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A travers la Savane
Roman d'aventures inédit
par rl'IAUmCE LIONEL
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Le ru"issement troua la nuit.
Gérard ne fit pas un mouvement. Etendu de tout son
long, il plat ventre, la carabine parfaitement d'aplomb,
l'œil aux aguets, immobile mais le cœur palpitant, le
jeune chasseur relenait son souffle.
C'dait son troisième lion. Deux fois déjà il avait
affronté le roi de la savane et du désert, et deux fois
il avait vaincu. A la première reprise, c'était en pleine
brousse, au cours d'une battue organisêe par un groupement de coloniaux. Puis une seconùe fois encore il
avait participé il une de ces grandes chasses, mais
déjà ces aventures préparées ne lc tentaient plus. Il lui
fallait autre chosc, ùe J'imprévu, pas de céremonial.
Maintenant il était perdu dans la nuit tropicale, Autour de lui, la savane avec ses mystères, ses peuplades
étranges, sa florc magique, sa faune redoutable, sa vie
propre. Au-dcssus de sa têtc, le cicl froid, d'une pureté
cxtraordinail'c où l'astre blafard balayait ùe sa clarté
Sout J"éscrvés tous droits de trnductloD, d'adaptatloll, de
mise DU théùtre ct au cInématographe.
P. R. A. 44.
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A TRAVERS LA SAVANE
dure Jusqu'à la lueur tremblotante des étoiles. Enfin,
devant lui s'étendait le mnrécn~e. Entre des rochers,
s'étalait une .l arge bande de sahle fin, là où les fauves
venaient boir,e. Des palmiers droils montraient leur
silhouette caractéristique. Tout cela était visible comme
en plein jour mais à cette heure prenait un relief aigu
sous les rayons livides de la lune africaine.
Gérard attendait lc lion.
Il l'avait entendu venil' de très loin, poussant par
intervalles son rugissement sur la provenance duquel
nul chasseur ne saurait se tromper. Gérard, à chaque
reprisc sentait un petit fris son le saisir brutalemcnt
à la nuque, mais celle étreinte lui étaiL plus un stimulant qu'une cause d'angoissc. Il avait une telle confiance en sa carabine qui avait déjà couché dans les
haules herbes de la savane, deux de ceux qui en sont
les maîtres inconlestés. Au cours des grandes ballues
il avait triomphé. li avait dû essuyer d'innombrables
compliments, chacun s',émerveillant de l'adresse et du
coqragc de ce Ncmrod en herbc, qui promettait. Mais
qu'étaienl ces chasses auprès de celle qu'il se prépurait.
A qllelques pns de lui, Km'mi, SOIl scrvitcur noir était
tapi dans la même position quc SOI1 maîtl'c, avec lui
uussi, une longue carubinc. Gérard comJllcnçait à s'impatienter. La savane était redevenue silcncicuse.
Il souffla:
- Karmi'l
- Oui, maUre.
Le noir sc coula à travers les hautes herbes, léger
comme un vrai fils de la brousse.
- Vois-tu le lion '1
- Pas encore.
- 11 est parti.
- Non, il n'est pas parti. Tant que nous Ile l'uvons
pas vu boire, il est encore par ici.
- Dans quelle direction?
�A TRAVERS LA SAVANE
3
Le nègre eut un geste évasif.
- Sans doute par là (il tendait le bras vers l'est) il
doit suivre chaque nuit la piste que nous avons découverte.
- Mais que fait-il? Nous n'allons pas rester là éternellement. Je serais furieux de revenÏl' bredouille.
I(armi eut un sourire.
- Tu n'es pas encore un vrai chasseur, maître, dit-i1.
Tu ignores la patience des fils de la savane. Ne t'impatiente pas, il va venir.
- Mais qu'est-ce qu'il fabrique?
- Je ne sais pas. Sans doute attend-il sa femelle.
Gérard soupira. Le temps lui paraissait interminable.
Voyant que le maître se taisalt, l{anni disparut ave(! .
la même souplesse qu'il était venu, silencieux comme
une ombre. Gérard ne l'avait pas entenùu s'éloigner et
comme il voulait encore lui poser des questions, il
s'aperçut soudain ,qu'i'! étai,t seUl}, Ka1'nü avait rüpris
son observation.
Le lion ne venait toujours pas. Gérard avait maintenant un tremblement nerveux ùans les mains.
- S'il vient, grogna-toi!, je suis incapable de l'ajustel'. Ce seraH dommage, rater un lion 1
Il ne pensait guère au danger que présente un fauve
furieux que l'on a attaqué ct manqué. Au surplus,
Karmi était là pOUl' prêter main forle )e cas échéant.
Une seule pensée l'obsédait. S'il ratait le lion, il serait
ridicule, non pas aux yeux d'autres chasseurs puisqu'il était seul, 110n pas aux yeux de Kal'mi, qui bien
que grand tueur de lions lui-même, n'était jamais qu'un
l1è ct l'e, mais à ses propres yeux. Après ses deux premi'ères victoires, il mettait lin point d'honneur à réussir tout aussi bien à la troisième reprise.
Il continuait son monologue.
- On peut ratel' SOI1 coup à la première chasse.
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A TRAVERS LA SAVANE
Mais au retour des premières battues, j'avais l'impressioa de pouvoir déclarer:
Mes pareils à dewx fois Ile se font Roint connaître
El p01l1' leurs coups, d'essai veulenl · des coups de
maître.
Et puis maintenant c'est bien mieux, j'attends un
lion avec l'impression grotesque qu'il va me poser un
lapin.
I! se mit il parler Itout haut sans s'en aper~evoir,
Une ombre surgit de la brousse.
- Maître 1
Il sursauta.
- C'est toi, Karmi?
- Oui, maître. As-tu la fièvre?
- Je ne crois pas.
Le nègre riait silencieusement.
- II te faudra prendre de la quinine. Tu divagues.
- Je ...
La colère étranglait Gérard. II voua intérieurement
KaJ'mi il Lous ]es diables, mais il n'osait extérioriser
sa fureur, car il sentait bien que sa situation éLait grotesque.
- PaUence, répéta Karmi. Je te dis que tu n'es pas
un chasseur, tu crois l'êlre parce que tu as tué deux
lions, mais c'était au cours de ces chasses que donnent les administrateurs, où tout est composé d'avance,
el le chemin des chasseurs est celui que suivent les
fauves. Devant deux cenLs raballeurs, les lions vont
se jeter complaisamment, comme des imbéciles sous
les fusils des invités. Ce n'est pas, là, la grande ~hasse.
A ce moment, Lu as la chance d'être le premier lu
n'avais plus qu'à appuyer sur la détenLe. Tu étais ~ou
ronné grand chass~ur, et tu passes aux yeux des blancs
pour un tueur de hons. Allons dOllc! C'est moi qui l'en
montrerai; ]a t;rande chasse, mais ce n'est pas ce que
tu crois. Ce n est pas en une heure, c'est parfois en
�A TRAVERS J.A SAVANE
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plusieurs semaines que l'on attend un lion pour l'abattre. Tu es là, impatIent, fiévreux. Patiencel
- Il ne viendra plus ce soir.
- Il viendra!
Pour poncluel' celte dernièl'e affirmative de I\1l.rmi,
le rugissement du grand fauve se fit entendre à nouvenu.
( Gérard allait faire un bond, mais la main de fer du
grand nègre, s'a,baltit sur son épaule et le plaqua sur
le sol, tandis qu'il lui parlait à l oreille, et sa voix rauque était si douce, qu'à deux pas elle eût été imperceptible :
.
- Reprends ta place. Il va venir. Laisse-le descenùre jusqu'au lac et laisse-le boire. C'est au moment où
il repartira que tu le tueras. Mais sois calme jusque-là,
ct ensuite ne le laisse pas s'échapper,
K:nmi répéta encore : «Patience« ~. Comme si
ceLLe vertu dominante, nécessaire aux chasseurs de
lions, fut exprimée par ùes syllabes magiques, puis il
repl'it à nouveau son poste d'observation.
Gérard frémissait. Le lion venait d'apparaître.
D'uu bond fantastique, pareil à une envolée, il s'était
élancé hors des hautes herbes de la savane, qui le dissimulaient complètement jusqu'alors. Il était retombé
SUI' les rochers qui surplombaient le lac, et Gérard pouvait coutempler la haute silhoueLle noire qui se découpait comme une gigantesque ombre chinoise illl'
l'écran formé pal' le ciel.
De nouveau, il exhala son terrible rugissement. Le
chasseur voyait s'entr'ouvrit· l'énorme gueule, béante
ct sonore. De nouveaux frissons le parcouraient. Le
lion, ainsi placé, représentait une magnifique cible.
Mais Gérard avait encore dans les oreilles les paroles
de Kanui : q: Patience! ). Le noir était un grand cbasseur, il fallait suivre ses conseils. Gérard se reLint.
Le roi du désert, eût semblé une statue sans le IllDU-
�G
A TRAVEflS LA SAVANE
"l'ment ince,s sant de la queue lui battant les flancs. Il
appela encol'e, tourné vers la jungle. Et soudain, sur la
plage, un second fauve apparut, plus petit, sans l'opulente crinière du premier.
- La lionne! pensa Gérard.
Il continua à observer faisant effort pour se dominer. Karmi était toujours silencieux ct invisible.
Le lion, ayant aperçu sa femelle, rendue à son appel,
cessa ses rugissements et, du haut du rocher qui lui
servait de socle, il se laissa glisser à son tour sur la
plnge.
Tandis que les deux fauves buvaient côte à côte, au
hord du lac, Gérard se demandait sur lequel il devait
tirer. La carabine n'était qu'à deux coups, et le jeune
aventw'ier ne pouvait gucl'e espérer faire Irwuche à
clIaque fois.
La voix de Kal'mi lui parvint soudain, étrangement
claire et sonore dans la nuit de la savane :
- A toi le lioll, à moi la lionne! Feu!
Les deux détonations n'en firent qu'une.
Gérard avait tiré droit devant lui, sans viser, presque
sans épauler, ce Qui lui valut un rude choc en l'etoui'
Ù l'épaule. Il s'étail vi vement relevé, cherchant à voir
il travers la fumée des coups de feu.
- COllche-toi! Couche-LOI! hù cria Karmi, invisible,
toujours allongé dans les haules herbes.
Gérard obéit. 11 reprit sa position primitive, levant
la tête le plus hauL possible pour mieux voir. Cette
fois son sang se glaça dans ses veines.
Là-bas, SUl" la petite plage, la lionne était étendue
à demi-plongée daus l'eau du marécage. D'ull sl1prêm~
spasme, elle raclait le sable de ses grifl'es contractées.
La balle de Karmi était allée droit an but. Mais Je
mâle, lui, étaiL indemne. Surpris par l'exclamation' du
nègre, Gérard avait tiré trop vite.
Le grand fauve était penché sur sa femelle expirante,
�A TRAVERS LA SAVANE
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léchant, peut-être avec une satisfaction sauvage, le
sang qui coulait de la blessure et par où s'envolait la
vie de la lionne. Puis, le roi de la savane releva sa tête
majestueuse. Son rugissement terrifiant se fit entendre,
et il fonça, la crinière hél'Îss'ee, dans la direction de
Gérard.
,
- Tire 1 tire! cria Karmi.
Gérard épaula. Mais il tremblait instinctivement. Il
se fit violence et lâcha le coup en fermant les yeux.
Le ' monstre n'était plus qu'à dix mètres. Cependant, il
le rata encore. La balle effleura le crâne du lion, coupant une mèche de l'opulente toison. Il s'arrêla une
fraction de seconde, puis reprit son élan, fou furieux.
Gérard n'avait plus le temps malériel de recharger
son arm e. Le lion était sur lui. Fuir? Il n'y fallait pas
songer. Il se mit c!oboilt et, d'un geste instinctif et dérisoire, il tira Je couteau qu'il porlait à la ceinture.
n n'eut pas besoin de s'en servir. Karmi, mettant
ses propres consei ls à exécution, nt fell all moment précis où le lion, passant devant lui, fnt à portée parfaite.
Atteint au sommet du crâne, la cervelle fracassée, le
grand fauve eul Ull terrible soubl'essaut, ploya ses membres inférieurs et s'écroula dans l'herbe haute. Gérard
accourait déjà.
- Attention, lui jeta Kmmi. S'il n'était pas mort.
En eITet, le li0n se relevait. Les deux chasseurs le
virent faire un cfl'ort te!'l'ible pour se remettre sur ses
pattes. Il fit cntendre un rugissement, douloureux celte
fois, et se traîna ell direction du Ille.
- Il vcut mourir près de sa femelle, chuehola
Gérard.
Sans doute telle était son intention, cal' il réussit à
parvenir jusqu'au bord du lac, sur un rocher plus
haut que la plage où était étenduc la lionne. II sc
traîna, voulut se laisser glisser jusqu'au banc c}e sable,
mais il n'cF! cut pas la force. Il trébucha, perdit l'equi-
�A THAVERS LA SAVANE
libre et tomba dans les eaux du marécage, ~Ul se refermèrent sur lui. GéI'ard et 1\.ar111i s'avallcerent jusqu'à l'endroit de la chute et ne virent que de grands
cercles concentriques, troubl ant la perfection du
miroir de l'eau où chavirait à présent le reflet de la
lune.
- C'est ça la grande chasse, dit Karmi, dans le
silence.
.
Que faisons~nOl1s de la lionne? demanda Gérard.
Demain, nons viendrons la dépouiller. Rentrons.
Et ils reprirent le chemin du bunealow.
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Quand Gérard ouvrit les yeux, il était déjà très tare!.
La chaleur était accablante. Le jeune chasseur se rejeta sur son lit.
- Inutile de se lever, dit-il. Il va être bientôt l'heure
de la ~ieste .
Etendu, demi-nu, sur son légel' lit de camp, les yeux
au !)Iafond, Gérard s'abandonnail au cours de ses réflexlOns, en gl'ÏlI ant une cigal'elte. Il ne rêvait plus que
de chasses. Son poste d'administrateur-adjoint lui
laissait il vingt-cinq ans, <le nombreux loisirs, face à
face avec une région où toute la fan ne rlu globe semblait s'être donné rendez-vous, lin véritable paradis
cynégétique. A présent, Gérard sc jurait bien d'abandonner les aventures conyentionnelles qu'on'raient les
réceptions des aclministrateurs. Kanni avait raison la
chasse isolée avait bien plus ùe charmes.
'
l~armi entra, silencieux et sOlll:iullt, apportant il son
maltre un frugal repps : de la vJande d,e porc gl'illée.
des dalles et un r,égllIle de bananes qu'JI avait cueilli
lui-même à son intention.
Karmi. demanda Géra!' d, tout en mangeant, as-tu été
relever le corps de la bonne de celle nuit'!
�A TRAVERS LA SAVANE
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- Oui, maître. Attends un instant.
Le /loir disparut et revint presque aussitôt, jetnnt le
trophée aux pieds du jeune homme.
- Regarde!
- Oh! magnifique 1
Karmi avait déjà dépouillé ia bête, et la peau, dont
il avait soigneusement nettoyé l'intérieur, s'étalait sur
le sol de ']a case, formant une superbe descente de lit
où Gérard posnit ses pieds nus avec satisfaction.
li palpa le pelage splendide ct soyeux de l'animal
qui, la veille encore, était souverain de la brousse.
- C'est toi qui J'as tuée, Karmi. dit-il avec un peu
de tristesse.
Karmi découvrit, dans un beau rire franc, toutes ses
magnifiques dents blanches :
- N'aies pas de regret. Toi aussi, tu seras un chasseur.
- C'est vrai '1
Gérard avait sauté à has du lit, frémissant. Il saisit
nerveusement le bras du nègre. Ses yeux brillaient
d'un feu d'enthousiasme. Rien ne pouvait lui procurer
plus de joie que celle parole du nè"re, qu'il considérait comme le pIns grand chasseur du continent noir.
Il répéta :
- C'est vrai, Karmi? C'est vrai?
Le noir sc dégagea doucement.
- N'en doutes pas. Mais déjà tu donnes dans ton
défaut hn,biLuel : },i mpatience. 11 faut du courage. Tu
en as. Tu l'as montré celte nuit, quand le lion s'est
précipité sur toi ct que tu l'as attendu sans autre arme
que ton couteau à la main... .
- N'empêche que sans toi, bon Karmi, j'étais bel et
bien cuit.
- Mais il faut aussi beaucoup de calme ct de persévérance. C'est cela qui te manque.
�10
A TRAVERS LA SAVANE
- J'en aurai, Ka,r mi, j'en aurai. Tiens, mets-moi à
l'épreuve.
L'Africain eut un sourire :
- Ecoule, dit-il, tu connais le mont Akimaloura, ou
du moins lu en as enlendu parler?
- Oui, dit Gérard. C'esl tout près. On le voit d'ici.
Il étendit le bras vers le sud. Karmi secoua la tête.
- II parait proche, mais en réalité nous aurions
bie'n des difficulLés avant d'y pm'venir.
- Vraiment, dit Gérard, altiré par l'attrait de
l'aventure et du danger, comme le papillon par la
flamme.
- Des indigènes m'ont dit qu'en les cavernes de
l'Akimatoura loge un magnifique lion, dont la femelle
vient d'avoil' deux lionceaux. Qu'en dis-tu?
Gérard bondit :
- Mais il faut y aller. Deux lionceaux pris au gUe.
Rien de plus amusant.
.- Rien de plus périlleux, non plus.
- J'en ferai don au Jardin des Plantes ct j'aurai
mon nom inscrit sur la gr ille de leur cage.
On le voit, Gérard ne vendait pas la peau de l'ours,
il la donnait. Il brlilait déjà.
- Quand partons-nous? demanda-t-il.
- Patience t dit Karmi, pOlir la cenlième fois depuis la veille. Si nous t'écoulions, nous r.artirions surIe-champ. Nous n'irions pas loin d'allleUl's, ct une
bonne fnsolation aurait tôt fait de nous coucher à
jamais dans les hautes herbes. Allendons le déclin du
soleil.
Gérard rongea son frein. Il tenla de dormÏl' pOlir
allendre plus facilement l'heure du départ, mais il
lui ful impossible de trouver le sommeil. Il se lourna
cl sc retourna SUl' sa couche cl Ile réussit qu'à exaspérer ses nerfs.
Enfin, au crépuscule, les deux chasseurs de lions
�h TRAVERS LA SAVANE
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se mi rent en route. Gérard en costume de toile blanche avec le casque colonial et les équipements de cuir
poli, I{armi à peu près IlU, mais armé jusqu'aux dents.
Selon le noir on ne pourrait atteindre le mont Akimatoura que dans le courant de la journée du lendemain, car il ne fallait pas songer à marcher toule la
nuit. L'heure est trop dangercuse au momenl où les
fauves s'éveillenl et où la savane recommence sa vic
endormie dans la léthargie solitaire.
Le soleil élaiL bien bas quand ils partirent, mais la
chaleur n'en était pas moins accablante. Pour ne pas
s'égarer, Karmi suivait le cours d'un ruisseau, qui, selon lui, devait prendre sa course quelque part au flanc
de J'Akimaloura. Sur les borùs du cours d'cau, l'ambiance était plus fraîche, plus supportable et la progression de nos aventuriers moins pénible qu'en pleine
brollsse.
Karmi, en digne enfanl de la région, avançait avec
une incroyable adl'esse au" milieu des plus inextricables
fouillis de lianes et de ronces. Gérard, lui, ne passait
pas deux minutes sans s'empêtrer dans les broussailles et Karmi vint plus d'une fois à son secours. De
plus, d' innombrables moustiqucs engendrés par lc
cours d'cau, tourbillonnaient auloUl' de lui, le piquaient
et l'agaçaient. Sous l'ongle de son orteil il sentait la
présence d'une chique, celte mécl\ante petite bestiole
ùont les morsures sonl si dangereuses et qu'on ne pellt
guère extirper <lu'avec une pointe de lame. Heureusement, Karmi étuit là, fort habile dans l'art de déloger
ce parasite. Tout il l'heure, à la halte, Gérard aurait de
nouveau recours il lui.
"
Des myriades d'insectes dansaient dans J'air pesant.
De temps ù autre, dans J'eau, il y avait des clapotis
suspects, serpents d'cau ou peul-être même, crocodiles,
dormant d'un œil à la surface. Sous les buissons de
cactus et de lentisques parmi les fleurs éclatantes aux
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A TRAVERS LA SJ\.VANE
noms ct aux formes éh'anges, Gérard entendait le froissellent subit d'une course précipitée, quelque petit
mammifère troublé dans sa quiétude.
Karmi ne s'apercevait aucunement de tout cela, ou
tout au moins, faisait mine de ne rien voir, car il était
habitué à la savane depuis son enfance. Derrière lui,
Gérard ne craignait rien. Il savait bien qu'en cas de
péril, le courageux noir l'eut éventé bien à l'avance.
Ils ne parlaient pas, il faisait trop chaud ct la langue
lem' collait désagréabiement au palais. A plusieurs reprises, Gérard fut tenté de se pencher vers l'eau aveliante du ruisseau ct ùe boire à la coupe de ses mains,
mais il sut ùomi'n er son désir. Ils savaient que les
cours d'eau africains recèlent les larves des moustiques
et d'innombrables miasmes qui détermin ent de redoutables fièvres, clont les accès sont si violents que lu
quinine même est impüissante à les calmer.
Quand la nuit commença à s'étendre, ils firent halte.
Karmi choisit, comme lieu de campement, un bouquet
<1'énormes baobabs.
- Nous serons bien sous les ombrages, dit Gérard.
-- Quels omhrages 'l demanda Km'mi, nous ne serons
pas dessous, nOLIs serons de clans.
- Hein?
- Bien sûr. Nous allons monter dans le gros baoJ)ab. Il serait trop imprudent de passer la nuit dans
la savane même.
Ils se firent la courte échelle et Gérard ne tarda pas
à se trouver ùans un monde de verdure si touffu qu'il
n'apercevait plus même le sol. Les rameaux monstrueux
du baobab fOI'maient l'armature ù'un lieu charmant,
où régnait une. fralcheur exquise. On pouvait se ùéplace.r très fac,llcment sur les pranches qui étaient, à
certams endrOIts, presque hOrizontales, Il était facile
de passer d'un baobab à l'autre. D'ailleurs Gérard ne
l'ignorait pas, le tenant de l'indispensable Karmi, il y
�A TRAVERS 1...\ SAVANE
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avait certaines forêts où l'on .p ouvait parcourir ainsi
plusieurs liéues sans poser le pied à terre une seule
fois.
Les chasseurs organisèrent leur bivouac à l'intérieur
de l'épaisse frondaison et commencèrent :'l déballer un
paquet dc provisions, emporté par Karmi. Gérard ôta
ses bottcs et livra ses orteils à l<armi qui se mit en
devoir d'en extirper les chiques. Le jeune homme grimaçait un peu sous l'effet de la douleur afférant à ce
genre d'opération, mais il ne se plaignait pas. La morsure de la chique peut en en'et amener des accidents
très g.-aves qui déterminent jusqu'à la nécessité, parfois, d'une amputation.
Pendant que le noir soignait ainsi son maître, tous
deux, enfin reposés, devisaient gaiement, ce qu'ils
n'avaient pas eu le courage de faire au cours de la
marche. Karmi racontait ses chasses âvec complaisallce mais non sans une placide modestie. Il lui seJl1blait si naturel, à lui, de se he lll"le l' journellement aux
grands fauves.
Il parlait aussi de ce roc brûlé qu'est l'Akimatoura,
qui se dresse tel un gros caillou gris au milieu de la
vaste étendue verte qu'est la forêt luxuriante. Une île
de pierre dans un véritable océan de verdure.
Soudain, Gérard vit Karmi lever les yeux. Le re~ard
du grand nègre s'était subitement fixé dcrrière hu, et
un peu au-dcssus de sa tête. Pas un muscle du visage
n'avait bougé, mais en dépit de cette impassibilité, il
ne fallait pas douter de l'intérêt du srectacle qui captivait Karmi si l'on en jugeait pas 1 éclat de son regard.
Intrigué, Gérard se retourna et ce qu'il vit lui causa
une telle secousse qu'il faillit dégringoler de la hrunche sur laquelle il sc tenait à califourchon. Un peu audessus de lui, su,' une branche supéricure, s'avançait
une superbe panthère mouchetée.
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A TRAVEnS LA SAVANE
L'animal, agacé par la présence de l'homme, humait l'air tout en retroussant ses babines sur des crocs
d'une blancheur inquiétante. Ce fauve est féroce entre
tous et sa haine pour l 'homme est légendaire.
Pour le moment, guettant les deux chasseurs du coin
de l'œil, il ressemblait assez à un gros chat. Tapie le
long de la branche, la panthère jouait avec sa queue,
semblant prendre un plaisir farouche à s'énerver ellemême avant le combat. Puis, elle cessa çe jeu pour en
entamer un autre T:>lus franc et plus caractéristique, et
elle se mit à s'aigl1Jser furieusement les griffes au point
de faire croire qu'elle était prête à se les arracher,
tant elle labourait profondément l'écorce rude du baobab.
Lentement, Karmi, qui avait saisi sa carabine, mit la
panthère en jpue.
- Laisse-Ia-moi, dit Gérard, suppliant.
I<armi secoua la tNé. Il n'avait qu'une demi-confiance
dans l'adresse de Gérard, chasseur lIe fauves encore
trop inexpérimenté.
Soudain, la panthère se détendit, comme mue par
le ressort de ses muscles d'acier. Elle se laissa tombel'
plutôt qu'elle Ile se jeta snr le groupe que formaient
Tes deux hommes uu-dessus d'elle. Sans déviel' d'une
ligne, I<armi fit feu.
La halle traversa la panthère. L'élan magnifique ct
terrible fut brisé, et le long corps tacheté tomba JOUl'demel1Jt sur Gérard qui bascl1,la. Tous deux s'eflondrèl'ont à travers la masse de verdure. Karml les vit disparaître. Aussitôt, leste comme un singe, II se laissa
glisser à teITe.
GéJ'ard n'avait aucun mal. Il se relevait déjà, étant
tombé, par bonhcur, juste sur la panthère, dont le corps
avait amorti su propre chute.
-- Sauvé! dit le noir, tout hcureux.
- C'est cncorc loi qui l'as tué, Karmi. Depuis hic!',
�A TRAVERS LA SAVANE
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cela fait deux fois que tu me sauves la vie en me
tllunt mes fauves.
Karmi se mit à rire.
- Ton tOUl' viendra. Et il répéta : Patience r
Gérard frappa du pied.
- Oui, mon tOUl' viendra. Et je capturerai les d eux
lionce aux de l'Aldmatoura.
A la pointe du jour, ils reprirent leur marche vers
J'Akimatoura. Gérard commençait à s'épuiser, Karmi
demeurait infatigable. Ils voyaient toujours de nomhreux oi seaux s'envoler à leur approche, quelques
caïmans se laissaient allel' Ù la dérive SUI' le cours
d'cau. Gérard avait coupé une baguette flexible avec
laqu e lle il s'amusait à dccapiter les fleurs de la jungle
pU!' manière de ).Jasse-temps. La flore sauvage ainsi
massacrée, exhalmt une âcre odeur de musc. Le jeune
aventurier s'en lassa bientôt :
- Ce cbemin est bien monotone, dit-il Cil bâillant.
- Ne te plains paf., dit Karmi, tu encourreras suffi samment de dangers et plus que tu ne le désires.
- Cc ne sera pas la première fois que j'affronterai la grosse bête, riposta l'émule de Nemrocl, vexé. ,
- As-tll déjà vu une lionne il. laquelle on manifeste
l'intention d'arracher ses lionceaux.
- Pas encore.
- Tu le vcrl'a~ tantôt.
]]5 reprirent leur chemin en silence. Soudain, !{armi
stoppa et étendit le bras vers la savane :
- Des autruches, dit-il.
Où cela? demanda Gérarù, qui ne voyait rien.
-- Près de ce palmier isolé.
- 11 n'y u pas d'autruches.
- Il Y a des espèees de tiges renJ1ées à leur sommet, qui dépassent des hautes herbes. Les vois-tu? Ce
sont des autruches, ou tout au moins leurs têtes.
Gérard fit la moue.
,
�16
A TRAVERS LA SAVANE
C'est amusant la chasse à l'auLruche?
- Très!
- Mais cc n'est pas dan~ereux?
- Plus que tu ne le crDIS.
- AllDns-y, Karmi.
- Si tu veux. Mais suis-mDi et imite-mDi. Prends
garde à ne pas faire de bruit.
Karmi détacba de sa ceinture une IDngue cDrde qui
était cnrDulée autour de SOIl pagne.
- VDilà la meilleure arme conlre les autruches, ditil. Si cela l'intéresse, nDlIS tâcherDns d'en capturer
une vivante.
Gérard sc retint, sinon il eut volon Liers baLtu des
mains, CDmme un véritable enfant 911'il était.
Il suivit E,armi qui se cDulait a présent dans les
herbes de la savane CDmme un vériLable serpent. Le
nDir prDgressait, à la fDis rapide, léger et silencieux.
Gérard avait quelque peine à l'imitel'. SDn cDstume ct
ses équipements le genaient, ainsi d'ailleurs que lies
fameuses boltes de cuir verni, qui si elles le prDtégeaient, embarrassaient cDnsidérablement sa marche.
Et puis il n'était encol'e qu'un Afl'icain novice et ne
possédait pas celte sveltesse incroyable qui est l'apa~
liage des i'ndi~ènes et des vieux colDniaux, et leur permel de se déplacer dans la brDusse la plus épaisse sans
faire plus de bruit qué leUl' Dmbre.
A plusieurs reprises, Karmi se rclourna pour gourmander Gérard parce qu'il avait fait craquer une
branche DU cDmmis quelque aulre imprudence de ce
genre.
Gérard promit de faire attention . Mais ces belles
résolutions ne durèrent guère. Un peu plus IDin, il
passa près d'une ~DufTe de caclus. Comme il rampait
tDujours, il ne pnt pas garde que sa main effleurait
l'arhuste à épingles.
'
, - Aïe, fit-il en secouant sa main égratignée comme
�A TRAVERS LA SAVANE
17
par la griffe d'un jeune chat, et où perlait une g-outte
écru·lale.
Karmi se retourna et lui jeta un tel coup d'œil qu'il
ùevint aussi rouge que la petite goutte de sang.
- Maladroit, fit Karmi, tu vas meUre nos autruches en fuibe. Inutile de >se donner :tant de mal 'pour
arriver jusqu'à elles.
Lorsque le chasseur parlait sur ce ton, Gérard sc
tenait coi, bien que le noir ne fut que son serviteur.
Ils continuèrent d'avancer. Enfin ils approchèrent de
l'endroit où les grands oiseaux se promenaient 1?aisiblement ct purent les examiner à leur aise sans eveil1er leur attention.
Il y en avait six, vraisemblablement trois couples.
L'un de ces oiseaux, un mâle, gui était le plus près
ù'eux, était de proportion vraiment exlraordinaire,
u'nprès Kal'll1i. Sa petite tête plate était à plus de deux
mètres du sol, terminant un grand cou décharné.
- - Saurais-tu lancer le lasso, ùemanda Karmi, qui
s'était promis ùe faire de Gérard un ,chasseur accom-
pli.
- Oui... il me semble, répondit le jeune homme.
- Bien, prends-le, fais un nœud coulant et tâche
d'alLraper celle-ci.
Il désignait la plus grande autruche. Gérard fit cc
que Karmi lui indiquait. Il jeta assez malltdroitement
le lasso et poussa un cri de joie. Il avait réussi à saisir
le long col de l'autruche.
Celle-ci jeta un cri rauque et tira le lasso à elle,
entraînant Gérard. Les cinq autres oiseaux s'enfuirent
de toute la vitesse de leurs hautes pattes. L'autruche, .
prise au collet, voulut suivre le mouvement, et le chasseUL' sc vit attiré irrésistiblement.
:....- Cours derrière clle, lui cria Karmi, qui . voyait
Gérard suivre le mouvement sans qu'il puisse le retc-
�18
A TRAVERS LA SAVANE
nir, sinon tu seras traîné sur le sol et tu risques de
te blesser.
Gérard, on le sait, avait en Karmi une conflance
absolue et sui vaU toujours ses conseils. Il sc mit tionc
a courir de toutes ses forces sans lâcher le lasso, derrière l'aulruche qui s'enfuyait.
Ses compagnes étaient déjà loin et commençaient à
disparaître dans les profondeurs de ln savane. L'oiseau géant, soucieux de ne J)as être abandonné à son
triste sort, se mit cn devoir e les rejoindre, et pour cc
faire, activa encore son allure.
Gérard s'époulllonnait. Le lasso lui coupait les mains.
mais il n'aurait pas lùché pOUl" tout l'or du monde, se
jurant bien celte fois de ne pas essuyer nn échec.
Karmi, assez inquiet, s'était l:mcé à lellr poursuite.
Il connaissait.. Gérard, et savait qu'il sc laissel'Uit plutôt
arracher le bras que de consentir à abandonner sa
proie et il n'ignorait pas non plus quelle rapidité peut
fournir une autruche, et avec quelle force de résistance.
Celle-ci n'allait qu'à une allure relativement modérée, car elle trainait Gérard, qui résistait de tout son
pOlds, tout en courant.
Cependant le jeune chasseur était emmené à un train
d'enfer. Il s'épuisait, il avait les mains en sang. Il
avalait toute la poussière que soulevait la course prccipitée de sa capture, capture relative en vérité.
Avec ]e jour, ln chaleur arrivait et la situation devenait intenable. Un cercle de feu tournait dans son
crâne. TouLefois il courait toujours.
Kat'mi les suivait et commençait il ga~nel' du terrain, car si les forces humaines ont des IImiLes, celles
des autruches ne sont tout de même pas invulnérables, commo leur estomac, ct cenes de Gérard commençaient à donner des signes de fatigue.
Sans perdre une semelle, Karmi sortit son couteau de
�A TRAVERS LA SAVANE
19
' chasse de sa ceintUt'e ct redoubla d'effort. Quand il fut
à bonne portée, il lança l'arme. Il avait visé l'animal,
mais à ce moment celui-ci fit un écart.
L'espace d'un éclair, Karmi frémit, croyant avoir
blessé Gérard. Mais la lame, rencontrant le lasso,
l'avait tranché net. Gérard alla rouler à dix pas dans
l'herbe, sans se faire le moindre mal, tandis que l'autt'uche, subitemcnt délest,ée, s'enfuyait à toute allure et
lardait pas à disparaître dans le lointain.
Karml aida Gérard ft se relever. Un Gérard furibond .
.- Encore raté! dit-il.
Lui, Karmi, riait de bon cœur.
Tll n'as pas perdu ton temps, ùit-il. Tu as prouvé
une bien belle endurance à la course. Suivre une autruche!
Ils revinrent vers le cours d'eau qui leul' servait
de guicle. Gérard soufflait ct suait ft grosses gouttes.
- Je t'admire, dit-il à Karmi, qui paraissait toujours aussi dispos . On dirait que tu viens ùe te lever,
Lant Lu es calme, ct cepenùant tu as couru aulant que
moi.
- Que veux-tu, repondit Karmi, c'est que tu n'as pas
encore l'habitude des grandes chasses.
- Tu appelles ça une chasse, fit Gérard avec humeur.
- A quoi bon tuer les bêtes de la savane quand elles
ne vous attaquent pas ou que la faim n'est pas tenailJante. C'est tuer pour le plaisir de tller. Laisse-leur
la vie, laisse-leur la liberle .
....
Ils firent la sieste durant les helll'€s chaudes. Puis,
avant le soir, ils reprirent leur roule.
�20
A TRAVERS LA SAVANE
Le chemlll devenait de plus en plus difficile. Les
deux chasseurs étaient dans l'obligation de progresser
en gardant à la main leU!' large coutelas, avec lequel
ils tranchaient les branches et les lianes qui entravaient leur route. Devant eux, une forêt vierge, qu'ils
ne tarderaient pas à atteindre. Et au-dessus des grands
arbres, ils voyaient le sommet arrondi de l'Aldmatoura.
Gérard se se'ntait nerveux.
- Quand arriverons-nous? disait-il. Tu m'avais dit
que nous y serions dans le courant de la journée.
- Nous y ser,ons avant la fin du jOllr, répondit
Karmi, puisque je te l'ai l)romis, mais nous arriverons
seulement au pied du mont. Nous n'en tenterons pas
l'aseension ùe nuit, cal' je me soucie peu de rencontrer
Je lion qui doit rôder à ces heures-là. Il vaut mieux Je
surprendre au gîte, alors là seulement, si possible, nous
pourrons eapturer les petits.
1-"01't de cette promesse, Gérard retrouva' quelque
courage pour poursuivre son chemin.
Un nOllvel incident vint les distraire, sons les espèces d'un troupeau de girafes. Une quinzaine de ces
grands animaux broutaient paisiblement après les cocotiers en bordure de la forêt.
- Qlle voilà encore un beau coup de fusil, murmura
Gérard.
- Jc te vois venir, dit Kanni. Les girafes te tentent.
Si tu veux les chasser, je suis il ta disposition, bien
que je n'aime que peu ce genre de chasse. Ce sont des
animaux paisibles, inoffensifs. Au surplus, ils sont très
craintifs, et pour celle raison on ne peut quc difllcilement les approcher. Que décid.es-t~l?
- SoiL, ne les chassons pas, dll Gerard avec un souph'. Cependant je voudrais bien les voir de près. C'est
)a première fois depuis mon arrivée en Afrique que je
pourrais contempler ' une colonie de girafes Cil liherté.
�A TI\AVEI\S LA SAVANE
21
- Alors il faut faÎl'e comme avec les autruches, dit
Km'mi, ct ramper silencieusement dans l'herbe.
Gérard fit la grimace, mais ne voulut pas revenir sur
sa décision, et pour toute réponse, se ~eta à quatre pattes. Karmi l'imita ct ils recommencerent à marcher
ainsi, cOlll'bés jusqu'au sol et entièrement dissimulés
par les herbes démesurées de la savane.
- Allons, dit tout doucement Karmi en sc tournant
vers Gérard qui le suivait en imitant scrupuleusement
tous ~es mouvements, tu fais des progrès notables, 011
ne t'entend presque 'Plus.
Géral'd, dont le VIsage s'éclaira aussitôt, remercia
le hrave nègre d'un sourire, et continua à le suivre.
lis approchaient des girafes lorsqu'ils, aperçurent
l'ulle d'elles dresser hrusquement l'oreille et tourner
sa Hne têle.
,
- Nous aurait-elle éventés? chuchota Gérard.
- Je ne crois pas répondit le chasseur noir. Nom;
sommes encore trop loin pour qu'elle nous voie. Au
surplus, le vent nous est favorable car il souffle derl'Ïèl'e noire dos. Vois plutôt, elle hume l'air dans la
direcl ion de la fOl'êl.
C'était vrai. La girnfe donnait des signes d'inquiétude en flairant ln direction des épaisses frondaisons.
Qu'est-cc que cela veut dire? murmurn Gérard.
Il y a un ennemi tout près, dit Karmi.
-- Dans la forêt?
-- Oui.
- Sernit-ce?
Il n'acheva pas. Les deux cbassell1's se comprirent
d'un regard. La même idée leur avait traversé l'esprit.
Presque aussitôt ils ne doutèrent plus. Un rugIsse·
ment formidable llIonta de la forêt ct se répercuta aux
échos de la savane. Les girafes sursautèrent toutes ct
se grol1pèrent dans la direction des chasseurs.
- Un lion, murmura Gérard.
�22
A TRAVERS LA SAVANE
Oui. ·Et sans doute celui que nous aUons attaquer.
Le lion de }' Akimatoura. Crois-tu?
Oui, parce qu'il est trop tôt pour la chasse, il
fait encore grand jour. S'il cherche une Pl'oie, c'est
parce qu'il a des petits qui réclament leur pâture. Eux
Ile connaissent point d'heure. Dès qu'ils sont réveillés,
ils se plaignent, alors le lion va à la recherche de leur
nourrilure.
Le rugissement se fit entendre à nouveau. Presque
aussitôt l'animal sortit de la brousse 1)our pénétrer
daJ1S la savane.
Karmi el Gérard contemplèrent le félin qui était
splendide. Aux rayons du soleil couchant, le roi de la
forêt vierge se dl'essait dans les hautes herbes, semhlant défier l'horizon qui sc teintait de lueurs sanglantes. La clarLé, éblouissante encore, faisait ruisseler sur son pelage roux des l'cHets inconnus, el lorsqu'il
ouvrait ses yeux perçants, ceux-ci brillaient comme
deux émeraudes.
.
Dès qu'elles l'aperçurent, les girafes prirent ]a fuite
toutes ensemble. Gérard admira la souplesse el la rapidité de ces beaux animaux. Mais ]e li on, ayant découvert une proie, ne voulait pas ]a laisser s'échapper
4linsi.
Il se lança à ]a poursuite des girafes, avançant par
une succession de bonds énormes. Les dlaSSellrg
voyaient le corps lourd s'élever au-dessus des hautes
llOrbes pour y relomber l'instanl d'après eL s'y enfouir complètement, pour reparaîLre encore.
- Il vienl vers nous, souffla I<armi.
Gérard ne dit pas lIne parole, mais ses yeux étincelèrent. Karmi eut un mystérieux sourire en entendant
le claqucment se<: eL ,métallique produ.it par la carabine
que Gérard venait d armer.
Le troupeau de girafes pussa en coup de vent à
moins de dix mètres dc l'endroit où étulent tapis les
<
�A TRAVERS LA SAVANE
23
deux chasseurs. L'une d'elles, plus petite que les autres,
sans doute la jouvencelle du groupe, les suivait avec
plus de gaucherie et perdait du terrain. Le lion poussa
encore une fois son terrible rugissement, plein de jùie
féroce Cil voyant" cette proie offerte. Il se ramassa et
d'un demier bond qui le fit paraître voler au-dessus
des herbes, il vint reLomber sur l'échine de la malheureuse girilfe.
Les grifl'es s'implantèrent dans la chair du léger
animal, ct le sang jaillit en longues estafilades rouges,
excitant les insLincts sanguinaires du redoutable carIlassiel·.
La girafe voulut tenLer un dernier effort avant de sc
laisser tomber dans l'herbe et de s'abandonner à celui
qui allait la dévorer. Malgré le poids ùu lion, elle fit
encore quelques pas.
C'est ce qu'attendait Gérard. Il se dressa soudain divant le groupe formé par les deux animaux, épaula cL
fit feu.
Le lion poussa un nouveau rugissement, de douleur
cette fois. Il sc Lordit dans une leJ'rible contraction ct
sa patLe redoutable égorgea la girafe.
Les deux animaux s'eITondrèrent ensemble presque
aux pieds du chasseur, qui les contemplait silencieusement, appuyé SUl' sa carabine encore fumante.
Tous deux expirèrent, la victime ct le meurlrier.
Karmi, qui n'avait 'Pas bougé, s'avança près de Gérard, en hochant la tête :
'
- li Y a nussi une lionne, fit-il doucement.
Rarmi s'étaiL mis en devoir de dépouiller le lion. Ce
genre de travail Lrès délicat, et qui exige une grande
habitude, lui convcnait tout particulièrement.
- Vois-lu, disait-il à Gérard, en détachant la splendide loison, pOUl' être un vrai chasscul' accompli il
faut savoir encore faire cela.
'
�24
A TRAVERS LA SAVANE
Gérard fit la moue. Il doutait de pouvoir jamais égaler la vitesse et l'habileté de Karml.
Le lion dépouillé, le noir songea à la girafe, et il se
mit il lui faire subir le sort infligé au cadavre du roi
de la saV'Jne.
Gérard, que ce spectacle ennuyait, se mit à bâiller,
ct laissant !{armi absorbé dans la mise il bien de sa
délicate opération, il s'en alla un peu au hasard, foulant les hautes herbes. La course folle du troupeau de
girafes, poursuivi pal' le lion, avait fait une vél'itable
trouée. Gérard suivit machinalement celle piste improvisée.
Hien ne b.ou.geait dans la savane, le soleil était encore très haut, et il semblait eugol1l'dir cette nature
luxuriante sous la domination de ses rayons. Gérard
prêtait en vain l'QI'eille, nul rugissement, nul bramement, ne montait des vertes étendues. N'y avait-il donc
là aucun animal? Si fait, mais il présent tous dormaient, puisque le roi de la savane ne troublait plus les
échos de la plaine par son terrihle grondement.
L'apprenti chasseur de fauves marcha ainsi pendant un bon quart d'heure, ct sans s'en rcndre p~u·rai
tement comptc, il s'éloigna de fa~~on appréciable de
l'endroit où I\.armi continuait son œuvre de dépouillement.
A un certain moment il lui sembla OUlt' un bruit très
faible, semblable il un gl'inccmcnt; il s'arrêta, prêta
l'oreille, mais cc fut en vain. Un peu de vent passa,
faisant onduler les hautes her])es.
Voici sans doute l'ol'igine de cc hruit, murmura
Gérard. J'aurai entendu cc souffle de vent venir de très
loin, faisant grincer les roseaux dans les marécages.
Il reprit sa pt'omenade solitaire; mais il n'avait pas
fait dix pas qu'il porta vivement la main à sa nuque.
Une violente piqûre s'y faisait sentir; la douleur fut si
vive qu'il fll une grimace et il constata qu'il venait
�25
d'écraser une grosse fourmi noÏi'e, dont l'espèce est
I"(!putée pour être d'une extraordinaire voracIté.
Mais ces dangereux insectes n'ont pas pour coutume
de marcher is'olemellt. Gérard baissa les yeux et frémit;
tle nombreuses fourmis montaient après ses boLtes. En
quelques tapes vigoureuses, il s'en débarrassa, saisi
tl'angoisse; de nombreux récits lui revenaient en mémoire. 1(armi ne lui avait-il pas parlé de chasseurs
dévorés lout vifs par les hideux mandibules des terribles fourmis, qui sc déplacent en colonnes de milliarùs d'individus.
'
Le jeùne chasseur suivit le noir sans résistance,
il vit la caravane des fourmis noires. Celles qui
l'avaient attaqué ne devaient appartenir qu'à une avantgarde; ft présent le gros de la troupe apparaissait. Pa.r
myriades elles traversaient la piste tracée par la fuite
éperdue des girafes. Deni.ère elles, d'ailleurs, elles laissaient lrace de leur passage sous forme d'une :lutre
piste dans les hautes herbes, car ces insectes voraces
avnient englouli toute la végétation qu'ils avaient rencontrée.
Gérard connaissait le terrible danger; il n'y avait
qu'un seul qrarl(l remède, prendre ses jambes à SOI1
eou. II ne s Cil fit ' pas fauLe ct se hâla de courir reloindre Karmi. Celui-ci le voyant arriver rouge ct
cssollfJ1é, comprit l'imminence du dangèr, quel qu'il
toit.
- Qlloi? Qu'arrive-t-il?
Gérard hoqueta :
-- Des fourmis... des millions ùe fourmis 1
Knl'lni sUl'saul'rl malgré son courage; un tt''Ûupeau de
rourmis esl snns donte aussi périlleux à affronter qu'un
lion.
l! fit quelques pas dans la direction indiquée par
Gérard ct aperçut la redol!lable colonne qui arrivait
A TRAV2RS LA SAVANE
�25
A TUAVERS LA SAVANE
vers eux, ayant tout naturellement emprunté la pi:;te
des girates.
Un regard circulaire lui fit entrevoir que, dans l'horizon plat, les refuges étaient limiLés; cependant il
fallait fuir ou se mettre hors d'atteinte car les fourmis
noires arrivaient en rangs pressés; le troupeau prenait sous l'éclatant soleil des reflets brillants sur ses
carapaces sombres.
Karmi eut un sourire.
- Viens 1 dit-il à Gerard.
Le jeune chasseur jeta un regard circulaire, et alors
accoutumé à se trouver bien dt::. l'expérience de Karrni.
Ils se dirigèren,t rapidement vers un rocher qui
gisait là, dans la savane, élevé d'un mèLre à peine cl
long de moIns de deux; alenLour croissait un herbag~
très élevé qui l'engloutissait presque.
- Fais comme moi! dit Km·mi.
Et il se mit à arracher et à couper les herbes environnantes en ayant soin d'en laisser une largeur
d'un mètre environ immédiatement contre le rocher.
Les herbes arrachées furent rejetées également alentour de la pierre qui en quelques minutes [ut enlot..:rée d'un véritable tns d'herbes alors qu'un certain
espace défriché l'esLait enLre le roc et la continuité des
herbes de la savane.
Lorsque ce travail fut terminé :
- Montons sur la pierre, dit Karmi.
Gérard et lui se placèrent debout sur le roc; il était
temps, les fourmis al'l'ivaient. Cela semblait une masse
compacte, noire et brillante, grouillant comme un IOll'.l
serpent et avançant Îrrésü,tiblement par la piste des
girafes.
- Pour détruire la colonne entière, dit Karmi" il
faudrait bl'ûler la savane dans toute son ctendue; je
le fel"ais volontiers mais cela pourrait gêner nos pro.
�A TRAVERS LA SAVANE
27
jets; nous laisserons donc passer les fourmis en nous
mettant provisoirement hors d'atteinte!
Qu elques insectes détachés de la caravane dévorante
atteignirent le las d'herbes environnant les deux chasseurs et commencèrent à grimper dessus 1
.- Mets le feul ordonna Karmi.
Gérard sortit son briquet et communiqua le feu au
tas d'herbe. Une longue flamme s'éleva immédiatement; les deux hommes se placèrent au centre de la
pierre, en s'appuyant l'un à l'autre pour ne pas tomber
dans le bnlsier.
En un instant l'herbe sèche fut en feu et entoura les
deux chasseurs d'une ceinlure de flammes. Immobiles,
soulTrant atrocement de la chaleur, mais ne faisant pas
le moindre mouvement, ils étaient pareils à deux statues dont le rocher eut formé le socle au milieu d'une
étrange parure de flammes.
Les premières fourm is avaient été consumées. Lorsque le &l'OS de la caravane m'riva iJ y eut une scission
devant le feu et deux c'olonnes se formèrent ,q ui passèrent de part ct d'autre du refuge fantastique où se
tenaient Gérard et Karmi. Longuement les fourmis défilèl'cnt, si bien que les deux chasseurs virent le feu
baisser et craignirent de ne pouvoir tenir jusqu'au
bout. L'angoisse les étreignit mais heureusement lorsque
le brasier ne fut plus qu'un tas de cendre où rougeoyaient quelques brandons, les dernières fourmis
étaient déjà passées. Ils durent aLtendre encore quelqL1es instants, pom' laisser fuir les redoutables insectes
ct s'éteindre le brasier.
Mais lorsqu'ils cherchèrent les corps du lion ct de
la gi rare, ils ne retrouvèrent que quelques ossements
pnrJ'aitement nettoyés; les ùeux magmfiques toisons
avaie nt également disparu .
Sur lem passage, les fourmis ne laissaient rien .
Aucun incident ne vint marquer la fin du jour. TIs
�28
A TRAVEHS LA SAVANE
allumèrent un ~rand feu, près duquel ils passèrent une
nuit calme. Gerard accoutumé maintenant aux mille
bruits de la brousse, dormait paisiblement.
Ils se remirent en route dès le matin et ne tardèrent
pas à fouler les premiers contreforts de l'Akimatoura.
Celui-ci n'était qu'un énorme rocher, brûlé par le
soleil, qui se dressaIt au milieu de la forêt vierge. C'était
sans doute autrefois un pic ai{lu, mais les pluies torrentieJles du continent noir, l'avaJcn t usé uepuis longtemps
en arrondissant la cime. Cela semblait maintenant un
lieu sauvage et désolé sous le ciel d'u n bleu ardent.
Karmi hésita un instant. RnJln il découvrit une sorte
de sentier s'enfonçant dans les profondeurs de la montagne.
- Que faisons-nous? demanda Gérard.
- Suivons ce senUer, dit le nègre.
Gérard ne discutait jamais avec !{àrmi, il se mit
aussitôt en marche dans la direction indiquée.
- Comment as-tu repéré ce sentier, demanda Gérard . Il y en a plusieurs.
- Oui, mais nous suivons celui qui conduit il la
tanière du lion. Vois ces traces toules fraîches.
- Où cela, je ne vois rien .
Karmi lui fit remarquel' une empreinte de plantigrade sur un J'ocher où le vent avait amené un pell de
sable. Mais il faut avouer que celle trace était imperceptible pour un œil moins exercé que celui d'un chasseur noir.
-- Cherche bien, dit Karmi. Je suis persuadé que
nous ne tarderons pas à avoir la preuve que celle direction est la bonne.
Gérard en accepta l'augure, bien que peu convaincu.
Au bout d'un moment, Karmi s'arrêta:
- Tiens, dil-il regal'de cela.
Sur le roc brLI}(~, 011 distinguait des taehes sombres, de
petites étoiles brunâtres, C0111111e un éclaboussement.
�A THAVERS LA SAVANE
~9
- Qu'est-ce cela, dit Gérard.
- Des gouttes de sang. Le lion est passe par là,
emmenant à ses petits une proie fraîchement tuée.
.
Gérard ne pouvait douter. Un peu plus loin le sentier
bifur'tuait en deux branches, l'une descendante disparaissmt à un tournant du roc, l'autre ascendante se perdait vers le sommet de la montagne.
- Lequel faut-il prendre? demanda Gérard.
- Celui du haut, bien que ce s6it l'autre qui conùuise à la tanière où nous trouverons lionne et lionceaux.
- Pourquoi ne pas y aller directement?
- Pour ne pas être découverts.
Ils monlèrent donc plus avant, pu)s abandonnant le
sentier, avancèrent à travers les rocs épars. Ils surplombaient à présent une sorte de cirque rocheux.
Karmi s'allongea au bord de l'abîme et invita Gérard il.
l'imiter.
Tous deux se penchèrent, ct voici ce qu'ils virent:
Sous eux, dans le cirque, où aboutissait effectivement le sentier inférieur, s'ouvrait une caverne <Jue
l'on devinait profonde. Une source coulait d'une faIlle
de la monlagne, et seul son bruit I;(rêle et perpétuel
troublait le silence ambiant. Allon gee à l'orée de la
tanière, uno superbe lionne, les yeux mi-clos, surveillait les ébats de deux lionceaux qui se roulaient mut1ucllemenL dans le sable.
Le jeu devenait grave, l'un d'eux morùit son frère
5\ui gémit et lui donna un vigoureux coup de pattes. La
honne se leva el se mit à se promener de long en
large, sans but apparent.
Visiblement, elle élait inquiète. Le mâle n'étant pas
rentré il la tanière depuis la veille au soir. Certes, sans
les lionceaux, il y aurait beau temps qu'elle serait partie ù sa rechcrche, mais elle De pouvait les abandonncl'.
�30
A TRAVERS LA SAVANE
Elle humait l'air fréquemment dans la direction de
la savane où elle avait vu disparaître pour la dernière
fois le lion qui ne devait pas revenir.
- Qu'allolls-nous faire, demanda Gérard.
- Essaie de l'ajuster d'ici et tuc-la. Ensuite cc ne
sera qu'un jeu de descendre cueillir les deux petits.
Gérard sc mit en posture d'obéiI". Mais à ce moment
la lionne les aperçut. Elle jeta un cri d'alarme et, à cc
signal, les lionceaux coururent immédiatement se blottir dans la tanière, en se bousculant ùe façon comique.
Le fauve bondit soudain hors de portée de fusil de
Gérard.
- Où va-t-elle, s'écria Karmi qui ne pouvait supposer qu'elle abandonnât ses petits.
La tactique de la lionne était tout autre. Par un
autre coin du cirque, elle escalada les rochers avec une
vélocité incroyable, et en peu de temps, par un véritable escaliel' naturel, les deux chasseurs la virent accéder à leur hauteur.
Tous deux se relevèrent, serrant leurs armes, prêts
à faire feu. Gérard s'avança le premier, face à son redoutable antagoniste.
La lionne approchait il pas comptés, posant unc
patte devant l'autre avec une componction exaspérante.
Géral'd prenant son temps, la mit Cil joue. A ce moment
son regard rencontra celui de la lionne. Le rayon verdûtre qui s'en échappait, le pénétra d'angoisse, par son
incroyable sauvagerie.
Il fit feu, et rata la lionne.
Elle se rua sur lui d'un élan irrésistible. Mais Karmi
veillait. Le fallve était trop près pOUl' qu'il puisse tirer.
Il le comprit en un éclair ct, tirant son couteau de
chasse, se dressa entre la lionne et Gérard, l'arme il la
main.
La lionne se drcssa toule droilc, apposant ses pullc:;
�A TRAVERS LA
SAVA~E
01
redout ables sur les deux épaules du courageux chasseur. En même temps il lui plongeait la lame de SOIl
couleau dans le cœur.
Mais la douleur était trop vive. Karmi trébucha ct,
ployant sous Je cadavre de la lionne, il tomba cn
ul'I'lère, les bras en croix.
Gérard jeta un cri terrible en les voyant tous deux
s'effondrer dans l'abîme. Il entendit le choc sourd des
deux corps heurtant ensemble Je sol pierreux ct dévala
la falaise le cœur étreint.
Il dégagea Karmi, baignant dans son sang et celui
de la lionne. Il traîna son compaghon d'aventures près
lle la source, l'appuya au 1'oe, et mouiHant sa chemise
qu'il avait arrachée, il lava les deux terribles plaies
<lue le noir porlait aux épaules.
Kanni rouvrit les yeux, sourit à Gérard, et d'une voix
faible:
- Merci maître, dit-il. Mais tu perds ton temps. Je
me suis brisé les reins dans la chule, je le sens.
Puis il eut un soubresaut. Ses yeux se voilèrent.
- Knnni! appela Gérard, en proie à une terreur sans
nom.
Le vaillant chasseur noir esquissa un pauvre sourire
et eut encore la force de désigner à son maître les deux
lionceaux qui flairaient le cadavre de leur mère.
- Vois, dit-il, ils sont orphelins mainlenant. Mais
ils sont ussez grands et forts pour se débrouiller tout
seuls.
Scs yeux se voilèrent ùe nouveau. Gérard éclata en
sanglots.
- KaL'lni! Karmi! ne me quille pas.
A cet appel, le visage de Karmi s'éclaira d'un sourire d'une douceur infinie:
- Je vais mourit', mais eux vont vivre la vie pure
ct large des savanes.
Puis dans un dernier spasme, il retomba en avant
�32
A TRAVERS LA SAVANE
ùans les bras de Gérard éploré. La mort avait fait son
œuvre.
Gérard transporta le corps de son fidèle compagnon,
au pied d'un ~rand palmier, à ' l'orée ùe la forêt, où il
l'ensevelit. Pms lui ayant rendu cc dernier devoir, il
retourna à la tanière et s'empara des deux lionceaux.
Il les ficela ensemble sans s'occuper de leurs coups de
crocs ct de leurs griffes, et les ayant chargés sur son
épaule, prit le chemin du retour.
• Mais en route un remords lui vint. Les paroles de
Kanni expirant, résonnèrent à ses oreilles:
- Ils vont vivre la vie pure ct large des savanes!
Pourquoi lui, les relenait-il prisonniers?
N'y tenant plus, respectant les dernières paroles dc
son fidèle compa~non, il posa SUl" lc sol SOIl paquct
vi vant ct le déficcla.
Les lionccaux Ull pcu étourdis, s'ébrouèI-cnt, puis
comprenant que la liberté ·était là, s'enfuirent joyeusement dans la direction de l'Akimaloura, tandis que
Gérard, scul désormais, reprenait tristcment le chemin
des savanes.
'
;FIN
Pour paraître mercredi prochain:
Le Bouddha vivant
RonAN D'AVENTURES INEDIT
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31.
35,
36.
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Le peuple des lorrellls, pur " ' illi e Cohh.
Le mystérieux tow-bo!!, P"l' lIInlll'ÏI' e de Mou1in~.
Le suret dl' l'épolle, pur Ptlul Tossel.
A travers la S(Walle, par Maurice Lionel.
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Le petit roman d'aventures
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A travers la savane
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Lionel, Maurice (1914-2002)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
J. Ferenczi et fils
(Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1937
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
32 p.
15 cm
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Description
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Le petit roman d'aventures ; 44
Language
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Type
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Bibliothèque de l'université Clermont Auvergne
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��L'avion mystérieux
ROMAN D'AVENTURES INEDIT
par MAURICE qONEL
1
Robert Selva l, les sourcils froncés, contemplait la
tache sombre qui s'estompait dans l'horizon lumineux.
Sa haute ct mâle slature sc dressait au beau milieu
du champ d'aviation. Il était immobile, les mains dans
lcs pocbes, la têtc haute. Un pli de profond souci creu. sait son front, landis que la silhouette de l'avion noir
achevait de sc fondre dans le lointain.
La voix dc quelqu'un, qui s'était approché à son insu,
le tira de sa contempla lion :
- Eh bicn! Robert, cet avion?
Sel val ne se retourna pas, il avait reconnu la voix de
Lucien llan'al, son anü de toujours, son compagnon
d'aventures. Tous dcux avaient couvert maintes randonSont réservés tous dl'olts de traductlou. d'adaptation. de mise
au thé/l.tre et au clnéullitographc.
P.
n.
A. o· !i2.
�2
L'AVION MYSTÉI \lEUX
nées, franchi maints océans, rempor té vingt records t.
L'an passé, au cours d'un fantasti que voyage, ils avaiell
vaincu les pirates du « Fantôm e-Vola nt », qui désolai ent
les lignes aérienn es. A présent ils étaient associé s et dirigeaient une maison de constru ction aéronau tique qui,
Cil marche
pOUl' ëtre toute récente , n'en était pas moins
déjà vers le succès.
Tout près de Paris, en une banlieu e tranqui lle, nup:'ès
de leur usine, s'étend ait leur champ d'aviati on perwn ·,
nel. De nombre ux aC(IlI(~ reUrs des avions narrai- Sel val
y posséda ient un hangar . Les deux aviateu rs sembla ient
avoir Lout pour être IJeureux.
Et cepend ant, depuis quelque s jOUl'S, une chose impréVlle était venue jeter le trouble sur le paisi1Jle terrain
,
aéronau tique.
Un beuu mutin, un aviQn parut à l'horizo n; cela n'avait
rien d'extra orùinai re et se produis ait vingt fois au cours
de la journée , mais Robert Selval, qui l'av ait découv ert,
constat a avec surpris e que cet apparei l était Boil.. auLe fuit est plutôt rare dans les annalcs de l'aéron
tique, ct l'aviate ur intrigu é s'en fut quérir une paire de
puissan tes jumelle s marine s, au moyen desque lles il exawin:;! Cil dét:li 1 cc bizarre aéropla ne.
A son grand étonnem ent, nOil seulem ent le plan do
l'avion était peint en somJJre, mais encore la carling ue,
le train d' attenis sage, les hauban s, le gouver nail, brefl
les moindr es détails de l'avion étaient revêtus d'ulIO
cOll,che dc peintur e noire.
C'était pour le moins sllI'pren ant. D'où venait cet
nvion-f anlômc '! Et pourqu oi se dirigea it-il en droite
ligne vers l'usine Barral- Selva!?
Mais raviate lil' n'était pus encore au comble de la
-corps. H
SUI prisco L'insta nt d'après , il eut un, buut-le
�L'AVION MYSTÉRIEUX
venait seulement de s'apercevoir qu'alentour l'air (:ttlU
parfaitement silencieux.
L'avion noir ne produisait pas le moindre bruit.
- Aurais-je affaire à un avion sans moteur'l murmura
Robert Selva!. Voilà qui n'est pas ordinaire!
Il continua à examiner l'avion-fantôme à la jumelle,
car un soupçon lui était venu. Le sombre appareil, qui
marchait à bonne aJlure, était à présent suffisamment
proche pour que Sel val puisse Cil détailler les passagers.
Or, à travers les hublots de la carlingue, nulle figure
humaine n'al1paraissai t. L'avion noir semblait bel et bien
se diriger seul à travers l'espace.
- Un avion sans moteur, qui est aussi un avion sans
pilote! Que veut dire ccci?
L'avion mystérieux al'ri va si près que, à l'œil nu, cette
fois Robert Sel val put constater qu'il était certainement
privé de tout passager et que, depuis l'hélice jusqu'au
gouvernail, il était parfaitement noir. D'autre part, bien
qu'il se comportâl absolument comme un appareil ordi·
naire, il voguait dans le plus grand silence.
Cet avion exlraon]inaire arriva sur le champ d'aviation J3arral-Sel val, qu'il sUl'vola il une altitude de cent
mètres à peine. Là, il exécuta un quart de cercle impec·
cable, cl s'en alla comme il élait venu. Vingt minutes
plus lard, Hoberl Selval le voyait disparaître nu loin-
Lain.
Trois jours s'élaicnt écoulés dépuis la première apparition de l'avion noir. Chaque malin l'appareil mystérieux était revenu, lwait lourné aulour du terrain, ct
avait pris le chemin du I·ctour.
Roberl Sel val avait cru de son dcvoir de signaler ]e
fail à la police, d'autant plus qu'il discernait une menace imprécise, prête à fondre sur lui ou sur son usiue.
�L'AVION M,YSTÉRlEUX
Mais les recherches demeurè"rent infructueuses. La
région parisienne, ou plutôt son ciel, est sillonné de
centaines d'avions, et llul ne s'arrête à les suivre des
yeux. On Il'avait donc pas repéré d'avion noir. D'autre
part, j'aviatcur j'avait conslate, si ce mystérieux oiscau
mécanique survolait son domaine il faible dislance, il
l'aller et au relour, il conservait une très grande altitude
cl sc fondait dans les nuages.
Il eùt donc été assez difficilc de l'observer du sol. Un
temps clai!', pour lc moins, eCtl élé néccssairc, mais
on était en février, et lc ciel généralement brumeux
servait dc complicc il l'avion noir. D'aillcurs, malgré Je
mystère, Hobert Sel val 'ne pouvait déposer aucune
plainte. Cet appareil ne faisait aucun mul, il se contenInit de survoler le tClTain appartcnant à l'aviateur, sans
bruiL, sans apparence de mal faire, et prenait aussitôt
le chcmin du reLour.
POlll' la troisième fois Hobcrt Sel val élait donc Je
témoin des bizan"cs incursions de l'avion noir, lorsque
SOli associé, Lucien Barral, lui adressa la parole au
moment où l'oiseau foncé disparaissait dans J'horizon
qui, par exccption, sc lrouvait assez clai!' ce malin-là.
- Eh bien! Robert, cet "llvion? avait demandé Lucien.
-- Toujours la même chose, et tOl,ljouJ's ricn.
- Personne ù bord?
- Persollne. Aucun passage!', ct, ce qui est plus fort,
auclin bruit. Cela lient du miracle.
- Etunl donné la coulelll' de ccl avion, je pencherai
plutôt pour de lu sorcellerie.
- Quoi qu'i] en soit, je pense que, ce malin, je ne
serai I)US le seul il l'observer. Un conp de vcnt a balaYé
le cie). Vois comme il est clair Cil cc moment.
�r.' AVION MYSTERIEUX
5
L'avion noir se détachflil en toute netteté sur cet écran
d'une luminosité sans égaLe.
- Ouais! Mais regarde cc' banc de nuages qui dépasse
un peu SUl' l'horizon, je gage que Lon avi0u s'y esl
déjà dissimulé.
- Et après, il ne se pose pas sur les nuages. Il faut
Cil sortir. Comment fera-t-il',
- Il prendra une altitude convenable qui lui permettra ùe défiel' les observations de la police.
- Il faut qu'il soit au moins à cinq mille mètres pour
échappel' aux appareils d'optique. Et encOI'c ...
- Baste! Un avion couleur de nuit Qlli sc déplacc
sans moteur cl sans pilote doit êl re aussi capable de
monter à des hauteurs vertigincuses. Sois tranquille, il
est loin! Il est hant surtout.
Hobert Sel val l'esta un instant siiendclIx.
- Que comptes-tu faire" demanda Banal.
- J'ai idée de conviel' demain malin un ou deux inspecteurs ici même. 1Is auront ainsi tout loisü' pour
examiner l'avion qui, certainemcnt, nc manquera pas
de revenir à son hcure habituelle.
- Permcts-moi de te dire que VOIlS ne serez guère
plus avancés, les inspccteurs ct loi. Et après '1
Hobert Sel val lit un geste évasif.
- Ecoule, dit Lucjen, j'ai, moi aussi, une idée. Si je
ne le l'ai pa:. encore confiée. c'esl qne je suis pCl'suadé
qu'elle l'a traversé le cerveau depuis longtemps.
- Voyons'!
_
- Qu'est-cc qui nous empêche de prcndre nOllSmêmes un avion el de donnel' la chasse à celui qui
l'intriguc de tellc manière'? NOLIS le suivrons jusqu'à son
repaire, alors nOLIs verrons hien.
Hobert Sel val plongeait immuablement ses regards
�G
L'AVION MYSTÉRIEUX
dans le ciel qui, maintenant, s'obscurcissait de nouveau.
- J'y ai songé en elret, Lucien . Mais si je ne l'ai
pas encore fait, c'est que je crains que ce ne soit un
piègc.
- Un piè:ge'?
- Oublies-tu nos plans '1 notre invention? C'est à
cela, vois-tu, qu'ou en veut.
- Mais puisque tout est reste secret.
- 11 n'y a pas de secret si bien garùé soit-il qui
n'arrive à ' être soupçonne d'abord, connu ensuite. Non,
vois-lu, nous lancer nous-mêmes il la poursuite des ravisseurs ne nous avancerait en ricn et nous perdrait peutêtre. Abstcnons-nolls.
- Comment, toi 1 tu as peur 'l Toi, toujours si vaillant,
si intrépide, si téméraire mêmc.
- C'cst tlllC, \'ois-tu, je ne songe pas ù ma vic, je
l'ai exposée JJÎen souvcnt et suis prêt à recommencer
autant qu'il sel'a nécessa.ire. 1\Ihlis pas cclle fois, car je
songe il notre travail, je crains qu'on ne vcuille nous Je
dérober.
- Quclle sottise 1
- Tu verrns, Lucicn. Je suis persuadé d'avoir raison.
- Mais enllll...
Robert Selvul n'écoutait pItt') ct revenait à grands pas
vers l'usine. 11 commeuçait à pleuvoir. Lucien Bnnal
jugea parfaitcment inutile de continuer à wscuter seul
cl sous la pluie. Aussi cmboîta-t·il le pns à son associé.
Lcs del1x amis avnicnl ù peine réintégré leur commun
tUfeau, lorsqu'on frappa ù la portc.
Robel't eut lUl gcste d'imllaticnce. Ce fut Lucien qui
cria:
- Entrez!
Un de leurs employés parut.
�7
'- On vient d'apporter une lettre pour ces Messieurs.
Il la tenùait. Lucien s'empara d'une grande enveloppe
jaune, sans adresse.
- Qui VOliS a remis cela?
- Un gamin, à la porte de l'usine.
- Il est encore là?
- Non, monsieur, il est reparti en courant.
- Merci, laissez-nous.
L'employé sortit.
- Qu'est-cc que ça peut bien être, dit HarraI.
Selval haus sa les épaules, ça ne l'intéressait pas.
Lucien se mit il tourner ct retourner l'enveloppe dans
tous les sens, à tel point que Robert, au paroxysme de
l'énervemen t, s'exclama :
- 1\'l ais ouvre-la, puisque tu tiens tant à savoir ce
qu'elle contient. Tu cs énervant av ce Ion enveloppe.
- Ne le fâche pas.
Sans hâte, délicatement, comme en tout ce qu'il faisait,
Lucien BannI déchira avec soin le haut de l'enveloppe'
et en extirpa une grande feuille pliée en quatre, sur
laquelle il se mit il déchifl'rer plusieurs lignes lapées
à la machine.
- Eh bien! qu'est-cc que c'est 'f s'impatienta Robert.
Banal termina sans hâte, puis :
- Tiens 1 cela t'intéresse au même titre que moi, dit-iJ
à Robert en lui tendant le papier.
Robel'l s'en saisit, lut, ptùs hurla :
L'AVION MYSTÉlUEUX
-
N ... de D ... !
Voici ce qu'il y avait sur la feuille blanche :
« Messieurs Lucien Barral et RQbert Selval, si vous
« tenez à conserver volre usine, placez dans l'avion noir,
« qui se posera demain sur votre terrain, les plans de
« l'aérobllS stratosphérique qui se trouvent dans' votre
�3
L'AVION MYSTÉl1JEUX
« coffre-fort. llmlile d'avertir la IJolice, ni de chercher
« à pénétrer dans l'aviOl). Au cas où vous feriez des dif« ficultés, l'usine sera détruite.
« L'avion restera SUl' le terrain cinq minutes pour
« vous permetlre de déposer les plans. Pas une seconde
« de plus. ~
Il n'y avait ni date, ni signature.
- N... de D... ! répéta Hobert Selva!.
JI
La pluie tombait à tOrI'enls cl de grandes rafales
venaient s'éCl'aSel' con Ire les vitres de la fenêtre.
Robert Selval, muet, l'expression de son visngc annonçant une résolution farouche, achevait d'ajuster un cas()ue d'nvialeur.
Lucien Barral était assis derrière son bl/l'cau. Posémen t, sans la moindre apparence de nervosité, il exaJ1]inl1il lIll il un les dill'érenls plans de J'aérobus stratosphérique, la précieuse invention conçue pal' les deux
aSliociés.
11 s'agissait d'ull appareil de gran(le taille, pouvant
emllJCllel' cenl vingt passagers, un véritable pnquebot du
cid. 11 était susceptible de montel' il des hauteurs vertigineuses, ct là-J)aut, dans l'cs!Jacc libre, il pouvait baUre
�1:AVION MYSTÉRIEUX
9
les records les plus fanta"s liques et faire le tour du
mancie en trente-six heures.
L'idée n'était pas nouvelle. Ce qtli l'éLait, c'était la
p:ufaile mise au point réalisée par les deux amis. Tandis que d'innombrables ingé nieurs se penc-h aient sur de
semblables recherches, Lucien DalTal et Robert Selva!
pouvai.ent croire avoir mis le doigt sur la solution.
Et c'étaien t ces précieux plans que leur mystérieux
correspondant convoitait. Ils devaient les remettre dans
l'avion noir sous peine de voir leur usine ({élruite.
Hobert Selval, ayant achevé de s'habiller, ralla les
plans ct les enferma dans le colrre-fort dc l'usine. Puis
il glissa Ull pislolet aulomalique dans la poche de sa
combinaison cirée.
- Me voilà J)l'êl, dit-il.
- Tu cs loujours décidé? demanda paisiblement Lucien.
- Plus quc jamais! Quand J'avion noir arrivera à
destination, je ne sa is encore où, ce n'est pas le plan
de l'aérohus slralosphérique que 1'011 lrouvera dans la
carlingue, ce sera moi-même, le revolver au poing.
- Tu le refuses toujours tl prévcnir la police '!
- Cerles! Au cas où nos mysLérieux ennemis le sauraienl, ils J1'hésilcraicnl pas à fairc santer l'usinc.
- 'In risqucs ta viel .
- Qu'importe! J'espère vaincre. En tout cas, je le
confie lcs plans dc l'aérobus. Si je d isparais, fais-lcs
connaÎh'e et réalise nolrc commune in"cntion.
- Et Rcnéc? dcmanda tranquillcmcnt Lucien Barral.
Est-cc que lu me la conlics égalcmcnt'l
Une profonde contrariété envahit le visage de Robert
Selva!.
- })ourquoi mc pnrlcr d'c]J~? dit-il avec reproche.
�10
L'AVION MYSTi'inmux
- Il faut que tu pèses le pour el le contre avant de
t'engager dans une semblable aventure.
- Tu as raison, quand ce ne serait que pour elle, il
faut que je sois vainqueur, ct je vaincrai.
Lucieu Barral allait répondre, lorsque Hobert Sel vat
jeta une exclamation :
- Le voilà!
Barral s'approcha à son tour de la fenêtre. Dans le
Ciel humide, à travers les rideaux de pluie, on distinguait très nettement la silhouelle de l'avion noir qUI
approch:lÏt du camp d'aviation.
Hobert ne tenait plus en place.
- Au revoir, Lucien, dit-il. Je ne veux pas manquer
le rendez-vous.
- Encore une fois, ne veux-tu pas que je t'accompagne?
- Non! Il faut que tu restes ... pour les plans ... et aussi
pour Renée.
Au moment de sortir, il hésita :
- Au cas où je ne reviendrais pas, attends quarantehuit heures avant de prévenir la police ... mais je reviendrai.
Il sortit. Lucien Bm-rat, 10UjOUl'S à la fenêtre, vil la
silhouette de l'aviateur traverser en courant le champ
d'aviation sous les rafales de pluie, puis se planter tout
droit au beau milieu du terrain.
Dans le ciel, l'avion noir, qui s'était rapproché, décrivit un grand cercle. !>uis Lucien le vil foncer vers
le sol, se poser sur le terl'ail1, rouler cinquante mètres
et s'arrêter à quelques pas de Robert Sel val qui courut
immédiatement vers lui.
narrai regardait de lous ses yeux, lorsqu'on frappa
à la porle.
�L'AVION MYSTÉRIEUX
11
Tout à ce qui allait se passer, il ne répondit pas tout
ù'abord, mais comme ail insistait, il demanda avec bu·
Dleur :
- Qu'est-ce qu'il y a?
Un secrélaire entra :
Mlle Henée DaI'sac!
- Aïe! lit Lucien.
Derrièrc la parle, une voix fralche cria :
- Eh bien! L\lcien, êtes-vous sourd, que faites-vous '/
Sans plus de façon, les vingt ans de la blonde Renée
Déll'sac liren l leur enlrée dans le bureau des deux aviat(;lll'S.
Elle vit Lucien immobile, près de la fenêtre.
- Que regardez-vous avec une teUe attention'l
lJ lui fit signe d'approcher. Elle obéit, et aperçut HoberL sur le Lerrain, qtti s'apprêtait il monter dans l'avion
Iloir.
- Ho.IJert s'embarque d'un temps pareil. Quelle foliel
s'écria-t-elle.
Mll e licnée Darsae, dont les parents étaient plusieurs
f ois millionnaires, était le type parfait de l'enfant gfllé.
1\ dix-huit ans elle possédait SOI1 brevel de pilote. A
,ingt ans ail lui avait offert un avion, un llarral-Selval,
Vétait une grande cliente de la maison . Sous un hallgai'
))l'ocl1e, son avion était sans' cesse ù sa disposiUol1. Cc
Il 'i:lnil un mystère pOUl' personne qu'ull sCIIUmellt très
tendre l'unissait à Hobert Selval, lequel, deux ans aupar:lvant, l'avait initiée aux mystères de l'aéronautique,
Lucien ll'1I'rol, pressé de (IUeSUOns, mit en quelques
mots la jeune fille au courant de la SillJ~ltion,
- Comme c'est amusant! s'écria-l-el1c tout d'abord.
Puis elle réIléchit :
�12
L'AVION MYSTERIEUX
-- Robcrt court certainement un grand danger. 11 ne
faut pas le laisser s'cnfuir seul.
Mais, à ce moment, les cinq minutes faUdiques s'étant
écoulées, ils virent l'avion noir se mellre en marche,
et décoller rapidement.
Vile! cria Renée.
_. Qu'allez-vous Caire? demanda Lucien.
- - Mon avjon esl-il prêl 'l
-- Il est toujours prêt.
-- Alors je le prends cL je me mets à la poursuiLe de
_o'
Hob~I·t.
- - Soit, mais je vous accompagne.
- Ne devez-vous pas l'es LeI' pour les plans?
-- Pour les plans ct pour vous. Mais, si vous parlez,
il ne Ille resle qu'à "OI.1S suivre cn emmenant, bieu
onLclldu, les dils plans.
Tfmdis que Lucien se précipitait vers le eoll're-fort
olt nobcrl avait enfoui les préêicux papiers, Henée Darsac courait au h:lJIgar où son avion J'allendait. Cillq
minul('s plus lard, ils décollaient à leur loul' cl s'élançaienl ù la poursuite de J'avion noir qui n'élait déjà
plus qu'un poinl dans l'horizon pluvieux..
Hl
Au moment où Robert Selval courait vers l'avion
noir, il avait aperçu lInc grande aulomobile JJlnnche qUl
stoppait devant l'entrée du champ d'avjali<m.
- nenée! avait-il mUl'lllmé.
�L'AVION MYSTÉRIEUX
13
Une fraction de seconde il suspendit sa course.
Mais presque aussitôt, malgré le désü' qu'il eût de
SelTel' la jeune fille dans ses bras avant son départ
peur l'inconnu, pOlir la périlleuse aventure, la résolution
la plus farouche baJnya momentanément tout autre sen~
timent ùe son CCCLII'.
- Il le f'dut! gronda-toi!.
Et, en trois derniers bonds, il fut il l'avion,
Il Clait parfaitement seul SUl' le ehamp. Ordres avaient
été donnés pOUl' que nul ne s'approchât de l'avion-fantôme, Il prétendait qu'une présence étrangère eût compromis la réussile de son entreprise,
Rien n'élait plus faux, En réalité, le vaillant aviateur
voulait ù tont prix tenter seul le combat con Ire son Oll
ses mystérieux ellllemis, et en aucun cas il n'eût pu
supportel' l'idée qu'une exislence humaine, autre que la
sienne, fût saisie dans cct éni gmatique engrenage.
A présent il consÏflérait l'avion extraordinaire, Iloil'
dnns ses moindres détails, L'aPP:lrcil élait triplace, mais
ubsolulllcnl vide. Sans ces deux particularités, il rcssem~
bbit !1s:;ez il un avion normal.
Hobcn IlIonta dans la carlingue el s'assit à la ploce
Clui eùt été régulièrement celle ùu pilote. Devant lui
se trouvaient les difI'érents cadrolls qui oment gél1ér!1lemcnt l'intérieur d'une carlingue. Au milieu, il y avait
une montrc inscrulée dans la paroi.
- Encore quel1lucs instants, et je m'envole, songea
Hohert.
L'aiguille des secondes lui parut loul'ller Ù loule allllre,' comme une folle. Il jeta un dernier regard vers
l'usine. A la fenêlre du bureau, il aperçut la silhouette
claire de Renée Dal's[\c. 11 en éprollv3 1I1l hOl'1'ilJle SCl'-
�L'à.VION MYSTÉRIEUX
r::01ent de cœur..Jetant un coup d'œil vers la montre,
il vit l'aiguille qui semblait prendre une vitesse fantastique.
- Il est encore temps, murmura-t-il.
Il se levait, allait sauter à terre, lorsclu'une voix impérieuse le cloua sur son siège.
- Ne bougez pas! sinon je VOllS brûle la cervelle.
Dire la stupéfaction de Robert Selval est quelque chose
d'impossible. Il etait seul dans l'a vion, il l'avait constaté. Et autour de lui, sur un rayon cIe plus de cent
mètres, le champ d'aviation, sur lequel l'cau ruisselait
toujours, était parfaitement désert.
- .Je rêve, dit-il.
- Vous ne rêvez pas? reprit la voix.
- Ah çàl suis-je fou? rugit l'aviateur.
Il fit une scconcIe tentative pour se lever. Alors la
voix invisible reprit avec une ironie croissante :
- Inutile de nous quitter, mOllsieUl' Selva l, je VOllS
tiens sous la menace de mon pistolet aulomatique, ct
je suis prêt à vous brûler la cervelle en cas de tentali ve
d'avasion.
SicIéré, Robert Sel val restait im mobile.
'- Qui me parle'? demanùa-t-il.
- Vous le saurez bientôt, dès que nous serons arrivés
à destination.
Hobert jeta un coup d'œil sur le cadran. Les cinq
minutes prescrites devnient être presque écoulées . .Eu
effet, il y eut une légère secousse. Une main invisilJle
fit Lotlmer l'hélice. L'avion noir commença Il rouler
sans le moindre bruit et, quelques secondes plus lard,
Hobert Selval, sans l'ien y comprendre. s'élevait au·
dessus de la masse I1Ungellse.
�L'AVION MYSTÉRIEUX
11)
La voix Inconnue se fit cn tendre à nouveau
Au fait, monsieur Selval, avez-vous pensé à nous
amencr les plans?
Robert resta muet.
- Vous ne voulez pas répondre? A votre aise. Sans
doute ils sont restés dans votre coffre-fort, à ]a gan1e
de M. Harral, votre associé, à moins qu'ils n'aient été
conliés à la police. 4uculle importance, il suffit que
vous soycz là, el vous nOLIs donnerez ]es conseils ùont
nous pourrons avoir besoin.
Roherl comprenait de moins en moins, mais il jugea
bon ùe garder le silence qui ne pouvait pas le compromeUre. Il avait bien la tentation de poser quelques questions à son inlerloculeur invisible, quand bien même
ce ne serait que pour savoir où on l'emmenait, mais il
jJJ'éféra sc Laire.
Il se tourna ct sc retourna pour voir d'où pouvait
provenir la voix mystérieuse, cc qui lui attira celle
réflexion faile sur le ton ùe l'ironie la plus parfaite
- Inutile de me chercher, monsieur Selval, je Ile
-
slIis pas fi bord 1
Hobert resta sufl'oqué.
- La radio! s'écria-t-it; je comprends.
- Et la télévision, reprit ]a voix, cc qui me permet
ùe surveiIJer vos moinùres gestes.
- Dans cc cas, lit Hobert Selval, ironique il SOIl tour,
je crois que vos menaces sonl hors de saison et qu<"
s'il me prenait envie de sauter par-dessus bord, ou do
détraquer l'avion qui doil marcher lui aussi par T.S.F ...
- Essayez si bon vous semblel,
Rohel'l fil mine de se lever.
- Seulemenl, reprit l'invisible, je crois bon de vous
�1G
L'AVION MYSTJ~IIIEUX
prêveniI' CJue je dispose encore d'ull moyen connu de
moi seul pOUl' vous foudroyer sur votre hanquette.
- Toujolll'S pal' radio? demanùa Hobert.
- Toujours par rallio.
- Je serais cul'Ïeux de voir cela!
- Hien ne vous interdit d'en fairc l'expérience.
Bien qu'il ne fût pas absolument sûr de la véracité
d'ulle semblable nflirmalion, HoherL jugea bon de SC
l('nir coi.
.
L'avion noÎl' cependant floUait très haut au-dessus
des nuages, invisible de la terre, ct toujours dans le
plus ~lJ'and silence. Hoherl ne pouvait donc aucunement se renùre compte ùe la direction prise.
Soudain, son oreille exercée discerna au lointain Je
hruit d'un moteur. Micux, il cn était sür, ce Ile pouvait
êtr(' qu'un Barral-Sel val.
Pris d'un pressentiment, il se retourna.
Derrière lui, à un 011 deux mille mètres, il distinguait la silhotlclle d'ull avioll qui sc lançait il la poursui.te de l'appareil-fantôme. Cet avion, il ne pouvait s'y
tromper, était de sa fabrication.
- Lucien! )e fou! II a voulu me suivre quand llIêll!e,
gémit Hober!.
Et aussitôt une idée folle lui traversa l'('$tJl'Ït
- Pourvu que Heuée ne soit pas 'avec ïuil
�L'AVION MYSl'ÉIUIlUX
IV
Depuis quelques inslants l'avion noir perdaIt de la
IHlutcur. La descenle s'accomplissait insensiblement. Le
Inystérieux pilote, qui guidait son appareil par T. S. F.,
était sans doutc dans l'obligation de prendre le maxilIlum de précautions pour amencr l'avion à bon port.
- Nous arrivons! pensait Robert.
Il ne pouvait Iixer exactement la disttmce parcourue.
Toutefois, en <,xaminant le cadran 1ixé dans la carlingue, il put discernel' que le vol durait depuis près de
trois heures.
Etant donné crue l'avion couleur ùe nuit s'était sans
('esse maintenu ù une allure fort rcspectable, on devait
se trouver à un nOlllbre appréciaule de kilomètres du
camp narral-Sclval.
L'avion effleurait maintenant la masse nuageuse et
s'apprèlait à la traverser ulle secondc fois depuis l'enlèvcment de Hobert, mais en sens inverse.
A cc moment l'aviateur se l'elollma et cc fut pour
npercevoir l'avion poursuivant qui, dtllls le lointain,
S enfonçait lui flussi dalls l'épaisscl11' des nuées.
- Il va touchct' tcrre, lllUt'lllUra Hobert. L'insensé!
risquer sa vie dcrrière moi. El Rcnée'!
La question le tenaillait toujours. Il connaissait si bien
�18
L"AVION MYSTiRIEUX
la jeune tllle qu'il ne pouvait supposer qu'elle eût con~enli à rester au sol dès l'instant que Lucien Barral
Je <J.uittait pour se lancer à la poursuite de l'avion noir,
ravisseur de Robert.
Pendant quelques instants, l'avion noir s'enfonça dans
la hrume, et Robert, aveuglé, ne vit plus qu'un horizon
de grisaille, vague et imprécis.
LOI'sque la lumière revint, il jeta une exclamation
étouffée :
L'avion noir survolait ulle chaîne montagneuse.
- Qu'est ceci? murmura Hobcrt. Les Alpes, les Pyrénées?
Certains pics arides et comme hrülés par le soleil
le firent pench er plutôt en fav eur des Pyrénécs. 1)'[\iJICUI'S il ne s'attardait plus en vaincs conjectures, Il admirait la précision avec laquelle le pilote invisible conduÎsalL son avion-fantôme,
L'avion noir s'cnfonçait entre deux montagnes, dans
un dèlilé gigantesque qu'il survolait à faible hauteur.
L'altitud e des monls environnants dépassait fi présent
celle de l'avion, Celui-ci arrivai t ù tou te vitesse vers un
(lInteau rocheux, sorte d'immense corniche déserte, qui
~;emblnil: fort propice ù un altelTissage.
Quelques insLants ap!'(~s, J'nvion noir s'y posait, rOllla i t
quelques mMl'cs eL s'nrrêtait, fnec au ravin qui s'ouvrait devant Hobcrl. Celui-ci regarda autou!' de lui
quelle puiss,lI1cc mystél'icllsc l'égnait là, qui l'avnit ainsi
.lJnrnô ct qui, il présent, demcurait parfaitement invi~ ible.
Ne voyant rien, il allait sc lever, JorsC)ue J'avion noir
démulTu, touj ours sans Je moindre bruil. La secousse
obligea Robert à se rasseoir lin peu violemmen t. L'avion
�L'AVION MYSTÉRIEUX
1~
IlC semblail pas vouloir s'envoler, il roulait seulement
sur le plateau.
Robert ent un affreux choc au cœur.
L'avion noir roulait vers l'alJÎme lJéant.
- M'a-l-on amené là pour me lucr d'une façon aussi
originale? se demanda l'aviatcur.
Mais l'avion décrivait un quart de cercle. II frôla Je
ravin, roulant au bord de la comiche, et, toujours au
sol, Illa vcrs un flanc rocheux ct escarpé. Allait-il s'y
écraser?
Robert n'était pas au bout dc sa surprise.
Devant lui un pan de rocher gigantesque s'eJl'açait
lentement au fur et à mesure que l'avion avançait.
Robert ct son ravisseul' s'enfoncèrent au flanc de la
montagne. Une clarté éblouissante troua soudain les ténèhres où sc trouvait plongé l'aviatcul', tandis CJue la
faille du roc sc refermait derrière lui.
- Dans <luelle )'i'gion sommes-nous? demanda Renée.
- Dans le J\Iassif Central, ma cherc amie, répondit
Lucien. Nous l'a vons survolé du nord au sud, maintenant nous marchons vers les gorges du Tarn. NOll~
sommes actuellement au-dessus d'une des régions les
plus sauvages de France, au pays des lacs ct des volcans éteints. Voycz-vous toujours l'avion noir"
- Oui, on dirait qu'il descend.
- C'csl cxact, constata Barral. Faisons comme lui.
Il Obligea son appal'eil à se rapproche" du sol e11
ayant soin de ne pas perdre la distance CJui le séparait
de l'avion-fantôme?
�20,
L'AVION MYSTÉRlEt:X
Où comptez-vous atterrir, Lucien '1
- Je n'en sais rien encore. Dans cetle région, un
lerrain ù'altefl'jssage n'est pas commoùe à trouvcl'. Le
sol y est plutôt rude.
- J'aperçois une corniche qui ferait bien noIre af·
faire. Oh!
- Pourquoi celle exclamalion '1
- L'avion noir se dirige pal' là, Tenez, il s'y pose,
Deux minules après, Renée jetait une exclamation lie
lerreur. Elle voyait l'avion noir sc meUre en marchc
vers l'abîme.
-- Mon Dieu! Hobert, gémit-eUe, à demi évanouie ùans
la carlingue.
Heureusement, Lucien la ramenait à la réalilé, et tous
deux assistaien l, sans rien y comprendre, au virage
pédlleux dc l'avion, puis ù son engloutissement dans les
profondeurs de la montagnc.
Tous dcux en restèrent stupéfails.
- - Qu'aHans-nous faire? demanda Renée.
- J'ai bien envie d'aller faire un lour sur ce plateau,
dit Lucien; il n'y a que là que nous puissions avoir
des chnnces de retrouver Hoberl, cl de lui porler se ~
cours, le cas échéant. D'autant plus qu'il n'y a guère
d'autre point propice à notre allel'rissage.
- Allons-y, dil vaillamment la jeune lille, prête il tout
pour rell'ouver Hobert.
EJle s'était munie, au départ, d'un revolver, ainsi que
son compagnon, cl tous deux étaient décidés à a!l'ronter
les pircs dangcrs pOUl' sauver Hobert el sc mcttre à
la poursuite de l'avion Iloil' jusquc dans son repaire ct
cn forcel' le mystèl'e.
Jls OPlll'Ochaicnt de la corniche. Au moment où iJ$
�L'AVION MYSTÉRIEUX
21
allaient se poser, deux coups de feu éclatèrent, sans
que l'on pUlSSC discerner d'où cela venait.
Hcnée eut un léger cri de frayeur. Lucicn reprit aussitot de la hauteur, mais, dix secondes après, il s'écriait:
- Touché!
- Où cela?
- Le réservoir d'essence,
- Qu'allons-nous faire?
- Atterrir, mais où?
Alentour, cc n'étnicnt que flancs cscarpês, pics rocailleux. Quant il la comiche dangereuse, il valait mieux
n'y pas songer.
- Nous tombons! cl'ia soudain Henée, ell·rayée.
Le moleur cessait de tourner, privé de combustible.
- Nous ne tombons pas, dît Lucien. Nous allons atter-
rir.
L'avion descendait vers le sol à une vitesse vertigineuse. Soudain Henée comprit. Lucien tentait un suprême effort, conduisait l'avion vers un )Jelit Inc qui
lllÏl'oilait nu fond d'ull ravin. C'était leur dernière
chance.
Cinq seconùes plus lard, J'avion s'y posait avec un
grand plouf, chavirait il demi ct, n'él(,\nt pas conditionné com111e un hydl'avioll, cOllllUcnçait rapidement il
sc remplir d'cau.
Quelqucs minules après, le naurrage semblait imminellt.
- Nous sommes perdus! dit Renée.
- Nous sommes sauvés! répondit Lucien.
Et il lui 1ll0nlnlÏt un canot monté par deux hommes,
qui débordait du dvage cl s'avauçait à toutes rames
vers le lieu du désaslre.
�22
L'AVION MYSTÉlIlEUX
v
VOUS me demandez là une chose impossible, dit
fiober!.
li élait conforlablement in slallé dans un profond fallteuil ùe cuir, lequel faisait partie ùe l'::uneuulemcnt du
!; uperbe bureau modernc où l'aviateur avait été amene
après avoir <Iuitlé l'avion noir.
Cerlcs, à considérer cc loc::ll, il n'eüt pu croire sc
tl'ouvel' dans les profondcurs du Massif Central, où cependant son interlocuteur lui aflilmalt être le lieu de
50 11 mystérieux l'epnire.
Cet homme pouvait avoir quarallle ans. Ses ycux perçants, cerclés d'écaille, s'ouvraicnt il la basc d'un vHste
fronl, gr~lI1di cncore pal' une caLvitic m:lI'Quée, gagnée
sans doute à la suite d'lln travail intensif ct de veilJes
prolongées.
-- Ecoutez-moi, monsieur Selva!, dis:.lit-iJ, je ne suis
pas un malfaitcur, je suis un i ngé nieul' tout comme VOlIS.
Vous avez pu C'o J1 ~ laler vOll s-Jl1êm e il 'luel degré de
perfection j'a i aJJlcné l'avion sans pilote et sans moteur,
que je sUl'\'cille pal' télévision ct dirige pal' nldio. J'lU
cherché, moi aussi, l'~lérohlls stratosphérique. A J'enLonlrc ue VOliS, je n'a i pas encore trOllvé. Je veux le pré·
senter au Congrès international de l'Aéronautique, qui
auru lieu dans un an, Ù Cbicngo. Un an, c'est peu pour
�L'AVION l.fYSTÉR lEUX
une telle réalisat ion. Je n'ai plus le temps nécessa ire
pour arriver à mes fins, ct vous, je le sais, nc dispose
pas de cal)itaux suffisants. Eh bien 1 associo ns-nous . z
- Non, fit sèchcm ent Hobert.
- Mon procéd é vous a déplu, ,je le vois 11iell. Mais autrcmcn t je n'aurai s pu vous convain cre.
- Vous gardez ùonc l'espoir de me convaiu crc']
- Vous êtcs en mon pouvoi r.
Roberl haussa les épaules.
- Les plans sont en sûrelé.
- En êtes-vo us hien sÎlr?
Le mystér ieux invente ur appuya sur un bouton . Un
homme parut.
- Ils sont là, (lit-il.
- Faites- les entrer.
Quelle ne fut pas la stupéfa ction de Robert , 'Cn voyant
arriver Heuée Darsac cL Lucien Barral, escorté s de deux
homme s, revolve r au poing.
- Robert s'écria la jeune fille, en sc précipi tant dans
les hras de son Ilancé.
'4 lIIgcnieul' souri 1.
NOliS les avons recueil lis sur Je lac, dit l'lI11
des
aITivants, après avoir descen du l'avion d'un coup de
fClI. Jls allaien t se noyer. L'homm e (il ùésigna
Lucien)
a déchit'é des papiers cl les a jelés à l'eau avant de
:se rendre.
- Les plans, n'esl-ce pas, dil l'inven teur:
- Les plans, en cire t, répond it Lucien lla1'ra1. toujours calme.
- Aucune impol'tance, dit l'étrang e personn age. Voicl
ce que je vous propose , car je pense que vous pouvez
travaill er sans l'aide de vos papiers .
�L'AVION lfYSTÉRlEUX
Et il tint à Lucien le discours qu'il avait déjà lenu
il Robert.
- Non 1 di t Lucien, comme avait dit Robert.
L'iuventeur de l'avion noil' souriait loujours.
- Qu'à cela ne lienne, dit-il. Suivez-11)oi.
Tous trois lui emboîtèrent le pas. Les trois hommes
armés fermaient la marche.
Ils arrivèrent dans une caverne gigantesque, de proportions extraordinaires, dont l'obscurité était combattue victorieusement par 'une centaine de puissantes 1<1111pes électriqucs, tombant de la voüte. Cela ressemblait
assez ù un imlllense alelier. Une tl'entaine d'ollvl'icrs s'y
occupnicnt. Il y avait là des forgerons, des électriciens,
des mécanos, des tourneurs. Une forge, au fond de Ja
caverne, jctait dcs lucurs sanglantes.
Plusieurs cal'C::lsses d'avions sc tenaient là. Les trois
jeunes gens y reconnurent l'avion noir.
Cependaut, )'invenLelll' les all1cnail devant un appareil
démesuré, au centre de la caverne.
- Voilù, dil-il.
- L'aérobtls stratosphérique, s'écrièrent ensemble H.obert Sel val cl Lucien Barrn 1.
- 11 est construit, dit l'inventeur. Hesle la mise :Hl
poi nt du l11otelll' cl eertn i ns ùéla ils ..l'en ignore le secl'ct,
mais vous J'avez trouvé ..Je ne VOliS Je demande pas. Travaillez ct paTlageons. N'oubliez pas <lue le Prix international ùe l'Aéronnuligue est ùe dix millions pour ceux
qui (luron t trouvé ]'aél'obus stratosphérique.
Les deux amis hésitaient.
- D'ai]Jcur.s, reprit j'inconnu avec UI1 sourire, lant
que ce ne sera pas fnil, vous l'esterez ici, ainsi que
M~,demojsellc, ajoula-l-i) inlentionllcl1ement en désignant
Renée.
�L'AVION MYSTÉRIEUX
25
Robert Selval leva la têtc.
- .J'acccpte, dit-il.
- Hein! s'écrièrcnt Lucicn et Renée.
- C'est plus sage, dit l'inventeur.
- C'est mon avis, reprit Robert. Jamais nous n'aurlons été assez riches pour construire un aérobus, landis
qn'à présent nous travaillerons sur un awareil aux
trois qUilI'ls terminé. Ton dcrnier 1110t, Lucien'l
- J'ncceple, répondil l'avialcur.
VI
- Cinq mille huit cents!
C'est à celle allilude que l'aérobus slratosplH~rique
s'élevait déjà. Six semaines s'étaient écoulées. Hobert ct
Lucien avaient travaille ù'arrache-pic(J cl étaient arrivés
Ù reconstituer le moteu!'. En compagnie de Norbcrt
Mario, l'invenleUl' de l'avion noir, les deux aviateurs
:lVaient exécuté quelques essais qui s'etaient avérés satisfaisants, l'aérobus s'élevanl un peu plus chaque fois.
Cc jour-là, Hoberl Sel val et Norbert Mario espéraient
arrivel' à l'altitude idéale, douze mille mètres. Là, c'était
la stratosphère où l'aérobu" devait alleindl'c de fantas1Ï11uCS vitesses.
- Sept mille, dit Norbert Mario en se frollant les
Jllains.
�2G
L'AVION MYSTÉRlEUX
Il suivait avidement du regard la peUle aiguille incHcatrice et se r éjoui ssait de voir que l'aérobus montait
par un angle constant, tout en se comportant avec une
précision remarqu able.
- Sept mille cinq cents 1 s'écriait l'inventeur de
l'avion noir.
Robert, qui était au volant, lui dem.<'lnda sans se retOllnier :
- Etes-vous satisfait'?
-- Oh! je n'espérais pas mi eux .
.- Dans ce cas, chel' monsieur Mario, nous allons êl.re
dans l'obligation ùe vous quiller.
- Hein! fit stupéfait le bizarre inventeur.
Devant lui surgissaient soudain Bellée ct Lucien qui.
s'étaient ùissimul és dans J'aérobus il son insu.
- C'est un piège ! grinça Mario.
- Un guet-apens, tout au plus, dit le calrhe Lucien.
Vous avez voulu nous voler, mon:;ieur Mal'jo, vous nou')
avez rendu le grand service de construire pour nou~ un
appareil fort cofLteux qu'l! ne nous restait plus qu'a mettre au point. C'est fait. Soufi"rez que nous vous til'ions
notre révérence. Voici Ull parachute. Vous aJlez débarquer dès que nous serons descendus il une hauteur convenable. En manière de reconnaissance, nous nc vous
dénoncerons pas aux autorités, nUez vous faire pendre
ailleurs.
Norbert Mario resta un moment silencieux, puis brutalemenL éclata de rire.
- Ah 1 vraiment, vous croyez déjà me brûler la poli~
1esse. Soyez sans inquiétude, j'ai prévu le cas. H.egardez?
Vaguement angoissés, les deux aviateurs ct la jeune
�L'AVION MYSTERIEUX
~
27
fille portèrent leurs regards dans la direcUon que désignait Mario.
Ils n'curent qu'un cri :
- L'avion noir 1
Dans les étenducs inlinics, l'aérobus ne voguait pas
1'.:cuJ. A moins de mille mètres, l'avion-fantômc le suivait, réglant sa vitesse sur celle du grand appareil et ne
perdant pas une ligne de la dislanCe qui les séparait
l'ull de l'autre.
- Oui, l'avion noir, dit Norbert Mario, en martelant
les syllabes. Sur la terre, un de mes bommes le dirige
par rallio ct Je surveille par télévision . De plus, il est
relié avec nOlis. Je n'ai qu'un mot à dire et l'a vion noir
se précipitcra sur nous. Les deux appareils seront détrnits. Quant à ceux que porte l'aérobus ...
Il n'acheva pas, mais il eut un ricanement menaçant.
Henée l'ccllln, etrrayée par cet homme étrange.
VOliS n'avez qu'un mot il dire'l demanda placide·
l11en t Luci en.
- Certes!
- Eh Lien 1 vous ne le direz pas.
Avec 1111 ensemble parfait, les deux aviateurs saulaient
il la gorge dt! leur ennemi. Renée s'élançait' et rattrapait
le manche à balai que Hobert avait dû abandonner.
Conduit pal' Ja jeune HUe, l'aérobus contilllwit sa
Course folle vers la stratosphère, toujours escorté par
J'avion-fantôme, landis que, dans la carlingue, Norbert
Mal'io ct les deux avialeUl's luttaient désespérément.
Lucien avait saisi Mario il la gorge pOUl' lui interdire
tic cricr, mais l'aulre se déballait comme un ligre. Hobert lui aJlPuya lIJl genou sur la poitrine. ~ulrO(IUé, .il
~e mil Ù l'fIler.
- Uchc-Ie, ùit Robert, je le liens. Tùcbe donc de
�28
I.'AVION MYSTÉRIEUX
trouver le poste de télévision dont il a parlé, et démo·
lis-le. De cetle façon, il ne pourra pas communiquer
avec la lerre.
- InuLile 1 dit une voix étrange, vellant du plafond du
poste de pilotage. J'ai tout entendu.
Benée, Lucien et HoLert levèrent la tète. Mario profila de cc que Selval avait relâché son étreinte pour
hurler:
- Vas-yl Lance 1'avion noir sur l'aérobus. Je me
sauye.
Joignant le gesle il la pnrole, il renversait Hobert el,
muni d'un pal'aehute que Lucien lui avait remis, il s'clan~'ait il travers l'acrobus, claqnant derrière lui la porle
du poste de pilotage.
Cela ralentil lIne seconde la course dcs deux aviateurs
qui s'élanç'aient il sa poursuite. Lorsqll'ils arrivèrent
dans la cabine voisine, ils ne virclll qu'une porte ouvel'le, béanl SUl' ]e vide.
- Il a saulé, dit Hobert.
Au ri sque de lombel' dans le goulI'l'e, les deux amis
se penchèrent SUI' le vide. Arc-boulés l'un il l'autre,
ils sc linrent en équilibre ct plongèrent lems regards
<1ans l'abîme vertigineux de l'inllni des nuages que
l'aérohus surplombait.
- Tiens 1 dit Lucien, où est-il passé?
Dans le déscrt aérien, on 110 voyait nullc trace du parachule.
- Peut-être cst-il tombé dc l'auh'o cillé, dit Hohert.
Ils rcgardèrcllt, mais, à l'infini, c'élait le moutonnement nuagcux, lJicll ou-dessous d'eux, NuHc coupole de
parachute n'était visible.
- A-t-il déjà traversé les nuagcs 'f demanda Lucien.
Cela expliqucrait pourquoi il est invisible pour nous.
�L'AVION MYSTÉRIEUX
29
- Je ne le pense pas, répondit Robert. Nous sommes
d'abord très baut et la vitesse de chute d'lin parachu·
liste n'est pas si grande pour qu'il ait déjà franchi la
masse nuageuse.
- Et, dit Lucien, as-tu envisagé le cas où le parachute
ne se serail pas ouvert?
Robert Selval fronça les sourcils. Sans répondre, il
plongea son œil d'aigle daus l'océan des mers, comme
s'il cût voulu lui anachel' ses mystérieux secrets. 11
évoquait la tombée horrible de Norbert Mario qui, son
par:-.chute étant rcsté fermé, passait comme un bolide
à tl'GVCI'S les nua ges pour trouver en Hn de chute l'épou·
Van table écrasement.
- Quelle mort! dit enlin Robert, s'il est tombé.
- Avanl d'être broyé, il sera asphyxié, repriL Lucien,
C'était exact, )'il1Ventelll' de l'avion-l'adio, à son UlTi·
vée sur le sol, cCtt dé,jà élé transformé cn cadavre, les
poumons écrasés pal' l'énorme pression stratosphérique.
Cependant, revenant à la réalité, Hobert examinait
uvcc unc certaine inquiétude l'avion noir qui semblait
s'être l'approché de l'aérobus stratosphérique.
- Allons, dit-il, il faut aller relever Bellée,
Les dcux avialeurs s'arrachèrent il la eonlemplation
du "vide allirant ct regagnèrent la cabine de pilotage où
l'éncl'sique Renée Dal'sac conduisait le puissant appal'cil avec une habileté qui faisait le plus grand honneur
à Hobert, leQuel avait été son professcur de pilotage,
- Eh bien '} demilnda la jeune Hile sans bouger de
son poste, où est l\Iario '}
JJcs dcux hommes restèrent muets,
Toujours obligée de garder J'immobilité, Henéc inter·
rOBca, surprise:
- Qu'y a-t-il? Esl-il morl'l
�30
L'AVION MYSTÉRIEUX
- Nous l'ignorons, répondit Robert. Nous n'avons
pas vu trace du parachute. Pent-être ne s'est-il pas
ouvc11.
Henée frissonna.
- Voulez-voliS me redouner !a barre? demanda
Robert.
La jeune fille allait lui abandonner la place de pilote,
lorsque soudain la voix caverneuse de la radio tomba
sur eux cOIrune une douche glacée.
- Mario?
Ils levèrent la tête. BoberL aperçut le micro pratique
dans le plafond de la cabine. De la terre, la voix du
pilote de l':wion-f::tntôme nppelait l'ingénieur.
- Mario? répéta la voix.
. Robert fit signe à Henée et à Lucien de conserver Jo
silence.
- Es-tu toujours SUI' l'aérobus" demandait l'invisibl.c.
Rohert resta muet. Fallait-il répondre'l
- Si tu ne réponds dans deux minutes, je considère
que tu as sauté et je lance l'avion contre l'aérobus.
- Nous n'avons qu'une chose il faire, dit Hoberl,
prendre Je maximum de vitesse pour échapper à l'avion
noir,
Il se disposait il reprendl'e le manche il balai des
mains de nenée, lorsque Lucien jeta un cri d'cUroi.
L'avion noir fonçait sur l'aérobus.
Robert se précipita ct reprit le volant.
Il augmenta encore la vitesse de l'appareil qui atteignit ninsi Je maximum. Mais bientôt Renée s'écriait:
- L'avion noir va plus vite que nous!
C'était exact. Sans moteur, sans pilote, l'avion-fantôme reprellait dc l'avance. Dans quelques instauis, il
se ruerait sur l'aérobus et ce serait la catastrophe.
�L'AVJON MYSTÉRIEUX
31
Robert, comprenant le danger, renversa soudain le
manche à balai. L'aérobus se mit à descendre à lIne vitesse vertigineuse.
- Les parachutes! cria-t-il.
Il y en avait heureusement à bord. Lucien revint, en
ramenant trois. Il en munit Renée, en passa un aux
épaules de Robert, toujours au volant, et s'équipa avec
le dernier.
-'- Préparez-vous, cria Robert. 11 est impossible
d'échapper il cc damné avion.
En effet, le noir pelit appareil rattrapait vivement
Je grand aérobus. Encore quelques instants et ce serait
la collision .
Lucien passa le premieI', puis cc fut Benée. EnHn, Hichant le manche il halai, Robert il son tour se précipita
dans le vide,
11 entendit au-dessus de sa tète le claquement du
parachule qui s'ouvrait. Il leva les yeux et jeta UI1 cri
'lue ni Lucien ni Henée ne purent entendre.
Le parachule de Norbert Mario était resté accroché
all train d'allerrissage de l'aérolms. Dans sa IJrécipitalion, l'invenleul' avait sauté maladroitement.
A ccl instant, il se déballait dans le vide, suspendu
eomme un pantin au hout d'ull fil.
Robert vit passer au-dessus de lui les ailes couleur
ùe IlUit de l'avioll noir qui fonçait sur l'aérobus.
Et ce fut lu coJlisioIl.
Un grondcment formidable ébranla les couches cie
l'atmosphère. IJroyés l'un par l'autl'e, J'aérobus stratosphérique ct J'avion-radio, ces cieux magniJiques inventions, tombèrcnt disloqués dans un tourbillon de Haml1lCs où, trop ambiticux, Norbert Mario trollva une mort
lCfl iblc.
�32
L'AVION MYSTÉnmUX
Les trois parachutistes tQllchèrent le sol à quelque
distance les uns des aulres.
- C'est dommage, dit Robert, dès (l\I'ils furent réunis,
avec le ton du plus profond regret, jamais nous ne serons assez riches pour réaliser à nouveau l'aérobus stratosphérique avant le Congrès international de l'Aéronautique.
Renée eut un sourire ct appuya câlincmcnl sa blonde
chcvelure sur l'épaule robuste de l'aviatcur :
- Vous oubliez ma dot, dit-elle. Ne serons-nous pas
mariés d'ici là?
FIN
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La revanche du gaucho, par L.-R. Pel1ouseat.
Ulle aux pieuvres, par M. d'Escrignelles.
Lu orphelins de la savane, par M.-A. Dazcrgues.
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Le petit roman d'aventures
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Title
A name given to the resource
L' avion mystérieux
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Lionel, Maurice (1914-2002)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
J. Ferenczi et fils
(Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1937
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
32 p.
15 cm
application/pdf
Description
An account of the resource
Le petit roman d'aventures ; 52
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
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Source
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Bibliothèque de l'université Clermont Auvergne
Rights
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Domaine public
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BUCA_Bastaire_Roman_Aventures_C95417
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