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PARIS I XIV Ç).
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1:
.~ LA COLLECTION" FAMA ,--;
BIBLIOTHÈQUE RtvÉE DE LA FEMME ET DE LA
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�LE SPHINX
AUX CHEVEUX D'OR
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YVES MAISONNEUVE
LE SPHINX
AUX CHEVEUX D'OR
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ROMAN
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SOCI~n
D'l::D1TIONS.
PUBLICATIONS ET INDUSTRIES ANNEXES
ANCt LA MODE NATIONALt
94. Rue d' Aléai a. 94. -
PARIS (X 1ve)
�LE SPHINX
AUX CHEVEUX D'OR
CHAPITRE PREMIER
UNE pnOMENADE EN LOWE.
La matinéo étaiL douce ct fraiche. Une brise délicate
entrainait dans le ciel d'azur tendre quelques nuages
menus, semblables à des 0000ns de noige.
Entre ses berges touITues, où les saules emmêlaient
leurs branches vertes, la Vienne coulait, allègre, et
ses eaux brunes s'en allaient se perdre, à trois cents
mètres à peine, dans les eaux brunes comme elles
de sa grande sœur ia Loiro.
Hapide et glissante, une jolie barque à coque jauno
d'Ol' descendait le courant, traçant derrière elle un
mince sillage argenté. Les rames battaient les .flots en
cadence, avec des clapotis joyeux, et les voix dos
passagel's, claires et bien timbrées, jotaient dans l'air
des exclamations mêlées d'éclats do rire: ils étaient
six dans la frôle embarcation, quatre jeunes gens ct
deux jeunes filles, tous vêtus de blanc, bras nus ou
manches ret.roussées, laissant flottor au gré du vent
lems chevelures blondes ou brunes ...
Do lem ps à autl'e, un petit cri d'elTroi s'échapi~
�6
LE SPHINX AUX CHEVEUX
n'on
d'une poitrine féminine, vite couvert par dlls railleries
bruyantes. Le bateau, théoriquement, ne devait contenir que quatre personnes; il Y avait donc surcharge,
et, malgré leur crânerie, les jeunes filles n'étaient pas
aussi rassurées qu'elles auraient voulu le parattre ...
D'autant plus que Bertrand Jardy, grand garçon au
visage sarcastique qui tenait le gouvernail, lançait
périodiquement des remarques peu faites pour leur
rendre courage:
- Attention ... La barque prend l'eau ..... Ici, il Y
a six mètres de fond .... Voilà ce que c'est que de
désobéir à ses parents.
Pourtant, on atteignit sans encombre le confiuent.
A vrai diro, tous ces corps jeunes n''étaient pas d'un
poids bien considérable, ot le danger était minime,
pour ne pas diro inexistant ... D'ailleurs, on savait que
Bertrand était un pince-sans-rire ... Et puis, Marthe
eL Yvonne, les deux passagères du bateau, ne détesLaient pas le petit frisson que donne le sontiment
d'un péril savamment dos6 eL que l'on sait, au fond,
à peu près imaginaire.
Du reste, réelles ou simuléea, les craintes s'effaçaient maintenant devant le spectacle qui s'offrait
aux regards des promeneurs.
Large et majestQeuse, la Loire étalait autour d'eux
sa nappe miroitante où ameuraient çà et là les taches
blondes des bancs de sablo. Plus lento que ln Vienne
mais ne succombant pas encore au péché de paresse'
elle marquait pourtant, par la plus grande nocha~
lance de son cours, la transition de la Touraine et de
les cor:fins de ces deux provinces,
l'Anjou. En ~fTct,
au ~harme
SI noblo et SI prenant, apparaissaient,
dessmés par le grand pont de Montsoreau, dont les
croisillons do fer étincolants sous le soleil matinal
Lraçaient une barro rigide sur les eaux mouvantes.
�LE SPHINX AUX CHEVEUX D'on
7
Yvonne désigna, sur la rive gauche, un groupe de
maisons blanches coiITées d'ardoisel3 brillantes etserréos
autour d'un clocher aux formes élancées , pointé vers
le ciel comme une aiguille.
- Voici Candes, fit-elle. C'est là que mourut saint
Martin ...
- .Et c'est là, cornplétaBertrand, que naquit Jacques
Renaud, chevalier servant et soupirant patenté do
Mlle Yvonne Surgère, ici présente.
La jeune fille rougit et se tournant vers lui:
Veux-tu te tairel imbécile, cria-t-olle avec
irritation. Tu manques complètement de tact.
Bertrand éclata de rire.
- Merci, charmante petite cousine, répondit-il
sans se fâcher. Tu es vraiment un ange de douceur
et de patience ... C'est d'ailleurs tout à fait l'avis de
Jacques.
Les jeunes gens et Marthe ne purent réprimer un
léger sourire. Ils connaissaient Jacques Renaud,
qui n'p.tait pas encore en vacances, et ils étaient nu
courant des sentiments qui l'unissaient à Yvonne
et aussi des sautes d'humeur fréquentes de la jeune
fille, charmante à coup sûr, mais douée d'un caractère
bouillant et emporté qui oITrait un contraste assez
amusant avec le calme de Marthe Belmont, son amie
intime.
Comme la cousine de Bertrand Jardy allait se
mettre tout à fait en colùro, Martho l'embrassa gaiement.
- Voyons, ma chérie, ne te lâche pas, murmurat-elle avec alTection. Dis-moi plutôt où se trouve la
propriété de Mmo Renaud. N'est-ce pas cette jolie
maison dont la terrasse vient jusqu'à la Loire? Il me
semble la reconnaître d'après tes deacriptions.
- Oui, répondit Yvonne qui avait ostensiblement
�~
LE SPHINX AUX CHEVEUX n'OR
tourné le dos ù Bertrand pour couper court ù' la
discussion . .. C'est là que nous avons passé tant de
bonnes journées avant mon départ pour l'Angleterre . . . Dès que Jacques sera là, nous serons invitées,
et tu verras comme le jardin est agréable.
- C'est jeudi qu'il doit venir, n'est-ce pas?
- Oui, jeudi, fit la jeune fille, avec une expression
de rêve dans ses beaux yeux bleus.
Elles demeurèrent un moment silencieuses, tendremdnt enlacées et sans doute absorbées dans la même
songerie.
Cependant, les rameurs avaient ralenti leur rythme
et bavardaient gaiement. A l'avant de la barque sc
tenait Roger Belmont, frère de Marthe, beau gar"on
brun, d'allure franche et sympathique. La banquetLe
du milieu était occupée par Henri Davaine et Gérard
Bruyère, amis communs de Bertrand et de Roger. Plus
âgés que ceux-ci, ils étaient aussi plus forts et plu;)
musclés: Henri était sous-lieutenant d'aviation et
Gérard était avocat. Parisiens l'un et l'autre, ils
passaient, ceLLe année leur congé en Touraine, dans
des propriétés voisines, sises dans les enviroDfl de
Chinon.
C'est il Gérard qu'apparLenaitla barque jaune d'or,
{lont les flancs bien renflés parlaient en lettres bl~u
paon le joli nom de Princesse-des-eaux choisi pUI·
son propriétaire malgré les conseils pressants de
BerLrand Jardy, qui auraiL voulu qu'on l'appelât
Joséphine-Baker. Le cousin d'Yvonno pro/'essaiL
ert effet pour la célèbre danseuse noire une admiration
qui faisait le désespoir de sa mère, sainte et digne
IfJmme veuve depuis deux ans et dont la seule raison
do vjvre étaiL maintunanL dans l'affection qu'elle
p01'laiL il cc grand diable de flls, ù la tête légêre mais
au CL\!UI· excellent, eL Ù sa ui8co Yvonue. qu'ello
�LE SPHINX AUX CHEVEUX n'OR
9
revoyait après une séparation de quatre ann ées, et
aupres de laquelle elle devait désormais jouer le rôle
de maman.
Il y avait, en effet, dans la vie de Mlle ,Surgère un
drame navrant dont les réper cussions longues et
dou loureuses avaient assombri la période d'adolescence de cette jeune fille au caractère complexe, qui
comptaiL aujourd'hui vingt et un printemps.
Yvonne étant appelée à jouer un rôle prépond érant
dans le r écit qui va suivre; nous nous excusons auprès
d e 110S lecteurs d'ouvrir une parenthèse nécessaire
pour leur faire co nnaître un p eu mieux celle qui doit
C· tre, ave c Marthe Belm on t, l'héroïne de ce roman. En
Jeur parlant de son origine et de son passé, nou s
espérons ainsi éclairer le développement que l'on
abordera aussitôt après ce rapide préambule etquiatti l'eru sur elle, selon les tempéram ents, la haine ou la
tlympathie , les deux peut- être, jusqu'au dénouement
qui fixera définitivem ent les opinions et qui, sans
doute , surprend ra plus d' une personne.
>!<
**
Yvonne Surg&re é~ ait
la fille d'un officier dG caval erie ct de Mlle de Cravant, sœur aînée de Mme Jardy .
La loi des contrastes avait voulu que les deux sœurs,
qui étai ent l'une ot l'autl'c calmes et de goûts tranquine s, s'éprissent des deux bouillants lieutenants du
cadre noir de Saumur, aussi monùain s qu'elles étaient
l'enfermées , aussi impétu eux qu'ellcs étaient réfléchies
cL patientes .
Édouard Jardy, en dépit de so n caracLère emporLé
avait rendu sa femme parfnitcmeut. h eureuse . El~
l'avait am i\ rem en t pl e uré lorsqu'il avait trouv é 10
mort, à quarante-deux aIlS, dano un accident de cheval,
�10
LE SPHINX AUX CHEVEUX D~OR
laissant pour seul h6l'itier le turbulent BerLrand, dont
nous avons tout à l'heure fait la connaissance.
Georges Surgôre, doua comme son ami des plus
belles qualités d'esprit et de cœur, aurait sans doute
lui aussi fait le bonheur de son épouse, s'il n'avait
été affligé d'une passion terriblement dangereuse
contre laquelle sa volrmté trop faible était impuissante
à le protpger: crtte passion était celle du jeu.
Dès son adolescence, il avait seuti en lui cet attrait
irrésistible du tapis vert, où l'on vient jeter aux
mains de la Chance l'avenir d'une vie entière ... Il
risquait les sommes les plus folles, dilapidant en une
nuit de vertige le quart d'un patrimoine amassé par
deux générations d'épargne ... ivre de joie lorsqu'il
gagnait ... toujours confiant dans le retour de la chance
l or:;qu'illui arrivaitd'engloutir dans le néant les liasses
de billets qu'il avait apportées à la table de jeu ...
R.ien ne pouvait l'éloigner du gouf:re ... Les supplications de sa femme le trouvaient insensible... Il
n'y voyai t qn'uno crainte injustifiée de petite tille
t,imorée ... Et il promettait avec un hon souriro inùulgent, comme on cède pour un soir ù un capri co
d'enfant ... retournant le londemain Il sa pasRion .. .
E.t la catastrophe arriva .. . Un jour, il perdit ... et
il ne put payer ...
Les créanciers étaient humains. Ils lui évitèrent
le ~cnd!o
et lui accordèrent les délais qu'il voulut ...
Mais la dette s'élevait à la somme de cent mille
francs. La fortune de Georges Surgère avait été
rong(
~ e par des perles précédentes; celle do sa femmo,
lr.ls entamée clIo aussi, ne pouvait combler le déficit,
et ce n'est pas avec sa solde de capitaine que 10
mal heuroux pou vaiLf,lspérer oclibércr du son obligaLion.
Une seule solution était possibln: l'abllndon de sa carriure. La mort dans l'âme, il donna sa démission et
�LE SPnINX AUX CHEVEUX
n'on
11
se résigna à accepter l'offre d'un bean-frère qui lui
proposait la représentation d'une très importante
industrie à l'étranger. Il partit pour l'Angleterre avec
sa femme et Yvonne, sa fille unique, alors âgée de
quatorze ans ...
Pour sauver son honneur, Surgère lutta de toutes
ses forces. Avec une énergie admirable, il s'appliqua
sans relâche, pendant de longs mois, à une besogne
pour laquelle il n'éprouvait que de la répugnance. Il
connut la faim, la fatigue, il se priva de tout, mais il
triompha: quatre ans après son exil, il ne devait plus
Ull centime à personne ... Mais la honte et l'effort
l'avaient tué... Six mois plus tard, une maladie
insignifiante le terrassait, et il rendait l'âme, ayant à
peine franchi le but, comme le soldat qui meurt
après avoir rempli sa mission. 11 avait à peine quarante-trois ans ...
Pendant quelque temps, Mme Surgère demeura nn
Angleterre. Elle avait su, avec un zèle inépuisable,
aider son mari dans sa lourde tâche ... Elle continua
son œuvre pour assurer l'avenir d'Yvonne. L'industrie
devenait si florissante, en cette période de consommation intense qui précédn. la terrible crise d'aujourd'hui, que la veuve , de Georges put rapidement
réaliser une petiLe fortune. Deux ans plus tarn, ello
rentra en France, ll'ès déprimée elle aussi par le
travail et les soucis. Sa sœur, qui venaiL de perdre
tragiquement son mari, l'accuoillit avoc 10 bonheur
que l'on devine .. , Hélas! Le tempR de:;; éprouveR
n'était pas encore termin6 pour la pauvro Yvonne.
La mort lui ravissait presque aussitôt sa mère, ct
elle dememait orpheline, trouvant du moins dans la
personne de sa tante la plus tendre ct lu plus indulgente des protectrices ...
�12
L E SP HINX AUX CHEVEUX
n 'on
Yvonne Surgére étll.it, nous l'avolls di~,
une âme
cpmplexe .. . Trés jolie et dou ée d'une intelligence
brillante, elle avait également de grandes qualités de
cœur, mais un grave défaut les dissimulaient parfois :
Yvonne était coquette ... d'une coquetterie invincible,
aussi forte que la passion du jeu était forte chez son
père .. . Mais nul n'aurait pu dire si cotte coquetterie
était volontaire ou inconsciente. Elle en était atteinte
dès son plus jeune âge et s'y adonnait comme àlachose
la plus naturelle du monde ... Était-ce seulement le
désir de plaire, ou bien la joie do faire soufTrir ? .. Il Y
fallait voir, peut-être tout autre chose: le besoin de
r etenir l'affection et l'intérêt en semblant tout à coup
s'éloigner do ceux qu'elle aimait. .. Car elle était
tendre ct sensiblo .. . Et les froideurs qu'elle témoignait par accès ù sa more, à son p ère, ou à Nanon sa
vieille bonno qui l'adorait, elle le ~ fai sait suivre
ensuite de repentirs émouvants ct d'effusions désordonnées ... qui laissaient chacun stupMait.
Parmi ceux à qui, toute petite, elle accordait 8es
faveurs les plus délicates, coupées de disgrâces mulliples où le protégé devenait le souITre-douleUl', il
nous faut citer UIl personnage qui jouera dans le13
pages qui vont suivre un rôle do premier plan ot dont
10 nom a déjà été prononcé au début de co chapitre:
nous voulons parler de Jacques Renaud, quo Bertrand
Jardy nous présentait comme le chevalier servant et
le soupirant aLtiLré da su cousine Yvonne.
Beaux ti~res,
carLos, ot qu'il revendiquait depuis
plus de dix ans, puisqll'il avait été, pendant so n
enfa nce rôve use et romanesque, le fervent .ldOrateUl'
de la petito C0'luotte et qu'il sc retrouvait, il vingt-troi5
an!i, amoureux Jo la ravi ssante jeune tille f{ u'elle était
de)\'enue.
�LE SPHINX AUX CHEVEUX D'OR
13
Orphelin de très bonne heure, Jacques avait été
élevé par une grand'mère excellente qui habitait
Candes, joli village du bord de la Loire, situé à michemin de Saumur et de Chinon, dans le délicieux
pays de Touraine où se déroule l'action tie notl't!
l'oman. La vieille Mme de Clail'ville Gtait une amie
int.ime de Mme de Cravant, grand'mère d'Yvonne;
qui vivait à la campagne, ù trois lieues de chez elle ...
)] était naturel qu'à la mort de celle-ci la grand'mère
do Jacques reportât son affection sur ses deux fille s,
Mme Jardy et Mme SUI·gère. Toutes deux, en cITet,
vonaient passer leurs vacances avec leurs maris et
leurs enfant.s dans le vieux domaine familial où leur,:;
parent.s avaient. vécu ... Chaque année donc il y avait
de fréquentes réunions entre les trois enfants. BeJ'll'and, .Jacques et Yvonne étaient unis comme frère;!
eL sœUl'd. Seulement, comme les frères et les sœurs
n'ont pas toujours les mêmes goûts, il arrivait que
Jacques et Be:trand ne s'entendaient. pas toujOUl'il
tl'JS bien. Lo premier était un grand garçon doux et
l'êvour, 10 second un jeune poulain terriblement
ù6cllainé; il leur a l'ri vait de se batt.re assez âpremont;
mais, le plus souvent , ils s'amusaient chacun de leur
eôLé, suivant lours gouts et leurs tempéraments, c'estù-dire que Bertrand jouait au bandit et mettait la
maison à feu et ù sang, tandis que Jacques s'ingéniait.
il distraire la petito Yvonne, mignonne poupée aux
houcles d'or ct aux grands youx de myosotis, on qui
il voyai t. l'incarnation des ht)l'oInes de tous les contes
de fée et de tous les l'ornans de chovalerie dont il
fuÏfluit ses délices ... Alors, il organisait avoc elle des
charades et des tableaux vivants, où il jouait le rôle
de prince chal'mant. eL Yvonne le rôle ùe fiancée ...
Parrois, Bertranù, pOUl' un sucre d'orge on une dou'IuinQ de billos. conliuLa~
à IlSSUmOl' letJ foncLions de
�u; SpmNX AUX CUEVEU X D'OR
14
traître eL d'oppre sseur; et Jacque s éprouv ait alors
une joie indicib le à le poigna rdel' pour délivre r
Yvonn e,
qu'Yvo nno se refusât
Seulem ent, il arrivai t aus~i
ami. .. Elle donnai t
son
avec
jouer
à
brusqu ement
alors libre cours à ses caprice s et à sa coquet terie, ct
Je pauvre Jacque s entend ait de dures paroles ... En
grandis sant, le caractè re de la petite fille devona it de
plus en plus difficile, mais Jaoque s devena it de plus
cn plus amoure ux ... Ello avait treize ans et lui quinze
lorsque , pour la premiè re fois, il soulTrit comme un
homme . Sos goûts étaient devenu s ceux d'un adolescent, et il va sans diro que le temps des charad es était
bien révolu ... Mais son seul plaisir était encore de
tenir compag nie à Yvonn e. Quand elle venait à
Candos , chez sa grand'm ére, il la recevai t avec WlC
ferveur touoha nte, la combla nt <.le cadeau x, oueilla nt
hompOUl' elle les plus jolies fleurs du jardin ... Ces
une
comme
it
receva
les
elle
ent,
plaisai
mages lui
roine, avoc douceul' et reconn aissanc e, mais sans émoLion apparenLo ... Et puis, tout ù coup, 0110 a'aitundrissai t et, il son loul', elle upport aitàJac quesun bouquet pour sa chamb re ou un li vre qu'lI désirai t posséder.
Elle l'aimai t bien alors c~, uvec fougue, elle embra~
do CJail'ville en lui disant: (( Biontô t, vous
sait ~lmo
serez mu grand'm ore t\ moi aussi, car je serai fiancée
n
avec Jaoquc~.
le jour suivan t, elle r uLl'uctaiL Hes
Seulorn~,
paroles et Ile cessait, de railler son ami.
Elle lui reproch ait d'être mou, craintif oL J'avoir
des goûts de fille ... Elle l'acous ait de n'avoir aucune
disposi tion pour les sports, de manqu er complè tement
de sens pratiqu e, en un mot d'être un pêcheu r de
IUlle.
Tout cela faisait mal à Jaoque s, ello le voyait ct
�LE SPlIINX AUX CHEVEUX D'OR
15
semblait s'en réjouir. Alors, de plus belle, elle rép était:
- Oui, un pêoheur de lune, voilà ce que vous êtes.
Elle attribuait à cette expression que des grandes
personnes avaient employée devant elle un sens péjoratif qu'elle appuyait avec une moue de dédain qui
gonnait d'amertune le cœur du pauvre garçon.
Pêcheur de luue, coureur de chimères, oui, sans
doute, c'est bien ce qu'il était, ce qu'il serait toujours,
mais était-ce donc blâmable? .. La poésie, le rêve
sont-ils donc une inIériorité? ... Comment Yvonne
pouvait-elle y être insensible, elle qui ressemblait
tant à une princesse de légr-nde ?... Il ne comprenaiL
pas et souffrait en silence.
Et il se prenait à penser ~ « EUe m'aime Lien, mais
elle voudrait que je sois dill'éront. Eh bien 1 Je "ai!>
e ,sayer de changer ... Oui, c'esL cela, pOUl' lui fairc
plaÎFlir, je vais devenir comme BerLI·snd ....le m'îlltéres!lerai aux moteurs d'auto, j'apprendl'lli le canotage,
je jouerai au tennis ... Ellc a raison, après tout, je HO
suis qu'une poule mouillée; il faut quo jo devienne
un homme 1 Il
Mais on ne ohange pas aussi aisément la nature que
le Ciel vous a donor\e.
Jaoques était de santé délicate; ses essais sportifs
le rendiD~
malade et il so rendiL vit,o compte qu'il
ne saUl'aH jamais Lirtlr Ù la carabine comme le cousin
d'Yvonne, qui tuait les moineaux au vol, ni riposter
conv()nablemenL aux swings et aux uppel'cllLI> qu'il
lui décochait quand ils s'exerçaient il la boxe... li
n'était pourtant pas gauche, tout au conLraire. A
cette (JlJOquo ùe la vie où 10 corps , on pleine oroissance, devient habituellement disgracieux, où les
membres s'clIongenL, où la voix d e vien~
rauque, il
avait gardé tout son charme ct toute sa distinction ...
�16
LE SPIlI NX AU X CBP';VEUX n'OR
Il savait déjà danser à ravir, il jouait du piano avec
talent et 'expression ... Mais il n'était fait ni pour les
exercices violents ni pour les entreprises qui exigent
une habileté manuelle et des connaissances pratiques ...
Y~;rone
aurait dû se r ésigner à l'aimer tel qu'il était,
sachant bien qu'à tout prendre il avait beaucoup
plus de qualités que Bertrand, qu'elle consid érait
d'ailleurs comme un sot, mais elle prenait au contraire
une joie méchante il lui montrer ses faibl esses et à les
t ourner en ridicule.
Et c'est ainsi qu'un soir elle fut si cruell e pour lui
qu'il pleura.
Ce jour-là , elle fêtait son treizième anniversaire.
Très grande et très avancée pOUl' son âge, elle paraissait au moins deux ans de plus qu'elle n'avait, ot la
précocité de son intelligence en faisait déjà une vraie
jeune fill e.
Quand elle vint avec sa more rendre visite à
Mme de Clairville, elle était si jolie dans sa robe de
mousseline bleu pâle que Jacques, en lui olTrant le
bouquet de roses rouges qu'il avait confectionné pour
elle avec un goût très délicat, s'onhardiL à lui adresser une requête ... Il l'avait prise par la main et avec
elle, suivi de sa grand'm ôre qui marchait aux côtés
de Mme Surgère, il avait fait le tour du petit parc
dont les allées serpentaient depuit! le perron de la
maison jusqu'à la terrasse qui dominait la Loire ...
Ils étaient arrivés vers une jolie t onnellc à la courbe
gracieuse, dont le treillage était entiorom ent garni
de liserons et de clématites ot d'où l'on aporcevait,
entre Jes branches argentées d'un cèdre centenaire,
Jes eaux bleues du fl euve où so reOéLait un doux ciel
d'automne... Dans ce cadre charmant qui, si
f; ouvenL, était 10 eonfid ent de 8es rêveri os , Jacqu es
se sentit t roublé par Jo charme d'Yvonne ... Le visage
�I,E SPHINX AUX CHEVEUX
17
n'olt
d~
la petite fille avAit un tel éclat, une telle douceur,
le soleil jouait avec tant de complaisance dans ses
boucles semblables à de lourdes grappes d'or, qu'il
s'approcha d'elle tout ému:
- Petite Yvonne, murmura-t-il, puisq~
c'est
aujourd'hui votre fête, vous permettrez bien à votre
ami Jacques de vous embrasser.
II savait bien que leurs parents qui les considéraient comme frère et sœur, avant qu'ils ne
devinssent fiancés, ne verraient aucun mal à ce
baiser.
Et Yvonne le savait bien aussi. Pourtant, au lieu
d'accéder à la priÙe de Jacques, epe détourna son
visage d'un geste brusque.
'
- Vous ne voulez pas? interrogea-t-il un peu
triste.
Elle hésita un instant, comme si une lutte se livrait
dans sa petite âme ... Puis, la méchanceté l'emportant,
et l'expression tout à coup changée:
- Non, fit-elle d'une voix sifflante ... Je ne vous
aime pas, je ne veux pas aimer une fille manquée ...
Jacques pâlit ... Il avait reçu comme un coup de
poignard dans le cœur ... Malgré so n jeune âgG, il
venaiL de comprendre, par la faute d'une bambine de
treize ans, ce qu'est un chagrin d'amour.
Yvonne le regardait toujours avec une sorte de joie
mêlée de pitié ... Quels sentiments éprouvaiL-elle à
Cut instant? ... Il ne devai!; le savoir que sep!; ans
plus tard ...
interrompu par
Leur entretien, en efTet, ét~i
l'arrivée de leurs parents ... Et le soir même, une
leLtre de Paris appelait en bâ te Yvonne et sa maman:
M. Surgère venait de contracter au jeu la perte qui
devait lui coûter sa carrière et sa vie ...
Pendant sil: longues années, Jacques Renaud allait
2
�18
LE SPHIl';X AUX CHEVEUX D'OA
être séparé du bourreau à (lhevelure blonde , qu'il ne
Cefjsa pourtant d'adorer dans ses rê\'os ...
CHAPITRE Il
LA BA.RQUE ET LE fiOllS-noRD.
Plu~
nonchalallte, comme si elle s'abandonnait au
oh'3.l'm@ eilencieux du oadre où ellé évoluait, là. Ptincesse-des-eaux poursuivait sa navigation vers l'oueSt ...
n était onze heul.'eg et demie, et le soleil, illMnt;ibla··
:ment, montait -o-ers le zénith ...
- Ma foi! s'écria joyeusement Henri Davaine ,
l'heure du rcpas approche et je cl'ois que noue. :pourrions acooHter ici. .. L'endroit est. j oE et plus loin,
nous risquerions d'être moins bien ... Ou'on tlenSê2:"OUj, nlosdomoisèllê!l?
'~
Adopté! crièrent eneemhle Marthe. et Y,,'onne ...
NOUE; iJ.'av6ns plus qu'à ohoisir noh'e salle à ma.nger.
- t'n voici une magnifique, dit Gérard Bruyô.re
nous aurons un tapis de mousse , et le plafond l ~
Bora pas trop ha.s .. .
_. Et il ne nom t6mbera pns Bur la tôt!), ~om
pléta
F3èrtrand.
de MontsoOn avait, en efl'et, dépaFJ8é le ~hâteau
rNlU, imposante construction blanche élevée sur la
rive gltuche, il la sortie de Candes et à J'~ntréê
du
bt'Jurg dont il porte le nom ... Jetant au pa.ssagô
quelques coups d'u'il .admiratifs S l.~r oe benu monument dont les proportlOnn éno!'mes n'offtaient cependant aucune lourdeur et qui présen tait, a voc fléS pui s~
sants contreforts peroés de poivrièros ot 60S luœrno6
Il J ~ gante
[:!, du style gothiquo 10 plue orné, un curioux
mélango do forco et de séduction, l3ynthù!!e mOme dea
�LE SPI
· m~X
AUX CHEVEUX D'OR
1G
éléments 'q ui constituent le passé de la Touf..une,
théâtre des durs combats du moyen âge et du gra·
cielL,,{ épanouissement arlistique de la Renaissance,
les voyageurs avaient vu défiler, le long du quai, les
petites maisons aux pignons aigus où s'abritait la vie
du village ... Ils vonaient maintenant de f1"8.nchir le
niveau de la place qui marque la fin du pays, et ih
voyaient, SUl' la bel'ge même du fleuve, un joli bois
planté d'arbres épais, dont les trllncs l'ouges ou argontés et les lourds feuillages d'émeraude aemblaient les
inviter à la halt e.
Yvonne battit des maina.
- Bravo, cria-t-elle ... VOUIl avez d 'instinot trouvé
le plus joli sito de ]'endroii...' N'est-ce pas, Bel'tra.nd?
Le jeune homme approuva :
- Oui, c'eat là que nous a VOU 9 si souveut jouer ù
cache-cache nvec Jacque
s ~ quand nous étions go ~ se
, ..
Cela va tt rapp eler des souvenirs attendrissants.
--Ahl je t'enpl'ie, tu ne vas pas recommencer, fit
ln jeune fille, ou bien, à mon tour, je te J'evaudr:ü
cela quand tu seras fiancé 1
Bertrand leva les bras au ciel :
- Dieu mo prés(wve de cette <)a.Ja mitti ! elil··il avec
une intonation comique ... Je pourrais tomber sur un D
femme comme toi!
'- Jamais de la vio 1. .. Ello 110 voudraiL pas de toi.
La discussion aurait sans JouLe pris des propol'Lions
plus grandes si la barque, en accostant bl'usquement,
fl 'y avait mis {ln. Une aecou sse poussa les PQsager~
los uns sur les auLros ct déchaina de longs éclaLs de
rire.
- Eh bien! Voilà des navigatours qui manquent
do délicatesso dans leurs manœuvres. fit Yvonne
malicieusemon t.
.
- Ce n'es t pas de ma faute, mademoiselle, s'excusa
�20
LE SPHINX AUX CHEVEUX D' OR
Hènri Davaine, je suis habitué à des atterrissages
assez différents.
- Et moi, fit Gérard Bruyère, je ne connais que
les prr0autions oratoires.
- Bravo , dit Yvonne, vous ne vous défendez pas
mal ... Seulement, je vou s mets à J'amende pour les
calembours, qui sont lamentables.
En mêm e t emps, elle sautait sur le rivage, sans
m ême aLLendre que le bateau fût amarl'é .
- Peste, vous êt es une vl'aie sportive, s'tteria
Roger Belmont ... Moi, j'aurais ell p eur de tomber
dans la « flotte ».
, - C'esL bon, pas!>ez-moila chaine .
Roger lui tendit If! paquet d'anneaux humid ef!,
eOll vE'rl, de rouille et de Lache!> de goudron.
En lIne seconùe, elle le détendit et, avalit qll'e
sas compagnons fu ssent descendus, elle l'avait enJ'o ul é au mince tronc d'un boul eau qui bordait. la
l·ive.
Vous allrz sa lir votre l''.> be, liL 1I1'l11'1 qui l"avait.
rr jointe.
Yvonne sc mil Ù l'ire.
Vous m e croyez donc bien mal adroite, r épondit clic ... On m 'a appris autrefois ft m e laver les main s.
Elle s'{)taiL agellouill ée S UI' le bord du fl euve et
rinçait. ses p eLits doigts ro ses dans l'eau limpide.
- Et maintenan t , il table, ajouta-t-eHe ... Qu'est-ce
que nous avons pour déjeuner ?
- Un festin digne de Habelais 1 s'écria Bertrand ...
Ayant fait les provisions dans Chinon sa ville natale,
je no pouvais pas manquer à lui r endre hommage en
vous préparant un r epas pantagruéliqu e ... Voici don c
ùes pâtés en croÜ tes dorés comme le soleil et qui
donneraient l'a ppétit ;\ un squ élett!'. .. Et puis du
j:Hllbon d'York ct troii saucissons doduSi Ù sou ll il. ..
�LE SPHINX AUX CHEVEUX n'OR
21
Enfin, .des galettes bretonnes, des poires, des pêches,
des raisins, etc.
- Pour moi, dit Marthe, j'espère que vous serez
satisfaits de ma salade russe et de mes melons ...
, -- Nous avons fait de notre mieux pour ne pas
vous laisser mourir de soif, complétèrent Gérard et
Henri, qui avaient été chargés de procurer la boisson.
, Ils tiraient, en effet., de leurs sacs des bouteilles
cachetées de bleu, de rouge et d'or qu'ils alignèrent
sur l'herbe, au pied du grand chêne choisi par les
jeunes tillel! pour abriter les convives de son ombre
fraiche .
Les coussins et les serviet.tes ayant été disposés
en demi-cercle, chacun s'assit, et le déjeuner commen.ça ... Tout le monde avait faim, car les rames
avaient été tenues ù tour de rôle, et il va sans dire
qu'Yvonne n'avait pas été la moins ' énergique à les
manier.
Marthe Belmont, quoique moins active, ne boudait
pas non plus à la tâche, et c'était vraimenL le travail
collectif de tous les passagers qui avait permis à la
Prtnces~d-aux
d'effectuer aussi allégrement les
quatre lieues qui séparent Chinon de Montsol'eau.
Maintenant, l'on banquetait joyeusement, sous la
dôme vert des arbres qui laissait filtrer les clairs
rayons du soleil de midi ... Autour des commensaux,
la naturo rayonnait d'une beauté calme et chauJe ...
La Loire coulait doucemenL en face d'eux, et derriùrc,
séparoo par la largeur du bois, la route de Saumul',
plus haute d'un mètre environ, traçait sa ligne toule
droite, luisante de goudron neuf, que parcourai enL
des auLomobiles silenciouses.
Dans 'l'herbe, quelques insecLes crissaient joyeusement. Une pic jacassait sur la branche d'un frêne ...
- Que faut-il boire avec 10 pâté? demanda ~larLh
e ,
�22
LE SPRtNX AUX CHEVEUX D'OR
qui faisait passer à chacun une belle tranche de
galantine truITée?
.- Ceci, répondit sans hésiter Gérard en faisant
f;êl uter le cachet de cire d'une jolie bouteille ali."'L flancs
dégagés . Tendez votre verre, charmante demoiselle,
et dites-moi pc que vous pensez de ce petit vin de
Chinon.
Marthe avança Bon gobelet d'étain, et l'avooaL,
approchant le goulot de ses bords, fit coulEll" un
liquide rosé, transparent à souhait et légèrement
mousseux.
- C'est délicieux 1 s'exclama la jeune fille, ce vin a
goflt de framboise ...
. - En effet, dit Gérard, je le sentais, mais jfl ne
pouvais la définir .•• Vous, VOUEl l'avf)z tout de suite
t.rouvé. C'est admirable.
--,- Ah 1 non 1 fit Marthe en riant. réservez votre
a dmiration pour de meilleures occasions ...
- Si, si, répéta la jeune homme, qui' s'exaltait un
peu, c'est admirable .. : Vous avez une perapicaèit.6,
una finesse de goût qUI m'émarvoillent.
Bertrand, qui avait écouté ce dialogue, poussa du
60ude Roger Belmont: « Hep, murmura-t-il, as-tu
entendu Bruyère? Il a l'air d'en «pincer 1) pour ta sœur.
Il lui rait des compliments interminables parce qu'elle
Ct reconnu qu e le vin de Chinon a goût de framboize. 'I
Roger sourit sanE! répondre ... Il était heuroux de
la "'emarque de son ami, parce qu 'il savait bien quo,
de ~)n
côté, su .cb ère MarLhe n'était pas insensible au
cha1"lIle du jeune avocat ...
Ill:!uffit do si pou de chose pour trahir [CG sentiments
d' unf' jeune fille... Une rougem' passag.)ro... un
imperceptible fléchissement dans la voix... un
complimellt jailli comma involontairement. ot qll'uno
parole trop froide vient corriger maldroi
tc m c n ~ . ..
�LE SPiU.NX AU X CHEV E UX D' OR
23
Mnlgré ses dix-huit ana, Roge1' connaissait 'h ien sa
grande sœur, dont la réserve presque timide et le
calmo apparent cachaient la plus délicate et la plus
vive sensibilit é .
Bien différente d'Yvonne Surgèl'e, Marthe Belmont
exerçait com me elle sur les cœurs un attrait naturel,
fait de gl'àce, de beauté et de douceur . . . Seulm~t,
tundis que le charme presque m élancolique d'Yvonne
n'était que p assager et faisait pl aco à chaque instant
aux d ébord ements imp6tueux et d'ailleurs très
séduisants de sa nature complexe, Mar the ne se
départait presque jamais. de son beau sourire et du
regard limpide de ses grands y eux: d'un vert tr ~l:
ll'Oux, teioté de reflets blous , où l'on ne li sait ni tl'Î:'lteèllo ni exaltation.
E ncallré de cheveux noirs et souples, coupé;.! à. ln
J eanne d'Arc T le visage do la jeune fille avait une
gr~œde
pureté li e tmits : s on t eint tl'ès mat avait un
ve] ou i,ü ch a rmant; se:, lèvrû3 , p e Lüe:; et bien renfl éf:,9 ,
,-ta ient d'l\'ll rouge sain et vif, qui dédaignait la cafe3s e
du l'art!.. . De p eLite La ille, mais de fûrm es parfaitefJ ,
elle était mise avec él égance , sans r echerche toutefois,
ayant 10 goüt dOB cho ses simplefl et naturolles.
C'6tait, en résumé , une jolie petite 110ur de Franco,
gai e sans exubérance, espiJgle sans taquinerie, d'un
cf>ractère droiL, généreux et parfaitement équili.bré ...
IJ OiJ dons o.rLi.;liques variés ct une bonne culture
liLtél'aire l'ondaient sa conver3ation fort agréable ...
Elle:! pouvaiont ilispirer une véritable passion aux
jeunes gens de nature pond 61'ée, qui sont plus sensibles au oharme ct qualités physiques et morales
qu'à l'at lirancc du mystère féminin, avec sc" contradic tion s, ses profondeuril cachée:; , ses enfantillage:.;
app nrenLs, Sos caprices, tout cc qui !.l'ouble l e~
cœurs romantiques et leur donne le goût du vertige ...
�24
LE SPH I NX AU~
CFEVE VX D'OR
Très tendre et très sentimentale, Marthe Belmont
n'avait cependant pas l'âme d'une amou1euse de
théâtre .. . Ellc n'eût pas offert à un amateur de psy·
chologie féminine le même intérêt et le même champ
ct'études qu'Yvonne Surgère, son amie, dont nos
lecteurs apprendront avec nous à déchiffrer, au COurs
de ce r écit, le secret si difficilement pénétrable.
Le repas en plein air touch ait à sa fin ... La plus
franche camaraderie y avait présidé, cette camaraderie
saine qui permettait à Mme Jardy de laisser les jeunes
filles passer leurs journ ées de congé avec Henri et
G~
rad,
sans autrc surveillance que celle des chaperons
imberbes qu'étaient Bertrand et noger.
Au petit vin de Chinon avaient succédé les mous·
se ux pétillants de Saumur et de Vouvray... Les
langues déjà déli ées devenaient volubil es ... Quelques
cigarettes à bou ts dorés &'a1l umaient au coin des
lèvres ...
H ne nous manque qu'un phono, dit Bertrand
Jardy ... Je serais ravi d'entendre la voix de Joséphine
Baker dans ce cadre ~lys
ée n.
- J'y ai pensé , répondit Gérard Bruyère à la.
surprise généra le. Vous allez avoir satisfaction.
En même temp s il courait vers son bateau, soul e.
vait le coiTre de J'arrière et l'a pportait triomph alem ent
l'appareil portatif et la bolLe de disques .
Marthe rt Yvonne battirent des mains.
- Tu es un as l s'excla ma Henri Davaine.
- Et maintenant, Dt Gérard, quel morceau voulez·
\'ous? .. Un tango, des chants nègres?
- Le disque de Jo sép hine, répondit sans lH3';iler
Eorlr .. nd: J'ai deux amou rs.
�LE SPHINX AUX CHEVEUX D'OR
25
la barbe! protesta Roger Belmont ... Tu
- Ah! no~
retardes, mon vieux ...
- Toi, tu n'as pas la parole, riposta le cousin
d'Yvonne ... Tout le monde sait que tu n'entends
rien à la musique.
- A la musique ?... Tu me fais rire avec ta musique ... Est-ce que c'est de la musique, ça? ...
Marthe intervint:
- Voyons, nager, laisse donc Bertrand... J'ai
deux amours est un air très joli... On passera
en~uit
les disques qui te plairont ...
- C'est bon, fit Roger, qui n'était pas entêté ... Va
pOur la négresse ... Mais, ensuite, j'exige Les Gars de
La marine.
Bertrand s'esclaffa :
- Ah 1 Bien, pour le eoup, en voilà de la
grande musiquo 1... Ah 1 tu pouvais bien te ficher de
moi.
- Dites donc, interrompit Henri Davaine, vous
avez bientôt fini de vous disputer, les marmots? ...
Voulez-vous que je vous tire les oreilles?
Ils se mirent à rire tous les trois en se donnant
de fortes claques dans le dos.
- Ce que vous êtes gosses 1 fit Marthe qui riait
elle aussi.
' .
Pendant ce temps, Gérard avait placé le morceau
choisi après tant de discussions ... Il vissa la petite
aiguille d'acier, déclencha le ressort, et le silence
s'établit. Après quelques ronronnements étouIT6s,
produits par les premières spirales du disque, la
voix de la danseuse s'élevait dans l'air bleu, originale, mais douce, caressante, avec les modulations
de son timbre exoLique, qui semblaient reproduire
les chants étranges des oiseaux d'Amérique ...
Dana ce paysage angevin, sous ce clair cie] de
,j,
�26
L E SPU.ŒX .AUX CHEVEUJ' D'OR
France, le refrain antillai3, m algré son peu de
couleur locale, s'harmonisait pourtant au bruissem en t rêveur des grands arbres inclinés sous la
caresse de l'air, com~
à la fuite silencieuse des
eaux du fleuve, entre les rives parées de teintes
bleuâtres ...
Les sentiments du cœur humain no sont-ils pa.s
toujours les m êmes et partout, la même nature n'esteHe pas prête à recueillir, Il compléter leur exp ression? ... ,
Amour, douceur, m élancolie aussi , voici coux que
coantait La potite fille ùes Iles . .. Voici ceux que l'on
pouvait lire, en même temp 3, dans les yeux d'aiguemarine de Marthe Belmont et dans les yeux bleu
sombr o d'Yv onne Surg.ire .
Quand des jeunes lil1es de ving t '3.11S ont un instant
ouvel·1i leur CXUl' au lyrisme qu'elles y abritent tout
ü\ jour en secI'et., il ost djO'icile, il est inhum ain de
bI'lJ eJ.' tout à coup leur extase .. . En propodant de
l'aire suivre le disque berceur d'un monologue comique, Fernand ne r ju;:;sit do nc qu'à ,,'attirel' les
proLcstations indign ées de J'élément féminin .. . protestations auxq uelles l'élém ent masculin s'associa
par galanterie .
Roger , qui tenait à son id ée , r éclama bien L es
Gars de let Marine , mais les demoi selles exigèrent
d'abord p! usieurs tangos, après quoi on lui donna
sati'lfaction , e t l'ent1'ai\l succéda à la nostalgi.e , .. Tout
le monùe chanta en chœur, en môme temps quo 10
f'ram ophone, ct quand la rond elle noire euL cess6
do tourner, l'audiLoirc r ep rit une seeo nde fois l'ail'
cntrainan t, h pl eins poumons . Mais il fallut iu Lel'rom pro le concert, cal' la voix suraig uë de Bertrand
couvrai t touLes l e~ autres de ses notes fausses eL faisait dél'c.illor les plus musiciens.
�LE SPltINX AU:lC CHEVEUX D . ~t>!I
27
- Eh bienl Interrogea-t-il très étonné, pourquoi
ne oontinuez-vous pas?
Un éclat de rire général loi répondit.
Comprenant vaguem~nt
qu'il en était la cause, il
Se retira de l'al!semLlée •.• On l'aperçut, quelques
secondes après, grimpé- sur Ulle haute branche d'un
chêne, d'où il projetait des glands sur la têÜ3 de
Rogor. Puis il redescendit, et mis en train par cet
exercioe:
- Que diriez-vous d'une promenade au château
de Montsoreau? suggéra-toi! •
........ Parfait, dit Henri, mais il Caudra maroher vite,
car il est près de trois heures et, wut li l'heure, il
faudra faire quinze kilomètres en remontant le oourant... Rappelez-vous que nous sommes ohargés et
qu'on nous attend avant la nuit.
- Dans ce eas, dit Marthe, vous me permettrez
do VOUB attendre ici... Je suis un peu lasso et je ne
voudrais pas retarder votre allure.
- Je resterai avec toi, ma ohérie, promit Yvonne ...
J'ai moi-même besoin de [orees pour tenir les avirons
nu retour.
- Eh bienllos hommes iront seuls, fit Roger. Nous
serons l'evenus dans troi3 quarts d'heure ...
Ils sa lovèrent tous les qua tro, heureux de dé\'ouilur dans la barque et ]a
1er leurs jambes que le s~jo
halte sur l'herbe avaient un peu engourclies.
Pourtant la vérité nous oblige Ft dire qu'a,u moment de parLir Gérard Bruyère eut un goste de regreL et jeLa à Marthe un rega rd qui se mblai t sirrnifier qu'il lui eut fité plus agréable de l'e ste r auprds
d'elle, .. Mais qu'auraient àit sos compallnons?
Ils p~rtien
donc, gagnant la route à travers près,
Les Jeunes fill-es les suivirent un instant des yeux,
pub s'allongèrent paresseusement sur la route.
�28
LE SPH INX AUX CH EVEUX D'OR
- Comme il fait bon ici, dit Yvonne.
- Oui, répondit son atnie, )'apr
~ s-mid
est exquise
de douceur. C'est un bien joli pays que tu m'as fait
connaitre là ...
- Tu ne connaissais pas du tout la Touraine avant
de venir chez ma tànte t
- Je connaissais seulement Amboise, c'est,- à-dire
l'autre bout du département: autrefois, mes parents
habitaient Blois ...
- C'est bien joli aussi ... D'ailleurs, en France,
tout est joli.
Elle prononça ces mots avec une nuanoe de mélancolie ... Sans doute elle pensait au sort oruel qui, pendant de si longues années, l'avait exilée de son
pays.
Devinant ses sentiments, Marthe Belmont dit
doucement:
- L'Angleterre ne te déplaisaiL pas non plus ...
Yvonne secoua la têto.
- Je no l'ai jamais aimée, soupira-t-elle ... Jamais
là-bas je n'ai pu oublier ce que je laissais ici ... Et je ne
garde il Londres qu'une r ûconnaissaI,lce : c'est d'avoir
été le théâtre de notre première rencontre ...
- C'est vrai ... Je me rappellerai toujours notre
première entrevue ... Je me se ntais si soule, si dépaysee dans oatte villo où je ne connaissllis presque p ( l'sonne ... Et puis, quand je t'ai vue, je ne voulais plus
repartir .••
- Heureuse ment que tu y revenais chaque an-
née ...
Elles évoquaient le passé qui les avait pour toujours unies comme des sœurs, à l'époque où Marthe
JJelmont, cédant à l'attrait des voyages ct au désir
de se perfectionnor dans la langue anglai se , avait acc : ~ pt é
l'invitation d'une vioille cou sine mariée dan s la
�LE SPHINX AUX CHEVEUX n'OR
29
britannique et était venue passer une année
dans le quartier où habitaient les paTents
d'Yvonne ... Les jeunes filles n'avaient pas tarçlé à se
rencontrer chez des amis communs et depuis elles
é~aient
toujours demeUI'ées en relations étroites.
:E:changeaient-elles toutes leurs conJidences? , .. Dans
la plupart des domaines, sans doute .. . Mais peut-être
y avait-il tout au fond de leurs cœurs des secrets que
les femmes, p!us expansives pourtant que les
hommes, ont presque toujours la pudeur de garder
Je plus longtemps possible.
Marthe avait une nature réservée, Yvonne une
nature compliquée ... Est-ce pour cela que la première s'efforçait de dissimuler les sentiments cepen~ant
visibles qui J'attachaient à Gérard Bruyère, ce
Jeune Parisien que les deux amies avaient" rencontré
~ouvent
au cours de l'année préoédente ?:.. Est-rI'
pour cola, aussi, que la seconde avait si longtemps
tu à sa chère Marthe l'existence e~ le nom m€lme de
l'ad"olescent. rôveur qu'elle avait autrefois tant aimé
et tant fait sou[Trir? ..
Ou hien l'inclination de Mlle Belmont pOUl' l'avocaL n'était-elle qu'une préférence passagère, un atta·
chement sans profondeur?
Et Jacques Renaud, qu'Yvonne avait revu à Paris
et auquel, après quelques hésitations, elle avait
presque accordé sa main, no représentait-il pour elle
qu'un parti en somme avantageux qu'une jeune
fille de fortune moyenne aurait eu Lort de dédai.
gner?
Préf6rons, pour Gérard et pour Jacques la pre·
mi~l'e
explication et ne considérons la seconde que
cO{Qme une hypothèse que nous souhaitons sans
fondement.
Quoi qu'il en soit, le petit-fils de Mme de Clairville
c~pitale
~nlière
�30
LE SPHINX AUX CHEVEU X D'Oil
était mainte nant considé ra comme le fiancé officieu:r.
d'Yvon ne Surgèr e... Et celle-ci , quand elle parlait
de lui, ne pouvai t plus lui rêfuscr ce titre.
Elle avait toujou rs, en pronon çant son nom, beau~
coup de tendres se dans la voL"t, mais son. timbre ne
trahiss ait point de passion .
11 s'efforç aü même de paraîtr e détaché , 00 qui
pouvai t étonne r de la part d'une jeune fille ardente ,
et -parfois aussi enthou siaste ...
Eterne l mystèr e féminin ...
Marthe , qui connai ssait sa bizarre rie, o'œait s'en
étonne r et, ne cherch ait pas à pénétre r ses penllées
secrcltes ... Êtant elle-mê me un peu renferm ée quand.
il s'agissa it de tels sentim ents, élie eüt été, d'ailleUl'J,
mal VtlDUe n le faire ...
jour-là , la douceu r du paysag e, le
Pourta nt, ~e
charme de la musiqu a qui DvaiL bercé lcuril âmoo,
J'incita i ent à parler avec plua d'aban don. 50 rappxo chant d'Yvon no, e le dit doucem ent:
- Ton cousin avait. raison, tout à l'heure ... Ce bois
doit te rappel er des so uveni)'.; hien tendres ... puisqu(j
tu y revona is autrefo is ... avec Juoqlles.
La jeune fille eut un imperc eptible battem ent ue
cils:
- Oui, répond it-olle brièvem ent, do sa voix au :::
notes plutôt graves, qui était pl'oronde et très musioale, mais ù laquell e 0110 dunnai t parfois un toa
d'étran go bruRqu erie.
lJ y eut un silence . Ce fut olle qui le rompit :
- Ma pûtite Marthe , dit-elle sur un ton plus doux,
je voudra i'! te deman der quelqu e choso ...
- {Jarlo, mu nhêric ...
- Voilà ... Quand JacqucR arrivc1'Il lundi, au train
de doux heureu quaran to.cinq , je voud!'a is être soule
à la gare ...
�LE Spmm.: AUX CHE VEt:X n'OH
31
~ Mais je veux bien .. . Seulement, iu ne peux})as
aller seule à Saumur ... Vous n'êtes pas fi ancés offioiellement ... Ni ta tante ni Mm!) de Clairville n'en
seraient satisfaites ...
~ Ce n'est pas ce que je demande ... Il eet bien
entendu que nous irons en auto ensemble ... Mais
je voudrais être seule avec lui quand il dêbarquel'a ... Tu sais combien il m'aime e ' ~ combien il est
timide. Il ne faudrait pas que votl'é présence puisse
l'êffartJUchel' à l'arrivée. Vous serez censés la.ite des
courses en ville, et nous vous reu.'ouverons vingt
minutes après, dans unê pâtissnrie par exemple ...
Tu sais bi€)n que Mme de Clairvillè ne peuL pnG se
déplacer. Elle ne sera pas à la gare, et il est entendu
~vec
elle que o'est nous qui irons attèndr€l JaôqueB ...
Et pui:'!, au retour, nous nous arl'êteroT.l.s tous ohez
l'lUe ... Ce sera une occasion pour '00 présent9l' à elle
ainsi que Roger...
~
En effet, nous ne lui à'VOllS pa~
oncore rendu
visite ... PGut-~l'e
en est-elle un peu étonnée.
~
Mais pa.s du tout. Vous n'êtes ici que depuis
t.rois jours 1
'- Oui, mais nous aurions pu y allor aujbUl'd'hui,
puisque nous sommes tout près de Candes ... Qui sait
même si elle ne nous a pas reconnus eh bateau, tout
à l'heure, quand nous so:rnmes pasSés devant sa
maison.
- Ohl non, car elle devait passer la journte à Font9vrault. chez des amis. C'est la soule promenade que
!Jon âge lui permette ...
A ce moment, des bruits de voix très proches
annoncèrent le retour des promenuI'~.
- Déjà vous 1 s'exclama Yvonne quand eUe vit
Ilurgil', au détour du sentier, la tôte ébouriffée de Bon
Cou :· in, qui marchait en t,ôte de la colonno.
�32
LE SPHINX AliX CHEVEUX n'OR
Oui, fit Bertrand un peu déconfit... Nous
n'avons pas pu visiter le château, il était en répa,
rations.
- Vous voyez que vous avez eu raison de ne pas
nous accompagner. ajouta Gérard dont le visage
blond et rose apparaissait à son tour.
Et Henri compléta :
- Cela vaut mieux, car nous allons pouvoir repartir tout de suite ... Il nous aurait fallu ramer dur
pour arriver à l'heure si nous étions restés là-bas. Je
propo!!e donc de lever l'ancre immédiatement.
- Vous avez raison, répondit Yvonne. En avant!
Elle se leva d'un bond, redressant sa taille souple et
secouant sa robe blanche où s'étaient collés quelques
brins de mousse.
Marthe l'imita aveJ moins de vivacité. Puis toutes
deux donnèrent un coup de peigne à leurs chevelures
et sautèrent légèrement dans la barque.
Les jeunes gens les suivirent, Gérard délia la
chatne, et la Princesse-des-eaux, docile, s'abandonna
au commandement des rames.
.
Il était un peu plus de trois heures. Le soleil flambait joyeusement dans le ciel qui s'était légèrement
foncé, et sa réverbération inondait les flots de
longues plaques lumineuses qui semblaient faire de
la Loire un fleuve de fou..
La barque avait gagné le milieu des eaux et poin·
tait vers le sud-est, face à l'embouchure de la
Vienne.
Les rires lWaien\, repris comme à l'aller et, su'r 'la
propoflition d'Yvonne, de nouveaux chœurs allaient
rom pre le silence de l'air, lorsque le bruit assez proche
d'un moteur attira l'attention de Bertrand.
- Écoutez, dit-il, voici un canot automobile.
Ils se retournèrent. A deux cents mètros d'eux, uua
�33
LE SPHINX AUX CHEVEUX ~'Ol\
silhouette brune en forme de cigare grossissait,
l'avant dressé hors de l'eau.
- Eh mais, c'est ce phénomène de Cazac, avec
son hors-bord, s'exclama Bertrand. Vous le connaissez bien, Gérard?
- Mais oui, fit l'avocat, je le rencontre tous les
ans. S'il nous voit, il va sûrement vouloir nous dire
bonjour.
- Ou faire quelque excentricité, e11 signe de bienvenue 1
.
Bertrand avait à peine achevé de parler que les
événements venaient lui donner raison.
Le canot était arrivé à hauteur de la barque, longeant la rive droite. Il allait poursuivre sa marche,
lorsque le jeune homme, dont on distinguait la crinière flottante émergeant de l'arrière, aperçut la
Princesse-des-eaux et reconnut Gérard et Bertrand.
A ussitôt, il vira dans leur direction et, mettant tous
les gaz, fondit sur le frêle esquif avec une pétarade
infernale.
- Mais il est fou 1... Il va nous tuer 1 s'6é'ria
Roger Belmont, tandis que sa sœur serrait le bras
d'YVOnne avec angoisse.
Henri et Gérard qui tenaient les avirons donnèrant
un brusque eITort pour éviter le choc.
Mais le hors-bord qui avait grossi avec une
viMsse effrayante était déjà sur eux, lancé il toute
vapeur.
Il y eut un cri de terreur. Martha lerma les yeux.
Mais déjà le canot étai t, loin. Un virage impeccablo venàit de le redresser, à six mètres de la barque.
Sous le ramous, celle-ci oscilla. Chargée à plein
elle faillit se renverser sur le côté; il Y eut uno nou~
velle seconda de frayeur, eL les passagers durent
s'agripp6r au rebord.
3
�34
LE SPHINX AUX CHEVEUX D' OR
Puis l'équilibre se rétablit, pres que miraculeusement.
Cazac avait coupé ses gaz, il avançait son b13.teau
vers ses victim es.
Yvonne et Marthe virent un beau garçon au
masque l'ornain, puissamment musclé, vêtu d'un
pan.talon de flanelle et d'une chemise il col Danton.
Nullement penaud, il se drossa à demi hON de son
eanot et s'inclina avec un charmant sourire qui
découvrit une belle rangée de dents brillantes.
- Je suis navré, mesdemoiselles, prononça-t-il
d'une voix assurae, avec un parfait détachement, de
vous avoir causé cette légJre inqui étude ... Si votre
barque n'avaÜ pas été aussi chargée, vous n'auriez
oouru aucun danger .•. Je sui.:! absolument sûr de mes
manœuyres, ~t je voulais seulement vous amu
~e r
avec coLte petite faoétie avant de me présenter à
vous.
Marthe était stupéfaite de son 811daee. Elle n'eut
pas la force de rj pondre.
Quant à, Yvonne, qui, seule avec Henri Davaine,
n'avait éprouvé qu'une émotion insigniliante, elle le
regal'da bien en face et dit sèchement;
- Cette facétie étaiL en eflet trJ3 spiri tue le,
monsieur, mais on ne doit pas amuser les jeunes
filles avant de leur avoir été présonté.
- Je vous demande pardon, fit le jeune homme U.tl
peu déc.onllt.
Puis se tournant vers Gérard;
- Mon cher RI'uy6re, dit-il, voulez-vous avoir
l'obligeance de réparer cl:ltte lacune, pour que je
puisse olTrir' mes exc uses à ces demoiselles.
- Volontiers, répondit poliment l'avocat.
Et s'adreS3ant à Yvonne et à. Marthe, il dit hrièvoment cn d6:sigll:l.nt l'intrus:
�LE SPllINX AUX CHli:VEUX D' OR
35
- M. Lucien Cazac, ind1lstriel.
Puis il nomma les jeunes fille!'!, qui tendirent assez
froidement leur main 3.U trop bOlJillant !\portif.
La barque et le hors-bord demeurûren t un instant
cÔte à côte, ce qui permit. à Cazac de renouveler ses
regl'ets mais cette fois avec plus de tact et de rése rve.
On vit qu'il savait être bien élevé quand il le
vQulait.
Après quelques paroles banales échangées sana
grande chaleur, mais sans raneune aussi, les pas~
gers de lu Princesse-des-eaux prirent congé du jeune
homme, qui manifesta le désir de les revoir le plus
tôt possible.
- Et pour réconcilier ces jeunes filles avec mon
· ~ieux
Ronny (c'P tait le nÔill, do son canot),
J espère, dit-il, qu'elles me feront 1 honneur de monter
dedans la prochaine fois... Ronny est un bon
garçon un peu fou ... li ne faut pas Jui en vouloir de
ses excentricités ..•
n partit Sllr
cette phrase, où il voulait s'identifier,
en somme, il Elon bateau, Jlour sc fail'e pardonner son
incll1'tade. Ce n'était pas malarlroil, et ct'la effaça un
peu l'impression [âoheuse qu'avait produite sa sotte
plaisonterie.
- Ce n'est pas un mauvais type, expliqua Gérard
quand 10 Princesse-dps-eO) //'x eut repris sa m arche
vers la Vienne, tandis que le canot aux flancs
d'acajou se perdait dRrlS ,'immenso bras de la Loire
laissanL !ln long Ai lIagf3 a LtachP à sa course.
'
- Il a le gen re anglai s, émü Bertrand a.vec une
visible admiration.
- C'esL pour pla ire aux dames, fit on fia ul Henri
Davuine. C'est pour cela qu'il a appelé so n 11orshord Ronny ...
-- II esl; stupide. dit Yvonne, qui, pour avoir
�36
LE SPHINX AUX CHEVEUX n'OR
passé six années f!. Londres, n'appréciait pas particulièrement le genre anglais.
- Plus stupide que méchant, compléta Marthe en
souriant ... Mais il m'a rait jolimElnt peur ...
Elle était encore très pâle. Gérard s'en aperçut, et
aussitôt, cessant de prendre la défeme de Lucien, il
vitupéra contre lui avec indignation.
- Allons, allons, dit la jeune fille. Il ne faut pas
trop lui en vouloir. Il ne pouvait pas prévoir que
nous étions trop nombreux dans notre barque ...
D'ailleurs, nous ne risquions pas grand'chose .
- Simplement de nous noyer, fit Bertrand en
éclatant de rire. Mais je ne parle pas pour les jeunes
flIles, car Cazac, qui est très galant, se serait fait un
plaisir de les repêcher. C'est un champion de natation ... TI y a deux ans, à Paris, il a gagné la coupe
de Noël... Il est d'ailleurs épatant dans tous les
sports.
On parla encore lln peu de l'incident tragi-comique, puis Lucien et Ronny furent oubliés, et des
refrains joyeux montèrent dans le ciel, scandant
l'effort rythm6 des rameurs dont les corps souples
se penchaient et se redressaient en cadence, gainés
dans lours maillots à manches courtes ...
Là-bas, entre les toits bleus, le clocher do Candes
n'était plus qu'une pointe effilée, qu'on aurait dite
tracée da.ns l'air par un mystérieux pastel.
D'une rive à l'autre, quelques hirondelles
volaient ...
�LE SPHINX AUX CHEVEUX
n'OR
37
CHAPITRE III
JACQUES RENAUp.
· .
Cinq heures du soir, boulevard Malesherbes, à
Paris.
La fin d'une belle après-midi de juillet.
L'air est délioieusement tiède, le soleil éparpille
dans l'éther une poudre d'or qui donne aux feuilles
des arbres une teinte plus lumineuse et plus douce
aux façades des maisons l'aspect brillant de palai;
enchantés, aux visages des passantes une clarté de
rêve.
Le dôme de Saint-Augustin, les colonnes de la
Madeleine sont parés des mêmes reflets blonds ..•
Dans le ciel bleu vert, quelques nuages immobile,s
posent des taches couleur de Boufre.
La circulation est vive, les autos se succèdent
sans arrêt, c'est un concert ininterrompu de trompEls
et de klaxons lanQant au passage leurs notes hautes
ou graves, qui donnent une impression de gaieté
par la diversité de leurs tons et de leurs timbres.
Suivant ln file des promeneurs qui déferlo sur les
trottoirs, deux jeunes geQs causent avec entrain
élégamment vêtus d" complets clairs, heureux:
semble-t-il, de la poésie qui les entoure comme de
celle qui anime leurs âmes de vingt ans. L'un d'eux
tri3s. brun et de teint bronzé, a le regard vif, le gest~
décldé, l'allure optimisle ... L'autre, unpeuplusgrand,
plus mince aussi, a le visage plus clair, les cheveux plus
cendrés, l'oxpression plus rêveuse ... Il rit pourtant
�38
LE SPHINX AUX CI1EV~UX
D'OR
sam; contrainte, comme son compagnon, de sa bouche
aux lèvres (ines, un peu serrées peut-être.
Une jeune fille les croise, très parfumée, très
jolie.
- Est-ce qu'elle lui ressemble? interroge le premier . D'aprjs tes descriptions, c'est ainsi que je me
la représellte.
Le I:\ecund Il une petite moue amusante.
- Elle est mieux: que cela, répond-il eane
hésiter.
- Naturellement, dit l'autre avec un sourire,
j'aurais dO m'en douter.
- Ne te moque pas de moi... Quand tu l'auras
vue, tu verras que je disais vrai... Nous avons
généralement des gOllt.s assez semblables : il C$t
impossibltl que tu ne trouvos pas Yvonne ravissante ••. Je t'assure que ce n'est pas seulement parceque je l'aime.
- Mals j'en suis persuadé, mon vieux Jacques ...
Je ne demande qu'à te cr.oire.
- D'ailleurs, si Lu veux venir chez moi, je vais te
montrer sa photographie. J'en ai une assez bonne ...
Seulement, ce <tU! ne peuL pas se reproduire, c'est le
teint éblouissant d'Yvonne ... c'est sa chevelure "i
blonde, si lég6re, et puis oe Bont ses expressions, qui
onangent tout le temps et qui ont toutes tant de
charme qu'on voudrait pouvoil' les oontompler
toutes en même temps , toujours ... Et le son de sa
voÎx ... Tu no peux pUB imaginer comme il est
troub!ant : c'est l'accent même d LI vioJoncelle, à III
lO iS vibranL oL plein do douceur ... Quand clle tût'mine une phrase, on dirait que la dernière syllaba
demeure suspendue à ses lèvres plusieurs instanLs,
même lorsqu'ollei! se Bont closps ... Et on voudrait l'y
oueiUir, avec un baiser ...
�LE !iPltINX AUX Cl:{EVEUX n'OR
39
,- Tu en aa le lhoit, jê pense .. .
- Je n'oserais pas, mon vieux: Pier re ... Non •..
Pas encore ...
- Vous êtes pourLant fiancés ...
- Pas olticiellement ... Yvonne peut reprendre sa
parole. Elle n'est pas engagée vis-à-vis de mui .. . On
nous considèr é comme fiancés, parce qUe nous éLions
amis d'enfance et que nous avons une telle intimité
que nous pounions susciter dos cl'Ïliques si l'on ne
savait pas que nous songeons il nous unir Lientôt ...
Mais Yvonne n'a pas dit « oui 1) définitivement ... Je
suis sür qu'elle m'aime comme un îr ~ re ... Je cl'oitJ
m ême qu'elle a povr moi un sentiment plus viL.
Mais c'est une nàture dilIiciIemellL pénétrable ... Et
puis, elle était.' jusqu'ici bi en Jeune pour songer au
Irulriage ... Enfin, j'esp ,ire ... .l'ai conl1ance.
Pierre regarùe son ami avec un p eu d'étonnement,
un peu de tris tosse aussi.
- Et toi? murmure-toi) d'une voix plu s sourde.
Jacques répond comme mal gré lui, avec une inl1nio
Lendresse ...
- OhI moi ... Je l'adore depuis toujc.urs .. .
•••
Ils étaient maintenant tous les deux dans un sLudio garni de m eubl es clairs. Un divan gl'is-argent
doux grands fauteuils de même teinte, an centre un~
tahIe rondo en bois de cMail. An face du divan uno
bibliothèque recLan
g ulairf
~ , encadrant le radiateur ct
surmonLée do quelqu os polichns japonai<lCs ... L'ensemble élégant, quoique sobre, d'une jolie pi:cc
~odcrne
éclairéo par un e large bail' dont 1('::; rideaux
Jaunes ::;'harmonisent aux tonalités bleu pli~
des
muril eL du tapis.
�40
LE SPHINX AUX CHEVEUX D'OR
Et cette photo? damanda Pierre qui s'était
carré dans l'un des fauteuils et qui allumait à son
briquet la cigarette que son ami venaÜ de lui
oITrir.
- Attends, fit celui-ci, je vais la chercher ...
- La chercher? Elle n'est donc pas là? .. Je supposais que Lu l'avais toujours devant tes yeux, sur
ton bureau.
Jacques rougit légèrement.
- Non, répondit-il, en souriant, je la garde dans
mon armoire .. _Si elle était ici, tu comprends ... Jene
pourrais guère travailler ...
Il av&.it dit cela avec un peu d'embarras, comme
s'il craignait les raille:1.es de Pierro.
Mais ce dernier ne songeait point à rire de lui. Il
était ému de deviner une passiou si profonde, si sincère chez celui qui était depuis trois nns le meilleur
de ses amis.
- Je t'envie, dit-il simplement, avec beaucoup
d'aITection.
Jacques leva sur lui son beau regard bleu, qui avait
une douceur exquiso.
- Ohl je le oomprends, s'écria-toi! avec élan, heureux de sentir quo ses confidences LrouvaienL un
écho dans le cœur de son camarade ... Tu ne peux
pns savoir combien il est bon d'aimer ... On est transporté hors de la vic, hors du temps, hors do J'espace ... Il semble tIue Dieu vous ait rendu le paradis
tenestre ... Et on voudrait que tous vos amis
jouissenL du même bonheur ... On a envie de rire, de
pleurer, de chanLer ..• Et tout cela s'apaise, se résout
en extase . muette simplement quand on ferme les
yeux, et que l'on revoit, comme dans un rêve, le
visa.ge qu'on adore ... Tiens, je Le parlais tout à
l'beure de la photographie d'Yvonne ... Si tu savais
�LE SPnINX AUX CHEVEUX
n'on
41
toutes les joies qu'elle me procure 1... Et toutes les
r<;lUel'ies que j'invente pour cultiver cette ivresse déJi. cieuse 1 C'en est comique, mon vieux Pierre ... Et
tout à l'heure, j'osais à peine t'en parler, tant j'étais
certain que tu te moquerais de moi... Mais, par
miracle, je vois que tu ne ris pas, que tu sembles
me comprendre... Alors, je puis bien te le raconter ... Tu verras que les amoureux sont de grands
enfants.
- Parle, mon peLit Jacques ... Non, je ne ne me
moquerai pas de toi. Je sais bien que l'amour est ce
qu'il y a de plus touchant dans notre mondo de
muffles . ..
- Eh bienl écouLe, quand je rentre chez moi, le
soir, au lieu de courir ù la photographie de la jeune
fille que j'aime, je m'assieds ici sur mon divan et je
ferme les yeux ... Tu devines l'image qui se pr6senta
tout de suito à ma vue, dans l'obscurité ... Il me
semble qu'Yvonne est là, et pourtant co n'est pas
tout ù fait elle. Les souvenirs déforment toujours un
pou ... Et il y a des d6tails que jc n'arrive pas à préciser ... Et puis, le songe ne nous suffit pas ... Nuus
~e
sommes pas fa ils pour vivre les paupi'J res
baissées, n'est-ce pas ... Alors, il vient un moment où
j'ai besoin de voil' ma chère photo, où j'ai enyi J de
m'élancer vers l'armoire de ma chambre pour la contempler sans fin ... Mais j'attends encore longtemps,
longtemps pour que mon plaisÏl' soit plus grand ... Si
Yvonne le savait, je crois qu'elle me gronderait
affectueusement .•. Elle me trouve trop sensible pOUl'
un homme... Elle me l'a souvent reproché ...
D'ailleura, elle a sans doute raison, mais il est bien
difficile de se changer.
Une seconde fois, Pierre considéra son ami un peu
douloureusement. Il ne connaissait pas l'dUe Surgt\ re,
�42
Li! SPHlNX AUX CHEVE tp':: D'OR
mais ce que Jacque~
lui en disait ne laissait pas de le
rendre rêveur. II pressentait avec peine que l'amour
du jeune homme n'était pas entiàrement partagé.
Sans se piquer de psychologie, le confident de
Jacques Renaud savait bien que la clairvoyance
n'était pa;.; Je fait de son trop chimérique camarade.
p gcheur de lune inguérissable, Jacques passait au
l;tülieu des laideurs et des cruautés de la vie sans les
voir, perdu dans un songe magnifiquo dont rien nt:'
pouvait le détourner ... Sa naïveté était proverbiale,
et beaucoup sans àoute en amaient abusé si la droi·
ture dG son cœur et la poésie qui se d ~gao.
it de toute
sa personno n'avaient avant tout attiré la sympathie
et le respect. A la Sorbonne dont il 3uivait les cours,
cm le consid,lrait comme un personnage d'un autre
siècle, égaré par une malice du destin dans une
époque dont tout aUl'aiL dft le proserire . .. Il n'attirait
pas le ril'e , car li comptait parmi los meiJioura étudiants, m ais plus 3xactemont un sourire amus6 et Un
peu atttludri, sans aucune m échanceté . On 10 savait
bail li l'ex.cès , to ujours prêt â rendre service, à aider
ses camaradeR moins fortun és, eL on lui. pardonnait
sans peine so n manque de sous pratiquo, qui, chez
d'auLres , auraH paru rididule.
Pierre Vallin, qui l'avait connu à. la Faculté et qui
était rapid ement devenu Bon ami le plus intim e,
ofTrait avec lui LIn contraste qui nc tonait pas !joulement iL leurs difl'érûnces physiqu es, mais aussi à
l'opposition de leurs apLitud~R
ct de lours caractèros.
Pierre était un garçon actlf et débrouillard, qui
n'accordait qu'unfl part fort l'cstreinte do son tcmp
aux tentationB de la fo Ue du logis ... U 6tait do naturo
déc idée , plutM, m éfiante, n'ayant p llS j'habitud o d()
constl'uil'o dOi! châteaux en EH pagno et d'aLtendrc de
la vie ln l';\alisallO Tl de 1>08 rèvos. If n'O!!limait pas
�LE SPHINX AUX CHEVEU X D'OR
43
son époque , mais il s'y adapta it, et il savait, par 80n
habilet é et par son travail , se mainte nir dans le niveau social que n'aurai ent pu lui assurer ni sa fortune personn elle, qui était modest e, ni les protec~ins
c,lont il ne disposa it pas. _. Son plaisü' était de lutter
et. de vaincre .
C'est pourqu oi il lui plaisai t de souten ir ot d'aider
celui que sa faiblesse rendait si pou apte au oomba t
de l'existe nce. Parmi ses relation s, Jacque s Henaud
lui appara issait oomme un Hr8 exquis, issu d'll,n rêve
de poète •.. Sa fl'aloheur d'âme, sa désarm ante naXveté
émouv aient Pierre Vallin ... Au milieu dos difficultés
que son énergie avait chaque jour à surmon ter,
l'amitié de Jacque s était pour lui comme un apaisement, comme une douce oasis où il puisait chaque
fois un réconfo rt nouveau_
Et Jaoque!!, de son côté, aimait à s'appttYI)T sur la
de son camaradElt dont le jugeme nt toujOl.ll'S
soUdit~
Gill' et l'esprit résolu faisaie nt son ~dmiratol.
Pierre, qui avait préparé avec Jacque s sa licel,oa
ès lettres à la Sorbon ne, oocupa it mainte np.nt une
du joursituatio n assez; brillan te dans la dure cari~ê
nalism e
~
JacqUfl5 Renaud , qu'une très grolll!lo fortune met
tait heureu sement à l'abri de tout besoin, avait pu
pOursu ivre plus loin ses études supérie ures. Il aohe··
vait la prépar ation do sa thôse de dootor at.
Nous avons dit au début do oe récit que Jacque s,
depuis son plus jeune âge, était orpheli n et qu'il avaît
été élevé par sa grand'm ère, Mme de Clairvi lle. Celleci habitai t Candel'> toute l'apnée , ct elle avait mis
.J acques en pension au collège dos Jésuite s de Tours ;
ensuite il était parti pour Paris, où la présencl;l d'un
oncle qui gérait sa fortune lui avait permis de rassnf
quatres annéos sans ;:;e lIontil' trop isolé. Il retrouv ait
�4.4
LE SPHINX AUX CHEVEUX n ' OR
sa grand'mère à toutes les vacances, avec la joie que
l'on devine, et c'est pourquoi, cetw an~ée-là
, comme
les autr'cs , il s'apprêtait à rejoindre la vieille propriété
de Candes, où il avait passé de si doux moments,
dans son enfance et pendant son adolescence .. . Ses
CO';1'5 allaient prendre fin dans trois jours, et déjà
il s'apprêtait à boucler ses valifl es pour filer sans
'retard à la gare d'Orléans.
C'est que, cette fois-ci, Bon plaisir habituel se doublait de celui de retrouver la jeune fille qu'il aimait,
cett e Yvonne Surgère dont le nom est déjà venu tant
de foi l! sous notre plume au cours de ces chapitres ...
***
Yvonn e ! Ah 1 comme il lui devait déjà de joies et
r1e Bou[frances1... J oie de l'avoir pour amie, quand il
l.l'était lui-mêm e qu'un petit enfant fr êle et sensible,
aux goOts un pou féminins ... Douleur, déjà, de la
voir parfois si froide, si cruelle envers lui ... Douleur
de la quit.ter, quand elle était partie ponr la terre
anglaise , avec ses parents ruinés ... Bonheur infini
lorsqu'elle était revenue, l'an dernier, plus jolie plu~
troublante que jamais et qu'ello l'avait appelé ((' mon
petit fr & r ~ »... Et puis, ce s entim~
qu~,
peut-ê tre,
grandissaiL ,en elle et se r,approchalt du 810n, lorsque,
san s voulOIr pourtant El ongager encore, olle avait
écouté sans protester la rumeur publique qui déjà
los f'iançait l'un à l'autre ...
Jaoques n'avait point une nature tourmentée ...
Son ex trême sensibilité, qui réagissait au moindre
ehoc , n'était oependant pas l'indico d'un oaraotère
in quiet ... Il n'é tait pas de ces amoureux qu e rongent
la jalousie ctl'anxi6té, que to rture perp étuellement le
hûs oin de savoir s'ils sont aimés au tant qu'ils aim en l"
�LE SPUI NX AUX CHEVEU X n'OR
45
- Si les méchan cetés eL les coquet teries d'Yvon ne
avaien t faiL saigner son cœur autrefois, il lui avait
suffi cYun mot aITectueux pour les oublier .. . On se souvient de laderni ére cruauté del'étra nge petite fille, dans
le parc de Mme de Claiville, la veille du départ
d'Yvon ne ... Jacque s avait beauco up pleuré, eL avec
une amertu me surpren ante chez un enfant de quinze
ans ... Mais une lettre d'Yvon ne, qui lui deman dait
p'urdon gentim ent, avait séché ses pleurs tout au ~ i
tôt .. . Et il n'avait plus souITert que de l'éloign ement
de sa petite ami e, à qui il n'aurai t pas su garder la
moindr e rancun e ...
Aujour d'hui, quelle devait être sa pensée ?
Yvonn e Surgàr e l'avait retrouv é avec bonheu r,
sembla it-il. ..
Elle lui parlait presqu e toujou rs avec dou ceur ...
ne lui interdi 'lait pas de l'aimer ... Cela devait- il
El~
?
lui Sum~e
Ah! ce n'était pas une promesse , il le savait bien,
et tout ù. l'heur;} encoro, il le répétai t à Pierre .. .
Mais les rêveurs ne douten t jamais ... L'espo ir les
guide à travers la vie eL, pour le briser, il fa'Ut bien
des échecs.
- i1
Jacque s Renaud avait Coi en son amour. Qu~avit
besoin de voir au delà ? Avec cette force-là , ne devait-il
pas vaincre ?
***
-:- Alors, ce tte photog raphi e : ... E$ t-elle pour
aUJourd'hui ou pour demain ? ..
L'étudi ant releva la tête .
. :-- Pardon ne-moi , dit-il ... Je retarda is encore la
lOle de te la montrer.
Pierre Vallin se mit il rire.
�46
LE SPHINX AUX C1J;EVEUX D'<;>lt
- Veux-tu que je passe la nuit chez toi, interro,
gea-t-il. .. Tu me la montrel'as demain matin .•.
- Tu plaisantes?
~"
Peut--être.
- Tu as rlÙson, je suis idiot ... Allons, j'y vais.
11 quitt.a le divan et passa dans la pièce contiguil.
Quelques secondes plus tard, il revenait avec le
pl'écieux objet.
- Donne, fit Pierre vivement.
Jacques lui tendit Je portrait, qui était tiré sur sépis..
Puis il observa s'On ami avec un peu d'inquiétude.
- Commen"Lla trouves-tu? demanda-t-il à mi-voix.
Pierre ne répondit pas ... Il s'e!Iorçait de dé{lhiITrel'
l'attirante physiunomie que roproduisait , l'image.
Yvonne étuit prise de trois quarts, la tête légèrement inolinée, un demi-sourire éclairant son visage
d'ufi{l ]umi
~ l'e un peu voilée, qui retenait l'attention.
Les yeux, lroFl OUVOI"ts, n'étaient pal:l assombris par
ta. frange des longs cils; Hi! regardaient trôs droit,
sans langueur, sans dureté non plus, mais leur
expression était cependant complexe et indéfinisNahle, .. On y lisait on même temps, somblait-il, la
fra nchise et la retenue, la tendresse et la froideur
la g:üeté et la mélancolie ... Mais tous ces sentim~
(:ontra.licLoires no donnaient auoune impression
d'ensemble ... Ils avaient chaeun leur réaliLé propre
et paraissaient rebelles à toute fusion. Un seul fait
s'imposait des Jo premier examen ... C'est qu'il n'y
avait rien d'artificiel dans l'attitude de la jeune fille.
On &entaiL que sa nature devait êtro telle que Ses
traiLs Jo. l'opr6sontaior.lt, ()'ost-ù-diro Ilharmanto, mais
énigmatique.
« Je comprends l'amour de Jacques », pensa Pierre
Vnllin, .. Mnis il ne sut s'il devait envier flOU ami ou
10 plaindre ...
�LE SPIUNX AUX CHEVEU X D'OR
-
47
Eh bien? deman da le jeune homme , que ce
gile:le e inquié taü . ..
Pierre dit seulem ent:
-::- Elle est tl'Gii jolie.
Jacque s eut sa petite moue mécon tente.
- C'est tout ce que tu en dis, fit-il sur un ton de
reproch e.
- Mais, mon vioux, que veux-t u que je dise de
Je ne sui" pas un po ète, m,oi ... Je ne sais pat;
pl~s?
falre de descrip tions lyrique s . .. Ecoute , je la trouve
ravissa nte ... Elle a une grfice tr.38 séduha nte ... Ses
cheveu x paraiss ent tr..ls doux, très Boyeux, et olle a
Une coiffure exquise, tr0s personn elle ... Et puis, que
:veut-tu encore ?... Ses yeux sont superb es et très
Intellig ents. Et puis, ces oreilles sont bien ourlées,
~a houohe est parfait e et son menton a une fossette
.
Irrésist ible ... Voilà.
.
épaules
les
Jacquet! haussa
- Mais ce n'est pas ce que je te deman de, fit-il
l'impre ssion qu'elle te
aveo d6pit. Je veux sav~ir
t...
produi
- Mais .. . une impres sion excello:nte ...
Cette fois , Jacque s frappa du pied.
- Une impres sion excellente 1. .. Mais tu 6S aSBom·
ce soir. Tu ne trouves que des formules stu~ant
PIdes, à soixan te centim es la douzai ne ... Tout de
de même, j'attend ais autre chose 1... Enfin, quoi, tu
en as souven t rencon trées, des femmes comme celleln? .. Il Y en q il tous les ooins de rues, pl:lut-être? .. ,
Et à. la Faoulté , c.ela pullule , sans doute ? .. Enfin, {
regarde -la un peu, voyons ... Dis-moi si elle n'a. pas plus
d.e charme que toutes les actrice s de théâtro ou de
c1ll6ma pour lesquel les tu t'embal les certain s jours
et pOur lesquelles tu trouves des 610ges tout de
môme un peu moins plats que oetto CJ. excellente
�48
LE SPHINX AUX CHEVEUX n'OR
impression» que te sugg6re la vue de ma fiancée.
Pierre était stupéfait. Il n'avait jamais vu son ami
dans un t el état.
« Pauvre type, pensa-t-il, il est bien pincé 1 »
Puis il ajouta tout haut, parce que les invectives
.
de Jac ques l'irritaient un peu:
- Pourquoi dis-tu quo c'est ta fianc ée? .. Tout à
l'heure, tu m'as avoué que tu n'étais pas encore sûr
qu'ello t'aimait.
Jacques bondit :
- Tais-toi, oria-t-il de toutes ses force s, elle
m'adore 1... Je suis sûr qu'elle m'adore 1. .. Je t'interdis d'en douter t
Pierre ouL pi lié de lui.
radouci ... Je n'~.
~oute
pas
- Bon ... Don, fit-~l
un instant. Calmo-tOl. Et pardonne-mol SI Je t'ai fait
dé la peine involontairement.
Mais la colère de l'étudiant était tombée , avec son
exalté}.tion . Il cn était honteux maintenant.
Allant à son ami, il lui prit affectueusement lés
mains:
.
- C'est moi qui te d.emande pardon, dit-il, plein
de remords. Je no SalS pas pourquoi je vÏ(ms de
m'emporter d'une façon anssi absurde ... Tu m'a'Vais
dit des choses très gentilles Sur Yvonne ...
- .. , Du moins, je le croyais ...
- Tu av~8
raison ... S~,uloment
moi, je la place
sur un toI pIédostal que J attendais de toi le inôllle
enthomiastne , cc qui était stupide, puisque tu ne l'as
jamais Yuc.
-' Mais elle me paratt délicieuse, marrio sur cêLte
photographie ...
- Non. La photo ne donM presque rion ... Je m'on
rends bien compté; à Céux qui ne connaissent l)M
Yvonné, ello doit sem bler très banalO.
�LE SPlfINX AUX CHEVEU X D'OR
-49
Malgré lui, Pierre Vallin se récria:
- Banale ? Non, certes ... Je n'ai jamais vu une
express ion pareille .
Le ton sur lequel il venait de parler surprit visiblement son ami.
- Es t-ce un éloge, ou une critiqu e? demanda-t-iJ
en sourian t.
lierre rosit imperc eptible ment:
- Mais ... C'est un éloge, mOIl vieux . .. J'espèr e
que tu n'en doutes pas ...
- Tant mieux 1... C'est que, vois-tu , Yvonn e ne
plait pas absolu ment à tout le monde . Certain es
gens la croient tros orgueilleuse, d'autre s la prétend.ent coquet te ... En réalité, e11e est douce ettend re ...
Mais c'est une femme supérie ure ... Son caraotè re et
son intellig ence la placen t tlès au-dessus des autres.
Aussi est-elle un peu mystér ieuse; quelqu efois renfermée ... quel'{uefois irrÜabl e. Mais elle en a le
droit ... Et moi Je ne songe pas à lui en vouloi r ... Je
la sens telleme nt au-dess us de moi.
n s'arrêta un instant , comme hésitan t... Puis il
reprit sur un ton plus intime, cal' il avait besoin de
sc conlier il son ami:
- Écoute , si tu veux bien t'intére sser à mOIl
potit roman , et considé rer tout ce que je vais te diro
comme un secret que tu dois seul connalLre, je vais
t'expliq ueroxa ctemen t cequ'il y a entre Yvonn e et moi.
Pierre, déjà intrigu é ct voyan t que ces confidences
étaient nécessaires à Jacque s, s'empr essa d'acqui escer
à son désir et l'assur a d'une discrél ion absolue .
Jacque s quitta son divan et approc ha un fauteui l
do celui de Vallin.
- C'est assez ennuye ux à raconte r, comme nça-t-i l
avec un certain embarr as, mllie je veux que tu saches
tout ... Toi seul pourra s me conseil ler ...
�50
LE SPHINX AUX CHEVEUX n'OR
- Parle ... N'aie pas peur ...
- Eh bient Yoilà: tu sais que je na suis pas
du tout ce que l'on appelle un garçon débrouillard ...
Pierre ne put s'empêcher de rire.
- Ma foi, diL-il, j'aurais de la peine à soutenir le
contraire.
- Bon ... Je ne m' en fâche pas ... D'autre part, il
est inoontestable que je n'ai aucune disposilion pour
les sports.
-- Incontestable.
- Et que j'appartiens plutôt à ta cat~gorie
des
intellectuels maladifs qu'à celle des intellectuels bien
parlants dont tu fais partie.
- Ce n'est pas ta, faute ...
- Peu importe... Je continue: on me considère
généralement comme un type aSsez naïf...
- Il est Vl"I1i.
- Rêveur ...
- Tros rêveur.
- Trop sen!iible ...
- Vn peu trop.
- Trop chimérique ...
- Beaucoup trop.
- Ayant des goû~
s trop féminins ... et Un tempéra,rr.uut trop nerveux.
- Et en même temps tl'oplymphatique.
~
Peut-être. Ainsi le tableau os.t complet?
~ Il me semble. Eh bi~n?
- Eh bion 1 tout cela déplait ù Yvonne.
- Diablel
- Du moins, oortaios jours ...
- Pourtant, t.u no lui es pas indifférent.
Oh.' CO~L08
. non:" ~t
j'a , ~ confiance en mQu
MIlOU!' ; Je saiS, JO SUlS sur qu li sera valnquOUl' ...
�LE SPHINX " ~VX
CD!:V1:UX D'OR
51
il vaincra it plus vite si je pouvai s
.
naLu!'ü
ma
l'
change
- Comm ent cela?
ce que je ne suis
- Oui, je voudra is deveni r ~out
etc., etc ... Ainsi ,
,
réaliste
n,
di
dégour
, «
pas: sportif
..
'.
.
Je se1'alS cerLalJl qu'Yvo nne m alm errut.
Pierre l't-ilécbit quelqu es minute s ... 11 était de plu'3
en plus surpris de ce que disait son ami ... Quel!l
pouvruenL être les sentim ents de l'étrang e fille dont il
lui parlait ?... Quo signifia it cette attitud e bizarre ,
cette situatio n trouble ?.... Comm ent compre nùl'e
cette femme qui accepte d'êLre rogardé e comme It'
(lancée d'un homme dont le caractè re même lui
déplatt ? ... Car, Cil Homme, ce qu'Yvo nne Surgèr e
sembla it détctLel' en Jacque s Renaud , c'est ce qui
aurait dü la charme l' le plus si elle l'avait réellem ent
aimé ? .. Cette candeU!' d'ame, cette délicate sse de
cœur, n'était- ce pas ra qu'il y avait de plus toucha ut
chez l'étudi ant? .. , La fragilit é même do sa natUl'O
n'était- elle po un dos élémen ts de sa séducti on? ...
Lui deman der d'être viril, robusto , sportif , n'étuit- ce
pas vouloir qu'il Illeure pour ressusc iter dans ln
person ne d'un autre homme qui n'aurai t plus rien de
commu n avec lui, hormis l'appar ence physiq ue et
l'IHat civil ?.. , Est-co que l'on deman de aux roseaux
de 50 change r en ohônes ? ,., A la grâce do so change r
en force ?.. , Aux colomb es de deveni r dos aigles?
Pour exiger uno telle translc rmatio n chez Jacque s, il
rallait vraime nt qu'Yvo nne ne l'aimât pas .
Pierre interro gea encore, voulanL malgr6 tout
CS!lérer :
- Ce que ta fiancée souhai te, estrce seulem ent que
tu devien nes moins narf, pour no pas en sou!Irir dans
la vio , eL moins chimor ique, pour avoir par la suite
moins de décepti on ?... Ou hion lui dép lait-il aussi
,~eulmnt
.
�52
LE SPHINX AUX CHEVEUX D'OR
que tu sois un rêveur, un poète, plutôt qu'un homme
positif et pratique ...
Jacques parut un peu étonné de la question de 80n
ami.
'
- Écoute, répondit-il après quelques instants, je
n'avais jamais réfléchi ù ceUe di8tinction ... Mais il est
certain que très souvent autrefois, et encore actuellement, Yvonne m'a reproché assez violemment
d'aimer la rêverie ... Parfois, j'ai l'impression qu'elle
partage mes gol1ts, qu'elle est nussi sensible que
moi ... Mais, à d'autres moments, elle déclare que je
suis un sot d'aimer les poètes et que je serai toujours
comme eux un bon à rien.
- En somme, elle a un caracL.}re assez vcrsatile ...
permets-moi de dire même assez fantasque? ...
- PeuL-ê Lre ...
Un nuage voila un instant le r()gard de Jacques ...
!'Irais, presque aussitôt, ses prunelles bleues retrouvorent leur limpidité, et un beau sourire heureux
éclaira son visago... EL il murmura la voix pleine de
tendresse:
- Mais qu'importe tout cela? 1 uisque mon amour
la vaincra? ...
Le joUI' commençait ù déclinel·... Les derniers
rayon s du soleil flltraient ù travers les sLores et la
baic entr'ouverte laissait entrer dans la piôce ~n air
lÎ.}oe, rafraîchi par la douce brise du soir ... Jacques
prit la photographie d'Yvonne et alla lu placer sur le
"uéridon, contre un vase de roses blanches dont le
~arfum
pur et suave semblait traduire le cha l'me
rn.}me de la jeune fille ... 11 lui sourit sans nulle amerlume, sans nullo imploration, d'un beau sourire conliant, qui n'était pas ceh;i d'un soupirant, mais. bien
plutôt celui d'un fiancé.
Le regard de Pierro \ allin erra un inslo.ut du por-
�LE SPHINX AUX CHEVEU X D'OR
53
trait au, vi sage de Jacque s... Les yeux du jeune
homme étaient émouv ants par la sincéri té, la clarw
de leur impression ... Mais qui aurait pu lire dans
ceux de l'image ? .. L'arc méprisant des souroils semblait démen tir la douceu r des paupières... Et la
fl amme sombre des iris brûlait sans éolairer, comme
la lampe ardent e d'un sanotua ire mystér ieux ...
Hélas 1se rencon treraien t-ils jamais, oes beaux yeux
d'un éclat si diiTére nt ? Et sous la oaresse de ceux de
Jacque s, ceux d'Yvon ne refl éteraient-ils un jour la
soumis sion ct l'aband on de oe oœur trop altier?
Pierre n'o sa pas éoouter la réponse que sa raison
lui souffla it ... Une image doulou reuse venait de traverser son esprit: celle d'un pauvre enfant qu'un
désospo ir atrooe terrassait pOl.r toujour s et que la vie
avaü pour toujou rs brisé , dès le premie r ohoo, dès
10 premier chagrin d'amou r ...
Il détourn a la tête, pour ohassor co LLe vision ...
Accoud é à la table, Jacque s so uriait toujour s.
Il s ùemeu rèrent quelqu es minutes ainsi, côte à
côte, tous deux penohés sur l'aveni r, et tous deux:
certain s de le prév oir, mais 60 US qu ell ef: couleu rs
Opposées 1...
L'étud iant le premie r s'arrac ha à son rêve.
- Je te deman de pardon , fit-il vivement; je dois
t 'nssomlT\er ct je remplis bien malles deyoirs de l'hospitalité ...
. - Mais pa s du tout, dit Pierre, je me trouve très
bien ici ... A moin s quo je ne to gêne ... Si tu as à
travail ler, je vais me retirer, naturel lement ...
- neRte . Jo suis libre jusqu'a u dlnor ... Nous rosterons à fumer en écouta nt la T. S. F ...
- Excello nte idée ... Ton poste est bien moilleu r
que le mion ...
- En tout cas, il a l'avant age de marcher tout
�54
LE SPllINX AUX CHEVEUX D'OR
seul.. . Si j'avais le tien, il serait toujours détraqu6,
cal' tu sais que je n'y connais pas grand'ch'ose ...
Qu'est-ce que tu désires entendre? Voici les programmes de ce soir.
Il lui tendit un journal de radiopllOnie.
Pierre le parcourut, à haute voix :
- Voyons ... {ci nous avons une causerie But' l'ôlevage des cochons noirs en Argentine ... Là, une conférence sur l'œuvre de la Société des Nations ...
- Passe ...
- Voici q:Ji est mieux et qui te conviendra à merveille : la boxe ~n
vingt et une leçons, première
R6ance ; le direct et le swing.
- Passe, passe ...
- A Londrcs, on nous oiTre aimablement u.n COU1'6
de françaia élémentaire ... Je n'insiste pas ...
- Voyons les concerts ...
- Toulouse ... No.ples?
- Paris, tout simplement... Je tourne les boutons.
Du beau meublo d'acajou qui fai sait face à la
bibliothèque, la. voix d'uu speakeJ' lI' éleva aussitôt
nêtte ot lente, il peine nasale:
'
-- ... Vous allez OIüendro l'aü' du duc do ManLoue de Rz.goletto, de ohanté pa.r :\1 .. ,
Pierre inLérrompit l'anno'noe par une hrUGque
oxclamation :
-- Non non, mettons autl'e ohoso.
- Po~rql1i?
fit Jacquos ... J'adore les vieilloH
rengaines.
-. Alol'l3, écoutons, r6pondit Vallin ({ui n'osait
n'louer 10 sentiment dôlioat auquel il venait d'obéÎl'
on désappJ'ouvanL le choix du morceau.
D'ai1lr'!l's, il était, trop tard : apros 10 pnHudt) dol'l
" iolond, I~ ténor \'(ll1ruL do lancer duns 1'uil' 108 vre-
�X D 'OR
LE SPH INX AUX CHE VEU
55
IDS ,;yllabe;:: légèl' ''J
mièl'cs !lotes do la can tilèn e, et
sc:m daiont la st,ro phe fam eus e:
Comme la plLUne ait "enl
li'emme est "oiage
Et bien pen sage
Qni s'!J [ie un inst ant / ..•
/;!': aux flancs du
... Sur le gué rido n de C'ordl, ados
yonne sou riai t
d'Y
t
vaee de rose s blan che s, le por trai
toujr
~.,
CH API TRE IV
LVCIE:-l CAZ AC.
y se hâta ient dan s
Rog er Bel mon t ct Ber tran d Jard
Jes rues de Chi non .
, disa it Ber tran d
- Mar che don c un peu plus vite
de cou de dan s Jes
en bou rran t son ami de cou ps
gara ,
n'aUons pas rela nce r ce dam né
côte s; si nou~
ma
et
ps
tem
à
te
prê
gist e, la voi ture ne sera pas
le.
sab
pon
cou sine m'e n rend ra re
hor ions ave c usu ro.
Rog er ripo sta, en lui ron dan t ses
mon ohe r, mai s hab itue llem ent
- C'es t pos~ible,
nati ons d'Y von ne.
tu te sou cies asse z pcu dei'! récr imi
if de vou loir al'rimot
e
- Aus si bien ai-j e un autr
ues Ren aud ost
Jacq
...
mur
Sau
vcr Il J'he ure à
te J'ai d6jà dit.
pretlque un fr::r c pou r moi ... Je
chic typo ... Et pui ~ ,
. - C'e st vra i qu'i l a J'air d'un
desc ente du trai n.
sa
à
cée
11 faut qu'i l trou ve Ba fian
;
tôtp
la
ha
Ber tran d hoc
peu t-êt re bea uco up
, . - Sa fiancée, dit- il... C'egL
YVO flllP J'
oir ave~
"av
lb-e ... EsL-ce qu'o u pou t jam ais
oi dilrqu
Pou
...
ibJe
H
hfl:1
':·
-- Enfill, ·'os t inco mpl
�56
LE SPHINX AUX CHEV EU X D'OR
elle ù tout le mond e qu'ell e a l'intention de l'épouser et pourquoi ne veut- elle pas admettre qu'elle est
définitiv ement engagée envers lui ... Je t'avoue que
Marthe en es t très surprise ...
- Ce qui est r,ertain, c'est qu'elle ne doit pas teni r
beaucoup ù Jacques ... 811e le prend parce qu'olle n'a
pas trouvé mieux, voilà t out ... Ah ! en voilà un qui
ne rira pas tous les jours !
Tout en poursuivant leur marche rapide, les deux
jeunes gens échangeaien t en syllabes brèvOfI ces r {o flex ions dont il s n'avaiont guire l'habitude, mais que
la conduite d'Yvonne les amenait à for~ule.
Bertrand conclut avec un clignement d'(T il
en tend u.
- Les fem
e~ , vois-tu, cc n'est pas fait comme
nous.
Oui, approuva Ho ger, co sont des ètres
mystérieux.
Et ses dix-huit pl'intemps meLta ient dans ces mots
beauco up plus d'admiration quo de mép ris.
- Mystérieux, c'est cela, répéta Bertrand sur le
m ême ton de crain te ot de ferveur inavouées ...
Le l'oman de Jacques et d'Yvonne, dont ils pressentai ent confusément la po és ie et la Ll'istesse, (nur mentaient ce rtaines régions inconnues ct enco ro bien
obscures de ]r urs cœ urs adolescents ...
Ces co ll égiens spo rlHH, qui ignoraient tout de
l'amour et qui n'en parJ aiont jamais, commençaien t
pourtant ù devin r, sa ns même s'e n rendro compte,
qu'il y a autre chose dans la vie quo les exa men s et
les championnats de tennis, d'autres sentiments l'Ju ~
J'amitié et ln camaraderie, d'autres forces quo celle
des rouscleF ...
Sans qllïls voulu3<;en t le reconnaître, les jeun l:s
til bs auprt:s desquelles il!) \'i vaÎent , MûrI he, tlfJ:ur ua
�LE SPHINX AU X CH EVE UX n' OR
57
~o g er, e t Yvonne, cousine germaine de Ber t rand les
Intimidaient., en dépit de leur faiblesse physique,' par
tout ce qu'il s sentaient en ell es de supérieur à leu rs
propres conceptions en core trop frus tes et trop
enfa ntines .. ,
Certes , ils donnaient tor t à Mlle Surgère, mais
t?ut en sentant au fond d'eux-m 0mes qu e les questIons sentim entales ne se rés olvent sans doute p as
avec la même ne tteté quc les problèm es de géométrie
que l'on apprend au coll (\ge . Ils j ugeaient p éremptoirem ent, pour n e pas réfl éc hir, parce qu'ils avaient
peur de ne pas compren dre .
. D'ailleurs, ù leur âge , on n'aim e gw;r e à s'appesan~Ir
Sur les ques tion s psychologiques ... Auss i eurentIls tôt fait d e change r leur suj et de conversa t.ion .
. Les préocc upations d'ordre m écanique repl'i1'8'lt
Vile leur place dand le urs espriLs.
Le 80rt d e l'automobile qu 'ils avaient la char go de
r~men
e l' chez Mme J al'dy les inquiétait du res te à juste
tItre... On allai t a voir bosoi n do Ja m achine p our
aller chercher Jac ques R enau d II Saum ur ct., d epuis
la veill e, oll o était en réparation ch ez le garagiste.
Bertrand, qui n'a vait son p el'mi; de condui l'e que
depuis quatre m ois ct qui no r ôvait que courses
folles et v itesses v ertigineuses , était r espon sab le de
Ce désas tre ... E n prena nt un virage ù soixante kilomètres il l'houre il s'étai t Lro uvo brusquemen L ell
face d'un chal' de foin, ct, pour l'éviter, il avait
ronc6 contrc un arhre... Pa r bonh e ur, ses J'r eins
avaiont con
s id é r a bl e m c n~ am orti le choc cL Rèu le'l Ja
roue et l'aile droite d e l'a uLo paraifiiiuien t avoÎl'
S O~(T
e rt ... Le m 6can icicn a vai L promis q uo la réparation seraü Oifcc Lu éc le lu ndi il une heure et t1cmil' .
. I ~ t c'es t pourquo i n os jeu nes ami s sc hût nicnL ce
JOl1l'- là V Ol'" ~ o n :lle!i cl'.
�58
LE SPHHlX AUX CIIEVJ:UX D'OR
- Le train do Jacques est à deux heures quarante·
cinq ... Nous aurons fucilr.mel1t le temps, ei tout est
prêt, d éclara Roger.
A traver:l le~
rll'llle3 pIttoresques de la jolla cité
tourangelle, ils avaient enfin gagné le garagc et
s'élanr;aienL dans le hall POIlI' prendre possession de
la voiture .
Mais, ft leur vive décep tion, celte·ci était encord
tlémontfle et ne paraissuit nullement remi~c
en ('tllt
de circulor.
- Eh bi-ml s'exclamu Dortrand, cc n'est donc pas
prêt?
Le mécanicien vini. à eux en l'ou13.1IL une cigarette.
- Ma foi non, répondit·il, votre auto a « trinqué
plus qu'il ne semblait au pr(lmier abord. Vou,; avez
un moyeu fendu, OL la barre de direction ost tordue
cn deux endroiLs",
- Alors, on ne pout pClô avoir lu machine avant
plusieurs heures? fit noger ...
- iJiLes avant plusieurs jours .. , 11 y u au .moins
U1IC pi ce à remplacer, cL il faudra que je lu fasse
venir,
Bertrand Noi t. ~ , LOrr!>.
- Eh! blell, u'e"L g<.i 1 sOUl/ira·t·il. .. Qu'ost-ce que
va dire Yvonne?
- Et s'adressan t fiU garagiste:
Ditog·moi, dit·il, est-ce quo YOus ne pourriez
paf! nous louot' une voiLure pour faire une coursa
l1l'gcnic il Saum ur?
Malh~urosment
non, rup?ndit l'autro, je n'cil
al )ln~
dl' lIbrc actuclleml'nt, et. Je doul!' 'lue VOUf! Cil
trouviez une il ChinOlI.
Bertrand 1'1 Bogel' partirent j'oroilJl' basse .
11 curenL heau fil'.., lo tour do la ville, ils nI'
purellt se !,l'ocurr l' alleua moyon cio tNlD spOI'L .
)J
�LE SPHINX AUX CIIEVEUX n'OR
59
- Que faire:> dH Roger, il n'y a pas maintenant
de car pOUl' Saumur... Gérard Bruyèl'0 n'a pas
d'auto et celle d'Henri Davaine "st aussi en réparation ... Nous sommes frais 1..
-- Si E>eulement, je connaissais quelqu'un ici, fiL
Bertrand, nous pourrions emprunter uno machine.
Mais la Tuili(re, propriété de Mme Jardy, élail,
située hors de la ville, et la m01'e de 13erLl'and, qui
habitait Paris pendant le reste ùe l'année, n'avait
quo peu de relaiions avec Je5 citaùin::;.
- Tant pis, jeta Roger Belmont, il faut en prendre
notre parLi.
Ils firent demi-lour piteusement, forL peu pressés
d'annoncer la mauvaise nouvelle aux jeunes filles.
- Tiens, Dt le frere de !\larLho, comme ils s'apprêLaient à gagner le pont de la 'lionne ... C'e~t
cette
voiture-Ill. qu'il nous faudrait.
~l désignait uno somptueuso conduite intérieure
qUl ste.Lionnait GUI' le quai Charles- \Ill. ..
Bertrand se retourna et poussa un cri de surprise.
- Eh mais, c'csLIa Cord do Luci.'n Cazac ...
Une jeune femme élégante était debout auprès de
l'automobile. Son exolamation il~!ü'a
l'les rcvards.
- C'esLSQ sœur, chuchota Bel'Lrand, à l'oreille de
Roger. Elle nous a repérés, il faut quo je lu salue.
Commo ils ôtaient leur chapeau avec un certain
embnrrll8, ils virent 10 pl'opl'ü1taire du fameux horsbord qui sortait en coup de vent d'un magasin.
LUCIen élait en costume de sport, avec un pullOver do laine blanche ot des oulottea do golfe ... Il
les reconnut aussitôt et leur fit signe d'approcher.
Les jeunes gens Il Il':J'en L lui sel'l'er la main.
- Jo suis tl'ÙS heul'eux do vous voir, fiL-il avec
:IOl\d~ur;
J'espère que vous nO m'on vouloz pas
PP UIS 1autro jour ...
�60
LE SPIIINX AUX CHEVEUX n'OR
II présenta Roger à sa sœur.
- Vous êtes sans doute le frère de la charmanLe
personne que Ronny a eu le malheUt' d'efTrayel'
sur la Loire ? interrogea-t-il en souriant?.. . Lui a-telle enfin pardonné? .
cc Elle paraissait bien eneolère ... Je revois encore seH
yeux chargés de courroux .. . Ah 1 elle a bien su me
morigéner 1. .. Mais je ne luien veux pas,je Jeméritais ...
- Cc n'est pas la sœur de mon ami qui vous 0
morigéné, r épondit Bertrand en éclatant de rire ...
EJle avait bien t.rop peur pour porler ... Celle qui
vous a répondu si vertement, c'est ma charmante
cousine Yvonne Surgère .. .
Lucien paru surpris et ravi. Sa famille était en
relations avec Mme Jardy, et il était étonné de n'avoir
j::.muis rencontré Yvonne jusque-là .. .
- C'est qu'olle est restée pendant six ans en AngletOI'J'e, expliqua Bertrand i c'est cette année seulement
CJu'el~
e8.t re~nu
ft )"'Iaris, ct elle n'est ici que
depUls qUInze Jours.
- Eh bien 1 dit Cazac, puisqu'elle est votre cousine, vous intercéderez pOUl' moi auprès d'elle, n'est-cc
pas? .. _ Vou s lui direz que je suis un imbécile une
vrute, et que je lui dom.ande pardon.
'
11 parloit avec une chaleur qui surprit les jeunes
gons ... Pourtant ni Bertrand ni Roger no 8UppOf;tll'ent sur 10 moment que le charmo d'Yvonne avait
pu agir tlur lui, il l'instant méme où 0110 lui parlait
avec le plus de mépJ'is ...
Ils s'apprêtaient à prendre congé do 1\1 11 0 Cazac
et do son fr';re, tout en regrettant de no pouvoir Jeur'
emprunter Jeur magnifiq.u? véhicule pour qu e lque~
heuros, lorsque Je JlléCanICIOn du garage c;hoz loqu1)1
jJ ; s'étaient rendu b une domi-heure auparavunt déb o\.l(,!}m il bicyclette au lOllt'rt Unt de la rue.
�LE SPHINX AUX CHEVEUX D'on
61
Les reconnaissant, il mit pied à terre.
- Je suis heureux que ces mess Ît:mrs aient trouvé
une voiture pour remplacer la leur, dit-il aimablement ... J'avais oublié de dire à ces messieurs que tout
sera réparé dans cinq joura .. .
- Qu'est-ce que c'est? s'enquit Lucien avec empressement, vous avez besoin d'une auto? .. La vôtre a eu
un accident?
Force fut aux deux garçons de narrer leur mésaventure.
- Que ne le disiez-vous plus tôt 1 Je n'ai rien il faire
cet aprés-midi .. . Je vais vous conduire fi Sawnur ...
Cazac pal'uissait enchanté de l'ail'aire. II ajouta:
- Et puis, vous save:>:, j'ai de la place . Si mesdemoiselles vos cousines veulent venir, ma sœur sera
ravie de faire leur connaissance .
. Bertrand ct Roger furent d'abord un peu gênés, C:1r
Ils se rappelaient la mauvaiae impression que 10
bouiUant jeune homme avait produite sur Yvon ne
et Marthe... Mais ils ne pouvaiont pas refuser sanf!
p.araitre impolis ... Et puis c'était une occasion à sai·
SIr ... Et UIle promenade d'une heure n'en gagea it pas;J,
grand'chose.
Sur l'invitation de Lucion, ils montèront donc dans
la Cord, qui prit aussitôt la direc ti on de la Tuili j re.
Pour s'y rendré on traversait la Vienne et l'on gagnait,
par da petits chemins plantés de noyers odorants,
u n.o prairie coupée d'une large allée qui co nduis:ut en droito ligne à l'entrée de la propriété ... Une
haute grille Louis XV, dressée entre doux piliers de
br~que
s rO::les, donnaiL accès au petiL parc qui entouraIt en demi-cerclo ln vieille demeure qu'habitait
Mme Jardy... Une vaste polouse s'étalait devant
l~ perron, occupée à son centre par un joli bassin de
plone et gal'nie sur son pourtour de massifs de géra-
�62
LE SPHINX AUX CHEVEU X D'on
niums .. , Quand ils furent arrivés , Dcrlran d Gauta ft
... L'autel
tcne et ouvrit la grille li deux ba~tn3
rnant la
co?tou
et,
l'enclos
dans
t
aussitô
ea
s'engag
pelouse vint en roulan t sur le graVlûl' craqua nt
c!ovant la porte princip ale,
s'Qrête~
dit, le pl'e:nie r, très Ù son aise, en ajus.
deacen
Cazac
tant avec satisfao tion son nœud do cravate ... Puis il
jeta Ull coup d'œil autour de lui, car des bruits do
voix sc faisaie nt entend re, et l'une d'elles ôtait c1.llle
d'Yvon ne,
Les jeunes filles vennien L on eIreL d'enten dre la
Lrompe de J'auLo ct, croyan t au retour de Bertran d ct
d"lHog er, ellos se hâtaien t d'accou rir.
Luden les vit débouc her au détour de l'alléo
vûtues de l'ohes légôres et têtes nues, causan t avo~
animat ion, Yvonne ét.ait on bleu pâle, Marthe tout
en blanc; sous le ciel lumine ux, dans ce cadre chal"
mant do {Jeurs et de verdur e, ellos formai ent UII
de grâce et do fraîcho ur: .. La. souple
tabloau exqu~s
ehevelu re noue do Marthe , quo 10 soleIl teintai t de
)'Onets bleus, donnai t à son joli visage une clarté de
lys .. , Celle d'Yvon ne étaie un ruitisel1omi3nt d'or.
Jamais Cazac n'avait vu uno Lelle ricbass e dû ton
une Lelle abonda nce de boucles ... La fiancée de Jac:
que " porLait uno coi n'ure en diadèm e qui combombé , mais
primai t un peu so!, bean front il. ~eino
nte qu'on
luxuria
III
sève
uno
t
BOS cheveu x, avalOn
ils houPit
imposa
leur
qu'elle
s
tOfl:lade
des
d6pit
de sa têto on auréole blonde
faioll,t, tout ~utoUl'
oL Il echappm,ont do toutes pal'ts on volutes vapoen parlant , poncha it
... La Jouno fille, t~u
l'OU~CS
cou flexiblo ployait
son
SI
commo
sol,
le
vefD
la teto
trop lourde .. , ~i elle ni Marthe ,
sous ceLLo co~rnw
'C arI'j.
():lIlJ douto, n avalen t encor" vu los nouveau
W.1I1ts.
�LE SPHINX AUX CUEVEUX D'OR
63
Mais Lout il coup, sur un cri de surprise de son amie
Surgère se redressa vivement... Elle n'était
plus qu'à dix mètres de Lucien; elle le reconnut
immédiatement, ct bon vÎ!;agc se colora d'un flot de
san2·
Cazao s'étaiL avancé vers olle et s'inoliaait avec défél'ence.
En deux mot..q, il expliqua le mo tif de sa venue et,
faisant signe à sa sœ Ul' d'apP l'ocher, il la présenta
aux deux jeunes fl e~ .
Redout.:"l.nt un peu ce premier con lac • Bertrand at
Roger se tenaient en .'etraiL, laidsanL le jeune homnle
se débrouiller seul.
A coup sûr, Yvonne et Marthe étaient interloquf'es
de la propo::.ition de Lucien. Elles balbutir\rent
(Iuelques remerciements et, pour I;acher leur trouble,
lui propos,')rent de l'introduire avec sa sœ ur aupr\.lS
de Mmo .I ardy. Celle-ci, qui lisait dans le salon d'été
de la maison, reçut loa arrivants avec son alfabilité
coutumière. C'était une ferr,me très douce, un peu
effacée, aveo des bandeaux presque gris et un beau
sourire triste... La famille Cazac ne lui était pas
Lrès sympathiquo, mais elle acceptait de la recevoir
quelquefois à chaqne saison, parCB qu'elle savait que
son fils avait une CCl'taine admiration pour Lucien et se
plnignaiL souvent, avant de connallre Hoger Belmont,
do manquer de camarados de vacances ... On ee l'app61le, en effet, que ~lart.he
et 50n fr.ire venaient, cette
année-là, pour la première (oh, paBller une partie de
leur congo chez la
rI! de Bertrand ... AuparavJnt, OH
efTet, Yvonne habilaül'Allgleterre, eL c'est ù peine si
R.oger llonnnissait son cousin. Quant Il Gérard Bruyère
ClL Il Henri Davainc, ils venaient aS3ez rarement en
T :>uraine jw\qu'à catte rpoque ... Force était donc à
Mine Jardy de fr(oquenLer 108 pru'l.!.,ts ùe Lucien, indusMlle
m'
�64
LE SPlIINX AUX CHEVEUX D'OR
tri als assez prétentieux, un peu ~arvenus,
et qui
aimaient à alli cher un luxe .p~rfOIS
tapageur, fort
opposé à sa réserve et à sa dlstinctiOn personnelles.
Au demeurant, c'étaient d'assez braves gens qu'elle
BupportaiL facilement, par amour, pour son, fils.
MllO Cazac était une personne tres superfiCIelle, mais
sans malice, occupée excl~sivmnt
de ses toilettes
et de sa beauté .. . Elle éLaIt toujours très peinte et
très parfumée, adorait.la danse et ~'aur.it
pas manqu é
de charme si elle avaIt été plus lULelhgente ... Mais
su conversation était à peu près inexisLante. Elle
n'ouvrait la bouche que pour parler de modes ou de
mondanités.
Très supérieur il elle pnr l'esp rit, son frère avait
u ne personnali té beaucoup plus mat'quée, mais il
n'inspirait pas g6nl~aem.t
plus de sympathie. Très
bporlif eL assez culLIvé, malS sans profondeur ct sans
Jinesse il r ~a li sa iL assez bien le type de l'égolste
aimabl'e eL souriant, désireux de plaire et d'ê tre
admiré, bon enfant quand rien ne le cOllLrarie eL tout
gonfl é d't~ne.
incomes~rabl
vanité plus naïve
encoro qu odIeuse ... Il étaIt perauadé que toutes les
femmes rafTolaient de lui ct qu'aucune no pouvnit
résist er il l'emprise de son regard vert ... C'est pourquoi, sans doute, l'algarade d'Yvonne, le jour do la
promenade sur la Loire, l'avait ai fortement troubl \.
Pour la première fois, une jeune fille avait paru
insensible à sa séduction, pour la première fois uno
bouche féminine lui . a~iL
adrossé des paroles humi liantes ... EL quolle Johe bouche 1... 11 Y avait bien là
de qu?i piquer.au vif notre préLentieux et lui inspirer
]e funeux déSIr de la revanche .... TQut d'aill eurs
l'avaiL étrangement remué on Yvonne, dans leur bràvo
rt originale entrevue: seR yeux magniGqucs, qui
avaient le bleu profond de la mer et qui s'élaient
�65
LE SP HI !'I X AUX CHEVEU X D'OR
chargés, pour le bafoue r, d'une flamm e de colère si
belle et si orgueilleuse .. . sa voix mu siCfÙe aux notes
graves ... Lous ses gestes, enfin, qui voulaie nt être
impéri eux et qui ne pouvai ent être que charma nts ...
A nouvea u Cazac s'émer veillait de la petitesse de
ses mains, du velouté de ses bras ronds, de la souplesse de sa taille nerveu se ...
Elle était deyant lui, silencieuse et comme indilTérente, un peu gênée encore.
Et C'Oflt à peine s'il entend ait Mmo Jardy qui le
remerc iait innoce mment de son obligea nce.
- P8l' oxemp le, dit la mère de Bertran d en s'adres sant à M8l'tbe et à Yvonn e, il ne faudra pas vous
arrêter longtem ps chez Mme de Clairville, pour ne pas
retarde r encore M. Cazac. Vous lui diraz que nous
irons h,iÏ Caire une longue visite dès que son notro
·auto sera réparée .
Cazao, ne connai ssant que de nom la grand'm êre de
Jacque s Renaud , n'osa interve nir, quoiqu 'illni eût été
agréabl e de rester le plus longtem ps possibl e en compagnio do Mlle Surgère.
Brusqu ement, Yvonn e se lova.
- Il est plus de deux heure!! , dit-elle ; il serait
temps de partir, jo crois.
Elle paraiss aü souoieu se et oontrar iée... On so
souvie nt qu'elle avait eu l'intent ion d'êtro Boule à
l'arrivé e de 80n ami. La présenco de Lucien allait
évidem ment gêner son proj et.
Marthe devina sa pensée, et du ton le plus nature l,
elle répondiL aveo un petit sourire qu' Yvonne compr it
.
seulo:
- Et puis, il ne Caut pas oublier que nous avons
une course à faire ù l'autre bout de Saumu r avant
'trois houres . Et môme, si M. Ca zao avait la bonté do
'nous y cOJl(lui re, tu pOUl rais attondr e Jacques pen~
�66
LE SPHINX AUX ClTE VEUX n'OR
dant ce temps-là ... VOUf: nous rejoindriez ens uito,
n'est-ce-pas?
Bertrand et Roger, qui étaient au COura.nt de la
situation, retinrent l'exolama.tion étQl'U'léo qui l1ai85~t
sur loul's l è v\' e~j .
Quant à Lucian , il dit. ~rès
haut~
avoc .un o~lrmant
so urire, qu'il était en ' ~lO l'o~
cnt
a la d.1SpOSitlOll de
Mlle Belmont ... Mais, mtérIeuremont, 11 peni:l u qu'il
serait bien préférable quo oe fût ello qui rcatât il ln
gare ...
Et par u!lllooifÜioIl d'id ées, il s'il1fJ.uiéta·de eavoir
sorait eeule à
qui était co Jaoquos Renaud :ru'Yvon~e
attendle il la desoento du tram de Pnrld ... Il Un ami ll,
lui avaiont dit BrrLl'and el, ROJar sans autre o~pli
oat.iOIl ..•
Mais quello /\O rte d'ami?
Sur le mom enL, il n'y avait pas réfléchi ... r,laintenant, une obscure jaJouaic montait en lui.
Il rAgarda YVO?n e : elle ~
semblait mêmo l'ilE)
remarquer eo~
~xl ston
c e . VtBlblement, GUe .(Icneait.
ft un autl'e ... a I l( autre o.
Cazac se sentit mordu au coour par un eell tÎluenL
pal!. Am OUr-}ll'QP!a ? •.
d6sagréable qu'il ne conai3~.Ü
Amour Lout court?
11 se ressaisit a.vec orgueil. .. Do l'amour? . Ah
nonl .. L'amo ur Oflt un rnaltl'o, ct il voulait.. êl,re
libre ... Et puis, ocltll petite mijaurée, pOUl' tnviel\!l.nte
pae diL
qu'olte rût, ne 10 ffi ?ritait p~8 ... Et Hilo t1Orai~
qu'olle ISe moqueraIt do lUl!.. Non ... Moil:! il Leno.it à
olle ... 11 voulait ln domptor, 80 Venger d'clio". Il
vouJai
~ qu'un jour sa bou.che lui Sourie, quo sos yeux
sc ba18R(mt duvant lUi avec 8o un 1 ission... Oui
c'était cela qu'il désirait, ri on do plus ... Hien d~
plus? Alors pourquoi sc sentait-il si nOI'veux? ... POUl'quoi ne pouvait-il détachor son regard do la blonde
�LE SPl-JINX .... \ JX CHEVEU X n'OR
67
au momen t du
i~ -il,
jeune fille? ... Pourqu oi souITr
de lui offrir
tion
l'obliga
dans
départ , quand il se vit
d celle
Bertran
à
er
propos
de
et
Jl'e
l'arri
il
lIne place
qui éroit à côté de lui?. Pour ne pas réfléch ir, il partit en quatriè me vitesse , prenan t à toute a llure Je
tourna nt aigu de l'all ée , si bien que MmeJ <1rdy qui suivait
leur départ de son perron ne put retenir un petit cri
d'eITl'oi, eL que Bertran d s'excla ma avec admira tion:
- Bravo 1.. Si ç'avait éLé moi, j'auraiR 3ûrem ent
d('mol.i Uh pilier!. ..
Dans 10 petit mil'oir qui lui servait de rétro-v iseur,
Cazac cherch a ù surpron dre la réacLion d'Yvon ne ...
Elle l'egard ait tranqui llem ent par lu portiJl'O .. ,
N'y tenant plus, il dit on flevan t la voix et en tournant à demi la tête vers elle:
- Toutes mes excuseR, mailom oisûlle, j'ai eu pour
que vous ne me gro·n diez comme l'autre jour ...
- Je n'en ai pas le droit, monsie ur, l'rpond it-elle,
vous ôtcs dans voLre auLo ...
e~ ...
Lucien sc mordit les lùvr
co quo vous me uites-Ià, .
gentil,
t1'0S
pas
. - Ce n'est
.Iet.a-t-il enfin ... Je voir! bien que vous m'en voulez
encore.
Cet Le foif{ Yvonnr· l'le l'adùucil. Et olle dit en
flollrianL:
.- Jo no vous eu VCIl\( pa dll lout. .. .Te H'ai par;
un caractère raneunier ". D'aHlour , VPtlR vous racheseI'vico,
tez en nous ren~t
C'6tait une amabiliLé banale, tout juste une poli Losse.
Mais elle mit un baume SU I' le cœur ulc61'6 de Lucion.
- Allons, cela va d6jà mioux, pensa-L-il avec satisfo.etion ... D6cidémont., je croit; que jo la tiens,
Et pour poursu ivl'o son avance , il so livra ft mille
qui lui COllrruil'Ont l'indulgence ùcs
~l'acieU8t{:s
~e1.lnos
filles.
�68
LE Sf'lHNX AÙ-X C1IEVJ:uX D'OR
. --Au fond dit Marthe à l'oreille d'Yvonne, ce
n'est pas un 'mauvais ' garço~
... Nous l'avions ~ans
doute mal jugé'... ·
. ,.
.
- En tout cas, il est complmsant, repondIt son
amie sur le même \on ... E.t il ne manque pas d'esprit,
quoi'qu'il paraisse très v~nIteux.
.
Puis elles parlèrent d aytres quo.lItIOns.
Sachan:t qu'eUe pourraIt receVOIr Ja.cques la première Yvonne étaU maintonantheureusc etgaie ... Bien
qu'el~
ne parlât pas de son ami, ses yeux: reflétaient
une telle joie intériouro quo Marthe Belmontne doutait
pas que touto sa ponsée allât en cet instant à Jacques
'Renaud,
- Comme cela doit être doux d'être fiancée, sou.
pirait-elle intérieurement ...
Et saos dout.e l'image de Gérard BrUYère n'étaüene alors pas bien loin de son cœur... .
Cependant l'auto roulait sllns bruit Sur la rouLe de
Saumur.
Cal~
6 ,par les pa~ols
ain:ahles ùe Milo Surgère,
Lucien Cazac condU1salt moms nerveusement qu'au
départ ... Il avait m ôme ralenti singulièrement son
allure, afin do garder le plus longtemps possible dans
sa voiture la jolie passagère dont il s'étaiL épris ...
Entre les noyers verta,. la valléo du flo!.lve que
suivait la rout.c, d.éveloppult S.Il cOl:rhe graciouse, qua
les branchas lalssme nt entrovou· pénodiquement dans
une éclaircie ... Par les glaces rolevées un eo'urant
. l'
,
d'air pur traversaIt auto, caressant les vi sages ct.
faisant onduler les chevelures ...
Le ciel était d'un joli bleu doré, sallS nuage ... Le
long des haies on percevait le doux parfum des chèvrefeuille s ...
On élait arriv é au confluent de la Vienne el de la
Loire, au lieu même où Ilvllit. 011 lieu, six jours aupa-
�Ll SPHINX AUX CHEVEU X D'Olt
69
ravant , la rencon tre tragi-c omique de la Princessedes-eaux et de Ronny le canot de Lucien.
Bertran d ne put s'empê cher d'en faire la remarq ue
et de rappele r l'inçjde nt en riant.
-;- Cette fois, j'espûr a que l'on ne m'en veut plus du
1 s'écria Cazac en se retourn ant vers les jeunes
to~
.
filles.
- Plus du tout, répond irent-e lles gentim ent, toute!!
,
les deux ensemb le.
La Cord, en déchira nt l'air des longs appels de sa
'sirène', avait travers é les rues étroite s, de Candes et,
longea nt la haute façado blanohe du château histo'rique, gagné le bourg de Montso reult ...
- Prenon s-nous la rou to de la levée? deman da
Luoien.
Un «( oui ,; unanim e lui répondiL.
Il ralenti t et, ayant dépassé le peLÜ bois où lea
occupants de la barque s'étaien t reriosés, il tourna
'
à angle droit pour gagner l'autre l'ive.
Sous la voûte de fer du grand pont, l'autom o bile
franchi t l'imme ose bras de la Loir" I;lt rejoigri it la
route sioueuao qui domino tout 10 long du fleuve, la
qu'il a fallu élever pour parer aux ravages des
di~uo
fréquentes inonda tions.
De cet étroit platea u, rien ne vient cacher l'hol'izon
magnifique de la vallée ... A droite, en contre- bas de
la levée, la campagne étale ses ondula tions grises et
et bleues, où Jos t eintes pâles des ardoise s s'harm oniaen't il cellos dos prés et des coteaux , roman~
comme un tapis aux nuances discrètes ot charma ntes ...
A gauche, le royal cours d'eau dévelo ppe ses larges
courbes dan s son lit majestu eux, que paren t çà et là
les îles et le:; bancs de sable, et f[ue bordon t les saules
argent,és et les p uplio!'5 aux feuilles d'or ...
J3ientôt, Saumu r apI arut, ville calme et élégante
�70
LE SPHINX AUX CHEVEUX n'OR
qui étend sa non?halance orgueilleuse sous l'œil du
vieux château qUl la domine... ,
L'auto déboucha à cent mètres de la gare .
Il étaiL deux: heures trente-cinq.
_ Voulez-vous m'arrôter ioi, pria Yvonne? ... Jo
ferai le reste il. pied ... Je orois que Marthe ost presséo.
-En efTet, approuva la jeune fille en rougissant un
peu de co mensonge innocent ... Nous nous retrouverons tout à l'houre.
_ Où viendrai-je vou~
prendre? demanda Lucien.
_ En face Q.o }'hôteldeville, dit Yvonne ... Noue marcherons jusque-là pendant que Marthe fera sa course.
Elle sauta à terre et leur Ht un eign<.l amical en
guise d'au revoir.
_ Où vous conduirai-je, mademoiselle? demanda
Cazac eana aucun empressement à la sœur de Ro~er.
-Chez ma modislio, il l'autre bout de la ville. '"
Il dit en souriant :
- Jeoompronds alors pourquoi vous êtes si pressée.
Puis il ajouta d'un ton (lU'il s'offorça de rendre
détaché:
- Mais votre amie n'a pas l'air moins pl'o!lSée que
vous ...
Machinalement, Marthe répondit;
- Dame 1. .• C'est son fiancé qu'elle attend.
Bion qu'il fût il demi prépnré à cette nouvelle Lucien
Cazac faillit lâcher son volant et Ht une e~1bardéè
(lui fut bien pros de coo.tor la vie à un cycliste.
CHAPITRE V
nIVAUX.
Jacques Renaud consulta sa montre.
- PluB que cinq minutes, pensn-t-il.
�~E
SPHINX AUX CHEVEUX D'OR
71
Et son cœur sc mit ù battre violemment
Par la porLière, il voyait se dérouler le paysage
familier qu'il avait quitté depuis trois mois, après
les vacances de Pâques.
Mais Ge n'était pas au paysage qu'il pensait en cet
instant et, tandis qU'.lle train dévol'aÏt l'espace, avant
de ralentir pour entrer en garr.., il se répétait, comme
un leit moLiv, au rythme def) roues:
- Je vais la revoir .. . Je vais la revoir ...
n n'y avait que vingt jours, pourtant, qu'il était
séparé d'elle ... vingt jours que sa sagesso même
avait reconnUfl nécessaires à. la préparation de ses
examens.
Mais maintenant, il allait joui!' de la ,·écompense.
Co maLin, Pierre Vallin J'avait accompagné à la
gare ct lui avait fail promottre d'écriro souvent.
L'ami ue Jacques, en efret, redoutait au plus haut
point ces somaines do congé qui allaient évidemment
décider du sort de l'amoureux.
Il était on C1ITOt convenu qu'avant la Hn dos vacances
Yvonne donnerait sa réponse.
Jacques avait confiance ...
Il croyait à. la vie, au bonheur, ù l'amour.
Ce n'était pas nn philosophe, c'était un poète ..•
Les pOJlefl ne sont jamais sceptiques ...
D'autres aurien~
tremblé en attendant 10 mot qui
devait pOUl" toujoura les plongor dans l'ivresse ou
dans le désespoir ... Lui, il souriait, avec émotion
BaDS doute, mais cette 6motion était exempto d'an~
goisso.
Cette fois, on arrivait. .. Los lignes se multipliaient
ninsi que los sémaphores ... Bientôt le train entra
lentement sous le hall. ..
- Mon Diou . .. Mon Dieu 1 Pourvu qu'elle soit là,
pria intérieuroment l'amoureux ...
�72
LI: SPlIINX AUX CllEVEUX D'on
Puis un espoir pins préri.> lui vint.
- Oh ! ... Si elle pouvait être seule ù m'at~ndrel
Il redoutait de se trouver devant 'lme bande joyeuse
ct bruyante, qui aurait gêné leur ~remiè
entrevue.
Sans user guetter à travers la v1Lre les personnes
qui stationnaient sur le quai, il pri.t sa. valise et,
t . ~uiva!1t
la file des voyageUl'3, descendlt de son
warron.
Au même ins tant, une voix chantante l'appelait:
- Ehl Jacque!'! L .. Par ici 1. ..
Dans sa robe bleu pâle, SOLIS un grand chapeau
de pai!le de riz d'où s'échappaient mille boucles d'or,
Y\"OlHlO Surgère était Ill, devant lui, toute seule ...
Jacques prit dans sa main le mince poignet de la
jeune fille et le porta Il ses lèvI'es.
- Je savais que vous seriez là, dH·il avoc tendresse .
);:.uc répondit avec un beau sourire:
- Mais c'était tout naturel, voyon s ...
- Et pu~;,
voyez-~s,
pourRuivit Jacques, je
venais d'avol1' 10 pressentlment que vous vous arra.llseul.~
.gcl'iez }\o.ur que D.OUS ~oyns
- VralmElllt, dlt la Jeune fille ... Eh bien, en eHet...
J'ai renvoyé les autres ... JI le fallait bien, vous ête!!
si Ümide, si sauvage ...
Elle prononçait cos mots avec une sorte d'alTection
mêlée ùe l'eproche ...
- .l.e ne suis pas 8aUvage, ùit Jacques, maig je
vous Illme ...
- C'est bon, tit-elle .. . Mab je vous préviens que
nous allons retrou,·er Bertrand et les Belmont dau:s
dix minutes ... 118 DOl\$ attendent plQce de la Républicluc"
�LE SPflINX AUX CHEVEU X n'OR
73
- Mais c'est tout naturol , s'empre ssa de répond re
Jacque s. 11 fallait bien qu'il s ,'ous amène nt en auto.
Yvonn e le regard a;
- Écoute z, dit·ellc , ce ne sont pas eux qui m'ont
amenée ... L'auto de ma tante est en r éparati on ...
- Alors, c'est Gérard Bruyèr e?. ou Henri Davaine?
- Non, ils ne pouvai ent pas non plus ... C'est un
jeune homme que vous connais sez peut-êt re, puisqu 'il
habite les enyiron s de Candes ... un ami de Bertra nd:
Lucien Cazac.
- Lucien Cazac? ... Oui, j'ai entend u ce nom-U\ ...
Mais je ne l'ai certain ement jamais vu ...
- C'est un garçon assez bruyan t ... très aimabl e et
très sportif ... Il a eu la bonté de mettre son auto ù
notre disposi tion.
- Tant mieux ... Il m'est déjà lr ~s sympat hique ...
- Vraime nt?
- Bien sûr, puhqu e c'est ü lui que je dois d'avoir
trouvé ma pet.iLe Yvonn e à la descen te du train.
11 serra tendrem ent sa main ... Elle r épondi t à sa
pressio n avec un pou moins de force.
Tout en parIant , ih, s'étaien t dirigés lentorp ent vers
Je lieu du rendez -vous.
Ils avaien t franchi Jo pont de pierre qui porte le
nom de pont des Sept-V oies et ccl ui qui lui fait su ite
et que l'on appelle Jo pont. Cessal'l.
Ils arrivai ent devant l'hôtel de ville, où la Cord leg
atendi~
déjà.
.
Berlran d et Roger agitère nt loura chapea ux en signe
de bienve nue, e~ Marthe s'avanç a au-dev ant de Jacque s
avec un gentil so urire.
Puis les présen tations furent faite s.
Jacque s Renaud s'inclin a dovant Mlle Cazac, qui
lui dit bonjou r niais('m enl.
�7/.
LE SPHINX AUX CH.EVE UX D'on
Mais il na comprit pas pourquoi EOn frère,
qu'Yvonne venait ùe lui dépeindre comme.un garçon
aimable et charmant, mit une telle mauvaIse grâce à
répondre il. sa poignée de main.
Lucien, en effet, avait le vbage contracté par la
rue~
et semblait avoir le plus grand désir d'étrangler Je nouvel arrivant.
, _ Allons, dit-il d'un ton bourru, nous allons pouvoir repartir.
Ils s'entassèrent tous les sept dans la voiture
Bertrand et Roger s'installant pr'<ls ùu conducteur'
les autre8 occupant les coussins de l'arri..:re et le~
strapontins.
Cette fois, Cazac fila à toute allure, et, en douze
minutes, l'automobile se trouva devant la maison de
Mme de Clairville.
- Vous VOllS arrêterez bien pendant une heure ou
deux chez grand'mère, pria Jacques ... Elle y compte,
vous savez ...
- Mais nous n'aurions pas de car pour rentrer, dit
Yvonne. Et nous ne pouvons pas demander ù
M. Cazac de rester aussi longtemps ...
- Oh! ....J~ dispose bien de vingt-cinq minutes,
bougonna LUCIen.
Jacquel'! était désolé ... A\usi Yvonno alla.it l'eparLil'
presque immédiatement ...
- Vous viendrez demain à. bicyclet;te ù la Tuilière
lui dit-elle comme consolation .
'
!'fais il. comptait .l'avoir avec 1ui pendant cette preml ~ l'e sOll'éo. 11 avaIt môme espéré que tous reBteraient
li <liner chez )\1mo de Clairvillo.
11 priL un air si tri:>!'(,) 'lU'Yv 011l1e lui dit brusquoment:
- Vou~
n'allor. pus pleurer, tout de même?
L'intonaLion était un peu moqueuse. Il se raidit.
�LI; Sf>UINX ;\.UX CHEVEUX
n'olt
75
- Mai:; non . .. Mais non, rassurez-vous, répondit-il
en trouvant la force de sourire .
Et, en lui-même, il admira Yvonne d'avoir plus
d'énergie que lui, et il se promit une foi:s de plus do
devenir un homme.
Mais qu'aurait pensé Pierre Vallin s'il avait
entendu ce dialogue?... Jacques ne rongea même
point à se le demander.
La maison qu'habitait l'a'aule de Jacques Renau d
donnait sur la principale l'ue de Candes, mais clJ.-,
oomprenait un parc qui s'étalait sur la gauche et sur
la droiw du bâtiment et qui desoendait en penLe
douce jusqu'à la Loire.
C'était une des plus agréables propriétés de la
petite ville. Son oharme un peu vieillot, mais combien
acoueillant, aurait plu à Balzao, qui se trout'aiL
-"lo
d'ailleurs être l'auLeur prMéré de la bonne ~lmo
Clairville.
Celle-ci était une .nmable personne qui portait
allègrement ses quatre-vingt-deux anl!l et, qui avait
enO'Ol'e l'entendement vif et la répartie prompte.
Elle reQut la petite troupe aveo des exclamations
de satisfaotion, s'efforçant de cacher son émotion
quand elle embrassa le petit-flls qu'olle attendait
pourtant o.vec une impatience ?ont F.anohon, 5& vieillo
bonne, avait épl'ouve les mamfestatlOns nerveuses.
- Ah! monsieur Jaoques, disait, oette derniJre,
avez-vous bien faiL d'aniver ... Madame m'ordonnait,
MuLes Jes cinq miflutes d'aller vous guetter par ln
fenêtre ...
- SilOllCO! bavarde, intorl'ornl it Mmo do Clain·illc.
Songe donc plutôt à nous préparer du thé! ...
�76
LE ~PlINX
"'.UX CHEVEUX D'OR
Fanchr}n courut s'affairer à sa cuisine, et sa mat.
tresse fit entrer ses hôtes dans la sallo à m~ger,
vaste pièce voûtée dont les hautes fenêtres d~naiet
sur le jardin.
Chacun fut convié à s'asseoir autour de la table de
chêne qui occupait le milieu de la salle et qui ~Wt
du même b<\is ' que les chaises de tapisserie et que le
dressoir, qu'ornaient des assiettes de la Compagnie
des Indes.
De tous ces meubles, une a~éble
odeur de circ
se dégageait, ~ laquelle se miilrut celle des pommes
et des ' marmelades que devait contenir le buffet ...
Le couvert était servi, un couvert de treize assiettes
d'argent
cn porcelaine de Sèvres, avec treize timb~les
et trojze couteaux à manches d'agate ... Au centre du
ohemin de table, un gros bouquet do dahlias émergeait d'un large vase de gr~s
ronge.
- Dis donc, chuchota Roger à l'oreille de Bertrand
'pourquoi y a-t-il treize couverts, puisque nous n~
sommes que huit?
Celui-ci poulla d'un rire qu'il eut beaucoup do
peine 11 6toufIer dans sa serviette.
Enfin il répondit à voix ba~se
:
- C'est une supersLition de MIIIIl de Clairville. Il
noUI5 était arrivé autrefois do nous trou ver tlllize
autour dl} cette table.,. En effet mes parenta avaiept
amené inopinémont quelques amis... Or le soir
d'uno
même, le perroquet de la vieille dame mou~t
indigof>tion... Convaincue que cette catasLropho
n'avait pas d'autre causo, olle rodoute maintonant 10
nombro treizo comme un fléau do l'enrer ... Et quand'
on doit goûter chez 011.0, elle a toujours peur quo l'on
ne se trouve encore trOlle à table ... Alors, pour braver
]e sort, elle mot d'elle-même treize couverts... Il
parait quo, de cetle racon, le mauvais g6nio, perwadé.
�LE
SPnINX J\UX CHEVEU X D'OR
17
qu'on no le ~raint
pas, renonce il provoq uer la réali·
sàtion du nombr e fatidique.
- EUe est originale! s'excla ma Roger, toujour s en
sourdin e.
'.
'
- Assez, oui, mais telleme nt bonne!
, Au même 'instan t, Fancho n arrivai t s\rec Je plateau de thé et des bouteilles de sirop.
- Choisissez, mes enfants , dit Mme de ~Iairvle
.. .
Et toi, Fancho n, enlève ces cinq couver ts inutiles .. .
Je ne savais pas si mes invités seraien t nombreu.x.
C'est pourqu oi j'avais fnit mettre au hasard treize
assiettes ...
. RQger et Berlran d se mordir ent les lèvres. Et
Fancho n sortit en haussa nt les épaules .
. - Eila va le répéter à monsie ur le curé, murmu ra
Bertran d. Ils vont, se dispute r pendan t une heure ...
C'est toutes les fois la même ohose ... Et, pour se faire
pardon ner, Mme de ClairvilIe donner a cinqua nte
francs aux pauvre s ... Mais elle recommencera à la
prochaine occasion .. .
Jacques Renaud avait bien remarq ué l'incide nt ...
Il souriai t avec bonheu r, ravi de retrouv er les habitudes de cette bonne vieille grand'm ére, qui lui avait
toujours paru elre née d'un oonLe de fée ... Peut-eLre
éunt-ce d'ailleul's de cette a'ieu le charma nte el roma·
nesque qu'il tenait lui-même sa nature toute pétrie
de rêve et ùe r.himùre:) ...
• éep~ndt:
le' goOter uvai.t pl·j~
fiI~ depui~
u~ q~art
d'heure , ct Cazac commençaIt Ù s agltel' sur sa chaise.
Non qu'il fût Jo moins du monde prCS!ll·" . Il disposa.it au contrai re de toute sa soil't-e, et, si JacqueR
Bonaud n'avait pas été là, il se serait fait un p1aisil'
ùe prolonger la visile onn de pouvoir l'e~t
('n compaznie d'Y\'onne ...
�78
LESPHJNX .\.UX CHEVEUX D ' OR
i\lais la présence de celui qu'il considéraü deR
maintenant comme son rival l'incitait à hâter l'heure
du départ ...
n sc rendait compte que Jacques allait souITrir
d'être séparé ausû vite de sa fiancée, et il était heul'eux de 10. lui enlever sans plus tarder ... Au moins,
il aurait la satisfaction d'être plus longtemps que lui,
ce soir, aux r..ôtés de la jeune fille ... EL il va sau!:!
dire qu' il comptait, beaucoup sur ce retour pOUl'
assurer ses positions dans la place ... Ce qu'il fal1aiL
à tout prix obtenir, c'éLait la promesse d'une rencontre prochaine ... 'Ensuite, on verrait... Cazac
n'était pas homme à se rondre sans combat .. . Et puis,
le senLiment qu'il (lprouvait dôs maintenanL pOU l'
MUo Surgère était assez fort pour gtimulO'r son
audaco et son habileté ...
Attentif aux moindres paroles qui tombaient de
la jolie bouche d'Yvonne, il n'était pas sans avoir
remarqué le colloque qui avait précédé l'arriv6e che7.
Mme de Clairville ...
La désinvolture avec lo.quel1e elle s'était adressée
ù son fiancé ... Se serait-t-elle montrée si froide et si
moqueuso si elle avait été profondément épriso du
jeune homme? ... Celui-ci, au surplus, no semblait pas
être un concurrent trôs redoutable. Son apparence
frêle, aa visible timidité ne le rangeaient point aH
nombre dos conquérants et des don Juan. Lucien le
plaça sans hésiter dana la cat6gorie def! (( pauvro>;
typos li, et cette constatation calma un peu su jl:l- '
lousie ...
- Allons , allons, pensa-toil, ilr:; ont bOllU Ôlre fiancés,lapal'tie n'ost peut,-ôtrc pas définitivement perdue l
Il fit signe il sa sœur de donner le signal du départ,
co qu'elle fit incontinont, car I O ~ l d!lsin de (lC frc'ro
étaie.nt pour ello dos ordres.
�LE SPHINX AUX CHEVEU X n'Ol)
sion~
79
, - Quoi? Vous partez déjà, mademoiselle 1 s'mda·
ma Mille de Clairvi lle ... Mais vous venez d'arriv er.
Lucien intervi nt avec précipi tation, :
~
Je suis désolé. madame, mais j'ai un rendez-voue
pOUl' cinq heures à Chinon ...
La vieille dame n'insist a pas, IJ)alS elle jeta un
l'ogard apitoyé sur sem !Hüit.fils, donL elle n'avail
pas do poiue à devine r la Lrjsle8~.
Tous se levè1'e1\t il regret. Cazac, qui observait, la
rèacLion d'Yvonne, la trouva cotLe fois un pou trop
tendre pour son fianoé. Elle lui avait pris 106 rnuinl!l
at elle lui disait aITectueusemont au revoir.
- Ne pleurez pas, vilab boudour, ajoutait-elle
avec un genLil Bo udre, et venez demain ohez ms
"n,te ... et de très bonne heure, n'est-oe [las? ..
Lucien éproU\'o. un pincem ent désagréable. dam la
région du cœur ... Mais il rMlécbJt qu'apr,)! t.out, si
la pbrarse de la jeune nUe était aimable pOUl' ~aoq
ue~
Renaud, elle avi~
été prononcée &ur un ton lagel' et
détaohé qui n'était pas l'indiQe d)un sentiment. pas·
En flomme , songoa.t·il .lVGC Qptimiame, olle
tr~iG
ce jeune daim OOPlmc un petit oamo.l'o.de tlyrn'
pathiqu e et rien da plus ... Elle n'Il pa6 l'nir de
prondre eCiI fian~mO
t:ràs au st'-rieux, 'l
Hêlal$l. •• S'il fil.uL on juger p4lf tout oc quo llOU5
avon!! obsorvé juequ1ioi de la eonduite d'Yvonne
Surgbl'e, il acmble bien ((ule n formulant 00 jugemf}ut
intuitif LUGien Cazac n'ail paE! 6té trd8 éloigné de If!
vériLé ...
Cf
Mainlonnnt, l'n,ulo 6tllit 'Prête fi ,'opartir.
Lo moteur !'ouronnnit silcUl.liousemont au rnlenti.
- tttes.vous pr.Jts? domanda Luoien avec unu COl'taine impati ence.
�80
LE S?H!i'lX AUX CU EVEl"X D'on
Ses passager:> se rai 8 ai~nt
un p~u
tirer l:oreille et
demeuraient sur le trott01r, pour ne pas qUltter trop
vit c le pauvre Jacqu~s.
.
Ce {ut Yvonne qUl donna le Signal du départ, en
montant la première ...
ÎI'Jarthe en fut certainement surprise, car elle eut pour
l e fiancé de Bon amie un regard compatissant ... Les
yeux du jeune homme exprimaient clairement, en
efiet la pnino qu'il s'efforçait de d~ s imuler.
" 'Comme il est sensible 1 » pensa l\'Iartbe avec
sympathie.
Mais elle le comprenait. Si elle avait éLé fiancée
elle.m ême, la moindre séparaLion l'aurait fait souffrir
de la même façon.
Comment Yvonne pouvait-elle réagir si dilTé
remme nt ?
c Elle n'est pas affectueusc pOUT lui, » st! dit-elle
tandis que l'auto démarr.ait. sans b:uit et que Jacques:
seul sur la route, leur faisait des signes d'adieu.
Et elle avait envie de parler à son amie, de lui
reprocher sa froideur, de lui en demander la raisQD ...
Mais eUe !le l'osait pas ... Sa réserve naturelle la
retenait, et aussi la crainte d'otre rabrouéo p!ll'
l'ombrageuse Yvonne ...
Seulement, pour ~en
g cr Jacq~e
B Renaud, el~
garda
pendant tout le tl'aJet u~
mutisme désapprobateur.
avait rencontré &ouvent déjà li
L'étudiant, qu'el~
Paris, lui était touJourîl apparu comme un être charmant, tout onveloppé de poésie et de romnnti&me.
Il l'intimidait un peu, pout-êtro parce que luiror-roe était timide ... Elle admirait S8 belle intelligence d'artiste, et, bien loio de blâmer ea sen sibilité et
sa faiblesse , elle sontait qu'elle pourrait. avoir pour
lui une grande aITection si elle-môme avait un caractOre et un t cmp 6rament. diITérent.
�81
LE SPHINX AUX CHr:;VEUX D'on
Mais elle n'était qu'une petite fille ayant besoin de
protection, et cette protecLion, Jacques en avaie trop
besoin lui-même pour l'accorder à une femme. Seulement, IVlarthe ne comprenait pas pourquoi Yvonne,
qui était si forte, si virile par certains côtés, n'était
pas attirée parla fragilité de Jacques ... Elle, elle n'avait
pas besoin de guide ni de protecteur ... Les qualités
d'énergie qu'elle tenait de son père l'armaient depuis
toujours pour le combat de la vie ... Ce qu'il lui
fallait, n'était-ce pas plutôt l'amour d'un ôtre faible
auprès duquel elle ne chercherait que le réconfort de
l'âme et du cœur ... Les femmes comme Mlle Surgère
peuvent trouver dans la dévotion d'un poète
une sOUrce infinie de bonheur ...
Marthe réfléchissait ainsi, tandis que la Cord refaisait le traj et du début de l'après-midi, en sens inverse,
mais avec los mômes occupants.
Et de temps à autre, elle jetaü il la dérobée de
brefs regards SUl' son étrange amie, si mystérieuse, si
éloigné d'elle bien qu'assise à son côté.
- Que ponso-t-elle? .. Qu'y a-t-il dans son cœur?
se domandait inlassablement la jeune fiUe ...
Et commo son amie qui, peut-être, so sentait
observée, avait tourné à demi Hon visage contre la
glace, ello so poncha brusquemont pour lui surprendre
son secrot. Mais aussitôt olle rejeta sa têto en arriôrc,
stupéfaito et plus interdite quo jamais.
Elle venait de s'apercevoir que les yeux d'Yvonne
étaient remplis de larmos ...
6
�82
LE SPHINX AUX CHEVEUX D'OR
CHAPITRE VI
LE
SPHINX AUX YEUX BLEUS.
Son beau torse athlétique moulé daus un maillot
vert-pomme, Lucien Cazac s'exerçaiL comme chaque
matin au cc noble art )) en la\ç~nt
il son cc punching
baIl Il de savants crochets du drolt et du gaucho.
Ses dents Berrées lai ,saient éohapper .en sifflements
stridents les notes endiablées d'un air Il la modo, qu'il
int.errompait seulement pour reprendre haleine p ériodiquement, d'une large inspiraLion méthodique.
Il était de joyeuse humour, ce jour-là, le bea.u
Lucien et non seulement. parce que le soleil inondait
la snlle'viLrée où il avait coutume de [aire son entrai.
l1ement sportif, mais aussi et BUl"tou.t parce que la
nuit qui allaîL succéder ce soir il ce brillant soleil
devaiL lui apporter la réalisation d'un d6sir partioulièrement cher à son cœur ... S05 pal'<:l1lts donnaient
une soirée, et Yvol1ne Surgère devait y assister.
Que de chemin parcouru, en vérité, depuis la
fâcheuse aventure du a hors-bord» 1. ..
Par la pen~é,
~t t.out O? ~ou8ivanL
5a gymnQ€,tique assouphssante, Il reVIVaIt les événements do la
semaine qui venait de .s'écouler et qui avait transformé l'iudWérence hosttle de la blonde jeune fille en
une attonlion bienveillante du meilleur aloi.
Ç'avaiL été, tout d'abord, le retour do Candes il ln
Tuili,jre, alors quo la parLio sem blait sérieusemonL
oompromise par l'arrivée de Jacques Renaud, co fiancé
à vrai dire assez malmené dont 10 caracLùre demi-omciel n'en consLiLuait pas moins un obstaole fâcheux ...
Yvonno avaiJ, éLé bien bizurre. co jour-là... Peu
�LE SPHINX A.t/X CHEVEUX D'OR
83
éprise de Jacques, semblait-il, elle n'avait pas été
plus aimable pour Lucien ... Pendant les quinze ou'
vingt minutes qu'avait duré le trajet (car il va sans
dire que Cazac n'était plus pressé, dès lors que son
rival ayait disparu), Mlle Surgèro s'était renfermée
dans un mutisme déconcertant... Comme Marthe:
Bclmont ne parlait pao davantage, Bertrand et Roger'
fait les frais de la conversation ...
avaient seul~
Lucien et sa sœur, comprenant qu'on ne désiraitpas spécialement demeurer en leur compagnie, et
obligés d'ailleurs de retourner sans tarder chez eux,puisqu'ils avaient invoqué le prétexte d'un rendez-'
vous à cinq heures, ne deumel'èrent que quelqués
minutes ft la Tuilière.
C'en fuL assez, il est vl'ai, pOUl' que Mme Jardy,
soucieuse de l'épandre Il leur amabilité, se crnt dans
l'obligation de les invitor à venir prendre le thé le'
lendemain, ce qu'ils acceptèrent avec l'empressement'
que l'on devine.
Et c'est ù J'occasion de ce « Live o'cloak » que
Lucien marqua son premier point dans le duel qui
alla iL l'opposer à Jacques Benaud.
A la Tuilière, il avait trouvé réunis tous los pasl:lUgers de la Princesse-des-eaux, c'est-à-dire Yvonne
Surgère, Bertrand Jardy, Marthe et Roger Belmont,
Gérard Bruyère, Henri Davaine ... Jacquos était là,
lui aussi, la proximité de Candos lui permettanL
de vo~r
Yvonne tous les jours.
La matinée n'avait pas manqué d'enLrain ... TouL
le mondo so connaissait maintenant, oL aucun des
convives ne manquait à 111 joyeuse humeur qui doit
être J'apanage des jeunes gens et des jeunes fiUes de
cet âge.
Yvonne avait perdu sa mélancolie do la vciIJe, elle
se montrait plus vivo et plus endiabléo quo jamais ...
�84
LE SPHINX AU X CHEVEUX n'OR
C'était un spectacle charmant que d'entendre les cascades de son rire cristallin, et de voir la flamme
bleue qui animait ses grands yeux aux longs cils d'or . ..
La joie avivait encore les couleurs éclatantes de ses
joues, e ~ les boucles blondes de sa c.hevelure voltigeaient tout autour de son front, SUIvant le capri ce
de ses gestes pl eins de fougue juvénile.
Ëlle était adora.bl e, en ces instants OCL ell e redevenait une petite fille débordante de vie et de bonhetlr.
Jacques Renaud ne se lassaÏl pas de la contempler,
et il s'émerveillait une fois de plus des trésors (IL
charme ct de séduction de cette exquise créature qui
savait être si troublante, si émouvante dan s Je plaisir comme dan s la Lristes8e, ...
. Il s'élait assis auprès d'elle, sur son invitation
et muettemenL il l'admirait.
'
En ce moment, il n'y avait plo ce dan s son ûme
pour t!ucune Jalousie, pour a~cun
e rancœur... Il
oubliait la déSInvolture avec laquelle Yvonne l'avait
quitté la veille... Il oubliail qu'il avait pleuré en
cachette, ~pr è . s s?n départ trop froid, trop brusque,
auquel il s était SI peu attendu ...
Jacques, nous le savons, n'é tait pas un cœur
inquiet ... 11 était tr~p
b?n pour jamais connaître la
rancune et trop chIm érIque pOur se laisser aller au
découragement et pour imaginer l'avenil' sous 1(''1
sombres couloUl's qui ap
a ra~ s~ ent
aux es prits habitu és ù supputer toutes les dLfTl cultés de leurs entr('pri se
etùcomp~
e rtouj
s avec l' implacable crua uté
des lois de la raIson . ..
n souffrait des cap rices d' Yvonne, mais il les lui
pardonnait au ssiLôt, ct il ne savait pas en redouter la
terrible signification ...
Et puis, n'Hait-ell e pas genLill e en ce moment,
puisqu'elle l'avai t fait asse oir à son cOt é, ot que, par
�LE SP IIlNX AU ' . CHE V EUX D'OR
85
moments, elle sc tournai~
vers lui pour lui sourire ? •.
Lucien avait bien remarqué cette attitude de la
jàune fille, et cela n'était évidemment pas pour lui
plaire ... P endant. t oute une partie de l'après-midi,
il lui sembla qu'Yvonne ne s'intéressait qu'à Jacques ..•
Ce qu'il disait lui-même ne semblait produire sur
elle aucune impression ... EL pOUl'Lant, Dieu sait s'il
sc donnait du mal pour attirer l'attention sur lui .. .
Hécits de chasse à courre, narrations de ses croisières
r.3centes dans les mers du Nord, comptes rendus de
grandes réunions sportives où il avait brillé du
plus vif éclat, tout ce qui pouvait le mettre en valeur
ct, sous l'apparence d'une modestie de bon aloi, convaincre ses interlocuteurs de son éminente sup ério rité, était utilisé en pure per to... Bortrand Jardy ct
Ho ger Belmont l'écoutaiont avec passion; Gérard
Uruymère ne lui ménageait pas non plu s son attention,
ainsi qu'Henri Davaine, dont les goo.ts so rappro chaient des siens ... Marthe elle-même tendait parfois
J'oreille à ses longs discours, auxquel s Jacques Renauù
faisait semblant de s'intéresser, lui aussi, par poliLesse ... Mais Yvonne, à laquelle, pourtant, était destiné dans son esprit tout ce t étalage brillant d'exploits
hyp ertrophiés , ne semblait y attacher aucune importance ... A tout instant, elle coupait la parole au nare r ~u e lqu
e lJou~de
dont Lucien
rateur, pour la~c
a urait eu mauvaIse grace de ne pas rn'e.
La partie s'engageait bien mal, semblait-il, pour le
MUo Surgère était
don Juan sporLif... D é cid é ~ e nt,
une personne incompréhensible.
« Allons, pensa Lucien, il faut que je joue ma
dernière carte. "
Et il s'apprêtait à forger de toute pièce un récit qui
devnit surpasBer tou s leB autres , lorsqu'il s'ap erçut
qu'Yvonne l'écouLait. enfin ...
�86
LE SPHINX AUX CHEVEUX D'on
Heureusement surpris, il renonça à l'arme déloyale
dont il avait eu la pensée de se servir, ct il se borna
à raconter dé nouvelles histoires d'une authenticité à
peine foroée.:.
,
.
Et cette fOlS, Yvonne Surgore ne le qUltta pas des
yeux .... Et m ême, au bout de quelques instahts, ell e
quitta sa place pour se rapprocher de. lui, afin de
mieux l'écouter ... Jacques Renaud resta lsolé, et Luoien oonstata avec saLisfacLion que son regard s'en
assombl'issait un peu ...
Dés lors, son avantage Se poursuivit jusqu'à la 1In
de la soirée ...
cr Cette {6ia, je la tiens », triompha-t·il intérieuroment.
t:t aUBeitôt l'attitude d'Yvonne lui devint olaire ...
Comme malgré elle, la jeune fille était aLtir
~e
vers
lui... Elle sentait en lui une forte personnaJité, Ullé
puissance domintl.trice faAcinantc, et, oomme tant
d'autres, elle oédait à l'l on emprise ... Seulement deu"
Gerttimertu avaient dû la retenir jusque-là: d'~bor
l'engagement qui la liait à demi à JaoquM Renaud,
puis aussi, et sùrwut, sans douto, son Orgueil, sa fie-l'té
de femme, qui veut résister à l'homme et refuse dé
se laisser dompter.
C'est pourquoi, d ès le premier jour, dès l'aventure
du hors-bord, 0110 s'était c~bl'éo
~evant.
Mlui en qui,
du premier coup, eHe avaIt SéntI un mattre ...
Par la suit.e, tout en cédant par inst.ants à l'attrait
qu'il exoerçll.iL sur olle, élle avait aiTect6 de lui parle r
oavali,j rûment, afin d'éC,81'Ler le da.nger ét de se persuader qu'elle ne pouvaIt pas être vaincue ...
Enfin, tout à l'heure , ôt pendant ùe longues minutes ,
ello a vaiL jou é désespéréme nt la comédie de l'indi l'f{rence. Elle âvait. simul é Je dédain, l'ironie pour lor;
q uuliL66 qui l'attiraient 10 plus en Lucien' Cuzac ...
èt
�LE SPHINX AUX CHEVEUX D'OR
87
C'était de sa part un dernier sursaut de lutte, une
derni :re volonté de bafouer l'Jotomme qu'elle était sur
le point d'aimer, et de le dominer pour n'êtI'e pas
dominée par lui ...
f\lais, au moment où Lucien commençait à oroire
la partie perdue pOUl' lui, si stupéfiante que fût à ses
yeux oette défaite, voici qu'Yvonno Surgt, re, à bout
de force, préférait renonoer à la lutte et, souriante, se
livrait à son vainqueur ...
Pour une fois, la vanité de Cazac lUI dictait un raisonnement que la logiquE' connrmait en tous points.
Ce que nous connaissons du oaractère d'Yvonne, si
orgueilleuse, si alti jre en même temps que si ardente
ot si passionnée, ne pouvait laisser que peu de doute
sur la signiGcation de sa conduite ... Malgré elle, Lucien lui plaisaü ...
L'aITection qu'eUe éprouvait pour Jacques Renaud
était avant tout d'origine fraternelle... Souvenirs
d'enfance communs, attendrissement bien féminin
devant oette âmo fragile de poète, voilà ce dont elle
était oonstituéo ... Mais Cazac devait oxercer SUI' elle
une attÏranceautrement puissante ... Pouvait-ons'étonnor que la fllle du lieuLenant Surgùre préférât la merveilleuse énergie de ce beau spol'Lif d'ailleurs fort
intelligent, et dont 10 sans-gône môme étaiL envelopp é
d'une cerLaine séduction, à la grâce Lrop efTéminée de
l'in Lel1ectucl chimérique dont la sensibilité trop grande
semblait toujours l'avoir quelque peu agacée ...
On se l'appelle qu'elle avait souvent reproché à
Jacques ses go(Hs trop calmes de petit garçon mala,dif ... C'est qu'on exige d'un lianoé des qualités plus
forles et plus viriles que celles qui peuvent plaire
chez un peLit fr0ro ou chez un jeune cousin ...
Non vraiment, Jacques Renaud ne pouvait espérer
lutter oon tre 10 succès naissant de Cazac.
�88
LE SPHINX AUX CHEVEUX n'OR
, Et ce derriier ne s'abusait pas en considérant dès
cet instant sa victoire comme acquise.
Tout au plus devait-il redouter do la part de la
jeune Olle quelques nouvelles r évoltes, ,quelques
retours brusques, quelques s crup~es
aussI, témoignant seulement de la force du sent.lment tyrannique
qui venait de naitre en elle. ..
, ,
De fait, pendant tout .Ie reste d e la souee, Yvonne
Surgère écouta sos r écIts avec la même attention
soumise qui avait bru squ ement succédé ù son indiffér ence simulée ... C'ost ù peine si, à deux ou trois
à se ~aproche
.de Jacques,
r eprises, ello. co~seti
qui cherchaIt timIdement u la retenIr près ù e
lui ...
- Lai
s~zmoi.
dOllC un pe~
lranq~ie,
lui jetat-elle avec Impat~en
ce , com:n e .JI Lentait ù e lui parler
pendant quo LUCIen poursulvaü 80S palabres ... JI es L
possible qu~
ces aventures ne vous intéressent pas,
mais n'empechez pas les autres de les entendre ... Si
vous vous ennuyez ici, VOIl S n'av elf, qu'il aller Compose r des vers dans le jardin ... ù moins que vous n e
préfériez jouer il ln poupée ...
Lucien eL sa sœur éclatèrent de rire, tandis que les
autres gardaient un silence gêné ct que Jacques rOllgissait, atteint douloureusem ent pal' cette méchante
plaisanterie ...
Martho Belmont était r évoltée .. , ElI r jug ail que
cette foi s, Yvonne dépassait la rn esurC' .
'
Et, tandis que Cazac reprenai.t le paHsion nnnt rècit
d' une courlle de chevaux où il avait battu le princo
de Galles d' une encoluro, elle s'approcha cIe so n amie
ct lui. dit à l'ol'ei lJ su r un ton ue l'epro(:h e :
- Pourquoi fais- lu de lu pein e ù Jacqllr fl? .. T'en
a-l- il jamaig fait, lui ? .
Yvonne ne répondit ricln, llloi,; elle so tl.:~ageu
\ ' iY ~-
�LE SPHE\X AUX CHEVEU X
n'on
8a
ment de la press ion de Marthe et vint s'asseo ir tout à
côté de Lucien .
Et c'est en vain que sa compag ne cherch a à saisir
dans son regard l'explic ation, la raison d'être de sa
rarole sotte ct cruelle ... Les yeux bleus d'Yvon ne ,
cette fois encore, gardaie nt pour elle lou t leur secret.
Et la l) etite Marthe , perdue dans de profond es
r éOex ions, songea it en hochan t sa jolie tête:
1( Tout de m ême ... Il me semble
, moi, que ce n'es t
pas ainsi que j'aimer ais! ... »
'"*'"
Malgré la surpren ante atLitud e d'Yvon ne Surgèl' e,
person ne dans son entoura ge ne soup çonnai t qu'ell e
pût éprouv er pour Lu cien Cazac le sentim ent dont
noUS venons de tenter l'analy se .. Elle n'en avait faiL
confide nce ft person ne, et rien dans sa conver sation
ne l'o.vait décelé ... Ses amis se rappela ient qu'ell e
jugeait ce jeune homme assez sympa thique mai s
ridicul emenL préten tieux.
C'était d'ailleu rs leur opinion à lou s.
Lucien n'était pas un m échant garçon ... Sa complaisance et sa L~ne
humeu r fa~ s~ i e nt
excus
~ ' lu
libeI'lé de ses mamer es ... Ses quaht,es compen salCnt
un peu la suffi sance et la vanité dont toule sa perso nne 6tait empli e ... On le considé rait comme un
camara d e amu sant, inLéres sa nL même, dont la sociN~
pouvai t être agréab le, à la condi Lion qu e l'on e ntreLint avec lui des relation s un peu espacées .
11 é Lait de ceux dont on dit voloJ1Liers:
- 11 os t charma nL, mui s il ne faudrai t pus le "oil'
Lrop souven t.
Comme , (l'a llll'C' parI, on s(\\-oiL que ses parent: i
h ubitu ient une pl'opl'il;Lt! su perbe el qu'ils l'ecevaicnt
�90
LE SPHINX AUX CHEVEU X n'OR
fastueu sement l'invita tion qu'ils lancère nt quelqu es
jours après et à laquell e nous avons fait allusio n
au début ' de ce chapitr e fut très favorab lement
accueillie dans le petit groupe dont Cazac ambitionna it d'enric hir désorm ais ses relation s.
11 va sanA dire que tous avaion t été conviés il la
soirée dansan te donnée par ses parents . Lucien se
rendait. bien compte qu'il ne pouvai t pas opérer entre
eux une sélectio n .. . Et d'ailleu rs, le plus sur moyen
d'obten ir l'accep t,ation de Mme Jardy n'étail- il pas
d'étend re les invilat ions tt tous coux qui étnient les
compa gnons de son ms? ... Il Y aurait donc Henri
Davain e et Gc'rard Bruyèr e, Marlhe et Roger Belmont, ct aussi Jacque s Renaud , que Lucien n'aurai t
pu élimine r sans . comme.Ltre une faute do tact
éviden te ... Cortes, 11 e(lt blen préféré que son rival
rût relégué ce soir-JO. à l'autre bout du monde ... Mais
il no lui appara issait déjà plus comme sérieusemenL
danger eux, et dès lors. Cazac, q?i n'était pas méclta nt,
n'avait plus aucune rruson de lm en vouloir ... Et puis,
il s'atten dait un peu à ce que le jeune homme tort uré par une jalousi e légiLime, opposâ t à son' ol1're
une fin de non-rec evoir catégor ique ...
Il se trompa it en oela, Jacque s n'imag inait pas 10
moins du monde que son titre presqu e officiel de
fiancé rÜl actuell ement brigué pal' un autre.
trouvé qu'Yvo nne Mait
Une fois de plu.s, il ~vait
méchan te pour lUl, mUls, une fois de plus il s'était
'
reproch é de mérite r celt.e méchan ceté.
avuitr
a7.ac
esdeceC
spol'tiv
- Quon'a i-jelesq ualités
ant
rac'ont
lui
en
Vallin,
Pierre
ami
eon
à
veille
il écriLla
jour!!
deI:>
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événem
r
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l
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v
ï
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n
é
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l
6
d
i
f
une
avec
))assés ... Je cro!!! blen qu). vonne ne tardera it paB
plus longtem ps ;\ m'acco rdor sa main ...
tandis qu'au récit de sa lettre Vallin , com~rais,
�I.E SPHINX AUX CHEVEU X n'OR
91
prenan t tout, s'était désespéré pour son pauvre ami,
lui, le pêcheur de luno, ]0 grand Mfant désarmant de
Cîndeur et de foi, n'avait même pas supposé que ce
n Juve] arrivan t, qui se trouva it doué précisément
des qualités qui lui manqu aient aux yeux de
Mlle Surgüro, pût devenir un jour son rival et. lui
voler l'amou r d'Yvonne.
Aussj, lorsque Jaoques reçutl'invi(,alion de Mmo Cazao, no mnniCefita-t-il aucun mécon tentem ent... 1 se
déclara au contraire enchanoo et fut très reconnaissan t à Lucien de lui procur er cette agréable
distrac tion.
bt le soir, comme sa grand'm (lro, qui connaisèait
seB gofrt..s de solitude, manite stait quelque étonnement
de wn enthou biasme pour une soirée qui réunira it
plus de cent personnes, il lui dit en l'embra ssant
joyeuf>ement:
- Je voudrais qu'il y eût encore plus de monde ..•
Vous ne devinez pnB pourquoi? ..
Mme de Clair\lille secoua ln tête négativement.
Alors, Jacques la regarda, scandalisé:
- M~is
voyons, grand'ID clre, gronda-t-il. .. Pal'CO
qu'Yvonne serai~
encore plus admirée 1. •. Elle va ôtl '~
cn blanc, vous savez ... C'est aimi q~e
je la trouve le
plus jOlie ... Vous ne pouvez pail S8.V(>1l' à quoI point je
Guis heureux 1••
- Mai si, mon petit, répond it doucément
Mmo de Cll1irville, dont les doux yeux couleur do
lavande carE)!!S, font un instant de cheres villions
passées ... J'ai eu vingt ans, moi aussi ...
Sa vieille maill fine, aux lon s d'ivoire, se posa sur
Je front de J'adole scent.
- l.Jis-moi, mon Jacquot, demanda-t-ello souùain
uvee uno Lendresso tm peu inquiuLe... Est-oc
qu'Yvon no osi toujours tr ~ 5 gcntillo avec loi ?
�92
LE SPHINX AUX C!{EVJWX D'OR
Jacques la contempla, légè.remellt surp:is ... Jamais
il ne lui avaiL parlé des froIdeurs de la Jeune fille . ..
Jamais il ne s'en était plaint, devant elle ... Sa grand'mère savait seulement qu'Yvonne Surgère l'épondait
à son afTection et que bientôt, sans 'doute, ils seraient
fiancés officiellement· · ·
,
Il se borna donc à répondre:
genti1le ... Elle me taquine
_ Mais oui, elle est tl'Ô~
quelquefois, mais elle en a bien le droit, puisquo nous
sommes des amis d'epfance ...
Mme de Clairville ne protesta pas ... Elle no voulut
pas diro à Jacques ~ue
cer~is
paroles d'Yvonne,
qui était venue plUSIeurs fOlS a Candes au Cours de
la semaine, l'avaient douloureusement surprise .. .
Elle se boyna il dire, avec un ~mperctibl
soupir:
- Le manage est une chose blen grave, mon petit.
Jacques se méprit SUl' 10 sens do la phrase eL il
répondit:
- ' Oh 1 oui, bien grave oL bien belle ... Je)o sens
bien, grand'm èrc, soyez-en so.re ... Et c'est avec une
ferveur presque religieuse que j'aime Yvonne ...
- C'est trûs bien ... EL je souhaite qu'elle L'aime
de la même façon ...
- Oh 1 non, je ne mérite pas tant ... Elle est tellemeut supérieure à moi ... 11 me suffit qu'elle devienne
ma femme et que je puisse l'admirer".
Mmo de Clain'ille n'osa pas insister ... Elle sentait
que J~cqu,s
ny saisissait pA~
~e3
doutos qu'ello
essayalL ~l exprImer". Avec lUl., Il ne fallait jamais
parler. raIson: ".11 ne compl'en.~
pas ... Encore une
fois, il Cl'oyo..1L a son amour, eL Il ne voyait rien au
delà ...
Aucune jalousie, aucune exigence ne trouvaient
place dans l'âme à la fois humble et naïvement audacieuse de cet cnfant romanesque ... li ne voulait pas.
�LE SPHINX AUX CHEVEU X Ii'OR
93
il ne savait pas avoir peur ... Ignora nt tout de la vie,
il ne voulai t y voir qu'un boou rêve sans nuage, dont
Yvonn e Surgêr e était l'adora ble incarna tion ... Pourquoi ce rêve aurait- il raiL sou ITrir celui-là même qui
le créait? ..
Nous avons déjà dit que sa sensibiliLé s'émou vait
des méchan cetés trop fréquen tes de la jeune fille, et
que son regard se voilait alors d'une tri~es
dont
Yvonn e elle-mê me aurait dù être touché e jusqu'a u
fond de l'âme ... Mais nous savons aussi que ces chagrins n'atteig naient pas le fond de sa confian ce, qui
demeu rait entière avec la candid e opiniât reté de tous
ceux qui ont foi en leur rêve ... Nous avons vu que
les snges réserve s de Pierre Vallin n'avaie nt pas eu
SUl' lui plus d'erret que n'en avaien t ce soir les
timides
avert.is sement s de sa grand'm ùre ...
La questio n de savoir si Yvonn e serait un jour sa
femme ne se posait même pas à son esprit. .. 11 regrettait seulem ent do lui déplair o pal' sa faiblesse physique et d'encou ri.r ainsi les railleri es de son amie ...
Cela le tourme nLaIt ... 11 aurait souhaiLé être dilT6l'ent ... Mais son espoir ne s'en trouva it plS altéré
pour autan L. ••
11 Y a pourta nt des coups qui ont raison des plus
beaux enthou siasme s ... Et les plus beaux songes sont
parfois d '·chir6s par les réveils les plus aLrocet .
Pauvre Jacque s 1. .. Comme il allait souffrir !. ..
CIlAPI TRE
VII
LA SOIllf.:E CAZAC.
A l'hOl1rfl où Lucien Cazac bondisfJait en mailloL de
« punchi ng hall» de cuir brun,
SPOl't autour de ~on
�94
I.E SPHINX AUX CHEVEUX n'OR
Marthe et Yvonne s'éveillaient dans leurs petites
chambres roses , où le soleil entrait ù flots par les
.
larges fenêtres ouvertes sur le parc... .
La première, Yvonne s~uta
d~ s0D: lIt, chaussa hâtivement les jolies mules d or q~i
étaIent. déposées au
pied de son fauteuil et co~rut
u son arme, dont seule
une porte vitrée la séparait ..
Marthe était encore enfoUle BOUS ses couvertures '
'
elle se dressa, étouffant un bâillement...
Yvonne l'embrassa.
- Tu as enCore sommeil, petite paresseuse? fit-elle
en souriant.
_ Oui, répondit la jeune HUe, car je ne pouvais
pas m'endormir hie!' soir .. . Je pensais trop à la. soirée
d'aujourd'hui ...
- Voyez-vous cola 1... Vous aimez donc bien lu
danse, mademoiselle? ... Vous si sérieuse, si raisonnable ...
Marthe ouL un joli l'ire enfanLin :
- Je n'ai quo dix-neuf ans, dit-eUe en manière
d'excuse ...
- Ne te défends pas, mon petit, répondit tendrement Yvonne en appuyant sa tête blonde contre celle
de sa petite sœur adoptive ... Moi qui en ai vingt et
un, je n'ai pas dorI?i plus quel toi.. . Soulement, moi
je suis une romantIque, tout e monde sait cela ... J'ai
le droit d'être un peu folle.
Marthe la regarda avec des yeux brillants :
- Cela va êtro très beau, ce soir, n'est-ce pns? fit-olle.
- Certainement ... Lef! Cazac sont très riches eL ils
ont beaucoup de relations...
'
- Tant mieux ... J'aime les bals, et je n'y suis
pres quo jamais allée .
- Tu soras gentille à croquer dans La petite robe
de velours jaune ... Tu vas faire des tus de conquGles ...
�LE SPHINX AUX CHEvl!:UX n'OR
95
- Ohl je ne tiens pas à en faire plusieurs, protesta
Marthe en rougissant nn peu.
Puis elle ajouta, trJS vite;
- D'ailleurs, tu seras beaucoup plus jolie que moi,
tu le sais bien.
- Ne dis pas cela, vilaine menteuse.
- Mais si, Yvonne, tout le monde n'aura d'yeux
que pour toi ... Tu as un tel éclat, un tel charme.
Sans aucune jalousio, elle regardait avec admiration le ravissant visage de la jeune Hlle.
- Tu seras bien en blanc? poursuivit-ello.
- Oh! oui, je mettrai ma robo de crêpe romain ...
C'est elle qui va le micux avec mon collier de jade c~
mes Bouliers lamés ...
- Par exemple, je serais cUl'ieuse de savoir queJIe
toilette arhOl'cra Milo Cazac ... Elle sera trJS chic,
évidemment ... Mais peut-être un peu recherohée ...
A propos, retrouverons-nous Jacques là-bas ou viendra-t-il nous prendre ici? ...
- Nous ferons un crochet pOUl' le prondre au
passage ... Et c'est Henri Davaine qui le reconduira ...
MarLhe eS8aya d'arracher à son amie quelques con.
fidences nouvelles au sujet de Bon fiancé, mais, au
mêmc instant, un bruit imolite nt tressaillir les jeunes
filles : les vitres de la fenêtre entr'oUV61'te venaient
de tinter, frappée3 par une grêle de petits graviers.
En mêmo temps, des voix masculines s'élevaÎ'ent
au dehol"J, stridentes et moqueuses ...
- Hé 1 là·haut, tout le monde dort? .. Il est plus
de OQur heul'es, mes belles dames.
C'étaient Bertrand ct Roger qui s'impatientaient du
l'etard de lours compagnes.
- LJ6péche:.:-vous de vous lever, oria le frère de
Marthe ... !l faiL un tcmps délicieux ... Nous pounons
fa.il'e un double ail tennis-
�96
LE SPHINX AUX CHEVEU X n'OR
- Entend u! lança Yvonn e... Nous allons vou
.
rejoindre....
Elles s'habil lèrent rapIdem ent, enfilant de petites
robes du matin et chauss ant leurs espadrilles ... Un
quart d'heure plus tard, elles étaient Sur le court,
raquett es en main.
Bertran d et Roger échangeaient déjà des balles à
vive allure. A leur vue, ils s'arrêtè rent.
- Ah! vous voilà enfm, fit Bertran d ... Je gage quc
vous parliez de vos toilette s de ce soir .. .
- Pourqu oi pas? dit Yvonne ... Nous n'allons pas
si souven t en soirée.
- "Moi, poursu ivit son cousin, il n'y a que le buffet
dans l'affaire .
qui m'intéresse vraime"~1t
- Évidem ment, raIlla Roger, pour se" vonget
d'avoir eu le dessous dans leur match, tu danscs
comme un pied ...
Bertran d se retourn a furieux :
- Je te conseille de parler, riposta-L·il. .. Si tu
crois que tu as l'air élégant !. .. On dirait un ourt; sur
dos charbons ardents l. .. Tu es à poufier de rire ...
La partie de double mit fin à leur querelle ... YVO~"ln
avait Pl1js Roger pour partena ire, et los chances
étaient ainsi égalées, cal' elle jouait presqu e aussi
bien que son cousin ... Marthe s'émerv eillait de la
voir ilondir sur le terrain , multip liant les "drives et
les Bbops et plaqua nt ses smashs avec une silreté de
ohampionne qui eût sans aucun doute fait l'admir ation de Lucion Cazac, 10 roi des sportifs ...
Pendan t ce temps, celui-ci, qui avait termin é SOIl
entraln ement, était descendu do sa chambre et s'occupait activem ent des prépara tifs de la réception ... 11
aidait le.s domest iques à enlever los meubles des salons,
triait lui-mê me les champagnos secs ct les moussoux
qui devaie nt garnir le bufTet, dispotiuiL avec sa mère
�97
LE SPHINX AUX CHEVEUX D'OR
les fleurs et les plantes vertes eL. .. téléphonait aux
musiciens, que l'on faisait venir de Tours pour s'assurer qu'ils seraient à l'heure ...
Tout marchait à merveille... Le temps était
radieux ... On pourrait danser sur la terrasse à la
lumière des guirlandes de lampes électriques qu'il
avait fait disposer ... Dans les boudoirs, de somptueux
havanes et des cigarettes de grand luxe attendaient
les fumeurs... Des brûle-parfums précieux donneraient aux danses une atmosphère orientale qui oITrirait un contraste audacieux et d'un eITet très sûr
avec la décoration moderne des appartements.
1\1000 Cazac avait lancé un très grand nombre d'invitutions, ct, bien que ce mt une simple soÎl'ée de
vacne~,
à la campagne, Lucien comptait sur cent
uinquante personnes.
Son attente ne fut pas trompée, car, lorsque l'aulo
des Jardy pénétra, vers neuf heures et demio du soir,
dans la cour de la propriété, une longue file de v6hi~ e.
cules y était déjà rangl
- L~
villa des Cazac, élev6e s~r
~n i)etit plat~
eJ~
retrait de la route de Saumur, mais d'où l'on apercevait la Vienne et même la Loire, était une très hello
construcLÎon de style italien, avec portes et fenêtres
cinLrées, colonnes toscanes, perron à balustres,
moulures en bas-reliefs... Un parc anglais faisait
Huito à la terrasse qui avait ét6 édifiée par-derrière au
niveau du rez-do-chaussée ... Des buissons de rosos, do~
massifs J'azalées ot do rhododendrons égayaien t partout
la somptueuse majesté des grands arbres aux larges
punaches qui entouraient les pelouses ... Trois bassins
disposés en triangle plaçaient une note française dans
c t ensemble, avec leurs jets d'eau gracieux qui s'éle·
vaient de motifs rocaille.
1
�98
LE SPHINX AUX CllEVJWX D'OR
Les illuminations permettaient d'embra!5ser du
regard les contours .harmonieux dos plates-~nd
et
deE' allées et d'admIrer les sombros frondal sons des
cèdres, dos sapins ot des Raules pleureurs que la clart6
des lampos parait do roflets d'argent.
réunis par ur~e
A l'intérieur, deux: grar.ds ~ûlons
haie entiàrement ouverte aUendaient les couples, que
los premières mesuros de l'oronestl'c invitaiont d6jil. à
se formor ..•
Biontôt ce fut un bruit. con{uR de voix multiples,
un flot d'invités te répandant dans la maison, ave c
des rires des exclamations, des présentations
mutuelles: .. Lo!! toilettes multiooloros des femmes S0
mêlaient aux taches noires des smokings masculins.
Et peu à peu, los danses s'orga.nisaient, les groupeb
s'éparpillaient.
Mme et Mlle Cazac recevaient sans embarras, en
personnes habituées à faire lee honneurs de semblables réunions. Pourtant leurs misot'i un peu excentriques n'étaient pas l'in~c
e d'une distinction par
faite ... La pramlOxe avait une robe mauvo trop
voyan~,
avee une ceinture de pierreries et une
aigrette d'un effet plus ou n:t0ins heureux.
La seconde ne manqlliut pas d'élégance, mais
elle avait une toiletta aŒectâe, compolléo d'une robe
noire à large déoolletage, rehaussée de gants vorts et.
de souliers de I?ômo cou]eur ... Sa ohevelure platinée,
se!! soureils artlfioiels, tracés ElU crayon, et Iles lèvres
outra~esmn
p.einte: achevaient de lui composer
une sJ!houette qm avrut plus de chance d'attirer los
regards quo do conquérir los oœurs ...
On en pouvait dire autant d'un grand nombre des
danseuse!!, dont Je5 allures émancipées oHarouchaienL
un peu Marthe Belmont. .. Très simple dans sa petiLe
robe jaune-soufre, avec ses 50uliel'tl do crêpe de Chine
�LE gPHlNX AUX CHEVEUX n'OR
99
et son bracelet dt" corail, celle-ci n'en paraissait
pourtant que plus jolie auprèB de ces beautés maqvillées dont les joues enduites de fard semblaient faire
mieux res sortir l'éclat naturel et le velouté de son
teint de )Y3 •••
Les jeunes gens étaient t,l'ès empressés auprès
d'elle, attirés d'instinot par le charme pur de son
regard et par la grâce de son sourire d.'enfant ...
Quant à YvonJle, elle éLaiL aussi belle, aussi éblouissante que sa petite amie le lui avait. prédit: sa toilette blanche et ses cheveux d'or s'alliaient il ravir et
faisaient penser à un bosqueL de lilas illuminé par le
soleil du printemps ... Tout en olle était exqUiS, la
lumi':'re de ses yeux de vitrail, la splendeur de son
teint nacré, le parfum trJS doux qu'elle avait choisi,
Jo. sveltesse de son cou dont son collier de jade soulignait la blancbeur ... Sa démarche était harmonieuse
comme \Jelle d'une reine; mais une certaine indécision
qui la faisait parfois hésiLer y ajoutait un ail' de
jeunesse, de t.imidilé qui avait le pius grand charme ...
Malgré ln fierLé de son maintien, on sèntait en
Yvonne une toute jeune fille, eL le mystère qui se
dégageait d'elle en était plus attirant encore ...
Il va sans dil'e que les danseurs se la disputaient
julousement. LOf) amis de Lucien Cazac n'nvaienL pas
Lard6 à la. distinguer au miliou des autres femmes, et
ils s'émerveillaient do découvrir cette nouvelle étoile
'lui n'avait jama.is paru jus~UC-Il
dar:s leurs r~unio
.
Luoien, bion ontendu, B attrIbUaIt touLe in gloll'e
<le eette cl6couverte ... Son empressement auprv8 de
Milo Surgore, l'ospèce de protection jalouRe donL jl
affectait de )'en lourer laissaien t asse? cleviner combien
il éLaiL fiel' do produil'e auX yeux df' :om; relations la
nouvelle conquéte dont SOII lal>lcuu \ (mait de
ricbir.
~
S'O',
~
J;
. ~.
�100
.
LE SPHINX AUX CHEVEUX D
,
on
Il était très à son avantage ce soir, le beau Lucien:': :
Le smoking seyait parfaitement ft sa musculature
athlétique. La coupa du costume et sa couleur so~bre
efTaçaient ce que ses épaules et so~
buste pouvaIent
et la camb~uI'e
avoir de trop puissant. Sa haute ta~le
de son port rendaient élégante sa SIlhouette pourtant
fortement charpentée ct d'ordinaire un peu massive ...
Très sûr de lui, il promenait d'un groupe à l'autre'
son visage romain el. volontaire qui ne manquait pas
de beanté avec ses yeux verts au regard vif, sa
bouche bien dessinée dont les lèvres fine s ébauchaient
un sourire satisfait et protecteur, son nez droit, son
front bombé, sa chevelure abonùante et légèrement
de sa main lustrait
crêpelée, qu'un geste ma~hinl
iréquemment avec complaIsance ...
Parmi les danseurs, on remarquait aussi Henri
Davaine et son ami Gérard Bruyère, le premier portant avec distinotion son uniforme d'oUicier d'aviation, le second bien moulé dans son smoking de
drap fin, très jeune d'allure, attirant la sympathie
par Bon visage souriant, oncaùré de cheveux blonds
et tout illuminé par l'éclat de doux yeux gris intelligents et doux ...
Auprès de lui, on pouvait reconnaiLre Jacques
Renaud, plus grand, plus mince, le teint plus pâle et
l'expre8sion plus rêveuse , avec une chevelure bouclée
comme celle d'un enfant, accentuant la délicatesse
extrême des traits, la t endresse du regard bl eu, la
.
minceur des lèvres et la gracilité du cou...
Si Lucien Cazac oITrait ce soir une belle image de
force et de virilité, on ne pouvait rêver un modèle
d'Apollon p,l ns parfait que son rival... L'harmonie de
Bes pro~in
s , la fine
s~e
de ses attaohes auraient pu
tenter le Clseau de PraXItèle, de même que le charme
et la poésie dont son visage était empreint n'auraient
�LE SPHINX ."-UX CHEVEUX n'OR
101
pas manqué d'attirer la palette d'un peintre romantique.
Jacques et Lucien étaient sans doute les meilleurs
danseurs de la soirée. Leurs styles très différents,
reproduction de leur caractère réciproque, atteignaient chacun dans leur genre au même degré de
perfection ... Cazac se tenait très droit, mais sans
raideur; il avait un méeanisme impeccable, un sens
étonnant de la variété, une sûreté de eonduite absolue ... C'était un spectacle fort attachant de le voir
tourner, entrainant sa danseuse dans un vrai tourbillon tout en la maintenant dans un équilibl'e d'une
stabilité parfaite, où la cambrure des corps assurait
l'immobilité complète du centre de gravité ... Le profil de médaille du jeune homme se dessin8.it ainsi
dans touLes les positions, gravitant autour d'un axe
imu~le.;
on r~Lait
de cette vision une impresflion
dc sohdIte prodlgleuse et d'incomparable virtuosité ...
Avec Jacques Renaud, on se trouvait devant unc
esthétique entièrement disLincte . .. L'habileté chorégraphique du danseur ne résidait plus dans la force
et dans la sûreté, mais au contraire dans la grâce,
dans ln souplesse et dans la puissance expressive ...
Jacques valsait avec une sensibilité, une inspiraLion infiniment séduisantes ... C'était son âme même
que traduisait sa. dar: se , avec sa. tendresse, sou
enthousiasme, sa revenc ... Il Y avalt dans son style
une telle sincérité, une exaltation si spontanée, si
inconsciente môme, que l'on pouvait, sansle connaître,
comprendre aussitôt sa nature et son tempérament ...
Tout de suite on sentait en lui un poète et un romantique ... Mais d'un romantisme sans déchirement intérieur, sans contradictions furieuses, sans cetle ft'énéi', ie de plaisir el de tristesse qui esL Je propre des âmes
Lourmentées ... La po.~ s jon,
chez Jacques, avait la
�102
LE SPHINX AUX CHEVEUX n'OR
tendre ferveur des cœurs simples ... Son rêve avait
la douceur d'un rêve d'enfant. Ardente eL chimérique, sa nature devait ignorer la nostalgie et l'inquiétude d'un Byron et d'un Musset... En le voyant
danser , on devinait ([u'jl devait1 leu!'
. préférer Lamartine ... Ses attitudes avaient un yrtsmc nn peu grave ...
Il devait aimer comme aimèrent de s Griaux ct
Tristan ...
Tour à tour, entre les bras robustes de Lucien cL
~ntre
les bras frôle s do Jacques, Yvonne Surgèrc
s'abandonna.
Et puis, peu à peu, olle parut délaisser Jacques, ct
ce ne fut plus. qu'av:oc son ri:r a ! quo [\larLhe Belmont,
]e cœur emplI de trlstesae, vit darwer 80n amie ...
Un peu parLout, maintenant, on chuchotait.
- Avez-vous vu Cazao ?,. Estree un simple flirt
ou va·t-i! nous appTendre ses fiançailles? ...
Marthe éooutaIt, anxieuse et interdito.
Des jeunes gens riaient sous oape ~
- Cazao flanc~?
... Ce ne setait pae banal...
Elle entendait des propos ontrecoupés.
- Vous y croyez, vous? ... Moi p-as.
- Sait·on jamais, mon vieux?
- Voue savez, il paraiL quo la petit'3 p.taît déjh
fianoée ... Oui, au grand blond it)'nir timide.
.
- Ah! bah! .. Sacré Cazac! ..
- Moi, je Je orois sérieusement pinc6...
Elle BoulTraiL, rougissant P?ur Yvonne et pour
Jacques, profondément .scandahflée ... Dans su petite
tête, les ldéos se heurtment sans eoh
é~ ion
... Elle ne
comprenaiL pas ... Qu'y avait-m ... Quelle femme
était dona Yvonne? .. Pourtant. ello l'aimai t bien ...
�LE SPHINX AUX CHeVEUX D'OR
103
Et, quand elles étaient ensemble, Yvonne était si
Jlaturelle, si bonne, si aITectueuse ... Que signifait son
atl,i Lude? . Pourquoi rai ~ ait-el
souffrir Jacques? ..
Car il clevai t soulTrir atrocement. .. Est-ce qu'ell e ne
l'aimait plus? ..
"Marthe aurait voulu se confiel' à quelqu'un •..
expliquer tout à une personne plus âgée qui aurait
pu la conseiller, lui expliquer, car, de toutes ses forcee,
(~ne
aurait souhait.é être utile, dissiper le malentendu s'il y en avaü un, rassurer Jacques Renaud
si la chose était possible . ..
Elle s'ûtait écartée des couples de danseurs, trop
triste maintenan t pOUl' accepter les invitations des
cavaliers qui s'empressaient autour d'elle ... Pour
1'611ucbir, elle avait gagné un coin désert, dans un
lioglo du Aalon. Tout à coup elle entendit aupr0:l
d'elle les voix de Jacques et d'Yvonne . .. Ils étaient
là tour. les doux, dans l'embrasure d'une porlie, tournant le dos à Marthe . .. Elle pr~ta
l'oreille.
Jacques grondait doucement son amie :
- Pourquoi me refusez-vous i,ouLes mes danses ,
disait-il à mi-voix . .. Tout ù l'heure, vous étiez plus
gentillu.
Yvonne semblait nerveuse et agacée. Elle répondit
:m1' un ton Il tUB élevé :
_ JUAtomcnt, j'ai ùansé avoe vowl pendant toule
nne parLie de la soirée ... M"intenanL, c'est bien le
Lour ùes autros . ..
Jacques ne sc fâcha pas.
.
- Certainement, concéda-t-ll avec bonne grûce,
ot je ne prétends paf; vous accaparer ... Mais aCCordez-moi au moins ce lango, vous voyez que je ne
suis paR trop exigeant.
- lmpo~:;ibe,
coupa-t-elle ... Je l'ni promis a
Lucien Cazac .
�10'1
LI: S PIII NX AUX CH EVEUX
D'on
filarthe eut un haut-le-corps. Yvonne v enait de
danser trois foi s de suite ave c Lu cien ... Cette préférence était révoltante.
Comme Jacques ne r épondait rien, la jeune fille
poursuivi t, pr esque a g r es iv e ~ e nt , :
- Vons n' êt es pas jaloux, ] espere ?
Il protes ta :
- Oh! non Y vonne, vous ê tes bien libre ...
- Vous nl~z
peut- être m e dire que M. Cazac ne
vous plait pas ?
.
.
- Mais non ... Au contraIr e, JO le trouv e très
~
n~.
.
Elle haussa los épaules et partit brusquement, cal'
Lucien venait au-devant d'elle ...
Jacques Renaud demeurait se ul. .. Marthe s'approcha doucom ent de lui.
- Bonjour, fit-elle gentim ent.
Il lui sourit tristement:
- Bonjour, Marthe, répondit-il, v ous ne dansez
pas?
- J'attends que l'on m'invite, dit-elle ...
- Voulez-vous danser avec moi ?
Ell e acquiesça et mit sa petite main sur l'ép aul e
du jeune homme.
Hs se mêlèrent aux auL res coupl es.
- Vous êtes un danseur m er veilleux, dit Marth e.
Jacques eut une petite mOue 1\n peu amère.
- Il faut croire q~ e . M. C~zac
es t plus merveilleux enl:ore, répondIt-ll en 1:; oITorç:mt de rire car
Yvonne, qui s'y connait, est toujours avec lui. '
Ma~the
reprit la question d'Yvonne, espéran t
obtenIr les confidences de Ja cqu es pour savoir s'il
soufTrait autant qu'elle le craignait .. .
- Vous avez le droit d'en être un peu jaloux,
n'es t-ce pas ? •• suggéra-l·elle en essayant de prendre
�T. E SPHINX A UX CI! EVEL' X D'OR
105
le ton de la plaisanterie, pour ne pas commettre un
manque de tact.
Très sim plement, Jacques répondit:
- Mais non, pourquoi serais-j e jaloux ? .. Je
regrette seulement de danser moins bien que lui.
Marthe fut assez surprbe. Bien qu'elle-m ême fut
douée d'une nature pa tiente et douce , ell e jugea que
Je fiancé d'Yvonne manifestait une indul gence et une
bonté exagérées ...
- Il me semble, dit-ell e, qu e vous pourriez gron·
der Yvonne ...
- Je l'ai un peu grondée tou t ü l'h eure, Dt-il. ..
vIais jo le regrette maintenant, car elle en a éLé
m éconLente ... Et, au fond, je n'a i pas le droit de lui
,j'aire de s reproches ...
- Mais puisqu'elle est votre Hancée... ou du
moins votre future fianc ée , elle doit bien vous préfé~'e
r aux autres ...
- Elle m'est Lellcment sup érieure que je m'esi imerai toujours récompensé par ses moindres sourires ... Et j'ai honte d'avoir Lant de défauts, tant de
faible sses qui lui déplaisent ...
- Pourtant, vous êtes bien S lll' qu'ell e VOll S aime ~
Marthe venait d'aborder brusquoment le domain e
où Jacques obstinémont abandonnait les données de
a lo gique et du raisonnement pour se soumettre en
avcugle aux promesses cL aux enchantem ent'!! de son
Rêve.
DistraitemenL ct comm e r, i ln jeune fill e lui ava it
posé une qu es t.ion superJlue, il l·(lp ond it.:
- Mais oui ... naturellcment.
Marth e cuL un serrement ùe cœ UI' ... Depuis Je
dialogue qu'elle avait entendu, elle avait la convie·
tion que son amie préférait maintenant Lucien ...
Et voici qu e Jacques Renaud, qu'eUe croyait t.orturé
�106
q; SPHINX AUX r.nr::VJWX D ' OP.
le douLe et qu'elle avait cherché il consoler,
mani restait au contraire la plus étonnante tranquillité, la plus dangereuse certitude .. , Ah 1 comme il
aurait mieux valu qu'il souffrît déjà, si les craintes
de Marthe étaient fondées comme il étaü presque
certain ... Comment pourrait-il maintenant supporter lu teniblo révélation qui, d 'un jour à l'autre,
,dlait infailliblement éclater?
Clle voulut partager Ja confiance de Jacques, ce
,'accrocher à l'espoir qu'il n'y avait de la parl
d 'Yvonne qu'un capT·ice passage r ...
\lais, au même in!\tant, leur couple ren00nLra celui
de Cazac et de Milo Surgàre. Jacques et Martbe
regardèrent ~el-i,
I~ pr~mie
so.r~
haine,la second(~
avec une indJ gna llOll u peme dégUIsée.
AJor':3, Yvonne, comme au début de la danse , eut
un imperceptible hau ssement d'épaule et déf.ouma
la Wte ... Lucien vil-il 10 goste ?... Sans doute, CUI'
il sourit à sa danseuse , et Mart.he vit qu'ollu répon.
dait il ce sourit'e., ,
pill'
On 'dansaiL mailllPlJanL ElUI' lu toras~
'de . la. . viÙa.
Ln. nuit étaü cx(~uise
.... Du jardin rnontaÎl le par'l'um ùe s lys, dri! Ja!)mlnS et d08 l'oses... Leli jets
d'cau f;cinLiIlniollL sous la lumi~'J
argentée des pl'Ojor;teurll ... Des gnirIandes d'o.mpoules multicolores
s'enlre-cl'oi3aient nu-de.RBus des couples, créant un
c;Hlre d'une beauté féerrque ...
Lucien avait entralné Yvonne vors 10 buffcL
installé dans l'un des pavillons do la ~ai80n.
- Que voulez-vous? demanda-t-i!... Du champagne soc? ... Un cocktail façon Cor.ac? , .. C'ost une
invention dont je suis assez Uer ...
- Merci, répondit-olle ... Jo prondrai volon Liord un
sO l'bol au kirscb.
�LE SPHINX AUX CHEVEU X n'OR
107
Ils entrère nt et se trouvè rent en face de Bertran d
et do Roger, qui étaient très occupé s à se gaver de
pains au foie gras et de caviar.
Ayant eu peu de succès dan s la danse, car ils
avaien t l'un et l'autre écrasé les pieds de leurs cava liBres success ives, les deux amis so consola ient en
sacrifia nt abonda mment au démon de Il'!. go urmand ise.
Cazac leur adressa un signe de tête amical et, sana
plus ,,'inqui éter dc leur pr6senc e, s'accou da fQmilièrement tout près d'Yvon ne.
- Savez- vous que vouo dansez à ravir, fit-il en la
regard ant avec insistan ce.
- Vous me flattez, dit Yvonn e ... Je su is Ul1E1
danseu se très ordinai re.
Lucien ajouta :
- Votre fianoé danse bien lui aus5i ...
11 avait pronon cé le mot fiancé avec une hérlÎw.tioll
volonta ire.
instant ,
Yvonn e ·allaü l'épond ro, mais, au nH~me
Jacque s et Marthe entrnÎo nt à leur tour.
Henri Davai11e et Gérard Bruyèr e les su ivaient . Le
groupe seréun ü et Lucien eutl'en nui dovoir Gon tète-àtête interro mpu.
Jacque s avait prit Yvonn e f:! part.
Avec beauco up de douceu r, presqu e timide ment,
il l'implo ra:
_ Vous no m"en vouler. pall d'av6ir <iti) un p li
touL à l'heure ? Je serais dôsolé si je vou.,
~qle
bru
avais rait de la peine.
Elle le regarda avec étonne men l.
- Mais je ne comprt lnds PM, fiL-elle ... C'est moi
qui vous refusai s ...
- Oui, dü-il, mais j'insist ais trop ...
11 l'ontra lna sur la Lorrusse, tendrem ent.
- Je suis heureu x que vous m'ayez pardon né, dit-
�108
LE SP HINX AUX CHEYEl:X D ' OR
il. .. Ce n 'é~a
it pas de ma faute, voyez-vous ... J'aime
tellement être avec vous ...
Yvonne parut touchée, Jacque s lui prit la main.
- C'est si doux de danser avec vous, petite Yvonne,
murmura-t-il d'une voix que l'émotion faisait un peu
trembler.
Son regard s'attachait extasié, infinim ent bon, Sur
le j oH visage, surIa robe blancho, sur les boucles d'or.
L08 couples étaient loin d'eux ... L'orches tre leur
apportait sa musique adoucie, éLoulTée ... Ils étaient
seuls on ce momont sous la nuit bleue, près d'un
buisson de roses .
Jacques répétaiL doucement, avec ln ferveur d'une
pl'ière:
- Yvonne ... Ma petite Yvonne ...
La jeune fill e nt un efTorL pour sc dégager de lui.
- Jacques, dit-elle trJs vite, en détournant la t ô t~
pour ne pns r ~n c ontre
!e. r egar
~ ?e son aIlli . ..
z -v ~u s SI Je venaIs U ~us
dire que
Jacque s, que r el'
je ne peux pas vou~
nllne r ... parce que J en aime un
aut l'e? ...
)1 secoua la tôtc avec 1111 joli scu l'il' :
-' Je ne vou s Cl'oirais pas, Yvonne, répondit-il
-llimplemonL.
Elle ne put re ten ir un tressaillement.
- Laissez- moi, dit-ell e avec une brusquerio ônerVl'e ... J o suis fati guée ... J'ai besoin d'ê tre soulo ...
Et, sans attendre la l'éponso du jouno homm e, elle
partit précipitamm ent, al'rachant sa nJaÏn Ù SO Il
étreinto ...
Ma~'Lle
Bclmon.l, qui s'é~a
it approch{'o d'eux }JOUI'
les reJollldl'o, aval L, mnl gl\) ell e, enLendu la dornh1ro
l'épIique ... Quand Yvonlle passn auprus d'clio, san~
même l'ap ercevoiJ', elJ e remarrlua POUl' la seconde
fois que so n amie plcurait. ..
�LE SPnI:n AUX CHEVEUX D'OR
1091
CHAPITRE VIII
CELUI QU'AIMAIT YVONNE.
Gérard Bruyère n'était pas très sat.israit de sa
soirée ... Il avait dansé avec Marthe Belmont ... Ir
avait vu les beaux yeux lever vers lui, leur regard
limpide et brillant, les petites lèvres rouges s'ouvrir
ponr lui offrir leur sourire tendre et frais ... Et il.
n'avait pas osé prononcer les paroles d'aveu qui
brülaienL sa gorge ... Une timidité maudite l'avait
immobilisé dans un muLisme irréfragable... En
vérité, c'était stupide, car il avait le pressentiment
que Marthe ne l'aurait pas repoussé... Sa gentillesse
à 80n égard, la similitude de leurs goOts qu'elle sou~
lignait en toute occasion devaient' être pour lui des,
indices particulièrement encourageant.
Ce soir, elle avait accepté avec élan toutes ses
invitations, ct il avait deviné qu'elle attendait de lui
la révélation de cette tendresse muette dont il l'avail
entourée depuis le premier jour où il l'avait connue ...
Pourtant, il s'était tu ... Et maintenant il lui sem·
blait que la jeune fille avait perdu son entrain et sa
gaieté ... Elle ne dansait plus ... Elle s'était retirée à
l'écart, songeuse et visiblement attristée ...
La soirée touchait à sa fin... Bien des invités
s'étaient déjà retirés, et l'on entendait, un à un, les
ronflements des moteurs que l'on mettait en marche ...
Pourtant, dans les salons et sur la terrasse, quelques couples de danseurs acharnés tourbillonnaient
encore, au rythme de l'orchestre ...
D'autres groupes se reposaieut en bavardant et eu
rumant ...
�110
LE SPHINX AUX CHEVEUX n'OR
La nuit belle et pure invitai t aussi aux promenadefl ù travers les allées fraîches que baignait la
lumière blanche des projecteurs... Il faisait bon
flâner entre los pelouses) près des bassins où chantaient doucement les jets d'eau, eL dont les llaux
glacées reflétaient les ombres noires des saules ...
Gérard avait perdn Marthe de vue et la cherchait
en vain depuis un quart d'heure. Il n'était pas possiblo, pO~lrtanL,
que la jeune fllle fût partie sans lui
dire au revoir ... Êtait-elle avec Yvonne Surg.:lré? ..
Non, Jacques venaH d'apercevoir celle-ci Pl'jS de
Lucien Cazac ...
Elle avait dît errer scuJe dans le parc ... Gérard se
décida à la rejoindre ... Il suivit les allées qui s'enfonçaiont dans l' épaisseur des arbres eL qui étaient trop
Join pour reCllvoir la clarté des lampes, et soudain il
découvrit la BWUI' de noger qui s'ét.ait isolée dans UnE:
tonnelle Iointaino où elle méditait tristement.
Bu J'(;connaisso.nt Gérard, elle eut un petit mo\.!v.;:mont de smprise.
Un peu inquiet, ill'intel'rogea :
- Vous n'êtes pas souffrante, Marthe?
Elle lui tendit la main:
- Non, fit-elle, mais je su is LI'ès contrariée ...
- Qu'avez-vous? demanda-L-il ... Qui Yous a fait
ùe la peiJ1e? .. J'èspère que ce n'est pas moi. ..
Elle protesta en souriant :
- Oh 1non, Gérard 1. .. Cc n'est pas vous!. ..
S'ellhal'dissan t, il poursuivit lrès vito, encouragé
pal' l'ombre qu'afTectionnont les timidN\ :
- Vous savez que je vOus aime bien, Marthe ... Jo
voudrais pouvoir vous consoler ... Car jn vous ... Oui,
je vous ...
Il rougit brusquement:
- Par'ùonnez-moi, ajouta-t-il ... J'ai l'ait· sLupidr. ...
�LE SPlIINX ,-\UX OlIEVEUX D' on
111
Vous ne comprenez peut.ê~r
pas ... Mais depuis
longtemps, je voulais vous le dire . .. Ma petite
l"Iarthe .. . Ce soir ... En dansant avec vous, j'étais
lrop heuroux, je vous aimais trop ... Vous voyez, jo
ne pouvais plus me tairo.
n s'étai~
approché d'olle et lui avaiL pris les deux
mains.
Marthe, toute tremblante d'émotion, inclina sa tête
sur soo épaule. Pondant quelques instant:s, elle nc
put parler.
Enfin, elle murmul'a, oomme éporduo de bonheur:
- Moi aussi. .. Je vous aime, Gérard ...
l1s demur~nt
quelques lnstants dans le tondre
recueillement de leurs premiers aveux, submergér.
par la joie qui uni&sait leurs cœurs.
Puis Marthe releva sa tête ...
- Mon Dieu, dit.ello, pourquoi faut-il que nous
BOy ons si houreux à l'heure où Jacques va être si
triste?
.
Gérard s'6tonna:
- Que voulez·~
dire?
En quelqu.ae mot~
brefs, Marthe lui raconta Ion
tlOène5 dont elle a.vait été témoin.
Tout maintenant était devonu terriblement clair
pour olle ... Et. si elle plaign~
Jaoque~
Hennud, elle
savait aussi qu'Yvonne était peut-être elle-même
plus à plaindre qu'à blâmer.
Jamais Yvonne n'avait dû avoir pour Jacque ti
d'auLl'C sentimf1nL qu'une amitié fraternelle ... Toute
pelHe, déjà.. elle lui reproohait ses goû te efTominés.
Sa nature Vive, entneprenante, fougueuse, ne pouvait
vas !l'accommoder sans dil1iculL6 do ce camaradr
trop calme, trop tranquille et trop rovOUl' ... Elle
l'aimait bien, sans doute, car clic étaiL olle-môme tr6s
tendre et très aŒecLueuee, mais il manquait à sos
�112
LE SPHINX AUX CHEVEUX D'on
yeux ùes qualités indispensables de force c~ d'énergie
que doivent posséder les garçons", Pouvait-on lui
reprocher cette exigence, quand on savait de quel
homme d'acier elle éLait la 1ille?",
Sans cesse elle avait dû être pal'tagl;e, depuis qu'elle
avait connu l'amour de Jacques, entre la sympathie
qu'il lui inspirait et son désir bien légitime de
Jt'accorder sa main qu'au fiancé qui réaliserait l'idéal
qu'elle s'élaiL formé.
Indécise .longtemps, parce qu'elle ne voulait pas
chagriner le jeune homme et parce qu'elle n'avait pas
rencontré jusque-là d'autre amour que le sien, ellc
uvait faiL lous ses en'Ol'ts pour répondre aux sentiments passionnés que l'étudiant lui vouait, mai
,~
son cœur n'avi~
pu obéir aux commandements de
sa voln~é
... Et c'est pourquoi, depuis un an, elle
a vai t retardé le moment de cet engagement qu'clic
l'edoutait ... C'est pourquoi, aussi, elle s'était montrée
:-:i étrange, si contradictoil'e dans son attitude, tantôt
attirée vers Jacq ues par Jo. tendresse que lui inspirai L
la touchante dévolion du pauvre garçon ct sans doule
uussi l'admira lion qu'elle 6prouvaiL pour la beauté ct
la délicatesse de son ûme ... 1antôt rebutée par le côté
trop chimérique de sa ll!1LUI'e, pal' sa faiblosse
phYBiquo, par SOIl manque do se~
pratiquo, par
l'absence en un mot de tout ce qu une femmo voudrait trouver dans celui qui doiL êLre]e compagnon
de sa vic .. ,
OnJajugeaitincol1!lLanLC,Cl'uelle., ,1 )auvre Yvonne!.,.
le fallait-il pas p1ulôt Jo ploindre ct mômo l'admirer? ... Martho comprenaiL maintenant pourquoi HOrt
ami était Lour à Lour si douce ct ~i fl'oido avec
Jacques ... Pourquoi tant do fois à Paris, au Cours
de l'année, olle l'avait raillé mécharrlloonL après l'avoir
entouré de prévenac~
oL d'afi'ection... POUl\lUoi,
�LE SPIlINX AUX CHEVEU X D'OR
11.1
lorsque Jacque s était arrivé à Saumu r, quinzc jours a uparava nt, elle avait cu la pensée délicat e d'être seule
à l'accue illir à sa descen te du train ... ct pourqu oi,
quelqu es heures après, repri se par ses regrets ct ses
hésitati o ns , elle l'avait quitté sans douceu r, avec la
nervosité qui :lYaiL si fort indignée Marthe ... On
se rapp elle que, pendan t le relour de Candes à la
Tuilière , cel1e-ci a vaü surpris de s larm es involon taires
Jans les yeux d'Yvon ne ... Elle savait mainte nant qu e
ces pleurs, qui J'avaie nt stupéfa ite, éLaient arrachés
;\ la jeune HU e par les contrad ictions qui Lourmen Laien t
100n âme ct pal' la tri stesse d'avoir accepté sans douto
Ulle chaine trop lourde ...
Et pui ~ , il y avait mainte nant Lu cien Ca zac ...
Lucion qui p eut-ê tre, d ès le premie r jour, avait
remarq ué Yvonn e .. , Lucien qui posséd ait, magnifiqu ement dévelo ppées, toutes les qualités q1li man quaien tàJacqu es Henaud ,. Oh 1sansc.loutelamaladl'oi: 0
façon dont il s'é tait présent é la premiè re foi s, c.lèlllG
bo n canot, lui avait valu de la parL d'Yvoh ne, toujours vive ot facilem ent irrüabl o, ue cingla ntes pal'oI es .. , Mai s la jeune fill e Ile le connaissaiL pas ellcore à ce mom on L-l it ... Par la su ite, il lui avait paru,
i:l elle comme ü MarLhe, beauco np plus sympa thiqu e ...
Et puis, môme à l'instan t ùe son exploit cL alors
a i~ Je, plus verteT?enL, n'étaiL-i! pas
qu'ellc 11.1 blâm
qu'Yvo nn e alL cu pOUl' lm comme une admipo ~s ible
ralion inconc ienle ? .. Chez les ûmes altières et
domin a lrices eomme celle de Mlle Surgèr e,
J'amou r ne s'acco rde pas san s comba ts .. , Elle avait
éLé révoltée de so n sans-gê ne et de J'impru dence de
sa manœu vre." Mai s l'eo.L-elle pro cla m é aussi 10l't si
avec
0110 n'avait pns secfllte ment apprécié l'habile té
...
virage?
son
exécuté
it
ava
il
e
laquell
l'Jus tard, dans Jeurs rares r enco n ll'OS, elle a vaiL
8
�1H,
LE SPHINX AUX CH EVEU X D'OR
lutté enoore oontro le sentiment qui grandissait en
elle ... Fierté sans doute ... Et puis remords vis-à-vis
de Jacques ... Mais n'était-elle pas libre encore ?...
EUe n'avait pas engagés a parole ... Son cœur n'avait-il
pas le droit de parler? ...
Et Marthe répétait à Gérard Bruyère la conversation
qu'elle avait surprise quelques moments auparavant
entre Yvonne et Jacques ... Elle disait l'énorvement
de la jeune fille, la candeur obstinée de son ami.
Pauvro Jaoques ... il ne voulait pas, il ne pouvait
pas oomprendre ...
Et Yvonne n'avait pas eu 10 courage de lui dire
tout. Il était trop tard sans doute ... Il souffrirait
trop ... Dans une phrase terrible, pourtant, elle avi~
essayé de le préparer. Marthe se rappelait encore
cette parole, dite d'une voLx sans timbre, tout Ct
l'heure:
«Jacque8, que feriez-vous si Je vous disais /que j'en
aime un autre? .. »
Et la réponse, légère, presque amusée:
«Je ne vous croirais pas, Yvonne ... »
Gérard demanda:
- Aimi, vous êtes sl1ro qu'Yvonne aime ce Cazac?
- Oh 1 j'en ai peur, dit Marthe ... Songez donc,
Gérard, quand ello a vu que Jacques ne comprenait
~oupçn,
elle esl
pas, n'avait .pas même le ~oindre
partie trè!l VIte, comme 81 elle éUl:lt au comble du
ohagrin ... EUe est passée devanL mOl, sans mo vok ..
Et elle pleurait.
Mo.rthe réfléohit un instant, Ll'ès ahattue :
-- Que pouvons-nous fniro, Gérard? l:!o upira.Lo
clIo ...
- Je nc suie pas, fit le jeuIle hemme ... Co que
vous me ditofi csL lr ~s triste ... De touL mon oœur, je
!louhaiLe qu'Yvonne rovienno à Jacques ... Cal', si
�LE SPlU NX AUX
CHEVEUX n'OH
11 r-
jamah il devait renoncer à elle, je craindrais pour sa
raison ... Mais il est tard, ma pe tite Marthe, il fauL
rejoindre les autres .
I ls se Icv &renL pour quiLter la tonnelle .
Mais, au même instan L, touL pr ~ d'eux , il s entendirent comm e un froi sse ment de feuill es ... Prêtant
l'oreille, il s perç urent aussitôt Je brui t de pas qui
s'éloignai ent ... Ils essayèrent de voir, maisl'obscurit(.
ne leur permiL pas d e distingu er la bilhouette qu:
fu yait. Qui avait pu s urprendre leur oon ersation ? ..
Il s pressè rent leur marche, l'emonLant l'allée emplie d'ombre . Et soudain il s entendirent, ù quelques
pas, la chute d' un corpl; qlli tombaiL lourdement.
Gérard s'élança, se p encha et poussa un cri ... Il
Mnait de reconnattre Jacques Renaud ...
- ViLe, Marthe, cria-t-il, appelez du secours, il est
évanoui.
- Qu'avons-nous faiL, mon Dieu 1 sanglota la jeune
fille en se tordant les mains .
Elle allait courir vers la terrasse . . . Mais, au détoul'
d e l'ail 'e, elle se trouva face à face avec Yvonn e.
Celle-ci paraissait inquiùte:
- Je cherche Jacqu es, diL-ell e, J'as-tu vu? ... Depuis
dix minutes, il a di sparu ...
_ Viens , fit 1arthe ... il est là ...
L'éva nouissemenL de Jacques ~ 'av
it
dure: que
q uolquos secondes. Au mom en 1, ou l\IarLhe parlait,
il al?parul, ~o uL e nu
JH1 1' ~érd
... A cpt endroit, la
lumi ère tics projecteurs /1 eLalL plus mn!Hlu éo pal' les
al'bres ... Yvonne fuI, frapp re d e 10. pill eur du jeune
homm e.
- Qu'y a-t-il? balLuLia-L-ell e en porLa nt la main
ft sa poitrine ... Muis qu'y a-t-il donc? ... Vou s êt e:l
malade, mOIl potit Jacques? ..
D'ins tinct, clic ayai t posé fla main Sllr le fl'o nt de
�11'6
LE SPHINX AUX
cnEVEV'x
n'OR
son ami, avec une douceur infinie ... Sa voix trahissait une angoisse déchirante ...
- Jacques, qu'avez-vous?... fit-elle avec eITroi.
Pourquoi me regardez-vous comme cela?
Il fixait sur elle des yeux sans expression.
Tout à coup, elle sembla avoir une révélation:
- Ohl c'est ce que je vous ai dit tout à l'heure qlli
vous a faiL de la peine? demanda-t-elle, pressante ...
C'est cela, n'est-ce-pas? ce n'est que cela ... Vous av e:t
eu peur que je ne vous aime pas? ... Mais pourquoi
ne me l'avez-vous pas dit,?.. Je vous mentais ... Je
n'aime que vous, je n'ai jamais aimé que vous ...
Marthe intervint touL bas, penchée ù l'oreille
d'Yvonne:
- r~couLe,
diL-elle, c'est nou s qui avons parlé, nous
ne savions pas qu'il était là.
Yvonne la regarda, stup6faiLe:
- Mais que lui avez-vous dit? arLicula-t-elle ...
~u'avez-os
cru?
- Que tu aimais Lucien Cazac ...
La jeune mIe poussa un cri déchirant:
- Mais c'est faux, sanglota-t-elle ... C'est Jacques
que j'adore ... Ohl mon Dieu, touL cela est dema faute ...
Je suis un monstre ... Jacques, vous me croyez, n'est-ce
pas? ... Dites-moi que vous me croyez ... Je vous expliquerai tout, vous comprendrez, je vous 10 jure ...
Elle lui prenait les main s ct les embrassait en les
couvrant de larmes.
Il la regardait, semblant ù peine Comprondre.
- J'ai mal ù la tête, dit-il avec oll·ort. .. Oh 1 que
j'ai mali ...
-- Ce n'ost pas vrai, cria Yvonne ... Non, non ne
dites pas cela ... Je vous ai guéri, Jacques ... V'ous
savez bien que je vou s aime, que je ne voulais pas
YOUS faire mal ...
�LE SPHINX AUX CHEVE UX
n'on
117
Jacques parut retrouver ses esprits ... Il abaissa
vers Yvonne des yeux très doux, très tristes, qui
avaient repris une expression humaine.
- Pardonnez-moi, Yvonne, dit-il, j'aurais dû
mieux supporter cette épreuve ... Mais j'ai reçu un
coup terrible et j'ai cru devenir fou .. Tout à l'heure,
je n'étais qu'un enfant ... Maintenant, grâce à l'aide
de Dieu, je devien s un homme ... Je serai courageux ...
Vous pouvez, aimer Lucien Cazac, Yvonne. ,. Je ne
vous en veux pas.
Et comme cJle allait enCOl'e protester:
- Ne ,"ous donnez pas la peine de me menlir,
ajouta-t-illllus froidement ... .J'ai beau n'être bon qu 'à
composer des vers ou à jouer à la poupée, je saurai
souffrir comm e un homme.
Elle 10 r egarda, épouv&lItée:
-- Vou s ue m e m'oyez pail 1 cJ'Îtl-l -cll e ... Vous ne
voulez pas oroÎl'e que je VOLIB aime :) ...
Mais Jacques seco uait la tête:
- Allez donc, fit-il. .. Allez dOllc danser avec
Lucien Cazac.
Gél'nrd cL Marthe, é branlés ]lar l'accen t si sincère
d'Yvonno essayaienL d'int
~rve
nir
...
_ Jacq~e
s , dirent-ils ... Ecoutez-la ...
- Mais non, répondit-il de la même voix si volontairement froide qu'o n y décelait il peine une nuance
d'ironie... Toul, est parfaitement clair... Si elle
t-cllc soufri~'?
... Ah! je
m 'aimai L, pourquoi me ~ia
Ilaill bien ... Longtemp s, J ru cru qu e oertallles ohoses
seulement lui déplaisa ient. en moi : ma faiblesse
physiquû, pal' exemple ... mes goûtR do rêveur ... J'ai
essayé do me change!', mais je n'y suis pas parvenu
je n'y pal'vi ondrai jamais ... Alors i' ... EL puis, main~
tenant, il y n M. Cazac. JI est tout naturel qu'elle
l'aime ... \'OU8 l'on'z dit vous-mrme tout t~ l'heure .
�H8
LE ::;PHlNX AUX CHEVEUX D'OR
Marihe. Et :i 'étais stupide d'avoir été ausfiÏ aveugle."
Je ne voulais pas voir'la vérité ... Je n e croyais qu'il
mon beau r ôve ... Enfin, me voici l'éveill é.
Yvonne s'était agenouillée devant lui. 11 caressa
doucement sa chevelure:
- Non, Yvonne, relevez-voue, dit-il, sans amertume
cette fois ... Je ne vous en veux pas ... Ce n'était pas
de votre faute ...
- Jacques, il faut me croire, répéta-t-elle ...
Mais, au même instant, des voix familiùres se firent
entendre ... Henri Davaine venait au-devant d'eux,
avec Bertrand, Roger et quelques amis ...
Précipitamm ent, Yvonne s'était rodreeeée.
- Eh bien 1 vous vous oachiez donc! s'exclama
Henri ... Tout 10 monde sn domandait 00 que vous
étiez devenus ...
Ce fut Jacquos qui l'épondit :
- II faisait bon à so promener, dit-il; noue rêvions
aux étoiles ...
Puis il aj ou ta :
- Mais il est bien tard ... Je crois que nou& pourrions Gonger au départ...
- Je suis de votre avis, flt Davaine ... Il est prèc
do quatre heures, et je pensais fi me retirer ... Si vous
le voulez bien, nous allons partir ensemble, puisque
c'est moi qui doi:> vous conduir1'3 à Candos.
... Et, dix miJacques accepta avco e~prsmnt
nutes plus tard, sans avon echl1ngé avec Yvonne
autre chose que dos paroles hana]os et imignifiantot'l,
il montait dans l' « Amilcar» l'l e l'aviateur, après
avo ir pris congé des C/17./1C sa1JS aucune émotion appaJ'cnte.
Gérard Bruyèro l e )'ngElrda pal'Lir avec stupél'U0lioll.
Il
Oucl cron !... pCllsn-t-iJ, quelle merveilleuse
énergio 1. .. Qui o.uruiL pu s'aLtendro à. cola do ea part l ,)
�LE ~PHmX
AUX ('IlEVr,UX n'OR
119
Et Marthe, encore touL émue par la :5cène à laquelle elle venait d'assister, murmura ft son oreille:
- Si "l'aiment c'est lui qu'aime Yvonne, je croi:3
qu'elle aura maintenant pour h.li plus d'admiration
encore que de tendresse.
Dans l'auto d'Henri, Jacques 110 quitta pas un
instant son calme. II lui arriva seulemont de dire ell
plaisantant, comm e son ami lui parlait de ses vols
et de ses raids, qui l'exaltaienl, disait-il, comme d ei!
poèmes:
- Vous avez raison, car les poètes sont un péU
comme les aviateurs : quand ils dégl'ingolent, c'ec\.
toujours de tr~s
baut. ..
lU;
COIn'mo' un' homme, et purce qu'il youlait 0tr~
homlOe, Jacques avait su \\ tenil' )1 •••
MaiB, quand il so retrouva seul dans sa cha mbre
il se laissa ail el' à Gon déRespoir eL, LOUl.ll la TlniL,
pleura ...
Il pardonnait à Yvonne ... Le l'écit de ~larthiJ
BelmonL, qu'il avait surpris alors que, repoussé par sa
fiancée, il s'était tris tement l'OUI'é dans un coin du
parc, l'avait, ,en quel~s
in.stanLs, éc]?iré Sur les
sentiments qu elle devaIt avoir pour lUI ... Il comprenait maintenant les réticences de Pirrre Vallin
les étonnements de sa gr·and'mère ... S'il n'avait pa~
cV, aveu"le si long temps, il n'aurait pas accablé
Yvonne
son insi3tance obstinée 1 Si la jeune fille
sans amLage, c'est
n'O,vait jamais osé le. décourag~
parce qu'elle ]e sentait trop con(lllOL et qu'el1e avait
peur de lui fairo mal... Pouvait-il donc lui e!1 vouloit' de ses emporLeml'nts cL de ses méchancetés?
'fout ù l'heure encore, si ello lui avait juré d'être
ta rl1rnll1(', n'étail-ce pas par un sacrifice hé,'oïque
o ('vallL le désespoir qu'il manif(' ltaiL !...
'
il
de
�LW
LE S PIlI NX ,\1 X r. 1lF.VF.UX n'OR
Que pouvait-il faire maintenant?.. II aurait.
souhaité mourir, car il sen tait bien qu'il ne
pourrait jamais oublier Yvonne ...
Puisqu'il fall ait vivre quand même, il quitterait
Candes, H irait chercher dans le travail, auprès de
Pierre Vallin, l'engourdissement d'un mal qui ne
pouvait guérir ...
Mais non, il ne pourrait pas partir ... Fuir vers
Paris quand Yvonne éLait là, il deux lieues de lui ...
quand il pouvait, s'il Je voulait, la voir lous les
jours ? .. Ah 1 non, c'é tait au-dessus de ses forces 1. ..
Quelle en aime un autre, tant pis ... Qu'il ne soit plus
rien pour eHe ... Mais du moins, qu'il puisse l'aimer
en Rjlence, caché dan s son ombre comme un chien
fid èle ... Qu'il puisse encore entendre sa voix, cett
hi'ro voix dont ehaque écho fai sait battre son CO"ur,
qu'il puisse toucher encore sa main, sa robe, se grise r
de son parfum, se nlÎr partout le mystèro ensorcelant
de ~a présence ... vivl'e dans les lieux que son charme
enohantait, touchor les objets que ses doigts avaient
effl euréR , .. respirer l'air qu'Yvonne respiraH ...
Au matin, vaincu pal' la fatigue, Jacques s'était
el1dormi. Quand il se réveilla, le soleil inondait sa
rhambre,., Un a il' déli cieux venait du ja rdin ... Mme de
Clairville était assise au chevet de so n petitfil s ...
- J'ai une lettre pour loi, mon pelit, dit-elle apr ' ~s
avo ir d 'posé un baiser sur so n front brûlant... On
l'a apportée il y a une heure, maia lu dormais de
si bon CfX' ur qu e je n'aurais pas voulu te la donner
tout de HUiLe .. , C' st de la part de Lon amie Yvonne .
.Jacques se dr ssa d'un bond. , a grand' ml' re ourit
et lui tpodit l'onveJopp p,
F bril rR , Res doigts bl'i<)(\ rtlnt le rQe h"l.
Et, tout bu:!, il Iut.
�I.E SPHI N X AUX CHEVEUX D ' on
121
D'une écriture tremblante, pressée, c'était la con1
fess ion d'Yvonne.
« Jacques, écrivait-elle, je "iens vou s rép éter qu e
c'est vous seut que j'aim e ... Si surprenante que
puisse vous se mbl er maintenant ce Lte affirmation,
je vons supplie de la croire et de ne pas m e condamner sans m'avoir entendue.
« J 'ai eu des torts envers vou s, de graves torts
dont je vou s demand e pardon ... NIais il n e faut pas
juger mes sentiments sur la foi de ces fautes ... JI.'
tâcherai de vous le s expliqu er ... P eut- être alors me
jugerez-vous malade ou foll e ; peut· ê tre ne voudrezvous plus ue moi ... Ma is du moin s, vous saurez qu e
pas un in stant je n'ai cessé d'avoir p our vous le
plus profond, le plus tyrannique amour ... Pourquoi
ne m 'avez-vous pas cru hier soir, Jac ques? .. Si j'aimais Lucien Cazac, je vous l'amais avoué ... Une
jeune fille n'es t pas toujours cel'taine de ses senti ments : j'aurais sou(rer t de vous fair e de la peine
mais je n'aurais pu feindre pour vous un amour qu~
je n'éprouvais paa... Et même si, hi er, j'avais menti
par pitié pOUI' votre douleur, aujourd'hui, je vous
dirais la vérité ... Vous a vez été fort e t courageux:
je n'aurais pas p eUI' do vous fa iro trop de mal. Mai s
Jacques, je vou s le répè te, c'es t vous seul que j'aime,
que j'ai toujours aim é ... Vou s c l'o yez sans douto
qu'aucun sentim ent ne peut être plus fort que celui
qu e vou s éprouvez pour m oi ... Eh bien 1 je ne sa is
pas si je ne vou s aime pas plus enco re qu e vou s ne
m'aim ez.
« Ne vou !> réc ri ez pas, mon chéri , vous n e p01lve z
pas comprenul'e cc qui se passe dam un CC1'ur comm e
le mien ... On me cr oit fanUulC!? e, i,;conslanLe, vol ngp ,
cruell e qu elqu efoiH... On f; Im ag in e qu'ù ce l'tains
moment s je SUi B J'roidl' ... TouL c.; da es t l'appar ence
�122
1
LE SPHINX AUX CHEVEUX n'OR
sans doute, mais ne traduit pas ma véritable nature .. .
Quand j'étais toute petite, je me rappelle que j'ado·
l'ais mes parents comme personne je crois ne peut les
adorer ... J'aurais ét é heureuse de mourir pour eux ...
I ls étaient si bons, si tendres pour moi. .. Eh bien, danr.
les moments où j e los aimais le plus, il m'arrivait de
les faire souffrir et de leur dire ùes paroles m échantes .. .
Ils ne comprenaient pas, et moi non plus je ne
comprenais pas .. . Étais-je malade, anormale, je ne
sais, mais il est certain que pour pou\'oir ensuite les
consoler en me réfugiant dans lours bras j'étais cùp able
de jouer la comédié de la m échan ceté ... Je les voyai'!
malheureux, alors; maman avait les yeux lri ste ~ ,
ses yeux que j'aimais tant à baiser, et papa disait
sans me gronder :
« - Ma petite fill e ne m'aime dOllC plus jl Il
(( J 'a vais onvio, alors, de lui so.utel' au cou ct de leur
avouer que je mentais simp lement pour se nLir leut·
tendresso et pour la retenir en l'éprouvant ainsi .. .
Mais ils auraient connu mon secret, ct ensuite ils
n'auraient plus été jaloux de mon affection, ils n'auraient plus cru à m œ accès de froideul' ... Et peut·être,
me disais-je, ils m'auraient moins aimée ... Alo rs, je
prolongais mes stratagj mes ... Je restais parfois une
journée entière avant de r eLo urner verd eux ... Etpentltl nt co temps, toute seule, je pleurais en pensant il
eux ... Et. puis, ensuite, c'était pOUl' moi un délice
sans non de le s embrasser, de lour montrer ma tendresse, de leur apportor de gros bouquets que je
cueillais pour eux ... Avec vou s, mon petit Jacques,
il en fut do m ême ... Je vous ni connu tauLe jeune ...
A ceLLe âge, il ne pouvait êLre question que d'nmiüé ... Celle que j'eus pour vous eut tout de Rui le un e
force exceptionnelle ... Je .ous admirais de lout mon
CŒ'UI' ... J'aimais vos goCltij si dèlicats ... votre rC'gul'ù
�LE SPIIINX AUX CIIEVEUX D'on
123
si beau, si doux .. . EL pourLant, je prenais plaisir 'à
vous laquiner, simplement pour retenir votre affection, .. pour voir vos yeux plus tristes et pour vous
aimer davantage ... Si vous m'aviez préféré une
autre petite hUe, j'aurais été jalouse .. . Aussi étais-jo
d6jà coqueLLe ... Tantôt je vous montrais mon afTection, et tantôt je mettais tout mon soin à vous la
cacher ... Encore une fois, Jacques, je nemecomprends
pas très bien ... Vous avouerai-je que j'ai presque
peur de moi? .. Je vois que mos a mies, que Marthe
par exemple, ne sonL pas comme moi ... Suis-je donc
un monstre? ...\lais en Lout cas, ce dont jo suis sûre,
c'cst quo je !:lerais oapable de donner ma vie pour
Lous ceux quo j'aime. Jo ne suis pas méchante,
Jacques, jo vous le jure ... J'ai un caractère bouillant,
olUporté, quolquefois, je le reconnais; mon père était
ainsi, et pourtant il était la bonté même ... Mais ce
n'est pas i.t cause do co caractère que je vous ai rait
GoufTril' ... Non, c'est seulement pour les raisolls que
Je viens d'essayer de "ous expliquer ... Le contraste
q:lÏ existe entre nos tempéraments n'a jamais été
un obstacle à mon amour pour V01l 5 .... bien au contraire ... Jo voua taquinais pour ' "3 è oûLs trop délicats c'était seulement, je vous le l'épôte, pour vous
'prduver, pour vous voir malheureux et pour vous
chérir davanLlge, comme une maman et une grande
s' eur aiment mieux leur peLit frêro ou leur enfant
mulude ... Vos goiHs, Jacques, jo les aime parco qu'ils
IlO sonL pas le miens .. : Voil~
p~urqoi
les prouesses
do Lucien Cazao mo laissent mdllTérentc. Les sportifs
nI' m'attirent pas, je Jour ressemble trop ... Mais vous
si poète, si Jin, je ne puis vous
qui Hes si r~veu,
dire à quel point je me sens près do VOllS ... J'aimo
votro faibJollse, Jacfluos, vOL~
voix douco, vos gestes
si distingués. J'aimo l'élévation, la noblesso do votre
�121
LE SPIlINX AUX ClIEVE U X
n'on
cœur ... Ah 1Jacques, dites, si vous voulez, qu'Yvonne
est folle ... Mais ne dites plus jamais qu'elle ne vous
aime pas ... C'est quand elle était le plus méchante
qu'clle était le plus près de tomber dans vos bras ...
Vous vous rapp elez, mon ch6ri, le derni er jour où
nous nous étions vu s, avant mOIl départ pour
l'Angleterre ... J'avai s tl'Hize an s, jo n'étais encoro
qu'une petite fille ... mais déjà san s doute le se ntiment
que j'éprouvais pOUl' vous était plus fort qu'une
simple alTeclion f1'atorn oll o... NOU H ôtion s choz votre
grand'mère, et c'élait ma l'ête. Vous avez voulu
m'embrasse r ... Et je n'ni pas acceptl·. Oui, je me suis
raidie un e foi '! de l'lus, je vous ai fait soufTr'ir, et
pourtant Jacques, si VOII H$laviez ... Si malgr'é moi, vous
m'aviez auir'l'e h vous, ùou ce ment, je n'aurais pas
eu la forc e ùo résisler davantage ... Et vous auriez
YU combion jc vous aimais ... Mais il ce t instant,
maman 's t arl'ivéo, elle nou s a app el" s POli!' goûter.
« Alors vous n'avez ri en su ... Et jo ne dcvais plus
vous revoir, Jacqu o!;, puisqu e 10 lend emain la dé]léche de papa nou s appolait il Paris ... Mais si vous
!)aviez comme j'ai plcuré 1
« Il a fallu tous 1 s malh eurs de notre exil en AngleLerre pour qu e J'adolescente que j' ;tais devenue
pui
l!~e
laisser votre so uvenir dormir dan s son CUlur ...
:'lIais quand je vous ai revu, il y a deux ..\n8, je n'ai
pa!! lardé il comprendre le$l se ntim ents qui grandis!laient en moi ... Je vous ai aimé bien vite, comme je
vous aime maintenanL, avec toute mon ûm ... Seulement, voyez-vOu!:!, jo n'l,tait jusqu'il hi er' qu'une
nfant., peut-ê Lre aUKsi rllÎml\riqu que YOUS malgré
les appurlJllces ... Je 11 <' ('ullnni!!sais rien de la "ie,
rion deI! grande!! )'éu lilés de l'amour, ri 'Il de !la loi
I-lu blime ... .l 'ai co ntinu (' ù jouer HY CC vous mon jeu
de petite lillo .. , J'ai (, t ', cO fJll cll', par ('xcès d pas-
�LE SPHINX AUX CIŒV1:tJX'
D'on
125
sion, je vous le jure ... Je retardais exprès le moment
de dire « oui Il, ce moment dont je rêvais à
chaqu2 minute 1 Quand j'ai compris que Lucien
Cazac me faisait la Cour (dans une pensée de simple
flirt, je m'en suis vite rendu compte) j'ai souhaité
que VOIlS en soyez un peu jaloux. Ce fut ma
plus grave faute, et je l'ai bien payée ... Oui, là,
j'ai eu un accès de vanité répréhensible ... .Te vous
veTyais trop confiant, Lrop silr de vous, j'aurais souhaiLé cuez vous un peu plus d'inquiéLude ... Oh 1 il
aurait suffi de peu de chose ... J'ai essayé hicl' de
provoquer cetLe réaction... u moindre reproohe un
peu violent, je crois que je vous aurais tout dit. .. Cal',
depuis quelques jours, mon secret brülaiL me~
lèvres ... Je me rendais compte enfin que mon
romantisme était coupable et qu'il est mal de faire
lIouITrir , mômo quand c'est par oxcès d'amour ... J'ai
eu le Lort, donc, d'èLre coqucLtIJ cette fois, par
amour-propro. C'ost mal ot jo m'en repens, car
o'est le seul jour où je me sois sonLie vraimont coupable, où mon mensonge ai été un peu égOïste ...
J'avais vu padois mes amiel> agir ainsi, mais c'était
avec des hl)mmes qu'elles n'aimaient pas, et cela me
révoltait. Mon excuse, si j'en ai une, sera d'avoir
désiré avec passion p~ner
.Ia, blessuro que je faisais
mfhgee! en somme, que pour
saigner et de ne l'avo~
pouvoir la fairc oubher enSUIte pal' une tendresse
plus grando.
.
(( J'ai tout dit, mon pcl1t Jacques.
Il Pouvez-vous me oQmprondre, vous si droit, si
simple si peu tourmenté ?.. Pouvez-vous cornprend~
le déchirement d'une âme qui éprouve le
besoin de rairo soufTrir pour se trouver des raisons
d'aimer ct de consoler davantage? ..
" Si non, chassc:-moi de votre co' ur... tox-
�126
LE SPHINX AUX CHEVEUX n'OR
pierai ma folie en vous quittant pour toujours ...
« Si au contrairo, vous avez la bonté d'excuser,
de pardonner, alors dites-le tout de suite à votre
grand'mère ... Elle sait tout ... C'est moi qui lui ai
porté la leLtle et qui, pour vous, !Lù ai déjà demandé
pardon . .. »
Jacques s'étllÏt arr{)té, les ye ux mouillés de larmes,
le cœur empli d'un bonheur infini.
Il regarda sa grand'mère et les yeux exLasiés, avec
un accent d'indicible ferveur, il murmura:
- Yvonne ...
- 'Elle est en has, <.liL sim plement Mme de Clail'villil.
FIN
�Pour paraître jeudi prochaill
SOIIS
le
DO
375 de la
Co'.lectiOD
oc Fama "
FLEUR DES CHAMPS
par
le
COLONEL
ROYET
CHAPITRE PREMIER
LA FERMÉ DE LA BUTTAIS
Anne-Marie se redressa, car, au cours de sa songerie,
elle avait appuyé son dos contre le mur de la ferme,
passé le mois précédent au lait de chaux.
Anno-Marie avait redouté la maculature de la poussière blanche. D'elle-même, la jeune fillo sourit à cett",
crainte injuste, parce qu'elle portait un corsage de toile
blanche à broderie de fil également blanc. Blanc sur
blanc 1 La poussière du mur, en supposant qu'elle eût
existé, ne pouvait imprimer sa marque de fâcheuse
manière.
Pourtant, par coquetterie comme par soin, la jeune
DIlo se cala sur le banc rustique où elle avait pris place
après le coucher du soleil de ce beau jour de juillet. Un
banc fail ù'une planche lissée par l'usage plus encore que
par 10 rabot, planche à. peine équarrie, porcée à ses
extrémités de quatre trous dans lesquels passaient de
biais quatro rondins de hêtre encore rocouvert de leur
écorso moirée.
Uno fois do plus, Anne-Mario s'abima dans la contemplation du splendido panorama (illi so déroulnit
dovanl 110.
Aprùs 10 lerre-plein do glaiso ba Ltue qui formaiL 10
(,1
~uiVl'o.)
�5t 51-3'1_ -
CORBIIIL. IMPIU!I IlRU
CI\lht .
�J,." ........ " ' .. , ...... Il . . . . . . . . Il ••••• ••••
·~ LE DISQUE ROUGE
Eû!'I't
11' • • • • • • • • • •
Il.1 Il I!@)
DES ROMANS D'AVENTURF.S - DES ROMAN3 D'ACTION
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Les Perles sanglante..
L'Ile dos Démons,
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Les Chasseurs d'hommes.
IIlENAISSANCE
94,
3
DU
LIVICE
d'Alés ia, PARIS (XlV I)
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