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Text
PAR.
B. NEU 1LU È's
Edltron< du
!JI:I JI Echo rJe.lo
)p
Mode
(9R.r'ON 1
[J,,'cclcUl'
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~,
~«><-},
~
La Collection "STELLA"
~
La
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est la collection idéale d es romans pour la
famille et pour les jeun es filles. Son forma t
allongé, d 'une si jolie élégance. a été étudié
spécialement pour tenir facilement dans
un sac, dans une poche et... dans une
petite main. Q uand on voit, oublié sur la
table, un volume de la Collection" Stella ",
on imagine nécessairement que la main qui
r a posé là est toute menue et to ute fine.
~
é ~: , ': o :! . ~:A"
1
les plus remarquables des m illeurs auleurs
parmi les romanciers d es honnêles gens.
E lle ~lève
et distrai t la pensée. sans salir
La
CoIec~:
~
l:
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, n : STELA"
esl une gara ntie de qualil ( moral · ct de
.. qualité littéraire.
La Collection "STELLA
H
l
•
forme peu ù rcu ù scs fidèlcs amies une
bibliothèque idéale, très agréable d'aspect,
so us ses claircs couvertu rco en couleurs.
si fraîches il voir. E II public environ un
volume haque mois.
~»<'>
1
�Tante Gertrl de
�L'Hérolquo Amour.
Pour Lui!
par
par JEAN
DEMAIS.
ALICE PUJO.
Rêver et Vivre.
pRI'
Les Espérances.
par MATHILDE ALANIC.
L
JEAN DE LA BRÊTE.
Conquête d'un Cœur,
Madame Victoire,
par RENÉ
par MARIE
STAR.
THIÉRY.
..
Cbaque volume. partout .
Chaque volume. franco .
Deux volumee nu choix. flim~
CI
Trois volume. au choix. franco
Quatre volumes au choix. franco.
Adreuer cOlnmft"de~
1 fr. 25
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3 fr.90
5 Irano.
el munn,,!a 11 M. ORSON!.
7. rue LemniliDan. Paris (XIVU).
�B. NEUILLIÈS
"f
t·e
Gertru e
Editions du "Petit Echo de la Mode"
P. ORSONI, Directelll
7. R,te L,ma/lnall. ParI! (XIV")
��Tante Gertrude
CHAPITRE PHEMlER
- La voilà! la voi là!
Et un brouhaha indescriptihle suivit cette exclamation. On se pressait, on s'écrasait pour apercevoir la mariée qui s'avançait lentement au milieu
d'un nuage de tulle et de dentelles. Sans respect
pour le lieu saint, les uns grimpaient sur les
chaises, d'autres même se risquaient sur la rampe
des balustrades qui séparaient la nef des bas-côtés;
tous voulaient voir. •
Là-haut, J'orgue, touché par une main habile,
faisait éclater ~oudain
ses notes triomphales, couvrant le bruit des chaises, le tumulte des curieux.
, Le cortège des invités s'était formé: les couples
se succédaient, les toilettes claires des demoiselles
d'honneur faisant un heureux contraste avec les
robes de velours sombre et les habits noirs. Mais
la foule, indifférente à ces élégances, n'avait d'yeux
que pour la mariée, ne s'occupait que d'elle seule.
C'est que ce mariage élait un véritable événement
dans la petite localtté d'Ailly. M. Wanel, le riche
fabricant de serrurerie, le plus gros bonnet du
pays, épousait Mlle Paule de Neufmoulins, citée
partou t pou r sa merveilleuse beau té, mais n'ayant
pour toute fortune .que se.s quartie:s de nobles.se.
Mlle de Neufmoulins était orpheline. Sa famille
s'était toujours opposée à celle union, mnis la
jeune fille, parvenue à sa majorité, avait passé
outre.
Dans J'église, le calme s'était fail peu à peu, la
accents du violoncelle et
messe commençait; l~!'
�6
de la harpe se mêlaient aux no~es
plus g~aYes
de
l'orgue, berça~t
de leur n:élo.d1e les o~els
de~
assistants; fiaiS les c0!lvelsatlOns ~onhuale
,\
voix basse el les réfleXIOns marchaient Jeu!" train.
_ Comment peut-on être si belle el épouser
1111 homme aus:<i laid, aussi vulgaire? faisait remartjuer à sa cu.npagne une petite blondine, dont
la mise modeste indiquait une ouvrière.
- Assurément, elle ne l'aime pas.
L'al1~re,
plus ~;ée,
baussa lcs épaul~s.
- Est-cc qu Il est question d'nOlonr dans leo>
mariages de ce monde-là 1 Il a c l'arg"nt, c'cst
le principal 1
Au premier rang pe la nef, confortablemenl
installées devan.1 leur prie-Dieu de velours rouge,
deux dames se communiquaient leurs impressions.
- Oui, ma pauvre amie, déclarait Mme de Béthencourt, on a tout fait pOUl" déto\lrner Paulette
de cette mésalliance, mais il n'y a pas eu moyen.
Il Y a deux ans, quand sa mère est morte! il ne
l.estait presque rien à la pet!te; M. de Nel~u
Ims, avec ses gotils pnnclers et ses fantaiSies
excentriques, avait fail une telle brèche rt sa f01"1111:el Sa veuve, après avoir to~
liquidé, avait ~l
pClllC retrouvé sa dot assez mince, comme vous
recueillie par Jean tic
le savez. Paulette fllt ~Iors
Neufmoulins, son oncle, mais elle ne put jali~
s'hahituer au caraclère et aux manies de ce ViCl1
original. Mlle Gertrude, sa tante, n'élait pas faile
non plus pour lui plaire. La petite adore le luxe
ct elle a hérité de son père un fol amour pour la
dépense et les plaisirs.
- Je crois que ~a mère n'était guère plus raisonnable, fit remanjller lu seconde interlocutrice,
la comtesse de Nelli ly. Elit: li été bien mal élevé(' ,
cette petite 1
- C'est dommage, repartit Mme de Béthen
court, car je VOllS assure que Paulette, au fond.
ct a beaucoup de cœur.
est ch,~rmanle
- hl~
le prouve, ma foi, en se vendant comme
elle le falll déclara la comlesse d'un Ion pincé.
- 'pauvre mignonne, il faut l'excuser, elle a
été 51 abandonnée 1 Les circonstances plaident
pour elle 1 Jr 1:1 plains plll<; ut' je nc I~ hlame.
�T NTE
GERT~_UD
7
insista Mme de Béthencourt. Il est si difficile de
vivre d~ns
hl gêne, quand on a toujours ('on,,"
l'opulence.
- Son oncle n'avait-il pas voulu la marier avte
le vicomte de Dreuil?
- Oui, il en a été question, je crois; mais cet
officier n'a pas de fortune non "lus, et celle perspective aura sans doute eOrayé Paulette.
- Je comprends 1 elle aura préféré ce vulgaire
'Vanel et ses millions à un garçon vraiment digne
d'elle et de son rang. Elle me fait horreur, cette
petite, et je regrette presque d'avoir consenti à
vous accompagner à cette messe. Voyez, il n'y a
personne de noire monde 1
Pour toute réponse, Mme de Béthencourt poussa
un profond soupir. Non! il n'y avait personne de
leur monde 1 Et la bonne âme en souffrait pour la
Paulelle qu'elle aimait et qu'elle excusait en dépit
de toul.
- Ob 1 ma chère, murmurait en ce moment
Berthe de Couteville une des demoiselles
J'honneur - il sa sœur également demoiselle
d'honneur, a-t-elle de la chance cette Paulette! Il
parait que ce gros pot-à-tabac l'aime tant, qu'il a
déjà fail son testament et qu'il lui lègue Ioule sa
fortune, dans le cas où il mourrait avant eJlo.
n!pondit
- Une bonne affaire pour Paulet~,
l'autre en clign:mt de l'œil, oar je crois qu'elle sera
veuve avant c.lc longues années. Il est 0l'0plfctique,
pOUf sOr! Regarde-moi ce cou de l1urea'u, ma
chèrel et cetie figure Tiolettel Vrai! on dirait qu'il
V;\ éclater!
- Qui donc n conduit la mariée à l'autel?
demamlait il son voisin le notaire de l'endroit, un
monsieur décoré, à la tournllre militaire.
- C'est 1\11 pnrent dn marié, je crois. M. cl
~eufmolins,
1 oncle de ln jeune fille, n'a m~e
pas voulu a5~ister
au mariage j il parait qu'il est
furieux. 11 n'y a d'ailleurs personne de sa famille,
excepté la vieille demoiselle, là-bas, dans le chœur
ail second rang.
- FâcheuxJour la petite! fit remarquer le
monsieur déco • Le vieu,. pourrait bien la dés hé·
! itel". gst·elle h.i plus proche p.u·ente ?
�s
TANTE GERTRUDE
- Mlle Gertrude, sa sœur, est Son héritière léale. Mais Je frère et la sœur ne sont jamais d'acils se chamaillent sans cesse corn me chat et
chie~
aussi est-il plus que probable qu'il ne lui
laisse;'a pas ce qu'il possède. Il y a encore du cOté
de sa femme un neveu qu'il aime beaucoup,
dit-on, et il pourrait bien jouer le tour aux deux
autres.
- Sa femme n'est-elle l'as une Ponthieu?
- Oui, parfaitement. Le frère de sa femme
avait épousé une Parisienne. Ils sont morts tous
les deux, laissant trois enfants, je crois. Celui dont
je vous parle est justement l'alné.
- Connaissez-vous ce Ponthieu?
- Non. Lorsqu'il était enfant, il venait toujours
passer ses vacances au chùteau de Neufmoulins;
puis le propriétaire s'est fâché, parait-il, avec sa
bel-sœr~
la mère de ce garço~,
et o~ ~e l'a plus
revu depuIs. 11 a dù s'expatner, SI Je ne me
trompe, aller à l'étranger chercher une situation,
car à la mort de ses parents, il est resté absolument sans ressources, Les autres enfants Sont
beaucoup plus jeunes que lui et il travaille pour
les élever.
~ord
- Bien, cela 1 Le vieux devrait leur laisser sa
fortune.
- Je suis de votre avis. Mnis, en tout cas, c'est
fort aléatoire, puisqu'il n'a même jamais eu l'idée
de leu r venir en aide.
Da~
le coin le plus obscur de l'église, de~riàc
un l'Iller qui le dissimulait presque, un Jeune
!lomme ne quittait pas du reg ,nu lu mariée, dout
Il ~crev:lJt
tic loin le fin profil.
H.t'v~na
'!e Belgiljue où il habitai.t, .J~a
de
Pont,hleu avait été pns SOudain du Vif deslr ~e
r~vol
Ailly, où il n'avait pas mis les pieds depUIS
bICnt0t quinze .\ns. Ailly se trouvait justement sur
sa route. Il comptait n'y rester que q~elus
heures, apercevoir de loin le ch.lIenu où Il avait
pass6 ùe si bonnes vacan.:es autrefOiS, du vivant
de sa tante. M. de Nellfmoulins après la mort de
sa femme, s'était faché avec le C'Otl1le de Ponthieu
et
tout rapport aVilit alors cessé entre les deux
f'lIi~,.
�TANTE GERTRUDE
9
Jean de Ponthieu avait perdu ses parents dans
la même année. Ils le laissaient sans fortune et il
s'était trou\'é dans une situation bien difficile;
mais trop fier pour s'adresser à son oncle a près
ce qui s'était passé, il s'était mis courageusement
à la recherche d'une position gui lui permit d'élever le frère et la sœur dont il restait le seul protecteur. 11 avait réussi à obtenir en Belgique un
emploi qui, bien que peu lucratif, suHjsait au
molOS pour faire face aux premiers besoins.
II avait la gérance. d'une immense propriété et
s'acquittait de sa tâche avec le courage qu'il mettait en toutes choses. Le prince d'A ... apprécia
bientôt la valeur, l'intelligence et surtout la loyauté
de son ré~iseu;
il en fit son secrétaire, presque
son ami, s intéressant aux orphelins dont ce frère
alné avait la charge, et améliorant de jour en jour
sa position.
Jean de Ponthieu, en se résignant comme il
J'avait fait à prendre cet emploi subalterne, n'avait
eu qu'un scrupule: ce beau nom de Ponthieu
dont il était si fier ne pouvait pas être porté par
un de ces hauts valets dont la situation, pour être
un peu plus relevée, n'en est pas moins servile!
En conséquence, il s'était donné comme nom ses
deux prénoms et pour tous il ne fut plus désormais que Jean Bernard. Personne ne le connaissait, personne oe se souciait de lui: l'honneur
était sauf 1 Il en avait décidé ainsi. Le jour où il
pou~rait
sortir de celle impasse, le jour où il arriveraIt à une situation indépendante, il reprendrait
son nom et son titre.
A l'hôtel où il était descendu, on lui apprit
l'événement du lendemain et toutes les circonstances qui avaient aecom ragué ce mari~e
:
M.de Neufmoulins, furieux, avait chassé sa niece;
celle-ci s'était réfugiée chez sa tante, la vieille
demoiselle Gertrude, qui ne voyait p"s non plus
cette union d'un bon œil, mais avait consenti
cependant à y assister.
Jean se sentit tout ému au souvenir de cette
Paulette avec qui il avait joué bien des fois durant
ses Yacne~
à Ailly, il Y avait si longtemp~
de
celaI
�iO
TAN l'!!; GERnWDE
El maintenant, il retrouvait .:hez la {'eune mariée tous les traits de la mignonne Pau elte d'autrefois. Ce~l
beauté 9ui s'a~noçit
déjà. chez
l'enfant était devenue SI merveilleuse que le Jeune
homme ne pouvait détacher ses yeux de la radieuse vis~n.
là-:bas, penchée à l'autel dans une
atti tude rnedltatlve . Et son regard tombant sur
l'homme agenouillé à ses côtés, dont les traits vulgaires 5elilblaiellt plus repoussants encore auprès
du visage idéal de sa compagne, une colère sourde
étl:ei~na
le. cœur de Jean, tandis qu'il se d.étourualt instinctivement avec une sorte de mépns.
-: C'est Une de ces coquettes effrénées qui vendraient leur âme pour de l'argent! une de ces
poul?ées moùernes sans cœur et sans rudeur, qui
ne vIvent que pour le luxe et l'étalage
Ces mots, prononcés derrière lui par une vieille
dame à l'air hautain, frappèrent soudain son
oreille et le jellne homme se sentit pris d'une immense tristesse.
Si belle et si vénale! Quel désenchantement!
L'argent avait-il donc tant de charme aux yeU},
de ce~·tains
personnes 1 Certes, ~ui,
Jeal~
d. .
PonthIeu, le travailleur acharné, Il connaIssaIt
mieux que n'Importe qui la valeur de l'urgent. 11
sa~il
sa vic de privations pour arriver à gagner ce
qUI Iyi était nécessaire pour élever les deux 01.'phellns dont il restait le seul protecteur ... Mal~
qu'une ravissante créature comllle cette Paulette
pur amour de l'or! NOll, celu II'
sacrifiât sa bcaut~
surpassait 1
Et, pris de dég-Oût, il se prép;lra à quitter l'égis~.
où une impulSion secrète l'avait poussé Il entrer
tO~1
à l'heure. Il devait partir d'Ailly le soir mè~e,
et Il avait ou la curio'iilé de revQir de loin la pellte
alll!e de Son enfance, celle qui s'appelait désormRIS Mmc Wnne!.
En cc moment, un remous se produisit dun . le
bas de la nef, Ics mariés quittaient la sacristIe, et
li nttcndre que le
Jean, refoulé, dut se rési~ne
cortege fut parti pour sortir de l'éV lisc .
La jeune lemme, au bra de son' mari, avançait
lent~.,
10 suisse qui les précédait écartant Il
8 r ;llld peme les r.DII' prelsés de lUi j'lIants. SOli-
�TANTfi: GJI;RTRUDtI':
II
riante et radieuse, elle s'inclinait avec une gnlce
à droite et à gauche, répondant aux
saluts des amis de son mari. Celui-ci, bourG d'orgueil, les oreilles agréaiJlement chatouillées par le
murmure d'amirallon que soulevait sur son passage la merveilleuse beauté de sa compagne, sc
redressait d'un air vainqueur. Serré à éclater dans
son habit ,
figure congestionnée, les veines du
cou gonflées, il exultait!
Enfin! elle étôit à lui la belle Paule de Neufmoulins, la descendante de cette vieille fa mille,
anciennes du pays, et dont la noblesse
une des pJ~
remontait aux croisadesl Par sa femme, il allait
pénétrer dans ce monde de fiers aristocrates qu'il
comptait bien éblouir de SOIl luxe el de SOI1 or!'
Et tandis que là-haut l'orgue lançait ses notes
les plus vibrantes et les plus joyeuses, J'industriel
emmenait celle qui venaIt de lui donner sa foi et
qui serait à lui pour toujours .•.
La foule se précipitait maintenant au dehors
po~r
voir la ma.riée mo~ter
dans l'élégant coupé,
entlèrement tapIssé de Illas blancs, qUI l'attendait
devant le porche de l'église.
L'étranger qUI avait pu enfin se frayer un chemin
s'éloigna, emportant comme en une vision la jolie
tête blonde encadrée dans un fouillis de fleurs et
Je tulle vaporeux ... Un sentiment de tristesse indéfinissable s'était emparé de lui. Il hàta le pas
pour regagner son hOtel, comme s'il ea t voulu
chasser au plus vite les tristes réflexions que ce
mari~e
lui faisait faire.
MaIS en se retournant au coin de la rue pour
jeter Ull dernier regard sur le cortège, il tres~ail
et s'arrêta, étonné. Que se passai t-il donc là-bas?
Un rassemblement nombreux s'élnit formé autour
de la voiture des marié i des curieux ~ortanl
.des
maisons venaient se jOllldre aux groupes, la foule
il
grossissait de minute en minute. As~urément,
était arrivé qllelque chose, Des personnes sc Jé~
tachaient maintenant et courall. nt d' lou CMé!';j
un domcstiqLH' arriv' it en cc moment tlUpl è., du
jeun homme.
- Qu'y ~-til
donc? intf..rrog<:<', celui-ci.
- Un atIrollx wlllheilr, mom,leur! Notre' mattre'
~harlnte
1.
�12
TANTE GERTRUDE
vient de tomber. .. uJ?e attaque ~'apolexi
diton ... en monlant en vOiture ... Je vaiS à la recherche
d'un médecin.
Et le domestique, affoié, s'éloigna en courant.
L'étranger, frappé de stupeur, hésita un instant.
Il fit quelques pas en arrière, comme pour se diriger vers le lieu de l'accident; mais se ravisant
bientôt, il reprit le che-min de l'hôtel.
- Monsieur est toujours décidé à ~rti
ce soir,
par l'express,? .
'.,.
Jean trassalllit comme l'h6tehere lUi posait cette
question deux heures plus tard.
- Non, ~épondit-J
d'un ton hésitant, je ne
crois pas ... Mes affaires ne sont pas terminées ...
je ne pourrai pas partir ce soir.
Depuis son retour de l'église, il avait écouté
avidement tous les détails donnés par les voyageurs ,et les domestiques Sur l'évnem~t
d~ mati~.
Il avait vu, le CŒur serré d'une angoisse Inexpnmable, le cortège nuptial repasser sous les fe~lê
tres de l'~0.tc;
le marié porté avec
écau t!on
sur une. Clv~re,
et uans le coupé fleUri c1~
lilas
blancs, 11 avait entrevu, comme dans un éclall', ses
grands yeux bleus encore pleins d'épouvante,
fa belle Paule, le visage aussi pâle que les fleurs
qui J'encadraient.
pr:
, - MOI:sieur n'a sans doute pas trouv~
tous, ses
I,ntcrr:ogea, d'un air affable, 1 hôtelière
qUi prenait lc leune homme pour un voyageur de
CO~lmerc,
Ce n'est pas étonnant, tout le monde
étal t au I~arige
ce malin.
- OUI, dit Jean \'ivement, je n'ai l:as trou.,é
mon mond~.
Je ne repartirai que demalO. , .
Il e~saylt
de se persuader qu'avant de s élOI'
gn~r,
11 vo.ulait au moins apercevoir s~n
oncle;
malS ,l,a v~ntble
cau$e,celle qui lui lena~t
cœ~r
ct litt 11 11 osait s'avouer à Jui-Ql~me
c'était le déSir
de savoir la fi,n de cette trag 'clie J~nt
il n'avait vu
tlue Je p':emler acte, .. La pensée de Paule de
Neufmoulins
la
chasser. ne le (iuittait pas, quoi qu'il fit pour
hn~,
clt~ns?
~alson
Il erra toufe l'dprcs-midi autour de la petit.
0\1
habitée par Mlle Gertrude de Neufmoul'rH' "vuit In'~lorté
M. Wrll)l'I, ln rro-
�TANTE GERTRUDE
pri6ti de ce dernier étan t trop distan le d'Ailly
pour songer à l'y conduire dans l'étal où il se
trouvait.
Se mêlant à la foule qui ne cessait de stationner
aux alentours, il saisissait au passage les renseignements donnés par les domestiques.
- M. Wanel n'était pas bien ...
- Il avait repris cOl~naise
.. '. on e!>pérai1. .
- Le médecm de Lille était arrivé:.. Il y avait
ltne consultation .. ,
- On ne pouvait encore se prononcer, mai!; le
mieux s'accentuait. ..
Quand il rentra à l'hôtel, fort tard dans la
soirée, on ne savait encore rien de précis sur l'état
de l'industriel.
LI partir:
Mais le lendemain, Jean se dé~ ' ida
Mme Wanel était veuve.
�14
TANTE GERTRUDE
CHAPITRE Il
- Mats, ma tante, pourquoi toutes ceS récriminations l'uisque je vous déclare que jamais, au
grand jamats, je ne consentirai à épouser ce comte
de Ponthieu.
- Bah 1 est-ce qu'on sait avec une écervelée de
ton espèce 1 Que ce beau monsieur se présente,
qu'il te fasse la bouche en cœur, et les millions
aidant, tu ne demanderas pas mieux que Je
convoler en secondes noces 1
.
Et Mlle Gertrude de Neufmoulins redressa d'un
brusque moun'ment de tête sa coiffure de crêpe
qui s'était dérangée dans le feu de la discussion,
tandis qu'elle lançait sur sa nièce un regard furibond.
CeBe-ci, sans paraltre s'émouvoir des boutades
de son interlocutrice, continua de s'éventer nonchalamment et resta quelques instants silencieuse.
Seul, le mouvement saccadé de son petit pied qui
ballait nerveusement le sable de l'allée indiquait
sa jJréoccu pation.
Ravissante dans son costume de surah noir, qui
faisait admirablement ressortir la fralcheur de ~on
teint de blonde, Mme Wanel, - la belle Pauletle,
comme l'appelaient ses familiers, - supportait
depuis une demi-heure les rebuffades de sa
tante. Celle-ci était fllrleuse du testament de son
frère Jean de Neufmoulins, mort la semaine précédente, et elle avail de bonnes raisons pour cela.
'Toujours cité pour l'homme le plus original de la
contrée, il n'avait pas voulu faire mentir sa réputation el son dernwr acte.3 ait été le comble de
l'excen trici té.
Il lai~t
!:ta fürtune, se mout.:!nt à plusicur..
millions, el SOD illlllH.: nse domaine de Neufmoulins, à sa nièce, Mme \Vanel, et au n~vel
de sa
Cemme, le Gomte Jt;.1.n de Ponthieu sous la condition eXl'res1;e t}tl 'ils S'e'riuenl 'm'a rië!l rnstmble' pour
�TANTE GERTR UDE
J5
la fin de l'année qui suivrai t sa mort. Sinon tout
son héritag-e revenai t à sa sœur, Mlle Gertru de de
Neu fmoulln s
.On compre nd le dépit de la vieille fille.
Elle ne doutait pas que la clause du testame nt ne
fÙl remplie ; aussI ne se gênait- elle pas pour accabler sa nièce de ses récrimi nations , quoiqu e cette
dernièr e en fùt 1;1 C;1use bien innocen te.
I! y avait Jeux ans 'lue Paule était veuve. M. de
Neufm oulins lui ovait toujour s tenu rancun e de
Son mariag e avec l'indust riel, et la jeune femme,
assez fière, n'avait jamais teoté aucune démarc he
auprès de son oncle pOllr se réconci lier avec lui.
Dan,> ces conditi ons, Mlle Gertru de s'attend ait à
être l'uniqu e héritièr e de son frère; ce testame nt
l'avait absolum ent bouleve rsée.
Mme Wanel avait beau l'assure r qu'elle n'avait
rien à craindr e, elle avait beau lui répéter qu'elle
pouvait d'ores et déjà se considé rer comme la
seule proprié taire de Neufmo ulins, la vieille fille
ne décolér ail pas.
- A-l·on jamais vu pareil origina l 1 répélait -elle
pour la centièm e fois à sa nièce, qui ne pouvait
s'empê cher de sourire . li te détesta it, il n'a pas entendu parler de ce Ponthie u depuis plus de
quinze ans, et il vous laisse à vous deux tout ce
qu'il posséd ait! Et à moi qui ai été son sOl1{fredouleu r tous ces dernier s teml?s, à moi qui ai supporlé toutes s.es rebu(l'nt!es, qUI l'ai soigné avec une
... Oui, ma nièce, avec une
patienc e angéli~ue
patienc e an-gé-h -que! accentu a la vieille demoiselle d'un air furibon d, en voyanl le sourire moc\l1eur et amusé de ln jeune felllme. Ça peut
1 étonne r, m:1is c'est comme ça 1 Voyons , qu'est-c e
que je: disais? .. Ah ! oui, je disais qu'à moi, qui
ai été admira ble de dévoue ment, ccl ostrogo th n'a
pas laissé un sou! pa> un sou! Le nigaud 1 il p
préféré donner sa fortune à deux jeunes fous qui
de lui el s'en moque ronl
se sont toujour s moql~s
.
encore bien plus!
- Le notaire a-t-il fini par recevoI r des nouvelles du comte de Ponthi eu? demand a tranqui llement Mme Wanel.
-- Non, il parait 'ln'il est introuv able, Cl'\
�TANTE GERTRUDE
oiseau-là 1 Impossible de savoir où il niche! Oh !
ce n'e:;t rien! Lorsqull aura vent de la bonne aubaine, il ne sera pas longtemps à arriver! Ne t'ennuie pas, ma nièce 1 le godelureau ne lardera pa ...
à venir (e faire sa cour pour gagnel ses millions 1
Cette fois, les grands yeux de pervenche de 18
belle Paule étincelèrent, tanùis qu'elle referm!111
d'un mouvement nerveux l'éventail de plumes.
- Ma tante, (l.t-elle d'une voix brève, je vous
serai très obligée une fois pour toules de cesser
ces plaisanteries déplacées. Il est probable, il e~t
mème certain que je me remarierai avant peu de
temps, mais ce ne sera pas avec ce comte de Ponthieu, vous le savez aussi bien que moi. GrAce à
la p:énérosité de M. Wanel, je n'ai pas besoin de la
furtune de M, de Neufmoulins, mon oncle, et je
\'ais épouser le lieutenant de Lanchères. Je 'crois,
certes, que celle fois vous ne trouverez rien à
redire 11 cette union! M. de Lal1chères est riche et
de bonne famille.
"- Un joli monsieur, ma foi! un étourneau!
,\h 1 vous serez bien assortis 1 La vue d'un muscaJin pareil me met hors de moi! Monsieur porte
un corset! Monsieur se parfume; on peut le sentir
à un kilomètre! Monsieur se plante dans l'œil un
morceau de verre qui le fuit grimacer d'une façon
ridicule! Et on appelle ça un homme! et un officier encore! Verlucliell! comme disait le colonel
de Neufmoulins, dans quel temps vivons-nous?
Et Mlle Gertrude, redressant sa longue taille.
agita nerveu..;ement ses bras anguleux, tandis qut'
ses lèvres mirices ombragées d'une moustnch!:
noire se plissaient d'un air méprisant.
- Oh ! ces jeunes gens de nos jours! continuat-elle ell se levant et en arpentant de son pas vif cl
saccadé le rond-point où elle se trouvait avec sa
nièce, ils me font pitié 1C'est moi llui n'aurais jamais voulu épouser une de ces femmelettes! Oil
allons-nous, mon Dieu, où allons-nous?
En ce moment, la petite bonne qui composait
toute la domesticité de Mlle Gertrude, parut a\1
bout do l'allée.
- Hein? Quoi? Qu'y a-t·il 'f Qu'est-ce que lu
veux encore, to;~
~['onda
sa maltre se.
�TANTE GERTRUDE
Mademoiselle, c'est le notaire qui est là. Il
demande à parler à mademoiselle.
- Bon 1 on y va! Il vient bien sùr me déranger
encore pour la centième fois au moins au sujet de
ce maudit testament. Attends-moi là, Paulette, lP
vais l'expédier tout de suite et je reviens.
- Oui, oui, allez ma tante, je ne suis pa
pressée. M. de Lanchères doit me prendre ici avec
sa voi tu re, vers cinq heures, et il est à peine
quatre heures.
Mme Wanel, restée seule, reprit sa pose nonchalante. Etendue plutôt qu'assise sur le banc
confortable au dossier rem'ersé, elle s'éventait
doucement, tout en songeant à ce que venait de lui
dire sa tante, et les événements qui s'étaient succédé dans sa vie depuis deux ans se représentaient souduin à son esprit.
A la suite de son mariage, dont la cérémonie
s'était terminée de façon si tragique, Paule, devenue
veuve, avait hérité de toute la fortune de son mari.
Elle avait alors joui pleinement de ces richesses
pou\' lesquelles elle avait tout sacrifié! Elleavaitpu
s'entourer de ce luxe qui lui était si cher; et son
deuil passé, elle se jeta à corps perdu dans toutes
les distractions mondaines. Elle dépensa largement et sans compter; aussi bientôt n'avait-il été
bruit dans tout le département que des fêtes princières données par la belle Mme Wanel. Quelques
familles de la haute société, lui tenant rancune de
son mariage, s'étaient abstenues d'y paraltre, el
pIns d'un salon où Mlle de Neufmoulins avait été
reçue autrefois était resté fermé pour Mme Wanel.
La jeune femme avait-elle était blessée de ces
procédés? Son orgueil en avait-il soutTert? Personne n'eat pu le dire. Eblouissante de beaut6 et
ù'élégance, toujours entourée d'un cortège d'admirateurs et de soupirants, un sourire gracieux Sur
ha bouche au dessin si pur, "à l'expression SI
tendre, un regard ravi dans ses grands yeux candides comme ceux d'un enfant, Paulette allait de
plaisirs en plaisirs, de f~tes
en f!tes, indifférente à
l'opinion de tous, n'ayant qu'une pensée: briller
et s'amuser 1
SOIl 6tonnement, en apprenant le~
clauses du
�18
TAN1E GERTRUDE
testament de son oncle, avait été au moins aussi
grand que celui de Mlle Gertrude. Celle-ci avait
continué de voir PUllle après son mariage. Elle ne
lui ménageait ni le:; conseils ni les reproches, la
morigénant sans cesse. La jeune femme qui aimait
la vieille fille malgré son caractère grincheux,
ac~ert.i
tout cela .très ~hilos()ptuemn
et n'en
agIssaIt lju'à sa WIIse. Elle la savaIt avare, Apre à
la richesse, aussI comprenait-elle la déception 'e
ce singulIer testament lui avait causée. r, ,s
Mlle Gertrude n'avait rien à craindre: jamais
Paulette n'épouserait ce Ponthieu qui semblait 1111
mythe et dont on ne retrouvait même plus la trace.
Depuis quelques mois elle se regardait comme
fiancée au lieutenant de Lanchères; de bonne famille, possédant une assez belle fortune, ce jeune
onider lui rouvrirait les rortes de ce monde qui
lui avait tenu rigueur depuis son mariage avec
l'industriel. L'aimait-clle 'l Mon Dieu, non! Celle
question lui était indilf6rente, d'ailleurs . Est-Cf:
que l'amour existait autre part que dans les romans . . .
[ntelligente et douée d'un certain esprit d'observation, Paulette n'avait pas été sans remarqller les
truvers de son prétendant; m.lÎs hah! que lui irn10rtait! M. de Lanchèrcs aimait le monde et le
uxe, il la laisscrait satisfaire tous ses goûts; pouvai t-on en demander da va ntog"e 'l Frivole à l'excès,
la jeune femme redoutait surto1lt un époux séricux
el chagrin qui etH mis un frein à ses excentricités
l'om me li ses folles dépenses .
. - J'ai pellr des croquemitaincs, disait-elle souvent en riant de son rire d'enfant, si frais et si séduisant, j'aime mieux lcs jeunes fous, k5 écrvel~!
Et qUHlld sa tnute hal ssai les épaules cn gronJant :
- <..luelle ridicule pOl! pée tu fnis, IJ.let~!
Elle répondait gaiement:
- Que voulez-vous, ma tante, Ct! n'('st pas mil
faute!
- C'est pour cela qu'il te faudrait un mari
sérieux, un maUre •.•
- Brrou! Non, non, Ill;! tn nlr., il me mettrait
.n pénitenc 1
!
�TANTF. GERTRUDE
C'est en vain que la vieille fille gémissait sur les
dépenses et :es extra \Oagances de sa nièce; celle-ci
Génécontinuait à jeter l'argent par les f,~nètreso
reuse à l'excès, elle donnait sans compler; aucune
infortune ne la trouvait indifférente, sa bourse était
toujou rs ouverte pour sou luger les mal heureux.
Aussi était-elle aimée de tous.
- Je le pensais bien qu'on finirait par dénicher
1 oiseau, déclara Mlle Gertrude, qui venait rejoindre sa nièce, après avoir reconduit son notaire.
Paulette ouvrit de grands y~ux
étonnés!
- Est-ce que le comte de Ponthieu ...
- Le comte de Ponthieu donne si!~ne
de vie!
- li est ycnu lui-même?
- >lon. T,c personll"lgc n'a pl1S jugé à propos lk
sc déranger. Il a écrit à Mo Saint-Riquier; il refuse
net l'héritage dans les conditions que tu sais! Et il
n'a pas le sou! Ah! par exemple 1 je n'ai pas fi
craindre qu'il accepte, celui-là J Il a l'air trop fier!
CI. Un comte de Ponthieu n'épouse pdS Mme \Vanelill S'il ne le dit pas cn toutes lettres, il le donne
à entendre. Je crois que ce doit être lIIl autre
homme que Ion Lanchèrc51 Je parierais bien qu'il •
ne porte pat; de corset.
Et f\ll1e Gertrude, heul'eu.e sans doule de la
per~ctiv
de J'héritage pour ninsi dire assuré pur
cette réponse du comte de Ponthieu, se frottait les
mains d'un air de juhilation. Elle n'avait plus rien
à craindre, elle le sentait 1 A la lin de l'a1~e
elle
régnerait enfin en mallresse clans ce sl1perbe domaine, objet de ses convoitises.
- C'est égal, contil1ua-t-dlc d'un ton malicieux,
il fait exception parmi les spécimens de son se:e,
celui-là 1 TI yen a si peu maintenant qui ne mettent
pas l'argent au-dessus de tout. Tout s'ach(>te et St
vend de nos jours! Cc"t bien l'oiseau rare! A
moins CJu'il y ait derrière snn beau renoncement
ne rai on cachée Cl même fort prosaïque. (Jui
sait 1 il n' • t peut- 'Ire pas mariolle, c\.! Ponthieu!
C'c:,t peut- tll! un cul-dt;-pllC!
La vieille Clle, sati ... r'lilc ùe sa pl isa Led et de
~r
i\Jée h'lnNoue, (~c1at
d"ü'f\", it"\~!n,'
1.:'~
1
J ; IH1!t Il ,: jctl' lit va&~
�20
l'ANTE GERTR UDE
Oh! non il n'était pas cul-de- jatte le Jeaq.,d e
Ponthie u qu'elle ret~ouai
dan~
ses souven irs
d'enfan t! ... Son imagm atlon I~ lUI représe nta so~
dain tel qu'il était aux dernièr es va~nces
qu II
avait passél's au château de Neufm.oulms. Elle se
revoyait elle à peu près âgée de SIX ans, perchée
sur l'ép'aule 'de ce grand garçon déjà sérieux.
comme un homme , qui avait pour elle des précaution s de frère alné, lorsqu'i ls couraie nt à travers les allées d~
par.c. Elle ne se rappela it plus
trls bien ses tralls, m la couleu r de ses cheveu x;
il ne lui restait qu'un souven ir vague de deux
grands y'eux .bruns, un peu durs, qui s'~douci
saient stnguhè rement pour elle, la pebte Paulette .. ,
Pourqu oi la .{lensée de ce Jean de Ponthie u,
ùont elle n'avait jamais entendu parler depuis
quinze ans, lui revenait-elle mainte nant? C'était
~ans
doute à cause de ce testame nt où son nom
se trouvai t m~lé,
et surtout de son refus ... La
nature humain e est vraime nt. bien étrange ...
Mme Wanel n'eût voulu pour rien au monde
consen tir au mariag e stipulé par son oncle, et,
J'autre part, elle se sentait froissée par le refus
cat~gorique
du jeune homme . Il l'avait oubliée
,jans doute ... il ne l'avait pas revue ... il ne soup.,:onnait pas sa merveilleuse beauté .. .
La belle Paule, habitué e aux homma ges et à
l'admir ation de tous, éprouv ait un véritab le dépit
devant le dédain et l'inùill"érence de ce Jean de
Ponthie u.
Sa tante, comme si elle eût deviné ses sentiments, reprit soudai n:
- Tout de Meme, l"aimerais ~ le connatt re, ce
garçon: Bien sl.\r qu'i est de la famille, celui-~!
. Ça se voit à sa façon d'agir. Refuse r des mllhon~
e~ la main d'une jolie femme, ce n'e~t
.Pé1:s
ordmli ue! c'est même origina l! Et comme dlsall
"et olibrius qu'était mon frère: Il Tout le monde
ne peut être origina l. " Pour toi, ma chère. il n'y
a pas de mérite à renonc er à cette fortune ·' tu es
déjà si riche. Mais il paratt que Jean de Pdhthie u
n:a ptUJ le SOI'; il tnva; Ile pt"lr .ivre, C'1)!Jlwe un
"m,le /lUlU). ""'il o'eliT pai laid j fài t" peUl ou
�TANTE GERTRUD}!;
21
cul-de-jatte, il doit être amoureux ... J'y suis! voilà
la véritable cause de son refus; il aime bien sûr
quelque jeunesse, et il se soucie de Mme Wanel et
lie l'héritage comme d'une guigne 1 Comment n'y
avais-je pas pensé plus tôt!
La cloche de la porte d'entrée résonna en ce
moment avec un son fêlé, et la vieille fille s'interrompit pour aller voir à l'entrée de l'allée quel
était ce nouvel intrus. Ses sourcils se froncèrent eu
apercevant un officier qui eut bientôt franchi la
courte distance de la grande porte au bosquet, et
s'inclina d'un air fort cérémonieux. devant la mattresse du logis.
- Comment allez-vous, mademoiselle? Cette
ch~Jeur
tropicale est vraiment insupportable' Je
plams surtout les personnes âgées ...
. - Trop aimable à vous, cher monsieur' Moi,
Je plains encore plus les gens sarrés, étriqués dans
Jeur corset, interrom pit sèchement Mlle Gertrude,
en tournant le dos sans façon à l'officier interloqué. Je vous laisse faire votre cour. Au revoir!
Amusez-vous bien! Rafraîchissez-vous surtout,
car votre visage congestionné m'inquiète!
Et sur cette réplique, la vieille fille s'éloigna tou t
en mau~rént
:
des « perso~
- L insolent! je LUi en don~erai
ne~
âgées! » Et dIre que cet aOlmal-là est en tralll
de devenir mon neveu!
- Toujours charmante, la tante, murmura
M. de Lanchères, quand il fut bien sûr quc
Mlle Gertrude ne pouvait plus l'entendre.
Puis, prenant une chaise, il vint s'asseoir à coté
de Paulette, qui paraissait préoccupée. Le jeune
homme s'en aperçut.
- Qu'y a-t-il, ma chère amie? Vous sem bic/.
toute triste, toute chagrine? Est·ce que ce vieu .
crampon vous aurait encore fait de la peine '?
M me Wanel se sentit froissée par J'épithète peu
respectueuse et répondit asse;t vivement:
- Je vous assure, Pierre, que ma tante est lUll Jours bonne pour moi, malgré son air désagréable.
Elle est âgée et il faut la ménagor.
rien i Je o:'oublie pas q Ile
- Ob T ne ~raignez
VOLIS 'l"l'el
un
l''t' r ~"\
I~gat:w-"
untv('rs~lIc
�l'ANTE GERTRUDE
poiut de cela qu'il s'agit 1 Vous
- Ce Il't~
m'ayez mal .:omprise ! - et une expression dédaigneu~
passa Jans ses grands yeux clairs. Ma
tante est originale, comme tous les Neufmoulins
d'ailleurs, mais je vous assure qu'au fond elle n'est
pas méchante et a un grand cœur. Elle est bien
meilleure qu'elle ne le paraIt.
- Vous ëtes l'indulgence per;;onnifit'e, chère
belle, et je vous admire. N'allez-vous pas me
montr r IVllle Gertrude ~ome
lIne tlme désintéressée ct généreuse, quand je l'entcnds depuis
huit jours vous accabler de ses récriminations au
sujet de cet héritage '!
. Olli ... elle est bien étran~e,
murmllra Paulette en rou~isanl.
Elle est même incumpréhensible. 1\. de certains moments, elle pnrall furieuse
de ce lestament qui est venu anéantir sc'; eSt'éralce~
j el d'autres fois, on la crOirait non 1l101t\S
furieuse de voir que nous y avons renoncé.
- Comment ( nous» ? A-t-on des nouvelles de
.:e Ponthieu?
-- Oui, il a écrit à Mo Saint-Ric]llier. Lui aussi
refuse catégoriq ucment.
- Allolls, lunt micux 1 tout va bicn! déclara
l'officier, et ma jolie Paulette sera un jour -quand
le vieux crampon aura disparu - dame et châtelaine de ,\:ufltltJulins. Mais j'entends les chevaux
piall'erdevant ln porte; il est d'ailleurs cinq heures
amelli1t à œlle heure.
ct j'avais ordollné (ju'on lc~
Venez, ma chère, une promenade en voiture sera
délicieuse par celle chaleur. NOlIS irons du côté
de Ferrières, c'est la route la mieux ombrasée.
Et l'instant d'après, Puulctle ne songeait plus
ni au testament ni à Jean de Ponthieu. Crânemcnt assise sur un siège (:Iùvé ct ayant à ses cùtés
l\T. de Lanchères, elle conduisait d'une lllain habile
l'élégant dog-cart attelé, la daumollt de deux chevaux fringants.
Les hàbitanis de la petite ville .orlaient sur 1
pa~
de leurs l'urt es pour voir passer la jeuno
femme. Toul cn1ière au plaisir de sClltir la urise
car~e
SCg bouc\t:s blondes, celle-ci s'extasiait
devant la beauté ùe ln uaturc, nJll1irait les fleur,),
la carop"iuc r dieu p'ar c 'te 1" Ile 3l'cès-nlidi
�TANTE GERTRUDE
d'été. Tout en écoutant le chant des oi~c:aux
dans
les grands .arbres touffus, elle habillait joyeusement, insouciante des admirations comme des criti llies dont elle pouvait être l'objet.
Derrière les jalousies baissées de leur vieil hôtel,
les grandes dames de l'endroit, jeunes et vieille,
déchiraient à helles dents Mme \Vélnel.
- Regardez.moi cette elrrontée, s'écriait 1'\1ne
d'elles. Oser se comproll1l:!tre de la sorte. Et ce
Lanchères, à quoi pense-t-il Jonc 'l
- Quelle odieuse créature J maugréait une
autre. Il n'y a rien qui vous fasse horreur comme
ces natures vénales qui ne vivent que pour l'argent.
Effrontée et vénale 'l,., Elles se trompaient;
Paule n'était ni l'une ni l'autre, il u'y avait qu'à
l'approcher ~l1equs
instants, qu'à examiner son
beau visage d une pureté idéale pOlir être convaincu
de son innocence d'enfant. Ces grands yeux J'un
bleu violet avaient une expression de candeur, on
pourrait presque dire d'étonnement ingénu, qui
donnaient li la jeune femme le charme si séùuisant qui se dégageait de toute sa petite personne.
On ne pouvait pas non plus l'accuser de vénalit6.
Elle aimait l'argent naïvement, comme un enfant
qui aime un jouet pour le rlaisir qu'il procure.
Habituée dès sa plus tendre Jeunesse au luxe et li
toutes les recherche du confort moderne, elle
nOc comprennit pas qu'on pü! s'en pnsser j il lui
semblait aussi nécessaire à sa vie que l'air (lu'clle
respirait, cl lorsqu'à la mort de ses l'arcnts elle en
avait été rrivée soudain, elle aVIlit trouvé trè!'
naturel d accepter la main du riche industriel
Wanel ~ui
le lui procurait de nouveau. C'est en
\'ain qu on lui avait représenté la vulfwrité I.k
l'individu, qu'on lui avait rarlé des hruits qUI
circulaient sur l'origine ùouteuse ùe son immense
fortune, Paulette n'avait voulu rien écouter.
- Le monùe est mpchant, avait-ellc répondu
Cil hochant &a jolie tète blonde; il critique tou!>
ceux qu'il jalouse. II est très hon ce M. 'Vanel de
me proposer ainsi de l'épouser, moi qui n'ai pa~
un sou à lui apporter. J'aime mieux étre sa femme
et partager <:a fortull" ue de rester che\( nn \ Ît!il
�TANl'E GERTRUDE
oncle bougon qui ne veut même pas me donner
une robe, qui me reproch e ma gourmandise lorsque j'achète un gâteau de deux sous, et me gronde
pendant une heure quand je donne cinquante ceu
times aux pauvres 1
.
Certes, elle était frivole, la jolie Paulette, mais
pouvait-il en être autrem ent avec une mère aussi
mondaine que la sienne, dont la vie se passait en
visites, en bals, et qui n'avait qu'une pensée : briller, toujours briller.
Lorsqu'elle était enfant et que Mme de Neufmoulins, avant de partir pour un bal, venait
comme une apparit ion dans la chamb re de la
petite pour l'embra sser à la hate, Paulett e, qui
contemplait en une· sorte de ravissement la belle
créatur e en toilette éblouissante, les épaules nues
couvertes de pierreries, Paulette rêvait déjà fêtes
et parures , et elle s'endor mait en faisant cette
natve prière: • Mon Dieu, faites-moi grandir bien
vite J'our que je puisse aller au bail Faites surtout
que Je sois aussi belle que maman 1 »
La prière semblait aYoir été pleinement exauc6e:
la fille avait h6rité de la beaut6 et aussi de la frivoH te! de sa mère.
�TANTE GERTRUDE
'.
CHAPITRE III
Je t'ennuie peut·ètre, Jean, mais, vOls-lu, il
faut me laisser babiller! je suis si heureuse! si
heureuse!Vité! approche-toi un peu, que je t'embrasse encore une fois pendant qu'il n'y a personne
sur la route.
Et Madeleine de Ponthieu, n'ayant pas la patience d'attendre que son frère se penchât,
l'attrapa si brusquement par Je cou que le jeune
h.om me faillit perdre l'équilibre et tomber de son
sIège.
- Tu es ridicule, Madeleine, avec tes manières
d'enfant g(\tée.
- Oh 1 ne gronde pas, « maman Jean », ne
gronde pas, sinon je vaIs pleurer. Et il parait que
Je suis laide à faire peur quand je pleure, c'est
Go~tran
qui me le dit. Il ne faut pas '1ue votre
pet~
S<l~ur
soit laide, n'est ct' pas, monsieur? Là!
mallltenànt je vais rester bien tranquille et ne plus
bouger du tout. Quel temp:; superbe! Que c'est
beau la campagne pendant l'été Et dire que me
voilà pour deux mois dans ce délicieux pays: ils
soot si amusants tous les bons paysans belges
ave~
leur « savez-vous! )1 Il n'y a que Ion prince
qui me chilTonne; il a l'air si imposant l... Le
véritable revers de la médaille, c'est ce nom de
Bernard! - Bonjour, mademoiselle Bernard. Les prem ières fois que je l'en tendais, je croyais
toujours qu'il y avait une autre personne derrière
moi, et je me retournais pour vOIr Mlle Bernard ..•
Bon 1 voilà que je t'ai fait de la peine! Il n'y a plus
du tout de fossette, là - et l'enfant eflleura légèrement de son petit doigt lia joue de son frère; quano la fossette disparatt tout à fait, c'est que
« maman Jean» a du chagrin ... Non! va, c'est
fini! je n'en parlerai plus jamais, jamais! De
temps en temps, pour me consoler, je m'appellerai
M1Je de Ponthieu tout haut, et gros comme le
�l'ANTE GFPl RUDE
bras! Mais n'aie pas peur, c'est lorsque je serai
m'ententoute seule el sûre gu'on ne pourra ra~
Jre. Ah! vùilà le Ca~tel:
! Dieu, que c'l:st joli!
Qu'elle est ravisbanle tb maisonnette! elle me
semble encore plus pittoresque il cette époquc
ql1'à p,\qucs. Et Stop? Oh! il me reconnalt ! Oui,
mon gros Stop, c'est moi! c'est la petite rna!tresse 1
Et la charrette anglaise était à peine u!Tétée que
la fillelte était déjà par terre, cares,ant l'épagneul
'lui bondissait autour d'elle, en jappant de toules
ses forces.
Madeleine de Ponthieu avait alors treize ans;
mais, grande et élancée comme elle l'était, on lui
en etH donné quinze. Elle était brune, ainsi que son
frère alné, mais c'était la seule ressemblance qui
existait entre eux, car leurs traits formaient un
contraste frappant. Le jeunc homme avait hérité
des grands yeux de velours, caressants et un l'cu
tristes de sa mère, tandis que la fillette avait le
l't:gard pétillntl t ùe malice de M. de l'on t hieu. Au
mor31, la différence était encore plus marquée:
grave ct sOllvent silencieux,.Iean était plutôt enclin
;'\ ln rêverie j Madeleine, étounlissHlltt! de gaioté et
d'entrain, avait une verve intars~"hle.
Douée d'un
côt~
drOle
esprit vif, clle voyait il1médate~n
des choses, et ses réllexions toujr~
amusantes,
malicieuses et sons méchanceté, faisaient d'elle un
véritable boute-en-trnin, tandis que sa bonne
sans prénature, droite et franche, ses manj~r("s
tentions, lui attirnicnt toules Ic ~· sympathies.
Jean de Ponthicull<lorait sa \1etlte Srl"ur. Depuis
ix ans qu'il était rcst~
son seu protecteur, il [lvoit
toujoun, veille sur clic avec une ollicituJc contiIllIelle, l'entourant de soins lJl1asi m'llernel" j l'enfaul, qui en étal! touchée ct ill1lusée (ouI 11 1.1 rois,
l'appelait sOllvenl sa « maman Jcnn li. Elle avail
hiell ~ cnti
CJue c'AI it pour elle, e( pour Gontl an
son flt:re, dt. deu: ane; plu ,g~
que le jeu Ile
homme travaillait sans relo.che; aus<;i, de son cOté,
"efTorçait-elle de payer en oO'cction ct Il tC\ldrcs. e
tout ce qu'il dtfpr.n<;ait cie dévotlCl1Ient autour
d'eux.
- PailHe
I(
1ll:4l11iln
Jea
II,
dillolit-elle qllelClut-
�• 1
fois ~ Gunllûil, sùn confident habituel, il faut bien
l'aimer. Il pourrait être libre et heureux! il pourrait se marier! Et à cause de ses deux grands
enfants, il restera vieux garçon, tu verras 1 Quelle
est la fc;nlllic qui voudrait se charger de famille
comme ça, ct travailler avec lui pour nous élever'?
Depuis son nrrivée en Belgique, Jean avait mi,; sa
Sccur en pell"ion à Bruxelles, afin de l'a \'oir plus
près de lui d de pouvoir la faire sortir, aux jours
de con?:é. Quant à Gontran, qui avait un grand
désir cl entrer à Polytechnique, il l'avait laissé à
Paris, dans le lycée où il faisait ses études, et il ne
le voyait qu'aux vacances d'été.
On était au commencement d'aoüt; Gontran
était revenu depuis deux joursj. et Jean ramenait
sa sœur <{u'il était allé chercher à Bru elles.
C'était un grand bonheur pour les deux enfants
que ce retour chez leur frère. Le Castelet, comme
s'appelait la maison du rtSgisseur, était une vaste
habitation, situ~c
au fond du parc, à quelques centaines de pas du chateau et à l'entrée du bois qui
formait une partie de l'immense propriété dont
Jean avait la gérance.
, Le prince d'A ... ne faisait que de rares apparilJ01~,
dans ce domaine; il venait p'3rfois avec des
il11l1S s'y installer pelidant une semaine ou deux à
J'époque Je la chasse. Quunu il uv,lit besoin de le
voir, Jean allait à Bruxelles, dans le slIpuhe palais
q~i
était la résidence habituelle dll rrincc. Ce derIller, surpris et charmé de la distinction de son
régisseur, l'accueillait toujours avec plai 'ir, le retenait même souvent plusieurs jours, aimont à
s'entretenir rive..: lui .
Lorsqu'il venait par hasard au ch;\tcau ct que les
(:llfants étaient là, il s'intéressait \'ivement à eu. ;
la petite Madeleine surtuut le ravissait par fla
gaieté et ses fine" réparties. Il admirait le confort,
la bonne entente, le calme reposant de cel intérieur
modeste; le Ca~tdc
le charmait et il r pussait dc~
heures enlières, partageant rarfois le n'O<lS simple
et frugal des jeunes gens. Déjà vieux êt souvent
souffrant, ln gaieté de ces enfants le réconfortait,
la vue de la tendresse qui les unissait lui réchau/:'
f 't le CtJjl1r. 11 lit il hi('n rI~"
au Madtl~i
e. en
�TANTE GERTRUDE
arrivant en vacances, ne trouvât pas quelque
cadeau du vieux seigneur. Celte fois il s'était surpassé, et la fillett: en entrant dans le petit ~àlon
aux meubles garnis de cretonne claire, ouvrtt de
grands yeux étonnés.
- Oh! Jean, tu as acheté un piano? demandat-elle en joignant les mains dans son ravissement.
- Non, Madeleine, mes moyens ne me permettent pas ce luxe. Ne devines-tu pas qui l'a [ait
mettre là?
- Le prince?
- ,OUI, mignonne, c'est à lui que tu dois cctte
surpnse.
, - Où ,est-il ?, que je coure le remercier. yit~
~
vite! MaIS qU'ai-Je fait de mon chapeau? Je 1al
accroché quelque part et je ne le trouve plus.
Gont~a,
as-tu vu mon chapeau?
"
Le Jeune garçon <J,ui venait d'entrer sount à la
questIOn; il était SI bien habitué à rechercher
to~e
la journée ce que l'étourdie laissait dan' les
COinS.
:- Ne te dérange pas, dit Jean, c'est inutile. ~e
pnnce est malheureusement fort souffrant depl1J
huit jours, et il ne peut quitter Bruxelles.
- quel dommage! Pourquoi les b<?ns souffrent,lls? Et cette question l'ayant soud~tn
r~ndue
)enslve,
la fillette resta un instant silenCieuse.
)
,
lllS, se reprenant, elle conti nlla :
- Je vais lUI écrire une longue lettre dans
J~qucl1e
je mettrai tout mon cœur pour le rem~
cl~r.
MaiS, auparavant, allons voir tous mes amis.
Viens-tu, Gontran?
Et la petite, prenant Son frère par le bras, l'entr~na
dehors à la recherche de CCliX: qu'elle appcla~ Ses amis et qui n'étaient autres que tous les
animaux. domestiques du Castelet.
Jea,n, resté seul, se dirigea vers la pièce qui lui
servait d~ c;binet de travail ct, s'asseyant à son
~urea,
Il s apprêta à revoit quelques comptes de
fermage à régler.
Par la renètte Ouverte, le rire frais et sonore de
,Made~inréflexions: lui arrivait, et il pouvait entendre ses
f
-
Si Jean était riche, je lui demanderais de
�TAil1TE GERTRUDE
m'acheter un tout pctil poney comme ~eli
'lUt,;
nous avons rencontré sur la route ce matm.
Ces simples mots prononcés par sa sœur plongeaient le jeune homme dans une profonde rêverie.
Si Jean était riche ... 0
Une sorte de regret, quelque chose d'indéfinissable lui venait à celle pensée. Riche !... il aurait
pu l'être, s'il avait voulu. Pourquoi avait-il refusé
cette occasion unique gui lui avait été offerte la
semaine précédente 1 Comme tout cela s'était fait
vivement 1 Il était là, à ce meme bureau, quand
une lettre lui était parvenue lui annonçant une
nouvelle aussi étrange qu'inattendue 1 Quelque
chose qui lui faisait l'effet d'un conte de fée.
Son oncle, M. de Neufmoulins, était mort lui
laissant, à lui, Jean de Ponthieu, sa fortune et ses
Immenses domaines, à la condition d'épouser
Paule Wanel dans l'année qui suivrait sa mort ...
Antoine de Radicourt, le seul ami à qui il eClt
l:évélé son incognito, le seul ami qui lui fot resté
fidèle dans l'épreuve, avait lu dans les journaux
l'~n.oce
que le notaire, Mo Saint-Riquier, y avait
faIt lOsérer, priant le comte Jean de Ponthieu,
dont 011 ignorait complètement la résidence, de
~oulir
bien se présenter à son étude pour affaire
Importante. M. de Radicourt avait écrit à
NIo Saint-Riquier, et il avait été le premier A faire
part à son ami de l'étonnante nouvelle!
. Ah 1 certes, le mirage avait été beau 1 la tentaIton avait été forte 1... Jean, ébloui un instant par
la perspective d'une situation digne de lui, avait
hésité. Pourquoi refuser cette chance de fortune
qui s'offrait à lui, et qu'il ne retrouverait jamais?
En avait-il mémc le droit, pour le bien de Cell.·
dont il s'était fuit le père et le protecteur?.. Mais
la vision d'une jCl1nc mari(!c, radieuse dans le
nuage blanc de son voile, att<1Chilnt un regard souriant e~
tendre sur le v~lgirc
cnmpngnon qui
rnarehiut li ses cCités, aVaIt sulfi pour rompre le
charme ... Non! jamais il n'accepterait de donnel
son 110m à Mme \Vouel ! Il ne se marieruit probablement pas; sa vie appartenait à Gontran et :'
Mndcleine. En tout cas, s'il aimait un jOIll', ce
l'
�3°
TAN l'fr. GE! ll{lID!:
seraIt une autre femme que cette créature frivole
et coquette; il fallait que le beau nom de Pont?ieu
ft'll dignement porté!
Et Ilmagc de "il 01(;1 e, a vec Son air Llistingué,
son expression tend rc et triste, se cl re:-.sait devant
ses yeux! Il la revoyait su P?l'ta~
courage.ll:>eaVOlt' JamaIs une plamte,
ment les épreuve:;, ~ns
luttant bravement, s'oubliant elle-mème pOllr
donner un peu de bien-èlre;\ ses enfanb orphelins
et dépo~ils
l,ar un père bon et prodigue. li se
souvenait de 1 heure déchirante où la noble créalure l'avait quitté, pour aller retrouver dans la
tombe le mari qu'elle avait toujours aimé et respecté malgré ses faible~s
...
- Mon pauvre Jean. avait-elle murmuré en lui
serrant la main, vous allez Ire seul mai ntellant à
porter le fardeau ...
Puis, lui montrant d'un geste nflvré le fl'l;re et la
sa;ur, qui, incollscient:; dc'leur malheur, jouaient
gaiement auprès de son lit:
- C'est toul ce que je vous lêlfue, mon fils.
Et depuis, Jean n'avait pas, Illl non plus, failli h
sa t,\clte 1 Il s'était montré le digne fi Is de s mère
qui, là-haut, pütlvait cIre ;Jussi fière de lui quI':
tranquille SUI' Ic, sorl ùe ceux qu'clic lui .n ·lit
légués ...
Parfois, pendant ces six années, la vie avait élc
h~ 1.1 dure pOUl .Ie jetlne homlJ~:
Jean Bernard, le
reglsseur du prin 'cJ'A ... , ilvalt connu des heures
sombres. Mais 10nlCtu'il était tif le point ùe
s'abandonner au 'découragement, 1,1 penc;ée de Sil
mère l'avait toujours rele"é, son sOllH!llil' l'avait
SOUlellll. En cette dernière cin.:onslilnce 'ncore, ce
fl1t la douce vision qui le détourna de la tentation
d'acccpt l' la fortune qui s'olTl' il à lui: il fallait à
sc cnf"nts, i nlell lui cn ellVO '"it Uil jotlr, tlne
mère COlllme ln icnn,..1 Ali SI, pl' SqlW hUllteux
d'I!11 moment d'h: itatioll, il al'ait écrit au uot,tire,
r~tlSan.
ne l'héril<lge de son oncle ùnos los conditions tll1uI6e ..
~ai
lI': simple'l mots <1(' Madeleine: « Si J an
étaIt lïchc ... pavaient ouu,lin éveillé Cil lui un
!1on~e
~e pensées, presque de regn ts. SenlÎt-il
1:ln1rw; ne he ? r. .. fOJ'tune ne Je t p llt1it f!1I?-,.r 0'"
�TANTE GERT UDll
]1
lui-même, il ne désirait qu'une chose: arriver au
moins 11 L1ne situation indépendante qui lui permit
1 porlel ~on
nom et ,>on titre. Il travaillait, on
l" ul le ùlre, ÎIHlr et n'Iit 3\'ec acharnement. Utilisant 50n wlent de "CIntre, il eta11 entré en relalion avec une grande maison de Bruxelles, qui lui
,'onflait l'exécution des miniatures dont elle avait
les commandes; Jean employait à ce surcrott de
,esogne tous les instants de loisirs que lui laissait
"on poste de régisseur.
- A quelle heure te couches-tu donc, Jean?
lemandalt un jour Madeleine; je vois de la
lumière dans ta chambre chaque fois que je
m'éveille la nuit.
- Tu auras rêvé, petite sœur, répondit Jean,
cl lu auras pris la lune pour une grosse lampe.
- Non, non, je n'ai pas révé, protesta l'enfant;
J'ailleur', Gontran l'a remarqué aussi.
- Cela devient sérieux, dit ,Jean en souriant j
est-ce que je serais somnaml:ule?
Chaq Lle lour, le jeune homme prenait la charrèlle anglaise, mise à sa disposition, et allait jeter
un coup ù'œil parlout. Tou!. les paysans, dans le!';
l'har~,
le saluaient d'un respectut'l1x: « Bonjour,
monSIeur Bernard 1 »
Tous éprouvaient une profonde sympathie pour
le rCgiseur, dont la nature droite el loyale gagnait
luiconque l'arproc!J·,it. 11 y avait dans l'exlérieur
le Jean, dans son 1 :gard Ull peu fier, dans ses
manières réservées, quelque chose de distingué qui
le: rrapl'ait j ils sentaient que le régisseur n'était
polb un homme ordinaire, ils le re~pctain
et l'ai
maient lout h la fois. Jamais de sa part une obser\ ,Jlion d~pl:cée,
un reproche immérité j et lors'1"'(1) lui présentait nne reql1éle, on 6tail sOr qn'il
) flTait droit "ur-le-champ, i lademande était jnslifi"c. Mais, d'un Buire côlé, il se monlrait impiIOytlble pour le m:1raUdcIII'S, lt' bruc0nniers, les
"oleurs de loute "orle donl il avail bien vile déollvertlc frnude cl les rai ines.
- C'eslun fam '\1 lapin.. llot'régisse,ur,disai '~l
SOllvent les parsans; il vOIt tout, Il sart lout ct Il
est partonl 1C est 1111 gas Cjui S'y conn;111 et qui n';\
p.l~
froid 1lllX yeml' quand on lui nll&l que 1
�TAN TE GER TRU DE
Il n'en ~tai
pas moi ns aim é et pop ulai re parm
i
tous , gran ds et peti ts. Sav ait-i l
il s'ar rêta it dev ant la cha umi~n èreenfa nt m~ld,
et le vlsJlalt
cha que jour , don nan t un con seil
utile à l'oc casi on,
app orta nt un rem ède , une petite
le Dom de Jean Ber nard étai t bien ùou ce ur. Aussi
pay s, et le jeun e régi sseu r joui ssai con nu dan s le
t d'un réel pres tigMe. dl '
r-.
•
.
a e ellle et 'Jon
tran etai ent, aUSSI,• gran d s ami.s
avec les pay sans , et lors 4ue Jean
leur prop osa, le
lend ema lll de leur arri vée, de l'ac
com pag ner dan s
sa tour née hab itue lle, ils ne se
firen
grim père nt lest eme nt dan s la voit t pas prie r et
ure.
lis arri vère nt bien tôt à un imm
ense cha mp de
bl~
où trav ailla it une vrai e trou pe
de moi sson neu rs.
Jean , qui exa min ait tout d'un rega
rd rapi de et
circ ulai re, pen dan t que Mad elei
ne cou rait avec
Gon tran pou r voir finir une meu
fron ça tout ti cou p les sou rcil s et, le giga ntes que ,
app elan t un des
surv eilla nts:
- Mat hieu , dit-il d'un e voix
avais form elle men t défe ndu de lais brèv e, je vou s
ser des hom mes ,
et surl out des étra nge rs, glan er
ici i com men t se
fail -ilq ue j'en ape rçoi s trois là-b
as?
- Mon sieu r Ber narù , répo ndit
le pay san, un
peu emb arra ssé, j'ai déjà essa yé
plu sieu rs lois de
les renv oye r, mais je n'ai pas
pu leur faire entend re raIs on.
- C'es t bien , dit Jean , j'y vais.
El le régi sseu r se diri gea vive
soli des gail lard s, au visage basa ment vers troi s
né, aux trait s vulgair es.
- Qui vous a don né le droi t de
glan er ici? interr oge a-I- illo rsqu 'il fut aup rès
d'eu x.
Le plus Agé se tour na vers Jean
d'un air inso lent ; mais, dev ant le rega rd
froid et l'alt itud e
éne rgiq ue du jeun e hom me, il
hl!sita, un peu
inte rdit .
- N'n ez-v ous pas hon te.
vou s, des hom mes robu stes , de con tinu a celui~!
vous arro ger :\lnSI
un priv ilèg e r~sev
au veuves el aux orph elin s '1
- Nou s che rcho ns de l'ou vrag
e, balb utia l'un
des troi s.
�TANTE
(-;~RTUDE
33
- Vous cherchez de l'OU\Tage? C'est parfait!
Je vais vous en faire donner l et ce soir vous tOllcherez votre salaire comme les autres. Mais,
sachez-le bien, jamais je ne tolérerai le métier
honteux que vous faites en ce moment; les femmes,
les faibles et les petits peuvent glaner tant qu'ils le
veulent! Je recommande même qu'on les aide au
besoin et qu'on ajoute un peu à leur récolte quand
elle aura été trop maigre; eour les hommes, je ne
veux que des travailleurs. (,2ue décidez··vous ?
Les trois vagabonds, subjugués par le ton ferme
et l'assurance du régisseur, s'étaient regardés.
- Nous ne demandons pas mieu! que de travailler, murmura le plus agé.
- C'esl hien. Mathieu, faites donner des outils
il ces hommes, et que, la journée finie, ils touchent
ce qui lenr sera do..
Jean s'éloigna, suivi d'un regard approbateur de
la part des paysans.
- C'est ça qui s'appelle parler! dit l'un d'entre
eux. Voilà un homme, notre M. Bernard!
A l'autre bout du champ, Madeleine s'extasinit
devant la superbe meule presque terminée, landis
que ~ontra,
qui avait mis habit bas, aidait au
travall avec un véritable plaisir, à la grande joie
des ouvriers,
-- Eh! regarde, Jean, s'écria la fillette, en
~yant
arriver son frère, rep-arde comme c'est bien
laltl Il n'y a pas un brin de paille qui dépasse!
C'est vraiment beau!
Il était lard, ct le soleil était presque couché
lorsqu'ils reprirent Je chemin du Castelet, malgrf
les prières de Madeleine qui aurait voulu rester
('ncore ;1Vec ses nouveaux amis les moissonneurs.
Elle rap()l~it
rrécieusement la magnifique gerbe
de coqueli.:ots et de bleuets qu'ils avaient cueillis
11 S?n intention, et qui devaIt orner sa modeste
petite chambre.
Assise 11 coté de Jean, !!ur le devant de la voiture,
dl(> ;t~pira
ayec c1élicos les senteurs qui montaient
des baies au hord de la roule et des champs qu'ils
traver-;aif'nt, tandis que son frère l'admirait, tout
en écoutant Sel!! réOo){ions g;tics el spiriluelles. Elle
était vraiment ravissante Madeleine de Ponthieu,
2
�14
a 't>c ses grands yeu~
bruns, frang.!:s de,long s ci~s
recourb és; sa magl~que
cbeveh lre nOIre flottait
. libreme nt sur ses épaules , son chapea u de paille à
large bord, qu'elle avait rejeté e11 arrière pour
être plus à l'aise, lui formait une sorte d'auréo le
L
et son sourire , tout à la foi,; tendre el espiègl e, ajoutait encore au charme inconsc ient de sa phyc;ioDomie express ive.
- Oh! Jean, regarde la belle gravure de mode
qui s'avonc e!
En ce momenL, un léger tilbury croisa la voiture
du régisse ur, qui avait mis son cheval au pas pOUl'
monter la c6t .
Une jeune femme aux cheveu x teints, au visage
poudré , à la toilelle excentr ique, dévisag ea les
Jeunes gens d'un air légi';rem ent insolen t à travers
le face-à-m ain au long manche d'scaill e.
-- Pas uial cette petite! murmu ra-t-ell e. Et se
tournan t vers son compag non, à qui un faux-co l
raide, J'une hauteu r radicule , dOlmait une tournure grotesq ue:
- Qui est-ce donc?
- Sans doute une pareIlle de cet intenda nt dl!
prince d'A ...
Ces mots arrivèr ent di tinctem ent aux oreille
Je Jean et une vive rougeu r empou rpra ses ioue~,
tandis qu'un éclair brillait dans ses prul1elle . .
sombre s.
- Je sui!; t;tlre que le monsie ur qui accomp agne
la gravure de mode a avalé un manche à balai! dit
MflÙeleine, qui n'avait ricn <mtelldu.
Pauvre hQmme 1 Il doit avoir le tortiooli!),
ajouta gaieme nt Gontra n.
Mai Jean, les sourcil s froncés , le regard vague,
avait perdu tout son entrain , et emblait plongé
dans une profond e r verie, que le enfants n'ost
l'tilt trou bler,
Ce mot d' « intcnd. lnt » l'avait cinfflé comme un
coup de fo 1 t, on orr,llCil se révoltaI t oudain . Un
regrell ui v nait, c t in~ta
de n'avoir pa accepté
la dau e du lest'llllcnt. Et la vi ion Je ce cho.teau
donl il erait à cette heure le proprié taire, de ce
'0. te domain e Oll il régnerait en maUre, be dresbll
devant hd 1... JI e 'it Idans ce grand salon t;omp"
�.. T
~
"YE GERTRtTDE
tueux, où il n'était pas entré depuis qumze ... n",.
auprès de cette cheminée monumentaie que tous
homles touristes venaient admirer, recevant '~s
mages et les félicitations des seigneurs voisins.
Et l'image de c~le
que tous saluaient comme la
comtesse de Ponthieu, lui apparut alors J;lns sa
radieuse beauté 1... II revit le visage aux t • .lits si
fins et si purs, les grands yeux de velours pleiD.~
de douceur, la bouche tendre au sourire caressant,
la taille souple et gracieuse, la démarche éltgan~
de Paule ..• Il se sentit envahi par u'n désir étrang ,
irrésistible de contempler, ne fût-ce 'Ju'un instant,
la ravissante créature dont le souvemr le poursui
vait sans cesse depuis son refus brutal d'unir sa
destinée à la sienne •.. Il eftt tout donné pour
savoir ce qu'elle avait pensé de ce testament, il nr
s'en était même pas informé! Pourquoi? Ne
l'avait-il pas blessée par cet oubli dédaigneux'
Comment avait-elle jugé sa conduite en ces cir
constances? Elle avait dû le trouver as:-;c7. ma
élevé. Il n'avait pas eu avec elle les simples t::gard
lue tout gentilhomme doit à une lemme •..
Mais il se calma tout à coup: la jeune fille qUI
avait consenti à 6pouser un Wanel pour a oir 'n
!ortune, devait ignorer tout sentiment délicat, c
11 était vraiment bien ualf de les lui pr~te
! Aprè~
tout, les choses étaient bien comme illes avait vou·
lues... Mieux valait endurer l'humiliation de
:-;'appeler Bernard l'intendant, que de donner ce
beau nom de Ponthiou à qui n'en était pas digne ~
Et toule traae de cet onge qui avait bouleversé
le cœur de Jean avait disparu ce soir-là, comme il
écoutait, tin peu trÎ!;te encore, mais rr!;igné, la
voix vibrante de Madeleine chantant gaiemenl Une
ronde populaire que Gontran accomp gDôlit AU
fllfr i .
�ANTE GERTRUDE
CHAPITRE IV
- Vite, mon brave Etienne, prestiez-vous un
peu; je ne sais pas Ce qu'ont ces vilaines bêtes ce
matin, mais on ne l'eut en venir à bout! Je n'ai pas
trop de toute ma force pour les maintenir.
Le. vieux concierge, qui était enfin parvenu ~
ouvn~
toute grande la lourde grille du parc, n.e
put s empèc.her de sourire en regardant les mIgnonnes petites mains qui ticrraienl nerveusement
les guide~
du fringant attelage.
.
..
- Madame ne devrait pas se fatiguer amSI,
murmura-t-il d'un ton respectueux. Madame
parait avoir bien chaud?
Et il. leva SOn regard plcin d'admiration sur le
beau visage tout rose, éblouiss,ml de fralcheur et
d'éclat de Mme 'Wanel.
- Oui, j'rlurais dù 1aisser Louis conduire ses
chevaux, mais ça m'amuse tant 1 Oh ! le joli baby!
s'écria soudain la jeune femme, en ~percva?t
un
enfant de deux à trois ans, sur le seuil du pavillon;
c'est à vous ce chérubin, Etienne?
. La femme du vieux concierge, qui ari~t
à cel
ms tant et avait entendu l'exclamatIOn de
Mme Wanel, rougit de plai.ir, et, pre~,ant
le petit
ùans ses bras, l'amena auprès de la vOiture .
. - C'est notre I?etit-fils, madame, d}t-clle, l'en
lant de notre LOUise que madame a I)len connue.
- Oui, je me souviens. Est-elle heureuse d'ètn:
la '!1ère dc ce joli mignon!
.
Et une tendresse touchante se lisait dans les
gran~s
yell, de pervenche de la jeune lemme,
tanù.ls qll.'elle. prenait dans ses bras, avec des précautIOns Infimes, l'enfant que la vieille domesl1clue
lui tendait.
- Embrasse-moi, mignon, dit-clic doucement.
~e petit leya ~on
regard étonné sur Mme Wane~,
pu~s,
Comme s'Ii eGt été charmé 1';\1' la beauté ~l'
dUl'iante de son jeune vis'Ige, d'lin mouvement
�TA){TE GERTRUDE
37
spontané, il jeta ses bras potelés autour du cou de
Paulette, tandis qu'il l'embrassait calinemènt.
Mme Wanel avait donné les guides au cocher,
et sans s'inquiéter des chevaux qui piaffaient avec
impatience, elle se complaisait à admirer ce baby'
qUI était déjà tout aussi à l'aise avec elle que s'Il
l'eCit toujours connlJe.
elle se rappela le
Au bout de quelques il1stan~,
but de sa sortie, et, .écartant l'enfant avec un air
de regret, elle le tendit au vieux concierge.
- Je reviendrai le voir bientôt, mon bon
Etienne, dit-elle, mais aujourd'hui je suis un peu
pressée; tante Gertrude doit m'attendre depuis
longt~mps,
et vou~
savez que la patience n'est pas
sapnnclpale qualité.
L'enfant qUI avait pris dans ses menottes les
breloques de Mme Wanel poussa des cris désespérés, ne voulant pas les lâcher.
Paule, sans une hésitation, décrocha vivement les
pe~its
bij?ux, d'une grande valeur pour la plupart,
qUI ornaient sa chaine d'or, et, les donnant à la
vieille concierge:
- Tenez, gardez tout cela et laissez-le s'amu::>er
ta?t qu'il voudra. Je lui en fais cadeau. La première fois (IUC je reviendrai, je lui apporterai toute
une caisse de joujoux.
Puis, reprenant les guides, elle partit au grand
tl:ot de ses chevaux fougueux, se retournant pluSieurs foi~
jusqu'à ce qu'elle f(1t au bout de la
l.ongue avenue, pour envoyer des bnisers (1 l'enlant qui les lui rendait joyeusement, tandis que les
deux vieux serviteurs la suivaient d'un regard à la
fois ému et attendri .
._- Pourq uoi n'est-.;e pas clle notre mallresse?
murmurn la vieille femme d'un tQn de r('~et,
lorsque Mme \Vanel cut di!>paru. NOl1s serions
tous si heureux! elle est <'i bon ne! si généreuse!
La vieille, au contraire, est, dit-on,' aussi dure t
aUssi avare tIlle son frère.
- Bah 1 répondit le c()n~ierg,
'Iu'en sait-on?
POt:;' moi, je la croIS bonne et charitable, seulement dIe est encore plus originale que notre
maltre! Cc n'est pas étonnant, d'ailleurs! tous le
Neufmoulins s~nt
ain i ...
�38
TAN~
GERTRUD
Depuis un mois, MUe Ger,trude étai~
en pos~.
sion de l'héritage de son frere; depuIs un mOIS,
elle régnait en maltresse dans le grand chàteau
tant désiré par elle; elle se tr,ouvait enfin à I~ ,tê~
de cette jmel1s~
for~une,
ohJet d~ ses cO,nvOltlses,
Certes, il y avaIt lOIn de sa petite maIsonnette,
antiqne et modeste, à ce palaIs superbe dont les
hautes tourelles se ?ressaient orgueilleusement au
sommet de la colline dommant la vallée et les
villages aux alentours.
En parcourant ces pièces I,!xueuses, orn,ées de
tableaux et de statues de pnx, ces magnifiques
galeries décorées avec un goût princier, elle avait
haussé les épaules ell murmurant:
- Je T?US demande un peu la figure que devait
faire ce vIeux fou de Jean dans tout cet étalage!
Si ça a du bon sens l
Et, à la vue de la vaisselle d'arg-ent fi llcment
taillés qui s'étaciselée, des cristaux déJi~atemn
laient dans les vitrines des larges bufJets de vieu ,',
chêne sculpté, elle avait eu un rire sarcastique:
~ Un tel luxe de plats pour les pommes df'
terre qui composaient le menu journalier du vieil
avare, c'était un comble, vraiment!
En querelle perpétuelle avec son frère, Mlle Gertrude n'avait jamais pénètré dans celte partie du
château; M, de Neufmoulins, dont la marotte
pendanl les dcrnieres années de sa vic ;'lvait été la
construction ct l'aménagement de cette merveilleuse résidence ne l'avait jamais habitée; il vivait
dails le vieux bâtiment presque en ruine qui avait
été, au moyen âge, une des curiosités de la contrée
et qu'on appelait l'Abbaye.
Billie d'abord par des moines, comme son nom
l'indiqt,lait, l'Ahbaye avait été ensuite occupée pal'
des seIgneurs qUI l'avaient religieusement Conservée dans son état primitif; mais la Révolution
en aVRit détruit u~e
partie, La chapelle, le cloitre,
la salle du chapItre avec ses curieuses fen~tr!s
ogivales et son plafond à caissons subsistawnt
IOljoKr~
et attiraient chaque ;'Inné' qua tité de
touristes, d'archéologues et de savants,
Quelques cellules et quelques autres pièces re.'llui "erTlIÎ nt ,~'ht.taurée!' ptlr M. de N"ufm~\lJi'
�TAPITE Gl!:Rl'l(UDE
1
39
hilalion. C'était là que Mlle Gertrude était venue
Hoigner son frère, lors de sa dernière maladie;
I.:'était dans une de ces petites chambres modestes,
presque pauvres qu'il était mort. Et comme dans
son testament il défendait formellement de pénétrer dans le château, dont son homme d'affaires
avait seul1a clef, la sœur et la nièce ne se doutaient
guère des trésors qu'i1 renfermait.
Paulette avait poussé plus d'un cri d'admiration
à la vue de ces appartements magnifiques, et elle
était restée presque en extase sut le senil d'une
chambre encore plus luxueuse que les autres, avec
!>es murs tendus de satin rose, ses fenetres élégamment drapées de riches tentures ... Sur la cheminée
Je marure blanc, un buste de femme se dressait
sur un socle de velours et de chaque côté, dans un
cadre d'or orné de pierreries, se trouvaient deux
portraits d'enfants: une fillette au visa~e
d'une
idéale beauté et un jeune garçon l l'air plutot
rèveur.
- Oh ! tante Gertrude, regardez! s'écJÏa Paule
loute surprise, c'est mon portrait. Mais l'autre ...
n'est-ce pas Jean de Ponthieu?
La vieille fille tressaillit... Elle comprit soudain
le rève de son frère, son testament original...
C'était sans doute la chambre qu'il avait destinée
à la future comtesse de Ponthicu ... Elle re~ad
~me
"Van el de ses yeux. perçants: celle-ci n avait
nen deviné, rien senti.
- Oui, ce doit ~tre
Jean de Ponthieu, dit-elle
d'un Ion indifTérent. Ne l~ le rarpelles-ty pas?
- Oh! guère 1 répondit Paulette, déjà occupée
il. examiner autre chose.
Mlle Gertrude attacha sur sa nièce un regard
drange, tandis qu'un sourire énigmatique se jouait
SUr ses lèvres minces.
pas bien beau, continua la vieille
- Il [l'~tai
fille el, certes, s'il n'a pas changé, ce n'est pas un
joli godelureau comme le nevcu que lu vas me
donner bientôt. Mais à propos, quand te maries-tu '!
- Nous ne savonsJJas encore. Oh 1 nous avons
le l.emp ! Nous vou rion~.
que la cérémonie flll
lout à fait gralldiosc, qu'on en p~1 Jat longtemps
�TANTE GERTRUDE
dans le pays, et, P.o ur ce}a, il faut attendre que Je
deuil de Pierre SOIt passe.
Mlle Gertrude avait décidé d'abord de fa ire
comme son frère, c'est-à-dire de fermer une partie
de ses aprte~ns
et d'o\.:cuper l'Abbaye; m~is,
après müres rellexlOos, elle renonça à ce proJet:
re mona~tèr<:
était trop froid, trop, glacial: el}e
habiterait l'aIle gauche du chateau Située en plem
midi, et s'y installerait à sa façon, selor. ses
goClts.
La plupart des domestiques étaient partis à la
mort de M. de Neufmoulins, il ne restait guère
que Je concierge et sa femme, Mlle Gertrude con serva sa vieille bonne qui était accoutumée 11 ses
manies; elle y adjoignit quelques filles du pays
ponr le service intérienr et un cocher pour la conduire à Ailly, qui se trouvait asse1. éloigné du
chateau. Elle se paya un autre luxe qui étonna
grandement Paulette: ce fut celui d'une demoiselle
de compagnie.
- Elle m'assommera assurément, cette petite,
déclara-t-elle à sa nièce avec sa brusquerie ordinairè, lorsqu'elle lui annonça cette nouvelle; mais
je ne vois pas le moyen de faire autrement. Sa
mèr~,
que j'ai~s
beaucoup, a eu 1~ stupidité d,e
se laisser mounr de chagrin parce qUt; son man,
qu'elle adorait bêtement est mort l'annce dernière! Et la petite est si ~ule,
si sotte, ,que ~i je
n,e la prends pas avec moi, elle ne saura lamaiS se
tirer d'affaire toute seule. Mais il faudra qu'elle
marche droit ct que je ne m'aperçoive pas de sa
présence 1
Paule fut très amusée! Une demoiselle de compagnie qui devait sc tenir dans l'ombre, ne pas se
montrer, c'était bien là une idée de son originale
parel~t!
hile plai!(nit la jeune fille et se promit
intérIeurement de s'inlérc'lScr Il son sort.
Dep,uis gue sa tante était au cb;\teau, elle la réclamaIt sans cesse, 1., CQn'iultant sur tous ses
ar~ngcmts"
lui dcmand;i11t \oujollr'i .,nn avis
dix, faisant le cuntraire ùe cc
maIS, ncur rois ~lIr
que sa nièce lui suggérait. LOin de s'en l'Dchc'' ,
P,lll1fJ, habituée aux excentricités de la vieille fille,
s'en égayait. Elle se prêtait à tout avec la bon~
�TANTE GERTRUDE
gràce qui lui était familièrç, enchantée d'être
agréable à sa parente.
Ce matin-là, elle avait été éveillée presque dès
l'aube, le cocher de Mlle de Neufmoulins venant
la prévenir que sa maîtresse l'attendait immédiatement .
- Ma tante n'est pas malade, au moins .! avait
rail demander la jeune femme, d'abord inquiète.
- Je ne le pense pas, avait répondu 1'automédon; mais depuis deux heures, Mademoiselle parcourt la maison du haut en bas, et elle n'a pas l'air
d'être contente.
- Dites-lui que dans une heure j'y sel:ai, le
temps de m'habiller et de faire atteler.
Mais malgré toute sa bonne volonté, Mme VvalIel ne fut guère prête avant midi.
Mlle Gertrude, énervée par l'attente, fit à la
jeune femme un accueil moin que gracieuxo
- Pour se moquer du monde, ma nièce, c'est
ainsi qu'il faut faire! C'était bien la reine vraiment
que je te dépêche Julien à 7 heures du malin pour
te prier d'arriver tout de suite!
- Oui, je suis un peu en retard, tante Gertruùe,
mais ce n'est pas ma faute, je vous aSSli re, répon~it
Paulette sans s'émouvoir. Heureusement que
Je vous savais en bonne santé, sans cela j'aurais
été très ennuyée de ne pouvoir venir plus tôt. Je
me sl1i~
pourtant bien pressée; je n'al mème pas
pris le temps de déjeuner, aussi j'ai nne faim dl'
loup! Vous n'avez pas encore dlné n'c~(jl;1S?
Je vais manger avec vous; vou~
me direz rnllrqllni
vous aVet bèsoin de mOl si tôt.
fille en
- Je suis furieuse, déclara la vjeil~
agitant ses longs bras.
- Oui, ça se voit, interrompit tranquillement
Paulette.
Mlle Gertrude regarda sa nièce pOlir voir f,Î u!le
~e
moquait d'elle, mais, rassurée par l'air inl1o.
I!ent de lu jeune femme, elle continua:
- Mon frère était un imbécile! CI u'est rH1 )
0, .
•
, 011
Iluuveau, d ai eurs, et Je Il al r'1S attendu Jusqu'i'
de lui celte opinion! Il ëtu.it
e jour pour me f~irc
v()lé p,lr se" fer ler~,
volé pa.r <;e, dom ti Inés,
,,.,II! f' ,. ",.. .. i
~"'
.
�TANl~
GERTOD~
Paulette qui
tout en écoutant sa " tante,
s'étai t di rigée ;ers la salle à manger, s'arrêta
tout net.
d
'bl?'
- Oh! tanle Gertru e,' est-ce pOSSI e. tO'lS
les gens ne sont pas des voleurs.
- Si ma nièce! dans le monde, il n'y a quc
des vol~urs
el des volés! et je ne serai pas de ces
derniers!
- Pourlant, cela vaut encore mieu,- que d'êlre
dans les premiers, fit remarquer Paulette, qUi
était enfin arrivée, suivie de sa tante, devant la
table où le déjeuner était servi, et s'asseyait ~ sa
place habituclle, après avoir adressé un sIgne
d'amitié à une jeune fille vêtue de noir, qUI se
tenait debout à la fenêtre.
- Thérèse, viens te mettre à table \':t sers-nous,
dit lvt1l0 Gertrude à cette dernière.
Puis, sans interrompre ses doléances sur b mau.... aise foi du genre humain, la vieille fille prit le
plat de viande froide, et choisissant la plus gros~
tranche, la déposa dans l'assiette de celle à q 1\1
elle venait d'ordOIluer de servir.
Sans s'inquiéter alors des dénégation.:; de 1,1
jeune Thérèse, qui trOuvait la part trop cupieuge,
elle se mit en devoir de servir a nièc<.:, de If!
même façon.
Quant Il elle, l'agitation Ini ayant fait perdl'
san d?ute J'appétit, e~l
repoussa son couvert
et contmUll à exposer ses gnof5 à Mme Wanel.
Celle-ci, qui écoutait sans broncher ce déluge
de paroles, finit par connaltre la cause de la fureur
de Mlle Gertrude : en vérifiant les comptes de_
fermie,:s, les livres du régisseur, etc., la nouvelle
ch:ltelamc de Ncufmoulms s'était aperçue que
def1 u is longtemps son frère avait été effrontément
vo é.
L'iùée lui 61, nt venue de jeter un coue d'œ!l
papcrat;se la veille au soir, elle s y étaIt
ml!1C, mdl!c de, Thùè:;c, A minuit, lit; :lvmt envuyé
5-a CO~lpagt.:
:;e coucher, mni5 dan l'indignation
de:> JC":,ÙUI'CI'1 7:-. (1u'cllc faisait ~ chaque page, el~C
~n
.1~'
oubll(' 1 ht:lr~
el le :->ommeil; le malin
1 a',:J11 IIIIII\'I't' tmeure a sis/.: à ~()n
bureuu. l<~c
eut Ut> 11(;' gl'IJ~
pou'!" av i ' là, "0 fi 1", ni it; le:
}.
suy ce~
-
.
.....
�l'ANTE GERI'ROnE
+:;
heureux régisseur! Il en aurait entendu de belles!
Mais, craignant sans doute qu'un jour où l'autre
on tint[ par découvrir ses malversations, il s'était
dérobé ct avait quitté le pays depuis trois
luois,
Pressée de pouvoir conter ses griefs à quelqu'un, Mlle Gertrude avait vite envoyé chercher
sa nièce, non pas que la jeune veuve pùl lui être
d'aucune aide dans ces questions d'intérêts qui la
laissaient fort indifférente, mais, comme nous
l'avons déjà dit, c'était une habitude de la nouvelle
ch,\lelaine : quoi qu'il lui arrivât, il fallait que
Paulette le sùt, que Paulette donnât son avis •••
avis qu'on ne suivait jamais, naturellement!
- Je vais les mettre tous à la porte, conclut
la vieille fille, après avoir fini le récit de ses
déboires.
- Puisquc c'est déjà fait, fit remarquer judicieusement Paulette, inutile d'en reparler. Il n'y
il. qU'à chercher un régisseur honnête, Intelligent.
-..,. ~h!
vraiment, tu t'imagines qu'on trouve
-.:ela comme toi tu trouves un cheval 1. .. Mais, à
propos, qn'e~tc
que ces nouveallX chevaux avec
lesquels tu es venue tout à l'heure?
-. N'est-ce pas qu'ils sont jolis" VOliS les avez
r~maqués,
tante Gertrude? Ils me sont arivé~
hier; c'est mon marchand de Paris qui me les a
expédiés, Il a un goût, ce Roh;on! un goQI épatant t Je vous le recommande; quanJ vous aurez
besoin de chevol" adressez-vous à lui.
ins haussa les épaules.
Mlle ùe Neuil.
. El, san', in li5;crétion, ma nièce, combien
pales-tl1 ce nouvel attelage?
Palliette leva sur sa Innte un regard ingénu.
- Je ne ais ras, dit-elle tranquillement; c'est
mon homme d'alrall'es qui sc chargl! de tout cela.
La vieille Glle bonùit.
- Comment! tu nt: sais mème pas le prix de
ce que tu açhètc~?
Mais c'est absurde! Tu n'as
pas honte d'une pareille indifférence?
- Oh! voyons, tante Gertrude, pourquoi vou~
ftlcher ct me faire de tels reproches? Vou. ne
voudricL pas que je me creuse la t6t avec tOUIi
celi détail", (lJ'U, ry u .•
�TANTE GERTRUDE
_ Et si hommes d'affaires et marchands te
volent comme on a volé ton oncle?
_ Bah! repartit Pau.lette eo att:\quant sa troi:
sième tranche de rosbif, le ~onde
n'est pas SI
mauvais que vous voulez le dire. D'autre part, ce
p;l\1vre M. \Vanel était si riche que je ne 'Viendr"i
léllJ1ais à bout de dépenser tout ce qu'il m',1
laiss!?·
go ce moment les j'eux de Mlle Gertrude tom bèrent sur la t;;halne d'or qui ornait le corsage de sa
mèce, et elle remarqua l'anneau auquel étaient
attachées les breloques. que la jeune femme avait
si généreusement données à l'enfant.
- Aurais-tu perdu ta montre, Paulette? interrogea-t-elle vivement.
Mme Wanel regarda sa chatne.
--- Non, ma tante, répondit-elle, la voici. Cet
anneau servait à tenir mes breloques.
- Eh bien! où sont tes breloques?
- Je les ai données tout à l'heure au petit-fils
du vieil Etienne, votre concierge. Oh! 'luel ravissant baby, continua-t-clle sans s'apercevoir de
l'air furibond de sa tante; je n'ai jamais vu un si
bel enfant. Est-elle heureuse cette Louise d'~tre
la mère d'un pareil chérubin! Ce doit Nre si bon
d'avoir uue de ces mignonnes crt<atnres à caresser, à aimer! Comme j'en ra(fo lerai le jour où j'en
aurai un à moi! Vous verrez, tan te Gertrude, que
vous l'adorere7. aussi! Et il sera joli, joli ... corn !TIC
~a
maman, continu?-l-ellc avec son rire perlé
d'enfant.
La vieille fille contcm plait sa nièce d'un air
étrange, tout à la fois furiellx et ému. hile resta
un moment silencieuse, el comme Mme Vvanel
la regardait, étonnoe de cct apaisement subit, elle
nt un e[fort sur el-m~
et reprit de son ton
sarcastique:
- Ce sera une jolie poupée, en elTet, si elle
ressemble à sa mère! Frctl1chement, Paulette,
c'est dépasser les bornes! COll1l\l c ntJ tu donnes
à cet enfant des bij ux d'une t Il \<lleur! Mais
c'est de la folie tou~
pure!
- Oui, je sais bien, dit la jeune femme, ce ne
",ont pas des jouiou hien amuc;antc; pour un baby,
�TANTE GERTRUDE
45
mais il était si heureux de les tenir dans ses petites
menottes que c'eüt été cruel de les lui reprendre.
La prochaine fois que je reviendrru, je lui apporteraI tou te une caisse de jouets, ça vaudra
1111C li X •
Mlle Gertrude eut un geste désespéré. A ql10i
h,)!) es!'aycl de raisonner celte écervelée! Elle se
tourna vers Thérèse; celle··ci attachait son regard
pensif, rempli d'admiration, sur le beau visage
radieux de jeunesse et de fraicheur penché de son
côté; elle écoutait, charmée, la voix vibrante ùe
Paule, disant sa joie le jour où elle serait mère!
elle contemplait Mme Wanel, éblouie par l'éclat
de ses prunelles caressantes, fascinée par la tendresse de sa bouche d'enfant ... Thérèse se retournant alors s'aperçut de J'air soucieux de sa maltresse; les deux femmes se regardèrent et se comprirent:
- Une poupée! disaient les yeux perçants de
Mlle Gertrude.
- Mais si charmante, si bonne, plaidait le
regard sérieux de l'orpheline.
La vieille fille, après lin nouveau ;ilence, poussa
un profond soupir, tandis que sa nièce, inconsciente de cette Iwtite scène muette, reprenait:
- Voyons, ma tante, Occtlpons-nous de ce qui
vous touche. Il n'y a qu'un moyen de remédIer
à cet état de choses : chercher un régisseur
intègre ...
- Peuh! autant chercher une aiguille dans
une bolte de foin! Il faut être naïve, comme toi,
ma pauvre fille, pour espérer trouver de l'intégrité chez un intendant!
- Oh! tante Gertrude, protesta gaiement
Paulette en sc levant de table, il y a encore d·
braves gens sur notre planète! pour le moment
voulez-vous me permettre d'emmener Thérèse
laire une petite promenade en voiture? Je vous la
ramèneraI dans une heure ou deux, proposa la
jeune femme de soo air câlin.
- Là! pour ce qu'elle m'est utile 1 tu peux bien
la garder jusqu'au soir, Ellro \1nera avec toi et
tantôt Mathieu, qui doit ail i" d Ailly, la rep;endrt/..
�TA. 'lt .r.RT ',UDF:
Merci, tante Gertude.
Et, sans s'inquiéter de l'air renfrogné de sa
tan~,
Paulette l'embrassl1. joyeusement sur les
deu x joues.
Une fois assIse sur son siège, el après s'ètre
bien :lssurée que sa compagne était installée
,onÎortablemenl, Mme' '-Vane) lança au trot
.,on élégant 6quipage, tout en bavardant sans
relache.
- Quel croq emitaine que ma tante! si on ne
la connaissait pas, on en aurait vraiment peur!
Heureusement qU'011 sait à quoi s'en tenir, n'est-cl'
pas, Thérèse'
La jeune orpheline sourit sans répondre, et
une lueur d'attendrissement éclaira un instant ses
\ eu ' tristes.
Pendant cc temps, le « croquemitaine ", comme
Jisait Puuletle, rentré dans la pièce qui lui servait
Je hureau, examin<Jit 'Ittentivement une pelill
photographie, pre'>ljul' effacee, aux bords noirs,
Jll'elle ,lvait trouvée duns un portefeuille de son
Inn',
Le Irails durs de Mlle Gertrude, ses yeu.' pt:l'ols, a bouche dédaisneuse. son front bas e:
létu, tout n elle semblaIt lui mériter l'appellation
donnée par ~a
nièce, et rien n'altirait la sympa
hie d,ln., cc rude vi5age. L'e},térieur et la tOUInure aus i étaient à l'avenant: très ~rande
ct tri's
U' igre, elle avait une façon d'agiter ses longs
,r anguleux qui doonait il lous ses mouvements
uelque chose d'étrange et de ',J.ccadé
- Gertru.de me C il toujours l'otTet d'un Bren:)
Jier en ju pons, répét; il son père, le 0010no1 ch
"leufmoulin:, lor q 1'~lIe
~tal
jeune et qu'il ln
'/0 'ait troller. ln 1 te haute, le pa~
vif et presst-,
tllJ
SOl\\;1
de
sa ~oiHur
n6gli~ée,
de ~es
v I~
nls démodés, de "(Ill allure disgracieuse.
C'ét,ut aUbsi J'elTet qu'elle produisait :"ur tout Il
mond "
Les paysan la craignaient, ~t les enfann; St
!UV li nt lor qu'ils l'apercevaient ou qu'ils entcn
1 ienl <;a ~oj
grdndeuse.
T LI ullulienl él' 1 ien étonné,.
lit
�TAN"!' C';RTRUDi:.
:;avait seule et sl1re de ne pas être observée: une
douoeur étrange brillait dans ses yeux d'ordinaire
si durs, un frémissement agitait le coin des lèvres:
elle paraissait en proie à une prolonùe émotion
tandIs qu'elle s'oubliait dans la contemplatioll cie
ce ~ortai,
qui lui rappelait sans doute mille souvenU"6 QU {llls!'é.
�)
TANTE GERTR UDE
CHAP ITRE V
- Une lettre pour vous, monsie ur Bernar d.
Et le facteur , qui avait trouvé les portes ouverte s
au Castele t, entra sans façon dans le bureau où le
jeune régisse ur se cbauffa it frileuse ment auprès
du poële de faïence .
- Triste saison, monsie ur Bernar d, continu a
l'homm e, surtout pour nous autres.
- Approc hez-vou s du feu, Martin , et reposez vous un momen t, répond it Jean Bernar d, qui lui
avait avancé une chaise. Je vais vous faire prépare r
une tasse de café, ça VallS fera du bien.
- Vous êtes bien bon, monsie ur Bernar d, et si
tous les maHres étaient comme vous, ça serait heureux pour le pauvre monde.
La vieille bonne, que le régisse ur avait avertie ,
entra bientôt , apporta nt une tasse fumant e qu'elle
tendi t au facteu r.
Celui-c i, confus, s'excus a, ne sachan t où posel
sa casque tte couvert e de neige.
- Je serais allé à la cuisine , monsie ur Bernar d,
murmu ra-t-il, je vais tout salir ici.
- Bah! laisset- donc, mon brave, c'est peut ·
etre la dernièr e fois que je vous vois.
- Alors, comme ça, monsie ur Bernar d, si ce
n'est pas indiscr et de vous en parler, vous partez
bientôt ?
- Demain ou aprèt:>~demin,
répond it le jeune
homme , en poussa nt un soupir involon taire,
tandis que son r~ad
r6veur errait tOttt autour de
lui. VOliS voyet d'ailleu rs que mes meuble s soul
emballé s,
- Et, sauf vol' respect , monsie ur Bernar d, allc/,VOli S bicn loin? demand a l'homm e ave..: lI.n~
!;vtlt;
ùe timidi té.
- Je Ile SiU p;c; ... je n'al pall encore déCidé,
Icpoud it Jean d'un ton contrai nt.
Le iactc,!ur q11i :n " li t GOI " n CJré e t ', ~1'lh
�TANTE GERTRUDE
49
tOut réchauffé se leva et reprit son képi qu'il
tourna et retourna dans ses doigts d'un air tout
préoccupé.
- Monsieur Bernard, je regrette ... nous regrettons tous que vous nous quittiez comme cela ... On
vous aimait bien, allez, au pays ..•
-:- Oui, oui, ie sais, interrompit Jean, plus ému
qU'li ne voulait le paraître. J'aurais été heureux aussi de rester ici longtemps encore; mais,
que voulez-vous, il faut subir la destinée •.. Allon::.,
au revoir Martin ... Adieu, si je ne vous vois pluti.
Ne vous attardez pa:>, car la neige s'épaissit de
plus en plus.
Resté seul, le jeune homme reprit tia place
auprès du feu, et retomba dans sa rêverie profonde
d' où l'entrée du facleur l'avait tiré.
~ien
des événements s'étaient passés depuis six
mOIS, et Jean se trouvait à l'heure présente dans
une. position cri hq ue. Le prince d'A ... était mort
su hl tement; ses vasles propriétés avaient été vendues par ties héritiers pour le partage de sa fort~n;cel\x-iav,
en conséquence, remercié le
rc~pseu,
lui laissant trois mois pour semeltre en
quete d'une nouvelle situation. Jean avait cherché
en ~ain;
de son côté, son ami Antoine de Radicourt
avait fait de nombreuses démarcht:!s pour lui procurer une place quelconque; tout était resté sans
rés~
Itat. Lassé, découragé, Jean,. depu~s
un mois
avait eu recours aux journaux trançals et étrangers, mais sans être plus heureux, deux leltrt:!s
seulement lui étaient parvenues, et les offres
qu'on lui taisait lui semblaient si dérisoires qu'il
n'y avait m~e
pas répondu .
. Trop fier pour demander un nouveau délai, le
Jeune homme se préparait à quitter le Castelet,
mais il se sentait profondément triste; l'avenir
Illi apris~t
plus sombre que jamais. Quelques
mois "l~rfiaent
pour éplit~r
les écon~ies
qu'il
avait talles avec tant de pcme. Alors, SI tous ses
efforts pour trouver un emploi n'aboutissaien t
pas, que deviendraient Gontran et Madeleine?
La Illort du pnuct:, qu'il aimait sincèrement,
OI.vait déjà ëté pour lui une érreuve pénible' la
pensée r Cj'l;tter CI? P ,,,. ai) i ~v'lit,1
g'l:t~,.
IQ
�sympathie ajoutait encore à son chagrin, mais
qu'était-cc cela aup,rès ~e
la torture causé; p.ar
le sentiment de son Implllssance à assurer 1 eXIs.tence de ceux dont la vic lui était plus chère que
la sienne 1 Le malh~urex
avait passé la nuit
entière dans ces angoisses et il n'avait, cc matin,
pu toucher au déjeuner préparé pur sa vieille
bonne.
Ell jetant un regard désespéré sur les queJ'lues
meubles prêts à être chargés qui encombraIent
son bureau, il aperçut soudain la lettre app<:>rtée
par le facteur et à laquelle, dans son trou ble, il t
l\'~ïVait
prèté aucune attention. Il l'ouvrit machiIl'Ilement cn poussant un soupir, mais, comme
il li ail, ses yeux s'animèrent d'une véritable v
stupeur, tandis qu'il en dévorait fi~vret1."mn
Je d
'ontenu :
1:
Je suis tombée pal' hasard sur l'annonce qur.
avez fait in,érer dane; Je Ga7ûoi~,
di, ail la
lettre, ct, comme je suis justl'!ment à la rechercht
I(
VOLIS
de ce si,ngulier personag~
~pl'on
appelle ~égis
seur ou mtendant. mflis qUl TI est rl~.que
tou)ourt->
qu'un effronté voleur, je me suis décidée à vou '
écrire. Le prince d'A .... , d'l1pres les renseignement que j'ai recueillis, n'ét it pas un imbécile,
et s'il vous a g,ardé six ans à son service, c'est qu'il
a reconnu, sans doute, que VOliS ne le voliez pns
Sl1r un' trop grande échelle 1
( ,l'ni hérité de mon [l'cre une propriété Îmm~nse,
dout les revenus, d'après ce qu j'ai pu
VOir, ont p'lssé, jusqu'ki, en grand (lrtie dan
la poche de l'intendant qui le volait ",lI\5 vergogne.
J'<l:i la prétention de penser que mes revenus
~olvet
rentrer dans ma caisse. En conséquence,
le vous offre de venir chez moi pour m'aider il
toucher ce qui me revient, YOUs enuiJgeant à me
yoler le moins pos$ible, de facon, a'~
nloÎns, que
Je nf! m'en op<;r .oive Jr.\S.
:( Vous rue direz Cfe que VOIlS gagniez che" votre
P;1I~e.,
d
n~w
et C~m.nle
r
en
te. V(llI
~
\nc
Ü,
ij
j'al une Corlu e qui me perlD~t
~ - qUOlq\IC je n Je 8015 pa!.!
'rai cc <l)1'il VOt {onllait. J '10
•
~
, . .,fi·
Q
t
1
•
v-
~
dl
c
t~l
d
n,
Cé
J,
�de sorte que si ma' proposition vous plan, vous
n'avez qu'à entrer en fonctions immédiatement.
Envoyez une 'dépèche disant l'heure de votre
arrivée et le cocher vous attendra à la gare d'Ailly,
la plll:> voisine de • Teufmoulins.
l.'e~t
« GERTRUDi DR NBUH\OULINS. ,.
La foudre fût tombée aux picds de Jean qu'il
pa., été plus saisi qu'à la lecture de cette
'uneuse épttre!
Il ne savait s'il devait rirc ou se racher de son
ton insolen t.
Et l'image de la vieille fille. avec ses longs brat-.
n al~es
de moulin lui revenait aussi nette que s'il
venait de quitter le château i il Y avait quinze an~
e ,cela! Il la reyoyait arpentant les rues de la
ctlte ville, avec son éternel cabas en tapisserie,
ourré d'objets de toutes sortes, marchant il
~rands
pas sans souci de sa coiffure toujours posée
e travers sur ses cheveu. grisonnants en désordre; les traits durs et énergiques de Mlle Gertrude
cnt restés fi é dans ses yeux, il a -ait enCOll'
an" l:(~rei
sa voix brève et imp4rieusc.
é
riens, petit, mange cette galettel elle est
nO~lte,
mais tu es bien assez glouton pour en
venir' à hout !
C'était sa façon originale d'offrir: toujours une
parole désagréable à cOté d'un bon mouvement,
une rebuffade avec un cadeau!
~lIc
ne sc doutait guère que le Jeall Bernard à
.UI. e!le écrivait cette lettre insolente, et qu'elle
!:~lat
en valet, u'étuit autre que le comte de PontlHeu, qui aurait pu s'installer en mattre dans le
chateau dont elle venait d'hérit('r.
Celle idée amusait le jeune hOUlme tandis qU('
SI ,fierté se révoltait :,ous l'appellation de voleur
1"1 • lui cingl,lt le vis:lge comme un cour dt·
tOllet ...
Mais la nécessité, eeqe mar3tre cruelle donl
nous d.evons quelquefois subir la tyrannie impla.
cable, parlait plus haut que son orgueil; la ... isiotl
Je s , d.eux ~nfat
à qui sa vie appartenait, lu'll
:.tv.an Juré de protéger, d'élever, se dressait devant
1. •
t
l'"
Iii V i ri
i:)d ) ine
h
/al
�S2
T ANTE GERTRUDE
ses chants joycU)e ... il voyait Gontran, déjà sérieux
comme un homme, penché sur son pupitre, travaillanl. avec acharnement pour arriver un jour
au but de ' ses rêves: entrer à l'école Polytechnique ...
Et, imposant silence aux scrupules du comte de
Ponthieu, aux révolt,es de son âme délicate,
froissée dans' ses fibres les plus i nHmes, Jean Bernard, sans une faiblesse, envoya sa réponse:
« ~cep.t
poste régisseur. Serai à Ailly aprèsdemalll sOir. "
Une émotion qu'il ne voulait pas s'avouer à luimême faisait aussi battre son cœur à la pensée
qu'il allait revoir la belle Paule Wanel. .. 11 vivrait
tout près d'elle, se trouverait sans doute souvent
dans sa société. (.!u'était-elle devenue? Il n'avait
plus entendu parler d'elle depuis deux ans. Etaitelle encore dans le pays? EUe était remariée, pe1,ltêtre?
Inconsciemment, cette dernière hypothès.e lui
fit mal. .. il s'en étonna; que lui importait, après
tout? et que pouvait avoir de commun Jean Bernard, le régisseur, avec la richissime veuve de
l'industriel l'Il ne se fit pas illusion; il prévit biell
des luttes, bien des humiliations dans sa nouvelle
situation, auprès de celte vieille fille, originale et
impérieuse ... Mais il avait accepté le legs sacré, le
seul que lui avait laissé sa mère, il avait juré; il
tiendrait son serment, coOte que coCHe!
Ce fut rempli de ces intentions qu'il se présent~
le surlendemain chez sa nouvelle matlresse, pouf
prendre ses ordres.
.
Mlle Gertrude, avec le sans-gêne qui lui étlllt
habituel, dévisagea hardiment le jeune hom~1
qui s'inclinait devant ·elle avec le grand air dont Il
n'avait jamais pu se départir.
- Ah! ah! vous êtes exact, c'est bien, j'aitlt
cela, grommela-t-elle, après une minute de silence·
Vous ml manquerez pas d'ouvrage ici, je vous eO
préviens. Mon frère, qui n'a jamais su faire que
des sottises, avait voulu en mourant en faire UJ1~
dernière plus glosse que les autres: il avait laisse
ses biens à deux étourneaux qui n'en ont pli'
voulu heureusement, et qui n'ont pas osé tIl(
�TANTE GERTRUDE
53
dépouiller de ce qui me revenait de droit! Vraiment! j'aurais voulu les voir ces écervelés à la tête
d'une telle fortune! Il était temps qU'llne perà poigne mette bon ordre au x dilapid a:;~)ne
tions de toutes sortes qui se sont commi ses ici
depuis plusieurs années. Mais, je suis là! et les
voleurs vont avoir du fil à retordr e! L'intendant
de 111011 frère, qui était un fieffé coquio, a pris la
pouùre d'escam pelle! il a bien fait! Qu'i 1 aille se
1 mais gare à celui qui s'y
pendre ail1~urs
~aire
entende z, jeune homme?
Vous
1
ais
désorm
trottera
une person ne avertie en vaut deux 1
Et voyant un éclair d'indig nation dans les
g.rands yeux noirs de Jean, la vieille fille contmua :
- Ah! ah 1 c'est là que le bât vous blesse!
tant pis! vous vous habitue rez! les Neufm oulins
Ont toujour s eu main leste et franc parler. Quant
à leur devise : CI. Ce que Neufmoulins veut, Neufmoulins peut XI, mon frère l'avait oubliée, mais
moi j'y tiendra i !...
Pour le momen t, vous avez l'air transi et vous
fatigué. Je vous ai fait installe r dans la
~tre.
d~ez
abbaye , on va vous y condui re; ma cuisi"~el
l11ère vous servira vos repas jus<I.u'à ce que vous
ayez trouvé une bonne. Je vous paierai ce que vous
payait le prince, mais vous n'avez pas la prétent ion
que je vous nourris se par-des sus le marché ! DéIl faut d'abord que chacun reste
~rouile7.-vs!
libre; j'ai horreu r de tout ce qui porte atteinte à
la liberté 1 J'aurai s pu vous loger ici, le château
est assez vaste pour tout un régime nt, mais vous
m'auriez gênée et ma société, d'aulre part, ne vous
eût guère amusé non plus 1 Mainte nant, je vous
attendr ai ici, dans mon bureau , tous les matins,
de huit heures à dix heures. C'est le temps que je
et
veux consac rer à ce qui regarde l'a~minstrho
l~ gérance de mes biens. Bonsoi r 1... Ah! un derIller mol... Vous aurez Ull cheval et une voilure à
votre disposition, c'est indispensable pour votre
mais vous prendre z un cocher à vos frais,
s~rvice,
SI le cœur vous en dit. Vous trouver ez cet articie
ainsi qu'une bonne, au bureau de placem ent d' Ailly:
Je vous préviens, par exempl e, qu'il n'en sort rien
�IANT.t:: G : RTRUDE
dt: bOIl ! Coquins et coquines s'y donnent rendezvous! A bon entendeur, salut! Thomas?
Et la vieille fille, à qui l'usage des sonnettes
rilraissa.it inconnu, ayant ouverlla porte dl! bureuu,
d'une voix de st~nor.
,lppela le domes.tiq~
Celm-cl, habitue sans doute aL1X laçons de :a
m<lltresse, apparut au bout d'un instant au bas de
l' escalier ..
Conduis monsieur à l'Abbaye, et veille à cc
que cette paresseuse de Zoé lui fasse du bon feu_
Tel fut Paccueil que le comte de Ponthieu reçut
le jour .je son arrivée dans ce chAteau, qui lui rappelait tant de SOuvenirs.
Il fut agr~.blemnt
surpris, en pénétrant dans I-e
vieux monastère: une {lam~
' joyeuse pétillait
dans. la grande cheminée de la pi8ce qui devait lui
serVir de salle à manger et où un dlner réconfortant
l'attendait. Un bon feu avait été allumé aussi dans
sa chambre et, apres c~ long "oyage fait par un
temps glacial, dans une disposition d'esprit plutôt mélancolique, après cette première entrevue si
pénible, et l'émotion que lui avait causée la vue de
ce pays, où il avait passé de si heureux l1bment~
et
où il rentrait maintenant en dé s hérit~,
en déchu,
Jean éprouva un singulier bien-être; il eut la sensation infiniment douce d'être enfin là, chezJui. La
tristesse qui l'avait envahi se dissipa peu à peu, le
courage lui revint.
Le lendemain, lorsque son régisseur se présenta
devant elle, la chatelaine s'aperçllt du chanB"ement
qui s'était opéré en lui: le jeune homme était redevenu absolument maitrc de luÎ-meme. La dignité
d~ Son maintien, ses grands y~ux
noirs ~n
eu
tristes, au regard plein de franchIse, ses traits fins
mais énergiques, sur lesquels se lisait la droiture du
ca~tère,
tf:"lutes ces particularités n'échapèr~t
pOlUt à Mlle de Neufmoulins; elle en fut frappee.
- Regardez-moi ça! murmurait-elle in petto,
com!U e elle préparait les livres de comptes e- s'asseyait à côté ~e Jean, c'est un simple gueux, el ç~
vous a des airs d'un prince du sang! Parlez-mOi
un peu, après cela, des si~ne
distinctifs de la race!
Je serais curieuse de VOir la figure que fera mon
futur neveu au près de ce singulier personnagel
r.
�TANrE n
UD,
,5
Le dé5ir de la vieille demoiselle ne dcvai 1 pas
tarder à être satisfait.
Il y avait près de deux heures que Mlle Gertrude
travail! il avec son intendant dont, à sa grande •
satisfaction, clle avait pu apprécier déjb l'intelli~enc
et les capacités, lorsque des cris joyeux les
Interrompirent.
- Hurrah 1 J'ai gagné 1 Battu, mon cher! Vous
ête.s battu à plate couture! Toujours la victoire du
sexe beau sur le sexe laid 1s'écria une voix fraIche,
tandis qu'un rire perlé éclatait COmme une fusée.
e~tr'ou
, Un soleil superbe brillait RaI' la fen~tr
\erte du bureau, et Mlle de Neufmoulms qll1tta sa
place pour jeter un coup d'œil dans la cour.
- Bonjour, tanie Gertrude 1 VOIlS ne dil'et. :{Jas
q~e
ie ne suis pas matinale, hein? C'est moi qUI ai
lait dénicher ce pauvre Pierre il neuf heures, et il
en «;st tout grinchu 1 Il bougonne depuis notre
SOrhe d'Ailly! Il faut dire aussi qu'il n'est pas CODtent, car je l'ai battu! et bien encore 1 Je monte
vous embrasser et vous raconter tout cela en détail.
, Un pas vif et 16ger résonna bientôt dans le cor·
ldor , et Paule, qUI croyait sa tante seule, poussant
a porte ~als
se donner même la peine de frapper,
apparut Sur le seuil, très crane dans son costume
de cycliste; éblouissante de fratcheur el de beauté.
hésitante, à la vue de Jean; ses
. Elle ~'arèt,
IOlles se couvrirent d'une légère rougeur.
- Entre donc, dit Mlle de Neufmoulins; c'est
Illon intendant.
Ce fUl au tour de Jean de rougir.
« Ne fais pas attention, disait le ton dont fut
ârononcée cette simple phrase, ce n'est qu'un
omestique! JI
.Sans un mol, Jean se leva et, s'inclinant profondement devant Mme "Vanel, il se disposa à se retirer, tnais Mlle Gertrude l'arrêta:
-:- Un instant, s'il vous platt ; nous n'avons pas
fibeDI • A6t:tcds-toi f~, Paulettll, et tâche de fermer le
c pendant cinq miaules. Ensuite, je serai à toi.
, ~a
jeune femme, subitement gênée, pre:-;tlue
Intimidée, ne trouVI n! pas de siège ~
port('e
S::assit ~ans
bruit sur le rebord Je la f Ilètre UII \'t'l1e •
. le .t.:' . 3ise 'v'" fac;{' , ,. 1)., et .He !' .l.umina
~1'
r
"3
1
�~6
TANTE
G~RTUDE
'avec curiost~.
L~
~isage
pâl.e, plutôt sévère d
régisseur, lUI plaisai t; sa VOIX basse, aux note
fraves, la charm ait; elle écoutait a~ec
un in.térèl
fnconscient ses réponses, ses réllex.lOns leu)our
polies, mais empreintes d'une froideur un pe
hautame.
Mlle de Neufmoulins avançait-elle une opinio .
hasardée, il avait une façon à lui de la réfuter qUI
arrêtait toute réplique et remettait les choses aU
. point. La vieille fi Ile, de son côté, paraissait trou'
ver une sorte de pla,isir à contrec arrer le jeune
homme, à le piquer au vif, mais elle ne parvint pas
à le CI. coller» selon son expression 1 Jean Bernard,
toujours mattre de lui, avait réponse à tout.
Pendan t ce temps, M. de Lanchères, qui s'éton"
nait de ne pas voir reparaltre Mme Wanel , se
décida à monter la rejoindre.
- C'est assez pour aujourd'hui, dit Mlle Ger..
trude en se tournant vers Jean, qui s'était levé en
voyant entrer le jeune officier; demain, noUS COn"
tinuerons de débrouiller l'autre compte. Cette
après-midi, vous pOUIT~Z
aller à Ailly pour VOUS
procurer uil. cocher et une bonne. Savez-vouS
condui re?
.
- J'avais un cabriolet à ma di!lposition chez le
prince d'A •.. et je conduisais moi-même.
- Bon. C'est toujours utile de savoir le mét"et
de cocher ; ça peut servir.
Et comme la vieille fille, en disant ces derniers
mots, no quittait pas du regard le jeune régisseur,
elle vit un éclair passer dans ses yeux noirs.
- D'ailleurs, si vous n'aviez pas su conduire,
aj 0 uta.-t-elle , ma nièce aurait pu vous donner de
très bonnes leçons, et mon futur neveu aussi, à
l'occasion. Ils s'y entendent 1 C'est la mode de noS
jours, paratt-il, que le domestique soit conduit pat
le maître 1Vous pouvez vous retirer, monsieur .. '
Allons, bon! voilà que je ne me souviens plus de
votre nom!
.
,
, - Jean Bernard, répondit fièremellt le jeune
homme.
_ Bien! Je tâcherai de me le rappele r. AU
revoir, monsie ur Bernard.
Le rG r. i ,- ~· m r, <l r r As g'! tre Înd ini I h:r ~r DlfO n t
�TANTE GERTR UDE
devant les person nes pr~<;ents,
Son pas assuré.
57
ql il(a la pièce de
Paule, comme interdi te, n'avait pas hougé. Elle
éprouv ait une sorte de dépit indéfin issable en
Constatant l'impre ssion que lui avait faite ce Jean
Bernar d.
- Eh bien! que dis-tu de l'oisea u? interro gea
la voix railleus e de sa tante, la tirant brusqu ement
de ses réflexio ns.
- Il est très chic! répond it-elle viveme nt.
- Et surtout bien prétent ieux, remarq ua
~. de Lanchè res. Où avez-vo us déniché cet intendnnt, madem oiselle?
- En Belgiqu e, « savez-v ous », monsie ur mon
futur neveu.
- Qui vous l'a recomm andé, tante Gertru de?
, - Ma chère enfant, j'ai vu son annonc e dans le
(JauTois. Avant de lui écrire, je me suis inform ée
Pour tâcher de savoir s'il était moins voleur que la
plupart des gens de son espèce. Il paratt qu'il est
dans les modéré s et ne tire pas trop sur la ficelle;
alors, je l'ai accord é! Il n'a pas le sou, et se mêle
d'élever deux enfants ! Ça me chiffon ne. Mais,
qu'y faire? C'est bien sûr ma bourse qui paiera
encore les frais de ces éducati ons-là. Tant pis; j'ai
cherché , je n'ai rien trouvé de mieux.
- Il:1, ma foi, des airs de grand seigneu r, dit
P au lette.
l'vIlle Gertru de haussa les épaules .
- Si ça ne vous fait pas pitié, de voir des
manant s avec une tournu re pareill e! Où allonsnous, grand Dieu! Soit dit sans vous offense r,
!
futur neveu, il est autrem ent .taillé que ~ous
~on
t vous êtes pourtan t autrem ent IItré que lUI ! En
tou.t cas, il me fait l'eITet d'un gars qui n"a pas
frOId aux yeux, et mes coquin s de fermier s vont
aVoir du fil à retordr e avec lui!
d Celle perspec ti ve égayai l sans doute la vieille
ernoisellt:, car elle paraiss ait ravie el se frottait
éne!"giquement les mains, ce qui, cher. elle, était
tOUjours un signe de grnnd conten tement .
Paulett e, RU contrai re, restait pensive , et ses
bleus avaient un regard rtveur qui ne leur
Yée~x
tait pas habitue l.
�M de Lanchères, qlli l'o
_. Qu'y a-t-il, ch ère bservait, s'en aperçu
auprès dd vlt ne W an el, ? demanda-t-il en vena
vous avez l'a ir préoccupé
E;t-c~
e
que l'arrivée de cet int
en da nt? interrogea
t-il à voix bassè ...
_ Cet intendant 1 interr
ompit la jeune femtll
d'l ln ton bref 'lui augm
de son fiancé. (.lue m'imenta encore l'étonneme
porte 1 Pouvez-v.ous su
posC)l" que je lui fasse
onneur de m'occuper de
pe rso nn e? Venez, Pil'h
e! Allons voir mo po
trait auquel Thérèse err
travaille depuis huit njou
continua-t-eUe, de sa vo
ix redevenue caline ; voU
me direz si je suis resmbl~nt.
Jea n Bernard eut bie
là, comme il était assis n des distractions, ce soi
dans la pièce qui lui ser
de bureau, ocu~
vai
à reviser tous ses co
mptes d
la journée. Il avrut laissé
le servait, et il avait bie causer la vieille bonne q
vait l'intéresser. Zoé,ntOt appris tou t ce qui pou
généralement les gens bavarde comme le son
raconté en détail fe ma de cette classe, lui avai
gique de l'industriel, riage d~ Paule, la 6n tra
le testament
ginal cl
M. de Neufmoulin
s - un bon homme,ori
mais un ~u
toqué! il ne pouvait pas selon Zoé
en être au tr
ment d'ailleurs, déclarai
le sont tous dans la ramt-elle ingénument, ca r il
avait da s'en apercel'oir ille! Monsieur l'intendan
\ru de ? - Il avait su enen causant avec Mlle Ger
dernière en se voyant suite la fureur de cette
lequel elle avait toujou frustrée d'u n hérita~e
rs compté, ses récl'Im suC
tions et ses manœuvres
ina
po ur em p!c he r sa nièce'
d'accepter.
- Ce n'est pas une ma
uvaise personne que no~
demoiselle, mais elle n'e
st
elle n'avait pas tant be pas commode 1 Bah!
puisque Mme W an el et soin de se faire de bile,
l'ht:ritage en qu est ion M. de Ponthieu refusaient
si ce neveu de mon.'Iieu!r M'est avis, po urt an t, que
il n'aurait bien sû r pas avait connu not' Paulette,
rendu un fameux servic refusé! Et il lui aurait
chères qu'elle va épousere, à la petite, car ce LalY
Il ne plal! guère non plu ne me dit rien de bon!
5e cache pas po ur le lui s à Mlle Ge rtr ud e, qui nC
donner à en ten dr e!
Jean Be rna rd avait ain
..
si appris tou t ce qui lui
1
�'ANT
m;:RTRum:
,"9
tenait tant à cœur; Paule n'était pas encore mariée,
mais elle était fiancée, et le mariage aurait lieu
dans quelques mois. Une sorte d'angoisse étreignait le cœur du jeune homme à cetté pensée ... 11
revoyait Mme Wanel comme elle lui était aprarue
ce matin-là, jolie à ravir dans son costume de
cycliste, ses grands yeux étonnés lorsq u'elle s'arr~tai
sur le seuil, rougissante et comme prise d'une
hmidité subite ... Il la revoyait assise ou plutôt
perchée sur le rebord de cette fenêtre ouverte, le
soleil se jouant dans ses cheveux d'or el lui formant une sorte d'auréole... fi sentait ce regard
d'une hardiesse ingénue, attaché sur lui avec une
expression pensive, presque triste . .. Puis, l'entrée
de M. de Lanchères pour qui il éprouvait une
r~pulsion
instinctive. Comment Paule pouvait-elle
a,lmer ce bellâtre insignifiant? Cette même queslIon irritante qll'il s'était posée lors de son premier
mariage, lui rev~ait
à l'esprit... L'aimait-elle?
Elle avait pu épouser Wanel pour sa fortune, m~i
pourquoi épouserait-elle celui-ci?
Lorsqu'il se décida à se meUre :lU lit, il n'avait
pas.encore pu résoudre cette énigme, et il ne s"endOl nït que fort tard dans la nuit, poursuivi par le
0u'"enir de la jeune femme el de son fiaocé.
�60
TANTE GERTR UDE
CHAP ITRE .. VI·
n y avait ci~'1.
mois que Jean Bemar d était ~ns
tallé comme reglsse ur au château de Neufmohns~
il ne pouvait le croire, tant ces cinq mois !tu
avaient paru courtf. Pourta nt, il n'y avait pas de
doute à ce sujet: les vacances de Pâques allaient
ramene r auprès de lui ses (( deux enfants ».
Mlle de Neufm oulins, tout en accàbla nt le jeune
homme de ses rebuffades, comme c'était son habitude, d'ailleu rs, avec tous ceux qui l'entou raient.
avait do reconn altre son activité intelligente et son
irrépro chable droitur e.
.
- Nous nous chamai llons tout le teQ1ps, disat~
elle à sa nièce, un jour que celle-ci avait été témoin
d'une discussion assez animée entre la vieille fille
et Jean Bernar d - ce dernier défenda nt son opi~
Dion respect ueusem ent, mais avec fermeté - et
j'ai beau faire, il me u colle» presque toujour s 1
C'est un rude gaillard 1 Quel domma ge qu'il soit
gueux comme un rat. Si jamais je m'étc1is mariée,
J'aurais souhait é d'avoir un fils tel que ce Bernar d.
De son côté, le régisse ur, qui avait d'abord
éprouv é une sorte d'antip athie pour la châtela ine,
revenait peu là peu de ses préven tions et comen~
çait à l'estime r, sinon à l'aimer . Il avait découvert
que, sous ses apparen ces brusqu es, désagréableS
même, Mlle Gertru de cachait un cœur accessible
aux meilleu rs sentime nts.
Le p'auvre qui frappait à sa porte était souvent
accueilli par un véritable déluge de paroles déplaisantes, mais il ne s'en retourn ait jamais les mainS
vides.
•
En appren ant l'ari~e
rrocha ine de Gontra n et
de Madele ine, elle avait d a bord jeté les hauts cris:
elle avait horreu r du bruit! Avec des enfants,
jamais un momen t de tranqui llité! Ne pO\fvait~Jl
les laisser dans leur pension '1
Mais, pendan t une semaine, sur ses ordres, tout
�TANTE GERTR UDE
avait été bouleve rsé dans la part it de l'Abbay e qui
servait d'habit ation à Jean, pour prépare r deux
chambr es aussi coquett es et confort ables gue
'
possibl e.
Et depuis trois jours qu'ils étaient là, c'éta it bi en
a,utre chose. Madele ine, avec sa gaieté commu ni -;hve, sa verve intariss able, son san s-gène charma nt,
avait positive ment fait la COl1Lluête de la vieille fille
qui l'accap arait, sans s'inquié te r des protest ations
du régisse ur. Gontra n, avec sa fis-ure « de papie r
maché », selon son ex pressio n, lUI plaisait moins;
elle lui faisait néanmo ins bon accueil . Elle avait
exigé que, chaque soir, Jean et les enfants dinasse nt
au châtea u; quant à Madele ine, elle passait une
bonne partie de la journée auprès de Mlle Gertru de.
Thérès e, la jeune demois elle de, compag nie, était
aUssi devenu e bien vite amie avec Madele ine, mais
la grande favorite de l'enfant , c'était Mme Wanel.
Madele ine était restée en extase devant Paule,
la premiè re fois qu'elle l'avait vue, et comm e
. Mll,e Gertru de s'étonn ait du silence étrange de la
petite, Gelle-ci avait déclaré naïvem ent:
, :- C'est que je n'aij'am ais vu une personn e au ss i
lobe que Madam e! e ne croyais pas qu'on pflt
rencon trer quelqu 'un d'une beauté aussi parfait e!
Paule avait ri, mais l'admir ation de J'enfan t lui
était allée droit au cœur.
Le soir, en rentran t à l'Abbay e, Madele ine,
encore sous le charme , avait accablé son frère de
questio ns auxque lles il avait répond u d'un to n
plutôt contrai nt.
- Oh! Jean, tu ne m'avais pas dit que
Mme Wanel était mervei lleusem ent belle! ne ces.
'
sait de répéter la petite.
, - .le ne l'ai jamais remarq uée, dit frOidem ent le
Jeune homme .
- Tu mens, Jean, tu mens! Tu rougis et ton
ll.e!: tourne, comme disait ma viei ll e nourric e. Quel
dOm,m age que son fiancé soit si laid et surtout ait
Un alr SI bête 1 Il faudrai t à Mme Wànel un mari
très disting ué, très ... Tiens! Jean! - et l'espièg le
prenan t Son frère par les épaules , plonge a ses
ux rieurs dans les prunell es sombre s, - il lui
audrait un mari comme toi 1
r
�' TAN TE GERTI<l.1D.t
Mais
elle rest a surp rise et inte rdit e dev
ant l'ait
irrit é du régi sseu r. .
.
_ Peti te soU e! sron da-t -ll en
avec une bru squ erie mac cou tum ée. la repo ussa nt
Que Je ne t'en~
tend e plus dire de pare illes cho ses!
Un cou rt silence s'en suiv it.
_ Vou s cachez pas, mam an Jean
, mur mur a
alor s la peû te d'un e voix c~lin:!
en emb rass ant SOli
frèr e sur ses che veu x noir s, lVloo
ne le fera plu s!
Puis. rede ven ue ~aie
et lD!;ouci
sauv a en cou rant , lUI envoyant des ante, eUe se
des doig ts. jusq u'à ce qu'e lle fat sort baise rs du bout
ie de la maison.
Mai s le jeune hom me, que la
réfl
exion de la
fillette ava it prof ond éme nt trou blé,
pen sif aprè s son dép art. Et l'im agerest a long tem ps
.de Pau le qui le
pou rsui vait part out, lui revi nt avec
une nouvelle
force.
Il étai t bien obli gé de s'av oue r
c'ét ait la prés enc e de ·Mm e Wa nel à lui- mêm e que
qui lui ava it fait
para Hre le tem ps si cou rt. Le cha
qu'e lle exe rçai t sur lui avait gran di rme irré sisti ble
et il l'aim ait de tout e l'ard eur de de jour en jour .
Tou t en dép lora nt les allu res son cœu r vierge.
Pau le, sa coq uett erie effrénée, sa exc entr ique s de
frivole, il ne pouvait s'em pêc her vie mon dain e et
qui l'etH effroyablement cho qué de l'ex cuse r. Ce
dan s tout e autr e
lui sem blait chez elle de sim ples trav
ers bien digJ;les
d'in dulg enc e.
Mlle de NCl\hnoulins ava it cha ngé
travail avec SOIl régi sseu r. Tro uva ses heu res de
moi ns com mod e de trav aille r dan nt qu'i llhi i étai t
s
lui avait dit de ven ir déso rma is la mat inée , elle
la rejo indr e dallS
son cabinet cha que jour , vers la
fin de l'ap rès- mid i,
C'ét ait le mom elll oit Mm e Wa
nel - don t l'int~
m ilé avec :;a tant e para issa it avo
ir sing uliè rem ent
at gm
cD~é
ces d~r!1les
te~p.s
- arri vait au cltateaU
i"J ur fane sa VIsIte quo tidi enn
e Mll e Ger trud e.
Celle-r.: i, qui ne perm etta it pas à àThé
rèse d'en trer
d~ns
son bur eau lorsqu'elle trav ailla it avec
JeaJl
Bt,nUArd , lais ;;ait sa l\i~ce
libr e d'al ler et Tenir à sB
gui
5 \ ~ , to ut en la lDorigénant selo
n son hab itud e.
~v t dt' Lunc
b ère~
, qui accQmp'agnnit !lA fiaDC~e.
Ile
il\ll ir.&!OÎt PY! de',; mêm ts priv ll.e
s.
--rI;.
'K'
. li'tl
ro~
i tl.! . r. H~l
1.
'Ir'"
6U....
tll
�63
peux venir m'emhusser si l'envie t'en'-Prend,
même lorsque Je :;uis dans les paperasses, mais
que je n'aperçoive pas le joli museau de ton amOllreU"l( dans l'embrasure de la parle, car alors, je me
calfeutre sans rémission pour toi comme ponr les
autros. C'est bien assez de le voir à d'autres
moments!
Paul' retenir son régisseur il dlner, Mlle Ger-
trude l:ll'aÎt prétexté que sa nièce, les dérangeant
. maintes fois dans leurs comptes, leur faisait perdre
beaucou p de temps et qu'ils pourraient travailler
encore dans la soirée. Mais, presque toujours, eUe
se trouvait ensuite trop fatiguée et demandait à
Jean, qui n'osait refuser, de faire le mort dans
Une partie de whist avec elle et Thérèse.
Paule, aussi à l'aise que chez elle, restait à dtner
les jours où elle n'attendait personne; elle invitait
même sans cérémonie M. ae Lanchères à en faire
autant, lorsqu'il se trouvait là. Puis, comme elle
ne passait guère une soirée sans aller dans quelq ue
r~unio
mondaine, le repas fini, elle partait bien
vite, laissant derrière elle un parfum de jeunesse,
Iln rayon de gaieté.
.
Le Jeune régisseur éprouvait un charme étrange
.1 Se sentir dans ce miheu familial. Sans se départir
de la réserve convenant à sa situation, il sortait
~uelqfois
de cette gravité un peu triste, de cette
roideur un peu hautaine qui en imposait à tous
ceux qui l'approchaient. Causeur ér dit et spirituel, il savait mtéresser ; aussi avait-il surpris plus
d'une fois les grands leux clairs de Paule posés
'Ur Illi, tandis qu'elle 1écoutait attentiVetllentl
Mlle Gertrude, avec son esprit sarcastique, ~on
nait souvent la réplique au jeune régisseur et la
conversation ne chômait pas j la châtelaine était
heureuse d'avoir un interlocuteur aussi disert.
Les jours où M me Wanel n'a viit pu. venir dans
l'aprè,,-midi, elle arrivait le soir, dans son coupé
lUXueux, capitonné de satin Fose, et ne restait que
duelques minute,;, le temps d'embrasser sa tante et
e se faire admirer, comme elle disait en riant, de
son beau rire cnndide.
h Jean Bernard était là le plus sou-vent, et le maleureux, ébloui par la radieuse 'l.pparition, ne
�TANTE GERTRUDE
pouvait déta,cher ses ye~,x
de l'adorable créature à
qui ces ?ia,mants, ces biJOUX, ces dentelles co~ve
naiellt SI bien, et dont ces ornements rehaussaient
encore la merveilleuse beauté.
Il en voulait secrètement à Mlle Gertrude de ses
critiques désagréables et de., remarques désobligeantes avec lesquelles elI é" ne manquait jamais
d'accueillir sa nièce.
M.ais cel~-i
n~
semblait pas s'en inquiéter;
elle protestait en nant et s'écnait :
- Oh! tante Gertrude, ne dites pas que je ne
suis pas jolie, car vous le pense7. tout bas! D'ailleurs, mon miroir me l'a dit, et il ne ment jamais!
N'est-ce pas, Thérèse, que ma toilette est réussie '!
M. de Lanchères, qui s'y connaît, l'a 1rOtlvée
parfaite!
.
Là-dessus, elle embrassait Thérèse ct Mlle Gertrude, pllis s'inclinait gracieusement devant le
jcune régisseur; elle se sauvait au milieu d'un
délicieux froufrou de soie et de dentelles. La châtelaine haussait les épaules d'un air de pitié, mais
elle ne parvenait pas toujours à cacher l'admiration
muette qui se trahissait malgré elle dans son regard
perçant et railleur.
- Si on a l'idée d;un~
pareille poupée! marmotait-elle en se remettant à ses cartes. Dieu vous
préserve du mariage, jeune homme! continuaitelle avec emphase. Et surtout que votre sœur ne
soit pas affjjgée d'une semblable cervelle d'oiseau,
Depuis l'arrivée de Madeleine, elle avait accaparé l'enfant, la questionnant sans cesse sur sa vie
passée, ses parents, ses études, que sais-je! La
petite, heureuse de bavarder, ne tarissait pas. Elle
racontait la mort de sa mère, l'indi(}'érence d'un
parent riche -:- q,ui aurait pu faire quelque ,cho,se
pour eux, avait dit son frère - mais les avaIt laISsés dans la misèh; puis le dévouement de Jean,
sa vie de privations, son oubli complet de luimême.
- Tout pour nous, pour « ses enfants », comme
il nOllsappellc, répétait la petite les joues animées,
une lueur d'affectIOn reconnaissante dans ses yeux
noirs, rien pour lui! La ~iel
Margotte, la bonne
que lui avait donnée le pnnce, est venue un jour me
�l ANTJ!: r.Jr.RTRUD
5
dire qu'il sc pnvait mime ùe IDL\uger pour m'apporter des douceurs lorsqu'il venait me voir à ln
pension. Et je l'ai grondé! et il a grondé Margotte
pour me l'avoir dit! Il n'y a personne au monde
d'aussi généreux, d'aussi bon. que notre « maman
Jean », concluait la petite d'un àir important.
Et Mlle Gertrude qui, selon ~on
habitude, raconta it toujours tout à sa nièce, après lui avoir fait
part des confidences de l'enfant, ajoutait de son
ton harfjneux et méprisant:
- SI c'est permis à des manants, de simples
gueux, d'avoir de tels sentiments! Vraiment,
c'est le monde renversé! Tu verras qu'on finira
par élever des statues à des Jean Bernard!
Un jour que le régisseur se préparait à sortir
pour une de ses tournées habi tllelles dans les terres
dépendantes du château, il vit arriver à lui Madeleine gui avait déjeuné avec Mlle de Neutmoulins;
elle accourait, suivi.e de Thérèse, sa grande amie.
- J ean, veux-tu me permettre d'aller passer
l'après-midi et la soirée chez Mme 'Wanel. On
dansera et je mettrai la jolie robe de voile blanc
que tu m'as clonnée pour ma fête, tu sais bien,
celle que j'avais le jour de la distribution des prix,
et avec laquelle tu m'as trouvée si belle?
- Vous y allez aussi, mademoiselle Thérèse?
demanda Jean, avec un bOll sourire indulgent,
devant l'entho usiasme de Madeleine.
- Oh ! non, monsieur Bernard; je ne m'y
sentirais pas à ma place, répondit la demoiselle de
Compagnie. Mme Wanel reçoit toutes les dames
d'officiers: je serais comme perdue au milieu de ces
élégantes et j'y ferais triste figure.
.
Jean avait tressailli en entendant ces SImples
Inots de la jeune fille: « Je ne m'y sentirais pas à
Ina place.» Il lui parut tout à coup que depuis
l'arn vée ùe sa sœur, il avait oublié parfois qu'il
~ ' étai
qu'un simple intendant. La réflexion de
r,hérèse le rappelait à la réalité. Aussi répondit-il
d un ton ferme:
- Non, Madeleine, je ne puis te permettre
d ' ~l1er
en soirée chez Mme Wanel. Elle est mille
fOIS trop bonne de t'avoir invitée et tu l'en remer ·
cleras, ruais il n'est pas possible d'accepter.
•
�66
Pourqu oi? deman da l'cntan t avec insistauce.
_ Parce que Madeleine Bernar d serait dé,placée
au milieu des hôtes de Mme Wanel , répond it Jean
d'une voix brève, un peu cassante.
La fillette avait compri s. Elle baissa la tête et se
tourna vers Thérès e; celle-ci, l'attira nt à elle,
l'embra ssa tendrem ent.
- Venez, mignonne, Ini dit-elle, nous irons
ensemble remerc ier Mme Paule, n'est-ce pas?
Et, ce soir, nous ferons les fameux caramels dont
je vous ai parlé et que vous voulez emport er au
couvent pour les laire goo.ter à vos petites
amies.
Jean adressa à l'orphe line qui s'éloignait, en
emmen ant Madeleine, un regard de reconnaissance
pour sa bonté délicate.
Le'jeun e homme, après avoir secoué les pensées
pénibles que cette petite scène avait éveillées en
lui, se mit en devoir d'attele r le poney à la charrette anglaise qui lui servait pour ses excursions
journalières. 11 avait fini et se disposait à parrir
lorsque Mme Wanel arriva, tout essoufllée. Elle
portait une , ravissante toilette de drap clair, un
magnifique boa de plumes d'autru ches blanches
faisait ressort ir la fralcheur de son teint, une
toque de velours gris était coquet tement posée de
côté sur ses beaux cheveux d'or crépelé s; elle
était si jolie ainsi qu'insti nctivem ent le régisseur
s'arrêta , ne pouvant s'empê cher de J'admir er.
- Oh! monsie ur Bernar d, s'écria-t-elle joyeusement, j'avais peur que vous soyez parti; j'ai
couru pour arriver à temps 1 Madeleine me dit que
vous ne VOilIez pas que je l'emmè ne chez moi.
N'est-cc pas que ce n'est pas vrai? Vous ne voudriez pas me la refllser ? interrosea-t-el1e de cette
voix câline qu'il connaissait si bien, tandis qu'elle
attachait sur Illi son regard envelo ppant com~e
une caresse. Mais elle tressaillit devant l'éur
sérieux, presqu e sévère du jeune homme .
.
- Madame est mille fois trop bonne, répond it
Jean "Bernard d'un ton grave, mettan t une sorte
d'affectation en parlant ainsi à la troisième personne, ce qui ne lui ~tai
pas habitue l, mais je
rCllrette d'~tre
oblig6 de IUl r6péler CP, 1u~
loi •
�déjà dit Maùeleme : nu, SQlur ne: peut ~8
llhr e.ta
SOt ré e chez Madame.
- PourqLlOi donc? inte ragea Paule, étonnée.
Vous craignez qu'elle s'ennuie? Mais il y aura des
fillettes de son age, Andrée et Irène de Rouvray,
les enfants du colonel seront là.
- Assurément, Madeleine ne s'ennuierait pas
chez Madame; ce n'est pas là ma crainte, mais
elle pourrait ennuyer les autres.
- Au contraire, protesta Pàule, elle nous
amusera beau coup ...
- Si ma sœ ur devait servir de jouet à la société,
je l'egre1le encore plus d'être obligé de la refuser à
Mada me, interrompit Jean avec hauteur, mais ma
décision est irrévocable.
Mme Wanel, étonnée de cette interprétation
blessante de ses paroles, leva les yeux sur le jeu!\!::
homme: subitement gênée, intimidée presque
d.evant ce visage dur et 1ro!d, elle sc tut. Après un
silence pénible, elle balbutia, très bas:
, - Votre refus me fait beaucoup de peine, monSIeur Bernard.
Et elle s'éloigna sans se retourner.
Jean, honteux et confus de sa rudesse, suivit
d'un regard plein d'émotion l'élégante silhouette ...
Comme obéissant à une impulsion secrète, il allait
S'élancer pour la rejoindre, lui parler; mais au
même moment cinq ou six officiers, parmi lesquels
M. de Lanchères, parurent au haut de l'avenue et
au milieu de cris Joyeux s'avancèrent en courant
auprès de la jeune femme.
- Bravo! la voil à ! Madame Paule est retrouvée 1 hourrah! Lanchères vous croyait dél'à noyée
~al1s
le grand étang et voulait le fall'e exp orer sur
J heure J
Et tous ces jeunes écervelés entourèrent Mme
;Vanel, tandis que son Gancé, lui ayant pris le bras,
entralnait gaiement vers le château.
- Fou que j'étais ! murmura Jean Bernard,
-et il sauta dans la petite voiture qui l'attendait
devant sa porte .
.~l1e
minute après, il passait comme un éclau' au
lll.llleu des officiers, au grand galop du cheval, qui,
pou h abitué Il semblable tTl1ltemenl, se calH'Rit
�68
TA~E
6ERT~UD
sous les çoups de fouet énergiq ues de son t.onduc
teur.
.
Il frôla et faillit renvers er un d es Jeunes
gens
qui le poursui vit de ses impréc ations furieus es.
_ Anima l! butor 1
Mais cheval et voiture étaient déjà hors de vue.
_ Qu'est- ce que ce rustre-là"? interro gea l'officier.
_ L'inten dant de ma future tante, répond it
M. de Lancbè res. N'y touche pas, mon cher, car tu
te ferais mal voir de la châtela ine de céans 1 elle
ne jure que par lui et me le cite dix fois par jour
comme un modèle de toutes les vertus 1
- En tout cas, il pourrai t bien ne pas écraser
les gens qui sont sur son chemin , gromm ela l'oflicier, toujour s irrité. Et surtout , il a effrayé Madame, qui est devenu e toute pâle, continu a-t-il en
regarda nt Mme Wanel .
- Vraime nt, vous avez eu peur, chère '! interrogea polime nt M. de Lanchè res en se pencha nt
sur sa fiancée.
- Oui. .. j'ai cru que M. de Saint-A mand était
blessé, murmu ra Paulett e.
- Que je l'y reprenn e, ce manant , à vous
effrayer ainsi! gronda M. de Lanchè res, je lui
tirerai les oreilles !
Paulett e sourit sans répond re. Elle jeta un regard
légèrem ent ironiqu e sur les formes étriqué es de
son fiancé, sa poitrine étroite, sa petite taille, ses
trails efféminés ... Et l'image de Jean, avec sa haute
staur~,
ses ~paules
larges, son visage ml le el
énergIq ue lUI apparu l soudain ... Elle poussa un
soupir, tandis qu'une express ion un peu triste
passai t daos ses grands yeux bleus.
Lorsqu e Mlle de Neufmo ulins connut ce soir-là
le refus de son régisse ur, elle l'appro uva avec son
sans-fa çon habitue l.
- Vous avez eu raison, la société de tous ces
écervelés qui tournen t sans cesse autour de ma
nièce, et qu'elle appelle son escadro n volant, ne
convien t pas à une enfant de quinze ans. J'aurais
agi C:OOlme vous à volre place; Thérès e lui fera
beauco up plus de bien en lui appren ant à fo.briquèl
des carame ls; ça vaut mieux que Je l:i'~tude
~
�• (lirter l, comme ils disent. Cette Pauletle n':a\lJ~
Jamais un grain de bon sens dans la t~e
1 une
poupée! rien de plus l ,
Mme "VVanel garda-t-elle rancune au jeune
régisseur? Il eut tout lieu de le croire, car à partir
de ce jour-là ses visites au château se firent plus
rae~,
et elle !)araissait choisir les heures où elle
savait ne pas e rencontrer.
Madeleme et Gontran étaient retournés dans
leurs pensions pour le dernier trimestre; la vie de
Jean Bernard avait repris son cours ordinaire. Ses
soirées se passaient maintenant dans la société de
Mlle de Neufmoulins ct de Thérèse, qu'il appréciait de plus en plus à mesure qu'il la connaissait
davantage. De son côté, la jeune fille se sentait
attirée à lui et lui montrait une grande confiance.
Elle lui avait parlé de ses projets d'avenir; elle
aimait à le consulter, sQre de trouver chez lui une
bonne parole, une consolation lorsque son courage l'abandonnait aux heures où le caractère de
sa vieille maltrcsse devenait trop pénible. Elle
avait avoué à Jean son désir d'entrer au couvent,
de se faire religieuse, et l'opposition formelle
qU'elle avait rencontrée chez Mlle Gertrude.
- Jamais, avait déclaré la châtelaine, elle n'y
donnerait son consentement. Elle n'avait aucune
foi en ces vocations qui poussent comme des
Champignons et disparaissent souvent aussi vite
qu'elles ont paru!
Lorsque Thérèse lui objectait timidement son
aversion pour le monde et le mariage, la vieille
fille haussait les épaules.
- Bah 1 on peut avoir le monde en horreur et
ne pas entrer au couvent pour cela! Quant à te
Illa.rier, à quoi bon '/ Tu es trop laide, d'abord, el
hUIS le meilleur tles hommes ne vaul nen du tout 1
1 est donc inutile de s'embarrasser de ce meublelà, surtout quand on n'a pas le SOli. Tu resteras
fivec moi; SI tu désires faire pénitence, (e mortier, tu n'as qu'à "ivre dans ma socié:té; je suis
assez insupportable pour tous ecu' qui l,l'entourent 1 Je saurai ,te fAire filr~
Ion p\~rgtojl'c
et tu
entrerali au ParadIS tOl1t drol t, :.l US~l
bie n que i
tu ll'a .•saia P;'I le: couveut
�Thérèse anit I:.es,~
t.i'josish:r, mais cHI! étalt
heureuse de confit;r ses rêves à Jean Bernard. Cil
qui elle sentait un tlmi sür et un bon conseiller.
Ils parlaient souvent de Pa~le
... ~a
jeu~
fille,
avec ce tact qu'elle possédait, avait devmé les
sehtiment:; confus du régisseur à l'égard de
Mme "Vane!. Elle le plaignait et comprenait ce
qu'il devait souffrir. Elle aimait profondément la
jeune femme, qui élait toujours pour elle d'une
affectueuse bontéet avait mille attentions délicates;
au.ssi la d~fenait-l
~ardiment
lorsqu'onl'.accusalt ou q~l on la blâmait en sa présence. MaIS elle
~eyouvalt
protester lorsqu'il s'agissait de la frivohte de Paule, de sa coquetterie, de son amour
effréné du luxe, du monde et de ,ses flatteries. Elle
éta~
la première à déplorer les excn~rités
de
la Jeune veuve, son dédain du « qu'en dira-t-on Il,
cette. sorte de défi avec lequel elle ,bravait l'~pino
publique au point de s'afficher dans toute circonstance, en société de n'importe qùelles gens 1 Ces
Jerniers temps surtout, Paulette semblait prise
d'une nouvelle fièvre de plaisirs, de distractions,
de fêles de toutes sortes contre lesquelles Mlle de
Neufmoulins criait bien haut.
- .Je ne sais vraiment pas sur quelle herbe
Paulette a marché, mais depuis qu'elle connatt ce
Lallchères, elle ne vit plus que pour le monde 1
Tout cela finira malI
Jean Bernard ne disait mot, mais sou cœur se
serrait au récit des extravagances de la jeune
fl:n~me
... 11 n'osait la condamner, ne pouvant la
cro.lre coupable; il la plaignait plutùt. .. et illlOufrralt comme il n'avait jamais souffert.
�TANTE GERTRUDE
,.
CHAPITRE VU
Depllis huit jours, il n'était bruit dans la petite
ville d'Ailly que d'un événement extraordinaire,
imprévu, auquel la plupart même n'avaient pas
voulu croire d'abord, mais qui, malheureusement,
s'était confirmé et ne laissait plus de doute: la
ruine complète de Mme Wanel. On avait appris
avec une véritable stupeur que de la fortune colossale amassée par le richissime industriel, il restait
à peine de quoi vivre à sa veuve, qu'il avait instituée sa légataire universelle.
Un toile général, suscité surtout par les quelques
parents éloignés qui s'étaient trouvés frustrés l'ar
la jeune femme, s'éleva bientôt contre celle-ci. Oll
Commenta ses folles dépenses, son incapacité, sa
recherche des plaisirs, sa vie mondaine; et cellx
tnêmes qu'elle avait souvent reçus à sa table, à qui
elie avait offert une hospitalité princière, furent
l~s
premiers à lui tourner le dos, à lui jeter la
pierre sans pitié.
- Elle ne serait plus si fière, cette petite Wanel
qui les écrasait de son luxe! Elle ne les humilierait
plus par l'étalage de ses richesses, l'éclat de ses
fêtes pour lesq uelles elle jetait l'or à pleines mains,
sans compter! Elle ne trônerait plus comme une
reine dans ses salons fastueux, entourée de tou te
cette cour d'adorateurs et de prétendants! Il lui
faudrait quitter ces fameux diamants cités ùans
to~
le pays, se séparer de cet~
magnifigue rivière
d~l
avait co/Hé plusieurs centalDes de mille francs,
Isait-on, et dont elle aimait à se parer ~vec
un t'l
orgueil!
,
A.u château de Neufmonlms, ç'avait été bien autre
chose! En apprenant la fatale nouvelle, Mlle Gertrude s'était emportée furieusement contre sa nièce
et ne lui avait Las ménagé les reproches les pins
désobligeants. oin de se montrer compé1ti<;~ne,
t'He t'a~lIi
JlCril blt'~
dOl! pIns {lu l'f! 1 p1P.rl)~$
�l'
Paulette a.vait tout supporté avtc une résigua1ion
touchante. Elle n'avait pas eu une révolte; pas
une purole amère n'était sortie de sa bouche pour
flétnt· la mauvaise foi de ses hommes d'affaires
dont elle avait été ln victime et la dupe.
Un étonnement d.ouloureux avait passé dans
ses grands yemc clall's lorsqu'elle avaIt reçu une
lettre cérémonieuse de son fiancé, M. de Lanchères, qui la remerciait en t~rmes
filanùreux de
l'honneur qu'elle avait bien voulu lui faire le jour
où elle avait accepté l'offre de sa main: il se voyait
malheureusement dans l'ohligation de renoncer à
une union qui eût mis le comble à ses vœux, des
circonstances indépendantes de sa volonté ne lui
permettant pas de songer à se marier pour le
moment ... 1
- Pourquoi ce garçon m'épouserait-il, maintenant que je .suis pauvre? murmura-t-elle.
On avait pensé d'abord que la prorriété, le
chAteau au moins, lui restait; mais on n avait pas
tardé à découvrir que tout était hypothéqué au
delà de la valeur.
- Mais tu n'as pas eu honte d'agir de la sorte?
gronda Mlle Gertrude en apprenant ce désastre
complet.
- Je n'en savais rien , balbutiait Paulette
étonnée, interdite.
- On n'a pourtant pas pu hypothéquer tous
tes biens sans ta signature! Pourquoi l'as-tu
donnée, malheureuse"
- Que voulez-vous, tante Gertrude, j'avais
confiance en mes hommes d'affaires. Je me souviens bien qu'ils me présentaient souvent des
r.apiers à signer, je ne Tes regardais même pas!
J'étais toujours pressée! j'y mettais bien vite mon
nom et je n'y pensais plus.
- Triple sotte! idiote! C'est bien fait! Tu n~as
que ce que tu mérites 'l Tu n'étais vraiment pas
digne de posséder une telle fortune! 00 n'a pliS
l'idée d'une incapacité pareille! Tant pis pour toi,
ma petite 1 tu récoltes ce que tu ilS semé! tu n'as
pus Te droit de te plaindre.
Je ne me plains p S Il '.I U plu!» ru" lillJte,
d~arjl
dou\:.ernent Pllulelt-J.
�toutes 108 honlos
La Jeune (emme connut ah)l~
de ces hrures de ruine. Elle vil vendre ce chatcllu,
ces meu bles, ces superb es bibelol\,., mervei lles
d'art el de goQt, ces tableau x. tout ce raffinem ent
du luxe modern e qui lui avait été si cher 1Illl1i fallut
se défaire à vil prix de ces bijoux qu'elle aimait tant.
- Pauvre M. Wanel , murmu ra-t-ell e en admirant une dernièr e fois la superb e rivière qu'il aVilit
été si fier de lui offrir la veille de son mariag e,
heureu semenl qu'il n'était plus là 1 Il serait si
désolé de voir partir ce beau collier.
Quand tout fut liquidé , il lui resta II peu près
trois mille francs de rente.
- Ce que me coQtait nne de mes toilette s de
baIl remarq ua-t-el le avec un sourire triste à Mlle
de Neufm oulins.
- Ma petite, répond it celle-ci, c'est ce que
j'avais jusqu'a u jour où j'ai hérité de mon frère;
tu feras comme moi, tu appren dras à vivre.
- Oui, mais, ma tante, vous aviez encore une
maison , moi je n'en ai même plus, lit observ er
Paulell e d'un air pensif...
- QU'à cela ne tienne, tu peux prendr e celle
que j'avais 1 je n'ai jamais voulu la louer aux
locatair es qui se sont présent és, leurs vilaines têtes
me déplais aient trQP. Tu n'as qu'à t'y installe r,
elle est encore toute meublé e.
Et Paulett e, résigné e, était allée occupe r la vieille
maison étroite el basse située dans le quartie r le
plus triste d'Ailly .
. Quant à sa tante, elle paraiss ait exulter , et, à en
Juger par sa condui te, ses manièr es, ses paroles ,
on aurait pu croire que la ruine de la jeune femme
lui causait une véritab le satisfac tion.
Jean Bernar d, indigné par cet excès d'illdif.. férence révolta nte de la vieille demois elle, ne cessait d'en parler à Thérès e lorsqu' il se trouvai t
lIeul avec elle. Celle-ci, de son côté, n'en revenai t
pas non plus.
- C'est incomp réhensi ble! disait-elle, et pourje suis süre, absolum ent so.rc qu'elle aime sa
t~n
OIèce 1
Le régisse ur haussai t les épaules d'un air incré-
4u.lo.
�_ A.llou!; donc 1 c'c:;t uuc égo ï:; lè,
1.out l:inp
ïe ~
. l Si elle aill,lai t Mm~
W
a~le,
ne
lui
aurai ~-l1e
pas ouv ert sa maison, ne 1aura it-elle
Au lieu de cela, elle la traite avec pas recueillie 7
moins d'ég ards
qu'o n n'eu aura it pou r une dom esti
que ! Elle lui
inflige affront sur affront, l' a cab.l~
de
et pou r comble, pousse la dénslOn :epro,ches!
Jusqu à lUI
offn r comme résidence ce taudis
pus loué . rce gu'elle n'a jamais qu'elle n'avait
trouvé pers onn e
qui voulfit l'ha bite r!
- Je n'y com pren ds rieu, mur mur
- Ne devrait-elle pas avoir hon ait Thé rèse.
surt out aprè s ce qui s'es t pas sé! te d'ag ir ainsi,
elle l'avait voulu, ne serait-elleMme Wa nel, si
maltresse de ce sup erbe château 7 pas dam e et
Thé rèse hocha lentement la tête .
.-- 11 aura it fallu pou r cela que
le comle de
Pon thie u consentit à se met tre de
la part ie, remarqua-t-elle sans s'ap erce voir du trou
ble subit de
son com pag non .
.- Enfin, déclara Jean avec imp atie
tiens mon opin ion: Mlle de Neufmo nce, je lll liÎUdur eté révoltante pou r Mme Wa nel.ulins est d'un e
Pen dan t ce tem ps, que dev
Com men t sup port ait- elle celleenait Pau lette 7
sentiments restaient une énig me; épre uve 7 Ses
toujours sou rian te, elle paraissait toujoun,' gaie,
coups du sort com me aux affronts; indifférente aux
dou
pou r tous comme aux jours de son ce et affable
elle
désa rma it la raillerie .. . Hér oïsm e o~ulenc,
ou Insouciance,
qui aura it pu le dire 'l
Pen dan t quelques mois, on ne
que d'elle dan s la petite ville, s'éta it occupé
langues s'en étai ent don né; puis les mauvaises
d'au tres événements étaient surv enu s et on avait cess
Etai t-ce délicatesse ou tout autr e é d'en parl er.
sa part , mais depuis sa ruin e la sen tim ent de
venait moins souvent qu'autrefois jeune femme
Neufmoulins, et il fallait que sa tant au châ teau de
fort pou r 'l,u'elle consenUl à rest er e insistât bien
le soir à dlne r.
- Ce 11 est guè re com mod e,
objectait-elle, mai nten ant que tant e Ger trud e,
je n'ai plus de
vOiture; la rou te est long ue et tnst
trolUle, vous savez, et j'ai parfois e, je suis polde v ~ritables
UleJ~
�de pension naire. L'Qutre jour encor" .
tenez, j'ai cru monrir de peur en voyant un lièvre
travers er le chemin .
- Petite :.>otte 1 répond ait Mlle Gertru de, d'un
air de pitié. Je n'ai jamais eu peur de rien, moi! A
quinze ans j'allais voir mon père, le colonel, au
camp où il était obligé de rester parfois, et je rentrais souven t à la nuit après avoir fait quatre
lieues dans la campag ne, sans autre escorte que
mon chien 1 Et il e(H fallu que quelqu 'un me
manqu ât de respect 1
Paulett e souriai t en regarda nt d'un air malicieux
le long corps efflanqué de la vieille fille, ses épaules
osseuses, son visage dur, ses traits anguleu x et la
mousta che gui ombrag eait ses lèvres. La taille
mince de la Jeune femme, mignon ne comme une
enfant, ses traits fins et délicats , la douceu r
express ive de ses reux bleus, fai saient encore ressortir davanta ge 1 aspect gendar me de sa tante.
Mlle Gertrn de, après avoir accablé sa nièce de
reproch es amers, avait cessé tout à coup par une
Sorte de parti pris la moindr e allusion à tout ce
qui avait rappor t à la perte de sa fortune . Etait·ce
le résultat d une vigoure use sortie de son régis•
seur? On aurait pu le croire.
Ce jour-là , elle s'était montré e plus dure, plus
cruelle encore qu'à l'ordina ire, à tel point qùe
Jean, indigné , avait quitté la pièce, ne voulan t pas
être plus longtem ps témoin de l'humiliatioll in~l
gée à la jeune femme.
Le SOIr, la conver sation roula, comme d'habitude, sur la politique, puis sur la guerre ; Jean,
à la
d?fo1t la froideu r S'Jaciale n'avait pas éch~p
VIeIlle fille, la laIssait causer avec Therès e et le
curé de l'endro it qui venait dlner trois fois par
semaine au château . Mme "Vauel, dans ces conditions présent es, était repartie dans l'après- midi.
- Je ne connais rien de plus affreux tille la
guerre, Jéclara Mlle Gertru de. Oblige r ainsi des
nomme s 'llli n'ont aucun motif de s'en vouloir à
s'entre- tller pOlir le bon plaisir de quelqu es dr61es
dont l'ambil lon .;eule fai t cou ter des 110ts de sang 1
Jamais lec; femmes n'aurai ent inventé cela 1 rI faut
être' des monstr es comme YOUS autres, n1C";:;icurs,
[1 ayeurs
�~
A. . ni
~.
(fl 'i'l;
1?91
pour l'avoir trou vi! Savez-vous rien de l'Jus
odieux?
.
- Oui, répondit Jean d'un ton cassant. Je saIs
1 C'est d'accabler
quelque chose de plus odie~x
sans pitié un pauvte être vaIncu 1 C'est d'abuser
de sa supériorité pour écraser une faible Ivictime
qui ne peul pas se défendre .
Mlle de Neufmoulins tressaillit et ouvrit la
bouche pour répondre sans doute vertement à
cette sortie du régisseur; mais, se ravisant soudain,
elle ne dit mot, tandis qu'elle attachait sur le
jeune homme un regard énigmatique.
Désormais Paulette n'eut plus à supporter de sa
part aucune allusion blessante: la leçon avait porté.
Mme Wanel ne soupçonnait guère que Jean
Bernard avait ainsi rompu une lance en 6(;)0 hOIl neur. Elle le croyait sinon hostile, au mOIns peu
disposé en sa faveur.
-:- Il est si puritain, ce M. Bernard, disait-elle
un Jour à sa tante qui s'étonnait de son empressement à fuir lorsqu'elle voyait arriver le régisseur,
qu'il me fait peur 1 Et puis, il semble s! ennuyé d~
ma "présence que je me reprocheraIs de la lUI
in~posr.
~a petite personne n'~ pa~ l'heur de
lUI plaIre, J'en suis sO l'e! Cause-Hl gaIement avec
Thérèse, il suffi t que je paraisse pour qu'il se taise .
Pendant le dlner la conversation devient-elle
générale, il cesse de parler . dès que j'y prends
pa~·.t u à mon tour! Ses yeux sont très doux lors9. Il~ se posent Sur Thérèse ... il ne me. rega:de
JamaIS, ou alors c'est avec un air si dur, SI glaCIal,
que ça me fait froid dans le dos . Ne riez pas, ma
tante, je vous assure que votre régisseur m'a prise
en_gr..tppe 1
. ~i Paulette avait une façon gra ve de hocher sa
Jolie tête blonde qui paraissait beaucoup amuser
Mlle Gertrude.
L 'amitié entre Thérèse, la jeune demoiselle de
com~agnie
et Mme 'Wanel n'avait fait que grandir
depu Is les malheurs de celle dernière. Quoiqu'elles
f~sent
du même âge, Thérèse semblait l'atnée de
dIx ans, et Paulette la consultait naïvement en
l1a~ntes
circonstances, recourant sans cesse à 500
obhgeance.
�n
- Thérès e, je suis venue pour que vous arrauglez ma coiffure 1 Ma bonne est si maladr oite que
Je ne peux rien lui demand er. Et puis, ses gros
doigts rouges et gauche s me font frémir 1
- Thérès e, j'ai déchiré ma dentell e; que faire '/
Venez à mon secour s!
Et la jeune fille, avec Ulle bonne grâce charmante, arrange ait les boucles rebelles , réparai t
le dégât dans la toilette , rendait à Paulett e mille
petits service s. CeBe-ci, pour la remerc ier, l'embrassai t avee un tendre abando n qui allait au cœur
de l'orphe line: Thérès e se fût jetée au feu pour
Mme Wanel.
Avec l'été les vacanc es étaient revenu es et Jean
Bernar d avait retrouv é ses deux enfants , comme
'
il les appelai t.
Madele ine, avec ce tact exquis qui était en elle,
se montra it encore pl us alJecteuse pour il'lme 'N anel depuis qu'elle avait appris ses mfortu nes : elle
ne laissait échapp er aucune occasio n de lui témoiarriva à
gner son attache ment. Une aventu re ~ui
qui les
liens
tendres
les
encore
a
fa fillette, resserr
unissai ent.
Une après-m idi que la chaleur avait été accablante, Paulett e et Thérès e s'étaien t réfue:iées sou
les grands marron niers, auprès de la pièce d'eau
qui se trouvai t dans le parc assez loin du château ;
Madele ine était venue les rejoind re. Elles bavardaient gaieme nt, tout en admira nt le travail cie la
jeune demois elle de compag nie, une dentell e d'un
fini extraor dinaire qu'elle destina it à Mme Wanel.
Cette dernièr e, apercev ant tout à coup des nénuphars dont les coquett es têtes blanche s émergeaient sur la surface de l'eau s'extasi a sur leur
beauté.
- Comm e j'aimer ais à en avoir 'une grosse
touffe pour mettre dans la corbeil le de mon salonl
s'écria- t-elle.
- C'est très facile, dit viveme nt Madele ine; je
vais prendre la "petite barq ue et je vous en cueillerai beauco up. <;a me fera du bien, d'ailleu rs, de
bouger un peu; il ya longtem ps que je su is assise 1
- Prenez bit'n des précaut ions, lllignon ne,
recomm auda Paille.
�_ Oh 1 il n'y a rien à crai ndr e,
ça me con nait i
pres que tous ~e
jour s je me pro mèn e sur l,a .pièc
e
d'ea u et je dmg e la barq ue com
me un vell tabl e
bate lier .
Mm e Wa nel et Thé rèse , aprè s
avo ir :, uivi un
mom ent les évo lutio ns de la fille
tte et avo ir adm iré
ses mou vem ents sou ples et grac
ieux
l'un e au trav ail, l'au tre à s'év ente , se rem iren t
men t, tout en cau sant de mill e suje r non cha lam ts.
Tou t à cou p, un cri perç anll es tira
de leur con vers atio n. Et Pau lette , épo uva
ntée , pou ssa une
exc lam atio n de détr esse .
- Oh! Thé rèse ! Mad elei ne est
à
Thé rèse , blan che com me une morl'ea u.
te, étai t déjà
deb out.
- Je cou rs che rche r M. Ber nard
, dit- elle , et
elle se préc ipit a dan s la dire ctio
n de l'Ab bay e.
Qua nt à Pau le, elle n'av ait pas
hési té; hab ile
nag euse , elle s~étai
mis e à l'ea u, se diri gea nt de
tout e la vite sse don t elle étai
t cap able vers la
fillette qui se déb atta it.
Peu gên ée par ses vête men ts
femme arri va bien tôt aup rès de l'enlége rs, la jeun e
pas perd u con nais sanc e et con fant qui n'av ait
serv ait assez de
sang -fro id pou r ne pas entr ave
r les mou vem ents
de sa cou rage use sauv eteu se.
Com me elle s sort aien t de l'ea u,
Jean arri vait
tout essoufflé par sa cou rse préc
ipit ée, les trai ts
d'un e pâle ur livide. Pau le lui tend
it la fillette ave c
un sou rire radi eux .
- Em por tez- la bien vite, dit- elle
, grâc e au ciel
elle n'a eu auc un mal .
Et el1e se sauv a du côté du
der le jeun e ho m m e.. .·châ teau sans rega r.
Au dinc r, Mm e Wa nel des cen
dan s une robe de cha mbr e de Thédit, env elop pée
rèse . Elle riait ,
amu sée de son trav esti ssem ent
et
faisait le vêtelUent bea uco up trop de la trai ne 'Ille
long pou r elle.
~es
che veu x enc ore hum ides étai ent
épa rs :, llr ses
epa ules com me une mer veil leus e
tois on lI'or cl formai ent un cad re mer veil leux à sa
radi eu!'; c be auté .
~an
Ber nard étai t là, enc ore très p~le
e l !-ii ému
qu II ne p~)Uvait
s'em pêc her de lremble\
Mad elei ne, tout emm itou flée , ét:li ".
t t'Iendu e "lI r
�·r.~Yl'E
tyt;Rl'lt'UDr..
79
bras de
lUl fauteuil. Bile courut !il! jeter daJls les
larmes.
en
Paule et fondit
- Sans vous, j'étais morte, dit-elle au milieu de
ses pleurs.
- El je ne m'en serais jamais consolé e,
mignon ne, répond it tendrem ent la jeune femme.
C'est bien ce que tu as fait là! dit Mlle Gertrude, qui avait une figure lout à l'envers . Je le
croyais plus poule mouillée que cela 1
- Eh! bien, ma tante, vous ne pourrez plus
au sujet de mon 80üt pour la natatio n.
me grol~c
Grand Dieu 1 en avez-vous dit sur les femmes qui
nageaient comme des poisson s 1 Mais met tons-no us
à table, car mon bain m'a donné une faim de loup 1
Dans la soirée, pendau t qu'une grande partie
de domino s était engagée entre Mlle Gertru de,
Thérès e, Gontra n et Madele ine, Mme Wanel , qui
avait apl'0rté un fauteuil sur la terrasse et s'r était
blottie, dans une attitude pensive, un peu fallguée,
brisée surtout par les émotio ns de l'après- midi,
tressaillit $oudam en apercev ant une grande ombre
_
à ses côtés.
- Madam e, murmu ra Jean Bernar d, d'une
voix basse et trembla nte, comme nt pourrai -je
jamais vous remerc ier assez pour ce que vous avez
fait aujourd 'hui.
- Je n'ai fait que mon devoir, monsie ur,
répond it doucem ent Paulett e en levant timidem ent
les yeux sur le jeune homme , incliné devant elle.
' En ce momen t, la lune l'éclair ant en plein, elle
fut frappée par la pâleur du visage contrac té, par
•
l'expre ssion ardente des yeux sombre s.
- Vous ne pouvez compre ndre combie n je
vous ai de reconn aissanc e ... vous ne pouvez savoir
ce que ... cette enfant est pour moi.
- Je sais du moins ce que vous êtes pour elle ...
elle me l'a dit ... vous êtes sa " maman Jean }I . . .
Le ton était si tendre, le regard posé sur lui si
caressa nt que le jeune régisse ur, troublé , devint
plus pâle encore ... La « belle Mme Wanel >l,
COmme on l'appel ait à Ailly, avec ses manièr es
libres, ses coq uetterie s, son sourire plutôt provocateur, disparu t à ses :yeux ... il ne vit plus devant
lui qu'une Jeune fille timide, presqu e une tmfant :
�Ro
'rAN T!: GEI URU DE
la Pau lette de scs rtve 5, l'ôtre ~?él
à. par er de toutes les pud eurs teru 9u'i l se plJ,is3.1t
mme5 ... 11 oublia
Jean Ber nard et n'eu t gu'u ne pen
était
libre il la con que rrai t! Il arrisée : Paul~
d'am'our et de tendresse à faire d'el vera it à force
de Pon thie u, dont sa mère là-haut le une comtesse
serait fière ...
_ Dites-donc, monsieur Ber nard
vous nous fermer cette por te? Il vien, ne pourriez·t un vent du
diable par là, et je sens ma névralg
ie
qui recommence à me taquiner. Paulette, tu
rent rer, il ne doit pas être bien sainferais bien de
deh ors, malgré le joli clair de lunede rest er là
baignade comme celle de tout à l'he , aprè s une
Le ton bref et moq ueu r de Mlle deure.
rappela cruellement Jean Ber nard Neufmoulins
tressaillit comme un homme n§ve à la réalité. Il
- On y va, tante Ger trud e, on illé en surs aut.
gaiement Pau lette en s'emmito y n, répo ndit
gran de rob e de cha mbr e et en seuflant dans la
re salon, tout en faisant à l'adresse dirigeant vers
de ces gestes gamins qui lui étaient de sa tante un
Puis, rent rée dans la pièce, elle sehabituels.
gaieté étou rdis san te; elle eut de mon tra d'un e
arOles, de ces saillies d'es prit qui ces répa rtie s
faisaient rire
les plus moroses.
- C'es t égal, ma petite, déclara Mll
e Ger trud e
à un moment donné, on peut dire
que tu pren ds ta
ruine gaiement.
- Bah 1 ma tante, j'ai confiance
étoile 1 J'es père bien ne pas rest en ma bonne
er pauvre longtemps. Je dénicherai un de ces qua
brave homme comme M. Wa nel tre matins un
mes beaux yeux, sera très flatté dequi, séduit par
pieds son cœu r et son colfre-fort. déposer à mes
que ce dern ier soit bien garn i, carMais il faudra
je veux être
très riche, très rich e: c'es t si bon
l'arg ent 1
Jean Ber nard ne dormit guè re cett
e nuit·là ; il
était hanté par le son de cette voix
harm
~ui
savait se faire si douce et si tend onieuse
re •.. Mais
1ét~rnel
refrain qu'elle répétait
oreilles avec une ironie cru ellelui martelait les
: Je veux être
riche. C'est si bon l'arg ent 1... Son
beau reve
s'!vanoui~t
peu ~ peu ... l'id~e,
roul
ant de son
pl6destill, aillait, bns ée ~ llei I.lledl
...
�TANTE GE1HJUJlJ!l:
81
CHAPITRE VUl
encore venue avec
- Madame, la couturière e~t
sa note, et elle a dit que si elle n'était pas payée
d'ici trois jours, elle ferait assigner Madame.
Paule, qui venait de rentrer, regarda la bonne
d'un air étonné. La jeune femme, vêtue d'un élégant costume de surah crème, coiffée d'une grande
bergère garnie de pâquerettes, était plus ravissante que jamais.
- Mais je ne comprends pas pourquoi celte
couturière me persécute de la sorte, remarquat-elle. Voilà à peine six mois qu'elle m'a livré toutes
ces toilettes 1 Au paravant, je ne recevais ses notes
qu'au bout de l'année, parfois même plus tard
encore.
, - Tiens 1 c'est pas malin 1 répondit grossièrement la bonne. Elle sail bien, celte femme, que
Madame n'a pas fort bellè réputation en ville; tOI1 t
le monde dit qu'elle n'a pas le sou e~ qu'elle doit
plus lourd qu'elle ne pèse! Je profiterai de l'occasion pour dire à Madame qu'elle va me devoir
trois mois et qu'elle pourra chercher une autre
bonne, car c'est insupportable d'être toujours
comme ça obligée de réclamer ses gages!
Mme Wanel pâlit sous l'insulte; une expression
douloureuse passa dans ses grands yeux navrés,
qui se remplirent de larmes.
- C'est bien, Charlotte, murmura-t-elle d'une
voix basse et un peu tremblante, je vous paierai
cette après-midi.
Puis, d'un pas chancelant, elle monta l'escalier
et courut se réfugier dans su chambre. Lorsqu'elle
eut refermé sa porte, süre enfin d'être seule, elle
donna libre cours aux pleurs qu'elle avait tu tant
de peine à retenir devant la servante, étouffant ses
sa~lot
dan~
son petit mouch~jr
de batis!e brodé,
<.?uelle m,Isère que ~elt.c
vle, d'expédients qui
~val
tt61a IllCllnc depUIS ltlX mOIs 1 Que d'.ffronts
�u'av..Lit-dlc pal> eu il ::iU2 pOrl l;l1
cette nouvelle insu lte 1 Elle avai Et aUJourd 'hui
bonnl! pou r tous au tem ps de sont touj ours été
avait don né sans com pter ; pou rquoopu lenc e, elle
ne recevait-elle que mép ris et dur i mai nten ant
mon de lui tour nait le dos , les por etés ? Tou t le
tes
dev ant elle, nulle part on n'avait pitié se ferm aien l
mêm e, sa seule pare nte, ne sem blai ! Sa tant e ellede la situ atio n préc aire dan s laqu t pas se dou ter
elle
vait, de ces enn uis dom esti que s don elle se troucom men t se tire r. Plu sieu rs fois t elle ne savait
de se jete r dan s les bras de la viei elle avait tenté
lle fille, de tout
lui avo uer, sa gèn e, son inca pac
it6,
son imp uissance à sort ir de cett e imp asse ...
recu lé dev ant la pers pec tive de Mai s elle avait
l'iné vita ble avalan~he
des repr och es et dèS empo~nts;.
el~
avait eu peu r des blâm es sou ven
t
Just
es
mai
s
SI
acer bes de Mlle Ger trud e 1 Avec
celt e mob ilité de
cara ctèr e vrai men t enfa ntin e qui
fais
sa natu re, elle s'éta it con solé e bien ait le fond de
nan t à esp6 rer, com ptan t SUI' sa vite, se repr epou van t croi re que cett e mis ère bon ne étoile, ne
dan t naïv eme nt un prin ce Cha rmalui dur e, atte nnt qui, épri s ùe
sa bea uté, dép oser ait à ses pied s
sa
fort une et son
nom ...
Jam ais un sen tim ent d'en vie ou
con tre sa tant e n'av ait effleuré Je cœu d'am ertu me
elle était inca pab le de tout e pen r de Pau lette j
sée bas se; rien
qu'~n.
peu d'étonneme,nt dev ant
sa vieille pare nte, c'ét ait tout 1 l'ind iffé renc e de
En ce mom ent, cett e exp losi on
de cha grin
calmée, Mm e Wa nel jeta un rega
rd
dése spér é
auto ur d'el le. L'as pec t lam enta ble
n'ét ait pas de natu re à diss iper de sa cha mbr e
son déc our age men t. Ses frin cipa u.x meu bles
s'en étai ent allés
l'~
a~rès
1 autr e à la salle de ven
densOl,re n'av ait pu com bler le te, et leur prix
creu sait cha que jour plus prof ond gouffre qUi se
... Il en avait été
de ~ème
d'un e bon ne part ie du mob ilier
de la
mp also n; le salon seul étai t rest é
le mie ux garn i,
aulette vou lant à tout prix cac her
au mon de et
aux que lque s rela tion s qui lui ava
sa &ène d~ jour en jour gran dils anteient été fidèles
.
Elle pnt le peti t coffret qui lui se"
ait
~ ran~e
�~',·13
j
~
~Y_.Trfk
~3
!>es biJoux i il était presque vide, il n'y restait plus
que deux ou trois objets sans grande valeur: tout
ava,if été vendu. Peut-étre pourrai t-elle encore
tirer un certain prix, chez un marchand d'antiquités, d'une broche ancienne, d'un travail artistique
fort curieux? .. Mais ce bijou lui venait de sa
grand'mère, Mme de Neufmoulins, c'était une
vér.itable re~iqu
de fami.lle, il ~nchsait
le portrait de la VieIlle châtelame, qUI avait été une des
beautés citées à la cour de Louis-Philippe et à qui
Paulette ressemblait d'une façon frappante ... Le
cœur de la jeune femme se serra à la perspective
de ce nouveau sacrifice et elle fondit en larmes.
Un léger coup frappé à la porte de sa chambre
la tira brusquement de son chagrin.
- Entrez, dit-elle, après une légère hésitation.
Ce ne pouvait être que sa bonne; que lui importait si cette fille voyait qu'elle avait pleuré! Et elle
ne se dérangea même pas.
- Je suis peut-être indiscrète, chère Mme Paule,
mais j'ai trouvé toutes les portes ouvertes; l'ersonne dans la maison! Comme votre chapeau et
vos gants étaient dans le vestibule, j'en ai conclll
que VOlIS n'étiez pas sortie ...
Eu entendant cette voix hm"monieuse, Mme \Vallel avait tressailli et s'était retournée vivement. A
la vue de son beau visage défait, de son regard
humide de pleurs, la visiteuse, qui n'était autre
que Thérèse, s'arrêta soudain, saisie, inquiète.
- Oh! qu'y a-t-il? interrogea-t-elle anxieusement en s'avançant auprès de son amie. Vous ête
souffrante? Qu'a vez-volls? Dites-le-moi, je vous en
prie.
Ce ton affectueux de tendre sollicitude toucha
profondément Paule. Elle était dans une de ces
heures noires, désespérées, où une parole sympathique est si douce au cœur meurtri jet, appuy<.'e
SUr l'épaule de son amie, elle lui avoua toute sa
peine. Elle lui dit sa misérable vic, abreuvée
d'affronts, son impuissance à sortir de celte situation critique, la dernière insulte inf1igée par la ser·
Vante, et qui avait fait déborder la coupe cl'umer1Utl1e.
Thérè.~
"OO1['llt
ce qu'avait <;otl!f('t'f h i,
ln
�&~
T.4.lCn fl"aTa. lIDIl
1~lJe
dCEUis CCi liiJ; mois ... Que de torture s
subies en s;ilence l
_ Je suis si incapable d'être pauvre ! concluaIt,
natvement Paulett e. Je ne compre nds pas comment l'argen t file si vile III me semble pourtan t
que je dépense très peu, el je ne reçois que des
notes! Que faire'? Que devenir'?
_ 11 faut tout avouer à Mlle Gertru de, déclara
délibér ément Thérès e, après avoir réfléchi un
instant .
- Toul avouer à tante Gertru de? répéta Paille
avec effroi. Oh ! non, jamais 1 J'ai si peur de ses
reproch es 1 Elle va me dire encore des choses
désagréables, dures ... et ça me fait tant souffrir!
. 11 Y avait une telle tristesse dans le ton de
Mme Wanel , ses yeux d'enfan t avaient pris une
expression si désespérée que Thérès e en fut émue.
- Pourta nt, inslsta-t-elle, il n'y a que Mlle de
Neufmoulins qui puisse vous tirer d'emba rras, il
n'y a qu'elle pour vous faire sortir de cette impasse.
- Oh 1 non, il ne faut rien dire de tout r.ela à
tante Gertrud e, murmu ra Paule l voix ba: se, et
comme se parlant à elle-même •
. - Avez-vous la note de la cou turière '? interro gea Thérès e, après une courte hésitati on; voulezvous me la montre r?
- Mais oui, ma bonne Thérès e, pourqu oi pas?
Elle doit être dans un de mes tiroirs.
Et Paulett e se mit à fouiller tous les tiroirs où
régnait un désord re extrêm e; les objets les plus
divers s'y trouvaient jetés pêle-mêle.
- Qu'en ai1'e donc fait? Vous voyez quel froufrou je suis? e n'ai guère été habituée à ranger
mes afTaires jusqu'ici, c'était l'ouvrage de mes
femmes de chambr e. N'avez-vous pas vu la bonne
en bas? Il faudrait lui demand er ce qu'elle en a fait.
Thérès e ne put s'empê cher de soupire r; eUe
compre nait de plus en plus l'incapacité de sa malheureuse amie, et elle la plaignait sincèrement.
- Il n'y avait personne dans la maison lorsque
je suis entrée, dit-elle, mais je puis vous aider
dans vos recherc hes.
_ Nou s irons voir da.ns le salon, proposa
Paulette.
�,
T
M~
I.. cf. doux ~nlit:
s ue:;cendirent. Le même désorle m!me aspect d'abandon désolé régnait
partout. Le jardinet, cultivé avec tant de soin par
la vieille propriétaire aux jours où elle résidait
dans la modeste demeure, n'était plus aujourd'hui
qu' un foujJIis d'herbes et d'arbustes touffus aux
branches enchevêtrées les unes dans les autres; la
cuisine, encombrée de vaisselles de toutes sortes,
de cuivres ternis, avait un aspect lamentable. Une
odeur de moisissure vous prenait à la gorge quand
on entrait dans la petite salle à manger, dont les
fenêtres semblaient n'avoir pas été ouvertes
depuis longtemps.
Paulette fi t pénétrer son amie dans le salon;
c'était la seule piècé à feu près habitable. Mais, là
encore, un froid glacia , ce froid des appartements
rarement occupés vous tombait sur les épaules.
- Comme il fait triste ici, n'est-ce pas? dit
Paule, qui vit son amie frissonner légèrement.
Aussi ne suis-je heureuse que lorsque je suis
dehors. C'est étrange, lorsque tante Gertrude y
résidait et que je venais la voir, la maison me
paraissait presque gaie!
Thérèse finit par découvrir la note cherchée
dans le tiroir d'un petit meuble, au milieu d'autres
paperasses, mémOIres et comptes jpour la plupart.
Quinze cents francs 1 murmura-t-ellè avec
découragemen t.
Depuis si:x mois Paulette avait dépensé quinze
cents francs pour ses toilettes! Juste la moitié de
ce qui lui restait comme revenu annuel!
La jeune orpheline devenait de plus en plu s
Songeuse.
- Combien devez-vous à votre servante, chérie?
interrogea-t-elle doucement.
- Trois mois, m'a-t-elle dit ce matin.
- Cela fait?
- Je lui donne cinquante froncs par mois.
Thérèse ouvrit de grands yeux.
- Cinquante francs! répéta-t-olle.
Oui; c'est beaucoup peut-!tre, répondit
Paule na'lvement. Mais elle n'a pas voulu un sou
de moins, étant la seule bonne pour fa ire 10ut
(' oUTraie.
ore,
�•
La jeune dtlmoi6eUe de compagnie ne put ~'em
pêcher -de sourire. Vraiment l'ouvrage était bien
fait! L~ servante ne volait pas ses gages.
Paulette, qui surprit son sourire, essaya avec sa
bonM naturelle d'excuser la négligence de Charlotte.
- Elle pourrait être plus soigneuse, n'est-ce
pas? dit-elle à Ben amie. Mais je la dérange toujours pour m'aider à ma toilette. Et puis, j'ai le
talent de mettre le désordre part?ut ~ù
je _passe,
de sorte que cette pauvre fille n'a JamaIs fiOl.
Peu à 'pen,_Thérèse parvint à se rendre compte
de la situatIon. Après avoir vérifié toules les
n0tes, elle arriva au total de cinq mille francs dus
par Mme Wanel.
- Comment payer tout cela?
Et Paulette, en faisant celle Cjuestion, attachait
sur son amie ses grands yeux éplorés, tout en joigT1l\nt les mains dans un geste de désespoir.
TMrèse, énergique comme eIlë l'étaIt, eut bientôt pris une résolution.
- Ayez .;onfiance en moi, chérie, dit-ellè à la
jeune femme, en l'embrassant. Je vais réfléchir à
ce qui peut être tenté. Ne vous découragez pas;
je reviendrai ce soir vous dire si j'ai réussi. Au
revojr.
- Que vous êtes bonne! s'écria Paulette ravie
et déjà toute consolée. Mais comment ferez-vous?
- Ayez confiance ... Je vous aiderai ... A tout à
l'heure .
. Thérèse eut bientôt fr'lnch i de ~on
pa a!el~
la
cl!stance, aS6ez longue pourtant, qui séparait Ailly
de Neufmoulins. Mais ce ne fut pas vers le château
qu':Ile se dirigea. Sans une hésitation elle prit il
drOite la grande avenue qui conduisait à l'Ahbaye.
Jea.a Bernard eut un étonnement en voyant entrer
la )e~n
fille, rougissante el émue malgré cllr:'
C'et~u_
la première lois qu'elle franchissaille seu!1
(h~ log~
du régisseur, et, pour venir ainsi seule, d
lUI fallait assurément une raison bien r'raye.
ho!nme le comprit, et lui :fyant avn~6
Le jel1~
Je fauteuil <ju'll occupait à bon arrivée, il attendIt,
de~olJt
cOl')tre la cheminée, dans lIne attitude
pleine de l'0srcrl, que Thrè~e
parli\t.
�Monsieur Btrnard, b.U visite doit "Vou
paraHre bien étrange, dit-elle, en le regardant de
Ses yeux francs et clairs, mais je voudrais vous
consulter au sujet de ... notre amie Mme Paule.
Et d'une voix un peu tremblante, elle raconta
tout ce qu'elle venait d'apprendre. Elle montra la
situation pénible de la jeune femme, ses embarras
financiers; elle fi t une peinture émile de son abandOIl, de son isolement, de cel intérieur désolé
qu'elle avait toujours devant les yeux . .. Ce fut
avec des larmes qu'elle ne prenait même pas la
peine de dissimuler qu'elle lui exprima sa douleur
au récit des souffrances morales de la pauvre Paulette, naïve comme une enfant, ne sachant rien de
la vie, ne comprenant pas la nécessité des privations dans la gène, faisant dettes sur dettes, sans
même s'en douter.
Jean Bernard, si troublé qu'il n'osait relever la
tète, écoutait dans un morne silence la description
de la sombre misère dans laquelle se débattait
cette Paule qu'il aimait plus que tout au monde ...
A la question éplorée de l'orpheline: (( Monsieur
~ernad,
que faire? Comment la tirer de là! »
11 tressaillit brusquement, comme quelqu'un qui .
s'éveille, et passa lentement 5a main sur ses yeux
humides.
- Je suis venue à vous tout de suite, continua
doucement Thérèse, parce que je sais l'aff... la
sympathie que vous inspire notre pauvre amie. A
qui aurais-je confié tout cela, d'ailleurs? :Je ne
connais personne que vous.
- Je vous remercie, dit Jean, en prenanlune
ti.es mains de la jeune fille qu'il serra dans les
SIennes . Vous avez bien [ait: je parlerai à Mlle de
Neufmoulins aujourd'hui même.
- Mon Dieu! murmura Thérèse; et Paulette
qui voudrait que sa tante ne se doutât même pas de
Sil détresse!
. - Ce n'est pas possible, répondit le régisseur;
~ n'y a que Mlle Gertrude qui puisse la tirer d'ema~rs.
Et il n'y a pas à hésiter, le temps presse,
PUlsq ue les créanciers menacent de tous c6tés j
ü.ussi vais-je de ce pas au cho.teau.
- .Comnll:nt y s~ez-vou
reçu? Q~
. va dire
�81
notr~
T "'N' rit GJ!:RTR tlDl t
vieille mal lres.5C. si peu teu<;ire J:or
diTli!ire?
~
Qu' imp orte 1 Il le faut.. Pnez pieu
, mad emoiselle Thé rèse , pou r que Je réus
sisse dan s ma
mis sion déli cate .
.
L'or phe line leva un rega~
ém~
sur le régls~eu.
Il lui paru t plus bea u que jamais
fier auX trai ts un peu sévères, avec son vlsaJje
ses yeu x nOIrs
ray~nt
d'én ergi e, tandis qu'i l
jeune fille sent ait que Pau lett e avalui sou riai t. La
nard un avo cat tout dév oué , et elle it eu Jean Ber lui une vive reco nna issa nce , en épro uva it pou r
même tem ps
qu'u ne adm irat ion prof ond e.
- Esp éron s! répé ta le jeun e hom
duis ant l'orp heli ne et en lui serr ant me en reconla mai n.
L'en trev ue fut long ue entr e Jean
Ber nard et
Mlle de Neu fmo ulin s; elle dut être
orag euse aussi,
l en juge r par les écla ts de voix
qui parv ena ient
de tem p" en tem ps aux oreilles
de Thé rèse ,
com me elle travaillait seule dan s
la peti te pièce OÙ
elle·se tenait hab itue llem ent, et qUI
éloignée du bure au de la cha tela n'ét ait pas bien
ine;
lait anx ieus eme nt au moi ndr e bru elle tressaild'un mom ent à l'au tre à une de ces it, s'at tend ant
don t elle avait déjà été plus ieur scèn es violentes
s fois le témoin
dep uis son entr ée au cha teau .
Mai s peu à peu le calm e se fit,
rest a enfe rmé avec Mlle Ger trud Jean Ber nard
l'ap rès- mid i: gue trouva-t-i1 à lui e une j'ar tie de
dire 'l Parv int- il
à l'ém ouv oir? Dut-il s'en teni
r à lui faire compre~d
l'im pos sibi lité pou r elle
saisir
sa Dlèce pou r dett es? ... Nul ne de la~ser.
le
tout cas, lors qu'i l se reti ra, la caus sut lamaiS. En
e de Mm e Wa nd
étai t gag née ; .sa tant e paie rait tout
et la pren drai t avec elle au châ teauce qu'e lle devait
.
Apr ès le dép art du régi sseu r,
Mll e de Neufmou lins , les yeu x roug es et la gor
ge
long tem ps à con tem pler un por serr ée, restil
qu'e lle rega rdai t sou ven t et qu'e trai t, le . même
lle rang eait aveC
un soin jalo ux, com me une reliq
ue, au fond d'uil
tiro ir secr et.
Qua nd elle sort it de sa (êve ric, ce
fut pou r revè~
tir le vieux châ le qu'e lle por tait
del' uis au moins
ving t ans et qui étal t devenu lége
'l'ouI en nou ant le~ briùes de sa nda ire dan s Ailly·
coiifure de cr6pe,
�contemporaine du ch~]e,
elle marmollait de !la
voix ironique et railleuse:
• -" Ce Jea.n Bernard, quel avocat! quel avocat J
Est-ce que les beaux yeux de ma nièce"? .. Oh! ces
hommes! ils sont tous les mêmes! Jusqu'aux plus
sérieux qui ne peuvent répondre de ne pas se
trouver un jour empêtrés dans un cotillon!
Celle qui fut bien étonnée, ce soir-là, ce fut
Paulette.
- Ma petite, déclara sa tante en pénétrant pour
la première fois dans la maisonnette depuis que
Mme Wanel y était installée, il parait que tu ne
~ais
m~e
pas te cond nire tau te seule! Dll:ns ce t;-'lS
Il faut te remettre en tutelle; je me charge de 10'l1t 1
Tu vas déménager d'ici et venir avec moi; d'ailleurs, mon ancien domicile, auquel je tiens beaucoup, finirait par tomber en ruine avec une locataire de ton espèce! A Neufmoulins, je pourrai te
surveiller de près et mettre ordre à tes dépenses.
Quant à vous, continua la vieille fille, en se tournant vers la bonne, qui était entrée sur ces entrefaites, voilà les gages que ma nièce a été assez
naive pour vous promettre - et elle lui jeta J;'resque à la figure les cent cinquante francs en pièces
d'or. Allez chercher vos nippes et débarrasseztnoi le plancher sur l'heure. On pourra brûler du
sucre ici! Pouah 1 Quelle horreur que cette servante J Décidément, ma nièce, tu n'as la main heureuse en rien! et je ne te félicite pas de ton personnel. Maintenant je"'Vais t'aider à emballer les
choses indispensables, et demain Thomas viendra
chercher le reste. Je t'emmène, mais, tu sais, avec
moi, il faudra marcher droit!
Le soir même, Paulette, qui n'était pas encore
revenue de sa surprise, dtnait en compagnie de sa
taute, de Thérèse let du jeune régisseur, le com01ensal ordinaire de la châtelaine.
Quand les deux amies se furent retirées dans
leur chambre, Mme Wanel, heureuse de la solution
apportée à ses embarras inextricables, se jeta avec
effusion;)au cou de Thérèse, ne sachant·comment
lui exprimer sa reconnaissance pour la bonté de
~It
tante, qu'ellt' attribuait à l'interventioll de la
1 lIUt: filll: C .lle-ci n:çnt d'un lI.ir Un pa1l COulntill1
�les remerciements de Paulette. Elle eût bien voulu
parler, lui dire le nom de celui à qui elle devait
tout ... Mais Jean Bernard lui avait fait promettre
le secret le plus absolu à ce sujet, et elle devait
garder la parole donnée.
�CHAPlTIU':: IX
- Oh! tlh! Tu deYÎefis t$n sentinumtlllie, ma
nière!
- Non, tante Gertrude, pas du tout; mais
"Vous Ile S3 uriez croire avec quelle force, avec quelle
persistance Je passé se présente souvent à mon
esprit, depuis que je suis revenue sous votre
férnle.
- Thérèse, aidez-moi, s'écria soudain Paulette,
d'un air éploré, s'interrompant dans sa conversation avec Mlle de Neufmoulins pour se tourner
vers l'orpheline qui, assise auprès de la fenêtre,
une grande corbeIlle de linge à ses côtés, était tout
ùGcupée à en vérifier le contenu.
- Qu'y a-t-il donc, madame Paule? demandat-elle en souriant.
D'abord, il n'y a plus de Mme Paule?
Je suis fatiguée de vous le répéter; il n'y a ici que
Paulette, votre amie, entendeZ-vollS? Voyez, c'est
cette ,manche qui ne prétend pas aller droit; j'ai
beau faire, elle sera toujours de travers!
-- C'est-à-dire que c'esltoi, ma.pauvre fille, qui ne
sauras jamais la placer comme il faut, déclara
railleusement Mlle Gertrude. Je crois bien qlre
Thérèse perdson temps en essayant de t'apprendre
CJ uoi que ce soi l! Une pou pée incapable et maladroite, voilà ce qtie tu as été jusqu'ici et ce que tu
seras pour le reste de tes jours, j'en ai bien peur 1
Mille Wane! essaya de sounre, mais sa lèvre
eut un frémissement involontaire, tandis qu'elle
:l.baissait vivement ses longs cils sur ses yeux.
devenus soudain bumides.
Elle était là depuis une heure, s'évertuant à
Dlonter la manche d'un corsage que Thérèse lui
a\'ait taillé et qu'elle avait voulu confeclionner
t:le-m~,
aidée des conseils de la jeun~
demoi~cle
de compagnie. Mais elle avait beau mettre
t~l.\
. G{lj, ,eUe no r'il uissait pas, el c csl Gion;
l
�~
que, rouge d'anllD:ation et de dépit, ellè "ftlR.it de
recouri r à son amie.
_
Celle-ci empres sée autant que complaisante,
prit le vêt~men
rebelle et ses doigts habiles eurent
bientôt fait de mettre tout en place.
_ Là! ma chère Paule; ce n'est pas e1us difficile que cela, dit-elle tranquillement, et Il ne fallait pas vous décour ager pour si peu.
111 avait pr~s
de trois mois que Mme Wanel
était Installée à Neufmoulins et elle comme nçait à
peine à s'habit uer à cette nouvelle vie, si différente
de celle qu'elle avait menée jusque-là.
Mlle Gertru de avait payé toutes les dettes de sa
nièce, et jamais un mot à ce sujet n'avait été prononcé entre elles, mais la vieille fille n'était pas
tendre pour Paulett e! Aussi, bien des fois, avalt-il
fallu l'amitié de Thérès e, ses encouragements
affectueux pour réconfo rter la jeune femme,
l'aider à suppor ter les épreuves souvent pénibles
auxquelles elle se trouvait soumise chaque jour,
dans sa situation actuelle.
Habituée à être servie, elle avait dl1 se meUre à
tout faire elle-même et renonc er à ce luxe, à tout
ce confort qui lui était si cher. Son indolence naturelle avait eu fort à souffrir à côté de l'àctivité f.redigieuse de sa tante. Levée dès l'aube et à 'ouvrage de grand matin, Mlle Gertru de exigeait que
toute sa maison en fit autant; elle rie s'était pas
Inontrée, sous ce rappor t, plus tendre pour sa
nièce que pour les autres. Après le déjeune r, elle
distribuait à chacun son travail pour la journée ,
·et il fallait que tout marcha t. Elle ne pouvait voir
auelqu 'un d'inocc upé. Thérès e était chargé e de
1entretien intérieu r du chateau , de l'of lice, du
linge, etc.; à Paulett e revenait le soin de visiter
les pauvres, les malades. Chaque jour elle partait
vers neuf heures, quelquefois avec la cha.telaine,
le plus souvent seule, suivie d'une bonne portant
un ~norme
panier dans lequel il y avait de tout: du
bouillon pour l'un, du vin pour l'autre, un vetemeut pour celui-ci, une couver ture pour celle-là.
Plus d'une fois, dans les premie rs temps, 60n
cœur s'était soulevé de dégotit en pénétra nt dalli
ces mi156rableli cbaullli6res, aupr6s de ces
,nib."
�9i
de moribonds, lU.iR sa tallte _vall h3\1Ssé le!!
épaule!'..
.
- Ta, ta, ma petite, avait-elle dit, te voilà bien
délicate 1 Ça te vaudra mieux que l'odeur du patchouli ,de tous les muscadins qui papillonnaient
autour de toi tant que: tu étais riche, et qui ne te
regardent même plus depuis q.ue lu es dans la
dèche. Tu t'y habitueras 1
Et Paulette, en effet, s'y était habituée; elle avait
même pris plaisir à ces visites quotidiennes, et
c'était d'un pas allègre qu'elle partait maintenant
voir ses pauvres, heureuse de la reconnaissance
qu'ils lui témoignaient, de l'accueil qu'elle recevait
partout.
Plusieurs fois, elle anit rencontré Jean .Bernard
a.u chevet des malades qu'elle visitait, et elle s'était
sentie délicieusement émue eo entendant le concert de louanges, qui, dans chaque chaumière,
suivait le départ du régisseur.
Mlle Gertrude lui ayant confié aussi la tenue de
ses livres de comptes, sous prétexte gue sa vue
baissait beaucoup depuis que1ques mOIS, Paulette
se trouvait, toutes les après-midi, en contact avec
le jeune homme. Celui-ci se montrait d'une grande
réserve dans ses rapports avec elle; toujours poli
et respectueux, il ne se départait jamais d'une certaine froideur qui contrastait étrangement avec la
cordialité qu'il témoignait à Thérèse. Que de fois
Paule avaIt envié secrètement le bon sourire
a.pprobateur adressé par Jea!! à l'orpheline, lorsqu'elle avait émis une opinion qu'il partageait
sans doute 1
Mlle de Neufmoulins qui, à propos de tout,
critiquait sa nièce sans pitié et ne manquait jamais
Une occasion de relever vertement ses moindres
maladresses, paraissait choisir de préférence, pour
le faire, le moment où le régisseur était présent.
On eUt dit qu'elle prenait un malin plaisir à humilier Paulette devant cet étranger et à faire ressortir, au contraire, toutes les qualités de Thérèse, sa
demoiselle de compagnie.
Pll,ls d'une ois, à la suite d'une d~ ces algarades,
Mme Wanel avait jeté furtivement un re&ard Sur
Jean Bernard, rnais celui-ci, les yeux obstJn6m~l
�Uj.li~6é5
gol!:d .. ~t u n. "I!>'l.g~
Ün!lt1.êIi:'~
j v~
()\);; l~
- crOlI·e qu'Il Ii aVLlIt meffif> pUà ent~.ld,
tJ' '": $,,\
pensét:, élrallgè,rt! ~ ces sc(mlP&, enii\lt bleulo.lU .. :
Et pOllrlant, Il n en perdait pàlo \lU mot et ~lU
fallait toute sa forc~
~e .c~rltèe
pour compn mer
les batteme nb; preCIpItes dl! son cœur, pour
arrêter les paroles ardente s qui montai ent à ses
lèvres en flots tumultu eux. Paulett e ne s'en doutait guère. Tendre et câliue comme une enfant, ne
se laissant pas rebuter par la dureté de sa vieille
paren te, elle avait une façon à elle d'appu yer son
beau visage sur l'épaule de Mlle de Neufm oulins,
en murmu rant d'une voix humble : « Ne gronde z
pas, tante Gertru de j je ferai mieux une autre
toisl ) qui aurait attendr i uu rocher.
Mais, la vieille chatelaine, insensible aux
caresse s comme aux prières , la rabroua it de plus
belle. Derniè rement , elle lui avait refusé catégoriquemenf une nouvelle toilette pOUl l'hiver, et
Thérès e, avec sa bonté habituelle, était, comme
toujour s, venue au secours de son amie. Elle avait
trouvé dans la garde-r obe de Paulett e un ancien
corsage qui, Ilabilement transfo rmé, pourra it
encore faire très bonne figure, el c'est à ce travail
que Mme Wanel mettait tous ses soins au momen t
où comme nce notre chapitr e.
. On était au mois de novemb re j une pluie fine
et serrée tombai t depuis plusieu rs jours et, pour
chasser l'humid ité glaciale qui pénétra it dans les
apparte ments, on avait allumé un grand feu dans
la salle où se tenaien t chaque après-m idi la chatelaine ainsi gue Paulett e et Thérès e. Jean Bernar d,
qui avait fini son rappor t quotidi en, était venu
aussi, sur l'invita tion de Mlle Gertru de, prendre
place auprès du foyer et lire les journau x appollé s
par le courrie r. .
11 avait interro mpu sa lecturt: pour admire r la
dex térité de Thérès e.
- Là 1 ma petite, quand tu seras capable d'en
faire autant, il allra encore coulé de l'eau sous le
pout 1 fit remarq uer Mlle de Neufm oulins d'un ton
sarcast ique, taij,dis que sa demoisl.~
compag nie
tendait à Paulett e le corsage cn quès"ti'on.
- Mlle Th6rh e _ réui.1 ~ t ~ ,fi Q iJil Ile f
�95
~r·J.
•
Jean Bernard do sa voix grave et har~(lnieus.
- Voyons, Paule, interrogea l'orpheline, gènée
par ces compliments et voulant détourner l'attention de sa modeste personne; vous vous êtes interrompue dans vos souvenirs d'enfance, vous nous
disiez que ...
Tiens, oui, c'était intéressant ta petite
machine sentimentale, appuya Mlle Gertrude, toujours moqueuse; reprends-la un peu, ça nOlis
distraira.
Paulette, qui s'était remise à son travail avec
une nouvelle ardeur, sourit doucement.
- Je vous disais que c'est vraiment extraordi·
naire comme depuis quelque temps je suis hantée
par mes souvemrs d'enfance.
- Les souvenirs d'enfance ne s'effacent jamais,
chantonna Mlle de Neufmoulins d'une voix chevrotante.
- Que de fois je me revois dans ce grand parc,
sur les épaules de mon chevalier servant à cette
époque, Je!\,ll de Ponthieu.
Ce nom, subitement évoqué, fit tressaillir le
n!gisseur, si troublé même qu'il laissa échapper
de ses mains le journal qu'il tenait. Mlle Gertrude
fut la seule à s'en apercevoir.
- Qu'est-ce? Qu'y a-t-il dans votre gazet te '?
VOIlS avez l'air bouleversé? interrogea-t-elle. Un
monstre qui a encore coupé une femme en morceaux? On devrait faire dis~l\rae
votre sexe,
pendre tOllS les hommes jusqu au dernier 1 Il n'y a
rien de bon à en attendre 1
Le rés-isseur, qui avait eu Je temps de se remettre,
répondIt en souriant:
Vous êtes vraiment trop indulgente pour
nous, mademoiselle; heureusement que tnut le
monde n'est pas de votre avis.
Mais, sans s'occuper davantage de lui, Mlle Gertrude continua, s'aù ressan t à sa nièce:
- Est-ce que tu te Je rappelles encore ce Ponthieu?
- Non ... pas tl è~ bien, murmura POl1lette.
très laid en tout cas, s'il n'a pas
- 11 doit ~tre
d~It4,
car <:'éidt
itn pl'lttt b!mltom le
�lorsqu'Il venait ~our
ses vacauces à Neufmoulios.
_ Aftreux? Pas du tout 1 Il avait ùes yeux
superbes 1 protesta Paulette.
_ Boni Comment peux-tu prétendre qu'il avait
des yeux superbes, puisque tu viens de dire que tu
•
ne te le rappelles pas? - Cher monsieur - et elle
se tourna soudain vers son régisseur - votre
laçon de laisser dégringoler votre journal m'agace
horriblement 1 Prenez donc un guéridon, - Thérèse, approche la table!
- Je m'en souviens ... sans m'en souvenir, continuait Paule, toute au passé.
- Ça n'est pas très clair 1riposta Mlle Gertrude.
- Non, je sais bien!. .. J'ai une vague souvenance d'un garçon asse? grand, mince, un peu
pâle... ses traits sont trop confus pour que je
puisse préciser ... Mais je vois toujours ses yeux ...
des yeux noirs superbes! toujours tristes ... oh 1
comme ils étaient tristes l. ..
Mlle de Neufmoulins haussa les épaules.
- Ta mémoire te fait défaut, ma petite, dit-elle
ironictuement. Tu n'es pas mieux douée sous ce
rapport-là que SOU5 les autres 1 Jean de Ponthieu,
je te le répète, était un aflreux petit bonhomme,
une sorle de gringalet, maigriot el Pâlot, avec des •
yeux en boules de loto comme ton Lanchères ...
- Oh 1 ce n'est pas vrai 1 ne put s'empêcher de
s'écrier Paulette.
- Tu es polie, ma chère; je een félicite! Dismoi donc que j'ai menti?
- Non, tante Gertrude, ce n'est pas cela que !'e
veux dire! Mais l'image qui m'est restée là - et a
jeune femme mit un doigt sur son front - est si
diITérente de celle que vous me faites, que je n'ai pu
m'empêcher de protester. Puis, il était si bon, mon
ami Jean, si tendre! ... Je me rappelle toujours
~ne
petite aventure qui a vivement frappé mon
Im.agtnation d'enfant. J'adorais, à cette époqne,
gnmper aux arbres.
- Ça ne m'étonne pas, marmotta Mlle Gertrude.
'
- Un jour Lille Jean m'aidait à atteindre la
branche d'lin cerisier, dont les fruits appétissants
Ill . tentnient beaucoup, le boia callJQ tout d'un
�'J'.\ NIt·: (; L:J; 1'.l' UDE
~l
dH.:\'altci', j'aUldj:, lJjt.:H pu, .)
mOIl tour, me casser quelq ue chose 1 Il me re~ul
dans ses hras où 1'e tombai sans mal ni douleur,
mai cn faisant à a robe de batiste CJue je portais
pour la première fois un accroc efiroyable! A la
YL1C dc CL! désastre, je fonùis en larmes! Ma mère
n:élait pas tendre pour tout ce qui touchait aux
dégàls de ma toilélte, ct je prévoyais une bonne
correction à mon retour à la maison. Mais mon
chevalier, pour me consoler, m'embrassa et me
promit de réparer le dommage. Il courut au chateau, rapporta du fil, des <1iguilles et se mit bel el
bien en devoir cie recoudre le fameux accroc. Je
me vois encore assise dans l'herbe les épaulc~
couvertes.de l'habit de Jean qu'il m'avait arrangé
lui-même avec soin cl j'entends encore sa "01'>.
gra\'e:
- Ne bouge pas, Paulette, surtout ne l'leu!'!'
pl~;
clans un moment, il n'y pm'altra pas.
El je ne faisais pas un mouvement j et, lorsque
,Tean, avec mille précautiÇlJ1s, m'eut rh3bilIéc, je
me rappelle mcs transports de j'oie en constatant
que la déchirure n'existait plus. e couvris de baisers Cous un de ses doi~ts
qui s~1ignat,
tant il
s'était piqué avec son aig~Ile!
Je suçais ces petites
gou ttelellcs rouges en cnan t :
- Oh! J<.:un r Tu ne vus pas mourir, dis J Je
l'aime tant! Je l'aime pour toule la vic et, pour la
peine que tu es si bon, je serai ta femme! Je
n'aurai jamais d'outre mari que toi!
- Une belle récompensc pour le pauvre gal'.
çonl déclara en riant Mlle Gertrude. Et que
répondait-il, le malheureux, it cette ofrre merveilleuse clc ton inutile pers~n
'?
.
- Je ne sais pas ... Je ne me SOllVlens plus .. ,
Sans doute ce qu'il a répondu il y 11 deux ans ~
L't:l)al'ti t gaiement Pau!ctte.
,
,
_
rhC:r0se, que le récit de son <lm,le aVall umusec
vint à regarder le régisseur à cet lustant; elle fUI
frappée de sa pâleur et de son visage contracté.
D'un geste elle le désigna à Mlle de Neu fmoulins;
GeUe-ci se retourna vivement:
- - Vons <lvez triste mine, monsieur Bernard!
dit elle Etrs-vol1s indi"iposé?
~'Vl!J
.ll, . ;l1~
JllVIl
•
�TANTE G-ER'l'RUDE
_ OUI ... )·c ne me sens pas très bien ... un peu
.
.
. l Oh'
)., y s ilS
sUJe
.
. cc n~. cs t
de migraine, je crOIS,
.
,
nen.
."
Mme "\Vane! s'était relournee o.USSl pOUf re~ader le jeune homme qui, gêné, sc leva ct se cliri""eo. vers la chD.telaine.
/:) _ Je vous demanderai même la permission de
me relirer, dit-il, et je V()US pri e rai cie m'excuscr
pour cc soir.
_ Mais certainement, cher monsieur! Si vous
avez la mi,graine, il faut vous coucher; c'est le seul
remède. {Juand je vous le disais que les hommes
de nos jours ne sonl plus que des femmelettes!
Vertudieu! Il eut fait beau yoir ceb du temps de
mon père, le colonel!
Jean Bernard, indifférent à la boutade de la
,vieille clemoi~,.
qu'il r:e paraisso.it même p~ s
entendre, aVait pns conge de es hôles. Il s'étall
incliné profondément devanl Paulette, qui lui
témoignait de sa voix tendre el co.ressante ses
regrets au sujet de son indisposition. Il n'avait pas
répondu, mais l'expression de ses yeltX sombres,
qu'ell e avait surprise, comme il les levait sm elle,
l'avait étrangement troublée ...
Longtemps, après son départ, elle était restéf'
pensive et n'était sorti e cie son silene!' qn c pont'
dire tout à coup à sn lante, qui l'obse ryait san ';
qu'elle s'en doutiu :
- VOliS allez encore vous moquer de moi, tante
Gertrude, mais je ne puis pas voir M. Berna nI sans
penser à mon ami Jean de Ponthieu ... ; il a ses
yeux, j'en suis sCire 1
.
- 11 serait très natté, ce cher comte, s'il savaII
1rOllver son sosie clans mon intendant.
- On pourrait 1\"Omer pin'! répondit Panlel le
a vec une certaine vivaci lé.
- Thérèse est absolument de Ion avi s , déchiré;!
Ml1e de Neufmoulins en s'éloignan 1 n près avoi r
lancé un regard moqueur sur la jeune orpheline,
toute rougissante de se voir mise ainsi en cause.
Quant au régisseur, rentré c hez lui, il s'êtait
enfermé ùans son cabinet, au granù étonnement de
sa bonne, qui le croyait invité à cliner ail chateau,
et etnit fort intrignée par ce retour ull 'is i subit
•
�TANTE GERTRUDE
' 99
qu'inattendu .. , El la vieille horloge de l'Abbaye,
frappant lentement douze coups dans le silence
lugubre de la nuit, le surprit encore éveillé et
songeur?
« Oh 1 Jean! tu ne vas pus mourir, dis? Je serai
ta femme! Je te jure que je n'aurai jamais d'autre
mari que toi! Je t'aime pour la vie !.,. »
Ainsi, il n'était pas le seul à se souvenir de ceti
ticrmentS d'enfant .. , elle aussi sc rappelai tl .. , Et sa
voix, en les évoquant, s'était faite tendre comIlle
au jour où elle les avait murmurés pour la première fois ... 11 avait retrouvé la même intonation
Caressante qui le remuait, le bouleversait !.. ,
N'avait-elle rien deviné'! Ne s'était-il pas trahi? .. ,
Nonl Ses yeux clairs d'enfant n'avaient eu qu'un
regard étonné et sympathique: rien que la politesse qu'une femme bien élevée témoignerait à un
inférieur.
'
Thérèso non plus, sa cùnrldente habituelle,
n'avait rien compris à S011 trouble. II lui faudrait
veiller soigneusement, à l'avenir, sur ses moindres
paroles, se méfier de son cœur et surtout com,·
mander à son visage, à l'éclat de ses ye,t1x noirs,
trop expressifs parfois ... Comme il aimait Paule!..,
Elle s'étailsi bien emparée de son cœur depuis ces
trois mois, qu'il ne s'appartenait plus! Etait-ce
seulement de celle époque que datai t son amour? .. ,
TI lui semblait qu 1 ill'avait toujours aiméel C'était
toujours le beau visage de la jeune femme qu'il
trouvait dans scs sOLlvellirs les plus l'eculés ...
Mais ce contact journalier avcc elle avait singulièrement avivé ses sentiments, Il y avait quelque
l.:hose de si touchant à voir les effortti ingénus de
Paulette pour satisfaire sa viciJ1e tante 1EJ1e mettait
ltn tel courage, une telle bonne \"olonté à s'appliCjuer à ce travail qui lui était imposé et pour lequel
elle avait si pell de goût, si peu de dispositions!
Jean Bernnrù, en maintes circonstances, retrouVait l'enfant expansive, la créature aimante ct charIncuse d'il y avait quinze ans! La voix harmonieusç
n'avaiL. ras changé et c'étaient les mêmes remercieIllents affectueux lorsqu'il l'aidait pour un comntC',
llnC addition compliquée.
,
- nh f mn!l<:je\lr Rernord, qu e c'est hon 't ,"01 " NT _",«,
1
:;j i...
'",?
(1
7
1
'
�100
TANTE
lIe venir ainsi à mon sec~ur!
ERTRUDE
rat;lte Ger~ud
ne
pourra pas megrond~
~uJotrd'hl!
monsIeur Bernard, je vous ret?ercle mfin~et.
..
.
Et les yeux claIrs rayonnaient de JOIC, gnsant de
leur douceur cares5ante le jeune homme ébloui,
tasciné.
D'autres fois Paule le consultait, lui t'xp1Îquant
:\\'ec une sorte d'abandon ses ennuis matériels.
Je:ll1, secrètement heureux et fiel' de cetle confiance, répondait de sa voix grave, donnant dps
conseils que b jeune femme écoutait avec une déférence qui touchait le régisseur plus qu'on n'eùt pu
le dire. Parfois, il s'oubliait dans :;es propres souvenirs; il parlait de sa mère, si digne, si érrolm::c:
il cherch:1.Jt il inspirer fi celle qu'il aimait les sentiments éleyés qu't! avait toujours admirés clans b
comtesse de Ponthieu ... Et Paulettc, suspendue;\
ses lèvres, attachant sur lui son regard candide.
écoutait, silencieuse, émue, le questionalr~
qu'il se taisait, voulant savoir encore, s'étC)lll1allt
ensuite de trouver tant de distinction, de nublesse,
dlCZ Ull intelldant - un valet, après tout! comm"
disait si dédaigneusement Mlle de Neut'monlins.
Lorsque Jean se retrouvait senl avec Thérèse.
Ç'6tai t e11core de Mme VI anel qu'ils s"entretenaient
longuement. De son côté anssi, par UllC sorle
d'entente tacile, l'orpheline coopérait de tous ses
en'orts à l'œnvre entreprise par le régisseur et 1
qu'elle avail vite devinée. Pen à peu, elle arrivait à
inspirer il la jeune veuve des idées plus sérieuses,
des goùls moins frivoles. Paulette, pour pl:lire à
sou amie, avait renoncé aux toilelles excentriques,
au: coiffures éuourifl'ées, aux modes tapageuses
(lui lui avaient été chères jusqltc-Ià ct l'avaient fait
si l11ul juger par lc monde, toujours prêt à la critique. Loin de diminuer sa beauté, sa nouvellel
l11ise, plus simple, plus comme il faul, ne [ais~
'lue la rehausser et y ajouter une distinction qtll ,
frappait tous ceux qui l'approchaient.
.
.Je~n
Bernard n'ignoratt pas la part qui l:c\'e~aJ
?I. Th(;~':c
dans ces hel11'eux changements; Tl 1III en
'~ardlt1nC
vive reconnaissance qui vrl1:1i t s'ajonter
\l'cGtime . profondp- qu'il aVl'lit déjà pOl11 h ,ÎCllt1
11 t1e. QU01qn'il n'en fA t j;1maic: '1i1ec:tjon eld re en'\" 1
�1 ('1
elle savait 1'<1111<\ ,li' 1(' ,kan pour Paule, ct elle eCI!
lout donné pour voir cetle dernière y répondre.
Mais, sous ce rapport, Mme Wanel restait il11pé
nétrablc ponr tous, même pour son amie à qui,
pourtant, elle confiait sec; secrets et ses moindres
pensées. Plllsieurs fois, Mlle Gertrude avait fait de
certaines :Illusions à ce qui, disait-elle. réaliserait
llll de ses désirs: vo!r Thérèse épouser son rGgisseul'. P(J\dette en cllssimulant un soupir, (wait
répondu:
'.
- ' Oui, ce serail bIen la femllle qu'il lui fand ra i l, .. Ils son t si parfai ts tous les cleux 1...
Jamais l'orpheline n'avait parlé i't Paule de sa
rC-solJllion d'entrer au couvent - elle sentait Cjue,
SlIr cc point, e1le ne serait pas plus en communion
d'idées avec son amie qu'elle ne l'était avec la c1111tdaine - seul. Jean Bernard connaissait ses intenlions il ce sujet. Elon eût dit que ces confidences
échangées rcndaient leur amitié plus franche, leurs
rapports plus intimes, plus cordiaux. Ils causaiel1 t
df! leur avenir comme de bons camarades.
- Quand je serai religieuse, disait tranquille111 en 1ThGrl:se, VOLIS nÙIIlll:llereZ Madeleine penclan 1
les vacances. Quand vous serez marié, ajoutait-elle
ensuite avec son bOll sourire, vous m'amènerez
\ olre femme, et je penserai à vous deux dans ma
solitude ... ell'e prierai pour vous ...
Paule était oin de se douter du sujet dont s'entretenaient ain~
pendant c!es beures; qui lyi semhlaient des slCcles, le régisseur ct son a111Ie ... Elle
les croyait secrètement fiancés ct gardait une cerIIi ne rancune à Thérèse de ne pas le lui avouer, de
p:mtttre se méfier d'elle- Je n'ai aucun secret pour elle, pensait-elle
tlislemcnt; pourquoi en a-t-elle pour moi 'f
Elait-elle bien sincère, la jeune Mille Wanel, en
l'ar!,lnt ain<;i? ,";lY:lit-clk pas, clic aussi, un secret
l'nitr. on amie? ..
�102
CTTAPITRI3 X
1
- Nuus il"om; IJiuutûl i\ la 110-:C, ma nièce, c'eb l
IllUi qui te IL: dis! Lu.; affaires I1lJrchent entre nos
deux tou rtcrcaux 1 Ça chauffe, je t'en réond~!
Et Mlle de Neufmoulins sortit en riant ct en se
[rollant les mains, tandis qu'elle jetait sur
i\lme Wanel un regard plein de malice.
Oui, ça chauffait, commc le disait la vieille fille.
l'unletk, elle aussi, s'eu était aperçue ct, il Cil juger
par sou air préoccupé, son attitude peugive, clic
était luiu d'eu éprouver la satisfaction témoignée
par la chùtelainc. Elle ell ~o\ln'ait
même étrungeIllent cL, dupuis quelque temps, elle se sentait pnse
parfob d'~lI:
,véritable antipathie po.ur 'lhér~s.
~'u)nt
nCll a reprocher à son amie, elle élalt
presque honteuse de ces sentiments; elle rougissait
de la jalousie qui grondait all fond de sun cœur
lorsqu clle surprenait les deux jeunes gens ca\lsant
il VOIX basse et s'interrompant il son approche. Le
regard de Jean, si doux, si tendre, 10rs'l'l'il sc
posait SUl' l'orpheline, lui fais.ait malll voir. EII"
s'en étonnait, s'en désolant comllle d'une petitesse
d'esprit qu'ellc ne se connaissait pus ct do ut la
cause lui échappait. Ne devait-elle pas, uu contmirc,
~;C
réjouir de voir son amie dont elle appréciait la
honté et les solides qualités, troLlver une affection
digne d'elle? Pourquoi n'était-elle pus heureuse à
la IJenséc de co mariage qui assurait l'avenir de
Thérèse? Au tant de questions que Paulette se
posait sans pouvoir y répondre! Elle ne savai t
qu'ulle chose: c'est que les assidllités de Jean
~uprès
d~
'~hérèse
lui faiscl1t.I~
ma.l affreux ...
Elle soufiralt comme elle n'avait Jamais souffert,
comme elIe ne croyait pas Ci U'Ol1 plH souffrir, VOil~
tOllt!
Ln réflexion de sn tante venai t encore de raviver
1 J \lû11'.ie. TI'llt finit GenG rte"~I\S
,lcGsou:> depui~
'1'1,,1(1'10. j01l1 , ,1 l cl1fm01lIin:. L.\ ch~It'lni,
"III'
�TANTE GERn UnE
le:: il~tacS
tic l'uulelte, de MadelcilH' et .le
Gonlran, revenus pour les vacances Liu Nouvel An,
avait consenti à laisser dresser un arbre de Noël
1110mtre pour touc; les en fants du ,illage. Chacun
s'était mis gaiement à l'œuvre. La grande salle des
fêtes, toujours fermée, avait été rouverte pour la
circonstance; Thérèse, aidée du régisseur, avait
décoré de guirlandes de feuillage l'immense pièce;
l ;1l1lellc, avec son goût exquis, suggérait dc~
ar1'al1gemen ts heureux: une toutre de gui par ci, un buisson de houx paT là, de su perbes gerbes de chrysanthèmes disposées savamment au milieu de totlte
cette verdure, produisaient un cfTct ravissant qlle
Mlle Gertrude, clIc-même, ne pOUY:lit s'empêcher
tI'admirer, malgré son clwgrin "et l'ennui qllC lui
cansait tout ce bouleversement.
Les jeunes gens avaien t travaillé tou te I:J jOli l'née; le~
préparat ifs étaient terminée;; il ne restai t
'lue les bougies à allumer dans les branches du
sapin gigantesque dressé au milieu de 1<1 pièce .
pour le der.lean conseilla de réserver cet otl~rage
nier moment; il serait bien temps encore une demiheure rn'ant l'arrivée des enfants, au<;sitôt le c11ner
fini, cl chaclln courut s'habiller.
- Pilis-je VOllS aider, ma chère Pmtlc? aVili t
dl mandé afÎectu lISelllcnt Tlt{'I'L:Sl' il Irn\"t l"; Il
porte de ln chambre de Mme \V:1Il('1.
-: NOIl, merci, fui la brève répoJl
~ l',
Etonn6c, la jeune fille avait insisté.
- Permettez-moi d'entrer ct c1'nrrangrl' \05
dlCveux?
- C'est il1l1tik, VOliS dis-jc; je n'ai hesoin dl'
personne!
Thèrèse s'était alors retirée. TOlite tris le, elle
I;tait rlrscendnc dans la salle, Oll elle fut hientc'li
rrjointc par Je régisseur et les enfants.
- Yoyer. cOllune noIre ( mflman .Jean ») ht
';upcrbcf dit l\'1-Hleleine à Thérèsr, en lui 1110ntran't
son frère, d'un r gardaclmirntcurt'I m\i.
L'orpheline adressa au jeune homme un bn]l
sourire ... Oui, il était bien beau, cc soir-ILl,
Jean ~cl'J1ar
1 Son visage, aux trait:> purs ct réguliers, respirait une singulière distincttoll; ses yeux
noire;, ~i ('xpressiîs, <1vilienl lin érJat illrlCCnutl.!....mé;
�1 f) 1
, \ NI'"
1 .,."
, 1'111
'l':
:Ja. H.JIllKulc, d~
~UlJL;
l1fcpyùdl,lb!l., IdJ:";lll,ldl1IJ
rablement valOIr sa haute taille drOite et clancéc".
11 avait vraiment grand air, le régisseur, clans S :1
tenue de soirée.
C'était l'a\'is de Thérèse et ce fut aUtisi cellli de
Mlle de Neufmoulins, comme elle toisait le jeune
homme des pieds à la, tête pendant qu'il s'inclinait .
devant elle et la saluait respectueusement.
- Où allons-nous! mannollait-elle, enlui tournant le dos l'instant après. Dans quel tem ps vi VOIlSnous, mon Dieu! Si ça ne fait pasJ)itié de voir de"
gueux avoir ainsi desairsdegrnn sseigneurs! El
cette fillette! si on ne la prendrait p:1S pOlll' Hile
priut;esse! continva-t-elle en apercev:1n t i\ bdt'Iei ne,
Jolie à ravir dans une déliciem.e toilette Je voik
l'ose - uu cadeau de son frère, avait-elle dit i\
Mlle de Neufmoulins. Celle dernière, qui avait
donné la rohe à son régisseur pour la petite, en lui
défenc!.:1nt de l'ollrir en son nom, se g,m!.:1 bien de
laisser rien voir; mais <lU lieù de faire il NIndelcil1 c
le compliment qu'clIc attendait, elle gronda sur I:J
sottisc d'encourager ainsi la coquetterie chez les
enfants, et s'610igna, laissant la fillette tonte déçue,
- Vite, il faut <lllumcr les bougies, ~avnt
qu e
1I0S invi tés arri ven t! déclara Thérèse, en a pp\'ot;hant une échelle double et en demanùant au régi sseur de J'aider.
'
Elle seule ne semblait pas en fète, la pau' rc
orpheline. Sa robe noire, simple et tians ornement,
n'ajoutait guère de charme à sa taille épaisse, rlinoll
disgracieuse; aucune COC] llctlcrie Ile se montrait
dans l'arrangement de sa chc\'elllrc. La j('lllH) fille,
we~
ses traits plies et irréguliers, n'~vail
n1111e ,pr~'
tenhon à la beauté, et pourtant son visage 1'C;;/1 Ir [1I1
, une telle bonté que personne ne ln trouv;\it nielt.-,
Toujours pleine d'cntri'ltn, elle n,ait grimpé su r
une des marches les plus élevées cie l'échelle,
criant à Jeun Bernard d'en faire autant de )'<lutrt?
cOte, et elle s'était mise vivement à l'ouvrage,
Madeleine s'était installée au-dessous d'cllll ct
Gontran avait pris place auprès de son fl'ère; tull<;
les quatre travaillaient consciencieusement, charmés. de voi( apparaltrc l'une après l.'anlre .les
lumières qUl éhncelaient comme de pelltes ttodet;
�'lANTE
ElnlWfJJ,. _
1O!)
OJu milieu du leuJ/lage. Jc~n
ct l hérl;se" atlil'lualent
parfois à la mèmc bougie, et c'était à qui des deux
irait plus vile que l'autJ'e.
- Mme Paule n'est pas encore prète'! dit
fout i'l coup l\1adelcine. Quelle ,ilaine coquette!
IWe fnit salls doute une toilelle extraordinaire!
- .le IlC sais pas cc qu'clic a, remarqua Thérèse,
clic ne m'a pus permis c1~ l'aider; on croirait q n'elle
IIlC boude depUIS cc matlU.
En ce moment, Mme Wanel parut à l'entrée de
la salle et lcs jeuncs gens eurentgrand'peine i't retenir un cri d'admiration.
Nulle expression ne pourrait rendre la beauté
saisissante de Paule, commc ellL apparaissait là,
tIans cc cadre clc lumière ct dè verdure. Un corsage
de cachemire blanc moulai t sa taille fine et souple,
tnl1llis quc les longs plis de sa jupe drapaient grac.:icusemellt son corps mince et 6laucé. Ull fichu
l,rul1balle en mousseline de soie blanche cuuvrait
~cs
cipallles ct laissait apercevoir le cou c1alls un
léger décollelé. Ses lllClg-niGqucs chcveux d'or crèpelés, n.:tellus pal' un SImple ruban, lui formaicnt
l[nc sorte de diadème j un senl bijou, un bracelet
d'or d'un modèle anticlue et curieux encerclnit un
de scs bras nus. Mais cc qui ajoutait encore all
charme men'eillcux de la jeune femmc, c'était
l'éclat inaccoutumé de ses yeux, la lucur fiévreuse
dont étincclaicll t ses prunelles d'ordinaire si c1ouces.
~i carCSsulltes, La bouche aussi, habituellclllel) t
~()lrjane
cl tenclre, avait unc expression cie défi;
11IdqllC chose d'étrange, de doulourcux se lis:iit
SUI' ses trails mobilcs et un peu pâlcs.
- Pcste! ma nièce, s'écriaMllc dc Neu[mollliu ,
~I\ l'apercevant, tu t'es bic!l mise el! f~ai
pour le"
I~gucnil':s
gui yont Yenlr. On crOll'alt que III
dllcnds un fiancé, un prince Charmant que tu
IC\iXéblolliràtolltprix! Tu perds ton temps, Illa
l' etite. Et ce n'est pas encore ce soir que tu trOllICl'as chaussure à ton pied!
Sali" répondre, Paule, s'avançant auprl's de
l'('helle, orrrit son aide. Mais il n'y avait plus cie:
place pOlll' clle, lui déclara-t-on en riant.
- Puis vous Ctes trop belle, ma chère! ajonln
g"II'II,pnt '['hé-rc\<;('; n()l1S 11e fcrions plus ricn Cl'l(, de
�106
vous regaldt:r (;1 l1u4::' u'eH fin!~'olS
pas d'd.lluUlt:1'
IIUS bougies. Vu~
Il.OtlS uvez ~;Jl.
~lJe1
el1t
éblOUI S
\ ne nous avonS failli perdre 1eq1l1hbre!
J La l'Iaisauterie était bien inllocente; le. tUH dunt
dlc était faite bien affectueux, puurquOl la Jeune
ft:lUlllC s'en troura-t-elle froissée au point d'y
rép_ondre par une parole sèche?
Elle-même n'aurait
le dire. Depuis le matin,
clle soulIrait à crier. Elle éprouvait un besoin
impérieux de blesser Thérèse, de Fbumilier, cie
l'accabler de ses dédains 1 Dans la franche cordialité de l'orpheline à l'égard du régisseur, elle ne
voyait qu'une coquetterie éhontée; la simplicité
avec laq ueUe elle réclamait son aide pour accrocher une guirlande ùe feuillage ou soulever un
pot de !leurs lui parai::.sait de l'etrronterie. Thérèse
ne se doutant pas des sentiments de jalousie qui
s'élaien t glissés clans le cœur cie son amie, s'abandonnait innocemment à la joie de celle jOllL1lée de
fête; elle s'étonnait bien, par moment, des paroles
brèves de Paule, de son regard mauvais, mais,
toujours bonne et indulgente, elle mettai 1 ce 1110\1vement d'humeur sur Je compte des nerfs; loin
d'en vouloir ~l la jeune femme, elle reuoublail de
douel!urs, d':lttenlions il. son égard.
Elle n'avait pas été la seure il. s'apercevoir d0
l'attitude étrange de Mille Wanel; .Il'an Bernard,
lui aussi, en avait 6té frappé.
L'illuruination était enlin tel'llllllée ; les jeune"
Hens, descendus de leur échcllè,s'extasiaicul d'ad
'n!rt~io
devan t !'effct prodigieux .Obtl!~
par CG!;
Ilullters de bougies. Une lutte amicale S ellgag?,l
entre Thérèse et Jeall, celui-ci voulant il. tout pn:x
empêcher l'orpheline de se charg 'r de l'écbelle 0 1
l'autre n'y \ oulan t pDS consentir.
Non, je vousen prie, l1o~i!
r BClï1ar 1,laissezmOI la reporler; vous des si bt:au, si élégant, VOI1~
l'OUS salirez! voyez! moi je n'ai ricl1 il c:raindr l '.
- Jamais je ne pel mettrai il lllle k:lIIll1e de ~0
,h;l.rgt:r cl'Ull td farde"u, léPUllLbit t~.lieJ1C
lt'
rnJekmoiselleThérèse :
réplsseur. Ob6i~scz,
Le ~olrie
du jeune homme Sl! Ltisait de plus Cil
plus aimable, tandis <jl1'il rss:1\":1it de p:ll'Jcr d'ull
ton ù'aulori té.
pu
-=-
�TANTE GERTRUDE
J07
A..;o lllVITI!;lll, \Ill bruit de faïence blitléc le& [it "c
lL:loUl'l1er.
- Sotte! maladroite! gronda la voix criarde
,le Mlle Gertrude, s'élevant il son diapason le plus
~tigu.
Ou'avais-lu l?esoil\ de toucher i\ cette potiche? La voil?t en pièces, mnintennni ! Quand je te
disais que tu n'étais b0nnl' à rien qn'il dOllner de
l'embarras! Pourquoi faul-il qu'une idiote de tOIl
espèce me soit ainsi retom bée sur les bras!
La ch[ttelaine de ~el1fmoj!S
continua longtemps SUl' ce ton, ajoutant mille aulre aménités
du même genre, sans souci de ceux qui l'écoulaient
et du supplice inl1igé à sa nièce, cause involontaire
du désastre.
Quant 11 Paule, elle recevait en silence ce déluge
de sottises exagérées. Très pale, elle se tenail
appuyée à un cles buissons de rerdl1re; elle ne
paraissait même pas entendre. Un f'r6a1issement
nel'veux ngitait ses lèvres et fnisait tremhIrr se~
paupières obstinément baissées.
Son silence ne lit qu'irriter sa tante qui continlla
avec une nouvelle âpreté:
- Quand tu resteras là, les bras ballants, à
regarder ledégLH causé par ta maladresse, tu ferais
mieux d'en ramasser les débris! nIais tu es encore
trop grande clame pour ça, bien sùr !
Thérèse, qui avaIt écouté toute peinée, celte violente sortie, se précipita pour enlever les malheureux morceaux, mais Jean Bernard l'avait
devancée. Sans lin 111ot, il écarta la jeune fille d'un
"esle très cloux, mais très im périeux ell même
~mps,
ct allant auprès dt' la cheminéc, ;t Sonna:
lLne bonne parut.
.,.
- Ramasse:!' tont cela, (I1HI, SImplement, mais
de ce fon cie commandement qui lni semblait
naturel; et faites disparaitre bien "ite toute (race
de ce petit a.ccident.
.
.
Paule avait-elle entendu? TOlI)OUI'S debout à la
III me place, elle sem hl ai t rét ri lIée : Son regard
fi\c comme celui d'une hypnotisée dévisageait
'Thérèse avec une expression étrange, lan lis que
cette dernière, pel1~hé
vers le régisseur, lui expri
mllit à voix basse sa gratitncJe ponl' cC' qu'il venait
,Illollvcment uutomatiq.ue,
de faire. Soudain, d'~1
�IO!)
~.aI1,:e
letuutUer,
MIll? "Vaucl
tlJ.\
C1.,.1
1.1
f:.
glclUJ<"
pièce et b'éloigna en slknce, balayant le parquel
Je sa longue traîne blanche. .
'"
Juste à cet instant les enlants falsulent Irruption par la porte opposée et cl,ans le brolllw.ha qu~
suidt lellr entrée chacun oublIa la petite scène qUI
vcnai t de se passer.
Toutefois le régis,;ellr, tout en i:ie multipliant
pO~lr
il1~taer,s
habitnllti:i dll village ct les pal:en~s
qUi aVaIent repondu avec empressement à l'lllVItation de ln chàtelaine, ne pouvait s'empêcher de
Jcter Salirent un regard inquiet du c<Ïlé par où
l\1Ule avait disparu.
Mlle Gertrude, qui l'observai l sans llu'il l;'en
doutut, l'ab?rda tout à COl1~).
",
- MonSieur Bernard, cllt-elle de sa \OIXllllP(!ralivc, cherchez clone dans le \ c:;tihule la pelisse
de ma ni~ce
et allez la lui porter. Elle e~l
sortie
prendre l'air, mais elle pourrait bic li aussi prendre
Ulle illlxion de p itrine ! Elle nou,; donne déjà
'IS';el. d'embarras sans cela; il ne lu:mqllcrait plus
que d'avoir il la soigner!
,
- J'y vais tout ùe $uite, madcl1loi!:>clle, répondit
Jean ave", empressement.
Et il partit bien vite, alivi pnr le regard moqueur
de la vieille fille.
Le jeune homme trouva facilemcllt la pdbse de
loutre .dont Pau le s'enveloppait lorsq n'elle sortait
par les grands froids, mais il eut beaucoup plus
de peine' :\ découvrir celle qu'il cherchait. Après
avoir exploré sans succès la plupart des appartements, la hm'asse, les bancs autour de la pelouse,
il commençait à se demander oit M me Wanel
pOI~vait
bien s'être ré-fllgiée lorsque l'i~ée
lui viL~t
de )oter un coup d'œil danl; 1<1 serre, qUI sc trouVal1
derrière l'aile g,1Uche du chateau. A la lueur d'ul!
de:; grands lampadaires ùe la cour, qui envoyait
un peu de sa lumière dans ee coin J',~tiré
il aperç'ut
hl jeune femme, étendue plutôt Cju'assi e SUI ~lJ
de<; faute1il~;
rustiques placé:; auprès du basslII.
1...1 1êt,ü appuyée sur un de bes bras rcplié~.
le,.,
V?UX fermés, Paulette, pcrduc dans sa n~ve,
nt'
\ 11 pa,,: venir le régisseur, au.;;si tressaillit elle vin
lelllmeat 'Jl l''Jtcnaant
voix grave:
sa
�1 (II 1
~ \taJ,ll11t.:, j~ viens Je 1.1 par 1 Je \"u 1ft': l,.lll te \'U l ~,
apporter cctlt.: manIe, car elle crainl que 'ous 1\t.:
preniez froid.
Les grands yeux bleus se levèrent railleurs ct
su perbes, tal1tl1s Cl u'un sourire moqueur soulevai 1
la lèvre Jans une moue pleine cle mépris.
_ Quelle tondre sollicituue ! j'cn suis Vrailllt.:lll
confondue!
'
Un froid pénétrant arrivait par la porle grande
ouvcrte et dC\'ait glacer Pa~detlc,
~i 1('gèrclrC\1t
\èt llC.
_ Permcllez-ll10i de \OUS aider il Illettrc celte
pelisse? demanda an. icuscment le régisseur, sans
pamure avoir entendu la rcmarque ironique de
Mme vValle!.
_ Je VOllS remercie. Je n'ai pas froid ... Vuu s
pouvez la poser sur cc ballC.
Le ton étai t bref ct saccJ.dé .
.Jean fi 1 un pas pour se retirer, mais (1) ant \ tl
frissonner la jeune femmc, il s'enhardit.
- Je vous en prie, Însista-t-il doucement; Ce
courant d'air est mortel... Nc restez pas ici ... Nc
voulez-vous pus rentrer clans la salle; rejoindre
votre amie Thérèse ? ..
A ce mot, Paule se le,'a brusquement, et se
tournant, la lèvre irritée:
_ Oue 'vous importe? dit-ellc avec haull;llr.
Vraimcnt, je VOliS lrouyc bien os":, monsieur!
Laissez-moi ... Alle?: vile rejoindre la demoiselle
de compagnie cie 11l:1. tantc : la pauvre fillc doit (;[rl;
inquièle, jalouse peut-l:tre. Retournez ouprè~
d'elle ! ... Elle pourrait \'ou~
~aire
une scène ct
s'imaginer que le che~'b
;l faIre la conquête de
son amoureux 1. .. MalS parte?: dOllC !
Jean Bernard, pale à faire peur, sc dirigea en
"hancclanl vers la porle de la serre, tandis que
Mme \Vancl, halelante, suffof'juéc par l'émotion,
relombait ~ur
son !.iège, ct appuyait son [ml1t
brûlant sur sés deux mains crispées.
Elle poussa un long soupir en entendlJnt le bruit
d\! la porte qui !.l.! fermait... Enfin 1 il était p.trti !
,11('> Gtait seule! elle pouvait pleurer et sOl\flrir II
f1llli iC ! ... Sondain, elle sursauta ...
Om, madame, ie suis en effet bien osé.,.
�110
TANTE GERTRUDE
UUlllOU vt:melll de ~ 'évolte
la Li t ~l drcss.er I~'G
IOÎssante .•. Mais, subjuguée par le chan1.1c Ir~ 'és l s
tible de cette voix, a,ux notes graves, qUI :wall su.!'
cUe un tel empire, elle !enna res yeux et se rassI!
,
silencieuse, attel:1da.nt" ecoutant...
- Ma condUltc doIt vous paraître etrange, et
je vous supplie de me pa:donner mon impol"
lunité: .. MaIS vous avez mIS en ca use une personnc qui In'est chère .. , et il faut que je la
défende.
Jean Bernard parlait si bas que la jeune femme
avait peine à entendre. Elle ne pouvait pas le voir
non plus, car il se tenait derrière elle ... Mais elle
le devinait tout près .. , elle sentait son soufl1(;
effleurer ses cheveux .. ,
- Voue; avez flétri d'un SOUpçon blessant une
amie qlli vous aime d'une tenclresse profonde et
vous est entièrement dévouée ... c'est mal ... VOllS
soull'rez sans cloute ct c'est ce qui VOllS exclIse ...
la souffrance rend si injuste . Oui, madame,
j'aime Mlle Thérèse, et elle m'aime aussi, mais
ilotrL! nffeetioll n'a nullement le caractère que vous
lui prètez .. , Je ne suis pas son amoureux, comme
vous le disiez tout à l'heure!
La voix, toujours basse, se faisait plus dure,
plus tranchante ... Et Paule, tremblante, essayait
de comprimer Son cœur qui battait à se rompre.
- Mlle Thérè.se est fiancée. Mais SO I1 fiancé
n'est pas de ce monde ... La noble enfant a visé
plus haut, et SO;l amour plane ali-dessus de nos
pauvres amours humaines... Elle s'est vouée à
Dieu depuis le jour où elle restée orpheline, et,
seule, la volonté de Mlle de Neufmoulins, à l::tquelle
elle n'ose se soustraire, ln retient ici. Cc sont de
ces noces après lesq uelles elle so upire que nou s
nOLIs elltretenons clans les longues causeries qui
ont excité vos injustes soupçons ... Je su is s n seul
confident. Dans sa vie de triste isolement, mon
amitié lui est précieuse; elle me considère comme
lin frèrc alné ... J'en suis heureux et fier! C'est un
si noble cccur, une ame si pure! ... Nos situations,
fodsel11blablcs sur bien c1es points, nous ont aussi
rapproch6s, .. Un intendant ct lIne demoiselle de
COmpagnie: deux domesticités déguisées! SOll-
�TANTE Ul!;ln'RUDE
11 t
utilies toue~
dt:llXà bieu d~
épreuves, des affronts"
souvent cruels!
T-,c tou était amer ... Le ~(cur
de Paul se ~lnait
affreUSClUl!nt.
- Mlle Tllérèse vous aime beaucoup, continua
Jeall, après un silence ct d'une voix plus douce.
Votre affection lui est plus chère que tout au
monùe ... Un soupçon comme celui que vous venez
d'avoir lui briserait le cœur ... C'est pourquoi j'ai
tenu à vous dire la vérité ... Ne soyez jamais injuste
à son égard ... Ne la jugez pas mal. .. Je la connais
si bien! C'est Ulle sainte ... Si elle savai t la pensée
qui vous est venue, elle en souffrirait amèrement
ct croirait devoir renoncer à la douceur de notre
amitié ... Vous ne voudriez pas faire cela ... Cc
serait cruel... Et vous êtes si bonne ... Je vous en
l!oujur\;, n'ayez plus la moindre pensée au sujet de
notre intimité ... Oh ! si vous saviez ce que vous ...
Qu'allait-il dire? Paule) n'osant faire un mouvement, attendait, haletante .. .
Mais Jean Bernard se tut ... II s'écarta brusquement d~l dossier du fauteuil sur lequel il se tenait
penché, effleurant presque de ses lèvres les cheveux d'or soyeux ...
Paule se retourna alors ... Ses yeux, humides de
pleurs, rencontrèrent les prunelles l:.ornbres du
jeune homme attachées sur elle a"ec une expres<;ion à la fois si triste et si tendre, qu'elle en ful
bouleversée!
•
Sans savoir cc qu'elle faisait, elk tendit ses ùeux
l\lains "Cl 5 lui Cil un geste suppliant.
_ Pardon 1 elit-elle très bas.
Jean Bernard, qui avait baissé les) cux, ne, il
la prière.
.
pas le geste, mais il ent~ldi
_ Cc n'est pas mOl que vous avez offensé,
répondit-il douCclllent sans oser la regarder, c'est
celle don t je vous ai révélé Il! secret.
- Je cours auprès d'elle, s'écria Paule.
Mais le régisseur l'arrèta.
_ Nun, l~e lui dites rien de tout "ola ; il '<lltt
mieux qu'elle Fignorc toujours ... Seulement, soyez
bonne pour clle ... Et ne voyez jamais, dans notre
aITection que celle d\ll1 frère pour une sœur faible
ct pauvre, <lui a besoin d'un appui, .d'un encount-
�Il:.!
gemcnt. .. en :.lllelldant q l'clI,c,aille se Jynllt'l' tout
~!J1tière
à Celui qu'elle 0. ChOISI pour lUI consacrel'
_
sa vic...
l ,"
Jean Bernard se tut.,. 1s lIlclma profondemellt
devant P.:lule et s'éloigna sans lever les yeux S1Il'
elle. Mais COl,nme il ouvrait la parle, Ulle pclill'
main sc posa sur son bras.
-- Monsieur Bernard !...
fi s'a1'l'èta, tremblant, hyploti~é
pal' la douceur
de la voix.
- Monsieur Bernard." moi aussi, je suis palll'I'e ct abandonnée... moi aussi j'ai sou yen t
beaucoup à soulTril'." Yaurais bien besoin, comme
Thérl:se, d'un frère, d'nn protecteur .. . Monsieur
Bernard, '-oulez-vous être mon ami?
Le jeune homme, chancelant comllle un h0l1l111C
ivre, le \isage bouleversé. resta un mOlllcnt interdit., . Mais, se reprenant, pal' lIU efrort ino~lï
dl'
volonté, il s'inclina Sur la peLi te main q lle scs
Il:VI'es e{flel1l'aient et mUrmllrLl d'nne yoix él ranglée;
,
,
C'est tr.op d'honneu l' ... Oui, madame, je serai
Illlir vous Ull ami lopl ct fldèk.
()unncl Paulelle rentra dans la satlc dl.! rét(:
j'instant d'après, elle fnt accueillie par les cris
ioyeu'i. des enfants qui connaissrtient tous la belk
et bonne dame ct en ralTolaient. Et, lorsque ln
soirée finie, parents ct enfants sc retirèrent, riclI
ne pCllt donner une idée de leu r concert de loua ll• ges ?t l'adresse de :\lIme 'VancJ, qui !le s'était
lilmais montrée si gaie, si charmante. Elle avait
même fini par vaincre la mauvaise 11llll1el1r de
~pou
l lIc l' de
Ncufmoulins, qui n'arait pas assez d'rcux
l'ad 111 i l'cr.
Oh ! tantc Gertrude, comme je sui~;
llcurCl~e
! répétait Paule, chaque fois CJllC les l'oncles
')ll les danses la ramellrtÎent dnns le coin où sc
tcnait la Châtelaine,
. - \el'tlldieu ! Ç'a sc voit ~ ripostait la ,iLillc
f,~le ~n Con tcm plan,t le beau \ i age rad ieux j el
~ c~ltend
! C0IltlllU<llt-c.:lJe, tOllt égayée pnr le l'1re
trais ct, \)CI16 qui éclatait à tout Il1stnnt comme
Ilne bl'll ante fl1sée ,
Je"l1 1kl'l1nl'<I Il,' put :ljlplochcl SOli l"C'I1 t Pa1JI '
sa
�'\ A. 11: C; ~J,:
1 P lTl>E
113
.I1t!uJallt Luut..: 1..1 soirée, tant elle él<llt a.:~prét!
par les \.mf~nts,
cL il se retirait même assez trisle,
[1l'èSQUt hlché de lùlyoir pu obtenir, ne fûl-ce
'\ n'lm regard avan l de s'éloigner, lor<;qu'lllle
\Jlbn~
l~gèrc
I)unlt au haul de J'escalier.
- BOllsuir, Illollsicu r J3cJ'J1ard !
I~la
forrn..:graciellsc, sc pcncll<1l1t sl1rla rampe,
ll\llrlllUli.l d'ulIc voix caressante:
- Mon allli ,Jean [l. t- il été c011t<,nt de moi, cc
~Ol'
'!
Nbis, avanl Illème
que.l~
jeull":, hOI~Jl1c
eùl
Fil
la charmante YlSIOll av"ut disparu dans
lIll léger bruissement de
oic. laissant derrière
t.:llc ul1 doux parfulD de violette ..•
r~ponde,
�111
'l'AN i!!:
Gl~H'{uUE
CHAPI'I'HE XI
tfn<: vl!rilable tempête de vent,
do grêle el de
pluie s'était déchain6e depuis
plus
obli gea nt les hab itan ts de Neufmo ieur s jour s,
ulins à rest er
enfermés dan s le châ teau .
P;.H1 le lte , deb out à la fenê
tre ue sa cha mbr e, conIcm plai tl'ea u qui tombait à torr ents
sée par la rafale, frappait les vilres et qui, pousavec violence.
- Ces t le délu ge! lIlurmura-t-elle
Jean lle puu rra jamais quit ter l'Ab . Mo n ami
faudrait lIlle barq ue pou r arri ver bay e! Il lui
pou rtan t j'aurais tant von!u le voir jusqu'ici ; ct
aujo urd 'hui !
Thé rèse venait de quit ter son
était encore sous l'impres sion deami e, et celle-ci
app ris ... Jean Ber nard l'aimait !...ce qu'elle ava it.
d'en fant , elle ne pouvait se lasse r de Avec une joie
se répé ter ccs
paro les à elle-même.
Elle avait travaillé tOlite la mat
inée dan s la
Jin gerio avec l'orp heli ne d, pri~c
so udain d'Ull ci e
t.:l:S besoins Ll'épallchement
q l1i lui étaient llal ureJ s,
elle lui avait avoulS sa jalousie
le soir de Noël,
l'in ten clltioll Lle Jcall Ber nard d
laquelle il avait défe ndu Thé rè!:ic . la cha leur ave..:
Cet te der nièn.:,
prof ond éme nt émue, :,'était à son
;dler à des confiLlcm:l:s : elle ava tour Iaissè\:
it dit L'amour
a~ ' dent
du. rlSgi~seu'pot1
elle, Pau le! le culte sile~
d~UX
qu'il rUI avait "ou é, la place qu'
elle
dan s ~on
cccur. Et la jeune felllmc, avoc Ull temllt
éLonnement dan s ses gran ds yeux bleu
s, éco utai t ravie
ces ;,tYCllX qui mettaient tille rou geu
r Ct scs jOl1es
et soul cyaient sa poitrine ...
- Mais pourquoi nc m'a - t-il pas
dit tout l'cl,l ,
IIWI1 ami Jea n'! demallL
lait- dk: naïv
. _. Gr.llllie en fanL 1 10polltlai LThér~ GHlent .
se,
t,;ll suu·,
Ilall t éL cu hau
~:.a
lt
l ~g(remlt
ks
la can deu r de son ami e; cst-cc qu'oépaules devant
cho ses? Il ne vous lc dira jamais u parl e de ces
!
1 ' - Pou rquo i ~
:.vroi :11.1 <;;; i, jL! l'uin, ... ~
�TANTE GERTRUDE
Ils
"- Oui! Comme ynU h 111',11111(.'1. el CUlllJlle IUliS
aimez votre tante!
- Un peu pins, rent-êlre! dit gaiement Paulette, de son air espiègle.
- En tout cas,. fc pauvre garçon sait bien que
son amour ne pourra jamais êlre autre chose
qu'une af[ection tonte pl~toniq.
Mme Wanel,
le j011r ou elle sc re111flnera, n'Jra pas prendre
pOUf époux l'intendant de sa tante.
Et l'orpheline ne quittait pas dll regard le visage
mobile et expressif de son amie.
Celle-ci était devenuc rêveuse; l'image de Jean
Bernard, avec ses traits distingués mais un pen
hautains, avec ses yeux sombres, avec ce grand
air répandu sur toute sa personnc, s'étai t drcssée
subitement devant ell c .. ,
- Non ... assurément non! avait-ellc répondu
d'un ton vague, d'uue vnix hésitante.
- Ille comprel1i1 hien, continua '[,li érèse, aVCL'
sa logique implacal'5le, et c'est pourquoi il ne l' OUS
parlera jamais de son amoul'.
Longtemps après le départ de sa compagne,
Paulette élait restée pensive, préoccupée. Ingénument coquette, elle se promettait bien d'arracher
au jeune régisseur, un jour ou l'autre, l'aveu de
son affection, .. Non, sans doute, il ne pouvait être
question de mari::lgc entre eux 1... NT ais, sa l'ai r
qu'elle était aimé? de c~t.1Olme
si sérieux, si disdél.lcl.euSe!l1enl, et son cœur
tingu.é, la flat~,
battUit comme 11 n avall Jamms battu à la pcnsle;
de le revoir.
_ Es-tu là, Paulelte ?
La voix pcrçant?cle sa tanto la tira bru sqlll'l\l('lll
de sa douce rêvelic.
_ Tu ne pourrais pas répondre au moins quand
o n t'appelle? Voilà une heure que je .m'évertue il
crier ton n0111 du haut en bas de la maIson!
- Oh ! tante Gertrude, je ne vous avais pas
entendue.
- Tu dois ètre diablement sourde, alors! J e
viens de recevoir une visite qui te concerne, con tinua la vieillc demoiselle en s'assenlllt slIr Ir {':1l1 t('uirg~lC
sa nièce lui avait a\'allCC-,
- Une visite, par ce tempe;?
�116
TA N
1'1<: (; 1'"1' 1 J' 1 111]0;
UUI! l'uUI IUclll,' IIU pwd de1Jùl;, .!UjUlll
l'hui il faul être fou uu amoureux, a'est-ce pas '!
(~'esti
cetie dCl'lliè'l"c cat6gorie qu'appartient le
\ i. iteur.
'. ,
-- l\mourcux ... de mOl? Interrogea oaï\'CIllC;IIl
l\\lll eUe.
- Vertudieu ! !lIa lliècc, tu'ne supposes pas que
cc soit de ma personne? Ah ! par exemple, il en
aurait entendu, celui-là! Je lui aurais montré bien
vite le chemill de la porte, sinoll eelui de la fenêtre ! Ma ch,\re, tes heaux. yeux ont fait une llOllvelle COIl'iUè[L! ; \Vallel n'est plus le seul i1l1béciiG
de ma eOllnaiss:lllCe ! Son Successeur est mêllle
autrement chic, quoigu'il n'ait pus dè coi'set
C'est M. Le Saunier, Cil
cùmme ton Lan~hères!
deux mots, jc tc ferai remarquer. La particule mc
semble hion contestable, mais après tout, ça lll'
JilL! regarde pas! Cc riche banquier de Lille, qui
fmie avec la première société,.1 cause de sa mère
- une baronne, r:1l'aït-il - mais surtout à CUltSG
de ses millions, tL! fait l'honnellr cie demander ta
?
main. Tu le ~onais
- Oui, murmura Paulette, d'un ail' pensif; je
l'ni rencontré sou \'en t chez sa sœur, la felllille cl li
('()lonel.
- TI c~t tn:~s
bien dc-sa pL!I'Snllne : il a au moins
lm mètre CJl1atre-vingt-dix! Signe particulier: il Ilt! ·
pour les petils pieds! Sapristi! quels
pose pa~
,tbatis! il n'élait pas entré clans le salon que je lt:~
apercevais déjà ct (]lIe je ne voyais que cela! C'esl
\ln famcux g<1illard ! Je serai tranquille de te 5;1voir appuyée an bms cl'un h0111me pareil pou l'
lrnvel'sel' fa vie! Celni-lo pourra te protéger el le
d6fendro ! Décidément, tu a\ais raison d'avoil'
,:onfiancc Cl! ta chance! Tu es née sous une bonne
0lo,ile ! Je me sni' chargée de te trunSl1(;!J\~"
demande, et Je ne lui ni bissé, llalurellcl11ell!,
, llCUIl doute sude résultat Je sa démarche. POli r
h.: ~eslc,
VOlt
vous débrouillerez ensemble . j 1
,'rolt peut-èlrc que je vais te cio ter '! En ce cas, il
e trompe! Après 111:1 mort _ Cl encon; t.l III
marches droit! si tu agis à peu prC::s il ma guise ~
-Ill '[uras quelque chose' mais je IlU suis p.1S d"
'plles qui 'e d(~poujle1
J, le"l "!, .. ut POl r cl li
�1 1 .,
'-~lbrvdé.:;
'LlU, el~L,
~t:
~()U';I\lt
Je vUll:..
':Ul1l1UC'
du Grand Turc! Non 1 non! Gertrude de Neulmoulins n'est pas à prendre il. la minute! Et il serait
bien nulin celui qui saurait la refaire, .. Là; maintenant quc ma mission est finie, je te laissc. Quand
lu auras bien réfléchi, lu pourras descendre dans
mon cabinet rejoindre mon intendant.
- M. Bernard est ici ?
- Comme lu le dis! Jc lui ai mêmc l'ail remarquer qu'il élait cn retard d'une demi-heure ct qUi!
je n'aimais pas à être ain:;i volée sur lc temps
qu'on me doit. Pour comble dc hénédiction, il
m'e:il arrivé crotté .;omme un chien barbet! Il
ruisselait littéralcment! On aurait dit un tônnC:1ll
percé! Il a fallu nettoyer derrière lui, partout Où
tl était passé. A\'c~
cela il éternuc sans cesse ct
parall enchifrcné d'ulle manièrt:! ridicule! "\ u""i
lui ai-je fait faire ùu feu! S'il pinçait son aI1:1ire,
c'est encore sur 111011 dos qu'on le mettrait. Quelle
scie, grand Dieu, d'èlre oblig~
d'employer tle~;
gens! A tout à l'heure, ma nièce. Aussitôt que tll
seras décidée. tu ll1e le diras, pour Ci ue j'informl'
ton pr,jtcndant, le colosse, qLl'il peut venir te fain'
~a
cour. Encore un embêtemcnt pour moi, p8J'
t;xemple ! li fauùra se marier le plus tot possibh,
GJr il n'y a rien qui m'horripile comme la vue cl .
IOUS ces airs « bouche en cœur» que le sexe laid
'.Ü croil obligé de prendre dans le temps dl"
fiançailles!
,
Une fois sa tanle sortie, l'<llllclte se hâta dr'
qu'elle po.rlait encore;, elle mit
quittel: le pei~nor
IIll SOIl! par~lcte.
il sa toJ!l:~
glll, blC,ll, gUI'
111Ocleste, a ";11 1 IOU)On,rs Illl certam c,achet ~legat}
dù au bon goùt de la Jeune femme. hile aVilIt aus~i
lIll\..: I:tçoll ':1 clic cl'arr:;l1ger sc': heau.: chevell\.
boucle:" ct cr~pelés,
qUI COI venaIt admlrablemelll
,1 b coupe le SOIl visnge (:t reh:lllssait encore sa
J'l: lllar'll1, bllJ, be,lulé, A vai {-~le
entendu les dei
lIi~n':.;
n:f1e\:lOns de .\Illle Gertrude? Une seuil
chose llvait fr,lppG son n'!ention: Jeun Bernard
.Hait arriv{: ct clic sc jcntait tout ému(~
il la
pensée de k revoir, d( passer quelques heures
III pn', ùe lui.
Bonjour; Illon -ienr Jp \ 1 1
�TANTE GERTRUDE.
LI:: t:giS~)Ul
!Je LctOlU ua viveme nt au bO~l
d~
la
voix harmon ieuse, et con~elpa
avec ~dmlron
la ravissa nte créatu,r e q,~l1
llll set,nblalt toujour s
pIns belle chaque fOIS qUI; la voyait.
"
_ Je suis en retard, n esl-ce pas? MnlS )\~ ne
VOliS attenda is pas par ce temps affreux ; ct, travailler toute seule drms ce bureau lugubre et
sombre ne me disait rie n! Comm ent nve7.-VOUS
pu urriver ju sq u'ici? En ,hateau '?
• - Non, madam e, il pied, très 'prosaï quemen t,
je ' VO~IS
a~sure.
Et, pendan t que je me secouai s
conSCienCieusement avant de pénétre r clans le
vestibu le, j'ai eu à essuyer 1:1 mauvai se humeu r de
Mlle de Neufmo ulins, qui p'araiss ait furieus e de
mon retard d'u ne demi-h en rc et, d'nu lre p:11"I,
toujour s originn le comme à son hnbilud e, prélend ai l que j'aurais mieux fai t de resler chez. moi.
Ell r a mis ensuite la maison sens dessus desso\ls
pou r allume r du fen que je Ile domnnclnis pas;
elle nvnit lail entasse r tant de bois dans la cheminêe que, si je n'avais pas protest é, du train dont
elle y allait, je serais certain ement grillé à l'heure
qu'il est.
- Est-elle drôle, ma tnnte Gerlru de ! fit remarquer Paulett e en riant.
- Si 'drôle, répond it Jean Bernar d, qu'elle a
planté là, nu beau milieu du vestibu le, un visiteur
qu'elle recond uisait sans doute et dont la voiture
attenda it au bas clu perron, pour me fnire to~1?
cette algarad e 1 Vous n'ave~
p:1S entenclu ses cns ?
- Non; j'étais dans ma chamb re . .Je viens
tl'a~or
sa visite. C'est elle 'ln i m'a annonc é \'011'('
arnvee .
Penc~at
ce ~olque,
le régisse ur avait préparé
les registre s, hvres de compte s, corresp ondanc e,
<.:n~
tO~l
cc qui constit uait son travnil habitue l,
ct,il avall tendu ;\ sa compag ne, nssise cn facc de
IlII, c!e l'autre côté de la tabre, ce qui la regarda il
spé?lal emenl, les mémoi res ct ucsn tante lui chal'ge;:l1t de reviser.
" :tV1ais Paulett e, évidem ment distrait e, ne paraissait p,ns j'rcssée de se mettre ù l'ouvra ge, Elle
~amlt
Jean ~ernac1,
pcnché sur S011 bureau ,
.\!Jguall l UI,;:; l hlffl'S cl :,'ilderr ompan t de temp
~,
�1 )~
f:J1 temps pour uuvrir le tiroir, tailler Ull .:rayull,
lliais sallS regQrder jaillais de !:>UIl cMt.
- MOl1sieul' Jean 'l demandu-t ~Ilc
tuul àcuup,
d'une voix hésitante.
Cette fois le régisseu r leva les yeux sur clIc et
sUllril d'Ull air interrogateur.
- Monsieur mon ami, cUlllinua Paulette ,.18 èC
ton câlin qui bouleversait le jeune homme, j'ai
besoin cie volre avis sur une grave question. Un
monsieur riche, de bonne famille, de réputation
honorable, très bien de sa personne, me fni!
l'hollneur de solliciter ma main ... Que conseille
monsieur Jean Bernard à son alllie? Doit-elle
accepter?
Le régisseur étai t devcllu très pâle, 5011 suurire
avait disparu ct son visage avait repris j'expression grave, un pell sévère, clui lui litait habituelle.
Son regard, j)osé sur sa compagnc qui l'examinail d'un air ll1génu, s'était fail soudain sombre cl
préoccupé.
- ' Mon Dieu, madame, murmura-t-il après LI Il
moment d'hésitation - et on etH dit que les mot s
avaienl peine à sorlir de sa gorge serrée - le
sujet est bien cl61icaL VouS seule pouvez être bon
juge dans une lj uestion aussi importante. Si
vous .. _aimez ee monsieur et qu'il VOllS ofrre toule
garantie de buuhcur. .. il n'y a pas à h~siter.
- L'aimer? mais je Ut! le connais pas! rl'polJdit Paulette en riant.
- Alors _. elle ton ùe Je.;ULL BCIll,U-d ét.lit ::.i
.um:!', :,i de:daiglllmx, 'lue Mme \Vaud tressailli!,
reclcycuant subite~n
sérieuse - alors, puurquoi
pellser [1 l'épouser?
_
._
Elull étonnement pGnlulc sc lisait dans le!:> yeux
Iloirs LJ ui semblaient vouloir plonger j lls'lll'an fond
de l'Ume de Paulette.
_. l\I::tis croyez-vous donc que l'amuur soil
nécessaire pour ullltlariage? baluutia-t-ellc, lanùis
(IU'elle senlait une timillité étrange l'cmahir !out
:1 l:OUP lle,an! k reglld scTula[(;ur (1 ~ J'an
Bernard.
- Jui, j'ai encore cette naïveté.
Oh! eomme le ton du régisseur élaltm6pri!:><llll !
Peul rIre de yolre ('Mé , lWl(hme, n'y yoyez-
�1 :,w
lMH
~
GERl'RLJDI':
\ uus '1 u·une ... all'aire ? Er:. ce cas, ~'Sl
différeut,
cl il Il',· a pas à hésiter. SI.lu, marche esl :1vanl:J'CliS si l'aflilire esl bonne, Ji Jaut la bacl~r
tout de
~uitc: . ne pas '[lisser éch:1l'l'Cr lIlle p:1l'edle OccaSIOll ,...
. .
UII silence pénible SUI\')( l'CS paroles ])rOll0nCl~es
d'une voix eass:1l1iL;.
Mmc Wanel, Loule SOl~cuse,
paraissaif
n.aminc!' avec attention le regIstre pl::!cé dc\"alll
dIe, mais, en réalité, sa pensée 0tail bien luin.
f)uant <lU régisseur) il s'était rel11is ü son trayail
dans une indifférence affectée ... sa main tremblait
si fort qu'il ne parvenait pas à tracer un chiffre!
- .\Ion~,
monsieur Jean, - Paule parlait doucement et avec une eertaÎJle hésitation, sans même
krcl' ies yr.ux, - quand yous vous marierez, c'est
que yous aurez rencontré une jeune fille que YOllS
ainlerez, et qui yous ai ... dont...
- DOllll'afiection répondra II la mienne'! Oui,
Inad.lllle ... ?,,[ais ce jour-J:'t ne viendra jamais!
Et uue expression de mélancolie pas~
sur les
traits sévères d~l régisseur. .
.
.
- Vous n'aImerez jaml~,
monSIeur .Je;.tlt ?
i lllerrogea curieusement Paulelte en-enveloppant
!e jeune homme de Son regard caressant.
Noys ne
- Oh! je n'ai pas dit cela, mad~.
SOnl1C~
pas mailres de notre cŒur; ou il va Il fau (
le. ~lIivre.
Mais si j'aimais, ce se!'ait pour moi IIlI
\:~l'Itabe
malheur, car cc ne ser.:ut que pOlir SOllrtnr. Je Ile puis pas 111e marier. ..
demanda candidement
;vj Ille'Pourquoi?
Vane!.
,
.Jean Bernard hé::,ila. Sa voix semblait (oute
,'hnngée, comme il répondait en baissant la tête
devant les grands yeux pleins de tendresse a((ul'hés Sur lui.
- Parce que ma vie appartient .l mes deux
enfants.,. parce que je SUIs pauvre... cl cela ne
suffit pas! Ln Compagne qui consentirait ù accep-
ter Illon nom devrait aussi accepter le seul legs
parents m'aient laiss\ TI faudrait qu'clic
!,ravatlhu arec moi pour nourri" ces enfants, les
'lue I~es
~Iev r .. : C'est une charge trop IOl1rdc ponr. cl!Je li Ile' "p' l1 lfe
ni, tm ll\'cr:lis_jc jn1l11is p1rciJlc
�T" N n:
(; J~
lU l' III
l~
l.:ll
;Ü)Uê~l:t
~, •• Plli:" HW::' idees ~Ul'
k: llHltJd/ol C::'UUI
si étrange s, si ditrérentes de celles de nos jours!
Je consac rerais ma vic entière il celle que j'aurais
-:hoisie pour épouse ; je n'aurai s pas une pensée
gui ne soit pour elle, pas Ull d~sir
autre que les
siens .•. Mais j'exiger ais la même chose en retour.
Je voudra is que nos cleux cœurs battisse nt à l'unisson, que je sois son tout C0111me elle sera le mien ...
Jean se tllt : une flamme brillait dan ses yeux ,
noi rs ct un peu de rouge ('nlorai ( ses joncs) si
pilles d'ordin aire.
Paulett e, le regard vague, sembla it perdue
dans une profond e rêverie ... Un monde ' nOll\'t'Hl.
s'ouvra it llevunt elle ... Eh ! oui, se marier dans
ces conditi ons (b'ait être bien doux 1. .. M::tis,
pour cela, il fallait épouse r le com p::tgnon tI c son
choix. Se sentir ainsi aimée, protégé e, quel beau
rêve !... Pouvai t-elle le réaliser en accepta nt
M. Le Saunie r'? .. Ce n'était I?us lui dont la /
1'-:1150e la suivait partout , ,dont l'tmnrc emplissait
,Ilors son cœur ct son espnt ! ...
11 ét3it de fière stature , celui nux cM':'> de qui il
sl,;mit si bOll, lui semblait-il, de travers er 18 "il' ! .. ,
Ses yeu,. noirs ayaient pOUf cil un charme pénr
tram cI , ln ~ leur tristesse exprl,;ssive ... Son visai' ,
un peu sc:vèrc pour les autres, s'acloncissait étr:1JlgeJ11ent lorsqu'il la contem plait ... sa bouche,
habitue llemen t dédaign euse, St: fais3it tend!';,! d,Ill ' ,
son sourire ... Pou r'lu oi Jean Bernar ù n'était-il
'111'un intendant'? •. (Ju'imp ortait sa pauvre té s'il
avait été seulem ent de son rang. de son moncle !, ..
Et le regard, (~e
Puulell e, '1,ui ne pouvai l ?"
\létache r dit regtsse ur, pencl.~
sur S~l1
travilll,
tleven::tit de plus en plue; pensll ... n,n s~I('lce
prorond trouble:: seulem ent par le hrult lecrcr de 1"
plun{e qui gr~lt3i
sans l'cUche, s'étilit ét:thli
entre les den'\ IC1\l1(' <; ge ns",
Mlle de Neufmoulins les surprll ain,j lOI
(lu'elle cntr3 d~n
le couran t de l'apr~
s -mid
l,
Gomme elle Je faisait souven t, pour Soulll ettre 1111 1'
observa tion à son in1endant, lui donner un orc..lr,'.
Elle fnt si étourdi e du mutism e de sa uièce qu'eH\.!
ne pul s'empê cher d'en faire part 1.1 Thérès e,
gu'elle reioignit dans la lingerie
�)0)0)
TANn: GERTR UDE
- Jc ne sais pas ce 'lui s'est. pass6 entre
l'J.ulelt e et le sire de la 'l'risLe- Figure - c'est ainsi
qu'elle désigna i t parfois le régisse ur - bien sQr
ils se soul chamai llés! et en cc momen t ils sc boudent: ça n'est pas difficile à voir! Silence complet! on se croirait daps une cellule de chartre ux !
La vieille fille n'était pas an bout de ses étonnements. Comme elle se disposa it à monter à sa
chambr e, cc soir-là, - Jean Bernar d s'était
retiré ainsi que Thérès e, ·- sa nièce, qui s'apprêt aiL
~l sorlir en 1Jlême temps qu'elle lui déclara tranq uilleule nl :
.
- Tante Gertru de, VOLIS pourrez écrire à voIre
colosse 'lue je le remerc ie beauco up, mais que je
ne pu is l'épous er.
- Ah bah!
Et Mlle cie Neufmo ulins fut si bouleve rsée
Cju'elle so uffla la lampe qu'clic venait d'allum er, se
plongea nt du même coup dans l'obscu ri Lé. Furi euse
de sa distract ion, elle en rejeta tou Le la fauLe su r
sa nièce, tandis qu'elle grattait avec rage la moitié
'd'unec bolle d'allum ettes, taules plus ou moills
rehelles . Lorsqu 'clle eut cnfin ohL 'nu de la 1mi.~re,
clle s'en servit pont" c1évi <;;lg-er Paulett e, ct la tc,iser
des piec1 s ?t la tete.
'
- Et pl/l1rqnoi ne \1ellx-1tl I)a<; ép()l1~cr
Cl'
l110nsieu r?
- Parce que ... parce qne je ne l'aimc {1:1S.
Paulett e avail rougi en faisant cette déc nratioll ,
l~di"
que sa tante redoub lait ses exclam ations,
- Ah! par exempl e, ça c'est du nouvea u.
Quand je lc di sais que tn deviens sentim entak.
;VIa foi! elle est bicn bonne! Est-ce gue tn aimais
l'e gros poussn h de "Vancl ? ct ce bellet de Lan
chères ? Tu ne l'aimes pas ? la belle affaire 1 Lors·
qne tn le connall r;)", tu l'aimer as, pardi! Il a )e
"ae, c'est J.~ princip al! A\' 'C' tes G0nts, ("cst Iii
l'essent iel, et cc qlle tn doi.: cherch er par-c1csstlS
tout. En voilà des idées! C'est bien sù r cetf<grande solte de Thérès e qui t'a mi s en tNe ces
Ilouvelles billeve sées?
- Non, dit tranqui llemen t PauleU e, ce n'est
pas '!'hérès e. Je vous en prie, ma t::mtc, n'insist e/
pas: i'1 <ll1eUIl prix jen'épo merili M. Le Snl1nie r.
�TANTE GEKrR UDE
- Çil pJ'ouv~
que tu deviens de plus cn 'plus
idiote. RéOéch is encore bien; tu ne retrouv eras
jamais I?areille occilsio n, c'est moi qui te le dis 1
Et tu rIsques fort de ne pas te remarie r, si tu
attends un personn age que tu aimes et dont tu
sois aimée! Mil piluvre fillc, ces choses- I;l n'existent que dans les livres! ct dans l'imagin iltion
ü'un tas de l( propres à rien » qui s'amus ent ü
éeriœ ces sollises puur trouble r dei; cérvelle s
comme la tiCJJLle. cn ~clr
p.rollle ltaut plus de
beurre que Je palJl 1 Lu llllll porte conseil , ct
j'espère bien que del1lain lu auras ehang-é d'avis.
- Non, laute Gertru de, je vous diraI ùemain
ce que jc vous dis aujourd 'hui.
- Bah! je n'cn crois rien. Allons, bonsoi r! III
as la lête à l'envers , ça se remettr a. Je m'en vais,
car je suis telleme nt furiells e en entend ant toutes
tes bêtises 'lue ic l'en dirais plu s quc je 11e voudrais 1
Et tante Gèllru Je se retira, non sallS avuir
claqué la porte avee une telle \iolelle e que luul'
la maison trembla .
Etait-el le vraime nt si furieuse , la vieille cl originale chatela ine '1 On ne l'eCIl pas cru en la
~oyal1t
l'instan t d'après , lorsqu' elle sc fut bien
:lssurée tlU'elle était seule dans sa chambr e, arpenter cette pièce à grands pas, en se frottan t énergi([Uemcllt les mains ct en se marmo ttant in pelln
toutes sortes de ré!1exiolls.
Jeun Deruar J ne dorillit pas beaucu up celle
nuil~ù,
el lorsqu' il succom ba à la fatigue, sur le
matin, cc fut pUllI' tombvr dans un somme il u.é-_
vreux troublé par un rêve étrange ct persista n t.
Pal;lett c sc mariait , et lui, caché derrièr e un
)ili er cllcrch ail en. vain à voir les trails dc.
'hom'm e all bras duquel elle s'appuy ait a \"ec
abando n .. , Chaque fois qu'il était sur le point de
l'aperce voir, le visage dur et sarcast ique de
Mlle de Neufm oulins sc dressai t cntre lui et l'inconnu, landis ct u'clle ricanai t de sa YUlX
Illoq ucu::;c :
t
_ A nous deux,.l an Bernar d!
L'ob$e~dn
(tait 'li forte '1110 1, jl~une
J'éveilla, h:Jirsné cie ':1j(~t
•. ,
r.Egi~-(1l
�l'AN Œ r;ER TRU DE
CiL\'ITR~
.
XII
- Oh! 1l1·;..iL'll Ikl'l 1ard , faile
s eXC1lse, je ne
savais pas que vous étiez là.
, - Que lle heu re est-il don c, Zoé
Et le jeune régi sseu r jetn SUl' ?
la bonl1(; un
rega rd éton né.
- Il n'es t pas loin de six heu res,
m'sicl! Bernar d; on ne voit plus clair, et com
pas de lum ière chc7. VOli S, je voume il n'y avait
s croy ais au
châ teau .
- Six heu res!
Il }' ava it don c qua tre hcure!:' LJUC
Jea n étai t là
enfe rmé , incunscient du tem ps,
ne
sach
ant plus
s'il étai t éveillé ou s'il avait été le
jouet d'un rêve ...
Mais le lége r parf um de violette
qui floUait da us
la pièce lui rapp eht sou dain
tout ce qui s'étai!
passé, ct il se leva bru squ eme nt
de
- Zoé, cou rez prév enir Mlle de S011 fauteuil.
11ue je suis ... sou ffra nt. Elle m'a Neu fmo ulin s
atte ndu l'ap rès- mid i. Dite s·lu i queura sans dou te
malaise, UDe mig rain e. Dem ain, ce n'es t qu'u n
je sera i ù se~
ord res.
Oui , il parn issa it vrai men t mal ade
son maUre,
pen sait la vieille Zoé, com me elle
fran
chis sait la
distance entr e l'Ab bay e et le cha teau
, toute
~ncore
de la pa.leur du jeune hom me, . frap pée
de l'éc lat
ftévreux de ses yeu x noirs, de
son vIsage con trac té.
C'e~t
que Jean Ber nard venait
émo.tion tellc qu'i l n'en avait jamd'ép rou ver une
'a VIC ... Et il sc trou vait plongé toutais ress enti de
\In abjm e dc bon hcu r ct de désc spo à la fois dan s
ir.
~a bon ne étai t part ie ~Il mar ché
d'A
illy ce jour là, Il étai t deu x heu res, et il s'ap
prêt ait à se rend re
an ~h;teal\
qua nd s(\~ort.
ouv erte bru squ eme nt
:Ivalt hvré pass.age ~ Paule, Pille
, to~
en pleur!:.
pIns bell e r.l~\e
JamaIS dan s !:0!l cha
- MOll::l1em lean , ,..'ét:uf-e1Jegnn ~ploré
écri t'e, ial/~
�'1 AN!
T~
GERIR UDE
Gertru de ne ycul plus de moL .. elle me chasse ...
et je suis venue yons deman der conseil.
'
Pl1isf fandis guc Ic régisseur, boule,e rs0. la
raisait cntrer dans son cabinet ct l'installait dans
\ln fauteuil, elle lui contait sa peine ingénument .
avec un abandon plein de .:'onfiance, ne cherch ant
même pas à cacher les larmes qui coulaient sur
son beau visage défait.
- Cela dure depuis trois mois, vous Je savcz
hi en ; ùepuis ce mariage auquel je n'ai pas vo\1111
consentir. Tante Gertru de en a été furieuse ... rlle
Ile peut mc pardon ncr d'm'oir refusé cc pMI i
superbe ... ct elle mc martyrise sans relLlche r J'ôl i
essuyé d'être patiente, de tout su pporter sans mc
plaindre, mais clic m'a dit des ch05es si dures! . ..
sans cesse elle me jette à la face que je suis pom
cUe une lourde charge ... Et maintcnrmt, c'CSI
fini ! ... Mais que i"airc, que vais-je de\'eni r?
Jean écouLait, naH6 ... Celtc voix tcndre d;1ll'i
1:1Clt1elk vibrait tlno note si phinliv e lui allait all
(Œur!
Paulc lev:! sur) ui ses grands yeux humidus.
- Thérèse, de son côté, ne savait plus que me
conseillcr. Elle aussi, la pauvre chère, clic a tant
il subir Loo Elle ne voit pas pour moi d'autre
issue que de consentir li cette union .. . Mais non,
jc ne peux pas L .. Si "ous saviez, monsieur Jcan,
. -- et le jeune homme , profondément troublé pOl'
la douceu r avec laquelle Pau le pronon çait son
nom, baissait la tête pour cncher son émotion, si vous sa\'iez commc vous avez modifié mes idées
au sujet du mariage ... J.c nc. voyai,s pas, avu?-t de'
\"E)US connal tre, cc quc JC VOIS maIntenant ... JC
ne
me cloutais même pas dc cc quc j'éprouve ... Mes
veux étaient pour ainsi dire fermés ... aujourd 'hui,
ils s'ouvre nt, ct que de choses nOllvelles ils
découv rent!
Jean Bernar d, bcrcé par la douceu r infi nic Je
,cellc voix c[lressante, n'osait rcJc"cr la tète, craignant de sc trahir, de laisser lire son amour dons
scs prunelles ardentes.
Pall ie continu a:
, Peut-êt re, il y (1. 1\)1 ail, !l.ufai2-je pu é,P0\\:"
.,cllli qlle
!;lnfe Gertru de me Pl'0pr,<;P,
M;;l<; il ,,/
�TlINTE GERTRUDE
.'' ,
trop tard ... mon cœur ne m'appartient plus! Et
" \'ousTavez dit, monsie~lr
Jean, avant tout il faul
ilimer celui dont on porte le nom ... Je préfère
vivre pauvre ct travailler .q ne d)ac~eptr
la fortune
de M. Le Saunier, dont Je ne plUS partager l'affection ... Tou t à l'heure, ma [an te m'a mis le
marchtl en main: ce mariage ou mon départ. Je
partirai... Mais je n'ai aucune ressource, il me
t'audra chercher une situation quelconque ... Mon-·
.,ieur Jean, c'est ce que je suis venue vous demanJer ... si VOLIS voulez bien m'aider. Je ne suis guère
savante, mais je pourrais me placer demoiselle de
compagnie, ou auprès d'enfants ... Oh! j'aime tant
les_petIts enfants! Je les soianerais si bien 1...
Et ses ~ral1ds
yeux bleus ~ril1aent
soudain d'un
éclat IUOlmeux à travers les larmes qui les obsc\lrcissaient.
Jean BcrnarLl était devenu d'ulle paleur livide ...
LI parla, mais sa voix était si changée qu'on avait
pellle il la recol1naltre.
.
- N'avez-vous pas d'amis, quelqu'un ayant Ulle
certaine influence... à qui vous puiSSIez vous
adresser ? ... CJui VOllS aide dans des circonsta11ces
aussi pénibles '!
- Non, je n'ai personne ... C'esl pourquoi je
suis venue à vous, monsieur Jean, vous êtes mou
seul ami.
Le régis:;eur s'appuya avec ulle t(;lle 10ree sur le
bras de son fauteuil que le meuble !Jt entendre 1111
sourd craguemeJl t.
- . Mais ... cel hom111e dont vous parliez toul à
l'heure ... celui à qui VOliS avez donné volreccclll'?
La yoix s'éteignit. .. la tête du jeuue hOlllllle se
courba plus fort, tandis qu'il allcnLlait, haletant,
Ulle réponse.
,
S'il avait pu voir l'expression de tendresse des
yeux bleus qui s'étaient soudain levés yers lui, il
cClt tressailli jusqu'au fond de !'tll1le.
- Celui à qui j'ai donné mon cœur n'en saura
hans doute jamais l'ien ... Je l'aime tout ba:; ... nOI1
pas que je ne sois fière de l'nimer ... Mai' il est
lui-mêmc pauvrc ct accablé de charges... mon
flmou~
~
~erit
pour lui 'Iu'un fardeau
plw
Oh! '11 ) étale; liche, ce serillt hiPl1 différenl ~1()r
s ...
ne
�TANTE Gf"RTRtTlJE
J'irais à lui el lui dirais Luul n qu'il c~l
P')U r
woi ... Je lui Llirnis ':Onl1J1l'll l il a transformé mon
esprit, mes goCtts, mes :lspirations, JUon âme toul
entière ... Il saurait quels nobles sentiments il m'a
inspirés par ses exemples, son caractère si f7fnnd,
sa nature ~i élevée: .. Je lui offrirais loul cc °que je
posséderaIs, ?l Je voudr::ds avoir tant à lui
donner 1. .• PUIS, tout bas, je lui demandcrais de
111 'nimer un pcu en retou r ...
- Paule!
L'émoLi.on de Jem? a~i
élé si [orlc qu'il n'avait
p~l
y résJster., El ~l elalt lombé.ù ~enoux
aux
r lCds cie ,1 adoree, lm.ssanl ce nom ~mle
s'échapper
de ses kvres, tandIS qu'éperdu Il appuyail Son
front hrCtlant sur le bras du fauteuiL ..
- Jean!
Ils s'étaient alors avoué leur amour. PenÙ:lllt
deux heures, ils avnienl tout oublié: la vieill e
chflte lainc, M. Le Saunier, Je monde cntier avait
jispal"u pour eux, Ravi, Jean contemplait dans
une sorte d'cxtase l'adorable créature qui ilvait
toujours OClp~
snn cœur, el qu:il reLrouvait dans
tons srs SO UVCnIrs ... [! ne pouv:ut se lasser de l'enIrnclre.
- C'esl hi e" \'l'ai, Paul e, QllC vous m'ni
1l1("T. '1
- Ol1i, Je:.lli. Je n'ai jamais ,aimé el je n'aimerai
j :1 Jl ~li1
qu e vous ... Je ne savais pns ce gue c'étail
ql1C d'.1imCl" avant de VOliS conn,aItre: .
- Mais je su is pnllvre, ma blen:-allllee.
- Qu'importe, Jean! Je le SUIS autanl, sinon
plu!! que vous! La pauvret.é il .vos côtés ne
ll1'efl'raie pas, je la préfère mille fOIS à la fortune
ri vec un autre.
- EL votrc (unlc'!
PanIc avait tressai lli 11 ce nom qni III l'apl'e-lai l
tll1d:lin ;\ 1.1 réa lité,
Mn t:lI1(c'?. .
. - Oui ... Croye'H ous qu'elle t.:ollsenlu ja11lais Ù
vous laisser épouser son intendal1 (?
Et Jean Bernard appuya avec intenlion Su r cc
derhier mot.
Mals la jet1ne femme le regarda de <;es grands
yeu"" clhirs el francs.
�JI; :,UIS lil.Hv, .It:au! ~I 1Ihl t<lutt: 111t: J ' fu'",
COl1Sentclllcllt, je m'cu passerai.
- Elle m'accusera d'indélicatesse ... clle n'aura
puur moi que du mépris! Elle croira toujours que
j'"i tout mis en Œuvrc pOllr l'OllS s~dlir(.
.
- Jc saurai bien la détrompcr l déclara Paulc
f!l,)remenl. Je l11i dirai quc c'est moi qui vous ai
dcm:lI1clé en J~larjgc!
- ct un suu rire cspiègle se
dessina au com dc sa bouche ricuse, - Oh! Jean!
vous allrez maintenant trois enfants! ... ÎI'Iadeleill1"
sera heureusc! Ellc IllC disait un jour tout bas :
« Il faut aimer Jean. car il vous ailllc bien. » La
ch~re
mignonne! Elle n(' sc doutait pas que vous
a \'iez pris tout mon cœur!
Pendant longtemps la voix caressante de Paule
avait ainSI bercé délicieusement les oreilles du
jl:unc homme des aveux naïfs clc SOli amour, aussi
frais quc SOI1 âme candide. Il avait appris j'indiscrétion dc son amic Thérèse, mais il était trop
h~urcx
pour lui en vouloir.
'
Puis, Paul..: était partie, tonte rJconfonéc par
ses encouragel11ents, ne craignant plus ricn, ayant
presque oubli~
l'accès de désespoir qui l'avait
amcnéc :1 l1 I'r( 'cie .Jeilll, fllni avait dit de prendre
paticnce, dc se muntrer pleine de d(ofé-rcn,c à
l'(q-ard de Mlle cie Neufmoulins, qui ne mettrait
:.ans doute pas sur-le-champ sa menace à
cxl!clltiol1.
Et elle J'avait quitté les yeux ravis, se retournant
sur le seuil pour 1l1i adresser encore un gest,
d'affection...
~
Pesté scul, Jean était tombé dans IlllG rè\'cric si
profonde qu'il nc ,,'6t:1it même pltl'; SOlll'enu cie
<iCS devoirs: Il Vieille ch<1!ehil1c 1'avait attendu
en ,·"in.
Paule l'aimait J. •. 11 Y m'ait déji\ qu 'Ique temps
qu'il s'en doutait, mais il n'osait y croire. Il
n',wait pas été sans s'apercevoir dc l'empire qu'il
c 'crç'ait sur la jeune femme, de la confiance
1~'cIe
lui tél10i~na
CI1 toutes circonstances, de
J'Importance qu elle nttachait à ses moindre"
approbations, mais il n'eùt jamais rêvé un amOlli
~i entier, .si absolu ... Et maintenant qu'il le savait,
il f.'n tj;J\t pr sque cffray6, . Qu'allait-il faire'>
SUU
�TANTE GERTRUDE
Epouser Pau I.e ? ... Le pouvait-il? Son cœur
répondait OUI, mais sa raison lui disait non.
Avait-il le d~oit
de lui laisser partager sa vie de
luttes et de misère ?... Certes, elle l'aimait sincèrement, il n'en douta~
pas; elle était prête à accepter
la pauvret~
ayec lUI, elle 1; lui avait dit elle-même.
Mais devaIt-il profiter d une heure d'affolement
d'un accès de découragement? D'autre part'
l'honneur l'obligeait à tout aVOuer à Mlle d~
Neufmoulins, et que. se passerait-il alors? Connaissant la nature VIOlente de la Châtelaine il
savait qu'elle le jetterait à la porte comme' un
chien, et ne manquerait pas de l'accuser d'avoir
tout fait pour arriver à gagner l'afTection de sa
nièce, en vue de son héntage!. .. C'était là une
première épreuve, mais ce n'était pas la dernière 1
Il perdrait du même coup sa situation, le gagnepaill' qui faisait vivre ceux dont il était le seul
protecteur ... Et à cette pensée, le cœur du jeune
homme se serrait affreusement, tandis qu'il
cherchait une issue, un moyen de sortir de
l'impasse dans laquelle il se troLlvait ainsi acculé ...
Non," il ne pouvait songer po~r
le moment à
épouser Paule, non, il n'eu avait pas le droit l. ..
Ille lui dirait, illa supplierait d'attendre qu'il eût
tr0uvé une autre position. Elle savait qu'elle
pouvait avoir foi en lui, qu'il lui appartenait pour
toujours ... elle comprendrait, elle se résignerait.
Il croyait pouvoir compter aussi sur elle; il
l'avait éprouvée par tous les moyens, et elle n'avait
pas montré la moindre faiblesse.
- Je ne suis qu'un intendant, lui avait-il dit,
un domestique à gages, ne rougirez-vous jamais
d'ètre la femme d'un Jean Bernard?
- Non, Jean. J~ se,rai aussi ,fière de m'appeler
Mme Bernard que le 1 eusse éte de porter le titre
de comtesse de Ponthieu.
.
11 avait tressa.illi et. ét.ait devenu d'une pâleur
livide à ce nom Jeté all1S1 brusquement, maiS elle
ne 'en était pas aperçue..
.
Une joie immense avait ensuite rempli le cœ.ur
de Jean en entendant cette protestation d'amour
invincible; mais à cette heure il était déchiré par
la perspective des épreuves, des souffrances qui
6
�TANTE GERTRUDE
les attendaient tous les deux. Il eût été seul à les
supporter, il eût tout accepté, tout enduré
héroïquement, mais la pensée de Paule l'affolai t !...
Il l'aimait éperdument et il lui fallait lui infliger
une torture cruelle... se séparer d'elle, pour
toujours peut-être!
Il avait affecté une grande confiance pendant
qu'elle était là; il n'avait pas voulu troabler la
douceur de leurs épanchements, mais à cette
heure le malheureux se déballait, désespéré,
cherchant en vain un moyen de sortir de la
situation inextricable que lui avaient créée les
aveux de Paule.
Dévoré d'inquiétude, la tête en feu, il arpentait
fiévreusement sa chambre, se demandant ce qui
allait se passer entre la jeune femme et sa vieille
parente.
Il n'avait osé bouger de la soirée, redoutant
une nouvelle scène, craignant à tout instant de
voir Paule arriver. A minuit, il se dirigea vers le
cbtlteau, mais il ne vil plus aucune lumière; le
silence le plus profond régnait partout; vraisemblablement, chacun dormait.
Il s'assit sur un des bancs de marbre placés à
l'entrée des avenues du rarc et resta 10nlItemps
en contemplation devant la magnifique d~meur
seigneuriale bâtie par son oncle. Elle se détachait
comme une masse imposante, éclairée en plein par
les rayons de la lune qui la faisaient encore
parallre plus grandiose. Le regard de Jca~'l.
s'arrêta sur la fenètre de la chambre Oll reposatt
sans doute celle qu'il aimait. .. Il se vit alors chassé
par la vieille châtelaine, emmenant avec lui la
charmante créature si bien (aite pour le luxe, les
richesses, et conclamnée à partager sa vie pauvre,
son existence misérable, privée de tout ce bien- •
être auquel elle avait été accoutumée ...
Non, il ne pouvait a,c cepter son sacrificel. ..
Il n'avait vraiment pas le droit de lui faire perdre
cet héri tage, 1,1 possession de tous ces biens que
~lJe
de Neufmoulins lui ôterait impitoyablement
SI elle l'épousait, lui, lc paria, l'intendant!
Il se .leva brusquement. Son visage était livd~,
ses 11<lIts contractés faisaient peine à voir, malS
�TANTE GERTRUDE
~es
prunelles sombres brillaient d'un éclat farouche
tandis que sa p~nsée
volait vers celle qui dorlllait
Ir-bas, et à ql1l rI venait de faire le ~acrit.:e
de son
Donbeur.:. celle Jont la vic lui était plus cbère
que la SIenne et pOUr qui il salirait piétiner son
propre cœur ..:
.
.
Sa résolution étm! pnse : il irait trouver
Mlle de Neufmoulins e.tlui avoucrait ce qni s'était
pa~sé
entre Paule et. lUI. I1~
supplierait de rcndre
Jo. Jeune femme pel11 e~s,
d av~":
pOur elle un peu
de tendresse, d affection, de 1aider à oublier ce
JeaÎl Bernard qu'elle avait été trop bonne d'aimer •..
Puis, il partirait. .. Il s'en irait bien loin, en pays
étranger, chercher du pain pour ses deu x en Canls •..
Paule était jeune, elle se consolerait ... elle oublierait et épouserait alors un honlme de Son rang
qui la ferait riche et com,idérée partout ... Jean
Bernard 11C pouvait pas être le !nar~
de Mme W ~nel,
la nièce de sa maîtresse ... Il Il av.ut que le droit de
J'aimcr tout bas, de loin, et sans que pc;rsonne le
sache jamais!
.
.
Lorsque le régisseur descendit de sa chambre le
lendemain et que la vieille Zoé l'aperçut, elle
s'arrèla, pétrifiée, -tant elle le trouva changé.
- Vous êtes encore malade, m'sieu Bernard.
bien sCII", vous ne devriez pas sortir.
'
- Non, je suis beaucoup mieux, Zoé, et l'air 1
achèvera de me remettre.
- Mais n'allez-vous pas déjeuner?
- Non, merci. Je ne rcntrcrai que pour midi.
La servante le regarda s'éloigner. Jean Bernard
d'allure si virile d'ordinaire, marchait la tê~
basse, .Ie dos voùté, d'un pas presq ue chancelant.
- Pour sûr, il a quelque chose, Illurmura la
femme, il a quasiment vieilli de dix ans lIepuis hier!
�TANTE GERTR UDE
CHAP ITRE
xm
Mlle Gertru de de Neufm oulins, selon son
habitud e quotidi enne, venait de parcou rir de
grand matin les commu ns du château , de la cave
au grenier , gourma ndant une bonne pour une
pièce trouvée en désord re, en bouscu lant une
autre pour le gaspilla ge des pomme s de terre,
criant, gesticu lant sans relâche ; elle comme nçait
à s'impat ienter de ne voir pamUr e nul1e part son
souffre -douleu r Thérès e, qu'elle appelaI t d'une
voix de stentor .
- Ah! enfin te voilà! s'écria- t-elle en apercevant la jeune orpheli ne à l'entrée du vestibu le.
Mais d'où reviens -tu à pareille heure, avec ton
chapea u sur la tête? Est-ce que tu ne t'es pas
couché e?
- Jc rentre de l'Abbay e, madem oiselle, où
vous m'aviez recomm andé de courir aussitô t levée.
- Ah! oui, c'est vrai, j'avais oublié. Eh bien,
comme nt va-t-il, ce sire de la Triste- Figure?
- Zoé m'a dit qu'il était sorti, mais qu'il paraispire » qu'hier , tant il avait
« plus
sait encore
1
•
•
mauvai se mIne.
- Bah! c'est une vieille sotte! Comm e toutes
ses pareilles, elle fait des histoire s à propos de
rien, et il ne faut jamais croire que la moitié de ce
qu'elle dit. Si on l'avait écoutée hier ' soir, on
aurait pu envoye r cherch er le médeci n et le curé
pOUf çet intenda nt de malheu r, et aujourd 'hui
voilà notre homme levé ùès l'aube, qui court déjà
la preten taine! Quand je pellse que je t'ai fail
sorlir du lit plus tôt que d'habit ude à cause de cet
oisealt-Ià, j'en suis vexée! Je suis toujour s trop
bonne, trop bête même, je devrais dire: Bien! vU
\ler mainte nant et mets-toi à ton linge;
te · ~Ié?hbi
seurs car
mOI, le vais véri fier les livres des fournis
1
je ne. m'y fic guère: ils sont tous au plus vol~ur
Mais Mlle Gertru de, fort préoccu pée ce matin~
�TANTE GERTRUDE
. 133
2~,
ti\a de, ses, vastes poches Ul~
portefeuille qui
D aVait gucre 1 ~parenc
d'un !lvre de comptes.
Elle restla plusieurs heures à en compulser le
contenu: c'étaient d.e vieilles lettres jaunies par le
temps et un portrait qu'elle ne pouvait se lasser
d'examiner sur toutes ses faces, l'approchant,
l'éloignant et marmottant à mi-voix comme c'était
son habitude lorsqu'elle était seule.'
- Vous êtes là, tante Gertrude?
La vieille fille tressaillit en entendant la voix de
S3 nièce. Remettant vivement le portefeuille dans
sa poche, elle alla ouvrir.
- Tiens 1 te voilà déjà levée 7 tu as dû tomber
de ton lit, ma chère!
- Je n'ai pas beaucoup dormi, tante Gertrude .••
et j'ai besoin de vous parler.
- Je t'écoute, ma nièce.
Paule était p<1le et paraissait très émue. Ene
n'osait lever les yeux sur sa tanLe, dont elle sentait
le regard dur et perçant.
- Quand tu voudras, ma p~Lite,
j'alle.nds J dit
enfin cette dernière, après un stlence péUlble.
- Oui ... mais voilà ... c'est que ...
- Ah çà 1 qu'est-ce que c'est que tout cc
charabia? Si tu n'as rien à dire, ce n'est pas la
peine de m'ennuyer plus longtemps ...
- Oh l tanle Gertrude, s'écria Paule qui avai
enfin repris courage, ayez un peu de patience ..•
écoulez-moi ..• ne vous fachez pas!
fais que
- Mais vertudieu/ je t:écoute!. je ~e
ça! Seulement dépêche-tOI, lu sais bien que j'ai
horreur des phrases entortillées, des chemins
détou rnés; va au but Lou 1 de suite et carrément!
Qu'est-ce que tu veux, enfin 7
Paule celte fois, leva ses grands yeux caresianls su~
la vieille chatelaine.
- Je veux me marier, ma tante.
- Ah 1 tu COl1<;ens 7 Ce n'est pas malheureux'
- Oui ... mais pas avec M. Le Saunier.
- Hein?
Et Mlle Gertrude se rapprocha encore de sa
nièce pOUl" mieux la dévÎ.sager.
- Tu dis 7... Avec qUI alors?
- A vec celui que j'aime depu is que j'ai un
�134
TANTE GERTRUDE
cœur .•• Avec l'ètre bon et loyal qui m'a fuit comprendre ce qui est vraiment noble dans la vie ...
qui a su m'inspirer le culte du devoir, l'abnégation, l'oubli de soi-mème ...
- Ta, ta, ta! Si j'avais un orgue de Barbarie,
j'accompagnerais ta rengaine. Au faitl au fait! le
Dom de cette huitième merveille du monde?
- C'est. .. - et Paulette s'approchant de sa
tante, pns,a cillinement un bras au tOIl r de son cou et
lui murmllra quelque chose à l'oreille.
- Ah! ventrebleu! elle est forte, celle-là!
La vieille fille, écumant de rage, repoussa sa
nièce avec une telle violence que cette dernière
faillit perdre l'équilibre, ct dut s'appuyer à la table
pour ne pas tomber.
- Comment! malheureuse, tu oses aimer un
de mes laquais et tu as l'audace de venir me
l'avouer? Sors d'ici, et que je ne te revoie jamais ~
Mais Paule, transfigurée, se dressa devant sa
tante dans une attitude de défi superbe.
- Oui, j'aime Jean Bernard, déclara-t-elle
avec hauteur, et je ne rougis pas de l'avouer. Jc
prélèrc son amour aux millions des plus riche
~
prétendants! Il est pauvre, que m'importe! .le
partagerai sa pauvreté, je travaillerai uvec lui pOUl
élever ses deux enfants! C'est un valet, tante
Gertrude, VOltS l'uvez dit, ma.is ce valct a l'âme
aussi grande CI ue celle d'un prince, et ses sentiments sont aussi nobles que crux des plus gntnc1s
seigneurs!
- Ah! vraiment, il te sied à (oi de pal"lci de
ses beaux sentiments 1 interrompit ironJquement
la vieille châtelaine, subjuguée tin instant raI' la
parole vibrante de sa nièce, par l'éclat fulf{urant de
ses grands yeux extasiés et ravis. Quel beau rôle
que celui de ce manant, de ce drôle qui séduit la
nièce de sa ma1tresse!
faux! s'écria Paule indignée, il ru! m'a
. - . G'~st
JamaIs dIt un mol d'amour .
.- Tiens! tiens! voyez-vous cela! Alors, c·esl
tOI qui t'cs prise d'un béguin pour ce joli godelureau?
.- Oh! tunte Gertrude! - et la voix se fit sup·
plIante -l1e parlez pas ainsi! Non ... vous 'Jave7.
�TANTE GERTRUDE
135
bien que votre Paule n'est plus coquette 1. •• Mais
ne comprenez-vous pas que je J'ai aimé malgré
moi, sans m'.en dou 1er même? Croyez-vous que
J'on puisse vivre dans la société continuelle d'un
être supérieur, ayant pOur lui les charmes d'une
nature distinguée, capable de tous les dévouements, jeune,' sé?~ian,
e! qu'on y reste insensible ? .. Je n avalS JamaIs aImé ... Inl1n cœur a été
~ lui nal~remt!
Je l'ai admi~é
d~abor
... puis,
Je me SUIS aperçue que }TIon adll11ratlon se dou blait
d'un autre sentiment .. . Mais VOus, tanle Gertrude
ne deviez-vous pas prévoir ce danger? Pourquoi
m'avez-vous pour ainsi dire jetée dans ses bras
m'obligeant à passer de longues heures dans s~
société, n'ayant que lui pour confident, pour ami ...
- Malheureuse! est-ce que j'allais m'imaginer
Cl ue tu serais assez sotte,. assez. stu pide pour
t'6prendre d'nn valet que Je vais chasser sur
l'heure?
Paule devint encore plus pâle; un Téritable
efli'oi parut dans ses yeux bleus.
- Oh! tante Gertrude, supplia-t-elle en
joigrwnt les mains, VOliS ne ferez' pas cela 1 Songez
à la petite Madeleine!
- Par exemple, je m'en l110q ue pas mal! Je ne
~ais
qu'une chose, c'est que ce vil manant a osé
lever les yeux sur toi, la fille de mon frère, une
~eufl1oins!
Et je n'ai qu'un regret, c'est que le
supplice de la roue n'existe plus pour tous ces
coquinsl
.
' .Jaule entrevit en une subite ~is.on
le chagrin du
jeune hom~
en se voyant aInSI chassé, et elle
teq ta un dernIer effort.
.
-- Tante Gertrude, je vous en prie, insistat-elle, soyez bonne, !ais~z-moj
épo.u~er
Jean.
- Jamais de la vIe! declara la vlclile fille d'une
voix tonnante. Et si tu n'oublies pas immédiatement tout ce qui a rapport ft celle folie, je te
chasse aussi , et défini tivement cette .fois 1
pelUe, répondit
- VOliS n'aurez pas ~elt
tlèremenl Mme "Vanel, qUI VIt (lue toute insis.
tance serait inu tile et se leva pour sortir. Jean
Bernard ne parlira paf> seul d'ici i où il ira, je Je
sl1ivl"ai. Il llI'ail11c, je le sais i je serai fière de
�porter son nom et de lutter avec: lui, de partager
sa pauvreté comme il partagera la mienne ... Mais
vous "agissez mal, tante Gertrude! vous allez
chasser un honnête homme ... vous allez mettre
dans la misère deux orphelins innocents ...
- Tant pisl c'est ta faute! interrompit Mlle de
Neufmoulins avec emportement. Tu as fait tout le
mal, répare-II.. ! Montre à ce drôle que tu as dans
les veines du sang d'une autre espèce que le sien!
Epouse M. Le Saunier. Alors, à ce prix, j'oublierai son audace; je lui laverai la tête comme il ,le
mérite et je le garderai à mon service. Qu'il fasse
la cour à Thérèse, lorsque tu seras partie, ça m'est
égal! Mais oser lever les yeux sur ma nièce, la
descendante d'un Croisé 1. .. vertudieu 1 ça me fait
bondir 1 S'il était là sous ma patte, ce misérable, il
s 'en souviendrait 1
Et Mlle Gertrude, frémissante de colère, agitait
s es grands bras d'une façon menaçante, tandis
qu'elle dévisageait sa nièce avec une persistance
étrange.
.
CerIe-ci, de plus en plus pâle, s'était dirigée
~ ers
la- porte ... Silencieuse, les yeux baissés, la
poitrine soulevée, elle paraissait en proie à une
profonde émotion. Sur le point de sortir, elle se
retourna et leva sur sa tante ses paupières
, alourdies ... Une express ion désespérée se lisait
dans son regard humide de larmes .
- Adieu, tante Gertrude.
La voix était douce et plaintive comme celle
<!l'un enfant. Elle s'arrêta et ses lèvres s'agitèrent
comme pour parler encore ... Mais, se c1 étou·r nant
brusquement, elle s'éloigna, laissant derrière elle
le bruit d'un sanglot.
Ce fut la vieille Zoé qui ouvrit cette fois à
Mme Wanel lorsqu'elle se présenta dans la
matinée à l'Abbaye.
là, Zoé?
- M. Bernard n'est ~as
interrogea
- Madame voulait J aceomr~n?
la servante en voyant la jeune femme coiffée du
petit chapeau de feutre et vêtue du complet tailleur
en drap bleu qu'elle portait habituellement
lorsqu'elle allait avec le régisseur visiter les malheureux qu'il lui avait recomandé~.
�TANTE GERTRUDE
- Non... oui, répondit Mme Wanel qui
semblait oppressée et hors d'baleine.
'
- Monsieur ne s'en doutait pas, bien sûr, car il
est parti de grand matin et à pied.
- Bon ... je vais l'attendre murmura Paule en
pénétrant vie~l.nt
dans la dtaison, à la prof~dc
surprise de la Vieille bonne, qui était restée ébahje
3U milieu de la cour.
Saus s'inquiéter de ce gu'elle pouvait penser.
Mme Wanel alla tout droit au cabinet du réo-isseur, et s'assit dans le fauteuil qui se trou~ai
auprès du feu.
1 Il Y avait plus d'une heure qu'elle était là
accablée SOllS le poids de ses tristes méditations;
énervée par l'attente, quand le pas du jeune homme
résonna dans le corridor. En un instant, Paule fui
debout; mais avant même qu'elle eût traversé la
pièce pour aller à sa rencontre, il l'avait devancée
et l'avait reçue daus ses bras, sanglotante,
éperdue.
- Ohl Jean, c'est aITreuxl
Ce fut tout ce qu'elle put dire.
Doucement, il la ut asseoir, en essayant de la
consoler, lui parlant comme à un enfant, trouvant
dans son cœurdes Illots de tendresse exquise pour
apaiser celte explosion de douleur dont il devinait
la cause.
Lorsqu'elle fut un peu calmée, eJle lui raconta
sans en rien omettre la scène q ui venait de se passer
entre elle et sa tante; elle lui dit son désespoir à
cette pensée qu'elle. était pour ~i1s
elire.1a cause
de la catastrophe qUI se préparaIt pour lUI ...
Jean écoutait, silencieux, le récit entrecoupé de:
sanglots ... Il J'interromp,ait de temr~
en temps
pour essuyer les pau plcres meurtries. par les
larmes, ou serrer tendrement la petite main
tremblante qu'il avait prise dans les sicnJlcs ... Il
souffrait à crier; mais seule la pfrlellr livide de son
·visage, qu'il ~avit
garder il~r.éabe,
eût pu
trahi·r sa süullraoce ... Il se nlJdlsSaIl contre tOlite
émotion· car il sentait que le moment solennel
d'accomj,lir 5011 sacri6ce étail venu ... il était
prêt ... El lorsque Paulc ayant fini de parler leva
su r lui ses grands yeu x éplorés, en 111 urll1 li ranI:
�TANTE GERTRUDE
- Jean, qu'allons-nous raire'? ce fui d'une foix
basse mais ferme qu'il répondit:
- Ecoutez-moi, ma bien-aimée.
S'étant encore approché de la jeune femme, il
l'attira doucement à lui, si près que la tête de
Paule reposait presque sur son épaule, et qu'elle
pouvait compter les battements précipités de ce
cœur qui lui appartenait tout entier.
Paule, vous croyez à mon amour? Vous
savez que je vous aime plus gue ma vie même ? ..
Promettez-moi que, quoi qu'Ii arrive, quoi que je
fasse, vous ne douterez jamais de lllOn atIectiol1
pour vous ...
- Oh! Jean, pourquoi cette question?
Et un regard de reproche emplit les yeux. candides levés sur le jeune homme.
Comme s'il n'eût pas entendu l'interruption,
celui-ci continua:
- Paule, je ne puis vous épouser ... je n'en ai
pas le droit.
Cette fois, ce fut un vrai cri de douleur qui
s'éch:lppa des lèvres de Paule, landis que Jean
reprenait, impassible, se raidissant contre J'émo·
tion :
- Il faUt oublierce ... beau rêve, et nous séparer !
Puis, comme la jeune femme se dégageait, frémissante, illa força à se rasseoir d'un geste toui à
la fois tendre et impérieux, el se laissant tomber à
ses pieds, il reprit, tremblant, mais résolu à aller
jusq u'au bout:
- Non ... ne m'ôtez pas mon courage, Paule,
j'en ai tant besoin 1. •• Ayez pitié de ma souffrance ...
pensez au supplice que j'endllre d'être obligé de
vous dire ces choses ... Soyez forte, ma bien-almée,
et écoutez-moi sans m'interrompr{j.
Pallie, vaincue, cacba son visage dans ses mains.
- Mlle de Neufmoulins a raison ... Vous nc
pouvez être la femme d'un vale!. .. vous VOliS devez
à votre famillc, à votre rang ... Je partirai, ct moi
disparu, votre tanle oublicra cette ... cette malheu:cusc histoire. Ne vous in ' {lliéleZ pas à mon suje!. ..
Je trouverai une autre situation, Dieu m'aidera!. ..
Si j'étais riche et indépendant, je mettrais O1'a
fortune à vos pieds .•. M,ds je n'ai rien !. .. Je n'ou~
�TANTE GERTRUDE
(39
bUerai jamais votre bonté POL!!" moi ... Jusqu'à mon
dernier soupir, mon cœur ne battra que pour
vous ... Pardonnez-moi de n'avoir pas eu la force
de yons cacher mon amour, de m'être trahi ... Cet
amour est si pur que je n'ai pas à en rougir. ..
Plus tard, quand vous OCcuperez le rang qui vous
convie~,
si vous v~us,oelz
parfois du ... régisseur qUI vous a aImee, n ayez pas de trouble ...
n'ayez jamais. hon.~e
ùes. sen.timenlS dont vous
m'~vez
~lOnore
... J en él~S
digne, ~aule
... Si je
n'ecoutais que mon cœur, J accepteraIs ce bonheur
inclTable qui s'offre à moi.... je VOliS demanderais
de partir ... Mais ce sera!t peu vous ~Iimer
que
vous condamner à une eXistence de misère et de
privations ... Mon amour est plus grand 'lue cela,
il veut votre bonheur par-~lesu
tout 1. •. ComJ)re\,!ez-vous bien ce qui me fall vous parler ainsï.
Paule se dégagea soudain, et forçant le jeune
homme à la rcrrardcr en face:
- Jean, int;;'rrogea-t-elle frémissante, si je VOliS
disais que)e n'acceple. pas v~lre
sa.crifice? Que je
préfère n'll11 porte q UOl à la separatlOu ... à la perspective de vous qu~ter?
- Je vous supplICrals à genoux, Comme je le
i"ais en ce moment, de m'écou ter, de ne pas me
laisser commettre une lâcheté, en profitant de vos
~entil1s
généreux....
.,
Le jeune homme avait baisse la tête, de sorte
Clue Paule ne pouvait voir l'expression désespérée
Leses prunelles sombres.
- Eh bien! Jean, je n'accepte pas votre décision ! Où VOliS irez, j'irai; je veux lutter avec vous,
sOl1ffrir avec vous! Toutes les épreuves qui vous
atlendent, el dont notre amou: est la c~use,
j'en
réclnme ma part!. .. Laissez-moI vous sUivre, être
pour vous une com pagne dévouée. et fidèle .. : .
Paule était idéalement belle; ses yeux bnllalent
d'llll (~clat
éblouissant, tout son visage resplendissait d'amour, tandis qu'elle attendait, anxieuse, un
mot, un geste de Jean.
Un silence se li!. .. une expression d'atroce SOlJ~
france passa sur les traits du régisseur. .. Mais,
pouss,lnt un profond soupir, il répondil d'une
voix étranglée;
�TANTE GERTRUDE
Non, Paule, je ne puis accepter ... l'honneur
me le défend ... Je dois vous laisser libre ... il faut
m'oublier ...
- Ah! vous ne m'aimez pas! vous ne m'avez
jamais aimée! s'écria la jeune femme d'un accent
déchirant, en se levant et en repoussant vio.lemment Jean Bernard, qui était devenu livide à faire
peur.
.
Un cour frappé à la porte du cabinet les fit soudain tressaillir.
- M'sieu Bernard, annonça la bonne du dehors,
on vous demande au chùteau_ Mlle Gertrude veut
vous rarler tout de suitc; c'est fort pressé, a dit le
domeslillLle.
- Merci, Zoé, dites que j'y vais immédiatement.
Jean, qui était resté agenouillé auprès du fauteuil, se releva lentement et passa une main sur
.son front brûlant, comme s'il voulait rappeler ses
idé~s
con fuses_ ..
11 jeta un regard de commisération sur Paule
qui, après l'avoir repoussé, était retombée affaissée
sur le large divan contre la muraille et, le visage
caché sous son bras, pleurait en silence, étoutlanl
ses sanglots. Un immense désirlui vint de la prendre Jans ses bras, de l'emporter loin de l'Abbaye,
dans un pays inconnu, d'unir sa destinée à la
sienne, de lui consacrer sa vie entière, d'accepter
cet amour si candidement ofTert, de lui révéler le
m ySlèrc si soigneusement cac hé, de met t re à ses
pi<:ds ce beau titre de comtesse de Ponthieu dont
elle était si digne alljourd'hui ...
Mais la pensée des sourrrances qui atlendaient
cetle créature adorée, les misères auxquelles il la
condamncrail en l'épousanl fui rlus forte et
triomrha ue ce qu'il reg<1rdait comme un sentimenl égolste ... 11 la voulait riche ... il la ferait
IH!urcusc en dépit d'elle-mèmc et coCile quc colite!
Il se pencha sur 1::1 jeune kmme et erneura d'Ull
bai:;er la magnifi'iue chevelure d'or ... Puis, tremblullt comme un homme qui vient de commettre
un crimc, il sorti t sans se retourner.
�1
TANTE GERTRUDE
CHAPITRE XIV
Le cœut: de Jean B~rnad
battait d'une singuji?re én;otlOn co.m~e
Il fra.nchissait, ~our
la derD1è~e
fOIS, pensaIt-li, le seul! du magUlfique palais
bâtI par son oncle.
Tout en se dirigeant vers le cabinet où l'attendait la châtelaine, il jetait autour de lui un regard
attendri, cherchant à fixer pour toujours dans son
esprit l'image de ces lieux tant aimés, Olt il avait
espéré rester longtemps encore et que la fatalité
l'obligeait à quitter si soudainement.
Pendant le trajet de l'Abbaye' au chateau, il
avait eu le temps de recouvrer son sang-froid j
redevenu mallre de lui-même, il se sentait fort
contre la rude épreuve qu'il allait subir, contre le
coup qu'il prévoyait.
Mlle de Neufmoulins, avec sa clairvoyance
habituelle, se rendit compte de cette disposition
lorsqu'elle vit entrer dans son cabinet celUI qu'elle
avait mandé en toute h<He.
- Vous savez rourquoi je vous ai fait appeler?
commençu-t-elle en le toisant avec dédain _
_ Je crois le savoir, mademoiselle, répondit
Jean d'un ton poli et froid.
_ Eh bien, si vous n'en ~tes
pas encore bien
sür, sachez-le to~
ue slit~.
J'ai à vOus dire que
vous êtes un drole, monsieur Jean Bernard! un
véritable coquin, entendez-vous'? Plus ambitieux
encore que les ~lants
de votre espèce, ce n'est
pas dans ma c~ls,e
~ue
vous avez volé à pleines
mains vous avez Vise rlus haut. Voyant la naïveté
' de ma nlt'Ce,
"
la bêtise
vous v,ous ~tes
dit 'lue la
conquête d'une telle ,;otte .seralt facde! ~Inrs
vOus
avez fait la cour à I~ retl,te" sachan,t bien que si
elle n'a ras le sou aUlourd hUI, demain, lorsllue sa
,vieille orignal~
~e
tanle aura tourné de l'(~i,
elle
sera riche à mtlllOns! Allons! le plan ét~l
nssez
habile, avouez-k donc, monsieur .J ean BernarJ?
"
1
�q2
TANTE GERTR UDE
Le jeune homme , toujour s silencie ux, s'était fait
un vIsage impéné trable; ses yeux, qu'il tenait
obstiné ment baissés, ne laissment point voir la
lueur étincela nte de ses prunell es ent1am mées; il
était debout , appuyé au dossier d'une chaise qui
trembla it par Illstants sous la pressio n nerveu se
de sa main crispée .
On eût pu croire devant son impass ibilité que
ce n'était pas à lui que s'adres saient les paroles
insultan tes de la vieille chatela ine. Celle-ci, assise
au fond d'un large fauteuil, les bras croisés dans
une attitude de défi, dévisag eait le jeune homme ,
étonnée de ne pas le voir bondir sous les coups
dont elle le fouaillait ••. Comm e il se taisait toujours, elle continu a sans pitié:
- Ah! vous êtes un comédi en habile, monsie ur
Jean Bernar d! il faut le reconn allre! Vous avez su
bien jouer votre rôle! Vous vous y en tendez à
merveil le pour faire vibrer la corde des beaux sel\timents ! Aussi ma nièce s'y est-elle laissé prendr e
tout de suite! Encore un peu, nous aurions juré
que vous étiez un prince déguisé , tant "Vous avez
su copier les dehors d'un grand seigneu r 1 Mais
vous avez oublié la premiè re qualité qui dénote le
parfait gentilh omme et que vous ne posséd erez
lamais, monsie ur mon intenda nt! Vous avez oublié
l'honne ur 1...
Celte fois, les yeux noirs se levèren t, laissant
voir à la vieille fine leur regard enflam mé.
- En êtes-vo us bien sûre, madem oiselle?
Jean parlait d'une voix grave ct triste, d'un ton
légèrem ent dédaig neux; Mlle Gertru ue, un peu
interdit e, ne trouva rien à répond re.
- Non, je n'ai jamais forlait à l'honne ur, continua le jeune homme avec une telle fierté tlU'il en
imposa à son interloc utrice restée silencie use. J'ai
pu avoir un momen t de faiblesse ... je n'aurai s pas
dû me trahir .•. je n'avais pas le droit d'aime r
Mme Wanel , et je devais avoir la force de taire
cet amour ... C'est Illal à moi, je l'avoue . Quant
au~
vils ~entims
que vous me prêtez, ma condUIte me Justifiera mieux que tous les ar~uments
..•.
lnter ...ogez votre nièce; elle-mê me vOus dira ce
qui s'est passé entre nous ... Vous verrez alors
�TANTE GERTRUDE
combien vous avez été iuju!ile dan~
il mon égard .
\ os SOupçons
s'était repr:se et, dévisaMlle de ~eufmolins
geant hardIment le régisseur, elle déclara de sa
voix sarcastique:
- Oh! je sais! Vous avez si bien circonvenu
cette petite sotte qu'elle ne dira pas autrement que
vous! V QUS ne r.~>uve
pourtant pas nier lui avoir
parlé d'amour, )'unag.me?
- Non, je ne le l1le pas ... J'aime Mme Wanel
depuis ... depuis le jO~lr?ù
je l'ai vue, je crois,
répondit Jean avec dlglllté,. et. sal~
baisser les
yeux . Cet amour a grandI sIngulIèrement ces
derniers temps. Ses malheurs, son isolement ses
efforts vraiment touchants pour arriver à ~ous
satisfaire, mademoiselle, sa bonté, sa douce résignation devant des rebuITades le plus Souvent
fané! ~e
~'atne
et
injustes m'ont ému jusq~l'a
m'ont fait éprouver pour elle une allecllon profonde, capable de lous les dévouements, de tous
les sacrifices, qui ne pEmt CJu'honorer celle qui en
est l'objet, fClt-ce mème de la part d'un mendiant!
de l'être le plus pauvre et le plus misérable! Je
croyais bien qu'elle ignorerait toujours ce culte
ardent que je lui avais voué et il a fallu une circonstance extraordinaire, nn de ces coups qui
vous prennent par surprise, pendant' lesquels on
n'est plus mattre de sa volonté ... Si mes lèvres Ont
trahi mon cœur, hier, c'est de votre faute, mademoiselle, déclara hardiment Jean Bernard en
regardant la vieille chatelaine bien en face. '
_ Mais, vraiment, ce manant est d'une audace!
_ Oui! - et la voix brève du régisseur monta
à un diapason plus élevé, imposant silence à
Mlle de Ncufmoulins, subjuguée par le ton tranchant et l'expression impérieuse des yeux noirsoui, c'est votre faule. Celte enfant que VOltS
devriez protéger et que vo~s
sem,blez torturer à
plaisir est arrivée cbez mOI ~(fole,
hors d'ellemême 1. .. Elle est venue à mOI COmme à SOn seul
an~i,
le seul è.tre en ':lui elle eût confiance, qui pût
l'alJer la gUider ... EperJue, san{.rlolante, elle m'a
dit qu~
vous l'aviez chassée, demandant d'elle Une
chose qu'elle ne pouvail vous accorJer. Vous You-
�TANTE GERTR UDE
liez lui impose r un mariag e qui lui parait odieux ...
de quel droit, vraime nt, exigez-vous pareille
monstr uosité?
- Et de quel droit, s'il vous plait, vous mêlezvous des ail"aires de ma nièce et des mienne s?
riposta Mlle Gertru de, qui avait retrouv é toute sa
violence. Je ne sais pas pourqu oi j'ai la fatienc e
de suppor ter pareil langag e! Vertud ieu Qu'on
me parle de la sorte, à moi, une Neufm oulins? Et
qui ?... un manant , un valet que je devrais faire
chasser sur l'heure !
- Je vous éviterai celle peine, madem oiselle,
répond it fièrement le jeune régisse ur. Je vais
r.artir; mais, aurarav ant, je vous dirai tout ce que
,'ai sur le cœur. tout ce qui me brOie les lèvres
depuis si longtem ps! Je vous dirai l'horre ur que
m'Illsp irent vos procéd és pour l'enfan t de votre
frère.
- Tiens! liens! Je ne serais pas fâchée d'entendre cela! L'opini on d'un Jean Bernar d sur ma
condui te! ce doit être assez curieux !
Et Mlle Gertru de, prenan t son face à main,
toisa le régisse ur avec insolen ce, tandis qu'elle
s'étend ait compla isamme nt au fond de son fauteuil
dans un calme affecté.
- Parlez donc, jeune homme , je suis tout
oreilles 1... Et d'abord , repreno ns où nous en
étions restés ... Vous disiez que ma nièce était
venue vous deman der conseil ! ' Nature llemen t,
vous l'avez encour agée à me résister , à refuser ce
parti que je lui offrais pour vous épouse r, vous,
Jean Bernar d?
- Non!
Le régisse ur avait mis une telle hauteu r dans
cette brusqt: e et laconiq ue répons e que Mlle de
Neufm oulins le regarda avec une nouvelle attention.
- Non 1 répond it-il au bOllt d'un instant de
silence - et une express ion de tendres se immen se
e~rli
soudain ses yeux noirs passion nés ... sa
VOIX se fil Jouce et triste ... il parla lentem enl. ..
- ~on
amollr est trop profond pour être égoïste ...
J'al e;1 une second e la visioll du ciel. .. j'ai été
éblOUI par le bonheu r ... mais j'ai eu la force de
�TANTE GERTRUDL
résister. .. Pauvre chère Paule !... EUe ne se douja~is
d~
la ,gra~deu
de m~
sa~rifce
... Je
lUI al ellt que Je n avaiS pas le drOIt, mOl, le paria.
l~ sal~jé,
de pr~tnde
à s~ main.:. Je l'ai.suppliée
d o.ubhe,r ... Et ) 8:1 compris que Je devais partir,
ne Jamais la reVOIr, ne plus entendre le Son de sa
voix ... Elle est faite pour la fortune, le luxe les
h~neur.s
... i~ f~ut
la laisser à ce cadre d'o~
qui
lUi convient SI bien!. .. La condamner à une vie de
luttes et de misère serait un crime ... je ne le commettrai pas ... Mais elle va souffrir ... elle m'aime
je le sais ... Il faudra être bonne pour elle ... il fau~
dra lui donner un peu de cette affection, de ces
caresses, dont elle a tant besoin J... C'est tlne
enfant aimable et tendre ...
Pour un observateur attentif, le visage de
Mlle Gertrude eût offert un sujet d'études fort
curieux en ce moment: des larmes, qu'elIe.
essuyait rageusement, perlai,~
au bord ~e
ses
pau pières, tandis g u'elle attachaI t sur le régtsseur
un regard hypnotisé; ses lèvres s'ag!tie~
Comme
pour parler, et sa bouche se tordait gnmaçante,
sous une émotion indéfinissable.
Mais, se reprenant soudain, et sans cesser
d'examiner son interlocuteur, elle l'interrompit
de sa voix mordante:
- Peuh 1 comédie gue tout cela! On ne m'en fait
pas accroire à moi! Avouez tout simplement que
lorsque la jeune belle vous a annoncé que je la
pas Le Saunier et que
chassais si elle ~'épousi
vous avez vu Iimposslbdlté de gruger la vieille
tanle vous vous en êtes tiré comme vous avez pu!
Je~n
Bernard bondit sous cette nouvelle insulte.
Il se redressa avec hauteur et, foudroyant la châtelaine de son regard fulgurant:,
;
.
- Cen est trop à la fin! s écna-t-Ii, ct vous
abusez étrangement .de votre situation. Si je n'ai
pas accepté l'o~re
SI. généreuse de M.me Wanel,
sachez que c'étail uniquement pour lUI permettre
de reprendre auprès de vous la place qui lui
convient.
- Eh bien! monsieur, vous aYez perdu votre
~aroJ,
.et si m::t nièce
temps, car je n'ai .qu'lI·n~,
n'épouse pas celUI que 1 al ChOISI pour elle, elle
te~a
�:rANTE GERTRUDE
peut fa ire SOIl paquet! je la chasse comme je vous
..:hasse vous-même ! Libre à vous de vous charger
d'elle .
- C'est ce que je ferai, mademoiselle! déclara
fièrernentle jeune homme . Je demanderai à genoux
J. la noble enfant d'accepter le peu que j'ai à lui
ofTri'r et de m'accorder le droit de la protéger dans
la vie .
- Un beau protecteur qu'elle aura là: ma foi!
Uo ~ltenda!
Un valet! Moins que rien! Un Jean
Bernard! Une espèce d'enfant trouvé, j'imagine !...
Un frémissement de colère faisait trembler le
jeune homme.: il était livide et ses yeux étincelaient.
- Je pars, mademoiselle de Neufmoulins! Je '
ne suis plus à votre service! - Un accent de
dédain inexprimable vibrait dans sa voix dure et
métallique. - Avant de m'éloigner, laissez-moi
vou~
dire que si votre nièce doit etre bien pauvre,
clic aura du moins, en m'épousant, un Dom plus
beau et plus noble que celui qu'elle quittera ... 11
n'y a plus de Jean Bernard, ici 1. .. Je suis tc comte
de Ponthieu, madcmoiselle !. ..
- Ah ! enfin! enfin! Mais dites-le ùonc ! ditcsle donc! cl<:,:pllis que je ['attends, cet aveu!
La fouclre fût tomhée au' pieds de Jean qu'il
n'eût pas été plus stupéfait qu'en entendant ces
paroles ... Et ce fut bien autre chose lorsqu'il vit
IJçxprcs~ion
de profonde tendresse, de ravissement qui transfig-urait le visage d'orùinaire si laid
ct si dur, qui l'Illuminait au point de le rendre
prc'i<tlle beau .
- Mon enfant, mon pauvre Jean !...
Sa voix avait ulle Jouceur infinie, des occents
d'une tendresse toute maternell"" tandis que ses
bms s'ouvraicnt pour recevoir le jeune homme
qui, épcn.lu, n~
comprcnant pas, ll1uis dC\'1I1ant
qu'il était cn f<,ce d'tIn mystère d'ul11our, sc laissa
tomber aux pied" de M Ile Gert rude ...
Cc fut un!;; heure d'émotion inoubliablc que
celle des conlidcnces de la vieille cMlclaine ...
Conduit par elle dans la chambré prillcière, meublée avec tant d'amour par son onde, Jean ne
lOllvail détacher ses yeux nl\'is du buste de la
�TANTE GERTRUDE
cO~1Ies
de, Pon thieu, sa mère adorée, qui semblait lUI SOUlïre du haut de son socle de velours , ..
Assis, presque agenouillé aux calés de Mlle Gertrude, il écoutait, ~ans
un silence recueilli, l'histoire étrange, qu~S!
merveilleuse qu'elle lui contait ... Il appremllt que, depuis dix-huit ans, elle
J'avait suivi pas à pas dans sa vie de lutte et de
[rav,lil, ne le perdant jamais de vue sachant tout
de lui, n'ignorant rien de ses , mo'inclres agissements, entretenant avec son am! Antoine de Radicourt une correspondance active à Son sujet toujours prète à lui venir en aiJe si le besoin s'e~
était
fait sentir.
- Tiens, mon enfant, regarde! Et Mlle Gertrude tirait de ses poches volumineuses, toujours
bourrées d'objets de toutes sortes, un vieux porlefeuille usé. - Vois! je me suis procuré taules les
photographies qui existaient de loi, jusqu'à la
dernière! J'ai eu t:lI1t de .chagrin lorsque mon
im béci le de frère s'est fàché avec tes parcn ts et
qu'on ne t'a plus revu! Lui aussi avait bien du
chagrin, l1lais il avait également la mauvaise tète
des Neufmoulins, et jamais il n'aurait voulu reeonnait re ses lorts dans celle affai re! Le vieux Cou se
consolait en faisant bàlir ce nid merveilleux qu'il
te destinait et que, sans moi, bien sûr, tu n'aurais
jam,lis habité! Si le bon Dieu l'a admis dans son
Paradis, ct s'il nous voit de là-haut, en ce moment
il doit ètl'e bien heureux! Si tu savais ma fU/'cur
à la le.:ll1re de cc testament ridicule! J'avais toujours çsréré lJu'il vous laisserait sa fortune à Paulet le et il loi, l11:1is je ne me doutais ras que l'Idée
pùt Il1i venir d'y meltre cetle clause ahsurde!
Conai~sl
la nature sérieuse ct rénéchie, Ion
crrand .:œur, tès sentiments élevés, je savais bien
oque. pour nen
,
. de
au mon d e, tu n ' accepterats
don~r.:e
heau nom de Ponthieu, dont je te sa~i
si {j~r,
n la retile [loupée sotte ,el frivole qu'était
alors 111<1 nièce. Comment arnver à la solution
f'(~,v;e
I?:tt' le ~'iel
?,riginal? C:ar" lout .en trailant
d'IJJOlle sa slIlgulIcre COmbInaISOIl, Je me mis
biclll"l\ en t~le
d'en tenter la réalisali .. n. Et tu sais
notF~
devise: « Ce que Neufmoulins veut, NeufmOlili ilS peu t ! Il Dès le début, j'ai bien cru la par-
�TANTE GERTRUDE
tie perdue; je voyais Paulette, que j'aimais bêtement, malgré tous ses travers, remariée à ce belhUre de Lanchères, ce joli monsieur à corset, ce
pantin à qui. on avait oublié de mettre un cœur
dans la poitrine, et je ne dérageais pas! Pour l'argent, je savais bien que tu en aurais ta part, puisque je restais maltresse d'en disposer à ma guise,
mais le désir de vous voir unis m'élail devenu
aussi cher qU'à mon olibrius de frère cl je ne trouvais guère Je moyen de le réaliser! Heureusement
le bon Dieu, qui était bien Self dans mon jeu, a su
tout arranger, et joliment encore! Ton prince
mort, ma nièce ruinée, je' restais avec pas mal
d'atouts en main! Et ru sais si ça a marché! Que
de fois me suis-je sentie émue jusqu'aux larmes
devant les eilorts courageux de ma petite Paulelte
pour arriver à obtenir de toi un sourire approbateur, un mol d'éloge! Quel mallre habile el puissant que l'amour! COlume il a su vite tran s former
la pou pée fri voleen unefemme dévouée et sérieuse 1
Avec quel héroïsme elle eOI accepté la pauvreté,
les épreuves d'une vie de travail el de lulle s'il
l'eût fallu 1Mon Jean, mon enfallt tant aimé, laissemoi te dire combien je suis heureuse cie votre
amour:\ tous deux 1. .. Vois! je pleure comme une
vieille bète! et ce moment me paie de bien des tracas! Pa uvre Paulette! Elle n'y a jamais rien cQm pris 1
Elle n'a rien deviné! Elle s'étonnait de ma' dureté,
surtout ces derniers temps! Elle ne se doutait
guère que c'êtai t pour hâter un dénouement qui se
faisait trop attendre à mon gré, depuis que je
J'" ppelais de tous mes vœux! Je vou lais te forcer
h le dévoiler 1 Verlud ieu! ce ne fil t pas facile.
Mais Gertnlde de Neufmoulins y est arrivée tout
lIe même! Elle a pu réal iser l:e projet si ch remen 1
caressé: voir sa nièce comtesse de Ponthieu el
rendre à ce Jean qu'ellc a toujours aimé l'héritage
qu'elle n'avait accepté que comme un dépôt. ..
Ils causèrent encore longtemps, la vieille clHlleavant
I"ine voulfllJt tOllt savoir de la vie de Je~\1
Son ni vée au chtltea Il, lu i demantla nt 111 ille dét<tils
sur « ses enfants )). Elle ne se lassait pas de l'écouter, de l'admirer! Elle sc révélait ù lui sous lin
IlQ\lvcnu jour, lui I<lÎ" san t voir toul ;'t coup les lré-1
�TANTE GERTRUDE
149
sors de son cœur débordant d'une tendresse maternelle, qu'elle n'avait mis tant de soin à lui cacher
jusqu.e-l.à que pour le mieux servir!
.
PUIS Ils parlèrent de Paulette, et là, encore ils
se cOilll?r!rent:. leur a~our
leur suggérant ~ne
ruse dé\Jcleuse, Ils COllVlDrent de lui ménager une
sU!'pri~e,
~t le i.eune ho~me,
trop ému pour parler,
écouü:ut silencIeux, maIs sounant, les recommandations faites par Mlle Gertrude, ravi à la pensée
du bonheur qui attendait sa fiancée, de cette explo.
sion de joie dont il serait témoin, de la lueur
d'extase 9ui brillerait dans ses grands yeux caressants et SI tendres, lorsqu'elle saurait tout le lendemain ...
Il eut besoin de faire un eITort surhumain pour
G:acher à Paulette l'expression radieuse de Son
visage, lorsqu'il vint la retrouver à l'Abbaye ...
Toujours aŒaissée dans. le fauteuil.qu'ellc n'avait
pas quitté, elle leva sur lU! un rega~
Il1terrogaleur.
DOLlcernent, tendrement, il la pnt dans scs bras
et lui parla ùe sa voix grav~,
tandis. qu'elle bais~t
la tète, tremblante d'émotIOn, anxIeuse de ce qu'Ii
Allait lui dire.
- Ma bien-aimée, il faut êlre forte et courageuse. Je pars ... mais je re.vicndrai bientôt; ayez
confiance ... Votre tante vous dira tout ce qui s'est
passé entre nous ... Le comte de Ponthieu doit
arriver au château demain ... Peut-être a-t-elle des
projets au sujet d'une union ... En tout cas, Paule,
vous èles libre ...
_ Je ne veux pas le voir! s'écria la jeune
femme dans une sorte d'cil roi el en cherchant
à repousser Je~n
qui I~ tenait ~oujrs
sous SOn
regan.l énigmatIque: qu'II essayaIt de rendre triste,
mais donl l'éclat eut assurément frappé Sa compagne si elle avait pu le voir.
.
_ Si 1 Vous ferez cela pOUf mOI, Paule j vous
le recevrez ... Et si, dans 'luelque temps, :1près
avoir bien consult~
votre cœur, ~ous
ètes sCtre que
vous n'aurez jamaIs un regret nI pOllr le nom, ni
pour la fortune ... si vous croyez gue moi, Jean
Bern~d
l'inlendant, je puis vous donner Ic bonheu r... ~ous
me le direz, ma bien-aimée ... et je
viendrai vous chercher ...
�TANTE GERTRUDE
Oh! Jean! ... Merci!
Levant alors la tète et l'enveloppant de son
regard caressant devenu soudain timide comme
celui d\ln enfant:
- Jean, dit-elle gravement du même ton dont
elle eût prêté un serment, quoi qu'il arrive, je suis
à vous! Jamais je ne serai la femme d'un autre ...
Je VQUS appartiens pour toujours ...
Il la sUIvit longtemps des yeux comme elle
s'éloiynait, ne se doutant certes pas du bonheur
qui l'attendait ..• Elle marchait maintenant la tête
haute, bien décidée à lutter, à se conserver pure
et lïère pour celui à qui elle avait donné sa [01. Ni
le comle de Ponthieu, ni d'autres ne la feraient
faiblir! et, à n'importe quel prix, elle serait la
femme de Jean Bernard!. ..
II ne dormit guère celte nuit-là, le régisseur de
Neufmoulins: le bonheur le lint éveillé ... De
radieuses visions d'amour el de fortune se déroulaient devant ses yeux éblouis ... 11 entendait toujours la voix vibrante de tendresse de la chAtelaine:
- Mon enfant!. .. Mon pauvre Jean 1... Ce que
01eufll1O'tllins veut, Neufmoulins peut 1...
•
Et une profonde reconnaissance emplissait son
cœur fX)ur la vieille tille qui avait su si bien jouer
son rOle, qui, sans souci de l'opinion de tous.
n'avait eu qu'uo but, qu'une pensée: faire le bonheur de ses deux enfants.
�TANTE GERTRUDE
CHAPITRE XV
- .v
~yons,'
chère Paule, ne VOliS désespérez
pas, ainsI. PUlsqu~
Jean vous a dit gu~
quoi qu'il
rnve vous pouviez compter sur hll, il fallt aVOIr
confiance et vous mon trer courageuse.
_ Mais que signifie l'arrivée de ce Ponthieu
dont on n'avait jamais plus entendu parler! Je suis
sûre que ma tante aura encore manigancé tb. un tour
de sa façon pour m'empêcher à n'impOl"te quel
prix d'épouser Jean! Et le su pplice de cett1:: incertitude dans laquelle il m'a laissée ! ... Pourqnoi ne
m'a-t-iJ rien dit'! Que s'est-il passé hier enlre lui
et lante Gertrude? Oh! Thérèse, j'ai peur qu'il
soit parti pour toujours et qu'il n'ait ras osé me
l'avouer, craignant ma faiblesse et mes larmes! Si
j'allais ne plus le revoir !.. , Si 10,ut élai~
fini !...
El une expression de terreur Inexprimable passait dans les prunelles humides qui se levaient
éplorçes, cherchant à lire sur le visage de 1"bérèse
sa pensée intime, Celle-ci, touchée par la p(!me de
SOI1 amie, mais impuissante ù la tirer d'ilH~uéte
ne sachant rien, élant comme elle dans ulle igno~
rance complète des projets de la vieille cll<lIelaine
resta quelque temps silencieuse, puis embrassant
Paulette, elle demanda:
_ Que vous a clit Mlle Gertrude, hier soir,
lorsq ue vous ~te
l'en [rée?
_ Rien qUI ail pu \11C rassurer ... au contraire!
li Ma chère, a-le~
déclaré ,Je sa voi:', ta plus
sèche, tu vouJras bien me faire le pla~s{"
de ne
plus me parler, pou~,
le nl~)17t
du mOIllS, de ce
Jean Bernard que J al mis a la porte et que je
compte bien ne plus revoIr! J'attends demain
M. dé Ponthieu, qui m'a écrit pour m'annoncer sa
visite et qui désire renouveler tonn,lissance avec
loi. J'espère que tu sauras lu} faire l'accueil-qu'il
convient; après son départ, SI cette sotte afTaire te
tient encore à CŒur, nOlis en recauserons tout à
�TANTE GERTRUDE
notre aise 1. .. » Et elle est sortie de la salle sans
même me regarder. Comme vous le savez, elle
n'est pas descendue pour le dtner, prétextant des
lettres pressées à écrire ... Voilà tout!
- Oui, c'est vraiment bien étrange, murmura
Thérèse.
- Vous n'avez pas vu Jean, lorsqu'il est venu
hier? interrogea Paule avec anxiété.
- Je l'ai aperçu seulement comme il quittait le
vestibule. II marchait très vite, la tête baissée, et
semblait fort préoccupé. Vorons, ma chérie,
continua Thérèse tendrement, i faut prendre courrage. En attendant, venez vous faire belle pOUL
recevoir le comte de Ponthieu.
- Me faire belle pour un autre que Jean! Oh !
non! - et la jeune femme secoua la tête d'u n ail
de défi. Il me fait horreur, ce Ponthieu! Rien que
la pensée de le supposer de connivence avec ma
tante pour comploter contre notre bonhcur me le
fait détester! Je voudrais être laide! laide à faire
peur, pour me présenter devant lui! Voyez, j'ai
mis la toilette qui me va le plus mal, ma robe
noire des mauvais jours, et j'ai arrangé mes cheveux de façon à être aussi vilaine que possible.
Pauvre Paulette! elle n'avait guère réussi à
s'enlaidir, pensait Thérèse, comme elle examinait, sans pouvoir s'empêcher de l'admirer, la
jolie tête nimbée d'or, le visage aux traits si fins,
si délicats, la bouche tendre, les prunelles éblouissantes dans leur bleu azuré, le tcint éclatant de
fralcheur, que faisait valoir encore le sombre de la
robe noire. La coupe sim pie et sévère de celte
toilette que Thérèse lui avait taillée dans un ùe
rses anClCns costumes de deuil faisait ressortir
admirablement le busle souple, la taille mince et
élégante de la jeune femme; la traine la faisait
paraitre plus grande et ajoutait encore à sa
démarche naturellement distinguée. Jarnais Paulette n'avait semblé plus belfe à Thérèse, qui
déclara en souriant afrectueusem el)l:
- .J'ai bien peur que M. de Ponthieu ne vous
trouve pas trop laide, ma chérie. Vous feriez une
bien johe com tesse !
- Oh J Thérèse, ne parlez pas ainsi!
�TA~E
GERTR UDE
Et !es yeux bleus ùe .la jeune femme prirent
soudalll une telle ex pressIOn de souffrance que Son
<JUlie en fut bouleve rsée.
ma chérie, pour cette innocen te
- Phr~on,.
croyais pas vous faire de la
n~
Je
plaisnte~,
peine, dIt-elle vIvement. Allons, je dois vous
quitter pour retourn er à mes occupa tions habicalme et forte. Il es.t onze heures ;
tuelles j soy~z
M. de Pon thleu ne tardera pas à arriver . A bientôt !
du courag e.
Thérès e se retira après avoir embras sé tendredremen t Mme Wanel , dont la tristess e et l'air
décour agé lui faisaient mal à voir.
seule, Paule retomb a dans les sombre s
Rest~
la
pensées auxque lles elle était en proie dep~is
fiancé
son
de
départ
du
e
nouvell
La
veille au soir.
que Thérès e avait apprise par la vieille Zoé en
[lassant devant l'Abbay e et qu'elle venait de lui
,mnonc er, ajoutai t encore aux tristes pressen timents qui l'accab laient. Malgré l'assura nce de
lean, elle avait peur de ne jamais plus le revoir ..•
Cette visite inopiné e du comte de Ponthie u l'intriguait et l'inquié tait tout à la fois .. Elle sentait la
main de sa tante dans ce retour aussi étrange
qu'inat tendu. Sans doute, la vieille fille avait
reuonc é à lui faire épouse r M. Le Saunie r, mais
elle ne désarm ait pas et espérai t avoir plus de succès avec son ancien compag non d'enfan ce ... Qu'avait-elle dit à Jean Bernar d-? Avec quelles insultes
l'avait-elle chassé de Neufmo ulins '? Où s'était
arrêté le torrent d'outra ges dont elle l'avait sans
doute accablé ? Paule connais sait assez la nature
de ce qui
emport ée de sa parente pour.se dout~r
n'avait
délIcat,
s
toujour
Jean,
passer.
avait do. se
pas voulu lui en dire un mot pour lui éviter une
nouvclle peine, un nouveau c\lagrin , mais elle ne
devinait que tr?p la scè!le pélllble et doulou rcuse,
les affronts subIS par le Jeune homme . Pour la centième fois la même questio n lui martela it la tête:
- Que s'était-:iJ p~sé?
Lorsqu 'il l'uvalt qUIttée pour se rendre à J'ordre
llltimé par la chatela ine de venir lui parler# sur
l'heure ; il était prêt à se sacrifie r, à broyer son
proprc cœur, à ren.onc er à elle ... Il l'avait supplié e
�154
L\NTE GERTRUDE
de l'oublier, d'épouser un homme de son rnng qu:
lui d{)finerait la place qu'elle devait occuper dans
la vie, qui la ferait riche et honorée ...
De retour auprès d'elle, il lui avait annoncé
son départ obligé, mais il n'avait plus exigé le
sacrifice •.. il l'avait laissée maltresse de sa desti.née, s'eugageant à venir la chercher si elle l'aimait
toUjOllfS, sl elle le préférait à tous ...
Que s'était-il passé, qui avait pu ainsi changer
sa décision ?... Et prenant dans ses deux mall1s
brûlantes sa tête lourde de pensées inquiètes,
livrée ;1 des suppositions contradictoires, à des
alternatives d'espérance et de découragement,
Paule sdngeait, songeait...
•
- Mademoiselle fait prévenir madame qU'Ol
]'0 le.n~
au salon.
La jeune fem me tressaillit à ces mots prononcé..,
par la servante qu'elle n'avait pas entendue entrer.
- Bien, j'y vais.
El Paule, brusquement arrachée à sa rêverie.
se levo, chancelante, bouleversée à l'idée de revoi'l
ce comte de Ponthieu dont elle avait presque
oublié la visite.,
- Encore une épreuve! pensa-t-elle en se dirigeant d'un pasautomatiquc vers le salon qui se
trouvail au rez-de-chaussée.
Puis le souvenir de son nom se présentant soudain à son espri t, son cœur se serra encore plus.
- 11 s'appelle Jean, lui aussi, murmura-t-elle.
Quelle dérISion 1
Arrivée devanlla porte, clic s'arrêta. Une émotion étrange la faisait tr_mbler, ellc se sentait
JéfaiHir ... elle devait êtle livide 1 Elle posa une
main sur son cœur pour en comprimer les battements qui semblaient l'étoulTer ... Sa pensée vola
vers Ccllli qu'elle aimait el qui était parti loin
J'elle, dans l'in connu, chercher sans doute un
nouveau gagne-pain, errant triste et pauvre ...
- Mon Jean, mon bien-aimé, je vous serai
tidèlolli1tlrmura-t-elle comme dans une sorte de
pro,lestalion, et pour se donner du courage. Quoi
llU'11 arrive, je serai votre femme 1. ..
Faisant alors un etTon surhumain, ellc entra
J 111'; le salon où l'attendait le comte de Ponthieu.
�TANTE GERTRUDE
155
-' Ma nièce, je te présente Jean de Ponlhieu.
La voix forte de Mlle Gertrude avait un ac.cent
u(; triomphe qui blessa la jeune femme.
Les yeux baissés, l~s
mains pendantes, elle
'avança. Un~
contractIon pénible remplaçait le
sourire ten~r
qui lui ~tail
I:a~ituel;
.501' vi~age
râle; son attJtude con tram te faIsaIent pe111e à vOtr ...
_ Permettez-moi, madame ...
Oh! cette voix! ... Elle l'éleva vivement la tète.
Vue signifiait cette comédie? Jean Berna:rtf, souriant, (1IllU, était là devant elle j une lueur d'amour
nfini illuminait ses grands yeux noirs, son vis,JŒC
f :lyonnait d'un bonheur ineffable...
'"
·Paule, éperdue, se tourna vers sa tante.
La vieille châtelaine, transfigurée, elle aUSSI, la
ontemplait avec un sourire si tendre, tinc telle
expression de joie que la jeune femme en. fut
,011l111C éblouie.
_ Je ne com prends pas, balbtilia-t-efle, en
levenant de plus en plus polle.
_ Allons, Jean, explique-lui ... Vite! soutÎcns' ,1! elle va tomber, la pauvI:e petite!
,.
Alors, appuyée sur la pOItrIne de son fiance: qUI
riait et 1,leunlIt tout à la fois, Paule, les yeux fermés, écoutant comme dans un rève cette "oix
gr,tve qui la berçait de son récit étrange et mer·
veilleux, Paule apprit toute l'histoire ...
Quand elle se dé13"agea des bras de Jean de
pOllthieu, ivre d'émotIOn et de bon heu r, pOtt!' cou rir
1 ou te frémissante se jeter au COli de M Ile Ger~ud
'elle-ci avait disparu, ne voulant pas troubler celi;
scène d'amour qui était son œuvre, craignant aussi
de lai~er
voir son trouble ct ses Inrmes.
_ Eh bien! ma nièce, déclara-t-elle gaiement
11 rentrant dans la pièce une heure pills tard
lu'est-ce que je t'ai dit que, moi viant~,
tu n'épou:
serais p<lS ton Jean Bcrrwrd 1 V el~tud!.
étals-tu
.lssez furieuse! « Tante Gertrude, Je vous Jure que •
je ne serai jamais la femme d.u comte de Ptll1thieu!
Si vous avez caressé cc projet pOUf me détacher
de Jean Bernard, vous n~
réussIrez pas r ~. Dis un
peu que Gertrude de Neufmoulins n'a pas bien
gardé la devise: Ce que Neufmoulins veut, Neufmoulins peul!
1
�TANTE GERTR UDE
Oh! tante Gertru de! tante Gertru del
C'était toul ce que pouvait dire Paule, dans sa
joie éperdu e ... Mais ses baisers parlaie nt pour
elle, et pour la premiè re fois ne recevai ent pas les
rebuffa des habitue lles de la vieille fille.
Celle qui fut bien étonnée aussi, ce fut Thérès e,
lorsqu' elle arriva à l'heure du déjeune r dans la
salle où les jeunes gens et la châtela ine se trouvai ent
déjà.
Son air absolum ent stupéfa it n'échap pa point
aux yeux perçant s de Mlle Gertru de.
- Tu cherche s notre hôte, le comte de Ponthie u,
dit-elle gaiéme nt. Ma chère, il est devanl toi 1
Eldés'g nant son régisse ur qui s'avanç ait radieux ,
les mains tendue s:
.
- Le comte de Ponthie u, ma petile!
La jeune fille s'était arrêtée à l'entrée de la pièce
et regarda it d'un air effaré tous ceux qui l'entouraie nt.
- Tu n'y compre nds rien, hein? continu a la
châtela ine, çn ne m'éton ne pas! [) n'y a que Gertrude de Neufmo ulins qui ait su se tirer d'un pareil
imbrog lio! Enfin, ça ne fail rien! Assieds -toi à
table el pendan t que tll manger as, ma nièce, à qui
la joie a bien sùr ôt<3 l'appét it - regarde -moi celle
figure extasié e! je suis certain e qu'elle nage dans
les régions éthérée s, au troisièm e ciel, si non pl us
haut! - ma nièce, dis-jc, te mettra au couran t de
l'histoi re.
Jcan, qui pendan t ce collo'll1c avait pris dans
les siennes les mains de l'orphe line et les serrail
bien fort, la voyant loute troublé e, lui parla doucement , comme aux jours où il la réconfo rtait,
dans ses momen ts de tristess e et de désespé rance.
- Madem oiselle Thérès e, n'avez- vous rien à
dire à votre ami .? Ne me félicitez-vous pas de mon
bonheu r?
.
- Monsie ur le comte ...
- Chut! voulez-vous bien vous taIre! Il n'y a
et il n'y aura jamais pour vous que « monsie ur
Jean 1), Je conseil ler, le compag non de travail. .La jeune fille, trop émue pour répond re, se
dégage a el courut à Paulett e. Les deux amies
s'embra ssèrent dans une longue étreinte , tandis
�TANTE GERTRUDE
'57
que Thérèse murmurait tout bas, au milieu de ses
larmes:
- Enfin, Paulette, vous allez être heureuse! le
ciel a exaucé ,mes prières!
Après le déjeuner, pendant lequel l'orpheline
avait été mise au courant de tout ce qUI s'était
passé, on se réunit dans le cabinct de la châtelaine.
- J'ai vécu ici les heures les plus douces et les
plus cruelles de ma vie, déclara Paule d'une voix
Joyeuse, mais encore pleine d'émotion contenue.
- Eb bien, ma petite, il faudra, à l'aven,,", '
faire de celte pièce ton peLit salon favori, ton boudoir, comme vous dites, vous autres, jeunes fashionables, répondit Mlle Gertrude, en s'installant dans un fauteuil.
- Oh! tante Gertrude, je ne voudrais pas vous
en priver.
- Ah çà! crois-tu donc que je vais encore
prendre la peine d'administrer votre fortune à
tous les deux? Non, non, ma chère, j'en ai assez
de tout cet embarras! Je vais vous remettre les
clefs de cet immense caravansérail, j'y joindrai les
deux millions que mon frère vous destinait, puis
je retournerai planter mes choux!
. Unc mèmc protestation s'6chappa des lèvres des
Jeunes gens.
- Ta, ta, ta 1 paix, mes tourtereaux! Mon cher
Jean, je m'e suis donné assez de mal pour toi et
pour cette petite personne qu'il fallait dresser
selon les déRlrs de ton cœur, maintenant débrouillez-vous! Moi, je vais me repose'". Croyez-vous
donc, mes enfants, que ce soit pour mon plaisir que j'aie pris la charge ~e
cette fortune?
Vertudieu! vous ne me connaIssez guère! Moi
qui ai horreur de l'argent et de tous les ennuis
qu'il nous procure! Non, 11on, Gertrude de Neufmoulins mourra pauvre comme elle a yécu! Vous
allez vous dépêcher de VOLIS marier, et ensuite,
bonsoir 1 je regagne mon vieux nid que j'ai toujours regretté.
- Oh! tante Gertrude, vous ne ferez pas cela,
s'écria Paulette, tout éplorée. Vous resterez avec
nous, VOllS ne nOUS quillerez jamais. Jeall, venez à
mon secours, dites à ma tante qu'elle 'ne peut pas
�TANTE GERTR UDE
s'en aller ainsi - ct la jeune femme adressa un
regard supplia nt à son fiancé.
- Non, Jean, mon enfant, protest a la châle-'
laine de sa voix impérie use en voyant que le comle
de Ponthie u s'aprrê tait il parler, toute insistan ce
serait inutile; ma résolut ion est prise. Je vous
rends ce legs que je n'avais accepté que comme un
dépôt. Jean de Neufm oulins doit tressail lir de joie
dans sa tombe; je suis arrivée il ce qu'il avait
désiré el n'avait J'u réalise r: voir Paul·'tl e, qu'il
aimait, comtes se e Ponthie u et femme Je ce Jean
qu'il aimait aussi et tenait en si haute estime. Je
retourn e vivre seule dans mon trou ...
- Vous ne serez pas scule, madem oiselle, dit
Thérès e de sa voix douce et grave, je ne vous quitterai l'as.
- Ma petite, c'est ce qui Le trompe . .le n'ai pa"
besoin de toi du tout! Il ya assez lonrrtem ps, pauVl;e enfant, que je te fais languir ;1pr~s
la réalisation de tes vœux! 1\1:\is tu me pardon neras lorsqt~e
tu sauras mon motif. Que veux-tu , nous ('utre ,
les vieux, nous somme s toujour s un peu dc~
él~oïs·
tes 1 11 me fallait ton aide, ton excmpl e, pour taire
de ma nièce une femme dc ta trempl; ct dc ta ,
valeur! Alors je t'ai gardée ! Jean s'cst mis de la
partie, et à lui seul, vois-tu, il a fait des miracle sl
Mais tu as bien travaill é aussi à la convers ion de
notre Paulett e ... Désorm ais, tu cont'jnu eras cn
r.riant pour clic, là-bas, dans ton couvcn t, f)ll
J'irai te comlui re le leocltm r,:n du mariag e.
Puis, voynnt les larmes de l'orphe line, clle cc 11tiuua d'une voix tendre CJue cctte dernièr e ne lui
connais Dait pas.
1
- Ma bonne petite Thérès e, il faut que je t'aime
bien et que je veuille ton bonhcu 1' pour avoir ainsi
le courag e de me séparer de {oi! J'ai appris à tant
t'appré clcr depuis que je t'ai à mes côtés! C'est
bien vmi que Dicll prcnd pour lui tout cc qu'il y a
de meilleu r !. .. Ne plcure pas, va! Ta vieille amic
ira te voir quand clle se sentira prisc d'un trop
I{ranG Clll1ui, et plus tard, si Paulett e a de'> cnr.1tlb ,
elle Le les donner a à élever; tu sa uras en rai re de
vraie!> femmes ... Mais, assez d'émoti ons, saprist i!
Jéclara gaieme nt la chatela inc, après un i~:>';lOt
de
�TANTE GERTRUDE
silence. Les domestiques vont croire à des calas·
trophes extraordinaires, eux qui n'ont jamais Yl.
leur vieux dragon que bougonnant et 'pestant!
Maintenant, mes enfants, embrassez-mOl et .allei:
vous promener. J'en ai des comptes à débroUIller!
Mais les fameux comptes ne durent guère ~e
débrouiller ce jour-là, car après le départ des jeunes
gens, la vieille tille, brisée d'émotion, resta bien
longtemps enfoncée dans son fauteuil, pleurant de
joie, se remémorant ses alternati\"es d'espoir et cie
découragement, dans l'exécution clu projet aussi
peu commode qu'original, que gn\ce au ciel elle
avait enfin pu réaliser!
.
..
. ..
Il ne fut bruit pendant un mois, dans la petite
ville d'Ailly, que des événements qui s'étaient
passé'- au chateau, de Jean Bernard, comte de
Ponthieu, et du mariage de Mme vVane!. Comme
toujours, les commérages allèrent leur train; puis,
comme tout marche dans la vie et que [QuL s'v
succède avec une rapidité vertigineuse, on parh
bicntüt LI'autre chose.
Mlle cie Neufmoulins revilü occuper sa modeste
maisonnette, mais elle n'y était pas souvent scull'.
Chaque matin, on la vOlait, prendre la directic Il
ùu chùleall, escortée cl une grande fil!ette, aux
cheveu:< bruns Ootlants, aux yeux noirs ricurs d
superbes, que tout le monde se montrait a\cc
admiration et qui répondait joyeuse à tous les
saluts, aux ,lttcntions dont elle 6tait l'objet.
- C'est Mlle Madeleine de Ponthieu . Elle e t
aussi belle que bonne, répétait-on sur son passarrc.
Et le soir, les habitants qLlÏ prenaient le frais ~ur
le pas cie leurs portes se découvraient respectueusement devant la vieille fille, qui passait, droite et
iière, n ppuyée an bras d'LI n. él.ga~t
cavli~r
de
haute h\llle, de tournure dlstmguee, an visage
mille et énergique.
__ Qllel homme, que ce comte de Ponthieu!
murmuraient les jeunes gens d'un air envieux.
- ./ -t-elle eu de la chance, la petite Paulelte!
di;;;lient les femmes cl'un ton jaloux et dépité. ~
Mais la comtesse de Ponthicu, inconsciente des
critiqucs, rayonnante ct plus jolie quo jamais,
.
. .
�100
TANTE GERTRUDE
marchait gaiement bras dessus bras dessous avec
Madeleine, fière de son mari et de l'estime dont il
jouissait ...
Si Son regard se détachait parfois de celui qu'elle
aimait éperdument, c'étail pour se poser débordant de reconnaissance sur la vieille parente à qui
elle devait son bonheur!
FIN
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ell e nvoyée n l'élève. pn r po' lc. ô dom icile. Un tl nvai l ;, fai re lui I l indiq ué
comme exercice d·nppl ienti on. Elle (' n\oi e ron tl avo il au p rof lSeur. q ui le
lui retourn e recti fié t' t c orrigé. L n l up ~ l iol t é de notl C CoUli de Coupe
provient de cc Qu'i l cst :
n) L
p lu e clai r . I\ rScc AU X fi l;:urcl explicativel Qui Accompagne nt Je
lexte dei I.. çona :
b) Le plue mode rn o p arce' Qu' il l ui t '.'11 cc ... la mode d an. 1•• exer·
ciCCI p ratiquca qu 'il d O~
c) Le main. cher.
lI e
à
exécu ter :
Abonnem e nl a" CO UI ' com"l el 00 leç,n. , 8 moi. ) : 125 Fr., paynbl..
,oit e n un e {ois par manda t, soit 25 h . n.1 mOlllent où l'on l ouscrit l'l'bon.
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Nous l'l om m el à la disposition cl · noS Lcetlieu pour leu r p rocurer tous
r enl t:lQllern c nla compl ' mc ninil ci Qu'cil" rourl l) Îcn t d ',irer. P our ,'obonner.
écrire à M . ORSONI , 7, r u Lc m a ;gna n . P n r i. (X IV' ) :
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U n un :
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Chaq:.J.e :;~i
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L'Albumdes Patrons Français pour Dames
îl'Albumdes Patrons Français pour Enfants ~
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60 pa ges, dont 26
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Chaque n l :
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coulc:lrs.
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2 fr. 75
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Chaque an née :
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Collection Stella
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La collection Stella est lancée en 1919 par les éditions du Petit Echo de la Mode. Ses fascicules sont des suppléments mensuels...<br /><a href="https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/exhibits/show/fondbastaire/collection_stella">En savoir plus sur la collection Stella</a>
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Publisher
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Editions du "Petit Echo de la Mode"
Title
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Tante Gertrude
Creator
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Neulliès, Berthe (18..-19..)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
impr. 1919
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
160 p.
18 cm
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Description
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Collection Stella ; 7
Type
The nature or genre of the resource
text
Language
A language of the resource
fre
Rights
Information about rights held in and over the resource
Pas d’utilisation commerciale
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Bastaire_Stella_7_C92534_1109535
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