frère morl depuis longtemps pouvait-~
l 'in'Iuicter? Et, quant ;\ l'enfant, l'impo, ture étaIt
trop llagrnnte ... Boilley, il est vrai, avnit bien décou"ert que1(!ues circonstances qui pou\'aient donner à
pe'! ,<.:1' que l\!me dt! LacOtlstande était accouchée myStC\,;ü ,l;1l1ent; mais l'eni'lllt que cette paysanne ;J.vait
am 'née à Srtinte-Bolll1e (,l~it
slln:mcllt celle de Léo'
l'adll" Fr:'t1~chisgIlY,
Il était du devoir ôn représl'lllaI!t
<l'UIll: Vieille race de ne souffrir aucune mtruse, IJ
Il 'Cil ~oufriat
p'as, perSOlllle ne lui contesterait deS
droh auxqucb JI tenait maintenant nvec autant ô'ardeut' (Ju'à la vie. S'il fallait faire enlcver cette fiIle
de l'l,son, Oll trou\'erait le moyen .. _
" ndain, comUle sembl' ble fi Ulle vieille bête d:e
. pr ,:e , 11 de Mt!ss.1c, se ramassant mentalement, étaIt
déj't tout prêt. déchirer ~a
victime. lA porte de la
ch 'nbre s'ouvrit kutcUlent, ct, un flambeau à la
m Ill, un homme s'encadra sur le seuil. .. Cette fois,
�����APRÈS LA TOUR:\LENTE
III
XVII
.'
Nanette, dans le secret de son tlme, attendait...
Souyent, avec ses bOIl~
yeux d'animal aimant. elle
r('~aclit
P':rOl~,
i>lu~
sileC1t!u~
Cjue jamais La
jeune fille pari~5t
('pruu\t!r comUlt! lIne n;pug'nance
à parkr.
Sous le ["it des Fisson rélrna, pen<bnt l 'hll't!r qui
SUivit l'acclden , une tristesse étouf(C:e. Le l'i!re, mal
renllS, tout \ ielili, travailhit avec llt!ine à 1.\ forge
et avait ùù prendre uu \'1l·UX pour l'aider, car tOllS les
jeunes ~trlen
parti;;, ct aH!C eux le frère de lait de
l'Gronne, Jacque~.
Nuuelte a \U s'éloigner ~on
cadet avec un umer
regret qu'elle supporte \'aillamment, car elle a devlllé
que L1 familiarité fraternelle du rustique gar":Ol1 est
importune à l'6rotllle. Pour le caùet de" Fi~.,on
Péronne est de la fnmille au même titre que ses lutres
sœurs, et il ill' s'occupe pas de lUI p •.nkr dlfkremment. Lui élo~n6,
Nanette seut que sa nll<:;nonne
respire plus ltbrelllcllt. Et b dl'HlUée p1\sanue
éprou\'e !Juur son cnfant d'adoption Ulle aflcction faite
<le sentinJelÜS di\·ers. Péronne, de son côté, chént
sil1ct,r< lJ1eut sa vieillt! Nanetle t:l allne tilt;llemcut
Fis~on
qui reçoit ses soins avec une <Iéféreuce attendrie, partagé cntre II.! bonheur ct l'holllleur "'être
trai~
ainsi p~r
la tille de ::\Iunseigllt!ur ct la !tonte
iutérieure qu'il en ressent.
'l'Olt!> les deux, le mari et la femme, épient avec
inquiétu(]t: les fluctuations du visage de Péron~.
Sal~
~e
le dire Ils savent que, d'une façon lllexphquée, cllL' est ~hangée.
Hl1!J1I, un SOir, Nanette hasarde une que~tion
:
- ;\li.gnOJllle, pourquoi es-tu si silencieuse? Cela
nOll rait faut\.! de t'entendre.
Alors l'~ron
. ('date cn pleurs et l'aveu qui t'étouffe
mout,' :1 CS lèvres :
- l'ourqUDt parler) Je parle mal, je parle comme
une P,l\~
1I1le.
14 es illots son~
l~eu.
~Ie
chose, ce qu'ils exprlllleut
semble pre~qtl
1l1S1gmltant, et cependant, d:l!Is le cas
de l'éronlle, représentent Ullc souffrance pleine (1 'huruili:ltion.
Nanclte, a\'l::c l'llltuition dn cœur qui lui permet
de l'ol1lprl'Udrl' toutes lô llleurtri url', du ju te orgueil lk Il ttlk dl' la 1lt.llSIl!! Je Lacouslnnde, n':pilque
dOuceJl1 e nt:
���II4
APR~S
LA TOURMENTE
s'est passé depuis le confirme ... Le frère de ton père
celui qu'on ap)H'latt l'abbé, quand tu es née, a refusê
de te reconlliutre; c'est lui qui est le maître aUJourd'hui à Saillte-Bonne. L'abbé, vois-tu, s'est joint à
ceux qui ont fait la Ré\'olution et tué notre pauvre
roi
- Il ne me permettra jamais de vivre, je suis ensevelIe pour touJours, AI1! pourquoi ne suis-je pas
morte avant d'être emportée?
- :\Ia fille, (Jne fais-tu de la volonté de Dieu et de
celle (le t" mère? Ecoute, mignonne, j'ai toujours peur
de te leurrer d'espOIr, mais j'ai réfléchi; il vaut mIeux
que Je dise la y(;(it':, surtout comme il ne revient
pas ...
- Oui?
- Le jcun'~
seigneur.,. Le jour de son départ, il
m'a relJ1~,
sans me dire de la part de qui, un petit
}1'lql:et ' c'était la boite, la précieuse boîte donnée par
ma ('hère maîtresse pour toi.
NaneUe pleure
- La boile aux portraits?
- Oui,
- 011! montre-la-moi vite, que je les l'l'voie, .. , mon
père, ma mère!
Religieusement, Nanette tire la boîte de la cachette
au f011(1 de la grande armoire, Les denx femmes sont
f, 'Ill..,s dans la pièce basse aux poutres enfumées, k
OOUI' est faible, mais, à la flamme claire du foyer,
l'érollll , qui s'eqt agenouillée, contemple en tremblant
j~
\'isages souriallb de ceux ft qui elle doit la VIe,
e 'est le 1'ang de ces deux êtres si raffinés, si élégants, si nobles d'aspect, qui coule daus se veines 1
lit elle, une l11.1lheurcu c paysanne sachant à peine
II rC' !
PéronJle regarde avec une sorte d'avidité les deux
"1I~C
dl.1rmullts. Puis, peu à peu, ses yeux se rl\'ent
sur Cl'lt1l du comte Henry-Louis-César.
Tout :\ coup, elle lève la tête puis, tremblante, se
rC't11lt sur ses pieds et dit à Nanettc, d'une voix
pre que éperdue :
- :\l'::re Nanelte, il ressemble il. mon pere, .. , il
r\!5~(mble
à mon père.. Vois, le même front les
yeu,', cet alf brave et doux ... Uh 1 Dieu, il resc~bl
à mon père",
Nanelte est grave :
- Ma fille, je l'ai pensé aussi; 11 doit être le fils de:
ce méchant homme,
- C'e,t lui, lui qui e~t
venu nous chercher dans
la chapdle,., Nandte, ie me rappelle .. , Il me semblait
recollnaître on regard, j'ai cru que je rêvais, . Mais,
��'u6
APR~S
LA TOURMENTE
cible de l'empereur était presque un article de foi,
et, surtout, depuis la naissance de l'héritier ImpérIal,
il n'imaginait aucun changeml:nt possible,
A dire vrai, Gabriel, comme beaucoup de jeunes
gens de sa génfration, ne savait à peu près rien des
Bourbons, et on l'eat emuarrassé en lui demandant
le nom des meu.ures vivants de la famille royale.
M. de 2\Iessac ne parlait jamais à sou fils des princes
de l'émigration, <:t la rescrve en paroles, sur tous
les sujets graves, était une habitude ancienne et
jnvétérée chez l'ancien jacobin.
Un matin de novembre, par un teml?S couvert, la
berline de voyage emportant le marquIS de Messac,
Gabriel, le jeune baron Tanaron d deux domestiques,
quitta la cour d'honne'ur de Sainte-Bonne. Les routes
sont meilleure's ~ue
Jadis, cependant des pluies récentes les ont d.:trempées, et les alertes postillons
font continuellement pirouetter leurs fouets sonores
afin de stimuler l'allure des quatre chevaux de poste.
Un voyage ft petites Journées, carl en cette saison, la
nuit est tôt venue. Le récent chagnn de M. de 2\Iessac
lui est un prétexte naturel au silence qu'il ne rompt
que pour les paroles absolument nécessaires, engageant en meme' tt:mps ~es
jeunes compagnons à s'entretenir ensemble, mais eux aussi sout disposés à se
hire. Le deuil profond dont est vêtu 1\1. de Me~sac
."lcc<!ntue l'air sombre et un peu m,'\ladif qui lui est
nFiture}; il affecte cl 'être indifférent à tout, cependant
s('~
pdits yeux brillent d'un éclat l:trange, et Gabriel
.: prou \(! le sentiment d'être surveillé dans ses
lIoindre~
actions . Sous le poids de cc regard inquisiteur, il observe ses propres pensées, comllle si son
l' \n: [1\ ait le pouvoir de les devlller.
Orogn<!, (\ Poitiers, à Tours, p.lftOtlt où l'on
s'an He pOtlr les couchées, Gauriel doit partager la
cham ure de M. de Messac dont la dlJuceur rend toute
résistance impossible.
Nl::1llltloins, pendant ces 10tlR'ue~
heures ou le pere
et le fils yoag~nl
côte (\ côle, elf'r1(~
'
da11s un
esp'\ce étrOIt, les pensées secrèt 'S de l'un et de l'autre
cherchent l'objet qui les oCl'llpe. (;almt:l songe à Pér nne, r(!\'e pour elle un avenIr répar,lkur; il se plaît
li s'imaginer que la nouvelle intil1l1lC (H'! il vit avec
600 père lui donnera bi,:!ntôt un~
rédie influence .. , Il
ne se doute guère des Idées qUI occujlent l'e 'prit de
ce terrilJle père.
Sous une froideur empruntée, M. de l\Ie~sac
dissimule un sentiment de délin;l1lce qui l'CUIvre d'aulant
qu'il n', vait jamais cru le connaltre . Depuis l'heure
.où jl ,'était senti deviné p;).r 1:1 timide épotl.e, soumise
jusque-là aveuglément à ~es
volontés, une sorte ùe
�����APll
LA TOURMBmJl
lU
ltfiIIe de lia Saive tuait beaucoup •
, et M. de Messac recevait
ses r~unio
accueil eorwal i Ile l'enviaageait un peu
un excellent paratonnerre 1 Et puia, une
qui a traven;é la Révolution, l'émigration,
l'Empire, ne s'étonnaIt plua de rien et posséun fonds d 'mdulgence extraordinaire. elle pre, selon son expressIon, le. gens par leur bon cOté,
n'en a pas?
premIer soir 011 le MM. de Messac parurent chez
de La Sai e, ou e trouvait 'pncla~met
en petIt
,qllelCJ
perlOlUle8 nl1DleI!l dalls un coin du
de 14 Pitti
écoatalent une le tare du ~e
Delille que fal ait M. de
me frire de M- de
ive, céijbatalre almabl , llyant dei Jritenttons
ltU'r9.'irll!lll.Mme de La Saive, aa i ~s
d'un guéndou
lune patienee qu'eU., Interrompit
attetrtion aux nou\ eaux venus. Elle
ailDpet~
et aaD affectatIon de M- de 1\1 sae. THe rerreta de la mort de cette
pula .joata .
ll' .. "",.._.,,, meilleur ani 6 l Sainte-Bonne 1 On
cette terre eat malchanc
eudant longje me SOUViens, GalHeune ne ol1lalt plus V
et
�APRÈS LA TOURMENTE
sans qu '11 eo.t à insister, et leur entente tacite ne
demanda pas cinq minutes.
Zéphyrine avait vingt-trois ans et les partis ne se
prést!utaient pas 1
XIX
Dans les plaines glacées de la Russie, Antome Fis'
son pense à Péronne j le désir passionné de la revoir
stimule sa volonté ct l'aide à sUJ,lporter sans fléchir
les souffrances de l'affreuse retraite.
Cependant, les premiers jours, parfois, sous le ciel
glacé, un refraiu guerrier s'envolait encore . Pout
réjOUir les camarades, un soldat chantait;
,
Tambour battant, la victOire aux FrauçaÎl;
Tr'lce un chemin que la groire couronne .
L'amour, jeunes soldat~
français,
Vous a résl!rvé plus d'un gîtt!
'covite
Avec gt!ntillt! ~Io
Vous ferez .,. la guerre et la p :lIX 1
Et quelques voix rauque
en chœur:
et martiales reprenaient
Tllmbour battant, la Victoire aux Françab
Trace un chemlU que la gloire ouronne 1
nt :1.vec ces vaincu c1H;minaient encore ffectiv ement la victoire et la glOire •... maîtresse adorées qui
par.tis~en
le avoir momentanément trahb. mai "
qnl ces ruùes amants oml?taient bit!n infliger, avant
le prochain bauier, nne funeuse correctIOn.
lk 1:1. deUXième Journée après le départ de Mos';oU,
le c plt'lIne FI, ou cédait son cheval à un compoll"noll
d'arllles plus faible qut! lui. le jeune lit!utenant de
Sallllc-Foi. Les ha ·:1.rds de la campagne avaient r:Wproché le deux ofliciers d'ongine si différente; ilS
s'ét lient lié d'une étroite camaraderie qui. d1.1h I~
détre ~e commune, prit la forme d'une amitié frotternellc ; il se jurèrent ùe ne pas se séparer. de tout
partager, de se soutenir l'un l'autre jusqu'à la \IIort,
et ct· pacte fut leur force et sans doute leur s:dut. 't
Avec sa prévoyance de fil de paysan, Antoine s'étal
Ï11UIlI à .:\Io;;cou de ce qui pouvait l'aider sur la route
du retour. dont il avait prévu le ' épreuves: un po"-
���APRÈS LA
T
us
OUR~1ENT
xx
y
0. Cil,
t:~
t
cette Jin
rncnu, mais
est
la
on iii
t.:
le trouve
�126
APR:tS LA TOURlrŒNTB
Pourquo1 le jour ne viendrait-il pas où
accepterait l'amour d'Antoine?
Entre ceux qui ont été frère et sœur de lait
ane sorte d'lntiDHté dont Nanette De
le
AntoÏDe ne
��AP
R
~S
LA TOURMENTE
lèvres; dans le calme qUI l'entoure, sa voix s'élève,
claire, IJU1" passIOnnée. Elle dIaule :
Vous, passagères hirondelles,
Qui rc\'entz chagul: prmtelllps,
Uiseau,' voyageurs maIs fidèles,
RanH:ucz-Ic-11101 tous les ons!
Tu aIS
eul ru nt, Ile
�Al'R~S
LA TOL:R. IE~
'TE
129
seuls <:e soir, " St~
oU~·!lu
de\ allt IL foyer, comme
lorsque 1I0t. l:tio1~
peut" .
'rlt: mblalltl, 1IY1>lIot (: , l'érolllle O],llt,
l'ru .mt place sur D11 b ~ aveu)
Allt!llll cOlltlllue de
p rler :
- ... Hn Pu SIt: , plndant ln retraite, 1I0U ,,(US
srJUtJett Ulort et IH]S~(Jl,
III 1. Je youlals \ I\' re
JJOlll
te rl'voi L .. Quand l'nfin 011 a pu 5 'arrêter, j ':l] UI 11
f.'l Il 1 mounr; j'avais UJou (,lluar,Hll', 111 ou frère
Ù'llll1le , dout je t'ai parle qui, JlI ~sque
lI\ t:lIg-le, lIll
E,oi lJait. .. LUI, c'\::st Ull fils de l1ovk, uu lJom1~
Ge
ta ('a~te,
Péronne, A l'heure où Je me IIlS cru p rdu,
je lui ai parlé d toi; je lUI ai faIt Jurtl, si Je rl~t.i,
là-ba , de me remplacer J) ur t'aider ùalls la Ultb Tt:
dt ,e fore s, •• Et il l'a Juré.
- Il l'a juré?
- Oui, et, quoique je soi là, il l1'a Jia out.lié.
Pérolll1e, cct ami, Cc frère J,our moi, il est alhC à ta
naie famille; il t tlent pour a COli 111 " et Il CSI re
olot nir d'ulle lle es l'. 1l'utes qu'elle t'accueil Il ou,
SOli toit ... !.!ulInd les c110SC5 !'erOllt {)Il~
<tlre< (III \ 'les
De EOlIt aujourd'hui, Je te conduira,) Ilioi, à Pnfls, si
tu le ycux ... Le \'eux·lu?
Antoine fut presque effrayé de lu trul~fig3on
SUhitl' on \'Î<age de P(;ronne.
'1 '0, Anloiue, lu le \ondras? OhllilOIl Toint,
lm Ici 1
III ]tS deux beau.- hras ont Jetés autour du cou
du
Ulle homme, IIU bni_lf frat Ttlll nll sur _ 1 jGU •
L'ot IrÏer, à 'raud'J' 111 " dOll1l1le sou lroublt'; de nu
tout I file, il regar e éJlcrdm~t
l'éronue, mUI'! ell ,
tOut (11 ayant les yeu:oi: tourné, yers lUI, lIe h \oyalt
pU'.. a yisiOll fondlnlt l'avenir, e pnn dc dl bleD
oppal u au !nih u <le uua'
lilhTl
~ 'OU9 ne clirou
ri, Il encore , Il tre mèr l'aIlette. Il fnut aU Ildn ... DlS é\l~IUtS
l'ra ef fe
pa Hf Ilt CIl ce rno,nent.. l'étl/llue, 1 'S CIlIICIIlIS ont en
l~a\(
c, l'h Z Iit)l1 , d Il nos campagnes; ks An~las
<t nt ù BordeDux, J Bord (lUX, elt~IJÙs? .. Et Il rut
faul re (cr illilnobll 1
I,e blflS droit \alid. d',\lIt 1111' s'"lè\t, 1 t s',d,: 1 ~e
a"l' Ull telle \'ioll'uc:e (jI~e
PL-rOIlUl', cffrn)l-c, 5'!1
lai Il l, "herchant à allaI (;f le J~Ili'
hOlil1 l, dIt
d"nu'lIicllt ,
'arde, frère, tOI] ancÏl nne ble
~ure
~'e,
t
tlne (o. ; pTl'nd gurdll ..
Ht, lOlUDle le \1~n
e Il AlIt hie clemenT lUornc (t
d( e "lé 1é, (Il t rOn l' ln
tilt.' paroI COli IntI te:
- J'nt lit oili de toi, mon 'IullIc
Alor il C ItlltCSS "
campe t lB regard Ilt dlo:t
dalt 1 )CUX, lui fait fi '.TtnJt:l1t le l lut nillilnitt:,
_
cléJ
1'1 tlÙ~
It'tI\etlt
35 v
�13 0
APRÈS LA TOURMENTE
XXI
Encore une fois la destinée, si humble et si cachée,
pourt1nt, cfe Péroune, alhlt recevou' le coutre-coup ùeb
événcll1ents publics
Le Ulpitainc hsson a assisté, spectateur
iml)I~sant
et dé espéré, :\ l'effondrement de son empereur!
Bordeaux. la prcll1i\:rl: de toutes les vi1\es ùe Fran~c,
s' ~t livrée aux AnglaiS ct il pruclamé les BourlJ()~.
Le 1I1airL ùe 1.\ nlll', jlC'Ur se porler il let rencontre du
duc ,l'Allgoulêllle, illCOtlnll d<:s 11I.",e5, la veille, a en·
le;1 é ,Ol! ruuan ,1.: la Lé(.(ioll d 'hullneur et a rell1plal'l:
s 1 lf)carde tricolore l'al' ulle "ucanle blanche. UII
s't t elù,·ré ,lUX cri" ùe : "l'lus ùe guerre, plus tic
lCln .• l'I'il'liotll »
l, IllS ln Iluit (lu .15 IlIn r , à troi~
heures tlu matin,
Il: tOlll-pui o • <lut Cll1perCllr, lIl'r\: \111 luug aÙleu à s·\
{, 11I1I1\! ct li son fil qu'II Ile tic,' dt plus revoir, 1
qlllllé les Tuileries.
l,e JI mors, le., nlllés entrent dans Paris.
1..1 'stupeur t10nlille chcl. le peuple pari~en,
malgré
le dCort, de i.J Illle; ro}.t1i. tes puur stimuler l'enth '\' ,ills1I1e et jJl'ovuquer 1
~ri
de:« Vive le roi l "
lJel'ui si IOllll'telllp., ail Ill! ronnait plus que le en :
« Vile l'cmpcreui 1»
I:Ït:ntÎ,t P'111is ('nt hl1 r 1 ~ uoul \,l1n1., les souveraills
étr.lIl 'Lrll, prl·'~
rl'une e~cort
tic en\'rtliers qui
, \ 11(' nt qUlllzl:' dL' frout.
l'eurlnnt cilHI Ileures, Ils
t1·fil 11t ntre 'c, lau s tl'U11C foule COllll"lct· dllilt
l'adllu 1 It (
1';1 .1',\trc inqlliét.lI1te. !;'empercur
Akx ln I,.e, ,t'III d'ull uniforme, rt :'L é]>Jllil'llc d'or,
nlOtltrc uu ,i dg' uuri ut et sallie Ir\ fOllle Le roi
ct J'ru é, l' IÎr gl ,'C cL tllste, c tient ;\ ',on eût·,
t t
d ·rrierc eux se J're e h cohorte des '6nér lllX
étflllg' ~ que -·lI,n1coll il si !'o(,uvenL \'aincu .
l,e spir 1IlC:llle [>Jrmi le,; hOl1l1l1e. qui he pre ',Cllt
cllt le SI11011
pri11ce dl' lIénévellt he trouve le
marql1i tic ~Ie<;
le, f,w;nIlL montre cl'uu z'le nnlcnt
pour l" BOl rho11 ,[>. rhnt (le l' 1lI]>{ reur, JI 'l'( n' :
llL hOl11l11c 11 • t plu
(jU'Ull c,H\avrc, sculelllent
il I\e pu )I~s
ell\'Ore.
t'Il /'lûclnnntlOn nffichée 'lur lC5 Illur de Paris
apIJren au penple, slrpi~
:
1 \'(HI
dc l t(HI!'. le 1Il1U qui vous accablent ,\
,tu
un
1.:111 1l('llllilC •
��APRÈS LA TOURMENTE
cinq ~uinée;
par soirée, c'est-à-dire qu'il n'était pas
m.llheureux. Seulement, il n'avait pas compté avec
la 111 lladie, et il y a bicntôt quatre ans une fluxion de
pUltlïlle, nttrapée dans ses courses, l'a laissé si faible
ct si (1(:!tc:1t que, pCllù.llIl six mois, il a dft garder la
c1\:\1l1ure, Connue tu pcnses, je l'ai soigné de tout
C(Cllr, et je Ill! l'ai pas tourmenté, .. Bref, quand il a
été 'u(:ri, il Ill'a offert de l'épouser, car tu souras quc
je ~nls
toujours la belle Léocndie! Nous nous SUIIHues
ld.trl.:,,; moi, j'ai continué il faire mes chapeaux pour
le" lItary~;
lui a repris la confection de ses sal,(e~
r\O\b éliolh très heureux .. , :'tIais aujounl'hui que nous
:\\'(>11
ell France le roi lé((lti1l1l: sur Je trône, le énll
l{ré~
relltrl:llt Il'llurellement, et mon chc\'alicr compte
lllen retrouver quelquc" biells ùe sa famille. Le roi
l' li 111(' 1) a lCOUp, C,lr Sa :\Iajesté est gourmanùe! Aussi
,'C Ile ser lÏt pa,; "urI>en~t
si mon mari avnit hi 'ntôt
ulle ]>1 cc à la cour, le roi, uu jour, la lui a promise,
NOliS demeurons, pour le mDlllent, rue ùe Belh:s~,
PT'" It, de mon nnei n hôtel. D.1n ce olltentclllcllt,
i ',II pensé .le suite a la cltl!rl.! petite Péronne, ùont je
n'ui JII11II, perdu 11 mélllnirc, ct j'ai ,liL à mon Jllari
IIU'li fllhit !\'orcuper Il ln hire n:connnître pOllr 11
fille .Ill c(JIl11e de LlcouStJI1<lc, car al'ec notre hon rOI,
'lUI ( l \ln père pOUl ~e
~l1jets,
011 est sar d 'o],tellll
ll1Sti , <' l'c~t
pa<; comme n\'cc:- j'autre ! .. , Enlin,
Je Il'l'n \ CIlX rt'~n
ùire, p.,uvre homme 1"
ElI.: flit bien php Antnine en grinçant des
(knt",
Il nur it continu!!, mrlis l'expre. ion d'aUente
!lU '1 11
'h('z Pérenne était si intcl1 e <lU 'il repnt
Illsi t 1 :
• Il {<lut, VOis,tll, que 1" mignonne vienne '1 l'Iris,
Il.ari a rf'Lrou\" une vi 'illc t.lIltc qui l 'lIlore,
clic Il pIS
toute 1 Révolutiun cl pre que tout l'Em
)lIrt' s.llI. ja11nis ~(,:
tir, dl\: c,t rtl'he et tont ,\ fnit
dll l, lU mOllde, elle rercvr 1 1\'C( h'JIllteur ,'ctte cn·
fnllt, :, In'Iu ,Ile d'j' ,Ile
'intéress', car il par,dt
1111 qllelqu'l11l Illi l\'nit p.ld', de tn lille lHIUrri i~rc
1
Arr 111' Z'\'OU pOllr que i\h,1 'l1loi. Ile fisc l, vong :
011 \.1 j1rés<;l1tcra ail l'ni, ct Illon cltevnltcr e. t sOr et
('C' t \'11 'lu 'clic s .. r 1 1.1'11 reçu(', urtout que la duclt ~',e
d Tl Ir,lC {>t,I;t aflnchée ;\ :'tl'" h comtes e de l'ro\eIlCC qui el' lit 1., rClIlc IUJourd'hui 5i 1 paune
f 111111(' Il'éttit
l110rte ,'(,n, 11(111, il Ile fnul p.l
br,1 'r, (,'l' t t' Icur ,l'c,hte11lr (1 :; gr.keq 1 JI' llis
11r 'PlI l1rttre « pitchoulle • Ii "llltrcfoi e t [lH!lc bIlé,
et, 1I1(1i, je s:1Ur.d J'lwbillr,
• ,\u revoir, ch\re cou me, je t'cmbrasse l't j'cm111611
fI"
�APRftS LA
TOUR:\m~E
133
brasse Fisson, et Antolllc, SI tu sais où il est, et Je
baise la lU lin de Mademoi!iellt! .
• Ta cousine qui t'aimt!,
• LÉoc.wŒ . »
Prends bien Ilote de mOIl adresse et ré« P -S. ponds-moi par retour. »
Quand Antoine eut termIllé, il restèrent tous uu
instant silencit!llx comme si, devant la vision qUI sc
le\'ait devant leurs yeux, le -soulile leur Ill:llHjlllit.
Nunette, la première, rompit l'embarm,.; qui les ~L'n
dait llIuets t!t s'écria:
_ Alli le brave cœur que cette p,1uvre Léoca,lie!
1Ii550n, qui vieillissait beaucoup, ,;e mit ;\ ',!l'lIrer;
l'idée de pen1rt! Péronne le COllsternnit, cepend lut
il fit l'effort (1.: (lire :
- C'e.,t un bonheur!
- Si c'est un bonheur! reprit :S-l1lette.
Et, anssi oublie~
cl'elle-llIl-me qu'un vr:lie mère
l'eCIt été, elle serra on eufant sur sou cccur
l'érc,tlne. toute l'file, les re~'ldJt
cn stll'tlC"l' t(.ur \
tour, 1I1.1is Surl(,>ut ses 'yeux intl:rroge.1lenl le V1:-..lI'l.: dl'
son fn re de 11.lt.
VOliS irez. sœur. dit-tl simplement; i 'en hi,
tnou affUlre. Péronne Ira à Paris .... ira pour reven·
dHJU 'r son nom ct son rang ...
Ce que N:tuettc a dé~esprmctl
cspéré VIti ft ~m
dumnt va SJn, cloute clcvenlr U11e réalité, ct .110re; la
pauvrc cré~tue
comprend CJu'l'lIe n'y :t j:WIII \'rmment cru VOIr Péronne les (juiller lui ('.lu-e une .111gOI~
e qu'l'II' u n:proche
Hélas! Péronnc. CJui les lime. attenll ommc nn
(,i,e,ln ('''l,tif l'instllll ('li elle s'envolera! ..
r-:ancltel contianc:c; JlU! que le roi e t enfill revenu.
10ut doit r,"st~
(la~
I·ordre. Elle éprouve 1.1 quiétude
cl·.lutrcfois, et 1 vue du tir pl.:~
1111' flcnr .Ie lis,
qui ex.l,pcre Antoinc, l:l f lit tr '<;<;,Iilltr d'c·moll'lI1.
Cc .. lit (l'étr l1~C
joum(·c, des jonln':e Ile rêve.
que l'ellc-;
sUI\'cnt hl It'ltre .le té (,lllll', pt pcnd,tnt ll'5IU(; les se prépare le voy Ig .) l'His dc l'éremlle . (ln Il'en sOllnle 1110t Il j'eIS"111l1' dll P,IY • et
mêllle, t nlre ellX. les propos de, Fi
n ,\ cc sujet
sont bref ' .
_ II reste presque tout 1'01' que ;\r()ns~l,I.
nr 110Ug
a contlé, dit timidement Nitnelte ~ son hl q11111t! Ils
furent
III
- C 'cst bon, Illere .
- ,\h 1 dit ~aletc
en i()~Il.1nt
le, main. elle sem.
donc enfin heureuse la fille (le notre chel'c maître ~e 1
Et, ;\ Il consternntion de 1 bmve créature, Antome
lui répond :
rlUl
��APRUS LA TOUR.:\ŒNTE
1.'5
tère quc le dt!p.lrt. vingt-dt!ux ails lluparavant. (le ln
nourri cc e cie l'enfant quittant le ch:lteau dt! S:linlt!Donne
• 'nllette et PC:ronne. menées par Antoine ùan~
uu
caIJnolct qu'il a loué. ont quitté Veyrac llvant le lever
du .I0u·'. et d!es étnient à Bonh:aux qu'on nc le~
savait pas partIe·.
Antoille avait. ?t l'avance. tout préparé pour la
tntbformntion ct.;! sn sœur ùe lait. ct quand, k ~oir,
N,ltlelle vit surl{ir (levant elle ce bd a,lo1t.<scellt. ellt!
delllel1r,t alb i stupéfolite que si rien ne l' vait .lvertic
du dllllgement qui allait s'op(:r ·r.
l'éronne, Cil Cjuittant ses habits de pny~ale.
sembhit ell mêml..! temps avoir dC:(Jouillé son anCU:Il11e
per onnalt tC:.
l'our la première fois. Nanette (:l'rouva vraimt'l1t
le sentiment CJue ce11e qui se tl!ll,lit ill!vunt ~es
ven.u'H;ut pas 51 fi11e ... était celle ,le ses seill:neur .
Elle l·a\'.1it tOlljoUr'i su. toujour l'rU a!{ir en consfqu lice ... :'I\~
l·e.J:tr~
iU,lllcl1(lu (lu'cIle ~prouvl
de\'dlt Péronne transfi~ul!
lui ré\éla combien, inCOIbl('tr1~.
~es
illUSIOns avaient été fortes . Sond'lin Péronne I·intimida .... die cherchait prcsquc <lu
re ';\1'(1 • l'autre », celle qu'elle élevnit ,lepuis vingt
alJ~e
; elle comprit que celll'-Ia (:tait l'ortie pour
t"ljo\r~,
qu'eJle lie la reverrait jamnis, lA fille du
comte ùe Lacol1stande ~'étlÏ
mise :\ un autre pilln ct
n'cn pourrnit plus (le"cctHlre.
1,'.II1'l'0issc J1Iortdle qUI avait jadis étreint le ( 'ur
de 1.1 lomte sc de Lacousl~I)(,
?t l'instant 01'1 N':l1lett'
Cl 1.1 petitc fille avaient dL p~rl1
à st:s yeux. se rcn')']vell pour l'humhle p:l}'!':ll1ne lorsque. on ,\IIII>1I1C t
l',:~on
fr IIlt'hirent. (Ians la cLul,' clouc tle l'aube, le
s'~uil
d l'auberge.
NIIIL'lle n' songe'! pns .\ les al'COl\l]>:Ig'Ilt!r. ('Ik
d l11eur l ill rte. IJlllR ferma le" velL l'our \Ille l'I'l'r •
et 1111 demi-heurc pl\~
tard. il l'ltbtlnt 1>1 ':Ch "il,
(Lill
une rumeu! i"Yl'U c. 1.. clili!{('I1l'(' ~·éIJlit.
Nam'Ue Fi,son. ù gelloux (Lins h c'Ithédr de de Hord 'lllX, il1l1l1ol.l1lt S'l 1C11llre" e. remcrc iillt !lll'U et ,f ~
S.l1l1t p,ltr'ms (le ce (lép;11'l (j'ni lui décln!"1lt 1· ('(l ur.
l,'él1l"lIOll (le l"·rollllC!. à l'orée de (e Illon l, nlOll
VeRU,' l·t: il il\telhc. Anto;1Ic. h,1bitlll: dl'Plll, llllt
a'lIIllées il courir ;\ tr1\'cr!\ l'Europe, Ile l'0llvnlt ,'imRg1llr II ..:11 ltiO!l pre que l'Ifrn,';llIle que (IU,'lIt à
Pérolllle ('e premier pa, ver 1·11I('0I1I\U.
Hile ubl s it d',ler~
unc sor1e d' 'x,tll.lliol1 ,\ se
sentir emporlée.rll'icl ment d'll1s ln lounle vcolture.
('n!('lIdre le bruIt du
t1, ... t cie dlcv.IUX ur 1.1 route,
le <'11<\uem nt du fouet ùes l'""tillon ; l, vue Ile tous
çes VII.I 'es qui sc {Iécouvt ient un ,1 un étllt pour
��.\PlUeS LA TOURMENTB
l'Hôtel de la Poste, qUI porte un coq les ailes ouvertes,
s~ale
une d s auberges de France où l'on mange 'le
D11eux. Le néeOClant de Bordeaux aVI e se compagnons de route qu'une très belle berline e t arrêtée
en face de la porte du Coq.
Les voyageurs descendent de la diligence, le
femmes sont ..aidées pour se servir du marchepIed
qu'on apporte; quelques mendiants s'approch nt t
sollicitent l'aumÔne; les chiens et les poules qui vaguent sur la place pialllent et ..'envoleDt; on ent nd
les OIX criardes des servantes à l'lptérleur, c 1 des
postillons dans la cour.
Sur la porte de l'H6tel du Coq paraft un June
homme de mine éléiante; il donne le bra a une
femme vêtue d'un riche manteau de taffet
gris
clair. avec un chapeau orné de lilas et une longue
voil tte blanche i tOU8 deux se dirieent vtts la berllUe,
maintenant attelée; la ll0rtière en est ouvertè par un
domestique, le marchepied abaissé, et la JelUl femme
y pole le pied.
Au moment de le faire, Ile dit 1 MIl ca her.
- Eh bleD 1 et votre Dère, Gabriel, ot\ est-Il d nc 1
_ Mais je peille qU'If nous Slllt, il m'a ordooQé de
vous mettre en voiture.
La jeune dame y prend place, au snilieu de la curiosité des badauds et de c lie des voyageurs de la
dlli ncc: qui se sont arr!tés pour examiner l'équlp ge.
Le JelUle nomme l'est retourné pour voir ai qu 1 u'un
lent, et ce mouvement le met presque en fac à face
• ec AntOÏlle et MIl jelUle coaapqnOll.
hez Péronne, la reCOnnalllance est inltantanée,
cœur
avec violenct' à on
le IaDg de
lei
deux
le rOlsent.
�PRl<:S LA TOUR}1ENTE
\ntoinc, demande qUI ~ont
lt.:, propriHalres de
cette berhnc .
L,l <lue ttOn est aussitôt posée par le capitaine à
Uile de, accorte, sen·antes.
- C'e~t
::\1. le manluis de Messac.
- EL la (hmt.:?
- C'cst MmD de :\Ies~ac,
!Jardi 1
El, répondant il l'll1tt:rpdlation d'un client, la fille
s lécnl! :
- (Jui, ::\Iollsleur, tout de suite 1
Et, en une secüllde, elle sc lrou\'e de l'autre côté
de Il salit.:.
- Tu as elltt.:nrlu? dit Autoint.: à Péroullt.:. d'une
voix viurante ue colère contenut.:.
- OUI, ... j'ai entendu!
Elle Il c111t.:nùu. mais l'éll1ullon qu'elle l'l''isent n'est
pih celle qu',\ntoille Im'U~l1e;
t.:lle u entcudu ct clle
p JI e avoir compris; «II est llI.trié li, se dit-elle, ct,
ell effet. pounluoi ne serait-il !Jas marié? Sou pere
l' IUm \'onlu ... ~:l
femme Il'e~t
pns jolie, mnis elle a
UIlC minc souritillte ct Ilimnule ... C011l111ent la !Jenséc
d'lIJlt, l'~\re
pa\'s,\llll ignoranle aurait-clic pu occuprIe ('o.:ll1' Il 'un Jeune homlllc comme celuI-li)
Cc lI'csl <!u'l'n uitc 'lue l'Hutre i<ll'e, l'idl:c jffreuse,
s 'IJUllo. I! : Cet lt ,mme qu'elle \ knt dc croiser de SI
l'I,,s l' ,l 1<.: [1' re ,le son pere, n:lui qni l'.l Ijépouillée.
l,Il .... l'Ilo\lllllc qui e,t son ennellli (·t le père clt! celui
qu'cIl ,( 0 é !lUllcr .. l"ronn" ,\ le sentuIll.:nt 'ubit
'IU'II JI'V .1 l'US cl'espoir pour elle, le désir de retourner
en ;1ri~e
'1 mord au lœur; elle lhe les yeux ver;
AlIlollle, III ds il ne l 'ob,en'e pa .
l'/) té d v lit \lue fcnAtn', il •. \lnine \.1. pince; s s
veu h'trcli de 'ohllt ~'Itrêl:,
III 11,1 c,:, 1Il ts, sur 1.1
'illl u tte 1.lIote <JllI \' 1 ct \llllt. "al le 1Il,lrqui. Ih:
l , ,c. enlouré d'un petit group' Ile ner onnes qUI
'lit Cl'onruc s'Illcliller d nlll lui, parle Ilvec iml'(lIl rl~e,
P,lrlC ,'>lItnl(" lin hr'lIllII\! 'lUI. pendant ('es
Jour dllli 'llc de lr n~tl)I,
il ét', cl'ulle ulihté illcllsl ut.Il>I'. r tillant les 11lùéci , tCll,lllt 1
failll's, pnnlv IIlt Il 1\' (' Slté l"Ilriotique (l'ah~<on!
l'empereur,
délir!\T t l\c' zele pour 1 g Bourholl • dl" Ilr~nt
les voir
tOUl1l lr~
servi!'! SIJlIS de h ,'d hors: II'ur Il 'cnt <lualld
on l ,rol'nit jnc/Jhin, leur IIl1cnt (;ncore OliS la h~!re
Ù'LIII
nü ur d' l'Empire f ...
t 'e t cc <lU
'rolt f nnement II nouvelle ;o,ym Ile
M' l, né de I",a Salve. qui lIl:tinten nt 5 féliCite
d' ·t e 11111 l' :l Ull jlotlll11e dont le Ilévouement:1 eS
l'Till Co> ulcn-nillllé9 e t JI1 Iimil ,
LI JI I1vrt· Z{'phyrinc Il 'dt d' llJOnl Hé pélliblcll1e!lt
l'll1ue lorS/lue 1 m rc l'~\"Ît
1111 "
d'un t()n déCISif,
1111 ('''Ur,lut U
projets formé,
ou égard.
��APRt!:S L.\ TOURMENTE
La portière de h berline est fermée. le marchepied
relllontt:, la lourde vOiture de voyage s'éiJmnle et,
dans un nuage de pousslèrt!, s'éloigne à grande allure.
Les voyageurs de la (liligence commencent à s'impatienter, on devrait dé):l l'tre n:p:trtis; le \:onducteur
de 1:1 diligence est venu n,t!rtir qu'ou avait découvert
un léger dommage ù une roue et qu'un charron était
occupé ù le réparer.
gnfin l'avis de remonter esl donné, lefi pl:tintes et
les (Onllilenlairefi s'arro::tent net. la salle du Coq se
vid)'! en Ull Il!Pl1Icnt.
\ntojne. qui e. t re~té
Ull dl'S derniers. se prépare à
sortir i\ son tour, mais, à l'in. t.lI1t où il \'1 franchir
1.1 port':. unc m.ain po_él' sur son épaule l·urrGte.
T,'flliici.::r. d"jit courroucé. Ii':vc les yeux ver celui qui
IL ()sé 1~ toucher. A son vif étonnement. es re~nds
rencontrent ceux cl 'un capitaine Ile gendarmerie qui,
J'UIl tOIl l~ez
respectueux, lui dit:
l'\ld"n. mOIl ('f1icier, uni i 'ai ordre de VOUg
prier d p~
srr n la mairie.
\ Il unirie' l'our quoi fnire? .. La (liligence
p,lrt dill'! UII in t~l1.
\'OlrÎ l1lon pa. l'port, je sui
en
rel{l
gxcu!\cz·moi, 1 ~pltainc.
l1I'li le tcmps pr ,~e.
~res
onlre; sont formels. Illon oJlicier; votn: «()lnJlI~'H
peut partir .... vous, rc tl'7-,
/\nb,llic. r\:(: par l'étonnement. l,touffe ln colère
.Uluntdnte (JIll le ferait s livre!' ,,! quelque violence.
li Péronne. Elle ;] ent 'nllu le cli~gu
et
Il 1 n
1L.t
peine compris Ic sen, l'cpcndnnt unc terreur
Il U'( t
lu i enlt·c presque h forœ tic l,arler; elle
b 11L'lltl
.\ e l' ine :
Antollle? Qu'est-ce qu'II
1 lu 'est-cc I\U 'il y a,
y 1
I.tolll Il rept1~
I;C!\ cqprit~
et gardera on sangfroid: il devine 1111 quet-apcll .
- JI JlIC ,dit·il out I11Ut, '~(lre5!\ant
1 son i une
c<lmpil"I1()Il. tn \"'IQ continuer tfi route sur l'.lri". Je
!>efl' l' t IlU Ici pcut-êtrc quCI'IUI' Il llM!S, l'lUl 'hC
(lU l1]u
Jour'!; Il'Importe. la C' JO.se n':1llTit (JI d'nuport Il (;. Ull nous rt tic IHI , tu le !\ai~.
'1'11 lrl
che;>;
110
luis et je l'éC'rirni. Je leur écrM"li Ilem 1111; va,
vn"
1,1 11111HIll ni, la llilig 'lice, et il faut que tu
parte,; l'II tell1l,-lu ?, ..
- . e11l?
���APRttS LA TOUR.:.\IENTE
14.\
Pouché, aux ,(!UX tic Gabriel, éUut un homme tre ,
dévoué aux ~iel,
l'euf modèle, s'uccupunt de se cnfant. , et d'une cfllnclté qUI lui valait la cOl~itér.()1
uni,'erseJ1e,
Ll' rluc d'Ulr nt<.:, mis au courant rIes dC:s irs de ~Ol
vlet! ami , av. lit voluntiers agrC:é l~3.brie,
ct, au cour,
de ,~s
six lIloi, l'as '65 à la pl,tite cour dl' lA dJ'l ch ,
C~I>lta
c
ùe l'Illyrie, où Fouché régualt <l'uue ft<;!J1I
béllé\'oh!, le l'ieux rl'llanl gngna facilemcnt la ,'ull '
jeune suburtlulInl', Fouché, qui n'ouu1t ,ltL
fiall('C de sot~
nen, clel'itl3. bietltôt 'lUl', (t'UUl: fa!,:oll inexl'qu~,
C'lbnel de :'I[e~sac
al'alt été mis au cuurant Ile l'p,'btell' e d '11111: fille du comte de L:1coustande et llem en1"llt, en conséquence, cruelkt11l'nt ind6cis entre ~,1
dCI'I}ir filial et l'accomplisseltlent dl' ce qu'une jeulle
illlaglllutlOn pouvait consid6rer comme un de\'Olrllpéri cur 1
S'lIIS jamais manifester la moindre connai ~:lI1ce
,le
la lutte qui se linalt d'lUS l 'tuue tle G·t1.Jfiel, 1(, duc
d'Olrante s'arrange'l pour augmenter cettt.! perplexlt{',
4'''1' !'ouelté e,limait qu'uu sCillldalc ùans h hnllik dt:
M (le .:\IeF.'le serait un t:\'t:ueml:nt tout il fait f:t<·1tcu:-.:
et' dont les conséquence" réto~peciv$
remllcra Ï<:nt
be,lUcuup <l'l ElU ~tagln!e,
Il ju'Seait h jeune héritii.']'('
Mp c,sséd,"e fOit bien là où sa destinée l'avait phc(·e!
Dans cie, entretiens paternels, Fouché faisrut allu·
siun fi t(tllt Ile choses extraordinaires qlli avaient ClI
lieu pctlclant la Révolution, à l'imposs\uilité t?re, <Jlle
nb,olue rle (lémêler la vérité: nul plus que lm, ri ,liT ,it-il, n'étnit mieux placé pour le snvoir, el (,;lI,JrIl'1
~(,l1Ït
naître d:llls son cœur quelque chose qui re '
sl'm'lhit nu doule.
I~n
somme, ~a l1lne ne lui nvait donné aucune fi Oir111, ' ;011 lliolivl:e ni positive; elle croyait à la sincérité
cl Nanetl' !~i.,son
mais, cIe preuve indéniable, nul
11'('11 [>11 sétl,ut.
1
/ ,hri!'I.1 :\oIes 'H', 1\ qui l'l'ntrcpri<;e de r6tnbtir
P(orontl' ù son rang véritnh!e .wait paru si f1cile
\'otll " rc t13.:t !Ju'il tle pOll\'ait, sur d'aussi in5t.lbc~
J1Hh c ~ , acc u ser son propre père de l:t plus gr Ile
spolt'l[iot1 ,
[Il' dernièrcs paroleq que ,:1 mère lui avait adressées
n'Cotllm IIHlaient la jl3.ti r 'll('e
[,a p1lictlcc, peut-Lire,
jitlr~
l'Ir obt 'nir de. prCltves irréfutables de la fiit ,tion cl" 1'': r<JnUe .. ,
l,l' l1.1s.1I".1 rbervc T>'lrfois cle f'i (:latwe~
Ilurpri (> 1
En rentl'nul :1 l'aris, vcr~
1,\ lill de d~'
'1111J1 C l~,
alnr 'lu. /lon chef (,(JlltIllU Il Cll It.llic '~élu
IlL\tique I11I<;sions, (,'lbriél H~it
l'lu. qUl' j lmais t1 .. dé
li nglr '1\' C prucl 'nce ct réservc, IgllPl.ltlt III vénllhl.!
nature de son père, il le croyait trompé de bonne foi
�144
APRt~s
LA TOl'RMENTE
�PR~S
LA TO'CRl\Œ 'TE
�<leux r,ls n l'armée; elle n'avilit plus de force 'lue
p0ur f Ire mOllvoir méC(llliquemelll ks eartes et : '0" 11per du l'hien oe :\1 11 (l'Hbulicr d Ile son chat a clic
Milo d'fitanlier nlbit à I.t me~s
en chaise ;\ lnrkurs,
Dl:I~,
Cil deltor" de cette occasion, ne sorlait jamais;
elle a\ .lil SOli jardm pOLlI' prendre l'nir, si elle Il!
'dbirait; seulement, elle lie Il: désirait jaulIls,
,\ re régime C,lsOlllier, elle était devenue fort grasse,
('(' (111' lui ~l':
. \lt.
8:1 figure de quinc:tuflqénnire avait 1:1
plu ,lÎiIlalJle e,,-pre,sion; clic se 'olffait d'un turlJall,
ce qlli ,I<'hevnit de lui donner l'air d'Url pacha réjoui;
de l"~ur
tri:" sensible, elle distribuait des auolôoe
Jnr l'Îllterm'::di ::lll"e de l'excellent <1bbé fllaraudc.:l; elle
et (', ,'ommen,,:lUX usaient nborldammellt de tabac
1,1 fenêtre du s Ion ou vivait Mil., d'Etnulier était
r<ireJtll'ul CJl1vertc p'll(lant l'Hé, jamais l'hiver; on
COll.llt dll p'I)!ICr ur le joints pour éviter les vents
,,,uli , ['n fllmabl<.> dé,orùrl! régnnit <lans l'hôtel, à
l'ms~r
dl' ('elui qui, ,Yingt-c~
al~
auparavant, était
l,t "glc Ibn le,; corndors de \ ersaille , Dans le heau
;V
lihille de l'hôtel, Lanné, le vieu,' majordome-v'tIet
,Il' l'liai ,1,1' , cnt" ;sait le chaussures, ) 'S lampes et
h· hou :coi r, de h mai"oll j très "ouvent, il y prE:no.it
s , rep.l , 'tfin cl'être rt portée de réJ>olHlre à ln sonDt ll' de Mademoiselle donl les appels ét:t.ient inCl sanls.
1, l'ortier de l'hôlel él1it wetier de son méller,
"
1111 ne 'êWllt guère h propriétaire, à qni le, dr(0' t nec, H\ 'lienl appris li respecter ll!s apparences
d l.,ocraliques
1 10 (l'gt:l.ulJer n\', it ét.:: r vie du rclour (le sou
li
Il, fil (l'un (lemi-frere aillé; elle-même tewllt son
l,e. ,1 ct n fortune ('011 ldénble de S 111er', m I~
t:', II tit toute di \'" {,c; ~ Il f ire bélléfi"i r 5.1 fi1111.C' 1: l' Ild Int, (epui
vin 'l fiS, on \'!hit p rdu
t1 \11 1.1 rI'llt 1111er, ou sim aSI.elt pro 'Iïque, IVntt
] 1 pin
iv( imllgill' lIOn dont 1 Il ~e
Ilourrissnil dePUI, \ ingt an ; tl liS cette C_'I lcni' étollffé, la
li
talgle (les flvcnlure, ne j"!\'ait j IllllÎS quitté
et
lllr Jll' ~lm
,l'gt ltllier lui 1'.lria de l'éronne, ellc' fnt
TlI l' d(
c trOIl\"r lIlêlée i\ une hi ,loirl! aussi Întére:;Inte . S mère, nêe l,"ganlère, Hilll UIll' lointrJ.inc paT 1'1 des Ihrs'lC, el, (bns res con(lItions ;\[11 tl'El.luli r on il '·r lit la fille du comte d 'lACO:\ l'1n,le
()Oll1l1\e )'I.:lt~n
nt .1 SI f;1111illc ct,l\e prép"!' lit, vec
le Ith Vif Jlllhlr, Il ('cuellhr une 1 une pcr (Innc qui
ltll f 11 ait r fi t d 'nne hérol!le d
Tol1l'111.
[11
d'htnuter, vcr. (1 lIX 11 ure , f~i1t
,én"ra1 111 'nt 1\11 pctlte iesle i elle Il fnt éveillée JI Ir le
tiù
I,.l1Icré (lui vinl, d'ull llr de complicité, avertir
�Af'R~S
LA T01:R:\IE. 'TH
l'
14i
comprit p ; ma~.
prit ét.lt l.ro!.) t :
�APRÈS L.\ TOUR:\IENTE
d':woine pour le~
m .in", moyennant quoi elle avait
la peau ,i')l\C't' (\ fine et, toujours parfumée à la
poudre d'iris, fhi"lit fort bOIl
x.'rv
- Deplli; l'arrivée ,le Péronne, le chevrtlier d'Etaulier
"11 Jlu~icrs
~l1tn.!vue
:lvec le duc d'Hscars, premi r 1l1.1Ître d'l1ôtd du roi, {;l\ori de Son souver~in,
a\'cc lequel, nirbi que le MOIlUel/l' l':tpprend riu public,
il thlvaill..: pre:,uue quc,tidiennc'lllcnl clans le cabinet
ror Il ; l' 'e cOlifedTIlIIcI,t dcs S,luee et <le5 couli
rl'llllt: qU1lit':: cx('e[llte,lln \le ,t Iiont la dégustation c~t
d'llli haut intértl pour le roI
Le dlc\'cllier d'I\taull('r Il''1 .ial1~s
brillé par l'c~prit,
et rI l'répnrtlion a~,ldu
des sala,1e; n"l p!l5 contriLué ,1 le rtlldre :,I~
I,rillallt; mais, par contre, elle a
dévl'loppé chez lui 1,1 b(Js,c g strfJnollliquc, et c'est
gr'i
:'. la confl'dll'Il d'une Illt: l''' el lieus • purée de
CCI,e, qu'il Il ill\'cnl 'l'et dont il .1 promis la recdt.e
au dlll' cl'f';sl'ar, qu'il l'~père
obtcnir ]Jour i.'l fille du
('0111 e IJe 1..Il'oust.lIld la r l"cur lIlsi 'IlC Il';'tn.: MIll ise
i\ l'llhkr clle'lUlm' '{,;1l1 ," IUjJrè" du roi 1
I.e Ilu' rl' Esc rs \ cul l;e~ucop
de biL'1l ;\ son ami
le (Ilt'\ tiret' d'!\tl1lli l' 110111 le ton otlrs disncl Illl
pre It'ux. De" cs al r''i,';tés rIe 1.1 purée de 'èjles
e
; cinque
t-Ilt été fdt li. 11Ilh ('los a l'hôtd d'g~enr
fOI"
d'Et lUit r lpporle quclquc, pcrfcrtionncl1l"nt
llOlIH li 'J'li cnthnuSl1 me le premIer maître Il'hôte!.
r'l C'OlltC:llt,
c plaît ,\ répéter le fieldc
I,e roi
ri
1I111l11Îre., le chevalier tl'Uhu-
�APRÙ;S LA TOUIDIENTE
à h bienveillance de Sa ::\Iajesté. Les ùeux hommes
ne doutent aucunement du succès.
l,a dég-ustation de 1:1 purée de cèpes, réussie au-nel:l
du possllJle, a eu lieu et il mb le roi (le si belle humeur que le duc d'Esc,Hs n'a aucune !>t"ine il présenter s·t requête qui a été agréée.
Luuis XVIII a éconté avec bunté le l'écit <\l1i lui a
été f:LÎt; ces petits incidents le di5traient (e, pIns
gr'\ves préoccupations politi<lues, il aime d'adleur' à
jouer sun rôle de père dn peuple.
Péronne al'prend donc !lU Juur qn'elle sera admise
ell l'auguste présence de Sa ~Injesté
1 :\I1" d'Et.lulier
reste stupéfaite .lu calme n:latif n\TC lequel la jeune
fille accueille . cette nouvelle: pour r.L1lu d'Etaulier,
pour ou petit cénacle IIltime, le roi est l'obJcl d'une
vénération ]la.siolluée, il est :\ la fois :1Iloré et redouté. :\Iai l'ignorance l11l:llIe de l''::rollllc lI1(t~re
~() n
émotl0n, .\ peine si clic se l'll1d (,0l11ptc (le Ce qU'C3t
le H"; dIe k ,ait tout-puissant, le noit 1JUil , et lUcUlle pUl é' <l'étiquette Ile la trouble; elle lJU~sède
la h,lnhesse des enfant.;.
Péronl1e. d'Ili~ur"
Il eu le l'ln. ~I'nl<
snccès "\Ipr~
des intimes dt: :\[11. ll'Etanlicr. Tous ces Ren, rtiulr\bles t!t oisif" s'cnnuyalent j tO1~,
plus ou 11I0ins,
avaient souffert ùe la Révolution, ct une vi\'nnte victime (]cs injuRticc de cette funeste éporl'Ie les intéressait nu plus haut point! Ht pl1lS, Péronne était
ch Itl11lntc, elle avait ('onsen'é quatre jours son
co,tul11e ma~culin
que chacun l'rocl.1mrtit lui aller
à ravir.
,;\[11 d'Etr11l1!er wait même (1':: 'hré q\1'il était tout
à fUlt t.îcheux qu'on nc pfit 1" pr'senter au roi ,ous
de h Iblt,; qui avaient que!(]UC chose de romnne'fjue
et ind; [ulÏent la per:;éculi(lll dont 1" pauvre enf1llt
Ho it l'objet.
l'{'ron ne, depui5 l'Instant de son l'ntrée clans l'hOtel
cie Il rue S;lint-Guillaume, . sentait ('olllme étourdie;
1',Iu nee prolongée d'ùntoinl', SClIl silencc inqniC:1 tut
!:l d~s
pérnient ...
Gahriel ne rcpai~<;"t
pn~
.. , mIe le rompcn~it.
et
l'i(!.:e qu'il ét:1it mr1rié, jet"it un voile .11r tont 1'.1velur, d. pIns, n'avant jamaL <le Sil \'ie pris ]>lrt ,\ ce
11111
',ll'pelle nne ronvcrsntion, die n'était c {uble
(:ue de rép nl!r' aux question, ct ce peu elle l, hi! Lit ~\e
gene ."efit été 11 débonl.ll1[e l'l "l1th"u,' .stc
( rdl.lité <le Léoca(lie, la jenne tr n~fl\gc,
tran pl'lItée
d III \111 RoI si nouveau, se [(It scntit' J'l·nlue 1 .\his
1I1,n. ,l'lit lulier était rc t~e
1.\ prilll!'- r1l1tlère '1 i ette
) ord l s , /lU \'erbe et au {'Q'ur d.unel, l"i~:I1t
1.\
nt Ivcill.ll1cc plr sa simplicité
t
1 sincéntl-; elle
dêcllril Il nfaitement recot1!l.'lltre (hn. le Vi'.lgC cie la
��APRÈS LA TOUR;\ŒNTE
On nngeait, à cette heure, en pleine réaction; on
s'empressait de retourner en arrii:re Ilvec une mécon·
nRis~auce
absolue des temps écoulés et de tuut t'C qUI
s'étaIt 'Iccomplt depuis Villltt ans. Mil" d'[~t,lUer
la
présidente et l'nbbé Maraudel ne dout.lient aucune·
ment tle l'immélliatc restitution il la fille du comte
<le Lacuustalll!c de son rang et <le sa fortl~;
,·cul,
r.r" 1<'1 Longue, l'n sa qualité d'homme de loi, manifestait quelques doutes ct engageait à la ]lrtll.kllce 1
xx.v
Dans ce cabinet des Tuileries dont, selon l'expre sion du comte d'Artois, flonaparte n'a\'ait pas laissé
rlétérlOn:r le .nobilier, le roi Louis XVIII ét tÏs ,ISSU,.
Unc cle. fenêtres, ornée d'un larlSe store qui hmlsait
la lumière troJl. crue, (:trlÎt gralHle ouverte, ct l'cciI
(lomin;lit le'noble panorama formé p[lr le jnrtllll ct
lc. Clnmps·Elysées et que ter III in'l it l'arc trionq,h.l1
érigé en l'honneur du C{'snr tombé.
11 est vrai au<;"i que Il' n'gnrd devait en l'a% IIlt
s'nrr0tcr sllr cette place fntale qui nV:1.it été t"llloin
du upplice lIu roi et (lt.! l'infortunée Teille 1 ;'If l'" 'e,;
le per ol1ne cxcep éc, nc ~el1rél11illl,cence" ;\ une ~et
bLllcnt p~s
,,'i111[>0 er ltUX t!()l1VCflUX h:thit lnt ,les
TUllent's. Et ruem\; j\[mo la duche s': li' \11\(Oul&llll:,
<]lIel que iCit le cctr:t.cll:re rtngoi.,. Oint ,les médit.ltlolJ
il1tériclITe qui l'a ,omorissaient, n'en était l' 1 1I10111S,
;\ l
tte première heure du retour ell l'mile!.!, Hb or},c,e
par le l'lu puériles rJUC tion~
d'Hiqllclle.
Le roi r,OlliS ,"VIII n'O\'lit lors 'Ill' ,inq1l1atequ:ttr!.! .1~;
IlIJis, 00':5e et pre que impotent, Il lorm'lit t ,bn sa lourdeur, un singulier l'(,Hlr I~le
.. n·" lc:
dCIIIJ('1' maître de~
Tuileries 1 La figure ,lu frer' le
Loui XVI était plutôt beIle, quoique de peu t!'e.;:pressioll et Ile ré\'éllit en rien l'e prit si fin C[lt].'· ous
rcll' {-l'li e enveloppe; l'ironie (1 l'homllle ad. ' lI'y
tl'II' pel it /),\5, et ccrles ln foule, qui, 1<' sOIr de ol!
entrél \ Ptnq, se pressait dnns le jur<lin pour l' ('r].lIII ·r. Il
SOI\[lçOlln,tÏt guèrl' k., mot sortis d,'r, l~\'rcs
ro~l('
. "ntr'ouVf'rles pour le srmnre. S'il1cltl1ll1t vers
S(J11 l'eupl!;!, 1.:: s~lunt
gracieu ement de It 1111111, le
rOt tout n lie touro:tnt il droite rot Il g uclt·, III urmu'rait
el. hnut pour que son entour ge illlill ·di.lt
l'entendit;
���APRÈS LA
154
TOURM~NE
Oui, Sire, pnr ma mère.
Yous :lImez votre nourrice, mon enfant?
DUI, Stre, Je 1'.lime.
:'Ih!>, en dis1l1t ces mots si simples, sans ~avoir
pou rq li 01 ,
l'érollile commence
intérieurement l
trclIlLler.
J ,e rOI reprcnd :
.. \'ous
l!/. eu des amis très dévoués, très dévoués
cl.11I k malheur, œ qui est toujours rare ... MJnG d'Etaull"r, !'.lr ex.:mple, qui s'avvelait Léocadie Lebon
Il'l lIcl l'<m
êtes uée - le rot a consulté une feuille
ue papier [l1,lcue ;). la portée de sa main - et dont,
"joute-t-Il en regr.trd1nt Péronne en face, vous portez
le nom 1
:\loi .. Moi, ... Sire, je porte le nom de Lebon?
Péronne a bundi, stupchitc :
__ • Oc le snvicz-vous pns, Illon enfant? Calmezvou'; il Enliait vieil. dans les temps mauvab, "'JUS
clulllH.r UI1 nom; celte pauvre femme, par dévouement,
"'>lI .1 dOl1l1é le ~ien!
Je n'cil n:ux pl , crie Péronne, je n'en veux
pC! 1 .. :-'Toi, P('ronne de [,acoll LlIlde ... Ah 1 ils ne me
1'011' i 111111. ,lill
l'clIl- ·trc, en ffet, Sc ,ont-ils lroUpé~
en lais~.tl
(r"ir
\"">' élil'z h tille cie ,'elle jeune
felllili
rh 'ollt f It p(,ur vous saliver,
\11 1 1,'1111' Vier"l', pourquoi Il'onl·il s,ltIvée? ..
Alor
le p I~S - pour 1;1 tille de Il:ocadie L<~von?
- Jl le {'r,lilh, 111011 enf ml 1
-- L TOI lUr,1 pitié (1 !1Ioi, ura pitié 1 cric Pérollne.
J' LI I;e III ".11' de pitIé, Illon cnfnnt, ct, SI cela
peut \OU, c'onklltcl, j ne 1)\11 vous VOIr, vou enlt-nl , III elre, en effet, pcrsu;IC!'· IJIIC vou, ête~
la
fil 'd no,; infortunés HmlS ... fe d"sire qu'une h ,Ile
Il il rllllnte uré turc l'Oll\lIlC \OtlS soit heUrethe, et je
'~L
X \ ou y 1111 r. j\lais, même le 'roi" mon cnf lut,
(,It oLll l:' ,1- fllre ,les ('OIl('C ,ion~.
J'y ,Ii {-'té contr '1111, J ',Ii dCI nl,llOll!'! (lU -Iqlll -UII ,Il' 11\ !;; clr/)It~,
..
l' ·ut 1 . er ci-Jl' (lhi~'
cl vou (h.'llIand,,1' d 'm'I!1Iiter.
I,"I.IS ,'\'11 [ pl' llc\ ulle ,le 1t1 in iner elle 1'.::rOll Ill' Pl Il Gln ~c
rl'.ICiCH Cillent:
J - l'l'Ille, J1\on l'nf IlIt, qu vous accepleril:z (le
fll
'1'1 l'l'lit sn\'ritice pOHr \"I,trc roi>
1. 1 l' 1 1011 'wnde ,,1 fort tllln le Cn'ur Ile Péronne
qn' .. 1 Ulle parole Ill' VIent cl' h(ml .\ s - l~vrcs.
Le roi
l' L ln' ,I\'cc int(rêl, il l' t ujet HU. cngouemelllS\
et ;, tille ,III comlc de r.~(J1
tan cl le c1urrne i
li" t P 1 ;ICO~l\1é:
l lnt Ile [lont.lnéitê. Il rél;ète
d'un tOIl COIICtll'lnt
N - le feriez-voll pl?
- )fuil no III , Sire, dit 1'~",I
halclll1te Oh 1 Sirér
a,
'1"('
�APRP'S LA
TOeR~LE.
'1 JI
l
qne i<.:; autn s g'll dent
tont .. J'ai toujours He paU\ re, Je lI' III C!I
pa , mai ... mon nOlD, .. lJIon pl~C
et JU.l mUI
rendez-moi mon
llOUl,.
S
ut,
hd'
l,a plllùse "Qchè\ e dans un suu 'lot
L rOI Irls~
l'à cr l'a ~CS.
CltVre UUt: bonb Il
e,
cll"bll 1111 !,uubou tt le Ii,,\ IH~,
jllllS, qu. ud il
.1 r
ÇOlt 'lue l'CIOllllt! s'ai/aIse, Il lCplClld
1,,1 l{éYolutllJ1l 1I0US Il tou
{Jhg~s
-
:
à des S:lcnfin: '. t()U~.
CcrtalIH,q (hC<L' etH t:t( aecolllp: es I)UI,
bau" doutt,
l.C
1l1JlI t, c,; lUOIS IIOU
<.n Ille
poUl tant ford
JI le c t hl' 1 ur urévo, alles
1.1
rOI lui-lIlLllIe Il l'os tde 1.1 t'ut pt U\'o'r .. t.t
si It: Il! po. ~(dais,
bien de ch <te PCU\CI{t onu· III
\010111( .. Le murlll11S Ill" .lt sac c. t 1111 (cr\ It \..
dholle 1 t préc'enx, Il est lIIadml lllie que Je le dol
~ de. ,i tllll: fo. nou adntctl1 m la (olllm L Il
Il' ntllc.ations ctllblault.., il S'cil knr ..l.l d t Il
COIlHl 1].. la Frauc . OUI, JUOIl luhut,
Otll (
(' t
CI ue), Juar:; il n'est pus
UIlS remèd(. A llll S \ 1 U. ,
.,lt
YOU ~les
la fille du ('omte <lL Laeou<la1lde; "'TJLI; 1,),
il 110US e t impossible d'Cil faire la J Il U\t,
11'\ v;;~,ib)l.
LI' seul témoigna c;. st celui de • "111 Ut Ils
8011, et il < t su"pcet; VOllS porlez dl\'Jnt la 1
le
JlOTll dl' Leb01l .• N'y pensez pas, je CI ois R\ OIJ ln u\ é
le 1II0)ClI ch teut .111\ CI
-
Ll' moyel1,
-
Uui
Slft!'
\" c dlfficull ....
Vmu eOI11I1ll:llt • (J:loricl (1c:\1
• Ill;
e t !:T1 dl. rmallt h, mm" a fnit P,lr\l.1l1f jl1
'.1 1I1IJI
]'CpIL iOIl de
t!S dé If : 011 llI'I COIIJUfL ,'Ohl(lllf
que le 1l1alql1!s de :\le al t!01l1l1
011 Il'.lll'llllll11t
au 111 riuge de 5011 li 1,; aVl:" lu 1 UIH1I
de 11\ lIette
l'él(,une rt:
FIS 011 ... Ct
plr~
(Il
on ent lIlent, je IJll.S ct
Hunl 1 1111
\ If étolluem ut
�1,56
l'':'ronnt' cl'(lit rh'cr. (~1I.>rtl
de :--Ie<,s:lc l·nime •...
L·V.t le 1'01 qui k lui dit. Il contilluc :
- Il 111'.1 denl'md', d'l,tre ilutorisé a vous p.lrkr
1 i-mLnlc, Si \'ow, \. (;"Il~Ct7.,
vous Je v~rez
ici .lV:tnt
dt' l' .rl" ; il VOIt> ë.pliquera mieux qu<: je TIl' l'al f L.t
(t
5 -;
t' ,p(·rHt1C'(:;.
l ' vo' lt sOlltl:1il1<:
'>e ll:ve d:111S le c(Cur de 1'6dit qu'ils vpuknt ac1wler son siklll'C,
1111 \okl' Soll JlOIll. hire (l't·llc pOUl' junnis 1.1 llllf'
rit: Léo"lllie LdJ(,Il ... Tout d'un COU!>, elle ne rro;t
pit:. ell (;,11,ri, 1. [',Il, toni en silell<:e ses 111 tlUS ct ,lc
grouC, hrnl':, jloinleut sur ses cils. Le roi, surpris :L
SOli l'lll', Il (plc.liunne sur Il cause de son cllolgrin :
- K'ête.,-vc,l1<; pas satisfaite ainsi, mon ellf.lnt?
Ht, 11\'('(' UI1 fin sOitrire dont Péronne l1e comprend
p~
Il ~iglfc'Iton.
il ajoute:
f' ,i bÎcn, moi, octroyé la Charte j je von,., man r ti t or.J11le m1 pupille". en souvenir de plusieurs
Dut
rfJJ11I('.
1~l'
S'
J'l'rsonne , ct. <le cette hçon, vous 'erez un très bon
I,artl l,our (, uriel de illes,ne.
-
Je m:
['IIlS pas, Sire 1
Ile pouvez p'l~
quoi, mon enfont?
-.J 11e puis pas l'épouser" .. c'est impos.;ible ...
J'a u r,li l'cu r ...
['l Ilr. .• cl(· quoi?
- 1>. " Il plon·, , ()ui. oui, il a {'lit arrêter Antoine,
ct lnliutcllllit il vel'l s'l1p~re
th: 1I10i,
jl' \'OUS prie de le
- .1 Il • WOI1 "l1falll. il l~Inrt·.
croire, [011., III
projet- ct [.1 t1t!l11,lrehc Il son fil ....
Il 1
iJ.lllor ultlt'I'(,l1lent. .. Cep 'lIdant, i VOt1~
entez
![u· cl li' {' il1ili(,1l \'Clli ne ('riez pb hcureus', je
\OU
)r! hnil jours pour rétléchir ,\ tout ce que
l \(11'
Il rli~.
\0\1<; lie verrez pers',nl1e "uJc>unl'hui,
nl'l; l rdcroll Il' Sl'cret lou~
le deux ...
«
\11
-
\-ou
'7,
111 '1 ('!lf.lllt.
all('z,
•
- ~I,
111(111 fr"re de !lit?
- [ ln, 1IIIIt j"lIl' \11l:l "''tint 11;111t.
1";',1111' ... (
.'genollill"e j'('1I1' loal t:r la l1loin ro·... ,le;
le dn' d'l\~1
,1 rcpHIi. 1 Illi Llit ,ignc Ilollcelllent,
l'obit
IIIX r{'vl'rcllC'('
qu'cIl- (lublin,Ht d,III
son
troul,k L t VL:illc ,\ cc qu'dIe ~()it
cOllllnite
1,1 voi-
n
tttre rit, Inlpitante 11'(:l11olion, LéCic IIlic l'nltenù,
•
\'f
Il été illCilll1hlr; de concevoir
l'r('Jd, 1 illlpl Cil 11'1'11' Il C. qUI nv·dt sbllit
1'01,111011.1"'1' bolilt ur, le IiI dll III.trq II. .1 \[ !ci.ae
(,1bric1 .1.;, ;\TCh 1{' ~nr
�APRt!:S L,\ TOUR:\IENTE
T~7
possédait un ami nont la sagesse et 11 finesse étaient
coutumières de d.!brout11er les ~ltua(>s
les p'us <:rnbroui liées,
Gabriel aV:lit tout natur<:llelllcnt revu le duc
d'Utrante; cel Ill-ci tendit il l'allldll!l1leut d'un Jeune
homme de beau nom et de b'>I1 1 t!IIOIn dont, ù la
ri!{lIcllr, il pouv'lit user comme d'uu ulile in trument,
Le second man;"UZC de :\L de :\Ies,~c
<t\ ,lit rOll1Jlu
tout rajlport. d'intimité enlre le l'l'rt' t:l le HI~,
"t (},lbrie! sc \'(}ymt .san~
al:leun l'o1fid~nt,
au moment pr"clS
où il élJmuvalt SI vlvt:ment lc UCS01Il d'l111 l'fin il.
Fondu!, déjà :werti, ne fut pas j(Jl1~
à di,cerl1l"r Irl
prl:Ol:cnpation Ill' son jenne ami; il découvrit 'lt~
peine que la H11e nourricière ,]<:s l'ISSOU '::talt 't l'.m
et n'eut aucune difticulté d'obtenir dl.' Gaki 1 l'.neu
de ses sentiments, Le jeune him1 III f', lout !,él1~(r':
dt!
l'i']l:<: ùe bire amende hOllOralJIe, th· r('pa r<:r l'Ill] H, tlce commise, était par contre l'l'Uell lllf'lIt C'1It1111T IS é
sur le moyen d'v IJarvenir, ("n "-" Indule lt \I1l<: rupture répuR'naienf ég-<Jlem('nt li '1 nature, ct, d' Idlt'urs,
p:lr le .c;t.:ul re.c;pt.:ct qu'il porhit ,\ h mémOire d\: sot
mère, il ne pouvait les provoquer! 1- tire .tcc pkr <le
bonne volonté Pl:ronne p~r
1\1. ciL :\lcs~
C, e\'llenlrnl'ut, iL n'y fallait p;tS 50n1{l'r, I\t alors, COllll1Jent
agir?
1):1l~
on embarras et S"11 ,1t:!g'1 ill, Co1ll1'i 1 ét lit
testé plusleur jour", enfermé, ~Ol<;
prét('Xl <l'i l,li '1''''
sitlOn, dans l'on Jletit app:!1 ('Ill(;ut <lu-dl' "'il d
commune,; puis l'i (:e ùe consulter, (\ 11Iols "OIlVNt~,
le ,lue ù'Utrante Iu.i ét.1lt venue Et, !1'"\"llll l'horwm
que cet habile ami IUl ouvr lit, (j bri 'L li .\Ie".IC
crut S;t fl:lir.ité assurée 1
Depui 18ro, la fleur des poi. du fau!JourR' ôl:\it
acq1115e ;tu duc ü'Otr.'lntl' r,cs un ,n'aient été llll:p'agé~
p~r
lui, d'.mtr
étnÎent l'Il 5('1\ pOU\'Cllr; tOIl!!,
d',tn comlUun accord, 1 . er\' lient Lluprè ,lu T>,i :\
le prônait,.comllH' l:h.(lmnll indi [l Il Ihll-, nI; .c;i
qui ~n
put-t! user de 1 mtermélll Ire de l'un<: de (' Illcille i l'es mies royalistes, ,\Im•• le \'Il"~tJon
en perSOIlIl 1 ponr faire parler à l.,oui XVIII d'lin, IS <J\li
int 're . ait, en ROUlme, toute la nobles~
Ill' France.
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li, I,ouie; le Dé!\iré, trop habile lui-mCmc pOlir Ile pas
Il] pf' cier L'}t:lbilet ".
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C'll 1t r':us~ite
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IiOllll.\itable,
��APRf,:S LA TOt:R!\[[.;, 'TE
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159
11 est tllJp
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COl1ll)i'CJl1lIS; un Il tr,)u\'," sur lUI de, p:li'Jel'" dUllt ie
caludère sédlt!l'I,IX t:st, l1,~éJtabe
.. NOl~
SUlllme" eil
parl'Il C:lS furce .\ ln Sl:n:ntl: ,
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- •• rniq, de uatun:, 11011:, ~(Jmnl'S
enclill ;\ l'lIltlillgl:il e .. , Je \'015 un ml) 'en de rentlrt! Il l':ltX :'1 deu'
f Iltl il Il: ... lulI enfant, aCCl:pten oz-vous de rL'lIOIl '·r
u ,'C que vous crOH:1. Gtre vus droits pour all\t:1 l,!
llL dt: votle mère nourrict'
l"L... t CUliIllle uue ILl111l11C qui pas,e sur le cœur rll!
l'élonlle; 'omette el 'Oll ,k\'Ollellll'lIt illfilll, Fi ,~()l
si Itlkle, " bun ... Toine, k frère, l'omi, Il! maitle ..
Il,., !1.1lllul'nt d.lltS Il: jeune cU'ur cie l'érllune; 0111, III.!
Jes pr'·Cele ;\ tout, ... il :;011 nom, .. ,\ t.,uL .. [.'lle.ltaliun .\ dnr~
une seconde. D'nue VOIX viur,lllte, elle
ré}Jollcl :
l'our enx, oui, Sire, pr,ur enx 1
Et lIll Hot de larmes suu!..!ge une (:motion l'r(~q:
trop forte,
- Allons, mil fille, ne pleurez pas, dit le roi nvec
une lJonhomie i ufiectutusl! Cine le" larmes de l'~rone
se ~echnt.
\,'Qtre frère de lait sera libre j vou , mon
enf tilt, vou:, êles dès l eUe heure ma puVille; je vous
duullt! le Ilom cie FaztlJ.ll' qui est celUI rie Li tl:rre
dOllt je \OU~
LJi pré elll el finI.! vo re llIarl pourra
ajouter nu sien.
l,c' roi "ourit maliCIl!U,elllent :
l'eut-':tr\! "cJui que \'ou choi irez ne me sem-toi!
pa lI'
,ltlaché, ni i Il Ill!
l'
I!'l
mon ~nlcmi,
J'Cil sui sOr .. I.e vieux ",mg de l'rnltee se mGler'l,
d ms les v Îucs de vos tllfnlltR, ,lU sang jeulll' de l'elle
nouvelle nobles,.:: qnÎ e t cellc cie la br.ll'oure et dont
je f ds si ~ran(!
ca Vou, IIVez uien dtOi l, l't!rollue,
bkn ('hoisl poar votre bonheur 1
l~r[/()a
l ,'( ans \)Iu
H,' nlle c Il~
E
tard un jour d'oetoure. uu mes e
1.1 ~h.lpe
du ch Ile 111 li S.ltltte[lo(l'le pour le repo, d l'ÎIIll! du l11'1r<jUI d, ~(es:tc,
dé dé depuis (juelques mui'
�160
APRËS LA TOURMENTE
('(He Dll,5l, qUI est tCllbr':c par l'abùé de Messa.', fib aillé llU ..IHU11t, as~t
nl la \ tUH ct MS d~nx
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la
'llapellt, parmi le ,"oi lUS a courus pour rendn U11
demièll. nHlrf)U~
dt re ptet :\ feu lt pT<.oIJr.ét'IITt <1<:
f'. mie-BoUlle, L tltlll P"r011l1e U\IX côtes de " 'U lllan
Le ÙflIOII el la l)Orollllc ùe l aZltlnc joui 'Ilt dan t"ut
iL PÙ\S ..Ie 1 te tm:. l'Ill ntlle ...
(Iuàn.l )a chal lie e l \ldl, l'alJùé de :'I~
sac sort
Û'" 1, S Ti~t
(. et 'ûpprodle ..Ie la jeuue femlllt 'jlli
(, t rcstlc !ct (krlll(
agcllOtllllll dan uue attitude
dc pltU. rccl1clllunent,
C'1I il:c 1'{~Otln.
dit-il, merci d'ttre HllU ;
pl' 011 lti Cll lInùk pour HAn phe et )e mien afin
'Jlle Dieu 1 ur fa e mi, ~ri
ordc,.. A, z-'·ou l'RI'dOIJIlé:?
J'(.TOllIH.: !(\t,
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LInux ~l1X
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IlL lout 11.(,11 C.'Ll r!
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Lll Il jlnrùonllé de tout $(;n cœur de femllle tufin
heUfCl1<c, L11 c t fi~rc,
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d, sa \ ie ùont 1 ll, l t dLlUCl1rÜ' l'id,)) ; tIlt: J'ut,
dnns eetlt Ch.1J!dl" <1l ~ntJ1c-BC)e,
plelll <l
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OUVtIlIT. pri r ,lIll
Ullllrtumc; Clll garde
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ieuscmellt 1 lIlellHlire dl ,e !>cre ct Ù, cette mèle
tlont {11(: Il parle Jnl1ai~,
t)n 'ue oe
Ilfants
('IJlI olc
s ft r t
Tmll à l'heur, Il lcntlftnt i\
Fnzl]]ar, 11 ultt;flÙrn la VOlX .le J'aîllC! c.hantant,
cn \lai III d'ull .,J,lot dc la \1 i11e IIrù, 011 refrain
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A name given to the resource
Collection Stella
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La collection Stella est lancée en 1919 par les éditions du Petit Echo de la Mode. Ses fascicules sont des suppléments mensuels...<br /><a href="https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/exhibits/show/fondbastaire/collection_stella">En savoir plus sur la collection Stella</a>
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Publisher
An entity responsible for making the resource available
Editions du "Petit Echo de la Mode"
Title
A name given to the resource
Après la tourmente
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Puliga, Henrietta de Quigini (1847-1938)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
[1935]
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
160 p.
18 cm
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Description
An account of the resource
Collection Stella ; 359
Type
The nature or genre of the resource
text
Language
A language of the resource
fre
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Bastaire_Stella_359_C92782_1111347
Source
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Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Relation
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Tante Gertrude, par B. l'lEUlLlES.
Comme une Epave, par Pi<rr. PERRAULT.
Riche ou Aimée? pat Mary FLORAN.
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Un Mariage" ln extremis ", par Claire CENIAUX.
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La Maison de. Troubadours, par And,é. VERTIOL.
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Le Sentier du Bonheur, par L. de KERANY.
A Travers les Seigles, paf Hélène MATHERS.
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Mirage d'Amour, par CHAM POL.
Mon Mariage, par Julie BORIUS.
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22.
23.
24.
2S.
26.
27.
28.
29.
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Rêve d'Amour! par T. TRILBY.
Almé pour LUhmême, par Marc HElYS.
Bonsoir Madame la Lune. P4r M.ri. THIÉRY.
Veuvage Blanc, p.. Marie A,.ne de BOVET.
illusion Masculine, par Jean de 1. BRETE.
L'Impossible Lien, par Jeannc de COULOMB.
Chentln Secret, par Lion.1 de MOVET.
Le DevoIr du Fils, par M.tl,i1d. A I..ANIC.
Printemps Perdu, par T. TRILBY'.
Le Rêve d'Antoinette, PII.T E•• liDo le MAIRE
31. Le Médecin de Lochrlst.Ylr SALVA d~
32.
33.
34.
35.
36.
37.
38.
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Lequel l'aimait? par Mury FLORAN.
Comme une Plume... par AntoiDe AlHIX.
Un RéveU, p.r Jean do JI I:IRETE.
Trop ,Tolie, par l.oui, D·ARVERS.
La Petiote, P M T. TRII.BY.
Derniers Ramenux, pu M. d. HARCOF.T.
Au dela ùe:; Monts, l'ar Mari. THIERY.
L'Ido!e, par Andr&' VEIt flOl.
40, Chemin Montant, par Anloine ALHIK
�Volumes parus dans la CoNection
(Suite).
4l. Deux ATnour., par Henri ARDEL
42. Odette de Lymaille, Felllmo d. latlr.. par T. TRILBY.
43. J~a
Roche-aux.Algues, par L. d. KERANY.
44. La Tartane al'1ll\rrée, par A. VERTIOL
45. Intègre, par Pierre LE ROHU.
46. Victimes, par Je... THIERY.
47. Pardonnek', pa< :ncQULl GRANDCHAMP.
48. Le Chevalier clairvoyant, p.r Jeanne d. COULOMB
49. Maryla, p,. 1.. ...,l1e SAN UY.
50. Le Mauvais Arnoul', por T. TRILBY.
51. Mirage d'Or, par Antoin. ALHIX.
52. Les d·ux Amours d'Agnès, plr Chude NISSON.
33. La Fille ule de la Mer. par H . d. COPPEL
54. Romanesque, par M . ry FLORAN.
55. Le Roman de la vinlrlième an né • pat Jacques d•• CACHONS.
56. Monette, por M,lhild. ALANIC.
57. Rêve et Réalité, par Marie THIERY.
58. Le Cœur n'oublie pas, p.r JacQuo. GRANDCHAMP.
59. Le Ro m an d'un Vieux Garçon, par Jean TH1ERY.
60. L'Algue d'Or, par Jeanne d. COULO.\1.B,
61. L'Inutile Sacrifice, par T. TRILBY.
62. Le Chaperon, par Loui. D'ARVE.RS.
63. Carmencita, par M..,y FLORAN.
64, La Colline ensoleillée, par M",i. ALBANESI.
65. Phyllis, par Alice PUJO.
66. Choc en Retourt.pnr Joan THIERY,
67. Noëlle, par CHAMt'OL.
68. Kitty Aubrey, par TY.~AN
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69. Le Mari de Viviane, Pd YYOM. SCHULTZ.
60. Le Voile déchiré, par Edmond COZ,
71 , Mar la-Sylva, par LUGUET.FRICHET.
n. L'Etoile du Lac, par André. VERTIOL
73. Les Source. claires, par Marl/uerit. d'ESCOLA.
74. L'Abbaye. par SALV A du BEAL.
75. Le Tournant, par Pierre VILLETARD,
76. Tante Babiole, par Mathilde ALANIC.
77. Mon Ami le Ch.uffeu", ad.pté de rallRlai. par louis d'ARVERS.
76. O c l'Amour et de la Pitié, par Jacque. GRANDCHAMP,
19. La B Ile Hi.·"ire de Mavuehnne, par Jeanne de COULOMB.
80. La Transfuge, por T. TRILBY.
81. Monsieur et Madame Fernel, par Lou '. ULBACH.
82. Le Marbge de Grntlenn", par M. .1 •• AR;'EAUX.
113. Meurtrie par la Vie, par Muy FLORAN.
81. Un Serment, Pat la B..ro, ne 01.CZY,
85. L'Autre Route, par C. NISSON.
86. La Lettre ro .. e. plr H .·S. MERRI MAN.
87. L'Amour attend ... pot Re' ~ STAR.
88. Sous leur. pas, par J.an Ti-IIERY.
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C'était l'heure délicieuse: alors que la nuit vient
mais qu'il fait encore jour, la lune toute ronde et
d'une clarté ardente, montant dans k cicllimpide et
semblant avancer vers la drllitl'. LI.; mvsll re environnant est infiniment doux, m(;ml: la fJ:aicht.:ur qui
tombe ajoute à la grace d" Clltt. heure.
Quelques rares per~ons
se promc nent lenlement à proximité de la grande bàlisse de l'lv) lt.:]; là,
bas, dans un coin solitaire, des voix douces d'enfants s'élL vent, des silhouettes ind~tc
es
tournent
dans une ronde légLre, Cl dans la paix du soir les
mots s'envolent:
de~cn\1
dans mon jardin
Pour y cueillir du romarin.
J'al
Gentil coquelicot, mesdames,
Gentil coquelicot nouveau.
Une voix de femme, trts claire, les prononce distinctement, et des voix aigrelettes les reprennent
avec cette sorte d'emphase emportée qui témoigne
chez la jl'unese la force du plaisir ... La pet ite ronde
<;'cnfonce toujours plus loin dans l'a~e
profonde,
_lui l'(u'alt l'en~outir;
mais dans le silence, qui
cmpJ'i~one
le moindre son, le refrain se rép~tc;
Gentil coquelicot nouvcnu.
De petites mai'ns se frappent l'une contre l'autre
en cade nce ... la !"ondc s'e~t
di ~ l(q\1é
e , ln jeune
. ft!:mme et l c ~ quarre fillettes qui la J'ormoicnt re\'iLnnènt du c6t(; de l'h6tcl, des !"ire~ :é
~ ers
s'L·gr'. ncnt,
la troupe hcurtme atteint le pe rron. nè'lIx des
fillettes \! détochc:nt, disent affectueu s eHlent hCinoir, ct cmbra<';" llt avec de larFe~
mOU\' nit: nt de
bras enveloppants, et une sorte de \'éhémence, leurs
�LA BRANCHE DE ROMARIN
?etites compagnes, On entend: If Adieu, Marcelle!
Adieu, Genvi~",
adieu ... 0
- Au revoir, il faut toujours dire au revoir, me"
enfants, intervient la j~une
maman; allons, Gene.
vi ;ve, ne pleure pas, nous montons vite nous
coucher.
Et, tr~s
tendrement, Je bra,> maternel enveloppe
une petite tète à boucles blondes qui, avec une
sorte de passion. se presse contre sa hanche; de
l'autre côté la sœur alnée se tient toute proche, se
penchant vers sa cadette, et tout bas lui murmure:
- Ne pleure pas, tu fais du chagrin à maman.
L'enfant aw"itOt jette à la d\!robée un repard vers
le visage maternel, ct sur l'exquise petite figure se
d~sine
un sourire forc~,
offert avec une sorte d'humilité tendre au regarJ de sa m::re.
- C'est bien, trésor, dit celle-ci doucement, ct l'enfant est attirée encore plus r~s
de celle qui l'a
portée,
,\1arcelle a couru un peu en avant, comme pour
montrer le chemin, vers la chambre dont elle ouvre
la porte, et tourne le commutateur. C'est une belle
chambre d'hôtel, propre et nette comme il y en a
tant en Suisse. Une malle tr~s
correcte et un sac
sont placés devant une des fenêtres, et il r~gne
dans
la pl "ce, bien rang ~e
cependant, cettè sorte de
d~sore
annnonciateur de départ. .. La vue de la
malle, subitement révélée, cause à la petite Genevi~e
un paro\ysme de larme5; sa mère la prend.
l'assieJ sur ses genoux, la berce ...
- Mon trésor, pourquoi te fais-tu du cllagrin?
Tu vas t'en aller pour un peu de temps avec ton
papa que tu aimes tant r ... Car tu sais que tu l'aimes
beaucoup, beaucoup .. , - La tête enfantine acquiesce.
- Un mois, c'est si vite passé .. , tu revlendras
trouver maman, tu me raconteras beaucoup de
choses.
- Je ne te verrai ra~
demain soir 1..
Et l'évocation parait si affreuse ù cc pauvre petit
cœur d'enfant, q ue le~
sanglots redoublent.
Le visage de la m"re est tout pale, par un effort
énorme efle ref~n
ses propr\.!s larme'; .a douce
Marcelle s'est approchée, cl. avec la pravité protectrice de ses douze ans, po e une main sur la t~e
fris~e
dc la sœurette, et l'autre autourJu cou dc leur
m"re.
- Marcelle est raisonnable, tu vois, mon étoile,
elle a de la peine, die au~si,
tit- ml! quitter: mais
elle sait qu'elle doit aller voir son papa qui l'aime ...
elle sait aussi qu'un mois e~t
un temps très court ...
�LA BRANCHE DE ROMARIN
-
7
Combien Je: jours? demande dans un hoquet
la pr.ti' e dc.:soI0c.
- Trente jours, seulement quatre semaine:;". ct
puis je t'écrirai, tu m'écriras aussi, tu me parleras
dl:s bétes, des bonn<..s bétes qui vivent aux Ltais; tu
l'amu~ers
beaucoup, tu monleras ce bel ânu dont
tnn papa t'a parlé dans sa leUre ... Tu seras contente
de te promcnur à ane ?
- .J'aime mieux rester avec toi, murmure une voix
étouffée.
La m: re sent que contre ce chagrin les raisonnèments sont pour l'heure inutiles.
- Allons, dit-elle, posant l'enfant à terre, désha- I
bille-toi .;omme une grande filll!; Cl tte \1au\'re Belly
est d0jà si désolc.:e d'être malaJe, l\1arce L va t'aider.
La petite, la~se
et ensommeillée, se laisse faire et
mllimure seulement:
- Tu m'as promis que je enucherai dans ton lit.
- Ce"t convenu, pui 'ILle tu veux lai ssur la
pauvre Marcelle toute seule d::!ns sa chambre.
- Nous a\'ol1s la porte ou\'ate .. ,
- Oui, b':bé, dit tcnurement la grande sœur, tu
. couchl!ras avec maman, Puisllue cela te fait tant de
plai~r.
1
La lon~ue
chemi~
de nuit est t'nfiléc, GCl1evii.!ve
s'agenouill sur le lit, J\\arcelle, tout Cllntre, il tcrrc:
fi Au n0111 du P~rc
ct du hls » ... comrnt:~-(\Jlée
sa voix claire; la mère s'c~t
approchée cl s'a;:;enouillu
aussi, un de ses bras b'appu\t; sur 1('$ üpaulcs de 51
fille alnêc, l'aulr0 [riolé les talons 1'0'(;:" de la enJett!.'.
Marcelle prononce à voix di~tncl'
chaque parole de
la l'ri~e
du ~( .. r, pcnJant que Gene\1 ve, le s yeu'
èlo~,
penche Stltêlc tantôl d'un côté, tantôt de l'autre,
f<ll prochanl Ui mains jointe' de la poitrine, 1 s 010ignanl, les élevant èul'aiL, ~\ idcl1m.~nt
dans le ~crd
de on petit c :.cur aimanl 'e fnrmulu un pritrc: l'olSsionnée, que sa faibles.t. pr~sènte
au rouI PUISsant 1. •. Quand la pri;'rc <.:51 tcrmÎn..:c, l'cnrani, d'un
mOLlVement presque farouche, eulouÎI sa tète SUI'
l'Mci!lC't.
- èouche-l'Ji, maman ...
- Tout ù l'helll'c, mon ~toilc,
tout ù l') cure.
- 'l'u Ile t'dl VilS pa.; ?
- Non, je le II.! pr.lmo's.
Les pnupii il' de Gcncvii:\", s'abi~
nt elle
demellre iml1!O 'II • mais dll.! Ilu dort pas ct s~ In' re
le :I :t.
Clp ndanf.dll' 'enlref' nI tl)Utb<J av l.: ~al
Ile.
- .Je Cnl,11':
ur toi, ma cI!Glil', pour dr\! l'a.lge
gar lien de Gènevil.vl.: ...
�8
LA BRANCHE DE ROMARIN
Et avec un peu de gêne, elle ajoute:
- Son chagrin ferait trop de chagrin à ~'otre
papa.
- Je tach~ri
de la consoler, et pUIS tu sais,
maman, quand elle verra papa, ça ne sera plus la
même chose ...
- Non, heureusement, ma chérie.
- Tu vas être triste, toi, maman?
- Oui, mon an3c; mais il faut savoir accomplir
son sacrifice, j'ai le bonheur de vous posséder onze
mois de l'an~e,
moi 1
Le gracieux visage de la fillette est profond,ément
gra~e,
ell,e rc~ade
sa m' re ayec une exprs!O~
de
séncux SI prolond que celle-cl en est boulevcrs~
...
- Tu sauras plus tard, balbutie-t-elle, tu sauras,
il faut nous aimer tous les deux ... malgré tout!
- Oui, maman.
Les mots sont bref:>, mais on sent que l'engagement est solennel.
II
Elles dormaient enfin toutes les deux; la mère cl
son tour s'est couchée afin de calmer l'agitation de
sa petite Geneviève, qui, blottie maintenant dans
l,~s
b~as
chauds et doux, repose tranquillement.,.
~[ais
la m::re, les yeux grands ou\'erts, ne songe pas
au sommeil. Immobile, la tète un peu soulevée les
ch..;\'cux bruns nalt';s, re,tombant. de chaque côte: de
son vi~agc,
tous ses traits :~ulcrs
fi~és
dans une
cxpression de profonde tnstesse, el~
écoute son
cœur meurtri battre en silence; de lemps en temps
un soupir, trop lou:d pour être. étouffé, s'échappe
Je ses ll:vre . La veilleuse, tamisée d'un verre rose
r6pand une lumi\:re voil6e, mais qui laisse tou~
chose distincte; la chambre banale, l'enfant couchée
prl!s du corps maternel, dans Jequd sa forme lég"re
semble ,s'~ncrul
, et, ,par la porte ouverte,
s'aperçoit 1 autre hl ou ~a fille aln'::e repose. Marcelle
d~jà
maltresse d'ell,c-mem.e, n'a pas donné c!r signe~
apparents cie ~hagl'n.;ms
la mt;re sail, devine, que
Marcelle ,aus~
soun,~
c(!mm 7 sOlf~re
la petite créature paSSIOnnee, pOUl qUI la separatIOn momentanée
représente une torture 1
Ces pensées poignenc la jeune femme ... Comment
n'a\'ail-elle pas prévu ces minltc~
tragiques? Elle
avait cru, en acceptant de reprendre sa liberté,
orienter d'une fa :on plus hcureust ct meilleure 'a
�LA BRANCHE DE ROMARIN
,
9
vie et celle de ses filles; et maintenant la convichon
fatde de s'être grossi, rement trompée entrait dans
son cœur. Genvi~
n'avait que cinq ans de vie, à
l'heure où son père et sa mi.·re divorçaient, et, puisque tous deux chérissaient l'enfant, l'l'pouse délaIssée
et fi~ re n'avait pas prévu de souffrances pour les
petites: elles verraient leur pi.re fréquemment, passeraient un mois entier avec lui chaque année, et de
cette façon d'arranger l'existence, Valérie Monpascal
avait auguré: pour tous un minimum de froissements 1
La désillusion fut prompte: la petite GeneviL ve,
créature délicate, affinée, d'une sensibilité aiguë,
a"ait paru frappée d'une sorte de stupeur par le fait
de la disparition de son plre du foyer domestique ...
Ce pi. re si tendre, si charmant, si {.lai, à qui la petite
enfant était rattachée par des liens mystérieux ... Il
avait fallu, pour calmer le tumulte du cœur enfantin,
multiplier les visites convenues ... Cependant, chaque
départ des côtés de sa mère, chaque adieu (les heures
de grâce écoulées) au père adoré, causaient à la fillette
une émotion violente. La m' re cn avait été témoin
avec une sorte d'épouvante 1 Dans sa résolution un
peu farouche de àisparaltre de la vie du mari qui
aimait une autre femme, elle avait cependant beaucoup pensé aux enfants, et s'était persuadée que
Cette rupture serait un ~enfait
{lour elles; au moins,
leurs filles ne seraient pas témoll1s des sel nes inévitables, elles ne verraient pas leur mi.re anxieuse et
désolée ... tout retomberait dans l'ordre, dans la
dignité exté:rieure ... Irréprochable, et forte de celte
supCriorité, que nul ne pouvait contester, Valérie
s'était dit que, libérée d'obligations del'enues insupportables, elle pourrait mieu'x rendre justice au pi. re
de ~7S
filles, les élever à l'aimer, et, à l'heure voulue.
:i lUi pardonner. Elle savait aussi qu'elle pouvait se
fier Il celui dont elle sc détachait totalement, pour
c\Jn.se"v~r
à son éAard tous les ména~ets,
pour
ne JamaIs la contrecarrer d'une façon occulte. ~ Nous
se.rons tous plus heureux », s'était-elle répété maintes
fOIS avec oh~tina,
à l'heure d" la crise, et voici
lue les événem<.!nts démentaient cruellement ses
pr(:vi~ons.
'
Jamais deux ~tres
humains n'avaient été si peu
faits pour sc comprendre que Valhie Monpascal et
Charles de Pr0mery; leur mariage avait été l'œuvfl:
d'amis Cllmmuns, qui mirent un jour en présence la
ravi ssante orpheline qu'était Valérie, ct l'homme, un
peu léger peut-être, mais si aimable qu'était Charles
de Prémery, généreux, chevaleresque, facilement
amoureu:t; les femmes, et d'abord celles de sa
�10
LA BRA 'CHE DE RO:\lARIN
famille, 1'1\'ait.!nt abominablement ~at':,
il en Jtait
résult~
puur lui une n1\;nt"lit':: p..:ciale, dont il
dem.!uralt d'aill. urs inconsciLnt; inca~)ble
de raire
"vlonlairem.!nt soulTrir personne, mais é1endant
facheusemcnt celte incapacité à lui-m'~e,
les sentiments lcs plus oppos:: s'impo"aicnt à lui avec une
égale sinc0rit0; jl 0tuit si prompt au pardon, qu'il
n'imaginait pas qu'il en fût autrement pour les autres.
La beauté vraiment saisissante de :\llle Monpascal
l'ensorcela de prime aborJ; il ne chercha pas à discerner i leurs caract' rcs, leurs gnüls s'accorJaient;
d'ailleurs, la jeune fille était plutôt taciturne, mais
scs beaux yeux, brillants comme des diamants noirs,
parlaient pour elle; l'homme de trente-deux ans,
parfaitement aimable (elle en avait dix-neuf), lUI
agr..:a de suile; la tante, chez qui Val'::-'e habi1ait
depuis sa sOïtie du couvent, ne d ~sirat
rien tant que
de la marier, craignant que son fils, un jouvenceau
de vingt ans, ne s'..1prlt de sa bt.:lle cousine .
Pr.::mery i:tait riche, bien placé; apr::s un très
court passage aux An'aires étrang,\res, et une brè:vf,!
absence profes -ionndle qui l'avait conduit à Washington, il i:tait rentré dans la vie privée; .Mme de
Prémery, sa m ::re, ayant d':c!aré ne pouvoir Supporter
la s~parlion
d 'av~c
son fils, et les deux sœurs du
jeune homme, bonnes épouses et bonnes m:re~
cependant, avaient abondJ dans cc sens. Charles
adorait la cha :ie, il avait son cercle, sa famille ses
occupations, le gnût des voyages, de la lecture, 'etc.
et même de la politique, à laqucJh: il pourrait
s'aclollner plus lard; les attaches diplomatiques lui
étaient compl:temcnt inutiles, on l'encouragea à les
rompre.
La jeu ne épouse avait été admir~lcn!
accueillie
par la famille f":minine de son man; malS assez rapidement elle leur inspira une sourde JalouRie. On
d~cou\Tit
d'abord qu'elle était trop belle, l'épanouissement du mariage (;t de la materni~
avait donné
une forme plus 0c!atante à une beauté qui n'~tai
encart.: qu'~baché;
ensui1e, il apparut clairement à
Mmes Amcry t:! Chassenay (Jeanne et Louise de
P!\:mery) que Val-,rie n'a\'ait pas le caractL'fe commode, qu'elle prenait plutôt malles a,vis ct les conseils,
et 0t:tit méme purtée il la cul'·rt: J PU! ~ son admirati()ll
conjunalt: rc\"~tail
un carut.:tère insufflsallt; es yeux,
au rc"ard si ferme s'arrêtaient quelquefois avec
d,:sdl'probation sur' son mari, car le caprice ct la
lé" rc:é l'uraissni'nt incompréhen ibles à la jeune
femme, et malheul"t.'uscmcnt formaicnt le fond peu
solide du cara.;tÏ;rc de l'homme à qui elle était unie;
(
�LA BRANCHE DE
RO~fAIN
1!
la sorte de rigidité que Valérie eClt volontiers apportée
dans l'orf'anisation extérieure de leur vie ennuya
vite un homme que toute contrainte lassait; l'antagonisme profond des deux natures s'affirma d~s
le
premier jour, antagonisme qui ne revêtait jamais une
forme hostile, car les époux réci(>roquement s'appréciaient, et même s'aimaient tOUJours, chacun à leur
manii.:re; néanmoins, si charmant que fût Prémery.
il ne sut pas éveiller l'amour dans un cœur ombrageux, et qu'il aurait fallu cultiver avec soin; le
malheur du caractLre de la jeune femme était de tout
prendre au sérieux, et elle se trouvait en face d'un
être pour qui toutes les choses secondaires paraissaient insignifiantes.
Valérie n'eut pas à attendre longtemps l'occasion
d'être jalouse, et ressentit comme un outrage l'attitude de son mari; elle lui parla durement, s'emporta,
précisément dans une conjoncture où la douceur eClt
été nécessaire; la col~re
blessait physiquement Charles de Pre;:mery, toute discussion lui était odieu
~ e;
il
se reconnut des torts, légers à vrai dire, à condition
qu'on n'en parlerait plus; l'éponge passée sur l'épisode facheux, la mémoire devait en être à tout jamais
oblitérée. C'eüt été préférable pour Valérie, mais elle
manquait de cette habileté patiente, susceptible de
merveilles; incapable de compromissions, elle ne les
admettait pas chez les autres, et i,{lnorait systématiquement le sage conseil de saint l'fançois de Sales
que, pour juger un marchand, il convient de se faire
marchand. Témérairement confiante en son jugement, la pauvre femme, de ses propres mains,
détruisait son bonheur.
JI y eut cependant des heures de détente, où l'horizon parut s'éclaircir; la beauté dc sa femme impres-.
~ion.at
soudain Charles de Pr~mcy;
il se conIcs.'a1t à elle comme un enfant CJ.UI se repent, ct rentrait heureux et contrit au bercail; la naissance de la
petite Genvi~,
qui suivit de qU3trc uns celle de
l'al née, fut le point culminant d'une de ces périodes
heureuses; ce fut aus~i
la dernii:rc, la jeune mi.rt!
soins de
voulut nourrir sa fille, ct s'absorba dans le~
sa couvée; elle y trouvait la pleine exransion de sa
nature, ct, un peu Gerté, un peu indifférence elle
permit au mari de ~'en
aller à la dérive ... Toutef~is
la
pensée d'une séparation possible ne lui venait jamais
il l'esprit 1 Elle fut frappée tic stureur lorsque à la
suite d'une alterc~in
a~1 suj~t
d'un.c bagtc~le:
PJ'\:mcry annnnça sa resolullon d ..:n finir et de ùl\'orcer;
il plaiùa mème si {:loquemmcnt l'avantage qu'il en
ré'miterait pour tous deux, que l'épouse, cependant
�12
LA BRA. CHE DE ROMARIN
cruellement ulc6r6e et blessée, adopta le môme point
de vue.
Des mois, bien triiltes, s'étaient écoulés; la dislodéfinitive; elle avait eu lieu, avec un
cation avait ét~
minimum de heurts, et un beau jour, le logis où
avaient vécu les époux, où étaient nées les enfants,
fut vide. " Elle est morle, la maison, » a\'ait dit tristement Marcelle; ce fut le comm.:nlaire unique de
l'enfant, efar~
cependant par tous ces changements.
mais s'attachant pas ionnément à sa m::rc, la sui vant
comme son ombre, dans une crainte superstitieuse
de la voir disparallre 1
Mm.e wlonpascal, car elle reprit aussitôt son nom
personnel, s'installa dans une jolie villa, rue Yvette,
à Auteuil, trouvant une consolation dans la possession d'un jardin; les petites en furent enchantées, ce
jardinet était plus à leur taille que le parc des Etais,
où elles se trouvaient perdues. Maman était là,
Betty était là; Tobie, le terrier favori,était là, on
souvent ... Marcelle s'accoutuma
allait voir papa tr~s
assez promptement au changement, mais Valérie
constata avec angoisse la violence des émotions contradictoires chel sa fille cadette. Betty, la nurse
at1glaise, conta à Sa maltresse, avec quelle frénésie de
tendresse la petite fille se jetait dans les bras de son
pè!re, et sa paleur et son trouble lorsque, l'entrevue
terminée, jl fallait s'éloigner ... La m':re in'lu~te
espérait toujours que chez une enfant si Jeune
l'accoutumance émousserait ces sensations trop
ai~uês;
mais il nt! parut pas en être ainsi, la petite
fllle demeura trépidante et nerveuse, souvent agitée
dans ses rèves.
Peu de mois apr~s
le divorce de son fils, qu'elle
avait honnêtement réprouvé, du moins platonique.
ment, car il lui était impossible de témoigner du
m~conte
à son benjamin, Mme de Prémerv,
encore jeune et forte, succombait nux suites d'une
opération. Cette mort affecta profnd~met
ce fils
qui l'aimait, il ln pleura ct ne de\'ait pas l'oublier;
mais sa nature ne pouvait vivre dans le deuil ct la
tristesse; il chercha des dérivatifs et en trouva i
moins de deux ans apri:s la rupture de sa premi~t!
union, il en contractait une nouvelle, ayant le caract1:re conquérant qui la rendait intéressante; illivait
persuad '. une tr~s
honnêtu femme, point mllht!ul'cuse, mais qui s'ennuyait, ct s'amouracha follement
de lui, de rompre il' cc une existence monotone,
aupr~s
d'un mari b/)n, mais sérieux, mais de vingt ans
son alné; l'unique enfant née de cc mariage as ur';ment mal assorti n'avait que six ans, et occupait
�LA BRANCHE DE ROMARIN
,
1
13
peu de place dans la vie de sa m l re, aimable, égols' e,
Cfui songcait d'aborJ à soi, et tenait l'enfant pour un
frein et un obstacle SOllvent ennuyeux; et puis tout
céldait à la passion qu'inspirait à la jeune Mme de
Saint-Cie:rs le séduisant Prémery; appartenant ellemëme à une vieille famille protestante du Midi,
Mme de Saint-Ciers n'eut pas de scrupule religieux
à vaincre; elle obtint de son indulgent mari que f;a
libcrt~
lui fût renJue , Il préférait lu voir honorabltm<.!nt fix6e à un nouveau foyer que d'ima6iner l'aJultl re dans sa propre maison. D'ailleurs, Mme de
Saint-Ciers se tint parole, et sa liaison avec Pn: mery
demeura inattaquable jusqu'il l'heure du mariaf.\e;
elle maintint par cette ré~cl"\
' e J'empire qu'clic avait
acquis, et une finesse naturelle lui bUf.'géra les
moyens de l'affermir; toujours gaie, rieu
~ e,
con~e
tanie à tous les projet , jamais lasse, jamai" ennuyeuse, elle ençhanta un homme qui a'ait un
besoin chronique d'être amusé. Les bels-~œur
se
montr!rent d'abord peu disposées à l'int imit é, mais
Prémery présenta son mariage sous un si beau jour,
sollicita SI calinement, si bumbILml:nt l'a11 p ui de ses
!iœurs, qu'cn fin de compte il l'obtint. ,a nou\'lile
i\\me de Prémery fut diverselllent iug':e, divertiLl11ent
accutillie; mais la furce du fait accompli milita
sourdement en sa fa\'eur, et dans l'en~01b
elle
n'eut pas trop à se rlail1drc. Elle avait renoncé à . Il
fille, sc contentant de ~ardc
le droit de la \'ull' une
fols par mois, droit dont elle n'usait qu'avec rCt>trictinn; par tendresse méme pour la petite JJlIe, as~u
rait-clic. Clémence était tr" s heun~5
ct pro pl re
entre sa grand'm' re et son p' re j pourquoi aller
troubler cette quiétude .. Et comme tout mauvais ca
est dMendable, la seconde l\1me de Prtmery était
arrivée à persuader un certain nombre de personnes
de sa seniblt~
supérieure.
Le .remariaHe du p're de ~cs
file~
avait été pour
Valéne Monpascal une épreuve beaucoup pluS
pénible qu'elle nec l'était imagin6. Elle avait bien,
du moing e ll e le croyait, renone!! à lous ~e
Jroi" i
mais eIJe eut le sentiment qu'on prenait quelque
cho'e il ses filles, que leur p' re n'était pl~
aulant à
elles. Elle cacha d'abord sOigneusement la ,ituntlon
au: fillettt?s. 1\1aintennn,1 dl~s
allaient v~ir
1'01 a chez
lanle LOUise, sans que lamaiS cette 1 lrtcuaj~
leur
cau 't ~ cie surprise.
ersonnl. llemè l, Pr":mclv ne
comp,cnait pa la nt'Cl'ssité de celle réscl\'c' 'mai~
Valérie lui avait terit afin de la solliciter iu qu'à
nouvel ordre, plaidant le tempérament si délical de
GenevH:ve, on pouvait attendre ... plus tard, .. et il
�14
LA BRANCHE DE ROMARIN
avait promis d'attendre un temps raisonnable. Ses
fille!s devai<!nt n.!cesairm~t
un jour ou l!autre se
trouver en présence de celle qui était devenue sa
femme, qui d'ailleurs n'avait jamais été une rivale
pour leur m ';re, et dont, de l'avis de Prémery, la po ition était toute naturelle ct impeccable; entre lui et
Val~rie
toute attache était rompue aussi définitivem..!nt que si la mort avait passé ... cette emprise
occulte lui paraissait plutôt un peu ridicule; néanmoins il n'~tai
pas en lui de causer inutilement un
chagrin ~i
à la mère ni aux enfants; il prendrait
donc patIence.
Depuis ses secondes noces, Prémery avait séjourné
de longs mois chez lui, dans la Ni::vre, venant toute
les six semaines ou deux mois à Paris embrasser ses
filles j Genevi::ve avait, l'hiver précédent, un peu
langui de cette absence; son papa lui écrivait de
jolies et tendres lettres, toutes pleines d'allusions
aux heureuses semaines qu'il av~it,
l'été précédent,
vécu au Val-Andr.! avec ses filles, qU'escortait la
fiJ ',le Betty.
Valérie Monpascal, durant cette absence, avait ét,;
torturée par l'appréhension de la rencontre des
enfants avec celle qui était de\'enue Mme de Pr!mery j mais l'événement n'eut pas lieu. Il devenait
inéVItable, elle le savait: Prémery voulait Marcelle ct
G.!nevi ':ve aux Etais, et avait chargé sa sœur Louise,
qui sc ren,lait assez souvent rue de l'Yvette, de pr0venir son e.'-femme, et de lui représenter en outre
que la situation fr .lOche et nette était assurément
pr' f~rable
aux cachotteries .
Marcelle était si r,!-isonnable, il.suffisait de lui pre:senter l'état de famIlle! sous un Jour favorable, elle
accepterait sürement les faits avec soumission, et
G-!nevi ~\'e
aimait tant son papa, que celu i-ci se persuadait qu'elle ne se révolterait pas contre unt)
circonstance qu'elle ne pouvait assurément comprendre, mais qui dans se~
elTets im~dats
n'aurait
rien de p~nible
pour elle, au contraire. Jacqueline
ne d~manit
qu'à ch';rir et gater les filles de son
mari, et était dou~e
d'un caractè:re si heureux ct si
en j ~u,
que des enfants ne pouvaient manquer de
subIr son charme,
Bref, Prémery organisait tout dans sa tête d'unt:
mani~re
agréable ct facile pour chacun, ct si l'on
contestait ce point avec lui, il répondait, non sans
une certaine lo~ique,
que tous les états ont leurs désavanta es, ct qUf:l le moyen d'éviter ceux du divorce
7
est J agir de tellil sorle que l'iJ~e
du divorce ne
s'impose jamais à un mari: une femme qui ne peut
�,
,
LA BRANCHE DE ROMARIN
15
être indulgente aux peccadilles n'a qu'à s'en prendre
à elle-même, si des conséqut!nces facheuses sont la
suite de cette rigueur.
Prémery, avec une entière bonne foi, assurait que
lout s'organiserait et, dans son optimisme, en était
intimement pel' uadé; il ne voyait pas du tout pourquoi les personnes intC!ressées, Valérie comprise,
ne pouvaient s'arranger à tirer parti de la situation,
san5 chercher à la compliquer.
Aussi, quand arriva une dl'pêche lui annonçant
gue Betty, prise subitement d'unt! crise de douleurs
qui faisait redouter l'appendicite, ne pourrait, selon
le combinaisons établies, lui amener ses filles à
Montreux, où il était venu les attendre, au lleu
d'ajourner la réunion, comme Valérie le supgérait, il
avait simplement décidé qu'il iraitlui-mtme chercher
les enfants à Bex, et s'était annoncé rouI' le lendemain matin dix neures; on n:mplacerail rrovisoirement Betty par l'ancienne ftmme de chambre de Mme
Prémery la mère, la vieille Pauline, qui, au pr~mie
sigl'e de • M. Charles., quitterait sans hésitation le
pet it pays de Savoie ou elle s'était retirée. Ses
dépêches lancées, Prémery, parfaitement tranquille,
se demanda pourquoi celle pauvre Valérie s'acharnait à se créer des complications. Aller rrendre luimême ses filles parut au pi:re l'action la plus naturelle, d'une simplicité élémentaire.
m
Valérie ne s'était endormie qu'au petit jour, et ce
fut le heurt de la fille de chambre à la rortt! qui la
réveilla. Elle sauta aussitôt du lit, fit une brl ve toilette, !i5sa ses beaux cheveux, enfila son I,imono de
~erg
blanche, et tout doucement alla sc pencher sur
Marcelle pour la réveiller.
- C'est l'heure de te lever, mon ange.
La fillette eut vite chassé le 'ommeil, et, d'un
mouvement ardent, noua ses bras aut()ur du cou de
sa m&re.
- Maman 1 et un tendre baiser s'échangea.
- Oui, mil chérie, dépêchons-nous, dix heures
arriveront sans qu'on s'en aperçoive, il vous faut
pt.:jeuner bien tranquillement; lève-toi, MariEl
l'apporte ton eau chaude, je vais m'occuper de
Geneviève ...
Le mouvement. l'entré~
de Marlll <'lui ouvrait le~
�16
LA BRANCHE DE ROMARIN
persiennes, firent ouvrir les yeux a Geneviève. Elle
eut, avec le premier retour de la pensée lucide, un
regard angoissé.
Mém.e la m.~re,
si passio!,!nément a.imante, qui
courbait son visage vers celUI de la petite créature,
n'avait pas une perception réelle de la souffrance
presque intolérable qui déchirait ce petit cœur
d'enfant; une imagina ion trop puissante pour son
âge, faisait concevoir à Genevi:':ve la séparation sous
l'aspect du d-!chirem~nt
de la mort; la pensée, «jJ
ne verrai pas maman demain, ni apr::s-demain ~,
tombait sur le cœur enfàntin comme un glas; les
yeux bleus, si .profonds, se tournaient vers la
maman idoliltrée avec une détresse soumise; l'enfant
comprenait que des circonstances plus fortes que
toutes les volontés l'emportaient, la dominaient; elle
savait qu'il y avait des petites filles dont le papa ct
la maman étaient toujours ensemble... partaient
ensemble en voyage avec leurs retits enfants; ces
petites filles-là faisaient à GenevIl:vc l'effet de vivre
dans le Paradis.
Quelquefois le soir, avant de s'endormir, après la
lecture de quelque histoire bien anodine pour
d'autres, mais troublante pour elle, l'enfant s'imaginait le bonheur qui remplirait son cœur, si papa et
maman étaient tous deux dans la maison 1 Elle se
plaisait à évoquer des arrangements qui en seraient
la conséquence; par exem?le, la chambre que papa
pourrait prendre pour son cabinet de travail: dans
les livres, le papa a toujours un cabinet de travail;
clIe se figurait, avec une sorte d'ivresse, papa et
mlman se promenant côte à côte dans le jardin, ou
au bois, elle et Marcelle marchant devant. ..
De ces chim=:res délicieuses, l'enfant ne disait
jamais rien à personne, et Prêmery n'avait pas le
moindre doute sur la tranquillité morale de ses filles;
il croyait, en commun avec un grand nombre d'excellentes gens, que les enfants observent peu et
s'accommoJent facilement de l'ordre de choses
existant; l'idée que toutes les fibres les plus dt:licates
du cœur de ses file~
'::taient ~onstamel1
meurtnes,
ne se présentait jami~
à son esprit; la m "re, moins
aveugle, ne mesurait cependant pas la blessure
secr'·te de ces deux petits cœurs. Marcelle, pieuse
et ayant le sentiment de Jis~eno
~raves
entre ses
parents, priait avec une fen'eur angélique pour que
ces dissentiments s'apaisa"sent; tendrement at tachGe
Il son p'~re,
elle se rangeait pourtant instinctivement
nux côtés de sa m"re, secrètement avertie que cellcci était dou' Jureusement lést!e.
�LA BRANCHE DE ROMARIN
f
1
17
Ce matin-là, l'annonce de la venue imminente de
son pt:re troublait extraordinairlment la petik fille,
elle voyait que sa m~re
en était \'ivem~t
émue; avec
toute la grace de cet age charmant, déjà femme par
certains cOtés, Marcelle s'eflorça de soutenir sa m~re,
d'égayer Genvi~
qu'on avait eu grand'peine à
faire manger, et qui, maintenant tout haLillce., son
petit sac à la main, écoutait neneusemenl les
moindres bruits.
A pre 5 avoir regardé la pendule, Mme J\lonpascal
dit à Marcelle:
- Toi, ma fille chérie, descends maintenant, tu
recevras ton para, et tu viendras che l'cher Gcnevi~
ve.
Obéissante, Marcelle, ayant embrassé Genevii. ve,
sortit de la chambre. Valérie feignit d'examiner
encore l~ petit sac, tous les autres colis a\'aient été
emportés.
- Tu as des aiguilles, tu vois, et un dé, tu pourras
te faire un point en cas d'accident; c'est Betty qui
sera étonnée 1
- Je veux dire adieu à Betty.
- Mon étoile, tu l'as vue hier soir, il faut la laisser tranquille pour qu'elle soit vite guérie.
La porte s'ouvrait. Marcelle, un peu pale, parut.
- Papa est monté 1 il est entré chez Belly.
D'un bond, Geneviève s'accrocha au cou de sa mère,
sanglotant.
- Ma chérie, tu n'es pas raisonnable, cours avec
Marcelle recevoir ton papa.
Mais la petite se cramponnait.
Soudain, derrière la porte, une voix bien connue
demanda:
- Puis-je entrer?
Et avant que personne eCll répondu, Prémery,
l'air ému el courtois, parut sur le seuil.
La petite avait tourné la tête.
- Para 1 cria-t-elle, et sa mère l'ayant posée à
terre, elte courut vers les bras qui sc tendaient et
l'enlev/·rent.
- Emportez-la tout dc suite, dit la voix blanche de
la mère.
- Je vous remercie, vous m'c.·cuSCZ ...
La petite avait enfoui sa tète ~ur
l'épaule de son
ptrc, et de ses deux mains fines lui palpait la tete et
le vi~age.
Tout en marchant, il lui parlait ~aiemnt
et cal inl ment dans l'oreille; l\larcclle marchait 1\
cOté, les ayant rejoints en courant, après un dernier
baiser â maman.
Les bagages étai cpt charg~s
sur l'dutomobile.
Lestement, Prémery monta, plaça l\larcelle à son
�18
LA BRANC HE DE ROMAR IN
cOté, gardant Genevi l! ve sur 6e5 genoux.: elle demeurait bfottie contre lui, comme un oiseau erfay~;
au
bout d'un momen t, apr<:s l'avoir care~sé
en iienee,
il la for~a
à montre r son visage:
- Eh bien, petite patronn e, dit-il, reconna is-tu
ton papa?
- Ohl oui.
- Nous allons {aire un beau voyage. Et, sourian t,
il les regarda l'une apr::: s l'autre, elles sourire nt à
leur tour; déjà les enfants subissa ient la fascina tion
de cette vitalité dt!bord ante, de cette tendres se paternelle si facilem ent exténor isée; le pale petit visage
• de Marcell e se colorait un peu, la VOIX chaude et prenante de son p ~ re remuait forteme nt le jeune cœur
aimant; les larmes de Genevi ::ve avaient cess'! Je
couler, et pap'a, avec une douceu r féminin e, en effaçait les traces, soufflai t lég:: rement sur les yeu:oc
rougis. Cepend ant, même dans ce bonheu r involon taire, et que les petites créatur es ressent aient
comme on ressent l'impre ssion du soleil et de la
chaleur , leurs cœurs fi,I ~ les
ne voulaie nt pas se
détache r de la pensée de la maman ch.!rie qu'on
venait de laisser solitair e; un gros soupir souleva la
poitrine de Marcell e ... Le père en compri t la signification , il lui fallait à son côté, ses filles joyeuse s, et,
de plus, son naturel l'inclina it à la compas sion;
aussi, avec une sorte de coquett erie, enla~t
la taUle
de sa fille alnée pour la rapproc her Je lui, il dit :
- Aussitô t à Montre u'\, nous enverro ns une belle
cai sse de roses à maman , cela te va-t-il, petite
patronn e (
Le tressail lement du petit corps, l'illumi nation du
visage de la fillette lui fit voir que Je coup avait porté ...
Clllinem ent, un peu timidem ent, Genod ' ve approch q
sa tête et embras sa la joue Je son pl!re ... Il en fuI
profond ément heureux .
- Mes petites hironde lles, dit-il d'une intonati on où
vibrait l'affecti on pat ernelle, vous m'appo rtez la joie 1
On ne sait pas assez la dilatati on délicieu se que de
sembla bles paroles causent aux cœurs d'enfan ts,
cœur si puissan ts pour aimer et pour souffrir , et si
faibles pour agir. Une sorte d'exalta tion remplit
l'ame des filJe
~ ; leur pl!re en cut l'intuiti on, il
. ellcellait à trouver les mots quI remuen t l'àme; ser,
rant Iles file
' ~ d'une étreint
forte. san!! opprim '1
leurs mouvem en s, il leur chanta à demi-volx :
vous, passAgères hirondel les
Qui n:vcnC2; cllllque prmtumps,
Ol~eut
voyageur~,
mal5 fidèles.
Ramenez-les-mol tous les an!! .
�LA BRANCHE DE ROMARIN
f
19
Elles écouta lent, frémissantes, bercées par cette
voix qui les caressait.
- Hélas 1 ajouta Prémery, votre pauvre para ne
vous posslde qu'une fois par an ... un temps bien
court, hé Ids 1. .•
Les doux yeux répondaient, mais le fi pourquoi b
qui leur brûlait les Il vrcs ne fut prononcé, ni l'al"
Marcelle ni par Geneyil YC; toutes deux plaifnirl nt
leur pauvre papa, ct s'eflorci.rent d'tic1aircir leur
visa[e pour lui complaire.
- C"est cela, mes chéries, souriez, il ne faut ras
gater le bonheur de papa, il ne faut pensa qu·à éd e
cont entes; nous pourrons tnvoyu un ttlégt amme
de Montreux à votre maman, pour lui dire que vous
ê'es contentes! le youlez-vous, le yeux-tu, petite
patronne?
- Oui... papa.
-
Parfait 1
Délicieusement, Geneviève se familiarisait à nouveau ayec son papa, glissant sa ml nolte dans les
roches de la jaquette, examinant le mouchoir, la
bourse, le portefLuille de son pi re; ce portefeuille
était un vietl ami rour lequel l'enfant éprouyait une
prédilection particulière; il s'y trouvait une petite
trousse qu'elle examina avec l'attention qu'elle y
arportait invariable ment; Marcelle, pendant cette
exploration, commençait à bayarder, la féne inséparable du premier instant dc réunion s'effaçait; voulant montrer à sa fille qu'il était à l'unisson de ses
rensées, Prémery lui demanda afctue~mn
:
- Votre maman se porte bien, elle était pale ce
mat in; sans doute elle s'est fatibuée pour Betty?
- Oh 1 oui, papa, beaucoup.
Genevi' ve se taisait, mais écoutait, et son PQre en
avait conscience,
- Il faudra envoyer tous les jours une belle petite
lettre à maman, pour qu'elle ne s'ennuie pas, et pui ,
nous lui pr';parerons une surprise.
A l'instant, les deux petites furent frémissantes:
Prémery, à qui l'idëe qu'il se préparait à énoncer
venait de sc présenter à la secont!e, se sentit presque
effrayé devant cette muelle expectative.
- Voilà, dit-il gaiemlnt, nous allons nous arrêter
un jour à Gen ve, et je vais YOUS faire phot0[.tral'hier
toutes les dt:ux, en !!roupe, apr' s quoi on peindra la
photographie, cc sont des portraits charmants, j'en
ai vu.
- Avec toi, papa? inlL!rrogca Gencvi~
VC, l.:s yeux
agrandis
- Non, mon amour, oon, je suis trop Jait!; vous
�20
LA BRANCHE DE ROMARIN
deux, les deux petits anges de votre maman ... Hein,
?
r
elle sera -:.>nte'~
- Oui, papa, tu c!> bien bon, murmura Marcelle.
Et le myskl'e Je la s.!paralion parut de plus en
plus insondable au cœur de l'enfant,
IV
La journée, commencée dans les larne~,
s'écoula
tr:1'i douce pour les deux petit.;s filles; dies jouissaient mtens mènt de cette tendr~s
retou~,
et
d être en possession d~ leur papa. Il y avait I)r:s de
trois mois qu'elles ne l'avaient vu, un an que es rencontres n'avaient point de lendemain. Le sentiment
de sécurité, dont personne plus que les être:> jeunes
ont besoin, était délicieux. Papa leur appartenait à
nouveau, comme maman.
Gene"i "ve, dont la nature avait tant d'attaches
avec celle de son p::re, s'épanoui'lsai t auprès de lui,
plus même qu'aux côtés de sa m~re
1 Il Y avait là
un de ces myst~re
de l'ame qui ne se peuvent
expliquer; ch "rissant sa m' re avec une sorto de
passion exaltée, la putite fille, qui n'aimait qu'à se
blottir dans cette tendresse maternelle, rcs 'entait
néanmoins occultement les différences profondes
qui les s:iparaient. Valérie Monpascal, arùente à
:limer, capable d'un dévouement illimité, avait
cependant en elle une sorte de s~vérit
et d'intransigeance qui éveillaient dans le cœur de !'cnfanl
qu'elle comblait et dont elle était idolatrée, une -en~
sution de crainte !ate11te. O~o.nt
tout avec sa m"re,
elle en avait néanmoins un peu peur, et si elle l'entç:ndait se racher, en d.:mcurait trnubléll. Avec son
p~ re, au contrair'e, l'cnh nt se lai sait aller tout
entière. Prémery, Mllli aut:une Iwéméditation, mais
d'abondance de cœur, parlait ù la petite fille d'une
fuçon plu - intime, é\eila~
davantage t'es idées,.les
accueillait, le encouragulIt; la m' re, au contraire,
par jwllicitudc, r r~na!l
plutôt l'es~or
do la l'etite
Ina~ji!o
va~bon(le
qUI chaqut. jOllr prllnul! de«
l1ile5, voul, il voler.
parfaite rc;analt enlre le papa i"dul[Jne al~ncû
gent et 11!5 petile fille :
Il'(;lait pa a J\lont rl~t1.
quc tou!e deux bavardaient, riaient, rncontaient fl
rapa ... Elit: étaient si n.i!o"e~
à c n!empkr lue
l'rémc:ry, pour qui l'hem 11rt': ent, élail 101lt, 5"
grisail de leur vue. Gcn~\'I!ve.
avec son 3.uréol$
lilmlneule d~ cheveux h londs ondul~9
et frisé~.
se/l
on
\
�,
,
1
LA BRANCHE DE ROMARIN
21
trait:; si fins, ses yeux d'une profondeur si extrnordinair<~,
toute svelte et d~licate,
~emblait
un ange de
la compagnie du Beato; Marcdle, brune comme sa
m~
Te, un peu grave dt:jà, avec ù'( pais chevl ux que
nouait un large ruban rose, des yeux comme une
chataigne luisante, un teint coloré et clair, une
bouche en fleur, modeste dans tous ses gestts, faisait d':jà presslntir la femme, et le plre se dit que
celui qui un jour posséderait cc trésor, serait un
favori des dieux; les petites avaient secrl!cment
conscience que leur père les admirait, et leurs
reqards purs en devenaient plus beaux.
La I~glre
griserie du mouvement accéléré les pordéjeuner à Montreux fut tr~s
gai; on alla
tait. ~e
ensuite commander les ro<es pour maman, le téléwamme fut rédigé, et l'embarquement sur le beau
bateau blanc qui allait les emporter à Gen1.ve
s'efrectua joyeus<..ment. Par ce limpide jour d'été,
naviguant sur ce lac bleu, sous ce ciel transparent,
dans cet air pur, tenant chacune papa par la main:
le moyen de n'être pas heureuses? Pr~mey
se mit
en frais et fit aux enfants les honneurs du he, leur
parlant comme il l'aurait fait à dLs compafnes intelIgcntes, très sûr d'être compris, comme en eITet il
l'était.
- Eh bien, petite patronne, dit-il: - Prémery
avait baptisé sa cadette ainsi, l'assimilant à la
grande bergi re dont elle portait le nom et sous
l'égide de laqu.clle est Pans, - j'espl re bien que
tu vas nous écrll'e des vers sur ce beau lac?
- Oh 1 para. si tu savais comme elle a écrit de
jolis vers sur« les Saisons ll.
- Me les as-lu apportés au moins, petite masque?
Un sourire d(liclellx éclaira le charmant visaGe, la
petite tête s'inclina ù deux reprises.
- Elle les a dans son sac, sc hata de dire Marcelle.
Maman lui a mis llO pet it portefeuille dans son sac;
fais voir à papa, Geneviè ve.
L'enfant, timidl ment, mais avec une joie visible,
obéit ; b ien abritées, blotties tout prls de leur
ptre, les petites éprouvai;,;nt un bien-être exquis.
Prémery avait déplié la belle feuille de papier
bleu, et lisait ave~
avidité ct t<..ndn:sse, tout
bas, mais assez haut pour être lr1:s bien entendu des
enfants 1
L'été comme..1CC
Les bcth!s \'''Cilnees,
Le soleil d:lrdc.
IRe/nlil/.)
Salut aUl( jours d'été.
�22
LA BRANCHE DE ROMARIN
Gravement, les fillettes reprirent:
Salut aox jours d'''té.
Il continua:
L'automne est arrivé
Les f;)uillc' vont hJmber,
Les !leu rs \'ont ~e fan~r,
L'été et le printl!mps
Depuis longtemps ::;'est écoulé.
(R.efrain.)
Adieu, beaux iours d'été,
Vous êtes écoulés.
- Non, non, dit le
ils ne sont pas écoulésl
p~re,
Les beaux oiseaux qui chantent
Sur leurs nids assemblés,
Ils se sont ell allés.
Le froid les a frappés.
Ils n'ont plus de manger.
(Refl'ain.)
Adieu, beaux iours d'été,
Vou;; etes regrettés 1
- :\Te lis plu ,dit Genc\'i~,
la fin est mal. ..
- C'est très bien, ma fille, dit graveml!nt Prémery ...
très bien ... «L'~té
commence ... Les belles vacances ... »
c'est pour nous, ça ... Je crois qu'elles vont être bien
belles, nos vacances ... il ne faut pas songer à l'hiver,
l'hiver est tr~s
loin .. .
Les troi ' visages se firent graves devant cette
vision de l'hiver.
- ... C'cst-à-dire de nouvelles séparations J
Mai le pè:re cut bientôt donné à l'\.!ntretien un
tour plus gai, et, lorsque Genè:ve parut enfin à
l'horizon, les petites naïvement s'étonni!rent d'être
déjà arrivées.
v
On demande rnaJal1l\.! :\1l)11pascal au téléphone.
é ril~
avait (;té uiÎ peu saiSie de cet appel, et
tremblante dans la cabine.
..:ntra, lég~remnt
EIl.: éleva. !t:s récepteurs l't, le cœur battant,
attendit,
La vou de Premery l\li parvint
Val
�LA BRANCHE ·DE ROMARIN"
f
,
23
- C'est moi, c'est pour vous dire que vos filles
vont tr: s bÏl:n, que Gen..:vi è. ve a pas~
une excellente
nuit, gue Pauline est arrivée, et que tout marche à
merveIlle.
- .M erci d'avoir pensé à me rassurer.
- Vous n'avez pas de recommandation spéciale
à faire?
- Non, aucune.
- Comment vaBetty?
- Pas tr ~ s bien.
- Ah! j'en suis désol
~ . Marcelle est à mon cOté,
voulez-vous gU'clle VOLIS parle?
- Oui, OUI, qu'elle me parle.
- Bonjour, maman.
- Bonjour, ma fille.
La voix changea.
- J'interromps un instant la communication, parce
qu'on pleure un peu de ce cOté, mais fiez-vous a moi
pour les consoler.
- Au revoir.
- Au revoir.
Val0rie Monpascal sortit de la cabine les joues en
feu, le cerveau en ébullition, frémissante d'une
impatience qu'elle avait peine à mailriser, tenaillée
par un désir fou de courIr, d'aller prendre ses filles,
de les emporter.
Ce brd entretien a'u téléphone lui avait donné,
plus encore que le départ de la veille, la sensation
de la séparatIOn. Pendant les longs mois ~coulés,
pendant lesquels elle n'avait plus vu son ex-mari,
Jamais entendu sa voix, il était devenu une r~aliLé
moins tangible.
Puis elle s'était trouv<.!c en face de lui le Jour de la
premiè.re communion de Marcelle, il avait paru clevant
ellc la veille, ct voici que de loin, il est vrai, il venait
d'avoir un entretien avec elle!
Puisqu'il avait refait sa vie~
puisqu'il possédait
une autre femme, un autre lOyd OLI viendraient
d'autres enfants, pourquoi ne lui laissait-il pas ses
filles r
En même temps l'inflexible droiture, qui était le
fond même du caract; re de Valérie Monrascal, lui
c!isait que le p~re
conservait des droits imprescriptibles, et une vuix secri:te, que la femme délaissée
essayait d'étutifTer, lui murmurait, que peut-être, il
n'eût dépendu que d'die de retenir au foyerconju!.(al
ce mari volage, mais si tendre p~re
... et maintenant
les enfants souflrniCIlI. .. ct elle, la m' ft.', "oum'ait
aussi; lui s'~ul,
le coupable ell somml', était ind,·mne?
L'était-il? ce renoncement presque total aux douccurs
1
�24
LA BRANCHE DE ROMARIN
de la paternité était, devait être un châtiment. L'élan
al'ec lequel Gençvi'.ve s était jet6e dans les bras de
son p' re, s'y était fondlle, malgré le d~chiremnt
qui
lui faisait verser tant de larmes, avait révélé à la
m' re, habituée à se considérer comme le centre
même de la vi e de ses enfants, qu'une autre influence
aussi puissante que la sienne, peut-être même plus
puissante, planait du dehors sur ses filles, et devait,
sans qu'clles cn eussent conscit:nce, contribucr à la
formation de leur ame et de leurs caract':rcs.
Valérie avait dé frappée d'un autre fait, mince en
soi, mais qui témoignait de la force de cette
influence occulte.
La nurse anglaise, Betty, inféodée certes à sa
maltresse, avaIt néanmOins été extravagamment
toucb2e par la d,;marche de " l\Ionsieur » venant en
personne dans sa chambre prenJre de ses noul'elles.
- Il est si " clzeerful", avait-elle expliqué à
Mme Monpascal, que, tout de suite, je me suis
sentie mieux, plus courageuse.
Cette fugitive visite revêtait évidemment aux yeux
de celle qui en avait été l'objet une importance de
premier ordre, et la vigilance aITectueuse de la
maltresse qui, avec une bonté assidue, veillait à ce
que Betty ne manquat d'aucun soin, prévenait ses
d~sir,
n'avait pas sur le moral de la malade l'ell'et
réconfortant de quelques bonnes paroles, appuyées
il est vrai d'un solide cadeau en espè:ces; mais Betty
n'était nullement intéressée, ce dont elle demeurait
reconnaissante d ral'ie était la présence de «1\1onsieur» ; il avait toujours été au pouvoir de Prémery
de plier Bd tv à ses volontés, ses exigences revètaient
l'air de faveurs 1
, Une sorte d'étonnement presque douloureux
gonflait le cœur de la femme solitaire. Consacrant
(nute son ardeur J'aimer à ses filles. peut-être à
l'heure de la moisson ce ne serait pas elle qui rL!cueil·
lcrait la plus bt:He llCrbL!! Le charmeur qu'était
Prémery devait nécessairement cxcercel' SOIl empire
sur ses enfants, comme 'ur les indiITérents .. , CL!rtains
'::trcs bénéficient, sans la chercher, d'une indulv,cnce
gl'!1érale, qui n<; s'explique qu'en disant qu'elle est.
inexplicable, Valérie comprit, non sans amertum(;,
que td était 1(; cas de son mari, L'ouvrier de la
unzi~me
heure c~t
{·ternel, celui de la prcmil re Ol'
le comprendra jamais, et éternellement aussi ell sera
jaloux 1
•
Ce fut une journée mortellement triste pour la
mère, privée d.ei de~,I;
'trlola qui étaient l'o,me cie ~a
�,
j
1
,
LA BRANCHE DE ROMARIN
25
vie; elle demeura enfermée dans sa chambre, n'en
sortant que pour se rendre auprès de sa malade ...
elle se fit monter ses repas, ayant conscience que la
venue de Prémery, le départ des fillettes de\·aient
avoir excité les curiosités du monde oisif de l'h6tel...
Dans le plan primitivement établi, Valérie avait eu
J'intention de partir le jour méme où ses filles la
quitteraient; ce mois de solitude forcée devait
s'écouler â. Vichy, où, depuis une jaunisse que les
émotions lui avaient causée deux ans auparavant, on
l'en-;oyait en traitement, là; les soins e>- ig0s, l'absence
de tout souvenir évocateur du passl: faisaient en
somme couler rapidement les jours, et l'auraient
amenée sans trop de peine à celui où elle rentrait à
Paris prépar':r le retour des enfant s, moment exquis
comme la levl:e de l'aurore! Qu'elles a\·aient été
heureuses, ses oiselles, l'année pré..:édente, de se
retrouver dans leur nid 1. .• elles a\·aient, il est vrai,
beaucoup, beaucoul? parll: de papa; mais, sans que
la m~re
se rendit bien compte de l'emprise morale
qu'il gardait même éloigné sur les enfants, et puis,
elIes en avaient moins parlé, et Val0rie, en y songeant,
se demanda si Marcelle, qui devenait persp'icace,
n'avait pas averti Gcnevi~
de nommer plus rarement
papal
En somme, lui, c'était leur p~re,
mais si, comme
Valérie le redoutait, les petites allaient se trouver
en face de celle qui occupait la place de leur m~re.
qu'éprouveraient-clics"? rien ne les a\ait pr':par':es
fi cette rencontre, à cette révélation qui serait foudroyante 1 Malgré la connaissance certaine du fait,
Valérie n'arrivait pas encore dans le tréfonds d'dlem\:me à être absolument convaincue de sa réalité. JI
y avait là, pour son esprit, quelque chose de monstrueux, presque de ridicule, à l'idée que, elle vivante,
une autre était la femme de son mari, et combien
plus impossible une pareille chose devait apparaltre
aux enfants. Cette paix factice, dont, en ;lcceptanl le
divorce, l'épouse délaissé\.! s'était leurrée, combien
clic é.tait trompeuse, quds abimes recouvrai t-elle ;
comblCn les querelles des parents arrè:s toul eussent
été insignifiantes en regard de celt\.! flagrante rupture
de cc qui constitue l'acle de [ni fondamental de
l'enfant: l'union de son père ct de sa mè:re. Contrairem~t
à cc que s'imaginent les grandes personnes,
les d·spules conJugales ont peu de portée aux yeux
des enlants, les troublent comme un orage, malS en
somme laissent ks clnse~
dans l'ordre. C' sont
variations do.: la température auxquell,. s on s'accoutume, et dont, en gcnéral, l'enfant ne mesuro aucu-
�26
~A
DRANCHE DE ROMARIN
nement la portée, CèS id 'es pass' rènt les unes
1l;s autr<!s dans l'e~prit
JIl Val"ric MOllpascal,
et ulle véritable dét resse la mnrdit au cœur, Le point
d'appui Jans l'ex.istence semblait lui manquer et
elle eut la clain) intuition qtle, pour éviter le naufrage
de ses affections, il lui fauJrait accomplir des prodiges d'équilibre, Personne moins qtl'Cllè, droÎ,e
jusqu'à l'Intransigeance, n'était capable de ccite
abnt!gation d'un genre sl1écial; tout!.! les qualités de
son ex-mal'i allaient mi îter contr\! elle; une nholle
douloureuse la fit trembler, ct les larmes vinr<!nt
ennn sotllager on angoisse, L'acc's fut bref, car
elle mettait, die avait, malbeureu:.ement pour elle,
toujours mis une pud<.:ur farouche â cacher ses sauf·
Crances, et Cette r'::servc l'avait dcsscrYÏe aupr~
s de
son mari, naturdlement expansif et qui, ne voyant
chez a femme atlcune marque Je chagrin, n'en sùupçonnait pas l:existence 1 Premery 1118lnit Vall:lïo
plutbt dore et tt1sen c'ible, sauf pour ses enfants, ct se
persuadait qu'elle avait été reu afTccl":e de leurs di~
sentiment!! conjugaux, car lamais la sereine di,~t1lé
du beau vi 'agI.! f~miln
n'avai! été altér":c; jamais
dans l''';preu\·c VaL~rie
n'avait laissé voir un vÎso3c
battu d meurtri; son nrgueil était ,il! sa\'Qir si bien
dissimuler ~es
~ouf
.. anc.:s, ct d'en d0rober à tous
l'humiliation secr'ole! Cependant, ce jour-là, elle
éprouva le besoin d'une sympathie coml'atissante
et entra dans la chambre de Betty, Une garde, qu'on
avait fait ,"enir de Montreux, se tenait pr:'s Je la
malade, Mme Monpa~cl'e
à aller ::,e repo, Cl',
- je vais rCi'>ter là jusqu'nu d':jeunt:r.
Qudques phra:es !'>êchan~ret
au sujet de l'état
de Betty, du traitement, de là mala lie et de la santé
en g~nÙal;
puis la gtlrdc, bil!11 aise d'être rl!cn~e
de
faction, s'éloigna oprL avoir,avec impoI'tance,donné
quelques conseil:!,
Mme l\Ionpascal aprr,)cha alors une cbal~
ùu lit
de Betty, posa une main lêg:n..: sur la cou"erture, \.lt
di!:
.
- Ccla va mieux, Bettv '? Le rcpos suffira,j'esp"re,
- Je l'!sp~rc,
rJI'On tlit une ,"oiÀ afTaiblle; mail'!
vous-même, "dear Madam ", comment êll S-\'OU r
- Un peu solitain.:, Rett\', et Jeu. grosses larme
emplirent le!'. "LUX hruns ; ,,·MOIl. i!'!UJ' ~ m'a tél":l'lwn6
ce màlin de (1cn~\',
- Oh! comme ~'c
t attentir dc sn purt 1 C \1m~
nt
~ont
rnls~
f\hrteJ1e 't mi' _ J 'l1el'l W!?
- Tr' 5 bien. il ('uralt; J\lur.:ellc nu i m'a parl~
au ttlli!rhonc .. , mal l!1I~'
1'1 ''Irait un pcn, nlJ~
1 on
papa a intcrroml u la cnmJ1lunÎl.;atiull,
aFr~
�LA BRANCHE DE ROMARIN
27
- Pauvre darling 1. .. Oh 1 c'est triste, c'est terriblement triste!
- Oui, Betty, bien triste ... si vous étiez avec elles,
je serais moins inquiè te.
- Oh! mais eJ1es aiment tant leur papa; miss
GeneviL ve qui est si timide, ne l'est pas du tout
avec son papa ... il ne faut pas vous tourmenter,
"dear Madam " ... Ah! quel malheur que je sois
venue vous apporter l'ennui d'une maladIe; le vous
en d,mande bIen pardon 1
- Ma bonne Betty, ce n'est pas votre faute,
j'imagine ... restez tranquille, ne parlez pas, je vais
lire.
La malade obéit, mais ses yeux gris se tournaient
avec obstination vers sa mailres:le. Valérie portait
un costume de toile blanche, parfaitement simrle,
mais qui s'harmonisait avec la noble gravité de son
visage, plus pale que d'habitude; BeUy admirait la
beauté de" Madam" et son ame simple, mais profon.
dément humaine, eut la perception de la solitude
de ceUe belle créature de Dieu. Tout d'un coup, dans
le silence. la voix faible de Betty, habituelltment si
respec1ueuse, s'éleva et dit:
- Oh l "dear Madam", je suis si fachée pour vous 1
VI
Prémery. sans aucune bonne raison, prolongea
trois jour·s la halte à Genève ... les petites étaient
si heureuses; du matin au soir, il les menait
visiter quelque chose, les amusait et les intt:ressait
sans une minute de répit. Un malaise inattendu
s'élevait dans l'esprit du pL're à l'idée de l'arrivée
aux El ais ... En théorie, c'était la chose la plus simple,
il n'y avait vu aucune difficulté, ou de SI lég1.res; et
maintenant, en présence de 5e<; filles, sous leurs
regards confiants, il ne savait comment leur faire
pr~senti
la proche réalité. Gt:neviLvl! s'épanouissait dè's Gue le nom chéri tle • maman. passait ses
l~vrcs;
e'le lui avait d(!jà ('crit une lettre .oute frémiss~nte,
ct dont les e.'pressions de tendresse avaien1
vIvement troublé le pi..re.
D'autre part, on les attendait aux Etais. Jacqueline, sc disait Pr('mcry, v allait de tout !<on cœur ct
avait le droit de n't:!rc l"as dé "appointée ... Vaguemerrt avait flott6 dan" l'esprit de l'homme embarrassé
J'idée de passer le mob de \acances sur quelque
�28
LA BRANCHE DE ROMARIN
sommet dont l'air serait salutaire à Genvi~
... Mais
c~te
modification était égalemen.t d'exéc~tlion
diffi.
elle. Prémery, toute sa VIe, s'était volontiers confié
au hasard, dont il espérait toutes les connivences.
L'importance était de conserver son sans-froid. Les
enfants avaient recouvré vis-à-vis de lUI toute leur
liberté d'allure, s'abandonnaient à sa tendresse
paternelle, il en userait pour les rendre raisonnables.
Perplexe néanmoins, il prit la vieÎlle Pauline dans
sa confiJence et lui exposa la situation.
- Monsieur, il faut les prévenir, dit avec décision
celle dont on demandait ['avis.
- Voulez-vous vous en charger, Pauline?
- Ce n'est pas agréable, bien sûr ... enfin, pOUl"
Monsieur... e~ tout bas elle r.o nchonna : " tout ça
c'est des gachls. Prémery feignit de n'avoir pas entendu.
- Ma bonne Pauline, je vous serai si reconnaissant... On nous attend là-bas, je ne puis prolonger
éternellement le sl:jour ici.
tantôt Mlle Geneviève en
- Que Monsieur m~ne
promenaJe, je causerai avec Mlle M.arcelle, qlli est
bien raisonnable.
Si raison nable en effet que fût la petite fille, Pauline se troul'a singulï'rement embarrassée pour
entrer en mati:re; d'abord, ce qui était conforme à
son habitude, elle mil sur le tapis sa défunte maltresse. et questionnant la fillette:
- Vous vous rappelez bien, ma chérie, de 1'0 re
bonne mémG?
de
- Oui, Pauline, je me souviens parfitem~n
ma m.!mt!, j,;: j'aimais beaucoup.
- Et elle, donc 1 pauvre ch:'re dam~,
il n'y avait
rien au monde all-dessus de sec; petites-fille5: \'os
cousins ne l'intéressaient pJ.s moiti:' autant, ah r
elle serait contente de vous voir grande et belle
comme vous voilà, ct 5i raiSllJ)nable; ct les Etais,
ma mignonne, 0:1 nous allons, vous Ile les avez pas
oubliés non plus?
- Oh [ ce n'est pas comme ma mémé; il a cles
choses qui ~ont
broui1l6cs, mais je suis bien heureuse d'aller revoir notre maison.
- On vous y attend avec impatience! lança Pauline ans oser renarder la filletto et tou sant mystérieu'lcment.
- ()ui donc nous attend? c1cmanda Marcelle en
~ouriant.
est-cc Bastien, le vieux na rde? Oh 1 je me
ollvjcns de Bastien cl de son chien Jupiter ... Je
vais tout reconnaltre, j'en suis sûre, et le teint
�LA BRANCHE DE ROMARIN
29
mat de l'enfant sc couvrit d'une légl re rougeur ...
- l'\on, ce n'est pas Bastien, c'est une personne
que vous ne connaissez pas cncore, ma petite chérie
Mademoiselle, et pour qui il faudra être bien
gentille.
L'enfant instinctivement recula, son visage devint
grave.
- Qui donc, Pauline?
La voix avait d(jà de l'autorité; e11(; répéta, parlant plus rapiJemcnt :
- Qui donc, dites?
La bonne créature aurait bien voulu se retrancher
dans le silence, mais le jeune regard, soudain un
peu impérieux, la riva à sa place i presque automatiquem~n,
dIe r0pondit :
- C'est la nouyelle épouse de votre papal
Marcelle ne bougea pas; m0dusée, regardant la
vieille femme avec des yeux qu'une sorte de terreur
dilatait:
- La nouvelle épouse de ... de ... mon papa?
- Oui, pauvre trésor; malhc.un:.usement votre
papa et votre maman sont divorcés ... et alors Votre
ch<:r papa s'est remarié ... c'est son droit...
- Comme si ma maman était morle 1
- C'est la loi, je ne l'aime pas, mais c'est la loi.
Vou~
feriez du charrin à votre papa en n'étant pas.
gentille pour sa femme.
La fillette, d'un geste accablé et touchant, porta
:.a petite main tremblante à son front el cacha ses
yeux.
- Qu'e~t-c
qtlO va dire Genevi1.:ve? balbutiat-cil..:. Dh 1 G..:n..:vi1.:ve ne vouJra jamais la regarder .. .
- Il faut, mon ange, lui donner le bon ex.:mp1c .. .
C'cst cnnu)'..:ux, bien sür, mais au jour d'aujourd'hui c'elOt comme ça, dans bien dcs familles.
,Marcelle demeura un long moment silencieuse,
dans l'el1ort de se pén61rer ék la hituation ..• A la
fin, clle demanda très bas:
- Alors, ma maman pourrait sc remarier?
Le ton exprimait ulle angols5e pre que éperdue.
C'e~t
cc qu'elle ne fera jamais, la ch~r
Jarne,
pas besoin d..: vous tourmenter lù-dcsl;us; votre
maman ne sera jamai<\ qu'à sc petites filles ... Mais
un papa, même le mr'il!el1r, cc n'e t 'pa~
une maman.
Il ne fout pas en voulo1r à 'aIre papa, Il sc trou\'alt
tout seul, pou\'re cher homme ... Il serait désc!:péré
s'il vous voyait l'air chagrin; allons, ma mignonne,
ofTrcL ce petit sacri'Ïcc au bon Dieu ... Votre cher
p Ira VallS aime tant ql1'i~na
pae; cu 1.: coura"e de
vous apprendre la chos lui-m()~.
Promcte~
�30
LA BRANCHE DE ROMARIN
moi d'être raisonnable, votre papa compte sur vous
pour raisonner Genevi:'ve.
- Si on lui dit à l'avance que cette dame est aux
Etais, elle ne voudra jamais y alTer.
- Eh bien, on lUI racontera qui elle est, seulement apr::s qu'elle l'aura vue, suggéra Pauline, bien
aise au fond d'un ajournement.
D'un mouV.!~nt
accablé, Marcelle acquiesça. La
vieille femme la caressa, la loua, l'encouragea, lui
démontra combien il était beau et honorable d'être
la confidente de son papa.
- Maman sait?
- Oui, mon cher trésor, bien entendu j elle a
craint de vous faire de la peine, c'est pourquoi elle
ne vous a rien dit ... l\{ais elle n'est pas rachée, puisqu'elle: 'DUS a laissées venir.
Quand Genvi~
rentra, les mains chargée- de
petits l,a luets : un chalet avec ses balcons, sa large
toiture, ses contrevents verts une belle Suissesse
portant une m:::rYt;:illeuse coiffe ouverte en aur~ole,
sa sœur aln:!e l'accueillit avec une sorte de passion,
admirant presque avec exagération les beaux objets
que la petite rapportait.
- Voilà que votre papa vous a gâtée, dit Pauline
apportant son contingent d'exclamations approbatives. En voilà un papal
Le petit cœur afTectueux était gonflé de plaisir.
- Maman sera contente Je voir tout cela, dit la
petite, je 'ais lui écrire que j'appellerai ma Suissesse Myrtille.
- Quel joli nom 1 répliqua Pauline, qui vous en a
donné l'idée?
- C'est papa 1 répondit avec un tendre orgueil
l'enfant, papa m'a donnC: au moins dix 110ms pour
choisir, l'ai aim.! Myrtille Elus que tout, - et se
tournant ver~
l\larccllc : - fu seras la marraine de
ma fille suisse, nous la baptis.:rons d'Ill. Etuis, papa
m'a promis des dra~t!es.
Le dîner fut t~:s
gai l'our Gelle\ii;ve j elle ne l'nt
pas garde au . i1el1<.:C de Marcdle, que ,on p rc
traita ;lV\.!C une tendre sc discrL:te ... Le>; bl.:aux yeux.
brullS de l'enlant interrogeaient a ',·c ulle anxi6t6
qua'nd on se k"a de table, ct
pres9,ue dnlC)ure~,
quo.; Gt:llt.wii:,,<.: courut I.:n a\'1\nt, pour pr(;Jlùre leurs
place<; sur la terras e d'où on avait une si bl'lle \·tIC.
Prérnery s'approcha ùe .\Hrc~l,
la "erra t~ndrc
ment contre lui, ct tout bas lUI murmunl:
- Je te remercie, mnn enlant cll6rie, je com}'te
sur toi.
La p~tie
fille, tremblotante, jeta ses bra
�LA BRANCHE DE ROMARIN
31
autour du cou de son père, s'y cramponnant avec
une sorte d'anfoisse. PrLmery, vivement ému,
détacha doucement les petites mains:
- Ne crains rien, mon ange, te voir heureuse est
mon premier souci.
Ille disait, et le croyait ~incl
rcment 1 Comme on
devait se meltre en rou'e le lendemain de bon matin,
la soirée fut courte, et, à huit heures et demie, Paul
line vint chercher les petites filles; Genevi1.ve, dt!jà
et les
à moit ié endormie, ne se fit pas prier; le p~re
enfants échangl rent un tendre bonsoir.
Prémery eut besoin, ce soir-là, de fumer de très
bons cigares, car, contrairement à son ordinaire
oplimisme, il était inquiet. Pauline lui avait rapporté l'exclamation de Marcelle : que ferait-il si
Genevit ve se refusait à l'afTection qui voulait l'accueillir?
Ces trois journées avaient fait sentir au plre la
force du lien qui l'unissait à ses filles ... Elles étaient
encore davantage pour lui que l'année derni1.re ..•
Ces onze mois ayaitnt singuliè rlment müri Marcelle,
dont la raison, éclairée par une p'rofonde piété, fit
presque peur au pi. re; et GenevlL vc, si I?rimesautiL re, de sentiments si intenses, et chez qUi on devinait des forces latentes ... L'idée de contrister les deux
enfants fut dure à Prémery ... Un doute effleura sa
pensée ... S'était-il tromp!.! en divorçant 7 L'impression que Valérie avait produite sur lui, dépa sait
tout à fait ce qu'il avait prévu d'une rencontre, il
3\ait eu la sensation d'une emprise, que rien ne
pouvait compli. tlment dissil?er ... La voix, au téléphone, de son ex-femme a\'all eu quelque chose de
si nat urel 1 et l'attachement de la ml re et des enfants
rentrait évidemment dans l'ordre des choses absolues ... Il Il'était pas jaloux; mais il se demanda
si les enfants aurait.!nl rour lui leur pl re, qui leur
élait si dl!voué, une tendresse égale 7 Jacqueline
lui avait dit un jour: «Je leur apprendrai à t'aimer, à
t'apprtEcier, li ct cc propos, qui avait tou.::hé Prémcry, lui parut soudain ridicule ... Quds liens pouvaient s'établir entre cette étrangi re, car il était indéniable qu'elle leur était une élranglre, et ses filles?
La personnalité des enfants se présenta au cœur du
p' rc comme un redoutahle rrobl' me, dont la solution ~e trou\'ail cn dehors de lUI; il avait cu, quoique
s'cn d~fcnat,
l'intuition de l'émollon profonde de
Marcelle, ct, pensant au petit visage convulsé de
Genl.!\·i~
ve à l'instant OCI il l'enlevait aux bras maternds, il redouta l'instant Oll clic franchirait le seuil
de la maison patt.!rnellc 1
�3~
LA
BRA~CHE
DE ROMARIN
vu
Quand l'omnibus automobile, qui était \enu les
cherd1ef à la gare, située à huit ldlom:':tres des Etais,
dépassa la grille du parc, Genevi:':ve, qui tout le long
du voyage avait été fort excitée, frappa des mains,
et dit avec une agitation un peu fébnle :
- Bonjour les Etais, bonjour la maison de mon
papa.
Un calme extraordinaire régnait tout à l'entour, on
ne voyait que des bois et, au loin, des colline bleues;
le sentimt:!nt de solitude était intense; soudain, la
maison se découvrit; c'était une grande bâtisse
genre cottage anglais, que le pi.:re de Charles de
Prémery avait fait construire à quelque distance de
l'ancien chateau, transformé cn communs. L'habitation moderne se trouvait placée sur une légère
éminence, et apparut rost\e dans le couchant et ses
vitres brillant; le perron fai ait une tache blanche,
la porte d'entrée était largement ouverte ... Prémery
mit lui-même ses filles à terre, puis leur prit à
chacune une main, et monta les quelques marches.
On apercevait dan,; le hall une silhouette de femme,
et les petites n'y avaient pas pénétré, qu'une belle
et grande personne, v()tue d'une l(:gère robe grise
flottante, une quantité de, cheveux blonds encadrant
un visage sounant, s'avança, s'inclina gracieusement
et, passant un bras autour de la taille de chacune
des enfants, les regarda longuement, et les embrassant l'une après l'autre dit:
- Que je suis contente de vous voir, mes chéries 1
et, se relevant, elle embrassa à son tour Prémery.
Les fillettes s'aaient arrétées ct ne bougeaient
plus; médusées, Marcelle, toute pale, les yeu'x baissés; Genevi1:ve, la bouche ::.err(;e, l'air lOquiet et
farouche.
- Elles vont monter, dit nerveus-:l11ent Prém(;ry
qui les observait, il faut d'abord les laisser monter.
Pauline, accompagnez ces dcmoi~le
, vou" connaissez le chemm.
- J\[ais vus-y toi-mC:m<:, Charle~,
rlaiJa affectueusement la jeune femme.
Les deux '!Jfants lançaient à cellc qui w'1ait de
parler un COl.p d'œil alarm6, ct, semblables à d~u.
biches effarouch(:cs, parurent prètes Il s'enfuir; leur
père, comme s'en rendant compte, leur avait fermcml.!nt saisi les mains, et parlant, riant, donnant
�LA BRANCHE . DE ROMARIN
33
à droite et à gauche des ordres divers, les dirigea
vers le salon, vaste pii:!ce occupant tou te la largeur
Lie la maison, et au centre de laquelle, en face des
grandes baies, dans un renfoncement profond
qu'égayaient de sportives peintures murales, se
découvrait l'escalier aux belles rampes de bois, et
que flanquaient de chaque côté, aux premières
marches, deux cerfs magnifiques, qui paraissaient
vivants et portaient entre leurs défenses une croix
de Saint-Hubert qui s'éclairait le soir 1 Les nobles
bêtes servirent de diversion imméLliate; Prémery
s'arrêta devant elles et, les désignant de la main à
Geneviève, lui demanda:
- Reconnais-tu tes vieux amis, petite patronne,
ils ont, j'en SUIS sClr, contents de te revoir?
La fillette sourit un peu faiblement; néanmoins,
une petite flamme passa dans ses yeux, et d'un
geste calin elle entoura du bras le cou d'un des
tiers habitants des bois. Les souvenirs affluaient
évidemment dans le jeune cerveau et le détournaient
de l'impression présente. Cependant Prémery ne
s'arrêta pas; à peine, au premier palier, prit-il le
temps de faire observer à Marcelle la meute qui du
mur du fond semblait s'y précipiter; là, l'escalier
bifurquait à droite et à gauche ,pour aboutir à la
vaste antichambre du premier étace, sur laquelle
débouchait également un autre escalier, dont on
usait pour le service; une femme de chambre chargée
de paquets le gra\'lssait et précéda le groupe dans
la belle chamore qui attenùait les fillettes, leur
ancienne nursery, claire, ~aie,
hospitalière . La
fenêtre unique formait une énorme baie, par laquelle
on apercevait l'horizon paisible; au premier plan,
une \·aste pelouse dévalait jusqu'à une pièce d'eau
qui bnllait à la lueur du couchant; au delà, s'étendaient les bois profonds, et, à droite, le~
collines
bleues semblaient une muraille défensive. Par cette
fin de journée d'été, tout au dehors et au deùans
était d'une douceur exquise. La tenture rose, les
deux petits lits blancs rapprochés l'un de l'autre,
la belle vierge dc Lourdes, qui planait sur son socle,
Sllutenuc par les anges, au-dessus de ces lits; l'ordre
charmant, les fleurs sur une table roncle, tout flattait
les sens, et méme la jt.!unes::;c cles deux petites créatures fut st.:nslble à cette ambiance délicate.
- V"us .::tes bien, me~
chéries! dit triomphale.
ment h:ur pi:re, ct, sans plus discourir, après un
re!;iard dt.: connjYent;e du côté de Pauline, il ajouta.
" ::ioyez prètes à sept ht.!ures un quart, je viendrai
vous chercher. " ct sortit.
9 i -II
�34
LA BRANCHE DE ROMARIN
Dès qu'il eut disparu, l'espl:ce d'étourdissement
que, toute ct:tte nouveauté avait caus6 :l Geneviève
cessa; farouchement, elle se jeta dans les bras de
Marcelle et, cachant son visage, commença à sangloter silencicusement.
Marcelle, 1rl:S bouleversée dIe-même, la berçait
sans parler, sans trouver une parole pour l'apaiser.
Pauline vint à la rescousse.
- Allons, allons, mesdemoiselles chéries, soyez
raisonnable, vous allez faire beaucoup de chagrin
à votre papa, qui e~t
si bon, Regardez, il a mis pri;s
de votre lit le beau bénitier de votre m~0
j mais
regarda-le donc! - Genevii;vc ::-oule\'a un peu la tete
et jeta un regard détourné vers le précieux objet qui
lui 6tait signalé - et, là, sur la cheminée, ce joli
portrait de votre maman .. ,
L'effo:t fut 61l:ctriquej se détachant ùe sa sœur, la
pdite cria: <J. 1\laman» et se jela sur le portrait
que Pauline avait pris entre ses mains pour le lui
pr6senlt.:r.
- Là, là, embrassez-la toul votre content, et pour
lui plaire, nc pleurc:z plus,
L'enfant poussa deux ou trois lourds soupirs, puis
trl:S bas ùemanda :
- Qui est celte dame?
- Qui est cette dame? répéta Pauli li\! s'exhortant intérieurement à la vaillance ... l'\'1I1e Marcellc
vous le dira bien, n'est-ce pas, ,\ladcmoisc:lle chérie (
lvlarcelle s'avança "ers sa sœur de la mine rccueillic:ctgrave qu'ellea\'aitlorsqu'elle marchail \'er'
l'autc:Il ct, ses mains juintes, soutenant sa pri~f
intérieure, elle dit :
- C'est J\lme de Prémery, - et, répétant la phra e
de Paulinc:, - la nouvelle épouse dt.! papa 1
Les yeux dilaté;;, sa petite buuche tremhlante,
Gene\'ii:\'e écoutait sans paraitrc: comprendre, ct
Marccllc, les paupil:l'cs baiss0c:s, n'avait é\'idc:mment plu ric:n ù ajouter, Pauline, une fois cncore,
leur l'lit seclllll'able,
- 0111, c'cst.;a, et die l'cut être bic:n grnlillt: (lour
\'OUS deux, .l'ailleurs, commc: le Su\'ail bien l'otre
maman, pUisqu'clic \'Ol1S a permis de \'enir. Allons,
dépl:chl)n' vite de nous habillcr. .le fc:rme un 1110lllcnt la ["n'::lre, enlevez l'otre robe, mil cherie, t
llOU
pa seron dans le bc:all cahint'! d<- toilettl:,
.\h Ion '!Sl hi~n
aux Etais,
- Che/. nllu;; aussi, - répliqua (1 'rC:1l1 nt la l'"
tile l'oi tr 'lllhl,IIlt.!, puis llbitcfJ1<!nt. - .fe ,'cux
m'en alla, je ne l'eux pa \'oir celte dame
- .\11! • !~Jemojscl1
G.en\l~',
je Il':!lWlij OIS
�LA BRANCHE DE ROMARIN
3::'
cru ça de VOliS, voyez l\llIe l\larcelle, qui a fait sa
première communion, et qui est si pieuse, elle est
d~ciée
à ne chagriner ni son cher papa ni sa chère
maman ... Les enfants doivent obéir à leurs parents,
pas vrai,l\1ademoiselle l\Iarcellè ... Vous faites aussi
beaucoup de peine à .... otre sœur, n'est-ce pas, mademoi, clle Marcelle, quc Mademoiselle chérie vous fait
de la peine en ce moment.
- Beaucoup, balbutia Marcelle, ses yeux courageux arrt:tés sur ceux de Pauline, comme cherchant
un soutien.
Geneviève leva brusquement la tête, contempla
un moment sa sœur, puis, sans résister davantage,
laissa Pauline s'emparer d'elle, et insensiblement
le bavardage de la vieille femme de chambre apaisa
la fillette; Marcelle, de &on côté, "habillait, puis
voulut attacher clk -même les rubans de cheveux
de Geneviève; elle noua avec art les belles mèches
blondes qui raY0nnaient comme une lumineuse
auréole autour du charmant visage, et oll le rose
très doux de la soie faisait une tache harmonieuse;
les deux petites, dans leurs robes dl! soie Liberty
blanche, formaient le plus gracieux des tableaux,
que la diversité même de leur type rehaussait;
ks yeux de Geneviève étaient pour l'heure presque noirs, tant l'émotion dilatait sa pupille; de
temps en temps, elle se mordait la lèvre inférieure
et crispait un peu sa main; mais avec une abondance extraordmaire, Pauline continuait à dérouler
Je- chapelet interminablec\e ~es
paroles, parlant de
sa maltresse dHunte, de ceci, de cela, étourdissant
presque la petite fille, qui semblait désireuse de dire
quelque chose à Marcelle, ce qu'il fallait, au jugement de la vieille femme, éviter â tout prix.
Genevil:ve, d'un air méfiant ct étrangement r0solu,
regardait la porte, et dans son for intérieur 0voluait
une âpre volonté de r0sistance? Mais la porte s'ouvrit et Prémery enlra: il élait babillé en tenue du
soir, portait un smokinq, ct sun air d'élégance et dc
raffinement ajoutait à l'agrément rtaturel dt.! a personne. Genevil:vè fut comme saisit.!: " Oh 1 comme
papa ~tai
beau! • Il souriait d'un sourire tendre,
el ses yeux, uh peu anxieux et tri:s doux, inlerropca;' le visaac de ~cs
filll!s ... L'exp! '~sion
dc cl:lJi
de Genevi1:vc ~ubit
une tranbt"onnatlon ... Elle fit,
tout en tremblant un peu, la seule cbose possible,
mettant dans la main OllYerte que son père lui tendait sa petite main, alls"i fine qU'Ulll! patte J'oi"cau 1 Un sourire radicllx la remercia; Pr6merv,
cumme soulagé J'une anxieuse appréhension,
cxu-
�36
LA BRANCHE DE ROM ART ~
mina alurs à loisir les deux enfants, ct dit à Pauline
d'une voix orgueilleuse:
- Croyez-vous qu'on puisse trou 'er mieux, Pauline '?
- Non, Monsieur ... pas possible!
Pr6mery eut un rire heureux.
- C'e.:st bien mon avis, allons, les gosses, marchons ... - et, avec un effort pour parler naturelll!ment, ajouta: - Jacqueline nous atrend.
VIII
Avec ses filles, d'une façon occulte, Valérie était
entrée dans la maison de son mari, ou du moins
de celui qui l'~\"ait
été. Prémery en eut subitement
la sensallon Intense et pénible: : l'imagl! qu'il eùl
volontiers cha:;,séc, se précisait impitoyaule.:ment à
ses yeux, elle marchait devant lui; il éprouvait la
sensation phYSique d'étn: fr6lé par la femme jadis
aimée, et qui depuis plusieurs années avait, du moins
il le croyait, cessé d'exister pour lui; ellc était là;
on parfum préféré émanait des effets des petites
filles, qui, en plus, reproduisaient inconsciemment
les gestes, les intonatiuns, ks expressions même
de leur mère. Prémery en fut profonuément troubl '.
Quelque:> mUIS, une année même ne sont rien pour
1<.:s êtres ayant atteint leur.apogée; mais ces douze
mois écoulés depuis les dernièn's vacances, pendant lesquelles le père avait vécu en compagnie de
ses filles, constituaient pour celles-ci presque un
chang.:ment tle per:>onnalité; par moment le p:':l'e.:
:lIait" comme.: une brùlure soudaine, le s"ntiment dt!
ue pa" les connaltre 1... 11 'entait chez l'une comme
chez l'autre, des r~ef\'s
:.le penst:!es qui lui restaient enti:':rement cachées. Les voir aux Etais lui
étrange ct doux; mais surtout étranf~e;
parai ~ait
évidemment elles n'y élaient pas à leur place ...
Il avait semblé à l'homme optimiste que le" enfants,
l'aimant, s'entendraient heureu 'cment avec ,Jàcqueline, que la clin naissance ct la familiarité seral(:nt
rapiu(:ll1ent dablies, et vllici que d:': . cette premièn:
heure,. ks .;onuuisant lui-m
~mc
'1..:e.: .l\Ue sa pen éc
c l'lai uit à appder la table tam\llUle, le i>~re
él'rUllvait ~Crl:kmcnt
une orte de répugnance.
L'autre, la mère ab cnte, le bantait C(lJnme n funt. ml.:: fantôme extranr lil1.lircI1II.nt vivant, nu t.dant
Pourquoi avait-il eu la falll<! ic,l":c d'alnenar
li1t:~
�LA BRANCHE DE ROMARIN
3i
aux Etais? Un épisode récent s'imposa à la penséè
de Pr~mey
; dans le vit.Ux batimi.!nt où on effectuait des rél aration , un coup de pioche avaitlibGré,
dans un mur, un nid de fourmi~
ailées qui y étaient
cachées; <:Iles s'étaient soudain répandues partout
et, avant cc coup de pioche, on ignorait leur existence; un peu de platre s'effritait parfois, mais
le dommage ex.t~riu
était insignifiant, le nid aurait
pu être ignoré vin~t
ans encore .. , La venue de GeneviGve et de Marcelle apissait d'une façon identique
sur les souvenirs assoupis dans le cœur de Prémery; ils revenaient comme un essain bourdon nant, l'assaillant. Arrivé au premier palier de l'escalier et apercevant les ilhouettes de ses fîllles el
la sienne dans le haut miroir au-dessus de la chemtnGc qui y fai"ait face, il revit dans un éclair la
silhouette waye et tendre de ValCric, descendant
vers lui, l'époux de la v~ ille, un certain matin de
printemps, treize ans auparavant. Il e secoua, parla
tout haut afin de reprendre le sens de la réalité.
Jacqueline, étendue dans un faulcuil profond, à côté
du foyer rempli de fleurs, leva sa jolie tète rutilante,
tendant ses beaux bras blanc vers ceux qui approchaient, et d'une voix cares ante cria palment:
- Dieu 1 que vous êtes gentils tous les trois 1
Le père sourit, les fillettes demeurcrent impénét rables; Aime de Pr('mery possédait la plus indomptable confiance en son pouvoir de séduction et était
bien déci~e
à conqu~ri
deux petite bonc~
femmes, qui ne pomaient .:!trc de taille à résister
à ses a\ances; letlr froideur l'avait un reu surprise,
mais elle jugea sage ue ne pas avoir l'air de s'en être
aperçu, méme vi!;-à-vis cio.: son mari ... Bientôt elle allait
à son tour le rendre pLre, Cl se sentail assurée que
le fils, car cc dl 'ait êlre un fils qu'elle donnerait à
Prémery, remplirait tou lc~
vides que pouvaient lui
faire épi'ouver l'absence de sc' fiJle~,
Car Jacqueline
:-;'avouait à ellc-mêmc qu'elle' étaient charmantes;
Gl nevi;;vc ressemblait à Pr-:mery, ct, pour cette raison , elle l'eCtl facilement aim':e; son indifTtércncc à
l'égaru de l'enfant né de scs <.:ntraillcs était en par.
tie cau éc par la frappante ft! tiembJancc ue la petite
fille ù on l':'re; .rncl}ut:line avait déddé que la <:imi.
Etude de moral devait pmbablemcnt s'affirmer égale,
et que l'enfant s 'rail en conséqucoce parfaitement
cnnuy u e; c'était llnt: vraie Saint-C~rs,
el toute
cette "famille é ail a ~()manle;
tandis qu'une 1'1'('\l1cry portait cn ;,oi toute les rai ons du monde
our être d 'licieu 'C.
- Conduis Gcnevj.::vc, moi je conduis Mar.:cllc,
�38
LA BRANCHE DE ROMARIN
avait déclaré Mme de Prémery, dl!s que le diner
fut annoncé, et, joignant l'action à la parole, elle:
passa gentiment le bras de Marcelle sous le sien, et
ainsi unies d'apparence elles se dirigèrent vers la
salle à manger.
Genevii;ve, silencieuse, se cramponnait à son père;
celui-ci, sane; explication ()fale, mais ayant jeté un
coup d'œil amical et interrogateur à sa femme, rapprocha de son assiette le couyert de l'enfant, dont la
chaise, ur un signe, fut également avancée i la petite
fille s'assit tout contre on pi:re, qui à deux ou
trois reprises lui posa la main sur la tête comme
pour l'encourager. ..
Marcelle, docile et courtoise, ré:pondait d'une voix
assourdie aux questions affectueuses de Mme de.
Prémery, qui était décidée à ne pas laisser s'établir'
un silence gênant i tantôt s'adressant à la fillette,
tantôt à son mari, elle forçait l'entretien à rebondir,
racontant tout ce qU'elle avait fait depuis huit jour«,
et fréquemment soulignant ses anodines anecdote"
de rires prolongés.
Jacqueline de Prémery se piquait d'être rieuse,
comme elle l'exprimait en grasseyant j elle connaissait parfaitement l'emprise de la galté sur les hommes, combien ils en sont avides , et, voulant plaire,
elle avait pris l'habitude de s''';gayer de beaucoup
de choses usez indifTérentl.:s i en général, Prémery
la suivait toujours. renforçant les plaisanteries d'un
rire magnifique. Ce soir de retour, elle ne put provoquer un seul éclat jO}'CUX i la petite figure si
grave, !lUX yeux insondables, a~si5e
à côté de Prémery. semblait défendre le rire. Deux ou trois fois
les grands cils courbes s'étaient relevt!s, et un brt!!
éclair de regard était tombé sur Jacqueline ... D'ailleurs, la petite fille ne mangeait pas; mais hab~lemnt
Mme de Prémery nc parut pas s'en apercevoIr; tout
bas, Prémery souftlait des encouragements à Geneviève, qui se contentait de secouer la tête. Marcelle,
trop bien élev6e pour résister, avalait avec un peu
de peine, mais enfin y parvenait; au bout d'un petit
quart d'heure, la pii.:ce où elle se troUl'ait lui était
redevenue qua!;i familii.:rei cil<: rel!ardait avec une
curiosité émue, tantôt un meuble, tantôt un
autre dont elle se souvenait; un ~rand
tableau de
chasc;e ri"ait ses yeuA. il repl~sntai
un " rendez~'ous
,. aux Etais, chaque 1 er,;onnage était un portrait, et, emmitounée dan!; une fourrure, l'e rHa nt
devina la représentation de sa mÎ!n: ... Elle souhaita
beaucoup que Genevil:vc ne ~'/n
aperçut ra!;;
du reste Gr'llc\ii.:\'e tournait le dos nu tahleau. 1
�LA BRANCHE DE ROMARIN
39
d.; plus ne regardait que le fond de son assiette.
On dlnait rapidement aux Etais par principe; malc.:rü la bri\:veté du repas, il parut long aux quatre
personnes qui y prenaient part.
Mais enfin on se leya!
Le mouvement subit frappa Geneviève comme un
choc, et à l'instant où son pl:rC reculait sa chaise,
elle se jeta sur 1ui et éclata en sanglots; tout pale,
Il la souleva dans ses bras.
- Elle est surmenée, dit-il d'une voix qui se dominait, et s'adrt.!ssant à sa femme: tu nous excuseras, ch<:re amie, je vais la porter jusqu'à sa chambre.
- Mais comment donc, paune chatte, elle a eu
une longue journée.
Le son de celte voix féminine qui se faisait compatissante parut e>..aspérer Geneviève, qui, un peu
apaisée, pleura plus Jort; Marcelle, toute tendre et
alarmée, s'était approchée et caressait la main de sa
sœur.
Mme de Prémery s'approcha aussi, la petite en
eut l'instinct ct, frénétiquement, elle s'attacha à son
p(:re .
\
- Bonsoir tout de même, petite chérie, - dit
Jacqueline, et SI. penchant vers Marcelle, et l'embrassant: - Bon~ir,
mignonne, à demain, dor~
bien.
- Bonsoir, madame, murmura la voix timide.
IX
Mademoiselle Geneviève e!';t malade.
Ce fut la VOIX de Pauline, qui d\.'s.sept heures, le
lendemain, yint avec cc mes'iage réveiller Prémerv.
tL avait entendu le heurt di<;cret.à la porte, s'était
levé instantanément, et maintenant, sans ouvrir, de~
mandait la raison de l'appel.
- l\lJ lade ! Gcnevii;vc 1
- Oui, mon 'ieur, elle il mal au cœur.
- Je viens immédiatement; retournez pr~
de
ma fille, P(luline .
.Jacqueline, dans le grand lit, ~'tira
et s'informa.
- Veux-tu cie moi, mon Charles? dem;:Jnda-l-clle .
'on, chérie, non; la petite est un peu capri.Clcut;e.
- Elle C'il surillulun peu jalouse, je croi'.
- C:'e~t
pns ihl('.
(Jn sourire de t-méraire clll1lianc,: sc rlessin,li ~\l'
S lè\TCS du ln jeune femme, elle rcgarJi1 amourC\I-
�40
LA BRll.NCHE DE ROMARIN
sement son mari, mais il avait délourn0 la tête, et se
diriocait l'ers la porte .
.:: Si je puis être utile, fais-moi appeler, chéri;
demande des citrons, du jus de citron lui sera salutaire.
-Merci de l'Idée, j'en profiterai.
Cinq minutes ne s'étaient pas écoulées entre l'instant où Pauline avait frappé à la porte, et celui où
Prémery fit- son entrée dans la chambre des enfan ts;
on avait entr'ouvert la fenêtre ct le jour d'été tombait largement sur le petit lit blanc; Genev 've, plus
blanche que ses draps, appuyait sa tête ur 1'6paule
de Marcelle et pleurait de grosses larme ; Pauline
frottait alternatIvement le petit front moite, et les
mains molles, avec de l''eau de Cologne.
- Qu'as-tu, mon ange, demanda le pi:!re en s'emparant presque violemment de la petite; qu'a donc
ta sœur, i\larcelle?
- Mal au cœur, papa; elle a do.':jà l'omi deux fois.
Une véritable terreur poigna Prêmery. Genevii.:ve
. malade sans sa mi:!re; qu'allait-on dCI'enir? L'enfant
avait toujours été singulii:!rement fragile, nerveuse,
ct plus d'une fois, leur avait causé de chaudes alarmes. De cœur ardent et dévoué, courageux en face
du péril, Prémery était lâche devant la maladie qui
atteignait ceux qu'il aimait.
- Dis-moi que tu te sens micux, supplia-t-il,
s'adressant à Genevii;ve, et du geste le plus tendre,
lui essuyant les yeux. .
- Tu es contl:nte, ma1l1tenant que papa cc.t là ?
demanda Marcelle.
OUI ... oui ...
- Est-Ct: qu'ellc me désirait?
- Depuis six heures, papa, elle veut que Pauline
aille t'appeler.
- 1\1on Dieu, Pauline, pourquoi n'êtes-vous pas
l'enue plus tôt?
.
- J'ai crail1t dl.! dCranger Mon~ieur.
- Jamais! là, je ne te quille pas, mon tré~ol
et
Prémery s'assit près du petit Ilt, 11 était vêtu d'un
pyjama mauve dont Genevièvc, d6jà presque joyeuse,
car:s~it
le tis.su so::eux. j\laint~
que SOI1 p,"rc
"::talt a son COle, l'cnfant reprenait un l't.!u de calme;
PrGmt.:ry sc lit donner les détails du malaise de sa
fille, dit.: a\'ait mal df)rmi, rl:vant tout haut, ct un peu
après cinq heures, appelé Marcelle, et prc~qu
aussitot avait vomi.
doute qui lui a fait
- C'c,>1 It; chemin de fer san~
mal, Jit PrémerYI pour Cie rassure\,
- Peut-être bien, acquiesça vaguclTIl,.nt Pauline.
�LA BRANC HE DE ROMAR IN
41
Betty, à tort ou à raison, avait des idées précise s
sur la cause, et des notions sur le traitem ent de
n'impor te quel malaise des enfants : son assuran ce
rendait sa pr~senc
un appui. Pauline , au contrai re,
\;n bonnd de nuit et robe cie chambr e de coton nade
foncée, paris~t
confuse et déprimé e, la maladie
1'0pouv antait toujour s.
- Toutes les maladie s étaient possibl es avec des
enfants de cet âge 1 Monsie ur fera bien, dit-elle d'une
voix plaintiv e, de faire avertir le docteur Labat, il
connalt ces demois elles depuis leur naissan ce.
C'est juste, Je vais aller donner des ordres.
- Papa, papa, ne t'en va pas, implora Genevi he.
- Cinq minutes seulem ent.
- Laissez votre papa, madem oiselle mignon ne,
aller donner des ordres.
- Papa te dit qu'il revient de suite, plaida tendremen t ~larce.
La frêle main crispée sur la main paterne lle se
dét endit, pui s'agripp a à celle de M.arcel le; un soupir doulour eux souleva la petite poitrine oppress ee,
..:t les lèvre trembla ntes murmu ri;rent: " Maman ! "
La pauvre Marcell e, à bout de courage , e mit à
pleurer .
Pauline eut une difficul té extraor d inaire à ne pas
en faire autant.
L'absen ce de Prémer y dura un bon quart d'heure
qui parut intermi nable; il avait fallu. en dehors des
instruct ions qui devaien t rapidem ent amener le docteur aux Etais, aller rassure r Jacque line; appuyé e
sur ses beaux oreiller s, elle trouvait tout cela déjà
un peu ennuye ux; cepend ant, fidèle à son syst.me
de sc rendre toujour s agréabl e, elle témoign a la plu~
vive sympat hie, ct, câfinem ent, rassura son mari.
Prémer yavait absolum ent besoin qu'on lui affirml!
que ce ne serait rien.
- UnI! fausse digestio n, rien de plus; tu me ~Ii
que vous avez mangi.! dans le train; ce n'est pas
!l ysién.ique du tout l. .. ~i je P?uvais gou\'cr~e
cette
jolie bichette , clic serait guéne ce sOir; mais Je l'effarouch e encore un peu, c'est naturel. .. Va, retourn e
aupri:s ùe ta fille ... je ne suis pas égolste, moi.
- Tu es adorabl e ...
- Tu m'ador es?
- Tu le __ ais.
- C'est bon; embras se ta femme!
Les époux échang1:rcnt un lon~
et ardent baiser.
.\insi ri.!conforté, Pr6mer y alla reprend re son poste
de (larde-m alade.
Comme le soleil matinal dardait en plein dans la
�42
LA BRANCHE DE ROMARIN
chambre, les stores verts avaient été baissés.
Prémery se flatta que Genevii;ve paraissait dtijà
mieux.
- Ce ne sera rien, ma chérie, lui dit-il d'une
façon afûrmative, une fausse digestion.
Deux heures passèrent lourdement, la petite avait
vomi encore une fois.
L'arrivée du docteur fut un soulagement immense
pour Prémery. Le docteur Labat, jeune encore, gros
et jovial, se porta rapidement vt;!rs Je petit lit.
- Content de revoir ma petite amie, dit-il cordialement, je parie qu'elle m'a oublié.
- Oui.
- Nuus allons refaire connaissance . D'abord, racontez-moi ce qui s'est passé.
Pauline prit la parole et fit un rt~ci
précis et confus à la fois; Prémery expliqua les accidents du
matin. Le docteur, attentif, dévisageait Geneviève, lui
tuurnant le visag..: en pleine lumiè!rl.!; enfin il demanda:
- Est-ce que cette petite personne a eu une
frayeur quelconque, ces jours-ci?
- Oh 1 non, répondit vivement Prémery, aucune.
- Une émotion un peu forte peut-être?
Le p\:re, sans parler, répondit d'un mouvement
de tête affirmatif.
- Eh bien, comme nous a'vons affaire à une vraie
sensitive, la petite demoiselle que voilà S't;!st donné
une légère jaunisse ... l\ITaire de quelques jours, nous
aJlons la mettre au régIme des carottes, et suppriml:r
toutes les émotions, moyennant quoi nous la guérirons rapidement, et, tapotant aflectueusement la main
de Genevii.:ve, le "ieil ami Labat rl.!\iendra demain,
conclut-il.
Ce diagnostic, très rassurant en somme, fit sur
Prémery l'cfTct d'un coup de foudre ... Que fairt!,
wand Dieu r comment agir? ... cacher la vérité a Valérie, quelle responsabilité! la lui dire, quel embarras! Un bref entretien conficlentid avec le docteui
Labat, tout en le reconduisant, convainq uit pleinement Pr6mery de l'urgence d'épargner tout bouleversement, même le plus léger, à l'enfant malade.
Certes Jacqueline était la bonté, l'indulgence
même; mais J'exclure de la chambre cie Genevii:\'c
semblait un alTront presque impossible. Dans son
extrême embarras, Prémery demanda au docteur
Labat de présenter lui-mëme, avec son autorité professionnelle, le cas singulier à Mme de Prémery;
au point de vue ordonnance, l'abstention prendrait
un autre aspect. Et lui qui s'était promis tant de joie
�LA BRANCHE DE ROMARIN
'1-3
d~
cetle première journée aux Etais avec ses filles 1
Tous ses plans se voyaient bouleversés irrémédiablement, car, convalescente, Geneviève continuerait
à avoir besoin des plus grands ménagements. Comment Jacqueline, si aimable, si accueillante, n'avaitelle pas eu raison de l'éloignement instinctif, qui
évidemment séparait Genvi,'~
de la femme de son
pi.:re 1 On aurait pu. av~c
un peu de bonne volonté,
passer des journées si heureuses, maintenant tout
était gaté ... La maladie de Betty prenait dans les circonstances nouvelles 1a forme! d'une catastrophe.
Pauline, excellente et dévouée, était manifestement
au-dessous de sa tâche. En vérité, c'est Valérie qui
~tai
nécessaire au chevet de Geneviève! Valérie si
extraordinairement maltresse d'elle·méme; qui ne
pel' lait jamais la tête, et qui se dressait comme un
rempart entre ses enfants et la maladie ...
·Prémery était désolé, nalvement désolé de ne pouvoir l'appeler ... Mais il s'avouait que le monde était
d'esprit si étroit .. et sans doute Valérie refuserait
de venir.
Il fallait donc aviser autrement, si difficile que ce
f~t;
Prémery pensa alors à sa sœur Louise; elle
aimait les enfants, était très attachée à Valérie, et
de plus la "alait presque auprès des malades' Il
Pouvait l'appeler, lui téléphoner ... mais viendraitelle ? .. . Elle avait d0jà deux fois, sous des prétextes
assez futiles, décliné l'invitation de passer quelques
Jours aux Etais. Son frère savait parfaitement pour(Iuoi ... Peut-être, cependant, dans un cas aussi exceptIOnnel, consentirait-elle il faire taire ses extravagants scrupules. Il essaierait. Car, enfin, il ne pouvait
décemment demander à Jacqueline de s'éloigner.
Elle qui avait tout prévu pour fêter joyeusement lu
venue des filles de son mari dans la maison Je
leur père!
- Cette dame ne viendra pas? avait demand':
Geneviève <.l'un air apeuré à Pauline pendant une
courte absence de Prémery, et en ayant reçu l'assurance, se tut, se laissa aller à sa fatigue et s'assoupit.
Quelques moments aprl;s, Prémery entra, marchant ICgl;rement; il fit signe à M.ar~el,
qu'il venait
appeler pour le déjeuner; quand Ils se trouvi.:rent
hors de la chambl·e, il lui dit, prenant soin néanmoins de parler fort bas:
- Descends d":jcuner, ma chérie, j~ reste ici dan~
le cas où Genevil;ve ~c
réveillerait... Jacquelinu
1':1ltenù en bas; - ct, avec une émotion sincèr(', il
aJouta: - Tu seras gentille, ma fille chérie, ton pau"
\'1'0.: papa est ùl'jà a~ez
malheureux t.:t: matin!
�44
LA BRANCHE DE ROMARIN
La petite leva vers lui des yeux humides ut! larmes, mais dont la douct:ur pénétrante était un
acquiesceml!nt ct une promesse.
- Tu es raisonnable, ma Marcelle chérie, tu e!1
raisonnable, je te remercie; plus tard, je causerai
avec toi, je te traiterai comme ma petite amie, - et.
presque im'otontairement, - il ajouta; Il me semble
que je parle à ta m(:re 1
Tendrement, il accompagna sa fille jusqu'à la porte
tambour derri(:re laquelle elle disparut; l'écho d'un
éclat de rire troubla un instant le silence. Prémerv,
le front soucieux, retourna dans la chambre de
petite malade ...
Ah 1 ce n'étaient pas les belles vacances, qU'ils
avaient tous trois chantées si gaiement sur le bateau
du lac ... Genevii:ve, endormie, respirant faiblement,
avait un air si fragile qu'il parut au pi:re qui la contemplait qU'un soume pouvait ta faire disparaltre ; il
frémit, ni le docteur Labat, ni sa sœur Louise, ne
pouvaient vraiment disputer l'enfant à la maladie. Il
se dit avec angoisse que jamais il n'aurait dù l'daigner de sa mi.:re, jamais surtoUt l'amener dans une
maison où sa mère ne pouvait venir! Pun6tr~
cie
compassion pOlir lui-même, Pr~mcl'y
eut lu bcnsutian accablante d'avoir compliqu6 sa vic d'une façon
irrémMiable 1
Ln présence des deux enfants, comme un vent violent soulf1ant sur lin foyer mal éteint, avait donné
une vitalité nom'elle à la flammù d' tendresse pater·
nello qui brûlait pour dies dans sort cœur; il Atmtait avec rassion qu'c!les lui étaient n~ce98airs!
Marcelle, dans sa tiagcsse innocente, lui paraissait
lIn appui, ct il avait déliciew;ement conscience de
la tendresse admirative qu'il leur inspirait .... Il
s'imagina un in!;tant le passé aboli, Val~rie
entranl
là, par cette porte qu'elle avait franchie si soùvent
jadis, et le regardant de ses beaux yeux d'onyx, il
d~sira
véhémentement sa pr~senc
... Il ferma uh
instant les yeuxpour l'évoquer: il ctut l'entendre lui
faisant de~
reproches de ne pm, l'avoir appelée auprè'
de sa fille... Que lui répondait-in il comprit avec
amertume que la chimère de voir Marcelle ct Gen~
viève heureuses 'ou!> un toit où ré~nait
ceUe qui en
somme avait 1 ris la part de leur ml:l"C 6tail irréalisable; ct chose certes (Iu'il n'avait aucunement prévue, il comprit que lUI-même ne pOllvait ôtre heureux de les y voir 1
A l'instant où elles avaient franchi le seuil, où
Jacqueline leur avait ouvert les bru • une révolution
soudaine s'était faite dans l'âme de Prémf.!ry; il uu-
sa
�LA BRANCHE DE ROMARIN
45
rait voulu avoir Je courage de dire: • Je me suis
trompé, nous repartons 1 »
El pourtant, sa belle Jacqueline, si amoureuse et
tendre, lui était précieuse; mais, pour jouir de cet
amour, de cette tendresse, il ne fallait pas que ses
filles en fussent témoins. Que tout cela était embrouillé, douloureux, qu'adviendrait-il? Jacqueline,
qui, elle, lui avait sacrifié sa fille, . ne pourrait le
comprendre ... alors?
x
Valérie, en tremblant de joie et de peine, lit les
l-'remières lettres de ses filles; ces lettres, petites
messagères toutes palpitantes de vie, lui font l'effet
d'une caresse; elle lit, c'est Geneviève, de son écriture encore inégale, qui a tracé ces mots dont chacun pénètre dans le cœur de la mère 1
« Mère chérie, mère adorée, merci, merci de ta
lettre si tendre, si bonne; oh 1 je t'assure bien, maman, que ta figure, ton regard, ton sourire, tes bai"
sers manquent à mon bonheur. Ah 1 je voudrais bien
être ce petit oiseau pour venir t'embrasser autant
que j'en ai envie; mOl aussi, je ne te quitte pas de W!
pensée j en ce moment, ton portrait me sourit, je
voudrais bien que ça soit toi, mais j'espère que bientôt nous pourrons nous embrasser, pas sur le papier, mais nos lèvres collées l'une contre l'autre.
.
.
. .
.
....
...............
.
Je m'amuse bien, mais je m'amuserais mieux si
tu étais là 1 »
Et Marcelle, si tendrement rassurante, si exacte à
narrer tous les détails du voyage, la belle traversée
sur le lac, la venue de Pauline, toutes les merveilles
intéressantes de Genève, et les gâteries de papa;
te « papa D fantôme inquiétant pour la mère, réalité
bienfaisante pour les enfants! Les petites sont heureuses, quelque chose de mystérieux, d'insaisissable
le révèle clairement à la mère, elle le veut, elle le
désire et cependant elle pleure 1
La solitude l'enveloppe; depuis le départ des fillettes, la susceptibilité un peu morbide et toujours
en éveil de Valérie sent flotter autour d'elle une
curiosité, non pas hostile, mais presque compatissante; les quelques personnes avec qui, à la sortie
du repas, elle échange des saluts, font leur inclination de tête plus gracieuse; les femmes ralentissent
c
�46
LA BRANCHE DE ROMARIN
le pas, comme s'attendant à être arrêtées... sou·
rient ... et Valérie passe ... elle oufTre de la solitude,
et elle en est jalouse; elle ne veut pas qu'on lui pJrle
de ses filles ... leur départ l'humilie, la blesse dans
l'intime fierté de son être, elle sent, comme une blessure ouverte, le fait d'être une" femme divorcée»;
celle qui, si irréprochable qu'elle puisse être, inspire
une pitié un peu méprisante; celle qui, ayant posséde
légalement un homme à elle, son protecteur, son
défenseur, demeure, quand elle en est privée, plus
ou moins faible, plus ou moins désarmée devant les
hasards de la vie; celle en présence de qui la femme
en plein~
jouis an~e
de la {lrotection f!1~rit.ale,
~p.rou
vera touJours une IlnpresslOn de SUpCflOflté, SI lOfé·
rieure que soit la qualité de l'époux qui la lui confère.
L'ordre n'a pas été rompu.
Dans le clos abri de son chez elle, à Paris, entourée d'un petit cercle intime, à qui tous les détails de
sa vie sont connu , Valérie est souvent triste, mais
rarement agitée j ses filles sont tellement siennes;
du moins elle le croit, car depuis trois jours cette
conviction qui a été sa torce et son rempart semble crouler dans son cœur 1 Marct:lIe et Genevièyc
. ont à elle, assurément 1 mais, non moins assurément, elles sont à leur père, il a 1'.) pouvoir, il a le droit
de les mener où il veut, de les conduire à son foyer,
~
où une autre femme porte le nom qui a été celui
de leur mère, possède lous les attributs auxquel,
elle a renoncé 1
Qu'allaient éprouver les petites, mises en présence
de la femme de leur père? car un mot re:ipectueux
d~
Pauline ne laissait subsister aucun doute quant
â la destination immédiate j on partait pour les Etais,
~ où ces demoiselles, sont, parait-il, attendues », ct
en matière de consùlation la vieille femme de chambre assurait Madame qu'elle « ferait son possible
pour que ces pauvres chéries ne soient pas trop
contrariées, ~ ct sur la méme ligne ajoutait combien
elles étaient ravies de revoir leur cher papa qui les
aime tant. Dans l'oppression de son cœur, Valérie
ne réSiste pas, si peu portée qu'elle soit aux conJ,dences, à dire quelque chose de celte lettre à Betty;
celle-ci est convaincue que, privées de ses soins, les
enfants seront très mal dirigées. Leur papa ne peut
pas savoir, ct Pauline est une personne qui n'entend
rien au l,on gouvernement d'u!1e nursel)'. Betty, en
conséquence, pousse des soupirs désoles, et semble
prévoir toutes sortes de catastrophes. A la fin, émue
du visage si triste de sa mallresse, clle 0 'e murmurer:
�LA BRANCHE DE ROMARIN
47
..- Oh 1 dear Madam, quel malheur, quelle pitié
que les choses soient comme cela 1
- Oui, dit gravement" Madam ", oui, Betty, vous
avez raison, c'est une terrible pitié ...
- Prenez courage, dear Madam; ce n'est que
quatre semaines â passer.
- Non, Betty, non, c'est toute la vie 1
Oui, la mère le comprend, c'est toute la vie,
d<':sormais hérissée de complications, d'apréhen~
slons; qu'étaient les cabots d'antan? rien (
Cependant, il faut vivre, il faut faire bonne contenu ~ce;
Val~ric
a tnujl?urs éproyvé une extraordinaire répugnance à laisser devi ner sa souffrance;
Bell\', qui la connait, lui donne l'humble conseil de
sortir, de marcher, l'assurant qUl; le mOll\·ement lui
sera sal'utaire, et le bon sens de Val~rie
acquiesce
à cc con seiL
- Oui, je vais aller prendre un peu d'air.
- Et sans doute, « Madam, » vous rencontrerez
la petite miss Jane qui vous aime tant.
Valérie sourit et passa dans sa chambre, elle est
babillée d'une robe de percale il fond d'un bleu vif,
dont la nuance sied à son teint d'albâtre, elle coiffe
ses cheveux sombres d'une grande capeline blanche; clle se regarde, et éprouve une secrète joie â
être belle, elle y puise une sorte cie fOI'ce, ~n
visage
est un peu froid comme toujours, mais rien n'y
dédie la douleur secrl:te. Dans son long réticule de
soie, ell e glisse les lettres de ses filles,
livre; et,
tout à l'heure, là·haut, dans quelque coin abrité, elle
pnurra s'asseoir, rêver et se reprendre.
Il est trois heures, le babillage post-déjeuner eRt
terminé, les uns sont dans leur' chambre, les autre~
à la promenade, tout est tranquille.
La jeune femme s'engage dans l'allée profonde où
la ronde s'est débandée le dernier soir; elle va entre
les talus cie gazon, toujours montant â l'ombre des
noyers épandus; le parfait équilibre de son être
la fait jouir de la sensation délicieuse de la saison,
du lieu, de l'heure; d'anciens souvenirs l'assaillent ...
Elle sc rappelle des promenades, des heures où l'es~
pérance et la paix accompagnaient ses pas, ct maintenant â jamal S sa jeuJ1(!sse est vouée à l'isolement 1
Pourquoi a-l-clle revu l'hoJ11me qui l'a abandonnée?
pourquoi est-il vcnu troubler le repos dont elle se
nattait de jouir? L'allée toufÎue est calme, d';serte
Ilul n'épie la promeneuse; ello reprend ses lettres'
met à les lire pour cbass!.!r l'iJ?age défendue qui
~ filTre à clic; ct, tout au contraire, cette lecture la
pr,jcis(!, lui dOl ne une force, une attraction nou-
un
s;
�<jE
LA BRANCHE DE ROMARIN
velle. Oui, toutes les lettres qui viendront désormais
seront pleines de ce père retrouvé avec tant de joie
par les petits cœurs fidèles.
Miséricordieusement, à cet instant de défaillance.
une pensée, la brûlant au passage comme un fer
rouge, traverse l'esprit de Valérie. « Il ne m'aimait
pa~:
» et elle est mtlle fois trop fière, non seulement
pour aimer, mais même pour regretter celui qui l'a
dédaignée. Elle relève la tête, tend sa volonté ct marche d'un pas égal, tout en tenant les yeux baissds.
Soudain, deux petits bras enserrant ses jambes la
font sursauter et s'arrêter; une gentille fillette, le nez
levé, l'enlace avec tendresse, et dit de sa voix claire:
- Bonjour, madame, ct 1 uis, annonçant: c'est
papal
.
Un homme s'approchait, que Valérie n'avait jamais vu; souriant dans un visage grave, il se d6couvre, s'incline et dit respectueusement :
- J'ai en vain d~fenu
à Jeannette de vous importuner, madame, je n'ai pu la retenir; ma mère
m'a raconté votre bont~
pour notre fillette, permettez-moi de vous en remercier.
Valérie caressa la petite tête blonde qui se presse
contre elle, et tend amicalement sa main au nouveau venu.
- Mme Faucheux ne vous attendait pas aussitôt,
je crois, monsieur?
- En efTet, madame, je l'ai surprise ce malin.
- Elle doit être bien heureuse, votre venue occupait toute sa pensée.
- C'est que nos séparations sont longues, les
marins ne sont pas des fils de tout repos.
Et, s'écartant respectueusement, le jeune homme
orend la main de la fillette tout en disant:
. - Jeannette, laisse madame continuer sa promenade .
- Au revoir, mignonne, nous nous reverrons plus
tard; au revoir, monsieur.
- Oh 1 madame, crie la petite en protestant, quand
chanterOlfs-nous la « Branche de romarin" ?
- UIl de ces jours, chérie.
- Voyons, voyons, Jeannette, el d'un mouvement
un peu brusque, le p1:re fail virer l'enfant.
Valérie l'entend qui insjstait, plaidait, expliquait;
mais le pas rapiLle qu'avait pris le jeune homme les
met hicntôt hors de portée; de son côté, elle continue à monter avec une certaine hate, sans bien
savoir pourquoi elle se hate.
Betty avait dit vrai, la petite Jeannette Faucheu:l:
":prouvait pour Mme Monpascal ulle véritable J~a-
�LA BRANCHE DE ROMARIN
+9
sion; celle-ci, un jour que l'enfant avait roulé très
maladroitement au bas d'un talus élevé, l'a\·ait ramassée, consolée, lavé sa bosse; la beauté de la
dame secourable avait saisi et ravi l'enfant... Dans
ses sanglots, car elle avait eu grand'peur, elle raconta,
la lèvre tremblante, répondant à la question:
Où est votre maman, chérie?
- Je n'ai pa de mamari ... pas de maman ... seulement une mémé.
La mémé fut découverte, assise aux abords de
l'hôtel, croyant sa petite-fille en süreté avec d'autres
plus grandes, qui, dans leur ardeur à cueillir des
fleurs sauvages, ne s'en étaient plus occupées. Elle
prodigua le s remerciements. C'était un~
lemme apporchant la soixantaine, au visage intellIgent, à l'allure
aimable et vive; elle gronda un peu fort la petitc
vagabonde, puis, comme celle-ci pleurait à chaudes
larmes, la consola ... Marcelle et Gencvi1:vc vinrent
opportunément à la rescousse, et sur l'heure une
grande amitié se cimenta. Jeannette n'avait que huit
ans, mais, 'luand elle ne faisait pas l'école buissonnière, était fort raisonnable ..Mme Faucheux, très
cordialement, se mit en frais pour Mme Monpascal,
dont la personne lui plut tout d'abord. Quant à
Mme Faucheux, on savait, au bout de cing minutes
d'entretien, qu'elle était veuve d'un magl trat qui
avait seni aux colonies; ellc détenait un stock inépui able d'histoires sur les colonies, et sur les faits
et geste5 un peu inquiétants de M. Faucheux. Son
fils unique, resté veuf à la naissance de Jeannette,
~tai
officier de marine; il possédait toutes les qualités qui peuvent satisfaire une mère. Elle voulait
absolument que Denis se remariat, il avait trentequatre ans, de l'avenir, c'était le moment. Elle parlait sans cesse de cet heureux événement 1
d'intimité superficielle s'établit entre
Une esp~c
~alérie
et Mme Faucheux, à qui il ét.ait assez diffiCIle de se dérober; sa petite-fille éta lt une compagnie tout adaptée pour Marcelle et Geneviève, et
!\1me Monf.ascal, peu bavarde, était de par ce fait pl"éclsément 'auditrice qui eonvenait à une personne
a.ussi loquace que la veu~·
du magi.strat colonial; l'attItude réservée de Valéfle charmait l\lme Faucheux
qui précisément toute sa vie avait ét.t: exubérante;
plUSieurs agréables promenades avalent été faites
en commun, Valérie se rendant compte qu'il yaurait
une sorte d'inutile injustice a condamner ses enfants, toutes deux extrêmement sociables comme
leur père, à la vie retirée qui aurait cu sa préférence.
11 ne fut donc pas possible à la jeune remnH~
�50
LA
B~NCHE
DE ROMARIN
J'échapper, apri.!s dlner, à une présentatior. plus cm
forme du nouvel arrivant. Mme Faucheux amena son
lils comme une proie.
- Ch~ro
madame, voici mon marin. Il me dit vous
avoir rencontrée, cet apr1:s-midi, vous promenant
toute seule, et moi qui vous cherchais partout 1MalS
le ne vous abandonne plus, allons, vener. dehors vous
a ~ sel)ir
avec nous. Denis sera J'avi de ca~lser
avec vous,
- ct, dans l'oreille de Mme .M onpascal, elle glissa:Vous lui plaisez beaucoup!
,
C'était vrai i mais Mme Faucheux voulait surtout
qLlI.l tout le monde trouve son fils charmant, et savait
qu'en ces occurrences il n'y avait rien de tel que de
prendre les devants.
Les dc.;ux femmes s'installèrent devant une petite
table, dont ~lme
Faucheux s'~tai
adjLlgé la propriété
particulii.!re; le café fut apporté; Mme Faucheux
appela son fils, qui tout en fumant taisait ~auter
et
marcher en mesure la petite Jeannette, dont on entendait la voix un peu essouftlée répt:ter; « Allons
l'oir si ... » et son p1.:re, la faisant pirouetter, termi,
nait « l'omelette est cuite », Le divertissement ces Ra,
et Denis Faucheux prit la chaise que sa mère lui
ipJiq liait à côté de leur amie.
- Allons, Denis, distrais Mme MonpascaJ avec
de belles histoires de voyage, - cl, plllS nantie
Je bonnes intentions; que de tuct, Mme Fauch, ll \.
<ljouta d'un ton sinc1:remen t aflectueux : - elle a
besoin d'être distraite cn ce moment.
L'offit:ier, qui d'ailleurs avait été déjà mis <lU courant de la situation, ne poursuivit pas le sujet.
- Les histoires d'un sauvage comme moi, répli w
qua-t-il, ne peuvent amuser personne.
Sa voio\. était chaude ct sas yeux g ris s'arrêtèrent
a\'ec une sorte de lourdeur sur le visage de Valérie:
presque involontairement celle.ci détou.rna un pelila
tête. Mme Faucheux in~sta.
- Mme Monpascal est d'une 'famille de marins,
elle a un oncle amiral.
- Son nom?
Valérie le nomma, ct ajouta 1
- Mon cousin germain Jelwn de Bégard est ens"igne sur la Vaillante.
.
Cette révt:lation los mil en payR Je conais~e.
l'enseigne Bégard était fort connu de Denis Faucheux.
- Ah 1 madame, il a Jû certainement me montrer
votre rortrait, car, di:s que je vous ai vue, votre
dsage m'a paru familit.!r; je ne comprenais pas, je
me rends compte maintenant. .re n1" souvien<, là-
�LA BRANCHE DE ROMARIN
~ 1
bas en Ch1l1e, Jehan nous parlait de sa belle cousine.
- C'est possible, Jehan et moi avons été élevés
Comme frl!re et sœur, je suis orpheline.
Denis Faucheux écoutait, recueilli, tout ramasso.:
en lui-même, ses sens n'existant que pour lui dOIlner contact par la vue, par l'oule, avec la crtlature
qui lui parlait ... La nuit était venue, cependant, même
dans l'ombre, Valérie eut conscience de l'extraordinaire intensité dl! regard posé sur elle; Mme Faucheux ûtait OCCUptC de .Jeannette; pendant un bref
instant fugitif, la solitude parut absolue, aux deux
ames qui mystérieusement s'appelaient et se répondaient ... Cela dura quelques secondes, mais qui sul:'
firent pour imprimer dans le cœur des deux créatures vivantes la certitude que le destin de l'un allait
rejaillir sur le destin de l'autre 1 Chez l'homme, la
lucidité fut parfaite, Denis Fauci1eux ne discuta pa~
une seconde avec lui-même. « C'e~t
le coup de foudre,» e dit-il avec ivres e, et il s'y abandonna avec
une sorte de joie farouche.
Chez la femme, au contraire, tout fut trouble et
~bscurité;
Valérie éprouva comme une défaillance
!nvolontaire et subite de ses forces; ses bras, ses
Jambes lui parurent changés en 'une subst.ance molle
dont elle n'avait plus le commanclement; son sana
circulait tout brûlant clans ses veines; elle avai't
baiSSé les yeux., une peur confuse l'empéchait de
les relever; la voix de Mme Faucheux, lui demandant si elle éprouvait quelque malaise, la réveilla
cie son engourdIssement.
- Oui, dit-elle faiblement, j'éprou\e une désagréable somn-olence, et vais aller me coucher.
- :::-;0 n, non, protesta Mme Faucheux; il est trè'
mauvais d'aller sc mettre au lit aprl!s le diner; marchez plutôt un peu avec Denis et Jeannette, mon fil
aclore déambuler, et ne reste assis là que par politesse, pas vrai, Denis?
. - Si madame Monpascal désire marcher unpeu,
Je suis à ses ordres; Viens, Jeannette.
Valérie se leva, et automatiquement se rangea à
côté du jeune homme, dont la main gauche, tenant serrc;es les deux mains de sa fille, enlevait ct
laissait rdomber la petite; à un moment donné,
l'enfant S( dégaf!,ea de l'étreinte qui la maintenait ct
courut en ava"nt: Alors, Denis Faucheux, sans changer d'attitude, dit cI'une voix basse et rapide:
.- Ma rnèl:e, je le ~ais,
vous a appris qu'elle voulait me n:arter; mais elle ne me connait pas je
n'épouserai jamais qu'une femme que je puisse ai~er
avec ma d-air, avec mon cœur, avec mon ame ... J'ai
�52
LA BRANCHE DE ROMARIN
été misérable dans ma courte union avec la meilleure, la plus inoffensive des créatures. Depuis des
années, j'attends celle qui doit remplir mon cœur,
à qui je me donnerai tout entier sans restriction ...
Je suis fou de vous dire ceci, madame, mais il a
fallu CJue je vous le dise ...
Il n'avait pas été interrompu, une voix angoiss.5e
murmura seulement:
- Voici Jeannette!
L'enfant revenait en courant, et se jeta dans les
bras paternels qui l'élevèrent très haut.
- Tu es tout blanc, papa, dit nalvement la petite.
XI
Une semaine avait passé aux Etais, et Prémery
aucune des résolutions diverses qui d'abord
lui étaient apparues si faciles. A la première insinuation d'inviter sa sœur Louise, Jacqueline opposa
afTectueusement llne négative décidée; elle avait
d'ailleurs son projet' à elle, et comptait le mener à
bonne fin. Du moment que les filles de son mari lui
ùevenaient un embarras, elle fut tout de suite décidée
à les éliminer avec douceur; elle ne craignait nullement leur ri valité dans le cœur de Prémery, l'affection
maternelle représentait une valeur si insignifiante
dans sonJ)ropre cœur, qu'elle jugeaitl'afTection paternelle e moindre importance encore 1 Charles
éprou\'ait un engoùment momentané pour ses filles,
elle le Illi passerait, mais ne permettrait pas que ce
.:aprice lui cause, à elle, personnellement, aucun
désagrément.
Jacqueline de Prémery ne demandait pas mieux
'lue d'être aimable; elle s'était persuadée, avec une
vanité naturelle, que les fillettes qu'on lui amenait
seraient subjyguées par sa grâce et sa bonté; elle
était prête à se mettre en frais, à s'imposer même
quelques sacrifices pour arriver à un rés'Jl1at, mais
nu lIement pour about ir au néant! Or, elle était
.:Iairvoyante, el sentit de suite que rien ne désarmerait la défiance des deux enfants ; la douc~r
timide
de Marcelle ne la trompa pas ... jamais l'enfant ne
s'approcherait ù'elle avec afTection, elle ne la repou5gtjralt pas comme faisait Genevii!ve, mais, réanmoins,
sa sincérité ré::.isterai( aux avances; C' le en eut
promptement la preuve, le premier jOli', après le
déjeuner, pendant leq~1
Marcelle aVili' été l'ohj€'t
n'ex~cuta
�LA BRANCHE DE: ROMARIN
•
53
de ses attcntions affectucuses. Mme de Prémery dit
Wacicusement à la flllette, dont le petit visage grave
:
lu i plai~t
- Allons faire un bouquet, veux-tu, Marcelle?
- Oui, madame.
- Madame, seulement?
La petite rougit.
- Enfin, pour le moment, contentons-nous;
allons.
Une jolie corbeille, ayant été choisie parmi celles
éparpillées au salon, fut avec art n~mplie
de roses,
de jasmins et de fleurs délicates, par les mains
adroites de la jeu ne femme. Les yeux de MarceIle
l'admiraient. Quand la tàd1e fut accompl ie, Jacqueline posa gracieusement la corbeille dans les mains
de sa petite compagne et lui dit en souriant:
- Porte-la à Geneviève de ma part.
A la profonde surpl'lse de la donatrice, l'enfant
!le bougea pas, et ses yeux sc levèrent avec une
Inquiétude timide vers la femme de son pèré.
Jacqudine rGpéta :
- De ma part, à Geneviève!
.
- Non, s'il vous plalt, madame, balbutia MarCelle, ct la gentille corbeille fut tendue vers celle
qui venait de l'on·rir.
Il y eut Lln instant douloureux . .Mme de Prémery,
peu l'ujette aux émotions, en éprouva une très réelle:
colère, humiliation, déception; elk n'aul'ait pu diro
Ce qui dominait en elle; elle vit que les mains de
Mart:ellc tremblail!J1l... La f,'mme Înlclli"cnte ct
11abllc retrouva alors son équilibre; p<lsant fc prrnier
ur une table, clic dit d'une voix calme:
1
- En efret, tu a~ raison, ces neurs pourraient lui
faire du mal... Monte, Chlre enfant, retrOuver ta
petite malade, ct, lapottlJ1t la joue Je Marcelle, elle
la guida amicalement ver,> l'l:scalier, dont la Jillette
franchit les marches avec lu lég<;n;té d'lm obeau.
Un moment plus tard, Prémery descendait 1 sa
femme avait eu le temps de faire ses rapides
rél1cxi()ns j les· hommes, et son mari urtOllt, ont
hort"dur deR plaintes, elle n'en ferait donc r1as, elle
ne se poserait pa<; en victime, élie triompherait au
con(~'air
par la perl"t.:ctil.1n de sa bonne humeur;
au SI, quand Pr(:mcry lUI demanda, avec unù Cé:rtaine hésitation:
- Tout s'est bien pas86 avec Marcelle?
- On l1e peut miCux, répondit Jacqueline, elle
est charmante, la pauvre chérie; comment va ma
petite ennemie?
Le ton, le ;Iourite, ôtaient toute porlt.:e tragique
à
,
�5+
LA BRANCHE DE ROMARIN
l'attitude de l'enfant, c'était un caprice de petite fille
gàt~e,
et cette manière d'envisager la situation soulagea extrêmement Prémery; il en sut gré à sa femme,
<!stima qu'clle avait raison, il l'embrassa, lui caressa
les cheveux et la remercia.
•
Jit-dle avec indul,
- Tu ne penses pas, ~her,
genee, que je puisse être jalouse?
- Non, certes.
Il n'ajouta: rien, il détestait les classification::>,
comme Il détestait tout ce qui le contraignait.
L'état de santé de Geneviève s'était rapidement
amélioré. Mme de Prémery avait mis son mari ù
l'aise pour promener la petite convalescente.
- AVLrtis-moi, je lui laisserai le champ libre.
La petite n'avait fait aucune questIOn sur la
« dame»; elle voyait sans faire de commentaires
descendre l\1arcelle à l'heure des rLpas . Les journées de cette semaine s'écoulèrent donc dans une
sorte de paix précaire. Genevièv<! retenait son père
auprès d'elle avec une passion jéllollse; illa prenait
sur ses genoux, il lui faisait la lecture; la petite
s'abandonnait avec une joie wave, elle semblait
réparer une privation vivement sentie; parfois, sa
douce petite main caressait le cou de son père, il y
avait dans cc geste quelque chose qui faisait frémir
Prémery. Quinze jours presque que ses filles étaient
avec lui, bientôt il faudrait les rendre ... et comment
sc passeraient ces quinze jours?
Ce fut Jacqlleiine qui, d'un air dégagé, offrit la
solution. On était au samedi ~oir,
le 1I0l:teur Labat
avait donné un ex(:at définillf à sa petite malade, la
vie normale devait reprendre . Cette pensée préoccupait Prémery jusqu'à l'obsess ion; étendu dans un
très profond fauteuil, il fumait tout en rêvant, et
suivait d'un œil un peu voilé les méandres de la
fumée. Sa femme l'observait. Le tête-à-Wte des deux
époux, dans ce bel ct. original salon, avait généralement beaucoup d'attrait ct d'agrément, clle se parait
toujours, ct sa ga1té animait leur solitude. Le silence
de son mari l'énervait, elle se leva ct s'approcha
lentement. Sa mat.ernité à venir ne lui enlevait
encore aucune gruce, et des draperies flottantes
dissimulaient soil épaississement. Elle s'assit sur le
bras du fautf!uil bas, ct tourna son riant visage vers
son mari; il avait jeté sa cigarette, ct baisa le bras
de sa femme.
- 1: 10 cher mari, j'ai réfléchi à diverses choses.
- Dites-les, amie.
- L'air d'Etais n'est évidemment pas ce qu'il te
faut en ce moment, si tu sui~
mon conseil, tu par-
•
�LA BRANCHE DE ROIlIARIN
55
tiras, armes et bagages, pour. quelque joli sommet
de montagne, où les petIts OIseaux qu~
tu tiells en
cage retrouveront leur gaîl~.
Prémery s'était redressé et enlaçait sa femme; les
étofTes souples dont elle était vêtue dégageaient un
parfum trts fin; elle rejeta un peu la tête en ari~e,
laissant voir ses jolies dents.
- Je te chasse, dit-elle, l'œil langoureux et conqu6ran1.
- Comment? tu veux que je te quitte?
Elle le crut à point, maniable et soumis.
- Mon cher homme, il ne s'agit que de quinze
jours ... dans quinze jours tu me reviendras, j'ai des
projets immenses pour ce moment-là; je te les
ùévoilerai au retour ... non, non, pas avant, et comme
tu m'as donné un bon exemple, Je veux de mon côté
jouer mon rOle de maman ... .le pense que tu n'as
pas d'ùbjection à ce que Clémence vienne ici quinze
Jours avec sa oouvernante? Comme j'en étais à peu
prl:!s S\lre, i'at écrit à Paris, elle pourra arriver le
lendemain de ton départ, deux ou trois jours suffiront amplemen.t à Pauline pour les préparatifs, tu
n'as qu'à téléphoner en Suisse, à Chexbres, par
exemple, où tu as déjà été, et tout le monde sera
Content.
Deux 11;vres fraîches et gourmandes s'oO'rirent à
celles cie Prémery et s'y appuyi:rent un long momen 1.
- Et maintenant, conclut Jacqueline tout inconsciente' d'avoir déplu, je suis lasse, allons nous coucher.
Son mari la suivi[ sans dire un mot.
XII
Prémery demeura longtemps dans son cabinet de
toilette à réfléchir; la combinaison sug~rée
par
Ja~quelin
l'avait frappé d'une sorte de stupeur t
L'Idée de faire partir en hâte ses filles, pour céder
la place à une étrangère, lui sembla monstrueuse;
cette maison où Geneviève était née, « ma maison
de naissance », comme disait l'l.:nfant avec sa grâce
touchante, Cl:tte maison où elle semblait "ivre avec
une joie mystérieuse. Elle avait secf1;lement demandé
ù Pauline où se trouvait la chambre de sa maman,
(;t, la porte lui en ayant été indiquée, elle en avait
�56
LA BRA! CHE DE R01IARL'
baisé le bois. Sa petite ame paraissait unie par des
liens invisibles à tout ce qui l'entourait. Elle disait,
du petit air de sybille qUi lui était naturel: « BonJour, le~
bois, je vous aime, JO ses yeux clairs fouillaient l'ombre des allées profundes avec une Sorte
de délice .. . Elle aurait \'oulu aller toujours plus avant
dans les bois à la n:..:herchede quelquechoseque sa
tendresse inqu~te
cherchait. Elle disait à !:>on
père:
- Ma maman aime les bois, papa?
- Oui, mon ange.
- Je voudrais (IUC nous soyons tous des oiseaux
pour y vivre cachés.
- 11 fait bon y vivre, mi::me sans C:tre oiseau.
Le petit vi age pali se ranimait ù l'air si pur et
calme. la sentcur des all'::es remplissait d'une sorte
d'ivrcs'e la petite cr':ature; ellc, ~i réticente de tuut
ce qu'clle épromait, chez qui une vie intérieure prt.!maturée, se d~velopant
comme une fleur venUe
avant l'heure, parlait tout haut devant son père, en
confiance parfaite avec lui, donnant le vol à tuutcs
ses pensées, ct levant ses yeux bleu', qui paraissaient des !leurs humides dc rosée, vers les veux
bleu un peu plug sombres qui la caressaient do.:
leur regard. Deux fois d":jà, le papa et la petite fil!..:
s'en claient alJ':s seul à seule dans les bois plcins
d'ombre. Prémery avait pris un plaisir exquis à ct.:s
promenades, presquc aussi jeune de cccur que :,a
fille. Il cueillait Jes f1curs sau\'ages pour en çomposer des guirlandes dont il entourait le cou de Gt.:neviè\'e, il cn couronnait son chapeau à larges bords .
. En ces deux oc..:asion;" Pr..:mery demanda à MarCelle, comme une faV'eur, .l'allcr rCJoindreJacquelinl!.
- Je te jure, ma fille, lui avait-il dit, avec une
solennité persuasive, que ma femme n'a fait aucull
mal, d'aucun genre, à ta maman. Quand n0US nou,;
sommes sépar":s, nous t'expliq ucrons cela plus tard,
je ne connaissais pas Jacqudine. Si tu e bonne
pour elle, je pui être heureux encore; dans le cas
contrairc, je serai tri:s malheureux! rcneviè\c e t
trop jeune pour comprendre, trop impres6ionnablej
mais toi, ma grande, tu e~ sérieUSe comme ta maman. Elle te demanderait, j'en suis sûr, de n~
pa
me causer inutilement de chaprin.
- Elle me l'a recummandé dans la lellre que j'ai
reçue cc matin, répond Marcelle, tr~s
bas, mai.,
non sans un secret orgul!il, car clic comprend qu'il
ya là la preuvc de la noblesse d'ame de sa ml·re.
- Je n'en suis pas surpris; elle est foncii:rement
généreuse; va, ma fille, je lui rends justice 1
�LA BRANCHE DE ROMARIN
57
Tous ces sentiment contradictoires surpassent
l'entendement de Marcelle; mais les honnes l'aroe~
de 50n pi.re lui sont néanmoins consolantes, et, pour
lui complaire, elle monta docilement dans l'auto en
compagnit: de Mme de Prémel'y, qui ami.ne sa jolie
petite chienne Friponne, dont la pr';sence sert à
animer un peu l'entretien. Marcelle contemple avec
avidité le paysage, cherchant à se rappeler, et parfois y parvenant.
Ces promenades, qui rarureot si touchantes à
Prémery, et dont il augurait les plus heureuses conséquences, ennuyèrent fort la belle Jacqueline, contente cependant qu'on la vit au dehors avec les filles
de son mari. Néanmoins, un état de choses aussi
anormal ne pouvait durer, et elle se crut infiniment
habile en suggüant le Séjour en montagne.
La pensée d'enlever Geneviève brusquement à
celte demeure qui était assul'l:ment également sienne,
puisque c'était celle de son père, parut d'emblée
Irréalisable à Prémery; déjà la petite parlait avec
abondance et enthousiasme de cc qu'elle ferait la
« semaine prochaine ", quand elle irmt bien ... Avec
la confiance téméraire de l'enfance, elle édifiait ses
projets: un jour on irait déjl!uner dans les bois, on
emmè:nerait Myrtille. Gencviè:ve ne parlait jamais lk
la «dame », cie sorte qu'on ne pouvait savoir si elle
y pensait et personne n'osait le lui demander. Marcelle pratiquait sur ce point une discrétion absolue.
Les petites lisaient enemble la lettre quotidienne
de maman; cette lettre, inl'ariablement vaillante Je
t,on et mème paie, procurait u.n extraordinaire récon10rt à GeneVIève, dont, par Instant, la petIte conscience délicate semblait inquiète.
« C'~tai
peut-être mal d'être gaie quand maman
n'~tai
pas là ? » Elle chuchota cette question à
Marcelle qui lui fit tendrement observer que maman
leur recommandait avant tout d'être heureuses ... et
de montrer à leur papa qu'clles étaient contentes.
Cette assurance calma entil:rement la petite fille.
Dan l'exubérance de son contentement, alors qu'un
peu plus tard, Pr~mey
la tenait sur ses genoux, bien
!i<;rrée contre l'épaule paternelle, elle alla jusqu'à lui
dire: « .Je voudrais vivre toujours aux Etais, j'aime
mieux que tout ma maison de naissance, et rêveusesement : je suis une enfant des bois ... "
Tout le jour, dans ce petit cerveau actif, les chateaux en Espagne se succédaient, divers, préci et
e!lsorce!ants. fiar suite d'un événement que GeneVIèVe ne définissait pas, mais qui arrivait, « maman,.
subitement se trouvait aux Etais ...
�58
LA BRANCHE DE ROMARIN
Oui, maman et papa traversaient la pelouse, allaient
au bateau, appelaient leur petite fille l'our y monter.
avec eux. Quant à la « dame lO, elle fondait sans
doute dans la brume, car Geneviève ne la rencontrait plus sur sa route ... L'enfant pesait pourtant le
pour et le contre des tpisodes secondaires, par
exemple; de quelle façon maman arrivait? quelle
robe elle portait? et Betty qUI était malade? mais,
sans doute alors J3etty st;rait gut.:rie !
Pr~mey
sc rendait compte de. l'emprise extraordinaire que les lieux exerçaient sur Geneviève, le
plaisir de sc trouver aux Etais avait été la réaction
bienfaisante, qui contrt;carra rapidement les émotions du départ de Bex, et celle du soir de l'arrivée.
11arcelle, de son côté, se familiarisait à nouveau avec
toutes choses, elle ne fuyait ni ne cherchait la pré!->I.!nce de l'lime dt.! Prémery, et les atlt.!ntion adroites
de la jeune femme n'étalent pas sans exercer unI.!
action apaisante; après diner, chaque soir, Jacqueline nf1rait à Marcelle de jouer aux dominos, elles
disputaient leur partie en silence, ou du moins sans
elTnrt de conversation; mais les menus incidents
amenaient une certaine familiar ité; l\larcelle, en
plus, cau~it
confidentiellement avec Pauline, qui,
.agement, lui présentait la situation sou.' le meilleur
jour, l'e. horlait à l'accepter, et surtout ne sc la". ant
pas de lui répéler: " Les enfants ne doivent pas
luger leurs parents. ,.
l\Iarcelle, docile aux ensei!:nelllents moraux,
es ayait de toutes se forces de se pénétrer de cette
doctrine; elle hésitait à la communiquer à Gene,:Îève, incertaine si la petite sœur comprendrait 1
XlTI
Le dimanche matin ~e le\'a radieux et paisible; la
plus proche é~lise
sc trouvait à cinq kilomètres des
Etais; :\utrefois, une ancienne chapelle attenant au
château anandonn6 avait êtù re laurée et ornée, 1
on y di ail la me""e pre (!lIe ~haquc
dimanche;
depuis le divorce de ;\1. de >rémery, l't!vèque O1vuit
rt.!tiré l'au\ori 'ulion, et, comme lin /'nfanl \' , é, Pr,'mery boudait l'égi~e.
Tl regrettait ()h~curémnt
luS
{Zestes et l'hahitude h~réditaes
et s'Glait occupé
d'assurl.!r à Sçg filles tnuteS l 'q facil;~
rO\lr
entendre la mes~
ré ulil:rement: VII la maladlù '0
�LA BRANCHE DE ROMARIN
S9
Genevil:ve, Pauline ne pouvant s'absenter, il fut
entendu que Marcelle s'y rendrait cette fois avec le
régisseur et sa femme, et à l'heure dite, elle monta
dans leur cabriolet, et s'assit entre eux. Genevj1: ye,
ùe sa fenêtre, la regarda s'éloigner, elle aurait voulu,
elle aussi, les accompagner à l'église.
- Ce sera pour dimanche prochain, Mademoiselle
cherie, lui dit consolatiyement Pauline, qui, exacte
elle-même aux offices, était troublée de son abstention forcée.
Geneviève médita un moment, puis demanda:
- Et la « dame " elle ne va donc pas à la messe?
Une seconde, Pauline ne sut que répondre ... puis,
elle prit le parti de la vérité:
- Non, ma chérie, ellc n'y va pas, elle est protestante; elle va fi son temple.
- Ah 1 et papa, il nc va donc plus à la messe? el
~\'ec
une sorte de colère concentree: Papa n'est pas
protestant, lui?
- Non, non, Dieu nous en garde, peut-être bien,
aujourd'hui, que c'est pour rcster avec sa petite
ehérie qu'il la manquc.
- Papa a promis que nous baptiserons Myrtille,
elle sera catholiq ue, JC ne veux pas d'unc poupée
protcstante ...
Il y eut un silence, suivi d'une nouvelle méditation dc Gene\'iè:vc; elle continuait à crcuer sa
pensée, car elle dit:
- !vlaman m'a expliqué que les protestants sont
des désobéissants, je n'aime pas Ics désobéissants 1
Il Y avait dc la dureté dans la jeune voix.
- Il faut être charitable envers son prochain,
ré:pondit Pauline, venez, ma chéric, que JC peigne
l'os beaux chcveux.
- Non 1 j'attendrai Marcelle.
- Comme vous voudrez, mignonne, voulez-vous
que je vous lise les prii;fes de la mcsse ?
- .Je veux bien.
Elles s'assirent, firent chacune un grand signe de
croix, et Pauline, d'une voix monotonc et rapidc,
commença: Geneviève suivait attentivement, grave
et méditative. Pauline, qui, de temps en temps, la
regardait par-dessus ses lunettes, s'étonnait de l'expression du visage enfantin... Comme elles e(1
étaient au dernier évangile, Prémery entra, il avait
entendu les paroles que prononçait Pauline, ct lUI
fit signe de continuer; Gencviève ne se départit pas
d.e son attitude d'orante ... puis, après le dernier
sIgne de croix, se jeta avec impétuosité dan~
les
hras de son père.
�60
LA BRANCHE DE ROMARIN
- Papa, tu iras à la messe avec nous dimanche.
comme l'année dernière'?
.
- Mais certainement, ma chérie.
- La pauvre Marcelle est toute seule aUiourd'hui.
.
- Oh 1 non, M. et Mme Raymond la connaissent
depuis qU'elle est au monde, Us ont ét6 si contents
de la conduire.
- Ils sont bons?
- Excellents.
- Je les aime aussi.
- Nous irons les voir, Mme Raymond a un tas
vieux
d'oiseaux, et même un r.erroquet... rto~
perroquet Banzat ... au fai , te rappelles-tu de Ban- .
zat'?
.
- Oui, je crois, il était méchant... il me faisait
peur.
- Précisément, et c'est pour ces belles qualités
que nous l'avons donné à Mme Raymond; mais il
est très aimable à son égard ... Dis-moi, ma petite
patronne, est-ce que tu n'aimerais pas déjeuner avec
nous aujourd'hUi? Dimanche... ce serait gentil.
parce que. précisément, l'amie Jacqueline va être
forcée de s'absenter ... elle pen e aller Il Paris mardi;
alors, si ma petite fille voulait être bonne, et ne pas
faire de peine Il son papa, ni mauvaise figure à
~uelq'n
qui ne lui veut que du bien, ce serait un
oeau dimanche 1
Un combat intérieur se livra dans l'âme de Geneviè"e; promptement alarmé par l'expression du petit
visage encore si pille, Prl!mcry dit viyement :
- A condition que tu ne te fasses pas mal.
- Je ne me feraI pas mal.
Elle fut saisie dans les bras paternels, de tendres
baiser coururent ur ses cheveux blonds, et PréMery, vraiment joyeux, la repo a à terre.
- Je te laisse, ma petite patronne, on m'attend.
A tout à l'heure; Marcelle va nous rapporter nos
lettre, que Raymond aura tHé prendre! La Charite.
Paulillc, enchantée, pour son cher maUre, de la
tournure que prenaient les événements, combla la
petite fille d'éloges et d'encouragements; Geneviève
y était sensible, et quand Marçelle rentra i onze
heures et demie, elle fut toute surprise do Ja mine
6veillée de sa sœurette.
-:' Tiens, chérie, dit-clle en l'embrAssant, voUà
une lettre oe maman.
Gepeviève se jeta dessuo, la porta à seS lèvres avec:
paSSion, puis se retira dans un ,coin pour la hre
1
�LA BRANCHE DE RO;vIARIN
61
Pauline et l\'1arcelle eurent soin de ne pas la
regarder.
Cette lettre répondait à celle qui avait annoncé à
la mère ab~ent
la petite maladie de sa fille, mais
rien, ni dans l'l'..:riture ni dans les phrases, ne
trahissait l'agitation angoissée de cellt;: qui l'avait
~crite.
Chacune des paroles était un doux encouragement, une exhortation à être bien docile avec
papa, une certitude que l'enfant ch~rit;:
~tai
parfaitement soignée.
« Je sais, mon étoile, que ton papa te gâtera
comme je te gate, aussi je ne mt;: tourmente pas ...
ne te fais pas de chagrin pour moi, je suis tout à
fait rai:-:onnable, et je compte que, de ton côté, tu
l'es aussi .. , »
. Il Y t;:n avait encore long dans ce sens et Genevii'.!ve dévorait les lignes en silence; son imagination
arJente changeait les mots en réalités; tout son
petit cœur débordait, elle ne put retenir ses larmes,
et cependant maman expressément les défendait.
« Ton papa m'a écrit que tu pleure::; en recCI'ant
mes lettres, tu mériterais que je ne l'écrivt;: plu '. ,.
je c/{:fe1lds les larmes 1... »
Aussi, la petite main tremblante les refoulait précipitamment; mais quel désir passionné tenaillait
ce cœur J'enfant, tout déchiré entre deux tendresses
également vivt;:s. Peut-être la mère aurait-eUt;: trouve
injuste que le pi'.!re fùt aimé autant qu'elle l'était ellemême, et peut-être en effet l'était-ce: mais des lois
mystérieuses régissent ces choses.
Ce mc::me courrier contenait unt;: lettre de Valérie
à celui qui avait été son mari. En peu Je lignes, elle
le remerciait de l'avoir lui-même ras:iurée, et e.·primait sa confiance,
« J'ai conf1ance en votre honneur pour ne pas me
cacher la vérité. li La l'ue de cette claire écriture, un
peu penchée, du papier bleu qu'il connaissait bit;:l1,
de cette sIgnature: "Valérie", fit unt;: étrange im·
pression sur Pr~mey.
Il st;:rra la lettre dans son
P?rtefeui llt;:, résolu à n'en parier à personnt;: Elle
l'mtéressait donc encore? et dorénal'ant, et à jamais,
l,CS obstacles entre eux qui pendant des années
turent épou.' se dressaient infranchissables. Oh !
qU(; la préSt;:l1ce de Valérie aux Etais lui eût paru
naturelle 1 Dan~
le pas~,
il la trouvait trop gral'c,
point J'esprit, n'y pr":tendait pas; mais
elle n'a~it
quel S01l1 amoureux Je toules choses: ses mouvel~ents
éta,ient toujUl~s
calmes, à. moine;, qU'clic ne
1ut se~OUl:
par la colde. comme Il l'avolt l'ue quel·
quefols, alors que ses }'CUX lancaient des flammes.
�tj2
,
LA BRANCHE DE RO!llARIN
C'était vraiment une créature d'exception, et Prémery songea avec complaisance que, si elle n'était
plus à lui, elle n'était ni ne serait jamais à personne;
.:ette convictiun était pour lui artick de foi.
Valérie appartenait à ses enfants, et ne leur enlèverait pas une parcelle de ~a tendresse; il soupira,
en constatant combien les partages étaient embarrassants ... tout se caserait à peu près, sa belle
Jacqueline, car, ccrtcs, elle était belle et bonne, avait
accepté sans un mot de r":crimination la moclification qu'il avait proposée à son programme de ùéplacements; il resterait, lui, avec lcs filletles la derl11ère
guinzaine aux Etais, et elle conduirait sa petite
Clémence aux bains de mer. D'abord tri:s étonnée,
Jacqueline, après une seconde d'hésitatiun, fit vulte.
face avec la meilleure grace du monde.
- Peut-être, cher ami, as-tu raison; Geneviève
est encore trop fragile pour voyager, j'ai parlé en
aveugle, c' .::st mon excuse; ma gosse sera tout aussi
contente, si ce n'est plus, d'aller patauger dans le
sable, CI, au retour, je te demanderai une faveur.
- Toutes, ma jolie, tu me trouveras très fort ton
serviteur.
La chose ainsi entendue, Pl'émery eut à coeur de
contenter sa femme, et risqua sa requête à Geneviève; le docteur Labat devait venir déjeuner aux
Etais, le régisseur et sa femme furent priés cordialement; lui, était un fréquent commensal, mais
Mme Raymond acceptait très rarcment, retranché<::
derri1:!re ses occupations de m":nagi:re et de maman'
néanmoins, pour faire plaisir à Mlle Marcelle et .i
l\llle Genevii::vc, elle mit de cOté ses susceptibilités
,et ses scrupules, la seconJe Mme de Prémery
ayant, à ses yeux de pieuse bourgeoise, tout l'air
d'une marchandise de contrebande.
Genevii::ve, donnant la main à son papa, entra tout
naturellement, les impressions des enfants ont une
vivacité généralement insoupçonnée; mais leur
nature possi:dc encore une étonnante facilité d'adaptation, et est maniJble comme la terre glaise. Depui s
huit jours, la petite G ~ neviè
pensait à la « dame .. ,
et, inconsciemment, s'habituait à l'id(:e de la subir;
Jacqueline l'cmbrassa, et lui demandJ gracieusement des nouvelles ùe Myrtille.
- Myrtille allait très bien, merci, madame.
A table, aS::.ise entre son p~rc
et le docteur Labat,
Gene\'i è; ve sc sentit tout à fait proté~c;
Mme de
Prémcry eut le bon goût de ne l'as l')ntel'peller, et
le raffinement plus savant encOJ'e de parler peu,
ùircctement à son mari ... La petite créature sen"ible
�'L A BRANCHE DE ROMARIN
63
voyait en face d'elle les yeux tendres de sa sœur, et
les visages tout souriants et bénins de M. ct Mme Raymond, vraiment émus du retour cie ces deux enfants
à la table paternelle; la bonne Mme Raymond
imaginait ce que les petites filles pouvaient éprouver.
~ Diéu juste, que diraient son Marcel ct son Lucien
si une «autre» venait 1 rendre sa place à table,
s'asseoir en face de leur petit pi.re 1 Le divorce
représentait aux yeux de Mme Raymond une « chose
abominable », mais « Monsieur était si léger, si
léger! •
XIV
A la suite du bref et violent vertige que cette incroyable soirée (qui paraissait (cnir du domaine
du r(:\'e) causa à Valérie, elle se retrancha dans
une réserve glacée. Son beau visage, toujours
sérieux, revêtLt un aspect presque sévère; mais
Mme Faucheux ne vit là qu'un symptôme de tristesse, tristesse bien légitime, son bon cœur l'intéressait sincèrement à cette charmante femme, si
jeune encore, si seule, et privée momentanément de
son unique consolation, la pr0sencc de ses chère"
peti~
tilles.
II fallait la distraire, et l\Ime Faucheux pensa y
atteindre en parlant continuellement à sa nouvelle
amie d'elle-même, de son flls, ct des projets qu'elle
formait pour lui.
'
- Voyez-vous, chère petite amie, mon GIs sera ù'n
mari idéal; lia gentille épouse, la maman de Jennnetle, était un peu sotte, ct Denis est un homme
supéneur, il faut bien choisir, tnut est là.
Et Mme Faucheux était si pénétrée de la nécessité d'approfondir parfaitement les caractèrt..'s avanl
de s'unll·, qu'elle s'en allait, dt:manclant à chacun de
lui dénicher une bru, il la fallait riche, bien entendu,
et plut6t jolie, parce qut.; Denis était romanesque!
L'iJée qu'un homme romanesque plit s'éprendre
d'une fcmmL! divorcée, mère de filles déjà grand(:~
n'efOeura même pas l'ame ingénue de Mme Fau:
cheux! D'ailleurs, l'attitude de MOle Monpascal était
faite pour bannir ces sortes de craintes; clIc était
de toute éviclence uné f.".::mmcvertucuse, et, s'apitnyunt
sur son sort aVec DeniS, Mme Faucheux sc déclarait
~onvailc
qu'un mariage, qui avait si filcheusclTlent
tO~lrn(:,
dCl'ulI al"oir éU; conclu sans réflexions ~uW-
�Li 1.
LA BRANCHE DE RO~rAIN
"ante"- 1 Cette pauvre enfant était orpheline, soupirait
..\lme Faucheux. On avait toutes les peines du monde
à arrach<!r la jeune femme à ses fonchons de .gardemalade, et si, apri!s d':jeun':f, elle consentaIt à se
joindre pour un moment aux Faucheux, elle demeurait plutût ilencieuse, les doigts occupés, ou donnant son attentiun à la petite Jeannette, sur qui elle
.:!xerçait une véritable lascinatiun. Mais c<!lle apparente indifTérence cachait un trouble profond; les
yeux de Denis Faucheux ne la quittaIent pas, et, ~
t::couter cette voix chaude et vibrante, Valérie, III
f.:mme délaissée, sentait avec épouvante revivre
de vie et d'amour
en el!.: sa propre persona!Jt~
qu'elle cruyait morte 1 Jamais, elle ne s'était considér":e comme libre, et toute son ame, toute sa volunté
s'élançaient vers ses filles, en même temps qu'involontairement son être goûtait une joie profonde,
secrde et nouvelle; les paroles de Denis Faucheux
s'adressaient la plupart du temps nommément à sa
m:'re; mais toutes étaient à l'intention de Valérie,
qui en avait pleinement conscience. Cet entretien
imper~onl
semblait remplir le vide de son cœur.
AIme Faucheux, par ses insinuations continuelles
sur l'opportunité pour son cher Denis de faire un
« choix ., donnait beau jeu au jeune homme pour
parier librement; aussi, loin de se dérober, il exprimaIt avec ardeu,r Ct! que su.n cœur était prêt à otTrir
à celle qUI seraIt son. cho1:\ >.
Si étrang.: que ce fût, Val":ric sentait qu'un dévouement illimité lUI était oOc!"!.
Elle ne pouvait l'accepter, mais son cccur en tressaillit.
Le soir du troisième jour de cette entente mystérieuse, car Valérie aValt le sentiment presque d~li
cieux que Denis Fauch.:ux lisait ses pensées, il parla
avec un tel feu que sa m\:re cn fut frappée, et dit à
sa jeune amie:
- Ne croyez-I'ous pac;, maJam.:, qu'il a déjà fait
son choix et nuus le cache Ï'
D'une voix un peu ,:tfluIT~e
Valéne répondit:
- Vous êtes seule, madame, à pouvuir recevoir
les conliJeç~
de yotre Iii " ct pendant qllC ses 1(;.
vres lais~ent
tomber ceS banales parolt.: .. , die sentait courir surson visage, comme une brûlure sensible,
le regJrd enflammé dù jeune homme. Il n'avait donné
aucune attention à l'interruption maternelle, ct, SIm
visage basané penché en avant, se!) veux tuut brillants, il continuUlt à parler, évoquant sa vic de marin,
disant l'apre volupté de l'offiCIer en Vigie qui sent
que la sûreté de tous dépend de sa yigilance, et
�LA BRANCHE DE ROMARIN
65
que ni les ténèbres ni la mer démontée, ni les
éh:ments déchalnés ne troublent.
- Le plus grand bonheur pour un homme, conclut-il, d'une intonation vibrante, est de prot~ge
ceux qui dépendent de lui, de les défendre contre
tuute soufTrance, l'amour vrai est toul' ours de« quart».
Toute la personne de Denis Pauc leu:x respirait la
force, la volonté, la sécurité; étendant sa main fermée sur la table, et l'y appuyant fortement, il semhlait la tendre, celle main protectrice, vers celle qui
l'~coutai;
la femme délaissée éprouva, avec um·
amertume dGsespérée, le sentiment de sa solitude et
de son ahandon ... nul ne l'aidait à guider sa faible
barque, nul ne l'aiderait jamais .... Un besoin passionné d'être guidée, ~onslée,
soutenue, l't.!nvahit
tout entière; elle n'osait lever les yeux.
Mme Faucheux rompit le court silencl: et soupira:
- Ah 1 tu es trop romanesque, mon Denis
).lme 1\10npascal, qui .:onnalt la vie, pense com~
moi, j'en suis sCire.
- Est-ce le cas, madame?
- Si la vie était ainsi que vous le dites, monsieur,
Ce serait trop beau.
- La vie peut être ainsi.
Leurs regards se rencontrèrent: une grande vague
chaude passa sur le cœur de Valérie, elle sentit 'lUt
tout chavirait en elle; appelant toute sa volonté à
Ba rescousse, elle dit:
- Je ne puIs abandonner plus longtemps ma
pauvre malade. Bonsoir, madame!
Mme Faucheux lui rendit alTectu<:usement son
bonsoir.
- Je vous accompagne, dit Denis Faucheux qui
!- 'était le\'6, lui aussI; Il marcha à cOté de la jeullc
femme jusqu'au perron de l'hOtel; ils n'échangLrent
pas une parole, mais gOl1tèrent une minute d'insaisissable bonheur.
Arrivée au pied des marches, Val~rje
dit brii YCment: • Bonsoir, bonsoir r » et, sans tenJl'i.: la main,
degrés. Denis la suivit attentivement des
gravit l~s
yeux ct vit Je portier lui n:mettrc IL, courrier du soir
qu'on \'<:nalt d'apporter.
.\I111e J\lnnpa ' cal examina attenti\'ement les ell\!?Joppes, ' ursuuta \:ommt.: ctrrayée, et prc:sque en
I:ourant monta l'escalier.
Une de ce <:nveluppes portait son nom, de J'écritur':! de Prémery.
91·IU
�66
LA BRANCHE DE
RO~
xv
Le lendemain matin, un peu remi;;c de la chaude
alarme qui pendant une seconde lui avait cnlev2 le
souffle, Vakrie écrivait; elle écrivailàl'enfantchérie,
malade laID d'ellc, non seull!m ·. ;nt loin J'elle, car la
question de la distance est aisément résolue, mais
hors de sa portée, la maison de son ex-mari, par la
présence d'une autre femme, lui était interdite, elle
ne pouvait en franchir le st!uil sans sc manquer à
elle-même.
Pendant qu'elle traçait des lignes si cohérentes
et calmes, la m~re
désol'::e luttait contre une angoisse presque insupportable; le cOté violent de sa
nature faisaIt bouillon ner son sang, elle se reprochait, comme une mis ": rable lt'lcheté, J'avoir accepté
le divorce. Qu'y avait-elle gagné? Rien. 'on pas
même cette paix, dont la vision l'a\'ait leurrée ... Ni
épouse, ni libér~e,
soumise à d'insupportables servitudes, elle envisagea J'avenir avec terreur. De la
petite lettre de "'vlarcelle, lettre si douce et si
câline, s'exhalaient la tendresse et la reconnais!-'ancl!
pour ~ papa.; il avait veillé Genevi '·ve,., ~ il fait
tout comme toi, maman adorée, ct il m'a bien recommandé de te le: dire, pour te tranquilliser .. , » M~me
l'amour du I?~re
pour les enfants devenait, pourcelh.:
qui leur avait donné la vic, une sorte d" supplice ...
Tous les autres sentiml:nts etaient balayés par la
passion maternelle; Valérie eut un obscur remords
du trouble inconscient que Denis Faucheux lui avait
causé ... Pendant que ses pensées à elle se détachaient un moment de ses filles, Genevil:ve, la
chair de sa chair, l'enfant dont l'amour lui ~taj
plus
nécessaire que le pain, suuffrait, l'avait désirée,
appelée, peut-être? Le sentiment orgueilleux d'appartenir sans partage à ses filles tandis que leur
p '..re avait contracté ' d'autr~s
liens, d'autres devoirs,
û<JJ1na à la femme, sujette apr' s tout aux humaine
faiblesses, la furce de tout sacrifier pour consen'er
cette sup é riorité sainte; nul n'est à l'abri cie la tentation, mais il dépend dc chacun de vaincre la tL'I1tation 1 Un pclit coup frappé à la porte de lil.
chambre vint l'appcler Valérie au présent.
-
Entr·'z.
C'était Jeannette, tuute fl'alclH: d mignonne, son
�LA BRANCHE DE lW:vlARlN
67
grand nœud papillon menaçant le ciel, quelques
!leurs sauvages à la main, qui parut un peu timide,ment sur le seuil.
- Entre, entre, ma petite chérie.
- Bonjour, madame, je viens vous demander de
\ ()~ nouvelles et je vous apporte des neurs que j'ai
<'ueillies avec papa.
- Tu es bien gentille, elles me font grand plai"ir.
Les' petites filles, même tr,,5 jeunes, ont pour
certaines nuances de sentiments une incroyable
pcrspicacitt!; Jeannette, quoiqu'elle n'eût - que
sept ans, devinait, qu'en étant trl:S gentille ave~
:\lme Monpascal, elle plaisait à papa 1 Aussi, de sa
petite voix la plus douce, elle demanda:
- Marcelle et Gene\'it:ve vont bien?
- Non, ma chérie, malheureusement. Genevi1;ve
l,st un peu malade.
- Oh 1 quel malheur 1 Qu'est-ce qu'elle a? mal à
la gorge? Jeannette en avait été atteinte récemment.
- Non, elle a la jaunisse.
- Qu'est-ce que c'est que la jaunisse?
- Ce n'est pas une maladie grave, on a lc fond
des yeux tout Jaune, et cela attriste.
- Ah 1 commc ça me fait de la peine 1 Voulezvous, madame, dire à Genevil:vt.! que je l'embrasse
de tout mon cœur, puis regardant sùn bouquet
d'offrande, et voulez-vous lui envoyer une fleur de
ma part?
La voix de l'enfant, dans sa sincérité affcctueuse,
toucha profondément Val6rie; elle prit la petite sur
ses genoux ct lui caressa doucement la t(:te.
Jeannelle sc l'cncha en enlaçant le cou de son
amie.
.
- Je n'ai pas de maman, moi! dit-elle tristement.
- ,vlallH.:ureusement! mais lu as unc « mr,;~
"
Jeannctle, ct ton papa est si bon!
- Oui, mais il est toujours parli, ct je ais bien
que les l'elites filles ennuient « mémé » ... Je l'ai
entendue qui disait à une damc ; « C'est instlpportab!.:, les enfants! » Une maman nc trouve pas ses
~'nfals
insul'\-wrlablcs; et encourag~
par la bonté
ùu regard qui s'arrêtait sur clic, Jeannette ajouta:
-- Voulez· vous me prendre pour yotrc petite fille
pendant que :\lar.:e\le et Geneviève ne sont pas là
- Mais, mt:!mc quanti elles sont là, j'aime beau.:oup ma petite Jeannette.
- Merci, madame, ct avec un "l'OS soupir de
regret; - Mémé m'a recommandé de ne pas rc~le
longtemps ... est-ce que Je peux aller dire bonjour ~
?
�08
LA BRANCHE DE ROMARIN
ml!;:; i' J'ai aussi un pelit boulJuet pour elle, je l'ai
lais5é sur une chaise dans l~ couloi,·.
- Certainement, ma mignonne, Betty 5cra tr2s
reconnaissante, je vais t'ouvrir la pOIk.
Elles sortirent.
Au bout du couloir, se tenant devant la fen0tre,
Denis Faucheux attendait.
A la vlle de Mme Monpascal il salua, puis, aprl!s
une seconde d'hésitation, B'avn1nça.
Val":rie, dont le visa:~e
témoignait une visibk surprise, n'avait pas lach~
la main de Jcannllttu.
- Je conduisais ma petite amie che~
miss Betty,
dit-el:e, et comprenant la muette ct respectueuse
interrogation des yeux arrétc!s sur elle, elle ajouta
spontanément: - Je n'ai pas de bonnes nouvel~s
Je ma petite Genvi,~"
M. dc Pr6mery m'a écrit c~
matin qu'clic avait la jaunisse.
U ne compassion infinie éclata dans les yeux. de
Denis.
- Je suis navré pour vous, madame, je connais
les peines d les inquiétudes de l'absence. l'lIais votre
fillette n' est pas lOIn, vous pouvez la rejoindre.
- Pas en ce moment, nlln 1
La préscnce de Jeannette empëcha toute explication plus précise. Le pl!re de Jeannette tenta de
justifier sa présence au premier etage, conscient
qu'clic 6tait désapprouvée par Mme Monpascal.
- Je craignais que Jeannette ne s'égarat dans ce
long corriJor et j'étais venu la cueillir.
- Avant de l'enlever, laissez-la dire bonjour à ma
malade, je vous la renvoie dans cinq minutes.
Il demeura immobile, la porle de Betty s'ouvrit
ct au bout d'un bref moment, laissa repasser Jean:
nl.!tte, seule.
Quand ils furent en bas, la petite fille, pr~tc
à
pleurer, dit confidentiellement à son p' re :
- Elle dit qu'cHe va aller à Genl:ve, pour quelques jours, et les Ii:vres en lippe tremblèrent.
- ru l'aimes donc, ma Jt.!annctte? demanda
avidement le p' re.
- Oh! oui, bt.!aucoup, je voudrais unc maman
cMnme ça.
Il yeut, dans le silence qui suivit, une my.,t&rieusC!
entente entre l'homme et l'enfant.
�LA BRANCHE DE ROMARIN
69
XVI
Pendant les quarante-huit heures qui précédèrent le départ de Mme de Prémery des Etai~,
Geneviève demeura passive; aux repas elle sc tut
levant seulement parfois un regard curiouxsur I~
femme de son père; Jacqueline, d'ailleurs, n'essaya
pas de rompre la glace, souriante, si l'occasion s'en
présentait, mais sans sollicitude.
Vis-à-vis de Marcelle, au contraire, elle se mit
extrl.:mement en frais, lui demandant, au cours d'une
courte promenade, de monter jusqu'à son pc·tit
salon, où elle voulait lui faire voir quelque chose
d'intéressant; il était difficile pour la lIJIette de se
dérober, et, un peu à contre-cœur, Marcell..: accompagna l'exubérante jeune femme.
Le petit salon de Mme de Prémery, situé au premier
Hage, était une pièce vraiment charmante, meublée
dans le meilleur goût anglais de vieux Chippendale.
et dont les canapés et fauteuils étaient COU\'crts d'une
cretonne rutilante à grosses roses roses; les fleurs
fralches abondaient, des photopraphies encadrées
égayaient les tables, ct partout étaient dispers6s
lIne multitude de bibelots amusants et commodes;
rien ne pouvait être plus accueillant. En entrant
Marcelle avait tr(;ssailli de surprise: dans un larg~
panneau exposé. au jour favoraWe, était suspendu
un mer\'eilleux portrait de son pi re j clIc y alla
tout droit, et s'arrêta dans une muette admiration.
- Hein? chI Mme de Pr6mcry la Joignant, et pas:~lnt
son bras caressant autour des épaules de la
I1l1ctte, voilà cc que je voulais te 1110ntrer, - ct levant
{'lIe aussi les yeux vers le l'MIrait - n'esl-ce pas
ché'rie, c'~;t
un beau portrait de ton papa'? il a éd
pl!Ïnt pour moi - et parlant d'Ull Inn plus grave:
- Tu, ais, je l'aime beaucoup, ton cher papa, beaucoup, je lui ai tout sacrifié, moi 1 lavais une petite
fille ... je l'ai quittée! Tiens, Marcelle, reQurde ma
gentille Clémence, ct Mme de Pr~mey
alla .:hoi 'ir
une phot~raic
d'enfant qu'entourait un lafl;'
cadre d'arg~nt.
Voilà ma petite fille, à moi ... j'ni
renoncé à clIc ...
•"1ar.:e1le, pn:sque as omm(:c par de pareilles
révélations, comprenant à peine, balbutia:
- OCI ec:l-elle (
�70
LA BRANCHE DE ROMARIN
- Oh 1 elle est très heureu'c avcc ~a grand'm<:re el
son pè!re; comme je ne veux pas lui faire de chagrin,
je la vois rarement; mais maintenant, en vous
quittant, je vais la conduire aux bains de mer.
,'1:arcelle regarda attentivement l'eftigie de la
petite fille à l'air plutôt compassé, qUI se tenait
manifestement bien droite pour être photographit;;e,
et murmura:
- Est-ce qu'elle vient ici, chez papa?
- Elle n'est pas venue encore, mais elle viendra,
ton pal?a est très bon pour elle.
Une Jalousie désespérée mordit la flllette au cœur;
toute frémissante, elle protesta:
- Elle n'est pas sa petite fille 1
- Non, assurément, mais elle est la mi"nne, et
aujourd'hui je suis sa femme; c'est une bonne petite
fille innocente et douce, on ne pourrait être méchant
pour elle .
- Il ne faut pas le dire à Genvi~.
- On ne le lui dira pas, c'est inutile, j'avais
pensé que tu voudrais être un peu bonne pour
l'amie Jacqueline, qui a mis sa petite fille de côté
pour rendre ton papa heureux 1
- .Je n'aime que ma maman 1
- Enfin, tu ne me détestes pas?
- Oh 1 non.
- Et voudras-tu prier pour moi?
- Si vous le Jésirez.
- Oui, je le désire beaucoup, cl si tu es généreuse, tu prierais aussi pour ma pauvre Clémence;
il n'est pas du tout sùr qu'clle soit heureuse plu ..
tard 1
- Pourquoi?
- Parce que je l'ai quittée! Patience, tout hl
monde ne peut pas être heureux, j'ai pris ma part,
ma lar~e
part, je la garde ... L'année prochaine, il y
aura, j'esp~r,
une personne de plus aux Etnis, une
personne que nous aimerons tous ...
Le visage naif qui l'écoutait exprimait une pel'plexit~
si p~nible,
que Jacqueline n'osa aller plus
loin clans sa rév0Jation.
- Allons, petite fille, ne prend~
pas celte figure
effrayét:, quand cette personne \'iendra, ()n te la
pré~enta
bien vite ..... n attendant je voudrais que
lu emportes un petit souvenir de moi. Tiens, veuxtu cc panicr à ouvrage? Tl est commocl.: ... je ne
demandais qu'à te gilter, tu le reconnaltras. Espérom;
qu cc sera rour une autre foi. - Et apn;s lIne
pauo,c. - Enfin, tu cs là aujourd'hui, et aUlollf<!'hui
c'est toujour:; rlU5 sûr que l'avenir 1 Je vouJrais
�LA BRANCHE 'DF RO:MARIN
7r
que tu me promettes, si jamais tu en avais l'occasion,
ce qui n'arrivera sans doute pas, mais enfin, quand
u stras grande, et ce sera bientôt fait, d'être bonne
pour ma Cltimcncc, veux-tu me le promettre?
- Mais, je ne la connais pas!
- Non, et vraiscmblablLment tu ne la connaitras
jamais, cependant promets-moi; personne, autant
que toi, petite Marcelle, 11(' m'a inspir6 de confiance,
je suis persuadée que tu ne mens Jamais 1
•
- Oh! non, jamais!
- Alors, ce que tu me diras je le croirai, c'est
convenu, n'est-ce pas, quand tu seras grande, si tu
rencontres ma Clemence, tu seras bonne pour elle.
Marcelle hésita, puis, tremblant lCgi.:rement,
dit:
- Je tâc)1erai, madame.
- .Tc te rt.!mercie ... On a quelquefois des idées
étranges; nous ne dirons rien de notre entretien à
ton papa; je veux qu'il soit heureux.
Prémery, en clTet, ne sut rien, ct demeura dans
l'ignorance de la nouvelle secousse morale qu'avait
roçue sa fille aînée; celle-ci sc confia à Pauline, car
le secret l'étouffait.
- Est-cc que vous saviez, Pauline, que Mme Jacquel ine a une petite fille, à dIe?
Pauline confessa être informée.
- Elle viendra ici ?
- Non, chérie, je ne crois pas.
- Sa maman me l'a dit, nous ne le raconterons
pas à Geneviève.
- Bien entendu. Oh 1 qu'il est malheureux que.·cl~
br<lyes gens se mt.!ltent dans des embarras pareils!
~t
puis, ajouta Pauline, de l'abondance de sa conviction et sans trop ftH1échir:« c'est les pauvres enfants
(jui en palissent 1.
Marcelle ne répliqua pas, clle emmagasinait une
[(Jule d'idées extraordinaires; la détente était néces'nire.
.
Elle sllr\'int par Je félit du départ de la chatelaine
kquel s'effectua de bon matin; l'adio.:ll avec Mar:
cellt.! ~:éch"ngea
le SOIr, t?ut bas, sn~
bestcS;
GcneYIL!ve avait tendu le relit bout de mall1 qu'elle
laissait prendre! Quand clle comprit que ~Ol1
papa
<"tait à cJIe sans partage, ce fut UIll' sorte d'Ivresse'
(1) prit ks l'upas dans une petite pil'CC plus intime:
le papa au milieu de la table, ses filles à druite ct à
,·~uche.
« Oh J si maman étai! là, • sc disait GeneV\;'ve, ct l'homme volage sc faisait aussi en secru la
.rnême réflexion ...
Les petites ne se doutaient guère que lcm pi.:rc
�72
LA BRANCHE DE RQ).,lARIN
leur faisait parcourir les mêmes allées, sc rendre
aux mèmes buts, que celles parcourues jadis par
lui ... et leur m::re ... treize ans auparavant. Cependant, d'instinct, il la nommait souvent aux enfants.
Certaines révélations du passé lui échappaient
comme une information due à ses filles. Par exemple,
débouchant, un radieux matin, dans un beau carrefour de la forêt, il dit spontanément:
- Votre maman aimait beaucoup celte belle
étoile, d'où cinq allées rayonnent, nous y sommes
venus souvent...
Les petites filles écoutaient, exaltées. De leur
côté, elIes racontaient à papa comme une chose
simple, et !attendue. tout ce que maman leur écrivait. .. les époux anciens, par ces chers Intermédiaires, avaient vraiment renoué une correspondance
intime et fréquente ... Pr~mey
tenait presque quotidiennement dans ses mains une lettre de Valéne ...
il usait d'habileté pour se la faire confier, les expressions de tendresse si ingénieuses, douces et profondes de la mè: re à ses petItes filles, l'assurance
'lu'elle leur donnait que les savoir heureuses <.!tait
tout son bonheur, la défense de s'attrister, le rappel
;énéreux que leur papa les aimait tant, le touchait
profondément; en même temps, il avait la vision
tr~s
nette, à laquelle d'habitude il ne réfléchIssait
gui!re, de la solitude de Val<.!rie. « .Te vais me promener toute seule, je vous parle tOut haut, et il me
,emble que vous m'entendez ... je suis un peu ' oli~olitare,
mais bientôt nous serons réunies, il ne
faut Jonc ras se faire de chagnn ... »
:Prémery s'émervelliait de la grâce tendre de ces
lettres i cette femme, qui, avec lui, s'était toujours
montrée réticente, et plutôt froide, avait, vis-à-VIS
de ses filles, les plus délicieuses puérihtés que sug~è:re
l'amour, écrivait à Genevi1:ve: « Je te remercie,
mon étoile, de ta jolie petite fleur, Je l'ai embrasstEe
mille fois, je mets mon cœur sur ce papier, embrasse-le hien fort. »
gt à Marc"lle :
«. Tu seras contente, mon trésor, de savoir que la
I?ctite .Jeannette e~t
bien gentille poUl' vl)tre maman i
elle voudrait que je la prenne pOLIr ma petite fille
pendant que vous n'êtes pas là ... mais je ne SUIS la
maman que de mes chértes ... Jeannette, comme tu
~ais,
n'a pas de maman i son papa, qui est marin, et
cannait le cousin Jehan, est venu iCI quelques jours
et .Teannette a été bien jl)ycus~;
mamtenant, son
papa l st parti faire une excursion dans les montagn ; alors, comme Jeannette s'ennuie un peu, je la
�LA BRANCHE DE ROMARIN
73
mène promener; nous nous asseyons à l'ombre, et
elle travaille à mon cOté, je lui apprends le point de
tricot, ce qui l'amuse beaucoup. Elle vous embrasse
toutes les deux de bon cœur, et a bi~n
envie de vous
revoir. .. Surtout que ma petite Geneviève ne soit
pas jalouse... »
Mais précisément Geneviève l'était, et peut-être sa
maman l'avait-elle voulu ... on se défend comme on
peut 1
Même dans l'enchantement des Etais, de la joie
intense d'être avec papa, sourdait dans le cœur d'enfant de Genevihe comme une violente soif, le désir
de retrouver maman ... elle signait ses lettres avec
une ,eassion emportée.
" fa fille qui te chérit pour la vie l 'b ct en postscriptum :
" Dans ce moment-ci ton portrait me sourit, je
voudrais bien que ce soit toi; ton portrait a, tous les
jours, mon premier et dernier baiser.
" J'embrasse ton portrait mille et mille fois, le
verre est tout taché à force de l'embrasser. »
Par ces lelt res, Prémery avait douloureusement le
sentiment que les jours de grace s'écoulaient; maintenant Valérie parlait du retour, le préparait. u Betty
n'cst pas en état de faire le long voyage; mais je la
lai~ser
dans une très bonne maison cie santé à
~lontreux
où elle attendra la convalescence, elle vous
envoie tout son « love », et espère que vous mettez
votre robe blanche tous les soirs et que Marcelle
s'acquitte bien des nœuds de tête de Genevit.:ve
(elle n'a pas du tout confiance en l'habileté de Pauline), ne le lui dis pa , mon ange, et demande à ton
papa s'il croit que Pauline consentirait à rester à
Paris avec nous, cinq ou six semaines; on la ménagera bien, et ainsi, avec Annettl!, notre petit ménage
marchera. Réponds-moi Lout de suite à ce sujet,
parce que Mme Faucheux connalt une jeune personne
qui, à la rigueur, pourrait suppléer Betty. ~
La possibilité n'avait pas fait doute pour Prémcry,
et tout fut rapidement convenu a,cc Pauline, enchantée d'une (ugue parisienne. Comme pour rendre plus
brl!\'cs ces dernières journées, elles étaient d('jà
O101l1S longues, l'ombre tombait plus t6t, on ren:rait
a~tedr
I:heurt; du dlner. GenevlL ve prenait un plaisir SingulIer à evoluer dans le grand salon; assise à
la table ronde, toute couverte d'albums, elle dessinait des bonnes femmes d'une originalit<.: extrême
ùont elle déVidait à mi-voix l'histoirè à mesure qu'el~
leur donnait une forme; elle avait griffonné en
cachette plusieurs chan sons qu'elle destinait à
�74
LA BRANCHE DE ROMARIN
c: maman », mais que:.v1arcelle l'obligea à montrer à
papa. Après dlner, la lecture d~ D ,n Quichotte, dont
elles <!coutaient avec passion les aventures, menait
jusq u'à l'heure du couvre-feu. Prémery s'arrêtait de
temps en temps pour regarder ses filles: ces ch~res
apparitions allaient s'évanouir? cesser de faire partie
de la vie de tous les jours? Marcelle emporterait ses
jolis ouvrages, ses livres d'heures qu'elle lisait si
discr:'tement; les crayon s de couleur, les feuillets
de Genevi ève ne traineraient plus sur la grande table,
elles s'en allaient grandi,' et s'épanouir loin de lui ..
Il en éprouvait un chagrin aigu, dont les lettres
e.'trèmement tendres de sa femme ne le distrayaient
pas ... même l'esI;oir de l'enfant qui allait venir, de
ce fils qu'il a.-a'l dé ir6, ne lUi apportait aucun
al
~ gemnt;
cette vision l'ennuyait plutôt. Marcelle
et Genvi~
suffisaient à sQn cœur paternel, et
quand, au cours de leurs promenades à pied, Mar.
cell e , avec une hardiesse timide, lui prenait le bras,
il était joyeux comme un adole scent en bonne
fortune ... Dans sa répugnance à les voir s'envoler,
il avait suggért5 la possibilité de demander il IL maman» une petite prolongation; mais l'émotion visible de Geneviève, à l'idée du revoir différé, ne laissa
pa:; subsister cette idée. Le mois ~coulé,
il devait
le ~ rendre.
Pour se tromper lui-mêmt!. et tromper la mSilncolie des petites filles à mesure que couraient les
jt>Ul'S, il parla beaucoup de ce qu'on ferait l'hiver;
il les m:nerait au Théatre-Français, à l'Op~ra
Comique.
- Oh 1 quel bonheur 1 cria Geneviève, papa, tu
ne rest<.:ras pas aux Etais comm<.: l'hiver dernier,
.;''';tait trop triste, tu seras tout le temps à Paris 'r
- Oui, petite patronne, et tu sais, sept jours,
C't.;' t bien vite passé, tu me rnconteru des masses
Je choses.
- Oui, soupi,'a la petite; mais on n'a pas les
soir
~ et les matins ...
- C'est l'rai, c'est regret table ...
- Quand on e voit sans le soir et sans le matin,
ct! [J'est pas la m~e
cho~e
du tout. ..
1_
Tu pensera' Ù nos bons matins des Etais ...
- Oui, j'y pl!n~erai
.. ,
toutes le~
petites photo- Tu aura9 à regad~
graphi-~<;
que jl,! t'ai faite .. , tu le' montreras à ta
maman, elle rt.:connaltn: les bois des Etais.
Gencvi"vl! d,lmeurn un long instant pensive, puis
dit, parlant tIn peu bas:
/
- Elle ne les verra plu$ ... jamais?
�LA BRANCHE DE ROMARIN
75
Prémery ne sut que r~ponde,
et embrassa sa
1111e.
- Ne nous attrbtons pas.
- Papa, - demanda Marco.:lle, qui avait écout6
en silence : - Est-ce que la photographie de la
chapelle est réussie?
- Oui, je crois, très bien, je te ferai tirer un
a!'!randissement à Paris.
~ Lu
petite chapelle abandonnée avait retrou\<! une
vie passagl:re: Mme Raymond, qui veillait à ce qu'elle
fClt maintenue en bon état, mais n'osait jamais y
aller, y avait conduit un jour Marcelle ... Ce fut pour
ce pieux et tendre petit cœur un p~lerinag
de
joie; l'Gtroit oratoire, avec sa belle vierge de Loùrdes,
ses tableaux, son autel de marbre, lu"i rarut.l'antichambre du paradis, les vieux prie-dieu étaient là ...
inutilisés depuis longtemps ... Marcelle s'arzenouilla
sur celui que Mme Raymond lui dé"igna comme
ayant èt<.! celui dt sa mlore. Sous la suggestion affectueuse, les souvenirs de sa petite enfance afflui:rent
au cœur de la petite fille ... Elle se revit à la messe,
là, près de son PL re et de sa mère; l'horreur ùe la
pensée, que plus jamais il s ne s'agenouilleraient l'un
pri:s de l'autre, ku rs filles tout pre s, fit couler d"
grosses larmes des beaux yeux limpides. Mme Raymond, seule avec Marcelle dans cette visite presque
dandestinl.!, fut vivement <.!muej elle prit la main de
la fillette, la serra et, sans se rendre compte de la
portée de ses paroles, dominée par un désir réel de
rGconforter cette jeune cr~atue
:
- Confiance, dit-eH.::, il ne faut jamais d":sespél'cr, priez bien la sainte Vierge.
Une illumination parut sur le visage de Marcelle.
- J..; prierai 1 dit·elle.
XVII
Val~rie
allait vers ses filles, vers son foyer, "ers
tout ce qui consti'uait sa vie, et n<.!anmolns cette
longue nuit en chemin de fer lui avait pesé
lourdement sur son cœur. Elle allait vers ses filles,
et pourtant elle souffrait. .. des regrets, auxquels sa
droiture d'ame ne voulait pas donner une forme
l'étouffaient .. Certes, elle était m' re avant tout:
elle immolait à StS enfants chtéries tous les rcves,
toutes les espérances, entr6es en dt!pit de; sa
�76
LA BRANCHE DE ROMARIN
volonté, dans son cœur 1 La maternité seule devait la consoler ùe l'abandon, l'honneur de sa vie
remplacer. l:amour; mais, comme Shak~sl?er
fait
crier au JUlf Shylock:" Est-ce qU'iln JUIf n'a pas
J'yeux, pas de I?assio.ns, pas de sens, pas d'affection Ï" » elle aUSSI auratt pu demander : Une femme
jeune et délaissée e3t-elle dépouillée par ce fait de la
faculté d'aimer, du désir tl'ètre aim6e . Valérie
.\lonpascal avait nourri une foi robuste en l'invulnérabilité cie son propre cœur. Son mari s'était
éloign'; d'clic, clle avai.t accepté. ce~
éloignement;
aucun homme ne pouvait désorm:l1s l'mléresser; elle
!->'était crue certaine d'être à l'auri de toute attra.:tion de ce genre; nourrissant une confiance tém~
raire dan., son insensibilité, et en étant fi're, Et puis
en quelques heures, sous une inexplicable influence:
une sorte de d0bacle de toutes les défenses dont
dIe se sentait ent.ourée, avait e';1 lieu! L'efTroyable
douceur, l'attractlùn tpute pülssante de l'amour
s'étaient imposées à son ame, semblables à de~
intrus qui pén~tre
de vive force dans un enclos
fermé; la créature alarmée n'avait su comment les
chasser, fermant les yeux pour ne pas les voir, bouchant ses ordilles afin de ne pas le~
entendre ...
Elle savait qu'il ne faut pas parlementer avec
d'aussi dangereux ennemis, qu'il faut les fuir ... elle ne
le pouvait d'une façon immC!diate et radicale' mais
s'était absent~c
quarante-huit heures afin de préparer le transfert de sa malade; à son retour, comme
elle inventait de nouveaux. pr":tcxtes, afin de justifier
les refus qu'cil\.! opposait aux avances de Mme Faucheux, le lieutenant s'était rapproché d'elle et lui
avait murmuré:
- Je pars, madame, puisque ma présence vous
d6plalt.
Valérie n'avait pas réondl~,
ne cl:oyant qu'à demi
à Ct.! départ; cependant!l aVait eu lieu, sous le trL's
plausible couvert d'une excursion en montagne .. , et
un matin, sans avoir anl1onc(, la veille sa décision
Denis Faucheux fut, par s~ m"n:, annoncé absent:
- Que voulez-vous, ch 're m.adame, l'existence
monotone n'est t.!\"idemment pas le rait de mon fib'
car, chose curi~,
pendant la Courte année qu~
son mariage a duré, il s'ennuyait... Trl's bien in _
tallt.! à Brest avec une pl!tile femme ex.emplaire uni.
de ~(Jn
i~t.!re,u
de se3 co~pts,
quement. ocu~';e
un prodl~e
d'cclInomle, ,!t;vouL;e à son mari, .. ch
bien, Denis, qui n'a jamais appartenu au ~enr
nai
Je le reconnais, était, au mÎli\.!u de tant d'éltme'"'nts
de bonheur, devenu tout à fail sombre .. , Je croyai~
�LA BRANCHE DE ROMARJN
77
qu'Il prenait plaisir à votre ociétL, vous aVE:Z cornme
lui le goût des bouquins, et pendant votre fugue, il
était de mauvaise humeur; vous revenez, il s'en va ...
C'est le caractl ra du marin l je suppose. Son p: re
~taiun
peu frivule, mais toujours aimable, du moins
au d~hors;
et ce qui plus est, je n'ose Pli" demander
à Denis la raifon cie ces" sautes de vent », il n'est
pas toujours commode, oh! il lui faudr'! une femme
mtelligente ... peut-être tlne veuve sans enfants ... je
vais m'orienter de ce c6t0-là.
Mme Monpascal l'y encoura!'ea.
- Il faudra bien (lue \"(JlIS 'me consoliez un peu
pencla1l1 le temps si court qu'il nous reste à jouir de
votre aimable compagnie. Mais en janvil:r, je compte
venir pour troi mois à Paris, CblZ ma sœur, qui est
charmante, et l'on se verra, j'e::pL re; .Jeapnette fiera
si heureuse de retrouver ses rClites arnies. Denis
demandera ~ùremnt
une prolnnf::ution de congé'
les fièvres l'ont tellement éprouvé, il il besoin cil'
soins, pauvre garçon! j'csp: re que ces a~censio
lui seront salutaIres, nous n'ayons pas de d":tails fi
attendre, car il m'a avcr,ie que je ne recevrai que
des dépê..:hes,
,Jeannette, avec une extraordinaire as~idlté,
s'était attachée à Mme 1\1(1npa8cal j la pL'titc fille
écrivait à son cher papa tous lt:s deux jour, et lui
parlait longuement de sa grande amie, 011 plutôt ne
parlait que d'el~,
" Mme Monpascal m'ql'prend ft f;lire un gilet au
tricot. .. je t'en ferai un, mon ch\..1' I~ar.
<1 Madame iVlonpa,cal m'a menée prom 'ner, 10U~
<lvon:> dansé une ronde fi llPL!S deux , (Ile a chanté
Ir, « branche de romarin ", elle chante si bien 1.. ,
« Marcelle et GL:neviL\'(: m'ont écrit une bdle
lettre, elles m'invitent fi venir jes voir à Paris, ..
~ 1\1iss a ét~
transpnrtée à A{olltrclIx, madame
Monpascal l'a accompaunéc .. , r:lle s'cn va cl:tns
j'ai
cleux jours, elle VH â Pari arr,ln"er sa mai~on,
biep dn charrin de III "pir partir ... "
1\lme Faucheux s'étOlt un l'elt donnée que finn
fils ne revint pas avant 1t! départ de leur aimllhle
amie ... mai'a le c(cur masculin cst si insondahle; il
n'etait pa-- impossible qUl' Deni" Clil lais é lIne
affection, un lh:n qucJcol1llue en Chine r L'urgence
de le marier apparaissait r us clairement à a m' n,
et elle avait confiJentiellelllcnt sollicité l\lmc J\!OIlpascal de chercher si, parmi 'ses cnnnaisoanccr., lin
parti sortable n'existerait ras .. , « Même une veule
comme je vous l'ai expliqué. ,.
�78
LA BRANCHE DE ROMARIN
Le train venant de Suisse entrait en "are. ValérÎr
subit la sensation parlicu~e
qu'am:':ne~e retour aux
lieux familiers; l'a me de voyage, qui souvent a été
vagabonde, semble s'envoler soudain; et l'âme toute
chargée de souci~,
de devoirs réels et imaginaires,
l'âme rapetissée de « tous les jours n la remplace.
C'est comme un déplacement d'optique.
La lan"ueul" qui avait accablé Mme Monpascal sc
dissipa; "'elle se dressa dans son wagon, droite et
vaillante, presque heureuse; ardente à commencer
sa tache, de tout préparer pour le retour des enfants
adol"~s.
Comme le train ralentissait, elle mit la tète
afin, par un s!gne, de s'assurer d'un
à la porti~e,
facteur qui prendrait ses petlts bagages; elle n'avait
plutôt
pas l'habitude de voyager seule? e.t X ét~i
maladroite; personne ne l'attendait, Il tallait donc se
débrouiller.
Les voyageurs <;l,u wagon .sont descendus. Valérie
est restée la derOiere, les facteurs passent en courant, elle n'a pu au pa.ssage arrêter aucun d'eux;
debout sur le marchepied, elle s'est retournée du
côté du wagon afin de tirer à elle son sac, assez lourd,
et qu'elle a posé. à terre.: . .quand une voix, parlant il
son oreille, la foalt tressat\hr : « ~adme,
permettezmoi», et DeOlS Faucheux, .rapldement, enl:':ve le
sac, recueille les autres objets, puis revient vers
Valérie, toule saisie; se découvrant, il s'excuse:
- Pardonnez-moi, madame, d'être venu cc matin
je savais que vous seriez seule, il a fallu que j~
vienne 1
Alors Valérie sent que cette crise qu'elle a tan
souhaité éviter est inévt~ble
... La volonté de Denis
domine entl'remenl la Sienne, elle murmure faibl û ment une réponse un peu sotte.
- Vous vous donnez bien de la peine,
Un heau sourire, un sourire qui dit mille choses
passionnées, est l'unique réponse.
.
- Je vous demande un~
heuI:e, c'est bien peu;
nous allons mettre vos petits coliS à la consione et
dans une heure, nous viendrons les prend.~
' ,
- On ,sera inquiet, chez moi, protesta Valérie.
-
QUI?
A son tour, elle sourit en avouant: ma vieill cuisini1:rc AnneLte.
- Annonçons-lui un petit retard clu train, me Ir
permettez-vous?
Tl comprend qu'on le lui permet.
La dépêche expédiée, les colis à l'abri, Valérie
stupéfaite, montû Cil ·lUtO. Elle n'a pas entendu \e~
�LA BRANCHE DE ROMARIN
79
instructions données au chautTeur, elle n'a pas
esay~
de: les surprendre ...
Deni Faucheux est à son côté ... il ne la serre pas
de pri:s, il n'a aucun geste alarmant, il a seulement
saü;i la petite main inerte, la d~gante
rapidement,
et y appuie ses li;vres ... puis il dit:
- Vous savez, n'est-ce pas, combien je vous aime:
Elle ne répond pas, frémissante d'un délicieux
effroi.
- Vous le savez, vous m'avez compris, parce que
l'rntente du creur vient avec la rapidt~
de la foudre ...
vous êtes libre, je suis libre, nous avont; Je droit,
nous ayons le dtvoir de nous aimer ...
Il parlait vite, trt-s bas, d'une intonation vibrante
et dominatrice; sa main gauche s'appuyait sur la
main droite de la jeune femme, la malOtenant immobile comme on maintient un oiseau craintif. Il vit
qu'elle desserrait les li.vres pour pa rit.! r.
- Ne dites rien, écoulez-moi d'abord: Je vous
apporte tou~
ma vie, une tendresse illimitl!e, le
dévouement Jusqu'à la mor!. .. Vous êks malheureuse, votre jeunesse meurt et s'étiole .. , vos fillts ..,
je sai s, vos filles; mais elles nc sont pas, elles ne
peuvent être tout à yous... clics sont aussi à
Jeur p~re
... et lui a su se créer une vic, sans les
pereire ... ou si peu; dans quelques annt!es, bientôt,
puisque l'al06e a treize ans, vos filles iront à d'autres
affections ... - que vous r"stera-t-il? C'est une illusion 1 des êtres humains ne peuvent vivre de leur
amour pour leurs enfants ... J'ai une fille , je donnerai
ma vip pour elle, mais elle ne peut remplir mon
cœur ....Je s~i,
les mères sc figurent, et puis à la
fin de leur jeunesse le rè:veil est afrreu .... Ecoutezmoi, Valëne, ma bien-aimée, vou;; ne vous cn doutez
peut-être pas, mais déjà vOtre être cst à moi, serit:zvous ici, il mon côté, s'i l n'en était pas ain-i"r Vous
m'avez obéi, parce que vous ne pOll\'icz pas nH.:
désobéir, ct maintenant je veux que VOLIS ml:: disiez
que vous m'aimez 1
Il était tout proche, maintenant. ..
Valérie, pale cnmme la mort, le regarda ... Attentif,
il sc préparait li boire Ic:; paroles qui allaient ttlmbtr de ces 1~\Tes
chhies .
pas si je VOIi aime, mais je sai a que
. - Je .ne ~ais.
le ne SUl,S pas libre...
.
.
- Pas libre ?... ct votre eX~OIa\'1
e t r.:mnl'lL: pa~
libre 1. .. ct comment?
'
- .Te suis liée devant Dieu ... j'ai :un~,
aus
,~ i IfJngtemps que mon mari vivra, jP. ne sui pas libre ...
Mon'lie\II' Fllllc:lJl'l1X, k VOU" ('11 conjure, n'Jhu 'Ci'
�80
LA BRANCHE DE RO!lIARIN
pas d'uJ1 7 sec.onde .de faiblesse ... Je ne veux pas, j..:
ne serai Jamais pafJure... .
.
.
- Vous ne vous remanerez Jamais?
- Jamais, vous entendez, jamais 1 Je ne ferai pas
cette injure à mes filles, à moi-même ... et tenez, je
vais être franche avec vous, nous n'aurons peut-êtn:
plus jamais l'occasion de parler aussi librement..
Même si mon mariage avait été annulé religieusement je ne me serais pas remari",e, il me s'emblerait i~sulter
à l'innocence de nos filles.
- C'est de la folie, de la pure folie; vous préférer.
torturer un homme qui vous adore, et je vous aimerai
quand mème, rien ne pourra arracher cet amour de
mon cœur, ayez pitié de moi ...
- J'en ai pitié ... et de moi (elle laissait baiser
passionnument sa main),)e ne suis pas? moi non
plus, mallrcsse de ce que J éprouve: .. :Je ValS souffrir,
Je le sais, peut-.être .longtemps, mal<; Je ne veux vous
laisser aucune IllusIOn.
-- Val~rie,
écoutez, écoutez,. on ne sait Cc que le
temps réserve ..: Nous sommes Jeunes tous les deux ...
accepter. ma fol. ..
- Non, non, je ne dois pas ...
- Si, mon amie, si, je vous en prie; je suis votre
chose, jusqu'à la mort; ne me refusez ras d'être
mon amie; pas un mol ne passera jamais mes
}"·vres ... J'attendrai, quoi, je n'en sais rien; l'heure
Je Dieu, cette injustice ne peut durer éternellement.
quand je sera~
en mer, i.e ~ai;
demander à repartir:
p(Jrmetz-~lO
de vous L:cnre .... et v,!us, mon idole,
écri vez-mol. .. cela ne peut flen frrllsser en vous ...
vous y trouverez une consolation, vous saurcr. que
hi.-bas au bout du monde, un cœur d'homme ne
bat q~le
pour vous; j'aime vos fille, comme j'aime
.r cannette, vous me parlerez d'elles ... de votre chien
de tout ce ~lut.!
vous aime;: ... je, partirai, ne plcure~
pas ... SI, ~I,
pleur?? .un p~u.
Ecoulez. ma derni' re
pri'.!re : lalsscz-f!1Çl1 franchi!' votre seUil, voir votre
maison ... que Je sache ou vous placer. VOliS ne
tl'Omp?l person,nc, c'cst votre droit strict de recevoir
un U1TIl ... Demam, vous serl:1. encore seule ... je vit:n<Irai à deux heures ... de la part de ma mLre ..Je
In'engage à ne rester que vingt minutes ... dites oui?
-
Oui.
La pluie commençait cl tomber, un'.' pluie d'étt.:
l'auto courait entre les allées du bai:,
fine et sem~,
de Vincennes, infiniment pai'lible li cette heure matina\"'. Une sorte de paix fatiguée semblait tomber
sur 10 h:rre et sur les deux êtres frémissants assis
cOte à cûte; il n'est pas d'~nJojt
olt k5C1ltimcnt
�LA BRAr'CHE DE ROlI,IARIN
81
d'isolement de tous se golite mieux que dans une
auto qui, rapidement, vous empol te; on a !-impression d'être d~tachê
de la rt:alité, d'avoir rompu les
liens avec ceux qui, fugitivement, gli sent devant les
veux.
, Péntr'~s
de cette sensation, Denis et Valérie se
taisaient, leurs épaules se touchail.nt légè rement, et
cc seul el précaire contact leur était une extraordinaire douceur ... La jLune femme leva les yeux sur
son co~pagn;
il s'était décOl;ve.rt, et son visa.ge
expressIf et un peu tourmenté etaIt comme éclaIré
étaient serrées
d' une passion intérieure, les l\.;vre~
sous la barbe brune, le regard, \'oilé el lourd, [tait
fixe ... Tel il devait être aux heures de péril. Involontairement, Val~ri
éleva sa main et la posa sur la
tête de son amI; II ferma les yLUX, tres~ail,
mai~
ne bougea pa&, laIssant ainsi la douce caresse se
prolonger un instant ... LI.! silence était tombé entre
eux, que sc seraient-ils dit'? Denis comprenait que
tout l'avenir de son amour dépendait de sa maîtrise
sur lui-même. Pour ne pas la perdre absolument, il
importait de lui inspirer confiance. Et, en Lffet,
Vo lérie, d'abord troublée jusq u'à l'épouvante, s'abandonnait maintenant à la Joie brL ve de ce tête-à-tête,
qui ne devait pas, ne poU\'ait pas se renouyeler.
Ah! que ne s'étaient-ils rencontrés plus tôt! pui~
le bon sens foncier de la jeune femme rejda ce
regret comme une pure chimè re ... L'amitit? oui,
l'amitié était possible ... C'était beaucoup, elle avait
toujours souITert, plw; ou moins, de la ::.olitude du
cœur. De tr\.'5 bonne h(;ure orpheline, n'ayant ni
fre l'CS ni sœurs, jamais son mari n'avait capté sa
confiance, même am. heures où il etait le plus charmllnt. Toujours elle sentait qu'il pensait avant tout.
inconsciemment peut-être, à lui-mêm(;; jamais il
n'avait essayé de pén,"trer Jan::; ILs arcanes sec rUes
du cœur de celle qui était ~a femme. La tendresse
maternelle la plus Vive, la plus remplie, la plus comblée, laisse neanmoins, clan' un cU.ur de femme,
comme un es race dé~crt
que rien n'anime, q,le rien
ne vient vivifier ... Plusieurs fois, à Rn, Val('rie avait
éprouvé que la pr{sence de Denis faucheux l .li procurait l'impression r0confortante occulte, que donne
la présence d'un chien fid'::le dont les yeux di"ent le
dévouement ... Non, elle ne pouvait retrancher de sa
vie un être qui la chérissait ... elle n'enli.:verait rien
à ses filles, elle se conserverait toute à elles, et ne
donnerait, cn Sllmmc, que ce trésor secret de son
cceur de femme, qui ne leur appartenait pas.
L'auto filait toujours. et !a plUIe et le ~ilenc
les
�82
LA BRANCHE DE ROMARIN
enveloppaiet:Jt 1 Denis, myst()ricue~
averti de ce
qui sc passaIt dans le cœur de son amLC, sc retourna
douo.:cment, et, sans violence, lui reprit la main, la
baisant avec m;;nagement et murmurant entre
chaque baiser :
- Prenez-moi, je suis à vous, dites que vous
acceptez le don que je vous fais de moi-même.
D'une voix à peine imperceptible, elle r":pondit:
- Sans espoir?
- Oui, sans espoir... Vous m'écrirez, vous m'ou"rirez votre cœur, je saIs que vous le voulez.
_. Rentrons, balbutia-t-elle.
- .Te vous obéis, je vous obéirai touiours 1
XVIII
Le père ct les deux peti.tes. filles faisaient leur
ultime promenade, tous troIs etaLCnt dans la charrette anglaise, mode de locomotion que Mat-cel!e et
Genvi~
avaient en passion. L'une ct l'autre mais
surtout la cadette, aV<l;ient .hé!·iI6 de.s Auùts cyn"gt\tiques d? Prémery. L'!nSc~lpO,
qUI, .SOll'; des t'~1 es
de sanglter, abondait aux EtaiS, s étalai t sur le papier
à lettre: « En avant Morvand., exaltait Genl'vitve
tout le cOté poétique de .Ia chasse l'ent housîasmait;
ct le son du cor la mettait hors cl'elle-méll1e.
Prémery, l1us~er
fois, pour le plaisir des
enfants, l'avaIt faIt sonn.er ~n,
a~lbçe
par le vieux
garde B~sti(!n,
e.t la. petite j.remlsa~
d'ardeur, ce,;
héla~,
il n'y
dispositlOllS rav,lssalCnt I~. p·rc ... M~IS1
avait pas à esperer ~e
sl:lours ~ux
btals pendant la
saison des chasf'es; 11 ne verrait pél5 ces pditcs cl
vaillantes amU7.0l1CS courir à ~Ol
côtll !
Celte pen sue lui causait un profond cbar.;rin il
leur avait transmis, par .le ~alg,
se~
gouts' ct
aspirations, et clic:;; grandlssalCnt clans lin milieu 0'1
tont cda serail étnul[C GencYii.;yc, plus ~l!n'
ibl"
qut.: sa ~rcu
aux. inl.lucnc<J:; l:xtëriclIre:;, ('prouvait
une v6ntablc pnvadon lorsqu'dl\; ne S'entait pa,>
autllur d'elle le libre c pace de la campa!-\nc ... clic
était timi.de, les. g~ns
. l'ennuyaient; les bGtes,
au contraire, la réloulssalent. La charrette courait
au-dessus d'eux un beau ciel, d'un bIc u si dou ..'
panaché 'de quelques nua!.!es, s'l!tllloit jusqu'aux I(lin~
taines collines, à l'entour les allues pleines de mys~
ti're ouvraient lourR per .. pecti"l'~
innnÎr<;, un chant
;05
�LA BRANCHE: DE: ROMARIN
83
d'oiseau éclatait parfois comme une fanfare ... Prérnery caressa lég~
rcment sa belle jument du bout de
. on fouet, e tournant à demi vers ses filles, et dit:
- Demain, nous ne verrons plus cela!
Un voile tomba sur les jeunes visages, un soupir
. '~hap
de.s poitrines ~'enfats
.. Marcelle, qui
avait de la presence d'espnt, rGpondlt :
Mais nous y pen erons, papa.
Mme de Pr~mey
avait éveillG la jalousie dans le
CŒur de la tillette, qui éprouvait une vraie consolation à constater que son papa était aflligé.
- Tu seras triste, sans nous, dis, papa? ajoutat-elle, un peu surprise de sa hardiesse.
Mais Prémery avait envie de parler de ce qui
préoccupait sp. pensép ct répondit, sans beaucoup
réfléchir à l'ImpressIOn qu'il pouvait causer aux
fillettes:
- Tout à fait triste, mes gosses, les bl!lles vacances
sont passées r
- Oh! elles ne devraient jamais passer, protesta
passionnément Genevii.;ve.
Prémery fut alarmé de l'expression de J'enfant, il
mulait l'attrister un peu, parce que celle tristesse
lui prouvait l'amour ue sa fille; mais il ne "oulalt
pas que cette mélancolie allat jusqu'à la sounrance.
- Elles reviennent, répliqua-toil, ct puis il ne
faut pas oublier que votre maman vous attend ... Je
suis sür, aI'outa-t-il, regardant à nouveau entre les
oreilles de a jument, que, si vous le lui demandiez,
elle me permettrait, par cc 1 cau temps qui est si
salutaire à notre petite palronne, de vous garder
une semaine supplémentaire.
- Cela ne le d0rangerait pas, papa? demanda
i\larcelle avec une sorte de hill<.; .
. - Mc déranger? (;t comment veux-tu que cela me
dérange ... - puis, comprenanl l'au~ion
cachée ...
- Deplus, l'amie Ja<.:quelinc ne reviendra pas avant
une dizaine de jours, elle finit la ~alson
de bains de
mer.
A l'étonnement de Prémery, Marcelle mil son
doigt sur sa bouche et regarda Gcnevii.;ve serrée
entre elle et son pi.:re. La petilr~
ne disait rien, mais
paraissait troublée: encore lIne semaine aux Elais,
dans les bois ... l'lIais m'1man ! maman? qui les attendait, ct puis, emhra~
maman 1. ..
Marcelle. habituée ù 5U sœurette, dont elle devinait les impressions, lui dit:
- Voyons, tu resterai; bit!n encore une semain'
aus Etai's. ch6rie. si tu ne croyais pas faire de peine
à maman.
�84
LA BRANCHE DE ROltARIN
:'liais ça lui ferait de la peine, dit tout bas b.
peti~.
. 11:1
1
. .
_ Oh 1 non, répondit n arce le a\ec convIctIOn;
oh 1 non, maman serait contente, au contraire j elle
m'a écrit hier qu'elle regrett.alt de p .. n:;;er que nous
allions quilter ces. beflUx bOIs..
.
Genevi:'ve, h~slante.
regardait alternativement
50n p : re et sa S C C ] J f , .
•
petIte patronne? mterrogea
_ Demandos~u,
Prt::mery.
- Si tu veux, papa ...
- Nous ailons troUer à la Charité et expédier une
dépêche. Si ma~
ne 'ent p.as, .eh ~ien,
je vous
fam~ne
aprL:s-demall1, cela ne (Cfa Jamais que douze
heures d'\ clilTérence.
Mais maman envoya sa pleine et enti"re approbation et un nouveau bail Lie f..!licité, de l'éternelle
dur6e de huit jours, commença.
XIX
Sur le mê~
quai Ol\, .cet inoubliable matin, Cl li
déjà semble SI lom, Dems Faucl~ex
l'a accueilltll,
ValJrie, à son tour, attend ses hiles, que la fld~
t\
Pauline doit lui ramener. Les voilà 1 le petit visat'
~
tout palot et ardent de qenevii:ve surgit à une fenèll ','
du wa"on, PUl';, le ~(Jmtn1.
un peu, parait la dOl!
et ray~nte
figure de Marcelle... Encore UIW
seconde et les deux enfants sont enfoui~
dans Ip,
bra,> de leur m"re, qui sent, sur ~a poitrine, palpitpr
leur') cœur~.
• i\1nman 1 maman 1. .• - l\Ion '~toile
1. ..
Mon trl'sorl ... » et des bai~ers
sans nombre "'('changent, cl pui~
enfin la voix briséo dl' ln m(re plaicte :
;. Que je V011" l'l'garde lin peu", et co m"'me temp;
ses bra~
aimants les l'cartent lL!g"remcnl; rll.' 1. \',le~
youx, CI, il son infinie surprise, aporçoit,:,o !enilnt
en (!ril:ft~,
.mais tout souriant, Pr~mey.
~:ifl
voyant
d6coUH'rt, Il s'avant:c ...
- .J'ai voull1 vous les remettre !11oi-mGme, dit-il
COlroi~ment;
dU larnler moment, 11011'0 l'on~
Pauline a cu peur de .a r ·6ponsabilit':, 'Jt, maintenant qu'eIl.:ls Ront on silrclf. ... mon r;)le est tcrmillif:;
je vais, si vous le permctteï:, VO\I<: rn/~te
!eJUte t 'pis en
auto, et je vous expédierai Pauline av .. c les naf,\.1I!C;S ~
- Vraiment. je vous remercie, balblltia Valérie;
elle éprouvait. en pré<;cnrr ri,. '1('1n (..t-m~ri.
l1n,<>
�LA BRANCHE DE ROMARIN
85
gêne singulière. - Nous partons tout de suite,
alors?
La rayonnante expression des jeunes visages a
disparu. Les enfants quittent une seconde leur
mère pour aller embrasser leur père, qui feint la
qaieté ...
- Au revoir, les bichettes, soyez sages.
- Tu as promis, demain matin, papa, gémit
presque Genevii:ve.
- Oui, si maman le permet, - et, s'adressant ù
Valérie: - M'autori~ez-vs
à venir les emerasser
demain matin, je pars à midi'
- Bien entendu, bien entendu.
- Merci; alors, vjte, en voiture ...
Elles sont seules avec leur ml-re, demain on embrassera papa, on peut jouir des délices de la réunion.
Valérie, avec une sensation de triomphe de les
avoir reprises, les questionne; les petites langues
s'agitent avec rapiditti, parler des Etais est presque
y être encore 1
- Oh 1 maman, Jobard, le chien de Bast ien, nous
(1 si bien reconnues, dit Geneviève, les yeux étincelants.
- Il nous a presque jetées par terre, dans son
bonheur 1 compI"te Marcelle.
- La bonne bHe 1 dit la maman ~mue.
- Et, maman, continue Marcelle, Mme Raymond
m'a bien recommandé de te présenter ses meilleurs
respects, et de te dire qUI:: Banzal est toujours
glouton.
- Est-il beau, hein, Banzai, mes chéries r
- J'ai u ne de ses plumes 1 crie Gencvi~;
oh r
j'ai rapporté beaucoup de choses de ma maison de
naissance r
- C'est vrai, Etoile r - Une larme brille sur le
bord des beaux yeux d'onyx; - les Etais, c'est ta
maison de naissanl!e 1
- Et, reprend Marcelle, avide de communiquer
ses nouvelles, une dame que j'ai vue à la messe,
Mme ]\[orel, m'a demandé de te faire ses compliments respectueux, elle a dit: « Ivles compliments
respectueux à Madame votre chi.:re maman. »
- C'est une brave pcrgonne.
- Dans mon pays de naissance, tout le monde
aime ma maman, déclare fii.:rement Genevil:ve; - et,
s'animant de pll1s en plus, - sais-tu, maman, nous
al'ons fait, avant-hicr, un pique-nique au carrefour
Je l'Etoile ... Nous avons fuit cuire nos œufs sur un
�86
LA BRANCHE DE ROMARIN
réchaud; oh 1 maman, c'était si amusant ... si tu avais
été là (
Le diapason de la voix baissa un peu à ces derniers mots.
_ Tu me le racontes, c'est comme si j'y avais été.
_ Maman, poursuivit la petite, aimes-tu Sancho
Panc;a? moi j'aime mieux Don Q':lichotte; papa ~ous
le lisait tous les SOirs, et pUIS nous chantions.
Papa char:tait, et puis nous après.
_ Et qu'est-ce que tu chantais, étoile i'
_ Malbro 1.. « qui s'en va-t-en guerre », et l'enfant, toute joyeuse, .::lève sa voix claire.
- Et toi, ma Marcelle?
- Marcelle chantait: «J'ai descendu dans mon
Oh 1 maman, comment se porte Jeanjardin (~.
nette ?- puis, devenue grave - est-ce qu'die pleure,
quand son papa s'en va?
- Oh (oui, mais comm<: il est en France en ce
moment, elle ne pleure pas.
- Est-ce qu'il est bon, le papa cie Jeannette?
- Très bon.
Sa maman est chez le bon Dieu?
- Oui, ch~'re
ange.
- C'est bien malheureux j j'aime .Jeannette, est-ce
qu'elle va venir à Paris ? .. nous lui avons écrit.
- Elle me l'a raconté et m'a fait voir votre gentille lettre.
- Nous lui avons mis du beau papier des Etai "
avec une t'::te de sanglier ... Tu sais, maman, j'ai vu
un sanglier, il courait. ..
- C'est une méchante bête.
- Je n'aime pas qu'on tue les bêtes.
- ~i
moi non plus; mais les chasseurs ne
pensent ras comme nous.
- Ce n'est pas mal, si les chasseurs tuent les
bêtes i'
- Sûrement non, elles font des dégàts.
- Maman, comment se porte Betty? Oh 1 dit:
aurait 6t':: contente aux Etais.
- Elle va beaucoup mieux; elle connalt bien ta
maison de naissance, ct l'aime beaucoup.
- Papa a dit plusieurs fois qu'il regrettait l'absen~
de Betty, - puis, aveC un rire ~tourTe,
papa dit que Pauline est un peu vieille ganachel
. -: Mais, tu sais, maman, - réplique Marcelle
anxieuse d'être juste, - ellc a été bien soigneuse.
- Oui, reprit Cicnevi1:v\.!; mais ravie de cuntinuer
la plJ.isal1tcne de papa, - un peu vieille ganache 1
Oh 1 maman, papa nous u fait rire, l'histoire du
�LA BRAI"CHE DE R01fARIN
87
bonhomme qui a mangé la chandelle, une histoire
Haie ...
- Tu me la raconteras.
- Je l'ai écrite, tu Yerras.
C'est le tour de Marcelle.
- Oh 1 maman, elle a écrit une si belle histoire:
La Princesse de mai. Papa dit que c'est tout à fait
bien.
La petite s'enveloppe alors dans la douce modestie
qui lui est comme un voile derrière lequel elle se
J'::l'obe.
- Ob! une autre aurait pu l'écrire aussi bien que
moi.
- En attendant, c'est ma Geneviève qui l'a écrite.
- Et Toby, maman, notre Toto, qu'est-ce qU'il
t'a dit, quand il t'a vue?
- 11 a tIti bien content, sa queue [rttillait comme
tu chantes, il va être joliment joyeux de revoir ses
}"etitcs maîtresses ... Tout le monde vous attend.
fante Louise viendra vous embrasser cette semaine.
- Ah! tant mieux. Est-ce que; cousin Oaston est
5age? interrogea M.arcelle, ennemie de l'insubordination.
- Pas trop, lu feras bien de lui ~crie
.
- ?vioi aussi, je lui écrirai, annonce Geneviève.
Oh 1 voilà la rue de Passy, nous sommes bient6t à la
maison. Maman, - et la petite se jette avec emportement Jan8 les bras de sa mère, - je t'aime, ma
maman!
- Allons, allons, pasd'émotiolls, tu vas me
ùt.!~oifer
Quelques minutes, pendant lesquelles Genevièvo;:
tremble un peu; l'allto a tourné] s'arrête, la grille
s'ouvre, Annette parait, ct Toby Jappe éperdument,
On est arrivé 1
xx
Le monde est pellt.
Mme de Prémery, trts él('gante, bien ingtall ~e nu
Tr':port dans le meilleur h61el, accompaf'n('e d'une
fillt.!tte exmplai'\~,
que tlanquait une gouvernante
impeccable, jouissail d'une grande considération.
Souriante, aCl!llcillantc, l'romrte à fraterniser. elle
cssa yait de persuader a trop timide petite Hile à
s'amuser avec les autres enfants.
�88
LA BRANCHE DE ROMARIN
La cabine de repos de Mme de Prémery, sur la
piarre avait, grac<! à quelques naltes et des coussins,
revêt~
un aspect original et gai j elle se tenait là, à
l'aise tians un fauteuil d'osier, ne paraissant pas
faire 'la moindre attention à la correcte personne
qui droite comme un mat, tricotait en face d'elle;
lor~que
la petite Clémence voulait se joindre au
groupe, et sortait son petit tricot, sa jolie maman
i'envoyait en déroute, s'amuser sur les galets.
Celte pauvre petite fille, pas jolie, un peu terrarouchée, n'inspirait qU'une médiocre admiration à
celle qui l'avait mise au monde... cependant,
Mme de Prémery était excellente pour l'enfant, la
et de bonbons, lui faisait rompre
gavait de gàtea~x
toutes les conslgnes.
- Mademoiselle a défendu, balbutiait la craintive
Clémence.
-- Oui, mais petite mère permet, et c'est assez.
Cette m::re, si rarement vue, était adorée de sa
pauvre petite fille, qui retrouvait, en celte présence
protectrice, un souH1e plus libre ... « Petite mi:re »
la libérait des trois versets de la Bible, qui, chaque
jour, devaient être ap})ris par cœur, en vue d'édification, même quand Ils narraient les crimes divers
J'Israi:l... Avec. petite m~re
», l'existence devenait
pleine d'imprévu; les accidents les plus facbeux: de
l'encre aux doigts, un tablier déchiré, un cahier
égaré, n'avaient aucune esp~c
d'importance. Bref,
« petite m~rc
» ne grondait jamais ... t<!ndis que
bonne-maman réprimandait sans cesse ... pour le
bien de l'enfant s'entend, et pour la prémunir
contre une ressemblance possible de caractère avl.!c
sa déplorable m1:rc! Or, Clémence n'avait qu'un but
'peret : res~mbl
cl « petite mère ~,
toujours
joyeuse et de bonne humeur, ct à qui tout le monde
souriait.
En vain, Mademoiselle disait sévèrement à sa jeune
élève: « Les idées de Madame votre mère ne sont pas
celles de Monsieur votre pl:re, Mon5ieur votre p1.!re
est le maUre. ~ Clémence, dans son for intérieur, le for
intérieur si secret el impént.:trablc tic l'enfant qui
subit des influences qUi lui paraissent injustes, en décidait autrement.
Pendant les longs mois de séparat ion, confln'::e
entre sa ~rand'm:e
rigide et son pi.:re attristé,
Ilbjct d'ailleurs de kur plus vigilante sc,Uicitude,
nécessaires,
pourvut.: d'un minimum dl: di~tracluns
Clémence s'ennuyait profondément, of'prcsst!c par
un rnyst~e
qui paraissait sortir de tous les COinS j
• J meurait claire ct bri!o
l'image de « petite m~r"
�LA BRANCHE DE ROMARIN
89
[ante, comme une belle étoile au ciel! Quand, toutes
les quinzaines, - le samedi, ct pas un autre jour,
- elle écrivait à petite ml re, oh 1 que de choses
elle aurait voulu lui dire; mais, Mademoiselle, une
rigide Génevoise, était toujours à son cOté, et surveIllait la rédaction. Deux pages étalent déclarées
suffisantes; Mademoiselle rehsait, semblait peser
chaque mot, ponctuait et parfois faisait recommencer, de sorle que la lettre ne ~ortai
en aucun
cas de la plus pla.te banalité. L'expression « ma chère
petite mère" aVait été réprouvée, « petite m~re»
n'est
pas respectueux.
- Ma petite mtre m'a dIt de l'appeler comme ça.
Mademoiselle ne paraissait pas entendre et répétait:
- Recommencez, Cle::mence.
Et la petite, absolument matée, recommençait.
Oh 1 comme Clé men cc aurait voulu raconter
loutes ces choses à petite m; re quand elle se trouvait seule avec elle, car Mme de Prémery semait
i\1l1e Fuch avec la plus parfaite aisance.
- Je vais faire un tour avec Clémence, ne vous
dérangez pas, Je vous en prie.
Et sOi Mademoiselle (victime du devoir) essayait de
protester:
- Non, non, je vous en prie, je préfère être seule.
La joie de Clémence, en ces occurrences, était
débordante.
En deux circonstances, Mlle Fuch éprouva un"
véritable révolution intérieure.
Appelant un soir Clémence, à 8 heures 1/2 précise, pour la faire se mettre au lit, selon le protocole établi, la consciencieuse gouvernante fut foud;o):é e de surprise en entendant Madame elle-méme
replJquer:
- Un sursis pour ce soir, Mademoisellc; je vai ~
mener Clémence tout à l'heure voir les bateaux de
pécheurs sortir du port; ils sc mettront en mOUI'Cment vers dix heures, c'est un très joli spectacle . Si
vous voulez venir?
Cc dernier mot rendait la protestation difficile;
cepenJant, Mlle Fuch se crut ohlIgée rie faire
remarquer:
-- C'est bien tard pour Clémence, Madame, la
régularité ...
.:-.- On y fera un accroc; ficz-vous à mOI, ma fille
n'en souÎfrrra en aucune façon, ces obligations imaginaires ne m'en imposent pas; regardez les yeu.' de
Clémence, elle les Itent ouverts sans aucune peine .
Le faIt était incontestable,
La soirée était ~i belle que Mlle Fuch, s'autorisant
�90
LA BRANCHE DE ROMARIN
de la convocation de Ma iame, parut à dix heures
avec son chapeau, et suivit Mme de Prémery et la
petite fille. CI-!mence, exalt~
de plaisir,tenait la
main de sa m' re. La nuit était toute piquée de
lumières, les barques se balançaient dans le port,
et faisaient mouvoir les lanternes placi!es au haut
des mats; ks marins, comme de' ombrt:s noires,
évoluaient avec rapidité, I,~ femmes de pécheul's courant sur le quai, actives, tirant sur les cordes, to,lt
le spectacle ,:tait de nature à ravir un cœur d'enfant,
et quand enfin, voiles ddpl(jyées, les barques l'une
apr:5 l'a~tre
piqu:'re~t
vers I.e lar~e,
Cl~menc
pensa
que jamais elle n'avaIt ';u lïe~
a'aussi. beaul Dune
vive allure sa m"re l'entrainalt sur la Jet~
que les
barques longeaient, glissant sur l'ea~,
vives et
lég2res, puis avec. une sorte de soudall1ct.il plongeaient vers l'hoï~n
sombre; la mer faisait un
grand bruit, un bruit mystérièux et magnil1que, le
èiel était opaque; mais Ulle jeune lune y courait
lumineuse et Jouce,
:'vllle Fuch elle-même dut avouer que c'était « tr~s
joli ", chercha dans ::;a m:mÙlre, cependant bien
fournie, un te~
approprié, ne le trouva pas, ct fut
contrainte de sc r~sev
pour un autre jour.
Mais le comble à son a~ilton
fut la d';cision de
Mme de Prémery de conduire Cl0mcncc à un bal
d'enrants au Casino! Mme de Prémery avait ébauch~
d'aimdbles relations av('C nne jeune femme habitant
il: même hôtel; Mme Vailly, femme J'un avocat parisien, ~taj
fol'l amie des Ji:;l'actC)n~
pour elle-mème,
et p0ur ses fillL:ttes, un peu plu', ag,~es
que Clu·
mence, et qui l'avaient pri'ie sous leur protection.
Mme de Pr\:mery, en pa, ant pur Paris. ,wait acheté
pour sa fille, dans une l1l:1i,on sp~cialt,
une petite
robe de tulle, sem0e dt: tlourH, du dernier goût; le~
cheveux. raides .le CI"men t: avaient I~t\:
aC';QIIlmodüs par l'habile main de Mme de l'rémcry, à clU;
le phyRlque un l'eu ingrat do l'enfant intipirail UI1l'
-r.rte de cnmpassion. « Palll re choull:, Ct; n'l;~t
pa
me rer.semblerl -,
de a faute, clic aurait mieux aim~
ct avec beaucoup de ~atisfcln
la jeune l'emrn"
pt:n<ail que l'enfant qlli allait venir aqil tnut.!s k
rai::;on!'; possillks pour POq Gdt:r IIne jolie figlr~;
(.1
alkndanl, L:rnbellir un peu cl'ilc ù qui cct avantat'C
r;tiq,tit d~raut
nc d01'lai ail !)u:s ;\ ,\tme de PrJl\e~
.
l~Je-mC(;
~· .. llIit part;.! il ravir p"ur In(~cr
~a
tilh..
~a ,roht.: ru:OPlo, 1i;I~re
ct perlée,." a grallde ca.pclin.
nOIfl~.,
t;~
lUfttt; 1", Ilombrt: dl.: bl)IItil( et de chain.~
nécessaires pour donner à son él~iuce
une note de
lu,"e solide, la l'endait fort agréaole à contempler.
�LA BRANCHE DE ROMARIN
91
:'lIme Vailly se trouva enchantée de se joindre à elle,
et les jeunes demoiselles Vailly (onze et douze ans)
promirent de faire danser Clémence; et leur petit
cousin, personnage de dix ans, arrivé de la veille, n'y
manquerait pas non plus.
Mme de Prémery les remercia.
,
- Vous êtes trop gentilles; rr..a pauvre choute
danse mal; mais la bonne volonté ne lui manque
pas; elle est comme sa maman, j'étais fort dansante,
et le suis encore l
'
Clémence, qui palpitait d'espérance, assura ses
petites amies de sa bonne volonlô.
Mme Vailly s'occupa aussilôt de découvrir sa
belle-sœur, Mme Labenne, propriétaire de l'uti!
petit cousin; partenaire indiqué pour Clémence.
Elle ncfut pas longue à la découvrir. Mme Labenne
était curieuse.
- Ayec qui ëtes-vous, ma chère, demanda-t-elle
aussitôt à sa belle-sœur, quelle jolie femme et
comme elle est bien habillée.
Mme Charles de Prémery,
- N'esl-ce pas? C'~s
très aimable, elle est ICI avec sa fillette.
- Prémery, mais alors, elle doit être la tante de
ces gentilles fillettes qui étaient à Bex en mém e
temps que nous. Jacques? comm7nt s'appe.laient les
pelites de Prémery, tu SaiS, les fiUettes qlll ont une
si jolie maman?
- ~[arcel
Cl Geneviève.
}tl11e Vailly avoua n'ëlre pas au courant
- Je demanderai ci i\lmc de Premery, je ne suis
'as encore au fait de sa parenté, mais c'est pro)abJe ces petiks filles doivent être ses niL ces.
Le Jeune Jac'}.ue s, cOl1duit par ses cousines, s'en
allait cI":jà vers Ckmence.
Mme Labenne continua:
- Oui, tàchez cie le savoir, la maman de ces
petites Prémery est divorcée, paralt-il, c'est une
très belle femme, qui se tient fort à l'écart; pendant
que ClOUS étions là, il y avait un officier de marine
qui cn paraissait extr(:mement amoureux; mais Ull
beau matin il a filé, elle est rt.:stéej il y a dû avoi ;'
qudque histoire Jà-des~ou.
Mme Vailly promit de s'informer, et fit mine d ..:
retourner vers Mme de Prémerv.
- Tout à l'heure mus me fùez faire sa connaissance, dit I\f me Labenne.
- Mais tOUI de suite si YOUs voulez; précisément
.Jncl)ur:s soulu avec la pe1ite Clémence.
~'me
Vailly amena donc sa belle-sœur vers Jac:o
C'jucline; après quelques phrases banales sur les
l
�92
LA BRANCHE DE ROI\1ARIN
bains de mer, les enfants, etc., Mme Labenne dit
en souriant:
- Je reviens de Suisse, où j'ai été à Bex en même
temps que de charmantes petites demoiselles de
Prémery vos nii:ces probablement, madame?
Sans I~ moindre embarras ni hésitation, la maman
de Clt!mence répondit:
- Non, madame, les filles de mon mari. M. de
Prémery est divorcé, je le suis de mun cOté. La
gosse qui s~ute
.là.-bas e~t
la ulle c!e mon premier
mariage. J'al qUitte ces JOU! s dernl~s
Marcelle et
Genevl"ve, qui se trouvent aux Etais avec leur papa,
ce sont d'aJorables enfants, je suis tout à fait de
votre avis.
Mme Labenne, plutôt interdite, s'excusa un peu
gauchement...
, - Mais de quoi donc, madam e? reprit .Tacqu~
line, la :;ituation est fort simple, l'honneur de tout
le monde parfaitement sauf j de fort bravcs gens
peuvent ne pas s'entendre, ct puisCJu'il y a \111
l'cmi.:de, je trouve prd2rable d'y avoir recours. C'est
ce que nous avons fait.
Jacqueline de Prémery parlait avec le bel aplomb
de ceux qui se moqu ent d~s
jugements du monde,
et li. qui, en général, cette indiflérence ruussit par~
taitement. Le monde, étonné, accepte avec une
sorte de respect ce ux qui s'arfranchissent de ses
verdicts.
- D'ailleurs, continua Jacqueline avec son imper~
turbable; aplomb, j~ suis de famille protestante, et
remariée au l'eligieu.· Cl laIque!
Puis elle se ml! à rire, leva <;a jolie tète et parut
prendre quelqu'ull d'invisible à témoin qu'elle avait
en somme bit.:n le droit cI e faire cc qui lui plaisait;
ct afin de dissiper l'esp\;ce d'embarra., de ses voisines:
- Voyez donc, comme ma pnuvrc Clémence
s'acquitte bien cIe sa tuche; elle a l'oreille jus te, la
matint.:, ~t sauh' en mf.'surc.
Tout Cft parlant, Mme de Pr('n1ery s e lc'a ct fit un
' qui k !Oaisi! .1\1
signt: d'approbation à Cl é m c lc~,
vol. Mme I.abenne, durant cc our! in , tant, chuchota
à sa belle-sœur:
- Ell e est charmante ... une franchic;e, C't.: 5t ddicieux!
El quand .Jacquelin e !le ra~
it. elle renCO'1tra le
plus aimable sourire de llme Labenne et le lui
fi:ndil aVeC usure.
Une des vives curiosités de Jacqueline de Prémerv
était do connal.trc la pl'cmi\;rc femme de son marI.
�LA BRA CHE DE
RO~AIN
93
de sa"olr quelque chOse d'elle; et l'absence de relations communes l'uyait ju~qe-Ià
tenue dans l'ignorance. SUltoul depuis qu'elle connaissait les filles ùe
son mari, leur mère avait ces'~
d'être une personnulilt: anonyme nottant dans le passé, sans lien aucun
aciuel avec Charles de Prémery j l'attitude du p:re
vis-à-vis de St;S lilles avait persuadé Jacqueline que la
m:re devait occuper une certaine place dans l'esprit
de son mari. II importait donc d'ètre un peu au courant des faits et gestes d'lIne personne exerçant une
in{1uence occulte sur l'homme qu'elle aimait. J acque'line savait qU(;, dans la vic, rien n'est indilTêrcnt, et
s'elTol'çait toujours d'êlre le mieux arml!e possible ;elle
Sl télicita donc de l'aubaine ct sc promIt de tirer de
;,\1me Vailly toutes les informa1ions que Mme Labenne pouvait donner. D' s le lendemain elle était
inf(lrm6e de l'existence d'un certain lieutenant de
vaisseau, soupçonné par les hôtes du Cl'and Hôtel
de Bex d'ètre fortemtnt épris de la belle et aust~re
Mml! Monpascal. .. Dos d6tm)s suppl(;mentairl!s laissaient entrl'voir la possibilitu d'être plus comp!!::tement informée, Uoftîcier était en conSé, atlch~
à
Lorient. Mme Faucheux, sa m' re, vivait à OriGans.
mais passait unL! partie de l'hiver à Paris, etc.
~lm!
Faucheux ne rêvait que le remariage de son fils ...
vl.'ufune pn,mii:re fois ...
~ Pauvre ft:mffic 1 SL! dit Jacqueline avec une
inlilnc ~alisfcto,
tant mieux si elle pouvait refaire
Sil vie, la solitude est trop triste 1 lJJ
•
XXI
La fin J(; cdt' journée de retour avait (:té pesante
pour Charles d . . Prémery; depuis longtemps il ne
'était pas senti aussi troubl\!, ct il constatait, avec
une sorte de frayeur, que ce n'était pas uniquement
la Mparation d'avec ses Jillcs qui l'agitaJt, mais
l'Imprl!SSlon produ ite sur lui par leur m: ru 1 111'a vait,
"ons qu'elle le sflt, contemplée librement pendant
l'instant, où, tran~figuéc
par la joie, clic serrait les
ch' l'OS créai ures l'Cl rOU\',~es
sur son cœur 1 Prémery
n'avait pas Cl'll ce beau visage, dont le calmt sou'"nt l'avait énerv~,
susceptible d'un tel raVtlllnt;ment; l'amour le plus chaud y brillait, dal;s une
l.''\pre\ôsion d'infinie douceur, les yeux noir lan'Ulcnt des étincelles, tant iL titaient rEclatanb j la
�94
LA BRANCHE DE ROMARIN
rauque,
voix, générale,ment,un peu souTde, pre~qu
revêtait des mflexlOns suaves pour dire les mOls
maniques: « Etoile " « Trésor .1 Oui, en v~rité,
ces
cré~tu!s
de sa chair lui étaient: étoile et trésor,
l'éclairaient sur sa route, lui donnail:nt tout en abondance, Jamais Prémery n'avait vu son ancienne
femme si bdle, car, au milieu de cette f~licté,
l'œil
exercé de l'homme d'ex.périence discernait un lond
douloureux, Ce qui émanait de Valérie était la joie
as~ur6ment,
mais la joie du sacrifice, la plus divine
Je toutes.
Prémery éprouva le sentiment humiliant de n'avoir
rien connu du vrai caracti:re de sa jeune femme; et
maintenant qu'elle n'était plus à lui, elle lui apparut)
comme un mystè:re ... un mysti:re délicieux dont il
aurait passionnément souhaüé soulever le voile qui
le lui dérobait.
Quand la mère ct les en~ats,
eurent disparu, il
. embla à Prémery que la nUlt était soudain tomb~e
...
Un efTréné désir de les joindre, de les retrouver l'é~ reignit, le tortura .. , Il appela à son aide toute sa
volonté; mais, la lon~5u
habi~ud
d'obéir à chaque
instinct passager, ne lUI en lalss,ut gu1:re pour vaincre l'obsession.
En vain il essaya de penser à Jacqueline aux douceurs que lui donnait son amour. .. Ces Gvocations
~aveur,!1
pouvai.t oublier Jacquelui parurent ~ans
line, comme JI avmt oublie tant d'Idoles brisées; il
ne pouvait arracher de Slln cœur les racines qui
attachaient sa destinée à celle de Valérie 1 Tout en
promenant d'un endroit à l'autre son désœuvrement
Charles de Prémery comprit quc la femme qu'ii
avait vue ce malin-là, avait tenu dans sa vie une place
uniq~e;
elte avait été. l'ép?~\se,
celte avec qui il avait
cru tonder le foyer ue,finltJf; tt, malgrG la liberté retrouvée, malgré la lo!, mulgrl: (\lut, Jacqueline au
fond, n'était 'lue la maitress.: l<!f!itim<:", La l1o;t~nie
de l'autre foyer, du pn:mier, s'imp()~al,
I~ersitanl,
Pré,mery, s~ ',lIt, avec .amert~l!
ql!C .Ia. femml' qui
avait lXCllc SI fort la jalDuslC d.e vaklïl:, provoqué
leur:, ljul!rcllcs, une pdlt\! actncc ru 'Ge et fourbe
ne lui était depui~
I0I1.!temp5 qu'ull objct de dégoùt..:
ccla, pour cetic marclind~e
avilie i'l avait
cl ~our
<=on,trist6,k cccur de celle qui étai,t venue à lL;i vierge,
qu'Il aVûlt rendue femme d tn n., d.' qui 6taienl
nées ces deux enfants, si fort sicn(;~,
dont la priva'j,l1l lllj paraissait d~s()rmai"
un ,upplice. Et à cet
"ta r de ChllS';, aucull n;mL d', aucun l: ,poir d'ar1~
lir,ratioll, au contraire: la naissance d'un enfunt
econd mariage, yh:ndrait complique;
i:, l, ùc ~Ul
�LA BRANCHE DE
ROMA~
95
la situation. Comment annoncer cet événement à
ses tîlles r Il sentait, chez Marcelle, non avertie
certes, mais cependant soupçonnant le péché, une
pudeur d~licate,
que cette nouvelle froisserait; il
avait surpris l'espèce de frémissement de la fillette,
lorsqu'il tutoyait sa femme, et il al'ait eu recours à
des phrases entoril~s
pour éviter ceUe familiarité
conjugale. Ht:las 1 il reconnaissait, trop tard, le bien
fondé de l'objection principale de Si.l bienveillante
sœur Louise. ~ Tu te créeras des embarras infinis. "
Elle avait eu raison. Cette émancipa . ion qui paraissait si souhaitable, le commencuncnt d'une l re de
liberté, avait doublé les jougs. Le passé est comme
nos enfants, une fois qu'il a été, nous Ile demeurons
en rien maltrLs de ses con!'~ques,
pas plus qu'il
ne nous appartient d'empêcher nos enfants de
croître, de devenir des hommes ct des femmes, dont
les actions sont total<:ment indépendantes de notre
volonté, et qui, n~amois,
auront toujours sur nous
leur répercussion. tI. Enfin, je les embrasserai demain, » se répétait Prém'ery pour se consoler, et
fidèle au svstè me de ne pas vOir trop loin, mais de
saisir le bien pr~sent.
Demain vint et le porta à Auteuil.
Ce fut Pauline qui lui ouvrit la petite griIJe du
jardin; dl:s l'entr':e, les deux petites se saisil;ent du
papa bien-aimé et l'entralni.rent dans le joli salon,
où presque chaque meuble était un vieil ami; Toby
au~si,
ivre de contentement, sautait sur son ancien
maitre et pleurait de joie.
- Oh 1 papa, dit Geneviè:ve ravie, .ct embrassant
Toby avec emportement, comme 11 te connaIt,
comme il t'aime 1
Toby avait bondi sur les genoux de son ex-maUre,
et ses yeux lui disaient clairement qu'il était prêt à le
suivre jusqu'au bout du monde.
Les pëtitcs prirent cles si' ges bas, et encadrl'rent
de très pr,5 le fauteuil où Prémery avait pris place.
Il était pale d'émotion; se') filles, cette bête bd: le,
tant d'objets familiers, faisaient renaitre le passé
avec une Illtensité douloureuse.
- Je ne dérange pas votre maman, j'esp~r,
dit-il
enfin, d'une voix dont le tremblement échappa aux
cnfant<:l.
- Non, papa, dit Marcelle, posément, et un peu
tristement, maman est sortie dcplJis neuf heures Ct:
l11atin, elle est allée chez J\lme Bressac, ~ui
est tr1:s
. oufTrantc; maman a reçu un mot d'elle hlcr soir .
de couvent, toujours
.Mme Bressac était une ami,~
restée li~)
avec son ancienne compagne j l'e~cus
•
�96
LA BRANCHE DE ROMARIN
"tait donc bonne et plausible; n-:anmoins Marcelle
aurait VOJlu ajouter: « Maman est bien faell"e». Mais
maman n'avait exprim~
aucun sentiment de ce genre,
et la v~riùque
petite fille s'abstint de tout commentaire' de son coté, papa se contenta de cilre:
- Je' regrette d'apprendre que Mme Bressac .est
malade.
On causa, mais il y avait dans l'entretien, et
chez le p::re et chez les enfants, une nuance d'embarras.
Comme diversion, Prémery observa:
- Quel joli jardin vous avez ia.
- Veux-tu le voir, papa?
- Volontiers.
Tous trois se levèrent. Marcelle OU\Tit la portefenêtn:.
Le petit hôtel avait été autrefois une maison de
eamp~n,
et en gardait l'allure d-:sll\.:te ct pittoresque' j le jardin avait conservé un air agreste j une
premï~
pelouse un peu folle, que terminait un
énorme acacia. en dôme,. était. suivit:! d'un large
espace sablé, ou se trouvait un vieux banc de marbre, très bas, arrondi, accueillant d'aspect; à côté
de ce banc, un arbre morl avait été coupé à haut eur
de petite colonne, que des fleurs surmontaient; un
autre acacia beaucoup plus haut, surplombait le
banc de ses branches toulrues, ct au delà, un énorme tilkul jetait surtout ce fond dc: jarJin une ombre
peut-t7:tre trop épaisse; tout autour du mur d'enclo~
lcsfutaics "taienl drues el vertes, cl comme d'autres
jardins joignaient, on se serait cru très loin d'une ville.
- C'esl tout à fait un petit parc, observa Prémery! ct .s'!lsseyant sur le banc ùe marbre: - On
c.l bien ICI.
Nous y venons tr~s
Souvent avec maman'
l'hiver, quand les feuil~s
sont tombées. i\ ya tou:
iours beaucoup .Je soleJl 1 asur~
iVlarcc1k.
Il y cut un stlenee, s!lcnce Ilwolontaire que la
fine scnsibilit':: de Gcne"i1;vc lui
ro'mprc la
pl'cmi'·re.
- Cc n'est pa.~
beau CUIl1mc ma maiSlJO U~
nais~alc!
soupira-t-elle.
Prémcry ~e levo, l'épre~v(
dC\,enai!. trop lourde;
cl:pendant, Il ne l'ut sc dl:lt.:ndrc Li cxpnm/~rtoui
haut
Uil désir qui le tenaillait ùepuis quelque" instants.
- .Je voudrais biLn C(lnnaitrc VOire chambre
nl:~
~héries.
'
- Vicn~,
papa, vieil s, cria Genc\'i1;ve, j..: \'ai~
te la
montrer.
Ils rentri:rcnt par la porte-fenêtre, tra\es~n
l
nt
�LA BRANCHE DE ROMARIN
97
salon, Geneviève conduisant; elle s\.ngouffra la premil're dans l'escalier: « Viens, papa », répétait-elle,
et Prémery, très conscient de son indiscrétion,
monta derrière sa fille, le cœur battant.
- Juste, Pauline fait notre chambre, annonça
Ge~viè.
Prémery s'avança sur le seuil, et ses yeux mouillèrent à la vue des deux l?etits lits, des meubles
délicats, de cet ensemble d'mnocence et de pureté.
son portrait était accroché au chevet de chacune de
ses filles.
Pauline, un peu ahurie, regardait « Monsieur •
et s'efforçait de réparer le désordre de la pièce.
- Que Monsieur entre, dit-elle.
Il entra.
Une porte ~tal
ouverte, celle de la chambre de
Valérie 1
- C'est la chambr<! de maman, déclara Geneviève,
et elle aurait poussé son père vers la pit. ce; mais
Prémery, disert. tement, se recula; il n'avait donnt:
qu'un coup d'œil, mais ce coup d'œil avait tout embrassé ... Un joli lit Louis X VI, ~troi,
un lit d"
veuve 1 La belle coiffeuse ancienne; celle de jadb,
devant laquelle il imagina Valérie, comme il l'avait vue
si souvent, dans un de ses peignoirs blancs, peignant
ses superbes cheveux, dont les ondes fines et
sombres l'entouraient comme un voile ... Précisément, un peignoir blanc était encore là, jeté sur un
fauteuil, le lit était refait; de la pièce claire et enso·
leillée émanait une senteur délicate, car le cabinet
de toJlette attenant était demeuré ouvert.
Et jamais ...
C'était fini ...
Prémery eut peine à se maîtriser; mais son troubl<:
n'échappa pas à Pauline. " Monsieur» s'était appruché d'elle et lui serrait cordialement la main. Celle
de Monsieur était glacée.
- Au revoir, Pauline, je n'ai pas besoin de vous
faire des recommandations pour contenter Madame.
- J\1onsieur peut compter sur moi.
- Allons, mes chéries, descendon , et regardant
sa montre: l'heure presse; on va s'embrasser et Se
quitter.
Les deux petites pleuraient. Leur père, l'une
après l'autre, les serra sur SOIl cœur ... Elles ne I?arlaient pas, pauvres enfants, que rouvaient-elles dire?
ni : reste r ni : emmi' ne-nous r
Leurs petits cœurs ne pouvaient qu'être broyé~.
Dès que Pauline eut entenùu la grille se refermer,
dIe descendit hâtivement. Les deux. enfants plcu91.IV
�98
LA BRANCHE DE RO:MARIN
raIent silencIeusement dans les bras l'une de l'autre,
s't!treignant bien fort 1 .L\{arcelle, si ingénieuse à consoler, ne trouvait aucune parole de réconfort: un
papa qui s'~n
va pour longteI?ps, longtemps,. c'est
tellement tnste ! et pas d'espoIr que papa revienne
plus tôt qu'nn ne \'esp~r
1 et maman L\ui n'';tait-pas
là 1. .. Marcelle avait trl!S bien compns que maman
était sortie, expr::s, exprès pour ne pas voir papa!
et avec une mordante Jalousie, elle pensa à la femme
d~ son p:':re ... e( à la petite fille de celle-ci, pour qui
son papa était bon ... Ah 1 le cœur de la fillette ét ait
lourd.
Paulin;,; s'approcha, ses yeux fan~s
pleins de
larmes:
- Voyons, MesdemoIselles chéries, soyez raisonnables; si votre maman vous trouve une figure bouleversée, elle ",a être désespérée, la pauvre dame, ct
ça le lendematn de votre retour.
~ C'est vrai, dit Marcelle, allons, mil; Genevièvt.,
essuie tes yeux, pour que maman pUlsse les embrasser.
Geneviève sourit.
- Oui, continua Paultne, il faut faire fête à votre
maman, elle n'a que vous 1
- C'est vrai, elle n'a que nous, rép~ta
Marcelle
et cette pensée fit se redresser la tête penchée d~
Geneviève.
- Il ne faut pas lui camer du chagrin, à votre
chl!re maman, et si vous voulez écouter votre vieille
Pauline, vous ne lui direz pas que votre papa est
monté.
- Pourquoi? demanda Gcnevli.!ve avec un peu de
colè:re.
Marcelle comprenait à demi.
- Mademoiselk ch.érie\ il y.a deo. chose~
que jo;
ne peux pas VOl:S e;\l?tqu~r,
. mal~
cr:o:vez Pauline.
- Il ne faut JamaIs mentir, rçplIqua s6Yl:l'emcnl
la petiie fille.
- Non, bien sûr; mais votre maman ne vous fcra
aucune question, sc; taire n'èst pas m"ntir, ct comme
Annette était l>ortie, si nous nOliS taLons y,)t!'<:
maman ne saura rien ... !\Iaintenant, mont~s
url
peu r?nger vo-, pet.iles afl~irès,
j'ai sorli k' photograrbl(!", ~1l
My tille, ct 1\ fauJra lcs d\!~cnr'.
_ ... 'ous lèS montrcrons à (an le Loui ',cl1~
\'io;l1,Ira. celte semaine, reprit Marcelle \ i\'clllcnt, suivant
la voie que Pauline lui ouvrait !J0llr of'li'ir une divcrl>ion aux idées de Gcncvibc.
- .Je voudrais que maman rent~,
s~upir
la petite.
bH,utO\ onze hçu~-es
- Elle ue tardera pas; 11 <:~t
�LA BRANCHE DE ROMARIN
99
et demie. voilà Annette qui revIent; votre maman
ch~rie
sera là dans un moment.
Et en efTet, un quart d'heure plus tard, la bienaimée silhouette se dressait devant la grille et les
deux petites s'élançaient à sa rencontre.
Cette entrée fut vue de loin par Prémery. Après
avoir quitté ses filles, il s't!tait senti sans forces pour
s'éloigner; marchant de long en large dans la rue
transversale, du cOté opposé à celui par lequel il
savait que Valérie reviendrait, il guettait son
approche ... non pour lui parler, non pour qu'elle le
yit, mais pour l'apercevoir encore une fois ... Il comprenait qu'elle s'était absentée pour ne pas le rencontrer, et il comprenait au:>si qu'il avait outrepassé
ses privil1:ges en lui demandant, devant leurs
enfants, la permission de venir chez elle ... la maladie
d'une de leurs filles lui en aurait seule donné le
droit 1
11 avait comme toujours p'ensé à lt;i-même, sans
réfléchir à l'impression pénIble que cette démarche
pouvait causer à la m~ re de ses filles 1
Quand il voyait Valérie de\'ant ses yeux, il devenait impossible à Prémery de la consIdérer comme
une étrangl.:re. Elle l"était cependant; maîtresse de
lui interdire de passer sa porte 1 ct ceci paraissait
presque monstrueux à l'homme qui avait été son
mari.
La jeune femmc avait franchi la grille, pénétré dans
l'asile clos, où, sous son aile maternelle, grandissaient
_es enfants, leurs enfants, créatures de grace, de
bonté ct de beauté, que le père était destiné à ne
voir que rarement 1Oh 1 comme elles lui étaient pr~
deuses et ch1:res, qu'il eCJt été doux d'habiter cette
petite maison modeste en pareillc compagnie ...
Son, le remords, mais un regret cuisant entra dans
le cœur de Prémery; et, pas de remède 1 non, cette
fois, il n'yen avait pas.
XXII
Valérie, en t:tfet, s'était doignée pour ne pas rencontrer son ex-mari; elle lui en voulait de fui avoir
infligé sa présence, la pudeur intime de la femme
~'en
trouvait frois6~.
Puisqu'il ne lui était plus tia~l,
jamais ellc ne devaIt le vOIr 1 Cependant, une VOIX
secri.;te lui soufllait que, dC';ant Dieu, Prémery éta~
;
:ù·
~
le Il
~
. "'ï
�LA BRANCIiE DE ROMARIN
100
encore et tOUjours son man. Ces entrevues passag' res apportaIent à la jeune fernm~
un trouble doull/ureux où toutes sortes de sen' lments se confondaient.
Bex, déjà, l'appariiion de Prémery l'avait
vivement émue, avivant la plaie, que le temps et le
repos cicatrisaient peu à peu.
Mais, maintenant qu'un autre sentiment, profond
et secret, s'..;tait installé dans l'arcane la plus cachée
de son cœur, la présence de son ancien mari devenait intol~rabe.
Pourquoi v<!nalt-il jusqu'à son foyer?
Elle ne sungeait pas à se pr~sent
au sitn.
Le seul bien de la femme délaissée, c'étmt la
liberté, l'afTranchissement, cette liberté était sacrée
et devait être respectée.
Valérie, dans le doux bonheur de reprendre possession de ses filles, n'avait pas voulu que le moindre
acte, issu de sa propre volonté, leur causat le plus
léger déplaisir. Elle avait YU leur joie, à l'idée de la
visite de leur père. Pouvait-die les en priver? Prém~ry
savait bien qu'elle ne le ferait pas, c'était à lui
de s'abstenir.
La semaine de gràce demandée avait été pour
Valérie une trêve, qU'elle avait accueillie avec recon.
naissance; l'ébranlement de son être avait été si
violent qu'un peu de solitude lui fut un infini bien
moral. La félicité d'être aimée, d'aimer, coulait dans
ses veines comme un baume viviHant, l'unique et
courte visite de Denis, car il avait paru à l'heure
annoncée, lui avait fait éprouv.:-r une sorte de béatitude jamais ressentie jusque-là. Les paroles, de part
et d'autre, avaient été rares ct br\:ves ... Se tenant la
main, il., s'(;tail:nt regardés, sc pénétrant ainsi l'un
l'autre, révélant jusqu'au tréfonds de I.:-ul's cœurs
mt.:urtris.
- Je SUIS tout vôtre. N'ayez. ma bien-aim6e, aucun
secret pour moi, dites-moi tuut, vos pensées les plus
fuaitives ...
Et elle avait l'l'omis.
•
- Ne quilkz pas encore la France ... murmurat-elle
- Non, je ne demanderai rien ... je me contenterni
d'accepter ... Vous décilkrc1. dor~navt
tout de ma
,il: ... Je vnus attends depuis si longtemps, je savai'l
que vous viendriez, ct vous i::te \'I.':IIUC ... Plu~
belle,
plus noblt:, que je ne l'avais re\'é!
Oh 1 quel regard dl.!vorant fait baisser les paui~re
de la femme tremblante.
- Donnez-moi quelque chose qui soit à vous, le
moindre objet. pour m"hre un tali.,man
A
�LA BRA 'CHE DE ROMARIN
101
Non, il n'y avait pas de mal à cela; les amis
dévoués échangent des gaFes, Valérie enlL ve d'un de
ses doigts une bague vieillolte qui lui vient de sa
m~
rc, et la tend à son ami.
Denis la baise avec transport.
- Elle est à moi, et je ne vous la rendrai jamais,
(ilt-il avec violence; puis, adouciesant son intonation,
car il sent que Valérie en est effrlJ.\'ée :
- Que je suis heureux!
_ Vous aussi, balbutie la jeune femme, laissez·
moi un souvenir.
Une flamme monte aux joues d" Denis.
Fébrilt:ment il sorL sa muntre, et détacnant une
pièce d'or attachée à la chaine:
_ Oc tune pii.:ce grecque, c'est Minerve ... c'est
vou -méme!
La main tremblante dt! Val~
ie . erre l'antiq'le
effigie ...
_ Et maint enant, dit-elle, adieu ... pouraujourd'hui.
- Adieu 1. ..
Un IOIl ' baiser sur les chèreq mains, puis Denis,
fid'Ie il ~a
parole, !\ans re/'ardel' en ari~e,
était
sor,i.
Et dans cc si court csp.ace. dé temps, compté Pc:tf
les minute. dans ces discrde caresses, Valéne
avait vécu plus intensément, avait goùté une volupté
que sa prim..: jeunesse avai.t i!lnor~e.
Désormais Il y
aurait deux l'arts dans sa VIC tnténeure, celle de ses
filles, ct celle de l'homme qui l'aimait: C'était presque
trop pour un faible cœur de f<.:mme, Cilr les lettres de
D nis ardaient d'une telle tenures '(., qu'alr~s
le~
a\'IJir hw , Valérie rest:li muette ct palpitante ...
.Mais, il était loin, ct elles étaient là, il. son c6té ...
L:I vie, doucement occupée, rég\li~c
de la m' re
ct de fille r.:commença, avcc ses j()lrn~eS
bien
remplies !"écoulant dans l'a:mnsph' rc aimante qui
rend tout d'::licio,;ux. A Pans, Gcncvit vC préférait
l'hivcr au printemps, qui lui in l'irait la nostalgie
dcs bois, olt sc cueille le mu uet, l'hiver elle aimait
le l'cu, le rer;urdait br~k,
ct parrni l' nl'0'''''0l'hait:
• nrüll:, bl'ltlc, • dl aIt-clic...et ses reg:lrds profonds
suivaient 1:1 fl"lllmc capnclt.:u"c. Et puis, la nuit
tnmh6c, on était i l'ien tian la maHion ti~dc
cl
d~
e, c maman.• é'~it
tlll.ljour la .. :\.larccllc travaillall ft cs tlcv(,lr , Genevi ··c étudJaIl de son COLt.':·
aprl s dlner m;~an
sc mCl.t:lit Ol'Vcnt DU piano.
Id fillette ndorillt ces tranqUIlles séilnce" cl musique;
~a
poupée favorit!! dan!; le<; bra', clic ',1 sc\'ait dans
un fauteuil, placé de telle sorte qu'clic voyait très
bien la fipure de a mi.:rcj le vi age de Valérie s'ani-
et
�102
LA BRANCHE DE ROMARIN
mait alors singulièrement, ses yeux Irradiaient la
lumi~re,
ses joues, un peu pâles, se coloraient.
C'était une autre maman que celle de la vie ordinaire;
mais une maman également délicieuse. Pendant ce
temps la laborieuse Marcelle travaillait à quelque
bel otlvraoe, ou dessinait. C'était un doux tableau,
de paix et de bonheur, et cependant dans
un table~
ces trois cœurs, dans le cœur de la femme, dans le
cœur des enfants, un désir inassouvi laissait sa
tristesse ...
Les petites avaient éprouvé un gros chagrin du
départ inattendu de leur p\;re, pour le midi.
Il était revenu les voir, quinze jours apri:s le retour
des Etais. Elles avaient été cette fois menées chez
leur bonne tante Louise, rentrée à Paris, pour le
rencontrer, et il leur avait annoncé que pour la santé
de l'amie Jacqueline, il lui fallait passer l'hiver à Nice.
- Je ne veux pas 1avait d'abord déclaré Genvi~
non, mOIl papa, je ne veux pas que tu t'en ailles! el
elle avait sangloté.
Tante Louise, présente, avait pris la petite 5ur ses
genoux, l'avait tendrement calmt:e, lui parlant tout
bas .. , les sanglots s'étaient apaisés ...
- Je lui ai dit, ' répéta tout haut tante Louise
s'adressant â son fr~e,
que tu reviendrais sûrement
les voir dans le courant de l'hiver, peut-ëtre avant le
jour de l'an.
- Certainement, certainement, je le promets
répligua c1~aleursmnt
le père.
'
Et li avaIt .fallu s~ .;onte~
de cett.e perspective.
Tante LOUIse avaIt recondUIt ses l11 l.'ces ct ne les
avait rendues à leur mère que tranquilles et résignées'
clles avaient été vite reprises par la douceur envelop:
pante du foyer maternel.
:rante. Louise, qui était une. per,sonne s~ge,
traversaIt la VIC sans encombre, grace a un optlmisme qui
lui faisait attribuer à ceux qu'elle aimait toutes les
qualités imaginables; les manifestations contraires
ne lui étaient pas une d~monstrai,
car alors elle
•.Comme'1 t se fait-il qu'Etienne
disait na~vem.t:
(son man), qUI e~t
SI ~OlX
naturellement, ait pu se
livrer à une pan~il(;
violence? » ct le Ill'::me éton nlment se n:nou\"clait sous des forme~
vari~es,
selon
la. personne incriminée. Tante Louise, du moins
~avit
qu'il n'est pas bon de vivre seul, et reprochait
;i Val'::ne une ~au\'geri
que rien ne justifiaIt:
- Pourqu oi, ma c.h è-re, vou!'> renfermez-vou::.?
vous n'avct aucune raIson pour CI la, c<.:tte solilude
(~st
mauvais,: pour vous, pour Gent::vi vc, dont l'ima.
nination travaIlle trop. Marcelle, heureusement, c!>t
�LA BRANCHE DE ROMARIN
103
occupée, ses cours la mc.ttent en contact avec
d'autres enfants, mais Gcne\'i:"ve vit trop repliée SUI;
elle-méme.
Val":rie protesta:
- l\lais ma chLre Loui!.c,jevois mes amies, Th':rLse de Bressacvient constamment, et am:ne Jeanne
aussi souvent qU'elle le peut, nous ayons des visites,
je vous assure.. .
...
- Pas le quart dt.: ce quI. vous deHiez avoIr ;ma
sœur Jeanne, (lui voit iu~;:c,
a toujours lam~
votrc
installation au lond d'Au~(li;
au point ue vue relalions, cela complique tout. Il fallait re~t
dans vo;re
ancien quartia ... fous le~
jours on me demande de
\ os nouyelles; le mQL:ntl~e
conuuirc Marcelle (~alS
la
le monde arrin;ra bien plu,> \ if<.: que vous ne pensez ...
[Ile va a\'oir tl'l.ize ans; à partir de cet aGe-là, les
nnn0es galopent ... Kous vous appr6cions tous ('ans
la famillo, et nous avons vivement reGret:0 ce m::.lhcureux divorce; mais h6}as, C'C5t fait ... J'ai à .cœur de
vous dédommager ... Votré cunduite ne peut Cju~t:lre
,ldmirée, votre d,~vouemnt
Ù CéS enfants est incomparable, Elienné le diso.it enc(\re hi<;r .. . et, une si
belle ftmme, a-t-il ajout'::, car vous savez qu 'il a toù·
jours en un faible pour vous.
- Je lui renùs son amitiû, dit Valt:rie en souriant.
- Oui, ct nou' compton!; tous <·unoireaffection.
Charles, qui a le C(tut' g~n':rcu;"
car "ous reconnaltrez, j'cil suis pcrsuod'~e,
qu'il a Je cœur (j'::néreux,
CharlLs est heureux de no(re intimit ',; il ne nous ~n
vcut pas de V(lUS ~tre
nd'le, il trill1Ve cela tr~s
n"turel. Quant il nos ch6rie~,
Iles ~ont
failes pour
conqu0rir lc~
cœur ... ainsi, la femme de Charles',
elle-même, en est cnthousiasm('e ...
Une \'Îve rou"cur couvrit le beau "isage pale.
~
.Ie sais ... Pauline m'a dit. ..
cruel pour vous,
_ Oui, ma bonne Val 'rie, c'e~t
et je l'ai d{clar';! S'lns amban:s il, mon f~'" ré, ~cs
renCfJntres ne dOl\'enl pas a\'olr lJcu ... lant PiS rOUI'
Charles, il n'~l\ait
qu'à rtn, chir, el vnus savez, à
mon avis, il n'a pa,:; l·U tnllt la fémme qu'il lui faut...
l'a,; du t oul ; dlLJ t'.1 aimable ... mais rri\'ole, au~i
frivole que qHlrk'; je la ~rojs
hnnJ1l:te pcrsonnt:
lI1a"n~
son dl\'orce; ct mOlntenant la \'<;nuc d'un
•• 1lfant va causer un embnrra, de plur., je l'ai d':clar.:'
il mon fr~(;:
« Tu li" (,it deux pUlt .. d:lll!'t ta \'ie, il
fallt l'y rl:r.iSner. '1\:5, fi tlc:s ~LJ
pourront aimer cet
enfanl-lâ. et mon IIVl5 ~craJt
dl) ne p~!;
leur en
parkr ..... Cette idée ré'\'olte Chnrle:; ... Ce rOUyn'
garçon, ll\CC toute sun inlclli3cn..:e et . (\11 bon CŒur,
n'a pas le sens de la vie, il croit toujours que tout
�JO+
LA BRANCHE DE ROMARIN
s 'arranne. Je crains bien que le jour vIenne où il ne
découv~e
son erreur ... e~ encore, il est privilégié:
avec vous, on est tranqUIlle ... Vous ne vous remarierez jamais ...
_ Jamaisl dit avec une fermeté froide Valérie.
_ Je le sais; votre religion, qui est sincère, vous
l'autre soir,
lc. défend. On parlait de cette éventu~li
et j'ai èit à ma sœur Jean.ne : Valéne n'est pas un e
dévote mais je la connaIS, elle a la foi, l'idée
d'avoi/ deux maris ne lui traversera pas le cerveau 1
_ Vous avez eu raison, et je vous remercie.
comme j'ai
_ Nous avons trop gaté mon fr~e,
lf O p gâté Gaston, qui commence à être insupportable.
Ah 1 les fils 1 quel s. soucis ils Jonn.ent ; André est hors
d'affaire c'est-à-dIre que ses bêtlses ne nous regard ent pl~s,
d'ailleurs il est plutôt r!l.isonnable ... Ah!
Val érie vous êtes heureuse d'aVOIr des filles, clles
seront des trésors pour leurs futurs maris ...
- Je pense quelquefois, dit lentement Valérie,
que le divorce de leurs parents ~ è sera
sur leurs vies 1
répondre.
Mme de Chassenay resta une mmu.te s~n
- Evidemment, c'est une compllcatl?n 1 mais j'ai
confiance j pour l'amour de ,,:os filles, 11 ne faut pas
vous détacher de nous, Valéne.
- Mais je n'y songe pas 1
• .
- Vous n'y songez pas; malS mvolontairement
vous vous faites rare, j'aime qu'on vous rencontr;
chez moi, et vous ne voulez jamais venir à mon jour.
- _ .Te po~rais
m'y. trouver avec ... l'autre.
- Non, Il est facIle de se mettre à l'abri de ce
hasard ... Je voudrais que vous preni~
un jour ...
Comment voulez-vous q~e,
d~
la VIe de Paris,
on vienne au hasard Jusqu ICI... on ne vient
pas, peu à peu, on per ses rela.tions, c'est un e
nrande erreur, dans toutes les CIrconstances et
âan s le s vôtres spéc~alent;
votre instalo~
est
agréable, quelle objectIon pouve j':-vous avoir à
recevoir ?
... ~al1
f que cela ne m'int éresse plus ...
- Auc~ne
- Eh bien, SI Y () U S m'en c!,oyez, V()U S lâcherez d e
.... aincre cette pa r e s~e ... .le saI S, on e!'t parfois d écouragée ; cela ne me charme pas, tou s IC8 lundis d,'
fal're la bouch é en c (~ ur, d d'éco uter d es papotages ,
mai s c'es t une pctlte cur . . " c n{;cessairc... on a
commt.: fo nd, les vraies ami es , qui f'>nt aval er I ~
r (~S te ... le.:; enfant "-, croyel-cn mon ex p é ri e nc (~ , seront
{'lus h el r ~ u~ (;s
d e vou s se ntir c:ntouréc; d e plu ,
seule, le 10 lJf Cl'> t UI1Ç obliPO l! run e )é:.\ll1 e. f~me
:;atJ~n
... La sOhll.lde vous pèsera, vou::. rencontrerez
1l'lêvltablcment des personnes sympathiques, et la
�LA BRANCHe DE ROMARIN
1°5
solitaire, qui se répète un peu, prête tout de
suite aux commentaires ... Avec un jour, on peut,
sans inconvénient, cultiver ses svmpathies ... pensez-y; et tenez, je vous suggi!re le jeudi .. . vos amies,
à filles, pourront ce jour-la les amener voir Marèelle;
ma chère petite nièce est très sociable, elle ressemble
i son père sur ce point-là ... Je dois dire qu'elles lui
ont pris tout ce qu'il a de meilleur. Je comprends
yu'il les adore 1 Si vous saviez ce qu'il souffre en les
quittant, vous-même auriez pitié de lui ...
- Rien ne l'obligeait à s'en séparer.
Valérie, sans
- Rien, en efTet, mais, ma ch~re
reproche, ma sœur Jeanne le disait l'autre jour, si
vous n'aviez pas voulu, si vous aviez lutté, jamais
celte déploïable scission n'aurait eu lieu.
- J'étais trop fière pour garder un homme de
force r
- Un homme peut-être ... Mals un mari. .. il était
',otre propriété, votre bien, on a le droit de défendre
cc qui est à soi ... Voyons, voyons, je vous attriste,
je "ous en demande pardon ... Tirons le meilleur
~1arti
ùe ce qui nous reste. Mais avant de quitter CI:
sujet, j'ai encore une requête de mon frère à vous
soumettre ... Pourquoi n'usez-vous plus du nom de
Prémery ... Il ne sungerait pas à VOtlS inquiéter làdessus ... et pour vos tilh:s ce 5erait tellement préférable.
- Mais l'autre Mme de Pr2meryr
- Vous pourriez vous appeler Monpascal de Prémery sur vo~
cartes ... Cela concilierait tout; cette
différence de nom est une facheuse étiquette; des
gens sans tact peuvent [ai re ùes questions au.;;
enfants. C'est bon pour une veuve remariée, le man
est là ... Mais pour vous, rétléchissez là-dessus ... Par
le fait, vous êtes Mme de Prémcry pour toute votr~
vie, puisque VOllS ne prendrez jamais légalement UII
autre nom; mon fr1::re vous serait reconnaissant de
cette concession.
- Mais sa femnle r
- Oh 1 il faut lui nmdrc celte justice, elle ne veut
empêcher personne de vivre, c'est une bonn e:
créature ...
- Je réfléchirai... et, Louise, je vous remercie de
tout mon cœur.
- Vous avez en mal une amie, Val~rie,
une sœur
ainée ... au besoin, ne l'oubliez pas.
VlSlte
�xxrn
Ltentretien avec Mme de Chassenay laissa une
Jens l'e'prit de Val':rie. chaque
impression p~nible
parole de son ex·belle·sœur lui avait fait sentir à
quel {loint étaient étroites les mailles du 61et qui l'en.
serrait, combien illusoire cette berté, qui devait
consolation 1
�LA BRANCHE DE ROMARL'
1°7
le droit de prendre un autre man; mais elle croyait,
comme à son exi~tnc,
à l'assurance donnt!e pat
Pauline: « Jamais votre mam.ln nc fera cclaf"
En m~c
temps, la fillette aurait voulu que ce fût
impossible. Elle se multipliait pour plaire à maman,
pour empècher que maman ne !>'ennulc.Tante Louise,
qui traitait sa niLce en grande personne, lui avait dit:
- Yoi:>-tu, ma grande, il faut persuader ta maman
.le recevoir des visites, d'en faire, elle finira par s'ennuycr, d'l:tre toujour en cagc.
- Mais nous sommes toujours avec maman 1
- Oui, ma chérie, et vous lui êtes une ch; re cornI-'agnic; cependant, il faut voir des grandes per,(,nneS, il faut un peu de mouvcment, un peu d'impr~vu,
ta mLre est tr~s
jeune encore!
Jamais .\larcellc n'avait pen:>t à cela, elle trouvait
sa m' re admirablement belle, mais le mot jeunesse,
~'apliqunt
à une maman, lui parut singulier ... Elle:
n'en dit rien à personne, mais y pensa beaucoup.
comme à un danger, dont elle nc comprenait pas la
naturc.
Val~rie
s'apercevait maintenant combien était
"errée la trame de ses heures j elle découvrait, dans
un besoin soudain de liberté morale, qu'elle n'avait
pas un instant vraiment à dlc. Sa vie était liée par de!>
fils t':nu· et innombrables à la vic dc ses til:~.
La m~ re occupait. une chambre séparée, mai
la p'0rt\.! en demeurait ouverte toute la nuit; elle
ne Isait, elk n'écrivait, elle ne respIrait que sous les
yeu' aimants qui la cherchaient sans cesse. S'enfermer eüt été un événement douloureux pour les
enfanb 1 La mai 'on était de verre; pas un mouvement de celle qui en était l'ame, qui ne fût suivi et
obsCI"\'l:, lin nuage sur son front, une pah:ur plu,>
acentu~
sur ses joues, alarmait ces tendres petib
CfCurS; die .::tait leur bien, elle Il!ur donnait la vic
chaqul' jour, clles avait:nt besoin de son souft1e pOUl
vi"ifler le leur.
\' al ~rie
cut soudain conscience de cctte emprise,
ct ù qucl point clic ~tal
absolu ...... Non, rit!n désormais ne pouvait interv ... nir dans sa yie ... Elle devina
la ourde inqui.:tude de ses filles, à lui voir recevoir
des lettres, dont elle n'expliquait pas immédiatement
la provenance ... Sous des ref'ards interrocatcurs, elle:
~e
vil un jour contrainte de dire à Genc:\'i~v
:
- C'est une lettre d'affaire, mon étoile.
- Ennuyeu:;c?
- Non, chérie, s~rieu,
les mamans reçoivent d ..·
ces 1 ttro.;S-là 1
�108
LA BRANCHE DE ROMARIN
- Moi, je n'aim; pas qu.e tu e.n reçoives, - déclara
Genevr,ye. Et Val.:r1e ayalt écnt :
c Ami, faites \"os lettres plus rares, je vous l'ai dit ...
Je ne m'appartiens pas; vos lettres donnent de l'ombraCTe autour de moi, je n'ai pas le droit d'alarmer,
si Ié.CT:rement que ce soit, les créatures sacrées dont
j'ai la garde. »
Aucune réponse n'était venue à cette missive, dont
d'injustice; puis, le matin de
Val.!rie sentait l'esp~c
la Toussaint, un pneumatique lui annonçait la visite
de Mme Faucheux et de Jeannette. Elles étaient de
passaoe à Paris pour des séances chez le ~ntisle,
et pro"posaient leur viSite vers deux heures. Ce fut
chez les petites un grand contentement.
- Et le papa de Jeannette, viendra-t-il? demanda
Genvi~.
- Je l'ignore, ma chérie, Mme Faucheux: n'en
dit rien.
- Je voudrais connaltre le papa de Jeannette.
- Il ne serait pas impossible qu'il les accompaRnàt.
Valérie c:tait certaine qu'il viendrait, et cette rencontre lui était redoutable, il fallait d'avance s'armer
de volonté, surmonter cette d~fai1lnce,
et elle devinait que cette dépêche lui a\'ait été envoyt:e pour lui
en donner le temps ... On conftlra un peu au sujet du
goClter à offrir à Jeannette, et sur les jouets, qu'on lui
exhiberait.
- Jeanhe!!e nt; con!1 alt p~s
Myrtille, dit g~ave.
ment GenevI.:ve, le vais la lUI présenter, et pUIS je
lui montrerai les photographies de ma maison
de naissance ... quel est le pays de naissance de
Jeannette, maman?
- C'est Brest, en Bretagne, son papa était attaché
au port de Bre t quand elle est née.
- Peut-être, il ne faut pas lui parler de son
pays de naissance, puisqu,e sa maman est partie.
- En effet, cela vaut mICUX, mon étoile, il faut
être bien gaie, pour amuser Jeannette.
- Est-cc ~lu'e
n'est pas gaie chez elle '?
• - Pas touloul'S; sa mémé e t un peu vieille, et ne
comprend pas tout à fait les petites filles.
- Je voi , dit Gcneyii::ve po ément, et hochant
sa jolie t te; mai , ajouta-t-elle apr~i
une pause •
si son papa vient, elle sera gaie.
•
Le papa vint, non pas au même moment que sa
m' re el ,a fille, mais une heure apr' ... Jeannette
entourée de e deux petites amie, Mvrtille dan'
les bru , Toby la regardant avec bonté, na~elt
dan
la joie; Mme Faucheux, charmée de la jolle installation de Mme Monpascal, racontait su nombuU% et
�LA BRANCHE DE R01IARIN
log
divers campements, de par Je monde ct, revenant à
son idte fixe, concluait:
- AUJourd'hui c'est mon Cils que je voudrais voir
casé, mais il est telkment dircicile 1 A Orl~ans,
on
lui a propos':: un parti charmant, la pie au nid ... mais
il a une nouvelle idée baroque dans l'esprit, il pre.!tend maintenant, en mani,-re de rlai anterie, je suppose, qu'un marin ne doit pas se marier ... « femme
de mann, femme de chagrin, » dit-il; je ne crois pas
du tout à cela ... Nos oflîciers de marine sont au
contraire des maris hors li!.!ne, ct si dans vos connaissances, ChLrl! madame, il existe une perle, pensez à
Denis, je vous en prie ...
Seulement, quand celui-ci eut fait son entrée,
Mme Faucheux abandonna Je sujet
On présenta au noul'eau venu les jeunes demoiselles de Pft:mery; Marcelle J'accueillit avec un
beau sourire, mais Gencl'Îi:ve le regarda avec une
curiosité un peu hostile. Denis donna la main à l'une
ct à l'autre, son visage grave s'était IEclairt!, et de sa
"oix chaude il dit:
- Jeannette est bien bcurcur.C d'avoir d'aussi
gentilles amies. Elle yous a pcut-êt re raconté que
son papa est tr1:s méchant.
- Oh 1 non., protesta .Jeannette, J'ai dit que tu eFtrès bon.
- Notre papa aussI est très bon, affirma Geneviève, dans un subit besoin dIJ proclamer qu'elle
possédait, pour son compte, un papa.
Denis Faucheux devint un peu pale sous le regard
de la petite fllle, et répondit:
_ .Je n'en doute pas du t,1Ut.
_ .T'ai montré son portrait à Jeannette, continua
Geneviève. nlon papa est trloS beau.
- Celui de Jeannette n'est pas ~i beau ')
- Nonl
- Mais toul de m~e
il e~pl:r
devenir votre ami.
- Je veux bien; ct Genevi'.\'e tendit sa petite main .
. De l'oi~,
VaIÙle;tn'i\~,rp
queiqu'es brie~
du dialogue; J\1ml! Faucheux appda son fils:
- Allons, Dcnis, laisse ta fille et vien~
un peu
cau<cr avec Mme i\Tonrascal; cl comme il se rapprochait. - Tu mc parais u\oir fait la conquête de
oit pas un
1 Ille Genc\·il:ve. Malbeureux qu'elle ne
peu 1'1115 a~éc.
Valérie trouva su voix pour dire assez galmcnt :
plutôt ~auvge.
;\la fille cadette, d'habitude, e~1
- Mais voilà, madame, elle Il reconnu que, moi
aussi, je sui. un sauvafll' 1
�t !0
LA BRANCHE DE ROMAlUN
La visite se passa fort bien, 11' goûter procura une
facile contenance à chacun; auparavant, comme la
iourn~e
était très belle, Marcelle et Genevi;';ve in"it',rent Jeannette à venir faire un tour de jardin.
Jeannette, toute bondissante, le~
suivit; elle leur prenait la taille, elle les embrassait ... Oh 1 elle n'aurait
jamais voulu les quitter 1 Quand les trois fillettes
furent arrivées à la petite place du banc de marbre.
Jeannette cria:
- Ohl faisons une rondel
Et se précipitant vers la maison:
- Madame, madame, "enez, ,'enez chant~r
k le
romarin ".
Son appel les fit sortir tous, ,valérie co~ten
de
n'importe quel mouvemel}t qUI l'afTranchlssait du
trouble qu'elle ne parvenait pas à dompkr, les pommette: lin peu colorées, s'avança: Jeannette, imp~_
tueusement, lui saisit une main, G~cvièe
prit l'auire,
Myrtille se balança entre Genevl<.!ve et Marcelle ct
les voix s'élevèrent hauteg et claires:
'
J'al descendu dans mon jardin ...
"our y. cueillir du romarin ...
Ds sont seuls, le malin d'automne, dans une allée
du bois; les frondaisons dél?ouiIlées, la douLeur du
ciel pale, la tiédeur de l'aIr, qui Sent les feuille
mortes, les occupe peu,
Pour ~enir
jusql!c-là, Valérie a dû ~ 'imposer un
grand effort; le matlO cst le seul moment du iour où
clle s'appartienne un peu; à <) heures et demie vient
Mlle Fontaine, l'institutrice, qui, quotidiennement
jusqu'à midi, fait travailler les deux petites fille-:
AUf:.si e!>t-ce l'heure l)UC Valérie chOisit pour ses
courses à Paris ... Elle ~ coutume d'en annoncer le
but à se filIes:·.Tc V:1I!3 au Don March': • ou à tcl
endroit. Jo.. ujourd'hlli dlc a dit: l(.Ie l'ai chcl.l\1. Chabanne ». M. Chal>annc est le notaire, Jo nt l'c"L tf'ncl!
n'cst pas ignrm::c de, enrants.
Genc\'ièvc est toujours un peu inqui\:tl,! de voir di _
paraître ~ maman ", cependant elle ne prote
~ te pa .
dIe l'embras~,
et tOlJt bas lui murmure:
'
- Reviens vite.
tranquille; j'ai recommand6 ;)
- Oui, trésor, soi~
.\ nn '~te
d'être prète pour midi bien précis.
�LA BRANCHE DE ROMARIN
II J
Les deux fillettes se tiennent debout un instant
den'il re le carreau pour voir s'~loigner
leur mi:re.
Elle sent leurs regards, se retourne, et leur envoie
un baiser.
. . . . . . . . ......... .
Le cœur de Val':rie est oppressl!, elle a tt ntt! tn
vain de sc dérober à l'entretien tHe à tête, qu'elle
redoute 1 Denis, ardent, violent et tenace, habitué à
lutter, habitué à vaincre les ~léments,
est décidé à
l'emporta dans le combat qu'il pressent, er,tre lui
et les enfants de la femme qu'il aime. fi croit que sa
volonté sera victorieuse; il ne reconnait pas à des
créatures inconscientes le droit d'accaparer totalement une créature consciente, et cela parce qU'elle
est leur m,'re. Il a imposé à Valérie de prendre cette
heure de liberté, elle est venue pour l'ari~e,
mais,
aussi eÎfray~
d'être là que si un mari jaloux l'attendait au logis. Elle a refus6 le lieu clos, l'auto; elle a
la rencontr.c fortuite possible, les
voulu le grand a~r,
yeux cuneu' C]UI matent les VIOlences.
Mais ellc. est là, et c'est tout ce que souhaitalt
Denis, là, alfrnch~
des regard!> qlli la médusent j il
sait que dans un Instant, dans quelques minutes,
elle subira une autre inlluenc\.! : la !'Î\.!l1ne.
Ils marchent dans la drùite t.:l larp,e allée qui va
d'AuteUIl à Boulogne, et le lonp dt! laquelle à tout
moment glisse un tramway. Ils marchçnt côte à
cOte, trl:!': près l'un de l'autre; sou" la voilette un
peu épaisse, les yeux de Valt!rie brillent.
Deni~
d'abord ne lui parle pas: il se contente de
la regarder, lui enfonçant ses regards jusqu'au fond
du cœur.
_ Ne craignez rien, dit-il douccmcnt en s'apercevant qu'elle trembk.
.
Valérie lève son manchon Jusqu'à 80n visage,
comme pour Ic dissimuler. EJle soupire.
- Nous sommes ensemble 1 reprend Denis, et
dans ces trois molS, il enferme un trésor de f0Iict~.
_ Oui, répond bas la jeune femme, oui, aujourd'hui; mais cda ne doit plus ètre.
_ Pourquoi? est-cc que je vnus 10 rmt:ntt:, est-ce
que je \'<llls impMtune)
_ Ohl Dieu non ... Ohl ami, 1ardonnez-mni.
- Oui, je vous rardonne d'elre si [aibl , ~i crainrive ... car c\:~t
la faib\(!s"l: qui vous domint:, qui
vous empêche de jouir de notre bonheur, ah 1 croyezmoi, rien, aucune joie c;ur krr , n'égale celle que
trouvent dans leur amour deu . cœufs Iïd~les
... et
VOliS ave?: peurl
- .le ne sais ~I j'ni peur ... oui, en f'l1et, j'ai peut-
�112
LA BRANCHE DE ROMARIN
être peur. .. mes enfants sont la vie de ma vie, je sens
qu'en vous aimant je leur dérobe quelque chose ...
Jamais vous ne pourrez être heureu"{ par moi. Ce
qui est arrivé étaIt peut-.êr~
inévitable ... Mais, ami,
il faut renoncer à mOI ; Je ne vous serai qu'une
cause de souffrance . ..
Denis lui prend une main gu'eHe a laissée tOf9ber
en sIgne de découragement; il la serre à la meurtrir.
- Jamais, vous entendez, vous étes entrée dans
ma vie, dans ma chair, dans mon sang, jamais je ne
renoncerai à vous ... Je serai palien~,
!e respecte,
chère âme, vos tendres scrupules: maIs J'attendrai...
de vous soustraire à
Il n'est plus en votre pou~ir
l'influence de l'amour que Je vous porte ... Vous êtes
libre, solitaire, et malgré vos résistances. ma pensée
s'impose ra à vous ... Du bout du ~on.de,
je. vous parlerai et vous m'entendrez 1 Demam, Je pUIS devenir
aveunle, mais croyez-vous. qu'il me so.it possible
d'oublier vos yeux, votre vIsage ... Non, Je les verraI
toujours .. Je ne suis qu'un pauvre homme; maIS j'ai
eu le bonheur inoul d'avoir fait battre votre cœur
et, je renoncerai ... Ah!. il n'y faut pas penser... '
- 'Vous m'avez promIs ...
- Je vous ai promis de vous obéir, et je le promets
encore, vous êtes libre de me faire souffrir. Vous
dites que la "ue de mes lettres trouble vos filles'
pourquoi avez-v?us abdi,qué à ce poin~
votre person:
nalité? C'est folte; contmuez à recevoIr mes lettres
et bientôt elles n'y feront plus attention ... Votr~
fille alnée dl.l\Tait déjà savoir que son père vous a
oravement lésée,
>=> Blamer son père, à ma fille, cela jamais 1
- Parce que vous n'avez pas d'idée de la justice
en génér,al les fem~s
ne la ~omprent
pas; pa~
compaSSIOn, on sacn(je les mnoccnts aux Coupabics; e,h bien, ,moi" je vous dis gu'a~-dcs
de la
bonté, 1\ ya la JustIce .. , Est-ce la JUstice qui donne à
votre mari, coupable envers VOU ", le droit d'afficher
un autre amour, et de conserver cependant intact
le trésM du cœur de ses filles! ct ù. vous, vous fait
incornplde, où votm volonté
vivre une vic ~achée,
est paralysée, et au milieu de laquelle vous avt.;z
mème peur de perdre l'amour dl.! ces enfants qUI
~ont
si fidèles à leur père! Est-cc là la justice? '
- ~o!,.san
dO,ute; mais c~s,t
IJ. vie, j'ai été 61ev.::e aInSI, )e ne PU,IS chan~!r
;,)'alme !l1eu~:,
50utTrir.
- Vous souffnrez, maIs )e contillucrai à \OUS
~ , crie;
vous êtes libre naturellement de me ronvoyer
mes lettres .. , mèmc sans les ouvrir.
Une jeune f\"mm-:: passa portant un enfant.
�LA BRANCHE DE ROMARIN
113
Il Y eut un silence.
- Je ne ferai pas cela ... vous le savez. Je ne ferai
pas cela ... écrivez-moi ... plus rarement ...
- Si vous l'exigez? Ah, si "ous arriviez à dominer
toutes ces craintes puériles 1... moi, pour vous, je
lutte contre moi-même comme un damné 1...
Elle frissonna.
- Nous connaltl'Ïons d'lDelTables bonheurs, je
veux les conquérir un à un ... je ne trouble pas votre
vie, il me semble; je vous en demande une bien petite
part... presque une aumône ...
Elle se retourna d'un bloc... leva les yeux ...
entr'ouvrit les lèvres et se tut.
Mais il comprit.
- Merci, bien-aimée ... moi j'al une confidente, à
qui je parle de vous, qui m'écoute avec ravissement 1
- Qui? Pas votre ml.re sûrement?
- Non, ma fillel
- Jeannette?
- Oui.
- Mais c'est de la folie ... elle parlera à mes
petites.
.
- Elle se ft!rait hacher en morceaux plutOt que
de rép6tcr un mot de ce que je lui dis. Rien au
monde n'c;" t si secret qu'un enfant, je lui ai expliqué
la situation ... comme vous auriez dû le faire à vos
filles.
- Mais encore une fois, je vous trouve insensé,
comment voulez-vous que j'explique certaines choses
à mes filles'r
- En les disant purement et simplement: croyeüvous avoir a~i
plus sagement, en envoyant GeneVlève
rencontrer la femme de son père, dont elle ignorait
l'existence 1. .. Elle a eu le chagrin, avec la surprise
en plus; c'est une chiml re 1 ma bien-aimée, de vouloir éviter toute douleur à nos enfants. Vos soins ne
font que rendre vos filles plus vulnérables. Les
enfants, comme les hommes et les femmes, acceptent l'irrévocable; le blame que leur po' re peut encourir de leur part ne changera pas l'alTection que
VliS filles ont pour lui, mais donnerait plus d'6quité
à cclIe qu'elles ont pour vous. Vous allez les rendre
d.:: plus en plus sensibles, de plus en plus ombrageuses, ct leur avenir cependant n'est pas de rester
sous votre aile, vos colombes quitteront un jour le
colombier, et vous serez seule au foyer désert...
Tandis que si vous \'ouliez 1...
Valérie porta nerveusement ses mains à ses oreilles.
- Je ne veux pas vous entendre, oh, je vous en
conjure, ne me troublez pas ainsi.
�[ I4
LA BRANCHE DE ROMARIN
- SI, je veux \'ous troubler, je veux vous prouver
que vous batissez sur le sab,lc ... Osez, osez, ma bienaimée mon bras vous soutiendra,.,
ValJrie un instant, crut qu'~le
allait perdre pied,
tomber d~ns
ces bras qui l'appelaient,., mais ce nc
fut que l'espa~
d'un m()en~.,
,
- Je puis fall'e erreur." mais J'alla certItude qu'en
me sacrifiant à mes filles Je ne me prépare aucun
remords,
Le visage de Denis était devenu dur et fermé.
- Vous m'en voulez, ami 1 non, quittons-nous
sans col~re,
je ne puis agir difT2rem~nt.
si pour
être moins malheureux vous avez beSOIn de la certitude que je ne peux vous oublier.,. c'm portez cette
certitude 1
Les "rosses larmes commençaient à couler ur le
visage pale de Valérie.
,
"
- Appelez cette aut?, Je vo,us en pne, ~t laIssezmoi monter seule, .. Adleul adIeu 1
- A tOUj' ours 1
L'auto fi a.
uv
L'hiver dans le Midi avait été le ~atire
requis par
Jacqueline de Pr~my
en retour de la complaisance
à s'daigner des EtaiS, à c édc,r la place aux filles de
snn mari, Certes, eJ!~
n,e craignaIt pas le~
enfants;
n~amol1s,
ellc pr"l -.: ralt que ,son, C,barles fùt plus
exclusi\'c,?cnt à elle, 11 lUi ,Jcplalsillt un peu qu'il
fit il. ses tilles une part aus~1
Jar"c.
Lcs voyages à Paris, !'.i l'nn passait l'hiver dans le
Morvan, sc rcnou\'clleraient trop fréquemment et
puis, à vrai d~J'e,
.racque!in~
cn é!ai~
lasse; elle a'vait
accepté la so\Jtudl.! (ks !,tals pO~tl'
bten s'~tablir
dans
son l10uvcau r{)le, pour ImpresSionner fav()rablement
le \'oi~nag;
mai~
ses gOLlts n'dall.!nt pas assez
c,hampêt~'(s
pour sou~aitcr
une ind~fe
prol~ga
tlon de 'IC camp~nl
de, Dans les mntS 'lUt allaient
venir, l'état JI.! sa santé ne lui permettrait aucunl.!
distraction fatigante; la chasse" courrc lui serail
interdite, clle prévoyait donc, in : vitablcs, bien des
heures de snlitudl.!, Prémerv n'aimait pas les hMl' à
domicile, sour quelques hnmm(·s qu'on logeait dan s
une aile plus ou moins restaurée du vieux chateau.
et qu'on appelait. La nau~e,
.Jacqueline a\'nit donc
élabnr6 d ('s rojE
~ ts plus rianl~;
la CMoil l'Amr, avec
�LA BRANCHE DE ROMARIN
1 IS
sa vie facile, était précisément ce qui convenait à
une femme dans sa situation; elle trouverait mille
distractions. Quant à Charles? eh bien, puisqu'il
l'avait, elle, il devait se contenter, et pouvait bien
lui sacrifier quelques mois de chasse; dl sieur réu·
nion, Jacqueline, toute tendre et avenante, les bras
autour du cou de son mari, lui exprima son désir.
Prémery fut d'abord violemment saisi.
- L'hiver dans le Midi? et I?ourquoi, ma fée, n'es·
tu pas bien aux Etais, chez tOI?
- J'y suis à ravir, mais, mon très cher, mais nous
avons toute la vic pour y demeurer ... Cette année,
c'est un caprice, peut-être, mais n'ai-JE. pas le droit
d'en avoir? Tu m'as promis, d'aiIleurs, chéri, avant
que je m'en aille au Tréport. .. pour te débarrasser.
Prémery ne releva pas l'allusion qui le gênait un
peu, la discussion l'ennuyait toujours; en cdte circonstance, il y répugnait; il donna donc sanf' plus
marchander la promesse sollicitée.
- Assurément, ma Jacqueline, tu as le droit d'avoir
des caprices, et vraiment tu t'es montrée parfaite,
parfaite; mais tu as été contente au Tréport?
- Comme je puis l'être sans toi, vilain homme:
mais cette pauvre choute était si joyeuse que j'en ai
été touchée; je ne mérite vraiment pas qu'ellc m'ainH
à ce point; car, entre mon mari et ma fille, je ne
balance pas, moi ... Je te sacrifierai trois Clémencr.,
ingrat!
- Non, Jacqueline, je ne suis pas ingrat, et la
preuve, c'est que ta volonté sera satisfaite.
- Cela te chagrine de t'éloigner de tes filIes ?
- Pourquoi me le deman~r?
- Elles sont parfait ement heureuses, tu le sais;
je n'affirmerai pas la même chose de mon infortunée
gosse; elle a une institutrice formidable, teIlement
bête, qu'clic lui défend de m'appeler « petite m~ re »
dans seS lettres ... - ct, se mettant à rire, Jacqueline
njouta: - Je lui ai mené une vie un peu agilante à
;\illle Fuch; ellc avait l'air tout le temps d'un malheureux poisson qu'on tient hors de ['eau; à la kttre,
le souffle lui manquait 1 ma pauvre choute est moins
Saint-Giers que je ne croyais ... Dans l'avenir, je veux
la voir plus sou\'cnt, pour cilcourager ses bonnes
dispositIOns. Je lui ai parlé du pelitfr' re attendu ...
l'Ile cst clans le ravissement, seuh:ment je lui ai
IMcndu ~'en
souftler mot à JYlademoiselle, t:i à personne;l Nlmes ... Quelle d6velOe qu'(m Ile pUIsse pas
r';;unir tout Cc petit monde!
.
- C'est impossible, dit un peu :,~chem"nt
Pr,:mcry.
�116
LA BRANCHE DE ROMARIN
Marcelle seraIt raIsonnable, peut-être; mais Il
y a Genevï,ve? enfin, on ne peut tout subordonner
aux enfants.
- Leur m~re
y subordonne tout.
Jacqueline alor.s r~gad
son m,ari avec une expression si extraordmalre, que Premery, alarmé sans
savoir pourquoi, demanda brusquement:
- Qu'est-cc que signifie ta mani\.:re de me regarder,
Jacqueline?
' .
.
lu oubl~es
trop
- Rien, mon pauvre vl.eux; ma~s
que Mme Monpascal.est leune, [.<:s belle, ~It-on
de
tous côt~s;
et, assurcment, elle ne peut laIsser les
cœurs insensibles!
- On t'a appris quelque chose, Jacqueline?
Le ton était tragique. n:ais Jacqu~l1e
feignit de
ne pas le remarquer; toulours souriante, elle continua d'une intonation parfaitement naturelle.
- Le monde est si petit 1 il Y avait au Tréport des
personnes qui venaIent dl! B.:x; mOI! nom leur a fait
croire que ,''';tais la tanle d.es genttlles demoiselles
de Prémery, qu'l.!lIes y avalent rencont.rées ... elles
admiraient fort Mme Monpascal; maIS. parait-il
n'étaient pas seules ù l'admirer! - ct dévisaneant
son m:Hi: - Tu sais, m~n
Charles, tu me p~rais
bil.!l1 d~raisonble,
tu fats, ma parok, une tête 1
comme si on t'apprenait que j'ai un amoureux ... ce
qui serail mal! Mais de quel dro,it, à qu 711itre, veux~ e~
aY(~lr
un ... tu as
tu empêcher Mme ~1onpa:icl
bien une femme, tOll pourqUO,1 n auraIt-elle pas un
mari t Ce n'est pas ~gaynt
la VIe dan.:; un coin d'. uteuJ!, avec deux petites qui font leur üducation, ..
l'amoureux présomptif, car on n.e sait rien de positif,
est parti au bout de quelques lours ... c'est un très
galant homme; moi, qui ai bon creul', le me SUIS
réjouie pour cette pauvre femme., et te voilà c'ln:;tcrné,
cc n'est guère flatteur pour mOI 1 mon ex-mari peut
bien épouser autant de ft.:mmes 'Ille Barbe-Bl'!ue luimême, cc que je m'en moque!
- Tu te m6prends, JacquelIDe, je pense uniquemt'nt à me~
filles.
- Mais enfin,. tu n'es. pas un enfant; quand tu as
divorcé, tu a~
bIen en\'lsagé celte. possibilité; tu as
usé de ta lIberté pour te remaner, pourquoi ton
ex-femmt: n'en fl!rait-clle pas autant, je te le demande?
Oll est la difT6renc'~
- Je ne saurai te le dire, mais il yen li une!
- Tu n'as pa~
trouvé qu'dIe existait pour m'li ce
me sem hIe . ch. bi"Jl moi, le ne SUi.5 ras de ton a~'is;
c!.an~,
ces ca:-l0. II; tro.u~·c
1.-: remanage la seule -dutlOn; au m01llS la poslhon est nette ..Je te demande
�LA BRANCHE DE ROMARIN
l
I7
un peu à quoi rime la situation de la m1:re de tes
filles. Elle n'est pas célibataire, elle n'e t pas veuve,
elle n'est pas mari6e ... C'est un sort (;miable vraiment! C'est-à-dire que la divorcée vertueuse mt:
parait une véritable victime ... Je pari" ... que, dans k
fond de ton cœur, tu te figures avoir encore de!:>
droits sur elle ... lui en reconnais-tu sur toi?
- "\ssurément non ... j'ai été étonné, voilà tout!
- Il faut peu de chose pour étonner les hommes 1...
Moi, au moins, je suis logi~ue
: je veux vivre, mais
aussi je veux laisser vivre. Notre séjour à Nice sera
un bienfait pour tout le monde; tes filles me font
pitili, pauvres chéries, à être boulevers(es tous les
huit jours ... et leur mLre doit l'être de son côté .•Ie
n'admire pas du tout cet arrangement. .. v0is-tu, mon
chéri. - Posant calinement sa joue veloutée contre
celle de son mari: - Il faut saVOIr ce qu'on VLut dan::;
ce bas monde, blanc ou noir. Quand j'ai voulu le
dh'orce, j'ai trLs bien compris qu'en me donnant à
l'homme dont j'ét ais folle ... c'est toi 1 le sort me
réservait néanmoins quelques tmbêtements ... Je les
ai acceptés, ct ils n'empêchent pas mon bonheur.
Toi, pauvre micnon, pour un rien tu voudrais avoir
deux ména~es,'
comme le bon patriarche Jacob; ça
Eeu! se défendre; mais ce n'est plus de notre tlmps.
foi, qui es si ~alnt
homme, tu devrais être satisfait
à la pensée que Mme Monpascal pourra heureusement abriter ,a vie ... Qui la protl ge aujourd'hui 7
Pas toi, j'imagine! elle n'a ni pLre, ni frLre; non,
un mari seraIt un grand bonheur pour tlle.
Prémery endurait le supplice de l'écartUement...
Jacqueline, toujours habile, tout en le caressant et
se tenant serrée contre lui, ne II: .refardait pas,
n'épiait l'as l'expression de cc visage troublé.
- Tu. verras, tu y viendras ... et c'est encore à moi
que tu devras de vôir justl.!.
.
- Qui est-il ~
- Tu tiens à le savoir, pourquoi ... ce n'est cn
somme qu'une supposition de ces dames; d'ailleurs,
on ne Pl'ut plus bienveillantes pour l\lme l\lonpascal.
- Dis-moi son nom ... - I:t aVL!C un 1 jcanement
Joulourellx, - il faudra bien qUI! jl: l'arrrenne.
- Non ... je nt.! te Il.! dirai pas aujourd'hui ... C'est
un officicr dc marin!.!, trl:S dl, tincué, raralt-il, la
chose n'aurait donc rien de d':rlaisant pour tes
filles ... Crois-moi, la sensibilit'; de Gl:llcvil V(: est
morhide, on ne lui rend pas service Cil l'encourageant ... maintenant, parlons de notre voyage ... à
nous deux .•.
�118
LA BRANCHE DE ROMARIN
XXVI
Tante Louise était vraiment ':difiée de la sollicitude de son fr:Cre pour ses filles; wllicitude qui s'étendait à leur m' re. Les lettres de Nice arrivaient fr~
quentes, toutes pleines de recommandations à tante
Louise ... « Je compte sur toi, ch~re
sœur. » en était
généralement la premi::re et la derni~",
phrase ...
~ donne-moi des détails, ne laisse pas Val~rie
devenir trop sauvage, c'est n:au.vais RaUl' les enfants, use
de ton influence pour lUI faire vOIr du monde, donnemoi des détails sur ce qui se passe rue cie l'Yvette'
les lettres des petites sont nécessairement incom:
pl~tes
.•
Mme de Chassenay admirait tellement la mentalité paternelle de s~lO
fr~e,
q~'el
ne put Se
défendre de commumquer à plUSieurs reprises les
passages touchants de ces lettres à son mari. M. de
Chassenay en écoutait la lecture d'un air un peu
narquois.
- Comme ce pauvre Charles a du cœur r conclut
un jour Mme de Chassenay en terminant une de ce~
missives.
- Oui, si ça te fait plaisir, Charles a du cœur
surtout un cœur amoureux, il me semble repris d'Ul~
goût tr··s vif pourValériel
- Pour Valérie, tu es insensé, Etienne! tu as vu
Charles avec sa femme, à leur passage à Paris c'est
le ménage cles deux pigeons.
'
- Possible, j'ai mon idée. ct puis, ma femme tu
es tellement natve, qu.e tu n~
recon~ltais
pa~
le
diable en personne, s'.l venait s'asseoir à ta table
avec ses deux cornes !... Moi, je suis moins nalr ct
.Jacqueline encore moins. J'imagine qu'elle a flairé
la ::;aute du vent, d a emmené cxpr~s
Charles dans
le Midi ... Il paralt, ce qui .va bien te surprendre,
qu'à Bex ~a
~el-sœur,
J."~nteds
Valérie, bien
entendu, a InspIré une passIOn ... elle s'est tenue sur
la réserve, ce qui ne m"~tone
pas de sa part, mais
enfin elle ne peut empêcher les gens d(! la trouver
belle; ct, en somme, ellc est libn:, Cette femme, puurquoi ne se remarierait-elle pas?
- Sa reltgion ne le lui permet pa.,.
la pallvre elle
- Je le s:.1is, et c'est fachrux; mai~
nc serait pa~
la premi~
qUI ait donné un acc;'Oc n
�LA BRANCHE DE ROMARIN
l J
9
ses convictIOns; }'a! toujours pensé que Charles,
qui est un impulsif, ne comprenait rien à la nature
de sa femme.
- Tu l'aurais mieux comprise, tOI? dit Mme de
Chassenay, avec une pointe de jalousie.
- Je m'en l1aîte 1 je me croü; bC:1L:coup plus sens"
que ton f .. ~ re; il ne m'e<-t pas venu à lîdée de faire
un cachis de ma vie sous prétc.te de sentiment:.
ir~stble,
et ayant trouvé une bonne femme, de la
mcttre de côté, et de courir à de nouvelles amours J
Mme de Chassenay, Gmue, tendit la main à son
mari.
- Pardon, Etienne, tu as raison. Oui, Charles a
été bien imprC\'oyanl.
- C'est votre 'taute, à yous toutes, ta mère, toi,
Jeanne, avez passé votre temps à l'encensa. Valérie,
qui le voyait de plus prè s, et ne le trouvait pas aussi
parfait, lui a paru inripicle et tl (k, parce qu'elle ne
sc pamait .pas p~rduelmnt
d'admiration; ton
frère n'a jamai:. cu le sens de ses responsabilités.
C'est un excdJ.:nt ['arçon, mai& destiné à rendre
tous les siLns tl"~
mt'lheureux. Ces pauvres petites,
Marcelle et Gellev! yc., languisrcnt d'être séparées
de leur p' re; el quant à JacqucJin.:, elle est sûre
de son arï'nirc; bicn10t il aura assez d'elle. Ce n'est
ra~
une fc:mnH: à ['runds ~enlimts,
comme Valérie,
Je te l'accorde: mai:; dIe a ses bons côtés, ct s'est
donnée sans l"C crye à ton fri.re, pour qui elle a
quitté un excellent mari. En quoi elle li commis une
tf' ~ vilaine ne, i('n, qu'die l'Lt appelé:e à regretter. Je
le le répi te, mu pauvre Louise, ou je me trompe
fort, ou Charks est <n tmin de rt,;devl.!nir amOUfl;U:"
de Val':rie, sur,out s'il CS! piqué par lu jaJou!>ic.
- Elle ne lui l.!11 donnera jamaisl
- Vraiment, tu m'amu'>c' j tu veu:.. que cette
créature, qui n'cst pas lndormiv, vi\'e: du soulcnir
délicieux d'un mari, qui l'a J'abord trompl.c ct
ensuile J·:lai!'.~ée
- Elle del'ait se refusC'1' au dÎI'orce.
ton fJ'he qui ne
- Elle devait. .. ellc <.kvait ... c":~t
devait pa ..
Tante LOUise SOUPlfl1, les horizon que llil décl1~
Iraient :::on Ill' ri l'efTaraien1. Elle ~c refusait Il cnyi~agcr
de CllUSI:' UUS.,I 1L':T!hk~
: le arglm~1!S
lui
manquant, elle finit l'al' dire:
- Je [",rai tout mon [lusblLlc ['our que Valérie sc
tr'OllYe !lourCllS' au milieu dl. nOlis.
- .r e ne th 111:lIIde 1'( mieux; j", SUIS nt' me prêt à
lUI fain; un brin dt: ,:O\lr. comme dérivatif.
- Je te le dcf~
H.I , Elll.'llll.:1
�120
LA BRANCHE DE ROMARIN
_ Je t'obéirai; est-ce que je ne t'ai pas toujours
obéi i' Si tu avais eu un mari de la pate de ton
fr~e
tu aurais été à plaindre, ma pauvre Louise!
AJ cours de ses m":ditations solitaires, Mme de
Chassenay fut obligée de reconnaltre qu'il y avait
ecut-être quelque .vérité dans les révélations stupéhantcs de son man!
L'excellente femme avait, avec une inconsciente
cruauté, établi Valérie dans un veuvage éternel...
elle lui permettait de regretter Charle~,
mais que la
délai.s~e
pClt .se. c?'.1901er par. une. noujeune fem~
velle affectIOn, légitime ou lIlcglllme, ne lU! avait pas
lraversé le cerveau; cependant, mettant bout à bout
les lettres de Charles et les suggestions de son mari
elle s'éveilla à la nécessité de veiller assidùment su;
Valérie d'être pour elle une Y~ritable
sœur a1née
protec~i;
dans la région n<:buleuse des pensées
qu'on ne formul~
pas, Mme de Ch.~senay
avait l'intuition de POUVOII', par cette mal11<.:re d'être, servir
de frein. Elle ne fut pas longue à s'apercevoir que
Valérie n'avait rien à cacher; mais, mise en éveil
étudiant avec des yem: plus ouverts sa belle-sœur'
elle s'aperçut d'un change.ment su.btil et difficile à
caractériser dans l'exprs~On
du visage de Valérie ...
~ Bon, se dit plusieurs fOlS la I?eu perspicace tante
Louise, Valéne n'est plus la memc ...• Cependant
personne en de.h,!rs d~s
amis bie,n connus par tan~
Louise ne venait Jamais rue de 1}.'vette. Les petites
avaient raconté à leur tante la .vlslte de Mme Faucheux et de Jeannette, et aussI celle du papa de
Jeannette; cc fut une alerte. Mais le papa de Jeannette n'avait évidemment pas reparu; à la suite d'interroBations peu habiles, Mme de Chassenay avait
appns qu'il était en congé, et devait bientôt retourner
à Lorient. Jeanneltc! I.:t sa mémG, v,cnant en janvier
s'installer pour troIS mOIs à Pans. Cette petite
enq uête avait eu lieu en dehors de la présence de
Val":rie, laquelle étai~
à .mil~
lieues <;le penser que
créature au monde eut Jamais aSSOCié ~on
nom à
celui de Denis! que Pr.!mery, que tante Louise
fussent avcrt is de son existence, en dehors d'un~
no~iat
banale, lui eût paru une idée fantasmagonque. .
,
Néanmolfis cet être 1l1vlslble, Inconnu de tous
comme c:lle le croyait, prenait de plus en plus d'cm:
pire sur son cœur. Une certaine ténacité, si elle est
Initeromp~.
et soutlpue, a raison de tout; main.
tenant, Valene se laissait el1tralol.:r à envisaner
comI?e posibl~,
un? sOluti?n, ap.r\;s le mariaoco d~
ses fllles ... DenIS l..u répétait obstl1~men
qU'iF vou-
�LA BRANCHE DE ROMARIN
J2J
lait que l'amour qu'il lui portait, fut le hâvre de
grâce, où, sa jeunesse passée, elle trouverait le repos.
Ce n'était plus l'horizon profond sans une voile ... làbas, là-bas, très loin, flottait la barque de l'espérance, sa seule existence est une force aux àmes
désemparées. Et, en attendant, les enfants chéries
étaient là, rai son si puissante de vivre, là, avec leur
tendresse infinie, car Marcelle, qui toujours avait
été si affectueuse, apportait dans es rapports avec
sa mère des nuances nouvelles, dont Valérie s'étonnait presque; sa fille alnée voulait, semblait-il,
devenir son amie, sollicitait d'une façon muette de
l'aider à porter son fardeau! Les exhortai ions de
tante Louise avaient été semCes sur une terre généreuse. Marcelle, avertie par un instinct secret d'un
danger occulte, entourait sa mi.re d'une vigilance passionnée. La visite, cependant si brLve, du lieutenant
Faucheux avait éveillé des inquiétudes qui, chez
Marcelle, ne se formulaient pas, et chez Genevil.:ve
avaient provoqué inopinément, un j our, la déclaration :
- Je n'aime pas le papa de Jeannette.
- Pourquoi, mon trésor"? demanda Valérie, à qui
ce discours s'adressait.
- Je ne sais pas, nous n'avons pas besoin de lui,
est-ce qu'il reviendra?
- Ce n'est guère probable, du moins, avant trl:S
longtemps.
XXVII
Betty était revenue, au contentement de tous, et
avait repris avec autorité ses « petites charges "
comme elle appelait Marcelle ct Genvi~.
Cependant la santt:: de la fidèle nurse nécessitant encore
de grands ménagLm, nts, il avait été entendu que
jusqu'à nouvel ordre, Pauline demcun.:raiti Paulin~
ne souhaitait nen autant, car maintenant, clic
s'apcrccnlit qu'die s'ennuyait beaucoup uans sa
retraite ~a\"oyrdc;
encore alerte ct forte, la vi<:
occupée lui con\'~ait
in(j~met
mieux quc l'oi-.iveté étranglée de son eXistence rt:::strclntei cil<.:
s'élait fort attachée aux deux petites tilles, et à
" Madame » dont le service rentrait absolumellt
daos sos capacités. Valérie, l'esprit absorbé par
�122
LA BRANCHE DE R01IARIN
d'uutres pr,;ocu:1ti~n
, n.'·:1lt lUl'3sé vo1<;lnhers Pauline s'emparer de la IIO;erH! ct Je mulilples petites
surveillances, qui penoant un moment l'ayaient distraite, mais lui étaient devenues fasiidieuses, elle
n'avait plus méme à s'occuper dcs belll:s chevclul'es
de ses filles, car Betcy aurait ressenti comme un
out rage d'être d.:!possédée ~e
ce soin. Val';rie, sans
voulOIr se l'avouer, éprouvait des heures d'ennui. La
'lie extérieure, loin de l'en distraire, l'au~mcnti.
Son « home n si aimé lui pesait parfois comme une
prison ; le lieu. où elle sc plai~t
le l'lus, OCI clle
res'1Îrait avec moins d'opr~siun,
étuit son étroit
jardin. Elle s'y trouvait seuk, sans solitude ... Le
'TIa in, durant la leçon dcs enfants, cllt.: y descendait, malgr~
I~ sai~on
tardive, e~
s'occupait à 'oi3ner les demI' l'CS ilt:urs; parfOIS elle s'amusait à
ratisser les feuilks morl~,;
dans un coin en-.;oleill.!,
jaJis le potager <.le la mUlon chumpètre, se trOIJ\'ait
une cour.le ail ~c,
e~tr
cleu.x. pla' c3~bnds,
Rarnie
d'une hale de rnma1'lns. Val~.ne
en almUlt les rc'ites
Oeurs pal~s,
.le p:Hfum t~l!ca
des branchettes
qu'elle frOissait dans sa mal11; ces (leurettes, si modestes cl'asp.::cl, contenaient cepcndant autant de
l21 iel pourlc3 a.beillcs que les ro:;cs les r.1u" .magnil'que~
1.... OUI, d.cscel:Llre clans son Jardtn ... et
" cuctlltr du ron1:1nn ~ dlll le symbnl' du bon leur
(;ac!l~,
du bonheur qu'l!lle nt! c()n~l1trai
jamnis ...
.\lais au moin, fallait-il que ses filLs fu%ent hcureuses; et Val'·rie ayail pr/ly()I1J~ent
conscience
Cluc leur bOI~heu.r
pr'::sent d J I:cn.dalt d\:llel N "anmoins, ccriallls Jou rs, la luttc etait cruellc .. , Val ric
n'osait jamais l'L'lIrcr.., les petiles s'l!n seraient
aperçues imm ·,u i.. tement, el ,I~s
larmes de leur
m' re leur CJ.U aient une v..: nlable d-::treSse! il
falbit, à tuut rrh., leur pr~
'3 entcr
un visaoc serein.
B:tt y, grande. m?ilr~e,
~ s-hmi~ne,'"
et malgrà
fion culte de plelll air, SCIait permiS, deux ou lrl)Îs
fois,. d'averlir • ~1thJoml!.
que le jardin {Ilail troi)
humide « ce mat1l1-là» pour.y nana ... J\lieu: valait
sorti r au dlO~·.
Val.:rie :1\,lt plaisant!.! et n'était pas
rentr':c une m111utc pius t6t.
Il parut bicniiJt tror é\i lent quc B·tly avait ét~
bon roph~te;
quel'lues jours avant Nol Val'Ti c
I:rrOU\'a, vt:rs. Je s(,ir, cl'abord un frisson,' ruic;" un
exlré:ne malais, une courbatu1'<! générait: de ia dit:'
li-:ulll: à respirer, et le matin, tOlite fi~vreus
ct
nb:1itue, dut sc déc1al'.:r m:lludc 1
L':s deux. pau\'J'cs refit~s
(jlc~
~tai:n
consternéeS
P'1ulinc prcsqL1~
autant, m~i
, h '\HCIlsement l'';ocr:
:.1iquc Betty ne songeait jamai à pereIre: la t6te; clic
�LA BRANC HE DE ROMARIN
J 23
gronda d'abord verteme nt ses « petites charges ",
plus verteme nt encore Pauline , qu·elle traita de ridicule, puis, ayant dépêch ? ~net
cher~
le
médecI n, comme nça l'applIcatIOn des premie rs remt:des: un cachet d'antipy rine, et de suite un bon
catapla sme moutar dé sur la poitrine ; pauvre Madam e
avait si mal à la tète, qu'à peine ramait- elle tenir les
yeux ouverts , et se défendr e contre une lourde somnolence .
- Descen doz, dit Bettv à Marcel le, descend ez,
dear, et occupez -vous de' bien faire déjeune r miss
Geneviève. Votre maman a pris froid dans le jardin,
je savais que cela devait arriver 1. .. il Y a beauco up
d'influe nzas en ce momen t; je me demand e si je ne
ferais pas mieux de vous faire partir tout de suite
chez votre tante Louise.
- Oh, non, Betty 1 non, Implora ;,\1arcelle.
- Je vais cnvoye:r une dépèch e à Mme de Chassenay, quand le docteur sera passé; seulem ent, et
en attenda nt, gardez votre tète, miss Marcell e, les
persan nes qui ne la gardent pas ne sont bonnes à
rien. Quel bien peut-il faire à votre maman , que
Pauline s'essuie les yeux et se mouche tr· s fort, ce
qui est un bruit insuppo rtable dans une chambr e de
malade 1... Dites bien votre prï re avec votre darling
petite sœur, et soyez sûre que je saurai m'occu per
de votre maman ; tout le monde est malade un jour
ou l'autre. Est-ce que je n'ai pas été malade ? Est-cc
que je ne suis pas guérie?
Marcell e, pleinem ent convain cue, :lvait romi~
tout ce que lJctty voulait.
- Et surtout , avait répt~
celle-CI, prenez un bon
déjeune r, être faible ne sert à rien.
L'énerg ie, tout comme la peur, est contagi euse, et
Marcell e mit la sicnne à remont er Je moral de Genevi' ve, à qui clle sut persuad er que, dans deux ou
trois jours, maman serait bien ou presque bien.
Valérie avait dit à Belly:
- Prcnc7. soin des enfants , Belty.
- Oui, dear l\1adam, pa5 besoin d'y penser,
pensez à \"ous-m(;me, étes-vo us plus à l'aise?
- Non, Betty, je ne me sens pas hien ...
Le docteur était venu et avait diagnot isqué une
forte influenz a, diè·tc, catapla smes sinapis és, cache! s,
beauco up de repos ... hoire souvent , le lit, bien
'·nlendu ... il y en avait pour une dizaine de jour~,
au
moins.
En recondu isant le docteur Perrin, Betty lui aVilit
dcmand 6 :
raut-il renvoye r les jeunes demois elles?
�r 24
LA BRANCHE DE ROMARIN
Le docteur Perrin, qui ne croyaIt que médiocre~
ment à la m~decin,
ct pas du tout aux précautions
préven ' ives, avait hoc~
négativement la tête.
_ Inutile, à condition, miss, qu'elles ne restent
pas dans la chambre de leur m' re; envoyez-les se
"romener quanJ il fait beau; si elles doivent avoir la
grippe, ell cs l'auront.
_ Monsieur le docteur veut-il les rassurer, elles
sont là, dans leur salle d'études, t!l Betty ouvrit la
porte du petit salon.
.
_ Bonjour, les demoiselles, dit galment le docteur
Perrin, tachez d'être bien sages ct de ne pas jouer
du tambour; en dehors de cette pr~cau
ion, faites
ce que vous voulez. Votre maman a un gros rhume
dont je la gurirai sans être sorcier; allons, madeoi~
selle Genevil:ve, n'ayez pa~
une mine aussi éplor~c'
il n'y a pas de quoi ... à d l? main, au revoir ... Mi s ~
sait tout ce qu'il ya à faire.
Apr:': s aVOIr OUI'ert la portc au doctcur, Betty était
revenuc aupr:': s des enfants.
.
_ Main tenant, dit-elle, j'exige quc vous soyez
raisonnables; vous allez travailler avec Mlle FontaIne
com~
chaque jour, ct moi je vais m'occuper, avec
I\nnette et Pauline, de ce qui est nGcessaire pour
votre maman.
Les rôles d'autorité convenaient à Betty, qui
n"'~tai
jamais aussI heureuse que lorsqu'elle était en
posture dl.! les exercer; les deux pelites filles avaient
l'habitude de lui obéir el l'habitude de la croire car
Betty était scrupuleusement véridique; aussi, apri.:s
un dernier appel de :V1arcelle:
_ Oe:;t bien la vérit é vraie, Betty r
dear.
_ n.ien que la vérit~,
E\1es furent pIL:ineml?nt rassurées, sinon satisfaites ; l'ain~e
embrassa la cadette; encore une petite
dizaine de Cll.lpe1d supl~mcntaire,
et puis, apri:s
on sera IOLlt à Mlle Fontaine.
'
_ C'est votre dcvoir, avait rép~
Betty, appuyant
sur il; mot, et, pour ces cœurs drOIts, la sl grlllIcation
du mnl devoir est immense.
Tante LOlli e ne se fit pas atkndre, dIe parut
d.;bllrdante de bonté cl de sympathie. et aurait hiel~
voulu emmcner les enfants
_ ;'I;'on, tallte Loui .\.', jo te remerci e mt!le fois.
mais notre d evoir e ( aUl1r" s de rn::tman.
_ .\lai<;, ma pauvre bIche, qu'est-ce 'lu e tu reux
faire pour ta maman?
_ .le sui. qU'clle sera contente de nOlis c;uvoir là.
_ i\lais IL: clllctcur lui d ~' fend
d e l'.trlc.:r, elle il
besoin de caine, elle va se tourml!n'.l!r à votre sujet;
�LA BRANC HE DE ROMARIN
12~
quand j'ai été malade , Il y a ClOq ans, J'Di expédié
Gaston , tout de suite, chez tante Jeanne.
- Oui, tante, répond it Marcell e en rou,giilsant un
peu: mais tu avais mon oncle, aupr<:s de t<h ... Maman
n'a pcrsonn e.
Mme de Chasse nay embras sa tendrem ent sa
nli:ce.
-- Mes pauvres chéries , mes pauvres chéries , ah 1
que c'est triste!
- Bien triste, dit la jeune créatur e les yeux noyes.
Marcell e, ainsi qu'il arnve souven t dans la prime
jcuness e, où tous les sentime nts sont vivaces , était
en train de prendre une résoluti on hérolqu e, la ·
bonté douce du visage de sa tante força sa confidence.
- Maman ne sera jamais seule, je rcsterai toujour s
avec maman .
Unc nou\·cll e étreinte de la part de tante Louise.
- Ah 1 mon enfant, Dieu te bénira ... Mais remettons-no us à lui de l'avenir .
- J~ veux que mon papa soit pardonn &, continu a
Marcell e avec une sorte d'ardeu r.
Mme de Chasse nay contem plait avec une admiration attendr ie cette créatur e de treIze ans, d(jà
capable ue concevo ir et d'exécu ter de pareille s immolations 1 La conduit e de son fr~e
lui parut, vue à
celte lumi" re divine, pureme nt abomin able; c'était
lui, c'était sa légi reté, son inconsc ience, qui char&eait ces créatur es Înnocen tLs de pareils fardeau x.
Sa fille voulait qu'il soi t pardonm :, et, à peine sortie
di:! l'enfanc e, olTrait simplem cnt sa vic pour obtenir
ce paruon.
- Mon enfant, mon enfant, tes prii.:res seront
certaine ment entendu cs, je nI.! ais pas commc nt,
mais j'ai (.;onllance.
- Tu ne dira,> rien surtout à maman et à Gene\ï~"e,
plaida Marcell e.
- Rien, ma chérie, rien, tu peux être as ·urée
d'un secret inviolab le; oni, reste j ta présenc e sera
certain" ment utile à ta maman , et en éloigna nt
Genel"i >e nou" ne fLl·jons que bouleve rser cette
cht:ric; tu l'eml C:chcras de s'e.\alte r trop, et puis
votre Betty a du sens commu n, elle ne permet pas
qu'oll e:ag~
rc le cho.cs; je viendra i tous ks jours
et, cil cas dt! besoin, 011 irait me· t':lt:pho ner chez le
pharma cien. En tout cas, on me donnera un coup dc
télépho ne tous les ~ojrs;
tu verras, ta maman est
robu tc, elle St! gu(:rira vite.
Sous la sage directio n d Betty tout se passa 0
�1 :.!6
LA BRANCHE DE RO~IAN
merveille; le trOlsi i: me jour, déjà mOins accablée,
lui dit en riant:
- Je crois, Betty, que vous êtes contente que je
sois malade, pour avoir l'occasion de me soigner.
Cette id0e avait réjoui Marcelle, que Bdty iniiiait
de soigner une malade : comment il
il la mani~re
fallait s'y prenJre pour arranger le lit; la mani ' re
correcte de confectionner un cataplas me, une infusion, de peigner les cheveux d'une personne qui a
mal à la tête; Marcelle, son grand tablier Je dessin
pass2 sur sa robe, restait aupr:, s d'Annette pour
l'obliger de confectionner le bouillon de légumes
selon les nouveaux principes:
- Un con
s om~
serait bien meilleur pour Madame, bougonnait la cuisini :: re, à quoi cc m~chant
bouillon au herbl!S peut-il senir? vous devnez me
laisser faire, mademoiselle Marcelle.
- Non, Annette, le docteur a prescrit le bouillon
de légumes, et bien passé.
Marcelle le montait elle-même, ct le présentait à
"a maman. Le cœur de Valérie d~borait.
- MerCI, mon tr': sor, disait-elle, merci 1
- Tu es mieux, maman?
- Je suis mil!ux, mais j'aime à être SOignée, j'ai
presque envie de demeurer malade.
- Non, maman.
Un sourire, un regard, c'dalt tout; mais ce sourire, ce regard, auraient fait aller la ml!re nu-pieds
au bout du monde.
Ayant accompli sa tache, Marcelle se prêtait de
bonne grace aux promenades quotidiennes en corn·
pa!.inie soit de tante Louise, soit de Mme Bressac;
celle-ci devait avoir un arbre de Noél, ct insista
pour que Marcelle et Geneviève prissent part à la
réunion; cc lut im~datecn
l'avi s de leur m ~ re;
mai" les enfants sc montrl!rent plus difficiles à persuader. Betty, seule, en vint à bout.
- Pourquoi VOLIS rendre ridicules?
RidicuI.; était un ad/'ectif dGlinitif pour Betty.
- Comment, ridicu es? dit Icnevlc:ve, avec indignation, pal.::e que nous ne voulons pas nous amuser
quand notre maman est malade.
- Oui, miss Gent.:, ridicules, voIre maman est en
bonne voie, je pense que vous êtes tranquilles quand
je suis là, et votre tante Louise a dit qu'clic VOUs
conduirait chez Mme Bressac; en revenant, Vou s
aurez quelque chose à racC':1tcr à votre maman, et
nous allons mettre du houx d du gui partout, nous
ferons notre maison au s ~i « merry» que possible,
cous mangeron s mon beau plum-pudding, votre
Val~rie
�LA BRANCHE DE ROMARIN
12j
le yeut. -. Ce plum-Plfdding était en prépara.
tlOn depuIs plusieurs semailles, et chaque annét
représentait un tr~omphe
pour Betty.
" Facheu.', contlllua Betty, emportée par l'amourpropre professionnel, qUI: nous ne puissions Das
en ~!l1voyer
une grosse tranch~
à .votre papa; il disûit
toujours q~e
personne ne faisait un plum-pudding
comme mol.
- Oh r Betty, nous lui en enverrons, cria Geneviève.
- Oui, appuya Marcelle, dans une bolle de ferblanc, ce sera tri:s facile,
- Weil r dit Betty, un peu efTarée de s'f!tre avancée
sur un terrain dangereux; nous verrons; seulement
vous ne ferez plus d'embarras pour aller ~ I:arbre de
Noel de Mme Bressac. Vous mettrez vos Jolies robes
de velours bltu, et je coifferai miss Geneviè.\'e d'une
façon splendide.
Les deux petites filles embrassèrent Betty; associer, pour si peu que ce fût, leur pèrlj à la fête de
NotH, que les discours répétés de Betty rendaient
spt!cialement importante à leurs yeux, les consola
un peu de la séparati,on; eJl~
aportl:~'e
au chevet
de leur maman des visages nants; maiS, sans s'être
consultées ne dirent rien de l'envoi projeté, Tout
se passa se'lon le programme élaboré par Betty; Pauline escorta les «young ladies» jusque chez Mme de
Chassenay et devait les ramener.
Pendant les heures où les enfants étaient hors de
]a maison où Pauline ou Betty travaillait dans le
cabinet d~ toilette, à portée ue vo!x de la, malade,
Valéri~
jouis~at
pre~qu,
de P~u.volr
€!t,re tnste sans
.:ontralllte, l'Impossibilité mat,l:nelle,ou ~Ile
se trouvait de commul11quer avec Dcnls la pOignait", depu is
qu'clle était prisonnii:re par la forcc des choses, elle
cruel
avait reçu de lui une lettre, à laquelle il ~tai
de nc pas n:pondre, et le m~)yn
lui mar:quait. 13etty
était sûrc, mais à aucun pnx, l'amc dLlicate dc Yulüric ne voulait .,'abaisser à l'apparence de prenu~
unt !'ervante comme confidente.
Et lui, que penserait-il?
Valérie, pL:ndant ces jours silencicux, avait
'u\1vcnt sonlié à la mort. 11 ya des heures de la vic,
ml'me pelluant la jeunc;;"c, où dIe paraIt facile;
presque d(,uCI!. Le probl, me de l'a\'cnir ~crasit
la
créature que la fil:vrc avait débilitée. Elle étail épouvantée ue SI! rcnu!'!! COll1l'lt.! de la plaL:e qUl: Denis
occupait dans son cœur ... Les parolcs d'amour
~ch!lngées
avaicnt été c 7pen;iant si rares et furtives,
le trésor de ses souveOlrs SI léger, et, nl'amoi~,
il
~amn
�128
LA BRANCHE DE ROMARIN
pesait d'une force incroyable sur toutes ses pensées.
C'est qu'une seule étincelle peut faire une brü!ure
profonde, dont jamais la cicatrice ne disparaît 1 La
possibilité que les lettres de Denis tombent sous des
yeux profanes la réveillait en sursaut la nuit. Com~
ment détruire ces lettres? Immobilisée comme el!e
l'<!tait, et jamais seule, et puis l'idée de voir se consumer en fumée les efTusions passionnées que lui
insufflait une vie nouvelle la torturart.
Cet apr~s-mid
de Noël, elle appela Betty auprès
d'elle.
- Mettez-vous là, Betty, et faites-moi une bonne
lecture, en ce Jour de Noël.
- Oh, dear Madam, avec tant de plaisir J
Betty, comme le plupart des catholIques anglaises,
était pleine de ferveur.
- Justement je lisais Jlll for Jesus du père
Faber, c'est si beau!
- Eh bien, lisez tout haut, Betty.
Betty commença j à tout moment, dans les tendres
exhortations de l'oratorien an[llais, revenait le mOl
" amour .. , «il faut aimer., " Il faut aimer»; mai,
cet amour auquell'ame était conviée s'accompagnait
d'infinis sacrifices. fi. L'oblation est quelque cho c
au-dessus de la pri(;re ... Faire des présents est un
signe d'amour. Ainsi tout est amour, du commencement à la fin, il n'y a pas J'autre mesure, il n'y a
pas d'autre principe .•
Betty li ait avec conviction, et ces expressions
extraordinaires de sacrifice et de détachement ne
paraissaient l'étonner en rien; elle s'arrêtait seulement pour dire de temps en temps:
- Je ne vous lasse pas, madame '?
- Non, Betty, pas Ju tout, au contraIre, vous me
rl:posez.
Le chapitre termin6, Betty observa simplement,
mais d'un ton ferme:
- Dieu est très bon, - et ajouta - mêm\.! quand
nous ne comprenons pas; maintenant, dear Madam,
tachez Je dormir un peu.
- Oui, Bettv, mais, avant de m'endormir, je veux
vous demander quclq u\.! chose.
- Quel est votrl: d':sir '?
- Bdty, donnez-moi mes c1~fs.
- Les voilà, mais ne vous fatiguez pas, madame.
- :-.rOll, Betty, je ne me fatiguerai pas ... ouvrez
mon bureau.
- C'cst fait.
- Apportez-moi le petit coOret qui est sur la •
tablette.
�LA BRANCHE DE ROIlIA1UN
l:ly
Betty le prit et le posa respc::tueusement sur le lit.
- Merci, mes clefs?
Le coffret fut ouvert. Bètty discrètement s'était
{:Ioignée, et s'occupait d'arranger le feu,
Valéril! prit un paquet de lettres,
- Le feu brûle très bien, Betty, alors mettez
dèssus, je vous prie, ces ,papiers, et tenez-les avec
les pincettes pendant qu'd,s se consument.
TIetty nL: douta pas un lllstant que ces lettres ne
fussent d'anciennès lettres de son maître, Elle
maintint solidement les ,feuilles pendant qu'el~
Sc:
consumaient, écrasa sOlgneusemènt dans la braise
lèS morceaux calcinés, balaya leur cendre, et remit
une grosse bûche sur le foyer.
Emue, elle revint vers sa maîtresse dont le visage
61ait mortellement pâle"
- Dear 1\ladam, la \'IC est dure, pour sûr, mab
vou~
avez ces deux darlin!2s 1
- Oui, Betty, j'ai mes tllks r Dieu e t bon!
XXVIII
La dernii.:re semaine Je l'année 1913 s\!tait écoul':e
extraordinairement calme dans la petite maison
ct' Auteuil j tante Louise et Mme Bressac se relayaiem
pour emmener ks fillettes au dehors, qt lais~er
à la
convalescente le repos dont elle semblait avoIr un si
grand besoin j cependant, tante Louise s'6tonnait
~le
l'extrême abattement d'une personne habituellement si énergique j mais Betty, qui prétendait être
comp~ten,
assurait que la grippe a très souvent
cette conséquence,
\
avait ajouté la v~ridqu
Anglaise,
- Et pu~s,
Aladam a bien des raisons pour i!tre tnste, Surtout
pendant ces jours de r'~te,
Un " home » sans Son
maltre, quelle chose malheureuse! et pour cc _ch1:rc<.
l'dites créatures qui sont ,si d':\'0,u':es à leur para 1
de compagnie,
lIlme de Chassenay avu!t souplr~
- Elles ne le ver~ont
ml,;~pas
cette annét, puisqu'il est absent 1 1\lIss Gene\'leYc pleure quelquefoi-,
avant de s'endormir, oh 1 des choses comme celle-là
une ombre froide sur la maison,
'
jett ,~nt
nl'
Mme de Chassenay, qui était du mt.'!me a\'i~,
:
,
pur que l'épo~dre
, - Il ~aut
faIre pour le m!eu~,
m,a bonn,e B<.'tty, jl:
Vll'ndr:lL déjeuner le premier JanVier, ct J'am~neri
!J:l-V
�130
LA BRANCHE DE ROMARIN
mon fils Gaston, il égaiera un peu 1:":'; pauvres
chéries; je sais qu'il est inutile d'essayer de les persuader de venir chez nous, elles ne voudraient pas
quitter leur maman.
- Oh oui, tout à fait inutile, mais si madame
vient, elles seront tri.:s contentes, répondit Bett)
avec approbation, et leur cousin Gaston qui les fait
lOujours rire! Oh 1 ce sera une excellente chose.
- Eh bi n, c'est convenu, je vais en parler à ma
belle-sœur; il me semble que si elle faisait un petit
clrort, ce serait meilleur pour elle que de demeurer
tuute la journée à regarder les nuages.
- Il lui faudrait un changement, déclara Betty.
- Quel changement, ma bonne Betty?
Aller au soleil, quelque pal t ... .Je crois, ajouta
contldentiellement BeUy, que la pensée de « l'autre
lady» la tourmente beaucoup!
- Ah 1 mon Dieu, c'est affreux ... Ah 1 vraiment,
dit .\lme de Chasst.:nay avec émotion, la l":gi:reté
Jes hommes est enrayante; mon frère, qui est si
bon ...
- Oui, certainement, Master est lri.::; bon, seulement il ne pensait pas assez à son de\'oir; et alors
tout le monde est malheureux 1
Le premier janvier s'était levé, lumineux et paisible.
Valérie avait reçu à .son rt!veilles baiSl.!rs passion·.
nés de ses filles, t.:! kurs of1randes, travaux charmants pfl!par6s en ca.:hdte. llt.:lty était Yenul.! errii:re les enfants et avait respectul.;usement présenté
sun pt;tit cu'deau, utile, bien choisi, et bien reçu.
Chaque annt:c samaitresse souhaitait àBetly la mLme
éhose : "un bon mari, Betty" et lktty répondait
~aicment
: " Very weil, je l'at tends! » ct les pet ites
la taquinaient, ct cherchaient à dc\Încr de quel coin
de l'h<Jri7.0n viendrait Je mari de Belly ? CI.! premier
janvier-là, on sc dépêchait, Marcelle lot \1<:nc\'j'·, ~
~'urel1t
à pel1le le temps de rcg.trder Ic~
JuIlL'" 1.11 ':11Ilesdc mamall, il fallait al!.:r fi la mes e, .1 l"'" nir de
I)onne Iwure 1',)Ur tout préparl.!r 1.;11 \·uu du déjeuner.
lkttv était dl~ci':
à cc quc l'on fCtal rovalt!mc1lt
tante Louise, et à lui offrir un COUH'rt qui ilc laj"~e
riC:1l u dl'''ircr; on aVilit cnC<l!'l; il achetl.!!' de~
neu. ,
p41ur orller la table: toute cette prl'()ct..ul'ation cm!,'::.
chait II.!:' t'nfants de [roI' petl,;cr il kur pi:rc ab~ent
..
. - LI.! f< cleu!' n'est pas cn~ore
a!'rt\~
?obser\'aa\'ec
qud lue: ::Iarme (;clll.\'ii.:ve au mellllcnt ie sortir.
on, Jear,. les.dt~·
s(ln! toujours un peu en
retard le premIer )anVlCr, vous trouvcrc,: cdlt: 1:
votre cher papa cil rentrant.
�LA BRANCHE DE ROMARIN
13 1
Là-haut, dans sa chambre sohtaire, Val2ri,; se
disait .ave~
angois~e
: « Il. n'aura Eas même un mot
de mOl au}ourd'hUl ... »mals, ces difficultés, en l'éclairant, fortifiaient son courage et sa ferme décision
d'a.:hever le sacrifice commencé 1
A certains cœurs de femmes, même très passionn6s, tout ce qui est clandestin est odieux. Celles-là
vont, selon leur tempérament, au scandale ou à
l'immolation.
Valérie concevait la possibilité de tO!)t quitter, du
mOIDS pour une autre qu'elle-méme, elle avait pesé
dans la balance secrète de son cœur, ses deux
amours, et celui de la mère l'avait emporté. « On ne
peut servir deux maîtres, » parole divlDe et immortelle qui s'imposait sans conteste. Le soupçon est
comme un ver caché qui dGvore intérieuremen: le
plus beau fruit; et le soupçon finirait par surgir
dans le cœur de ses filles. Déjà une vague Inquiétude
leur faisait jeter des regards a.ln~és
autour d'elles.
Pendant ces heures de méditatIOn, que la maladie
bienfaisante lui avait données, .valérie avait pris
une résolution hérolque, elle ferait ce que Denis lui
avait conseillé, seulement elle le ferait contre lui;
elle appellerait sa fille aînée ~ la rescousse, elle
s'engagerait vis-à-vis de sa prenyère n':e, à ne jamais
introduire un tiers dans leur Vie, ct elle révélerait à
l'enfant les torts de leur père 1 Oui, cela était juste;
la vérité, même la plus douloureuse, est un meilleur
guide pour les âmes, un soutien plus efficace, que
ie plus consolant mens.onge- M~rcel.voyait
devant
ses yeux ses parents dlvor~é.s,
11 fallait qu'elle sût à
qui IDCOmbalt la resp~)fiSablté!
c~te
co.nnalssance,
Valérie en était certaJJle, ne nUlratt en nen à la tendresse filiale ùe l'enfant, la véritable affo.;ction est
incorrruptible, nen ne l'altère, rien ne l'éteint.
Val6rie, croyante, n'ftait pas pieuse, dans le sens
ordinaire du mot. Jamais elle n'avaIt mis en doute
les mystr!res dont on l'avait instruite; mais jamais
non plus elle n'avait connu la piété ardente, qui
avait fleuri spontanément dans l'àme de Marcelle, et
donnait à sa jeunesse. si Simple et humble d'ailleurs,
quelque chose d'auguste.
li serait bon, il serait salutaire, de s'appuyer sur
.\[arcelle . La mère ne connaissait pas toutes les richesses de ce cœur d'enfant, mais les pressentait et
comprenait qu'il serait salutaire aUSSI pour l'enf~t
ùe les répandre au dehors.
Pl!ndant cc temps-là, à l'i.!glisc, les deux petites filles priaient.
Encouragées par
, Betty, cites avUl . . nl mis un beau
�13 2
LA BRANCHE DE iW:.\1A1UN
cierge pu ur papa, un beau cierge pour maman, et
les avalent regardés brûler ...
Les bras chargés de fleurs, leurs jeunes visages
rosés sous l':lir vif du matin, elles rentraient, pressées de trollver la lettre attendue.
Annette ouvrit la Brille, et s'arrêtant, murmura
<{uelque chose à l'oreJ!le de Betty.
Instantanément les petites furent alarmées, leur
;'isage changea, mais Betty, prompte à les observer,
s'écria:
- Rien que de très bon, darlings, - et très gra"ement: - Votre papa est la 1
Ce fut vers la maison une course éperdue, Geneviève avait laissé tomber ses fleurs. Marcelle avait
pris le temps de remettre les sien~
à Annette et
arril'a une seconde plu~
tard que ~a
sœur, dans le
salon, où Prémery, tr~s
visiblement ému, se tenait
Jebout; de ses deux bras il encercla seS filles, les
pressant sur son C(l;Ur.
- Bonne année, papa, bonne année 1 et des bai~ers
sans lin.
- Bonne année à vous, mes lourtt.:relles, qui le
méritez bien plus que moi, - et voyant que Gen(:vii:ve était tout près des larmes: - ,\ lions, soyons
lrès ~ages,
il ne faut pas agiter votre maman; com
ment e~t-l
?
- Oh! bien mieux, dit triumphalement Genvi~\',
-:omme si la présence de son père dans la maison
,levait guénr maman.
- J'en suis 'b ien heureux. mais j'ai \~enSé
que
\'Otre jour dl;; l'an serait moi ns gai que l'habitude,
ct alors, je me suis .!chapp': pour "ingt-quatre heure .... Croyez-vous llue voire maman V(lUS permette
Je venir Jéjeulwr avec moi,.
Le petit l"Î:;agc de Geneviève s'allongea.
- Tante Louise ct Gaslon viennent. Nous ne
!louvons pas ~()rli,
- 'l'Il C()ml'rL
~ , n'est-cc pas, papa? plaida
.\Iarct:lle.
Prémcry resta Uil momcnt silenciuux, regardant
lour à tOlir ;;cs fjlc
.~ ... (nfin, <; 'a\lres~nt
phl5 partiçulièrt.!I11Lnt à 1\larcdlc, il dit très ba<; :
.
- Peut-être voIre maman m'auturiserait-elll: à dt:je llllcr al'u: \ ous LI 1I1U Slclll' -'
un moment
Les enfant lkm ClIrèr lJl1t ... ilc1<.:LJ~es
aussi ... pui. (IL llcviève, ell prui " à UIlI.! sort" d'exJ!talion, ~'é.:ria
;
.
11 faut le demander à maman.
- Veux-tu lui demandur, toi? interrog.onPr":mery.
�LA BRANCHE DE ROt.-IARIN
133
- Oui, dit l'enfant avec un léger spasme dans la
Vt1ix.
Elle était lev'::e. Marcell..:, très agitée, la r.:ga~
dait, quand la porte s'ouvrit pour donner pas5~e
â Mme de Chassenay. A la vue de son frère, elie
faillit, d'étonnement, tomber à [a renverse, mais déjà
a vec toutes sortes de bonnes paroles il ['embrassait,
d flattait cie la main droite l'épaule de son neveu.
- Laisse-moi me rt.!mettre, dit Mme de Chassenay, je n'ai de ma vie été plus surprise. Mes enfants, allez faire cinq minutes un tour de jardin,
emmène tes cousines, Gaston.
- Venez; les mioçhes, dit royalement celui-ci.
Quand les enfants furent sortis, Mme de Chassenay demanda:
- Comment as-tu pu quitter ta femme?
- Jacqueline n'est pas seule, elle a auprès d'elle
'il sœur et son beau-frère ... Quand elle a vu ma
grand.e e!1vie de venir, elle m'a donné cons.! de qu~
rante-hUlt heures. Je repars ce soir j le voula~
emmener mes filles déjeuner avec moi, j'avais pensé
que leur mère consentirait, ct aus~i
quu je [es conduise à une matinée; mais quand lu es entrée, elles
venaient de m'apprendre q U'OI1 t'attendait. et rapi~
dement : Crois-tu que je puisbc rester r
- Toi, ici?
- Oui, pourquoi pas ? .. Je suis che/' Valérie, il
est vrai, mais aussi un peu chez mes file~;
tu es [à,
je ne vois pas ce que ma pré!s\:ncc aurait d'incorrect,
j'ai affronté bien des petites choses, je t'a~
, ure, pour
venir jusqu'ici aujourd'hui.
Mme de Chassenay était très perplex..:.
quc le r~I'>ndc
....\ u fait,
- Ma foi, je ne s~i
emmène les enfants, Je m'arrangeraI. .
- C'est impossible; jamais elles n'en ..:nlendront
parler; voyons, Louise, sois lIllC bonne sœur,
arrange celai pui:;quc ~al":ric
gar.de la chambre; l'ai
(·té r,eçu par Pauline qUI me l'a dll ; ma présence ne
peut ras lui pori er ombrage; si j'avais t\0 à Pan~.
Jl1eS filles seraient venues déjelll1<:r avec moi. J'aurai
lin chagrin afl'reux si je suis ohligé de partir tout
seul, ct ces pauvres petites. pom leurs étrennes,
~ er()nt
dcsespérues.
- J'y vais, dJt rés91ument AIm e dl.) Chassenay;
reste là, ne va pas au larc!ln.
- Non. je ne bougerai pas ... ,\h! Ltluise. tu es une
bonne sœur.
- néla~!
Et sur cet h6[as 1 Mme de Chassenay élait sortie,
IYabord clic ouvrît la porte de lu 5.\lIc ù manger
f
�134
LA BRANCHE DE ROMARIN
dans l'espoir d'y trouver Betty, celle-ci y était cITectivement, et répondit de suite au signe J'appel que
lui fit ivlme de Chassenay.
- Qu'y a-t-il, madame?
- .Te veux vous dire un mot, Betty.
- Entrez ici, madame, personne ne vic;ndra.
Elles se tinrent près de la fenêtre, loin des portes.
- Betty, mon frère voudrait déjeuner avec nou5,
cr"yez-vous que c'est possible?
- Il faut le demander à ma maltresse?
- Bien entendu, mais jugez-vous qu'on puisse le
lui Jemandr~
- Si vous voulez que j'y aille? dit Betty j à moi, elle
peut répondre ce qu'elle veut.
- Je vous en aurai une vraie reconnaissance, Cl!
serait si pénible, le premier janvier, d'avoir une
scène de larmes, ces pauvres petites Dlles ...
- Oui, pauvres anges, ,Madame pensera d'abord à
clles, j'en suis certaine.
Et le pas ferme de Betty s'entendit presque immédiatement sur l'escalier.
Cinq minutes passèrent qui furent longues pour
,"lme de Chassenay; vraiment les embarras que
créait Charles Haient sans fin ... Arriver ainsi chez
son ex-femme ans prévenir ... agiter tout le monde,
car Mme de Chassenay se sentait le cœur sens
dessus dessous.
Betty reparut, un peu grave.
- Pauvre Madàme est très bouleversée ... elle ne
veut pas faire de chagrin à ces pauvres darlings j mais
elle demande à Mme de Chassenay la promesse de
rappeler li M. de Prémery qu'elle est toujours disposée il lui envoyer leurs filles; mais gU'll ne doit
pas venir ainsi, bans permission ... PuiS-Je assurer à
ma maitresse que Mme de Chassenay Il! dira à
M. de Prémery?
- Oui, Betty, et très catégoriquement, et je vous
assure que si ce n'étaient ces pauvres enfants, je le
lui aurais dit tout de suite. Les conventions établies
doivent étre respectées ... Ma belle-sœur a parfaitetement raison; elle est vraiment géMreusc j mais
mon fri)re abuse.
Ce..:i dans la bouche de l'indulgente f"mme était
un blilme sévùre.
- Je monte la remercier, continua-t-eHe, mon
r~e
est au salon, allez lui parler, Belty.
Betty alla : l'accueil, les remerciements, les
bonn(;s paroles de Monsieur, eurent vite raison de
l'aspect un peu sévère gU'elle avait cru devoir assumrr. Prémery se précipite vers la lab~
à ccrire, nu
�LA BRAXCHE DE ROMARIN
135
était disposé tout le nécessaire de la correspondance;
en un moment il a tracé quelques lignes d'une écriture qui tremble un peu.
" Toute ma gratitude, permettez-moi de vous
"ouhaiter la bonne année dans le bonheur et la
santé de nos filles, dont à jamais je vous remercie 1
« CUARLES.
n
Et une enveloppe. sur laquelle' il ne trace aucun
llom, est remise à Betty.
- Betty, portez vous-même, s'il vous pla!t, cette
lettre à Madame.
- Certainement, Monsieur.
- Ah, Betty, je suis content de manger de votre
pâtisserie, car je parie que "ous avez fait un gâteau)
- Oh 1 oui, pense Betty en remontant l'escalier,
mon maUre a bon cœur.
~la:ceÎ
'oc~ule
ci t~bl
l~
pl'ac~
d~
~
~':r,
per~
n'est en face d'elle, les quatre cou"erts ont
été placés à égale distance, son pè're à ;-,a droite;
Prémery se trouve entre ses deux (illes, la tahle e~t
admirablement fleurie; la corbeille abnndamment
garnie, de roses, de mimosas, d'anémones, que
• Master " a apportés, ayant été mise à profit par
Betty, qui a rempli en outre tous les va<;(; ' dispo1l1les coins de
hIes, l'air embauml!, le houx fait d<ln~
grandes taches vertes éclatantes, et 3u-dessu ' de la
tête des convi"cs, se balance une grosse tDuffe de gui.
Cependant, quelque chose d'in"isibk p':se sur le
CfPur de tous; par moment, une omhn: passe snr le
\I,:age de Prémery ... Bètty est entrée en silence et a
1'~
le morCl:nu de poulet de-tin.:! à ~a maitresse .
Pï('mcrya sl1i,'i des yeux chacun de ses mouv()ent~
di cret~
... elle ferrrie avec précaution la park, (\n
l'entend qui remonte; la pCl1s('c dl: tous ceux qui
sont là accompaf!n..: "c" pa~
...
Prt:mcrya quelque peine à soutenir sa v..:rv.:, et
celle asse7. terre à terre du petit cOll"in Gaston e~t
hi en nécessaire pnur sauver la face. Marcelle cst
r;rave, la gaieté dl: Geneviève a quelquc chose d..:
fébrile; clic contemple son I~i'r_
a"cc une sorte de
d6tresse, cc soir clIc ne le verra pl\l s ! Tante Louise
parle abondamment de SCC1lr Seannc, "cul sujet sur
Ir:'jucl elle <;;c sente à l'aise avec son frère.
Le dessert est venu.
Le gateau mervcilleux, œuvre de Betty, a été al'r1'l:~one
.: ié.
Piluline vcrse dans le petit ycrre de ces de1l1oi-
�13 6
LA BRANCHE DE ROt-fARIN
selles le vin doux, résen'é pour trinquer li. la nouvelle
année.
Prémery n'hésite pas; levant le sien, il dit en
regardant tendrement ses filles, et heurtant tour à
tour leur verre:
- A la santé, à la paix de votre maman, mes
chéries 1
Elles boivent, et une larme coule sur leurs joues .
- Oui, à maman, à maman, répète Geneviève frémissante .
- Et à papa, ajoute Marcelle ... à tante Louise ...
sa voix défal~e.
- Et à moi, la mioche, interrompt Gaston qui
guette l'attendrissement et veut l'empêcher.
- C'est ça, à Gaston, reprend Prémery, et à Pauline, ajoute-t-il en souriant, et à Betty.
Tante Louise involontairement songe à Jacqueline.
Evidemment, pour l'heure, elle est oubliée.
XXIX
Il est une heure, Prémery, ses filles, tante Louise
et Gaston s'apprêtent à quitter la maison. Un taxi
attend à la grille. Valérie a refusé d'une façon
péremptoire l'offre de Marcelle de lui tenir compagnie.
.
.' - Laisse-moi reslt:r aupr<:s de toi, maman, Je t'en
prie?
- Non, ma bien-aimée, ton père repart ce soir,
donne-lui c:eltc journée; moi je suis un peu lasse, ct
puis l'oncle Etienne doit venir me souhaiter la
bonne année, je ne serai donc: pas seule ... Tu me
cha~rines,
Marcelle, en insistant.
L'enfant a cédé.
Comme la l'orle de la maison s'ollvr..: pour lai sser
passer la pdlte troupe, un homme P?rtant un bouquet hien cnyclorpé parait sur lt: seuIl.
- ,'Iallame Monpascal?
- C'est ici, répond Pauline.
- Voilà.
L'homme remet le bOUl\LJct, une l!n\'
. ~lp'e
est
épinglée au fin papier qui 1 entoure. Pauline dunne
un l.éger pourbi~,
le Garçon tleuIigte s'éloigne.
Rlcn de plus slITlple, ct cependant Prt!l11ery ' en!
une jalousie violente le mordre au cœur, l!1 les deux
petites Rlles suivent avec une sorte d'anxiété la
�LA BRANCHE DE ROMARIN
137
silhouette de Pauline qui, d'un air satisfait, monte
les fleurs à Madame.
- Partons-nous? demande ~lme
de Chassenay que
ce bouquet surprend un peu.
Prémery, qui s'est repris, sourit.
- Oui, et même dépèchons-nous, il ne faut pas
arriver en relarJ.
Oh 1 que ne peut-il rester, pénétrer lui aussi làhaut, dans cette chambre, dont il s'aperçoit que le
rideau est lev'::; mais la seule personne qui épie leur
départ est la vieille Pauline; Prémery lui envoie de
la main un dernier salut.
• Comme M. Charles est aimable, » soupire en
elle-même Pauline 1
La chère présence de ses filles, leur douce animation, leur plaisir visible, ne suffit pas à distraire
Prémery, son esprit est passionnément occupé de
Valérie ... L'idée qu'clic est aimée, qu'elle aime aussi
sans doute, le torture, empoisonne, depuis qu'elle
lui est apparue, toutes ses pensées ... Jacquelinf:,
impitoyablement, est revenue sur le sujet, a communiqué à son mari toutes les informations qu'elle
s'est procurées sur le lieutenanl Fauclteux, toutes
d'ailleurs sont à son avantage, clic y insiste avec
satisfaction:
- Il n'va, dans pareille circonstance, que le
choix de la personne qui soit important, toi, tu as
cu la main heureuse, du moins, je m'en flatte;
Mme Monpascal me paralt être tombée égalemen!
bien.
Prémery avait saisi un prétexte avouable pour
venir à Paris, mais ce qU'il voulait n'était pas tant
embrasser ses enfants, mais apprendre de leur
bouche innocente si un élément nouyeau était instauré dans l'existence de leur mère; il eut tôt fai t de
comprendre qu'à leur connaissance, du moins, il
n'yen avait pas ... Geneviève nomma une ou deux
fOIS Clr::mence ... Mais Clémence n'était pas à Paris.
elle était seulement venue les voir une fois avec sa
mémé et son papa.
- Est-ce qu'il est aimable, le papa de Jeannette?
demanda Prémery, percevant une intonation presque
host ile dans la voix de Geneviève.
La petite fait la moue:
- Je ne le connais pas!
Cette déclaratiflO signifie clairement: « Je ne veux
pas le connaltre 1 •
Prémery sent avec transport qU'il a des alliés ...
<l Jamais, jamais, se dit-il avec joie, elles ne permettront. »
�138
LA lRA~CHE
DE R01IAR1N
Il redouble de bonté, dt.! tendresse; les enfants
éprouvent aupr~s
de lui un sentiment pénétrant
d'être protégées, non seuJemt::nt elles, mais leur
maman ...
Pendant un des entr'actes, Prémery fait signe à
sa sœur d'occuper Genevii:ve, et s'est retiré dans le
salon derrière la baignoirt!, t!Jl compagnie de sa fille
alnée; ils s'as seyent sur l'étroit canapé; !?rémery
prend lendrl.:rnLill entre les sit..:nne,; la petite main
de l\larcelle, el. sans préam bule COmllll.:n r.: e ;
- Tu es si raisonnable, ma tille chérie, que je
vo::ux t'entretenir sérieusement ue la santé de ta
maman . Je n'ai pas eu, hélasl la I~osibl(é
d'<:/I
juger par moi-même, mais d'apr~s
ce que ta tanlt::
Louise et Betty m'ont dit, ta maman est très affaiblie.
- Trè'i affaibli<;! réplique l\Iarcelle déjà toute
tremblante.
Son' père perçoit son émotion .
·
- Ce n'est que passager, et ne doit pas nou~
inquiéter, cependant il faut al'iser ... La grippe lais e
parfois ùe longues comaksœnces, la ~aison
t!st
mauvaise, la vie, un peu triste à Aull!uil; est-ce que
ta maman est gaie?
- Maman n'cst jamais gaie, r,"pond Marcelle ayc,:
une nuance de reproche dans la voix.
- J'en sui;, bien peiné, mais il faut au moins ILli
rendre sa belle adivité; tu devrais, lI1a glande, la
persuader de venir fin ir l'hiver dans lè .Midi ... il
Cannes par cXl.:mple ... la distance s(!rait commodl:
!Jour nous; Betty pourrait l'OUS conduire fréquemment me faire une petite yisite ... Jt.: :;uis cruellemt..:lJ\
peint:: quand vos jolis visagl.:s ml' font défaut.
- Ce n'est pas not re faute, papa 1
- Non, ma t r l:S chGrie, non, ne chen:hons pas li
qui la faute; sois indulgente à ton papa; tu l'aiuH:l>
bj(;n, di:., ma grande?
- Oh! papa, tu sais que je t'a ime dt..: tout mon
.;u~r
1
Elle fut tenùrem.:nt embrassGe .
- Alors, combine cc petit dJplacement, parle')-l.:Jl
à Bctty, ct moi j'en causerai avec ta tante Louise, il
nt! faut absolument pa;; lai%cr ta maman dan. Ce
marasmt..: 1
Lt.! mut impressioJ1nt..: .M arcdk.
- Jt..: tacherai, dit-ell.:, mais, papa, ne disons rien
à Gent..:vlèvc; si cela nt..: se pouvai( pa~,
die aurait k
cleur trop 'I"OS, t..:I cela lui fait mul.
.
- 1 u es la sagt..:ss,: mêmt!, ma cht.:ri". je t'ob~ira
Apr<:: cela ils étaient rentrûs dans la logt..: .
.\ lm\! de Chassenay observa (Ive!.: qul.:lquc .:Ionne-
�LA BRAXCHE DE R01iARIN
139
ment le visa~e
plus grave de sa nièce: « Qu'est-ce
qu'il a pu lui dire encore, se demande-t-elle; vraiment, au lieu de venir sous prétexte d'aflection les
agiter, il aurait mieux fait de rester auprès de sa
femme ... puisqu'il l'a prise, qu'il la garde 1 »
La représentation approchait de sa fin; l\Ime de
Chassenay avait décidé de reconduire, seule, ses
nièces; son fr~e
et Gaston s'en iraient droit chez
tante Jeanne, où avait lieu le dlner de famille, et le
lendemain matin Pr~.mey
partirait passer douze
heure aux Etais.
- Que veux-tu que je dise à ta maison de naissance? avait-il murmuré à Geneviève.
- Que je l'aime 1
Déjàl'enfant tenait son petit mouchoir fin à la main,
et essuyait à la dérobée ses yeux; dans une demiheure, dans un quart d'heure, dans cinq minutes, papa
allait disparallre, s'évanouir clans 1'1l1saisissable ...
Mme de Chassenay feif!nit de ne pas remarquer le
chagrin de la pauvre petite, mais aurait volontiers
battu son frère. Elle bouscula les adieux.
- Pas besoin cie nous accompagner, je m'arrangerai tri!s bien toute seule ... Allons, un bon baiser
à papa ... au revoir ... ct filons retrouver vot re pauvre
maman.
Geneviève avait été emmenée sanglotante, mais
contenue par la présence de tant de monde autour
d'elle, sa tante l'emportait avec une brusquerie
al1'ectueuse. Prémery, tout pâle, demeura un instant
dans la loge, afin cie reprendre son sang-froid; puis,
se tournant vers son neveu:
- Mon garçon, lui dit-il, que ccci te serve de leçon 1
..
. ........... .
Les paroles de son père al'aient fait une profonde
impression sur Marcelle, ct lorsque, encore étourdie
des événements jnatlendus que cette journée avait
amenés, elle se retrouva dans la paix de la maison
d'Auteuil, elle chercha le meilleur moyen d'agir, et
d'agir sans retard.
~ Oh 1 comme maman était pâle, )t ct puis, elle,
toujours si forte, semblait faible, elle avait cu prl:squ,~
de la difficult.:: à 'oulevcr Je bras pour montrer à
Marcelle la magnifique 10uffe cie violettes de Parme
qui ornait son petit gu6riJon, et de lui mettre en
même temps clalB la main la carte qui l'avait accompagnée, celte cartc portait: « Avec les vœux, très l'es
pcctueux ct ~incè;rs,
dc Jeannette ct de son papa. ,
une ligne de remerciements ,:\
- Tu en\'cra~
Jt:nnnette, ma chérie.
- Oui, ma~n
�140
LA B RANCHE DE ROMARIN
La soirée avait 6t6 très courte, Betty n'avait autorisé qu'un souper fort léger, et puis « au lit ", sans
conversation préalable.
- Vous nous raconterez tout cela demain. Miss
Marcelle, votre maman est tout à fait lasse ce soir;
votre oncle Etienne est très bon, mais il parle si
haut, et il est resté très longtemps; maintenant il
faut la paix.
Et, extérieurement, au moins, elle avait été établie.
xxx
Ce fut Marcell<l qui présenta à sa mère l'occasion
que celle-ci cherchait.
Marcelle, après d~j(;unl,r
avait dit confidentiellement à Betty:
- Emmenez un peu Geneviève, j'ai besoin de
causer avec maman.
- Oui, dearie, répondit Betty qui n'était pas san s
avoir remarqué l'air de gravité de miss l\tlarcelle,
« missie a une commission de son papa, » pensat-elle.
La manœuvre s'accomplit tr~s
simplement. Pauline, dont le dévouement réel s'accompagnait d'une
bonne dose de curiosité, fut encoura~é
d'aJlcl' il
}vlontrouge voir une de ses amic:s; Annette demeurerait pour Il; service, et miss Marc<lll<; garderait Sa
maman 1
Et, 8U[' cette assurance, Gencvièvt.! accc.:pta la Colllbinaison.
Valérie était levée, étc.:ndue sur sa chaise longue;
.Marcelle al'ait dorloté sa mamun, jeté partout son
petit coup d'œil averti dL' pUl'sonne soigneuse, ct
tout proche de sa mère:
ônfin, ;O'était as~ie
- Maman, comment tt.! sen~-tu
Î'
- Je m~
~ , ntira·i !l11l.)\:JX d'iCI qu t:: lques jOUI'H, nJa
chérit.:.
- Maman, ct lif i 'une \'oix tremblait, Betty Cl'ilit
~uïl
te faudrait un changcmunt d'air, tantt.! Louis~
1a dit aussi en reVl nant hier, il faut nvLlS on aller,
maman!
- Où ? mon ange?
- Au soltJil, dalls lt.: J\tid i. Papa pense li LIe tu y
serais bien vite guérit.!.
- Ton p<lpll t'<;n a parlé, mon trésor?
- Oui, maman, balbutia un peu faibkrncnt .\br
celle ... Il Il dit qu'ù Cannes ...
�LA BRANCHE DE RO)TARJ:\
1
P
La mère, lin instant, se cou\Title~
yeux de sa main,
fit appel à son courage, puis regardant bien en face
sa fille:
- Ma bien-aimée, si je pouvais, au prix de la dernière goutte de mon sang, t'épargner 10ut chagrin.
je le donnerais sans hésiter. .. l\1atS je ne puis pas!
fi ya, bélas, des choses pénibles que tu vois, dont tu
souffres, mais dont moi, ma chérie, j'ai souffert la
premi.ère, qui ont brisé ma vic! Ton p1!re, mon
enfant bien-aimée, a eu envers moi des torts graves,
des torts cruels ... J'étais fiLre, je l'ai laissé partir ...
Aujourd'hui, il est l'époux d'une autre femme; moi
je ne suis plus rien sur terre que votre mi.re! Dieu
m'a fait ce don magnifique de . mes deux tilles ...
Cependant, je suis jeune encore, et j'aurais peut-être
le droit de refaire ma vie ... Mai~,
ma fiJ1e, bannis
toute inquiétude, je ne la referai jamais. Aux yeux de
Dieu, ton père et moi sommes liés jusqu'a la mort, et
s'il n'a pas respecté le contrat, je le respecterai, moi ...
Ne pleure pas, ma toute chérie ... Oh! oui, cela est
triste pour vous autres; mais ces dloses sont graves.
pt i[ faut agir gravement. Votre père a droit à Yotr~
t~ndresl',
vous devez l'aimer, car [e paune hom~
yous aime ... mais cette affectjnn ne lui permet pa!;
d'cmpi:t~r
sur ma I.ibert.é; à ~oi.n
que \"Ous .ne soyez
malades, Il ne dnlt Jamais venIr ICI, 11 n'aurait pas dü
venir hier. .. Celle qui aujourd'hui cst a femm ..'
aurait le droit de s'en plaindre; et il moi cela me fait
mal, très mal. Nous rapprocher de llli est une folie.
qui ne pt.:ut qu'entrainer des suu/l'rances. UOf
absence, dans un bon climat, me fera. ans doute du
hien; j'en accerte l'idée. Nnus pourrons alleràBinrritz,
par exemple, Jl.! serai bien aist.! de quitter Paris.
- l\laman, maman, tu as du chagrin 1
- Oui, ma tIlle, l'ai du chagrin.
- Maman, je ne tc quitterai jamais, tu ne sel'as
jamais seule, maman 1 ma douce maman!
Oh 1 quels sacrifi..:es ne seraient payés 1'.11' de semhlables parole" 1
Celle qui It.!s entendait défaillait presque de bonheur, la 'nix lui fit défaut; elle rosa <a bdk main
sur la tête de son enfant, d'un gc!-.tc ardent Je hénediction; la pauvre Marcelle, toute frémis~ante,
s'abattit sur la poitrine de sa mi.:rc ...
- Maman, maman, murmura-t-elle, tu pardone~
,1 rapa)
- Oui, mon ange, nui, je lui pardonne. l'l moi.
purJonne-moi ... Je n'ai pas eu USSel. dt.! patience. Si
J'avais été pieuse comme toi, enfant adorôe, j'eusse
agi autrement. Ton pè:I"C a été faible. léger; mai~
�142
LA BRANCHE DE ROMARIN
moi, j'ai été orgueilleuse. Heureusement que \'ous
êtes meilleures que nous 1
- l'v[amanl
- J'ai hésité à te dire ces choses; mais j'ai besoin
d'une amie ... ma fille sera cette amie, veux-tu, ma
MiJ,rcelle ..
- Oh 1 maman, qu'est-ce que je peux faire pour
toi ..
- Etre heureuse, et m'aider à rendre Geneviève
heureuse. Nous nous en irons pour deux ou troi s
mois dans un cOIn bien tranquille, et puis, quand
nous reviendrons, je serai tout à fait forte.
- Est-ce qu'il ne faut pas te parler de papa?
- Si, si, mon enfant, Il faut m'en parler souvent;
je dois toujours me souvenir qu'il est là ... qu'il est,
devant Dieu, mou mari 1
- A.lors pa'pa a fait mal en se remariant?
- Aux yeux de l'Eglise, oui; devant la loi, LI en
avait tout le droit. .. elle est protestante ... elle a pu
recevoir une bénédiction ... elle est moins coupable.
- Est-ce que tu sais, maman, qu'elle a une petite
fille?
- Je le sais... j'ai bien pitié de cette pauvre
enfant.
Marcelle baissa la voix.
- Papa est bon pour elle,
- Ton père est plein de cœur, sans doutè il a
compassion de cette petite créature innocente.
« Toi, mon ange, tu auras toujours ta maman,
tout à toi ... personne, jamais, n'entrera dans notre
vie. Nous n'en parlerons plus jamais, paree que de
pareIls entretiens sont trop douloureux. Tu écriras
à ton père ma décision ... Je la dirai à tante Louise,
qui est bien bonne pour nous, elle m'approuvera.
Si elle avait été écoutée, nous serions tous plus
heureux... Le passé, hélas 1 est irrévocable, mais
l'avenir appartient à Dieu d'abord, et à nous ...
Tachons de le rendre meilleur.
- Maman, je ne veux plus aller aux Etais ... avec
elle ...
- Non, ma fille ... Ton p1:re a exercé son droit en
vous y conduisant, mais je suis certaine qu'il ne
scra pas insensible à notre dGsir ... Elle ne m'a
jamais fail de mal ni de tort ; mais vous, mes fille. ,
vou,> ne pouvez la connaltre, tante Louise pense de
müme, chasse donc ce souci.
- Oh 1 maman, il me semble que mon cœur yole,
il est si léger 1
. - S~is
toujours francl~e
av.ec ta mère, mon a~gc,
clis-moI tes doutes, tes InqUIétudes, tout ce qUl te
�LA BRANCHE DE ROMARIN
143
tourmente. Ma tâche sur terre est de veiller sur me5
agnelets, c'est une belle tache dont je yeux un jour
pouvoir rendre compte.
La force des faibles est une chose incroyable, eux
seuls du reste exercent un véritable pouvoir. Plu~
un enfant est petit, plus il influe sur les êtres qui
l'entourent, plus il domine leurs volontés. Pour
l'amour d'un enfant, les haines s'apaisent, les passions se calment ... alors que tout secuurs extérieur
paralt manquer, le regard limpide de deux yeu:..
innocents l'apporte.
Valérie puisa dans ce court entretien, cœur à
cœur avec sa fille aînée, une volonté de se "aincre,
de tout vaincre, qui devait être inflexible. Elle aimait
Denis, elle eût souhaité passionnément jouir de cet
amour, et cependant, ayec ln rudes!>e clu hÎlcheron
qui manie la cognée, elle l'ril la résolution d'abattre
l'arbre, dont l'ombre, s'il sc développait, étoufTerail
tout à l'entour.
Elle avait dit à deux ou trois reprises, devant
l'bésitation de ses enfants à la laIsser seule au
logis:
- Allez, mes chéries, cela me îait du bien quelquefois d'être seule.
Geneviève a\'ail regardé " maman li avec étonnement, elle, qui tout le jour serait restée pelotonnée
~lr
ses !2enoux; mais Màrcelle avait eu l'intuition
du bienfait d'lin peu de !'()Iitude pour sa mère, et, de
connivence ayec Betty, lUI assurait presque chaque
jour une heure ou dem de parfaite tranquillit.:.
Un apr~s-mid,
ValGrie U'ou\'a enfin la vaillance
d'(:crire la lettre dont elle ressassait depuis tant (!t:
nuits les termes.
" Denis, ami de mon cœur,
" Cette lettre est le fruit dl.! IOl1huCS mGditation<
ct je vous conjure, pour l':.HT~(ur
mé~
que v~us
me
portez, d'en accepter la d~clsn.
Ami, Je vais vou~
fair,· souflrir, je le sais, ct moi-mC'me je souffre, beaucoup, beaucoup 1 mais j'ai regardé toutes les é\'enIllalit0s en fuce.
·
•
" r ans l'Gtat actuel dé 110" CC!.'Uf!', il est certain que
je ne pui, l":trc que ,·otre fçmrne.
n ,Je ne puis le devenir.
" .fe ne parle pas cie scrul~.
l'arec que jl' sai~
:1 n !c certitude que l'amour que je ressens dnmin ,rait tous le'> scrupules l'
elles Sf)nt lin dépbt socré, ;i
« ilrais j'ai mt:s {jle~.
c!J~s
j, puis tOllt sncnfier, et jl' sacri1ierai tout.
• I>ej!\, clIcs souffrent du mariugc de leur père.
�1H
LA BRANCHE DE ROMARIN
" Leur mi:re restera tout à elIes, sans partage.
" Je sais tout ce que vous pouvez me répondre,
mais moi je vous demande cecI: Même, pour venir à
moi, quitteriez-vous le poste d'honneur?
« Nort, non et non 1
« La mort vous semblerait préférable. Eh bien!
moi, faible femme, j'ai un poste d'honneur, je vous
supplie J'avoir compassion de ma faiblesse, et de
ne pas me demander de le J0~erl.
« ,le ne puis ni ne veux vous oublier. Pour le moment ne m'o.!criyez pas, le jour où je sentirai que je
puis recevoir une lettre de vous, je vous la demanderai...
« VALÉRIE. »
• Malgré tout, malgré l'angoisse, je suis heureuse
de vous avoir rencontré, n'oubliez pas que je pense
à vous 1 •
A sa première sortie, Valérie mit elle-même cette
lettre à la poste. Maintenant elle ne songeait qu'à
s'éloigner; le docteur, tante Louise, tout le monde
avait approuvé le projet de villégiature, et, à la mijanvier, la petite troupe familiale, l'heureux Toby
:ompri~,
prenait le train pour Bordeaux.
XXXI
La jolie villa Circé sur la route de Villeft"anche,
oasis faite pour l'amour, n'avait pa,> été, pour
Jacqueline de Prém~y,
le s'::jour d~liceux
qu'elle
s'était crue en droit d'espérer. Les relations mondaines furent d'abord rares; car Mme de Prémery
ne pouvait, décemment, faire des connaissances
d'aventure. Elle excitait la curiosité de beaucoup,
l'admiration d'un certain nombre; mais le ménaue
demeurait à part. Prémery ne paraissait aucuneme'i1t
cherCher l'occasion de produire sa femme; il déclarait franchement ne pas gouler cette société panachée; le soleil trop ardent lui d(Jnnait mal à la tête,
il avait horreur d'étre hors de chez lui, et éprouvait
la nostalgie de son Morvan au ciel gris, de ses
chasses, cie toute son existence de propriétaire
campagnard; pour se distraire, il allait jouer à
i\tonte-Carlo, ce qui ne plaisait qu'à demi à Jacque.
line, à qui les perruches multicolores qui s'y promènent en liberté causaient quelque ombrage.
�LA BRANCHE DE ROMARIN
T +5
Jacqueline, fatiguée par sa grossesse plutôt
pénible, avait parfois des idées un peu grises ... et
s'étonnait sincerement de sentir que sa « pauvre
choute" lui laissait des regrets 1 Ceci ne lui était
jamais arrivé, et elle n'y comprenait rien elle-méme.
Néanmoins, le fait s'imposait, la vue des filles de
/ son mari, surtout la bonne gràce modeste de MarceHe, avait éveillé en elle un sentiment nouveau et
:;ingulier, ce fut principalement pour le satisfaire
qu'elle imagina l'intervention de Clémence 1 L'adoration de l'enfant avait agi, et ses borrs yeux de chien
fidèle manquaient maintenant à la mère. « Comme
elle doit s'ennuyer, » pensait-elle souvent, et cependant il n'était pas difficile de l'amuser, la seule contemplation de sa mi:re, occupée à n'importe quoi,
semblant ~ombler
ses vœux.
L'adieu, malgré les eITorts de Jacquellne, pour Il:
rendre insignifiant et sans importance, avait ":lè
réellement pénible; les yeux de la petite fille imploraient; tout bas, elle répétait:« Petite mi:re, petite
mè!re, " et la mère ne savait que rél'ondre; enfin, en
désespoir de cause, elle avait chuc 10té à l'oreille de
sa fille:
- Sois bien raisonnable, obéissante à Mademoiselle, et je te ferai venir me voir à Pâques.
- .Je serai exemplaire, avait répondu du méme
ton de conspiration la pauvre petite, à qui il semblait qu'on venait d'ouvrir le ciel; et, conséqucnce
de cette résolution, M. de Saint-Ciers, et même la
sévère bonne-maman, se virent obligés de reconnaitre que le séjour au Tréport avait été salutaire à
Clémence; évidemment elle n'avait reçu que de
bons conseils r
Ce retour vers sa fille donna il Jacqueline le désir
de revoir sa sœur; la comtesse de Soulac, de plu~ieurs
années son aln":e, l'avait beaucoup aimée et,
tout en la hlamant de son divorce, lui avait conservé
tout entière son afTeclion, ne rompant jamais avec
elle; aussi, la cordiale invitation du ménage de
Prémery fut acceptée avec satisfaction, d'autant que
Mme de Soulac Vivait d'un bout de l'an~e
à l'autre
dans un vieux chateau, regorgeant de souvenirs
historiques, mais n'olTl'ant pas cl'autre délassement;
le comte de Soulac aimait l'argent, la terre, la bonne
chère, la chasse et sa femme, et rencontrant toutes
ces choses chez lui, s'y trouvait à merveille 1 Le souci
principal de Mme de Soulac était la rraintc de trop
engraisser, la table abondante que son mari
eXIgeait meltant à une trop fréquente épreuve sa
gourmandise natureJle 1
�146
LA BRANCHE DE R01-:IARlN
Les époux furent extrêmement touchés de
l'accueil de Jacqueline; sans enfants eux-mêmes,
l'élément de tendresse manquait totalement à leur
existence, et Mme de Soulac reçut avec une vraie
complaisance les caresses de sa sœur.
Prémery se montra charmant, hospitalier, parfait;
force était de confesser que Jacqueline avait du
moins, dans son erreur, fait preuve d'un goût
éclairé; le quatuor marcha sans heurt; d'autant que
M. et Mme de Soulac se découvrirent d'anciens amis,
quelque peu l"eurs alliés, parmi le petit groupe
correct qui méprise, non sans quelque envie, les
séduisantes aventurières 1 Mme de Prémery, présentée par sa sœur, fut jugée absolument délicieuse.
Prémery avait profité de' cet heureux ensemble de
ciron~taes
pour faire avaler à Jacqueline la ('roposition, un peu monstrueuse, de la quitter a la
veille du jour de l'an.
La jeune femme, fatiguée, n'avait pas lutté; elle
avait même eu compassion du désir de son mari!
Ah 1 si elle avait pu voler vers sa « pauvre choute ~,
et voir le petit visage sérieux s'illuminer et briller ...
mais elle ne je verrait pas 1
Chaque semaine, un petit panier de fleurs
fralches part de Nice à l'adresse de Clémence, ct
leur arrivée procure à l'enfant une félicité exquise;
ces fleurs sont pour elle seule 1 elle sait que personne n'en accepterait, elle n'en offre l'as. Clémence
pos~de
deux jolis vases sur sa cheminée, un autrc
sur sa table de travail, elle les remplit, et les roses.
les narcisses, les violettes lui parlent tour à tour de
petite ml:re. Un jour, Mademoiselle s'est plainte de
l'odeur trop rorte de ces neUfS, mais le regard que
son élbe lui a jeté l'a forcée à se tairel Clémence se
iait, parce que la pensée de Pâqut:s ne la quitte pas.
Les neu rs lui disent patience ... «Petite m~re»
n'écrit
Po.s de lon~ues
lettres, mai.~
ce qu'elle écrit comble
Je cœur de l'enfant cl qui elles snnt adressées; et
It:s lettres de quinzaine respirent une tendresse, qui
perce sous la formalité dcs phrases un peu apprèt';<:5; toutes jinissent par l'assurance:
« Ta petite tiI'Ie dévou'::t" qui t'aime pour la vic ...•
.\{:Jlkmoiselle a hé~it
... il n'est pas possible d'intenlire cd te phra~e.
et. la lettre est mise correcteIllot à la post<:. Jacquelme en attend nerveusement
la venuc.
.
.'Ilme de Souin.; s'étonne des questions que sa sœur
multiplie au sl1jet de Clémence.
- Ma patIVre Minette, je ne puis te rcn~eig_,
je no.: la vois jamais, ou comme hmaj~
: quand i1011.
�LA BRANCHE DE ROMARIN
1
J.ï
allons à Nimes, on me l'envoie pour une visite d'un
quart d'heure, flanquée de sa gouvernante; cette
pauvre enfant, qui n'est pas vive, est emmenée avant
d'être dégelée; maintenant, si tu me demandes mon
opinion, je ne crois pas qu'on lui fasse une vie bien
divertissante; ton mari, j'entends M. de Saint-Ciers,
a l'air plus lugubre que Jamais.
- Il aurait mieux fait de me la laisser 1
- Mais j'ai toujours compris que tu as renoncé
librement à ta fille.
- C'est vrai 1 seulement figure-toi, ma pauvre Zoé,
que cette malheureuse gosse m'aime à la folie, tu ne
son bonheur pendant notre court
peux ima~ner
séjour au fréport. Je ne sais pas si je l'aime, peut·
être pas, mais elle me fait une pitié affreuse; tâche
d'être bonne pour elle.
- Je ne demande pas mieux; Fernand, qui adore
les enfants, serait enchanté qu'elle vienne un peu
nous distraire à Pont-l'Airette, la place ne nous
manque pas.
- Tâchez de l'avoir.
- On s'en occupera; en attendant, ne te fais pas
de mauvais sang surtout, pense à ton dauphin.
Jacqueline ne r~pondit
pas; depuis quelque temps
elle ne sentait que très faiblement remuer son enfant.
Des pressentiments tristes l'assaillaient; sa gaité,
faite d'exubérance physique, tombait dès que sa
santé fléchissait; elle ne soufflait mot de ce genre
d'idées à Prémery, que les pronostics pessimistes
exaspéraient. Il avait hâte que tout fùt fiOl, afin qu'on
pùt rentrer à Paris; la naissance de ses filles n'avait
ras été accompagnée de la moindre complication, et
Il n'envisageait pas la possibilité qu'il s'en présentât
dans l'occasion actuelle. L'hospitalité de la villa
Circé devint bientôt notoire; Prémery, voulant de
bonne foi distraire Jacq uciine, évidemment déprimée,
multipliait les invita tions . Les Soulac, repus de soli·
tude, appréciaient beaucoup ce va-et-Yient de gens
agr~bles.
"Prémery et Jacqueline, les amants passionnés de
jadis, jouaient maintenant vis-à-vis l'un de l'autre
lIne sorte de cométlie afTectueuse, afin de se cacher
leurs secrètes pensées 1
L'événement attendu fondit sur eux prématurément.
Jacqueline l après un accouchement extrêmement
laborieux, mIt au monde un fils qui ne vécut que
quelques heures.
Elle parut presque indifférente à ce dénouement
qu'on lui cacha tout un jour ... Lorsque sa sœur,
�1
~8
LA BRANCHE DE ROMARIN
avec mille ménagements, lui parla de la dôuleur de
Prémery :
- Il n'aime que ses filles, dit lentement l'acc'1Uchée; il sc consolera vite.
Le danger de sa jeune femme éveilla toute la réelle
hf)nté d'ame de Prémery; il la soigna avec la plus
live sollicitude.
- Pense à toi-même, il n'y a que toi qui importe,
1ui répétait-il, et en ce moment elle lui '::tait réellement tr~s
précieuse.
La fi~He
de lait fut extrêmement forle; plusier~
fois, la nuit, la garde entendit la malade murmurer
pauvre choute • .
Et le matin, tout à l'aube, comme on lui accommo·
dait ses oreillers, une embolie foudroyante trancha
la vie de cette belle créature .
1(
. Une .sorte d'horreur tomba sur Prémery quand on
vmt lUI annoncer le fatal dénouement. Il lUI sembla
qu'il l'avait tuée! Ne l'avait-il ras arrachée à la "ie
paisible, dont elle s'était contentée a,'ant de le
connaltre ... La pensée de la petite Clémence lui fut
atrocement douloureuse . Il devinait qu'on laisail
payer à la créature innocente le p0ché de sa mère!
c'est-à-Jire le sien. Une sorte de superstition le fit
frissonner, «Si cela devait porter malheur à se"
filles ... » il se défendait de trop penser à elles ... Le
détachement déjà se faisait si rapide 1
Mme de Soulac s'était emparée de sa sœur morte,
()il lui avait couché son petit enfant dans les bras, et
Prémerv, en les regardant, ~entai
qu'ils étaient soudain si loin, si loin de lui 1
Hier si triomphante, aujourd'huI du l'herbe fauchée !
Mme de Sllulac, vivcmt:nt affectée, envoie les
dépêches qui portent au loin l'avis funèbre.,.; il
COllrt sur le fil myst6rieux, ct un mesa~"
banal en
dépose le texte a la porte de la maison, a'où un jOllr
était sortie, pour n'y plus revenir, celle C"Jui en avait
été la maitresse honorée ct aim6u. Dans cette maison
respire l'enfant de sa chair, que l'amour lui a fait
abandonner 1 Voici qu'à l'imprn\'istc, un matin
tranquille, Clémence est appelée auprès de son
pi::re, et un peu intimidée, mais non craintive, car
son père, s'il est froid, n'est jamais dur, pénèlr~
dans la grande pièce du rez-de-chaussee où
M. de Saint-Cier<; vit très renfermé.
Elle cntre, sa petite tète se tnurnant à droite (:'1 ;i
gauche, d'un mouyement de curiosité inquiète;
mais non, alc~n
inconnu alarmant n'est présent, son
�LA BRANCHE ' DE RO:!'.IARIN
l..J.g
est seul; dit: s'avance vers lui dL: ,on pas
docile, et respectueusement lui dit:
- Me voilà, papa.
Il lui pose la main sur l'épaule et la regard\.!.
La petlle fille Je regarde aussi, et trome au visage
de son p1:re quelq lie chose d'insolite ... mais ne ~e
permet pas de parkr, et attend.
- Mon enfant, dit la voix un peu si::che, mais qui
tremble cependant, j'ai à t'apprendre une nouvdle
douloureuse ... qui va te faire du chagrin.
La petite a ouvert la bouclll', arrondi démesurément les yeux.
M. de Saint-Ciers se passe la main ',ur le front, et
puis brusquement:
- Il faut que tu le saches, ma pauvre enfant, ta
mère est morte 1
- Petite m~re!
petite mè:re! est partie pour
toujours?
- Oui, ma fiUe.
Un cri, vraiment effroyable, jaillit alors ue 'a fmhk
poitrine d'enfant, une telle clameur de d()uleur, si
Illattenclue, gue le p1:re frémit de la tête aux pieds,
il saisit l'enlant éperdue, la pose sur ses genoux,
l'enveloppe de ses bras.
- Ma petite fille, ma petite fine, je t'en supplie, je
t'en prie 1
- Je veux ma petite,mi::re, je la veux!
Et, dans une sorte de convulsion, à demi pamée,
l'enfant sc renverse en arrii::re ... Le cri pitoyable a
l'aie accourir bonne-maman, le spe$!tacle de l'enfant
houleversée la bouleverse à son tour ... Qui aurait
au? pouvait-on soupçonner? Ils n'ont mis aucun
lI1C:nagement à révéler son malheur à l'enfant, parce
qu'illeur a semblé qu'clic devait en être rl:U touchée.
La uécouYt.:rtc ue la tendresse qui couvait dans ce
pauvre petit cœur les frappe de stupeur ... La vieille
Mme de Saint-Ciers marmotte assez doucement des
paroles sur la \"olonté de Dieu, le devoir ...
Clémence ne l'entenu pas; dIe est redressée, tout
échevelée, car son père pleure 1 pleure de gros san"lot c:. Alors, avec pa'lSion, elle Jette ses petits bras
faibles autour du cou du malheureux homme, leur
douleur se confond: ceS larmes conquirent à jamais,
à celui qui a été si dur, le cœur aimant et fid(:!<' dont
il a fait 8i peu cie cas!
l'~rL:
�<':'0
' LA BRA:1\ClIE Dl:
RO~IAN
XXXTI
Oh (Betty, c'est afTreux!
Oui, dearie.
Comment est-ce arrivé, mon Dieu?
Cette pauHe jeune femme est morte en donnant
la vie à un petit baby, qui est mort aussi.
Marcelle devint toute pale.
- Qui vous a appris cette nouvelle, Betty?
- C'est votre bonne tante Louise qui l'a écrite à
votre ch1:re maman, Mme de Chassenay est allée
immédiatement trouver votre papa.
- Papa est malheureux, Betty"
- Je le pense.
- Oh ( je voudrais le consoler ... Qu 'cst-ce que je
peux lui écrire?
- La vérité, dearie; que vous avez du chagrin de
le savoir triste ... mais pour vous deux, darlings, les
choses sont mieux ainsi .
.'v1arcelle parut réfléchir.
- Elle n'était pas méchante, Betty ... et elle avait
une petite fille, elle m'a demandé d'être! bunne, plus
lard, pour sa petite Olle, si j.am<,tis je la rencontrais.
- Vous n'avez pas à vous en occuper; ct, pour cetle
enfant, c'est mieux que sa m1:re ait quitté ce monde.
- Quand je serai grande, je la chercherai, Betty.
- Pourquoi faire?
Pour tenir ma promesse à sa maman.
- Elle vous avait demandé une promesse?
- Oui ... Vous savez, Betty, papa était tJ'1:s bon
pOUl' cette petite fille et j'ai été jalouse d'elle ... si
jalouse ... Ohl Betty, cela fait mal d'C:tre jalouse. JI~
prierai aussi pour ... celle qui vient de mourir. .. elle
mc l'avait aussi demandé; elle aimait beaucoup mon
papa.
- Sans doute, et elle le devait; mainti.!I1ant il faut
l'oublier.
- Est-ce que papa va l'oublier?
- Pas tOllt de Wltc; mais les hommes se consle~
vite; surtout que M. de Prémcry VOliS aime tant,
votre chl:re petite sœur et vous.
- Où cst papa i'
- Aux Etais, avec Mme de Chassl!nay, on est tri.:s
bien à la campa'l',nc après de grandes émotions ... lin
peu plus tard i viendra à Paris pour vous voir ...
Mme de Chasst.:nay l'a éCflt à votre maman.
�LA BRANCHE DE ROMARIN
151
- Je ne dirai rien à maman ...
- Non, c'est inutile, elle m'a commandé de vous
informer de ce qui était arrivé. Je l'ai. fait, -:'est fini.
- Ohl Betty ... peut-être ... les beaux yeux bruns
resplendirent soudain.
Betty mit son doigt sur sa bouche.
- Seulement à Dieu, miss Mal-:elle, seulement à
Dieu ... Il peut tout 1
- .Maman était bien sérieuse Cl' matin, est-ce
qu'elle savait, Betty?
- Oui, la lettre est arrivée hier au soir; votr(;
maman est généreuse, dIe aura eu compassion de
I!ctte pauvre dame, enlcvée si vite.
- Est-cc que? .. Est-ce qu'elle ec;t revenue aux
Etais? près de mon grand-père et de llIa mémt:?
- Non, dear, non, sa sœur, Mme la comte~s
de
Soulac, qui était auprès d'elle quand le malheur est
arrivé, l'a ramenée a J'lmes, dans h: caveau de leU!
famille ... cela e~t
mieux oin»i. Elit.: n'était pas dt:
notre religion; elle n'a pas besoin de dormir pr,~
J'une de nos églises ... Mme de Soulac va aller
bientôt aux Etais pour emporter tout cc' qui appartenait à cette pauvre lady ... Oh! migs Marcelle, les
Jugements de Dieu sont impt:nélrables ...
Marcelle d'abord ne répondit pas, puis eHe
'demanda:
- Le petit baby était mon petit frère?
- OUI, daI'lin~,
votre dcmi-fr::re.
- Pensez-vous qu'il ait éré bal ti$é?
Betty avoua n'en ayoir aUCUIl\! idée.
- Priez Notre-Dame, miss i\larcelle, et IlC cherchez pas tant... Je vous laisse le soin cl'alertir mi~5
Gene, à cause de votre papa il faut qu'e:lle 'iache ...
éVénem"nt, dans un
vuus lui appn;ndrez cc tn~e
esprit chrétien, miss Marcelle, je le "ais.
Le soir même, cnmITIe les p..:tÎtl!S tilles terminaient
leur prière, que l'aln':e ;nait dite tout hau!. .. aprb
1uelqU\!S mols spé-:iuux d'intcn;cssion pour leurs
chers parent. , Marcello.! ajouta:
- Nous allons dire un De Profundis pour un~
a1l1e qui vÎL!nl de quitter ce munde, uni!;-toi à mO I,
Ueneviève :
- Oui, sœur .
• Donncz-lcul' le repos éternel ct que la lurni1:rê
t;tel'Ilello.! les éclaire, " soupire la jeune \'<Ji;,; le :signe
JI.! croix, et, pendant un instant, alant de ~e rele\:er,
le~
enfants plongent leurs visages dans leurs !Dains;
4uund Marcelle découvre le sien, elle dit trèc; distinctement:
�152
LA BRi\..NCHE DE ROMARIN
- Cette prière est pour l'âme de Mme Jacqueline
de Prémery.
- La ~Iame'?
- Oui, chut, ne parlons plus.
Sûrement leurs anges voyaient Dieu!
XXXIII
Quatre mUlS sont passés; Marcelle s'étonne de la
mélancolie cachée de leur mère, elle est seule à s'en
apercevoir, car Valérie a repris son apparence de
forc<! et d'énergie; même souvent elle est gaie extérieurement, et ne permet pas à l'atmosphère de la
maison d'Auteuil de devenir monotone et pesante;
tous les dimanches presque amènent un divertissement: cin6ma, concert, promenade aux environs de
Paris, selon le temps l'lus ou moins beau.
Prémery a fait un court séjour à Paris, et ses filles
l'ont rencontré plusieurs fois chez tante Louise; il
s'est montré meilleur, plus tendrement expansif que
jamais ... Marcelle lui a trouvé l'air de quelqu'un qui
espi:'re, "
Oh 1 mon Dieu, est-ce que la mystérieuse espérance qui couve dans son cœur d'enfant, serait celle
de son père? Il Y a également chez tante Louise une
sorte de sërénité lorsqu'elle parle de l'avenir, c'est
4ue dans la famille on demeure parfaitement convaincu que Chal'1es ne souhaite que réparer le mal
qu'il a fait, et attend l'heure favorable pour en exprimer le désir. D'ailleurs, il ne cache pas à son excel·
lente sœur que Valérie, depuis bier: des mois, occupe
passionnément sa pensée, ct lui aussi a confiance,
la vie lui sera encore favorable ... ses filles rendues
à sa tendresse paternelle; il éprouve au sujet de la
pauvre JacquelIne un J'cmords assez vif pour ras,. urer sa conscience; du moins si son bonheur a été
L'ourl, il le lui a rendu complet.
Sagement, il n'a pas essayé de s'approcher de la
maison d'Auteuil, ni même d'apercevoir Vê\I~ric
au
dehors, " Sl1rtout, tiens-toi tranquille .• lui a recommandé sa sœur, ~ une démarche prématurée pOUI'rait tout compromettre, » et Mme de Chasscna\'
s'impose elle-même une grande contrainte pour ne
laisser rien soupçonner à sa belle-sœur des id~eS'
dont elle se leurre.
Dans le tête-à-tête conjugal elle a plusieurs fuis
dévoilé ses pensées secr1:tes à son mari. « Il me
�LA BRA:NCHE DE R01fAR IN
153
paraH imposs ible gue Valérie , à un momen t donné,
refuse de reconst ltuer son foyer. " Et la réponse
invariab le de M. de Chasse nay: « A moi, cela parait
au contrai re probab le, li la mortifie extrême ment.
- En tout cas, à mon avis, ajoute un jour M. de
Chasse nay, Charles ferait bien de dispara ître pendant quelqu es mois, de faire un voyage quelcon que,
ce serait une meilleu re prépara tion à une rentrée , si
rentrée il doit y avoir, que ces courses perpétu elles
ici, sans but appréci able, qui énerven t Valérie , je le
sens.
- C'est dur pour Charles .
- Dur? vraimen t, tu me fais rire 1 il en a mérité
bien d'autres , il doit à cette pauvre femme, à qui il
avait persuad é de tout quitter pour lui, de s'impos er,
par respect pour sa mémoir e, quelque s privatio ns,
et puisque la seule qu'il ressent e est celle de ses
filles, il devrait comme ncer par celle-là... Cette
pauvre créatur e avait bien une fille, elle 1
- Oh 1 elle n'était pas bonne mère puisqu' eUc
l'avait abando nnée.
- Tu trouves peut-êtr e que ton frère a été bon
père, le jour où il a voulu divorce r?
- Charles n'a pas mesuré les conséq uences de
son action.
- Précisé ment; Jacquel ine non plus, sans doute,
il m'est revenu que Mme de Soulac raconte que la
pensél.. Je sa petite fille tourme ntait beaucou'p sa
sœur durant les dernier s mois de sa vie, et Je le
croirais ; l'enfant avait été avec sa mère pluslcu r"
semain es au Tréport , elle s'est sans doute aperçue
alors, qu'une enfant qu'on a mise au monde, c'est
quelque chose 1 C'est ce que Valérie a compri s, il
~e
pourrai t et je le crois assez, que son cœur ait
parlé ... mais elle a vu, en brave femme qu'elle est,
où t'!tait gon devoir; si jamais Charles la reconqu iert,
ce sera une inj1,1stice.
- Comme nt, une injustic e?
- Oui, car il ne la mérite d'aucun e façon.
- Mais le s enfants ?
- Les enfants , parfaite ment, et à cause d'elles,
qui sont de l'or en barre, j'espère me trompe r.
Val(:ric nI.! laissait rien clevincr de ses pensées , ni
Cl! qu'clic de\'inai t des pensées des autres;
jamais
bavarde , elle se taisait plus que d'habitu de, s'entou rant, vis-à-vis de son excellen te belle-sœ ur, de son
amie dévouée Mme de Bressac , d'une sorte de
réserve , où perçait une certaine défiance.
Depuis l'événem ent foudroy ant qui avait rendu la
liberté à son ex-mari, une angoiss e secrète , enfouie
�154
LA BRANCHE DE ROMARIN
au plus profond de son être, harcelait Valérie; gu'attendaient d'elle tous ce regards nalvcment Intermgateurs? Pouvait·on supposer qu'elle rendrait sa
foi à l'homme qui l'avait dt:libérément mise de cOté?
elle avait immolé à ses filles l'amour qui remplissaH son cœur, mais il y vivait néanmoins, comme une
lumière, cachée à tous les yeux.
Parfois elle sentait frémir en elle une fibre secrète qui l'avertissait que là-bas, bien loin, un autre
cœur frémissait de tendresse en songeant à elle; un
moment le monde extérieur s'I;!'·anoulssait, les ctistance~
étaient franchies, l'amour rencontrait l'amour.
Minutes délicieuses et éphémères où elle retrempait
ses forces pour la lutle. Elle s'appartenait, nul
n'avait le droit de lui demander compte de Ce qu'il
lui plaisait Je dérober au monde. « Sec,.etum melltll
mihi, » se répétait-elle parfois, avec une sorte. de
jalousie passionnée.
.
On parlait tr0s rcu dans la maison ct'A.uteuil, de
c'lui à qui toutes pensaient; un tact supérieur
avertissait Marcelle d'une susceptilité nouvelle chez
a mère, et qu'il fallait ménager. Elle avait dit un
jour à Geneviève, qui se lamentait des lon(~Ie:;
ah~encs
de papa:
- Aie patience, sœurette, ne parle pas tant de
papa, et peut-ètre le bon Dieu nous le rendra tnut à
rait.
- Comment, comment?
- Ne cherche pas, suis mon conseil.
- Oui, clearie, avait appu)'e Belt\', ob6issez à ce
que vous dit miss Marcelle.
.
Geneviève, ivre d'une vague espérance, avait promis.
Et puis, un matin de juillet, les enfant" apprirent
de la bouche de tante Louise que papa se rréparait
cl fairt.! un voyage de quelque duré!.! 1
- II ne faut pa!! essayer de le retenir, conclu!
tante L(l~ise,
ce voyage t.!st une bonn.e chose ..
Les C01l1S de la bOllt.!he de GêI1t;\"J 'H: tomb.;rcnt.
ses paupic'res battirent; mais Marcelle lui serra trb
fort la main.
- Si cc voyage doit faire du bien ft papa! dit la
grande sœur.
- J'espère, beaucoup de bien, l'épondit f.::rmement tante Louise, il nOl~
écrira, il nous enverra de
belles cartes, tll vera~,
Gene\IL\'e, nous serons tout
le temps occupée' de papa à Coderville.
Car il avait été d,~ci6
quc le petites et leur m~re
passeraient l'ét" 11\1 chütcau de CocIerviIJe, chcz lc~
Chassenay. La famille doucement repu'nait no!'i~C
sicln ctc Valérie.
�LA BRA:\CHE DE RO!IURlN
155
XXXIV
:\ près le départ de Prémery pour les Etats-Unis,
randonnée qUI devait se prolonger trois ou quatre
mois, Mme de Chassenay eSl?érait davantage, car
une année de deuil était stnctement n':ce aire;
l'excellente femme ne prévit plus qu'une période
d'accalmie pour la petite famille de son frère. Les
.::nfants se trouveraient bien de l'absence d'émotions
sans cesse renouvelées, et l'idée de leur père
« absent " n'avait pas d'amertume, il demeurait
« leur ", la distance toute seule ne sépare pas véritablement ceux qui s'aiment. Les vraies séparations
sont formées d'autres éléments ...
n ne s'agissait maintenant que de ramener peu à
peu Valérie à l'idée de reconstItuer le foyer d'antan.
M. de Chassenay assurait sa femme que l'entreprise
' était beaucoup plus arelue qu'elle ne prévoyait, el
que rien ne lui apparaissait moins probable que
l'absolution définitive cie Charles par son ancienne •
femme ...
- Il faudrait qU'il arriv{, à ton frère quelque catastrophe extraordinaire aux Etats-Unis, qu'il échappe
d'un train en flammes par exemple, pour recouvrer
quelque intérêt aux yeux de cette pauvre Valérie, et
même alors r...
•
- Espérons, répondait invariablement Mme de
Chassenay.
- Je veux bien, c"est une denrée à la portée de
toutes les bourses 1
La vie était régulière et douce à Coderville, et Valérie, au milieu du trouble de ses pensées, trouvait un
appui clans la simple circonstance d'être entourée.
Aucune surprise ne pouvait l'atteindre sous le toit
de sa belle-sœur; elle y recouvrait peu à peu quelque chose de l'as urance qui lui avait toujours
manqué depuis son divorce.
Personne n'était moins envahissante que Mme dc
Chassenay, elle nc demandait qu'une seule concession à ses hôtes, ne pas rcster indéfiniment dans
leur chambre le matin, afin que le protocole tlu
ménage puisse s'accomplir avec régularité.
On se rencontrait fJour la première fois à l'heure
du déjeuner; Marce le et Genevil:ve jouissaient de
l'atmosphère animée el familiale j toutes les portes
�156
LA BRANCHE DE ROMARIN
de Coderville semblaient ouvertes sur la vie .. , elle
arrivait, en des formes diverses, dix fois par jour,
par la belle allée qui, de la grille jamais fermée,
menait à laJ)orte pnncipale, elle courait sur le grand
t1euve que es navires venus du nord lointain sillonnaient sans cesse; elle entrait avec les voisint<
roulant en automobile, et mème accompagnait les
chemineaux qui pûnétraient parfois inopinément.
L'horizon était clair, les pelouses vertes, les fleurs
abondantes et <:mbauméesj loS fruits, qu'on posait
à quatre heures, pour un g0llter à la française, sur
b table de la salle à manl?er, savoureux et parfumés.
Un vieux rrofesseur oe musique de Mme de
Chassenay était hospitalisé à demeure au chateau
pendant les vacances, et le piano ou le violon rompaient souvent agréablement le silence des fins
J'après-midi. Le soir on jouait aux jeux innocents,
ou aUX petits papiers, divertissement qui passionnait Geneviève; une des réponses de sa fille avait
vivement ému Valérie: à l'interrogation: " Où <:<;1 la
tranquillité?» la petite avait griffonné de ses caractt:res inégaux: « Dans la bonne entente».
Elle .régnait du moins pleinement autour d'eux
• pour !'JOstanl.
M,ne de Chassenay nourrissait une quantité de
projets agréables pour le moment où Gaston arriverait pour ses vacances, ct où André, en garnison à
Orléans, viendrait passer quelques jours en famille.
Valérie, presque à l'insu d'elle-même, trouvait plaisir
à cette existence qui lui demandait un moindre
eff6rt personnel, ses nlles ne s'appuyant plus uniquement sur elle; ct elle jouis~at
du flatteur a~cuei\
de tous; elle n'était pas Vl.!I1ue à Coderville depui~
cinq ans, et 1\.:5 mcrveilleu.' pro(!~s
de Marcelle ct
de Genevièvll formaient le thème des conversatiol1f
des visiteuses; on aurait pu croire qu'elles !'>eult:s
J'enfants avaient accompll le miracJ\.l Je crottn: ct
Je sc dévelorper! Valérie s'était dit une fois l'erml.!ment: • 'La vie rour moi continuera ce qu'ellc est
maintt.:nant Il et é\itait d'arrGler ses pensées sur
l'a l'cnir.
V <:\'s les derniers jours dc juillet, des rumeurs un
peu alarmantes commencèrent à circuler; M, de
Chassenay les traita par le mépris, et avec l'autorité d 'un père de ramille, d'un riche propriétaire, et
d'un maire respecté, ordonna aux siens de mettre
de e<'it(; des craintc!l mal fondées ct ridicuks.
- La gueIT<:? Quelle fnlie 1 il n'y aurait jamui ,
plu!; de g1Jerre 1...
�LA BRA~CHE
DE ROMARL"
1::>7
Et pui~
un divin jour d'été, à l'heure du midi des
saisons, où la terre féconde donne tous ses fruits, à
l'heure des moissons, à l'approche des vendanges,
le tocsin sonna, son appel retentit, d'un bout de la
France à l'autre ... annonciateur terrible.
La guerre!...
Tous étaient touchés dl:: son aile, ct les jeunes qui
partaient, et les "jeux qui restaie,nt; et les femmes et
It:s mères, et les enfants déjà grands, et ceux à la
mamelle .
L'émotion fut, à Coderville, ml:lée d'exaltation et
Je certitude de la victoire.
Les Chassenay yovaient partir leur fils alné, le
personnel était L1isloqué; pari ou'l alllüllr d'eux, le .
de famille rapidemènt s'en
Jeunes homme, les p~res
allaient.
M. de Chassenay regrettait d'avoir passé l'âge lk.
l'effurt militaire, il emlait ses cadets.
- Charles va sûreml:nt revenir, dit-il à sa ft!ffiffie,
il c t officier de la territoriale.
- Ah 1 mon Dit!u ...
- Je ne suppose pas que tu désires qu'il sc telTt.'
c 1\ Californie?
-- Cert~
non ... Ah J Etienne, quclle cat~roph
e
Ille cette l-!uerre.
- Cela ne durera pas, nou:; aurons vitc raison
d·cux ...
furgeait la victoire.
Et leur optim~e
A la raix doml.!stiquL avait succédé une at'itation
fébrile; musique, cartes, (JUU,lg ~ d'agrément étaient
Ili~
de cùtc ; on déchirait le~
draps, et, a\'e~
unt.;
ardeur inten. e, on roulait les banJcs; GeneVIève y
'lpportait unt: orte de pas.,ion; sa petite ame,
pre que farllu.:hcmenl patriotique, ressl.!ntait tvutc
le' Iluctuations.
UIll' idée llu'ellc n'osait exprimer, mai!:> qu'cil<Illurmura un Jour à Marcelle: « Papa·! • la hantait.
- Papa, r~p(jndit
Marcelle en palissant, va Sali !>
dCJute rt!\ cnir.
- l'nur sc battre?
-
()ui. ..
Le pctitt.:s mains e joignirent, puis c tordin':l1 .
- Chérie, c'est le dt!voir, dit lIIarcelic en l'embra ant, tUlle voudrais pa que notre papa soit un
luche .,
Oh nOIl!. ..
• 'OtiS prieron' tant pour lui.
Maman au . i priera?
Je l'espi:rc ...
�lS8
LA BRANCHE DE ,ROMARIN
La causerie d'après déjeuner devant la maison
languit; l'inquiétude flotte dans l'air ... Les mots
s'échangent, lourds de signification sinistre, Une
silhouette parait au bout de l'allée, c'est un officier,
il marche vite, il vient. .. tout le monde s'est levé.
Valérie, d'un mouvement rapide, est rentrée dans la
maison, elle a été la premIère à le reconnaltre ...
Enfin, dans la lumière, le visage du nom'eau venu se
découvre distinctement.
- Charles 1...
- Papa ... papa .. .
Un papa si différent de l'ancien : l'unitorme
modifie totalement son apparence, et puis les yeux
caressants ont un autre regard.
Chassenay, ému, serre la main de son beaufrère.
- PourquoI ne nous avoir pas prévenus?
- J'ai préféré vous surprendre ... j'ai espéré êtr~
le bienvenu.
Les deux fillettes se serrent tout contre leur père ...
elles comprennent ... Maman s'est éloignée ...
- Mes chéries, dit Prémery d'une voix décidée,
allez trouver Betty, et partez faire un tour; vous me
retrouverez à votre retour.. . Mais j'ai besoin dl!
causer avec votre tante.
Se tenant pal' la main? le cœur tout chaVIré, doucement les fillettes se dIrigent vers la maison ... Dix
minutes, et on les aperçoit qui s'éloignent.
Prém~y
a saisi la main de sa sœur; il retient
d'un geste Chass.enay ~ui
ve':lt les. laisser.
- Obtenez-moI, dit-il paSSIOnnement, de parler â
Valérie .. . avant de partlr, je veux l'implore r de me
pardonner, et de me revenir ... pour nos filles! Si je
meurs, oh 1 que je meure son mari ... notre séparation est monstrueuse ... · aujourd'hui elle ne peut
refuser de m'entendre, ce seront peut-être de~
adieux éternt.!ls ... qu'elle m'écoute seulement...
Mme de Cbassenay en larmes s'est levée.
- Je vais la supplier.
El~
disparall, l'émotion de Prémery est si intl.!1~
que son beau-frère en est presq ue el1rayé.
- Je ne pense qu'à cela ... murmure-t-Il. Ah 1 si
ellt.: me pardonne, elle n'aura pas à rougir de mol. ..
Les deux hommes se serrent la main. '
Un long quart d'heure s'écoule; enfin Mme dl!
Cl~aseny
revient, elle est rouge, <!Ile a pleuré, S":l
1'0lX tremble,
- Dans mon pt.:tlt salon, en haut, Charll!S ... ellL
t'attend.
Elle l'attend en effet ... elle sait que c'.:t l'in':l'l-
�LA BRANCHE DE R01L\RL
159
table qui vient à elle... pour se rassurer elle 'c
répLte:
- Je suis libre, je suis libre.
lI1ais elle ne l'est pas.
Aucun être humain n'est libre, ct célte cummuniun
mystérieuse est la clef cie voûte de l'édifice.
li entre, elle tressaute; à peine sous cet aspect
nouveau lui semble-t-il familier.
Ils sont face à face.
- ValGrie, avant d'aller, là où beaucoup déjà sont
morts, j'ai voulu, comme un mourant, vous faire une
derni ère prière ...
Le beau visage triste se contracte, la bvudlC
s0vère ne s'ouvre pas.
- Valérie, ma femme, car vous l'êtes toujours, il
ya des heures où tout s'efface, sauf la vérité sainte.
Au nom des enfants que je t'ai donnt!es, que nous
aimons tous tkux Ggalement, pardonne-moi... je
sens, je connais ma misère... aujourd'hui, il sera
peut-être en mon pouvoir de me racheter ... acceptemoi une fois encore pour ton mari ...
Il y eut une pause.
- Mon cœur ne m'appartit.;nt plus.
- Tu le crois, mais tu te trompes, tu cs maîtresse
lie ton cœur ... je sais, je SUIS certain que tu I.'a
pas connu de défaillance ... Valérie, cette confessioll
ne m'en'raie pas ... Je savais 1 Ce que j'ai Gté pour
toi ... tant de souvenirs, et nos tilles, nos filles. me
rendront leur mère ... j'attendrai ... je ne réclamerai
rien que l'honneur de l'appartenir...
Il se met à genou.', ct lui baise sa robe.
- Aie pitié ...
Valérie l'Gloinne doucement, et mal' Ill! l'erl> la
fenêtre.
- Laissez-moi rétléchir, dit-elle.
Elle regarde au dehors,
SUI' la berge de la Seine, .Marcelle ct Gei1t.:I·ii.:\'e
chcmint.:nt, mais leurs tête sont lournée<> du l:üt6 tk
la maisoIl. Leur mère voit tante Louise les rejoindre,
les enlacer avec une sorte de compassiol1 tendre ...
Ces vies-là, c',::st sa vic, 1icn nI! peut, rien Il' duit
être mis au-des us d'elles.
,
Elle se retourne.
uittez-moi un mnmcnt, j'ai bCboin th: s')liluclc ...
je parlerai ù Luui e tout à l'heure.
- l'on, c'cst à moi qu'il faut parler ... IloS filltl>
vont bien souffrir de me \oir 1 artir au dang ... mais
nous, leur père ct leul' mère, nou al'! Il t\ cel'l.
heure cruelle le pouvoir de les con oler. Valél'le,
nous partageons les rn0mcs tendre!': /' ,k m'Ill ,
�1GO
Lr\ BRANCHE DE ROMARIN
espt:ran,~
... imagine-toi la joie th: G<!neviève, le
bonheur de Marcelle, si nous pouvons leur dire:
Papa et Maman ne se quitteront plus ... nous avons
cela, cette félicité ùe nos enfants, en notre pouvoir...
Valérie reste silencieuse, mais s'approche dt;:
nouveau cie la fenêtre, 1'0U\ï''':, et sa VOIX, qu'clic
6Ièy~,
arrive jusqu'à la berge.
- Marcelle, Geneviève, rentrez.
Et du geste elle les appelle. Leur père qui :1
compris paraît à son côté .. .
.
. ..
Huit mois apr~!:i
:
1\
TABLEAU D'HONNEUR
" L<. capitaine de Prémery a brillamment commandé une section, puis une compagnie sur la ligne
de fl.!u. A toujours tait preuve d'un très bl!au couesprit olTensif au cours
rage, ct d'un r~maquble
des journées des 17 et 20 avril; a largement contribué
à la conquête des tranchées ennemies , grièl'ement
blessé .. . "
. . .
.
Celte qui est sa f~mlUe
a couru au cht;:vct ..iu
blessé, mais les yeux qui avaient soif de la contempler nt.! l'ont pas re:vue .. Ces yeux, _lui ont r~gadé
la vie avec tant d'amour, sont voués à la nuIt éternelle. Prémerr est al'eugle ...
- Tu m'aimeras peut-être: un peu, maintenant?
murmure le blessé à Valérie.
- Oui, mon mari ...
Quand il l'entre sous son toit aopuyé sur celle qui
cst désormais son soutien, qui clira la joie divine des
deux petites créatures enlaçant d'une m~e
étreinte
ceux qui leur ont donné la vic ...
,
FIN
,
t
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Title
A name given to the resource
Collection Stella
Relation
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Description
An account of the resource
La collection Stella est lancée en 1919 par les éditions du Petit Echo de la Mode. Ses fascicules sont des suppléments mensuels...<br /><a href="https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/exhibits/show/fondbastaire/collection_stella">En savoir plus sur la collection Stella</a>
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A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
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Publisher
An entity responsible for making the resource available
Editions du "Petit Echo de la Mode"
Title
A name given to the resource
La branche de romarin
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Puliga, Henrietta de Quigini (1847-1938)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
© 1923
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
160 p.
18 cm
application/pdf
Description
An account of the resource
Collection Stella ; 91
Type
The nature or genre of the resource
text
Language
A language of the resource
fre
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Bastaire_Stella_91_C92596_1109877
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Relation
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vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/10/44773/BCU_Bastaire_Stella_91_C92596_1109877.jpg