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�L'or dans le désert
ROM/lN D'AVENTURES INEDIT
par Julien
LnSCAP
!
[
Une ombre légère, silencieuse comme un fantôme, se
dessina dans la pénombre des arcades et s'immobilisa
contre un pilier. Devant elle s'étendait, sous le blanc
clair de lune, l'étroit jardin arabe. Tout autour, le cloître circulaire s'emplissait d'une obscurité bleuâtre.
Seule, une lumière tamisée , par un store-moustiquaire
trouait la pénombrc des arcades.
Au bout de quelqucs instants, la silhouette parut se
décider, et se coula, de pilier en pilier. Arrivée auprès
de la baie lumineuse, elle jeta un coup d'œil vif à travcrs la moustiquaire, puis s'aplatit contre la muraille.
Des voix lui parvenaient, distinctes, et, si rapide qu'eût
été son regard, clic avait cependant pu s'assurer que
deux hommes étaient là ...
Sont réservés tous dl'oits de traduction, d'adaptation, de
mise au théùtrc et au cinématographe.
.
P. R. A. u· 9
�2
L'OR DANS LE DESER'r
Assis paisiblement dans une pièce meublée il l'orien~
talc, detlx jeunes gens de vingt-cinq à trente ans, Louis
Simon, lieutenant dans l'armée de Syrie, el Pierre Carsis, ingénieur, récemment débarqué en Pal es tine, causaient et fumaient en buvant lentement leurs tasses de
cahoua.
Suivant lentement la fumée du tabac de Bagdad, dont
les volutes montaient vers le plafond de plâtre ciselé,
Pierre Carsis parlait d'une voix. chaude ct d'un tOI1
pénétré:
- Et voilà, 1110n vieux Louis !... Voilà le rêve que je
poursuis depuis un an, et qui te vaut de m'avoir vu
débarquer ici ... Un rêve, une chimère peut-être ... Comme
tu peux le penser, les personncs à qui j'ai fait part dc
m()n Pl'ojet m'ont accablé d'objections: les unes se
sont moquées, d'autres m'ont témoigné une pitié indul~
gente. IVIalgré cela, malgré tout, j'ai persévéré, j'ai travaillé, j'ai quitté la France pour venir ici... Et maintenant, je suis prêt! Il ne me reste plus qu'à tenter l'expérience décisive qui fera Ja preuve de ma folie ... ou .
de ma raison!
Louis Simon se releva sur le di van où il se prélas.
sait.
- Dravo! dit-il avec feu.
- Mais tiens ... ajouta Pierre en tirant de sa poi~
trine un épais portefeuille de cuir, je veux, aujour<1'hui,
te révéler tout mon secret. Voici le plan. Sa simplicité
même achèvera de te convaincre.
Le jeune officier prit les feuiIlets que lui tendait
son camarade et les examina avcc avidité.
- Mon cher Pierre, prononça-t-il, ce que tu viens
de r~a~j~er là, tbéoriqu~ment, est magnifique! Et quelles
pOSSIbIlItés cela entrall1e l... Quelles porles immenses
va ouvrir, sur l'avenir, cette clef d'or 1. .. Ce sera pour
toi, du même coup, la fortune et la gloire!
- Oh! la fortune! protesta Carsis modestement. Je
ne désire pour moi, personnellement, que les moyens
�L'OR DANS LE DÉ SEnT
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de vivre en paix en poursuivant mes tI·avaux. D'ailleurs,
ces richesses, si je les ob liens, je me propose de les
offrir à mon pays!
.
Il alla à la baie, releva la moustiquaire, et toule la
nuit hleue entra, avec la vision du jardin baigné de
lune.
- Quelle belle nuit! murmura-t-il, tandis que Louis
.v enait s'accouder à son côté.
L'ombre inconnue, tapie à l'extérieur, eut juste le
temps de se reculer. Aplatie contre la muraille, elle
semblait vouloir s'y incruster, y dispal·aître. Evidemment, si l'un des deux jeunes gens se penchait au
dehors, scrutait le cloître, elle serait fatalement découverte, A travers le homdonnement de ses oreilles, elle
entendait les voix, plus proches, des deux amis :
- Et mainlenant que tout est au point, interrogeait
Louis, quand pars-tu?
- Demain, répondit sans hésiter Pierre Carsis. Je
ne veux pas tarder davantage, tant j'ai hâte de vérifier,
par l'expérience la solidité de mes théories. Dès demain, donc, je m'embarque en automobile pour ailel'
explorer les lieux et choisir l'elldroit le plus propice
pour l'installation de mon matériel. Je veux profitel'
aussi de cc que tu es en congé ... Tu viens avec moi.
n'est-ce pas? NOLIs verrons cela ensemble!
. - Certes! acquiesça chaleureusement Louis Simon.
Même si je n'étais pas en congé. sois sûr que j'en demanderais llU pour t'accompagner. Je suis curieux de
voir ta tenta live, moi aussi... Cela me passionne!
L'ombre ·blottie profita de ce que les deux jeunes
gens sc retiraient un peu en arnère, dans ]a pièce,
pour sc glisser vive~nent vers 1.a droite jusqu'à .ran~le
de la colonnade. PlIlS, progressivement, avec d'1l1fillleS
précautions, elle suivit le long couloir formé par les
piliers, bordant le jardin.
Parvenue à une porte basse, la silhouette mystérieuse
s'y engouffra, suivit un couloir, gagna une autre porte
�L'on DANS LE DÉSERT
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qui s'ouvrit sur une rue déserte, ct se jeta éperdument
au dehors.
Jérusalem sommeillait dans la magnificence de cette
nuit d'été avec ses masures arabes et ses palais, Ses
mosquées, ses lieux-suints, ses hôtels model'nes, ses
ruines ct ses construclions neuves, tout SOI1 prestigieux
mélange de passé et d'avenir!
L'ombre continua sa marche rapide et comme apeurée jusqu'à une petite ruelle, élroite, rocailleuse, au
sol usé depuis tant de siècles, par les pas des pèlerins.
La lune l'eclairait bizarrement, y découpant des formes
semblables à des fantômes . Arrivée au bout, la silhouelle
s'arrêta, en face d'un cul-de-sac fermé par lll1 mm"
énorme, lépreux, aux picrres hallucinantes: le fameux
Mur des Lamentalions.
A cette heure, les mendiants, les pèlcrins qui, tout
le jour, pleurent et se lamentent devant la muraille
millénaire, étaient partis. Seul, le ciel laissait couler les
larmes d'or des étoiles.
Pourtant quelque chose sc déplaça à l'entrée: une
nouvelle ombre alla à la rencontre de l'ombre qui S'aI-rêlait, vacillan te... Un bras sortit de l'entortIllement
des voiles, ct fit signe d'approcher. Une voix basse, volontairement sourùe, interrogea:
- Eh bien?
- Rien de nouveau, répondit la voix tremblante.
Sauf qu'il est prêt et que son voyage est fixé pour demain.
- Ah! A quelle heure?
- Je ne sais ... Il part demain en auto~obile. Son
ami l'accompagne.
- C'est tout.
- Tout. J'ai vu qu'il porte ses papiers sur lui.
- Bien ... Je te remercie.
L'inconnu fit un nouveau signe de la main, et les
deux silhouettes se séparèrent, l'une pour rentrer.
�L'on DANS LE DÉSERT
:;
comme un raL dans le trou d'une masure, l'autre pour
prendre sa course il travers le misérable quartier.
En sc retrouvant non loin de la jolie demeure arabe
où, tout il l'heure, elle avait écouté la conversation des
deux jeunes gens, tout il coup, la silhouette fugitive sursauta en poussant Ull pelit cri.
Débouchant d'une rue, le lieutenant Louis Simon
était devant elle.
- Halllidé! fit-il, surpris. D'où viens-tu donc?
- De cher. moi! fit-elle, très vite. Et toi, d'où vienslu? Tout le jour, je t'ai atlendu cn vain. J'espérais que
tu viendl"Uis celle soirée. Alors, inquiète, impatiente,
je suis sortie pour te chercher ...
Comme elle sc blottissait peureusement contre son
épaule, il gronda, mi-bougon, mi-attendri :
- Bon, bon! lu as cru que je te délaissais, n'est-cc
pas?
II
Lorsque l'automobile quitta les faubourgs de la Ville
Sainte, pour s'élancer vers les plaines de sable, il
était environ deux heures de l'après-midi, et le soleil
dardait de toute sa force, blanclllssant l'horizon.
Les trois occupants de la voilure sc tassaient au milieu de leurs bagages: p,'ovisions, matériel de campement et outillage nécessaire à l'expérience de l'ingénieur. Au volant avait pris pInce, en qualité de chauffeur, Hervé Lalain, un brave petit gars, débrouillard,
que son chef appréciait pour son dévouement et son
initiative. A côté de lui s'amoncelaient les paquets
de toile tandis que sur les coussins de l'arrière, Pierre
ct Louis sc tenaient côte à côte ct se confiaient leurs
impressions.
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L'OR DANS LE DESERT
Lc lieutenant connaissait déjà lc bled, en effet. Soit
en mission, soit en exploration, il avait déjà parcouru
lcs régions cnvironnant Damas, Jémsalclll, Palmyrc,
Jaffa ... ct leurs aspects, leurs populations ne lui étaient
pas tout à fait étrangcrs. Au contrairc, pour Carsis,
débarqué au Liban depuis quclqucs scmaincs, tout était
unc nouvcauté, unc découvcrte ; les décors, les costumes, lcs mœurs, lcs constructions, l'atmosphèrc, Ics
grands espaccs où retcntit, aux soirs, l'alJoicmcnt des
chncals ct l'ombre bleue des marabouts écrasés de
soleil... Encorc la préscnce de son camaraùe de collège,
aujourd'hui lieutenant ù'un bataillon syrien à Damas,
lui avait-clle beuucoup aidé ft prendre contact.
Lcs jardins de Jérusalem et scs antiques bataillons
sncrés s'étaient effacés rapidemcnt dcrrière la voiture.
Cclle-ci, conduite d'une main sôrc par Hcrvé Lalain,
bondissait, pleinc d'entrain, scml>lait-i1, sur ]e sol composé de cailloux et de sablc durci qui permettait dc
rouIcr assez facilement, sans tenir compte, bien cntendu, des cahots. Mais, à mesure qu'on avançait sous
lc ciel implacablc, la chaleur dcvcnait terrible. L'air torride, satlll'é dc fCII, crépitait, brûlant la pcau, aveuglant
Ics rcgards, chauITant la carrosserie de l'auto au point
qu'on pouvait à peine y poser ]a main.
Aux alcntours, de tous côtés, s'ofl'rait une étendue
désertiquc, platc, affrcusemcnt désolée, sans unc tache
v.crle, sans une ombre ni un refugc, Lcs collines jaunes,
afl'I'cuscmcnt chauves, ondulaicnt à peine, Dc loill en
loin, on distinguait seulcmcnt ]a. coupole ronde d'un
marabout délaIné, la cuvc d'ull étang salin serti de
cristaux brillants, ct c'est tout. .. Lc déscrt s'étendait à
pcrte de vue, - lc vrai, l'angoissant et cruel désert
dont parlent les voyageurs et ]cs livres,
lis roulèrent ainsi pendant plllsi~urs hcures, hébétés
par la 1tlIllière ct par la réverbérahon, leur sang beurdonnant dans leurs orcilles,
- Quel paysnge de mortl ne put s'empêcher de mur.
�L'OR DANS LE DÉSERT
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murer Pierre. On ne voit donc jamais de caravane, pal'
ici? Pas même le burnous d'un Bédouin?
- Si, pOl1rtant ... répondit le lieutenant. li y a même
assez fréquemment des troupes de rebelles qui sillonnent ces parages. Ne te plains pas trop de n'en point
rencontrer. Avec ces types-là, on ne sait jamais 1 Mais
tiens ... précisément! regarde là-bas! Celte impel'ceptibIc ligne noire, à l'horizon ... Il me semble bien que c'est,
sinon une caravane, du moins une pelile troupe ...
En cfTc t, pour la premièI'e fois depuis lcur départ,
quelqu e chose d'animé, de mouvant, tranchait l'incandescence bleue de l'horizon. L'officier tira ses jumelles
ct reconnut que c'étaient cinq ou six cavaliers.
- Où vonL-ils? demanda Pierre.
-'- Rejoindre leur khan, probablement... Mais lequel?
J'avoue que , je ne m'y reconnais plus très bien l)ar ici!
L'étape que nous nouS sommes fixée ne doit p us être
très loin, pourtant, cal' le soleil baisse, le crépuscule
est proche ... Hé! hé !... il faudrait voir un peu, ct nOlis
assurer que nous somm es bicn dans la bonne direction!
Diable, ce n'est pas le moment de nous égarer ...
Louis Simon fronça les sourcils ct regarda autour de
lui. Sans vouloir l'avouer, une petite angoisse lui pinçait le cœur: il n'était plus très sûr d'être dans la
bonne voie!
- Mille marabouts! jura-t-il en se redressant. Il faut
échapper il cette torpeUl' paralysante causée par la
chaleur ct le roulement de l'auto, .. C'est ccla, justement,
qui est terrible, et qui a entraîné, déjà, lellement de
catastrophes. Allons! nous nIIons nous diriger vers cc~
cavaliers qu'oll aperçoit là-bas ... J'espère bien qu'ils
accepteront de nOlis renseigner, ct que nous pourron ';,
par eux, nous assurer de nolI'e route!' Holà, Hel'vè ...
Hervé!
,
- Et si ce sont des rebelles? objecla Carsis.
- Tant pis, que vcux-tu ... Certains Ile sc montrent
pas hostiles aux voyageurs, et, d'ailleurs, nous n'avons
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L'OR DANS LE DESERT
pas le choix! Hervé ... Hervé 1... est-cc que tu dors, sacre~
bleu!... Hervé !...
Le petit chauffeur redressa brusquement sa tête qui
s'inclinait vers son volant. 11 ne ùormait pas, au vrai
sens du mot, mais il subissait lui aussi l'influence néfaste du soleil et ùu roulement berceur de l'automobile:
engourdi, hébété, il cédait à Ulle vague somnolence.
- Oui, mon lieutenant. .. mûchonna-t-i1, en appuyant
machinalement sur le frein, ce qui fit patiner la voiture juste an moment où celle-ci traversait le lit caillouteux d'un petit oued desséché.
II y eut une secousse, un craquement qui fit vibrer
toute la carrosserie, puis la voilure effectua une embl.lrdée assez rude avant de s'arrêter.
Cet incident, heureusement sans gravité, avait suffi
il tirer les trois jeunes gens de l'espèce d'hypnose qui
les paralysait. Ils sautèrent sur 10 sol, et se regardèrent
mutuellement avec une muelLe angoisse. Hervé Lalain,
en P:'l'ticulier, écarquillait les yeux comme au sortir
d'uu cauchemar.
- Bon sang! grogna-l-i1, désolé. Qu'est-cc qui m'est
donc arrivé? ... Je ne sais plus où j'en suis ...
Louis savait, pour l'avoir éprouvée lui-même, la péni~
hIc tension nerveuse provoquée pal' la conduite d'une
automobilc à travcrs lcs sabl es hrülants. Il se contenta
de lui frapper sur l'épaule en bougonnant:
- Allons, petit ... Regarde à ta machine, au cas où
il y aurait quelque chose de cassé ... Il ne manqucrait
plus que cela pOUl' arranger la situation !... Moi, je vais
examiner la carte.
Le chauffeur obéit et sc mit en devoir de visiter
l'automobile. Pendant ce temps, Louis Simon sortit la
carte de son étui et la déplia. Pierrc, livré à lui-même,
prit les jumelles de l'officier pour explorer l'horizon.
- Louis! appcla-t-il au bout de quelCJues instants,
cn se retournant vers le lieutenant dont Ic front s'embrunissait Cil étudiant la cartc. Louis, viens donc voir 1...
�L'OR DANS LE DÉSEnT
On dirait que les cavaliers arabes se sont arrêtés ... ·
là-bas... au flanc de cette petite cotline. et qu'ils nous
observent 1
Simon lâcha la carte ct prit les jumelles que lui passait son ami.
- C'est ma foi vrai 1 reconnut-il après avoir fixé le
point indiqué. Ils nOlis observent, ct même avec une
certaine curiosité ... De plus, l'ull d'eux semble, lui aussi,
muni de jumelles!
- Qu'est-cc que cela signifie, selon toi?
- Qu'ils nous portent un intérêt parliculj.eJ', évidemment. Mais pour quelle raison ...
- Alors, qu'allons-nous faire?
Louis hésita. Son inquiétude augmentait à l'approche du soir qui, lit-bas, commençait à rosir l'horizon.
- Ecoute, mon vieux ... prononça-t-il. Il me faut te
l'avouer franchement: nous nous sommes écartés de
lIotre route. Nous avons obliqué heaucoup trop à droite
au lieu de nous rapprocher du .Jourdain, et, à l'heure
actuelle, si nous continuions ainsi, nous nous rapprocherions de Palmyre, ce qui n'est pas du tout notre
objectif. C'est ennuyeux, très ennuyeux, cvidemment ...
car nous sommes menacés de passer la Iluit en plein
désert, loin de toute oasis, de tout refuge! Cependant,
nous ne devons pas nous alroler pour cela ...
- Tu avais parlé, tout à l'heure, de rejoindre ces
cavaliers pour obtenir d'eux des indications? rappelat-il. Pourquoi ne le ferions-nous pas? S'ils regagnent
lin kilall, ils pourraient nous accorder l'hospitalité?
- Hum... oui... ce n'est pas impossible... hésita le
jeune lieutcnant, de plus en plus sombre. Essayons touiours! On verra bien ce qui arrivera ... Sacrebleu, quelle
guigne, tout de même! ... Et toi, Hervé, ça marche, ta
voiture? Rien de cassé? .. .
- nien de cassé, mon lieutenant! répondit le jeune
!tomme, penché sur le moteur. Seulement un peu de
sable que je suis en train d'cnlever.
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L'OR DANS LE DÉSERT
- Ça va. Nous repartons. Mels le cap SUI' ces Bédouins, là-bas!
Ils reprirent place dans leurs baqucls, ct la voiture
démana pour s'élancer à l'assaut de la colline, - minuscule djebel inscrivant sa courbe jaune sur le bleu
rosé du ciel. A la tombée du jour, l'écrasante chalelli'
baissait. L'almosphère devenait supportable et les trois
automobilistes respiraient plus librement.
Mais, en gravissant la colline, ils constatèrent tout
à eoup que les cavaliers, au lieu de les attendre, s'étaient
remis en marche. Soit par indifTérence, soit par
crainte, ils éperonnaient leurs monlures, et dévalaient
l'autre pente avec rapidiLé. A présent, on pouvait les
distin"uer très bien sans l'aide des jumelles.
- fis s'en vont! dit Pierre Car'sis. Est-cc il dire que
nous les efTrayons? Que faut-il penser de leur manœu.v re?
- Je ne sais trop ... fit Simon. Il semble bien qu'ils
préfèrent ne pas nous rencontrer! Continuons quand
même. Nous aurons toujours la ressource de leur prouver que nous sommes animés de sentiml!llts pacifiques.
- A moins qu'ils ne nous attirent dans un guet-apens,
et ne nous accueillent li coups de fusil... émit l'ingénieur à mi-voix.
Louis Simon n'entendit pout-être pas la phrase de
son ami qui se perdit dans le ronflement du moteur.
L'auto filail li bonne allure. Cependant les Bédouins,
de leur côté, accéléraient leur fuite. Avec leurs burnous flottants, ils avaient l'air d'étranges oiseaux volant
au l'as du sol... Progressivement des ombres mauves ct
bleuâtres glissaient du ciel.
- Ils ne semblent pas vouloir se laisser rattraper!
Leurs chevaux mènent un train d'enfer! remarqua l'officier.
Bien que le chauffeur appuyât sur l'accélératcur autapt quc le terra.in le lui permeltait, la distance ne di-
�L'on DANS LE DÉSERT
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minuait guère entre les poursuivants ct les poursuivis,
et la cOllrse continua ... Bientôt, dans la penombre en"ahissante, elle devint hallucinante. Les dunes se succédaient, puis les oueds ct les étangs desséchés, tandis
que le soleil sanglant, uu bord de l'horizon, allumait
un farouche reJ1et d'incendie.
- Sacrebleu! jura de nouveau Simon. Ce sont des
dji.I111S et non pas des hommes que nous pourchassons!
Et ces muudils vont nous égarer tout à fait... M:üs,
tiens 1. .. qu'est-cc que c'est que ça?
Son attention venait, en effet, d'être attirée par une
grosse silhouette, sombre, massive, aux contours déchiquetés, qui surgissait tout à coup du repli d'une dune.
L'auto piquant droit dans cette direction, les trois
jeunes gens la virent grossir, s'affirmer, ùessinant SOI1
él)aisseur noire sur le feu du couchant.
- Une tour? demanda l'ingénieur, surpris.
- Ah! s'écria Hervé Lalain. Je la recollnais ... Je
suis venu ici, un jour, en cOllduis~nt le colonel... C'est
bien une tour ... On l'appelle le Chtlteau de l'Inquiétude ...
- Appella tion assez peu rassurante, en tout cas!
murmura Pierre Carsis.
La tour se rapprochait, découvrant ses ruincs, et
les automobiles purent voir qu'il s:;tgissait des antiques
vestiges de l'une de ces constructions datant de l'époque des Croisades, comme il Cil existe en Palestine et
surtout au Liban. Vivement, ils descendirent, et regardèrent passionnément, scrutant les alentours.
Lcs cavaliers fantômes avaient complètement disparu. Tels des djinns, en effet, ils s'etaient diaboliquement évanouis dans les ombres du soir. Seule, en face
de leur désarroi, se ùressait la tour millénaire, érigeant
ses énormes murailles noires et rongées, pleines de cre"asses, et dont le sommet, découpé sur le couchant,
donnait l'impression de flamber comme une monstrueuse torche.
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L'OR DANS LE DÉSERT
Le Châleau de l'Inquiélude ... répéla machinalement Louis Simon. Si c'est cela qui nous attend pOlll"
y vasser la DUit?.
III
Durant quelques mInutes, ils demeurèrent indécis,
oppressés,. tout il la fois attirés par cette vieille tour
et retenus par une instinctive défiance. Au seuil de cette
construction énigmatique, à laquelle les feux du couchant conlribuaient à donner une apparence spectrale,
tanùis que, tout autour, s'étendait le désert menaçant,
une inexprimable sensation de solitude pesait sur leurs
âmes et glissait un petit frisson froid entre leurs
épaules.
- Allons, dit Simon, rompant brusquement le silence
lourd. Allons, mes amis, remuons-nous un peu! Si nous
passons la nuit ici, il faut nous installer, dresser notre
campement.
- Oui, acqlli~sça l'ingénieur en passant sa ma!u sur
ses yeux fatIgues. Montons la tente ... .Je ne VOlS pas
trop à quèl autre endroit nous pourrions camper.
- Il serait peut-être bon de visiLer ce tas de moellons avant de nous installer, proposa Hervé Lalain. Si
vous m'en croyez, mon lieutenant, assurons-nous de cc
qu'il peut y avoir là deùans.
- Que veux-lu qu'il y ait? demanda son chef en
souriant.
- .Je n'en sàis( rien, mais dans ce maudit bled il
faut se méfier. D autant plus que les Bicols que nous
avons Ronrsuivis ont disparu comme par enchantement.
Ils s avancèrent vers cc qui restait du puissant château forL des Croisés: la base d'une énonue tour dont
les murailles, selon le mode de construction de l'époque
mesuraient bien deux à trois mètres d'épaisseur.
'
�L'OR DANS LE DÉSERT
13
Aux abords immédiats des pierres s'cntassaient,
Qhaotiques, en un formidable éboulement, quelquesunes déjà recouvertes par les sables.
En mesurant du regard l'ép aisseur de ces murailles,
Carosis calcula qu'elles s'élevaient cncorc à une dizaine
de mètres. Çll et là, dans leur masse lépreuse, on apercevnit des ouvertures : longues fenêtres, mcurtri ères
étroites, les unes très noires indiquant qu'il subsistai t
des salles, les autres découpées il jour SUl' le ciel. NOI\1breuses étaient les crevasses, les Hssurcs, et, pnrîois,
s'en éclwppaiL le vol sombre d'ull oisenu ...
- Voici ulle portc ! annonça Hervé qui marchait ell
avnn t.
Ils arrivaient, en effet, devant ulle ouverture où se
dessinait un vcsligc d'arcade au fronton arraché. Allumant sa lampe électrique, Louis SilIJOll s'y engagea.
Dcvant lui s'offrit \111 nouveau chaos de décombres baignées dc ténèbres. Eboulements, crcvasses, panl; de
murs détruits par lc tcmps et par les invasions. On
pouvait encore deviner la ligne d'un couloir, le pourtour dc quelques salles.
- Attention il vos pas! cria Pierre Car sis qui, lui
aussi, avait allumé sa lampe et promcnait lc jet lumineux sur le sol. Les trous nc manquent pas par ici!
EIl'eclivement, des orifices noirs béaient, çà et là,
parmi les entassements, ct il ne fallaH pas risquer d'y
tomber. l\.farcbant avec "précautions, lcs trois jcunes
gcns eurent bientôt fait fe tour du rez-de-chaussée, ct
purcnt constater qu'il ne s'y cachait ricn d'in solite,
- sanf quclques osscments blanchis, trainés probablement par les chacals.
- NOliS pourrions nous installer là, dans cclle salle
qui se trouve près de la porte, proposa l'officier. Elle
nous offre un abri qui nous dispcnscra de monter la
tente. Nous pourrons y étendre nos sacs de cOllchage
et y dormil' assez paisiblement en prenant la garde Ï!
tour de rôle,
�14
L'OR DANS LE DÉSERT
- Ma foi oui, acquicsça Carsis.
Il fut interrompu par la voix d'Hervé qui criait :
- Nous n'avons pas tout vu 1 Il Y a un escalicr, et
un choucHe!
Dans un rcnfoncement très sombre, sa lampe découvrait une porte étroite donnant accès à des marches de
pierre. C'était un de ces curi eux escaliers en spirale,
vissés dans l'intérieur des murs, passages secrets qui
font la joie des archéologues et des amaleurs.
Malgré la raideur de l'escalier en colimaçon, il:; par- '
vi.nrent sans encombre à l'étage, et le même spectacle
qu'au rez-dc-chaussée s'ofTrit il leurs yeux. Murs éboulés, cntassemcnts de moellons, contours de porles et de
cheminées, dallages éventrés ... Aux endroits où les plafonds n'existaient plus, ils apercevaient, au-dessus de
leurs têtes, le ciel de velours indigo olt mourai ent les
derniers rayons, olt naissaient les premières étoiles.
- Redescendons, il présent! dit Simon. Puisqu e nous
sommes sùrs que la tour est déser le. S'il le faut, demain, au grand jour, nous l a visilerons une seconde
foi s avant de r epar lir.
- J'ai l'eslomac dans mes godillots! affirma 1'01'donnallce en se dil'igeant vers l'escalier.
,
Mais Lout il coup, leur attention fut attirée par une
étrange vibration qui se fit sentir autour d'eux, paraissant venir des pierres.
- Ah ! fit Cal'sÎs en s'arrêtant brusquement. Qu'estcc donc? Ne scntez-vous pas'?
Ses deux compagnons s'étaient immobilisés aussi, interdits, ]a bouche oUverte. La vibration, assez faible
tout d'abord, augmentait. Maintenant, ils avaienl la
sensation très neUe que la tour tremblait Slll' sa base.
Cela venait de partout ù la fois, du plafond, des parois,
du dallage. Un f"issOll glissait SOllS leurs pieds, les
envcloppait, passait au-dessus de leurs têtes. Et depuis
quelques second.cs U S ' :c'\~ompagnait d'un bruit singu-
�L'OR DANS LE DÉSERT
1.)
lier, sourd, lointain, imprécis sans doute mais d'une
effrayante intensité ...
Cc bruit, cetle vibration sc coulai ent jusqu'aux fibres
des trois jeunes gens, irritant leurs nerfs, bourdonnant à leurs tempes. Un ' effroi bizarre, inconnu, le!>
étreignait.
Très pâles, les mains froides, plantés dans celte tour
où ln nuit accumulait ses ombres menaçantes, ils sc
rapprochèrent instinctivement les uns des autres.
C'es t lin tremlJlement de terre! souffla Louis Carsis.
- Oui, répondit tout bas l'officier.
Il y eut IIne nouvelle vibration, plus forte, plus nette
qlle la précédente et, celte fois, une exclamation Jeur
échappa tant était poignante cette sensation du sel
qui fuit sous les pieds, qui cède et va s'entr'om'rir. Le
bruit, également, sc fit plus perceptible, !p'ondant
COlllllle un étrange roulement de tonnene souterrain.
Hécllelllent, les vieilles mUl'ailles du Château de l'Inqlliétude oscillaient, comme prises de pelll'. Des piel'J'(:';
s'entre-choquèrent. D'autres mal équilibrées, se détachèrent ct s'effondrèrent avec fracas.
- Ça va nOlis tomber dessus! cria Hervé Lalain. Faut
descendre, 1110n lieutenant! Ne restons pas là!
Un nouveau bruit, très fort, très proche, vint confirmer ses paroles. Avec un roulement d'avalanche, tOllt
un pan de mur s'abattit, et la secousse provoquée par
le déplacement des pierres fut '!Si violente que tous les
trois se Irouvèl'ent projetés sur le sol.
Alors un cri perça les ténèbres. En tombant, Pierre
Carsis avait glissé sur le bord d'une crevasse Ollvcrte
dans le dallage. C'est en vain qu'il tenta de sc raccrocher. Ses amis, désespél'és, le virent disparaître, entraînant des débris, et le bruit de sa chute retentit a~
dessous d'eux.
- Pierre! Pierrel hurla le lieutenant désolé.
�16
L'on DANS LE J)l~SEnl'
Comme lin fOll, il se releva, eL suivi d'Hervé Lalain,
dévala l'escalier en colimaçon.
En arrivanl l'Il bas, lIne sensation glacée les saisit.
Plus un bruit. L'élranl?e séisme avait pris fin. La vibralion, le gl'Oll!lelllent s'el::Iicnl tus. De 1I0U veau, régnaient
le grand silence ct l'immense iinmobililé <lu désert ..
- Piel'l'e 1 Pierre 1 appela l'ofllciel' une seconde fois.
Une voix éLouffée lui répondit venanL de l'ombre.
Braquant sa lampe, il sc précipita.
Le pauvre garç'on gisait sm le sol, au milieu du
ll,'fmceau de décomhres dont il s'efforça iL tic se dé;.:ager.
ImmédiatemenL, Simon et Lalain se porlèrent à son
secours.
- Es-In blessé? demanda Louis avidement, en l'aidant il se soulever.
- Je ne crois pas 1 répondit le jeune homllle qui se
reprenait peu à peu. Quelques éCOl'chllres sans doule,
mais cela ne doit pas êlre grave ...
L'officier l'examina soigneusement ct découvrit que
Carsis portait, en cITe t, des conLusions un peu parLout
ainsi qu'Ull trOll asse:!. profond au-dessus du front, sa
tête ayrJl't porlé contre une pierre aiguë. Lalaill courul vers l'automobile, rapporta la boite .de pharmacie,
ct le hlessé fut rapidement pansé.
- Oufl dit Louis Simon. Nous en sommes quiltes
li bon compLe ... Quel sale 1110111ent nOllS venons de passer dans ce bien nomlllé Châteall de l'Inquiétude!
- Bien nommé, cerLes 1 111urmura l'ingén ieUl·. Dire
qu'il a fallu qu'un trel'tlblement de terre, chose assez
rare, se produise juste au moment de notre visite!
- Est-ce bien un tremblel1lent de Lerre?
- Que veux-Lu que ce soit?
- Dame, je ne sais pas! Un maléfice des djinn,
peut-êLre dont nous avons violé ]e refuge en pénétranL
dans la tour! blagua l'officiel' qui éprouvait le besoin
!le se détendre par la gaîté. Tant pls! nous allons y
coucher tout de même, car nOlis ne !)OllVOIlS vraiment
�J/on
DANS LE DÉS ElU'
17
pas nous avenltll'cl' plus loin en plcinc nuit.., HcnTé,
va (;hcl'e11er les provisions de notre dîner,
L'ordonnance obéit, mit le moteur en marche ct rapprocha l'uuto de l'entrée de la tour, Puis il déballa les
vicluailles, ct tons trois, assis sur les pierrcs du seuil,
conteillplant l'iJllmensllé du ciel éloilé, attaquèrent
Jeur rcpas. Ils ::l \'aienl grand faim, même Carsis, car la
fatigue ct les cllIotions avaient cl'cusé leur appétit.
Après avoir bu du café froid ct fumé une cigarette,
jls ctendirent les coucheUes tIc campement aussi conîortablement que possible, ù l'abri, daus la prcmière
satie. Puis J'oflicier ct l'ingénieur sc roulèrent dans
leurs couverturcs pendant que le jeune chaulreur, le
preJ1lier, montait la garde.
Bientôt leurs ronflements appl'irent à Hervé que ses
deux compagnons av:üelll cédé au sommeil.
IV
Pierre Carsis <lol'mit loul d'abord cOll1me une massc,
anéanti pur Je besoin de repos, Puis, vers les deux tiers
dc la nuit envirOIl, il commença à sc lourner, à sc re10Ul' I1er entre ses couvel'turcs comme si ulle sourde
fièvre l'agitait. La douleur de sa hlessure à la têle le
réveillai 1 peu à pell, tandis que l'angoisse ù'uu cauche111ar étreignait sa poitrine.
Dans son rêve pénible, il percevait ùes bruits singuliers, c1es glissements parmi les pierres comme si des
serpents sc f:lllfilnient ~I lrav.ers ~a ~alle ])Olll' ven~r vel'S
lui... Celte tour se peuplaIt d anlll1allX falllasllques, ..
hyènes aux pas souples, chacals rôdeurs, s'apprêtant
il alLaqucr PiclTe ct ses compagnons .. , Il y avait aussi
de monstrueuses chauves-souris, immenscs, avec des
�18
L'OR DANS LE DÉSERT
têt es humain es cL d'incroyables ailcs blanches qui Ilot~
taient au-dessus du blessé ...
Peu à peu les bruiLs s'ampiifièrent, rauquements, cris
sourds ... A lm mOll1ent donné, quelque chose éclata si
violemment dans ln sonorité de ln snlle, que Pit!l'l'C tre ~
saillit des pieds à la tète, en croyant entendre un coup
de feu, et vouluL se relcver.
- Louis! Hcrvé! appcla-l-il insLinctivement cn sc
fl'ottnnt les yeux ct en sc meLtnnt sur son séant.
Mais cc fut nI ors, vraiment, qbe le cauch cma r commença. Les bruHs étranges ne cessèrent pas, au contraire. Réveillé, Pierre entendait nettement des pas pré~
cipilés, des chocs contre les mUl'ailles, des souffles
rauques, des appels entrecoupés ...
Que se passait-il donc autour de lui? Ecarquillant
les yeux, il essaya de scruLer les Lénèbres épaisses, ct
finit par distinguer des masses noires, des formes mouvantes, se démenant comme des fnnLômes diaboliques.
ELaient-ce les djinns des légendes nrabes? Ou bien les
hyènes ct les chacals de son hallucinaLion?
Et tout à coup, zébrant ceLte vision cinématique, fu sa
un éclair bref, immédiatemcnt suivi d'un nouvel éclntement qlle Pierre reconnut bien celle fois: la détonation d'un revolver! Puis des voix étoufIées, des râles ...
Les cheveux do J'ingénieur se dressèrent sur sa tète.
Des hommes étaient là. On sc battait dans l'obscl1l'ité
de la tour!
Son snllg se glaça dans ses veines en comprenant que
sr. compagnons ven~lÎent d'être attaqués, - probable.
m&nt par lIne bande de rôdeurs du désert!
- Simon? .. Lalajn'7 ... Où êtes-vous? ... Répondez! ...
cri a-t-il de toutes ses fOI'ces cn mellant un genou Cil
terre, et en tirant son propre revolvel"
Mais il n'cut pus le temps de sc servir de son armc.
Son appel, décclant sa présence, attirait sur lui l'attention des agresseurs. Au moment où il cherchait à viser
l'nne des silhouettes mouvantes, une ombre bondit sur
�L'on t.>ANS LE DÉSEl\T
10
lui, le renversa brutalement en arrière et le roula sur
le sol. En un clin d'œil il se sentit ficelé solidemcnt,
empaquclé dans une couvcrturc. Des mains lc saisirent
ct l'emportèrent. Des pas précipités sortirent de la
tour ...
Un galop de chevaux décroissant sur lc sablc durci,
puis, de nouveau, le silencc!
De longues minutes s'écoulèrent. Dans l'encadrement
de la porte en ruines, le ciel blanchissait légèrement il
l'horizon, annonçant l'aurore ...
Cependant, l'énorme calme qui baignait le Château
de l'Ill quiétude, fut, encore une fois, troublé par un
grattement sourd. Dans lc recoin le plus obscur, quelque chosc bougeait derrière un amoncellement de débris. Lentem ent, avec difficultés, une forme humaine
se souleva, avança la tête ct jeta un coup d'œil scrutateur.
nassuré en constatant que la salle était déserte, Hervé
Lalain sc mit debout tout en se tâtant;
- Bon sang! grommelait-il lout bas. Mes bras ct
jambes ne sont pas cassés, mais ça me brflle joliment à
]a hanche! Et je sens que ça coule, poissé ct chaud,
SUI' ma peau ... Si cc n'est pas une ballc, c'est Sllrement
un coup de poignal·d ... Enfin, pllisquc jc IlC suis pas
mort, y a ùu bon! Heureuscment que ccs maudits Bicots
ne sont pas venus me rcluncer jusque ùerrière cc tas
<.le moellons où jc me suis écroulé ... Ils ont certainement cru m'avoir envoyé retrouvel' Mahomet, car j'ai
dû pcrdre connaissance et c'est ce qui m'a sauvé! Mais
les autres ... mon lieutenant et M. Carsis? où sont-ils
donc? Pourvu que les bandits ne les aient pas massacrés?
Pris d'une atrocc angoisse, oubliant sa hlessure, Hcrvé
regardait de tous côtés, sans parvenir à ricn découvrir. Pourtant, les premières lueurs frêles de l'aube
(ollvahissaicnt l'horizon, rosissaient lcs sables, et pénétraient dans la ~ourl .vaguement se dessinaient les dç-
�20
L'on DANS LE DÉSETIT
combres entassés. Tout en boitant, l'ordonnance explol'3 la salle, retrouva les sacs de couchage piétinés,
bouleversés, mais nulle trace de ses compagnons.
De plus en plus anxieux, il s'aventura dans le couloir et, tout ù coup, ù l'entrée d'une autre salle, il poussa
une exclamation douloureuse. A ses pieds, inerte cOlllme
un cadavre, Louis Simon était étendu.
- Mon lieutenant! Mon lieutenanll balbutia le pauvre garçon ... Ils l'ont tué! Ils l'ont tué 1. .. Les misél'ables!
Fou de chagrin, il saisit Je corps inanimé, le prit
dans ses bras et l'emporIa HU dehors en trébuchant.
Les rayons grandissants de l'aube éclairèrent le visage
livide de l'oflicler, et son dolman qui portait, ù l'épaule,
une large tache de sang.
- Blessé, mais pas mort! Non, il respire encore!
cria Hervé. Il y a de l'espoir ... Si je pouvaIs Je soigner!
JI se rappela que Ja boite de pharma,e ie était restée
dans la tolU' après qu'oll cul pansé Pierre Carsis et
<..-,:>urut :'t sa reeherche. Par bonheur, il la découvrit dans
lin coin, ùemeurée inaperçue des mystérieux agresseurs qui, d'ailleurs, étaient tout occupés d'autre chose.
En hâle, il la l'appol'ta et s'appliqua à ranimer son
lieutenant en le frictionnant vigoureusement et en introduisant quelques goulLes de corùial entre ses lèvres.
Au bout de quelques minutes, il tressaillit de joie: lin
peu de rose revenait aux joues du blessé, sa respiration
s'uccentuuil. Il frissonna, ses paupières battirent, puis,
tlouccJll('nl, il ollvril lcs yeux.
- Je suis la, m011 lieutenant! lui dit Lalain, radieux.
Vous :1Vez tlne égratignure à l'épaule, mais je crois hien
que ce n'est pas grave. Ne vous fatiguez pas! Je vais
VOIlS panser ...
Louis reprenait progressivement ses sens. Il fit un
fI'ort pour se soulever el regaJ'(la aulOlu' d'eux:
- Tu es seul'? illterrogea-t-i!. Où est Pierre?
- Je ne snis pas, mon lieutenant, répondit l'ordon.
�21
L'on DANS LE DÉSERT
n3nce qui le mit au courant de ce qui s'était passé: son
évanouissement, puis ses recherches anxicuses.
Louis Simon passa sa main sur son front cn soupirant avec accablement:
- S'il était quelque part, ùans la tour, tu l'aurais
vu certainement... Alors, ccs bandits l'ont-ils achevé ct
jcté dans un trOll ? .. Ou bien l'ont-ils emlUené avec eux?
- Je croirais plutôt qu'ils l'ont emmené, mon licutenant. Au momcnt où je me suis afl'alé, étourdi, SUl'
mon las de cailloux, je crois bien avoir vu qu'ils transporlaient quelque chose ... Oui, maintenant, ça me revient...
- Plaisc au ciel que ce soit vrai! murmura Louis
CUI', en ce cas, il n'est peut-être pas mort, et nous au~
rions des chances de le retrouver!
- Oui, mais où le chercher? De quel côlé nOllS
orienter? fit l'ordonnance en fixant instinctivement
l'immense élendue des sables que le soleil achevait
d'illuminer. '
- Essayons de le savoir! fit Simon en se redressant
courageuscment, galvanisé par la pcnsée de son pauvre camarade. Ces hommes avaient des chevaux: j'ai
entendu leurs hcnnissements pendant CJ.uc je montais
la garde, et c'est au moment où je me SUIS avancé pOUl'
voir ce qui arrivait qu'ils m'ont assailli ... Peut-être le
})assage de leur troupe a-t-il laissé des traces'l Mais ...
- s'interrompit-il en s'apercevant que le chauffeur
devenait très pâlc, - qu'as-tu donc? Tu es hlessé aussi,
Hervé? Tu as du sang, là, au côté droit ...
, - Ce n'est rien ... murmura Laluill qui se laissa aile!'
en arrière, sur le sable, épuisé pm' les efforts qu'il avait
fournis.
- Je l'espère, mais il faut voir ça quand même, dit
Simon qui l'examina à son tour et découvrit la blessure qu'il portait à la hanche, blessure produite celle
fois par lIne balle qui avait labouré les chairs.
- Décidément, pas un de nous trois n'a Cl! la chance
r.
, y
�22
L'OR DANS LE DÉSERT
d'être inùemne! grogna-t-il en proùiguant immédiatement ses soins à l'ordonnance. Pour nous deux ce sera
peu de chose, en effet. Mais Pierre? Est-il gravement
atteint? Et où l'ont-ils emporté? Quel sort vont-ils lui
réserver? Ah! il faut que nous nous lancions immédiatement à sa recherche! Si tu ne souJrres pas trop, Hervé,
nous allons partir aussitôt après avoir pris quelque
nourri ture.
- Je crois que ça ira, mon Jieutenant! affirma le
jeune homme qui se reprenait après cette défaillance.
Oui, partons tout de suite 1... à la condition que les
Bicots n'aient pas saboté l'automobile!
- Sacrebleu! tu as raison. Pourvu que ...
Saisis d'une nouvelle inquiétude, ils se pré'cipitèrent
vers l'auto que Lalain avait garée dans un renfoncemcnt ménagé cntre deux éboulements. Mais ils poussèrent un soupir de soulagement aussitôt que le moteur fut mis en marche ... Les assaillants n'avaient sans
doute pas eu le loisir de se livrer à un sabotage! En
revanche, ils constatèrent que quelques-uns de leurs
bagages avaient disparu!
- Misère! s'écria Louis. Ils ont dérobé, le paquet
contenant lcs instruments de Louis pour ses travaux!
Ah! ça, par exemple, c'est assez singulier.
Au même moment, son attention fut détournée par la
voix de l'ordonnance:
- Des traces, mon lieutenant! Les pas des chevaux!
Voyez ... Ils se dirigent vers l'Est ...
- Oui! dit Simon en accourant vcrs lui. Le sol est
moins dur par ici, et on les voit assez distinctement.
P'lrlons! Nous mangerons dans l'automobile, à tour de
rôle. Je vais prendre le volant le premier ...
Ils revinrent vers la machine dont le moleur ronfla
de nouveau ct qui, bientôt, reprit sa course à travers
les subl?$ dans la SlJlendide clarté de l'aurore.
�L'OR DANS LE DÉSERT
23
v
De nouveau, sous les roues ùe la voilure, fila l'immense étendue de sable cllaud, semée çà et là de cailloux, ici soulevée par une colline, plus loin creusée
})al' un ravin, par un élang de sel. .. Le désert sc faisait plus âpre encore, plus désolé semblait-il. Penché
sur son volant, oubliant sa blessure, Louis Simon appuyait sans cesse sur l'accélérateur, harcelé par le déSil' ùe rattraper les ravisseurs de Pierre Carsis et par
l'affreuse question qui se posait sans cesse à son esprit: «Le retrouverons-nous? Et si oui, sera-t-il encore vivant? :.
A côté de lui, grignotant quelques provisions, l'ordonnance sc penchait également, fouillant ùes yeux le
sol où se dessinaient, toutes fraiches, les tl"aces d'un
petit groupe de cavaliers. Parfois, lorsque le ten'ain
devenait plus caillouteux, il fallait ralentir, chercher ...
Puis, les empreintes reparaissant lll1 peu plus loin,
l'auto pouvaiL reprendre un peu de vitesse autant, toutefois, que le lui permettait le patinage des pneus.
Dans la chaleur épouvantable, cette randonll('e devenait une véritable course il la mort. Çà el là, on apercevait des squelettes d'animaux, amas d'ossements
blanchis, puis des boîtes d~ conserves, de vieux bidons, des pneus abandonnes par des automobil istes
militaires ou des voyageurs ... Une masure en ruines,
lin khan il l'horizon, puis des marcs de sel brillantes
de cristaux ...
- Dire que nous ne pouv?ns pas aller plus yHe!
grognait Simoll. Hervé.,. Herve .. , Les traces? Où est la
piste?
Un iUl'on de dépit échappa au chaufTeur. Les empl'cinlcs n'étaicnt plus visibles, Cil cfTc t, car la voie
�L'on
DANS LE DnSEHT
sc pavait de grosses pierres. L'automobile stoppa. Ils
sautèrent à terre et regardèrent de tous cùlés. Mais,
cette fois, il n'y avait plus rien ... Nulle part, les traces
ne reparaissaient!
Atterrés, les deux jeunes gens se regardèrent, muets,
les dents serrées. Ils n'avaient pas besoin de paroles
pOUl' exprimer l'âpre désolation, l'extrême découragcment qui les accablaient. Seuls, égarés au milieu uu
désert en feu, sans un secours, sans un point de repère,
il leur devcnait impossiblc, dorénavant, d'cspérer retrouver lcur infortuné compagnon. lis eomprcnaient
fort bien qu'ils roulcraient vainement, s'égarant dc plus
en plus, jusqu'au moment où ils suecomberaicnt dc fa[igue ct d'insolation.
Tout il coup IIervé sursauta. La mêmc vibration, accompagnée d'un roulemcnt souterrain, qu'ils avaicnt
perçue dans lc Château de l'Inquiétllde, se faisait scnIiI'. Sous lcurs pieds lc sol tremblait, .comme prêt ù
~;'cntr'ouvril', tandis qu'un grondement formidablc éclalait au lointain.
- Mais ce n'cst pas un tremblement de tCITC, ça?...
clama Simon en sc relev::mt d'uu saut. Non, c'est tout
:lutre chose, c'est une explosion!
- Une explosion? interrogea l'ordonnance.
- Oui... Et même une succession d'explosions ...
Ecoute bien! Les chocs se succèdenl el les vibrations
!}c prolongcnt... On défoncc le sol, là-bas, sur notre
droite ... 11 faut aller voir. Viens! Nous LI Ollvcrons lù,
pcut-êtrc, du SCCOUl's!
Sans donner à Hcrvé le tcm ps ùc ùissiper sa surprise, il remonla dans l'auto qu'il rcmit en marche dans
la dircetion indiquée. Cette fois, le tcr1'ain lrès ferme
lcur permcttait de rouler rapidement. Les flaques salées étaient plus fréquentes. Des marabouts en ruines,
aussi, sc montraient.
Or, tout à coup, en arrivant cn face d'un dc ces ma~
rahouts, Hervé poussa un cri :
�L'OR DANS LE DÉSERT
25
Des chevaux, là ... Et des hommes! Attention, mOIl
lieutenant! Ils nous ont vu venir!
Louis donna Ull si hrusque coup de frein que les
roues dérapèrent. Au même moment, deux coups de feu
daquèrent, partant des ruines. Prompt à Ja riposte,
Hervé saisit l'un des fusils déposés dans le fonti de
l'auto et tira. De nouveaux projectiles lui répondirent.
La situation était critique, car les balles sifflaient à
Jeurs oreilles ct ricochaient sur l'auto.
- J'ai une idée, mon lieutenant! cria Hervé. Continuez à tirer pour attirer leur ullenlion. Moi, je vais
opérer un mouvement tournant.
Il sc glissa hors de l'auto et, en rampant, réussit à se
faufiler vers le flanc des ruines. Ul, dissimulé Lant bien
que mal, il ouvrit une nouvelle fusillade.
Celle fois, des cris sc firent entendre, annonçant que
SOI1 LiI' était juste. Pris de panique, trois burnous sc
précipitèrent vers leurs chevaux. Deux d'entre eux parvinrent à sauler en selle et à s'enfuir sous les haUes
.Ie Louis Simon. Mais Ic troisième Arabe n'alla pas loin.
Hervé le vit chanceler ct rouler an bas de SOI1 cheval
<lui poursuivit seul sa course échevelée.
Les deux jeul1es gens, victorieux, coururent vers le
marabout où leur qtlatrièmc agI'esseur gisait, mortellement alleinl. lITais, hélas 1 ils ne trouvèrent nulle trace
de Pierre Cm·sis ... Ce que voyant, ils revinrcnt vers
l'Arabe lombé de cheval.
Alors tout à coup, cn sc penchant sur la silhouette
rùlunLe,' en soulevant. le IOJl~ hallllJl arn . qui l'e!lveJoppail, couvrant à demI son VIsage, 1 of~cler dcvlllt lres
pâle el laissa échapper unc exclamatIOn de stupcur :
- Humidé!
IIamidé, la jolic Juive arabe qu'il avait connuc durant son congé à .Jérusalem ~uprè~ d.e Picrre .t:l1·si~!
la ravissante jeune femme qm sc dlsalt ~on amlC, pretenùait lui vouer lin pur amour ct devellu' sa fiancée l...
�26
L'OR DANS LE DÉSEnT
En entendant son nom, ellc ouvrit les yeux, sa main
tremblante se tendit vers l'officier:
- Toi... Louis! Pardon ... Pardonne, car je vais mourir!
- Ah! fit-il ulcéré en s'agcnouillant près du corps
gracieux. Comment se falt-il donc que Je te découvre
ici, en plein blcd, en compagnie de bandits? Quel rôle
perfide as-tu donc joué? Tu m'as trompé ... Tu m'espiollnais, I-lamidé?
- Oui ... râla-t-elle. Pardonne ... Ce n'cst pas toi quc
j'espionnais, mais lui ... tOIl camarade! ·Nous voulions
ses papiers, son secret pour extraire les richesses de
l'Elang de Scl... Il a refusé de nous: les vendre ... Alors ...
- Tes complices et loi avez essayé de les lui dérober! acheva l'officier. Je comprends tout, maintenant.
Pierre Cal'sis étail suivi, épié ... ct ~)Ollr arriver jusqu'à
lui tu t'es servi de moi! Tu as joue la comédie! Ainsi.,
l'autre nuit, quand je t'ai rencontrée ...
- Pardon! supplia-t-eIlc encore. J'ai espionné, oui,
mais loi. .. toi, jc t'aimais vraimenL!
- Tu m'aimais? Et tu n'as pas craint dc tc jetcr à
notre poursuite avec des brigands Bédouins? Tu n'as
pas craint d'être avec cux l]lland ils nous ont assaillis,
'd ans le Château de {' 1nqllléllldc!Car c'était toi, j'cn
suis sûr, avec ta bande! Et c'est vous qui avez enlcvé
Piene? Ab 1 parle! Où est-il? Où l'avez-vous emmené?
- Là-bas ... aux chanticrs ... sur lcs bords dc la Mer
Salée ... Nous avions des ordres, et j'ai dû obéir 1
- Les chanticrs? Des ordres? ... On a donc commcncé à travaillcr là-bas? Qui cela? Qui t'a donné ùes
ordres?
Un spasmc la parcourut des pieds il la tête. Son délicicl1x visage pnt une a(f,'cllse expression d'angoisse,
et sa main sc crispa douloureusement sur cclle de l'officier tandis qu'un filet de sang coulait de ses lèvres:
Nc maudis pas Hamidé, toi que j'aimais ... Je m'en
:vals, Louis ... :o"!dieLl ...
�L'OR DANS LE DÊSERT
2"
"
Quelques râles, puis ce fut tout. Le corps se roidit. L~
tête adoral.Jle se renversa en arrière.
Bouleversé, les yeux pleins de larmes, malgré lui,
Louis Simon se pencha et déposa sur le front qui se
glaçnit un suprême baiser de pardon et de paix.
VI
Lorsqu'ils eurent creusé un troll dans le sable, à l'abri
du maral.Jout, et roulé une grosse pierre SUl' la tombe de
Hamidé, Louis Simon et SOIl ordonnance remontèrent
en hâte dans l'automobile.
- Vers la Mer Morte! ordonna l'officier. Pierre est
là-bas... Puissions-nous ne pas arri ver trop tard!
Une fois de plus, l'auto pat·tit, mais à présent leur
randonnée s'annonçait plus facile. La piste conduisant
à l'Elang ùe Sel était nette, durcie par de récents passages, De temps il autre, des bruits sourds les guidaient.
Au bout d'unc hcure il peine, ils aperçurent devant eux
une vaste éLendue liquide, bordée de rochers arides,
tonte scintillante dans la féerie ùe la lumière.
La fameuse Iller inLérieure de Palestine, que les anciens appelaient le Lac .4.sphallite, étendnit sa cuve
d'eau, salée, longue ,de ~cixante-~ei,ze IdJ,olOèlre.s et ]~rge
lie (hx-sept. Au lomtam, on dIsL1I1guaIt mISSI la lIgne
verdâtre du Jourdain, sinuant parmi les sables jaunes.
Et, il lllCSI\I'C ([n'ils aval1çai~~t, une , vision fan!astique
sc précisa il lcurs ycux: VISI~))}, qLII rappela a Louis
Simon les récits des vieIlles ecntures : la destruction
de Sodome ct Gomorrhe, l'écroulement de la ville aux
cent palais, tandis que montait l'eau noire du fleuve
parmi des panaches de vapeur, submergeant tout, étalant férocement son énorme nappe de sel ...
SUl' leur gauche, là-bas, lin travail gigantesque s'accomplissait. Les jeunes gens distinguaient des équipes
�28
L'on DANS LE DU:SEHT
d'hommes armés oe pics et de pioches parmi oes 1>locs
de pierre. La falaise, attaquée par' la minc, montrait
une formidable excavation, laquelle creus:üt la rive
cOnJme l'ouverture d'un canal.
- Mon Dieu, mUI'H1ll1'a l'offlcier désolé. Ce qne
Pierre avait voulu éviLer, d'autres n'ont pas craint de
l'en treprendre ...
n arrêta l'auto sur le rivage, ct, aussitôt, ils aperçurent nl1 petit groupe de tcntes, dressées au long d'une
muraille rocheuse.
- Nous ferions mieux de ne point trop nous monll'cr
et de pousser la voiture plus loin! objecta prudemment Hervé. Si les Bicots nous aperçoivent, ils vont
nous tomber dessus ...
- C'est juste, reconnut Louis.
Mais ils n"eurent pas le loisir de reprendl'e place
dans les baquels. Cinq ou six Arabes, brusquement surgis, se précipitaient sm eux. Vivement ils tirèrent leUl's
revolvers, avec l'intention de vendre chèrement leur
vie.
,
Ce fut Je signal d'un corps ft corps terrible. Malheul'euscment, en raison du nombre !les adversaires, l'issue n'en était pas douteuse. Au bout de quelques mimItes de bataille acharnée, les Arabes s'affirmèrent victorieux. Désarmés, solidement ligotés, les malheureux
jeunes gens, à moiLié assommés, sentirent vaguement
qu'on les emportait. Leurs vainqueurs s'achemjnèrent
vers une excavation naturelle de la falaise, sorte de
grolle somhre et assez vaste, et les déposèrent rudement sur le sol.
- Celle fois, nous sommes bien fichus! murmura
Hervé Lulain en voyant les burnous disparaître à l'entrée lumineuse de lellr prison. Eh! mon lieutenant...
Mais, :>'1 lieu de la voix de Louis Simon, ce fut un
aulre til;;'\)re, inattendu, stupéfiant, qui lui répondit,
venant du tr~fonds obscur de la grotte .;.
�L'on DANS LE DÉSEll'i'
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- Lulain? C'est toi? ... Et Louis? .. Vous êtes là tous
deux? ..
- PieHe!. .. rauqua l'officier ranimé par cette voix
chère qu'il avait tant crai.nt Ile plus jamais entendre.
- Mes amis ... Mes pauvres :.:mis! balbutia l'in~énieur .
,. Par quel miraclc êtes-vous arrivés jusqu'à mo!? ..
- Ah! puisque nous sommes cnfin réunis, c'est peutêtre que nous devons eSpél"cI"! s'écria l'officier. C'est
peut-être que la Proviùence nc nous a pas encore abandonnés ...
Grâce à de multiples contorsions qui leur arrachaient
des gémissements à cause de leurs blessures, le lieutenant ct le chauffeur parvinrent à sc rapprocher de
Picrre en sc roulant SUI' le sol. Tremblant de joie, celui-ci les interrogea avidement, ct Simon lui fit le récit
de cc qui s'était passé, sans onblicr les dramatiques
aveux de Hamiclé.
- Hélas! murmura J'ingénieur. Je comprends tout,
moi aussi, à présent ... Quand je suis venu m'installer
à Jérusalem, j'ai commis l'impruûenee de confier vaguement mon projet à un confrère, David Hel'lmann,
un jcune Allemaud fort intelligcnt et scienliJiquc. hnméd iatement, il voulut m'ucheter Illon in ventlon, ct
j'ai refusé ... Pcut-êLre ai-je cu tort, ùe refusc\', sinon son
achat, du moins son as~ocialioll? Très riche, soutenu
par toute la colonie juive ùc Jérusalem, il pouvait être
un collaborateur de premier ordre. Mais, ouLre qu'il ne
m'inspirait pas lIne extrême confiance, je ne pouvais
l1)c faire à l'idée que ma découverte lui profilerait, à
lui et à son pays, davantafl,e" qu'à .llloi-,l!lême ct :l I.a
France! Après ll10n refus, J al sentl qu Il me gardaIt
rancune ... Lorsque le~ ban~its m'ont am~né ici, tout
s'est éclairé pour mOl! FllrIeux de nc pOlllt possédcr
le secret de l'appareil quc j'ai inventé, ct qui eût grandcment facilité sa Lfiche, David HCI'!Inallll a agi d'une
auLre manière poùr arriver à son b~lt. . En même temps
qu'il me faisait eSpionner, par Hmmde, ct par d'autres
�30
L'on DANS LE DESERT
probablement, pour tâcher quand même d'obtenir mes
plans, il s'est rabatlu sur le second moyen d'extraire leS
richesses de la Mer MOI·te. Rassemblant une équipe de
mineurs, il s'est allaqué ù la rude tâche d'ouvrir un
canal de cinquante kilomètres de long pour faire COI11muniquer la cuvelle avee la Méditerranée ... Vous avez
pu voir, comme moi, le début des travaux ... En eITet,
grûce il ce canal, les caux de la Méditerranée s'en gouffrant dans la Mer Morie développeront une force motrice d'environ 100.000 chevaux qu'il sera facile de
capter et (l'utiliser ensuite pOUl' recuei.lIir 1'01· ...
- L'or? ... demanda Hel'vé Lalain, lin peu ahuri. Il y
a de l'or dans la Mer Morte?
- Il y a de l'or dans toutes les mers, mon cher LaIai n! soupira tristement l'ingénieur. Et tout le monde
sait que la Mer Morte, en raison de son extrême densité el de sa salure, en contient bien davanta~c - deux
francs d'ol' environ par mètre cube, d'aprcs les calculs scientifiques. Donc, puisque la Mel' Morte esl évaluée à 130 milliurds de mètres cubes d'eau, ce sont par
conséquent 260 milliards environ de francs-or qui
gisent dans sa cuvette.
- Deux cellt soixa nt e milliards! répéta Hervé, n'en
croyant pas ses oreilles.
- C'est pOUl' essayer de recueillir ces énormes richesses, en évilant le tilallesque labeur d'ouvril' UI1 canaI de cill(Juante kilomètres jusqu'à la Méditerranée que
j'avais in venté une machine ... poursuivit Pierrre. Ah!
quelle joie, quelle allégresse c'eût été pour moi de pouvoir oŒrir cet or à mon pays, ù la France, pOlir l'enrichir, pOlir assurer sa prospérité! Pal' malheur, le de>:Lin ne l'a pas voulu. En combinant mOIl échec, mon
rival a assuré sa propre réussite!
Sa voix sombra dans un sanglot. .. Un lourd silellce
pesa dans l'obscurité de la creute. Tous les trois, accablés, songeaient amèrement ...
Pourtant, au bout de quelques instants, Hervé sc
�L'on
DANS LE DtSERT
31
démcna entre ses liens, cherch ant à se souleve r. 11 lui
sembla it entend re quelque chose d'insoli te, nu dehors ...
- Mon lieuten:lI1t, dit-il, n'enten dez-vo us pas? Y a
du remue- ménage ! On · dirait des cris, des galops ... Tenez: un coup de revolve r 1 Ah! çà, qu'est-c c qui sc
passe donc?
- Il a raison! reconn ut Simon. Il sc passe quelqu e
chose en eITetl
- Oh 1 il faut savoil· ... s'écria l'ordon nance. Ah 1 si
je pouvai s couper ces maudit es cordes ... l\fon lieuten ant,
approc hez-vo us bien près ... J'ai de bons crocs! Je vais
ronger vos liens 1
Simon ayant obéi, le brave garçon s'nttaqu u aux
cordes et, tenacem ent, s'appliClua à les scier avec ses
dents. Il lui fallul du temps, maIs quel cri de joie quand
ln premiè re céda! Ensuite ce ne fut plus qu'un jeu:
Louis libéra ses mains, ses hanche s, ses chevill es, puis,
galvani sé par l'espoir , il rompit à leur tour les entrave s
tic ses deux amis.
- Libres! s'écda Hervé. Enfin! ... On va savoir ...
Vous entend ez: le vacnrm e augmen tel A pl'ésell t on
I)Ci'çoit de IJOmbreux coups de fusil.
En tréJllIc hant, ils sortire nt sur le scuil de la grolle,
et, là, une vision inalten due les accucil Jit.
Une bataille en règle sc livrait enlre l'équip e des
terras~iers embauc hés au canal et ulle troupe
de soldats qui venaien t de débarq uer de quatre gros c:ll1lion<
automo biles dont on a~Jercevait les massiv es silhouc ttcs.;
Animés d'une énerglC désespé l'ée, et dirigés en outrc
pal' plusieu rs Europé ens, les terrass iers se défend aienl
avec une si féroce ardeUl', à coups dc fusil el de débris
de rocs, que l'issue du conflit demeur ait fort incerlaine.
M.ais tout :', coup, partnn t de deux dcs camion s, lin
redouta ble tac-lnc -tac déchira l'air. Deux mÏtrnil lcuscs
cntraie nt en action.
- Des Anglais ! s'écria le lieutcn ant en reconn ais-
�32
L'on DANS LE DÉSEflT
sant les uniformes. Ah! le sieur David IIarimann avait
compté sans leur conlrôle!... Et il va avoir affaire à
euxl. .. Les I3ritanlliqucs n'aimcnt guère que l'on touchc
il un terrain sans leur assentiment, - ce en quoi, en
l'occurrence, ils ont raison, - ct c'est pourquoi un
petil ' ét~chcment de l'armée de Palestine est venu voir
un p, 1 ce que signifinient ccs singulières ct SIlCCC:Ssives explosions ... Hurrah 1 Leur intervention est le salut pour nOlls! Ils vont nous porter secours et nous ramèneront à Jérusalem!
Du seuil de la grotte, Louis Simon ct Hervé obse['vèrent les phases du combat qui lournait rapidement à
l'avant:::ge des Anglais. Mais les yeux de l'ingénieut'
crraient avec regret sur la vaste étendue saline scintillant ft leurs pio.ds.
- Ueli, dit Louis en lui serrant la main, je comprends ton hmertume ... Mais console-toi, ami: ces richcsses ne pl'Ofileront pas, non plus, à d'autres, c~r les
Anglais vont interdire fortnellement l'entreprise de
David IIartniafil D'autre pa .. t, l'avenir l'appartient;
d'autres décot~v ës, aussi merveilleuses, s'ol1rironl à
toi quelque jour.,
- C'est vrai, ça', l'sieur Pierre! appuya gentiment
l'ordonnance. Laissc~ ' où il cst l'or de la Mer Morte,
allez 1. .. L'argent nè fait pas le bonheur, dit-on, el il a
bien failli faire notre malheur ... Tout ça, voyez-vous,
c'est très beau, mais, pour. Ihoi, ça ne vaut pas un petit
coin du ciel de France!,
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Le guet-apens de l'île au corail
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No 1. la montarne aux Ifampires, par Maurice limat
2. Les hommes blancs du désert, par André-Miche l
3. La parode Inrernale, par lean Normand
of. La Iflctlme humaine, par L. Gestelys
5. La lune sanelante, par Maurice d 'Escrignelles
6. La Course au radium, par Mi che l Darry
7. Le tyrah de Manaluax, par Paul Dargens
8. Le lecret du pal al. de bronze, par Claude Ascain
,. L'or danl le désert, par Ju lie n Lescap
Pour paraître :
N0 10. Le ruet-apens de l'ile au corail .. par Ernest Richard
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N° 9
�
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Le petit roman d'aventures
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Title
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L' or dans le désert
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Lescap, Julien (1900-1958)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
J. Ferenczi et fils
(Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1936
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
32 p.
15 cm
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Description
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Le petit roman d'aventures ; 9
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Bibliothèque de l'université Clermont Auvergne
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