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JACQUES
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1
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COLLECTION FAMA
. 94, Rue d'Alésia
PA~
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",
le nouveau roman
de
1
FRANCOISE ROLAND
#
LE CLOS
DES CERISIERS
Françoise Ro land, écriva in au style
mouvementé, vivant, ne raconte pas
ce que font ses héros. Elle les montre
en action, tels qu 'ils so nt, tels que les
a pétris la vie ... tels qu'ils souffrent...
Et ce second raman, tout fré missa nt de
mouvement, d'émotion, de gaîté parfois,
ne fait que confirmer la jeune rép utati o n d e l'auteu r de ce livre douloureux
et poignant qu'est
1/ De
la Sorbonne au Calvaire 1/
EN VENTE
PARTOUT
TALlANDIER
PRIX:
15 fr.
_11111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111 11 111111111111111111;;
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. C'ESTVOUS,QUE J'ATTENDAIS !...
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��JACQUES MORIN.SARRUS
C'EST VOUS
QUE J'ATTENDAIS 1. ..
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•
ROMAN
SOCI:ËT~
D'~lTIONS
PUBLICATIONS ET INDusnUES ANNEXES
ANCI LA MODE
NATIO~LB
94, Rue d'Alésia, 94 -
PARIS (XIya)
��C'ESTVOUS QUE J'ATTENDAIS !...
CHAPITRE PREMIER
DOMINIQUE DE 9UANSAC
- Est-ce que Mademoiselle Dominique est rentrée P demanda M. de Quansac.
- Non, monsieur ... Même que tout à l'heure, je
disais à Noémie : « Faudrait que Mademoiselle se
dépoohe, parce que bientôt y va faire du vilain ... ))
- C'est insensé, grommela M. de Quansac. Aller
se promener par des temps pareils 1
Et, toujours bougonnant, il quilla la pièce.
Ce bref dialogue se tenait dans la vaste cuisine
du manoir de Quansac. Le manoir, dans les Landcs, est considéré comme l 'habitation in termédiairc entre le château ct le domaine bourgeois. Le mamoi r de Quansac, construit sur le modèle à peu près
uniforme de ce genre d'édifice, présentait un corps
principal d'habitation à un seul étage, dont une façade donnait sur un parc assez vas le, clos de murs
cl de grilles, tandis que l'autre regardait, moins noblement, un jardin potager.
A l'angle sud de ce bâtiment, fort simple, se
dressait une tour carrée, de quatre étages, couronnée de créneaux assez paradoxaux ; mais ce que celle
�6
a'EST
vous
QUE J'ATTE:-lDAIS
1...
construction inattendue aurait pu avoir de déplacé
le lierre puissant qui, eJlvahis~t
était effacé p~r
peu à peu la pierre, avait, au cours des années, faIt
entièrement disparaître la tour massive sous un épais
et frémissant manteau de feuilles .
L'habitation comprenait peu de pièces, mais fort
vastes, et meublées des antiques meubles du pays,
massifs et luisants, auxquels on a malheureusement
trop tendance à préférer la banalité des JIlobiliers
fa ils en série.
En quittant la cuisine, M. de Quansac se dirigea
vers ' la salle à manger où il se tenait le plus volontiers. Il ouvrit la large porte-fenêtre qui donnait sur
le parc.
L'air avait ceLLe lourdeur annonciatrice d'orage
qui a quelque chose d'angoissant. Le vent, qui avait
longtemps soufflé violemment de la mer toute proche, était tombé brusquement. Les IIlUages de plomb
et d'argent qu'il avait amenés avec lui s'étaient arrêtés au-dessus de la campagne, qu'ils semblaient
menacer sombrement.
M. de Quansac tendit l'oreille. On en tendait disünctement un grondement sourd, puissant et régulier, qu'un étranger n'eût pas manqué de prendre
pour le bruit lointain de J'orage en marche, mais
que le vieux Landais qu'était 1\1. de Quansac, reconnut aisément pour être celui de l'océan agité .
- Il va y avoir un orage terrible, bou"'onna-lmanie
il, et celle petite n'est pas rentrée . .. QuelJ~
el;e a d'aller sc pr?me~
ainsi dès que le temps se
gate 1. .. Et quand 11 fall beau, pas moyen de l'arracher à ses livres 1. ..
Il sembla humer, de son grand nez combattif l'air
chargé d'éleclt'icilé, puis, haussant les épaules' rentra dans le manoir.
'
Tel un capitaine à bord d'un navire menacé par la
�O'EST VOUS QUE l'ATTENDAIS
1...
7
tempête, qui fait « ren trer de la toile » et « amener de la voilure n, M. de Quansac donna les ordres accoutumés pour protéger le manoir des violences de la tempête.
Louis et Noémie, le vieux ménage qui constituait
toute III domesticité de Quansae, auxquels vint bientôt se joindre lIugues, le petit-fils du maître de
céans, formaient un équipage bien entraîné et
prompt à la manœuvre.
En quelques minutes, tous les .volets furent clos
du côté de la mer ; de la sciure de bois se trouva
répandue devant les porte-fenêtres mal closes sous
lesquelles l'eau menaçait de s'infiltrer ; des cuvettes,
seaux ct autres récipients iurant disposés au grenier,
en des emplacements repérés depuis longtemps, et
où d'inguérissables gouttières menaçaient, à la longue, de faire pourrir les plafonds.
Ainsi parée, la maison aLtendait l'orage, tandis
que M. de QualOS~,
assisUS de son petit-fils, se mit
à altendre Dominique.
L'attente, pour le commun des mortels, est un
état plutôt passif, pouvant, à la rigueur, s'accompagner d'une certaine impatience. Mais, pour M. de
Quansac et son petit-fils, l 'allen te prenait les proportions d'une opération si active qu'elle devcnait
ponr eux physiquement fatigante.
Marchant de long en large à travers l'immense
salle à manger qui 'assombris ait de minute en minute, ils échangeaient en sc croisant des réflexions
pleines de mécontentement sur les « lubies » de
« celle pauvre Dominique ». Ils sc frottaient nerveusement les mains, en fai aient craquer désaoréablement les articulations, les meLtaient dans le~rs
poches, les en retiraient.
- Vous verrez qu'elle rentrcra trempée ...
- Elle n'a pas même pris son parapluie (
�8
O'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
J'espère que vous lui parlerez sérieusement,
grand-père. Sa conduite est ridicule ...
- On lI1e croirait jamais qu'elle a vingt-et-un
ans 1..
Etc, etc .. .
Au silence pesant de la nature avait succédé le
sifflement puissant du vent. Déjà, de larges gouttes
de pluie s'écrasaient contre les vitres. Dans le jardin, les herbes et les plantes courbèrent la tête toutes ensemble, comme répond an t à la clochelle d'une
mystérieuse élévation.
II faisait si sombre - bien qu'il fût à peine quatre
heures de l'après-midi qu'il fallut allumer les
lampes, de hautes lampes à pétrole, M. de Quansac
s'éLant toujours férocement refusé à faire installer
l'électriciLé dams son manoir.
Le premier éclair zébra la nue, presque aussitôt
suivi d'un viol en t coup de tonnerre.
- Pourvu qu'elle ne se réfugie pas sous un arbre 1
- Elle est bien assez peu raisonnable pour cela 1
En ce moment, venamt de la cui ine, on entendit
les exclamai ions de Louis et de Noémie, auxquelles
sc mêlaient un rire frais, une voix joyeuse.
- La voilà 1 dirent ensemble les deux hommes.
Et, instantanément ,sur leurs vi ages, la mauvaise
humeur prit la place de l'imquiétucle.
Des portes s'ouvrirent, sc fermèrent, ct il y eut
1 tout um lumulle d'ans Ja maison silencieuse
; puis,
la porle s'ouvrit, et Dominiq1le de Quansac fit son
apparition dans la salle à manger. Sans doute que
des yeux moim habitués que ceux d'Hugues ct de
son g:an.d-pèl'e us ent été frappés du charme extraodl?~emn
allachant de celle apparition .
. DOmlnI~Ue
de Quansac, v~tue
d'une robe de jal'dm très simple, toufe unie, chaussée de souliers de
�C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
9
marche, décoiffée par le ven l, semblait, d'am la pénombre, l'incarna tion même de la jeunesse. Tout,
en elle, était jeune, le regard de ses yeux très bleus,
le so urire de sa bouche aux dents éclatantes, et
jusqu'aux mL'Ches folles de sa chevelure sombre, qui
fai sait une auréole de nuit aulour de sa daire figure.
- Je l 'ai échappé belle 1 dit-elle en rialIlt. C'est
fou ce que ça monte vite, ces orages de printemps ...
J'ai couru, et pour~anl,
j'avais peur de ne pas arriver avant la pluie ... Mais, dites donc, il fait noir
comme chez le loup, chez vous 1. ..
Au silence qui accueillit son élan de gaieté, elle
comprit que quelque chose n'allait pas. Elle ne dislirn guait qu'à peine les visages de son Irère et de son
grand-père, qui se tenaient loin des lampes.
- D'où vien s- tu ~ demanda sèchement M. de
Quansac.
- De la plage .. .
D'un seul coup, toute la joie, toule l'animation
de son visage disparurent. UIIl bref éclair la fit voir
un peu pâle. Le bleu de ses yeux s'était assombri,
et quelque chose de poignant se peignit sur toute sa
physionomie.
Déjà, la voix grondeuse d'Hugues se faisait entendre :
- A la plage 1 Avec le ciel qu'il y avait, tu aurais
bien dû te douter du temps qu'il allait faire ... A la
plage 1 A quatre kilomètres d'ici 1. ..
- Eh bien 1 oui, à la plage 1 dit Dominique sur
un ton d'irritation . .Tc ne vois pas ce que cela a d'extraordinaire ...
- ,Ah 1 T~
n~
voi~
pas ? Vraiment P Ce qu'il
y a d extraordwalTe, C est que tu risquais tout simplement d'allrapcr du mal... Tu pars sans parapluie,
sans manteau ... comme une folle ...
- Et ce qu'il y a encore d'extraordinaire, re-
�10
C'EST VOUS QUE J'ATTBNDAIS
1. ..
prit le vieillard, c'est que Mlle de Quansac sorle
ainsi seule, sur les roules, par lous les lemps et ù
loules les heures . .. Hier, lu t'cs promenée jusqu'à
minuit.
- Il Y avait clair de lune.
- C'est ça, dit Hugues méchamment. Ilier, c'était la lune; aujourd'hui, je suis sûr que ce sont
les vagues que tu voulais voir et, demain, cc sera le
coucher du soleil...
- Tout cela est ridicule, trancha ~r.
de Quansac.
Encore une fois, tu oublies que lu n'e pas la fille
d'un bûcheron ni d'un résinier ... Tu dois avoir de
la tenue ... Tu es mademoiselle de Quansac, ne l'oublie pas .. .
Les railleries d 'Hugues, les remon lrances pompeuses de son grand-père achevèren l d'irriter Dominique.
Elle s'approcha vivement du cercle lumineux que
faisait la lampe, elle sc pencha vers Hugues, et ce
fut à lui qu'elle répondit, relenue par le respect
qu'elle devait à SOli grand-père :
Je uis madeoi~l
de QUlIllsac, c'esl vrai,
mais veux-lu que je te di e une ho 'e, Hugues ?
C'esl que n'importe quelle fille de bûcheron ou de
résinier e l plu heureuse que moi ... Voilà.
Puis, sans plus regarder pel'soJn~
entMlt les
larmes la gagner, et voulant absolument les cacher
il ceux qui les avait provoquées, clle se détourna,
et qui lta rapidement la pièce.
- C'esl intolél'lIble, dit lIugues. Pourqlloi me parle-l-elle comme cela ? Je suis son aÎnr, après loul...
- Je ne sais pa ce qu'elle a ... On lle peut plus
lui adresser la parole saliS qu'elle se mette en colère ..•
- Ah 1 soupira Hugues, il me larde que son ma-
�C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
11
riage soit fait 1... IHais pourquoi le docteur n'a-l-il
encore rien dit officiellement il
- Ecoute, la sœur est si peu gentille avec lui, que
je le comprends d'hésiter un peu ...
Le vieillard et le jeune homme échangèrent longtemps des phrases de ce genre, debout devant la
porle-fenêtre. Tout en parlant, ils s'intéressaient aux
progrès de l'orage. Ils se laisaient après chaque
éclair, et évaluaient la distance de la foudre au temps
que mellait à leUT parvenir le roulement du tonnerre. Parfois, lorsque l'explosion suivait presque
immédiatement la livide illumination de l'éclair, ils
se regardaien t :
- JI n'est pas tombé loin, disait M. de Quamac.
- Les bois ne sont pas encore secs, répondait Hugues, l'incendie n'est pas à craindre ...
Dominique, réfugiée dans sa chambre, après la
brève algarade q1l'elle avait eue avec son frère, suivait aussi, mais d'un œil bien différent, le spectacle
que lui offrait le déchaînement de la foudre.
Elle habitait une vaste pièce, au dernier étage
de la lour. Dans ce manoir qu'elle aimait, c'était
l'endroit où elle se plaisait le mieux. Peu à peu, elle
avait arrangé celte chambre à son goût, la meublant, l'ornant de tapis, de pelits meubles de prix,
au hasard de ses voyages à Bordeaux, ou des découvertes qu'elle faisait de temps à autre dans les greniers bien gamis et les caves en partie inexplorées
de Quansac.
Mais sa chambre, celle après-midi, parut ne l'intéresser que médiocrement.
Trois larges fenêtres, ouvrant au midi, à l'ouest
ct au nord, laissaien l en général enlrer dalTls la pièce des /lols d'air ct de soleil. Mais aujourd'hui bien
closes, elles recevaient sur leurs pelits care~ux
le
crépilement sonore de la pluie. La mélancolie de
�12
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
cetle chambre close , cernée par la pluie et la tem
:
pêle, agit violemment sur les nerfs de Dom~nique
les larm es qu'elle était parvenue à dissimuler à son
grand-père ct à son frère coulêrent alors librement.
La scène de mauvaise humeur qui avait accueilli
son relour - scène banale, cependant, et fréqu ente
paraissait l'avoir touc hée extrêmement. Sans
doute, l'énervement où l'avait mise l'atmosph èrc
lourde et orageuse était-il pour beaucoup dans l'état d'accablement où elle se trouvait, ainsi que la
déconvenue qu'elle avait éprouvée, alors qu'elle
rentrait excitée et rieuse, à trouver devan t elle, une
fois de plus, ces figures mécon len tes ct sévères.
Et la tri sLesse de sa situation lui apparut plus pénible encore qu'à l'habitude, insupportable ...
Hugues et Dominique de Quansac, à ]a mort de
leurs parents, survenue tragiquement, ·une dizaine
d'ann ées avant les événements que nous allons raconter, avaient été recueillis par leur grand-père, le
baron Hugues de Quan sac, qui vivait depuis longtemps retiré dans son manoir landais.
L'irruption de ces deux enfants dans la vie de
celui qui commençait d éjà à entrer dans la vieillesse,
amena un bouleversement de ses habitudes, duquel
il Iut long à se remettre.
Il s'entendit assez bien avec Hugues, en qui il sc
réjouit de retrouver toules les qualités, et même les
défauts, propres à la lignée des Quansac.
D'autre part, le jeune garçon, dès qu'il eut terminé ses études, manifesta un grand intérêt pour
] 'ex~loitan
du manoir, et, après deux ans d'études
spéCiales et de stages dans des domaines semblables
il revint sc fixer définitivement à Quansac, qu'il ai:
da son grand-père à administrer.
Le barOlIl de Quansac rencontra plus de difficultés
du cÔté de sa petite-fllle.
�C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
13
Dominique, enfant, était de ces natures franches,
exubérantes, primesautières, qui ont besoin pour
s'épanouir d'une atmosphère d'amour et de confiance, sans quoi, elles risquent de s'étioler et de dépérir,
comme des fleurs transplantées dans un terrain qui
ne leur convient pas.
C'était là le malheur de Dominique.
Dire que son grand-père ne l'aimait pas eût été
très exagéré; mais il l'aimait à sa façon, et il arrive
que la façon . d'aimer d'un homme de soixante-douze
ans ne soi t pas celle qui est la plus favorable à une
j eune fille de vingt et un ans.
D'autre part, l'exploitation de Quansac exigeait
un gros travail de son propriétaire, qui voulait tout
voir par lui-même et ne laissai t à Hugues, malgré
la confiance qu'il avait en lui, que fort peu d'initiative.
Cet ensemble de dr·constanees ne favorisait naturellement pas les épanchements entre grand-père et
petite-fille et le vieillard en était arrivé à ne plus
voir dans Dominique qu'un « cheval échappé », à
qui il fallait « ten ir la bride courte », sous peine
de la voir « ruer dans les brancards ».
(M. de Quansac empruntai t volontiers ses métaphores à l'équitation, dont il était toujours un fervent praLiquanl. .. )
Quant à Hugues, dont le rôle aurait précisément
dû être d'adou<:ir les frictions inévitables entre deux
caractères aussi opposés que ceux de M. de Qua.nsae
ct de Dominique, il n'était au fond, pas moins irrité que son grand-père par les allures de Dominique, ~u'i
jugeait trop libres, et ne manquait pas
de IUl faIre de fr équentes observations, en se targuant de soo « droit d'atnesse. »
A VJ'lI.i dire, ces fameuses « allures trop libres» de
Dominique se réduisaient à biClIl peu de chose.
�14
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1. ..
Simplement, la jeune fille trouvait, à la longue,
l'atmosphère auslère du manoir de Quansac un peu
étouffanle. Elle avait, cela va sans dire, beaucoup
d'affection pour son grand-père, qui lors du malheur qui les avait frappés, elle et son frère, avait fait
son devoir avec beaucoup d'amour et de tendresse.
D'autre part, elle avait une très réelle affection pour
celle vieille maison entre les murs de laquelle elle
avait passé à peu près tous les jours de son enfance
et de sa. première jeunesse. Mais, depuis quelque
temps, il lui arrivait de rêver d'un monde qui n'eût
pas eu un horizon aussi étroit que le sien. Au pauvre oiseau emprisonné, les ailes poussaient et elle
souffrait d'être obligée de regarder ce monde à travers les barreaux d'une cage ...
n lui paraissait en ce mome'ot, ce monde, sous
les apparences grises et monnes d'une forêt sur quoi
tombe la pluie. La tour semblait assiégée par les
vagues humides, et les arbres même, sous ce rideau
mouvant, disparaissaient à peu près, prenaient des
formes fantomatiques.
Mais soudain, avec la promptitude de transformation qu'a le ciel marin au printemps, l'épais rideau de pluie s'amenuisa, ne fut plus semblable
qu'à ooe buée sur la forêt. Un rayon de soleil, venu
omme un miracle, perça la nue, acheva de dissiper la pluie qui persistait. L'orage s'éloignait en
grondant, comme un fauve chassé. Un moment, ce
fut Sur les arbres comme une pluie d'or tombée du
ciel, puis ces mille points de feu s'unirent, revêtirent
la forêt tout enliGre d'un manteau étincelant. Dans le
ciel, 1e8 nuages cournient très vi te, et leurs ombrcs
pas aient, rapidcs, sur le moutonnement vert des
pins.
Alors Dominique porla ses regards vers la mer. Le
soleil faisait apparaître, comme une barre d'or, 1q
�O'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
15
ligne jaune des dunes : au-delà, s'élalait l'océan,
dont la formidable présence p.'était plus révélée que
par le monotone grondement de ses vagues en fureur .
Mais le regard de Dominique glissa sur la dune.
Elle parvint à distinguer, avec loule la précision
que donp.e l'habitude, un bouquet tordu de tamaris,
au travers desquels on devinait les murs bleu pâle
de la villa (( Océania ».
Un long moment, ses regards demeurèrent fixés
sur ce point à peine perceptible, ù demi confondu
doucement, up.e sorle de confiance
avec le ciel. ~t,
joyeuse s'insinuait dans son cœur, comparable à la
nappe de soleil qui gagnait maintep./lnt la forêt lout
entière.
Il lui semblait que de oe petit coin perdu entre
Lerre et ciel, un apaisement immense lui venait, une
·promesse de joie pour plus tard. Quand P Il p.'importait. ..
Alors, tout bas, pour elle seule, elle laissa échapper son innocent secret :
- Gérard 1 murmura-t-elle, Gérard J. .•
Le soleil, maintenant, avait reconquis la nature.
Des .lambeaux de nuées, éparpillées par le vent, rappelaIent seuls le déchaînement de la lempête. Aussi,
en Dominique tout était devenu joie et il n 'y avait
plus d'autre trace de son chagrilll' que les larmes
encore dans ses yeux, mais que déjà
qui ~rilaent
s6chal t le grand .v ent qui soufflait de la mer.
�16
C'EST VOUS QUE l'ATTENDAIS
CHAPITRE
1•.•
~I
LE SECRBT DE DOMINIQUB
Ce « secret », dont l'évocation seule avait le don
de ramener la chaleur de la joie dans le cœur de
Dominique, était, en vérité, bielIl peu de chose. Si
peu de chose que, pour beaucoup de jeunes filles,
il fut sans doute passé comme une ride légère à la
surface d'une eau tranquille.
Pour Dominique, il n'en était pas de même.
Dans l'inaction forcée de ses jours, dall1s le vide
souvent si pesan t de ses heures, les moindres événements prenaient une importance qu'ils n'auraielIlt
point eue ailleurs, et les souvenirs, sans cesse repris
et complétés par la rêverie, redevenaient aussi vivants que les heures dont ils n'étaient que l'image.
Pour comprendre celte force qu'avait le souvenir
sur Dominique, il faut s'imaginer ce qu'étaient pour
elle les longues journées, les interminables soirées de
l'hiver.
Les Landes montrent volontiers leur gai visage
d'été aux touristes, leurs sous-bois dorés d'ajoncs et
de genêts, violets de bruyère, leurs longues plages
de sable fin, où meurt la frange d'argent de l'océan,
leurs dunes majestueuses eL leur ciel d'un bleu profond.
Mais, il est UIl1 nutre vi age des Landes, tant6t
maussade , tantôt furieux, qu'elles réservent pour
l'hiver ù ceux que leur destin contraint d'y demeurer. Ln pluie, le vent sauvage, les orages violents
sont alors ce qu'offrent les mois d'hiver: triste cadre pour une jeune fille comme Dominique, en qui
�O'EST VOUS QUE l'ATTENDAIS
1...
17
tout est naturellement joie et mouvement, et qui
se voit recluse, des journées entières ...
Aussi lorsque, lasse de lec ture, lasse de jouer ses
morceaux préférés sur un piano que l'humidité désaccordait perpétuellement, Dominique collilit son
front aux carreaux de sa fenêtre, et laissait errer
son regard sur l 'h umidité brumeuse, c'était toujours
vers les j ours d'été, les jours de soleil, que sa bondissa nte imagination l'emportait.
A la belle saison, en effet, la vingtaine de villas
construites sur la dune, ou sur son versant intérieur,
et don t l'agglomération portait le nom de Sain t-Michel-Plage, se peuplaient, et les « estivants )J créaient
dans ce petit pays une animation qui plaisait à Dominique.
Son grand-père et son frère lJ1e manquaient pas
une si belle occasion de lui reprocher ,sa cc frivolité )J. Ils le fai saient Silns méchanceté, « pour son
bien )J, ct parce qu'ils jugeaient assez indécent que
Mlle Dominique de Quansac se mêlât sur la plage
2. des gens qui ne lui avaient pas éL6 présentés, don t
Oill ignorait les profession s, et de la fortune de qui on
ne savait rien.
Chaque fois qu'elle ren trait d'une j ournée à la
plage , elle avait à subir un gran d sermon en chœurs
alternés où les dangers qu'elle courait lui étaient exposés sous un jour presque tragique.
- Tu sa is bien, disilit son frère, que les plages
son t les remdez-vous de tous les sales types de France
et de Navarre ... Il ne suffit pas d'avoir un beau pantalon blano et un swea ter rouge pour être quelqu'un
de distingué ...
- Il paraît, disait avec dégoû t M. de Quansac, que
cette année, tout a été lou é par des épiciers enrichis ... Une sorte de syndicat d'épiciers ... Voilà ce
qu'on s'expose à rencontrer sur cette plage ...
�18
O'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
Dominique écoutait respectueusemen l, à peine un
peu irritée, mais sîire d'elle, et reprenllit dès le lendemain le chem in de la plage.
Rien, du reste, n'était plus innocent que les journées de Dominique à la plage
Elle se baignait, lisait, dormait, mangeait. Mais,
par-dessus tout, elle suivait des yeux le mouvement
de la plage : jeunes gens el j eunes filles jouant au
ballon, au tennis ; enfants édifiant les fra giles forts
d e sable que la marée allait raser et efIacer ; elle se
mêlait très rarem ent à ces gens, non qu'elle jugeât
le moins cliu monde leur contact indigne de « Mademoiselle Dominique de Quansac », muis ils l'intimidaient.
Une fois, elle avait ramené à sa mère un enfant
perdu et qui hurlait comme s'il brûlait. ..
Une autre Cois, elle aVilit pansé le pied d ' une jeune
fille qui s'était blessée à un coquillage, et, depuis
ce jour, elles se souriaient quao4 elles se voyaient,
échangeaien t quelques paroles.
Les choses ava ient été ainsi pendant plusieurs
étés: les souvenirs seul s de ces j ournées délicieusement Lrîilantes, passées au milieu de ge ns qu'elle
ne connaissai t pas, mai s qu'eIJe voyait vivre, suffiMient ù Dominique.
Et puis, était venu ce jour d'aoftt, l'été dernier ...
I.e 14 août 1. •. Date mémorable 1
Il lui semblait que tou s les détails de cette journée élaient gravés à jamnis en clle, ct qll 'clIe ne
pourrait jamais les oublier ... Tout au long de cet
hiver qui touchait à sn nn, lie les avait repris, relournés, embellis peu t-ê trc, en ctoya1n t les revivre .. .
C'61ait un samedi. La pl flge était un peu moins
pe.u~lé
que d 'hahitude, parce que, lc samedi apl"P~.
mHh, les auto-cars cmmenaient beaucoup de baigneurs vers des plages plus 'mondaines.
�O'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
ID
Dominique éLaiL arrivée vers deux heures . Il faisail un Lemps un peu couverL, mais très doux. Elle
s 'dait assise devan t sa tente, un livre sur les genoux, mais elle sui vaiL, amusée, la bataille d'un
pelit garçon et d'un grand chien qui se roulaient
sur le sable.
Une ombre, soudain, avait surgi devant elle.
- Mademoiselle, est-ce que oela vous ennuierait
de jouer au tennis avec nous il ...
Dominique releva brusquement la tête. Elle vil
alors devant elle une jeune fille de son âge, à peu
près, qui la regardait en souriant gentiment.
Dominique rougit un peu : elle rougissait ainsi
cbaque fois qu'une personne inconnue lui adressait
la parole pour la première fois et celte ennuyeuse
rougeur contribuait à lui donner l'air timide.
- Ça ne m'ennuierait pas du Lout, répondit-elle,
mais d'abord, je n'ai pas de raquette ici, et puis,
il y a lellemen t longtemps que je n'ai pas joué 1. ..
- Ce ne sont pas des arguments, dit la jeune
fille en riarnt. Dépêchons-nous, il faut jouer tant que
la marée est basse .. On va vous prêter une raquette ..
Ell e parlait si gentiment, ct sur 'un ton si convaincu, que Dominique eût trouvé ridicule de sc
faire prier davantage. Elle se leva et suivit l'inconnue:
- .Je m'appelle Jacqueline, dit la jeune fille,
Jacqueline Soubrian . .. Je vous vois souvent Sur la
plage .. . J'avais peur que le tennis ne vous amuse
pas, on ne vous voit jamais y jouer .. .
Tout en parlanL, les deux jeunes filles se rapprochaient du tennis, reclangle grossièrement dessiné
au talon sur le sable de la plage, et que coupait en
deux un filet. Deux jeunes gens, la raquette sous le
hraR, vêtus comme d'un uniforme, du pantalon
blanc cl du swealer ved, les regardaient venir.
�20
C'EST VOUS QUE J'ATTE NDAIS
1...
Jacqu elin e Souhrian fit les présentations
- Robert SQubrian, mon frère ... Gérard Arland,
un ami ... Mlle Dominique de Quan sac , qui veut bien
faire la quatrième ...
La partie commença, après que l' on eùt tiré les
camps au sor L. Dominique, qui eul Gérard pour partenaire, n e fut guère brillante 1 Elle n'avait pas joué
depuis lon g temps, ses premières Iautes l'énervèrent,
lui firent perdre le contrôle de son j eu. Tant et si
bien que, mal gré les efforls de Gérard, elle perdit
coup sur coup et ~ui
fit perdre deux parties.
Elle n'o ait pas le regarder. Elle avait surp ris un
sourire un peu ironique échangé en tre Jacqueline
et so n frère. Elle en souffraiL.
« St1rement, il es t furi eux, pensail-elle. Mais, ce
o'est tout d e même pas de m a faule .. . Ce n'est pas
moi qui lui ai demandé à jouer ...
La partie s 'acheva d 'une fa çon assez morne. Jacquelin e semblait en effet regretter l'invitati on qu'elle
avait faite. Dominique, énervéc par la fatigue el le
sen lim ent qu'clle jouait atrocement mal, avait les
larm es aux yeux.
Cependan t, ni un m ot, ni un geste d'impatience
n'avait échappé à son partonaire.
Tandis que J a,eq uelin e ct Hobe rt repliaient le fil e L,
elle lendi l la main à Gérard, ct, avec un sourire un
peu con Lraint, qui masquait fort mal son énervement :
- Je sui s désolée de vous avoir fait perdrc, ditelle. Mai s qu e cela vous serve de leçon : il ne faut
jamais m 'inviter à jouer à quoi que ce soi l. .. Je j oue
horriblement mal à tout...
Gérard la regardait en souriant aussi, mais sans gene aucune, et avec, sur le visage, une expression
de gentillesse et de raillerie aimable qui plurent à
Dominique:
�C'EST VOUS QUE J'ATTE DAIS
1...
Zl
Seigneur 1 dit-il, comme vous prenez une défaite à cœur 1 Avouez que vous me détestez, en ce
moment, que vous avez envie de me dire quelque
chose de très, très méchant...
Dominique ne put s'empêcher de rire, tout son
embarras envolé devant celle simplicité gentille.
- On ne peut rien vous cacher, dit-elle, c'est
vrai, il y Il longtemps que je n'ai pas élé vexée
comme je le suis en ce moment... Mais, des choses
méchanles, non, je n'ai pas cherché à vous en dire ...
Gérard la regardait avec intérêt. A son tour, il
était amusé par le ton de Dominique.
- Gérard 1 cria Jacqueline, vous vooez faire un
lour en auto P
- Non, répondit Gérard. La plage est calme aujourd tmi, il faut en profiter ...
- Comme vous voudrez l. ..
Jacqueline et Robert, le filet plié sous le bras, s'avancèrent pour prendre congé.
Un instant plus lard, Domirnique e trouvjlit seule
avec Gérard. Ce qu'ils s'élaient dit alors, Dominique étaiL bien incapahle de s'en souvenir : des paroles pleines de banalité, sans doute, les seules que
peuvent échanger deux inconnus qui s'abordent. Ils
avaient marché longtemps sur le sable. Leur causerie n'avait rien de confidentiel, et cependant Dominique y avait trouvé un charme étrange, comme si,
sous les mols de lout le monde que ce garçon employait, il y avail des intentions mystérieuses, des
pensées chargées de secrets passionnan ts.
Ainsi naît la sympathie, sans que l'on puisse dire
avec exactitude à quel moment elle se forme, ni ce
qui la rend plus riche.
Vers cinq heures, alors que le soleil commençait
à s'incliner SUl' l'océan, Gérard propoSA à Dominique de venir prendre le tM chez lui : et il mon-
�22
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
trait la villa qu'il occupait, la villa « Océania ",
qui profilait sur le haut de la dune ses murs blancs
que le soleil dorait.
Il formula son invitation avec tant de simplicité
qu'il ne vint pas même à l'esprit de Dominique de
la refu ser. Ce fut seulement lorsqu'elle se mit CIIl marche avec Gérard, se dirigeant verS la villa, qu'elle
pensa que sa condui le choquerait extraordi,nairement son grand-père et son frère.
Mais cette idée , loin de l'épouvanter, amena sur
ses lèvres un sourire amusé.
Gérard s'en aperçut :
- Qu'est-ce qui vous fait rire P demanda-t-il.
- Rien, une idée ... Vous ne trouvez pas tout à
fait extraordinaire qu'une jeune fille qui ne vous connaissa i t pas voilà deux heures accepte ainsi une invi Lation P
Gérard resLa un moment sans répondre. Puis, sans
s'arrêter de marcher, il jeta un regard sur Dominique.
- Non, dit-il enfin, de vous, je ne trouve pas
cela extraordinaire du tout... ~t
je suis tellement
content que vous n'ayez pas fait de mines, comme
toules ces petites filles stupides ...
C'était ,la première parole de ton un peu person nel qu'ils avaient échangée. Dominique se tut :
sans qu'elle sut pourquoi, une satisfacLion immense
l'onvahi ssait. Il s n'échangèrent plus une parole jusqu'ù la villa.
Gérard fH entrer Dominique dans le salon.
C'était une pièce, petite, meublée avec élégance,
mais ùont tout le charme venait des deux baies immen ses qui tenaien t pre que tout un panneau, cl
donnaient sur l'océan.
- Voulez-vous ffi'attendre là il dit Gérard. Figllrez-vous que je suis seul nujourd 'hui ù « Océania ".
�O'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
112
Ma mère et mon frère son t allés à Biarri tz, les domestiques sont Dieu sait où, et il faut que je fasse
le thé moi-même... Mais, rassurez-vous, ajouta-t-il
en riant, j'ai l'habi Lude ...
Et il disparut.
Dominique, restée seule, s'étonnait de n'éprouver aucune gêne. Quelque chose, en Gérard, forçait
la sympathie et la confiance. Et puis, elle trouvait
à cette invitation si prompte un goût d'escapade qui
l'enchantait, qui la vengeaH, en quelque sorte, de
tant d'heures d'un solennel ennui écoulées ù Quansac.
Enfin, sa conscience se trouvait loul à fait rassurée par la décision qu'elle avait prise de tout ra·
conler le soir même à son grand-père, quelles que
dussent être les conséquences de ce récit ...
Mais Gérard Ille la laissa pas longtemps à sa solitude el à sa rêverie.
Il revenait déjil, les bras chargés de touL ce qui
pouvait constituer un thé excellen t.
Pendant un moment, avec une gaieté toute juvénile, un entrain charmant de part et d'autre, Gérard et Dominique firent le thé, avec le même enthousiasme que metton t les enfan ts 11 « jouer à la di·
nette ».
Puis - ct sans qu'aucun des deux se fût aperçu
par quels détours de conversation, ils en étaient
arrivés là, - ils en vinrent Ù piuler avec un certain
degré de camaraderie, presque d'intimité, de leur
enfance, de ce qu'avait élé leur vie ...
Ces souvenirs, évoqués en ces heures par Domi·
nique, dans celle atmosphère de cordialité qui était
déjà comme une oasis dans le désert de sa vie, étaient
ce qui pouvait te mieux la Loucher. Elle s'y aban.
donna sans retenue, Lrouvan L à parler d'elle un soulagemen l extraordinaj re.
�24
C'EST VOUS QUE l'ATTENDA1S
1...
Tant de choses jamais dites, tant de secrets puérils gardés faute de cœurs prêts à les aocueillir, s'épanchaient naturellement, sans efforts et sans affectation.
Elle parlait comme elle n'avait jamais parlé, comme elle avait ,t oujours envie de parler.
Elle avait devant elle le panorama admirable de
l'océan glauque, vers lequel tombait un soleil de feu,
au milieu d'une gloire de nuages pourpres et violets. Et parfois, lorsql.\'elle se détournait un peu,
elle voyait le visage de Gérard tendu vers elle, un
visage où se lisait [Jon la pitié - elle n 'eû t pu le
supporter - mais une sympathie intelligente, merveilleusement compréhensive.
L'heure passait, sans qu'elle parut s'en soucier.
Lorsqu'elle se tut, Gérard parla à son tour. Il dit
qu'au milieu de sa famille, d'amis nombreux, d'amies aimables, il avait connu la même sensation
di'isolement douloureux que Dominique parmi ses
pins et dans la solitude.
Ainsi, une sorLe de lien se tissait entre eux.
Malgré la gra[Jde différence des siLuations dans
le monde, ils se découvraient semblables, solitaires,
avides de trouver l'âme qui pourrait les arracher
l'un et l'autre à leur isolement douloureux.
Puis, ils se turent.
Longtemps, ils demeurèrent silencieux, Sans se regarder, les yeux fixés sur la masse de feu du soleil,
qui, selon le mol du poète, allait « s'enfoncer en
sifflant dans la mer 1. .. »
Les tasses de tbé, pleines, refroidissaient...
La première, Dominique s'arracha à l'espèce d'engourdissement bienheureux auquel elle s'abandonnait.
- Mon Dieu, dit-clIc, quelle heure est-il ?
Comme pour une réponse, quelque part, dians la
�C'),':ST VOUS QUE J'ATTEN DAIS
1....
25
maison siloocieuse, une pepdul e égréna neuf coups
argenti ns.
- Neuf heures 1 s'écria-t-elle.. . C'est impossible P
Elle s'était levée, en proie à une grande agitatio n.
Il lui sembla it s'éveill er d'un rêve charma nt, retomber soudain en pleine réalité. Et ce salon inconnu, que l'obscu rité envahis sait lentem ent, lui paraissait soudain presque hostile.
- Il faut que je rentre 1 dit-elle avec agitatio n.
.
Gérard s'était levé à son tour .
- Vous êtes très en retard! P. .. Je suis désolé .. .
Ne vous excusez pas, dit-elle ... Je ne regrett e
rien .
Attendez, dit Gérard. Je vais vous accomp agner en voiture . Je sais bien où est le manoir de
Quansac .. .
Et comme Domin ique faisait un geste de dénégation, il reprit, avec un sourire charma nt :
- Oh 1... rassurez-vous ... Je m'arrêt erai avant la
grille ...
Quelques minutes plus tard, la petite voiture de
Gérard stoppai t à quelques m ètl'es de la grille.
- Voilà 1 dit Gérard .
Domin ique sauta sur le sol.
- Je vous remerd e ...
Pour la première fois, une gêne imperc eptible
s'empa ra d'eux, lorsque Domin ique lui eut tendu
la main, ct l'eut retirée. Ce fut Gérard qui rompit
le premie r le silence.
Il dit, sans la regarde r :
Je pars demain ... pour Paris.
non, dit-clIc ... Je vous souhail e un bon voyage
Ils restère nt encore une minute face à face. Toute
�26
C'BST
vous
QUE J'ATTENDAIS
1...
la magie de cette après-midi si simple el si féerique
renaissait et mourait entre eux.
Alors, sans ajouter un mol, Gérard manœuvra
pour faire Lourner la petile voilure. Il s'en fut ; et
Dominique, malgré son retard, resta immobile au
milieu de la route jusqu'à ce qu'un bouquet de pins
lui eut caché la tremblante lumière rouge qui fuyait.
Dominique a horreur de se souvenir de la scène
qui suivit. Elle y fit face, silencieuse, comme un
pclit animal têlu, les dents serrées, sûre de sa bonne
conscience, mais trop orgueilleuse pour donner une
explica tion.
De trois jours, elle ne revint pas à la plage.
Au matin du quatrième jour, sa promenade l'y
ramena lout naturellement.
La villa « Océania » é tail close, comme morte.
Mais Dominique avai t l'impress ion que dans celle
cage bleue, aux volets hermétiquement fermés, dormail le plus beau secrel de sa "ie ...
Un jour, lout <,ela s'ouvrirait cie nouveau: le beau
secret s'éveillerait, apr:\s un long sommeil, comme
la Belle au Dois Dorman l.
Et tout l'hiver, jour après jour, elle vint réchauffer son œur au feu mystérieux et doux qui,
pour elle seule, rayonnait de ce qui n'était, pour
tout le monde, que la jolie ct ba!l1ale villa « Océania ».
Or, cet hiver avait été le plus cruel, et jamais
Dominique n'eut tant besoin d'espérer ...
�C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1.. .
27
CHAPITRE III
UN cœUR SE DÉCOUVRE •• •
- Dominique, dit M. de Quansac, j 'ai à te parler
sérieusement. ..
- Je sais, grand-père, dit Dominique.
Monsieur de Qua1nsac fronç,8. les sourcils ; décidément, cette petite avait le génie de la maladresse 1
Pourquoi prenait-eHe cet air entendu ?
A vrai dire, ce qu'avait à annoncer monsieur de
Quansac n'était guère difficile à deviner. Il avait suffi
à Dominique de voir l'auto verte du docleur Viaillne
devant le perron, et, par les fenêtres du salon, son
grand'père et le docteur en conversation, pour com prendre qu'était arrivé ce jour qu'elle avait mis
tan t de soin à retarder.
« Le docteur Yirunne m'a demandée en mariage P
dit-elle SUI' un ton irrité qui acheva d'indisposer son
grand' père contre elle.
- Je vois que je n'ai rien à t'apprendre, dit le
vieillard ... J'avoue que je ne rn'atlendais pas à te
yoj r accueillir celle demande de cetle façon, avec
ccl air irrité.. .
- Oh 1 je lI1e suis pas irritée le moins du monde,
dit Dominique avec trislesse. Et que lui avez-vous
répondu P
- Mais ... rien d'e précis, naturellement. Ce sont
des choses qui ne se trailent pas cn un jour, à la légère. Oh 1 je sais bien que mainlenjlil.1t les mariages
sc bâclen t comme les ma isons. Mais je sais aussi
qu'ils ne tiennen t pas mieux que leurs fameuses
constructions en ciment armé. Ce lIl'est pas un ma.
�riage baclé que j e veux te voir con tracter, tu }'imllgines facilemen l. . .
Dominique se taisai t.
Quelque chose qui r essembl ait à du découragem ent se glissa it eo elle, comme un froid. Il allait falloir lutter, contre son gramd-père, contre son frère ,
contre ce doc teur Vianne, qu'ell e n e haïssait nullem ent, mai s qui lui avait toujours été parfaitement
indifféren t.
- Tu con nai s comme moi le docteur Vian ne, poursui vait Mon sieur de Quansac. Tu sa is à la foi s son
mérite et sa fortune. Or, tu connais mes principes à
ce sujet : je pen se que je ne les ai jamais cachés.
Le mérite sans la forLune, ou la forLUI11e sans le
mérite, ce n'est rien. Evidemmen l, la question de
famille joue un grand rôle. Mais avec le docteur
Vianne, nous sommes en pays connu : sa m ère était
une Hauterive, et il est allié à tout ce qui peut
compter dan s le pays ...
- Je sais , je sais, dit Dominique.
Elle savait... Elle savait aussi que le docteur Vianne lui avait toujours sem bl é ridicule, avec ses aIl ures
prétentieuses, so n affectation à dire toujours « nous
nutres ... » en parlant de lui el des Quansac, comm e si un abîme les séparnit du l'CS le de j ' humanité.
Elle se souvenait du j our où il avait cru le moment
favorable pour « lui exprimer ses sentim en ts Il - ct
elle sc souven ait aussi de l'écla t de rire avec lequel
elle avait accueilli celte déclaratiOtn, faite sur un
ton de suffi sa nce et de sûre té de soi qui l'avait bl essée.
Depui s, elle avait lout fuil pour l'éca rter, pour lui
faire co mprendre que sa cour était au ssi mal reçuo
que possible ...
Mais lui , s'éta it obstiné, fort de l'approbation
qu'il sentait chez Monsieur de Quausac ct Hugues,
�c'kst vous QUE l'ATTÈNDAIS
1...
~
<lt voilà qu'il n'avait pas craint de formuler une demande officielle en mariage 1. ..
UIl1 mouvement de colère agila Dominique à la
pensée de l'espèce de conjura tion qui se tramait autour d'elle, qui avait son mariage pour bul.
Jusqu'à présent, elle avait trouvé le docteur simplement ridicule. Est-ce qu'elle allait être forcée
de le trouver maintenant odieux jl
Son grand-père parlait loujours, mais elle ne l'écoutait pas, toute possédée par le tourbi1lon de sentiments divers qui s'était emparé d'elle.
Un mot, soudain, accrocha son attention, la ramena brulalement au sentiment du réel.
- Je ne t'ai jamais entretenue de notre situation
de fortune, disait Monsieur de Quansac, mais tu
n'est plus une enfant, et tu arrives à un âge où il
faut te mettre en face des réalités de l'existence ...
Un long discours suivit, que Dominique écoula
avec altention, el duquel il ressortait que la situation de monsieur de Quansac n'éLait plus ce qu'elle
avait été ... La crise l'avait durement louché, comme
lous les propriétaires du pays, du reste ... Il ne s'agissait en aucune façon, naturellement, de faire un mariage d'argenl. .. Mais ]e doeLeur Vianne avait une
Lrès gros e fortune personnelle. Ses lerres Loucltaien t
celles de Quansac, cc serait un grMld soulagement
pOur tout le monde de voir s'unir deux propriélés
im porlan tes, une grande tranquillité d'esprit pour
Monsieur de Quansac .. .
A u fur ct à mesure qu'il parlait, Domini"que sen lait
plus intensément ]e danger qu'elle courait. Aux questions de convenances, qui di posaient favorablement
mon jeur de Quansac à cc mal"Ïage, sc joignait l'idée
d'une situation nnancière à consolider. El il était
:1 craindre que, dans l'espriL du vieillard, plein d'inquiétude pour l'avenir, celle idée, même inconseiem-
�3C
C'BST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1. ..
ment, ne le poussât à s'atlacher plus fortement à
ce projet.
Lorsqu'il eul Iiui ce long exposé, il regarda Dominique:
- ~Ion
enfant, dit-il, je t'ai dit lout cc que j'avais
à te dire au sujeL de la demande que j'ai reçue de
la main. Maintenant, ne croi pas que je veuille t'influencer en quoi que ce soit. Ce i/1'esl pas dans mes
habitudes. Tu es ab olument liure de dire oui ou
non ...
lt sc leya avec une cer'laine olennité, pour signifier que l'entretien était terminé.
Dominique, sans un mot, se leva à on lour, s'enfuit, comme elle en avaiL coutume en ses heures de
plus grand chagrin, demander aux murmure de la
forêt, à la yue des dunes immuable, l'apai ement
dont elIe avait besoin.
Libre 1. .. Son grand'père 0 ait lui dire qu'il la lai ait libre ... Aprl.-s lui avoir démontré que le docteur
Vianne était pour elle le seul parti possible, après
l ui avoir dit qu'il y avait dan ce mariage le seul
moyell de restaurer une ilualion chaque année
amoindrie, après avoir insinué que ~cule
cellc union
fJourrait lui permellre un peu de vieille .e lranquille 1
Libre 1. .. Quelle ironie l.. On la lai soit libre, mais
chaque heure allait être marqu ~e
ù 'allu ions, ùc
sous-elllendu'!; le soupirs de on grand'pl're, les ricanements de son frère aIJoienL, ù chaque in tant, lui
dire, lui réprler 11 soliélé : « !\Iarie-Ioi 1. .. Marietoi 1... EL avec ct homme quo nous avons dlOi . i,
IIOU., palee qu'il est d'e cellente faJllille,
t que cs
terre touchent les nÔlreg. »
« Je ne me ItHlliel'ai jamai!l, jamais 1. .• pPlIsailel,lu Cal'ouchcrn Ill. i avec Vialllle, ni il\ c per.onlle
d nutre ... »
II 1\Ji semblait soudain qu'autour d'ull marioge,
�C'EST VOUS QUE l'ATTBNDAJS
1...
31
quel qu'il fût, il y avait trop de calculs avilissants,
trop d'intérê ts mis en mouvement. C'était comme
si un voil e s'était interposé soudain entre elle et l'avenir, comme si elle venait de perdre, définitivement,
l'illusion qu'elle se plaisait à caresser parfois, de
jours plus animés , plus vivants que ceux qu'elle traversait.
Elle marchait au hasard, sur III route qui )Den ait à
la mer.
Mai s 'achevait: le j our était exquis, l'heure ravissante. Mais à quoi bon ces parfums, ces bourdonnements d'abeilles P A quoi bon ces caresses du soleil sur les troncs blessés des pins P A quoi bon
toules les promesses de joie que ce jour et cette heure
contenaient P Il semblait qu'au milieu de cette fêle
de la nature, Dominique fût seule affligée, seule à
voir devant elle. interminablement, une suite grise
de jours morn es.
Soudain, elle tressaillit.
A un e cenlaine de mètres d'elle, surgissant d'un
Coude de la route, - ce même tournant où elle jlvait
vu disparaî tre, quelqu es moi s plus tôt, la lumi ère
rou ge de Gérard Arland - la torpédo bien connue
du doc teur Viann e.
Un moment, elle out la pensée de se jeter sur le
bas-côté do la route, de se dissimuler derrière les
hauts ajoncs, comme elle fai sait lorsque, enfant, eUe
voulnit éviter les visiles ennuyeuses.
Mais il ét;tit trop tard.
Déjà, le d oe leur l 'avait reconnue, déjà les freins
criai ent, les pneus rapaient la roule.
« Le mom ent es t venu 1... » songea Dominique.
Et elle atlendit ,s'effor ça nt de se faire un vi sage
de froideur cl cl 'impassibi li té. ,M;tis elle était prête, et
elle ne pouvai t cm pêcher ses lèvres de lrembler légèrement.
�3'~
O'EST VOUS QUB l ' ATTENDAlI!!
1.••
Le docteur Luc Vianne sauta avec beaucoup d'aisance de sa voiture et s'approcha de Dominique, un
sourire sur les lèvres.
Il pouvait avoir une trentaine d'années. Depuis
trois ans seulement, il était revenu de Paris, où il
avait fait de brillantes études médicales. On avait
beaucoup critiqué le fail qu'il renonçait à un avenir
intéressant, à Paris ou dan s quelque grande ville,
pour venir s'enterrer dans un petit trou perdu des
Landes.
Mais sa fortune personnelle le mcllaÎl à l'abri de
la tentation de gagner de l'argent. S'il exerçait un
peu dans le pays, c'est qu'il y était seul médecin,
et ne pouvait refuser de venir lorsqu'on l'appelait
pour un malade. Il y trouvait du r es te l'occasion de
s 'entretenir la main . .Mais ce qui lui plaisait par-des~ u s tout, c'était la vie de « gentleman-farmer »,
pour laqu elle il avait indéniabl ement de grandes
disposi tions .
Contrairement à mon sieur de Quansac, qui s'enfermait farou chement dan s son manoir, le docteur
Vianne en tretenait des relation s très cordiales avec
la plupart des familles qui résidaient dan s les Lande5 d'une fa ço n permanen te.
JI étai t fort recherché' des m ères de famille qui
avaien t quelque fille à mari er, ct son physique agréable, cs don s de causeur et ses talen ts sportifs faisaient que les j eunes fille ne le fuyaient pas.
Pourtant, c'élait Dominique de Quan ac qu'il S'I!lail mis en t~le
d'épouser, elle, et nulle autre.
- C'était, disa it-il avec une sa ti sfaction de so i
intolérable, ]e seul parti qui pOt lui convenir. Pas
d'argent, soil. Mais il n avait pour deux . eulemont, c'élait le plus beau nom du pays, et il ne pouvait déccmment, lui, pelit fi ls du omle d'Hautcrive,
�,C 'EST VOUS QUE S'ATTENDAIS
1...
33
épouser quelqu'un d'a,utre que l'héritière du nom de
Quansac .
.. . Et maiùtenanl, debout devant sa voitUIe, tenant entre ses mains la 'main que Domirnique n'avait
pu refuser de lui tendre, il plaidait sa cause, avec
toute la chaleur et l'éloquence dont il était capable.
11 était ce qu'on appelle « un beau garçon »,
grand, les épaules larges, mais sans excès, et soo
visage bruni qu'éclairaient des yeux gris-bleu, n'était
pas sans charme. Seulement, le plus souvenl, une fatu ité ridicule, une assurance exaspérante, cachaient
toules ces qualités aux yeux de Dominique.
Le doctcur parlait d'une voix profonde, caressante, qui eût pu être assez émouvante s'il n'avait eu,
par moments, ces intonations satisfaites qui pOl'laient SUI les nerfs de Dominique.
- Je pcnse, di sait-il, qlle Monsieur de Quansac
Vous a fait part de J'objet de la visite que je lui ai
faite aujourd 'hui P
- Oui. Il m'a parlé ...
- Avouer. que vou s VOliS attendiez un peu à celte
démarche de ma part ...
- Non, dit Dominique en le regardant francltement, je ne pouvai s pas m'y attenùre. Jl me semblait
que je vou s avai dit tout ce que j'avais à vous dire
là-dessus, le jour 011 vous avez ru devoir me « déclarer votre flamme ».
Le docteur Vian ne hau ssa les épaules Ulfl peu nerveu sement .
- Bah 1 vous avez ri ... Cc n'est pas une réponse ... Ou c'est une répon se de petite fille. Mais, depuis cc temps, vous m 'évitez, vou s faites exprès de
m'empêcher de vou s parler ... Ne vous étonnez pas
si j'ai pris cc moyen ... un peu officiel, pour vous
rappeler que mes sen Limen Is n'on t pa s changé i\ votre égard ...
2
�34
C'E ST VOUS QUE J'ATT E NDAIS
1. ..
Les mien s non plu s.
Vou s ê tes dure, dit Vianne en se forçant a
sourire. On dirait que vous avez quelque raison particulière d 'animosi té à mon égard .
_ Je n 'en avais p as encore, r épo ndit Dominique,
e t je voudrais qu'il en soit touj ours ainsi dan s l'avenir. Mais pour cela, il faudr ait que vou s abandonni ez
une ... poursuite, qui n 'a absolument jlucune chanc e
d 'aboutir, j e sui s p articuli èr em ent bien pl acée pour
le savoir ...
Le doc teur Vi a nn e enveloppa Dominique d'un rega rd a LLen li r.
t e se ntim ent qui le pous ait vers elle était tout
enti er de va nilé : sa Il il ture nn peu brutal e était plutôt irritée qu e séduit e pal' les d éli ca te ses qu'il devinait dam le coeur et l'â m e de la j eune fill e.
fai s le l'cfu s si ferm e, si net, qu'on lui opposait
IIne foi d e plu s, l'a tt eig nit comm e un coup de fouet,
so us lequ el il sc r edressa .
- .Tc n c vou s dem andc pa s de r ép on se d éfinitive,
dit-il avec 1I11 C dPsin vo lturc souria nte, du moirn s pas
e n,c orc, j e vo us laissc to ut Je temps d e r éfl échir .
- Vo u. sa vcz bicn qne d a n s trois moi s, dan s six
m ois, ma r époMc sera cc qn 'ellc cs t aujourd ' hui . ..
Vianne j c ta sur Do miniqu c un regard ai g u.
- J e n'on sa is ri cn, dit-il, c t vo us n o n plu, vous
nc le sa vez p as .. .. Vou's ê tcs hi ' n j eune p 0 1l1' dire
(( jnm nis H , Dominiqu e... foi, j'att clld s . .l'atte ndrai
tnnl qll 'il vo u pl ail'U. Voilà.
Il ~' jl cli l a d eva nt ln j C1 ll1 C flll e, d'lin m Ollv em e nt
vol o ntairem e nt sec , r em o nla d a n ~ sa voilure, ct la
J'emit e n m a rch e SU II aj o ut cr un m o l.
Do miniqu e p o ul'sui vit sa pro m en ade .
con ver sation qu'cli c avnil
Ce tt c re!l co ntrc, la hl' (~ve
Cli C :lvre Ir doc tellr Vi a nn c, faisaient pesc l' lIlI poid s
pll1s lo urù ell cor c ~ ur
son rlm c acca bJ IC . Ell e sentait
�C'EST VOUS QUE J'ATTE NDAIS
1...
35
chez cet homme l'obstination, la volonté, contre lesquelles il est parfois si vain de lutter. ..
Et elle se répé tait encore, avec une ironie douloureuse, le mot par lequel son gr'and/père avait clos
l'entretien .
« Libre 1. .. Je sui s libre 1 »
Alors, comme chaque foi s qu'un poids trop lourd
l'oppressait, elle pensa au m ystérieux Gérard, à la
fa-cilité avec laqu elle coulaient les heures près de lui,
<"es heures qu'il lui fallait maintenant tuer une à
une, ennemies sans cesse r enaissantes 1. ..
Elle s'établit, au bas des dunes, dans un petit abri
formé par quelques pins tondus, qui la protégeaient
du soleil et du voot.
Entre leurs branches frêles et tragiquement torturées, parai ssaient les murs de la villa Océania ...
Et c'est alors que le miracle se produisit.
Lentement, avec une sor le de majesté, les deux
vantaux de III grande porte s 'ouvrirent: deux domestiques parurent, chargés de valises, mon tan t du garage qui se trouvai t au bas de la dune, et que des
tamaris cachaien t aux regards de Dominique.
Dominique, le cœur battant, r egarda it celle mai~o n sc r an imer, et cela avec autant d'anxi été joyeuse
qu 'elle rega rdait, j ;ldis, bouger c t se lever, le rideau
l'Ouge d 'un théâtre.
L'une après l'aulrcs, les f nêtre du premier éta ge ,
puis celles du secon d, s'ouvrirent, ct la fa ça de morte
de la mai on sc mit à vivre .
. Après tant de jours som bres, cha rgés de menaces,
il sem blait fi Do miniqu e voir le so leil se lever, et une
aube nouvelle luirc sur les j Ollrs qlli allai ent venir.
Mais Dominique ava it trop de bon sens pour s'abandonner lon guement au mouvement de j oie in'aionnée qui vellait de s'emparer d'elle. oudain, lui
npparut tout cc que ce lle joie avait de fragile, toul ce
�36
C'EST VOUS QUE J'ATTE NDAIS
l...
qu'avait de précaire le r êve ca ressé , san s cesse embelli
au cours des longs mois de l'hi ver qui venait de
s'écoul er ...
Ce Gérard, qu'elle avail vu quelques heures, elle
n'avail j ama is plus eu de ses nouvelles. Sans doute
avait-il oublié jusq u 'à son nom ... Quelle chance y
avait-il qu'il con sen tît il j ouer auprès d 'elle ce rôle
d'ami, d e conseiller, qu'elle lui prêlait si généreusem ent au co urs de ses longues, de ses trop longues
rêveries P
Ai nsi, elle cherchai l, presque inconsciemm ent, à
se préserver il l'avance d'une désillusion possible,
probable m ême.
« Peut-êlre qu 'il est marié P » pen sa- t-elle.
Mais il peine cet te id ée l'avail-elle effleurée, qu'elle
ressenLil ulle vraie ùouleur , - une d ouleur presque
physique - Cela lui se mblail in supportable ...
A lors, el le se leva, tr è~ pftle ; elle sc remit en ~ar
ch e, IOlll'J1 a nt le dos à la villa. UII mol avait surgi
so udain dans so n esp rit, un mol si fou, d ésig nant une
chose si impossible il cro ire, qu'elle e refusait à
l' exam iner de plus pl'l'.s. Ell e marchait com me si
elle fu yai t qu elqu e chose ...
La nuil régnait ur les Lande, Ulle nuit sa n s lune,
som bre, que d e lourd es bouffées de ve n t tiède parcourai ent com m e des fri ssons.
Le somm eil avai t fui ])omin iqu e. Le sil ence et la
so litud e de sa. chambre lui élaietJll devellues intolérables. La d éco u ve rte qll' el le vellait de faire la bouleversa i t encore.
Elle Ollvrit ses volets. Le vellt Li l-de s'engouffra
ùans la chambre, fit palpiter un momenl le <'C1'de
d'or de la lam pe. ])ominique fri ssonn a, serru ontrc
ell e le pli s d e a robe d e chambre, cL s'approcha
du balcolI,
�C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1.. .
37
Elle po ait à la nuil, aux arbres qui gémissaient,
aux chaudes bouffées du vent, la question éternelle :
- Est-ce cela aimer P Esl-ce que j 'a ime ccl inconnu ? )J
Mais tout en elle protes tait contre ce nom d' « inconnu )J •• • Gérard 1 Elle le connaissait bien 1. .. Elle
s'apercevait avec une sorte d'épouvante, où se mêlait du bonheur, que, depui s tant de moi s, il n'y
avait pas eu une heure de sa vie à laquelle ne soit
mêlé le souvenir de cet étrange garçon, qui n'avait
qu'à vous regarder pour que vous lui parliez comme
à un ami de toujours .. .
- Est-ce cela aimer P Je me souviens à peine de
son vi sage 1
Mai s son regard, my stérieux et profond, ne l'avait
pas quittée.
- Est-ce cela aimer ? Je ne sais rien de lui P
Mais elle savait qu'il avait la voix douce et prenante, qu'auprès de lui il n'y avait plus rien à craindre des choses ni des gens.
- Est-cc ela aimer P
Alors, comme une répon se , une lumi ère lointaine
s'alluma, brilla entre les bran ches. Une fen être s'éclairait fi « Océania )J, ct, vers elle, Dominique cut
un mouvement d'élarn si so udain, si total, si irraionné qu'elle comprit combien sa question était maintcnunt vaine.
Elle lai ssa tomber son visage sur son bras nu, et
les larmes qu 'e lle versa ulors élaient, elle le sonlait
vaguem ent, les larmes où se mêlaient la joie et la
douleur qui allaient emplir les j ours merveilleusement nouveaux dont J'aube s'ouvrait devant elle .. .
�38
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1. ..
CHAPITRE IV
LE RETOUR DE GÉRARD ARLAND
A lravers les vol e ts mal clos, la flèche d'or du soleil levant entra dans la chambre de Dominique. La
tache lumineuse rampa un momenl sur le lapis, puis
sauta sur le lit, comme une bête frrmi]ière qui veut
!'<e faire caresser, sembla hésiter un moment, effleura
enfin d'une liède caresse le visage de Iii jeune fille
endormie. Dominique ouvrit loul grands les yeux,
puis les referma, éblouie .
Mais, presque au ssitôl, le souvenir de loul ce qui
s'éta it passé la veille lui revinl d'un seul coup, cl,
déGnilivemeilll réveillée, elle saula hors du lit.
Tandis qu'elle procédail il. sa loilcLLe, elle s 'efforçai t de ré umer au ssi clairemenl que possible la situalion dans lafjuclle elle allait avoir à se d ébaltre.
Son cerveau de petite française, éprise de clarté,
haïssant les situations fjlu sses , la poussait à maîtriser
pour un momenl tout cc rJlIé ses sentiments pouvaient avoir de violent, cl il. envisager froidemenl
quelle devait ôlre sa eondllite.
La situation, ponr Irag ique qu'elle pôt lui sembler, était des plus simples ... mais de celle simplicité
cruelle qui donne tanl Je pl'ofondes résonnances aux
tragédies c1a ss ifj ues.
Son grand-père el son frère voulaielll la marier à
un homme qu'elle n'aimait pas, qu'elle savait bien
ne jamais pOllvoir aimer;:\ un homme qu'elle sc
senlait prêle à llaïr cl Il m épl'.iser, s 'il s'obstilJait avec
celle impudence il u Ile pours uite qu'elle j IIgeait inj urieuse.
�a'EsT
vous
QUE J'ATTENDAIS
1...
39
D'autre part, ce rêve d'amitié si longtemps caressé,
venait de s'écrouler, brutalement anéiwti par cette
découverte ex.traordinaire : elle aimait Gérard . ..
Ainsi, celui qu'elle s'était obstinée à considérer comme le camarade intelligent et fort auquel elle pouvail demander aide el conscil, devenait celui auquel,
précisément, elle ne devait plus s'adresser pour rien
de semblable.
Car, passé le premier choc de sa découverte, Dominique avait coul'ageusemeJlt pris le seul parli qu'elle
jugeait sage et digne : elle ne reverrait pas Gérard,
ou, si le hasard les remettait en présence, elle saurait bien lui faire comprendre qu'ils devaient suivre
chnclJln leur voie.
Et peut-être - c'était une idée qui serrait le coeur
frr.gile de Dominique, - peut-être qu'elle n'aurait
rien à faire compl'cndre du tout.. . peut-être qu'elle
était entièrcment sortie de l'esprit et du souvenir de
Gérard, peut-être qu'il passera il à côté d'elle sans la
reconnaître ... El ù celle idée, qui eûl dû la soulager,
Dominique senLait son ûme s'attrister ... Tragiques
inconséquences de l'amour 1
Ainsi, elle demeurait seule, tellement plus seule
qu'avant, lorsqu'un espoir frêle mais charmant la
Soutenait ct lui donnait du courage, en face de la
lutte ft soutellir contre les forces coalisées de sa famille et du docteur Vianne.
Eh Lien 1 celle lulle, elle la soutiendrait... et
peut-être lrouverait-elle dans les péripéties du combat
qu'elle allait livrer, le dérivatif i1 la lutle autrement
cruelle et sourde, qu'elle aurait Il soutenir conlre ellemême ...
EL puis, le8 anllées passeraienl, ct, av(){; elles, snns
doute, viendraient l'oubli, J'nraisement. ..
Dominique se voyait « vieille IWe », dans ce manoir qu'elle aimail et.haïsi~
à la fois, dont les murs
�40
O'EST
vous
QUE "ATTENDAIS
1. ..
épais empri onneraient définitivement toutes les ardeurs de a jeune ' e, et tous ce élan ' fous vers le
honheur ct III liberté qui lui laisaient parfois bondir
le cœur dans la poitrne ...
Lor qu'elle quilla sa chambre ct de cendit déjeuner, clic avait sur le vi age un ma que impassible
c t presque dur, le masque même, pen nit-elle, qui
devait ··tre elui qu'elle garderait jusqu'à la mort,
omme une uira se contre tout ce que la vie il de
douloureux cL de cruel.
Mais, ces fermes et définitives résolutions, une j eune mie peut bien les prendre avec sincérité en une
heure de cri e morale ... combien de temps pourra- tclic les tenir ?
Le arguments ne tardèrent pas à affluer à l'e prit
de Dominique, pOUl' la convaincre que, sans manquer fi rien ;1 la parole qu'elle s'étaiL donnée, elle
pouvai t t bien ri quer une promenade vers la plage.
D'abord, il n'étaiL pas sûr du tout qu'clio fît aussitôt la rencontre de Gérard.
« Et pui s, e dit-elle, ne vaudrait-il pas mieux que
celle remontre ait lieu, et le plu s tôt po ible ? Ln
situation se rail ain si r'glée IIne foi pour toutes, ct
rien n'est plu~
doulourellx qu'une . itttation fau sse ...
El, ou sitôt terminé le déjellner, elle prit ]a route
de la plage, - celle route uivie tant ct tant de roi s,
et III veille nrore, - rt qu'elle r'conai
s~n
it ù peine.
Cc JI 'é lait plus la même :lllle qu'clio promenaiL à
traver les pill s tordus t les gen~t
d'or : en une
nuit, il lui semblait qu'elle avait mûri, t qu'clIc
promenait \Ir les choses un regard différent de
celui qu'Ile avait ln veille.
r-omm tout étnit grave, autour d'elle 1 Et quel
pe~alt
farù au qu'un amour que l'on ondamne à
mort. ..
Elle n'avait emporté ni livre ni ouvrage: II lui
�C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
Il
semblait qu'elle avait assez à faire à lire dans son
Coeur pour s'occuper ...
Elle franchit la dune, puis, au lieu de redescendre
vers la plage, elle se mil à errer sur le flanc sa blon lI1eux de la petite colline. Des herbes courtes, du
thym odorant, plongeaient leurs racines solides dans
le sable mouvant , et contribuaient à le fixer.
Elle avançait in sensiblement vers un point qu'elle
connaissai t bien. Le Iai sail-elle exprès P Ou était-ce
l'habitude seule qui dirigeait ses pas P Eût-elle pu,
'elle-même, répondre à celle question P
Toujours est-il qu'elle parvint en un point d'où
elle pouvait voir la lerrasse de la villa Océania.
Mais ce ne fut pas du côté de la villa qu'elle lourna
d'abord les yeux . Longlemps, elle Lint so n regard
fixé sur l'Océa n lumineux et glauque qui se gonflait
devant elle, jetait sur la plage une longue vague
frangée d'écume, et se contractait comme une bête.
Puis, l'éternel mouvement recommençait.
Enfin, presque malgré elle, elle tourna la tête, el,
appuyée d'une main à un tamaris, l'autre main retenant sa robe que le vent fai sait palpiter comme
Une aile, elle jeta les yeux sur lu terra sse d 'OcéllOia.
Elle dut se maîtri ser pour ne pas pousser le cri
qui lui monta spontanément aux lèvres.
Là, à quelque villgt mètres d'elle, elle vit, étendu
SUr une chaise-longue, Gérard Arland.
D'où elle était, di ssimulée par les branches basses
des tamaris et par le pelit mur qui bordait la terrasse, Gérard ne pouvait l'apercevo ir. Mais elle contemplait, le cœur ballant, les maim tremblantes, le
Spectacle qui s'offrait à elle.
Gérard était pâle, maigre ; ses jambes allongées
étaient enveloppées dons des châles. Il tenait un livre
dans ses main s d6charnées et lisait en prenrunt des
notes.
�1
42
O'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
Une bouffée de vent enleva la page sur laquelle il
écrivait. Elle vinl se poser, comme un papillon blarnc,
sur le sol, il quelques mètres de lui. Et Dominique
eut la douloureuse surprise de le voir tcndre le I;Jras,
agiter une clochette qui se Lrouvait sur une petite
table près de lui ; il demanda au ùomestique accouru
de ramasser le papier.
Alors Dominique comprit qu'il ne pouvait plus
bouger, qu'un mal mystérieux, ou un terrible accident, avait fait de ce garçon qu'elle avait vu si vivant, si lesle, si plein de grâce en ses mouvements,
obligé d'avoir recours à un domestique
cet ~nfirme,
pour ramasser un morceau de papier ...
Dominique demeura longtemps dans sa cachette.
Un flot de pensées l'envahissait, tourbillonnait dans
sa tête .
... Gérard 1 Le héros de Lant de rêves naïfs, celui
qu'elle imaginait, hier encore, qu'elle voyait, courant
su r la plagc, venant à elle avec son inoubliable sourire, Gérard, celui qu'elle avait appelé Lout bas aux
heures pénibles, celui donL le nom seul lui rendait
coumge, parce qu'elle en faisait un symbole de force
eL de protection, Gérard éLait là, infirme, immobilillé,
à quelques pas d'elle ...
Et si Dominique avait encore pu avoir quelque
doute sur le sentiment qu'elle portail, dans le secrcl de son coeur, pour le jeune homme qui, le premier, avait su lui parler comme un ami, ]'émotion
profonde qu'elle ressentait on ce moment eut suffi ù
l'éc~aire.
Sa gorge sc serrait, ses yeux se mouillaient de larmes. Tout ce CJue sa nalure sensible avait de capacité d 'aLlenùrissemen t se traduisait par l'émotion inLense qu'elle éprouvait.
Elle euL voulu se pÛ'Dcher vers ce visage que la
souffrance avait marqué, toucher ces mains maigre~
�C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1. •.
43
qui tournaient les feuillets du livre, rendre, enfin, à
Gérard, tous les services' que rendait ce domestique
stylé, mais indifférent.
Mais une barrière était entre eux - ÎJnfranchissable. Celle que dressaient les sentiments eux-mêmes
de Dominique, sentiments qui, inavoués, l'empêcheraient toujours de sc présenter devant Gérard, et sentiments qu'elle n'avouerait jamais à personne, elle
s'en était fait le serment.. .
Bientôt, Gérard ferma son livre, le posa sur la
table à côté de lui. Son regard flotta, vague, autour
de lui, ct Dominique crut qu'il allait la voir. Elle
pâlit. Elle pensa à la honte affreuse qu'elle aurait,
s'il allait l'appeler, lui faire signe ...
Mais le regard de Gérard passa sur elle avec la
même indifférence, la même lassitude, que sur les
arbres raùougl'is de la dune, ou le ciel nuageux.
11 passa une main sur son Iron t, eut un frisson et,
de nouveau, agita la clochetle.
Au domestique au sitôt apparu, il fit un signe; et
l'homme, poussant d'un geste machinal la chaiselongue sur laquelle le malade était étendu, l'emmena
derrière la maison .
Ce départ soudain arracha Dominique au monde
de sentiments et d'idées auxquels elle s'abandonnait
depuis un temps don telle 111 'avait plus conscience.
Elle pensa soudain à ce que son altitude aurait eu
d'étrange, pour quelqu'un qui, la connaissant, l'eCtt
surprise dans celle mauvaise cachelle, en train d'épier ce qui sc passai t sur la terrasse d'une villa.
Elle redescendit vers la route, regagna Quansac en
marchant lentement, inattentive à t01lt ce qui l'entourait, le cœlJ r et l'esprit obsédés du même souci.
Le soir, au dîner, son grand-père et son frère ne la
harcelèren t d'aucune de ces questions pleines de llOUSentendus désagréables qu'ils avaient coutume de poser
�44
C'EST VOUS QUE J'ATTE NDAIS
1...
sur l'emploi de ses j ourn ées. Et ce lte espèce de trêve
ne fut pourtant nullement agréable à Dominique,
parce qu'elle y vit seulement le désir, chez les deux
hommes , de ne pas la brusquer tant qu'elle n'aurilit
pas pris la décision qui leur im portait tan t.
Au res te, elle ne trouva g uère le loisir de s'appesantir sur leur attitude nouvelle; ell e n'avait plus de
pensée que pour le spectacle qui lui avait gonflé le
cœur d'un e Lell e pitié, d'un leI amour 1
Et, de nouveau, elle connut la peine affreuse de
n'avoir pas , près d'elle, un coeur ami où déverser
ce qui troublait si for t le sien 1
Le lendemain, cepend ant , revenue à une plus n ette
ŒloLion des choses, elle jugea que ce qui importait
d'abord , c'élaÏl de silvoir le m al qui avait atteint
Gérard, acciden L ou maladie, et de voir si elle ne
pouvait lui être d'aucun secours.
Mais ce que celle enquête, en apparen ce si simple,
pouvait recéler de difficultés, elle l'aperçut tout de
sui le.
Qui in lerroger il
Et comm ent justifier l'intérêt soudain qu'elle prenait à ce qui sc passa it à la villa Océarnia il
Ell e eut un mouvement de rancune contre le docleur Vianne. San s la ridicule poursui le à laquelle il
s'acharnait, ce fut à lui qu 'ell e se fût adressée, au
hasard d'une conv ersa tion, ct par cl 'habiles quesLions, pour savoir ce qu'elle d ésirait connaître.
Nul doute qu'on l'a it déjà appelé à la villa Océania pour donner ses soin s au malade.
Dominiqu e so ngea aussi à irnlerroger Noémie, la
vieill e domes tique de Quansac, qui passait, à bon
droit, p OUl' la personne la mieux renseignée du département sur les affaires d'autrui. ;Mais elle répugnait à se confier, si peu que ce Boit, à cette vieille
bavarde, dont l'imagination se donp.ait libre cours
�1...
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
45
sur la moindre question qu'on lui posait.
Un événement fortuit vint à son secoms.
L'après-midi de ce m ême jour, alors qu'elle errait,
tout absorbée, dans une aHée du parc de Quansac,
ell e vit, descen dant le perron et venant vers elle, le
docteur Vianne, la main familirrement appuyée sur
l'épaule d'Hugues.
Son premier mouvement fut de fuir; mais on l'avail déjà vue, et elle se rendil compte de ce que son
geste aurait d'inutile et de ridicule.
Elle marcha donc couragellsemeo t « Ù l'en nemi »,
et parvint à accueillir le docteur sans trop de mauvaise gràce. Son frère, qui l'observait atten tivement, en conçut quelque espoir ...
Les troi s j eunes gens sc mirent à marcher lentement côte à cô te. Ils parlaient de choses et d'autres,
avec une 'indifférence toule affectée, mai s, bien que
tous trois ai en t la même pensée, il est aisé de croire
que nul d'etntre eux n'aborda le sujet qui les préoccupait.. .
- A propos, dit souda in le docteur, est-ce que
vous connaissez les Arland, Hugues P
- Les Arland P... Allendez 1 Est-ce que ce ne
son t pas eux qui ont ach eté « Océania », sur la dune P
Des espèces d'épici er s ernrichis, je crois ...
A ee nom, le cœur de DomiJlique s'était mi s à
battre violemment dans sa poitrine. Pour di ssimuler
plus facil ement son trouble, elle lai ssa Hug ues et le
docteur prendre un peu d'avan ce SUI' elle, mais ne
s'écarta pas trop, pour ne pas perdre une syllabe de
la conversa tion qui allait s'engager, et dont chaque
mot la passionnai t.
Le docteur Vianne s'était mis à rire :
- De3 épiciers enrichis, ùit-il, vous exagérez ... Je
reconnais bien là le mépris souverain du sang des
Quan sac pour tout cc qui n'est pas « né » J Non, ce
i
�46
C'EST ,VOUS QUE J'M'TENDAIS
1...
ne sont pa des épiciers enrichis, Le père de l'Arland actuel a fait une très grosse fortune dans le
commerce des vins, ;l Bordeaux. Et son fils conlint:je
}'affaire.
- Oh 1 vous savez, qu'on vende cent mille francs
de vin ou dix sous de fromage rapé 1
Là 1 Là 1 Ne vendez-vous pas de la résine,
cher ami P
- Cc n'est pas la même chose, dit Hugues, en
rougi sant. D'abord, ce sont les fermiers qui...
- Ron, Là n'est pas la question, et vous voyez bien
que je m'amuse .. , Mais n'avez-vous pas connu Géfard Al'land, le fils du chef de l'affaire actuel P Il
a passé une grande partie de l'été dernier à Oeéania ... On Ile voyait que lui et sa bande, sur ]a plage.
- Je n'ai pas remarqué. Je fréquente très peu
la plage. Tous ces gens m'agacent. Mais c'est à Dominique qu'il faudrait demander ça ...
Les deux jeunes gens se retommèrent.
Dominique m.a rchait sur leurs talons, l'air absorbé, suçant Inucllinalemenl la Lige d'une fleur
qu'clic venait d'arracher.
- Vous n'avez jamais renconlré Gérard Arland P
demanda le docteur, heureux de faire ainsi rentrer
Dominiqllc dans la conversation.
- Gér'ard Arland P répéta-l-elle.
Elle hésita. Devai l-elIe... Puis :
- .le ne crois pas, dil-elle lra1nquillernenl. II me
semble ponrlant avoir enlendu ce nom-là ...
- Eh bien 1 pour lIivit le docteur Vianne, c'est
nn garçon absolument charmant. Je l'avais un peu
renconlré, l 'élé dernier, au hasard de parties de
tennis, mais h ier, il m'a fait appeler, et j'ai découvert un être vraiment exquis .. ,
- 11 est malade P demanda IJugues, avec une
indifférence qui n'avait rien d'affecté.
�..:"ST '.'OUS QUE J 'ATTENDAIS
l. ..
47
- II a cu un terrible llccident. ..
Le coeur de Dominique lui sembla s'arrêler de
batlre.
- " Un accident de montaglDe. Il ne m'a pas raconlé, du reste, en quelles circonstances ce malheur
lui esl arrivé. Il doil y avoir quelque mystère làdessous. Il est plein de réticences à ce sujet. Mais
il il eu les deux jambes bris6es, d'assez mauvaises
fractures. Il est resté trois mois dans le plâtre, et
ne peut encore se servir de ses jambes. Mais, dès
qu'il a pu être lrarnsporté, il s'est fait conduire ici.
11 y est seul, avec deux domestiques. Il n'a absolument pas voulu que sa mère, ni sa soeur l'accompagnenl.
- C'est un original, dit Hugues.
- NOll, je ne crois pas. Ou, s'jJ J'est, il n'a aucune
envie de paraître extraordi!llaire. Tout cela, il me
l'a raconté, brièvement, avec l'air de s'excuser de
purler de lui. Et j 'jlvoue que, d'abord, j'ai trouvé
ce goût de la soli tu de assez extraordinaire chez un
garçon aussi jeune - il ne doit pas avoir plus de
vingt-cinq ans ... Vous ne trouvez pas cela étrange,
Dominique P
Pour poser sa question, le docteur Vianne s'était retourné de nouvei\U vers la jeune fille.
Dominique tressaillit :
- Etrange P répéta-t-elle. Pourquoi j> Je ne
vois pas ce que ]e goût de la solitude a de plus
exlraordinaire ù vingt-cinq ans qu'à soixanle ...
Elle parlait machinalement, salis faire grande altention à cc qu'elle disait. L'œil exercé de Vianne
discerna aussitôt SOli trouble, sa nervosité. Il en ful
surpris.
- Vous ne semblez pas bien, dit-il fi brû!e-pourpoint. VOlùez-vou5 que nous rentrions P
Sous ce brusque assaut, Dominique rougit. Elle
�40
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1.. .
s'en voulait de n'avoir pas été capable de dissimuler
son émotion à cet homme qu'elle commençait à délesler.
- Quel excellenl médecin vous êles 1 dit-ell e, en
essayant de plaisanter. Vous voyez des malades partout... Mais poursuivez l'histoire de ce Gérard Arland. Vous ne nous avez pas encore dit pourquoi
il est un êlre si exquis ...
Vianne lui jeta un regard perçant, sous lequel elle
se senlit se troubler eL rougir encore. Puis, il contilI1ua, mais sur un autre ton, plus bref :
- Oh 1 Exquis ... Ai-je vraiment dit qu'il était exquis P C'est un peu exagéré. Il est agréable. Il a
énormément lu, PAS mal voyagé, et dans ce pays où,
il faut le dire, les choses de l'esprit sont un peu négligées, il est agréable de rencontrer quelqu'un de
ceLLe sorle. Mais de là à f!tre exquis ... Il est surtout
romanesque .. .
Ce bru que cha'n gement de ton dans les propos du
doeleur frappa Dominique, auLant que le coup d'oeil
qu'il lui avait jeté.
Elle se demanda si, par quelque hasard, Vianne
n'avait pas appris, ou deviné ... Comme à l'approche
d'un danger, elle se cuirassa d'indifférence .
Vianne, après un silence, repri t :
- Il m'a parlé, vaguement, d'une rencontre qu'il
aurait faite, je ne sais si c'est au moment de son
accident, d'une jeune fille qui, m'a-t-iJ dil, avec sa
fa{'on de parler un peu précieu se, symbolisait pour
lui lout le charme et toute la poésie du monde ...
'implement ... Il a été extrêmement di scret, naturellement, et je n'ai pas voulu trop l'inlerroger. Mais,
figurez-vou s, Dominique - voyez ce que c'est que
Il'avoir qu'une personne dans la tête tout ce
qu'il m'a dit se rapportant ù sa myslérieuse inconnue, je le rapportais Il vous et je m'imagine
�C 'BST VOUS QUB J'ATTENDAIS
1...
que celle jeune fille devait vous ressembler ... Vous
ne trouvez pas cela drôle ?
Dominique gardait obstinément la tête baissée.
Elle savait que Vianne la regardait et elle évitait
ses yeux trop clairvoyrunts qui semblaient lire en
elle.
Hugues prit la dernière phrase du docteur comme
une galanterie plus ou moins spirituelle de Vianne
pour Dominique. Il regarda sa sœur, pour voir comment elle y répondrait.
Mais Dominique avait retrouvé tout son calme :
elle se trouvait en présence d'um danger. Elle y fit
face courageusement, parce que les propos de Vianne
fai saient naître dans son cœur un grand espoir, encore informulé mais qui suffisait à lui donper tou·
les les vaillances.
- {Pourquoi voulez-vous donc qu'elle me ressemble j> demanda-t-elle, levant la tête et regardian t les
deux hommes d'un air calme et riant. La subtilité
ne vous va guère, docteur Vianne ...
Les trois jeunes gens, silencieux, regagnèrent le
manoir.
Mais il semblait à Dominique que l'aube qui venait dc se lever en elle .n'aurait point de soir.
CHAPITRE Y
DEUX VISITES
Monsieur ferait mieux d'aller sur la terrasse ...
a du soleil... Tandis que rester toujours enfermé, cc n'était pas la peine de venir au bord de la
mer ...
- Tu as raison, Jean . .Mais il me semble que sur
-
ny
�50
C'EST VOUS QUE J 'AT1HNDAlS
1.. .
la terra se je m'enuuie encore plus que dans ma
chambre ... Et puis, je vois les gens qui commencent
il arriver sur la plage, et j'ai encore plus de regrets de ll1e pouvoir y aller ...
- Monsieur me permeUra de lui rappeler respectueu ement que c'est exactement ce qu'avait dit la
mère do Monsieur . .. Et je rappelle il Monsieur que
j 'é tais exactement dt! ce t avis. Personne n'u compris cc qui poussai t Monsieur il venir ici dans ces
condi liOJl de solitude ...
Gérard Arland ne répondit pas. Jl s'absorba un
moment daus la contemplation de la mer ensoleillée,
v ioleLte, qui s' éteudai t sous ses fenêtres :
- Allons, pou e-moi jusqu'il la terrasse, dit-il.
L'obligation où il était, il chaque inst;mt, d'avoir'
recours aux services des domestiques le mettait dans
IIll état d'irritation qui le fatiguait beaucoup. Sans
doute, ces soi ns lui auraient été moins pénibles il recevoïr, s'il s avaient été entourés de la tendresse
cl '\lIlC mère, de l'affection mêmc mouvementée cl 'UIlC
sœur.
Mais il s'était obstiné à venir seul à cc Océania ll,
comme s'il sc rendait il un mystérieux rendez-vous,
mai s il un rcndez-vous auquel on eût manqué de
parole, car, depuis dix jours maintenant qu'il était
UlTivé, il Il'avait pas reçu d'autre visite que celle du
m édccin.
Sur la terrasse, il trouva le tiède accueil du soleil,
l'cnchantement sans <:esse renouvelé de l'océan mouvant, ct cette odeur saille et fortifiallte, qui venait
<.les pi ns blessés et caressés par le soleil.
II prit un livre sur la peLite table que le domestique a vai t dressée il côLé de sa chaise-Iougue ; il le
feuilleta, puis le remit à sa place.
Ni le charme de l'heure, des parfums cl des couleurs, ni l'intérêt qu'il prenail en général il ses lee-
�C'J: ST YOUiS QUE .T'AlENDI~
1. ..
tures, ne pouvaient l'arracher à la sombre m élancolie qui semblait l'occuper.
Comme if venait de le dire, la souffrance morale
de se sentir impotent, à la merci de tout c t de tous,
était plus vive au milieu d'un spectacle plein de
vie qui s'offrait à lui, que dans la solitude silencieu se
de sa chambre.
La tête renver sée sur les coussins de sa chaise-long ue, les yeux au ciel, les bras abandonnés, il sem blail poser pour une statue de l 'ennui et du désespoir...
Ce Iut dan s celle position que le 'somme il le surprit, un sommeil léger , peu reposant, auquel l 'inaction totale de ses journées le condamnait maintenant.
Il en fut Liré par l'arrivée du médecin .
Le docteur Vianne abordait toujours son malade
avec la m~e
cordialilé un peu bourru e, qui fai sai t
dire aux paysan s landais qu'il n'était pas fi er, mais
qui irritait un peu GérarJ, habitué à d'aut res façons.
Vianne n'était pa s venu depuis plusieurs j ours, et
s'il venait aujourd'hui, c'était moin s pour s'enqu érir de l'état d'un malade à qui ses soins étai ent devenus il peu près inutiles que pour exécuter un projet qu'il avait adoplé.
La rApide conversa tion qu 'il avait eue, quelques
jours plus tôt, avec Dominique, le trouble de celleci qui n'avait pu échapper ;1 la sagaci té de son œi l
d'excellent médecin, lui avaient laissé un e impression péni ble, qu'il impor tait d' effacer au plus tôt.
Il avail parfaitemellt observé, en effet, en mOrne
temps que l'intérêt apporté par Dominique aux propos qu'il tenait sur Gérard Arland, le soiln qu'elle
mettait à di ssimuler <:et intérêt. Et il en était a rrivé
à sc demand er si la mystérieu se j eune fill e de qui
�:;2
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1. .•
Gér·e.rd l'avait entretenu n'était PilS précisément Dominique, celle qu'il s'obstinait à considérer comme
sa fiancée.
Et l'air d.e raillerie calme avec lequel la jeune fille
avait accueilli la pointe qu'il avait ri squée à ce sujet ne l'avait tranquillisé qu'à demi.
De celle sourde inquiétude était née la décision
qu'il se préparait à exécuter.
- Alors, ces pattes il s'écria-t-il en arrivant et en
serran t cordialemen t la mairn que lui tendait Gérard.
Quand vous déciderez-vous à les remuer ?
- Bah 1 dit Gérard avec un peu de découragement, je me le demande ...
- Alion s 1 allons 1 dit Vianne en rian t, ne parIons pas de cela. Vos jambes travaillent toutes seules
et je vous cerLifie que cet été nous pourrons faire
quelques promenades en forêt. ..
- Dieu vous cnLende 1
- Mais ce n'est pas le médecin qui vient vous
voir aujourd'hui. C'est l'ami ... Vous ne savez pas à
quel point le pays esL mort en ce moment, et quel
plaisir j'ai à vooir causer un peu avec vous de choses in téressa n Les ...
- Vous êtes bien aimable ... El j'avoue que moimême, il y a des moments où la solitude m'écrase
d'une fa çon pre que in tolérable ...
- Avouez que cc n'est pas un climat pour quelqu'un de votre âge ...
La conversation ainsi commClI1cée se poursuivit
quefque temps, effleurant des généralités, des lieux
communs, quelques sujets d'actualité.
Puis, après un silence, ct en observant attentivement le vi sage de Gérard, Vianne aborda le sujet
qui lui tenait ù cœur.
- Figurez-vous, mon cher ami, que j'ai trouvé
un moyen pour combatLre celte 80litude... Oh 1 un
�C'EST VOUS QUE l'ATTENDAIS
1. ..
53
moyen pas très original, je le reconnais, mais qui
n'est pas sans charme ... UIll moyen dont vous tâterez bien un jour ou }'autre ...
- Bah 1 dit Gérard qui devina. Vous vous mariez?
- Vous l'avez dit... Pas immédiatement, mais
c'est chose décidée ...
- ~h
bien 1 il me reste à vous féliciter, cher docteur ... Et est-il indiscret de vous demander quelques
détails sur ce qu'on appelait jadis : « l'objet ai·
mé» P
- Du tout, du tout... Vous savez bien qu'en pareil cas, on IllC perd pas une occasion d'aborder ce
sujet... Mais je ne crois pas que vous connaissiez
ma fiancée ... C'est une jcune fille qui habile près
d'ici, mais qui vit très retirée, très à l'écart de
tout. .. Une jeune fille que vous trouveriez sans doule très vieux jeu, mais qui, telle qu'elle est, me plaît
infiniment ...
- Quel enthousiasme 1 dit Gérard en souriant.
Mais, au fur et à mesure que le docteur parlait,
une inquiétude horrible, une anxiété qui l'agitait
nerveusemen t, envahissait le cœur de Gérard... .
Il s'efforçait de se maîtri ser, y parvenait encore,
mais voulait à tout prix sorLir de celle incertitude.
- Et peut-on savoir le nom dc, l'élue P
- Dominique de Quall1 sac.
Ce nom tomba sur Gérard avec une sonorité atroce.
Le choc fut si fort, qu'il ferma une seconde les
yeux, se sentit pâlir. Il lui fallut une énergie extraordinaire pour dire, d'une voix qui ne trembla
pas:
- En effet, c'est UIl1 nom du pays ...
Et le silence retomba.
Le docteur Vianne savait maintenant, en partie dJu
moins, ce qu'il voulait savoir : Gérard et Domini-
�1
54
C'F,ST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1. ..
que sc con naissaient, et l'U11 et l'autre voulaient tenir celle connaissa nce secrète. Qu'est-ce que celd signi fia it il ...
n parla encore un moment de ses projets, du caracLère de Dom inique, avec une eruau té ù demiconS<'icn te, mais ' Gérard, Vi siblement, n 'é tait plus à
la conversation . Il ne r éponda it plus que par monos)' lIabes.
- Allons, je' vous laisse, dit Vianne avec un bon
sourire. Vous semblez un peu fati gué, et je ne veux
pa que l'ami détruise le bien que le m édecin peut
faire ...
Les deux hommes se serrhent cordialement la
main ...
Demeuré seul, Gérard passa sur son front une
main tremblan le ...
Dominique de Quansac
Ce nom qu'il ava it si souvent murmuré comme
ccl IIi du symbole même du bonheur de sa vie, c'était la premiûre foi s qu'il l 'entendait prononcer ù
haute voix , depuis la lointaine présentation sur la
pl age ...
Absurde, il avait été absurde ...
II n'uvait pas défendu son bonheur ... Il s'était stupiclemcn t endormi dans une confiance absurde, dams
ulle sorte de superstition ridicule. Pendant des moi s,
d'abord, il avait écar té de lui le souvenir exLraordinai remen L charmarn L ùe celte soirée improvisée dans
le sa lon de sa villa. Il jugeait l'émotion que ce souve nir lui procurait, absolument ridicule: ~st-ce
qu' un e jeune fille avec qui l'on a causé quelques
he nres 1'11 tont, pent normnlement prendre urne place
importallle ùans votre vic il
Et il s'était ado nn é avec plus de fou gue encore
t'luc d e coutume aux plai sirs de son âge, aux sports
dont la violen l'e avait jusqu 'alors meublé sa vie, aux
�C'EST VOUS QUE J 'ATTENDAIS
1. ..
55
flirts légers et sans conséquence qui oecupen t les
vides d'une vie en apparence acLive ...
Il avait fallu, pour lui ouvrir les yeux, le choc
moral et phy sique que lui avait causé snn acdden t,
les circonstances stupides de cet acciden t, auquel il
ne pouvait songer sans rougir.
Il se revoyait dans la neige, souffranL à hurler de
ses jambes à demi-écrasées , et le seul mol qui venait à ses lèvres, (avait été le nom de Dominique,
comme si la jeune fille lointaine, à peine cn trevue,
avait été mainLenant la seule capable au monde d 'a paiser le mal qui le torLurait.. .
Et puis, ç'avait été la hantise de se retrouver seul
dans ce salon d'« Océania », qui prenait soudain
pour lui LouLe la valeur d'un symbole .. . Dans son
cerveau troublé par la douleur, au long des lluils
sans sommeil, des jours vides, le visage et les propos de Dominique, retouchés, embellis pDr loules les
puissances du rêve, lui avai en t apporlé espoir et consolation. ,El c'élait vers Dominique qu'il avait voulu
revenir, blessé , comme vers un refuge.
Il n'avait cependanL, à son arrivée à « Océunia )J,
faiL fa.ire aucune démarche en vue de retrouver Dominique, de l'amener à la villa. Il l'attend ait, avcc
la belle confiance de sa jeunesse qui jusqu'alors, lui
avaiL appris que « Lout s'I\rrangeait ».
Mais, jour après jour, Havait atLendu en ni n.
]1 était s ûr que Dominique connaissait SOli re Lour.
Dans unc aussi petite ilggloméraLion, l'arrivée sin gulière d'un blessé porLé Sur une civière Ile passe
pas inaperçue.
Pourquoi ne parai ssait-elle pas ?
Dans son cerveau que les lectures ne parvenaient
pas ù occuper et relenir, il avaiL tourné et retourné
toules les rai sons qlli pouvaient ernp~ch
Dominique
de venir ...
�56
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
Peut-être n'osait-elle pas P Mais il était sÛr qu'elle
avait été aussi sensible que lui à l'atmosphère de
confiante amitié qui ll.Vait baigné leur unique rencontre.
Peut-être le lui avait-oo défendu P Mais il pensait
assez connaître le caractère de la jeooe fille pour savoir qu'elle n'accepterait pas facilement de se soumettre à un ordre qui la priverait d'une chose à
laquelle elle eut cru avoir droit légitimement ...
Mais, pas une fois, même aux heures de doute,
alors qu'il allait jusqu'à imaginer, pour expliquer
l'absence de celle qu'il appelait « son amie », une
grave maladie, peut-être pis encore, pas ooe fois ne
lui vint à l'esprit la pensée que Dominique eût pu
disposer de son cœur ...
C'est pourquoi le coup que venait de lui asséner
le docteur Vianne lui avait été particulièrement douloureux. Et, malgré l'empire qu'il Avait coutume
d'exercer sur lui, il n'avait pas été maître de dissimuler à Vianne l'extraordinaire émotion qui s'était
cm,!?arée de lui.
Sa vie, cl 'un scul coup, lui semblait vidée de tout
intérêt. Que pouvait lui faire ce solcil P Et la beauté
de l'ombre violette que projetait la dune P Que pouvait lui faire, même, cclte guérison, après laquelle
il avait tan t soupiré 1
Il avait vécu tous ces jours comme on vit l'aube
splendide d'une belle journée ...
Et maintenall1t, c'était déjà le soir ...
Pour lui, il n 'y aurait jamais de belle journée .. .
Malgré le soleil encore chaud qui le baignait de
ses rayons, il frissonna comme sous une bise glacée.
- Dominique 1 murmura-t-il, les yeux clos ...
- Gérard 1
Il ouvrit brusquement les yeux.
�C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
l...
57
S'était-il endormi ? Quelle voix, dans son sommeil, était venue l'appeler, avec les accents mêmes
qu.'il prêtait, dans ses rêveries, à Dominique ?
- Gérard 1
Le jeune homme tressaillit.
Celte fois, il n'en pouvait plus douter, quelqu'un
venait de prononcer son lI1om... Cela venait des tamaris qui, sur un côté, bordaient la terrasse ...
Et soudain, avec un doux bruissement de feuillage remué, les tamaris s'écartèrent, inclinèrent leurs
souples bTanches flexibles.
Contre le mur bas de la terrasse, Dominique apparut, un sourire un peu forcé sur les lèvres, qui
cachai t mal l'émoi où la mettait la démarche si osée
qu'elle risquait.
- Dominique 1 dit Gérard, bouleversé.
- On peut entrer P demanda la jeune fille.
Et comme G6rard', interdit, ne répondait pas tout
de suite, Dominique, souplemen t, franchit la petite
barrière de pierre, et s'avança ve.rs lui.
Tandis qu'elle approchait, un monde de pensées
tourbillonnaiL dans le cerveau' de Gérard.
qu'il avait
Après le mouvement de joie efr~yant
eue en voyant se réaliser de façon miraculeuse, et
au moment même où il avait désespéré, le rêve caressé pendant de si longs jours, une amertume douloureuse s'était emparée de lui.
L'apparition de Dominique ne lui eausaÎl plus aucune joie, lui paraissait vidée de Lous les espoirs
dont il l'avait onrichie.
Elle venait, sans doute, lui annoncer ses fiançailles ; le docteur Vianne avait dô parler de lui el
elle avait certainement raconté cetle vi site impromptu de l'année dernière qu'il avait mis tant de
soin à cacher.
Pourquoi eOL-elle, en effet, caché cela P Quelle va-
�58
C'EST VOUS QUE J'ATTBNDAIS
J. .•
leur avaien t eu, pour elle, ces quelques heures qui
avaient suffi à Lran formel' la vie de Gérard Y•.•
Toutes ces pensées sillonnèrent l'espriL du pauvre
garçon avec une vitesse eL une violence éLrangemen t
douloureuses . Et lorsque Domin ique fut devant lui,
ct lui tendit la main d'un mouvement que la timi·
dité rendait un peu bmsque, le cœur de Gérard ne
contena it plus que de l'amertume.
Une minute , to ute une ]omg ue minute, ils l'es·
li~rent
à sc regarder; chacun d'eux eût voulu savou·
rer dans la joie l'instant si passionnément désiré de
cc retour.
Mais alors que les yeux de Dominique ne reflé·
tai ent que l'espoir, l 'a ttente du miracle, le regaTd de
ClIT'arc! s'assombrit.
Il détourna les yeux, indiqua le fauteuil que le
docteur Vianne avait quitté quelques instants plus
tô t, ct, d'une voix qu'il s'efforçait de rendre en·
j ouée :
Asseyez-voll s, je vous en prie et excusez·moi
de '"ous recevoir dan s ces conditons ...
Le CŒUJ' de DomiInlque se serra.
Salis qu'elle put sc l'expliquer clairement, elle sen.
lait qu 'une a tmosphère d'étrange hostilité l'accueil.
lait. La j oie qui l'avait soulevée d epuis le moment
où cli c avait pris la d écision d'e celle visiLe, tomba
d'un sc u] coup.
Sans mol dirc, elle s'assit en face de Gérard.
Celui-ci comprit qu'il fallait ù LouL prix éviter de
] Hi~s('r
le sil ence s'ôLa b]i r : la situation, de gênante,
fuL deven ue fr an clt cmell L douloureu se ,
- Je lIis heureux oc vous voir, dit·il. C'est gentil Ù "om de n'avo ir pas oubli6 un ami que vous
connaissez i pell ...
Sa voix avai t eu un rtra nge fl échissem ent en pro.
nonçanL cc mol: l( ami Il.
�C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1. ..
59
.Te ne suis guère aocablé de visites, poursuivitil, c'est vous dire toute la valeur que j'atlaehe à
la vôtre ...
- Il Y a long temps que j e' voulais venir, dit Dominique. Je n'osais pas. Je ne m 'y suis décidée
qu 'aujourd 'hui, et aussitôt j e suis venue ...
Sa respiratiop était oppressée, et elle parlait vite.
« Pourquoi ruser, pensait-elle, pourquoi ne pas
tout dire P Y a-t-il une prudence il garder P une modes tie, une réserve à observer P Pourquoi P ,Elle sent
en elle une telle force ...
- Une fois, poursuit-elle, je suis venue jusquelà ... - et ell e indique les tamaris derrière lesquels
elle a observé Gérard - mais j e n al pas osé aller
plus loin. M,l.Îs aujourd'hui, cela m'a paru très facile ...
Elle regarde Gérard fixemen t.
Elle attend. Une prière muelLe gonfle son coeur :
qu'il comprenne, mon Dieu 1 qu'il comprenne ...
Qu'il ne lui lai sse pas lout faire .. . Qu'il lui facilite
la folle démarche qu'elle entreprend 1. ..
Mais Gérard, une fois encore, détourne son re··
gard :
- Je me demande cc qui vous relenait, dit-il
d'une voix neutre. Je ne vous croyais pas tellement
timide ... Visiler les malades, cela fai l partie des œuVres pies...
- La première foi s que j e sui s venue, je ne savais pas que vous étiez malade ... Gérard.
C'est la seconde fois qu'eJle prononce cc prénom.
Il lui est monté si naturellemen t aux lèvres, que Gérard ne peut s'empt.x:her de tressaillir. Il relrouve
l'acce nt de la voix mystérieuse et chè:re qui l'appelait
de derrière les tamari s...
~
Alors pourfIuoi n'êtes-vous pas venue jusqu'à
moi? demande-L-il un peu âprement.
�60
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
Mais c'est au tour de Dominique de se taire.
Il ne veut pas comprendre, elle le soot. Il ne
dira pas un mot pour l'aider. Tout est perdu ... Son
cœur est gonflé de regrets, d 'humiliations aussi. Estce que vraiment tout est perdu ?
Et la voix de Gérard s'élève de nouveau :
« Mais ma question est peut-être indiscrète ... Peutêtre avez-vous de bonnes raisons pour ne plus rendre
visite à un jeune homme seul...
Son rire s'élève, un peu grinçant ; Dominique le
regarde avec une surprise presque douloureuse. Que
veùl-il dire ? Pourquoi ce ton ? Pourquoi ce rire ?
- Des raisons ?.. dit-elle.
- Allons, parlons d'autre chose, dit Gérard sèchement.
Car maintenant, l'amertume en lui sc changeait en
une douloureu se irritation. Quoi 1 Il fai sait tout ce
qu'il pouvait pour engager Dominique à lui annoncer ses fbnçailles, pour l'amener à préciser d'ellemême ce que devai ent être leurs relations, et elle se
taisait. Elle ne voulait rien dire ...
- Si je ne savais rien, pensa it Gérard, comme
cetle vi si le me co mblerait de joie 1 Comme chacun de
ses mots eut été doux à mon cœur 1...
Mai s maintenant, tout cela lui apparaissait comme
empoisonné par la nouvelle que lui avait annoncée
le doe lellf Viann e. Et il se félicitait d'une révélation
qui le préservait du grand péril de s'engager plus
avant dan s des se ntimenls auxquels il n'élait que trop
di sposé. .. Et en même temps, une iJJ1dignation le
prenai t con lre l'alti tude ct le mutisme de Dominique, qu'il jugea it lâche , peut-être coquette.
11 fit encore un effort.
- Je pen e que c'est le docteur Vianne qui vous
Il l'en seignée sur mon éLa t P 11 est au courant de
votre vi site, natw'ellement P
�C'ÉST
\Tous
QUE J'ATTENDAIS
1...
61 •
En enlendant Gérard prononcer le nom du docteur Vianne, une vive rougeur avait envahi le front
et les joues de Dominique - rougeur qui n'échappa
pas à Gérard, et lui confirma ce qu'il savait d éjà.
- Je voi s très peu le docteur Vianne, balbutia-telle. Il m'a parlé de vous, c'est exact, de volre accidenl. .. mais ma visile n'a rien à voir avec lui. . . Je
n'ai aucun comple à lui rendre.
Celle fois, c'est l'indignation qui domine chez
Gérard. Dominique, pense-t-il, vient de menlir.
Quel double jeu veut-elle donc jouer avec lui P
- Je ne vous demande pas de confidCi/1ces, dit-il.
Le silence, un silence hostile, lourd de détresse,
retombe enlre les deux jeunes gens. Dominique sent
son cœur se gonfler à éclater ... Des larmes montent
à ses yeux .
Elle avait tout envisagé, avant de faire celte visite si audacieuse, et même que Gérard ne la reconnût pas ... Mais cela, l'hostilité manifeste de Gérard,
Son inexplicable brutalité, non, elle ne l'avait pas
imaginé.
Un dernier espoir la poussa à dire :
- Vous êtes nerveux, ce soir ... Vous êtes peut-être
fatigué... Voul ez-vous que je me retire P
- Mais non. Reslez, je vous en prie. N'ai-je pas
dit que j'étais content de vous voir P
Il dit ces mots si sèchement, avec tant de rancoeur dans la voix, que Dominique lI1'y put plus tenir. Les sanglots qu'elle mailri sait avec peine depuis
un moment, l'étouffèrent brusquemenl. Elle se ntit
les larmes inonder ses yeux.
Et pour s'cviter, au moins, la honte suprême de
montrer sa douleur à celui qui la causait, elle s'enfuit sans un mot, sans se relourner ...
Cc brusque départ stupéfia Gérard, mais il ne fit
pas un geste !lou r ]a retenir. Il suivit sa course des
�62
C'EST VOUS QUE J'ATTE NUA IS
1. ..
ye ux, il travers les tamaris qui se refermaient sur son
passage, comme pour effacer ses traces.
Et lorsqu'il ne vit, qu'il n'entendit plus rien, il
sonna.
- Aidez-moi à rentrer, dit-il au domestique accouru. J'ai froid ... J'ai affreusement froidi.
CHAPITRE ,VI
GRAl'ID ' pÈnE
ET
PETITE-FILLE
- Enfin, qu'est-ce que peut avoir Dominique
demanda, pour la dixième foi s depuis le matin, )\1.
de Quansac.
- Mais, grand 'père, répondit Hu gues , que voulez-vous que je vous dise ... Vous la connaissez comme moi. .. Elle a une crise de bouderie, voilà toul.
- Enfin, il n 'est rien arrivé de spécial, hier jl
- Mais non. Elle esl sor lie dans l'après-midi. A
so n retour, elle s'es t enfermée dan s sa chambre, en
disan l qu'elle avait la migra i1ne ... .Et maintenant, elle
demande à Noémie de lui mon ler deux œufs sur le
plat, en disan t qu'elle ne veut pas descendre déjeuner.
C'esl inadmissible ... Après le déj euner, je vais
monter lui parler ... Il faul qu'elle prenne une décision. Elle n'a Mjà que [l'Op aLlcndu ... ~nfi,
que
peul-ell e reprocher à ,Vianne il
Hug ues haussa les épa ules, 00 signe d'ignorance.
- Vous savez, tout ce qui peut lui passer par la
t ~te,
c'est inim ag in able 1...
Aussi/ôt que le déjeuner Illt tcrminé, Mon sieur
de Quansac fi l comme il l'avait dit, el mon ta chez
Dominique. Ellc lui ouvrit sa porte sans difficulté.
Mais Monsie uJ' de QUil[)SaC n'osa pas commencer aus-
�C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1. ..
G3
sitôt 1/1 violente philippique qu'il avait préparée, tant
le visage boursouflé de larmes de sa petite-fine le
peina.
Pour la première fois depuis bien longtemps,
peut-être des années, un mouvement de tendresse
presque palernel le poussa vers sa petite-fille.
- Dom, dit-il, reprenant Je nom qu'il lui donnait
quand elle était petite fille, qu'est-ce que tu as P
D'un élan spontan \ dont elle ne fut pas maîtresse,
Dominique se jeta {'on Ire la poitrine de ~on
grandl'ère, lui passa les bras autour du cou, et se mil 11
pleure!' salfls retenue.
Le vieillard demeura stupéfait de l'impétuosité de
ce chagrin. Contre lui, il sentait le corps abandonné
de sa petite-fille, trembler et tressaillir sous l'effort
des sanglots. Tl ~éplait
machinalement :
- Dom ... Dom ... ma petite Dominique 1
Et i l caressait doucement les cheveux qui effleuraient son visage.
En même temps, il se lai~gt
envahir par une pensée cruelle : avait-il vraiment fait son devoir envers
da petite-fl1le ~ Pour qu'elle en arrivrll, sans qu'il se
soit douté de rien, ft de telles crises de cltagr-in, il
ral lait qu'elle nit eu toute une vie secrrte, profonde,
fJui lui avait lotalement é<'happé. Pour la première
fois, un doute rrflcmu la cOllscience du vieillard ;
devant les larmes impétuellscs de ga prtite-fillr, de
celle pour qui il eû t dû être il la fois lin père el
IIDe mère, il se disait qu'il était sans uoute eOllpable.
Cependant, les sAnglots de Dominirll,e s'apaisaient
peu à peu.
Comme confuse dll mouvement auquel elle s'élait
laissée aller, et lJlli, pensait-elic, :lvnil dû horri],leIllent choquer son gl"a nd-père, toujours si ~nlemi
de
l'abandon et des manifeslatiom extérieures des sen-
/
�64
C'EST VOUS QUE l'ATTENDAIS
1. ..
timents, elle s'&:arta de lui, revint à son lit, et coutinua à pleurer doucement, les yeux dans wn mou·
choir.
Mais Monsieur de Quansac avait été trop bo.lleversé par ce qu'il venait de voir, par ce qu'i. avait cru
deyiner, pour permettre à sa petite-fille de ~'en
f er
mer de nouveau dans son mutisme. Son caractère,
qui était, au fond, plein de noblesse , le poussa aussitôt à s'accuser.
- Mon petit, dit-il, je t'avouerai franchement que
j'étais venu ici tout spécialement pour te faire de
vives remontrances, et te prier de te décider sur un
sujet ... que tu devines ... Mais après ce que je vois,
il ne s'agit plus de reproches ni de blâmes, et je te
demande simplement d'avoir confiance en moi, et
de me parler comme si tu parlais .. . à ta maman ...
Dominique leva les yeux et regarda son grand-père
li \ cc surprise.
Rien al 'aurait pu la toucher davan Lage, en ce moment, que l'évocation de celle mère, trop peu connue, dont l'assistance lui eût élé d'un tel secours
dans le drame au milieu duquel elle sc débattait,
wlitaire. Et que Monsieur de Quansac eût justement
~ongé
à lui parler de sa mère, l'émouvaiL profolldément, lui faisait ~oudain
concevoir l'espoir de trouver un roeur tendre, capable de la comprendre e l à
qui elle pût se oonfler.
Mais cela ne dura en elle qu'un moment.
Trop longtemps, elle avait été accoutumée à ne
considérer son grand-père qu'avec respect : elle ne
pul croire que ce fut de ce côlé que lui vînt le secours dont elle avai t tant besoilll.
Elle fil un effort sur elle-même, et parvint à sourire à travers sel> larmes.
- Je vous demande pardon, grand-père, dit-elle,
de m'être laissée aller oomme cela devant vous ...
�C'l!BT VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
65
C'est ridicule... Mais il faut me pardonner, parce
que je suis très, très nerveuse ... C'est que j'ai beaucoup réfléchi depuis hier soir. Et j'ai pris une décision , une grave décision, qui vous fera plaisir ... Je
veux bien épouser le docteur Vianne.
En prononçant ces derniers mots, un nouveau
saJJglot lui serra la gorge et elle se remit à pleurer .
Monsieur de Quamac la regardait avee une profonde stupéfaction. Certes, ce qu'il apprenait ]e COnlblait de joie ; mais, bien qu'il eM rCflfJncé depuis
lon gtemps, à chercher à lire clans lc coeur et la
têtc de sa petite-fille, il soupçonnait qu'une
Lelle décision, prise si rapidcment après le refus si
net qu'elle avait opposé au docteur, et que celui-ci
lui ava it l'apporté avec amcrtume, cachait quelqu e
mystère.
Il se sentait ~oudain
maladroit devant Dominique,
peu habitué à noanier avec délicatesse un coeur sensible de jeune mir.
-- Voyons, v0)'ons, <lit-il d'un ton bougon. 'Ce
n'est pas sérieux, cela. C'est un coup de tête ... Je
ne veux pas cl/un mariage fail par un coup de tête.
Après tont, quoi, il n 'y a pas que le docteur Vianne
au monde ... Et si je t'ai parlé de questions financières, tu ne dois pas prendre cela au sérieux ... Que
diable, je 'n e suis pas homme à vendre ma petitefille.
Ce fut au lour de Dominique de considérer son
grand-prl'e avec surprise. Jamais il ne lui avait parlé
..IVCC ulle telle bontr . Et qu'il Ill'accueillît pas avec
joie ct empresscmo.n L la Jl ouvelle qu'elle cou scn tait ft
Cc mariage lui parut la chose la plus inilttendue du
monde.
- Allons, poursuivit le vieillard, en s'asseyant ù
CÔté de Dominique, et en lui pa ssant le brus autour
des épaules, qu'est-re qu'il y a P P Ollf'/]llOi, si tu
.,
.>
�ua
C'EST VOUS QUE J ' ATTENDAIS
1...
t'es vraiment décidée dans le sens où tu me le dis,
m'annonces-tu cela en pleurant comme une fontaine?
Tu crois que je ne sais pas voir, un peu, un tout
petit peu, ce qui se passe en toi ...
Dominique écoulait, stupéfaite, ces paroles inattendues. Un moment, l'espoir renaquit en elle. ;Elle
fut sur le point de tout dire Ù SM grand 'père, de lui
demander aide et secours, de trouver en lui l'affection
tendre qui avail manqué au développement de sa
jeunesse, car l'absence d'une affec tion semblable avai t
sans doule été la principale ca~se
' qui lui avait fait
donneI' son coeur avec tant de hâte au premier qUI
lui avail parlé avec amitié el confiance.
Mais elle chassa aussitôt celle idée.
S! elle se cOllfes ait, comme ello en avait eu la
subite envie, il lui faudrait se lancer dans tant d'explications douloureuses pour elle, que son coeur Ile
pourrait le supporler.
Et puis, ù quoi cela avanceraiL-il Y Quel aut.re résulLat cela pourrait-il avoir, que de lui faire revivre
cruellemen t les heures qu'elle venai t de passer Y de
lui enlever le courage qui lui avait été n6cessa ire pour
prendre la décision à laquelle elle s'élait arrêtée P
Elle hocha doucement la Lille :
- Non, grand-père. Vou s êtes très bon, mais je
ne peux rien vous dire ... EL puis, c'est inutile ... J'ai
(il é folle, j'ai cru en U1I1e foule de choses stup ides,
ridicules. Je me suis conduite comme uno peli le
fille ... Mai s o'est fini. Maintenant, je vois bien quo
c'ost vou s, cl Hugues, qui avez raison. Il faut être
rai so nnahlo. Et je suis devenue raisonnabl e, très raisonnahlo ...
Tandis qu'elle parlait, d'une voix dou ce, monolone, cl que les larmes qnÎ llli gonflaient la gorge faiMicnl basse ct timide, mon sieur de Quan sElc la regardait toujours, comme il ne J'avait encore jamais rc-
�C ' EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
67
gardée Son vieux coeur, que la solitude, la vie rustique, avaient rendu un peu dur j s'amollisait devant
tant de grâce fragile.
- Je me suis mal conduit avee elle, songeait-il,
et maintenant, je le puye. Voilà mon châtiment ...
J'ai perdu Sil confiance, et je n'ai plus le droit d'exiger qu'elle me dise ses secrets .•.
poussa un grand soupir :
- Mon enfant, je sais que tu me caches quelque
chose ... Tu en as le droit, cerles, car tu as pu croire
souvent que je n'avais pour toi qU'I1ll1e affection ...
assez vague. MillS, pour une chose aussi grave que
ton mariage, tu devrais tenoIlcer un peu à ta méfiance li mon égard!.
- Mais, grand-père, je n'ai pas de méfiance ...
- Quant ù lonpcceptalÎon de la demande de Vianhe, je me refuse absolurnep t il la transmettre moim~e.
Tu le velTas cet après-midi, et, si tu es toujours ùnns les mêmes sentiments, tu le mettras toimême au courant. Dieu veuille que tu ne fasses pas
une folie. Je ne m'en consolerais jam,lÎs, car je sais
que toule la responsabilité en retomberaiL sur moi ...
qui te con/lais trop lard ...
Profondément émue, Dominique mil un baiser
SUI' la main flétrie, mais Lelle encore, qui lui tenait
l'épaule. Et Monsieur .de Quansae s'en fut, pOUl' dissimuler il sa petite-fille l'émotion 011 le plcmgeuil cetle
marque inattendue de tendresse.
Lorsqu'il fut redescendu, il trouva Hugües qui l'attendait avec impatience :
- Eh bien P demanda aussitôt le jeulle homme:
mademoiselle a ses Herfs P Elle a daigné vous laisser
entrer P
- Ne parle pas comme cela de la soeur, l'épandit
Sévèrement ,Mon sieur de Quans3e. Je crois que moi,
comme toi, nous nOlis Romm08 mOlllrés très durs,
n
�Ù8
C'BST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
très incompréhensifs vis-à-vis d'elle ... Et je prie Dieu
que nous n'ayons jamais ù nous en repentir ...
Hugues fut extrêmement frappé de ces paroles de
son grand-père. ,Mais il fut loin d'cn tirer les mêmes
conclusions que ,Monsieur de Quarnsac avait tirées du
désespoir où il avait vu sa peLite-fille .
- Allons, pensa-t-il seulement, ellc est encore plus
forte que je ne le pensais .. . Voilà qu'clle a réussi à
meUre grand-père dans sa poche, main tcnrun t 1...
Cependant, enfermée dans sa chambre, Dominique
donnait à son visage des soin~
destinés à effacer les
traces qu'y avaient laissées une lluit sans sommeil
et les larmes sans fin qu'elle avait versées.
Sa résol ution élait prise, irr.évocable, pensait-elle.
Elle n '00 voulait pa:> à Gérard de la façon don l il
l'avait reçue la veille. A la réflexion, elle trouvait
cela naturel. Elle avait fait un rêve fou, un rêve
comme seule peut en concevoir une jeune fille qui
vit trop en elle-même, prisonnière de ses pensées,
comme elle l'est des murs de sa maisOlTl .
Gérard, lui, était un garçon bien vivant, qui avait
dû deviner une partie au moins de ce qui se passa it
en elle et, ù cette idée, Dominique, d'humiliation,
rougissait jusqu'à la racine des cheveux. 11 avait dû
éprouver une sorle de mépris à sou égard, el, pour
meUre fin à cetle situa Lion absurde, il l'avait traitée
durement...
Il 11 'y ,walt rien là que de très normal...
Il l'avait l'éveillée.
~le
rentrait dans le réel: ct le TlSeI, c'élait le dévouement à sa famille, l'obéissance aux nécessités de
l'existence. Son mariage avee le docteur Vianne était
jugé une bOllne chose par SOIl grand 'père, par Hugues ... Ils n'étaient pas des rêveurs, eux, des « songe-creux lI. S'ils .jugeaient cela lltile cl. hon, clic devait se soumettre : elle épouserait Je docteur Vian-
�C'EST VOUS QUE J '.<\l'TENDAlS
1. ..
69
ll1e. Et tout le resle mourrait en elle, peu à peu ...
Elle CIl 1 venait à envisager un austère bonheur,
fait de sacrifice et d'abnégation.
Quant aux dernières paroles de son grand-père,
qui l'avaient profondément émue, troublée un moment, elle ne voulait plus y voir que la marque
d'u\le bonté de coeur qu'elle avait longtemps méconnue, et elle y trouvait une raison supplémentaire
pour lui sacrifier ses goûts ...
En savait que Vianne devait venir dans l'aprèsmidi: il venait maintenant chaque jour, avec l'obstination du chasseur, qui veut faire tomber une proie
entre ses mains: c'était elle, la proie ... Et le chasseur
allait triompher ...
A l 'heure accoutumée, elle entendit le ronflement
de la voiture altendue. Aussilôt, elle descendit. Elle
voulait voir Vianne, lui parIer, avant qu'il entrât
dans la maison, qu'il vît son grand-père.
Elle le rejoignit, en cffel, au milieu du parc, alors
qu'il se dirigeait ;\ grands pas vers la maison, avec
celte allure à la fois hardie ct souple qui lui déplaisai t tan l.
Et, dès qu'elle fut en sa présel1rc, toule son antipathie lui revint tout à coup, Pourrait-elle jamais
dire il cet homme les mots qui consentent P Elle les
dirait, parce qu'elle pensait que tel étai l son devoir,
niais elle les dirait de telle façou qu'il comprendrait,
qu'il serait bien forcé d'admettre que c'était par
devoir, et pour nulle autre raiRon, qu'elle les di. ail. ..
Elle tendit sa main au docteur, {lui s'inclinait de\allt elle avec son habituelle {'ourtoisie souriante.
!\.Tais son sourire avait aujourd 'hui quelque chose de
parliculier... Dominique étai l trop troublée pOUl' le
remarquer. La vérité était que le docteur - assuré,
depuis sa dernière visite li Gérard, que celui-ci t'on-
�70
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
naissait Donimique el qu'elle était Eans aucun doute la
mystérieuse amie à laquelle il avait fait allusion comptait profiter de cela pOUl' « prendre barre» sur
Dominique.
Il s'imaginait déjà la supériorité qu'il aurait sur
la jeune fille, en lui révélant qu'il était au courant
du secret qu'elle semblait mettre tant de soin à lui
cacher. Il était même tout prêt à feindre d'en savoir
encore plus long qu'il n'en silvait. Ce serait à son
tour dJ'humilier Dominique, de lui faire payer les
Llessures qu'elle avait faites à sa vanité ...
- N'allez pas jusqu'à la maison, dit Dominique.
Je veux vous parler ... .Reslons un moment dans le
parc ...
- Tiens, dit Vianne, j'avais juslement aussi quelque chose à vous dire ... quelque chose d'assez particulier, et que vous serez sans doute fort aise que je
vous dise hors de la présence de votre grand-père ou
de votre frère .. .
Dominique le regarda avec surprise :
- Vraiment P dit-elle. On croirait, à vous entendre, que j'ai quelque chose à leur cacher P
- J'admire vo lrc sang-froid, Domill ique, dit lc
docteur, avec UII méchant sourire. Je serais curieux
de voir si vous samez le garder jusqu'au bout.. .
. Toul en parlant, ils s'étaient engagés clans ulle
allée latérale du parc. Mais, en enteJldant les dcrnières paroles du docteur, Dominiquc s'arrêta neL.
- Il me semble que vous devenez insolen l P ditelle avec hauteur, el le J'l'ont déjà l'embruni. Maintenant, je vous prie de vous expliquer.
- Tout li l'hellre, lout à l'heure. Dites-moi, d'abord ...
- Je ne vous dirai pas 11In mot avun t que vous nc
m'ayez dit vous-même, cL franchemenl, ce que vous
avez J'air d'insilluer CIl cc moment ...
�C'EST VOUS QUg J'ATTENDAI S
1. ..
71.
EUe avait parlé avec tant de violence, que le docleur regretta de s'êLre aIDsi engagé. Cependant, il
vit bien qu 'il n'y avaiL plus pour lui moyen de recul er.
- Oh 1 Insinuer ... Dominique, est un bien vilain
mot. .. Mais, puisque vous le prenez ainsi, je suis bien
forcé de vous dire que je suis surpris que l'autre jour
vous ayez dit ne pàs connaître Gérard Arlanrl..., alors
que je sais, maintenant, qu'il vous connaît . .
En entendant, dan s la bouche du doctem, le nom
de Gérard, une pâleur mortelle avait eITIvahi le visage
de Dominique. Elle sa ufIrait soudain atrocement, à
la pen sée que son secret - un secret absurde, peutêtro, fou - .mais auquel tant d'heures de rêves l'avaienL attachée, ~
etH été découvert par quelqu'un,
ct justement par le doc teur Vianne .
- Mais, depuis quand, dit-elle avec indignation,
Suis-je obli gée de vous rendre compte de mes ac tes P
Vous n'avez ... vous n'avez encore aucun droit sur
moi, que je sache jl
Une fois ùe plus, le tOlfl de hauleur adopté par la
jeune fille blessa l'amour-propre du docteur.
- Mais votre frère, votre g rand-père en ont peutêtre il dit-il. Et j'ai bien vu, l'autre jour, que JIugues ig norait complètement vos relations avec Gérard Arland ...
- Je n'ai de comptes à rendre qu'à ma cOlTlscience,
dit Dominique, soudain h0/"s d'elle; ct ma conscience
n'a rien à me reprocher ... Maintenrmt, je vais vous
dire ce que je voulais vous dire. Je voulais vous an noncer que j'élai s prê te à devenir voLre femme non par amour, vous le p ensez hi e/l, mai s se ul ement
Parce (Jue je m'élais imag in é CJue mon devoir était
de cO ll sentir à la volonté de mon gran d-père. Mais,
fllairntenant, je me s1li s l'essai le. VoLre lâc heté me
dégoûte par trop. ~t
il faut qll e vous sachiez encOl"e
�n
C 'EST VOU~
QUE J' AT'ft:l'oDA lH
l. ..
une chose, c'est que mon grand-père m'a dit 111"1même ce matin, qu'il craignait que mail mariage
a vec vous fût une sottise ... Adieu, monsieur ...
Elle s'écarta violemm en t de lui, avec autant de
dégoÎll que s'il eût élé llne bête venimeu se, et s'en
fut, la tête droite, sans se retourner.
Le docteur Vianne demeura un griwd moment immobile, comme s'il avait élé fr appé par la foudre.
Quoi 1 il avait été si près du but, et, pal' sa sottise,
par le besoin de se venger qui l'avait .a nimé un mOment, il avait gâché la siluation - et d'une façon
peul-être irrémédiable ... Imbécile ! Triple imbécile !
Mais sa stupeur se chan gea vi te en colère.
Il pen Sil d'abord à repanir immédiatement, mais
les dernières paroles de la jeune fille lui revinrent.
Il vonlnl s,n'oi l' si vlaiment monsieur de Quansa<:
avait changé d 'avis au suj et du mariage projeté, si,
de ce côté, il ne pouvait pl us compter sur aucun appui : car, de nouveau, tout son amour-propre dressé
exigeai 1 que ce mariage se fît .
A grands pa s, il se dirjgea vers le manoir.
Mais le vi cnx Louis, attiré par ses appels, vint lui
dire que Monsieur de Quan sac élait sorti pour une
tournée dan s les pin s, (lU' il Ile r entrerai t que forl
lard ...
- El mon sieur lIugues P demanda le médedn.
- Monsjeur Hugu es P.. On ne savaÏl pas où il
élait, a Il allait voi!'. .. Sj monsii!\H' YOUlllit sc donner
la peine d'attendre .
Dans le salon olt on l'il) ll'Oduisif, Vi llnne marcha
de lon g en largc , en fureur; il lui se mLlaÎl que celle
mai so n Loul c nlic ~ l' e lui dcvenait IJQslile ... Mai s il auJ'ai l le dcrnier mol... il l'aurait 1 Quand il voulait
quelque chose ...
Hugues parut enfin.
- QIl'esl-ee (lui sc passe P demanda II) docteur à
�C'EST VOUS QUE .~ ' ATl'Er
ŒAIS
1. ..
"",...
bl'Îllc-pollrpoi nl. Oil ne vcnl plu s laC rcrevoir a Et
Dominique vient de me dire que monsieur de Quansac a chan gé d'opini on au po int dc vue de ... de nos
projets P Qu'est-cc que LOI~
cela signifie P J'ai le
droil de savoir, il me semble .. .
Tout de suite, Hugues fut choqué par le Lon employé par son in terlocuteur :
- - Mais, docteur, dit-il, j e ne suis au courant d e
rieJn. C'est ;1 mon grand-pLTc qu 'il faul vous aùressel', pas à moi ... Et pni s, que vOlllez-vous, si Dominique ne veut absolument pas de ce mariage, nou s ne
pouvons pas l'y contraindre ... Le temps est passé
où l'on mellait les fill es au CQuvent pour Jeur donner
l'envie du mariage ...
Devant le persiflage d'Hugu es , Vianne perdit tout:
('ontrôle sur lui-même.
- Cc temps est pa ssé , cria-t-il, ct c'est dommage.
Car cela vou s aurait peut-être permis de mieux surveiller la conduite de votre sœur ... II se passe d'étranges choses, ici ; et l'aveuglement est u ne sorte de
complicité ...
Il parlit à grand s pa~,
claquant la porte.
CHAPITRE VJI
<':ONFlDENCES .••
Dès qu'il fllt de retour cllez lui, sa colère un peu
<'almée, le do r. tcul' Vianlle cllvi sagea s6rieu sement la
situation. Bien que cela en eoûlât 11 so n amour-propre, il 61ait bien obli gé de con stater qu'elle s'éLait
rlieu
~e mNlt
envenimée, ct rela, par sa propre
raule.
D'abord, il avait l'I!\'ol té Dominique par e~
in silIualionll ; en sorle qu e 1'ho~lité
de la jeune fill e,
�74
C'E ST VOUS QUE J 'ATT EN DAIS
1...
lalenLe el san s éclat jusqu 'ici, avait revêtu un caractère d 'ag ressivité qui compliquait beaucoup un rapproch em en l.
Ensuite, il ne pouvait se dissimuler qu'il avail blessé Hug ues par le ton inquisiteur qu e la colèr e lui
avait fait prendre. Et il connaissait assez le car ac lère
du jeune homme pour savoir que celui-ci p a rdonnait
difficilement ce genre de manquem enls.
Enfin, la phrase absurde qu 'i! n 'avait pu s' empêcher de prononcer en s 'en alhlnl, l 'inquiélaÏl par ses
c onséquen ces possibles : car il n e doulai l pas que
Hug ues n'en fîl part à so n g rand-pèr e , el il savait
que le vieillard ne plaisanlait pas sur ce qui pouvait
lo ucher à l 'honn eur de sa fam ill e. Pal' Hl , il ri squait
de s 'alién er d éfiniLivem enl elui qui avait jusqu e-là
éLé son m eilleur avocat et qui, s 'il fallait en croire
les parol es de Dominique, commença it j uslemen l à
se r efroidir quanl à ce projel malrim onial.
l'oules ces id ées désag r éables c t humilianles préoccupèrent vivem ent le m édecin, mai s pas un in slarnt,
la pcn sée Ille lui vin t de ren o ncer ~ la main de la
jeune fill e pour qui il n'avait pas d'a mour. 11 se jugeait trop engagé pour r eculer. Il avail cu l'imprud cn ce de parler fi plu sieurs rep r i es d e ee m a ri age
comme d ' un e chose r églée , enlcndue, el y reHoncer
m ailllen u11l, s 'nvoller vain c lI, étail un e solulion lJui
lui paraissait lout à {ait inaccepLable.
La premi \ re chose à fa ire , pen sa- l-il, est de
souder ce pclit Arl and. Il faul absol1lment que je Sac he cc fini s'est passé . Si j amai s ce vi eux Quan sac
len ail ft sa voir ce que j'ai voulu dire en par la n l
« d 'é traJJ ges ch oses )) , il Ille faul pas qu e je sois pri s
san s ve r l. .. Le bon homm e n e s 'nmll se pns . ..
L'id ée de re lie en qllê le n pours ui vre lui plul.
Toul le cô lé Ull pe u h ypocrile d e son carac l re s 'en
trouva i l sa ti sra it. El il Il e pen saiL pas que ce fût chose
�C'EST VOUS QUE J'AfTr!ND~lS
1...
75
bien nrdne pour Ini que « tirer Je Yers du nez J) à
ce petit jeunr homme ~entiml.
Celle per, prrtice l'aida à pa ~er
as cz tranquillement une ~oirl5e
que 1'inf!u~t\lde,
~nm
cela, eut rendue p6nibJe.
Cependant, ù Quanllac, une ·Ct ne qni )'illtél'c sail
au premier chef se déroulait.
Ln perfide insinuation bnrée pnr le docleur en
qllittnnt HlIglles avait louchI: le jeune homme nu
vir. JI avait dû . e retenir pour ne pas bondir sur
celui qui l'avait insulté, ct Ir _ommer de s'expliquer.
Au ~i,
d!.s qlle son grand-ppre revint de sa tournée
il le prit à part, et le mit au courant
dans Jes boi~,
de ce qui s'riait passé dam J'aprè~-mid.
Toul de !mite, J'imlignation de '\Tonsieur de Quan~nc
fllt à son comhle. Comme J'inait parraitement
('omri~
Je dortrur, « Je bonhomme ne 'amu ait
paR Il, lor"qu'on semhlait toucher Il l'honneur de sa
famille.
rpendant, li 10 r~Oexion,
il jugea bon de caJmer
l'ardeur de . on petit-fils, qlli n'rnviRageait rirn moins
qll'allrr tirrJ' les oreilles ;tU docteur Vianne. En efTet,
la nef\
' o~ité
e'{trrme de Dominique, le~
allusions
fJlI'elle avait raite~,
d'rlle-lI1r'me, il lin secret, J'inviau clair,
taient ù rr-Orchir el li tirer certaines cho~rs
Avant dl' lIommcr le doclrllr Vianne d s'e plifJller.
on qu'il doutâlle moins dll monde de ~a pelite-fiIle.
mais il c oemondAit ~i clIc I1r 'était pas lai .ée rnqui eussent suffi "
ll'atl1rr 11 quelques imprudcn('e~,
alimentcr' Jr calomnies d'un pays n. ('1. inoccupt'-.
qu'il f(li~A
011 rorarti!rc et ù
Et la ronfiane m~e
l'hono('I('tl'\ de Dominiqll(' le pomea il interroger la
jeun Olle Ic-m~e,
nm ruoe, ni travallx d'approche.
Dominique, drp\1i~
Ir5 porlc~
a~cz
viveq qu'eUe
avec Je docleur Vianne, n'était pa,
avait échQnp'~e!l
�7G
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1. ..
redescendue de sa chambre. Et, de nouveau, monsieur de Quansac, qui n'anit pas mis les pieds chez
elle depuis plusieurs années, manIa l'y trouver pOUl'
la seconde fois de la journée.
La jeune fille lisait, devant sa fenêtre ouverle. Elle
cherchait dans la lecture la distraction dont son cerveau avait besoin, après le choc qu'elle avait reçu en
apprenant qlle le docteur Vianne avail percé son secrel. ~rais,
malgré Lous ses efforts pour s'atlacher il
sa lecl ure, elle ne pouvait emplkher la question, toujour la même, de se poser ù elle : « P01l1'quoi Gérard
m'a-l-il nommre ~ ... ))
Elle tres!:flillit en cntendant frapper à la porte, et
se leva en voyan t entrer son grand-père.
A l'air glave de celui-ci, elle comprit aussitôt que,
déjil, il élait au courant de la visite du docteur, el
ùe la façon dont clle lui avait l'épandu.
- Grand-père, dit-elle tout de suite, il ne faut pas
m'en vouloir 1. .. Je vous jllre que j'étais décidée il
dire oui. .. Mais au dernier moment, il u été si insolent...
Le vieillard rougit de colère
]1 t'a manqué de respect ~
Oui ...
- Raconte-moi exactement ce qui s'est passé ...
Assez embarrassée pour répondre, Dominique rél1échit un moment. Puis, dans un soudain élan, désireuse de répondre pal' de ln confiance :\ l'affection
que lui montrait son grand-père, elle décida de tOllt
dire ...
Intimidée ail début, s'enhardissant rlcvnnt l'expression de bonLé extr~m
qui ernblJis~aL
ln figure
du vieillard, à mesure qu'clic parlait, elle lui raconta, sans plus rien dissimulcr, sa rell('ontre avec
Gérard, les heu/'es passées :1 la villa OCéanin, les rêves
�n'EST VOUS QUE J'ATTENOAIS
1...
77
dont elle avaiL peuplé ses jours d'hiver, l'espérance
puérile, folle, qu'elle avait conçue.
Elle dit enfin sa visile audacieuse au jeune homme, la façon presque brutale dont il l'avait reçue, et
la douleur qu'clle en avail ressentie: douleur qui, en
la précipitant de nouveau dans le moode des réalités,
l'avait pous ée il accepter enfin la demande du docteur Vianne.
_ J'étais prête fI dire oui, dit-elle, je vous le jure.
Mais Vianne avait appris que je connaissais Gérard
Arland. Il me l'a dit avec méchanceté, avec insolence ... insinuant que le soin que j'avais mis à cachcr tout cela était louche ... .le n'ai pas pu le supporter. Je lui ai répondu duremenl, avec taule la colère
que j'éprouvais. Et je pense que c'e t de cela qu'il
est venu 'e plaindrc il vous. Maintenant, grand-père,
dites-moi ce qu'il faut que je rasse, el je le ferai, je
vous jure que je ]e rerai ...
Monsieur de Quansac, ft la fin de ce loug récit, était
presque aussi ému que sa petite-fille.
JI re ta un long momen t silencieux, puis, d'une
voix grave ct douce, que Dominique ne lui connaissait pas:
_ Toul cst de ma faule, dil-il, entièrement de ma
Caute .... Je t'ai privée de rclations les plus normales
avec les jeunes gens ct les jeunes filles de tOIi âge . .le
t'ni laissée l'ennuyer près de moi, sans m'en apercevoir. JI était normal que tu le laisses toucher par
les premiers mols de sympathie que lu aies entendus ... Je suis responsable de tOlites tes larmes el de
tous tcs cnn uis. C'est ft moi cl 'essayer de réparer
tout cela ...
- Grund-p~e,
que vouICZ-VOllS faire P
_ Je ne le sais pas biell encore ... JI faut que je
réfléchisse, que je parle avec Ion frhe. Mais, en touL
cas, mon enfant, sacbe qu'h partir d'aujourd'hui, tu
�78
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
L"
as un ami, ici, un ami vrai, 11 qui tu dois tout di're
en toute conDance et c'est ton vieux grand-père, '.
Pour la première fois depuis bien longtemps, une
atmosphère vraiment familiale régna ce soir-là dans
le manoir de Quarnsac,
Hugues n'ét;üt encore au courant d'e rien, mais, à
voir l'entente nouvelle qui régnait entre son gramlpère ct sa sœur, il devinait que celui-ci avait éclairci
le mystère des iminuations du docteur dans le sens
le plus favorable 11 Dominique.
Ce ne fut qu'après le dîner, et avec la permission
, de sa petile.fille, que .Monsieur de Quansac mit Hu·
gues au courant de tout. Hugues, comme son grand.
père, reconnut facilement la part de responsabilité
qui lui revenait dans la situation pénible où se trou·
vait Dominique.
- Vous avez raison, dit-il, c'est à nous de tout
faire pour aider Dominique, Dès demain, si vous le
voulez, j'irai trouver le docteur Vianne, et mettre les
choses au point. Dans tous les cas, je pense qu'il
vanl mieux pour tout le monde qu'on ne le revoie
pas ici. ..
- J'irai moi·même, dit MOll1sieur de Quansac.
Dominique, cependant, enfermée dans sa chambre,
s'était couchée, mais nc parvenait pas à s'endormir.
Sans cesse, les épisodes de ces deux jours si agités
repassaient dans son cerveau enfiévré. Elle lI1e 'parvenait pas à comprendre comment sa vie si calme, si
unie, de jeune fille, était devenue, en si peu de temps
le théâtre de si grands bouleversements. Mais, nu
milieu de SOO angoisse et de sa peine, renaissait toujours, consolante, l'idée qu'elle avait reconquis le
cœur de son grand 'père ...
Le docteur Vianne sortit de chez lui de bonne
heure, disant qu'il ne savait pas à quelle heure il
�C'EST VOUS QUE J'ATTEN DAIS
1.. .
79
rentrer ait, et qu'en lout cas, l'on dise à ceux qui
viendra ient le voir, qu'il serait absent tout le jour.
11 ne doutait pas, en effet, que soit Monsieur de
Quansa.c, soit Hugues , ne vînt aujour d'hui même le
prier de s'expliq uer, et il voulait retarde r aulant que
possible le momen t de ceLLe ennuye use enLrevue.
II se dirigea aussitô t vers la villa Océania .
Obteni r la (( confession » de Gérard était le premier point de la ligne de condui te qu'il s'était fixée.
Tout en marcha nt, il rumin;i Ït les paroles astucieu ses par lesquelles il mettrai t le garçon SUl' la voie
des confidelJ1ces. Cela, évidem ment, prés en tait plus
de difficul tés qu'il ne l'avait jugé d'abord . Mais,
avec un bel optimis me, né de la légèreté de l'liir
qu'il respira it et de sa magnif ique confiance en soi,
il s'en remit aux circons tances du soin d'obten ir ce
qu'il voulait .
Lorsqu 'il arriva à « Océania », Gérard, dans le
salon, acheva it de prendr e son petit déjeune r.
- Tiens, c'est vous, docteur P Et qu'est-c e qui
roe vaut le plaisir cl 'une visite si matina le ?
- Mais le hasard, mon cher Gérard ; je respirais le bon air du mal in dans les bois, lorsque je
me suis trouvé si près d 'Oeéania que je n'ai pas
.Cru pouvoi r fnire autrem ent que venir vous souhaiter Je bonjou r ... Mais, qu'est-c e qu'il y a P Vous
n'avez pas bonne mine, ce matin ... Vous avez mal
dormi P
Oui, assez mal, dit Gérard en déloul'l lant le~
yeux sous Je regard inquisi teur du médeci n.
- Des soucis ? De mauvai ses nouve1Jes P
- Oh 1 non ... Mais, asseyez-vous, docteur . Je suis
assez conten t de votre visite ... Figurez -vous que j'étais tout prêt il vous envoye r cherch er ... Oh 1 non
que médeci n, mais en tunt qu'ami , puispas en ta~l
que vous avez bien voulu me donlJ1er ce beau nom ...
�80
O'EST VOUS QUE J'ATTENUAIS
1. ..
Alors, l'ami vous écoule ... dit Vianne en souriant.
(( Tiens 1 Tiens 1 pensait-il eu lui-même, est-ce que
ce brave garçon se seraH décidé à manger le morceau P Cela me faciliteraiL singulièrement ma tâche . .. Mais ce serait trop beau 1. .•
- Voilà ... C'est un peu difficile à dire ... Enfin,
je ne vous ai pas raconlé dans quelles circonstances
exacLes mon accident élait sun'enu ~
Jamais. Mais je [l'ai pas cru ...
- EcouLez-moi bien, et retenez mes paroles, je
vous dirai tou t à l'heure pourquoi. .. .T'étais aux
sports d'hiver, avec toule une bande d'amis et d'amies. Le souvenir de celle dont je vous ai parlé, de
(( l'amie mystérieuse », me hantait encore à un point
que je Lrouvais absurde, ridicule, indigne de moi,
pour louL dire .. .
Quelle violence 1 dit avec douceur le docteur
Vianne.
- Toujours esL-il que je résolus, pour effacer en
moi ceLLe image qui prenait. des proportions inquiétanles, de m'adonner de nouveau ù ces jeux du flirt
léger, pour lesquels, je J'avoue, j'avais du goût jadis, et que je Lrouvais parfaitement ridicules depuis
que (( l'amie mysLérieuse » m'occupait tout enlier .. .
- Mon Dieu 1 Qlle tou t cela est littéraire 1 diL
Vianne en riant. ..
- La suile l'est encore davantage, poursuivit Gérard, s'efforçant de prendre un ton badin. El je
crains un peu que vous me refusiez le service que
je compte vous demander, tant vous le trouverez liLtéraire ...
- Nous verrOtl1s bieD ...
- Donc, selon l'absurde COlttume qui régnait dans
notre bande, je m'amusais ù Oirter avec l'une des
jeunes filles qui nous accompagnaient... Elle S'ilP-
�C'EST VOUS QUE J'ATTEl' iDAIS
1...
81
pelait Moniqu e ... Je trouvai s qu'elle ressem blait un
peu à « l'amie mystéri euse n ... Et, peu à peu, ce
que je croyais avoir commo océ par jeu, me parut
prendre plus d'impo rtance. L 'image de cc l'a mie mystérieuse )) s'es tompai t en moi, fondait , ct cédait la
place ;\ celle de Moniqu e. J'en étai s à la fois peiné
et satisfai t, comme on peut l 'ê tre de voir s'évano uir
la puissan ce d'un charm e, mais d'un charme que
l'on aimail. .. Je passe sur tous les détails de celte
intrigu e. J'eu éta is arrivé à croire que j'aimais vraiment Moniqu e. Je me trompa is moi-mê me. Et un
j our ...
la m ain sur le front, comme pour
Gérard se pa s~a
en chasser un souven ir particu lièreme nt pénible .
- Un jour, reprit.-i l avee courage , pour voir si
j'étais biCiU guéri de ma « mystéri euse amie »,
j 'cn parlai ù Moniqu e, je lui raconta i l 'h istoire absurde ct charma nte d e ce t amour n é en quelque s
heures e t qui ava it mis si longtem ps à s'éteind re,
car j e le croyais bien mort .. . Moniqu e prit assez
mal cc récit. Déj:'l, il avait été questio n entre nous
de fiançail l es, vaguem en t, sllr le ton de plaisan terie
qui nous était habituel. Mais nous se ntions bien, l'un
ct l'autre qu'il faudrai t peu de choses pour que nous
adoptio ns un ton plus sérieux . Toujou rs est-i l qu 'clIc
fut prise d 'une assez bizarre jalousie rétrospe ctive.
Elle sc mi t presque en colère.
- Au fond, me dit-elle. qu'est-cc qui me prouve
que cc n 'es t pas elle que vou s aimez encore P... n Je
voulus rire, mllis je vis que Moniqu e parlait fort sérieusem ent. - « Cc que vous dites est ridicule , lui
dis-je ... Comme nt voulez- vous que je vous convai'llcque que je ne l'aime plus, sinon en vous le disant p» Alors, Moniqu e eut une idée folle, une de
cc idées absurde s qui na issen t dan s les cerveau x des
poliLes fiUes qui sc croient trop rôt des femmes . -
�82
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
« Si 'vOUS ne l'aimez plus, dit-elle, descendez cette
pente tout de sui te. )) Elle m'indiquait, de la main,
le versant au sommet duquel nous nous trouvions.
Elle était des plus rapides, et rendue dangereuse encore par la brusque dénivellation de quatre ou cinq
mètres de haut qui la bordait d'un cÔté. Seuls, les
excellen ts skieurs l'attaquaient et il y avait cu plusieurs fois des accidents à cet endroit. Moi, sans répondre, je mets mes skis . Monique, à ce moment,
se rendant compte de J'absurdité de sa proposition,
me dit : « ça va, je vous crois sur parole ... » Mais
elle m'avait mis en colère. Et puis, il me sembhlit
qu'en accomplissant cet acte dangereux, je mettrais
vraiment un point final à 1'histoire ridicule de mes
sentiments pour une jeune nUe qui devait, certes,
m'avoir entièl'ement oublié ... Je ne voulus écouter
aucune des objurgations que m'adressait maintenant Monique. Je me souviens même que je la re~
poussai durement lorsqu'elle essaya de me retenir.
Je m'élançai. .. Ce IDe fut pas long. Je fis une vinglaine de mètres, à une vitesse sans cesse accrUe. Je
pris peur et voulus m';lrrêter. Mais, je manquai mon
arrêt, et, emporté pal' mon élan, je tombai dans le
fossé profond ... Aussitôt, nne douleur affreuse, atroce, et l'Impossibilité où je fus de me l'elever, me
montrèrent qlle j'étais gravemoot blessé. Je ne perdis pourtan t pas connaissance. Alors se passa UII1
rai t flue je ne pourrai jamais oublier... Le
Gri que la douleur ln 'an'acha, savez-vous quel il
flll il ... Ce fllt ... Cc ful le nain de « l'amie mystérieuse ... » Tout le temps que je dus attendre l'al'rivée des secours que Monique, affolée, avait été
chercher, ce fut, dans la fièvre pleine d'hallucinations que me donnait ln souffrance, le visage de .. de
cette jeune fille que je vis, se penchant vere moi. ..
Voilà ...
�C'EST VOUS QUE J'ATTEN DAIS
, ...
83
Gérard se tut, les yeux clos ...
Des gouttes de sueur perlaie nt à son front, comme s'il venait de revivre les heures horrihl es 1n 'il
avait raconté es.
Le docteu r l'avait écouté avec un extrêm e intérêt. Il savait mainte nant cxactem ent en quoi ('onsist.1ient les circon lances de la rencon tre de Dominique et de Gérard. Rien, certes, n'était plus innocent ; cepend ant, la colère le reprena it en songea nt
que pour une chose de si peu d"impo rtance, il avait
risqué une brouille définiti ve avec la famille de
Quansa c.
- Je ne vois pas du tout quel genre de service
je puis vous rendre dans cette affaire, d'e manda- t-j).
- Si. .. Un service étrange , je le reconmais, mais
que je demand e à votre amitié ... Vous êtes fiancé,
m'avez -vous dit P
- Mais ... oui, dit le médeci n ave<: un peu de
gêne.
- Eh bien 1 raconte z mon histoire li votre fiancée ... .Te quittera i prochai nemern t ce pays, pour n'y
plus re-çenir ... Cela me sera donc égal que quelqu'un, ici, connais se cette histoire ... Et demand ezIni, puisqu' eUe est la jeune fille délicate dont vous
m'avez fait le portrai t l'autre jour. demand'ez-lui si
eHe blâme le jeune homme en questio n de ce que,
ayamt appris qn'en effet « l'amie mystér ieuse» J'avait complè tement oublié, il en ait souffer t au point
de prendr e la décisio n de vivre, autant que cela lui
sera pos ible, loin du monde et d'a ns la plus absolue
solitud e ...
Le d'octeu r Vianne , in lerlofJué, regarda Gérard.
- Vous voulez que je demand e à... à ma fiancée ...
Mais pourqu oi Poo. Que diable vient {aire ma fiamcée dans ceUe affaire P
Je sais, je sais que cela peut vous pnrllftr e
-
�84
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
étrange, dit Gérard. Mais je voudrais, avant de
prendre une aussi sérieuse résolution, avoir l~-desu
l'avis d'une jeune fille, d'une jeune flle ft l'âme
délicate, comme vous m'avez dit que l'était... Mlle
de Quansac. Elles ont parfois, sur ces choses de senliment, des lumières qui nous étonnent, et dont pous
pouvons profiter ...
- Eh hien 1 c'est entendu, mon cher Gérard, dit
soudain Vianne avec un en lrain inattendu. Je lui
raconterai lout cela, et je vous porterai sa réponse ...
Si vous me demarndiez mon avis ft moi, je vous dirais que vous attachez bien de l'importance à des choses qui n'en sont guère ... Une jeune fiJl~
que l'on n'a
vue fJu 'une seule fois a bien le droit de vous oublier ... Mais enfin, vous ne me demarndez rien ... Je
consulterai ma fiancée, je vous le promets ...
Vianne se relira presque aussitôt.
Une idée venait de germer dans son cerveau inventif, capable,
ponsait-il, de le faire rentrer en
grâce auprès de Dominique, et, en même temps, de
mettre un point final à toute celte romanesque et
ridicule aventure.
Mais il ne fallait pas qu'il se troUVllt en présence
d'un membre de la famille de Quansac aVlllIlt d"avoir mis son projet à exécution.
Aussi rentrant précipitamment chez lui, cerlain à
celle heure que ni M. de Quansac ni Hugues ne se
présenteraient encore à celle heure matinale, il prit
sa voilure, el parlit pour une -randonnée qlli devait
le tenir 10111 le jour loin de son habilalion.
�C'EST VOUS QUE J'ATTE DAT8
1. ..
85
CHAPITRE VIII
UNE r,El'TRE
M. de Quansac, à sa grande fureur, n'avait trouvé
personlJ1e chez le docteur Vianne, sinon un domestique stylé qui lui avait assuré que « Monsieur ren ·
trerait fort tard dans la nuit. »
- Vons direz à votre maître, dit M. de Quansac,
que je l'attends chez moi demain il trois heures ...
Et il était reparti, à grands pas, furieux de voir
que le docteur « se cachait », refusant ainsi toute
possibilité de demande d'explication. Hugues avait
fait écho à cette indignation. Par contre, la nouvelle avait laissé Dominique assez froide.
Mais le lendemain, au courrier du malin, elle reçut une lettre de Vianne, timbrée de Bian-itz. Elle
pensa d'abord à la déchirer sans la lire, ou la ren·
voyer sans l'ouvrir; mais la curiosité l'emporta, et
elle décacheta l'enveloppe,
Elle lut :
«
Mademoiselle,
Avant Ioule chose, je vous sllpplie de bien vouloir me pardonner les mots que j'a.i flT'ononcés lors
de notre dernière entrevue. Ils ont - ai-je besoin de
vous le dir'e ? - dépassé ma pensée; de beaucoup.
Et le mouvement de colère qui me les a dictés devrait, mioua: que tout ce que j'ai pu, vous dire jusqu'à présent, vous prouver la profondeur et la sincérité de mes sentiments ... TJa jalousie n'est-elle pas
une p,'euve d'amour ?
J'ai vu Gérerd Arland, ce malin-méme, et je lui
�86
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS 1. •.
ai parlé loyalement. Ce que je lui ai dit l'a fail sourire, et il a su réduire cl néant l'absurde l'oman que
mon cerveau ovnit déjà construit. Il m'a m{lme chargé de vous dire, pour me' prouver jnsqu'à quel point
1JOUS étiez ignorants l'un de l'autre, les circonstances dans lesquelles est surven.u le regrettable accident qui l'immobilise. Ce'la s'es! produit aux sports
d'hiver, où il s'était rendu avec sa fiancée, et à la
suite d'un défi un peu imprudent cie la part de celleci. Il m'a assuré que tlOU.S apprendriez ses fiançailleos
sans surprise et a voulu que ce soit moi qui vous en
porte la nouvelle.
Vous voyez, Mademoiselle, que je confe'sse mes
torts avec une franchise qui devrait vous désarmer .
Je n'ai pu supporter l'idée de passer cette journé/') si près de Qnansac sans pouvoir vous aborder.
J'espère que ma lettre aura meilleur accueil que son
auteur ... et qu'elle vous aidera à mieux comprendre
les véritable·s sentiments de celui qui est, et qui veut
~tre
jusqu'à la fin de ses jours, votre ami le plus fidèle et le plus dévoilé.
Luc
VrANNE.
))
Le premier mouvement de Dominique fut de chiffonner celle lettre avec humeur et indignation, et de
la jeter au paf/lier. Elle n'en fit rien cependant.
Elle lut et relut les lignes par lesquelles Vianne lui
annonçait les fiançailles de Gérard Arland. Et elle
~'étona
de sentir d'ans son cœur, comme la lame
aiguë d'un poignard, une douleur intense ...
Telle était donc la raison pour laquelle Grrard l'avait reçue avec tant de dureté.
Fiancé 1. ..
Comme il avait dfi être irrité par la visite qu'elle
lui avait faile 1 Comme il avait d1i être contrarié de
ce qu'il avait lu dons ses yeux ... Elle avait dil pa-
�C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1. ..
87
taitre devant lui comme UIIle pauueS3e, une mendiante. En ce moment, il devait ne penser ù elle qu'a\'cc mépris 1
Et Vianne allait reparaître, avec ceLte obstination
qui lui était odieuse, qui lui faisait peur aussi, parqu'elle craignait la lassitude affreuse qui l'envahissait, qui la rendait làche, incapable de lutte eL de
discussions san s cesse renouvelées.
EUe décida de commencer l'ère nouvelle de confiance qu'elle voulait voir régner eutre elle et son
grand-père, en lui montrant la lettre qu'elle venait
de recevoir.
Elle Lrouva .J\f. de Quansae dans le parc, se promenant à pas lenls, lout remué encore par la colère où l'absence du docteur l'avait plongé d'e puis la
veille.
- Qu'y a-t-il, ma chérie P demanda-t-il tout de
suiLe en voyant l'air bouleversé de Dominique.
Lisez, grand-père ...
Le vieillard pri t la lettre.
- Quoi 1 C'est de Vianne? Il ose t'écrire P Mais
qu'est-cc que c'est que ce garçon P Il a juré de me
faire mourir de colère l. ..
11 lut all.entivemenl, puis tendit la leUre ~ Domiuique, d'un geste brusque.
- Il ment, déclara-t-iL.. Je Ile sais pas en quoi,
ni où, muis il ment... Cela est évident... C'est une
lettre de fourbe et de meilleur ... Et c'est cc coco-là
que je voulais te voir opousel' P Ah 1 je vieillis , décldémen t, je. ne sais plus voir les choses ...
Dominique prit affectueusement le bras de son
grand-père, ct. le vieillard ct la jeune fille eommencèrelJ t une promenade dall1s Je parc, JlPpuyés l'un à
l'autre .
.re ne crois pas qu'il mente, dit Dominique.
Vous dites cela pour me rassurer ... Mais, main te-
�c'E,;r
vous
QUE .J'ATEND~·
1. ..
nant, ce TI 'cst plus la .peine. J'ai tellement assez de
lout cela, si vous saviez, grand-père 1... Je ne demande plus qu'une chose, c'est de vivre tranquille
entre vous ct Hugues ...
- 1\[a ch érie, avant touLe autre chose, je tiens Il
l'rgler à éfinitivemenl la question avec Vianne.
.le
n'aim e pas les situation s fau sses qui s'éternise;IL Je
lui ai fait dire de venir il troi s heures, et j'e"père
qu'il viendra. Jr veux qn 'il me présente des exc nses
pour les insinuations grotesques qu'il a formulées.
Ensuite, il pouna aller se faire pendre ailleurs ...
- Je le croi s plus obstiné que cela, dit Domirnique.
c(~
à ses
Vous avez lu sa leUre. Il n'a en rien reno
préten tions; ...
- Rassure-toi ; quand j e lui aurjli parlé cinq minule , j 'espère qu'il comprendra qu'il n'a plus rien
ù faire ici .. .
Ces paroles, malgré les perspec tives qu'elles ouvraient sur un avenir où Œ,e péseraiL plus la menace
de Vianne ne suffirent p ;lS à ramener la moindre
tranquillité dans l'esprit de la jeune fille.
Sa ns cesse, elle reprenait les ter mes par lesquels le
docteur lui ;lnnonçaitles fiançailles de Gérard, et chaque foi s, comme un coup de couteau, le chagrin lui
entrait un peu plus avant dan s le cœur.
Elle s'effrayait de la force qu'avait encore le sentimernt de tendresse qu'elle avait voué li Gérard, au
Gérard qu 'elle avait créé dan s la solitude de son cœur.
Tous les coups qu 'il recevait. ne parvenaient pas 11
lu er cel amour... Il demeurait., martyrisé, brisé, vivan t louj o url'.
Pour rien au m onde, ell e n 'cul voulu que son
grand'père pût devin er ce fJui se passait en clic.
Aussi s'efforçait-elle - plllg ou nlOin !\ adroitement
- de mA squer le mal qui la rongeait, so us Ull e sereine indifférence : comme ces hlessés courageux Il ui
�C'EST VOUS QUE J'.~TE:-;DAIt!
1...
feignen t d'ignor er la blessur e par où leur vie s'échappe , jusqu'à ce qu'iJs meuren t.
Mais Hugues lui-mêm e n'eut pas besoin d'explic ade
tions pour compre ndre, devant les yeux fi~vreux
sa soeur, qu<.: celle-d n'avait rien oublié, et souffI·ait toujour s.
Ainsi, jusqu'ù trois heures, heure à laquelle mOIlsieur de Quansa c avait fait dire au dodeul" qu'on
l'attend ait au manoir , l'atmos phère familia le fut toute animée d'une feinte gaieté, cl 'une animat ion un
été longtem ps suppeu fiévreus e, el qui n'eut pa~
portabl e.
Mais, lorsque l 'heure approc ha, Domin ique s'en. fuit, gagna la forêt - son refuge - pour être sûre
de ne pas se trouver en présenc e de l'homm e qu'elle
mépris ait jusqu'a lors, qu'elle haïssait mainte nant,
depuis qu'il s'éLait faiL avec Laot d'enjou ement le
messag er de la nouvell e faLale .
Quant aux « messieu rs de Quansa c », ils aflendaien t de pied ferme le ridicule calomn iateur de Dominiqu e.
Lorsqu e la vieille Noémie J'introd uisit au saloll, eL
qu'il vit IIugues et son grand-p ère, debout, l'air solennel, n'allan t même pas au-deva nt de lui, il
comme nça à se demand er avec anxiété si les choses
n'avaie nt pas pris une tournur e pire e!Tlcore que cc
qu'il ava it supposé . Vile partie de sa belle assuran ce
l'aband onna, el il sc trouva soudain assez déconte nancé.
JI se contrai gnit cepend ant à garder SUI" les lrvres
le sourire aimabl e qu'il avait arboré el! entrant , eL
s'avanç a, la main tendue, de l'air le plus cordinl
qui soit :
- Que se passe-L-il? Quelqu 'un serait-il sonffral lt ?
- Veuillez vous asseoir, docleur , dit monsie ur de
pas voi r 1:1 mai Il qne
Quansa e, en fcignan t de ~c
�!JO
C'EST VOUS QUf: J'ATTENDAIS
1. ..
Vianne lui telidait. Nous avons à parler sérieusement...
De plus en plus inquiet, le docteur s'assit. Son sourire avait disparu, ct il regardait monsieur de Qualflsac d'un air interrogateur.
- Docteur, dit le vieillard, voulez-vous avoir l'obligeance de répéter en ma présence les paroles que
vous avez prononcées avant-hier, en quittant mon
petit-fils ...
- Nous y voilà 1 pensa sombrement le docteur.
- Avant-hier 1 Oh 1 c'est déjà bien vieux. Allendez,.. Non, vraiment, je ne me souviens pas du
tout ... Je sais que j'étais un peu nerveux, préoccupé.
- Vous ne vous en souvenez pas du tout P 1nterrompU Hugues, d'un Lon sec. Eh bien 1 je vais vous
en faire souvenir. Vous m'avez dit, textuellement,
ccci : « Vous feriez mieux de surveiller la condu ite
de votre sœUf .. . 11 sc pa se d'étranges cho es ici, el
l'aveuglement est uJle sor le de complicité ... » Recon.
naissez-vous vos paroles P
Vianne sc senlaÏl affrell clOent gèné. 11 s'é tait, cel'les, allendu ù une demande d'explications, mais la
solennité que celle-ci revêtait, le meltait nussi mal li
l'aise que possible. Est·cc qu'on n 'nllait pas le provoquer en duel, tant qu'on y était P
- Ai.je dit cela P dit-il. Jo no me souviens pas,
lion ... Mais, naturellement, je 11e le nie pas ... Et i
vous trouvez dans ces propos - qui ont Pli, peut-être
m'échapper dan un mouvement de ... mauvaise humeur, Cfuclquc hose de ble,sant...
i 1I0US pouvons tl'Ollvel' quelql1e chose de bles~ant
P " écria mOllsieur de Quansue, au poinl le plu
{-levé du coutrOUX indigné. Mai~,
enDn, mon ieul',
vou perd('?' le jugement. .. Quoi, VOllR osrz parler sur
('0 Ion de la conùuite de ma pelilo-flllc, .. et VOliS VOIlS
�C'EST VOUS QUE J'ATTE1'!DAIS
1...
91
demandez si inOUS pouvons trouver là quelque ohose
de blessant ? Vous badinez, monsieur, el ce n'est
vraiment pas l'insLant. ..
Vianne pensa que le moment élait venu de faire
appel à ses talents de comédien.
Il se leva, l'air profondément affligé et outragé, ct
la main sur le coeur, tourné vers monsieur de Quan sac, il déclara :
- Je n'imagin;J.Ïs pas, monsieur, que vous puissiez interpréter des paroles de moi, gardées plus ou
moins fidèlement par la mémoire d'Hugues ...
- Dites tout de suite que je mens 1 i,nterrompil
Hugues, rouge de colère.
- ... dans un sens aussi défavorable et injurieux,
poursuivit Vianne, SUIllS relever l'interruption d'Hugues. Vous savez - et vous l'avez encouragé vousmême - que mon plus cher désiI' est d'Appeler un
jour mademoiselle de Quansa<J, ma femme. .. Comment, sachant cela, avez-vous pu croire que j'émettais une insinuation insultante pOUl' celle que j'ai
l'espoir de voir devenir un jour Madame VÎitnnc ...
Non, messieurs. Vous vous méprenez étrangement ;
permettez-moi de vous le dire ... Et puisque, en somme, vous me contraignez n vous donner des explicalion, je vais céder à votre désir, quelque l'egrct que
j'en puisse avoir ...
11 prit un temps, llécessaire à l'effet qu'il comptait produire par le$ paroles qu'il s'apprêtait fi pronOllcer.
Il ne doulait pas, en effet, que monsieur de Quansac ignorât, aill i que SOli petit-fils, 1'hisloil'C de la
l'encontre de Dominique cl de Cérard Arland.
« En leur révélant brusquement la conduite impr1ldente de Dominique, pell ail-il, je vais délourner
Sur elle leur irJ'itaLion ... Alors, prenanl la défense
dl! Dominique, .1e rell tre dans leurs bOllaleS gl'àces, je
�92
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1. ..
fais figure de protecteur de l'innocence et tous les espoirs me son l permis de nouveau... » Et il aùm i ra
toute la fln esse de son esprit qui savait, à chaque in stant, faire sortir un avantage de ce qui, pour d'autres que pom lui, eût été la fin de toute ' les espérances ...
- Lorsque je suis venu ici, eL que j'ai Yll Hugues ,
dit-il, il fau L que vous sachiez sou s le COllp de quelles
émotion s je me Lrouvais. Cela vous aidera peut-être
il mi eux comprendre comment ont pu m'échapper
des paroles qui, si la mémoire d 'Hugues est fidi'le,
peuvent en effet prendre un se ns bless:lID l. .. D'abord,
je venais d 'essuyer de mademoiselle de Quansile un
nouveau refu s ct sous une forme extrêmement
énergique. Remarquez que celle position, de sa parL,
ne co nstitu e pas une nouveauté pour moi, el ne peut
en rien m e décourager : je connais trop Lien l 'tllne
versatile des jeunes fille s 1... Mais ce n 'en est pas
moin s iITÎlant... Ensuite, mndemoiselle de Quansae
venait de me dire que vous, monsieur, VOliS n'étiez
plus parI isu n d ' Ull mariage auquel vou s m'aviez vou smême encouragé ... Jugez de mon émoi, des conséq uences que ('el il pouvait en traÎlIer pOUl' la réalisa lion
de mon voeu le plus cher . . . Enfin, ct c'est là le pomt
principal de maIl petit discours, j'avais appris des
faits ... nouveaux pour moi ... que j'avais pri s trop au
sérieux, mais qui me démontraient que mademoi selle
de Quansac, pour la noblesse de caracLère de qui je
sui s plein de re~pct,
croy ez-le bi cJl, que mademoiselle de Qnan ae, dis-j e, s'éLait r e ndue ... je 11e veux
pas dire coupable... mais responsahle, de <'c qll'i!
faut bien appeler une imprudcncc . .. J'avais nppris ...
- Allon s, quoi, dit Hugucs, impati enté pur Loutcs
ces préca utioll s oraloires. Vous aviez appris que Dominiquc, l'ann ée dCnlière, avait joué unc foi s au
tcnnis, sur la plage, ovee Gérard Arlanù, qu'elle
�C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1. ..
93
avait été prendre le thé chez lui, qu'elle était rentrée
un peu en retard pour dîner, et qu'elle avait trouvé
ce garçon sympathique .. Hein P C'est ça que vous
avez appris P
La bouche ouverte, .vianne regardait Hugues avec
stupeur. L'effet qu'il comptait produire était évidemment manqué ...
- Et alors quoi P poursuivit Hugues. Il aurait fallu
qu 'elle vous envoie un mot chaque fois qu'elle jouai!
au tennis P De quel droit lui avez-vous reproché, eu
termes ridicules, de Ile pas vous avoir tenu au courant de cc fait P Oui, en termes ridicules, répéta Hugues, devant le gesle de protestation qu'avait esquissé le docteur, et comme la mémoire de Dominique
est aussi sûre que la mienne, je suis très au courant
des Lermes que vous avez employés ...
Sc voyant voler tout le « mérite » de sa dénonciatioo, le doctcur Vianne sentit III colère naître à nouveau en lui :
Vraiment, vous trouvez admis ible que Mademoiselle de Quansac suive des inconllus chez eux,
et prenne le thé avec eux P•••
Hugues eut envie de donner une gifle à Vianne.
Mais la présence de son grand-père, qui, impassilJle,
mais prêt à intervenil', assi tait fi l'explication entre
les deux jennes gens, l'aida ri sc con tenir.
- Maintenant, dit Hugues, j'exige que vous fassiez à mon grand-père des excuses immédiates, pour
les mots intolérables que vous avez prononcés . .. Je
sais que je devrais exiger égalemen t des excuses de
vous adressées personnellement ù Dominique. Mais je
sais aussi que cela l'ennuierait plutÔt qu'autre chose,
en raison de l'importaucc qu'elle attache à votre per~ OJle
... Allons, excusez-vous, dit-il brutalement.
Le docteur Vianne avait pali I.Iffreusement.
Un moment, il sc demanda s'il D'allait pas provo-
�94
C ' EST
vobs
QUE J ;ATTENDAIS
1•..
quer immédiatement un scandale, sortir en claquant
les portes, ne jamais remellre les pieds dans une maison où sa vanité et son amour-propre recevaient de
si rudes coups ...
Mais l'obstination de son cara.ctèro; une fois de
plus, l'emporta sur ~ toule
autro considération.
Il souri t. .. Par une tension extrême de la volonté,
il força toul son visage au sourire.
- Je vous présente toutes mes eX{)USeB, dédarat-il en se tournant vers mOQsieur de Quansac. Je
suis absolument désolé de ce malentendu, et je vous
prie de eroire que pas un instant il ne m'est venu à
l'idée de porter atteinte à tout le respdeL dont est digne le caractère de mademoiselle de Quansa{) ...
.ctes-vous satisfait ~ ajouta-t-il, en so tournant vers
Hugues. Je suis prêt à dire tout cc qu'il vous plaira
pour aplanir un ;nciùenL aussi regreLlable ...
- Demandez à mon grand-père s'il estime que cela suffit, dit Hugues sèchement. Pour moi, je me
déclare sati fait.
- L'incident est clos, tmncha mon ieur de Quansac. MainLenan l, docteur, il me semble que vous devez comprendre par vous-même qu'il vaut mleUJt. ..
pendant quelque Lemps, espacer vos visiles à Quansac.
Ma petite-fille a pris extrêmement à coeur ce ... cet
incident, et je r:tois qu'il lui serail peu agréable de
...
sc rencontrer en cc TIIoment avec vou~
Vianne prit l'air le plus contrit possible :
- Hien ne peut me peiller davantage, déclara-t-Il,
que d'apprendre que j 'ni pu déplaire à ce point à
maùcmoi elle de Quansac... Et je serais heureux de
lui présenter mes CXCU8 ·S. D'autant plu! que je lui
ai éc·rj l. .. elle a dû re evoir' Ilia leUre, ce matin, pour
lui exprime,. déjà tollS mes l'cgt'cls de cel incident ...
Mai s ,je p n ai qu'ellc uurait compris ...
- ... qlle la jalousie est une preuve d'amour P
�C'ES'l' VOUS QUE J'A'l'TENDAIS
1...
trancha Hugues. Je sais ... Nous avons tous lu volre
lettre. Mais l'opinion de Dominique - dont je puis
me porter garant sur cc point - est que la façon
dont s'exprime celte jalousie peut Mre si insultanle
pour celle qui en est l'objet, qu'elle devient non
pas une marque d'amour, mais une preuve de mépris ...
Le docteur se mordit lcs lèvres.
Cetle nouvelle certitude de l'entente absolue qui régnait entre Dominiqlle et sa famille avait, pour le
jeu qu'il voulait jouer, quelque chose de funeste.
- Je me relire, déclara- l-il. Amsi bien, je vois
que ma présence ici vous importune et je Ile veux rien
faire qui puisse déplaire à ceux que j'amùitionne
d'appeler un jour prochain mon père ct mon frère ...
Sur cetle forte parole, ct aprè un salut que loute
son hypocrisie ne put empêcher d'èlre UII pcu sec, le
docteur Viarnne jugea prudent de disparaître.
- Tl est terrible, dit Hugues aprè ' ce départ. Que
faut-il faife pour le convaincl'e que Ja main de Dominique n'est dé-cidément pas pour lui P
- Bah 1 dit monsieur de Quansac, Dominiq1le a
bien a sez d'énergie pour le lui f;lÎre entendre elail'emon t. Et j'aime mieux que le refu s définitif vienne
d'elle: cela permettra Elin i d'(.viter Lous les t'omméra~e8
ùe Vianne SUI' nolre compte ...
Le vieillard el le jeune homme se rapprochèrent.
Il s avaient plus qlle jamais l'impres ion de travailler,
en défenc1an t Je bonheur ùe Dominique, ù effacer la
faute qu'iJ avaient commise en négligeant, comme
ils l 'I\vllicn L fai t jusqu'alors, lout 'e qui peul onstiluel' la vic sen timentale d'une jeune fille ...
- Mnilltcllan l, dit monsieur de Quansac, d'ulle
voix émue, en mcllanl la main sur l'épaule de Oll
pelit-fils, maintenant, il va falloir la rendre hl'\Il'cuse 1
�- Nous lui devons bien ça, dit Hugues, en jouant
la d ésinvollu l'e.
CHAPITRE JX
MENSONGB •••
Pendant que la scènc mi-dramatique, mi-burlesque
quc nous venons de l'aconIer déroulait ses péripéties
au manoir de Quansac, Dominique marchait à l'aventure dans la forêt de pins.
Scule, elle ne cherchait plus à dissimuler l'émolion extraordinaire qu'elle a vail ressenlie en apprenant pal' la lettre du docteur Viarnne les fiançailles de
Gérard Arland.
Il lui semblait qu'elle venait faire à cetle forêt
ses adicux: de jeune fille, comme si les coups répétés
so us lesquels vibrait son âme, lui avaient soudain
forgé une âme de femme.
Adieu, rêves puérils cl magnifiques 1 Adieu, touchantes illusions, qui nourrissent les âmes naïves 1
La vie, la véritable vic, lui avail fait signe ; clle nc
pouvait plus longtemps sc refuser à son appel, se refuser à voir qu'il est néccssa ire, pour vivre, de céder
nux compromissions, de l'enOllCer à tout Ct: qu'elle
croyait êtrc, si peu de Lemps auparilvant, le~
3cules
raisons valables de vivre.
lJ~IC
stupcur accablée régnait dans SO li âme, commc clic r6gnait dans ce sous-Loi s étouffant, que les
premièrcs chaleurs de l'été l'cndaicn 1 sem blable ù
nnc SCl're.
ElIc marchait au ha ,:lrd, dans une sorte d'égarcment fiévrcux de tout on èLrc, poussee: là plutl'[
'1u'nilleUl's par un souvcnir, IIne poo sée fugitive :
il lui scmbllât fuir ù travers les pins, comme !III
�C'EST VOUS Qtm J'ATTENDAIS
1. ..
animal blessé que la meute poursuit et veut déchirer.
Plus tard, lorsq ue, devenue femme, elle évoquera
les souvenirs de sa jeunesse, il en est un pour lequel
ell e n'aura jamais ce sourire un peu irooique, un
peu attendri, fJui accompagne de semblables évocations : ce sera le souvenir de ces h eures brûlantes,
passées a u milieu des arbres surchauffés, odorants ;
ell e connut alors l 'un e de ces souffrances si fortes,
que J'on 5e demarnde ensuite comment un faible cœur
de femm e, un CŒur fragile de jeune fille, peuvent
les supporter san s se rompre ...
Il serait vain de vouloir suivre dans leur maladif
et fiévreux développemen t, le flot d'idées, de pensées
sUl'gies soudain, qni, des heures durant, déroulèrent
devant les yeux h alluc in é de Dominique leur film inJ'ern al.
Le jour poursuivait sa course immuable, le soleil
tombait lentement vers l 'Océan, Dominique marchait
touj ou rs, en proie à lous les démon s ùe la douleur et
de l'angoi sse .
Elle se lai ssa tomber enfin, à genoux d'abord, puis
de tout son lo ng, SUI' le lapi s chaud el parfumé des
aiguilles de pin. Toules les larmes qu'elle av,lit trop
longtemps maîtrisées, affluèrent d'un coup, élouffan les.
Dominique, sans reten ue, pleura, pleura sur sa
j eu n esse m aintenant p erdue, sur tOl1t re qui étail
mort en elle en quelqlles h e lr e~.
Lorsqu'elle se releva, lin peu hon leu se vis-à-vis
d'elle-m êm , de la faibJ
es~
c10nl elle veuait de faire
preuve, le oleil étai t c1éjù Iln" ur J'horizon, le joUI'
co mm en ça it à baisser . La paix qui régnail dans la
de la chaleur,
forêt n'éta il plus J'acra hl eTTlrnl rc~é
mais le rec ueillemenl qlli ann once le Roir, ct précède
le silence féérique de la nuit.
4
�98
C'EST VOUS QUE J'ATTE;'lDAIS
1...
Elle fit quelques pas, Lout étourdie encore , cherchant à s'orienter. Et elle reconnut avec surprise que,
dans sa course à l'aventure, elle ne s'était guère
écartée du chemilll qu'elle suivait en général. Là, devant elle, s'ouvrait le petit sentier qui monlait, au
flanc de la dune, vers les tamaris torturés de la villa
Océania .
Les larmes qu'elle avait versées lui avaient fait du
bien en la soul ageant : sa douleur avait perdu cette
violence sauvage qui l 'avait jelée sur le sol, pantelante et vaincue . C'était mainlenant quelque chose de
gris qui lui empl issait l'âme, lui cachant la beauté
des choses qui l'entouraient.
Et Je désir lui vi nt, violent, irrésis tible, de voir,
une fois encore , cette terras e, ce peLi t mur bas, où
élait née toute la poésie de son impossible amour, où
il était venu mourir aussi, devant l'incompréhension
de celui qui l'avait fail naître.
Il lui emblait qu'ellsui te le sac rifice serait moins
dur, si elle pouvait emporter la vision de cetle lerl'asse, d éserte san s doute à celte heure, dans le <,aIme
du soir.
Elle monla ...
Elle connaissait si bien celle étroi le route, qu'elle
avait où mellre le pied pour ne pas glisser, à quelle
louffe de genêl elle devait s 'aocrocher. Elle mcltait
ses pas dan s ses pas. Il lui semblait qu'elle allait à un
Tendez-vous d'adieux ...
LOJ'sq Il 'elle fut parvenue à sa place accolJ tumée,
elle vil flue, comme elle J'avait prévu, la terrasse
étai t viuc.
désillu sioll ;
Peut-êlJ'e C11 rcsscnlit-cllc unc lé g(~ re
peut-êtrc, au pIn s sccre l ÙC son cocur, avait-elle désiré voir IIne foi's e ncore Jc vi 'age de Gérard, cc visage qu'clic avait porté si longtemps Cil clic, qu'elle
avait chéri , ct qui, maintcnant, devait s'cffo{'cr, s 'é-
�C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
!)!)
1. ..
vanouir comme une fumée légère, comme un point
lumin cux qui se perd dans la nuit.
Mais ce regret, - si rcgrct il y eut - Dominique
nc sc l'avoua m ême pas. Il demeura en elle, inexprim é, omme tant de nos désirs que nous ne voulons
pas même connaître.
Elle s'é ta blil commodément dans son observatoire
habituel. Elle dem eurerait là ju squ'à la nuit; comme
la prcmi ère fois qu'el le étaiL vcnue à Océania, elle a1'l'i''crai t en reLard pOUl' le dîner, mais là aussi il y
avait quelque chose de changé; elle savait bien que
de ce côté ellc n'avait plus d'obse rvation ni d'aigl
e~
récrim ination s à craindre ...
Le soir Lombait lentem ent, l 'environnant de sa magie accoutumée d e demi-Leintes cl. de parfums amorti s. Ellc se lai ssait pénéLrer par la féerie de l'heure,
qui atténuait e nfin sa IrisLesse , en fai sa it quelque
c hose de supporl able, de pre 'que doux ...
Et elle s 'aband onn ait à la r êverie vague, reposanIe pOUl' son esp rit, olt l 'c il traînaient ses souvenirs
ct ses pen sées ...
So ud ain, elle fut tirée ùe cel éLat agréable, que lui
imposai t la fatigue de es lieds, pal' lin beui l de
voix.
Elle jela un regard apeuré vers la terrasse ; clIo
esquissa un mouvem ent de (uite, pui elle s'immobili sa , craignanL d'aUireI' J'attenLion, de se faire hOIlLell emen 1 découvrir dans a ('ache lie.
Débouchant de derri\re la mai so n, cL s'aval çant
veJ's le mili eu de la terras c, un groupe parut, donL
la visioll DI batLro le coeur dc Dominiqlle. C'élaÎl
G.rrn rd, étcndu sur sa chaise-longue roulallte, que
l'0u s aiL le docteur Yiaml c .. .
L'homme qu'e lle avait le pl~
aimé au monde, e l
<'Clui pour qui so n cœur élait plein de m épris, s'avallçalen t, sour ianls, cau ant de choscs cl d 'a IlLrcs '
!/
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C'EST VOUS QUE J 'ATTENDA IS
1...
ils s'approchaient d'elle sans la voir et elle les regardait venir, immobilisée par la crainte de se trahir .. .
Ils vinrent jusqu'au bord de la terrasse, contre le
petit mur que Domi,niqu e avait si souplement franchi, lors de sa seconde et dernière visite à Gérard.
Ils s'établirent là, san s doute parce que c'était le
coin de la terrasse le mieux abrité du ven t frais qui
soufflait de la mer.
Ils étaient à quelques mètres d'elle, ig norants de
sa présence. Tant que le dom es tiqu e qui apportait
un fauteuil pour le docteur fût là, ils demeurèrent
silencieux, ou échangèrent de vagues paroles sur la
température, sur le plaisir qu'avait Gérjud à recevoir
la visite de son « ami )J le docteur. ..
Mais dès que le serviteur se fût éloi gné , Gérard sc
retourna sur sa chaise-longue, aulant que le lui permettait la demi-immobilité à laquelle il était condamné, et s'a dressa au docteur Vianne, su r un ton
fau ssement enjoué :
- Eh bien 1 docleur, dit-il, j e pense que vous
venez m'apprendre la réponse à la question que j e
vous avais chargé de poser à ... vous savez qui P
Sa voix j eune vihrail dans l 'air tranquille du soir,
et parvClllait à Dominique avec une ncllelé surprenanle. Elle n'ell perdait pas une syll abe. Sa ns qu'elle
su l pourquoi, elle écoulait avec passion, comme si
elle avait deviné que la eonversa li on qu'elle allait
~ ul'pr
en dre
de\uil profolldérnellt modifier le cours de
sa vie en lière.
La voix du docteur Vianne s'éleva, plus sourde,
comme assol1J bric pal' tout cc qui vivai t cl 'inexpri mable et de honteur dans le cœur de ccl homme.
- Ri en ente ndu, mOIl cher Gérard. Comme vous
le pen sez bien, j e n 'ai rien cu de plus pressé q11e
de ~oumeltrc
vol re cas à ma fiancée ...
�C'ESl'. VOUS QUE J 'ATTENDAIS
1...
101
... Sa fiancée 1
Dominique tressaillit: elle savait maintenant, aussi
clairement que si l'on avait prononcé son nom, que
c'était d'elle que le docteur Vianne parlait ... D 'elle,
qu'il avait J'audace insigne de présenter comme sa
fiancée ...
Comme pour lui enlever un dernier doute, Vianne
continua aussitôt :
- Mademoiselle de Quansac , naturellem ent, a trouvé tout comme moi que votre cas avait quelque
chose d'exceptionnellement romanesque ... Elle en a
souri, je ne vous le cache pas ... MilÎs j e li e dois pas
vous cacher non plus que son souril~e
con ten ait une
grande sympathie pour vous ... Les jeunes filles, vous
le savez, so nt loin de haïr le romaneStlue. .. et les
héros de romans .
Ii parlait lentement, avec une perfidie sava nte. Il
savait que chaque mot qn 'il prononçait élait poUl'
Gérard un coup de poignard nouveau, qui sans cesse,
sarns cesse, approfondissa il la même blessure ...
-.:.. Je ne vous ai pas nommé, n aturellem en t, poursuivait Vianne, mais j e ne pense pas qu'elle ne vous
ait pas reconnu. Certains détails, qui m'on t échappé
dans le feu de la narration, vous ont sans doute désigné à elle d'une manière évide nte ...
- Ainsi, interrompit Gérard, elle sava it bien que
c'était de moi qu'il s'agissait. ..
- J'en suis à peu près sCJ r ... Mais, n'est-cc pas,
vous m'avi ez bien dit que rela vous était éga l. Puisque vous devez quiLLer le pays, que quelqu'un comnai sse votre hi stoire, eeln lIO peut plus présenter
pour vous aucune importance ...
- AucuJle importance ...
Dominique voyait de profil le visage de Gérard.
Il avait renversé la We en arrière, s1Ir le doss ier de
�102
C'EST VOUS QUE J 'ATTENDAIS
1...
sa chaise-longue. II était blème, les narines pincées, les yeux mi-clos ...
- Du reste, vous savez, avec Dominique, il ne
peut y avoir aucune indiscrétion à craindre ...
- Je n'en doute pas .. .
- Donc, elle a entendu .votre histoire avec l'intérêt que vous devinez, et quand elle a su que vous
faisiez appel à elle pour approuver ou désapprouver
la décision que vous aviez prise, je ne vous cache pas
qu'elle a semblé ém ue, impressionnée par la r esponsab ilité qui, mal gré tout, lui incombai t...
Les paupi ères de Gérard ballirent plusieurs fois .
Vi siblement, il dépen sait une énergie immense pour
essayer de dissimuler son émotion aux yeux scrutateurs de Vianne.
- ... Et voici ce qu'elle m'a r épondu, poursuivit
celu i-ci avec une atroce lenteur. Allendez ... Voilà :
(( Vous direz à votre ami, m'a-t-elle dit, que la solitude qu'il veut s'imposer me paraît. être pour lui le
seul moyen d'être heureux. Car une âme délica te et
sensibl e comm e la sienne, capable de tout attendre
d 'une jeune fille avec qui il n'a causé qu'une seule
foi s, n'est certain em ent capable de trouver dans la
fréquen tati on du monde qu e d'incessantes rai sons de
souffrir ... » Oui, telles ont Mé J peu près exactement
ses paroles ... J'avoue que j e les trouve un peu dures,
un peu absolues, ct bien lelles qu'on pouvait s 'y all,endrc do la part d'une j eune fille comme Dominique de Quansac ...
Le docteur Viannc eu t pu parler encore longtemps
su r ce Ion ; visiblement, Gérard D O l'écoutait plus.
Les yeux complètemen t clos, il semblait évanoui,
Oll pire encorc.
Dominique restait clouée à sa place par une imp!'ession de surprise épouvan tée . Chaque mot du
docteur, chaquc expression ùe la physionomie de
�•
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1.. .
103
Gérard, avaient été pour elle un trait de lumière.
Elle comprenait, confusément encore, mais avec une
clar Lé grandissante, qu'elle éLait la victime d'une
machiavélique et abominable machination.
Elle fut sur le point de sor<tir brusquement de sa
cachette, de se précipiter sur III terrasse, avec les
mots de la vérité à la bouche ... Elle se contint cer:endant, n'osant croire encore aux perspectives
infinies et dorées qui s'ouvraient devant elle.
De tous ses yeux, de toutes ses oreilles, elle se tendit encore vers le spectade qui se déroulait devant
elle , comme pour bien se convaincre qu'elle n'était
pas le jouet d'une hallucination due à Id fièvre.
C'est exactement ce qu'a répondu mademoiselle de Quansac P dit eufin Gérard, d'une voix pesante, changée ...
- Exactement, dit le docteur .
- Vous la remer,cierez de sa ... ùe sa consultation,
dit le jeune homme avec UJI} sourire dont l'amertume perça le coeur ùe Dominique Et vous pourrez lui
ùire que je suivrai exactement son consei!. .. Oui, ~
partir d'à présent, je veux que le monde soit mort
pour moi comrne je s'3I'ai mort pour le monde ... Je
souhuile ne jamais guérir ...
- Gérard ... voyons, Gérard , dit le docteur, vagucment effrayé par l 'exalta Lion nerveuse où sc trouvait
soudain son inlerlocuLeur. Vous ,ne devez pas prendre
cela de celte façon. Si j 'avais ~u,
je me st:rai8 bien
gardé de vous l'apporter des paroles, qui Ile sont que
des propos de jeune fille, de jeune fille sans grande
expérience ...
- NOIl, non, reprit Gérurd, vous avez bien fail. ..
Mademoiselle de Quansac, Dominique de Quansac, voLre fiancée (il insisla sur ces deux mols avec une expression d'amertume atroce), a Sûrement parlé selon
son cœur, n 'csl-ce pas J~ C'est lout ce QllC ,je V01\-
�104
t)'BST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1. ..
lais savoir. Elle a raison : ce monde n'est pas fail
pour moi. J'aurais voulu qu'il fût selon les désirs
de mon coeur. Elle me montre que je sui s fou. C'est
un service qu'elle me rend ... Vous la remercierez,
vous r emerderez bien de ma part mademoiselle Dominique de Quansac ...
- Cal mez-vous, Gérard, j e vous en prie, calmezvous. Vou s me faites peur ...
- Mais j e suis calme 1 dit Gérard
Il fit un violent effort sur lui-même, se mordit les
lèvres presque jusqu'au sang, pour dompter l'exaltation qu 'il sentait croître en lui.
- Je vous demande pardon, docteur, dit-il au bout
d'un moment, de m'être ainsi laissé aller devaut
vous à un mouvement d'émotion - un peu trop person nel... Il faut m'excuser, cela ne m'arrivera plus.
- Mais, mon ami ... protesta le docteur Vianne,
avee gêne.
Puis, pour ne pas laisser s'ins taller entre eux un
silen ce pénible, il se hâla de parler d'autre chose,
au h asard. Il pronOlllçait des phrases imignifiantes,
auxquelles Gérard ne répon dait que par de vagues
monosyllabes.
La :;ituation devenait par trop pénible. Vianne jugea Lon d 'y meUre fin par son départ.
- Allons, dit-il en se levanL. Voilà qu'il se fait
lard. II va fal loir que j e me retire ... Croyez encore
Illne foi s, mon cher Gérard, que je sui s tout il fait
désolé d 'avo ir provoqué chez vou s une telle explosion de souffran ce.. . El remarquez bien que, contrairement II ma fian cée, je pense qu'il vaudrai l
mieu x pour vous, au lieu de vous iso ler, vivre un
peu dan s le monde, vous mêler à vos contemporain s ... C:elle Monique, dont vous m'avez parlé, l'aulre jour...
1
- Je vous en prie, docteur, dil Güard , d'une voix
�C'EST VOUS QUE J 'ATTEN UAIS
1...
105
so urd e, n e regrettez rien. Vous avez fait ce que je
vous avais demandé ; vous vous êtes conduit en
ami ... Quant à cetle Monique, dont vous parlez,
croyez que je sais bien maintemant qu'elle n'a jamais rien été pour moi, qu'elle ne sera jamais rien.
Il lendit une main au docteur , ;J.vec un sourire
déc hiré.
_ Adieu, docteur ... Je ne sais si je vo us reverrai.
Je compte quitter Océan ia le plus rapidement possible .. . demain matm sans doute. Je croyais bien ne
quitter cette villa que guéri, m ais Dieu en décide
autrement ...
Le docteur scrra fortement la main qu'on lui tendait, puis s'en fut en hâte, commc un assassir: qui
fuit le théâtre ' de son crime ... Il sentait vagueme.nt
qu'il vell ait de charger sa conscience d'un forfa it
abominable ...
Mais le r emord s était noyé dans un trouble sentiment : il lui semblait qu'il venait ainsi de se venger
de toutes les humiliatiolls dont monsieur de Quansac, Hugues e t Dominiflue l':waienl abreuvé ...
La jeune fille entendit décroître so n pas.
Elle sc se n tai 1 inondée cl 'une joie folle, d'une joie
si aiguë que ses nerfs, déjà mi s à l'épreuve par
tant de secousses, étaient il peine ('apab les de la supporler.
Mais soudain, ùan s l'absolu silell ce {l e la nuit venue, elle entendit, tout près d'elle, Uln bruit étrange
- qui la fit sc dresser d'lIn bond, le cœur émo,
l'âme bouleversée d'une compassion sans bornes.
AussitÔt après le départ du doctcar. Gérard
avait mis sa lête dans ses mains. Sans pudeul', sc
croyant scul dams la nuil, il sc mit ;\ pleurer. Les
larmes glissèren t d'abord, silencieuses el prcssées,
&U1' ses joues pâlies, puis, cédant à la doulclIf qui le
�106
C'EST YOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
rongeait, il pleura, comme un enfant, à gros sanglots ...
Le bruit de ces sanglots était parvenu, bouleversant, ju qu'à Dominique; elle s'élança, insouciante
de tout ce qui n'était pas ]a douleur de l'homme
qu'elle aimaiL...
Gérard n'entendit pas approcher son pas léger.
La tête dans ses mains, il appelait, de la voix rauque d'un enfant malade :
- Dominique 1 Dominique 1
Alors, ce fut comme un miracle ...
Sur son fron t brûlant de fièvre, une main fraîche
se posa, tandis qu'une voix - la voix unique, dont il
portail encore les accents dans le cœur, - murmurait:
- Me voici, Gérard ... Je suis là 1
Il releva brusquement le Iront, se demandant s'il
nc devenait pas fou ...
Irréelle, baignée des premiers rayons de la lune
qui se levait, Dominique se tenait immobile devant
lui ...
CHAPITRE X
Lorsque, revenu de la surprise extraordinaire, presque affolante, qu'il venait d'éprouver, Gérard recouvra l'usage de la parole, son premier met fut :
- Vous 1.. . VallS, ici, Dominique 1
Elle le regardait cn silence, sOllrinn le, troublée
ju fJu'au fond de l'âme par l'accent avec lequel il
prononçait son nom.
- Gérard, dit-elle, j'étais lit, n côté, pendant toute
la visite que vous a faite le docteur Vianne. Je n'ni
pas perdu un mot de votre conversation ... Avant
�C'E ST 'OUS QUE J'ATTENDAIS
1...
107
toule autre chose, je veux vous dire que cet homme
ment, qu'il lI1'a pas dil un mot qui so il vrai ...
Gérard tres'a illil :
- Quoi, dit-il, il m'aurait rapporté inexac lement
volre réponse P
- Pas m ême . Il l'a inventée de loules pi èces . Il ne
m'a jamais posé aucune question de votre part...
Gérard, je ne suis pas la fiancée du docteur Vianne ...
- Vous avez rompu avec lui ~
- Je TI'ai jamais été la fiancée du ùocteur Vianne ...
Il la regardail ave<: des yeux si largement ouverts
qu'elle se demanda s'il l'avait entendue, s'il l'avait
bien compri ·e. Elle répéta, plus fort, un e ardeur contenue dans la voix:
- Jamai s, jarnai je ri 'ai été la fiancée du docteur Vianne. Il a menti, depui s le dPbut. Maintenant
je comprends, je crois tout comprendre.. . Si lout
cela pouvait être vrai. Il me semble que je rêve ...
Peu à peu, la stupeur, la vague méfiance, qui
avaienl d'abord troublé le regard de Gérard, se dissipaient. Ils fai sa ient place à une joie étincelante, à
toute la lumi ère du triomphe.
Esl-ce poss ibl e, dit-il. Dominique, elites-moi
tout... loul .. Et i cel homme a menLi, s'il m'a
trompé en se di sa nt mon ami. ..
JI n'acheva pas sa phra r, mais fit un geste de
menace plus expressif qu'un long di scours.
- Oui, Gérard, je vous dirai tout... Le momenl
n'e t plu aux demi-confidences, et, quoi qu 'il pût en
coûter à ... a mon amour-propre, vous avez le droit
de tout savoir ...
Elle e laissa tomber dam le fauleuil ùe Vianne.
La main qu'elle avait posée sur ]e Iront de Gérard,
elui-<:i s'en étail emparé, el i] la serrait entre les
�J08
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
siennes, si fortement, que Dominique comprenait
qu'il s'attachait à celte main, comme au signe que
tout cela était bien réel, que c'était bien elle, Domi[lique, qu'il avait devanL lui, celle-là même que, si
peu d'instants auparavant, il croyait perdue à jamais ...
Et il ne lui déplaisait pas que, par moments, les
mains de Gérard serrassent la sienne an point de
lui faire mal...
Tout le Lemps que dura son récit. son long récit où
se mêlaient l'espoir et le désespoir, la joie et les
larmes, il [le la quitta pas des yeux. Indifférent à
tout ce qui n'était pas ses paroles, il écoutait les
mots qui le délivraient de l'affreux cauchemar où il
avait éLé sur le point de sombrer.
Quelques phrases se détaehaien t pour lui du récit
que faisait Dominique. Elles s'inscrivaient en son
coeur de façon si profonde qu'il ne devait plus jamais les oublier, qu'il devait les retrouver, toujours
fidèles, aux heures dures de la vie, ct y puiser force,
courage et joie ...
- ... Ces quelques heures passées ici près de
vous, l'année dernière, ont été les premières heures
de joie sans mélange de ma vic ... Il me semble que
('e n'est que de ce jour que j'ai commencé à vivre ...
« Vous ne m'avez pas quillé un instant pendant
ces longs mois où j'ignorais Lout de vous... Vous
marchiez à mes côtés pe1ndant toutes mes promenades, et je vous parlais tout bas ...
« ... Lorsque j',li vu s'ouvrir les volets de votre
villa, il m'a sem blé que le soleil se levait pour la
première fois depuis votre départ. Il m'a semblé que
Je monde enlier sOI'lait de la Lorpeur où voLre départ
l'avait plongé ... »
Quand! elle en vint à parler de la première visite
qu'elle lui avait faite, sa voix se troubla ; elle dé-
�C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
109
tourna un peu la tête, g~née
par le regard de Gérard.
- J'avais beaucoup lulté contre moi-même, ditelle, avant de trouver le courage de me présenter
ainsi devant vous ... A cc moment tout ce que mon
rêve avait d'absurdp, de fou, m'e,t apparu avec une
force extraordinaire .. . Je ne sais pas, vraiment, où
j'ai trouvé la force de franchir ce pelit mur, de
m'avancer vers vous, avec l'angoisse que vous ne
vous souveniez même pas de moi... Mais vous m'avez
reconnue tout de suite. Seulement, Gérard, alors, ce
fut plus terrible que tout... Peut-être aurais-je encore préféré que vous ne m'ayez pas reconnue ... Je
crois que j'aurais moins souffert.. . .vous vous souvenel. P
Gérard hocha la tête.
Il se souvenait de tout, de la douléur qui le bouleversait alors, à la pensée que Dominiqlle pouvait
jouer un double jeu, mentir devant IHi ... Il revivait,
avec une extraordinaire intensité, tout cc qui, il ce
moment, lui avait bouleversé le coeur.
- Pourtant, murmura-t-il, c'est vous que j'allendais ...
Ces simples mots émurent Dominique jusqu'alLx
larmes : il lui semblait que maintenant plus rien ne
pourrait s'opposer à son bOlflheur, que celte parole de
Gérard mettait le poin t final il toutes les souffrances
qu'elle avait ('onnues.
Elle reprit son réeit.
Elle dit dans quels sentiments, lorsqu'elle avait
entendu les paroles soupçonneuses et dures prononcées pnr Gérard', elle s'était enfuie, incapahle d'assister plus longtemps il l'anéantissement de ;;()Jî rêve
par celui-là même qui en nvait été l'objet.
A ce moment, dit-elle, j'ai vraimen l soull" ir{;
vous hait ... J'aurais été tellement pl ~ henreuse ...
�110
C'EST VOUS QUE J'ATTE:'IIDAIS
1...
mais. au contraire, - et je n'avais encore jamais
été si malheureuse .. .
Elle en vint enfln aux derniers actes du drame.
Elle dit. l'appui inattendu qu'elle avait trouvé, au
moment où elle se sentait le plus abandonnée, dam
le cœur de son grand-père. Mais cette bonté même
n'avait pu la sauver. Elle n'avait fait que la confirmer davantage dans la pensée qu'elle devait se sacrifier à sa famille, accomplir la volonté de son grandpère, même alors qu'il prétendait être tout prêt à
changer d'avis ...
Seulement, jlU moment où elle allait consentir,
dire à Vianne qu'elle était prêle à devenir sa femme,
celui-ri l'avait une fois de plus révoltée par la grossièrelé de ses insillltations, par l'air de triomphe
a vec lequel il lui avait révélé qu'il connaissait son
secret: une fois d'e plus, elle l'avait repoussé définiI.ivemen t, celle fois-là ; du moins, l'avait-elle imaginé . ..
Elle dépeigmit le tourbillon qui s'étail élevé dans
on coeur en lisant, le matin même, la lettre de
Vianne par laquelle celui-d, revenant à la charge, se
déclarait désigné par Gérard lui-même pour lui apprendre les fiançailles de celui-ci.
- Je vous dis des choses, Gérard, qu'une jeune
fille, sarns doute, TIe devrait pas dire, mais il me semble qne je le puis. Lorsque .i 'ai appris que vous étiez
fiancé, j'ai connu une douleur à laquelle rien de ce
CJue j'avais éprouvé jusqu'alors ne pouvait être comparé. LorsCJue je marchais, ret après-midi, dans la
for!!t, j'ai cu penr de devenir folle. Qne vom n'avez
pour moi aucune amitié, je Irouvais cela terrihle,
11L'lis je me disais qn'h la longne je pourrais peut-êlre
non pas oublier, mais an moirns me consoler ... Tandis que la pensée que vous ... aimir7. une autre jeune
fille, m'était absoll,lment insupportable ... Je sais que
�C'\<! ST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1. ..
1i)
c'esl illogique, ridicule même. .. Ce n'esl pas la
peine de me le dire. Mais on ne peul rien ~ ces choses-là ... El quand je suis venue ln, derri(>re cc pelit
mur, je vous jure que je /l'avais pas l'inlenlion de
me montrer à vous ... Jc croyais tellement que tout
cela éla it mort pour moi ... Je voulais seulement dire
adieu il la lerrasse, il la villa, 11 ces tamaris, derrière
lesquels, si souvent, j'avais rêvé à ... à l'année dernière . .. El puis, je vous ai vu, j'ai vu Vianne . . . J'ai
toul entendu ... et voilà ... voilà 1
Elle se lul.
Elle pensa qu'il devait être forl tard, quc son
grand-père et son frère s'inquiéteraient sans doule.
Mais quand ils sauraient. ..
A son tour, Gérard parla .
El son récit fut, il peu de chose près, le même que
celui de Domiuique. Ell e s'émerveil!a it de retrouver dans les paroles du jeune homme les
mêmes émois, les mêmes souffrances qui avaient
fait s'épanouir ou sc conlracler son âme.
Et sans cesse, revenait sur les lèvres de Gérard
celle phru e qu'elle enlendait loujours avec 11n plaisir nouveau, avec une émotion taule neuve :
- C'est vous gue j'allendai, Dominique; c'est
vous que j 'allendnis ... A travers tout. ct Lous, c'est
vous que je cherchai. C'est vous que je suis venu
allendre ici ... et c'est vous que j'ai cru devoir fuir . ..
Mais c'est fini, n'est-cc pas P C'est fini, tout cela.
Maintonanl, vous savez ... que je vous aime ...
- Et vous savez que je vous aime ...
Elle prollonçn celle phrase d'une voix claire, sans
défaillance. lHais aussitôL après, elle détourna ]01 têle
comme pour di ssimuler à Gérard la rougeur gui couvrait son visage : comme si la nuit qlli les enveloppait eul permis au jeune homme de lirél EUr son vi.
sage 1...
�112
O'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1.. .
Ils se turent ; lie s'étaiool-ils pas lout dit p
La terrasse était devenue pour e.! 'C Ill! coin du paradi.;. Mais plus que l'heure exquise, plus que le
charme berceur et enveloppant du murmure de
l'Océan, plus que la féerie en noir el bleu que jouai 1
la lune sur les dalles blanches de la terrasse, ce qui
les émouvait par-dessus tout, c'étaient ces mots,
qu'ils dirent ensemble ;
- Mon Dieu 1 Comme j'ai allendu cela ...
Ils étaient comblés. Aucun mot, aucun geste n'eut
pu accroître leur bonheur. ..
Gérard sortit le premier de l'espèce de lét.hargie où
le bonheur les plongeait ;
- Dans tout cela, mon aimée, dit-il, JIOUS aVO/l S
été les victimes des machination s d 'un homme qui
nous a tous les deux trompés de la façon la plus
cruelle, la plus criminelle... Il me semble que tout
ce qu'il nous a fait subir lie sera effacé que lorsqu'il
aura subi le châtiment de son crime ...
- Oh 1 Gérard, dit Dominique en souriant, pouvez-vous vraiment penser à la vengeance en ee moment P
- Oui, dit énergiquement Gérard. Mais vous aver.
lorl d'appeler cela une vengean ce. C'est un acte de
justice que je veux accomplir. On ne peut pas laisser
un lâche de celle sorte poursuiYTc impunément set
manœuvres ... Songez qu'il a failli nous séparer li
jamais, Dominique ... Cc qui a échoué ici, peut réussir ailleurs. On n'a pas Je droit de connaitre un méchalTlt sans Je démasquer ponr l'empêcher de nuire .
- Mais que vonler.-vous faire, Gérard P
- Je n'en sais rien encore, je veux y réfléchir ...
J'aurais été seul ;\ souffrir, pent-être que j'aurais cu
le courage de mépri ser- ('et individu. Mais il vous a
fait souffrir, vous, Dominique, mon amie. Et cela,
je ne ponrr<li jamlliR l'oublier ...
�C'EST VOUS QUR J'ATTENDAIS
1...
113
Vous a vez l'air terrible, Gérard ...
- Je peux l'être ...
Ils se sourirent dans l'ombre.
- Maintenant, mon ami, dit Dominique, en se levant, il faut que je parle ... Il ne faut pas que le
bonheur nous rende égoïstes... Mon grand-père el
mon frère m'allendent et s'iJnquiètent.. .
- Oh 1 Dominique, j'aimerais tant pouvoir vous
raccompagner ... comme la première fois .. .
_ Dans quelque temps, mon ami. Mais je reviendrai, demain, demain matin ...
- Que la nuit va être longue 1...
- Vous dormirez ...
- Au revoir, Dominique !
- Au revoir, Gérard !
Douceur de prononcer ces 1 prénoms, qui ont si
longtemp vécu ser~tmn
dans les cœu~s.
Douecu!' de pouvoir leur donner à voix haute les douces
Îlltonatioos avcc lesquelles on les murmurait ...
De toute cette journée, si fertile CJn émotions afl'reuses cL délicieuses, la seule heure don L Dominique
e sc souvint jamais, ('e fut celle qu'elle mit à parcourir le chemin qui séparait la villa Océania du malIoir de Quansac.
Elle était dans un tel trouble que, inattentive à tout
Ge qui l'entourait, elle ne vivaiL qu'en elle-même,
penchée sur les douces images de l'avenir que son
cerveau lui présen tait .. .
Elle ne reprit vraiment conscience que 10rsqu'ellQ
fut devant la haute grille du parc de Quansac.
Alors, une dernière fois, avant de rentrer, elle
jeta un regard émerveillé à la nuit qui l'entourait:
nuit troublante, tiède, où tout conspire pour faire
naître de la joie dans les ûmes ... Les arbres jetaient
sur la route leurs grandes ombres droites et dures ;
au loin, sur un marais, une buée légère OoUait. Et
�114
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
loul élail calme, divinement calme, comme si le
monde enlier avait enfin trouvé le repos et le bonheur ...
Lorsqu'elle approcha de la maison, elle vit que,
seules, les fenêtres du salon brillaient. Elle ignorait
l'heure qu'il était, mais elle comprit que ceux qui
J'attendaien l avaioo t fini de dîner .
Le cœur un peu ballant, elle poussa la porte vitrée
du salon, se présenta dans le cercle de lumière que
faisait la lampe à huile, juchée sur son haut piédeslaI.
Une double exclamation l'accueillit :
- Ah 1 ma chérie 1 Que 'lu nous as fait peur. ..
s'écria monsieur de Quansac ...
- C'est idiot de rentrer à des heures pareilles 1
dit Hugues, en sc levaut el cn allanl vers sa sœur .
- Je vous demande pardon ù tous les deux, d il.elle, mais quand vous saurez ...
Jls l'entouraient, la regardaient avec des yeux où
hrillaÏL une affection qu'elle avail désespéré de connaître. Les mains de monsieur de Quansac lremblaien l un peu. Toule la soirée, dans l 'inquié l ude
croissanle où l'avait plongé le retard de sa pe til.efille, le vieillard n'avail ces é d'imaginer touLes les
pensées folles el les décisions mon trueuses qui peuvent naître dalfls le ('crveau d 'nne jeune fille q ui
souffre dans son amour ...
El. l'exrlamaLion d'Hugnes, plllS brutale dans sa
forme, ne manquait pas moins d'afIectu~
anxiété.
- .J ';Ii dit qll'OTI garde IOIl d?ner au chaud , repril
monsieur de Quansac. No6mie va te l'apporter ...
- No Il , merci, je n'ai p:\~
faim du touL, dit. Dominique. Il faul qne je vons dise ...
Alors, le grand-pl're ct Je petit-fils, regardant plus
allentive01enl Dominique, virent, à son visage, n l'é-
�Ç' EST VO U S QUE J ' ATTENDAIS
1...
115
clat de ses yen x que quelque chose d'extraordinaire
venait de se produire.
- .Te suis fiancée avec Gér:u'd Arlarnd ... si vous
voulez bien lne le permettre gralld-père ...
- Tu es... Tu es .fiancée 1
La stupeur se peignit sur le visage d Il vieillard,
tandis qu'Hugues fronçait les sourdIs, â l'annonce
vraiment trop peu protocolaire de cette nouvelle.
Alors, aux deux hommes attentifs, Domilflique narra, aussi brièvement que possible, les événements de
la soirée, Elle s'efforçait d'en faire un récit aussi
neutre que possible, honteuse presque de laisser lire
ces deux hommes dans son coeur pudique cl passion né de jeune fille. Mais, malgré elle, ses soudairnes
rougeurs, certains tons de sa voix, révélaient à monsieur de Quansac et à lIugues toules les émotions de
la jeune fille.
- Allons! dit SOlfl grand-père, lorsqu'elle eut fini.
Je ne connais ce Gérard que par ce que tu m'en dis ...
Mais j'avoue qu'il me paraît sympathique ...
Ce qu'Hugues avait surtout retenu de cc récit, une
fois passée sa légilime émotion en apprenant les fiançailles de sa soeur, c'élaÏl le rôle inf;Îme joué dam
Lonte cette affai re par le docleur Vianne.
n raconla à son tour à Sa sœur comment s'était
déroulée la visite de Vianne, durant l'après-midi, ct
comment il en avait exigé des excuses sati sfaisantes.
- AilflSi, poursuivit-il, reLie canaille, à peine sorlie d'ici, a couru chez ton ... chez Gérard, et a recommencé ses maneuvres el ses mensonges ... Mais il est
infernal!... Mais il faut le démasquer immédiatement, le mettre hors d'élat de nuire ...
Dominique ne put s'empêcher de sourire :
- 1'u parles exactement comme Gérard Arlnnd ...
J'espère que vous vous CIl1tendrez ...
�116
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1. ..
Il a trouvé le moyen de tirer une vengeance
éclatante de cet individu il
- Pas encore ... mais je pense que la nuit lui porlera conseil. .. Je dois le revoir demain ... demain matin.
- J'irai avec toi, dit Hugues. D'abord, ce sera
plus con venahle, ensuite il me tarde de faite la
connaissance de ce garçon ; enfin, je veux m'entendre avec lui sur les moyens de faire payer à ce Vianne
son abominable conduite ...
Il éLait près de minuit lorsque Dominique monta
dans sa chambre. TouL lui paraissait transformé ; en
elle, aulour d'elle ... Elle vint, comme elle en avait
coutume, s'accouder un instant ù son balcon. Elle
tourna son regard vers Océania, du geste qui lui était
ùevenu instinctif.
Alors, elle sourit doucement...
Par les soins de Gérard, ù qui elle avail dit que
chaque soir elle essayait d'apercevoir les lumières de
la villa, toules les fenêtres resplendissaient dans la
nuit profonde. Et la villa lumineuse sc découpait
seule dans le noir, semblable à un grand vaisseau qui
elît porlé sur la mer houleuse' de la vie, les bonheurs
des deux jeunes gens ...
CIIAPITRE Xl
Le lendemairn matin, vers dix heures, Dominique
el Hugues prirent le chemin de la villa Océania. Hugues s'apercevait avec un peu d'émotion que, depuis
bien des années, il n'était ainsi sorti avec sa sœur,
cl celle sim pIe remarque suffi 1 à lui faire prendre
consci In ce, au si nettement que l'avait fait monsieur
de Quansac, qu'il ne s'élait pas conduit en véritable
{rère alné de Dominique.
�C'EST
vous
QUE J'ATTENDAIS
1...
117
Il posa une main affectueuse sur l'épaule de la
jeune fille :
- Hein, Dom 1 dit-il, ça nous rajeunit, celle petite
promenade matinale ...
n n'en dit pas plus, mais cela suffit à Dominique
pour Jui faire sentir que l'alliance fraternelle était
scellée de nouveau, et plus solidement que jamais.
Dominique n'osa pas emprunter avec son frère le
petit sentier qu'elle suivait généralement: il lui paraissait en effel impossible de contraindre Hugues à
sc présenter - pour une visite en somme protocolaire - en sau tan t le peli t mur de la terrasse ...
Ils suivirent donc la route sinueuse et montante
qui menait à la villa.
On les introduisit d'abord dans le salon, ct Dominique j eta autour d'elle un regRrd ému, en reconnaissan t la pi~e
où elle avait pris le thé avec Grrard,
en ce jour qui décida de toule sa vic ...
Mais, presque aussitôt, Gérard pria qu'on les condllisît sur la terrasse, où il se trouvait. .
Dominique fit les présentations, et ne put s'empêcher de sourire, devan 1 le regard scruta teur qu'échangèrent son frère et son fiancé, comme s'ils
avaient voulu, dès l'abord, se sonder le cœur el
l'âme.
Mais cc premier et rapide examen mutuel dut être
favorable de parl el d'autre, car les deux jeunes gens
échangèrent ooe poignée de main pleine de cQI'dialité.
- Je pense, dit Gérard, que mon élat m'excuse auprès de vous de ne m'être pas encore pl'ésenté il
Quansac... Mais j'en ai encore pour bien des jours
avant de pouvoir mettre le pied par terre.
- Oh 1 je vous en prie, dit IIugues, ce n'est pas
une visite officielle que je vous fais... Simplement,
Dominique m'a mis au courant de tout ce qui s'est
/
�11 8
C' EST VOUS QUE J'AT TENDAIS
l...
pa ssé et je n'ai pas vouhl tarder davantage à faire
votre connaissancc ...
Dominique et Gérard échangèrent un tendre regard , que, di scrètement, Hugues feignit de ne pas
saisir.
Mais Hugues n'aimait pas les longs détours ct les
circonlocutions :
- Je ne vous cacherai pas, dit-il, que ma visite de
ce matin avait un autre hut que de vous connaHre ...
Dominique m'a révélé les ténébreuses machinations
d'un homme que j'ai peine à appeler par son nom ...
Ce docteur Vianne est bien la pl us SaULDre canaille
que j'aie jamais cOlIlnue ...
- Là, nous sommes entièrement d'accord ...
- Eh bien 1 mon avis, et Dominique m'affirme
que là au ssi nous serons d'accord, mon avis est que
nou s devons tirer une vengeance éclatan ttl dr cet être
malfai sant. Et c'est sur cc point que je suis venu vous
consultcr ... Sans parler de la lâcheté de son manège,
il s'est permis de vous annoncer ses fiançailles avec
Dominique comme une chose faite, alors que, ]a suite
l'a prouvé, rien n'était plus éloigné de la vérité, et
mon grand-père ni moi ne pouvons tolérer urne pareille in solence. D'autre part, .le sais qu'à plusieurs
rcpri ses, il a tenu des propos du même genre à d'es
familles voisines, ct, puisque son indiscrétion a été
générali sée, je pense que son exéculion devrait être
publique ...
- .J'avoue, dil Gérard, que j'y ai songé comme
vous, hier au soir ... Mais, celle nuit, j'ai réfléchi.
Vous comprenez bien que ce n'est pas par égard pour
cel i,ndividu que j'ai changé d'opinion. Mais j'ai songé à Dominique ... J'ai compris qu'il ne faut à aucun
prix la m{\ler fi une cxplication publique ... Le dégoût que m'in spire cet homme ne me (ait cependant
pas oublier combien volre soeur II dirait au calme, ct,
�C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1...
119
SUl·tout, à n'être pas mêlée à une discussion avec le
docteur ...
- Vous ne voulez pourtant pas laisser Vianne impuni...
- Certes, non, dit Gérard. Mais nous pouvons
faire les choses plus discrètemen t, sallls que l'amourpropre de cet individu, qui est immense, comme
vous avez pu le constater en souffre moins ...
Alors, entre les trois jeunes gens, un complot
s'ébaucha, se dessina, prit forme ... ,Et lorsque, une
heure plus tard, ils se séparèrent, tout était arrêté
dans ses moindres lignes, de l'action qui devait faire
payer à Vianne le rôle criminel qu'il avait voulu
jouer dans la vie de Gérard et de Dominique.
Le lendemain même de ce jour, monsieur de QuaJlsac reçut une longue lellre de Gérard ArlancL
En s'ex.cusant de circonstances qui l'empêchaient
de se présenter lui-même, et disant qu'il n'avaiL pas
Je courage d'attendre l'ùrivée de sc parents, bien
que la chose eftt été plus correcte, Gérard se présentait à monsieur de Quansac, cL lui demandait la
main de sa pet ite-fille.
Le ton respectueux ct digne de celle leUre plut
beaucoup au vieillard, ependant forL difficile el
presque pointilleux pour tout ce qui touchait au protocole, et il décida de e rendre en personne auprès
de Gérard Arland.
Les résultaIs de cette vigiLe, qn'il fit le jour même,
furent des plus f. vorables. Gérard, qui avait vile remarqué j'imporlance que le vieillard attachait ù la
wnaiSSanCCl), Jui parla négligemment de qurlque -un!:
de ses parents, qui appartenaient, du côté de ~a mère,
à Ja véritable aristocratie française, ct l'innocente
manie de monsieur de Qua.lllsac en fut doucement
flattée. Les renseignements complémentaires, qu'il
�120
C'EST VOUS QUE J 'ATTENDA IS /...
sut don ner san s y paraître, sur sa fortune, l'imporlance de la mai son de commerce aux desli'l1ées de laquelle présidait son père. impressionnèrent favorabl ement monsieur de Quan sac , qui revint fort conten t de cette vi site.
Dominique attendait avec impatience le retour de
son grand-père , sachant combien celui-ci était homme à demeurer sur une première impression.
Mais il la rassura lout de suite, pal' une de ces
phrases à la fois enjouées et tendrps, que Dominique
~ 'habi tua it malaisémen t à lui en tendre prononcer :
- Petite, dit-il en revenant, si j'avais une seconde petite-fille, je ne me mêlerais plus de lui chercher un mari. Les jeunes fille s d'aujourd'hui me
paraissent s'y connaître à merveille ...
M. de Quansac avait naturellement été mis au courant du projet de vengeance qu'avaient formé les
trois jeunes gens. Il avait été entièrement d'accord
avec Gérard pour penser qu'il fallait à tout prix évileI' un éclat public, qui eût am ené le nom de Dominique sur toules les lèvres, ct il sut gré à Gérard
d 'y avoir so ngé de lui-même, malgré la haine qu'il
avait vouée au docteur.
Quant au projet en lui-m t:me, il l'accepta avec
un petit sourire, pensan t à part lui que la jeunesse
moderne avait d'é tranges raffirnemen ts de cruauté ...
Et, le soir même, Gérard fit parvenir nn mot au
docteur Vianne, le prian t de se rendre auprès de lui.
Vianne fut surpris de 1'all ure pleine de liberté
d'esprit qu'avait la lettre de Gérard: l'étaL dans lequel il avait laissé le j eun e homme - état qui n',1vail pas été san s l'inquiéter - ne perm ettait pas de
suppo el' la possibilité d'une si prompte gué rison.
Persuadé qu'il allait « apprendre du nouveau »,
ct se demandant avec curiosité quel il pouvait être,
Vianne se rendit au s5ilôt r. l'app el de Gérard.
�a'EHT
vous
QUE J'ATTENUAIS
l. ..
121
Lorsqu'il parut devant lui, Gérard eut beaucoup
de peine à se maîtriser pour ne pas lui crier son
mépris en fa~e.
Mais la perspective de ce qu'il lui
avait préparé suffit à aider le jeune homme à garder son calme.
- Je vous croyais parti ! s'écria Vianne en arrivant. Remarquez bien que j e ne me plains pas de
vous revoir ici.. .
- Oui, dit Gérard', j'ai beaucoup réfléchi.. . Je
crois que j'ai été sur le point de faire une sottise.
Les conseils de Mlle de Quansac sonl en efret bien
romanesques. Aussi, j'ai décidé de revoir la jeune
fi ll e donl je vous ai parlé, ct qui est la cause innocente, après tout, de mon accident. Elle va venir
ici, avec ma famille, demain ou après-demain ...
- Eh bien ! je suis enchanté de vous voir dans
ces dispositions, dit Viall1ne, soulagé d'un grand
poids .. . Ainsi, vous allez probablement vous fiancer P
- Très probablemenl... Et me marier dès que
mes jambes recommenceront il fon~tier.
- Mais c'est un très beau programmc.. . Vous
voyez, vous y êtes venu, vous aussi, au mariage ... Et
vous serez peul-être marié avanl moi ...
- C'est fort possible . .. Mais, mon cher docteur,
vo ici pourquoi je VOliS ai prié de venir ... Depuis que
je suis ici, j'ai vécu comme un souvage, el il m'élait bien difficile de faire autrement. J'aimerais que ,
lorsque ma famille sera là, cela change un peu. Je
voudrais donner en l'honneur de leur arrivée une
pelite fêle à « Océania ».. . Or, si j'envoyais des invi lalions moi-même, cela aurait l'air be.1UCOUp trop
cérémonieux pour ce que je veux f/lire ... Je comple
donc sur vous, qui connaissez à peu prl.s toul le
pays, pour organiser cela sous forme de surprisepartie ... Vous comprenez .. .
�J''''
C'EST VOU!:! Q UE J'ATTENDAIS
1...
- Mais parfaitement 1. . . Et c'est une idée excellenle ... Vous pouvez 'a bsolument compler sur moi ...
- Vous êles Lout à fait aimable .... J'espère que
j'aurais ainsi l'occasion de voir Mlle de Quansac ...
Car j e compte absolument su r votre fiancée ...
Vianne rougit légèrement :
- Je ne puis vou s promettre absolument qu'elle
viendra, dit-il avec un peu de gêne . Elle a le monde
on horreur, vous savez. Elle ne sort jamais ...
- Oh 1 quel dommage 1 Enfin, naturellement, je
Il e veux: pas êlre indi scret... :Mais, je voulais vous
demander encore a utre chose. En invitant ceux qu'il
vous plaira, oralement, bien e ntend u, vous seriez
Lrès aimable de glisser, discrètement, que j e suis
fiancé, ct que c'es l surLou t en l'h onneu r de ma fiancée qlle se donne celle petite fête ...
- Entenùu ...
- Oni, ce [Tl 'est pas officiel , naturellement, mais
je compte beauco up sur celLe soirée pour aboutir à
mes fiallC:ai ll es.. . Inulile ùe nommer ma fi a ncée ...
Personne Ine la connait ici ; di les , si vous voulez, que
vous la conna issez, vo us, dites même, si vous voulez, qu e c'est vous q ui me l'avez fait cOJlnnÎtre, et
que vou s ne la nommez pas pour en foire la surprise .. .
Le do/'Leu J' rit de bon cœur à celle sugges tion :
Ah 1 mon ch er Gérard, cOll1me j'aim o vous
voi t' ainsi 1 u moins, vou reprellcz go1'l t Ù l'exislen ce 1 E l puis, l 'on peut dire que vous vo us enLendez à III publi 'ité 1. .. Je con nai s les gens d'ici :
. i j e le u/' dis CJuc je a is qui est voire fi ancée ,
mai s quc j c veux: qll 'ils en a ielll la s urpl'ise , il s vont
Ûll'e fous de ('uriosité .. . Il s vont arriver cn Ioule ...
- Eh biell 1 tant mieux ...
Il ful cOllve nu que cclte petile soirée aurait lieu
(luatre jOIlr
~ plu s Lard. 'l'oules les qucsLioll s malé-
�C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1. . .
123
Tielles furent résolues sur le champ. Et lorsque le
docteur s'en alla, Gérard lui dit, d'un air un peu
gêné:
- Maintenant, mon cher ami, je vous demanderais - que cela ne vous fâche, n'est ·ce pas P de ne pas revenir avant la soirée ... Je vais être avec
ma famille, avec celte jeune fille .. .
-Mais naturellemenl, voyons, di t Je docteur.
Rien de pl us légitime... Du reste, je vais courir Je
département, et je veux que vous ayez ic: deux cenIs
personnes ...
- Ce sera charmant 1 dit Gérard.
Les deux hommes se séparèrent sur une cordiale
poignée de mains, qui coûta un peu à Gérard ...
Dès le lendemàin, Mme Arland, le frère et la sœur
de Gérard arrivèrent à « Oeéania ».
L'idée qU';ivaiL eue Jeur fils de venir s'enfermer
seul dans celte villa après son aociden t leur avail
paru à tous le comble de la Jolie.
Mais lorsque Gérard leur annonça que, sans
bouger de sa chaise-longue, il avaiL trouvé la compagne idéale de sa vie, ils se regardèrent tous, en se
demandant s'il ne délirait pas.
H fallul, pour les convaincre, que Gérard, lc soir
même, reçut la visile d'Hugues et de DomÏIlique. Ce
furent alors des exclamations sans fin : jamais, l'on
n'a vai t entendu parler de fiançailles si romanesques 1
Et tout cela était ridiculement peu protocolaire !
Etc. elc.
l\1ais la visile que ;Mme Arland rendit en hâte à
M. dc Quansac calma son émotion.
Il Ile fut plus que tion que de préparatirs de la
fêle par laqllello Gérard comptait rendre publiques
ses fiançailles avec Dominique. Celle-ci et IIugues
sympathisèrent fort avec Denise el Pierre Arland, el
les apri~s-md
sur la terrasse élaien t pleines de gaie-
�124
C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
1. ..
té. Le doctem ,virunne, conformément à ce que lui
avait demandé Gérard, ne remit pas les pieds à la
villa pendant ces trois jours : il n'eût pas m;wqué
d'être fort surpris s'il eût vu dans quelle compagnie
Gérard passait ces heures 1
Vint enfin le soir tant attendu, où le booheur des
deux jeunes gens devait être consacré pàr la publicité, et où Vianne devait expier dans son amour-propre sa vilenie à l'égard de Dominique ...
La nuit était magnifique, et le spectacle qu~ofri
rent bientôt les salons et la ter:rasse d'cc Océania »
étaient délicieux. Robes claires et habits, dans la
nuit chaude, aux accords d'un orchestre venu de
Bayonne, commencèrent à danser.
Le docteur Vianne était épanoui.
- ,vous savez, dit-il à Gérard, j'ai parlé partout
de votre fiancée probable... Et les gens sont surexcités de curiosité... Mais, où est-elle P Pourquoi
n'est-elle pas encore là P
- Elle achève de s'habiller, dit Lranquillement
Gérard. Les jeunes filles, vous savez ...
Et le doctew' Vianne, ÏJncessamment assailli des
questions curieuses de ceux CJu 'il avait amenés, répon.d ait avec assurance: (( qu'on verrait bien ... .»
Soudain, Vianne crut être frappé dJ'une hallucinatioo ...
Dans l'encadrement de la baie vitrée qui faisait
communiquer Je salo11 ct la terrasse, une jeune fille
venail d'apparaître, divinemen t belle dans sa robe
de satin blanc, unie ct simple comme une vraie robe de fiancée ...
Dominique 1...
Elle donnait la main à Denise Arland ...
Vianne passa une main lremblante sur soo front.
Il vit aussitôt le piège affreux que Gérard lui avait
�C'EST VOUS QUE J'ATTENDAIS
J...
125
tendu . .. Déjà, autour de lui, un chuchotement surpris courait :
- Mais c'est la petite de Quansac ... Dominique de
Quansac J. .. Je la croyais fiancée au docteur ...
VianiJ1e fut très en louré.
Au supplice, il fut contraint de sourire, d'expliquer .... Une sueur froidc perlait à son front.
Dominique vint à lui, escortée d'Hugues.
Bonsoir, docleur, dit-elle, la main tendue.
On les regardait ... Il dut s'incliner, dire quelques
mols aimables sous le regard fixe de la jeune fille,
et l'ironique sourire de son frère . Il était éperdu de
honte et de fureur. Ceux qui tiraient de lui une telle
vengeance connaissaient bien son caractère : il eut
moins souffert d'un éclat public, sous lequel il eût
pu redresser la tête, être in solent, que du coup qu'il
venait de recevoir, qu'il devait « CIIlcaisser » en silence, sadlant que seuls ceux qui venaient de le lui
porter savouraient son humiliation.
Dès qu'il le put, il disparut. ..
Deux jours plus lard, il regagnait Paris, où il déclara que ses anciens maîtres l'appelaient...
,EPILOGUE
Deux mois plus tard, à la fin du mois d'aolîl, le
mariage de Dominique de Quan snc et de Gérard Arland fut célébré ùans la petite église de Sainl-Michel-plage.
Toules leurs épreuves oubJiées, ils Ile pensaient
plus qu'à l'ineffable bonheur de celle vie à deux qui
s'<"IuvmÏl devant eux. El, à une amie qui lui de-
�126
C'EST VOUS QUE J'ATTE:'<DAIS
1. ..
mandait indiscrètement où aLlaÏl se d(~l'ouer
son
voyage de noces, Dominique répondit en souriant.
- Oh 1 Pas bien loin ... A « Océania », lout simplement.. . Tant de souvenirs nous y rallachent 1 Pensez que c'esL HI que Gérard a appris mes fiançailles ..•
L'amie ne comprit pas et pensa que le bonheur
commençait à faire tourner la tête de Dominique ...
FIN
�MA CHÈRE PETITE VILLE
Par
ALBERT
BONNEAU
CHAPITRE PREMIER
UNE ÉMULE TJE JULIETTE
J'aim e Emile Lancelot.
_ Eh bien 1 me direz-vom. cr. lisant ce tte première page de mon cahier, le faiL n'a rien d'extraordinaire cm soi. Vbus avel. vin g l ao.; , vous vous
,1 ppelez Marinelle Fontan, on vous con,itlère comme
la future h érlLière d'une de plus belles fortun es du
« pays », Votre phys ique est flgl'rab le, et ce qui ne
gâ le rien , vous possédez des qualilés certailles pour
fonder un foyer et deven ir un e excellellk maman .. ,
De son côté, Emile Lancelot a vingt-huit ans, il
esL gra nd, brun, sympa thique, Il a aC}le,'~
toules ses
étud es de pharma cie eL il precdl':J in cessamm en L la
success ion de son père. Fils unig ue, il a pour lui un
bel avenir en perspecl ive : trois rlomain<:s considérés
comme les plus riches e t les mieux teliln du pays ,
~a n s compter les J'cn les, car les Lancelol so n t gens
pl'aliques cL vcillellt j aJou seffil'llL ô conserve l' le pall'imoine que leur ollL lég ué leurs aïeux .. ,
(A suiv r c.)
�Imp ..1. Té'llli, 3 /lis, rue de ln Sablière, Paris (['rance) . -1086-;-38 '
�glllllllllll.'.,"., •••••• "" •••••••• II., •••• , •••• "'1, •• ,'1""""""""'" ••• 1111111, •• 1111111111111111IIV,!
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Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Morin-Sarrus , Jacques
Title
A name given to the resource
C'est vous que j'attendais!... : roman
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Société d'éditions publications et industries annexes
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
impr. 1938
Description
An account of the resource
Collection Fama ; 593
Type
The nature or genre of the resource
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Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
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Language
A language of the resource
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Identifier
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BUCA_Bastaire_Fama_593_C90883
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a7241ba0762c1892149b31bb2596d329
PDF Text
Text
�~ln"I't1
1'"
VIENT DE PARAITRE
un nouveau roman
de
FRANÇOISE ROLAND
LE CLOS
DES CERISIERS
-
Françoise Roland, écriva in au styl e
mouvementé, vivant, ne ra conte pas
ce que font ses héros. Elles le" montre
en action, tels qu'ils sont, tels que les
a pétris la vie ... tels qu'ils souffrent...
Et ce seco nd roman, tou t frémissant d e
mo uvement, d 'é motion: d e gaîté parfois,
ne fait que co nfirmer la jeune rép ut ation d e l'auteur d e ce livre d oulo ureux
et po ignant qu'es t
" De la Sorbonne au Calvaire"
EN VENTE
PARTOUT
-
TALLANDIER
PRIX:
15 fr.
::. IIIïïitiT"IIiïïIiï" 11111 t 11111111" 111111111111111" 1111111111111111111111111111111 '" Il 1111.1ïiïiïiïïi 1111";
�LA VIE EST UNE VALSE ...
��JACQUES MORIN-SARRUS
LA VIE
EST UNE VALSE ...
ROMAN
•
SOCl~T:Ë
D'È DlTIONS
PUBLICATIONS ET INDUSTRIES ANNEXES
ANC' L A MODE NATIO NA Ln
,.. Rue d'Al ésia. 94 -
PA R lS (XI VS)
��LA VIE EST UNE VALSE ...
-----_._----- ------------
CHAPITRE PREMIER
~'lOé\IQUE
ET LA NEIGE
Ho 1 ~Jonique
1... Moniqu e 1. .. Mademoiselle
Darrellc !
Réveill ée en sursaul, M()(flique jaillit des couverLu res sous lesqueHes, peloto nn ée, elle dormait ?I poillgs
ferm és.
- Hein ~ Quoi ?
On lambourinaiL à /la porLe. Des voix jeulles l'appelaient, des rire fu saient. Toul un tumulte gai,
qui résonnait dams les larges couloirs de l'hôtel, semb!ait lui Caire honle d e son sommeil et de sa paI"c~
s e.
-- Voil à 1 cria-l-elle , j 'y Yai~
... Dan s cinq minu·
les , je sui s à VOU !! .• •
- On t'i1tlenù à la sa lle à mau ger, c ria quelqu'un .
:-ii, dall1s dix minutes, 111 n'cs pas en blls, on part
an loi ...
- Il e l ~ e pl
/ie)u re~
c l demie 1 C' ec,t uIIe bon le
Je: do rmir 1
�LA VIE EST U NE VALSE . • •
Il Y eut en core d es rires , puis la galopade , d an s
les couloirs et l'escalier, des gros soulier s de ski, e t
le sil en ce re tomùa .
Viole mm eIlt arrach ée au somm eil, Mo nique avait
mis quelques minutes à re ven i r à ell e, puis, r am en ée à la r éa lité pa r le décor de sa c h amb re d ' h ôtel, ell e j a illit ho rs de son lit.
Ell e é tait a rrivée là , la ve ill e au soir , très ta rd,
bri 'ée de fa ti g ue par un voyage de do uze heu r es , effec tu é en g ra nde pa rtie debo u t, en raison de l'inc r oyab le afflu ence de ceux q ui , com m e ell e, fu ya ient
P a ri s po ur la mo ntagne e t sa fée ri e. E ll e s'éta it couc h ée sa ns dîn er, de m a uva ise hum e ur, i n le rdi sa nt
qu'o n la réveill e a va nt mi d i, e t décla rant qu 'il lui
fa ud ra it au mo in s h uit j o urs de cha ise lon g ue pour
se rern ellre de ce voyage extén ua nt...
E t ce m a tin .. .
Ce m a tin, il lui suffit d e co urir p ieds nus, à sa
fen être, d' éca rter, d ' un ges te bru sq ue , les min ces
contre ve nts, po ur q ue fa li gue et m a uvaise hume ur
s 'en vo lent co mme pa r cn cha nl e m e nl. ..
La neige es L là , deva n t ell e, à d roi Le, à gauch e,
de Lo us les cô tés : la n eige , la n eige , en cor e la
nei ge ...
La po itrin e de Mo ni q ue se gonfl a, un pl aisir imm e nse l'en va hit, e n mê m e temps qu e son sa n g se
m e ttait à circ ul e r plus vi te, qu e ses ye ux s 'ou vr aient
to ut grand , ch a sa nt la de rnière pesa nteur du somm eil.
Di e n qu'ell e vînt , c h aqu e hi ver, et cela d ep ui s
plu sieUl"s ann ées , dan s ce tl e pelite sta li o n des P yrén ées, Aufran c, po ur se li vrer a nx j oies dll ski, de
la lu ge e t du « bo b )J, il se m blait touj o urs à ~ 1 Û' ni
qu e, lo rsqu'ell e re tro u va it le spec tacle de cc ch a m p
de neige , que c'é tait la p re m iè re fois qu'ell e le
vo ya it.
El a uj ollfd'hui e n co re, ell e n e put maÎ l ri~e r le cri
d 'ad mira ti o n, d 'e nth oll sia me, que lui a rrac h ait le
tabl eau imm ac ul é qui s 'offr ait à ses yeux ravis.
�L A YlE
m;-r
U NE YALSE .. .
Le soleil était à pein e levé, e t proj etait fort loin
l'ombre de l'hô tel. En même temps, il illumin ait
les c rêles des somm ets qui lim itai ent l'horizon de
toutes par ts, et en faisai t é Unceler les pOÎTIles Gomme
des dia man ts giga ntesques.
SUI' le champ de neige, déj à quelques bi vernant$
circ ul a ient, mais il s se mulaient si petits, qu 'ils ne
parven aie nt pas, ;lUX yeux de Monique, à faire tache sur l'immensité bl an ch e, trol1ée , çà e t là, par les
pyràmides r égulièr es d es sa pins.
Mais Monique s'arracha bienlô t à sa contemplation.
Le cœur b<ant, les m ains fébril es , en proie à
une hâ te qu e, seuls, {!Cux qui n e l'ont pa s éprouvée
peuvent juger pu ér il e, ell e procéda à un e r;lp id e toilelle, s' hab illa, ch aussa ses lourds so uliers et se précipita ve rs la sàlle à m anger.
Il y a vaiL du mond e autour des tables , et, lor squ'ell e en lrà , ell e ful saI uée par les cl ameurs de cc s&
bande Il, qui avait déj à fini de déj eun er e t l ' al~en
dait avec impa lien ce.
- Dépêc hez-vous, Moniqu e, vous allez nous metlro en relard ...
C'est ridicule d ~ descendre à des heures pa,
r eill es 1
- Tu aLLendais qu'op te porte ton chocolat aU
lit ?
Monique fit vaill a mm ent front à l'ora ge .
Laissez-m oi tranquill e, dil-ell e avec autorité.
Au cun de vo us n'es t enro re venu à Aufran c, el sans
1Il 0i, vous se ri cz forl emh:nrassés po ur sa voir où
all el'. Pa r co nséquent , laissez-moi m a nger mon jum,
b on en paix el fi c7,-vO US à moi . ..
La jusles e de ce petil di srours frappa I.o ul le m on.
de, el Mo nique pul ac hever en tout e. lranquillil é son
peLit déj eun er, a uqnel ell e fil ho nn eur, l'appétit déJà o uver t par J'àir vif que l'on resp irait à pl eins poum on a.
�1. .\
VlE Ei!l' UNIl V AI.::'H!. ..
Dix minutes après, dans le hall de l'hôtel, la di.
zaillc de j eunes gens et de jeunes filles qlli formaient « la bande de Monique », s'emparait des
ski s qu'il s v avaient déposés la veill e, pt la petitc
caruvaloe, s l~r
les tracC' de la jeune fille, 'en rut
,"ers le champ de neige.
JI fallait suivre un petit chcmin qui s'amorçait
cl e rrière l 'hôtcl, mon 1er pendan tun e demi-heurc ;1
Fil prb pOUl' atteindre le sommet d'une croupe
dOIll It'S molles ondulations descendaient en pentf>s
réguli
è l' e~
vers la vallée.
- Voilà. clit. Moniquc, Si quelqu ' UJl connaît une
plus belli" t1p.-icente dam lc ~ Pyrénécs, il n'a qu '~I
lever le doigt. ..
Personne ne leva le doigt.
Olltre qu'ils ~avl\ien
t Lous de lJuelle humeur COo1batÎ\C' ~c
trouvait Monique lorsque quelqu'un s'av isait d 'insinucr qu' .\ufranc n'était peul-être pas la
plu s vellc stati on hivernale des Pyrénées , ils étaient
lOlls trop hi e n o{'upé~
11 chaus CI' leurs ski., avec la
rnaldcs~e
de hi lIiatt'.
'Ioniquc fut prèll: ia pt·Clllii·re.
1I1I lI1oml'lll, ]le:;c plut ù agaccl' dc ses sa l 'la~
mes ('e u\. d.~
"('~
camarades qui se montrai ent le,:;
moins habjl
e~ , Deux d'entrc eux sc l'Î quaient pour la
jJ rcmi t'J'c foi s 'lIlX ~po
('t ~ d 'hiv cr". Les autl'C
~ , an bout
d'ulI an, Ile retro uvai enl pal> les mouvements prcs(lue machilll111,{ uwc Jes'1l1 eJs \1oniryu e s'é tait éqllipée.
l'lli., In ~ éc dc ce lt e "lai anterie, plie m flJ'('ha .i11 qu 'au hord de la pl'cllli 0('l' peille.
U:, appnyr.e ~1Ir
~es
hâton
~,
le {'or
p ~ légf\ r"cHlelll
r~n{'hé
c n avan l, elll' jeta 1111 lon g regard s llr ln
de r enie CJIl'~
conn a issâit hien. ~O l viRagr ayaÏ1
[>l'Ï~
UII C t 'xples~o
n
gnlvc, prc.Qljue durc.
O'lIne 1~gi' re pous t'c, clic se mit cn mnrcll C.
DOllccmrnt d 'ahord, puis plus vil', raI' )n penl e
i"amol'ça il ns~ez
bl'u "'ltle ment, plie partit.
Pt'rri,"\'c ·Ife, elle f'fl tf' nrlnit le.; "oix dt' RCS ami,
�1..1\ VW
E~H
U tŒ
"
. \J.!;)~
.. .
i'
.'
qui lui criaient d'a tten dre. Mais déjà elle n 'é tait 1'
~
avec eux. Elle appàrlenaÏl tout entière au sport, 0
l'enivrant plaisir de ce glissement silen cieux qu'clIc
accéléraiL, lorsqu' il le fallait, par d'habiles fléchissements du corps.
Le vent de sa course fouettait SOli visage, lui Ill e ttait dus larmes dan s les yeux. Ses ort:llles bourùonnaient un peu ct toutes ses impressions, qu'elle retrouvait 8pr(
'~
IIne aniJ1(!c dïnterrupli(,n, contribuaient li rClldre SOI! plai~r
plu~
v if.
Ver s le milieu de la première pente, eHe fil u n arrl!t pOUl' éprouver la sôreté de sa techn ique. Et, ~t:lS
hé~it
alio n
, comme d'eux-mêmes, se
muscles j01 !èrelit : un peu penchée SUI' le côté, la j ambe gaut.:lll'
tendue, elle tourna sur la droite, s'arl'èta en quelqu e"
n li ,tre~.
Ul-haul, I c~ autres, eufiu prêts, d émarraient uv ec
de grands c ris, une foule de ges tes inutiles qui nga(":1'en t MOlliqlle.
Elle repri t sa COll r~e.
Il lui sem blaiL qu'elle fuyait, q u 'ell év itant ces
amis, pour qui elle avait cepen dant de l'affection,
elle sc purifiait !ou t à fait d e ces onze gra nds mois
passés àu milieu (( ùe" gens )).
Ni à Paris, ni sur les plages , eUe ne pouvait trou'Cl' J'éq uivalent de ce silence, de cetLe purelé d e l'air,
du sol , de tout, au milieu de quoi elle glissait
comm e l.'s anges doivcnt voler sur les nuages ... Pour
elle, le spor t, les plai sirs du ski , éLaien t autre c hose
qu'U? jeu ou un simple exercice physique. Elle y
voyait de la netteté, de la pureté un peu froide n ,l'image d e sa vie. El il lui plaisni t que ce premier conlact avec la n eige el la montagne, après
tO~l
ce Lemps pa ssé dans les villes, eiH lieu dans la
solitude et le silen ce.
Ainsi Monique - el c'était l ' un d es traits de son
ra l:a c t~re
qui déconcertàit le plus ceux qui la conn ;ils~aC
nt
-- étnit tour à tour e.xuhrrante, vive, ~e
p J flj~;
lt
Ill! rnili .. " d '1111 joye ux ftlmultp, puis ~ i1('tl
-
�10
J.A VlE EST UNE VALSE • ••
cieuSe, épri e de solitude, fuyant Ces mêmes camarades lIu'elle avait tant insisté pour emmener à Au-
trané.
Sa cOurse rdpide ] 'amena bien tôt dans la vallée.
l1 y avait là une petite auberge, con truite comme
les refuges de haule montagne, mais plus confortable ct mieux approvisionnée. Ses skis sur l'épaule,
Monique se dirigea vers le pelit bâtiment, pour y
attendre ses amis .
Elle appuya ~es
skis SUl' le mur de l'auberge et pénétra dans J'unique pièce. Une Làsse de thé au lait
et quelques toasts la réconfortèrent. L'aubergiste, un
ancien guide. que son âge avait contraint à renoncer aux longues courSes dans la mon Lagne, la reconnut, et la conversation s'engagea entre le vieillàrd
el la jeune fille .
•
* •
Monique aimait beaucoup s'entreLenir ainsi avec
ces hommes un peu rudes, mais il qui . le perpétuel
contact aVec ce que la nature a de plus grandio e
finit par conférer lIne , orLe de délicàtesse pleine de
hobles e.
Après quelques considérlltions générales sur 1'hiver, SUr l'épaisseur de la ne ige, sur les probables chule~
ùe neige, le t'ère Lesgourl'e en vi n L fi parler des
bivernan ts.
- Ah 1 dit-il, ils lie sont pas 10118 (',omme vous,
Mademoi selle,., Il y en a, vrai, on se demanùe ce
qu'ils viennent faire par ici. Ils feraient mieux do
. rèStet dan,\! leurs villes, au coin de leur feu. Ils pâsSent des jours cL clos jours dau s le pays, et jaroai , i1 f!
ne touoh nt lin sl-i .. Et ça vant miclIx, pa1'{'c 'llle
�LA VIE EST UNE VAI,sE ..•
11 .
si, par hasard, ils s'y risquent, c'est la catastrophe ...
Aloniqlle rit.
- POllrlant, dit-elle\ cc n'est pas par snohismc que
l'on vient à Aufranc ... Çà n'est pas encore Superhagnè>res.
- Ah r je ne sais pas si ("est par ce que vous dites ou par Aulre chose, mais ça fail pilié ... Tenez, ce
malin, lÀ ol'l vous ~tes,
il y avait lin de ('Cf; types ...
Fallait l'enlendre parler r C'est à faire plpllTer ... Tl
nvliil des ski~
mal!nifiques, il ~Iail
venu en anlo par
la roule. Il 1'1. déjeuné, el puis le voilÀ qni sorl devant la porte, il mel ses skis enfin, si on pout di·
re : il en avail lm qu'il n'arrivait pas ~ hOIJ('ler. Il
lui a fallu p~lI-êre
dix minutes. El pllis, il pllrt.,
hâtons
en mllfC'hanl ('omme un canard. en ten:int ~es
comme des hrqnil1es. TI arrive n la neig-e, il commence n vOll10ir mon 1er.
(( Hé 1 .ie lui ('rie, où
nllez-vons ('omme ça ~ » Tl me répond : (( .le monte
.il~IU
'à l'hôlel. .. » - (( lIé bé, je lui dis, si V0118
VOlIS y prenez comme ('a, il fanclra hi en Illle vons
couchiez en rOllle ... )) Il m'a rellarclP drôlcmenl, et
il a conlinué. Moi, je snis renlré, mrtis je le vOyllis
par ma fen('lre. Ah 1 il en rimail fail rire nn autre, mflis, moi, j'flime pas voir ('a. JI ef;SflVllit de
marcher comme sur les honlevnrds, ses skis bien
droits. TI fflisaÎl denx mrtres, plouf, il revenait en
arriè>re. (( SIÎr, je me di~a
, il vn se tordre les deux
pieds ... » Ça n'A pris manqllé. Toul à coup, crac (
Voilà mon bonhomme par lerre, avec un ski cassé: (( Ma roi, je me sllis dit, s'il s'csl fait mal,. il
cnera ... Moi, je ne me dérange pas oncore.. )) l'If ais
pensez 1 Le voilà qui se relrve, il a ramassé ses morceaux de ski, il a redescendll à lOllie vitesse ... Je
m'flpprrlais à rire en le vovant revenir, mais il
s'cst dOlllé du coup, et il ft fail le lour par derrirre,
p~lIr
fJ1le je ne le voie nas ... Et une minute aprrs,
., entends la voilure qui file ... On le reverra pas de si
tÔl, celui·là. 11 ferait mieux de jouer au croquet...
Monique avait beAUCOUp ri de cette hiatoÎl'e, il ln-
�J2
L .\ VIF. RST
mm
VMA"Il ...
J 'accent et la mimiquc du pprc LC8g'OUITC ajoutaient Lcaucoup de sc1.
- Tenez, dit-elle, j'entends mes amis qui aITiven\. J'ai bien peur que parmi eux il y ait quelques
types dans le genre de celui dont vous me parlez ...
Mais vous leur servirez bien du thé, quand même P
- Oh 1 Pourvu que je les voie pas fairC', répondit
le vieux, ils peuvent bien descendre sur leur (one] de
pantalon si ça les amme ...
BientÔt, la porte s'ouvrit violemment, ct la bande,
311 grand complet, fit irruption ddn R l 'auberge, l'emplissant de cri ~ c l de rire!i. Monique dut, de lIo uveau ,
subir l'a s aul de repoch
~ virulenls : ellc élai! I1nl'
l/lchcuse. unc poseuse, IIne Irirheuse ct ulle fOU: I'
fl'autres cho c" cn (( cu se », assez peu sympnthique
~ .
Mais l'odeur du thé cl des toasts fit bientÔt. tomber
ret orage, placidrlO cnl reçu par Moniquc , et le~
oix
j!'unes gens, déjà affamés par la desccnte, se lancèrent, lout en mangeant li belle, ùents, dan s lin
récit pleill de piLtore
~ qu
e de leur (e e ~ploit
».
Maurice était tomhé ~ cpt
fois. Cc n 'esl pa ~
vrai, dit Maurice. - Huit al ors il - NOII, ~I peirH'
deux Cois ... - Mentcur ! - Vous êtes jalonx 1. ..
>'Ir. elc.
:\lonique, maintcnallt, ~c retrempait san s aucun en·
nui dàm l'atmosphère un peu tapageu se quc ses ramarades créaient autour d'eux.
El elle donna, la premièr(', le igna1 du Mpnrt
fjllelle
•
• •
Pour rcjoinJl'e l'hôtel, il fallait faire un assez long
Mlour par la route, (car, à cause des T1oyices, il Tl 'clIo i t pa s question de J'emon leI' sur la neige) ct il nI'
rlillait p>t s trntner si l'on youlnil nrriyer pour le déjcnner.
�l.\ YII'; EST C'Œ Y,\Um ...
13
La petite caravane, skis sur l'épaule, se mil joyeusement en route, rythman t par une chanson de marche le bruit des pas sur la route gelée.
Ces jeunes gens et jeunes filles - le plus âgé d'enlm eux avait vingt-cinq ans retrouvaient, dès
qu'ils étaient en bande, une mentalité de collégiens.
Quelques jours àuparavant, jeunes avocats, jeunes
étudiants, jeunes fllles du monde, ils se rencontraien t
dans les salons, jouaient au bridgc, causaient gravement, l'air un peu gourmé, cL sûrs de leur impol'lanre. IVlainlenant, il avait suffi de ces quelques heures passées cnsemble au grand liir, de ces chutes qui
avaient excité dcs rires sans m échance té, pour que,
de l'un à l'autre, circulât une cordialité simple eL
franche, telle qu'on peut en rencontrer au collège
ou au régi men t.
A vrai dire, plusieurs d'cntrc eux avaient d'ùbord
assez froidement accueilli la proposition de Monique
Darrelle de venir li Aufranc.
Cc « patelin » inconnu d'eux, très peu fréquent,{- ,
où ils ne devaient rencontrer personne de cOlnai~
sance, les elïrayaiL 1111 peu. Ils taxaient Monique d'o·
riginalité. Pourquoi Ile pas fai re comme tout le mOIldc, et. aller à Supel'bagnères, Font-Romeu ou dans le:\
Alpes 1 Finalement, ils s'étaient laissés convaincre,
cédant à l'impétueuse éloquence de Monique.
Celle-ci, son succès oblenu, avait d'abord eu quelflue regret, craignant que ses amis ne sachent pas
fàire le pelit effort nécessaire pour s'adapter à un
c.onfOl't un peu précaire, et à l'absence de distrarlions mondaines ; eUe se voyait avec épouvante entourée de dix camarades hargneux, critiquant l'hô tel, les menus, les somm iers, évoquant avec nostalgie
le~
« remontées mécaniques» des slnLions à la mode.
Mài~
elle n'avait, maintenant, qu'à jeter un regard
sur les visages lin pen rougis par le froid, mal s
camarades, pour se sf'n tir
pleins de gaieté, de sc~
pleinement rass1lrée.
Le JéjclUier du matin cl la Lassr. rIe thé de l'/lllber-
�LA VIE ;EST UNE VALSE ...
ge leur paraissai t à tous fort loin lorsque, après une
rapide toilette, ils se retrouvèrent à la stHIe à manger de l'hôtel.
Leur premier appétit apaisé par lcs nombreux
hors-d 'œuvres qu'un maHre d 'hôlel astucicux leur
passait avec générosité, la cooversalÎon reprit, et.,
comme il arrive fréquemment en pareil cas, ce furent les autres hivernants, présents dàns la salle à
manger, qui en firent les frais.
Après s'être sournoisement moqué d'un méridional
qui ressemblait à Tartarin, d'une jeune fille « qui
avait l'air d'une dinde », et d'un couple de jeunfls
mariés qui mangeaient en se tenant la main, ils enrent leur allenlion allirée par un jeune homme, assis seul ~ une pelile table, et qui regardai t le paysAge
élalé devant lui avec une expression de profond ennui.
Il ne donnait prise ~ la moquerie par aucun détail physiq1le ni vestimenlaire, et, cependant, q1lelque
chose en lui sortait de l'ordinaire et relenait l'attenlion.
Sa physionomie extrl\mC'mcnt mohile, ses yeux
clairs el intelligenls, l'élégance mf'l'urée de ses gestes, montraient, ponr peu qu'on l'observ:Î I 1In inslant
que c'élail quelqu'nn qui « sorlni\. de l'ordinflire ».
- Voici un pa1lvre t~ ' pe,
dit Mflllrice Vernes (qui
lui-mrme se trouvnil bCflUCOUp plus à l'aise devont
une Inhle hien ervie q1le sm un chnmp de neige),
voil:l 1In pflllvre lype qui a l'air de s'embêter d'une
façon ronsirlérnhle ...
Prlll-êlre qu'il flllend l'J Il cl 1'J1I 'un ...
Non, dil Moni rf1le, fort oh~ervaITic,
vous
voycz hif'n fJu 'il n 'y a fJlle son couvcrl fi ~n
1n ble ..
- Rr1lvo 1 crin-I-on. T1I fel'rlis IIne délertive merveilf'I~
... Til devl'Ai~
~rie
dc~
romans poliriers ...
Ln-des~l1,
111 ronvcrsfllion drvia snI' ce thrme,
ct 1'011 ne s'occupa plus du jeunc homme ennuyé ...
�LA VW EST UNE VALSIl ...
15
Après le déjeun er, on le revit sur la terrasse de
l'hôtel. Il était dans un fauteui l d'osier, lisait en fumant sa pipe, et se bornait à jeter de temps à autre
un regard morne sur l'étend ue blanche .
Lorsqu e Moniqu e et ses amis pâssère nt près de
lui, se dirigea nt vers la piste de luge - assez sommairem ent constru ite à quelque distanc e de l'hôtel,
- il jeta sur leur groupe bruyan t un regard à la
fois curieux et distrai t.
Puis, avec un soupir, il sc replong ea dans son livre .
. - Décidé ment, dit Moniqu e, il Il'a pas l'air de
s'amus er. Il paraît sympa thique ; s'il reste là quelques jours, on pourra lui dire de se joindre à nous.
Ils passère nt toute l'après- midi en plein air, jouant
dans la ncige, comme des enfants , un peu grisés pal'
la vivacité de l'air, par lcur propre activité .
Lorsqu 'ils l'cn trèrent, fourbus , silencie ux, à force
de fatiguc , ils eurcnt à peine la force d'absor ber le
thé qu'on leur scrvàit, et montèr ent se reposer un
momen t dans leurs chambr es.
Et nu dîner, la moilié d'entl'c eux ne parut pas:
le manr)llC d'habit ude, l'cXoces du mouvcm ent, les
avaicnt accablé s et, à sept heurcs, ils dormai cnt profondém ent.
- Hein 1 dit Moniqu e, qui se trouvai t parmi les
vaillant s, avouez que vous n'êtes pris fâchés de n'avoir pas à danser ce soir ...
- Ah 1 sûreme nt 1 On sera micux au lit.
Le diner fut prompt ement expédié - et, après une
le hall, lonl le monrapidamelJf ùan~
cigarel te fnm~e
�lo
LA VIE EST
lJ
~,
EV
· ;L
~ t;
...
de regagna les chambres, sallS faire pOUl' le lendemain de projets exàgérémen t matinaux,
J1s ne puren t cependant s'empêcher de sourire, ell
voyant celui qu'ils avaie nt déjà baptisé « Fleur d'ennui », gravement assis dans un fauteuil de cuir, \'è lu
d'un impeccable srnoki ng, el fumant un cigare, avec
J'ail' absorbé d'ull fum eur d'opium.
- Qu'est-ce qu'il regarde avec tànt d'attenl.ion P
, ~ hu
choL
a Monique.
Ilti ~e retourn èrent discr ètement.
C'était la pendule .. ,
�i7
CHAPITHE 11
OANIEL Ill' LA !\EICE
Pcndan t trois jours, trois jours bien remp
li ~ , la
Lande LIe Monique)) mena la vie sportive et joye1lse quo nous lui avons vu mener le premier jour.
Ski , luge, bob, jeux dans la neige, e;{cursions CH
montagne, se succédaient il un rythme accéléré, qui
ne laissait nulle place pour l 'ennui , ni pour des distractions autres que ~ [Jortiv
p, s .
La plni san terie ùe chaque soir, q 11 0 J'on ne sc la bsait pas de répéte!', était la suivante: « Et dire qu'eu
ce moment, à Fon t-Romeu, il y en a qui sc mellenl
en habit,... ))
Là-dossus, 00 allait se rourhcl'.
Il s n'accordaient plus qu'une alien lion modérée fi
leurs commensaux de l'hôtel. Il s formaient une bande tri's fermée, qui effrayait, plutÔt qu'elle n'attirail,
les autres hobitants d'Aufraoc. Seul, «( Fleur d'ennui )) les intéressait encore, ct étail parfoiR ]'ohjel
de leurs cOflversa li ons.
Le lcit-motiv de ces rOllversalion e ':Ia i t
- Mllis qllc dinhle peut-il rl\irc id jI
I(
�18
LA VIE EST UNE VALSE •••
Le fait est que la vie menée par le mystérieux garçon pouvait paraître étrange à des gens épris de
mouvement et de spor ts d'hiver.
Lorsque Monique et ses amis partaient, le matin,
de bonne heure, jamais il n'était levé. En rentrant,
à midi, ils le trouvaient installé à sa place accoutumée, à la salle à manger, un jour'na) ouvert devant
lui. L'après-midi, il s'ins tallait sur la terrasse, avec
un livre - et sa pipe 1 - et c'est là qu'il s le trouvaient en rentrant au coucher du soleil.
Seulement, le soir, il n'arborait plus le smoking
du premier jour.
Une telle allilude, un si vi sible mépris des plaisirs
du plein air, après avoir surpris les jeun es gens,
avait fini par les choquer, et, avec la belle intransigeance de la jeunesse, ils en vinrent à s'irriter.
Maurice, l'orateur de la bande, cherchait activement le moyen d'aborder (( Fleur d'ennni )1 pour
lui mnnifesler la sévérité avec laqu elle sa conduite
avait élé jugée. Mais « Fleur d'ennui » semblait
montrer alliant d'indifférence pour leur groupe que
pour la ncig-e et 5es plai sirs.
Cela aVilit, fi la GIl, quelque chose de cri pant. Hien
n'esl plu s facile que d'entrer cu relation avec quelqu ' un, sur les plages, a1lX: sports d ' hiver', partout
01) rrgnc la bOlllle hum cnr cl ln liberlé d'esprit des
vacances ... El cependant, en tr'ois jours, J'occasion
ne sc présenla pae une foie d'adresser la parole ?I
« Flenr d'ennui )l, qui, toujours lr'S digne el Irès
corrccl, poursuivait cc que Moniquo appelait avec
in solen 'e sa « vic végélalivc ».
Enfin, la nal1rrc s'en mêla e t Maurice put parvenir
~
ses /1n <.. ,
�LA VIE EST
U~E
VAL E . . .
19
Le malin du qualri ème jonr, en effet, tout le
mond e s'éveilla forl lard ... Ce n'élail pas par l'effet.
d'un narcotic111 e, qu'il s aurllicnt a h ~orbé
en commun
- mais simpl em ent, il sembla que le soleil ne se
leva pa s ce j our-là ...
La faihle Ineur qui, ver!! huit h eures , montra que
le jour nai s~a it, mirait diffi c ilem ent ù travers un ciel
bas, chargé de nll ages épa is el d'un gris presque
blcll.
e'(olait la nei ge.
it
bien
L 'œil exercé de Monicfue comprit qu'il ~era
difficile, sinon impossible, de mettre le bout du
nez dehors. Taule la journ ée , sans doute, la ne igPallait lomber, comme pour réparer j'mure faile lous
ces derni er s .iollrs au bl anc tapi s qu'elle avait tissé.
Toute la blind e se r etrollva, morn e et dé~ole,
à la
salle ft manaer . Déji'l. 1 s· premiers {locons voltigeu ie n 1 derri r re les vitres.
- Ne fllil es donc pas des fêles comme cel A 1 s'é('ria Moniqne, en voyant lellrs mines cO'l1slernées.
C'esl trl-s heureux, ('C qlli arrive. Je sn ig sûre que
demain il fera un soleil éclalant - e t vous verrez
nlors si lA neig-e n'a pas hien Iravll illé ...
MAis pelll -t' ire qu'on pourrAil or lir tOlll de
mt'me 1 dil Grorg-elf e fonnirr, J'1JIn rIes élmen~
féminin s les pIn s lnrhul r nl s du g roupe.
- .Te ne pense p a~,
dit TonirfllC.
Ton
~ l011l'nl- renl IClIl's vi~ag-cs
"er~
les hnlll es haies
ùerril-re lrsqu cllr dflnsaÎI la neige. La r hllle des flocon s s 'élait faile pIns cl n se rl plu s précipilre. P eu
i\ pell, lOl1 s lcs drl ail s cllI pnysrlge s6 perdaient dans
un hrouillard blanc el Illminrll'c
. - On n' y voil pa~
fi cinfJuanle mNres, poursuiVtt Moniqlle, et 11 11 train 011 ra VII, je pense qu'il y
en a pOlir loule III jOllrnér.
L e~
aul l'es penF.ionnRires clc l'h l'> Iel faÎ ~a i e nt , Ir.
un s après les autres, leur enlrre dan s la salle à manger.
Eux a ussi jetaient de longs regarda 11 ln chnte deR
�/
L\ \ IL
l'~1
[1.",.; y \I.H-: ...
"'ros ilocons ùe neige, mais tons ne manifestaient
il faut le dire, le même désappointement que
les arden ts amis de Moniq ue.
En' ce moment, « Fleur d'ennui» ouvrit. la porle,
Il'aversa toute la salle à manger de son pas correcl
et indifférent, cl gagna sa place accoutumée.
- En voilà un, dit Maurice, i\ qui il doit être
bien ind ifférent qu'il neige on qu'il ne neige pas ...
Il lomberait des crapauds, ça llti 1'erait égal, ponrvll
qu'il ait sa pipe cl ses livres ...
Pllis, sc frappant le front :
-- Ulle idée 1 dit-il. Pui squ'oll va l'ester enferm{'
toule,. la jOUJ1née, c'est le moment oil jamais de tenLeI' nne orfen ive sérieuse sur « Fleur d'ennui » ... .lc
veux devenir ch;'vre, si re soir, on fi 'e 1 pas des
ami s intimes ...
Cc projet égaya jeunes gens ct jeunes filles, ct
t01l1 un pIao d'attaque ful élaboré au milieu des ('hut' holemenls el des rires étouffés.
Ut-dessus, « Fleur d'ennlli )) sc leva, passa pr<!s dr
leur lable, leur jetanL 1111 rtrangc regarrl, ironiquc pI
nmu"é, el. .. monta dans 1'8 chambre ...
- L'animal 1 dit Mauri('e , je parie (111'il nou , a
enlelluus ... ~Ini
al<;
~ i,
Georgette, III rif'~
('omnw
IIne pin Inde ...
romme UJlf'
- Pa <; rlil lont 1 C'est toi qlli h\l1'e~
~il'\e
d'alarmp. ...
pa~,
Aprl:s ulle dispute de dix minules sm la part de~
responsahilités qui incombait à chacun, on S'QI'gRniSIl \>0\11' passer le temp~
de la façon ln moim 011 fluyeme possible.
lJlln table tic bridge se monla, les jeunes filc~
pl'OfW'l'cnt de cet, nr~t
dans leur vil' sportivo pour r6vi-
�L" 'If: PS l' 1i
~ .
"' \1 '
!:. .
.)
~
J
,
or 1111 lrousse nu que trois .iours de neige Il vait mi ' ~
une rude épreuve ...
Vers dix heures, Moniqu e redesce ndit dans le hall,
avec un livrc, et, enfoncé e profond émen l dllns UII
con fortabl e fauteuil de t'uir, elle sc mil ù lire.
Au fond, ce lle journée de repos, imposé e par les
cir<:ünstarnces a im osphéri ques, ne lui déplai ail pas.
Non qu'clle éprouv ât la moindr e fali g ne physiqu e :
son corps de honne sportiv e pouvaij suppor ler aisl'men l les exercic es anxque ls elle le slmmel lait. Mal o,
ail milieu des plaisirs les plus ,ifs que lui procll~,
l'aient les sporL-, elle éprouv:\iL, de Lemps enlmp
s'imagi
E1le
.
détenle
de
un grand besoin de calme,
nait dans un fauLf'uil, avee un bon livre enLre leg
mains, et elle n'élait pas fâchér., lIujoUl 'd'hui, de
se réali ser, sans qu'clle eùt à renonc er ft une
~oir
journée de sport, son désir secret.
Elle li sait un li vre acheté hâtivem ent, au momen t
du départ, li la hiblioLheque de la gare d'Orsay . Elle
ne se souven ant plus mêm e'
~ e,
l'avait jcl!\ dans a vali
~ c de le l'etrouv er l)r ~
de l 'avoir, el avait été snrpi
l'orde
meUre
hamore
...
<3,
s
dan
qu'elle èln it montée
affaires .
dre dans ~C'
Mainte nanf, dans le calme du hall, elle Cil Mcoupait poséme n L les pages, avec le soin un peu métieuIp ll x que les natures droites et scrupul euses apporle llt
;1 la moindr e de lcurs artions .
C'é tai t un gros volume , dOlI!. le lill'e l'avait frappée, san q qu'elle ~ Ilt exactem ent pOU l'quoi : « La vie
l'st llne vu lsé' ». Le nom de ]'lllll.eUl' lui était inconle premie r
1111 : I\ollJnd Manac , C't;fllil san s doute
l'Oman d'un jf'lJnr JlulclJr, {'al' la page 011, Iraditio n~ du mt'me
nelleme nt, s'inscri t la li qlc des (( Olvrage
/tll feur )1 était vierge.
~ du livrc nCllf, \rolliqu ('
Toul en coupan t les pflgP
jetait des coups d'œil sur Je tex fe, lisant, au hasard,
q Ilclqnes passage s. Comme Ions les vrais lecteurs ,
pour q lli un livl'c nouvea u, un nulcur inronn u , sont
un peu une aventur e qu'il s vonl courir, elle ava\l1o u-
�L \ Vif. EST Ul\r. V\I .St; . . .
jours un peu d e cr aintc. aV Il ~t
oe .se .1 1l 1 ~r e r . P our't ant , ce qu' ell e en voy" ,I 1111 pa raIssaIt wt éressan t ,
et ell e s'enfon ("a dans sa lec lure ...
Bi r nlAI , plus ri en n'exista pour elle, que l'histoi re
qu'elle lisait.
•• •
Le hall de l'hMrl, et S()n M cor hrm al , fnrC'nt r emplnl'és p ar la p elile vill e dan s laqll ell e se dérolll ait le
rom an d e Roland Mar sac. Elle n' enl enùit pln i'\ les
voix de crux qui parl aient anl our d' ell e, tout enti ère
a ltenti ve à rcll es des h éros dn li vre . mI e li sa it com m e on devr rt it lire tOllj ollrs : avec son (- Ire tou t
cnti er, sa n s lTI on ch nl nncc ; ell e vivait vraime nt avec
, les p e r ~o nfl
ges
créés pal' l'auleu r d e (c La vie es t
une la~
e . .. Il
Ge n'était pas fill e l'hi
~ t o ir c r acontée lni l'lM p artirlllirr cm enl , ni qn'ell e épl'Onv lÎ t un e svmnnt hie ex trê m e pour les h p\,os mi s C'n scrn e. Mai s il '! avait ,
dan s k s p n~es
qll' ell e li sflÏl, lin arrent si personn el
de sincériL é, qu'il é tait im possibl e de n'être p as tou -
ché.
Elle ava it ln 1In e r ent ain e de p llg'es, lorsflu' ell e fnt
bru sfln em ent ram en ée à la réalité par un appel qui
réso nnA à ses or eill es.
- Monsie ur Dani el Méron vier 1 rriait , o'un e voix
de stent or , le m a jes tn pnx porti er de l 'h Atrl. on d em and e m omi e1!r Dfl ni el Mé\'(m vicr an trl(> phone ...
n'nn fnllt ellil proch e de celui on sc tr01l vait Monique surg iL la silhou ett e hi en connue de c( Fl eur d'ennui Il . ..
« Dani el Mrrouv i er , se dit-ell e, il fnndrn l'Jn e .i t> oi lle
('e n om n Mfl nri ce ... P ellt -Nre qlle rela lni fac ilit era
la lâch e d'ah ord er cc m ys téri eux in connu ... Il
La cahine du tél ép h one !lC trouva it danR u n ('oin
�LA VIE EST UNE VALSE ..•
23
du hall. Dani el Mél'ouv ier s'y dirigea d'un pas nonchalan t, el nég l igea d'en referme r la porte. Si bien
que Moniqu e, dérang ée dans sa lec ture, put entend re
tout cc que di sa it le j eune homme .
Sa convers ation, du reste, sembla it n'avoir rien
de bien mystéri eux.
Après llvoir manife sté une vive surpri se (<< Sans
blague 1 C'est toi ? Ça, par exempl e, j'él ais loin de
m 'attendr e 1. .. » etc ... ) il e ntama U!l1 long disco urs,
pOUl' expliqu er les moyen s de tran spo rts qui pouvaient le plu s rapidem en t amener son interlo cuteur
de Pau ;\ Aufran c.
Il termina par un : « A ce soir 1 » joyeux.
Pui s, il se mil à faire les celll pas dams le hall, et
Moniqu e se replon gea dans sa lec lure.
A plu sieurs repri ses, elle eut des distract ions.
passa it exprès
Il lui se mblait yue Daniel ~Iérouvie
près d'elle. Plusieu rs fois, levant les yeux, elle vit
ceux du jeun e homme fixés sur elle. JI lui seml.Jla
même qu ' il se livrait ù une gym nastiqu e à la foi s
co.mp liquée ct audacie use pour voir ce qu'elle lisait.
Cela ne manqu a pa s de l'irrile r. Elle avaiL hOfl'eu r
d.e tout ce qui pouvai t ressem b ler il de l'itndi scréLIon el celle du j eune homme lui sembla it excessi ve.
Si bien que, lassée de ce LLe attitude , elle ferma
bru squeme nt son livre, le posa sur la lable du ball,
ct mon ta da ns sa c ha mbre, p01l1' écr ire quelque s
.
letl l'cs jusqu 'au d é j e l~er
Mai s Ioule tra ce de sa mauvai se hum e1ll' avait di sparu lorsque , à midi juste , elle parut ft la salle ù
manger .
c her Ma1ll'ice, dit-elle , j'ai à vous donner
- ~Ion
de précieu x rell se ig nem en 15 su r un jeulle homm e H
qui vous vous inléress ez beauco up ...
- Ah 1 Qlli cela il
- Fleur d'ennn i.
- Fleur d'ennu i Y... Connai s pas .. Par contre, .ie
cOnnai s forl bien rnoMie ur Daniel Mfrollv iar, avec
�\
.,'
'",
qui je viens de causer pendant une heure, ct qui va
nous faire l'insigll c favem de déjeuuer à notre table.
Monique (ut légèrement désappointée de voir que
~1al'ice
en savait déjà au ssi long qu'cHe sur Daniel
Mérouvier, (11 esl vrai que ce qu'ils en savaient tous
deux était remarquablement peu de chose",)
__ Et peul-on savoir, dit-elle, par quels protédés
i\::ilucicllx \nus êlcs Cll lré rn rapport avec ce mOIl~iP1J'
?
- Ma ClJlTC MOllique, jc pOllrrnis VOli S racontcr
1111 tas de blag1
e~ , et essayer de \OII S faire croire que
je suis J'llsé comme un SiOIl", miliG la yérité est heaul'O Up plu" ~implc.
C'est ce mon ieul' lili-m ême qui
Ifl'a abordé dan s le hall, ("OtOme \ ' O!~
\ CI l ic/, Il '1'1\
/,0 ,.tir. li m'a dit, avec bea ucouJl tic (",)1 dial i t(., dcs
l'hn~eR
nxlrêmement juslell ur ln 1CJn pt',ntl ure, il
cons laté qu'il neigeait, a e s p{ ~ ré
fJ ue demain il feIllOnl,ré Il
l'ait un meillcur temps, etc. Rre!', il ~'(l
Inoi comme un esprit fort juste ct plein de bCJlll
8cn R. Ensuilc, nOli s avons parlé de choses ct d'aulres,
cl c'est lui, pour fillir, qui m'a demandé s' il pourl'uit prendre ses repas ;'t notre table, disalll qu'il s'ennuyait à péril' à sa )lr lile loble - ce I]lIe j'ni C1'U
sans peine ...
- Et vous avez accepté, comm' l'cla, san s 1I0U!.
donH\llder notre avi s P
Maurice regarda MOIl ique curieusement, pOUl' YOlr
si clic pOI'lait . ériellsemen l, ou s' il novait prendre
ceLLe queslion comme une simple bouLade.
Mais il n'nul qu 'ù "oir' les sourcils froncés el J'ail'
Illéronlcnt dc la jellne fille pOUl' ~c convaincre qur
celle-ri llC plai santait nullement.
Vraiment, dil Ma1ll'i co, rcla VOlIS mche ? Je
Ile vous croyais pas si sauvage.. . Que voule1.-Yous,
il m'a panl tout ?J fait aimable et bien t~ lev é ... .Te
110 pensais pa!!."
- Le voici, dit Monique.
En l'ffet, Danirl \1 ?rOllvÎel' faisoil RO I! c'lIt l'Ile dam
1,. ~:l le
:'1 mnn/!('r , " avait un J; ~c r ~ (l1ri'
~ \lr
l(, ~
1
\
�LA VI. !:flT UNI! VALSIl ..•
..
),
)
lèvres. MauricQ fit les présentations, jouissant ùe lil
surprise de ceux Illli n 'avaient pa~
été mis an COlifant de ses nouvelles relations.
Daniel Ill' paraissait null ement gêné . Il s'inclinait
Cil souriant devant les jeunes filles, serrait la main
avec beaucoup d'aisance au"X. jeunes gens, el SC comportait de la façon la plu s simple ct la plus correcte qui soit.
)J aurice, ellGorc surp l'Îs de l'algarade qu'il venait
de suhir de la parl de Moniquc, avait hésité tl présenler Daniel à son amie. i\lais comme celui-ci regardait la jeune fille, il ne crut pas devoir sc disIH' nser d'une formalité qui ne lirait vraiment pas
;\ co nséquence.
Monsieur Doniel Mérollvier... ;\lndrlfloiscllt'
1\lonique 1 anelle ...
Daniel s'i nclina courtoisement, mUI'IlIUl'a quelqllr,.;
paroles SUI' « II' plaisir qu ' il avail. .. Il, l'l, du ge~I('
le plus ll<llurrl, s'assit à lI'ne placr librr n ('(\16 de
lon iqllr.
Maurice l'el i,,t :'t graJ)d'peine un sourire: saeha lll
itiOll" tic :\1oniC]ue ù l 'égard rie Dalliel, '1
Irs di ~ro
('onlais~t
d'autre pari le ('araelère de '!onillue, qui
Il 'a vait pas coutume de
~ l!pr
o!'te
r
paliemment la
rompagnie de rcux qui lui déplni aient, il se promit
d'observer alLenlivem ent les deu ' jeun es gens pendant le repas, ~IC
tloulant pa~
d'a~siler
il It rll!
. pori Il .
« Sû remenl, pensait-il, cc brave Fleur d'ellnui \'a
IIgacel' Moniqu e, el il va sc faire dire sel! ({lInt"e n:l'ités.. . Pour li /1 jour de neige, cela ferll LOJljolll's
IIne di . traction ...
•
• •
~ , enc
Lo l' 'pas commença dan ;; lin tlenli-silen('e : la prtd'un « rlranger )1 dérangrait nn pru Ir~
('OJ1.
�LA ' VIJ
:~
EST UNI!: VAIA,l': ...
vives. On parla de la neige et dn beau Lemps. Monique, qui parlait généralemen t beaucoup à tabl~,
observait un mutisme à peu près complet.
Puis, peu à peu, on ne prêla plus guère attention
à la présence de Daniel, et le repas reprit son animalion coutumière.
Daniel se pe11cha vers Monique.
- Vous aimez beaucoup les sports ù'hiver P demanda-t-il.
- Naturellement, dit Monique. C'est pour cela que
je suis à Aurranc.
Celle répon e, faiLe rapidement, ne parut pas déconcerler Daniel le moins du monde,
- Oh 1 di t-il, ce n'est pas u,ne raison ...
Monique le regarda avec surprise.
- Comment, pas une rai son ?
- Mais non, pas du tout ... Tenez, moi, j'ai absolument horreur de la neige, du ski, des hôtels, des
nouvelles relations, et pourtan t, vous voyez, j~
suis
ici, moi aussi ...
Monique le l'egal'da, se demandant s'il ne se moquait pas. Mais son visage était absolument sérieux,
et seul son accent, un peu ironi('l'lo, avait souligné
les mots « des nouve1les re lations n.
Ln jeune fille se sentit intriguée. Elle ab~ldon
la rigueur avec larplClle elle avait répOllùu à la
première question du jeune homme. Après tout, se
dit-elle, il eût été tout à fait ridicule et indigne
cl'elle de sc montrer désagréable ct rovêche parce que
l]uelC)u'llfi lui avait paru - et encore il se pouvait
qu'elle sc fût t1'ompée - manque1' un pou de discrétion.
El puis, le ton ironique de Daniel, son soul'Ïre,
J'iJntrig'llaienl, ct elle voulait tirer loul. ('ela IIU clair.
- VOliS avez vraiment horreur de Lout cela P demanda-l-elle. Vous êtes venu ici sa[)s même apporter
de skis ...
~
.le vous demanùe pardon, dit Daniel. J'ai apporlé ulle superbe paire de sk i8 ...
�Lil VIE EST UNE VAI,SE ...
Et vous ne vous en servez jamais P
Je les ai mis une fois.
Et alors il
Et alors j'ai failli me fouler les deux eheville e,
et j'ai cassé un sl<Î ...
Daniel avait pronon cé cette phrase avec tant ~e
naturel et de bonhom ie que Moniqu e ne put retenu
un éclat de rire.
Mauric e la reO"arda avec surpris e, un peu désaples choses prenaie nt une 1oul'e aupointé de voir q~e
tre tournur e que celle à laquell e il s'attend ait.
( « Décidé men t, songea- t-il a vec philoso phie, on
ne compre nd jamais rien aux femmes 1. .. » )
- Et cct essai vous Il suffi P demand a Moniqu e
lorsqu' clle cul repris son sérieux .
Oh 1 largem cnt...
Mais alors ... excusez -moi si je suis indiscr ète,
qu'est-c e que vous êtes venu faire à Aufran c il
-:- Moi P Je ne sais pas ... Qui sail 1. .. Peul-êt re
à eÔté de VOUR, tout simplem enl. ..
déJeun~r
Moniqu e ne répond it pas .
. Tout, ee qui de près ou de loin ressem blait au
flll'l lUi répugn ait souvera inemen t, et surLout lorsfaisait du sport. Elle estimai t, avec assez de
ql~'e
l'Ulsan, que ces ralldon nées entre jeunes gens et' jeunes filles, doivent sc déroule r sous le signe de la camar'ude rie la plus franche el la plus simple, salOs aucun mélang e de ce qu'elle appelai t « la ladeur ct le sentim ent )), Elle accepla it de grand cœur
les bourrad es un peu brutale s que Mauric e ou Robert ou tout autre lui dOllnni enl parfois au cours de
leurs jeux Sur la neigc, parce qu'elle y voyait le sig>ne de cetle simplic ité des rapport s enlre jeunes
gens ct jeunes filles, SUIIS laquell e il ne peut y avoir
de plai si l'S sportifs .
pour innocen te
Aussi la galante rie de Drmiel visage de Mole
mbrir
asso
à
suffit
fûl
qu'elle
nique. Daniel était perspic ace, sans doute, cor il
compri t imméd iateme nt la suscept ibilité un pen om-
�LA ViE EST UNE VAI.SE ...
brageu56 de la jeune fille, et, comme s'il tenait absolument à ne pal! laisser languir la conversation :
- Vous n'êtes pourLant pas, dit-il, de ces jeune
I1l1e;., du genre cheval échappé, qui m'épouvanl ent...
On ne les voil jamais qu'en cos lume de clleval, en
fenue de skis, en SllOds ou eu maillots... Elles paJ'aisseut jle plu s se souvenir que la jupe fait, apr4;s
lout, partie intégra:nte du cos tume féminin ...
Celle satire, pourtant banale, des femmes éprises
de sporl, ogaça Monique qui sc senlil visée pal' le~
paroles de Dar,lÎel.
- Et pourquoi ne serais-je pas une de ces jeunes
filles ? dil-elle presque aigremen l. Sans doute préférez-vou s relies qui p:lsscnt leurs soirées dans les
bals, el sc C1'Oi011t sportives parce qu'elles vont voir
des matches de tennis P
- .Je ne vous croyais pas si nerveuse, dit simple11lent Daniel.
Ulle foi ~ eneore, son IOIl parul extraorùinaire i\
~ronique.
Il avait <.lit cela presque à mi-voix, comrlle une remarque qu'il se serait faite ù Ini-même, el
~lonique
rougit un pell de dépit de se sentir J'objel
de l'ironie de ce garçon.
- Non, poursuivait tranquillement Daniel, lont ;'1
l'!.teure, je vous rcgardais lire, dRUS le hall, et VOl1
~
me paraissiez lIlle jeune filJe comme les ilutres, enfin,
comme le~
autres devraiellt alre, c'est-à-dire réfléchie, un peu grave, gaie, Illaturellement, mais pas .. .
cheval échappé ... Alors, vraiment, vous tenez absolument à ce que je vous considère comme UI1 cheval échappé P
Celle fois, Monique trouva qu'il passait les bornes, et décida de (( le remettre à sa pInce )l,
- Hé ( MOllsieur, dit-elle, je ne liens pas à celn
plUt! qu'n autre dlOBe ... Je ne vous ai jamais dit que
je voulais que vous me considériez comme quoi que
('e soit...
Elle s'alte·ndait à cc que so n vùisin montrûl quel (!lHl ~ i g ne
de confusion, 1):'1' le tOIl flU '~Il (1 avait em -
�l.A VIE EST UNB VALSI":' ..
ployé, plus encore que les mots, était cl 'intention
blessante.
Mais Daniel di t simplement :
- C'est exact. VOll S devez vous soucier fort peu
ùe savoir comment je vous juge ...
Puis, au lieu de s'enfoncer dans uu sil e nee plcill
de digniLé, ainsi que Je pensail Monique, il ajouta:
- C'es t bien le roman de BoJand Marsac que vons
lisiez Lout à l'heme dam le ball, « La. vie est un e
valse ».
- Olli. Vou s vous èles dOJlué assez de [nal p our
voir ce que je lisais ...
- Ah 1 VOliS vous en êtes aperçue P J'en suis fâcbé. Vous avez dû m e trou ver hien indiscret... t\lais,
ç~
m'intéressa it beau coup ùe ~avo
ir
ce que vous listez . .. Vous aimez Ge livre P
- Pas du toul, dit MOllique .•l'ell ai lu cent puge~
et je ne sais si j'aurai la force de poursuivre ...
En disanl cela, elle parlait en força n!; beaucoup
"<1 p0nsée. Elle p.tail"loin d'avoir aulonL de m épris
qu'elle Cil manifes tail. Mais ellc éprouvait uuc sorte
de plai sir à se montrer il ccl inconnu indisc r et SO l ~
lin jour presque brutal.
- - Vous J'avez lu P deUl flnùa -t-elle.
-- Oui. ..
- Et il vous plaît P
- Ma foi. .. plutôt, oui .. .
C'est bicn ce que je pen sais , dit Monique. Là,
au mOÎllls, lcs jeunes filles portent des jupes ... Elles
~Ilt
scn lim entlllcs, elI~
l'êven l au clair de lune, ct
~1rn
e nt
jouer ùu piano, te soir, devan t les grandcs
IcnÎltres ( uverlc
~ ... Je !.rollve tout cela idiot. . .
�30
LA VIE ÈS'r UNE VALSE ...
*
.. *
Pour la première fois depuis le déhut de celte
conversation, Dalliel parut blessé des propos de la
jeune fille. II rougit lin peu, et dit d'une voix altérée :
- Vous n'avez lu que cent pages de ce livre ...
C'est peut-être in suffi sa llt pour un jugement si sévère ... Li sez-le tout enlier, cl vous m'en reparlcrez ...
- D'accord, dit Monique.
Après cela, ct ju sq u' ~ 1 la fin du repas, Daniel demeura sil encieux. Monique éprouvait um vague remords de sOIn altitude. Comme on se levait de table, elle voul ut réparer un peu ce que ses paroles
avaien t eu de dur.
- Maintenallt que VOtIS êtes des nôtres, dit-elle,
je pense que nous vous verrons sur la neige avec
nous ...
- Je ne pen se pa s, dit Daniel.
Il s'illclina courtoisement, et, traversan t Je hall
sa ns s'arrêter, il monta claln s sa chambre.
Monique était mécontenle d'elle-même. Elle constatait qu'une fois de plus son « fichu caraelère » lui
avait joué un mauvai s tour.
- Alors, dit l\Jaurice en s'approchant d'elle, VOliS
avez exécuté mon pauvre « Flc11r d'Enrnui )) ~
- Je cmis que j'ai été très sotte, dit Monique
avec une belle simplicité.
Pelldant J 'nprè~-m
idi, ta n 1. par ] ' inlluence un peu
déprimante de la neige qui conünuait à tomber, flu e
pal' le so uvenir de SOli altilllde agressive à J'égard
de Daniel, Mon igue {Ilt morose et sans en train.
Elle fit une partie de bridge, perdit, sc fil fnire
�J.A
vIe
EST U:'i/'i
VAI_S~
..•
:n
de très sévères observations par son partenaire, puis
monta dans sa chambre et reprit sa ·lecture.
Dans sa petite chambre, que Je soir gris envahis~ail
peu ù peu, elle sc laissa pénétrer de nouvea.p~r
la magic de la leotlll'e. Cependant, cc qu'clle li saIt
faisai!. naître en elle une sourde irritalion. Le caractère de jeune nUt! qu'avait dépc mt l'auteul'
éveillait quelque chose qui l'essemblait à lin vngue
regret. Longtemps ellc avait m épri sé ces j eun es file~
Irop Il ancienne nlOde l ' , lrop senlimental es, q~i,
Jill
se !-'l1b~ai,
renonçaient trop à leur perso nnalité, se
',Hlssalen t tJ'op facilemen L prendre par les paroles
c te~nlm
c Jlt
J'{opétées qu'un jour murmure i. leur
OJ'C1l1e u.n quelconque (1 Prin ce charmant n.
Et voIlà qu'en li sant le livre de Roland Marsac
elle .éta!t forcée de se demander si, par so n goût ÙQ
~a vie JOdépendante, des l'apports cordiaux avec lo~
Jeuues gens qlli la trailai ent co mme un de leurs ca
marades, elle n'avait pas renon cé à quelque chose de
charmant et de délici eux.
Elle sc prenait à envier J'héroïne dont elle lisait
l'histoire ... Est-ce qu'un jour, il elle all ssi, un jeune
homme uu peu timide prendrait ln main, y poserait
ses '(-vres, murmurerait précipilammcnt, ct si ba.;
q?'on pourrait à peine l'entendre, l'éternel (( Je vous.
alT~e
1 » Tous ceux qu'elle connaissait ne s'entretenalen.t jamais avec elle qu e de cheval, de tenni s, de
natatIOn ou de skis. Elle ne s'en plai g nait pa s: c'étnit
elle-mêllle qui leur avait. impo
~é celle di sc ipline. Mais
pas un d'eux, jamais, n'avait semblé s'apercevoir
qu'elle était unc jeune fille, qu'clle avait un cœur ...
Et pas un d'cux, non plu s, n'avait su faire baUre
cc cœur , ne fût-cc qu'un illSlant ...
Mon iq lIC acheva sa lecturc.
La nuit avait presque complètement cnvahi la
chamLre. Il lui semblait quiller des amis tri's chers,
très heureux et elle fri sson na, tant sa proprc vie lui
parut soudain sèche, sans -abandon ni confiance ...
Mai~
presque aussitôt elle sc ressaisit.
�- Ce Jivre est idiot 1 se décla ra-L-eHe fermement.
C'est moi qui ai raison ... Quarnt à Dani el l\1érouvicr,
s 'il aime cc roma n, e'cst qu'il n'est p as capable ùe
sï ll léresser au spo rt, fIU 'il doit /lvoir une mauvaise
santé, qu'il fi peut-être une illfirmiLé cachée ...
TI 11li semblait qu'en s'acharnant ainsi sur un moùestr. admirateur de La Vie est une Valse', cl~
<0
"Vengeait du moment de troubl e que l'auteur de ce
livre lui avait fait conllaÎtre. Elle condamnait cc
trouble comme une faibl esse . .. pourtant, elle ferma
soignell sement le li\' re et le plaça sur sa tahle de
nuit. ..
�33
L.\ VIE EST U"E VALSE ",
CHAPITRE III
DEUX AMIS
L'hôlel d 'A llf l'all<', ce jour-là, fui mis 01 1 rumelll',
vers six heures de J'après- midi, pal' l'arrivée tumullue
~c
d'un nouveau client. Vers ~i'{
heures, en eff~t,
l'automobile de l 'hôle) allai 1 ù la gare, pOUl' l 'a1'l'lvéc du lrain rlc Paris, chcrchrr les rlients poss ibles
de l'hôtel.
En rai so n du tcmps, le chauffcur étail bien déci?é 11 ne pas bouger, lorsque Daniel avait fait savoir
a la direction qu ' il allclldait un ami, et prié qu'oll
voulût bien lui prépan' I' line rhambre ct ail cr lc
<,herchc!' il la gare.
Lc chauffcnr éla il dOIlC' parli C1l maugréan l, disant qu'avcc ce lemps-là, il ne l'épondait dc T'icn, ct
quc , si on le relrouvait dans un rnvin, lui, sa ' üi·
ture pl ~0 1 rnnuflil vo yageur, il ne fnudrjlit ra~
~'{:.
tonller outre mesure ...
El, un!' (\f>mi-heure p)lI~
tard, il élait dc retour,
l'n ill cl 'al/f, mai s l'air pa ssablement surpris,
El1 rrfet, an milieu cl 'un invraisemblable amon2
�L ,\ VIE EST U ' E VALSE ...
cellemcnt de malles, valises, sk is, paquets de toutes
so rtes , de lo ules form es el de Iou les dim ens ions, qui
l'eJllpli ssa it sa voilure, on di ~ lin g' uail
un g l'<llTld diaul e, co iffé d'un chapea u étrange , qui accablail le
chauffeur des rccom manda tions les plus sa ug renu es .
- Dites, challffeur, vous appelcz ça un virage il
~Iais,
c'est un g uct-a pens, tout simplemenl. .. Mais
flallqu ez-moi don c cO lltre un sapin , tou l de suit e, ça
sera plus frall c .. . Ou bien, tirez-moi dessus, ce sera
plu$ loyal. ..
Au bruil, un maÎtrc d'hôtcl s'é lnil avallcé SUI' Je
perr'o n pour accueillir le no uvel arriv ant,
La voiture, ac hevan l le virage que son occupall it
reprochai! uvee la'" de violencc ' llU chauffeur, vinl
se ran ger devant la dcrni~e
marclle du perron.
Ell e stoppa sa ns dou le un peu brusq\lement, car
dl' nouvellcs vociférations jaillircnt de la voiture,
sO llu aill élouffées pal' un écro ul emen t général des coli s,
Le maître d'h ôtcl sc précipita ct, un moment, la
pllls g rande co nfu sion régna a u milieu de la neige
qui n 'a rrêtait pas de lomber auLour de la voiture cl
ctl! son cOlltenu.
Ri entôl, l'ira sc ible voyageur put se dégager de
l'Ilvalan ehe de col is so us laquelle il était pris. De
nOllvell es cl ameurs fl'llpprrenl les airs, cepend ant que
le mait re d 'hôlel 6vucll uit les vali ses avec J'aidc d'un
ga r çOIl nccouru .
A son lour, Daniel Mérouvier pnrut su r Je perron.
-- Hcnri 1 crin-t-il.
- Daniel 1
Enfill liure, le voyageur tumultueux sc précipita.
�LA VU! IlST UNE VALSE •••
35
vers l'hôtel el serra cordialement les mains que lui
Lendai 1 Daniel.
Bell, mon vieux, rugit-il, tu peux dire ~l!"i
faul que je l'aime pour m'aventurer jUSfJU'ICI. ..
Q~'esl-c
qui t'a pris de venir dans un pateli!l parell il ...
Il se rclouf'lla avec fureur vers le chauffeur :
- El ccl nssassin que tu as envoyé me chercher 1
Tu voutais le débarrasser de moi POis-le loul de
5uile ...
Daniel rinil devol1t ce déluge d'exrlnmations indigllées el cnll'nÎnnil son ami à l'inlrrieul' oe l'hôtel,
pOur éviler une atlcrcalion plus violC'lIle avec le
cllfl.uffeur qui com!len~'ait
~ ùonller des signes d'iInpullclIl'e.
-:-:- ,viens dans ta chambre, dit-il, il 'j fail meilleur
qu ICI.
- Mais il faut pOllrtant que je diRe fi cet as~in
...
- 130n, bOll. Tu auras J'occasion de le revoir ... Il
!crl il lahle ...
Sali fail par la perspective d'avoir tous les jours
sou,s la l:nain celui fJu'il appellnit avec ohslinalion
«. 1 aS~nl
1), Tlenri sc lais a emmener sans pl us de
dlffirullé.
tj n momenl nprps, les deux amis étnient confol'tablem<>nl ill lallés dans la cbambre d'Ilenri, un peu
Cllvabie par les colis que les garçons avaient montés, mais assez va~le
pour contenir en outre l'exubéranle personnalilé d'Henri.
- . Alol's, grand homme, dil celui-ci, parle-moi
de tOI ... Ça va, le travail ~
- .le ne fais absolument rien en ce moment.
. - l'II sais, i\ Paris, on rade énorrnémcnl de Ion
Itvre . .Je ne peux pas ouvrir un j01lrnal sans lire
un .fll'ill'ie élogiellx SUI' Lu Vie est Ilnl' Valse. Til deVl'alS le d{~I)('he
.. et donner aulre choRe. /1 faul ballre le fel' la'nl qu'il esl chaud ...
. - Oh 1 lu sais, les joumaux, ce qu'on diL à Paqll ...
�L A VIE EST UNE V AI_SE ...
-- Oui, oui, j e sai s, ça l 'est égal, m ais ça n'est
pas éga l ft tes Illlli s, et ri en ne m 'empêc hera d 'être
fi er d 'ê lre l'ami d e Rola nd ~Jar
sac
, le jeune el brilla nt aute ur du fa me ux r o m an: La Vie est une Valse .
Henri, p o ur pron on ce r ces d cmi ères parol es , avail
élevé la voix , pren ant le lon cl 'UII bonirn en teur.
- Chul 1 dil vivem enl Daniel... Je süis ici incog nilo ...
- Qu oi 1 dil Henri en se leva nt , ce ll e canaille de
maÎlre d'h ô tel n e sa il pas que c 'es t Holand Marsac,
qu ïl a l'h o nn cur de rece vo ir dan s sa cambuse P
Mai s j e vais all er le lui dire ue ce pas c l j'exigerai...
- Tais- toi , taiS- lo i, dil D.m iel en rianl, el en preIl an l le bra s de SO li ami . Si j'ai pri s un pseudonym e
pour sig n er m es li vres , c 'esl précisém ent a fin d 'évi1er lous les hasards de la popularil é .
- Ça, ça le r ega rde, qu o ique j e n 'aie j a m ais COl11 pri s ...
- Si, ça a qllelques avanlages , dil Dani el en SOl Iriallt d'un e fa çon un peu cO lltrainte. C'es t g l'ôlce il
<'e pseud on ym e que j'ai pu, e m a lin m êm e, enten dre un e j e un e fill e - ch arm ante par aill e urs - M darer à Dani el Mérou vier que Roland Marsac é tait
lIJl im hr.r il e et so n livre un e idiotie.
qu e 111 ch antes i'
- Qu oi PI onn a Henri. QI 'r~ l -ce
Une j eune fill e a dit cela P \lai s, c'es t un e péco re 1
un e dinde 1 Ell e Il 'es t pas di g'l1 e Je savo ir lire 1 EII e
h a bite l 'h ôtel P J e vai s la voir ? Mais (' ' p~ t ionsupIJo rlabl e, Tu m e p ermellras lii ell de lui d ir e . .
- Rien du tout, j e t 'en pri e, dit Daniel. J e r econnais 'lU C cc n'es t pliS tr (~s dl'ù le d'entelldre cela,
m a is j'aim e heaucoup mi eux ce g enre d'apprécinlion, exprim ée sin cèrement, que l e~ con1plimCllll s C1I lo rtill és el pl'élen t.icux des gen s qui Il e m'ont p as Ill ,.
- J e Il e le dis pas , m ais fout de m êm e, to ul d e
m êm e ... Un imbécil e 1 Une Idiotie 1. ..
Il elll'i répEl lail ccs mol s I.l vec irril a lion, Cil marc halllt à Iravc rs la ch ambre ,
- Ma i8 lout t'ela Il e 11Ie Jil p a~ <'e quo tu C~ vellu
�L.\ VIC J:;:;.r U:'IK V.\LSL.: .•.
37
faire à Aufranc ... Je t'ai con seillé les sports d'hiver, m ab Je n e m'allendais pas ~ ce que lu ch oi s i se~
un lrou pareil...
- Mon vieux, je Il e te curhe pas que les ~p orb
d'hiver, c'est déjà fini pour moi ... C'est assommant 1
.Tc m'en doutai s, m ais je voulais m'en rondre compte
par moi-m ême... C'esl fait.
- l\lais tu cs unc brule ! s'cxclam a Henri. Tu ne
comprenùras jamais ri en n rien !. .. Je commence à
croire que 'cll e jeune fill e a raison ... Tu es idiot 1. ..
Les porLs d'hiver a som manls P
Dani el rit de b~1I
cœur devant celle nouvelle iJldigllution d'H enri.
;- j~ ' lai s alors, pourquoi l' es te~-lu
ici ,~ Pourquoi
III y lai sses- lu venir ~ Je suis beaucoup mle\L'{ à FontRomeu qu ' i<'i ... Allons fai so n 1I0S valises, parlons ...
- Pas du loul 1 dit' Daniel. Je suis venu ici pour
lin mois, j'y l'ps lcrai un mois, ..
- Ah 1 tu cs toujours aussi lêlu 1 Mais, qu'cstcc quc tu fiches ici P Tu ne travailles pas, tu ne fais
pa s dc Sporl., alors ji
- Eh bicn, je Ill'cnnuic, Loul silllpl cmcn l. Mai s
ça, ne me déplaît JlU ~ ... Je t'ai dil gue je ne tl'availl,ai S pas parce que j(' n' éc ris pas, Jnai R je réfléchis,
,le, commcnce déjà ;'t en trevoir mon prochain houqUtn,
Enfin, mon \ ieu , tu feras ce qu e lu voudras,
t'cnnuieras si ça t'amutic, mai
~ je t'avertis que
qye celle dlienlle de œleigc aura nui de tomber,
Je fai S du sporl, el du séri eux.,.
La cO llvprsa lion se poursuivil lon g uotncnt eutre les
d.eux amis, cordiale el animée, au milieu des enthouSiasmes ct des fureurs d'Henri. Apl'i's ces quatre jours
de solitude, Daniel élait visiblement heureux de trouver quClqU'UD ovèc qui écllollger quclques idées,
t~
-
?CS
�LA VIE eST UNE VALSÈ ...
... ..
La cloche du dtner les smpl'it à cent lieues d'AuCranc, en train d'évoquer les souvenirs, pourtant rapprochés, de leur vie il Paris, et des am is qu'ils )'
avaiellt laissés.
- .l'c~père
qu'on mange hien, dil Henri en descendant. .J'ai une faim de loup .. , Tu t'cs fail des
amis, ici il Ou hien, tu ÙÎnes seul, comme un loup il
Après ulle légère hésitation, Dalliel )'épondit :
Je dîne seul...
- Eh hien, Çll doit être gai 1 Heureusement que
j'arrive pour te dégeler ... Mais (.'a va changer, mon
vieux, jc l 'cn réponds .. .
Ils entrèrent ensemble dans ln salle il manger.
Monique et ses amis étaient déj~
Il tahle. En pas·
sant près d'Cl/X, Daniel leur adressa un léger salut
ct un sourire el continua son chemin, !le dirigeant
vers la fahl e qu'jl avait ('outume d'o(,(,lIper.
Mais ~Ial/'i(e
se leva. Il aVllil trOllvé Daniel svmpathique, ct Ile VOl/lait pas voir se rompre une amitié dont il avait fail son arraire.
- VOliS ne VOilIez donc plus vous mettre à notre
taLle, monsieur ~Iérouvie
P dcmlllnda-t-i1.
- Ce serait avec plnisir, dit Daniel, mais j'ai un
am) avec moi, el j'ai craint...
~
Mais vous avez lorL ùe crjiindrc, dit Mauricc,
ent'ouragé par un regard de Monique. Plus on est
de fous, plus on rit...
- En ce cas ...
Et Daniel, fmieux a1l fond de se voir la main
aillsi forcée, fit Ics présentations. Henri, aussitôt, en·
lama ulne conversalion technique sur le ski, les ar·
r~t8,
Je slalom, avec autant d'aisunco et d'assurance
�LA VII'.; BST
urru
VALSE •.•
3\J
que s'il retrouvnit d'intimes omis quittés la veille au
soir.
Son éruditioll sportive el son entrain firent la conquête de lous, el, cn cinq minules, il était beaucoup
plus ill time avec Maurice, Monique, Georgette, et les
autres, que Da)liel, 'illi avait déji\ pris un repas avec
eux.
*' *' •
C~lui.c,
du reste, ne semblait éprouver aucune ja·
lous.le d~
succès l'emporté par son ami.
~.ilencux,
assis ft un bout de la table, on eût 'dit
qu 11 chcl'chait fi se faire oublier.
A vrai dire, il avait encore très pl'és()iJ1te à l'esprit
la fa~on
sévère ct définil.ive dont Mon .i que avait jugé
Son hvre le malin même. Ll avait beau se dire que la
co.mpélen~
de celte jeune sportive, en matière l ittéraire et lDtellecLuclle était peut-être fort limitée, il
n'a~rivl
pas à oublicr l'humiliante impression qu'il
avait eue. Et r,es mots injustes effaçaient en son esprit
lan~
d'éloges lus et entelldus au Cour!) des jours qui
avalent précédé son arrivée i't Aufranc.
Daniel était d'un tempérament extrêmement nerveux. Tantôt plein de confiance en lui et en son
œuvre, tantÔt, au contraire, abattu, découragé, se
~ernadt
si son succès n'était pas dû à un hasard,
11 connaissait peu d'heures tranquilles, et les propos
de MoniClue, qu'il avait retournés en lui-même tout
nu .long de J'aprrs-midi, lui avaient {ail un mal que
la ,1eune fille était loin de soupçonner.
« C'est la première fois, songeait-il, qu'on me parIe de mon livre sans me connuÎll'c, et c'est pour me
dire quo c'est une idiotie ... PeuL·t:tre que tous les
autres ne l'ont loué que par politesse. Peut-être ...
Et cc que le jeune romancier ne se disait pas,
�1.\ VIE
l ':~T
U~F.
VAL8R .•.
n 'osa it pa~
se dire, c'est que cette co ndlm~aio
sans
phra ses lui avait été !:l1lrtout pénible paree que prolIoncée pal' la plus jolie houche qu'il ail jamais
vue, et accompagnée d'un regard irrilé des yeux les
plus rayonnants du mond e...
•
En ce moment, la jolie bouche ct les yeux rayOJlliants ne parai stia ient point, animés de ~e ntime
s
hostiles à SO li égard.
Monique, en effet, tont eu Ile sac hant pas jusqu'il
quel point elle avait blessé le jeune homme, avait
assez de p er~ picalé
pour savoir qu'elle avait froi ss{o
rn Jui qu elque chose d 'exlrêmem en t sen sibl e.
Et, so n bon cœur r eprenant le dess us, elle essayait ,
dan s la m 'sure ùu possible, de ramener D...'niel à l'indifférence polie cl so uriante qu'il avail /lU rlPhnt dl'
leurs brèves rel a lions.
Mai s plusieurs co nviv es les éparaient, ct Daniel
n'avait null ement l'ail' di sposé à sourire. De plus,
Henri, très en forme ce soir-là, lrès bruyant, débitait mille hi sloires drôl es , très go Cllées des auditeurs,
et provoquait in cessamment des éclats de l'ire qui
rend aient difficile IIn e conversa lion un pell parti culi èr r..
Henri, cn effet, racontait avec beaucoup de verve,
antre autres hi stoires comiques, celle du voyage qu'il
avait fait en automobile de la gare à l 'hÔlel.
Il s'arrêta soudain, rega rda fixement Je grand diable de dome lique qlli apporlail. les fromage~,
rl
s'écria, lorsqu ' il eul vu que J'all enlion gr nérale était
lixée sur lui ct SUl' Je malheur'eux domestique :
-- Mai s c' ~ l lui 1. .. M8i
~ c'est l'assassin 1. .. Sanio\
mentir, mon ami, si votre fromage ressemble à votre
virage, vous pouvez Je remporter d'où il vient...
�LA VIE EST U i\g , ',,]. :;1': .. ,
. Celle sa illie acheva de plon ger dam la joie. Mau l'lee et la plupart de ses compagnons. El l'a 11' du
ùomestique, qui s' efforçait de conserver SOIl aspec t
p}ein de dignité, lout cn jel ant des C01:1PS d'œil ful'leux vers celui qui l'interpellait ainsI, acheva de
lnellre lu table en li esse.
,CeLle gaieté un peu grosse, un pcu vulgaire, loin
d é.guycr Daniel, lui donna un e impression accrue de
~ohtude.
11 lui semblait vraiment que parmi tous ces
J?ll:nes gens et ccs j eunes fill es qui s'amusaient ct
l'laient, il était seul' Henri lui-m ême paraissait loin
ùe lui, m algré l'amitié qui les unis ait. Auc un de
ce~x-Ià
ne pouvait sa ns doule comprendre le beSom qu'il avait d'un pell d'intimilé, de confi ance ...
n leva les yeux, et ren co ntra, posé sur lui, l~ regard un pell souriant, un peu pitoyabl e, de Momque.
P\'e.
s q~e
aussitôt, elle déto urna de 11li ses ycux Iwun s,
ma~
s 11 garda, co mwc une consolation, l'exprcssion
rmll,cale qu'avait cu, un in stant, le visage de la jeune
1 e.
Eta.i-~l
moins seul qu'i! ne le croyait ?
. l\~as
Il ne put épiloguer longtemps sur ("C minim e
,,\('.\(Ien t.
Le (Hl1cr' R 'a('heva it, Henri sc levait, suivi pu\' loul
le monùe. Il inter pella le maître ù'hôtel :
- Mon émi1l)el1l ami, voyez-volis un in convénient
quelconque il cc que nous dan iOl1 s ici P
i\'lais pas du lout, mon sieur... 0115 Hl()1~
mp.l tre en marche le rick-up, si mon sicm le dél:lil'e ...
- Je lc désir'e , mon ami. QU3ut aux di sques, ne
v~us
en pr éoc
lp
e ~ pas. J 'Con ni apporté une quarantUlI1e, fi tout hasard. Veuillez ellvoyer chercher, dans
ma chamhre, la pe tite valise jaune qui les contienl. ..
Dix minutes plus tard, les prernières noles d'un
tango résonnaienl dans lu sallc il manger, dont on
avuiL ra11lf!'é les lobles contre le mur, et Henri ouvrait
le bal avec Georgette.
Daniel n'avait guère le cœur il danser,
�42
LA VIE EST UNE VALSE •••
11 ne savait pOUl'quoi il. n'arrivait pas à se débarrasser de la tristesse qui, depuis le début du dîner,
s'était lentement infiltrée en lui. La musique du tango accroissait sa mélancolie, et le silence qui s'était
fait dam la salle, troublé seulement par les glissemen ts rythmés des pas des danseurs, lui paraissait
plus affligeant encore que le tumulte de rires ct de
voix gouailleuses qui l'avait irrité au dîner.
« .J'ai décidément un caractère impossible 1 » songeait-il, assis dans un coin de la vaste sulle, et en
suivant d'um œil vague les évolulions des couples qui
dansaient.
- Vous n'aimez pas plus la danse qlle le ski ~
Il tressaillit, arraché à Sil rêverie mélancolique, ct
se retourna.
Monique était derrière lui, souriante, le visage animé et avenllnl. Ollniel demeura un instant sans répondre, travel'sé soudain pal' le regret poignant que
celle jeune fille si agréable fI regarder, nu visage si
charmant et si intelligent, mette 80n plaisir à être
toule pareille aux aulres jeunes filles dé son Lemps, à
affecler une bl'Utalitr. de manières qui ne lui jlllait
pas, qui ne pouvait jamais lui aller.
Il répondit enfin :
- .le danse fIIieux que je ne skie ...
- Alors, il faut que je vous invite?
Da Il ici SOli ri t à ce l'en versemon t des rÔles. Il se leva, enlaça doucement Monique, et tous deux partirent, se mêlèrent aussitôt aux couples de leurs amis,
auxquels s'étaient joints quelques autres clients de
l'hôtel, "avis de 'Celte dist rOl'tion inaLlendue.
Mais le lango s'achevn presque aussitôt.
- Bis 1 bis 1 cria quelqu·ull.
Hcnri - qui ne souffrait pas qu'une main aulre
que la sienne rffieurlH ses hers disqucs - se précipila, cl le tango réclamé se fil entendre de nouveau.
Monique s'efforçait d'être aimable avec Daniel,
pour effacer ln mauvaise impression qu'elle pensait
avoir proolli te. Mni" Daniel, oomme hC<IIH'Ollp de
�I.A VIF. liS'I' UNI:i \'t\LSII .. ,
nel'veux, ovait hien du mal Ir revenir rapidement
d'une premi;'re impression. J1'ne répondait guère que
par des monosyllabes aux propos de Monique, et lorsque celle-ci voulut remellre la conversation sur le livre dont jls avaient padé au déjeuner, elle Cut surpri e de voir 'lue Daniel semblait ne pas s'en soucier le moins du monde.
Après ce tango, Daniel quitta Monique a"~ez
froidement, ou, du moins, avec ce qu'il jugea être une
cOlTecLe indifférence, et Monique, irritre de l'ohstination que mettait re garçon 0 être de mauvaise humeur, priL le parti de ne plus s'orruper de lui.
lIenri, toul orcupé ~ can~er,
el. danser, ct meUre
le' disque dan~
l'appareil, no s'occupait plu~
fie lui,
ct Daniel, de nouveau, retrouva celfe pesantl' impre~
sion de solitude, qui p:1rfois, ou milieu des rrnnions
les plus gaies ct les pIns Ilnimre~,
s'empArait de lui,
J'isolait au milieu de la foule, cl faisail un déserl du
salon le plus hruyant.
•
• •
Il monla (l'a~e7.
honnI' hrnre dn~
SA rhnmltre.
el la ~oirée
impl'Ovisre rtnit si joyeu e que son dépOl'I passa presqllf' in:1perç\l ...
Pas de 10uL le monde, repennlmt, rllr j\f()nirl"C. Qui
élait en Imin de dan"er over Maurirr, vit Oanirl ràrlir sur la poinle drs piprls, romme s'il ~'rnflvi.
Elle fuI plon n~e
P1lr-mt'mr rlr f'i rl'Î ta 1ion 0'" lA
plongea ce Mp:1r!. EIlI' on voulait fi Oarrirl dr lia
Sfluva/!erie, ne rrlfr Ilffrrtntion rl','il ~rnhlit
m('ftre
à s'ennuvf'r, III 01' Irs alltrrs s'amu~:1irnt
: ('lIr ~'(n
voulAit cie n'avoir p:1~
Sil 1(' r('l('nir : ('11(' en vOlllait
à l\1aurire qui ~'rtai
mi~
:, ri!'/', l'n r1i Q anl :
- Tiens 1 voilà (( Fleur d'ennui Il qui regagne sa
serre 1
�44
I.A VIE E ST U'Œ
V.\LS E ...
Mécontcnte de tous, dc touL et d' e ne-m~
c,
rlle ne
trouva soudain plus aucun gOljt à ce tte soirée ...
- Voilà ce que c'est, son gea-t-clle uvec col;' l'e, que
de passer toute une journée enfermée... On lit des
livres idi ots qui vous m ettent des idées absurdes dan s
la tête ; on s 'occupe de c hoses et de gens qui n'on L
aucun intérêt, eL on en esL récom pen sée par de la
mauvaise humeur ...
Prétex tan L \ln léger mal à la tête , et l'obligation dc
se lever de bonne hem e le lendemain, au eus où If'
lemps se serait arrangé , ell e qu illa bi entôt ù son tOllf
la snll c à m anger tran sform ée en salle de dan se.
TonI le res te de l'h ôtel était pl on gé dan s le sil en ce
Je plus profond . On eM dil qu e toute la vie s'étail
ra sse mbl ée dan s la sall e à man ger, eL Monique ne put
s 'empêchcr de son ger, avec un mouvem cnt de piti r,
;'1 Daniel, se ul ct tri ste dans sa chambre.
- Après tout, c 'est bi en sa faill e, sc dit-elle avt'Ç
un haussem cnt d' épaul es .
Elle m onta l 'cscalicr, négli geant l'a scenseur .
P arvonue an second , ell e s'engagea dan s le lon g
ro uloir au bout duquel c trouvait. sa chambre.
Mais soudnin , ell e s'arrêta, sai sie par l/l. Jlure hea uté dn spec ta cle qui s'o ffrait il ell e.
Par la baie vitrée du coul oir, qui s'ouvrait sur la
nuit, ell e aperçut l 'imm ense tapi s bl anc de la neige,
sur quoi un clair de lun e l'a d ieux versnit ses fl ols
d'argent. Le ciel s 'était enti èrement dégagé de srs
nuages , et lui sa it doucement de ses milliers d'éloi les. Pas d'autres tache sur la n~j g e qu e l'ombre lem p ue des sapIns.
•
• •
J\'foniqnc d ~ m e lr a ti ébl oni e de ce féerique tableau .
Et, tout (1 co up, vint jusqu'à ell e, faibl ement , le
rythme pur d ' un e vi eill e vaI Re ... Quelqu'un j01lait
�LA VIE EST UNE VALSE .• •
dll violon , ta nt pl'PS cl 'ell e, dan s l'une l'les chambres
do nt les pOl'leg s 'aligu air nl dam le cOlll oir. Le mu sicien avait mi s la sourdine fi son in strum ent, el les
so ns arrivaient à l\.Jonique comme étouffés par la
neige.
Etait·{'e par su ite de la n ervo~ité
où les év6nement5
cIe la journ ée l'ava ien t mi se i> Monique or pllt mallri 5er un san g lot étouffé qui lu : serra la gÙ I':;re. La
porsie de l 'heure, cl Il Mcor, la pénétrait soudai n
d'une atmosphère g ri AA nle, délicieu se et calme,
'lu'ell e me connaissait pas, c" dont ln r évélation
l'ébl ouissait ...
Ell e r es ta ainsi, quelques minutes, imm ob il e, des
la nn es dans les yell:L .. Tout lui paraissait beau, inouhliable ...
Le léger bruit d 'mie serrure qui tournait la mil en
ruile ... Elle disparut, légèr e comm e une fée.
�LA VIE BST UN!:: VALSE •.•
CHAPITRE IV
DANIEL ET L'AMOUR •••
-
Enfin, qu'est-ce que lu as P
Mai s rien, mon vieux, laisse-moi donc ... Qu'estce CJ'](' 1Il veux que j'aie P
Uc>nri se leva aVeG un mouvemenl d'impalience, et
~e
mil n marrher n travers la chnmbre.
r,',;'ni' ln <111nlri?>mr fois, en une hew'e, CJue ce hre{
dialogue s'éc:hang-eail entre les dellx amis, el Daniel
~s ail
pas plu s di sposé n dire « ce qu'il avait »
ne ral'i
CJu'IIcnri n renonrer à le savo ir ... La situation ne
pnrai l'sn il pn s devoir s'érllJirr,ir ...
r.ar D:lniel Cf avnil quelque chose )l, cela crevait
Icl' yeux, lIellri n'en pouvnil douler un in slant.
El, 10111 en mnrrh:lnl de 10n/2' en lArge, ce qui,
rlu r(' ~ le.
avail rom effel d'énerver Daniel, el de le
rrnrlr'c rlu~
~omhre
encore, Hen ri s'ingrniail li ,'elrarlr re~
Il'Ois derni
e r~
jours, espérant que
rel' 1ïti~l()rp
de celle évocation surgirait la lumière.
�LA VlB EST UNE VALSE •••
47
- EJ\fin, voyons, lu m'en veux, parce que j'ai 1'1
quand tu es lombé ~
- Mais lu es fou 1 Je ne t'en veux pas du tout...
Mol aussi, j'ai ri ...
- Ce n'est pas la même chose, fit judicieusement
observer Henri. Puis il contimla son interrogaLoire :
- T1\ t'es fait mal en tombant, et tu ne veux pas
le dire P Ce serai 1 idiot...
- .Je ne me suis pas fait mal du tout...
- Alors, lu es amoureux ...
- Ah 1 tu commences ft m'agacer avec tes questions idiotes 1... Quoi, on ne peul plus avoir lin peu
de cafard sans être amoureux, maintenant P Tu es
complèlemen t idiot. ..
- ROll, dit tranquillemenl Henri, comment s'appelle-t-elle P
Qui ? Mais ça va durer longlemps, cetle plaisanterie P .le l'assure, tu lis trop de romans ...
Geol'gelle ? Evcline ? pour~lIivt
lIenri, sans
paraître s'émouvoir des furiellses dénégations de son
ami. Je ne pense pas fJue ce soil J\rarinetle, tu sais
bien fJU 'elle est fiancée à Maurice ...
Il hésila un instant avmlt de poursuivre
Besle MOllique ...
- Crétin 1
- C'csl hiclI ccla 1... Monirl'Ie 1... Ça, alors, c'cst
inollï .. Juslcrnenl l'elle qui tl'OIIVC Ion houquin idiot,
celle fJui n'a aucun go!'rl commUlrl avcc loi, cellc qui
hier eucore, a déclaré à haute voix, pour que 11111 n'en
igllorc, qu'elle ne pouvait prêler la moindre allenlion
à un garçon qui lI1e soit champion de f(lIelf(ue chose.
MOllif(ue 1... Tu ''cs mis ft aimer MonifJlIc 1. ..
Si tu rrpNcs encore ceLLe idiolie, je te lance
f(11elqllc clO~e
il la It'le ...
- Lallce, mOIl ami, lance ... Ça lc s01lIagera ...
Fiche-moi le camp.
- P/ll'fail. Je vais m'occuper de cclle affaire.
JI tQllchnil cUjà ]e bouton de hl porto, pour quit.
�I j~
LA VIE EST U NE VALSE ..•
ter la pièce. Da niel se leva d 'un bond e t le rej oi:
- Si lu continu es à te m êler . de mes affaires, dit-il
cl 'un e vo ix filge
u ~e , j e te j me que lout es l fini entre
ll OUS. De ma vic , j e Ile t'adresserai la parole ...
- C'est plus g rave en core que j e n e le craign ais,
dit Henri san s s'ém o uvoir, a vec un hochement de
lê te pl ein de piti é. Tu n e l'aimes pas, lu l'ado res .. .
Ayant lancé sa de rni èr e fl èche , il se dégagea d e
Da ni el qui lui a vait pris le po ig n e t, et, louj ours paisibl e, s 'en all a .
Derri ère IlIi, Daniel fil cl aque r la porte, Cil gromm elarnt d 'i nin tcll ig ibl es injures à l'adresse de SOli
ami.
Cepe nd ant , l' é m o ti on qu'il vellait d'avoir, l'e pèce d u r olt'fu qlli l'a vait o ul evé en ente ndant Henri
décl a re r Il qu'il all ait s 'occ lIpe r de ce lle affaire »,
lui avnit fnil du hi en : il s'en tro uvait re mné, d élivré, fi OUl' un temps, d e la m Ol'll e tri stesse qui, p eu
~ peu , s'e mparait de lui de pui s res del\ni er s j o ui·s.
~ Ii s pO li r la prem irl'e fois a u pi ed du mur, il était
bi en fo rré de fecollll flÎl fe - po ur lui-m êm e - qU 'il
pe n prrs toul ce qu 'a vait dit He nri élait jl ~ lin { · ;
il es t pén ibl e po ur un j e un e roman rÎe r psych ologu e
de d evo ir fi j'inl c n c nl io n d ' un ami des r évé la ti o ns
su:' ses pro p res é tals d 'â m e ...
~ nil
.
If
•
Crp c>nd an l, avec un sOll c i presque pro fessionn el
da n s sa tê te les
de dnrl r, I)a ni cl Mrroll vicr r e p!l s~ nit
é t n p e~
de re fi Il ' il é tait for cé d'appclc r son amour
pO lir \I o niqll c Dll r cll e.
d'Henri , il avait
LOI'sf]1l r , le so ir d c l' a rl'i v~c
subl'c pl icc melll f)lli li é le hal improvi sé , il s 'était J'Ctiré tout dc suitc dans fif! dlambJ'c e l avait th'mandé
�LA VIE WH' U b V \l. !-l! .•.
t.;J ~!
qr
:.
à son violon la t'ol\50Iation quc la musiquc appUI-
tail en général Il scs ncrf irritls.
Longtcmp , longtcmp , la lumil'I'e Sleinte, il avait
joué pour lui se · airs préféré, cu"( qui savaient le
mieu ."( ucr,' ci' sc pcine ' et ses joic
~.
Debout dcvant
sa fenètl'e, cn face du payagc Illcneillcux que cornposairnt Ic~
jcux dc la lune t'I ùc la ncig-' - cc mêmc paysagc qu'admirait hloniqul' i. quclCJuc mètrcs
ùc lui, .all' qu'il letit il s'plait lai . é cmporIcI' pal' 011 ill pil'ution du 1I1 0 1llf! 1l1.
Il ne pouvait oncor' atlrilHlCI' 1!lICUnc cau c pn;ci.c au troublc malaise qui l'agitait alors. Il était
Iri Ic,impl 'l11cnl, ~ans
pouvoir occuser Il r onne de
cau CI' <'clle lri ' t's ~ r. Lc sourd ('nlimcnt dc rancunc
qu'il Ile pouvoil s' Il1p~che'
d'avoir 'n songcont à
dont ;\Ioniqu' avuit padé dc son livrc olJaÏl
la fa~'on
l'Il s'all(llIlJatlt '1 foi ail place, au conlraire, Il quelquc cho'ic de doux cl cl 'a IlICI' Il la foi .
A plusicur l'tprisc~
, II' visagc
i \ iHlnt ùe 1\1olIil(ue liC pl'é~en
li a pcn éc. Il nc Ic rcpou sa pa ',
t1tonné iui-m01llc dc l'acccpter si ai émcnt apr\s Ic~
lIlots si dur .. qu'clic avail prononcés.
lIn l'Cil plils lard, rnlhousiasl11é par la ueauté de
la lI11il, il élail l''descendu, La hol cOlltinllait : mais
Duni 1 gagnn , 1111 uruit la t fTa . c. Et là, accoudf.
;, ln h:.l lu Iraùe de pierre, indiffér<'nl cn IIpparence ;.
loul, il 'emplit 1 yeu\. ct l'âme de ln splendeur imn1uruléc quI iI'offrail b lui ... (El il s'up rrcvait maint 'nont CJlle, dcpuill ccl in tnnl, il avait pensé san '
l'C~sc?t
1olliquc, rommc si le vislln-e dc la jeune fille
av,tiL r.,il partie ÙU pUylillg qu'il aVllil SOl~
les yeux,
et doul il uyuil ('on ervé Je fécrique souvenir).
�50
LA VIB EST UNE VALSE ...
* * ...
Le lendemain, il s'était réveillé · d'excellente hu meur.
Ain si, parfois, sa ns savoi r pourquoi, il lui paraissait au réveil que tout da ns la vie, allait ê tre fa cilc et beau. Il fit sa toilel1 e en chantant, descendit
d éjeuner, et la première personne qu'il rencontra en
arrivant dans le hall de l'hôlel fut J\lonique.
Elle l'a ccueill it gracieusement, lui disant que Lout
le mond e élait deve1lu aussi paresse ux que lui. Il
était plus de huit heures, et ueauco1lp de FoCS amis,
fati g ués pour s'être courhés trop lard la veille, n'élai ent pas encore descendus :
- Mais puisque vous êtes ln, dil-elle gcn timent,
vous allcz prendre une leço n de ski, une vraic, ct
unc sérieuse. Je serai voire professeur .. .
- Mais j e vous ai dit que j'un de mes skis élall
cassé ... La spa tul e ...
- Nc co mm cll cez pas n vous dMIler, dit Monique
en rianl. Des sk is, on vous en trouvera. Cc n'csl
pas cela fJ1Ii manque ici, VOIlS pouvez Je <"roire.
- Mais ...
- Il n'y 1\ pas de mai s qui lienll e ...
Séd uil par <"C ll e gentille allloriln, Dani el accepta
sa ns plus de difficllll é la proposilion qui lui était
fnit e. Les bo nn es di sposition s dnns lesq uelles il s'élaÏl éve illr conlinuui enl, e t Lo ul lui p.u·ni ssa il agréablr el fnvornhl e.
Il s so rl i relit sur ln n eige.
Henri, plus animé que jamais, avait prêté une
pnire dc !!kis Il ~on
ami, pule, en comrlllgnie de! an -
�Lr\ VU<; ES'!' U.'iE VAL:5Il ...
tres , avait pris le large; el Daniel demeura seul avec
Moniquc.
11 ;lVOU~
qu'il n'avait jam ais p"i s unc seule leçon
de ski: il s'im~g
, nait
que le ski élait beau coup plus
facile fju'il ne l'était. 11 raconta sa prcmière expérien cc, cl Moniqllc ril beaucoup, car elle reconnut en
Darliel le louri sle maladroit qui avait tellement irrité le vieil hôtelier.
- Mai s, nous lTle sommes pas l~ ponr bllvarder,
dit-clle au bout d'un moment. Mettez vos sk is et sui"cz-moi.
n ohril avec alllani de désinvolllll'c qu'il pnt, mais
il souffrait de sa maladresse, croyant toujours Jire de
l'ironie ou de ]a moqucrie dans les yeux de Monique .
TI la suivit, marrhant so n s trop de difrnl~g
SUI'
le phIl. Pui s, do('ilemcnt, il exécula les mouvements
qu'elle lui indiquait. Il s'excr,R à tOlll'ner, évofjuant
des heurc! II pen prl-s semhlahles flu'il avail vérues
quelques an nées plus tôt dan s la ('our d'une ('aserne.
« Mais, je préfère avoir cha,n gé d'adjudant, pensail-il ù part Jui.
CcpendAnt, soi!, distraction de Sa part, soit pom
toule autre raison, il ne « mordait» pa s au ski. Il
s'irritait, lomba plu sieurs foi s; il arriva à Moniflue
de rire ct il en souffrit. P eu à pcu, loute sa bonne
humcur s'cnvolait. Coulumier de ces sautes d'humeur i rnprévisibles, il retourna d'un seul coup à sa
tri slesse et à son irritation sourde.
Monique ne remarquait rien, toute enmre attentive au mélier de · monitT'iC'e, nOUVPAU pOI1T' elle.
Parfois, el1e se bissa it aller ft un mot sévère :
- VOll S ne failes pa s attention . .. On dir/lit que
vous le faites exprès ... Vous 111 'arriverez jamais ...
Daniel ne trouvait plus aucun charme i'l celte leçon. Au contraire, son irrilnlion l''roillSllit. Nerveux
et susC'cplible, une sorle de rage s'emparait de lui.
Soudain, des rires el des cris se firent cntendre
qui sc rapprochaient rapidement. Toute III bande des
�1.\ \"Ill "fiT U'\E V\L!\È ...
amis de 1\fonique arrivait, dévalanl ~ toute vitesse lu
penle cl'une hauteur.
A quelques pas du groupe q\le formaient MoBique et Daniel, Henri, CJui menail la han de,
exécnta \ln arrêt magnifique. ~lonique
en ful enthollsinsmre.
- nra,·o 1 ('f'ja-l-elle. Ça, c'es t dn sk i ... Prenez
exemple, mon pauvre élève ...
Dalli el sc retourna hrusquemcnt, pftle d'nne SO lldaine ('o1('re. Mais le mouvement violenl qu'il avait
fait lui fit p erd re l'équilibre, cl il tomba, une foi s
de plu s le nrz dan s la neige. Un double éclat de rire
sc fil entendre, auquel sc mêla reux <!rs autres q1Ji
les rejoignaient.
Daniel fuI un moment avanl de pouvoi:- se J'el,,ver. Ses skis lui parai ssa ient former lin rl1l'hevêtrement inextricable, dont il ne parviendrait jarnnis r.
1'e dépÎ:trcr. Il ressentait avec une amertume d'une
forrc incroyable cc qu'il appelait « le grotes/plC de
sa position ».
Monique lui tr.ndit une main qu'li fei gn it de n e
pas voir.
Le lemps qu'il miL ô\ sc rel ever lui rermil de sc
contenir, de rcvenir un peu :1 lui: il plll ain'i éviter J'édal <lu'il avait ((lé sm le point de faire. Il
~o uril
m('me :'l Henri, d'un sourire un peu forcé,
(ll'esque douloureux.
lIen ri, déj;i suivi de ses nouveaux am is, avait
rcpi~
sa CO\lrse.
Alors Daniel sc retounna vr('s Mon ier ue :
- VOliS pouvez VOliS rll 1111er, dit-il, je ne veux
pas être un gêneur, un empêeheuJ' de' danser en
l'oncl. ..
- Un gênellf rrnr/a Monique, surpri se du ton
flu'adoptait ~olrni
Dnni el.
, - , Mais oui, lin gêneur ... Birll entendu, vous pl'éfl·l'er.lez êtrc aver les autres, fairc du ~ki ... c'est par
charllé qllr VOll l'eslc7. avrr, moi ... Mai~,
rI! n'rst
pA S la peine. Le ski. les skie\1rs, si VOliS saviez rolYl-
�LA VIE EST U'iE VAI.!'F: ...
5:\
me je m'en fiche ... C'est de ln pose, tout cela, du ...
du chiq ué, voilà toul ... Je n'ai rien demandé, ar,~
tout ; mais sans doute, vou s vous êtes dit que ce
serait amusant de me voir faire l'imbécile dalTls la
neige. Eh bien, vons êtes satisfaite ... .Je suis tomM
rlix fois ... Henri a hien ri ... Vous devriez le rejoindre; maintenant, le sujet de vos plaisanteries est
tout trouvé ...
Daniel ne se r.onRis~t
plus... Comme lorsque,
enfant, il tombait dans \lne de ces crises de rage
folle qui effrayaient ses paren ts el ses maîtres, il chercll(lit les paroles les plllS Llessanlc9, celles qui POllva ient le plus toucher Monique.
Cf'lle-ci J'écoutait sanl; mol dire, gravement, lf's
Jeux S1I1' ceux de Daniel. Et SOl1S ce regarrl ('alrnr,
maître de lui , Daniel se rendait mieux compte du
l'idicule de sa conduite, de l'absurdité des accUSations qu'il formulait. Mais, loin de le calmer, Jn
r,onscience de cc ridicllle et de celte ahsurdité accrois~a it
sa rage.
- Avec vos autres camnr~des,
avec tOlites les petites imbéciles qui vous entounmt, poursuivait Daniel, vous pourrez rire de moi pendant toutc la saiSon ... Tl Y a de quoi ... Mais, vous rirez sans moi,
parce que, dès ce soir, je flle d'ici, où je n'aurais
jamais dO meltre les pieds ...
JI s'arrêta pour prendre haleine.
Alors, Monique parla :
- Vous avez fini. Eh bien, moi, j'ai peu de choSes à vous dire. .T'ai voulu me montrer camarade
avec vous, sallls Jaire aucunc « charité )), comme vous
dites, mais parce que vous m'étiez sy mpathique . .Tc
Vois maintenant que je me suis trompée ; la camafllrlcrie est un sentiment que VOIlS ne comprendrez jaIni~.
Au fond, vou~
n'avez pas oublié une seconde
que .i 'étais une jeun e fille. et VOliS avez été vexé
parce que vous avez craint d'être ridicule devant moi.
n se peut que je sois poseuse, et que vous sovez un
modèle de simplicité, mais c'est pour me reposer
�LA VIE US'!'
UNJ~
V . ~LSE
...
des « mod èles de simplicité )) de votre genre que je
suis venue ici, avec des camarades de mon choix,
et aussi « poseurs )) que moi. Souffrez que je les
rejoigne ...
Ayant dit, elle pesa sur ses bâtons, glissa légèrement sur la neige, passa devant Daniel sans le regarder, et s'éloigna, sans Lruit, avec indifférence.
Un moment après, il enlendit 10 voix claire de
la ,i t' Ilne fille pou sser le « Ilello 1 0 1 » qui était
Je cri de ralliement de la bande. Puis, lui parvint
la voix lointaine de Maurice : « Bello 1 0 1 ))
Tl clemeura un instant, immobile.
n lui semblait qu'il élait scul dans J'univcrs. Tonte sa eolhe tomh~e,
aussi vite qu'elle était née, il
se senlait abandonné de tout et de tou s, et cela par
sa faule, pal' la raute de ses nerfs, qu'il n'était jamais parvenu li di scipliner.
LI'lTl temen t, lourclcmen t. comme accablé d 'lin poids
intolérahle, il regagna l'hMel. A la conrusion qu'il
éprouvait au so uvenir de la « sortie Il ridicule qu'il
avait faite ft Monique, se joignait u'n sentiment plus
fort et plus poignant, une amertume immense, une
sorte de délresse qui l'anéantissait.
Jamai s, songeait-il, il ne pourrait chasser le souvenir de ce visage de jeune fille, des yeux qui s'étaiont fixés sur lui pf'nrlant qu'il se laissa it aller: à
so n mOllvement de rage enfantine ... Le plus beau visage, les yeux les plus vivants du monde ...
•
• •
Et re visa/!c, ('e~
yeux, e'rlnienf détolll'nés de lui.
fis aVflient revÎ'fu lIne expresl'ion de mépris pour
lui, de m~pris,
pas m(~e
de eolrre.
TI ne pouvait ~e dNendre d'un sentiment rI'admiration pOlir l'intelligence cie la jeune fille, qui aVilit
si bien su démêler les raisons profondes de sa co-
�LA VIE BST UNE VALSE ...
55
1ère. Et c'était celte jeune fille - qui J'avait trouvé
sympathique, elle l'avait dit avec simplicité - c'étail celle jeune fille qu'il avait sollement insultée,
avec qui il avail brulalement rompu toule possibilité d'amitié ...
Et tandis qu'il glissait péniblement, maladroitement, sur la neige, des mots d'excuses lui montaient
aux lèvres, qu'il murmurait au vent léger, comme
s'il devait les porter, vers le fond de la vallée, jusqu'aux oreilles tle celle à qui ils étaient destinés.
Vaines excuses 1
Jamais, sans doute, elle ne pounait lui pardonner la grossièreté de son attitude. Et, li l'intensité du
chagrin qu'il cn éprouvait, il mesura, avec un senlirncllt tic crainte et de l'egret déchirants, la place
que, dcpuie ces quelques jours, avaient pris dallls sa
pellsée le fin visage et les yeux étincelants de Monique.
Ainsi, parfois, c'est Il J'ab ence d'un ètre cher que
nous nous apercevons nettement de tout ce gu 'il était
pour 110us.
Daniel ne s'était pas senti le courage d'affronter,
ce jour-là, une nouvelle rencontre avec Monique. Il
avait laissé sa pelite voiture dans un garage, près
de la gare, dans la vallée. Il s'y fit conduire par
l'aillollu de l'hôlel, et pa sa toute la journée dehors .. roul,lnl un peu au hasard, heureux de la distraclion qlle lui apportaient les imprévus ùe la route.
Il regagna l 'h<'>lel fort tard,
ayanl manqué le
dernier voyage de l'aulobus entre la gare el l'hôleI, el ayant fnit à pied le lrajet, avec de la neige
jusqu'à mi-jambe; mais la nuit Mail si belle, qu'il
trouva le chemin court.
Faligué, il avait dormi tout d'une traite jusqu'au
mnlin, éveillé seulement par les cris joyeux de ceux
qui gagnaienl la montagne.
Alors, d'un seul coup, lui était revenue son fingoisse.
Et, ICR deux jours ~uivaJ)t8,
il avait lrafJ~
dans
�LA VIE EST U ," E VAL SE ..•
J'h ô tel un e vie accablée. 11 ne voyait presque pas
Henri. Celui-ci avait con va in cu ses n o uveaux amis
de l 'inutilit é qu ' il y ava il à r evenir déj euner à l'hôLoI : il s em port aient m ailltenanl des p rovision s, e t
pi guen iqua icnl da ns la m ontagne.
Le so ir, il s dill aienl de bonne h eure , a ffam és, c L
regag naient v ite leurs challlbres , les m embres la s
li ' lln e bo nne e t sain e fati g ue. Daniel dînait après
eux. n put ain si éviter la r enco nlre avec Monique,
qu 'il cra ig na it par ùess us Lout, san s lrouver cepenJ alll le coura ge de quiller l 'hô tel, comme il le lui
:lVa il lai ssr enten dre.
El ïrava iL fallu un e n ou vell e j o urn ée d e neige pOUl'
qu 'Henri vînt c hez SO Il ami, e t le trou vât, l'air absent, mal rasé, onfon cé d an s un faut euil co mme un
oc togénaire , et ten ant un e revue qu'il ne lisail vi sib lement pas.
L ' inqui ète amitié d 'Henr i avait ra pi de m enl mi s le
d oig t su r la plaie sec rète de son ami.
Et ma inten ant, mi s enfin en face de lui-même,
Duni el s'avouait sall s plus l'user la vérité qu'il avail
fui e avee ta nt de soin : il aima it Moniqlle, si c 'est
!l inI er, q ue d e so uffrir de l'a bsence , d é~ i re r la pré,;e lll'C l'e l' pé t \Jell\! d e qu elqu 'un . li aim a it Mon iq ue,
si c'es l a im el' qu 'assoc ier san s resse la pen sée d e
quelqu ' ull à sa propre p e lJ ~ée
; il aimait l'Ionique, si
c 'es l aill1 er qu e souh aiter le bo nhe1l 1' de quelqu 'un
p J\I ~ qu e SOli propre bonh eur.
Ce ll e U"CO ll Ve l't e , si J'o n pellt a ppeler a iJl~ i la co n ~
cience nelle d ' lIll fail a ncien qu e l'on avait pri s beaucoup de pein e pour ne p a~ voir , re li e d écou ve rte acpoil
'.
croissait son d é~es
Ca r , s' il se l'e nd ait compt e, LI présellt, qu'il d ésir a it pass ionn ém enl la p l'ése nee d e Mo niqu e, il savait
uus i que ce lle prése nce co ntinuait à l 'effra yer.
li Il e l'a va it pa s rev ue depui s le j our où il s 'était
lai ssé empo rt er de va nt ell e par ~o n accès de rage
p uéril e. Il ~c demand a il s 'il a1l rai t Ir courage ci'nfl'roI/toI' de nOu vea u sa p rrse nce ...
�LA , ' TE EST
mm
VALSE .••
Il aurait dû, ]e soir mêml:!, lui faire des excuses ...
mais, il avait perdu la tête, il lui semblait que sa
grossièreté avait été impardonnahle, qne Monique lui
lournerait le dos ...
De nouveau, il pensa à partir, à boucler ses valises , à prendre le premier autobus qui le descendrait
vers la vallée. Mais il savait aussi qu'il n'aurait jamais le COli rage de prendre celle initiative ; de mettre volontairement, entre Manique ct lui, l'abîme de
ee départ, alors que peut-~LI·
elle-même n'était plu'!
L\ que pour très peu de jOUl'
~.
- Mais, je ne jouis pas de sn présence, je ne la
vois jamais, je ne lui parle jamais ...
- Sans doute, répondait une voix on lui, mais tu
sa is qu'clic est là ... Parfois, tu entends sa voix et
80n rire résonner dans le couloir ... Tu reconnais son
pas ... Tu su is quand elle descend J'esca lier ...
Ell proie il une perplexité pénible, Daniel allait et
venait à travers la chambre, comme il reprochait
Souvent à Henri de le [aire.
11 s'approcha de la fenêtre.
Comme le jour où il avait pour la première foi ~
adre~é
la parole à Monique, la neige tombait ù gros
lIocons pressés... Trois jour;; se ulement s'étaient
I\'oul(,s - il n'avait échangé flue peu de puroles avec
la jeune fille - et cepenùant, déjà, elle tenait toute
la place dans sa pensée: romme ces neurs japonai~es,
qui, rlan s l'eau éclosent, se développent, Cl'oÎs~en
t et occupent en quelques minutes tou le la surface du va~e
où on les a jetées ...
Indécis. ne sachant que faire, comment sortir du
�J.A VlB "ST UNB VALSE ..•
trou hIe délicieux et odieux qui l'occupait tout enUer, Daniel hésilait, le rront collé aux vitres, un peu
ébloui pur l'incessante chule de lout ce duvet blanc ...
Parl.ir ? fiesler P
" lui semblail êLre à l'Ull de ces moments graves où la moi'ndre chose peut vous faire décider qc
la vie LOllt cntirre ... JI Lenail son Îlme en suspens,
comme dans l'attente d'un signe qui lui indiquerait
la voie qu'il fallait prendre ...
De sous ses fenêtres, monla la voix de Monique.
Il la viL, sous la neige, les mains étendues comme
pour !>aisir cl anêLer au passage ces impalpables papi 1I0ils Llêmes.
Elle criait :
- Que c'esL beau 1 Que c'est beau 1 Je voudrais
passer touLe ma vie ici...
- .Je voudrais passer toul.e ma vie ici, répéta tout
has Daniel. « lei ... )) Bon. C'élait sans doute le signe qu'il nLiendail. Il restel'nit ici ...
" élaiL délivré du poids de son indécision, mais il
n'en éprouvait nulle joie. Il lui semblait maintelIall/ qu'en parLan/ il aurai/ le cœllr plus en repos.
LongLem ps, longtemps, il regarda Lomber la nei-
ge.
Monique était l'entrée depuis longtemps, l'hôte)
était foui entier plongé dans le silence.
Daniel se sen/ait froid 1111 t'Œur : il lui semblaiL
que Loute celte neige lombnil pOUl' ensevelir quelqu'un ou quelque chose.
�tA vIE ES'C UNij V.\L8~
'.
5!i
CHAPITRE V
NAISSANCE D 'UNE AMITl~
- Alors, c'est 'la paix ~
- Si vous le voulez bien, ..
- Appelez.moi Monique, cl je vous appellerai Da·
Hie!. .. Ce se ra llll gage d'alliance ...
Daniel pr' il la main que lui lend ail Monique, une
maill fine et so uple, ma is forle a ussi, el qui sul lui
donn er un « s hake·h an d >l, digne d'un élève d'OxtOI'd,
Ain Ri, c'é lail fini ...
Il se mblail ~ Dani el sortir d'un cauchemar. Et
les c h o~es
s 'élaienl failes si sinlpl ement, qu'il avail
de la peine il y croirc , Commè il qlfillait sa chambre, il s'é tail trouvé nez ~ ncz avec Monique qui
S~ l't l it de la sienn e, Ahsolum ent impossihl e de l'éVil el', ?l moins de commcLtl'e une nouvelle impolitesse, pire que la première.
Monique IIvait paru hosiler : elle llVllit fnit un lé-
�LA VIE EST UI'iE VALSE •.•
ger signe de tête, son visage demeurant sérieux :
visiblement, elle se demandait de quelle humeur
était Daniel...
Alors Daniel avait eu vers elle un mouvement tout
il fait ilTépressible : il lui semblait que s'il ne
saisi&sa it pas cette occasion, tout serail irrémédiablement gâché, fini entre eux .. . tandis que tout était enr ore possi ble.
11 s'était avancé, alors que MOllique était sur le
point de passer, après le bref salut qu'elle lui avait
fait. Il avait appelé :
- Mademoi selle 1
Devant Monique qui s 'était retournée, il Ile COIlnut plus auc'lI1e timidité. ]] lui semblait que tout
ce qu'il avait à dire, à faire, était facile.
- Mademoi selle, dit-il, j'ai des excuses à vous fair e. J'aurais dû lcs faire depui s longtemps, et vou s
se ule savez s'il n'est pas trop tard ... Je vous demande
pardon de la conduite sollc pt g ross ière que j'ai eue
ü votre égard ... Maintenant...
Monique l'interrompit. Au fUI' et à mesure qu'il
parlail, le visage de la jeooe fille élail devenu souriant.
- As~cz
1 assez 1 s'écria-t-clle, avl."<: du rire dans la
voix . Je recommence à croire que vous êtes UII type
sy lllpathique ... Cette situation élait odieuse el ridicule, e l jc vous suis tout à fait reconnaissa nte d'y
avoir mis fin .. :
Elle lui tendit la main ...
..
1r
..
Maintenant, J'un li côté de l'autre, C/lUSllnt ct souriant, ils descendaient le large escalier de l'hôtel, aU
grand étonnemen t d'Henri. Duu iel, en passant de-
�LA V III El;'!' UNE VALSl-: ...
lit
vant son ami, lui adressa un sourire aimable qui
acheva de d6co nccrter Henri.
- l\ ly stèl'e 1 se dit-il. Je quiLLe Dani el plongé dan s
la furellr ct dan s les larmes ; une heure après, je le
trome so uriant et heureux, aux côtés de celle dont
la pell ée lui rong-eai t l'âmc ... Ah 1 ces romancier,s 1
Pui, eom me le recherches psy chologiques n'étai ent pas du domaine de so n activité habituelle, il
chassa tout souci, cl se dirigea vers la sa lle ft mallger, d'Oll s'éc happait une appétissante odeur de gibier .. , Si appéti ssa nte, même, qu'il oublia de s'étolln er en voyant Daniel prendre place, le plus naturelleme nt du m onde, aux côtés de Monique,
'1'0111 au bout d e la table, une figure nouvelle al lira du res le toull' l'allention des convives.
JI n'étail pa s be o in de demander au nouveau venu
ses papiers d'identité pour savoir SUl' qu els rivages
il avait vu le jour .. , Il ressemblait à Uone caricaturl'
lin peu poussée d'Anglais. Très grand, très maigre, le
teint brique, lcs ye ux cachés par des lunclles aux
verres ca rrés , les <"IlCve ux cl 'UII blond ardent, 011
l'dl!. ùit des enùu d'une page de journal humori s1iquc ct anglophobe. La veste sport à large carreaux
no manquait même pas.
11 man gea it avec appét il, ct, pendanl la prelllière
pari ie da re pas, Il e leva pas les yeux de ~O l assiette.
l'ui s, sa prcmière faim apaisée, il pou ssa un grand
soupir, leva sa tête chevaline, cL promena un tranquille regard sur l'ns
s i 8 taJl(
~e .
Maurice cL Henri qui fra terni saiC/l l comme s 'il s
~ 'éluient
toujours connus avaient déjà échangé quelq~ e~
plaisanteries SUI' le compte de l'in sillaire ; MonIque leur avait à plusie urs repri ses fniL signe de
Sc taire, dans la cl'ointe que celui-ci ne comprtL le
franç.ais, cL ne prt!. fort mal les propos que l'on tenait s ur son compte.
Mais les deux garol~,
excités par un peu de vin
qu'ils avaient bu, par la bonne chère, pal" les l'Ires
el les ellcoumgemell ls des autres, ne paraissaient
�6i
LA VIE
~8T
UNE VALSE ...
Ilullemoot disposés à s'arrêter, ct poursuivaient il
haute voix le cours de leurs réll exion s.
- J'CIl ai connu un, disait Henri, il était encore
plus l'aide que ça ... JI n'a pas vécu vieux, parce
qu'un jour, en 56 baissant pOUl' rams~
une pièce
d'un sou, il s'es t cassé en deux . ..
- Muill, je plll'Îe qu'il ne mangea it pas tal1t, dit
l\1aurice ... C'cst cc qui J'a tué ... Celui-ci vivra vieux,
tu verra s .. .
A ce rnoment s'élevlI lu voix dc c( l'An glai s ».
Je ne parle pas lrès hi cu le françai s, dit-il,
mai s j e le co mprends tou t à fait ...
Puis il se remit li man ger .
Un grand sil en ce s'é tail t'ail aprrs cclle déclAration . Henri e t Maurice n'étaiellt plus fi ers du tout,
toute leur faro ude tom bée devan t Je sa n g- froid ironique du J3riLannÎfjuc .
1) ne faut pas Jeur en vouloir, Monsieur , dit
Monique. lJ !S n 'on t pas parlé méchammenl...
- Oh 1 .I c 111 'cn vcux pas, dit l 'A ng lai s . .T'ai trouvé ça amusaill. Ma is j'éta is itndiscrct d'cntcndre et
de comprendre sa n s le dire ...
II Illlplait lellt ement, che rch allt un p cu scs mots,
visihlcment so ucicux de fa ll'c des plll'flses correctes.
Mai s il avait un accent tcrribl e qui commcnçait à
donll er le fOIl rire à Georgette ...
POUl' faire diversion cl évi ler un nouvel in cid ent,
Monique se hûla de parler d 'a lltre cho~e.
- C'est la pl'emièrc fois, dit-elle, que je vois un
Anglais à Aufranc.
- Les Atllglai s vont pari o u!., dil se ntell cie use ment
l'in sulail'e . Pui s, il se leva ct dit:
Permcll.ez , j e me présellte ... l\i cha rcl ThOlnp-
son ...
- Enchanté 1 TOllt ~ rait e ll cllanté 1 crièrent ensemble ~laU'ice
c l. Il enri n q1li eOl1l m cll ,a it à pCSrl'
le sil ell cc qu' ils sc noyaiellt o hli gé de ga rder depui s ICllr mésavellllll'c ...
LII glace étOlit détillitivcmenl rompue, el Richard
�I.A VUl EST UNE VALSE ...
G3
Thompgon nc paraissant pas garder la moindre l'aneUlle des propos tenu s sur son comple, la conversalion redevilll générale, cl le sk i en Dt nalurellement
les frais.
Cependanl Tlirhnrd Thompso n élala en matière de
Sporls d 'hiver ulne slIffi s<l nre et ulle asslll'anrc qui
ne , lardrrellt pas à porler sur les nerfs à quelquesUn s de ses allùileurs. Il sa vait tout, avail toul vu,
tout fail el tranrhail de tout sur un ton d'autorité
difficilemenl supporlahle.
Hen ri avait pris le parli de se lnire. Tl ne pouvait
souffrir les Anglais, prêl en toute occasion à leur
reproc her la marI de Jea,nne d'Arc ct la captivilé de
Napoléon. Il eslimail pourlanl qu e ce reprrse nlant de
la pcrfid.e Albion avait d. éjà asscz cncaissé et oc diSail mol.
Pourtallt, lor ~ que
Hichard Thompson, aprrs avoir
fail l'apologie de
ses tolenl s, en vint Il dénigrer
rCII'( des aUlres, Henri eut quelque mal à se conIcuit,.
- En France, dit Rirhard, VOliS IIvez des manIaI?ne3 merveilleuses pOlil' les sports d'hiver. Mais c'est
!hal organi~é
... El pui s, vous autrcs, Français, VOlIS
ne vou!> inléressez p"s n lout ça ... Vous êles pnresseux ... VOli S n'aimez fille lc coin tllI fcu ... Pour vous,
faire du sport, c'est dan el' ou l'egardrl' llll match de
tennis .. ,
,Henri ne manquail jamai s, tOlites les fois que
1 occas ion s'en prése ntait, rie critiquer amhemenl la
!hlluvaise organ isa 1ion drs s[Jo rl s en France, l'abSence d'es prit sportif chez ln plupart de ses coml1alriotes.
b Mai lorsqu'il entc,ndit res m~es
criliques dans la
onche de Tlichard Thompso n, son sa ng IlC fil l'Ju'un
tour et il sc jeta tian s la baga rre avee autant d ' imPéluosité qu'il etît volé li lu frontirre pOUl' secourir
Sa patrie en danger.
.
Naturellement, dit-il, je n'ai jamais mis les
PIeds en Angleterre. Mais je ne sais pas si les sla-
�..
1·,
L A VUl E ST UNE VAL!,;E ...
lions dall s Je genre de Superbagn ères , de Font-Romeu, de Chamonix y sont par ce nt a in es. D' abord,
Je n'a i jama is entendu dire que les An g lai s f a~cn l
beau coup d e ski chez eux . Dan s Lous les cas, i\ Cil
juger par le nombre ùe vos compatri otes qu'on voil
chez nou
~ hiver comme été, ' il ne doit p a~
en rester
bca uco up Iii -bas . .. e t, ù'après les récits des voyageurs,
il s ne r es tent pas par plai sir',.. Dès qu 'il s o n t ùeux
shillings de trop, on les vo it il Calais ct a u Hav re .. .
Ri ch ard Thompson a vait écouté for t poli mf' nt les
r em a rqu es d'Henri, fa ites sur un ton m odp. ré , ro aiR
so us lequel on sen tait vibrer la colère. San s doute.
était-il ha bitué à provoqucr des r éac ti o ll s ùe {'C lI c
;;ort e, f'n r il lO 'en pa rut pas surpris 10 moins dll
mo n de .
-- No us ve nons faire quelques sports en Fnlll('l:,
mais ce n'es t pas cela qui fC nd le Fran ça is sporli f ...
- Le Fr a l1 < ~ ai s n 'es t pas sportif 1 s 'exclama Ma1J ri ce , ven ant il la r eSCO
LJ ~e.
Mais, a u contra ire 1 Il
~'y
cs t mis. ]\'[aiontenant, Il Oll S n c parl ou s que de
~J.lo
l'.
..
- Oh J l'Il pal'Ier c t Cil fni l'e , ça fa i t deux ch oses ...
A celle phra se, prononcée sur un to n rl 'ironi e év idente. llclll'i n e sc co ntint p 'lI ~.
- Ma is, qll 'es t- ce qu e VO li S failes depui s un e heure, s'éc ri a-l-iJ, si-non parler de spo rt P Après tout ,
il fa uL CJu e j e vo us c roie SUl' pa role .. . Est-cc que j e
sais, m oi, si VO li S avez j am ais 1!l is un e paire de
ski s ~ Es t-cc qu e j e sui s forcé d e croire tout ce que
vo ns m c J'uco nt e:l. P No us 11 0 11 5 ve rrons SUI' la n eige,
(' her mo ns iellJ' ; après quoi, j e ve rra i si j e peux di scutcr sport nvec vo us ...
Ri ch a rd ava it r oug i de ce lte apos trophe pa r trop
direc lel 11 r r JJ ée hit lm in tant, p ui s, fi xa nt S1ll' Henri un J'egard pl ein de solennité :
- J e vo us la nce c10n c 1\n M n, dit-il . Un d éfi sur
la neige .. . Quell e es t la Jon g uclll' de la descente 1ft
plll lo ng ue jus4u 'à ln vall ée ~
- Sep t kil om ètres , dit fl enri.
�l, A VIE EST UNE VALtin •••
-
n n 'y a !tas plus long ?
- C'esl déjà pas mal...
- lIé bien, c'esl sur ,elle di 'lance que je vous
lance le défi ... ~Iai
la nuil naturellement.
- D'accord, ct quand vous voudrez, el ce soir, si
vous vOiliez ... Seu lem enl, je vous préviens loyalemenl que je conllais le terrain et qu'il y a des passages dangereux ...
- J'irai le recollnaÎtre ...
Je vous pr6vicu aus i qu'il ne faut pas sc
tromper de parcours ... li y a, SUl' la droite, une pente
qui paraît engageante el qui sc lermine à pic sur
tren le mètres ...
- Oh 1 Vous ne me ferez pas peur ...
- Si vous le prenez comme ça... Ça va... Vous
fixerez le jour vou -mème ...
Le J'epas était terminé.
Hichard Thompso n se leva, fit, ùe la tête, Ull salut
sec el di s parut.
- Tout de même, dit Monique, vous n'êlcs pas
g-enlils ... Qu'c t-ce qu'il VOliS avait fail, ce garçon,
pOUl' que vous 1ui parliez corn me vou s l'a \CZ fait P
- Comment 1 Ce qu'il nOlis a fait P s'écria Henri.
Alol's, vous trouvcz upporlable qu'on laisse in sulLer
son pays pal' des gen qui viennenl y vivre il
- Oh 1 In s ulter 1. .. Je vous ai entendu dire vingt
fois, à propos dc tout: « Il n'y a qu'en Frunce qu'on
voie ça 1. .. El ce n'était pa un propos /lal/cur ...
- Moi, ça n 'c ' 1 pus 10 InC:mc hose ...
. - Dans tou s les cas, pOLll'wivil Monique, j'espère
hlen que vou ne parliez pas sériellsenlenL en acccptUlIl de fairc ('elle ùesC'cnlc de Iluit ...
. - Pas srrieu'cnlcnt 1 protesta Ilcnri. ~lajs,
je n'ai
Jamai ' été plu sérieux ...
- J'en sui!! aussi 1 cria Malll'ice.
- Vous êlrs slllpides ... Vous savez bien qne c'est
tt"\3 dangcrcu ... Ça n 'csl plus du apOl'l, c'est un
Pül'i idiot.
- PossibJ ,dit Heuri. 1ais, les Anglais, il Il 'y
3
�LA VIl! EST UNE VALSE .•.
a que ce genre de pari qui les frappe. Vous ne
voudriez tout de même pas que j'aille maintenant
le trouver en pleurmichant pour lui dire que j'ai rélléchi et que j'ai peur ...
- Ah 1 si la vanité s'en mêle 1. ..
..,
il,
*
Un peu agacée et inquiète aussi des suites possibles ùe ceLLe histoire, Monique se leva, donnant le signal du départ.
Tous l'imitèrent ct s'en furent, commentant l'incident ; les uns, approuvant Henri cL Maurice, le~
autres soutenant, à la grande indignation des deuA
garçons, qu'il n'y avait qu'à « l[is~er
tomber »
celle ltistoire ridicule.
Daniel 11 'avait pris auenne part à la conversation.
Il TIC l'avait même sui vie que vaguement. Son incompétence en malière de sport l'écaJ'lait naturellement de cc gonre de discussion. Il avait seulement
déploré que Monique s'en mêlât, car cela le privait
d'un en tl'etien auquel il trouvait beaucoup de charme.
La neige tombait toujours lorsqu'ils se levèrent de
lable, mais moins abondante qu'au début de la matinée. MOIl ique se touma vers Daniel :
- Si on allaH faire un petit l01l1" sous la neige,
dit-elle. 11 fait une chalem étouffante ct puis, j'ai
besoin de changer d'air ... Je n'aime pas l'ester enfermée.
- Mai, avec plaisir, dit Daniel.
El, landis que Monique montait dans sa chambre
pour s'habiller, Daniel savour,O, pOUl' la première
fois, la joie de l'attendre ...
�LA VIE EST UNE VAl.SE ...
67
Elle reparul du reste très vite, yêlue d'un chandail très épais, coiffée de son bonnet de ski, les
mains ganlées chaudement.
- Vous ne vous habillez pas P demnnda-t-elle avec
surpri e ù Daniel.
- Mais je suis tout à fait habillé, dit-il.
Monique ne pllt s'empêcher de rire.
Surtout, dit-elle, n'allez pas vous vexer ... Je
connais volre horrible caraclère... Maifi vraiment,
avec vos souliers découverts, votre imperméable et
vos gants de peau, vous avez l'air de vous croire
boulevard Sai n l-Michel... Je ne ,ous vexe pas P
- DII louL, dit Daniel en rianl de bon cœur ...
Mais j'ai vraimen t la paresse de sorlir de ma malle
tout cc que j'ai apporté.
- Eh bien, nous marcherons vile et vous tâchel'ci de ne pas prendre froid ...
Ils tl'aversèren t le pelit jardin de l'hôtel, gagnèrent la l'Oille qui conduisait à la gare. Ce chemin,
parcouru sans rcsse par l'autohus de ]'hÔlrl. cl soigneusemcnt cntretoon, élait loul à fait pratiquable;
du reste, la neigc avail presque ce~sé
de lomber, il
n'y avait pas un souffle d'ail' ct la lemp(;ralul'e P:Jrais. ail presqne douce.
Ils marchi'rellt quelque temps sans parler.
II n'y avait aU('l1ne gêne entrc eux: Monique s'étuit appliquée à faire disparaÎlre loute trare du souvenir dc la brouil/e qui lc~
avait séparés ccs dernier juuril, cl l'allusion faile au caraclère de Daniel était seu)emclIl de tillée à monlrer à celui-ri
qu'elle avait pds celle histoire lout à fait « à la
blague )).
Et Daniel s'cn rjouis~al,
eerlcs ; cependant, l'application qlle meltail Monique à le mrltre à l'ai e
Ile lai. nil pas de lui l~re
flllCI(]lle peu pénihle. Il la
selllait plu . éloignée de lui Cllcorc, pcul-être, que
lorsqu'clic lui avait parlé avee mépris lors de la
lllémorable leçon de ski.
�08
LA VIB EST UNE VAI.SE ..•
Depuis quelques heures qu'il vivait auprès d'elle,
il avait se nli l'amour qll 'il lui porta il croÎ lre en prode
[ond eur ... Et en même temps , il lui apris~t
plus ell plus qlle c'é lai l un se nlimenl absurde, fou,
de liné il l'échec et il la 50uff rance.
S'il avait fait sa cOllllaissance il Pari s, dans J'atmosphè re des salons, des brid ges el des .th és, pentêlre eût-il eu quelqu e chance de se faire com prendre.
Mai s deva nl celle j enn e fille ohslinre à n'être que
son ca marade, ù n' abord er aucun suj et un pell perso nn el, il sc sentu it salis force, bailli d 'a vanre ... Tant
conspirail conlre lui, ici: la nalure, les camarades de
!II 011 iqll e, sa propre in expérie ll ce spo rl ive . ..
El lui revella it alors aver in si lanre la phragc lanl'a va nl-v eille ct que lui avail rapcée par ~Ioliqe
pariée Henri: « .Je ne peux avoir d 'es lime pour UII
ga rçon qni ne sail pas champion de quelquc cl"lo8e ..•
)l
Or, Daniel e(ll élé forl surp ris s' il avail pu lire
cc !Jui sc passait derrière le fronl de Monique ...
Les propos tenus par Hi rhnrrl Thompson l'avaic.mt
pOl'l(oe à réfléchir: el, sa ns doul e, un c évol uli on s'.Slnit déjil dessillée dan s so n es pril, sa ns quoi cc bava rdn ge pl ein de va nil é Il e J'eCl l poi'lIt IOIH"h ée. Mais
elle avait élé LouL à rail agacée pal' J'o bslinAlion du
jeu Ile Anglais à ne parler qu e de spor l, ~ rrpl'OCheI
aux ge ns leur ah~eJlc
de se ns sporlir, ;'1 JMlrir les
plaisirs ci e la danse ... cl, au pIns forl de son aga{:emellt, clic lI~ai.
reco nnll, avec Ja fnllirhi se de son
cnra('l~e,
que ces propos-UI \Iaien l ju slem ent do
eux C]1I'elle Il'lflnit le plus ot'dillaire/llcnl. ..
- Ainsi, songea it-ell e, voilà 5ans doute J'erfet que
jQ prodllie à bea uooup de gen~
.. . Je les Ilgur·e ... Jls
�LA VIE EST UNE VALet ...
69
ont sûrcment pour moi le même genre d'inilation
que cet Anglais m'a fail éprouver ... C'esl pénible
IJour mon amour-propre... .
En sortc que, salis s'en doutcr, Danicl et Monique
sc rcjoignaient c!wns celle constatation : il y a tout
de même dans l'exislence autre chose que le sport
et les championnats. Con statntion qui n'avait rien
de IIOIlVeau pour Dlwiel, ccrtes, mais qui, de la part
de. Moniquc, illdiquait unc évollition cCl'laine vers le
pOlllt de vuc de l'au teur de La vie est un.e Valse.
Si bien que ces deux cournnt d'idée nllant dans
le même sens se rcncontrèrent dans cclle phrnse,
qu'ils prononcèrent ensemble, rompant à la fois le
silenr.e :
- A propos, ct ce bouquin ...
Ils rirent de celte coïncidencc, se firent qllelques
politcsscs pour se laisser la parole, ct, Dalliel ayant
décidé ~Ionique
Il pnl'fcr :
,_ El~
bien, dit-elle, je voulais VOliS en rcparlcr
1 autre Jour, mais vous étiez d'une humeur mflssacl:ante et VOliS n'avez même pas daigné m'écoutcr ...
Flgurcz-vous que je l'ai Il peu près toul relu ...
- Et alors P dit Daniel.
Chaque fois qU'ail lui parlait de on livrc, jl avait
1111 pcllt frémis ement dc crainte: comme une mrre
qui s'attend à entcndre blamer SOli cnfant bien-aimé ...
. :- Eh bien, je ne vous dirai plus que je l'ai trouvé
~I?.
... SClllemcllt, ne triomphcz pas lrop vile ... Je
Jal rclu dans dcs conditions qui Ollt trrs bien pu me
fausscr Ic jllrremcnl... Dans des conditions exlrèmern~
1 port iqucs... ridiculemel1 t poél igues... J c venaIs d'admirer lu plus helle nuit qlle j'nie jamais
Quelqu'un jouail du violon en SOllrdinc, dans
Ilote!. .. Vous vovez q1le c'élnit complct comme at~'O
phrre... Alors' n 'cst-ce pas, jc n'ai pl us trouvé
&1 ridicule III entimenl:lle héroïne ùe cc livre ...
_ Vraiment, vous J'avirz trollvée si ridicule ?
- Oh 1 terriblement... Plus que cela : irritante ...
r,ue.
�70
LA VIE BST UNB VALSB ...
Et j'étais fâchée que vous trouviez ce livre bien ...
D'abord, c'était vexant pour moi qui n'ai sCiremC!Ot
pas une idée commune avec l'auteur de ce livre ...
Je le vois d'ici, cet auteur ...
- Je le connais un peu, ' figurez-vous.
- Vraiment P Alors, vous me direz si je me trompe beaucoup ... C'est un garçon de vingt-deux ou
vingt-trois ans... Il est très blond, il doit être
myope... et avoir han te de porter des lunetles.. Il
passe sa vie dans les réunions mondaines. Il adore
loutes les jeunes filles, mais si jamais l'une d'elles
lui montre un peu de sympathie, il doit s'enfuir
avec épouvante ... En somme, je pense qu'il ferait un
fiancé charmant et un mari déplorable .. Est-ce que
c'est cela P Après tout, je me trompe sans doute ...
11 a peut-être quarante-ônq ans, une femme et sept
enfants?
•
• •
Le portrait que Monique avait fait de l'auteur de
La Vie est une Valse avait beaucoup amusé Daniel.
Il y a vaH, dans les hypothèses de la jeune fille, une
part de vérité qui accrut l'admiration qu'i! avait déjà pour l'in tell igcnce de son amie.
- Si Rolnlnd Marsac vous entendait, dit Daniel, je
crois qu'il serait extrêmement fûché de voir comment ses leclrices se le représentent... D'abord, il
n'est pas blond, il est brun, ct il Il une vue ex elIenle ... Ensuite, il ne court pas du tout les salons.
11 les a en horreur, ailnsi que le ski, du resle.
- Tiens 1 J'aurais dû m'en douter. En somme,
e'est quelqu'un dans votre genre... C'est même
pour ça que vous avez pour lui tant d'admiration ...
- Dans tous les cas, c'est un garçon extrêmement
sérieux, je vous le garantis ... Jusqu'" présent, au-
�l.A VIE BST UNB VAL8B •••
71
cune jeune fille ne lui a fait battre le cœur... Je
voys parle, naturellement, de jusqu'à il y a une quinzame de jours... Depuis, je ne sais pas ... Et il me
semble qu'il ferait à la fois un charmant fiancé ct
un excellent mari .. .
- ~osible.
Enfin, je vois que VOliS avez un~
haute nollon de l'amitié ... Vous défendez vos amis absen ts ...
Monique sc tut un moment.
Elle était urpri e de la facilité avec laquelle elle
causait avee Daniel. A Paris comme li Aufranc, elle
avait toujours pris grand oin d'éviter les longues
cOI.lve~·
alions avec les jeunes gens qu'elle ne connaissait pas depuis longtemps.
Et cela, non par
une pruderie eX&e sive, mai parce qu'elle avait assez d'expérience pour savoir que la fatuité des jeunes g ns est telle que, si J'on Il tant soit peu l'air
de leur arcorder de l 'allent ion de trouver du plaisir ~ s'entretenir avce eux, il nlen faut pas plus pour
qu'ris 'imaginent avoir fnil une impression profonde t durable sur le cœur de leur auditl'Îce ...
C?r, avec Daniol, Monique n '~prouv8il
aucune
Cl'3l1lle cmùlable. Il lui semblait qu'elle le connais,Rit depuis trrs longtemps. Et l'algar'ade ridicule à
laquelle il s'était livré, si elle avail inil6 la jeunc
fille, avait aussi, en un sens, contribué ù faire naitre
la confiance qu'elle montrait li Daniel, en lui prouvan l qu'il était sans arrière-pensée.
Ce qui la touchait encore chez le jeune hommo,
nu fu~
e,t à mc ure que Iii connaissance qu'elle. a~!t
de !tH s approfondi ssait, c'élait lino sorte de ltmldl~6,
de réserve, à quoi ne J'avaicnt pas habituée les
Jeun s gens qu'elle avait coutllmo de fréquenter.
Alors que cClix-ci ne manquuient jamais de s'ét.'!1er vnileu~cm,
de parler de leur ilualion, de
leurs amitiés illll. Ires, de leur splendide avenir, elle
S'apcrcevait que Daniel n'avait, en somme, rien dit
de lui ... Et celle ré~ev
J'intr'igua un peu.
Furtivement, ellc pensa que dans la vie il y Il peut-
�LA VIE EST UNI! VALSE .••
être quelque6 ~tres
semblobles au héros du roman de
Holand l'Iarsuc , dcs êtres pour qui 1'amour esl quelquc cltose de tr(os grave el de très doux, cL non un
slIjcL de plaisanterics soUcs, de bavardagcs inutiles,
dc l1il'ts légers ... Elle pell sa que Danicl était peulêLn! Ull de ces èlrcs-Iù ...
•
• •
Dan icI marchait, si lcncicux de nouveau, el tout
ab orhé pal' ses pcn ·écs. Du coin dc l'œil, l\ lonique
l'ohse rvait. Elle s'cn VOlllltt presqllc de remarquer
qu'il a\ail Ull dlUl'll1l1nt vi sagc cl de IIC pliS s'en lclIir aux qlnit
é~
morales qlle sa ('onvct'salion, la façon donl il avait parlé de son ami, pouvaient lai ssc r
supposer.
- S'i l vOlllait s'cxpli'lllcr, songcait-cllc, s'il voulai l me parler sr rieu Sc lllent, Il u 1icu cl 'a voi r toujotlrs
ccs airs lointains ou supéricurs, pcul-ùlre qu'avec
IlIi, je comprendrais bien des choses quc je Ile eomprcnd s [ln ellcore . ..
El clic rl:1l1il d'une amitié confiante, saTlS aller
plus loin dal~
'\on rêve. Elle ~c
lai ssai t emporler
pal' le mi ragc éterncl de l'am il ié pllre, dl'.. iIlléf'cssée
de (Ial' t cl d'attIre ... l' lais elle Il'osa il pas donner son
vrai lIom :) ('cU' ulllitir-J:L.
- A qlloi pl'Il SeZ- V Olls dOllc ~ t1emnnda-l·elle brusqucment, un pcu irritéc de J'ail' profondémenl absorl,é de so n compagnOIl.
- A VOliS, r 1pollùitil (Iil relcvant I:t t ~Lc.
- Quelle galall terie 1...
- Pourquoi? Il n'y a pas la moindrc galanterie,
�LA VIB EST UNI: VALSB •••
73
vous me demandez li quoi je pense ; or, je pensaii
à vou, c'c t un fniL.
_ El peul-on avoir vo pensécs ? Sont-elle aimaules, nu moïlls ? Ou uien rumincz-\ouS quelque
sortie sur mOIl slloui sme ct ma pose ?
_ Ne oycz pus méchante, Monique ... Je pen ai
ju tcmcnt que vou devez ètre quelqu'un de Irès
~ se,
Lien ... C'c L Lr 'S J'arc, vou avcz, qu'on rconai
comme vous J'avcz faiL, qu'on s'e 1 pcut· ~lre
lrompé: .. On change d'avis, mais on cntoure ccla. do
mille forme, landi
que vous, vous r connaissez
franchcmenl quc vous vous demandez .i vous n'êles
pas dan l'errcur ...
_ Mon dH'r, nous sommcs cntre ucaux raractère 1. .• Toul li l 'hcure, 'étail vous qui reconnaissiez
vo tort avec unc nohle grondeur ...
Ne riez pas, dil Danicl.
Oh 1 je n 'cn ai aucune envie ...
Elle sc luI de nOUVCil1l. Elle avail prononcé gravemenl ces dcrnirrs mols, as. aillie
nrorc par
l'cnvie de 'e confier, de demander aidc el con . eil
li quelqu'un qu'clic de\inail plu pri' ùe la \ie qu'clIc-m~e.
Qui donc tail cclui-ri qui, , lin . plcqlle
pari 'r,. san intcrro/'J'cr, cn prononçant Je: mol' Jcs
plus slmplc savaiI in pircr une Icllc confianre ?
•
• •
n momcnl enrorc, elle ~e rlcmnndn IIi lout cela
n'étnit pa lin mirage, Je'l ré~lItn
d{opl()rah~
de
la soirée pa~t\e
il relile La l'i( cst llnc Valsc, une ~oi
rée i freriquClllcnt belle qu 'clic ne ,e ~olveni
pa,
cl 'en avoir ('ollnu de . cmhlnhle. Peul-cIrc, nu premier
mot qu'clle dirait, 10111 cc ln allnil-il s'évanouir? Prut-
�7'
LA VIB BST UND VALSE •• •
être Daniel appal'altrail-il un garçon très ordinaire ;
peut-être... El alors, elle se retrouverait seule, bien
plus seule qu'auparavanl, pour avoir rêvé de lrop près
il des joies qui n'existaient sans doule pas ... Ne fe·
rail-elle pas mieux de se laire, comme elle l'avait
toujours fail jusqu'alors P
Elle lutlait contre elle-mÔme, mois d6ji\ elle se senlait vallflcue. Elle regarda encore Daniel : si à celuilà on ne pouvait pas parler comme à un frère, alors,
il n 'y avait aucun bonheur à espérer sur cette lerre.
�LA VlE EST UNE VALSE ...
76
CHAPITRE VI
UNE DBLLB SOIRÉB
TO,ut nhs?rhég par les propo échangés et les pentnexprlméc8 qui les ngitaient l'un cl l'nutre, MoIIHJlle ct ])anicl, !\lI'J l s'en apercevoir, avaient parcOuru bcauroup de rhemin, Déjà, pas très loin audessous d'eux, apparai saienl le quelques maisons
qui s'élnit'Ilt groupées aulour de la gare .
.'e t tl'&, joli de de rendre, dit Daniel, mai
tout il l'heurC', il faudra remonter .. , Et la nuit tombe
vite .. , Que diriez-vous d'un l'epo ici, avant de remonter il l 'hôlel ? ..
_ Croyez-volis que ce era Ir s confortable?
- Dah 1 on peut loujours voir .. , Altcndez-moi.
. Il liC dirigea vers la bicoque. La porte ne lui r~
SI la gupre, cl il sc lrouva dans uno sorIo de rédUlI
d~ ,deu '!lètrC's sur deux ft peu pr'.s c10nl tout l~ mo:
bIller éltut con lilué par un hanc mal équarrI qUI
foi ail II p<'11 pl'PS le lour de la petile pii·ce.
Il revint vers Monique lui fuire part de sa découverte.
.
_ Voulez-vous vous asseoir 1ft, un moment, aVllnt
de repartir ? C'est moins confortable que les lauteuils de l'hôtel...
s~e
�76
L.\ VTll EST UNE
~t\LSE
...
Allons- y, dit-elle gaieme nt.
Lorsqu 'ils furent assis côLe H côte
- Vous rr'avez pas une cigarel le P demand a 1\>10nique.
naniel lui tend it son étui, son bl'iquet . Un nuage
de fumée odoranL e envahi t le peLiLs espace, et, dans
l'encad rement de la porte qui était demeur ée ouverte, la neige parut soudain bleue.
- Vous ne fumez pas ? demalld a-t-elle .
- Je fume Lrès peu, ..
Alors, sans lai sser au silence le Lemps de s'instal ler entre eux, surmon tanL LouLe Limidit é, LouLe gêne, ct répo ndant .1 cc qui était déjà une profond e
impills ion de son CŒur, .M onirple fit ce qu'elle n'avait enco re jamai s fait: elle parla cl 'elle ... Elle se jeLa clans cetLe cOTlyersfllion comme elle avait pris l'habi tllrle de se j eter clans l 'cau froide : san s plus réfl échir , ear elle savait bien qnc si elle comme nçait
à hésiter, elle n'en trouver ait jamais le courage .
...
VOliS devez me trouver une fille bien odieuse
lan('a-l- ellc.
Et, comme Daniel fai sa it mine de protest er, elle
coupa aussitô t court à ses dénéga tions:
- Oh 1 je Ine clis pas clu tout cela pour me faire
faire des compli ments ... Ça n'es t pas s péciale ment
mon genre . Mni mainten anl. que je VOliS connais un
peu miellX:, je consl.ate une telle différe nce entre vous ct moi, que je s nis sl'h e que je VOliS parais
in suppor table, au point que je me demand e pourqlloi VOliS avez accerté cette promen ade avec moi ...
Daniel la rega rda avec surpris e. Tl ne dit rien cependan t, raI' il se ntait, SO ll S le ton humori stique de
la ,;eune fille, un e nervosi té 1\ peine cachre. Un mot
mnladr oit eût pu la renvoy er au silence, faire perdre pOUl' toujour s 11 Daniel le hélléfic e de cc momen t
qu'il 'e ntail ineffab lement doux.
- Tandis que moi, poursu ivit Moniqu e !tans le regarder, je vous ai demand é de m'acco mpagn er parce que j'ai confian ce en vous, que je voulais voua
�LA VIE EST UNE VALSE ...
demandcz. conseil... Sur quoi P Je no le sais peutêtrc pas très bien moi-mêm e ... C'est extraordinaire,
comme j'ai co nfi ance en VOliS, dit-clic en tournant
brusquemcnL la tête vers lui. Je sais qu'une jeune
fille rése rvée ne devrai L pas dire ces choses ... Je sais
que fl eu f garçons sur dix se feraienL des idées, comme on di L. M ais, je crois que vouS êtes le dixième,
q.~e
vous comprendrez qu'il s'agiL seulement d'amiLIC.
Elle avaiL un peu rougi en prononçant la dernière
phrase de son petiL discollrs. Toul ce qu'elle faisai t
là éLait si nouveau, si extraordinaire pour elle 1
El LouL à coup, elle s'irrita du silence que gardait
obstinément Daniel. Mais, presque aussitôL, et comme s'il a\'ait lu dan s le rega rd de la jeune fille ce
qu'elle désirait, il priL la porole :
_ l\lais Illon, l\lonif\ lI e, je ne me ferni aucune idée.
Il n'y 0 rien que de Lrl's naLurel, si j'ai été asscz hellrcux pOlir vous in sp irer confranre, à ce qlle vous
vous adressiez ;} moi ;) un momen t ·diITirile. VOliS
m? connaissez depuis peu, c'est vrai, mais la sympathIe n'a pa s beso in de dix an s pOlir .naÎtre ... Ain si.
vous, malg-ré ce f]lIe VOliS avez l '"ir de croire, vou s
m'êtes extrÎ'mement sympathi()lle, el cela , depuis
notre premil'rc conversation ...
1\lollil]ue sc enlil extraordinairemenL soulagée.
Dani el avait parlé avec beDIj(:oIJP d'habileté pou r
)? mellre il l'aise, cl y avait parfaitemenL r,éussi. ~I[l
1 ~routal,
Monique en venait n tl'Ollver qu elle agIssaIt de la f:1çon la plus norlllaie qui soiL.
_ Oh 1 dit-elle, Iln moment .difficile, ce n'est pas
exactemefll ccIII ... J\lais je vieillis ...
Daniel ne put rérrimel' le sourire qlli lili mon[a
aux lèvrc 11 rclle drclal'ation pOUl' le moins inalleJldue dan s la bou('he de MO/lique.
• _ Mais oui, l'ép6ta-t-elle, je vieillis . Il n'y a pas
de quoi l'ire ... Je vaiR avoir villp- t et un fins, el, forcément, jp ne vois pins les cho~es
comrne je les voyais
il y Il drux ou [rois lins ... Quand j'avais dix-sept, dix-
�LA VI E EST U NE VAUHL •.
huit an s, tout me paraissait tell ement simple. Il y
avaiL pour mo i deux ca tégo ri es d'individus : les
sa in s, qui font du sport, m e tapaient sur l'épaule, ct me tul oy ai ent dè's qu 'o n avait fait une partie
de lenni s ensClnbl e, et les ultlres , que je fi 'appelais
pa s tout fi fail les malsa in s, m ais qui me donnaient
un (Jeu ce l te imp ressio n : tous ce ux q1li pl'éférai en t
la co nve rsa ti on au lennis, ceux: qui me di saient que
j'ava is tort de ",o ul oir m e tfainsforrn er en petite brule .. . Voil iL . Mainl.ennllt, je ne sais plus lesquels
ava icnt raison, ct c'é tait tout simpl cment ce que je
vo ul ais vous demand er .. . Vous voyez qlle ce n'était
pas bien g ravc , aj outa-t-cHc avœ un rire un peu
forré.
Dalli el réfl é(' hit un momcn t.
Avec héroïsm e, il parvint à écarlcr complètement
dc sa pensée les senlim enl s Lcndres eL forts qu'il
épr01lvaiL jJolir Moniqu c. EL il répondiL enfin exa cLemCll l ('o rnm c s'il cÎIL r{- polldu il 1I1II C simple camaradc, exa rl emcnL co mm e si ce ll c qui j'inLerrogcail n'avait pas élé aussi ccll e dont la voix faisait ballre
SO Il NC III', rc ll e dont chn q uc 11I0t accr oissa it la lendre
cs tim e ([1I 'il lui portaiL.
- fil ai s si, d il -il, c 'es L grave, au conlraire ... Vous
sO lll cvez lcs gl c~ l io n s les plu s imporl antes qni soient
pOllr une j eull c fill e, pOli/' la femmc CJue vou s sercz
demain ... Ga l' jc ne pe nsc pas, ne plli-il s'empêchcr
d'aj oul cr cn )<1 rcgard ant, que vous soyc? d6eidée 1l
devc n il' vif' ill e fille.. .
.
- Poul'f]llOi pas P
- Ev id em ment. .. Mai q r e n'es t pas H. fju'est la
ques li on . Du rr8 Le, il me sem ble qu c, depui s le début,
VOli S l 'avez mal posée ... P Ollfqu oi faire cc l tc opposili oll , si nell e, si lot,t1 c, enlre la ,ie d cs muscles ct
(·cll e .. . cl" r (J' lIr P 'c c r o ~ cz-vo
l s pas possible de dooner 1l r hac lln e cc Cjlli lui ro nvicn t P
- No n, dit MO llifjll e, s lIr un Lon plus bas. Parce
Cju e, m ainl ennnl, j e comm ell ce à comprcndre bea1l coup de rh oscs ... CelLe vic du cœur, d ont vou s par-
�LA VIE KST UNE VALSE ...
79
~ez,
e.t que j'ai méprisée si longtemps chez les autres,
Je VOIS que je la m'éprisais parce que j'en avais peur,
au fond ... Parce qu'il me semble quc si je lui accordais quoi que ce soit, elle me prendrait fout entière,
et pour loujours ... Et c'est cela qui m'effraye ..
Dan iel ue répond i 1 pas.
Les dernières paroles de Monique, Je ton à la fois
eff.rayé et presque dramatique qu'elle avait eu l'~
valOnl houleversé pl'Ofondémcnt. Il dut se retemr
pOUl' ne pas saisir eelle main dégantée qui pendait
à côté de lui, et la porter à ses lèvres.
10
,.. *
la neige s'élp,it remise à tomber, et, par
, De~ors,
1 étrOit rectangle de la parle, IIne lumière de plus
en plu.s faible pénétrait dans la petite cabane.
, J?alTllcl senfait que J'enlretiep, pour le moment,
etaIt terminé. Ils s 'étaien 1 di 1 loul ce qu'ils pouvaient ·
sc dire. Et, sous les mots prononrés, quelque chose
d'uutre, d'inexprimé encore, s'érait glissé, l'un
cll'nutre J'a,'aient senti: ils en élaient ;l la fois charmés et un pell effl'nyés.
Quelque temps, ils cédèrcn t sans résistance au char~e
de l 'heure grise, Je celle cauane rustique ct misCl'ablc qu .i cOlltenait leurs deux jeunes vics ; jJs
s 'aballdonnèl'en t au sen Lirnent déliciellx d 'lllrc isolés
du monde co/icI· ...
Daniel sor1 il le prcmier de <'cUI' rOl'pcur "gréa-
bIc.
- Je crois CJu'il va falloir partir, dit-il. Voilà la
ncige qui l'ecom mrnce - et nous avons fi faire un
bon bOllt de monlée ...
Monique ~e
levll. Ellt' cul pour nl\nif'l Illl Trgard
�80
J,A VIE
l!~T
u NE VAt.SR • .•
iout chargé dc rcconna issa n ce. Comme tout élait mag nifiq1l cm ent s impl e, avec lui; comme il sava it fac ililer toules choses - et même celle-ci , la plus terrible de toulcs : p ar ler de son cœur c t de ses sentimenls ...
Da'nicl lui lendi t le ga nt qu'elle avait posé sur
le banc.
Merci 1 lui dit-elle.
El clan s ce mol, ell e su t m e ttre taule l'expression
d e la gra titude qu'elle éprouvail pOUl' lui. Daniel le
comprit, el cul un simple so urire.
Pe ndant to ut Je le mps du l'elO \1r, ils n'éc han gèrenl que pe u ùe m o ts. La montée é tait a!';;cz rude;
la ne ige to m bail à g ros fl ocon , el il s a vançaien t avec
diffi c ulté.
Cependant, nlor qu'ils é laien l à peu près à michemin, Daniel dit
- TOlll de m (~rne
, si l'aut oh us de l'hôtel pa ssait.
nous fe rion s bi en de le premJre ...
- .le pcn se bien 1 dit Monique.
1 r e~ ql e nus it ô t, dUll s un gr;md froca s de tôl e se('ouée, il s enteJ1dircnl approeh er la voiture. Il s échangèrent un uref regard, un sour ire ct, du mt~e
mouvemelll, sc nNlgèrenl contre Ic talus pour laisser pasf'e r l' uutobus.
El il s continue·renl tl m arche r lent em ent, comme
1\'i ls voulaient prolon ger aulant que possible ces minules passées ensemble.
Monique, comme Daniel, crai !,,'1!Jl nit un peu l'arrivée
à l'h ùtel. Tous dellx entendaient déjà les exclamatiOIl S, le cc Ti('n~
1 voil;l les amoureux 1 )) ct ""tres
plai san ter ies fac il es cl solles qui ne m lln qll erll ÎenL
pa s de sal ucr lem relour.
El tOIiS <l e ll,( ~olrfai('n
t par avanr de celle vulg-arilé p('nihl e cl gC· nanl e. (D 'a ut ant pllls que Monir(llC
é lait Ilrme tou te rl'~e
il (j\rln['~1
cetle r pithNe
c( d'amoureux » ab501ument absurde , el tQtale ment
inju stifiée.)
~flj
$ ('eU ,. Iopreuvc leur fnl {.plTgn~e
�LA VIE IlST UNE VALSE •••
81
é, de sort e que l'ab L 'hôl el, en effet, étai t fort agit t passée il piU près
étai
iel
Dan
de Mon ique et de
~enc
leur s cam arad es.
Ina!Jerçue (lf~
sien nes.
Ric hard Tho mps on avai t fail des
éno rme pipe à III
une
,
hall
le
dam
s
assi
t
étai
Il
épais mag azin e et fort
bou che, lisa nt pais ible men t un
ns, aux chu cho temoi
indi ffér ent, en app aren ce, du
Jllles qui l'en touilial
conc
et
ts
men
men ts, bou rdo nne
raie n t.
à gau che , Mon ique
Par brib es cuei llies à droi te et cou rant des événeilU
mis
et Dan iel fure nt bien tôt
leur abse nce.
men ts qui s'ét aien t prod uits en
Hen ri, Rich ard
et
rice
Mau
. Défié au ùridg-e pal'
es avec un
joué
ies
part
s
ieur
plus
en
T1lOmp on,
ires une déersa
adv
ses
il
tré
inis
« mor t )), ava it adm
faite mém orab le.
ent parl é d'es crim e,
Ma.lJrice ava it alor s nég lige mm
itôt aece plé un as- \
ct Hlc hard Tho mps on ava it auss Maurice pren ait à
que
'lls
leçO
les
Or, -ma lgrô
sau~.
ien Gau din lui- mêPan s, dep uis trois ans avec Luc fois, sans parv e.
e , ,il ~vait
été louc hé 'vin gt et une
ard.
nll' Il clfl eure r le plnsr.ron de Rich la rage au cœu r.
bat,
com
ce
,1
sté
si
a
r
avai
lIen ri
l, qu'i l croy ait séri euPou r auv er l'llO nne ur nali ona
cs conséutif~,
com prom is par ces deu x éche
~emClnt
cull ure phy sIde
salle
la
de
coin
un
Il ram a sa dan s
une pair e
aut,
l'ass
ulé
'lue de l'hô lel, oil s'ér ait déro
e.
box
de
de gan ts
un peti t ma/ ch ami ·
- Je n'os e pas vous prop oser
Vous venez rie vous
on.
mps
Tho
ard
Rich
cal. P dit·i l à
men t I.rop belle.
vrai
ie
parr
fall gue r, et j'au rais ln
les
t Mulé s~r
avai
s
glai
l'an
e,
n
répo
e
Pou r tout
eal »
arr.lI
cll
mar
cc
Le
e.
gard
en
gan ts, et s'ér;)ir mis
mute~.
de dc~x
ne dura cert ainc meu t pas plus
.ava lt
d
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,
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I
R
s,
anle
rhal
non
tes
Aprr-s 'lllelqlles fein
t re.
étaI
s
n
Ilen
ct
lunc é une al/n qlle foud l'oy ante
étin cel·
des
nez,
du
t
nan
saig
,
oux
Il'Ouvé sur les gen
diffiyeux, el épro uva nt une gun de
les dev ant le~
e.
ilibr
t"qu
t'on
ir
Imllé Il mai nlen
n:
�J.A VIlS BST UNE VAl.SE • ••
Dalliel ne put s'empêcher de riro beaucoup à la
nouvelle de cc désastre , et il mon ta chez Henri pnID-dre des lI10uvelles de l'inforlunée victime de l'Angleterre .
. ~ Alors, quoi P Un nouveau Waterloo P dit-il en
entrant dans la chambre, après qu'un grognement
d'Henri eût répondu au coup qu'il avait discrètement
frappé.
- Ah 1 ça te fail l'ire ~ rugit Henri. Tu as bien de
la chance. Ridi·cules, nous sommes Lous ridicules . ..
Regarde mon nez ... Et tu l'as vu, lui, dans le hall,
avec cet air de n'y pas toucher, cc triomphe modeste ... C'est encore plus exaspérant que s'il chantait
victoire ...
_ S'il chantait vicfoire, dit Daniel, qu'est-ce que
lu dirai s P...
- C'est ça, défends-le maintenilTlt ... Approuve-le.
Tire-moi dans le dos. Tiens, on en a fusiné, pendant
la guerre, qui en avaicnt dit moins que toi ...
])/\nicl cul ù se donner beaucoup de mal pour calmer son ami, et lui faire entendre que la France
n'élail pas absolum ent perdue il la snite <les incidentR
de l'après-midi.
- Si 111 veux, dit-il, je lui jetterai ce soir un d6fi
aux dominos.. . J'y étais de premièrc force, il y a
dix an s.
s~ :mt
les épaules.
- Pauvrc pelil, dit Henri, en hau
« .l'ai ['impression ll'èil netto flue cc RiclliU'd
Thompgon ost le diable en pCI'~onc.
cl qu'il n011S
battrait LOlls, ri'JI,·ce ail jeu de l'oie, aux jonchets ou
aux o~ ~ elcts
...
- Ça, c'cst du clrfailisme, dit Daniel en riant.
L(:s dC'llx amis demeurèrent en semble jusqu'ail momenl du dîner. Daniel aurait certes préréré pn Rser
celle heure en la compa g nie de Monique, mais celleri avait gagmé ~ a cllamhrc, ct, d'nuire part, Paniel,
qui comprcnait il peu près cc <lui rlnil en train de sc
pa8ser en elle, devinail qu'clle (Ivail hn ~ oin
d'i solement.
�LA VIE EST UNll VAI,SE ...
* * ..
Le dîner fuL relativement silencieux, ct cela pour
les raisons les plus diverses .
au.Henri cL Maurice sc taisaienl, parce qu'il le~r
raIl été extrêmem!.'JnL difficile, cc soir-Ill, de f(\lre les
« flamhard' », comme ils en avaient coutume. Ils
avaien l l '1In cl J'autre l'im pression d'avoir trouvé
leur maître, ct c'est une impression que J'on a coulume de dégusler en silence.
Les a1ltres jeunes gens et jeunes filles se taisaienl,
le ~ilenc
de ecu\: qu'ils avaient l'h~biud.e
parce (J1~e
de considérer comme leurs chefs les impresslOnnall
lrès défavorablement.
. Rieha.rd Thompson se taisait, non pas par modeslie, ~als
parce (PIC sa perspicacité 11Ii avait permis
de vOir que l'attitude de triomphatelll' silencieux était
celle qui portait le plus sur les merfs de ses adver'ail'es, en leur ôlant l'occasion d'une facile vicloire d'éloquence .
. Quant, n Monique et Daniel, s'ils dcmeurai?nl silen:
p lI
r~elx,
C. étAit seulement parce que chaque minute .c .
~ écou];lIl leur apporlait une joie lI101lvelle, une JOIe
Inexprimable par des mots, celle, la plus plll'e d~
toutes, 'lue peuvent épr01lver deux :îmrs de même
qualité qui sc rencontrent n IraH'rs le monde.
Ce fut seulemenl lout ft (ail ft la fin du repas, alors
que déjà les convives se levaient pour aller fumer
tIne cigarclte dans le hall, que Richard ThompsO!I1
éleva la voix: :
�LA VIE EST UNB VALSE ..•
- Je pense, dit-il, que malgré tout, le défi ful.e
tenu pour III descente de nuit?
Ce « malgré tout )) re tourna le couteau dans la
plaie co mmun e de Maurice ct d ' Il enri.
Mais, naturell e men t, dit llenri, qu'est-cc que
vous allez c ro ire p Cc tJl 'es t pas parce que, courtoisement, mon a mi et moi nous sommes inclin és devant
vou s aujo ul'd' hui .. .
- Br id ge , e crim e, boxe, éq uitation, natation, figures de tan gos , rugby, roo l bail, etc. , etc. , j e n'ai
jamais trouvé d 'amal eur qui m e vaille, déclara senlell cieusem en t Hiehnrd Thomp on .
li sc leva, sa lua com me la veille , ct sortit.
- Il devrait s'allaquer au record des coups de
picds au d CI'I'iêre 1 dil Mau rice à baute voix.
lleTll'i dem eu ra mu e t ; il s 'élait l'em is à saigner
du nez, cl scs oreilles bourd onnaicnl encore ...
- Qu'es t-cc qu'on va faire, cc sail' p dem a llda
Ceorgelle, i. qui l'ina ct io n pesail tou l parLiculi('remenl, lorsque lo us se trouvèr CJnt réuni s dans le hall.
Si on dansait p
Un ronref'i de protestation s accueillit celle indécenle suggestion .
- J)nn se r 1 s 'écria lT eTll'i, qui avait "ecouvcrl la
voi x, da nse r, le . a ir où no us avons été ba llu s P P ourquoi ne pa s illuminer, tant qu'on y cst ?
- Pardon, dil Ccorgelle, après loul, c'est vous et
Maurice qui avcz été uallu s.. . Nous, on n 'y est
pOlir rien ...
Henri ne réponclil que par un rÏrlln ement aigre
il celle perfidie bicn fémininc; De plll S, il ava it Lill
lampon d 'ouate dan s les narlll es , ce qlli le fai sait
parl er d" nez : rond ili on peu fav o rablc ù un beau
mO llvclIlenl d 'éloqllenre.
- 011 IIC dall sc ra pa s, voilù lout, décla ra-t-il. D'abord, l e~ di ques sont fi m o i. J'inlel'di w qu'on y I.ou('l\{' ...
Ce]" tournait fi l'aigre.
�LA VIE nST uriE VALSE ..•
S5
_ Si on Caisait de la musique 1 dit Mauriee. o. 1
de la musique sérieuse, naturellement.
_ On pourrait j ouer, par exemple, quelques Marches Fun è>bres P dit Georgette.
Henri lui jeta un regard noir.
.
ExeeJjcn te idée, dit-il pour agacer sllln ermemle du moment, que la perspective de faire de la
Il musiq ue sérieuse)) ennuyait visiLlemenl. Oui. exc~Jlent
idée ... Tiens, DaIliel, va donc chercher ton
VIOlon ...
. ._ Vous jouez clu violon P dit l\lonique. Vous l'avez
ICI P... C'était VOliS qui jouiez J'autre soir P...
- C'était moi, dit Daniel.
- Pourquoi ne me l'avoir pag dit ?
- Oh 1 Si on di sa it tout 1. ..
Il s'esquiva, avec un sourire, pour aller chercher
~on
in strument. I1enri, pendanL cc temps, s'ingéniait
a troll ver une pianiste, un chanteur.
, -:- i\lo~,
jouer du piano en vacances P dil Georgette .
./ aimeraIS autant faire une version grecque ...
_ Alors, pou/' vous, dit le bouillant lIonri, le piano, c'esL une corvée P Ah 1 c'est gai, d'enLendre des
choses pareilles 1 JI faut vraimenL être en France,
pour entendre cles choses pareilles 1
. Georgetle allai L répliq Iler', ct l'on prévoyait une
dr,sp llte intermitnable, lorsque l\Ionique se proposa
delle-même.
•
* *
Ils passè rent tous au petit salon de musiq?e.
C'était ulle milluscule sa lle, en rotonde, sltllée sur
la face postérieure de l'hôtel, ct clollt les hautes baies
vitrées dorlllaienL sur la vallée. Mais la Ilille ne paraissait pas, le ciel étant couvert de nuées lourdes
de neige.
�L,\ Vil> EST U NE VALSE . ..
Daniel l'courut avec son violon. Il eut un sourire
de plaisir
voyant que Monique s'installait au
piano.
- Vous youl ez bien m 'aC<'ompagner ~
Si j e peux ... Si vous ne jouez pas de choses
trop diffic il es ...
Il s feu ill ctr.rCtnt ensemhle les pa rtition s.
Sourn o isem ent, Geor ge tte avait org ani sé un bridge
rli s(' J'() t derri ère le pi ano . Mauri ce et I1enri s 'étaient
J'emis à d isc uter SUl' les rai son s de lcurs défaites r espec tives. Plu s pe rsonn e, déj à , n e pensait à la musique , m a is l ' iso leme nl 0\) il s se trouvaient n'était pas
fai t pOUl' dépl a ire au x n ouveaux ami s.
Ce penda nt, lor sq1l e les premiers accord s retentir ent, il se fit un pro fond sil ence. Monique se sentait
trrs ém ue. Tout en prélud ant p ar q1lelques accords
(,fl l me~,
pl ei il S e l so nores , ell e alt end ni t aveç trouble
le m o rn enl où s'éleverait la voi x du violon.
E t sou dain, sc m êlant aux vibra tion s des d erni èrcs Il oles qu'elle venait de j ouer, le chant du violon
n aq ui t, un e so rte de ('ri très pur, très lon g, presqu e
h um a in, qui m onl a , mOllla, h és ita lin in stant sur la
noie ln plu s h aute , e t pui s J'etomha en mille ca scad es de noies , comm e ces fu 6es qui explosent au point
le plu s h aut de leur com se e t r e tombent en pluie
d'étoil es.
Et c 'étaie nt hi en vérit a blem ent des étoiles qui
to mbaient en cc m om ent dam l'i1m e de Monique. ElII" j 01la it presqu e m ac hin a lem ent - ell e avait réremme nl étudi é le Con cel'lo qu'ils exécutni ent tOllte
tendu e ve rs cc f'Ju e di sait le vi olon d'e Dani el. Car
il lui se mhl ait qu'il parl ait un e lan g ue, une Inng lle cru 'ell e arri va it peu n pell à comprendre, la langue co mmun e il so n â me il ell e , et à celle de Da niel.
C'é tuit com m e s' il s poursui vaient dan s un lan g age int elli g ibl e pom ell x seul s, la co nversation de J'apl'Ps-midi, ùa ns ln petite caban e couverte de nei g e.
Le temps n 'existait plu s : la mu sique seule, el ce
qu 'ell e exprim ait, r empli ssait son cœur e t son âme.
en
�l,A VU!; EliT UNJ! VALSR ..•
87
Elle ful surprise par les derniers accords, comme si
ce Concerto eOt dû nc jamais finir.
Les applaudissements qui éclatèrent l'arrachèrent
bl"lltalement à son rêve. Elle vit Daniel penché vers
elle, souriant, son violon sous le bras.
- Je VOliS remercie, dit-il.
Mais elle s'aperçut qu'elle avait les youX pleins de
larmes. Elle lI1e trouva rien à dire. Rapidement, ellc
murmura:
Excu cz-moi, j'ai la mig-raine.
Et clIo s'enfuit s'enfermer dans sa chambre ...
�88
LA VIE EST U NB VALSE ...
CHAPJTItE VII
L'OlU.B
Moniquc, après les hcures si douces qu'elle avait
eonnues durant l'après-midi et la so irée de ce jour,
passa une nuit épouvantable.
L'orgu eil, son orgueil naïf, mai s 1I10Lle, de jeune
fille froide, in en si bIc à tout ce qui n'était pas la
beauté un peu sévère de la nei gc et de la glace, livra
un nouvel assa ut, un terrible assaut.
Elle fut des heures avant de pouvoir e'endormir.
Elle sc sentait SOllùain humili ée jusqu'à la souf·
fran ce, li la pen sée de ce que Daniel avait IlCI s'ima·
gincr wr elle au cours de relie journ ée, fi la pcn·
~ée
dcs larmcs qu'clic n'avait pu maîtri ser, et dont
il avaiL d,'\ s'attribucr vanileusement ln gloire.
Il lui srm hlnit, par moments, qn'elle se mellait à
haïr Dani el. Elle lui en vonlait cruellcmrnt d'être
ain si ent ré dan s sn vie, d 'y a voir apporté d'un seul
coup, tous ces troubles misérables du coeur dont elle
!l'étai l tan t moqnét lorsqu'elle les Rurprenait cbf)7.
les autres.
�LA
vw
eST ONE VALSE •••
conv Crsa tion s, son .
-:- Ce liue , cstt o mus ique , cesn ma natu re ... C'e"t
r
nge
étra
si
lt-el le, tout cela
gen
u, et les prem icrs pas
du bav arda gc, du tem ps perd
rquo i D'e8t·i! pas par.
Pou
...
use
s.ur U1le voie dfl'ngcl'e
II, com me il l'av ait dit .. .
iel:
Elle dev ena it inju ste avec Dan ses idé es; corn ·
ts,
goû
ses
er
pos
m'im
t
veu
11
.
à faire , com me si
s~ je ne sava is pas ce que j'ai
~e
pen ée ...
ma
'i
diriO
J avaIS beso in quc l'on
la fatig ue, peu
t,
aien
pass
res
heu
lei
que
A mes ure
umé J'élc ctri·
rall
t
avai
Elle
à. peu s'cm para it d'cl le.
le rom an de
que
va
CIté pou r lire, mai s clIc ,ne trou
...
nola nd Marsac
elle s'en dorm it, d'un
Vai ncu e1 enfi n par la fatiO0 'ue ,
'1 ollr d, agil é de rêvcs absu rdcs .
som mel
re cha ngé lors qu'e l.
Scs di spos ition s n'av aicn t gw\
re s'éla it mué e ell
colr
sa
t
mcn
le s'év eilla . eule
han le, cOlltre elméc
que
une !rril alio n iron ique : pres
re pon sabl e de
le
out,
surt
iel
Dan
Ire
lc-m cme , COli
...
x
tous cs mau
souf flait , fais ant va·
Le ciel gris , le ven t froi d qui
ncig e, n'él aien t pas
de
ns
billo
sur Ic cicl de lour
Ic~
ne hum eur. Elle
bon
sa
falls non plus pou r lui rend re
de tout . Elle,
tJtée
dégo
gée,
lJra
scnl ail la 'C, déro
$~
plus d'un e
mit
llc,
loilc
SI pro mpl e en gén ér.. 1 il sa
re.
end
dcsc
r
pOli
arcr
hcu rc à sc prrp
cé sa vic dc tous I~s
. L 'hôl cl avai 1 dé';" com mcn
lrageux étai ent s01'11
COl
tifs
spor
s
lrruc
Jou rs. Quc
Mo·
men açan t; ~'lais,
ct
c
le Icnl ps mau ssad
Il~agrp
elle
:
er'
ImIt
les
de
ie
IlICJlle nc sc scnl ait auc une env
s de
jour
s
huit
lcs
gré
mal
si,
er
c.n ven ait il sc dcm and
ent enro re acco rdés ,
I,be rlé qlle ses parc nls Illi avai
soir mêm e pou r Padu
n
trai
le
c!le nc pren drai t pas
ns ...
t un dev oir ù rem ·
Mllis clic csti mai t 'lu 'elle avai oir qui lui scra it
dev
un
plir avu nt de s'on alle r et
à SI! plac e, (com me
!licn agl' é"bl c : rem cttr e Daniel i 1 ), lui {aire corn ·
sort
t
si le pau vre garç on cn étai
é séri euse men t, qu'e l·
pren dre qu'e lle n'av ait pas parl
1
�!JO
LA VŒ ESl' UNIS "ALSE ...
Je s'était amusée, qu'elle avail voulu... se moquer
de lui.
_ Avec le caractère qu'il a, songeait-elle, toute
pleine de nervosité, de besoin de se fuire du mal el
d'en faire aux aulres, avec le caractè l'e qu'il a, il va
piquer une crise, en faire une maladie ...
Lorsqu'elle entra dans la salle à manger, il n'y
avait plus que Daniel à sa place habiluellle. Il se
leva, vi nl à ell e avec un sourire . Mais elle, le visage g-lacial, lui tendit la main en disant un vague
« Bonjour »,
Daniel e sen tait tant de j oie au cœur, qu'il ne
remarqua pas même l'atlilude de la jeune fille ... Il
élail comme aveuglé par le souvenir de la soirée
qu'il avail pa s8ée ; lui aussi avait mal dormi, mais
par cxe~g
de joie. Il lui semblait que le lrouble manifes lé pal' MOll ique lorsqu'elle l'uceompaB'nnit au
piano élail ulle sorle d'aveu, l'aveu le plus discret,
le pluS pudique ...
_ Vous avez bien dormi P demanda-loi!.
Mon ique n'avait pu se défendre d'unc certaine
émotion en revoya1nl Daniel. Mais celle émotion la
confirma ùnvanlng'e encore dans l'opinion qu'i! lui
fallaiL se défendre, réagir. C'est pourquoi elle s'efforça de sc convaincre que le sourire de Daniel était
UI!
ourire de fatuité, itnsullnnt ponl' elle d'une mani (~ re
tout à fail in supporlable.
_ Mni!l, natllrellement, j'ni bien dormi, répondiL-ellc. PourCluoi n'aurais-je pas bien ùormi P
_ Mal s ... je Ile sa is pas, répondit Duniel, un peu
surpris pal' le Lon, si nouveau, que Monique adoptail pOlir lui r(lpondre. Il me semblait que vous n'aviez pas trl's honnc mine ...
- Jc l'OUS en prie 1 dit !<èchemcnl Monique. Ne
voue occuper. pas trop de ma mine... Vous feriez
mieux de voir s' il resle du café au lait, cl. de m'en
ortri r ...
Dnniel l'IC ~e nti
froid au cœur.
Un momlmt, il voulut !le convaincre que tout (lC-
�LA
vu:
EST UNE VAL SE •••
91
que Monique alla it,
ci n'ét ait qu'u ne plai sant erie , à ce ton de gaie con nir
reve
tre,
l'au
d'un mom ent à
t touché, lui
qui, la veille, l'av ait telle men e (com me le
Ila~ce
itud
cert
une
non
ir,
cevo
avaIt fait con
gran ds espoirs ...
pen sait Monique), mai s de très un rega rd sur le
r
jete
qu'à
t
n'eu
il
. Cep end ant,
, pou r com pren dre
VIsage ferm é, glac ial &e Monique
t.
que celle-ci parl ait séri euse men
ce, alla che rche r la
Il se leva, calm e en app arenMon
ique_
cafe tière , le lait , les prés onta à
votr e déje une r
vez
trou
s
vou
si
- Je ne sais pas
assez cha ud. Si vous voulez ...
com me ça .. .
- Non, non , ça ira très bien
Elle se serv it elle -mê me.
dem and ait ce qu'i l
Dan iel ne s'ét ait pas assis. Il se re souffrance, le
prop
sa
deva.it faire. Plu s fort que
ode r l\Ionique le préo ccup ait.
SOUC I de ne pas inco mm
ha des fenêtres. 11
e,
Il. s'élo igna de la tabl s'ap proc
son cœu r.
lUi sem blai t qu'i l neig eait sur smé , il ne mott.c1Ît
usia
ntho
qu'e
Aussi vite aba ttu
entr e lui et Monique.
pas en dou te que tou fat fini
dou lour euse men t la
it
rcha
che
iet
Et. SOn espr it inqu
Tro p fier pou r s'ait.
sub
si
rais on d'un cha1nge men t
dem and er pou r
lui
et
ique
Mon
)
ent:
ctem
r\resser dire
nom d'am i
beau
ce
de
é
érif
que l crim e il ava it dém
étai t réen
il
re,
qu'e lle lui don nait la veille enco
.
~
i
n
j
d
o
a
r
t
x
e
plus
les
duit aux hyp othè ses
mes mot s, Ulll de
- A-t-el/e mal inte rprê té un de re laissée al/c r à
s'êt
de
le
hon
mes gest es P A-t-elle
P••• Ou bien ... a-tun peu d'ém otio n en ma présence veut-elle de ne Je
n
m'e
ct
,
suis
elle app ris qui je
lui avo ir pas dit dès l'ab ord ?.: le senl imo nt que
Anx ieux , sou ffra nt, obsédé par
ur de lui, Dan iel
tout l'ab and onn llit crou lait auto les voir, les évosans
t
rdan
rega
dem eura it imobl~,
lors qu'u n lége r bru it
luti ons loin tain es des skie urs,
levait de lable.
le nt se reto unn er : Monique se
urne r.
reto
se
El1e quit ta la 8011e sans
�LA VIE E!;T u ~
VALSE .••
Alors, un e espèce de colère s'empara de Daniel. On
n'avait pas le droit de le traiter ainsi ... Sa conscience n'avai t. ri en il lui reprocher ... JI ne voya il pas
pourqlloi il a urait à suppo rter les sa illes d'hum eur
d'une j eune fill e avec qui il avait élé aussi correct
que possible ... ]] pen sa il co urir après elle, à la rattrape r dans l'esca li er et à lui demallder franchem ent,
les yeux dans les yeux, cc qu'elle avait à lui reprocher. .
JI ne bougea cependant pas. Sa nalure d'arti ste
s 'accommodait au fond assez bi en d'um eerlain fatalisme. Et la doulelll: qu'il éprouvait, profonùe, sincère, 1ui se m blai t tellemen l in év i tab le qu'au cun geste ni aucune parole n'eusse nl pli la lui faire év il er.
-:- Ho 1 Daniel 1 Tu as J'air d'un héron, mon
uml. ..
A celle burlesque inl erpell ation, Daniel tressa illit
el se rcto umll.. C'élail lI enri qui en trait à Son tour
dan s la sa lle il mallger, encore toul hal elant des efforls fourm is sur la neige.
- Alors, ça va il eo ntinua -l-il en se déga ntant lenleme nt. Et ces affaires de cœur P Ça m'a l'air de
s 'arra nger, hein il Je su is sûr qu'on ne trouve déj .l plus que La Vie est une Valse es t un livre idiot P
Pas vrai P•••
Surpri s du silence qu e garda il son ami, Henri le
rega rd a plus aLLcn ti ."emen t :
. - Allolls 1 bon 1 s'écria- l-il. Je sens que j e gaffe .. ,
Quene tête lu fais, mon pauvre vieux 1 Qu'est-cc
qu 'il y a P
Dani el éla it lont prût n répondre, une foi s encore
so n éleT"l1él : « Mais rien du lout, mon vieux, j~
t 'ass ure », 10rSfJu e, dorninant tOllle anlre co nsi dération, le besoin de sc eO llfl er à un a mi s('u ', de puder
de ce qui l'orc upait toul enlie r s'éleva en lui.
- Viens dam ma chambre, dit-il à Henri. .T'ai
à te parl er ...
- Oh mon Tieux, lu Cl! bien gen til... mais il y
a lfl des slIn dwichee au j am lJon . J'ni faim, nous som-
�tA VIE EST u.Ii; VALSil: .. ,
mes seul s, je ne vois pas pourqu oi tu ne me rgr:()II1-
tera is pas la petite hi stoire ici aussi bien que !.\ haut. ..
pOlir 11100 1er. Henri, devinan t
~ fa
Mai - Daniel ins
qu'il s'ag issait de quelqu e cho e de vraime nt grave,
ceSM de plai anler e t rede \'int allssilô t l'ami sérieux ,
fid èle , de bon co nseil fille Daniel avail loujour s trouvé à scs côtés dans les heures difficile s de son existCIlt'C.
Le deux amis demeur èrent enferm és chez Daniel
j 1lsr lu 'à la fin de la malillée . Celui-c i éprouv ait à
libé re r so n cO'ur un s01llag ement inexpri mable. Il
le fai sa it sa li s emphn sc , snns grands mots, avec une
si mpli cilé qlli reudait ,on récit encore plus frappan l.
Il dit Loul : les se ntimen ts, sourds d'ahord , inconscie nls, que lui avail in sp irés Moniqu e c t qu'Hen ri avai l dev i'lIrs. Il dit l'l'spoir qu'il a"ait COIIÇU, d'apn\ l'a llililde de confiall ce cl d'nmili é que ~lonique
aVilil adoptée la veill e à so n égard. Il dit enfin l'émoLinn Cfl' 'il avnit remarq u ée chez clic pendan t qu'clIc l'accom pagll a it all piUIIO, el comme nl il avait traduit l'elle élllotio n dans le sell s le plus favorab le.
El ce matin, tOllt cela était renvers(\ anéanti .
Il n 'nva it plll s devant lui qu'un e j ellne fille glacée,
t d'ale (rOllt sr\'l\re , les lèvres se rrées ct d(~'olragen
.
amicale
ement
simpl
ême
m
vancc Ioule parole,
Il e nri avait écoulé son ami avec bea ucoup d'atte nti o n.
La nouvell e altitude de Ionique le surpren ait, lui
allssi, heauco up, cl il en fournil pIn iClIrs explica lion s CJuc Dani el repo ussa avec indi g nation.
Non, Moniqu c n'é ta it pa s unc j eune fille co({llelfe, capable de joucr la comédie de Jo confian ce
c l la ornédie dc la froid e ul' ... Non, elle n 'é tail pas
(l'm m e 1'1 (ri ndrc dcs se n limen ls cru 'elle n'éprou vait
pns ... llier, elle étail sin cère lorsqu'e lle se confiait ,
Qt aujolll' d'Irui. elle n'élait pas moins sincère en opposant la glllc, de !on visage ~ l'amitié de Daniel.
�94
LA VIl!: EST tJNE VALSE . ..
Un événem ent avait dît se produi re qu'ils ignoraient, qu'il faUait essayer de découv rir, voilà tout.
Henri demeur a longlem ps songeu r. Il paraiss ait
poursu ivre une idée qui mûrissa it lenLemenL en l ui.
Ecoule, dil-il tout à coup à son ami. Tu as
confian ce en moi P Veux-tu me donner carte blanche
dans cette affaire P
CarLe blanche 1 répéta Daniel avec effroi. Tu
ne vas pourl.ln L pas aUer .. .
- Non, non, rassure-Loi ... Je me vais sûreme nt pas
aller lui demand er sa main pour lon compte . . . Je
n'ai pas J'air assez majestu eux pour ce genre de démarche . . . J'ai une idée, simplem (}[lt. Je ne le l'expos e
pas parce que Lu la trouver ais idiole ...
- Ecoute, si tu me jl1res de ne pas lui parler de
moi, je veux bien te laisser faire ce que tu veux ...
Je licns avant Lout à être fixé ... à pouvoi r m'expl iquer avec elle .. .
- Enlcnd ll ... Je pen se qnc dans quatre ou cinq
jours je pourrai te donner une répon se . . . Sur ce, allons déjeun er, .i.e meurs de faim.
Moniqu c, pemlan t toule celle journée , opposa à
Dan icI le même visage figé qu'elle avnit depuis le
matin. Mais celui-ci , agissan t conform ément aux
conseil s ({l1C lui aVilit donnés lIenri, feignit de ne
pas s 'en apercev oir. II n'adres sa la parole que deux
ou trois foi s :) Moniqu e, sur des s lljeLs fort généra ux
el qui n'exige aient que de brèves répon ses .
Par conLre, MOllique sc m o nlra plu s vive, p lus gaie
a';Itres membr es du grouJ e~
que de coutum e ave~
pe. Et, lorsque He nn lw dit, un pCll agacé par ce
qu'i l croyait être lin pCII de eoqllcll crie :
- .J'ai idée qlle Hichard Thomp gon a 10l1ché votre
cœur ... pen scz qu'il cs l chnrnp ion cn tout 1...
El le J'.it d'url rire un peu nerveux , forcé, ct dé-,
clara qu'elle ne di sa iL pas nOii.
Daniel, m algré le SlIpplic e qu'il éprouv ait, sul se
serein.
conten ir ct con server un vj ~age
Le mouvai s temps continu imt, il ne pouvai t être
�LA VU! EST UNE VAL"E ...
questio n de sortir : la neige, trop molle, se prêtait
aux skis et il soufflai t un venl glacial qui coupal t la figure. l\1oniqu e monta aussitô t dans sa chambre et s'y enferm a.
Et si Daniel ou Henri l'avaien t alors vue, nul doute qu'ils cu sen tété extrêm emen t surpris .. . A peine
sa porte fermée, Moniqu e se laissa tomber sur son lit,
ct, le visage enfoui au creux de l'oreilJe r, éclata en
sanglol s.
Ses nerfs. étaient à bout. L'altitu de de Daniel l'avait émue. Une fois encore, clle se demand ait si elle
ne sc trompa it pas, ~i elle J1 'avait pas sottcme nt gâché quelqu e chose de très beau.. . Si Daniel avait
ét6. comme cc les autres », un garçOtll que le flirt
umu ail cl flattait, il se serait ingénié à l'entrer en
grâce auprès d'elle. Au lieu de cela, elle avait parfaiteme nt scnti, sous la calme politess e qu'il lui
avait léllloigl lée, une décepti on profond e el douloul'cuse .
- Ainsi, songea it amèrem ont Moniqu e, il va pcutêtre Cl'oÎl'C que je suis seulem ent une jellne fille coqllelle, comme les autres, qui aime Il faire de la peine, à fairc souffrir ... Qui me dira P Qui me guidera P
m~l
*
.,. *
Elle pen a à écrire ?t sa nlrre, li lIne amie ... Mais,
cst-ce qu'elles compre nd['aien t P Est-ce qu'elles sauraient lui dirc les mols qu'elle attenda it P... Elle
i'onnut l ':IlYlertume de Il'a\-oir pas une OJ'eille compréhen ivc ft qui l'on fier la peine qui l'éto11ffait.
Elle dormit lin pCII, fatiguéc par sa nuit d'insom n'0511111. pas sc retrouv er en prénie, par ses la'me~,
sence de Daniel, craigna nt qu'il ne remnqu AL Ile!
tiré! par Je souci, 5CS yeux roul:i~.
lr~is
�LA VIE EST UNe VAl.SE •..
Maie lorsqu' ello descond it, ello no trouva qu 'Honri ,les autres étant tous dans la salle de culLllI'e physique où Mauric e tentait de prendre sa revan che su r
le flegmat ique Thomp son. Heiflri s 'était abstenu ùe
s 'y rendre, lion qu'il se d ésin téressâl de l'affaire et, bien loin de là 1 - mais il ne voulail pas perdre
l'occasion de se ll'ouver seul avec MOllique. El nous
venons de voir de quelle fa çon celle-ci se jeta dans
la u gueule du loup )).
- Tiens 1 voua voilà P dit Henri. Je vous aroyaili
partie sous la neige ...
- Avec ce temps-l à P
- Le fait est 1. .• Dieu, qu'on s'emM te 1... Vous
n'avez pas quelqu e chose à me prêter, pour lire?
- Oh 1. ..•Ie ne vois pas ...
- 11 me semble qu'un jour vous m'avez parlé de
. Ça m'a« La vie est une valse )), de I\olanù Marsac
musera it ùe lire ça ... Je conllais un peu Roland
Marsac ...
-. Décidé ment, dit Moniqu e, tout le monde le
connaît., Mon sieur Mél'ouv ier ...
Oh 1 Ça Il'a ri en d'étonn aqll. C'est un ami
commu n à Daniel el à moi, voi!;) toul. .. Un charmant garçon , du resle ... Daniel "ous en a parlé?
- Un peu ...
- Ah 1 c'est des types comme ça qu'il faudrai t
r 1 dil lI C1nr;i, avec un grulld soup ir. Il esl
~r équ~nte
Inlelllg ent ct bon ... leu ez, savez-v ous cc qu'il m'a
fois que je l'?i vu P... Il paraît
raconté , la. dern,~(
publié son hvre, il reçoi 1 ulle
a
que, depUIS qu Il
Qualltil é de lei Ires de j elln es gens ... de jeunes Hiles
qui lui demllllldellt des coiJseils. lui dcmnn dent ù' êt r~
dam les
Cil quelq1l e so)·te leur direrte ur de conscie llce
...
vic
leur
de
momen ls délicats
- Ça doi l bien le faire ri re 1
Mais pa! du toul, figurez -vous ... lHoi auss.i,
c'est ce que j'ni pensé ... Je lui ai dit: « Et nalurel lement , lu mets lout Çll au panic ..... » Ah 1 Si VOUI
l'aviez vu 1... Il 6tait indigné . Et il m'a appris qu'il
�J.A
nI!
EST Ul'IB VAJ. E-I! •••
v~rilabJ.
tout le mon de qu'i l don nait de de plu~
ce qu'i l y a
loul
s
scil
con
des
cOIl~utaom,
rem erci aien t Leal>
éda lrés , - ct que les gen s le
...
bien
cou p, s'en trou vaie nt très
- Vra imc nt P
ça 1... Un vrai con - Mai s oui. .. Et disc ret, avcc mon lrcr quc lque sme
fess cur 1 Je lui ai dem and é dc
ce qu'o n pou vait
de ccs lellr es, hi stoi re dc voir et s 'cst écri é :
u~cs
re
colè
de
lUI écri re ; il cn a roug i
sera it un abu s de
« Mon trer ces leUrcs P••• Mais ce que c'es t... Alo n,
type
le
z
con fian ce ... ) Vous voye
l a écri t .. Qui uit,
ça m'a muserai t de voir ce qu'i er ..
sull
con
le
:,
Pcu t-êlr e que j'au rai
, dit Mon ique .
- Je vais VOU!; che rche r cc livre e.
g,·av
ct
eusc
song
e
enu
Elle étai t dev
vcn ue de (a('on si
Qui sail si cctt e cOllvc"sation, ce Rol and Marsac,
Si
inop inéc , n'él ait pas un sign e ... ait pas just eme nt ce
dOllt on disa il tant de bicn , n'él senc e la (aisilit soufcon fide nt, cc con seil lcr, don t J'ab
frir.
Pou rquo i nc pas es ayc r ?
inco nnu , de laiss er
San s dou te, l'idé c d'éc rire à un 'clle nc con nais qu
mc
hom
un
lire dan s on IImc par
nt. Mais, :i mes ure
sai t pas, l 'cffa rouc hait pa sabl eme issa it plus sim ple.
para
lui
a
ccl
it,
qu'c lic réllé chi sa
i à qui elle s'ad ress cLe rait de ne pas con naîl re celu
lilcr au con trai re les
raci
p
cou
à
lout
rait , lui scm bla
d'éc rirc que de
ant
mid
clIO cs. /1 scra it moi ns inti
dit con cem ant
t
avai
lui
ri
Hcn
quc
e
parl er. El tout
Marsac la rasand
Rol
ce
la bon lé ct la disc rétio n de
sura it tout à fait.
l'~pondai
À
•
• •
�98
l ,A VIl! EST UNE VALtHI .. .
Elle redesce ndit ~ Heuri le volume dema,ndé, et
remont a aussitô t dans sa chamhr e. Avec lu prompt itude de déd sion que lui avaiL illculqu ée la di scipline
sport ive, elle estimai t qu'il élait parfait ement inu.
tile d'hésil er, et de remettr e ail lendem ain cc qu'elle
était décidéo à faire Je jour mèmc.
Son livre sous le nras, Henri !le dirigea rapidem enr
vers la salle de culture physirJllC. Il y trou Vil Muuriec,
consler né par une seconde défai le au ssi radicale que
la premiè re, ct Dalliel, qui n'avail suivi l'as aul que
d'un oeil di tl'aÏl, loul entier occupé pat' la pensée
de cc que pouvait avoir imagin é Henri.
- Hé bien? deman da+il loul de suite, lorsqu' il
vil entrer son ami. ..
- Patiellc e 1 Patienc e 1 répond it nohlem ent Henri. .l'ai Iravaillé pour toi. J'ai semé ... Naturel lemenl,
donner a
rien ne mc dit flUC ça pousscr a ct que ~a
~ , mais onfin, on pournl voir 11 arroser ml
des trui
peu ...
- Oh 1 Ne TIl'énerve pas a vec les compnrlli sons
agrIcoles 1 dit Daniel cxcédr. QII'esl-cc que tll as
rait P
- Ça, mon vicu x, il était convcn u qu e lu ne m
en temps et lieux.
posais pas de que lioll. 1'11 le sn\Jra~
Tout ce qlle je peux le dire, c 'c t que j'ai menU
comme il ne m'élait pas nrrivé de mentir depuis di~
nns ... Mais je crois que j'ai hic'Il menli. Ça . e tenait.
que j'aurais dù [aire de la politiql le ...
Je pcn~e
pl us 'lue ce!a 1 sonpira
-: Il ne. Ic. Ol~!qer:I.
voyant bIen qu'il nc
pas,
la
Sl
m
n
Il
S
Mal
DanIel.
pourra it rien lirer de plus d'IJenr i en cc nJOmOTll.
La soirée (ut Ipl'llc 'l brève'.
l\Joniqu lie descend it pas dîn er, ct nt dire qu'elle
avait IJlI peu de mi g rnill c .. L'elillu i eomrne n çait ù
pe er, après dcux jours de ·1:lII slro tion presc!ue complète, ct les roùomo n Inde ' de 'J'holllp on, 1'I\oon tan t
l'uu de ses plu ' glori eux malches dc cri cket, pllrenl
li peine nlelLre Hell ri en col(·"c.
f:epend nnt, le gérant de l'hôtel amena UlJ10 détcIIlo
�LA VIE EST U i'Œ VALSE .. .
en annonçant que le baromètre « montait comme
une fu sée », et que, demain, il fer;lÏl, saUli doute, . Je plus hea u temps de la saison.
'
Sur ce t espoir, chacun s'en fut coucher...
ç)/,:u.~
~
.
�CHAPITRE VIIl
LI! DÉ!'J
Le~
pron os ti cs du m attr e d 'hÔtel s 'avérèrent p ari ai tement exacts : dès le lendemain du j our dont
n ou s avons )'e traré les m émo rabl es incidents, le
temps se lIlit a u bea u d 'un e façon q ue les conn aisBe urs prédirent devo ir êlre d urahle.
De fnit , qu atre j o urs se passèrent sa n s un nU30'e.
Le so leil e t la lun e faisaient tour à tour resplend ir
le bl anc m alltea u de neige , e t les n uits étaioo t plu s
bell es enco re q ue les j oul'll écs.
Malg ré les pro lestali ons de Monique, qui essaya it
de m o ntrer a ux: j eun es gen s, y compri s Hi ch ard
Th o mpson, co m bien leur pori de descCinle noc lurnc
~tai
stupid e, ce ux-ci s'elltêlnienl da n s lelll' id ée.
- Je regretl e b ien d'ê tre stupid e, di sa it Th o mp son ,
m ais j'ai pl'OClli ll . El person ne n'a j amais mi eux tenu
eell p ro m elllles que m oi.
�LA
na
EST Ul'<U VAl.SR ...
101
Qu nnt à Henri et famice, il s faisaiont intervenir
de plu hantes con sidé rati ons encore que le respect
de lu parole donn ée :
_ Il n'y aurait qu e moi, di sa it Hellri à la riguenr, j e pourrais déclare r forfait. l\Iais' c 'est en
s ~rn
e l'honneur de la France que j'ai mêlé à celle
histOIre ...
EL ~l a 1l'i ('e renchéri ait encore :
_ Parfnit ement, la France a les yeux fixés SUI'
J;Ou s...
Deva nt de semhlabl es arl!um ent s, il n'y avait en
e ,
effet qu 'à s' incliller, el c 'es t ce fJue foi ait ~ I o niqu
~1Ii
voya it bi en qll e tout cc fJu'elle pOllrrait dire était
Ill capabl e de reLenir les troi j eun e ge ns.
Depllis fJlI 'ell e Ava it érrit à noland ~I a r ac, elle e
se nt a it pl ~ tranq1li lle, l'<lrn e plils lihre. Ell e éproules personn es
vait cc sO lll age ment qu e co n a i ~se nt
se rupl
e u ~e
loI' flu 'ell e s'ell so nt remis il qu elqu'un
du soin de prendrc un e drc i ion.
SO li altitlld e vi -;\ -vi s de Dani el était devenue tout
li faiL neut re. Ell e le traitait ni mi eux ni plus m,,1
qu'II (' llri. Et le se lltim ellt fJlI'il lui ava it in spirés,
c e~ ~e
ltim
e nt
qll'ell e 'ohstin ait ~ appeler (( amili é »
étaient en ommeil, ne prog ressa nt ni ne df!c roissant.
TOllt son être était dans l'aU ent e .. .
Vint enfin le j our fi xé par les concurrent s pour
J'épI' uve de dcscent e noc turn e.
Les modalit és en ava ient été (l 'Cres de fa çon lrf>s
stri cte et avec aut a1nt de sé ri eux fJu e s'il sc fôt agi
vrain
~ lIt d'un e co mpétiti on o ffi ciell e inlcrnalionule.
L s co ncurrcnt s devai ent parlir ft un qlll1rl d'h eure
d'illt el'vo ll e, ln rég ul arilé du d ~ p fl rt é l a ~1 assurée par
le c lt ns~e u
r de l'hô tel, Ull ga mIn ci e qllln Ze an s, qu e
n a it, ct qui se
toul cc qui touchait I1 U s(1o/'t p U~5o
se lliait extr(' memenl fi er de pa rtI cIper, même li un
ran g IIIl. si l1 o d c~ t e , ft un mal('h de ce lf e importan ce.
Quanl IIUX arri vées , ell e eroicnt arbi trées pllr Daniel, llomrné chronométreur officiel. Le lieu du ron-
�io~
LA
vm
EST OI'lE ·VALSE ...
dez-vou s était l'auber ge du père Lesgou rre, dans laquelle toute la bande devait attendr e les eoneulT enls,
e t 011 aurait li eu un somptu eux souper, que payerai t
le perdan t. ..
'foul.es ces conditi ons étan t accepté es par les trois
h a rdi s s kieurs, après des discuss ions sans fin, et dûmellt contres ignées snr un docum ent cl 'allure très 01I1c icJJe, il n'y eut plu:; qu 'à al.lendr e le momen t dc
J'épreu ve.
Moniqu e, Daniel, George lle et 1,01lS les autres de ~
cendire n t dalls ] 'après-m idi à l 'a ubcrge du pè re Lesgourrc. Dard el , qui se souciai t fort peu de dOJlllel'
ulle nouvell e exhi hiti on burlcs'j ue de ses talents de
8k ieur , descend it j u ~q l 'ù la ga re par l'autob us de
l '!tôle], el rejoign it l'al!ber ge dans so n j.lIIto, par la
l'OU te de la vallée.
JI n'él a it pas fiiché de cc concou rs de descent e,
qu'il n e jugeait pas vraime nt dan ge reux, et dont
avec les nombre uses di sc ussions
l,
J 'organ i ~atio
qu'elle aV:1il s u sc il éc~ , lui avait fail paraître le temps
moillS Jo ng.
Car, depllis qualre j Olles, il vivait dans la fil1vre de
l'a lien lc. 11 n 'uvn il pu arrache r Ct Henri aucnn délail
et il sc
Sil!" ln ruallwl lvr. Ù lnquell e il s'éta il livré,
eJ em :1 udnii avee lIn e impal ien ce olt la c urios ité avait
sa parl, s i « cel:1 alla it pO li sser. ))
Il nvait seulem eJlt remarrJ ué que Moniqu e s'é tait
nn peu adoucie à so,n éga rd. Elle lui parlait comme
unx nulres, mai s l'ci te égnli lé n'élail g ll ère une conso lati o n [Will' Dalliel c t J'obs linnli o n de la j eune nlle
il Ile ri en dire IIi ne ri e n faire qni pflt évoqlle r, même !JIll in s /un l, les confide nel's faites par clic dan s
la petile cahnne du che/lli n neigeux , con tinuJlÏl i}
l'iltrluj(;lcr e l fi le jleiner cruelle men t.
Purfo is seulem en t, il surpren a it Jo regnrd ùe MonilJue fi .-é sur Illi. ElJr rlélnurn ail les ye llx auss itôt,
c l l'Ile prenait l 'ai,. di stra it. 11 n'avait g u ère ]e temps
de lire da n s ses yeux : il croyail y voir une so rle
t1'anxié t é, d'iJJl e rroga lion mue tte, I11l1itl pnrfois , Mo-
�l,A VIE l:.tH C:'iR \ ·ALf,C ..•
nique l'éus'i sait si iJien li Je traiter comme n'importe
lcquel de ses camarade" qu'il se demandait si ccs
rcgard s e.l i la!pnt Vl'oitne nt, e t s' ils li 'éta icnt pas cl'é~
par SOlI imnginntion.
, Au 'si, la {Jef~pctiv
de celle ~o ir éc prolongée dans
1 ulI!J('rge, du père Lesg'o urrc lui était-elle (Ol't agréable, en l arra chollt rt ~es
pensées inquièles et IlIoroses.
Lorsqu'il arriva au rendez-vou
tout le monde
Mait déjh réuni. Hs étaient tous enc~ro
animés pltr la
de.sccn le qu 'ils venaien t d'effectue!', el Cil commenIIlICnt lcs ill cidcltts.
Gf'ortY('lIe', sc loll sa coulume, sc nlOnlmil la plus
IIJlllneC cl la plus IJ/'llyunle.
_ J'c sp~ /'c pOlir eux, di ait-elle, qu'il fcm clair de
lune ... JI y a tin "a s~nge
a\cc deg sap il~,
il fuut fairc nllcIlLion ... Moi, Cil plcin JOUl', j'ai biell fuilli aller
('/1 Clllbrass!'r IIfI ou dcux ...
_ ,J'al 10lljoul's dit fluC c'lolo!!' idiol, d(Orlnra Moniqlle. QWlIId il y nill'U quelqlle jambe CHRSre, 011 un
fJ'out oll\'cJ'l, il ~ernl
! ronlelll. ... El toul ça à cause
de ce rliahle d'Ang-Iab ...
_ Moi, j e lc tl'Oll\'e charma nt, tlécl:tl'n (;(,ol'gctlc,
tOUjOttl S a vid c de fai re l'un aJlimilé cont!'o die.
Ellc II 'y man 1'] ua pas, cllcorc celle [OiF, d Urt concert de protcslatioll s'rle\'a (ce qui lu ravi
~s ait).
La
convcrsn lioll sc pOIlJ'suh iL il b~lon
rompus, jusqu'au
dîn er, qu c Je pè'l'c Lcsgo url'e, préveTlu, ftvait soigné
loul parliculirrcmcnl.
Les vins, J'al1t
~('Hlen
L d" r elte .orlc de piqlle-nique,lcs pl'Op08 irril:Jnts rie GI'orgt'!Ic, cOllstituèrent
bientÔt UllO atmosphèrc fort cnjoll(;c 1'1. sy mpathique.
Dftldcl versait dan~
l'o/llimi'lne.
Lo MIni fix é pal' He Il ri él.;Jit l~ p CII pl'ès rco~lé.
Et
il ~c Il'Tlluit eTl\',dd par la rcrlllude l']\le la l'cpome
alJuit lui arl'i\'('l' favorabl e. D'Dl! P 11 Il'cn savl1it
nalu~efJ.c
ric'n, ruais il se fi ait il III sensalion de
bien-Nl'e moral qui l'envahissait. ..
�164
LA VlB EB1' ONE "AT,SE, •.
Le père Lesgou l're consen tit, en l 'honne ur de ses
jeunes hôtes, à all er cherch er un magnif ique phonographe à pavillo n, qu'il avai t achelé d'occasion, pendant la g uerre, qui avait fail ses déli ces, mais qu'il
avait remisé, \'exé, depuis que des Parisie ns s'étaien t
avisés d'en somire .
Les di sques étaien t de l'époqu e, urn peu usés, un
aulant que le phonog raphe était
peu éraillés , grinçan t et criard, - mais cela n'arrêta pas l'élan
affirma it-elle,
chol'égr aphiClu e de CeorgeLle, qui,
»
café.
à
moulin
d'lin
« eût dan sé au son
Daniel invila Moniqu e fi danser sur l'air du Beau
Danube Bleu. Elle eut un mouve ment d'hésita lion,
puis ac<,epla. Elle dan sa il salis parler, avec sa grâce
et sa lég 'l'clé coulum ières.
Soudai n, elle s'arrêta nel, imrnoL ilisanl Daniel
avec elle :
- Non vraimCInt, dil-elle , celte mu siqlle est par
trop alroce ... Vou s ne trOllvez pas ? Comme nt peuton danser avec un parcil accomp agncme nt de chaudron ...
VouleZ-VOlis que jc demand e à Georgc tte de
termcl' la Lo uche ft ec mon Ire ?
rail lu
NOll 1 VOIlS nc la connais scz pas .. Ce se
forccr li continl ler, mêmc si elle s 'cn faLigua it...
Moi, je vais Ft la cui sine, voir le père LcsgourJ'e .
.Ir peux VOli S l)c('orn pagncr ?
- Mai s naturcl lcmcllt .
En pou ssa nl la portc dc III cui i'ne, il s jouircn t d'un
spcclar le peu hnnal, ct auqucl il s élaicnl loin dc s'altendre : le pèrc Lesgo lll'/'e, ulle assielle d'Ilne main,
un torchon de l'olltre, e qllissai t, au milieu de sa
cui sine, C)uelqll s ras cl valse ...
JI S '0 l'l'êta, confus, lorsqu 'il aperçu t les deux Jeunes gens.
- Alors, dit-il, on ne danse pns, la jeuness e P
\loi, vous voyez, jc m'y mets un peu ... Ah 1 quand
j'entcn ds cel air-là 1... Seulem ent, c'est domma go,
d'ici on enlond mal .. .
�L.\ YlE E!!T UNe VALt,lE •. •
106
- Oui, c'est bien domma ge, dit Moniqu e. !\Tais si
vous nous per?'let lez de nous asseoir un peu au coin
de. votl:C fcu, Je suis sûre que vous aurez tant d 'histOIres a nous ra con leI' que nous re"'relle rons moins
d 'cnlClld re si mal cc lle d é/i cic use mbusiqu e ...
!->ouLlemcnt natté par l'h ommag e qne l'on rendaIt à ses tal ents de conteur , et par l'allusi on faile
à l'excell cnce de son phonog raphe, le bonhom me se
rengorg ea.
Cepcllt lant, il rcga rdait Daniel avec insislan ce :
l'ailes excuse, dit-il eJJlfin, est-ce que, des fois,
vou s n e se J'iez pns le m onsie ur qu'a cassé sa spalule ,
là, près de cir ez moi, il y a un e quinzai n e de jours P
- Mais si, mai s si, dit Da ni el, furi eux de voir évoqué un e fois de plus le déLu l de ses mal heurs aux
Sports d'hiver .
Ait 1 reprit le vieux. JI me sem hlait aussi. Eh
bien 1 Mon sieur, vous pouvez dire que je suis content de vons J'evoir. .. Je n'y croyais pas, tenez ...
- Vrai mont P Et pourqu oi P
- Hé hé, je vous ai vu faire, vous compre nez P
Bon .. . Alors, je m e sui s dit comme ça : en voilà un,
il va s'o bslin cr, fa ire son pelil énergiq ue, vouloir
fairc du sk i, hein P... malgJ'é tout ... Alors, il va se
tucr. Parce que je suis connais scnr, faul dire. J'ai
qu'à voir. Y en a, il s sa lit. malaclr oil s, il s save.nl. pas
se ton ir, ça fait rien ... Je dIs: on pourra en faIre des
slde llrs ... Mais y en a d'aulrcs .. , comme vous, sans
je vous ai
V01l offense r ... alors, ce ux -là 1. .. Dès que
vu, j'ai pe/l sé : ça VII être le .tibia o,u le .ski.:. Ça a été
le ski ça vallt mieux .. . MaIS on Il lira 11 dll - sans
- IIl1 e mou che sur un papier collant ...
VOli S ~fels'
Hein ~ Ça ùrm/trr ail pas , hein P.: •
If TI lé.
Dani el se s(' lIloii cxlJ'(~me/t
pu maîlris~
n'avait
c
Moniqu
,
ses
repri
r
plllsicu
A
un so uri/'e lanl III verve du ho nhomm e, el la mImique qlli' aceom pagll a it SilS paroles , l'amusa ient.
d. O.A la fin, le père Le!gou rre vit que la fi~u'C
niel s'.IIOl\geait.
�106
LA VIE EST UNE VALSE ..•
Oh 1 dit-il, vous savez, cc que j'en dis, c'est
pour parler ... On peut ê:tre honnôf e , san s faire de
shi, hein P Pas vlai P.•• Et alors, comme ça, ù quelle
heu re il s vonl vCllir, vos troi s lapins P •
- Il s quittcn t l 'hOtel il minuit moins le quart,
minui t cl. minuit el quart.
Y aura
- Drôlc d'id éc, di l le pC'l'e Le ~g oure.
plus do 1110 C... C 'cst bêle, ccs his loires-Iù, ça ne prout comme ça que les ac{'idcn ls arrivenL.
ve ricu, c L ()'c ~
Ten ez, je me so uviens ...
11 se lan ça clans le r':c il détaillé d'un acciden t survcnu dix: ans plus Lôt. J\lai.ll lcnan i que cc n'était plus
lia ma ladresse qui fai sa it les frai s chI rél;it, Daniel
Irou va it que le icux racon tait for l hicn, ct li sa it de
IOlJrnures ct de coml'al',tisons savoure uses. Il riait
par'fois UIIX éeJnls.
La Ro irée fi'avanç'Cl ain ~ i. Daniel se l'cntai t heureu x
l c c l celle-c i, le cœur détondu pour
près ri e ~lo1iq
la premiè re foi 8 depuis lon g lemps, lui Ronriai t Sans
contrai nte.
'li pnruii'sa il tonl ù co up absurùc à 10 jem\0 fille
d'avoir (~ cr it il Holalld Marsar. ... Qu 'avail-elle beso in
ur! Iles conse il s P... 11 n'y ava it qu':\ rcga rder Dnniel,
l' l'cnte/l drc rirc, p Olit' savoir ql1e Sa nature éll1it droite, SC!; propos sa ns arrihc-p cll8écs .
El clle le l'cg'ardnit, cl elle l'écolllnif., et cllc ~ uhis
jusqll'; \ l 'nn go issc le cha rmc de SilS
ql c
sni l pl'C~
regard s cl de sa voix ... Elle ~e sClnlaiL vrllim cnL liée
l, cc rega rd cl. à t'clic voix ... , i elle ne pOllvait plus
voir- ni ('ntr'lIdrc, clI c w uffrÎl'ail hOl'l'ihl emenl.
l c~
« C'rs! dOIlG celu fil! '011 appellc l'amou r P sc disa iLell e, arec II ne inq ui (; ltl(lc charma ll te,
Mai.s cJl e aVil it a SSl'1.. rI'cmpi re S~ I' Son vi sage, pour
qll c rrcn, dans Iles Inu ls, 110 Lrulu l cc qlli se passait
cn 8011 cœl1r.
de ln dan s cl dn bruit inlolé.
Pcu ;, pell, rati ~lrs
large pnviIJon "crt l.lt rougc
clrr
niL
s'rclwpp
rJui
e
l'abl
e r~
de l ' nlb
la c ul ~ inc
les dan . cllrs 6LaicII L nlrés dn~
j!r. ...
A !\ ~i /l
lin pell p llrt onl, wl'imp. rl/' rommf 'nt, il~
�LA VIE
~ST
mu;
VA.I,SIL •.
10;
écoula!enl Je père Lesgourre conler les épisodes lantôt gais, tantôt trag iflues, de sa lOIlgue vie de monlagnard .
. Lr vieux, fla tté d 'a vOIr u li si nombreux ct si a llcntif ?uditoire, s'en donnait à cœur joie, e t ne manquait pas, en bon nati f du sud de la Garonne, d'arfan ge!' un peu les vérités tro p médiocl'~
pOUl' les
rendre pJus plai santes ou phlS JramaliquC's.
Ainsi, l'h eure pllf,snil.
Soudain, Da ni el regarda sa monlre.
_ Minuit m oiJls te lJuarl J dit-il. .. Lc premier parl
de 1'Miel.
- Qui part le premier ?
_ Ils ont tÏJ'é au so rt au moment du départ ...
A pal'Iir de ce mom ent, on Œle pr(\la plus qU'llTl e
Q!'cille di tl'aile aux récits du viell x, lJui en l'Ollçut un
<,el'tain dépil.
Tous suivaient, par la pensée, celui ryui, lan ré
sell l dan s la nuit noire, devait sc fiel' p!'esq ue uniquemc:nl au so uvenir C!u'il avail dll 1r'fIj ct, pour ne
pas se j eler con lre un arbre ou dans Iln précipice.
El,) IOll s apl'is~
maintenanl la so lli se dc ce lte
enlreprise, qlli ne répolld<l il ft Ollclln esprit spo rlif
vérilable, cL ri sq uait d'avoir ùe g raves l'onsrquences.
OU f'lolle c hose C!ui ressemblail il de l'angoi sse passa 1 ' cbl~me
un so uffle, sur' l\
'assemblre,
soud ain • si.
••
lenci cllse. Georgelle e/le-m cme p:lr:ll ssn Jl ImpresSJO n1I0e, cL nc ri 5quail plus ses coutumières plai sa nlel·ies.
Du lemps passa, q11e seul Daniel put estimer, lcs
veu'!: fi xés sur son c.hronom(\ lre .
• Diclltôt, J'flll cule flll pénih.le.
.
_ Si on sor lait P dit MOnl<]lIe. Le prcmler ne va
pas Inrdcl' ù arriver...
. .
r.omme s' il s {:laienl so ula gés par celle proposlllOn,
lous sc lev(\rcn l, sc Jiri gèren l vers la porle.
Mais, ail moment nù il s allaient l'atleindre, elle
s'ouvrit loulc grande, el Maul'Îce apparut, 1eR sk i~
sur l 'épaule, criant :
�1..:\
VIE EST UNI': VALS!! .. .
_ L'heure 1... L'hem e 1... Enregistrez l..
_ Dom:e minut es , dit Dani el, aprl's un rapide regard à SOli chroll omètre. C'est très bien. Pas d'incident ~
- Absolument au cun ...
Il (lal etait un peu. So n al'J'ivée aVilit rendu la gaieté
n tOU8, ell mème temps que lellr reve nait la plus enti r rc cOllfian ce dan s ('iss ue du match . ~I è m e , il s en
voulaieflt Lili peu :', MOlliqll e, dont l'inquiétude avait
fini pal' sc co mmuniqu er :1 eux.
- Ça s'arrose 1 dit qu elqu'un.
La (lrcmii're bout eill e de c hampag ne fut bue.
_ A milluit ct demi e, ail pllls tard , on pourra
comm enrer ~ ~ Olr
e r,
dit Geo rge tte, n qni les émoti oll ne f a i ~n i e nt pa s perdre le sens pratique. Ça
m'ollvre l'apprtil, toul ça ...
- Qui pnrt le seeo nd ? demand a Dani el.
_ C'es t Henri ... Il a tiré ~ pil e ou face avec
Thnmp ROl1. Ç:l a m(\ me failli faire un e hi sloire, parce qu e Thomp50n vOlll ail tirer avec un shellin g, et
n'fl voir co nfian ce qu e dan s les pH'ces
qll ' Iknri di ~ nit
de vingt Sa li R fnl1ll çfl iRes.
Des rire arc ll eillirPllt l'évocati on de ce lt e rli srussion , Oll le c hnl
v in
~ m e nOllvea u ct effréné d'Henri
aVflit dlÎ sc donn er lihre C01lrs.
Et l'on sc remit ft ntt r ndre.
Un rl'lIlrl d'h e1lre s 'ér oula ai l l ~ i.
VOli S av ez déj :'l ba llu Henri, dit Dani el, au bout
de ('e lem ps.
Trois. min1lt cs s ' éro \lI ~' I 'e nt
e ~rOl'
e , pui s un pas
101lrd r<,sonn a S1Ir le ppllt ch emin de pi en e, déga gé
de Il ·i ge, qlli menuil fi ln por le de l'auberge.
T01lt le moncle sc préc ipit a.
C'r lail 1I l'll1I'i , maiR 1In lI enri hoit eux , cl très peu
fi er, le vi sage un pell crispé pal' la so uffra nce.
- QII'est-ce qu'il y a P dit ~Ialri
('e.
- Oh 1 ri en .. . J e crois qll c j e me sui s un peu foulé
lc pi ed .. . C'es t idi o t, ù de1lx cellts mètres de l'arrivée ... J 'n i eu du mal à me r elever.
�LA VIE IST UNE VALSE •.•
On le fit aSie oir.
t pOl grav e, dit
Si ce n 'C8l que cela , ce n'es
~
e de leçon un.
l-êtr
peu
Mom que , et ça vou s serv ira
e de voir Il''tont
con
ia
sera
je
,
lond
Au
aulr e (ois ...
.
gne r Tho mps on.. .
apenri
d'H
pied
le
Oéc hau s é de son lour d soul ier, la chev ille. Le père
à
paru l gon /P el bleu issa n t d' jà con cern ait {ou lure s,
Le gou rre, exp ert en tout ce qui rapi dem ent, par de
enlo r es et (rac lure s, l'ex ami na son stoï cism e, arra peli t atlo uch eme nls qui, mal gré li Hell ri.
lTés
cha ient des gém i eme nts étou
pas une foul ure
Rien de cassé, dit- il. Mêm e
du repo s. C'ei t
puis
séri eu. e ... Vn bllin de pied , et
...
de
ban
de
oin
Le
tout . Pas mêm e
pou r une si min ime bles sure
Un r.eu de m ~pris
les
paro
se
sous
t
sc dev inai
er ù arri ver, dit Da- Tfto mp on ne va pas Lard tabl e, rass urez -vou s,
à
tre
niel . On va pou voir se met
Geo rgel le ...
amè rem ent I1en- II 1'Ïra bien , en me voy ant, dit
ri.
up de tem ps, sans
Mais le tem ps passa, bea uco
e ne fais ait allu sion
onn
Rme ner le jeun e AlTlglais. Per
tout le mon de ne
ent,
blem
visi
i,
ma
li ce rela rd,
cela .
pen ait qu'~
dit enfi n O:micl.
_ li e t une heu re moi ns ving t,
.
Il faud rait peu t-êtr e voir ... pass er un {f1S~O?
dan s
~
n
e
r
i
f
s
mot
Ces sim ples
de
lIté
SIbi
pOS
la
eux
avec
qu
J'asai ·Iance. JI emb lait
.
.
l'ac cide nl (ai ail on app aritmlutc~, io?
dit Dam el.
_ Atte nd(' z enc ore cinq
min ules s'éc oulè Mor telle men t long ues, le cinq
rent .
lque chos e, .lit M._ Mai nlen ant, iJ faut [;lire que
niqu e.
- Quo i?
, j'y nie ... (lui
_ Alle r li ea rech erch e... Moi
virn t ?
dit M.u rice .
- ~loj,
�110
- Et moi, dit Daniel.
- Non, pas vous, dit Monique. Vous ne savez pas.
Vous seriez une gêne plutôt qu'un secours.
- Le mieux, dit Henri, c'est que Monique reste ici,
el que deux garçons y ailIen l seuls. S'il faut.. . le
rapporter, s'il no peut pas marcher, c'est beaucoup
trop dur pour une femme .. .
Monique protesta un moment, mais sc fendit n la
Corce ùe l'argumenl. Quant li Daniel, il avait Mjù
chaussé les souliers de ski d'Henri.
- Vous n'allez pas y aller, dit Monique, un peu
uerveuse.
- I\'lais si, dit dOllcement Daniel... Figurez-vous
que j'ai envic d'~trc
champion de quelque chose ...
Alors, je m'attaque au champ ionnat des sauveteurs
novices.
- Du l'este, dit Daniel, il est inutile dc prendrc
Il'8 sldR ... Quand il s'agit do chercher quelqn'un, ils
embal'rn
~e
nl
plulôt C]u'uutl'C chose, surloul su r une
rH!titc disLonce.
- Pourquoi vouIeZ-VOlis y aller ? demanda Monique.
- Gomme <;a ... Une i(J ée ...
- Allons, prefiso ns, dit Mnurice. On pnrlera I\U
rcloul'.
- Pourqnoi l'ovez-vouil lai ssé partir P dit l\'foll iqu . JI ne connaît rien ;', la montagne. Vous trouvez
qu'ull nccident ne suffiL pns ? C'esL plein de Lrous,
ce p3r('oUl's ... Quand on n' ]e~
conna1L pns, et surloul san,s sI is, il y a de qlloi .. ,
,,
- AlloJls, nc dramati se? pas, dit Henri. VOliS tic
(:oni
s~ cz
pas Dalliel. Quand il IIC met. à pnrlel' dOllcement, comme ça, il fcroit haLs, cr les yeux ~I une
111 Il le l'Ongr.. (;'(' 5 l pOUJ' c('la que je n'ni pas inRisLr ...
Lc silcJlf'c l'eton1l2a dans l 'nIl bC'rg'e.
Cepcnd:\I1t, ~ln'ice
cl Daniel s'é tai cn l alluqués :,
}a P 'lite, ('t pl'Ogl'essaicnl difficilement., (ln rai son
Qe j'6pais8clfr de la neige. Mais, comme J'avait Cait
observcr Henri, les skis ne lem eussent pns se rvi i\
�VIn B81'
~A
l'IL - ALJÔ: .. .
lU
fai sni nt une foule .10 détours ,
il~
IirUllo 'chm,,,, ~'ur
en
s'arrêto1JL Q chaque snpin , appf'la,nL Ùl, lemp~
Lemps.
qui ne conna issait pas du lout le parcOllrs,
~:ljI,
ohw;, aIL Il vcuglém en l aux ordre de iHll11rice.
Tou 1 cn Q vunç:Jn /, en nJf: lun t ~a voix Il celle ùe SOIl
compag non, il réfl éc hi. sait li l'imp1l1 sion irrési liqui J'avait pOll!.sé à pariit ft !a J'ocherc he Je
!~le
l humpso n. 11 aVilit obéi à celte impul sioll sans JI~
presque surpris de s'en/en dro
iler une ~ econd,
("riel' : (1 JI10i 1
J)
A vrai dire, il [tvnÎl cédl; en grallde partie à nn
fIl01l\'cm f'lI/ (l'é1"en / chez )rl; gens nervcux , qui préc.
(,'.1'('11/ l'n clion, fùl·elJe dan gc rou ,c, ù l'allcnt
irais maintc nalll, il donnai t à son arle un tout
nulle sens; Ilne ci'pèl'c de slIpersl Hion !"empaJ"ait de
lui.
- Si je r:lJ ssL , pen ai/-il, s 'il Ile rn'arriv e rien,
ct sanf, cela vouct si je rclroU\ e ThompQ oIl ~ni
dra dire que le jour qui virIlt Je comme ncer sera
co/ui qui marqllc ra la fin dc IlICS Il/lgoi 'cs ...
Et, forUfié par cellc idée, il reprit r:oul'uge us-lIlent lu marche cn llvanl. Celle·ei, du reste, deve1lait do pllls CIl plu s pénible . Malgré le froid, 10R
d( 'ux: j ellnes gcn fIIi sclai en/ dc sueur.
Il arrivt'I'cnl cnfin :'1 l'endro il le pl')11 d/lngercux.
D'un côlé, c;'élniL l 'a hîmc de lrentc mètrcs dont
/lvaiL parl é Moniquc el qlli mmmc nçait par une pen1 douce, fau sse menl cngagl'éI11 lc. De J'autrc, la voic
llOlmal e :t .'uivrc.
S'il a tourné à clroi Ic, dit Maurice, évidcm menl. ..
Plu s inquiel s qu'il s ne voulaic nl Je parllÎlre, ils
pou s 'èren l CIl. cmhle leur cri cl 'appel.
Alors, à quelqlle s mètres d'cux, UflC ,"oh:" calme
ICVOII une
leur rclpollrlil, en In 'fII? Lemps (lUI' ~e
:
sapin
à 1111
forme nùo ' ' (~e
_ Aoh l. .. .Tc cOlllmençais à sToir froid ...
Qu 'pl' I-rr 'pif' von. fkhpT. J~ ? rli rf-nt fi 1/1 roi"
�t.A VIB EST UNE V.\LSIt •••
1GB deux jeunes gens, immen sément soulagé ., et heureux de pouvoi r passcr lcur énerve mcnt sur celui
qui en était l'auteu r.
- Aoh 1... C'est toute une histoire ... une histoire
scandal eusc ...
qui lui prcnd P dit l\'1aurice. Il cst des t~ce
- Qu·e
venu fou ... Il a des visions P...
Figurez -vous, conlÏllu a l'Angla i s sans rclever
celle imperti nente interru ption, que je suis tombé
là, et. .. j'ai déchiré mon pantalo n, complè tement ...
- Et c'cst pour ça que vous nous avez obligés à
venir à voire rech erche 1 s'écria Oarniel outré ...
- l'lai s je ne pouvai pas aniver comme cela en
hnOIha s, dit Thomp son ... S'il n 'y avait cu que d c~
mes ellC'orc ...
- Clair de lune sur la neige, mllrlnl Ira Mauric e
un peu risqui nc détesta it pus les plai sa nteri es
quées ... Vous ne vou s imagin ez pas que je vais vous
prêtcr le micn P
-- ('h 1 je Il 'ose pa ~ demand er 1. ..
- C 'es t cncorc hcureu x .. Alor::, vou s compti ez rester assis ju qu'à ce que ,'olrc fond de culotte rcpousse P
- Allons, dit Danicl, j'ai des épingle s doubles ...
Si vous eroyez que c'est suffisnn l. ..
- Oh 1 Très bi en, dit Thomp son.
Daniel, qui avait le plus grand mal à conserv er
séricux , fit, à l'aide de quatre épingle s, une som~on
ml\ire réparat ion.
dit
res té assis trente-s ept minute! !
Je sui~
... 11
Thomp son. l\lainlc nant, jc rcprend s la cours~
n'y allJ'a qu'i) déduire ...
- VOliS allez nou s ficher ln paix IIvec voIre couree, dit Mauric e catégor iqueme nt. Venez IIvec nou
et ne (aites plus d'excen lrir.ilé ... Voue avez perdu'
tout... Du reste, celle hi s.toire de p8ntlo~
v~iJ:\.
4J,odmé .oe me purait pUt très clalre ... Il fftudrl\ que
j experti se ...
.
........ •• 1 Ot 'fh".p ".n i.ù~a6
�LA VIE EST Ui'o'"E YALSE .•.
113
Mais, comprenant qu'il n'y avait qu'à obéir, il
mit ses skis SUI" l'épaule et suivi l les deux amis.
Le relour s'efrectua dans le plus profond silence.
_ Si vous voulez, dit Maurice, mettez maintenant
vos skis, et allez rassurer les autres.
_ Non, dit Thompson. J'ai réIléchi. Il faut que
je marche le dernier.
.
�11.4
r. VIE RiT UNE V"'Lu13. ,.
CHAPI TRE IX
LA VIE EST UNE VALSE
L 'énerve men t de l 'aHen le Ilidau L, Moniqu e était
arrivée à prendre pour dcs pressen timents lcs crainles qu'elle éprouv ait au sujet de l'expédi Lion où Daniel s'élait e1Ilgagr..
Elle ne disait rien, mais marcha il ù pas précipi tés
ù lravers la cuisine de l 'auherg e, dans In(!ue1Je Lou t
le monde s'était groupé antour du feu. Les images
les plus ~ in s trc s lui I.rnversaicnL J'esprit . Et son allgoi sse, la désarm anL LouL à fait, acheva it de lui montrer sous son vrai jour la lIature de l 'n lla·c hem ent
qlle lui nVAit in spiré Daniel.
Cruelle épreuve que découv rir que l'on aime au
momen l où l'on tremble pour l'objet de cet amour ...
Moniqu e en arrivai t fi perdre vraime nt lout bOIl
sens : « Il ne reviend ra pas, songeai t-elle sans ce~ s e,
il nc reviend ra pas 1... ))
Henri l'obser vait discrète ment, et ceLLe agitalio n
lui parai ssait un fort bon signe pour les affaÏI'cs de
son ami.
- Ne vous tOllrl11entr.z pas comme cela, dit·il enfin
le
fJl)'j~
de sa voix la plus innoccl lir. Je Imil\ ~tîr
..
t<tat.
hon
en
l'Ont
r'clrollvP
�1Hi
. - Quj ~. Thomp so n P dit bru squeme nt Moniqu e.
SI vous savlCZ fi quel point je m'en fi che, de Thomp son .. . Je pense à Daniel, dit-elle résolum ent, en regardan t Henri bien en face. S'il lui arrive quelque
chose, re sera notre faute fi tous ... Je ne me le pardonner ai jamais ...
lien ri n'eut pas le temps de répond re. La porte
s 'ouvrit brusqu ement, lhra:nt passage à Mauric e, puis
n Daniel.
Tout le m Oll(le s 'était précipi té, sauf Moniqu e qui
"laiL devenu e d'une pâleur d e circ. En voy ant paraUre Dalliel, elle parla la main à S!I poitrine ; il
lui sembla it que sail cœur allait cesser de baltre :
- Merci, mon Dien 1 1II111"mura-t-ellc.
Pui , par un effort de volonté , t'lIe J'cndit Il son
visage son apparen ce acro utum ée,
- Le voilà, dit Mauric e. 11 JIOU!l suit. Quel Iype 1
VOli S sav iez ...
~i
- Je défends qu'oll le dise 1 cria Thomp son d'une
~
voix forte Cil apparai ssa nt li son Lonr. Les Françi
...
puJeur
SilillS
,~O lr , vraime nt
- Oh 1 Ça va 1 grogna Henri, qui, le pied touj ours plon gé dan s J'eau chaude , [Di sa it J\ssez trisle
fi g llre. Vou s av 7. perdu, voilà Lout. Il ne vous reste
qu'à pa ye r le souper, plus une boulei lle de cllampa e"e à vos sa uveLeur s ...
- AI/on s, vellez vous chauffe r, dit Moniqu e Cil
.
une chai e près du [eu.
~ lçan
av
_ Non, merci, je suis très birn Ill, dit Thomp 80n ; e t il demeur a dignem ent dans le fond de ln
..
•
pièce, le dos collé :tU mur.
_ Ccs m ess ieurs dames vont erre servIS , dIt le
ph'c Lesgou rre. S'il "culent se donner la peine ...
_ Ah 1 dit George flc, ce n'cst pas trop tôt.
MonilJue chercha it Daniel des ycux. Depuis SOli
relour elle n'avait pa s osé lui adressc r la parole : i'l.
'lu 'el/e allait Be mettre :l pleurer /lU
lui !e ~blait
premie r mot qu'eUe dirait.
_ Allez ù la sa lle" à manger , lui dit Henri. DIl-
�116
LA VIE RST UNE VAI.Sk •• •
niel va m'aido r à marche r jUilque là-bai ... Je voua
rejoins ...
Toul le monde quilla la cuisine , el Richard
Thomp son insista beauco up pour passer rigoure usement le dernier .
Dès que les deux jeunes gens Curent seuls :
Dis donc, dit Henri, j'ai là une lellre pour
toi. ..
- Une lettre P
Oui, elle est arrivée au dernier courrie r ... Je
l'ai prise ... Je ne le l'ai pas donnée tout à l'heure ,
lu compre ndras poul'qu oi. Lis-la ici... Je vais aller
lu nous y
à cloche- pied jusqu'ù la salle à m~nger,
rejoiml .-as tout à l'heure ... Je croIs que mon idée
a pOl'lé ses Cruits ...
Et il s'éloign a, sautilla nt iur un pied et a'accro chant aux murs.
Daniel tenait la lettre, la tournai t et la retourn ait
sans l'ouvri r. Elle lui avait été expédié e par sa maison d'éditio n et il se demand ait quel rappor t cela
pouvai t avoir avec ce qu'il allenda it de Moniqu e. Il
se décida enfin fi déchil'e r l'envelo ppe.
Elle en conten ait une autre dont la suscrip tion lui
fit ballre le cœur : « Monsie ur Roland Marsac ... Il
et, en haut de l'onvelo ppe : « Exp. Madem oiselle
Moniqu e Darrell e. ~, rue de la Tour. Pal'ÎS XVI" Il
Une lettre de Moniqu e 1 Adressé e à Roland
I~ ~
1
Marsac 1
JI comme nçait à compre ndre la manœu vre exécutée par lIenri. D'une main trembla nte d'espoi r et de
crainte , il rompit celte lI10uvelle envelop pe.
II lut :
fi
Momieur,
J'Qi lu votre roman : La Vic est une Valse ... Je
ne vous cache pail que je l'ai lu tout d fait par
liard, et qu'Il la premiê re lecture , il m'a .emblé absolume nt ridicule .
',a-
�LA ViÈ E::.1' USR VAl .SE ...
H7
Ma formalioTl, la vie que j'ai menée ju:;qu'i ci, toute .en surface et sans vie intérieu re véritab le, me poussaLt nalurel lement d ne voir dans vos héros et dans
les sentime nts qu'ils exprim ent que des création$ de
votre esprit, sans existen ce possible .
C!r, je' viens de faire la connais sance de quelqu 'un
qUL ressemb le étonna mment à votre princip at personnag e. Sa personn e, ses propos, se sont si bien mêlés, tm moi, à la personn e et aux propos du héros de
votre livre, qu'il m'al'l"ive dfJ ne plus savoir les distinguer dans ma pellsée.
Cette personn e m'a jetée dans un monde de sentipour moi, si complè tements et d'idées si nor~veau:c
ment étrange rs à tout ce que j'ai connu jusqu'à présent, que je ne sais plus bief) où j'en .suis.
Parfois, j'éprou ve un mnuvem ent de confian ce si
totale, que je suis tentée de donner à ce sentime nt
un nom que je n'ai jusqu'à présent pronon cé qu'en
riant ; et parfnis , (LlL contrai re, je me sens révoltée
jusqu'à la cntère par l'empri se que ce nouvea u venu
• su avoir sur moi.
Je ne vous aurais pas imporll l.né de mes soucis,
que vous trouver ez peut-êtr e insigni fiants ou ridicules, si l'on ne· m'avai t affirmé que vous étiez bon,
intellig ent et pitoyab le à ceux qui se déballe nt contre eux-mê mes.
C'est un conseil que je vous demand e.
Exisle-t -il un moyen de savoir si je me trompe ?
Si j'ai affaire à l'homm e loyal et droit que j'imagi ne,
ou d l'u" de ces glIrçnns-f lirts , comme j'en ai tant
connus et seulem ent plus habile que les aU/l'es ?
vous sembla a peul-êtr e puérile , monMa d~mane
sieur . vous l'e:r:cuserez lorsque je vous dirai que
~ue
plus je m'ap~rçois
plus j~ réfléchi s d tout cel~,
depuis bien longlem ps, en louant la comédLe de l Lnde re,:différen co et du « modern isme !" j'atl~ndis.
contrer un cœur comme celUI que le croIs avoll'
rencont ré.
Pardon nez-mo i donc mon indiscré tion, monsie ur,
�118
1.-\ "lE EST U NE VAI.
~Il
...
que je suis fou l à foit revenue' de l'opinio n
que j'exprime (UL début de ce(/e. l etlre sur l lO/ I'e
et croyez
liv re .
Darrelle
de la Tour ) .
Moniqu e
:1 ,
T'lte
Daniel replia pl'éei.pitamment cette lettre qui trem.
blait en lre ses doigts. Ulle j oic foll e, débord ante,
lui cmplissait le cœu r, lui donnai t envie de courir
au ssitôt vers J\oJoniq ile, lui apporte r, sans plus al·
tellùre, la r épon!>c de Holnnd Marsac ...
Il sc cO lllint l'epenrlant, ct aussi calm emen t qu'il
l'egag na la sall e à mange r. Tout de ~l1 ile,
le pl~,
il vit le vi sorre de Moniq uo loul'Ilé vers lui. JI lui
pOli/' la prcmiè re foi s, tant il lui
. cmhlai t le v~)iJ'
jlarut illumin é d'llIlC namrn c intér ieure ct nouvelle.
Le père Lesgou l"l'e avait hi en fnit les choses, cl
le plus gntrnen t du monde.
le soupe r se ra ~sa
nt, dit Georgette, VOliS ne voulez
vraime
,
~
r
o
J
A
pas 1I0U S dire cc qui élait arrivé n Ri chard il
- Serrel profess ionncl, (lit l\1auri ce.
l\ichard Thomp son, sous l 'inJll1 ence des crus
~rf1is
cu piteux quc le père L'csgo ul're uvait exhllmés de sa
cave, 8emblaiL perdrc bea uco up ùe sa rése rve brio
lanniqu e.
- Oh 1 o,n peul.· dire 1 C'est. une déchiru re leni.
plus rentrer ...
hie ù mon pantalo n ... .Tc Il' o~ajs
dérhrn ti on don.
c
ll
ce
lirent.
accueil
qui
tes rires
de. so n esprit: c'é.
i~ é~
n Hic!lOrd u~l e hn~.lte
n ~ renL
tait. la premlr rc f O IS qu Il fnl s,ul J'Ire dcs Frnn{'ais.
Mai s, au miliell dc celte gnieté, MOllliqlle et Daniel
dem eurfli nt sil encieux . Monique sc dcmnlld ait cc
qu'a va i L Dnni el, donl Ic vi sage l'nyollllont la sm'prennit. Elle crai g nait qu'lf enri ai l, été indi scre t cl n'ait
dit (1 Daniel l'n nxirté ncrve ll se dan s laqu ell e son ex.
péditio n J' nvo il plongé e : aflxÎ(:lé qui elÎl pn aider
DUlliel fi lire dUlns Ho n cccu r.
- Muis, Lant pis, so ngeait-elle, tant pis ... Mllinte.
�LA 1I1) EST U. TI VAl.SIl: •.•
119
le1anl ,
8ûre de moi, de 1vI.. ,
II me semIde que je ~ ujs
omme tout est beau !
, Q~ < m l il, Oa.n icI, nlalgl'.J son lempér ament inquiet ,
que pll18 rien au monde, jamais, ne
Il lUI ~al'usM
assomb rir la joie qui le posséda it lout cn~ouralt
11er.
11 fallut enfiu sOllger au re/our .
.La, nuit s'avnnç ait, une nuit superbe , sombre , mais
scmldl nnlo d'étoile s.
- Si nOliS voulon! ' être là-Iwnt pour le lever du
soleil, dit Mauric e, il ne faut pa nous aUarde r ... Enuile, nous auron toul le tenlps de dormir .
Après le vote, oblcnu fi l'unani mité, u'lIlle adre se
de félicita tions au père Lesgou rre, la peUle bande sc
propara pour le retout'.
- Il va falloir que tu m'emm ènes, dit Henri."
Et pui sque la petite hagnole ne peut pas montcl' jus'fu 'ù 1'Ilôlel, j'a tiendra i l 'oulohu s à la gare ...
Mail! IlUtul'c llement , je l'emmè ne, dit Daniel.
J'emmè lle Moniqu e ct loi .. ,
La jeulle fille, s'cn/en da nt nomme r, SI) l'u(ourn a
vivem ent:
- Mais,je remolli e al-eo )e .~ nulr'es, dit-elle,
Pas du loul. répond it Daniel. VOliS venez (lII
voilure al'ec Hellri ct moi .. , népêcll Ons-no us,
JI avail parlé de sn voix douce, obsliné e, ù laquelle
Moniqu e Mvait mainleI lanl qu'il n'y avait pas moyen
POlir la premir re fois, elle ellt du plaide T'I ~ sjler,
sir il ohéir, fi lie sentir dirigée ...
011 ca Il Henri Ù CÔlé de D<.\nicl pour qu'il pllt étendrc sa jumbe, et IOlJiqlle prit place Rur 10 siège
ol'l'i;'1'e.
Le relour jusqu'à ln gare sc fit rapidem ent et silellciclI scnJonl . Moniql le, le cœur hallant , se demandait vers quoi on l'empor lai!. Car elle avait assez ap.fIye le momen t
pris Ù COllIlllÎtrc On,lIiel pour MvOj~
était venu ot'! jJ Illhut pllt'ler ; cl, dl'lJClClIsement, elle
Attendait.
A III ",1 rI', on in IHIIlI rnnfnrf"hf"lJwnf HP.:nri ri"n~
�100
LA VIE BBT UNB VALSE ...
la salle d'atlen te. La nuit pûlissa it déjà, ct jivant une
heure, l'autob us de l'hôtel viendra it cherch er les
voyage urs du premie r train.
Daniel confia à sa garde les skis de Moniqu e, remisa sa voiture , puis, se lounna nt vers la jeunc fille:
- Mainte nant, venez, dit-il.
Et elle le suivit.
Ils s'engag èrent dans le chemin montan t qui menait à J'hôtel. Daniel rythma i t son pas sur celui de
II se sentait très calme, très maître de
sa compa~ne.
lui. II était décidé à parler et il s'était fixé pour lc
faire l' humble ca bane sous lc toit dc laquelle il 8 'élait ouvert à l'espoir .
Et Moniqu e se tai sa it, confian te, srlre que chaque
pas qu'clic fai sa it la rapproc hait du jour le plus merveilleux de sa vie.
Ellfin, sur leur gauche , dan s la nuit pâlissan te, se
dessina la forme massive de la hulle.
- Voulez-vous vous rcposer ici ? demand a doucemen t (Jan icI.
- Volonti crs.
Tous deux reprire nt les places qu'ils avaient occupées là quelqu es jours plus tôt.
, - MOllique, dit lout de suite, Daniel, il m'est
arrivé ce so ir une cho e assez extraor dinaire ...
- Vraime nt j\ Et laquel le?
- Voilà . .. Quelqu 'un, une jeune fille m'a demand é
un conseil ... u,n conseil extrêm ement import ant, duquel toute sa vie dépend , et pas sculem ent la sienne ...
Et VOiUI qu'il m'est tout à fail imposs ible de donner
ce conseil ...
- Pourqu oi donc? dil Moniqu e faiblcm enf.
Elle étnit éperdue . Il lui emblai t que Daniel raiMil allusion à la lettre qu'elle avait écrite li Rola nd
Marsac . Mais, comme nt donc avait-il pu ...
- Parce que, poursu ivit Dani l, je serais il ln fols
juge cl parlie ... Il s'agit de donner à celle jeune
Ollu le moyen de savoir ai Clclui qu'clle ... qu'ellc croit.
tiigne de ce !(}nti.,6Il1., ou !Ii c'e. t un
oitn IiIr , e~t
�LA VIS EST UNS VAl.SE •.•
121
simple garçon- flirt, comme elle cn a t,flnt copnu, et
8eulem ent plus habile que les autres. ..
Moniqu e se leva brusqu ement :
- Daniel. .. comme nt avez-vous su ... Oh 1
Mais Daniel lui prit la main. la fit doucem ent se
l'asseoi r fi son côté.
Moniqu e, c'est fi moi que vous avez écrit. ..
C'est moi Roland Marsac ... Je vous ilpporte ma réponse ...
Elle ne dit rien, mais, contre son épaule, Daniel
sentit qu'elle trembla it.
Alors il parla avec ardeur, tenant toujour s entre
ses mains la pelite main qui s'aband onalail :
Moniqu e... écoutez -moi, croyez- moi... Depuis
le premie r jour où je vous ai vue, j'ai senti Je pJus
grand uouleve rsemen t que j'aie jamais éprouvé ... Si
je ne VOliS ai pas tout de suite dit qui j'étais, c'est
que vous avez padé cl'uel/e ment do mon pauvre Jivre - alors que j'avais eu une si joyeuse émotio n
en Je voyant entre vos mains - Moniqu e, ce n'est
qu'à mon insu qu'Hen ri vous a conseil lé de m'écrire ... d'écrire à fioJand Mal·sac ... Je n'en savais rien,
je vous le jure .. Mon .i que, croyez- moi, je vous en
supplie ...
JI s'affola it, la croyait furieus e et humilié e d'avoir
été dupe de ceLLe façon, voulait la convain cre qu'il
n'était pour rien dans cc qu'elle prenait peut-êt re
pour une cc machin ation )).
Et toujour s, il la sentait tremble r Jlervu.·~!ft
contl'e son épaule.
Alors, elle parla, d'une voix de loufe petite fille,
qui émul Daniel jusqu'a ux larmes :
_ Je ne vous en veux pas, dit-elle. Je 111 'en veux
à personn e ... Je crois que je vais être très, très heul'eu c ...
_ Moniqu e 1 Mais comme nt vous convain cre que
je suis digne de voue.
- Il faut, murmu ra-l-ell e, il fnut ... que vous Ille
clisicz ...
�I .A VIU
J:i'lr
U.}; VAl..lSR ...
Ello hésitai l.
Alors Dalliel porta jusc[l1'à se:! l ~vres
la main qu'il
étreignait. Il y mit un baiser long et respectueux:
_ i\lonique, dit-il gravement, je vous aime ...
Ils demcul'('renl longtemps ainsi, immobiles, comme s' ils voulai,enl prolonger pour l'étcrnité la minute
adorable qu'il s venaiellt de cOf1lltaÎlre ; silencieux,
purce qlle l'écho des paroles que venait de prononcer
Dani el élait lent à mourir en euX.
olldain, la cabane paruL s' illuminer doucement.
Le soleil, en se levu·nl, fai sa it resplendir ln paroi
neigeu se qui se trouvait de l'nutre cÔté de ln ronte
en fare de ln porte; cl sa lumière reflétée envnhissni t l 'humllle pière, la tl'an sformnn l en une salle de
palais . ..
_ .le RHi!! IlellrclI Qe, dil simplement Monique. C'est
vrui, la vie esl doure, dOllCC.. . ('omme unc vuhe ...
_ Voici le jour, dit ])ani cl, 10 prcmier JOUI' de
notre bonhcur ...
JI~
rClltr('l'cIll, ln main ùall s la main, sil enricux
"eru!! illis comme !lU sortit' d'llll pcclaclc divin.
�LA Vu: EST U!'IE VALSIl ...
Duniel ne s'éveilla 'Iu'à cinq hem'es de l'aprèsmidi; les fatiguos de la nuit, ses émotions si vives,
avaicli t cu rai son de so n énervclUe n t. Après tan 1 de
jours el de nuils hantés par les mèmcs préoccupation s, il avnit goüté tant le rel'0B de longues heures
Je sommeil.
JI retrouva, inla cle, l'impress ion de bonheur déHnilif, de séC llritô délicieuse lJui 8,;ail accompagné
son sommeil. Et J'idée de revoir tout de suite Monique, Mon iqlle heureuse et conquise, le poussa à hriter sa toil elle.
La prcmii:re qnestion qu 'il pMa Il Henri, en train
Je p/'cJJ(] re lin th é confOrlaJJlc, fut :
_ Monique n'est pas descendue P
_ MOIi ique P.•• Elle est partie il y a deux heures ...
_ Partie P.•.
__ Mais ou i, partie ... rCllll'PC chez elle ..:
Une sueu r froid e rerla au fron t de Dan leI.
_ Elle a m t:lTle lah5é IIne leltre r our loi. .. Ln voi1:1 .. . Ah 1. .. El pli~,
elle m'a d.it qlle j'étais un ange,
'1 m'u embrassé su r les dcux JOucs ...
Fi év l'l'u 5emc nt, Da,niel ouvrait la letlre.
Elle Il e rOll te nai 1 que (I\lequc
~ li gnes:
�t.A
tI
hl
EST tJNE VALSB •.•
Mon ami,
Il Je prends le train de quatre heures ; il Y en a
un aulre à dix heu,.es ; j'espère que vous sertoz ,.éveillé: prenez-le. Vous serez à Paris demain à midi.
Je vous allends pou r le thé, à cinq heures. Papa sera là.
Naturellemont, j'aurais préféré voyager avec vous;
mais c'est plus convenable ainsi... Et puis, il faul
lJue j'aie le temps de préparer papa à tout cela ...
A lout de slLÏte, mon ami.
Monique ll.
_ Je pars ce soi r, dit Daniel.
_ Tiens ~ Figure-loi que je m'en doutais ... Avoue
qu e mes id ées ne so nl pas toujours idio tes.
En ce m oment, Georgelle, Maurice ct tOIlS les autres I1rcnl inuption dans la sa lle à man ger.
_ Alors, qu o i, il paraît qu e Monique'csl partie?
Pour quelle ra ison ?
_ On ne sai l pas du tou l, dit cyniquement Henri.
_ El avez-vo li S qui cs l parli a uss i ~ dit Maul'Ï ce.
Ri chard Thompson .. . Il ne s 'est pas con solé de 1'aveu qu ' il a fai l hier, dans la chalem communicative du souper ... Il se c roit dés honoré ...
_ ~Ioi,
dit Georgette, d 'un lon plein de p ersp ieadeux départs ...
Hé, j~ trouve tout cela bizll rre . .. Ce~
Je croIs que dès. nolre r e \'(l1~
à ParI, nOli S apprendrons les fian çaIlles de l\l onlgue et dc Richard ...
FIN
�Pour ~mtr.
Jeadl procbaln SOIIS le lb 580 de Iii Collection failla ~
U
L'ENVOYÉ DE SAINT NICOLAS
Par
ROBERT
jEAN-BOULAN
CHAPITRE PREMIER
UN
vœu
. _ Alors, lu es bien sûre , Li se, que c'est sa int
NIcola s qui s'occupe de ces affaires-là ?
Certainement 1 C'est sa int Nicolas qui marie
les fill es, et les garçons pal' ri cochet.
_ Et si n ouS lui fai so ns un vœu, là... il nou S
ellvena un m al'Ï il
_ Sans doute ... En tout cas, on peut bien essayer 1
Elles é tai ent troi s jeunes fill es, g roupées deva nt
une minuscule g rotte de roca ille, au fond de laquelle
un e petile statue du bienheureux saint Nicolas, en
pliUre colori é ct déteint, tout éraillé par la pluie
cl les in lem péries auxquelles il avait é té soumis, se
dressait sur un rustique aulel de pierre. Rien des
fois ell es éta ien t passées devant sa ns lui accorder
m ê l~ e J'aumô ne d ' un rega rd, tell ement le malheure ux élnit m odeste , effacé, oublié. Puis, voilà que la
co nversa ti o n était venue - comm ent il - sur le privilège acco rd é aU sain t, et Li ~e , l'aîn ée des troi s.. avait
suggéré en riant qu'il sen~
lt opporlun de falr~
un
vœu d evan t so n effi17i e, plll sllue Je parc du châleau
des Aubrays avait l 'in sig ne ~rivlège
de J~ pos~éder.
En retour d e quoi le bon sai nt ne pouvait manquer
de leur envoyer à ~hacune
un mari selon leur cœur ...
(A slLivre.)
��Irnp J .
T~qul,
3 bl&, rue de la Sablière, Paris (France). -
1020-5-38
�l
\
�~'I1"§
~
~
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~ LA COLLECTION "FAMA"
BIBLIO THÈQU E RÊVÉE DE LA FEMME ET DE LA
JEUNE FILLE PAR LE CHOIX DE SES AUTEU RS
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La vie est une valse... : roman
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LA COLLECTION "FAMA"
BmLIOTHÈQUE RtvÉE DE LA FEMME ET DE LA
....................
JEUNE FILLE PAR LE CHOIX DE SES AUTEURS
Chaque Jeudi, un volume nouveau, en vente partout.
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L'Ëloge de la COLLECTION FAMA n'est plus A faire: elle est
connue de tous ceux et celles qui aiment à se distraire d'une manière
honnête, et il. sont légion. Sa présentation élégante et IOn format
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CHAPITRE PREMIER
- Alors, Kerval, c'est décidé? Tu restes à bord?
- Mais oui, c'est décidé.
- C'est ton dernier mot? A ton gré. Alors, en avant!
- En avant 1 crièrent des voix joyeuses.
Le canot, où avaient pris place trois jeunes officiers de
marine, se sépara du lourd cuirassé et, sous l'Impulsion
de son moteur vrombissant, se dirigea vers Casablanca.
Celui que ses camarades avaient appelé Kerval resta
accoudé au bastingage du puissant bâtiment de guerre. li
regar.J ait les maisons blanches, les hauts palmiers de ce
Casablanca, dont le nom faisait jadis vibrer son imagination de futur marin; et maintenant il l'avait devant lui,
noyé dans la brume rose du soir marocain.
Vraiment, pour ses yeux de breton, habitués aux spectacles rl'un tout autre ordre, et plus souvent grandIOses
et tragiques quo doux, de la terre d'AI'morique, le spectacle avait quelque chose do f6erique. Du navire où il se '
trouvaIt partait, comme un tro.lit de feu, le sillage du
canot, où étincelait le soleil couchant. Et cette longue
flamme pourpre aboutissait à la ville merveilleuse, qui
semiJlait s'épanouir comme 10 bouquet d'une fusé e de
rêve.
Le jeune officier était tellement plong6 dans sa contem-
�6
l'OUllQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPlllS
7...
plation qu'il ne s'aperçut pas que quelqu'un était venu
s'accouder à son côté. Aussi tressaillit-il, lorsqu'il entendit une voix grave lui dire:
- Vous n'êtes pas allé à terre, Karval? Vous n'êtes
pourtant pas de service, ce soir?
Kerval se redress J, en une attilude déférente, pour
dire:
- Non, Commandant, j'étais un peu fatigué ce soir, et
j'ai préféré passer la nuit à bord.
- Vous avez bien raison, reprit le commandant. Ces
jeunes écervelés vont voir un charmeur de s , ~rpenls,
une
danseuse, puis ils finiront leur soirée au Café de France,
et ils croiront avoir vu le Maroc. Mais il n y a que le blod,
voyez-vous, qui puisse donner une iùée de ce pays. Le
bled, et puis aussi une vue d'ensemble, comme celle que
nous avons ce soir. C'est la première fois que vous venez
par ici?
- Oui, Commandanl.
- Heureux g-arçon 1 Moi, je crois bien, que c'est la
dornière.
Lo silenco retomba SUl' cette ptll'ole môl,mcolique, ct
Jes doux marins reprirent JOUI' muette contemplation. On
n'entendait plus que 10 clapotis ùos vagues contre les
Oancs de for du Brazza ct uno aigre musiquo de tambourins ot do Hûtes, qui venait pal' boufléos, comme un par.
fum de la ville. Et, sur le tout, 10 grondement sourd ot
monotone do la mer, qui battait au loin les jetées du
port: c'est 10. basse ordinaire des rêvories de marins.
Lo premier, le commandant quitta la place.
Un peu plus tard, ot la nuit étant tout à fait venuo,
Y'es reg.lgna à son lour Sil cabine.
11 retrouvait toujours avoc plaisir eeLto pièco 6troite,
que d'autres auruient jugé incommode, mais qui, pour lui,
ôtait vraimenL le royaumo qu'ilavait rêv6 depuisqu'ilavail
l'âge de l'ûver. Il l'avait urrang60 avec gotiL, mais sans
lUI ôter co c'lractère un peu nu 01. s6vère qui convenait à
un bâLiment de guerre.
AssI!'; devanll\a table, il voulut so meUre il. travaillor,
mais il ôtail encore sous le charDIe de la poétique vision
de co lIoir marocain, et les r.hi Ifre!'; lui parurent arirles. Il
prit un livre, m,lifl ne put parvonir à fixer son attention
sur co qu'il lisait. Il se sentait envahi par uno m610.neolle
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?..
,
qui n'était pas sans douceur, mais qui lui déplaisait,
parce qu'il n'aimait pas s'abandonner à des sentiments
irraisonnés : il lui semblait que quelque chose l'attendait
dans cetle ville où il n'avait pas encore voulu descendre.
Quoi? Il n'eût pu le dire, mais quelque chose à la fois
d'angoissant et de doux.
Il haussa les épaules et murmura avec une ironie
amusée:
u Mon vieil Yves, la poésie ne te vaut rien; tu feras
mieux de te coucher 1 D
Un moment après il dormait, de ce sommeil paisible
des enfants et des gens de mer.
Yves de Kerval avait vingt-cinq ans . C'était un grand
jeune homme blond, aux yeux doux et rêveurs, à la taille
fine et élancée, mais sans aucune féminité. Tout, aU contraire, dans sa personne, respirait la force et l'énergie, la
souplesse et l'élégance, aussi toutes qualités physiques
que l'uniforme d'officier de marine excellait à faire ressortir.
Cet uniforme, il rêvait de le porter depuis sa plus
tendre enfance. ] 1appartenait du l'es le à uno race de marin,
où l'on ne concevait pas d'autre carrière possible que 1a
carrière maritime.
Glorieux métier, mais qui n'enrichit guère; et Yves $'en
était aperçu lorsque, deux ang auparavant, à la mort de
son père, il s'était trouvé seul avec sa sœur, Marie-Antoinotte, âgée de lreize ans seulement, et n'ayant pour
toute for Lune que sa solde d'enseigno de vaisseau et
les murs branlants du vieux châleau de Kervnl, qui
S'élevait là-bas, quelque part, ùu côté de Quiberon.
Comme j] no pouvait pas laisser sa scour seule dans ce
vieux ehâLeau, il avait alors pris la d6 cision, non sans
hé~iLer
beaucoup, de la mettre au collège de Chavannes
de La Rochelle, où il complait la laissel' jusqu'à ce qu'elle
fût en age de se marier.
Il chérissait ceLLe scour, de dix ans plus jeune que lui,
at dont la naissance avait coûté la vie il Mmo de Karya!.
Il s'était toujours eITorc6 do remplacor auprès d'olle les
douceurs d'une aITecLion matemelle. Aussi était-ce allègl'emcIIL que chaque mois il distrayait une imposante
partie de sa solde pour l'entretien de ]a jeune MarieAntoinette. CerLes, cela l'obligeait parf~is
à se priver de
�~ 8
l>OURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COAIPRIS
? ...
ces distractions, souvent coûteuses, que les marins aiment
se donner, aux escales, pour rompre, par des souvenirs
agréables, la monotonie des journées de mer. Mais les
lettiles de sa sœur le dédommageaient amplement de ces
petites privations, dont s'accommodait fort bien, au reste,
son humeur naturellement grave et réfléchie.
Le Brazza, à bord duquel il effectuait sa première
' croisière, était entré le matin même dans le grand port
' du Maroc. Il devait y séjourner un mois environ; la durée
: inusitée de cette station était due à des manœuvres navales,
auxquelles le cuirassé ne prenait qu'une part réduite et
,indirecte, mais qui exigeaient sa présence dans les eaux
,marocaines. Nul, à bord, ne s'en plaignait, et déja mille
projets d'excursions à l'intérieur des terres avaient été
,échafaudés au « carré ».
C'était aussi la raison pour laquelle Yves n'avait pas
été à terre drs le premier jour, est.imant qu'il aurait par
la suite bien des occasions de visiter la ville et préférClnt
d'abord se conlenter de cette féerique vue d'ensemble de
la rade, qui j'avait tant ému.
Mais l'arrivée d'une unité de guerre aussi importante
que l'6tait le Brazza ne va pas sans de nombreuses
manifestations mondaines; et, dès le lendemain soir, un
bal officiel devait mettre en contact l'état-major du cuirassé et la population élégante de Casablanca.
Ce fut à ce bal que pensa d'abord Yves en se levant le
lendemain matin. S'il n'eût tonu qu'à lui, certes, il s'on
füL bien dispensé et fût allé visiter en paix les pittoresques
quartiers de la ville juive et de la ville arabe. Mais il n'y
avait vraiment pas moyen: le commandant tenait à présonler son état-major au complet, et la présence du résident général donnait à ce bal le caractère officiel de l'inévitable corvée.
Aussi Yves prit -il le raisonnable parti de n'y plus songer jusqu'au moment de l'exécution.
Le mois d'avril est a<sur6ment le mois le plus agréable
du Maroc. Il n'y a pas encore le soloil br'Ûlont, mais une
température exquise, une lumière à la fois vive et douce,
.qui baigne les gens ot les objets, avoc quoIque chose d'apai-
�, POURQUOf"N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
L. "
-(j
sant qui influe très rapidement sur l'humeur de ceux qu~
,ont le bonheur d'en jouir.
Aussi fut-ce sans ennui que, vers neuf heures du soir,
Yves, en grande tenue, prit place dans la vedette à moteur
:qui devait l'amener à terre avec ses camarades, le com'mandarit ne devant les rejoindre que plus tard. Sur le
'quai, de luxueuses automobiles attendaient l'état·
major du Brazza pour conduire les officiers chez le
gouverneur militaire 1 c'était, en elIet, dans sa somptueuse demeure que se donnait la première réception.
Et Yves fut tellement conquis par le cadre unique de
cette fête, - si différente des mornes réceptions à la Préfecture maritime des ports français, - qu'il oublia, dès le
début, l'agacement qu'éveillaient toujours en lui les corvées mondaines.
C'est que le bal, au lieu de se dérouler dans des salons
plus ou moins luxueux, mais toujours étouffants, faisait
tournoyer ses couples sur une large terrasse dominant la
mer, par-dessus un parc touffu, dont la masse sombre se
perdait dans la nuit. Et dans ce magnifique décor, il semblait vraiment n'y avoir pas place pour les mesquineries
ni les petitesses qui flottent souvent dans l'atmosphère
d'une réception officielle.
Lorsqu'il eut salué les personnalités civiles et militaires,
- et elles étaient nombreusesl - Yves entreprit de se
tenir un peu à l'écart de l'élégante cohue et, accoudé à
la balustrade de la terrasse, de goûter en paix les beautés
de la nuit lumineuse.
Mais Mmo Vio, la femme du gouverneur, en bonne maîtresse de maison, ne pouvait supporter de voir inactif ct
rêveur l'un de ceux qui, par défillition, d"vaient être) l'ornement et, en quelque sorte, l'attraction de son bal. Aussi,
il. pline eut-elle aperçu Yves dans sa poétique occupation
qu'elle fondit sur lui, armée - jusqu'aux dents - de son
plus engclgeant sourire, pour lui demander inst umment de
danser.
Et elle le présenta incontinent il. un nombre incroyable
de jeunes personnes: il yen avait de blondes et de brunes,
de grandes ct de poUtes, de maigres ct de grasses ... il y.
en avait même de jolies. Mais Yves, conslerné par la pero:
spective de devoirs sans nombre que lui imposait celle
présenlalion en série, n'était pas d'humeur à apprécier
�10
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
7.••
.leurs charmes physiques; la quantité des ~euns
tilles à
faire danser lui cachait leurs qualités .
Cependant, habitué à ne pas tergiverser avec ses obligations, il se mit aussitôt en devoir d'obéir à Mme Vié.
Sa mauvaise humeur, à vrai dire, ne dura pas longtemps;
il s'aperçut vite, en erret, que toutes ces jeunes personnes
n'étaient pas des danseuses éperdues, . et qu'un moment
de causeri.e sur la terrasse ne leur déplaisait pas. Il s'y
prêtait bien volontiers, d'autant que, le plus souvent, la
causerie se réduisait à un monologue de sa compagne,
qu'il entretenait habilement par de vagues questions.
Les heures passaient ainsi, rapides.
La lune s'était levée, illuminant la mer, le port, où se
découpait la puissante silhouette du Brazza; Yves devait
reconnaître qu'il ne s'était pas ennuyé.
Cependant, estimant qu'il avait largement gagné un
moment de solitude, il décida de s'octroyer le loisir d'aller
fumer une cigarette dans le parc sombre qui s'étendait au
pied de la terrasse. Un large escalier l'y conduisit. Les
allées capricieuses du parc descendaient toutes en pente
douce vers la mer, et, marchand à petits pas, savourant
la douceur exceptionnelle de l'heure, Yves obéit à leur
invita1.ion.
11 aperçuL au bout de l'allée qu'il sui vait, et un peu en
reLrait, deux fauteuils côte à côLe. Sans doute un couple
sentimontal était venu cherchor là un peu d'isolement ...
et Yves, avee un petit sourire ironique, s'installa délibérément. dans l'un des sièges.
La musique lui parvenait adoucie par l'élO'ignement,
poéLisée par le murmure lointain de la mer et dépouillée
des dissonances coutumières aux jazz.
« Charmant décor pour un couple d'amoureux, ironisat-il. Mais, décidément, j'aime encore mieux ma solitude ... »
A ce moment - singulière ironie du destin? - un léger
bruit ùe pas le fit se retourner. 11 aperçut, 'descendant
lentement l'allée qu'il vellait lui·mûme do suivre, la
silhouette claire d'une jeune fille. Son front se
rembrunît. U reconnaissait Arlette Orangé, l'une des
jeunes illies à qui Mme Vié l'avait présenté, mais qu'il
avait omis de faire danser; il n'en avait du reste pas
l'ombre d'un remords, car eHo n'était pas l'estée une seule
�POURQU OI N-' AVEZ:VOU S ·PAS COMi>tu S"'?..
11
fois sur sa chaise et paraissa it fort lancée dans la société
casablancaise.
, La jeune fille s'avanç ait avec nonchalance, et, lorsqu'elle
déboucha du petit chemin couvert , la lune, l'éclaira nt tout
à coup, lui donna l'aspect d'une très romanti que apparition.
Yves espéra un momen t qu'elle passera it sans le voir,
car il était dans un coin assez sombre . Mais sa cigarett e,
sans doute, le trahit, ou bien Arlette Grangé savait qu'il
y avait là des fauteuils, car elle marcha droit sur lui et,
,sans façon, s'établi t à son côté.
« Ça y est, pensa Yves, le couple poétiqu e est reconst ii
tué! »
. Il ne crut pas, pourtan t, devoir garder un silence peu
aImable, et lança, d'une voix désabu sée:
- Quelle belle nuit, n'est-ce pas?
- - Je vous en prie, dit la jeune fille. Ne vous croyez pas
obligé de parlor. Vous feriez mieux de m'offrir une de vos
,cigarot tes. Elles sentent bon.
- Cette réponse et, surtout , le ton peu gracieux avec
lequel elle fut faite ne laissa pas d'étonn er Yves, même
il l'irrüa un peu.
Contradiction bien masculine 1 Lui qui, un instant auparavant, n'aspira it à rien tant qu'à rester tranquil le et
silencieux, en v0ulait mainlen ant à cette joune fille parce
qu'elle ne paraissa it nulleme nt tonir à sa conveL'·
sation.
11 sortit son étui à cigarett es ot 10 lui tendit:
- Ce sonL des égyptionnes.
- Merci, j'aime ça.
Elle alluma le mince tube do Labac blond au briquet
que lui tondit Yvos ct so roplongea dans son silence.
Le jeune officier, do son côté, l'observ ait attentivement . Elle était jolie, cela, il l'avait d6ja romarq ué.
Mois vue ainsi, los traiLs calmes, détondus, son visage revôtait un charmo particul ier, plus doux qu'à la lumière des
girandoles électriquos. A chaquo bouttéo qu'elle tirait de
Ha cigar-ette, son profll s'illuminai!., et Yves voyait sas
lèvres un peu fortes, son nozfin ct droit, SQsyQUX absents. Quel
âge pouvait -elle avoir? Vingt ans? Vingt-d oux ans? Moins
pout-êt re, car le climat maroca in mûrit les femmos comma
les frui ls.
�12
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? .•
Tout à coup, elle jeta loin d'elle sa cigarette inachevée
et dit à brûle-pourpoint:
- Vous vous embêtez, n'est-ce pas?
Yves crut devoir protester qu'il avait passé une soirée
charmante, m ais ello l'interrompit:
- C'est pas la peine, vous savez. Je ne suis pas la mattresse d e céans. Si je vous dis ça, c'est que moi je m'embête,
je m'embête à creverl
- Mon Dieu 1 dit Yves. 11 me semble que vous vous
amusiez follement, tout à l'lieure. Vous étiez même si
la
entourée qu'il m'a été impossible de vous d ~ mander
m oindre danse.
- C'est ça 1 Alors vous croyez que parce que je danse,
parce qu'un tas de gens dont je me fi che s'occupent de
moi, ça suffit pour que je sois contente? Ça vous suffirait
à vous? Vous Il'Jt es pas difficile 1
Un peu vexé, Yves se t aisait.
« Encore une jeune fille désabusée avant d'avoir rien
connu, pensa-toi!. Dans un moment elle va me dire que
les homm es la dégoûtent. Ça va être gai 1 »
Mais il n'en fut rien . Décidément il semblait que la
jeune Arlette prît un malin plaisir à le d6concerter.
- C'est beau, la Bl'otagno? demanda-t-cHe.
- Mais ... oui, dit Yves étonné. Mais comment diable
savez-vous que je suis Breton?
- Oh 1 ça n'est pas sorcier, quand on s'appelle Yves de
Kerval et qu'on est m arin, c'est qu'on e3t brtJton.
Yves ne put s'empôcher de rire.
- C'est vroi, dit-il, je suis Breton : Breton de Quiberon.
Vous ne connaissez pas la Bretagne?
- Non. Je n'ai ét6 qu'une fois en France, ot j'ai pass6
unmois à Paris ... Mon Dieu, que cette conversation est bête 1
- Écoutez, je ne vois qu'un moyen d'y mettre fin. Vou·
lez-vous venir danser?
- Si vous voulez.
Les deux jeunes gens se levèrent, quittèrent le parc
délicieux pOUl' retrouver la terrasse eL les salons bruyanls.
Mais Yves n'en éprouvait plus d'ennui; cette jeune personno à l'air excédé l'amusait, et il se senlaH curieux de
faire avec elle plus ample connaissance. Seulement, il
avait compté sans 10 caractère visiblement fantasque de
sa par.enaire.
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPlUS
?. .
13
' Lorsqu'ils arrivèrent sur la terrasse, où se trouvait l~ .
Jazz, un tango déroulait sa mélancolique chanson, e\
~ Yves
enlaça la jeune fille. Il voulut reprendre la conver-'l
'sation, la faire parler d'elle; il ne put y parvenir. Elle
ne lui répondait que par monosyllabes, d'un air ennuyé, jus,qu'au moment où elle lui déclara de la iaçon,1a plus caté J
'godque qu'elle avait horreur de parler en dansant.
:
Yves se le tint pour dit, et maudit en lui-même cette'
gamine, dont l'humeur lui paraissait être exagérmn~
.mobile.
1
~ « Elle aurait besoin d'une bonne leçon, se disait-il. Mai~
ce n'est certes pas moi qui me chargerai de la lui donneq
mieux vaut laisser ce soin à son futur mari 1 »
\
, A peine les dernières notes du tango eurent-elles vibré'
qu'Arlette, sans un mot poli de remerciement, lui échappa,1
', le laissant assez décontenancé. Un peu plus tard, HIa;
retrouva au buITet, entourée d'une bande .l0yeuse, et dl~
lui parut une personne tout à lait dilTérenle de celle qui,'
une heure plus tôt, lui déclarait en bâillant ; « Je m'embète 1
Je m'embête à crever 1 »
\
Le bal touchait à sa fin, et Yves renonçait à éclaircir;
les contradictions de cette jeune personne, - qu'au reste
il ne reverrait p eut-être jamais. Aussi fut-il fort étonné
lorsqU'il la vit, déja revétue de SOli manteau, ot visible-.
ment prête à partir, traverser tout le salon et venir le
rejollldre sur la terrasse.
;
Comme il s'inclinait devant elle, pens'mt qu'elle venait
simplement lui dire au revoir, ct étonn6 il. purt lui do
celle amabilité, olle lui demanda;
- Vous savez jouer au tennis?
- Un peu, comme loull \) monde.
- Bon. Alors vous feroz partio de mon club. Ça ne
vous ennuie pas?
- Muis j'un serai enchanlé 1
- Alors venez donc chez moi demain, vers cinq heures.
meltra au courant. Sept, rue du Maréchal-Lyautey.
On vou~
11 y a un de vos camarades, je ne sais plus lequel, qui
doit venir aussi - vous ne vous embêteroz pas trop. A
demain.
Et elle s'en fut, avec coLLe bruslluerie de mou\'enL~
qui agaça it un peu Yves d, il. la fois, lui plais dl.. .
... Dans la vedette qui le ramonait à bord avec seSi
�14
POURQUOI
N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? ..
camarades, Yves étaiL silencieux. Il uvait encore dans les
oreilles la musique tantôt trépi,dante, tantôt langou1'euse du bal, - à laquelle il mêlait la voix nette
et décidée d'Arlette Grangé, - IndiITérent au joli
spectacle du jour qui, déjà, se levait sur le port tranquille, il s'abandonnait à ses souvenïrs de la nuit .
Malgré lui , c'était surtout le visage de la jeune fille, sa
robe, son corps souple, qu'il évoquait. Il ne s'en inquiétait
pas outre mesure et se sentait même assez porté à se
moquer de lui-même.
« Deviendrais- je innommable, monologuait -il ironique·
menL, et suffirait-il donc qu'une jeune personne ait mauvais caractère pour que je m'intéresse à elle?.. Bah 1
f-luand je la connaltrai mieux, je la réduirai à ses justes
proportions: une enfant riche , gâtée, un peu blaséo de
luxe el de plaisirs faciles ...
Déjà la haute silhouette grise et noire du Brazza se
découpait devant lui. Lorsque la balt!inière eut accosté,
il gravit lestement, suivi de ses camarades, l'échelle
abrupte de la coupée, gagna sa chambre et, un moment
après, ~ ' ondrmit
paisiblement.
Il se réveilla fort tard, ou plutôt il fut réveillé par des
coups violents frappés à sa porte. En même temps, une
voix cordiale eL retenLissante criait :
- Eh 1 Marmotte 1 Va- t-il falloir t'apporter ton déjeu·
ner au lit? Il esL bientôt onze heures 1
ÉtoulTant un bâillement, Yvos alla ouvrir sa porte.
C'était Robert Vernet, 10 jeuno commissaire du bord, et
son meilleur ami.
- Tu n'as pas honte 1 poursuivit-il en entranL. Regarde!
D'un gesLe vif il ouvrit le hublot, quo voilait un épais
rideau bleu. Par l'œil énorme, ouvert soudain, un flot ùe
:lumière envahiL la petite pièco, et Yves ne put retenir un
cri d'admiration. Commo on un délicieux Labloau accroché
'à la m'uraille, dans 10 cercle do cuivre du hublot, il vit
Casabl:mcu, toute blanche, sous un ciel 6tonnummont bleu.
11 commença à s'habiller rapidement, attiré par la journée
magnifique qu'il senLait au dohors. Pendant ce temps, son
ami, avec autorito, développait le programmo de la
journée:
- On va à torre, naturellement, ot tout do suite, tu
n'es pas de service, on déjeunera à Casablanca; hier soir
' )1
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPlUS
7...
15
j'ai déc,o uvert un petit restaurant, je ne te dis que ça 1
Ensuite on circulera un peu, je te piloterai, puisque tu,
n'as pas encore daigné honorer les bicots de ta visite, et
puis, à quatre heures et demie, cinq heures, on ira voir ce
fameux club de tennis de la jeune Grangé.
- Ah! c'est toi qui en fais partie? Ça me fait plaisir.
J'avais un peu peur de m'ennuyeIl, au milieu de ces gensque je ne connais ni d'Adam ni d'1!:ve_
- Sauvage, va! Pense donc comme on va s'ennuyer 1
Ça m'a l'air, au contraire, d'un milieu tout à fait réjouissant, et je suis bien décidé à ne pas les lâcher pendant
toute la durée de l'escale ... D'abord elle est genlille, cette
petite.
- Bah 1. .. Tu sais 1. •. dit Yves avec indifférence.
, - Oui, oui, je sais 1 Toujours indifférent 1 jusqu'au jour
où tu nous amèneras une Mme Yves de Kervall Tu
verras ...
Tout en parlant, Yves avait terminé sa toilette ct,
sui vi du commissaire, il bondit sur le pont. Il se sentait
heureux, plein de vie et d'ardeur, et la courte traversée
du navire au quai lui parut interminable.
Ils allèrent d'abord s'asseoir à la terrasse du Goambrinus, sur la place de France, qui est le centre de la
vie casablancaise. Robert Vernet y développa une théorie
qui lui était chère l
- Moi, vois-tu, quand je veux connaltre une ville, c'est
d'abord au caf6 que je vai!. Ça a l'air idiot, mais çJ. ne
l'est pas tant que ça. On voit les gens du patolin, on les
entend, on prend contact, - ot puis on voit ce qu'ils
boivent, ça fait juger de la mentalité d'une ville. Ain'li,
chez moi, à Sarlat. on boit surtout des vichy-fraises: c'est
ce qui m'a donné envie de m'expatrier, - tandis qu'ici,
regarde, J'honnête porto coule à plcins bords.
Mais Yves ne semblait pas prèter grande attention à la
verve gouailleuse de son camarade. II contemplait, d'un
œil satisfait, l'animation de la foule hétéroclito qui grouillait sur la place de France: les juifs vêtus de leurs
longues lévites noires, aux boulons innombrables, coudoyaient des Europ6ens vêtus à la dernière modo de
France. Les Arabes, dans leurs robes éclatantes, mettaient
des notes plus vives, et les femmes, la figure voilée jusqu'aux yeux, portant, quelques-unes, leurs enfants atta-
�16
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? ••
chés dans le dos, défilaient majestueusement devant là
terrasse du café, sans même jeter un coup d'œil sur ce
lieu de perdition.
On entendait un brouhaha confus de voix s'interpellant
en vingt langues diITérentes . Parfois, dominant le tumulte,
Ic'était le cr! guttural d'un ânier, tâchant de se laire un
,chemin à travers la cohue: « Balelt 1 Balek 1 » - Ou bien
lIa mélopée rauque d'un marchand de fruits confits.
Et tout cela formait une atmosphère de vie intense qui
s'harmonisait parfaitement bien avec les dispos.tions présentes du jeune officier de marine. Il se sentait même de
si excellente humeur qu'il se laissa cirer deux fois de suito
ses souliers, sans élever la moindro protestation, par un
bicot à la mino é cillée.
Soudain, et paraissant sortir d'une profonde rêverie, il
demanda à son ami:
- Qu'est-ce que c'est que ces Grangé? Tu les connais?
- Pas plus quo loi. Mais j'en ai parlé hier au commandant, après qu'ArleLLo Gr.mgé m'eut invité à son club. Il
les connait bien, lui. II pArait que le père Orangé est le
pr! mier banqUier de la place. Fortune 6normo, naturollement et, ce qui est plus curieux, honnête. Parti d' rien:
il a commencé par être g.lrçon do courso de sa banque.
,Et puis, il faut croire qu'il S'l'st débrouillé. Je l'ai aperçu
hier. JI a une LGte do vieux forban: c'esL peut-êtro ce qui
lui a éviLé la peine do l'ô.ro pour de bon. Mais cola n'ôLe
rien aux quali lés do sa charmante Ible, qui, si je ne
m'abuse, l'a lapé dans l'œil ?
pro lesta Yves. P,'flSO donc 1 Elle n'a pas ces~é
- l~e?
do me dire d s choses désagréables. Ah 1 mer
~ i 1 Olle m'a
1 air d'avoir un Orhu caractèl'e. Et puis ...
- Là 1 Là 1 in crromph Robert. Je no L'en demandais
pas tant. Mainlcnar.L je sais co que je voulais savoir.
- Imbécilo 1 dit Yves on haussant les épaulos.
Et la conversation en resta là.
Un peu plus tard, ils aIl èrcnt déje\lner au petit restaurant qu'avait dé "ouvert l'astucieux commissaire.
Ils circulèrenl ensuite d ms les rlles Lortuollses do la
ville arabe, s'amusnnt à marchander los tapis, les brllleparfums ct les innombrables objets dé cuir et de cui vro
qll" prodUIt à profusion 1'lOdustri\J locale.
Mnis, n mesuro que l'heuro avançait, Yves tirait de plus
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS CO&IPIUS
iv~t
én plus fréquemment
?..
17
sa montre. Son compagnon l'obser-
, mais se donnait le malin plaisir de prolong3r ses
dIscussions avec les gardiens' de souks. Enfill, il eut pitié
de lui et, bien qu'il fût à peine quatre heures, proposa le
:premier de se rendre chez les Grangé, proposition qui
:parut combl, r les vœux d'Yves de Kerval.
! Ils regagnèrent la ville européenne.
. Comme il se doit, la rue du Maréchal - Lyautey éLait
la voie la plus élégante de la villo. C'était une hrge rue,
·bordée de jardins d'où s'élançaient des palmiers et des
m"isons pour la plupart dans le plus pur style arabe.
Elles étaient peu élevées - un étage au plus, - ce qui, par
OPposition avec les véritablfs buildings qui s'édifiaimt
dans les quartiers commerçants, donnait à ce coin-là une
allure vraiment aristocratique.
Ils s'arrêtèrent devant la haute grille du numéro sept
et sonnèrent. Ils n'apercevaient pas la maison, mais seulement le jardin, dont l'apparent désordre ra vissait déjà
Yves.
Un jeune Arabe vint leur ouvrir et les conrh.: isit, par
de peLites allées quo bordaient des !lours, vers l'élégante
demeure du banquier Grangé.
Après lour avoir fait trawrser tille petito cour dallée,
où murmurait lm jet d'eau qui s'échappait d'une vasque,
le serviteur les fit prnétl'er dans un espè 'e de pet it
fumoir, tendu de soi ~s aux vives couleurs, dont les murs
étaient ornés de panoplies al' Ibes, et où il les laissa seuls.
Mais les jounes officiers n'eurent guère le loisir d'exa,mincr l'élég mte pièco où ils se Lrouvaient, car ArleLte
GJ'ang6 parut presque aussitôt ct les entra1na vers le
parc. Co parc, situé derrii:ro la m tison, vaste et bi ('n
plant6, était en co moment p!ein de cris ct de rires: il y
a vait là une diZ'\ine do jeunes gens ot de jeunes fill es;
Yves ct son ami les conn::tiss'\ient il peu près tous, en
ayant vu la plupart au bal do la veillo, aussi les pr6s
~ n
tations furent-elles vite fai tes et, sur les deux courts
qu'ombrageaient do hauts cèdres au feuillago gris bleu,
des parLios do tennis s'organislrcnt.
Yves s'y montra d'une jolie torco, ce qui lui valut un
compliment d'Arletto Grang6. Comme il savait quo la
jeune fille n'en éloit pas prodigue, il en conçut une légitimo fierté.
�18
POURQUOI N"AVEZ-VOUS PAS COMl'RIS
7...
Vers cinq heures, on apporta, sur des plateaux, tous
les éléments d'un thé somptueux et, fatigués de jouer et
de courir après les balles, joueurs et joueuses se rassemblèrent pour y faire honneur.
Ce fut alors seulement qu'Arlette aborda la question du
club. Sur un ton comiquement solennel, elle déclara:
- Je vous propose d'admettre dans le sein de notre
club messieurs Yves de Kerval et Robert Vernet, ici présents. Quelqu'un a-t-il une objection à faire?
Comme personne n'éleva de protestation, mais qu'au
contraire des « oui » enthousiastes fusèrent de toutes
parts, elle ajouta, se tournant vers les deux jeunes gens:
- En conséquence, messieurs, nous vous déclarons
membres à vie du Tennis-Club que nous avons l'honneur
de présider. Et maintenant, arrosons cela.
Yves ot son ami, sc conformant au ton solennel adopté
par la jeune présidente du Tennis-Club, remercièrent en
termes émus de l'honneur qui leur était fait, puis, les
form es protocolaires étant définitivement laissées de
côté, une franche galté ne tnrda pas tl s'établir autour
des petites tables surchargées de pâtisseries arabes et do
boissons multicolores.
Un gazon épais et tendre entourait les 'tennis. Mollement étendus, et goûtant en paix la douceur du soir qui
mon lait, les jeunes « tennismen» se reposaient avant
cI'entreprendre la dernière pal'tie de la journée. Près
d'Yves vint s'asseoir Arlette.
Yves l'avait observée tout cet après-midi et n'avait
pu s'empôcher de remarquor qu'il y avait toujours dans
sa galté, dans son ardeur même au jou, quoIque choso do
factice ct comme de Corcé. On el1t dit qu'elle jouait la
comédie de l'entrain. Et Yves ne pouvait s'empêcher de
sc souvenir des mots qu'elle avait prononcés la veille, au
milieu d'un bal joyeux: «Je m'ennuie ... Jo m'ennuie
tellement 1 »
Il la regardait, maintenant, assiso pros de lui, sa
raquotte posée sur ses jambes; ct son visago était tout tl
coup si morne et si las qu'il en Iut presque peiné.
- Vous rnnuyez-vouS toujours autant, mademoiselle?
demanda-toi!.
Arlette so tourna vers lui, souril faiblem ent et haussa
les épaules.
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?..
19
· - Bah 1un peu, mais qu'est-ce que ça fai t? On ne peut
rien y faire, alors 1...
11 n'y avait plus dans son ton ces accents amers et un
peu agressifs qui, la veille, avaient Ull pou irrité le jeune
officier de marine. Il eut vers elle un élan de sympathie
presque irréfléchi, qui lui fit tendre la main .
- Et si vous aviez un ami, dit-il, vous ennuieriez-vous
moins?
.
· Arlette prit la main qu'on lui tendait et la serra en
riant.
- Peut-être, dit-elle, c'est si rare les amisl
Elle se tut un moment, puis continua, sur un Lon plus
bas, avec un visage redevenu grave et tel que l'aimocit
Yves:
- Vous, vous avez de la chance. Vous menez une vie
active, intéressante. Mais que voulez-vous que je fasse,
moi? Je n'ai rien ft faire qu'à j~uer
au tennis, faire des
promenades en auto, écouter toujours les mêmes gens qui
disent toujours les mêmes choses. Comment voulez-vous
que je ne m'ennuie pas?
- Mais savez-vous, dit Yves, qu'il y a bien des jeunes
filles qui voudraient mener votre vic? Elle ne mc parait
pas si pénible ...
, - Ne vous fiez pas aux apparences ...
•A peine cette phrase lâchée, Arlette rougit. Elle parut
genée de s'être en quelque sorte confiée à Yves, et sa
flgur.e reprit d'un seul coup cette expression presque
h?stlle qui, la veille, avait frappé le jeune homme, pour
dire:
- Et puis en voilà assez. Je n'aime pas que l'on
m'arrache dos confidences.
Avant qu'Yves, étonné de ce brusque rovirement, ait
pu protestor, elle était dobout et criait:
-Allons 1 Au jeu 1 11 faut que jo vous mette dehors :l.
huit houres. On a encore le Lemps de faire quelques
parties.
A SOIl appel, tout le monde so lova 01., on un instant, les
équipes furent formées eL les parties organisées.
Yves, cncore déconcerté pal' la sortio brutale d'Arlette,
s'arrangea pour n'y pas prendre part; il restait adossé au
tronc lisse d'un côdre, et il réfléchissait avec étonnement
à la transformation qui venait de s'opérer en la jeUJle
�20
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRiS
7 ..•
fille; elle avait repris sa galtéfactice et son rire sonnaitfaux.
Ces deux aspeds successifs irritaient Yves comme une
hypocrisie. 11 savait bien qu'Arlette était sincère lorsqu'elle lui parlait de son en oui et du vide de sa vie. Elle
avait semb lé accepter avec franchise, peut-être avec plaisir, son ofire spontanée d'amitié. Elle n'avait pas même
paru trouver étrange cette proposition, venant pourtant
d'un jeune homme qu'elle commençait à peine à connaître: c'était donc qu'il ne lui déplaisait pas.
Et tout à coup, sans raison apparente, cette volteface déconcertante ...
« Décidément, pensait Yves, je ne comprendrai jamais
rien au jeunes filles. Je ne sais comment les prend:e. Et
pourtant, il yen a de simples ... »
Et il évoquait la douce image de sa sœur Marie-Antoinette, ses yeux clairs, sa figure sans myslère; puis U
haussa les 6paules :
« Bah 1 Qui sait ce qui se passe même sous ce front
si calme en apparence 1... 'l'out cela est terriblement
compli tué 1 II
li regardait avec envie son camarade Robert Vernet
qui, sans aller chercher de complications, se donnait tout
entier à sa partie de t ennis. Mais, invinciblement, son
attention revenait à Arletle; il suivait son jeu à la fois
hardi eL gracieux et tâchait, on vain, de deviuer l'énigme
de co joli vislge fermé ...
Vers huit heures, tout le monde s'en aUa. Yves remercia sa jelllle hôtesse « de l'agréable après-midi qu'il avait
passé chez ello ", ot il allait partir, peut-être décidé à
à ne plus revoir l'énigmaLique jeune fillo, dont les sautes
d'humeur le troublaient trop à son gré, lorque son camarade, avec la tranquillité d'une âme exempLo de troubles,
l:I'enquil des jours, heures et lieux de ruunioll ÙU TennisClub.
- Mais ici, dit Arlelle ùe Sa voix la plus aimable. Ici
ml\me, tout les jours vers quatre heures. Et j'ospère vous
voir souvent, vous el volre ami, 10 plus souvent
possiblo.
Bile parlait sans regarder Yves, mais Yves senlit que
c'étlÏl à lui qu'elle s'adlossn.it, et ce fut .lui qui répondit,
-senlant d'un seul coup fondre sa rancune, -parl'affirmation chaloureuse que tous les jours où son service ne le
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?..
21
retiendrait pas à bord, il se ferait un plaisir de venir
passer l'après-midi en ce lieu de délices.
L'aimable et gai sourire qui lui répondit sumt à ellacer toutes les impressions pénibles qu'il eût pu emporter
de cette journée.
Comme ils ne devaient rentrer à bord que vers onze
heures, les deux amis décidèrent de faire, après diner,
un~
longue promenade dans le quartier arabe. Ces rues
qU'lIs avaient vues quelques heures auparavant si pleines
de l'animation et des cris d'une foule bigarrée leur
apparurent transformées; dans la nuit, elles n'étaient plus
que de longs et tortueux boyaux noirs, qu'éclairait seulement, par taches dures, Id lumière crue d'une lune implacaLle et où glissaient seulement, de temps autre, de mystérleuses lormes voilées.
Ils entendaient le bruit étoufTé des tambourins et des
flÔ.tes, qui venaient des quartiers de plaisirs situés un
peu plus bas, et où s'étale une sordide débauche.
Mais ce spectacle ne tentait pas les jeunes gens; ces
ruelles silencieuses leur plaisaient mieux, et ils y errèrent
en devisant presque à voix basse.
- Eh bien! disait Hobert. Tu vois que tu ne t'es pas
ennuyé 1
- Non, dit Yves. Pas du tout. Et puis, je peux bien
le dire, Arlette Grangé m'intéresse beaucoup.
Il existait entre les deux jeunes gens une vieille et profonde amitié. Si, parfois, Robert aimait se railler un peu
d'Yv~s,
dès lors que celui-ci lui parlait sériousement, il
savait abandonner le ton de la plaisanterie .
. -Jem'en suis bien aperçu, dit-il. Je peux même te
dIre que j'ai vu que vous vous 6tiez diEputés.
- Presque, dit Yves en souriant; si l'on pout appeler
une dispute quelques paroles désagréables que j'ai
e~tndus,
auxquelles je n'ai pas répondu, et qu'un sourire aimable a elYacées.
- Pour moi, dit Robert, je trouve que tu t'occupes de
cet~
jeune personne un peu plus qu'elle no mo parait en
valOir la peino .
. - .Moi? Dieu quo tu es sotl Qu'cst-co que tu vas
lmagmer?
, - Oh 1 Je n'imagine certainement rien de plus qu'il
n y a. Je me suis borné à vous regarder tous les d~x.
�22
POURQUOI N'AVEZ -VOUS PAS COMPRIS'? .. _
Eh bien, veux-tu mon impression? Elle te platt, elle
t'intrigue, et toi tu lui plais, j'en suis sûr_
- Ça, je ne suis pas encore assez fat pour croire que
j'ai lait une grosse impression sur elle, mais quand
même cela serait, quel mal y aurait-il?
- Mon vieux, tu sais que j'ai l'habitude de te parler
franchement . Par conséquent, tu n'auras pas à t 'étonner
de ce que je vais te dire: à mon avis, Mlle Grangé
n'a pas du tout le genre qu'il faut pOUl' te retenir. Je
J'ai observée, autant hier que cet après-midi; c'est
une petite fille qui a un très mauvais caractère, qui, certainement, est et a toujours été horriblement gâtée et
qui n'a, à mon avis ahsolument rien d'« intrigant ». Tout
son idéal doit se borner à cette vic idiote, que tu as en
horreur autant que moi, ct qui oscille perpétuellement
entre les bals eL les Oirts de tennis. C'est charmant pour
nous, pendant quinze jours, parce que notre vraie vic est
la vie du bord, m ais je n'ai pas besoin de te dire quels
lamentables résultats cela peut avoir SUl' le moral et l'intelligence d'une jeune nlle qui n'a jamais connu autre
chose. EL puis, tu n'cs certainoment pas l'homme des Oirts
sans conséquence.
Yvos écoutait son ami en silence. Un moment, il out
envie de lui rapporter la conversation qu'il avait eue avec
Arletto, pour lui prouver qu'II se trompait et quo, loin
de se düclaror satisfaite de la vie qu'elle menait, la joune
fille en souffrait.
Mais il so Lut, il lui eût semblé, en faisant cela, trahir
la conGance qu'Arlette Orangé lui avait témoignéo, cL
même ce pacte d'amitié qu'olle avaiL paru accepto!'_ Il so
borna donc il répondre :
- Mon cher, je t'on prie, ne t'emballo pas; il n'ost nul1ement fjuvstion de flirL entro nous; tout co que je puis
le dire, c'est que Lu to trompes peut-ôtl'e en jugeant
Mlle Orangé Lellement superficielle. Mais, commo je voi::
que tu ns contre elle un certain parU pris, j'aime miou}C
parler d'autre chose.
Robert Vernet ne voulut pas insister, par crainte de
blesser son ami, et les deux jeunes ofllclers poursuivirent
leur promenade, devisant do choses indifférentes. Mais la
conversalion languissait, car chacun d'eux poursuivait sa
propre ponsée.
�POURQUOI N'AV'flZ-VOI.JS PAS COAIPRIS
?..
23
A l'heure dite, ils trouvèrent à quai la vedette, qui les
.emmena, par les eaux calmes du port, vers leur hôtel
flottant.
.
Rentré dans sa chambre, Yves, comme chaque soir,
reg~da
longuement la photographie de Marie-Antoinette.
MaIS, sur le fin et doux visage de sa sœur, un autre, plus
dé?idé, se superposait. Les paroles de son ami lui revenaIent en même temps en mémoire .
« Tu n'es pas l'homme des flirts sans conséquence . ))
. Et pourquoi, s'il devait y avoir un flirt, serait-ce un
~Irt
sans conséquence? Arlette n'était-elle pas capable de
s nttach(>r ?
Mais cette question, qu'il se posait, l'inquiéta:
« En suis-je déjà là? ))
Il éteignit la lumière, se coucha, chercha en hâte dllns
!e sommeil l'oubli des complications sentimentales et des
Inquiétudes qui en naissent.
CHAPITRE II
Y.v es , dans les jours qui suivirent, tint la parole qu'il
avait donnée à ArIeLle ct vint très régulièrement, prendre
part aux partios do tonnis de la rue du Maréchal-Lyautey.
~l y retrouvait li peu près toujours les mêmes partenaIres et, peu à peu, sc lia ainsi avec ce que Casablanca
cOmptait do plus élégant dans la société des résidents.
RObert Vernet l'accompagnait quelquefois, mais sa
nuture remuante so pliait mal à l'obligation do veni"
régulièl'ement, tous les jours, se li vrer aux mêmes amusements.
Du reste, depuis la conversation qu'il avait oue avec
Yves, ùans les rues mortes de la ville arabe, les rapports
entra l('s deux jeunes gens s'6taient sinon refroidis, du
moins légèrement relâchés. Yves on voulait un peu à
~.obar
d'avoir /Un! jugé Arletto; Robert, de son côté,
B Irritait do voil' son ami s'engager dans une intrigue qu'il
ne POuvait s'empêcher de juger un peu dangereuse, sans
tenIr compte do ses obseI'v~tin.
Aussi les deux amis no
�2~
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? ..
tenaient plus autant que cela à passer leurs après-midi
ensemble.
.
Yves, du reste, y trouvait son compte, car la présence
de son camarade n'était pas sans le gêner parfois; le '
regard légèrement ironique qu'avait Robert en suivant les'
progrès de son amitié avec Arlette l'agaçait souvent.
Quant à celle-ci, depuis la boutade qui avait failli
éloigner définitivement d'elle Yves, elle paraissait avoir
réellement transformé sa manière d'être.
Plus de ces sautes d'humeur pénibles, de ces phrases
amères, qui étonnaient Yves, venallt d'une jeune fllie qui
paraissait comblée par la vie, et avait tant de choses
pour être heureuse. Une Arlette vraiment nouvelle se
révélait il lui, et cette Arlette, il faut bien l'avouer, lui
plaisait beaucoup et de plus en plus.
D'abord parce qu'il pensait être seul à la connaître:
elle difTérait, pour lui, de la jeune fille mondaine et
agitée, qui continuait il courir les thés et les bals; et cela
flattait un peu l'amour-propre du jeune homme. Ensuite,
par certains traits de ce caractère, elle lui rappelait un
peu sa smur, ce qui était le meillour moyen de toucher
son cœur.
La première, après leur semblant de dispute, la jeune
mIe avait fail une allusion il l'amitié quo lui avait oiierte
Yves; cola avait eu lieu dès le lendemain.
Comme les parties élaient organisées, Yves sc tenant
un peu il 1'6cart, elle vint il lui, comme la première fois,
- Vous ne jouoz pas? demanda-t-cHe gentiment.
- Vous voyez, je me repose un peu.
Elle s'assit prés de lui. Il vit qu'elle avait encore sur la
figure ce sourire forcé qu'il n'aimait pas et qu'elle adoptait pour adresser la parole aux indilTérents.
JI souhaitait qu'elle sc tût, craignant. d'entendre d'olle
uno parole peu aimable. Mais ce fut d'une voix jeune ct
gaie qu'elle repri t la parole:
- Je trouve, monsieur, que vous ne tenez guère vos
engagements ... Ou bien avoz-vous tant d'amis que vous
soyez obligé do les négliger tous?
- ~I adcmoisel1o 1. .• commença Yves.
Mais elle ne le laissa pas continuer.
- D'abord, dit-ollo, si vous voulez vraiment être mon
nmi, appolez-moi donc Arlette ... Ce n'ost pas une grâce bion
�l'OURQU,OI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?..
25
extraordinaire que je vous fais : tout le monde, ICI,
m'appelle par mon prénom, même sans me demander la
permission ... C'est promis?
- C'est promi5, Arlette 1
~'étai
la première fois qu'il prononçait ce nom à haule
v.OJx en adressant la parole à la jeune fille. Mais il l'avait
SI souvent murmuré à voix basse que cela ne lui parut
pas du tout extraordinaire.
- Ensuite, continuait Arlette, pour être mon ami, il ne
faut pas que vous me négligiez comme vous le faites.
DepuIS que vous êtes là, c'est à peine si vous m'avez
adressé une seule fois la parole.
- Vous êtes toujours si entourée 1
Il regretta aussitôt cette parole, car il se souvint qu'une
phrase semblable avait sum, lors de leur première entrevue, pour amener des nuages sur le front d'Arlette. Mais,
loin ?e paraître mécontente, la jeune fille tourna vers lui
Un Visage qu'illuminait un sourire charmant.
- Ne soyez pas méchant, dit-elle. Vous savez bien que
tous ceux qui m'entouraient n'ét aient pas mes « amis )).'
(Elle appuya gentiment sur le moL.) 11 me semble qu'on ne
peyt avoir qu'un seul ami, et vous avez voulu être le
mien ...
Le lon léger dont ces paroles étaient dites empêchait
Yves de leur donner un sens plus sérieux que celui qu'Arlette voulait certainement leur donner. Il fut touché,
cependant, de voir combien sa proposition d'amiLié avait
trOUvé d'écho en la jeune Olle .
.Leur conversation se poursuivit sur ce ton mi -sérieux,
ml-plaisant, qui p ' l'met aux cœurs qui se chcl'chent
encore de s'ouvrir plus facilement que dans un entretien
trop grave. Et c'est alors que se dévoila à Yves celte
Arletto qu'il ne soupçonnait pas : intelligente, cultivée,
d'esprit vif, un pou moqueuse, mais bonne et franche,
foncioroment droite surtout, et que tout ce qui n'était pas
loyal révolLai t.
Elle lui demanda s'il Ilvait des sœurs. Yves, qui
n'aimait pas, en général, qui n'aimait guère parler· à dos
étrangers de ce qui lui tonait 10 plus au monde à cœu I',
trouva du plaisir à l'ontretenir de Mario-Antoillotte, do
lour enfanco commune dans le château solit aire .
Adelte l'écoutait, ravie. A elle aussi cette conversation
�26
POURQUOI N'AVEZ - VOUS PAS CO!lPRIS
? ..
ouvrait un monde nouveau et délicieux. Elle était fllle
unique et, d'autre part, le milieu dans lequel elle vivait
ne lui offrait pas d'exemple de ces amitiés intimes entre
frère et sœur, qui ont peut-être besoin, pour so développer, d'un coin paisible d'une province française; les fruits
Jes plus délicats ont besoin d'ombre. Et elle se représentait avec envie, d'après les enthousiastes descriptions
d'Yves, cette lande bretonne, ce port tranquille et ces
plages suns tumulte, où les étrangers n'ont pas encore
porté la souillure de leurs casinos de ciment et de leurs
jazz nègres.
Cette conversation, à l'ombre des grands cèdres, rapprocha davanlage les deux jeunes gens que n'auraient pu le faire
plusieurs jours passés ensemble dans la trépidante vie de
Mes qui était celle de Casablanca ù ceLLe époque de
l'année.
Car Yves ne voyait pas seulement Arlette aux parties
de tonnis qu'elle organisait chez elle; presque tous les
soirs uno réception quelconque les réunissait de nouveau.
Mais Yves n'aimait pas ces heures-là .
Parmi les lumières et le bruit, il ne retrouvait plus ell
tant.
Arlette cetLe simplicité charmante qui lui pbi~at
Elle n'était cependant paR moins gentille avec lui, mais
trop souvent leurs conversations étaient rompues pal'
l'urri vée de gêneurs qu'il était impossible d'écarter. ELce qui
irritait Yves, c'est qu'Arielle ne paraissait pas aussi ennuyée
que lui de ces interupo~,
qui, à son avis personnel,
ôtaient lout charme à leurs entretiens.
Chose curieuse, pas une t'ois pendant touLe cette PNmiore somaine Yves Ile so posa franchement cette question:
" Est-ce quo j'aime ArletLo? »
LI so laissait allor au flot délicieux d'un sentiment naissant, no cherchanl plus il voir clair en lui-m8mo, et tour
à tour simplement heureux où mulheurou , solon qu'Arlello utait avec lui ou loin de lui.
Le jour où son service l'obligea à passer toule une journée à bord, il trouva le temps d6sespérémenl long, mais,
mCIl10 alors, il ne songea pns Ù OCcuper ses lois'~
forcé;;
par une éludo sérieuse de la voie Où il s'engageait et,
simplement, s'abandonna Ù la douceur ùes souvenirs, ou
à imaginer ce qu'Arlette pouvait dire ou fnire à cet in,;Lant préLis.
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS l'AS COMI'RIS
?..
27
Un incident, cependant, l'obligea bientôt à 50 poser la
de la nature du sentiment qu'il éprouvait pour
a Jeune fille .
Yves n'avait pas tardé à s'apercevoir que le Tennis~IUb
de son amie n'avait pas pour objet unique la pratI.que, du sport où s'illustra Borotra. On 'parla , en ellet,
b lentot de randonnées en auto et de parties de camping.
Yv e.s .ne demandait pas mieux que de se mêler à ces
expédItions. 11 désirait beaucoup connaître les environs
~e Casablanca, la côte, et ces curieuses villes de Pinté~Ieur.
Et si, jusqu'à présent, il avait ajourné tous ses pro~ets
~e promenade, c'était uniquement parce que le tennis
e Cinq heures, auquel il n'aurait renonc6 pour rien au
monde,. l'enchatnait à Casablanca d'une façon inflexible.
1 .Aussi accepta-t-il avec enthousiasme la proposition que
~l
fit Arlette, de prendre part à un excursion vers
1 azagan, le " Deauville m<ll'ocnin », dont la plage,
fes 1courses hippiques, le Caliino attirent toujours (In
ou e les élég,lnls de tous Je~ points du Maroc.
Mazagan est, SUl' la côte de l'Atlantique, à cent kilomètres au sud de Casablanca. Mais celte distance, rclati~(lrnot
con~idérable,
n'elTrayc nullement Ics Marocin~.
a rout~,
trb bollo, très large, sans traversée de vi.lIages,
une v6rltable piste d'autodrome, permet des vltesse5
e~trômcn
él"vées et ne Illet Mazlg'ln qu'à moins
dune houre cL demie do Casablanca .
. Le départ s'eJTeclua de bonno houre, au matin d'uM
JOurnée qui s'nnnonç::lit trè, bolle. Il y avait trois autos,
s lesquelles s\!lltnssaientunc douzaine d'excur5ionnistr!\,
H peu pr6s tout l'dlecliC des Orlôlos Il .bitués du TennisClub.
,Yves, d'autorit6, s'embarqua dans la petite Bugntli
d Art.etto, qu'elle avait l'habitude do conùulre seulo, avec
II dul subir la présenre,
hardiesse, mais sans n~rvosilé.
Un peu import1lne, d'un aulre couple, mais il se sentait r,i
Conlent que cela ne put enLamer sa bonne humeur.
Ils s'élancèront sur la large piste, dans un vromhisse'~cnL
oe moteurs Cl, dès los portes de la villo franchies,
Il~ sc mirent à « laire de la vitesse ».
Les trois voitures 50 llvraient au jrll dllogel'eux de so
rl~paMe,
de s'atlendro, do sc filt.troper. YVOIi, pen habitué à ces manifestations sportives, jotait un coup d'cciI
l
qu~!ltion
?lIn
�28
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS CO~IPRS
? .. .
légèrement inquiet sur le compteur de la Bugatti, qui
oscillait entre quatre-vingt-dix et cent. Parfois les trois voitures marchaient de front, à la grande terreur des âniers,
qUI, d'dTroi, se laissaient tomber avec leurs ânes dans les
fossés de la piste. Et Yves, plus d'une fois, se vit sur le
point soit d'accrocher la voiture voisine, soit d'entrer
délibérément cc dans le décor ». Mais Arlette, avec une
virtuosité prodigieuse, paraissait se jouer des difIlcultés.
Cette course dans l'air fra ls du matin finit par ravir Yves.
Vers neuf heures du matin, ils arrivèrent, tous intacts,
à Mazagan, et débarquèrent sur une place tranquille, qui
donnait sur la mer étincelante. Arlette déclara tout de
suite qu'olle ne tenait pas à passer, avec ses amis, pour
une bande de touristes anglais: aussi la petite troupe se
fractionna-t-clle, en fixant soulement un rendez· vous
général au Casino, à l'heure du déjeuner.
Puis, prenant le bras d'Yves, d'un goste à la fois
amical et un peu libre, elle l'entraîna loin de la bande
tumultueuse, pour lui faire visiter la ville et son curieux
quartior portugais.
Yves passa une matinée délicieuse. Il n'imaginait pas
de plaisir plus grand que de visiler avec son amie les
souks indigènes; il mnrchandnit, pOUl' s'amuser, et lui
achetait indiJT6remment une collection do poUls poignards
au manche de cuivre bien travaillé, de:; mouchoirs de
soio aux couleurs violentes, ou des fruiLs bizarres, qu'ils
mangeaient en rianL au milieu du marché arabe.
Ils s'assirent un moment au jardin des plantes, puis
flânèront dans Irs rues ensoloilléos et, vers onze heures,
docidol"enL do so baigner. Tous los deux nageaient bien
ct s'amusèrent comme des enCanLs à so poursuivre dans
l'eau en s'éclaboussant. Comme la mer était excellente,
ils restcrent si longtemps dans l'eau qu'ils finirent par se
meLtro en reLard.
LorRqu'ils onLrèrent enfin au bar du Casino, où Jo
rondez-vous éLait fix6, tous leura amis éLaient déjà là, et
ils furent accuoillis par des exclama Lions un peu ironiques.
QuoIqu'un cria:
« l!:nfin 1 Voilà nos deux amoureux 1 »
Ces simplf' s mots bouleversèrent Yvos, et il eut de la
poino à arfc.cter le calme souriant qu'exig0ait la situation.
On SI: mit à table, dans uno large galerie vitrée, qui
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
7...
29
la mer. Mais Yves, dans le trouble où l'avait
cetle remarque, pourtant sotte ct banale, ne se sentrut pas disposé à goûter le specLlele.
Pour la prem ière fois, la question du sentiment qu'il
éprouvait pour ArletLe se posait devant lui avec insist~nce
et precision. nlUI sembla que cett" con liante amitIé, qu'il avait jusque-là eue pour elle, s'évanouissait et
~ue
maintenant le jeu éta it fini... Aimait-il Arlette?
~ome
il était difficile de r épondre à ce g ··nre de 4 ue3.tlons 1 Pourquoi ne pouvait-il plus continuer longtemps
encore.' jusqu'à son départ, ces relations amicales ct sans
.complications 7 Mais il sentait bien que maintenant cela
é,~ait
impossible. Il ne pourrait plus reprendre avec Arle~
te
,1 entr , tien là où il l'avait laiss6 ... il lui faudrait s'explique:, mettre les choses au point...
.
Ainsi parfois, une phrase indifférente, dite par un indilTérent, suffit à transformer une existence.
Le repas s'acheva. Personne n'avait paru rem arquer le
trouble où se trouvait Yves. Seule, Arlette s'ôtonna de
son air soudain absorbé et soucieux. Elle l'avait vu, loule
la matinée, si gai, si vivant, quelle ne comprenait pas ce
changemont d'humeur.
Aussi, sur la plage où ils allèrent s'allonger, en costume
do
de .bain, pour passer, étendus, les .heures ~haudes
,la Journée, elle s'étendit près de ha ct lUi demanda
avec simplicité ce qui l'avait blessé ou attristé; pas un
m~ent,
en ('/Tet, elle n'eût pu penser que la phrase anod ine
qUI les avait acct:eillis pouvait être la cause de cc revirement.
L'heure n'était pas venue encore pour elle où, à son
tour, elle aurait à s'interroger sur 10 d egré d'alTo cLion
qu'elle portait à Yves. Simp.lomont, clIo sc trouvait bien
auprès de lui, mieux qu'auprè' do Il'importe qui. Elle
~'expliquat
cela en sc disan t qu'Yves dilT6l't\it de tous led
Jeunes gons qu'elle connaissait, jeunes dôswu\TÔS pour la
plupart, /'irteurs sans conviction, q1li la lassaien t. Ello
trouvait, au contraire, la conversation d'Yves ngréable et se
sentait pour lui une immense confiance, mais elle n'avait
jamai., songé à l'amour.
Cetle jeune fille« très lancée )) , qui avait passé sa vie
dans ce milieu mi-colonial, mi-européen, aux mwurs un
peu relâchées, ct qui, parce qu'olle connaissait à fond les
Je~é
. ~urplombait
�30
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? .•
polins et les intrigues de cette petite société, se croyait
sans illusions el revenue de tout, était, en vérité, si neuve
devant l'amour qu'elle n'en reconnaissait point l'approche.
Dès sa première parole, Yves comprit tout cela . Et il ne
p ut s'empêcher de se résoudre à abîmer leur amitié en
jetant le trouble dans cette âme qu'il jugeait, malgré tout,
naïve et pure.
n ne dit rien et se contenta de poser sa main sur celle
,de la jeune flUe. Elle le regarda, un peu étonnée de cet~
réponse muette et de ceUe espèce de familiJrité tendre, quI
n'était pas dans les habitudes du jeune oInder de marine,
Mais il faisait chaud, elle se sont ait bien, près d'Yves,
5ur ce sable tiède; elle n'eul pas le courage de parler.
Et ils restèrent longtemps ainsi, la main dans la main,
devantla mer immense, ct bercés par sa musique monotone.
L'heure de l'explication était passée. Yves préférait garder
pour lui le poids de son inquiétude, inquiétude qui n'était pa.s,
dtl reste, sans douceur, car, dans les regards qu'il laissait
errer sur le corps abandonné près de lui, il y avait
déjà de la tendresse ... el de l'amour.
La journée SD poursuivit dans celte torpeur un peu
sensuelle, propre aux plages de colto côle marocaine.
Vors cinq heures, l'animation J'epdl un peu. Yves, Arielle
et leurs umis suivaient d'ua œil indiITérent les jeux des
enfants dans le sable, los &bats des belles baigneuses.
Enfin, avoc los premiers souInes frais ùu soir, la vie se
ranima complètement. Celle manière do vivre, un peu
animale, paraissait ploine de charmes à Yves, parce qu'elle
lui était peu habiluelle et qu'il lrouvail agréable cel
engourdissement qui l'empêchait de penser.
11 fallait pourtant s'arrachor à ct>lle <1gréable passivité.
Comme on no devait rontrer à Casablanca quo pendant
la nuit, la bando, lasRtio d'ulle trop longue immobilité,
voulail organiser uno soirée sonsationnelle.
Yves ponsaiL qu'il eül été doux de l'ovonir avec Arlette
vassel' la soiréo sur cette plage. m lu jeune nlle aussi,
pout·0tro, y pensa. Mais ni l'un ni l'autro n'osa formuler une
objection au programme auquel Se rallia la majol'ité.
Il leur fallut dlner au Casino, dans celle salle luxueuse ct
banalo quo rion ne diITérenciait dos milliers do restaurants
cosmopolilos répandus sur la face du globe.
On dansaiL entro le5 plats, Oll tumait, et il mesure
�1'0unQu ol N'AVEZ-VOUS l'AS cOMPnr s1.._
31
la soirée, une ga!té factice d'assez mauvai s
u'~vançitq
alOI s'empar ait des dîneurs ei des dîneuses. Plus rien né
l'appelait, n'évoqu ait môme de loin la splende ur de la
mer toute proche, cL dont la voluptu eme musique était
COuverte par les dissonances du jazz.
Après ce dlner, cc fut la promen ade à travers la ville
qui s'endor mait. Mais, sans un regard vers la plage, ils
allaient de bar en bar, vider les derniers cocktails,
assourdis de musique bruyant e et la t ête lourde d'alcools
plus Ou moins' frelatés.
Enfin, il fallut songer au retour; ce fut un soulagement
pOur Yves. Il reprit S' l place du matin à côté d'Arlett e,
et la voiture, de nouveau , fonça dans la nuit claire.
Ce fut une courae folle. La route brillaiL sous la lune
éblouissante ct, tous feux éteints, la Bugatti dévorai t
les kilomèt res avec une régular ité de record.
A l'arrière , le couple fJui occupai t les places du fond
avait comme ncépar proteste r contre cette oxcessive vitesse,
puis s'était tu, vaincu peut-êt re par le sommei l.
Yves avait vraimen t l'impression d'ôtre seul avec Arlette,
de Courir avec elle un d _lIlger. Mais il jeta un regard sur
profil lendu, volontairo, ol comprit qu'elle n'aurait
~on
Jamais ùosoin d'étro prolégée.
Ill'oû t aimée, en ce mOOlont, pl1ls douce, plu!! féminine;
mais li était écrit quo colte enfllnL énigmati lue 10 déconCerterllit toujours. Elle ne disait pas mot, attentiv e seulement à sa roule' ot à son indicate ur de vitesse; elle no
à la COll\'ereation banale qU'Il lontait
réponda it pas mO~e
d'entam er.
qu'elle lui était
Et Yves out de nouve:m l'impre~\on
quelqu' un qu'il
à
r
d'amou
parlor
r
-il
6t nngôre. Pouvait
.
,
onnaisaiL si pou? qu'il ne reeonnn!Mait jam.i~?
t
arhevol
s
Amsi
.
trlstesso
la
par
vahi
011
Yves 50 sentit
cette journée si joyeusoment commencée. On n'enten dait
loin
mOme plus 10 bruit des aulres voituros, l ai~sée
dcrriôre, semées. 1..0 jeuno officier do marine se laissa allor
à une vague somnolenco.
Soudain Arlette articul a:
« Casablanca 1 »
C'était vrai: déjà les murs d" la cilé apparai ssaient,
éclnirés par ID. lunp, comme oouvorl$ de neige.
- Nous avons mis une heure dix, dit Arlette. C'est mon
�32
POURQ UOI N'AVEZ - VOU S pAS COMP RI S
? .•
record . Ell e ralentit pour passer la haute porte crénelée, la'
Porte de France.
- Où faut-il que je vous laisse ? dem anda-t· elle.
- Où vous voudrez. Ne vous dér angez pas pour
moi.
E lle parut hausser légèrement les épaules, mais poursuivit sa ro ute et ne s'arrêta que devant chez elle. Yves
sauto. légèrement il t erre malgré l'engo urdi ssement de ses
Jambes.
Ils n'échangèrent qu'un r apide adieu, inexplicablement
froid, comme si le ur s il e n ~ e mutuelles avait sép ar és. Yves
s'en fut vers le p ort, sans se retourner, l'âme en détresse ,
la tête lourde.
Déjà los étoiles palissaien t, l'aube était proche, et il lui
t ardait de regagner sa cham bro, mais il so demandait p ar
quelle voie, car la vedette du b ord ne devait p as venil' à
lerre avanl six h eures un matin . .JJ:nfln, il découvrit un
jeune Ar ab e, endormi d ans sa barque ; ill'éveiJla, un pe u
Lrutalement, pris d' un e ma uvaise hum eur qui croissait de
minule cn minulc. L'i ndi gàno, moyenn ant un bon p ourh o:re, et apres UIle long ue diseussion, consentit il l'a men er
jusqu'au cuirassé.
Cc Cul avec un soupir de soulage ment qu'Yves posa le
pied sur 1'6.r oit escali oJ' de la cou p6e. Dans ce tLe maiso n
JlotlanLe, son vrai foyer, il se sentait à l'a bri. 11 lui semblait
que les inqui éludes, les mesquineries de la vie des ~ Lorriens .
no pou vment venir le cher cher jusque- là .
Dans sa chamb re , il trouva, bien en vue sur la t able,
un o largo enveloppe bleue qu'il connaissa it bien: c'était
une lel lro d\l Marie-Antoin 'lle . Mais il élait si las qu' il
remit au lende main Je soin de l'ouvrir et s'endormit d'un
so m meil lourd el S1 n s r 0vos .
11 cu L un l'éveil mor030 .
Avanl môrno que 10 souvenir do la trislo fl n de journ6e
de la voille lui fû revenu. il SJ se n ~a i l envahi de tri s l es~
;
l'éh lo\lissnnt · lumièr e de la rado ne pu t même lui r endre
S,l honno hum our. JI sentait, sans pouvoir dire au juste
pour qu 11" l'aiHon, que le bonheur qu'il avait goûlé tous
les jours p ré" .6d on' s é t ~ it nni.
Jl avnÎL pri s consdenco du sentiment qu' il éprouvait
p our Arlelle; il savait que c'6tait l'amollr. Et ce tle rêv é-
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?..
33
lation, loin de l'emplir de joie, lui avait fait perdre toute
sa paix.
Il ouvrit la lettre de sa sœur; en ces moments de
dépression morale, d'inquiétude, il avait du plaisir à
retrouver par delà les mers la pensée du seul être qui lui
restait de sa famille.
Hélas 1 Il devait trouver dans cette enveloppe bleue une
cause nouvelle de souffrances 1
En effet, à la letLre de sa sœur était jointe une autre
missive, d'une écriture qu'il ne connaissait pas. En remet·
tant la lecture à plus tard, il prit d'abord connaissance des
pages de Marie-AntoinetLe.
fille lui annonçait d'un ton léger, commo s'il se
fû La j~une
t agl d'une chose de peu d'importance, qu'elle était
souJTrantc depuis plusieurs jours, et obligée mÔme de
garder le lit à l'infirmerie de son collège.
Yves fronça les sourcils. Il revit le corps frêle, le visage
Un P~u
pale do cello qu'il aimait tant, et une horriblo
angoisse s'empara de lui. 11 déchira vivement l'autro
enveloppe.
C'était une lettre de la directrice.
« Monsieur,
«. Je me permets de joindre ce mot à la lettre de madem~seli
de Kerval pour vous Caire savoir exactement ce
qu Il en est de la santé de votre jeune sœur.
~ Comme elle vous le dit, nous la gardons depuis une
{Ulnzaine de jours à l'infirmerie; pour ne vous rien cacher,
e. docteur est assez ennuyé. Tl n'y a aucun danger immédiat, mais il est certnin que mademoiselle de Korval a un
Poumon légèroment atteint. Notre docteur estime, d'une
P~rt,
qu'il serait tr\!s profitable pour Marie-Anloin'tte de
séjourner quelque lomps à de hautes altitudes, dnns un
établissement où elle recevrait des soins plus conformes à
se~
besoins et, d'autre part, qu'il n'est pas prudent de la
laisser plus longlemps au milieu de ses compagnes.
« Nous attendens, monsieur, la décision que vous prendrez ct qui nous paraît sinen urgente, du moins très
réellement press6e .. . »
Yves al terré, rossa do lire.
~om
ArIelle, maintenanL, élniL loin do ses pensées 1
L'mqui6lude précise du dangor quo peuvait courir MarieI\ntoinette avait suffi à balayer teuLos ses vagues tristesses.
2
�3~
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? ..
Marie·AntoineLte 1
Toute petite, sa santé avait déjà inspiré quelques inquiétudes; mais la vie saine qu'elle avait menée près de la ij1er
bretonne avait vite fait de consolider ses poumons, et elle
n'avait plus, depuis de longues années, donné le moindre
signe de faiblesse. Cortes, elle était toujours restée un peu
fragile, mais de là à ...
Yves se refusait à prononcer l'horrible mot.
Pourtant, il avait bien compris ce que la directrice voulait lui faire entendro. « Les hautes altitudes », évidemment, c'était le sanatorium, les longs mois, peut-être des
années, que la pauvre enfant devrait passer étendue. Et
au bout de tout cela? Yves so senLit frissonner.
Il reprit la lettre de sa sœur. Elle était longuo, toute .
pleine do ces détails un peu puérils SUl' sa vie do pensionnaire qui faisaient toujours souriro Yves. Mais il trouvait
aujourd'hui, à la gaîté de Mario-Antoinette, quelque choso
de poignant. Il suvait quelle gravité. quelle maturité do
jugement so cachaient sous les dehors si jeunes de sa
sœur.
Une phrase lui nt venir les larmes aux yeux:
« Mon pauvro Yves, disait la jeune fille, si je suis malado
longtemps, je te demande bien pardon des soucis do Loute
sorto que jo vais te causer. Je sais bien que nous no
Sommes pas riches ...
« Je sais bien que nous ne sommes pas richos ... »
Pour la première Iois, Yves envJsagea la question sous
son angle matériel.
Évidomment, le voyage qui s'imposait, le trallemont
peut-ôtre fort long et assurément fort eoûteux, feraient
un largo trou dans ses 6conomles.
Et Yves rougit.
11 songea à l'argent qu'il avait folloment dôponsé, la
voillo, les jours pr6cédonts, pour so tenir au nivoau do la
vie quo menaient Arlotte et ses amis.
Et sos plaJsirs lui parurent soudain coupables, qui pri.
veraiont peut-t:tre sn sœur d'un peu de joio et de bien-être.
Comment aurait-il maintenant le courage de dépenser pour
s'amuser?
Il comprit aussitôt que c'en était tait de toutes ses
relations avec Arlette. Comme 'il l'avait obscur6menl senti
depuis la veille au soir, il devait rononcer pour toujours
�POURQUOI N' AVEZ -VOUS··PAS·-C01d P1Us7.. .
~ !35
à l'amitié , --.: puisqu'i l ne pouvait pas parler d'amou r, _
.de la jeune nIle.
Mais son sacrifice, qu'il fit stoïque ment, sans arrièrepensée, lui parut moins lourd qu'il n'avait craint: un grand
devoir se dl'essait duvanl lui, auquel il ne pouvait ni ne
voulait se refuser, et qui suffirait, certaine ment, à comble r
le vide volonta ire de son cœur.
El il ne voulait plus songer à Arlette que comme à une
amie perdue.
Assis à sa table, la tête entre ses mains, il se mit à méditer la réponse qu'il devait faire à la lettre de la directri ce.
A Co momon t, on heurta à sa porte ;
- Enlrezl cria-toi ! d'une voix bourrue , ennuyé d'être
; mais presqu' aussitôt son visage s'adouc it: c'était
d~rangé
Robel'L Vernot.
Les deux amis no se voyaien t plus guère, cn dohors des
heures de sorvice ot dos repas qui les réunissa ient au
e il
« carré ». Robert, s'lI n'avaiL jamais reparlé d'ArleLt
Yves, n'avait pas moins continu é, par toule son attitude ,
~ manifes ler qu'il désappr ouvait toujour s son ami de
s engager comme il le !aisaiL dans co milieu; et Yvos,
qui sentait bien cette désappr obation mueHe, s'en irritait
un peu.
Mais, en co momon t, son cœur blessé avait un tel besoin
d'amitié , el il savait si bien que colle de Robert était
restée intacte, qu'il lui Ot Je plus aimable accueil.
- Bt alors, vieuxl voi ci longLemps quo tu n'étais pas
Venu me voir 1 Assieds · Loi. Cigare Lle?
.
- Volonli ers.
le
sur
s'assit
Robert
;
fauteuil
son
dans
resté
YVQS était
lit éLruit. li l'es La un momen t silencieux; mais il avait
ûvidcm ment quoIque choso à dire. Yves le vit bien, ù la
Iaçon norvouse dont il tirait sur sa cigarett e, aux regards
qu'il promen ait sur les murs de la petite
d~strail
Plèco.
11 se décida enOn:
-:- Mon vieux, dit-il, je viens te demand er pardon. Je
n'al pas ût6 chic avoc Loi cL je mo suis m&lé de co qui ne
Ine regarda it en rien.
Yvos lui tendit aussitôt la main:
- Imbécil e 1 voux-tu te Laire. C'est moi qui ai un
sale caraclè re 1
�36
POURQUOI N'AVEZ-VOÙS PAS COMPRIS? ••
Ils échangèrent une chaude poignée de mains, qui fit
disparaître jusqu'au souvenir de leur petite querelle.
Le cœur soudain léger, Robert se mit à parler d'abondance ; évidemment un si long silence vis-à-vis de son
meilleur ami devait commencer à lui peser.
- C'était trop bête, dit-il, de se faire la tête pour une
jeune fille qui te plalt et qui ne me plaît pas, enrill, pas
trop. Si elle nous plaisait à tous les deux, encore, ça
pourrait se comprendre à la rigueur, mais ...
- Rassure-toi, dit Yves soudain redevenu sérieux,
c'est fini. Je ne la reverrai que le plus rarement possible.
Robert regarda son ami avec un peu d'étonnement et
d'inquiétude.
- Quoi, dit-il. Vous vous êtes brouillés? C'est idiot.
Déjà l'excellent garçon se sentait tout disposé à rame·
ner la paix entre Yves et son amie, lui qui, si peu de
temps auparavant, s'irritait de les voir toujours ensemble.
- Non, non, dit Yves en souriant un peu tristement.
Rassure-toi, nous ne nous sommes pas brouillés, même
pas disputés. Mais je deviens raisonnable.
Et, en peu de mots, il raconta franchement à Robert
que sa fortune, c'est-à-diro les maigres économies qu'il
avait pu faire, ne lui permettraient pas de mener longtemps la vie qu'il menait depuis une quinzaine de jours,
et qu'en plus, la santé de sa sœur lui donnant de
très sérieuses inquiétudes, il se sentirait coupable en
distrayant une partie - aussi petite sail-elle - de cet
argent qu'il devait conserver uniquement au bien-être et
à)a guérison de Marie-Antoinette.
Dès les premiers mots, Robert s'était levé et était
venu près de son ami.
- Mon vieux, dit-il, tu sais que je suis là. Je suis seul
au monde, j'ai quelque argent, et je ne puis mieux te parler
qu'on l'invitant à le considérer comme 10 lien. Quand il
s'agit de la sant6 d'une jOUIlO fille, co n'est pas le moment
do faire de la fau sse d6li catesso.
- Morei, dit Yves. POUl' 10 moment, j'ai tout ce qu'il
faut. Mais, le cas échéanL... Je te remercie do ton offre.
Sous la banali té des propos, il y avait une émotion
intense , que peuvont Reuls comprendre ceux qui savent
ce qu'est une amitié entre hommes. Pas d'offres théâtrales,
pas do phrases, oas de relus émus ...
�POÜRQU OI N' AVEZ-VO US PAS COMPRIS
?..
37
. Mais Yves regarda son ami et, à la pensée qu'il avait
rIsqué de perdre quelque chose d'aussi précieu x pour les
beaux yeux d'une jeune mIe capricieuse, il sourit et haussa
les épaules.
Déjà tous deux s'étaien t ressaisis, cachant sous des
paroles banales l'émotio n qu'ils venaien t de ressenti r.
Ils écrivire nt en collabo ration une lettre à la directri ce
du couven t de Marie-A ntoinett e, par laquelle Yves la
priait de remettr e la jeune fille entièrem ent aux mains du
qui l'avait soignée jusque- là, et de laisser celui~édecin
de la
?l prendre toutes dispositions pour le transpo rtimporchèque
Un
station.
d'une
choix
le
et
Jeune malade
fut joint à la lettre, ot les deux amis, réconciliés, se
t~
dtrlgère nt vers le « carré )) .
L~ convers ation était toujour s fort animée aux repas
des Jeunes officiers . Mais, ce jour-là, elle fut particul ièrement vive.
n ne fut guère question, en eITet, que de la réceptio n à
bord qui dovait avoir lieu quelques jours plus tard, et
par laquelle l'état-m ajor du Brazza comp tait rendre en
une seule fois toutes les politesses dont il avait été accablé .
La mise au point du program me des réjouissances était
du ressort du commis saire du bord, mais ses camara des
ne lui ménage aient pas leurs conseils ni leufs suggestions.
Yves et Robert prirent une part active à ces débats.
, Pour Yves, ils étaient teintés d'une secrète mélanc olie:
I~ pensait en effet que ce serait l'une des dornières occala dernière , qu'i! aurait de voir ArletLe, car il
~ino
SIO~,
bien décidé, d'autre part, à n'accep tor plus aucuno
~ta
ln:rüati on à terre, età n'aller plus chez la jeuno DIlo que pour
faIre la visito qu'il lui devait avant 10 départ du batoau.
. Quant à Robert, sa bonne humeur soudain retrouv éo,
Il se mêlait à Ja convers ation sans arrière- pensée et avec
le soul d6sir d'organ iser quelque chose do r6ussi.
;' la' vie par'ut 'ropre'nd're 'so~
s 'pa~sèeL
'jo~r
Quoiq~s
COurs normal. Yvos éLait obs6d6 par la pens60 do sa sœur
malade ot loin de lui. 11 on venait à on vouloir à ce métier,
qu'il aimait tant, ceponda nt, mais dont los obligati ons
l'empllchaiont de voler vers Marie-Antoinotte ot de lui
apporte r les consola Lions do la pr6sence d'un être cher.
11 attonda it les courrier s avec impatie nce, imagina nt
�38
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? .•
tout ce que devait avoir de pénible pour sa sœur ce
voyage solitaire vers quelque sanatorium des Alpes ...
Un jour, le vaguemestre, qu'il croisa, lui annon;a qu'il
venait de lui meltre une lettre dans sa chambre. Yves y
courut.
C'étaient une enveloppe, une écriture, qu'il ne connaissait pas, différentes de celles qu'il attendait, mais qui lui
firent battre le cœur.
Et son cœur ne l'avait pas trompé, c'était bien Arlette
qui lui écrivait; quelques mots seulement, pour se plaindre
de ce qu'on ne le voyait plus jamais au club de tennis.
C'étaient des phrases banales, mais qu'Yves ne peut
s'empêcher de lire et de relire, y cherchant, flOUS le vague
d.:;s mots, quelque inlenlion particulière, - el s'en voulant
de sa recherche ...
Le lrouble où l'avait jeté ceUe simple lettre l'inquiéta.
N'avail-il donc pas fait, une fois pour toules, le sacrifice de co rêve à peine caressé? Faudrait-il, à chaque
inslant, recommencer ces p6uibles débuts, celle lutte douloureuse enlre son cœur et son devoir?
Il jeta encore nn long regard sur 10 papier élégant,
l'écrilure ferme et décidée, presque masculine. 11 eût
voulu décllirer cotte loUro, on joter les morceaux par 10
hublot Mant el los voir, éparpillés par le vent, s'en aller
loin de lui; mais il la plia et la mil dans son porlefeuille .
.Bt puis il lui fallut bien répondre : n'étail-co pas la
politesse qui l'exigeaiLl JI médita longuomenl sa lettre,
pour qu'clle ne parût pas trop froide (qu'avait-il, au
fond, il reprocher à celle pauvre ArIelle?), POUl' que l'ion
non plus Ile décelâlla luLle intime dont sou âme 6Lail le
théâtre.
11 6cri vil enfin:
Mndemoisolle,
« Je me sens vraiment coupable il votre égard, et vos
reproches me paraissent plus qlJe jUHli[j6s.
CI Aprôs l'aimable accueil que j'ai roçu chez vous, j'aurnis
a1l moins dû vous avertir que mes obligations do mélier
ne me permeLLraiont pas do passer loul mon Lemps il
jouor au lonnis. Cl'oyeL bien que je duplore (l'ôlro privl'l
des charmants aprôs-midi que je passais près de vous
et des membres de votre agréable club.
«
,
•
«
«
"
cc
�POUll.QU OI N'Av't:-Z- VOUS PAS CO~IPRHr?_
- 39
jours,
a Nous nous reverro ns cependa nt d'ici quelque s
I?uisque vous figurez au tout premier rang des illustres
• Invités que nous aurons le plaisir de recevoi r mardi
« prochai n.
« Veuillez agréer, mademo iselle, mon respectu eux
« sOuvenir. »
«
Yves relut bien des fois sa lettre et la trouva désespérément froide. Il fut sur le point de la refaire encore.
Pourquo i ne pas appeler la jeune fille par son prénom ,
comme lorsqu'i l lui péU'lait? Mais il eût alors faJlu écrire;
« Ma chère Arlette » ••• Et Yves avait peur de se laisser
entraine r .
. I;>ans la lettre qu'il avait reçue, elle )'appela it « Mon
VIeIl Yves ... » Mais elle, parbleu , ne l'aimait pas .. .
1 Lassé de ces hésitati ons, il prit le parti de fermer sa
ettre et de l'envoy er telle quelle.
Et, de nouveau , sa pensée se reporta il sa chère malade.
11 en reçut des nouvelle dès le lendem ain malin; une
lettre, oncoura geante, gaie, et qui lui remit un peu
lengu~
de paIX au cœur.
, Marie-Antoinett e s'apprêtait à quitter Je couvent de La
ftochelle, pour Saint-A stié, une petite station du Valais,
eù l'emme nait lui-mêm e le docteur , pour un séj our qui,
,a.ffirmait-elIe, n'excéd erait sûreme nt pas cinq ou six mois,
e,
a Cc qui me faiL le plus de peine en quittan t La Rochell
écrivait. la jeune fille, c'est l'idée de rester si longtem ps
Sons VOir ta fiancée ... »
C'est ainsi, en eITet, qu'elle appelai t la mer, pour qui
'Yves a vaU toujour s montré une véritabl e passion. Mais
cette phrase nt sourire le jeune 'homme un pou amèrem ent.
« C'est vrai, se dit-il, j'ai déjà une fiancée. Peut-êt re
n'ai-jo pas le droit d'on désirer uno soconde? »
Ainsi, involon taireme nt, il ramena it tout à Arlette et
~ la cruelle décision qu'il avait priso de ne pas s'aband onner
a la tenùrosso qui 10 poussai t vors elle.
S'Il avait pu savoir l'oITet produit par la lettre qu'il avait
envoyéo à .I a jeuno Casablancaisc, il n'eût pas manqu6
d'Otre ft la fois heureux et tourmen té.
Grangé, en cITet, l'avait reçue dès le lendema in
A~let
matin, ct Res réac lions n'auraie nt pas manqué do paraître
à Yves ùes plus curieuses. En la recevan t, en aJret, cotte
�~o
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? .•
jeune personne si « lancée n, si « de son siècle ", n'avait
pas montré moins d'émotion que la plus sentimentale des
petites pensionnaires.
Elle, à qui on laissait toute liberté, et dont les parents
étaient eux-mêmes bien trop occupés de leurs aITaires et
de leurs plaisirs pour la surveiller de bien près, se crut
cependant obligée de s'enfuir, pour lire cette lettre, au
bout du parc, et en son endroit le plus touffu. Peut-être
aussi choisit-elle cet endroit, ce banc qui dominait la
mer, parce qu'on apercevait entre les branches des pins
la silhouette massive du Brazza?
Toujours est-il qu'elle se conduisit comme si elle attachait à cette lettre une importance exagérée et bien peu
digne d'une jeune fille « qui ne comp tait plus ses flirts» (
Mais, lorsqu'elle l'eut déchiffrée, ce fut bien une autre
affaire 1 Qu'attendait-elle donc?
Dès le premier moL ses sourcils s'étaient froncés. Ce
« Mademoiselle» lui parut d'une froideur excessive, et le
Lon général de la lettre mit le comble à son énervement
d'abord, puis à son irritation, à son exaspération enfin,
exasp6ration qui sc Lraduisit non par de vaincs d6monst.rations de fureur, mais par une vivo rougeur et un « c'est
bien », dit d'une voix décid6e et bien capable d'inquiéter
môme un ofliciel' de marine 1
Pour êtl'o Lout à !ail exacts, nous ajouterons qu'ello ne
déchira pourLant pas la lettre, ni même ne la chifIonna,
mais qu'elle finit, comme l'avait faiL Yves, par la plior
soigneusemenL et la meLtre dans sa pocho.
Seulement, à ceLLe série de manifestations, elle en
ajouta une dorniùre, et qui ne fut pus la moins étonnante;
elle se mit à pleurer.
Les larmes inattendues jouèrent pour ello le rôle qu'avait
joué pour Yves la phrase entondue à Mazagan: (( Voilà
nos deux amoureux». Elles lui firont prendre conscience
du vÔI'ÎLablo sentiment qu'elle avait éprouvé pour le jeune
ofllcier. Ello connuL à son Lour le trouble dans lequel Yves
avaiL été jeté par cotte révélation et, peut-alro, s'il eOt
été à côté d'clic on ce moment, n'eOt-elle pas ou la force
do résisLer et eût-olle avoué, sur-le-champ, qu'clIo aimait...
Mais Yves n'éLait pas là.
Do lui, ello n'a vaiL que cetto lottre, indiIT6ronte, presquo
froide; au loin, ello vit encore la silhouoLte massive, et
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?. .
41
qui lui parut soudain hostile, de l'énorm e cuirassé .. . , et
sa réaction ne fut pas du tout la même que celle
d'Yves.
Le cœur du jeune homme sè fondait de t endresse au
seul souvenir de ce moment charmant, où leurs mains se
rencontrèrent et s'unirent, sur le sable de la plage; le
~ême
souvenir blessa la jeune mie, comme une hypocrisie
d Yves, quelque chose de vil.
(C PUisqu'il ne m'aime pas, il n'avait pas le droit... »
~u'ils
étaient loin, les principes de {( libre camaraderie J)
qUll'avaient guidée jusque-là et lui faisaient jadis considérer comme sans conséquences des choses aussi insignifiantes que des serrements de mains 1
qu'elle eut essuyé ses larmes, il lui sembla qu'elle
, Sit~
n aV~lt
plus pour Yves que de la rancune ... Mais c'est un
sl,:ntl.men t qui est plus près encore de l'amour que de
Indlllérenee,
CHAPITRE III
L? dimanche, Yves assistait en général à une messo
l e, dans uno petite chapelle de Casablanca, dont il
aImait la pauvreté et le recueillement.
Mais le dimanche qui suivit son échange de lettres avec
Arlotte, son servi'O le retint à bord jusque vers onze
heures, en sorte qu'il ne put aller qu'à la messe de midi.
Or, à Casablanca la messe de midi est la messe dite
« chic ». Les famÙles s'y transportent au complet, vêtues
de leurs plus beaux ato~rs.
C'est là que les femmes inaugurent leurs chapeaux, leurs robes; on se retrouve, on
parle, on organise des parties en communpourl'aprùs-midi .
C'était cc lohu-bollu sans piéti6 qui écartait toujours
Yves des messes « mondaines ». Il fut pourtant bien
obligé, cc dimanche-là, d'en passer par là et, flanqué do
Robert, redevenu son inséparable compagnon, il se diri·
gea, le moment venu, vers l'él6gante assemblée.
Évitant la cohue de l'entrée, les deux jeunes gens
paSSèrent par une petite porto latérale et purent gagner,
nOn sans avoir 11. r6pondre à maints saluts ct signes de
~atl
�42
POURQU OI N'AVEZ -VOUS PAS COMPRIS
? ..
l'OCOnnQi03anCell, un coin plus propice à la prière que la
froufrou tante nef centrale .
L'office commença presque aussitôt .
Mais Yves, peu à peu, se laissa envahir par le rêve:
les chants liturgiques, les mélodies de l'orgue bercère nt
sa rêverie . 11 se voyait, dans cette même église, à côté
,d'une Arlette toute de blanc vêtue. Dans une sorte de
rêve éveillé, il reconst ituait l'émouv ante cérémonie. Les
détails affluèrent à son esprit comme dans une véritab le
hallucination, et il trouvai t à s'y abando nner un plaisir
q\Ù n'allaH pas sans amertum e.
Soudain, il tressaillit : ses yeux, qu'il laissait errer au
hasard sur les gens qui l'entour aient, venaien t de rencontrer le prom de celle qui lui était trop chère ...
Au même momen t, et comme ob éissant à une secr èto
attracti on, clIo se retourn a et le vit: quelques mètres
seulement les séparaient. Yves so senti t rougir, comme si
la jeune fille avait pu lire en lui le rêvo qu'il poursuivait.
) Mais les yeux d'Arlett e p assèren t SUl' lui sans se fixer,
avec une indifTérence qu'il no crut point feinte, et la jeuno
fille relourn a la t êt e.
Yves se demand a avec angoisse si ell e avait pu se
rendre co mpte do son troubl e fugitie. Cello id éo l'occup a
jusqu'à la !ln de la cérémoni e, mals il ne put rencont rer
de nouveau le regard d'A rIeLLe.
Enfin, au milieu du t onnerre des orgues, ce CuL la sortie.
Sur les pavés, des group es se constitu aient, obstru aient
le passage ct rendaient difficilo 1'6coul oment do la Coule.
Yves ct Rob ert t ontaion t de se dégager , redoutant d'Otra
absorb és dans l' un do cos groupes, de nC' plus pouvoir !l'arra ch er aux amablli lés n peu absorba ntes dont ils étaient
toujour s l'obj ot.
Ils aV<l icnt, en eITet, form6 le projet d'all er passer un
aprOs -midi tranquillo il R abat et ne 50 souciaiont pas
de se faire escortor d' uno band o bruy:mte.
Or, au momen l où il s so con sid éraient comm e sauv6H,
ils sr jt't èr enl littéralement sur la bande au complo l du
:' Tennis- Club » d'ArIeLL e. A moins do s'enfuir impolim ent,
11 n'y avait pas moyen d'y 6choppor, il s 50 16 i ·
gnèrenL.
Arlette aussi (!l ait lb.; au moins n' avait -pllo fait aucun
mouvement pour arrêler ni retenir lu!:! jounes gons. Ell e
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?..
43
répondit de la tête au salut courtois d'Yves et parut se
désintéresser de la conversation qui s'engagea.
Ce furent d'abord des exclamations de surprise, des cris
de joie : un vrai pépiement de volière, car l'élémen t
féminin dominait. On s'étonnait, on s'indignait de la dispari Lion prolongée d'Yves; la veille, on ne l'avait même
pas vu au bal du général; on lui demandait des explications : n'avait -il pas été malade? Quelqu'un suggéra qu'il
aimait en secret une belle Arabe et passaü ses jours il
soupirer sous les fenêtres grillées de sa belle ...
Le pauvre garçon ne pouvait que répéter, avec un souriro contraint, les mots « Service, obligations .. , 1 » s'abritant derrière eux du mieux qu'il pouvait,
Mais son esprit élaiL ailleurs : il surveillait Arlette,
s'irritait do la voir 10inLaine, indiITérente à l'attention
donL il était l'objet; elle s'étaiL un pou dégagéo du groupe
tumuHueux, eL Yves la voyait sourire, causer avec un
jeune homme, qu'il connaissait de vue, eL qui lui devint
sou dain profondément antipathique.
- BLes-vous des nôLres jeudi soir? demanda d'uno voix
perçante MilO Dclanoë, une brune sans beuvté, mais pleine
d'un entrain dévastateur, el qui remplaçait le charme discret convenable à son âge et à son sexo par des manières
brutalos, qu'elle jugeait irrésislibles.
- J~l je vous promeLs une belle rig-olade ; c'est la vraie
viréo 1 ajouta-L-elle, on trouvanl dOi:! accents plus aigus
encore que les précédonts.
Yves duL avouer qu'il ignor:üL complcternenL on quoi
consistaiL l'expédiLion du jeudi soir, annoncée en tOl'mcs
!,j clIgagoan Ls. Ce Iuront do nouvolles exclamations:
Il Comment! 11 no savait pas co qui so passait jeudi soir?
Mais d'où sortait-il? Que! sauvago était-il donc dovenu ? »
Enfin, nu miliou des poLiL!; cris de cos demoiselles, la
Voix pCl'çanle do la jeune !>elanoü lui fit comprendre qu'il
s'agissaiL de l'en ou vele!' la soirée il Mazagan.
Al azagan 1 Ce moL !il ressurgir un monde do souvonirs :
c'étaiL l'évocation des demières heures heureuses qu'il eût
}HlHs6es auprès d'Arlette. En un insLant, l'église disparut à
~eR
yeux, ot le parvis plein do monde, inondé de soleil, cL
les perruc!1t's caqucLallLes qui l'enLouraient.
11 no vil plus (lue 10 visage grave do la jeune mIe qui
le regardail OxemcnL, comme aLLenùant la décision qu'il
�4~
POURQU OI N'AVEZ- VOUS PAS COMPRIS ? ...
allait prendre . Il revoyai t la plage ~rûlate
et la mer
brillant e et bleue au bord de laquelle 11 avait osé prendre
et retenir entre ~es
mains une main qu'il eût voulu couvrir de baisers.
Mais une image plus précise encore et plus touchan te
s'imposa à lui, effaça ~e mir~ge.:
ce fu~
celle d'un au~re
visage aussi cher, mais amaigri et pâh par la maladie ;
et, po~r
ramene r sur ce visage un peu de j~ie
et de santé,
il se sonLit prêt, une fois. encore, à tout sacrifier.
A son refus, il donnaIt en quoIque sorte la valeur d'un
symbole. Évidem ment, ce que lui eût coûté cette partie
de plaisir était insgl~t.
N'impo rte 1 il avait pris une
déci~on
et devait s'y temr.
11 dit :
« Non, je n'irai pas avec vous jeudi soir. n
. Il vil en même temps qu'Arle tle avait toujours les yeux
fixés sur lui, el qu'en entenda nt cette réponso ses yeux se
voilèrent, COIDme de lrislesse, où d'uno colère nuissante,"
il ne savait.
Ensuite, il s'en alla, comme éLourdi. Il partit sans
prendre congé de pcr~one,.
ind~ére.t
au papotag e de
toutes ces femmes qUl ne hn étalOnt rien, altentif seulement il l'expression d'un beau visage qui sc détourn ait.
Il so laissait entralne r par nobert, qui, muet pour une
fois, avail lout suivi, touL compris.
Comme ils arrivaie nt près du port, ils furent rojoints et
dépass6s par une Bugatti qu'Yves connaissait bien 1ArleLLe
conduisait. A côlé d'elle, il y avait co jeuno Casablancais
avec qui elle causait tout il l'heure.
Elle conduisait d'une seule main, ct son autre bras roposail sur los 6panles du jeune homme .
. La voiture ~as
près d'Yves, à 10 frôler, ct puis bondIt en avant, disparu t sous la' poussière blo.nche soulevée.
Yves haussa les épaules ct Robert lui sorra 10 bras
plus. forL. Ce Iul tout. Mai~
ceLLe simple pression nt plus
de blon à Yves que de banales - ct si inuLiles 1 _ puroles
d'ami lié.
, A. ;cÏ!~e
!a i1ugnÙi 'eut-eÙe 'dû~afJs6
'le; d'oux jeunes
omclOrs qu elle tourna brusque ment dans uno peLile rue
étrolle, fil quelt{ucs mètros encoro, cL sLopp noL a vac un
grand grincemonL de froins.
�POURQU OI N'AVEZ- VOUS PAS COMPRIS
?..
,.5
- Allez, ouste, descendez.
Dit Arlette, en r etirant son bras de la tendre positi.on
qu'elle lui avait donné.
Son compag non la regarda , les yeux ronds; sa physionomie, général ement peu express ive, revêtait un caractère d'ahuris sement si comple t qu'Arle tte, malgré son
évident e nervosi té, ne put s'empêc her d'éclate r de
rire.
- Eh bien 1 Vous en faites une tête, mon pauvre
Gaston 1 Vous ne compre nez pas cc que ça veut dire?
- Si, si. Certain ement. Je compre nds ce que ça veut
dire. Mais vous m'avez dit ...
- Je vous avais dit, je vous avais dit. .. Je ne vous
avais rien dit du tout. Vous ne vous imagini ez pourtan t
pas que j'allais passer ma journée à vous balla der ? Et
puis je rentre déjeune r, j'ai faim . On se reverra cet
après-m idi.
- Bon, bon. Je descends. Vous m'excus erez. Mais j'avais
cru compre ndre .. .
Il n'eut pas le temps d'achev er: à peine avait -il touché le sol que la voilure démarr a aussi brusljue ment qu'elle
s'était arrlltée.
11 la regarda dispuraHre uvec au tant de mélanco lie
quo ses yeux ronds 6Laient capable s d'en exprime r. Puis
Son visage roprit peu il peu sa placidit é coulumiol'o, qui
n'était pas oxempt e d'uno certaine fatuité, cl il sc mil en
devoir de regagne r pédeslr ement son domicile.
« C'est une petilo folle, ponsait -il. Elle ne sait jamais ce
qu'elle veul. Wle me demand o brusque menl do l'omme ner
déjeune r quelque part, nOUl:! parlons , ot puis vlan 1 elle
me débarqu e au proroier virage ... D'abord elle ne sait pas
conduir e, clio esquint era sa bagnole ... Enfin, ça fera
quand mêmo uno lemme assoz agréabl e ... »
L'optim iste soudre des sols contenl s d'eux-m ûmes illumina un inslant sa large 1ace.
Mais il sc hâta de reprend re !'cxpr('ssion Ilaulain e ct un
peu (nnuyée ù laquelle il s'efTorçail, comllle la plus COIlvenablo a un jouno hommo du son rang social, car il
enlrait ùans des rues plus fréquen lées.
POlldant 0 temps, la « potite folio », commo ~i cl10 so
rùt souciée de JustiOer colle appolla tion, ('tait l'ûnll'i'o chez
clle ù une allure désordonnée. WJe aussi monologuait.
�46
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? ..
;Mais « Gaston Il n'était évidemment pas son principal
souci.
« Ah 1 l'animal!. .. Ça lui apprendra ... Je suis sûre qu'il
m'a vue ... El j'aurais voulu qu'il m'enlende demander à
cet imbécile de m'emmener déjr.uner ... Ça lui montrera
qu'il n'y a pas que lui à Casablanca 1... et qu'il peut bien
passer sa vie sur son sale baleau, ce n'esl pas ça qui
m'empêchera de m'amuser ... Il
'l'out en parlant de la sorte, elle était parvenue devant
la grille de sa villa. Laissant sa voiture devant la porte,
elle traversa vivement le jardin, se dirigea vers la salie à
'm anger. Sans se l'avouer, elle était contente de retrouver
l:ies parenls. EUe ne les voyait pas souvent, mais les
aimait bien... Elle savait bien qu'elle no leur dirait
pour rien au monde la déception qu'elle veuait d'éprouver
et qu'~le
s'avouait à peine a elle-même.
Mais, comme quand elle élait pelite fille ct qu'elle avait
du chagrin, elle ol1t cu du plaisir à embrass(;r quelqu'un ...
,Aussi fut-elle désappointéo en voyant qu'un soul couvert
était mis dans la salle il manger.
Au ùomostiquo qui s'approchait pour la servir, elle
demanda d'un tOIl délaché :
- Achmet, mes parents ne sont pas là?
- Oh 1 non, madomoiselle l Tu Sl1Js bien, mademoiselle.
qu'il y a dos courses à Mazagan... Ils sont partis co
malin ...
- C'est bon, c'ost bon 1 Sors -moi, ot en vitORSO.
Cette nouvdlo déconvenue avait mis 10 comblo il l'exaspération d'Arlette. Elle mangea rapidement, ùemanda
doux fois du café et so reLira duns sa chambre, un u
cigarette aux lèvres .
.. , Si Yves l'avait vue ù cet instant, étonduo sur le
do lit, .103 sourcils rroncus,les youx
divan qui lui ~e rvait
fixo." - ct si brillanli:l qu'il" somblaiont pluins do la'mo
.~ 1 indiJTurento à la conùre de l'Abdullall qui tombniL sur les
coub~ilS,
pout-être se fllt-il senti ému do piti6, maisl'Arlo, te
en co moment pr(sonlo à l'esprit était UIW juu llo
qu'il a ~alt
hllo déciù60, au sourirv BlOquOI)r, preSf[UO m6 'lIant, (t
qui conduisait sa voituro tout on lenant pur les 6paulol:l
un quelconquo crélin de Club.
Hélasl C'était uU6!Ji cetlo imago-là qui hantaIt Arlette 1
H.ovenuo un peu il elle, 0110 no pouvait s'ompêcher du
�pounQuol
N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?_..
~7
'sentir vaguement qu'elle s'était montrée un peu ridicule:
constatation mortifiante pour son amour-propre ...
Et il n'est pas besoin d'ôlre bien profond psychologue
pour deviner ce que va faire une jeune fille orgueilleuse
qui sent qu'elle a ét6 un pau ridicule, mais qui ne veut pas
se l'avouer clairement: elle continuera à l'être ...
C'est pourquoi Arletle prit la forte résolu lion de ne plus
penser à Yves, jamais, jamais, et d'épouser Gaston dans
le plus bref délai.
Cette sage décision à peine formée, Arlette so sentit '
complètement rassérénée :. un coup de houppette, un peu'
de rouge, effacèrent parfaitement les traces d'une émotion
qu'eUe jugeait tout il fait ridicule et indigno d'elle et ,
meltant en marche son phonographe, elle attendit
l'arrivée des habitués du Tennis.
Ils ne se fU'enL pas attendro longtemps.
Milo Delanoë fit une irruplion bruyante, bientôt suivio
par le gros des membres du Club, parmi lesquels le jeuno
ct sémillant Gaston.
11 s'approcha d'Arlotle avec circonspection, craignant
l'une de ces rebuffades donl la joune fille était coutum\èro
il son 6gard : mais l'aimable sourire ct la cordiale poignée
de mains qui l'accueillirent le d6concertèrent bien davantage.
Avant de so meUre à jouer, les membres du Tennis-Club
avaient coutume, à l'ombre des grands cèdres, do tenir
des espèces d'assises, où les « faits du jour» faisaient
l'objet de longs commenlaires et où les absents n'étaient pas
toujours épargn6s. ArIelle Havait quo ces palabres sur des
faits insignifiants, ces peLîtes m6chuncoL6s décoch6os à
tout propo:l, conslituaient le momenl de la journée qui
plaisait le moins h Yvos. Tout cela agaçait 10 jeune officierr
ct il s'attristail do voir Arletto s'y complaire.
Qu'eùL-i1 dit aujourd'hui?
11 ne fut du resle à peu près question que ùe lui al do
co quo Mllo Delano~
uppclait sans bienvoillanco sa « ridicule attitude du matin )).
Ce Iut elle qui, selon son habitude, ouvriL 10 feu.
l'rofltant d'un léger ralentissemont dans la conversation,
olle lança:
- Eh bien 1 ma chèro ArleLLo, cc M, de K01'val n'est vraimenL p'as up.garçon intéressantl
�!lS
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?...
Arlette ne put s'empêcher, à celte déclaration, de jeier
à la trépidante bavarde un regard dépourvu d'aménité.
Certes, elle ne pensait plus aucun bien d'Yves, mais il lui
déplaisait qu'une autre qu'elle aborde ce sujet.
Aus
~ i s'emprcssa-t-clle de dire:
- Bah 1 Il n'est pas là . Laissons-le donc tranquille 1
Mais Mlle Delanoë tenait à son idée avec toute l'énergie
d'une personne bavarde qui a trouvé un sujet qu'elle juge
inépuisable. BIlo ne l'abandonna donc pas pour si p eu
et poursuivit:
- J e ne comprends pas, du reste, comment tu as pu le
montrer si entichée de ce petit o!Iicier. Qu'est-ce qu'il a
de plus que les autres? Et ce n'était pas le premier oIlicier
de marine que tu rencontrais ...
ArleLte ne répondit pas. Elle se mordait les lèvres et
gardait un silence qui eût découragd une moins intrépide
bavarde que Mllo Delanoë, mais rien ne pouvait décourager celle-ci:
- Je sais bien, continuait-elle, qu'il a un cerlain chic.
Et puis il s'appelle « de » Kerval. C'est quelque choso.
Mais enfin il faul roconna1tro qu'il osl des plu~
mal élevés.
Pendanl quinze jOllrs on ne voit que lui, ct puis loul à coup ,
pliuitl IJlus personne. Et quand on le rencontro après,
c'est à p eine s'il est poli. Qu'en penses-tu '?
Le pied d'Arlette commençait à s'agiter nerveusement.
Ce rulle moment que choisit Gaston, avrc 10 sens précis
de la gaITu qui no 10 quillait jamais, pour intervenil' soLtemenl.
D'un gesle plein d'élégance, il ôla de sa bouche la cigarelte parfumée sur laquelle il lirait machinalement eL
laissa tomber:
- Oui, ces petils marins IlC croienL tout permis pareo
qu'ils out quelquos ficelle s dorées sur les mand-u>s. Ils nous
rogardent de très haul, mnis ces gons-Ill no soni, on somme,
que des fon clionn , ires que nOlis payons. Voilà tout.
Havi de sa lroll vaille, le dis ' ingu) Oaslon lahsa
6chapper un pelit rire, qui tl'nait plus du heni
~se m(Ul
que du Il propre de l'homme ». Mais cello marque do
r:;ali faction por;:lonnello fut arrêtée net par une brèvo
déclaration d'ArIelle:
- Gaslon, vous n'ôles qu'un imbécile.
Dc saisissement, le pauvre garçon laissn. tomber sa
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?..
[.109
cigarette et murmura, d'une voix étouffée et plaintive:
- Oh 1 Arlette 1. ..
- Oui, continuait ArleLte. Un parfait et complet imbécile. Car vous parlez de choses et de gens dont vous
ignorez tout. a Ces gens-là» sont payés par vous, dites vous? Preuve qu'ils ont de la valeur: qui songerait à vous
payer, vous? ..
~
Voyons, Arlette, je ne vous comprouds pas 1. ..
- , De plus, continuait Arlette, imperturbable, vous
êtes en train de manquer gravement de respect à Yvonue
belanoë, dont le père, vous ne l'ignorez pas, est également
fonctionnaire, donc payé par vous ...
- Arlette 1 Mais je n'ai jamais voulu dire .. .
- Enfin, conclut Arlette en se levant, ça me dézoûte
de vous entendre parler commu vous le faites d'un jeune
homme que j'ai reçu souvent chez moi, et à qui vous
avez fait aussi bon visage que moi. Lui en voulez-vJus
-vraiment, Yvonne, de n'a voir paseu pOUl" vous autantd'amaMlités que vous en avez eues pour lui au début? Sur ce,
allons jouer ...
Elle se dirigea vers les courts, traînant à sa suite le
gre/upe étonné de ses amis, parmi lesquels une Yvonne
rouge de confusion et un Gaston complètement abasourdi,
qui commençait à avoir des doutes sur l'opportunité d'une
demande en mariage.
L'après·midi fut assez morne.
Chacun voyait ce qu'avait de forcé la gal lé d'Arlette;
On la sentait nerveuso, irritéo, et comme, on pareil cas,
elle ne sc gônaÎt guère pour passor ses nerfs sur l'un ou
Sur l'aulre, nul no 50 souciait d'atlirer son attontion ot
do lui servir de cible.
Gaslon lui·môme ful sp6cialement modeste.
Pour la premièro fois, il sontalt qu'il no surnt pas do
vouloir pour avoir. Un l'of us no l'eût pas arrût6 : il avait
des id6es tr ès précises sur l'inslabillt6 d'humeur de.;
jeunes nlles, el se faisait fort do transformer aisém~nt
un
u non» en « oui ». Mais celle ironio d'Arlelle le déconcertait.
Dans sa fatuit6 naïve, il se demandait sérieusement ce
qui pouvait d6plairc on lui à la jeune fille.
Et peu à pou, !'id6e lui vint d'avoir une explication avec
clIc.
�50
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? .•
Il s'arrangea )our demeurer le dernier. Les parties de
tennis avaient été plus courtes que de coutume; les
membres du Tennis -Club sentaient qu'il y avait de l'orage
dans l'air et sc hâtaient de partir avant qu'il éclatât.
Bienlôt, Gaston se trouva seul avec Arlette. Celle -ci
lui proposa une dernière partie.
- Non, dit Gaston, je voudrais vous parler.
- Quel air solennel, l'ailla ArIelle. Eh bien, parlons .
Asseyons-nous.
11s s'installèrent côte à côte, sous les cèdres, à la place
même où, si souvent, Arlette avait causé, pleine de conliance, avec celui qu'aujourd'hui elle voulait oublier.
Gaston, malgré son assurance coutumièro, so sentait
gùn6 pour parler. Enfin, il se décida:
- Ma chère amie, je dois VOllS dire que je n'ai rien compris à ce qui s'est passé auj ourd'hui.
- Aujourd'hui' -dit Arlette, l'air innocent. Mais que
s'est-il passé, aujourd'hui?
- Comment? Ce maLin vons me demandez de vous
inviter à d6jeuner quelque part. Havi, j'accepte, ct puis
vous changez tout à coup d'idée, et vous me débarquoz au
promier tournant. ..
Lo souvenir de 10. figure étonnée du jeune homme amena
un sourire sur les lèvres d'ArIeLLe. Mais Gaston ne voulut
pas s'en npercevoir.
- Ensuito, continua-t-il, vous me dites très gen:timent
qlle nous nous verrons cet après-midi. Là-dessus, Il poine
Buis- je arriv6, quo vous mo faites une sortie ... péniblo.
Vous mo dites, proprement, quo je ne vaux rien, puisqu'on
ne mo payo pas, avouCZ quo cc n'est pas gentil.
- Aussi, pourquoi m'agacIez-vous?
- Mais I>ieu sail quo je n'avais aucunement l'inlontion
do vous agacer 1BnHn,là n'ost pas la question. Mettons quo
vous ayez 616 do mauvaiso humeur. Mais c'est de la cause
do cetto mauvais humeul' que jo voudrai., parler.
Arlotte lui jeta un brof r(lgurd. Où co garçon voulait-il
l'TI venir? Elle oubl}'1it du couP. quo, pou d'heures auparavant, 0110 avait pris la r6soluLlOn do so montrer gentillo
avoc lui (n'avai.t-ollo pas dl:icid6 do l'épousor '?), pulsquo
Yves no voulait plus faire aUontion ù ello.
Mais, tout à coup, ce Gaston l'onnuyaiL profond6ment.
�POURQUOCN' AVËZ-VOUS PAS C·OMPRI"S
? -..
51
Allait-il falloir expliquer à cet être nul et vide les sentiments contradictoires qui agitaient son âme?
Soudain elle tressaillit.
Elle entendait Gaston qui disait:
- Je dois vous avouer quo l'inlérJt que vous portez à cet
Yves de Kerval me parait, pour le moins, exagéré ...
Une vive rougeur couvrit le visage d'Arlette. Gaston
crut que c'était de la confuSion; c'était peut-être de la
colère. Il poursuivit:
- Je vous croyais vraiment plus raisonnable, plus sensée.
Je pense que M. Grangé a pour vous d'autres ambitions et qu'il ne vous permettrait pas d'épouser n'importe
quel petit oincier de marine .. . Ne vous fâchez pas, dit-il,
en voyant le mouvemont d'irritation qui vonait d'échapper
il. Arlette. Vous voyez, je vous parle très sincèrement, en
ami. ..
- Continuez, continuez, dit la jeune fille.
- Je vous disais donc tlue M. GrJ.ngé ne pourrait
app rouver ce mal iage. Je m'empresse d'ajoutor que j'espère
qu'il no s'agit là que d'une simple supposition de ma part...
qu'il n'y a chez VOlIS aucun projet sérieux ...
'fout en parlant, GasLon observait la jeune fille, cherchait
sur sa figure trace d'une protestation quelcoJlquo; mais
les yeux baissés, le vi~age
impassible, elle Je laissait
parler.
S! bien que Gaston, à la longue, finit par Gtre déconcerté
par ce mULismo oba in~.
11 murmura encore quelques paroles Msitantes, concernant la fortuno d'ArioLto, ie gùnrc d'exislence qu'olle était
habituée fi. monel'. Il conclut par crs mots:
- Croyez-moi, chère amie, vous vous devez, vous nous
devez, de pas cher0her un mari un dehors de notre
Société.
ArIeLLe releva la tête, fixa Oaston, dont le rognrd s'était
dêlournù, aux derniel's mots qu'il avait prJnol1c~
et dit
calmement:
- Et je parie que vous vous proposorez volontiers pour
Co rôle de mari?
OnsLon rougit faiblement:
- Pourquoi pas'? dit-il.
ArieLLe parut réfléchir. GrJston. effrayé do son audace,
!l'attardait à une vigoureuse bOI·tiu. Aussi gNnd Iut !;on
�52
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS .. .
?
étonnement, lorsqu'il entendit Arlette lui dire d'une voix
douce:
- Oui, pourquoi pas?
Elle se leva. Elle ajouta:
- J'y penserai, Gaston, nous en rep arlerons - dans
quelque;temps .... Elle lui sourit, lui tendit la main et quitta
le jardin en courant.
Interdit, Gaston la vit gravir le perron, disparaître. A
son tour, il regagna la maison. Lorsqu'il monta dans sa
p etite voiture, qui l'attendait devant la porte, il avait
retrouvé son sourire assuré et fat.
« Elle ne m'a même pas dit non n, songeait-il.
Il haussa les épaules, soul'Ît de nouveau, et comme il
mettait en marche, il dit presque à haute voix:
« Ce que jo ne comprends pas, c'est pourquoi elle n'a
pas dit oui tou t de suite_ ~
Et il s'élança dans la rue ensoleillée.
**.
Arlette, quitlant Gaston, éta it montée dans sa chambre_
L es joues brCllanLes , le cœur battant, elle so laissa tomber
sur 10 divan.
Elle avait été demandée on mariago 1
Les mols qu'elle avait rôvé ontondre prononcer par
Yvos (elle pouvait so l'avouer, maintenant, c'était fini 1),
ces mols si doux et promottour., avaient été prononcés
p ar un autre.
Où avai t- ello donc trouvé le courage de no pas giOer
cetto figure ava ntng' use ? Elle revoyait l'air s um ~a nt do ce
garçon, son expression s:llisf ..üte, cl cela lui paraissait
main,enNlt auLant d'insulles, contre lesquell es elle se
sentait sans dôfense, puisquo col d qui cCI I, dCl la protéger
do tout n'é tait plus là, ne voulait plus d'clic 1
De no uvoau des larmes monta ionl à ses yeux. Commo
elle se s('ntai t faibl e 1 m où trouvor du secours contre
coll 0 faiblesse?
Ello vinl à sa ren l~ tr o ot s'acco uda. En fa co d'ello, 0110
voyait 10 soleil, énorme 01, rouge , qui s'on fonçllit dans la
mor. Enlr .. les branches d'un grand oranger appllraisso.it
10. sil houo llo massi ve du Braz::.a, qui, vue ù conlro- jour,
semblo.it noire, presque hostilo. Tous les ma lins cllo 10
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?...
53
voyait, mais alors, éclairé par le soleil levant, il semblait doré.
Maintenant, elle regardait ce navire avec de la haine.
n était comme la forteresse qui retenait prisonnier son
bonheur; mais c'était une forteresse magique, comme on
n'en voit que dans les contes de fées.
Un matin, elle ne verrait plus, en se levant, que la mer
immense et vide; la forteresse ne serait plus là. Un génie
l'aurait touchée pendant la nuit et elle se serait évanouie.
Et elle, elle resterait seule, princesse prisonnière il son tour,
avec son chagrin dans le cœur: un chagrin grand comme
cette mer déserte, où les doux souvenirs iraient s'évanouissant, flaissant à peine un sillage doré, fragile,
comme celui que laisse un grand cuirassé qui s'en va ...
Ces mélancoliques réflexions furent interrompues par un
coup léger frappé à sa porte. Avant qu'elle ait eu le temps
de répondre, celle-ci s'ouvrait, ct le serviteur arabe
entrait. Il tenait une lettre à la main, l'usage du plateau
lui ayant toujours paru une simple lubie de ses maîtres,
dont il s'alTranchissait volontiers.
- Tiens, mademoiselle, c'est un marin qui vient do
l'apporter. Il a dit qu'il y a pas de réponse.
Arlette avait bondi, s'était emparée de la lettre. Hâtivement elle déchirait l'onveloppe. Un marin 1. ..
Mais ce n'était qu'un carlon officiel, glacé comme son
texte, par lequel " le commandant ct les officiers du cuirassé Brazza priaient mademoiselle Arlette Grangé de bien
vouloir assister à la réception qu'ils oITraient à. leur bord
10 mardi suivant».
Arlette laissa tombor l'invitation. Mardi... Aprèsdemain ... Ainsi ce serait après-demain qu'elle le vorrait
Pour la dornière fois ...
Elle alla encoro à fla fenêtre, pour la fermer. Maintenant, la nuit 6lait tout il fait vonue. Le cuirassé avait
a.lIumé ses Ceux verts ot rougt's. C'était comme si la dernière fêle à bord avait déjà commoncé.
Aurail-elle élé consoléu, si olle avait pu distinguer à
travors un Glroil hubloL du Brazza la trisle ol douce
figure d'Yves, qui cherchait parmi les lumiùres do la ville
Une Cenôlre qu'il connaissail bien?
Yves, en ofTel, aprOs uno journéo plus triste encoro,
peul-être, quo celle qu'avait passée Ariollo, Mait rentré
�5~
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? ..
il bord . De sa longue promenade dans Rabat, il ne lui
restait qu'une fatigue immense, un sentiment amer de
tristesse et de dégoût de tout .
Seule la photographie qui souriait dans son cadre, - la
photographie de Marie-Antoinette, - lui donnait la force
de ne pas revenir à terre, de ne pas chercher avec Arlette
une cc explication D.
La jeuno fille no l'avait-elle pas oublié? Ne l'avait-il pas
vue, dans cotte auto, enlaçant de son })ras frais les épaules
do cet imb6cile?
Et peut-être était-co bien ainsi. Puisqu'il no dovait
rien être pour ArIeLLe, ne valait-il pas mieux qu'elle, au
moins, ne souffrit pas?
Yves referma le hublot, rovint ù sa table . Il prit sa
plume el écrivit;
cc Je suis bien heureux, ma chère AntoineLto, des bonnes
nouvelles que j'ai de ton voyage et de ton installation.
Tant qu'il ne te manquera rien, il no mo manquora rien ... »
... *...
Le lundi mutin, on s'évoillant, il ~ombla
il ArleLto qu'olle
avait uno âme nouvolle; pour ôll'o plus exacl, il lui
somblait qu'elle retrouvait son état d'esprit « d'avant»
l'arrivée d'Yves,
11:][0 se lova de bonne heure, s'habilla gaimont, jeta un
regard distrait el un peu ironiquo SUl' 10 lourd cuirassé,
et sc sontit prate à repronJre S't vio de jeune fille rieho
cl oisive au point où elle l'avait laissée.
Commenl une nuit avait-elle sulIi il opérer une semblable
Lransforma lion?
A vrai diro, Arlolte ne s'on souciOlit guèro.
Heureux du calme revenu, clle !:l0 hâLait d'en jouir,
san<; s'inquiéter do son origino.
La vérité, flans doulo, Mail que son âme, P' Il habituée
l\ soulTrir, lentait pnr LC,Ufl les moyen,; do repousser la
::io\JIfl'.lIlcO imprévue qui l'accablait ct so rMugiait, pour
reIn, ,bus l'indiftérenco.
Un psychologue plus averLi que nf' l'était ArlelLe Crtt
bien ai,ém nL compris que co calmo n'M.nit ql1'l\ppnronL
ct no pouvaiL êlre quo provisoiro. Mais lu jauno nlle no 50
pif]uait nullement do psychologie.
�POUUQUOI N ' AVEZ-VOUS PAS COMPRI S
?..
55
Elle constatait, simplement, qu'elle avait retrouvé son
équilibre; il lui semblait qu'elle sortait d'uhe m.a ladie
longue et dangereuse, - et elle évoquait sans indulgence
le souvenir des larmes versées la veille eL des émotions
dont elle avait souITert.
Même, elle trouva qu'elle avait été bien ridicul e, et
peut-être méchante, notamment avec cette pauvre Delanot!, qui n'était pour rien dans l'affaire . Elle décida a ussitôt de téléphoner il son amie pour s'excuser, en m etlant
sa visible nervosité sur le compte d'une migraine.
Mlle Delanoë répondit elle-même.
Ses premières paroles furent ompreintes d'une certaine
aigreur. Mais l'air sincèrement repent ant d'Arlette ne
tarda pas à l'amadouer.
Bonne fille, au Cond, elle eût été d ésoléo d'un refroidissement avec son amie et, puisque Arlette f aisait los pre'miers pas, elle voulait bien tout oublier.
Il y avait, du reste, il parlor du bal de mar ùi à bord
du Brazza. Les deux a mies s'en enLretinren t un long
momonL, sans que 10 nom d'Yves soiL prononcé une se ule
rois. Il n e fut qu estion que des robes que l'on mettl'uit, de
l' heure il laquello il conven ai t de s'y rendre , et des gens
que l'on avait chance d'y r enconLrer, ou de n'y pas r encontrer. Elles so séparèrent meilleures amies que j uma is.
ArletLe Léléphona ens uite il Gaston; elle pensait lui
devoir quelques explications, mais on lui r épondit qu'il
Venait do sorLir.
Quolques instants plus ta rd, il arl'iva chez ArleLte.
S'oxeusant il poine de l'heuru muLinalo il laquelle il se
présentait, il déclara qu'il venait simpll'ml'nL chercher la
l'uponse il la quesLion qu'il avaiL posée lu veille.
La galté donL t umoigna Arlolto à ceLLo nouv elle lui
parut suspecte eL assez inquiétante .
Mais quel Iut son étonnement lorsquo lu jeune DUu lui
déclara qu'il avait tort do « s'emballer », qu'elle n'utait
aUCunement pressée do so marier, ot qu'il n'avait Jlus à
Lonir compLe des propos qu'elle avniL pu tenir dans uu
Il\oment de fatig ue et d'énervement. E lle a jouta que Lout
C I) qu'clio pouvait faire était de l'in scriro en têLe de la
liSLo ùo sos prétendanLs.
-A (IUalités égales, promit-elle on souriant, vous aurez
la préférence.
�SG
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?._
A tout cela, le pauvre garçon n'avait évidemment rien
à répondre. Et il partit, levant les bras au ciel, et prenant le Seigneur à témoin de l'absence totale de bon sens
dont faisaient preuve les jeunes filles en général, et
Arlette tout particulièrement.
Toute la journée du lundi et une bonne partie de celle
du mardi se passèrent pour Arlette en essayages et
contre-essayages. Malgré la nervosité que ce genre d'exercice faisait na1tre généralement chez elle, sa bonne humeur
ne se démentit pas une seconde.
La couturière, émerveillée et familière, lui dit :
- On dirait que Mademoiselle va sc fiancer.
- Ponsez·vous, dit Arlette, je serais moins gaie!
Cetto réponse choqua tous les principes de l'honnête
ouvrière, qu'une laideur sans espérance et un âge avancé,
encore que lentement progressif, vouaient à un définitif
célibat. Et, depuis ce jour, le bruit courut dans les
milieux « petits commerçants » de la ville . que
Milo Orangé était un peu foUe.
Mais Milo Grangé se souciait assoz peu des bruits qui
couraient en ville. Elle paraissait toute ù la joie d'aller
danser il bord d'un navire de guerre; elle ne sc souciait
quo de sa robe et se préparait, 10 cœur libre ct l'âme
contente, à s'amuser le mieux du monde.
El1e était redevenue - pour combien de temps?l'insouciante jouno Illie qu'ello avait toujours 6té.
CHAPITRE IV
La puissanto limousino décrivit un 616gant arc do
cercle et stoppa. Le chauffour, aussitôt doscendu, ouvrit.
la portièro : ArIelle rloscendil. Un grand mantoau de soie
blanche la couvrait des 6paules aux pü,ds. Au mouvoment
qu'ello fit pour descondre, il s'entr'ouvrit et laissa apparaltro uno seconde son ample robe do saLin vort lam6
d'lugent.
l!lllo posa sur le sol son pied chausso d'argont, qui
parut peLit comme celui de Condrillon, el promena autour
d'olle un regard vaguoment 6lonnu . L'ondroit où ell o so
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS CO~lPRIS
?..
57
trouvait paraissait assurément peu fait pour recevoir une
aussi féerique apparition.
C'était un coin, qui paraissait désert, du port de Casablanca. La nuit était extrêmement obscure et, au sortir
de l'auto vivement éclairée, Arlette ne distingua rien,
d'abord, qu'un gros tas de cordage, une borne, un anneau.
Puis un bruit de voix vint à ses oreilles, ct ellc se dirigea, marchant sur la pointe · de ses petits souliers, vers
l'endroit d'où il semblait venir . C'étaient des rires, de
petits cris, on l'appela.
- Que sc passe-toi! ? demanda-t-elle.
- C'est la vedette qui est en retard ...
Et tous les yeux sc portèrent vers le large. Le Brazza
a.pparaissait comme un vaisseau fantôme. Il semblait
dessiné en traits lumineux sur l'écran du ciel. 'routes les
lignes de sa superstructure apparaissaient comme autant
de traits de Leux. Par bouffées, une musique de jazz leur
arrivait, que la disLance rendait voluptueuse, et tous se
taisaient pour mieux entendre.
- La voilàll cria soudain quoIqu'un.
En erret, doux lumières, verte et rouge, avaiont paru sc
détacher du naviro de rêve et s'avançaient à toute allure
vers la rive. Bientôt, on perçut 10 ronronnement d'un
ll1oteur. C'était bion la chaloupe.
Elle accosta peu après. En môme tomps, un puissant
PrOjecteur s'alluma à son bord, qui balaya une seconda
le quai ct s'immobilisa sur le groupe des jeunes filles;
Co fut une nouvelle occasion pour ces demoiselles de
Pousser des cris.
, Mais, dominanlle tumulte, une voix jeuno et gaie cria
d en bas:
- Mosdemoisellos, nous sommes à vos ordres ...
l!:llos doscendiront, l'uno après l'autre, pur l'étroit
osculior du port. Lorsqu'elles arrivaient au ras de l'eau,
lu forLo main du commissaire se tendait et soutenait,
Pendant l'embarquement, leur démarche vacillante et
craintive. 'l'out cela n'alla pas, comme bien l'on pense,
sans de multiples cris d'eITroi, gémissements de terreur
lit autres manifestations de crainte, qui permettaient à
Ces demoiselles de s'accrocher de Jeur mieux au commis~nire.
Celui-ci, il faut bien le dire, n'avait pas l'air de
rouver cela plus d6sal{r6able qu'autre chose.
�58
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS èOMPRIS.~
Il s'excusa en quelques mots du retard de la vedette
et allait donner l'ordre de mettre Je cap sur le cuirassé
lorsque, au- dessus d'eux, des appels leur firent lever la'
tête.
Ils distinguèrent alors, penché à tomber, l'élégante
silhouette de Gaston.
- Commissaire 1 Commissaire 1 criait-il. Y a-t-il
encore une place pour moi? Attendez-moi 1 J'al'l'ive. Mais
Où est donc votre diable d'escalier?
On l'entendit chercher en piélinant longuement.
- Éteignez votro lumière, ça m'aveuglo 1
On éteignit.
- Mais je n'y vois plus l'ion! gémissait Gaston. Je
vais finir par tomber dans l'eau 1
'fout le monde riait dans la potite embarcation, ce qui
n'était pas fait pour calmer le jeune agité.
Il découvrit enfin l'escalier. 11 descendit, glissa quelques mal'chos, tomba dans les bras du commissaire, au
milieu des rires; il s'assi t et, halotant, il s'épongeait le
front.
Lo commissairo donna 10 signal du départ. La vedotte,
on vrombissant, gngna le bl'go. Pou ù pou, les rires cessèrent. Oaston voulut commencer à expliquer les causes
de son relard; mais il so lut !Jientôt, vaincu, malgré
tout, par 10 charmo de ceLlc sensation, nouvelle pour la
plupart des occupants de la barque, do fendre l'eau dans
J'o!Jscurité la plus complète.
La briso soufaait, le vent de la vitesse soulevait los
cheveux dos jounes mJes; mais nullo d'entre elles ne
songeait à se plaindre d'Otro décoiITéo. La traversée luL
coul'Le, mais fut, pour lous, la plus charmanto des préfaces aux plaisirs do cotto lIuit.
La petite embarcation heurta douceml'nt le flanc de fol'
du granu naviro. Sa masse, vue d'f'It bas, paraissait
énorme. Une habile manœuvre amcna la chaloupo jusqu'à l'étroit escalier qui donnait accès sur 10 pont, et leS
p:tssagcrs se mirent 0. le gravil'. Onston n'était pas Je
moi liS impressionné par ce que cet oxol'dco présontait do
vaguement périlleux. Mais 10:' encouragements ironiqueS
dcs jeunes flllos furont pour boaueo\.lp dans l'auduru
pleine' d'as::lUr:lIIce avec laquelle il s'élança sur le fragile
tlsoulicl·.
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?..
59
Au sommet, le commandant recevait ses invités.
Des marins en grande tenue les conduisaient d'abord jusqu'à une chambre d'officier, provisoirement transformée
en vestiairo; puis le bal les prenait dans ses tourbillons
frémissants, ct ils allaient augmenter la foule qui, depuis
plus d'une heure déjà, dansait sur les deux ponts.
Arlette, séparée un moment du groupe de ses amies,
erra d'abord seule sur 'le naviro on fête. C'était la première fois qu'ello sc trouvait sur un vaissoau de guerre,
et elle regardait avec intérôt tout ce qui l'entourait.
Au sortir du vestiaire, elle s'était trouvée dans un long
couloir, étroit et silencieux, qui devait se trouver au
Centre du naviro. Elle le suivit, et sa robo l'omplissait,
frôlant presquo les doux parois. Do chaque côté, dos
portes s'ouvraient sur co couloir, ot dos cartos de visite,
InSérées dans des cadres do cuivre, disaient 10 nom des
occupants de cos chambres. Sur l'une d'ellos, ello lut :
" Yves de Kerval ».
Sos regards s'arrêtèrent une seconde sur la petito poiRnée de cuivro. Puis elle passa. IWo était contenlo d'clle~êmo,
parce qu'il lui semblait que son cœur n'avait pas
lattu plus vito .
. Lorsqu'ollo déboucha do cc couloir, la musique éclata
~Iolemnt
au-dessus do sa t ôle. Ello enl ondail aussi le
ruit cadencé des pas dos dansours. Alors olle prit le
rl!j~it
oRcalier, étroit ol glissant, aux marchoR bordées de
CUlvro, qui s'oITrait à ollo, et los gra vit. Elle arriva sur le
Pont, qu'emplissait uno 61éganto cohuo.
}, Ello fut priso d'une folIo onvie do dansor, do s'amusor.
G"II? so sentait guérie, sauvéo d'un grand danger, 0110
tUlt heurouso de 50 son tir pleino do vio ot d'ardour au
Pl'Iil'lir.
1\ co momont, Robert Vornot, 10 jouno commissaire
nmi d'Y vos, s'approchaiL d'ello. 11 l'invita. L'orchostre
cOmmençait uno vaIRe; ils partirent. Lo jouno officier
dansait bien, cl AI"lelte 6prouvait, à tournor, Lournor,
dans ces bras forls, mais sans rudesso, un plaisir qui lui
P,ilraissnil nouvoau, un 6tourdic;scment exquis, auquel elle
h nhilndonnait sans arrièro-pons60.
'l'Commo 0110 aimait la danse, 10 mouvoment 1 Comme
c () SO sont:Jit joune 1
nobort Vornot lui adrossa plusiours fois la parolo,
�60
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? ...
ébauchant les banales conversations, caractéristiques de
ce genre de réceptions. ~as
elle ~épondait
discrètement ,
sans l'écouter toute à la Jale physIque de la danse.
La valse s,'arrêta sur un accord très doux et qui se
lui dit encore , quelques
prolongea; le jeune ~omisa:e.
mots, puis s'excusa: Il Jouait ICI le rôle de maltresse de
maison il se dovait à tout le monde ...
Arletie le vit partir. Déjà 'le jazz reprenait et, déjà, un
autre uniforme s'inclinr-lit devant elle. Elle repartit,
emportée dans une nouvelle valse.
Les danses succédaient aux danses. A peine prenaitelle, de temps on temps, le loisir do boire une coupe de
champagne. Une déli~eus
griserie s'était emparée d'elle .
Elle agissait et parlait comme dans un rêve. La lune, qui
s'était levée, éclairait au loin Casablanca et mettait sur
l'eau des clartés laiteuses. Les longs canons, 1:1. la bouche
encapuchonnée, se découpaient brutalement, et ce mélange
de musique, de clair de lune et de forco guerrière, aVait
quelque chose d'étrango, qui mettait cetto nuit en dehors
et au-dessus do la réalité.
A plusieurs reprises, olle vit passer Yves do Kerval
sans on ressentir d'émotion. Ello so demandait seulement
pourquoi il ne la faisait pas danser. Les événements des
jours précédents lui paraissaient si loinl.ains, si olYacés 1 Lui
en voulait-il? Mais pourquoi? Et puis, que lui importaH?
Ello dansait, dansait toujours, passait uvec indiITércnce
do bras on bras.
Le vioux commandant lui-mêmo la nt danser. 11 lui dit
des mots aimables, la complimentant sur Sa l'obo SUl' sa
grâce, sur sa ga1Lé. II dansait assez mal mais ello ne le
trouva ~as
J'i?cul~:
A mesure q,ue la fatigue venait, ello
se senlall pleme. d ~ndulgoce
.. Elle trouva Gaston spirituel, e~ elle le lUi (ht, pour aVOlr le plaisir de contempler
le Boume flatté, do sa grosso ftgure; ello aura it voulu quo
tout le monde fut heureux autour d'clio.
Mais le bonheur universol n'est pas do ce mondo. m
il y a vaH, pns loin d'ello, quoIqu'un qui soulTrait terriblement. Cot Yvos, qu'ello croyait devenu indilTél'enL ou
plein de rancune pour elle, promenait son chagrin si!oncieux à travers le naviro en f(,le.
m son sentimenl do tristesse était d6cuplé par l'obligation
où il était ùo parler à chacun, do sourire. Il eût voulu
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?..
61
pouvoir se retirer dans sa chambre, y souffrir en paix,
mais le devoir l'enchaînait au milieu de cette foule joyeuse,
indifJérente à sa douleur.
Mais le plus amer pour lui était de voir l'exubérante
gaîté dont fais ait preuve Arlette. N'avait-elle donc
vraiment rien compris à la passion muette qu'elle avait fait
nallre? Il la voyait, dansant toujours, avec son air de
petite reine grave et joyeuse tout à la fois ...
Il ne lui connaissait pas cette robe de soie verte qui
lui allait si bien; et il la suivait du regard, malgré lui,
lorsqu'eUe passait, les yeux mi-clos, emportée par la
danse. Il la sentait loin de lui, très loin, prise de nouveau par toutes sortes de pensées et de plaisirs auxquels
il devait rester étranger ...
Si, au moins, son sacrifice servait à quelque chose 1
Mais il \Tenait de recevoir - le matin même - une lettre
du médecin qui s'occupait de Marie-Antoinette. Le mieux
s'était d'abord déclaré, n'avait pas tenu. La santé de la
jeune fille donnait de nouvelles inquiétudes, et elle venait
d'avoir une rechute assez grave. BlIe devait maintenant
garder le lit. Le praticien terminait en disant que le
séjour en haute montagne serait plus long et les soins
plus coûteux qu'il ne l'avait pensé d'abord.
Marie-Antoinette, au môme courrier, avait écrit, elle
aussi. Elle suppliait son frèro de ne pas s'inquiéter, alTIrmait qu'elle se sentait mieux, plus forte. Elle s'efforçait
d'atre gaie et lui parlait, à plusieurs reprises, de « sa
fiancée », la mer.
Et Yves, plein de tristes pensées, la regardait, cette
mer qui l'environnait de toute part, et qu'il aimait tant.
C'était la seule fiancée qu'il aurait jamais, puisque le seul
rêve d'amour qu'il avait caressé était maintenant brisé.
Serait-ello assoz forte pour 10 consolor?
II appuyait son Cront brûlant SUI' le bastingago frais
et en éprouvait du soulagement. Son bateau, la mOI',
C'étaiont les seuls titl'OS à qui il puisse, maintcnunt, domander uno consolation.
Soudain, il tressaillit: quoIqu'un lui rrappait familièrement sur l'épaule
S'étant retourné, il so trouva en présence du comman·
dunl. l'atemel, colui-ci l'interrogea:
- Eh bien, Kerval, qu'est-ce qu'il ya? Vous ne dansel.
�62
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS-? . •
pas? Vous avez des ennuis? Comment va mademoiselle
de Kerval?
Yves en eITet qui avait dans son cheC la confiance
qu 'il av'ait jadis pour son p ~re , l'av~it
mis au. Courant ~ e s
graves inquiétudes que lUi donnait la sante de MarleAntoinette. Meme, s'il ne lui avait pas parlé de l'autre
motif de souffrance qu'il avait, c'était par une espèce de
fausse honte;. malgré tout l il lui eût été pénible de
parler à son chef du manque d'argent dans lequel le
mettait la maladie de sa sœur. Non qu'il considérât,
certes comme une honte son honnète pauvreté. Mais
il la iugeuit comme une plaie secrète qu'il n'éluit pas
con ven able d'étaler.
Il répondit donc à l'interrogation de son commandant.
en parlant seuLement de l'inquiétunte lettre qu'il avait
reçue le matin même du médecin de sa sœur.
Le vieil offlcil:Jr tâchu alors de r assu rer son jeune sousordre. Évidemment, ces affections do poitrino étuient
choses graves. Mais prises dès le début,elblen soignées, il y
avait les plus grandes chances d'aboutir à une guérison.
li cita d es exemples encourageants. Bref, 11 fiL lout c~
qu'on fait en pareil cas pour réconforter un homme
inquiot.
- Mon potit, conclut-il, vous avez tort de vous tenir à"
l'écart cornmo celu. Il fauL socouer voLro chagrin. Amusoz-vous, quo diublo! F.lites danser ces domoisellos.'
Du reste, jo vous ai fail une surprise - ot un honneul'!
J'ai dit à Vernet de vous mettre, pour 10 Soupor, à c816
d'une jouno fillo churmunte - la vraie l'cino de ce bal.
- Qui ùono, Commandant?
- Vous verroz, vous verl'ez ..10 vous envie, allez. SI
j'avais votre fige ... Muis m.u intonllnt, il fuut que jo Ul J
COll lente des femmos de gon6rnux ... Flil'Lez un pou, mon
potit, flirlez, ça vous changora los idues. Bt Luvez du
chumpagno ... Allons, je vousluisso. Du reste, voyez, on no
danse plus, on va souper.
m le brave homme s'6Ioigna. Yves le vil bientôt
repasser au brus d'une damo plus v6nérablo quo charmante.
Le Jazz continuait à jouer, mais les danseurs so faisaient rares.
Des murins avaient envahi les ponts ot, uvec cette
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS CO~lPRIS
?...
63
rapidité et cette justesse de mouvements qui caracterisent
toujours les hommes de la mer, ils dressaient partout
de petites tables rondes, pour quatre personnes. Ils y
plaçaient des nappes éblouissantes de blancheur, des
1 cristaux, de l'argenLerie, et c'était un spectacle curieux
. que de voir leurs mains fortes manier délicatement ces
' choses fragiles.
Quelques tables étaient déjà complètement dressées.
Yves voyait son ami le commissaire en train de mettre
sur chaque place de petits cartons, ornés sans doute du
nom du futur occupant : et c'était un exercice déHcat,
car le jeune officier était escorté d'un groupe nombreux
de jeunes gens et de jeunes filles. qui l'accablaient de
demandes souvent difficiles à concilier.
- Oh 1Commissaire, mettez-moi à oôté de Mlle Un tel.. .
- Cioll qu'avez-vous fait, Commissaire? Monsieur X...
et Madame Y ... sont brouillés à mort, et vous les mettez
à côté l'un de l'autre ...
- Commissaire, surtout ne me meltez pas à la table
de Monsieur Y ... Il est trop ennuyeux.
- Mais il faut bien que quelqu'un l'ail 1
Le pauvre garçon ne savait où donnor do la tête, et
Yves souriait en voyant los cérémonies qui accompagnaient Jo dépôt do chaque petit bout do carton.
Il se demandait avec une cerLaine curiosité, - mêléo
d'un peu d'anxiété, - quelle étaiL ceLLe « reine du bal»
que le commandant avait tenu à lui donner pour voisine.
Mais, quello qu'ollo soi L, l'atLonlion de son chef cherchant
à le distraire do ses préoccupations 10 touchait. Et le sontiment réconfortant do touLos los amitiés agissantes qui
l'entouraient sur cc bateau lui faisait du bion.
Bientôt, LouLes les tablos furont prètes, ct le pont rut
envahi de nouveau par uno foule agitéo ct breyanto. Chacun chorchaiL sa place; on s'intorpolluit. on se signulait
les LabIes. Yves quitLa /:ion coiu isolé ct vint so môlor
aux dînours.
11 vit, de loin, RoberL Vernet qui lui adressait un signo
qu'il no comprit point : c'était un gosLe de regret,
u'oxcuse eL d'impuissance à la fois. A cc moment, d'ailleurs, il apcrcevuit la placo qui lui était dosLinée.
Curiousement, il 50 penchait pour lire 10 nom do sa voisine, mais il n'on eut pas le temps.
�64
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPlUS
? ..
Comme une apparition, sortant de l'ombre, Arlette se
trouva à ct)té de lui. Avant qu'Yves eût pu maîtriser
l'intense émotion qui s'emparait de lui, elle était assise
et, gentiment, les yeux plein d'innocence, elle lui tendit la,
main.
Yves prit cette main.
Si forte est la bonne éducation qu'il parvint à la serrer
doucement, en souriant. Il s'entendit parler, d'un ton plaisant, pour dire :
- Heureux hasard, chère amie !
Elle lui répondit sur le même ton. Mais chez elle, ce
fut sans nul eiTort. Vraiment elle se sentait contente à
l'idée d'être près d'Yves, de passer un long moment avec
lui. Elle n'était pas encore sortie de cet état d'euphorio
qui lui faisait voir les choses et les gens sous le jour le
plus sympathique, et qui lui créait l'impérieux dovoir do
contribuer au bonheur uni versel.
Ils rogardèront les leux auLres cartons, s'interrogèrent
mutuellement, mais c'étaient deux llûms qu'ils ignoraient
complètement. Ils parcoururent le pont des yeux, mais
chacun paraissait a voir trouvé sa plo.co, et les doux mystérieux convi ves n'apparaissaient pas.
Allaient-ils dinor en tête à tête ·t
Yves chercha à plusieurs reprises 10 regard do Robert
Vernot, mais 10 sémillant commissairo présidait une table
joyeuso ot paraissaiL évitor de so Lourner vers son
ami.
Yvos, alor;, rogurda le commandant; do loin, celui-ci,
assis entro deux douairières, lui adross ~ un poliL sourire
complico. m soudain le jeune officier comprit: son chef,
pOLIr le dislraire de son inquiétudo, lui avait ménagé co
souper prosquo inLime avoe ArJeltr , en obligoant 10 commi ss:lil'o à marquer los deux autres plae '5 do doux noms
ficLifs ; ainsi s'expliquait 10 gesLo do Vernet, qu'Yves
n'avnit pas compris touL à l'houro.
Jl priL courugeusemont son parLi de la siluation délicato
où l'avaiL mis son chef, croynnt bien raire. SiLuaLi on
d'auLant plus délicnLe qu'i 1 s'apercevait que bien des
regards convergeaient vors sa Lablo et quo, visiblement,
boaucoup enviaiont son sort.
Mais sa Lâche lui Cut facilitée par l'altitude d'Arlette, flui,
d'abord, so monlra aussi simple cl aimable que possible.
�65
PO U&Q UOI N'AVEZ -VO US P AS COMPRI S ?..
Pourquoi no m'avez-vous pas fait danser ce soir?
demanda-t-alle d'abord .
Très maître de lui, le jeune officier répondit:
« Est-ce un r egret, Arlette, ou un r opro che?
- Les deux. Pourquoi pas ?
Yves perdit un peu de son sang-froid. La jeune nUe lui
offrait vraim ent un si joli spectacle qu'il ne pouvait
s'empêcher d' en être doucement r emu6. Le bruit d es conversations avait r epris tout autour d'eux ; il se sentait
isolé auprès d'Arlette, et leur solitude était bercée par la
musiqua nostalgique de l'or chestr e, qui se r ep osait des
airs de danses endiablés qu'il avait joués jusque-là, en fa isant entendre les accords nuancés d'une musique calme et
qui invitait à la rêverie.
cc Cette nuit 1 Encore cette nujt de bonheur 1 )) pensa it
le malheuroux, « et après 1.. . » Ainsi le joueur s'accorde
encore une chance , joue encore une carte ot, par là
même, augmente sa ruine. C'est la comparaison qu i
s'imposa à J'esprit d'Yves , qui n'éLait pas a veugle. Mais
il se hâta de la r epousser.
Il relova la t ète, ot fi xa Arlette. Non, il n'aurait jamais
10 courage do parler brutalement il colle qui possédait ces
yeux si naïfs, si francs , et ce visago I::louri i'm t et plein de
confiance qu'elle tendait vers lui. Cc Llo nuit, encore cette
nuit, Yves s'ab andonner ait au sen t im ent qui Je poussait
vers ceLLe ArletLe trop aimée , ct pui, ce Stlr ait fini, fini
pour toujours ... Il dit:
- Eh bien, si vous le voulez, ArIelle, je vous demande
la prOQ.h aine danse ...
- Avec plaisirl
Le soup er passa comme un enchantement ; ù vrai dire,
ArleLte ni Yves no suront bi on ce qu'on Jeur ser vait. Il
Jour se mblait que ceS jours p:lssés loin l' un do l'a u Lro
étaient les étapes d'un cauchema r, qu'ils n'avai ent pu
rester s6parés si longLemps.
Par momon Ls , l'a ffreuse ponséo du lendemain t raversait
l'esprit d'Yves. Ce bonheur qu'il goûtait, c'6~a
it p OUl' ln
dernièr o fois ; mais il repoussait de tou.Les ses foreas ces
af[rouses im ngos de déparl et do sépar at lOn fo rcée . MIlme,
il eut un instant conscil'ncl) qu'il étaÎl en train de montir,
qu'il ahusaiL, en somm e, d e la confiance que lui témoi gnaiL ArIeLle. l:i:n lou t au Lre inslanL , la penséo d'un o
3
�66
l'our,QuoI
N'AVEZ-VOUS PAS CO.~!PRIS
? ..
hor~eu
. M.ais .cette nui~
était
pareille lâcheté lui eût f~it
vraiment si grisante qu'Il men
~ h à lUi-memo, et ::. abandonna à son p ai sir .
.
Il découvrit une Arlette nouvelle, sérieuse, cachant sous
ses dehors de légèreté et de goût du plahir un /;iens lrès
vif des réalités de la vie, et des choses cssen,ielles qui en
font le bonheur : Ull amour loyal eL part~gé,
lies enfat~
ql.C l'on voit grandîT, un loyer qui vuus abrite, Il retrouvait les impl'I'ssiuns de sa promièro entrevue et s'abandonnait à la douceur de ceth\ Arlette retrouTé.),
Le souper lmi ct ItJ5 tables en1~vés,
la danse régna dt!
nou.eau à tous les étages du nlVlre_ Yves et Arlette p.1Ttirent, enl~céa.
Plus rien n'exista pour Yves, que le plaisir de tournor, tourner sans fin, avec ce visagtl tout près
du sien, et cette petite main chaude dans la sienno, A plusieurs reprises le vieux commandant lui adrellsa des sourires complices: le brave homme était h8'Ureux de la
tournure que prenaient les événemenLs. Rien n'est plus
propre, pensait-il, à chasser les idéos noiros quo le 11lrt
avec une jeune fille aimable et jolie.
Yves et Al'lette no se parlèrent guore. Ils sn s~ntaje
en unI! telle communion d'idées et de s 'nLiments que lo~
mots lours pnraissaiont toul b. fail inutiles. Les danses
succédaient aux danses, el lorsqu'ilB étaient un pc:u las,
ils reslaionl immobilos et muets, mais lours coudes se
touchant, appuyés au basLingag , ct regardant la lune
s'enfoncer dans les nots, ou pâlir ;es étoiles.
lllour fallait maintenant lutler do toutos lours forces
pour no pas pronon or ces mols ph ins do doUCetll' et de
b,mallté, mais qui cn~hateJl
Loujours, p , l'CO qu'on croit
toujr~
les, d6 1'ouvr!:. Arl~Lo
50 taisaiL parce qu'elle
olt, ndalL qu Yves pnrlaL; malS Yves no voulniL Pas parler
ct ce silence mdt;lit ,n~rc
cux ~ne
gûne qlli n'Olail pa~
san~
churme. Yves ,sav(lIL trop bJe~
qu'il n'a vnH pas le
drOit de parler ; a mesura que ! heUr<> s'avançalt son
angoisso, une angoi~se
proche du désespOir, nllait croi~sant.
Il devint distrait, priL l'air absent; il dansait presquE!
mécaniquement.
Comme ils revenaient du bulTeL cl regagnaicnlle pont
supériour pal' 1\1l1 ùe ces f.>sculierd étroits et raides comme
devanL Yves, pous~
des 6 'hoUes) ArleLte, qui mal'chi~
soudain un cri élou!T6 cl se roLourna !:>ru!5(!uement VCI'::!
�POURQUOI r-;'AVEZ-YOUS PAS COMPRIS
?..
67
Yves, qvee un rire Crais et plein de gaîté: le je une
offider, tout en~ir
à son souci, avait posé maladroitement
le pied sur le bas de la robe de la jeune fllle.
- Maladroit 1 s'écria-t-elle en riant_ regardez ce que
vOl,lS avez fait 1
Un volant, déchiré, pendait lamentablement. Yves Ile
cQnfondit en excuses, mais Arlette paraissait a voir fort
bien pris sa maldr~se.
- Êoute~,
dit-elle, j'ai tout ce qu'il faut p9ur réparer
ce petit malheur; l'expérience m'a rendue prévoyante. Si
d'aller cinq minutes dans
vous voulez bien me p~rmet
votre ch\l.mbre, c~ sera fait,
- Mais avec plaisir, Arlette. Je vais vous conduir(l ...
- Pas la peine: Je sais où elle est.
Et elle s'éloigna, avec un gentil geste d'adieu, et ce
sourire 6~inc)at
qui laiss\l.it Yves sans forces pour lui
résister. Arlette parLle, Il sembla au jeune officiel' qu'il
était seul, roal~é
la foule et le bruit qui l'enLouraient,
tant la présence de la jeune nlle était pour lui tout l'univers, En même Lemps, un peu de calme naissaiL en lui, et
un espoir preljquo insensé le grisa un moment. Arlotte,
telle qu'elle venait do lui apparaitre, jeune Jille aimante
et sensée, ne lui paraissait plus tellemonL hors de 80. port()e. Si elle l'aimait vraiment, elle pourrait sans doute
supporter quelque temps les condiLions de vie assez
m()diocro qu'il était forcé de lui ol1rir. La forlune de la
jeuno lI11e disparais;ait à S03 yeux; il no voulait plus voir
qu'elle et no désirait plus que l'arracher à ce miliou el
l'inllier aux fortl·s et au&tllres vertus quo pratiquaient 8a
mèro et touLes les femmes do sa famillo bretonne. Il l'en
croYQ.it dign~,
et jl so jugeait I.\S$CZ fort, assez aimant,
pour qu'elle n'ait jamais à regretter la vie facile et
luxueuse qu'elle menait ici. Il joignit los mains, dans un
que
geste de prière ou d'action de grice, JI lui ~emblait
10 ciol s'ouvrait devant lui et que ses rêves les plus fous
allaient, pour une fois, se confondre avec la réalité.
. . . . ..
... . . .
.
Arlette no rotrouva pas sans <lifficult6 la chambre
d'Yves; tous les coulqir:> se rO.:lseml)laient assez, sur le
pas demander son chemin,
navirQ, et comillo elle n'o~ait
olle craignit do s'êLre perdue. Enfin ello so trouva en faco
�68
PO URQUO I N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
7.. .
de la porte où était ép inglée la carte qu'elle avait aperçue
quelques heures plus tôt et entra vivement dans la pièce.
Dès que la lumière électrique inonda l'étroite chambre,
elle se sentit pénétrée d'un sentiment nouveau pour elle,
et qll.i était un respect attendri pour Yves. Tout, ici,
disait la vie studieuse du jeune homme: un ordre parfait
y régnait, et la froideur tout à fait militaire de l'a meublement n'excluait nullement les manifestations du goût
personnel du jeune homme, qui se traduisaient par quelques
'gravures p endues au mur, et les r eliures élégantes des
'livres qui emplissaient, au-dessus de la t able de travail,
une étroite bibliothèque.
Arlette répara rapidement l'accroc fai t à sa robe par le
pied d'Yves , mais, avant de quitter ceae pièce, qui lui
parlait par chacun de ses meubles de la vie quotidienne
de c&lui qu'eUe aimait, elle eut l'enfanLillage de prendre
place dans son fauteuil.
« C'est là qu'il se met pour travailler, se disait-elle, et
peut-être, qui sait? pour penser à moi! ... »
En face d'elle, une grande phoLographie d'un visage
féminin lui souriai t, mais olle n'en priL nul ombrage. La
ressemblance entre Marie-AntoinoLLe et Yves était t elle
qu'il n'y avait pas à se tromp er un instant, c'6tait bien
la sœur d'Yves qui souriaiL dans ce cadre.
ArleLto se laissa aller en arrière dans son faut euil' la
fatigue l ui venait, eL elle n'6tait pas fâch6 e de prollter' de
cette occasion pour délasser un peu ses membres . Elle
prolllena son regard sur la t uble d'Yves; cles papiers s'y
trouvaien L eL , sur le dessus d' un e pil e de livr es , une
leUre sans enveloppe. ArIetL e, di ,LraÎLemcnL y laissa
errer ses yeux et luL machinalement un m~bre
do
phraso, qu 'clIc r épéta d oux ou Lrois fois.
Sou duin, elle tress,\Ï lIit violemment: elle venait de
s'enLondre dire :
« '" et il y a longte mps, long temps que je n'ai pas vu
ta fianc ée, et rion ici ne me parle d'olle ... "
Où avaiL-elle lu ce lle phrase? Ses yeux sc r eporLèr ent
sW' la leUre, el de nouveau la phrase faLidiqu e étincela
Îlovant elle « .. , il Y a longLemps que je n'ni vu ln
fiancée .. . ». Sans toucher à la leLLre, ArleLLe puL en liro la
signaLure : « 'l'a sœur, Marie-Antoinette n.
Yves fiancé 1.. , ,lamais une U(p 'c,ijle idée n'avait efOouré
�POURQUOI N'AVEZ-YOUS PAS COMPRIS
?...
69
Arlelte. Elle passa à plusieurs reprises sa main sur son
front. Mon Dit;u! n'avait-elle reconquis ce cœur que pour
apprendre aussitôt qu'il lui était fermé définitivement?
;Folle qu'elle avait été 1 Comment avait-elle pu penser
'que ce jeune et brillant officier avait attendu pour aimer
et pour être aimé son passage à Casablanca 1. .. Aillaursl
une jeune fille pensait à lui, lui écrivait sans doute,
l'attendait impatiemment et avait le droit de l'attendre;
ils étaient officiellement fiancés, puisque la sœur d'Yves
parlait d'elle ...
Et Arlette voyait, dans le fait qu'elle venait de découvrir, l'explication de l'attitude bizarre d'Yves à son égard.
Sans doute avait-il éprouvé pour elle un certain penehant,
mais il ne voulait s'y abandonner à aucun prix, puis'1uO
sa foi était engagée ailleurs. De là ces brusques alternatives de camaraderie presque tendre et de froideur. Mais
ce soir, pourtant, elle avait vraiment lu de l'amour dans
ses yeux; ot plusieurs fois elle avait cru entendre les
mots qu'elle attendait_ S'il ne les avait pas prononcés,
c'est qu'il aimait aussi, et plus qu'elle, ceLte jeune Olle lointaine. cette fiancée que connaissait sa sœur. Pouvait-elle
lutter contre cette inconnue? Vraiment Arlette se domandait si elle ne rêvait pas. Ce brusque écroulement d'un
rêve si beau et si légilime la laissait anéantie, sans force
d'abord pour r6agir, aussi 6tourcW-J que si elle avait reçu
un grand choc physique.
D'abord, olle se mit·à haïr ceLLe pauvre fille, dont ollo
ignorait l'existence cinq minules auparavant, mais qui sa
dressait maintrnant sur son chemin. lui barrant la route
du bonheur. C'était quelque oio blanche. pensail-olle, sans
doule une amie d'enfance d'Yves. quelqu'uno de ees
petites Bretonnes à l'esprit étroit, qui no connais!lent rien
de l'exislence et se marienl sur l'ordre de leurs parents ...
Puis, à la r6flexion. ce fut sur Yvos qu'ello reporta son
mépris et sa colore. Comment co jeune officier, qui savait
si Lien parler de l'honneur, dont 10 visogo respirait vraiment la franchiso et la droituro, avait-Il pu jouer cetto
infâme oomédio? De quel nom devait-on accabler une
pareille Hl.cheL6?
La colère lui rendit les forœs que la violence du coup
lui avait fait perdre. Elle sorLit brusquement do lu
chambre d'Yves et monta aussitôt sur 10 pont.
�70
POURQUOI N'AVEZ-VOUS l'AS CO:'IPRIS
? ...
Yves était res~é
à l'endroit même où Arlette l'avait
quitté. Le pauvre garçon, pendanl qu'Arlette se mépt'o~nait
si atrocement sur une phrase de Marie-Antoinette
·pour qui la ~ fiancée» de son frère était la mer Qt l'accablait de sen courroux ct de son mépris, s'abanùennait à
la délicieuso rêverie que nous lui avons vu ébaucher.
Lorsqu'il vil Arlelte revenir, il fit un geste comme pour
s'élanoer vers elle ct, peut-être, lui confier enfm son
secret. Mais il n'acheva pas son mouvoment . La jeuno
mIe était d'une pâleur émouvanle. Son visage, tout il.
l'heure plein d'animation ct de gaîté, avait revêtu un
aspect ravagé qui torrifia Yves.
- Qu'avez-vous? demanda-t-il. Vous ôtes soufTrante?
Mais Arlette passa devant lui, les yeux Hxes, sana
répondre à sa demande. Seulement, comme l'inlorLuné
gélrç.on s'avançait vers elle, elle lui dit à. ml- voix, el 58.nS
même le regard r :
- Vous êles un lâche 1
Yves demeura comme frappé de la foudre et dut
s'accrocher au bastingage. C'élait la prl mi rt) fois qu'on
lui adressait un mot aussi odieuseme!ll insultont, et c'éLait
cello ql;'il aimait pur-dessus tou'L qui l'uvait prononeô.
11 essaya de croire il uno plaisanterio, mais 10 souvenir
des trails décomposo3 ù'ArleLle lui revinl. SûrùmenL
queL.fue chose de nouvoau el de très grave s'6tait produit,
Elle avait porlo il quelqu'un, qui avait dû calomnitlr
Yves. Yves Ile .,0 connaissait pas d'ennenlÎ, mais Bail-on
jamuis, los jalousies qui rôdenl, invisibles, dJns 10
monde? JI fnlluil f.Aire cesser cotte nITlcllse méprise. Quolques mo~s
allaient cort,Jinûmont tout expliquer. remeltra
los choses au poini. (.\sl pur de s mLltdJJes raisonnements
qu'Yves, loul on lûchant de rûjoindro Arletle, tOI lait do
se r06!Surer. Mais uno ungoisse mortû Ile 1'6lroiguuit. li bè
rnd lil compte que, pour ln première lois do sa vie, il
n'uvllll pas ugi avec linJkxiblc loy.lut6 I./ui élait Bon premier principe do condulLo.
A qUl,lques mùlrès d lui, il voyait 1 rob féerique
d'Arielle, muis il Ile pouvait parvenir Il rojoindre la jcuno
flUe, car il n'os,IL pas CJ \lfÏl', ct SUIlS cesso de!! couplls
tournoyants e'intcrposuiùnl entre oux cleu ..
Au moment où il la vit ,,'engager dllns l'ôtroit <,sculier
e~ descendre vers le pont inf6rieur du navire, où il pou-
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMI'11l 3? ..
71
vait espérer la rattrapper, s'expliquer enfin avoc eUp,
le vieux commandant surglt, prit Yves par le br.ls, et lui
demanda en !!ouri:mt des nouvell es de la soirée. Yves, au
SUpplICC, fut obligé d'assurer avec dé!. rence son chel
qu'il était tout à fait heureux, et que la compagnie
d'Arldte l'ava it à tous poinls de vue euchanté.
Lorqu'il put êchapper à sen chef, ArIelle avait disparu.
Où la rejoindre? Le malheureux avait conscience que
chaque minute qui s'écouLlit aggravait le m alentendu; en
ne se disculpant pas sur-le-champ, il pari
~ sait
avouer
ce crime imaginaire que lui reprochait AIlette. Il chercha
du secours autour de lui et ren ontra le rogard de Robert
Vernd, qui, inquiet de sa mine hagarde, l'observait
dl'puis un court instant. Robert se rapprocha immédiate- '
ment de lui!
- Tu cherches quelqu'un? demanda·t-il.
- Oui, Arlette 1
- Mais que 50 posse-t-ll?
- Jete le d irai tout à l'heure. Mais il rau t que je voie
~1'l
l) te,
quo je lui parle immédiatemont.
nebert venait justement de croiser la joune mIe sur 16
P( nt lnréri::ur. 1110 dit il Yvos, on ajoutant qu'ello avait
l'air de se diriger vers le R carr6 ~. Sans remorcier son
omi, Yves se IJrécipUa. Robert, en voyant cette hâte,
hOCha tristement la tét J , tout était à rocomm encer; et il'
!I sentait indirectement coupable, mai a il avait dù obéir
à l'ordre formol de son chef.
Comme aucùn devoir de sa charg') ne 10 rotonait maintenant sur ce pont, il parUt lui aussi, fi la suito d'Yves.
vers 10 « carré •.
Cette pièce, qui sert habituellement de salle à manger
aux officiers, à l'exception du commandant, av,lit été
provisoirement transformée en fumoir. C'est là, malgré
1'1 xigult6 relntive de la piùce , quo se rMugl.:Üent les amatrurr, de bridgo et 1,'8 couples fatigu6s de danser, qui profOraient un mom nnt de demi-isolement à la cohue du
bal.
Hobort rejoignit Yves à l'ont rée de ce fumoir ct y
entra on mtÎmo temps que luI. 'fout de suito ils virent
Arlette. La jeune mie semblait avoir relrouvé touL IOIl
t'al mil t n'accorda pas m ême un regard aux nouveaux
arrivants. EUe 6tait ontourée d' une bonnG parlio dos
�72
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? ..
membres du Tennis · Club, au premier rang desquels était
l'avantageux Gaston, qui pérorait.
Yves avait espéré trouver son amie seule, et cette
affluence le consterna. 11 s'assit marhinalement à une
petite table de jeu, et Robert, pour l'aider à pr.endre une
contenance distribua des cartes et commença une partie.
'Mais toute' leur attention se portait sur le groupe qui
avait Arlette pOUl' centre. 11 y était qu.estion d'un nouveau projet de celle qui élait in~scutablme
l'animatrice de lout ce groupe . Yves fil Robert ne comprirent
bien d'aborù de quoi il s'agissait. Tout ce qu'ils saisirent,
c'est que cc projet rencontrait une vive opposition chez
la majorité des auditeurs.
- Non 1 disail Mlle Delanoë de sa .voix perçante, ça, ça
n'est pas prudent du tout. Je ne SUIS pas plus peureuse
qu'une autre, vous le savez bien, Arlette, mais quand
mêmel ...
- Eh bion 1 vous ne viendrez pas, voilà tout, répondail ArletLe d'un ton agressif.
1i:n écoulant encore, Yves comprit qu'il s'agissait d'aller
faire du camping pondant trois jours au delà de Marrakcch, sur les premiers contr'eforts de l'Atlas. Ce qu'un
pareil projet avait de Lrès réellement périlleux lui apparut aussiLôt; certes, cetLe région élait en principe soumise
à notTe pavillon, mais, malgré la vigilance ùes posLes
militairos, il subsistait encore quelques bandes de dissidents, armés et bien organisés, qui n'hésitaient pas à
s'emparer des voyageurs isolés, assez imprudents pour
venir sans de sérieuses précautions dans ces régions et
les rançonner durement.
- J amaig vos parents ne vous laissoront partir, disait
quelqu'un. 1
- Mes parents? lis partent demain pour la France
et y reslent Ulle ql1inzuinù; je suis libre comme l'air.
l!;t puis là n'est pas la question; qui veut venir uvoc
moi?
Un morne silence régna.
- C'ost très bien, dit Arlette. Jo partirai soule.
Hobert, qui observait GasLon depuis un moment, voyait
Je pauvre diable rou~i
ct pâlir Lour à tO\1l'; illultait vislblemenL contre une assez grande peur. Enfin, ù'une voix
:
étrangl6e. il ano~
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?..
73
- Je ne vous laisserai pas partir seule, Arlette. Si vous
le voulez, j'irai avec vous.
Tout Je monde le regarda; un pareil héroïsme n'était
pas dans ses habitudes. Yves leva aussitôt la tête et
rencontra un regard d'Arlette plein d'ironie et de
défi.
- Je ne peux pas accepter, dit-eUe, d'a:Iler passer trois
jours seule avec vous dans la rrumtagne . Ce sont des "
choses que la soci.été condamne 1 Mais si quelqulun d'autre
voulait venir, nous partirions vendr&di,
Yves se leva et s'approGha lentement du groupe, où le
silenoe régnait de nouveau :
- Vons ne ferez pas cette folie-I dit-il.
- Vous me l'interdisez? demanda ironiquement
Arlelte.
Yves se sentit rougir;
.
- Je n'ai rien à vous intel'dire, répoad-il, mais je vous
dis qu'aller soulo dans cette région osl une folie.
- Comment seule? interrompit Gaston. Vous m'ouhliez?
Yves lui jota un rogard de compo..ssion el reprit:
- Je dis bien. seule. Vous savllz comme tout le monde
ici ce qu'il y a de dangoreux dans votl'O projet.
- Mais moi je ne suis pas lâche J dit Arlette d'une
voix sourde, en regardant Yves bien en face.
TOuL le monde comprit qu'en dessous des mots qui
s'échangeaient il y avait un drame secret, qui approchait
de son dénouement. Yves, au mot de « lâche, » avait
tressailli violemment; c'était la seconde fois en quelques
minutes que ce mot infâmanl lui sifllail aux oreilles. 11
pal'vint à se maltrisor cependant et dit calmement:
- Ce n'est pas do la Hlcheté, Arlelte, que sc rendre
compte du danger et ne pas s'y exposer inutilement, suns
profil pOUl' petsonno.
- Celte prudence vous honore, railla Ariette, elle ne
m'étonno du roste pas. Je s:lÏs quo vos jours, - ou votr"
liberté, CD.!' il ne faut rien meUre au tragique, - importe
il trop de pel'soIHles pour que vous l'oxposi ez " inulilemenL n, comme vous diles. Mais je ne suis pas dans volro
cus, je suis libre, moi, absolumOllt libre J
Yves 10. regardait sans comprendre. D'où lui venait
tout à coup cette résolution, ce Lon de . ferJIleté presque
�74
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS? ••
désespéré? Il fallait absolument, et au plus t6t, sortir
de ce cauchemar.
vous demander une minute
- Arlette, dit-il, pui~-je
d'entretien?
- Inutile cher ami, complètement inutile. Vous avez
faire daI1Ser longtemps, ce soir; c'est alors
bien voulu ~e
qu'il fallait D;le parler si vous aviez quelque chose de si
important à me dire, Maintenant, il est trop tard, beaucoup trop tard ...
Elle répéta deux fois : « trop tard " et ces deux,
mots, terribles, tombaient sur Yves comme des coups. Il
restait devait elle, comme un coupable.
Arlette reprit :
- Vous pouvez constater, d'ail1eurs, que je ne vous ai
rien demandé; je sais trop bien que vous ne voudriez pour
rien au monde vous exposer au moindre péril.
Robert, indign6 de ce que la phrase d'Arlette contenait
d'insultant pour son ami, voulut intervenir, mais Yves
l'arrêta d'un geste. Seulement sa voix tremblait un peu
lorsqu'il dit:
- En effet, ma vie ni ma libert6 no m'appartiennent
plus. En revôtant cet uniformo, j'ai fait le don complet
do l'un et do l'autre à mon pays. Vous ru'excuserez do ne
pas reprendre ma parole pour les mettre à votre disposition.
l'avantaCeci dit, il sortait, suivi de Robert, lor~ue
geux Gaston, heureux du tour quo prenaient les événements, car il voyait qu'Arlette allait refuser sa compagnie,
et il pensait conserver l'avantage de la. lui avoir ollerte,
cuL l'imprudence de murmurer:
- Tout cela, ce sont dei phraso~;
il sc d6gonOo 1...
Robert l'entendit : se retournant d'un mouvement
rapide, ot avant qu'Yves ai t pu 10 rotenir, il marcha sur
l'insolent qui, terrifié des conséquences da su phrn~e
inconHidôrôo, paraissait vouloil' s'incruster dans le divan.
- Jeune homme, dit Robert, si VOUR n'avioz pas l'honni)ur d'lllre ici choz moi, vous auriez ù6jtl. reçu uno paire
cie gifles. Mais maintenant, je vous invite ù d6guerpir
immédiotcment, et je vous souhaite de Ile jamais vous
trouvcr Bur mon chomin lorsquo j'irai fi terr·c.
Rt il rejoignit YVl's,]nÎqsnnt le jeuno fut aUorr6 el livide.
A.pr{os la sl)rtin fies doux officiers, un mo~nt
d" ~nu
�POURQUOI N'AVLZ-VOUS PAS COMPRIS
?...
75
,plana dans le petit fumoir; tout le monde, au fond,
était obligé de reconnaître qu'Yves avait raison; mais
nul n'osait exprimer cette opinion, pal' crainte d'a voir à
subir UllO violente sortie de la part d'Arlette.
Sous des prétextes divers, ils se hâtèrent de s'en
alJer, et la jeune fllle se trouva bientôt seule avee Gastoh.
- Arlette, dit celui-ci d'une voix qui tremblait encore
~ de l'émotion qu'il avait eue, je ne peux que vous réitérer
une proposition: un mot de vous, et je pars avec vous ...
- Eh bien 1 facoepte, là 1 dit Arlette à bout de nerfs,
Et elle sortit en claquant la porte, et laissant le pauvre
diable épouvanto des suites tragiques quo pouvait comporter 50n ofire.
Sur le pont, le bal languissait. Les derniàres étoiles
avaient disparu, et un léger souffle ohassait du ciel rose
les dernières ombres de la nuit. Déjà, plusieurs vedottes
avaient emporlé vors la ville qui s'éveillait quelques
invités fatigués. Le mouvement de départ s'accentuait. II
était cinq heures du matin, et le soleil allaiL paraltro.
Yves et Robert, remplissnnt lour dovoir jusqu'au bout,
élaient auprôs du commandant et l'aidaient à prendre
congé da ceux qui partaient. Arlette parut à son tour, ot
lé brave commandant crut rêver, lorsqu'il la vil passer,
€ln apparonce indifT6ronte, dovant Yves, qui nc fit pas un
mouvement pour la snluer.
Los derniers inviLés partis, Yves rentra dans sa cabine;
un loger parfum y flottait encore, €l'était celui d'Arlette.
Bile était vonue là, olle s'était assise là ... Mals, bri5é do
fatigue ct d'(Jmotions, Yves s'élendit sur son lit et sombra,
dans un I!lommeil profond, nu moment où le soJeHlevant,
pénétrant par une fente étroite du rideau, illuminait une:
lettro sur sa table, une lottre où était écrite cetto simple'
phrase, cause de tout le dramo :
« 11 y a longtemps, 10ngtemp3 que je n'ùi vu ta
fiancée ... »
�76
POURQUOI N'AVEZ-VOUS rAS COMPRIS
? .•
CHAPITRE V
Les obligations du service forcèrent Yves à sortir de sa
torpeur vers dix heures du matin. Son. travail achevé.
il trouva Robert sur le pont, à peine levé, et savourant
nonchalamment la volupté de lu première ~pe
de la journée. Celui-ci n'osa pas aborderimmédiatement les incidents
qui avaienL marqué cette nuit de fête si bian commencée_
- Encore une belle journée qui s'annonce 1 dit-il d'un
ton détaché.
Mais, le visago soucieux, Yves ne lui répondit pas.
Robert préféra alors attaquer tout de suite la question:
- J'avoue, diL·il, que je n'ai rien compris à ce qui s'est
passé cette nuit. J'ai remis ce peUt sot àsa place parce qu'il
avait été grossier, et, si je n'en ai 1)0.5 fait autant pOUl'
ceLte petite Arlette, c'esL que tu m'on as empêché. Mais
qu'e~t-c
qu'ils ont? Qfl veulent-ils en venir?
Yves, alors, raoonta longuement à son ami ce qui s'était
passé enLre lui et Arlette. CommenL la jeune fille, après
s'être monlroo délicieuse avec lui pendant le souper qu'ils
avaient fait tHe à tèto, et les heures qui l'avaient suivi,
avait brusquement changé, pO'Ur des raison!! qui demeuraient mystérieuses, et l'avait à deux reprises accusé de
lâcheté. Que s'était-il passé? Rien no pouvait 10 faire
deviner à Yves, il cent lieucs de sc douter qll'une innocenle
phrase de la leltre de sa sœur étoiL cause de tout le mal,
et lui et Robert cherchèrent plusieurs explicalions, sans
pouvoir raisonnnblomenL s'arrêler à aucune; il y avait
lil-dessous un mystère inquiétant.
- Je no peux pourtant pas, dit Yves, en roster sur col
aITront : tous cos petits imb6ciles, Gaston on t\1l c, iraient
clabauder parlout qu'un marin (rançais est moins courageux qu'uno joune fille._.
- Bah 1 dit philosophiquement Robort, queUo importance peut avoir pour toi Jeur opinion?
- Je no dis pas, mais c'ost insultant.
La vérilé ôtait que l'opinion de Gaslon lui importait
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?..
77
fort peu, mais que, pour rien au monde, il ne voulait
qu'Arlet Le pût garder de lui le souvenir d'un lache.
- Crois-tu, dit-il tout à coup, après un moment de
réllexion, que je puisse accompagner Arlette?
1 - Mais tu n'y penses pas! s'écria Rober-t . Tu l'as dit
'toi-même, c'est une folie. Si cette petite cherche des
émotions f{)rtes, libre à elle , mais qu'elle y aille seule, ou
. avec son idiot de Gaston... D'ailleurs, nous partons
dimanche ...
Non , dit Yves, le command ant vient de recevoir un
télégramme, nous restons ici encore une semaine.
- Mais enfin, quand même 1. .• Souviens-toi de ce que
tu as dit: Ta Liberté ne t'appartient plus.
- Mais si je demande une permission? Pour trois jours 1
Robert jeta un bref regard sur son ami:
- C'est bon, dit-il, si tu pars je pars avec toi.
11 connaissait, en effet, assez bien le visage d'Yves
pour comprendro que la décision du jeune officier étai t
priso, irrévocablement, et que c'était pal' pure amitié
qu'il affeclait de discuter encorc. Mais Yvos protesta:
- C'est impossible, dit-il. Jamais le commandant ne
voudra nous laissor partir lous les doux?
- Pourquoi pas? dit le jeune commissaire, jusqu'à la
fin du mois, je n'ai rien à faire à bord ...
Par ar.quil de conscionce, Roberl tenta encore d'user
des argumenls qu'il jugeait les plus forts pour détourner
Yves de son projot. Il lui montra qu'il risquait de compromellre sa carrière, que, si un malheur arriva it, il
lai sserait sa sœur sans socours. Mais Yves s'était déjà
posé toules ces objections, un sentimenL plus fort que la
légitime ambition, que l'amour !raton~l
mOrne, l'animait.
Il était décidé à partir, il partirait. Lorsque Robert eut
acquis la conviction quo rien no pouvait faire changer
d'avis son ami, il ùit :
- Mainlenant, mon vieux, occupons-nous de noLre
départ, d'obtenir nos permis·üons .. .
- Mais je veux partir seuIl
- Alors je vais faire du chanlage 1 Si lu voux partir
seul, je me (CI'ai uno obligation d'avertir le commandant
de ton projot, el lu pourras courir après la permission ...
- SoJe individu 1 dit Yves en sourianL. Tu me tiens 1
l<ih bien 1 j'en suis ravi, et à la grâce ùe Dieu 1
�78
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? ..
Les deux amis échangèrent une poignée de mains , et
chacun rentra dans sa cabine.
Yvos constata qu'il lui re;tait un peu plus de deux
mille francs' il décida de le3 envoyer aussitôt à MarieAntoinette; l'ofIre que lui avait faite Robert que :ques
jours auparavant lui était re.venue en mémoire; il lui
emprunterait l'argent nécessall'e au voyage ou, plutôt,
lui demanderait une avance SUl' sa solde du mois prochain, ce qui était tacile, puisque c'était Robert qui était
ohargé de le payer.
Puis il écrivit une longue lettre à sa sœur; c'était de
ce côté surtout que lui venaient les plus grands remords
en ce qui concornait sa décision de partir. Qu'adviendraitil, dans le cas - bien improbable, il est vrai, mais
enfin 1... - d'un malheur, à cette Jeune fllle malade et
seule, sans fortune, sons ramille ... 11 eut un moment de
faiblesse Cil écrivant cette 1 ttre, mais so ressaisit vito. Il
en écrivit une seconde, destin6e au commandant, ot qu'il
enforma dans un tiroir de /jon bureau. 11 priait le digne
ofll r:iQr, pOUl' 10 cas où un accidont lui arriverait, de
pourvoir aux bosoins do Marie -Antoinette jusqu'à ce
qu'611e ait trouvé un mari digne d'elle.
Sa cons~e
mise on repos do co côlé, il Ue lui restait
plus qu'à s'occuper dei d6tails matériels de l'exp6dition,
et, on premier liou, d'obtenir uno permission de trois ou
quatre jours.
Maia comme il sortait ùe sa cabino, il se heurta à Robert,
qui arrl valt plein de joie, en agitant los doux pormisn~
dftment signées ct paraphllcs : le commissaire Robort
Vernot t l'enseigno de vaisseau Yves de Korval ulaiont'
autorisés à qultler 10 bord du Jeuùi midi au lundi 30ir.
- Comment as-tu pu faire? demanda Yves 6rnorvoillé .
ùe la solution rapide apportéo à l'un dos points 100 plus
délicats de l'exp6dition.
- Çn, c'est mon affairo, répondit Robort. Et m(lintonant, allons déjeuner.
Roberl avait simploment ôta raconter toulo l'altaire au
commandant. ConnaisS.lllt bi en son chof, il savait qu'il no
pourrait par lb. nUIre en aucuno façon aux alYairos de 8011
IHIlI. Du resLe, c'ôlait le soul moyon d'obtonir sans trop do
dlJll culté los doux permissions.
JI avait ho.lJilomont insisté sur l'accusation do lûchet6
�POURQU-OI NYAVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?..
79
qui avait été portée par la jeune fille contre Yves, - et le
vieil officier, piqué pour l'honneur de son bâtiment et de
ses officiers, s'était assez facilement laissé arracher son
autorisation.
- Mon devoir, avait-il dit, serait de vous refuser à tous
le/! deux cette permission, mais je eens bien qu'il y a làdessous autre chose : Kerval y tient plus que vous me le
dites . .. Mais je ne veux plus rien savoir. Voici vos
permissions, tâchez d'être là lundi soir. Je n'exige de vous
,qu'une chose; vous voyagerez en civils ...
Chose que Robert avait, comme l'on pense, bien facilement promise, l'essentiel étant de partir.
Les d6ux jeunes gens passèrent à bord toute la journée
et la soirée. Yves ne voulait avertir Arlette qu'au moment
du départ j puisqu'elle n'emmenait que Gaston, il était
sûr qu'il y aurait de la place pour lui et son ami. Et puis ~
craignait un peu la façon dont elle l'accueillerait, - surtout escorté de RoberL, - ot préféraiL ne {aire éclator
l'orage qu'au moment où il faudraiL trancher immédiatemont la ques~ion.
Mais le jeudi matin, comme ils avaient divers achats à
efTectuer avant le départ, ils prlrent de honne heure congé
du commandant et de leurs camarades eL se liront
aussitôt conduire à torre.
Tout l'après-midi ils coururent les magasins pour
acheter le matériel élémenLaire qu'exig 'aient trois jours et
It rois nuits de camping. Tenles, ustensiles, réchauds, etc.
Robert voulut touL payer, en dehors de l'argent qu'il
avait anncé à Yves. Il affirmait avoir depuis longtemps
envie de fllil'o Cl,}tLo acquiSItion et 60 déclarait décid6 à
'aller dorénavant, à chaque escale, goûter pendant quel.
~es
jours les joios d(j la vie 8n gran<t alr. .. sur terre.
Yves, qui connnissait les gollts sédentaires do son camarade, ne ful pos dupe, mai Il dut s'incliner.
. Lo Roir, enCln, atlabl6s dans un bon rcstal.\rant, ils
purent un pou reprendre haleino eL parler tranquillement
de leur:! projets.
~
Comme arme, dit Yves, nous avons tout ce qu'il nous
r ut lIVOC nos revolvers d'ordonnance. D'ailleurs, il
ne fauùralt. en fJire usage qu'à la toulo dOl'Oièro e:drémité, car 'dans notre situation, moins nous attirerons
l'attontlon ,ur nous. mieux cela vaudra,
�80
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? .•
- Assurément, dit Robert avec un léger sourire. Tu ne
vois pas si le bruit de notre escapade arrivait jusqu'au
commandant. On n'y couperait pas de quelques jours
d'arrêts... A ce sujet, j'ai pensé qu'il vaudrait mi€ux
voyager en civils .. .
- Bien entendu 1 J'ai apporté mon complet dans ceUe
valise.
- Comme cela, c'est parfait.
Tous les autres points maLériels du voyage furent amSI
réglés, si bien qu'en sortant du :e~laurnt
Robert proposa à Yves d'aller finir la sOiree ~ans
~n
dancing,
(( histoire de prendre encore une dlstracLlOn ». Yves
accepta.
Apras être passés à lenr hôtel, pour voir si tout leur
fourrument leur avait bien été envoyé, ils 50 dirigèrent
d'un commun accord vers le « Palais des Fêtes n, le plus
grand dancing do Casablanca.
Malgré l'heure relativement peu tardive, il y avait
déjà beaucoup de monde. Les deux jeunes gons cherchaient
Wle table un peu à l'écart, d'où ils puissent voir paisiblemenl les atlractions qui, de temps en temps, occupaient
la piste des danseurs, lorsqu'ils avisèrent, seul à une table,
et les observant d'un air médiocrement rassuré, le prétentieux Gaston. En les voyant se dirigO'l' sur lui, Gaston se
souleva à demi sur son siège:
- No fuyez pa~,
beau jeune homme, dit Robert, 10
visage souriant et le ton engageant, vous nous feriez
douter de volre courage 1
- J'ai élé un peu vU, hier malin ... balbutia Gaston.
- Vous trouvez? dit Robert en rianl. Pas moi dn tout.
Vous voyez comme j'ai bon caractôre. Viens t'asseoir,
dit-il à Yves, Monsieur nous offrira sürement quelque
chose.
- Mais avec plaisir, dit Gaston. Commandez co qu'il
vous plnirn.
Le pauvre garçon, la promière terreur passée quo lui
avuH caU!5éo la rencontre de Robert, étail heureux do
lrouver quelqu'un il. qui parler. Depuis la veille, il vivait
flans les transos au sujet de ce voyage d'Arlette. Ce matin,
un coup de téléphone de 10. jeune Olle Jlli avait conftrm6
qu'elle acceptait toujOUI"3 son oerre, et 10 malhoureux
n'avait pas osé sc dédire; ces lrois Jours, pensait-il, avan-
�l'OUR~I
N'AVEZ-VOUS
PAS
COMPRIS
7...
81
ceraient rudement ses affaires auprès d'Arlette. Mais, s'il
était ici ce soir, c'est qu'il venait demander à l'animation
d'un lieu de fête et à l'alcool un petit supplément de courage qui ne lui était pas inutile.
- Ce que vous avez dit hier, dit-il en parlant à Yves,
m'a étonné. Cette région est-elle vraiment si dangereuse
que cela?
Yves allait répondre, lorsque Robert lui donna un coup
de pied sous la table, pour le prier de se taire, et parla à
sa place.
- Dangereuse? dit-il. C'est peu dire! Notre situation
nous met à même de savoir mieux que quiconque ce qui
se passe là-bas. On cache à peu près tout au public.
- Vous êteselTrayantl dit Gaston, et il commanda un
second whisky. Mais quesepasse-t-il au juste?
- Vous n'êtes jamais allé par là-bas?
- Non. Je n'ai jamais dépasss6 Marrakech.
- Vous avez mieux fail, dit Robert d'un air sombre,
qui fallliL donner le Iou rire à Yves. Juste après Marrakech
commencent des régions à la fois désertiques et montagneuses, habitées par des populations farouches, irréductibles ...
- Mais je croyais tout cela paciné depuis longtemps!
dit faiblement Gaston.
- Pacill6? répéta Robert avec un rire amer et ironique.
On le dit, pour quo les Européons ne quittont pas en masso
Marrakoch, et môme Casablanca 1 La vérité est que ce
pays est entièrement sous la domination de ces bandes
sauvages. Et les lions de l'Atlas? En avez-vous ontendu
parler?
- Oui, mais ...
- Nous y roviendrons tout à l'heure: cc n'est pas là,
d'ailleurs, qu'est Jo plus grand péril. Mais vous Souvonezvous de ces deux J.t.:urop6ens, fai Ls prison ni ors dans ces
régions, voici deux ou trois ans, 01, pour qui 10 gouvernement a, dit-on, payé uno forto rançon?
- Oui, vaguement.
- Vous vous souvonez aussi comment a fini cotte histaire?
- Oui, il me semble. Une fois que la rançon a éLé payée,
ils onL ôté J'omis en liberté.
- VOliS les avez revus, vous?
�82
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? ..
Moi non, mais il paraît qu'ils .sont repassés pal'
CasabÙl.nca.
- Il parait? Eh bien 1 continuez à le croire, et soyez
heureux ...
- Mais que leur est-il ar~vé?
.
.
- Je vous le dirai tO'llt il 1heure. LaISSeZ-mOl regarder
cette daru ' use.
Un moment, pour laisser à l'angoisse de Gas Lon le temps
de s'accroître, Robert suivit attéotlv(Jment les 6volutions
d'une jeune danseuse, rapide et souple, ~ui
tourbillop.nait
au milieu de la. salle, sous le feu de proJecteurs multicolores. Lorsque l'alh'action fut terminée, Gaston posa. do
nouveau l5a question inquiète:
- Mais, ,mes-moi au moins ce qui leur est vraiment
arrivé 1
Robort le fixa, vida son verre de whisky, nt claquer sa
langue, ct dit entln calmement;
~
Ils ont été man;;és.
Yves se miL à tousser bl'uyamment, pour étouffer un
rire qu'il ne pouvait plus retenir. Il lui somblait quo son
ami dépassait la mejSUro, et que cc jeune Casablancnis no
pourrait, malgré sa sottise, avaler qucl'IUe cholle d'aussi
6norme. Mais la frayeur avait v~sibl
() m e nt
enlevé Lout
sens critique au prétenLieux Gnslon. Il roposa d'une
main qui tremblait le verro qu'il portait 0. sos lèvres au
moment do 1'6pou vantabll) déolarntion do Robert ct
répéta d'une voix. blanehe :
~M
, ng6BI
- Oui, mangés, dit sombrement Robert. D"s soldats
onl retrouv6 leur/! cranes ct leurs 03 ; on y voyaH encore
la marque dos donts. Le vrai courage, monsieur, consista
à conna.Hro tous les p6rils que comporte une entreprise
avant do s'y ongagor ot il s'y ongagor quand même. Tl
faut donc que vous sachiez (lue cos horrihloi populaLions,
incnp.lbles do culliver le 501 rocheux SUI' lequel ellos
vivent, sc sonL nourrios Jongt 'mps du produit de leurs
chasses. Mais 10 gd.JÎr r s'est fait raro, ot olles ont ùil so
rabatLre sur .a chair humaine. C'est cc quo l'on veut il
toul prix dissimuler aux Européons qui vivent au Moroe,
et jo vois quo l'on y ost parvenu, puisque m(,mo un
vioux MnroCllin comme vous n'a jamais entendu purlor du
tout cela,
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS CO~lPRI
S
?..
83
- Non, jamais, murmura Gaston.
-- Mais il y a d'autres périls, reprit Robert, tout à
fait en verve . Si, par impo1!sible, le voyageur égaré dans
ces régions échappe à la dênt des anthropophages qui les
hantent, il n'échappera pas il la grifIe du lion de l'Atlas,
ou à la morsure du serpent crotale, ou il la piqûre venimeuse
de milles iusectes avides de sang humain . Et ii enfin, - ce
qui, il ma connaissance, n9 s'est encore jamais produit l il arrive quo ni les oannibales, ni los Hons de l'Atl as, ni
les serpents, ni les moustiques n'ont eu raison de ces voyageurs au courage indomptable, il reste le froid, la cha leur, la soif, la faim. La faim 1Vous avez entendu parler du
radeau do la Méduse, monsieur? Eh bien il peut arriver
que des voyageurs, affolés par la faim, se mangent entre
eux. Alors, gare aux plus faiblesl A ce propos, monsieur,
mon ami et moi avons décidé d'accompagner Mlle Granf:6
et vous daus ceUe expédition.
Gaston, 10:> yeux agrandis par l'épouvante, rOiarda les
ùeux jeunes officiers.
- Mais c'est horrible, horrible r VOUf! avez mille fois
raison: c'est de la folie d'aller là-bas 1 Il faut absolument
avertir Arlette, l'empêcher de pnrtir ...
- Gardez-vous-en bien l dit nobert. Co sont de vrais
seorets que vous m'avez arché~,
avec vos questions. 81
quoIqu'un d'autre l'opprend, cela finirait par ressembler à
de l'espionnage, et alors .. .
Un geste men
~çf\
nt
compléta la pensée de Robert d'une
fAçon très expr~sjv.
Le pauvre gorçon no sa voyait rien
de moins quo ù~vor6,
soit par los cannibales de l'Atlas,
soit par ces vigoureux gaillards qui allaient l'accompagner,
ot quo la faim pouvait rendre rurleux. II obse rvait un
silence terrifié, et cherchait un moyen honorable pour ne
pus partil'. Maii:! son cerveau lui paraissait vidé pur la
terrour. D'autre part, laisser Arlette partir seule avec
ces deux officiers do marine, c'ôtait r ononror absolument
à ses proj ets matrimoniaux. CrueHo perplexité.
Mais, impitoyable, Robert continuait:
- Le mieux, c'est do partir tros ~érieu8mnt
armés, et
do no jamais quitter soit la voiture, Boil la lent!.'. Encoro
ne faut-il pas oublier do raire de grands r"ux, la nuit, pour
écart r les fauves. Nous prondrons la veille chacun à
- othoaucoup de chancos,
notre tour. Avec CCi pr~ca.ulions
�sr.,
POURQUOI N'AVEZ-VOU S PAS COMPRIS? . •
- il Y a quelque espoir que l'un de nous au n:oins puisse
revoir Casablanca. C'est ce que l'on peut souhaIter de plus
heureux.
Gaston était si pâle et si déCait qu'Yves eut pitié de
lui et commanda une nouvelle tournée de whisky. Sous
l'inOu encc de l'alcool, un peu de couleur revint aux pommettes du malheureux.
Yves s'amusait royalement. Il allait laire chorus avec
Robert ct ajouter d'hoITillants détails SUl' la façon dont
les voyageurs étaient m angés, lorsque sa voix s'étrangla
dans sa gorge: Arlette venait d'entrer dans la salle. Sa
présence à cette heure et dans ce lieu était si inattendue
qu'il so demanda d'abord s'il n'é tait pas victime d'une
r essemblance. Mais non. C'était bien Arlette, toute seule,
dans une robe du soir modeste, et qui tranchait nettem ent
sur le luxe un peu criard et de mauvais goût de co dancing. Elle promenait sur le spectacle qui l'entourait un
r egard distrait, plein d'indiITéronce, mais une fi amme
brillait dans ses grands yeux sombres.
Gaslon l'ap orçu t il son tour.
- Tiens 1 Arlette 1 dit-il avoc élonnement. Mais Yves
lui fit signe de 50 tenir tranquille. Tous trois, maintenant,
observaient la jiune fille, qui ne les avait pas encor e vus.
Il y avait dans sa démarche, dans tous ses mouvomonls,
quelque chose d'indiciblemen t las , lutigué, qui fr appa
Yves au cœur. Commo il aimail cotle faiblesso, otto espôco
d'abandon ct combien il la préférait aux alluros assurées
qu'ollo so croyait Ei souvenl obligéo d'aITectcl' 1 A ce
mom ent, los regards do la jeune hUe lombèrent sur le
groupe form é par les lrois hommes. 1J:lle no ma l'qua
aucune surprise, aucune gêno, non plus, mais ses traits se
durciren t, s'ossayùrenl il une exp ression désinvolte. Elle
rem ottait so n masque 1
.mile mar cha. vers eux. Yves observait son visage avec
pU:isÎon. 1J:1l0 mil un assoz long Lemps pOUl' les r ejoindre,
car les danseu rs gCnaiont sa mnrche. ~ l a is Yvos no surprit
chez ollo au cu no marquo d'uno émotion quelconque. Sa
figuro somblail do p iorre, avoc l'oxpression douloureuse
pn'sque do sos lèvres.
En arrivant, ello dit simploment :
- BODlioir 1 Il Y a de la place pour moi ?
Et, sans altrndro do réponse, ('Ile fl';Jss it sur le q1l3-
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?..
85
trième siège, encore libre devant la petite table. Afiectant
d'ignorer la présence des deux om-ciers, ce fut à Gaston
qu'elle s'adressa pour dire:
- Ça vous étonne, hein? de me voir là!
- Mais certainement, Arlette, et je me permets de
vous dire que ce n'est pas du tout votre place ...
- Quand je serai votre femmo, ça changera, n'est-ce
pas? Alors laissez-moi profiter de mes derniers jours tranquilles.
- Mais, Arlelle, il ne s'agit pas du tout de ça, dit
Gaston en rougissant jusqu'aux oreilles. Mais si vos
parents ...
- Ils Illent vers la France, mes parents, laissez-les donc
tranquilles. Un Martini! commanda-t-elle à un garçon
qui passait près d'eux . Donnez-moi donc du feu, Gaston.
Vous avez l'air tout bouleversé?
Yl"es suivait œtte scène ave-c une afireus'l douleur. Quel
mal torturait donc cetto jeune fille, - presque cette enfant!
- pour qu'elle joue à tout le monde, et m~e
à elle, une
aussi aITreuse comédie? Et que voulait-elle dire, avec
sa phrase: « Quand je serais votre femme ... » adressée à
cet imbécile? Quolle folle d6ciliion avait-alla prise? Et
sous l'om pire do qul'llo douleur? Était-ce bien elle, vraiment, la même qui, hier encore, lui disait des choses si
sensées et si belles sur la vie qu'elle voulait menor, los
cRosos auxquelles elle voulait sÏnléI'osser? Était-co la
même qui, maintenant, fumait sa cigaretto, en buvant
rette aITreuso mixture? Il avait de nouveau l'impression
do so heurter à un mystère impénétrable, accablant.
Et cela lui était tellement douloureux qu'il songoa un
moment à !S'enfuir, à s'en aller immédiatement. Mais en
cet inslant Arlette le regarda, lui parla, et il n'eut plus la
forco de bouger.
_ EL vous? dit- elle brusquomont. Ça vous choquo beaucoup de me voir ici?
- Votre conduite ne me regarde en rien, dit Yves
~èchemnt.
Et d'après ce quo je viens de comprendre,
monsiour mo paraît avoir ~lus
de droitsq'.lc moi - qui n'en
ai aucun - à la jllger.
Arlotte ha.llllsa les épaules.
- Eh bien 1moi, jo ne reconnais il personno le droit de me
jugor; pas plus il Oaston qu'à vous. Jc m'amuso, oui,
�86
POURQUOI N'À VEZ- VOUS FAS COMPRIS? ...
je veux m'amuser. J'en ai bien le droit, je suppose?
La nervosité de ces propos effraya Yves.
- Mais je suis sûr, dit-il, que personne ici ne juge vos
actes...
,
Il hésita un moment, Puis, décidé à parler, à avoir une
explicat ion coûte que coûte, il reprit, sur un ton presque
dur, mais sous lequel Robert, qui le connaissait. devinait
Ull très grand effort :
- Seulement je n'ai pas, moi non plus, l'habitude de:
laisser juger mes actions, et encore moins celle de lai6ser;
porter sur moi des jugeme nts sans motifs. Adette, en quoi;
me suis-je montré lâche?
,
Sous la rudesse de cette attaqua directe, !la jeune fille,
battit des paupières et parut tm instant se troubler.
Robert vit le rogard qu'elle lança à Yves, un regard éperdu,
qui semblait demander grâce, mais ce regard ne rencontra qu'un masque impassible. Yves voulait à tout prix
une explicalion. L, doute affreux qui 10 haraelail depuis
deux jours 'exigeait une solution, et les deux jeunes gens,
si proches deux jours auparavant, 60 considéraient comme
deux ennemis.
Mais Arlotte so ressaisit vite et, une lois encore, elIe se
d.éroba. Peut-être étail-ello gOnéo par la présence des
deux autres convives; pout-ôtre était-elle trop fièro pour
s'expliquor sur un pareil sujet, fl'exculICr cn quelque
sorlo ;
- Ai-je dit que vous éliez llll lâche? demanda-t-elle.
Après lout, c'est possible. Muis comment qualifieriez-vous
la conduite d'un ... meltons 011coro d'un ami, qui refuse
d'accompagnor une jeune j,lIo pour trois jours d'excursion,
sous le prétexte d'un vaguo danger?
- D'un vague danger 1 s'écria Gaston.
Mais un regard foudroyant do Robert 10 ramena aU
eilence.
Yves souleva les épaules, pal' un gellto de fatigue. Il
n'ôtait pas dupe de cette défaite. La premièro fois quo la
jt une fille lui avait appliqu6 cetlo d6sho/lorante épiLhOlr,
il n'avait pas encore été quostion ÙO co voyage, Mais il
n'oul pas 10 courage d'entamer une discussion sur cc
sujet; ou, peut-ôtre, il eut pitié d'Arlolle. 11 se contenta
de répondro avec un sourire assez lristo :
- Eh bienl ArleLto, voue pouvoz alors retirer votre
�pour.QUOI
!'i'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?..
8?
mot, puisqu'il parait qu'il n'avait quo cette cause . Robert
et moi demandons à vous accompagner demain.
Cette fois, Arl ette ne put masquer le trouble où la jet:üt
cette nouvelle. Elle rougit fortement, avant de répondre
d'une voix mal assurée :
- Qu'est-ce qui vous prend, Yves? C'est vraiment parce
que j'ai prononcé ce mot quo vous avel. pris cette
décisIon?
- En partie, oui; mais pour bien d'autres raisons'
enflora.
- Vous ne pouvez pas m'en dire une seulo? reprit-eUe
d'une voix plus basse.
Robert, à ce moment, se leva.
- Si VOU5\ permettez, dit- il, je vais fumer une cigarette
au jardin. On étouffe, ici. Vous ne trouvez pas, monsieur,
di t- il 0. Gaston.
- Non, je n'ai pus trop chaud 1
- Eh bien 1 venez quand même.
11s s'éloignèrent tous les deux, Robert tenant solidement
par Je bras Gaston, que ses récentes émoLions - et plus
encore, sans doute, la forte dose de whisl,y qu'il avait
absorbée, - faisait légèrement chancoler.
Yves répondit à Arlette sans changer <:le ton, ot comme
s'il ne se fût pas aperçu de ce double départ;
- Non; je ne peux vous dire aucune de ces raisons. Du
moins. pas à pr6sent; plus lard peut-être ...
Arlotte, plus libre depuis que les deux autres ét1ient
partis, nt encore un efTort de compréhension vers
Yves:
- Vous me montrez, dit-elle, qu'il ne faut pas se hâter
do juger les gens. Ainsi, no jugez pas trop vite ma pl'ésence
ici, ce soir ...
Ello retrotlvaitoQs into.~
touchantes, presqucenfontines, mais sano, miovrdie, qui 6mouvaient Yves. Mais il sc
l'aidit contro cette émol.ion. Il en voulait vraiment à Arlette
de n'avoir pns réponduav€c franchise asa demande d'explicallon de toul. tA l'heure. Aussi ne pronta-t-il pas de ce
moment, si favorable à l'explication, qu'il recherchait avec
tOln!. do passion.
11 prit UII air détaché, un 10n ironique, qui no correspond:lirnt en ri"n aux sent imf'nLs qui l'agitaient, pour
d:l'o:
�88
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? ..
- Si je me permettais, Arlj)~te,
de f~ire
.une .hypothèse
sur votre présence ici ce soir, JO po~rals
dire ~mpleot
que c'est le fait d'une petite fllle qUI se trouve lIbre par le
départ de ses parents.
- C'est tout ce que vous auriez à dire? demanda
l~ montrer.
,
Arlette plus blessée qu'elle ne voul~it
- Non, reprit Yves. Je pourraJ.s dITe encore que c est
aussi le fait d'une jeune fille qUI souffre, et qui v~ut
étourdir sa souffrance par tous les moyens, et qui croit,
naïvement, que l'atmosphère d'un dancing est propre à
cela ...
- Vous seriez ainsi beaucoup plus près de la vérité,
- dit lentement Arlette.
Le moment tant attendu était-il donc arrivé? Yves,
attentif, guctLait les premiers mots de la jeune fille, qui
éLait sur le point de parler. Mais à ce momen1, Gaston
reparut, suivi de loin par Robert, qui levait les bras, en
signe d'impuissance.
Arle~L
fit un gesLe de contrariété ; mais il était trop
tard, ce ne seraiL pas ce soir .enc·oro qu'elle expliquerait
à Yves, profondément désappomté, ce qui faisait sa souffrance
- Ma chère, dit Gaston ompressé, il est bienlôt minuit.
Si vous tonez toujours à partir demain matin ...
- J'y liens plus que jamais.
temps que vous
- Boni bon 1 Eh bien! il sorait peut-ô~r
allioz prendro quoIque ropos. J'ai ma voilure devant lu
porle. Si vous 10 voulez, je me Cerai un plaisir de vous
raccompagner chez vous.
Arletle ne refusa pas, 11 semblait qu'une force
inéluctable approfondissait à chaque instant le fossé qui
la séparait d'Yves. Elle se sentait trop fatiguée pourl'ésislùr
il cette Iorce, ct elle se leva pour suivre Gaslon.
- Acceptez-vous mon oUre de vous accompagner ? ..
demanda Yves, pendant quo Gaston était allô chercher les
a/Taires de la jeune fille au vosLiairo.
- Ce sera comme il vous plaira. Si vous voulez venir,
trouvez-vous pInce de Franco il sopt hOUI'OS. J'aurai lu
grosse voit ure, ot il y aura de la place pour vous et voLl'tl
camarade. Au rovoir, Yves.
Et olle s'cn fut, sans tendre la main à YVl:S, plus élonné
el plus inquiet que jamais.
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS?..
89
Après le départ d'Arlette, Yves et Robert demeurèrent
encore quelque temps au dancing . Yves n'avait aucune
envie de dormir; il repassait dans son esprit toutes les
paroles prononcées par Arlette au cours de la soirée, et
nota~me
ces allusions à un chagrin mystérieux, de la
douleur duquel elle voulait s'étourdir. Mais ce qui l'étonnait le plus, c'était la facilité proche de l'indifTérence
avec laquelle Arlette avait accepté son oftre de l'accompagner. Et le pauvre garçon était encore si épris de cette
étrange fille qu'il s'eITorçait de voir dans celte acceptation
un indice favorable à son amour.
- Si olle avait pour moi autant de mép
~ is
qu'elle en
afIecte, disait-il à Robert, elle n'aurait ~ùremnt
pas
accopté de m'avoir pour compagnon pendant cos trois
jours d'excursion.
- Bah 1 avec elle, on ne peut jamais savoir, dit Robert
soucieux de ne pas laisser son ami s'attacher trop fortement à d'ausii faibles indices. 'ru vois ce lamentable
Gaston, tu m'avoueras qu'elle ne pout avoir pour lui que
du mépris; eh bien elle acceptait très Lion l'idéo de faire
toute cette excursion seule avec lui, aillsi...
- C'est vrai, dit Yves tristement. Et tu as entendu ce
qu'elle lui a dit: « Quand je serai votre femme ... ))
- Ce sont des mots, ou bion alors, si elle accepte sériousement d'épouser cet imbécile, fais-moi le plaisir d'avouer
qu'elle ne vaut vraiment pas la peine de se donnor tant
de mal en son honneur.
Mais de semblables arguments n'onl jamais détourné un
jeune amoureux de la poursuite, mûme désesp6rée, do
('clle qu'il aime. Aussi Utaienl-ils absolument sans prise sur
le cœur d'Yvos.
Comme ils sortaient enfin du « Palais des Fètes )), ils
furent fort 6lonnés do voir arriver en trombe sur eux
l'auto de celui que Hobert appelait :« le lamentable
Gaston n. Celui-ci, seul il bord, leur adressait de grands
gestos d'appel et leur faisait signe d'arrivel'.
- Qu'est-ce qu'il nous veut Ollcoro, cet animal! grommela nobert.
Ils s'approchèrent cepondant.
- Quelle chancel dit Gaston. J'avais si peur de vous
manquer 1 Montez, mont~L
donc; je voudrais vous parlt!r.
Où domeuroz-vous?
�VO
POURQUOI n'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
7•••
Robert donna l'a dre3se de leur hôtel et poussa Yves
dans I l voiture.
La nUIt avait beau être de ~ plus belles, il se senlait un
peu fatigué et n'étJ.it pas f~ c hé
de. f"ire là rout~
~n
voiture, môme ddns celle d un aussI lamintable md,vidu.
Ils arrivèrent en quelques minutes à la porte de leur
hôtel.
_ Merci beaucoup, dit Yves en se retournant, après être
desrendu. Maintenant, dites' nOLIs vite ce que vous avez
à nous dire de si important. 11 est tard, et demain il faut
se Irver de bonne heure ...
Il se souciait peu d'introduire ce garçon chez lui et de
s'exposer à passer un long moment à écouler Dieu sait
quelle histoire. Mais Gaston ne se laissa pas démonter:
- Non, dit-il, c'est vraiment trop long à vous dire pour
le faire ici. Et puis, ajouta-t- il mystérieusement, on
pourrait nous enlendre. Nous serons mieux chez
VOliS .
En soupirant, Yves et Robert introduisirent l'importun.
dans une de leurs chambres.
- Vous serez. bien aimable d.'être aussi breC que possible,
dit Yves, je vous l'ai déja dit, nous partons tous demain
de fort bonne heure ...
Mais Gaston ne paraissait null ement disposé li. prendre
cet avertissement au sérieux. 11 s'jnst:lliait confortablement
dans un rauteu il, tirait des cigarettes et en oltralt aux
cieux jeunes gens qui, machinalement , acceptaient. Brer, il
agiss<iil cn homme qui se dispose à passer 11) plus conCorta hlcment possible une par ti de ln nuit.
- Messieurs, dit-il enfl n, sur ce Lon so lonnel qui crispait
Yves par-dessus tout, messicurfi, j'ai beaucoup rMochi à
t out ce ([ue VOUII avez bien vou Il, mo rév610 1' ce soir, conrernant les dangers oxlrômos que pl'éson te l'e:xp 6d ilion de
demain.
et
Yves ct Hobert 6cha ng,)rollt un regard Ico n ~ t () rn6
Hobert commença à r egre tter sa plaisanterie. <":'oLail qans
doute pour leur demander de nouveaux d "ta ilg sur cell
horribles pays que 10 prétentieux personnage tillait les
empècher do so coucher.
Gaston surprit ce couf' d'œil, m;lis n'en parut 1I1llll.'ment
démonté. San s, doule ce qu'il 9. v.ait il. dir06tui t trop important
�\
POURQUOI N'AVEZ-VOUS l'AS COLII'EIS
7...
91
pour qu'il se laiS3é arrêter par l'assurance où il était
d'ennuyer ses interlocuteurs. Et c'est fort de cette importance qu'il continua en ces termes:
- M'étant ainsi convaincu que la ,omme des dangers
dépassait de beaucoup CélIe des avantages à re tirer de
cette expédition, et me souvenant de ce que vouS avez
dit, monsieur do -Kerv'al, concernant le vrai courage : à
savoir qu'il peut consister à ne pas s'exposer à des périls
inutiles; persuadé, par conséquent, que vous ne prendrez
pas mon interventlon comma une manifestation do
:lilcheté, mais désireux, d'autre pari, de no pas me rendre
' Mlle Orangé dWniti'v ement hostile, - ce qui arriverait si je refusais de l'accompagner, - je viens
éLudiér avec vous, messieurs, les moyens à employer
pour l'empOcher d'atteindre ces régions dt,nt vous me mes
un si sombre et véridique t ableau, et cela, ai-je besoin
de vous le dire 7 sans contre
~ re
ou verlement ses
plans, ce qui aurait pour unique résultat de l'y confirmer
davantage.
Fort satisfait de ecUe élégante introduction à son discours, Oa6ton se carra davant f< ge encore d ~ ns son confortable fa uleuil et tira quolques bouffées de sa cigare lte.
Mais co l te saLisfll.ctlon ne paraissait nullement partagée
par Hobert ni par Yvel! :
- Oull dit Robert quand la phrase fut nnie. Maisqu'avezvous donc bu, sympathique joune homme, pour être il ce
point éloquent?
- Ma première solution, COTI tinul\ Gaston, c'ost la panne,
la panne b. outrance, qui vous r ra mettre deux jours pour
gagner Marrakoch. Jo sais; cor :os, los objections quo peut
renconlrer semblable projet ...
- i on le laisse continuer, dit il mi·voix Yves il Robert,
on en a pour jusqu'à demain. JI est ivre do whisky et de
pour, et rien ne J'arrctera. Toi qui as l'esprit inventif,
to.cho donc de trouver un moyen ,le nous débarasser de
lui. Jo commencc il en avoir Hornmei!.
- No t'inquiète pas, dit Hobert. J'ai mon idéo, ct j'al
oU8si sommeil quo toi, ça va Otre vile Cuit!
Il J,lissa enr·ol'e un moment le lamentable Gaston
arrondir sos élégantes pédo~,
puis lui coupa brus~o
m nt la parole, comme 1'6minent orateur abordait .la
troisième solution propos60 ; payer un Arabo pour 50 faire
�92
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? .. _
renverser par la voiture, ce qui retarderait considérablement la marche de l'expédition.
- Monsieur, dit-il, vos communications sont marquées
au coin du plus grand bon sens et présentent un indiscutable intérêt, mais je vois qu'avec vous il est possible de
causer. Vous ne vous laissez pas intimider par ces grands
mots de « courage» et de « lâcheté », et vous n'avez pas
de faux point d'honneur. Je peux donc vous confier que
mon ami et moi sommes des gens au moins aussi prudents
que vous. Vous comprenez bien que nous ne nous lançons pas
dans une aussi terrible aventure sans avoir pris toutes nous
précauLions : or nous sommes officiers, comme vous le
savez, et par conséquent nous avons tous les droits il la
protoction du gouvemement. Sachez donc qu'une vingtaino
d'hommes, qui demeureront invisibles, mais n'on sont pas
moins à nos ordres, escorteront notre oxpédition ot seron t
prêts à nous protéger contre touLe agression, tant dos
cannibales quo des lions do l'Atlas.
- Mais alors 1 il n'y a plus de danger? s'écria Gaston,
la face illuminée par une joie soudaino.
- Aucun danger, alTirma Robut. C'est mêmo co que
nous étions sur le point de vous expliquer, au « Palais des
Fètes ", lorsque l'arrivée de MUo Orangé nous a interrompus. Il n'y aura plus guèro il craindro quo les
moustiques, quo nos hommossoront impuissants à arrôtor.
Mais avec des mousti((uaircs 1. .•
- Dans oes conditions, dit Gaslon en 50 lovant, il no mo
reste plus qu'à me retirer. Nous partirons dono demain.
Vous trouverez bon, néanmoins, que je mo fasse suivro do
quelquos armos : doux précautions valent mioux qu'une ...
- Mais COI tainoment, cortainement 1
- Que diriez-vous de ballos explosives? Dans los grandes
chasses ...
-Apportozco qu'il vous plaira, int6ressant jounehommo,
conclut Robert, mais laissez-nous dormir 1
Et, lIur co cordial au revoir, il ~t claquer la porto sur
les talons do l'importun. Los doux Jeunes officiers nc tar·
dèrent pas à te coucher cl s'endormir on riant encore des
torrours et do la Rubito conOnnce do Oaston.
.
. .
..
A pou pr6s vers la m6mo houro. Arletto s'endormait
aussi.
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
1...
93
~ais,
avant d~ se coucher, elle avait écrit sur son journal
de Jeune fille la page suivante, - et beaucoup de ses
camarades du Tennis- Club eussent été étonnés en la lisant
car aucun d'eux n'avait deviné, comme l'avait fait Yves'
l'existence d'une vie secrète et pro;onde chez cette jeun~
fill e si lancée :
« Ce soir, Yves m'a demandé à partir demain avec moi.
Et c'est a ve~
joio que j'ai ~cep.té
Pourtant, que puis-je
attendre mamtenant de lUi? Rien que des occasions de
souffrir. Et même, si aujourd'hui il m'avait demandé de
devenirsa femme, j'aurais refusé, car il m'a trop longtemps
joué la comédie.
« Et cépendant ses yeux sont si francs, il me regarde si
bien lorsqu'il me parle, qu'il me semble impossible qu'il
y ait de Jo. ,duplicité chez lui. Est-ce alors de l'inconscience? Ou n'aime-toi! plus celle qui l'attend en France?
De toute façon, je dois le mépriser. D'où vient alors que
j'ai eu honte de me montrer à lui dans ce rôle de jeune fille
qui fume, qui boit, qui cherche à s'étourdir?
« El d'où vient qu'un mot de lui m'a soudain donné
tant d'ospérance, que je me suis senti le courage de lui
parler: car j'ai failli lui pader... Mais cet imbécilo de
Gaston est survenu, el tout est redevenu plus noir, plus
trisle que jamais, autour do moi ot en moi...
u Jo sais bien que lui selll était capable de faire mon
bonheur, de m'élever au-dessus de moi-même et de donner
un sens à ma vie. Mais maintcnrnt c'est Oni. 'l'out ce que
j'ai rôvé de beau, de grand, à son sujet et au mien s'écroule.
11 a uno fiancée, et il m'a fait la cour 1
u 11 ne me reste plus qu'à passer des jours, et des m~is,
et dos années, et toute ma vic, sans doute, dans ce mlheu
croupissant. EL un jour où je serai bien faliguée, je flnirvi
pnr dire oc oui» à ce lumentable Oaslon ou à un autre
qui no vauùra pns mieux. Et lui s'en ira, avec au cœur,
pouL·étre, seulement un vague regret. Mais une autre
femme 10 consolora.
(! L'a venir me po rait si morne et si sombre, de quelque
côté que jo mo toul'Ile, que j'en viens à appeler de tous mes
vœux un accident qui, Jomain, m ~ tle un terme à la fois à
mon voy ai" ct à mu vie.
~ Mais en ce cas, Seigneur, épargnez-Io-Iui 1 »
Cette page do d6scspoir lin peu enrantin une fois écrite,
�9~
POURQUOI N'AVEZ-VOUS
PAS COMPRIS
? ..
Arlette fit une courte prière et se coucha. Elle fut longue
à s'endormir et se réveilla plusieurs lois en sursaut.
Et il est intér.:ssant, ponr le philosophe, de noter que le
seul qui eut une nuit paisible lt une réveil heureux fu\
Gaston, celui que, de part et d'autre, on s'entendait si
bien à traiter injurieusement de« lament~
», de « fat»
qu çl'imbécile '.
CHAPITRE VI
Le lendemain matin, un peu avant sept heures, Yves et
Robert arrivèrent sur la place de France, lieu du rendez.
vous . Il y régnait déjà Me certaine animation, duo aux
départs des autocard qui albient emmenor leurs voyageurs
et m~o,
certains,
vers Marrakech, Rabat, Mazagan, Fè~,
jusqu'à Oudjda et Oran.
Les ùeux officiers, qui avaient revêtu des complets civils,
prirent un rapide dôjeuncr dans un potit cnfé qui vonait
d'ouvrir ses portes et se romirent à guetter l'arrivée
d'Arletle.
A sept heures précises, colle-ci déboucha sur la place
et vint stoppor devant les deux jeuMs gans. lJJlle avait pris
la gro8s voiture de voyage de son pore, mais nc par.lÎssait
nullement embarrassée pour la conduite d'un aussi fort
cnirin .
- C'est uno exactitude militaire, dit Yves après
l'avoir saiu6e.
11 remal'qua a voc pelno les trails tirés de la jaune 0110,
Indices d'une nuit pou reposante.
- Qu'est -ce que vous avez commo paquots? demandn
ArIelle, après a voir répondu assez Il'oidement au salut dos
deux jeunes gons.
Yves lui montra. 10 petit colis formé pOl' la loile ùo tonte,
les plquets ot les u ~ t e n s ile 3 dont lui et Robert nvuiont
faIt l'acquisition la veille. JI y avait joint quelque:! pro·
visions : bolte~
do conserve.; ut fruils. Arlolt) ne put
s'empOcher de souriro de la gravité avec laquelle Yves et
son :l.Ini 6numbrlllent lours achat'!.
- 'fout cela Hendr..t dans Jes COI1I'OS, dit-clic. Vous mon-
�POURqUOI
N'AVeZ-VOus
J'AS COMl'ItIS
7...
96
t erez tous les deux derrière, Gaston 5e mettra à côté de
moi: j'élÏ confiance en lui, - au mOlus comme chauffour,aJou la-t-elle avec une certaine ironie.
Mais ce c!'auiIeur de confiance ne se montrait pas.
La oonversation tralnait sur les banalités coutumières:
le temps qu'il ferait , les dis,anr:es, les diJ1érents modèles
de t pnte et les dispositioIlS à prendre pour les mO t;ter
rat,ideml.'nt. Tous les trois commença,ent à s'énerver de
cette attetlte, ct Hobert craign Jit que le « sympat.hique
jeune Itomme » , insuffisamm ent rassuré par ses ulftrmations de sécurité, n'ait trouvé un ingénivux moyen !Jour
ajourner le départ.
Enfin parut un taxi, qui fit lentement le tour de la
plaeD et vint s'arrêter à la hauteur de l'auto d'Arlette,
Gaston en descendit, portant d eux fortes valises, ct s'appro.
cha, :;ouriant et un peu gên6, de l'auto de la jeune fille :
- Bonjour 1 dit-il. Je suis un peu en r eLa rd. Bxcusczmoi, mais j'ava is tellement de prépar ·tif:; à faire... C'est
(uri oux, Arlette, il me semblait que votro vo~ture
était
l,lus grande qlle cela.
- Seign 'ur 1 s'écri n ArleLte, q u'ost-ce quo YOUS apport ez dans ces vu lises ?
- Oh 1 ca ce n'ost ri en; quelques costumes de rech:l n'.;e
et des niI,I irell de toilette. Ça tiendrl.\ dans le co ffrll , mais
c'est pour le resle , je me demande où je pourrai le
me.ire
- Quel fLsle? domanda Arle te terrifi ée,
Pendant qu'il parlait, le chauffeur du taxi d ~c har~
eil it
de sa voi lure un e caisse plaLe, mnis de vast f'S dImenSIOns,
ct qui paraissa it pesor un poids des plus cO Il ~ id é r a b les.
- J e me demanù e vraimpnt où nou/J pourrons loger tout
cela, continuait Ga.str>fl en se graLlant 10 front, comme
s'il e~ p é r a il on foire jaillir un splution qo génie. Car il if
on D. oncoro (Joux (om me ('èllo·lo',
- Mais vous ôtes complèlt' ment fOll 1 dit Arlette.
Qu't;sl- ce qu'il y a dans cos cuisses?
Bn ce momonL le chauiIeur approchnit de l'auto b
dcux iume ca isso, qni no para issaiL pae nlOio l lourde qu o la
pr em ièro . Il la drc!lsa contro le troUoi r eL on put lire,
{,crit ('0 gros~e
leUres lIoil'os ;
�96
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? .•
ÉCHANTILLONS SANS VALEUR.
Arlette paraissait plus ahurie encore que furieuse; mais
Gaston, profitant de ce que le chauffeur s'éloignait encore
pour aller chercher la dernière caisse, se pencha dans
l'auto et murmura, en mettant un doigt sur ses lèvres:
- Chut 1 ce sont des armes 1
Arlette lui jeta un coup d'œil presque effrayé:
- Des armes? répéta-t-elle sans comprendre. Elle
voulut interroger du regard les deux amis, mais Robert
paraissait en proie à un violent fou rire, et Yves semblait
aussi gai que son camarade.
- Oui, des armes, reprit Gaston très fier de lui. Je sais
ce que je sais. Cela peut nous être très utile. Le seul
ennui est d'avoir à les loger. Sur 10 loit do la voiture?
C'est peut-être un peu lourd ...
Cette fois, Arlette perdit complètement patience:
- Rapporlez cela immédiatement chez vous, dit-clio
sèchement, ou bien nous partirons sans vous.
- Quoi 1 vous voulez parlir sans armes? Mais vous
ignorez ...
- Je ne sais pas cc que j'ignore, interrompit ArIelle,
mais co que je sais bien, c'est que si, dans dix minutes
vous n'lotos pas do retour, sans armes, je !lie.
Désolé, le pauvre garçon dut faire rembarquer par 10
chauffeur surpris ses trois lourdos caisses (il y avait là
toutes les ormes décrochées des panoplies de son pore) et
retourna chez lui. Il revint au momenl où Arlette meLtait
son moteur en marche. Et il eut juste 10 temps, avant de
mOD.Ler à côté de la jeune fille, d'indiquer du geste aux
deux officiers ses poches, que gonOaient à les fairo éclater
trois volumineux revolvers.
rolard6 assez con~id6rablmt
leur
Cet incident av~it
départ ot rendu Arlette norveus.e. La promière portio du
voyo.go so d6ronla donc dans 10 sllenco eL sous 10 Signe do
10. mauvaise humeur.
Robert, soul, conMrvai t uno rIme sereine ct jouissait
paisiblemrnt do l'agr6mont de ceLto promenade matinale
ù travers un beau p lys.
Soudain Gaston s'écria :
- Mais que faiteS-VOlis, Arlette? Ce n'ost pas sur la
route do l\lorrakcrh que 1l0US sommes. VOIlS avoz pris
cellr de Mazngan 1.. -
�l'OunQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMl'r.IS
-
?..
97
Je sais. C'est là que nous déjeunerons.
Mais on allonge de cinquante kilomètres au moins!
- Eh bien? Qu'est-ce que ça vous fait? Vous avez un
rendez- vous à Marrakech? 11 fallait prendre le train,
,alors.
Gaston n'insista pas. L'humeur d'Arlette était visible- ,
ment mauvaise, et le pauvre diable savait par expérience'
qu'en pareil cas la prudence était tout indiquée.
Mais à ce nom de Mazagan, Yves, qui était jusque-là!
resté plongé dans d'assez sombres rôflexions, parut s'éveiller ,
de ses tristes songes et regarda par la portière. Il revit la,
route qu'il avait suivie, déjà, dans la petite auto d'Arlette.
C'était ce jour-là, il s'en souvenait, qu'il avait découvert à
la fois ct qu'il aimait Arlette, et qu'elle n'était pas faito
pour lui... Et voici qu'aujourd'hui, toujours conduit par
elle, il refaisait la même route, et il l'aimait bien davantage qu'il no le faisait lors do cc premier voyage, il l'aimait
assez pour surmonter maintenant les obstacles qui
l'eITrayaicnt alors; mais maintenant aussi il se sentait
impuissant à toucher ce cœur, ce cccur qui lui avait paru,
pendant quelques heures, si procho du sien.
II sc demanda pourquoi Arlotte prenait la routo do
,Mazagan. Était-eUe, elle aussi, à la poursuite d'un sou.venir? Quellos traces ce jour, qui paraissait à p r ésent si
lointain, avait-il laissées en elle?
] l reconnut los masures à demi ruinéos du village d'Aznemmour et presque aussitôt , sur s;) droito, la mer étincelanto et
bleue lui app:Jrut. Ula connaissait bien, cetto mer, autant
pour avoir aiTronté ses colères que goûté sos caresses. MalS
toujours la même émotion lui venait, à la voir apparaitrc .
11 'savnit que, jusqu'à son dernier souffle, il éprouverait.
cotto mômo volupté à pose/' ses yeux sur sos Jlols bleus
ou glauques, calmes ou menaçants. Cet amour-lil, dos
gén6rations de mal'ius avaiont tra vujJlé à 10 lui meltro
dun~
10 sang, m il les en romol'ciait, maintenant; n'était-ce
pas sa soula consolation? la sou lo chose douco lA tluoi il
pû t accrocher son oxi~teJ1'
; o?
/1 roporta ses yeux SUl' Arlotte : un (llltro amour, qu'il
avait rhoisi seul, colui-Ià, ot c1cvantlcqucl il su sentait
snns gllido; uno autre immensit6, plus profonde que la
mer, plus lrnllresso nU'Isi, sans dou·o".
La jeuno Olle conduisait touj01lrs, les dents ~eréos,
la
4
~
�98
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
7...
mâchoire presque dure . 11 ne pouvait voir d'elle que ce
trait de sa physionomie. Mais il devinait son air absorbé,
ses yeux fixés sur le ruban de la route, toute son attention tendue vers un but extérieur à elle, et qui l'occupait
tout enlière; l'éloignant de ses soucis et do cette mystérieuse souffrance à laquelle elle avait fait la veille uno
allusion timide .
A co moment, et comme si elle avait sonti ce regard passionn6 altaché sur elle, ArIelle se retourna à demi:
- Ça va bien, dans le fond? demanda-t-elle. On ne
vous enlend pas. Vous dormez?
C'(,taienlles promiers mots qu'elle prononçait depuis le
départ. Ils furent le signal d'une Ilspèce de détente; pardessus les soucis, les souffrances et les angoisses, la jeunesse reprenait ses droits . JI semblait qn'une sorto de
trêve venait d'êlre conl"iue. Au retour, on reprendrait tout
cela, mais maintenant il s'agissait de jouir le mleux possihle de res heures paisibles.
Lo ciel parut plus clair ft Yves, la mer plus hl eue, Jo
pays plus beau. Arlette confia le volant à Gaslon, que
)'nhnndon forc6 de ses armes avait rendu il sa terrour,
cl ontama, la vitre' intérlouro étant ouverto, uno con VOI'I\i\tion vivo ot enjou6e av oc les occupants du fond de la
voitUl'o.
lis ontrèrent dans Ma7.~gn
un pou aprèR neuf
heuros.
- Vous vous souvenez de notro rotour? demanda Arletto
li YV08. NOUA avons march6 plus vilo que cola, ot pourtant il faisait nuit.
Yves chercha Ù roncontrar sos yeux, pour savoir co
qu'évoquoit pour ollo 10 souvonlr de collo nuit. M, is olle
avait détourné la Léte, et il dut se conlenter de l'émotion
qui lui semhlolL avoir fait tremblor la voix de lu jouno
flllo, lorsqu'clIc Illi n vait posé sa quostion, eL d'un coin do
joue qui lui parut rougi,' nn pou.
- Oui, jo mo souviens, répondit-il. Nous avions pas~6
une excollento journ6e ...
IlIa vit haus~or
un peu les ôpaul('s. ?lfrtis 0110 no voulut
pa!! assombrir do nouveau l'almosphorc et chango,l do
COnVerRG tion.
Gaston, du reslo, sloppait dovonllo Palais des Qlaces,
JJrincipal af6 de Mnz:Jgall. Ils descendirent tous los
1
�pounQlJol
N'AVEZ - VOUS PAS COMPRIS
1- -.
99
quatre, heureux de se dégourdir les jambes. Gaston gardait seul une mine renfrognée:
- On ne peut pourtant pas déjeuner à neuf heures du
matin, dit-il d'un ton plein d'amertume. Qu'est -ce qu'on
va faire jusqu'à midi?
- Allons, dit Arlette. Ne commencez pas à grogner.
Vous avez un fi chu caractère.
- 11 est vrai, dit-il avec sa coutumière solennité, que
je suis très, très contrarié d'être passé par Mazagan .
.En disant cela, il multipliait les signes d'intelligence,
chgnemènts d'yeux, claquement.s de doigts, à l'adresse de
Hobert, qui écarquillait les yeux et, malgré ses ertorts,
n'y comprenait rien.
- Vous a vez la danse de Saint -Guy? finit par demander
Arlette.
- Non. Mais je voudrais parler à M. Vernet.
- Eh 1 bien parlez-lui. Maig faites-Je comme tout le
monde. Est-ce que vous êtes sourd-muet?
Vexé, GasLon articula ma.jestuousement :
- .le voudrais l'enlretenir de choses confidentielles 1..,
- Brrr! Vous me faites peur. Mais ne vous gênez pas,\
mon cher. Vous venez Yves?
Bile fIt un geste, c~me
pOlll' lui pl'endre le braS. Mais
l':lo parut so rotenir, et ils pnrtiront l'Ote à cOte,
~\1 e ncj r u . · et tl'oubI6s, à lravers la. rue pleille de vie, de
soleil et de mouvem ent. Dès qu'ils se furent un peu éloi~
~rl\és
Gaston so pencho. vers Robort étonné et lU i
Ult :
- .L:t VOfo hommes?
- IGh bien 1 quoi, mes hommos?
- Oui les hommos qui devaiont nouS escorter, - invisiblos mnis toujours présents; - co chnngemont d'itinél'Hire 0. dû los dérouler. Ils nous ont pordus. pouvons-nous
(.:J1core a.vancer ?
- Ah 1 j'y suis, dit Hobart. 11:h bien 1 mon sympathique,
111011811.' \11'. sachot (lllC dnns 1',lrmée on faiL bien les chosos :
les deux routes sont égll loment gardées ...
_ VOliS me ras. urezl dit GasLon avec un soupir de soulagement.
_ (,\li. continua Robcrt. Et, t nez, VOUII voyez Cf t _
Arabe, co morchand de Pfl 5tèll',I().>, uvec BOil p'\lliol' devant r ~
lui? C'esL Ull do 1108 homme3.
~\ (P) .:-}
L
;) .
c~ /
�100
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? .. .
Sans blague 1 dit Gaston admiratif. Quelle organi sation 1
Et il adressa un sourire complice à l'Arabe, honnête
marchand de fruit, qui accourut aussitôt offrir sa marchandise.
Pendant que cette scène assez r idi cule se déroulait
devant l'auto, Arlette et Yves gagnaient la plage. A cette
heure relativement matinale, il n'y avait pas encore grand
monde, et les tentes ouvertes étaient rares.
Une étrange émotion s' mparait d'Arlette en revoyant
cette plage.
.
Elle y était venue souvent, mais sa dernière visite, celle
où Yves avait presque a voué la tendresse qu'il avait pour
elle, avait marqué ces lieux d'une ineffaça ble empreint e.
Yves n'était pas moills ému qu'elle par ces souvenirs;
mais l'étrange scène qui s'était déroulée à bord du
Brazza, lors de la fête de nuit, et celte épithète de
lâche quo lui avait si cruellement appliquée Arlette metaient entro eux deux comme une barrièro qui lui paraissait infranchissable. C'est pourquoi il ne dit rien qui pllt
trahi r les émotions qui l'agitaiont.
Heureux, malgré tout, ù'avoir' échappé à l'obsédanto
compagnio du « lamenLablo » Gaston, ils errèrent un
moment sur Jo sable dur de la plage. L'eau venait mollement mourir il leurs pieùs, avec un bruisse ment de soio
qu'on froisse.
- N'est-cc pas que c'est beau, la mer? no put s'empôcher de diro Yves. Et il avaiL, en di ~a nt cela, un peu de
l'orgueilleuse satisfaction du propriétairo qui fait les honneurs de son domaine.
- Oui, dit ArloLto. Terribloment beau. Mais il elle non
plus il ne faut pas so fier: trop de ronOanco, ct cela peut
vous coCttel' la vio. Pourquoi n'existe- t-il rien au mondll
qui no soiL pas trompeur? Pourquoi no peut-on poser avec
sécurité 10 pied nulle part?
- Mais la mer ne trompe pas ceux qui la connaissent,
Arlello . Tous les vieux marins ùo mou pays savent bien
qu'un jour ou l'autro coLLo oau qui los porlo depuis tant
d'annéos so roform era SUl' lours têLos . Mais ils acceptent
co péril pareo qu'ils aimont la mol'.
- COlllment peut-on aimer (lUùI(I\le CllOHO à quoi il est
imvossible ùe 2') JJer?
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?..
101
Yves ne répondit pas. Sous les questions d'Arlette, il
devinait une rancune prête à éclater, et dont il était
l'objet. Mais comment avait- il pu la mériter? II sentait
qu'à présent il n'aurait plus eu qu'un mot à dire pOUl'
savoir la vérité. Mais, maintenant, il avait peur de cette
vérité. Non, il ne voulait pas risquer de compromettre le
fragile bonheur que lui réservaient ces trois jours, pal'
peut-être une rupture déflniune discussion d'où sorti~
tive. Il parlerait au retour, au retour seulement.
Aussi se hâta-toi! de détourner la conversation.
11 dit que le départ du Brazza était retardé d'une
semaine; il parla du plaisir qu'il avait à mieux connaître
le Maroc.
. .Et Arlette, peu à peu, se détendit. Peut-être avait-elle
fait le m.âme raisonnement, pris la même dé cision qu'Yves,
et voulalt-elle aussi jouir paisiblement de l'heure présente.
Du reste, ils ne tardèrent pas à tomber sur Gaston et
Robert, qui venaient de prendre un bain rapide.
Gaston était, naturellement, dans un état d'excitation
considérable. 11 vonait d'être toucM par une cc torpille >l,
poisson fort répandu sur cette partie de la côle marocaine,
et dont le contact donno la même désagréablo impression
que celui d'une pile électrique. II monlrait, sur son maigro
mollOl, un bleu à peine visiblo, trace de cc pénible conlact.
- Et co n'est rien encore 1 lui chuchotait l'impitoyable
Robert.
cc Pensez à la morsure ùu serpant crotale 1 IWe ne pardonne pas 1...
Et ces propos n'étaient pa ~ rai ts pour ramener au calmo
ce nerveux garçon. Néanmoin<; cot incident contribua
beaucoup à amener chal les trois autres jeunes gens une
excellente humeur ct, après ncore un moment do promenade sur la plage, on alla déjeuner.
Mais Arlollo ne voulut pas entrer nu Casino.
~a
secondo éLape, do Mazag,m il. Mark~ch,
compr~
tait deux cenls kilomètres il. pou près . Cc Cut Gaston qUI
tint le volant presque tout le temps; il. mesure qU'Ol~
approchait do la ville, ct dans ces r6giolls donl Rohert !lu
avait fait une si horrillque peinltll·o, son humeur s'nssomhrissait; et, par' une curieuse conséqucncr, !Jlu~
il ctevcnait
inquiot ol sombl'o, plus los lrois aulres voyago'lfS trouvaient do galté ol do bonne humeur.
�102
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? ..
Sur les instances de Rr,)J ert, ArIette avait pris place
dans le fond d la voitu _e, à côté d'Yves, qu i l'avait mise
au courant de la mystification monlée par Robert. Arlette
avait témoigné qu'elle trouvait cela extrêmement drôle,
ce qui rassura un peu Yves sur les sentiments que pouvait
éprouver la jeune fille à l'égard de Gaston: car cc malheureux Yves était si troublé qu'il avait parfaitement
admis, pondant quelques heures, la possibilité qu'Arletle
songeât sérieusement à devenir la femme de' ce trisLe
individu.
Les deux cents kilomiltres lurent rupidemonL absol-béii
par la grosse voiture, et lorsque, dans le soir descendant,
on vit se dessin--r les murailles roses de Marrakech, dans
sa ceillture de palmier, ils ne purent retenir des exclama·
tions de surprise et d'admi ration. Ils volorent des félicit ations au chauITour - que cela ne d6rida pas ...
Co fut au tour d'Arlello de vantor les mérites ct les
beaulés de son pays marocain, et Yves convint sans peine
qu'un pnreil speclaclo n'6lait pas loin de valoir coux (IUO
pouvait oITril' la mer.
Au grand 50ulog~ment
de Oaston, il tut décidé que, en
r ,lison de l'heuro tardive, on dlneraiL et coucherait il
Murrakoch, el quo le land main matin seulement on irait
il la recherche d'un endroit sauvage pOUl' dre;~sl'
les
tenlos.
Lu soirée ful fort ngréablo. Robort ni Yves Il e pou,~ient
sc lai;scr d'errer dans les l'uelles élroiles dos qua r li ers ara b,'S, do 60 prôler:\ ceLLe grouillante animation.
i\rleLte paraissait y prendre aulant do plaisir (qu'euxmêmes, et, quoique es chosos no fu .'ont pas nouvelles
pour ello, dlo so plaisait ü on faire los honneurs, en quelquo sortr, aux deux tour'jslos qu'6Lail'nl Yves et son ami.
Onston so joignaiL à 0110 el donnait millo eX)llicnliolls
qu'on nc lui dcrnunLlniL pas. Mdil AdoUo obit si con lenLe
do sa journée ol de colle 6011'00 «'l'o llu en ouLlitlÎL do 10
rabrouer, cc qui le renùail loul huurollX.
Ils r eIlLr~n'
enfin il l'hôtel ol fiO s6par~cnt
chll!'! une
éllrnorphère ri, ('r)l'di .tIlLé que le dl'bul ùo journ~
n'avait
on aucune fuçon pu faire pl'~,;ager.
�***
Lo lendemain , ils se retrouvèrent tous il sept heures
dans la salle à manger de l'hôtel. La bonne humeur se
maintenait entière , et la mine défaite et angoissée
qu'affichait Gaston ne contribuait pas peu à l'entret enir .
Ils n'eurent pourtant pas la cruauté de lui en faire
l'observation, et tout de suite s'ouvrit une discussion sur
le choix de la région où ils allaient planter lQurs t~nes
pOUl' ces deux jours et ces deux nuits.
Gaston affirmait que le bord de la route MazaganMarrakech lui paraissait réaliser l'idéal du terrain pOUl:
camping. Mais cette suggestion lut repoussée avec
mépris.
A vrai dire, il n'y eut pas une v6ritablo discussion, cal'
Arlette connaissait seule, et encore très imparfaitement, ce
pays .
Elle décida donc sans peine ses camarades il s'en
l'.emettre à elle, et leur nt adopter ce projet : marcher en
ligne droite, jusqu'à ce qu'on trouve un coin agréable
pour camper, ou que l'état do la routo intordise la marche
en avant.
Bile avait lout il fait bon air ArIeUe dans le costume
qu'ello avuilrevôtu co malin : ~I
6léga~t
ct solide vôte:
Illenl sportif, avec des bottes ot une culotte de choval, qUI
lui donnaient l'air d'un charmant écuyer . Yves , en I~
reg lT'dant, no pul retenir un soupir, talll il avait de
regret do ne pouvoir s'abandonner en pleino liberté de
('onscionco à l'amour quo lui inspirait cotte sédu!sante
porsonne.
Le costumo dont s'éLait nITub16 Oaston n'ôtait du reslo
pas moins remarquablo, muis dans un autre genre .
BoUm; do cuir, culoLLe do cuir', ves' 0 <.10 trappour, grand
clwpcau à largo:> bords, coulelas dans la ceinLuro, deux
Huis à rovolvors par derrière, un par-dovant, ir avait uno
,.lIure marlialo quu démenlrüent au plus haut point les
l'l'garJ" cITnro!l qu'il lançait el les questions inquiètes
qn'i] posait: conlrusLo <lui, plus d'ulle fois au co~rs
,de
t;dlu joul'née, <.I6chUinu chez sus compagnons une htlurlto
qll'il jugea doplac60, oL Ù laquellu il 110 s'associa naturel1('ITHJlJL pas. J1uvuit refusé de prondro 10 volant, prétexl~n
pour cela SOli ignorance du puys, mais tenaillé, en l'éuhlé,
�104
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? ..
par la p eur que ce poste important lui valût, en cas
d'agression, l'honneur d'être tué le premier.
Robert le prit donc avec lui dans le fond de la voiture
et murmura à l'oreille d'Yves, en montant:
- Ne vous occupez pas de lui, je vais l'achever .
L'auto, sous l'impulsion nerveuse d'Arlette, s'élança vers
son nouveau but.
Presque aussitôt après Marrakech, le décor changea . La
route, qui, jusqu'alors, s'élirait longuement entre des
plaines fertiles et cultivées, prenait l'aspect d'une piste
tracée au milieu des rochers . A mesure que les voyageurs
a vançaient, la nature prenai t un aspect presque désolé.
Lorsqu'ils curent fran chi une centaine de kilomètres, ce
qui ne leur demunda pas, vu l'état d'excitation où se
trouvait Arlette, beaucoup plus d'une heure, la jeune fille
déclara qu'elle avait atteint le point le; plus au sud où
clio ait encore été.
C'était uno pelite agglom6ration de maisons arobes, qui
r épon dait au nom harmonieux de El lIaddada. Mais rien
n'illvitait il dre5sl'r là l(!s LenLes.
- Il nous faudraiL autant que possible, dit Robert, n'être
pas trop loin d'un rui s~)au
quelconque.
- En co cas, rép ondit Arlette, nous n'avons qu'à continuer à suivro ceLLo roulo. 11 me 8embl;) qu'elle aboutIt à
l'oued Draa. C'esL un peliL ruissea u où il n'y a pas toujours d'cau, mais où il y en a quelqu efois.
- Eh bien 1 en route pOUl' l'oued Dl'aa 1
Et la voituro s'6lanp do nouvoau.
Muis la J'oule ne larda pas à 80 transformer on uno
véritable piste, cailloutou se, poussiéreuse, pénible pour
l'auto, qui ralentit considéroblement son allure.
Après doux heures de route, l'oued Draa n'ôtait toujoure
pas (' 11 vuo, mais la faim commençait il so faire cruellenH'nt senlir. Aussi fut-il décidé qu'une courte halte-piquellique aunil liC'u au promiel' endroit vorablo.
Co prernir l' d Gjc uner cn plein air 50 passa le mioux du
mond e. Arletto avait vroiment pens6 à lout el lira des
roftrcs imposants de la voilure les choses ks plus variées
el les plus in 'lllClldu l s.
Ouston, malgré les histoiros à raire th'essor les chovoux
Rur la t"Le (lue Rouert, - qui 110 crai~nL
pns les longues
plaisanleries, -lui débitait depuis deux heures, finit par 50
ra
�PO URQU OI N 'AV EZ- V OUS P AS CO MPRI S
?..
105
dérider, sous j'influence d'un sauterne sucré et capiteux.
Une tasse de café, des liqueurs; rien ne manquait de ce
qui pouvait rendre confort abl e ce rep as. Rober t, du coup,
se déclara réconcilié aVEC les pique-niques , dont les souvenirs de son enfance ne lui avaient 'pourtant ofTcrt jus qu'alors que d'horribles t ableaux: vain rempli de sable
craquant, viandes froides envahies par les fourmis.
piqûres d'insectes, etc.
La verve avec laquelle il racontait seS histoires, paisiblement étendu sur le sol d tirant de sa grosse pipe
d'l'normes bouITées de fumé , amusait Arl ette et amenait
même parfois UTI 50U1';re sur les lèvres de Gaston.
Quant à Yves il savourait silencieusement, m'lis avec
intensi té, tout ie bonheur de celte heure d rrpoS et
a'abandon.
Ils repartirent, s'enfoncèrent encore dans les terres.
Ma!s le ~ui s e a u annoncé par Al'lo tte l'esta it invisible..
Ce qUl fut tout de suite de l'angoisse pOUl' l ' i m pr cs lO~
nable Gaston ne fut ch('z eux qu'un ennui passager, malS
un ennui qui alla. en croissan l il m(sure que les heures et
l e ~ kilom ètres pa.ssn.ient , et ql ~ le pays , .tout auto ur d'eux;
lOin de para:tr s'abaisser vers la vallée d'un quelconque
J'llisseau, montail, monlait touj ours, lan lôt bl'usquem' nt
ct tanlôl insensi blement au mili c u d'lin chaos de plus en
p'us informo de rochers 'et do pierrailles, qu e recouvrait
seulement uno minco couche de terre.
Tout à coup, ArieLle nt stopper la voil.ure.
.'
- Ce Llo fois, e!il-elle cal rn ement, je crois bien C[UOJe SUIS
louL à fuit perdue 1...
Au fond, l'avenluro ne lui c1éplai!l'\Ï t pas, non plus qu'à
Yves ni ù Rob ort. Mais Gaslon parul prendre la chose très
au lrngique. 11 50 contint cependant , cr:Jignan t de donner
!:la tel'rCul' en spoc lncle, ct so conlonta du promener
lout aulour do lui son r egard inquiet.
.
Le cornpLLul' accusait un pO li pili s de lrois ccnls k.tlomOlI'Os depuis qu'ils avai ent qu illé Morrakcch. Ils auraICnt
dO, par conséqu ent, avoir aLLvint depuis longlemps les
rives de l'ouod Draa . ~hlis
, au lÎou do cela, ils su lrouvaient sur un l~ sorio do pl. Loau, ; SSl'Z élevé co r t ainement,
nwi s dont la vue, SUI' Lout l;n (' ôlé, éLait bouchéu par los
c on L r er or ~s de collillCS aS::lOl. 61e\' 6es pour U re appelres de
pdiLos montagnes. l!:L au loin, maj es tu euses, parai, saient
�106
POURQ U OI N' AVEZ-VOUS PA S CO MPntS
? .. ,
les cimes neigeuses du Grand Atlas, que le soleil, pl'ochG
de son coucher, teignait de rose et de violet.
Et cc fut dans ce sito enchanteur que l'on décida de
passel' la premi ère nuit. La plus grande difIlcullé fut de
drosser les tentes sur le t errain dur de ce plateau. Yves et
Hobert étaient encore assez inexpériment és dans l'art du
camping, ct Gaston, tout à ses sombres méditations, ne
pouvait leur être d'aucun secours.
Mais, grâce aux précieuses indications que leur donna
Arlette, les trois tenles ne t ardèrent pas à élever leurs
petits pignons jaunes. Au moment où le soleil di sp araissa it à l'horizon, avec la splend eur accoulumée de ses
rayons de pourpre et d'or, le derni er piquel vonait d'être
planté.
Avec cett e rapidité parti culière li ces r ég i o n ~ , Ja t empérature fra!chit subitement; il ne fallait pas songer à
diner dohors, et comme la iente des tinée à abriLllr Yves
et Ro bert était la plu s vaste des trois, il fut décidé quo
cc serail ello qui abrit erait 10 r epus.
Mais avec le fl'oid, la nuit tomba très vile, et il fallut,
pour achever de manger, qu e les pharos puissanls do
l'auto soiontl>raqu6s sur l'inlérieur do la t enle.
Le second rep as ful moins gai quo le précé dent, llHllgro
les efforts dC' Robert pOUl' uél'ider ses compagnons. La
min(! sinistre de Gaston, l'éclai l'uge fanta stiqu e qu e donnaient los pllaN s, 'l, plus oncoro, pt:' ul- L'tro, quelquo
chose de mystéri eux et de PI'C'SCTUC angnissa nl qui se Mga geaiL do cell o grando élendu e dé.oerlo 1]1I'ils sel t a i l' I\ ~ Il'"
l'nvirollner do toutes partq, avoc l'oPlH'ess ion loin lainc do
ces haulos monlag'nes, fais,lÎl naltrc peu tl peu chc? lous
les con vivt s Ilne gène qui r m;scmblait nss"z ù l 'inquiHud u.
Pourlant, 10 repas Lorminé, une r er taillc s('rlmité l'é ' na
de nouveau, lt lor3C[lI e Oastoll, Si1 r un Lon IUgU J!l'll ,
dl'mand a où l'on (lll UI'I'i.ti l l ro uvor du h ùis p OUl' Cair!.' J e~
ff)lI ' destinés fi éloignel' les grand s f J. \l ve~
, en ful un éclat
,d e riro gén éral qu'i l reçut pOlir lonlo r l'pOH~
.
'r ~ l Achille, il Re relira, vexb , RO US fla l mte.
- J'ai C'lIvio Il me promi'fi(1r, do, Inra ArldLp , lors (IU O les mille IJll tils ll'J. vaux m;, téri ols qu'e go \l W ' or:;nl1iR'l lion nodurno furont IlI'romplis. 1>.: l ('ll e in vit.1 le
U" IlX jeunes g t'l1 S à l'o.ccornp ngnf.'r un Il IOJll P I1L
- \1 'rd, cJiL lu <.1 isr'l'ùt Hohl' l' l , si vous le perlllcLLcz, ju
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?.. .
1.07
ferai comme le sympathique Gaslon, et je tâcherai de
dormir, Cc.tlc journée de grand air m'a donné un sommeil
terrible,
- Comme il vous plaira, Vous voulez venir, Yves? ou
Li,l!l vous avez sommeil, vous aussi?
- Je viendrai, Arlette,
- .rh bien 1 bonsoir mes enfants 1 conclut Robert d'un
ton paternel. Couvrez-vous bien, et ne rentrez pas trop
tal'd : gare aux anthropophages, Et surtout rie me réveille-z
pas en rentrant, ajouta-t-il à l'adresse d'Yves.
Arielle revêtit en riant un épais manteau sombre ct,
après a voir mis les phares de la voiture en veilleuso, oHe
s'éloigna aux côtés d'Yves.
Tant d'occasions leur avaient ét6 olIertes en ces deux
jours do se parler 1 de s'expliquer enfin. qu"il n'y avait
pas do raison pour que cette fois-là ils en vinssent à bout
plutôt quo les autres. Mille choses étaient entre eux, qui
Jes gênaient : des paroles, des silonces, des souveni,rs
charman1s et des souvenirs amors ; mille barrières qu'Ils
cro~aint
infranchissables, et qu'Ils semblaiont même
aVOlr renoncé à franchir.
. m copendant, après avoir fait quelquos pas en silenco ,
Ils parlèrent ù la fO:5 :
- YVEls!
- Mletto!
Ils s'arrètèront do marcher et sc mirent à rird.
- Parlez d'abord, dit Yve~.
- Non, non, nprœ ,'ouol
- Jo vous en prie. Arldlc 1
ArJo1tc redovin1 gl':we, ct pal'la :
- YV('S, dit-olle, je voulais d'abord vouS dema~r
pard'1 n..Je vous oi gravement insult6, à deux repnses;
ct mainlrnant quo jo vow conn:lÎs mieux, grâce à ces
det1x jOllrs do conUtct inrcssant, je comprends tou1 co
quo cello :ll'r:u$ution do lùchc16 avait d'immuriLé pOUl'
vous, TUen n'est si loin do vo1t'o cari.1Ctère que la 15.rholé.
Yvel, ct, copendant ... Moi; il no fau1 pas m'en vouloir,: .
_ Jo Ile vou,; {'Il :li voulu qu'un in ,im t, Arlett,r, mais
j'ai terrihlement soulTort de voLr mépris. J'avl~
COIls' j'nc de ne l't\\oir il ~s mUl'Îté, non, à au('un titre ...
ft,it jOllr, Yves alH'niL pu voit' la flgUfC
H'il nv~it
d'Ad H'J :;u 1'<I',s{'r '!lUI' il mesurO qu'il pUI'lait, Lant elle
�108
pounQuOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? ..
Hait sûre qu'il allait se justiOer d'un mot de toute
cette étrange histoire. Mais la nuit élait si noire
qu'il ne pouvait voir que les étoiles innombrables qui
br:Uaient au-dessus de lui; et la présence même de la
jeune fllle, il ne la devinait qu'à peine, au bruit de ses
pas, qui fai aient de temps à autre rouler un caillou, ou
à son bras qui, parfois, frôlait le sien.
Il continua à parler:
- Et pourtant, Arlette, si, j'ai quelque chose à me
reprocher vis-O.-vis de vous, au sujet de la loyauté. Et
c'est cc sentimenl qui a rendu si péniblo pour moi ce mot
do lâche que vous m'avez si rudement appliqué.
'l'auto la joie et l'espérance d'Arlette s'évanouirent. Elle
vit, dans celte phrase, le début d'un aveu, et au-si
qu'Yves allait lui parler de celte lointaine fiancée qu'elle
haïssait cl plaignait à la fois. Mais Yves reprit, plus bas
et plus doucoment :
- Si je vous di~as
que je vous aime, ArIette, est-co quo
je vous apprendrais quelque cllose?
- Comment osez-vous mo dit'e cela, Yves? dit ArIelle
avec indign::tLion. Esl-ce quo votre loyauté ne serait
qu'un mensonge?
Yves surs lUta à ceite nouvelle accusation.
Mais en ce moment on ontondit au loin commo un piétinement confus, qu'apportait un grant! souflle de vent
froid.
- Qu'est-co que c'ost? dit Yves.
- Hien, rl'pondit sèchement Arlette. Sans douto un
troupeau CJue des bergers emmonenl ...
Yves S'Cil voulul du mouvomenl un peu ridicule de
crainte il'raisonnl.!e qui lui avait fail poser sa quostion. El
il ne ful plus occupé que de la dornière phraso d'ArIelle.
- Mais qu'l'st-ce quo vous voulo..: dire? dumanda-l-il
a vec angoisse. Pourquoi voulez- vous qno ma 10ynut6
soit un mc'nsongo? Qu'ust-ce qu'il y a donc entro nous
<.Joux, Arlo~e
't
Lo pJ.uvl'e garçon s'cxaspuroit contro cet obstacle qu'il
ne parvenait pas à éll'L'indl'e, cl qu'il senlait si pl'è, de lui.
Arielle nt' soulTr,lil pas mein,; quu lui: ct olle 50 dlll idu il
fOI mull'r sail (\l'cIIsllion, n lui dire olle mÎ'mo ce qu'elle
do
au.rail voulu, cl Cl'J.i,lt ell mème tenlps, d'cn~ro
hu.
�P OU R QU OI ",'AVEZ-V O US PAS COMPRI S
?. .
109
_ ~I : i s , au moment où elle alla: t parler,o n entendit de
nouveau le même piétinement que l'in stant d'avant, mai s
plus près, et tel que celui que peut faire une petite
troupe de chevaux en marche.
« Mais qu'est -ce que c'est ? dit encor e Yves. Est-ce
que...
11 n'eut pas le temps d'achever.
Deux coups de feu claquèrent, presque ensemble, et Iles
deux ph Gres de l'auto s'éteignirent.
En même t emps, Yves reçut dans ses bras Arlelte, qui,
par un mouvement instinctif, ét ait venu chercher auprès
de lui une protecl ion contre elle ne sav ait qu el péril.
Mais, comme si elle avait eu honte de ce mouvement
_ pourtant naturel - el le s'arracha à lui et se mit à
courir vers l'endroit où, l'inst ant avant, brillaient les deux
ph ares de l'automobil e.
Yves voulut la suivre et s'élança , le revolver au
poing.
Mais il entendit une grand e clame ur montel' autour de
lui, reç ut un choc violent 11 la têle et se sentit tomber
dans le noir.
. . . . ..
..
Lorsq u'il revint 11 lui , il reco nnu t d'abord l'inté rieur de
la tente qui, quel Clues heures aup ar avant, avait abrité
leur repas . Bllo élait écla iréo por un e torcho qui se mblnit
faite do résine, et qui répandait parto ut une cl arté mob ile
et sanglante .
Il voulut lever la tête, mais ello lui sembla infmiment
lourd e ct douloul·e use.
Peu il peu, le Rouvenir hli revint dec; rapides événements qui avaient imméd iat'ment précédé sa chule. Il
comprit qu' il était tomùé cntl'e les mains d' uno do ces
band os de rôdeurs qui hant(l ient enco ro leg régions peu
fréquentérs ùe l'At las . l<)t uno horribl o infJu i6 tudo lui vint
nu :; ujel d o co qui avait pu advollir d'Ari elle.
.
11 voullit alors 50 releve r: m;l is il eut consc lenco
qu e sr'! pi eds cl ses mains étaient élroitement srrrôs dnns
ùes li ens de challvre. Décou l',lg6 , Il resLa i1nrnobil0,
étendu su r JI) so i.
Au même lll OIll Pn t il en len dit, il J'ex'6rieUl' de lu lenLe,
un o voix gliltul",de qui , SUl' un lon im pûl'nti f, dOlln ait des
ordrtJ::l cn rlI' nhe. Il y eut un pi éti ne ment, clq.s cris ai(;115,
�110
POURQUOI N'AVIlZ:VÔ'US PAS COMPRIS
? ..
la galopade d'un pelotoh de chevaux qui s'enfuient ft
bride abattue.
La porte 'e la tenle sc souleva et, se baissant pour
entrer, un homme étrange apparut. Il élait vêtu comme
le sont les Al'ubes, et les plus misérables. Mais il y avait,
dans .la façon dont il salua Yves, une courtoisie et une
vraie distinction qui d~tonaie
avec le négligé et la propreté douteuse de sa tenue.
A la grande stupéfaction d'Yves, cc fut en un 'excrl!cnt
français qu'il dit:
- J'ai Jo regret, monsieur de Kerval, do vous déclarer
que vous (Îles mon prisonnier.
Yves lui jeta un regud de mépris, plein <le roge
ct d'impuissance. Mais il ne voulut paf> montrer Jo. .
rolùro qui monlait en Jui avant d'être rassuré sur le Rort
d'Arldte et <le ses compagnons:
-Qu'avez-vous fait dolajeuno mlo quim'accompagnnil?
dt'manda-t-il.
- Rassurez-votls, monsieur de Kerval, cette jeuno !lUe
est en sûreté, comme, du reste, vos doux amis. Ils sont
mes prisonniors au rnêmo titro quo vous ot, comme tellJ,
ils ont droit aux plus grands égards ...
- Qu'est-co quo vous attendez de nous?
- l'ouvez-vous vraiment Jo dell1nnder? dit le myslllril.'ux ineonnu avoc un souriro il·onique. Allez-vous,
commo l'un do vos amis, me deInlllldor si nous sommes
,Ul Lhropophages?
YVI'S no put s'empC:chor do souril'e.
- Non, repriL l'homme, je no suis pus si barbare.
J'attends seulement do l'argenL Mais, pour 1(' mOllHmt,
nous allons i'tro obligés do VOI1R mnmeller tous 11:'; qunLro
lhns dos régions un pOil moins fl'équcllL('es qu.) Cl'lIeH où
vous vous Lrouvez ('II co moment. Quan(l vous au!'ez coma ,
prls que LouLe résisLance ust inutile, je Rui sOr {Jue vous
accepterez Lrès sogellll'nt de ycnir ayec nous.
Y\' 1'3 11(' répond iL JlllS ct détoUTIVl la tt:to avec uno
indiITûrenco nltcclée.
MuiJ Jo bandit ne par:lÏsslIit pus trouver d6pbisllOLo
cf!Llu ronvorsaLion :
- f:ll)ulYrcz (JlIO jo me pr(·.<;rnlr, dit-il: roporal Hichnt'd,
du lu Ll:gion ]~lra1gè'
... n congo illimité 1
- Parfait, di t Yves: déserleur cl voleur. C'est com plel!
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPr.IS
? ..
111
L'homme haussa les épatùes avec indifférence :
- vous,
dit-il. Il Caut ~ien
vivre. J 'ai pré-:- Que .vo~lez
fére la VIe lIbre et aventureuse que Je mène maintenant
à celle qu'on me faisait à la Légion, J'en avais bien le
droit, sans doute? Mais nous reprendrons plus tard cetle
conversation. Maintenant. .. vous permettez?
11 disparut un instant, et revint, suivi d'un grand diable
sombre, Arabe authentique cohü-Ià, à qu i il donna l'ordre
de d6faire les liens qui enserraient los membres d'Yves.
Lorsque celui-ci fut debout, il s'élira avec une visible
satisfaction. Mais tulC vive douleur qu'il ressentit à la
Lête lui fit pousser un cri étouI1é.
_ Qu'avez-vous? demanda l'ex-caporal de la Légion.
Yves porla la main à sa tète et lu retira pleine de sang.
- Vous avez été blessé?
- Jl me semble 1
Un dialoguo violent s'établit ontro l'Arabe qui avaH
délié Yves et 10 d6serteur devenu ehef de l>rigantls. Yves
n'('n put comprer.dl'e les termes, mais en vit fort bion la conclusion. 1.,0 r,aporal d6Lacha do Sl ceinture un fouet à
lTIancho courL oL l'n cingla à plusieurs roprises les côtes
ùe l'hommo, qui s'cn[uil en hurlant.
_ J'avais formellement interdit de toucher il aucun de
vous, dit- il d'une voix qui tl'cmblait oncore de col ère.
Laisez-moi vous oxaminer.
m ilrcgal'da attonlivemont la blessuro qu'Yves porlait
au-dessus do l'oreillo :
_ Ce ne sera rien, dit- il, lornqu'il eut t~rmin{)
son
examon, Un simple coup do matraquo. MalS noUS ne
pouvons soigner cola ici, il vouS faudra attendre d'être
il destination. Veuillez me suivre 1. ..
Yvos sortit de la tonte à la su Ile do l'hommo ; un gosle
rnp ido l'avait convaincu qu'il avail ôté délosté de son
revolver penclant son évanouissemonl "et qu'en orret toute
réslsltm ne ét(liL vouue d'avanco ;1 J'échoc .
Au dehorr" la nuit litait toujours aussi nolro, el le
plfllC'llu {>lail haluyu d'tlil grand vent lroid /Iui venait .des
monlngncs loilllaillos . A ([lll'lque distanco do la tc.nle, Il Y
11 vail un grand Jeu, ulltour duquol so chaulYaient les
bamllt:;. Un peu plus loin, alladI6.' ù JOJ pi/luols, les
Bolides chevaux s'ôhromlicnL, piofTflicnl, hOllnissaient,
impllUClIliJ de rCJlrcllcll'o leul' courso noclurne.
�112
por:nQvOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?...
Malgré le tragique de sa situation, Yves ne put s'em pêcher d'apprécier le pittoresque de cette scène. Les
grandos flammes qui s'échappaient du foyer jetaient des
notes poupres sur les aciers des chevaux et les armes des
hommes . Et les costumes en guenilles de ces brigands
paraissaient moins misérables dans ce cadre romantique.
Mais une impression pénible chassa bientôt le rapide
plaisir qu'il avait eu à conlempler cette scène; gisant sur
le sol froid et dur, à côté des hommes qui se chauffaient,
il vit Arlette étroitement ligotée.
11 se précipita vers elle et porta la mnin à ses liens.
Mais il fut aussitôt empoigné et immobilisé par deux
vigoureux gaillards. Il se débatlit un instant, mais un
ordre bref du caporal Richard le fit relâcher.
-- Détachez immédiatement celte jeune fille 1 cria-t-il.
- MJ.is naturellement 1 répondit calmement le caporal
Richard.
El il donna l'ordre de délivrer Arlette, ainsi quo Robert
et Gaston, dont Yves devinait, un peu plus loin, les formes
allongées.
La j eun e fille, libérée, se l'l'lova d'un bond; dans ce cadre
bizarre, elle parut à Yves plus jolio quo j 'lmais; lout
nnimée encore de l'émotion du combat inégal qu'elle avait
soulenu conlre ses ugl','sseurs, olle s'avança vers Yves;
- Vous voyez, dit-elle cn riant, jo vous ai mis dans do
bil'n mauvais draps 1 Si j'élais srule, tau t cela mo serait
hirn ind if1urcnll. .. Mais il y a VOU3 et voLre ami ... el puis
G'lsloll 1
Yves admirait le cnlme et 10 tranquille rourage de son
amie. JI parais,oi t no plus y avoir l'ombro do malenVndll entre eux deux, et le dialoguo presquo lra~ique
qu'ils nvaionL eu dans la nuit de co plaleau baln.y6 par 10
wnl n'(' Llit plus qu'un souvenir ...
Robert s'npprorha à son lour. Il soulennil Gaston, (lonl
la palcul', mnlgTo les t ,'flots rouge~
que les nammos du
hrasir>r accrochai r nt pnrLout, l'Lai t impr, Fsi onnanto.
1hiR, avant <lu'H ('Ù L pli parlpr à son ami, le caporJ.1
TIj'hnl'd s'npprocl1a de ICllr groupe:
- Sawz-vous monter à rhl'val? drma .' da-l-il.
Ar;cLle, Yvr>s el Roheri, répondirent afftl'l1lntil'emcnt,
filais G l slon étidt vis 1J)(:mr>nt incap 'llJIIl de tenir sur lin
ch(vn], fùl-II pnciJlquc commo un chevnl de labours, ct
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?...
113
regardait avec effroi les petites b êt es de race qui attendaient, en piétinant d'imp ati ence, leurs cavaliers.
Yves eut pitié de lui;
- Mon camarade est souffrant, dit-il au caporal Richard.
Je demande à le prendre avec moi.
- Ce sera comme il vous plaira.
Encore un ordre bref, dans la la ngue b arbare qui était
celle de ces hommes, et que l'ancien légionnaire paraissait
posséder aussi p arfaitement qu e le français, et trois
chevaux, impatienls ct fringanls, fur ent a menés.
Arlette et ses amis les nfourchèrent sans déplaisir.
Mainlenant qu)ils avaient pris leur p arli de l'aventure, ils
la trouyai enl plus originale que tragique. Et puis un
secret espoir était en Yves comme en Robert : celui de
parvenir à s'échapp er et ùe pouvoir r ogagner leur bord
avant que le bruit de leur caplure soit parvenu aux
oreilles du commandant. Comm ent comptaient-ils s'y
pren dre pour cela? A vrai dirl', ils n'en savaient encore
ri n; m ais , sans avoir échangé une parole, ils s'élaient
déjà compl'is dans leur commun désir d'évasion et guett aient t OtlS les deux, avec un e pass ion qui décuplait pour
eux l'inlér êt des moindres incidents, l'occasion l}ropice à
leurs desse ins.
Et la pelite caravane se mil cn m arche.
Los p risonni ers , groupés ensemble, marchaient au centre
d'une vérilabl e p etite troupe d'homm es cn armes, et ils
sen taient bien quo chacun de leurs gestes était surveillé.
Il était évident quo, en cc moment, nullo chance de fuite
ne pouvait s'offrir.
Yves avait <levant lui 10 malh oureux Gaston, dont le
corps, so mblable il celui d'un pail lin, oscillait sans cesse
entre l'encolure du ch eval et lui. M.archant il son côlé,
il y avait Arletlo , toule droito sur sa se ,l e, ct donl la
fi ère a tlitud e oùt Sl lm il réconfo r ter Yves, s il avait eu
besoin ùo r6con ro l't. El Rohert, il côlé d'ArleL to, paraissait somnol er, s'ahan lOllllunt au peLit lrop r égulier de
sa mon lure.
Com bien de Lemps dura rcLLe rhovaur:hée?
Ils a urnient élé hien omp Ochés du 10 dire: la faliglle
les ga{l'nait, cl il::! lu ttaie nt ù() phs en plus p6niblemcnl
conlre le somm eil qui Ci go urdi ss'lit leurs membres.
Mais, au momen l où une faIble lueur r ussée du côté de
�1H
pounQuol N'AVEZ-VOUS PAS COMPnlS
? ..
l'Orient annonça que le jour approchait, il y eut un ordre
bref, qui les fit tressaillir, et toute la troupe s'immolisa.
Alors, dans l'incertaine lueur du jour qui naissait, Yves
et ses compagnons purent distinguer de longues tent es
sombres, allongées ras du sol, sembl ables à de gr03ses
b êtes couchées et qui guettent. Il y avait tout un campement de nomad es, village tapi au fl anc de la montagne,
t oujours sur le point d'être déplacé, e t qui abrilait l'exidt ence des familles des hardis cavaliers du désert.
Au bruit qu'avait fait la petite carav ane en s'arrêt a nt,
des femm es, puis des enfants étaient sortis de dessous les
1entC's et, s'approchant curieusement, venaient examiner
les prisonniers que ramenaient leurs pères et leurs
maris.
Mais le capor al Richard les fit s'éloigner bru talement
et, s'approch ant à son t our d e ceux qu'il meLLait ulle ce rtaine affecta tion à tra iter enhâ tes de m arque,il les pria fort
p oliment de bien v ouloir d escendre de leurs chevaux ct de
le suivre.
Il s obéirenL volontiers , il l'excepLlon de Gaston, véritablement effondré ct incapabl e d e fdire un p as.
On le l aissa éLendu auprès des chevaux , sous la garde
d e l'un dos b nndits , armé jusqu'aux dents, et qui jetait
d en regards farollches sur 10 pa uvr o gar çon, dès qu' il
osquissait 10 [moindro geste. Yves s'on r emc Lto.it à la
fraîch eur du sol p our r ét ablir promp t em ent sur pieds son
lal'l1Clltnt.le co mp agnon.
Sou, la cOndtl itc J e l'ancion légionnaire, les trois jeunes
g ons parvinrent ù une t en te un pou p lus h aute qu e les
llutres, ct qu' un luxe r elatif IT!lJn lrait devoir ôtre le
bureau du chef do l'étrange troup e.
Celui- ci procéd a a ussitôt il cc qu'il ap pela, en aynnll'nir
d e s'excuser, un interr oga t oire d 'idcntit\,. Slmplo Cormalit li , d'ailleurs , eal' Jes fouill es yu' il a va it pra: iqu 0es sur
ses vic times ligoLérs l'avo.ient atnplem cmcn t r enseigné sur
lCUJ's r cspecLiv!'[; sil ua Llon'l social es .
Yves ct R obert (' n furent pa rticuli èr ement m 6contr llt.s ,
car il s a vai nt d 'abord esp6r6 pouvoir tenir lours grados
secrets .
Ils flr('n t néll mmoins contre mauva iso fortune bon cœur
cl répondirent do cilemenL aux quef> ti ons qu'il parut
�POUItQUOf N'AVEZ-VOUS PAS COnIPItIS
7...
115
bon à leur geôlier de leur poser: cr.tr ils étaient désireux,
avant toute chose, de ne pas se l'aliéner.
Rongeant leur frein, ils répondirent donc avec une bonne
grâce qui étonna Arlette; elle attendait moins de docilité de la part du fier caractère de ses compagnons . Mais
oHe comprit, il un regard de Robert, qu'il fallait à tout
prix inspirer confiance à l'ancien caporal de légion, - et,
se maîtrisant, elle répondit cal.memènt, elle i3.Ussi , - se
chorge:mt même de donner les l'enseignements qui concernaient Gaston .
Cette formaHté accomplie, ils furent courtoisement
reconduits dans une tente isolée, qUi devait leur servir de
prison jusqu'au complot paiement de leur rançon. Ils y
retrouvèrent Gasten, qui les croyait déjà perdus il.
jamais, et qui attendait avec une angois:;e horrible le
moment d'être appeié pal' le bourreau ...
La joio qu'il eut de les voir revenir sains et saufs calma
un peu l'explosion de son désespoir. Arlelte, du reste,
au premier mot de reproche qui lui échappa, le réduisit
au silence par une de ces sorties violentes dont elle avait
le secret.
Entre temps, le jour s'était complèlement levé, ce tr01siùme jour de leur voyage ... Indilléronle, la belle lumière
marocaine répandait sur tout le puys son calme doré. Et
les quatre prisonniers, assis devanl leur tenle, roulaient
dans leurs Hiles des pensées dilTérentes, mais égoJement
empreintes d'une certaine mélancolie.
Lorsque leurs yeux se laissaient prendre ot charmer pur
les beautés du décor qui les cnvirOllntlit, il y avait toujours un cliq1letis d'armes, un hennissement de cheval, ou
le grognement ininlclligibltl de la brute chargée de les
garder qui les ramenait il la. trislo réalilé.
Mais, pour Yves et pour Arlette, la tristesse de celle
réalité était os!)urémenl dépassée par cf!! le qui émanait du
souvenir de l'mr conversation de la !l\lil précédente: souvenir qui ravenait ot s'accenluait, avec la rigueur implacable d'Ilne obsession.
J!;t cc fol ceHe pensée communa, mns doute, qui les nt
se rapprocher l'un de l'autre, ù l'écal t delenrs doux
camarades, el qui poussa Yves II. pren 1re la main d'Arletle
entre les sitmnes, - comme Hl'ovuil fait, déjà, sur ln
ploge de Ma:u'lgan, - et à lui murmurer, presquo à l'oreille,
�116
PO URQUO I N'AVEZ-VOUS PAS CO
~ [PRIS?
••
ce tragique: « P our l'amour de Dieu, dites-moi ce qu 'il y
a », sur le sens duquel ArleLt e ne se méprit pas une
seconde.
Et ce fut aussi cette pensée, sans doute, qui fit qu'Arlette
ne retira pas sa main d'entre celles d'Yves et r 3pondit à
sa quesLion angoissée, avec une voix étouITée et où se devinaient des larmes contenues:
- Yves! Pourquoi vous êt es -vous déjà fiancé 1
La foudre tombant à côté d'Yves ne l'aur ait pas frappé
de plus de stupeur quo ne le firent cette petite qu estion et
l'accent de profonde désolation avec lequel elle fut f aite.
- Fiancé? répéta-t-il d'une voix blanche.
Mais quel était donc l'horrible malent endu qui les avait
si longtem ps séparés? Se pouvait-il qu'elle le crût fiancé?
Hal et ant, Yves attendait quelques mots encore d'Arlette,
qui, certainement, allaient tout éclairer ...
Mais ArleLte prit le trouble qu'il manifesta pour la
surprise du trompeur qui voit sa tromperie découve rte,
Elle continu a donc, et son indignation, presque oubliée,
la reprenait à mesure qu'elle parlait:
- Ainsi c'est vrai, c'est bien vrai, vous êtes fiancé?
Et vous avez pourtant voulu que je vous aime ... Vous n'ell
aviez pas le droit, non, vous n'en aviez pas Je droit ... Vous
m'avez mise dnns l'obligation de sou rrrir moi-m ême, ou
de Caire sou ITrir une jeune HIle qu e je ne connais pas ... et
qui vad l1e ut- r tre mieux que moi .
- Arl ttel s'écria Yves, mais que voulez -vous dire? Jo
vou s jure ...
- Vou') voulez nior, maintennn t? Yves, je vous en
conjure, n'ajoutez paB un mensonge il ... ce que j'ai ap pelé
co n
sc i e n ~e .
uno Wc eté, ot qui n' 6t ~ il peul- êt re ql1'unei
- Mais je vous donne ma parole d'honneur, Arle lto,
que je ne vous com pre nds pas.
- Yves l Yve~1
É 'outez-moi ... Su r Je Brazza, le soir
du b al, lorsque ma robe s'est trouvée d échiréo , et qu e je
suis entrée dans votre cabino ... Vous vous wuvenez bien
de tout roIn ?
- Oui, dit Yves, qui écout ait maintenant la jeune Oll e
avec un inlérCt pa ,~ ion6,
- Eh bÏ'rl, à ce moment-lil, voyez-voUs, - jepellx bien
vous le dire, à pré ' onl quo t ou L est Oni, que tout doit
êlre fini, - j'étais sur Je point, tellement j'étais sûre de
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?...
117
VOUS, de vous dire que je vous aimais; oui, vraiment, j'en
aurais pris l'initiative, parce que je croyais que c'était
seulement la timidité qui vous empêchait de parler ... Et
puis, dans votre chambre, - et sans le vouloir, Yves, je
vous le jure, - j'ai lu une phrase, sur une lettre qui était
sur la table . Je la sais par cœur ...
Et el ~ e dit, lentement, après s'être re cueillie une seconde :
- « 11 ya longtemps, longtemps, que je n'ai vu t a fiancée,
et ici rien ne me parle d'elle ... » Vous voyez, Yves, que
vous ne pouvez plus nier ... J'ai compris que c'était votre
sœur qui vous écrivait cela.
Yves avait tressailli de joie.
Seigneur 1 Était-il possible que cc fût là tout ce qui les
sépar,:lit? N'y avait -il plus vraiment entre eux que ce
ridicule quiproquo?
Et une joie immense l'envahissait, si forte qu'il ne put
cl 'abord parler et se passa plusieurs fois la m ain sur le
front. Et Arlette le regardait, consternée, les joues en feu,
tremblante encore de l'effort qu'elle avait dû faire pour
avouer avec tant de franchise les sontiments qui l'avaient
poussée vers Yves et l'in volontaire indiscrétion qui le lui
avait rendu presque odieux.
Lorsque Yves eut retrouvé assez de calme pour pouvoir
pader, il diL doucement à ArIelle:
- Je reconnais, Arlette, ct je vous l'ai déjà dit, que
j'avais sans doute cu des torts vis-à-vis de vous. Mais si
vous pouvez croire à ma parole d'honneur, ils ne sont
pas de l'ordre que vous croyez. Plus lard, - el dans pas trop
longtemps, j'espère, - je m'expliquerai plus clairement et
plus complètement. Mais pour l'instant, veuillez m'écouter
il votre tour ...
Et il lui dit, sans grandes phrases, mais avec un accent
de sincérité qui ne pouvait tromper, qu'il l'avait aimée
très vi te, et que son plus cher espoir a vail été, en erret,
do se faire aimer d'elle; quo ce qui l'avait al'r~té
plusieurs
fois, alors qu'il 6lait sur le point d'avouer ses sentiments,
c'était la conscience qu'il avait de ne pouvoir lui offrir
l'existence luxueuse à laquelle elle 6taiL habituée ct que,
de plus, la santé de sa sœur lui donnant des inqui6tudes,
t l'obligeant à de grands sacriflces d'argent, il avait eu
scrupule, dans ces conditions, il lui demander de lier
définitivement leurs deux existonces.
�118
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS CO~lPRS
? ...
« Et puis, dit-il, sur 10 Braz:za, vous m'êtes apparue
sous un jour si noble et si touchant, j'ai si biclI compris
que ce luxe n'était pour Vous qu'un vêtemont facile à
abandonner, que j'ai fait taire mes scrupules; j'ai cu le
courage de m'élover au - dessus de la question des fortunes,
- la seule qui pouvail nous séparer, jo vous le jure, - et
j'allais vous parler avec franchise ... Et voilà que tout à
coup, sans que rien pût me faire deviner cc qui s'étnit
passé, vous changez du tout au tout ct me traitez de
lâche à deux reprises. Mais à présent je compronds, ct
tout ce qui est encore obscur pour vous s'expliquora
bientôt ...
n fit quolques pas autour de la tonte ...
trouvait dans la joie immonse qui le soulevait une
vigueur nouvelle, capable de choses extraordinaires, une
force assez grande pour bravor tous cos gons à mine
patibulaire qui l'entouraient el emporter Arlette vers la
liberté - et l'amour 1
'l'oute sa lucidité lui était maintenant revenue, et il
goûtaiL avec délices ce calmo, après les heures de cauchemar qui avaient rempli tous ses derniers jours.
Il revint bientôt vers Arlotlo : interdite, et ne sachnnt
que croire, clIo suivait lous ses mouvements. La joie qui
rayonnait SUI' la figure du jeune homme la surprenait ct
lui rond ait de l'ospoir.
- Arlette, reprit Yves en s'asseyant à côté d'olle, vous
voyez que j'ai été tranc avec vous. Mais il faut quo mainlGnant vous me rendiez toute volre conflance. Mc croirezVOJlS aussi quand je vous dirai que j'ai le droit de vou.>
aimer el celui d'~lo
aimé do veus?
Uno toIle franchise émanait des paroles d'Yvor; ot du
ton avec lequel il les prononça qu'Arlotte, vaincue, no
put que r6pondr,e :
- Oui, Yves, je vons cro'rai.
JI y avait maintenant dan tous lcursproposquelquo choso
de direct, qui tenail sans doute au cadre où ils utaiont
échangé:>.
Loin deG lumièl'cs artiflco~,
des musiques bI'Ïllantcs,
des bavardages de la roule, loin, en un mot, do tout ('1)
qu'ont de factico Il réunion des goni'l d Il monde cl 101ll'S
plai~rs,
ils atteignaiont plus ai~érncL
à lu simplicit0.
n
�l'OUJt(!UOI l'l'AyeZ-VOl]!) l'At CO~tl'n
?..
ft9
Aussi, quand Yves reprit d'une voix douce et tendre,
mais assurée ;
- Alors, Arlette, je vous demande si vous voulez devenir
ma femme?
Arlette ne sc montra pas plus troublée et répondit d'une
voix ferme:
- J'accepte, Yves, parce que j'ai confiance.
Et ce furent là toutes leurs fiançailles. Elles n'eurent
pas d'autre témoin que l'Arabe noir et laid qui les
gardait: mais le baiser passionné qu'Yves posa SUi' les
mains d'Arlette fut assurément le plus définitif et le plus
solennel des engagements.
Et ce fut dans la captivité - « dans les fers», eomme
dit tragiquement Gaston, - que s'écoulèrent les premières
heures de leur bonheur.
CHAPITRE VU
Cetto journée, qui parut interminable et angoissante à
Gaslon, ct que Robl.)rt trouva simplement curieuse, ful
pour les deux fiancés une journée pleinement heureuse.
Arlette s'nblmdonnait au sentimont do douco sécurité de
lu conOance retrouvée, cL, pour Yves, c'él:litlo repos,
lu halle entl'o les heures uITrousos dos jours précédents,
EJt l'action ducisive, qu'il ava'il décidé d'ongager la nuit
même, pour reconquérir sa liberlé et cello de sa fiancée.
m il nu se sentait nullement eJ1'rayé par les difllcultés
Ile l'entrovrise. Son esprit, sans cesse cn éveil, gueltait
lu moindro occusion, prêt:i saisir la pins minime des
combinaisons qui pourrait s'oll'rir. Car, un cc qui concernuit l'exécution, il éiail assuré de trouvor dans ArleUo
comme dans RoherL l'appui le plus otneuce.
Mail! Onslon devail, indisculablement, représenter III
poi,l~
mort à lralner do tOlite tentative. On no pouvait
ntLcndl'e de lui autre choso quc compliclIl.ion. cl ennuis.
JJ'aulre parl, il élail dangercux de l'avertir ([UU quel quo
chose pouvait être lenté d'un moment à l'uull'e : CUl' avec
111 nervosilé donl il faisait preuyo on toutes ril'Collstanre!;,
c:t son absl.'lIco lol:.\le de mailrÎsu de soi, il eût aS uréffient
�120
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? ..
donné l'éveil, et il était naturellement impossible de
partir sans lui, en l'abandonnant aux mains des bandits:
ceux-ci n'auraient pas manqué de lui faire payer cher
leur déconvenue.
Or ce pauvre garçon, qui, jusqu'à présent, avait si
prodigieusement irrité Yves et son ami, leur inspirait
maintenant une sorte de pitié.
Tant de lâcheté déconcertait, par une trop forte opposilion avec les airs arrogants qu'il adoptait encore si peu
de temps avant.
Mais ces préoccupations n'empêchèrent pas Yves, ni
Arlette, de goüter pleinement le calme bonheur de celte
journée.
Un repas fort confortable leur fut servi, dont les
provisions saisies dans l'auto par les bandits firent principalement les Irais.
lis reçurent, aussitôt après leur repas, la visile du
caporal Richard, qui s'entretint un moment avec eux et
fit preuve de son ordinaire courtoisie.
- A propos, dit Yvrs au bout d'un moment de conversation, et notre voiture? qu'est-elle devenue?
- Mais elle est en parfait état, monsieur; sans que vous
vous en doutiez peut-ètre, elle a suivi la caravane cette
nuit, tirée par des chevaux. Elle n'avuit pOUl' toule
avarie que celle que j'avais dû lui raire subir personnellement, en éteignant les phares de la façon un peu ...
brutale que vous savez. Mais elle n'a que très légèrement souffert, et ce matin jo l'ai fait remettre en élat...
Que diriez-vous d'une peLilo promenade dans ce bled,
avec moi?
- Je vous remercie, monsieur, dit Yves un peu sèchemenL D'abord je ne tiens pas du tout à quiller le camp;
ensuite je doule qu'avec ce qui reste d'essence nous
puissions Iaire uno promenade intéressante.
- DOlrompez-vous, monsieur. Le plein d'essence a été
fait ici, comme il sera faille jour do votre départ. Car
c'est dans celte voilure que vous regngncrez Casablanca,
aussitôt quo les petites Iormalil6s en cours seront
régl6es.
Yves eut de la prine à malll'iser 1'6clair do joie qui
brilla dans ses yeux. Collo voilure, en ordre de marche,
no lui oITrait-elle pas la plus merveilleuse el peut· alre la
�P)URQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?._
121
seule solution à sa situation et à celle de ses compagnons11 évita de regarder Robert, mais il était bien certain
que lui aussi avait pensé à cette possibilité qui s'oITrait
à tous.
- Vraiment? r eprit le chef des bandits, une petite promenade ne vous plairait pas? Le pays en vaut la peine.
- Non, vraiment, répondit Yves avec l'air aussi indifférent qu'il put. Mais peut-être cela te plairait-il, Robert,
ajouta-t-il en se tournant vers le jeune commissaire.
- Bah 1 Pourquoi pas? dit celui -ci. J'adore faire de
l'auto. Et j'ai de moins aimables raisons que tOI pour
tenir à demeurer au camp ...
Ces paroles, prononcées sur un ton de légèreté aITectée,
étaient destinées à montrer au caporal Richard leur complète liberté d'esprit.
Aussi fut-ce sans une ombre de défiance que celui -ci,
se tournant vers Robert, l'invita à prendre la place que
refusait Yves. 'l'l'ès calme, Robert prit aussitôt congé de
ses compagnons et, quelques instants plus tard, un ronflement de moteur les avertit que l'automobile quittait le
camp.
Yves et ArleLte sc rassirent devant la tenta; Gaston
s'éLendit sur le sol, cherchant dans le sommeil l'oubli de
ses angoisses.
Ils n'avaient plus qu'à attendre l'heure proche de la
d6Ji vrance.
.
•..
L'auto roula un moment, sans que Robert ouvrlt la
bau he, non plus que le caporal, qui s'était mis au volant
et conduisait avec une remarquable aisance. 'J'ous les
deux paraissaient préoccupés et plongés dans leurs
rénexiolls, mais leurs préoccupations éLaienL aS3urément
d'ordres difTérenLs.
l'our Robert, le problème se posait Lrès simplement:
comment arriver à sc ùéfairo de cet homme et à s'emparer
de sa voiture? 'l'ouLos ses armes lui avaienL naturellement été enlevées, ct, d'autre part, il avaiL vu, dans l'une
des poches du caporal, luiro la crosse d'un revolver ... l!:n
sorte que, si la posiLion du problème était simple, la solution en apparaissait pleine de difllcullés. C'est à cela que
�122
P()VllQtiol rI'A '1l:::-YOUIl J'A<\ COM!'n:1
?.. ,
réfléchissait Robert, cependant quo l'auto roulait toujours
et que le caporal se taisait. ..
Et voici que soudain, à ses pieds, Robert aperçut
quelque chose, d'où viendra peut-être le salut : une clé
anglaise, un fort instrument d'acier, qui rossemble, avec
sa forme tourmentée, à un instrument de torture ...
La décision du jeune homme fut tout de suite prise :
et, dès 100'S, à quoi bon réfléchir? La réflexion, en pareil
cas, ne peut qu'amollir les nerfs, faire battre le cœur ...
Lentement, très calm e, il tire son mouchoir de sa poche,
s'essuio le front, où perlent quelques gouttes de sueur .. .
Un moment, il joue avec ce mouchoir, et puis le lâche .. .
n est très bien tombé, cachant enUèrement la clé
anglaise . 11 se baisse et ramasse les deux objets ...
Un geste prompt comme lafoudte, une terrible embard~
de la voiture, et puis un gémissement étouJIé ...
Robert est maître de l'auto ...
Il fit l'alentir la voiture et l'immobilisa rapidement,
Était-ce la liberté?
II se pencha sUI'j'homme étendu; D.ssurément, il n'était
pas mort. Et d'abord, Hobert eut soin do le délesler
promplemenl de son arme. Ensuite, avec soin, il le tira
hors do la voiture et l'élendit sur le bord de la pisttl
qu'avait suivie l'auto; déjà l'homme revenait à lui.
Un gros juron lui échappa.
- Caporal, J'ailla Roberl, souvenez-vous quo c'esl à un
supurieuI' que vous parlez; vous mériteriez quelques jours
de prison 1
'J'out en padant, il ligotail énergiquement les pieds el
IpB mains de son geôlier - devonu son prisonnier - trop
fuible (;JtCOI'C pour so défendre ct môme pour sc rendre III 1
compte oxact de ce qui lui 3.rri vail ...
Le ronfloment connu de l'aulomobilo qui ,'cvenait fil
sorli)' Yves cl ArIelle de la douce rûvorie où les plongeait
leur rucont IJonhour.
l'!n même tumps, cl pour quo l'ion no les relarde, en cas
qu'il fuille agir promptement, il révoillèrent Gaston et h~
!J,'ièrent do fle tcnÏl' prêt. Mal évoillé, celui-ci demanda à
quoi il fllll,üL &u tenir prtt, ma id per:::Ollllo nu lui répondit.
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
?...
123
Yves et Arlette, un peu déconcertés, voyaient arriver lentement la voiture, mais rien ne paraissait annoncer que
de graves événements so soient produits. Robert avait-il
manqué l'occasion qui lui était ofierte?
Ils distinguèrent bientôt le caporal Richard, drapé dans
son burnous, qui conduisait comme au départ; mais ils ne
voyaient pas Robert. Sans doute était-il à l'intérieur de la
voiture, ou bien ...
Et on un moment les deux jeunes gens évoquèrent
l'affreux spectacle de leur compagnon essayant de s'emparer de l'au ,o ct abattu comme un chien par le caporal
Hichard, dont la courtoisie ironique cachaiL assurément un
fond sérieux de cruauté brutale.
L'auto avançait toujours, s'approchant de la tente.
m soudain, Yves poussa un cri de joie: il venait de
roconnaitre, sous le vêtement de l'ancien légionnaire,
Robert lui-même.
Gaston sortit de la tente au moment où la voiture en
était 10 plus près. Avant quo l'Arabe qui gardait les prisonniers eüt pu faire un geste, Yves ouvrit la portièro, précipiLa GasLon à l'intérieur, y fit monter Arlette, et bondit
sur le siôgc il côt6 do Robert.
Celui-ci démarra bl'uLalementent, de l'aile de PauLo
heurta violemment l'arabe, au moment où celui-ci armait
son fusil. fi alla roulor sur le sol hurlant de doulour.
A sos cris, sos camarades commençèrent il. sortir on foule
de dessous les tentes : mais, après un virago terrible, où
J'auto sembla pivoter sur elle-rnêrne, Hobert reprit la piste
qu'il avait suivie une heure auparavant, pilot6 par
Itichal'd.
- Va plus vite, cria Yvo , ils vont tirel'!. ..
Muis Robert hocha la tllto en souriant: il paraissait
prendro un malin plaisir à. ne pas dépasser le quarante à
J'heure. Et, de fait, on n'éntendit pas un seul coup de fou,
mais seulement los cris de rago des .t\rabts, qui voyaient
s'enfuir la proie qui devait les enrichir. Et les oris 50
pm'dironL bientôt dan!! le loinlain ct dans le ronflomonl du
In'Jteur ...
Ils 6taient libres,
1!;t la voiLul'e, lancée enfin à Lou~
vitesso, fonça en direction de MUl'rakecl!.
- Peux-lu m'expliquer, dit Yvos dès que l'émotion de
�124
POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS
? ...
ces rapides événements fut un peu apaisée, pourquoi les
Arabes n'ont pas tiré sur nous?
- Tu veux le savoir? attends un peu ...
Quelques instanLs après, la voiture stoppait, et Yves en
descendit. Robert lui. fit faire le tour de l'auto ... et Je
jeune officier éclata de rire: solidement attaché à la malle
arrière, le caporal, fou de rage et de fatigue, les avait protégés de son corps, - bien involontairement! - contre les
coups de feu de ses soldats, qui n'avaient pas osé tirer SUr
leur chef.
Robert le détacha, lui délia les pieds, mais lui laissa
son bâillon, ct les mnnottes de corde qui lui attachaient les
mains. Et puis, lui indiquant du doigt la direction du
camp, il lui administra un solide coup de pied dans le bas
du dos ...
- Pourquoi ne l'as-tu pas emmené jusqu'à Marrakech?
demanda Yves; il était de bonne prise ...
- Bah 1 Il vient de nous sauver la vie ... Et 'puis nous
avons toutes les indicaLions nécessaires pour le faire pincer,
lui ct touLe sa bande.
Et Jes qualre évadés remonlèront en voiture. Mais
Robert pria fort poliment Gaston de remonter à son côté
et de laisser le fond de la voilure à Arlette et Yves. Gaston,
qui comprenail qu'il avait déOnitivement perdu la partie
auprès d'ArIelle, accepta sans maugréer, et puis, devant
l'énergie et le courage d'Yves ct de Robort, il se senLait
vraiment trop petil garçon pour osor élever la voix ...
Après de rapides ravitaillements à El lIaddada, puis à
Marrakech, l'aulo arriva le soir même il Mazagan, où il
avait élé décidé que l'on passerait la nuit.
Quelques Idlomètros avanl d'arriver, Yves dit à
Arlelle.
'( Maintonant, il faut que je vous présento ma fiancée, la
fiancée dont mo parlait ma sœur ... Il
Arlette lui jeta un regard où la tendresso se mêlait à
l'inquiétude. Mais comme J'aulo parvenait au sommet
d'une côle, la mer leur apparut, au moment où le soleil
y plongeait.
- Voici ma fiancée, dit Yves.
Mais Arlolte ne répondait rien; sa tôto s'abandonna sur
la poitrine d'Yves. La nature reprenait 50S droits: bris6e
d'émolin~
et do fatigues, la jeuno fille s'était 6vanouie.
�POURQUOI N'AVEZ-VOUS PAS COMPRIS...
125
ÉPILOGUE
Ce fut dans l'église de Casablanca que fut célébré le
mariage d'Yves et d'Arlette.
Marie-Antoinette, que des soins éclairés avaient rendue
à la santé et à la vie, donnait le bras à Robert, et Gaston
escortait Mlle Delanoë.
Et les gens du monde, à qui rien n'échappe, affirmaient
que cela Jlnirait encore par deux mariages.
FIN
�!.!UlllllllllnmnturnOIIllUIIIUlllltlllllllDlllllnmml11l11lnullutnUlIlIIIllIlIlIlIlIIUIIIIIIIIIIIR"mllllllllnUnllmm?!
1
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L'ÉPOPÉE
TERRE
DE
Collection publil.
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1
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'011$
DE
LA
FRANCE
la direction d.
re~Quabls
Une collection de la
::i::t::a:e. Les plus
romanciers, pottes, essayistes, y ont collaboré ou y collaboreront.
DElA PARUS DANS CEttE COLLECTION:
1
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§
1
1
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3
E ANDRÉ SAVIGNON ..... SAINT.MALO
:1
11 ANDRÉ LAMANDÉ .. . . LA VALLÉE DES MI- il
~
RACLES
~
EUGÈNE LE MOUt::L.. MONT SAINT.l\UCHEL
~
:_~-" CH. LE
GOFFIC. . .. . . . BROCÉLIANDE
~_=:
avec la collaboration
i
Ë:
de M.
AUII.
DUPOUY.
ê ANDRÉ DUMAS.. . ... . . LE DÉSERT CÉVENOL
3
~ FORTUNATSTROWSKI. LA GRANDE VILLE AU g
;
1ARMAND PRAVIEL... ..
il
~
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BORD DU FLEUVE
Bordeaux et la Guyenne.
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1
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li
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~IUlJf"HDt1nmN
Brest, la Cate et lea Ilel.
El
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2
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l'
ChaQlIf! volume dteellecolleclion est liré sur papier alla, il/ustré de plusNl/rs ~
hors·lexle en héliORrQlJure, sous couver/ure arlisllQue.
3
1
g
~
Touloule, capitale du
~
Languedoc.;
A. MABILLE DE PON.
CHEVILLE.. . . . . . . . . • MONTS SACIŒs
a FIRMIN ROZ .........• LA LUMIÈRE DE PARIS
ANDRÉ GERVAIS ...... AU PAYS DE M. DE LA
PALICE
~ GEORGES LECOMTE..• GLOIRE DE L'll.E-DE.
il
FRANCE
F. FUNCK-BRENTANO. LE CHANT DU RHIN
AUGUSTE DUPOUY ... FACE AU COUCHANT
Il
~
LA VILLE ROUGE
~
1
1·
Prix : 1 5 franca
I;J
LA RENAISSANCE DU LIVRE
- 94, rua d'Alésia, PARIS (XIVO) -
1
�Pour paraître jeodi prochaio
SOOI
le
DO
393 de la collection
CI
FMU "
LE PARI
DE CLAUDE D'ANTEUIL
par ANNIE ET PIERRE HOT
Et je n'ai su que je t'aimais
Qu'en voyant ta première larme.
(A.
SYLVESTRE.)
CHAPITRE PREMIER
- Louis 1 deux vermQuths-cassis bien tassés 1... Eh
bien 1 Louis, et mon vin blanc Iraisette 1... On est allé
cueillir les fraises ?... Louis 1 une citronnade, en vitesse 1...
Louisl de la glace en branchesl ...
Ce samodi 10 mars, la torrasse de la NouPcllc Brasserie
Françaisc regorgeait de consommateurs. C'était l'heure
cnlme de l'apéritif. 11 faisait un temps délicieux, prélude
exceptionnel et roposant au printemps prochain . Celui-ci,
souriant déjà, avait mis coquettement le nez à la fenêtre.
La nuit était cependant venue, comme à regret, mais la
tiédeur de ln température concurrençait heureusement la
chaleur artificielle des braseros qui f1ùmbaient par habitude, rougissants comme s'ils avaient honte, et dont les
clients s'6cartaient néanmoins, los jugeant pour ce soir
indésirables. La rue présentait une animation significative,
celle des bellos soiréos du mois do mai. La foule anonyme
des promeneurs ot dos travaillours, semblant Dpprécier co
caprice de la natlll'e aujourd'hui bienveillante, circulait
paisible, Bans y mottre la fièvre coutumière. normalemenL
incitée par le froid ou le brouillard humide et malsain,
hobitucls à celte 6poquo. On eût dit que Lout ce monde,
(A suipre).
��~"'I
'rn]
LE DISQUE ROUGE
DES ROMANS D'AVENTURES - DES ROMANS D'ACTION
D AUTEURS LES PLUS CONNUS
EXCLlJSIVITÉ HACHF.TTE 1
FAIRLIE
G~RAD
L'Appel des Vautours.
w.
W. JACOBS
La Main de Singe.
CONAN DOYLE
Aventures de Sherlock Holmes.
Nouvelles Aventures de Sherlock
Holmes.
Souvenirs dl Sherlock Holmes.
Nouveaux Exploits de Sherlock
Holmes.
Résurrection de Sherlock Holmes
Sherlock Holmes triomphe.
OII"I1:lIres de Ra/fi es).
M. CONSTANTIN-WEYER
Vers ,'Ouest.
Le
CHRISTIAN DE CATERS
M~réfc
de Java.
La Sauterelle Améthyste.
CAMILLE PERT
La Pelite Cady.
VICTOR BRIDGES
Le Secrot do la Falaise,
l, M, WALSH
Le Mystérieux X.
OTWELL BINS
L'H6b disparu.
JEAN DE LA HIRE
L'Assassinat du Nychlopo.
H. RIDER-HAGGARD
RUDYARD KIPLING
Contes mystérieux de l'Inde.
CHARLES FOLE'y
Kowa la mystérieuse.
Le Chasseur nocturne.
:
~
C,-j , CUTCLIFFE HVNE
Kate Meredith.
ARTHUR MILLS
Serpent Blanc.
ARTHUR MORRISON
Sous la grifle de Martin Hewltl.
L'Etrange Aventure du .. Nicobar ".
L'Heure révélatrice,
La Main de gloire.
H. G, WELLS
La Poudre rose.
1. JACQUIN et A. FABRE
Les 5 crimes do M. Tapinois.
L~
M
~it
G.-G. TOU DOUZE
re
de 1'1 mort fro ide.
Carnaval en mer.
HERV~
DE PESLOÜAN
L'Énigmo de l'Élysée.
R. CHAPELAIN
Les Perles 5 l n~rales.
L'Ile des Démons.
RENË TH
~ VENI
Elle.
Le Testament du Monstre.
Les Chrueu rs d'hommes.
Le Hameau dans les Sables.
L'ÉtrJngo énlgm~
YVES DARTOIS
:
ARMANDV
ANDR~
Le Maitre du Torrent.
E.-W. HORNUNG
Ra/fies).
50
ALBERT 'BONNEAU
SAPPER
Le Voleur de nuit (Dernières
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La marque du Léopard.
Le Désert aux cent mirages.
La Maison du cauchemar.
L'Œillet de n ~ cre.
Le Capltalno Drummond.
Un Cambrioleur amateur: Raffles
Le M~squo
noir ( A ventures de
3
Chaque
valume
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CHARLES LE GOfFIC
.. NORB ERT SEVESTI\E
ICE1\lAISSA1\lCE
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DU
dl Roz Hlr.
LIVUE
rue ri' Alt!sia, PARIS (XIv e),
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The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
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Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Morin-Sarrus , Jacques
Title
A name given to the resource
Pourquoi n'avez-vous pas compris ?... : roman
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Société d'éditions, publications et industries annexes
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
impr. 1934
Description
An account of the resource
Collection Fama ; 393
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
Language
A language of the resource
fre
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BUCA_Bastaire_Fama_393_C90828
Source
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Bibliothèque Université Clermont Auvergne
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Pas d’utilisation commerciale
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COLLECTION FAMA
94 , Rue d'Alé s ia
PAR IS
XIV-
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LA COLLECTION "FAMA"
1:
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S
BIBLIO THÈQU E RÊVÉE DE LA FEMME ET DE LA
JEUNE FILLE PAR LE CHOIX DE SES AUTEU RS
111111111111111111111111
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Sociétéd'É ditiOllS, Puhlications et Industries Annexes
5
94, Ru e d'A lésia , P A RIS (XI V ")
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DANS LA TOUR TÉNÉBREUSE
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JACQUE
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MORIN.SARRUS
LA· TOUR
TÉNÉBREUSE
ROMAN
•
SOCIÉTÉ D'ÉDITIONS
PUBLI CATIONS ET INDUSTRIES ANNEXES
ANC' LA MODE NATIONALE
94, Rue d'Alésia, 94 -
PARIS (XIve)
��DANS LA TOUR TÉNÉBREUSE
CHAPlTRE PHEMIEn
LE HAL I NTTUU\OMl't;
- Pa s si vile, Robert. .. Robert 1 Vous èlcs fou 1. ..
Pour toute réponse, Hobert Laume pesa oavalltage sur l'a {'61érateur. Le compteur de hl puissante
potite voilure marquait cent. Denise trouvait celle
eOl1l'Se insemsée pleine de chnl'n1e, mnis clic comInell{',aLl ft n"oir très peur.
Hobert 1. .. supplia- I-e'l,l e encore une fois.
Mais de l'Ilrri ore de la voilure, d'autres voix s'élevèrent :
- Vas-y 1. .. Ya s-y , RoLerl 1... P,l ein I:!<1Z !
Après llll ruban d'un kilomètle environ, la petite
rou'le poudreuse que s uivait la voiture IOlll'illait lissez
COllrt. Le yil'ag', après un violont coup de frein fjui
fit dUll sor un pou l 'auto, fut abordé il so ixante-quinze.
Les pnell s crip,r enl. Deni se rpoussa un fflihllf' ('ri, 1111.
qU{11 d e~
écl,~
de rire rrrondit'cn!.
�\:1
DANS LA rOUR TÉNBBREUSE
Mais, déjà, le danger était passé : une ligne
droile s'ailongeait devanl les vOyageurs, et, reprenant l,oule sa vitesse, la voilure s'élança en vrombissant.
Dans le nuage de poussière qu'elle soulevait, une
seconde auto , à peine moins J'apide, s'efforçait en vairn - de la rattraper.
- Les rosses 1 dit celui qui la conduisait. Qu'estce qu'ils nous font manger, comme poussière 1
- Mais aussi, dit son voisin, ton taoot ne marche pas ... tu ne dépasses jamais le cent...
Ils étaien t Ulne dizaine de jeunes gens et jeunes
filles, répartis en tre deux voitures, el qui épouvanlaient de leurs courses foJles les routes paisibles de
l'un c1es coins les plus pittoresques du Périgord.
Toute la joul
~ Jlée
ils avaien t rou16, un peu au
hasard, s'alTêtant à peine aux endroil.s qui leur semhlaiellt les plus jolis. Jusque là, aucun accident ni
incident n'avait marqué leur excursion, mais les
[l'lus sages d'entre eux commençaient à sc demander si, grâce à l'inqui6tan te ém ulation qui semblait
gagner Jes possesseurs respectifs des deux voilures,
leurs Inoms 11 'allaient pas s'étaler le lendemain dans
les feuilles locales, sous la rubrique : « La Route
Trflgique ... »
DCllise lIéruud, q-ui était dans la première voilure,
il cÔté de Rouert Laume, paraissa it décidée Il ne pas
mourir cc soir-là. Voyant que les objurgaLion's qu'oae
adressait à son voisin n'avaient pas d'autre résultat
li u 'une accélération nouvelle de l'allure, elle usa
cl 'Ulne arme pl us subtile.
- VOli S savez, dit-elJe, à cc train-là, nous serons
Il la mai 'on dans v in gt minutes ...
Ces paroles produi sirent Loul l'effel c ~ complé.
Ilobcrt ne paraissait nullement pres é de rentrer.
Il donna un coup de frein, l'allure diminua. pro-
�DANS LA TOUR TiNÉBREUBB
7
gressiv ement, et la voiture vint se ranger le long de
la route Un instant après, la seconde auto l'avait
r ejointe et stoppai t à sa hauteu r.
Les portière s s'ouvri rent, et tout le monde descendit.
- Qu'est- ce qu'il y a P dit Jacque s Lanceli n, le
chauffe ur de la seconde voiture ; tu es CiD panne P
Ça ne m'éton ne pas .. .
- Idiot 1 grognà Robert. Le jour où .je serai en
panne, ce [le sera sûreme nt pas ton tacot qui viendra me dépann er ...
Denise intervi nt prompt ement, pour éviter un e discussion qu'elle avait entend ue uille dizaine de lois
déjà, et qui tournai t souven t à l'ai gre.
- Mais non, dit-elle , il ne s'agit pas de panne ...
Seulem ent, il n'est que sept heures et demie, et je
Ille liens pas du tout à être à huit heures à la mai son.
H nous reste assez de vivres pour dîner dehors. Nous
avons dit que nous ne rentrer ions pas avant minuit.
- Le fait est que je comme nce à avoir faim, dit
quelqu 'un.
- El soie ! dirent ensemb le Jacques et Robert.
- Par conséq uent, concJu t Denise, il nous faut
trouver un coin tranqui lle) el pous dépêch er de faire
dispara ît.re tous les restes ...
Mais la découv erte du « coin tranqui lle » s 'avéra
pleine de difficul tés. Pour le pique-n ique du 'matin,
le même emharr as s 'était produH : il est bien rare
qlle dou7A! pel'sonn es tomben t d'accor d sur le clul'me
d 'un même endroit .
De p1lus, en cet endroit do lu roule ,les ohamps
étaien t cJ6turé s partou L de m s de fer barbelé s il y
'
avait peu d'arbre s, pas d'eau couraTlte.
n
spiratio
in
une
enl.
se
Soudai n, Deni
- Si on allaH à la Tour P dit-elle .
- La Tour P
�8
_ Mais oui ... J e vai:! vo us y cOI1Juirc. C'es t fi
une dizaine d e kilomè tres seulem ent d c la m aison.
Comme ça, 110 U S n'auron s pas à n ous presser po ur
l'entrer ... C' est une tour à moitié en ruine, mais il
y a d es pièces très confo rtables au rez-de-c haussée ,
et pui:! une terrasse . Et une source d 'ea u au bas d e
la terrasse ...
Ce tableau parut féeriqu e à tout le m onde, et l 'on
embarq ua de nouveau. Denise prit le volant d e la
premiè re voiture , cal' Robert n e connai ssait pas le
chemin , e t, à ooe ail ure d écen te, le con vo i ~e
mit
en m arch e -ver s la Tour.
Les ves tiges surg irent so uda in, ùe derri ère un épai
houque t d' arbres , au boul d'un e all ée d ' une eentain e
de m ètres , faites de c hênes et d'orm es. La réalité
pa rut aux j eun es gons en core plJIS c harm a nte qu e
i' im age qu'en avait dépeint e Denise .
Le soleil, très bas sur l'ho riw n, do r ail les vieill es
pierres, leur do nn ail un e leinte fau ve admira l)le.
La tour avait lln e trentain e de m èlrf;lS de haut. OII
faîle, en rui nes , lai ail pendre d es ronce , d e long ues bra nches feuillues . A son pied s 'étalail un e
te rrasse assez lar ge , bordée d ' un pe lil J nUl" en
mauvai s é la t, et cl 'où l'o n ava it lIn e vue m ag nifique
sur la ('u mpagn c . Enfin - détail qui aoh eva d e séduire Lo us les m embres de l 'expédi tio n - la pe tilso urce a nno ncéc pa r Delli . e mllrmu ruil a u hus de la
t ' rra sc, c l ' C porùa il on lin rni 5 Cali à trav l' li les
pi crfes ct les 1'0 11 ces.
En un in sta nt, les voilure s fu re nt vidécs d e. sacs
à p rovisio n, cL ic piqu e-nique ~ ' o r g ani s a Sur la lerra Re .
Comme q uul que -un s des .i e un c~
ge nt;
nlraiell t
ùa ns la to ur , Deni c crul bon ùe lenf faire quelqu es
l'l'f'o mm anù ntio ll s.
e VO li S amusez pas il monl l' l'escalie r, dit-
�IIA/I !'o LA TOUll 'J' KNÉIlREUSE
9
elle. 11 n e tient pas. 11 e l en bois, tout pourri, et
vous vous casse riez facil ement une ou d eux j ambes .. .
Le r ez-de-ch au ée d e la tour, auquel on avait
accès par un e épaisse porte d e hois, o rn ée de clous
énorm es , 1:e composait d ' une pièce en assez bo n é Lat,
vid e d e to ul m enbl e, mai s qu'un p lan ch er bien con se rvé r en da it à peu près h ahiLabl e. Deu x porles d onnaient sur ce ll e pièce : l ' un e, qui s 'ou vrit san s diffi c ul té, con dui sai t à ] 'escalier d e hois don t Deni se
avait sig nalé le dan ger . L 'autre résisla à lous les
efro rts. Ell e d evait do nner sur un e a ulre pi èce) v isible
d e l'ex lérieur, e t qui occupait le re le d e la lour.
De la lerra e, Jacque essaya d'o uvrir les vol el "
de l ' unique fenêtre d e ce lle pi èce , po ur y plon ger
le r egard, m ais il s ré istèr ent vic to ri eusem ent.
- A labl e 1 cria Deni se) qui, ayant indiqu é ce
li eu de pique-niqu e, ag i sait en m alLresse de maison .
On sortit le cou ssin s d es voilures , des ga r çon s
d évo ués all èr en t c her ch er d e l 'cau à la source , el le
d î ner ro mm ença, a u mili eu d e l'a nimati on el d e la
g ai elé qui Ollt d e règ le d ans ces m a nifes ta ti on .
Le j o uI" ba is 'a i tIen lem en L, et les p ierres , si do r ée lo ut à l'heure, devena ienl g ri ses. Le soleil sc
e~
et arco ur hait d ams un g lo ire de rayon s pourJ>
ge nt. Le ca lm e d e la r a mpn g ne ~lait
i g rand qu'il
g ng na m êm e le dîn eurs, c l, un in stant , un e m éla ncoli p c~a
sur· le g ro up e. C'é tait un Re ntim ont lout
.1 f?it inhahituel po ur ln plupart d e r s j eun es g en s
z fâ ch ense m ont impres ionn é .
c t ds n fi n·!! Il 1 a~e
Lo rsqu e le soleil di paru l, un so uffl e frais balaya
la lerrasse r t 111 fri ~o nler
] r~
.i c lJr
~ fill es, asser.
Jégr rcm en t vê tu es .
Du haut de la IOllr , to mh;) Ir <'ri m r Jan roliql1e
d'nn oi sea u d e nuit.
- Dit es d onr., liil fl ohr'l" l ('n s 'ildres'I(lllli l" Denise,
�10
DA1'lS LA TOUR TÉNinRRUSn
vous êtes slÎre que votre tour n'est Ipas hantée il Ce
serait une saUe blague. Vous ne voyez pas, si le seiO'neur de ces lieux surgissait au milieu de nous, avec
~n
bruit de chaînes et d'armure, et un drap de lit
~ur
la tête ...
- Il aurait un flambeau au poing, renchérit Jacques, une épée dans l'autre main, et il glisserait lentement au milieu de nous.
- Et ceux qu'il effleUl'erait de son suaire, dit
Robert, d'un ton lugubre, mourraient dans l'année,
d'un mal épouvantable et mystérieux ...
Une jelme fille se mit à rire nerveusement.
- Allons, dit Denise, on a dit assez de bêLises
comme cela. Qu'est-ce qu'on va fllire ?
Si on dansait ? dit Jacqueline, une petite
blonde, à l'air fragile, qui ne concevait pas qu'une
journée plÎt s'achever autremoot que sur un air de
danse.
- La terrasse est pleine de gravier, dit Denise.
- Eh bien 1 on dansera dans la salle, dit Robert.
J'y ai pen sé tout à l'heure. Le plancher est très solide... Allez. Rentrons les affaires, et amell10ns le
/phono.
Le phono, indispensable accessoire de toutes les
promenades de Robert, fut tiré de la voilure, avec la
petite valise do disques, et in stallé dans un coin de
la pièce.
- C'est un dancLng merveilleux 1 Denise, vous
avez des idées épatantes ... On commence ?
Du co[fre noir du phonographe, une longue plainte s'.éleva. Robert avait mis un tan go argentin. La
mu sique prena i t, sous ceLlo vo()te, dans cette salle
sans tentures, une oHorité étrange .
. Denis.e, sans savoir pourquoi, ressentit une étTange
~mprC
S~lO
n
; CIlle lrouvait lIII peu incorrect ce bal
ImprOVisé au milieu des ruine~.
Elle n'en fil pas la
�[)AN"~
LA TOUn TÉN1~l3nEUS
. l:!
11
remarq ue, sachan t bien de ' quolJcS railileries clle serait vite l'objet.
Mais la demi-o bsçurit é qui régnait dans la salJe où
ses amis comme nçaient li danser l'impre ssionna
aussi de façon curieuse. Le jour, qui baissait, entrait
seulem ent par la porte, et par une fenêtre étroite,
encomb rée de ronces et de hautes herbes. Elle pensa
que le noir ne tardera it pas à for<:er la bande joyeuse
~ suspen dre ses ébats.
- Denise, vous ne dansez pas P
C 'jltni{ Rohert qui 1'invi tait, sourian t, les bras
ouverts en un geste engage ant.
- Non, dit-elile. Il va faire noir tout de suite. Nous
mieux de rentrer ! ou de fumer tranqum ement
reion~
SUT la terrasse.
- Vous avez peur de ces sombres murs P dit Rohel't 00 riant. Je ne vous croyais pas si nerveus e ...
Mais, qu'à ceJla ne tienrne, j'ai une idée magnif ique.
Jacques 1 appela-t-il.
Les deux garçon s sortiren t.
Bientôt, on entend it ronfler les moteur s des voitures. Par urne manœu vre longue ct compli q'uée,
elles furent amenées jusque sur la terrasse. gt soudain, une lumière violente, crue, pénétra dans la
salle : les phares, braqués sur la porte et la fenêtre,
envoya ient leurs pinceau x lumine11x sur les murs
blarnehis à la chaux.
Jacques ct Robert rentrèr ent, enchan tés de leur
id,ée. Une rumba succéda au tango, ct Deni se, malgré le malai se persista nt qu'elle éprouv ait n'eut
'
plus aucune raison pour ne Ipas dan ser.
avait
hal
de
salle
la
Le speclad c qu'offra it alors
conplrs
Leg
.
élranO'e
chose d'extr~mn
quel~
lournalCn l, tantÔt hal rrnés de lumP>re, 1nn tôt perdlJs
dans la pénomb re. Les herhes de ln fenêtre fai~cnt
!lur le mur blanc, une ombre immem e cl fine com~
�12
Do\. S 1.A TOUR
l'~NÉD
R EU8K
une pein ture japonaise. Les ombres ùes danseurs
~s ajent
et repassaient sur ce t écran, tournoyantes
et gigantesques. Et la musique de danse, dans ce
décor uranné , détonait é trangement.
Robcrt était dans l' enthousiasme, ainsi que la plupart de ses amis et amies. Tout en dan sant avec Deni se, i<I III féli ci tai t chaudemen t de leur avoir indiqué
avait bien du mal à manice t endroit. Mais Deni~
fester une gaieté qu'elle n' éprouvait pas. L'é trall ge té de la scène et du ùécor la frappait li chaque in stant davantage. Elle reconnaissait à peine les visages
de cs ami, qui, sous l'éclairage brutal et blafard
des phares, avaient revêtu une uniforme teinte bl êm e. Elle ne put réprimer un tressaillem ent, lorsqu'clIc vit bouger sur le mur l'ombre de haut e,
herbe, agitées par un souffle de venl.
Soudaill, ell e s'arracha violemment de' bras ri·
.Jacqu cs, avec qui elle dan ait, ct s'immobilisa.
-- Ecoutez 1 cria-t-elle.
Tm tan lan ément, les dan ses s'a rrêtèren t.
On n'en tendit plu s que le gémi sement dé e pérI
d ' un nouveau tan go. Tout le monde, ans doute, et
sa ns en avoir co n ciencc, avait subi la même impre sion que Denise.
- Eh bien, quoi, qu'est-cc qui te prnd P d m<lllda nervCll ement Jacqueline à so n amie.
- /.1 m'a se mblr , balbutia-l- lIr , qll'Oll marchait au-d SS IJ S de nous ...
Elle indiqua le plafond, d ' lIl1 inù l" qlli trem blait
un pClI.
- Ça y st. .. t reve llnnt r hlngua Rob crt.
eo l ~.
- Allon s, c'est sturid e 1 g rollda .fa<'que . Dan
[1 étrn dit de nouveau les hras ver" Denise, rOlll'
r prellùr la danse interrompur .
Moi s tOIlS entendirent (li ~t in c l e m e l,
i. Ct~
moment, un par. qui de!lcendait l'escalier ...
pa
�DANS LA TOUll TÉNÉBREUBJ!
13
La surprise, la terreur vague qui e1l résulta, fut
si forte que tout le monde demeura immobile, dan s
la position où les avait surpris cet étrange bruit.
- Qu'est-ce que c'est que ça P murmura Robert.
n voulut se diriger ver/3 la porte qui donnait SUT
l 'escalier, mais Jacqueline, avec qui il dansait, le
retint par le bras et l'épaule.
- Non ... ne sortez pas 1
Lourds et lents, les pa de cendaient toujours,
faisan t crier et craquer les vicilles marches vermou1ues. Ge bruit régulier avait qu elque chose de fatal,
d'in exorabl e, qui résonnait presque douloureusement en tou ceux qui l'entendaient.
Comme pour ajouter au pathétique de cet instant,
la mu igue s'arrê ta bru quement, cr éa nt un e nouvCl[;le impr ion de vide insupportable, e t l 'on n'entendit plu s, avec les grincements des marches, que
le rfde régulier du disque sile nciel1x qui tourIlait
toujours.
L'e cali er était interminable.
A chaque pas, on aurait dit que l'hôte mCQlODU
de celle tou r en ruines allai t aLlci nd re la porte.
Les nerfs de tous étaient tendu s à l'excès : si
l'une des jeunes IllI es avait pous é un cri, il y aurait eu une paniq"ue indescriptible. !\fais, le dents
errée, les yeux fixes, elle maîtrisa ien t leur nerfs
tirant un vague réconfort de la présence des gal':
rons, contI' qui elles sc serraient co mme de mouLon s SOus l'ora ge.
Bru guemcnt, les pas s'arrêtèr<mt.
Il y cul, co ntre la porte, un frottement doux
comme peul faire une main qui tâtonne. Jacques cl
nobert flreJll un pas en avant. Il pen aient, confu sé ment, que cette lour devait serv ir d'abri à un
ehe.miIlcau quelconque, qu'ils allaien t voir apparattro, humblo et melldiant quelquell pipce.'1 d'argent.
�DANS LA l'OUJ\
TÉl'! ÉBREUSB
Le loquet remua, et la porte s'ouvrit lem tement.
Leurs regards furent d'abord frappés par la lumière jaune d'une lampe à pétrole, que tenait très
haut l'inconnu qui entrait. Mais, bientôt, ce qu'éclairait celle lampe attira toute leur aUention.
C'était un visage de jeune homme, d'U!l1e douceur
de traits exquise, et qui eût paru presque féminin,
si deux sourcils êpais n'avaient donné au regard
quelque ohose de farouche et d'un peu dur. L'ombre de ces sourcils plongeai t dans l'obscurité toute
la cavité de l'œil, et ce haut de visage inquiétant
jurait étrangement avec le bas du visage, la bourhe
bien dessinée et très rouge, le menton d'un ovale
très pur.
L'in..:onnu demeura un instant immobile sur le
seuil, le trous sombres de ses yeux fixés sur le
groupe apeuré des jeunes gens qui avaient envahi
son domaine.
Puis, il marcha.
Il traversa la sa lle, sans un mot, sans un regard
pour ceux qu'il frôlait et qui, muets de surprise el
de crainte, s'~cartien
ilencielJsement.
on vêtemonl n'élait pas moins étrange que son
visage. C'était un co tume qui semhlait fait de velour noir, et d'une coupe lout à fait démodée. Mais
il étai t si bien en ha J'monie avec l'expression de celui qui le portait, qu'il ne paraissait pas ridicule.
Lorsqu'il ellt alleint la porte qui avait résisté aux
efforts des prcmi rs explorateurs des lieux, l'étrange
garçon tira de sa poche une lef qui hrilla faiblem nt dans le rayon de~
phares.
Il l'introduisit dans la serrure, et la porte tourna
e~
grinçant. Puis, il disparut dans la pièce voisine,
1;ls~ant
le vantail entr'ouvort.
TO,ut cela avait été fait si prompt ment, qu'aucun
de .. Jeunes goos JI'aVAit hol1gé, ni dit un mot. Ro-
�DANS LA TOUR TÉNÉBREUSE
15
bert sortit le premier de l'espèce de stupeur qui
semblait s'être abattue sur leur groupe.
- C'est sûrement un original, dit-il à mi-voix.
Ma,is ses paroles sonnèrent étrangement. Ils
avaient l'impression pénible de s'être mal conduits,
de s'êlre introduits chez des gens qui ne les avaient
pas invités.
J acqueJine eut un rire énervé : celte scène rapide
avait fait beaucoup d'effet sur ses nerfs.
- On continue à danser P dit Jacques, sans entrain.
- Ah ll10n 1 Iprotesta Denise. Ça suffit comme ça ...
Plions bagage, et en vitesse 1
Robert commençait à bouoler son phonographe,
lorsque, par l'entrebâillement de la porte que le
jeune homme ven;lit de franchir, une étrange musique leur par vin t. Ils reCOlIlnurent le son grêle et
harmonieux du clavecin.
- Ça, par exemple 1 commença Jacques.
Mais Denise lui fit impérieu sement signe de se
laire. Elle écoutait avec ravissement. Après la musique, tantôt stride.nte, tantÔt sanglotante du phonographe, les sons 1égers du clavecin semblaient
prendre toute leur Valelll' propre. Le jeune inconnu
jouait du Bach, avec une délicatesse, une précision
aussi, que bien des virtuoses eussent pu lui envier.
011, peut-être, les circonstances extraordÏ!naires dan s
lesquelles ce concert inattendu s'61evait lui conféraient-elles un charme particulier. Toujours est-il
qu'ils demeurèrent un long moment immobiles, n'o.
sant faire un pas, l'oreille tendue vers la porte.
Peut·être faud,rait-il nous e.xcu el' 1 murmura
Robert à l'oreille de Denise. Peut-être que cc garçon est vraiment chez lui...
Denise ne put s'empêcher de sourire.
De pareils scru(lu.leB litaient si jOlltLendus chez Ro-
�llANtI
LA
TOUR
TimÉIIRf!USI!
bert, qu'Hs montraient, mieux que tout, combien il
avait été troubaé par les scè..nes qui venaient de se
dérouler .
- C'est à moi à m'excuser, chuchoLa-t-elle. C'est
moi qui ai eu la malencontreuse idée de vous amener ici ...
- Voulez-vous que j'aille avee VOIlS P demanda
Robert. C'est peut-être un fou dangereux ...
- Je [le crois pas, dit Denise. Regagnez les voitures avec tout le monde ; filez, et attendez·moi sur
la route au bout de l'aidée de chêne~.
- Ce n'est pas prudent . ..
- Allons, dépêchez-volis, dit. Denise avec impa·
tience .
Tous lui obéirent sans plus di scuter.
On les entendit mooter dans les voitures, avec de"
chuchotements étouffés. Puis les moleurs mis en
marohe ronflèrent avec urn bruit sinistre. Le jeune
homme lie s'était pas arrêlé de jouer.
neni e pen a que le moment était veWl Je s'excuse r auprès de lui de l'intrusion de kur groupe.
Lor qu'olle poussa la porte, elle se se ntait très
émue. Mai.s l'étonn ement domina bientôt chez ellc
lout autre sc ntimenl. Elle se trouvait dan s urne petite pi èce, curicusemen t tapissée cl 'une étoffe rou sst. tre. Une pelite table, une chaiRe de pa,ille, un la s
de sacs, formaient un pillol'esqu e mohilier. Mais le
coin le plus éloigné de la porte était occupé par un
speelaüle qui eût trJOW le pinceau d'un peintre.
Un clavecin assez ha s, t, vi ihlement, d'un l'ra vail d6licat, O<'cupait tout ct an g le. Devant le clave in, assis sur un tahouret gro·sier, le jeune homme jouait. loujollrll. La lampe, posée sur le clavecin,
éclairait le bas OP son visage, et. ses Illj\ins projetant lIne Ilmi~rc
rORée, fi élici Cl 1sc, 1I11r ce qu'elle atl<,ignait.
�17
Le grincement de la porle n'avilit pas troublé le
claveciniste.
Denise fit quelques pas à travers la pièce. Elle
hésitait à interrompre le jeune homme. Cependant,
poussée par le désir de m e Ure un terme à un e siluation qu'eHe commençait il trouver ahsllf·de, eUe
se déc ida à panl er :
- Monsieur, commen ça-t-cllc ...
Sa voix lui parut trop faibl e.
Elle répéta :
- Monsieur ...
Le j eune homme cessa brusquement d e jouer.
Il d emeura un moment, les mains suspen du es audessus du c lavi er, comme s'il allait y plaquer un
ultim e accord, puis il releva brusquement la tête,
cl fixa son r egard sur la j eun e fille.
Alors, pour la première fois, Dem.ise vit ses yeux.
Il s étaiellt bleus, d 'lJn ble11 som bre ; le r eflet de la
lampe , qui y jouait, y melfait une flamme brillante, qui les fai saien l paraître plus bleus e ncore.
Denise ne put s'empêcher de tressaillir . .. Qu'estce que cela lui rappelai t P Où avait-clic V1l cc m ême
regard, ces mêm es yeux P En même temps, cl, par
un phénomèn e qui, pour être étrange, n'cst pas rare,
toute celle sc~ne
lui donna bru squement l'impression
du .« Jéji\ \11 Il. 11 lui semblait que qu elgu'urn, déjà,
aVilIt posé sur clle cc regard sombre. Mais qu a nd jl
Où ~ Autant de questions allxquelles clll· Ille pouvait
absolu men t pas répondre.
Penda~t
ce~
<]Uelques instants, la gêne de la j eun e
fille deVInt si intolérable, qu'elle l"r,ssembla il de
l'an goisse. Comme l'inconnu continu ai t fi la fixer,
une flllmm e pru il pell ironique bri ll ait dan s ses
ye ux. Ell e pr\rvlnl n dire, tout, d'lITl(' IID1r in r h
phrase qu 'cll e avait préparée.
' '
ft rni~
(' t III (Ii nOIJ~
t'x (,lI ~ on ~
- MOIIHirllr, mf'~
�18
DANS LA TOUR TBNHBDEUSB
d'être ainsi venus vous trouble r ... Mais nous ne savions pas que celte Lour était habitée ... Nous som mes dé olés ..
Elle balbuti ait.
Le jeune homme abaissa bru quemen t le couvercle du clavecin. Les cordes de l'instru ment vibrère nt.
- Cela n'a pas d'impo rtance, dit-il. Je suis depuis longtem ps habitué ù voir des étrange rs s'installer chez moi. Mais je ne suis pas habitué à les
entend re s'excu cr ...
Sa voix était très ùouce, mais très neLte, ct si
agréabl e à entenùr e, que Denise fut d'abord plus
attentiv e à ce charme qu'à l'étrang eté des propoS
qu'elle entenda it.
Lor que, fai nnt un effort, elle fut parven ue à en
ompren dre le sens, elle crut devoiT protesteT ;
- Mais e'est la premiè re fois ...
Le jeune homme se leva, et lui coupa brusqu ement
la parole :
- Allez rejoind re vos amis, dit-il. Ills doiven t
s'illqui éter. Ils vont penseT que le fou de la Tour
vou a tuée... Pas un de ces jeune'! gens n'a eu
le courag e de vous ac ompag ner P
- C'est moi qui ne l'ai pas voulu, dit Denise.
Le jeune homme la regarda profon démen t:
- Qui êtes-vous ?
n accent était fi la Cois si calme ct si autorita ire
que Delli e ne poo , a pas un instant à se choque r
de celle q ueslioll.
- Je will mad moiselle I1éraud, dit-cllo. Denise
Ilérnud . Et j'habit e ...
- Au chAteau cl la Chênaie, dit l'incon nu.
Son regard pri L une expre ion cn ore r lus
étrange .
011, dit-il avec fore,
e n'e!\t pas ln premiè re
roi!! que vous vou~ jnlrodui~z
cher. moi... Alez~
�nANS LA TOUR TÉNÉnRBUSJi!
19
Vous-en, maintenant. Regagnez votre château, et fermez-en bien les portes. Vous êtes courageuse, mais
Vous avez tout de même peur des revenants, n'estce pas ?
1
11 eut un ricanement qui, un bref moment, déforma
sa bouche fine. Puis, sans attendre de ré1
r ponse à sa qucstion, il prit la lampe, traversa la pièCe d'un pas rapide, et disparut sans ajouter un mot.
Denise se retrouva brusquement dans le noir. Une
oudaine angoisse lui serra la gorge. Elle eut l'im1 pression qu'elle étai t prisonnière. Mais la porte était
1 grande Ollverle. Elle quitta la tour avec précipitalion.
Sur la terrasse, le clair de lune commençait à
1
briller. E,]]e entendit, venant de la route, le bruit
1 rassurant d '\In klaxon. Elle courut dans l'a,llée, comme si elle s'enfuyait, comme si eUe venait d'éohapper li un terrible danger.
- Eh bien P dit Robert lorsqu'eUe eul repris sa
place ù ]'avan t de la voiture. Qu 'cst-ce qui s'est
passé P
- /\;fais rien du tout, répondit-elle, un peu lI1erveusement. Que voulez-vous donc qui se soit passé?
Robert n'insista pas, el mil la voiture en marche.
E'n moins d'un quart d 'heure, le ch5teau de La
Chênaie ful alleint. Denise descendit seule, dit adieu
~ ses camarades des deux voitures, qui atllaient regagner leurs demenres, aux environs, et poussa la
porte d'entrée.
Tout le monde dormait dans Je ohâteau, mais le
hall étoit encore allumé.
Denisc monta doucement Je large escalier de
picrre, maiR sOllCJain elle s'arrêta, comme frappée
de slllpcur : dans la demi-oh<;<'lJfité qui l'égmait sur
ln seconde volée de J'escalier, clIc vit, en face d'eHe,
le visago do l'inconnu qui fixait sur elle ce même
i
�20
HANS LA TOUR TÉNÉBREUSE
regard sombre qu'une demi-heure aupal'avant .. .
C'était un portrait de femme, dans un cadre ovaije,
pendu au mur, et qu'elle avait toujOUI\
~ connu là.
EUe s'en approcha avec une sorte de crainte, et retrouva, avec stupeur, tous les traits du visage qui
l'avait frappée : ressemblance si parfaite, si profonde, que J'hypothèse d'un hasard paraissait absurde.
Longtemps, elle demeura ainsi, comme si elle
cherchait à lire le secTet de ce visage, de 'ces yeuX
hleus et fixes. Jamais e:lle ne s'était demandé qui représentait ce portrait. Dès le lendemain, eHe interrogerait sa mère. 11 y avait là un mystère, quelque
chose d'étrange qui l'attirait.
En s'endormanl, elle ne put s 'empêcher de penser
au jeune homme inconnu, si mystérieusem ent beau
cl. tri sle dalns son costume de velours noir, et qui
jOlloit si bien du HaGh sur le clavecin précieux ...
Tout cela éta it délicicusoment roman esqllC, et bien
propre à exciter l'imagination d'une jeune fille de
' vingt ans. Mais la fatigue cut raison de ces rê·
ver ies, et bienfejt Deni se dormit d'un som meil paisi ble et si profolld que nul rêve ne 'vi nt la visiler.
revenu
CepenùaTlt dan la tour où semblait ~lre
le silence définitif des ruines, le jeune homme inconnu Ile dormait pas.
Dès qu'il eut perçu le bruit des deux voitures qui
s'éloi""naient i't toule vitesse, il reparut dans la salle
oit loul à l'he'ure dan saient si in so uciamment ceux
que son apparition devait terrifier. II la traversa sa ns
s'arrl!ler et pénétra de nouveau dan s le petit salon
de mu sique dont D 'nisr, ('n s'e,nfllyant, aVilit laissr
la porte ouverle.
, n 8~ dirigea vers l '11 nique fenêtre do la pièce et
l oU'VI'lL, pO'l
~'An
t ~Iln
djfkul~
les vol~
(IIH' JM:-
�DANS LA TOUll TÉNÉBBEUSE
21
ques et Robert avaient vainement tenté d'ouvrir de
l'extérieur.
Par la large fenêtre, le clair de June envahit la
petite pièce de sa lumière bleue et argen t. L' ouverture se découpa dans la chambre en un grand rectangle lumineux ; sur la petite tru)le ainsi baignée
de lumière, aplp arut une paire de gants clairs: c'élaient ceux de Denise, qu'elle avait posés là tandis
([u'eLle écoutait le claveci.n et que, dams la véritable
terreur qui avait accompagné son départ, elle avait
oublié de reprendre.
Le jeu\1Ie homme s'en empara: c'Glaient de fragiJcs gan ls de tuJle, chiffonnés et comme flétris. Il
les roula d'abord nerveusement entre ses doigts, en
nt une boule si minu sc u1e qu'eHe tenait dan s ,le creux
de sa main. Il allait les jeter par la fenêtre ouverte,
lor,squ 'hl parut sc raviser. li les déplia, passa deux
ou trois foi s la main sur eux, comme pour les re,passer, puis les lai ssa bien à plal: sur la lab1e.
Un étrnnge sourire écartaiL ses lèvres.
Puis il gagna le seul coin obseut' de la pièce, celui où le clavecin dissimulait sa forme gracieuse.
11 se remit à jouer. Et longtemps, lon g lemps, cette
nuifr.là, les voix ressuscitées de Bach et de MozflTt sc
mêlèrent aux wuff]es du vent, au chant dc.'l grillons,
ct nux plaintcs sinistres Jes oiseaux dc 11llil..
�1
DANS J.A TOUR 'l'ÉNKBREUSE
\
CHAPITRE II
L 'E RMITE DE LA TOUR
Le lendemain de ce pirrue-lTliqlle mouvementé, la
prf'miPrf' pt>n8~e
de Drnise, dès son réveil, fut d'interroger Il mrre sur III personne dont le porl'rait ornai! le mur du grand escalier. Tl lui semblait que,
munie de ce l'en ei~nmt,
ce ne serait plus qu'nn
jeu pour elle de percer les rapports de parenté qui
pouvaient exister entre celte inconnue et le mystédeux habitant de la Tour. Et cela J'aiderait sans
doute à comprendre le sens des étTanges paroles
qu'il avait prOll1onœes avant de la quiller si brusquement.
Elle s'hahilla en hâte. Il lui semblait être entrée
de plAin pied dans un monde tout iJ fait romanesque, et elle n'aurait pas de repos avant d'avoir vu
clair d'ans tous les mystères qu'elle solJpçonnail.
Mais, dès les premiers pas, son ~quêle
piétina.
Madame lJ~rad,
brnRquement interrogée par sa
fille, répondit qu'elle ignorait absolument lout ce
qui concernai t cc portrai 1. Lorsque le8 IIéraud,
quinze ans plus tôt, avaient acheté le chl\leau de
La Chf:naie, ils avaient trouvé dams le grenier quelques meubles de style ct des tableaux, parmi lesquels
oe1ni-ci, à qui la grflc(, du dessin ct le charme du
modèle avaient valu l'honneur de cette mise en valeur.
- Mnie comment s'appelaient les derniers propriétaires du cb:\teau P insista Denise.
�1
1
DANS LA TOUR TÉNÉBREUSE
23
- Ma petite, tu m'en demandes trop ... Ton père
a acheté La Chênaie par l'in lermédiaire d'un nolaire de Paris, et je n'ai jamais connu ceux à qui
nous ayons suocédé ici.. . Mais pourquoi toutes ces
questions P
- POW' rien, dit évasivement Dooise, pOUT savoir.
Blle ne dit pas un mot de l'extraordinaire ;lvenlure de la nuit. Sans qu'eHe sût pourquoi, il lui
Semblait que ce secret ne devait pas être divuJgué.
Elle se reprocha de n'avoir pas dcmandé le silence
à ses amis : sans doute, par eux, tout le pays allait
savoir que la Tour abritait \lIIl hôte.
Elle ne ,posa pas d'autre question, se réser-vant
d'inteTroger habilement son père sur ce qu'elle voulait sayoiT, lorsque celui-ci viendrait prendre quelques jours de -vacances à la Chênaie.
- Chez qui vas-tu aujourd'hui ? demnnda madame lIéraud.
- Chez les Laneelin. Jacques doit venir me chercher en auto vers trois heures. Il y aura toute la
bande ...
n ne se passait guère de jour, en effet, sans que
Denise aIHH chez les uns ou chez les autres. Parfois,
c'était à La Chênaie qu'on se réunissait. Une amitié
très étroite nouait les jeunes gens et jcooes fi ll es qui,
chaque éLé, venaient passer les vacances dans les propriétés et les châteaux qui entouraient La Chênaie
dans un rayon de dix kilomètres. Pique-niques,
lennis, thés, excursions ct bals animaient ces deux
mois de vacances, parfois interrompus, pour les uns
Ou les autres, par de hrefs 8'éjours à la mer ou en
montagne: mais chacun d'eux préférait la -vie sans
contrainte de la campagne, où ils se retrouvaient
(ous ensemble.
Au petit noyau que constituaient les habitués vanaic:nt ~ jOÎlndre, chaque année, quelqu.e& amis, in-
�nA.NB
J,A
'l'OUn
TÉN(mnEU:>K
vi Lés pour une quinzaine et qui metlaieul UIl peu
d'imprévu daos ces réunion s. C'élail le cas, cette
[Ionée-là, pour Robert Laume, uo ami de Jacques
Lancelin, venu passer cJlwlque Lemp s aux Roches, le
château des Lancelin, el dont la bonne humeur faisa i t les o{\lices de la petite troupe.
Ainsi, rares élaienl les moments où Deni se souffrail de sc scnlir seule de son Îlge entre l es murs de
La Chênaie: les distraclions venaient la cher.çl\er, el
son coractère ClijOllé sc plai sait It ces réunioll H.
pourLant, ce jour-HI, )orsrple Jacque
Lancelin
l' mmena vers les Roches, olle parai ssa il wngeuse,
cl prcsq Ile mf.lancolique. Celle di ~pos
il ion d 'espri l
lui élait ~i peu habiluelle que Jarque ne put faire
II u 1rcmcn l que la remarquer.
- Qu'e~l-c
qu'il "Y a ? demanda-t-i l. On cs\.
renLré Irop lard, hier soir P 011 hi en e'esL le beau
t6n(lbreux d e la TOUT qui VOliS fnil rher il ...
Deni se ne put s'e mpêcher de mugir lin peu, car,
cffecliveOlcnl, r.'élait à cc garçon, dUf(u('] elle ig-nol'nit loul, qu'elle était en trAin de songer.
Elle ne crut po s devoir le di s~ imler.
- Vous J1e croyez pas si bien dire, dil-elle. Vous
alle7. me Il'Ouver s tupide, naturcllemmt... 'l ai s je ne
p 'ux pas m 'r Jlrt
~ ('hcr
de pen sc r n la vic q1l'i! mèn ,
pell(lant que nOliS, qui so mme!; de ~on
fige, nou s
amuson s ...
11011
VOI
~ voilfl lIi en sentimentale 1 dil ,lnrques ('Ill
dnllt. El Ogurcz-vous que celle hrav(' Jacqlleline m'n
dit ln mt'mc chose, cc malin . .. Ah Ilr
~ jrlllleH OIlCR 1
VOliS nvcr louleg rêvé dl' llli, r('lle Illlil, j'('11 ~ui
8i'ir...
•
_ Oh 1 r(lv{> 1. .. protesla DI'lIi c.
_ Moi naturC'lIl('menl .. JI suffit de ~'hn
bil('r
l'Il
lI1oir, oc prendre l'air falnl cl or jOller du piAno
pOlIr '{)I~
10llrhrr II' ('0'111'. El ~i.
pal' Il urcroll, on
�25
nid de cho uett es, tout
a la cha nce J'ha biL er d311 S un
irré sisti ble ... Et à
iellt
dev
en ruin es, alor s, là, 011
ert, moi, HellTi et
de brav es garç ons com me Rob
z mêm e pas un cou p
tous les autr es, vou s ne jete
ne min e et que 110U S
d'œ il, parc e que nOU S avo ns bon
e que des orgu es
raph
nog
pho
jouo lls plus sou ven t du
fait inju ste et dém orade Bar bari e ... C'es t tout à
Iisan t. ..
amu sa Den ise, car
Cc peti t disc ours de Jacq ues
que , sous sa forître
nna
reco
eHe fut bien forc ée de
il une gran de par t .Je
me hum oris tiqu e, il con teJla
ta ains i ado ucit un peu
véri té. Le succ ès qu'i l rem por
Jacq ues.
men t vou lez- vou s ar- A,lors, dit- il, que l sou1 ilge
erm ite P
POl-leI' aux info rtun es de cet
que
1 mai s prut -êtr e
- Je ne sa is pa s, dit Den is
une
i.
'r
vill
J'in
ir,
revo
le
nou s pou rrio ns lich er de
à ,pér ir ...
exeu rsio Il ... Il doil s'en nuy er
dit Jacq ues ('II hocée,
avan
bien
z
sere
- Vou
z vu dan ser Ulle
aure
lui
cha nt Ja tète , lorsque vou s
bête men t ell
rire
rez
tend
l'ell
ru.m ba 011 que vou s
toul e poéra
fi perd
fal ant des calernboul1s idio ts ...
c( Il n'es t
:
ain
déd
avec
sie à vos yeu x, ct vou s dire z
lIalu re,
ant
Les
»
...
es
aulr
pas plus fort que les
er!. ..
relle men t, ç·a sera moi cf. Hob
cha leur , j e $lIi s st'h c
avee
ise
Den
dit
ent,
- Jus lem
com me les antr es.
oll
qu'i l n'es t pas du tout un garç
enle ndr e sa voix .
à
el
..
.
x
yeu
/1 Il'Y il qu'à voir Res
men t Jacq ues. C'es t
- Ça y est 1 gém it com ique
que je crai gna is. Vou s
de la pa ion 1. .. C'es t bien ce
'ler lrafj u6 pal' la pog
gall
mér iteri ez que ce soit un
bien plus de ehar uH'
lice ... Ça lui don nera it enc ore
'
les fille s l
n'es t-cc pa!; P Ah 1 les peti
ct
{'z vite
liS
ait
duis
con
Tou t Cil parl ant, Jacq ues
anl le perrOIl des 'Robien tôt la voil ure stop pa dev
che~.
�La balldc était là /lU grand complet.
La chaleur empêchait encore de jouer au tennis.
Il n'y avait rien à faire qu'à s'étendre sous les arbres, et à boire de la citronnade glacée, à la grande
terreur de Madame Lancelin qui prédisait les suites
les plus tragiques à cette" absorption de liquide.
Elle prit bien tÔt le parti de r~gane
la maison,
pour échalppcr à la vision de ces douze jeumes gens
se suicidant de gaieté de cœur.
Dès qu'elle se fut éloignée ,la conversation revint,
le plu s naturellement du monde, sur « l'ermite de
la Tour » : c'était décidément sous ce vocable qu'était co nnu celui qlle J acques appelait avec plus d/ironie que de bi enveillance, cc le Beau Ténébreux ».
Deni se s'aperçut avec plaisir que lous ses amis
avaiell t gardé vi -à-vis de leurs parents, en cc qui
concernait le pique-nique de la nuit, le même silence di scret qu' eUe avait conservé vis-à-vis de Mme
Uéraud.
Il s riJ'ent tQUS de cette découverte. «( L'ermite de
ln Tour » était en traim de devenir entre eux un
sec re t, dan s le genre de ceux qu'il s imaginaient,
lorsfllI'ils étaient enfants, et dont les « grandes personlles » élaient sévèrement exclues.
Mai s les jeunes filles, SUl·tout, pal·nissaieot exaltées
par le mystère qui pesa it sur ces 1'11 in es.
Deni se fut sur le point de dire l'étrange découverte cru'elle avait faite de la re s~e mhlance
du j une
inconnu avec le portrait qui Ol'Iluit l'escalier do La
CMnaie.
Elle se tut, néanmoins, par un pTllclNlce loule
instinctive: si elle avait su lire ·lnircrnent en ellernôm 1 Ile sc serait np('rç\lC q\l' Jle était au fond
a s~c7.
Mpil(oe dt' voir que tOlites ses amies avaient rl(/lU si frapp{'es (lU' 'Ile pnr le charme indéniable cl
�OA 8 LA TOUl:\ TÉNÉBREUSE
m élancolique de l'apparitioo qui les avait tous SUI'pris.
Elit:: avait déjà Ull avantage sur elles par le fait
yu'elle avait élé ~eul
à lui adresser la parole: elle
Il 'était pas fâchée de s'en assurer un
second, pa~'
la con naissance d'un détail qui pouvait l'aider quelf] ue peu à déchirer le yoile du mystère :
- Mais qu'cst-ce qu'il l'a dit exactcment ? demallda Jacqueli'lIc Morel, qui paraissait dévorée par
la plus ardeute curiosité.
- Oh 1 Rien de particulier ... Des phrases que je
/l'ai pa s biell comprises ...
- Cile exu<"lcmt!lIl ..
Delli 'c hé sita, muis clic eut quelque scrupule à
lou l garder pour elle.
- Eh bien 1 dit-clle, il m'a dit, ù peu près ...
« Je suis habitué ù yoir les étrangers s'installer chez
moi. .. Cc n'c t pas la première fois ... ))
- Et pui s P
- El puis c'cst tout, quoi ...
ElIc nc voulait pas racolller - ce qui l'nvail pourla'llt le plu ~ frappée - que « l'crmite )) avait l'air
de la COfll1fJ1trc, ou du moin s de sayoir qui elle
élu i.t, puisque, Ms ClU'ollc s'était nomméc, il lui
uvalt dit qu'olle hahitait la Chènaic .
. - D'après cc que YOUS dites, Dellise, dit Robert,
JC P 'fi c qu'il s'agit d'un fou évadé de quelque asile
des environs. Le mieux e t de le lai sser en paix ...
Mais celle solution é tait cclle qui pouvait Je moills
plaire à l'élém nt féminin du groupe.
- Pas du lout, s'écria l'impétueuse Jacqueline.
On ne peut pli S lai s' r qllelClu'un périr d'ennui sans
lui tendre la main. C'est nn devoir de conscience ...
El pui s, il jOllc dll CIIlVC('ill d'une façon vraiment
diville ... C'esl s/)rrmelll lin grand artisle ...
- Parlon -en 1 dit avec ironie son frère, Heu ~i
�28
VANS
LA TOUll
'l'ÉNÉDI\KUSE
Morel, tu te connais en musique comme UJflC truile
en a stronomie.
La conversation menllçaiL <.le tou l'Jler à l'ai g re.
Ce fut Robert qui fit entendre la voix du bon sens.
- Avaln t de nous di.sputer à so n sujet, dit-il, peutêtre faudrait-il d'abord savoir qui il est, ensuite, s'il
est di sposé il prendre part à nos ébats. Notre dignité
souffrirait par trop d'un refus ct il n'a pas l'ail'
préeisémen t commode. Donc. renscignons-nous d'a bord ...
Cetle sage suggestion fut bien acclleillie, cl J 'Oll
désig nn cc quo Robert appela promptement llne
« commission d'enquête )l. Il fut lui-même chargé,
ainsi que Jacques de réunir tou s lrs renseignements
coneernalllt l'hÔte étrnnge de la Tour. Ils devllienl
rendre compte de leurs « travallx )) dan s troi s jOllrs.
D'ici l~,
celui qui prononcerait le nom de J'ermite
se ruil puni d'nne sévrre amende, <'eln nfin <l'évite!'
Jes di plltes <]u'lIn si brCilanl sujel é tait s l ~(,c Jlihe
de faire naHre ...
Les choses élanl ainsi réglées, et la chah'lIr coml11ellçant iJ tomber, lOllt le mond e ~c dirigea "Cl'~
]e
tenTli s, et il ne fuI plu s aueullement qllestion dll
(( Bcnu Tént"breux n.
Mois il esl permi s de penser qlle l'image de' l'i/l COIIIIU vùtu de noir qui jouait si hien du clavecill,
~lC
s'évanOllil pa s in sllllllnnémelll du SOllvellir des
JClIlll(!S fil Ir ~.
Le '~ oir
d e ('C m~c
jour, vrrs JleUr hcures, alors
<]1J~
J , ~o:e
il Hail d{oji1 hn'! wr J'horizon , relui qlli
ét,lIl 1 ~h.J('t
d'nu
s~ i graves conilh\e~,
« l' 'rmitc
de la}ollr )), le (( B(' IIII T(.nrhr 1Ilf )l, altei~
1
prrlnW I'(' c maisoll' c111 petit villngc cl
Ilint-Miehel
~lC!\I'.
{]tlp('ndnil 1(' 1'111111'1111 dl' li! r:1I~lni,
qui "'(,I~
·tnlt (h~tli
<11Jp. de dellx kiloml!trcol rrniroJl.
Il portait 1(· eosl1uI(~
d.\ vrlol!f' /loir ql1i. III wil! ,
�IJA
1\~
LA TOUll Tf:N ÉBRBUSJ;
29
avait tant contribué à étonner ceux qu'il avait surpris par sa brusque apparition. Ses souliers poudreux indiquaient assez qu'il avait fait à pied les
huit kilomètres qui séparaient la Tour de Saint-Michel. Les pay sans qui, relntrant des ohamps, le croisa ient, le regar,d aient avec ceLLe tranquille curiosité
que l'on peut trouver parfoi s irritante. Mais la venue
d'un étranger est toujour..s ce qui intrigue le plus le
pay san.
te j eune homme, cependant, semblait supporter
avec beaucoup de palience la curiosité dont il élai1
l'objet. Il marc hait uvec assurance, la tête droite,
1·6pondant. par d'aimabl es sourires aux fixes r egards
qui Je suivaient ct adoptant l'attitude de quelqu'uli
qui rentre chez lui, plutôt que celle d'un tourisle
en ]JJ'om enarle.
Parvenu sur ln petite place du village, que do·
nlÎn e la ll aul e silhoue LLe de l'égli se ,il se dirigen
~ Il S h és ilalioll vcrs une petite maiso n blanche, el
lira avec aulorilé le cordon de sonn ette qui pendllil au chamoronle de la porte. C'élait la porle chi
pr
e~
b y lhe.
11 flltirnlroduil dans la maiso n pal' une se rvante
:l ln mine re ~ p ec labe,
qui commença pUI' regarder
avec inquiétud e ses soulil!rs poussiéreux, SO li élrange
Oostlllll C et ses chevellx un peu en désordre.
- ERl-c c que J\'l onsicur le curé peul mc recevoir il
dema nd a-t-i! Alln s sc lai ~se r d&-on(' cTlcr pa r le reervanle.
ga rd d e la ~ieJI
- Si C'c gl pour IllrH} aumÔne ... ,·ornrne n ç.'1 ni~
'
mrnL l:t vieille.
n I\Ss
lr e7.-"ou~,
llIadnmo, dit le j eulIf' homme
('II .'011rirml. JI) IIC ViCIlli pa s demllndcr d'lIJ'ge nl.
- Comme ça, ça Vil , dit ln vieillI', radoucie. M.
Je euré f' 1 si !J"II, qu'on viclii dl' loul lo cantOIl.
Alorll. ~i j,~
II I' fltiHllji\ pft ll lin (\(111 1:\ ~rl\cJ".
j(' IIIf'
�30
DANS LA l'OUI\ TÉNÉBRBUSE
demande àvec quoi nous mangerions... Mais, entrez, mail cher mOllsiew', entrez dOllC ... Qui dois-je
anuollcer P
Dites seulement à Monsieur le curé que quelqu'un a besoin de lui panIer, dit le jeune homme,
avec un peu de hauLeur.
Cinq minutes plus tard, ~e vénérable curé de SaintMichel faisait son entrée dans le salon assez misérablemCln t meublé, Où la servan te avait in troduit le
visiteur.
L'ahb~
Floquet, curé de Saint-Michel depuis trante
ans, el âgé d'une soixalliaiue d'années, paraissait encore dOlls la force de J'âge. El l'épithète de « vénérable n, qui venail sponla'lIément aux lèvres lorsqu'on parlail de lui. s'expliquait nOIl par des cheveux blancs ct une voix brisée par l 'âge, mai~
par
J'air d'exlrême bonLé qui embellissait SOli visage
éneJ'gique.
- Vous avez besoin de moi, mon c,nfaint il dit-il
en tendant la main au jeune homme.
Celui-ci s'élait levé el regardait le prêtre avec une
émotion qu'il ne parvenait pas Il diKsimuler.
- Monsieur le curé, dit-il, vous ile me reconnaissez pas P Ai-je tant changé P
Le prêtre, tenant toujours la main de l'inconnu,
le fit tourner vers la fenêtre ct l'examinll allentivement. Cc fut n son tour de paraître agité d'une émotion intense.
Mais., " halbutia-t-il. Mais ... c' st. ..
C'est BerllurJ ~e
Ble le, MOllsiour le curé, qui
vous a souvent servI la messe.
je croynis ... Oh 1 c'est
Mon enfant 1. .. Mai~
inoui 1
Les deux homme s '(Itrcigll iren t nffectueusement.
Oui, dit 13 l'nard de Blesle, cn Sil dégageant,
vous me croyiez mort, n'cgt-cc pas P Ah 1 ma mort
�:f1
eut, certes, arrangé bien des choses !... Mais, vous
voyez ,elle n'a pas voulu de moi.
- Mais, racontez-moÎ. .. Mon Dieu 1 quand je pense que "je revois le petit Bernard 1
- Un peu grandi, n'est-œ pas, Monsieur le curé P
Je vous raconteTai bien des choses en détail, un jour
ou l'autre. Mais je. veux tout vous dire en peu de
mols, pour commencer.
Et Rernard se lança dans un récit succinct de.>
événements qui avaient marqué ~a
vie, pellùant les
quinze années qui venaient de s'écouler,
A dix ans, il vivait selll avec sa mère, veuve, au
château La Chênaie. La mort brutale de madame de
Blesle, enlevée à Iren le-tl'oi8 an~
par la tuberculose,
l'avait lais é sans autre appui 8U monde qU'lIl! vague Cousin, qui avait ~t.!
nommé son tuteur.
Presque aus jlM, dans SOli organisme fra/ôle, et
aNu.ihli par l'immense douleU!' éprouvée, le mal qui
avaIt emporté sa mère se déclara.
Son tUleur, Roger de Ble le, ] 'avait fait emmener
dans uu sanatorium : de l'avis des médocins, j,]
n'avait que quelques années à vivre. En sorte que
Roger de Rlesle put croire que, d'ici pell, il serait le
seul maître de la fortUIlO assez importante, qu'il
était chargé de gércr .
. Assuré de voir disparaUrc- bien tôt son jeune couSIn, il usa de ses biens comme s'ils étaient déjà les
Ri ns. 11 vClldit 10 cMleull, employa l'argent à sa
guise, se conduisit, CIl un mot, comme un homme
dénué d'hollne11r cl de probité.
Cependant, vint un moment où noger de Blesle
dllt bien C convaincre que la santé de l'hérilier légitime des biens dont il avait disposé, s'améliorait.
Aprils une lutte qui avait dw'6 des années et des an'liées, l'cnfant, devenu jeune homme, triomphait du
mlll qui avait failli l'emporler.
�.
<").,
"
HOlrt!r de Blesle Iut affolé. L 'eufaII t <J !lait a Lteillùre
"
sa majorité,
lui demander des comptes. La vic large
qu'il avait menée avait fortement écorné la fortune
de Bernard. Pour réparer cette brèche, le tu leur
malhonnête engagea ce qui l'es l,ait dans de hardies
spéculations, qui achevèrent de tout oogùollLlr.
Lorsque, l'aumée Ip récédente, Bernard, miraculeusement guéri, pu enfin quiller le sanatorium où il
a vait passé sa j eunesse, il se se ntait 1 plein de joie à
la pen sée que la fortune dont il allait pouvoir di spocr lui permellrait enfin de goûter à toutes les joies
de l'exi stence qui lui avai(!IIIt été jusque-là refusées;
il allait pouvoir voyager, connaître ce monde dont
d'inlcrminables lectures lui avaient seul ement révélé
l'existe nce ; il allait pouvoir revoir' La r.hêlla ie.
Drulalement, il fut l'flInené :" ln tl"i8 1e notion des
réaliV~
s : ulle leLLre de RO ll tuteur, q'u'on lui remit
Je jour m(~e
f]ui avail été fixé pOlir le règlement des
CO III P tes, lui apprit rru'il était pauvre, ct sa li S aucun
l'COr~
judiciaire conlre un homme qui s'était l'uiné
lui-mûme.
Cc nOllveau choc eut, 81 11' le sys tème nerveux, cncore frogile du jeune homme, lm effet désaslrt'lIx.
Sa longue vie de reclus ne l'avait null ement préparé
;', J' xislence de lulles, d'échec" qui est celle des jeuIles gClls Sil ns flrgent. Il ne savait gu~rc
qll'Hnc
chose : la m1lsique, qui Hvait été sa plus gralldc
pass ion de j eunesse, et qlli l'uvait sa li vé UII déscgpoil'
jJ '1Idant ses <Innées de sa natorium . 11 l'avait apprise
d'un cx("cll0lll l'rOe~Scu,
(/lIe la Ulaladie 11Ii avoit
dOlln; pour ornpagu0n, d (pli s'éta it il {>reiol~
Ct c(' 1
61l!ve plein de dons.
r.e qui avait été jll&qu'à présent 1U\ ;1I"t d'agr(,.
m 'nl pOlir lui , devillt Hon /{flgille-paill,
Gnlcc (, (TlleJq1lC:l relu lions fJll 'il li '(>tai t faites uu
:;/I llalorillrn, il put trouver cl 'nbo"d n~ PZ dt! lc{'on q
�D·\/'I8
33
LA TOUR 1'nN"nREUBE
pOUl' sub ister dans ce Paris qui l'avait attiré. Puis,
on réel LaIent s'affirma:nt, il avait pu donner un
concert de clavecin) l'in Lrument qu'il aimait entre
tou . La chance lui sourit : sans être encore parvenu
à la cblébriLé, il avait acquis dans les cercles musicaux de la ca pitale une certaine notoriété, et les concerts qu'il donna, tanf., à Paris qu'en provirnce, Je
tirèrent définitivement d'affaire.
Et c'est alors qu'il lPut réaliser cc qui avait été,
depuis sa sortie du sanatorium, J'un de ses vœux. JI
ne pouvait être qucstion cl l'acheter La Chênaie.
Mai il se ouvenaiL d'une ruine de vieux château,
qui, loI' de SOli enfance, était un but d'excursion
qui le ravis ail. 11 avait acheté ces vieilles pierres
POur lin prix m clique, s'y était ill tallé comme il
avait Pli, . an~
autre luxe qlte le clav in qu'il avait
fait vcnir de Paris .
. Il hahitait Iii depui, troi :! jours JOl' que Dent~e
et s s ami'! étaiont vcnll s troubler son amère
'i01 il Ilde. Dès que ))cni Re s'était nommée, il avait Te('Ollnu le Il m dr.:; nouveaux propriétaires de La r.hêHnie, ·t lt'nvait pit maitri.r r le mouvement de 1'011('lllle qlle 1I0U S av n s vu lui échapp T.
Ct' loug f,;cil, 'nlrecoupé par I('~
exolamations de
~ynlpahi·
de l'abbé Floquet, . 'acheva par la 1101'ration d(·~
év(·tl(·\lIt'lIts qui aVili nt marqué la nuit
préeéden L'.
- TOllt crIa l' l ('pouvantablc, mon cher enfant,
dit l, pl'Î'lrc. 1\1. d' III 'sIe, salis l'annOllccr pORitiv ment, avait fait rOllrÎr ici le brllit de votre morl. ..
... '~I
pOlll'rplOi pC'r 'O lllie ne s'e t (otonnr de la veJlte
rlc La ChÎ'nnie ... Mai puis-je savoir xaclemenl vos
irtelo~
p
de R('murd cl L1e s h', qui s'(olllit lIuimé
rourll dc son ré il, s'as.orubrit de JIOUV au et rcprit C' ,tt(, C:([1('( ion dc clllreté '1 d'impassihililr qlli
LI' vi~ag('
1111
:1
�DANS LA TOUR 'l'ÉNÉUl\ EUSE
brl~antc
avait frappé les jeunes gens au milieu desquel s il
avail surgi.
Il parul hésiler à répolld re. Puis :
_ Je sais que vous allez me blâmer , monsie ur le
curé, vous fOe pourrez faire auLremenl. Mai s je veux
ous ouvrir inon cœur. Jo n'ai pa d'inLenLion précise. Je sais seulem ent que je hais, d'une haine furieu e, ceux qui hahiten l mai~ltcnL
La Chênai e.
Le ptfllro fit un gesle de doulou reu se surprise :
_ Vous ha1ssez, mon enfanL P Mais ces 1'0 pecwbles per onncs he sonL pas re5pon ables .. ,
_ Eh plu'lle, si, mon ieur le curé. Je sais exactement cotn/tlenL celte venLe s'e L déroulé è. JI y a eu.
JHllur·\1 ' mont, des hré"ula J'ités , nujo-urd 'hui couverLes pOl' les preso ripti n . Plu sieurs acheLeurs poslbles avaient renoncé Ù Il heler dUlI s e8 onditio ns.
M. lIéraud , j'acluel pl'opriétnil'e, a f 'J'mé le yeux
III-d s 'us, moyell llant ulle dirnihu tion du prix: de
vente. Il s'esL ùonc rendu compli ce de celui qui m'n
d \poulllé 'L je lui voue lu mÛffie III\ine ... uno haine
1. ..
Le l'l'gord éLrnnge du j'eune homrn errray a]e
prêLre. Il devill!l, grûce il sn connois once de
rame lIumulu<" cc qui devoit sc pa .. '1' dOlls)e œUI'
de Bennant, cL I\li poso une moin lJ1')C brus:
-,fe sni!!/ 01011 cnralll, dit-il, 'e fJlIC doiL avoir
de doulou reux pOlir VOliS la pen~\
que il 's étrongpr occllpe nt Innilltefllllll 'Votr' ch 'r ta G1ICnni ' ...
Muill je so is Illlssi qlle voll" d('voir esL de pardon ner.
EL puis, 'n ('S mntH'I'l's, il Il'y 0 pOli d mal sans
reml'de. D'apr' fi ('C que VOliS rn'lIvez diL de vos promi 1'8 surr/'R mlJ ~ic'!lJx,
il
1'('lIl qll'un jour vous
'oy ez ' 11 ITlc ~ ure
de ,'ar lH't l' l, châ tellu.
'~ Ini f\ IlPrnnrd horha ln tNI:'.
- r.c Il SC I'II plus jUlllni s p:ll'llil. P ·ndollL (]lIe je
lan gui soi nll 3natolÏU/1I, j'ai pl'IR(~
'ollvent , très
�DANS LA TOUR TÉNÉBREUSE
35
Souvent à la Chênaie. Je m'imagimais la vieille maison muelle, allendanl mon reLour, alors que déjà
ces escrocs l'habilai ent. Il me semble qu'il s m'ont
abîm é jusqu'a ux souvenirs d' ellfance que j'avais de
La Chênaie. En sorte que maintenanL ... je lcs déteste
encore plus que je n'aime mon château .. ,
L'abbé Floquet pou sa un profond soupir ct scutH
son cœur s'emplir d'inquiétudc.
A la fa ço n dont parlail Bernard, il Mail fAcile de
voit' quo cetLe haine avait pris chez lui l'allure d'ooe
id;e rixe. San doute était-cc là la suile du clloo nerVcux ql1c lui avait causé la nouvelle inattellùue de
la rn~ 'o n cl'illlincile dOllt il avail élé dépouillé; Deruard, si ar'lisle, d'ulle inLelligcllee si évidente, avait
du.u s l'e ~ prit
un poillt somhre, où la lumi ère du
J'al~nCIt,
du bon sens ne pourrait peut-être jamalS luire: sa rU'IlCl1ne fi l'érrard de ccux qui il son
iIlS U , avaient occllp6 le chiîl~nu
de La Chi!n;ie ...
- Mon pauvre Ber'nard, dit le prêtre, je prierai
P~ur
VOLIS, .Je p 'lise ciue c'e t Loul cc C]ue je puis
fall·e. Mais je sa is que si relie pauvre madame de
Blcsle vivait erH'oJ'e, elle n'nurait qu'à VOliS regor{1er' d'ulle certaine far on , uvcc son sourire si indul·
gent, pour quc VOLIS rClioncicz à ces affrellx sentimrlt
~ . C'e~l
lIli gl'alld malheur pOlir vous d'avoir
été Hi lôt privr d 'lIlle ml ~ re si parfaite ...
Cellc évoealioll de la di HIHll'ue loucha vi ihlcmenl
Jlc ~ rld
. Il hli~
Ma
la tête 1111 il ~ lat,
cl la III III' de
haille fal'ouclre qui aVllil 1111 ill stalll hrillé (Ions SOli
l'cga r'u /li (')(I"Nsif, 'rlf'ignil.
VOIJ~
avez l'eV1l La Chl'ilnie ? deIllnnùa ellcore
lc prt~l'c.
- Pa s el1rol'<', dit nCr'l1ill'U n RorOllnnt ln t('to. Je
Il' 'n ai pns enrore ('li le roul'ago. Et pui s, si l'on
Ille surprenail, ajoula-l·il d'lI1l ton amer, on aurait
le droit dr, me dro . cr COlllll1e lin volcur ... Ce se-
�OAl''i8 LA TOUR TÉNÉBREUSE
rail un peu plus que je Ille pourra'is eu supporter,
- Ne dites pas cela) dit doucement le prêtre, Je
vous assure que madame el maùemoi selle IIénwd
sonl d 'exocllel1 les perso nnes, lrès charitables .. ,
- ",Qui n'hésitent pa s à dôpouiller un ol1phelin
pOUl' faire une bonne affaire .. ,
'
- Nous ne pouvons rendre responsables ces pel'80 nneS de la faute - lourde, j'en Con viens - d1l
chef de fam iUe .. , Et monsieur Jléraud lui-Illêmc
Ile m'a pas fail l'effet d'un homme si noir que
vous le peignez, Je n'ai guère cu l'occasion de Je
voir, mais ...
Defila rd se leva brusquem cn t. Celle convel'lJalion
commençai t évidemmen t. fi Jui deveni r pénible.
- Voulez-vou s, dil le prêlre, qlle je leur dise UII
mol :\ votre sujet jl Je dois déjeuner demaiu il lu
Chênaie.
- Non 1 je VOliS cn supplie, mOll sieur le r.uré, dit
vivcmenl Bernard. Que ma per Ol1l1e, sinon ma présence, s() i t iglloréc Je Lou t Ic monde ici.
- Comme vous le voudrez, mon enfnn l.
Le prêlro ot Je jeune homme se sépnrèl'en t biell lôt, après que Bomard eul promis de revenir le plu s
souvent po,>s ible à la CIII'C de Sairnl,-Michd.
Ln nuit était tombée.
Le curé de Sainl-~Jcbe
viL lu silhouelle rie SO li
a Ilcien eflfu1nl de chœur se fondre ct di Rpu raître. 11
Lllcho, un in slanl encorc, de le !luivre dn f{'gal'd,
11111 is J'obsc uri lé en veloppa hielll c) l BCl!IanJ.
L'abbé F,loqllct rCfel'n1f1 ln porte du pr' bytère, cl
demeura quelque lemps sOllgC Il1' ; chaque foi s que
les hnsll l'd 'l de SO li sacerdoce Jo rnellairnl ninai en un
brulal ronlnd uvec les viJenicH humaine, jj avait
4 ucl fjuC iJl sto l ~ de trouble, vjl~
bulnyrc; pllr lu
prière.
El il l'tin, C'f' "Oil'-L'I, flour 1 gar\oll d6pouillé qui
�nAN8 LA 'l'OUR 'fÉNÉBREUSK
marchait dans la nuit avcc une si grande hame au
cœur ct des lueurs de si farouche dé espoir dans Sel
yeux sombres.
CIl API l'RE III
VISITES
Malgré l'épaisse obscnrité qui l'entourait la
lune ne sc lèverail pas avanl ulle heure d'ici, Bernard marchait avec aSSllrllnce, et saIlS crainte
d:.er~u
Celte route lui paruisMil familière comme
~ il 1 avait parcoul'UC la vcille cncorc... ct pourtant,
Il nc l'avail pas suivie dcpuis quinze ans. Mais les
souvcllirs (le SOli 'nrance étaielll gl av(o~
en 11li avec
une forcr. ct une netteté exlraordinaires.
II s' ;tail décidé bruRqucmcnt n celle visile au curé
de Sailll-Michel, [lOU i'S(; par le désir de voir ct d'eu~endr
quclqu'un fJui l'ait connu enfant, IJour qui
Il nc soit pns un étranger. Il étail sûr de la discrétion du sailll hommc, ct ne voyait Jlul ri~f[uc
pour ses projets à alll'r de Lemps en lelllfJM se réchauffer à cclle affcction.
étaicnt IlCS projets ~
Ses projelll ... M/lis ([uel~
Tl rcjeta loin d.~ lui cetle pCllb 1e. Demain, il ~w
rait Lemps d'y snnger. Maintenallt, il n'avait pl~
qu'une pensée: fegagner aH plus vite sa l'OUf, qu'il
appelait sa (c lanirre )), cl attendre que le sommeit
vint en berçant sOn chagrin pu l;, mu~i<pH'
Souda1n, Il lre!\l'ailJiL
�38
DA NS LA TOUn 'r ÉNÉUn EU S.I!:
Sur sa droite, se distin gua nt n peine dan s l'obscuri té, il venait de voir deux gros hêtres qu'il conn aissait bien, To ut aulre que lui f ut passé san s les
r ema rqu er, m ais il s fir ent. ba ttre son cœur. Entre
ces deux arbres débouchai t le racco urci qui, à travers clwm ps , gag,nail le châtea u de La Chên aie.
Bern ard s'arrêta.
Co mrn e il J'a vait dit à l' abhé Floqu et, il n'avait
pas e nco re pu sc déc id er à revoir , Jle ffll -ce qu e de
lo in, la faça de ct les g rand s arb res dc ce do mailJlc.
Mais brll squ ement, li l 'aspcc t de ce débouché de
se nti er, il eut un e en vie foll e de céder n son désir,
d'all er , co mm e un vo leu r, revoir, ~ l e ftit-ce qu'un
m oment, les lic ux où so n enfali ce s'é tait déroul ée.
Jl C"lI lll' cl JI 'é lait pas homm e n hési tel' lo ng tcmps,
)1 c hangea brllsqu cmcllt d e direc tion ct a'engagea
dall s l'étro it sÜlllti el' qu'il eonnlli 8sail Ri hi en,
Apl'i's t/llit d 'a nn re érolll ées, il re lro uvait (.o ules
ses ilJ1press ions d 'e nfonce, Il ap 'r,llt le pctit pont
sur le l'1Ii , sea u, il re vit lc noye r épai s ap rès lequ el
il falloit hif1lrquer, Un e émotio n vio lel/te lui SCl'Ta it la go rge et il llI ar(' ), ll it /lvec préca uti on, les
dellts se rrée8, lC8 ye ux gru I/d ou ver ts, com me s 'il
s 'a ll el/d ail ft vo ir so rtir d 'c ntrc les al'hres ct venir
ù lui l'o mbre ch te ùo cell o qu i lui aVil it appri s (1
morche r dans e m ~ rn c sO llli e,',
Et hi pnlÔI, il sc trouva ur III m ill e, all bOllt
rn ~ m e de l'nll re de c l' ~Ilr.s
f]u 'i Hl c'Il ni( Cil 1 chfi ten ll ,
Il Il 'avHnça plu s p l' udn nrn eJl I 0 ' )('0 1'(\, Il ne vo ul ait l,
al/ r un pril'C ~r
lai sRol' AI 'qJl'l' I/ llre prll dal/t oc pélerill agc el l'Iu' ure I/ '(- Iait p l~ n. 1'1. lllnfi vc pO Ul' (ju 'j l
pû t n va I/ ('cr Cil tOIl te ~(' I, 'i Il~ .
Il p l'Og
" e~H
i( dOl/c (1'" rI ,n' l'" Ill'brr, hell reux qu o
la IUll o ri ' AC r,) ( pns l'nrol'O 1( ' \'1~,
Il I(elltif 11 11 moi ,, dre br llil cl prC' l ù ~o (api,' 11 11 '0 1 [, la première Ill ('11aCe de danger,
�UANS LA
Toon
'rÉNÉBIUIUSII
39
Mais lout étai t silencieux ct il s' enhard'j t peu à
,peu. Il parvint aiusi juste devant la fa çade du château, de son château.
Elle lui apparut d'abord comme une tache un peu
claire dans le noir, puis, les uns après les autres,
Lous les détail s SUl'g irent de l'ombre ct le frappèrent des [1 ches aiguës du souvenir: portes si souVen t franchies, fenêtre s des cham bres aimées, balcons; ulle se ule fellêtre était éclairée et c'était celle
de SOn allcienne chambre, Qui l'habitait P Cetle
jeune fille, peul·êlre, qui était venue avec ses amis
trouulel' au ssi sa relrnile de la Tour, celle jeune
f1l1e si belle ... Et la main de Bernard e cri pa, au
fond de sa poche, sur la délirate ,p aire de gants de
tulle .. , Celle jeune fille si belle cL si haïssa ble ...
Soudllin, jl t['essa illit cl !lC rcjeta duos ul1 coin
plus sombre. 11 venait (j'entenùre parler:
- Denise, dit une voix (le femme, dans la maiSOn, si lu sors, couvre-toi bien, la soirée esl fraîche.
aeule- 01, l "épondit la voix de Deniee, je vni~
meflt fuire 1lI1 lour dalls le Jardin, juste pour voir
sc lov '/' ln lune.
La Ilrni~e
(lui brillait 8'~leignt
cl toute ]a façn(je redeviflt sombre et grise. Bernard recula vers
Je jardin : là culemont, il !!cl'nit Rî'lr de n'être pas
8urprie. Il y avait a . cz de fourr(:/!, de bo~qles
pour
·lIe dil\l\irnult·!'. Lc ~il1pe
rehongc de paroles qu'il
Vonait d'clIlellclro l'uvait ému, Elles rvollunienl le
tcrnp~
01'1 lui alS~j
aimait à voir sc lever ln lune,
Un tl'mp~
Ol't, à lui au,~i
IIl1e mère nimllnle rccoInmandnit de bicn Ile couvrir.
11 di ~ Jlf'IL
dcrril' re les rangées de fU'Illins bien
taillés. Entre le~
ba .~es
branche! grrlcs, il pollvail
voir l'entrr du jardin. Et, avec un trouhle léger,
Il ui étai 1 dt~ ,Fl loi n de lu hai IIC, il Illtl'Ilùil l'al'tivée
de ln jellne fille, de la jeune fille si belle ...
�Ello appaTut d'abord comme une Corme blanche,
imprécise, vaporeuse. Mais, dan s la nuit déjà moim
noire, elle se précisa vi le. Elle marchait il pas len Ill,
les bras croisé!; sur la poUrim', un léger manteau
rouge jeté bur Se.3 épaules. Sa lohe blanche semblait capler toule la vague 1umière éparse, préeédan l
le lever de la lune. Elle fit le tour d'un massir, digparut un momenl d e rrière les haut dahlias, ct pui '\
revint.
BCI'nard épia il celte promenade olilaire avec une
émotion qui croi 'sa il de minute t'n J1Iilllltc. Sa rancune fondai!. Oui, cerles, ccttt' Dt'ni se était UTiC intruse,
elle avait violé son ehi\tcau, son jardin,., Mais, 11
pdSl' nt, il nc pourrait plu s jamais ~V()fJl1CI'
ces lieux
~ans
y "oil' g'li8~Cf
la silhouette I~g(\re
de celle qui
pa ssa it cl rcpassait devant lui.
Bicntôt, la lline toul enlihc IH\\'III au-de HUS de
dc l'horizon. A illeS\Il'e l]lI'clle montai! ùan'! le riel
absolll men 1 pUI', une clallé presque irréf'lIe sc déLc~
arbres ct Il's ncurs fI'Y('r 'ai t SUI' toutes cho~es,
d('venaient bien vishlc~
: Bernard, rmcrveillé, as-Llait Il l'allbc ly
!) tériclI
~e
d'une helle Huil d'é1~,
Dcni~e
s'~tail
immobilisée 11 qucle
~ mèlres de
lui. El il etIl <:16 hien plu lrouhlé encore qu'il ne
l'était, s'i1 a\ ail. su 'Iu'ell ('C nlO nll' Il 1 m~e
clIc
rongeait 1\ « J'ermite de la 'Iour)), l)<ll bCIIlait ]e
cœu!' plein de compassion pour sa ~o lit1d('
furou hc.
Mfli~
de lJ1ême <111' lkni sc 1Ie pOllvait d(·viner Rit
pré3e llc/', il ne pouvail lin' re qui Re pn~ail
derJ,j~'I1!
1'émouvllnt vi ~l!?p
dc ln jculJr fllle.
,oll/Iain, di rordanl, el pr(' .1)111' inclér 'nl dnm Ir
('nlmo de III. nuil ml'rvcilloll " érlat" ]E> ('fi d'l111
l'!a lin, Pui8, le gl'()llderneut d'\lTII' au10 (' fit l'nl(,Jl
tlfr
J)elli'!C avait U IIll Ire. ,lillcJ1\!'lIl de lI\rJi~c
d6lII\p-réahlr ; ('Ile In'lIit "~HI!
c qlli (, lUt mO\lv<,mrnl
�lIANS LA
rou.tl
~1
TÉN ÉBREUSI\
de fuile : car elle avait reconlllU la façon d'appeler
de Robert Laum e, et se sentait, cc f.oi.r-là, plus désireuse de so litude et de rêverie que Je compag nie.
Mais, déjà, Ol! entendai.t le grincement des freins,
puis des appels. La voix de Madame Héraud, aUirée
II la fenêtre par celle arrivée tardive, indiqua que
Denise élait dan s le jaTdÏln. Et, presque aussitÔt, la
por le du jarùin s'ouvrit, el Roherl, sllivi de Jac~ues,
de ,Jacqueline, el d'une ou deux jeunes filles,
fil une bl'1lyanle irruption .
ainsi surprendre
Il, n'é lail pas raie qu'ils vil'~ent
Den ise , parfoi s ù un e he1lre avancée de la !luit: ils
savaient qlle la j elln e lill e se cOl1 cha it. lard (malgré
les perpétuelles observa lion s de sa 10ère), lorsqu'une
bel le nuil rég,nait slIr la campagne.
Quelle poésie régne Cil ccs li eux 1 cria Roberl.
VOtl
~ sem hlez (;LJ'e la féo de cc jarùin, ma chère
amio ...
~
Ça va, ra vu, dit Denise, rn s'ava11t;anl, ln
~aln
tendue , Ne VOU'l mettez pas ('n fr a i~ de lyrisme,
c esl pcrdu ...
- Le clair de lunc ne vou, l'clId pa'l aimable, dit
I\oherl. Mais nO\l~
vous apportons d es nouvelle!; qui
von 1. VOli S pnssionner. Savel.-vouS d 'Ol! 110US venons P
- Qui peut savoir 1 VOliS IIVel de tclles idées ...
- Eh hi en 1 nou s velTlons en droite ligne de ln
T011r ... La Tour ('!lrrc à votrc ('œur ...
Quo i 1 dil D(,lli se ove!' une so udnine irrilalion,
vou s avez cllcon' él6 l 'm IH ~ lcr
ct' ga rçon chrl lui ?
- Ln 1... Lill... Comme V()l1~
y allc1., chère
amie. VOWI ouhlinz (J(·jà que ln Commission d'enql1êle doit gr I11cltrr HU travnil le plu~
ra(>idemen t
pORs ibl c ... NOl I" nous sommes dOliC prben vS il la
Tonr. Si lenciell x comme ùes Sioux, nous avon~
rÔ·
dé, écouté. N()Il~
lIornrn C!I clré~
dOlltl ln sallo de bal
pli~
dllll " )'" ~:di!'f.
L'l, TlO1I~
< , VOl
I~
1\p.J)('I~,
prlltA il
�DANS LA ~OUR
TÉNÉnREUSE
fail il not·IIl
tout. Pas de réponse. Qu 'auriez·vol.L~
place ?
- .Je serais repartie ...
- Parce q11e vous n'avez pas de su ile dans les
idées. niell merci que Jacques ct moi, nous en
avon s ... Nous sommes donc montés, sur Ull escalier
branlallt, el en cOlltinuant à appeler: cal' nous ne
nous souciions pas du tout cl '~tre
pri [)(lUT des cam·
ul'Îoleurs, cl de l'erevo ir une rafale de milrai11 'use
dan s lc ventrc ... De J'hum eur dont ,parait l'ermite,
c'élait à envisagcr ...
- Ne faile s pa s Lal11t dc phrase, dit Deni~fl
l!:V(>C
impalieJlce. QIl'avez-vous vu ~
- Mri i ri'n, di 1 Robcrt sm 'I HI ton de déscspoir
SOJllmes entrés
comique. Ahsolument rÎen. N()I1~
dalls IIne sor'lc dc chambre, sa ns antre meuble
qu'ul! lit plianl, unc Labie cl lInc chaise, ct pas
[l'ace d'ermite. Sur la table, qnelqup-s livres, des
partition s de mu sique. C'esl ton1. Ah 1 11011 ... Détail
fleur s rhampC'lr s.
louchnnl : un va se avc-c d('~
- Vou s ~Ies
d'llnc inrli sr r'·tiOIl inonïe 1 dil De1Ii ·C. Vous auriez mf>rité que ('C garçon
revieTll11c
b,"usqn mellt, el VOUq fa sse pa:, rI' pal' la fen~tr
...
jPtlllCS fille, si on
- Mais pourtant, dit lin de~
veul savo ir qui il o,>l ...
- Et VOilA n'avez m~c
pos Tl Ilsé, tant que vous
'Y l-liez, ù chcr'che!' mes g'lllltR ?
- QII ·1· ga1nts P
- .Jc VOliS l'ai dit ... .J'ai lnbé une paire de galll8
lil-ha s ... Ça, nu moills, ça :wrn it été \llile. Mais,
ç 1 f)('ui. 0118 fuir, qu'il
apri's 101ll, qu't' \-('(' qlJ~
j;oit rCI'i 011 (·cla ...
- Voil;1 hi 'Il les fcnllll S 1 dit HolH'rt, n wupiHHII\ ([j(,1. ln pllls cnragée ~
rant. Ccl l\fH'i~-rnù,
~lIvoir
qui éloit 1 H('lIl1 Ténl-!>reulC, el mninlenant,
�DANS LA TOUR T"ÊNÉIll\EUSE
43
vous nous injur-iez pa rce que [IOUS cherchons à le
savoir. Ah 1 Hermione, allez 1
- Je Il e vous injurie pas, dit Denise, mals il y
a peut-êlre d'aulre moyen de sc renseigner qu'en
violant les dom iciles parti cu liel's ... Avouez que vous
y a vez été un peu fort. ..
Bernard de Bl esle, toujours di ssimul é, n'nvait pas
perdu un mot de ce lle co nversn tion. Il tremblait de
fureur à l'id ée de l'indi scré tion inouïe que ces garçons avaient commise. Il avait, en effet, Ini s é loules
les porte ollverlcs, avec ln cer litucl e <lue personne
n~
s' inlrr 'ssero il n la birorrue en ruin es CJu'il habitait. Etl 'iMe qu'il al lnil falloir sc mMlcr, fermer
ses pori cs Il rlef, chaque foi s qu'il s'absenlerait, lui
élni lin sllpporlable.
Par eon lre, il éprouvait tin vérilnhle w 1Iln gement
Il pen
~er
qu e Deni se l1rr:llIcl avail dr 'a pprollvé celle
f~on
d 'ngi r. Tl aura i1 élé cruel lem('n 1 désilJw;ionné
s il avait vu ('('Il jcune fille si bell e, Ali visage si
fra'ne, s'associer li l'incorrection commise par ses
ami s .
. La vic de l1111 e qu'il avait connue dcplli s sa sorbe du Atl nalmium lui avait monlré l'esprre hnmnine
saliS llll jour HSS('Z tri sle , et il npprrriail d'flUtant
mieux la moindre dr lirall' sse de enlimeli is.
Et ce flll ainsi flile fondil la dcmir.re Irace de
1'1l 11rllne qu'il avait cO llll'e ce lle qui llli uvait pris sa
1
mni
~o
n.
(;eprnclnnl, lonl cn (':11ISflnl, le groupe des jeunes
gril!! S'('lail ('Ioirrn{o pl rc"agnail 1C'lIlrmcnl la maiSo n, 011 lTnd:m
~ lI f. rnucl ,
cn dr ~ nprolJvft
ces
Imil
veill res tardives, leur avait prrpnré des rafîchis~e
trl~n
s .
nrrnarrl, sÎlr de ne pIn s être nper~
Il, pul alors
quitter sn cllchclle. Il sc releva lelltement, lin peu
�UA~
I.A
'tOUU 'l'ÉNÉJlUEUSI!
~ngolrdi
par sa longue "talion fit promena SUT son
jarùin un long regard ému,
.
Mais il ne voulait pas s'attarder, Il nf> pouvaIt
songer à attendre, pOUl" !'Cll aller, le départ de~
jeune~
gens : il Ile savait pas jusqu'à quelle heure ï}.~
prolongeraien t leur visi Le,
Il sc dirigea donc vers une haie peu épaisse, facile à traverser ; de là, il regagnerait facile.mon l la
route en passant à travers {'hanlps,
Ml\i~,
brl1~quemcnt,
il s'arrêLa, parut hésiter un
jnslant, pllis revint sur ses pas,
An'iv(' an banc devant leq1lel les jeunes gens
avaient si longuemcnL pn1 ' J(~ de lui, il sorlit de sa
]loche la paire de ganls soignellsement roulée qu'il
aVilit apportée, Iprit lIll ganl, et le Jlo~a
SUl' le uane,
Puis il remit J'autre dans su Jlo<'he, ct s'en Iul. ..
A f]llcl selltiment avail-il obfoi en agissanl ainsi P
]11 ellt (olé bien en pein
de lc dire clairement. Il
avait sPIlI('I1Icnl ('~dr
il l'irrépressiblc envie qu'il
avait éprouvre de fairc ~avoil'
~
Denise qu'il élail
'enu,
QII' cela rnl imprudenl, i1logiqllc, il s'cn sonciai! loul à conp forl peu, Il rlail cn proie il une
émotion pf'ofollde, Ioule J10llvellr pOUl' lui, el à ln(JlH'1I0 il s'auundolll1oit ~anM
plu réf1érhil', SimplomCIII, il voulail quI' f]\lI'lfl1lf' Iit'Il le rallachiit à l1eJlise, ct il nvait pen~(5
qlle, illlri{!ur' pal' la déeou'Nie de {'c ganl, la jeunc fille (rrait r)1lelquc efforl
pOlir nppl'clldrc comment il avail 1111 sc t,'ollvrr là,
nom son eŒur, (jn'il croyait drssrché pal' sn
IOIlg'1I1' l'rrlusiOI1, cl par lr~
nr~'!CS
('x:p{ot'iC'lIces (lU'il
andl failp~,
Bernard de Bk 'le scntait avec surprisc
rdlemir q11elque eho"c. Il nc donnait pa.~
enrore do
/lom (1 rl'Ite scnRatioll de rf'rIOUVCfllI qui le r mplisail do plaisir, Et quel nom rOt-il Hé as ez audacj('uJC pour lui donner P...
�IJANH
LA 'l'OUH T ÉNÉBRE U SI!:
11 nt, Jan s u ne allégresse ex traordinaire, le chemin qui le séparai t d e sa « tanière ».
J amais [luit n e lui avait par u plus splendide que
cell e qu 'iJ vivnit. Jam ais il n 'avait tenu à quelque
r,.h ose avec aulant d' ar deur qu 'à cc loger gant blanc
qu 'rI tena it dans sa m ain.
Momen ts de joie fr ag ile, et q ui, bie ntôt, devaient
lui faire apparaÎlre sa situ ation SO ll S un j our p ~ l S
~i ni stre.. . Mais ce soir-là, lor squ 'il s 'C!ndormiL, un
son rire fl eurissait sur ses lèvres , pou r la premi ère
f Q i ~ depuis bi en d es mois . ..
LI lui semhl ait qU'lIn e clarté était entrée dans sa
v ie, un e oIa rté aussi m erveill eusem ent pure qu e
cell e de la lune qui , par la large fenêtre o uverte,
eJl vahissait sa chambre .. .
Ho bert et ses ami s n e s 'a ttardrrent pas lon g temps
:\ La Chê,naie. Il s avaient bi en com pris qu e leur ar-
ri vée n'ava it pas r avi Den ise. Jl s n e s'e n fo rm ali sèr cnt null em ent, la lon g ue amitié qui les unissait lo us
lo, m eHant à l' abr i de ces piqûrcs d 'amo ur-,propre.
Se ul em ent , il s curent le lac t - dont Den ise leur sul
gré - d'abréger leur visite.
Dem eurée SC ill e, la j eu ne fill c h é itll fi all er sc coucher immédi atement. Sa mère do rm ail déj à . Ell e
éprouva it un sing ulier et profond pl aisir à se se nLi r
seul e éve illée d Ans cc ohfilell ll.
Ell e déc ida d 'all er faire une dcr'ni i' re visite au
j ard in qu 'clic IIlC tro uva it j amais Hi hea u 'ln 'à ces
heures de la 11ui 1. Ell e Il 'avnil pas envie de dorm ir
du to ut ; cn eel L sniso ll 0 1'. les Jl l1 i Ls o nL tanL de
lOagn ifl cc lI{'e, il lui semb lait q11e le som meil de"Vl'nit occ up e/' les heures du jo ur (opinion qu e ~ I C
partagea it en rion Ra m èro, moin s se nsibl e qu 'ell e,
Rans doute, ame cllarmc8 ùes nuits d' Aojj t, cc qui
�DANS LA 'l'OUR 'l'ÉNÉBl\ItUSE
était une so urce de perpétuelles discu ssions enlre Deni se et mad ame lI éraud.)
Elle relit le tour d c~ allées, marchant ]CIIltement.
Une luch e blan che, su r le hanc, attira so n altention : elle étai t bi en sOre qu'il n 'y a vai! rien là,
toul à l'h eure, lorsqu 'ell e avait quitté le jardin avec
~es
ami s.
Intri:zure, elle s'approc ha.
Tout de suite, ele reconnut l'un def! ga nt s que,
dan s ~o n trollhle, ell e avait oubliés à ln To ur. Elle
le prit, le ret01Jrna. Qu'est-ce que cela voulait dire P
POlll'l']'lI oi ce A"a nt uniq1Je .. ,
Ell e éc hafauda plusieurs hypo th èses, toules à écarter.
JI fAllait bi en ndmcttre q1Je q11elqll'on étnit venu
là, très peu de temp s auparavant, pour poser son
gant.
Maï R l'J'1li P
.. , Il !Tl'y avait pas
Le jeune homme my ~ tériem(
d'autre so luti o n po ~ ihle,
.. Pourquoi, en ce cas, n'y
avoit-il q1l'li0 gant P
neli
~e
clem e1lrait int er(lil e deva nt 101li e les qu slion s qu e III simpl e déco uvert e de cc gnnl unique fnisn it slIr):rir clnn R ROO Q~ pril.
Elle nhrégea AO prom enade, rentra lentement au c hnlen u, ct monta dan s sa
chnmhre.
Il lui ~e mhlait
péné trrr l'l nns lm monde pl in de
my
~ tre
ct de chnrme, 1111 mondr d()nt le myRtrriellx
ermitr de ln TOllr ~tnil
n ~ lJrém('nt
le r erso nnnge
principal. Ellr mrdîtlllt , Il!\~ i ~c RIlI' RO tl lit, !Ion front
fi 10 main , Ellr l'exn minn encore : clic Il'a1lrAit
pn ~ Hfo A1Irpl'i~
d' y tl'o uver lin « billet )) ... Mois
Je gAnt gnrdn Ro n Rrc rel.
tOllt à
Alors, elle ql1i avnit si Rrvr rem nt j\1g~
l'h ure ln concllli te dl' ses Il mi R, prit 11 ne cJrri slon
tout ù fait illog ique : dès le 1 nd emnin, elle irait
�DANS LA TOUR TÉNnREUSI~
à la Tour, sous le prétexte de venir ch.ercher S~!l
gants, el là, elle verrait bien à quel genr,e de glilrçon
elle a vai t à faire.
Son émotion un [leu (:a,l mée par celte décision,
elle put s'endormir, le visage caressé par les soufHe~
légers de l'air de la nuit qui entraient dans sa
chambre par la fenêtre ouverte.
Lorsql~
" el
s'éveilla, eHe Hait b{)auooup moins
décidée à accomplir son projet. .. Sa curiosité était,
lui semblait-il, un peu tombOO. Et puis, il y avait
des difficultés d'exécution qu'elle 11'avait pas aperÇues tout d'abord. Dix ldlomèlres la séparaient de
la Tour. Il lui aurait fallu cinq ou six heur.es pour
faire celle visite. Une si longue absence étail presque impossib,le, puisque ses amis devawnt venir ù La
Chênaie vers cinq heUl'es de l'après-midi.
A mesure qu'clle l'éfléchissait, ]es difficultés à
vaincre, et ]e mystère qui devait entourer SOII expédition, lui en redonnaient le goût.
Il y avait, à La Chênaie, un peLit cheval, qu'on
atterait de temps en temps ù un « tonneau» autique, pour aller faire les pl'Ovisions nu village. Dellif<e s'amusait parfois fi conduire elle-même cet alleIage. Sa m'ore ne Ip ourrait s'étOIlnel' de la voir partir
Cn voilure. El, de la sorte, elle pourrait, <ID moins de
deux heures, accomplir l'aller el le retollr, en moins
dc temps, même, si, comme il se pOllvaU, rlle lrouvail la Tour déserte.
Maintenau!' que on projet élaÏl. mis au point, elle
Sc lIelitait pleine d'impatieuce. Avec la rapidil6 de
d(.'i~jon
qui lui élait hnhitlmlll', elle déeida de parlir
~u·-Iechamp.
/1 jllail Il peine rncuf heures: ]Je pourIUll ûlrt de relollr aux environs de ouze llellres.
qui l'interrogcait sur ]('8 rai sons de ce
A M m~'re
hnloqlle drpol't, ('Ile rtpnndil é\ ' n~iHm(,1l.
La voi-
�OA.'B LA TOUR l.'ÉNllllR llUSIS
turc fut nUelée , Denise, en riant, fit claquer S'H I
fouet, et le petit cheval se mit en marche, de l'allure
paisible à laquelle il était acoutm~.
Deni se , à vra i dire, se sentait un peu ém ue, ct M
démarche lui apparaissait soudain un peu osée : m ais
pOUl' rien au monde cne 11 'ettl reclllé.
Elle se de mandait se ulement quoI accuei l lui ferait
10 jeulle homme à l'air sa uvage , qui, lors Je l eur
unique et brève entrevue, lui avait paru animé à
so n égare! de se ntiments cmieusement hoslil és. Elle
se demandait comment elle entamerait la conversa tion, BUe se demandait cc qu'elle devielldl'ail si cc
garçon sc montrait in solenl. .. Et, pal' ~nsta,
elle
en venait à souhaiter de tro uv er la porle cOose ...
Cependant, le petit dlCval, excit~
pur l 'air frai s dn
matin, so meltait à troller allègremenl.
Bernard de Dlesle s 'était éveill é lun!. Sa 10TI g"ue
marche j'avait un peu fati g \l(), cl lcs douces pensées
au milieu d e~ ql e le R il s'élai t endormi avaient contribué à lui procurer 1111 sommeil pro fond et paisible.
Mais aucune ùe ces penl\ées no s ubsislai t à son réveil.
Sa solitude, fi laqu elle il s'éta.it volontairement
condamn6, par mi sanl,hrQp ie, lui parut soudain ineupporlable, Il ne voyait pas ('e (plÏ l'en toul'l1Ît des
mêmes yeux qu e III veille. El ('Q qu e so n in slallalion avait de précaire, e l qui l'amusait la veille en.
r.ore, lui par ut soudain sorù id e et ridi cule.
Il fit so n café sm la lampe à nlcool, puis mit de
l'eau i\ rll3llffer pour se raser. Il se su rprit à regrclIcl' la sa lle ùe hain de so n pelit appar tement parisien. Est-r.c qu ' il en avnit d éjà I S~C1.
(le la ram.
pAgne il Celle co nstatation acheva de le r nore d'un.
humeur ma esac l'lInle, cl il hau ssa les épollles en
vOyllnl ~ "r
flll IHhlr ]<1 prtil gant rhirronnlo qu'lI y
�IM!\ij LA 'fOUll
avaiL
cher.
déposé,
avec
TÉN(~lIUS
respect ,
avant
de
.'le
cou-
Il évitait avec soin d'arrête r son esprit sur la
scène qui Pavait si profond émelll touché, la veille
au soir. Il retrouv alL, intacte. sembla it-il, toule sa
haine ù l'égard de <'eux qui avaienl contrib ué à le
.
dépouil ler de ses birns.
Il se pouvait bien que celle jeune fille igulOrtll
lout des conditi ons dans lesquell es son père avait
acquis 11;\ château de La Chênai e. Mais cela ne changeait pas grand'e hosc ù l'affair '. JI ne fallait pas
devnnt lui,
qU'lin joli visage, surgi il deux repr ises
buffil 11 le
sques,
romane
assez
dalls des conditi ons
...
nce
vengea
de
pl'ojeLs
ses
de
er
détourn
Et, lSon humeu r continu ant à s'assom brÏl', nernard
revit J'image dont, depuis des mois, a haine se
nourris sait, l'image sinistre qui s 'vlait imposé e nvpc
tant de force à ses nerfs fatigués , quo SOli obsessio ll
l'avait p01\ssé là, dans cetle Tour ·n ruinc)'!, à quelancielll le maison .
qu e kilomè lres de ~on
lé de celle maison , puisdépouil
it
va
l'a
Puisqu 'oll
qu e Ir lemps avait J'endu légaux les droits ql1 leq
voleurs s'é lai ent appropr i{: sur ses biens, il les ell
hassrra it par le cill m(lyen que sa faihless COIIservait : la violenc e, le fell,.,
o{'c de l'affoler.ur c'éta it III Sil supr'èm e pcn~él',
mellt que l 'injusti co avait fait na1tre C11 luÎ. ..
Le feu ...
plus vivre dan"! "n /Il ai. Oll,
Ile pou~aiL
Pli~q'
pel'''001l10,
/:la maison di para1lm it, Il 'uhrilcr nit plu~
chliteuu
III
:
imagt'
cellc
n
Et 8a haino I\'ns!i()uv~jl
oit il
Tour,
1:1
qlle
ruiné
8i
1J1l
hienlôt
(>11 flomm es,
Je
par
~
.
'
t
chaf>
fuyant,
iJltm"
lell
el
,
réfugié
lait
"é
nvnieJlL volre.
qu'i1~
fcu, d'une 'Jlai~on
Une foil! do plu, cclle image 'VOC'Jll{>C donnn Il
l4-rn rd lIrl rri ()II dr. dQlllOlll'ClIX plai~r.
�50
DANS LA
Toun
TÉNÉBREUS'l
Il s'était ilPprodJ9 de ia fenêlre, tout t)Jl sr, rasaJ}l.
Il regarda le paysage magnifique qui s'étalait à ses
pieds, mais la beauté du eicJ, J~ splenqellr <le la campaglle ue purent faire naître nulle donceur f)ans wn
cœur brusquement ulcéré de ll1ouveau.
Soudain, un spectacle étrange aUira son o.tLentiQT)r
Sur la ronte, apparai ssait l'attelage le plus inaitondu qui soil : un « tonneau n, tiré POl' un petit
cheval, et conduit par une femme. I,c véhicllle élnH
encore ll'op loin pour qll'iJ pÎJ1 ,d i slillgllcr les traH~
de la .conductrir:.c. Cep~l)dant,
<]u lquc chose q/li rel),.
semblait fi un pressentiment l'agila.
C'cst pourquoi il ne fut pas ext/'êmn~
surprjs
lorsque la voilure, qljta~1L
la Foule, s'engagea dans
l'allée de c1JC~)Ws
(lui onduisait à Jl) '1'0111'.
Les arhres la lui cachaient maillleno.nl. maj~
,jJ
savait, avec autallt de certitude que si su WlC, AArçunl. la vOIÎle feuillue, avait [lu s'insinuer dans la
voilure, CJlIe c'élait Deni se lMralldqlli venait le YQir.
En h:1I<" il sc dOllna un dernier coup de rasoir,
se passa un peu d'COll sur la figure,
~ rJ'iniçn! S.I ," 1<: gnDéjù, J s rQUC S de la voilf
viel', au pied de la '1'0 liT' .
II avait ('JJvic dc nicr :
L.. J'AI'rive 1...
- Mc voil~
Mai s il dClOcurll immohile, silenrieux, ollendanl
Hvec impatirllrc le prrmicr nppel vers lui dc DCfJi~e
Hérlllld.
�DANS LA TOUR TÉNÉnREUSE
51
CIIAPITHE IV
LE
filD llt\ U
COl';[lIfENCE
A SE
LEVER
Mai'lltenanl, ils élaient l'un en fare de l'autre,
debout, SHr la terra ~e
illondre de solen.
- Je m'e
xc u ~e .. . avait commencé à dire Deni se.
j'l'bis nernnrd de Bl esle ne lui ava it pas lai ssé le
temps d e poursuivre . POll sRé par un sen liment pIns
fort qlle sa volonté, il s'é lait lout de sni le acharné
à paraîlre SOlls le jOllr le plu s anlipathiqlle.
- Vou s venie? t!l cher de savoir fJui j'é tai s, dit-il,
d'une voix as~omhrie.
VOli S VOliS apprf·tie7. à faire,
san s rloute , une visite domiriliaire, dan s le ge nre
de celle que vos amis ont opérre hi er. En somm e,
"ons t'1eR plulÔt melrfe fJlle j e me trouve là .. . Ça
'VOIl S Mralllge, n'est-cc pas P.••
11 8 ' a r rêla .
jamais
Le vi sflg'e de Denise s'ftnit empourpré
elle n'avail ronn\l IIne h1lmiliati on [lareilfe ... Et elle
rega rdnit l1rrnnrd, 81HI S pen ser à mnRfJller 10 bo nte
!'fui COllvra i t ses jOl
e~
cl 'II n nlJa gr pOltr'[lre.
Pli
~,
srs y'IIX s'emplirent de larmes, ct. elle fit
l~ ' n mOllvement pOlir R'en aller: larm eq d'hllmilif\hon SO II S l'injlll'e illfltt('ndll e CJlI'ell e v nait de whir.
neT'nnrrl de Bl esle ~c se ntit envnhi par la honte de
81\ so tte brutalité. Tl tendit le bra s pOlir ret enir la jeune fille et lui posa la m ain sur le bras ; mais Denise,
�llANS LA TOUl\ TÉNÉnllllUBl1,
::ie drgageant sèchement, reprit sa marche vers la
voiture.
Alors, Bernard parla :
_ Mademoiselle, dit-il, je suis une brute ... Nalurellemen l, je ne veux pas vou~
relenir contre votre
gré, mais je voudrais de tout mon cœur que vous
puissiez Ollblier mes slupidos paroles ...
Denise s'a[T~l.
Elle Ile reconnaissait plus la voix dn jeulle homme. D'ami'fc cl ironique CJu'elle élait Loul ù l'heure,
elle ùlai l devel/1lle douce, presque angoissée, ct Denise
en ful touchée.
Elle 0 a regarder de nouv ou Bernard, ct elle le
vil si l'epen lan l, si conslel'l1é de sa grossiét'eté,
qn'elle ne put s'empêcher ùe sourire, les yeux encore embués de larmes.
- Alors, dit-elle, on recommence tout P
- Je voudrais que cc soit possible ...
- En cc cas, loi sez~mo
i seulemenl Hnir la phrase
que vous avez interrompue . .Tc m'excu se, monsieur,
de vous imposel' ma prése nc('; je verlti~
se lll eme nl, Cil
pnssan l, VOliS demander si VOliS n'a vez pa s trouvé
ici, avanl-hier, une paire de ga1nts que j'y ai oubliée.
Cc ful ail tour de Bernard de se lrouhler. 11 allait
falloir expliquer la présence du gant unique sur le
... Moment difficile .
hanc du jardin de La r.h~noie
ne re slOll S pa s III 1 soleil, dil-il, pour se
- Mai~
clolllller le lemr~
de la rein xion. Voulez-vous me fai1'(' le plaisir d'entrer
P .Je n'ni guère de collfort ;,
vous oHri r ...
Tout en parlnnt, il avait précrM ln jeune fi"" il
l'intérieur de la t01lr. 11 l'introdlli sit dnns la petite
pirre qlli rCllfermait le clavecin. Il lui indiqua l'unique chai~e
de la pièce, et, tirant n lui le pelit tabouret qui sc trouvait devant l'instrument de musique
-s'y 6t,jlblit.
'
�DANS LA 'l'OUR TÉNÉUR EUSE
Après un brof mouve ment d'hésita tion, Denise prit
possess ion de la chaise qui lui élait désigné e. Ce
gal'çoo était vraime nt étrange . Et elle ne voulait
pas qu'il pût croire qu'elle lui gardait encore rall1cune de la brutale récepti on qu'elle avait reçue . Il
s'était excusé avec une si évident e sincérit é, qu'elle
ne lui en voulait vraime nt plus. Elle aLlenda it seulement avee curiosi té les explica tions qu'il lIl'allait PIlS
manqu er de lui donner .
Uernar d parut l'él1rch ir profond 6men t, puis, sc décidan t avec brusqu erie :
- Au sujet de ces gants, dit-il, je dois VOlIS dire
tout de suite que je n'en ai plus qu'un en ma possession ... Je pense, du l'este, que je ne vous appren ds
rien ... L'autre était, hier au soir, SUl' un banc dt!
jardin de La Chênai e, où vous avez dCI le trollver ce
matin .. .
Le rCCUf de Denise ballait plus vite : ainsi, le
myslr.re du gant e tro11vait en partie éclairc i: c'équ'elle l'avait suppo é, cet étrange
Inil hien, nil~
garçon qui étai! venu le dépo 'er ~ l'endro it où clle
l'avait trouvé. Mais que faisoil-i l, à lIlle heure aussi
r,hûtf'llU P
tardive, dflns le jardin de ~on
sév('re pour dire:
air'
un
!
prend!'€
de
a
Elle s'efforç
- Je vois, monsie ur, q Lle la mode dcs incursi ons
sc répond dam le }lays.
". ind~ertc
Bernar d ne put s'cmpt' rhrr' de rougir : c'était un
cÔlé de ln questio n qu'il n'avait pas rnvisag é : il se
mal plnré, cn npparc nrc, du
tl'ollvai t, du coup, as~('z
Innl Je jlage aux amis
avee
(l{)lIr ('<'proche!'
moin~,
qlle lui-rnê me .waif
ce
s
commi
de Dt!nisc d'avoir
Commi s.
- roe Il 'est pas cxactem ent la même chose, dit-il.
- Je ne vois guhc de différCl lce .
. BernAr d faillit crier : c( J'6tais chez moi 1 li mais
11
80
contint : il lui répugn llit de ~e
faire connat tre.
�54
Si jc vous disa is CJlIe je vC llais exprès pour
vous rapporl cr vos ga nts, VOLIS IlC mc croiriez pas ...
Et apri
~s tou l, pourqlloi pas P Je erois Lien, moi, quc
vou s n'êt cs vcnuc ce mAtin chez moi quc pour me
r éclamcr votrc autre ga nt.. .
. Denise ril fl' nnr'h cmen l. Elle trouva it ce dialoguc
pl eill dc po intcs SOllvcra in cmcllt amusant. Et, tl evanl so n rire , le visngc de Bernarù s'éelaira. Du
vrai courallt de sympathi c naquit cntre eux.
- 1\1 ai nlenan t, pemlellez-moi de mc prése nter, dit
DCl'I1ard cn sc leva nt. Bernard de Lcstange, musicien ...
- Ber nard de Lc ~ t r \ngc
P Mai s j c VOliS ai cntcndu
une foi s 11 Pari s ... VOIl S do nncl. bien des conccrts P
Commc c'esl amu sant 1. ..
C'était en crfet, SO II S le nom de LeA tallge, q1li était
ccliii de sa mrre, qll e Bernnrd nvnÏl commencé sa
cnrrj('re mu sicale. Et il nc jll gea pa R Ie moment opport un poil r dévoil cr sa véri 1ahle idcn t i té.
TI s' inclilla, IICIII'C UX:, au fond, de rencontrcr en
Deni s ' qll clqu'un pour qui il n'était pas absolumcnL
1111 incon Il u.
- Qlland VOIlS avez joué, l'nulrc oir, j'aurais dCt
r('('onnnÎtre votrc jcu .. . Seul emc nt, n'est-cc pas ... les
ri'Tollf;lflllers ...
- Evidelllment. .. J'ni d,) Iln pen vou s faire l'impress ioll d'lin spec lre ... Mai s j"·tai s furiellx, vraiTlICllt fu ,'icu X:. VOli S snvcl. ...
- Oh l.i· l'ovili s dt'"inr . EL .k VOliS aRRllre fJuc je
comprellais lrlo s hirn qll' v()n~
soyel. rnricllx ...
Ln cOllvrrsnlion, ainsi cornmCIH'(\e, ~e
pOllrsuivit
ne
le plils si rnplrmrnt dll mOllde . AlI cll nr gt~ne
s lh ~ i s lnit
cntre le ~ drux .i(,I1
~ gem. li s !1o,.)nirnl
lilJf('rnrnl, de mll RifJllc, dr Pnri
~,
d'lIr\. Le temps
nt
grmh' .
s'écolllaiL SlI lI S qll'il s y pri ~e
.Mais un coup ù 'œil, jet' pur h(l ~a rcl li sa mon Lre
�DANS LA TOUn TÉNÉnn EUl3e
55
pal' Denise, la fit tressail lir. Elle ,'il'! leva précipj i,ijrp ment:
- Mon Dieu 1 Il est près de .onro heures ).,. ,M'aman va s'inqui éter.
Allende z au moins que je vous rende votTe
N'étiez- vous pas venue pour cela P
.
..
gant
11 bondit jusque dans sa chambr e, el en ramena le
f rêle morcea u dc tulle. Denise le prit. Bernar d se séparait presque à regrel de ce gage d'une amitié
qu 'j 1 IIvai t rêvée cl qui sem blail prendre eorps. Mais
Cc sen li men l échapp a à Denise.
li accomp agna la jeulle fille jusqu'à la ;voilure . Le
pelit cheva l, forl patieut , passa it le lemps cn hrouLa'l ll les basses fellUles d'un arbre.
Delli se Lendit la main il Bel'Ourd.
- Pui sque vous con naissez le chemin de La Chêlla ie, dit-elle , je serais heureu se de vous y voir que'lquefois , si, Lou ldois, VOli S n'avez pas conserv é une
ra n c ll ne exlrêm e ù mcs nmi8 .. .
Bennar d l'a.!'!s ura que lout ceia était o'Ublié.
- En ce cas ...
Elle parul réfléch ir.
Venez donc au commr ncemen t de Ja semain e
pl'or.ha ine ... Mardi, par exempl e. Maman ser-a 'très
heureus e de VOli S connai tre. Ellc aVilit heauco up aimé voLre coneerl .
- Entend u, dit Hemar d. Mais llOUS nous verrons
Peut-êt re dimanc he, il SninL.Michel. .. Il n'y n qu'une
mess , je crois ...
- Eh bicll 1 l, dimanr .he. VO\l$ frrrz nll!<o,l la conllUl8snnr:e de m(m ph!' ... Tl Rrr:1 lil, dimanc he} ro ur
lu jOllnnéc ...
le troll!. dl' Hernnr d .
0" nuage pasl'lu ~lIr
. Mois, déjll, d'un e touche légère de son fouet, Delllse avoit mj s rn marche l'attela ge.
dstns 81\ chamh rc, et ,
nrJ'fllll'(j rl'TrlOotJl I1lS~it,
�IIAN8
LA TOUR
'l'ÉNÉlIR.RU8B
pe.nché à la fenêtre, regarda longuement s'éloigner
la voiture. L'impression pénible que les derniè}cs paToles de Denise avait fait naitre un lui s'élait déjà
effacée. Il retrouvait les sentimenls de joie et d'espoir qui l'avaient animé la veille au soir. De IlOUveau, sa « lanière » lui parnt pleine de pittoresque
et de oharrne. Son cœllr était cnsolpillé, comme la
plaine qui s'élendait devanl lui. Sa solituùe ne lui
pesait plus : et, d'ailleurs, était-il encore vraiment
seul P N'avail-il pas - souvenir plus précieux que
Je gallt léger rendu li sa rharmanlc propriétaire la pensée de DeJlise, de cette jeune fille si belle P...
Dans Je soudain élan de cet optimisme tout "neuf,
il semblaiL à Bernard qu'il ne serait plus jamais} jamais seul. ..
Denise se senlait heureuse.
A l'attrait romanesque que 10\1t ce (lui eonc('rliait l'hôte (le la Toul' avait pr(lselllé pour elle, RU
joignait mainlenant un sentiment dc ~ympaLhie
exIrt'!rne, qu'clic <"prouvait pour h pl'cmi,'ore fois, l qui
la ravissait.
Le fail que t01lS les mysli'e~
cOllcernant Uernal'd
pos di~pé
ujonlait encore 3
de Leslange I/le f\1s ~ enl
l'intél'i'\l qu'elle llli porlnit.
Que Rigllifiait, 'II effel, la visite nocturne ~ Ln
ChOnnie, vhile qu'il n'avait l1i lIiée ni explieJllre ?
l'cx
l r~odil1ahc
rcsllemblallrc '1u'il
Que ~igT1flt
Jlfr~enI
avcc k portail o\'flll' rle l'csralicr P
Queslions salis réponses, avec 11'!J1l1'l1cs jouait l'e~
prit do ln jellne fille. 1:11!' e~lni
Ihl' quc lout rela
s'éclaircirait un jOllr, ct, Cil allell(hl1l, e.Jle savourail u eurio~té,
(OTllIlIC PP\l! h' fflim le: Je<'l<:ur <l'UII
l'oman poli<'icr.
Tl était pl'~
de midi IOJl~qu'pc
parvint Ù Ln
.11\'II8oil', 1 ]lclil çhl'vlIl :eY.,,11 li'c11l' 11H'11 1 rrof1!cI c1f.l
�UAN8 ),,\ TOUll Té!'l'irilll!U!!tt
l'.humeur rêveuse de sn eonductl'ice pour fl5ner eIl
roule.
Madame Héraud, qui connaissait le caractère paisible de cette bête, n'était guère inquiète. Mais Denise
ne lui laissa pas le temps de poser une question :
Mama1n, dit-eHü, à peine descendue de voiture,
Vous vous sou veuez du concert de clavecin de Berl\ard de Lestange P
- Oui. Eh bien ?
- Eh bien 1 je viens do voir Bernard de Leslango. Et vous Je verrez, dimallche, ù )u messe. El si
vous l'invitez, je suis sûre qu'il seru enchlllflté de
venir ici ...
Denise sc lança alors dans un l'écU un peu confus
des événemcTI ts surVemlS. Elle tul. cerlaines circonstancos, el notamment la visi te Iloclurne que Bernard
avait faite au cb5.lcau. Elle donna au ha~rù
un rÔle
pl us gra1nd que cclui q lI'il avait joné ; mais ces
légères inexaclil udes élaien l motivées pUf' Je besoin
subit qu'elle avait de présenler Bernard sous le jour
le plus favorable : olle désirait - sans oien savoir
POurquoi que sa mère lrouv:lL Bern/lrd sympathique.
Madame llél'ilud présenLa les observations 1Iormales
(lUe la conduite lin peu trop auuarieusc de sa fille
lui impira. Mais clic accepta fort bien l'idée de voir
('f' Bernard sc mêler flUX amis de Denise.
D'ailleurs, dit-clic, nOlis en parlerons à Ion
t>èrtl. J'ai reçu lIfl l61f:gl'umme, ('e malin. 11 arrivera
dès Ccl !lprt~s-njdi,
cL pasl'll'rn ici (Iuclq~
.io1Jr~
Il
Sc Scnt un Pl'Il fntigué.
La nouvelle de l'nITivée de 011 père III plaisir à
nci~e.
Elle l'adorait, ct la perspeclive de ces quelavec lui l'enchanlail :
ques joure pn.~sé
voi!?! une journée ma- DéciMment, pen~a-tl,
gnif]!Tue ... Toul roc réll11 il.
�58
HA~I!
LA 'fOUl\ 'l'iNÉflBIWtilS
Elle eut ueaucoup J 'amusement, l'après-midi, à
annoncer que, bien que ne faisant pas partie de la
Commission d'Enquête, elle possédait tous les renseignements désirés sur « l'Ermite de la Tour. »
Avanl de communiquer ces remeigncmertls, elle
s'étaiL ÙOhné le malin l',lai sir de laisser Hoberl cL
Jacques échafauder les plans les plus compliqués eL
les plus subtils pour arl'ivel' à leurs fius. Il était
question d'une nouvelle visite ùomiciliaire, da si.mu1er un accident d'aulomobile sur la roule,
LOI'8(JlI'US surent qui éL-lÏL le « Beau Ténébreux )) ,
et que DeIlise loUl' eut dit qu'clle tellait ccS renseignements de l(l bouche même de l'in L6ressé, ils futenl LIll peu désappointé:!, mais, beaux joueurs, votèl'cnL des (élicilalions ù J'huhile clIC]lJêlellSe,
Ils jouaieJlL IIU Leullis, IOl'sfJue DCIli e, jelant soudaill sa l'uqucllo eL planLant là sos amis, s'enfuit en
crianL :
- Voilll papa 1. ..
Son oreille cX('J',r ée avaiL l'l'l'on nu, sur la J'oule, le
l'OnfleH1ent du molCIJr de ln Voiluro pa Lernellc.
El Cil effct, un momcnt après, J'auto stoppait devnnt Ic CIl<IICflu, cL MOIl SipUf J1rrfllld Cil d 'srclldolt,
C'élniL Ull hommc d'une r.ilHjUflntaillc d'all11écs,
tr'b mill('c, lr['s sportif d'allurc, ct aux chcveux 0
peillo grismlflllllls, Ce rpli fr'llppnil le pl1ls dons so
phYHionomic, c'('lniL ln dlll'clé cXlrêm' dll r 'gnl'd _
dlll'elé <lllÎ Ile g'cffuçail qlle Utlll! Ic sOl1rire (j1J'il ro Sc~
Il'ails ~è délcnsail sur .11 (eJtJm' et sa ftlle. TOlJ~
dnient aloI' , cl 8011 visage prenail une douccur cxtrêlllc.
n lIise et Rn ml'ru (:tllient en effet lee seules perM'HHlI'S capahles rJ'nll('ndrir l1or
~ i('I1
ITC-roud. Elles
élnil'lIl, ('omme Il 10 di ~ lIiL
llli-wt'IIlC, I\vcc un peu
d'il'OIlÏc, (( 10011c III P()o~j
de M vio )).
MOI1
~ ic\Jr
JJrruud s'oceupnlt d'affaires très d!vcl'~S,
�DANS LA TOUn TÉNftBREU~
59
et s'oo occupait avec une passion qui l'entraînait parfois un pcu au delà de cp que les besoins dl) la
(( luLLe pour la vie » veuvcnt permettre, Il aimait
l'arge nt et ne s'en cacbait pas: l'argellt, pour lui,
repl'é
~c nlait
la po,sibiliLé de nl e ~trc
enlre celles qu'il
aimait cL les compli ca ti o ns de l'existon ce, une épaisse ur suffi sa nte pour qu'ell es ne les se nlent pM.
Malh eureusement, cc gO!'ll de l'fugellt, bicn que légilimc dan s les principeR qlji l'avaient développé chez
lui, IlVait d'n ssez honne hel'll'o desséché le cœur de
Ccl homme l'Jui, gardon!, pOli l' sn femmo et sa fille
tollio la tCld'
C~lie
dOll t jl éloit r.apahlc, considérnil le l'e ~ lc du genre humain comme brebis
bOJlncs à tondre, cl par tOu s lcs moyens.
Son ex lrêmc haliilel é, cL Sil science çonsommée de
la technique des affaires lui pef'ln l' Itaient de co loyer
sans trop de dangers ce qu'o n appelle 111 I( légalit6 Il.
Le qll elques [HI S qu'il avail ri squés en dehors de ces
limi 1es ussez vagu es , il ne les avait ri squps f1uo parce
qu'un i/ltérêt considéf'ahle y était attaché.
C'est aillsi quo, qui.llze (\IlS ,plu lM, un nol/liro
sans grande u é lica
cH~e
lui avnil signal6 ln bonne
affaire ql1'il y avuit ~ f'éllii '(' r ùan 8 l'nchat dit chûteau de Ln ChenniH, Monsicul' Hérflud s'était vite relldu conrple de quoi il s 'a gisRu il, JI avait fail f"ire
une rapide C/lI/I/I'le sllr le vend eur, cl, fort des renseigllenll'nls nrfl/li ll , il avait ohtenu une réducLion
OI.
~ id6f'nble
SUl' le: pf'ix de/llfl.lldé. 11 IIvflit hien fait
Scnlil' il l\lonsieul' de BIl' ~ l es que les i1I{orrqlilrs cil:!
eellc op6rnlioll Ilvoient d,·/! ri ~ que
s , el (Ille c('s risque l/léritait'nL unc romp
e l1 ~a lio
...
POUl' lui, c('la élait 8e lll C!l1enL UIIC affaire, un pell
PI~ H dun g<' re/l se quo celll's cIU'il lrai laiL en général,
VOII;) loul.
~1a!
~ , pas un iJl stanl, il ll'avnit élé lrouhlé pnr
l'irnngc du potit garçon roulade qu'li conlriùuait 8in-
�60
DANS LA TOUll TÉNt:BIUlUSB
si à dépouiller. Il voulait celte IPropriéLé pour faire
plaisir à sa femme et à sa fille) et se souoiait fort peu
de savoir qu'iJ achetait ce bonheur au détriment de
celui d'un autre ...
Aimsi, ]e ressentiment violent que Bernard éprouvait à SOu égard se trouvait-il, en grallde partie, jus·
tifié ...
Pour le moment, les pensées de M. I1éraud sc
trouvaient, il faut le dire, bien éloignées du tragique. Il s'était un peu surmené à Paris, ces temps
derniers . ct, fatigué par ]a chaleur étouffante qui
régnait dans la capitale, il s'était décidé à venir
passer quelques jours sous les vertes frondai sons de
La
Clt~naie.
Et maintenaut, déjà ragaillardi par la présence de
lout ce qu'il aimait au monde, il écoutait, en souriant, ]e babilluge de sa fille, fort excitée par l'arri·
vée de son p l'C.
Dc.nisc, pd's de M. lléraud, sc senlait redevenir
très peLite fille. Et ROll prJ'e, au sortir des âpres
luUes, de combats san'! pitié qu'élait pOUf lui ln vic
d'un homme d'affaires, éprouvait lIll grand repos 11
voir vivre près de lui sa petite DcniRc.
Le soir mêmr, pendanl III dîner, il fut question
de nefllnrd de Leslange.
NalumllemenL, M. I1rnlud fllt lrè.'! loin de soupç{>nTler que cc nom d'cmprUllt rccouvrrlÏt le nom v6.
J'jlaLle d e l'enfant. qlJ'il tlVlljt fruslré jadis de Bon
biell légi lime.
L' IllhoUll insmc /lvr\' ll'!)uel )eni~('
pnrIa du jeune
homme, de ,011 laIent musiral, de ln vie retirée et
presque ilnuvag(\ qu'il menait dlln'l ]u tOUI' Iln mines
Hmu (l SQII phc. Il pl'\I~1
en mêntr tt'nlps, avec un
pell de mt'>lul1 colie, qu'ello 8I'Jjvait ~ l'i\go oil l'CIItholl ia me 0 transforme parfoi'! 'Il \lia sentiment
pllJ/I tf'ndrc . ~ nLimCllL par 1. fOretl duqm'l l'enfant
�DANS LA TOUR TÉNÉBl\l!USE
61
la plus almée quille U!I1 jour sans regret la maison
da ceux qui n'on t vécu que po1\r elle ...
QU()} enthousiasme 1 dit-il, avec la légère ironie
qui lui était coutumière. Décidément, ce garçon a
touch6 Lon cœur. Est-ce que ce ne serait pas le Prince
Ohal'mant lui-même P
Denise, devaut cetle petite moquerie paternelle,
perdit contenance. Elle dcvilllt pourpre, prcsque aussi
rouge que lors du brutal accueil que lui avait fail
llernard ... Ces simples paroles avaiCJIl louché en elle
une corde devenue soudain curieusement sensible ...
Son tl'Ouule, qui ne put échapper aux regards de
ses parents, les amusa un peu, puis lem' firent WI
peu pitié, ct ils parlèrent aussitÔl d'autrc chose.
De Loute la soirée, il lie fut plus question de
Bernard. Denise était furieuse de n'avoir pu maîlriSCr son trouble, ct elle en voulait un ,peu il SOli pèro
de l 'avoir provoqué.
Mon lée de bonne 11eul'e dOlnsa <,hambl'c, clle ouvrit sa fenêtre toute grande pour laisser péllétcr l'air
pur de la Tluit. Elle voulut lire, rnaifl ne parvint pa
à fixer SOli allelllioll sur le livre qu'elle avait choisi.
C'était pourtant un livre atlraya1nl, ct qu'elle
avait demandé i\ son père de lui rapporter de Paris .
. Mais il lui semblait, ce soir) que co Tle sont pas les
hvrca qui bont e (Iu'il y a de ,plus inLéressanL au
l~onde.
Tl y avait la vic, les événements vrais de la
VIC... Il Y avait les seri limeil ts vrais <le la vic, ]C~
émotions vraies ... '1'0111 cc qu'clic avait lu, tout cc
qu' Jle avait j1lsque là appris par les livres, il lui
8e~
blni
soudain fJUC la vie allait !'le chargcr delp
1Ut enseigner ...
Elle referma c livre Foudnin il(~,
et) (. lOa fe~être,
sc pencha ver!! 1/\ nuit, comme vers un aulre
lJvre encore fprmli. mais hien plJ~
Leau qlle tous
�G2
DANS LA ~OUR
TÉNÉBREUSE
ceux que les hommes écrivent, ct dont les premières pages allai en t'ou vrir devan telle.
L'imn.ge de l30mard ne la quillait pas.
Jamois CIICOl'e, clic n'aviJ,iL ollfjé ~ quelqu'un
comme elle songeait mainlellanL Ô. Bernard. D'oh
venait la joie mystérieu se fJlI"elle éprouvait ~ répétor
il III Irlllil les sylln.hc8 de cc nom, qui lui paraissait
..
llOudltÏll si merycillCllx ; « Bernard de Les~algc,
BOl'nard de
LC8tllllgC, ..
))
elle dit Cllirment : « Bernard ... ))
El c'élrtit ollsf;i mt'l'vcil1c-ux ...
Ello ülltendait, V11 glJ('/Ti l'Il 1, le !Jourdonnrm nl de
ln voix de CI; par '1II s, qui ('ail, nienl, aRi~
devant If).
mai~ol.
C't1lail, Je SCIII hrllil 'lui l/'oublQl la nuH
pli~br.
PllllùulIl tOIlI' SOli CllrllnC , elle avail aimé
les (>111 elld I{) parler Il i I\~i,
~;lJf\
flll'me romprendro cc
qu'ils di~ac/l
: OHliN ('CS voix: lui dOJ1llujenL une
lIe'vi~t
scnsatiOIl de ~écl'i,\
Et cc soir, clic rOll talail ;Ivr effroi ((lIO cela ne
!ilf~n
plus j) MlI1 ('0'111'. Il Y avail IIIlC flulre voix,
UIlI: Ulltre voix nlO'\(ir1~f,
fJll'cllc ('l'Il aimé ontendre s'{'levf'r dnllH la IIl1il, UII VQix fJlIC rien ne
pourrait plus jamnis l'cmplnrcr p01l1' elle.
Et <,'élnit III .oi dl) IIrl'lIf1rrl d,~ I.cilllllgC.
- ,le de\ i('/lK folio 1 dit-ell' nvec irrilalion.
Mnil! Pl le 1rOllva i t l'a fol ie d<'lice~C,
cl Jle dé 'iPuj~,
l'ail 1Jr\~
('Il
fllallgol'.
EIII' delrlt'lIni I(H~l'np
J;n , i,
sc. 'folJl Illi 'prnhlail elifft"l'ulIl ~()lIdni.
lI('polldf-c
"t
rf'vou-
EL clio ('omtn('IIt,'lIil, Pli 11('111111:1111, i'l dl'villt,l' dl' '1111'1 Ilom 011
IInpti'uil 1'('llIotion qui fai ail b,t1ll'o ~O/l
('UlUf pluR
viL ' ...
(I\I'r ' l-fC fplf' r'" t qlll' rI' Hf'lI1nrd
? di~l
1111 Ilt~('
IIIOIlIt'IlI IIpl'lllld ù!\
Inlll!p
V(}I
~
l'II
, itVI'~
aillalli qur moi,
IlHlIl
de
Le.-
f(,lIlmr.
Illlli.
J'IIi
�VANS LA TOUR 'fÉNÉDHEU!,;'1S
63
appris aujourd 'hui seule men t que Denise le connaissait. Tout ce que je sais, c'est qu'il joue à merveille
d~
clavecin.
- Vous avez remarqué avec quel enthousiasme
Denise en parlait P
- Oh 1 mOll ami, lie IIOIJS inquiétons pas enCOre ùe tela, je vous en prie. Et surtout, ne la taquine:/: plu à e sujet. Vous avez vu comme elle
est deven ue Touge ...
_ Oui, je sa is bien que cela Ile bignifie rien.
Mai s uve:/:-voll pensé que bi(}ntôt...
je vous Il me ctue Deni e
- 11 'Ias 1 oui ... ~Injs
èst èrrcoJ'e lrl'A pelite fille, cl qu'on 110 Il li la pre n dt'a pM nrore.
Et, j (j c)I/'à une heure avn II C le de la nui l, 1\'1. el
Mme lI éJ'lIud pal1lrrent Ù' J'avenir' de lellr fille.
Pbuvai ', lIt-il s OUpÇOllflCr que, duns le cœut de celle<!i, cl avellir étuit MJfl ill l'il ct qu'li avait Je v1~ag'c
cl' J)d/'nlltd de n1cslc, le légitime propriétaire
tIu c Irtll ca Il fi u 'i 1 halJlLai otll ~
La vic sc vellge ai Ilsi, parfois ...
CIlAPITHE V
h La A'rilnrJ'mr, ~(' rI Snil1l-Midlt'1 nvnit 111:11 h onze
'
,
• 1,e (II 0('1'1'
('Innt
pOllVI
{'II "rtc~,
l'ahhé
.... (JfJlI!'l di ~ni
l à IlI'Ur IH'lIn t:I delllio 11110 aulre
.. tr'~f·
ùo n~
'1
.
1
1111 VI Ing
\01. ill.
,QI\f]u'il arriva, v'r:! di'( h Cl1r('~
'demie, :\ !;n
)11eu r{'~
�cure de Sainl-Michel sa scrvltnte lill annonça que
« le jeune homm e d'e, l'autre JOIlI' )) l'lillendait JiU
balon .
Le pTêtre, en effet, y trouva Bemurd, mais un
Hemard qui lui parut tout de suite métamorphosé.
Le romantiqu e complet de velours noir aVilit fait
place Ù \JI1 costume de bonne coupe. Le ~ · jsage
palaissa it moins 'tJmbre, moins tcndu. Le regard avait
perdu de sa dur té.
Crs signes, qui n'échnppl'rc nt pa au pr~t,
le
('o nvain'luirelll qu'il y avait du lIo uveau, ct du nouveau en mieux.
- i\loll chcr Bernard ! s'éc ria-l-il, j'atlc:ndais
voir' Yi~te
chuque jour ... Mais pourquoi choisissezVOlIS l' diml\llche P r,'PRl le jour pr('<,i'lérnenl où .i
~ lIi s le plu s p"essé ...
- ,le JIl 'en d()ulaj
~ tlll l'cu, ItlOrt !\i '1Jl' le uré, Jit
le j('t lllC homme rn w uriflllt. Mai s t'elle R -maine,
l'JI fi fi, depui R ma visi le, j'ai (,té edr~mn
t oceuI)(~.
Et vou I\V('7. hi en ql ~ lquc
~ minlt('
~ ;t me rOllaelcr maintenant il
Le pr~te
lint su montre.
- J\laj
~
oui. ,) 'ai vingl grlllldrR minule. r.clll
'cra Ruffi sa n 1 P
\ Ol~
Lorge lllcn 1.
- ,fe V4o)1I'i é<'olllr, 111011 t'lIfllllt.
l\(orllanl se ~C ltiL
d'abord Itn peu g~lé
p/lr l'Il
vjt - encouragé
flll'il avail :'1 dire. i\laia il rut lr l'~
par l'allit\lde p:ll ' rlll' il e dll pl~I('·.
El pui s, i l avait
1111 Iii Illï1lld be
~) jn
Ut' ~(' {'onfll'r, dc pArler aVI~('
fJll CICJ Il '1111 Iks lrohJc
~ df> f n l'n' ur 'l d, ~()n
!\jJrlt
qtll: sn timiditf nr fut pn ~ d e long u dm'{oc.
lon
~ i e \l'
le cun\ dil-il, j Il' RaiR 'Il VOIlIl vou~
Nes opcrçu, lor ~ d, mn prcfllit' f(' vi~t
,d('~
ntj·
rnlf
~ e ~nct
'l qU\
~ je portni IIUX n<'l\l 111 posc~ur
,
Il L Ch noie.
�DANS LA TOUR TÉNÉBREUSE
65
- Ma foi, il m'a semblé que vous ne les aimiez
guèr e .
- J e les h aïssai s. Et p our vous montrer jusqu'où
all ait m a h aine , j e veux vou s avouer quel projet m'avait r am ené d an s ce p ays . J e voul ais brûler La Chênai e, mo n sieur le c uré, dé truire le château. Je sai s
qu e c 'é ta it un e p ensée crimin elle, mais vous n e
Po uvez savoir à quel po int j'éta is ravagé .
Le prê tre n e put s 'empêch er d e frémir en entend a nt celui qu 'il avait connu p etit garçon si docil e
lui fa ire part d es pen sées abominables qui avaient
CO uvé d an s so n cœ ur c t dan s son esprit.
Bern ard év itait d e l e r egarder : mais ce t aveu
l'ava it sou lagé.
- Vo il à o ù j'en é tais, dit-il, lorsque j'ai r encon tré Delli se IJ 6ra ud. Vo us la co nn ais ez, c t mi eux que
In o i, san s do ule. Eh bi en 1 son sourire, quelqu es
Th o ts a im a bl es qu'ell e m 'a dits, un e vi sil e , ont suffi
l, J' c l loyer m o n cœur d e ces id ées affre u es . J e d eVrais ln d é les ler ; j e sais qu e c'es t ell e qui h a bil e m o n
~ n c i c n" e ch ambre, j e l'ai vue sc pro m en er d a ns le
~ n rdin
qu e son p ~ r o m 'a vol é. Et, mal g ré touL cela ,
Je n e la li ais p as ...
Le prê lre o mm en ça it à co mprendre qu ell e avait
étu la Cll u se de la r évo llltio n qui s'é tait opérée d am
J(l j elln e ho mm e. Ain si, S1Ir les n atu res les plus du l 'p~
t les plu s violen u.'s, le g racieu x cl pur sourire
d'
.
. Ull e Je"" fi Il p eul Iplus de h ases que toules l c~
fOrces dc lu r aiso n.
Il' - ., () Il' rOll li ais pas de j e un e ' fill e pl LI S digne
c q ue J) eni se J] {> rallf) , dit l' abbé FloCJu t. Et
'1e~ liT
1 f:1I1l rem err icr 1 ('icI qui a mi s sur vo tre l'oute .
)JOli l' vo us ol' n' Icr Ùrln g J'affr eu x c h min 0 11 vo us
r"~) r1 ~t c ng'lIgicz, lIlt 111 '~ntre M r uu qsi a im a bl e . Ain si ,
.s p 0 1l1' 1111' ]l urI PI' cl ' Il e 1']11 vo us ê les v enu m e
\ ' 111' ('C ''' fl tin P
�DANS LA TOUll TÉNÉBRIlUSB
Bernard, qui avait conservé quelques timidités de
l'Cil f:1 IH' e, Ile put s'empêrh 'r le rougir un pell. Mais
il ne clll'l'cha pa s 11 di~smlcr
davantage.
- Oui, dit-il. Parc qllC, dcpuis qlle je l'ai vuc,
je ne peu~
gUI're pen scr <[U'11 elle, ct pilrec que je
Il'ni pas d'alltre ami que v us, Illonsieur le cur6, 11
qlli parlel' Ù 'l'He, il qui ÙClllOllI]cr COll , cil.
Le prêtrc el le jeune homrnc parlrrenl encorc lonl!ucnwllt, <'l ~el'
la SOllll 'rie ct \il l\1'~
'0 put inlCl'I'oTnpl'C lellr cnlreticll. L'ah~
Floq1let ,ortil d
celle conversatioll pl('inlllll'lIl Co cl ifi (1 ::lUI' ho. senliIlll'nh que lll'lIInrd portait à Dl'J1i 'Co Il comprit que,
<101111 l'fllTle !JI" , Ile Il ,on ollcicn
nranl dl' ch lIr,
la dOIH' ''"1 ;\lail p:11'11 , O\li I('~
traits de Ill'ni r. Et
il fl,,:!il fi Sl'1. d'('\pfril'lU'e <1n C(l'lII' humain l'OUI' lIC
pa
'('ITrn)'l'l' dl' la sO\lcluillrtu nv c laquelle cc SCIItilllent d'uffl'rlioll avnil pris liai. (1I11'e el l"IIoit dé\doppé.
- Mon l'lIranl, dit-il l'II ~e Il'vil!lt, nOt!!\ l'l'parlel'On~
<II' tout Cl'l:!. 'j'nlll C{' !Jill' 'Ol~
me dit('~
TIIC
rait plai ir, l'l, 1)(1111 ma part, je Il( vI'rl'lIis (JlH d s
av,llltagl' tl CI' qll \0 l'rojrt:oienl COIII'OIlH(I, de
slrd'~.
'fui, .i(' \Oll' n l'lit" avalll dt' YOu don 11er
1 (,{)lnpli,tt'!1Wllt il 1111 .c!tlimellt humain, ditt> -VOIl8
bipl1 qllc rien Ill' (wul d{'p!'lIt1n' ('lItihcrncnt <Il' nOIl .
ollrrranrCI).
r e \011 pr{'p'lI'lZ pa d, ln fi grande~
\Iai! t'l' sag' IHrok {lnicnl hie" jl\("lpabll'c d('
raml'III'\' le ('"llIle dun
\p ('(J'III' (lll iOllllé (Jc Bl'rliard.
r>l ~ mt'1l1'l'lIi Ill'Il. jonr, 1111 rolll'!! de 10J!l{'~
Hade! o(itnrl'~,
il il\ .il !1 011 lTi 1111 nlllOllr Ilni. (\lI 1
dl' IOllt!' lc~
,\l'lll Ill' donl il ,1t.lÎt ('apalllf'. 11 lIiUHl!1
r 'Itl' j 'lllIC fil Il' qui 1~t.LÎ
V{,!IU' il Illi, 1I\~C
1I11tllTll
I~'nrdl"
Cf:l'il n\,dl haï Il: flloprl' prrl' dl' Dcni l'.
~()1
1'1I111·t"Il', tri
t 'nI 'l' d'lin ~l'Iirt1
(-lIlOtir,
lit'
'IVllit j,Irt1l1i
faihlClrl nt (.jlJ')UVI~
KI' ('on'
l' ur ln
�DANS LA 'fOUR TÉNÉntŒUSE
6'1
haine comme pour l'amour, il anait, lout de suite,
aux exlrêmes.
11 Cil tl'a eu même temps que le curé dans la petite
église. JI n'y avait pas encore b 'aucoup de monde,
les gens attenuant chaque fois que sonnent Jes lrois
coups pOlll' sc pré ipiler lotis en8emhle vcrs l\"glise.
ependant que l'abbé Floquet e dirigeait vers la
sacristie, Demu rd prit ulle ('ha i e dans le coin le
plus somhre. 11 était pénélré 'oudain d'une grande
an:tiélé II la pen ée qu'il allait ~e trouver n pré~enc
de M. I1rJ':lud, (Je l'cl h01l1 me don t il Ilva i t, ùl'{lUis
de si long moi, murmuré le nom IIvce une haine
rarouche. El la œrtilude de revoir en même temps
celle 1'1 CJlIi, dal~
un granù mOlnemeul ùe son cœur
pas iOlillé, il ava i l voué sa vi', prHv'lIuil fi peine à
adollcir son l'cssenli men t.
De vieilles pnysllllllc' entraienl, le~
uTles npl'èS les
aUlres, gngnnien t, après 'U Ile profonde gén ul1exion,
la plut', qu'elJ s nvail'Ill toujollr occujlre, quo leurs
tni're~
el leur gral1d'IT~
avait'Ill oecupéo ovanl
clic. Bernard en rcol1is~t
CJllelque -unes: (Juin7,c Hllnées éroulées avni 'Ill S 'ulerncnl buriné un peu
IlhtS 1 '111'8 lrails, Cl'CII é plu~
profollMmcnt les sil<HI' cie l'ur vi,age.
Et puis, le!! Irois coup sonnèrent.
d AilS ift)t, dal1~
Url hO\lrdollllcrneJll confus, le fi1)l\.~,
qui Hvni 'lit ullc'nrlu co mornent ell eousunt
Soli!! Je )101'('11(', Ile préripili'rcl1l dlllls l'('gliso. Bernard, uvi(\"fT1 'nt, cltcrcllllit 1I1le silhmu:lIe qu'il eÎll
~ C?"l1l1' t'II Ir • mille. tllnis, /l'il vil qllclqucl;-uns J('8
,lllll!\
fl (' J(,1~ ) '
'
(Jill.
nvnlenl
nva ) Il. sn 'l'our, en \In
"
~Ol'
n
' I I) Pt il Ile voynlt
. pu D
'
W11101'1\
l'mol'.
l rl·(.'~c
dl' . c. t'lIfnnls dr cl1(l'lIl't le pr\lr parut
~ 11101110 il )'oul('1, 1.0 dochell(' tinln. 011 ent<'nùit
,.;'II HIII du df'i101' , lt' hruit d'une 011tO qui stoppait,
, pT" 'lue nu ilM, cuiso parut. Elle pnS)!1l Ù cÔlé
�68
DANS LA TOUR TÉNÉBREUSJ<;
de Bennard sans le voir. 1'v1. et Mme IIéraud, qué
Bernard n 'e ut pas de peine à id entifi er, la suiv irent
bientÔl. Mai s, tandi s qu'ils gagnaient leur banc, le
banc même où Bernard, si so uvent, avai t suivi les
offieos ù côté de sa mère , Denise rejoi gnit autour
de l'harmonium le groupe formé pur les jeunes filles
du village.
Bernard Lâchait de prier, mais sans c sse son atIl fai sa it effort pour emp"tention était di~trae.
her es yeux de se fixer ur M. Ilérn ud, Jl e voulollt
pas s'a bandonn er à la haine onn8 le saint lieu. ~1aiR
Denisc llli donnait d'autrcs distractions: il s'ingéIllail ;\ découvrir sa vo.ix parmi 1 s voix frai ches gui
s'élevai lit en de s 111ltiqu 'S noïfs.
« Tout 1t l'heure, pel~a-ti,
je la verrai. Je pourrai lui pur-1er.
Mai s en même temps
levait, terrifiant e, l 'idée
gu'il lui faudrail pal-IcI' aussi i\ M. 1I {'I'H ud, lili serI' l'
la main . Et il e demandait s' il 'n aurait la forre.
Bientôt, cc flll celLe idée qlli orcupa nli\rem nl
~on
e prit. Ln haille, gu'il croyait mort, sc réveillait. Le démo n levait Cil ore la tête. Co fut Cil
lui lIno sorte d'affolement.
La fil es 0 était terminée. Le prC~l
, agenouil1~
au
pied <l e l'alltel, disnit l's derllii'res pri i!f(;g, IIIIX:quell's les fi,U·les répondaicnt. Alor~,
Bernard, douam 'nt, gagnn ln porte, l'e nll"Qllvril, .~ . 'nfuil ...
Ji! ('ourait pr 'SCJUC Sllr la ['Qllie brûlante, CIl proie
,'1 un trollblc imllICn "e, t01l1 d(·rhir(. rllll' , 011 r~n
tinrent 'l son omOlll'. Et il e ~('l\ui
t nffr'u ell1cut
ul, sans plu p 'T', Olln' p<>tI1' le gllider.
En pa sa lit devant le'l al'b"~
(,Illr
IesqlwJ MhOllchnit le roc('ollrei qlli IIIt'ilait il Ln Clrrnnic, il
'ntit 1 lannc8 brouiller l!n VlIe. Il nc JI lIrrait jnmni q, jomnis pardoll" l' ...
,cp lIuunl, ln grundo p<>rt· ouvcrto li ocm( bot-
�DANS LA TOUn T~NÉDREUS
[ah ts laissai l s'écouler sur la place le flot des fid~les
;
on stationnail, on s'abordait) de petits groupes se
formaient.
Denise parut, le visage souriant, s'altendarn t à voir
Bernard, tout heureuse d'avoir à le présenter à ses
parents, à ses amis. Elle craignait seulement que son
costume de velours noir ne déplût à son père qui
~vait
un profond mépris pour (( les affectations des
artistes. ))
Mais ce fut en vain qu'clle parcourut du regard
tous les groupes. Bernard n'était pas là ...
Sos amis la hélèrent.
- Eh bien 1 dit Robert, votre ours est sorti de
sa luni'.re P Je brûle d'impatien e...
Et les jeunes filles l 'interrogeaien t avec curiosité.
Denise élai t ,profond6men t déçue.
Depuis deux jours, elle avait vécu dans l'allente
de ce moment. Et le moment était venu. Et Bernard
n'était pas ùà.
Les moqueries de s camarades bien qu'amicales,
l'?nervèrant et elle y répondit plu'e dUf'()ment qu'elle
n,avait coutume. Elle éprouvait soudain l'impression
cl UII grand vide.
- Eh bicn P dit mon sieur Hfroud, en nrrivarn t n
SOli tour, ton grand homme 11'cst pas là P
- Oh ! je n'y comptai plIS trop 1 dit Deni 0
e.n lilchornt tI di , imuler sa e/&rplion. Il n'avait
rien promis d s(lr. Mai s vous le verrez, mnre/i.
Elle avait b'soin de l'nffirmrr pour Y rI' ire. Mai
:l1e sc dernandait ovoc nngoi sse si elle le reverrait
étail -il
parti P
P ul-ê tre
p lI-~tre
J,\lnlli 5.
uvnil-il fJuillé pOUl' tOlljOlll'S Sil tonirre P A cette
Pilée, le
ur de ln jeune fille ballait d'anxiété,
Cl 1 jour perdait de SIl bl'Illlté.
Cc jour-I:\ ct le ]cnù main} olle III de grand
�DANS LA 'fOUR 'fÉNtnnEUSE
cffol'ls pour di simulei' ~I
tout le monde l'anxiéL6
qui ln possédait..
C'était tellement étrange qu'un garçon, que l'on
rl 'uvait vu CJ ue deux fois, Lîn t brusqu cmen tune Lelle
place, urie place si irremplaçable dans sa vic 1 EUe
avai t souvcn t Ju da[l6 les roman s des choses de cc
gellt, lie Il'y avait guère cru ou bien clJe avalt
Il:ailo de folle a lell h6roïnes qui, en si peu de Lemps,
sc lai ssaient prendre au oharme d'un jeune homme.
Mals elle comprellait mainlenllint que lcs livres n e
mcnluien l pas LoIiJOU l'S.
Le lundi, seule avec son père, cne partit faire
une longue prOlllcnJlda on UlltO . A l'aller ct nu relour, ils pus:l'\\rent au bout de l'ollée qui conduLait
ù la Tour. Ella ~I
put 8'emp~chr
de fixe)' la lourde
silhouette ruinre qui ùomimüt 1eR arbr 'S : mjli s elle
ne vit rien qui pût la rU ~ 1l '\! r.
A mesure que Je moment approchait Oll elle devait
~Lrc
fi'{éc S UI' la pl'oscn e ou l'ab 5cncc de Bernard,
elle était envahie p81' ulle nervosité qu'olle ne par"Venait quo fort 1IIal li 'aQller ft , cs parents et ù 6e
amis.
Elle sc souvint qu'en di ont: « A mardi 1 )), ellc
n'avait Il IS flxO d'heuro J1ré<:i . Aussi, tl/lI! que 1
déjeuner fut terminé, cornrnCllra-t ,Ile ; attendre,
IIV
une iltlpulicnco cl'oi unt. • i Bernard avait
voulu g'a ltneh ')' le Cœur de la jellne Olle, il n'nurait pn pli imuHin r rnlllHlltlVl'e plu!! ublil \ fllIO sa
ù\splIl'ili H du dimall Ù .
Moi 1l0WI "vom {'ombi l
'lto u1'1'i'.r -pen ~c
'laH élol g ntlo de
Il c ~ pdt.
P :ndlllil <JU' Dt'ni c élllil 1\ pr io Il cl • ~ lllimwl
si Vif ct si J1QUVClltJ1 pour t'lie, celui qlli ~ Il (llllit
l' hjet n'était gll\l'e plu calm.
Il prll'"it qlll' M. 11(11'11\1(\ l'rait r('p l'Ii, ('OI1lme
lui llvnit (lit neni
'1 sc royoit très llllr de
�71
DANS LA TOUR 'fÉNtlBREUBE
De pas le rencontrer. Au si attenùait-il nvOO impalien ce le momen t de se meUre en rou te pour La
Chênaie. Revoir sa maison el voir Denise dans sa
maison lui rése rvall , v
pansait-il
p . ' d'as ez forles émot
1./0118.
Pour He pil S arriver à La Chênaie Ialigu6 déjll par
lu 101\guc course, il s'étail proouré une bicyclette,
empruntée à l'un des fomni s. eurs qui le ravitaillaient.
Vers I]uatre heuI'C, l comme les ombres corn·
l11en('aicnl à s'allonger, il jugea le momenL "Venu de
partir.
Il vola sur ln route.
n Illi semhlait lQlll à <,oup qu'il était heaucoup
trop tard, qu'il aurait pu arriver une heure plus
tôt sa ns le moindre ÏJncollvélliolll.
1 Le ~lJ.a
de oe pens6c~
contradictoiros fut fJU~,
or.sqll 11 flll à fJuclqlJe dOllx cenls mètres de La Chenaie, il dul s'anêler : il <,tail en J1oge, écarlate; 80n
roi ôtait fl'ip(\, son pantaloll gris de pous. ière.
Il fit lUI peu de toilelto, e bros a com me 11 le
pUl, pui s r(>('II1folll'('ho ~a
macldnc et nL UIIO pnisihl~,f\rive
devant le cMtcau.
1 J out étoit siJ(' llri ux ,t il commençoit n 0 demnn·
(pI' nVl'r OI1U"OÎ. so s'il Ile s'6lllil pa llUremcnl
l sim·
Tll,l'm('f1l lI"omp~ .
Je jOllr, lOI" qu, do d rl'ièl'o 10
e~lt'a,
lul viJll lIll lointain umit Jo voix ct do
.
rl('~
. Dr~ant
lin
hirY('1 li
contre le perron, il
sO
de r ·Ô té.
1 J)h qu'il eul d~pn
l ' I~l'a
di·
~t l'l\ng10 de ln maison, il sc
ïrollva l'n Vlll' cl '1111 groupC rorL anim6, dan 1'CJuel
\ r(~Ol\n
la plllpnrl rle~
jeullC' g('n l jeune I1l1e
(e ln I( balldl' de Denis. ))
~nl1
appurilioll, un
i]clIC'
prorond s'était (>l~-
�DANS LA TOUll TfiNÉBREUSE
Lli. Tous les visages s'é taient tournés vel1S lui avec
curÏosiLé.
H avallça plus vile.
Alors, se délo chan t du groupe et venOIl t il sa rencontre, il reconIlut Deni se. Elle s'ava llçait vers lui
avec beaucoup d 'a i anee et lui lendit la main cn sourianl. La sc ul e marq ue de J' émotio n exlrême qu'o]]e
l"ess Htoit éla it Ja pâleur su bite qui aVilit cIIvahi 5011
vi age . Elle avait eu un l'J choc en voyant apparaître Hemard au rnomon t précis où elle se disait
avec un so mLre désespoir: « maintenant il ne viendra sûre ment pas »; <ju 'il lui avait semLlil que Lout
o n suug refluait vers so n cœur.
Elle le cond ui si t vel's le gro upe de ses ami s.
Tout le mo nde s'é tait levé.
Ell' nt les présClnta!i ons d'une voix calme.
n b ri, flui n'uimuil pas 1 '5 fau s cs situati o ns,
pri t I1l1 ss i lôl la po role :
- MOIl ieur, dit-il, j e sui s tr\s helll"ell X de l'oecasi n qui m 'e 'l donllée de VOLIS prése nter mes exuses 1 r Il es de mes amis. Nous avoll gravement
manqué d, dise!' 'lio n 'n v rs VOliS, ct c ,la li deux r eprises. J e voudrais êlre sO r qlle VOliS ne 1ll0US en
gard 'Z pas ran uno.
Bern ard l'a ss ura en so urinnt qu'il nc voyait même pas ,) qlloi il you,lail fairc allu siOIl. La glu
ND Il t ai I\~i
rorn plie, lcs CO IIVCl nlions repri rcn t li br
Ill ' fi
t.
II i. e, ] premi r mOIl1 Clt t d' émotioJ1 pass', était
Il proic il 1111
c)(c ilnli o n sillg llii '1' .
E'II f'('pri l Il l'llO rù pal' 1 hrus:
'IIIÎlI lcna nl , dit- 'll c, il fnul f]u j e VOu préSPll lc /1 me parefll s. Je uil:! si h ' ur 'use qlle v ug
1)
.~
(·onai~
'1 il'7.
Le rO' lIr dl' n'l'nard R ~crn
:
- Volr 1" :1' ... commcI1çf\- l-iJ.
�DANS LA TOUR TÉNÉDREUSE
73
_ Il va rester tOllLe la semaine avec nous, dit
joyeusemenL Denise. C'est une surpri se q11'il nous a
faite. Il ne pouvait pas m'en faire de meiUeure. Mais,
tenez, les voilà qui prrivent. Ils vous ont sûrem enL
vu arriver.
En effet, M. et Mm ITéra ud venn ien 1 vers eux.
n èruard, par un violent effort de volonté, parvint
ù se maîtriser. lil jeta un regard à Denise, que ce'lleci 1110 surprit pas, mai s où il pui a tout le courage
lIéeessnire pour accomplir l'acte qui lui coûtait le
plus.
Il lIl'euL du re te gurre le Lemps de Télléchir.
11 se trOllva loul il coup face il fa ce avec les parents de Denise.
_ .Je vou s pré cnte nernard de Lestflnge, diL Deni se. Vous !).1vez, maman, le mu sicien que vous avez
tanL admiré.
nernord s'in lilna.
- Ma m?-re... Mon père.
Il Li n t dan s sa mai n, une seconde, la main de
M. Il 6ra ud. JI n'entendait pas les molq que lOurnlUraien t cenx il qllÎ 011 le présen toi L, les mols plei ns
de banalité qlle l'on dit toujours n ces occasions.
. .A pa len ts, le pel i t groupe qu'il s formaien L reJOignit celni des Dmi de D'ni e.
D n ise OVIl il épié, d'un œil plei n cl 'nllen lion, la
promihc impress ion fille Bernard avniL faiL Sllr ses
pnrcnl : mli
~ Ile n pllt tirer aucune con lusion
de l'oir poliment indirr/orrlll qu'il s avnicnt conservé.
_ On prrrtd Je thé loul de suite, dit D ni se, ou
bien n jonc IlII Irni
~ ?
_ Tl ni~
1. •. Tl'ni
~ 1.. crirr nt plusieurs voix.
De\1x (,o\1rl Il pnrfniL étnt permetlnient ù lous
e1lx q\1i le voulaient J e livrer Il r sport.
_
JOli 7,-VOll9
monsieur ? demnnda Denise à
Dernllrd.
'
�74
DANS LA TOUR TÉNÉUllllUSE
- Un petit peu.
Le tennis avait été cre eeul sport ql10 l'ou ait pOl'rois à BernaTd lors de son i.n terroinalllo séjour dans
le sanatorium. Il s'y révéla d'une fON:e tr~!
a.ppréciable et achcva dc conquérir ainsi l'eslime de~
amis
de Denise.
Un peu plus tard, on roolra dans la maison pOUl'
prendre le thé.
Ce ne fllt pas sans uno violente runolion quo fiernard franchit, poUl' la prom i l\C fois dCijHlÏs si 19 n 9-
Lemps) le sc u1! de La Ch~naje.
Mais SOIl émotion était comb~lIe
pur d'autres impressIons qu'II ll 'était pas loin de trouver beaucoup
rlU5 capital s. Dien que rien Jle fût. plus éloigné
de son Canet rc quo la faluité, il sc cl mandait si
Deni se n'Ipl'ouvait {ln~
vis-à-vis (le lui d 's se ntimols ù p \1 près analogues fi ceux qll'i1 éprouvilit
vis-à-vis cl 'elle.
La vérité ,tait que Denise, trOs peu hallile à di . simulel' ses impreMio ll s, étail. incApnble d e mn1tri,er
ln joie irnmpn
qu'cDe I\vail eue à voir surgir fierHurd alors qu'ollc no l'oUcnùuit plus. Et clio joie
s traduisa it par U'IlC xubérnnc() '. Ir'a<ll'flinuil'(', d s
allurcs un peu dt-wl'donné qui montl'nienl, ouS la
.i 'ml' fille, la p lil' fille ('(U' Ile éla.it cl 'll1eurée.
Le lhé (olait l'Vi don la salle il rTlllIIger.
Dcrnul'd rclroHvn\t ju sq u'aux meubles qui nVli~
cntolll'é 0011 enfllllC'c. 11 s'était cléjli I\~ is SlIr cctl
choise, il aVilit drjl1 mangé il C 'lle labl<', .l Hl, dans
1 coin ùe III fcnêll'e, il y nvail cllcore ce hnut support qui sou tenai t u.n vuse d' f1 ur!
omtne nulrcroi.
'
11 n' pouv:dl que dirfj '!lem nt prcndre port t\ 10
conversa lion qlli C pOlll'l\uivnit out ur cl lui, [rop
ob.sorh { par 1 p n (,'~
tUllllIlLu 1I 8(,~
quI
preSs{llcnl clan s son cervellU.
�DANS LA TOUR TÉNÉBREUSE
75
Il entendit, près de lui, la voix de De:nise :
- Est-ce que La Chênaie vous plaH ~
- Beaucoup, dit-il sans la regarder.
_ Tout il. l 'heure, après le thé, on se promènera.
Vous ne savez pa à quoI point j'aime celte propriété.
- Si, si ... je J'imagine.
- C'cst là que j'ai pa&S6 toute mon enfance, en
sommc. Je velu dire toutes les vacances de mon
enfance. Mais à cet âge, il n'y fi guèTe que les va·
rances qui comptent. Pensez que j'avais à peil\1e six
ans, la première fois que j 'y suis venue. Cela va
fairc quinze 811'S •.•
Der!l!lrd ne répondit pas ct olle le crut indifférent
li cc qu'elle disnit. Elle en souffrit UI\1 peu : elle
aUl'aiL voulu qu'il sOt tout d'elle jusqu'au jour où
il l'avait vue pOlir la première foi •. Mais qU';lvaitÙ Tnconter que des histoires de petite
elle ct 'au~Jo
fille ?
Bile soupira.
- Eh 1 Denise cria Jacques, cl 'un bout il l'autre de la piè{'e, voIre thé était parfait, mais si on
retournait au tcnnis ~
Tous les jeunes gens so Jevèren l.
- Allons 1 dit Denise.
rni~
elle ne voulut pas jouer, se disant fatiguée et
ncrnnrd lui lint eompagnie. J] étai! toujours silcn·
ieux et Dcnise craignit qu'il ne s'annttyllt.
- Si on f/lisait Je tour du pro,pri6taire P dit-eUe
:-n riant, hien fJll'UITI pett inquiète sur III façon dont
11 nlloÎt oC('1! ·jlJjr sa suggestion.
- VolonliC'J' .
- Alors, j VOlJS guid .
ncrnnrd cul un souriro \In peu amer ct suivit 'la
J('IInc
mlC',
fIg rclrollvh()'Ilt frè vile le ton d'amili6 et de con·
fluT\cO qu'ils avniCJIt lors do la visite de De.ni.'le à
�76
DANS LA TOUR 'l'ÉNnnIlEtJSE
la Tour. Deni se faisait gaiement les honneurs du
jardin eL du parc. El,Ie parlait sans contrainte de
l'enfance qu'elle avait {)onnue 00 ces ,lieux, et Berna rd devai t se coIltenir pour ne pas crier à chaq ue
in stant : « Moi aussi 1 moi aussi 1 II
A mesure qu'elle parlait, il l'imaginait, petite fiHe
aux. jambes nues courant dans les aJlées où il avait
couru, grimpant aux arbres où il avait grimpé. Et
il lui parai ssa it ain si que leu11S enfances avaient été
mûlécs, que c'éta it une ancienne compagne de jeux
qu'il Tetrouvnit après t[jlnL d'années d'absence.
Les heures passa ient.
!\J . ct Mme I1éraud a'vaiellt disparu et Rernard pouvait vraiment s'imaginer que toute l'histoire qui
avait bouleversé sa vic JI'élflit qU'lin cauchemar et
qu'il s'éve illait, "ctl'ouvallt les lieux qu'il avait quitLés, avec, scurIC'ffiC/l,t une délicieu se amie en plus.
11 falJut partir.
Bernard sc oon traignil à demander fi présen ler ses
devoirs lIUX parents de Deni se. Mais il fut extrê.mcment so ulngé lor'sque celle-ci lui dit en riant que
c'rltait inutile, qu'il s ne sc formaliseraient nulJement et qu ' ils étaient sans doute partis de leur côté
'II promenuùe.
Hohert, ail moment de la séparation, ct sentant
qu'il avait qlland même CJuelque chose 0 sc faire pardonn 'J', prin l3ernarc/ devellir le lendemain au clrO.lea ll cl -s Hoches, ort toute la bande serait rassemblée.
Cc fllt ain si que Bennard sc trouva déflnitivomenl
adrnis parmi le s amis de Denise. TI pOl'uissn it avoir
plu fi lout le monel', ct, tandis qu'il pédalait joyeuSHr le chemin du relour', CCliX qu'il qwllait
8 mr~l
pnrla~e
de Illi avrc un Cil emhle dans l'éloge qui
flatlalt ogréahlcmcnt les enlim nls les plus secrets
de f)eni8 .
Le ioir d ce jour mémorable, Denise) malgré ln
�DANS LA TOUR TÉNÉBl\EUSE
77
crainte qu' 11e avait d'entendre son père renouveler,
sous W1C forme ou sous une aut re. la plaisanterie qui
l'avait tant touchée Je premier soir, ne put s'em· .
pêcilef de s'enquérir .auprès de ses parents de l'im·
l'I'e sion que Bernard av::! it prod ui Le sur eux.
Mais elJe fut slIrpri se de l'air évasif que prit sa
mère pour répondre :
- Oui, iJ a J'air d'un ga rçon bien élevé ...
QWlIIt à son père, il ne dit pas W1 mot sur ce
suj ,t ct cu t 6eulcmefl t l'air un peu agacé en
voyant a fille faire m1ne d'iosister.
Elle chercha longuement par quel déLail Bernal'd
avait pli déplairc à ses parents. Il lui semb lait pour·
Lant qu'il n 'ova it manifcsté aUC lln e de ces ({ excen ·
ll'Î cil,és d'artiste » qui auraient pu c hoqu er M. Ué·
raud. Mais el,le était au fond tror heureuse de celle
.Iollf·née pour s'appesant ir exagérément sur un point,
somme tOlite assez seconda ire.
Cerendallt, elle aurait été doulourcmcment édi fi ée
si ell e avait ru entendre la ('onvcrsatio n qui eut
li eu cntre ses parents, sitôt que, leur souhai lan l le
honsoir, clle eut gag1né le jardin pour sa promenade
noctllrne.
-.Je voi s, mon ami, que vous avez remarqué
'omme moi que Denise semble prendre un peu trop
au srl'iellx son nmi li é avec ce garçon.
- Parfaitement, ct je voulllis VOliS en parler. EUe
a Cil une nttitude qui l!1e m'a g urrc plue. Dc ma feal~tre,
je les ai VllS partir bras dessus bras dessous
pOLir unc interminable 'promenade il travers parc et
jnrdin. ail!! parler de l'in correction qu'il y avait
it n1>all<lollllCI' c 'lIX CJui, malgré tout, élaient ses in.
vi tés, jc al 'u ime Igtl ~re
celle façon de faire bande
il part avec un garçon qu'clle conlloH cn somme
Q peine el que nou ne connaissons, nous, pas du
tout ..
�78
DANS LA TOUI\ Tbd:nnEUSE
_ n lie VOU a pa' fnil bonne imprcs ion ~
_ Là n 'csl pas la que lion. .c qu 'j 1 ne faul pas,
c'c!lL que Dcnise 'prenne celtc affaire au li'ricux. Je
vouùrai que "Vou lui padi z à ce sujet.
mOIl ami, que ce ne serait
_ Oh l 'lO~(z-vous,
pa~,
ail .contraire, COUI il' le ri~ql
de donner Lrop
d'importance à ec qui n'cn a pellL-ùLrc pas encore P
gen_ .'ans doule. lais il vaut mieux arr'ler
re d'hiloires di's le cl 'hlll. Et natllrellcmenL, jls vonl
sc 'voir maintenant Ù [leu près tOIlS les jours P
_ (' -la Ill(' semble difficil il (:viter. A moins de
lui inlerdire eUI'I'l-!l1rnl de J rcyoir. lais c'c:.l impos!lihle.
Lcs dl'lI,( par 'nl<; sc 11111'111 cl sOllpir'.r nL 'rlSemblc.
Pour ln pl' 'Illil'rc fois depuis qu'ils aVllirlll nll"
('tlX Il'ul' « 'pclile DI'ni e H, il. s('nlai nI dans 1'(':11fa n 1 devcnlle fr'llUlle 1Hl(' p!'r~onla
1i Il' fi 'l1ffirmer, oppO('e ~ la Icur. IJeur!'s loujours pr'.llibll' pour dc~
purcllIA, mai'! quI' lellr adouI'il ell g{néral l'amollI'
. IllS ~p'0I,
Ille ql'i~
doi\l'nl porlN 1.1 leur cnfnnl.
1> 'nie {eparut, .000lanL dll jardin.
Tu \r1 Le cOtlcher P dt'IIIi1l1da M. 1f(.raud.
-
)1Ii.
I.e phe ('( la fill(' 'ernhra . !-rc!nL, rI 1. lJ(orallCl
miL d\l~
son Ini '!,1 11/1 pen plll dc' Irlldrr.e qu'
de coulume : il ~('ntail
qu'il nait appelé IIfI jour
11 {ai" lllU! Il ('ellc! enfilnl qll'il lIirnnil par-de~sl!
10111. ;\Ini il :I\uil dc' idc~('
tri, (t{'n\l~e
SlIr) mul'i:Ig'1' qui convrnuil ... . 11 fille 1'1 ce n'{'loit cc'rlainrJIH III pn
1111 pelit mu ici('II, pl' ,hahll'Tnl'nl dlll
le
:ou, qui aIl dl, par li l'ulll (·xi . I(·1l 'c, bOIl)ey ner
(' • i dl~'
.
\)l'ni l' 1II0nli cl HI ,\ r.llllrnhn' , nl~
ln nuit ('Illlllf', il!. ('1 \Inll' Il''rand n ('or1lfl\t'rll'Il'l'nl Il (di/il'!' Il'
bOllhl'u{ de J"lIr fi Il!', ct ilcll1hlni 'Ill ne pu S.lloil' qllr Ic ·JKlllhClIr Il millc forme! ...
�DANS LA TOUR TI~NÉDREU!J
79
CHAPITRE VI
FIANÇAI LLES
Celte {Jn du moi s d'aot'Jt fut, clalns la vie de Ber:
nard comnlc dans rclle de Denise, une période si
helle que rien ne put jamais l'égaler . JI leur srm!Jlail chaqlle jour Jllvullt ngc que le monde enlier
s'cffaça it et qu'cux seuls c)(i ~ laien.
Il s se voyaien t, commc l'uvait rrclouté les parcnts
de Deni se, 1\ pell près tous les JOUl's. Bernard prenait part il toutes les exrur ions, li tous les pique-
niqucs.
gens un mot n'Huit
J Il mais en tre les deux jf'une~
été écllan{2'f! qni exrrimf tt nclfcm enl leurs scnLimcnts. M.1i ll C]u'avili cn l-il s il faire des mols PEst-i l
et de phraReg IOlltes faites, pour faibesoin de mot~
proclam aient le moindr e de leur
que
cc
re
re entend
sourire , ,l a plus fugitivc expressioJl de leurs regards P
Il s s'a imai ent, simple ment ; ct sc voir chaque
il leur bonheu r. Il leur semhla it que
jouI" s \J(fj~lIit
cot été rlendid e Ile finirait jamais, et lorsque , fugitivem ent, les effleura it la pensée qu'un jour vien-
l'érarta ient,
drait 011 il faudl'a it se dirc adipu, iJ~
a hle.
irrrAlis
comme on ér'[lrtc 1II1C idre folle,
er le
favori
(,llt
eemhlai
tnllccs
Et tOlites I('H circon nfllour,
mutuel
v
1('lIr
de
d6 eloppcI1lcnt
])l>~
Ic lentlern oi n de la prcmit' rc visite de Der-
r.
étaÏL pllrti, rappl'Ii: d'urgen rc li
... i prnil,le au jeunc
En sorte que lia pr~elc,
Pari~.
ée.
épargn
e
t
i
u
~
de
tout
fut
homme , lui
nard,
J){TIlUd
�DANS LA Toun TÉNÉSREUSB
D'autre part, les so upçons de Mme IIérauù s'endormirent.
Un sûr in sLinc t avait averti dès le début Dc:nise
que sa mère élait hO'We à cc qu'elle oppelaiL encore
so n « amitié» pour Bennarù. Aussitôt, sans effort,
el flou ssée par le seul besoin de défe ndre un sentimen l qui lui paraissa i t don ner toul son prix à sa
vie, el,le s'étail ingéni,ée à Saire paraître ceLLe amitié
sous les d ehors les plus rassnranLs de la camaraderie.
Il n 'y avait pa s là tromper ie rOll pable de sa part.
Elle son Lait qu'on étnit prêl à l'altaqller don s cc
qu'olle avait de plus cher: elle se défendait simplement, avec l'arme la plus s ûre que la nllture ait
mis au cœur des femmes: la Tu se.
Bcrnard venait très rarQment à La Chênaie : il
avail compris, lui aussi. que Mme lIérUlld mal g ré
J'admiratioll fJu'elle avait poliment professée pOlir
~o n
Leau talent, n'éprouvait pas de sy mpalhie pour
lui. Comme il n'en avait que fort peu pour elle,
3' imaginant, Ù lort ou à ruison, qu'elle avait été la
('omplicc de S'H I mari, il S'C il so ucia it mérliorromcnl,
el évilnit seule menl, dnn s 10 mesure du possible, de
s'expo cr aux lrails Ilcérés de lu chalelaine de La
Chênaie.
Mai s celle demi-abs l!l!nLion Ile le gênoil guère.
Les jOllrs où il ne pouvaiL voir Den ise, il lc!]
"onsacraÎt presqlle e nlièrement n la mu sique ; 011
hi 'n, enfourchant sa bicy lelLe, il nllait Tendre yi.
,ile n J'abhé Floquet.
Le 'Vrnérflble ('uré de Sninl- 'I ichcl suivait avec lIn
peu d'inquiétllde Je dév loppem nl de l'amour dc
Bernard pour Deni sc. 11 o nai
~"a il
Mon 'i Ill' B é·
l'o lld mi 11)( qu'il ne l'ovnil dit n Ikrn ill'd, cl il reIouLait de cIL' natllre dur cl ferm ée UII refus rnlégo ricl1Je, qllÎ e(H mis fin au r~ve
cor lIÛ pnr les
deux jeunes gmls. ( nr il ~I
faiSlJiL ,pa'! do douLe
�81
nANS LA TOUR TiNiD'RBUSE
pour lui que Deni e ne fût toute prêle à répondre à
l'amour de Bernard.)
JI aurail vouhl) sinon ramener le jeune homme
il une vue plu exacte de la situatioll, du moins le
POUS l' à s'enquérir des inlenlions des parents de
Deni e . Mais il n'osait trop insister sur ce point, trop
heureux de .voir que l'amour avait chassé du cœur
de nernard l'affreux enl im ent de haine qui l'occupait toul entier, si veu de temp. auparavant.
Et puis, il c ré erva it, au as où mon ieur IIéralld e serait monlré par trop rélif, le droit d'inlel'v ni1', el de montrer au pi're ct à la m re de Denis , la r ponsnlJilité qu'ils a sum raient en s'oppo~ant
au lJ<lnheur de leur enfant, alors que ce
bOllheur rev~lai
un e forme si IrgiLime .
Ainsi passaient les jours, à ln fois rapides el inl 'rmillulJles, comm
pa " ent lc~
jours de vrai
bonheur,
Cc fut Hoberl qui décida le -premier ùe orUr de
cet étal d'expectative, cl de formiller, cn mol pré('is, cc qui lui empli ' ail le ('œur, et que Deni e
avait si hi n
mpl'is.
II y ful amené par un incidcnl, minime en soi,
mai qlli ]'r/Oul profondém nl.
Au COlifS de l'un des pique-niqu 'S hebdomadaire
qlle Hoherl organi~l
avec un ûle infotigable, il!l
entrrl'enl, pour sc rnfra1rhir, dAm lIne auberge de
village, I/~
1 mhrrenl I1U milicu (J'une noce villaparcnt~
de rnnrir"", avec cette honrne
geoi c, 1 lc~
grâce dont le. cnmpngnes ~ mhlenl êtr le dernier
r fllge, 1 ~ prirn'nt de « trinquer )) avec ~u'(
la
nOIlHnUx rp<!II'<. Ils prircnl porl, an se
. nnt(o de~
fai,' prier,:1 (''1 r(ojolli", ane '1 vi"ngeo~,
cl Hoberl, lOlljour plein d't'nlrain, devint rn quclqll instanl' lout
fail intime avec le p:\r de ,la marié , ..
1.0 honhommo, qui avaiL noyé dnn lin nombre
l'
l'
�82
DANS LA TOUR TÉNÉBREuse
très respeçtalIe de Yt~res
de ,' in le chagI"in de se
séparer de sa fille, en vint à des con8idérations goo6ral~s
sur le mariage, puis, restreignant wudain le
problème, demanda avec insistanoe à Robert pourquoi il ne se mariait pas. Puis, Mns otlendre de réponse, :hl désigna Denise qui se trouvait ù côté de
Robert, et di t :
- '[enez 1... Voilà juste la femme qu'il vou~
faut... Allez, mariez-vous vite, et llOUS irons tous il
votre noce ...
Robert et Denise rirent de cetle suggestion, 'mais
Bernard, qui assistait à celle s<:ène, en fut assez '
louché.
II fit soudain lu réflexion qu'après toul, il se pouvait forl bien qu'il [le
l pas le ~cu l l' avoir été
ému par 10 charme de Denise. Parmi. tous ces ,jeunes
gens qui l'en touraien l, parmi ,l es ~m is fi lie Denise
avait ù Paris, et dont c1Je parlait quelqucfois, pourquoi n'y cn aurait-il pas UII qui aurait voué fi la
jeune fille de~
5t'lIlimcnls analogues à ('eux dont
Bernard se sen lait p"n('lré ?
A peine celle idée l'cul- elle cfTleuré, quo nernlU'd
cul l'impress ion que son nmour était menacé, ct couraiL un p6ril morlel. JI lui scm~IJit
q1le tOIlS les jeunes gClls qui n vaic/1 t approché Den ise élfllen t anlillll
de rivaux possibles. C'flait, Q surémenl, par une
sui to de lusards e. lraordiIHlires que Deni e TI 'était
encoro ni mariée ni nanct1c. Compter plus longtemps
sur ce hasard !crnit d'Ilne imprud nee c/'iminrlle.
Et sa conclusion fut qu'il importait de lran~o.
mer dnns le plu~
bref délai cc fiilllçailJrs laciL s
~ quasiment officielles, ou,
avec Deni sc, CTt [jançilr
AU moins, dÛment enregistrées par leuI' muLu 1 eonenlement..,
Les circonslllJlces dans Je quell sil!! 80 roncontraienL rendaient évidemment assez difficilo Un en-
rû
�DANS L A TOUll T ÉN É n llEUSE
83
tretien d u genre de cel ui q u e Bernard se pro posai t
d 'avoir avec Den ise. l'Jais cela n e po uvait l'arrê ter :
il c herc ha seul em eIlt le moye n de créer des circon'S tances qui fu ssen t plus fa vo r ables .
H n'eut g uère de peill e à les ima g iner.
De ruis lon g temps, il proj e tai t d e r ece voir ch ez lui,
à la To ur, Denise e t ses am is. Nul do ute que là, dans
ce cadre, il o e lrouvâ t m oye n d e s'i ole r a vec Deni se p o ur lui dire ce qu'il avait à lui dire, et recevoir sa r é po n se, répo n se q ui, :pour lui, n e pouvait faire au e Wl d oute .. .
Dès l o r ~, e t sa ns en r ien con fi er à perso nn e, vo ulant leur fa ir e un e surpri se co mplè te} il commen ç.l
à pré pa r er sa « récep tion ».
So n ima g in a ti o n, mi se en branl e, deve nait pro dig ie use . Il vo ulut o rga nise r la soirée ln pl u s granJj ()SC qu'on pût rêver. Le ca dTe do nt il di posait s'y
prê tait ad mirn bl emcllt , e L pu i8, n e s ' ngiRsa it-i1 pas,
e n so mm e, d an s son espri t, d'o rga ni ser la soir·ée de
!les fi a n ça ill es P
Il prév it u ne l'Girée, avec « emhrasem e nt d e la
1'0 111' », Ceu d 'ar lifi ce, b al sur la te rrasse et souper,
au x bo u g ios , d a ns ln ail e d Il r ez- de-c hau ssée.
JI lui fallut plu sieurs j ours p OU f Caire v enir tout
çe qui lui r laiL ll éccRsn ire) la nt e n v i vr es qu'e n fu sées c t feux d e ben gale.
Enfin , ,l orS(1I1C to ut fllt prè l, il la1n ça ses invitalio n s, qui furc nt occeplées avec b oo ucoup d'enLhous ias mc.
Cc Cut 1111 sn lrl ed i soir - le d er ni e r Ilom edi d'noM
fil le, S11 r le (,() 11J1 (le n euf heur~,
les a utos arneli ère nt ;1 la Tour la ha nd e arco llll1 nlf\e.
JU ~fl lJ' flt\
dl'mie r m o m e 11t , B e~ n a rd
ava it Crémi, à
]a pe ll s(.e q\1'un em pt'e h eme n t im p r(.v u e ôt pu surgo ir , Je privallt d e ln p r6e f1 eo d l' De nise. JI n e fut
pl ein em nt rass uré que lorsqu'il ln vil descendre,
�84
DANS LA TOUR TÉNÉBREUSE
sourianLe, et (,ouLe prête à s'amuser, de la voiture
que condui aiL Robert.
TouL de suite, on commença à s'exolamer devant
les préparalifs opérés par Bernard.
Il il vait soigneusemen t balayé la terrasse) pour que
l'on pût y danser; la petile pi èce du clavecin avait
éLé transformée en salOll1 de bridge. (La table de
bridge élait constiluée par une planche posée sur
deux tréteaux) . Enfin, dalDs la salle du rez-de-chau ssée , où, lors de leur première intrusion, Deni se ct
ses amis avaient dansé, un couvert se trouvait mi s,
Sllr ulle table ehargie d'aulre part des spécialités
allé chantes du pays) de bouleilles vénél'ables ct de
friandi ses de touLes sortes.
On poussa lroi s houl'l"ah s n l'honneur de l'hôlo
magnifique, ~t la soirée commcnça.
La tcra
s~e
éLail éclairée par l s phares des voilures. (La perspec live de « décharger les accus»
n'nrrNait personne.) Le phono de Hobert, posé S1ll'
lIne cais~e
dont Bernard nvaiL savamm cnt étudié la
réso nnance , fit entcndre ses noles qlli parai saient 1111
pell g r!!l s, t Bernard ollvri l le bal avec Deni se.
,Jamais li e ne llli avait emb1 6 plu s belle. Et jamai , IP nsa il-i l, cc que OH ame Il vni t d'exqui s ne
'élait in scrit SUI' SO li vi 'ag en trait si d éli oa ls.
L'éclairage de la terra se donnait à cc bal en plein
ail' qu elque ch se d'a ez fanta stique, et ramenait
fatalement ln pen ée d Delli se , ' mme elle ùe Bernard, à ce soir où il s s'élnient vus polir la premi re
foi s, où il s s 'étai nt dressés l'un devant l'autre, presque en ennemis,
Que ùe chemin par ouru d epui s lors !
h min j n hé d e ro es du souvenir ,t dont ils
pouvaient mesurer toute l'importanco ~u
bonheur
qu'il s éprouvai 111 à dan ser en semble, leurs esprils
m êlés et conforldu s dàns lUle pensée commune.
�DANS LA TOUR TÉNDREU~È
85
La nuit était très douce, après une chaude JOUTnée ; il n'y avait pas de clair de lune, et le monde
entier paraissait s'être effacé, en dehoTS de l'étroit
espace brutalement éclairé par les phares. Cela accroissait l'impression charmanle qu'ils avaienl Lous
deux de 'viVTe un rêve, un rêve merveilleux, sans
prolongements inquiét.ants, et tout entier compris
dam les minuLes qui s'écoulaient, dans l'élroit espace qu'il leur faUait pour danser, danser encore,
sans sc lasser.
Leurs amis dansaien t presque en silence, pour ne
pas couvrit' -la trop faibŒe voix du phono. Et ce silence, rompu seulement par les noles joyeuses ou déchirantes des rumbas et des tangos, achevait de do.nner à la fêle le caractère même que Bernard avait
rêvé de lui donner: lllle gaieté contenue, ct presque
grave, qui symbolisait à merveilJe le sentiment qui
occupait son cœur.
Pendan t une pause du bal, Bernard consulta ses
amis SUl' le point de savoir s'il convenait d' « embr3ser la Tour» et de lirer le feu d'artifice avant 011
après le souper.
L 'opinion géJl~
' ale
ful que les illuminations devaient précéder ]e souper. Jacques, qui semblait conlIaître son cl\lendrier sur le bonl du doigt, signala
- argument décisif - que la lune se levait ceLLe
nuit-là fi minuit vilIlgt-sepl, et quc son éolat ne
pourrait que mlÎre il elui du feu d'artifice.
- klofs, aLLcnLioll, dit Bernard. hllez jusqu'au
/pi d de la Lerra se, levez le lIez, et vous allez voir
e que vous I\],lez voir 1..,
Puis, comme Denise s'apprêtait à suivre se ami
t à quiller la terrasse, Bernard lui miL la main sur
le bras.
- Venez avec moi, Denise, lui dit-il. J'ai besoin
de quelqu'un pour m'aider.
�86
D."-NS LA TOUR TÉNÉBREUSE
On avait éteint lcs phares, et J'obscurité était si
profonde quc l'on distinguait à peine les visages, et
les taches claires des robes.
Bernard et Denise demeurèrent un momoot côte
à côte, silencieux. On entendait s'éloigner des rires
et des voix. Denise ne pouvait voir les traits de
Bernard, mais à la façon dont il l 'jlvait retenue et
dont il lui avait parlé, elle devinait que quelque
chose aUait se passer.
Et son cœur baLtait d61icieusement.
- Monlons, dit Bernard.
Ils rentrèrent da11s la salle, et Bernard! prit sur la
table urne bougie qu'il alluma à la flamme de son
briquet. La lueur vacillante emplit la pièce d'ombres
et de reflels étranges.
- Venez, dit-il enc-Ore.
Lorsqu'ils furent au pied de l'escalier, il tendit ln
main à Denise, pour l'ai deI' à monter sur les marches un peu tremhlantes. Denise mit avec confiM1ce
sa petite main dUllS celle qui s'offrait à elle) ct ils
montèren t en silence.
Sur chacune des ouvertures de la Tour orientées
vers les speetaleurs, Bernard avait disposé cinCJ feux
de bengnle, reliés par des mèches, et établis de telle
sorle qu'ils dussent s'allumer successivement. Gela
réduisait beaul;oup ~e
travail des artificiers.
Rapid ment, Det'nard approcha sn bougio des mèches qui pendaient. En un instant, le feu se propagea, et les premiers feux s'allumèrent.
Des cris do comp.laisante admiratioo s'élevèrent.
Bernard demeurait silencieux.
- Je ne VOllS ai pas e:ncore été d'un grand secours, dit Denise, d'une voix qu'clIc s'efforçait e
rendre enjouée, mais qui cachait mal sa profonde
6motion.
AJors, Bernard se relourna vers elle.
�DANS LA TOUR T~NÉBREUS
87
Us ee regarùè ren t un marnel l t, fan tilstiqucmen t
éclairés par les lueurs ohange antes des feux de bongale. 111> e regarda ient et souriai ent. Bernar d reprit
la main de Denise, qui b. Jui abandoDt18, en dé-toul"nant légèrem en t la tête.
- Denise, dit-il) mon amie ... Est-ce que vraime nt
vous ne vous doutez pns des raisons pour lesquellès
je vous ai demand é de venir P
Denise reu10nça à feindre : il lui eut semblé
qu'en ce momen t, jouer la comédi e étaU indigne
d'elle.
- Si, Bemar d, dit-elle. J'ai pensé que vous vouliez me parler ...
- Et vous savez aussi de quoi je voulais vous parler P
- Je crois que oui, Bernar d ...
Elle le regarda it. sans timidité Qucune ; mais son
visage était grave. Elle était très émue) mais sûre
d'elle. Elle attenda it avec confia,11ce les mots qu'alla it
dire Bemard , et savait que la façon dont elle y réIpondra it, engage rait sa vie enlière .
Et leur dialogu e fut cc que devait "tre, entre deux
cœurs ardents et pnrs, l'aveu d'un amour partagé
- Vous savez que je voUs aime, Denise P
- Je le sais.
- Est-cc que vous accêpleZ cet amour P
- De tout mon cœur.
- Deni e, est-ce <lue vous voudrez être ma IemmeP
- Je n'ai pas de plus grand désir au 'monde.
Ils parlaie nt simple ment, gravem ent. Ce qu'ils disaienl, ils l'ava.ient si ouvcnt murmu r6 dons le secret de leur onscien ce <]u 'il leur sembla it seulem en t
poursu ivre une convers ation depuis longlem ps engagée.
L'aveu qui vc.naH de tomber des lèvres de DenIse
�Il
88
DANS LA TOUR TÉNÉBREUSE
inonda l'âme de Bernard d'une joie pure ct profonde.
Mais Denise avait encore quelque chose à dire, et
eNe le dit, avec la même simplicilé el la même franohise qu'elle avail mO.nLrtes jusque-là .
- Je veux que vous sachiez ceci, l3 ernard. Oui,
de loul mon coeur - d '00 coeur qui ne se reprendra
jamais - je veux être votre femme. Mais apprenez au ssi que je ne désobéirai jamais à m es parcnbs. C'es t à eux qu'il faul que vous me demandiez, Bernard. ..
- Pourquoi me dite.s-vou8 ccla, Deni se P Esl-ce
que vous craignez ... quelque chose P J'ai déplu à
vos paren ls P
La jeune fill e eut un geste évasif.
- Je ne sa is rien, Bernard, absolumont rien .. .
Déjà, l' blouissant bonheur qui avait frappé Dernard s 'éJoi g nait. .. Déjà, il fallait rentrer dans la vie,
la vic réelle, avec ses troubles) ses inquiétudes et
ses angoisses .
Les derniers feux de bengale s'é tei g>naient.
- Mon Lon s encore, dil Ber nard. 1] leur faut le feu
d'arlifi ce, mainlenant.
H souffrllil de devoir s'occuper de cela, alors qu'H
avait lanl de chose à dire encore à Denise, t;lnt de
choses aussi à lui demander.
Il lui rorril la ma in pour gravir le dernier étage,
donll'escalier menaçait ruine plus encore que l'autre.
115 parvinrenl sur unc t e ra !'~ e herbue. Toutes les
fu sées cl les pit'ces avaien t été dressées avec soin.
Deni se J'aida comme elle put, à faire partir Je feu
d'nrtif] ce . A chnrlue fusée, on entendit les cris ct les
rires de ceux qui reg-ardnicnl.
Lorsllue la derni ère pi èce eul été tirée, Bernard se
rapprocha de Deni se. Il éprouvait une grande joie
mêlée il une grando incTuiétud o, Les der ni ères paro-
�DANS LA 'l'OUR T~NnDREUSB
les de la jeune fille avaieut eu un douloureux retentissement dans son coeur, el il en vowait un peu à
la jeune fiUe de les avoir prononcées, mêlan t ainsi
les nuages de l'inquiétude à la pure clarté du boohew'.
- Denise, êtes-vous heureuse ? demanda-t-il.
- Comme je Œle l'ai jamais été .. , Comme je ne
croyais pas qu'on pût l'être.
Craignez-vous vraiment une opposition de la
part de vos parents P
- Je ne sais pas ... Mais j'ai peur, comme quand
on os t trop heureux ... J'ai peur de me réveiller,
Bernard, comme dans les con les, et de ne plus lrouver à mon réveil ni cette tour enchantée, ni vous ...
- Mon amie l..
Il sc pencha vcrs ses mains qu'il tenait dans les
siennes, et y mil un long ct tendre bai cr.
- Mai.ntenant, il faut descendre, Bernard ...
- Oui, Deuise, dès demain je parlerai à volre
père. )] sera 1à, ri' es t-ce pas jl
- Oui. Il doit arriver avant la messe.
- J'irai chez vous dans l'après-midi. ..
Hs n'échangèrellt plus une paro.Ie jusqu'à ce
qu'ijs fu ssent arrivés en bas. Seulement, Bernard
avait pas'sé un bms autour de la taille de celle qu'il
con sidérait comme sa fiancée, el l'aidait à descendre
les marches branlantes. Et Denise s'appuyait avec
confiance sur ce hras fort ct doux. Elle aurait voulu
s'y appuyer pour sa vic enlière.
Les alltres s'étnient remis à dan ser.
Bernard, aidé de Deni se, alluma les bougies de la
salle du souper. Comme minuit soon;lÏt, on se mit
à ln bIc.
Ce rut un souper mémorable. Tout le monde fit
honneur aux vins généreux, aux pâLés de foie inégalables, aux galontines savamment truffées. La gaieLé
�DANS LA TOUR TÉNÉBRBUSE
et l'entrain ne faiblirent pas uu instant; on dansa
encore .a près 10 souper ; et les hôles de Bernard ne
prirent congé de lui qu'aux environs de trois h eures
du matin.
Après d'e nouveaux « houl'rahs » adressés à l'amphitryon, los voilures s'éloignèrent. Bernard demeura sur la terrasse jusqu'à cc que leur grondement se
fût perdu dans la nuit. 11 . entait encore SUI' se&
doig~s
la dernière pression de la main de Denise.
CIfltendait enCOTe le tendre adieu chuchot(\.
Dans l'enthousiasme où le plongenit so n amour,
il oubliait la vague menace qui pesait sur son bon.
heur. Il ne voulait pas y songer. Il lui ~emblnH
qu'aucune force humaine ne pounait plus, jamais,
le séparer de celle qu'il avait choisie, ù qui il voulait consa'c rel' maÏJJllenant sa vie.
Il demeura longtemps, longtemps, sur la haute
lerrasse de la Lour, qui avait été témoin dll premier
ùaise r posé sur la do uce main de Deni e. Il ne pouva i t se lusser ct 'imagi nrl' le charmo de ret instaT) lEt loI' que, vai nel! par la fal igue, il se décida à
regagner sa chamLre, les premi ères lueurs du soleil leva nt rosis aion t déjà les vieilles pierres grises
de la Tour.
n
CHAPITRE VII
ESPOIR,
DÉSESPOIR.
Aimi qu'il le fai sa it maintenant, chaCfue dimanche, Bel'Ollrd passa en compagnie de l'!l.bbé Floquot
la demi-heure qui pr&éda la rnc s~c .
La confiance qu'il avait dans le prêtro, ct la paterneLle affection que celui-ci lui portait, l'uvaient
�DANS LA TOUn TÉNÉBnEUSE
91
poussé ù lui raconler ce qui s'était pasoo au cours
de la nuit pré éden te. L'abbé Floquel frémit : Jes
événements avaient marché plus vite encore qu'j,J ne
l'avait pensé et le moment était venu où allait se
jouer le sort de ce garçon qu'il s'était mis à aimer.
- Avez-vous dit à .\Jlle ll&aud qui vous étiez cxactement P dit le prêtre.
- Ma foi, non 1 Je n'y ai pas songé, répondit
naïvement Bernard. Mais qu'est-cc que oela fait P
Elle m'aime. Dans tous les cas, vous pensez bien que
je ne lui paderai jamais de la vilenie que son père
a commise à mon égard.
- Mais, ce soir, vous com1ptez bien dévoiler votre
vtl...rilable iùenlité à ~1.
IIéraud?
- Nature1loment. Mais s'i] n'est pas un bandit définitif, el j'ai peine il croire, maintenant, que le
père de Denise soit un homme de celle sorte, ce ne
sera IP our lui qu'une raison supp,l émentaire de
consentir à un mariage qui réparera en partie le
tort qu'il m'a causé.
Le prêtre ne répondit pas à cet argument. Connais ant le tempérament extrêmement nerveux de
Bernard, il était 6pouvan té à la pensée des ravages
que pouvait faire chez le jeune homme un refus catégorique de M. Jléraud. Et achant d'autre pUTt le
goût extrême que M. IIéralld avait pour j'argent, il
envisageait Ce refus comme extrêmement probable.
D'autre part, il savait que Denise, quelque douh:ul'
qu'clle pût en éprouver, ne transgresserait jamais
la volouté de ses parents.
Aussi, il voynit s'amonceler les lourdes nuées du
drame, ct la calme confiance du jeune homme lui
sona il 1e cœnr.
- Mon enfant, je vais prier pour vous, dit-il.
Mainlenant, la SOTtie de la messe s'effectuait sc-
�92
DANS LA TOUR TÉNÉBREUSE
lon le rile accoutumé. Bel'll1aTd était un peu pâle
en s'inclinal1Jt devant Denise.
- MonsieUir Héraud est l?l ? demanda-L-iJ tout de
suite.
- Oui. Il csL arrivé cc malin. Tenez, il cause, làbas, avec maman eL Robert.
- Je vais lui demander à quelle heure je pourrais me présenter à La Ohênaie.
- Bernard 1 murmura 1;1 jeune fille. Je voudrais
tant 1
- Que craignez-vous donc ? dit Bernard avec un
sourire pleia d'assurance. Savez-vous ce que vous devriez faire, Denise P Cet après-midi, pendant que
je serai à La Chênaie, vooez donc ici, à la cure.
Monsieur le curé est au courant de tout...
Elle le rcgarda avec sunprise.
- Oui. C'esL un très anC'Ïtm ami. n' m'a donné
de très bons conseils. Vous n'êLcs pas fâchée que j e
le lui aie dit?
- Toul cc que vous fai tes est hien fait, Bernard,
dit-elle doucement, avec une docilité qui attendrit
profondément Bernard.
- Eh bien 1 c'est chez lui que je viendrai vous
apporter la bonne nouvelle.
Denise ne put lui répondre que par un long regard, tout chargé d'amour et d'eRpoir : M. I-léraud
s'approchait d'eux.
Celui-<:Ï ava il été rassmé par ,les Jct~res
de sa
femme, cn cc qui concelmait les sentiments possibles de Denise pour Bernard!. Aussi, se montra-t-il
lou t de sui te plein de cOl'diali té en vers le jeune homme.
- Bonjour, cher monsieur 1 dit-il à Bernard qui
le saluait. .Allors, vous vivez toujours en ermite au
fond des bois P C'est très bien, vous êtes lm sage.
Croyez que si je pouvais me payer cc luxe 1. ..
�IJA ' S LA ·tOUR TfNÉnREUSE
93
Bernard ne put s'empêcher de sourire. Il s'éton!laiL ùe constaler que la pr6sen-ce de l\l. lIéraud ne
lui cau ait plus aucune r6pulsion : il ne pouvait
pl us voir en lui que le père de Denise.
- Figurez-vous, poursuivit ce dernier, qui semblait décidé à être aimable, que j'ai eu l'oocasion
de parler de vous
- tout à fait par hasard 1 avec un de mes amis . très bon musicien . Ji]. vous
a entendu el m'a fait de vous un éloge magnifique 1
- Vraiment, monsieur P
- l'lIais oui. Et H m'a dit que vous aviez un avenir splendide. Les oreilles on t dû vous tin ter.
Ce que i/1e di sait pas M. lIéraud, e'e t que, dès
on retour à Paris, il avait fail sur Bernard de LesLange une rapide enquête. Il n'avait pas a;ppris la
véritahle identité, que beaucoup des amis de TIernard ignoraioo Leux-mêmes, d'ailJeurs. Puis, les lettres rassurantes de sn femme lui avaient fait abandonner ce genre de rechcr{;hcs.
Bernard MaiL ravi de ce qu'il entendait, nOlO par
vanité mais parce qu'il lui semblait qu'après cela
sa cause serait pl us fa{;iJe à p'laider.
- Je suis tout à faH enchanté qu'on vous ait
parlé de moi en ces termes, dit Bernard. Mainte- ·
nalnl, monsieur, voulez-vous me dire li quelle heure,
cet après-midi, je pourrais me wésenter à La Chênaie sans vous déranger. Je voudrais avoir un entretien avec vous.
Bernard avait prononcé sa phrase avec beaucoup
d'as lIranre. IJ J'avait longuement préparée et sc
tJ'ouvait forl soulagé d'avoir pu la placer.
- Un enLre li en avec moi P ,'épéta M. IIéraud d'un
Lon surpri . Mais... 11 quel sujet, cher monsieur P
- C'est tout ft faiL personnel, monsieur. J'aimerais vons voir ft La Chênaie.
M. Iléraucl fronça les sourcih, mais comprit qu'en
�04
DANS LA TOUn TllNÉBBEUSF.
ce moment il ne tirerai t rien de plus de Bernard.
Toutes ses craintes lui revinrent d'un coup, el il
se demanda si sa femme ne s'étail pas montrée
étran D'ement aveugle.
- Eh bien 1 mOll sieur, puisqu'il en est ainsi, vous
pouvez venil' n La CJJênaie vers trois heures. Je
vous r ecevrai.
- Je vous remercie, monsieur.
Bernard salua son in tel'Iocuteu l' et le quitta aussitôL. Il avait élé troublé par le nuage de mécontenlentement très visible qui é tait ŒJassé sur le front
ùe M. IJ é l'aud apr~s
qll'il eut formulé sa d emande.
H se mêJa en suite au groupe de ses amis, pui s
ceux-ci se di. persèren t ct Bemard rejoigllÏl l'abbé
Floquet avec qui il devait d éjeuner cc jour-là ...
Le l'cpa s, à peu près sil en cieux, fuI asser. vile expédié ct Bernard a ttendit uyec impatience l'heure
de paraître au châ teau. li fumait n erveusement,
mardtant dan s le j ard in d e la cure aux cêM I! du
cm é ci e Sa illt-Michel qui l ,~ rJait
d e l'intéresser pllr
l 'évocaLion de vieux souvenirs.
Mai s Berna rd ne se laissait pas di straire de ses
préoccupations. A meSUTe que l'beure avançait, sa
l>wlc COll fiance sem hlail l'abandop.ller, flL il pal'aifsa it en proie au pJIlS /l mer pessimi sme.
Le moment vint en fin où il put partir. L'abbé
Floquet l'emlJrass(l affeclueusoment e l le suivit longtemps des yeux, marchmlL vers sa destinée.
Bernard, d ès son arrivée au château, fut introùui t ~)nr
un ùomes lique dans une peU le pi èce qui
serva it d e hurea u à M. nrrolld pcndolllL ses éjolll'g
à Lu Ch~naie.
Il fut s0l11ag6 en nc reconnai ssalll t
Qu cun d es meubles qui l ' nlollruient. Il lui semblait
qu'il aurait cu plus de difficultés Il parler au milieu
des té mo in s muets ci e .~()n
rnfan<'e.
Mais il n'cul pas ]0 temps d e faire bea ucoup do
�DANS I.A TOUn TÉNÉnnEUSE
95
remarques. La porte s'ouvrit bientôt, et M. I1éraud
parut. n n'avait plus du t{ml lu cordialité dont il
avait fait preuve le matin même.
D'un gesle assez sec, il désigna un fauteuil à
Bernard, qui était demeuré debout au milieu de la
pièce, et s'assit lui-même derrière 80n bureau.
- Asseyez-vous, monsieur, dit-il. Et maintenaut, je vous écoute.
Mais ceLle enlrée en malière assez peu engageante
ne démonta pas Je mailn s du monde RernaTd. JI se
sentit, au contraire, très maîLre de hd. Il commença
d'une voix ferme:
- Monsieur, je crains que vous He trouviez ma
visile un peu rapide. N<luS nous sommes, CJ1 effet, très peu vus, el vous lI1e VOllS connaissez pour
ainsi dire pas ..Mais il s'agit de ... de madomoiselle
votre fille ...
Le visage de M. Héraud sc figea soudain en une
expression glac iale. Ainsi, c'étail bien ce qu'il avait
craint. Tl voulut cependant en acquérir une certitude absolue
- De ma QJ,Je P dil-il. Bien. Poursuivez, monsieur ...
Ce ton glaça le eœur de Bernard.
-- Vous ne serez sans doute pas surpris , poursuivil-il, si je vons dis que, presque dès le premier
jour où j'ai eu le bonheur de faire la connaissance
de mademoiselle Iléraud ...
M. 11é,'au l. leva la main d'u~
gcele si net que
Ber,nard, surpris, s'anêtn.
- Je pense qu'il est inulile d'aller plus loin. Vous
aile?:, je p"ésume, me demander la main de Denise ...
- ' Monsieur ...
- Et. c'est une démf\\'{'hc gue j'amuis beauconp
voulu vous épargner... Mais il fnut quo vous S8-
�9G
DANS LA TOUR '1'ÉNÉDRBUSB
chiez lout de suite qu'il n'est absolument pas question de marier Denise. Sa mère et moi la trouvons encore infiniment trop jeune ...
Il sembla il Bernard que son cœur s'arrêtait de baLtre. Le ton de M. lléraud lui faisait assez comprendre qu'il s'agissait là d'un refus poli, mais, sans
doute, définHif. Cependant, il lui eut paru indigne
de lui de reconnaîlre sur-le-champ sa défaite.
- Monsieur, dit-il, celte question d'âge .. .
- .Je regrette que vous insistiez, monsieur .. . Vous
ne m'avez vraiment pas compris P•••
Le ton était si insullant que Bernard eut de la
peine à se contenir 1JJ sentait bouillonner et monter
en lui une de ces colères effroyables qui le secouaient
parfois lout entier. il s'efforça de se souvenir que
cet homme était le père de Denise. Il fil un nouvel
effort :
- Je comprands bien, dit-il, que cela est une fin
de non-recevoir. l'vIais Denise m'aime ...
M. lIéraud bondit:
- Qu'osez-vous dire P Voulez-vous dire que vous
avez parM de votre démarche il ma fille ~
- Je n'ai aucune raison de m'en cacher, monsieur. Et je trouve cela assez natureL ..
- Naturel 1 Vous trouvez cela naturel
M. lIéraud élait vi iblcment en proie il une très
violente irl'ilation.
- Vous m'ohligerez li vous dire certaines choses
que j'aurais voulu vous épargner, continua-t-il. J'ai
mes projets, en ce qui concerne le mariage de
Denise ... Je sais exactement ce qu'il lui faul...
- Vous failes salllS doute allusion li une queslion de fortune ? dit TIernard
Il élaÏl devenu horrihlement pâle.
- Peut-être, dit 1\1. Béraud. Et vous ne trouvez
sans doute pas étrange . qu'un père se soucie de ces
�DANS LA TOU~
97
TÉNÉBREUSE
questio ns, lorsqu'il s'agit du mariage de sa fiUe.
Bernard s'était levé et, les lènes tremblantes, s'approcha de son ÎlnterJocuteur.
- Il cs t exact, dit-il, que je n'ai pas bellUOOu,p de
fOI'lune à offrir à ,MUe Héraud. Je pourrais vous dire
ce qu e vous avez dit vous-même ce malin, que je
peux acquérir une très belle situation musicale.
Mais j'ai mieux que cela à VOUi dire ...
Il fit encore um ,pas vers ,M. Héraud.
Savez-vo us qui je sui! P dit-iL Le savez-vous ?
- Mais, Monsieur ...
- J e suis Bernard de B'lesle, dit-iIl, lentement et
sans quiller des yeux le père de Denise. Bernard de
Blesle... Et je suii ici chez moi, et vous le Sjlvez
bien ...
Bernard s'attendait, vaguement, à voir monsieur
IJéra ud pâlir el !e trouble'r en entendant prononcer
ce nom. Mais il ful stupéfait de le voir, au COintraire, se r enverser dans son fauteuiJ, en édalant
de rire.
- Ha 1 Bernard de Blesle 1 dit-id enfin. Vraiment P
Eh bien 1 voyez-vous, j'aime micux ça ... Oui, en vérité, la situ ation me parait comme cela beaucoup
p lu s claire ...
Déconcerté par J'crfet inattendu que ses paroles
avaient produites, Bernard le regardait sans comprendre.
- Mais, n alllrCll'lem el1t 1 pours1Jivit M. Héraud.
J'avais touj ours pensé que j e vous verrais reparattre
Un j our ou 1'n ut,l'c... Mais j'avoue quc je n'avai s
jamais pc nsé quc vous revêLirie1. l'aspec t inattendu
d'un pré telld ant à la main de ma fille ... Non, voyezvo us, je m'allendais bien à un petit chantage quelConq ue, chant age auquel je Il 'aurais pas céd:é le
moins du monde, dites-Je vous bi en. Mais je n'avais
pas envisagé ccLle solution : vous épousez ma fille et
.(
�DANS LA ~oun
TÉNÉnnEUSE
ce château ... Comme c'est simple 1 Comme c'est élégant 1. ..
Ces outrages, prononcés sur le mode ironique, eu·
rent chez l1ernard une répercussion curieuse. Sa colère, qui était sur le point d'éclater, furieuse, tomba
d'un seul coup. Il fut accablé, anéanti par ,l a façon
don t M. Béroud envisageai t lou t li coup 88 démarche
Son absence de réaction acbeva de persuader M.
I1éraud qu'il avait vu juste.
- Et vous n'avez pas craint, pour parvenir à vos
fins, de tl'oubler le coeur d'une jeune fille ? .. Sans
doute, suprême argument, vous réscrviez-volls le privilège d'apprendre incidemment à Denise que son
p re a dépouillé un orphelin P••• Je ne sais vraiment,
monsieur, si vous avez maintenant le droit de vous
dire plus honnête que moi ... Après Lout, qu'ai-je n
me reprocher ? Une peLite ir~gula
r 'ité
dans un acte
d'achat il Les affaires sont les arfaires, mon jeune
ami. Du moins n 'ai-je jamais trafiqué de sentiments
estimables cn vue d'un bél\éfice ...
Cette fois, c'cn était trop.
Dernard sc cabra OU8 celle dernière insulte.
JI sc pencha sur le bureau, avança son visage presque contre celui de 1\1. llérillld, ct dit, d'une voix
que la l'age étouerait :
- VOLIS TIC seriez pas le père de Denise, je vous
Luerais, In, lout de suite, comme j'ai si longtemps
r~vé
do le faire ... Crapule 1 Vous ~te
une crapule 1
- Oh 1 les injures 1... dit avec il'Onic M. lIél'aud
en se lovant. Maintenant, vOus fedez mieux de vous
on aller ...
.- Oui, dit Bcmard, je m'en vais. Mal!! je me
vengerai, je YOUS le jllre ... Je me vengerai ...
Très cnlme cn apparence, très mn1lre de lui, M·
JJ6rl\ud indiqua d'un gcr-tc la porlc do son cahinot ;
�DANS LA TOUR TÉNÉnREUSE
99
- Sortez, monsieur, dit-il. Et je vous inlerdis de
franchir les limites de ma propriété.
Sans répondre, Bernard sortit.
U cha n·celai t.
Au sortir du bureau un peu sombre, où cette scène
venait de se dérouler, l'éclatante lumière l'éblouit.
Sa première pen sée fut de se réfugier aussitôt dans
sa Tour, el d'y allendre, comme une bête b.lessée,
que sa douleur commençât à se calmer. Puis il
pensa que Denise l'attendait, au presbylère de SaintMichel. Et une lueur d'espoir lui revint, à la pen sée
qu'il aHaH la revoir, pouvoir la convaincre, peut.
être ...
Il fit, sans presque en avoir conscience, les deux
kilomètres qui le séparaient du village. Sans s'arrêter
ù sonner à la .portc, il entra directement dans le
.Jardin. El, lout de suite, au fond de l'allée, jJ vit
Deni se, seule, assisc sous urne petite charmille.
Elle se leva dès qu'ellc l'eul aperçu.
Mais il n'eut rien ù annoncer : la jeune fillc,
l'ien qu'à le voir si blême, les lèvres tremblantes,
avait compris.
11 .se laissa tombcr lourdcmc.nt sur le banc, ot dit
sÏlmp'lement :
- Et voilà J...
- Dcrnnrd, mon ami, que s' t-il passé ~ dit De·
nise, d'une voix suppliante.
- Votre père ... commença Dernard. Et il fut SUl'
le point de l'év6Jer à Denise J'indignité de celui pour
qui clic avait lant d'amour filial. Mais il sc contint:
- Volre père ne veut pas ...
Alors, il releva la tête, et regarda Denise jusqu'au
fond des yeux :
.
Et vous, dit·il, voulez-vous P
La jeune fille !C tenait devant lui, toute
�100
DANS LA TOUR TÉNÉDREUSE
aes bras pendant le long du corpa, et très pâle. Elle
ne répondit pas.
- Voulez-vous j) répéta presque brutalement Bernard.
A ce moment, parut l'abbé Boquet. Il avait laissé
la jeUifle fiLle seuJe, parce qu'eHe lui avait ~emblé
préférer la solitude. Mais, voyant de loin paraître
Bernard, il pensa que sa présence pouvait être utile,
et se hâta d'arriver.
H e.ntendit le : cc Voulez-vous ? » brulal de Rernard, auquel, après un mouvemen t imperceptible
d'hésitation, Denise répOtlldit:
.
- Je vous l'ai dit, Bernard. Jamais, quoiqu'il
pût m'en coûter, je n'irai contre la volonté de mes
parents ...
Bernard perdit alors complètement le contrÔle de
sa pensée et de ses paroles :
- Vous ne m'aimez pas, dit-il. Vous ne m'avez
jamais aimé ... Dites-le donc franchement 1.. J'ai été
pour vous une di.slraetion de vacances... un flirt
amusant...
S'il eût encore été dans son bon sens, le regard
douloureux, éperdu, que luj jeta Denise, efft dô
suffire à lui montrer la cruauté de son langage. Mais
il poursuivit :
- C'est amusant, n'est-ce pas, d'Ctre demandée en
mariage ? Et de refuser quelqu '00 j) Ça fait bien ...
C'est flatteur ...
- Bernard 1 dit sévèrement l'obM FlocpJel. Je
pense que vous devenez (ou... Osez-vous reprocher
ù celle que vous dites aimer de (aire son devoir P
- Son devoir P ricana Bernard.
La jeune fille avait regardé le prCtre avec gratitude.
- Mon devoir, répéta-t-eHe. Et je n'ai plus qu'urne
chose à vous dire. Je ne me marierai jami~J
,nulle
�DANi LA TOUR TÉN2BREtJSli:
101
puissance au monde ne pourra m 'y contraindre.
Mais rien, non plus
pas même l'amour que j'ai
pour vous, lle t'In a rd, ne pourra me faire agir contre
mes paren ls ...
Elle avait parlé avec une énergie qui émut le
cœur de llernard. Elle avait mis, dans la p:roclamation de son amour, toute la force de son cœur.
Puis, ayant dit, elle se déLourna el, sans rien
ajouter, reprit la direction du château de La Chênaie.
Demeuré seul avec le prêtre, llemard resta un
long moment pro tré sur le banc où il s'était laissé
tombel'. L'abLé Floquet respecta son silence. Il portail UTle égale affection à llernard et à Denise, et il
se sentait déchiré par leur drame. Mais il ne pouvait s'empêcher d'admirer la fermeLé d'âme dont
Denise venait de faire preuve.
Il posa enun ln main sur l'épaule du jeune homme cL voulut prononcer quolques mola, sinon de coniOlation. du moins d'espoir. Mais il eut la douloureuse surpl'Îse de voir llernard le repousler d'un
geste farouche.
- Vous aussi, dit le jeune homme, YOUI vous êtes
mis d'accord, Sl\ns doute, pour me jouer cette comédie odieuse ... Je me vengerai ... Mainte.nant, il
n'y aura plus pour moi de paix sur celle terre, avant
que je me sois vengé, avant q1le j'aie duremool fait
payer leur crime à Lous ceux qui m'ont volé, bafoué,
trahi... Oui, j'ai cru à )0 Lendresse, à l'amour ...
J'ai cu confiance: voyez comme je suis récompensé.
C'e~t
aVan 1 que j'avais raison : il n 'y a qu'un sen timent qui ne trompe pas: la hoine, et qu'un effort
qui ne déçoive pas : la vengeance ...
Il se leva.
Le prêtre reconnut à peine l'enfa.nt qu'il aimait,
dans ce jeune homme ,b lême, aux traita convuJsés,
�102
DA N!
LA TOUR T ÉNÉBREUSE
aux yeux étincelan ts d e r age et de h aine. Il comprit
aussitôt que tout cc qu 'il pourrait dire ou faire en
ce m om ent ne servirait q u'à ali me nter l 'espèce de
foli e qui s'é tait empa r,é de Bern ard .
Du r es le, Bern ard le quiU a bru quem en l, san s un
mot d'ad ieu ni cl 'ex plica ti on, et di spa rut.
Le prêtre vit qu 'il s 'engageait dans un sentier qui
m enait il une co llin e, que cou ro nn ait un petit bois.
U ne fit aucun effo rt po ur le r etenir: sa ns doule que,
dans la solitude, il pourra it pl eurer, sc vider le cœur
du poids écrasan t qui l 'em plissait. Cela se ul pouvait
le soul ager, le sa uver des cou ps de tête où le déses poir peut j eter un hom me ard ent ct j eune.
Et l' abbé Fl oqu et se décid a, quoiqu 'il pÎll lui cn
coûter, à faire un e visite au châ teau de La Chênaie. N'é tai t-il pa s le p r re d e tous ses paro issiens P
e deva it-il pas tout faire pou r l'amener la paix
dans ces cœ urs cl ' hom m es , q ue la co lère, l'orgueil,
le go ût de l'ar ge nt, j etai ent ill cessa nlm ellt dnns la
fou 1111 aise des luttes) sa ns autre iss ue que le J é~es
poir P
CHAPITRE VIII
LB
l'ORTR AIT
Cou ché dan s ]e peti t hois vers lequ el l'ava it vu
se diri ger ]'abhé Fl oquet, Bern ard, la t ~ t e appu yée
sur so n brns re pli é, n e pl eurait pas .. . Loin d e s'apai.er, la colère qu i ] 'nnim ait croissa it de min1lte en
m inute, deve nait urn e r age fro id e, plu s terribl e, san s
do ute par ses eff r ls et les r avages dont ell e peul être
III. cau se, que tout nutro se ntim ent viol ent.
BernaHIJ, pend:mt ces heures , fut réellement en
�DANS LA TOUll TÉNÉnn EUSE
103
proie à la folie. Les images les p.Jus monstr ueuses
u~
~n L sur l'écran de sa pen sée , c l il ne les r epo
défila<
dans
passer
de
venait
'lu'i!
jours
gs
lon
Les
sait pliS.
l'alm o pll ère paisible et do uce de ses rêves amoureux ernblai eul n'avoir pas cu' d'autre effet que de
refoul er danger e usemen t la haine aveugle qu'il portail à M. Héraud .
Libérée mainte nant, celle-ci écJalnit avec une
violenc e inouïe, décuplé e par le nouvel afrron t qu'il
venait de recevoi r de cet homme , el par ce qu'il
appelai t, dans la fureur momel ltanée de son cœur
en détresse , la « conjma tion » <.le Denise et de l'abbé
Flo'lue L
Il sc senlai t vrai men l seul au monde, enviroTlJIlé
par la haille et par l'indiff érence. A m esure que le
temps s'écoul ait, cc sentime nt prenait plus <.le force,
et le poussa enfl,n à considé rer avec une sorte d'affreux sa ng-froi d un acte ép01 JVantable.
Lorsqu 'il sc releva, sembla nt sorti!' d'un profond
somme il, le jouI' bais ail déjà SUl' la campag me.
Il demeur a encore un momen t immob ile, adossé
fi un arbre. Il paraiss ait calme, mais tout, en lui,
n'était que violenc e lSa uvage et désespérée. Les
tranqlli l1lcs) les toits aperçlls entre les feuilles
ch[lr~
montai c.nt ùe minces filets de fumée, ne
d'où
et
suren t pas lui dOlr ner un conseil d'apais ement ni
d'ouLH .
11 sc l'etourn n, et aperçut , en contre- bas, les toupoin lus de La Chênai e. Il rerelles g ri ses aux loi~
gardn froiùem enL ee tableau , f1u'il avait si SOuvent
éVOflué, dura nL les heures intermi nables du Mnnlorium, ct il n'y trouva que de nouvea ux motif,s de
ha'i!' ...
Alors, lcn Lemen l, il comme nça à descend re vers
le viHnge. II so ul!aitai t lle.lpas rencon trer J'abbé FlofJ uet , craigna nt la Ioree de persuas ion el de douceu r,
�104
DANS LA TOUR TÉNÉBREUSE
dont le saint homme disposait. Il voulait marcher
verl; son but sans retard, sans hésitation . Il était
prêt il écraser qui conque eût vouJ u lui faire ob~ta
ole : mais iJ préférait conserver ses forces pour
agir, et loute lutte lui eût été pénible.
Mais il ne rencontra personne, et entra dans le
vilJage, sans que perso.nne l'eut remarqué.
Sans hésiter, il se dirigea vers le garage que tenait un jeune paysan avec qui il avait causé plusieurs fois. Celui-ci était attablé lorsq ue Bennard se
prése.n ta, mais il répondit Jl.ussiLôt à l'appel du jeune
homme.
- Qu'est·ce qu'il y a pour votre service,· monsieur de Lestange ? demanda-t-il.
- Donnez-moi donc deux bidons de cinq litrei
d'essence, dit Bernard. Nous nIIons fIlire une promenade, ce soir, et il est plus prudent d'llvoir des
bidons de secollNl.
- Voilà, mon sieur ... Maie ne vous donnez donc
/pas la peine de les porter. Je vais envoyer le petit
jusq u'a ux voi tures. Où son t-elles P
- Mais non, pas du tout, dit Bernard. Nc d érangez personne. Les voitures son t là, au pas de la
route ...
- Comme mon sieur voudra ...
Le garagiste avait souvent vu Bernard passer dans
la voiture de Robert ou dans celle de Jacques : il
Ile pouvait donc pas trouver Ilurprenarn te l'hi stoire
que lui racontait BernarJ . De plus, celui-ci était
parvenu à donner tant de naturel à son ton, qu'il
eût fallu des sens bien aiguisés pour y discerner
l'impercep tible félure que l'émotion donnait à sa
voix.
Hemard paya, prit les deux bidons, et 8'c~n
fut,
d'un pas tranquille.
Mais, dès qu'il fut hora de la vue du sarago, il
�DANS LA TOUR TÉNÉDREUSB
105
quitta III route et se jettl à travors ohamps. n importait absolument, pour que réussît l'abominable plan
que lui avait soufflé le démon du désespoir, que
personne ne le renconlrât chargé de son fardeau.
n savait qu'un dimanche soir, personne n'était
aux:. champs. De plus, en passant par les chaumes, il
voyait assez loin devanl lui pour pouvoir changer
de direction à la moindre alerte.
Il marchait, les dents serrées, Mns autre pensée
que oelle-ci : atteindre La Chênaie sans que personne le vît. Son œil vif sOJldait, loin devant lui, les
demi-ténèbres qui commençaient à envelopper les
formes ct estomper les con lours. Il aVl\nçait prudemment, et ne sentait pas plus le poids de ce
qu'il porlait au bout des bras qu'hl n'éprouvait de
faim, bien qu'il n'eût pas dtll1é.
Il étail vraiment l'homme d'une ,seule passion :
~a
vengeance, el toutes ses forces étaient exclusivement dirigées VOl'S ce qui pouvait favoriser celte
vengeance.
A mesure qu'il approchait de La Chênaie, il se fnisait plus prudent. Il s'imaginait que M. Héraut, Vl\.guement effrayé, sans doute, par les menaces qu'il
lui avait adress(;'e8, avait donné l'ordre à tous ses
domestiques et aux fermiers de cha!Ser Bernard s'ils
le trouvaient dans les limites de sa propriété. Et ce
n'était pas la crainte qui poussait Bennard à la prudence, mais le désir passionné de pouvoir arriver
sans encombres il l'heure de la vengeance.
Ensuito, il .'en remettraÏl à la justice des hommes ...
La nuit, très 1I10ire, semblait favoriser &on ptojet, el il parvint jusqu'au petit bois de ohênes qui
avai t donné son nom au chll.teau, sam Caire de mauvaise rencontre : car, à son point de vua, toute rClOcontre eut été mauvaise.
�lOG
~ANS
LA TOUR TiNÉnRXUSE
Il pensait avoir encore devant lui bien du templl
avûnt de pouvoir mettre son criminel ,projet il exéèutioo. Il lui fallait en effet attendre, pour avoir le
maximum. de chancei, que lout 10 monde dormît
dan·s le château .
Tout Je monde ~
Tout le monde . Sil folie - on ne peut vraimont
qualifier autrement l'impulsion irrûisonnée à laquelle il obéissait - [) 'excluait pas mûmo Denise
du nombre de ses ennemis.
Il déposa don{) , dans u.n ch êne creux qu'il connaissait bicn, les deux bidons cl 'essence, et, se di~s
mulant, poursuivi t sa marche vers le châlep,u . II
voulait tout observer avan t d'agir.
Bientôt, la masse somb re des murs de La Chê·
naie se dre sa devant lui. .Il imag ina brusquemc.nt
ces mêm es murs léchés par une l1amrne dévorante,
et un affreux sOUl'ire - un sourire dément - el1leu·
ra ses lèvres con tractées.
Quelques fClflêtres brillaient au rez-de-chaussée. Il
s'en écarta et gagna sil encieuseme nt Je jardin, où il
savait d evoir lrouver un abri sOl', en attendant qu'eût
son né l'heure du crÎlIle.
Cependant, dans la salle il manger du château,
le d1ner s'achevnit. Dî.J1er silenciell ; la visite que
]'flb~
Floquet s'était cru obligé de laite dans l'après.
midi n'avait pas le moins du monde arrangé le.
choses.
11 avait trouvé Denise en larmes, Ip longée dam une
effl'ayante doule ur, l\laùame Iléraud, abnlllJe et consternée, et M. Jléraud en proie à IlfIC violente colèro.
C'était en vain qu'il avail tenté de parler raisoo,
d'expliq uer Il l\r. Ilél'fllld, qu'il avait pris il part, que
80n devoir était de réfl échir longuement avant de
prendre une d~cj
si on
qui engageait si profondément
�DA NS LA 'fOUR TÉNÉBREUSE
107
le bonheur de son enfant unique . M. HéTaud n'avait
vOlllu voir· dan s celle dé march e qu'urne preuvo nouvel'l e de ce qu'il a ppelai t le « c han tage » de Bern ard , q lli , en do nn an t d e l a publi ciLé il son proj e t,
avait sa ns do ute vo ulu lui fo r cer la main.
U ne tell e inco mpréh ensio n avait profond ément
p ein é le ,pauv re p rêtre, m ais M. lIéra ut! lui ava i t fai t
comprc.ndre qu'il s' ag issa it là d ' une déci ion irrévoca hl e, co ntre laqu ell e l'i on n e po urrait prévaloir.
Et J'abb é Flo quet s 'é tait r e Liré, con s terné de son
impui'ssn nee , et fo r c,é de s'en r em e ttre au Sei g neur
du so ùn de ramen er la p aix d a ns tant de cœur,s ulcér és .
Pe u avant. le dîn er , M. IJ ér aud s 'é tait résolu à
parl er à sa fille . Il vo ul ait se re ndre compte par
lui -m ê m e de ce qll'il y avait d'ex act dan s l'audacieu se affi l'ma t ion d e n e rn ard : « De n ise ID 'aime. »
La d o ul e ur de Deni se l'avait effra yé.
Il avait senLi so n CŒ 1If se serrer, au spectacle de
ce lte e nfant, qu ' il aimait p ar -des us tout, san glo tant
d eva nt lui , ct in cap nbl e de m odérer l'express ion
d'un ch ag rin qlli emhl ait atteindre en elle les sources mC·mes de la vi c.
C'é tait e n va in CJu'il avait tenlé de se durcir le
cœ ur pa r la p en!\re q1l'il ag issait pour le b o nheur
de ce LLe mi'm e onfant, do nl il faisail couler les larmes. A lo us ses arg um ent s, De nise avait seul em e nt
r épo nd" :
- Pui sCJu e VOli S l'exig-c7. , j e ne verrai plu s jamais
Bernard . . . l\1:1i s n e m e d em a nd ez j amai s autre chose,
cl lai ~e7.m o i so uffrir en paix ...
Le souri de n e ri e n lai se l' par aître devant les dom es lif]lI es dn dra m e q ui sc d ér·olJ1 ait, avait fait de
l'h eure du dîn er Hn e h e1ll'e d e tr ~ v e . l\Tais d'nne trêve qu e to nt le m o nd e se lltait infinim ent fra g ile; ct
les ye ux ro ug is d e D enise, les sourcils fr·Jn cés de S011
�108
DANS LA TOUR TÉNÉDREUSB
pèro at l'air consterné de sa mère, trahissaient le
drame aux yeux de la femme de chambre, avec pre5que autant de précision que l'eut faiL uot! di~cul
sion.
Dès que le repas fut terminé, Denise se leva, prit
son manteau ct son chajJeau.
- Où vas-tu P demanda M. IIéraud.
- Je vais chez l'aLbé Floquet, répondit Denise.
M. Héraud prit J'air mécontent. Dalls son esprit,
l'abbé Floquet était devenu une sorte d'aJlié de Bernard, dont il convenait de sc méfier. Mais iJ ne
voulut pas ajouter une rigueur nouv Ile à celles
dont il avait fait preuve, et ,ne fit aucune observation.
Denise éprouvait en erret un impérieux besoin de
lS'entretenir avec le prêtre. Elle avait senti en lui
le seul coeur qui la comprît entièrement et ln plaignît. Et, dans la tempête au milieu de laquelle elle
se déballait, elle avait recours à lui, comme la barque a recours nu port.
Mais, dès qu'elle fut sortie du château, une effrayante douleur s'empara d'elle : elle venait de
penser que vingt-qua tre heures seulemen t plus tôt,
elle dansait avec Bernard sur la terrasse de la tour.
Et, comparant ce qu'un temps si court avait fait
d'elle, avee cc qu'elle étaiL la veille, il lui sembln
que son coeur se bri sait.
Instinctivement, elle se dirigea vers le jardin.
C'était là qu'elle avait pu !sé toute ses heures de
rêverie vag-ue ; petite fille, puis jeune fille, elle
avait tOUjOlll'lI trouvf dan s cc jardin, et périalement
aux heures nocturlle, UII ami, un confident plein
de délicatesRe et de consolations.
Elle se laissa tomber sur le banc 00 elle avait
trouvé, un soir, le gant myslérieusemoot revenu de
�DANS LA TOUR TÉNÉBREUSE
109
la Laur, et, se laig,sant aller à sa douleur, eHe gémit
presque à haute voix.
Le bruit de ses sanglot~
s'élevait comme un fré·
missement dans la nuit silencieuse.
Bernard les entendit.
Tapi, comme un crimi!l1el, derrière une haie de
fu sains, il épiait la façade du château, attendant que
la dernière lumi ère se fût éteinte. Seuls, les sanglots
de Denise puren t le distraire de sa patiente ob5ervaLion . .
Ils éveillèrent en lui quelques sentiments qu'il
croyait étouffég li jamais dans la grande sécheresse
de coeur que la douleur apporte à ceux qui la reçoivent mal. L'idée que Denise souffrait, que Deni se pleurait, lui fut soudain insupportable : et il
5Cl111il crotlre sa haine à l'égard de M. Héraud, qu'il
rendait seul responsabll/ de celle souffrllJJlce el de ces
larmed.
San s hruil. il se dil'igea vers le banc où il savait
que s'tllait mise son amie. A travers les feuilles, il
di ~ linga
la forme bllmche de la jeune fille, toute
pl'mlrre dnns sa douleur.
Faihlement, prudemmenl, il appela :
- Denise 1
Elle ne parut pas l'avoir ontendue, ct Bernard se
reprocha presque le mouvement qui le poussait yers
L. Et
elle. Que pOl1VRil-il, maintenAnt, pour Deni~
ce mouvement de pitié ne risquAit.il pae de compro.
meLlre une foi. encore la vengeance qu'iJ voulait
exercer P
Pourl;'\nt, ll!l1e force à InCfuelle il ne pouvait ré.
sisler le pou ssait vers III jeune fille qui pleurait toujours.
11 sortit résolument de sn cachette, s'approeha
d'olle sans qu'elle l'entendît venir, et lui posa douce.
�110
DANS LA 'l'OUR 'fÉNÉnRIIUSE
ment, fratern ell em enl, la main sur l'épaule, en répétant : « Detn ise 1... ))
A ce con tac l el à celle voix, b jeune fille se redressa brusqu em ent. Elle se d emanda si clle n'é lait
pas le joue t d'un e h allucin a tion due à ses n erfs surm enés d epuis tanl d 'h eu res . Mais n Oln, c' était bien
BCl'
n a ~d
qui se ten ait d evanl ell e, Bernard, le m ême
Bern ard qui, hi er en co re . .. ~ai
s quel ablme , maintena nt Jes 5é parait po ur toujours 1
Dressée , ell e n e put q ue r épéter :
- Vous ... Vou s ici, Bennard 1. ..
- Oui, mol.. . J e vous fais p eur, m ainten ant, Deni se P
- Bern ard . .. .l'ai juré.. . J'ai juré d e n e plus
j am ais vou s r evoir . .. H faul quo vous parli ez, tout
d e suite ...
- Ainsi, c 'es t lout cc qu e vou s trouvez à me
dire P dil Berna r d a vec am er lu me Vou s au ssi, vous
m e ch assez ...
Deni se é tait trop lasse, tro p brisée pour di scuter,
pour essayer d e faire comprendre ù cc gar çon à quel
devoir ell e sacrifi ait son a m our. Elle n'eŒ1 eul pas
la fo rce c t Ip référa parti r .
San s dire un mo t, ell e lourn a le dos à Bern ard c t
s'en fut, form e olaire qui vllcilla. un moment entre
les ar hres c t di sparut.
E t Bernard, d e n ouvea u, sc trouva seuL
Ce lle re ncon tre si inallendu e l'avait boul eversé.
Ma is cla ns l 'a ttit ud e d e l a j eun e IW o, il voyait seulem ent un e rai so n d e p lus de remplir son c rimincJ
proj et. Il é prou va cependant un g ra nd soul agem ent à
co nsta ter qu 'el le n 'é tait pa s r entrée a u châ tea u. Il
ava it rem arqu é qu ' Il e ava it so n m antea u et son chapea u. Sans d oul e p ar ta it-oll e pour un e lo ng ue p ro m en ade noc turn e , pe ut-ê tre allai t-ell e a1l presby tèr e d eman der ù l'abbé Floqu et les seco urs d e son a ffec tion.
�0.1.1\(1; LA TOUll TF...NEDl\EUSl!:
111
Au moiM, ne serait-elle pas dans La Chênaie lorsque
Daniel, d'un liimple geste, condamnerait 0. la ruine
ces piones qu'il avait tant aimées.
repri t sa fac tion avea la patience du ehasseur
flUX aguels.
Les fenêtl'es des cuisines s 'éteignirent lei premières.
moment après, celles des chambres des domestiques s'éclairèrent, puis s'éleignirent à leur
tour. Seu)e, brillail encore celle du bUl'eau de M.
lIél'aud ; sans doute s'entre tenail-i1 avec sa femme
des événements de la journée. Bernard fut saisi
ct 'une crain le subi te ; n 'allaion t-ils pas attendre,
pour monter, le retour de Denise P
Mais brusquement, le chateau fut 10ut entier dan»
le noir.
AJor/J, flerIlllrd quitta Je jardin, cl relouma vers
le peli t bois Ip our ch ercher les cngiills de destruction
qu'il y avait dissimulés. Il les retrouva sans peine.
I! revint sans prendre de précautions : les batiments de la fermo étaient, eux aussi, dam l'obscurité et il JI'avait plus à craindre quo dei regards
ennemis ne 8urpri scnt /Jon passage.
Le fuit que Denise était Bortie cl qu'on avait donc
dô lai sser la porle ouverte facilitait beatlOOUp es
[>érations. Il avait d'abord envisagé de s'introduire
dans Je hilleau en forçant une petite porte qu'il
connaissait bien. Mais il {ut heureux que cela lui
[(Il évité : outre le danger qu'aurait pré enté une
effraction peul-être bruyant., il y aurait pel'du du
templ. Et ln/lln teDfln l, chaque minute lui parlli6lait
n
un
prédeule.
Il agi s, ait comme Ufl automate, avec une précision
de geslee qui 1c rai ail l'cssemlJler à un somnambule.
Parvenu sur le perron qui précédait la grande
pOlte, il tourna doucement le loquet de celle-ci.
Ain si qu'il s'y illlendait, elle céda immédiatement
�112
DANS LA TOU~
TÉNÉBREUSÉ
et tourna sans bruit sur sel gond's bien huilés.
Il entra, referma la porte derrière lui.
11 se trouvait dans le hall du château. Malgl'é
J'obscurité profonde qui l'entourait, il lui semblait
voir l'emplacement de chaque meuble, tant ils lui
étaient fami,liers.
Il s'arrêta un grand moment, tendanl l'oreille,
prêt à se dissimuler derrière un paravent qu'il connaissait bien, si un bruit suspect lui avait donné
l'alerte.
Mais rien no bougeail. Toute la maison paraissait
profondément endormie.
Il fut ému un moment par le vague parfum qu'il
resprait dans le hall, ce même parfum qu'il avait
respiré toule son enfance, sen leur des vieux cuirs et
des vieux meubles, à laquelle se mêlait, subtilement,
le parfum que Denise préférait.
Mais il semblait que plus rien ne pÛt maintenant
l'arrêter dans son œuvre de destruction.
Rassuré par le silence profond qui l'environnait,
il traversa le hall et commença à gravir l'escalier.
Un tapis épais amortissait le bruit de ses pas. Lentement, il monta les deux élages du chlHeau. Il ne
savait pas bien encore comment ~I mettraÏl exactement son projet à ex6cution, mais il n 'y réfléchissait pas. Il avançait, encombré des bidons d'essence,
et attonlif seulement à ne pas révéler sa présence.
Mais lorsqu'il fut sur le deuxième palier, il s'arrêta, saisi par une émotion étrange. C'était à cet
étage que se trouvait son ancienne chambre de petit
garç>ün, devenue la chambre de Deni se. L'idée lui
vint de la revoir avant de la détruire. Il était sûr
de nc pas se tromper de porte. D'autre ,p art, l'absence de Denise l'assurait que personne ne donnerait l'nJarme . .Et puis, il était dans un état nerveux
�DAN!\ LA TOTJR TÉNÉnREUSE
113
si cxtl'aordinnirc qu'il obéissait à la moindre de 18S
implblsions sans hésiter ni dis{;uter.
Déuarrassé de son double fardeau, il 5'avança le
long du couloir au bout duquel s'ouvrait la porte
de sa chambre. U la trouva, aLtei~n
le loquet sans
bési tcr et poussa la porte.
Par la fenêtre grande ouverte, unc faible lueur
entrait dans la chambre. ta porte refermée, il y demenra adossé, immobilc, en proie à une émotion
singulière. Ces murs entre lesquels il avait passé les
dix - premières allJlées de sa vie semblaient lui parler, évoquer pour lui mille souvenirs de choses qu'il
était scul à connaître.
El il se voyai t soudailn. au milieu d'eux, tel qu'il
y revenait: un criminel, peut-êtrc un assassin ...
Son cœur ballait à sc rompre dans sa poitrine.
L'affreu se gravité dc ce qu'il était décidé à faire
lui apparai $sait souùain.
Il se souvint des soirs où sa mère entrait dans sa
hambre ct J'embrassait avant qu'il lI1e s'endorme ...
Sa mèrc 1... Un baiser de sa mère 1... C'était peutêtre cela qui lui avait manqué tant d'années, et qui
en avait fait ce garçon au cœur soudain de marbre,
rempli du seul désir de vengeance ..
Depuis tan t d '!Inlllées sa vic n'avail été que solitude amère, repliement sur soi-même 1 Et, au moment où l'amour avail commencé à épanouir son
cœur, au moment où il pouvait croire que tout ce
que la vic peut avoir de plua aimable allait enfin lui
sourire, le noir, le vide, la solitude l'avaient environné de nouveau ...
Dans l'émotion extraordinaire qui a'animait, il
éleva !'la pen~é
vers SIl mère, avec une forcc et une
intcnsité émouvantes. Il voulut voir plus en détail
celte chambre, qui seule avait pu commencer à le
ramener à la raison .
�DANS LA TOUR TÉNÉBREUIE
Il s.ortit da ea ,p oche le briquet dont il avait pemé
~ervil'
pour un si criminol mage et l'alluma , Une
faible lueur rougeâtre i l répandit dans la IpiOco",
Et soudain".
Rêvait-il P De quelle bollucÏlnatioll était-il la
proie P•••
Sa mère .. . Le visage de sa mère était devant lui,
sort'ant vaguement de l'ombre, le regardant de se8
yeux d'un bleu profond, ébauchanl un lIourire de
ses lèvres fines".
C'était le portrait ovale de l'escalier que Denise,
ailS en dOMer la raison, 8vai t obtenu de son père
que J'on fît transporter dans sa chambre.
Les yelL'<: élargis par une sorte de terreur qui n'a llait pas sans douceur, Bernard ne pouvait dé tacher
on regard dl ce visage re52u sciLé qui serlai l de la
nuit.
L'émolion fut trop forte .
Il ln. hu le briquet ; le noir envahit de nouveau
la chambre ct il roula évanoui SUl' Je sol, en murmurant :
~e
-
Maman
J
CHAPITRE lX
D..\NI LA
Toua
ttNinl\1tUl ••.•
Madame Hérnud ne pouvait dormir.
PlU après le dépaJ't de Deni se, 1011 mari l'avait
priée de venir avec lui dallls eon bureau, ct 001
conversation tl'agique avait eu )jeu entre le. doux
époux.
M. IIéraud) en erfel, n'~vaiL
pas mis en douto (rUe
�DANS LA TOUll TiNJ'oBREUilR
115
la demande en mariage de Deni.se faiLe par Bernard
n'eùt pas d'autre but que la reprise par celui-ci du
château et des terres qui en dépendaient.
Parlant de ce principe, il s'était aisément conva in cu quc l'espèce de « chan tage» commencé par
le jeune homme n'en demeurerait pas là, et que, se
voyant battu sur ce point, Bernard ne manquerait pas
de mettrc, soit Denise, soit Mme lIéraud, soit même
~es
deux au courant des conditions dans lesqueIJes
il avait été dépouiJlé du château de La Chênaie.
Au ssi, habitué à ne pas se laisser manœuvrer ou,
du moins, à déjouer sans délai les manœuvres dont
il sen lait que l'on tâchait de l'encercler, M. Héraud
s'était rosolu à meUre lui-mrme sa femme au courant ùe cette vieille histoire, se fiant à son talent
de présenter les choses pour que celJe-ci ne s'émût
pas outre mesure de la révélation de faits vieux,
alp rès tout, de près de quinze années.
Aussi, commença-t-il, sur un mode à demiplai ant, à lui révéler la vét'itable identité de celui
qui leur avait fait « l'honneur » d'aspirer à la
main de leur fille. Il poursuivit en disant qu'après
loul, cc garçon employait simplement un moyen
assez ma.Jadroit d'obtenir urne r-éparaLion pour un
léger préj udice que la prescription l'em.pêchait de
poursuivre légal ern el1 t.
Et il fit le récit des événemenLs qui avaient accompagné l'achat de La Chlinaie, en ayant bien soin
de rejeter sur M. de nlesle, le luteur de Bernard,
les responsabilités les plus lourdes.
- En somme, conclut-il, c'était fi lui à défendre
les intérêts de son pupille. Jl a manqué à son devoir, mais moi, je n'ai fait que {'c que je devais
faire en vous procuranl li vous ct li Denise une
maison agréable, aux c.ondi tions les meilleures. Et
ptlis, si ce n'était Ip as moi qui en avais profité, vous
�116
DANS LA TOUR TÉNÉBREUSE
pouvez être certaine que d'autres ne se seraient pas
embalTassés de pareils icrupules ...
Il avait parlé sans regarder sa femm e et en s'efforçant de -lui présenter les choses sous le jour le
plus banal.
Mai s, lorsqu'il releva les yeux, allendant la répon se de Mme Héraud, il fut effra yé de voir l'effet
que ses paroles avai ent produit sur celle-ci.
Elle s'était levée, très pâle, et regardait son mari
avec une expression que celui-ci ne lui anit jamais
vue :
- Si je vous comprends bien, dit-elle, vous m'apprenez que nous ne sommes pas ici chez nou!! ...
H voulut essayer de calmer l'ind~ao
qu'il
sentait monter chez sa femme:
- "'ais je lie di s pas cela du tout, mon amie ...
Vous ne m'avez pi\S compris. La Chênaie est à nous,
je l'ai ipay(le ct mes titres de proprirté so nt absolument inaltaquables. La meilleure preuve en est dans
les moyons obliques qlle cc garçon emploic pour essayer de rentrcr cn posscs ion de ce qui n'cst plus
à lui. La loi est -p our nous, vous me connaisscz
assez pour SlIvoir que je ne me suis jam ais cmbarqué ù la légère ...
- La loi 1 répé ta Mme Hrrnud. Je ne connais
pas les loi-s, vous le savez, mais j'al unc consc:irmce,
et vous aussi, mon ami, et je voudrais être sûre
que YOUS n'ave1. rien faiL contre <'e qu'ol'donne la
conscience en nchetant ce château dans lcs condiions
où VOliS l'avez acheté.
M. Tlérllud ne put retenir un mouvement iI'impatience. La tournure que commençait à prendre la
conversAtion lui déplaieait souvcrainemcnt :
- La COIMlcience 1 Ln conscien('c 1 dil-il. Il tne
faut pas em~lor
les choses. Quand on faiL d es affaires, on fait des affairel ...
�DANS LA TOUR TÉNÉBRIlUSÈ
117
l\fai~
i!l vit que Mme Héraud n'était pa,g le moins
du monde prête à admr.ttre ce point de vue. Il s'irrita, comme le font les gens qui se Sfntent dans leur
tort.
- Et puis, après tout, di t-il, ce que j'ai fait là,
ce que -je fais lous le! jours, c'est pour assurer
votre bonheur et celui de Denise. Vous le savez bien.
Id me semble que vous seriez bien mal venue de
me ,le reprocher.
- Mon bonheur 1 s'écria lVlme ITéraud. Celui de
Denise 1 Croyez-vou! que nous voulions acheter la
moindre tpnrcc.lJle de notre bonheur au prix, je ne
dis pas d'une malhonnêteté, mais d'une simple indélicatesse ~ Je veux éclaircir cette IIffllire, Et croyez
bien que si je m'aperçois de quelque chose qui puisse
paraître pell honorable li ma conscience, je ne reôterlli pas une minute de plu! dans une maison quo
je ne pourrais ron idérer comme la mienne 1 De
qllel front pourrais-je' interdire l'accès de celle maison à un garçon qui a peut-être le droit de s'y
croire chez lui ~ Mon ami, je vous en prie, rentrez
en vous-m(\me. Vous ne pouvez savoir le mal que
vous me faites en cc momont, le mal que vous Ceriez
li Den ise, si jamais olle venait à apprendre ce que
vous m'avez révélé ce soir ...
Ces pnroles arcablrrenl M. Héraud.
Pour la première fois, l'effleura l'idée qu'en voulant as~ure
le 'b onheur de el femme et de SI fille
par des voie! peu délicates, il risCJuait de fnire leur
malheur. L'amour, très profond el très sincère qu'il
leur porlait, lui rendait cetle idée intoléra,ble. El la
I pen~
qu'u-n jour sa femme, sa propre femme,
pourrait lever eur lui un regard de mépris, l'épouvanla.
- Que voulez-vollS donc que je fasse ~ demandaI-il avec une émotion qui n'Hait pllS feinte.
�118
DANS LA TOU1\ TÉN:b:Bl\EUSE
Que vous agissiez Is elon l'honneur, mon ami.
Et que je d'le puis e jamais penser que vous avez
aidé à léser un orphelin . ..
M. Héra\.Id se tut, troublé par ce qu'il venait d'entendre. Mille questions qu'il ne s'était en-core jamais
posées sc pressaient à son esprit.
- J.e réfléchirai, dit-il. Je verrai -lout cela ...
Mme Héraut monta dans sa chambre, ct son mari,
après U1I1e courte méditation, gagna lui aussi la
sienne.
Mais cetle scène avait cu un profond retentissement dans l'e prit de Mme Héraud. Son cœllr maternel s'émut à la pensée de ce qu'avait dû éprouver
Bernard de Blesle, seul au monde, sc voyant dépossédé de ce qui lui appartenait, par des gens contre
qui il ne pouvait rien en treprendre.
Elle pensa avec remords à la froideur qu 'c>lle lui
avai t souvent témoignée, alors que, d'un mot, il
pouvait la cOllvrir de confusion. Et elle ·n e put s'emp~cher
de l'admirer de n'avoir jamais dit ce mot,
alors même qu'on lui refusait la maiu de celle qu'il
aimait.
Car, qu'il aimât Denise, Mme IJéraud ne pouvait
plus le meUre en doute. Son instinct de femme ct
de mère était trop sûr pour se méprendre comme
l'ava it fait son mari.
Et si Denise aimait vraiment Bennard ?
Que fallait-il faire P
Où était le devoir P
Mme Iférnucl en était là de see réflexionll, lCYl'squ'elle entendit, dllns ·l a chambre de sa fllle qlli se
trouvait j1lste au-dessus de la sienne, un .gémis ement étouffé, qui suivit le bruit sourd ct caracté]'islique ùe la chille d'un corps.
Folle ùe terreur il la pensée qu'ml a'c cidenl avait
pu arriver à sa Hlle, qu'elle n'avait pourtant PliS
�DANS LA TOUR TtNÉDRBUIB
!HI
entendue rentrer, elle le Ip récipitll hot! de la ehambre, monta aussi Tite qu'olle put l'es()llliel' qui la.
saparait de l'étage de Deoise ct tournll le boutoa
~let
' ique
du couloir.
Elle frappa ù la porte de la ohambre, appellJ1t
d'une voix étouffée :
- Denise 1 DCtTlise 1
Elle ne reçut aucune répome, cL se décida à ouvrir la porte.
Elle ne put maîtrisl:lr un cri de terr'eur en voyant,
étendu tout de son long SUl' le planchcr, le COI'IP S
de Bernard de lllesle. L'insolite présence du jeune
homme, à celle heure, au château, ne l'effrayait pas
moins que la brutale pensée qu'elle était peut-être
en présence d'un cadavre ...
Elle sc pencha vers le corps immobile, et fut en
partie rassUrée en etlteJ1dan t un gémissement léger
s'échappel' des lèvres entr'ouvertes de Bernard.
A son cri, M. Héraud était précipitamment sorti
de sa chambre :
- Qu'y a-t-il P demanda-t-il avoc inquiétude.
Abundonnant lle.t1Jlard, Mme Hérllud courut fi l'esalier el dit doucement Il son mari de monter. Il
fallait éviter de réveiller les domestiques.
1\1. Iléf'llud ne Iut pas moins surpris que sa femme
de sc trouver en présence de Bernard, mais d'un
Ber'nard méconnaissnble, le visage ùevenu pourpre,
el tous les membres o.giLés de mouvement» confUlsirs.
Aidé de !I. femme, M. Héraud tran81'0rta B~rnld
dalle une chlltnbl'e voi!lÎne nt l'~tendiL
sur le lit. Il
chercha en vain lrace d'une blessuro, puis, comme
le jeune homme 1110 reprendÎt pas conais~e:
- Je vaii cher Iter Ull médecin, dit-il.
- EL si Deni.e J'entre main tcn8T! t ~
M. lIéJ'lJ.ud fit un geste d'impuissance. Lo~
6véne-
�120
DANS LA TOUa TÉNÉBREUSB
monts commençaient à l~ dépas.ser, par leur promptitude et leur gravité. Mais ce qu'il voulait avant
tout, c'était éviLcr- un scandaJe.
- Ne bougez pas d'ici, dit-il. Je prends l'auto. Je
pense être de retour dam un quart d'heure, vingt
minutes ...
Mme Héraud demeura dooc seule avec Bernard. Il
s'était mis à respirer très fort et portail, de temps en
Lemps, par un mouvement lout instinctif, sa main
à son fron t brCllant. Un in 5 tall1 L, il ouvrit les yeux
et vi t ,penché vers le sien, le visage inquiet de Mme
JIéraud. JI eut un sourire :
- J\laman 1 prononça-t-il.
Puis ses yeux sc refermèrent et SOill cerveau Cut
la proie du délire.
Un trouble étrange s'emparait de Mme IIéraud,
bouleversée par le nom que venait do lui donner le
malade. L'instinct maternel se mêlait à la honte
qu'elle avait eue de la conduite de ion mari vis-àvis de Bcnnard et clic éprouvait une pitié pleine de
remords pour celui cnvers qui olle se sentllÏl tant
de torts ct qui lui souriait dans son d61iré ...
Elle était plongée dans ces réflexions, tenant onIre Jes siennes une main brûlante et crispéo de Bernard, lorsqu'un léger cri la fit 8e roloumer brusquement.
Denise était là.
Slins que sa mère l'cOt entendue entrer, elle avail
poussé la porte, intriguée par la lumière qu'elle avait
vue briller dans celle pièce habituellemont vide, et
elle se tenait mainteJlant, très pâle, nu pied du lit
sur lequel était étendu Bernarù.
- Qu'y nol-il ? ba lbutio.-l-ell.. Qu'eat il arrivé?
Qu'cst-re qu'il y fi ?
- Rien) ma chérie, dit Mme IIéraud en se levant
�DANS LA TOUR TÉNÉBREUSE
121
et en aHan t vers sa fille. Rien de grave. TOlU père
est parti chercher un médecin.
Denise ne pouvait détacher ses regards du visage
contracté de Bernard. La visite qu'elle venait do faire à l'abbé Floquet avait ramené un peu de paix
dans son cœur et elle se croyait capable, sinon d 'oufilier, du moins de supporter avec vaillance ct résignation l'épreuve que lui imposait son père.
Mais voilà qu'elle revoyaH celui qu'elle aimait, et
qu'elle le revoyait sous son toiL, malade et veillé
par sa mère. Elle ne put maîtriser plus longtemps
ses nerfs : elle écJata en sanglots eL s'enfuit dans
sa chambre, sans demander d'autres explications.
Une demi-heure ,pllls tard, ;M. HéI'aud revclflait, accompagné /par le docteur Gautberon, le jeune médecin de Saûnt-Michel, récemment établi dans le
pays ct visiblement heureux d'être utile à celui qll\
en était le plus important propriétaire.
n lui fallut peu de temps pOUl' déceler le mal
dont Bernard était alleinl : fièvre cérébrale, consécutive à un violcn t choc moral. Etan t donnée l'imtensiLé de la fièvre qui dévorait le malade, il ne
pouvait répondre de lui avant ,plusieurs jours.
Au milieu de la nuit, le délire s'empara de Bernard avec une telle violence que le médecim ct M.
Héraud curent les peines les plus grandes pour Je
maîtriser et le retenir dans la couche qu'il voulait
fuir.
Il prononçait des phrases étranges, incompréhensibles pour ]e médecim, mais qui épouvantaient Mme
Béraud par Il 'in tensilé des sourfra nces morales
qu'elles l'epr~sntai
et faisaient na1tre en son mari quelque chose qui ressemblait au remords.
Il parlait de vengeance et de feu, ct, peu à peu,
ceux qui l'entendaioot comprirent dan8 quel sinistre dessein il s'était, celle nuit-Mt, introduit au chA-
�122
DANS LA TOUR 'fÉNÉnREUSE
teau. (Et la d écouverte, faite le maLin suivant, d es
cieux. biùon s d 'cssen<:e di ssim ulés d crrière une tenture du palier, achevèrent de leur ouvrir les J'eux).
Cependant, loin d 'indi g ner M. et ~hnc
Héraud, la
d écouverte de ce proj et, qu'ils attribuèrent /lU troublo où la douleur a'va it plongé le cerv;eau du jeune
homme, acheva de faire naître en e\..IX. la pilié due
fi d es malheurs si gran ds, et auxquels ils n 'élaien~
point é tran gers.
A l'au be, BernaTd se cnIma, sombra dan s un sommeil pro fond, se ul capable, déclara Je docteur Gauth eron, dc sa uver sa "Vie dan ge l'euscrnen t menacée.
Tant que dura la périodo ai g uë de la maladie du
jeune homme, ;M. et Mme Iléraud furent à peu près
seuls 0 lui donner des so ins . n6so lus mainlenant à
1'6parer, dan"! touLe la m esure du possiblo, le lort
fait à Bern a rd de Bl esle, il s ne voulaient cepcndant
, pns que les parol cs proférées pat· 10 malade dane S01'l
dr.lil'e J'()véilns ent à d es étrangers le drame qui sc déroulait,
Qunnt à Denisc, so n atlitllde, pendant to ut le
Lemps de la maladie de Bernard, prouva à ses parents la profondeur do son amour, mi eux que n'auraien l pu le faire de lon g ues déolaratioue.. Pas une
roi ; elle ne ùem nnda la permi s ion do "Voir le malade. Mnis, chaque malin, oHe assistait. à ]a mesae
de se pt hemes, li Sainl-?llichel, priant pour la gu6l'ison de cel ui qu'elle aim ait avec une ferveur capalJle d',é mouvoir un cœur plu s dur que c01ui de
M.
n~raud.
Le jouI' yiut enfin où Ber'nard Cul. en mesure de
quiller le 'hitca u de La Chênaie. Sa convalescence
se dessinait. Pas une loi s, 811 COlll'S des jours pe6édenl~,
il n'a\'a it ~ té que tion enler lui ct M. lIéraud tl es événements qui avaiont précédé sa mll.lndie.
Pas une {ois non plue, le nom de Denise n'avait
�DANS LA TOUR TÉN~REUe
123
été pronon cé, .ct rien ne pouvait faire croire à Bern a rd qu e le père de celle-d fût revenu SUl' sa décision.
Bernard, étendu sur son lit, attendait qu'on vînt
le prévenir qu e la voiture qui devait l'emmener
était prê te. Malg ré le sentiment d élicieux qu'il y a il
sentir la vie r en aître, el anim er cll3que jo w ' davantage un corps qu'elle a failli déserter, ses pensées
étai ent empreintes d 'une sourde m élan colie.
Le d évouem enl do nt avaient fait preuve, en le soig n a nt, M. et Mm e lléraud, avaient calm é son ressentim enl. Les vi sites que l'abbé Floquet lui avaient
faites avaient égalem ent contribué pui ssamment à
-ce lle é volution de son espriL.
Du l'esLe, que p ouvaiL lui importer tout cela, mainten ant qu e le seul bien qu'il eôt d ésiré au monde,
Deni se, lui était à jamais interdit P N' avait-il pas
entendu, d e la pro pre bo uche de la j e une fille, la
décisio n qu'elle <Ivoi t pri se de n'aUer jamais contre
ln volonté de ses parents P...
.
Et Bernard n 'avait plus au cœur qu'amertume et
regr ets ...
Soud ain, la porte s'o uvril, cl l\T. I1éraud par ut.
- J e sui s prêt, monsieur, dit Bernard, en se levant. EL il me res Le à vous dire combien j o vous
uis r eco nnaissant ...
M. Héra uù l'arrê ta du gc te.
- A sey ez-vous, mon ami, dit-il doucement. Nous
avon s à parler... de bien d es choses] ct de choses
im porlnn tes ...
D e l ~ nard
s 'a sit, surpri s pllr le tOIl d'émotion qu'avait ce t ho mm e, qu'il s 'était toujo urs représenté sous
les traits d ' un homme dur ou impa seible.
- lIIon sieur, po ursuivit-il, dan s la journée qui a
pl'écédé voIre ... accid ent, vou
~ m'aviez adressé une
demando ... Vous en souvient-il P
�DANi LA TOUh TÉNÉBREUSE
Bernard rougit brusquement
- Une demande P.•• Mais ...
- A laquelle j'avais opposé un refus.. .
Il étai t inutile de feindre plus longtem,ps l'incompréhension. Bernard regarda franchement M.
Héraud. Celui-ci continua :
- Et vous avez employé UII1 argument, dit-il, qui
m'avail plus irrité que Louché. Vous m'aviez dH que
Denise avaiL pour vous... plus que de la sympathie.
- Je m'étais aswrémenL trompé, dit Bernard,
sombrement.
M. JIéraud haussa les épaules à cetle interruplion .
- Vous vous étiez si peu trompé, dit-il, et celle
petite que j'aime plus que tout au monde est maintenant dans un leI élat de nervosité, que c 'est moi
qui, aujourd 'hui, vieos vous demander si la maladie n'a pas modi fié vos in ten lions ...
Ces paroles étaieol si inattendues que nernard, un
moment, sc demanda ,'il n'était pas de nouveau en
proie au délire. Puis, un flot de joie l'inonda. Il
Jui semblait que la vie rentrait seulement maintenant en lui.
- Vous voulez ... vous vou1ez bien .. , balbutia-t-il.
Et il se crut forcé d'ajouter:
- :Maia je ne suis pas plus riche qu'il y a un
mois ...
- ]\f;\is si, di!. M. IIéraud, cn détournant la tête.
Vous avez volre chôle;\u el les lerres. Et maintenant,
je vous envoie Denise. Vous lui demanderez ce qu'elle
pClISe de tout oela ...
Avant 10 fin des voc;\nres, l.'abb6 Floquet célf.bra,
dans l'église de Sainl-Mirhel, le mariage de Denise
lIéraud cl de llerna,'d de Blesle.
Z
Dcnillc avait auSO'lument tenu , maagré les difiicul-
�DANS LA TOUR T~NÉBRUSn
125
t6s, à ce qu e le lunch fût servi dans la Tour de Bern ard. Elle sour iait à sa mère, qui ne comprenait pu
ce cap rice, el souriail à n e~na
rd,
qui le comprenait.. .
. El l'o n dansa tard, ce lle nuit-là, sur la terrasse de
la Tour té néb reuse, qui était devenue la Tour de
la Lumière et de la Joie.
FIN
��Pour paraltre;eudi prochalD sous le na 608 de la C.lIectioll .' Fuu .,
LE PRINCE CHARMANT
Par
\. NNŒ ~t
PmRRE
HOl
CHAPITRE PREMIER
- Catherine 1 Où vas-lu donc 11 cette heure matin ale P
La j eun e fill e ain si interpell ée s',ll'l'êLa net. EJiIe
s'apprê tait à fran.chil' la grille du petit jardin bordant le coq ue t h ôte] particulier de la rue Henril1 ei ne, fi. deux pa s de J' a ven lie Mozart.
S'étant r elourn ée tout d ' une pièce, clle rejoignit
SO I1 prre, le con Iru c teUl' d 'a utomobiles, Pierre ArLhui s, qui descen dait les mal'ches du perron.
- Je vais chez ]e coiffeur.
L'illdustri el , j etallt un r ega rd sur les magnifiques
boucles hlondes sava mm ent ordon'Tlée!, sem bla trouver ce Ue visite sliperJlue. 1Ilai il se ga rda bi el1 d'ém eUre so n opinion, la sar hant par avnnœ inopérante. Il dema nd a se u]eme,ll't :
- Veux- tu (Ill e j e le dépose P
- Non, m r.rc i 1 p ["O l e~ la Ca therine vivement. J'ai
11' lemps. un peu de foo tin g va me faire du bien.
- A Io n ni~e.
(A mivre.)
�Imp. J. T6qul. S b13.
rn~
de la SnbUère. Paris (F rance). -
61-11-38.
�'!..IIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII1111 i lllllllllllllll'i1111111111111 11111111111111111111111IIIIIIII tE
g
~
§ COLLEUTION
F
ARA
§
•
Derniers volumes Darus
601. Franchita la réfugiée, pa r M. de MOULINS.
602. N'aimer que vous 1 par Philippe J AIlDYS.
603. Promesse d'aïeule, par Jean R OSMEI1.
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608. L e prince charmant, par Anni e ct Pierre Il OT.
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�DEPUIS TOUJOURS SONT LES MEILLEURS
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Creator
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Morin-Sarrus , Jacques
Title
A name given to the resource
Dans la tour ténébreuse : roman
Publisher
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Dans la tour ténébreuse : roman
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A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
impr. 1938
Description
An account of the resource
Collection Fama ; 607
Type
The nature or genre of the resource
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Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
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A language of the resource
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BUCA_Bastaire_Fama_607_90888
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Bibliothèque Université Clermont Auvergne
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94 , Rue d' Alésia
PAR I S
XIV '
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LA COLLECTION "FAMA"
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JEUNE FILLE PAR LE CHOIX DE SES AUTEURS
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JACQUES MORIN.SARRUS
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1
L'AMOUR
JOUE LA COMÉDIE
ROMAN
SOCIETl1 D'J!DITIONS
PUBLICA TIONS ET INDUSTRIES ANNEXES
ANC' LA MODE NATlONALB
91. Rue d'Alésia, 94 -
PARIS (XIVe)
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(0
L'AMOUR JOUE LA COMÉDIE
CHAPlT'RE pnEMIER
I.A cOLtnl.!: DE MADAME DE BEAUVAL
" :jarnais Mme de Beauval n'avait été daL. une si
grande coli'ro ... Jamai s 1... Pas m~e
lorsque son
fil s, Jean, avait exprimé, il haute voix, le désir de
devenir acteur 1... Pas mêmo lorsque son mari, le
pai sible comte de neauval, avait. timid ement mani feslé l'intention de v endre leur petit hôlel de Pa ~y,
ct de venir habitel' définitivem ent le chùtoau de
Beauval, qui drossa it, quelque p:lI't don s l 'Orne, ses
lOllrs démantelées cl ses murailles lézardées. Ces
dellx velléilés d'ind épendan ce, qui avaient soulevé
les deux plus célèures colères de Mme de Beauval,
avaient, si "on peut dire, été étouffées dan s l'ceuf
pur la violen ce do ses réa elion s, el Jean é tait devenu lin brillant lielltenant d'aviation, tandid que M.
de Beauval continuait il so upirer, dix rn o is s ur dou ze clona le peLil hùlel de Po s~y .
�6
L'AMOUR
JOUE
LA
COtllÉOlIl
Mais la colère du 22 juillet 1938 promettait de dépasser de beaucoup, en intensiLé, férocité, violence
et tumulte, les célèbres colères de 1930 et 1935.
Cette oolère avait pris naissance vers quatre heures de l'ajprès· midi, dans le petit salon du château
de Beauval.
Quelques minutes auparavant, Rose, la femme de
ehambl'e de Mme de Beauval, avait introduit dans
la pi èce Marc Labrou sse, un jeune homme de vingt
cinq ans environ, d'allure él6ganlfl ct sporlive . Rose
avait ensuite ét6 prévenir sa maÎlresse de la présence de ce visileur, et Mme de beaùval s'était aussitôt rendue dans le petiL salon.
Rose omit de coller son oreille à la porte, cc
qu'elle ne manquait jamais de faire, 10r&f]1I'elll!
pouvait suppose r qu'un enlretien de quelque importance allait se tenir: mais Marc Labrollsse élait un
habitu é du ehtHeau cie Beauval, ct Rose, prise en défaul pour une foi s, ne soupçonn'l pas un in sLant la
gravité de ce qui allait se produire.
Déso lante négligence 1 qui priva la clJisinière, le
chauffeur et 10 valet de chambre du récit détaillé deI!
premiers in ~ lants
d'e la colère de leur ma1lrossc ...
Mm e de Beauval était depui s cinq minutes .~
peine avec \'lare Lah1'Ous$e, lorsqu'un ~rand
fraca~
dc vitrcs bri5éc~,
un sauvage claCJllemcnt dc portc, et un « SorLez 1. .. Il hurlé plulôt qu P cril;' IILti.
rb'enl l'attention g{on~raJe
ùe~
hôte8 <lu cbilleulI,
Presqllc als~it),
la petite IJllgotti hlcuc qui avait
amené Marc Lahrousse d('mnrrd avec lin hruit dp.
tonnerre, fil llTl virage ex:LraonlinairenH'IlI Iluùacieu"(
devant le perron du château ct di'Pllru i à L1ne fou·
aroyante vites~c
dln~
la noble allée de ch~ne.
1.0 valet de chllm bre Nicola" ner.ourut Je premior,
Il ouvri 1 la l'orle d li petit salon, S'!l1tendon t pour
le moins ù voir III comt~f!e
de Beullval a~sginée
et
�L'AMOUR
10Ull
LA
COM2DIB
7
la pièce saccagée, mais il Cut bOllsculé par sa maîtresse, bien vivante, qui lui dit d'une voix que la
rage et l'émotion faisaient trembler :
- Imbécile 1 Qu'est-ce que vous faiLes là P Dites à Mlle Denise que je l'attends.
Nicolas s'enfuit, épouvanté !paf les signes de colère qu'il avait di scernés sur le visage de Mme de
Beauval. Il ge hp1l<'ta li Rose qui, attirée Ip ar le tumulte, accourait ù ~OH
tour.
- Ah 1 dit-il, Madame esl en colère f... Vite,
vite, avertissez MIle Denise.
- Muis qu'est-ce qu'il y a P
- Je ne sais pas ... Mais je n al Jamais vu une
telle figure à Madame... C'cst épouvantable ... Elle
veHt Mlle Denise.
Rose se précipita vers la chambre de Denise de
Beauval.
Deni~
de Beauval avait vingt ans. Jolie, graciel'se, douce, elle avait été jusque-là la c( consolation )~
de sa mère, qui aimait sc cfoire persécutée par son
fils et son mari, - encore que. depuis lon g temps,
les deux hommes de ln famille aicllt renonc<5 à afIirmer leul' volonté contre la sienne; et Mme de Beauexcmplairr. de sa
val opposait volontiers la docjlit~
fille il (( l'clltètemcnt » de ses deux victimes de I,rédilection.
Rose dans l'affolement où l'avait plongée la nouvelle d'une terrible colère chez sa maitress\!, omit
de frappcl' R la porte, et sc [)réeipita dallS la chumore cn disanl :
- Mudemolsclle... Madame vous demande... toul
de suite ... daus le petit sulon.
- .le sais, dit J)enise uvec calme. J'allais descendre. Muil.!, cc n '(~l
pas llfle raison pour enLrer
<:Ilez moi sans frnppcr.
- Maie, Madame c.,l très en colère 1 dit Rose que
�8
L'AMOUR
JOUI,
LA
';OMÉnll':
le sang-froid de sa ,ieune ma1tresse plongeait dans
l'ptonnement.
- Naturellement, répondit Denise. Et, celte foi~,
il y a de . quoi...
Le plus tranquillement du monde, elle passa devant Hose stupéfaite et descendit auprès de sa mère.
Pendant les quelques instants qui veuaien t de
s'éeouler, Mme de Beauval avait senti cro\tre sa colère. Elle pensa étouffer, et la cJ':l.LJJte d'une congestion fut seule assez puissante pour l'inviter à sc
contenir un peu.
- Vous m'avez demandée, maman P dit Denise
en apparaissan t.
- Je t'ai ... oui 1._ Je t'ai demandée ..
Denise remarqua les trois carreaux brisés de la
porle-fn~t,
1émoins de la force avec laquelle
('elle-ci avait été claquée, ct ne pul retenir un 80U:·il'e. ]fcmeu sement pOUl' les joun de sa rn~ : re.
celle('i ne vit pas ce ~ olJrie.
Denise ... mon enfant.. Devine qui sort d'ici.
- Marc Loln'ousse, dit Denise.
- Ah 1 lu l'as su P... Mais, devine ... devine cc
qlle cet impudent personnage est venll me dire ...
- Marc n'est iflo S lin impudent per ~ onge,
dit
Denise, et je pen se qu'il est venu vous d'emander
ma main.
Sous ce coup, Mme de nenuval chnncc1a, ct pnrul
pl'~te
:1 succomber.
- Til le ... lu le sn\'ni s P balblJlia-l-elle. T'u élni <
:lU cOllrfllll. ..
Na lurellemen t
- Et III l'QR laissé venir ... l'II nr l'R ~ IPf~
... Oh 1
je l'ai lni s~ ~ venir, dil Denise,
- Non ~ el('mnt
mois c'est moi qlli Illi ui indiqllr l'heul'e oi. il aVilit
Ir plus de chonces de VOUi trouver dans les meilll'lIfrs dispositions.
�J.',u,lOUR
JO UE
L A.
CO.M ÉDIE
\J
Cet e rfrayant cynism e déc0lLc erla absolum ent
Mme de 13ea uva l. Ell e r ega rùa sa fille avec effarement. Etait-cc la pe tile De nise , sa « co n sola tion )J ,
qui tenait un pa reil la ngage ~ Etail-ce un e r évolte il
- J e rê ve , dit-elle avec un calm e soudain e t effra yant. J e r ê ve . J e sui::; sûre que j e rêve. ,.
- Mais non, maman, vou s n e rê vez pa s du lout,
dit Denise avee une nuan ce d 'impa tien ce dan s lu
voix . Marc , que vous connaissez dep uis lo n g te mps ,
's t vellU, d'accord avec moi, vo us d em a nd er I1UI
m ain. J e vo us ass ure que cela se fait co ura rnm eut. . .
- Alor, lu es folle , tu es lout ù coup devenue
foll e . . . Et ce gar ç-ün es t devenu fo u, lui a ussi ...
Vo ilà . . .
Ain si, j' infortun ée Mme de I3eu ll val s'acc roc hait
uvee désesp o ir ;\ lo utes les h y p o th è~e
qui po uv aient,
r o
v r aisembl a nce, l'ej e ler dans le
avee la !plus l ~gè
èlo m aine du fant as tiqu e les évé n em ent8 qui sc déroulai ent. !\lais Deni se , avee la nl êm e c ruauté
qu' ell e ava it mi se à écarler l'ex plicali on d ' un rè ve,
di ss ipa celle d'un e foli e s lIbile c t co ll ec ti ve .
- .J e ne slIi s ,p as fo ll e du lou l, a r'rinlln -t-elle, c t
Marc es t le garçon le pl us sen sé que j e connaisse.
Se ulem ent, no us nou s a imon s . ..
Ell e fournit celle ex plica tion a vec un pe tit Ion
léget' e t, en somm e, satisfait, qui ra m e na lirutalem ent J\1me ùe Beauval à la réa li lé 1
- Vou s VO Il S aim ez 1. . Vous vou s a im ez 1. . 'T aiheure use cllfa nt 1.. Et c'es l à m o i qu e lu vien s diro
{'(, la ? .. A m oi qui l 'n i éle vée qlli le co nnais Lien
mic ux qu e lu ne te conn ais. . . Vou s VO li S a i mez 1
Ma is, qu 'c il sa is- lu ?
- Oh 1 j e le sai s. , . Voil h tout...
Ici, Deni se hésita un peu , comme sUI'prise oll e
m ê mo do l'audace in o uïe dont ell e faisait preuve
Mlli, ellG [toUla A Marc , b leu r jeune amour qu 'il
�10
L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
fallait protéger, faire triompher, et elle ajouta :
- Mais nos sentiments ne sont plus à disculer.
C'est de notre mariage qu'il faut parler ...
Ce mot de cc mariage », par l'indignation qu'il
déchaîna en elle, ramena Mme de Deauval au point
cuJminant de sa colère.
- ~Iarige
1. .. Votre mariage 1. .. Ma fj]le mariéo
à ce garçon J Vn-t-en ... Monle dans la ('hambre. Le
père de Marc vendait de vaches Tu en Icnds P Des
vaches 1 El loi ... Ah 1 Va-L-en .. va-l-cn vile .. J'~
touffe l. .. Je ...
Denise s'éclipsa.
En ouvrant la porle, elle sc heurta il Rose, qui venait ù ,peine de quitter de l'œil le IrOll ùe la serrure ct qui prit un air fau,scmen t dégagé.
- Ça ·vous intéresse P dit Denise. Mais ne vous
gênez pas... Entrez donc, vous entendrez mieux ...
- Mais Mademoiselle, je ...
Sans en écouter davantage, Deniae s'enfuit en
courant dans sa chambre. Là, loin Je tOU8 les regards, ct su porto bi~n
closr, clle s':\hnndonna cl
redevint cc qu'elle élait : lino jeunr. filJe aimanle,
presque effl'nyr,e d'aimer, cl tremhlanl devant les
ob ~ tacles
fJu'e]le voyait se dresser enlre elle ct Bon
amour. Le rourage factice qu'clic aVilit pui~
rlans
cet omour s'effondra d'un seul coup, ct elle pleura.
Comme J'nSRurlloce dont elle venait de faire preuve devan t sa mère étnit loin cl' elle 1 Comme cette
froideur procho de l 'insolence ~Iait
peu dane /lon
caraclrro 1
Elle sc IniS88 tomber eur 80n lit et pleura, petite
fille que personne ne pouvait consoler. Marc avnil
demandé 1\ mllin, et IIVllit été chllsw ... Sa mère ne
voulait à 8\1CUn prix de cc mariage. Son lPère était
bien trop ~pri.
du calme pour pronrlrt son parti.
Elle ~e trouvoit srule, ~n
personne, l'our la rlé-
�L'AMOU R
JOUE
LA
COMÉDI E
11
fendre, seule devant une mère autorita ire, qu'elle
aimait, certes, mais dont elle C'onnaissait bien la
violence et l'achar nemen t li faire Iplier toules les volontés. Jamais encore e1le ne s'était révoltée contre
celle autorité : pal' indifférence. Et il avait fallu
tout le trouhle où l'avait jetée son amour, pour lui
donner le COU l'age de braver avec ce calme' le regard étincelan t de sa mère ...
Cepend ant, la colère de Mme ùe Beauval suivait
son cours.
Les éclats en eurent vite ,franch i les lirr:ites du
;i envahil' le château
petit salon, el ne tardère nt pa~
ju squ'uu rabinet
parvint
en
tout enlier. La rumeur
la plil S reculée,
tour
la
flans
situé
l,
Reauva
de
de M.
ct dans laquelle cel homme 1(l:Jisible s 'enferm ait
pour étudier la rréhi Rloire. Par l 'étroite 11lcarne q"i
déversait un jour avare dunr la petite pir.ce, il enexclam ations,
tendit les claquem ents de ')orte, lc~
colrres
qui accomp ngnnicn t toujolll'S les redoutlJh!~s
de sa femme.
Le comte de Beallval, héritier des Bell uval qui,
au XI" sir.ele, prirent port avec Robert Guiscard li
la fondation dn royanm e de Naples, III un raj,ide
examen de comcie nre pour voir s'il ripqllOit d'être
l'ohjet du rl'ssrnlÎ menl de M femlne. Il ne sc trouva que des fnutes vrnielles, inc/lpahles de drchnfner la furem violente dont la brise lui IIpportfiit les
échos . Rassuré en partie, il prit la rlérisior. d'attendre, pOUl' interve nir, <.l't'tre ofricielJement mis au
Cournn t ue cc l'fui sc pnsRnit.
CclII ne tarda guhe.
Le frngile escalier de bols qui n!onait à son rcfuge gémit soudllin SOllS ]e 'PRa intrépid e el décidé
de Beauval. Elle ne mon lait que rude la comle~8
rement dans le réd11it qui sen-liit de refuge à 80n
.
mari, ct seulem ent dans les gronde s cireon8la~
�12
L'AlIl o un
JOU
~;
LA
CO'tÉIJIB
Au ssi le pauvre ho mme sc sentil moins ra~ s uré
en
entendant arriver la bou r ra sque.
La porte s'ouvrit brusquement, et il vit Avec
effroi le v i ~age
de sa rem me ravagé par nn e col ère
sa ns exe mple. l\I ais cc qui l'effray a If plus, cc fut
le calm e avec lequ el elle J'int ei'nell a lout cl 'abord.
Vous trava ill ez, m on ami i' demanda t-ell e.
- 1I p. 1 Vous vo yez, chère am ie... J e .. .
- .J'es pi· re qu e vos rec li erche3 sur l 'é poque antédilu vienn e seront bi entôt couronn ées de bll ceès .. .
,/ 'espr re CJ\le les mœ urs des mammouths n'auront
hi ent ôl pllls de sec ret pOli l' vous ...
L 'inùifférence profond e, VOiSIlH.' d\1 mr pris, que
\1m e de Bea uval avait touj ours témoi g nr c ~ j'en droit des Irovaux auxq1l els sc livrait qo n (oP01lX, empêc hait ce lui -c i de prendre cc soud ain inl hê l pour
a1ltre ch ose qu e la mallifestati on ù'ull e ironi e plein e
de perfidi e.
- Oh 1 dit-il , je ch erche, .i e .. .
- V o u ~ cherchez ~ dit la comtesse en lui jetant
un regard foudro ya nt. Vou s eli('rchez il Et, pend allt
cc temps, on srt!uil le cœ ur de votre fille, ct l'on
ch er(' hc ;,\ fnir e entrer le dés honn eur dan s cell e m aison ...
- Chère amie 1
~
chcrchrz des ùenl s de mammo\1th!!, ct
- Vou
prnd ont ('e tt'mps, un vacher prrl end n la main de
Deni se .. . Et Deni se, votre fill e, ~c dit éprise de ('(1
vacher ... Mais qu'cs t-ce qu e celll peut V0\1 8 faire P
Ain -Î ri ~ Il parti e, ct vi olemment 8 lrpi
~ d' autre part par la Il ouvcll e qui llli élnit ain si brutalement annonc ée, M. d Beau val j eta 01110111' de lui lin
regard éperdll . Il l\emhlaÏl prendre n tr llloin se!
llil ex, se~
coquilla geq pétrifi é!! el Il ' ~ empreintes de
ptéroda ctyl es de lA m enace qui pesuit soud ain mcnt
sur sa Iranquillité.
�L'AMOU R
JOUE
LA
COMÉDIE
13
-- Un vacher r réjpéta-t-il, scandal isé. Le déshonneu r P
Son esprit devait faire un bond de plusieu rs milliers d'année s pour le rame.ne r au sentim ent d'u
réel.
- Que dites-vo us là, ma chère amie P
- Ecoute z-moi.. . Je me contien s pour ne pas
donner libre cours il ma colère.. . Connai ssez-vo us
Mar·c Labrou sse P
- Naturel lement .. .
deman- Eh bien 1 Marc Labrou sse "ienl de r~e
der la main de Denise, votre fille ...
Une express ion de so ul agemen t se peignit sur le
visage ùe M. de Beauva l.
- Ah 1 dit-il. Vou s m'aviez fait peur ... Que me
parliez- vous d'un vacher P
- C'est tout J'effet que ça vous fait P Ecoul ez,
je me con tien s encore. .. Revenez il vous... Cc La ·
brou sse, que nou s avons eu le tort de recevoir' chez
nou s, - mais il faut hien vivre avec son temps 1
\eut épouse r votre fill e .. Vous entende z P... li
veut qu'elle s'appel le Madam e Labrou sse ... Nolrr
fille VelJt s'appel er madam e Labrou sse.
- Oui, oui, je vous entends .. . Et alors P
- Et alors P... Ah 1 je ne mc contien s plus 1...
Et alors P Et alors, moi, je ne Je veux pas. Si vou s
i. cc point indiffér ent au nom que vous portez,
~tes
moi, je me souvien s que je suis un:;! Toulevi lJe, ri.
qu'en ,preHant votre nom, je me sni s juré d.! ]1'
conscrv er aussi pur que j'avais conserv é Je mien ...
Mni s je vois que je vous parle un langage que yom
n'entCOllcz plus ... Forl bi en ....
- l'lais, mon amie, dit M. de Deauva l, il ne fant
rien dl'umal i se l'. Cc garçon veut épouse r Deni se,
vous ne le voulez pas, oh bien 1 il ne l 'épouge ra pa~,
voilà tout.
�L'AMOU R
10UE
LA
COMÛDIE
Vous croyez cela il J'ai vu Den isc, lou t (1
l'heure . Je ne l'ai pas reconnu e. EJ1e est d'accor d
avoo ce garçon , contre ses parents ... contra nou~.
Elle mil déclaré la guerre, entende z-vous il... ma
propre fille ... celle qui jusqu'à présent était ma consolation dans les épreuve s que vous ct Jean vous
plaisez à m'infli ger. 011 1 e'esl lrop ... Vous ŒJre·
nez son parti il Je suis seule il Soil ... Nous verrons
bien qui céùera.
- Mais, ehère amie, je n'ai pas dIt...
Non, vous Ile dites .il!ma~
rien, naturel lement. Ah 1 En voilà IISSCZ J Je VOllS quitte ... VOU"
êtes mainte nant au couran l de cc qui se tl'ame chel.
vou~,
il volre foyer, c'est 11 mol d'agir mainte nant ...
Et, sur celte forle parole, Mene de Dca uval s'en
ful, el red~scnil
l'escali er génliss ant, du m~e
pas ferme qu'elle l'ovait gravi.
Demeu ré seul, 1\1. de ncauvn l jeta 110 regard constûtné allx collecti ons qui l'entou raient, il ln page
comme ncée du manusc rit dans lequel il comptn Ît
déversc r tout cc que scs patient cs reche)'{:hcs lui
avaient npri~.
Cellr paix qu'il pellsait avoir définiti vement ocquise RIl prix du sacrifice do su volont6 mnritn lr ct
IpatC'rnelle rtait d l\Ouvenu rompro mise, el por la
laute de DClliae, qui ne lui Ilvait encore occasionné
aucun ennui.. .
Le premle r mouve menl d'égo"'s me un égoïsmc de savant - fut vitc étouffé par lu conscie nc,·
soudain e que 'était en somme 10 bOIl heur de 81\
mIe qui était en jcu.
Sous les phrAsPs heurtéc s que lui ,avait dites ait
femme, il entrevi t la v~l'ié
: les deux jeunea gem
s'nimnl ent et la seule idée d'ulle ldle unioll
suscita it ]a furellr de Mme de RelltlvaJ. Il savait pOl'
expérie nce quellc énergie il Ini uvuil fallu pour ré·
�L'AMOU R
JOUE
LA
COMÉDI E
15
ai,ter il ce. fureurs , et la pensée ne lui vinl même
pSI! que Deniso pu refuser longtem ps de céder li
la volonté de 8a mère.
!lon bien ? Est{( Mai, si elle cède, sera-ce po~u
cette affaire, et
étudier
ee que je ne devrais pas
DenisE' contre
de
côtés
aux
fallait,
le
s'il
Ioe mettre,
sa mère ? ))
La perspoc live d'une si grave déterm ination 11
prendre fit passer un frisson dans le dos du comte de
Beauval.
« Bah 1 songea- t-il, repris par son égoïsm e, je
serais d'un bien faible secours à cette enfant. .. Et
puis Franço ise (c'était sa femme ), est emporl ée,
mais bonne au fond. Si clle juge ce mariag e ridicule, c'est qu'il doit l'être ...
Il poussa un grand soupir.
« Le mieux c'est d'allen dre ... Peut-el re que tout
finira pnr s' arrs Cl ger 1. .. »1
Et, de sa belle écritur e réguliè re, il aebeva tranquillem en t la phrase que l'arrivé e de 8a femme avait
interro mpue.
l'enver « "_ ce qui nous permot d'aUirm er que
»
.
ctyles..
ptéroda
gure de cerlaim
CHAPITRE II
UN8 DOUBLB ARnIVnB
Mme de Beauval, comme elle faisait chaque Iois
que SOII tempér ament violent l'entrai nait. 11 quelqu e
dltnll sn chamhr e. en
colère excessivo, s'était reti~o
interdisl\ lll IlU 'on 1ft dérang eât sous f(Uelqne prétext e
que cc fOl.
De là l'emba rras violent où so trouva Rose, lors-
�J6
L'AMOU R
JOUE
LA
COMÉDIE
que une heure environ n,tprès les événem ents qui vonaienl de sc déroule r, elle reçut des maim du facteur un télégra mme adressé à ~:lIe
de Beauva l.
Le porler ;) sa destina taire, c'était s'expos er ~
l'une de ces algarad es qui faisaien t frémir ses gens;
ne pas le porter, c'était risq1\er une histoire beaucoup plus grave encore ... Avec .les télégra mmes, on
ne sait jamais ...
Enfin, prenan t son courage à deux mains, la pauvre Rose se dirigea vers la c( chambr e de Madam e J).
Elle heurla doucem ent à l'huis, ne reçut pas de l'épOllSe, cl beur'la plus fort.
Qu'esl- ce qu'il y a P cria une voix flll'ieusc.
- Je ùemand e bien pardon à Madam e, c'esl..
La porle s'ouvri l hrutale ment, ct Mme de Ueauval apparu t., drr,oifféc, les yeux brillanl s de larmes
de rage.
Qu'esl- ce qu'il y a P dernanù 'a-l-elle encore.
Ne vous avais-je pus dit ...
Elle sc lut, il la vue dll t.élégra mme que la pauvre
Rose hrandis sail comme lIDO arme défensi ve, II'
Ipril cl referma Ja porle au nez de la femme cl,!
(~hambl'e.
Elle J'ouvri t pr(ocip ilarnme nt cl lut :
« Permission avancée. Ar1'ÎverIJ; ce soir avec un
camarade. Baisers . - JEAN )J.
Mme de neauva l sonna violem menl Dose, qui accourut, partngr c enlre lfl crainle des éclats de fureur
de sa maîtres se, ct le désir de savoir cc q1le conlenail le lélrgra mme.
- Madam e m'a appclfe ?
VOl~
prépnrf 'rez la {'homb re de Monsie ur Jeall.
Il arrivo cc soil'. EL VOliS prr,pore rez aussi la chambra bloul'. Tl n1'fl~
nyor ,m IImi ... AlleT., ma Olle,
/lllcz ...
�L 'AII10UR
J OUE
LA
COr.IÉ VIE
17
Ln nouvelle de J'arrivée de son fils, qu'elle n'attendait que la se main e suiva nt e, provoqua une
pui ssan te diversion;) l ' hum eur sombre de Mme de
Beauval. El le eut l'impress ion de l'arri vée inallenduc d 'un fl' nforl. Jea n, depuis que sa m ere avait
dompté chez lui la ve ll éité, ex primée a ux envÎlons
de sa di x-huitii' me ann ée , de « faire du théâlre »,
avait é lé un fil s parfaitement 8o umis. Et elle ne
doutait p as que, dans le grave eon/lit qui venait de
surgir entre elle ct Denise, J ea n n 'e mbrassât s a n ~
hésiter son pa ri i.
'rrar co ntre, l'id ée de le voir am ener Ull ami 3
Bea uval ne llli so uriail g uère. Les amis de 500 fil ~
avaient louj oul'i\ él!~
p Olir Mm e de Beauval un sujet
d 'é tonn ement assez vo isin du scand ale. Il se liait
to Uj OII!'!! aver des ge ll s qu'ell e lrouvail l ' éI!'an !!es »
c'es
t - ~ - di)'
e l'Jlli n 'étaient pas « de so n mo nd e », ct
dont la p r é~e n re à Bea uval la ch oqu aie nt 1111 peu
c'est ain si flU 'il y avait am ené sll cC'ess iYem elit UI1
champ,io n de leJini s, lin j eun e mu sicien pl ein de
talent, mai s qui j etait des Louts de cigar ettes par tout, un peintre, qu' ell e avait hien voulu croire génial, m ais qui avait ln m au vai l'e habiLwl e de dessiner sm la nappe ln ca ri nture des gen s qui l'en tourlli enL .
Ell e é tait repend ant Ioule di 5posée à pa ssel' sur
ces « exrcntriril és )J , en fa ve ur d e hl parfaite sou miss ion à ses vol on lés qu e Jea n manifes tait en loul e
occa sio n.
Un pcu ra ss(lrén ée pal' la p el'spee live d'avoir son
fil s pl'l\5 d 'cli c pendant un e quill lll in e dl! jours, ell e
mil lin pell ùe pouùre, effaça sur SO li vi sage les marqu es ci e la g rand e co li'l'e qu 'ell e veu nit d'éprouver,
ot alla surveill er ell e- m èmc la fa çon dont S' y preMit Rose [Jo,]r pr'parer k ~ o h l\ mhJ'
c~
de .J ean" et de
~ QIl
ami.
�18
L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
Denise, cependant, avait également quitté /la
chambre, après avoir eSl!uyé ses larme~.
Par des
voies détournées, et en prenant grand soin do ne
Ip as rencontrer sa mère, elle gagna le fond du parc..
Il y avait là un vieux cMne, foudroyé par l'orage
depuis Lien longtemps, ct dont le tronc !plein de
crevasses profondes lui servait de (( boîte aux leltres », lorsqu'elle était pelite fille. C'était dans ce,
cachetles que son frère, ses cousins, ses amis disposai en t autrefois lelJ pa,p icrs myslérieux qui ne de·
vaient pas lomber sous les yeux des (( grandes .personnes »1 : plaos du chAteau, avec, marqué d'une
croix, l'omplarcmcfJ t probahle du trésor ; papieu
secrets conccrnanl les expéditions ot explorations
projetées, ek ...
Et c'était là qu'il avait été convenu entre 'fare
eL clio qu'au sortir de sa visite ù Mme ue Beauval,
'10 jeune hommo déposerait le récit fidèle do son
entrevue.
Denisc, en approchant du chêne, eenlait baUre
son cœur. Sans d0111c, clio était déjà a1l cournnl de
l'issue désastreuso qu'avait elle la démarche Je
Marc. Mais elle craignait que celui-d, élant dOllnre
ln hâte avec JflfJuelle il avait fJuil~
le chûl:au,
l\'cOt pllS pris le Lemps de rrdiger la leltrc ospétoute ('ctte 1I0irre, ct, Mn~
rée ; ot l'idée de pa~scr
doute, toute ln journée du lendemain IInne lin mol
dl.\ lui, lui paraissoil bien pénible ...
MajR Morr. était homme de parolc : cl Denise
lre sllillil dc joie, lorsqu'clle aperçut, brillanle dans
l'érorco grise rt rugueulle, la Irltrr de More.
EIlo s'en empara prompteITlt'nl, cl, )0 lennnt
pli~e
danl! ~8 main, gagna ('Il courant l'unc des rell'/IiLcs l 'R plus ~(jrcs
qu'olle coon(\l, dan!! le pclit
bois qui faisait !lIIite IIll parr. Cc fuL là, bien "
�L'AMOUl\
JOUE
LA
COMÉDIB
19
l'abri de tous regards indiscrets, qu'elle prit con naissanoe de ce que lui disait ~larc.
c(
Ma chère Denise,
cc Les bruits divers qui oni suivi de si près mon
arrivée chez vous oni déjà da vous mellre au courant cles "ésuliats de la démarche Il laqu elle vous
m'aviez enaagé : porte claquée, carreaux brisés, déman'age fUlldroyant, oni, je pense, été assez Ploquents pour vous résumer la situation. Elle est
O"ave, mais nullement désespérée. Je crois qlle ce
n'esi pas manquer au respect que je dois à ma futUre belle-mère, que dire qu' e1~
est extrêmement
vive, et pleine de spontanéité.
cc flien enlmdu, ma chère Denise, je me refuse
absolument à considérer comme définitives les réponses '1ILC j'ai rerues ; j'estime que j'ai selllement effleuré le sujet avec votre mère, et je compte
l'aborder plus sérieusement un jouI' très prol:hain.
Vous savcz qu'entre nous, mon amie, les lonaucs et
poétiques déclarations sont Ïlwtill's. Je VOlIS aime,
Denise, comme je vous aimais déjà [Msque, torrle
petite fille et pelit gorçon, nous jouions ensrmble
clans le pelit salon d'oi/, je vi('n
. ~ d'/)!re si brillamment éliminé. 80yrz sOre de moi comme je suis st1r
de vous, 1'1 sac/u;ns ([/tendre. Je vou
. ~ aime.
(c MA ne. l'
Il Y avait
l.l1l
post-scriptum :
c( EXCLUez mon affreuse écriinre
je vous écris
ce mot dans ma voilure, dont je n'ai pas a"rPlé le
moleur, afin d'etre pret à bondir au cas d'une poursuite menaçante. D'aulre part, el senlement pour
rétablir la vérilé hisloriqne, affirmez il voIre mère
�L'AMOU n
JOlJE
LA
COM~fJlE
que mon père n'était ni bouvier ni tombeur de
bœn/s, comme elle me l'a soute nu : ce so nt des
m étiers honorab les, mais ce n'étaient pas les siens.
Il avait des /rolLpeaux et en vendait les produits :
bien des rois de l'ancie nne Grèce ne p,.océdèren.t
pas aut,.ement. (C f. Odyssée, passim). »
Malgré le chn gri n o ù l'allitud e de sn m ère l'avait
plongée, Deni se n e put sc reten ir plu s ieur
~ foi s de
rire à la lec ture de ('e billet con fi an l el plein d 'l IU mour.
Elle le J'elut plusieurs foi s: elle y trouvait .warc
tout enti er : cc mélange ùe tenùres'e ct d'ironie,
de gaieté ct d e confiance, qui J' ava it toujours
channée. Elle sava it hien qu'il ùevl\il avoir autant
de peine qu'ell e, el qu 'il deva it être aussi inqui et
qu 'ell e sur cc qn e l'avenir leur réservait. ]\fni s elle
iL
g ré de l'optimi sme qll'il cxprimnil.
lui ~av
Elle dcmeurn lon g tem ps étendue sur la mou sse,
nssn illie pOl' les souve nirs des unciennes vaconces,
auxquels I\1nrc éta it toujou rs intim emen l m êlf. . Ni
J'un /li l'outre n 'allra it ,pll dire il qllel moment
J'amour était entrIJ dans leur cœur . 11 leur semblait qu'il ovnit toujours exislé, cl si c'é lnit ce lte
annéc scul pme llt CJu'il ~
lui avnient ÙOfln (\ SO Il vrai
nom, le sentiment qui les pOllssail l'lin vers l'autre
élnit le mÎ:mo qui, jadis, les r é lni s~n it 10ujours
o carn p, q \Ji i nci ln il Marc Il ne pa s ta dan s le m~l1
qnin er Dcnise, alors rJu'iJ nimait lnnl « faire rager ))
les fill es, el qui poussait Deni se il dcmunder ?lMarc
sa protertion l'onlre les tracasseries deR tl'ITC~
:;rurcone.
Dcnise revint à pu" lents vers le ( h~lea1.
Elle se
~e nlit
plu s forl e, moins IrÎ ste. C'étnit I II prrTTtirre
letlrc d'umour CJu' li e elÎt rcçue de Mure, cl elle
aim ait qU ' l'lie fOL si pcu dirrrrent e, par le LOl1, dei
JeUres amiealeli qu'ile échangeaient autrefois, au
�l'AMOUR
JOUE
LA
cOMénm
~l
des interminabl es « années scolaires ». Le précieux papier, dès qu'elle fut dan s sa chambre, fut
rang-é aver amour dan" une bOÎle parfumée de verveine qlli ava it con tenu ses mouchoirs. Deni se commen çll it à fa ire co nnai ssance avec les émouvants
e nr a nli~'
s de J'amour.. .
he du rIl:1pr la su rprit au milieu de sa
La '~10(
tendre r êveri e, c t la ramen fl brutalement au ~e n·
lim ent du réel. Elle Iressa illit ; ell e allait sc r etrouver Cil {ace de sa mère, pour la premi ère fois depuis la scè ne qlli les avait opposées l'un e :1 l'autre.
Elle allait voir le visage ennuyé de son père, qui ,
<'crt ainem nt mis au courant de ce qui se passait,
deva it Mre terrifi é à l'id ée de voir sa paix comJ1romi
~e ...
« Et cc se rnit si fa cile d'être heureux 1 » songeait-elle tristement en descendant vers la salle à
man ger.
Sa mère entrait par un e Alltre porte , en même
temps qu'elle . M. de Bea uval é t"it d(ljh là, Arpentant la sa lle, le front souci eux. Le rcpas commença dan s llii profond silen ce.
J'ai reç u lln télég ramm e dc Jcan, dit sou dain Mme dc llea nval.
Deni se ct son p?!re levèrent ln We.
- Il arrive <'0 soir, avec un nmi ... Sam doute
par le traill de dix heures. Tl s seront d<:me là ù dix
heures ct dem ie ...
- J e eroya is q11 'il n'arrivait fI\le la se maine prochaine, observa M. de Beauval, pour dirt, fJuehlue
chose.
~s ion
a été avanc6e ...
Sa pC1'li
Le silence retomha, pesa nt.
La préRc nce de Rose, qui servait, rendait impos~ ihle
tOlIte allusion aux événements du jour . Et
puis, Mmo de lleauval, comme après chacune d.
cour~
�1.' AllIO un
JOUR
I.A
COM~DlE
se! grande~
colères, traveI'sa it une pha!e d'abatteme.nl. Enfin, per.onne ne se ouriait guère de rouvrir tout de suile un débal qui 6'annonçait ('omme
long ct plein de péripéties.
Les lroi!l convives n'échangèrent plus que quelques banalilés sur la journée, qui avait M(· belle,
la mère Lachaise, qui élait bien bas, el l;!~
battaibons, don 1 la da Le approchai l.
.
C.e ful avec soulagemellt que M. de lleauval vil
enfin sa femme e lever, ct gagner, ùe ROll pas décidé, le petit !alon où clle passait ses soirées.
Il sc leva li son tour et sc prépnrail li gagner son
cnLinet, lorsqu'il s 'cn lendi t appeler pnr Dcnise.
-
Papa 1
Il sc relournn. Denisc lail debollt, trèB pâle,
et lrvail Ver!! lui un visage s i dé~ol,
que le pauvre
homme en cul Ic ('cour Aerr6.
Qu'y n-l-il, mil rlH~ie
P dema ndo-t-il.
- Parn ... Maman vou a dit.. lI'rsl-rn paR
- 011i, la rnhe m'a parl~
... de quelquc rhose . ..
Puis, il eul une inspirntioll, qll'il cru, Irt·~
('apahlr dr le lInllver d'une situation qu'il jugeait OSRez
prnihle.
- J'ai t"1~
Iri'~
Rurrris que Jarr c soil adres~
~. In mi'rr, dil·il.
C'plait moi qu'il drvait venir
trollver ... C'e~1
un prorédé qlli proll\"e pell en fa·
vellr cJe ROll rdllrn lion ...
Alor!! Dpli il' d('lourna Wil rrp-ard de ROll pi're, le
Ini~so
lihre ri sorlit Icnlernrnt ùe la ~1Ie
1\ manger.
Elle veJlflil c!r crder li un mOllvemenl ù'espoir, en
s'acJr~lt
à on prre. Elle avait CfII, un inRlanl,
qu'il viendrait à ~on
sccour . Mois III r~ponse
qu'il
venait de lui faire acheva de lui /)l'1" toulr~
SCB
i1lu~o,'
...
Pouvait-rlle dire li son prrc que r'était elle même qui avait conseil16 li Marc de .'n1surcr d'ahord
�L'AMOU R
JOUE
LA
COMÉDIE
des intentio ns de sa mère P Ce serait témoig ner à
cet homme qu'elle voulait respect er, jusqu'à quel
de
point il avait abdiqu é toutes les pr é rogative~
...
lle
l'autori té paterne
La nuit était presque complè te. Vers l'ouest,
quelque s bandes de nuages roses marqua ient l'endroit où le soleil venait de dispara ître. Les premiè apparai 8saienl , et celle premiè re heure
rcs éloie~
Je la nuit avait son charme de chaque soir. Mais,
comme tout cela était devenu indiffér ent au cœur
de Denise 1 Que lui Caisaien t les douceu rs de ce
soir d'été, puisqu' elle les goi'Hait seule P Que lui
importa ient les promes ses de tant de jours d'été
Somptu eux, pui sque, pour elle, l'aveni r n'aurai t de
soleil qu'aula nt qu'ellc le serait près de Mnrc P
Elle marcha it SUI' la roule ,poudre use qui longeai t
le parc. Elle ne songea it guère à son frère, qui
allait arriver , et pour qui elle avait beauco up d'affection . Mais, avec l'égo'i sme de son amour tou~
neuf, elle ne pouvait plus juger les choses et les
gens qu'en rapror t avec les événem ents qui l'occupaient lout enlière , et elle ne vOy!lit pas en son
frrl'e l'allié qn'elle nurail voulu trouver .
'cule, tOllte seule, avec son amour obstiné , conIre ces grande s personn es toujour s deines de bon nes raisons , d'argum ents irréfuta hles, de décisive s
explica tions. Seule, avec une pauvre petite phraso
à leur oppose r: « J'aime Morc, et Marc m'aime ... ))
Elle en était là de ces pessimi stes réflexio ns, el
bien près de s'nhand onner de nouvea u aux larmes
nuxCluelles elle avait donné lihre rours dans S8
chAmb re quelque s heures plus tÔt, lorsque ]e
hruit d'une voiture qui s'appro chait la fit se jeter
Sllr le Ims côté de la TOute. Elle etH reCOonu ml Ire
mille Je ronflem ent caracté ristique de la ,petite llu«alti de Marc, et .ut tout d. suite que ce n'était
�L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIR
pas lui qui arrivait. Debout dans le fossé, laiseant
Ioule la largeur de la petile roul e ft la voitnre f]ui
arrivail, elle vit une longue et élégante automobile
bleue, qu'elle ne connaissait ipas. L'aulo marcha it
forl vile, mais elle eul le temps, en un éclair, de
reconuaître son frère, assis à coté d'un garçon ill connu qui co nùui sait.
La voiture pas~
lout près d'elle sa ns (lue son
frère la vît, puis ral en tit el tomna dan s l'allée qui
condui sa it à Beauval. Elle revint nI ors à pas lenls
vers le château, un pell irritée par l'idée de l'nrrivée prématurée de so n frère et de ccl inconnu fJui
vOilait interrompre une rêverie aux cha rmes mélanco liques de laquelle clle 'e laisserait aller.
Lorsqu'elle parvinl ou châ teau, les cieux arrivan ls avaien t déji) sonné l'alerte. Mme de Beauval
éloit ~o rLie
de so n pelit so lon, ct so n mari avait élé
arrac:hé auX douceurs cie son ca llinct. .Jean avail
allli à ses parellts, ct c'l~[niet
les proprrsenl6 ~on
pos ordinaires :
Mni ' je ne VOltS attendais pas si lôt 1...
Nous sommes venus par la route ...
Vous avez fait bon voyage P
Pas uue allicroche, cIe., cIe.
('lIlr ' [ai te!!, cL Jean, fllli,
Denise arriva slIr cr~
nal ul'cll erlll'n t, i~lIo'n
t tOI( 1, de la si tualion, l'em hra
s~a
ct III sa lua avce ~OJl
cnjouement hahituel.
IPuis il lui présclltn à son tOUI' SO li (;nmnrndc,
- Pierre Lanlin e ... Ma sœur J)enil'c ...
Pierre Lan liaI' Il 'j Ilel ina devant Den ise .
.- Cc n'esl pas loul ça, dit .Jean, mni~
nOlis
Ilien VOliS S III'mOIll'ons de CHinl ... NOliS c~pél'ion\
prendre il fabl e, Mais j'e ~phc
qu'il y Il quelque
choec Il mangc'r, lJrill, Pierre P Tu meur15 de faim?
Pierre Lantillc protesta poliment, dit qu'il <llllit
C<JIlRIe d'ocouionncl' tU1 LeI fl6rall( tne"t ... tlilliil
�L'AMOUR
JOUE
LÀ
COMÉDIE
{lt le plus grand honneur au rôti froid et à la salade que Rosc, sur l'o1'ql'e de Mme de Ueauval, servit à la salle à manger.
Pendant que los deux jeunes gens se restauraient
ainsi, tout en répondant aux multiples qle~tions
de
Mme de Beauval, Denise observait l'ami de son
frère. Elle l'avait d'abord trouvé fort laid, mais,
peu à peu, revisait cc j ugemen t préci pilé.
Pierre avait une figure I( taillée à coups de couteau )J. Des traits rudes, irréguliers, mais qu'éclairaient des yeux sombres, rayonnants d'intelligence
et de franchise. Grand, d'allure sportive, il aV:1it
une Irarfaite aisance de mouvements, une grande
simplicité d'allure, comme les tlens habitués ù l'l' garde!' les choses ct les hommes en fucr, ct Il le'
apprécier li leur juste valeur. II parlait peu', mai,
d'llne voix très agréable. Denise, en somme, le
trOllva très sympathil'jue.
l\lme de Beauval, de son cÔté, ne manquait lPa~
de se livrer Il toutes sorles de suppositiolls sur le
.jeune homme. Elle brÎllaÏl d'être ~l'Je
avec son
IIIs ponr l'in terroger sur son am i. IP ierre Lantiae,
l'n arrivant, s'était excusé avec bcaucoup de politesse d'arriver ainsi sans avoir reru d'invitation
de Mme de Beallval, ct la polites~
(le ses manières
avait Cait slIpposer il la bonne dame qu'il n'était ni
,peintre, ni mllsirien. Cc devl1it (~tre
110 chnmpion
de quelquc ch08e ... Peul-être un orricier cnmarnrlc
de Jeun. Mais jnmais celui-ci n'nvnit parlé d'un
Pierre Lantiue rarmi ses rnntal'adcs de carrière.
- El ici, tu sais, dit J(';m :1 SOli ami, en se leVant de lable, on a le droit de rllIner sa Ipipe ... l'Ion
père le donnrrn l'exemple, .i'en SlIi!! certain .. .
.Tc vais all('1' .iusqu'à ln voilure, dit Pierre. Til
~eras
gentil de me dire où je pourrai la garér.
�{,' AMOUR
JOUE
L.<\.
OOMÉOIB
- Mais il y a largement la place dans le garage.
Viens donc ...
Les deux jeunes gens sortirent.
- Ce garçon me sem ble très sym.pathique, dit
M. de Beauval.
- Comment pouvez-vous le savoir, mOIl ami P
DOU~
hâtons
Nous ignorons encore qui il est... ~e
pas de j11ger ...
Et le silc.nce retomba.
Denise ct sa mère évitaient ùe ~c
regarder . 11
régnait entre elles une sorte de trève tacitement
conclue, q li 'il imporluit de prolonger Je piull longtemps possible.
On entenùit ronller le moteur de la voiture de
Pierre Lanliac. Elle manœuvra un moment dam le
garage. Ulle portière claqua, ct lea deux jeunee
gens reparurent presque aussitÔt.
- On va faire un toUI' deho\'~
P proposa Jean.
-- Mais ton ami est pcul-i1tre faliguli, dit Mme
de Deauval. Peul-èL!'c préfère t-il aller dr\l
' ~ sa chambre.
- Ma foi, madame, dit Pierre avec aaieté, j'ovoue que je me reposerais avec plaisir. J'ui conduit
pendant près de cinq cents kilomNrc8, eL jc Il'ai
pas l'hnbiluùe de ccs exploits sportifs ...
- Eh biclI 1 Jean vu valls ronclilirc dans votre
chambrc ... C'est la chamhrc bleue, li cÔté de la
tiennc.
On se souhaita le honsoir, eL Jt~an
accompagnl!
8011 ami. Il revint trb vile.
- Qui est ce garçoll P demanda tout de Iluite 88
ml're.
- Eh bitlll 1 1lJllÎs c'cd Piorre Lnnliar ... le ,'0matlcier ...
Un romancier 1 8'cxclnma Mmr cie Beallvnl
Mui .. 01'1 ns-lll pu connattre lin romanricr P Mon
�L'AMOUR
JOUE
LA
OOMÉlllB
27
pauvre ami, tu dilcouvres toujours des gens extraordinaires .. :
Jean ne put 8 'cmpÔcher de rire d,mmt la surpril!e indignée de lia mère.
- Mais ce n'est pae du tout quelqu'uu d'cxtnordinaire, dit-il, au moins au sens où vous l'en tendez ... Je l'ai connu pendanl qu'il falsail une périoel
de d'offieier de réserve, nous avons sympalhi~é,
je lui ai dit de venir 'passel' quelque/< jours ici,
voilà tout. ..
Mme de fleanval demanda encore hon nombre de
rentieigncments SUI' « cc garçon ». Elle Ilpprit ainsi
qu'il avait trente ans, une belle fortune personnelle, ct CJu'i1 avait écrit tl'oi8 ou quotre romons
auxquels la critiqlle avoit fail un excellent accueil.
- Tout de mèrne, dit-elle en matière de conclu.
sion, un romancier, c'esl dtsag'réablc i, recevoir.
Jls ne savenL jamais quoi mettre d:\ns leurs livres,
('t ils y raconLent toul cc IIU'ils voient chez les autres ...
RORsurez-vous, mamon, dit Jean. lPierre est
la discrétion même ... Et IPuis, nous n'avons rien à
eacher, je pense P
Il ne comprit pal! sur le moment Jo ICIH! d"u proà lia mère. ni du lIombre
fond 8ou.plr qui ~chupl1
regard' qu'elle portl!. sur Denise: plus tard souleIllent, il devina quelle allusion cc soupir ct ce
regard contenaient n ce que ln I>onlle dame conRidéruit comme l'affreux scanduJe d'Il moment. ..
Lo. veillée ne RO prolongea pn~
tard, cl fut mar.
quée d 'lin seul incident.
Jean enlra dans 10 pelil 0100 pour y prendre
quelque cho~e,
cl romo.rqun les vitres brief~
de ln
porle-fenêtre.
- Qu'est.ce qui est arrivé f demanda.t-il en revenant. 11 y ft eu une bourrasque P
�L' AMOUR
JOUE
LA
COM ÉDIE
- Non, dil sèchem enl Mme de l3eauval. J'ai eu
un mouvement d'impati ence, voilà loul.
Jean n 'in sista pas. Il commen ça seul ement à perce voir que l 'atmosph ère était a ~se z chargée d 'électricité . 11 r emarqua le vi sage troubl é J e sa SŒ ur,
J'ail' spéc ialement abscnt J e SO li pèrc. Il ~ e hâla de
souhaiter le bonsoir à sa f" mille, tl t regagna /1
chambre.
« Uig re 1 pen sa- l-i] eJl m ontant l 'escalier. Est- cc
qu e j e 11 'aurais pas mi eux fail de ve llir un peu
plus tard P Qu' cs t- ce qui a ,pu sc passer P. .. Ce lle
pauvre mam an cs l charmalile qu and ell c vellt,
mais il fa ut avouer qu 'ell e es l LIli peu vi ve .. . »
El Deni sc, dUlI S sa chambre, s'adonn nit au mt·r/> l1 ex ions.
me mom enl à peu près aux rn ~ m es
CHAP1'l'fiE IU
LA HotTE AU X LTlTTJ\ BII
1\l ar(' Labro usse, lorsq n' i] ava it q uitt é ~i
précitamnlC llt lc cll ;1 tea1l do n cn uvn l, Itail Join do
l' es~c
r"il
' J'optimi sme cl la confi.\rI (,o dnns l'a ve nir
CJu'il avnit (' 1'11 del'o ir t'x pl'irner d u n ~ Je bref bill et
éc rit i\ l' intenli on de n e ni ~ o.
Bien r:Jll e t'o llll aisM lll depui s IOll glemps le'\ prill cipes d ' un nutre âge , qui l'(.g isSll i(' lIt la co nrlllit u
ùe lu comt esse de Beu ll va l, cL l' hllm ellr do min atrice
qui étail la !l iCI1II C, il Il 'avo il P , I ~ pn;vll IIll e 1'(;aelio ll si violellte li sn (!emno ùe de lu m aiIl de Deni se.
L (J I' ~ I'Ji)
eul Mposf:, '0 11 bill el ail ('feux de l'arbl'e, il Tt' mi t S8 voilurc eu 1T1I11'rlHl , ·t l'pn t ra chez
�L'AMOUR
lui
JOUE
LA
COMr,:PJE
à une allure mélancolique : signe certain de.
pensées qui l'agitaient.
Il habitait, Il quelques kilomètres de Beauval, sur
la route de Laigle, une grande maison sans prétentions, mais confortnble, et telle que les rkhes
éleveurs normands aiment à s'en faire construire.
Tl y vivait :1 peu près toule l'année, entre sa mère
ct su sœur. Son père, mort quelques années auparuvant, lui avait laiss6 une affaire d'élevage en
plein rapport, ct Marc, qui se méfiait Il juste titre
uc se" capacités commerciales, avait eu le bon sens
d'en conGer la direction à un homme intelligent
ct honnète, qui, le déchargeant de tous Jo., sOLlcis
matériels de cctte exploitation, Ini en filiRUit tirer
chaque année un revenu considérable.
ASsll\'l5ment, sa forlune
ponvoit. ètre comparée
;, celle de!; Beauval. l\lais il connaissait usser. bien
les sentimentR de Mme de neHllval rom sovoir
flue celle différence de fortune Ile constituait pas
du Lou L Il ses yeux Il n obstacle. Cc qll'elle ne POllvait Sl1pporler, c'était l'idée de ,oir sa fille s'appeMnrc cut assurément p.. 6ler Mndame Labrou~se.
rér6 que cc fnt seulement nne question d'argent q1li
le séparflt de Dcnise : Do j'urgent, pensait-il, 011
peul. en gngller. I\Tuis un nom ... Hien TIC pourrait
faire ([u'il J1(' s':tppelùt lOl1te sa vic \Tarc Lahrousse.
Il trouvait du reste ce nom c'Clrêmcment honoraIlle, rnais il ~'c rendait parfaitement romple quo de
là venait toute l'op~itn
de l'elle qu'nvec un
feint optilllisme il nppclllÏl « sa futurc hrllr-mère Il.
« Ah 1 penRait-il en rngennt, si je m'Ilpprlais d('~
Hallc1riclIes, ou Viellxcr{oncDu de Viellxdonjon de
Pont-Levis, (:'est à brns o\lverls qu'elle m'aurait reçu, au lieu de me poursuivre ùe l'ct odieux Lrllil
de CIlJ"rPilIlX ('ns~
... En 1!J3g 1. .. r,'est effrayant !
nI" alon~·
nous P . 1)
~ombres
Ile
�30
J.' \MOUl\
JOUR
LA
COMt'WIF.
Et, teou 0 moins de respect que Deniee envers
le comte et la comle~s
d'e neauval, il les trailait
inlérieurement de vieille baderne et ùo triste abruti : il serait bellu temps, lorsqu'il serait marié,
de reprendre à leur égard deI! ellLimolltl plus convellubles pout' un gendre re peelullux
la démarche
Personne, r1lf'Z lui, ne SOl(~'IHit
qu'il vOilait de fairo : celu lui évita le~
apitoielIIents 'l 11'1\ ('oll solatiofl! qui l'cus,>ellt plm que
loul irr' iI{- .
1\IIIIe de /I,'ollval avait j fHli l! cru CII;rr dc grande ..
con('cs 'ioll !! " (1 l'esprit du temll » 'II SllppOl·tnllL
que sc. enfanl. reçoivcllt les Lllhr01J!Se, ol /lillen!
chez cux. Elle fai sait chafluc Il Il n(o,! une vi ILe il
I\lndam· Lahlous e, l'illvitnllt lIne foi , fi prendre le
thé, ct pClIlln iL, l'n agi ~ anl
ainsi, f ire prouve J'un
lihéraliRmo cl d'une sÏlllpliclLé loul li fail remnr'IUahlel! . Mllh l'üléo quo ces rellltionR plj 8~e nt
Jonner à Marc ,'audace de dl'mnnder Denise en marillge ne lui riait ccrlo;nrmenl jamais vonu '.
C'était de cela qlle Mart: . e renùilit compte, et
c'était nu .. i cc fini Ir ploll genit dl
~ uue humeur
sombra qui I)' rl chuppn p. Il aux regnrd'l ob~er:vIl16".
de a mère ct de n sœur.
Mni il r~Wltdi
à 1(.lIr~
flue tiom \11.' façon si évnsi vc lj'oe
~
,,'imi strren 1 pas. 1ichrll' LllurouMe,
flu'u" ~o rt mnlin vouait toujours flUX gnff ~ le plus
imprv
~i hJI " , drf'llIro :
~ t('c
qlle lu dirni, d'un tour li Dcnuval P
- Qu'e
li Y fi lon g l 'mp, 11110 je Il'ni pn ~ vu Delli c ...
farr Ill' put retenir lme grimaco
- Il JI'y Il prrron llO flujourrJ 'hui, dit-il. .10 ~lIi,
pn ~ ~
dr'vant 1 ehfitrnu.
- Mlli, romment pelJY-fu _, voir qu'il n'y Quit
panollflO ?
�L'AMOUR
JOUE
LA
OOMiDI.
- Ah 1 Tu m'ennuies ... Je te dis qu'il n'y a
per&onne, ct voilà tout ...
Michèle comprit vaguement qu'une Cois encore
elle venait de dire une chose que, pour des rai sons
JlIystérieuses, elle eut mieux fait de ne pas dire. Elle
soupira et s'cn fut. Mure gagna ~a chambre, y tour·
na comme un ours en cage, puis, reprenant sa Dugatti, se lança à travers le pays en une de ces
randonnées à allure de bolide qui lui calmaient lcs
nerfs. Il dîna dans une auberge de campagne, s'y
allarda. Il fumait sa pipe, paisiblement, sous III
treille de l'auherge, au bord de la route, lorsq u'il
vit une élégante voiture bleue s 'avancer, ralentir,
et freiner ù quelque dis tance de lui, ùevant UII
,p oste d'essence.
« Tiens, une Conl... Delle voiture ...
Il l'observait en connuisseur, lorsqu'il eut la
~lJ'prise
<.l'Cil voil' ùescenùre son umi Jean dc neau"111.' en compagnie d'un grand diable qu'il ne conJl(ltssait pas. 11 suisit un journal, et se dissimula
derrière, peu SO UciC'IIX d'l'Ire reconnu, cn cc moment, par le frère de Denise.
1'andis qu'oll Cuisait le plein du r;,~scvoi
de ln
Con!, Jean et son camarade en tr~el1
dons J 'nuberge, pa ~è l'ent
devant lui sa ns 1(' voir, cl romrnand'I'cnt un apé "ilif, qu'ils hurelll dehout rtlpidernen t.
Marc Lendit l'oreille, essayant d'entendre leurs
propos, sans y parvenir. Il aurai t voulu savoir qui
~tli
l'im:onnn qui nccornpagnait Je~n.
Rien n'est
U\(j1Jiet rOIlllne UII amoureux, ,urLout lorsque son
amOll!' e .~ t contrarié pur dp,s obstacles de la nature
de ceux fJui M'opposaient !lU bonheur de Marc : certe~,
il élait ûr de l'aOlour quc lui portait DClli se ,
mnie les l:v~ncres
le pOlissaient au pessimisme le
voir dam le
plus noir, ct il ,'oulut toul de suit~
�L'AMOUR
JOU!':
J.A
COMÉnIr.
camarade de Jean un rival possible, quelqu'un que
'1me de lleauval risquait de lui opposer dans l'e~
prit de Denise ... un quelconque marquis de Carn bas ... Et il frémissa it en songeant li l'acharnement
avec lequel ~lme
de neauval s'obs tinait 1. vouloir
voir triompher ses projets.
Les deux jeunes gens sortirent très vile et rega gnèrent la voilure, qui di sparut bientôt.
Et Marc, plein de nouveaux sujets d'anxiété, re prit tristement le chemin de sa maison.
11
'II
'II
Le lendemain de ce jour si ehnrgé Il'~vénemt
de tout ordre, Pierre Lantinc s'éveilla de !JOli Ile
heure. Il s'était endormi lrès tôt, se ~entai
fort reposé, ct sc leva sans plus attendre .
Sa chambre, qn'il avait peu '!xaminée ln veille,
lui plut. Il ouvrit ses volets, ct découvrit la verte
campagne normande llluminre de!! preJlliers rayons
du soleil levant : il élait ù peine six h01Hes.
TI procéda à sa toilelte, s' habilla, puis sc deman
da co qu'il allai t faire. L'idée de rc ~ t('r
enf<:rlTlp
dans Sil chambre, alors qu'nu dehors l'Hi .. était "i
frais ct si pur lui parut insupportable. 11 pcn
~a
~
frapper 1. la cloiso n, se souvellanl que MlTle drBeauval avnit dit que sa chaJllbre était :1 cMé dl'
celle de .lean. Mais il renonça il cc projet, ne HII
chant po s de quel rôtéétait la ctlarnbn' dl~
Hon ('(1
rnnraùe, cl no \olllallt pas ~'cxpor
fi fJllrlqUl' ],{.
vue (l'IÏ etH pu le fuir' juger sl,yt\ rcmrn l.
1)':\1111"0 pari, il ne rOllllaissnit pn .; a SRC' Z le l'hd
Icou pou!" être sf.!" de IpoUH)il" desI"cnùrc ct sortir
ans su tromper. Une issue lui res tait, la fcnf:lrc ...
Pierre aVAit coutume d'hésiter atl ~(' z peu lorsqu'une
�L'Al\10Ull
JOUg
LA
COMÉDIE
33
solution un peu originale se pré8cntait :. son esprit.
Aussi s'approcha-t-il aussitôt de la fen ê tre. Il éla it
au premier étage. Trois m ètres n peine Je séparaient du soL
J'ai déjù un mètre quatre-v ingt s, calculat-il. Je Il 'aurai à me laisser tom bel' lJu e d"un m ètre
vingt. Bagatelle 1
11 clijarnha le r ehord de la fe nêlre, s 'a ccrocha pal'
to mber S:l n s encombre. t'uis,
les main s et sc lai s~a
il grands pa s, il s ' éloi g na du c hâteau et gagna la
Campagne.
l! respirait uvee délices l'ail' frai s du matin. Il
lui se mblait que, déjà, son sa n g circ ulait plus vile,
que Ses pournoll s S 'e nri c hissa ie n 1 à chaque i ns lan l
d: un ail' tout ne uf. Il fit lIn e prom e nade , au ha sard,
~ u.ne he ure environ, Ip uis ju gea Clne Je moment
e tait Vellll ùe regag ner neallvnl.
Comme il npJlI'()('hnit du ,pa rc, il e ul III s urpl'i
~f'
ri e voir un homm e Re: g li sse r le IOll g du petit mur,
avec d'infini es [lréca uti on s , puis e nj :l mher le mm
cl disparaître dan s le parr. Son allure parut l''mifl ennnent louche il Pierre.
- Qu'csl-ce qu e ('e1f1 pellt bien sig nifier P se deIllandu-t_il.
Il appro ha rt vit, rangée SUI' le hord de la route,
II/l e petite Bugatti bleue.
« i r'est un malfaitellr, ~o lgea-t
- il,
il appartienl
all g 'Ill'
ga l g~ l c r ... Cc serail un grand honuclll'
POUl' moi d'en IIJlll'ge\' le pays .. . N6nnmoiu s , ollen dons l'l cxnmilo~
III situation ... ))
Il demellra tilt in stant illdéeis, ~e
demandanl
~'iJ
nllnit entre\' d un s le porc par le rnrmo chemin
Clue le cc gangster )), ou ~' il deVAit [aire le tour pnl'
la grille.
11 était là, le Jle~
Cil l'nir , indécis, lorsqu'une
form e se montra SUI' la crête du mur, dans Incpl el1l'
�:u
L'AMOlJIi
JOUE
l.A
OOMÉl>1P.
il reconnut sans peine celui qui vc.nait de tant l'in triguer. C'était un jeuno homme, de son âge ou il
peu près, assez élégamment vêtu, malgré l'étrange
gymnastique il laquelle il sc livrait. Le « gangsler Il
parut très médiocrement réjoui de la rencontre : il
uemeura Ull iuslall t il cheval sur le mur, visi blcment partagé entre l'envie de reùisparaître dans le
parc, et celle de s'en allel' au plus vile.
Marc Lubrousse - ellr c'é tait lui - était d'autant Ip lus furieux d'être aperçu dans l'élrange situation où il se trouvait, qu'il avait aussitôt l'econnu
le camarade de Jean de Deauval, aperçu la veille
dans ln Cord !lIeue.
Il fronra lcs sourcils, puis, Cil prenant son purti, il so luissa tomlJer aux lPied~
de !Pierrc LilllLit\1'
el s'éloigrlll en siffJotallt, de l'air le plus ùégagé
qu'il pul, cl ce n'était guère 1
Pierre hl~sia
Ù l'interpeller,
Ip uis y renonça.
Apr'ès tOllt, celli ne le regardait en rien, et le peLl
de tcmps tille l'inconnu était demcuré dans Ic parc
lc rassurait 8ur scs intcntions.
La BlIgnllÏ démarra, I(HISSa près de lui, disparut,
1l0H sans donner trois ('oups dc klaxon, que rien
IlC juslifi"il, ct CillC Picnc fut tout de rn~mc
umcHé li I)/'('ndl'c pOllr lIll signal quelconque,
Pou~sé
pUI' 1111 selltiment de C'lIriosité na8Cl'. l'oml/ll',;hcJlsihle, il atte/ldit q\1 la voiture eCli diHpal'll
Ill! tOlll'llnnt, et, sûr de /1 'êll'o pu~
ohBcrvé, il Ht, Cil
s'niduTlt Jcs Ipicrrcs cn saillie, le 1~me
lrajel 811r
le mur qu'il aVllÎl vu faire au (( gUlIgHt('r 1),
Unc fois tlan~
le Ip arc, il mal'chu lIVt'C pr{'cautioll,
lItlelltlf ou moindre indice qui CÎlt pu j'édnil'cr ~ur
ce que l'oulre élait vcnll faire là. If parvint ainsi,
au bout de quelqucs mètrcs, il UII v iellx chêne foudl'oyé, crcvnssr, qui rclinl SOI1 utlentioll par Il forIlle étrongc l't pUI' le fnil I]U'l1l1 fillpier IJltllll', forl
�L'A~roUI
:lOUI!:
LA
COMÉnIE
,,-
,1.)
prqprement plié, sortait de l'une de ses fentes.
« J'ai compris 1 se dit-il avec 1e soulagement que
l'on a ù percer un mystère, aussi peu q"u'il nous
concerne. Ce garçon doit avoir une intrigue quel• conque avec la femme de chambre des Beauval, ct
cet arbre leur sert de boîte aux lettres ... Je Gompre.nds maintenant l'air embêté de ce malheureux, ..
El, riunt en lui-même ùe sa découverte, il continua sa marche dans la direction du château, bien
décidé il s'amuser avec Jean du secret qu'il venait
de surprendre.
Il n'était plus qu'à une dizoine de mètres du
chateau, ct s'inquiétait en en voyant toutes les ip ortes ct fenêtres closes, sc demandant s' il lui allait {alloir regagner sa chambre Ip ar le même procédé qu'il
en était sorti, 10l'squ e, pa.r ulle pelite entrée latérale, la jeuno Denise apparut. Elle ne le vil pa.s tout
de 8nilc ct, sans prendre la peine de rcfermer la
porte, ellc fil quelques Ipas en coman t dans la di l'cc lion du parc.
Soudain, clic ~e Irollva nez à nez avec Pierre Lantinc. Elle s'arrêta, cL en un insta nt, son visage ~c
COuvrit d'ulle hrusfJlle rou geur. Elle balhutia quel(JIII.)S I{Jnrolcs, ilJinte]Jigihles, ~i
troublée, fJu'elle lle
pal'vellait paR 1\ cxprimel' le plus baoal souhail de
honJour. Pierrc s'était incliné devant elle, gèné
lui-nlÔme du trouble où il ln voyait.
« Décidément, so ngeait-il, je dérange tout le
monde, re malin.. ))
- VOUI:I êles mAtinal 1 parvint à diro Dcuise.
- J'nllais vous (!liro Ic mêmo compliment
- Mais romment aveZ-VOllS p1l sorlir il demanda
Denise, frappée pur une remarque ~o ldaine
. r. 'r~1
moi qui viens d'ouvrir III porte ...
- Ma foi, dit Pinne rn feigllllJlI ln plllR grande
c'ollrll"inn, j'aime! mieux '\·ou~
l'avouer : je " lIi ~
�I.'A:'IOU ll
JOUll
LA
COMbDIE
pa ss{) par la fenêtre ... Jc ne voulais dérang er per sonne.. . ct il fai sa it si beau.
- N'est-ce pas jl C'est cc que je OlC suis dit ...
C'cst cc qui m'a ùécid ée il mc levcr de ~i bonne
heure .. _
L'idée rra pJJa soudai Il Pierre 1) 1Ie DCII ise pouvai 1
bien être la destina taire de la lettre mystéri eusement déposée dan s le cre1lx ùu vieux chêne ... Il U\ c ha ùc sc convain cre de l'absur dité d'une pareill '
supo~il),
de ('e q1l'cllc [louvait avoir d'injur ieux
pour la jeune fllle, mais le lrouble que Denise
;I\'ail manife" lé en l'uperl'c vanl III lui ronlirm nit.
11 sc ltùl è.l Je prclldl'e 'ongé 'l rcgagn a 1:;0 chambre.
'cl illl'Ïdcn l le lra 'tiSSU 1')1Icique t0111 ps : l'iùée
J'avoil' surpris , dès son arril'{'f' à B('[Juval, un sel'I'et dc ('eLle imporla llce, lui {·tait d(.sagr(>nhle .
« Celle jeune fille va me déleste!', penRait-il, si
l'Ile ~ \lpo
»e
selllerllrnL fIU j'rlÏ p1l LI('1'01lvrir fJuelque ehORe de celte hitl loire. Apl'·
. ~ 10111, l'Ile esl lihl' dc faire cc qu'il lui ,pla1t ....1' IlO suiR ni lio n
)ll'rc, lli son frt're... »
Ulle heure pl1l s lord, il prenait WII Il 'Iil déjeu Il r avel' 1) "tise
l .Ienn. li parla dl' ~a
pl'olllenllde
IIlnlinrdc, llIuis ne fil aUClIll1J allusioll ;, . •1 r IICOlllro
avec neli
~e,
La jeune fille Il c0I1r111L f(II'il l'avait
Irouvre trl's normal e, el ce~sn
de craindr e qll'il ·(lt
aperçu Marc cn train de metlre sa mi ssive dans leur
Il bolle {lUX lettres ».
Celle premiè re jourllée cl" srjolJr de Jenn ri de
~0 1
ami ou chtlleoll dr. neauva l IllIIl'qllH 1InC trêve
ùans la lulle que le riconsl'~
IIvnielll faÏl sc
Mrlnre r rnlre Denise rI Ra ml·re. ::e11' ci n'avllil
l'ilS ('11('ore ('l'II hOIl de nll'lIre ~O l
fil ~ 1111 rOllranl
de~
Il follr e; pr{'\l'l1tiol1s )1 tir \Ial'I' J.nh,
·f) \I ~q('
. El . i
h· ht'Ufl~
9 cl
rtlltl jourllrc
hm'nl IOllglll: . pour
�L'AMOUR
J OUE
LA
COMÉnlE
37
Denise, personne ne s'aperçut du trouble où elle se
trouvait.
Le soir seulem ent, une faible allusion fut faite ail
drame, allusion qui commença ri ouvrir les ye ux à
.Jean . Ce fut pendant le d1ner.
A propos, dit-il, qu e dev ient Marc Labrousse il Il faudra que j'aille Je voir dès dem ain .. .
C'es t un de mes plus anciens ca marades, expliqua -t-il Ù IPierre Lanti tlc.
Le visage de Mm e de fi cu uval ~ ' éla il rembruni .
- Je ne sais pas cc qu 'il devient, dit-elle. El je
m 'e n soucie forl peu. Dans l0118 les cos, ne va pas
?hez les Lubrou llse avan t de m 'avoir padé fi ce suJet. Et je Joule qu e lu ~ ai ll e ' aprt'S" , Cc garçon
Cgt ridi cule ,.,
Pierre, qui, di ~l l'it e l e nl , regnrdait Dellise ft cc
moment, cul la surpri se ùe voir les joues de la jeu ~
ne fi]]!' sc co uvrir d ' un e vive rougeur.
« Est-cc qu e nOIl' tOllc herions 1111 nœud du my stère il » sc dr·manda-L-i!. « Etait-cc re Mnre Ln
brousse que jl' vi~
il chevnl sur le 111111' il Car il JI' Y
fi pa R il se tromper au ton de M me dl' Bea li val : elle
parle <le cc garçon comme d'un en ncmi p('/~Ol
Hel". Il
L'illlil ginalio n (lu je"(I(' roma ncier ninsi mi!'e
Cil nJ O \lv l'nf~
lI
~'aproc
h (l it
dc la vrrité. Du coup,
tOuL'
~ les oh~er
vltion
s qu'il aVilit pu fnir , plus o u
rnoilll\ ('on~cimt,
dan s lu jo" 1'11 (or , ~IH'
neni<\c,
sur 8CR parent s, sur les rapports qui régnuient entre
ellX, s 'rrinirhl'lIt, ct il compr it nssez exacte ment ee
(lui sc j)as~nil.
Seilles lui r('hllppnirl1t en core, lIotu pour J c~q " e l ('s
ce ~far
(' Lnl'cllem 'nt, les rli ~ons
bl'O\J RHC dt"plni sn it tant i, Mille de ll CllllvlI1.
Et il raut OVOller, qu nn d mÎ'm" on devrait Illi ('II
faire' gril'f, que l'a tm osp hi>rc d'ill triguc fJu 'il rr'lpi1 n :0111 ;, roup {-Init fort loil1 de lui dép l tire : il
�38
ambitionnait même d'y jouer un rôle, nIois il ue
voyait pas très bien lequel...
La soirée so passa calmement, occupée par une
promenade pleine de charmes, à travers le Iparc, ail
clair de lune.
Pierrc cl Jean fwnaient leur pilf)C . Denise marchait il leur côt(\ Cil t!llencc, écoulant vagucment le ~
Jll'OpOS des deux j cunes gc ns. Picrro no parvint Ipas
à Houer avec clI o la conv crsa tion qu 'il aurait voulu : UllO convcrsation \111 peu généralo, qui lui eût
permis de 80 fairo une idéo plu ~ eXl\cle de son coraclère.
Et les trois jeuno~
geus rentrèrcnl nu ch6.teou
sans quo rien ait pu confirmer à Pierro Lantinc le8
hypol
èsc~
qu'il avait faiLes. Mais le lendemain
était un dimanche, cl Pierre ne meLluit pas en doulo quo le ohscrvnlÎom qu'il pourrait inire au cours
de cet te jOll1'n6e hahiLuollcrnon t roservéc aUX visiLC8, no le JIlellenl pl illcm nl au (lourunt do la situation.
.
CIIAPI'I'l\E IV
ll1WIIT
1)
,
UN
COMPLOl
Marc Lahroussc, cc dimancha matin, prit uno
tléei eioll qu'il jug n ulldacicuse. D'lIhol'd, il olvartit sa mOre cl M sœur, qu'au Ii'u d 'n ller, ('-<lmmc
chaque diman che, n la messe de 11 h . Il Tourouvrc, ils iraient ft celle ùe lO he1Jrc~
à Mortogne.
El c ·In, Ipour cl '5 fni l'Ons 'lu 'il 110 ,Ïugcn pllH l.ou
d' ~ nol'e,
Tnuis qui, dit-il, étoie"t cxrl.'llcntcd. .[
dOllt l'impOl'tulI(,o !.Icruit r6v('I
~ 1.l \Ill jour 011 l'[lutre .
(' c~
)lilrn ll's
rly~hj"I
~ r1(
Il'h\j(
~ti
' J'(lI
ql'I
~ . CI.
�I.' AMOUR
JOUE
LA
COMÉmS
39
peu Mme Labrousse et sa fille : elles étaient l'une
el l'autre accoutumées aux (( lubies » de Marc, et
s'y !;oumellaient de fort bonne grâce.
La vérité était que Marc, connaissant bien ù fond
le caractère emporté de Mme de Beauval, ne vouJ~it
pas d'une rencontre publique avec elle, sachant
bien que si la colère la possédait de nouveau, elle
n'Msiterait pas à lui donner libre cours devant tout
le. monde, quiLLe à le regretter plus tard : elle ferall ainsi un éclat qui com,promellrait plus gravement encore le succès de toute démarche ulLérieurc
de Marc .
. Mais celle modification apportée aux coutumes du
dimanche n'était que la première partie du plan
qu'il avait conçu /pour ceLLc journée. oon humeur
~lai
devenue batailleuse. Pour l 'oprès-midi, il proJeta Lout simplcmelll de retourner ~ Beauval, en
COmpagnie do sa sœur.
Qu'il prenne alors fantaisie à Mme de Beauval de
lui refuser sa porte, ou de manifester violemlllent
Jel! sentiments qu'elle 6prouvuit à son égard, les
dégâts serafent très limités par le fuit que n'cil seraient t6rnoins que des gens intéressés il Jle Ip as
ébruiter l'affaire.
D'autre part, il espérait bien pouvoir parler en
particulier Ù .leall, avanl de se trouver en présence
de la redoulaLle comlesse, cl plaider sa causc avec
~loquenc
: il ne fondait pas d'espoirs exagérés sur
l'appui que lion ami pourrait lui donner, mais il
pellsait que co serail déji\ bien joli de 10 décider li
garder Il celle affoire une neutralité bicnveillllnle.
EnOn - et c'Hait le dernier motif qui 10 pou8sait
Ù cette audacieuse visile, il était dcIcidé à suvoir qui
rlail le cumarndn que Jeun avait introdllit il Bell II\nl, et il ~I'
rt'ndre compte pa,' lui-1~IC
s'il IH:
fOurait (l~
dl' dllnger de la part ùe cet illCOIlUU ;
�,iO
L'AllOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
il avait élé extrêmement vexé de s'être laissé surprendre Ipar lui dans la position ridirule et louche
qu'il occupait la veille 'ur la cr~te
du mur de Beauval, et voulait essayer de prendre quelque revanche
sur cc garçon dOllt J'air ironiquc l'avait fortement
agacé,
retournées :}11
'l'oules ces rai sons, tournées e~
cours de lu !lllil, l'avai ent mis dan& un étal cie
comhutivil/! cl de déc ision extl'l:rncs. Il conduisit sa
mère el sa œur h Mortagll e, (1 llfiC nlllln: quc le ~
deux rel1
~ n' pur 'lit R'c lp~caer
d' trollver ('~
cessive, ,t le!:! ralflPllll de même. Pui s, il fit part "1
sa 'œUr Michi'le ri l' intention qu'il avait dt.: )' 'mmC/ICI' uan
l'npri~
s- mid
;\ Beauval, <lUIlOnl;H IIlI'il
allnit fllire un tour t déjl'lIll rail 011 il sc tronve rait li midi, et repartit, dan s hfl Bugatti, en IIne
randonnée des tiné' à le cnlrn /'. Il ~e
. entnit. en
effet inoapahl Ü'ullrndre calmement le moment 01"
il sc trollverait en présenre de [) 'nis
'l de sa
10ère.
Jeall ùe Beallvol, pC/ldunt c tcmr, nvait, fI'CC'
Rn rlt/'rc, ) 'entretien que r Ile-ci lui uvail dem rlllcJr
la veillo. 11 nppriL, Il'er lin rfllllle qni faillit ,Ioll
lIor 1I1IO tri c de Ilrd
~ b l'i rn ~c i hl '
mudumc dr
B('nuvul, l' ~ Il ' trnordinair ~ pr!;toliJ~
)) de '11nrr
J.ahrou
g~e
n ln mnin rie 0 'ni ('.
, 1 Ça nt' t'indigne rHI~
? Illi dern ltnrlo ~fI 11I?·t(·
ru. no bondis paq ~ \llii q tli n'I ~ dOIl(' plll q rit' di
glllt6 P.,.
-- Mlli q i, rnam[IIl, rnai~
, i , . S ulclll nt, qu'c!ll
('e quI' \ou~
vonlel, je IIC trouve pa .. inouï que Marc
ct J)pnÎ I! s'uiml'll1... 111('0 ('st 1I11 tn' ! bra\(' l' 11"\
hOl1I]('lc Rur~'I)l
- II
I1C
Nouq
tcmp, ...
.. ,
mIIIHJlu'rlllL
. p1U
wnnuig ont!
~n
~
qUI! ça.
fumilh:
dl'puill
long-
�J,' AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
Justemenl. .. Et je me souviens du temps où
le Ip ère Labrous e venait marchander des vac he '
chez nos fermier . Quand .i 'y pense 1. .. oh 1 quand
j'y pense !
Afin ù'éviter Je spectade d ' une cri e de fureur
qui J'cOI peiné ct effrayé, Jean ~e
hllia d'affirmer
qu'avaul loul il parlerail avec 1arc cl Irlcherail de
l'amener par la persuasion ù renoncer à son projel.
Mme de Deauval se faisail allssi peu d'illusion que
son fils Sur le uccès que 1'011 pouvail espérer d'une
lello façon de procéder : elle dul néanmoiJ1S s'en
C?ntenter, empêchée d'Însi 1er davantage par l'ar1'1 vée de IPiene Lan liac,
Un peu Hvanl le fJ('part pour la mes e il Tou('OllVI'C, [)cli~
parvinl 11 /l'isoler Ilvec son frèr
fJlI
sa mère l'avait dfojà mis 1\11
clic 11e Aavail pa~
COurant de ln silllation, 1 voulait lui en parI r,
POUl' ~ovir
'j cil, devoil voir en Illi un cllltemi
nouveau, Oll 1111 and, 011 \ln sperlnlcllr indiffélrnl
cie la bataille ...
ho n l'nrri'ia dès le, premicrll mot~.
- .Je sais, je sais, dil-il. \1amall vient de Ille
parler. Quc , ux-t\l qlle je Ic ùi e P Tu cOlnai~
rnnrnnn ('omme moi, mieux flue moi, puisquc lu ne
la' (11111les
"
.
gui're. l'Il sfli~
fIlIC sm crlun~
pO(ItL~ .
e Il '
st toul 1\ fnil in 1rél llSig('on le ... Elle n dc~
idées d'un
nUire ligr, c'esl ccrlain ... l\Iuill, IllI fond, elle c 1
bo nn '" Et ce n '('si pl~
ri le drcssanl contre rllc
fJUe lu la fera~
lléC'hir. Il faut vOir ... nLlenrlre ...
Ces ron l'ilR de l 'l11pOl'Îsatioll fiaient Id n r 'lIX
qu.i [lOuvai('nt 1(' plll il'l'itcr Deni, (', Elle voulut y
VOir Ulle drrlnraliolt plu~
011 moins rrnucll(' d'in différence li ~ n fgnrd, l ell' allait y Caire \m
répome fort vive, lorlifJlle J'nrrivée de Pierrc Lbll~Inc
inl'rrompil leur ronciliabule, comme clic IIvllil
Inlerrompll celui ri la mhc el dll nl.~
�!Ji-
L'AMOUJl
JOUE
LA
COMÉl>lg
Deni e en eul 110 peu d'agacemenL. Pourquoi
J'encontrait-elle toujours ce garçon aux momenls
Oll cela lui déplaisait le plus P
La vérité étai t que, depuis le malin, Pierre 1 antiac errait comme un e âme en peine. Il sc rendait
compte flue Denise, Jean, Mme de Bcauval, s'entretenaient n conciliabules secrets dl] mystère qui
l'illtri g uait. Il é tait hien forcé de trouver toul il
fait naturel qu'on Je tînt à l'écart oc cc gelll'e de
di!\c u 'sion, mais il trouvait cela ',out Il fait elllluyeux. Pierre avait horrellr de sc mêler de cc qui
ne le regardait pas, et il était hicn difCicilf) de lui
carher longtemps quelque l'hose, Lant il mellaH
d'as luce 1 d'art à sc J'enseigner.
Naturellement, il aurait élé tout il {ail indigné
si quelqu'un s'était permis do lui dire qu'il faisait
preuve di'une notoire indiscrétion.
Il préférait
baptiser sa curiosité du nom de « souci profe sion)). Quoi (ju'il en soil, il
)leI d'éclairer les myst~red
sc sen tait très en nuyé de ne pas sa voir le li Il mol
de l'histoire qui troublait les Beauval, et cM donné bien cher pour recevoir quelques confidences,
que personne, à vrai dire, ne tlemblait se soucier
de lui raire.
Pendant la messe , il cul quelques distraction!!,
chcrclll\nL li rcronna11rc parmi la foule 10 Rilhouetlt
ùe celui qu'il avait surpris en train de fair
de
J'acrobalie sur le mur du parc: peino perdlle. ())cnise, de son côté, était aH moin~
Illls!\i dé('ue que
lui, en voyunl les ehai~s
dC!i Labrousse demeurer
vides.)
Mois, aussitôt nprrs le d6j uner, il enl un mo'
ment d'espoir e1l entendant Jean dire, d'un tOIl
fort naturel :
-- Cct uprl!e-midi, j'irni dire honjour ~ Marc Ln'
brousse.
�L' AMOUII
JOUr~
,,<\
C:PM~nfl
- Je te condui rai, si ' tu veux, proposa Pierre
avec une compla isance qui n'était pa s absolum ent
désinté ressée.
Mais il eut la d'ouleur de 8 'en tendre r épondr e par
Jean :
- 'C'u cs bien genlil, mais je prendra i la voilure
de mon père ... J'ai à parler 'lffaires avec Marc Labrousse, et ça t' ennu iera i l.
- Mais non, pas dn [o ut, dit Pierre. J'adore cnlendre parler affaires ...
- Non, mon vieux, non ... 'l'Il m'alten ùraA ici.
.T'cu aurai ,pour Ulle hellro il peine ...
/l'in sisler sa n ~
Il devena it imposs ibl e il Pi/~re
!prit don c so n
Il
nce.
bienséa
la
de
sortir d es limil es
à la converloin,
e
d
e
~
m
;
assisler
pas
ne
de
parti
sation enlre Marc et J ea n, ct essaya de se console r
cher-c hant comm ent il pourrai t mettre à profil
e~
1 heure qu'il passera it seul avec Denise, pour en
extraire quelqu e r enseign ement Ipassion nant.
Seul placide au milieu de l'énerv emen L qui gagnait Ip eu à peu sa famille, 10 comte de Beauval,
fort heureu x d'avoil' trouvé en tPierre un auditcu r
tout neuf ct un peu au couran t de la préhi stoire, n e
larissa it pas en récits pilloI'csques ct érudits su r l o~
recherc h es uUluplelles il se livrait, et sur les résuJ·
tals qu'il avait alleints .
Pierre lni prêtait une orei11e compla isan le, mais
distrait e ; il commi t, dan s les répon ses qu'il ful
ohligé de fuire, ou les questio ns q1l'il crut convenable d e poser, de si consid érables hévues que M.
ùe ncauvn l en ful sra ndalisé , c t comme n ça à doutel' dos cœpacil6s ill tellecluelles d'un gar çon qui se
disnit homme de lellres, et qui confon dait sans
honle le plésios aure cl le lPaléothérium.
- Jeune homme , jeune hommo , disait-il llvec
vos connais sances me paraissent
m~conte,
�L'AMOUR
JOUE
LA
COMI$,n1E
bien superficielles . Il faudra que je vous montre mes
collections ... Je vous expliquerai beaucoup de choses ...
- Si se ulement, pensait Pierre, il pouvait m'expliquer ce qui se pa sse dans sa propre famille , ça
m'intéresserait bien davantage . .. Mais, vi &ihlement,
sa fille le préoccupe beaucoup moins qu'une queue
de paléothérium. Du reste, je ne sais pas lfI~me
si
le paléothérium avait nne queue ...
L' heure a vllnçait en res en t rclien s, plein s d '~ru
clition, d'une part, d' (( a parle» sallgrenu8 de
l'autre, ct le moment approchait où .fcnll. romme it
l'avait annoncé, allait sc rendre chez Marr. La brousse, lorsqn 'UII bruit de moteur fit sc tonrner
tOIl S les r gords vers l'extrémitr de l'allée : la ,petite Bugatti bleue de Marc Labrou sse venait de s'y
engager. Pierre reeonmJt sans peine la voitme
qu'il avnit vue la veille près du mUI' d" parr. Et, Ri
m~e
celn n'avait pas lIuffi l, lui rnirr identifier
l'arrivant, -ln I"Ollgeur qlli couvrit les joncs de Deni se, l'nir mécontent de Jean et l'express ion courroucée que prit Je visage de Mme de Beauval n'auraien t pas monqué de l'avertir l'lu 'il nliait Be passer
quelq1le chose de sérieux.
La voit lire ralentit ct sloppa li quelqne distance
du groupe (ormé par les neauvol ct par Picrre Lan Lioe. UII jeune homme tune ,jrune fille descendirent. Seille, Dcni
~()
~'étajl
levée, bientÔt imitée par
Pierrr ct par .fenn.
A l'air riant, Joyeux, de Micllf\Jc Labrousse, r:eIlisc comprit qu'cl! n'(oL"it 011 courant clr riell. Le.
cieux jeunes filles s' mhJ'a
s~
rent,
puis Michèle se
cl irig'('fI, loujourll llo ul'inn le, ver8 Mme de Bcauval.
Celle-c i lui répondit 1\ peine, Ile quiLtont pOl! cles
yeux: Deni se Clui, immobile, oltrndall que Marc
s'approchât cl 'clic. Celui-ci s'uvo nçnit, Cil effet, vi -
�siblem en t tro ubl é, un sourire un peu cri spé sur
les lèvres .
- Bonjour, mon vi eux, dit J ea n en lui lendant
la main. Fi g ure-loi que j'étais sur le poinl d'aller
che? loi .
.l e sui s he ure ux de t'avo ir devanrl·... 110njour, Deni se .. .
Bonjour , 'lare ...
1 appeln Im e de Bea uva l.
- \) e ni ~e
~a n s Irldler la main dt· :\Iarc, qu 'c ll e rcLint d 'un
geste qui pou\ aÎl se mbl er di stra it. Oeni sc ~e retou\'na vers sa mrre. Cc spec tac le affola lilt éralement
Mm e de B au val : ell e pfili t de eolhe . (>pe nd nn t,
ln pré ence de Pi erre la contraig nit :' sc releni t'.
- Va dans ln chambre 1 ~c
born n I-cll e ~ dire
cl ' lIll Ion breC.
,jea n de Beum al rO lllprit qU ' Ull l' parolc maladroi~e
de 'u ~œ lr
all ail faire Mc1lln cher un
le l't r é volL
COli dole q1l 'il voul ail {' \ ilt'l' :'1 loul prh . Il lira un
pcu sa sœ ur par le hra .
- Ob r iq, murIl111ra- t-il. l'i 'a ip pa!; r elll·... .J e suis
avee loi ...
1>cni se lâf'l IU la mni1l de \lar('. EIII' a u ~s i com pril qu e l'oh
é i s~n
n re
éta it , 11 ,'e mOllu! nt eriliqu c,
l'altiLuù e ln plu ~ adroit l' . Sa n l'r lourn er ln t ~ l c ,
P01lT' CfU 'OIl ne vît pn" I c~ l a rm e~ q1li lui (H On lai ent
all X ~(, I X , l'Il e ~'{> I o i g n ;'l du /! roup<', cl regng-ll'I l '
<:hûII' <I I1 .
Tout cela s'élnil passé si prompleml!nl qu 'il avn it
fllli ll toule l'lIllenli on s ur e xril~
e
de Pi erre pOlir
~ ni s ir
ln sd' ne dans ~e!i
moindr<,'1 délnil s. ~li c hrJ e
Lnhrou sc qui /l' élail n1l cO \lfunl c1(' ri 1\ regardn
avec slIrprise son nmie s'rloig ner .
Il y c ul un COTlrt jn ~ l a nt de J1o tlemenl , puis J l'a n
de Denuvnl ee re!sni si l. 11 prit Pierre pnr le orns,
s 'approchn avec lui do Mi chèle.
�L'AMOUR
JOUE
r.A
'~ oMfm
Michèle, d il-il, je vous présen te .IPi erre Lan liac, un excellenl camarade.
La jeune fil le lendit la main à Pierre.
Marc, cc.penrlan t, aprrs IIn e courtc hésitation,
avait renoncé h présenter ses hommAges à Mme de
Bea uv al. Quanl à M. <le Refluval, il était plongé
dans 1111C « Rev ue Préhi storiquc » dont il fIC liso it
pas g l'and 'c hose, mais qui llii dOllnair une cont ·nunre cn cc mom ent qui menaçail si g ravement
~Ol
(' ·pos.
Marc rejoi g nit 1· groupe form e pllr Jea n, l\fi c h~je
t'l Pi crre , cl ,Ieall le pr~8cn
~ ~o n
1.0111' ù Pierre.
~1arc
j cta un r gnrd loul fi fail dénu é d'am énité 1)11
j('unl' l'Om rl nr.i ef, qui y r(-pondit p :l r IlIl ~o uri('
rompatissant ct J eu n, désire1lx d eorUr d'un e situ ation qll'il ju gen il mbal'rnssante pour tOl ~ ("
dng
e r( ' lI ~e
pOlir Marc, entratna ses nmis vcr:! le
t('llltÎII .
Vous exr1lserer. n ni Ac, dit-il à Mich
~ lc.
Elle
lin peu fati g ué', ccs jOllfR-ci, et maman tient ù
( ' f' qu'clIc ga rde ln chambre. VOliS Rnvez, elle n'a
p[l ~
IIIH' lr~ '~
fort sa nt é.
Ces "XJplirntiOIlI\ crnhaRse~
no lrompl:rcnt nn tllrcll Olrnt ip r80nnr, el n c Orr nt qu'ar roUre ,'im p.rC~iol
p~t\ihl('
d ' un myslhc. li chlole ne répondit
rIen.
L()r8qu'il s furent Iriv~1'
1111 t<,"ni s, J liT! ~e
tOllrnn vers Mi c h~ ' lc et Pi erre .t leur dit nv('c llll cnjOIlPflIClll mol imit6:
'
n alteu- DitclI dOll l' , roil es fJllelc)lll'!\ hnlles
dRIll Marc
l moi.. . JI y fi long ternp'l que nOIl'! ne
nOIl '! !l{)lIun s po , vus. NOIl'! avon'l ~
havarder lHI
pClI dc choqe'l qui Tl • VOIl~
intér('~cl\
'nt g ur're .
. - Çn VII, ~'n
VII , roltpn I\'Jir'lli-l.. qlle r,rttc com(.du'" corn
1
'l'
•
• Il ' n C;11 1
II IIftnr ". l (~gh
IIll'nl.
NOI~
"al
ron
~
Ires LIt'1l II O ll S lu nl ~(' r snns VOU " .. .
-
t'~
�L'MfOu n
J OU};
LA
COMf..;)Jf;
'fi
Marc et Jean se htltèren l de pl'ofile[' d ' une pCI'mission si libérale ment accorùée, et li 'cn furcn t.
Michèle n' Itait rien moins que timide. Dès que les
curent di spa ru, elle sc retourn a vcrs
deux gal'ço~
Pierre et ) ui dit :
- J)ites donc, vou êt '5 au co urant de ('C qui sc
j e vous avoue cfllC j c ne co m prelld
i' ~Ioi,
~e
pa
ab. olulllcn l rien ..
ion P')llf Pi rre, qlli
Cc ful une nouv ell c rI \~ ilu
,Œ ur du prin r ipal
la
))
cr
avait 'ompté « faire parl
« Décidém ent,
nte.
ssionna
pa
affaire
l'elle
ue
acteur
sc dit-il lIVC C urnertu m , je n 'ai pa ~ de chance ... Il
faudra que je découv re toul par moi -même ... ))
- J Ile sui s au couran t de ri en, dit-il. Mai,
lI ~
c7.-vo
('ornme \OU !i, je p e r ~'o i un mys tl·re. Voul
que nou s cs. nyions cl deviner il Ça \ nlldl'll mieux
je
Il Y a hirll dix nus f]1I
(jue roire des J)oll ' ~.
...
e
raquett
une
hé
'
1.011
pas
Il'ai
S'lIssir 'nt côle n cMe !l 1I1'
Lell dellx jeunes gen~
il les
ahnne
le Il 'lit banc de bois adossé :'. In
et
,
~
c
t
c
u
j
C
a
'
l
les
ct
~
e
l
a
b
Jeurs
ient
rangen
Joueurs
maign' s
c'omrnen cèr 'nt ;\ mettre l'n commu n le
s dont il s di spoMienl, pour parvcni r
r ' f'I ~e igncmeI\t
approx imoliv rie la véril~,
'sance
:, IIne connai
xrclloil , el il. 'urent bientôt
Pierre
jcu,
cc
.A
('nllmclIlnl, qui ne
miS dehoul llll pelit romoll
cl qui, ils lc con1\,
c
n
l
h
m
c
~
O
'
i
v
rnOfirluoit pa ~ cIe
par la suitc, corrcsp ondait, fi très p u de
tnl~re
hose prèll, ~ la r~alié.
'ffrayont 1 dit t\liclr èlc en gui. ~ de
- !\tois c'~l
Ime de Beauval. Elle 0 UTI
connais
.Je
.
iOIl
conclu.
Clll'llclèl'c alroce. Elle vo rendre More ct Oc'nlse malQI! 'cst ('C <tu nous
~ . .
heul'eux: comme de ~ pier
~
nider
Jell
our
p
,
foire
pOlfrion~
pnr ln d~rOlv'o
A II 1 dit ŒlirJ'rr, trl-, e'(dt~
progre , ive rlc: la vérilé, 'oiH, la c/euxit'·lIte p.rrlie du
�L ' AMOUR
J OUE
l .A
COMÉDIE
pro uJ Ùrn c .. . Dcni se do Bea uval m' es t très sy mpa:hiflu e, vo lre frore aussi, uien qu 'il me rega rde, j e ne
sais pourquoi, avec des ye ux pleins de fureur. -.
- Alors, c 'es t qu 'il es t jalo ux de vo us, dit Mi·hèle.
- [Ion, il fa udra le r assurer. J e di sais donc
qu 'il s m e sont Lous les deux très sympathiques el
qu 'il faul absolum ent les aid er. Ils veul ent 1I0UR
l'aire ùes m ys lères de tOut ('ela, el II OUS l lOUS cn
\C ll gCI'O IJ S lJOUJClll Cut Cil Ics liranl d 'e mbarras ...
\1ai s com ment P
- Oui, co rnm en t P
Le' deux j Cllll es gens sc r eglll'()\l'en t ct ne purcn t
s'empêc her de rire de la g rav ité de l eu r ~ mincs.
N'éta nt pus di rec lem ent lll êlés ù l 'affaire, il s étaienl
porI ~s n en voir plutôt le ca rne tot'e ri sibl e : et, il
faut Liell le reco nn aitre, la m ani e lI oLili aire de
Mm e de Bea uval r evêtait un aS [lrci. !I s~e z comiqu e.
- l\ésu mo ll s la situ ation , d it Pi enc.
El il all ait comm Cll eel' un exposé br ill ant des
CI faits acqui s », lorsqu ' ull vi olent éternu ement lui
r etentit derri 'o re leur dos, con trr. la min ce c!oisoll
de plall ches de la baraque, fit tressaillir Mi chr le, el
pionn a g rand em ent Pi crre.
Tl se leva, fit le tOU l' de la fr ag il e constr uction,
el se lrou vll ncr. 11 nez avee n ose, ln r lnm e ùe chambre, qlli, tl'\s ('mb nrrassée de 511 Iper80 llrt e, no snvait
g l l~ r e
(Jll elle conl r nan co adori '1'. ~ li r h l' l e
J'avn it
rejoinl e ct 8e mit il rire n voyont la mill !' penalld e
de ln jeun e fl'lllfTI e cl cltnmbre.
Ah 1 ("'~
t vo us, Hose P d it-cil !' . .J e vo is qll e
\CHIS n 'OH'Z [l OS perdu vos bo n Il es hohi 1ud es... Ell e
é lai 1 c her. nOli S, l'a nnée clerni ;'j'(', 'x pl iq ua- l-e ll e ft
Pierre, cl je ln tl'O llvn is derri ère loul cs le'! IJlO l'l Cs,
l'œil ft l o ul e~ Ics serrures .. , V O l ~ n 'rlVrz P liS honte,
Hose P
�L'AMOUR
.lOUE
LA
t:OM
I ~ OIR
',1.1
- Mais j e vous assure, mademoiselle ...
Pierre ne put se défendre d'un sentiment de sy n ~
rpathie amusée ü l'éga rd de Rose . Au fo nd, elle fai sa it , sous une forme un peu plus vul ga ire, ce que
lui ct Mich èle venaient de faire
1111 li eu de sc fier
;1 sou intelli gence pour découvrir cc qu'on lui voulait cacher, ell e ~e fi ait Il ses J'eux et :'l ses o r eill es .
- Mais ne vou défendez pas, dit-i 1 avec bonhom ie. Vous avez lJO tempérament curi eux, voilà tout .
C'es t grâce il la curi osité que l es sr iences humaines
progressenL. .. En so mm e, vous êleh de la li gnée des
Galilée, des Curie, ùes Einstein . . .
On lui eflt parlé chinois qU '(1Il n'eût pu sur\prendre davantage la pauvre Roge. Tout cc qu'elle
comprit, c'est que Pi erre pren ait sa défense.
- Dien 811r, dit-elle.
- En ce cas , vous nll ez me rendre Ull service
de
considérable. Vous allez me dire pourquoi ~1me
Beauval es t fnchée avec M. Marc ..
- Je ne sais pas, monsieu r, je VQUS assure .
- Ah 1 c'était san s doute pour l'apprendre que
vous étiez venue là P N'est-cc pas P
- Euh 1. .. oui 1. .. Parce que, l'autre jour, Ma dame a eu un e colère terribl e con tre M. Marc ... Ellr
l'a chassé . Même qu'elle a ca ssé troi s carreaux ...
Alors j'ai rru que Mll e Michèle 'tait au conrant. ..
Et je voulais savoir ...
- En core 1111 e qui n e sait ri en 1 soupira Pierre.
Il lai sa aller Rose qlli, toule co nfu se de s 'I!tre
lai ssée prencl're une fo is encore cn llo gran t délit d e
curiosité, ne demanda pas son r es te cl s'e nfuit vers
les région s inférieures du chOteau.
Pierre sc tourna en souriant vers Michrle qui
était dem eurée muette pendant loul son dialogue
avec la femm e de c hambre.
- Vous me trouvez un typo dégol1lanl P d'it-il.
�L'At>10u n
JOUE
LA
cOlll fi om
Oh 1 pas exaclell1en l. ..
Mais ù peu ,p rès ... O'ui, je sais bien : ç',\ nc
~e
fail pas. On ne cherche pas à faife pader les domestiques. Mais, qu' est-ce que vou s voulez, je me
~ ni s mis dan s la. tête d'arranger l e : ~ ChO~H
e ntl'e
Denise de Deau val et volre Crère ...
- C'est Ull noble projet...
- Ne vous fichez pas de moi. VOU" \ OUS deman der. si je sui s policier en civil ~ No n ... flO~
e;(;\('tcment. Mai s j ' invente des hisl...)il'c~,
("'~l
mOIl
mélier. Alors, quand j'cn trouve un e Lo nt e inYt'n tée , ça m 'inléresse. Il faul que je m 'l'II oce1lpe.
C'esl plus forl que moi ...
~Iich
,le .. it de ce l avc u dépouillé d'ortifi cc. Ell e
avail cu, en effel, un mOllvl'm enl de répul si .n Il voir
oyé~
par IPirITe pour arriver ~ lu
les procédés e mrl
connaissn nre de lu v6rilé. Mai s elle COllvinl qll e tic
Il 8 r
p lU' Je dési nlrreh!5e.
lel s moy ens pouvnient R\~xr
men l dll rétlUlLal recherch é.
La co nver
~a li o n dev int vile rorclinle l'nlre elllt. Ils
ima g in èrent mille moyens, pllls l'Om ll n C!\q lles IC'~
un s quo les Iltltres, p01l1' vaincre \u résistance ob~.
linée de Mnc1nln e de BeAlIVul, mai s il n 'élalen l cncore parvenus 11 aUCllTl r~ ~ nlLt
précis 10rel1 11 0 .J l'lUI
el Marc reparuront.
P dit Jea n en s'ap- Eh hien, vous 'Vous repo~c7.
prochant.
Comme tu voie...
- Vous n'avez pM l'nlr exagérément fntigl
é~,
- Oh 1 nous avons !!urtOlll parlé ...
- Pent-o n !avoir de quoi ~
- Mai!! oui, dit Pierre. NOliS n o 50 01111 li pns dél'l
cachottiers, nous... Nous ovons p!lr16 de moyen! h
emptoy r pour Ilér.ider ta m~rC'
~ donnC'r I\()n consenlemenl nu mariage do Milo Drntsc Ile Heullvnl l
de M. More LabrousAO ...
�r.',\M(){" /\
JOUE
J.A
C;OM~DIE
51
Pierre avait pronon cé celle phrase avec un calme
le siadmira ble. Un momen t de stupeur fil r~gne
,
pensées
s
sombre
ses
~
entier
lence. Marc, qui, tout
de
début
au
discrète
n
attentio
qu'une
prêt6
n'avait
la convers ation, tressail lit. Mni s re fut Jean qui eut
la réactio n la plus Corte.
- U., mon vieux, dit-il, permet s-m oi de te dire
que lu y vas un peu forl. Qu'est- cc qui le prend P
De quoi le mêles-l u ?
- Mai s oui... Oc qlloi VOliS mêlez-v ous ? "il
Murc . ol'ti de sa stupeur premit·l'e.
clic-mê me regarda Pierre aVCf' réproJ.:l Mirh~le
lion. Elle .e nlait viveme nt co que la condui te du
jcuJlc homme IlvaÎl d'insoli te, ct il lui était désag-réuhle que Jean de neuuvn l sut qu'clIe ~'ocupnil
de clloses qu'ellc était cenllée ignorer .
Maill Pierre ne sc dt5<'onrcrta pa R une seconde . Il
regarda cn sourian l lc Irois l(lerSOIlJlllge indignés
qui l'cntou raient.
- C'/'st fOIl, dit -il, ce cJue VO!JS pouvez manqu er
de simplic ité.
singuli èremen ' de discréMai" tu manque~
tion, dit .Jran st'c hemcnt .
- Nalur') )cllwnl , e'e t mon mr<tier. VOlllc7.-vom
ln· lai sser parl er lIJI in tant P Ensuite , IIi vou conlilluf'z à me considé rer commc 1111 goujnt, comme
lIn gorçon !lnns tnct et MnR édwa lion, je VOU!! pr(o 1 j{' partirai dan!!
Ilenteroi mes plll s plnteg CX(,lI~e
I(' .~ rinq minute s.
1.0 calme et 1'IISlIurnn ce dont il faisait preuve
Ilpaisèr cnt momen tanéme nt l'Indig nation des trol"
jeunes gens.
- Nous voulon bien L'écotlt r, dit Jean. ~niK
tOtlt cc quc tu pourra s dire ne m'emp êchera pu
d' tre pénible ment nrpri de 10 rondult c.
- Nous verrons hiCJI. ..
�L'AMOUt\
et
JOUIl
LA
C'OMÉ Otil
Jean, Michèle et Marc s'assirent il cô té de Pi erre,
s'apr~tèen
à tendre une oreille ,ll1elllive ;'1 ~es
pr~os.
- :\1ais, pardon, dit soudain Pierre. Nous ne
sommes que quatre. Il manque la principale inléressée.
- Elle est dans sa rharnhre, dit Jean .
- Je le sais. Mai s il faut qu'clIc so it 'ci ... Atten dez-moi là . .Je vai' la cherc her.
- 1 iene 1 proteslu Jean.
- De quel droit ? dit ]\farc, furieux.
\'hlÎs lPienc élniL drjl1 loin. Avant que pcrsonllt'
ait JlU le relenil', il s'l' lait -'loigné en comonl dam
la direction du C'lllÎleau .
.'est un fOIl ? dcmanda Marc.
- Non... Mai s il me surprend hCl\11COUp, dit
Jean, scandli~é.
Je 1" rJ'oyais lin garçon bien rl(.
vé ...
- llah 1 nledo~,
dit Mil'lil'Jr.
011.,
fHOllh
6eaucoup parle: et je rlle demande ~ i, au fond, re
ensé de nom! IOl~
...
n 'e ~ t pas 1Il i qu i rst 1(, pl \1
CHAPITRE V
LE
COMPLOT
Lu Pl,(·ntièrc perso nne que vil Pierre cn 'n Iran t
dons la moi
~o n,
rc fut Rose: c'é lait aussi la se ulr
personne qu'il sO llhailtlt rencontrer, cor à ell ~e l
lement il pouvait drmulldcr so n s périphrase de lui
indiquer avec
'xactitud
l'emplncement de ln
chambre de Denise.
Rose donna avec beaucoup de complaiRnnce lB
�r.'AMOUl\
.JOUE
LA
COMÉDIE
renseignement demandé, puis {'egarda Pierre d'lin
air interrogateur.
- Vou s voudriez bien savoir, dit celui-ci en
riant, cc qu e j e vais dire à Mlle de Beanval. Mais,
pOlir une foi s, je vo us prierai de ne pas écouter à la
parLe... Je ne vous blâme pas de votrc cul'io,ité,
mais à la condition que vous n e l'exerciez pas II
mon égard.
Puis, la quillan l, il se dirigea à g ralJùs pas vers
la chambre ùe Denise. So n ima g in a tion é tait en
ébullition. La déma rche qu'il allait tenter et nont la
se ule ,pel lsée l 'eût eucore s tllpNail la Yt'ille, lui sem hlait maint enant parfai tem en t nOl'mnlr . Il était en dan s un j ell auquel on ne 1 avait pas prié, et,
Iain de s ' y se ntir gê né, il n'avait pas d 'a utrc préoc('upali on que d e gag ner ...
. fi (rappa deux co ups l rge
r ~ rnai s pl ein s de n{oci SIOn ~ la porte ùc Denise. Et , camille on ne lui
l'épandit pas imm édiatem ent , il réc idiva, un peu
plu
~ fort.
- Entrez 1 cria \lne voix fnible .
" pou ssa la porte.
Deni se était Il moiti é Hendlle sm son lit, lorsqu'elle vit Piene I.antiae ; elle sc releva hru squement, un é tonnem ent profond sc peignit slIr son
~i sage,
ro1lgi df' larmes, ct elle fit un pa s vers le
Jcune homme.
Mais celui -ci, ù peine entré, ln reg lll'ua avec un
8 ~urie
upiloy(1, referma soignemement la porte ct
dIt :
- C'est hien cc que je pensa is. Vous pleurez l..
- Monsieur 1 dit Denise indig née, et vaguement
effrayée, je ne comprellds Ipn s ...
- Ecoutez-moi, mademoi sell e. Vom allez me demander de quoi je me m ale, vous allez me remettre
RtSvr rement h ma place, VOliS allez me congédier
lr?
�(,' AMOUR
JOUr.
1,/0.
(,O~'if
: IJE
noblement, n'est-ce pas P Mai" , 'oilà un quart
d'heure qu'on me remet à ma place, qu'on me demande de quoi je me mêle, qu'on meurl d'envie de
me congédier. Cela nè me fail plus rien . .. .Je m'obstine.
Pendant qu'il débitait son petit di scours, Denise
le regardait avec une smprise grandissanlu. Elle
pensait qu'il était lPeut-ûLre devenu fou - elle avait
envie d'appeler au secours, - et, en même temps,
malgré le chagrin qu'elle é prouvait, clle ne pouvait
s'empêchel' de trouver sympathique le visage et ]n
voix. de cc grand diable mal élevé ct ioili!\cret.
- Par eO/lséquent, poursuivait Pierre, qui Jovinnit ft pen pl'ès ce qui se pa ssa it dan s l'esprit de la
jeune fille, asseycz-vous, écoutez-moi un in stant, el
rcmeU ez-vous cn à moi.
- Mais, monsieur, je ne eomprenrl's pas, ..
- Vous pleurez, poursuivit Pierre imperturba ble, parce que vou s aimez Marc Labrousse, 'Parce
que Mnl'c Labrou sse vous aime, et parce que Mme
de Beauval nc veul !pas entendre parler d'une union
entre vous deux. Ne m'interrompez Ipas ... Je sais
lout re que , 'ons pouvez me dire. VOllS me 10 direz
plus tard, Laissez-moi VOLIS dire qu'cn co moment
même, sc tient pr~ s du tenni s une sorle de conseil
de guerre dont j'ai pri i! la présidence, et qui dt'ilibbre, qui va déliMl'er, sur les moyens li employer
pour vous tirer de cc mllllvni/l Ipas .. , Suivez-moi ...
Il importe que vous preniez une part active li celle
déli héralion.
Denise était complètement étourdie par la volubilité avec J/lf(llelle Pierre ln haranguait. Sous celle
éloquence fa cile, les objectiom fondaient comme
du corton /Jo us lu pluie. JI n'y avait plus moyen de
se !Aeher, de s'indigner. J:indi SCI'é tion rneme dont
il CaiSllit preuve devenait acceptable. li n'y avnil
�L'AJlIOU ll
JOU~
LA
COMÉDlI '!
5:)
plus qu'à obéir . Et puisque , disait-i l, Lous les aulres
Denise n
j'attend aient ... Mais ce qui déeid'a ~urlo
t ainsi
pourrai
suivre Pierre, ce fut la pensée qu 'ell€'
voir Marc ...
- Je vous suis, dit-elle.
Ils descend irent, évitan t de (lasser par le devant
de la maison , d'où Mme de Bcauval aurait pu les
voir, ct gagnèr ent le tcnni s par deo voies détourliées.
Marc se lcva lorsqu' il s apparu renl, ct fil quclfJues
pas au devant d eu'l:. Lc plaisil' dc voir Deni se, de
pouvoir lui parler, chassa tout il coup l'irritat ion
que l'extrao rdinair e indéliclltes e de Pierre avait rail
natlre en lui, ct Pierre, en bon psycho logue, avoit
quelCJuc IpeH compté !lUI' rel effet de 10 présenc e de
Deni. e .
. - VOiln, dil-il en reprena nt sa place sur Je pesom III es mainte nant au
ou~
ht banc de boi.
r.omplet. Je déclare la wance ouverte .
Cet humou r nc parut pas spécial ement du goo.t
de Jean de Beauval, qui fronça les sourcils ct dit,
avait prendre lorsque quelqu e
SUl' le Lon sec qu'il
chose lui cl plaisait :
- Mon cher, il s'agit de cbo s sérieuses, grav Il, et je ne uis pail du tout d'hume ur à plaisan ter ... Je ne compre nds rien à ta condui te et j'attend's que tu me l'expliq ues. C'est tout. Pour le
reste, Ip enncts- moi de le dire que cela ne lo regarde
en rien.
Pierro poussa un profond soupir.
- Que c'esl difficile de Inire du Lien aux gens
malgré Cl1X •• Oui, il s'agit de cho!es graves et sérieu!es. Est-ce une rai50n pour prendre des figures
d'enter rement P Quant à mon indiflcrétion, tu ne
POurra8 me la reprooh er que si mon plan échoue ...
Car .i 'ai un plan, lllle idée. Néanm oins, si vous
�56
L'AMoun
.JO UE
LA
COMÉDIE
lrouyez que je vais trop loin, el que je me mêle
vraiment de choses où je n'ai ~'ien
à voir, diles-Ie
moi : je prends ma voilure el je m'en vais."
Il savait bien ce qu'il fai sait cn parlant ainsi".
La seule pen sée d'une « idée )) capable de les
sortir de leur pénible silualion f;aisait baUre les
('œurs de Denise ct de Marc.
- Mais si, mais ~ i, pnl"!ez ... dit Marc.
- Je ne voudrais pns sorlir dr~
hornes de III dis('I"élion ...
- Je 'oua en prie 1 dil Deniw.
Salisfail de son succès, Pierre cul un regard de
lriomphe amusé pour Jean el dit, :
- tPuisque vous m'en priez, c'esl bien différent.
Il les regarda Lous les qun lre , les uns après les
autres, el vit la emiosilé peinle sur leurs visages.
Mais il e lul cL sc leva bru sCJuemenl.
Non... je Ile peux rien dire... Je n'ai pas
confiance en VOliS. Vou s ne serez jamais capables
de garder un secret, - de jouer la comédie... Et
la moindre imprudence, 10 plu s petile malndres8e
IlJellvenl Lout démolir ...
Jenn explosa.
- Ça,' III y VilS UIl peu forl. .. Tu nlJllses de no1ra Ipn Lien cc, de notre complaiAnnre". T'II n c pen Res
pns qu'on va le pl'Ïer comme on prie une pauvre
fille limide de sc me ltr au pinno ... l'u ne veux
l'irll dire, hon, ne dis ri 'n, mais alors ne le male
plu s de celle hi stoire ...
Ne le ffiche pas, J nn, 'lupplin Denise.
Sans qu 'elle Rût dire pOIlf<]110i, elle se sentait
10uL i\ eoup pleine de eOIlOance en Pierre. JI lui
semblait que Je sa lut pouvuit venir de lui, qlJe lui
seulement allrail trouver une 1'l0l uLioll au pénible
ronOit l'fui la dressait contre sa ml·re.
Ecoulez, dit. Pierre, IlIlVel,-VOUS de quoi nou'l
�-'"
;J,
av,ons l'air P De cinq gosses en train de préparer
un mauvais coup ... Et c'est à peu près ce que nous
sommes, avec cette différence que c'est un bon
coup que nous préparons ... Eh bien, il faut agir
comme je faisais, comme vous faisiez sûrement
quand vous étiez enfants ... Je vous annonce un
beau jeu, et qui aura un résultat heureux, ou au
moins, qui n'aggravera pas les choses .. . Faites-moi
confiance, voilà tout. ..
- N'oublie pas, dit Jean, qu'il s'agit de ma mère, de ma sœur. .. Et tu parles de jeu, là où je ne
vois [pas du Lou t matière à jouer.
- Oh 1. .. Rassure-toi ... Je ne manquerai de respect à personne ... Mais que tu le veuilles ou non,
nous sommes, - vous êtes, - dans ulle vraie siluaLion de comédie ... Il faut savo ir jouer ... Et si je
peux faire tourner à la comédie - ct à une comédie ù l'heureux dénouement - ce qui est une tragédie pOllf Mlle de Deauval cl pour M. Labrousse,
III sera s lc ,prcmier ô\ dirc que j'ai bien fait ...
Un murmure approbateur SA lua ces parolcs.
'- Jc vcux bien VOliS rai re co n Oance, dit Denise,
h première.
- Moi aussi, dit Marc. Mnis j'aimerais bien savoir ...
- Plus lard', si vous le vOlllez hicll... Et loi,
Jean, m'autolÎ
sc~tu ù agir commc jc l'enlClIds P
- Il le faut biell dit Jean ... Regarde, ln as dé jà réussi ù faire sou;'ire Denise .. .
- Moi dit Michèle, J\ qui l'on Ile demalJuait rien,
je n 'ai ~as
yoix au chapilr<" Illais je peux bien
dire que je m'amuse royalement, el que j'ni con fiance cn mOllsieur Lan liac.
- Voilà qui est parfait, dit riClre en sc lcvant
Pour marquer la fin de ce conciliabule. Maintenant,
mes enfants, ne vous occupez plus de rien ... Vous,
�L'AMOUR
JOun
LA
COMnnUI
monsieur, abslenez-vous seulement, dans les jours
qui viendront, de paraUre il Beauval... Et quoi que
vous entendiez dire, quoi que vous appreniez - car
je pense que les nouvelles circulent vile dans ce
pays, - abstenez-vous de dire quoi que ce soit, de
protester, etc... Quand le mom ent scra venu, je
vous dirai ce que vous aurez à faire ... La séance est
levée.
Denise, après une tendl'e poignée de main à
Marc, se hâta de regagner sa chambre, tandi s que
les quatre aulres jeunes gens se ra,pprochaient len~
temen t de la Bugatti blene de Marc Labrousse.
Tandis que Jean et Michèle marchaient les premiers, Pierre prit Marc par )e bras, ct le lira un
peu ell urrière.
Naturellement, dit-il, vOus devez loe trouver
très cruel do VOLI S séparer ainsi de Mlle de Beauval
pendant quelque temps. Mais vous voyez comme
vous I\tes reçu, ct cela no pOllnait IIu 'empirer ... Et
puis, je sais quo vous pouvez orrespondr' avec votre fiancée ... Je DC passerai jamais plus de si bonne
heure près du vieux ch~le
...
Marc ne put s'ernp~ch
de sou rire, cl serra IImicalemen t le hras de son compagnon.
SUVC1.-VOUS, dit-i l, que j'ai é té jusqu'li vous
prenùre pour un rival ?
- lIé 1... lié 1... dit Pi rre avec myslère.
- Voua venez P dit Jean ('fi se rctoumant, cc qui
cmpôcha More ù'appl'oronclil' le sellS do l'elle mys.térieuse interjection.
M. el Mme de Deauval avaient déser lé les ahords
do la Bugalli, ce qui permit aux LabroU'lse de quit1er le château sans risque cl 'algarAde.
Lorsque le rrère el la !œlll' fnrenl partie, IP i 1'I'C
f'l Jean revinrenl len lemen l v('rs le rhBlenu
�L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
5~)
~
Avoue que tu m'cn veux terriblement, dit
Picne .
- J'uvoue que tu m'as beaucoup surpris ...
- Oui ... T'u me prenais pour un garçon bien élevé, n'est.ce pas P C'est:'à-dire pour un garçon ca.
Ip able d'assister à une noyade eL qlJÏ n'intervient ,pas
parce qu'il n'a pas été présellté il ceux qui se
n?ient . . . Ça, non, mon chcr ... VoiS-Ill, je n'ai plus
dl)t-huit ons, ct je me suis aperçu que la vie con·
lenait déjà bien assez d'occasions de souffrances,
de dram~s,
dc ca laslrophes de toules ~o1'teR,
pOUl'
que l'on tâche d'~viler
cc qu'on Ip eut ~viter
.. , Ces
enfanls s'aimenl, t.u 10 'IlS parl6 très umicalcmenl
de cc Marc Lahrou8se, eh bien, j'interviens el je
le,s emptiche do sc noyer... Si le moyon n'ost pas
d Une correction ab801ue, q110 veux-tu 1 cc n'csl
pas bien gravc ...
- Allons 1. .. Tu nUl'O.is fail un e:xcl~t
avocat,
dit Jean en riartl. Donoe.moi la m/lin ... T'u me convertis, ..
- Et puis, dit encore Pierfe en errant, afl'eetueu~Clent
III m/liu d" sail ami, il f/llll savoir jouer, de
LO~I
I [lS en ll'lnpa. C'est Ipareo C{ue lCR hommes oublient do jouer C{u'ils deviennent si graves oL si enIIUycuX, .. Tu verras, ind6pendamment du résllllfll
eSCompl'<\, on VII, comme dil:lail celle petite Mieh"'Ie
Lnbl'oulse, _ IJjen tlympalhique pur ailleurs, - 011
VII 8'amU~ol
royalcment.
Quelqll'un qui, on cc moment, no s'ornusniL pas
l'oyalcmcnt du 10ul, 1·'6lnil Mme rie Beauval.
�60
1. ' AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
L'audace de Marc Labrousse se présentant à Beauval le surlendemain du jour où il avait été si ignominieusement chassé, l'avait re,plongée dans Ul1
yiolent état de colère. fais ce qui avait porté sou
indignation à son comble, c'était l'étrange conduite de SOn fils Jean, qui, loin de prendre son parti,
et de faire comprendre à Marc, comme elle l'avait
espéré, que sa Iplace n' étnjt plus ici, lui avait parlé
amicalement, l'avait en traîné dan s un conciliabule
auquel elle avait assisté de loin, et duq uel elle présageait qu'il ne sortirait rirn de bon.
La prése nce au cbl\.teau de Pi erre Lantiac commençait à J'én erver sing ulièrement, en l'empêcha~t
de donner libre rours à l' ex pres ion de ses ~ entl
ments : contrainte qui lui pesait ex trêmem ent.
Jean lui avait dit qu'il ;)Vait invil{' 8011 camaraùe 11 passer un e dizaine dl' jours RU t.: hâtellu, el il
était bien difficil e de faire comprendre au jeune
homme quc cc séjour d('plai Rait Il ln maHresse de
céans,
Toutes r'l\ cOlisidérations plon gea ient Mme dl'
Beauval Jan!! la (lu~
so mhre humeur qu'elle nil
connue depui s 10ll g tpll1j1 S, Mniq ce qu'clic y vo yail
de plus grave, c '{-Ini 1 cc fpl 'c lip. considérai 1 rom ror
IIlle « trahi so n » de III parI dt' SO li fil s,
Au ss i gueltait-cllc so n l'(·t our, aprrs \. d(opnrt de.
Labrollsse, pOlir lui en fnirr de violrnLs rcproche9.
. Oès cru'elle le vil qr Iit1 pnr('r de Pierre qui montnll, dallil s:' chl1mlJr(', cil 01 signe ;1 .Jeun Iju'ellc
aV~lt
à ,!tu rurler, ~Inis,
di:1I les ,premiers moI S
(Jl~ elle dll gur le ~ lIj et qui ln préocc llpnit lant, .Jeun
JUI oppOsa Illle re ~ pctu
c U Sf', mai s Irl.q ferme fin de
non recevoir ,
Tout ('C que VPllfli[ dt· lui dire Pi erre élnil enrOlrop r(oC'(:nt ct lui uvuit fnil trop d 'impression,
pour qll'i1 lie f(lt pllH pn('cm Ol~
)'innllcn (1 dlroc
re
�L'AMoun
JOUE
LA
COMÉDIE
6\
le de ses propos. Aussi les resservit-il ft peu près tels
quels il sa mère.
. Ecoutez, maman, dit-il, lorsque vous lU 'avez
l~po
sé
votre volonté en vous opposant .1 une fantai Sie de mes dix-huit ans, je me suis incliné san s
beaucoup de résista nce : et je comprends m ainte·
nant que vous avez eu raiso n ; j'aim e mon m étier,
el)e c rois que je sui s fait pour Jui. Mais dan s l'hi stOIre du mariage de Denise, ce n'es t pas la m ême
chose . .. J'avoue que vos rai son s ne m e semblent
pas suffi santes... La volonté que d é1ploie Denise, et
q~i
me s urprend ehel. une fill e générllement si doCile, me mOlltre qu'il s'agit chez elIe d'un senti·
ment lrès sé rieux .. . Quant il Marc, j'ai {'ausi~
avec
lui, cl je réponds d e lui . .. Tl y a dan s la vie hit'.1l
a~scz
de eataslrophes qu e 1'011 n e peut é vit e!', de 111nl!Ieurs auxquels on n e Ip eut éc ha pper, pOlir qu 'on n e
s'amuse pns il créel' d 'a ulres m alheurs c l d' a utres
C'ulastrophes, nu Jlom de prin cipes qui, je VOll8 le
ùiH tl'I ~S re Rpeclu e uselllent , me semblent s in gulièremenl d ' un autre :îge... 'Iout cc que j e puis faire,
r;'es l de demeurer n e ulre, m ais n e me <!t>manùez pas
ùe Jl r l!lIdre parti contre ma SŒ ur et t.m tre Marc,
que j 'a ime comme un fr è re . ..
I.a s tupeu r sellle, qui laissfl it Mm e d e Befl uval la
hOn eh e Ollvcrte, permit à .Jcan d'a ll cr jusqu'au
bout d e son pe tit sermon. Il en ful lui -m f: me surpri s, cl. J'cgn rda sa m ère uvee une h és ilnlion oil re ·
,paraissa it l'Gm e craintivc dll petit garçon d'outrerois.
Mui
~ Mme de n eauval était beaucollp 1J'0p (0 po I:!vanlée pOli!' s'e n apereevoir.
- C'est bon, parvint-elle enfin il dire . 'T'OIl S mes
t'nfanl se retournent conlJ'e moi ... Je scrai donc
'c illo Il combnttre nu n om de Ct'S prin cipes que tu
�L'AMoun
JOUE
LA
COMllOIE
trouves sUI'annés el dont je ne changerai jumàis.
Ma fille n'épousera Ipas un vacher ...
A côté de l'explosion de fureur que Jean avait redout,é, ces paroles mesurées lui parurent le comble
d'u sucoès : mais la vérité étuit que /la -mère avait
senti gronder en clle une telle fureur, gue, si eUe
s'y était laissée aller, nul n'elÎt pu dire les d'égâts
qui en fussent résulLés pOUl" l'antique mobilier du
chûleau do Beauval. ..
Ht puis, IPierre Lantinc éluit IPIIss6 d'une allure
pelit sa lon 011 .Tean cl
dégagée devant lu porte
su mère R'entreleflllient : loi 10 reclro de la décence
mondaine, il venait. uno fois encoro, de con traindre Mme do llenuval au sUenee .. ,
nu
CHAIPI1'I\E VJ
I.ES
CONQU~TIS
ne
l'IRnHF.
Le dtncr a vIIi t commencé de 1ugllhrc faron.
Malgré les csprrances que lui avniL donuées Pierre
d'un heureux. drnouomenl, Oenise Ile pouvait s'cmleur angle le
Ipê.<'hcr do considérer le choses 80U~
plu ll tragique. MiliO de DcauvlIl. d'oulre part, liuél'ulcmrnt excétlro par ln munio que semblait avoir
le j une hOHlule <lo Rllrgir loujolll'S Illl mOUJ(llIt et
~
l'endroit où l'on n'nvnit qlle faire do lui, s'éluit
aviSt1c que, en roiMnl régner dalts le cMlclIll l'ulm ~ phère
pc ~ nlc
des lrogédie~
familiales, l'hôte
qu'rl\e j\lgeait inMsirable finirnif peut-êlre pal
comprendre de Jli - m~e
que SI\ pr~!encl
éloil su'
prrflilo ...
Et niru sail !Ii \lme do Ill'ililvai S'(, lllrndail il rrJ1"
�L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
drc une atmosphère pesante. Silence lourd, coupé
Soupirs, regards furieux jetés à l'inforlunée DenIse, observations faites sèc hement à Rose, qui, serva~l
il lable, paraissait beaucoup plus attentive à ce
qUI Se disait qu'à son ~ervic.
~ais
silence, soupirs et observations, ne semb~alent
avoir d'e prise sur Pierre.
faisait preuve
. d Une liberté d'es.prit qui contribuait beaucoup li
entretenir l'irritation dc son hÔtesse. Son enjouement lombait du reste d'a ns le vide, el n'avait d'autre erret que de rendre plus sensible la mauvaise huIneu\' qui règnait autour de la table.
Soudain, au milieu d'une phrase dont elle n'avait
guère écouté le début, Mme de Beauval eut son al1~Tl l"IOn attirée par ccs mots :
- '" Mes r01lsins dc Vieuxville ...
ElIc leva la t~le
:
VOIl S \Irs cousin des Viellx,ville P.•. Des Vicuxville ùe Lavalette P
- Par ma mère, oui madame.
- C:'est curieux ... NOlis , ommes uos·m~e
un
peu COli si ns de ces Vieuxville-là ...
- VraimenlP Mais alors vous connaissez certainement les Chavigny ~
- J '('Il ai entendu pm'lcI" autrefois pal' les Vieuxvi1]e .
est une demoiselle do Cha. - Eh bien, ma m~I"e
VIgny ...
Mme de Beauval parut prodigieuRemeut intéressée, el Ulle COll ver8ution naquit entre cne et Pierre
Lan tiac, sur les alliances des Viouxville et des Chavigny. Pi ne fit /preuve d'une érudilion el d'une
Ptécision extraordi naires sur ces qll 'sliol1s : il rcleva 'même, avcc une discrétion snti3faitc, une er.
l'l'Ur rom mise par Mm!' de Beauval.
,fran rrgardl1it Ron ami avec UII étonnement l'on -
d~
n
�fi!,
L'AMOU U
JOU E
LA
COMÉDIE
sidér a bl e. JI n o sa vait rien de sa Camille, mais
s 'étonnait , 11 voir la passio n documentée qu'il m ettait à sa co nversa tion avec la comtesse d e Beauv,IJ ,
de n e l'en avoir en coro j ama is en te ndu parler .
- Oui, dit IP ierre , 0 11 teJ'mÏ11 ant un e br illan te
imp rov isa tion sur los ar m es de Ch avig n y, l'C i; questio n s m 'ont to uj o urs passio nn é. J' avou e que j e le ur
con aue bea \1coup ùe lem ps ... Los vieilles fami lles,
0 11 ce q ui en l'es te, so nt V1'ai m ent l'arm a ture 111 0l'ale du Ipay s, on n 'y son ge j ama is aO'sez ...
Mm e de Beau val s 'épa no ui ssait d 'a ise. L'indifféreneo qu e so n m ari ·t son fil s ava ient vi s-à-vi s de
, ces ques tio ns lui avait lo uj o urs paru coupa bl e. Ell e
Iri omph a .
Tu vo is, J ean , Itl on sieur de La n Liac .. .
Lantiac, m adam e .
Pardon P
Lanti nc, to ut coud, madam e ...
Pierro pO ll ssa ici un profon d so u pil' , ct Mm e
l3 ea uva l eut regre t d o sa di s tra ctio n qui r a [}pelail
a insi il {'e p auvre ga t'ço n l 'uOlcr lum e qu ' il y a ~
s'a ppe ler Il La nti ae to ut co ur t. Il
- Mo nsie ur La ntine, re prit-cll e, Il déd aig ne p n~
de s 'intéresse r li cc q ue tu ('o n ~ id è r c g si Jégl'r ern cJ1 1
co mm e « d es id ées d'llTl aut re :lge )1.
J ea n n e répo ndit pas .
Lo dorni er j ou de scèn e a uqu el v(' n ait J e se Iivrl't'
Pi erre lui ava it Oll ve rt les ye ux : cc déc hirallt soli'
!pir ava it vra im cnt so nllé trop Caux il s (' ~ oreill c." Il
ne do ut o pus tJ 'assister à ln pr e mi ~ r e ~ rt" lI C de lu cOrn rd ie nn [J o ncée pa l' son ra rn nr fl dc, Il fil t d 'a hor d
111\ pcu c bo qll 6 de vo ir sa m ère se r vir d 'o bj ct
l 'iro ni de on ca m arade. Mais il fi t l'{'l1 c'{ io n !J tlt'
l' 'nj clI d c ln par ti e va lnit hi cn q 1Jc Jq l'~
p ·tile!! J1l 0 '
queri es ù l' éga rd de ('. CJu ' il (- lait Je p rnm iC'1' ~ ro ll
ne
�L'Al'tl0Un
JOUR
LA
COMÉDIII
65
3idérer comme la plus vulnérable des faiLlesses de
sa mère.
Celte diversion, el le changement d'humeur
qu'elle avait provoquée chez Mme de Beauval, modifièrent loul à fail la fin du repas. On commençaiL
à respirer. M. de Beauval pul sortir de son prudent
silence et se livrer à quelques considérations sur la
relativité de l'anciennelé des iamilles françaises et
de celle des diplodocus.
- Je vous assure, disait-il, lorsque, comme moi,
On vit dans la préhistoire, 011 ne voit plus les choses
s~u
le même angle ... On admire beaucoup qu'il y
<Ilt cu Un lleauval au Xl· siècle, fondateur avec
Hobert Guiscard', du royaume de Naples... Soil.
Moi, je Veux bien trou vel' cela admirable... Mais
neuf siècles 1 Bagatelle 1... Pensez que lon'que ce
nc.a~vl_à
est lié, il Y avait déjà des mill.iers et des
m~Jlters
d'années que le (lernier diplodoL:us, héritier
IU1-mème d'une race milléllaire avait re.ndu le dernier soupir...
'
- Laissez-nous tranquilles uvec vos bètes, mon
cher ami, dit Mme de Beau al, qui ne parut nullement élllue pur celle imoge du dernier diplodo.::us
Inourant.
- Les mammouths dit Pierre, ont ëté lrès postérieurs aux diplodoc:Js, n'esl-ce pa, P
- Ah 1 Lù, il faul .s'entendre ... Il y a mamtUouth el mammouth.
- Nous voilà aux mammouths J se dit JeOll. Il
fuit tnaintellulll la cour ù mon p(·re 1... Vieu merci
qu'il Ine sait lout acquis à son jeu. II se croiroit
oUligé de me parler, pour me plairo, de 8tl'atégi..: el
de tactique ...
Ai[\!li, gl'6re à Pierre, ceLLe journée du dimanche,
('ommcncéc ct ~)oursive
sous de si somurcs signes,
8'achevu le mieux du monde, dans IIlle atmosphère
�66
L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
de détente qui fut un grandi soulagement pour
tous ...
Lorsque, vers onze heures, chacun monta dans sa
chambre, Jean rejoigllit Pierre dans la sienne.
- Dis donc, commcnça-t-i l, je ne le savais pas
si ferré sur l'armorial des r.hllvigny.
- Oh 1 je 'uis un peu de loul, dit Pierre modeslement.
- Mais, ta mère P
oomme
loot le
- Elle s'appelle Lacombe,
monde.
- Mais alors, comment as-tu pu savoir ~
- Oh 1 C'est bien simple ... Je me suis permis
d'emprunler ù la hiblioth que un petil volume très iul ~l'esant
d'ailleurs - sur les Beauval el leurs
alliaJl('Cs ... J'ai travaillé la ques tion avan l 10 ùÎnOf',
j'ai pri s 'lll elquos noies.
Jeno ru t bi 'n for oo d'e rire.
- Çu, tlit-il, lu ~)CIX
dire qllo Lu M réussi, si
ln voulnis plaire 1\ mnmnn . Elle bllvnit les paroles.
- Oui, jc l'ois qu'clio 110 [>eme plus à m'expul·
sor ...
- Qll'os l-ce que lu dis P
- J\l nis oui ... EL Je ln comprend s très bien, remarque. Elle ll'OlIVO que je s ui s de trop dnn s le débat famili a l qui s'es l ouvert. C'est toul ro l'fu'i[ y
a tlo pllls naluJ' 'l. culemont, moi, j e me trouve ~
]lin pl ncc parlout.
Allou s, ça commence hicn ... Je te lai sse dormir.
Oh 1 lu cn 'Ycnus d'outlc
~ ... Tu verras de'
ehoRcs 1. ..
L r~
dcux j ClIlI CS gc ns RC ~r p n J'rlc\t
/lUI clto merveillPIIHc pJ' o nlt' ~r
do IPi c !'1' '.
]>('JHJnnl f' 1('IIIP8, ontre M. (ll l\TIll dc Bcallvn),
qui s'é tai 'Ilt r olil' . . s dan Jours nppnl'teIOent, la con'
�L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
67
versation revêtait la forme cl 'une litanie 0 lLernée en
l'honneur de Pierre,
- Ce jeune homme est charmant.
- Au moins, il sail cc que c'est que la préhistoiro .. ,
- En ~ome,
il est un pell notre cousin .. ,
- Oui .. , Evidemment, celte errrul' sur les mammouths élai t grave, mais avec un pen de lravail. ..
- Quel dommage qu'il s'appelle Lantiae 1
*
* *
el Mmi'
A pal' tir de ce ùÎner du diman eh' où ~J.
de lleauval, bien que pour de l'ni ~O Il S dirrérentes, ct
l'çu
~
assez élo ignées l'une de J'autl'e, s'p loient aJ1e
que Pi ne Lantiae éla il lin gar~'on
l'harmant, l'alrnosph\'rr. du chaleau s'érl(l ircit cOI~idérnhlme.
, Pierre multipliait les grtlceg UUPl'l'3 de sr. hOtes,
JO~unt
un j eu quo ni Jean ni J)cli
~c
Ile compre~nlet
pleinement, mais qll'il s ac e,ploicnt yolonLI ers, el qui, par'foi s, les amusa it be3lH:oup
cc la
CO?tr ibllui t Ù c hn s~er
1('5 noirCi pensées de Denise,
pl'lVée de la YlIe do celui qll 'c1le aimllil.
mille dis1'rois jours passèrent ains i, occupés de~
trn etions que J'01l Ipeut IroliVel' ~ la campngnl', cl
peu à POLI, le spectre rlc~
allduciell e~ prétenlions de
~f?rc
LuhrOl
s~e à la maill de sa Cille parai sa it s'éOlgnrr ri Mme d Beauval.
Il .T!'étnil plus queslion dll t01lt pour clic de llli
« VOir lcs talon s H, Elle e, lim ait, de plu s, qlle les
lh60ri S 1J1IO Pierro ne munllllilil jamnill ct'rlaltr f ur
le devoir do~
grllnd !l fUlic
~ do Ile ,,'a llirr qu'cntro ell es , pOllvaient être d'un ex('cllenl effet slIr De-
�68
L'AMoun
JOUE
LA
COM1~lHE
nise ; elle déplorait seulement fJll'une Chavigny ail
commis la faute de s'allier ;1 UII Lanlinc toul COurt.
!\lais le chagrin que le jeune homme paraissait
éprouver de porler un nom rolmier Je lui rendait
encore plus sympathique.
Pendant ces Irois jours, ses rapports avec sa fille
se modiJJI'rcnl I(lgèremn~.
Sa gl"lnde colèrc pas~éc,
elle cn élai t ,en ue ?l se demanuer si elle n' Cn ohtiendrait pas plus de soumission par la doucc1lJ' que
par III violence. Elle ne fil , plu~
aucune alu~ion
1\
lIlarc Labroll se el conlIne Denise o!J$C'rvait la rnèrnc
ne ~e
discrétion, les occasions d'cxpJicalionR vic~
retrOllvaient plus.
Et ;\1. de Beauval éprollvait lm immense Sùlllngemenl Ù "oir s'éloigner les nlge~
chargés de foudre (jU 'il uvait cru voir crever SlIr sa lèIe.
Cc point oC'qllis, et la paix Remblant lrJomentnn{'_
ment revenue au château de fieallvnl, Pier/,(' envisagea de passel' nu dCIIl(ièl1le acle de la prlilc co médie qu'il avait agencre.
Il se l'elldait fort bien ('omrI qUI' cc deu i;'II1I'
aelo serail, cl de beaucoup, le pins diffirilf! à f(,ifl'
nccepter par Joun de Brauvnl : il renollt;'<l r('pcndnnl à l'avprlir du coup plein d'alldacl! q\l'il pr{:p:ll'nil, cnr il vOlllait quc les prcrniiT"s rt~aciol
de
son rnnHlrnc!t' wif'lll empreinles du plu~
grand 1111turel, rl il ne le <'l'oynit p:l~
OS~I':r.
11CJll C0l11l.diell
pOlir feindre IIne s\lrprise q\l'il n'm)l pUll ~prolJvée.
Il dcnlullda à plusieurs rCJlI'i 'c~J
ct;' malin.IlI, si
le faclr\lr Il'élait pos J!as~é.
./cun Ifl pluisanfll ~1I'
son impatience.
tll Jl'a~
pas rc~'u
\Ille scule leLlre dl'Plli.,
- ~Iais
ton :JJ'J·i,,(·(' ...
J'ai fall 1111 rf.ve, ('!'Ill' IllJi!. j 'oi r,\,(, cl '1111
('anar!! hl.\11r. 'la ,idllFl honne l11'a fOlljour, uffirrn(. rJlIf' c '(~,IÎ
f signe dl' 11'1 f rI'.
�L'AJI10UH
J O UI!
LA
COllfÉDIE
6\J
Les ausurdités auxqu ell es Pierre sc laissait all er
avec le plus grand sé ri eux é tonn aient toujours :lIme
de lJeauval lorsqu 'il lui était donné d ' y a ~s i s t e l'. Gela fai sa i t, pour cli c, partie de <.: c « genre arti ste ))',
qu 'cli c n ' aimait pas du tout, mai s pOlir lequel ell e
sc senlait qu elque indulgence lorsqu ' il s'n g i ~s ail
uu I11 s d'ull e dame « n ée Chavi g ny n.
Or, J o r ~ qu e le fa cteur passa ,aux environ s de di-<:
heures, il y avnit une lettre pour IP ierre.
- 'l'u voi s, dit Pi crro calm ement 3. son ami. .. Le
canon] hl anc ne trompe jnmais.
Mm e de Beauval en res ta surprise.
Pi erre o uvrit la lettre, en lut quelques li gn es , ct
p01Jssa un e exclamation
- Ah 1 Ip ar exempl e 1 Comm e c'est curieux 1...
- Qu'esl·('e qu'il y a ? dit J ea ll. Tu es élu !,
l'A ca démi e P
- Non ... Cc ne erait IJ05 curi eux . C'es t un e lei·
Ire d'un ue llI C <.:,Q usim . .. Bag nolcs Je l'Orn e, c'es t
t<l ut pn' ~ s d'i i P
- Oh 1 tout (ll'tS , non .. Uno oixo nl ain e de ki ·
lomèl rcs .
- Ce lI'est p liS g rulld 'c ho c. C'r tUil e lettre
\fll'OIl me fuit slIi vI'C de Paris. Un ci e m es ( 'o u ~ in s
fail 1111 0 8u isOll il fl ag nol 'q , (' t il m'écrit qu 'il s'y
('IIIl1Ji e co mm o 1111 l'al. J 'irai le voir cet npr ~s- mid
ù ' un rO llp d'oulo.
J-;'t cli ente id{>e ... Ça no ns r ra IIn c prom ena·
oc.. ,
Ah 1 In o n eller, j e ne ne t'offre pas J e t 'e lll .
1lI'lIer ... J' ni Il lui Ifl nrl cr o ' un las d' affaires d e fa-
mill e .. .
- flou , rn va. T'II cs un cac hotti er .. ,
\lui, J '1111 de [l auvul ('omrrit qu 'il , ' ag i s ~ ait
ri ' 1I11 e nOll v 'lle monœ uvre de Pit'T'ro, Jon qu e ('('lui ·
('i, ~ (' tOlJrnant Hrs Im l'!I" nl'Il 1l\;Jl, lui dil :
�70
L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
C'est un Chavigny ... Herv6 de Chuvigny. un
charmant gorçon . Il est attaché d'ambasillde. Il rovie.n t de Pologne, je crois...
Il donna encore quelques d6tails ~ur
son cousin,
en fai s81lt un personnage doué de Ioules les qualités et de Lous les charmes. Son hôtesse l'~eoutai
avec in lérèt.
La pauvre femme cût 61é bien eurprisc si elle
avait pu J ire la leltre ,pur laq lIelle le « cousin " de
Pierre lui annonçait qu'il rai ait une slIilSon à Bagnoles-de-l'Orne.
Plus heureux qu'elle,
nous
pou-
vons y jeler un cou p cl 'œil.
Celte lettre était ainsi onçllo
«
Ma vieille branche,
« Que t'arrive-t-il? T'a /dire m'a affolé, el à
peine l'uvais-je reçl.l,e que j'ai bondi dQn,~
mon vieux
tacot, et me suis précipité vers Banno/es. Je me
demandais olL je passerais mes vacances, et lu m'ils
sorti d'embarrQ ,ç. Mais, Clltre nOLIS, III aurais pu
mieu.:r cI/oisir : je suis là depuü dix minules, el j'ai
déjà. bl1illé lrois fois. Je me soumels aveuglément ri
les (mires, et je t'envoie celtl' lellre de Paris, biclI
Il quelques Idlomrlres de moi. l\1(1is acque tu .~ois
COllrs m'upliqller loul ça. Je /mis Cllril'llx conlme
ILne he/elle de savoir ce qlLt l'arrive. J'ai comme
une va!,/ue idü que tll l'rIS le mal':"'. Si jl' me trompe, j,e le pa'ye il clinrl' pnltl' mr faire pllI'clonner celle
lIol'nble 311 N Jn 3ilion.
AI~
/'evoir, nIa vi,iLle branchl', je /1' scrOlle bi('n
cordIalement Les l'Umeall,,!:.
P. S. -
H", vu
nOCIlH.
Viens 1... Je melH'S d'ennui.
11. R.
Il
�L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
71
Mais, grâce au ciel, Mme de Beauval lle soupçonna pas une seconde l'horrible vérité. Elle accueillit
avec in térêt tous les rellseignem\Jl1ts que 1ui prodigua Pierre et dit, avec un sourire des plus aimables :
~
Mais si M. de Chavigny s'ennuie tellement à
Bagnoles, nous serons très heureux de le di slraire
Cn 10 recevanl quelquefois. Je vous charge de le
lui dire de ma part.
'P ierre protesta avec confusion.
- Jo n'en ferai rien, madaml:l... Jo suis déjà ,
a~sez
confus d'~lrc
arrivé ici dans cio lelles condi.
lion e. Je Ile voudrais pas vous encombrer enoore de
mes cousins.
- i\ lais, c'est un pell le nôlro aussi, mon sieur ...
Les Cha vigny, les Vieuxville, les Roauyal 80 son t alli68 ~ouven
t.
- Vou s êtes tout ù fail aimabl e, madame, mais
mon cOu in csl la discrétion mûmo, ct je doute
fort. ..
- Eh bic.n 1 je omple sur vous pour ]e persuader . ..
Joan avait ass isté à colto !c('ne en fronçant Jc.
sOurcils. Il trouvait que Pierrc exog"rllit.
Dès que 8 ft mi' ro so rOl éloignr , il pril 011 ami
par le uras ct l'entraîna 011 ùeltors :
- Qu'csl·co quo c'est qlle celle hi ' toire P Tu
n'ns pli e cl' cOllsin du tOllt P
- Si, j'cn ai un. Il est hui sier i. Carpentras .. .
- Ne fui s pa ' J'imhécile. Je te pllrl!: SC I"lCU I:oCtllent. TH vu introduire JIll inconnu ici. C'est :\ ccln que lu tends, j' le cl 'vin' hi en.
- QU'Ile admirahle pénétrolioll. 01li, je vni intrOduir. 1111 « i/1l'0111l1l )1 Ici. ~Ini
s, moi, Je connuls
~et
illCOllllu. C'eRt mOIl meilleur' ami. J 'ni plus eonnnce en lui qu'en moi. .. C'esl le dira 1
�7i
L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
Enfin, lu veux mettre la Frun ce entière au
courant de nos affaires de famill e P Til exngères,
mon vieux, je l'assure que tu exagères."
- Chut 1 dit Pi erre my stéri ellse ment. Le dénoucment esl en marche, Tu m'as promis de me
laisser faire, lien s la promesse, <\10i, je tiendrai la
mielllle, el la sœ ur I!pou sera Mtl rc Lahroussc avec
le con sentem ent cie Mme de n'auval. ., Pcu)(-lu rêver un déllouemell t pl1 ~ moral j.'
Jean Icvl\ les bras au riel.
1'11 a répon se 1\ toul, Ini s je me demAnd e
dans quelle sombre hisloir III HOU R Olllra1I1es ...
- Tu Il' ns en ore flen vu, di 1 Pierre, il 1IsollI ment rien .. ,
- C'est ra sS1lI'nnt 1
- Allon s, ne fai s pas celle 1~lc
, , i 1Il. eR sage, la
prochaine foi s que j 'irui ~ Bu g noles, je l'emm ènerAi nVe<: moi.
:0 fut pCII(1anl le déj eull cr 'lIl C r.' 'ni~e
appril qllc
Pierre ullait voir 1111 de Br~
rousillS il Bn g nolc , Elle
lui jela un coup d'œ il il'o nirlll' qlli Il lll1lSn le jcune
homme, Il Il<' nlilit qll' J) e lj ~c nIait pl eillcllI ent runfiallce 'II lui, 'l cc sc nlilll enl ('oltlrillllllii b oucoup
h lui donner l'audare lI ére~sni
r e Il l'exéc ulioll de
sc, plalls compliqués,
CIIAlPrJHE VII
111 :1\\ f...
Il Il
(li' \'ION\'
Picl'l'" pOl'lil, CO /l]llle il J'avnil nlllloncr-, nl~\if
apn\q le d{' jClIlH" ', '1", dl' Ilr'ollvul Illi Il,nit 1'(o P (o 1t"
av"e in i ~ la(,c
lJu' 'JI, ~cf'l dt
Ir ~' brun!1I c dr J'f' r 'voir do n cousin ù nculIvnl, el Picrr', nv(o<' 10111'
�L'AMoun
JOUE
LA
COMÉOIE
les gl'Îmaces nécessaires, uvuit joué lu com(oùie de
celui qui se laisse con vaincre.
I( Ce n'est pas roman cier, que tu urai~
dû être.
h~i
chuclJOta J ea n au ID0mellt d~
Llépart, c'cst comédien ...
- T'u n'as encore rien Vil 1 l'rpondit Pierre.
Et il partit.
11 penso, lin moment, fi fuire un détour pal' chez
~[al'
c Labrou
s~c
pour mettre [e jeun e homnH' à peu
près ou ourant do ce qui sc passait li ncauval. Mai~,
COlllme, tou s Ics mutin s, il ent en dait retentir les
lrois coups do Ilnxon de ln nu ga lli bleue, il pcn~n
'Ille Ic vieux chêne co ntribuait à IIl1e correspondau 'c très activc, et qlle Murc d vait savoir à pell
prè tout c qu'il lui importait dc savo ir.
Et puis il lui tar·da it fort de rejoindre Hervé Rocho li Bagno[c!! de l'Orne. Et, puroi~,
i[ souriait
tOltt se ul à ['id<e de 1'610nllcll1o/lt pl'orond qu'aul'ait son ami en nppreJlant lc sCl'viee étrallge qu'il
alloit lui demander.
li nc mit K1~re
plus d'une hcure pour parcourir
Ic~
~oixal
10 k ilom r l rcs q1li ~éparief1
t le ehÎtleoll
s de l'Orn e, ct il fi t ~on
ellde fJcouvn 1 de na~ole
Iréc dane ln roquclfe station hnlnéairc aux cm·irOn s de troi~
hClir Il. JI n 'rllt rn~
rIe poinc Il trollVer l'hôtel du Pnrc ,oit ~O J1 ami s'élait ~lnhi,
rot
la premihe pcr onl1c qu'il apCfçut rut /lervé Hor~lc
lui - m~,
rr ... nl rnélnnrolifJucm nl dnne le jarcliO do l'hOI 1.
r.n vue cie lu belle Corel ftloue nVllÎl (ail nr('()I1 rir le pcrlionnd de l'hôt 1. n'un 11101. Pi rrc rH ~o
n/(cr le ,ollrire Ulivr.~
c l rie lJirnvcnuo qlli ]'01'('11 iltaiL, l'n dis ltIl l <I u 'II venait seulement r '"dr' visilp
., 1111 El mi.
Ilol'vé 11\ ni t d(.j~
honcli dlHl!>! ln voi 'ure :
�74
J,' AMOUR
JOUE
LA
COl\U1UŒ
« Ce n'esl !pas trop tôt 1 dit-il. Allez, filons .. ,
Emmène-moi, n'importe où mais loill d'ici .. ,
- On dirait vraiment que lu t'ennuies, dit Pierre en riant.
- Mais je crève ' d'ennui 1 Il n'y a perSOl1l1e,
dans leur hôlel... El je n'ose pas le quiller, puree
que je pense toujours que lu vas ani VCf .•• Et alors,
qu'cst-ce qu'il y a ?
- Pas d'impatience, dit Piefl'e. Laisse-moi trou'\'cr un coin tranquille ...
11 avail pris une petile roulo, et conduisait lentement, à la recherche d'un coin ombragé qui pel'mÎl ulle halle tranquilh:. Il ne lorda pas ~
lrouver ce qu'il cherchai l, el, quelques instun ls !JIu,
lard, les deux amis, en brus de chemise, la pipr
nu bec, Haient étendus sur l'herbe grusse, à j'ombre d'un hêlro épais.
« Alors, di l Hervé, tu te déciùes P... Avoue ...
T'a vas 10 marier ...
- T'II n 'y cs pas du Loul, dit Pierro on hochant
la têle, c'est benucoup plus grave .. , J, vais lo fiancer ... ))
Biell quc couché sur 10 venlr , TTrrvé parvinl ~
faire lin bond: d '11110 Itnllieu r Il pprécinble.
« Tu dis ~ .. ,
Je dis que jo vni 10 flan rel', avnnt qninze
jours, Il Jnaùemoisclle Deni e do Jl'll:Ivnl, l'un de
plus charmOilles jeunes Iilles qne j'aie encore l'enon lrées.
- Eh bien, épouse là 1
- .Je ne pellx pas ... Jo m'npp 11 Lantino. Mni8
loi, tu t'appelles Hervé de Chovigny.
lIer~é
regardn on ami avec unc st\1peur effrayé.
« DIS. ~one,
dil-il doucelll nl, lu Il'15 pas un pell
haud, ICI ~ Le soleil tupe ùur ... »
Ayant suffisamment, à son gré, iUlrigu6 soo ami,
�L'AMo un
JOUE
LA
COMÉDIE
75
Pierre Lantiac lui fit alors un récit circon stan cié
des é vénemenls que nou s co nn aisso ns. Her vé l 'é co uta j USfJU '3 u bout , sa ns l ' in lerrom pre lIne seul e fois.
Au fur ct [1 m es ure qu e le réc il se déroul ait , so n vi sage s 'épa no ui ssa it. Lorsqu e Pi erre en fut a rri vé .i la
fin, il n 'cut qu 'à rega rd er w n a mi po ur sa voir
que celui -c i ferait exac tement ce qu 'il vo udrait, cl
se pr ~ l e rni t a vec j oie ù jo uer son r Ôle da ns la c ~
m édi e orga nisée.
« Tu e8 un lYlpe prodig ieux 1 s '{-C' rill -l-il avec
e nLh
o u ~ i as m e.
Mais e'cs t énorme 1. .. Jfl m ais j e: n'all r uis Lrouv é un e c hose pRreill e ... ) 1
Pierre so uri ait avec modes li e
« OuL .. Ce n 'es L pas m ol ... J(' qui
asse? sa ti sfail de m oi ... Et pui s c'es t t Il cmenL fort, co mm e
Iplai snnLeri e, qu e to ut le m onde marchera jugqu'à
la fl n.. . )1
Les dellx ami s eurenl un :1cè~
de gaîté qui lem
l'ap pela les m eil le ures heures de leur Lemps de collbge.
« To ul de m ~ m e, dil Hervé, Il n' y n po s 11 dire :
on no scra jom ai sé rieux ... C 'e! l ridi cul e, de tout
prendre il lu blA g ll O co mm e <,0 ...
- fioh 1 Les ge ns prenn ont en /lnn ér al toul au
tra g iqu o : (,' a compe nsc... »
Mais la fl g ure d'IJ erv6 so rcml,runit soudain
« Dis donc, lu n' 08 Ipll8 pensé fi tou t .. .
Tu m' éto nn es ...
- El si j o devenai s a rnollre ux pour d e bon de
Mll e do Hea uv nl P )
Pi en o pril un e Og tlrc com tern ée pour répond re :
« Al ors je Il e r ~ p o ndr
: d s plu s de ri en ... »
Mais c ' S so mbres prrsper tiv eR n o relinrent pas
l o n g l e rnp
~ Ic' ur ott r nti on , Pi r rre rnlt H 'r vé au CO li .
ront do tOlit les cn rae tr ri slit'fll rq de sn no uvell e pr r80nn oli lé. Il rt e fil qu elq ues rése r v s qu e sur le choix
�.: AMOUn
JOU E
1..\
CQMÉDm
des fon ctions d 'a ttac hé d 'u mhassa J e que lui avait
assig n écs Pierre.
« Ça, c 'cst tou t à fail idi ot. dit-i l avec rl' a n c hi ~e.
Tu sais bi en que de ma vic je Il 'a i quitté la Fnll ce ... J' a i les voyages cn ho 1'J'l' lIf , e l aucun r esper t
pour les umLassaùcurs."
- Auc un e im portance. J'ui dit qll C tu revc nais
de P olognè, Déniche un bouquin sur la Pololl" nc, OH
lin vul gaire Larousse et Lûcl!e la qu e~ li o l .. , Ça t'ai dera à tuer le temps .. , Mainl ell ant, voici 111 11' prlite no le sur les familles de Ghavi gJ1Y el de Vie ll xv ill e ... Pota{'h e, in str ui s- toi .. , T'u u& le teIlJ)Js. Il ne
fnul pas all er l l'Op vile .. " Dall s tl'o is 01\ qualre
e J e nca uval, j e
jours, codant uux in sla n es d e ~lm
vi endTa i te chcrcher pour p tl~se
r 1J1I C journ ée Ill has .. , A cc momenl -Ià , ag is fi l'o n ~é qu e l '1:'. ,
Mais IVIll e dc Bea uva l es t averti e P dil Ih'r v<!
3 VOC inquié lud e. J e ne li ens pa.
d li tout il p as~e
l'
pour lin irnlJ6cil c .. ,
Bnh 1.. , J e l 'a i dit comm ent lo ul cela Ol1ira il
Tu passern s pour bi en Hull'o chose qu ' un imbécil e,
- Un scroc, ça m 'est f:gn l, di', lI erv ;, j e sai:!
bien qu e je Il 'en sui s pas un. Tandi s qu 'un imi lé.
ciJc·, 'es l désagréa bl e .. , On ne sail j amaiR..,
Lell deux j eunes gens se quil
~ r c nl
aux: cnvirons
do six: heurcs , cl Hcr vé sc préci pitn dans l'MId,
il la rec herchc d'ull l.arousse qui lui permit d 'nc
qu ~ ri
cn qllelques hcures la science ch' la Pologne.
I, ~ l Pi erre, pcnù nlll cc 1 m p , roul ait Il rond de
tram yers Beauval, le cœur toul l'empli d 'all égr sse
qui le possédait chaque fois qu 'i! par vcil uil à mysti lier q\leu
e8- un ~ de sos t'o nl cmpo rnin s,
c( Eh hi ell , dil f\ lm' de 13 nuva l en l'nre ll eill a nt,
vou s avez passé IIII C bo nn e journée ?
Ex{' 11 1' 111 C, m adame, J 'a i ClI un p r.! 11 honte do
�L'AMOUlI
JOUI'.
LA
COIllÉDiE
77
vous abandonner ainsi , mais Ic~
liens de famUle,
pour moi, vous savez ...
~Iais
c'est toul à fail naturel... El j 'cspère
tlue vous avez dil 11 Yolre cousin avec quel plaisir
nous le recevriolls il ...
- Mais oui, J\ladamc ... Il en a été très tomM,
mais, comme je le pcnsais, il crnint vraiment J'abuser ...
Mon Dieu 1 que d 'hisloires pom une cho.e
aussi simple 1. .. l' /1C7., demaill. jc veux rI'IC YOU~
allic7. Je chcrcher ... Jean VOliS accompagnera, cl je
suis silr qu'il su ura le dé cider ...
- Ecolllez, modflm e, demain cc 5erail pe1l1-(\lre
un pCll LÔl, mais oprt'·s·c1emain, si vous voulc? Ilicn.
Vou s in sistez si nimablemCI1I. .• ))
« JI faul pourtnnl I,i en, song(~
il
Picrre renclanl
('cl échangc de ('ollrloisic, quc te pauvre diable ail
le Lemps de viRiler la Pologne el,- d'y e.'~plor
la famille de Chavigny... )
..
..
..
Le surlendemain donc, Pierre, escorté li .Iean de
BClluvlll, repril le {'hcmin de nagloe~-dcJ'Or.
- .Je le pr(ovi 'ns, dil .Jeilll, que si la t(~lc
rie Lon
('il marade IlC mc J'cvien l pa~,
j(' nc le rall't'ne pfl~
t\ la IlW i. on ... Que cela le plnÎbc Olt 11011, ect le ld sLoire dcvi ni in{crnulc ...
- Miliq 110n, cll(' esl délir(,I1
~(, ... Qlli1J1t li 10 INr.
d'lItTvI", tu He rni!! bicu le preT11i('r ~ Iltli ellc Bf' J'Pvierlllt-nil p(t ~, comme lu di ' i ulg,lirl·lHcnl. r;'c~l
Un garçon qlli n dll ('hnl'l1\f' ...
Noutl vt'rl'onH, 1I0WI verl'on~
...
- El lu Il 'I~
encore 1'Î$11 vu 1. .. conclul Pierre,
�78
L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIIl
qui sa vait qu els frissollS d'inqui étude celte petite
phrase Cai sa it passer dan s le dos de Jean.
JI faul bi cn croire qu e la tête cl 'Hervé était « reveoue » fi J ea n, car, un e heure plu s lard, les troi s
jeun es ge ns, nllablés au Lo ur cl ' un IPOllo, devi sa ient
forl gaiement.
- Je VOl iS assure, di sa it Hervé Horhe Il Jean de
Beauval, qu e j e n e voulais l'i ell savoir pOUl" jouer
ce rôl e ... Cela m e semblai!. .. peu d élicat. Il a falhl
pOlir me décider toule l' éloqu en ce que vous conn aissez :\ Pi erre.
- Oh 1 j e la connai s, dit J ea n . Avec lui, toul
dev ient simple et normal. Il excelle à faire perdre
aux gens la noti on de la réa lit é . ..
- Et, co ntilliwit lI erv é avec uno hypocri sie qui
fai ait l'ad mira ti on de PieIT', si mninLcllunt cncore
vous é ti ez d 'uv is de nC pn s aller plu s loin, je le
~o flpr c
ntl
rai s parCa i tcm en t. ,Ce J'Ol e m' 's t d ésag réa bl e. J e II C fui s cela <l" e IPour vous obliger, '1 11
ca use de lu g ravit6 du cas ...
Ces di sposili ons plai sa ient hCll UCO Up 11 Jean.
- 'J'u yoi s, cli sait -il :1 Pi erre, Lo n ami se rend
rOlllpLe de la grav it é du j ell Ci li ' tll IIO US fai s jOller,
ct do nt j 'avo ue que j e ne vois pas bi en co mment il
n ou~
ruppro ' he du bill. Ennll, cela, c'es t tOIl arroi.
l'C. Muis loi, III prend s tou j ours t01lt il ln hla g1lC...
ce {flle j c lui di s so uv ent, so upira Hel"
- C'e~t
vé.
A midi jl ~ t (', III Corel slop pait deva nt le perron
dc Bea uval. Pi erre' avait laiss{' 1 volon! li Jean penùallt loul le ret our, {'l, IJ s i ~ d a n s le fo nd ct· la voiturc avec lIf'rv (-, il lui faisa it pnsC l' lm rapide . u.
1nen :
01l('11e 's t ln {'npi lnl e d la Polog ne
Varsov ie, J .0 70.000 IHlhin
~.
Villes prilicipuJes ~
�L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
,
79
Cracovie, Posen, T'horn.
En quelle année trouve-t-on pour la première
fois le Dom des Chavigny dans l'Hi stoire P
- En 1356. Luo de Chavigny accompngna Jean
lI, dit Je 30n, dan s sa ~nptivLé
en Angleterre.
- men ... ça peut aller, on ven a ùien.
Mme de l3euuval fil au cousin de so n hôle un
ne ueil charmant, si chnrmant qu'lIervé se sentit
mal à ]'ai~e.
Il s'a Ltendait ù trouver un e sorte de
momie engaÎllél: dans ses prétenlions, ct il trOIlvail une {emme aimable ct bonne, qui l'accu eillail
avec un e bOllne g rfi ce parfaite. Au ss i ne ~)Ut-il
s'emp~
'her de rOll gir j1lsq u'aux oreilles l or~q
u ' il
entendit Pierre présenter, avec lin beau sa ng-froid
- Mon cousin Hervé de Clwvigny ...
Mois celle première minllt e dbHlgl'l;able ful surpu s~ée
en désagrémen l lOl'sfJlIe Den ise en lra dans 10
saloll. Elle cul, en le sa luant, UII peLil so llrire dd
oomplioité ironique, qui faillit enlever Lou s ses
moyens ù l'infortuné Hervé.
« Pour ceux CJlli sovcnl, pensnil-il, je dois avoir
l'air d'un illlbéciie . Et ln sC ille qui nc sac he pas csl
charmante ... [)[lll S qllclle sinistre d'vellture c:et animai de tPierra m'a-l-il emharqué 1... Il n 'e n fail. jamais d'autres.
/1 sc ressa isit pourtant peu ;\ pell, ct Mme de
Retluvnl pllt mettre sur le comple d'une cCl'taine
timidilé 10 trouble qu'cli o avait vu flotter SUI' 50n
visage.
Après qu 'Iques propos asscz Yog1Je~
sur III température, Sllr l'ennui qu'on éprouve dan les villes
d'caux,
Jor
~ qu'on
n'y connaît personn , slir le~
charmes cIe )a Normanrlie comparés Il ('eux des HUlps province" ùe Frnn c, Mme de Beauval s'écria:
- Quello carrière agroablo que la vOtro. mon-
�80
L'AMOUR
JOUE
LA
COMlmm
sieur
Cela doil être si agréable, de voyager, de
connaître tanl de pays ...
- Certe, madame 1 C'esl évidemment cc qu'il
peul y nvoir au monde de plus agrénhle, répondit.
Hervé avee cnlhOll iasrne (alors que l'idée seule de
franchir les frontières de son pays lui donnail le
cafard ... )
Et puis, c'est un milieu tellement int6res1
sant, que celui des Amhas~dr
- Oh 1 pa~sionl
1 dit Tlcrvé (nlorll qu , pour
dr~igne
un yi il imbécile, il disail génrrnlemelll :
« llne . orle d'amhnsBadcur ... »)
L'rnlf/\e dl' 1. de Bcnllval inlerrompit \Ln momrnt Cl'Ilc ronvcrRnlion, au grand soulagement de
Pierre, qui avait bien du mal ft garder son ~prie\lx.
Mllill, loul de suite, la situation pnrllt s'nggraver
POllf llervn. M. de Brauvnl, n effet, f1prèll 1eR IllulllLio:ts d'u~nge
Aoupira :
- ;\lI 1 la Corric·rc ... Ccln m'nllrnit tenIr, 81tlrrfoi.~,
si de~
~tJde
pl1ls l\érieus~.
1ni, j'ai hrllul'onp d'nmi~,
c1iln~
la Cnrriho ... Vonll rlevc7. en <'011·
nnÎtr .. pl~iru
.. Al1rnr!rT.. ConnlliMe1.·YOulI ...
JIrrv(o ~r ~('nli
forl mnl 11 l'nille.
- Ah 1 Lc~
noms m'érhorr nt, mllintennnt, dil
M. cIe Beallval. Cela ne fail rien ... 1111 me l't'viendront loul li l'heure.
HI'rv6 r~pin.
On pn~1\
Il Inhlr.
erforl5 rrO\1f
Pierre et Hrfv6 fniMlent 1011'1 le~
mninlrnir ln rOltvrr'l/tlion !lur de' ~lIjr
~rnalx
ct pell rOlllpromrllnnl'l. Mai~
on l'QI dil Il'l<' ~Irn
de Br1lllvn1 prenait r1ai'lir 11 tO\lt rom/'ner Il Hrrve'
Il dt· Chu\ i/{Il)' )1 . . .
C0m.,mc On parlait \In p Il clr] politir]11i'"
- 1-.1 CJIIP (hl-on ,Ir 1ml 1 l'II 1'11 P,,1o:!'nr , d,'nllm .
<ln '-l'Il,·. OUf' 1"'11'" Il Pr']O,-lIc dl' lit FI aoet' ?
�L'AMOUR
JOUE
LA
81
COMÉDIE
Mais elle l'aime, madame... Au fond, elle
l'aime beaucoup ...
- Il me semblait avoir lu ...
- Oh 1 si J'on devail croire loul ce qui est imprimé 1 Il fanl en prendre ct en laisser, madame,
en laisser beaucoup.
Cc doil être un trrs beau pays, la Pologne P
- C'est grand, madnme, e'est très grand. Beauconp plus qu'on ne le croit généralement... Ça Il
388.328 kilomt'Ires earréB, à lPeu près ...
- Vraiment fi Comme c'cst intéressant. ..
.J 'lin', qui s'apercevait hien dû supplice qu'endurait le faux allach6 d'amba Mdc, s'en réjouissait int{orieurcnlcnL. 11 n'avail, au fond, admis que 1l'ès
djfi('h~mel
la comédio que voulail jouel' PierTe,
l'l il élait loin tl'I!lre fùché d'en voir les Qeleur pa~
sel' quelque!> mauvais quarts d'heure.
Hervé (-luit l, eôl6 de Denise. Il Mait Ir\:11 ennuyé
qu'elle slÎl (IU'il menlail : il lui ~rnbli
fJuïl aube.1Ucoup pllli lihre ~i cll n'nvllil
rail cu J'e~pril
rn~
été ou rouf/lnl de )'hilltoire, ~loi8,
n ChlH]IIC mol
qu'('JJr diMit, il )IIi . cmhlait Irouver IIne inlenlion
ironit'JlIl', qui le mellnil lr-~
mnl ~ l'nille.
On 1Ie leva enfin de lahl!", cl Hervé crnl qu'il
1l11ltit pouvoir SOllfner .. , Mni s il n'rn flll rien, Tout
en prcnnnt Je rl'l fQ nu snlOll, 'Ime de nellflv<l1 l'entreprit enr ~cs
lien/\ cl {Amillr, rI re flll J'lin dc'
pl~
III a 11 VII ill momcnlR qu'il rns~/I.
-'n TIlt'-moil'f',
rnoin/l fiell-Ie CJue crlle <le lPil'rre, !ui nt conrmeltre
plu . icurs bl'vllc' "~I'(Z
con·idl'ahu~.
- ,Je voi~,
dit lme dl' Henuva!, fluO yom allncll/'z moin! d'jmportanrl' 11 tout ('Illn fJUC voIre rOll.
~!n,
..
Pil'!'IC l,Ji jf'll\ 11 n 1cgllrù m('l'olllt' n 1.
PI·PIli. mou huchOl, rcn~il
Il,'r\l: ,
"II t ,.
i 11111\1\ fli" nJnrn"IlIA .. ,
.il'
11
'ui pli
�82
L'AMOUR
JOUE
LA
COMt:OlE
Il en avait la sueur au front.
Jean finit par le prendre en pi Lié, cL IpropOSIl
d'aller au Lennis, ce qui fut accepté avec enthousiasme, celle atmosphère de mensonge eommen,ant
ù peser singulièrement li tous ceux qui en étaient
complices.
Uno foi s dc1lors, les qlwlre jeun~
gens demeurèrent \ln momen t silencieux. IIervé n'osa it pas rclever le front : en cc moment, il n voulut vroiment à Pierro de l'avoir mis dan s une situation aussi ab urde.
Moi s Pierro éclata birnlôL d'un rire plein de
gaieté.
têtes vous foites 1 s'écria -l-il. On di- Quel1~
rait que VOliS venez de faire un mauvais c up ...
- .Je vOlldrnis bien L'y voir 1 dit li rv", rurieux:.
MonsÎ(,lJr, ajoula-I-i1, en se lournant vcrs .Jean, je
vous fais loutes m ~ excuses. Je VOIl~
OVOlle qu'au
déhut l'idée de Pierre mc se mhlllit omUM\1le, mniR,
mninLen:\IIt que j connnis Mme do 1110;\ Il va1, jc
commcnrc il ln Irouver odicll1\e.
- J'avoue que c'~l
un r Il mon nvi , dil .Tean.
Pnrfnit, dil Pierre, que res ('rilqc~
in ce,snlc~
commcnçnienl à 1n ~er.
11 n'y n plll'! qll'à
lout interrompr. Je ~)arti
cc ~o ir de Benuval
avee Hervé, cl l s hoses iront comme clics pourronl ...
celn P dit ncnill, d'uno
- VOIl S ne fer 7. pa~
voix supplianle. Vous n'nlle7. pOIS Ille l[llsser. Vou,
oviez promi s ...
- Je Ile veu"'( pns dé-ohligrr Jeun dllvonln gr.
- Oh 1 .Jean, dit J)('ni~e,
R'l rl\'c ~n l\ il ~o n rrl'rc,
qu'est-cc quc lout reIn peul le faire ~ ... Si M.
Lanline fi un(' idrc, flll"l' st.r(' CJlIr c't~1
q\l'ut) pell
de ('oméclic, n rtM de mOIl mnria ge nve Mnrc?
Ellt rougit bruMplt'nwllt, hontcu,"" do mol~
'lll
�L'AMoun
JOUE
LA
COMÉDIE
83
son anxiéLé lui avait arrachés. Mais ceLLe supplicaLion naïve loucha les cœurs d 'Hervé cl de .J eau.
- Ecoulez, diL Jean, puisque vous avez commenc.é, le mieux esL de terminer ... Mai s faites vile, je
vous en prie . Cela me gêne d'être le complice de
ces hi stoires ...
- Pui que lu ùeviem rai so nnahle, dit !Pierre, je
vais Le faire J'honneur de le dévoiler le procllain
acle dc ce que tu dois a ppeler en ton for in lérieur
ma so mbre machinalion ... II faul que la mère envi sage UII mariage enlre la sœ ur cl Hervé . ..
Celle fois, rc ful au IOUf de Deni se de marquel'
sa r éprobaLion . Elle rougit de nouveau, ouvrit la
bouche, puis eut p ur ùe bl es~
r lIervé, ct sc lul. ..
Mai s Pi '('J' s 'nll 'nelail 1J relie r{·aelion.
- Comme vou manquer. tou s de simplidlt' 1 s'écria-l-il. V \I . ~ voilà gê nés, déco nccrt és, parce quo
j'ai prononcé .('e mol de maria ge. Eh bien, qlloi,
nous jouon s la com~ùie,
011 nOli S ne la jouon s pas?
- Oh 1 nou s ln jouons, dil J 'Illl ...
Eh hi en, alors, jouons- Ill jllsq u'au bont. .. Je
disa i , r 'pril-il (ermement, qn'il faul que Mme de
nC811val Cil visage 11\ poss ihilité de c mariage ... Et
il falll qu v il S, mademoi se lle, VOliS n 'y Il cz pDS
J'air rt'olum nL hostile ... Je ne vous demande paR
l 'i Olposs ible.. .le "OliS deOlande si III plcmellt de ne
pas prononccr Ull « Tlon )) cn trgol'i(Jll , le jOll1' {,1'r
volr TIlf.re VOtl~
n dira un mol. Esl-cr que cela
~s ihlc
P Si vous 110 p01Jvez (la ~
fail'c
vous IIC1'I1 imro
eln, je ne pcu'( pl1l8 me m ~ lcr'
de rien . ..
Cl'Ile Q1f'nacc, do nt Pierrc jOllnit avcc. hahilelé,
'1Jl le ml:l1\e rffel qu e ln premir\re foi s qu'il l'avnil
f01'111 Il ]{,c •
.Je
Dell i
r 'rai
re qu e vous vOllùrez, dil docilcmcnl
C'e t parfait. Il fnut don c que
VOll!
Ile VOUll
�~lonicz
pas si, dans les jour:; qui vont suivre, Hervé est trl's gentil avee vous, . . D'abord, ça lui est
lIaturel d'être gentil, u'es t-cc pas, lIervé ~
Hervé Ile répondit pas, La situatioll lui pal'i
~
sail devenir de plus t'il plus gènante', :lIais Pierre
était irnpitoyauJc : rail' gèné, intimidé, dc SOli ami
Je réjouit uu plus llUut point.
Continue, dit·l~
c'est parfait ; Lu n ~ e~n (' te
menl j'ail' d'un amoureux transi ...
Allons, dit JeulI, pour couper cOllrl ail sentimont de gêne que Pierre selllblait prendre plfi~r
Ù
('r~e,
tout est r{>glé, parlons d'aulre clO
~ !' .. , Vou
jouez ou tennis, monsieur ... de Chavigny ?
Ju qu'nu soir, les quatre jeunes gens joul'renl,
cau èrCIII. Peu à peu, IIne délelÙe sc fai s: il dan s
leurs esprits, ct la camaradel'Îe nidant, la siluntion
ne parllt plus tellemcnt gênanle :1 nenise 1li 11 lIel've, C'était {'e que voulait Pierre,
Mme de Beauval insi 'Ln heaurollp pOlir gllrdl'r
IIcrv6 ?I dîller. ~Iai
s , 811\' les l'C{'OmlllandulioII R di8 crètes de Pi CITe, celui-ci cl \elillH ('elll' illvilatioll
~ ;\ Bagnoles.
'
prétcxtun t d'un renclez- vou
- Je ne le rllrcompnglle pas, dit IPierl'\', Tu n'~
qu'il prendre ma voilure ; tu me la ram('nfl~
dim:Ulche, puisque fOIe de neau\al l'a invité nu pi que-nique ...
Le faux atLaché d'arnh:J
~s l\ùc
prit t'ollgr. dl' LOut
le monde, et s' 'JI fUl, pilolallt ln Conl.
Votre cou sin cst nhsolumcllt charmant,
dil
Mme de Beiluvnl. Je J'cgrelle sincl'('('IIlPlll <Iu'il n'ail
pu cl1lle!" avec IlOUS ...
- JI le regrette as ' urémelll, lui -m(\II\(', ~1:lIamc,
CUI' il rn'u dil ('ombi 'n il u ~I(:
LOtH'hé cl, votre nccueil.
Celn full \ d(!hul d'une ronver, (Ilion d'ullc heure,
dont les mériles J'Hervu de r;havip-ny fllrt'nl III
�L'AMUU1\
JOUE
LA
COMÉDŒ
thème. Denise avait envie de rire, ce qui lui donnait l'air gêné, et Mme de Beauval jeta ù Ip lusieurs
roprises sur sa fille de singuliers regards ...
ClIAPl1'RE VIII
Ln PIQUE-J\lQUE
Le pique-Ilique auquel PieJ'fe avait fait allusion,
cl auquel avait été invité lIervé, avait él(. projeté
depuis longtemps déjà entre les Beauval et la plupart des ehûteJains el propriétaires des ('m,irons.
Marc LabrOllsl>e devait. naturellement, y q)relld're
pari, ct le c!lngrin qll'il avait cu l.l l'idée de ne pas
voir Denise pendant de longi! jours s'élait trouvé
adouci par l' spérnn<,c de ee dimanc,he pa 5é en
mpagnie de la jeune fille.
AlI~!\i
ful-il fort dt\ sa l~Jointé
lorsque, le sa medi
matin, il Ll'Ollva dans le vieux chl~ne
qui srJ'vuil i'I
sn cOl'respondnnœ av'c la jelllle fille, une leltre de
eelle-ci, lui ùi ~rt nl.
qlle sa pré ~e lH'e
au pique-niquc
éloit jugée inutile par Pierre 1.antia(', et quc, dan s
J(,1I1' inlr~t
il CIIX deux, clic le [ll'Ïait dc s'obslcni[' .
~Ol
premier mouvement flll la colère la pllls vi('e gOl'çon P Estve. Aprl's tOllt, de quoi se mt~bi
cc l'Jl1'il ,,'élui! pas lI~('Z
grand pour savoi r ('C l'Ju'il
uvoit ~ roire ? l'tc., 'le.
Pui squc Denise
}lui, il sc cnlmu, il ln r~ncxio.
l' '1\ (lrioit, ('Ile r1l:vait avoir dc honnes raisonR ;
rl il (IJll'ollvui l IInc ('cl'loine dou('eur Il sc soumetlre
docilclllcn t li c'oJJe l'Ju 'il aimait.
�86
L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉJlm
Rentré chez lui, il fit parl i'l sa sœur de ce que
lui demand ait Deni se. Ce ll e-<:i fil un peu la moue,
en se voya nt pri vée d'un pl aisi[' aLlendu depuis
longlemps. El Marc fut fr app6 d ' ulle in spiration subite :
- Après toul, dit-il, Denise n e parle que de moi.
J1 n 'y a au cun e raiso n !pOlir qu e tu so is privée, toi
au s~ i , ci e ce piqu e- niqu e ... Je l'y co nduirai, el il y
auru bien qu elqu ' un po ur le l'nm enel'.
- Que tu es ge ntil 1 dit Mi chi: le.
Marc accept a l'é loge sa ns so urcill er , al ors -qu e les
prill cipaux mobil es de sa co nduite étaient d' égoïsme pur' : d 'a hord, il e8pél'ait bi en, en ll C<'ompagn onl flli chèle au lieu du r enti ez-vou s, nperce \'oir
Dellise, cl éc han ge r peut -être qll elqu es mot s ovee
ell e ; ensuit e, il n' étail pliS fâc hé d'uvolr en Mi chrle IIn e ohservatri ce d c 10 joum ée, qui lui en
rcrait un r ~c il fidi·]e.
a il
très heureux que 80n inlérC!t perEt il s 'c ~ tim
~ on
e l coïn cid ll t avec les devoirs de l'umiti6 (1'11 tern elle.
'lt
" ...
Le lieu du rend ez-volls é tail ulle (']alri~c
de ln
forêt de SC ll onres, qu e lO\1l le monde C onl1i
s~ ail
bi en , parre qu 'e ll e servail. charflle n
~e
~ lIn c manifes lntion de cc ge nre. Ce piflu e- nif]ue nllnu el élail
un e occas ion de renro ntre entre des ge ns qlle l C lr ~
occ upai ions 0 11 lenrs pl niRirR cmpûr hnicnl ùe sc voit'
le r es le de l'é tr : '\l ~ i {o 1:1 ienl -il s tl 'r~
nomhrell x .rt,
l o r ~ f]u c les voit lires d ~ M. de nC/luv/l1 el ti c Pi erre
Lanti ne arri vrrr nl dons ln c l a ir ~ r e, Il y flv nit MFI
('[ll ntre 011 cillq aut o mohil es l un r vin g tain e de pel' ronn es n train de sc con g ralul er.
�L'Al\IOUR
lOUE
LA
COMÉDIE
87
L'œil perçant de Mme de Beauval remarqua lout
de suite, bien qu'elle fût ù demi-dissimulée derrière
un buisson, ln petite Bugatti de Marc Labrousse :
- Cc garçon manque de tact à un point étrange 1 sc dit-elle. Et elle délibéra en elle-mûme, déjà
gonflée de colère, si c1le n'allait pas Je (( remettre
à sa place » séance tenante.
Denise aussi avait vu la voilure, cl elle sc scnlit
peinée que Marc lui nil ainsi dé obéi. Elle le vit,
assez loin, en lrain de Iparler à Mme Larchant, la
principale org~
n isat rice du pique -n ique.
Tandis que Mme 'de Bcauval cil'culait de groupe
en groupe, pré se nt~
Œ)ierre ct Hervé, (( qu'elle
aV:lÏl pris la liberté d'amener» (u !\fais vous avez '
lrès bien fait, répondait-o n, plus on est de rous 1 n,
Den ise vit venir vers elle ~ I ichl'Ie
Labrousse.
Les deux jeunes filles s'embrassèrent amicalement.
- Marc est Hl, sc haln ùe dire Michèle, mois jl
report li l'instant. Il est juste venu m'occompagncr ... JI est en troin de s'excus l' Iluprès de ~lme
Lorchant ... Oh 1 que celle vieill.: biquc mc déplaft 1...
Par 1]ne incon séquence vraiment f~mine,
DoBi se en voulut aussitôt 1\ Marc de lui obéir si aveu~
glément.
Le jeune homme, ccpcndant, Lout cn s'cxcusant
cl on prcnnnL rongé, manœuvrait pour 5e rnpproch r de Deni
~e , cl ln jeune mie, de ~o n cÔté, traynillail h raciliter sa mnnO"lI v re, illquirle sculement
dos T(IOClions rie Mmo de BCAllvol, 011 ('n~
Oll celle<'Î s'operrcvl'oit d'un (change de parole
~.
Ils n' 'Iaient pl1J ~ f]U'fI qucl(]ues mèlres l'lin de
l'oulre,
t Sil l' le poinl de pOIHoir s'a border
le plus nnlurellemcnl du monel!', lor ~rJle
Denise vit
avec: irritation Pjcrre Lantiae, Ile m '·Inn t, linO roi
�88
L'AMOUR
JOUg
LA
COllrÉOIE
de plus, de cc qui ne le regarùait pns, s 'approrher
de Marc, lui parler en souriant, et le prenant par
le bras, le reconùuire jusqll'ù sa voiture.
AI ure n 'é loit pas moin s furieux. qu'elle, nlllul'ellemenl, mai s il ne put échanger avec Ocni se qn'ull
regard d tSses péré, au moment où il mit sn voiLure
en mnrche.
Pierre lui adressa , de la main, un sa lul guilleret,
ct reviut vers Denise .
e m' cil veuillez pas, dil-il. Je vous assure
que j'agis pour votre bien. J'ai mis , dan s la r éuss ile de ce lte nUaire, une véritable vanité d'uuteur, la
[l11I s terrible de loules, cl je Jle vcux pn s que 10
• plu li légère imprude nre ri sque de ln compl'olflellrc.
Il lui parlnit si gentimeul que Deni se sen til fOIlcirc [la rflJleune.
- Oh 1 j'ai cm d'iance, dit-clic, mni , rJ épt!c hc7._
VOIJ:5 •••
~frne
de nenul'a \ avnit appris IIvec bea l1coup de
sOl1lllgcment que Marc ne devait pl~
feRler, el avait,
dll coin de l 'O'il, assist é il Ron Mpart disc ret
Loin de Mme de Reauval ct de Oeni~,
!len('
plein rl'allrlo l'c, jouait à merveille son rÔle d'atln:
ché cl'nmhnsRndc. Au mi!icll cio ce~
in con nu s, il
n'ovnit aucune grne Il r{op an clr d e~ Ir( :~o r 3 d'invoTltion
~ pl1ls ou rnoi
~ unr0<1ue" lout~
:\('cepl!;,.~
comme porDic d'évnngi\ c , el qui donnaient Il l'CIlX flui
)'enlrnclnirnl la plus houLe opinion de scs 1I\:rile~
dc ~o n
avenir 'L de . ~c
relion~,
'
Pierre, pnMunl prè~
de lui, \'rnlclHlil diro avr'l;
,rr;tnd ~r i(>l1
li un vieux monQicl1r (lui 1'(0 COli lait
uil('llti"t'mc/l1 :
I.e pl'~SicJ(1
Tr('rriol nll' l' n tilt hirn ~f) tl'I
.. .
El lor. Ipl 'il r('a
·~n.
Il , ~Il'prit
.rt' ·,Ii~
('(·Ja de III hOllt·ht· 101'I1IP rh t"·'I1.:,.,al
\'\ /,v!'ilnd."
�L'AMOU R
JOUE
LA
COMÉnU :
8\1
Mme de Beauval se promen ait au milieu de ceux
qu'clIo voulait bi en ap,peler « ses relation s )1 ', avec
toule la di g nWi sourian te d'un scigneu r qui daigne
se mêler aux amusçmenLs de ~es
vassaux . Et elle
élail heureu se d'apprendre, au h asard de~
bribes rle
onvers .tion qui lui pal'ven aien L, que , la présen ce
de cc jeull e cl charffillnt alLaché d'amba ssade promettait d'être l'un d es clous de ('c pique-n ique .
Prise d'une SO UÙ ll'illc inqui étud e, elle Dl sigue ~
son fils qu'elle avait à lui parle!'. J en n accourl lt.
- Tu fora s attentio n à la sœur, lui dil-ell e . .T e
ne veux pas qu'cli c prom ène ici une fi g ure d'eliler l'ement . Tu sais ommen t SOllt le8 gens. Il s Cerai ent
l1IilJe suppos itions _ .l e c rain
~ que cc ridi cul e Marc
Labl'Ou sse n'ait fnil part de sc proj ets burl
e~qus
il quelque s personn es, ct on nr, manqll era pa ~ de
voir comme nt la sœ Uf réagirn à son abseIH'e ...
- Üh 1 Ne vous inqui élez pas, diL Jeall, ùClmen1
stylé par Pierre. Dcpuis l'alltre j Ollr, j e nc r COlllIai!i plils Denise. On dirait qu'elle a 1 lit ft foit pris
~o n
parti de ne pills revoir Morc. Hegardez- Iu , ..
Et il montra Deni se, elllolll"tC de Picrro cl d 'lJ rrv ~,
ct flui ri nit de bOIl ('n' III'.
- C'est porCait, dit l'Ime de Beallval, avec un
rn ys lr ri eux: so ul'Îre de 8a ti ~ r ac lj ol.
Ce ll e petite est
illtelli gc llte ...
Et l'III l'rprit, 1 ('œlll' TlIIIS(,)"{lnr, sa IPro menaùe
~ 'ig-nc\Il'iul' de gro llpe Cil groIlJH'.
11 flll MdcJ(- qll 'on Inias 'l'ni t l e~ "Oil\1r'S f}an s ln
clairièr e, cl qu'oll gng n ,'ait Il pied les l'uin os d'Iln e
IIl1lirJlfC nbbnvr di ~ tl\I('8
de qllillZC ('C nts mMl'
e~
il d eux kil () Il ;\ I;' (J~ , cL 0 '" nllrllit lil'II l, piqllr -n ique.
On Ipurti l dOliC n cn rn vu nc, nprf\s avoir déchnr~l:
Ic ~ \oilllr !l (h !~ provisions qU'l'lies coniena ielli. Jr.
IIl1 C~
gens cl Jellnes fill cs 1I1l\rchni cn1 l' II I(\ IC, I\ IlIVI S
pur ICR p 'rson nes IÎS~cs.
IP ell ù peu, la libre ail ure
�90
L' A~roun
JOUR
LA
COMÉDIE
des parties de campagne se substituait à la (Jontrainte un peu guindée qui avait r6gn6 au début de
la réunion.
.
Denise , sagement conseillée par Pierre, fai sait
pr uve d'ulle gaieté ct d'une lib~rté
d'esprit qui
satisfaisoiellt sn mère. Elle marchaIt daus un grou.
pc formé d 'Hervé, de Pierre, do Jean, ct de quoI.
ques autres jeunes gons. Mme de Beauval vil avec
satisfaction que J\lichèle Lahrou sl!e no fai sait pas
partie do cc groupe. (Elle aurait sans doute été
moins satisfaite si elle avdit su pour quelle raisons
Pierre avait jugé Lon de conseillel' à Dellise et il
Michèle do no pas sc parler de la jouméo.)
1)('8 qn'on eut alleint l'emplacement de l'abbaye,
dont il ne rostait !plus quo (Juelques pan noircis
pal' l'in cendie ct lu vieillesse, le d6balloge dOl! provisions commençA, ct le r pas s'organisa au miliou
des rires ct des cris.
Mme de neauval, fort satisfaite do la tOllrrlllre
quo prenaient les choses, ne dédaigna pae de s'y
mêler.
- Ce jeunr de Chavigny est charmant, lui dit
Mme Larchant. Est-il chez vous pour qllclque
temps ~
11 n'cs t pn g à De8l1val. Il hoLite nagnolos.
C'est le COlJ~in
ùe l'ami de mt)1l fil s, et I\OU~
le re.
cevons avcc bcaucoup de plni il'.
Il n fail SUl" mon mnri la meillcure impression ...
Si l'on ,p en sc q1l'il y nvnit, n celte réunion, une
dizuine dc 1I1\'l"e de famille , chaperonnant qUlllorzo
jeulles fill ... Cil lige tic convoler 'Il jl~tCI
Il oro., , 011
comprendra il~\nJ('t
<lUO ln prrs('l1cc t1'lIcrv~
de
Cililvigny, r~lihn(',
utlorht\ d'amhn sn do, porteur
d'lin hellu lIom ct po s~CO
\lr
d 'lin bcllc fortune,
revêtait une c (' ptionnellc importance.
Le jcuno
�L'AMOUR
JOUE
J.A
COM~lB
!lI
hommo recueillit, en cetle journée, plus de sourires eochanteurs qu'Hervé lloche, employé d'assuraoce ii deux mille fraocs par mois, o'cn avait recueilli au cours de ses vingt-cinq années d'existence.
Celle situation, du resto, nc semblait pas lui déplaire le moins du monde, cl il sc prodiguait en
nmnbililés et politesses dont on lui savait un gré
extrême.
Ma is, visiblement, ses atlentions 50 concentraient
sur Denise ùo Beauval. JI ne la guilla guèrc de la
journée: la constantc pré&encc de J • JI de Beauval
e l de Pierre LaJltiac enleva li ccli uEsiduilé lout '
clrat~e
trop marqué, mais clIc fl'érhappa pa s nu'{
yeux: observateurs ùes mères de ramille, qui en conçunnt quelque jalou~ie.
On entendit un peu partont, opr\s le repus, des
dialo~ues
de 0 genre '1I1ro mrre ct fille
Lucie, !poudre ton nez ... il hrille ...
~Iais,
maman, qu' s t-cc que ça fail P
- Tout u son importance ...
Ou bien :
Clotilùe, pourquoi n'cs- tu jamais Qvee Denise do BC:lUvul P
- Mais je m'amuse très bien ...
- Il ne faul pas tonjoW'1 penser à s'amuser,
mil pauvro petite.
Ou cncore :
- Odet! , demnnde dOliC h M. de r.hnvi~y
s'll
veul venir dan~er
011e7. nOliS, c1imnllrhe rrorllflin .
.le 1\ 'ose rai ras, mamon. Fai s- I loi -rn0m ...
- Mais Ilon. Ça le {'ra une occasion de lui !parr ...
)ialoguc~
clf' ~( Tl('~
il ressor t doit'cment q\1e les
mères ont pll/ s envie de morier lems filles que lc~
filles ri 'on l envie cl "'Ire mnl'iéc~.
�L'AMOUTl
JOUE
LA
COMÉOlE
c.:ependnnt, Mme de neauval voyait, salis ùépJai~r
aUCUII, le s ullenLions dont Denise était l'objet de
la part cl 'Hervé. Elle considémit les ùeux jeunes
M. de ]lenuval
gens d'un œil altendri, ct. rheJ'cl~[\
pour lui faire port de ses lm pressIOns.
Le pauvre homme, arraehé pour ulle journée à
ses chères études, par l'implncllble volonlé de sn
femme, faisoit assez trisle figul'e au milieu de Lous
ces gens qui ne cherchaient q1l'à s'amuser, et n'ovuicllt pas la moindre idée de ee <]11' 'tait
terrain
éocène.
Sa femme le découvrit derril're un pOil de murs,
le!! maills croisres wr la poitrine, élellilu lout de
SOli long, ct dormant
d'tlll si pai:!ible sommeil
'
qu'elle se fit scrupulc de l'('vciller.
Force Jlli fut de sc rahollre sur son fils, ,p our
lui cornrnllniqllcr ses irnpres o ioll8. Elle le l'cJ'oirrnit
" ,
rt:tlssil Il le prcndre un peu i\ port, ,t lui dit :
_ Tu ne tl'Ollves pas que M. do Chavigny c.t
tr('s empressé auprès de ta sœur P
- Oh 1 PliS spr\cialemenl, dit .Jean d'un air con.
traint. Il eRt aimable uvee tout Ic IlIomle ... C'est
dfl\~
son cnrnrlhc ...
- 1\1 n'e~
Ipas ohllcl'vntcur, mon pauvre nmi . .le
.t'nssure que depuis rc lnnlin il ne l'a Pfl ~
fJuit~e
d'IInc srll lrllc. l'Il n'ils qU':1 voir ln 11'11\ qlle fail
Mme Larchant en tournllnt IIIItour de IlIi ... Pcnse
la pauvre femme ... cl
fIu'clle Il dcux Hiles fi Il~rie,
que 1'01n(·c commencc à montcr Cil graille ...
voyez pcut·èlre 11\1 peu loin, l11a chlTe
- VOl1~
Illnmllll ...
- Oh 1 JI.' IIC VOill aucun mal fi re que CI! gar·
çon ~oil
gl'nlil aver nrli~('
... El je l'avolle fJU(' s'il
dr so n Mnrr I.rlhroll l'.
pouvait lin prll la di ~ lraie
'"l
j'I'n .e r(1i~
bil'n Ili·;c ...
�L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
VOUS croyez qu'elle pCmie cnrore à ~Iar('
? dcmanda hypoc ritement Jean.
- Cc matin, je t'aurais dit oui ... Maintenant, je
ne sais plus ... Ah 1 le CQ.'ur des jcunes I11les est une
chose bien étrallge ... Mui s va, rejoins-les.
Jenn s'éloigna, à la fois ilmusé cl furieux : fu·
rieux de voir sa mc.re tomber hi aisément dans le
,prcmier pii'gc rlue lui tcndait IP ierre, amusé aussi
;1
de \oir H\CC quelle cxatiludc les fnits r ~ pondaicut
c' qll'attendait celui-ri.
- J'Ile sais [la s, songeail-il, si Ir cœur des jeun 'S fil'~
est si ili so ndallic (Ille cela, mai s il me
se mhle que Pierre g'enlcnd. il sonder le cœur ùe
celle pauvre maman ...
)) b jeux s'orgnl\
i ~aic
nl,
1111 hn s:ucl : rcs jCllnes
g('IIS cl ('e jeunes filles se mblail'nl relrouvrr le ur
dOllze nlls : on n vit f]lIi jOlluirlll li cllehe-rnrhe.
I)'aul/e~
nux han·cs . El. d 'S mr ss i 'urs forl graves,
décorés dc la Légion d'lIoI1UCIII', Ile sc fircnt nu<,un
scrupule d RI' nH\Jer f' ces jellx, - nu moin3 jll<fJlI'à ec qlle leul's rllIIlllali smes leuT' T'appellent lin
peu brllli\)('lllent flu 'iJg llvnicnl pa ssé l'Il{l'e de r'crl'Î ce~
viol en ls.
Jl('l'v/', IIvee un pCII d'affc('!nlion, ainsi quc
tOlljOlll'S pour t'tre
l'('xigrait Pierre, - ~'i\lTng(1
dl~
le rnl11r de D('ni
~e . El il <Ivoi! pOlir die UIlC
foule d'nltenliolls ,t de gnlant('I'i 'S qui f'OlnmCIl~ rnmaJ'ndes, et ;, dOllner quclçail'nl ;) ('rJlllI)'l'r Icul'
que fll('l'VelllPill (lUX IllPl'CS de fnmillc.
- Ils ne 9(' qlliltenl pliS, (lisait Mme Larchant.
Cela (]cvi('11 t ridicllle... El il l'lirait q Ile c 'e~t
sellleln 'Ill III dellxil·mc roi s <Ju'ih sc v ienl. .. .le Ile sa('clic pelite J) 'Ili~c
('Inil si coq1tclle ...
\ lIiq pas (1'I~
El elle l'II ,oulait ;'1 sa fille de s'nmll rI' "'CC
tOlite l'imou('Îanr' d'lin l'nfnnl, nll li Il de sc livre 'r 1I\~
mllnrr'lIvrcs sl hli](,
~ qni lui rls~cn
per-
�L'AMOU R
JOUE
LA
COMÉOI ll
Tlel'V6 de
mis d'attire r l'attent ion de cc phénix
Chavig ny,
A vrai dire, il se passait quelque chose d'élran ge,
pas même le si perspicuce IP ieret dont per ~ one,
re, ne s'aperce vuit.
Hervé de Chavig ny avait reçu 10 coup ùo foudre .. ,
Il Çlait bel ct bien amoure ux - chose étronge
ct nouvelle rom' lui ; cl nmourellx non pas de celle auquel il étail for cé de parnÎlre s'inl(.ressel' si
forl, mais, par lin de c s coups du so i'l qui sern1l1enl les jeux d'lIne imn ginaLion diaholique, de celle-là même que les inexorables déerels ùe Pierre
<!curlaienl de Denise, donc de lui : do Michèle Labroms ,
11 n'avait gllrre échang é plil s do dix parol es avec
clic drplli s le drhlll de ce mémor able pirlue-nirjlle :
moi s il Ini fallait fnire à chaque in slant un rrort
pour quille,' des yeux clic ('plÏ l'avait chorrné riell
qu'en Apparaissant. Il lui 5 mblnit quo le tnoindr e
élait 'mprein l d'une gd (~
des gesles de ~Iichol
so uverlline, inimita ble, Elle porlait une l'ohe d'un
blell de ciel ct il lui se mhlnit qlle le bIen l' Lait ln
plus charma nte coulenr qui soit; elle avait de ~ cheroulés en torsa des aulour de sa
veux blond s, <!pni~,
lûle : et il Illi scrnhlnil que {"étaiC'nl les rhcvellx cl
ln coiffuro dont il avoit toujour s rêvé .. , El ain si du
re, 1 ,
Lorsqlle 1ic1lrle rinit en porlnnt avec 110 jeune
sél' i ' " ~ ',
homme . il . ollr(rn it; l, si clic p n r:li ~oit
penser
devait
'lIe
qll'
il I\ou ffrnil <1nrore, sc di nllt
..
j/lloll'c
d(;jn
toit
!wn
sc
il
il ql! 'Iqll'un donl
JI ne RIIVll it pas qlle \lirhè'lr , pOl' 1 s so in s dr
ct il
il M vérilnbl re~onlait,
Pierre, ronaiq~,
nulres,
U\I'(
l[
lOf'nllll
l'JII'cn
(;taÏl lortlll'r ù ln pcn~ée
il lui nlf'nlnil Il f'lIl' oURsi, ,t il n'cul d';lillcurll pliS
�L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉnm
95
é té moins torturé s'il ava it appris qu'elle !avait
qu'il s'appelait llervé Hoc he, parce qu'il n'eût
!pas manqué de pell ser qu'elle s 'était, de loin, pay6
sa tête tout l'après- midi (En quoi il eClt élé assez
près de la vérité ... )
Les heures pa ssaient, et Hervé devenait morose ,
voyant à c haque in s lant diminuer Ica chan ces qu'il
pouvait avoir de charmer ceIJe qui l'avait à co point
Lroublé. Il s'assombrissait, devenait sérieux, cl iPierre se félicitait de co changemen t d'allure, qui eorrespoodait à ~es
d és irs : il ne doutait pas que Mme
de lleauval ne s'en aperçflt comme lui, cl ello- ne
devait pas mSllq uer d 'y voir la mal'que du sérieux
du sentiment qu'il était censo 6prouver lPour Deni ~ e.
Au ss i adressai l-i1 à son camorade des petits
clins d'yeux approuateurs, qui mettaient au eomb!e Ju fureur ;mpuissa llle . de ('elui-ci.
lout le momie s'amusait de si bon cœur, qu'il
fut déciJ6 qu'on <Huerait aur place, avec 10 resto
des PI'(\vi
~ ioq
_ .
Lo visuge d'Hervé s'épanouit à la nouvelle de cetle iJrolongation. H y vi, 10 moyen de mieux faire
eOflllld bsa llCO uveo lichèlc Luro
s~o
. Il avoit, pensail-il, un excellent moyen de ommcn('er une COllverl!lliion un pt.:11 sérieu se , cl qui ne s'é lernisât
pn5 dbll S les bnali~
s
d'uengc.
-- Je "ai ~ touL llli dire ... Je vois lui avouer fjuelle
omédi' je joue .. . Comme c'est pour le Lien de
so n fr ère, clIo ne pourra pa s m'cil "ouloll'. Et en
mèm lelllps , s i je Illi di i! qlle je voux bien bourr l'
crLlne 1\ qunrnnte personnes , nlHi s pas fi clIo, elle
comprendra s i'II' CIl1 CI1l que je m'intércsse à ell e, lout
pllrti c ulil·rcfll enL ... EL pui s, les jeunes [liles COI1lprclIll 'Ill ra lout de s uilo.
•
\)\s lors, il nc Irnvnillu plu s qu'h ol.Jt'l\Îr dc
�L'AMOUR
JOUE
1.A
COMP.UIl!
«(
Pierre l'autorisatioll de quiller Denibc.
Ça devient ridicule, di 'ui l-il avec chaleur. Plu ' personne
ne me sourit ni Ile m'in vi le ll), ct dc choisir une
autre voisinc pour le diner.
_ Une autre voi ille ? dit Pierre, el laquelle jl
_ Oh 1 jo Ile sais pas, Il'importe qui, répondiL
lIerv6 Cil fougi!lsan t légèrcmen l. Tiens, par exelllpIe celle jeune nlle en blell ...
_ Parfait 1 ricaua Pierre. Tu as le ~cns
de la
gaffc. C'cst la sœur de cc Mare Labrousse, à qui
je lll'inlércssc ...
_ Mais, apri'H loul, je m'cil fiche 1 dit I1t!rvé Cil
sc révoltant. Je suis bien lihre de cou
~ cr
avec qui
je voux:. Toutes les histoires commcncent Il ni 'cm bêler ...
_ Quelle est rclle l'(-bellion ~ dit Pierre, se refllsant Ù prenùre ou srriell'{ cc mouvemcnt (j'inMpClldance. Tu ilS pll ssé ta jOL11'11re il tlirler avee III
plus déliceu~
jeune fille de Normandie, et lu te
plains ? Allez, vous n'Nes qu'un illgrat 1 nejoimln lOlll de suile ... Elle es l Mellie. El souri~,
s'il liplaît.
_ Bon, dit llervé, j'ohéi'! ... ?lIais jl! liens ,1 tf
~ el<:
dc
faire rClllarquer que cc Il' ' ~ l pU9 IlJacierno
Beauval qui esl ln pl li ') jol ie ...
- Tais-toi 1
i lu plus gracieuse .. .
- l'ai~-m
dOliC 1
i la mil'Il;( llabil1('c, ni la ll1iellx roifUo, ni
ln plus churmlllllc.
Pierre s'en [ul, pour ne pns cnll'lIdn' ln
rli;
C 9 lilanie:!.
1\ fJlli, \ l'ni Et lIel'v,: dinn cntrc l'il' I'rt! pt \)Clj~,
11H'11 t, il Ile suvail plJ~
!(Iloi di!'!; ...
LI' jOllr tomhait, l'{)II ('ornlfI~
' nit
;, pMll'r clu
Mparl, <'l I\ervt Il'uvail pn~
llouvé le 1l10)cn d'II-
nn
�L'AMOUU
JOUE
LA
!li
COMÉDIE
dresser lu parole Il i\1ich le. Il en so uffrait d'autant
que la jeune Hile, lui sem blail-il, l'a, ait regardé
avee amu sement el sy mpathie.
- .Je deviens fal comme un aUaché d'awbassade, songeuit-il avec mélancolie. Voilà œ que e'(''l t
CJue de faire l'idiot avec celLe insistanre ... ))
Oeuise avait rejoinL ~u
mi're, el il sc IrOllvait
se ul, pour la prCJllil're fois de la jo urn ée, las de
101ls les bavardages faiLs et enlendus, ct rCvnnL l'
Mi
c h ~ lc,
IOI" <J.u'une voix rieu se e fit entendre derrière lui :
- Vous vou s êLes biell aml
~ r,
lon
~ i 'ur Ror] ,' ~
Il e relourlln, (opolivanLé ill'id{oe qu e ql!elqu ' uTl
rO ln
a i ~sn
il
sa vériLahle pel'so nllalil é : Cil 1111 érlair,
il vil le scandale itnlll éd ial, sa fuite cl relie dl'
IPicrr(' . ..
III il e trOtl va [n ('e ;" fn re avec Midl,\le La"l'
o u ~c.
- Qlloi il ... Pord on 1 Mai H...
II halhilliail, rOIl g' issu il, nvnil LIli n. p cel l' i comiqu', qllc Mi e hrlc éclaLa de l'ire.
- Vou s sn , ez P dit llervi·.
- ~Iai
llaturcllell1 ellt, j e sa is. El j c 'Ol
~ l' ' mer('ie de la peinc !'JlW "OUS prcncz pOlit' /li on frl'I'c ,
que vous IlC ronnaÎ'sl'z nlè mc po ~ .. Il f[tudl ri fJlIl'
VOli S fa s8 icz 811
OlllllliH80nce, qll'i1 \Ol
~
rCll1 cn;ie
lui -rnèIIlC.
Le ciel purut s 'enll"ounir (lollr I[crv(> ...
- Oh 1 que je sl i ~ hcureux 1 dil-il. ./ e ne snvH
i ~
pas qu e VOliS sav il'z ... Et ... je , ais \Ou
~ dirc ('ri Il'
~
"it', parcc qlle je Il'ai ,pliS hl.'uuroup de temp s. 11
f[lliL qlle j l'C il lI' . 'II ~d' lIc ... .J' 'ia is furi cllx d'ê trc
ohlig d' VOliS m cntir ... Ù 'UlIS .. , HPI\(' ialclIl('nt il
'
\{)I~.
Voil~
1
- VOil11 1 j (' la ~1irh
0 1e
cn so urial1t.
Flic tt'olJvlIil re gal \'011 illfiniment s) lllpalhiquc.
"
�L'AMOUR
98
JOUE
LA
COMÉDl1l
El elle le lui dit, avec 11l1e franchise enlirre, aidée
peut-êlre en cela par les deux verred de champagne
qui avai 'lit terminé pour elle le pique-nique.
_ Eh bicn 1 moi au;.;si, dit-elle, jc vais vous
parlel' Irès ~iLe.
J'étais furieu se que toutcs ces histoiJ'
e~ m'niellt cmf1(\chée de C{luser {Ivec vou s aujourd'hui, cl j'étais lin peu flonteuse quc ce soil ù cau!>e de lrIo n fl'l're quc VOliS oycz ainsi joué la comé~lI il,
mai s ça llI'enlluyuit a1lssi ...
die ... Ça nt'(lIu
Ellr llii l.'II,\:l la main .
.h- mC ~;lve
... Si l\lmc dl' Bcauval mc 'Voyait
"\PC \'IH, "Ol~
bai ~e ricz
benuroup dan s Son cslis~a de ...
Ille .. Au revoir, mon s ieur l'nllucltcl d'arnh
Elle s'e llfllit, I(~gre
ct rieuse, IHi ~a nt lIervé plon gé dal
~ le ~ plu s délic:JI , IUVi sHc lllcnl s.
11 en fllt arraché - un pell brulal 'mcnl - pur
Pil'rre
_ Eh biell 1 dit ('el IIi -r i cn smgi sso nl, qu'est-cc
fluC tll n ehc~
~I
~
'l'u Co; deveJlu eOlrtplètultH'nl
alll'Ilti ~
On S'l'Il vn ...
'e ~Cltni
si Il IIreux qu'il
accepto SO I1 S
proleslation lu fut;Oll cavuli\l't' ùonl Pierre l'abor11('('\(0
dait.
C' 's l pu s toul ça, dit-il, mai s commenl vui qce soi l' 11 Bagnoles P
__ ;\Iadanlc ùe Bt:l·uval vielll dc m'en !(larlrr .. ,
EIII' l 'ocrl'!' IIIIC chumlJre ail rllùlcall ... El tu pn 8se l as la jO\lrn ée d c ùelllaill nvc(' IIOU8 . ..
_
jc
l'Cil 1l'cr
-
radait.
01\ rejoignit la dairil'r' 011 l'on nvui! laissé les
, oitu('(', et III di!llo('{ll io n I\'O
P( ~ I'.
llcl'vi' mOllI a avcc
Ihllic' dan s lu Corel que pilotai! Pic'rre, Ill!1cli s que
,1. l't IfIll' dl' BC'III1\'al prcllllicnl 11'111' \oitur', que'
r.ol\dll i '.ait .1";\11. 01\ n:lltru dOIlC'l'IIII'lIt, lu J1\1il ('lllit
~lIp('h,
el loul li: rnol\dc' trollvait dt' l'ngr61llCllt Il
IIlte h'lI II' pI'OI11ClIflclc' ~ous
k~
l'toile!!.
�L'AMou n
JOUE
LA
COMÉ OJE
D9
J' espère, mon sicur, qu e "Vo us ne vous êtes ras
trop ennu yé P demand a Deni se. A quoi Her vé protesta avec polit esse .
ProfltanL de cc qu'il s se trouvai cnt loin de Lou Le
orcill e illui cri'le, Pi en e, tout en cO lluui 'anL, donna
cs uerni r res in stru cli ons ft scs ami s.
- Il rallt, dit-il, q1lc la journ (- de demai n w il
un j our d r.i~
if.
A'J rond, vous Il VC Z t01lS a~se
z de
cclte hi stoire : il n' y a pl1l s qll c moi qu " II ' nmuse .. Ie ferai donc le sac rifi e de C]ll elqll c1i 111' tll rcs qui
me pl aisa ient, cL j e It:llerai le d(- r10 1l cmenl. lI ervé
regagll era nag noles d\! tnni" soir ; j e l' y rarcorn png nerai. 11 raut ~e ul c m e n 1, qu e, dnn ~ l 'apr
r~rniu
i,
vou s rass iez ensembl e IIn c prome lJ ade 0 11 10 111' de
fl ca ll vul. C ' c~ l tOl Il. .. En suit e, r ' 's t moi (jlli ng irai.
Co r1lt slIr cc ll e e.~ p rn n c don li re qu e s'achcv a la
journ ée uu piqu c- n i(J1lc.
Clf.\PITTlE IX
1' ~ (\I
P (:T
m
s
le reto ur de ,ri ch/'Il', cl mal g ré l'h curc Inr n ~Il sœ ur UII inl (' .... ogn lo ir d 'S
(ll1l s sl'rrrs s lIr la f ll('O I1 dont 'é tuit ùérolll{>e rd le
j Olll rl ~C
tl o piqu c, niqll c li' I;Hlll cll
ln " 0 10 111 6 do
IPÎ l' lTe l'o vnit si rrll l' lI r lll l' lIl l',, rlil.
l\li chl' lc sc fil un ITIlllin pl a i ~ ir de ~c rn c r l 'inq ll irturc dan '0 11 rœ ur , 'n Itli parl ant de rr l TI (' n é ri e
CI", vig n y qlli, H01l 8 l 'o' il ('0 111 pl ; li ~1I n 1 dl' m atin Il U'
de Bea ll va l, fl' nmit p Ol Il' Il ill "i di rc pfl i'l Iluit l(- i) ,ni e de 1(1 j O IlJ'i
~C.
Mur avll il b ea ll p CIl CI' qu ' il Il C s 'ng i ~n il
41 ' lIl1 e fl ~ C de Pi C' ITO Lanli ne , 11\ (lC' nsre de rl'll('
f) (.q
divc, i\/ nrc fil StI hir
�JOO
L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
duilé lui était souverainement désagréable : d'au Lanl plus que l\licll èle, prenant l'air candide, in sistail sur Je plaisir que Deni e avai l visiblement ,pris
ù la compagnie du jeune (( all.aeh; d'amhassade )).
- l'out cela est stupide / hou gonna Marc • .le mc
demande qucl j u peul jouer <:e Pi eiTe Lnntia .....Ie
l11 e demande si j'ai hien f(lil de mc confier ain si il
lui . Apri's lout, je ne le connais pa ~ .
Michl'/e n'cul pas Ir courage de poursuivre p/u ~
10ll g t 'mps cc jell crll('/
- Alloll s, dil - Ile, j e vai s loul le dire. Ccl lI er'\-;, qlli sl lin umi dc Pierre Lanli(lc, m'n parlé
pcndunL cinq minlr
~ . Il ln'a dil qllc cell(: journé
:nait (:Ir pOlir Illi 1I11 C vrrilahlc corvée ... Et il fi
ajolllt- dr'! r1l ollrs Irop aimables 1'0111' moi pOlir (lliC
j e Ics répi·te,
- S' il 11'011'" lIlIC corvée le fait de pli Sser lllle
~ ,'
r,'e~
1 1.111 imhéc ile ,t 1111
ilpr"s-midi nvrr ])cni
[Jaune type, dil nigr 'ment Irll'e.
- Alors, jl' ne sa is pllls CJlle te dire, dil MiclJi'le.
El l'Ile l ai~
so n fr pre (' Il proi e allx so mhres dé.
IIlOIl'! qui peup/I'nl )p CO'III' cl cs amollrcux Conlrariés ,
11
11
11
LI' /r ndl'main ,
il n,'ol l\ol , 10llt se Ml'ollla !\e!OIl
lIlinlllil'u rIlwlIl (olnhOl'l' Pli)' Pierre Lon -
1(' ~r nrio
lia I',
111'1'\(. pnrllt O~ l gf'l l ' t01l1(' la matinr(' 1'1 flll ~ iJI'n
/lI'n ri a Il 1 h' r{'IHlq. " Il '(1 \II i t d 'yC' lIx qlll' pOlir
l:i{'11
J)l'lIi P,
CJIl'~
CJlli
~('
ml,nit
rr('l'roi!'
~fl
r1 A
d{o l'Ini qi r
dïl1l ':I'i'·t flu'il /Ili prodi A' ll ail.
.1 1'0 11 dl' 111-.111\<11, loul l'II ('0 JI 1il1 1111111
1"
11''1 1lIf11'
11'0 11\T r
�L'"MOUJ :I
JOUÉ
LA
COMÉDIE
101
cette comédi e un peu déplacée, finissa it par s'e n
amuser , bien que se demand ant avec curio ité à
quoi Pierre voulait en venir.
Vers le milieu de J'après-midi, eul lieu la promenade exigée rrar le metteu r en scè ne de {'elle affaire. Ostensi blemen t, Denise el Hervé prirent lentement le chemin du parc, et, marcha nt ôte ~l
cÔtc, sc perdirent bientÔt SOllS les frondai so ns
épaisse s.
Pierrc ct ,Tean étaient on ne sa it Oll.
Mille de Beallval qui vit s'r loigner ain si a fille
cl Hervé, Cil conçut tou s le espoirs quc penl concevoir 11110 mrre qui tient ù changc r le cours des
pen sée5 de sa fille, cl ù l 'emp~chr
tic faire cc clu'elJc
apPc'lail « IlIl so l mariag e »,
Elle sc hCila de mon ler hez son mari,
L pa livre hommc , J'enten dant approc hcr, frémit
l'omm' quelqu s jours lIuparovant, sc clemandallt
avec onxiél6 qu el no uvea1l drame allail jet r le
lrouble clnns n 'ollval, ail momen t même oil il sc
réjoli
s~a
it d'y voir la paix revenu ' ,
Mais, :1 so n grand so ulug'emenl, cc ne rurcnt
poinl dps paroles in'it l s C]ui nc('ompngni'l'elll l'oppal'ilion ùe so femm', Bien 011 contrai re, madum e
do Beallval riait sOlll'iantc', rommo clic SIlVilÏl l 'ê tr''
lorsqu' 1('5 ' cho~'
ri~duen
l devlln l elle,
- ~ron
ami, dit-clic, je (,l'oill quI' nOli S n'avon s
plll:l rirn ~ crnind r' de:l mnlœvrC
~ de cc petit intri gn lit de 1\1 arc Ln hrnlls"(, .. ,
VOliS m '(' n V(J (''1. hi 'Il ni~r,
c ll;'l'e nrnie,
- Qu' rH'1l ('Z-VOIi'! d,1 jeun 1/ 'rvé d, Chnvig.lly P
- "ai
~,
jl' Ir trolive chnl'lnnllt, fllllllrl'll cJI1c nt ...
- .J' ~ lIi ~ 1Il'III'('IiR t" d '(' Ire d'ac('or d uvee VOliS,
/iol'rlÏI -re pas IlIl g 'liche qui VOliS plnirnit ?
1\'1 . de /l'R1Ival slI r sa uta :
�102
L'AMOU R
JOUE
LA
COMÉOI E
Un gendre il ... Comme vous y allez J. .. Nous
il peine.
depuis trois jour~
- Mai s nous connais sons sa famille, uit av cc autorité llOe de Beauval C'est le princip al. ..
- Je nc dis pn s, ma bonne amie, je Ile di s pas.
luis encorc falldrait -il quc ce garçon ail l'inlent ion
de .. , El flue Deni sc Ile-mê me ...
- Vou s Ile vo)ez jarnoi cc qui crève les yeux:.
Cc garçon a pur nI nt ct sim plcmcn t reçu le COllp
Il tOllle
~e
de foudrc ... IIi 'r, il n'a pllS «uitt· f)eni
ell d'uln'a
jl
'tiller,
Mj
lc
la journ é' , Et pendan t
même,
t
mOUlcn
cc
en
Et
...
Ile
pOlir
qu'
teillion s
jls sc promi'n cnl sen til1lelllalemcnt duns Je purc ...
'['oul celu Il 'est-il pa Assez clnir il
- 'l'Ollt ccla me paraît hi n rapide, Il faudrai t
al1cndr .. ,
J\ Itendre qu'II rvé de Chavig ny {opouse une
sa ns clou le, ou Hne Chilloi . e il inlerro m~e,
Polnai
pit Mme cie Beouval, uvec un pell d'impaliencC', Ali
lin avis cie prinre 'te, je VOIlII u('l1lalldc s(~ liemt
pn'! il
lit
Mplairl
VOliS
cipe : ('e nlflringe ne
ment. ..
Illtll
amie,
chl're
ent,
nullelll
'l
\1ni
10llt co quc .il' vOlllais savo ir.
- C'c~t
Aynnl dit, Mme du lleflllvai He retinl nl'l'c n eOIltumi rre mojesté. Elolll redescenduc, clic r('l1conll'll
./ean.
,aislu 01') (''Il ta SOO llr' P dcmnnùn -I_C'II .
[o n, .. Il y Il lin momcn t que je lie l'ni pail
-
le
conai~s
vu "
Elit' (' t dnn q 1 pure nv('c \1. dc Chnvig ny.
Aul' Itrl Ion ~ i
\fme d" B('ullva i annonç o ln ('ho~e
Il"C .J U ill
!'t d(' lourd!'!! rI'O1(~q
pl('in cl' lIy ~lt'r
'1'II1IH'l' Ilf'[' dl' 1\ourirc .
I1C plll
- Oh l '[ Il peu,< ouril't', Illi dil n III1'T(', 'l 'Il
plil . loin que le
pu~
rOlllll1C Ion pl·re . Tu no voi
hont cie Ion Il CI. .. ,
�L'AMOU R
JOUE
LA
103
COMÈDli!:
Trois quarts d'heure plus tard, Denise ct Hervé
firen l leur réappar ition. Tout le monde feigni l de
n'avoir pas remarq u6 leur absence . l(ervé sembla it
sombre et préocc upé.
A la prière que lui fit Mme de lleauva l de resler
dîner avec eux, il répond it pur un refus Ip oli, prélextanl la n IcessiL6 où il élait de sc trou ver cc soir
n 13agnoles.
_ .le vais t'y condui re, dit Pierre. Et je passerui so ns doute la soirée là-ba s avec toi . . .
Il aV'l·t it Mme de Ueauva l qu'il nc reviend rait
au chateau que le lendem uin malin, el alla sortir
sa voilurc , tundis qu'Hcr vé prenait
ongo de ses
hôles t1'un jour.
- .J 'cspt\rc, monsie ur, que nous aurons lc plais ir d vou revoir avant que vous quittiez la Normand ic, dil ~J Ille de Beau vul, avec un sOllrire enchun teur.
- Vous êles tout ù CaiL aimable , madam e ... Sans
doute ... .le /lC sa i pus ... 'Peut-êl re ...
Il balbuti ait élrlluge rncnt, el son troll bIc, dont
elle croyait bi 'n compre ndre la cause, élait loin de
déplair e Il Mme de Beauva l.
LOl'qu 'il se rrH la main de Deni se, cc lrouhle Ipa1'111 s'lIt'cro1 lre (,ollsid rrnlJl'm elll, cl DellÎ se
sul IImcner ur eon vi~lge
IInc Itlgère rOll A' 'III', qui n' \rliflppa point Il l'U'il persp ir(l ce de sa ml\re.
L'flulornobile partil, ,u lurc do dcmiel' s gc tes
d '{l1lI iti{>.
Qu'est- c que t'a di t mon s ieur de Chn vigny,
r 1 u]ll't's-micJi ? demalld a lIu9sitôt Mme de Beau val n sn fille.
- Mllil!, rien de
('ial, ItIArnnn ...
-
De quoi
menUlI t P
sr
avel.-ou~
dOl!' pfll'Ié,
Cil
vou
rro-
�10<1
L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉlJIE
Oh 1 de tout... ùe son métier, surtout. Il avait
l'air d'être intimidé.
Mme de Beauval sourit d'wi ail' cntendu, balsa
sa fille SUI' Je frollt et rentra au chûteau, souriante,
et le cœur plein des plus agréables illusions ... CeL
Hervé de Chavigny lui semblait vraimellt ]e parli
Jo plus digne de sa fille que pût offrir le pays... Pari s même, à so n gré, n'offrait pas de gendre poss ible mieux assorti quo ne lui paraissa it cc charmant
allaehé d'ambassade.
Cependaflt, lorsque lcs arbres du purc dll clll\leau curent di splJru à l'/torizon, Hcrvé nc put retenir un gralld so upir de soulagcmellt.
- Déci démcllt, tlit Picrrc, tll n'es pas fait pOlir
le rnrticl' Cl uc je l'imposc. .. Tu ~ou
r.il'es COIO mc
si tu HOJ'la is du Purgatoirc.
- De l'cnfcr, 1Il0Jl vic1lx., dc J'enf 'r .. . .1. n'en
pouvais plus... lui!! où vas-tu P ,'est à droit·,
pOlir Bagl}oc~.
- Lllis e-flloi fairc ... .le sa is 011 je vais.
- Oh 1 Fi('hc-lIIoi la paix, avcc tes airs nly sl(ll'ieux, s'éc riu /lcrvé . .Jc nC sui s plu s Hervé de
ChavigIlY". Je su il! Hervé Hoche, cl j't'n ai pardessus la lnt de t'obéir. ..
Pl'enant plaisir ù 6/1 'rver Oll cumurade, Pierre
ne répond il ri 'n et s'e nfonça dan s un silellce élligmalique.
IIi ntôl, ln voiture stoppa devllnl lIUP mlti
~o n
d'él('gu lItc nppnrcllr', qu'llcrv l Ill! ('onli~
(1(\8.
- QII'('. t-ce qlle c' Mt que çu P dil-il.
- De (,Ir1~.
'l'Il vus J(. savoir ....
Il 'n{' ohéit, filai s, d{'j il, uJle pOl'lc venaiL de
S'OU\ l'ir, ct lIerv'· rc OTllllll Il\el' éfilOlioll ~lirNe
L a blO\I
~,'
vt'lIlC de lu m(ll1lc rob!' que )a veille, cl
qui d '~(,lIdai
vers Illi en so urillnt.
- Bonjour, lIIon sieur dc Chllvign)'.
•
�L'AMOUR
JOUE
LA
GOMÉnff.
105
- Je VOUS en supplie 1 dit IJ ervé, en serra nt la
main qu'elle tendait, ne vous moquez pas de moi ...
Je m'appelle Hervé Roche.
- Eh bien 1 bonjour, Hervé tout court.
Ce petit mouvement d'audace plut exll'êmemrmt ~
Hervé. Pierre s' informa si Marc était là.
JI riait être dan sa chamhre, dit Michi-lc.
Depuis co malin, il tourne là-deda ns comme lln
ours en cag-e. Je vaiR le chercher.
Elle di spamt, rentrant dam la mai~on.
- Alors, ça le déplaît d'être venu ici P del1H1nda Pienc.
Herv<'i SOl1ril sa ns rrpondre_
Marc nPrarlll bientôt, suivi de Mich~le.
Tl avait
l'nir prC!lf)lIe allssi rélJflrbalif que ln Ipremière foiq
où IP ierre l'avait vu, 11 cheval sur le petit mur du
par.
Bonjollr , dit Pierre. Je VOliS pré~ent
mon
camnrac!r, TT rvé noche, qlli vous a rendu un fameux , ervi ce ...
Marc lroelit ln main, hOllg"ollna quelfjlleg' mol R de
birnvrJlllc ns~r7,
vllgu , ct c1rvi qnA'r:\ 1I1'rvr avec unr
i Il 1 ri 1ion hirn I1rrt-tre cl 'insolcnce. Pi erre remarqua celle ex:prcso.ion ct ne put s'e mpt-rh l' {Ir rire .
- r.risti 1 dil -il. Qlle r'est difficile de rClldre ~er
vice nux gr/1s malgré eux. AlloJl s, mon siellr Lahroll sqc, a vOliez que VOliS ,'oi III fn ri C'IIX !pn rce q Ile
mon camarade s'cs l. heaucoup occllpr de mnclcmoi ln jOllrnre d'hicr ...
s -lle rie Brnllvnl dn~
Mirhr'lc ~e mil ~ rire l' son tOllr :
- P:lrdonnrz-1\1Î, dil-clle . .r me sui" nml~c
~
Ir lorlllincr avrc celle hi Rtoire, hier ~o jr,
1 mOIl ~ ielr
fi III al pris 10 ehoqc ... l\ToI
~ iclr
Il un coroeIrre épouvantahlc, celle pnuvre nci
~c
ne s'en d'oule
rn
~
...
- 'lu
n~
flni dl' dirc tl
~
b
Ij A(-~
P
�106
L'AMOUR
JOUG
LA
OOMÉDIE
Cependant, ce tte expli ca tion avait rompu la glace. Marc se dérid a, a voua de bonn e g rllce qu 'il
ava it été stupide, el s'inform a du motif qui poussait
Pi erre à lui r endre visite.
- Ecoulez-m oi, dit celui-ci. J 'es time flu e vous
et Herv é avez besoin de vo us détendre un peu les
nerf, fi 'cs t-ce pas ? Eh bi en, j e vo us offre dc venir passer la soirée à Bag noles. . . No us cnuserons Inbas , et cela vous distraira, ct j e se rai s très heureux
i mndemoisell e Labro usse voul ait nOU S faire Je
pl aisir de venir avec nOli s .. .
'Ii chè'le roug it de Ipl ni ir li ce ll e in vitation, et
Her v' la trouva plus déli ciellse qu o jnmais.
- Avec pl aisir, dit-ell e. Mais il faut que jo m ' hahill e ...
- Mais non ... Vener. comm e vou s êtes, dit Il ervé .
Mi.ch\!Jc lutta un moment co ntre sa coquett eri e,
puis céda .
- J e vaiq prévenir Jrl oman, dit-ell e, cl j 'a rri ve ...
~r r e nt
Demeuré!! srul s, les tl'Ois j eun es genl! Cl
sa ns g(' ne au cune . L 'e'< 1rflVa ga nf'Q des év{o nemcnl s
f1uÎ J c~ IIvaient fnil se connnll re lcul" p a rni ~ nil
SOIl daiJl la cho e la plu 5 naturell e du mond e.
Mi eil i·le r eparut hi en tô t, to uj ours vêlue de cellc
IOhe hl ell e p OUf lAquel le 11 r vé éprouvnit lant de
~y
lpathi
e .
Inr e monta dnnR sa nll [Zolli , ) C~ Iroil! olltres don s
la Co rti, ct les deux voilures prirellt séo n!'e lenante
le r lll' mill d(' Bn g nol e:l, Toul le lo ug dll Lraj!' t, nll ( ' I Hl d 'c ux ne
fl1J
~inJl
fl U X ('V~
l\ c lI l' l h
illnqll ele
il {' Iaienl m (' l é~.
On ellt diL qu e c' ~Io it 1111 slIj 'l S UI'
I( ~ q\l c l il ~ II vnienl tac it emenL d"'!'Ïd \ J e fu iro TOoHII' II tan "mr Tl L sil ence.
\li ch;' I' r taÎt loute il ln joil' dc r ntl e parfie orqn·
nt
�L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
107
roisée d'une façon si impromptue, el. Ilerv<5, enfin
libéré de la co ntrainl e qu'avait fait peser sur lui '
l'ob li gation de jouer un rôle, se mOlltraÏl amusant
et pl ein d 'amabil ité.
Il s arrivèrent à l'hôte) d 'Hervé à peu près à
l'heure du dîn er. De rares clients occupaient les
tabl es de la Yaste sa ll e 11 manger.
- Mais c'est mortellement ennuyeux, par ici,
dit Pierre.
Mon vieux, c'est toi qui m'as choisi cet hôtel. .. El c'es t là que tu me fai s vivre ...
- A!lons , Ile grog ne pns. Il y a hiclI un Cn sino P
Allon s 1I 0 US y restaure r. Cc sera peut-êtro plus ga i.
Le cas ino, en effet, présentait ,plus d'animation.
Les qu atre an lis y firent Un dîner fort estim able,
ct ri en ne scelle J'amitié comme un bon repas pris
en commun, pourvu que les vins soie nt co nvena hl es
0"', ils l'étai ent.
Comme ils sc leva ient do tabl e, ] 'o rcll estre de
ln sa ll e de dan se sc fil entendre, ct IIervé entraîna
aussit ôt Mieh -le vel's l 'endroit ,d 'oit s'<5c happaient
ces accords hnrm on ieux.
- Moinl nllnt que les 'llfanis SOll t Iporlis, dil
Pierre Cil ri ant, no us ollol1s po uvoir ~)Ilre
de choses srrieuses ...
Il ropproehu RII ehai sr de l'clic de ~larc,
pour qlle
null e orr ill e indi srrr ic ne ~l\t
t'ntendrc los 611'1111 ges propOH (Ju'i1 IIlIait tenir, ct commença en ces
termes:
- Maintennnt que vous conn3 i.. ~e 7. un pru mon
ami JI erv\ je pen se qu e VOl IS IIvrz co nri unce en
lui, qu e VO\lS Je 1 nez p OUl' un garço n sér ieux: Cl
di g n' d'e ~ time
...
- J 'ni Il 1l1lrOllp de sympa lhie pour lui, arJ ui
e~
ça More.
- En ("c CIlS, je puis VOliS dire, sa ns nuire pré-
�108
L'AMOUR
JOUIl
LA
COl\lÉUIIl
ambule, que je renlre demain malin à Beauval, cl
que la première chose que j 'y ferai sera de demancIer :1 ~L
de Beauval, pOUl' le compte de mon cousin Hervé de Chavigny, la main de sa fille Denise ...
Bien qu'il s'a ttendît à quelque chose de ce genl c~,
ne put retenir
re, Marc, en entendant ccs paro
une as ez laide grimace.
- BOil.,. N'y aurait-il jJUS moyen de frouver autre chose P demando-t-il.
ALso lurnenL pas moyen, C' L li'! qu'esf le
nœud mêm e de l'intrigue. 'l'oule l'affaire va tOUl'ner autour de celte demande 'Il mnriage.
- Soit. S'il n'y a pas moy n de faire autre111 nl. Et vous pen sez que
lucJame de Beauval va
ncc pLer comm ~'a,
Lont cie suile il
-- Oh 1 j' /1 pense pas qu'elle va so uler nu cou
d'Hervé. Mui s je suis Hhso lllrTIent sClr que ('e Inn('jage se rail l'un de ses plus chcl's désirs ...
- Etrange femme 1
OIIS J1hilo
~O Jltcron
s
plu s la rd. J 'al'I'i ve au
rÔle que VOliS aurez à jouer. Nous lai s, erolls les
rho~e
nller cJ'ohord nssez loill, pa s jusqu'il des flan çailles offiejclle!1, naturellement, mai s, assez loin
pour qlle qlc<Je~
l'lImcurs circulent vagu 'ment
dan s le pay .. , d 'S rumeurs, hiell cnlendu, que, le
momenl vcnu, il S('I'(I fa('ile de cl \llIcnlil' ct de lrui tcr de lJilleve. éc ... Vous me suivez P
- Allez 1... ullez 1
- Lor
~ fJle
jc jugerni Je momClIl OpportulI, VOUH
pal'aitl'cz Ù BCHuval uv'c ln mille du jllil lici 'l', VOliS
l'(-vélen'z il !\lm!' de Beu1II'nl l'impost ure cf'fro\nhlc
dont clic élaiL 8111' II' poillt d'(~t,.
viclime. Vous fIUrez nill1i If' rÔI le plu nvnnlng IIX q1li soit. llerv('L 1I10i, nOIl !'! diIlIHII·atlrons ... ('ouvert~
de honte ...
(IUlJiC~
~ cl' !'ICro~,
cl qui !lait quoi onrore, EL rc
�r:AMOUII
JOUg
LA
COMÉ!)J~
10'.1
moi, mai s ...
.l e ne ve\lx ri en Illcnùre, dit PiPIT' Il sc
h01l clwnl leH oreilles. ,C 'est lu disc lI s. iOIl fJ1li rclard'
ou empêclle la J'("lIi
~n tiol
de tontes I(' ~ grnndes
elIOHCS. 1}\ - cJe ~ SlI H , !lllollS ùan se l·.
C:OJJ1 pI ètement nhaso urdi, ~1 :Irc sui vi 1 l'ierre do(:il,'menl.
Ln salle rit! dall RC étoit fort. 'Ilrornhrre, mais il ~
cmcnt vile aperçu Mirhrlc ct lIen é, q1li ÙOII lIuiellt.
Ln dan
~c
fIlli(', les qualre nmi s se r1"Jln i l't' Il l, (' 1
fOl'llIi'relll vile l'Jlll c des 1'111:1 j oyr us's hnndps qui
hnlllrr Ilt ce ~o ir - I~ Ir P(I ~ iIO
cie nlg o
l c~.
~1il'h
' l('
était IIn e rl1 ~H ioln
'e d, la dan se, <'l d,lIl sn il forl
(: qll'elle de
hil'n . Hervé n't"lait pas moin s pa l\~ i()n
nlnladre c
ccl url, mui s dnn /lu it fort mul... Et ~u
�110
L'AMoun
JOUE
LA
COMÉDIE
r tai t j'obj et de plaisan teries amicales de la part de
Michèle, qui ne voulut cepe ndant dan ser qu'une
foi s avec Pierre, so us le Iprélexte qu'Hervé lui avait
retenu tQllles ses danses cie la so irée.
Il était près de minuit lorsq ue Marc el Michèle
Labrou sse sc sr parèrenl de leurs amis, pour reprendre le chemin de leur demeure. Pierre ct IIervé ne s'a il ardèren t pas au Ca i no, ct rcgognèren t
au~silôt
l 'hôlel où Pierre nl'ait pris une chambre
pOUf la nuit.
I1r!"vé <-lail sil encieux, rêveur. Pierre lui en fit la
remarquc avec omlJ emenl :
lri, dil -il , lu peux tc laisser illier. 1'11 n'e.>
pl~
Ù Beauval, cl lu Il'CS plils l'attaché d'amhassmIc amour IlX .. .
effrayantes
Alors " rvé prononç.1 ('cs pn!"ole~,
pOlir 1 ic/"!"' :
- Dema)1l malin, je I"clOllrne fi n'auvfll, ct je
raronlr lout, moi -m'me, i\ Mme de Hellll'val...
- OIl'cRI-cc qui te prend il
Il ni' prclld qllc j' sui s IlmOIlI"ClIX, amoureux
dl' \1irhrle Lnhrol
s~r,
qllo j' VCII'{ 1'(opouRer, ct
fi III' .il' Ill' licn s plus dll IOllt :1 pa ~se r pOlir un cs('l'or.. . Vni 1:1.. .
'l'II C~
(,ol11jllNement fOIl.
- Poss ihle ...
Allrllll nrgllll1rnt ne put Mlacher lIerv6 d, la
f:lI'o lll'he rtlsollllion qll'il aVllil priRl', t IPierre dut
rq;,ng-rl('" Sil rhtlfllhrr, ln nlOrl dans l'I\me, ~o
deI1lllildanl Ri, nl l rnomenl 01'1 il nllait nll('illdr' 1 but
rlll'il ~'r" lIi
(h~,
les ralj
~ ic s
d'I/crv' Il'allaienl
pliS 10111 f('l1Il'tlre cn qllest ion.
�CHAPITRE X
AU
COEUR
DE
L'VnnIOUIl
Piene s'éveilla li l 'auhe. Il sourit en s'étiranl,
Iparce qu'il pen sa it à }'ag réa Lle journ ée de comédie qui l'attendail, pllis il changea bru squernent de
visage lorsque lui revinrent los paroles pronon cées la veille par Hervé.
Tout en Irai lnnL dans son CŒur son ami d'animal
cl de L~le
brille, il sc lova en hale ct quit la sa
chambre. JI s'assura, Cil rollant implIdem,ncnt ~Ol
œil à la 5err' llI'e de la clwmbl'e de on rnmnrade qll e
celui-c i dormait tOlljOlll'il , ,t gagna rn h:île le garage . 'i l parlait sa ns averlir lI e rv(~,
Ipcul -ê lrc qlle
celui -ri, sc voyant devnnc.!, l'enonr 'l'nit n SO li fll nesle projet de dire la vérité li Mme cie Bcallvul.
Il pl'Ït ~a voitul'e cl s'é lança S11I' lu 1'01l:e de
Beauval, npri·g s'ê lre ass uré d'lIT1 dcrllirr r ~:l'
<1I1P
les volets de Ja chambre c1 ' Hervé élairlll loujr
~
rios.
Mais il n'avnit pas fnit dix kilom(otres qu'i] ful
assailli rnr lIne lerrihle pCJ!
;~r.
n né Ilvait, lui
aus,i une voilure: c'élnil IIne Simru, (lrhctt'e tl'occasion npd's qll'elle '(Jl afffOnté lin nloh~,
Pl réparre par cc qll'il nppelnil llli-llleme des Il 1Ilo)'on
d'infortll/1e n. Or, ('onllni ssnnt. l'ohstinnlion d'll cl'vé
i\ IIcrmnpl.ir cc CJIl'il avui l UIlC foi projell', Pi('rt'c n'
ll1it pn ' en doule qll'il nc dl' llllrrpliiL r1 r\l~
rI' ~i dnl
('<]uipugc Il Beallvnl. Et il illlllg-ill nit il\e(' lh~"('poi
l'effet prodllit par l'urri\'I'C dll hrillnnt allal'hl'
d'nlh
~si1
dc
(Ill volnnt de ccll \oilllrc mfll I1cell'c.
Pi 'rre ralclltit, s 'nr~
I( ...
�III
L'AMOUR
JOUE
LA
CO~U:I)H
J'aurais dû l' étrangler <.Jans son lit avant de
partir ... Ou l'endormir à l'aide d ' lIl1 puissant narcotique .. .
Mai s ces moyens romanesques n 'apportaien t aucune solution pratique à l'angoi sanl problème qui
sc posa it à lui : commenL réd uire ceL abruti il
J'impui ssance P Le mieux étail sa ns doule de ne
pas le perd ('c de vuc ...
Dans celle inlcnlion, Picrre fil demi -Iour, ct rc·
prit la di rec lion de Ba g nol e. JI nr sc hâlai 1 pas,
I(lensant Irou ve r Hervé encore nu Iii, cl. il rumi ·
liait les arguments Ipaf lesqllel s il pourrait le déri ·
der 11 se tenir tranqnill e.
Mai s, il mi-c hemin Il pell pri' ~ , il vil soudain dé·
houcher d'un lournant, devanl lui , 10 hi,r,nrl'c 'Voi .
turc d 'Hervé. A l'allurc de 115 h iloml>tr s il l'heu ·
l'C, Hervé fonçait vrrs Rcallval. Les drllx voilill'es sc
('r(li,l'renl avanl qll e Pierre, sl1rpri s, pOl frein er.
Mnis Hervé J'n vait reconnll, el IR Simcn, par un
·rfod t!r Ra fragile musc ul ature de l()Je, s 'éleva au
rillquonte il l'h eurc.
POlir la AeroJ1(le fois, Pierre fit demi -tollr.
Il lui fallut lin pCIl plus de Irùis minl
e~,
lemps
de la mnna:mvrc ' comprise, pOli l' rejoindre Je
fu ya rd.
IPII/'vellu Il su hautcur , il lui cri n :
- Ârr(llc-Ioi, ou je te pOU R. e dan
~ le fossL.
- J 'a ime micux la morl que le mcn son ge I r(o ·
pondit Hervé avec bcaucoup de Ilohe
~ r.
- Ne fai ll pas l'idiot I...
Ln Sim en bondit encore, approoha 10 soixante.
Pierre sc maintint ~ sa haul eur,
,TI' te di s d'arrÛter 1. .. Une foi s I...
Jomi
~
I
Deux foi ~ 1. ..
'"ml
i~
1
�L'AMOU R
JOUE
LA
COMÉVJ[l;
113
- Trois fois 1. .•
- Ja ...
II se produis it alors quelque chose d'étran ge ...
On entend it un miaule ment, pui s un gémisse ment, puis un crachol temcnt ... La Simca se mit il
tou sse r, il se gralter les bielles. Et pui s, l'on n'en tendit plus rien, ct la Simca s'a rrêta.
Pierre, emporl é par son élan, l'avait dépassée
d'une vingtai ne ci e mètres lorsqu' il pul s'arrête r.
fi revint en marche arrière. 11 Irollva Hervé, immo!Jil e, il son volant, suppor lant avec calme et digni lô l'adver sité que le cicl lui envoya it.
- A lors, tu te rends P di l Pierre.
.Je cl'~
aux ~irconslae,
dil Hervé. Mai~
le cid m't'st ll!moin qlle j'aurai fait toul ce que
j'ourai IPU pour ...
Pour m'emlH 1er, ça, j e !l uis trmoill nusRi. ..
De i\cen
d ~ rIe li1 ... Tu mériter ai s que j e le Jaj ~8e
sm
cc hord de roui e .. .
Les dellx nmis s'a pprocll rrenl du capot de la
Silllen, le d\~montèrel.
Hervé recula (l'épou vanle :
Horribl e mrlang e ! Qu'esl- ce là ~
Un moteur P
-- On dirait plulÔt lin élalage de foire aux pu ces, <Iii crurl1e ment Pierre. Ce que lu I\~
de mieux
~ fair', c'c. 1 dl' l(i ~c
r toul ça lil. .. Pl ~ de ùnngel'
qu'on y louche ...
- Tu Ile (1Ollrrn is JH1 8 lI1e remorq uer P
- .J' ne tiens pos du toul li ce qu'on me prenIIC pour un irnpc
~a .. i() de cirrple. ..
l'iell Q , aidemoi. ..
Il s pOu ssI'l'rllt jllsqlle ùan A )e fos .,\ pell profond
fi ct endroit , la Simrn, (Jlli ~ mhlnit se rcfllRcr dé finilive menl Il tout service Illtériet lL
NOliS la reprend 'ron A cc ~oir,
J'nR~1Ir(-toi,
dit
Pierrr, l'jui oyail le n'lIAl'd r-hngrin rJlI'v~
jr-
�114
L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉIHE
lait sur so n engin. En attendant, ta reconnais que
lu es à ma merci ...
- C'est évident. ..
- Tu n'as ùonc plus qu'à ac<,epler mes condilions. Tu vas mon ler à mon côté, el je vais le conduire (1 Iproximi té de chez les Labrousse. Lorsque
Eera venue une heure où lu pui sses décemmenl te
préseuter, lu le montrera s, avec cette ,délicieuse
écharpe hl eu-I'iel que Michèle Lnhrou sse a oubliée
dans ma voitme hier so ir·... Comme prétexte, ce
n'esl pas génial, mais ça vaul mieux que rien. Tu
dira s à Marc cc qu'il en esl de sa conduile, cl tu
allendras lù Illle je vienne le chercher... Ça ne
doil pa s te Mplaire oulre-mesure ?
- Evidemmenl, mai s ...
- Alors, embarque 1
LOrSfjlle les deux amis furenl arrivés ft Iln kiloml' lre environ de la demeur
des La brousse,
Pirrre
deRcrndre [Jervé.
- T'iens, dit-i.l, il Y a là lIn petit boi s charmanl,
où lu se ras trl's bien ponf allolldre onzO hClrc'~
du
matin. 'i tu l'cnnui s 1In pell, cc scra ln punition.
El pui s, lu as l'écharpe de ln birn -n irnro ... Lel! chevaliers cllI ~foyen-Ag
n'rn demandai!'nt pns plus ..
Il repriL alors cL déflnitiv!'mellL cette fois -c i, le
chemin de BeallvaJ. Le chfttcllIJ dormait el\COro ct
il dul atl mIre p!'I>S d'une heure qlle les premiers
vol('t~
s ' ntr'ouvi
s~oJ1
l.
Lorsqu'il pllt s' inlroduire cinn a la mni~o,
il
monta imrn('ùiatOTOl'nl cl1('7. .Jcan q1l'il tira du lit.
Le drl\()lI('mrnl, nrIH'o('he n grllllcl s jlnq, dilil. f)(,~
fl1JC tn Hlrrc ~c rn
rh ' l'it~c,
di ~, lui q1J C j'ai
Ù Illi parlcr, Iluo je ~o li
ile llile IIUdiclIC' ~ lIr
1111
'Iljet tl'1· ~ importnnl.
- Alor
~,
III ( '~ déridé 1\ dl'lll ,lIIt!t'" lil m :l ill dt; t cI,il!e pour "('rv~
.. .
nt
�L'AMOU R
JOUE
LA
COMÉ DIE
- Tl'ès déci dé... Et [lui s, c'es t trop tard pour recul er.. . Nous touchon s au bu l.
U ne heure plus tard, IP ierre se trouvai t "en pré~e n ce
de Mm e ue Bea uval, dan s le m ême pelit salon qui avait assisté il la lament abl e mise en fuite
ùe Marc Labrou sse. Mais le vi age sourian t de la
co mtesse différ ait fort du visage contrac té par la
fur eur qu'elle ava it présent é aux regards de l'infortuné.
- Madam e, dit Pierre, j e vous avoue que j e s ui ~
extrûm em ent gêné par la démarc he qu e j e doi'!
faire auprès cl' vo us ... J e m 'e n suis chargé par af fcc ti on !pour Her vé, (]ui n'a g Ul're plus qu e moi
omm e procJl purrnt, mni s mainte nant j e m'aper çois de lout cc qll e ce lle dém arche a de ... de peu
protoco laire.
- Parl ez, parl ez, dit Mm e de Beauval avec ama bilit é.
- Eh bi en , mad ame , voil à . .. Je lI e sai s si vous
avez remarq ué jusqu 'à qu el point lI ervé a été ...
IO\l ch6 par ln g râce ct le eh arm e de ~1 e de 13eau VIII. En deux j OllfS, j'ai é té témoin dll bonl
ever Com en l qui s 't lai1 opéré n 1ui .. . Et hi er soir, il
llI 'a suppli é d vous pud er de se~
se ntim enl s ... JI
va reparti r , cinns pell de j ours, pour un nouveau
pos te... De Iii, 111 hâte qu 'il met li vou
~ faire suvo ir, à vo us dire ...
- .J e crois qu e .if' V O l ~ compre nd s, dit en so ul'iant ~Im
e de Beauva l. Et ('l'oyez que j e n e VOus en
v !I X Il)[\ S du tout de VOll q être chargé de me parlm'
pour M. de Chavig ny.
- ~r e voilà bi en sollln g-é , m adnm e 1 Tl n e s'a gir nit n aturell ement pas d 'un e demand e Cil mari nge
(> rri{' iell · .. . Il vomlroit se \ll ement savoir si, dAns
qllcl<jll e Lemps un e t Il e d emand e de sa part olri~
�/
11 6
L'A MOU R
J OUY.
LA
COM(.:UW
qu elque chance d 'ê tre agréée de "Vous ... et (l e madl'
ITIo iseIJ e de Bea uval.
- Mon Di eu , monsieu r , j e n e puis n aturelle·
ment pas préjuger des sen tim ellts de m a fill e .. .
Mais j'accepte très vololltier s de lui pad er. Et , pour
m oi, j e vous déc l:H'e d ès m aintenant qu e j e n e
vois rien qu e de très co nve nabl e dans la recherche
dont ell e es t l'o bj et de la pa r t de M. de Chavi gn y ...
- Ah 1 madame, quell e j oie pour mon cousin 1
Mai s j e ne ve ux lui do nn er au cune es pérance ,
avant qu e vo us ayez su ù quoi V {) u ~ cn tenir en cc
qui co nccrll c ~ l le de Tl ea uva l. Le pauvre ga rç'o n
so uffrirait trop d ' un c d 1cepti oll Hpl'I!S l 'c' poir. ..
- Eh biell , monsiellr , j c vo us promeLs <[u c, d ~ s
auj ourd ' hui j e parl erai li ma fill c.
- TOllt va tJ' ~ s bi en 1 déc lurait plus Lurd Pi ene
~ ./ eu ll . ar d 's l'avo ir mi s 'xar tClll cnL au courant de
l'entreti ell qu 'il ova it Cil avec lW Ù l l~ r e. Tu mère es t
vraim ent charm ant!: , ct jc sais Lout cc qu'on peut
dire de ma <,o nd uit e vis·tl·v is d 'l' Il e .. . Mais, Tl'es t·ce
pns, il y a des cas où l'on esL hi c Il forcr de paHRf' r
Ill' IIn e ce rtaill c dél ica tesse de gen 1im en ts.
- Eviù emmcnt, dit J eull , m ais, eig nell" 1 qll 'il
me tard e qllc to ut ce la soit termin r 1
Co m me cll e l'a Vilit Ipromis, l'lm e de Bell Il val paf' la Ir j Oli,. mi! me :'1 Deni se. Elle q'n il l' /lù ait ù un e réac ti on v iole/l tc de la port de su Hil e, il deR IIl rm C8,
li un rcfll S qlli ne l'cM null ement déco uragée ,
mui s qlli l'cC,l il'l'it re pa l le reta rd qu'il apportait li
la rr lili uti o/l de J'lIn e dc ses volo nt és. Ali liell de
cela, De/li se, apri's fl voi,' marqll é bea ueo uJl de SIlI'·
pr iQc, avoir h 'lI ucoup roug i, d(o.(' lnrn <[U l' , pui s!Ju'cll e ne po uvoit plll8 p CIl . r i' i, <' ]lOURer Mal'c La ·
broul\se, ell e consen lnil il arcep te,. Icq Ito m In ages
d ' Her vé de Chav ig ny: ('Il c posa ce p 'nd an! , 'omm c
ro nditi oll ù lin (1 o lli ». dé fill itif, dc mi ux cO llntlr-
�L'AMOU R
JOUE
J.A
COM ÉDtE
ll7
tre Hervé, de le voir souven t avant son d épart.
Mm e de Beauva l é tait si h eureuse de voir Je tour
que Ip ren aient les é vénem ents, si h abitu ée , d 'autre
p art, à vo ir Deni se pli er d evan t ell c, qu 'cl Ic n e
son gea p as un ins tant à tro uver ce lle docilité é tra nge .
Ell e fit tout de s uite part à Pierre des r ésulLats
enco uragea nts de sa con ver sa tion avec sa fill e, et
celui-ci dem anù a la p ermi ssion de ,por ter tout de
suite la bo nn e no u vell e à llerv é.
- El r a menez-le dîn er, dit Mm e ù e Beauva l. .re
pen se qu e sn c ure n e so uffri ra pas Lea lleo up s' il
passe qu elqu es j o urs il Bea \l\'al 1
Pi erre sc r cndit imm édi ulcm ent c hez les LaIJro usse.
II y tl'Oll va Mar c, 1\I ieh èlc ct lI er vé Il IIi p l' n nien t
lranqui lI oJ1l en t le th é flO US les arh res , à pr ox i mité
ùu ten n is. Mi ch èle ct Her vé se m bl a icn t. for t bien
s'enten dre, c t Marc ava it pris vi s-il-v is d 'e ux un ail'
1:gèr em ent pa tern el qui prouva it que la sy mpa lhi e
qui lIni
s~a
it
sa sœur il Il er vé nc lui Mplnisa it pas
parti cul ièr em cn t.
- Eh bi en 1 dit Pi en e en al'l'i va nl, cs L-ce
qu ' Hervé a fait Sil {'onfes ion
Es t-ce qu ' il vo us li
dit l 'S- crimin cls d e~s
ilS
qu ' il no urrit d ' plli s hi er
soir P
- Mais o ui , dit Mi c hèle. Au fo nd , j e tro uve qll e
ça l'hon ore, hi cn qu ' il n' ait pas vo ulu no us dire
scs rui sons eX ll ctes.
Her vé devinl J'(.) ug'e jusqll'o ux oreill es, c t Mi ' hèle
HOIII'it m ulici 'u sc m enL.
- .l e pensc , dit- il, qu'il faut h ùler les e ho ·c ....
.l u n Ill e IPl'èlefll i plus bien lo n g t mps à ce llc com édie.
- RassUi e- toi. To ut e~ t en bonn e voie ... Quell
�118
L'A11IOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
esL la femme la plus bavarde du pays j) reprit Pierre
en s'a dressant à Marc.
- Oh 1 sa ns discuss ion possiblc, c'est Mme Larchan t.
- Parfait ... Alors, dès cet après-midi, vous allez
faire une visiLe à Mme Larchan L... sous le pré tex Le
pal' exemple, de vous excuser, une fois de !plus, de
JI 'avoir
pu prendre part nu pique-nique qu'elle
avait organisé. EL, au oours de voLre visile, vous
in sinuerez, ~l mots couverts, naturellement, que le
jeuJle cL Lrillant attaché d'ambassade, lIervé de
Chavigny, esL venu s' in s taller il Beauval ... cl que
cela indique qu'il y a quelque chose sous roche,
etc., etc ... Enfin, vous vous 1l1'l'3ngerez pour qu'elle
comprenne qu 'Hervé Il des vues SUl' Mlle de Deauval.
- C'esl gai 1 El il faul quo cc soit moi ...
illurellement ... El fuiLes viLe. Cc soir. Hervé
cL moi iron s fi Beauval. NOliS vous nUandons ici,
failes volre vi site Lout de suite ct revenez ...
Tout fi so upiranl devant l'étrangeté de la situation, Mure, s uhjugué lIne foi s de plus par l'autorilé
de IP ien', prit sn voiltll'e el se rendit chez Mme Lar<,halll, Ini ssn nt sa sœ ur eL les de ux: jeunes gens en
train de tl'l'miner le thé qll'il comptait prendre en
toule tronquillité.
Il ne fuL glli're plus d'une heure ahseut.
- Le hon grain est se mé P interrogea Pierre.
- Oui, el Cil honne ter!'e . Jr. n'ai pn s cu hesoill
de m'expliqucr' longuement ,p our I]I/'ell' commence
l, frélille!'. Je lui ai dil, hien entendu, ql/e ce TI'élaienL qll e de R ('onjpctllrcs de mn ,parl ... Nul doule
qu'elle nille tlux: rcn
~c ignelTt
s lc plu s lÔt po~ihle.
- C'est padait. Il se pcut qu'clle soil déjà en
roule pour Beauval. C'est délicieux: de foire mnr-
�L'AMOUII
JOUE
LA
OOMÉDlE
119
cher les gens comme ça, même les gens qu'on ne
connaît pas.
Ils restèrent encore une heure il causer, de fa çon
il ce que l' absence de Pierre justifiât un voyage aller
et retour il Bagnoles.
- Nous ne nous reverrons pltls, dit Pierre à
Marc qu'en des circonstances bien tragirl'Ies .. . Vener.
ùemain uprès-mid .i, et regardez dans le vieux chêne
que vous connn iRsez bien ... Vou s y trouverez mes
derni ères in struction s ... Vous savez, du reste, ce
que vous avez ft faire P
- Snr Je bout du doigt. J'ai fait a1l moin s dix
répéli lions.
- Parfait... A bien tôt ...
Hervé prit il regret congé de Michèle non slins lui
avoir fait promcllre de venir le lendemai n soir l,
llagnoles avec son frère, pOUl' fèter le SUCC('S escompté des sombres machination s de Pierre.
AI, château, Mme de l1eullvnl nt fi Hervé lin accueil presque lOllchant do gen till esse. l)eni~
sul
rougir à point ,t baisse r les yOllx. Hervé, horriblement gèné de cc Ipersonnoge, prit sans effort l'allure un pell timide qui cO llvenaÎl cn ces circonstances.
Le dîner cl la soirée ftlrent un enchantement :
I\lme de n ollval, voyant toul céder devant elle, ot se
réaliser son moindre désir, so laissoit. olier fi son
natme!, qlli é tail aimable cl bon.
LorsCJlI'on so rlu retiré, Picl'l'c interrogea Jean,
'l apprit (Ille Mmo Lllrchont (Itnil en efrct 'ellllC À
rk/lllvni a s~('1:
tard dan s l'après- mieli : il avail as~i8'
II la vi RÏl.c el pllt en Jonner lin fidl'le complerendu ù son nmi.
Mme Lilrrhlllll aVilit, en effet, bealJcoup parlé
(L'Herve, cl 1\lllle de Betlllvnl, uvec des ~o ul'ires
l'lflirH\ do rotQnnc ot de OUS -Cl'ItOflch.r S, IIvnit lai ~Ô
�120
"'AMOUR
JOUE
LA
COMÉnIE
supposer une foule de choses sur les raisoIls du séjour qu'il allait faire à lleauyal. De telle sorte que,
lout en se défendanl beau coup, r]Je avait bel el biell
annoncé à la hayarde personne q1le de grands événemenls se préparaienL
Lorsq u'il s ul que celte visite avail été machinée
par Pierre, son admiration nTunùit pour l'a~tuce
dont fai sai t preuve son cumnrnde. El Pierre le quittn, une fois encorr, sur ces énigmatiques paroles:
- El lu n'a s ncore rien vu, mon cller... l'li
Il 'as rnrore rien vu du lout 1. ..
CHNPTTnE XI
DEUX
néNoUEMENTR
La journée du lendemain ne répondit guère aux
spé r'nnrcs c1'apai sement définilif que la so irée oynil
fail nnilrr flil cœur de M. dr nellllYfll.
A mrAII r CJ Ile le dénollemen t n ppror Irn i l, Pierre
Ile pouvait sr défendrc d'lin rrl'Iain se lim(~n
cl'in q1liélude, !'JuI1 n'ayail pas connu depui s que SO li
rcrycau ingéni eux nvail mi s en hranlc le hnrdi mr:·
rani~me
qlle nou
~ avons VII jmrrr.
D'oulre pnrl,
Hery \ nYllit Je pliis grllnd mnl ;1 feindrc pour De·
IIi e, Ile fOI -ce que par des regard 011 des so upirs,
s qu'il ~pr01ly[it
pOlir lu se ule Michl:des ~r ntimel
l'. Ellfin, Jean était repri s de ses sc rupllles légi
limes de f1l s rc~pel,Iux
ct il sc demanclnil avcc
anxiété comment ~a mrrc allait accepter le d('rnicl'
<Jete de la romédie, ferlile en C01lp~
de Ihr~lc.
l'out rela fit qll'il )'aimohl nhandon r1(' la veille
ail ~o ir ~1H'crln
11 Beauval tille nlmoQrllrr de g(\IIC,
de conlraint/', que Mme de )!rrnl\'nl prrçllt fort
hien, sa n s en pouvoir déceler l'origine .
Ln mAtin le ~c
ro M, ~e
tratnll 008r1, pesa mment.
�L'AMOU R
JOUE
LA
COMÉDlB
121
Les compli ces n'osaie nt pas, même en dehors de la
présence de Mme de Beauval, échang er de commentai res sur les événem ents qui allaient suivre.
PieHe essayait de ,p laisante r, mais ses plaisan teries
tombai ent dans le vide.
Peu après le déjeune r, Pierre, perpétu ellemen t
aux aguets, entend it le ronflem ent de la Bugatti de
Marc ; il entend it l'auto freiner et stopper le long
du petit mur qu'il connais sait bien.
Mme de Beauval, entouré e de la plupart des acteurs de celle comédie, acheva it de prendre son café dans lu salle ù mangcr , lorsque Hosc cntra, et
dit, d ' une voix quo l'émoti on néc de ce qu'ellc
annonç ait l'enduit trembla nte :
- Madame ... Monsieur Marc Labrou sse demand e
:\ voir Madame.
Mme de l3eauval sursa ula ù e nom :
- l'lare Luurou sse ! répé ta-t-elle. Il ose P.. . Allcz
lui dirc que jc IIC [Jcux pas lc rccevoir ...
HOl> c di ~ Jlurt.
Uu g rand silence s'é tait étubli que
penonn e nc s'av ion dc trouble r.
no
~ c
reparut prcsquc aussitÔt :
- Madame, il Ile vcut pas s'cn aller... Il m'a
donné cc mot. ..
.Et clio teudit :\ Mme de Beauval uno cOl'le, !:lUI'
laquclle i\lol'c avuit griffon né CCd mots au eruyOIl :
Mudame, si j'in!lisle pour vous voi,', c'est que
j'ui ù vous oJlpr 'lIdl'o dell chosc:; dc la 'Plus hautc
inJ(JOrlallre. »
Ccs mots in 1rigul'I'('nl fort 1\1 me de ilcau val. Elle
voulut n'y voir, d'ubord , qu'une Ilouvello tentativ e
ùe l'Iure pour l'cprclIllJ'e les pourpa rlers qu'ci l' avait
d'uhord si violelll lllclll illtcrro mpu s. Cepcnd ant,
piquéc par lu curiosite ct I(lUl' une légère inquiél ude,
clic se levu.
- J'y vais, dit-clic.
�122
L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
Les quatre amis la regardèren t partir et atte.ndirent, avec une angoisse croissante, cc qui allait
suivre.
Mme de Beauval aborda Marc kbrousse avec un
visage sévère et des so urcils froncés qui rappelèlent 6trangemeIlt au pauvre garçon sa derni
~ re
, 'isile CI Bçauval. Néanmoins, sachant, <JueHe supério.
riLé allaient lui donner sur cette femme les révélations qu'il apporlait, il ma1ldsa ses impressions.
ct sut COli erver le visage plein de froideur qu'il
avait adopté après de mulLlples essais devant 6a
glace.
- Mon sieur, dit Mme de Beauval en entrant, je
m'étonne de votre in sistance ... Je royais que vous
aviez compris .
- Madame, j'ai lrl.s bien compris cc que vous
vouliez que je comprenne. Mais je vous ai !parlé de
révélations il vous faire, ct c'esL pour "OtiS faire dei
révé lations que je sui s ici ...
En cc cas, parle?, je vou écoute ...
Et Mille de Beauvul 8'ls~iL,
n désignant d'un
gesle scc 1111 fauleuil ft so n interloctlleltl',
- Madame, je ne 3ni'! si VOUII VOIlS ~O\lvcn(;z
qllc
je suis venu il Bcauval le lend mnill JI1~lC
du jour
011 VOllS m'aviez si l'lldcmClll signifié flue jc n'avais
plus ricJl Ù y fuire ...
- ./e IIIC "OUV iOIlS, monsieur. El cc manque de
tacL m'n surpri s ...
- Eh bicn, InCldame, c'esL pClIL-êlrc ùc emanqlle dc tncl donl vous me rernerc .Îercz toul à 1'Illlure.
Lorsqllc j e s \li ~ nr/'iv(-, j'ni élé ll lll·ïll' j ij dc voir ici
1111 ('cl'l(lin PicrJ'e Lanliac, UII de mcs oneiens coTlll1rnù(', cl' I yr'é(~.
Comme j'lI1ai
~ Illi rnpprlcl' q1le
nOl~
nOIl~
rtion~
ConlillA jadi s, jc fl ~ surpri s dc
l'cntelldrc 11l l! gliqser li J'ol"ille : « c diM riCIl , • • Jc
l'cxpliqueroi plus lord ... )1 J'élais moi-mOrne pr60c-
�L'AIIIOU B
JOUE
LA
aOMBom
123
cupé à ce momen l, et j e ne rénéchi s pas à ce que
celle condui te avait d'étran ge. Plus tard, cela m'est
reve.nu, m'a frappé. Je me suis demanJ é quel intérêt louche avait ce garçon à. ne pas se faire reconnaît re ...
- N'oul.JJiez pas, dit sèchem enl 1rne de Beauval,
que « ce gurçon » est mon hôle ...
Peul-êl re plus pour très !ongtem ps, madam e.
C'est fJue je connais auss i sa famille.
Je vous signale qu'elle est alliée à la nôtre ...
Cela me surpren drait. SOli Ipère est un charcutier ellrichi pendan t la guerre et qui a épousé Sil
cais ière, une dernoi
~e l e
Laco mbe.
- C'e t une ca lomnie alroce, monsie ur...
nns
doute voulez-vous vous venger . Mais vous choisis sez une Hrme absurde.
- VOilIez-vous me laisse r termine r, rnad!lme il
Jc ne ,oulus pa il, d'nbord , trahir mon anden camarude. pcn
~ lnt
qu'il rougi ssait seulem ent de ses orip'incs. ~lai
s lOf que le bruit se répandi t dllns le pays
de ln pré ~e nce
d'un 11 rvo de Chavig ny, atturhé
d' tunhnRqn ùe, fJue tanLÏac fui sa it IPllsser pour son
cous in, j'ai loul de suite cu l'imprr . ~ ion
ùe fJuelque dloRe de plu /! que Jou che ....Ie me slli s mi~
en
qlll\lo. ErOll1 'z-moi hi('Il, mudam e : il n'existe allcun
lI erv6 tic Chu vigny, Il tlor:hé d'ambn ssode. El co lu i
que VOli S J'ecevez chez vous s' npp 'lIe de son vrai
nom, If rvé floche, cl c l cm play : n uno compag nie
d'O HS UrnI1Ce •
Mme de Brauva) ne songea it plus il illirrro mpre
MarC' Llll1roll 88C . La gravlLp des chosl'~
fJll'if lui di·
sui l, Je Lon plcin cl 'assura nre avec lequcl il leq lui
di ~ nil,
C'omrncJlçnicnl il la trouhle r. li lui 1:\1' J1blflÎl
flll'un Ilh1mc s'ouvra it devonl clic.
•
- r; ,o nl là des accusai ion hien graves, dil-
�124
L'AlIlOUn
JOUE
LA
COMÉDIE
elle, et desquelles vous devri ez pouvoir me donner
des preuves .. .
- Des ,pre1lves ? Ces deux personnages vous les
donneront eux-m êmes. Je r épètcrai mes arcusations
devant eux. MDis j'ai encore un mot 11 vous dire,
madame. Vous m 'avez tout à l ' heure accusé de vou·
loir me venger: ch bien! c 'est exact, et c'es t main ·
tenant que je tien s ma vengeance. Depui s cc mntin,
Mme Larchant fail le Lour du pays pour anfloncer
les Gançaillcs de Den ise ct d 'Hc"vé ùe ChavilIny ...
Moi, ce t après- midi, j e rer'ni le tour du pays pour
raconter comment vou s avez é té tro mp ée par deux
('~rocs.
1\'1 me de nenuval avn it bl(\m i.
- 'J'a i ('7.-VOUS, rnoJl siclIL', dit·clle. 1 cc qu e VOliS
me ré" Il z est vrni t j 'a i peine 11 le ('J'oire - je
sa urai reronna11re le service que VOIJ~
m 'avl'z l'en·
du, je ...
- Oh 1 j e ne prélenn s plus :1 la main de Deni se,
madam e, elle m'a trop vile ouh li é... Et ri en TI'
pourr'n ln 'empêcher de dire qllelle coupahle créùu_
lil é Il été la vôtre . ..
IPour loute l'( ' p()n
~e,
Mme de Beauval tira vio.
lemment le rordon tl 'une sonnette qui sc trouvait fi
proximité de sa main.
no ~c
parut avec une promptitude qui montrait
qu'elle n'ttnit g llrre éloignre (le la l'orle.
- Rose, dit Mine de Beauvnl d'une voi'( erllr('.
ct II .\1 . rlr Cha.
cou pre, nIIez ùire li 1. J nl1ia(~.
vilIny . .. qur je les attends i('i ... loili de suitc.
Pcntlnnt le [t'mrs flui ~'é(,o
la
enlre le J épnrl dl'
lIo
~c
('t l'nrriv(oe des cfc,,:< jelll1c3 gr ns, Illlrlme pn ·
rolr IH! !l'ée hflll grn entre ~fnr('
et Jlme (J(' IIC·fllIVlIl.
Bi plllÔt ln porte s'o uvrit, cl PiN!'c I1pparul, ~O l
,.iOlll, sllivi ùe so n (( rOIl,in 1).
�L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
125
Vous nous avez appelés, madame P demanda
Pierre.
Marc s'étaiL levé :
- Bonjour, Lantiac, dil-il.
~ - Tien s 1 C'est Marc Lal)['ou sc. , . Je ne L'avais
pas reconnu l'auLre jour ...
- Ne ru se Iplu s, dit Marc d'une voix lonnanle.
Toul est découverl ... Ton « cousin » ne s 'appelle
pa s Chav igny , mais Roche, el vous êtes deux escrocs, préparnnt ici je ne sais quelle horrible enlrepri e ...
Pierre fil UTI gesle drnmnlique :
- Mi sé rable 1 Tu nou s n~
Irahi '" Je sa urai me
vellger ... Vien s, ]]erv[. , fuyon s 1. ..
Sans que Marc ail pli faire un gesLe pOUf les relenir, les deux complices avaient Ipri& III ruile, par
la porte vitrée qui étail resl(oe entr'ollverlr. Mme de
Beallval élail lombée sans connaissance su r un canapé.
Marc se précipita vers la porle (lerrirre Inquelle
Ro e, bouleversée par cc qu'Ile cnlrndail, élait de·
melr~
aux aguets: il ln bOll scula violrmment.
- Vile, dit-il, nIIez chereher mon sieur .Jean ... ct
mndcmoi selle Dell isc... COllrC7 ...
Il revinl vers MnlC de nrallvnl qui, sorlic de l'é1 où l 'avai l jetée rcs év~nem
t ~ aussi
tourd i s~e men
rapides que Irngiq lICS, gém i s~n it fnihlemen L.
- nrshonorée 1.., .Je sui s dé~honre
1. ,.
larr, malgré la pilié qll'il CI)!, d'clic , nc la ra ~ u
l'a pn ~ lout de sllile.
~e,
pén('lri'n'nl dam le
Lorsqllc Jean, pui s Deli
petil RUlon, il ~ curent d 'a hord conscicncc d, ln
<'l'lIalllé du jeu ql'i~
avaicnt jOllr .
- MCR rnfnnlq 1 dil MIIIl' de I1rnllval. C'esl rpollvantahle ... Mnre ... npliqllcz-Iem, je ne peux rn~.
En qlC~
mol
~,
~Iarc
mit H'S amis ou ('oll('(1nl
�126
L' AMO UR
JOUE
LA
COMÉDIE
dé ce qui venait de se produir e, et qu 'il s connais\
saien t parfaile men t.
- Voilà ... C'es t horribl e 1. .•
ÎIlm e de Beauva l ,parut se rar:im er
J ea n, cL vo us, Mar c, voul ez-vo us me lai sser
se ul e un m o ment avec Denise ... Ne partez pas , Marc,
j e vous r n pri e ... Att end ez qu e j e vo us rapp elle .. .
Marc s'ill cl ina, e L sortit avec Jea n.
- .\I a pauvre enfa nt, diL alor s !\Tme de n ea uval
il Deni sr, j'IIi é Lé bi en co upa bl e, Li ell imprud ente . ..
Je trou va is ce la to ut n a turel.., Mais 6co ule, cs t-ee
que Lu aimai s vraim enl cc misé ra bl e Il er vé ?
- No n, m a man, dit Dcni se. J e VO li S o b é i !;sa i ~ ...
- Er'o u le- moi... l\ la re La bro usse es t le seul à savoir c.c l affreux sec re l .. . Il veut se ve nge r de mo n
refu s .. , répa ndre ce Ue hi ~ t (J ir e dans Lo ul 'r payR .. .
Je ne po nnais pas s llppo rter rela .. . Je vois ù 'ici les
de Mm e Larcha nt. ..
es
~o l['ir
IIfanl , si Lu aim ois 'lare, tu n e
« Deni se, mo n
pell 'C l' avoir o uhli é n ~ i peu de lemps .. . .le ro n se n ~ à 10 111, à lo ut 1 Mais qu e ce tte offreuse hi sloire
!>oi l r Il Rcvcl ie ...
de von L
(J n rn o n1(' n l 11 p ri'!'. , AT arc cl J)en iRe, deho ut
l'œ il
ns
w
s
main
rs
leu
iclIl
ssn
uni
,
uvnl
erl
fl
fm e de
all cnuri de la m're ro ml esse.
de , a ir s' ac hev (' enfin ln co m rdi e
Sil IIl r re
la pre·
lui,
(lu e lorr ct Denise ai ll r nl posse r, nvrr
.
olrs
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g
Bn
il
cs
ill
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afl
rni i' re so irée de 1(' 111'5 fl
En sor le qI/l', le soir lIl i' OI e d e rc j Ollr , Pi errc
Lnnli nr , Hf'l' v(' Baril(', ~li r l( \ l e cl \l are I.nhro ll'lse,
1 (' ni e cl J eu n de lIen ll vu l, sc t/'oll va ipnl n1llni s pOlir
<11 11('1' nul our fi 'U IJ(! labl e du c!l<l in o de n ag n o J r~ .
por l'I'" llI' il in v'n éc
La (, Ul'i f~ I ~(' av enlure ~O l'v
Pierr e r luil aC hf)vtle , cl cl'llli -c i rcç ul , avee
lir
J an, lI elll'
lI X
qui lui a\(lil Lonl co nté de jo ur l' , ohlinl de
ue
�L'AMOUR
JOUE
LA
COMÉDIE
127
une apparente modestie, les remerciements de Marc
et de Denise .
Mai s Hervé et Mich èle fai saient sombre Ilgure.
Il y a va iL eu entre eux, dan s le courant de l'aprèsmidi, une explication aux Lermes de laqu elle il ré~ul
tait que Michèle ne serail pas fûchée le moins du
monde d'êlre demandée en mariage par IIerv6. Lors·
qu'ils annoncèrenl la nouveJJe, Jean s'écria:
- Eh bien, mais c'est parfait. .. Deux mariages,
rela fail un très joli dénouement de comédie ..
- Vou s en Iparlez à voLre aise, diL Hervé. ~ l l e voilà considéré par votre mère comme le dernier des
esc rocs... Croyez-vous que, dans ces condiLiofl3, il
me so i t facile de devenir le beau -frère de son gen
dre P
- El tout cela à cau se de vous , monsieur de
Lantine, dit Michèle avec amcrtume.
Voilà hien l'ingratitude des femmes 1 dit
Pierre. Et n'cs l-<:e pa s à cau~e
de moi également,
que VOIlS ct I1 erv6 vou s êtes co nnu s P
aurions lr:\s bien pn nous connaître
NOLIS
quand même .. .
Pas 1l1Oyen d'avoir le demier JOol avee ulle
jeune fille, <.liL Pierre découra gé .. .
- Tu as lant d'imagination, dit Hervé. T ,khe
donc cl 'i rnagin er CI uelq Ile asluce pour roif!' lrouver
ela normal pa r mndllm\! de Beauval. . .
ù jouer,
A la [lel'sl"('live d'une nouvello corn~die
la figure dc Pierre s 'illunJino.
Eh hien, dit-il, c'est e nl endu .. . FiCZ-VOli s Ù
moi ... D('8 ùellluin j'aurui mi s quelquc chose sur
pied .. .
six nfui s levrrcll i lcurs vcrrcs en l'honncur
El le~
dC5 m ;triages prochrs 'lue Irll promctlcuscs pOiOles
de Picrrc leur perlllclIuicnt d'enll"cyoir.
FIN
�Peur pmilre Jtudl prochain ms t. 011 641 de la Collection" fam3"
LES DEUX VISAGES
Par PIERRE :\IARIEL
1
CHAPITRE PREMIER
Dc la for~t
montait une sa ine odeur de champignons el de résine. Par endroits, dans l'arm ée immoLilc el fréJJli ssu nte des bu pin s, un rai s dc IUlTlirre
parvenai t il tra verscr J'enchevêtrement des bl'allches,
cl traçait dall s la forêt ulle (ICI cre pleine de my ~
t ~· l'e.
A mesul'e qu'il s s'éJoi gnnient de la l'oute, les
tloncs pa-;saient de l'ocre 1111 mauve. Sur le sil ence
pc.:sa n t, fouruielll le l'on rOrlllClnCIl t ùo l 'a u lomobi le
ot )0 cris 'OnlCllt des aiguilles éc ra s1es par les p"CUS.
Après unc m Ollléc, so udain, Marthe Il cudebourg
operçut l 'oréc du boi s. D' in stinct, clIc appuya sur
l 'nccé lénltellt· pOUl' arJ'ivcl' plu s vi le aux dernii'f' s
rangées d'arbres. La plaillc 1 La ploine plus va ~ Le
cncore de n 'ê tre recouvertc, en eeLLc automne, quc
de chaulllcs 1
Sur tout le corps, cornnle IIIIC cnvcloppanle Cllre'sc, ~ Inrlh
e 'II l e~'IL
la clwlcuf' cl la IUlllihe. L'indrflni ssil hle llIalai se cal J ~é (lur la pénombre de lu fo·
rêl, ni plu l'e [1 une allt"gresse de toul 80n êlre. Corn·
I11t' ('Ile sc rt'jouil d'nvoil' ll'oll'(. un pré rexlc pour
uhondonller les l1utres, pOlir rouler se ule, biell se ul(',
sur la roule dt'se rl' 1 1.11 so lilllde, e'é lail ~o n ,c ul
refugc, SOli se ul biclI.
( 1 suiv/'e.)
Imp . J. Téqul, 3 bll , rue tic lu
SnhlJ~rt',
pnrls (Frlmec). -
254-7-3! .
t
�~"'1I
=
CO LL EC TIO N
FA MA
•
Derni ers volum es parus :
633 . Tout le bonhe ur du monde , pa r M. Nourl.v .
G::J4 . La double m éprise , par SA I T-ÂNCE .
635. L e secre t d e l'exilé e, pa r Ânoi e c LP. Il OT.
63G. L e cœur d e Cendri llon, p r II . L A GLADE.
637. Mon v oisin le vieux gar çon, par' du l\f 0 LI s .
(m .
L a ch a n son du r egr e t, pa r Ph ili ppo ]Anoys .
G39. Une r oine e t son cœur , pa r R. J E
lJ o LAN.
640. L'a mour joue la com édie , pa d. 1 IHN- Annus.
Proch ain
volum cs ù paraît rc
th1. L os d e ux visage s, pnl' Pi ['['0 1AIl IEL.
()1.2 .
L'allié d es m a uva is j urs , pa r J an
r É!1v .
•
En vente parto ut
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2 francs
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SONT LES MEILU.P~
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Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Morin-Sarrus , Jacques
Title
A name given to the resource
L'amour joue la comédie : roman
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L'amour joue la comédie : roman
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
impr. 1939
Description
An account of the resource
Collection Fama ; 640
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
Language
A language of the resource
fre
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BUCA_Bastaire_Fama_640_90910
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