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M.L.GESTELY
�Puisque
vous aimez
les ROMANS
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Deux Romans inédits
en cours de publication .
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CHRONI Q U ES. J EUX
ET R É CRÉATI ONS
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la Collection
Il
STELLA I l
à
MES ROMANS, i, rue Gazan, Paris-i4
-------1
�LISTE
DES
DERNIERS
VOLUMES
PARUS DANS LA COLLECTION
--------"STELLA"------**
**
305. Valner.1 l'ar J. n. Ch('nu~ry.
390. L. p.tlt. flil • • u f."t .... ". par Isabelle Sandy.
307. Miniu secr.t •• par C.-N. Wllliamson (trad. E.P . CI!arguerltte).
308. L. bien-m.rli. par Gcorj1,'es Beanme.
300. Droit san chemin. per J can de Lapeyrlère.
400. Ho*ml bon.eœu. par Antony Dreyer.
401. Au gr' du " ••tln. par Y. (}<> Salnt-C{>r~.
-1112. La femma au miroir. par Paul Ccrvièl'cs.
403. En faea "a la vie. par lIIn rtho Fiel.
·lU 1. L'hemme .st le maltre. par Ruhr :\I.-R. Ayra.
(11·u<l. 'L-H. La~W1'(le).
405 Le voyag.ur in.ttu"u. par Gl'rmninC' YOl'cint.
1011 Un m.rl "or aurerolt. rHI' J. Dorlhi~.
107 Deux !landes. par Ch. Gal'\'I('(> (trad, O·Nevh).
IO~
L. moblla ,aerat. pal' Il. Lnn l'crnl/>re.
I(lU . Davia. l'nI' Jf'llD RO~lPr.
110, Un cœur renalt. pur .\Iorle dl' \·ul1~.
Il J. 9u... d Il r.vl .. t.... ]lAI' H. (\1' :llnl'f'\llp.t
I~.
Mout. at la. deux eau ln,. pnr (;I~'
dn 'l'I'rnmond.
413. En pl .. ln myst.re. l'ni' l.~Ic
rl
~tU!l1'.
·11 1. Anne·Marie. Ilur Jeun. lurda,.
Il r.
au pl •••• PAr Brada.
·11r;. De .. visage •• un amour. "nI' Pilai B"l'gh.
117 Flaurs exotique •• par L. dl' 'Inul'ellhn .
IIIl La 35-45 R.J •• par .\1. A.·K f;(Ol~.
lit) Le mal que fit une femme. li Il' l,. CI" Il'Ir•.
1:':0. 9uand l'amour parle. pnr , T dl' ('l'i.l'lIoy.
I~.
Gilbert et l'ombre, l" r I.illl ( nl'I'ill,
I!~
, Cœur ferm'. pllI' Il.·.. l)(l1ll'lhll'.
4~:l.
Dramatique amour, l'III' l ... n; C fil Ilmy.
-l~
l, Dolly Dollar. PlU :\1 -:II d' \ l'Ill 1 'Il ".
4~5,
Le manoir menoe*, vnr ,lc' Il dl I,l'~r1
-!:!f). La revanche du paué. [181' A, Il!'! H. 'lufrUlldJet.
r,·i.e
(Suit. au
CI
no,)
�Der.iers volumes par •• d... la Collection (.uite.)
427. L'Eternelle Chansoft, par Claude ChllUyière.
4:.!8 Le Roman dl> Jo, pal' Lise dc Cère.
4~!l
L'Etrangère, par L:laudc J{~naudy.
-130. La gamme de « Do», par 1Ilari Ilarrèrc·AfIrc.
-131. Beautés rivales, par Louis tl'Arvers.
I~:.!
L'",venture de M. Mellac, par Dominique.
-133. Gisèle Reporter. par Edouard de I{ey ..,er.
-!34 Les deux Mariages, Jlar A. 1·lntegri\'~.
1:11). Immortelle Jeunesse, vur lIl,nle dc "'uilly.
.j:J(j. Vers l' Oasis, par Lucienne Chmltnl.
-137. Sa fiancée, par IL-A. Doul'liac.
-138. La Maison du mensonge, par ·lt. Dombre el C. P6ronnet.
-130. Ame de femllle , Jlar Victor Féll.
110. Le Témoignage imprévu, pur J'an J(·go.
Ill. Au Petit Paris. par (l orges Bau me.
4 I:.!. ,"our ne pas mourir. par H. M. lI('razzl.
'Jl:3. Marquisa de Maulgrand, pal' 111. lIlarynn.
"'11 Masque et Visage, par lIl. de ('d.enoy.
1 Ill. A·t-elle du Cœur? l'aH l'>:-.me I:;tuart.
110. Messoqère de Bonheur, par Ancl"~e
"crUol.
1 17. Chat ..... en Provence, par Nany Ars~y.
Il . Folle Jeunesse, par II. ),flu\rrnll\l'e.
IW. La Maison des Epaves, par Fl'IlllI:oise ClIevlgné.
Ir,O, Soir d'Ete. P'll' ,rran 111 au e I" .. !'.
Ird Dlx·sept ans, par Hull)' ~r
,\~'·c.
l ,". Quand elle partit, pn,· 1:"I,r;I,1I1' Lf'elèr L f vre.
1.,:3 La monnaie du bonheur, 1':\" (·orloln.
Ir,l Laquelle? Pllr \1 .\. Il' \nnl'.
L'Imprudente pltï*, . l'nI' J·Jri<' <1o CYR.
llin L'Ob l tacl .. , pltr .reHll n""",,·r.
1"",
IL PARAIT DEUX VOLUMES PAR MOIS
I.e volume: 2 franc ; franco: 2 fr. 2&.
Cinq volumes nu choix, frunco : 10 francs.
�M. L. GESTELYS
La Force
d'un SerOlent
Roman inédit
)
COLLECTION
STELLA
td,t;ona du .. Petit itcho de la Mod. '
1, Rue Gazan , Pari. (XIV")
��La Force d'un Serment
l
UNE FEMME QUI PASSE
A la pourpre ct à l'or d'un fastucux coucher de
soleil succédait une symphonie violette. Le ciel
~c\l1h,It
par:;cmé de pétales <l'iris, la mer avait les
rl'Ih ts profonds de l'améthystl', dl:; dente1un 5 de
"l,:~tn·1
s'as.omhrissaiult jusqu'à dcvLllir pre 'qlle
ll!J1r<:s. Derrière leur mas'c or rmil1euse, le dernil r renc:ts de l'astre di~paru
jetaÎl'nl ncore un
édat adcnl '1 qUi aur ~()Iait
les cImes d'ulle luminosité
a. sez s mhlahh' am: édair maun~s
!)l1l l'on admire,
brillanl dans Ce rtai lll' . opal s,
André de Martl!\'al ct Raymond' Jltènes s'étaient
attardés à l' 'xtrémité de la petite presclu'île , aintJean, il. cel endroit <l'Olt l'on üéconvrc un pl\1s larg-e
honzoll ft t rav 'rs l 'S branl'iH's des pins, au·dela des
rochers rouil1eux su r 1 squcls \ iet1lll.'nt sc briser l 'S
courtes vagucs (lui lai sent, sur l'~
a. Il "rilés du roc,
s'l'ffilocher 1 ur ourlet d'écum . lk la l 'rre, que le
solcil a\'ait chauff;· tout le Jour. une odeur halsamique montait, Inêl "c il ceU de' al ru ~ tl dl' lichens.
A n:<'ret les deu.' camarades s·arCh~Ul.'n
à kllr
�6
LA FORCE D'UN SERMENT
contemplation, ,urtout Raymond, lequel était peintre
ct qui, au sortir de la Villa Médicis, où son titre de
Grand Prix de Rome lui avait valu la faveur de
passer es deux anllées d'études, avait, d'emblée,
conquis un renom de paysagiste.
- C'est rudcment hlau, fit-il.
Puis il sc tourna \'ers sail compagnon
- Où trouver lne bcauté humaine qui puisse se
comparer à l'étern~I
splcnclcur de la nature?
André n'cut pas le t mps de répondre; une femme
venail à leur rencontre, Elle avançait d'ull pas que
rendait un pru hé~itan
lc tapis glissant dcs épines
sèches tombées du feuillage des p1l1S, Sans doute
n',l\'ait-elle pomt encore aperçu IL~
deux hommes
qu'elle allait croiser, Quand clic fut à leur hauteur,
l,lie le\'a les yeux ct 5011 regard les effieura,
D'un même mouvement ils s'ttajent rang{' afin
dc lui laisser toute la largeur du ch mil!; le peint rc
salua et l'inconnue luiépondit d'une légèrc inclination de tête,
l\Iaintenant, elle était passée, Sc dirigeant \'crs le
de la
)lc,tit chaos rochcu. - qui marlju;ut i'extrél~
t('rre, l\Talgré lui, Alldré, illJ l110bi IL , ,uivait la
silhouette blanche qui, bicntôt, facl' à la rmr, Sc découpa IIcttcment ur le fantastique décor auquel Ic
cri'PII cule ajoutait son l11yStl'l' "
- Tu connais cet tl' f lfl1ll1C? questionna 1Iartcval.
Le peintre ne put lltl rlnHHf)tlCr le trouble q11i
dlan~eit
J'txpr(~sion
du vi~agc
d'André.
- Si je la eOlln,lÎ ? Oh 1très pcu. J'ai été pT!~scnté
i'l l'Ile par un de ses compatt iotes, 1 portaji~c
londonien Francl Burtl)'.
_ Hlle est dOllc Anglaisé? je ne l'a11rais jamais
suppo é,
_ Comment, l110n vieux, tu ~l C (!1('orc il la conception simpliste det: Anglai c" aux ehl't'cux rotlgc~,
a ll.' gr nds pIed ct au petit canotier ridicule?
�LA FORCE D'UN SER.MENT
7
- Evidemment non. Tu as raison, ma remarque
e:;t stupide.
- Pas si stupide que cela; lady Kennendale est
née en France, comme toi et moi. C'est son mari
qui est citoyen britannique.
- Ah! elle est mariée?
Un grand air d'accablement avait succédé à l'exaltation du jeune homme. Raymond lui avait pris le
hras. Il leur fallaitr regagner Beaulieu ct ensuite
Eze où le peintre avait loué une vieille maison procençale dénuée de confort, mais d'où l'on avait la
plus helle vue qui se puisse rêver, embrassant, d'un
côté, les sinuosités capricieuses de la Riviera et un
large horizon marin, de l'autre, les cimes neigeuses
des Alpes. Tl' cheminèrent d'abord silencieusement
puis, d'une voix timide, André hasarda:
- C'est la première fois que tu rencontres lady
Kennc'IHla!e depuis que tu cs ici?
- Oui, la première, J'ignorais absolument Qu'elle
séjournàt sur la RiViera, Tu sais, j'ai autre chose à
Lure que ùe consulter la list ' des arrivées.
- Et. .. son mari, tu le connais?
- Lord Kenl1cndale? N 011. Je ne l'ai jamai vu.
Je CroiS même me sOuvenir que, pour des raisons
que j'Ignore, sa femme passe seule, en France, une
grande partie de l'année.
- Seule?
- C'est du moins cc que m'a dit Francis Bmtly;
mais je n'ai attaché aucune importance, ce détail.
La vic privée des gens, ... tu sais,..
'
D, nOl1\"e:lU le silence régna entre le' deux compag-non '. Le peintre devinait l'impression profonde
qu'avait produite sur son ami cette fugitive rencontre. Dans son.souvenir André s'efforçait maintenant de retrouver les traits de la jeune femme.
Belle, très certainement, t même d'une beauté
pathétique et attirante. Il fallait les yeux d'un
��LA FORCE D'UN SERMENT
9
un peu trop couleur locale, du moins au gré de son
maître ct faisait à la poussière une chasse sans conviction, mais clic était docile et s'accommodait des
horaires fantaisistes auxquels il lui fallait adapter
son labeur.
Si loin que l'un des deux camarades remontât le
cours de ses souvenirs d'enfance, il y retrouvait
J'image de son ami.
Les dcux familles, celle de Raymond Soltènes
commc celle d'André de Marteval, étaient originaires du Poitou. La ferme des parents de Raymond avait, autrefois, dépendu du château de
Marteval dont les quatre tours Louis XIII, coqucttlment casCJuées d'ardoises, émerg-aient parmi Il;s
frondaisons d'un parc touffu ct accidenté.
C'est dans cc parc que les deux petits garçons
ayaient fait leurs premiers pas. La santé très fragile de la Jeune châtelaine ne lui ayant pas permis
d'être la nourrice de son enfant, Aline Soltèncs,
mère elle-même d'un bébé de trois mois, s'était charg "c du petit l'trt', plus par complaisance que par néces. itl', car 1 s affaires du fermier étaient propèrcs
('t
f mmc n'avait nulle rai,on de vl'nùre ses soins
d'on lait à des étrang rs; mais .Marguerite de
11artcval n'était pas tlne étrangère pOlU' la brave
Aline. Le mêmo.'! jour elles avaient fait leur première communion, dans la modeste église du village
où {lcml:uraient leurs parents. Par la ~Ilit,
le hasarù ayait voulut qu'clles 'pausassent, il PlU ùe
temps de distance, deux jeunes gens du pays.
La d moisdlc noble était devenue châtelain ùe
Marteval tandis quc la petite paysanne, promtlc
riche fermière, régnait sur une exploitation il 'ricole de près de cent hectnres ct sur une nomhrCl1 C
b,t e-cotlr. Plus tard, l'argent atténuant le ditances que l'amitié, d'ailleurs, avait déjà aholics,
�10
LA FORCE D'UN SERMENT
Anùré et Raymond avaient suivi, à Poitiers, les
mêmes études; puis la carrière différente que chacun entendait suivre les avait fait prendre une route
séparée, mais sans les désunir.
Tandis que Raymond se consacrait à l'art vers
lequel une irrésistible vocation et des dons exceptionnels l'attiraient, André faisait son droit, assez
nég-ligemment, d'ailleurs. Le service militaire accompit par Marteval dès qu'il eut obtenu ~a licence, plus
tard le départ de Raymond pour Rome, relâchèrent
un peu les relations presque fraternelles datant de
leur plus tendre enfance. Cl:pendant, la période des
vacances ne s'écoulait jamais sans que les deux
jeunes gens eussent pris dans lem pays natal
quelqucs bonnes semaines de repos, durant lesqudks ils justifiaient de nouveau, sous l'œil bienveillant cll::; Il:urs, une ancienne réputation
d'inséparables.
Puis la mort changea bien des choses. Marguerite de l\larlLval, la douce maman du jeune avocat,
avait fl:rmé pour toujour ses tendres yeux qui
avaient tant pleuré la 1110rt prématurée de son mari,
don! les suites d'une bh:ssun: reçue à Ypres, en
1()l7, avaient certainement abrégé les jours. A la
fl:rI1le, Aline avaÎt été emportée d'un chaud ct froid.
Son fils, pensiollnaire de la T'iUa Médicis, ne parvint auprès de la moribonde <lue pour recevoir son
demi 'r regard cl son dernicr soupir.
Si le chflt au, ::tYl:C ses rang-ées cie fenétr 'S hl'rml·tiqueJ1lcnt do ·es d l'échcvèlement de son parc
converti en forêt vierge, avait pris l'aspect d'une
dUlleurc enchantée, la ferme était toujours vivante,
rtgic par la rude poigne du veuf qui n'avait plus
q\l'l1J1 désir, ql1'une ambition: laisser à son fils une
gros~e
fortune, car il n'avait, en cc métier d'artiste
ch'JI i par le f petit », qu'une médiocre confiance.
En nin Raymond lui faisait-il lire les articl s
�LA FORCE D'üN SERMENT
II
élogieux saluant en lui un futur maître; le fermier
hûchait la tête, se contentant de demander, quand
~Ol
fils prétendait lui faire admirer l'un de ses tableau.' vanté~
par la critique:
- Combien que ça se vend, cette machine-la?
Entre le père et le fils, une sorte de fossé d'incompréhension s'était creusé ct rendait les rapports
moms chaleureux, Aline n'était plus là, avec sa
finesse de femme ct SOli cœur maternel, pour éviter
les heurt inévitables entre ces deux hommes représentant deux générations, d<:ux conceptions de la
vi e let deux cultures ell tièrcm(;nt di Cf érentes.
J uh:s Soltèl1(;s, dans ~on for, traitait le peintre de
pareS~l:UX
ct de bohème, ne se dout{lnt pas du lah<:llr ?charné qu'il avait fallu pour que Raymond se
fît une place enviée dans le monde si encombré
des Arts. De son côté, le jeune homme n'apercevait
que l'aspect terre- à Lerre de cette existence rurale
qui, pourtant, n'était pas dénuée de grandeur.
Avocat amateur, André, après avoir fait un stage
auprè d'un maitre du harr<:au. avait constaté que
la vocation lui manquait. Il ne sc s<:ntait pas le courage de défendre avec le même élan l'innocent,
rihjet d'une crrUlr judiclair<:, ct la ~ra!\(lt'
canaille
di posée à s'al>nter dans le maquis touffu de la procédure. Sa fnrtull lui permettant de sc pa ~cr
d'un
lIléti l' pour ll:qud il n'était pas fait, le jcune homme,
lI! attendant de tmunr sa "oie, avait accepté cl'enthousiasme l'invitation d<: rcjojndn' son ami d'cnhnc(' ~t
passer 'Il sa compagnie une parti' de
l'hinr sur la Rivier;i.
Drpui· qu'Andre· était arrivé à Eze, il menait
\tt1l' vie dl' <Joun' nùnerie, rl'chcrchant plutôt les
dl: la montagne,
. itLs inc{)lnp:11 ahl<-, d pt:u vi~tés
1 coins agn~ts
cI(' la côLl' où n'avait point
pOIl é Cluelque ]labcl ou biel! une lu. u~
c "illa,
que Il' {lIai ir des grand centre mondain.
�LA FORCE D'UN SERMENT
12
Si, brusquement, André changea sa manit:re d'être
ct consacra son temps à courir ks casinos et les
palaces, Raymond, discret, et, d'ailleurs, devinant le
mobile qui faisait agir son ami, Sc garda de manif\;stl'r le moindre étonnement d de solliciter des
confidences. Pour la pn:mière fois, une sorte de secret troublait l'atmosphère de leur franche amitié
ct tous deu,' en r\'ssentaitnt une sorte de malaise.
AU~SI,
un matin qu'il, prenaient en tête à tête leur
jlrcmi(r déjeuner, face à l'incomparable panorama
que l'on aperc\'vait d\'s fen -'tres de la maison, juchée prcsqu\' au sommet du rucher sur lequel est
Il;"]ti l'ancien village d'Ezes, Raymond éprouva un
réd 50ula'.;'enll:nt après que ses yeux cnrent été
attirt's par l'une de, rubriques de la feuille locale
d ln il \'cn:lIt d' c '1I1!lleIlCer la lecture.
D'I1I1 ton (lu'JI vllulait inddTércnt, il lut:
« A \'ant-hier, à Cannes, la colonie ang-laise a ori-;:lnl'ie au 'a"ino une réception l'n l'hol1Jl\'ttr d'un
d" ses me!1lhr:~
l!~
plus distingïlés ; lady Diana
Krnnen<lalc 1,ICjuelle, après un séjour ue plusieurs
sunaines ~ur
notre côte d'Azur, 1 C 'ag'l1e l'.t\n~d
'rrc
;\ bord du yacht Tf'hile Star appartenant à sir Eric
])rcamll1ont, On sait que 1\T rs. Dreammont, née
I\I,ll1d J farewll1t::', est un amie d'enfance de l,lCly
Piana. >.
-
Et voilà,! conclut le printrc, h:~
amat 'urs dr
mondanité· en ont pour leur argent.
l\ndré était dC\'enu tout ptde, es lèvres tremhlaient quand il prononça, eoml11e sc: p:uhnt ;\ luim"'llIc:
Ell' demcurait ù au Iles, j'aurais pu la revoir .. , Et, maintenant. ..
A \'l:C tilt(' g-rande sollicitude, Raymond po a sa
main sur l'épaul de son ami:
�LA FORCE D'UN SERMENT
I3
André, tu sais que je n'ai pas l'habitude de
jouer au moraliste, mais, véritablement, en l'occurrence, lais e-moi te parler le langage de la rai on.
Ne pense plus à. cette rencontre d'une jolie femme.
Rappelle-toi que tout t'interdit de songer à. clic.
- Je le sais, ami, et je te n .mercie de ta sollicitude. Tout ce que tu pourrais me dire, je me le suis
déjà répété. D'ailleurs, ra ' sure-toi. Ce n'est pas de
l'amour que je crois ressentir pour la femme de
lord Kennendale. Aucun sentiment vil ne s'est glissé
en moi. Non! Ce que j'ai éprouvé est d'une autre
nature. DepUIS que mon regard a rencontré celui
de cette mervcilh:llse créature, il me semble ... j'ai
même la conviction profonde, qu'elle jouera dans
ma vic un rôle primordial.
- Imagination!
- Peut-être. Vois-tu, à l'instant olt je viens
d'apprendre qu'elle est partie, qu'elle s'éloigne de
n'ai, quelque chose me dit que nOlis nou.' reverrons.
- André, donne-moi ta parok que tu Ile la sui"ras pas?
- Jete donlle ma par()le' de ne ri ell [(:nler pour
me rapprocher d'elle, ct cela d'autant plus \'olontiers
pui que je suis ùr que le destin la remettra bientôt
sur ma rOll te.
II
u: pon'rn,\lT or: UI.I:-<E
L'heure était matinale 011 arrivait, en gare de
Brest, le rapide "enant de l'ari . ~lag-ré
qu'on fùt
ail ." premier jOIll" de juillet, 1iL hrise \'ellue dularg-e
était presque froide. A tra\'(:r la l,irge vltr> de ~Ol
compartiment, André de Mart val n'avaIt aperçu la
�campgn~
14
LA FORCE D'UN SER1\1ENT
bn:tonne qu'enveloppée des mauves échar·
pes de brume que )e vent déchiquctait.
Comme il n'avait pas indiqué exactement le train
qu'il comptait prendre, personne ne l'attendaIt devant la station, Il eut d'abord la fantaisie d'errer
un peu dans la ville, de revoir, du haut des remparts,
)e vivant panorama du port, de s'attarder sous les
épaIs feuillages ou bien de parcourir, comme un mann récemment débarqué, la populeuse rue de Siam,
mais il songea que l'hospitalité de sa tante Alix était
des plus libérales, Il aurait tout le temps de satis·
faire son désir de musarder dans l'ombre des vieux
quartiers, de renouer connal Sallcc avec les petites
plages si symp3t,'i1ques où, gamin, 11 avait pris ses
premières leçom de natatlOll lorsque ses parents le
confiaient à 11 m • de SOll\' i1-:11Y, laqut:l1e raITolait de
cc neVl:t! qui était aussi son filh:u1.
Depuis la mort de sa mère, André avait U11 peu
tspacé ses visit!.!s, cc dont Alix de Souvigny sc plaignait, mais .allS amertume, Vruv\' un ail après son
managl, qui avait été llll maria '\' d'amnul', la ~œl1r
ainl(' de :\Iar 'lI~rite
de .\TartC\'al s'était confinl>c
dan son Ch;ltclU de Breta 'ne, pkill de O\1vcni ,
"e t 1;'1 qll' l'on avait r;lpporté '{"('S <IL Souvigny
,q,r's l'acClùc11t dl' cha sc qui ll1i ;l\'ait coÎlté la vic,
là, <JilL vdllallt Iluit d Jour 1 bkss{', la jell11\: ~jl()Ucavait vrcu <l'alfOCl:' altl rllali"c;i d'espoir II d,
découragement. M(I! 'ri, tllU
I( s soin, I.l Illort
n';t\"lit pas !tlclté sa proie l'! Yn a".ttL fl'l"lllé IL
yc ux "an rl'l'Ol1l1aÎtrl <:<.11<: <JIll pl iüit Ù SOli chcvlt.
A \'Ïl1gt-d~Ix
ans, AIL' C tr{Jl1\a \'CU\(' ct tnélÎtre c d'LlIIl' il scz bdlc fortul1e que nu lIIan lui
allfait l'Il
;l\'tu léuét.: an aucun re tricuon. 1~le
sc rciaire ulle e.'i. tCIl l' hcurl:U c, fr~qu
nter le
llIonde, r"l/lir autour cf'elk Ull cercle d'ami. S TClI1éill r san dotll, )'.11' prl'féra la Illitlldl' cI son
manOIr qUI duminait Ir.: 1I1u' \,eil1cux «Gould), route
�LA FORCE D'UN SERMENT
lS
lIquide fréquentée par les barques ct les na\ ires venant de la haute mer afin de jeter l'ancre dans l'un
des bassins du port.
Toute proche était la petite plage Sainte-Anne,
ct le parc s'étendait jusqu'au chemin qui sinue au
sommet de la falaise.
A travers la banlieue brestoise un taxi emportait
André ct ses bagages. Bientôt il se trouva devant la
grille qu'un vIeux jardinier s'empres a d'ouvrir.
Devant lui des parterres de roses s'étendaient jusqu'à la facade percée de larges fenêtres.
L'une d'elle venait de s'écarter, laissant aperce,"oir le visage de tante Alix, tout souriant sous la
lég-ère auréole des cheveux argentés. Comme à
l'époqlll: où il n'était qu'un collégien un peu indiscipliné, le jeu11e avocat s'élança. Il gravit quatre à
quatre l'escalier conduisant au premier étage ct reçul dans ses bras sa tante ra vie, bien qu'un peu
su fr oquée.
.
- Grand fou, je te retrOUve. Mais, je t'cn prie,
ne m'étuuffe pas!
-- Je rattrapc le temps perdu, ma bonne tantt:!
Trois ans sans \'nl1 avuir revue!
- A qui la faUlt:?
- A des tas (ll- choses que j'ai oubliées t:t que je
l'l' 'rette de n'avoir pas sacrifiées au plaisir de vous
embrasser.
- Flatteur, va 1 Dire que j'avais préparé une semonce <;évèrl'. Tu 1.'5 là, je ml sens i ncapahle de le
gronder, mais tu me raconteras ce que tll as fait
durant ces trois années qui m'ont paru si ]ong-u(s.
- r<i('n de hon, marraine, puisqll je vous ai
cansl' de la peine.
- )'e père qlle III ne viens pas entre deux trains,
ain.j qne tu l'as fait lors de ta dcrnière visite?
- Vous Ille mettrez à la porte quand VOltS aurez,
assez de moi.
�16
LA FORCE D'UN SERMENT
Tout cn causant, Alix de Souvigny guidait son
neveu vers la chambre préparée pour lui. Sur le
seuil, le jeune homme s'étonna:
- Mais ce n'est pas mon ancienne chambre, remarqua-t-il.
- Non. Elle était devenue trop simple pour un
hôte de ton importance. Depuis que tu es avocat ...
- Oh! marraine, ce temps de verbe est superflu.
- Comment! Tu aurais renoncé au barreau?
- Définitivement.
Une moue de déconvenue plissa la bouche d'Alix
de Souvigny.
- Tu ne plaides plus?
- Oh! n'exagérons pas. J'ai si peu plaidé et t oujours pour Je compte d'un autre ... Et puis, non, je
n'avais pas la vocation.
- Défendre l'innocence, c'est beau, cependant.
canailles
- Oui, mais plaider pour <l'afru~es
qui ont ruiné tll' S cultaincs de gogos, escroqué les
modeste éc()nomics de bra \'es gens désIJrmais sans
re source 5 ...
- J suppose que tu n'aurais pa acc pté de
tl'll s cau es ?
- Le mOylll de faire autrement? llaitre Frallcely, ml Il patron, ne les rcfus:lit pa " je vous a me.
11 1 s rcchen:h. it, m'me, car - (''t-st à lon tater I~s
filou payult illfinimclltl1ll111 q\te 1 tirs ,'ictllnrs.
- Tu me tupétie, l1}0n ellfant. hTlfin, tu as
trente ails.
_ 'rrcnte-deux, ma bonne marraine.
_ Tnllt!1e de me rapprlcr i C 'actcl11el1t ton âge, ..
Oublic<-tu que j'aval Vil1"t ct lIll an quand tu e
né? Vlllgt d un ct trentl -cl lIX, cela fait. ..
_ Quarante nll à peine, c' t tout cc que VOliS
l'ara! 7.., lai, YOUS ave7, manail1c, je r grctte
ma il lite chambre etc collé 'icn ct (l'étudiant. J ui.
il!' qu j'y a 1a
~ retrouvé dl hill( trainaltt dans
�LA FORCE D'UN SERM E T
17
les tiroirs. Celles d'agate , je les avalS gagnee s à
Raymon d.
- A propos, qu.e devient -il, ton « Prix de Rome :r. ?
- Beauco up de succès pour ses toiles exposée s à
la «Natio nale), Il a obtenu une médaill e, bien méritée, dit la critique ,
- Pourqu oi a-t-il refusé mon invitati on? Je J'aurais reçu avec plaisir et cda t'aurait fait une société plus gaie que ma continu elle préscnc è.
- Marrain e, vous vous calomn iez. Raymo nd nc
vous a-t-il pas expliqu é?
- En effet, j'ai reçu une lettre charma nte.
Comme excuse, il était questio n d'un voyage en
Grèce.
- Parfait ement exact. Soltène s est actuelle ment
fixé dans une petite île grecque . Il en rapp<Jrtcra
de. chefs-d ·œuvre.
- Gràces lui soient rendues de ne t'avoir pas
entrain é à sa suite.
André se mit à rire franche ment.
- j'avou\.! qu'il me J'a propo é et que le voyage
...
me tentait. mai~
- Tu a compris que tu étais att ndu iCI av~c
tant d'impat ience 'Ille remettr e. ulle foi.' de plu", à
l'été prochai n, aura it été .... comme nt dirais-j e ? .• un
peu crucl Tu a i . je suis à l'àge où l'ann' e prochaine est un inc mlue à laquell e on ne pen c jamais avec certitud e ...
- l',ncore votre ttgc, marrai m. je \'<lIS me
fà h er!
- Trè éri'u tment, André, Je n'ai pas le dé ir
de devenir ccntena ire. T'ai telleme nt de raisom pour
qui m'ont précédé e ' qui
m'en aller rcjolnd r' c~u.·
mari d'abord . ma JI tite
chl'r
1110n
dent:
m'atten
ilfaf ··mrite. ta li lice ll1aman. ct tOll père qui fut
pour moi un i préci u. ami.
Les pleurs. re nu aveC peine. faisaien t rougir
�18
LA FORCE D'UN SERMENT
les paupières de la pauvre femme. Elle se détourna
afin d"i.:ssuyer une larme qui roulait sur sa joue. A
ce moment, André, qui avait fait un pas vers la
chàtclaine afin de la serrer dans ses bras, s'arrêta
brusquement; son regard venait d'être attiré par
tlne peinture accrochée au mur. C'était le portrait
d'une toute jeune fille. Un cadre Louis XV en bois
laqué de blanc l'entourait.
Sans être l'œuvre d'un grand artiste, la peinture
était honnête. Elle faisait preuve d'un véritable souci
de ressemblance et d'Ulll: minutie louable oans le
détail.
Assise sur un banc de jardin, un buisson de petites roses lui servant de fond, la j e~n
personne
était vêtue d'une très simple robe de voile blanc.
L'étoffe transparente laissait deviner le dessl11 parfait des épaull!s ct des bras, la teinte laiteuse de la
chair qui, au contact de l'air, semblait patinée
a'ambre aux endroits découverts par la modeste
échancrure du corsage. Le front, légèrement inlin~,
était encadré d'une double masse de houcles
qUI dl'sc ndaicllt en cascade le long (ks joues, cachai nt à demi Il: lob' rosé de l'oreille tl sc dénJUllllllt sur Il! cou satlllé où Iles l11<'ttaÏLnt ulle
omhre hleutée, Le Il inlre avait dft se donner Il aucoup (il- mal pour reproduire la teinte de l'admirahlt- chevelure, sombre aux cndroits où le jOllr ne
l' ftkurait pas, mais rutilante des rcflets somptul'ux
d· ,'nI' et du cuivre dès qu'un rais lumineux s'y
posait.
Entre la double rang'e des cils, 1 s iris, cu' aussi,
scmhbil'nt dcvoir leurs coloris à l'ambiance, car
leur hleu profond était moiré dc vert ct d' mauve,
tantli que la large pupille offrait le noir velouté
de c '1 taines aile de papillon.
Ll! autreS traits du visag·, à côté de ces y ux
merveilleux, avaicnt moins de relief. L'e,'trêmc
�LA FORCE [J'üN SERMENT
19
jeunesse du modèle les laIssait même un peu impréCIS, Cependant les lèvres s'ouvraient sur l'émail des
dents, mais le sourire qu'clics esquissaient ne s'ép~
nouissait pas <;t donnaIt au visage une expression
plutôt mélancolique que joyeuse,
- Ma tante, que représente ce tableau?
Alix acheva d'essuyer sa joue avant de se retourn<;r vers son neveu i elle suivit la direction de son
ngard, car il y avait, au," murs, plusieurs toiles
accrochées.
- Ce tableau, mais c'est le portrait de Diane
d' 1h:rbièr s, l'une des nièces de mon pauvre mari,
La petite Dldi! tu ne te souviens plus? Tu l'as
pourtant rencontrée ici deux ou trois fois, Il est
vrai qu'dl<: était encore presque un bébé dont mon
garnem 'nt de neveu ne faisait pas grand cas, Ma
pauvn: petite Diane!
- Que lui est-il donc arrivé, marraine? Rien
(l'exceptlOl1tJ(;Il<;mcnt malheu reux, j'espère?
- Oh! c'est toute ulle histoire, Il serait trop
long de t<; la racolll<;r maintcnant. Installe-toi, pUIS
je ferai serVIr tOI1 premier déjeuner. Ensuite, i
cda t'lIltércsse, j ' lL' mettrai au courant du tri te
rllHria 'e qu'à fait la pauvre enfant.
· 11 l1arig~,
ma tante? DItes-moi seulement
qui clic il épou . é?
- Ql1l? ~fais
un Ang lais très riche ct très noble,
lord KelllH:ndalt:, qui l'a out rag uscment abandonnée Il' jour III ~me
de leurs noe(:5 !
Par bonheur, M,oe dt Souvigny, qui avait hüte
(Il- remplir <tuprè<; tic son fil~u
ses functions d'hôtlssc, avait déjà franchI Ir seuil quand elle prononça C Ile dcrl11èrc phrase.
Elle Ile put apcrcl'\'oir l'expression brusquement
répandue ur Irs traits de SOIl t1('\'eu, ni entendre
l'l'XclalllatÎO!1 qui Hllait d lui échapp r,
l orMlue 1.1 port L fut refermée ct 'lu ,dan le
�~o
LA FORCE D'UN SERMENT
couloi r, ne résonna pl us le bruit des pas menus de
la bonne clame, André s'approcha du p0rtrait. On
aurait dit qu'Il voulait établir une comparaison entre
le visage que le peintre avait SI scrupuleu ement
reproduit et l'image imprécise demeurée au fond de
sa mémoire. Alors. une troisième silhouette s'ajouta
aux deux première : celle d'une enfant pétulante
et g-aie, au rire clair, tel un tintement de cristal, qui
~l'couait,
autour d'un petit vi age velouté comme
\Ill e pêche mùre, une multitude cie boucles indociles,
toujours ébouriffées ct emmêlées par le vent ct dont
l'ur s'a sombrissait d'année en année.
Le ouvenirs cie Mmo cie Souvigny étaient exacts.
Dan le parc du petit manoir cie Tréplonneck, le
collégien, qu'accompagnait presque à chaque éjour
, n frère de lait, Raymond, que l'excellente marl " int.: avait toujours soin <le comprendre dans ses
invitations, av,l1t prêté fort pl'U <l'attention à cette
"amine, de si.' ans ~a
eadeltt.:, laquclle, d'ailh'ur',
Il ' rt.: cherchait guère la société (lLs deux garçons.
Hile sc faisait des jeux il elle, où son imagination
\( nait le principal rôle. Quand, par hasard, 1('5 deux
lilll1arades passaient alpr~s
d'elle ct lui ch'mandaient d'un ton condescend,L1l1 :
• - Â quoi joue -tu, petite nidi?
Elle fi 'ait sur eux son n ' 'anl, déjà profond
omm' rdui d'ulle femme, d leur faisait CJuelque
inl'ompréhel1sihle répon, '. Par ex mple, I1n jour
ql1'J!s l'apl'rçurc'nt dehout au milieu cl'un pré tout
fleuri des largcs étoilcs hlanches à c ur d'or des
marg-uerite sauvag-es, clIc Il'Ul' drclara, le plu sim pkmcl1t clu monde, qu'elle était une œur de charité
c!on.anl es soin au. ' malades. [1. n s dOlltèn'nt
pa que, prêtant une pel" onnalité humaine à cha~
CUtl' cl' Cl'S fleurs, la pctlk fille, redr ssant les
ti'
que le vent avait fait Iléehlr, arrachant l·s
fCle~
èche ct le co roll , t1étncs, 'imaginait
�LA FORCE D'UN SER1-IENT
2I
en effet, accomplir auprès de pauvres êtres sou ffrants une mission secourable.
Une autre fois, elle fut, au milieu d'une claIrière,
son jeune front couronné de bleus liserons, quelque
fée jetant aux échos un hymne de joie qu'elle avait
composé elle-même.
Sur le mystère de cette petite âme doot les émois
se reflétaient dans les admirables iris, tantôt couleur de ciel ct tantôt d'cau dormante, André était
alors trop jeune pour sc pencher. Il passait, indifférent; quand la pauvre Didi voulait le prendre
comme confident, il J'écoutait à peine, puis mettait
fin à l'entretien par un dédaigneux:
- Va jouer. Tu nous ennuies. Tu e trop gosse.
Cependant, dans les tr', fonds de sa mémoire,
quelques clIchés datant de ccs lomtaine yacances
avaicnt dù s'emmagasiner. Ces souvenirs ouhliés,
r emontant à la surface sans que lui-même ait jlU en
avoir conscience, avaient certainement déterminé le
choc produit ur lui par l'apparition de la promeneuse cil 11lanc.
l\Llintcnant, André s'attachait à cette explicatIOn.
[J en éprouvait m0me une sorte de soulagctlll'nt.
Tout le côlé mystérieux de cclI' av n urc dCHllait
clair. Il pourrail facilement s'évader de la hantise
qui le harcelilit depuis son séjour ur la côt, d' t\/ur
't la brçve rencontre du C;IP Salllt-Jean. Ju q l1'à
Cette minute, il Ile s'était pa avoué;\ lui-mêllle la
pb cc qUl' lady K IlncndalL' tenait dé~(Jr1ais
dans sa
VIC. En rc:alité, il n'<t\'ait jamais ce~
, é de p t1 r à
..Ile avec cette onvictio!1 profonde que cette femme
inAuencerait sa dcst1l1é('.
l'm juv "nil' allc:gress' Je 0ulc\'ait à l'idée qu'il
allait connaître J'hIstoire de Diane, mais aussi qu'une
St)rtc de lien familial ~.·i
tait ntre lUI ct cette P
sante, la vcille Urie inconnue dont il lui était l1I'I11C
dé fendu de chercher à croi er la route.
J'
��LA FORCE D'UN SERMENT
23
peine ce que cette ravissante fillette a pu devenir
quand les années ont fait d'elle une femme. Votre
dernière rencontre date ? ..
- De ma quinzième année. J'ai raté mon bachot
l'année suivante, ce qui a fait qu'il m'a fallu «potasser» au lieu de venir auprès de vous, marraine.
- Exact. Didi avait alor ' huit ans. Son père,
Robert d'Herbières, fut, l'année suivante, attaché à
l'Ambassade française à Londres. Ma belle-sœur
suivit naturellement son mari et ib emmenèrent
leurs enfants. Diane reçut une éducation anglaise.
«Elle fit son entrée à la Cour après avoir fréquenté la plus haute société londonienne.
« Ce fut dans un bal que lord Kennendale lui fut
présenté. Lui qui, j uSCju'à cc jour, avait passé 'a vie
à explorer le globe - son dernier voyage, il serait
plus juste de dire séjour, car il avait duré plusieurs
années, l'avait fait s' enfoncer dans les Indes où
il chassait, dit-on, le tigre et l'éléphant, - éprouva
une sensation pro fonde en face de cette en fant de
seize ans dont il désira immédiatement faire sa
femme. Deux ans d'épreuve lui furent imposés
par ILs parents de Diane, lesquels trouvaient leur
fille beaucoup trop jeune et redoutaient un peu le
caractère et les bizarreries de lord Arthur. Mais ce
dernier était l'aîné d'ulle noh1t: et puissante famille;
très riche, vivant fastueusement, il ne déplai ait
pas à Diane. Que te dirai '-je de plus? Le mariag'e
ful célébré à la dale fixée par la famille. Une alte~s
servit de témoin au fiancé. Tout Londre a si ta à
la cérémonie. Une réceptIOn brillante eut heu dans
le superb hôtel que devait habiter le j une couple,
à nelgravia. ravai oublié de te dire que lord Kenncndale était orphelin. La famille était donc eulement représenté' par des cousins assez éloignés et
Une sœur mariée et demeurant en Ecosse, laquelle
d 'vait repartir le soir-même. Je te donne ce dé·
�.24
LA FORCE D'UN SERMENT
talls, qui te paraissent peut-être oiseux, mais lu nc
tarderas pas à voir qu'ils ont leur importance. Donc,
la fête terminée, le dernier invité partI, les nouveaux époux se trouvèrent seuls, ou à peu près.
Comme ils devaient quitter Londres le lendemalll
afin d'accomplir un voyagc sur le continent, je me
réjouissais d'avance à la pensée de les recevoir tous
deux sous mon tQlt, ainsi que cela avait été convenu. Le personnel était des plus reduits: une
femme de chambrc, attachée à la personne de la
nouvelle lady, lord Arthur étaIt servi par un Hindou qui l'avait accompagné durant toutcs ~cs
e.'p·orations. II y avait, en outrc, un vieux couple fai allt
office de concierges, Que sc passa·t-il exaClt mlllt?
Pnsonne n'a pu donner de précision, pas même la
jeune mariée. Un seul fait est certain, c'cst que,
sans même une explication avec. la femme qui portait son nom, lord Kennendale s'enfuit aUl11ilicu de la
III 11 t, vraisemblablement avec son domestique hindou.
e A on réveil, Diane, surprise de sc retrouver
~cul
datl~
le grand lit conjugal où, la \'eille, elle
par la fati 'ue d le émoc'0tall (1I(IIJrmil" 1f~e
tion de la journée quc, par dén ion, c rtaill désignaient cnll1mc devant Nrc la plus belle de son exislcllce, cll\'oya la caménste s'enquérir dc la anté de
Sa Gràcc. La jU1I1e lIloici r vint presque immédiatem~lt
portant llue large c!lvdoppc qu'elle avait trO\1v!:C' hi Il
Tl VUl ~l1r
1lI1l titille, dan la ch,lmbrl' de
:\ lady Diana. La
1\1ylord. Elle était adrl'~séc
pall\'r petite, aVl:C Ulll ('1l1otion compréhensible,
hri a Il' cachl t d cire. 11 \11 échappa des actes
parfaitement en règle lui perm ttant de jouir d'ullc
grand partie de la fortune de sir Arthur, un testament t lin court bill ct ur lt:qu 1 le Ilouveau marié
avait à p u prè écrit ccci: e Je sui illdi 'Ile de
t' \ ou!>. l'ardonmz·moi, JC pars pOlir toujours apres
�avoir as~uré
\'otiC sitllation matérielle. Cclui qui
aura pli connaitre le préClctV 1Jonh~ur
qui ne
«lU] l'tait IJ:lS dù, »
L'émotion étranglait la voix de Mm< de Souvigny
l'n "ilulLc se creusa. André était stupéfait au point
qu't! nc trouvait aucun mot pour solliciter de nou\l'I~s
explications. Enfin il prononça, comme à
regr(;t :
tt depuis lors, votre jeune parente n'a pas
lCÇU l'e_·phcation?.,
.10 'on,
MalKré toue~
les recherches, les enquêtes auxqul'1ks la famille 'est livrée" d'accord
a \'CC l't\pouse abandonnée, pas une trace, pas un
indIce n'ont pu être recueillis.
- Voyons, ma tante, celle hist"ire est prodi"leuse! Un homme de l'importance de lord Kenncndale ne disparaît pas comme une bulle de savon se
,'olatilisL', Ne scrait-cc qu'à bord du paquebot qui a
loin de son pays natal, (qu'il avaIt
dil l'~mctr
san doute un int \rêt primordial il fuir) il devait
être r(-('(Jnllll, tout au moins à son i 'naleml'nt et il
l'llui Je on nviteur indigène. S'il avait emprun é
la voie Ul:S airs, cc serait encor plll Simple.
- Je Il: ùis qU'Ol! n'a rien découvert.
- Et c t hOIlIJI1C, habitué ,'l vivre ans compter,
t!
crait en fui démuni de tOlll? Les vOy:1.gc " surtout Il's Ion":; \'oyage , colÎtcnt cher.
- Tu ViUIS, Jl;l r 1.1 question, dl !Ile rappell r l'un
dt, points l~s
plu trouhlants de c tic étol1nante
alLure, Lorù KCIIlIlIIdak a char 'é un sollicitor de
lui faire parvenir la part ùe ses 'ros revenu qu'il
s'cst ré crvé, part relativcment modique, D II.'
fois Jlar an, mal
;\ <les époques irrégulière,
l'homrn d'a ff:\J r
r çoit un dlbl DU llll radiog r al11Jl1e Je priant d'Lxpédier ùc la même façon, au
titre d'ull banquier IOlntain. L'argent ~t arrivé ct
touché aVHnt qu'il .soit po slblc d tenter la mointlrr
t,:
«II
�26
LA FORCE D'UN SERMENT
démarche, d'autant plus que le sollicitor a juré
d'être discret.
- Cependant, on a su de quels points du globe
ces ordres étaient expédiés?
- Naturellement, ct la police a enquêté, mais
sans succès. A part la banque à laquelle la lettre de
crédit "vait été présentée, nul n'avait vu le voyageur, lequel a amsi promené sa mystérieuse personne de Lima à Saïgon, de Calcutta à Colombo.
'il court toujours, il doit être loin actuellement. Je
te dirai que, depuis la mort de M. d'Hcrhières, le
père de Diane, ... mais, au fait, ... tu as dü recevoir un
faire-part? L'c m)m de lady Kennendalc s'y trouvait.
- Lady Diana vit sans doute auprès de sa mère?
- Non, celle-ci, devenue veuve, s'est fixée en
France avec sa seconde fil1e, Irène, mais cette dernièn: était si petite qlle tu ne 1',15 certainement jamal vue. Il y a entre Diane d clle une différence
cie huit année '.
Alors clic vit seule, isolée?
- On n' st jamais isolée quand on est t l'ès riche.
- Si j l'une, ClJl1til1ua André _ans prêta attcllt ion
à la l'L'marque de sa tante, comment n'a -t- '11e pas
cherche, à obtenir sa 1ibération, à se re faire un vil'?
- Tu n y 'CHI);L'S pas! Le divorce, alors? DIane
csl catholiclllC, pro fundélllent croyante ct is li d'ulle
famille 1) LI l'Oll lie tran igc pas avec Cl:S sort 'S de
<In'oi r5.
- Je comprelldJ biell, marraine, ct cc n' 'st pas
(' ·liI que j'ai voult, dir', ohJecta vivem 'Il! le jeulle
hOlllllle devant l'air orfusqué de la châtelainc, mais
1I1le l -lle uniol. al1rait été certainement annulée à
KOI1le.
'- Peut-~lr·.
Jl: n'y avais point 'ongé, mai jl' Ile
s:lUr,ti" blâmer ma nièce d'une ré ignaliolJ v;ritabkmult chrétienne.
�LA FORCE UUN SERMENT
~
Non, non! s'écna ;,Iarteval, avec une véhémence que rien au monde n'aurait pu conll:nir, non
la doctrine du Christ ne demande point une telle
immolation, C'est impossible qu'une créature pa,rée
par Dieu de tous les charmes ceux du cœur
comme ceux du visage - s'{;nferme dans cc renoncement inhumain ... Vivre sans être épouse, san être
mèrl', car, si je vous ai bien compri 'e, ce mariage
maudit n'a été qu'un simulacre? Et vous ne vous
êtes pas demandé pourquoi cet hOllJt1Ie avait joué
cette abominahle comédie afin de g-agn<:r le cœur
d'une jeune fi Il t' qu'il a en'uite làchement ahandonnée, sans avoir même cu le courage d'affronter
une loyale explicatioJl?
- Mon Dieu! André, comme tu t'exaltes! Je ne
ml suis ri<:n demandé- ùu tout. La situation de mes
pau vrcs parellteS me paraît assez pC'nible pour ne
point 1 s harceler d'indiscrètes que tians. J'ai reçu,
à deux ou troIS l'l'prises, la vi~t'
de M"'· c!' Herhière ,la œur de mon cher mari. J'ai con~taé
qU'II
lui était infiniment pénible d'évoquer cette période
de son e.-istcJlce. Diane, d'ailleurs, vit dans une
cornpll'le indépendance, Elle voyag beaucoup, ne
fai à a ml're 'lm de hrèv('s visit <. Une comrH;nsatlon lui est accordée: cdt!' fort un (lont l'II peut
à SOI1 gr": di~p(Jr
ct qui lui pl'mlL! de mener une
VI~
trl' agllahlc, ]e ~éjC)urnc
où bon lui plait...
Ah! je comprends, interrompit l" jtllllC
h0I11111e : l'argent! \'otrc parent~
avait sans rloule
accl'»té lord KCIIIIl:lIdak à cau l de sa gros L' fortUI~,
l't, maintlll:lllt, die ne 'aurait se r' ,i 'ner à
Un ort plu mode 1c.
- 1rai~
tu cs odieu.- avec l " suppositions mal·
v~il1at
s !...
- 11 n'y a pas U de malveillancl', ma tante, mais
la con tatation dc la vérit~,
de l'humaine vérité,
San c\outl·. ln se libérant, lady Kcnnendale p~r-
�28
LA FORCE D'UN SERMENT
drait-elle les fastueuses rentes qui lui sont allouées.
C'est tout naturel, allez !...
- André, je vais croire que l'habitude de plaider
pour de vilaines gens t'a ôté tout sens moral. Sache,
pour ta gouverne, que je n'ai Jamais entendu parler
d'une clause semblable. Je connais trop l'âme de ma
petite Didi pour admettre une econde que l'intérêt
ait pu la faire agir bassement, d'ailleurs je n'avais
pas pensé à ces choses ... , ct maintenant que tu les as
énoncées devant moi L.. Oh! c'est mal d'aVOIr mis
le doute dan mon esprit! Et puis, non, je ne veux
pas douter. Enfin, si ce mystère t'intéresse à ce
point, tu n'auras qu'à questionner Diane elle-mêmC'.
- Que voult:z-vons dire, marraine? s'éCria Anal'é, (lui était devenu cxtraonltnaircrnent blême et
dont la yoix tremhlait.
J'avais ouhlié de t, prévC'nir. Deux jours
avant ta lettr m'annonçant la datc (Il- ton arrivée,
j'en avais reçu une de lady Kennendale qui, après
lit' éjour dans on chtLteau de H'illdermerc, revient
ln France afin dl' passer quelques jours auprès li'
M"'· d'II 'l'hières. Ensuitl', elle '?Jrrêtcra ici, elle me
J'a promis formelh lllent.
- :'lIa tante, vous ne lui anz pa dit CJuc je
serais I;\?
• r on . Et pnis, quclle impol'tancl'? 'l'a préscllc
ne ferait pas changer ses prnjl'l5, au contrairt" il
Ille . ·mble ...
Il l-Iait impo~shle
à Alix cil' ne point remarquer
Ic trouhl du jeulle avocat. ElI' ·n fut un peu sllr!,>ri l', mais, jugeant que cela pouvait tenir à l'opinion pre que défavorable qu'il venait d'cxpriIll 1
sur le comptc d'un' fcmme (Iont l' mulhc.:l1r llléntait pIns de compa ion, dIe n'insista pa ct cherCh.1 lin autre 'ujet de conv rsation. T'ourtal t.
comml' la c!ütclainc allait le lais n scnl, Aldr~
ha arcla une qucstion qui lui hrülait 1 lèvn's:
�LA FORCE D'UN SERMENT
29
Quand comptez-vous recevoir lady Kennendale, ma tante?
- J'attends une dépêche pour me fixer exactement. Sans doute d'ici deux ou trois jours.
III
AMIS?
Parfois, lorsque J'imag-ination parc de . es prestigcs d de ses fantaisies un événement que 1'011
redoute ct que l'on espère à la fois, 011 sc trouve
tout étonné, après qu'il s'e t accompli, de la simplicité avec laquelle les choses sc sont pa sées.
, Ainsi, la seconde rencontre d'André de Marteval
avec lady Kennendale - rencontre qui fut faite
en présence de l'excellente châtelaine et sous les
le
auspices dt:: l'ur intimité d'enfants, - se cl ~rolia
plus naturellement du monde. En fermé dans une
anxiété presque maladive qui fai~t
hattre S()n
cœur il grands coups et humectait ~es
tempes de
sueur, André avait refusé d'aller chercher la
Voyageuse il la gare de Brest. Ce fut le jardmier,
lequ l, dans les grandes occaSIOns, faisait aussi office
de chau'rfellr, qui devait être chargé de cc soin; mais,
à h grande surprise des habitant· de Tréplonncck,
une heure environ avant l'instant fixé pour le cl "part, une élégante conduite intérieure 'arrêt:t devant la grille du petit manoir. Une femme était au
volant; une autre occupait J'intérieur de la voiture,
Veillant ur 1 s valises, les cartons ~ chapeaux ct
un . superbe ch1ltte persane qui, dormant. cn rond sur
ses Kenoux, Tes emblait, avec ses longs poil immaculés ct soyeux, il quelque manchon de renard blanc.
�30
LA FORCE D' N SER~INT
Mm. de Souvigny s'était précipItée. Elle reçut
dans ses bras la jcune femme l:n laquelle elle reconnaIssaIt à pClnC la fillctte qu'clic avait tutoyée, la
précieusement le
Jcune fille dont elle c~nservalt
5d'::lc portrdit.
- Diane, lady Kenl1lndale, .. , 111011 enfant, comme
vous a vez changl!
- L'fige, éVIdemment, ma chère tante, mais laissez 1l1oi YOUS regarder, Vous êtes toujuurs la même!
Sl:tCI1~,
ne me dit~s
pas ce «\'Ol1S li> cérélllOnitu,', Il me ferait crOlre (jlll' vous ne m'aimlz
plus, que je ne SUIS plus \'otn' p ,tite Didi,
Les deux fClI1m(:s sétaient tcndu ll's bras, Trop
émue pour parler, ,\hx couvraIt dr hai'l' r le Jours
pfllts de lady DIana, Cl' fut à Ce moment poi Ilant
qu'André s'avança vers le groupl' {tllacé, Afin dl'
dét')urner l'attentlOI1 et de [lOUVOlr cs uyer se!> yeux
où dvs larme' tt:uent prêtes il jaIllir, la veuve pré(nta rapidUlJI. nt 50n nevcu,
l'uur la seconde fOIS, André e l'Iltit l'Ilvelo(lpé
par cc nll'rveIlIl.:ux re 'ard qui, un Jour déjà, l'avaIt
bouln'l'rsé, ~lainet
il se rendait mIeux comptr
de cc qui fai aIt le charme, [HUlant jusqu'à l'aIlgO! s , dc l'e!tl jeull fllllm', ('üat<'nt, ail c1ou!r,
la profond ur de '( )'lu' c1 ' ulle ('null'ur indéci ( :
(' ·Ill' de l'cau qui court ur (k~
fOllds clairs ou oh •
l'ur d'ou 1111 Vil'11l1e11t ~es
rdl 1 IIHlIIV<tlltS, ct, au, SI,
Il'ur l!xpn' IOn de triste e qUI c01ltra tail avee
l'aff:t1J1lité d'ull éclatant ourirl'.
Uian' a\,;tit tendu la malll franl'h(~t.
La fnçoll
dont dl ~ rra l~s
doi'i du jumc homme avait
quelquc l'h(l e de masculIn ct on regard direct di 1[l;llt toutc éqUtvoqu\.!. Ell n'avait l'IC11 ouhlIé de
COllrt éjour dan le heau parr d 'l'réplolllle k
III du 'rand gdrçon qui, alor ,lui f:1I ,lit U11 il Il peur,
- J'ai bien ()U\'~lt
r\'oqllé ce 01lVUlIr, 111011
C('U III.
�LA FORCE D'UN SERi\IENT
31
Elle rougit d'avoir prononcé i vite ce mot consacrant de nouveau leur intimité, aussi se repritellc, et, cette fois, le sourire qui entr'ouvrait ses
lèvres sur l'éclair nacré d'une ébloui 'sante denture
était empremt d'une timidité toute juvénile.
- Je sais qu'en réalité aucun lien de parenté
tl'exi ·te entre nous, mais il me paraîtrait si cérémonieux de nous appeler Monsieur, Madame ...
- Aucun lien! protesta Mm. de Souvigny, me
comptez-vous donc pour quantité négligeable ? Je
suis votre tante à tous deux, mes enfants.
- C'est vrai, affirma André avec conviction.
Alors, cou in ?
ousins, répondit la jeune femme.
Et, de nouveau, leurs mains se cherchèrent
comme pour sc 11er un accord.
Etait-cc la simplicité de cettc arrivée, l'air de
fral 1 chise de la nouvelle venue et son manque d<:
coquetterie absolu, mais le trouble chez André sc
à Diana,
di ipait. Maint nant, quancl il son.~eait
Ulll' sulle pensée occupait son cerveau. Il n'avait
plus qu'ulle amhition, qu'un désir: jouer dan' la. vie
de cette f~l1m',
CJ1l'il s'imaginait sacrifiée, un rôle
bien faisant. Et re l'htllnhlc artisan de 'on bonheur
retrouvé, puisqu'il ne pouvait espérer y contribucr
altr(;I1~
qu'cn fai~nt,
autour d'clle, l'atmoo;phère
plus clair~,
en la rcnelant à la \ il' normal\.! dont il Sc
figurait qu'elle avait le regret. Il songeait nH~l1e
à
l'l'ch rcher le mari disparu, à lui arracher son secret t, qui ait, à le ram n r rep 'ntant \'l!rs le
fO)'!.'r désert l'.
- Et cepl'ndall Je 1'011111 " ~e
répétait-Il, "t.·altant il la scull' idée du sacrifice, lIJl sacrifice dont
'Il" ne devinerait Jamais la grandcu1'.
't.' fut sans doute afin dl' 'Ol11mCll l:o(' à met tre Il
ex "cution l, plan hi 11 imprécis qlle son imagination commençait à ~chafldr
qu'André sOIl!.:ca
�LA FORCE D'UN SERMENT
32
qu'il serait bon de solliciter les confidences de la
délai.sée.
La journée avait été accablante. Dédaignant la
pdite plage encombrée de baigneurs, André et
Diana, bons marcheurs tous deux, s'étaient éloignés
parmi 1(5 chaos de rochers que seuls fréquentaient
Il:S pêch<.:urs de homards ct les cueilleuses de moules.
Le cid était intensément hleu ct les flots tranquilles 0 cillaient doucLmcnt, à larges vagues mdolel1tes qui venaient de la haute mer. Au milieu du
Gou!<.:t, éVitant les pas,g~
dangereux, un contretorpillt.;ur avançait, rapide, comm\: pressé de regagllL r le port. Le gris fer de ~a
coque le faisait e
di:coup r aussi nettement qu'une omhre chl1oi~
SUI'
la uriace liquide que 1<.: SO 1<.:1 1 couchant laquait de
pourpre ct d'or.
D'ulle allure a "1It: <.:l souplt', la j<:une femme marchait la première. ParfOl~
11<.: sautait d' roch r en
rocher 0\1 bien elle contot1lnait une flaque d'cau
afin de ne point effarouch r le. petits crabe. que
l'on \ o)"nit évolu r gauch 111 nt ur le fond doré du
ahl . André avi a une anira tua ité dl' la falai ",
Utl J'omhre s'étendait sur lin tn
d'aigu
que l'on
aurait dit po é là afin d'Ole 'u J1Iir 1 promeneur
fatl rué • Il prOI sa à sa CCJIl1p.lgnl: de s'y a ~coir.
1~Ic
• l'qUlC ça J'UII Ilunrc,
l\!UlI1tCllélllt, étUHJU pT< qll il e pied, Il la eonllll1pl;l1t, ma! .(ln admiralH Il Nait pure comme
cl'11l: qll 1':LI11
prou V! d V.lllt lIll (Cl1\'rc d'art.
- 1 ourqtHll nie rcga rdcz-volIS ain i? questionna
1)1:111
, Ull !1L \1
tll"pr!
•
Alld r ' réponlht avec a lll"m'
- Je vou rc .mle, Dt.llle, t j
tIlJI
j
f
111111
clll
tIl
di
que ja-
i mcrn il! u
que
h! Ill! protl t z pa. c n' t pomt un cont'r. J vou
l'liment hanal que j' OlClHI \'ou adr
:lIlmirc c j me cl lIIand pourquOI veJlI n'av z pas
\' Il.
�l.A FORCE D't;'
T
SER:\1E. TT
33
trollYé sur \'otn' rnut(' le bonheur que vous méritez.
Tais~z
W>I15, t\ndré. D'ailkurs, (JIll! savezvous de moi et pourquoi penser que je ne suis pas
hUlreuse?
- Non, Diane. Vous ne pouvez l'être, car vous
aVlZ un' cœur, el ce cœur, forcément, demeure
meurtri.
A sa grande surprise, la jeune femme ne protesta
pas comme il l'avait craint. Aucune défense orgueilleuse. Au contraire, elle posa sa main sur son
front soudainement alourdi ct ses paupière 'abaissèrent, allongeant sur la joue rose une ombre
émouyantc.
- Vous sOl1ffn'z. n'est-cc pas? fit-il, plus pressant ct plu' affcctul·lV.
Elle lui 1i vra son regard sans réticences ct il y lut
le tourment qu'elle dissimulait à tous.
- Oui, je souffre, fit-die d'une voix à peine perceptible, mais vou ne pouvez ri 11 Jlour moi, vous
ne pourrilz que jeter plus de trouble en moi, ct cda,
Andr', vou èt s trop droit, trop loyal pour le désirer.
-
Je suis \'otr ami, Diane, j' ·Cll.x., vou aidcr.
~ l'oua négativement la tête,
- SI Y(Jus avilz l'ol1fiancl' en moi, il 11'(' t rIen
qlle je Ill' pui. c faire, ('ontinua-t-il.
- Pc rsonlle 1](' peut rien.
- Si. Ol1S réunir à cclui qUt· VO\lS aimez ...
- Je Il'aime plus lord Kcn1H:lldal. I\:ut-étrc
m"rne I l ' l'ai-je jamai :1i1l1',
- Alors, pourquoi dCllll'Ur 'z-vous rh'éc à ccttc
chaîne? ... IIl1e chaîne dorée ...
OUI, j
ai. On 111 ~clit
de 1110i. C '[tains suppo lnt - 1 t c' t l'opinioll dc la (Cm d lord J\rthllr cl\ --m"lI1e - que c'cst pour son argent !... Son
argent..., mai cc C{U beaucoup ignnrcllt, c'c t '1I1'i!
m'appartit:ndra, quui que j fasse, vous nJ' l1ll'ndc:I,
J~lIe
1~7'1
�J-t
LA FORCE D'UN SERMEKT
méme si je ne portais plus son nom, même
i je <lcvellai la femme d'un autre.
Diane, avez-vou songé quc, devant Dicu
comme de\";L11t les hommes, YOUS êtes en droit de
rl'jJrelltIre votre liberté.
- Non.
•
Elle a\'ait prononcé cc mot avec une netteté terrible, ulle netteté tombant sur les pauvres espoirs
qui, d(;puis un in tant, faisaient battre plus précipitammcut le CU:Uf du jeune homme, ct ks fauchant
C(lI11l11e 1 • hlé d'Ullé l11oi. on trop mûre.
'ompnt-dk Cc qUI ~é pa_salt dans l'âme de 5011
c01l1lMgnon? Elle le regarda IOI1"Uemcnt ct s'
grands ) eux étaient humides ct pre que \·oil~:.
de
larmes.
- Andrt'·, fit-e\le en appuyant sa petite main où
lui ait I"allne.ltl nuptial, je ~ai.
lJue j'ai cil nJUs un
vérItahle all1i, un ami </ui a droit il. toute la vl·rilé.
Aus l, j' \"al vous la dire. J'.li relloncé à dcml1l1der
à l'om I".ulllulalllill de mon manag-c parce que,
lor qUl je l'ai COll tracté, je 5.1\";11 qu'un ob taele
l','i tait entr' lord J rthur cl moi. J'ai J nc couru
librcm~
lit le ri qne de c qui d "ait ré l1lter JI.: mon
oh tin.ltinll.· Je doi
u)IJlorter an dé faillancc, le
COli équence de Illon 'rreur.
1)Idl! , je Ill: cOl11prllld p~.
\ OIIS allez rOll1p!"! \ldrc. l''t t 1111 Ion' rrot
fJll jl V.lI VOII filir(, tlll fl-":It tl"l, jll qu'à auiourd'hui, p r OHIlI', P,l mtml' IIlC par(;nt, lI'a entelldu,
Fau
Pourquoi me UI -jl tuc .IU i (Jh~tinél1?
hOllte p l\t-~f',
ou hi 11 la cl.linte 'Iu l'un n'attnhu llt acte à de: nl\Jhik d ha intér ",t. ela, je
\lIlI 1 jure, !l1oU ami, n'a pa fi
~ sur ma détermination. \'ou 1.' cro) el, n' toc pas?
,r,lvern nt, \ndr~
inclllla la tét· :
- Je vou croi 1 Diane. De \"otrc bouche, seule
la \ 'rité peut ortir.
Andr~,
�LA l'ORCI
~
D'l'N SERMENT
35
1,:1 mer, maintenant étale el 101lltaine, ne faisait
plll s entelldre, Ul d" 'roulant SeS vagu s nonchalantes
su.r l , saIJIe hllInidl', qu 'unc sortc de froissement
S0)" UK d'une 1110notolll berceuse. Le soleil, s'inclinallt sur l'horizon, glaçait d 'argent la surface à
peille rid~c
d l'~
not s. 1]ne grallue paix environnait
les deux êtres humains si fragiles parmi la calme
majesté de la na lUfl; ct le grandiose contraste de
l'eau sans limite lt de~
falaises rocheuses, corrodées depUIS des Si \c1 es par les assauts qui avaient
fait éhoul, l' des pan de granit et incrusté dans le
sahle (ks bloc. cyclopéens où poussaient mainte,nanl, la mousse verte ct I,'s algue~
marines.
Avant 'IUt; le {lu. re\·il'Illle ct que la route leur
soit barrée par la marée montante, André d Diane
pouvaIent dl poser de deux heures. Cela devait
suffire à la jeune femme, aussi commença-t-ellc,
sans autre préambule, ce qui était, en réalité, l'histoire de sa vic.
IV
UN MA
fARIAGF.
l.a nomination de M. Norhert d'l{erbièrcs à Iln
poste important dépendant de l'Ambassade fr:mçaise à Londres avait, on le sait, entraîné pour la
petite Diane \111 changement complet d'l'xi tencc.
Pourtant clic avait été mise dans un pcmionllat
tenu par des rcligl uses rrançai_es.
A Seize an , sortie du couvent mais parachevant
ses 'tude.; par des çours ct ùes leçons particlllièr ,
Di~l1C
d'II rhi'res, ur Il! dé ir expril1~
par la r ine
Mary dl mêlll', avait faIt a pn:mi r apparition
à la our.
�36
LA FORCE D'UN SERMENT
Vêtue d'une vaporeuse toilette de tulle blanc don!
la traîne en crêpe de Chine brodé lui donnait l'air
de quelque jeune déesse, coiffée des plumes d'autruche traditionnelles, rose d'émotion et son cœur
battant à coups accélérés dans sa poitrine où l'air
pénétrait avec peine, la j cune fille, après les trois
révérences exigées par le protocole, s'était trouvée,
sans sc rendre compte comment, auprt!s Je l'impératrice et reine qUI lui souriait avec bienveillance
et la garda à son côté tandiS que les pré entations
continuaient. Juste en facl! d'elle, senl dan~
un
an~k
du vaste salon, auprè d'un massi f de plantes
Vl'rtes qui le dis imulaient en partle, un homme sc
tenait , et son re~ad
ne quittait pas la nou\'Clle
venue.
la fixait d'une façon presCjue gêPOllftant, ~'l
nant· pour elle qui s'cn él~t
aperçue, il n'y avait
rien cl'audacieux dans cette attitude. Ses yeux d'un
gri trè. clair avaient un grand éclat. De taille
'lc\'c:c, trè élégant dans son habit de cérémonie,
son tClIlt hronzé ct comme urillé par le soleil et le
grand air contrastait avec la chevelure urillante,
~l1pemnt
rejetée n arrière afin de découvnr le
{ront, t qui était d'ull blond fonré. En vain la
jUill! fille ch rchait- Ile il détourn er son regard.
'0111111' Cl cinél!, clic revenait San
ces e à cet
hllll1nll' immohile ct qui ne souriait pas.
A L\ fin, c 'tic oh '5 1011 lui d vint pr que douloureuse. TI lui stmblait Cille tout 1 monde devait
re1l1arquer el: manège ,t en tirer contre elle des su{)f ItlOn défavorable. Enfin lie put rC"agncr la
pl.lce où se tcnait Tm" d' H rbières ct J'attaché
d' I1lhn ade, t()US deux tran porté de joi' l t d'orgueil par la iayeur in igne qu'avait accordée Sa l\Ia..r
je . Il la jcune Françaisc. La oir' 'écoula. Aù,
nt! d'un c. cellent orche tre Cjn lfJl1e couple datl!.
.aient dun le autre alons. l'curel! cment, Dian!'
�LA FORCE D'U
SER:'1ENT
aYait décliné les invitations, qui avaient été nombn;uses, C'est qu'eHe redoutait tle voir s'incliner
dcvant elle l'homme qui J'ayait si indiscrètement
dévisagée, EHe 'e sentait incapable de garder son
calme s'il la priait de lui accorder une valse ou un
quadrille, Par bonhcur pour elle, cette éventualité
ne se préscnta point, et quand, au bras dl. son père,
elle tranrsa de nouveau les salons, fit ses . révérenccs à Leurs Majestés et quitta la demeure de ses
hôtes royaux, elle n'aperçut plus la haute et élégante silhouette de son admirateur muet.
Cettc saison fut pour M"· d'Herbières l'occasion
de très nombreux succès. Malgré sa jeunesse et le
prudent désir manifesté par ses parents de ne point
exciter prématurément la coquetterie ou l'orgueil
chez unc en Fant à peine sortie de l'adolescence,
Diane ne put Se soustraire à la faveur dont elle
jouissait près de l'aristrocatie anglaise. Evitant encore le grands bals et les réceptions de cérémonie,
on la vit cependant à des raoub, à des gardcnparties. Sou\'ent dIe fut admise aux thés de la reine
Mary, Jamais, ni dans les salon ari tocratiqucs, ni
à la Cour, elle tH e retrouva en pré. LnCe de l'in.
connu qui l'avait St étrnn crnent fn cinée,
Elle en r(;sscntit d'ailleurs une orle de oulagement, pre qU\! l'mlpre sion d'aVOIr échappé à
quelque danger occultc, Son imarrination l1'amit pa
tardé ft sc forger toute une hi toire'.
111\ tC'rieux:
jeunc homme - au fait, était-il vraiment illlllc? Dlan aurait été bicn emharra "l' cl' 11li a igncr
lI!1 ft Tt:, car i son r~(Tad
hl'ill:lit cl'lIn '·I.tt juv'nil~,
il lui ;n'ait scmhlé que l' t mp ,un p~u
dégarni s, étai~!1
déjà pouùrél' d'nI' nt - cl~vait
êtrt.: qu,lquc diplomate étral1 Tcr, chargé d'un' mi '.
SIon nuprè des oU\'t.:rnin' ct mainlénant r tourné
~otlr
tOlljour' clans son pay',
L.a s,'uso" de Londres, unc dc~
pItt brillante
r.
�38
LA FORCE D'UN SER~I.-1'
l'Europe, venait de s'achever. M, et MO'. d'Herbières s'apprêtaient à passer, sur une plage à la
mode, les premières semaines de j uillct, comptant
cnsuitc consacrer le mois d'aoüt à leur famillc française, Avant le départ, Diane et sa petite sœur
1rèlll' il vaient été invitées pour le week-end chez
tlne <toile de pension dont les parents possédaient
un délicil:u.· cottage sur les bords dc la Tamise, à
p('u de di lance de Londres,
Le temps était radieux. Un l'ici léger, d'un bleu
[l'II 'rc qll'oO aurait dit fraîchement lav'" rendait
plu verdoyantes les rives du grand fleuve. Dc\'ant
chaque mai~on,
un jardin, d(Jiclel1Sement fleuri,
inel1nait ses li ses pelouses ct es ma%i fs d'hort nliias jusqu'à un petit cmbar~dèn
: olt un canot se
hal.lnç'lIt paf('~SCUse1Tnt.
Des h.trql1l's g;lissaient Sur la surface dl' la Tanml laquée de l'cflcts métalliclLtes. Dans chacune,
une j eUlle fin, vlol ue dc claires éton c, IUlait la
barre tandis flue dc jeunes g-arçolls, les chcYCUX
flottant au 'ré de la brise, les bras ct le tursc déCOll\' rts p,lr le maillot dc bain aux tOIlS éd. tants
qui fai aient n sortir la chaude cn!or,ltJO!1 dl' la
peau tannée par les intelllpérics t SOllS laql\e11e les
ml\ 1 jouaient en liherté, l11<lnl,lÎent le' avirons,
'c fllt dans 1111 de ceS canob que les trois j'unes
fill, s prtrent placc, Il avait 'té Convenu 'Ill(' l'on
n'm'Jllll rait Ir f!t:lIve jl\squ'à uu coitl plus a 'l'l'ste
que connaissaicnt l.lUt! Ilarewing t ses cousin ct
qui, mi ux que' tout autre, l'ur parai sait di 'ne de
plair' à 1)ian .
( Il :I\';lIt emporté 1
éléments d'ulle t'o!lation.
Georg s ct Edward, ftgé r pectivell1cnt d(' ql\inze
el dl '-. pt ans, ~Iaicnt
t.:xCl'llcnt rallH'UfS, II faiai ni parti d' la célchrc lquip de 'amhridge où
I(lU dUI
lerlllillai nt de élude parmi le quelles
le sport tenaÎt une place prépondérante.
Ù~
�LA FORCE D'UN SER:tI1ENT
39
La bande juvénile avait atteint son but après une
soign~ul.!met
chronométrée par
lni~
Harewing.
C'était, en vérité, un endroit paradisiaque. Les
Cottages peu à peu, s'étaient espacés. Des grands
arbres baignaient leurs pUissantes racines dans
l'cau, claire comme un miroir, où se reflétaient leur
épais e ramure. L'herbe était moelleuse ct parseml!~
tle boutons d'or. Une sorte de petite crique
offrait au bateau un abri naturel.
En sa qualité tl'hôtesse, Maud 'empressait de
dres cr le couvert, de déball r les provisions, tandis qu'affalés à même le sol les rameurs prenaient
un repos bien gagné. Diane et sa petite sœur, s'exclamant tl'admiration, avaient voulu explorer le
frais boca Te que \'on aurait dit situé si loin du
monde civilisé, lequrl ne rappelait son e.· istence que
par le passage rapide des canots de l'rom nade
ch rgés d'une belle et saine j eUllessc. un peu étourdI par le grand air et l'efinrl musculaire - c~\r
1'1\11 -lais, même quand il s'accorde ql1cu~s
heures
de n:pos, ne perd jamais la notion ùu port ct le
sOll\'enir des sévère::. compétitions.
Tandis que la petite Irène allait de-ci, de-là,
s';(l11l1Qnt à compo cr un bouquet de nUl!' sauage , Diane s\ nga 'eait entre le troncs centenair
ct les bui~sl)
d'arbustes épineux, Elle
voulait sc rendre compte de l'étendue de cc pdit
paradi de feuillage dont (ln Jl'a[erc~\uit
pa le limît . 'oudain Ile s'arrêta: un prnl11cncur ven:nt
à a rencontre. Il portait un costume de Ilandlc
blallche, lIne ca quelte de yachtman dont la visière
était rabattue sur son visage. Le jeune fil! allait
fairl \·olte-face ct rejoindre cs amis, lorsqu'une
e. lama tion fra ppa son oreille; puis clic entendit
1) ro lloncer son IlO!t1 :
- :\[". d'lI~rhi
p~rÏonace
�LA FORCE D'UN SERMENT
;40
En dew:_ :.lU trois larges enjambées, le promeneur
inconnu fut auprès d'elle, déjà trop interdite pour
roettre son projet à exécution.
La tête découverte, il s'inclina devant Diane.
Lorsqu'il se releva, elle rencontra le regard lumineux qui l'ava 't si profondément troublée le soir de
ses débuts à la Cour. Jusqu'alors, à peme aurait-elle
pu dire de quelle couleur étaient les yeux qui, cc
soir-là, ne se détournaient pas d sa personne.
1\Taint~lI
elle en recevait en pleine face J'éclair
d'un bleu gns, brillant comme l'acier d'une lame
oigncu en. 'n fourbie.
Dans le visage basané, ces yeux clairs, aux reil('! de métal, faisaient une impression bizarr . En
les regardallt on oubliait toute autre particularité.
La j\ une Française avait prodigieu. cm~nt
rougi,
!naIS il
lUi fut lm possible de prononcer une
p .. role.
Le proTTleneur mit sali' doute ce mutisme tir le
CI mpt(' c1'une surprise que motivait l'incorrection
de crt élan dont il s' 'xcusa aussitôt en employant,
poUl parler à la Françai e, la languc qui était la
H 1111 , prml\ant [lin i qu'il connai sait parfaitnI 11 la l'cr onnc ;'l laqueJI
il 'adr ssait :
- J ' m'excuse, Mil. d'fTerbières. J dois vous
par.litre turiblcm~n
mal él'vé. Je n'aurais pas dû
nl< pcrmettre de vou ylucr, lI'ayant pa cu l'honfil nI de vou. êtn' pr ;~cnté.
- En ·fCct, balhutia la jeune fille, je n vous
c nnais pas, :'vIon lCt! r.
- Je sui lord A rlhm Kcnn ndal • J'ai cu la très
r ludl' favl:ur dc Ille trouvcr dan le alon d Sa
I.rjl lé la H'lrIl', il' soir Oll VOliS avez ~té
pré enIl . l'aurai in fi Il lI1H nt cl', ir ~ vou parler, ... mal ce
n' tal! pa po sibl . D pui., jl: vous ai ttivi ... par
1
I l ' , Il m'aurait ~tç
faeil de vou r ·voir, car
'ou
équcntl'z un monde qui elle mi 11 ...
ri
�L
fORCE D'UN
SEIU1~T
,p
Vous étiez sans doute en voyage, !Jasar a
Diane, de plus en plus trouhlée.
Un instant le re~atl
dominateur chercha ct l'l'tint le sien. On aur'ait dit que le lord voulait lire la
penoée qui se dérobait derrière le petit front qu'un
nuage roSe avait envahi.
- On vous a dit que je voyageais beaucoup, que
j'étais rarement Cil At1!!leterrc?
- l\Iais nOIl, hal!Jutia-t-elle, confuse. Je n'ai jamaiS, il me semble, entendu prononcer votre nom.
Olll,
- En vérité! C'e t m;eux ainsi, d'aiI1leur~.
j'ai hcaucoup \'oyagé, j'ai, ju 'qu'à ces dernir.ïs
temp~,
consa ré ma vic à vi.itcr les lieux les plus
curieux de la terH'.
- Sail dOlltt comptez-volis rcpartir bientôt?
A peillt' I\ut-dle é'nollcér. qUe Diane r grl'lta
d'avoÎr posé cettc que tioll Il rSOllllelle, cc qui, allpr'.s d'ull \'éritahl(' ,\ngla;" ('on tit\1ait ttll<' gra\'
infra 'tioll au. usagls 1I10ndaln". • 1. is lord K nncuùalc n'cil parut l'oint offusqu', l r ne expr sion
PI"lS'lll
t ndrc ado1l it SOli vi li '(' Ull jI'lt dur d,
COlllll1e s
parlant à Ili-1~e,
ll\ai
a'ns Cl
r dc
tom la ]ClIlle fille ~()US
le scilltillcmell\ d(' son
regard:
~Ol,
murmura-t-il, j'Ile repartirai pa , Jc ne
lep, rliral peut-être jamais.
l~t
'mordit 1 lè"!"l's pour Ill' point demancler
quclk raison lui dictait Ulle ré.olution nus i <l{-finilivc li [lflllrq\lfll il lui ('n faisait part,
\? uillez lIl\xcu (r. :'Iliionl. je ui' ICI avec
dts ami. l\TOI1 ah Cil " doit 1 s étonner.
A C'l' lI1olT1('nt, la petite 1rèlll' ur il d'un hui n
dont le i-pl1~5
li nient eonsi l~ rahkmellt lI1am~n'
Sa lég('fl' roll\' de voih rD c,
- Oh Diana, je \'1)\1<; prit'. lIidcz-moi à me ù'
barnl cr de cc vilain' roner qui déchir nt m
jamhe ~t
'a 'crochent à ma robe.
�4.:!
LA FORCE D'UN SERMENT
Irène, élevé!;; en Angleterre, s'exprimait avec un
impeccable accent. Elle avait pris aussi les couaunes de son pays d·adoption. Voyant un étranger
Ln grande conversation a\ ec a sœur, elle ne parut
nullement surprise et ne lui posa point la plus petite question.
Gentiment elle s'avança vers Kcnnendale et, cep,. ndant que Diane s'efforçait de la déhyrer des
épine, elle tendit sa petite main au lord et secoua
yigoun;usLmctlt la siennc :
Bonjour, Monsieur. Comment allez-vous?
- Je vais parfaitLment bien, miss d'Herbières.
- Je suis ravie. Il fait un temps splendide auj ourd'hui.
- Oui, c'cst la plu ' belle journée que j'aie jamais Yue.
- Oh! mui, j'en ai vu de plu hellcs encore. Me
VOici délivrée de ceS arf rell,c ro1lC0:5. Maintenant,
il faut que nous rejuigniolls 1I0S ami. \"Ol1 pouvez
1l0llS accumpagner, car Je suppose que vous cannat St'Z 11aucl llarcwilw ct Se cou.ins, Georg
ct
Edward?
- Je connais par fait 'ment la familk 1 farewing.
Je cmi ll1êm' qu l'h!Jnllr,lhk ir IIar \\ 111" ct ma
m~re
h,u lit \lll P Il pareil .
- En el: ca~.
VClI z, d~c1ar
la fillcltc avec une
amU';,lnt' ·ruvité. Mr:,. 1far 'will' il 1111 dan' le pani 'r que nou <IVOIl cmport', tant cl· bonne cho cs
que :\1attd vou ' invit 'ra certain 111 'lit à les partager av,c 1I0U •
Avant d
uint: \' nfant qui lui avait pris la
main, Arthur e tourna \'Crs l>tan . A cc moment
, le pouce ùe la
il '.il> 'rt;ut q\! , piqué par une ~pil1
jeuill lm, aignait. EIJ' l'avait enroul' dal1~
on
Pl lit Ill'Jllchoir dc linon, mai l'~toTe
ténue :tait
<l' j.'t rOl ,jc par l' sali T qui coulait toujol!'rs.
Le tint colnr' du j Clille hl)111111 blêmit soudainc
�LA FORCE D'UN SERl\IENT
4,3
ment jusqu'à paraître vt.:rdâtre. Lâchant la main de
sa petite compagne, il s'élança vers Dlane :
- Vous vous êtes fait mal? demanda-t-il d'une
voix qui tremblait.
Elle sourit, tant l'émotion que mani festait le lord
lui sunblait di~protnée
avec le minuscule
accident.
De sa poche, Arthur avait sorti un mouchoir de
soie blanche. li en entortilla le doigt où pointait une
dernière goutte couh:ur de rubis. D'un g . te machinal, il glissa dans sa poche le petit tampon souillé
de sang encore humide qui avait coulé de la piqùre.
Ses mains étaiellt hésitantes ct son visa"c rdlttait
unt émotion qui, certainemcnt, n'était pas joué.
«:\Tais, .. il Ill'aime, songea suhitcment Diane
d'Ilerblères. Il m'aime! ~
Elle Sc répétait ce mot avec une sorle de terreur,
cl, hi en que 11.: jeune homme ail fail sur cil, une
impression qui n'était pas défavorahle, clic ('prouvait, à cet le minute, tandis que lord K\!l11H ndale
cheminait à . cs eôté , infinimt.:nt plus de trist sse
que cie joie.
~ datlT d Ce jour, ql1i devait compter dans on
t.:xIstcnrc, lord 1· LllIlcndak, h:qul'I, cIL puis la oirre
où ils s'~taicn
rencontrés pOlir ln pTt Ini "rl flli.,
n:a\'ait jamaIs 5S)t d\ ntn;r (n rd, lion a\'~
le
dl(llomal' français, chall,;e<l rO/l1plèl m nt ,le r' le
il sc fit illvitl'r da! ~ les
de conduite. Ton sl'1~IUt
salolls 'Ill r~(/ltai
l i"'" d'\I rhil\no; l'l introduire au.' r:c ption cie nlle-ci, mai il insi .lél pour
que a sœur, ~rs.
Cécili,l Ileariling, vînt pa cr
<judql1 s jOllrs clans la superhe dUl1cur' donl, l'li .;t
qualité d'ail!'" il était, depuis la mort ri
C Plr~lts,
l'uniqu propriétaire. Cet hiltel s trouva;1 itué il. nt:l~1
a 'Ill l'ulI' dl's rues le plu. an! eratiqu
dl' Lonclrc •
•\1 r . Cécilia Il artling était de clio -huit mo. plIS
�~.j
LA FORCE D'UN SERMENT
j cune que son frère. Elle avait ét ~ mariée à un baronnet qui l'avait laissée veuve après trois années
d'un union que l'on disait n'avoir pas été des plus
heureuses; l'honorable Thomas Heartling, habitué
il vivre sur ses terres avec ses chiens et ses gardes
pour seuls compagnons, avait, en outre, un penchant à. l'intempérance, lequel lui fut fatal, mal~r"
qLH: "a jeune femme l'eût vainement combattu.
Comme il était veu f ct pèr cl' deux charmants <Yarçonnets 10rsCjue lady Cécilia s"'tait fiancée à lui,
elle n'hérita point de son mari. Sans les libéralités
de son frère, die eül pu craindre être réduite à la
portion congrue quand sonnerait pour les deux boy-,
dont un conscil de famille l'avait nommée tutrice,
l'heure dc leur majorité.
Sans clout la jeune veuv caressait-eIle l' spoir
que lorcl Arthur nc s laiSSerait jamais enchaîner
dans les liens du ma r iage. Elle att 'll!lait ans trop
d'lmpatÎencë l'instant où, lihérée d
d 'voirs
d" ducatricc, elle pourrait s'in taller en maÎt rc SI'
au foyer de on frère et jouir d nom' au cl'unc \-ie
hrlllante cl mondaine dont III vait été atrOCement
!ln,',.
Déjà,
u. - "jour à Winli l'/H, /',' ('tt tl .. , d mcure infinim Ilt plu OlllptU [H-C
7. VOl IIh: de I,(Hldre , pui qu'clic 5 troll\ait
Sili
dans 1,1 piltorLS<lue ré '1011 du \Vestmort:lancl,
d'Fm, (', pmpri ~t ~ de Ses jeulles
que It: l'h,\I~:1
ùc,Lllx-fil , 1larry ct ()livier.
Ou nd loru Kenn 'nuai llla Il 1 f '~ta
le dé ir dl'
donncr, pour l'ouvcrture cl la 'li on mono inc, lin
r"ceptic)!l à lnqucllt. 'rall:nt invités M"· d' IIerbière t eS parellt, 'écdia dcvina immédiatcm 'lit
luelle 'tnient 1 intentinn d SOI1 frère t qu'il
ltll faudrait r 11011 er ft sc ch rs prnj l . F.lle 'inclma l' p tHlant, Car 11 a\':lIl <lU ri -n 11 p Illv.dt
fair plier lïlltl .·jblc volollt' d'Arthur K 1111 nrlalc.
�LA FORCE D'UN SER.IE.
l'
45
Même elle eut J'habtldé de faire bonne figure à
cdle que, bientôt, elle de\'rait nommer «sa sœur ».
L'atti udc du jeune lord, au cours d'unc .soir':c
dont Diane étalt la reine incontestée, ne lai:sa aucun doute sur le sentiment qui empllssait son cœur
- cc cœur qui n'avait jamais aimé, affirmaient le
miell.' renseignés, - ct Mlle d'Herbières fut la seule
peut-être à douter "ncore de l'amour dont elle était
l'objet 't à ne point sc réjouir du sort brillant qui
l'attendalt.
Le lendemain, d'ailleurs, lord Arthur faisait officic\kment sa demanùe. Lorsque M. ct ':-'IID' d'H"rbièrc 1" purent plus il{norcr qu'il ne dépendait que
d'cu.' ùe faire ùe lt.:ur fille une dcs fCII1!l1cS les plus
richcs, les plus nohles ct les plu5 aùulée du
Royaume-Uni, \Ill" ~rande
anxiété sc ~Iisa
en eux.
l\lalgTé tOtlt, il kur en coùtait de donner km fille
à nll étlaJ1~n,
dl.! lui vuir abandonner sa na IOn;lI1t(, ~e fixer sur l'ette terre où eux-mêmes 11 comptaient point terminer l~ ur vic.
Par bunhLtlr, l'extrême jeutle e de la futui e Il<ly
permettait ulle olu'ion mixte, Sam rcfu er 1\ rcq lète de plus flattcu c présentée par ir Arthur,
les part:llt ré ef\'èrLllt leur r(pon e JUSqU'ilU jour
où Diane aurait atteint a dix-hnitièrne année,
Ut:u," an ! Qui ait i, au bout de l' d'lai, 1 lord
Il', \Irait pa' oublié l'~moti()n
quc lui avai cau "c la
grflCc Je la helle jeulle fille? Qui ait .1, l'lpris par
llll all10ur de l'annturc, il Ill: e ~\:T.lIt
P;l Cllfollcé
dans 'lU l'lue COlltrée lointaine où il né ,Ii 'cr,lit de
lir r vendiquer ~e
drOlt·? l'lai L11 fai., nt ce
rai r 1111 Illent impli te, le tendr
parents rnécon1J;\Is,ai lit la profondeur du
ntirncnt qui dominait
si tyranniquclIlent lHI êtr prodam; invincible.
Ol'\'ant b vol(mté de 1\1. d'Il rbl ~rc,
A rlhur
"\ it in 'liné, Il Il'cxi 'cait rien, aucune prollle. e
formelle. sçulcllIcnt la f,l\'Cur d'être r ,u de tcmp$
"l'
�46
LA FORCE D'UN
SER~1T
en temps par la famille de sa bien-aimée, de pouvoir l'approcher, gagner petit à petit le cœür encore
neu f, mais que tant de soumission et d'humilité touchcrail ~ans
doule.
Fils d'une mère irlandaise, lord Arthur avait été
éh:vé, en cachette, selon les préceptes de la foi catholique, cl s'il ne pratiquait pas ouvertement cctte
religion, c'était par une sorte d'indifférence qu seS
longs voyages avaient ancré· en lui. De lu:-mêl1l
il offrit de c convertir d accoll1plit -cltc grave
résolution avec l'cnthousiasme d'uH n ~ophyte.
Cet!.:
action fut pour beaucoup (1111 la détl'rminatÎnn de
DIane. PouvaIt-elle refuser d'être la r:ompagnc d'un
homme qui, pour elle, n'avait pa reculé devant une
détermination dont nombreux, parmi ses pairs, se·
raient ceux qui 1(' bl,Îmcrai nt.
Sans grands {·v[.l1t;1nenls CJui l'Il jalol1nel,l le
('ours, Irs deu.' annél's <!'{prnlvc -.'t:coulèrclll. Au
jour promis, Diant', inl rro ée par l\1. d'Ilerbières,
n'hlsita pas ,\ prol1onn r le «Olll:t qui allait cllga.
g r loule son cxi tcnec, et la date de 1l0C
fllt
fi·{ c.
Bru qlle1J1Cnt, COIllIll
'il eitt ~tl;
pénihle ;\ sa pu·
deur d femme d'aller plu avant ct (Il- déVOIler (!l-vant \ln étrang 'r les côt', le plu
ecrcts de sa vic
<Ill 11ll nt' Il. lady Kl'nrlCIHlak cc a de pélrler, mais,
après avoir, durant q\1CI<lU' 111inut ,respecté c !te
){'gitinte h[' itatlOll, J\ndr~
la pn;s a cie n'pr ndrc
ont récit. Il le fit Ul terlll s i di'lira s, i empn:ints
d rc pect qm, dc Ilouveau, clIc lUI livra 011 regard
qu'dIe avait détourné ct n:prit hrav 111 nI la paroll' :
'os fian<;ailles fun lit hrl'ves, Iroi moi
IlvÎroll. Arthur 'e montrait sou un jour tout à f:lÎt
nOtlVl'all: ans doute la c rtiturlc qu'aucun oh tacIe
dé onnal ne e drl serait nlr lui t t qu'il conicl'rait comme son hOllh ur. Il l1J'a ·c'lhlait d'alttntion , d( somptucux pr' nt. Déjà, l'écrin qui avait
�LA FORCE D'Ul T SER:\1ENT
47
appartenu à sa mère, après avoir été la propriété de
toutes les ladies Kennendal.., et qUL chacune avait
ennchi de merveilleux joyaux, était en ma po ' e~
.HJll, Lord Arthur exig-cait que je me parc, chaque
fois que nOus devions nous retrouver dan~
le monde
ou bien au théàtre, d'un cie ces bijou,' qui étaient
pour lui de précieu.- souvenirs de familk
«Un jour, cepenelant, il parut contrarié en me
voyant au bras un admirabl hracelet fait de trois
ran~s
de pierreries : émeraude'i, rubis et diamants,
11 me demanda as cz sèch ment ce qui ayait fixé
mon choix sur cette parure, Jc répondi (!tIC je
trou\'ais le bracelet rayissant.
« - J'aurais dù rctinr cet objet du coffret, fit-il
san .c dérider ct sans répondre il mon sourtrc, Jc
ne comprends pas un pareil oubl!, Le hraccll t e~t
sans valeur, 1\.:5 pierres ne sont qll'Ulll: habile imitation; de plus, il y manquc Cjucl'll1' cho C, d cc dét,:il a dl! attirer voln attentIoll,
«Je n'a\'ai rien runarqll' cl - Id 1 j l'avollai à
mon fiancé, Alor il me prit 1 pCl19'1lct : j p rçl1
1 tr('l11blcm nt dL cs doig-t qui l11e Slrr,lIlnt 1'()lnH~
un étau :
« - Voyez-vous, poursui\-it.il. cct anlleau d'or?
'IH' hrdlJqu, y était
uspcnclll.
« - Qu'e:;t dcn:Il11 ' cette hr Inrlll C? fil! tio nnai.
je d'lin ton qui 'efforçait il. d~1l
lIr -r illù ifi 1 nt
malgré l'inùOini able lIng""isse m'0trei 'nant le t'œm.
«- IWe a 'té pndllt,:, rép'J1ldlt lonl Klllllcl1dalc
to ut Cil dt-tachant 1 mal IIcolltrlllX hljou qu'il j ta
pr \ ipilall11T1clIt et an h: l 'arckr d.ll1 ulle de c
I·uche .
«.le \lIl\lll plaisanter lnCllre :
«- :\[C \(lici don l'riv'" d ce hracdct qui rai.
~al
tant d'criel. 1\10n lira nu III fait pre qu hOllt
d pui (jlle vou m'a\' z appri il. 1l1e parcr comme
Un iJole.
��LA FORCE
l)'
•
SEI dl.. '1'
49
PUI que
l'
l\r
�50
LA FORCE D'UN SERMENT
parents, dont la perspicacité, sans doute, aurait dt:viné le péril qui pesait sur moi.
Au loin, dorée~
par le soleil couchant, les larg.:s
ondulations dt:s vagues se rapprochaient insensiblement, poussant un peu plus en avant, de minute en
minute, l'ourld ù'écume qu'elles abandonnailnt sur
len1Jlc mouillé, telle une parure dédaignée. La prudence ordonnait aux deux amis de se rapprocher de
la petite anse où s'ébattaient les baigneurs.
Diane sc leva la première, mais, afin de pouvoir
continuer on récit, elle prit le bras de son compagnon et tous dUL' s'engagèrent sur la surface
ferme et humide que la marée avait découverte et
!]ttc, bientôt, clic recouvrirait de nouv au,
- J'étai toute au.' préparatifs de cc mariage
!]IH! la Presse annonçait comme un grand manage,
Un prince royal, vou le savez peut-être, devait
-rvi r de témol11 i Illon ftancé, L'ambassadl:ur de
France 5 r~lt
l'ull de miens. l\Ia pauvre chère maIlla 1 n' <lnit plu. Di; donner dc la tête parmi l's
coup cl· tél{ phon' qui !lotis as aillaicnt du matin
au oir, fI était l:n\ iron dl.' heures du malin, je
lI'a\ .l~
pa nror quittl' ma ch.lIl1hre, qu.lnù l'n,cl,
la i 'Dlmc de l'hamhre cl ma m'or', \'lIll dnrtir (lue
quelqu'un dem;llHlail avec insj,tance il être Tl Çl1 par
mOI, Qlll;lqu'ul1? 'Il Îl:l11m d'lin certaill ; " ct (Jui
11 lai <lit fort trollhl{O , .Il pUl ai Ù 1111 d rna1ld
d Cl'(JlIr -t JI1' Hlldi, :lU parlOir ,,!'t 1'(1 d a\.l1t
faIt attendre l'i1lC<1I111UI.. \ Ile-ci e l ra d'. que je
rll LI, san Ille lai cr le tem]! de lui]ln r lIlle
qu tlOl1. e11 prOllonça lIlle Jlhrast: qui <km lira InujOllf 'ra\ é dan Jllf)l1
prit. Je doi ajouter, mais
ur il; moment cc d "Lul n' m frapp,l pOlir ail! i
d r 1 linl, qu la \'1 Il 11 c 'c. prim It en fr IIlÇ:\I :
«- Madcll1()l (Ile, me tlit- lle n me fi,'ant d'lIlll!
façon pr qu in olcl1tc, JC SUI \' nUl! JlOlll' \'O\lS
a, l'tir, Vou alla épou r Arthur r clll1en laIe. Il
�LA - FORCE D'UN SERMENT
SI
ne Je faut pas. Rompez ce mariage ... Un obstack
existe entre VOtlS. Si vous passez outre à l'avertI'"
semcnt quc je vou~
donne, votre vic sera bri~éc
ct
il VOtlS arnvt:ra de grands maH1l'urs.
« Ayant dit, la femme 5e dirigea rapIdement l'crs
la porte qu'elle referma sur elle. Quand, r(VlnU' <ILma stupeur, je voulus m'élancer il sa suit" clIc
avait qllIlté l'appartement.
«Je·ne pou\'ais songer il courir à sa poursl1 ' e
dans la rue.
n 11lstant je demeurai Imm"bih,
m'efforçant de réali el' cc qui 'était pas é ct de r constitmr le sigrral ment c,-aet de la vistc\l~e
iIlCOIlnul. Ll' voici, tIque ma mémOire l'a I!llparfaitement enr('gi trt-: la fOllmc était de taille
l'lltllJll, l tic
mOytnne, habillée avec une et'rtaiIlL pr~
prétention qui di 'simult' p. r fois la gênl:; pourtant,
<Ians son attItmll', il n'y aval! a\lCUlle hUIl1iltt{,: nn
fl'g-arc1 très noir avait accroché le micn cl l'IJ1h 1 llt
me d(·fu'r.
-
:&
l-:tlc (,t;lit jnme?
- Oh! non.
inquantc ans au moins. Sou h
teinture rou sc dl' ses cheveu," qui dépassailPI ILS
bord du vion,- char 'an dl' paille l10ire OTIl\. 'e
fleur fallée, on apercc\"ait des mèche 'l1tièrelll lit
blanch . l t les yeu.', fort h au " il Cl' qu'tl m'a p flI,
étaient ntoIIT ',!,: de tout un lacis de rides .
. , - Vous aVez pari'; ft vos parents de cette in TlIlIere vi ile?
- Non, je n'al point osé. J e ne 5ais si V(lU~
!,ou~l'Z
l'IlI1lprclldrl' c< qui SI.' Jlasse dan le CleUI" d'une
Jl'une fille: timidité, rcsrect humain, arp 1 Z c·,t
COtnme VIlUS voudrez. R 'véler les P" roI
de 1'111Connue. " cill rIa défi'incl' cha mon père, le trouhle
d an l'itnll' d ma chère maman, risqu r quelque
éclilt qui aurait compromis O\! rl ul" mon mariage,
ClIn, j ne \louvai Ille r~signl'
,\ le ri qucr!
- Vou t niez tant que cela ft lui?
��LA FORCE D'UN
SER~IXT
S3
corbeilles de fleurs. Celle De mon fiancé écJip_ait
lnutes les autres par sa splendeur .. Machinalement
je fl'spirais les roses blanches et les lilas mêlé~
à
(1" snmptucuses orchidées. Que me disait Arthur?
J ne sais plus. Sa voix me parvenait lointaine,
, Ile cclle d'un dévot balbutiant une fervente litaI le. :-;rmdain, je l'interrompis, peut-être au milieu
d'u1L phrase:
«- Arthur, lui dis-je avec une véhémence qui
le fi tressaillir, Arthur, je ne doute pas de votre
<lfi..:ctlOll d de yotre yolonté de me rendre heureu e,
mais il faut que vou~
me fassiez un serment.
«- (.luel serment, Illy love!
«- CelUI qu'il n'existe entre nous aucun obstacle, riL'l1 qui pnurrait, un jour, nous séparer ou
nlJl1'i faire soutfnr.
«f I me regarda longuement. Ses yeux, si durs
parfnls, avaient l\:.·p ression ùe douceur care sante
qui m'avait teJlt:l11èlll t rouillée le jour de notre pre-'
ml '1'1.1 rencontre l'Il pré~nce
de la r inc .\Iary. Lord
Artht:r prit ma 111;lln 1lr~
!t;s d IIX ienllcS:
«- Dian , fit-il d'Ut! III!; d nt je n'ouhlil rai jamais la sol Hnité, j jl1r d \Hnl Dieu ql1'il n'exi te
entn: nous aucun oh tacle . .le n \ ou d manderai
même pas pOl1f\!wJi Wllh ml" pn cz une tcll' quescrs dout s. S'il y avait
tion 1 Cc qui whl a Irl pin~
<juc\quC chosc ~ln:
nous, je Ile me serai jarnai
rapproch6 dl' vou . JC \ nus aurai fuie. comme je
l'ai fait aprè le soir inouhJiabJ' Oll vous m"tes
apparue et oÎl l'amour est entré dans mon cœur.
Quand je vou al revue, Diane, j'avai le droit
d'aspirer au bonheur. que vou
ule pouvez me donner. Je vous en fais, ma bien-aimée, Je plus solenn 1
de ermcnts.
«Apr s cette déclaration, je n'o ai ajouter une
qUe tion. Lord Kcnncndal non plu ne m'interrogea p in . TI e r tira p li aprè .
����LA FORCE D'UN SERMENT
57
J(' vous aime. Je vous aime profondément, et,
ccpllH.lant, plu' que jamais, je m'engage à devenir
pour vous le plus fidèle des alliés. Considérez-moi
comme un frère. Tout ce qui sera humainement faisable afin de retrouver lord Kenncndale, Je le tenterai.
e Et, d'abord, un prohlème s'offre à nous. Il faut
le déchiffrer. Parmi ces petits faits paraissant ne se
rattachcr que de très loin au drame, il en est cependant qui doivent servir de fil conducteur. J. ' OIlS
les elas eron par ordre, d, autour de chacun, il
s'agira de btttir des hypothè es, pui, de les contrôler. Il ml! unblc que la première dlOse à fain:
'tralt de retnl\I\'cr l':lIlflllyme \'i itcu c.»
_ J'ai suivi Ct'tte piste vain ·ment.. . Il dirait que
Cett ' femme appart 'nait au monde ries fantômes.
- Il Y a, clans une grande ville, tant de moyens
de passer illaperçu{'.
- A moins qu'clic ne soit venue d'une autre
Contrée ct npartie ans mêmc avoir éjourné d,ms
Un des hôtel où d,s r 'herches minutieus s ont été
faitl's.
'- 'est po ibl'. Je v me rcp~nde
cette enquête
à la ha ,
ollt écoulé. ,"im- Héla ! plu de sept:tll ~e
POrte, André. J'acc ptt \'otre d~\,(lu'1
nI, je 1< 501hote même; tout, plut!,t qlle ct'ttL incertitude. Parfoi je ml' di «Ut lord KennCllllnlc n'cst plu de ce
ll1'mde l:t que ) a 111 ,liS je 11e scrai informée cl'
m'Irt, car il <1 pu Of rani cT les cho cs afin cl sc d~
robl'r, m"'me d,Ill la lombe, à toute curiosité.
- l.ai
Z-1110Î réfléchir à tout (da, mon alllie, e
cornpl 7. SUI' Illon CŒur qui vou app,lrti 'nt i nt jer<:ntcnt.
hut! l'allllti{O c t moins cxi 'cante. Un ptt
coin d ce ur I)'~nércu
me uftit.
II ét,tint arrivé devant la terrasse d'oil 1"" fi
��LA FORCE D'UN SER1ŒNT
S9
faire oublier sa tn~e
cxpérience, que cet André de
Marteval, son filleul ct SOli neveu, lequel, au moral,
lUI semblait avoir hérité de la délicatessc et des
qualités exquises 'd 'une mère trop tôt disparue.
Elle sc disait qu'en somme depuis dcs années lord
Kenncndale courait le monde, séjournait dans des
contrées malsaines, chassait le ti~rc
ct lc léopard.
Un jour, peut-être, on apprendrait sa mort, et
Diane, hbérée, pourrait refaire. a \'Je.
Elle se doutait aussi qu'une sorte de pacte avait
été onclu entre les deu ,' amis d'i.:nfance. Quand
André lui affirma qu'il était illdis[lcn _able qu'elle
acccpt:"t! l'invitation de lady l ' CJ1lH ndale, Alix sc
douta bien que cc déplacell1ent fai ait partie d'un
plan qu'on ne ju 'cait pas à prop') de lui cllllfier,
mais qu'eIle appro 1\'ait a\' 'u.,léllle nt, puisque c'était
And]", qui l'avait conçu.
Dian' avait quitté la pr< .' 1l~re
le mode te castel,
~IJ1('lant
av c tlle . 11 c!cmoi Ile de compagnie,
F alln )' Cart nt!, p~1
Olllle dl crètr.: ct pCl1 CIlCPIJ1
brante, au' petits oins pOUl" h chattc persan favorite de sa maîtresse t qui nc ch III ndait à l' ,-i t~n('l!
([Ul! cie lm otTrir quutrl! rcp'lS ré uliers t
copi eu . anc, COJ1lme int 'rmècl', la lectur~
d'il1tcr~
minable roman pr)lic~.
J ,ady Kcnllcnt!, le, ayant rC1l0ne ~ à pfnl/)uger un
sc:jour 11 France par unc raltO1~
sur le côt 5
bretonnes, voulut lais er il 'l'r{-plonneck la petite
conduitc inlt'ri un qu'clic avait achetée en ùé~
harq\J,tIlt.
-.1 la rdrou"crai l'été prochain, avait-cil promi
Il ouri,l/It.
Et cl'!t 'proJlC~
suffit à COl11bl'r dc joie la 'h.Îcher outl'laiIlL', i cule d,llls a denlcure où ~es
"cnir lui ll'naient compagnie.
��LA FORCE D'UN SERMENT
6r
que je suis sans nouvelles de lui ? .. Oui. Il m'a
quitté\;; assez bru "qucment, quatre jours après ton
départ, ct a pri~
le train pour Paris. Il a même tcnu
à faire le trajd du chflteau à la gare dans la yoiturc que tu m'as confiée. Mon pauvre vieux jardinier, qui n'cst point un chauffeur très habile, était
affolé! 11 avait peur ù'endomma cr l'auto quand il
lui faudrait, pour retourner, pl' 'ndre à son tour le
volant.
Enfin , Dil:tl soit loué, il n'est rien arri\'(! de
'
f iicheux. \" oyons, où cn étai -je? r\ h! oui. Mon neVCU est donc parti, jurant de m'écrue, ct, deJlllis
lors, pas un mot, pas même une yulgaire cartc postale, C'est à le croire mort ou l:n fuite, lui uus i.
- André de r-.rartc\·al est à Londres depub huit
jour. C'e t même la rai on qUI m'a fait in i tcr
Pour que vous ne l'da rdicz plu votre \'oyag~
.
- Il est à Lf)11dres, en vérité? Et que bit- il à
l ondr ?
" - Il vous l'cxpliqul'ra lui !Tlê1~,
ma tantL, l.Lr
J attend a visite pour c soir .
.M"" de oU\'i Iny fronça lé 'èrl:nlcnt l' omcil. Il
lu! cmbillit qu'Il y av,lIt une certaine incnrrll:tlrm
dan ce t ent n
u'ell rl' trdt,lit '1;1 p li d',lmir
fawlriSéc. an clou hulv r cnncn<!:t!e p rçll -cHe
la nuance.
•
1l101llS aux y
b IIc- œur t
ne III
lIX
Il
��gr~,
LA FORCE D'U
T
SERMENT
63
po ante demeure. Si l'aspect, un peu alennel à son
et le souvenir d'un roi ayant fait si bon marché des engagements sacrés du mariage ct de la
vic de es épouses, ne plaisaient que médiocrement
à la bonne MIU de Souvigny, en revanche elle fut
émerveillée par le point de vue que l'on découvrait
en s'appuyant au large rehord de pierre qui garni ait les fenêtre.
'fou le parc, à certains endrOIts sauvages comme
un forêt ner e faisait moutonner se frondai ons
jauni s par l'au~om1c.
Au premier plan, de parttrres de daHlias mctt:lIcnt leur note éblouissante et
variée. Plu loin, à travers un rid au de ra cau." ct
d'h rbe 3quati~,
on devinait la surface !lolie
d'un étang- ur lcqllCl 'éhattait, parfois, tout un
vol dl' canards sam"ages. Plu' loin ("ncore, des rochers où s'accroch:llf,;nl les dernières touH 'S
d'ajonc formaient Ull théi"tt raI décor derrière lequel l'Ilna ll1ation 1)(IU\'ait évo<jll r l'antre des orcièr ~ shakl pari nn', ou lllen les lande de
lJruy'or
que le fées ailm nt rréqu 'nIer.
C' ~tai
un ~tral
't' contra te, voulu par un jardi111 r dl rénÎ, 'lu C' dIt':' d'une auvagc ct a r 5te
bl'allté 'upp an! au parterr , ni 'neu em~lt
111trd nus t t <Il s Îné a v c un yoitl un peu !Jl<lll1ér',
qui 'It 'nda i 'nI ûe vHnl le p rrnn d'honneur. Placée
omm ell j'était, au bOllt d'lIlle ,li 1 que flanqllait
Ull' olide tom, la chambre hi loriqu" '1)\1\ rait llr
la façadL oPPo . , c qui donnai
llJl\Jo'r ql! 1
plan de l'anC1cn ch:lt~a1
d1l"(' rai nt
n ibl ln llt
~1
IlOU\' au llu'on y ay,dt aCL'f,Jé t p' ur ain i dire
III orporé.
I..tdy K lln ndale ne
ourirc
dC\'ant l'l'ntholl ia me d
nthollla Illl' fait li' cu
lui promit cl lui faire
W Iter cott chol it I~
��60-.1
1
7 111
�615
LA FORCE lYUN SERl\lE. TT
COllstater I~ chan;;, ment qui s'op6rait sur Ce Inas piC
froid, fig'~
par un quant-à-sui qUL la Huve trnuvait
sans cloute du meilleur ton, mais ce n'était pas de
la rép"ohation, plutôt une sorte de t riOlOlphL' méchant, On llralt dit que Cél ilia 11 ",lrt:lnt; a tendait
quelque ch(l~e
de l'arnvé~
à I/'illdalllcr,', de cc
jeune homme dunt, Juqu'alors, elle I,snorait jusqu'à
1'"xist~lIe.
bscurémcnt l\l m • de Sou\'i;;ny eut COlSI~nce
d'un dan Lr planant ur sa ch 'ore pdik Diane ct
elle ~c fit la prol'lle:.se de veiller et de s'interposer
au he oin.
Aprl's le thé, et en attendant l'heure du dîner,
::\1"'" de Souvi 'n)', tenant à justifier l'assertion de
DialH', laquclle avait dit à :\lrs, ITrartlillg que la
vi itc de l.\1. de ~Iarkvl
s'adre:. ail surtout;\ a
t,llIte, pnt 1 hra de on nl HU d l'entraîna ver le
parc, La nUit ('ol1rn~I.;dt
:\ tomber d un hrouillard
venu du l'etH lac ,ICCro 'hait de lamheaux II g. ze
bl u;ltrl ail_' hran..:he reto11lhant' de arbre ,malgré l'éch.Ll'p d 1,1Î1lc dont elle s"tait env loppél',
Al!' fri (lnnait lin Il Il, Tou! cie uite dIe attaqua
le uj t qui lui tenait 1- plu fi C(lur :
- J\lor , C,lchntticr, tu n'a donc l'Ill confi"me
Il ta vi ill marrain ?
- Pourquoi Cl rcpro he, dl(ol'l t~n!?
COIllI11 nt, J - c1~barqu
Il '\11 letnr fi lIf la
pr 1l~r
foi de ma \'ie, t 1:\ pr~lIi
\r il r 01111
Cjlle j'y r IIrontr ,c' t tui
Ion d' ir de \'(111 rI trlHl\' r Il'C t-il pa naluI' I?
- 1',11 tou
n, lU ,lUI'
JlII 1Il',1\ crtir d~
illl ntu 1\
'r<>nd l pa , marruill 1 C \'oyn' ';tatl Illdl Pli, ble,
- J i El je fJllll.lltc CJU tu rhl i
\h! Ulan \'ÜU a dit?
��6'
LA FORCE D'UN SER).IE. TT
mière période; e'est ici quc commenceront me recherche, ,
- En tou' cas, mon ne\'Cl1, méfie-toi, Tu rencontrl'ra sans doute un adver~i
en tra\'er' de ta
rout de preux ch~yaltr,
- l'n adver,alre?
- Comprends-mol à demi-mot. ne ennemie de
J)iane, en tou ca!>, Olll, mon in tinct ne peut Ill\:
tromper et il m'aft1rmc que, dan la per '(mnc de sa
helle- ('ur, la pauvre enfant il une implacable
1111 mie,
la rai on de cette haine?
- ~Iai
- l 'arg nt, (vid mIllent. Dian di parue de la
f mille des KlntH:lldall, lord
rthllr 111 urant ans
1'" t~r
' , c\ t :\fI' , llcartlill' qui hérit"
:\1,1Î c'e t Il1ll1inl'1l .! VOl1 a\' 7. Ct'nt f(Ji raiIll, ma tante! 1)'aut.lI1t plu qU'.l I.l majorité ri
fil , la \lU\' du harnnn t .c trOll\' 'ra
la
[d
nnnt l'
pénl Ijl\l.:
�LA FORCE D'UN
SER~I.
T
69
Je vcux tc signaler. Cette foi', c'est à ton honneur
que j m'adrcs~e,
Cne femme placée par un hasard
l11auvai dans unc situation équivoque n'a pas dl,
bIen plu' préciclI.· que sa réputation, .' c pcrds jamais cda de vue, mon en f ant?
- Certes, ma tante! J'ai trop de rc pect pou r
lady Kennenùalc pour m' d \parti r cl'ulle ab 'olue
ré 'n'c; Ile mc faitl's p.. l'injul'l d'en doute!'.
- II Y a autre cho ~" petit. Si tu troublais cc
cLeur, tu ajoukri~
unc
u/france lk plu à la
Sf'1I1111e de dO\lkurs que Diane cache, j'en \lis StÎr',
sou d~'
<lchur impas ibles.
J'uur lIu'elle oulTre, marraine, il iautlrait
qU'CIll' m'aime. Or, elle n'aimera (llu , Elle l1\e l'a
amr~,
cl SOI1 ton ~lait
si ferme que je ne pntl\ai.
Con lrVCr le 111 lindre espOIr... 1 Javai
'p -'ré
fjlld<jue cho~e.
~lai
110n, je vous l'ai,dit, ma b01l1l
al1t~',
je IIC seraI p u!' die qu'un ami, ,t, nl~1
i
dn 111 l'Il Illotlrir, jamiti l'Ile Il'cntndr,t Iltl lIlot
d',lInoul" onir d ma IlIJllche, Je '1)11 <:11 donne lIla
P·lr le d'h(lI11m ,
n~
\' II, 1111
P,lll\ r
cnfant, murmura-t-e\l , ~Ot1lm
l' rI,LIII il dl -l11êm ..
1 1 J\n Iré Il lui (km, nela p.l IX III'qu II Il 1"
(' nf, ldalt ,v ' Diane dan la 111'111 Ill:!t rnd'L
llitié,
�70
LA FORCE D' 'N SERMENT
VI
LA CIlAMDRE CLose
Tout proche de la Cité sc trouve TrafalgarSquarl', qu'un ju le orgu il fait con iùércr par tout
cituy n britannique cummc Ic plu bel enùroit ùu
mond ,San ùoute 1 plOI11CneUr qui sortait de la
l\iutioIlCl/-G(l1l ry ~tai-l
bi(1l ab orbé par s
réfle_ iOIl , cM il n'accordait pa même un coup d'œil
à la célèbre placl' ni au monument que urmonte la
statu de lord T clSOll,
'omm il allait dépa!l r l'Importante mas e où
trûn nt ù'autr
tatues de généraux fai an! e cortc
à l'amiral glori \IX qui en OCCllp' le point culmin nt,
un
on orcillt:, ct une
à (' amiller les ba a rout :
la
nt mplation de
�LA FORCE D'C.' SERMENT
71
guère à ses réflexions, Son regard étincelant fixé
5ur lui, elle que tlonnait aVidement:
- Eh bien! cher allié, Cluoi de nouveau? Vous
avez C]uitté notr(; vicux castel sans m'accorder une
audienc , Le, connnances l'e.'ig-eaicnt ainsi; maintenant j'ai hitte de savoir si la chamhre où vous
avcz dormi, et qui était clic dc lord Arthur, VOllS a,
durant la lIuit, r ;vélé quelque secret.
- Ne plai antl'Z pas, Diane, Tr, illcur . vou, 11\ n
avez pas plu envlt' que Inn!. La nuit que j'al pa ée
à rVindcrlllcrc, ma pauvre amie. nl' m'a p'l apprts
grand' 'ho e. Cependant, dan
~ h'
l'crét rllre dont
vou :tVil'Z Cl! la précaution de 111 ' rl'Illetlr' les clé~,
j'ai d "ccnlv 'rt cl'ci,
TI t(ll(lait à la flll\1ll cll' lord Kennl'Ildale un call'pin clon! le maroquin v rt était us ", ans cloutl' par
le.: frolte111 'Ill de la poche dans laql1elle il ,wait été
longtemps n fermé. Diane l'ouvrit. ell tOUrtl.l ql1l!l l'éeritl11'l' d(' Innl 1" '1lllclldalc,
1 rtl;\'a1.
p. Ur
c tt 1 ttre
l\:~t
('(
��LA FORCE D'UN ShI ME °T
73
que l'on ne doit pas prononcer. Garùez c carnet.
A '1S ez scion votre conscience, mais Jle m"':1L par·
lez jamais plu.
- Dois-je renoncer à poursUivre les recherches?
- Non, non. Je vais vous introduire dans l'hôtel
de Belgravia. l'our les concierges, de pauvres vieux
un peu infirrms que je garde par charité et aussi
parce qu'il étaienl au service des parents de lord
Arthur, VOIl
're7. un architecte (lue j'aurai chargé
de quelques travaux. Vou poUffez ainsi dem"urer
au j Ion rtcmp qu'il vous plaira) ct revl:nir quand
bon vou semblera ...
- Vou
mail l'II
�LA FORCE D'UN SERMEKT
7-~
ml' nts fournis par le bonhomme. Le rez-de chaus ée, surélevé de sept marches d'un perron il drJllble
ra mpe, était entièrement consacré au,' pièce dl.! rér cptirm. Au premier éta 'c, séparé en d'IL' parties
pa r un vastl.! couloir au parquet recouvl.!rt d'un tapis
dt; haute laine, s'ouvraient de chaque côté le portl's
lk chambres. 'cil;; des (ku.' époux se fai 'aient
\'Î -à-vi ,
Uuand tl pénétra dans la pièce où Diane avait
pa 'é la première ct l'unique nuit aprè son
romanesque mariage, un ('motion profonde lui
ét rl'i 'nit le cœur. JI dut, avant de franchir le seuil
de la chamhr. 'as5 olr . ur l'une des chaise. s du
('Ildoir qui la précédait. Enfin il 5C rl'ndit maitr'
,)
11Crf'
le vicll . - ())tIci rg'
l'
C commanùa d"tre
rc -
ln a it
un Il
Il
terni .
���LA FORCE D'U
T
SER:'rE. 'T
77
reuse de vous être agréable. E\le réussit parfaitement les toasts .. .
Entendu ... et merci d'avance.
- Monsieur dira, n'est-cc pas, à .\lJlady, combien nous sommes attachés à e\le ct combien
désireux de la revoir ici. C'est si tristr, une maison
sans maîtres!
D'un geste Anùré arrêta le verbiage que le brave
homme débitait à tuc-tête. Sa surdité lUI avait faIt
prendre l'habltudc de parler sur un ton t'I vé, au i
le jèunl homme sc trouva-t-il plus calme I]UilnÜ 1 •
ilcnce J'environna. Toul ùe nite il sc mit à la
he 0 lH:.
J'lu encore que dans la chambre de niane, .m
av, il l'illlpn:ssioll que l'hôte de celle-ci 'tait orli
quelques instanb allpara,'ant l't all,lit rn'1I1ir d'ullc
minute à l'autre.
Ik. cigardtc, il hout doré trail1,licl1t IIr IIl1e
tdhl~.
l'n flacoll d'odeur (lll .... ~·rt
;\ dlté ;t,'ait lai
cl' él'ticll d-
JI
rll
ct! r~'
de rc-
l'accomm.lllv.ll C li 'tlOll -
il
l:
mit ;\
��LA FORCE D'U
SERME:-.rT
or son propriétaire, Afin de ne point se présenter
devant lady Kennendale les mains complètement
vides, André avait réuni quelques notes d'hôtel datant de la période que l'Anglais avait passée en
Amérique. N ew- York, Détroit, Chicago, Santa Fé,
San Francisco, étapes d'un voyage de l'Est à
l'Ouest, ne faisant que confirmer ce que Marteval
avait déjà appris par le calepin découvert.
- Déddément, soliloquait-il, il ne me reste plus
qu'à partir pour le Etats-Unis ... Mais quelle possibilité, après tant d'années révolues, de rt"trouver
les traces de cet Anglais?
Tout en se parlant à lui-même, il cherchait un
papier quelconque afin d'envelopper son décevant
butin. Soudain, on regard fut attir' .par un journal
jauni ct froissé qui traînait à terre, sou le bureau.
Or, André était parfaitement certain de n'avoir pas
aperçu ce chiffon d papier quand il s'était penché
afin d'e aminer i, ou la tablette, n e trouvait
Pa un tiroir secret. L journal avait dlt glisser
Contre la paroi du meuble, Il le rama a, y porta
Jl'\achinalem nt les yeux, pérant peut-être découvrir dan ce colonnes quelque article sen atlOnnc1,
Un coin avait été déchiré. non point volontaireJl'\ent, mai par l'u ure. Seule l'ann e ub i tait. et
C'était l'an né 1928, ela n',l\'ait rien que de trè
b.. n 11, pui que .' tait n 1928 que l'ét rnel \'oyageur
avait regagné n pay natal.
Apr s avoir parcouru, colonne apr s colonne, ndré, n'ay nt ri n remarqué pouvant 'appliqu r à
lord K nnendal , mit à exécutton on projet. Quand
le p tlt paquet fut fait il ne put 'mpêcher d'C'XaIalin rune photographi r produite en pr mlèr
, C'était celle d'un tr jolie tille au ch v ux
cl'éb n plaqué autour du front bas par une sorte
cie dtad me, L bu te, largement décolleté, s'avérait
4'lUle plastique ir.éprochable, mais le haut d s bras
�80
LA FORCE D'U
SERMENT
parai it un peu trop mu culeux. Une légende que
Marteval déchiffra donnaIt l'exphcation de ce d~
tall: c l"éjla Marinski, la célèbre acrobate qui
vient de trouver la mort à Vienne, tandis qu'eUe
exécutaIt n pértll ux num ro. ~
Un ln tant encor 1 J une homme examina cette
bouch un peu grande, mais au sourire éblouissant,
c y ux noirs, mamt nant ferm' pour toujours,
pUI il mit le paquet dans sa poche et e hâta de
partir, songeant à J'heur qui devait paraitre bien
tardive aux vieux concierge forcé de l'attendre
afin de refermer d rri r lui la porte de l'hôtel.
vu
LA
OR
FRAPPE
�naoJe scandale ljU' se' p' ir Il pr l1rraic.:11 jamais
lui pardonner. Pour lui, aUClllI rqJO ne scr;ut pnssible tant qu'il n'auraIt 1,\ c rtitlllI, forrnelle cil!
j'indignité qu'il pressentait ct, qu'Cl! s' trlIllC, 1(, disparu avait avouée.
n p LI surpris de n'avoir rl'çu aUCl n~'
r~p{)w;c
à
sa lettrc, Andr ~ sc morfUlldalt Ùdll
a l'h,.lllhre
d'hÏltcL Au matin du cinrtuièm jou!', il reçut
comn! un lihératcur l' chaulT li!' d I.ldy K, nnenùal', kquel le priait - d' la part de sa maître se
- de monter immé(liutclIl nt ùall l'auto (lui .!llait
)(' conduir· à ~Vi'ldermc.
cie fâch llX
1Ii-
n
1
d.
ha~
d -
t
A l'arriv' l Wil1dcrmcr
1 va d 1\1 .... d • IJUVI '11)'
vi
a~
r
tln
m:tlh ur.
lUI
��1,.\ FORCE D'UN SERMENT
83
une certaine désinvolture. Sa connaissance de b
langue an rIais' aur.lit ùlÎ faciliter ses rapports a\'e.:
à !lt:'IIC
.1 rs. l r('artlin ,cependant, jusqu'alor , r\~t
s'Ils avai nt . changé quelqucs parole.
Cécilia s'cxu~ait
de déranger ain~
M. ùe fartl'val, mais Ile désirait s'assurer l'1I'-mêllH' que rien
ne manquait à )'hôtt: de sa h ... lle-sœuf.
'J'andi lIu'cll' p:lrl,lit d'une voix !inn mlonatiolls
II omme impcr~oln
Ile, Andr ~ l'oh .crvair. J~lIc
emblait gênée ·t on Tl' Tanl < dér hait d V<lnt
relui dll j UIlt' homme. Se joue' s'rLaicnt empourpr '{s. On aurait dit qu'cl le dis imulait sous de pafol
01 Il C le huI rét 1 de sa vi ile. Soudain. il
1 j tllll homme,
'llli lui était dé-
�LA FORCE D'UN SERMENT
8.~
P Jurtant, comme si elle avait été douée du don de
douhle vue, Cécilia devenait de plus en plus livide,
se lèvres, qu'un frémissement agitait, nt prOllOllça ient plu que des syllabes entrecoupées,
André, bru. qucment, s'approcha d'elle afin de
constater par lui·même ce que la veuve pouvait
apl:l'cevoir ùu contenu, mais le p:>pier de journal
Îtalt oigncli cment replié, Aucune déchirure n'en
interrompait la protection, Renonçant à comprendre
cc qui - il le . entait obscurément - aurait {'u pour
c recherche lin Intérêt capital, l\1arteval se' d~
ida li qllt' tiol1ner. Il le fit sans allcun ménagement;
- Mr , Ifcartlin T, <ju'aV(Z-VUII ? Répondez, je
!'c.'ig(,
Idle tOUrIlO1 vers lui un rc 'anl uppltant, un r gard ap 1If~
ue hê L traquée ct prollOI1\;a d'une voi.
halct.mt :
- t' journal! "ù ;!\'lZ-\'OUS trollvé t'C journal?
Jl Il Il It, voulant la J li r;l 1111 ,IV Il 'IuelcOllq ue :
1111 \'iclI.' papier fJlIe j'ai r - ) lie ai,
Illl pl 'a rd d l'!t{jtcl (Jil Je
laI oui,
?
nppr -
�LA FURCE l)'CN
SER~1NT
85
morte en eXl:culanl ~on
p~rileux
travail d. n' un
musIc-hall de \ lenlll:.
André brùlall du dl' i r de queslionn\.!r encore,
mais, sa t'ille syelt\.! r ( rL sée, ayant reprIS en
grande partie l'assuralKc et la morgu\.! qui la
caractéri aient, Mr5. llcartlillg' prunonçait une
banale formull' de polit!.:s l ct <juittrtit la chambre
du JUInC homme où il 'I.:ul pr~
ence était fort
. ing-uhère.
Par la uite il dcvait arri\' 'r que, devant le via 'e fermé auquel la bouche au.' lèvres serrée
contribuait fi donner une apparence ('crète, André
'intero~\
an.ieu cmcnt. Il étaIt ~ùr
maintenant
'lU' le secret du disparu était lil, sou ce front trop
tranquilk que dl'couvrait la chevelure pttle toujours
soi 'l1cU tillent ()rdon~c,
mai il en était réduit aux
uppn. itions. Ccii ql1i parai sait la plus vrais 1T1blabl 'tait quc Cécilia, d vant le p;lpier jauni,
l'en re d'imprimerÏl: 1 rnie, avait deviné qu'il 'a 'issait d'un 1111111' ro rc:mflnt.l11t à plu ieur an~c.
}'ellt-ttr a\'ait-cllc p 'n é [(U' l, 1· rançab s'était
liné il li, r rherch
parmi 1 colle tian anD 1;'1 il adll1\'1trc <lU dan la pre . anjournal était an 'lai ct la \'eU\" ava:t
l, 1 ap rc \'oir, in on la datl', du moill
partie
.; titr - Il ait pHU u:rtain nrtl 1
1Ir Il" I1n nd l , il n'y a\'alt CJu'un pa
1 PO' l' e parais ant h plu 10 i III
'rn t ur il dé-ida, d' le r 10111 li
IJllr ,lIX du jourllal
n: Il l'he,
1 Or qu 1'. \ i Il, prè 1111 br
ur V\!
d'In Id lit , l' lit d'po' au Hour' ,
Kenlid tic c trOll\'a i dé clllpar' fjU'ÎIlC'JlI ci mm nI
�LA ' FORCE D'UN SERME '1'
86
sa pcnsée s'en retourna vers celui qu'elle avait laissé
<lu-ddà de la mer, sur cc sol étrall 'er que, malgré
tout, dil: Ile reconnais ait pas pour sa patrie. QU\!
ne l'avait-clle appelé auccours de sa détresse, cet
ami de la bonne ct de la mauvais\! fortune, cc compagnon sùr ct fidèle CJui, en échange de son amour,
ne cl mandait ricn, que Il: droit ùe sc dhouer entièrelllcllt?
('omm a douleur aurait été adoucic si elle avait
JlII poser 1 main ur ce bras prêt ;\ la soutc:nir ('t à
la défuHlre. ,lai l'heure n'ét.LÏI plu ,l1IX regrets;
sa p titl valis' ft la main, 1)11 vi age ptdi à demical'hl' par le vode de crêpe, Llle JI'était plu qu'une
\ o)"ageu c isolée que le brllit même ct la foulc
1h pres ant autour d'elle meurtri ai nt étrangeIII
'nt.
Comhien dt f,)i , c prndanl, deplli (lll'clle {tait 1'1
rid1' lady cnllcnuale, avnil-clh' l'nlll1U d d'part.
(1 d'arrivél ? .'.lal
(Ile n'av:ut (,té ail i
10.11
ri v:tlt
de-
�LA FORCE D'C
bitation, avait les paupière rougies et, parfois
même, cachait es larmes dan' les plis d'un grand
mouchoir de coton. Une servante entre deux iiges
sanglolait éperdûml'nt, assise devant une porte close
qui s'ouvrit au bruit dl" pas dl; la voyageuse.
Sur le seuil, éclairée de derrière par la lueur des
cierges dont la flamme jaune montait, droite ct
immohile, dans l'obscurit' d'lIne pièce aux fenêtres
fermée s, ulle sve ' 'ilhnmlle sc profila, Les cheVCI\.' d'un blond v;nitil'Il formait'nt autour du vi.
sag-e dont on n' pou\'ait distinguer les traits lIne
aur\ole brillante, contra tant a\'ec tout cc noir
dont elle (-tait cn\'ircllln '·c.
Des sal1g-lol., des hras qui s'nnvr 'nt. t Jes sœurs,
jOlie COll: rc jOlH, ll1èlèn'nt longuement leurs
hll'!11 e '. \. fut en sc tcn.ult par la main qu'elle
',t 'l'Il Jlulkr 'nt d \'ant la l'oul'h 1111 rt.:po ail la défllllt c parmi Il' fleurs; le ~rand
apaisemcnt cie la
Illmt était de~l'
ndu sur 1, vIsa rI' de cire.
1 ui av c 1111 l' illll'ialahlc l'~g-I.\1·ité
- cctte ré!{ubrit' qui dll11111' l'II11prc ion d plu
n plus
'rllLl! qlle, d~j;\,
Il
\'.u appar il'nt plu l, corps
dl \rl qui,
)1 Itôt,
r.l;1 tnut jaltlai l'Illné, - les
dl'rllic l' cl dl hiran t moment s'écoulèrent. On
avait dtt ndu 1. d)' l'l tlll Ilda1c Jlour la mi (' ~n hl"re.
b,li l r IIr 1 frotlt ùe ,lace, t, dl:\ aut
Il 1I1tim
dl' J" rm . le tr.dts hien-aimé
rrcttait
la d r-
l
Il
"
'1
~
du tra·
�8il
LA FORCE D'UN SERMENT
gique De Profundis ct du Libera me qui semblent
monter vers le id, (mportant l'âme du défunt dans
un grand hymne de cullSoiatioll ct d'espoir.
Anéantie par la fatigu " car cil - n'avait pas pris
une minut de repos depuis l.llcrrihle minute, Ir'ne.
1<- front appuyé rOlltre l''paule de on ain' , n'avait
mêlll . plu
J,l forcc de pllurer.
i pâle, i exténuée, soudainement
Diant ut cunscience d'un devoir à r rnplir, d'ull
mi il Tl que la morle lui imposait. 1'.lIe sc pl'Ill'ha
l,
t
VOir
ndrCllll'nl ver le petit front, hU111ide d'un
maup, rti-
, CIl~-!1()j
vite. 1h
rait trop crud, j
r, oi au i,
tl\rel. Pal tlm
lllLllfl
r
Il' Il '\II-
l'
,
III
jl'
t'
Il
��90
LA FORCE D'UN SE
1 deux I&CI de voyage, un homme qui atatiomaait
ven elle.
prà de la IOrtie "~aDç
- Dianel
- ADdr~1
Doma se croiMrent.
Le d~
Ile ~
cie 1 jeune f
_Olle_
l'eClODlnai.I&IDCe.
Mai
comment
��9.::!
LA FORCE D'UN SERME NT
Tandis qu't! parlait, s'adressant tantôt à J'une,
tdnti)t à l'autre des deux sœurs, il ne pouvalt s'interdire d'examiner le visage d'Irène et de constater quelle prodigieuse ressemblance existait entre
clIc c~ son aînée. C'étaient les mêmes t raits serrés
d, lb le contour d'un ovale parfait où le m entOl1
s'amenui ,lit un peu, le même front un peu bombé
qui f;ti. ait p';llSer aux modèl!.!' dont ' Botticdli s'inpira quand il peignit se vierl;!.!s et cs délicieuses
fi~urls
repré entant 1.\ déesse de l'amour ou pe rsonnifiant le Printemps. Le. lèv r es, gonflées d'un
san' vermcil, faisaient penser à h pul[X! d'une c 'risc mù rc, mab la fineSSe du dessin, le pli lé 'er qUI
en marquait la commis ure en sJliriluali aient l'exprl:~,ion.
Les yeu,", surtout, étaient idelltiqu!.!s SOli
I.l ~rilc
épai e des cI! rccourbé' qui, à la moindrc
émOll )11, bat nient ur la joue yeloutée ;\ ln façon
aik ue IMpilllJll. :el1~,
1,1 nuance de chc\'ctl,'
t 'I1n
pLrrnctt, It dl' le ddiérell 1er l'lin de l'.lutr IDr1J1I'Oll II
1 apcn.. \,,1I1 Jlil
imultallénll:nt, rar, 1 1
l, exatnlllant comme l, faisait le j une homme, 1
d:ffér nec d';l e apparni ait mal lé que Dlnne üt
'Melé l'. p ct ct la s\'clte e d'ullc tout j llile fille •
• 1 Il :tnl(:fc , au si, (l\al lit Jin de I"a III. II\.:
t
de l'autorité, mai le h.Jl"l11 pl li timide d l'Ill
1'"lItHué d'Irèlle Il'CII "1:\lt (]U plu "\111 HI\'. nt.
L cl)' 1 L1lllcndal' urprit
dout' 1
C I ' cl l\la l teval. Eli
J <: t rt:
a
di
z ba
1
SUTlpl n1 Il le j 1I1l' hnn1n1 rél nùit a\' C
COIl\'lctiùlI qlli Il'étai l,a 1\: i/l t
IlII
��LA fORCE D'UN
~H
SER1~NT
urs britanniqu s, de retrouver André presque
après-midi,
La jeune fille partait à bicyl tte, Andr' vcnait au
dl vant d'dIe dans sa petite vOiture de sport. Ils viIlal 'tlt les lacs, celui de Winderm 're, au bord duquel Amblcslde group" es nantes maison , Cinq
milles séparent Ambl'sidt', (lui s trouve à l'cxtré11\Ilé nord du lac \ inderm( n, du ch{tl au ct du vilIng! IXJrtant le même nom,
Ap t,s ,l\'oir \'1 ité Bowne 1 nutr c~ntre
de la
pa rtl
url du district, il fihl nt 1 long d routeS
lIépouillées par l'hiver, tra v rS,1I lit Keswick ct
D r\\ f'trtwat r, le \ dl s 1 JIll! Hnp rtantes d la
parti nord, SOll\ CIl le harmc d'un \> tite vallée,
• ntf uc IliltOI
qu' l' 'té de-
111
c~laque
��9(,
LA fORCE D'UN
''1'
SER~1.
r ,;:daient toute promenaûe impossible, Tl fallait se
cunfiner chez soi, tuer le temps comme on pouvait.
Malgré le chauffage central ct les épaisses tentures,
l'hull1!(hté s'insinuait dans les trop vastes pièces,
ùes souflles froids couraIent le long des couloirs, <;e
glissaiellt dans les chambres où brûlaient de granùs
feux de bni~.
Comme notre cousin André doit s'ennuyer
dan. ion petit cottag' ma) défendu contre l'ouragan qui souille du large, fit obserw!r Irène au matin
du troisième jour. Bien sür, il a peur d'êtr indiscret Cil vellant trop souvent à ~Vilcerm
Casl/c.
C'c la faute à cettl An 'lai ,toUjoUI s figél' dans
son qu;lI1t-à ai ct clont les airs ple~s
senlblcnt un
blâm~
continuel [Jour tout cc qui Il'C t pas cllem'me. Tant Ali,-, n\!>t-cc pas I(U j'ai rai on?
('ltte Cécilia, IOllgl1l' \'01l1tne lIlI jOllr ans pain ct
.•\ h' comme 1111<: C:lIlJlI :'1 pêeh(', Ille grill 1 honheur
d'~
r aupr' de vou c1lux. Que Il r ntr -t- Ile
<.1 ail 5 011 domaille d'Eco sc?
her petit!:, hlentôt j~ cl vrai t <juitt!.r, m(Ji
au i. jamai j n'av:d fait tilt i loti, éjOlll hors
d, ma ch le Br tagne. j H'O plu PPg r li c qui
/1 ut
lM r chez moi. 1 ir <I" j'ét. is \ nu' pour
d, d,u
j
VIIII
nv!:z
pl'OIlii
.1
Diùi de
(mauté d
AIl?
<I"
ant
li
ÛU ro c \i·
��L
FORCE D'UN SERMENT
de celui qu'clle nommait déjà son grand ami et que
son cœur, peut-être, désignait sous un vocable plus
tendre et plus passionné.
Vne grande déception attendait la jeune fille
qui venait de sonner à la porte du mode te cottage caché sous Je som plu li es tentur s,
or éclatants et pourpre dég-radées qU(' mettaient à
e murs ct sur son tnit incliné les branches entrelacée de la vigne vier TC.
- ~liord
n'e t pa ch 'z lui, avait tout d suite
cl ~claré
ln femme cl, en'Ie qui :wait ouvert ln
porte.
le
ù P
d~
' à dl'
ra) onnantc
��100
LA FORCE D'L.:. - SER:'IE. 'T
La houche entr'ou\'erte comme s'il allait parler,
il sc contentait de demeurer ain i, pétrifié par
quelque incompréhcn iblc surpri e, Cette attitude
in olite cut pour effet de meUre plus de trouble dan
le cœur de !\f"O d'Herbièrcs. Elle s'imagina qu'un
malheur était arrivé il on ami ct que cct homme, la
n:llCOll raIlt à l'lInpro\'istc.:, n'osait lui annonca la
tcrrihle nouvelle, Cc fut elle qui l'interrogea, \'acillant ur s jambes, toute la cnul ur de ses joue
subitement effacée :
Parlez, fit-dIe ct son ~motin
'tai si
grande qu' lit: 't:. prim. it III irançai, - parlL'z,
DIt -m i la \'érit~.
Qu'e l-il :Irri\'é ,'t ~r.
de ~ra
tc\'al?
L'homme ccoua la t" t "
,"oulez dire. fit-il dan
-]
un acc nt britannique
lui dnllt
t J"
1
\' litt .. '
r, 1)'Ull
t, pic! \ olt nj. mb •c , rc-
r trou \';1 l'usa c d
'paul
l:L
J
��LA FORCE
102
D'C~
SER~1T
côtés de miss Cartered qui rl:. pcctait sa méditation.
C'est qu'il sc passait dans le cœur de la jculle
fille une sorte de miracle. En quelques minutes,
n'avait-clIc pas fait cOllnaissancc avcc tout cc que
représente l'amour: la 50ufirance, la crainte ct la
joie, quand lui était apparu, sain ct sauf, l'être chéri
pour lequel clic avait tremùlé? Et mainknant die
était assaillie par la peur, car, ccrtaine du sentiment qui la possédait, elle ignorait eu;ore SI, un
jour, cdui qu'elle aimait pourrait répondre au don
mcn'cilleux. de cc cœur de jeune fille,
IX
'. 'f: I.Vl:UIl Il \. S I.A NUI'r
!.l
mat
fêt
de Christllla (taknt pa ~es,
Dans la
en deuil Ile n',l\'ai lit guère chan é le
de 1\. 1 t Il •
t radt t jll\l1l\:l
011
COUT
ouve·
'ur
e
vi age
homme
p.lf
prt, ' t
la
ur l'autel,
Hr t n cl r 111er-
�LA FORCE D'UN SER:'lE .. 'T
103
clant Dieu des précieux dons que tous deux ell
avaient reçu.
Debout à côté de Mme de Souvigny, dont le huste
jointes, son
s'inclinait et qui tenait, entre scs Ilain~
front respectueusement incliné, André ongeait il
Cette étrange destinée qui était la iennc et à la
promesse qu'il était bien résolu à tenir. Etait-cc
l'effet apaisant de la prièrL', ['amhiance d la pl'lite
égli c où montaient le simples accord, d'un harmonium sur lequel llll arti te, plu fervent qu'habile, évoquait l, vieu,' air ct les naïf, cantiques?
n Trand calme e l'ai ait en lui, Il lui emhhlit CjU ,
soudainement apai é, il ne Te tait en on cœur au<:une des trace dUlilolireli e Ù son impo ible
amour, Un 'rand ourir ouI 'l'a a poitrine, Je
j'aime comme une' 'ur, sc dit -il avec unc conviction pro fonde. En même temp , 1111 a ppd dom il ne
dC\'llluit pas la natur' h: rai aIt st: toum '1' vers la
jeun' fill qui, 1 yi .1g'C lcvé, ',nl!rvei1~
II." cheVeu." 1)l'i11ant comme Jes écheveaux (le .nie
s'échappant du p lit feutre nTOulé cl 'répl, av.lÎt
l'appar Ile de qll lqu' vicr e Il vitrail par~
par
hl m) hlll ;lltréol de saint , le i , dC\<1nt l'autel, le prêtre, de l! hm étendu, ml,lait cléver cr
l:
bénédlcttOlh, 1.\ l\rant cl ch ur
• on
1\ fa Ile
l'~-
'qui lli\'it l'Fl"vation Ini
au \' li qu'il \' n,lÎt d.
llcor , pui , mal Il le
'ur s'cff >rçaicllt II \' 111 de
�104
LA FORCE D'UN SERMENT
lui cacher afin de ne point aggraver la peine que
l'excellente femme éprouvait elle-même à l'idée de
la séparation, M- de Souvigny s'embarqua pour la
France.
Ce fut à son retour de Brest - car il avait tenu
à accompagner sa marraine jusqu'à son château de
Tréplonneck - que Marteval reçut les premières
rcponses venues d'Amérique.
A la réflexion, avant de se livrer à de plus
minutieuses recherches, André s'était contenté de
faire imprimer, dans les principaux journaux des
villes où il avait des raisons de croire que lord
Kennendale avait séjourné, une annonce demandant
si quelqu'un pourrah fournir de renseignements
sur un voyageur anglais dont il donnait les initiales
et un signalement succinct, ajoutant l'époque approximativ du passage. Bien qu'il eût câblé les in• rtion , ri n n'était encore parv nu au bureau de
po te choisi par lui pour rec voir le réponses.
Aus i, ce matin-là, son cœur battait-il plus vite tandi qu'il retoufnait entre se main J'enveloppe
carrée portant un timbre américain et l'oblitération
jde S n Francisco.
ela lui parais ait significatif que la première
lettr reçue provint just m nt de c tte cité dont
lord K nnendale avait paru garder un si déplorable
IOU nir.
Rel1tré dan on petit cotta, , il ouvrit J' nvel(lppe. Une feul1le d papi r commun, ur lequel
Mal nt tracée qu Iqucs lign 5 d'une mauvaise
éc. ntur , fut ou
yeux:
« fon ieur, di aIt la corre pondant in onnue,
- qui n'avait igné a 1 ttr que d'un prénom:
c Mary:t, - je crois connaitr la per onne que
u h rch z. Pourtant, à an Franci ci, c g ntIe·
m n e lai ait simp! m nt appel r Arthur Brown. Il
It AnglaIS. J'ai été au rvicc d'un personn qui
�LA FORCE
D'U~
SER. IENT
105
III sail bicn plus long que moi, 1lai~
il y a des choses que l'on ne peut dire par lettre. Si vous voulez
L\lut savni r, \"I:lIez à San Francisco, demandez,
sur le port, le Bar d'II onollllll ct la servante:
«Mary».
C'était tout; aUCUIle indication pouvant permettre
dengager tille correspondance, de sc rendre compte
s'il Ile s'agi sait pas d'une erreur ou même d'une
mauvaise plaisanterie.
Indécis, le jeulle homme tournait dans tous les
sen la déconcertante mis. ive. L'orthograph fantaisiste, l'écriture maladroite, tout lui faisait craindrc d'avoir affaIre à quelque pauvre femme sai issant la première occasion venue pour soutire r un
peu d'argent contre de faux r 'nscignclllent s .
Pourtant, déjà, sa r~solutin
était pri e. Quand il
cC rendit ;L IVilldcrmcrc C(Jstlc, afin de communi<lm r à lady Kcnllcndale la leu rc de «, bry », il
s:l\'ait <[uc, sou le plus bref délai, il sc llIettr. il en
route ver. cdtc vérité (lue, de plus en plu , il avaIt
l, désir d COIlIIuÎtre.
C ,la avait été ulle émouvante minull' quand l'ltl tant d' la 'paratioll avait sonné. J\ccoll1pagul ' par
Diane li a (CUI' ju qUl' sur le pOlit du hateau où
lui avait (·té ré Hvre, Al1dr~
li.ait dan.
k ranI d 011 amI unc gratitutl· illlini !'t un
attelldrI 'CI11I'nt contre ICl111 1 1 jl'llIle f Illllle luttait
cqt IIcI.ltIt. Quant il Irèlll', Il Hlrquoi aur, it-~l'
dls-
simlllt'
v \ritaltll's
an~
p s
n
si
.1I10UI'
mprulltc
�106
LA FORCE D'UN SERMENT
celui de l'amitié, mais elle se disait qu'à force de
tendres c le cœur encore indfér~t
se laisserait
toucher .• "avait-cil pas dix-huit ans? Dans le rega rd de i C11l1l1l.:S, le sourire admi rati f des hommes,
cHe a\ail trouvé 1.1 c ,rtitude d'ulle beauté dont elle
l:était pb \ainc, mai~
lju'elle ch ~ri
sait, maintelIan , )lll qu'clle ~n
faisait don à l'aimé ainsi quc
d'Ulll: ft ur 1l1en cillcu'e Secrètement éclose pour
jf)Ur ",
an hastill 'a 'C, cil at~lIdn
quc sonnàt
qui in\'t~ra
à quitter l, hard, Irene
3\.LÎt}ln
entre le siClllle la main du j'une
!toml Il:. Am i, le frollt de la jl'ulle fille II e beau.'
Jeu, hUlllldL de lannes, le\'é Ver celui qui lui
oUrI,lit dOIll'Clll 'lit, lis formaient UII couple eharm nt sur Irqucl, au pa a~c,
les voya 'cur se r tl ufl1ai lit c(lJllplaisall1Il1CIIl.
.lu qu'à la dernière minute, Diane ct André COI1110 Ilt' rcnt <'Iltre ClI.' lin fait étrange, qui aV;\I! Cil
Il Il d Il' jour auparavant, qll.!lc1 le jeune Frall1l1l01lCé ln 11It ntlOn dc pa cr quclq1ll
n J 111 Influl', l,lit prClpn' ;1 cOlltlrm r 1.111'
;\ tou dlll flu
1r , Il artltn collnai cr t d
n fi '1
1
houd Ir cl
T
�LA FORCE D'U
SERl\1E T
1°7
nc1les, plus encore à poser une demande qui pourrait faire une brèche, même la plus légère, au mur
de la vie privée.
- Je comprends, master de Marteval, que notre
di~trc
des lacs vous semble un séjour un peu monotone. Que diriez-vous si vous étiez forcé de vivre
dan~
un coin tout à fait perdu de l'Ecos~e?
Ce serait, hélas! mon sort, sans la générosité de ma belle
sœur, qui me permet de demeurer ici. cc qui est
infiniment plus agréable et plps commode pour
l'éducalloll des deux garçum! Pourtant l'hinr L t
bien Ion r entre ces vieux murs. Ah! vous auriez
cntai~mel
pa~sé
une sai 011 plus agréable à
Landre. Lady Diana est très lancée dan le mon(lc ;
l·s :;alolls les pl us brillants s'ouvrent devant cellt:
(lui porll: Il' nOIll des Kenmndale.
- fi s'ouvraient déjà, si je ne me trompe, chère
lady '(-cilia, pour la fille de :\1. d'lIer bières, dinet~\Ir
d'ull d
prl:1lliers sn\'Îcc.:s de l'Ambas ade ùe
Frame.
- Oh! n,lllrellClTlcllt, rrpondit la v live en e
mordant le I\\'re.
JI y cut un p lit ih:ncl', puis clic reprit, tandis
<Ill Diane lIall njulIldre . il œur:
- 1.'l\ l1lé 1 iqu \'IIU paraîtra plu gaie Il quittaI t nlllre mali ad pa)'. On dit que 1'011 '(\11111'
bl, u 0111' .\ • 'ew-York. C't'st L't, San dr)ut" que
vou \'(lU .ur"tenz cn prUllill' liell?
'\lart \'al
CI)II, la têle négalinlllcllt -l, chercltnllt le Tl' 'anl de la \'OI\'C, :UHllI 1 il Ill' P rmit
plu dl
déroh r, il pro1lonça lentu'lt.:nt :
- J(n r 'rai qUl tl"l \'r 'r.' 'w- y rk, du main
a"r~
J <1lbarqu ment. Jl compt, oit par a\i n,
1 l'olr tOllt :\\1tr
\"oi rapid', m fCndr unmédint~1Il
à ~al
l' ranci co .
.) 11 du jt.:lllI hotnnlt, 1111 l,·tra 1dinaire
( pa a: I~ vi ngt.: cl C~cl1ia
panlt c
��LA FORCE D'UN SERMEN1l
109
suite la confusion des derniers adieux. Les groupes
sc partageaient, laissant de côté celui qui restait,
tandi que les aut r es se hâtaient ver s la passerelle.
Du bar, un autre flot d'humanité s'écoulait. Une
fois encorc, Dianc lendit la main à André. Tl la
serra comme il aurait serré une main masculine, et
ce détail n'échappa point à la petite œur qui, dehaut près du jeune homme, sollicitait son dernier
sourir .
Sans doute compréhl'nsive, Diane, déjà, s'éloignait afin cie ne pomt gêner par sa prés 'ncc l'élan
qui, peut·être, allait jeter l'un vers J'autre ces deux
"tn qui lui étaient rg-alcmenl chers.
Tr"ne avait (endu sc main mai, cn mêm temps,
Son clair vi age, si ro 'dans la grisaille c ce matin pluvieux où le ciel ba s 'mblait (le~r
ur la
n lO ne 't 'ndu' cl
vagues, s'off rait. Tout prè. des
l''\'r
d' ndré, les jOll' duvetée 11\, i nt l'a, p,ct
c]'un fruit mùri ant.
- A bi ntÎlt, André, /it-cllc d'un voix où trcm
lJlnlt toutl.! a tendf! sc, à hi ntôl. Je comprend!
!Iourquoi vous al1c7. là-lias. 'est trè Il au Cl' 'lU
\'ou faite,. Ram 'nez lord Kenncndalc:\ a felllllle;
IiI' qu'Ile l'.lime toujour,
" n a tant ri
j sui
Chagrin quand on aim
an
croire aimé !
lcntln ,) 11. Il
d'tachaient p" d ceux
l,
du jlun homme. Sitn doute J'1I1vinClhk appd ré·
(111 na. -II dan
on l"r ur, car il
Il neh.l VCfS la
tavl alite fille, j)
111 tira 1 front
011 de boud' tI'or 'mm "laient, l l'Ollé
.lJlriciel! cm nt par la forte hl i e Ill.trin .
- A hi nlt)t, h :ric. X m·o!lhi~7.
pas. ] JI n rai tl'llUll III a VOI1
-
\ndré.
()'lIn III 011 V
COll
1 li
1IX
ment p ntané, cil
colli r Il
hra
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mit auto1lr du
"chan r nt
�110
LA FORCE D'U
SERMENT
un baiser qui était pour tous deux un baiser
fiançailles.
Le dernier coup de cloche répétait à leurs oreilles
l'inéluctable signal. Légère, Irène s'élança vers la
passerelle où lady Kennendale l'attendait. Parmi la
foule, les deux sœurs e retrouvèrent et se prirent
par le bras. Rose comme une fleur, J rène érigeait
un front victorieux:. Elle ne s'aperçut pas, dans sa
hâte à se retrouver sur le quai parmi ceux qui agitaient des mouchoirs et lançaient vers le paquebot
les derniers c au revoir ., que les joues de sa sœur
~taien
marquées d'un sillon humide, chemin douloureux tracé par les larmes que les longs cils ne
parvenaient point à contenir.
x
c HONOLULU
BAR »
un nuit de r po , durant laqu Ile
~Uln_
��112
LA FORCE D'U.
SER~1:-.J'T
son comptoir d'acajou, ses deux ou trois tilbks réservées aux habitués et son piano mécanique COlTIme
on n'en trouve même plus dans nos campaglles les
plus reculées, il ne justifiait en rien son num exutique, Quelques marins, juchés ur ùe hauts tabourets, jouaient aux dés, les consommatIOns pusées
devant eux. Un Chinai en casquette, et privé de la
longue tres e à laquelle e aïeux attachaient un si
religieux respect, lisait un vieux journal sans doutl:
rama sé dans le ruisseau car il était maculé de bouc
et tellement froi é que le patient Fils du 'ici devait en lis er de la paume c1pque fragment avant
de le parcourir dl:S yeu ..
Percevant la légl'n hé itation qui avait inllnohilisé SUII ieut sur le euil, le chauffeur e mil à
rue:
- Eh bien! Sir, je Ile vou avai pas trompé?
Le Bar d'I/unolulu n\:st pa un endroit pour \'ou ,
Il y a, à Frisco, de ndroit plu gai t qui méritent mÎcux ùe recevoir un VU):I' ur venu dlt Contincnt.
- Ce t ici (lue j'ai à faire, coupa MMt val a SeZ
sè h llleUt. Voulez-vou entrer avec moi?
L'homlnt c m prit sur 1 sell. de l'invltatiun :
hl Sir, ce n'c t pa la plin " A\ll'Un danger,
L' nùroit st d
plu tranquille, Si vou dé irez
de "motions io tes, C Il'e t p int ici que VQUS le
nn ontrcrez, bien ûr!
- J'ai à parler à fjlt lqu'un </11 ' je P n c trouv r
dan C· bar. J VOll ai d( mand' ùe l11e S 'rvir, au
b oin. d'interprete.
- Alor , c'e t ùifférent. Je vai ranger ma voiture, ,r I.L pbli' pourrait In ch reher l10i c, ct je
h urf ur
�LA FORCE D'Li~
SER.\Œ."'1'
113
marin avait passé tout à fait inaperçue. Cc Ile fI t
qu'au moment où un garçon en veste blanclll,
d'aJlIl urs douteuse, vint porter les verres eomm<llld ',s qu'André posa la question qui lui bnilait ILS
lèvrlS :
- Connaissez-vous une femme du nom de :-'Tar}?
- J'cn c')JlIJais des ta , .\lary, e\.:st llll prélJUlll
COllllllllll. Il y a hldUCOUp de .\lary à Friseo ct
l:I1C') , plu. tian tou' ks Et.!ts de l'Union.
l\ ttc Mary est, du l1loin' je le uppus\',
une i l'Illme du peuple. Elle dOit fréqucntn ici,
puisque e'e-( ici qu'clic donne Ol! Adn: e.
J\tlendcz, \'OUS voulez peut-être parler de
Mary, «la Illlllatress'??
- ;\Iôl.ltn C Olt lIOII, pou\' z-vou: !Ile mettre cn
rap()t~
avec cet! ' fel1\ll1e?
'Ilore où die perche. Parfois die vient ici,
il journéc finie, c'c t-à-dirc ycrs lcs deu, Olt truis
hl'ul'ls dit matin.
- Uncl st donc son métier?
- Ell v\;Iul d • sucre dl nu. p tits cn fél1ll dans
k
Ill'tre ('t, le 'oir, des fleur ou dt, oran 'e devallt 1 mu ie-halls ct les thl':ltn: .
- En cc m01l1ent, oÎt ai-Je des chances de la
trOll\ çr?
L 'a rçon l'Ill 1I11 /;l'ste vdgU
- Frisl'O (' t gr. nd, Sc ~ qu, r s IInt III quantité.
Mary \'.l tantôt d'un eôtl-, tantôt d'lm aulr '.
L garçon n'a\'ait poillt adlc\'~
S,l phm lIu'une
ùll1hrc Ill,: t\ e C Jlrofiln UT la port
'r.llldc uuVl:rt , int 1 ptant la IUIlIÎcrc IIUI v(,lIait du dehors;
en mélll 1 Illp , IIlIl pditl vai !lutt, zézayant'
la tnanièr de j 11111: l:lI{anl, "1 v. it, t a OilOritr 'tall SI fraich
t 1 ri tnlhllc qUl l'on
d _
- ri
nlalld,lIt a\ c tllpHaction i Il pmvcnait \érit _
bl nJ nt cl la 110llvcIJ' \' IIUI! dOl1t Oll devin. it le
OPlIl nt rond lIr :
��LA FORCE D'UN SERMENT
IJ5
Oui, oui, c'cst moi qui . ai écrit. Pourtant I~s
timbres sont chers, mais j'ai confiance. Le gen tleman mc dédommag-era.
- Certainement, si cc que vous avez à mc dire ('Il
vaut la pcinc.
- Que désire savoir le gentleman?
- Je veux savoir si vous anz réellel11l'nt co nnu
tl0 de mes amis qui a . éjourné à San Frallci co (11
mai 1925. Tl s'agit de sir Arthur Kcnnendale.
- Jc doi dirc au gcnt!t.:man qu' sir Arthur, ici,
était connu ~ous
Ic nom dc Brown, mais je crois
qu'il avait un autre nOI11. Se mouchoir, son linge de
corps étaient marqué d'une autre lettre. Son nécessaire de toilette - un heau néc ~airc
n aroycnt
mas~i
r ct i hil!n orué de flt:urs ct d, guirJand ~
qu'ol! S ' ~ rait mis à g noux d \'allf. - portait la
mtrn . J e crois bien CJU c'était un K.
Vou étiez au service de cet étranger?
A celui ùe ;\Im. Browl1, plutôt.
;\l'DO Brown?
1.u OUI, ir Arthur était marié.
VOU III (tc
lire?
Vl:x~e
(IUt: l'on mil ainsi sa parole en doute, la
marchande nmlmlantc .c tourna \. rl> Il' garçon de
bar:
- 'l'out le monde t11 ètait lir. I.e policier, le
juge, h ' ~ journall tl' . BÎLlI entlildu, Clll1lll1e c' 'tait
qu Iqu'un d la haut ct Ull l'tt ,mgl T, 011 1\ l'loutTé
lc l',ll1dalc .•\lni on Ul :lHdt a IZ dit dal1
,11Idall ? quel candal ? iiI AlIdrl, atterré.
e reut!, :
nllll
a, tout de uit
nad JUill Ille d01111 r m,
l. Pallvre .;\1 aT)" 1 larmoya-t- IIc,
trop grande ~ol1fi:tJc
t'a fall toutOUI, Cf
\'ou 11
ju l
r ~cnl1p
Il
voila comm nt t
1.
���118
LA l'OReE lYLJr\ SERl\1E:\T
VOIX zt:zayallte tic 1.\ Illarchantle tic sucreries.
,\\'al1t <le tlesecntlre de taxi, André jeta lIll ngard
autour tic lui. C'~t<fi,
presque il l'entrée tlu ljuartier
in(llgène, une sorte d, Lar automatique où les gens
prc,~és
trou\'aiull les éléments d'un repas SllUStr,ntieJ.
Sans doute Mary était-elle une hauituét' du lieu.
Elle t ra \'l'rsa délibérément la salle, encore il pcu
CJui était assisl'
près viùe, se pencha \'Crs lIne f~l1me
derrière le comptoir où l'oll Servait les di/Térentes
b()i~
Oll, l\près avoir l1lurJllllré il son oreille
qUllljllC IllotS qui Ile parvinrent pas jusqu'à ~L
de
11artc\'<1I, ho deux r 111111(:5 firent au jeuTIl' hOlllme
signe d ' 1 tll\'l'e, Toujours aeromp'lgné du chaufft'ur, 1 qud vellall dl' lui appr IIdre qu'il sc nommait Boh Wllllford et était ol'l"inair de l'Etat dt!
Vir 'lIIic, André l: lais a conduire \. l' unc petite
pit, 'C as' 'Z délabréc d'a pCl't mais où l'ail jlOll\'ait,
cu dT t, l':tU u' :tn craillte d'être d~rangé
par les
allées I.'t \'U1II ,
Ayant fait servir ries l'un 1J1l1Illalioll qu'apporta,
sali façllll, la Ill.rsonlH' qui avait tout l'air d'être
la patronlle de éan, M.lrt '\':d, le cœur hattanl
d'lll1otliln, fit a seoir la 1ll1llâtrL
III fac
d lui,
Il· mani r Il r' <tll 011 noir vi age ÙCl\1ellrilt Cil
phlill Illinil' r; , haigil" pal' 1 I)h:il rnurhant (lUC
lai it l"Ilé!1 l' 1111' 'tloite llllêtre ù 'uiHotllH':, Il
la
hu
t101l1l.t
l'onl l'l' cl
pa riel'.
/, rtril de .\Iary d'abord m
plu
cl. ir, Ell
'cmhroliill,llt parfoi
d.ltes,
n an i \J'(' Ù l'an c d'Ill! fall ()ulJi~,
III a 1 ,
aflll d' 'lu -id r J.cs
l()r~1
a \'all mi ù
A r! 1 cS
���LA FORCr:
D'U~
"EI)MENT
I21
fait ~OI1
apparition, S,II1. doute a-t-cllc su
'aImer la c()lèr' de ma patronlll, car, pendant le
déjeunl'r, les choses paraissall'nt arrangées. Ça a
duré cOll1l11e ça une cJizamc dl' jUlIrs, ct puis, un
heau matIn, la poltce est n:lllie cl 011 a emmené
Mr:;. Brown, ~
La fl:lI1l11c tll Jord KellllLllllale?
- Je vous ai dit quc je 11(' ILs connaissais que
sous Il: 1I0m dl: Brem Il.
- On J'a arr'téL:?
- Tout C' !Ju'il y a de plus arrt,té,
- Et qu',lvalt fait 1;) 'lwlhtmpl1 p?
- IWL: avait aidl' ;1 écoula d's titre volés dans
t1lle hanquc cie Nnv-York. ]1 parait cnu.', lkplli des
moi , llle rai ait parUt d'lIn(' hdlllh, ('a Tl IllOllt, it
au temp olt L:J1I' JI'avait pas Ilcore flncolltré
Mr. nlOwn,
- Alors? Cl'Itc femme a l'tl' j ug~d
- Oui, Toute IL' d~l1arh
lit: '111 lllari Il'ont
pu la au\'( r du Il ihull,d, Il ilvalt pourtallt (lITert de
nmhllur tr, Oh! il .~ t ",Jll(luit tOllt ù rail ore ctl m nI. On n'aurait jamai' cru qu'il y rn'ait Cil,
ntr
u", lou C~
rmdcntcndu, Qlle voukz \'OUS,
'~tai
un mariage m,II a orti, !-allait que ç 1 iiui e
Il'avall
mal.
• Ivez-vou Cl, <111\ 1 d, \'LIlU .. , ( Ilc fi r
"1ne?
l'()n.]'lIl1né· li
cinq an de pri~{)n,
c' st [out l'I 'IUt jl ,is,. a
tanlt, c11l111 je vou ai pal Il I/lut il J'lit url, t qu'clic
a\:lit r.dt Hnir a San l't'ail 1 CI), qUIU,1 hru qUItl1 lit 1,1 \ ill. ail dOllll' [)(JlH é\ ilt'r la hont· J paraitrL il J'audl Ile ,Qu.lIllllOut a ~l" filli, .\Ir. nru Il
( 1 parti.i 011 our t Oll Il )',\ ),111l:11 Il \u,
\' \1
III l' di i z qUl \'011
j)llllrril z ni f, ire
cOllnaÎtn: '1" Iqu'un qui cOlllHIIl 1.1It VI dile?
• laI oui, .' l la propre IMII 1111 d
t ét -
TOIl ,
jL'
11\ II
ai
ri'lI, Fill
li {'['
�122
LA FORCE J)' '.: SER.\IENT
ùlissernent, 11rs. AIl1:trylli '. Faut-il la prier de
monter?
- Je vous \:n serais oLli.~é
André avait parlé frui \:Il~nt,
dé Irant poursuivre
jll-qu'au bout son cnquête ct s'entourer d\!s plus
sérieu es garnti!:~.
DéJ;t il l.: prOIllLltait d' réunir la
collection complète des journau rdatant le procè •
Quand il vi rennir • lai") pr :cé 1. Ilt 1:1 fl:mmc qu'il
avait aperçue au comptoir ct qui 1 avait servi,
unl.: ort!: de honte ht1 fit lI1ontt:r le <lng- au visage,
A quoi Lon rLntua toute cette bouc, pUt qu'II avait
ju qu'à quel Tl Jlllt {le dé -héance étatt tombé lord
Kenncnùale d que, cl' orl1lais, nul rl.: te de pitié,
nul crupule, mêtll\: r!:li ri\:tt, , nl.: pouvaient emp~chr
Diane de s'évad\:1' hors de l'ahominable ct sacrilège
union?
Il fut tir' Ile sa méditation, que re p 'c ait le
chauficur, Bol> \\'I11tforù, quand la mulâlr' 'juge'l bon de lui pr~
ellt.cr la caLar tit;re au cltev u,
rnu , dout le \'Ïloag' renfrogné ne sc dérida point
lor qu Mar~
'\ al l' 'ut illvitte à 'a coiro
Ell
ir
��J2!4
1 A FOl'CJ~
D'UN SERMENT
visiter dans ~a
pri 011. 11 avait placé sur la tête d.:
Félia UlH.: SOlllme qui devait la préserver de l'ab 0lue misère le jour oll dIe serait nfin libérée.
- Vous voyez que lord Kennendalc tenait à
accomplir e dl\·oirs.
- On n'accomplit pas on de\'oir en jetant une
aumône et en repoussant celle qui t nd les bras vers
VOliS.
-
P
Cumme vous plaidez la cause de cette femme,
nLlClame!
- Je plaide a cau c, dite-vous? J'en ai bien le
droit. je suppose, félin était ma nièce,
- Votr' niee'!
Il "e tourna nr~
r.lary et son n:g-ard lui reprochait de n l'avoir pas avertie de la p r )I1llalité de
celle fl:l11ll1e qu'dl' .\\'alt dé ignée sou le ImpIe
pr'nom d'Al1lar) IIi, La mulâtre c comprit le
hl:III1C mu t.
- ;\Tni p:1 dlt;\ ;\Ti ié, parc que l\lr . Amaryllis
m'a\'.lil défendu de dir qui ,lie était quand clic
t rc\' nl! ;\ Fri C0, i. 1110i aprè., 1 proc', Hile
a été i honnc Tl)\lr la panne ;\Iary, "e t av c J'argent (IU'c1le 1!l',1 donné que j'ai pu pnndr mon
I1lployait fièr m nt
c t rl11C, oun 1111 pau \'re
appuyé
.1
la
s Il1hl:l1t
qui l'clltoltrai lit.
1ll,1ll! , (lit
s'aC~onlpi
\1
l' 1,I1\Ç i , un tr IV,lil d'\ imIl,ltion
aH li 1\ 011 ( prtt. II 1 nait mai1\t liant
'1'\1ICl1t dll dralll". l' urtant cl
Il lllt d mell-
��J2Ô
LA FORCE D'UN SERME HI'
Par s~
parents, oui. ~la
pam rc sœur e. t
1I1,)rle dc chag-I in quand die a apprit; cette 1115toi[\:.
Elle habitait là-bas, dans notrl' pa) , an\.: sa S~
l'omk fille, MOI j'accompagnais Félia dall lS tourIl e , C'est aimi que nuu sonll\1CS ycnuc t'n 1\11lé1 quc. Ah 1 tout k lI1alh 'ur dat!.! dc c l110m Ilt
Fl-lia était unc artiste, L1le t;agnail lar 'Ul ellt ~a ril'.
Pourquoi a-t-elle consenti à aider 'c g ilS' 11 lUI
plomettaÎcnt la fortune, ulle \'IC merveilleuse! Flle
Il'almait pas IL cirque, SOIl métier lui (lait UIl!.!
charge, 011 aUI ail dit un sinistre pres cl1limnt.
l Il pre clltim Ilt qui Ile ra pa. trompée:
Féba ,1'lrin<;ki s\ t tué' à VIt'III1t'!
tout il coup de la
'Ile grallde a 'italioll ~'mpar
cahl"1~r.
!·.lk sc leva, fil ljudCIUt' pa ;\ trar rs
la p tlte pi' c • Son lt' 'anl, fi" devant elle, Ile e
di,tollrnait 11.1 \\;1' 'c!ui qll'clle illll'fIl< liait aVI:C
ulle \,l'ht'1I1 Ile
qUI Ill; fuI pa
ans surprc.;ndre
:\1. de .\Iark\'al :
a dit c la? ,T Oll , 1101l! F "lia
\'OIIS cil dOl1ner la
portait ur llle, l. n
.doll dan 1 qll ,) il
fut ulle chambre,
1 10 "lIlelll Il r-
il un tiroir, pui
ri' Jourphfl!ogr.lphi , 1';1 rtuut
011\
d~
(1l1ljHIr
aux .>
ntr'!lll\ rI
t
Il'Z ~
\' oi 1
J
\1
d
pro r:tmlll , Il
or-
����130
LA FORCE D'UN
SER~l:
r
son ~œur
André nommait déjà sa fiancée, n'avait
Ut connaissance de son !ütif retour, dont, seule,
Diane avait reçu avis en même temps que quelques
mots la préparant à cc qu'clIc allait apprendre,
Tandi
qu'clle attendait, a i e auprès de
~rs,
Drcammont, l'heure qu'ellc a\'ait fixée ellemême, une grande anxiété étreign,{it le cœur de la
pauvre femme, Par craint\.! d'inelisaétions, les
l~tre
de son ami étaient licllll:.urécs dan, te rague;
pourtant il lui :\\'ait fait pres etltir (ju'dle avait
tous 1 droits de reprenlire sa liberté.
Quelque t~1pS
rlltparavant, cette aS"uranee l'allr .. il san~
doute cOll1blée. Son attitude, dieté par .Oll
rc p ct de eOI1\"enanCe, lic la parole dfllmél', son
souci de demeun:r irréprochable dc\'anl un monelp
qui 'udtait 1. ll10indre dl'faill nec ct était prêt il
s'en réjlJuir, l'a\'ai Ilt ~J1jl:r!éc
dan Uil inhumain
rlI1I11l CI11l:nt. Le
atl factioll de la forllll1l', les
voy 1 l ,le rcl.ltion ll1un LlÎn
n' ',t'Ii lit j'lIll.li
pan' III 1 .\ remplir a \'ic.
1. int nant, l'I!nriZllll
L s
:111 lent tUlllb r d' II
qu C 111111 au
nt ?... DI III Ile
��132
LA FORCE D'UN SERMENT
déborderait pas devant celui qu'elle aurait tant
voulu pouvOIr chérir,
Trop ab orbé par son récit, André ne s'apercevait pa du changcment qui, pcndant sa courte abCllCc, s'était fait en cette créature qu'il avait
connue ébloui santc, Les traits dc Diane étaient
li ré~,
son vi age pâli; le pli découra é qui partait
dr la commis 'ure des lèvre paraissait plus profond
c: les admirables yeux brillaicnt comme à traver>;
une buéee dc larmcs, agrandis cncorc par le h:11,)
mauve cernant lc· paupières au,' Ion f cil',
Jamais, peut-être, Dianc K ~nlc1da
Il 'avait été
au i belle, d'unc bcauté poignante ct dé olée, mais
d0nt la (l,lth 'tique c.'prcs ion n'a\ait ~uère
connu
qu la ouffrancc, Elle écoutaIt André san 1'111terromprc, fuyant 5011 regard, mai parfois l'en ele/ppant à la d :robée des cffiu\'l:s du sien, i tendre
~
i c!oulo\1r II." Ù la foi.
n'ant d', dre
eX
[jll
,i, dlld;/IfJ, \()1\
I? (JIll, J
-lnm,llio\1 réproha-
[fllltillll
dl
r
hi
riu
Il, UI1
"te l "pou
;1 port1 r
ril\line l,
d'lm hi-
port r
c
�Lt\ FORCE D'U~
SERMENT
133
Ah! quant à la fortune, mon cher cœur, le
la doit, en qualité de dommages ct
monstre vou~
intérêt.
- Je Ile veux rien de lui. Pourtant je le juge
!l'oins sévèrcmCllt que vou~.
Le mal qu'il m'a faiL
J'a été involontairement. Au matin de notre mari~c
iJ iRllorait évidemmcnt. C'c~t
bien votrc avis, Ill'in
ilmi?
- Oh! certainement. J'ai pensé cela comme ,"ous,
Diane, répondit André à qui cette qucstion était
,1'\1' ée .
.\[aud hau 'a IC5 épaules.
~
VOlh autn:s, Français, vou êtes c. -1raonli!laire . Vous vous amusez à couper des cheveux l'Il
p\ lit, morccaux. Si vous vous faites l'avocat tle cc
hal1d!l, :\1. de l\Tarteval, je vais me rtlcher avc'
\"ou~.
Voyoll , vous n'allez pas con ciller à votre
[l'lfI.:nte de !>e . acriner pour l'honneur d'l1n nom avec
Juillel clic n'a pll1 rien à voir? Arthur Kennendale
Ile 'c~t
pa conduit en ycntlcman, tant pi pout' lui!
1-:, pui , il a ~u, j'en jurerais, une complice!
n et>!Jlplke?
- Ava-vllll <JlIhlié le manœuvres étran 'c de
Cé<:ilia? \ rOll · 1I·'l~,
Diane, l1pp0 il'z qu'Ile avait
t'JIll. l ' II j Il rril qu'cll e :t joué, celle veuve vcrtueu
Cn jeu cl ml le ll10ti i denlL'l1r il1l'0I11prêhcnsihl. u i, m ,mi - Di311' 'Ilvcloppait (le \ln
tc 'art! prlliollll Lantilt 1\11'. Or aJ11ll1lJut, taultll
C lui lju' 11
'applIquait < ~I)n
idér r '0 Il 11 II 1111
fr'r , - j ne pr mIrai :HlClllll' r~ o!lltllm formclle
San :WIli! t:U uu cxpli ntirlll a \'e' 'écilia. Qudl'
qu'ell
lit. j \'011 1 di d',l"nuc, j Il u C <Ill'
P urra lIlodifier me proj t , II1jli , l1vant
\' IIdrai a ul'cr le ort <.l llla peIIr.
Ir FJr? fit ,\ndré, inqui t,
d~mant
1
�134
LA FO.RCE D'UN SERME. '1
Diane avait ou non deviné leur amour ré Ipmquc
ct si elle blâmerait leur désir de s'épouser.
- Oui, d'Irène. Je veux qu'elle rencontre dans
l'cxiostence tout le bonheur dont j'ai été privée. C,serait trop cruel pour moi si cs souffrances
'ajoutaient aux miennes. André, répondez-moi
fI anchement, loyalement. Etes-vous sûr de l'aimer
comme elle le mérite et de la rendre heureuse?
- Diane, mon amie, balbutia le jeune homme
profondément troublé, vous avez compris?
- Votre secrd Il'était pa difficile à deviner et
moin encore celui de ma petite sœur.
Malgré le sourire dont elle accompagnait cette
phra e, lady Kenn ndale n'avait pa été maître e
<b tremblement qui nndait grêle a voix habituelle1'1 nt chaude et vibrante C0111111e un organe de contralto; cc i. était, av c la couleur de cheveux rt la
fameté d s trait, encore puérils chez la cad tte,
le
cule di cm blanc es xistant entre les deux
ur .
L' ne minute, la pen ée que Diane l'avait aimé,
l'aimaI Il Il-l'tr cncore,
ura le j une homme.
ur le point d renier la ch r , la pur tenc qui ' tait, san qU'III voulût, mparée de
Tl cœur. ~ lême il
d mandait 'il ne e trompait
pa, i c n'ét.lit pa Di, ne fJu'il aimait ncon: à
trav r l'adorabl apparen de a jcun œur.
omprit-ell
hé itation?
elle qui n'était
plu, même d vant la loi humaJl1 , lady Kcnn ndale,
c leva. Elle 'approcha lent ment du j une homme,
r ' 1 a a mllin ur Oll épaule afin qu'il ne pui e
quitter 1 i ge où il
trouvait.
D pui quclqu
in tant il étaient
jugeant a pré en e inopportune,
d: 'rèll:ment. L
ombres du oir
envahir le parloir, ét i nant 1 viv couleur d'
fleur dont il ét it garni profu ion. De voile gril
cm
�LA FORCE D'UN
SER},l~T
135
t'lampaient les coins pour bientôt s'étendre sur
Ulute la pièce, effaçant les contours et les formes,
voilant l'expression des visages qui n'auraient plus
à mentir ou à sc contraindre.
Andr' voulut parler: Diane lui imposa le silence.
- Non, ne dites rien, mon ami. Je sais que vous
êtc sincère et quc vous la méritcz. Il ne faut pas
qu'un "crupule exagéré mctte votre bonheur en
J,éril. Je vai. VOliS dire de choses qu'une femme,
P ut-être. ne devrait pas rappeler. Vous m'avez fait
i.1 cour, ,\ndré, vous m'ave4 dit des paroles de tendresse.
interdit
- Mais vous m'avez interdit d' sp~re,
de voir en vou <lutr cho e qu'une amie. VOliS vous
r(\'oltit.:z contre l'id' c, naturelle pourtant, de Llirr:
mariage et d'en cOlltrue cr
Hlllluler vutre x ~crahle
\111 aut rI.'.
- C'est la vérité. Jc ,'ous ai défendu de m'aimer.
I\lor unt.: autre , t Vellue.
ndré. et cet~
;utlrc
~pr
live dont
, l'dTaccll1 Ill,
Un l'
��LA FORCE D'UN SER1ŒNT
137
e~suyant
une joue encore humide, mais Maud, devinant J'émotion de son amie et, peut-être au si, ses
C;lUSCS. hahillait avec d'autant plu de volubilité que
ses hôtes étaient moin' loquacl:s,
,:TT
U:S A\T 'X Dl': CI~.J\
li
Bei-
Diana? que tionna-t-dle Sans
'arclicIls qui,
l'l a féht'Ilitt'. 111l It Li nI une
il
�138
L\ FORCE D'UN SERMENT
s'appuyer au mur; lcs dcux mains crispécs sur sa
pl itrinc ~'cf{orçaint
d'en arrêter les tumultucux
battements.
an~
doute Dianc avait-ellc cntendu monter, ear
lln$ porte s'ouvrit, ct Ic~
deux bcl1~-.
œms sc trou\'~rent
face :1 f acc. C ;cilia nt: bougeait pas. Son
visage torlu~
était celui d'une femme à l'agonie.
1)tane eut, malgré cs préventions, pitié de la mallhureu,e, .Elle lui prit le hras, la soutint jusqu'au
lJ101l1Cnt oil :\1r5. IIeartling s'écroula dans le fauteuil qui .e troU\',l1t placé dt:vant le !l'ttt hun:au
Empire (lUS kqud André cie ]\[arteval avait raIllas l' le journal annonçant la mort de Félin .:\larin ki.
Il Y 1 lit entre le deux femme un tragiqu' SIlem: , f liane ob n',lit 1 t milS m va~é
,le yeu,al'\urés de hl,t, tr. Ciliée.
\'Oll
.1\ icz tout, n'
t-I;I' P,l ? fit-dIe \'nfin,
l't ,a VOl - dUI '1 \' )\\\. il 'Ill h- dt"Olît d l'aboll1i.
• \ Il, triomphé d
il
fu itt\'e
Il,luk trahi
pitié.
-
l\!on
f)II'Il.
gllilit 'édIJa, Clltnlll nt :IV z-vou"
FI ilnçais, an doutl? l "y <l\'alt-il
11
1I1t(, 11l P"llV
lit-il
11011
�LA FORCE D'UN SERMENT
I39
retrouva la parole, mais les mots qu'elle prononçait
étaient presquc inintelligibles.
- Je suis coupable, c'cst vrai, ct je m'en suis
bien souvent repentie devant Dieu, surtout après le
départ de mon pauvre frère, mais vous n'avez
quand même pas le droit de me juger si sévèrement.
J 'ai été faible. Je vais tout vous dire.
« Entre Arthur ct moi, malgré nos caractères très
d: <emhlahll", de tout temps ré~na
une g-rande
joies d'enfant, il me les
amitié. Ses l'ha rin , ~cs
confiait; plu~
tard, ce furent es ambition., cs espOir de jeun' homme. Tl n'était pa comme les
autreS. ~l
rêve a'étaient pOlllt ft la commullc llIesure, c' t pourquoi le pays encore !'Oauvag< , ks
l.bre c pacl' l'atl1railnt. De\' nu riche par la mort
dl. no parent, il aurait pu m n 'r <.Ian I~ monde la
vic portive et inutllc de jeun 'S Tarçon cl
on
monde. La médiocrité, le COn\'Clll1, l'h) porrisil', IYlrfoi de nos milieux cl dc 1\0 coutUIIl le lancèrent
es rares 1 court
éjours en
le phil an lai. nr sc a JllratlOJ\ de
hien un foy r?
le f mnH me
Oue chcrchu1t-
��LA FORCE D'CN SERMENT
141
server son honneur. Je crois qu'à peine le mariage
accompli, mon pauvre Arthur e rendit compte
combien il avait été trompé. Ses lettres se firent
r~,e·.
Je n'appris la terrible vérité que lors de 'on
rltour à Londres, troi ans plus tard, aprè la COI1damnation de Félia, complice et affiliée il. une bantle
d'e crocs internationaux. Vous n'ignorez pas cette
condamnation, n'est-cc pas? »
D'un signe de tête, Diane fit comprendre qu'clic
étai au courant.
- Cc fut sur mes instances que lord Arthur,
aprè une nOl1velle absence de plusieurs années,
CJu'il consacra il. des voyages aventureux, afin d'ouhlJer, reprit sa place dans le monde ou, plutôt, qu'il
clin. cntit il. sc montrer dans le' salons quand il lui
était tout à fait impossihle de se dérohcr aux
avances des gens de son monde. 'est ainsi que la
reine Mary ayant mani festé 1, dé ir de r 'voir cet
éternel \'oyageur, il dut acccpter la flatteuse invitatioll CJui "[;\lt , naturcllement, un ordre.
« li vou n:ncClntr:1, ct son cœur d('v:\ 1 ~ n'~f)IJ1t.llnça;l vine. Picil n' fut plu (\'l'Iul"lnt qlll' la
livr'ç enlre cet :ll11flllf il11po ihl
LI sa
h:ll
It:lutl COli plÎnn du devoir. Jamai vou n'auriez
.lI 1
Ln'i1l11'nl profond quc VOt1~
aviez f"il naître
1 la d ln \1~,
aiant pas é pour ll10rt , le 111;1Ih uIll!.' n'.I\'ait pit 'roirc qu'il n'COll\ rail 1 dmlt de
fU)cr J'nl)nl1lillahl na
1 dl
atlÎre 1I1ll' l'XI t lice.
e!l li.
',écoull:n Ill. J\rthllr c cr"yall \'\'1\f.
pro, Itcrcz-\ (lU 011 m;l11qu d cnlld moi, at1~
i, il ~ 'ét,lIt montré
Irant plu ma pré ~IlC
au!,r' Lie
aprè votre 1ellcC!l1trc, dans IInc
Il a1\rait dll \'''1\ a\f)1I ries
1 [(.'11\
qll'il av III lt'a\'cr
,L 1 ho11t l'Cil ml'' h : (1111, 1t h Ille d', \'Olr 0 ~ \'011 ()Iïrir, à \'Oll ,
�J4 2
LA FORCE D'UN SERMENT
pere comme une madone, 11.: nom qu'une autre avait
f.:illi dl,chotlortr. CetLe faiblesse, Diane, est le seul
grief que vou' pui iez rrprochcr à un homme si
t<:rribl cl11ult éprouvé, car devant Dieu, je vous le
jure. quand il vous a COl1duite à l'autel, il ignorait
Que l<\;lin. J\Iarinski fllt encore en vic. »
- Comment est-cc po.-sihlc, alors qu'une parente
de cdte f mme avait Llit le voyage de San Franc, co à Londr~
afin dl: Ill'avertir, car si je n'avais
pas été au::;. i avcll 'Il:, .i je n'avais pas mépri é le
con'cil qlli m'était donl1l', j'aurai, cc jour-là même,
rompu l'ellgagllllcllt criminel.
- Il n'était pas crimine], pui qu',\rthur sc croyait
liI'H, {lui qu'II pas éùait l'acte de décè établi à
\ i tlne deux Jours après J'ae iclent.
'Il acte dl. décè , dite -VOUli? mais comm nt
III c par ille l i rwr a-t-dle pu êl fl' cumml l:?
J l 1'1 'nore, mai lIlOIl malheureux frère sc
1\ t SHI "t nt demandl'.
- Vou a VlZ don' reçu dt eS n uv Ile ?
a la tête, accablée, IWe eut un geste
C Iha b.1I
d
upplication.
Je li' li ai plll !U\lr
c!tarit' dL me croire.
�1.,\
FOI'~E
L)' -,'
143
SER~ŒNT
[HeCe, une feuille de papier ct que](lueS coupures de
jnurnaux. Sur la h:uillc, une main anonyme avait
écrit ccci: «Félia n'est pa' morte, Arthur Ken« nendale, tu s un parjure et un higame. :. Des article de pres, c, de prog,ramml'S portant tous la
date des derniers moi' ne pouvaient lui lais cr aucun doute, Horrifié, il profita de votre sommeil pour
mettre 'n nrdr' une situation qui devait être réglée
~ votre 'l'lll ,lvantagc, vous, la première victime de
cet affrcu,- malentendu, puis il quitta sa demcure,
y laI ant, ('n votre personne, tout cc qui lui était
précieux au monde.
« Quand il eut terminé son clé olant récit, je clemeurai muette. ~rals
déji Arthur s'était rCJlri:. Il
allait ex'cuta le plan que 011 c rveOlu ava't élahoré,
le pl,lll qui évitait ;\ notre nnl11 l'indéléhile ollillufe,
el il I11l' fit jurer <le n ja nai vous révéler la moindre parcelle dl' n:'l'Ité afin qlll, jamais, il ne \'0115
vienne ft J'idée de l'Lch rcher k fugitii. J'ai fait le
~, rment quc Illon pau\'rt' fn:1'l l' -i"eilll de Illoi. Dl'pu i j
ou vot rc toit.
Tl ytl:l da Il
la pièce
lourd uattement de
1 1:'('
- BI
pa Ù
it ulle
Il'
111 111 Ilt.
li
ur
t ù'aill ur
�144
LA FORCE D'UN SERMENT
Diane avait, sur ses traits tendus, une telle expr(;ssion de fermeté ct de résolution que écilia jugea inutile de combattre, quel qu'il soit, le projet
qu'avait formé la jeune fl:mme. Elle l'interrogea
pourtant peureusement:
- Que comptez-vous faire?
- Retrouver cette femme; même indigne - elle
à
a pu se rachdcr, - la place de }ord Arthur e~t
ses côté. C'est son dcvoir chrétien ùe ne pas
abandonner celte créature, urtout si ·lle est tombre. San doute cst-ce par crupule, à cau e de moi,
qu'il n'a point accompli ce geste. C'est donc à moi
dl' les r;ullir. Voulez-vou m'aider ùans cette 6che,
Cécilia?
'n in tant ].[r. IleartJlIlg T'fléchit, pui eJl
'approcha de Di, Ile, ur 011 vi age de l:\lm' ntlSc1aielll :
que
que
Will
�LA FORCE D'UN SERMENT
J.15
.' III
lmrnohik derrière la portc qu'un groom g,.!Oll/ .;
d'or ,n'ait lai sée cnlr'Ollvertl, Diant ntcndit un
\'C ix fémininc qui s'exprimait en françai , mai
a \'cC lin fort aCt'cllt étran Tcr,
l'JI Illon icur d une dame qui désircnt me
\'oid Et nprè ? C'est in~up()rtlhc
d' n'être pas
\Ille rnilllttc tranquille, ~\1'cstqu'ib veulent, ct.
'lIlS? Cn autographe? ErulItc, mon her pctit, cc
(ir, j'ai J nerfs Cil pC]lItc, Je l1e vcux pa le rccc\'oir, .. L' II 'ngag III lit, ou hicll 1\11 cach t, tu dis?
Ah r il n faut pa manquer J'occa ion, Fai cn1n r, b y, ct emporl
c' fleur, ça Ille dOllne la
migra me,
L:n in t.1I1t plu tard, lady KCI1Ill'llùale, <ju'a('c mp. rnait \ndr' dc ~larte\',
pént'tr. it dan b J gc
<11-
��LA FORCE D'UN SERMENT
14,
heureuse sœur, Tania se plantait devant André de
Marteval.
- Vous savez, j'ai vingt-cinq ans depuis trois
jours, et ma grande avait trente ans quand elle s'est
tuée à Vienne.
- Le 25 février 1928.
- Ah 1 vous saviez cela? Alors, pourqUl)i avezvous feint de me confondre avec elle?
- Parce que, intervint Diane, quelqu'un a voulu
vous faire pa ser pour votre sœur, et cela afin de
Sl'parcr deux cœurs qui s'appartenaient, de briser
irrévocablement deux existences.
- Mais c'est très mal. Qui a pu accomplir cette
mauvais action?
- Votre tante, Mademoiselle.
La jeune arti te bai sa la tête. Sous on fard, la
rougeur envahit ~on
joli vi ,Ige ct ju qu'à son cou
i nacré où flottai Ilt ks houcles brunes dc c cheVOIX épais ct brillant. Quand clle releva son front,
1 c pres ion d\: confu ion empreinte ur es traita
la rendait véritablement charmante.
- La tant Maria e t une mauvaise femme, je le
sai. Pour clic, une
ule cho e compte: l'argent.
1'uu 1 malheur d ma pauvre œur ont venus
d pcrnici t1X COll cils qu'clle lui donnait. Si Félia
v u a cau ' qu lque tort, ou fait de la p illC, parn prie, ~1adme,
pardonnez à
donn\:z-Iui, Je vou
1.1 m/moir de celle qui n' t plu. Mai vou, Madam\:, qui êt vous? Vou aHZ dit que vou vous
nommiez ... ?
- Lady Kennendale. J sui la seconde femme
d' rthur Kenncndale. Le pardon que vous me den13nt'cZ, mon nfant, je vou le donne du fond de
n n cœur, pour moi, pour mon mari. Et, maintenant, Je veux vou lai cr un f ibl témoignage de
1 ) mpathi <lU vou m'in pir z.
D'un ge te pr "ci , Diane détacha de son cou 1Ul
�q8
LA FORCE D'UN SERMENT
rang de perles égales et d'un très bel orient. Elle
l'agraffa elle-même à celui de la jeune artiste,
- Cardez ccci en souvenir de moi, mademoiselle
Tania, ct permettez-moi, de temps en temps, de vous
écrire. \\)US faites un dangereux métier. Je sui 5ôre
que mon mari, 'il vous connaissait, aimerait à ne
pa vou
avoir Cil péril. Vous ête jeun\:, charmante. K'avez-\'ou: Jamais pcn . é à \'OUS reposer
dans un foyer que vous auriez créé selon \'otre
cœur?
De nouveau h jeune fille fOlIg-it :
- Certes, j'y ai Plié, mal, pour créer un foy\:r,
il faut de J'argent, ct celui que j 'aime e"t pauvre.
11 vil là-ba , en l'ologn '. Il m'attend.
- En c ca, écrinz-lui qu'il n'attendra pa
latlOllllait devant le cirque
DWII
ct I\ndr~,
an~lI\1
où, d 'IHli d'II." jour,
KOUI ·nclal e s' '· taient in -
01lll11C
�LA FORCE lJ'C;N SER;\1E T
149
ces époux, le~
événements avaient paru obéir à sa
volonté bienfai 'an c.
D'abord cda avait été de courtes recherches confiée à l'ami dévoué que, bientôt, elle pourr;tit, sans
arrièrc-pcmée, nommer son frère. André de Marteval s'était adn.ssé à ulle agencc spécialisée dans la
préparation des programmes dc cirques ct de musich .. lls, laquelle, t ra vaillant avec le~
grand établisselI'cnt du monde entier, ne pouvait ignon:r ce IlUm~ro.
En l fict, presCjuc jour par jour, Ics tournées
dl' mIss Félta ~Iarinsk
étaient inscrites dans les
d" ier" dc l'a cnec.
n ha anl, CJue Diane consiÙl ra plu lard comme pro\'idl:nticl, condui ait ]'artl le l'Il France. Quinze jour dl' patiellce, et l,lie
dl'buterait ail cirque :\I{'drallo. "c t là que lkvait
'clater la \l'fitç.
'l'anùi qne le den' fiallcçs S'I niaient dal~
un
c"in du alon, Di,ll1c, a J ( h CÎllé lit: CécilIa, lui
a"ait pri Iv. li Il,' ll1ain ct, III re 'arùant IIi JI dans
j'lUX:
- Cé ilta,
faut ;i pl' ;scnt ëtr J.r;1\ l: ct
\".)ir. Vouil'Z-\'Oll lellir \'fHrc
\'011
ilVlZ,
hien m'aila place il la-
, 011
e
l'Ô
é
fer! Z lia, I)ianc, "OU pardonn ri ez ?
mon d voir d','loU l? ])le\l
III
r CCliX que ~,I
\Illonll :\ 11111 ?
le ciel IlJl \ 1 .l T [r'1 turé. 1~J
JI et d, la
Îlrc.
�l'50
LA FORCE D'UN SERME. ''1'
Et, moi, je suis cerlaine du contraire, Jamais
il n'osera se représenter devant moi, solliciter mon
pardon.
- Si je lui dis: «C'est Diane qui m'envoie \'cr
Y( us. :t
- Le croi ra-t-il? Jugna-t-il pos ihle que tout
il oublié?
écilia, rélléchi sez, c' st le bonheur
(J: le malh ur de \'otre frère dont vous prenez la
ft ponsahilit·.
V{JU a Vl Z rai"oll, 1 lialla. ]) mai Il, si vou h
\ ('ul z, ilOt! rdfJl!rrh rOll d'lll mOIl pa)
t vou
,ur Z (li
e, dl celui qui Il'a jamai
vou mm r d (lui, pour la
ulc joie de r
{ondamné ,l la
qu \ ou Tl piriez,
ér,lbl d [lui qll'Il a appri pnr moi
! lJ'illdclI/lc/1' Custl
"t
�LA FORCE D'UN SERMENT
151
quant à tout oublier, sa juvénile intransigeance 'y
serait refusée.
- Et puis, es-tu certaine que cette longue séparation n'a pas tué en toi toute !cndresse? disait la
Je une fille à on aînée, tout en sc préparant au départ. Es-tu certaine de l'aimer toujours?
Diane ne répondit pas. Corn lient aurait-elle Illl
faire comprendre à la fiancée d'ùndré. pleine d'lnthou 'iasme ct g-loriclIse !lc . on Jt:lIl1C ct triomphant
amour, le scntim 'n fait de m ;Iancolie ct de notions
J'un impérati f devoir qui prédominait en l'Ile?
Ses émOIS !le jeun vierge, ses élan, rct 'nus p'lr
llIH: délicate pud ur, ver. celui qui 'imposait:l clle
tlll PC\! comme un héro de roman ceS délidel!.'
r 111 la Il allglais dont ses seize <111 <I\"aicnl fait kurs
d~hcl
. - ('omll1\' tout cela lui parai ail lOin ain !
1.l
fl)S('
du pn'milr amour s'étaillll flétries d.lfIs
J'attente. pni cela avait l,té la 1 1\ 'ontre d'lIl1
h',Il1Il11 d sa race, plu prè~
d\ Ill. ll'id 11111' lit, fille
Il 1';l\'.lIt j.tlnai l'tl' 1 nohle I\nglai
proÎPlldélll nt mai lJlhabllr ,\ ( tél101"1 r Cl t~
tend'l~
élncpar1l1id" nllne.
[)'Çll plr lllll r 11101 , ,\rthur 1"" 111' nd 1 av.dt
toujour
Il une llttltudl UI1 p- U l'olltr. IIltl, l, de
l''pf)lju(, !ll 1 ur fian aille, DiaJlc avait g-anl' d '5
"lllin
dél'('vant. (" t ql1' ntrc 011
Id 1) J c/ln nda1t:
ren lait Illell
1
1I1\ 1111 r I '
\rthllr 1" Il
d
te
t
ia.· pr m
J) Il''
fllllnll
ou ,1
nt
11
~.Y,dcr
c.dll1l' lIel'édait:"t la t ml" te.
i)
ltX
•
�52
LA FORCE D'UN SERMENT
\ ;1stées allaient se rej oindre, Sur les ruincs, il
~'agist
de reconstruire, Déjà lady Kennèndalè,
tournant bra\'ement lc dos au passé si proche, que
lui rappelait ccptnclant sans cesse la présence de
.a sœur, s'intcrdi 'a nt Il1L1l1C un regard en arrière
v rs le rêv auquel ('Ile Se scrait ahanùollné ' si elle
'a valt cu li Il l' aussi haute conception ùe l'hollneur,
n, on 'eaH plu qu'à 1.\ tâche prochaine, à 1 misIOn charitable qui all,tit TUldre à la vic l'homme
qui "tait 1\1 à .lamai brisé par elle.
\ li moment mêllll' olt les \'oyagCtl
allaient
quitl r l'hôtd pour c faire C01lduire ;\ 1,1 ' IfC du
• on!, lc porti r relllit à lady Kcnncndale un télé1'll0l1ll qui \ nait cl arn"cr,
. 'tait 1 ollicit.)r d' Londre l'harg de affaires
lord K nn 11 liaI , qui a\ rU ait milady, e n
III truetlOll dl)llIlée
par l'li ,quc 011 111.11 i venait II pré 111er 1111 1 Ur li 'rédit à lIlle b nqu
cl ~I lh urn .
mi,\oJ "
,\ mOll
d
COI\-
�l-<A FORCE D'U:
SBRMENT
XIV
LI-:
cm:.11 • Dg LA VT~
153
�l54
LA FORCE D'L.'
T
SER~1
~
yeux, il était même difficile de lui assigner un
;Ïge, Se cheveux grisonnaient et des rides formaient sur les tempes lin léger réseau; pourtant,
SOllS
les pauvres ,~temns
l'allure demeurait
d~g-aée;
les proportions clu corps, le jeu souple des
mllsc! s que dénotaient la jt!unesse et une culture
physiqul.! hien comprise,
CI.! jour-là, tandis que 1(;$ hurlements du vent
cmpli~saent
la campagne déserte, l'hommr, assis
del'ant un feu de bois qui, parfois, rabattait dans
la
lie un nuag-e dl.! fumée àcre, semblait rell1Ul:r
ù:,n
a tête, inclinée ur sa poitrine, de Idées
au~
i lu 'uhre' que le ciel, chargé de lourùes nuée",
qui parais ait pc cr sur le t<,lit d a demeure, '.11
,""ill la bouillotte fai ait-die entenùre la petite 'h;(l1son de l'cau Cil ébullition: il ne .ongeait même pa'
à ver I.!r son contenu dans la théière placé il port ',c
de a m.lin, ct les rÎli(,~
disposél'S clel'.lnt l':\ll"e,
m naç. i nt de
tran former n 'harhon al ant
qu'il l d' cidât il le r tOllm r.
Tout :l COUjl, l'hnll1tn' h;I'a la t "te, Son OfCllk,
CJue 1.1 olitudc, av.dt Xli' é , nn,lIt de perl' voir
U'
bruit humain parmi 1 lIlultiph bruits d
~J
!U(1lt
t d cho , 'n lIl1pl Clltl r cOlldul nit
: la lj rrière cn hoi qui c1ôtur:lÎt J p tit jardin
1.1 ult
n (lUrant la mai )11. ur Cc clltl 'r, pre (, 1 1 II{lr, ti ahl , ulle auto \ nait d
'lIga '('1.. Le
)11 1 r 'ét it dre é. L'II {lit 1'1 iund botrrait on
ir nt
iell', 11 Ile tr
illlt Il 1 lor qll d me
!l1l r nl
ur 1 Jl Hill II • l'molllu cie la
1"
'étai
d. 1t
dUI
i,
�LA F RCE D'UN SERMEJ. '1'
155
cclic
imm 11 C, 1I11C poi.
cettc voix ch vr •
al,
·Z
C.··
on
III
ndre
u
t
(
�'56
LA FORCE D'UN SERMENT
daient au solitaire quelques papiers qui s'éparpillènnt sur la petite table où la bouillotte ronronnait
toujours.
- Lisez tout cela. Pendant que vous parcourrez
Cl:
pièce, je vais préparer le thé. Il fait si froid
que, même auprè. du feu, je me ens frissonner.
Il eut, vers le visage un peu pâli depuis que l'air
\'i i du dehors ne faisait plus affiuer le sang aux
pommettes, un coup d'œil déchirant. Vi iblernent, au
li u d'être pour lui une consolation. la présence d
C !te femme, qu'il aimait encore du plus profond
de ROll être, lui impo ait une atroce et délicieuse tortt'rt:. car il ne croyait pa à la réalité du bonheur
allnoncé par eHe.
Il s'a enouiHa. la forçant à repr ndre a placl:
à côté du feu. Il aurait \'oulu te!llr ntr e main
Je petit pied humiùe d';t\'oir foulé l'herbe qui
cHahi ait le jardin dé 01'. Il n'osa même pa touch r J'étoff de la robe (/'Oll une bu e e dégageait
5{1\I
la hicnfai ante chaleur.
- Vou nc li cz pa ? ~u
tlll1lla Diane que c tic
auoration muet! ct humIliée touchait ju qU',IlIX
!arm .
��158
LA FORCE D'V
SERMENT
- Ce n'est pas elle, ce n'est pas elle f 'avais le
droit de vous aimer, Diane, vous êtes ma femme
bien-aimée 1
Des larmes coulaient sur les joues hâlées par le
grand air, et il y avait quelque chose de poignant
le .ou etrir de tant
dans cette joie où e ~lait
d'amertumes. D'un pate paslÎOnM, il avait refermé
ses bras autour des épaules de Diane. Il n'osait pas
encore effleurer de ses lèvres ce visage chéri qui,
tant de fois, avait hanté ses songes. Ce fut la jeune
ftmme qui dut l'encourager. Elle posa doucement
son front ur l'épa1Ùe de l'homme et lui otTrit un
radieux sourire.
- Mon cher amour, fit-elle.
Et il put croire que 1 s année maudites n'avaient
potnt XI té et qu'il r trouvait, palpitante contre son
ur, la j une pou à 1 quelle il avait, de toute
sun
, Jur
lité, p 0 cuon et amour.
trop, cher vi wc arur, t pourquoi vou
�LA FORCE D'Gr:
!)ER~IL
<'1'
159
IIéla ! Je n'ai pas tenu Illon crm~nt
Jusqu'au
bout, et c'c t un péché, san doute,
_ Des péché' comme celui-là, darliHY, COI11mettez-en chaque jour, cela nc YOU cnlh'cra pa
\"Dtre part tic Paratlis,
Irènc "a\'ançait, t!é ircuse d'uririr il cc b~au
rère
c\ t Illui qui
VOltS
ai
li me
Io! ré
,il 11.
>h!
��La
C
ollec
tion STELLO
est la collec tion idéale d es
romans pour la famill e et pour
les jeunes filles, par sa qualit é
mora le et sa quai;l é littéra ire .
la Collection STElU
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M. le Dlrecteul' du PETIT tr.flO DE LA ~10DE,
_
CDrnol
1, rue Gazan, Parls. 14'
çh6q. po loi Porls 28 071. _
�N D '57 -
25 Mars 1939
PUBLIE
2 volumes par mois
Ed hon
,.
JI
A ~
du PETIT .CHO DE I.A MODE
t, ru GoznD, P.rI ('IV' )
I l MOnl
r ,1 ,11' 4'
-
�
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Collection Stella
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La collection Stella est lancée en 1919 par les éditions du Petit Echo de la Mode. Ses fascicules sont des suppléments mensuels...<br /><a href="https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/exhibits/show/fondbastaire/collection_stella">En savoir plus sur la collection Stella</a>
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Editions du "Petit Echo de la Mode"
Title
A name given to the resource
La force d'un serment
roman inédit
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Gestelys, Léo (1885-1973)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
[1939]
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
160 p.
18 cm
application/pdf
Description
An account of the resource
Collection Stella ; 457
Type
The nature or genre of the resource
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Language
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BCU_Bastaire_Stella_457_C92835_1111684
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�Madame, Made moiselle,
pour ré us sir à coup sûr
LES PLUS JOLIES TOILEneS
servez-vous des =
=
PATRONS.MODÈLES
marque
Aux trois dés rouges il
=== coupés et fabriqués à Paris. ===
116
LESSE U L5 donnant avec un patron parfait :
10 Un plan de coupe indiquant d'une façon
précise la disposition des différentes pièces
du patron sur le tissu ;
2 0 Des explications claires et détaillées;
30 Une figurine très nette;
4° Des croquis gradués représentant tes
phases successives du montage et de la co uture.
Na confondez pae
Il
Prix du
patron:
3
lB 5 5 S
1
Exigez la8 mota
PATRONS-MODÈLESII
et la marque
Aux trois dés rouge ••
fr.
-
~J~_
Prix du
patron:
c
5
5
3 ~r.
u
S
�1
LISTE DES PRINCIPAUX VOLUMES
PARUS DANS LA COLLECTION
"STELLA" iïiiiiiii_iiEiiiiiiii
r
_iiïiiiiiiiiiiiiiiiiii.
Chriot;"" AIMEItY: 315. Mon Cou.ln Je la Tour-BrocarJ. - 333. Lo
~
MQi~n
qui ,s'écroule.
M.tIoiUe ALANK:: 4. Ln E.plrance•.
Maria ALBANÉSI : 334. Sally e/ ,on fi;! art.
Pi.rr. ALCllTTE : 246. Lucile cl le M ar/afe.
TIoio ~'AMILENY
:
Bruyom blanc" ...
CI.ud. ARiELZAlt\ : 256. Prlnlemp, d'amo ur.
Marc AU LES : 266. Nadia. - 320. Fauue roule, - 356. La Vlc/o-
m.
,/euJe.
P.•t J, d'AURlMONT : 367. Le. Cœur. en exi/.
T.mple BAILEY: 352. Le Fanal don, la nuil.
F. d. BAILLEHACHE : 340. La Floncle Infid~
••
Sil .. BELLONI : 357. L. C"em/n .on. fleurt .. ,
L,. BERGER : 374. L'Aueu qui ,auUe.
H, BEZANÇON : 354. Le Roman de Florelle.
G. d. BOISSEBLE : 364. M ademolJtl/e de la Tour-M audl/.,
Marthe BOUSQUET: 373. L'ldyll. JOu.l'ora,e.
Jo •• BOZZl: 317. Lendemain, de bal.
BRADA: 91. La Bronc". de romarin. - 359. Apr~.
la tourment.,
honni BRÉMAUD: 240. La Brèoe 1dyl/e Ju prof..,eur M a/ndroz.321. Mamml!' mol .t 1.. outre,.
J.a. de 1. BRErE: 3. Rioer cl Vlor •.
Andr' BRUYÈRE: 306. Sou, la bourra.que.
Lud.nn. CHANTAL: 376. L, ; ard/n d.. rioCl.
J. CHATAIGNIER : 342. Vérilable amour.
M. d. CRISENOY: 310. La Con,c/enc. J. Gllb.rl., - 353. Sou,
l'Aigu/lion /
1
1
Eric d. CYS : 543. Lun .. rou"".
Lin. DEBERRE : 372. Lou/eUe tI ,on M art.
DOMINIQUE: 365. Le Secre/ de Cilles.
Manu.1 DORÉ: 226. Modemoloelle d'l-lerolc, mleono, - 275. Une
peille reine p/eurail. - 313. La Flonci.e de Ramon.
H.-A. DOURLIAC : 280. ;e ne ceux pa. aimer 1
A. d. J'EPARS: 366. Le R,tour au bercai/.
VIctor FÉlI : 127. Le Jardin Ju "/ence.- 332. Ali Jela Ju parJon.
Jacq ... dOl FEUILLANTS: 305. M aJame cherche un ,enJr•.
Z'.aid. FLEURIOT , 213. Loyaulé.
Mar, FLORAN: 9. Riche ou Aimer) - 32. L,que/I'almail)- 6l Carm,ncila. - 63. Meur/ri. par la ole / - 200. Un an d'épreuoe.
Herbert FLOWERDEW : 322. Cœur affranc"/.
Jacq.1I d.. CACHONS: 146. Comme une terre ,an • • ou ... - 330. Ro.e.
ou (a Fiancée de proolnce.
Mari. GARIEL : 362. Trop /oln de mol.
Clair. GÉNIAUX : 375. P aladin> modern ••.
Plorre GOURDON 1 242. Le Fiancé dbpar'i. - 302. L'Appel du pauE.
Jacq.fI GRANDCHAMP: 232. S'a/mer .ncore. - 348. La Mai,on
d. JoIII••
(Sull. au
".,'0,)
�Principaux
l'OIUmM
paru' dut la CollectioD (,u/le).
Ut. GUÉRIN: 351. L·un. 01..• lu aulrer.
1•• HAY : 330. Sa parI d. bon1,.ur.
M•• A. HULLET : 289. L .. CMdr., du coeur.
W. HOWELLS : 355. Volonl. d. f.m", •.
J..... JÉGO: 329. CAmourtux d. Frida.
R..... KERVADY : 287. Cruel d.voir.
P. KORAB : 358. Til. foll •• Cœur proJontl.
L. d. LANGALERIE: 325. L'Amour l'emporle.
H. LAUVERNIÈRE : 27 1. En maria nI 1.. aulru. Jecrel.
m. Un Elranle
y ...... LOISEL: 262. Perlelle.
d. LYS : 346. La Ble"u,. cac hl,.
G..
MAGD.ABRIL : 363. }eun .... 1
MARIA-CLAUDIA; 349. Triomphera·I-.ll. }
Hm•• MATHERS : 369. P.III. dame vtrl••
J... MAUCLÈRE : 193. L .. LI.", bri.l._
Ed.u.rd MICHAUD : 378. L. Chevalier Vent.ur.
: 331. }oltlle. JaclJ,do, - 350.
ra_lr. J..oaott. ~!ORET
379. O~!rl,.
1. mo:que.
AIIn" MOUANS: 261. Plu: haull- 337. GI,~/e
exil'•• - 361. Pour
la vi•.
Jo.'; MYRE : 237, Sur l'honneur. - 335, Lu Flançatl/u tl. Roulle.
CI.ud. NISSaN : 297. A la Il,llr. du bonheur.
Gu, d. NOVEL: 345, Maitre Nicole el :on amour. - 370. Cœur
r,..
V."
ée aré,
flor •• u O'NOLL : 323. La Dam. d'Avril,
Mm. Cbarl •• PÉRONNE! : 37 1, L'OiTronde,
M.... u.rit. PERROY: 265, L'impouibl. Amilli.
M, PRIGEL : 368, M urlé malIr~
lui,
Alic. PUJO: 2, Pour lull
Joan ROSMER : 290, L. SiI.nce d. la Com/eue.
ls.beU. SANDY: 49. Maryla.
SAJNT.CÉRÉ : 307. Sœur Alln •.
PI.rr. d. SAXEL: 284, Bel.
- M~,.
a loul 'a/r..
Gilbert. SOURY : 324, M aryal/"
T. TRILBY : 21. Riv, d'amour, - 29, Prlnl.m". ""Ju.- 61.L'/nu.
Iii. Sacrifice, - 97, ArI.lle. Jeu". fill. moderne. - 122, L. Dro//
d'aimer, - 144. La Rou. du Moulin.
MI.riu VALLET: 225, La Cruell. vIc/DIre.
G.rmaiat VERDAT. - 377. Le: Jour: "ouveaux.
Camillt d. VÉRINE : 255, T.II. que Je .ul.,
Mu du VEUZIT: 256, La } eannolle,
P.trlci. WENTWORTH : 293. La Fulle E"utlue.
C,.N. WILLIAMSON : 227. Prix de b.auli. - 251 , L·E,lanlln. ,auva,e, - 344, L. Manoir J. la Reine.
=
IL PARAIT DEUX VOLUMES PAR MOIS
Le volume: 1 fr. 76; franco: 2 franc ••
Cinq volumes au choix, franco : 9 fr. 2&.
�L. GESTELYS
LE MAL
.QUE FIT UNE FEMME
( )
COLLECTION STELLA
tditionl du .. Petit Écho de la Mode fi'
1. Rue Cazan, PariA (Xive)
��1
LE MAL
QUE FIT UNE FEMME
l
LA CONFESSION
Un coup frappé à la porte du Dureau se répecut~
parmi les couloir yides où pénétrait, malgré les
pcrsiel1llls c\OSt;S et les storcs bien tiré, une chalcu,r
de plus dt; trente-cinq degré accablant les choses et
les être, si bi 'n que le bruit qui venait de retentir
devenait une orfense au repos auquel la ville tout
entière paraissait participer.
Cependant, une l'oix bien timbrée donna l'ordre
d'entrer, et le nouyeau venu e trouva dan une
grande pièce obscure au milieu de laquelle on devi~
nait la forme d'un bureau et celle d'un homme; ce
dernier, assis devant des do sins étal 's, en compul~
sait les nombreuses pièces ct, malg-ré la déprimante
chaleur, semblait absorhé par ce travail méticuleux.
- Ah! c'est vous, capitaine de 13rézières...
Bien que famil iarisé avec le lieux, le capitaine
éLaiL demeuré sur le seuil.
- Avancez eL asseyez vous, jt; VOliS prie. Vou
serez plu à votre aise pour m't;xpliquer le but de
votre visite, car je suppose que vou n'a vez pas tra~
�6
LE MAL QUE FIl' UNE FEMME
versé cette place convertie en fournaise et frappé à
cette porte sans un motif impérieux?
- Je vous dérange, mon colonel? VOliS étiez au
travail?
- Je travaille toujours, c'est une manie; mais,
par contre, de Brézières, vous ne me dérangez j amais. Allons, de quoi s'agit-il?
- 1I10n colonel, je viens VOliS demander une permission, une permission de quinze jours.
l\Iais vous y avez droit, mon cher. Par
ex emple, je vou.s prierai d'attendre votrc tour,
c'cst-à-dire la rcntrée de v.etrc camarade Chantdet
qui fait sa cure à Vichy.
] u tcment, mon colonel, je ne puis pas
attendre, c'est pourquoi jc suis venu vous trouver.
- C'est emhêtant, mon petit. Carboji à l'hôpital,
Chantclet Cil France ... .1. e pourriez-vous remdtre?
- C' st impossible, mon colonel. Il faut quc j c
111e trouvc dans cinq jours à l\Iarseillc où J'OIl doit
me conduire ... une nfant, ... enfin, jc vcux dire ...
une jeunc ftllc ... dont je m'occupe, ... et même, :\ cc
sUJct, mon coloncl, j'ai une gravc rév':latioll à vous
faire.
nc révélation?
- Oui, cette jeune fille, ... qui jusqu'à cc jour
avait été élevée dans un p 'nsionnat, vient d'atteindre
sa dix-huitième année. Elle nc peut, \'Ou~
le concevez, dcmeurer éternellement IlLllsioll1Jai re. D'un
autre côté, dlc n'a ljlle moi. Jc suis clonc contraint
de la ramener ici ...
- Tci, à Colomb-Béchar? Mais à queltilrc?
- A quel titre? Justemenl, voici la dirticulté.
Celle enfant a toujours été considérée comme ma
fille ...
- Votre fille? Allons, capitaine, vous perdez la
tête. l\lai j'ai là votre f uill ,t d'officier. Vous
n'ayez jamais été marié. Alors, cellc petite ... ?
- '" Ne m' st riC-11 par les liens du sang, mon
colonel, je vous en donne ma parole d'honneur. Ce-
�L~
MAL QUE FIT UNE FEMME
7.
pendant, elle a été élevée comme si j'étais son père
et me considère comme tel.
- Un père bien jeune, mon pauvre ami 1
- Dix-neuf ans de différence. Christiane aurait
pu être ma fdle .
.- Soit. Mais ici, à vos camarades, à vos chefs,
quelle explication donneriez-vous?
- Voici, mon colonel: je désire n'en donner auCline, et c'est pourquoi, si vous le permettez, il faut
que je me confIe à vous. Vous seul pouvez m'aidcr
dans cette tâche que je me suis juré de mener à
bien.
J'espère que vous ne doutez pas de l'estime
doubléc d'une profonde sympathie que j'éprouyc à
votre égard. Vous êtes le meilleur de mes officiers,
le plus brave. 1'1ais je ne veux pas vous extorquer
vos secrets. Si la confession que VallS allez me faire
est douloureuse, capitaine ...
- Douloureuse? Peut-être, car c'est un passé
bien cher encorc, quoique vieux de près de vingt
ans, que je dois évoquer. Cependant cette confidence
- le capitaine appuya sur le mot - est néce saire,
d'abord pour obtenir votre aide, ensuite (on ne sait
pa à quell heure le grand départ peut nous surprendre) en 'uite pour veiller sur la pauvre petite
qui sc trouverait seule au monde et dans une situation exceptionnellement douloureuse si je venais à
disparaître.
De Br' zières s'était levé et, tout en parlant, il
arpentait de long en large la pièce à l'obscurité de
laquelle se yeux maintenant étaient faits.
- l arlez, capitaine, Je VOliS écoute, fit grav ment
le colon cl Darboises n désignant lin siège au jeune
ofticier.
- Mon colollel, pardonllez-moi d'accapar r un
t(mI> précieux. C'e t l'histoirt: de toute ma vie qU'Il
me faut retracer ici.
ur un g te bienveillant de son chef, le jeune
h mmc', CJui s'était interrompu, fIxant ses yellx d'un
�8
LE )1t\L QlJF. FIT UNE FElIrME
gris changeant sur l'homme qui l'éc~u.tai
avec une
at! ention profonde, commença son reclt:
. . .
_ Je suis, vous le savez, mon colonel" ongl~are
du Poitou. Mes parents, mon père plutot, pU! que
j'avais cu, tout enfant, le malheur de perdre ma
mère, habitait la majeure partie de J'année le château de Servanes, lequel appartenait à m s grandsparents et se trouve à dix kilomètres à peine de
Poitiers. Notre nom, vous le savez encore par mon
feuillet,
t de Brézières-Servanes : une très ancIenne famille; l'arbre généalogique fait remonter
son anoblis ' cment à la première croisade, c'est-àdire vers 1095, alors qu'un de Brézières, baron de
Scrvanes, était le héraut d'armes de Godefroy de
Bouillon. Je VOtiS dis cela, mon colon d, non par orgueil de caste, mais pour l'intelligence de mon récit.
Sou ' Louis - Ill, il existait, n Poitou, deux familles de Brézières, peut-être issues d'une COnll1111ne
souche, mais les parchemins conservés dalL notre
maison ne font, à aucun moment, mention d'alliance
cntrl: ces deux branches dont la seconde se fai ait
flppeler de Brézières-Anceny. Peut-être n'y aurait-il
jamais cu de relations entre nous, si un de
Brézière:;-Anceny n'avait vendu les terres qu'il possf;dait dans la région de Saint s pour acquérir une
propriété voisine de la nôtre, une vieille gentilhommière pas mal ruinée, dont, les derniers propriétain's étant morts, l'adjudication s'était faIte il un
chiffre des plus bas. 110n grand-père apprit par la
snite que les d, Brézières-Anceny étaiLlll euxml-mes à peu près ruinés à la suite de dé~astrl
es
spéculations. Sans cc hasard, insignifiant en apparence, qui réunit sur cc coin de lerre deux familles
portant un nom à peu pr"s semblable, aucun des
'yéncments douloureux qu'il me reste à VOliS rclraccr ne serait advenu.
II: Maintc:nant que l'historique est établi, je puis
pass r aux détails. Mes études se firent, jusqu'au
baccalauréat, au lycée de Poitiers où j'étais pen-
�Lt :llfAL QUE FIl' UNE FE:t.fME
9
sionnaire. L'été, je passais naturellement toutes mes
vacances au château de Servanes. C'est là que je
connus Eve d'IIérouval, une enfant ravissante.
Aussi loin que je puisse remonter dans mon passé,
je ne me souviens pas d'une époque où mon cœur ne
lui ait appartenu tout entier. En robe c tute, les
chev ux au vent, plus tard fillette à la grâce déjà
féminine, enfin jeune fille éblouissante, j'aimais Eve
et je me croyais aimé. Elle était mon aînée de
quelques mOI ; j'avais ma situation à fai re. N'importe, j'étai' sûr de l'ayenir, et si je mettais mon
orgueil à être toujours l'un des premiers de ma
classe ~t à passer brillamment mes examen, c'est
que je croyais hâter ainsi l'heure de notre mariage.
« En 1913, muni de mes deux bachots. je me présentai à Saint-Cyr ct fus admis dans Ull rang honorable. J'avais dix-hUlt ans, 1\1"" d'llérollval allait
atteindre sa dix-neuvième annéL. Au cours de ces
dernières vacances lue nous passâmes ensemble,
avant mon départ pour l'Ecole, notre nouveau voisin, Gilhert de Drézièrcs-Anceny - à celte époque
il ne portait guère que le second de SlS noms, s'était autorisé d'une visite de bOIl VOIsinage
qu'avaient fait ses parent à ma grand'mère et à
mon père pour r venir fréquemment à . er\'anes où
sa présence cntr' Eve et moi, loin de me porler ombrage, favorisait ILs parties de campagne, les excursions que nous n'aurions pu faire rl1 tête à tête
avec ccn que je nommais ma fiancée. D'ailleurs
Gilbert avait passé vingt-cinq ans et cela me le faisait prsque considérçr - ô candeur de la prime
jeunesse!
comme un bienveillant mentor.
J'abrège, 1110n colonel. Mon départ pour Paris, l' nthousiasme et les désillusions inséparables au début
d'une carrière que 1'011 aime ct qui vous exalte. En
janvier, lorsque je revins pour ma première permission, Je ne vis pas Eve qui prétexta une grippe
afin de ne point me r cevoir. Ce fut ma première
souffrance d'amoureux. Nous nous écrivions de
�10
LB MAL QUE FIT UNB FEMMB
longues lettres; les siennes, bientôt, s'espacèrent,
pui~
cessèrent complète~.
Ce fut p~r
ma grand'mère que j'appl'ls son manage avec GLlbert Anc.eny.
'itôt après les noces qui curent lieu en mai, le
jeune couple quitta le pays. Je ne voulus pas revoir
les parents de ma petite amie qui demeuraient cependant tout près de notre chilleau . Je ne sus rien
d'clIc, ni comment Gilbert était parvenu à me l'arracher. Je souffris beaucoup, et vous voyez, mon colonel, à vingt ans presque de distance, je souffrc
encore en él'oquant cette trahison, Pourtant, j'aurais dû oublier parmi l'ouragan qui se déchaîna sur
notre pay . La guerre, me grade gagnés sur le
champ de bataille ... »
- Où vous vous "les conduit en héros!
- On a peut-être moins de mérite à être brave
101' qlle aUCUll lien ne vous rattache à la vie. Je fus
blessé ... Je guéris. L'armistice me trouva à la tête
de ma compagnie.
- Malgré vos actions d'éclat, vous n'étiez que
lieutenant.
- Dix-huit mois d'hôpital après cette fracture de
la hanche qui aurait pu interrompre à jamais ma
carrière. ] , ne m plains pas, mon colonel.
- Je le sais, t cela ne vous empêchera pas de
passer commandant dans de' délais des plus honorahles.
- • ans doute à cause d' mon inaction forcée,
l'ullage de mon amour était toujours vivante en ma
mémoire. Pourtant je ne cherchai point à savoir ce
qu'était devenue mon amie c1'enfance, ni si elle était
hl:UrellS '. Les journaux, un malin, se chargcrent de
me renscigner. ilbert i\nceny venait d'être arrêté
pour cscroquerie, vol qualifié et faux en écriture.
11 ~erait
trop long de vous raconter comment il
avait monté une société financière, trafiqué des aetl!I~S.,
:'olé les actionnair s naïfs grâce à une omplalllllte truquée, enfin signé des traites au nom cie
l'ulle de ses victimes, laquelle, en portant plainte,
�LE }.{AL QUE FIT UNE F'EMMF
11
avait fait s'écrouler la malhonnête combinaison d'où
son animateur comptait tirer encore quelques millions. Sur le premier moment je pensai courir au
secours de la pauvre femme, mais je réfléchis qUl',
peut-être, elle-même ne désirait pas mon appui.
Ayant appris par la presse l'adresse du domicile de
l'escroc, je me contentai d'écrire à Mm. Anccny que
je mettais mon dévouement à sa disposition .•\fa
lettre demeura sans réponse: je n'insistai pas.
Quelques moi après, Gilbert de Brézières-Anclny
se présentait devant le j ury qui le condamnait à
vingt ans de baO'ne ct autant d'interdiction cleéjour. Ccci se pa sait en 1920. Peu de temp apl~.,
je reçus. une affectation à un régiment de tirailh:urs
ct partis pour le ?lIa roc. J'avais u assez de maîtrise
sur moi-même pour quiller la France sans chercher
à revoir celle que j'avais tant aimée. Ce fut il CasabIanca, où ma section était au repos, que jc reçus
un télégramme signé d'elle. Oh 1 un simple appel,
mais si profondément tragique : «Je vai mourir,
venez vite, Eve », ct son adresse à Pari. Je clemandai d'urg nce un congé pour affaire de famiHe,
m'embarquai le lendemain.
« Le traj et me parut interminable; enfin j'arrivai
à Paris par une aube sinistre. Quand l'heure me le
permit, je TIl' fis conduire rue Durantin, UIlC petIte
ru à mi·flanc de la butte Montmartre. Pn vieille
maison à l'escalier lépreux, aux marches g-luantes
d'humidité: voilà où la pauvre enfant s'était réfugï e. Je montai j l1squ'au quatrième 'tage, le der;ni l'; une porte '·troi~
où pendait une sonnette hors
d'âge. J'hésitais, je vous le jure, avant de m'annoncer. Mon cœur se serrait, une angoisse atroce me
mouillait les tempes. Je fis résonner le timhn:; cc
fut un infirmière qui vint m'ouvrir. Son vjsa~e
était maussade, elle ne me laissa pas pén' trer tout
de SUIte: «Elle est bi n faible, disait-eJle, il nc faut
pas la faire parler.» Enfin je me trouvai, au .ortÎr
tic J'[·troit ct sombre vestibule, dans un pi~
e carre-
�12
LE MAL QUE Fl'l' UNE FEMME
lée et à peine meublée. Une commode, quelques
sièges, une petite table où s'alignaient des fioles
contenant des médicaments, un étroit lit de fe r et,
dans ce lit, une pa uvre c réatu re dont le corps amaigri soulevait à peine les couvertures . Le vi age était
pl esq ue aussi blanc que l'orei ller sur leq uel il reposait et les orbites étaient si creuses que les yeux,
demeurés splendides - des yeux d'un bleu sombre
qui parfois devenait violet, - paraissaient briller
au milieu d'un trou d'ombre. Sans son magnifique et
pei 'l1ant reg'ard qui s'était accroché au mien, je
CroiS que je ne l'aurais pa reconnue, L'émotion mc
serrait la ~orge,
je d l1leurais stupidc devant celte
dégradation de l'être charmant dont le souvenir encore illuminait mes rêve ', Elle me remercia d'être
accouru, Puis elle dit, s'cfforçant de me sourire:
q Si je VOtl S ai appelé, 1110n ami, c'est à cau e
(j'elle, » Ell 111e désigna une toute petite fille que je
n'avais pas encore aperçue ct qui, muette t tcrrorl<éc, se dissimulait derrière les jupes de la garde,
«C'est ma petite 'hristÎane », ajo uta-t-t:lle avec
Ull<: sorte d'oq!,'ueil matern 1 qui fit jail lir des larmes
cil' lIles yeu.-, Oui, je pleurais sur celle cn rant dont
j'am,lIs voulu être le père .
de pauVft:s Illats cntreenupé
par
• n~c
l'oppressioll, l ~vl!
m'expliqua qu'après l'arrestation
clu faussaire pour des actes dont clic a\'ait tout
ignoré', elle s'était tr uvée compl\tel11cl1t ruinée, rpheltnc, 1 petit héritag que ses parents lui avaient
l aissé a "ait été englobé dans la liquidation, ainsi
que le mobi lier, les auto~.
A p ine était-il resté au.'
deux misérables créatures que lques bijoux qui, ven<.lu s, permirent à la malade <.le 11t' point aller mourir
à l'hôpital. «Maintenant, je suis il bout, mais cela
« n'a plus d'importancc, Demain, sans doute, je
« Il'aurai plus he 'o in de ricn, qUI: d'une Jletite place
« au cimetière, sans neurs ni couronIles, Georges,
« telle est ma volonté, ,)u('lqe~
pri('res, ulle lan11 '
4( dc vous
"est plus que Je né m{'rite, ] e vous ai
�13
.« fait souffrir, j e m'en cloute. J'accepte donc la pu« nition que Dieu m'envoie; mais il y a cette
«enfant. Seule au monde, ... l'Assistance publique?
« Georges, jurez-moi de ne point l'abandonner ... »
Elle n'eut pas à prier davantage; je donnai ma
parole d'honneur, ma parole de soldat, ma parole
d'homme dont le cœur n'avait jamais pu oublie r. Et
j'ai eu cette joie de retrouver, pendant une seconde,
presque le visage de mon amour, tellement Eve parut transfigurée par cette promesse. »
- Vous avez noblement agi, mon ami, approuva
le colonel dont la voix tremblait légèrement et dont
les paupières s'étaient abaissées afin de dissimuler
une larme qui se formait au coin des yeux.
- A partir de cette minute, Eve ne prononça
plus une parole. Son souffie était devenu rauque,
parfois il s'interrompait pour reprendre après un
effort qui semblait l'anéantir. Seuls, es yeux vivaient encore, allant de la petite fille à moi qui ne
savais que faire pour la soulager. La garde tenta
une piqûre, mais bientôt ce fut l'agonie. Je n'avais
retrouvé ma 1 ien-aimée que pour lui fermer les
yeux ...
Un silence se creusa entre les deux hommes.
Au loin, par delà la place inondée de soleil, on
entendait le monotone nasillement d'une complainte
alabe CJue des coups de tam-tam scandaient réguli~rcment.
Accoudé à l'angl du bureau, Georges de
Brézières paraissait suivre le déroulement de
qu 'lL[lIe vision intérieure, et son chef respectait ce
mutisme, plus poignant que des lamentations .
'ependant l'officier fit un effort comme pour
chas cr la hantise et reprit la suite de SOli
récit:
Jerne trouvai donc dans cette situation
étrang', mon colonel: obligé par l'honneur d'assuter la protection de cette enfant CJui ne m'était rien
et qui, c pendant, portait presque le même nom que
moi. Tout de suite je songeai à SOI1 avenir, à cel e
�14
Le:
~!Ar,
QUE FI't UNE
n:IDŒ
tare que le crime de son père faisait rejaillir sur
elle. Fallait-il, si jeune, la vouer à l'approbre, aux
humiliations? Orpheline de mère, un père au bagne,
et moi qui n'avais aucun droit à la protéger. C'est
alors que je pris une résolution qui pourra vous paraître bizarre. L'enfant fut confiée à un excellent
pensionnat où je la fis simplement inscrire sous mon
nom et, afin qu'aucune question, aucun sous-entendu
méchant ou railleur ne puissent lui révéler sa disgrâce, je me donnai comme étant son père. A chacune de mes permissions j'allais la voir, mais j'évitais les trop longs séjours çt les vacances de la
pauvre petite se passaient presque entièrement au
couvent. Cela lui semblait tout naturel, puisque son
« papa» tenait garnison en Afrique. Vous comprenez maintenant, mon colonel, pour quelle raison j'ai
toujours refusé de changer de corps? Et vous comprenez aussi pourquoi, aujourd'hui, je vien s vous
supplier, d'homme à homme, de m'aider à poursuivre ce pieux mensonge. Je ne veux pas que l'enfant de ma petite Eve soit appelée un jour «la fille
du bagnard ».
- Je vous comprends parfaitem Ill, mon eher
de Br' zières, et je vous admire. Ainsi, vous avez
sacrifié toute votre vic à cet amour de collégien les plus profondes, je le sais bien, ces premières
tendr sses. Mais vous auriez oublié, à la longue.
Vous vous seriez créé un foyer et vous ne l'avez
pas voulu, afin de ménager la sensibilité de cette
orpheline. C'est beau, c'c t généreux, maIs enfin
av z-vous réfléchi? Il faudra un jour ou J'autre
que celte jeune fille apprenne la vérité. Par
exemple quand elle Se mariera. Y avez-vous
songé?
- Certes, mon colonel. Et c'est pourquoi je n'hésite pas à la faire venir ici, dans ce bled, comme
diraient certains, oubliant que Colomb-Béchar, sentinelle aux portes du désert, n'en est pas moins une
vjlle très crvilisée. Il me semble que, parmi notre
�L-e MAL QUE FIT UN-e FEMM-e
15
petit cercle, Christiane pourra faire son choix,
éveiller l'affection d'un brave garçon qui l'aimera
sincèrement, profondément, assez pour passer sur
cette tache dont elle n'est pas responsable, n'est-il
pas vrai? A celui-là, je révélerai le passé, je dirai
toute la vérité. Il décidera, mais l'enfant pourra (;11core ignorer ces tristesses que je voudrais, moimême, abolir. J'ai pensé, mon colonel, que Mm. Darboises, si bonne, si généreuse, aurait peut-être pitié
de cette enfant sur qui la fatalité s'est appesantie.
Voulez-vous lui rapporter notre entr etien? En confidence, ... mon colonel...
- Certes, mon ami, je le ferai puisque vous m'y
él.l1torisez, et vous pouvez d'avance compter sur son
cœur. Dès votre retour, conduisez-lui ... votre fille ...
ÇJuant à vos camarades, je m'en charge. Vous êtes
nouveau dans le rég-iment, rien ne sera plus facile
que de leur expliqu r la cho~e.
n mariag de jeunesse, la mère morte prématurément. .. Allons, je
vais signer votre permission. Vous parti rez ... ?
- Ce soir, mon colonel. Une lettre du couvent
m'apprend que l'on doit confier ma fille à une respectable maîtresse d'anglais que sa santé oblige à
interrompre ses cours et qui va se placer comme
gouvernante chez des compatriot s habitant le Cap
Martin. Elles seront à Marseill avant même l'arrivée du bateau que je vais prendre à Oran.
- Alors, capitaine, je vous souhaite un bon
voyage et je compte que votre première visile sera
pour la colonelle.
- ] e vous le promets, mon colonel, et ne sais
<:omment vous remercier.
ependant que l'officier s'éloignait, le lieutenant<:olonel Darboises le suivait d'un regard où se lisait
la plus complète sympathie jointe à une nuance
<l'admiration.
- Un brave garçon, murmura-t-il q\land la porte
se fut refermée.
Et, tandis que le bruit des pas décroissait parmi
�16
u:
MAL QUE FIT UNJ;; FEMJI.'!Z
le vide sonore des couloirs, le colonel, absorbé dans
ses méditatio'1s, se demandait si Georges de Brézières n'allait pas au-devant de nouvelles souffrances ou, en tout cas, de cruelles désillusions.
II
t'ÈRE ET
FIL~
Pendant qu'autour de lui la fièvre de l'arrivée
semblait gagner tous les passagers, Georges demeurait accoudé non loin de la coupée, indifférent en
apparence à une agitation à lac!uelle il ne participait
point.
A mesure que le Chalt::y s'approchait du quai, les
visages de ceux qui attendaient se faisai nt plus
distincts. 'l'out d'abord cela n'avait été qu'une confuse et mouvante agglomération parmi laquelle
qudques taches plus vives s'enlevai nt vigoureusement: une Lemme vêtue de rouge de la tête aux
pieds, la blancheur d'ulle écharpe flottante, celle
l\ ',ln costume de toile.
L cœur serré par une angoisse dont lui-même ne
comprenait pas la nature, l'officier cherchait à distinguer la petite silhouette de J'enfant qui, désormais, occuperait une si large place dans son existence de garçon uniquement absorbé et conquis par
son glorieux métier.
Si, après ses désillusions d'amoureux, la vie avait
apporté quelques compensations au j une homme,
c' st à cette carrière que Georges de Brézières les
devait. Son profond sentiment de J'honneur, son
goût du risque et des responsabilités le faisaient se
�LB :MAL QUB FIT UNB FEMMB
17
trouver infiniment plus à son aise dans le Sud algérien ou bien au cœur des contrées encore mal apaisées de l'Atlas que dan une garnison métropolitaine
ou il lui aurait fallu attendre dans l'inaction cette
« quatrième ficelle» que son colonel lui avait
annoncée pour bientôt.
Dès que ses blessures guéries le lui avaient permis, Georges avait demandé à faire partie des
troupes d'Afrique. Il avait guerroyé contre les disidents. Après une longue période de pacification, le
!lIaroc, creuset où bouillonnaient encore le haines
cl.: racc's et les dé irs de libération, offrait à son
activité un champ pas ionnant, car de BrézièrC's
avait les qualités d'un organi ateur et d'un chef, III
même temps qu'il était un brave officier.
JI y commanda une troupe de méharistes, accomplit à leur tête d'audacieuses randonnées, pourch
a~
sant jusqu'au cœur des montagnes les invisihl · s
ennemis dont les balles, rarement, manquent leur
but. Affecté à Colomb-Bécha r, il attendait non salls
impatience qu'une occasion se présentât de reprendre son utile, mais dangereuse existence.
Jamais il ne lui était venu le désir de retournl:r
en France. Son père était mort pendant la guerre, l t
son cœur, si durement meurtri, ne s'était pas rouvert à l'amour. Il vieillirait solitaire, n'ayant
qu'une passion : son pay ; qu'une ambition: le
servir.
Et maintenant, dans celle vie que certains jugeraient austère, il lui fallait trouver la place cIe cette
enfant dont il s'était chargé. Quand au lit de la
morte il avait prononcé l'engagement solennel, sans
doute Georges n'avait-il pas envisagé les con équences de cet acte.
Enfant, la petite Christiane n'avait en rien dérangé les devoirs dont l'officiel' faisait sa joie. TI la
savait dans un pensionnat de choix. Sa fortune lui
permettait de subvenir largement aux besoins de la
fillette. Pour sa fête, au premier de l'an, hri tiane
�recevait des jouets magnifiques, enc n'avait qu'un
aésir à exprimer pour CJu'il [l'tt immédiatement satis:fait. Au COti rs de ses vacances CJue le colonial consacrait, par prudence, à une cure d'caux, il venait, à
J'arrivée cl avant le d 'part, embrasser sa prétendue
fine, Durant son séjour à Paris il la faisait sortir,
la comblant de distractions ct de cadeaux,
Chaque fois il s'extasiait de la retrouver grandie.
Sur le petit vi 'age, malgré lui, Georges cherchait à
retrouver les traits de J'aimée, et, à mesure qu'elle
avançait en âge, il lui semblait que hristiane prenait un faux air cl'Eve enfa'nL.
PourLant, à vrai dire, elles demeuraient très dissemblables l'une de l'autre. Les traits cl' Eve étaient
plus fins, un peu indécis, tanclis que hristiane, avec
son beau visage ovale, son petit menton volontaire
et, surtout, le dessin serré de sa bouche cl'un rouge
violellt dont les lèvres, parfois, paraissaient closes
S(lr des p 'nsées qu'cne ne voulait pas exprimer,
donnait une impression de volonté déjà consciente
ci'cne-même. Le puéril visage de Mil. d'Hérouval,
sc,n teint de nacre ct cette mousse bl nde qui l'auréolait d'un or léger, chez sa fine sc transformaienl
en une carnation éblouisante où le sang, ameuf.lllt sous la peau veloutée, donnait une chaude cokration cie pêche, tandis que le front, le cou, la
nais anee des épaules que dégageaient les légères
robes d'été avaient la blancheur mate des pétales de
gardénia.
La blondeur un pel! cendrée de la mère devenait,
(;he7. la fille, une teinte presque rousse, alliage de
(;uivre t d'or, qui la coiffait aussi somptueusement
qr'une dogaresse. Mais cc qui troublait profondé1111'nt le jeune homme - cc qui ['avait troublé pour
1, première fois quand, au retour du cimetière où
l'on venait de conduire l'infortunée M"'" Anceny, il
;l\ lit pris sur ses genoux la toute pelite fille en noir
qUI pkurait sans trop savoir pOl1rquoi, c'était le
magnifique r-cgard, semblable chez la femme sur son
�I,E MAL QUE FI't UNE FEMME
19
lit de mort et chez la fillette inconsciente du destin
qui l'attendait.
Christiane avait les mêmes yeux que sa mère, des
yeux d'un bleu qui, parfois, paraissait vert et dans
l'ombre prenait un ton violet à travers la grille
épaisse des longs cils bruns. Ces yeux auraient uffi
à la beauté du visage. C'est eux que cherchait îc
regard de Georges à travers les transformations du
bébé en fillette, puis en jeune fille. C'est en le évoquant qu'il trouvait la force d'accomplir sans dé faillance sa délicate mis ion ct de donner à l'en fant la
véritable image du père qu'elle croyait avoir ct sur
lequel elle avait reporté toutes sc tendres e d'orpheline.
La passerelle venait d'être accroch ~e et les voyageurs se précipitaient dans une bousculade heureu e.
Deux ou trois camarades de l'officier, lesquels
avaient fait avec lui la courte traversée d'Oran à
Marseille, lui serrèrent la main au passage.
Un des derniers, sa valise à la main, le capitaine
<.le Brézières quitta le pont. Il éluda les off rl:~
des
pcrteurs; SUl' le quai il demeura un instant immobile, ne reconnaissant pa , parmi les personnes déjà
moins nombreuse qui formaient W1e double haie au
milieu de laquelle défilaient les voyageurs, le vi age
enfantin qu'il s'imaginait découvrir.
Ce fut une exclamation joyeuse, lJt'ollol1cée
presque à son oreille, qui le fit sc retourner.
- Père 1 Vous voilà? Comme je suis contente!
Deux bras se nouaient à ses épaules et il cu t, à
portée de ses lèvres,' un éblouissant visage, tout rose
d'animation, dont les yeux briIlaient, pareils à un
morceau du eicl qui se reflétait dans l'cau verte du
bassin.
Christiane tendait ses joues que de Brézières osait
à peine effieurer. Il se cfégag a, afin de mieux xnminer celle dont le changement pro fond le urprenait. Celte grande jcune fille, Hsplcndissantc (" y:e
�20
L~
MAr. QUE FI'!' U
E FEMME
et de santé, était-ce vérita1:ilement la fillette pâle et
maladive qu'u.ne mourante lui avait confiée, douze
ans auparavant? Douze années, au cours desCJuelles
il n'avait pas su observer le miracle voulu par la
nature de celte éclosion qui avait transformé Ch ristiane en une femme douée d'un charme d'autant
plus redoutable qu'il s'ignorait pèut-être encore.
Malgré lui, il évoquait de nouveau le fantôme de
celle qui n'était plus ct il se disait qu'Eve n'avait
jamais eu la puissance de séduction qui émanait de
sa fill .
« C0111me elle pourra fail'e souffrir, si elle veut »,
songca-t-il tristement.
Cependant, Christiane devinait les préoccupations
qui laissaient immobile ct muet celui qu'eUe avait
accueilli avec tant de joie. Elle s'en inquiéta et demanda de sa voix musicale et un peu grave, une
voix (jui, elle aussi, s'était transformée depuis les
dCr!1 ièrcs vacances:
- Père, VOLlS avez un souci? Voulez-vous que je
m'occupe de vos bagages?
h! j' sais très bien;
dl:puIS notre départ du couvent, c'est moi qui ai tout
reglL'. Miss Dora Weltown est une charmante créa·
turc, mais toujours dans les nuages. figurez-vous
Cjl,'ellt avait oublié le n0111 de la ville où elle devait
Si' rl:nclre! Au fait, je l'ai laissée devant la Bourse
de 'UII111lI:rCe, car la bousculade lui faisait peur.
VouJ l'7.VO l!S que nous la rej oign ions?
- Ccrtai11l!ment, 1110n en fant.
Un pt:l! g"né par 'ette pate{nité à laquelle il
l1'<lvai t pas el! le temps de s'habituer ct que le chan·
gC1l1Cllt opéré en sa prétendue fille r ndait plus dé·
COllf' rtanle encore, Georg 'S s': laissa prendre le
hra . lb marchèrent sur 1 s payés inégaux sans sc
Tien <Ln:. Parfois Christiane s'appuyait Ull pel! plus
lourdement ct, fermant les yeux, le capitaine e cie·
mandait si vingt ans de a vic n'étaient pas abolis.
Il fUl sur le pOInt d' donner à la jeune fille le nom
si t:hl.:1" qUI ~1\ ait "lé celui de 1\1" d'rrérouval, mais
�LE MAL QUE FIT UNE FEMMJ<;
21
un regard jeté sU.r sa cOmpagne le rappela une fois
de plus au monde réel.
1
Très droite et très digne 'clans son costume de 1
voyage qu'un voile bleu cicl attaché à son chapeau
complétait, miss Dora attendait patiemment devant
la façade blanche du banal édifice.
Christiane fit les présentations. Le capitaine de
Brézières offrit à la maitr sse d'anglais de pa ser
avec son élève cette journée, déjà à demi écoulée,
mais la vieille fille déclina l'invitation. Maintenant
que sa mission était remplie, clIc désirait retourner
à la gare ct prendre le premier train pOllr 'annes
Otl ses bagages avaient dû la devancer.
Par déférence, Georges voulut, avant cie song-er à
choisir un hôtel, conduire miss Wcltown t l'in sta ller dans la salle d'attente où, av c 1 patience qu'elle
avait an cloute acquise en exerçant son ingrat métier, miss J ara attendrait, tout en s'actionnant à un
travail au crochet qu'clic v nait de sortir de son sac
à main ~ un sac dont les proportions rappelaient
celles d'une valise - le départ du convoi.
Sans trop d'attendrissem nt, la jeun fille prit
congé de son a ncienne ma itresse. ette séparation
ne signifiait-c il pas pOUl' la pensionnaire de la
veille que le demi cr li en la rattachant il cette vie, qui
avait été la sienne depuis sa plus tendre en rance,
venait d'êtr rompu? Mais Christiane n'était pas
encore à l'âge où la mélancolie des choses finissanles s'impose ct serre le cœur, redoutant l'inconnu.
omme une victorieuse, au contraire, elle 'ialuait
l'ère de liberl" q.ui allait su céder à la règle
au tère, aux observances un peu las 'a nte du pensionnat.
Brusquant les dernières poignées de main, elle
s'élança, joyeuse, hor de l'atmosnhère g-rise, de
l'air alourdi qui sentailla fumée de charbon. Ih1l5
le taxi qui les avait attendus, elle sc ren\'eIXl
c mm pour mi eux recevoir sur so n front la hallde
eares e cil! soleil et sa poitrine aspira le ~nlf
de la
�22
LB MM, QUE Fl'r UNE FEMME
'grande cité maritime, puis e11e pria, lout en prenant
dans les sienne la main de J'officier:
- Père, nous irons voir la mer, cela m'a semblé
si beau!
- Mais oui, mon enfant, nous allons nous instalJer d'abord dans un hôtel; vous avez voyagé de nuit
et devez être bien lasse.
- Je ne suis jamais fatiguée; mais pourquoi me
di les-vous «vous»? Est-ce que je vous ai contrarié,
ou fait de la peine? Vous me disiez «tu », autrefois.
- Vous êtes devenue une si grande fille!
- Oui, mais votre fille, mon cher papa. Oh! dites,
traitez-moi comme vous le faisiez quand vous me
dt'mandiez au parloir t que vous arriviez les poches
plcin
de bonbons et un gros paquet de jouets
caché derrière votr chaise. Je savais bien le déniche r, vous souvenez-vous?
'ertes.
- Et k5 helles promenades que vous m'avez fait
faire! Versaill s, Fontainebleau, Pierr 'fonds, Compiègn .... (a m'a aidée, VO\lS savez, à apprendre mon
histoire de France.
,l'orges rtdil de la voir ~i
niant, i exubérante.
clc Vil cl de jeun(;sse, ct, peu à peu, l'obsession morbide .,'effaçait. Il n'y avait plus en présence qu.'une
jUill' fille confiant
t un homme résolu il accomplir
vis à-vis d'l:lle tout son devoir.
«Elle est si bene, songeait-il, elle se mariera
bientôt. » Et, avec uncorte d'orguei l, il ajoutait à
part lui: «J'en ferai une femme loyale, incapable
de III 'ntir, de renier une parole. »
('Ilritiane s'amusait maintenant de l'extraordinui re animation des Allées qui préc '.dLlll la célèbre
Cancbièfl·. Devant un hôtel luxucux, le taxi s'était
arr té. Georges tcndit la main à la petite comm il
J'aurait fait à un femme habituée aux hommagc .
La p nsionnairc avait rougi de plaisir. Son "mer"1:111 ment fut plus grand cncore quand clle ptnrtra
�L~
~L\
23
QUE FIT UNE FEMME
dans le hall somptueux où des plantes v~rtes
et des
sièges groupés donnaient l'illusion de quelque jardin d'hiver.
Pendant qu'elle jetait autour d'elle des regards
ravis, trop absorbée par ce qui était son apprentissage du monde pour 'apercevoir que sa présence
faisait déjà sensation et que plusieurs paires d'yeux
ne se détachaient plus de sa gracieuse silhouette,
Georges 'était dirigé vers le bureau, afin de retenir
deux chambres.
- Deux chambres communiquant, n'est-ce pas,
l\1onsieur? demanda avec un sourire aimable le
gérant.
- Oh 1 ce n'est pas indispensable. ne très bonne
chambre, avec vue sur la rue, pour ma fille. Pour
111oi ...
Le gérant avait en un geste de surpris. L'officier
fronça les sourc il s. Ainsi, déjà, son rôle était r ' ndu
difficile par S011 apparence qui n'était point, évidemment, celle d'un père de famille. «Vingt ans, il y il
c('pendant vingt ans de différence entre celle petite
Cl moi! »
Et, de sa hante et nette écriture, l'officier, en remplissant les deux fiches que le gérant lui tendait,
écr.ivit, très lisibles, les deux dates de naissance:
Chrislialle de Bré:::ières, liée cl Paris le
12
avril
I9 1 S·
le
Georges de Bré:::ières, né au chûle(m de Scrvalles
2 octobre 1895. .
Puis il donna l'ordr d'aller chercher à la gare les
bagages de la jeune fille.
La grande chamhr claire, avec sa petite aile de
bain ripolinée et la large fenêtre donnant sur la
ancbièrc, émerveilla la petite. Elle battait des
mains, penchée sur la large perspective au bout cie
I;JCillClh', Sllr le fond indil{o du ciel, des voiles cl des
�LE: ~L\
~4
QUE FIT UNE FJ::!IilIfE
se détachaient, formant 1,ln décor d'opéra.comique.
Accoudé auprès d'elle, ravi de ses émerveillements, Georges établissait le bilan de leurs courtes
vacances. On visiterait Marseille le lendemain, puis,
le long de la Corniche, avec des arrêts à Toulon, à·
Hyères, on gagnerait la Côte d'Azur jusqu'à la
'frontière italienne.
Redevenue ce qu'elle était en réalité malgré ses
dix-hl11l ans, sa beauté presque épê,nouie et cette
:voix de contralto donnant plus cie gravité au
:moindre propos que proféraient ses joliss lèvres,
Chri liane accordait à ce miraculeux programme un
. acquiescemlnt enthousiaste.
Infatigable, dIe youlut sortir, à peine secouée la
poussière du voyage qui ternissait ses somptueuses
,.ondulation ct atténuait l'éclat de ses joues.
Ils errèr nt, tous deux, se tenant par le bras,
riant parfois comme des écoliers d'un bout de
phrase surpris au vol où sonnait le savoureux accent
marseillais. n fastueux coucher de soleil incendiait
le port. Au-dessus des maisons on apercevait, respllndissanl parmi le rougeoil11ent de fournaise qui
v nait d'un astre énorme, réverbérant son éclat cuivré sur la mer n fusion, la statue dorée qui
conronne le clocher de otre-Dam de la Garde.
h! père, montons j L1squ'au sancluai re. Tl me
semhlc CJue c la me portera honh ur de prier otrcDame le premier jour où je me s ns vraimcnt votrc
~âts
fille.
C orges accéda à ce dési r.
n taxi les conduisit
au has des marches qu'ils gravirent lentement.
Aucune pensée profane ne guidait la jeune fille;
pri"'L par unc réelle pi 'té, elle ne sc souciait pa de
faire l'asctnsion du cloch ton qlli sert de piédestal
;l la statuc, gardienlJ(. d la ville étalée à ses pieds,
sentinclle puissante apparai sant à CCLIX qui revienncnt comme à ccux qui s'en vont, livrés aux
pl l ib de la mer.
�LF. MAL QUE FIT UNE FEMME
2:)
Elle s'agenouilla dans la demi-obscurité de la nef
garnie d'ex-voto, et Georges admirait cette ferveur
qui rendait pathétique le beau visage légèrement rejeté en arrière et dont le front portait une double
auréole, celle qui émanait de la chevelure brillante
et l'autre, d'un ffet plus irréel et plus mystique',
tombée de la verrière où les reRets du crépuscule se
jouaient merveilleusement.
Quand ils sortirent, émus et recueillis, la jeune
fille tourna vers l'officier son regard encore mouillé;
- J'ai prié pour vous, père chéri, pour votre
honheur, pour votre écurité. Oh! ma prière est un
peu égoï te. T\'êtes-vous pas tout ce que je po sède
al: mOJ1ck?
Ils dînèrent clans un re taurant en vogue. Parmi
les lumière~,
la petite robe de voile gris avec SOli
simple col de linon faisait un peu pensionnaire,
ainsi que la petite le constatait eJle-même sans mauvaise humeur.
- Demain, avant le départ, nous ferons un tour
dans les maga ins. Je veux que tu sois aussi élégante que les femmes qui nous entour nt.
- Bien sÎtr. fi faut qu je VOLIS fa e honneur,
répondit- Ill: tranquillement.
Et il se plut à penser qu'elle n'était pas coquette,
simplement dt'sIrense cl tenir, dans la société, le
rôle qUI allait être 1 sien.
Le l ndemain, se souvenant de sa promesse,
Georg s de Brézières décida que la matinée serait
Consacrée aux courses dans les magasins. Devant
les 'tofies légères, les .crêpes de Chin que les ven
dlUS s, empressées, dépliaient devant clic,
hris
banc ouvrait démesurément ses yeux auxquels Jes
~ils
r courb's donnaient l'apparcnce d un sourirc,
llluminant à la fois les lèvres vermeilles ct le
Sombre azur des iri changeants. Puis, confusc ct
embarrassée, elle se tournait vers J'officier:
. - Père, choisissez pour moi, j'ai si peu l'habItude 1. ..
�26
•
L~
MAI,
Qur:
PI'r UN~
"
F~ME
Elle ne s'apercevait point du mouvement d'étonnement que ce mot prononcé par elle provoquait.
Ce rges, par contre, plus observateur et déjà sur
ses gardes, ne manquait pas d'enregistrer l'imperceptible nuance, le changement subit de physionomie, parfois un simple battement des paupières ou
bien deux sou rcils haussant leurs parenthèses.
Assez gauchement, il donnait son avis et, finalement, c'était le goût de la vcndeuse qui l'emportait.
On rentra, vers midi, dans un taxi plein de paquets, puis il fallut faire l'acquisition d'une grande
malle pour y ca er tou~es
ces fan freluches.
- C'est trop, protestait la jeune fillc en étalant
toutes ces richesscs. Jamais je n'aurai l'occasion de
mellre d'aussi jolies robes!
Lui la détrompait, e faisant un plaisi r de lui expliquer la vie qu'elle mènerait parmi les feml11l:s
d'officiers, dans ce petit moncle militaire qui se plait
à vi vre entre soi et où la colonelle Darboises hl
ferait tout de suite pénétrer.
On donne des bals, dl:s soi rées, si loin de
France? Presque cn plein Sahara? s'exta iail la.
jeunc fille.
- Croyais-tu donc CJue j'allais t't:mmcner dans un
blcd perdu, quclque chose comme Bidon-V, poste
d'essenc et puits d'cau sallmâtre?
- Je Ile sais pas. Je nl: parvenais pas à m'imaginer. Oh! pourquoi Ile m'avcz vous pas prise avec
vous plus tôl? Si vous savicz comme je m'ennuyais
au couvent depuis CJue j';\.\'ais à pell près terminé
mes étud's! C était si triste, surtout aux vacances,
quand loules mes compagncs 5'l:n allaient, emmcnées par leurs parents ...
- Mais je n'ai jamais passé un été sans venir te
visitcr, sans te (aire sortir!
cla était si vitc pas é! Trois ou quatre jours
à votre arri v ~c, puis une période d'attcntc où je me
dIsais :. je suis moins seulc, puisque mon papa chéri
est ma1l1tcnant sur la terrc de France. Et je comp-
�LJ; MAI, QUE FIT UNE FEMME
27
tais les heures en attendant la lettre qui m'annoncerait que, votre cure d'eaux finie, vous reviendriez
embrasser votre pctite fille. Voyez-vous, mon père.
les autres, autour de moi, parlaIent de leur famille.
Certaines avaient des frères et des sœurs, presCjue
tout s un papa et une maman. l\1oi, je n'avais quc
vous ...
Une intense émotion prenait l'officier à la goro-e.
II ne pouvait plus supporter cette poignante évocation des souffrances de cette âme d'enfant.
- Tais-toi, je t'en supplie, mon petit. Si tu savais
le passé douloureux que tu évoques! Ta mère
morle, pouvais-j e agir autrement?
Lisant dans les yeux de l'homme le désarroi
qu'elle venait de causer si innocemment, Christiane
chercha à dissiper l'impression pénible.
- Bien sûr que vous ne pouviez faire autrement,
tin officier n'emmène pa un bébé dans sa cantme.
VOliS voyez, je sais déjà certains t rmes militaires,
vous m'en apprcndrez d'autres. Je suis une salt dc
VOll avoir attristé ainsi et mes plainte sont d'ulle
ingrate. Vous avez tout fait pour que je 'ois helll'cu e et je sais qu'il était indispensablc de n1l' l'<lllfier à un pensionnat pour mon instruction ct mon
éducation. Je voudrais vou rel11erci r, an contraire,
pèr chéri, en vous donnant une fill accomplie.
Elle riait de son rire un peu grave, t ses lèvres,
s'cntr'ouvrant, laissaient apcrcevoir une double ran
gée de petites dents semblable aux perl s d'un collier. Georges, Cjui la regardait, ne s lassant [las de
la voir vivre ct s'épa.nouir sous ses yeux, e di~alt
qu'elJe méritait d'êtr heur u: . Cn instant, une
pensée importune l'effleura: c Ile de l'h0111me tar';
dont cette graci use n fant était né .
Au hagne, Gilh rt Anceny, (J111, aux As isc~,
avait
ét' condamné sous. on véritable nOI11, de BrézièrvA llccny, poursuivait sans clou(\, sa misérable vic de
dt·chu. Etait-il 1110r(? existait-il encore? lamais
George, craignant d'attirer J'attention sur \;n(; pa-
�28
LE MAL QUE FIT UNE: FEMME
renté inexistante, mais qu'une similitude de nom aurait pu accréditer, ne s'était enquis du sort de son
ancien rival. En adoptant la petite Christiane, il
comptait bien l'arracher à cc pas é de boue qu'elJe
ignorait et qui ne devait pas éclabousser sa pureté,
lourtant, l'existence du forçat l'obligeait lui-mêm e
à certaines précautions, Ainsi, il ne pourrait être
question de marier la jeune ftlle avant sa majorité;
mais, déjà, à part lui, le père supposé se félicitait
d'une obliO'ation qui lui permettrait de ne pas être
privé trop vite d'une pré en cc dont le charme agissait sur lui comme un pllillre puissant.
« L'en fant d'Eve .. , », pensait-il avec attendrissement, et il lui semblait que la vic marâtre, la vic qui
l'avait dépossédé de toute 1 ndresse, qu.i lui avait
ravi l'amour, l'avait privé c1'un foy '1', lui devait une
revanche, ·t celte revanche était ju stement cette patl.ernité qui, maintenant, au lieu du fard au qui par~
fois l'avait épotlvanté,ufft sa it à tout embelli r autour
de lui,
lis partirent le lendemain, après s'être grisés de
soleil et de hruit, non par le train, mais par la route.
Le capitaine avait loué un' auto qui les conduirait
à Toulon pour l'h eur du déjeuner.
Sur la place de la Lihu-lé c10nt le Cjuadrilatère
rigoureux slmarqué par l'agenccment des palmiers
aux troncs massifs, aux feuilles qui s mhlent découpées à " mporte-pièce ct d'Olt ne tombe qu'une
omhre rare, une foule bon n [ant s'entre-c roisait
dnns un pittoresque débraillé estival: pyjamas mu!.
ti colores, w atcrs aux tons agressi fs, musant sur les
trottoirs, pour sc répandre ensuite dans les petites
rues au hout desquelles apparai sent, parfois, un
COIll de rade ou bien les voiliers au l' pos attendant
ail port l'heure du départ.
En nombre, 011 croisait des marins à la coquette
ttnue, cie, officiers cl, la Flotte aux uni formes
qu'illuminait l'or des galons, Tout cela était pOlir la
]ltlbionnain.: aus 1 ll1en'cillcux que si elle avait été
�Lt MAL Qut FIT UNE FEMMt
29
conviée à faire la découverte "d'un nouveau monde.
Pourtant, elle se sentait peu d'attrait pour ce milieu où trop de lai sse r aller choquait son goût de la
mesure et sa distinction innée.
A cinq heures, chez Palma, le confiseur à la mode,
assis en face l'un de l'autre devant la petite table où
Georges avait fait servir des chocolats glacés et
tout un choix de fines pâtisseries, ils se souriaient
sans rien trouver à se dire, mais déjà ce silence
dénotait entre eux une entente profonde.
- Il me semble que ma vic a commencé seulement à la minute où vous êtes descendu du bateau,
dit enfin Christiane.
Et le capitaine ne répondait pas, surpris d'avoir
pu, si facilement, illuminer cette jeune existence
que, maintenant, il se reprochait d'avoir si longtemps écartée de la sienne.
Cc fut au sortir de Toulon, quand le nouveau
chauffeur que de Brézières avait engagé pour les
condu.ire à Hyères ralentit, puis arrêta complètement sa voiture qu'il avait menée à honne allure
jusqu'au Littoral Frédéric-Mistral, que hristiane
prit réellement contact avec les sites mcrveilleux
qui allaient se dérouler devant Ile, tel un cinéma
véridique et ·omptueuscment colorié, tout le long de
la Riviera, de Toulon à la frontière italienne.
De ce voyag , le jeune esprit demeurerait marqué
éternellement l!t, clans cette faculté cie s'émouvoir et
de s'enthouslasm l' à la contemplation c1'un beau
paysage,
eorges reconnaissait une âme d'artiste
proche cie la sienlle qui, dès l'en tance, avait si intCl1sém nt vibré à la beauté de la nature.
Le chaurfeur leur 'numérait, de c ton impers 11nd des guides, les noms des principaux point que
l'on pouvait apercevoir. Au lointain, le golfe de
Giens où la mer, toujours agitée, sc rue d'un assaut
frénétique sur la pointe des Salis, balayée d'écume
blan he. Devant eux, <lU hout cil' la 'orlll\:h ,1 Cap
Brun dont les reliefs cnscrn'nl la haie (Il: la Ga-
�30
LE MAL QUF. FIT U N~
:r'EMM"S
ronne; la Mitre du Mourillon, Tamaris, bouquets de
fraîches verdures sous un soleil incandescent, <Iécor
incomparable de côtes dentelées et de collines doucem ent ondulées, au pied desquelles la mer s'in sin ue
ct s'étale entre les presqu'îles s'avançant da ns les
flots, fièr e comme des proues cie galères. ,
Tout le re te du trajet ne valut peut-être pas,
pour la jeune fill , ce pr mier contact avec la
grande bleue qui, bientôt, met t rait entre elle et les
pâ les souvenirs de son enfanc révolue le grand
fessé d'oubli ct l'enchantem ent d'un aveni r que
l'imagination commençait à bâtir.
e fut à Nice, un matin que le capitaine et sa
protégée déjeunaient dans le cadre charmant du
Ca ino de la jetée - lequel, avec sa salle dont tout
un côté n'est qu'une immense verrIère d'où l'on
aperçoit la mer laquée d'or t un ciel semblable à
un manteau de Sainte Vierg , les profil s violets, les
cimes àprement découpées, sur des bases qui
semblenl tremper dans les flots, des monts cl ' l'Ester el, - que, pour la première fois, hri liane posa à
celu i qu'ell e croyait être son père une que tion que,
oepuis le premier jour, de Brézières attendait et
r edoutait à la fois .
Depuis le commencement du repas, un inconnu,
occupant une table voisine, ne cessait de fixer la
jeune fille avec une insistance qui d'abord J'avait fait
rougir, puis finit pa r la gêner horriblement. E1Ie
t uma légèrement sa chaise afin de ne pl us r revoi r
en pleine figure cet importun hommage. Georges
surprit cc mouvement l en d vina la Cl use. Il se
tourna t le regard direct qu'il dirigea vers Je malot ru fit comprendre à c d rnier le dange r de persévérer dans son indiscrète altitude.
Voyant qu les trails de l'officier s'étaient cri pés,
Christiane voulut plaisanter.
- C'est as omm an t, fil-die n souriant, on ne
peut même pas déj uner tranquille. Hier soir, c'étai t
CI L evant in qui, à Monle- arlo, voulait absolument
�U: MAI, Qut FIT UNE FEMME:
31
m'associer à sa chance. Ils doivent pourtant comprendre que leurs avances ne m'intéressent pas. Et
puis, je suis encore trop jeune pour songer à me
marier ...
Elle s' interrompit, rougit légèrement comme si
clIc avait dit une sottise.
- ] e sais bien qu'à mon âge ma pauvre maman
était déjà mariée, mais je me suis tou.jours imaginé
que, pour se décider ainsi, presque au sortir de l'enfance, sans avoir eu le temps de connaître le monde,
d'en goüter les amusements et les joies, il faut avoir
au cœur un sentiment exceptionnel, un amour si
grand ... qu'on ne vit plus que pour celui que l'on
aime. Dites, père, est-cc ainsi que maman ct vous
vous êtes aimés?
A son tour, Georges rougit prodigieusement, mai
la petite insistait, sans comprendre qu'elle touchait
à une plaie qui ne s'était pas encore refermée.
- Vous deviez "tre si jeunes tous les deux. Vous
êtes encore si bien! l artout où nous allons, 011 vous
prend pour mon mari. Ma mère, si elle était demeurée avec nous, aurait l'air de ma grande sœu r, j'cil
suis slIre. Oh! j e vou en prie, parlez-moi d'elle! Je
voudrais savoir tout ce qui la concerne, tout cc qui
Yous cane rne lous les deux. Je n'ai point osé vous
le demander jusqu'à cc moment, mais, n'est-cc pas,
cela ne vous fait pas de la peine que nous réveillions ensemble sem cher souvenir?
- Non, certainement, mon petit. Qtle voudrais-tu
connaître?
Chri stiane secoua,' d'un geste qui lui était hahituel, son front que le hâle commençait à dorer ct
Sur lequel , à chaque mouvement qu'elle faisait, cs
lourdes ondulations cuivrées sc répandaient en
mèches où le jour paraissait se plaire à allumer de
Somptueux ren ds.
- Il m'est arrivé souvent, lorsque j'étais petite,
de chercher au fond de mon souveni r une image
d'elle. D'abord, il me semblait l'avoir conservée;
�~z
LE ,,!AL QU}: FIT UNE FEMME
mais, quand je voulais l'évoquer d'une façon un peu
plt1s précise, elle s'évanouissait ainsi qu'un nuage
dont on n'a pas le temp de distinguer les contours,
toujours en mouvement et en transformat ion .
- Mais n'avais-tu pas une photographie de ta
mère?
- Oui, je J'ai emportée avec moi. Je 'ou la montrerai, père, si vous voulez, mais elle ne répond en
ri n à l'image que je croyais retrouver en moi. Un
visage si pâle, si pâle, ... et des yeux si grands qu'ils
m( faisaient un peu peur.
- Oui, je vois, fit . l'officier, surmontant mal
l'l'motion qui l'étreignait, c'est le souveni r de ta
paune mère durant la maladie t'jui l'a emportée qui
est demeuré en ta mémoire.
ans doute, ct c'est celle de sa splendeur que
jr.· voudrai retrouver. Dites-moi, père, quand elle
avait mon ;lge, maman était bi J1 jolie?
- Oui, fit l'officier d'une voix à peine perceptible.
- Elle avait à p ine LIge que j'ai maintenant
quand VallS vous êtes mariés? h! dites-moi comn:cnt clIc était habillée le jour de ses noces?
- ;\T ais, en blanc, nature]) ment.
'a, je sai, mais décrivez-moi sa robe. Une
r he à traîne, n'est-cc pa ? Satin ou crêpe de
ChJJ1c! El 11; voile?
- .le Ill: III souviens plus 1...
- Comment, vous ne vous souvenez plus 1 Cela
vcut il dire qu'un mari 'pris fait si peu de cas d'une
toilette longuement combinée pour lui plaire?
- Les hommes s'arrêtent rar ment à ces ortes
(Je détails.
- Mais 11e "tait belJe, de cela vous n'avez pas
perdu le souvenir?
on, certes.
- Et vous, père?
- Comm nt, moi?
- Oui, je veux dire, comment étiez-vous habillé?
�u:
MAL QGE FIT UNE FEMME
33
Ah! cela, vous ne me direz pas que vous ne vous le
rappelez plus?
- En uniforme, évidemment.
- Vous éti ez déjà offici er ?
- C'est-à-dire ...
- Saint-cyrien ? Je sais que vous avez passé par
Saint-Cyr.
- Oh! bien peu de temps! la guerre a interrompu ma préparation. J'ai quitté l'Ecole pour le
champ de bataille.
- Alors vous vous étiez marié avant d'entrer à
l'Ecole? Maman ct vou ' viviez donc séparés, car on
est pensionnaire, à Saint- yr.] e ais c la aussi par
Une amie dont le frère y était. Eh bien 1 dites Ce que
vous voudrez, mais, moi, je ne me marierai pas
d'aussi bonne heure. Oh! je sais, ... quand on aime, ..
Mais pour Je moment je n'ai envie d'aimer per onIle
et, que vous le vouliez ou non, je compte vous ellcambrer longtemp, longtcmps, de mon insupportable personne!
Elle fai sait sonner son rire, enfant ct femme,
Pourtant, par sa curiosité maintenant en éveil.
•'ans réaliser le supplice qu'clic infligeait au malhcur ux garçon dont la loyauté se sentait malhabile
à inventer les détails d'une vie conjugale qui lui
avait ',té si cruellement rcfu éc, Christiane qu stionnait inlassablement ct l'offici r sc laissait empriSOnner dans un tissu de maladroits men anges.
L'église où la bénédiction nuptiale avait été donnée,
le' del110isdles d'hollneur, les témoins, puis 1 domicile où la nOllV Ile 'pouse attendait le jeune mari,
pen ionnaire à Saint- yr. Enfin, sur a propre naissan 'e, hristiane se montrait d'une curiosité in~a
tiaill .
. - ] suis VOlre fille à tous deux, disait-elle, je
dois savoir tout cc qui concerne les êtres qui me
Sr nt SI ch 'rs.
Elle n s'ap rc vait pas C]U 1 souvent, les pauPières du capitaine s'abaissai nt afin de ba rrer le
'1l9-11
�34
u:
?>L\L QUE Fl1' UNE FEMME
chemin aux larmes qui se formaient dans ses yeux.
Alors il s'effrayait et se demandait si la perspicacité
de sa pupille ne finirait point par percer le douloureux mystère dont il avait voulu lui épargner la
flétrissu re.
III
YN SOIR D'ÉTÉ
Au bras du capitaine de Brézières qui, ce soir-là,
avait mis sa tenue d'officier, Christiane venait de
pénétrer dans la salle éblouissante de lumières du
casino de Cannes. Elle se sentait légère dans sa robe
de bal qui la faisait semblable à quelque fleur mer~
vcilleusement épanouie et fière de participer à cette
fête réunissant l'élite des baigneurs que la mode
.fait amuer, même au cœur de l'été, vers les stations
(Je la ôte d'Azur. Comme Georges cherchait \lne
place où tous deux pussent demeurer à l'abri de la
bousculade des couples, si nombreux que les danses
n'étaient plus qu'une sorte de balancement coude à
coude, une exclamation de surprise le força à se
1etourner.
- Ah 1par exemple, mon capitaine 1 Si je croyais
VOLI S trouver ici!
Fendant les groupes, un grand jeune homme, por~
tant impeccablement le smoking, s'avançait. Les
deux officiers se serrèrent la main:
- Le lieutenant Flassigny; ma fiIle : Christiane
ôe Brézières.
L'étonnement fut si vif qu'il cloua sur place le
beau garçon. Il lui faIlut quelques secondes pour
�LE MAL QUE FlT UNE FElIIdE
35
réaliser ce que son camarade
enait de lui
apprendre. Enfin il fut en état de répondre au lége r
salut que la jeune fille venait d'esquisser.
- Mon capitaine, excusez-moi, mais vous nous
aviez caché l'existence de Mademoiselle; aussi vous
m'en voyez encore tout surpris. Diable! une grande
fille comme la vôtre, quand on a quarante ans, au
plus ... Et je dis quarante, car je sais, par hasard,
votre classe. ans quoi, je ne vou donn rais pas
plus de trente-cinq ans.
- Vous voyez, père, Monsieur est de mon avis.
Figurez-vous que, partout où nous allons, on
m'appelle Madame. C'est désolant! Ça me vieillit
prodigieusement. Et puis, si chaque foi celte er reur
me retarde de sept ans, comme nous di ions au pcnionnat, vous voyez d'ici l'âge canonique que
j'atteindrai avant de devenir Madame pour mon
propre compte!
Le lieutenant l'il de bon cœur. La glace semblait
complètement bri ée entre ces trois êtres que le
hasard venait de rassembler.
André Flassigny, qui paraissait parfaitement connaître les aÎtres, entraîna se compagnon. Vl:rs le
jardin d'hiver. JI les fil as 'eoir autour d'un guéridon, puis parvint à dénicher un garçon et à sc faire
apporter de boissons glacées. [1 avait repris son
aisance d'homme du monde accompli, pourtant il ne
Put s'empêcher tle )Joser à on supérieur Ulle qucs~ion
qui' lui paraissait, maint nant, de la plus haute
lmporlance :
- gn effet, mon cher, vous avez quitté ColombE char exact{;ment huit jours avant moi.
- Et il n'était pas question pour vous d'une pel'·
mission.
on, j'attendais d'être avisé dll moment olt je
Pourrais reprLndrc ma fille qui avait un dernier
examen à passer avant de quiller définitivement l~
couvent.
- Le cOllvent? Mademoiselle était au couvenl?
�36
LE MAL QUE FI'l' UNE FEUr.œ
fit le jeune homme sur un ton de commisération
plo[onde.
- Oh! je n'y étais pas si malheureuse que ça (
répondit Christiane dont le joli visage resplendissait
de malice. Pourtant, j'avoue que si mon cher papa
avait exigé que jc passe, après le brevet, quelque
bachot suivi d'une licence, j'en serais morte de
chagrin!
- Que voulez-vous, mes enfants, reprit Georges,
s'associant à la bonne humeur ambiante, je n'avais
pel' onne à qui confier cette petite et je ne pouvais
pa décemment lui faire parcourir l'Atlas à ma
suite, au milieu de mes méharistes!
- Pourtant, je suis sùre que cela m'aurait folle- '
ment amusée!
- Brave, naturellement, comme une fille de soldat! admira Flassigny. Mais le front de Georges
~'élait
remhruni et, durant quelt[ues minutes, il demeura absorbé en ses pensées, ne e mêlant plus au
babillage d 's deux jeunes gens.
Un peu plus assourdis, les accents du jazz parveliaient clans cette salle où ne s'attardaient guère que
des couples tl'amoureux. Dans un autre salon, alternaut li \'Cc les éclats (~iscordant
de la musique nègre,
un orchestre scandait des blues et des tangos.
- l\Iademoiselle m'accordera-t-elle l'honneur de
la faire danser? pria 1 lieutenant, s'adressant par
couvenance à son supérieur.
,corges eut un geste d'acquiescem 'nt, mais Je
vi _ ;a~e
cie 'hristiane prit une expression désolée ct,
sans fausse honte, elle avoua:
- Je voudrais bien, lieutenant, ct j vous remercie, mais je n'ai jamais appris à danser qu'avec le
vieux maître de maintien qui "Venait à la pen 'ion.
Les lanes modernes étai nt prohibées. Parfoi , en
cacbettl', une de nos compagnes nous montrait
quelques pas plus nouveaux que le boston ou la contredanse, mais le fox-trot, le blue, le tango, j'ai peur
dl! tout COli fondre et de vous gêner horriblement.
�U
MAI, QUF: FIT UNE l"F:MME
37.
Essayons toujours, proposa André, je vous
promets d'être un professeur au moins aussi patient
que votre vieux maître de belles manières.
Ils s'étaient levés; d'un élan elle fut contre sa
poitrine, ct, non sans un peu de mélancolie, le capitaine regarda s'éloigner le couple charmant que [ormaient leurs deux jeunesses.
«La perdre, si vite, ... comme l'autre », se dit-il,
puis il se gourmanda d'être égoïste et songea qu'André Flassigny serait pour sa pupille un excellent
parti.
Cette tolérance eut d'ailleurs sa récompense
immédiate. Lorsque Christiane, après la danse, revint au bras de son cavalier reprendre sa place à
côté du capitaine, son visage rayonnant, ses yeux
brillants de joie disaient le plaisir que la jeune fille
venait de goüter.
- Tu t'es amusée, chérie? questionna Georges.
Elle répondit d'une façon indirecte, mais si éloquente :
- Songez donc, père: mon premier bal!
Profitant de la permission tacite du capitaine,
Flassigny invita de nouveau la jeune fille.
Georges, pendant qu'ils dansaient, s'était rapproché de la salle de bal. Plus troublé qu'une mère
assistant aux débuts de sa fille, il s'efforçait de
suivre, parmi le chatoyant enchevêtrement des
couples, la légère robe à nombreux volants de tulle
qui s'épanouissaient comme les pétales serrés d'une
rose, faisant plus mince la taille qu'un nœud de
satin sou li gnait.
.
Chaque fois que le jeune couple passait devant la
bai où se tenait de Brézières, il surprenait sur le
clair vi age de sa pupille une expression de naiTe;
extase. Elle ne parlait pas, soucieuse de suivre le
rythme l de ne point oublier les pas que le lieutenant lui avait indiqués. André se révélait d'ailleurs
Un danseur parfait, conduisant avec maîtrise la débutante. Et puis la souplesse et la légèreté du corps
�1.10:
MAL QUE l-'l'l' UNU FEMME
qui s'aba ndon nait à son bras r enda ient l a tâche
faci le.
Le lieutenant ayait risqué quelques madrigaux,
mais, bientôt, il s'était aperçu qu'il faisait fausse
route.
«Pas flirt pour dcux sous, la fille de mon capitaine », songeait-il tout en guidant sa ravissante
dan cuse, et plus il la contemplait, plus il sc sentait
pris par cc ch~rme
qui s'ignorait cncore .
Après une station au buffet où la jeune fille vida
'd'un trait une coupe de champagne glacé, Georges
de Brézièr '5 parla de départ. 11 était deux heures
du matin ct il fallait retourner à Nice où ils avaient
leur hôtel.
Le licutenant, qui, lui, demeurait à Cannes, aurait
volontiers prolongé celte adorable soirée, mais il
craignit de déplaire ou de paraître indiscret.
- Je vais vous ch~re
une voi turc, mon ca pitaine, ct je m'excuse d'avoir ainsi accaparé Mademoiselle yotre fille pendant que vous faisiez galerie
ct trOUVIez peut-être le temps long.
- C'est v rai que vous n'avez pas dan é. Oh!
comme nous avons été égoï "ks! Mais pourquoi
n'aYez-vous pas invité une dcs jolies femmes qui
nou entourent? Cela VOl;S aurait distrait. ..
- Mon petit, si ridicule que cela puisse te paraître, ct à vous aussi, mon cher FlaSSIgny, je ne
sais pas danser.
- Vous ne savcz pas danser, mon capitaine?
llais c'cst invraisemblable!
- Vous parais ez si jeun, papa, comment n'auriez-vous jamais appris? Je ne peu,' pas croire que
maman ct VOtlS ne soyez jamais allés au hal?
- l\Ies études m'ont laissé peu de loisirs, ct puis
la ~1 'rre est venue ...
- Mais au moin , après votre ma riage, VOllS avez
conduit ma pauvre maman au bal de Saint-Cyr?
VOllS voyez si je sui· renseignée sur cette célèbre
école par où a passé au si le lieutenant F lassigny.
�L~
MAL QUJ<: FIT
UN~
F~
39
. - Oui, sans doute, répondit Georges mal à son
aise.
Et, pour couper court à l'interrogatoire, il se
hâta vers le vestiaire, laissant au jeune homme le
soin de guider Christiane parmi la foule élégante
que ses yeux de pensionnaire ne se lassaient point
d'admirer.
Ce bal de Saint-Cyr! Quel cruel souvenir Christiane, sans le savoir, venait de réveiller 1 Il s'en était
fait une telle fête, comptant qu'Eve d'Hérouval, à
laquelle il avait envoyé une invitation, y assisterait.
Avant son départ pour Paris elle lui en avait donné
sa parole formelle. Ayant une tante qui habitait
les environs du parc Monceau et chez laquelle
M"o d'Hérouval faisait deux ou trois séj ours
chaque année, la chose était des plus réalisables.
Pourtant, le jour fixé était arrivé et Georges
n'avait point reçu de réponse à sa lettre pressante.
Il se rendit cependant au bal, se raccrochant à l'espérance que sa fiancée s'y trouverait. Arrivé l'un
des premiers, il s'était placé de façon à ne point
perdre de vue l'entrée des somptueux salons dont
l'enfilade paraissait s'étendre à l'infini, grâce aux
grandes glaces enchâssées dans les murs où le
rouge ct l'or formaient un somptueux accouplement.
Peu à peu, les invités affiuaient; chaque fois
qu'apparaissait, au milieu d'un groupe, l'auréole légère d'une chevelure couleur de blé mllr, le sainteyrien se précipitait. .Bientôtles arrivées furent plus
elairsemées.
n dansait dans Lous les salons et
eorges demeurait anxieusement à son poste. Enfin,
Il fallut bien qu'il se rendît à la décevante réalité:
Eve n'était pas à Paris, Eve n'avait répondu que
par un indifférent silence à ses pauvres lettres lui
exprimant toute la joie qu'il se promettait d'un bal
que Lou ' cieux attendaient avec impatience, comme
l'occasion de se retrouver de se r dire les serments
qui avaient enchanté leur'séparation.
g
�40
LE MAL QUE ETl' UNI; FF,M;\f€
Ce fu t sa premièr e t erribl e désillusion. Bientôt
après, et sans ménagements, il devait app rendre le
motif d'un silence dont, à partir de ce jou r, l'inconstante ne se départit point, en même temps que
l'annonce officielle du mariage d'Eve avec Gilber t
de Bréz ièr es.
Ces pensées assaillaient encore, après vingt ans,
celui qui avait tant souffert ct qui se croyait en
droit d'oublier. Certes, la présence à ses côtés de
l'enfant née de ce fatal mariage avait réveillé les
vieux souvenirs endormis, attisé la flamme qui couvait sous des monceaux de cendres.
Lasse, le cerveau plein des plaisirs qui, durant
toute la soirée, avaient transporté la petite Cendrillon d'hier dans un monde enchanté et nouveau,
la jeune fille se taisait aussi dans la voiture qui les
emmenait par la grandiose Corniche reliant Cannes
à Nice. Elle avait même fermé ses paupières comme
pOlir mieux conserver la vision des éblouissants
saluns où évoluaient des femmes paré s comme des
reines. Quand elle les rouvrit, cc fut pOUf apercevoir au-dessus de sa tête un dais de velours d'un
gris presCJue noir sur lequel sClOtillaient des milliers de petits astres semblables à de la poussière de
diamants.
On entendait, battant les assises de roc CJui supportaient la route, le bnllt monotone de la mer,
roulant ,t déroulant sur les g'd ts ses vagues qui
avaient des froissements d'étorfe soyeuse.
L'odeur des mimosas, des œillets et des roses
remplissait l'air. La poitrine de la j cline fille aspiraIt voluptueusement la brise lourde de parfums j
jamais clic n'avait soupçonné pareille splendeur, ni
qu'on pùt connaître une si parfaite euphorie.
Comme c11t! était pieuse, ce fut à Dieu qu'el1e
adressa l'hymne de reconnaissance qui lui gonflait
le cœur ct, songeant à sa prière dans le sanctuaire
dc TotrL-Dame de la Gardc, elle s'émerveilla
d'avoir été aussi vite et aussi complètement exaucée,
�/
LE MAL QUE FIT UNE FEMME
car elle n e doutait pas que son desti n n e fCtt déjà
a r rêté, ni qu'il eût J'aimable visage du bea u garçon
dont elle a vait, malgré son inexpérience, deviné
l'admi ra tion naissa nte.
IV
L'ÉVEIL n'UN cœUR
Le train s'arrêta devant le quai, trans formé en
fournaise par un soleil qui, à cette heurt: matinale
et bien qu'il émergeât à peine, large ùi~que
ùe
cuivre, au-dessus ùes montagnes farouches qui se
dp'sscnt à l'or ' e du désert, faisait marquer au the r1I10mètre plus de 35° à l'ombre. Encore étourdie
l'ilr le long voyage, qui d'Oran l'avait conduite à
travt:rs toute l'Afrique du Tord jusqu'à la pointe
c. trème après laquelle règnent seulement la ~01 i
tu(k ct la soi f, Chri tiane hésitait à sautcr sur le
trottoIr.
- Eh bien! pdite, trouves-tu que le traj d n'a
P~s
assez duré et e~pèrs-tu
que nous allon g'lgne r
amSI l'eggane, Gao ct Tombouctou? Termiull", tout
le monde descend 1
Avec bonne humeltr, Je capitaiJ,' avait saulé à
terre ct tendait la main à la j elln fille dont les
membres engourdis lui refusaicnt cncore tout scrv~ce.
Voyant cela, Georgcs se hi sa sur le marchePIed ct, saisissant sa pupille par la taille, il la sou~\;va
avec aisance ct la déposa à terre. Au '11ême
Instant, un tirailleur se hâtait vers le capit<line ct,
sous ses ordre, descendait les bagages r 'stés dans
1 compartiment.
�42
LE MAL QUE FI'!' UNE
FE~
Toi averti Mohamed, mon çapitaine, alors
Mohamed venu. y a bon, Mohamed porter fourbi.
Soudain, l'homme aperçut Christiane qui le regardait avec étonnement. Il lui sourit de toutes ses
dents gâtées et accompagna son sourire d'une moue
admirative.
- Ça, ma capitaine. Jolie, jolie. Y a bon pOUf
Mohamed!
Christiane partit d'un bel éclat de rire:
- Père, il me prend pour votre femme. Ça, c'est
irrésisti ble !
Mais le noir, fâché; répondit avec dignité, afin de
montrer qu'il avait parfaitement compris et qu'aucune subtilité de la langue françaisc ne lui
échappait:
- Fcmme, ou pas femme, moi m'en {~che.
Toi
cap'taine quand même, ti commandes ~Iohamed.
Le point litigieux ne put être éclairci, car, au m ment où les voyageurs quittaient la petite gare, un
officier tout vêtu de blanc et sur la manche duquel
la jeune fille, encore mal familiarisée avec les
gradcs, compta cinq galons, s'avança aU.- dcvant
d'eux, la main tendue.
- De Brézièrcs, excusez-moi. J e voulais êtrc le
premicr à vous souhaiter la bienvenuc, ainsi qu'à
celte charmante enfant. ~1O
dc Brézière, sans
doutc? J'ai été retcnu à l'état-major et vous aycz
failli m'échapper.
- Mon colonel, fit Gcorgcs tout en répondant à
la cordiale poignée de main dc SOI1 chef, je serais
venu aujourd'hui mêmc vous saluer el me mettre à
votre disposition.
- Et j'aurais reçu les plus cruel reproches de la
colonclle qui veut vous avoir à déjeuner. ~le
suppose que votre maison n'est point installée et que
Mohamecl vous cuisincrait un menu déplorable.
D'un autre côté, cette joI ie en fant ne peut aller au
mes '. Allons, c'est accepté.
- D'aussi bon cœur CJllC l'invitation est faitc.
�LE MAL QUE FIT UNE FEMME
43
mon colonel. Et dites à Mm. Darboises combien je
suis ému de son aimable pensée.
- Bon; en ce cas, montez dans mon auto, je vous
dépose devant votre ka bah.
L'officier supérieur ouvrit galamment la portière
afin d'installer dans le fond de la voiture la jeune
fille un peu intimidée. Il prit lui-même place au
volant quand le capitaine se fut assis à côté de
lui .
Tout en conduisant dans les rues géométriques où
les Arabes, enveloppé!'. dans leurs burnous, sc promenaient lentement, sans but apparent, tandis que
des tirailleurs ct des méharistes, les bousculant sans
:'trgog-ne, parais aient requis par des occupations
Importantes ct qui ne souffraient aucun retard, le
colonel, à mi-voix, afin de n'être point entendu par
la jeune fille, reprit la conversation:
- Mes compliments, capitaine, cette en fant est
charmante. J'ai expliqué à ma femme la délicate
situation et vous pouvez compter sur elle,
Un regard de profonde gratitude récompen a le
ch f qui savait devcnir l'ami de ses subordo l11é .
Quand l'auto s'arrêta devant la façade hbnche
qu'aucune fenêtr ne trouait, Christiane poussa une
exclamation de joie :
-- Oh! c'est ici que nous allons demeurer, une
Vraie maison arabe! Comme c'est piuoresque!
:lle tendait vers les deux hOlllmes un visage ravi.
Sous la réverbératiùn d'un ciel indigo, ses merveilleux iris avaient pris la couleur de cerlains lacs de
montagne que 1'011 ap rçoit de loin, pareils à des
plaques de saphir brillant parmi le sombre décor des
rochers et des sapins au feuillage noir.
~e
colonel se Plllcha vers de Brézlères et, à miVOIX:
f -:- Elle st merveilleuse! s'exdama-t-il. Elle va
aire perdre la tête à tous mes offici rs.
lIIélancolique, le capitaine suivait du flgard la
gracieuse silhouette qui se découpait sur le fond
�4..J.
U~
MAL QUS FIT UNE FEMME
sombre du portail aux curieuses ferrures et, secrètement, il songeait, poursuivant la pensée obsédante qu'avait mise en lui l'abandon de son ingrate
fiancée :
« Pourvu qu'elle soit heureuse et qu'elle ne fasse
pas trop souffrir! i>
Et, dans ce souhait, il n'y avait aucun égoïsme,
car il se croyait, dorénavant, à l'abri de toute blessure d'amour.
A la suite de l'officier, Christiane avait pénétré
sous la voùte qui ressemblait à l'entrée de quelque
burg fortifié, tant . l'ombre y était profonde et
épaisses les murailles dans lesquelles elle était
percée.
Puis, au sortir de cette fraîcheur et de sa pén0mbre violette, de nouveau l'éclat du jour força
les paupières à s'abaisser. Quand Christiane les ouvrit, ce fut un enchantement. Elle se trouvait au
milieu d'une eour pavée de mosaïques; au eentre,
un bassin de marbre blanc étalait la surface polie
de son eau limpide. Un mince jet d'eau s'élançait
comme un flèche de lumière tendant à s'unir à
l'éblouissement qui tombait du ciel en feu, puis,
lassé par son effort, il s'éparpillait en une pluie diamantine parmi laquelle les couleurs du prisme se
jouaient délicatement. Dans des vases de poterie
émaillée, des lauriers-roses épanouissaient leurs
fleurs en forme d'étoiles blanches el roses.
Dcs orangers poussaient en pleine terre autour
du patio oll des plates-bandes avaient été réservées.
Conquise, la jeune fille battait des mains, puis elle
s'élança v'rs Gcorges el, lui passant autour du cou
ses deux bras comme un tendre collier, elle lui tendit, càline, la fraîcheur de ses joues satinées.
Elle voulut ensuite faire avec lui Je tour du propnétaire. Des arceaux formaient, autour de la cour
intérieure, une sorte de galerie couverte sur laquelle
s'ouvraient de plain-pied les différentes pièces. On
s'étonnait, après avoir écarté les portières d'étoffe
�LE MAL QUr. FIT UNe FEMME
45
qui en masquaient les issues, cIe trouver, à l'in té- rieur, un ameublement moderne et même raffiné. La
salle à manger, le fumoir, qui servait de bureau. Le
salon, avec ses divan, ses tentures ti sées à la
main, ses petits meubles de cuivre précieu ement
travaillés et ses tapis de haute laine rutilant de
vives couleurs, satisfit davantage le goüt d'exotisme
de la nouvelle maîtresse du logis.
Au premier étage, donnant sur un balcon gue
:upportaient les arches de pierre du rez-de-chaussée,
etaient les chambres, chacune suivie d'un vaste cabinet de toilette.
Enfin, mais cette dernière visite fut remi se à une
heure moins chaude, le toit plat de la maison arabe
était une agréable terrasse où poussaient jasmins,
r?ses grimpantes ct sur laquelle, par les oirs torrtdcs, quand brüle le vent chaud venu du dé ert, on
Pouvait espér r goùter quelque repos dans les hamacs doucement balancés.
- Te plairas-tu ici, petite? demanda l'homme,
attendri par cet émerveillement to ujours renouyelé
qui faisait de la vic de Christiane une sorte de
féerie.
- Méchant papa! répondit-cil en posant sa tête
bO~tclée
sur l'épaule de l'officiel'. V'abord je me plairat partout où nou serons ensemble.
Il sourit malgré lui, sachant bien que, trop tôt, un
v~1cur
surviendrait qui 'emparerait du cœur de l'tttg~nlte
cl qu'alors elle s'éloignerait joyeusement du
trtSte foyer que, cul, sa jeun 's illuminait.
1 Quelques heures plus tard, baigné ' et reposée clu
ong t presque ininterrompu voyage - ils a\'1i 'tll,
au Sortir du bateau, pris à peine le temps de yisiter
ra n, humide ct poussi \rcux, dont le plus bel a spect
est, à la vérité, la baie' que les montagne rouss 's
aux contours arrondis 'ncadr<:llt magnifiquement ·t
~Ur
laquelle veille l'humble croix dressée il la pointe
'hristiane sc déclara
du rocher de Santa- rux prête il arfronter la prés~nc
de la l'oloudle. Elle
�46
LE MAL QUE FIT UNE FEMME
s'amusa de la promenade parmi les r ues désertes.
L e lie utenant-colonel habitait une résidence offi.cielle, bâtie selon l'esthétique métropolitaine, donc
moins pittoresque et infiniment moins bien adaptée
au climat de feu que la demeure arabe louée par de
Brézières à un cheik.
Emilienne Darboises était une femme d'environ
quarante-cinq ans, très belle encore et racée jusqu'au bout des ongles; on ne pouvait proposer à une
jeune fille plus séduisant modèle que cette mondaine
avertie qui aurait pu brill er en n'importe quel milieu et qUI, pour plaire à son mari et ne pas nuire à
sa carrière de colonial impénitent, l'avait suivi dans
les garnisons les plus lointaines et parfois les moins
sÎl r s.
La première de son sexe, elle avait fait, le plus
simplement du monde, la traversée du désert en
auto-chenille, convoyant en quelque sorte son mari
qui, par la voic des airs, allait survoler le Tanezrouft, de Zaouït:t-Reggane à Tabankort, au-dessus
'du Pays dt: la Soi f, reliant le Sud alg-érien aux
contrées sénégalais s, vers le l ig'cr qui roule, entre
ses larges rives, celle cau dont les vaste s étendues
(Je sable sont cruellement privées. Mais dIe !l'aimait
guère à rappeler ses prouesses ct, dans l'aimable
personne aux cheveux sur lesquels il avait prématurément nci~é.
ct qui sou:iait avec une bonté maternelle, Chnstlane ne devlJ1a pas tout de suite J'intréplde héroïne ayant risqué les plus grandes fatigues et toutes les privations afin de 11' point vivre
dans l'angoisse Je temps que devait dur 'r le raid
audacieux de l'officier.
Elle accueillit Christiane par un compliment qui
I,t fit rougir plus de timidité qUL d'orgueil:
- C'est qu'elle est encore plus jolie que mon
mari ne me l'avait d';crite ! Venez, mon ln fant, ct
purn tlez-moi de VallS embrasser. Il semble vraiment que vous apportez avec vous tout l' rayonnement et toute la j unlSEe. ne fleur, mon eher capi-
�LE MAL QUE FIT UNE
l'E~IM:
47
talne, qU,e votre grande fille. Comment avez-vous pu
vous priver si longtemps de ce trésor?
Elle entraînait la jeune fille, la tenant par la taille
comme aurait pu le faire une sœur aînée. A table,
dans la vaste salle à manger où des dalles de mosaïque sans cesse arrosées d'une eau par fumée à la
violette maintenaient, avec les baies soigneusement
closes, une relative fraîchcur, elle voulut que Christiane prît place à côté d'elle.
- Tant pis pou r le protocole! déclara-t-elle en
riant. D'ailleurs, nous ne sommes que nous quatre.
Le capitaine de TI rézières s'assoira à ma gauche et
le colonel à côté de ma petite amie. Car nous
SOmmes amies, n'est-ce pas, mon enfant?
Christiane n'osait répondre, mais son regard exprimait la vive gratitude qui, déjà, l'attirait vcrs la
colonelle.
- A propos, dit le colonel Darboises pendant
qu'une ordonnance arabe, assez bien stylée d'ailleurs, disposait le second service, je viens de recevoir un mot du lieutenant Flassigny. Il était parti
quelques jours avant vous et devait passer un mois
de congé en France. Je m'étais même figuré, à tort
peut-être, qu'il était question d'un mariage. ] e l'aurais regretté, ar probablement il aurait dcmandé
SOn chang ment de corps. Sans d ute m'étais-je
~rompé,
à moins que les choses n'aient point marché
a, SOn gré. Toujours est-il que Flassigny nous revIent. Il annonce son retour par le prochain bateau.
- Nous avons rencontré Flassigny sur la Côte
d'Azur, mon colonel.'
- Ah ! vous vous êtes rencontrés tous les trois?
Je veux dire, Mademoiselle était a \'CC vous?
- Certes. Il a même été le cavalier de ma fille
au cou rs d'un bal, au casino de Cannes .
. - En vérité 1 Alors je m'explique cc retour préCipité et assez inhabituel, car il lui restait une
Qizainc de jours avant la fin de sa permission.
- 11 les passera ici, en plein repos.
�48
LE MAI. QUE FIT UNE FEMME
Les yeux d'Emilienne Darboises s'étaient toumés
vers sa jeune voisine dont les paupières baissées
cachaient le regard, cependant que l'ombre mouvante des longs cils atténuait le rose intense qui
avait envahi ses joues. La colonelle retint un sourire qui venait de naître au coin de sa bouche aux
contours sinueux. Un éclair de malice avait illuminé
son visage et, déjà, il lui tardait de se trouver seule
avec la jeune fille afin d'en obtenir des confidences.
Dans ces villes du Sud, où le temps passe monotone et lent, tout est sujet de distractions au cœur
du petit cercle que formelll les femmes d'officiers et
1 s qu Iques dames de la colonie européenne,
épou es de fonctionnaires ou de n' gociants - plu.:.
rares, cclles-ci - ou alors appart nunt à d'autres
nationalités, des Espagnoles en a sez grand nombre,
quelqu 's Italienn ..:s et ulle ou deux Ang-Iaises.
Parmi les salon s les plus fermés 'tait celui de la
colonelle. Etre reçue par elle constituait un brevd
d'honorabilité, aussi Geor~s
n'aurait-il JlU mit'llx
choisir pour patronner la nouvelle vellu . ct la faire
accepter sans qu'il vienne il per ollue l'idée de
fouillcr dan' leur passé à tous deux; par contre,
rexcellente personne avait, comm ' beaucoup de
femme S pour lesquelles vieillir n' st point Ull drame
et qui 5 plaisent, au contraire, il sentir autour
ddlc ' le honhe11r ct la concunlL-, la passion de favoriser dan ' son entoura!{e les n :I1COJ1t res qui pouvailllt sc termincr par 1111 mariage.
F:lIe déclarait vo]onti J's, donnant SOli propre ménage Cil excrnpl ', qu'utl colonial ne doit pas vivre
seul. Le cafard, l'alcoul, lels sont le5 dall .li rs qui
m 'llaclnt le c "Iihataire qu'envahit, peu à pcu, faute
de stimulant, une sorte d'indifférence ft son propre
sort, laquelle faIt des officiers médiocr s. Aussi
n'avait-elle d'autrc désir quc de pourvoir en j'ulles
épouses accomplies 1 officiers CJui fréqu ntaient
chez elle. Sa ~olictude
s' \lendait jusqtl'aux li ut nants du l" Etranger dont un détachement sc trou~
�LE MAL QUE FIT UNE 1'1';:\1ME
49
vait à Colomb-Bécha r, ainsi qu'un bataillon de
spahis, un escad ron de cha scurs d'Afrique et les
ti railleurs soumis à l'autorité du co lonel Darbois s.
P lus r ebell es à ses doctrines se révélaient les officie rs du bureau arabe ct les aviateurs; ces derniers,
cependant, faisaient tourner la tête des ra res jeunes
fi lles à ma rie r.
Malgré le récit que le co lonel lui avait fail des
origines cle la petite de Br' zières, Emilienne ne désespérait pas de la mettre le plu tôt possible hors
des atteintes du sort et un mariage lui parais ait,
naturcllcment, le meillcur 1110YUl de rompre défi litivement avec k pa:sé maudIt. Dcpuis qu'clle connai 'sait ChristianL, la tùchc lui semhlait des pluS
ais '-cs, et voici qU'Ulle' rcncont re la facilitait encore.
Parmi le ' officier, du 2" ']'1 raill urs, André Fhs'i;?;l1y ~lait
ccrtalllemcnt Je pllls sympiltl11CjUC. n-au,
mais sallS tir 'r sott ment aV<1ntag> d,'s d0115 que la
nature lui avait r ~partis,
il appartenait, Ul Oltlr,,, il.
tlne excellente famlile lyonnai e. Son père, qlli ;\\",it
dirigé une impor ante usine métallurgiqul', '\ ivait
lll<lllltenallt dan, une propriété luxucuse an.c sa
filic, la sœur aînée d'André, veuve d puis qucl(Jl1ls'
années ct qui sc consacrait à l'éducation de scs deux
n iallts.
De cc côté, il nc fallait craindre ni opposition
systématiquc, ni nquêtes minuticl1ses susceptihles
dl: ProyoqtH. l' la décol1 \·crtc d la vérité.
Cl'lt v"rité, bravcmcnt, la colonelle se donnai t
d'a\ancl.! la mission. (Il.! la failc connaître au prélen~
clall! , avec tant de ménagements d (Il' tact 'IU 'il
n 'hé iterait pas il Ile point tenir l'innocente j'our,
rlspollsablc cils fautes d'\ln pèr dé\'C'yé.
C'est ft toul cda qu'elle pensait cl'pendant ql1e.
par des C(lllstions adroites, elle faisait J rc <q u<:l
a\'rltlcr à la jeun' fille 1 secr'l qui, jt15'lu'à cc jou r,
e ~l était Il ore un pOLir sa jolie can kur. Et, ,'Ins
s ~1 do 1(,'r, la colondle avait fait faire Cil qUl'I'lues
nJIl1lttLS à Cl't amour qui s'Ignorait plus cl chulli n,
�50
LE MAL QUE FIT UNE FEMME
que la prudence n'aurait conseill<é de lui en laisser
accomplir.
Lorsque, après une promenade à la Palmeraie où
elle la conduisit dans la voiture dont le colonel se
servait rarement, Emilienne Darboises ramena sa
petite amie jusqu'à la maison arabe, elle se déclara
enchantée et obtint sans peine la promesse que la
jeune fille la traiterait comme elle aurait traité la
mère ravie trop jeune à sa tendresse.
- Et surtout, vous me confierez toutes vos pensées, tous vos désirs. Je serai, pour vous, comme
une marraine.
- Oh 1 c'est cela 1 s'écria Christiane, une marraine fée, ainsi que dans les contes!
- Oui, celle qui aide à la réalisation de tous les
désirs et ne manque pas d'unir sa jolie filleule avec
tl1l prince charmant.
La colonelle poussa un éclat de rire en constatant
combien s'était animé le joli visage. Elle embrassa
sur les deux jOlies la jeune fille encore toute troublée et la quitta en lui répétant; «A demain. »
�LE
MAl<
QUE Fl'l' U 'j,: FEMME
5r
v
I.A CROIX DU SUD
Grâce à l'active obligeance de sa protectrice,
Christiane sc trouvait à la tête d'une maison dont
la direction lui incombait. Deux servantes s'ajoutaient à .1ohamed, l'ordonnance du capitaine. L'une
était une jeune orpheline arabe recueillie par des
religieuses et stylée par elles. Elle avait de longs
yeux de gazell , répondait mieux au nom d'Aïssa
qu'à celui de Thérèse donné par ses éducatrices.
'l'out le jour, elle travaillait à sa manièrc, glissant
d'une piècc à l'autre sur ses pieds nus dont les
ongles étaient passés au henné ct les chevilles reCOuvertes d'élégants tatouage' bleutés dont les volutes compliquées s'enroulaient autour de la jambe
ronde et dorée, faisant l'effet d'un réseau de tulle
d'un bleu sombre posé à même la peau couleur
d'orange.
r::lle parlait peu, se montrait douce t docile.
Pourtant, dès le premier jour, une hostilité ,n'ouée
e' nfants
était née entre AïsS:1 c.t Mohamed.
d'une même race et d'un mtme climat faisaient
l'effet d'un chat ct' d'un chien mis subitement en
présence.
•
Aïssa, élevée par les Sœurs de charité, ayant reçu
le baptême chrétien, ne sc souciait plus d s bserval1~es
que le Prophète impose à J'Uam. Elle vaquaIt à ses occupations le visage découvert, vêtue
de rohes d'indienne taillées à la mocle europ '·cnne.
Non seulement cil ne faisait pas usage du voile
Cn présence du capitOlin de Brézières - devant un
�52
L~
MAL QUJ;; FIT
UN~
F~ME
roumi, la chose est encore permise, - mais quand
Mohamed était là, elle lui offrait tranquillement le
spectacle de son visage nu. Pire encore: au lieu de
s'empresser à accomplir les gros ouvrages et à soulager Mohamed de la plus fatigante part des labeurs
ménagers, elle avait l'insigne audace de les lui réserver, d'accord en cela avec sa jeune maîtresse,
laquelle, le lendemain de l'arrivée d'Aïssa, avait osé
dIre au tirailleur indolent:
- En France, Mohamed, les messieurs sont galants pour les dames et un homme rougirait d'être
assis .tandis qu'une femme laverait les dalles ou cirerait les parquets.
- Pas ici France, Mam'zeIJe. Pour Aïssa, y a
bon travailler. Quand Aïssa aura mari, lui flanquer
coups de bâton si elle pas faire bon couscous et
tenir propre gourbi et remplir pipe, puis foule de
choses pendant que lui manger, fumer et dormir.
La jeune fille avait marqué une telle réprobation
que l'ordonnance avait dû s'incliner, mais l'Arabe
en avait gardé une certaine rancune qu'il mani fe tait sournoisement à la jeune fille indigèn à laquelle il donnait - comble de mépris chez ce fils de
1Iahomet - le iiobriquet de « roumia », ce qui voulait dire qu'elle n'était plus de sa race.
A la cuisine régnait, toujours grâce aux soins
judicieux de la colonelle, une grosse Espagnole
échouée dans 1 ud, Dieu sait après quelles infortunes. Elle avait, disait-elle, à Bi kra, tenu une pension de famille Oorissantc. Mercédès ne s'occupait
pa " de querelles des autres serviteurs. Elle con feclionnait des plats assez soignés, mais auxquels elle
avait l'habitude d'ajouter du piment rouge et du
safran en quantités insupportables à un palais qui
n'a point été habitué à ces condiments.
Malgré ces imperfections, hristiane se déclarait
ellchantée et envi "ageait même de rendre, un jour
prochain, le
invitations dont la colonelle la
comblait.
�LE MAL QUE FIT UNE FEMME
53
Ce soir-là - le simoun avait soufRé toute la journée et il avait fallu clore toutes les issues afin de se
mettre à l'abri des tourbillons de sable que le vent
du désert apportait avec lui, - le capitaine avait
pressé le dîner. D'habitude, c'était pour lui l'heure
de détente après sa dure journée de marches ou
d'exercices. Il se plaisait alors à faire parler sa
pupille, à se pencher sur cette âme que sa délicatesse même rendait un peu secrète. Et puis, à la
longue, ce qui, durant les premiers jours de leur
Voyage en tête à tête, avait été pour lui une véritable torture prenait le charme poignant de ces souvenirs douloureux que l'on se plaît à évoquer et
dont l'amertume s'atténue à mesure qu'ils sortent
des coins secrets où la volonté et le temps les ont
refoulés. De lui-même, maintenant, il faisait revivre
le souvenir d'Eve. A sa fille attentive et émue il
décrivait leurs jeux d'enfants, leurs premiers 'mois,
leurs pr miers serments, si vite oubliés quand avait
paru un homme plus âgé que lui, plus habile et qui
offrait, au présent, ce que le futur saint-cyrien promettait pour l'avenir.
Des détails qu'il croyait avoir oubliés lui-même
rem ntaient subitement au jour. C'était une robe
qui seyait particulièrement au charme poétique de
lél blonde jeune fille, une partie de plaisir qu'ils
avaient faite ensemble; mais Christiane, souvent,
POsait des questions précises ct celles-ci a vaicnt trait
~ une période plus rapprochée, celle justement dont
1 amoureux dédaigné n'avait pas cu sa part.
'cst drôlc, avait-clic dit un jour, parfois, en
!crmant les yeux, je revois de choses, des tableaux
InComplets. Tenez, celui-ci, d'une chambre très misér~ble
el où il faisait froid. Je revois un lit.
EtaIt-ce ma mère qui était couchée dans ce lit?
POurtant nous n'avion pas toujours demeuré dans
cette maison. Plus loin encore, je retrouve un beau
salon, des lumières, maman en robe décolletée cL ..
Un homme ... Mais il me scmble que cel homme ne
�s,~
LE MAL QUE Fl'r UNE FEMME
vous ressemblait pas. Il était méchant. Maman pleurait souvent quand il était auprès d'ell e. J e me
rappelle même - c'est singulie r - le son de sa voix
qui prononce une phrase: « Qu'on emporte cette
petite, elle est assommante. » Dites, est-ce de moi
que ce vilain homme parlait?
- Je ne sais, peu.t-être. Tout cela s'est passé durant la guerre. J'étais au front, puis, grièvement
blessé, à l'hôpital.
- iI-Iais qui était ce monsieur?
- Un parent de ta mè r e, naturellement.
- Pourquoi n'a-t-il jamais demandé à me revoir,
à me visiter quand j'étais au couvent?
- Parce qu'il était parti pour l'étranger, je crois.
- Vou ne l'avez jamais revu?
- Jamais. Je le l'ai dit, cet homme n'était pas de
ma famille.
Rêvcl1s , Christiane n'avait pas questionné davantag-e. Elle s'étonnait elle-même de ce travail lent
qu'accomplissait son esprit; mai, ce soir de simoun,
elle fut privé de son habituelle causerie. Au lieu
de se faire en'ir le café auprès du petit bassin que
la jeun fille s'était amusée à peupler de toute une
trOllp de pois ons aux diverses coul urs, le capitaine :wala rapidement sa la s , puis il se leva, boucla son clintl1ron et s'apprêta à sortir.
VOIl allez vous promener, père? Oh! emmenez-moI! L vent a presque cessé.
T't:I1I111CI1 'r? Impossible: je vais à la caserne
faire 1111 coms du soir ft mes tirailleurs. Je ne pense
pa ' que Cl: programme sail pour te séduire. Et puis
jl! rcntrenu tard. Je dois insp cter les chambrées.
La jeune fille fit la moue. Elle accompagna J'officier jusqu'au seuil. Un crépuscule rouge et violet,
d'une indicible plendcur, incendiait Je fond de la
fUC, tandis qu'au-dessus des toits plats le ciel semblait un tcndre vélum de soie jaune et verte où
couraiul( de petits nuages, par troupes espacées, des
pl lits nua"
ro~es
et mauves comme des pétales
�LE MAL QUE }II'!' UNE; }lEMME
55
d iris et d'azalées que l'on aurait effeuillés sous les
pieds de quelque déesse.
Un instant, Christiane demeura dans l'ombre du
porche, regardant s'éloigner la svelte silhouette de
l'officier ; puis, à regret, elle rentra dans la demeure
Où l'ombre s'était faite complètement. Seules, au
milieu du patio, la blancheur du bassin et les corolles des fleurs tranchaient sur le noir des feuillages et le gris sombre des murailles. A l'intérieur
de l'habitation, une lumière brillait à travers un
rideau de perles, indiquant que la jeune Arabe était
en train de remettre en ordre la pièce où l'on avait
dîné.
C'était la première fois depuis son arrivée à
Colomb-Béchar que Christiane se trouvait seule
dans le silence de cette maison dont elle ne connaissait pas encore tous les recoins. Il lui sembla qu'un
sentiment dc malai e pesait sur elle. Peut-êtrc venait-il de la ehaleur qui s'était accumulée entre les
:nurs et rendait, ce soir-là, l'atmosphère des pièces
Ir.~spiable,
cependant qu'un air Irai s parcourait la
"l~.
Avec la spontanéité qui était le trait dominant de
Son caractère, Christiane appela Aïs a.
- Vite, lui dit-clic, achève tes rangements. ous
allons sortir.
orlir! fit la servante, stupéfaite.
- Dien sltr. Nous ne sommes pas des r~cluse
et
personnc 11 nous ma,ngera dans les ru es. Nous irons
hors de la villl!, verS la Palmcraie. Il doit y faire
bon déltcicuscl11cnt. h! nous rcntreron s avant qu'il
fasse complètement noir.
- La nuit tombc vitc, objccta Aïssa .
. - Eh bienl raison de plus pour te dépêcher 1
rcponclll Christiane qui tenait à sa pr menacl~.
J.?ix minutes après ellcs se glissaient hors cie la
m aIson sikncieusc. !I1ercédès ran ycait san' doute
S('~
Ic;tensil~
ou bien élab rait le menll ch Irncle-
�56
LE MAL QUE FIT UNE FEMME
main et Mohamed avait regagné le quartier.
Dans les rues, où brillaient quelques boutiques,
les deux promeneuses passaient complètement inaperçues. Mieux que Milo de Brézières, Aïssa connaissait la ville ct pouvait la guider. Au loin, obsQ..
dants ct monotones, des chants arabes - une longue
phrase en mineur se déroulant sur un 11)ode plaintif
parmi des variations qui aboutissaient au même
leitmotiv scandé par le battement des tam-tams s'élevaient du quartier indigène et, dans un'e guinguette, un accordéon es ouffié déroulait une java
que des voix éraillées et discordantes reprenaient en
chœur. Des disques, ou bien un poste de T. S. F.,
offensaient la chaude nuit orientale de leurs rappels
des derniers succès ou des opéras en renom; tout
cela faisait une harmonie barbare ct discordante où
la Prière da la Tosca paraissait venir d'un bal musette, où la java prenait la cadence d'une danse de
Fathmas.
Au sortir des lumières qui commen aient à s'allumer dans les rucs aux façades aveugles, 1 grand
souffie de l'Atlas rafraîchissait l'espace. Des palmiers dressaient leurs troncs qui, dans l'ombre,
avaient l'air de gros serpents verticaux au corps
Vt:tll de monstrueuses écaille. Certains, à demi déracinés par une rafale, s'inclinàient vers un pâl
miroir d'cau.
'hristiane parut ravie de c t aspect d'oasis qui la
t ral~poti
en imagination plus loin encore, vers ce
Sud dont elle avait déjà entendu raconter les légendes. Elle ne regrett"it pas la longue marche, les
dangers de mauvai' g rencontres dont Aissa l'avait
entretenue tout le long du ch min.
Le ciel, au-dessus des palmes nettement èécoupécs, avait l'éclat d'une perle noire. Peu à peu, des
étoJ! '5 s'y allumaient. Pour la première fois, audl. sus de l'horizon sans limites, Christiane aperçut
la Croix du Sud dont les astres éclipsaient tous les
autres,
�LE MAL Qm: FIT UNE FEMME
57
- Que c'est beau 1 s'extasiait-elle, les mains
jOintes dans l'attitude de la prière.
Pourtant, entraînée par la petite Arabe qui, ne
partageant pas l'émotion artistique de sa maîtresse,
s~ laissait envahir par de puériles terreurs, ChristIane consentit à prendre le chemin du retour.
- C'est dommage! soupirait-elle. J'aurais tant
Voulu trempe r au moins le bout de mes pieds dans
l'oued ...
En imagination, elle suivait le cours d'eau qui
descend des montagne s, fait s'épanouir sur le sol
désertique les ombrages de quelques oasis, puis se
perd dans le sable brûlant où l'on ne trouve plus
trace <le son passage.
Un peu lasses, elles regagnèrent la viII. Comme
elles passaient devant le jardin public dOllt le
grilles, à cette heure, étaient closes, MilO de Drézières, avisant un banc, voulut s'y asseoir. D hout
d~"ant
clIc, la servante arabe secouait la tete d'un
aIr de réprobation :
- 1IIademoiselle, il faut rentrer; le capitiline de
13 r ézières ne sera pas content si nou s ne sommes
pas de retour .
. Dans l'ombre projetée par les arbres, les GLUX
J ~unc:s
filles n'avaient point aperçu un homme qui,
rasant la grille ùu jardin, venait dans leur direction.
Cet homme était chaussé d'espacIrillLs et \' "(u du
bourg~
on que les oldats portent à J'intérieur rIe la
eascrn
~. S'il avait [ail jour et qu'Aï sa ait pl1 l'c.·amll1er, elle aurait reconnu en Jui Ull légionnaire, ct
e d ''lail, ajouté à celui que l'homme qui cotl1'ait le
rues ainsi vêtu cl à cette h<:ure tardive Il . pO\lvait
le fa!re CJu'en fraude, aurait pcut-être a 'gTil\'é son
m,alal ~; mais, sans se cloutcr qL1'Ul~
oreille 'trangere fut aussi proche d'clic, Aï sa, se faisant plus
Pressante, ajouta :
absolument arriver à la mlisoll avant
1 - I~ f~ut
b~
capItaIne. Ven cz, mademoiselle Chrislinnc, ou
Icn Aïssa plus jamais ne sortira il \'(:C vons,
�)8
LE MAL QUE FIT UNE FEMME
L'homme était maintenant presque à la hauteur
du banc; il marchait, indifférent, sans prêter attention au groupe confus des deux femmes, l'une
assise, l'autre debout.
Brusquement, il se rejeta en arrière, se collant
pre CJue au tronc d'un arbre qui le dissimula complètement, mais, en f.aisant :e geste, i~ étouffa une
exclamation de surprise, un Juron plutot.
Ch ristiane s'était levée. Elle avait saisi le bras
d'Aïs a; toutes deux allaient passer devant le légionnaire, qu.and un pas ferme martelant le sol
annonça l'arrivée d'un promeneur attardé.
- ,a, officier, j'en suis slÎre. J'entends sonner les
éperons. Bien sûr, le capitaine de Brézières il va
nous trouver ici.
.
- Mais non, sotte, mon père ne porte pas d'éperons ce soir. J'en suis sûre et certaine!
Elle eut un petit éclat de rire pour rail1er la
pusillanimité de l'Algér!enne et, bravement, se mit
à marcher d'un pas rapide, sans se soucier de cclui
qui avançait dans la même direction. Elles avaient
ohllqué afin de suivre la chaus ée plutôt que le trottoir sombre: de cette façon elles ne passèrent point
d(;v<lllt celui qui n'avait perdu ni un mot des dernl(::res phrases, ni un des gestes faits par Milo de
Brézièr(;s.
Pourtant, derrière clics, les pas se faisaient plus
hât i [s, la promcnade dégénérait en poursuite et,
brusqucmcnt, Christiane s' 'ntendiL appeler:
- l\Iadl:ll10i 'elle de Brézièrcs, je ne me trompe
pas, c' 'st VOl~?
Quelle hcurcuse fortune t
Christiane s'arrêta brusquement, la respiration
coupéc, incapable de répondre même par un signe
dl' t ~te
à celui qui, maintenant, était à son côté.
André? Etait-il possible qu'une telle rcncontre ait
eul lieu au si simplement? Ainsi, le miracle que
toul à l'he~r,
sous l'ombrage des hautcs palmes qui
se balançaient comme des éventails géants au-dessus
de ~a tête, tandis que ses yeux éblouis fixaient les
�LI': MAL QUE Fl'l' U
E FJ:;:l.IlIn;
59
constellations, elle avait demandé d'un CŒur si ferYLnt au Créateur de toutes ces merveilles, Dieu en
avait permis l'accomplissement.
« Mon Dieu, avait-elle murmuré en son for intérieur, faites que je le revoie bientôt s'il doit m'aimer
comme je J'aime. »
Et voici qu'il était là, devant ses yeux, presque
aussi troublé qu'clic-même ct serrant entre ses
mains Jes doigts fragiles dont il per evait le doux
tremblement.
e pouvait-elle voir dans cette rencontre la répon e que la Providence faisait à son
souhait? André était auprès d'elle, et il )'aim;tit.
Sans qu'elle lui en eùt accordé l'autorisation, qu'il
n'avait d'ailleurs pas sollicitée, comme s'ilitt iait
la chose la plus naturelle du monde, Flassigny cheminait à côté de la jeune fille.
Il lui expliquait cummcnt il était arriyé l · oir
même et n'avait pas encorc cu le plaisir de rencontrer le capitaine qu'il avait vainement cherché au
mess ct au café fréqucnté par les officiers.
- Dtmain, je serai venu vous pr~sent
mcs
hommages, affirma-t-il, mais combicn je préièrc
ccttl n:ncontre en pleine nuit!
- Oui, fit-elle très graVL. C'est la Croi.· du Sud
qui en est cause.
Et elh.: lui racollt,l le désir qu'elle avait cu, en
l'abs~nc
de 5011 père, de re pirer l'air de la camPagne, d'admirer Je ' largLs e paces, hors dcs Illurs
d" la ville, d lc cid, autrement que de la terra se
d~
sa mai on.
.
Tb étaient si absorbés en cl1.'-mêmcs qu'ils ne
S'aperçurent pas qu'un êtr se g-lissait, à pas l11uets,
dilns l'ombre dl.:5 maison, suivant le mêmc traj t
qu'ils acol1pis~Int
si joyeusement ct ne ptrtlant
pa des yeux leur couple harmonieux.
, Ils arrivèrent ainsi jusqu'au logis d'où les jeunes
Imprudcntes étaient parti 's, au moins dcux heures
auparavant.
Longtemps encore ils d mcurèrcnt, n'ayant III
�Go
Lt MAL Qut FIT UNE FEMME
l'un ni l'autre le courage de faire le geste qui les
aurait séparés. Tout était si calme, si pur autour
d'eux! Les orangers et les lauriers-roses versaient,
comme des cassolettes, leurs effluves embaumés.
Entre les murailles épaisses une ombre profonde et
veloutée tombait et une exquise fraîcheur faisait
oublier la journée accablante.
La première, Christiane eut consciepce de l'heure
qui passait.
- Il faut nous séparer, soupira-t-elle.
Et comme André protestait, elle ajouta;
- Pas pour longtemps, Demain, vous viendrez
voir mon père.
- Oui, certes!
Puis, un peu inquiet, il demanda ;
- Lu.Î raconterez-vous notre rencontre?
- Oh ! certes 1 Je ne menti rai jamais à mon père.
Il est si bon pour moi et c'est si laid de mentir!
Il se pencha vers elle. Il aurait voulu lire, au
fond des grands yeux qui, eux non plus, ne savaient
pas dis imuler, les prémices de son bonheur, mais la
nuit était trop profonde. Entre la double rangée des
cil recourbés, il n'apercevait qu'un scintillement,
celui qu'aH umaient les étoiles du ciel au fond des
petit miroirs vivants dont on ne distinguait pas la
couleur.
Soudain, quelque chose roula, non loin d'eux. On
aurait dit une pierre jetée avec violence et qui, sur
les pavés de la chaussée, fit plusieurs ricochets
avant de perdre l'impulsion donné.
L'officier sc retourna brusquement. Il alla même
jl'squ'it l'endroit où une maison, mal alignée, paraissait boucher l'horizon. Ne voyant personne, il revint
vers 'hri tiane, tandis que Aissa, épouvantée, s'empressaIt d'ouvrir la porte au lourd battant derrière
Il'qUel clIc et sa jeune maîtresse seraient cn sécurité.
Seul', hristiane ne paraissait nullement émue.
- Je n'ai rien vu, affirma le lieutenant. Pourtant,
�LE MAL QUE FIT UNE FEMME
61
j'aurais juré que cette pierre nOll était destinée.
- Quell e folie! Qui peut nous vouloir du mal?
Ce caillou se era détaché d'un mur.
- C'est bien possible. En tout cas, rentrez. Et
faites de beaux rêves. A demain.
- Si je croyais que vous courez le moindre danger, je ne vous quitterais pas, André.
- Je ne cours aucun danger. A demain.
Il n'osa l'attirer sur sa poitrine et pose r ses lèvres
SUr le beau front dont il connais ait la pureté; mais
il retint longuement ses doigts et les appuya sur sa
bouche.
Un peu con fuse, la jeune fille se dégagea. Elle
rejoi gnit Aïssa qui, patiente et résiO'néc, l'attendait
sous la yoltte, mais elle s'arrêta encore ct, livrant,
sans coquetterie et sans ruse, le heau cerN de sa
tcndresse fervente, elle répéta une fois encore:
- A demain, André.
Et lui, enhardi par la certitude d'av ir éveillé ce
cœur ingénu, il répondit d'un e voix qlle la passion
rendait tremblante:
- A demain, ma bien-aimée.
Et, durant toute la nuit, la voix chaleureuse, la
voix de celui qu'clic nommait déjà, au ront! d'clle111 ;me, son fiancé, ré onna aux oreilles de la jeune
fille, rép~taJ1
les même' mot s pkins de splendides
... »
promesses: «Demain, ma bicl1-a\~e
�62
I.E MAL QUE FIT U NE FEMME
VI
LA RÉVÉLATION
André vcnait de termincr lcs quclqucs phrases très
nettt:s, rès dircctes, dont la sincé rité ne pouvait
ans sc rendre compte
êl re mise (;n qucstion.
COllll11e poussé par lc scntllnent profond CJui le sou~
levait au-dcssus de lui-même, il s'était levé ct se
trouvait maintenant deboul devant le IJtlf(;au sur
h:quc1 Ic capitainl.: de Th'bières s'accoudait.
La ,"oix chalcureuse du j CUlle ollici r vibrait encore aux oreilles dc Gcor"cs ct, malgré J'cffort qu'i l
Cc dernier ne parvenait
faisait pour sc r~pCl1de,
pas à réaliser la demande, pourtant pr'·vue par lui111(111C ct depuis de IOl1 CY s jours attendue, qu'André
venait dl.: lui Îaire,
Des Illuts bourdnai~lt
dans sa tête cl il s'étonior intérieur du désarroi où cette détcrllail ('Il ~on
m Ildtlon lc plOIlg'!.:<lIt.
Cc mariage de sa pupille avec l'un cie ses camar;ldl , Ile J'a\'ait-il pas supposé, souhaité même, dans
r 'lt \ dll: alg ;ricllllc où l'occasion se pd,enterait à
la Jllllle fille dc pl.tire ct cie fain.! lin choix <Ille lu i,
SC.lI père ado)lli r, approuverait d'avance? 't:rtcs, il
n'avait jla .ong'é quc 1 s choses pussent ôtl'C a ussi
rapides. Son vœu était de 'inder aup rès de lui sa
]lroll' 'ée, au moin jusqu'à sa majorité où ccrtaincs
p~nihk
iorl11alit "S pourraient être évitées,
II sng~'ait
à tout cda, en proic ;l unc sorte de
101']h:ur qui ohnubilait SOli sprit, landi' Clu 1 lieut na))t, impatient, cherchait ft li r!.: sur le bcau visage
cl sn)) ch f la décision dont, au mome nt où il avait
�LI:; MAL QUI:; FIT UNB FCJ\!~Œ
63
pénétré dans son bureau, il ne doutait pas qu'elIe
fût favorable.
Surpris par ce silence, André insi ta :
- Mon capitaine, je conçois votre surprise, pourtant il m'avait semblé que vous vous doutiez un peu
du sentiment qui m'attirait vers MademoiselIe votre
fille. Peut-être aurais-je dû vous parler avant de le
lui laisser comprendre. Mais tout cela s'est fait si
spontanément. C'était entre nous comme une sorte
de courant irrésistible qui nous emportait t'un vers
l'autre ct, si vous me la refusiez, nous serions, tous
les deux, très malheureux.
Georges de Brézières eut un geste de la main qui
balaya les volutes de fumée que sa cigarette répandait autour de lui. Ce mouvement eut san doute le
pou voir de dissiper le charme, car, levant son regard d'un gris lumineux sur le jeune homme, il
parla d'une voix lente, presque en cherchant chaque
mot pour bien peser, avant de le prononcer, le sens
exact qu'il pouvait posséder.
- Lieutenant, votre demande m'honore ... Je ne
saurais désirer pour Christiane un mari en lequel je
pui~se
mieux mellre ma confiance. Depuis dut. , ans
que vous servez, en quelque sorte, sous mes ordre ',
j'ai [lU vous apprécier, juger votre caractère, votre
loyauté; j'augure cc que sera votre avenir. Ccci dit
afin qu'il n'y ait ntre nous aucune équiv que.
Christiane vous aime, dites-vous? Tout en regrettant qu'elle n'ait pas u assez confiance en moi pour
111e faire, dès qu'il s'est ' éveillé en elle, la confidence
cl, ce sentiment, j n'ai point l'intention de vou en
tenir rigueur à tous deux. Mais en acceptant, en
Principe, l'idée de ce mariage je doi' vous demander
d'en remellre à deux ou trois ans l'accompl iSt'nll!nt.
- Mon eapilain !
- Laissez-moi ach ver. Celle en fant est bien
jcune : dix-huit an '. 11 ya un mois elle était encore
pcnsionnaire. Elle ne sait rien de la vic. La voyez'VOltS assumant si prématurément un rôle de mai-
�64
LE MAL QUE FIT UNE FEMM;:
tresse de maison, peut-être de mère de famille? Une
femme d'officier doit être prête à consentir tous les
sacrifices, Qu'une guerre éclate .. , t vous savez,
lieutenant, que notre corps, en dehors de tout conflit
européen, est sans cesse en butte à des attaques, à
des rébellions que le cheiks dissidents fomentent
encore et qui exiO'ent des sacrifice. Le Maroc est
un crcu et où bouillonnent sans cesse des passions
qui ne sont pas toujours l'élan d'un peuple vers son
autonomie perdue. ous avons des ennemis, qui ne
sont pas tous de Arabes. Qu'il nous faille partir
vers le combat, vers l'inconnu, laisseriez-vous sans
regrLts et san craintes une épouse de dix-huit
ans ?.. ,
- Vous l'avez dit, mon eapitaine, tel est le sort
d'une femme de soldat, Christiane le connaît et
l'accepte. Est-ce VOLIS, mon chef, vous qui aimez
l'armée jusqu'à la pas. ion, qui vous arrêterez à
celte misérable objection? Faut-il que je croie que
vo 15 avez rêvé pOUf votre fille un autre de~tin?
Un mariage dans un milieu plus brillant, plus
calme?
Ton, certes. Je ne retire rien de ce qU(; j'ai dit
li<;utenant. Je vous demande seulement d'attendre:
Dans trois an Christiane sera majeure.
- Donc) vous nous rclusez votre consenLment ?...
- l'as le moins du monde, Un retard n'cst pas
un refus,
- llais qUe deviendrai-je, que dc;viendrons-nous
durant eLS 1011!is mois d'épreuve? Car c'est bien unc
épreuve, J1'cst"ce pas?
- Vous vous connaÎtrcz mieux et éprouverez,
t~I1S
cleu.: , la réalité de votr tendresse. Voyez-vous,
llCl1!eIlant, je connais mieux la vic que VOllS ne la
eonnaÎsslz. 11 croit aimer, quand on a dix-huit ans,
le prt'milr homme CJui murmure il. votre oreille des
mots tcndre~
et pa~
ionné ; malS c'est unI.. illusion
SOU\' 'Ill. La J'une fille en réalité aime ses propres
rêvcs, C'est de l'amou; qu'clic est amour(;u ·c, ct cc
�U: MAL QUE FIT UNE FEMME
65
frêle sentiment, bien souvent, est balayé par
l'absence.
- Oh! mon capitaine, vous cherchez à me torturer. Voulez-vous me faire croire que je me suis
abusé, que celle que j'aime s'est jouée de ma tendresse? Mais alors, cette épreuve que vou exigez
est plus cruelle encore. Je sais, tout le moncle sait,
mon capitaine, que vous faites partie de la prochaine promotion. Vous serez affecté à un autre
régiment. Vous quitterez Colomb-Béchar. Qui me
dit que ce ne sera pas pour la France? Je ne reverrai plus Christiane et vous me laissez supposer
qu'elle m'oubliera, qu'clle sera perdue pour moi!
Des larmes, malgré toute son énergie, montaient
aux yeux du jeune homme, sa gorge s'étranglait _ur
les mots qui, tumultueux, se pressaient sur ses
lèvres.
Malgré lui, Georges cut pitié de c tte pathétique
Souffrance. Il allait céder, quand J'idée affreuse de
l'aveu qu'il allait falloir faire au jeune homme l'an~
cra dans son refus.
- Li utenant, jc vous n prie, Il'insi tez pas.
- Que dois-je dire à votre fille? Elle attend
anxieusement votre r ~ponse.
- N' n ayez souci. Je me charge de ce soin.
- Vous me défendez aussi d la revoir?
on, si vous êtes raisonnable t acceptez, loya~
Iement, la seule condition que je mets à votre ma~
~Iagc,
car, comprenez-moi bien, Flassigny, dès al~
Jourd'hui je vous considère comme le fiancé de
Christiane. Vous avez ma parole t je ne la r tIrerai que si l'un de vous deux me délie de mon
nn 'nl. Troi an, que diable, ce n'est pas la mer
boire! Vous êtes si jeunes, tous les deux! Vous av z
toute la vie devant vous pour vous aimer. Vous
Pouv(:z bien me laisser jouir pendant quelques mOlS
encore du sourire de cette enfant, de sa présence.
- Nous ne vous aurions pas quitté mon capitaine.
�66
LÉ MAL QUE FIT UNE FÉ~
- Tant que le ministre, par une décision irrévocable, ne nous aurait pas envoyés, chacun de notre
côté, dans un corps différent.
- C'est justement ce que je redoute au cours des
trois années qui nous séparent de la majorité de
M Il. de Brézières.
- Bah! vous permuterez et je vous promets
d'appuyer votre demande de toul mon pouvoir.
Mal convaincu, le jeune homme demeurait deb ut, l'air indécis et désemparé. Ce fut le capitaine
qui vint à lui et, lui frappant cordialement sur
J'épaule:
- Allons, ne m'en veuillez pas, mon ami, c'est
pour votre bien que j'agis ainsi, c'est votre bonheur
à tous deux que j'assure.
Il serra dans les siennes les mains dl: l'offici er.
Sans un mot, André fit le salut militairrt et quitta
rapidement le bureau où son supérieur venait de lui
accorder ce décevant entretien.
Quand le lieutenant Flassigny se r etrouva sur la
place, dont le blanc CJuadrilatère, à peine atténué
par J'ombre avare des palmi rs, réverbérait toute la
lumière du jour radieux, il lui sembla que cet
ébloui sement offensait son regard. 11 lui aurait
paru moins pénible de se retrou\' r parmi J'ombre et
la pluie que SOLIS ce ciel splendide, dans l'épanouissrment d'une nature en plein paroxysme de couleurs
Cl de parfums. Comme un fou, il traversa le large
e pace où la chaleur régnail en souveraine maîtresse, n'entendit pas l'appel parti de la terrasse
d'un café qu'abritait un e tente de toile rayée de
rouge el de blanc et se lança à toute allure clans une
rue que des platanes ombrag aient un peu.
Sans se rendre compte du trajet qu'il venait de
pa l'courir, ni qu'à cette heure son service aurait dû
l'app!.'ler à la caserne des tirailleurs, il e trouva
d~val1t.
la résiden ce du colonel. Il savait de quelle
bl ·nvelllance Emilienne Darboi ses faisait preuve
envers la fille du capitaine de Brézières. Il éprou-
�vait à ce moment l'irrésistible désir de s'épancher,
de conter sa désillusion, d'étaler sa souffrance de·
vant une âme compati sante. Sans réfléchir que ses
relations avec la femme du colonel ne lui permet'
laient pas de se présenter en dehors de son jour, ii
sonna i ct quand une servante indigène lui eut ou·
vert la porte, il _'ava'nça vers le salon où, habituel·
lement, la colonelle se tenait, sans même souger à
dire . on nom ni à se faire annoncer par la domestique qui, supposant sans doute que le jeune officier
était attendu, loin de s'opposer à sa brusque irrup-lion, referma discrètement la porte derrière lui.
Quand il pénétra dans la pièce obscure et fraîche,
Sc yeux, blessés par l'orgie de lumière dont il sortait, ne distinguèrent rien. Interdit ct à demi-con.cient de son audace, il venait de s'arrêter au Il1llieu
clu -.a lon quand dLux exclamation le saluèrent.
- Le li lItenant Flassigny 1
- André!
Da11s celte lkrnière il avait reconnu la voix de
'h ristiane qui j etait on nom avec autant d étonnetnent que de crainte.
'l'out de suite, eUe fut à côté de lui. Il ne di tinguait pas encore straits; seulement la matité de
la chair ct le scintillement du regard anxieusement
fixé sur lui.
- André, que s'est-il passé?
Avec un complet oubli des règles élémentaires de
la politesse, dans l'ignorance du lieu où il se trouVaIt ct de la présence de Mm. Darboi ses, le lieutenant jeta, sans précautions ni ménagements, la
<l(-plorabl nouvelle:
- Votre père J11e repousse, Christiane. 11 exige
que notre mariaRe n'ait lieu qu'à votre majorité.
La P lite sc laissa tOJ11ber sur une chaise, boulev<:rsée el prête aux larmes.
- Il vous repousse, répéta-t-elle douloureusell1ent, n'ayant prêté attention qu'à la première partIe
de la phrase.
�68
Le MAL Que FIT UNE FtM~
Moins émue naturellement et gardant, avec son
sang-froid, son pouvoir de raisonner, Emilienne intervint judicieusement:
- Pardon, mes enfants. Il me semble, si j'ai bien
entendu et bien compris ce qu'a dit le lieutenant,
qu'il y a incompatibilité complète entre les deux
nouvelles qu'il vient de nous apprendre. Lieutenant,
si votre demande était refusée il ne serait pas question d'un mariage, même à une échéance qui vous
paraît aussi lointaine. Allons, asseyez-vous, lieutenant, et contez-nous la chose dans tous ses détails,
à moins quc vous ne jugiez opportun, auparavant,
de saluer cette charmante enfant et de me faire
agréer vos hommages.
Confus, le jeune homme s'inclina et baisa respectueusement la main que Mm. Darboises lui tendait
en souriant.
Installé entre les deux femmes il s'efforça de
satisfaire la curiosité de la colonelle et de retracer,
point par point, son entrevue avec le capitaine de
Brézières.
Les grands yeux de Christiane demeuraient levés
vers lu i. 1 ans la pénombre du petit salon, leur
teinte changeante avait pris, sous la buée cie larmes
qui le faisait plus brillants, les reAets pro fonds
d'un saphir presque noir. Ils étaient d'une telle
beauté que le jeune homme aurait voulu pouvoir les
fermer sous ses baisers et sécher doucement les précieuses lannes qui, parfois, roulaient sur la joue que
}'émoti 11 avait pâlie.
Quand le récit Iut achevé, la co10nelle coupa le
silence const orné que gardaient les deux jeunes
gens d'un petit rire de bonne humeur:
- En vérité, mon lieutenant, voilà Loutle drame 1
Comment, vous êtes à l'âge heureux où, Lous deux,
en addiLionnant vos années, n'obtenez même pas le
demi-siècle el vou voilà elIondrés parce qu'on ne
vous conduit pas, sur l'heure, à la mairie eL à
l'èglise? Mais, ma parole, il n'y a plus d'en fants, ...
�Lt MAL QUE FIT UNE FEM1IiE
comme 'dirait la vieil1e Rose qui m'a élevée et conSe rve dans ma maison ses fonctions de cordon-bleu.
D'abord, lieutenant, je vous prie de montrer plus de
vaillance. Vous ne voyez pas que vous désolez cette
enfant? Trois ans, qu'est-ce que cela pour deux
êtres qui s'aiment? Et vous vous aimez, vous en
êtes sûrs, très sûrs?
Sur un acquiescement des fiancés, qui, pour être
mu et, n'en fut pas moins éloquent, la colonelle poursuivit:
- Alors, que risquez-volis? La sépa ration? Faut-il
vous promettre que mon mari s'emploiera à vous
l'éviter? Qui sait? Le commandant du Chareau
pense à rentrer en France, ses accès de fièvre lui en
donnent le sage consei l. Dans ce cas, il serait peutêtre possible qu votre père, ma chérie, nous re te.
Vou s savez que je le désire tout autant que notre
bouillant amoureux. Eh bi en 1 dois-je vous dire le
fond de ma pen sée? J e trouve cette résolution parfaite. II n'est pas de plus douce période que celle où
l'on espère et où l'on tremble un peu,. Tenez, le
colonel et moi, nous nous sommes mariés en un minimum de temps. C'était avant la guer re. Votre
ch ef, lieutenant, n p rtait su r sa manche que deux
galons, tout C0111111e vous. Nous nous étions rencontrés, par hasard, dans un château des Ardenn cs où
le lieutenant de chasseurs avait été invité. Nous
dînâmes à côté l'un de l'autre, nous dansâmes,
l1alses et lanciers, naturellement. Le soir, je ne
rêvai que de lui el, paraît-il, j'occupai ég-alcmcnt
sa pensée. Que vous dirais-je: ce bon Charles fit
tant et si bi en qu'il obtint ma main et que notre
mariage fut bâclé en quelques semaines. Hélas!
malgré que j'aie été parfaitement heureuse et le sois
toujours, ces fiançailles qui passèrent vertigineu sement m'ont laissé un sentiment de regret.
Il me semble que j'ai été frustée de quelquc
chose, de tous ces riens charmants qui précèdent
l'aveu, de cette cour discrète et tendrc où l'on
�70,
LE MAL QUE FIT
UN~
FEMM;,;
n'ose encore se déclarer. Et si c'était à refaire, mon
beau lieutenant aurait pu soupirer durant une .
année ou deux. Oui, je sens que je serais maintenant inflexible!
La charmante femme riait de toutes ses dents qui
étaient encore éclatantes.
Sa bonne humeur ramena un peu de sérénité sur
les deux fronts orageux. La première, Christiane,
rompant le mutisme boudeur, questionna:
- Quand vous vous êtes mariée, Madame, quel
âge aviez-vous donc?
- Curieuse! la voilà qui me demande tous mes
secrets! Quand je vous aurai dit que j'étais presque
une vieille fille: vingt-deux ans! cela vous expliquera peut-être ma hâte à ne point vieillir davantage. Vingt-deux ans en 19IO. Vous voilà maintenant au courant de mon âge, aussi quand j'affirmerai
(/(;vant vous que je frise à peine la quarantaine, je
vous prie d'être charitables cl de ne point me démentir par un sourire railleur ... C'est juré, lieuttnanl?
Oh! Madame ..., protesta le jeune homme.
1.tai , puisque vous aimez M"· Christiane et la trai1('% comme la plus indulgente des mères, je conserve
un derniLf espoir ...
- Et lequel? e comptez pas sur moi pour vous
aider il J'('nlevLf 1
Ton, mais pour tenter a uprès du capitaine une
démarche Ln notre faveur ... Demandez-lui une réduction de peine. Un an, deux ans à la rigueur,
mais trois cc serait abominable ...
- Ahominable, redit comme un écho la voL prenantc cl Christiane.
- Ecoutez, mes enfants, je vous prom ts de plaider voIre cause comme SI elle élail la mienne, mais,
('11 revanche, jurez-moi de vous conformer bien sagtl1lCl1t à la décision que prendra le p\r de ma pelit
amie. 'royez-moi, je ne connais pas de natur' plus
nobl , d'âmc plus élevée que celles du capitaine
�I.E MAL QUE FIT UNE FEMME
71
de Brézières. S'il persiste, après notre entretien, à
vou s causer cette peine, c'est qu'il a pour le faire
des motifs que vous ignorez, mais qui commandent
impérieusement. Vous me le promettez?
Un peu à reg r et, les deux amoureux donnèrent
leur parole, et tandis que le li eutenant r ep renait le
chemin du quartier où son absence devait commencer à surprendre, malgré leu r fatalisme in do lent, 1 s
tirai lleurs de sa compagnie, M"" Darboises prit la
r ésolution de reconduire chez ell e ,a petite amie et
de tenter sur-le-champ la démarche qu'elle s'était
engagée à faire .
Lorsque les deux femmes, guidées par Aïssa, pénétrèrent dans la pièce olt sc tenait Georges, celui-ci
paraissait absorbé par une si profonde méditation
qu'il n'entendit point le bruit des petit · ta lon so nnant sur la mosaïque, ni le froissement de la portière de grosses perles que Christiane so uleva afin
de {ai re passer la colon ell e. 'e fut la voix cie la
j Htne fille qui le lira de sa torpeur.
- 1 è re, voici la colonelle qui vient me reconduire
ct veut causer quelques instants avec vous.
Georges sc leva brusquement. Sa parfaite rtlucation cI'homme clu monde fit se déclancher les réflexes
habi tuels. Il salua respectueusement la femme de
son ch C, lui ofTrit un fauteuil, puis, ayant actionné
l e petit ventilateur qui, en quelques minute." allait
ehnsser la fumée de tabac ct rafraîchir la pièce, il
demeura silencieux, incapable de demander à Emilienne la cause - qu'il pressentait d'ailleurs - de
sa venue.
- Je vous laisse, père, fit la j eune fille, voyant
qu'une sorte de gêne pesait entre les deux interloCuteurs. Mais, d'avance, je VOliS n suppli e, accord 'z-nOllS ce que M IDO Darboises vient vous deInander.
.
Il ne répondit pas davantage, son regard évitant
la ferveur du pathétique visage. Plus inquiète encore, la j eune fille s'éloigna. Sur elle, la portière
�72
LE MAL
QU~
FIT UNE FEw.Œ
retomba avec un bruit cristallin qui se répercuta
dans le silence de la maison arabe.
Christiane n'eut point le courage de regagner sa
chambre qui était au premier étage. Elle fit lentement le tour du patio, arracha au passage une
feuille luisante au parfum amer à l'un des orangers
dont les fleurs épanouies jonchaient le sol de leurs
pétales neigeux, pui elle s'assit sur le rebord de
marbre de la petite va que. L'eau projetée en l'air
retombait vers le miroir liquidc en répandant une
imperceptible pluie qui rafraîchissait l'air. Elle
ssaya de fix r son att ntion sur les mouvements
agités des poissons, fendant l'eau de leurs nageoircs
dont certaines avaient l'aspect d'une écharpe aux
tens chatoyants; l'animal en enveloppait ses évolutions gracieuses; mais, bientôt, son rcgard sc détourna de ses petits favoris et elle song a à. cllemême, à 011 amour sans lequel la vie lui !:icmhlcrait
déserte ·t indigne d'être vécue. Alors, elle joignit
les main, le\'a vers la coupole d'azur limpide son
front dOllt clic avait rejeté les boucles mordorées,
ct ellc pria, de toute la ferveur de son âme, spérant '
<lue la pUJ sance de son invocation t la sincérité de
sa fOl écarteraient de ses lèvres la coupe d'amertume.
Au loin, nasillarde et modulée, la voix d'un mu~
zin s'élcvait n même temp que le soleil déclinait
vers l'horizon de sable et de maigres végétation!:>.
C'était l'h\:ure apaisante où la p llSOc du 'réal ur
slmble planer sur la nature recueillie dans l'attente
du sOir t du bien fai 'ant sommeil.
Une nouba lointaine annonçait le retour de tirailleurs partis pour une marche, 1 cc rappel d la vie
militaire à laqudl' elle participait un peu raviva le
chagrin de hristian', si bi n que sur ses joues des
J.IIIllCS coulaient sans qu'clle s'cn apcrçùl ct songeât
à 1:11 cffac r la trace.
Le capitaine était demeuré debout devant sa visi.
twsc,
�LE MAL
QU~
FIT UNI'; FEMMJ<:
73
- Vous désirez me parler, Madame? Je crois que
je devine ...
- Vous devinez certainement, capitaine. Il s'agit
de ces deux enfants. Ils s'aiment. Ils veulent bâtir
h.ur nid. Votre résolution les désespère.
Pourtant, ma colonelle, je n'y puis rien
changer.
- Pourquoi?
Posément, car il s'était ressaisi depuis qu'il n'était
plus en présence de celui gui osait préte'ldre accaparer la tendresse de l'enfant, de Brézières expliqua
la délicate situation qui lui avait inspiré cette décision, sévère en apparence, mais sans possibilité
d'appel.
Peut-être était-il dans son tort. Lorsque Eve lui
avait légué le triste devoir de la remplacer, il
n'avait songé qu'à une chose: éviter à la petite, qui,
dans deux ou trois ans, serait en flge de comprendre
ct de souffrir, les blessures et les humiliations. JI
l'avait mportée comme une proie, confiée à un couVent, lequel, étant donnés la situation du père et le
prochain départ au Maroc qu'il annonçait, avait
bien voulu l'accueillir malgré son trop jeune âge.
Ni tuteur, ni conseil de famille n'avaient été désignés, et cet oubli, ce manquement aux règles juridiques avaient servi les projets de l'officier.
Puis hri tiane avait grandi et la situation était
d 'meurée la même. Certes, la condamnation de
M. Anc ny entraînait sa déchéance paternelle, mais
aucun tribunal n'avait statué.
Quelles seraient les fo'r malités à faire si 1110 de
Br \zières-Anceny - ainsi était conçu l'acte de naissance - s mariait avant sa majorité? «Le père? :.
d Jnanderait-on. Et il faudrait répondre; «II est
au bagne. »
Encore mal convaincue par ce poignant plaidoyer,
Emilienne obj cta :
-- Mon cher capitaine, vous saviez toules ces
chOses avant de prendre auprès de vous cette petite.
�ï -+
LE MAL QUE Pl'!' UNE FEMME
re disiez-vous pas que, dans le cas où elle serait
n:cherchée par l'un <:le nos officiers, vous avoueriez
si mplem ent à celui-ci la situation de votre pupille?
- Telle était mon intention, mais la vie rejette
le~
so lutions trop simplistes . J'ai réfléchi depuis. A
vingt et un ans, Christiane sera sa maîtresse.
Voyez-vous que nous précipitions les choses, que le
condamné revienn e et réclame ses droits? On sort
du bagne: il y a la grâce, l'évasi on, que sais-j e ...
- Il Y a surtout la mort. Pou rquoi ne vous in formez-vous pas de ce qu'est devenu cet homme?
- J e l' ai fait. J'ai écrit a u directeur du bagne.
Sa réponse doit me parvenir incessamment.
- Alors rien n'est définitif. Suppo ez qu'il soit
mort? VOllS oppo criez-vous au bonheur de ces
enfants?
Ceorges hé ' ita un instant, pu is il répondit d'une
voix mal assurée:
- Non, certes, cl... cependant...
h! encore une restriction!
- Eg-oïste, je l'avo ue. Une sorte d', ppréhension
me saisit ft l'idée de la douloureuse confession qu'il
va me falloir faire. Ma conduite Ile sera-t-ell e pas
interprétée ddavorablement, et c LLe supercherie ...
- ... Si noble, si généreuse! Non, ne craignez
rien, capitaine, et si vous le voulez, si les mots
semhlent trop amers à votre bouche, cc sera moi qui
parierai.
I,e capitaine, à cetle simple phrase, ut un gesle
SI nerveux qu'un' urne de crista l, p sée à l'angle du
hurcall l olt trempait un e hranche de jasmin cueillit' le matin même par Christiane cl disposée afin
qu'l'n travaillant son père eL'tt sous les yeux ces
petites étoiles emhaumées, se renversa su r la tahlelte de verre. Devant l'inondation, l'officier dut
mettre n sécurité les papiers ct les livres. Ces
ge tes, accomplis presque machinalement, lui donnèrt'nt 1 lemp de reprendre son calme. Lorsqu'il
se rl'trouva face à face avec la colonelle, pas un
�trait de son beau visage ne révélait le combat intérieur qui se livrait entre sa con cience ét cette
crainte presque maladive d'avoir à révéler le secret
d'où dépendait l'avenir de la jeune fille.
Sa voix était assurée el nette quand il répondit -:
- Je vous remercie, Madame, ct je me sen profondément touché de J'affection que vous témoi:,;nez
à ma pupille, mais ne croyez-vous pas que cette confession pénible doive êlre remise à plus tard? En
somme, rien ne pre se. Les nouvelles que j'atknds
décideront de ce qu'il convient de faire. Al ors, ~i je
juge possible d'avancer la dale du mariag'e - et
scule la mort .de Gilbert Anceny permettrait d'CIl\'isager cette évenlualité, - j'aurai recours il votre
sympathi, certainement, et à votre aide. Une
flmme trouve mieux les mots qu'il faut pour
vaincre les pr~jugés,
faire appel au seul Sl:I1t1ment.
- Soit, capitain , attendons. Mais que dirnnsnous à ces enfants? Puis-je leur lais ser un espoir?
- Est-cc bien prudent? ] connais la cOlhtitutiol1
de cet homm e. Il est rohuste. SaIl imtruC'tinn a dû
lui permettre d'obt 'nir Ià-uas un po te l'exemptant
ct s pénibles travaux. Rien ne nous perl11d d'esCompter sa mort.
- N'importe, il faul at~nlcr
la rigueur ri' votre
rdu ,laisser nh;lldn' que, clan un an, 11 ut-être ...
11 c le permettez-vous, capitaine?
Emilienne s' ~tai
h:vée, -Ile t nait l'offic ier ous
la lumièr de ses prunelles couleur de tarnc blond.
- Je m'en rem ets à VOliS, ma colonelle, rl'pondi t
Gcorge~,
plus ému qu'il n'aurait voulu le p;1r,lÎtrc.
Et, s'inclinant sur la bdlc main déganté' que lui
offnit 1\1"'" Darboi scs, il y posa rcspectucu cmcnt
Ses lèvres.
�VII
J!IANÇAILUS
Des jours d'anxiété SUIVIrent. L'air embarrassé,
les restrictions qu'apporta Mmo Darboiscs à
l'annonce que, peut-être, la volonté du capitaine de
Brézières serait vaincue par la constance des deux
amoureux et que le terme qui leur parais sait si lointain pourrait être beaucoup plus proche, avaient
laissé les jeunes gens sous le coup d'une angoisse
dont ils ne s'expliquaient pas la nature. Cela pesait
sur eux, les enveloppait d'une atmosphère trouble.
Le premier, André eut l'impression d'un secret que
1.\ colonelle eonnaissait sans doutc ct, de déduclion
en déduction, il en arriva à penser que ce secret
avait trail à la naissance de Christiane.
Sans chercher à élucider ce que le capitaine ne
jugeait pas bon de lui révéler, il aurait voulu lui
crier: «Ne dites ricn, même s'il y a une ombrc
dans votre passé, dans celui de la femme qui a
donné le jour à ma bien-aimée. D'avance, jc suis
résolu à passer outre. Quelle que soit son origine,
votre fille est à mes yeux le plus pur des trésors. Si
j l! J'avais rencontrée pauvresse, mendiant dans les
rues, je l'aurais élue quand même ct j'en aurais fail
ma fcmme. J e ne brigue pas la fortune. Si Christiane n'a pas de dot, je la prendrai avec plus de
joie encore et partagerai aveC ellc toul ce que je
l>ossède. ~
Sans doute, s'il avait osé parler ce langage à son
capitaine, ce dernier aurait dtÎ s'incline r cl renoncer
�I.~
MAL QUE rIT UNE FEMME
i7 '
à ses scrupules qui le tenaient hésitant au bord de
l'inéluctable aveu; mais, impress ionné par les conseils de la colonelle, il se taisait, pensant qu'Ile
avait peut-être raison et que la résignation, join te
aux larmcs que la pauvre pcti tc amoureuse ne pouvait dissimuler, fléchirait lc pèrc, lequcl, au fOlld,
savait détenir entrc scs main s la vi e ct lc bonhcur
de son enfant.
De son côté, Christiane, après un e cxplication où
Georges s'était efforcé dc la convaincre et cie l'apaiser, avait promis, sinon la résignati on, clu moins
l'obéissance. Il avait été convenu que, durant un
mois, on ne reviendrait pa s sur ce sujet doulourcu ,'.
Au bout de ce laps de temps, le père ferait connaître sa résolution définitivc. En vain avait-ellc
cherché à obtenir au moin s que leurs fi ançail lcs
fussent définitives. Aux doucc s supplicatiun , l'officicr opposait un vi sage boul eversé, mais sur l'que l
Se lisait unc volonté que ricn ne f rait céder.
Et, depuis ce jour-là, dans la hlanchc maison
arabe qu'égayaient le murmure frais du jet d'l:a u et
les toufies éclatantes des lauriers-roses en Oeurs, la
jeune fill e menait un e existence monotone ct désenchantée. C'est à pcine si elle avait le goût de varluei
à ses occupations dc jeunc maÎtrcsse de mai 'o n, clc
s'habiller afin de sc rendre aux réception s auxqucllcs
c1le était conviée. Même la certitude dc rcncontrer
André dans les salons de femmcs d'officiers qui lui
étaient ouvcrts lui devena it plus un chagrin qu'une
jOic, à cause dc la contrainte que tous deux devaicnt
s'imposer. Cepcndant lèu r cher sec ret n'était pas
demeuré hermétique. Les femmes ont généraleme nt,
Pour les choses d l'amou r, une sorte de sixième
sens qui leur fait dcviner quand un scntimcnt puissant s'éveille enlrc dcux êtrcs. Le triste visag de
la petite dc Brézières, l'air sombre et la ner\'osité du
beau licutenant, tout était indice d'un pencllant contrarié, 'l, quand clics se trouvaient seu les, les amies
de 'hristiane - depuis la jcune femme du lieute-
�78
U: MAL QUE FIT UNE FEMME
nant Dumesni l, le seul officie r marié parmi ceux
du 2' Tirailleurs, jusqu'aux trois filles du commandant Hautelier, du bureau arabe, sans compter
quelques dames de moindre importance, épouses de
majors et d'officiers d'administration - ne se faisaient point faute de commenter la situation et de
se demander pourquoi le capitaine de Brézières se
rciusait à unir un couple aussi charmant. Si bien
que les amours contrariées de ce nouveau Roméo
et de sa ravissante Juliette finis aient par défrayer
les hypothèses de toute la société qui mène, entre
les murs blanc de la cité saharienne, une vie où
l'ennui sévit généralement.
Parmi le régiment du 1er Etranger qui se trouvait
caserné à Colomb-Béchar, il était un homme qui,
par hasard sans doute, avait entendu raconter
la touchante hi toire et paraissait porter aux jeul\;s
gens un mtérêt tout particulier, car il ne se taisait
pas faute de questionner ceux qui étaient susceptibles de lui fournir quelques renseignements nouveaux; parmi ces personnages se trouvait justemellt
te tIrailleur Moharned.
Jaeques Micha ';1, tels étaient les prénoms sous
lesquels cet homme s'était, cinq ans auparavant, ellgag-é à la Légion où on ne lui en avait pas demandé
davantage. Un Français, évidemment, bien qu'il se
se))t donné pour 1I1exicain, mais, des J<:spag"llo1 , légionnaires comme lui, affirmant qu'il parlait à peine
la langue de ce pays, scs ch fs supposaient que,
déserteur pendant la gucrr et, peut- ~trL,
réfugié au
Mexique, Jacques Michaël voulait expier sa faute et
c't'st pourquoi il était venu échouer à Sidi bel-Ahbès
d'abord, ensuite dans l'Extrêm -Sud. Sa conduite
'xemplaire lui avait valu les galons de caporal, ]luis
de sergent. Bientôt, l'heure de la libération allait
.onner pour lui, mais cc n'était un myst 're ]Jour
pasonnc que le sergent Michaël ne quitterait pas la
Lel·pon.
quelque temps il menait d'ailleurs une vie
D pu~
�LE MAL QUE 1"1'1' UNE FEMME
79
exempte de corvées. S'étant révélé excellent pilote
et très bon mécanicien, il était affecté au camp
d'aviation et faisait des vols d'essai avec son lieutenant. Les loi sirs que lui laissaient ses nouvelles
fonctions, Jacques Michaël les passait à établir des
épures, à faire des calculs. Il croyait avoir découvert un intéressant dispositif propre à réduire le
nombre de chutes mortelles qui découlent du mau~ais
fonctionnement des parachutes au momcnt où
11n accident brutal force l'aviatcur à se jetcr par6essus bord. Seuls, le manque d'argent et l'indifférence des bureaux auxquels le lieutenant Sauvdgcr
avait soumis l'invention de son subordonné en
l'appuyant de tout son pouvoir, empêchaier:t la réalisation d'un appareil en lequel l'invcnteur avait une
telle confianee qu'il offrait de l'expérimenter le
premier.
Malgré que le légionnaire jouît, comme on le voit,
a'une situation exceptionnelle, il ne se montrait pas
ner avec ses camarades et ne dédaignait point, le
cas échéant, de trinquer avec Ull simple tirailleur
comme Mohamcd. Les deux hommcs se rencontraient souvent dans un petit café arabe, un de ces
cafés étroits et sombres dont une banquette d cuir
longe le mur, Oanquée de petites tables où l'on sert
le thé à la menthe et un café noir et épais dans de
ll1inuscules tasses de porcelaine dorée.
Entre Michaël et Mohamed la conversation
n'était ni très animée ni très suivie. A l'aide des
quelqucs mots arabes que ses cinq ans de Légion lui
avaient appris, le sergent posait à l'ordonnance des
questions, toujours les mêmes, sur son capitaine et
la fille d ' ce dernier.
Le tirailleur répondait de façon assez laconique.
11 s'ét ndait davantage sur les griefs qu'il prétcn\lait avoi r contre Aïssa, sa compatriote.
- Crois-tu, sergent, disait-il en roulant ses yeux
pareils à des boules d'agate striées de veinules
rouges où les prunelles ressemblaient à un gros clou
�80
I.E MAI. QUE FIT UNE FEMME
de jais, cette fiUe, y a pas bon. M~intea,
mettre
sur sa face farine blanche, puis rouge et noir,
comme les roumias. Allah lui envoie so n tonnerre
et la rôtisse toute vivante! I/lch Allah! se hâtait-il
d'ajouter à ses imprécations avec un air de profonde dévotion.
Et la jeune fille blanche? questionnait le
scrgent.
- Fille à mon capitaine? Oh 1 Y a bon pour
Mohamed. Jamai!! crier, jamais gronder. Toujours
bien triste. Pleure.
- Et pourquoi pleure-trelle?
- Parce que papa refuser mari à elle.
- Sai -tu la cause de ce refus?
- Non, !llohamed pas avoir. Peut-être lieutenant pas donner a sez moutons pour acheter la mamoizelle. Très jolie mamoizc1lc; vaut beaucoup
moutons, peut-être même bœuf ou méhari ...
Ayant ainsi tranché, selon sa psychologie atavique, le conflit qui attristait ses maîtres, r-.lohamed,
l'esprit paisible, se séparait de son nouvel ami, mais,
s'il avait été doué du don d'observer ct de déduire,
il se serait rendu compte que bien souvent Michaël
rôdait autour de la demeure du capitaine, tout en
ayant bien soin de nt. pas se trouver directement en
présence de M. de Brézières. Le soir, wrtout, quand
il avait la permission de minuit ct que les légIOnnaires menaient grand tapage dans les cafés arabes,
]'11chaël quittait sous le premier pl' "texte venu ses
camarades et alIait se poster dans l'ombre d'un
p l'che d'où il pouvait, sans être vu, observer les
allées et venues ct savoir si Georges de Brézièr s ct
sa fille quita~n
leur logis.
Parfois, il les suivait de loin, prêt à se résorber
dans quelque an fractuosité obscure si, par hasard,
le père ou la fille s'étaient retournés; ses yeux, lorsqu'ils se fixaient sur la svelte silhouette de Georges,
pl' naient l' xprcssion cru 'He des fauves à l'affût.
'ct homme, certainement, nourrissait contre l'oBi-
�Lt MAL- QUJ<; FIT UNI: FEMME
81
cier quelque ancienne rancune d'autant plus redoutable qu'elle avait mis plus de temps à s'assouvir.
Celui qui aurait surpris ce regard chargé de haine
et de froide résolution se serait dit que le capitaine
avait là un ennemi irréductible ct en aurait été
d'autant plus surpris que de Brézières n'avait jamais été en contact avec les légionnaires et, dans
son propre régiment, gardait la réputation d'un chef
juste et bienveillant envers ses hommes,
Botté de cuir fauve, sa cravache à la main,
Georges traversait la cour du quartier. Il se dirigeait vers les écuries où Mohamed v nait de seller
son cheval Victoire. Ce matin-là, la 2" compagnie
qu'il commandait devait sc rendre au terrain de tir.
Le capitaine avait, après un bref salut, détourné la
t~e,
afin d'éviter le regard lourel.de reproch ' S qu 'le
lil'utenant Flassigny fixait sur lui. Depuis deux
jours, ce dernier avait appris que Christiane était
malade, un fièvre int nse que le major attribuait
au climat ct combattait à force de quinine, ... mais
de sa voir la jeune fille alitée et ne pnu voir cnu rir
auprè d'elle aggravait encore le tourment d'André.
Une sonnerie v nait de retentir. Le musiciens de
la nouba, leurs 1I1struments prêts à scander le pas
alerte des tirailleurs, attendaient, groupés auprès de
la grille derrière laquelle des gamins, presque nus,
aux cheveux crêpe lés t aux visages hocolat,
s'aggloméraient afin de voir de plus pl' \s défiler la
troupe.
Le vaguemestre, d'un pas rapid', rejoignit
l'officier:
- Tenez, mon capitaine, voilà une lettre pour
vous.
De Brézièrcs pâlit. Cette grande enveloppe au
cachet officiel, il ne pouvait qu'en deviner la provenance. ElIe allait décider de son destin.
�82
Le MAL QU~
FIT UNE FEMME
Sans l'ouvrir, il la g lissa dans une poche intéri eure et sauta sur le cheval qui commençait à
s'impatiente r. Puis il fit un sig ne de son sabre levé
et la compagnie, musiqu e en tête, sc mit en march e.
Le premier, un tirai ll eur à la taille géante
avançait, sa canne de tambour-major exécutant,
pour la plus grande joie des gamins, d'étourdi ssan ts
moulinets; et les flûtes aux sons aigus déchiraient
l'air immobile.
André avait pris place au flane de la petite co10nl1e, mais SOI1 esprit était bien loin des li eux qu'il
parcou rait. Plus que jamais, ce matin-là, il se Sen·
ta it découragé et las. Son respect des conventions
que 1\1"''' Darboi es lui avait communiquées lui parai , sait, maintenant, une duperie et un leurre. Bien·
tôt la nomination du capitaine à un grade su.périeur
élargi rait le fossé entre la jeune fille et lui . Un
grand découragement s'emparait du lieutenant. Il en
arrivait à souhaiter quelque événement violent:
se battre, défendre sa vic ou la sacrifier, et l'idée se
gli~at
en lui de demander son affectation à un
postl.: d'où tout risque ne fût pas absent.
.1\lonotonc, la matinée s'écoula i puis ce fut le re·
lvur su r la route poussiéreuse. Depuis plus d'un
mois il n'avait pas plu et les oueds desséchés n'ali·
men ta iull plus la sève des palmiers rou ssis. Devant
h caserne, une [ois encore, les deux homm es harassés se retrouvèrent face à face. André fut sur le
p"int d'abordl.:r son capitaine, de le supplier de lui
accordl.:r, au moins, la douceur d'aller prendre des
nouvelles de la malade. Le front soucieux de l'officier et le découragement qui brisait d'avance sa
propre énergie paralysèrent le j eune homme. Devant de Brézières, Flassigny porta la main à on
képi, puis, prenant le bras d'un camarade, il tourna
lef. talon; sans un mot i ce mutisme gros de rancune
fut-il seulement compris de l'offi cier? Libre, maintenan t, Georges se dirigeait à pas lents vers sa
mai son; il ouhliait même le souci que lui causait
�LE MAL QUE FIT UN~
lmMMJ::
83
l'indisposition de Christiane, sa hâte de sc retrouver
auprès d'elle, de savoir ee qu'aurait dit le major.
Une seule chose l'obsédait, absorbant son esprit ct
son intelligence: la lettre remise quatre heures aup aravant et dont il n'avait pas encore brisé les
cachets.
Dès qu'il eut appris de la bouche d'Aïssa que la
température avait un peu baissé ct que le docteur
s'était montré satis [ait, il 'C don !la comme prétexte
pour ne point pénétrer dans la chambre de la jeune
fiIle la crainte de troubler 5011 n pos et sc rendit directement dans son c,lbinet de travail. Là, sans
même secouer la poussière qui s'était in inuée entr'
ses vêtements, il s'as it dans lin fallt 'uil de rotin ct,
la tête entre ses mains, réfl' chit longuement.
Lui-même ne comprlnait pas la souffrance qui le
tenaillait au moment d'ouvrir celte kttre qui allait
dlcider du sort de sa protégée ct Il ~' demanda, en
une de ces minutl!s de franchise uù J'àmc, mis' à
nu, ne peut plus mentir, si cc n'{>tait pas seulement
l'égo'i ste crainte de perdre, a vee 'hristiane, tout cc
qui faisait le bonheur de sa "je dé,,:! tée qui le relldait ainsi pusillanime.
Il allait ouvrir l'~1\(
ope
quand l\lohamtd,
frappant deux coups à la c1oi~f)I,
annonça que
Monsieur son capita1Jle était servi . George sc Icva
péniblement, gêné par ses \'êtt:m. nts que la sueu r
fai ail désagréablcmLnt adhérer à s 'S nH'mbl cs.
C'étai nt encore des instants gagnés. Presqu\! h011teux de sa lâcheté, J'offici r mangea en quelques
minutes, puis il U011 na J'ordre de lui apporter 50n
café dans le bureau.
Maintenant il ~tai
seul; la tasse de porcelainc où
fumait un breuvage ouorant à portée cJ~ sa main et
Il letlr , la lettre qui apportaIt l' bonheur ou le
malheur, encore cnfouie au fond d'une poche où <,1
pr', (nce lui parais. ait tangible. Enfin il la prit t'nlre
ses doigts avcc un ' sorte cl r'pugnalH:c et, 'd"'ï( a
à l'ouvrir.
�Lt MAL QUE FIT UNE FEMME
D'abord une formule de politesse dont il réalisa
à grand'peine le sens et puis quelques phrases con-
cises qui frappèrent davantage son esprit. Le gouverneur de la colonie pénitentiaire écrivait:
Je snis au regret de ne pouvoir vous répolldre d'une
façon pré ise, mais l'h omme qui fait l'objet de votre
uemallde de renseignements ue se trouve plus au
baglll!. 11 avait été, en rai son de sa conduite exemplaire, affecté à un emploi de secrétaire. En 1926,
alors qu'il veuait d'être proposé pour une réduction
de peine, toujours motivée par ses Ilotes excellentes,
il s'évada, ou plutôt tenta de s'évader de Cayenne en
'ompaguie d'uu Arabe coudamné à dix ans et à la
relégation, lequel avait fini sa prem ière peine, mais
était tenu de demeurer à la colonie où personne ne
le suspectait de nourrir UI1 projet d'évasion. Tous
deux tentèrellt de s'enfuir par mer, mais, malgré
ton Les les recherches faites, rien n'a permis de sU\Jposer CJue leur évasion ait été courouuée de succès.
Le forçat Aneeny 11 'a pas reparu en France. Il est
dunc pIns qne probable que l'embarcation Il été engloutie Oll bien 'ln 'elle a été entraînée en pleine mer
ot! les (ll!lIx hOlllll1es uuraiellL péri faute de vivres.
Je me Lieus à votre di positiou, capitaine, daus le
(' : l'i Oll les affaires de famille auxquelles votre hol1oré' dlt 20 aoOl dernier faisait allusion vous obligeraient à demander qu'un acte de disparition soit
établI.
La feuille dactylographiée tomba des mains tremblantes de J'officier. Ainsi, celle hypothèse qu'il
s' ~ta;
toujours plu à. rejeter était la seule véritable.
}ilIJert de Brézières avait disparu, il était virtuell _
ment mort, et rien, une fois le formalités remplies,
ne devait troubler le bonheur de 'hl'istiane.
Son premier mouvement (ul de c urir auprès de
la j~lne
rIlle, afin de lui annoncer qu'il ne s'opposait
plus à cc que ses fiançailles avec André devinssent
officielles.
lia \'<lit cl "jà fait un geste, parcouru une partie de
h di stan Ce qUI le séparait de la port '. Brusquement
�LE MAL Qut FIT UNE FEMME
il s'arrêta, poignardé par une affreuse douleur. Il se
laissa tomber sur un divan et, en fermant son front
entre ses mains crispées, il demeura prostré avec
une seule pensée qui lui battait aux tempes avec
l'obst ination d'un leitmotiv, reformant, à mesure
qu'il s'efforçait de les cha~sr,
les syllabes impitoyables :
.
« Mais je l'aime; mais je l'aime. Si je suis torturé à ce point, c'est parce que je suis amoureux
d'elle, de cette enfant, de la fille de Mil. d'Hérouval... »
Il s'abattit, comme foudroyé par l'affreu e réalité,
ct, parmi les sanglots qui lui déchiraient la poitrine,
sans cesse les mêmes mots revenaient: «Je l'aime!
Je l'aim e 1»
Des heures peut-être s'écoulèrent, de désarroi et
de luttes. Enfin l'homme se releva. La place de son
corps était marquée sur l'étoffe du sofa et les coussins gardaient encore l'humidité des larm e qU'Il
avait répandues, mais il était calme maintenant et
son visage fermé disait qu'il avait accompli le sacrifice.
Certes, il ne pouvait s'illusionne r; malgré sa
loyauté, malgré sa raison, l'amour, insidieusl:mcllt,
s'était emparé de son être. Oh 1 un amour qui
n'avait ricn d'audacieux ct d'impur, un ,mour qui
sc serait si bien contenté du bonheur présent, sans
jamais oser réclamer une autre part que celle qu'il
avait libr ment choisie. Paternel, ct pourtant très
tendre, mais exclusi f aussi. Il ne demanderait jamai s à Christiane ull e tendrcsse autre que cct
amour filial qu'elle ne lui marchandait pa , mais il
ne pouvait admettre qu'clic donnât à un autre une
plus grande part de son cœur.
Alors, la. garder auprès de lui, la forc er à renonCer à la vic, aux joies d'un foyer, comme il y avait
renon cé lui-même? Quel égoïsme impitoyahle et
sans excu 'es aurait pu commander cela?
on. Il
avait juré auprès d'une mourante d'accomplir nohlc-
�86
LJ,: :MAL QUE· FI'l' UNF, FF,MME·
ment, jusqu'au bout, un devoir <Ie père. Ce devoir,
il serait parjure en y faillissant. Eve n'avait pas
mal placé sa confiance. Sa fille serait heureuse, devrait-il en mourir de chagrin comme il avait cru
mourir quand la jeune fille qu'il aimait tant s'était
parj urée.
Il avait vu clair cn lui et c'était tant mieux, pui qu'il avait as ez de force de volonté pou r côtoyer
l'abîme sans y tomber. l'i 'importe, c'était une
étrange destinée que la sienne qui, par deu.' fois,
""liUS ct.; la même [c.mmc, devait supporter lcs
mêml ~ maux.
Très calme, puisque sa résolution LLait pri se, le
capitaine passa clans a alle de bain. Il fit couler
sur son ironl bridant et sur ses membre las l'cau
"iraich qui lui parut apaiser sa fi~vre,
puis, ayant
mis d',llttrcs vêtements, il 5 rendit auprès de la
malade.
Pourtant, il se demandai' encore s'il était prudent
'de dOllller à Ch ris liane un (;poi r qui l'illuminerait
tant 'Ill' son prétendu n'at..:ait pas reçu l'aveu dont
' ~a
loyauté T1'admettai i~
qu'il pÎtt "·tre '·ludé. 11 se
tairall encore, mais pO'.r bi~1I
peu de temps, puisque
le soir même il fera:· a!1prter le lieutenant Flassigny, ct aurait avec lui j'l"'olication déci ive.
Quand il pénétra da.1S ::1 chambre d Christiane,
il la trouva habillé ct 6lendu sur une chaise
lcngue qu'Aïssa avai L l~aî
nl:e
devant la porte grande
llHrtL sur la g-alc;"ie qui faisait le tour du patio.
A côté d'cIl, l\l mo L'trhoiscs Itait assise.
Cette dernière a ·cul.illil \'om ier a\'ec un bon
sourire, mais ~a
ti.l~S
lui fit comprendr , rien
qu'cil observant le .. traits qui portaient cnc()re les
stigmate s de la c!l::-C lutte intérieure que le capitaine
venait de souteni" (jU' un événement nouveau t
'd 'importance dt:':.lit ,\'oir cu lieu. Son regard intermgcait celui d Cc()rges. Sans vouloir répondre à
cette muette invllc, Il baisa la main de la colonelle
et s'assit en face d'elle. Ainsi, le lit de repos les
n
�LE MAL QUE FIT UNE FEMME
t)7
separait de toute sa largeu r, mais, tandis que
Georges s'inclinait vers la malade et lui effleurait
le front de ses lèvres se rrées, Emilienne semblait
attendre encore l'explication qu'elle pressentait.
- Je suis heureux, ma colonelle, de vous trouver
auprès de ma petite malade. Il me semble que votre
présence et votre amitié lui apporteront le bonheur.
- Oui, Mme Darboises est très bonne, papa, fit
Christiane avec une sorte d'ardeur douloureuse et
contenue qui rendait si poignant son petit visage
pâli et émacié par la fièvre, très bonn e, mais rien ni
personne ne peut m'apporter le bonheur tant que
celui que j'aime sera éloigné de moi.
Si elle avait pu lire dans le cœur du pauvre
homme, Christiane n'aurait pas trouvé façon plus
parfaite de le torturer. Georges pâlit, mais il parvint à garder son calme.
Enfant, injuste enfant! murmura-t-il d'un
accent si d ~sepér
que, malgré ses rancœurs, la
jeune fiJ1e en fuL touchée.
Mais, sans doute, un obscur instinct de féminité
lui faisait-il compr ndre quels avantages elle pouvait tirer du désarroi qui avait mystéril!.u'icmcnt
transformé l'officier sûr de lui-même. le pèn' infl ex ibl e, en ce pauvre homme dont les paupières
rougics attestaient les larmes récentc s. Elle sc fit à
la foi s câline et autoritaire, forte d'aiJl'_urs cle la
présence d'Emilienne en qui elle savait trOuycr tlne
alliée.
- Papa, je vous en supplic, permettez à André
de venir jusqu'ici. Si j e ne le r evois pas, je sens
bi en que je ne gtl "rirai jamais, et vous voulcz que
je guérisse, n'est-cc pas?
- Si j le veux 1 soupira Georges.
Elle continua, comme si elle n'avait pas entendu
sa protestation :
- Car vous aimez votre petite fille, n'est-il pas
vrai, papa? Alors vous devez faire quelque chose
pour son bonheur.
�8~
LE MJ\T. QUE FIT UNE l'EMlYŒ;
Gravement, le capitaine posa sa main sur la petIte
tête qui se dressait fièrement, cependant que la
fièvre fardait les pommettes d'un éclat factice.
- Christiane, je t'en supplie, sois calme, Voici
que la température remonle. Avant tout, il faut que
tu g10ris~e.
- Qu'importe ma guérison, puisque personne n'a
pitié de moi 1 gémit l'enfant en se laissant tomber
au creux des oreillers.
- Ecoule, je te promels de ne plus mettre
oh.tacle à cc que tu crois être ton bonheur, Tu
stra' libre, Ch ristiane.
- Libre d'épouser André?
De la tête, Georges fit un signe d'assentiment.
- Oh! c'est lrop beau, père, je ne peux y croire!
r mercia la jeune fille en abaissant sur ses yeux
éblouis es paupièr's frangée de longs cils marron,
- Vraiment, capitaine, interrogea à son tour la
colol1llle, vuus vous décideriez à passer outre aux
s rupllies 'lui VOLIS faisai nt désirer que l'union de
ces deux enfants n'ait point encore lieu?
ui, j'ai mûrement réfléchi: j'exposerai franc111:l1lent, IQyalell1u1t au Iieut nant Flassigny cc qui
1ll',I\'ait fait prendre cette résolution que Christiane
Cjllalifia ùe cruclh:. Cc sera eJlsuite à lui de décider
- Oh 1 je sui bien tranquille. Tout en s'inclinant
cOlllm moi devant vos ordres, père, André en a
ttlh:lllcn! souffert que, si vous nOll le permettez ...
ing-rale, tu n'as qu'un désir: me
- Oui. je ~ais,
qUitter .• ' on, ne proteste pas. Chère Madam , vouhz vou. être auprès du lieutenant mon amba sadeur
el l ' pri\:r de venir me parler?
\rles, et je vous remercie de bien vouloir me
conficr e\:ttc mis ion.
Elnj~e
s'était levée. Elle em ura de ses lèvres
h~·.
JOU
encore brûlantes tIe la jeune fille,
- Allons, du calm, chérie. Songez que vous
allez le r 'voir.
( hr! Inlle ne répondit pas, mais son joli visage
�LE MAL Qtm FIT UNE FEMME
89
avait pris une expression d'extase et, dans le halo
mauve que la fièvre avait mis autour de ses orbites,
son regard eut l'éblouissant éclat d'une 'gemme où
se joue la lumière.
Le capitaine avait quitté la chambre pour accompagner Mm. Darboi.<cs jusqu'au porche donnant sur
la rue. Seule, la jeune fille joignit les main s, ct ses
lèvr s, dans un balbutiement, répétèrent une prière
qui, bientôt, se termina en fervente action de
grâces, et c'est à Notre-Dame de la Garde qu'elle
l'adressait, certaine que la puis ante protectric des
gens en péril. avait entendu son appel et allai t
xaueer son vœu.
Afin d'éviter le patio où le soleil régnait encore
en maître, Georges de Brézières guidait la colonelle
le long des arcades de pierre qui en faisaient lè
tour. Quand elle fut sûre que a voix ne pouvait
parvenir jusqu'à la malade, Mm. Darboises questionna :
- Il y a du nouveau, capitaine?
- Oui, Madame, répondit le jeune homme.
Et parce qu'il ne se entait pas le courage d'expli quer de vive voix l'événem nt qui venait le forcer à
céder, il tendit simplement la lettre déployée (·t
attendit qu'Emilienne l'elIt parcourue des yeux.
- Mais c' st mcrveil1 l1X, cela 1 fit-elle qU<l11'l
c1Je eut terminé sa lecture. L'obstacle que vou r .
doutiez n'existe plus, car le malheureùx est mort,
c'est bien certain, Telle est votre opinion, n'est-cc
Pas, capitaine?
- J le pense, Madame.
- En toul as, nous avons liberté d'action. Défunt ou terré dans qu lque contrée lointaine, le con damné ne reviendra jamais en France où il serait
aUssitôt arrêté. Donc, quelques formalités ct VOtT e
Pupille sera libre. En tout cas le délai que vous
aviez fixé n'a plus de raison d' ·tre.
- Aucune raison, comme je l'ai dit à ma pupille.
de déciC'est maintenant au li utenant Flas~igny
�90
LE MAL QUE Frr U Ne FeMME
der. Je vais ce soir même lui fai r e ma confession ...
- Voulez-vous m'en charger? Ne disiez-vous
pas qu'une femme sait mieux prendre au fond de
son cœur les mots faits pour convaincre?
- Soit, Madame; mais si le lieutenant aime ma
pupille comme il en est aimé, sa décision sera vite
prise ...
- C'est bien ce que je crois. Allons, je vais demander à ce pauvre garçon de me rendre une vi·
site ce oir même. Je le mets au courant et vous
l'env ie.
[ls étaient arrivés sous la voûte d'où coulait une
agréable fraîcheur. Georges ouvrit la porte aux
vieilh: ferrures et s'effaça pour laisser passer la
colonelle. Comme celle-ci mettait le pied sur le
trottoir, eIJe eut l'impression que quelqu'un qui
s'appuyait contre le mur s'était enfui brusquement
en entendant le grincement des gonds rou1llés. A
quelque distance, une ilhouette, prête à disparaître,
attira son regard, mais ses yeux, éblouis au sortir
(l!- la Il '·nombre par la chaude lumière dorée que les
murs blancs r Oétai 'nt, ne purent la détailler; ce~
pendant, il sembla à la colonelle que celui sui s'en~
fuyait si précipitamment portait l'uniforme de la
Légion.
Georges était trop troublé pour affronter à nOl!'
\'eau le regard à la fois candide et scrutateur de
la jeul1e fille. 'rristement, il alla s'enfermer c1alls
son hureau, espérant qu'il trouverait dans la légère
griserie que lui procurerait la fumée, un p 'U
opiacée, 'du tabac d' rient, l'oubli du terrible conflit
qui ravageait son moi intérieur.
Il demeura là, inacti f, absorbé en .tIes pensées qu'il
aurait voulu hannir, mais que ramenait sans esse
l,l vue d'une photographie q.tl'il avait fait tirer ft
. 'iee par un artiste réputé. Elle représentait, dans
tout le charme d'une j cUl1essc encore ignorant· de
sa souveraine séduction, Christiane parée de sa
première loilelle dc bal. Peu il peu, la fumée légère
�LI!) MAL Qm: FIT UNE FEMMÉ
91
enroulait ses spirales et troublait la vision. Le:.
traits du portrait devenaient fl ous, si bien qu'il
sembla au capitaine qu'une seconde image se uperposait à la première. Eve, avec ses cheveux couleur de blé mür et ses yeux pareil s à deux myosotis, sortait du cadre, comme vivante et prête à lui
parler.
Elle sourit d'abord ayec une infinie tristesse, pu i~ ,
dans un souffle, elle prononça:
- Je te l'avais de tinée. J'aurais voulu qu' cl,c
prît, auprès de toi, la place qui aurait pu êt re la
mienne. Votre amour aurait été le rachat du ma l
que je t'ai fait ...
Puis, tout s'effaça; la vision disparut parmi le
léger nuage qui ortait d'un e ci garette à dcn'i
fumée posée sur un cendrier, au pied de la phot o
graphie. La spiral e qui s'en échappait encore brouil lait les tr-aits et atténuait les ombres. George s
balaya l'air de la main ct, devant se y ux, le j eun e
visage de Christian réapparut, candide et radicu x,
avec toute la joie de vivre empreinte sur ses trait,
ravissants.
La bouche fermée sur un demi-sourire semhla it
prête à s'entr'ouvrir afin de prononcer une prièrc
qu'il avait déjà entendue, Touché jusqu'au fond Ùl'
Sa chair par la trouble évocation de ces deux "{rl's,
dont l'un était le prolongement de l'autre, GeorlZ s
Sc sentit plu s fort et plu
résolu. Maintcnant, les
év nements pouvaient se dérouler selon une no rme
acceptée d'avance, d'un fron t <.toïque il acccpterait
ù'êlre le témoin d un bonh ur qu'un in stant, peutètre, son subconscient avait cru lui être des tiné.
�92
U: MAL QUE FI'l' UNe
FEM~
VIII
DANS LA 'l'OURMEN'l'e
Un crépuscule mauve et or pénétrait par les fenêtres donnant su r un petit jardin presque inculte,
mais où poussaient des orangers et des palmiers
superbes.
La colonelle était assise devant un guéridon Où
'd es rafraîchissements avaient été préparés, mais
tel était l'intérêt qu'apportait à l'écouter le lieutenant Flassigny que la g lace avait depuis longtemps
fondu clans les v rres que ni l'un ni l'aut re
n'avai ent cu l'idée de les porter à leurs lèvres.
Emilienne venait d'achever le long récit qu'elle
avait fait à mi-voix sur un ton de confidence; elle
termin~
presque dans un souffie :
- Voici, mon ami, toute la vérité. Le capitaine
de Hrézières m'a permis de vous mettre au courant,
maintenant qu'il a acqui la certitude que l'exéraI,le p:lssé est à jamais oublié et que VOU.5 n'avez
pas il 'n redouter les cons' Cjuences. 1) "c idez donc
en tOlite liberté et agissez aussi noblement qu'a
agl. ..
- I.e père de 'hristiane? .. C'est le mot qui
allait monter à vos lèvres, n'cst-cc pas, Madame?
- II éla s! non. Pas même son tuteur ct vous
,"oyt·z quels moti [s contraignaient le ca~itn'
de
Hrbi '.res à ce que vous appeliez alors: de la.
cruauté.
f\T adame, de cet aveu ... tin peu tardi f - car
VOl
~
me permettez de vous exprimer toute ma
�pènsée? - Je m'étonne que le capitaine n'ait pas eu
plus tôt le désir de me prendre pour confident. Dès
notre première rencontre, a-t-il manqué à ce point de
perspicacité qu'il ne se soit pas rendu compte de
la fascination qu'exerçait sur moi sa protégée?
Pourquoi laisser naître entre nous cet amour
quand il le jugeait lui-même inopportun? Maintenant que vous m'apprenez ce lamentable secret, je
me sens désemparé. Une terrible lutte se livre en
moi, entre ma tendresse pour cette jeune fille et
l'horreur que j'éprouve à la pensée de m'unir à la
fille d'un forçat.
- Lieutenant, est-cc vous qui parlez ainsi? Sc:.
peut-il que de tels préjugés comptent, lorsque l'on
aime comme vous disiez aimer? Tenez-vous donc
l'enfant pour responsable des fautes du père?
- Le monde ne pense-t-il pas ainsi?
- Quelle mesquinerie, Monsieur! Vous qui êtes
ehrétien, avez-vouS oublié les divines leçons de
l'Evangile?
'Hvangile était prêché par un Dieu et je ne
suis qu'un homme 1
- lois-je comprendre que vous renoncez à
Christiane?
- En aurais-je le courage? Si vous saviez, Madame, combien elle m'est devenue chère. Dans mon
cœur, il n'esl de place que pour son image.
- . Alors, écoutez votre cœur, lieutenant.
- Mais qu,e dira le monde? Ma carrière ellelllême ne era-t-elle pas entravée? Solclat, je n'ai
Pas le droit de prendre pour femme celle dont le
llom sl déshonoré.
, - Mon mari est un soldat, lieutenant, et lui, CJui,
<lès le premier jour, avait reçu la con fession du
Capitaine de Brézières, n'avait qu'un désir: favo enfant charmante ct
riser les fIançailles de cet~
PUre entre toutes avec l'un de ses subord onnés. Si
la conscience du colonel n'avait pa été Cil repo ,
croyez-vous, lieutenant, qu'il ne vous aurait pa,
�':l't
U; MAL QUE FIT UNE FEMME
lui-même, crié casse-cou? Non, l'égarement a'un
père auprès dugud elle n'a pour ainsi dire jamais
vécu ne peut pas retomber sur l'enfant. Elevée
comme elle l'a été, Christiane est une jeune fille
accomplie; chaque jour je l'ai observée, redoutant,
moi aussi, la tare possible, l'atavisme dangereux.
A\lcun défaut dans la pureté de ce diamant, dans
la limpidité de cetle âme. Si j'avais un fils, lieutenant, je souhaiterais pour lui l'affection de M"e de
Brézières et je la nommerais avec joie mon
enfant!
"Cn dernier rayon du soleil, déjà descendu au'des 'ous de la ligne d'horizon, illumina le ciel d'une
chaude teinte de rubis et d'améthyste. Le visage de
la colonelle en fut subitement coloré et ses yeux
d'un marron velouté prirent un éclat humide.
Elle t ndit la main au jeune officier guj, déférent,
s'inclinait devant el1e, puis, avec une angoi e
qu'elle aurait voulu lui cacher, elle le congédia sur
ces mots:
- Allez maintenant, lieutenant. Cc soir vous
n'êtes pas en état d'affronter avec votre supéri ur
une entrevue d'où dépend le sort de cette pauvre
petite, le vôtre aussi. Je vais téléphoner au capitaine
que vous sollicit z de lui un rendez-vous pour demalIl matin. Cela "DUS convient-il?
- Oui, je croi , ma colonelle, gue vous avez
rai on, comme toujours. J'ai besoin de réfléchir. de
,'oir clair en moi-même. Demain j'aurai pri ull
parti. Mais ne disiez-vous pas que M"e de Brézièrcs m'attendait?
- Je lui ferai dire, très doucement, que, ce soir,
vou êtes retenu par le service. C tte nuit encore
die pourra s'endormir avec son r~ve,
la pauvre
petite!
- Pourquoi la plaignez-vous, Madame? Je
j'aime. Déjà je suis à peu près sLÎr que je n'aurai
pas le courage de renoncer...
- Je vais vous paraître sévère, lieutenant, maiS
�Lt MAL QUE l'rr UNE FEMME
95
vos hésitations suffisent à me rendre certaine que,
des deux, VOLIS êtes celui qui aime le moins. Alors
el1e sera tou.jours celle qui souffrira le plus ...
Les lèvres d'Emilienne tremblaient un peu tandis
qu'elle prononçait ce jugement et ses yeux s'étaient
assombris d'u.ne ombre de mélancolie. Silencieusement, elle reconduisit l'officier ju.squ'au seuil du
boudoir dans lequel avait eu lieu la conversation où
s'était joué le sort de la petite amoureuse.
Celle-ci, depuis que Mme Darboises l'avait
quittée, était en proie à une merveilleuse exaltation. Avec la facilité de voir tout en rose que possède un esprit de dix-huit ans, Christiane ne doutait plu s que les nuages avaient été, à tout jamais,
chassés de son ciel. Elle aimait, elle était aimée! Ces
deux mots, à eux seuls, constituaient la plu prodigieuse des féeries. Dorénavant les tribulations
étaient terminées ·t leur merveil1eux roman, tel un
eonte de fées, se déroulerait en plein azur.
Comme si la fièvre n'avait été que le produit de
SOn chagrin, la joie J'avait en quelques instants dissipée. Quand Georges sc retrouva, aprè le départ
de la colonelle, auprès de la chaise longue où Aïssa
avait toutes les peines du monde à retenir la prétendue malade, il la vit débordante de vitalité,
prête à secouer le joug que, par prudence, on lui
imposait encore.
- Ce soir, père, je dînerai avec vous. Aïssa disPosera le couvert dans le patio. Ce sera exquis de
dîner auprès des orangers et des jasmins avec la
lune qui apparaîtra bientôt au-dessus des toits et
fC 5lera suspendue au-dessus de nos têtes comme un
gros ballon lumineux. Puis, la nuit viendra, très
Obscure, pas assez cependant pour que je ne reconllai 'se, dès qu'il paraîtra, celui que mon cœur
attend. Oh 1 père, je voudrais vous reme rcier, je
VOudrais vous dire de tout mon cœur que VOLIS avez
COmblé combien votre enfant est heureuse !...
I~le
avait renversé sa tête sur l'''paule
oc
�l'officier. Il apercevait, grands ouverts entre la
double rangée des cils bruns, les larges iris dont la
couleur évoquait celle d'un lac à l'eau limpide assombrie par les verdures qui s'y mirent, où la pupille, en outre, donnait l'impression d'un gouffre
sans fond. Une sorte de vertige le prenait à fixer
ee pathétique regard. Il aurait voulu être celui qui
inspirait cette passion, à la fois ardente et recueillie, qui faisait pâlir ce jeune visage et palpiter
la poitrine dont l'étoffe légère d'une robe d'intérieur accusait les juvéniles contours. Doucement, il
d' noua les bras qui entouraient son cou et, grave,
il déposa un baiser sur le front que les cheveux d'or
sombre entouraient de leur fastueux diadème.
- Chri -tiane, ma fille - il appuya sur ce mot,
qui mamtenant lui devenait douloureux à pronon·
cer, rappelle-toi, rappelle-toi toujours que je
n'ai d'autr pensée que ton bonheur, d'autre désir:
que de te voir heureuse. Dieu m'est témoin
que j'accl:pte cette tâche et que je n'y faillirai pas.
11 s'était Jevé. Le t011 de sa voix, l'expression de
son visage étaient marqu\:s par quelljue chose de si
sol nllel que l'enfant 'n fut impressionnée. Elle
frissonna comme si une aile mystérieuse - cell de
la destinée peut-être - l' tît emeurée. Quand le
malaIse qui l'avait saisie se dissipa, Georges avait
dl!<paru.
Avec la versatilité de son àg , la jeune fille eut
vite secoué l'angoisse dont elle avait rcss nti
J'étreinte. Une autre préoccupation, maintenant, cnvahl~sit
son esprit. Sans doute la soirée ne se pass\:rait pas sans la visite d'André. Il fallait donc
qu'clle se fasse belle pOlir le recevoir. Elle frappa
dans ses mains afin d'appeler Aïssa et, jusqu'à.
l'heure du dîner, les dcu' jeunes filles ne s'oecup' rent plus que de cette chose importante entre
toutes: la parure d'une fiancée.
• • •
�U; MAL QUE FIT UNE F!:;MJ\fE
97
Quand Georges eut reçu la communication de la
colonelle, il ne put refréner le sentiment qui, brusquement, l'avait envahi, balayant les résolutions
prises, faisant table rase de la ré,ignation si péniblement acceptée, Fla signy n'accourait pas au rcn'dez-vous qui lui était offert. Cela ne signifiait-il
point un recul, tout au moins un manque de spontanéité qui laissait tout craindre et tout prévoir?
Il comparait l'immense tendresse qui lui fai~t
accepter le plus pénible des sacriti es quand il
s'agIssait d'éviter un chagrin à l'enfant adorée, à
Cet amour assez maître de lui pour refléchir <:t remettre à demain, SOli in tinct le poussait à cou .. ir
'Vers la jeune fille, à lui dire :
'[()i~-tu
que cd
homme qui hésite et p'. e 10ng-uul1ult le PC'UT et le
Contre est digne de la pure; afTectiun que lu 111 : as
'Vouée, dn don absolu de toi-fiLme flue tu t:: p: ~[e
à lui faire?» Mais une tclle action était I11dlgne
d'ull caractère tel que celui de GLUrgl:S cl, Illle jois
de pl us, la raison mata l'instinct.
Durant tout le dîner l'officier n'cul point le COufage de détromper celle qu'il apercevait, dan la
dOllce pénombre d'W1e nuit bleutée de lunL, portant
sur son visage cd air d'extase qui allsit si biell à
Sil touchanle beauté, Au dessert, scult:J1Icnt, d'lill
ton qu'il fit J plus naturel du monde, il ilullonça à
hristian . qu'une marche de nuit l'a ppdait à la caS ' rlle t que le lieutenant, ayant comme lui re u les
Ordr S dn colonel, sc trouvait forcé de remettre
au lendemain la visite qu'il avait autorisé à
faire,
La. jeune fille avait reposé sur son a.slI:ttc le
fruit qu'clIc ~tai
en train de pLier. Sa yui.· s~ fit
désolée:
- Il ne viendra pas ce soir?
- Il faut l' e."cuser, mon petit. Le méti r, tu le
sais, doit passel' avant tout.
- Oh, pourquoi le colond a-t-il décidé cette
Stupid manœuvre?
�98
t~
MAI, QUI:: FIT UNI:: FEMME
Sans doute, quand les ordres ont été donnés,
ton grand ami le colonel Darboises ignorait qu'j(
te contrarierait à ce point.
Georges s'efforçait de plaisanter, mais les traits
'Contractés ne sc détendaient point. Il questionna
presque à voix basse:
- Tu l' aimes tellement?
- Oh! père, plus que ma vie ...
- Alions, patiente. Demain, c'est quelques
heures d'attente ...
- Demain, c'est si loin, si loin ...
Afin de cacher ses larmes, la jeune fille s'était
levée. Elle tendit son front aux lèvres qui l'effleurèrent à peine.
- Va te reposer, ma petite fille, songe que ce
matin tu a vais encore la fièvre; le sommeil te guérira tout à fait.
Il suivit des yeux la lorme gracieuse qui traversait la petite cour emplie d'ombre et se résorbait
dans la nuit des arcades. Longtemps, le capitaine demeura rêveur, bouleversé par la puissance de cet
amour qui se confiait à lui, candide et confiant. Sa
pensée s'en alla vers les années lointaines où s'ébauchait, entre Eve d'Hérouval et lui, ce roman, dont
une trahison avait été l'aboutissement. «L'amour
souille où il veut », fit-il douloureusement.
Peut-être l'épreuve était-elle nécessai re et
Georges l'acceptait comme il avait accepté tout ce
qUI lui était venu de la femme qui avait régné la
première sur son cœur, incapable de se reprendre
et d'oublier .
• 1algré qu'il se fllt couché fort tardivement le
sommeil avait été long à fermer les paupières' du
capitaine de Brézières. L'aurore incendi<l.it un ciel
de nacre rose quand il sombra enfin dans un bienfaisant repos.
Il dormait depuis quelques heures quand des
«:oups frappés à la porte le réveillèrent en sursaut.
�LE .~L\
t)Ur. FIT UNI; FEMME
99
Dre sé sur ses oreillers, il reconnut la voix an"oissée d'Aissa qui l'appelait à travers la cloison:
- M'si~ur
le capitaine, réveillez-vous, je vous
en supplie !...
Tout de suite, il songea que sa pupille avait fait
une rechute et qu'un retour offensif de la fièvre
motivait l'émoi de la servante arabe. Il sauta à bas
de son lit et courut ouvri r. Le visage angoissé de
la jeune fille disait clairement qu'un malheur était
arrivé.
- Christiane? j eta-t-il, épouvanté par le muti sme
de l'Algérienne.
- Mlle Christiane partie, enlevée. Je viens de
trouver la chambre vide.
- Tu n'as pas cherché. Elle doit être dans .le
jardin, peut-être sur la terrasse. Il est impOSSIble
qu'elle ait quitté la maison!
- Si, très possible. Mercédès a trouvé la porte
Ouverte, M'sieur le capitaine.
- Quelle porte?
- Celle qui donne sur la cour. Et le lit de ~Jademoiselle n'a pas été défait. Sùr, clic s'est sauvée
hl'r oir avant que Monsieur le capitaine soit relltrt·, car Monsieur le capitaine a mis les verrous,
n'est-cc pas?
George' se souvenait parfaitement. La veille au
~oir,
afin de rendre vraisemblable la version qu'il
avait donnée à hristiane, il était sorti ct s'était
rendu au cercl des officiers. 11 avait joué au bridge
'Wec deux camarades de régiment et le capitaine
l'r "vost, du 1er Etranger. Il était rentré passé mintllt et l'Insomnie j'avait longt mps tenu les ycu..'C
Ouverts. Il était parfaitement Sllr d'avoir soigneuSement assujetti les lourdes barres de fer que l'on
Ile pouvait manier que de l'intérieur.
Fallait-il supposer que hri tian ', à ce mo~nt,
t\vait déjà quitté la mai on? Pourtant, en travecs~1
la cour, inSlinctiv mlnt, il avait 1 v; les yeuJjt'
)
�100
LE
MAl.,
QUr: FIT UNr: FE~mr:
vers la galerie du premier étage sur laquelle s'ou~
vrait la chambre de la j cune fille ct il avait remarqué que de la lumière filtrait à travers la portefenêtre dont un rideau drapait le vitrage. Il avait
donc supposé que l'enfant veillait encore ou qu'elle
avait oublié d'éteindre l'électricité, aussi, craignant
de troubler son sommeil, il était rentré dans sa
chambre en évitant de faire le moindre bruit.
Ensuite, absorbé par les douloureuses pensées qui
bouillonnaient dans son cerveau en fièvre, il n'avait
prêté nulle attention aux bruits nocturnes que l'air
de la nuit faisait monter jusqu'à lui. Au loin, une
musique arabe s'obstinait, monotone et nostalgique,
un chien errant avait poussé à plusieurs reprises
une plainte lugubre ...
Georges, malgré les affirmations désolées d'Aïssa,
ne voulait pas croire à cette disparition que rien ne
motivait. Pièce par pièce, recoin par recoin, il visita la maison arabe. Dans la chambre de sa protégée
tlne constatation troublante ébranla sa conviction:
les tiroirs de la ommode étaient grands ouverts et
leur désordre prouvait qu'on les avait hâtivement
fouillés. Sur le dossier d'une chaise gisait, avec
J'abandon d'une cho e qu'une main nerveuse vient
dc rejeter, l'élégante robe d'intérieur que la jeune
fille a\'ait revêtue avant le dîner. Enfin, poursuivant
une méticuleuse inspection, Georges put constater
que le nécessaire de toilette, offert par lui à la pe~
Lite pensionnaire pour son voyage sur la Côto
dAzur, t la valise qui lui avait servi durant cette
mêmc période ne sc trouvaient plus à la place olt
hri ,tiane les avait rangés à son retour.
fi fallait se rendre à l'évidence: l'ingrate enfant
avait fui en cachette le logis où tout s'efforçait en
vue de son bonheur. Tout de suite, une pensée affreu e s'empara du malheureux: hristiane n'avait
pas accompli sans aide un pareil coup de tête. Seul,
tin homme avait assez d'influence pour obtenir
d'clle semblable folie. Gcorges de B rézières en arri ..
�LE MAL QUE FIT UNt FtMMt
lOI
vait à conclure que Christiane s'était enfuie avec le
lieutenant Flassigny.
Une colère terrible montait en lui, car il devinait
maintenant le motif qui avait poussé le jeune
homme à commettre cette action abominable. Christiane, fille d'un forçat, n'était plus digne d'André Flassigny. Ne voulant pas lui donner son nom,
il l'avait traitée comme une de ces conquêtes faciles
qui font la distraction de quelques jours et que l'on
rej ette ensuite dédaigneusement.
Un nuage de sang se formait devant les yeux du
capitaine : si Flassigny s'était trouvé sur sa route,
peut- 'tre j'aurait-il honteu ement souffieté. En tout
cas, une seule pensée le dominait: retrouver le
ravisseur, lui arracher la jeune fille et lui faire
payer au prix du sang l'outrage qu'il considérait
eomme personnel.
Oubliant même que l'heure était sonnée où son
devoir commandait qu'il se rendît au quartier, de
Brézières se précipita au dehors, sans même écouter les lamentations dont les servantes emplissaient
la maison déserté.
A la façon d'un homme qu'une volonté étrang-ère
domine, le capitaine poursuivait son chemin. Il ne
répondait pas au salut que des soldats, sortis pour
quelque corvée, lui adressaient au passage. Il allait
vers cette rue un peu déserte que de petites villas
bordent. C'était le quartier le plus neuf de la ville.
Là, il le savait, le lieutenant occupait un premier
étage que lui louait un fonctionnaire civil. Il n'eut
pas de mal à reconnaître la demeure. D'ailleurs le
nom de l'officier se trouvait sur une boîte à lettres.
Le capitaine sonna avec une telle violence qu'il eut
notion de l'inconvenance de son geste et pensa à
s'en eXC.lJser. Une femme venait de paraître sur le
Petit perron qui précédait la blanche façade du mo·
deste pavillon.
- Le li ulcnant Flassigny? questionna Georges,
repri s par la fureur qui un instant s'était calmée.
�10 2
LF,
lAL QUI:; FIT UNI:; l'EMMI:;
Le lieutcilant n'est pas ici, mon capitaine, répnl1dit la jeune femme, un peu surprise par le ton
sur lequel cette question lui était posée. Il est parti
il y a environ une demi-heure. Vous le trouverez
sans doute à la caserne.
La sérénité avec laquelle Je renseignement était
proféré décontenança l'officier. Elle le rappela aussi
à la notion des convenances. Il s'excusa, presque
avcc calme, et reprit la direction de la caserne.
Pourtant, à mesure qu il avançait, une autre con·
viction s'imposait à lui: celle qu'on s'était joué d<..
lui, que cette femme avait répété une leçon apprise,
que le lieutenant Flassigny ne pouvait être ce matin-là où l'appelait son devoir.
Simple hypothèse d'abord, cette idée était devenue une irréductible certitude lorsque Georges
franchit 1ft grille qui donnait sur la cour carrée où
déjà évoluaient des pelotons de tirailleurs, l'arme
au bras. Comme par un effet du hasard, un souslieut nani faisait manœuvr rIes homm s ùe la 2'
compagnie, celle ùe M. Flassigny.
Le capitaine s'immobilisa. Tout le sang de ses
artères, bru quement, affiuait à son cœur. Il chancela, serait tombé si un sergent indigène qui e
trouvait à proximité ne l'avait soutenu. A l'appel
du sous-officier, Je commandant d'Hauterive qui
causait 110n loin de là avec un capitaine de spahis
tourna la tête et aperçut de Brézières. Son visage
boul versé r' vélait qu'il sc passait quelque chose de
grave. Sans doute J' xplication d'un retard toul à
fait surprenant chez ce soldat d' 'lite.
Un petit groupe sympathique se formait autour
du capitaine, mais, lui, sans attendre qu'on Je questionnât, interrogea:
- Le lieutenant Flassigny n'est point ici, n'estcc pas?
fais si, répondit sans hésiter un jeune souslieutenant, Flassigny est dans 1 s chambrées, avec
le coJonel. Ils étaient Jà, tous d ux, il n'y a qu'un
�LI': MAL QUE FIT UNI': FJ<:MMe
103
instant; j'ai entendu le colonel donner à Flassigny
l'ordre de l'ac ompagner.
Georges porta la main à ses tempes où le sang
battait avec violence. Sans ajouter un mot, il feIldit le groupe, courut aux bâtiments qui faisaient
face à la grille d'entrée. Il monta deux par deux
les marches d'un escalier fraîchement savonné,
tourna dans un couloir. Devant une porte entrebâillée il s'arrêta. De l'intérieur, des voix lui parvenaient. Il distingua quelques mots, prononcés
d'un accent chaleureux par le colonel Darboises,
puis une autre voix, plus basse et presque inintelligible, qui répondait.
Il sembla à l'officier que l'on avait prononcé le
nom de sa pupille, puis le sien. Brusquement, il
poussa le battant et se trouva en face de son supérieur, lequel, appuyé contre les montants de fer
d'une couchette, poursuivait avec le lieutenant
lilassigny la conversation dont Georges avait aisi
quclqués bribes. La violente irruption du capitaine
parut surprendre les deux officiers. Cependant, le
colonel fit bonne contenance et, tendant la main à.
son subordonné:
- Vous voilà, capitaine. Je souhaite que la santé
de votre charmante enfant ne soit pas la cause de
votre retard? ..
n retard que vous excuserez, mon colonel,
quand vous en connaîtrez le motif, et, tout d'abord,
permettez-moi de poser une question au lieutl!nant
Flassigny.
- Dites, capitaine, je VOliS y autorise.
Georges, d'un seul mouvement, se tourna, afin de
tenir le jeune homme dans le champ de son regard
qUI paraissait vouloir fouiller ses plus secrètes
pensées et le moindre réflexe qui pourraIt le
dtl10ncer :
- Lieutenant, fit-il avec ulle telle véhémence
qu'André malgré 1,,; tressaillit, lieutwant, où est
1vJ."o de B rézières ?
�104
LE MAL QUE FIT UNI<: FEMM!:
Christiane? s'exclama André, incompréhensif.
Oui, Christiane, comme vous la nommez sans
même avoir obtenu de moi l'autorisation d'agir
avec une telle familiarité. Christiane, que vous
avez ntraînée à accomplir un acte qu'elle regrettera toull: sa vie, car elle est pure ct droite, et, si
aveuglée par la passion qu'elle soit, son honnêteté
reprendrait bien vite le dessus et elle souffrirait de
s'être, elle-même, ravalée jusqu'à vous ...
- Que voulez-vous dire? Je ne comprends pas
vos reproches et ne tolérerai pas vos insultes, e la
au moment même où je venais de dire au colonel
Darboises que j'aimais assez 1\1"< de Brézières pour
passer outre la tache que vous m'aviez si soigneusem<:nt cachée et lui donner mon nom, malgré tou.t.
- Lui donner votre nom, après l'ayoir enlevée,
c'est-à-dire déshonorée!
- Enlevée? Quelle folle supposition! J'attends
maintenant que vous vous 'xpliquiez, répondit.le
jeune homme dont le ton commençait à s'élever.
Le colonel, muet jusqu'alors, jugea son intervention utile:
- Oui, de Brézières, expliquez-vous. La colère
vous av ugl , à moins qu'il n'y ait dans tout cela un
déplorable malentendu; mais, avant toute chose, sachez que FIas igny m'avouait à l'instant les scntim "nt5 qu'il vous a, à vOlis-même, exprimés,
- 1\1on xplication sera brève. Cette nuit, ma pu·
pille a quitté ma maison. Elle est partie, emportant
qmlqucs bagages. Or, elle n'avait aucun raison
cJ'aglr ainsi. Je maintiens donc qu'elle a été inf1m'ncée par quclqu'un et que ce qu\.:lqu'un, lieutenant, cc ne p ut être que vous.
Flassigny, sous l'accusation qu'on lui jetait en
plt:J11C face, s'était reculé d'un pas. Il étendit le
bras:
- D vant Dieu auqud je crois, ct sur la tête de
la JL une fille que j'aime, je jure, capitaine, que
c~,
tc
aù'u ~ tion
est fausse,
�LE MAL QUE FIT UNE FEMME
'1°5
Il Y avait une telle solennité dans le ton de J'officier et son attitude avait pris une si réelle grandeur que les deux hommes qui avaient entendu son
Serment ne doutèrent pas de sa véracité. Subit ment, Georges changea d'expression. Ses épaules se
voûtèrent, ses yeux quêtèrent un encouragement. Il
n'était plus qu'un pauvre être désemparé et atroce nient malheureux.
- Mais alors, demanda-t-il, s'interrogeant autant qu'il interrogeail les autres, où peut-elle êlr e
allée, et quelle instigation l'a poussée à fuir, alors
qu'elle avait toute confiance en vous, Flassigny, ct
que j'avais donné mon autorisation et permis que
vous la revoyiez?
Atterré, André ne répondit pas. Ce fut le colonel
qui, le premier, reprit son sang-froid.
- Il faul e mettre sur l'heure à la recherche
de celte enfant. Le capitaine a raison, il faut que
l\l1l'lqu'un ait agi sur elle ...
- Christiane Lst tombée dans un piège, j'en suis
Cl'rtain, se désola André.
El les deux hommes qui, un instant auparayanl,
se dressaient J'un devant l'autre, adversaires
avoués, rivaux crets, se tendirent les main, rapprochés par cette tâche imminente: sauver celle
I>our qui tous deux éprouvaient un si profond attach 'l11<:nt.
�IO
~
!t~
MAL QUE FIT U NE FE~
•
IX
LE LÉGDNAIR~
Très grave, le colonel Darboises .. chevait de lire
une note qu'un planton couvert de pou.ss ière, qui
se tena it encore debout devant lui, venait d'apporter. Quand il eut terminé, l'officier eut une seconde
'd'hésitation, puis il questionna l'homme qui arborait
sur sa manche l'insigne de l'aviation:
Vous venez du camp?,
ui, mon colonel.
Qui vous envoie?
:p,lon commandant. La note que j'ai eu l'honneur de vous remettre a été dictée par lui.
Et l'on ne s'est aperçu du vol de l'appareil...?
- ... Qu'à l'heure où le lieutenant Sauvager, du
l'' Etranger, est venu pour ses essais journaliers.
C'est lui seul qui pilote le BréguetJ avec un mécanicien appa rtenant à sa compagnie.
- Le légionnaire dont la disparition a été signalée élU rapport?
ui, mon colonel.
- Le commandant suppose-l-il Cju'il y ait corrélat ion entre les deux failS?
Le soldat eut un geste d'ignorance. Comprenant
qU'lI Ile saurait rien de plus, Je colond se leva, laisS:\11
inachevé le déjeuller qu'il était eo train de
prul ire en compagnie de la colonelle.
- Vous avez votre bicyclette. Partez tout de
sUite et dites au commandant que je serai à l'aérodrome dans un quart d'heure.
�LE :MAL QUE FIT UNE FEMME
107
Compatissante, Emilienne avait versé au soldat
un verre de vin qu'elle lui tendit, puis, habituée à
ces alertes, elle rejoignit son mari, afin de veiller
elle-même sur ce départ à l'heure la plus chaude de
la journée.
Quand l'auto qU.e conduisait un superbe tirailleur
eut pénétré dans le camp d'aviation, le colonel put
constater qu'une grande animation régnait autant
parmi le personnel volant que du côté des officiers
accourus d' s que la stupéfiante nouvelle avait été
connue.
Ainsi, en pleine nuit, alors que la surveillance se
relâchait forcément un peu un homme avait pu se
ghsser dans les hangars, s'emparer d'un appareil et
prendre son vol sans que personne s'avisfll de le
questionner t de s'enquérir du motif de cette insolite manœuvre.
Les soldats de garde, affolé à l'idée des responsabilités ct des punitions encouru s, s'eCforçaient de
Sc disculper, si bien que les événements s'embrouillaient de plus en plus. Il fallut l'intelligent récit de
l'adjudant qui avait assumé la garde de l'aérodrome,
llJais avait été une partie de la nuit retenu au poste
de T. S. F. où il discutait avec la station de
~aouïel-Rcgn
i ceHe-ci demandait, pour un appareIl en panne, des pièces de rechange manquant aux
magasins de cet ultime point dans le Sud, ntre le
bled inculte ct le désert sans pist s. Des dires tlu
Sous-officier, la trame des fails ressortait ct les engu-'teurs pouvaient se faire une conviction. Jusqu'à
minuit environ la garde n'avait rien eu à signaler
ct les rondes n'avaient rien remarqué de suspect.
, . t cc qu'avait pu constater l'adjudant Lamorière
lorsqu'il avait pris son tour de faction. Dans les
hangars - lourdes masses accroupies sous un ciel
fourmillant d'étoil s, - les avions, en bon ordre,
reposaient du tranquille sommeil des choses auxqUt:1J s il faul la main des hommes pour donner un
semblant de vic. Pleinement rassuré, il n'avait pas
�108
u:
"t.1AL QUE FIl' UNE FEMME
terminé sa ronde ct s'était rendu au poste où,
casque en tête, le radiotélégraphiste attendait les
messages apportés sur les ondes des quatre coins
de l'horizon. C'est ainsi qu'il avait entendu l'appel
de Reggane sollicitant d'urgence l'aide de ColombBéchar.
- Et c'est tout çe que vous avez constaté, adju·
oant? questionna l'officier qui commandait le camp.
- Non, mon commandant; vers deux heures du
matin, j'ai perçu le bruit d'un moteur, le vrombis ..
sement d'une hélice. J'ai quitté en hâte le baraquement et suis arrivé juste à temps pour voir s'envoler un monoplan.
- Il n'y avait donc personne d'éveillé? Vous ne
me direz pas que les sentinelles avaient toutes été
appelées en même temps que VOLIS afin de converser
avec celles de Zaouïet-Reggane!
- Les sentinelles étaient à leur poste, mon commandant. Une seule, le tirailleur Omar ben Mohameel, a assisté au départ de l'avion ct a reconnu, en
l'homme qui le pilotait, le légionnaire Jacques Michaël; mais vous savez, mon commandant, que ccl
homme, en raison d'une invention dont le lieutenant
Sall\'ager disait merveille, jouissait dans le camp
d'une situation privilégiée, allant, venant à sa guise.
Sa pr~scne
ne parut pas suspecte au tirailleur. Il
sc contenta de lui demander pourquoi il sortait, en
pleine nuit, l'avion de son hangar. «Ordre du lieutenant, a répondüMichaël. 11 (aut essayer le parachute.» Sur cette explication, Omar lui donna
même un coup de main. Il affirme avoir vu quelqu'ull déjà installé dans la carlingue. Sous le
'asque, les lunettes ct la combinaison, il n'a pas
été, une seule minute, cffieuré par l'idée que cc mystérieux passager n'était pas le lieutenant Sauvager
en persOl1ne ... Pourtant, en interrogeant mieux seS
souv 'nir, mar a maintenant l'impression que la
silhou tLe qu'Il n'a fait qu'entrevoir pouvait être
celle d'une femme.
�LE MAL QUI:; FIt' UNI:; F~MI:;
l09
- Une femme? s'écria malgré lui le colonel.
Mais personne ne remarqua l'angoisse contenue
dans cette exclamation.
En groupe, les officiers parcouraient l'aérodrome,
recherchant le moindre indice, tant dans le hangar
que sur l'herbe roussie qui poussait sur le terrain
d'envol. Parmi ses chefs et ses camarades, Sauvager, qui venait d'arriver, manifestait une véritable
désolation. Il suppliait son commandant de lui permettre de partir sur l'heure à la poursuite du fugitif.
Le colonel, qui, en somme, n'était intéressé à ce
fâ heux événement qu'en sa qualité de chef militaire du territoire, s'était un peu écarté. Instinctivement il revenait vers la place d'où l'a vion avait
été poussé vers la piste. Il faisait sombre sous le
hangar, pourtant on voyait parfaitement les traces
laissées par les roues dans la poussière rougeâtre.
Soudain, il se baissa ct ramassa un petit tampon
d'étoffe que l'on avait déjà foulé aux pieds.
Dès qu'il fut hors du baraquement, éclairé par
l'intense lumière du ciel africain il déplia le morceau de batiste. C'était, roulé en boule, maculé et
(ncore tout humide de larmes, un petit mouchoir
d femme qui, dans l'angle, portait, entrelacées, les
l, ttrcs B, C. «Christiane de Brézières », ne put-il
, 'empêcher de murmurer pour lui-même. Dès cet
in stant une seule idée s'imposa à l'excellent
homme: rejoindre le capitaine, lui communiquer sa
sLupéfiante découverte et rechercher avec lui quelle
ohscure corrélation pouvait exister entre la dispar't ion de la jeune fille et la fuite de cet homme,
l''' ut-être espion à la solde d'une nation étrangère.
fi brusqua donc l'enquête el, sous prétexte d'un
r,lpporl qu'il lui falIait terminer, il remonta dan
~ i l vOllure et donna à son chauffeur l'ordre de le
Conduire à la caserne d'abord, car il savait y troll\'er encore l'officier.
l as plus Georges de Brézières que le colonel
�J JO
LE :11.\1. QUE FIT U:-IE FEMME
Darboises ne pouvaient, de prime abord, découvrir
les causes obscures de ce lamentable drame. Pour
le faire, il aurait...fallu que l'un ou l'autre ait assisté, la veille au soir, à la scène étrange dont la
kasbah du capitaine de Brézières avait été le
théàtre.
Il pouvait être o,nze heures. Depuis longtemps le
calme s'était fait dans le quartier arabe où ne résonnaient que faiblement les guitares, la flûte et le
tambour. Georges était sorti, laissant Christiane endormie comme dormaient les deux servantes,
la sées par la longue journée <.le labeur. Tandis
qu'il prenait machinalement le chemin du café où
sc réunis 'aient chaque soir les officier des différents corps qui e trouvaient représenté à ColombBéchar, la jeune fille, que l'explication donnée par
le capitaine n'avait qu'à demi ras urée, ne parve11a it pas à trouver le somm(!il. Une idée folle la
tenait éveillée, celle qu'André peut-êtr(!, quand il
srrail lihéré de ses devoirs de soldat, passerait sous
ses fenêtres afin de ILli adre st:r ne serait-cc qu'une
pensée. Elle c leva et, taules lumières éteintes,
'assit devant l'étroite fen ~tre
-rarnie de barreaux
d f r qui perçait le mur épais de la mai on arabe.
Tout de suite, ses yeux distinguèrent une forme
immobile qui semblait guetter. Elle appela, ne pouvant sc pencher afin de mieux apercevoir le mystériellx prorn 11(!11r.
Ali bruit de cct appel, l'ombre sc détacha du mur
et ~'aYnç
jusque sous la fenêtre de MIlO de Brézièrcs.
- André, c'est vous? demanda-t-elle encore.
ne voix inconnue lui répondit:
on, cc n'est pas le lieutl'nant, mais il m'cn'Olt: vers vous, 1ad moisell '. Et il est urgent que
je puisse vous parler à l'instant même.
Elle ne réfléchit pas qu'elle pouvait être attirée
dam un piège. En hâte, 11 jt:ta un manteau sur
5011 pyjama nocturne et de cendit. Les verroUS
�LE MAL QUE FIT UNE FEMME
III
n'étaient point tirés: elle n'eut aucun mal à ouvrir
la lourde porte.
A peine le battant était-il entre-bâillé qu'un
homme se glissa sous la voûte. Effrayée, la jeune
fille voulut protester, mais l'inconnu ne lui en
laissa pas le temps.
- N'ayez pas peur, fit-il, et sa voix réveilla en
la mémoire de Christiane un écho depuis longtemps oublié. Ce que j'ai à vous dire est de la plus
haute importance, mais je ne puis vous parler sur
la porte de cette maison. Il faut que vous me receviez et que vous m'écoutiez tranquillement. Je pense
que mon nom apaisera vos craintes: je suis Gilbert de Brézières ...
Elle répéta ce nom qu'elle entendait prononcé
pour la première fois:
- Gilbert de Brézières?
~
Ou Gilbert Anceny. Je ne sais comment on
me désigne ici, ou, plutôt, je me doute que jamais
on ne vous parle de moi, et, pourtant, il fau t que
vous sachiez que je suis votre père ...
- Mon père ...
Elle avait jeté ce mot sans Cjue son esprit parvint
encore à réaliser l'événement monstrueux qui était
en marche et allait miner son existence, anéantir
son frêl e espoir de honheur.
L'homme la guidait plus Cju'il n'était guidé par
elle. Dans la cour intérieure, il avi sa les fa ut \! uils
d'osier tressé où tout à l'heure la jeune fille était
assise auprès de celui dont elle sc considérait enCore comme l'en rant.
L'inconnu la força de s'asseoir et prit place à
côté d'elle. Tout de suite, il commença on récit.
D'abv rd seuls les mots parvcnaient aux oreilles de
la j eune fille, mais lellr sens demeurait secret. Il
s'cn aperçut, força son attention. Il avait tiré de
sa poche différents papiers ct, à la lu eu r de ~a
lampe électriquc, il les lui fit parcounr.
- Tenez, disait-il tout en dépliant le s pièces offi-
�1 12
LE MAL QUE }lIT UNE FEMMF.
cielles, voici un livret de mariage. Lisez les noms;
Eve-Antoinette d'Hérouval et Gilbert-] can-Christian de Brézières-Anceny. Vous portez mon nom,
comme vous pouvez vous en convaincre. Tournez
cette page. Ici, c'est votre naissance qui est inscrite : l\1arie-Eve-Christiane, née le 23 aOût 1915,
à Paris. Je sais que vous aviez à peine cinq ans
lorsque j'ai disparu de votre vie, mais, en cherchant
bien, vous vous rappellerez, peut-être.
- Vous êtes mon père ! ... lUais alors, le capitaine <.le Brézières ... ?
- Je vous expliquerai plus tard. Sachez seulement qu'il exista toujours, entre lui ct moi, une
rivalité, bientôt changée en rancune tenace.
Georges de Br' zières avait été amoureux de votre
mère:. Elle l'avait refusé pour devenir ma femme.
L'a-t-il revue lorsque j'ai été forcé de vous laisser
touttS deux? an doute est-ce votre mère qui,
en mourant, vous a confiée à lui; malS Il a outrepas~é
ses droits en usurpant une qualité qui ne lui
appartient pas t.:l il vous a vouée au malheur en
vous laissanl croire que vous pouviez espérer devenir la femme du lieutenant Flassigny.
- Mon Die;u, je ne sais pas si je comprends ce
CJue vous me dites. Il me semble qu'un malheur pèse
. ur mol. Pourquoi ne pourrais-je espérer 'pouser
c 'Iui que j'aime? Bst-ce vous qui vous y oppo• 'ficz?
TOIl, mais actuellement le li ut nan! flassigny il renoncé au projet que vous croyez encore
réalisable.
- Et pourquoi?
- Parce que de Brézihes a été obligé de lui
dire la vérité.
n ne se marie pas a\ ec un faux
''lat civil, même lorsque l'on e fait envoyer au fin
fond de l'Afrique afin de pouvoir tromp r plus fa
cil ment une innocente comme vous et les gens qui
vous ntourent!
- .... u'importc cette tromperie, comme vous
4
�LE MAL QUE FIT UNE FEMME
Il3
dites. Elle a été faite dans un but généreux, j'en
suis certaine. Je connais trop bien le cœur de ...
Elle s'interrompit, ne sachant comment nommer
celui qu'en elle-même elle appelait encore son père.
- Non, non, il n'y a rien de blâmable là dedans,
et quand André connaîtra les motifs ...
- Il les connaît, soyez-en certaine; aussi, ce
soir, vous l'attendriez en vain comme vous l'attendriez demain et pendant d'innombrables journées.
Le lieutenant FIas igny ne consentira jamais à
épouser la fille d'un forçat.
- La fille d'un forçat... Que dites-vous! l\Iais
alors vous êtes ...
- ... Votre père, mon enfant, que des ennemis
puissants sont parvenus à perdre et à faire condamner au bagne. Vous savez maintenant pourquoi je
n'étais pas auprès de vous quand votre pauvre mère
est morte, ... morte du chagrin Cjue lui avaient causé
ce jugement inique et notr séparation. Mais on
m a libéré; longtemps, j'ai vainement r cherché vos
traces. Je n'ai que vous au monde, Christiane; refuseriez-vous à votre père de le suivre et demeur riez-vous sous la protection de son plus cru 1
ennemi?
La jeune fille, à bout de forces, paraissait n'avoir
pas ent ndu. Gilbert, penché sur cil , continuait
l'étrange histoire qu'il avait forgée de toutes pièces,
accumulant les détails afin de la convaincre. Enfin,
il sc fil pressant:
- Mon enfant, je t'en conjure, le temps s'écoule;
bientôt peut-être cet homme que je hais ct que tu
cl lis mépriser sera de retour. Il ne faut pas qu'il
n us trouve ici. Veux-tu partir avec moi?
~
- Vous êtes mon père, je dois vous obéir, répon
dit enfin la jeune fille.
on ton était celui d'un douloureux renoncement.
SlÎr d'être parvenu à s s fins, Anceny la pressa.
d'aller faire' sc préparati fs. Dix minutes plus ta d,
après avoir changé de costume et mis au hasard
�114
LE MAL QtJ:E FIT UNE l'EMl.Œ
dans un sac de voyage quelque linge et des vêtements, Christiane, plus pâle qu'une morte et aussi
jnsensible qu'une hypnotisée, suivait l'homme qui
était venu. bouleverser sa vie et qui avait résolu de
l'entraîner, avec lui, vers le plus incertain et peutêtre le plus tragique avenir.
Elle le suivit le long des trottoirs vides, parmi le
silence de la ville endormie. Le nostalgique chant
arabe lui-même s'était tu et, venu du désert, un
souffle froid circulait, froissant les palmes haut
dressées à la cime des troncs élancés. Elle ne posait
aucune question. Cet homme qui l'accompagnait,
portant son bagage ct, parfois, la soutenant d'un
bras passé autour de sa taille, elle ne ressentait
p ut" lui ni entraînement, ni aversion, simplement il
représentait pour elle l'inexorable fatalité. Elle se
sentait si perdue, si désemparée que ses lèvres
étaient incapables 'de formuler une prière qui ne
serait pas venue de son cœur.
Il aU ignirent, après une course qui parut interminable à la jeune fille alitée le matin même et
encore mal remi e de son malai:;e, les abords de
l'aérodrome qu'cn temps normal Chri liane aurail
parfaitement reconnus. Avec des ruses d'ancien
forçat, l'homme évita les sentinelles et les fils de
fer barbelés. Une brèche leur permit de s'introduire
dans l'enceinte. Ils atteignirent un hangar dont Gilbert Anceny poussa la porte qui roula sans bruit
sur ses glissières. Tout de suite il s'actionna à des
besognes dont e11e ne chercha pas à deviner le sens.
Quand il revint vers elle, il s'était débarrassé de
la légère valise et tendait à la jeune fille une combinaison, un casque et des lunettes qui allaient lui
donner l'aspect d'un aviateur. Puis il l'aida à s'installer dans la carlingue et se mit aussitôt en devoir
de faire rouler l'appareil jusqu'à la piste d'où il
pourrait s'envoler. Maintenant une sorte de frénésie se lisait sur le visage tendu ct dans les gestes
préci pi tés.
�LE MAL QUE FI'r UNI:: FEl\:[ME
Ils
Presque inconsciente, la pauvre enfant perçut Ull
bruit de voix. Peut-être si elle avait crié au secours
serait-on venu la délivrer, mais son état était voisin
de l'hypnose. Elle s'abandonnait à sa destinée mauvaise.
Celui qui se disait son père prit pbce au volant.
Il mit le contact électrique et tout se perdit dans
un bourdonnement qui lui rappelait celui de la
fièvre comme le vibrations de l'appareil étaient,
pour elle, identiques aux frissons de son corps martyrisé.
ne aube glaciale se levait sur les aspects farouches du désert.,Les crêtes des garah se teintalcnt de rose, les ombres dc la montagne pâlissaient insensiblement, tandis que la palmeraie
'entourait d'écharpes de brumes qui montaient de
l'ou d dont le cours étroit file en direction du Sud,
comm un mince ruban d métal.
L'avion prenait de la hauteur; bientôt, sous seS
plans que le soleil levant fai ail resplendir comme
des surfaces d'argent, seule, la monotonie du désert
se déroula.
�ru6
L~
MAr; QU~
:FIT U , N~
n:MV!i
x
LA RECHERCHE
En réalité, bien faible étaient les indices. Un
mou choir que le capitaine avait formcllement reconnu comme ayant appartenu à sa pupille pouvaitil suffi re à établi r une corrélation cnt re la fuite du
légionnaire Michaël et la disparition de la j cune
fillc? Il nc pouvait même être question de vengeance, ni le lieutenant Flassigny ni le capitaine de
Brézières n'ayant jamais été en contact avec ce
soldat, arri Vl: depuis peu ft Colomb-Béchar et seulement ausorbé par ses recherches sur le point
d'aboutir. 11 était à remarqucr qu'cn s'échap pant de
la casernc, JacCjues Michaël, qui allait être libéré,
avait emporté tous scs plans. Quant à l'appareil de
sauvetage inventé et fabriqué par lui, il l'avait
laissé dans l'avion et l'emmenait dans sa
fuite.
Fallait-il conclure Cjue le légionnaire, déçu par le
peu d'enthousiasme que les se rvices compétents
avaient mis à accueillir so n innovation et à prescrire
des expériences, s'était abouché avec une nation
étrangère prête à lui mieux payer le fruit de ses
tr:\\'aux? Mais, en ce cas, pourquoi n'avait-il pas
attendu la date où son engagement expirait, au lieu
de se rendre coupable de désertion et cie vol d'un
aVlOl1 militaire, délit passibles du Conseil de
guerre et punis également de mort?
Quel espoir pouvait nourrir cet homme survolant
le cl'~ert
où , durant des centaines de kilomètres, il
�LE MAL QUE FIT UNE
FE~
Il7
lui serait défendu d'atterrir, de se ravitaill er sans
courir le risque d'être arrêté par une patrouille de
méharistes ou par la garnison d'un de ces postes,
sentinelles avancées, bâtis auprès d'un maigre point
d'eau: Zouïet-Reggane, chétive oasis avant le désertique Tanezrouft - Bidon-V, à distance presque
égale de Reggane et du NiO'er-route de Gao et de
Tombouctou, - enfin Tabankort où commence la
Savane peuplée d'une maigre végétation, sillonnée
de bêtes sauvages. Quel ecours pouvait espérer le
fugitif qui n'avait le choix qu'entre cette route où
la 1'. S. F. aurait déjà annoncé son passage possible et l'étendu.e désolée où sévissent l'épouvant<:,
les mirages et la soi f?
Dans l'au.tre sens, la randonnée paraissait plus
folle encore, car l'avion n'aurait pu sillonner le ciel
algérien sans être pourchas é et abattu, s'il passait
outre aux sommations de se rcndre.
Plus les deux officiers y réfléchissaient, plus ils
étaient certains que le légionnaire avait dû prendre
le chemin du Sénégal, quitle à obliquer afin_de ne
point atterrir sur le sol françai , mais dans les
possessions anglaises ou portugai cs.
De toute façon, tant que d'autres renseignements
f lie de se
ne leur parviendraient point, ce ~erait
lancer sur la piste de cet homme qui, sans doute,
ignorait même l'existence de Mil' de Brézières.
Lorsque le colonel Darboises se sépara de on
subordonné, ccL avis avait prévalu et de Brézlèrcs,
condamné à l'inaction, rongeait son frein en attendant que la police alertée ait recueilli au moins l111
indice lui permettant de se vouer à la recherche
de l'enfant adorée, pour laquelle il redoutait les
plus affreux pérd .
omme il se rendait pour la dixième foi dans
la chamBre où tout lui parlait de Christiane, ses
yeux se portèrent sur tlne tatuette dorée qui représentait l'imagc tutélaire de
otre-Dame de la
Garde. 'était un bibelot naïf ct touchant que la
�LE MAL Qur: FIT UNE FE?>fME
118
petite pensionnaire avait voulu acheter en sortant
de la basilique.
L'officier s'arrêta devant la Vierge couronnée. Il
joignit les mains, murmura une invocation, Ce fut
alors qu'il aperçut sou.s le socle de v lours qui supportait la statuette un papier qu'on y avait glissé.
Il le prit et le déplia sans hâte, plutôt avec l'attendrissement de découvrir qu.elque chose que les doigts
de la disparue avaient effleuré; mais, dès qu'il eut
déchiffré les mots tracés au crayon par une main
tremblante, un cri jaillit de sa gorge et ses yeux,
étincelants de fureur, s'exorbitèr nt.
Les mots qui dansaiell t devant lui formaient une
phrase, ct celte phrase disait:
Je paIs. Vous m'avez trOlj~
par charité, je Je
eOlllprClIÙS Lieu, afin que j'ignoré la tare qui pèse
sur lIIoi, qui 'st cause ùe J'aIJalldon de celui que
j 'aiml', V(IU~
li 'Ctes pas mon 11 ~re,
cl Alldré, eu raison dl' C >Ia, nc veul plus de moi. MOI! vC!ritable père
tsl \l'1Il1. Il lII'a rappelé mou devoir. ] e pars avec
lui.
i\dll:t1!
;Votre cl "sc5pC:rée,
CHRISTIANE.
Ainsi, malgré toutes les pr' cautions prises, la
pallvre fille avait appris l'atroce vérité, et c" tait le
bagnard, le disparu, qui avait surgi de la boue et
de l'oubli pour désoler cette vie innocente comme
celle de sa mère.
il avait cl "sol~
ommelll Anceny sc trouvait-il à ColombBéchar? 'omment y avait-il découvert Christiane?
Alltant de questions insolubles encore, mais que
l'avenir éluciderait.
Pourtant, à force de r muer ces pensées dans
son cerveau bouillonnant, Georges se sentit éclairé
par une conviction profonde: c'est qu'il y avait
entre le voleur d'avion et le forçat évadé un lien.
De là à admettre que les deux personnages étaient
un même homme il n'y avait qu'un pas, vite franchi
�LE MAL QUE FIT UNE FEMME
l l'J
J
par l'officier. Ce fut plein de cette conviction qu'il
se rendit auprès du chef de bataillon sous les ordres
duquel étaient placés les légionnaires, afin cie le
questionner quant à la personnalité du sergent
Mlcha··l.
Quand il sortit du bureau où l'officier supérieur
lui avait de la meilleure grâce du monde communiqué le peu qu'il savait du sergent Jacques Michaël
et montré diverses photographies de ce dernier,
Georges ne pouvait plus douter.
Arrêter le déserteur, le voleu.r d'avion, c'était en
même temps retrouver l'être assez criminel pour
associer à sa déplorable et téméraire entrepri c
l'innocence d'une enfant crédule et désespérée.
Comme de Brézières sortait de la place, il se
heurta presque à André Flassigny. Celui-ci fit un
geste comme pour s'éloigner du capitaine. Soudain
il se ravisa et les deux hommes furent face à face.
Trop plein de l'idée qui le possédait pour observer,
Georges questionna le jeune officier:
- Vous avez appris, lieutenant?
André, fuyant le regard direct qui cherchait le
si 'n, eut un haussement d'épaules.
- C'est une désolante affaire, fil-il assez moPement.
on ton surprit le capitaine. Il devint plus p1'l:ssant. Son désarroi était tel qu'il avait espéré trouver une aide efficace en cet homme qui s'était dit
am ureux de sa petite protégée; mais André de ..
IDl:urait froid cl son visage rigide ne laissait deviner aucun des sentiments qui pouvaient exister
en lui .
- Nous la relrou verons, je vou.s en oonne ma
parol e d'honneur.
L e 1ieutenant baissa la tête ct ses yeux sc dérobèrent.
- Capitaine, je conçois votre émotion. Je la partag-c mÔl.11e, mais, après un tel scandale ...
- Quel scandale? demanda l'officier d'une voix
�120
LE MAL QUE FIT UNE FEMMe
que l'indignation qui commençait à le soulever r endait rauque ct étranglée
- MaIs ... cette fugue, .. , car il s'agit 'd 'une fug ue,
évidemment. Votre or donnance a parlé, Tout à
l'heure, dans la chambrée, les soldats en faisaient
déjà des gorges chaudes. Cet homme, ce légionnaire qui a disparu en même temps que M"ode B r ézières, s'intéressait paraît-il prodig ieusement à elle.
n questionnait sans cesse et, même, votre planton
affirme l'avoir laissé pénétrer à plusieurs reprises
dans votre maison. OUVLl1t il l'a vu rôde r dans la
rue où ,"ous demeurez:. De là à supo~er
...
Georges, blême de fureur, leva la main comme
s'il allait frapper. Instinctivement le lieutenant fit
un pas en arrière.
- Lieutenant, en toute autre clron~ta
e je
vous demanderais rai.<;on tic cet outrage gratuit à
une j une fille qui mérite tous les respects et tout s
les compassions; mais, tant que je ne l'aurai pas
arrachée aux mains criminelle qui veuIL nt se servir d' -Ile c(Jmme d'un otage ou d'un aPP:lt, 111a vic
Ilt· Ill'uppartù:nt pas. Je retrouverai
'hristiane, je
vous le jure, d, cc jour là, vous saurez cnl11bien
oùlctl 'e a ',té votre conduit, vous qui prétendiez
l'auner. Alllz, lil.!utenant, ct, quoi qu'il arrive, sachl:z que je vou interdis de revoir ma pupille.
otIS n'êtes pas digne d'elle.
l\1.t1gré le calme qu'il s'imposait, la voix du cal'Il<UI1L simait comme un défi et une menace. André
ÙCl11 'tirait subj ugué par la grandeur qui émanait
de cd h 0111111 e. Un instant, il 'ut honte de lui-même,
mais le capitame s'était déjà élbigné.
Dans toutes les dir ctions, le tél 'graphe ct la
racho lançaient de pres.anls messages. Le territoire
d'AIll 'cfra, d'où dépend Colomb Béchar, était mis
sur lin yéritable pi d de guerre. Maintenant, le
�LI!: MAL QUI!: FIl' UNE FEMME
121
commandant ne doutait pas de J'identité qui existait entre Michaël le légionnaire ct l'évadé de
Cayenne,
Si les tirailleurs et les légionnaires ne participaient point aux poursuites qui, à vrai dire,
n'avaient d'autre objectif que de recueillir auprès
des indigènes un indice qui suffirait peut-être à
orienter l'enquête les spahis, au galop de leurs cheVaux rapides, patrouillaient dans la direction des
montagnes, Quant à J'escadre d'aviation ses hard is
pilotes s'envolaient jusqu'aux plus lointaines oa i ',
aux points d' essence jalonnant la pi ste encore pel!
fréquentée par les caravaniers qui traversent II.!
désertique Tanezrouft. Et l'escadron motorisé roulait sans presque prendre de repos, visitant le
moindre douar, fouillant les cultures, servant enfin
d'agent de liaison entre les autres services.
Georges de Brézi"rcs, accablé par cc coup au s.i
inattendu que cruel, avait résolu de solliciter un
Congé sans solde. Il lui aurait été trop pénible (le
COntinuer son service, de se retrouver en face de
ses camarades cl de ses chefs dont les regards cu ri 'ux lui auraient été aussi cruels que des blcssures. Sa nomination au grade de commandant retardée par les séjours à l'hôpital que l'officier
aVait dû faire tant au moment de sa doulourluse
blessure qu'après la fin des hostilités - était un
fait acquis. Il quitterait donc Colomb-Béchar et
Ihème cette t 1'1' d'Afrique qu'il avait tant aim(~.
11 sc ferait nvoyer dans une garnison r culée,
lvlaroc ou Tunisie, peut-être plus loin encor , vers
les contrées tropical s où nul ne pourrait connaître
le douloureux passé, Une seul> lumière dans sa
nt1tt : la présenc auprè de lui d l'enfant qu'il
~vait
juré de protéger, car, si Christiane 'tait à
Jamais perdue pour lui, il n'aurait plus le courage
~ 'vivre t ce serait au-devant de la mort qu'il s'en
Ir,ail, sollicitant le post le plus dangereux et la
rq~Jf)n
la plus malsaine,
�122
LE MAL QUE FIT UNE FEMME
Depuis cinq jours mortels, il passait par les plus
. atroces angoisses, n'osant quitfer Colomb-Béchar
où il vivait en solitaire, ne so rtant de sa maison
que pour aller chez la colonelle. Celle-ci ne lui avait
pas retiré sa sympathie et se montrait ce qu'elle
était en réalité : une femme de cœu.r et une véritable amie. Ce fut au soir de la sixième journée
que le premier indice ramena une lueur d'espoir en
cette âme dévastée.
C'était Lill peloton de spahis qui l'avait découvert.
Indice bien fragile, mais que, pourtant, l'on ne devait pas dédaigner. Déjà l'enquête avait fait supposer que le réservoir de l'avion ne contenait presque
plus d'essence. L'appareil, ne servant qu'à des
essais, n'en emportai t jamais qu'une faible quantité. Cc fait n'était peut-être pas connu du sergent
i\1 ichai.:l, lequel, ces derniers temps, ne s'était occupé
que de son parachute, tandis que le lieutenant Sauvager pilotait l'avion.
Il était donc fort possible qu'il n'ait eu devant
IUl qu'une heure de vol. Mais une heure, e'étaient
cncore 250 kilomètres, plus loin que ne Eouvaient
;dll.:r méharistes et motocyclistes et même autoS,
ksquelles ne quitteraient leur base que si une directi on leur était formellement indiquée. Or, tel n'était
pas le eas jusqu'au jour où un lieutenant de spahis
revint rapportant un récit que lui avaient fait, danS
un ksar arabe, des hommes qui venaient du
Sud.
Or,. ees hommes affirmaient qu'un avion s'était
abattu à peu de distance de Teghit, dans l'une deS
chétives oasis que l'oued Béchar arrose de sorl
cours. Lorsque ces nomades avaient traversé Je
kSM, ils avaient aperçu l'aviateur blessé légèrement, mais qui paraissait vouloir continuer sa
route vers le Sud, puisqu'il avait cherché à se faire
céder un méhari. Avait-il réussi? Nul n'aurait pll
l'affirmer; les transactions sont lentes à COllclure pour ces hommes que le temps ne talonne ja-
�LE :MAL QUE FIT UNE FEMME
I23
mais, ca r ils ont devant eux l'espace sans limites
et les jours qui succèdent atLx jours.
Lorsque le capitaine de Brézières espha que la
jeu.ne fille qui lui était si chère pouvait n'être qu'à
quelques heures d'auto du lieu où il se mourait
d'inaction, il n'eut plus qu'une pensée : partir à
l'instant même, comme un fou, quitte à laisser sa
vie dans cette tentative qu'il aurait fallu du
calme ct une certaine préparation pour mell(r à
bien.
Toute la diplomatie, toute la persuasion qu I.? mit
Mm. Darboiscs à raisonner son visiteur eurult il
peine raison de son ob~tina.
Par bonheur. la réponse du ministère n'était point encore parVLôltle ft
la place. Dispen é de son service p.1r la biu.\cillance du colonel, le capitaine de 13rézières ne jJuu"ait sans autorisation s~abentr
hors du territoire
auquel son bataillon était affecté. C'est cc qllt le
colonel Darboises s'appliqua à lui faire comprl.?lldre,
tandi s que sa femme s'applaudissait de l'a ide
Opportune que lui apportait le retour de 'Oll
mari .
. D'ailleurs, cclui,-ci n'entendait point demeurl'T
Inactif. Une reconnaissance d'avions survolerait le
lendemain l'oa sis désignée et Je poste Je plus prorhe
avait déjà reçu l'ordre de pousser jusque-là une
Point e. La nuit ne s'écoulerait pas sans que dts
nouvLlles plus précises parviennent à ceux qui les
espéraient avec une fébrile impatience.
Cédant à l'affectueuse contrainte que lui imposèrent ses hôtes, Je malheureux accepta le dîner
qUe Mml Darboises exigeait qu'il prit à sa table,
Puis, dans le bureau du colonel, U>1e attente angoissée commença ,
e ne fut qu'au milieu de la nuit que 1 sccrétalr de faction sonna son supérieur, lui annonçant
qu'il venait de recevoir un message radioPhon ique.
�124
L~
MAL QUE FI'!' UNE F~1tn:
La patrouille était revenue harassée. Les débris
de l'appareil que le pilote semblait avoir incendié
lui-même, après un brusque atterrissagl) au cours
duquel l'avion paraissait, d'après les dires des indigènes, être demeuré indemne, gisaient bien sur les
bords de l'oued que de récentes pluies avaient
gros i, mais les deux passagers s'étaient enfuis.
L'homme avait fait l'achat d'un assez bon méhari.
Il avait installé sur le dos de l'animal les bagages qu'il avait eu le temps de retirer de la carlingue avant que les flammes se mettent à jaillir;
puis son compagnon et lui étaient montés entre les
deux bosses. Les Arabes qui assistèrent au départ
a vaient remarqué la fragilité et l'aspect souffrant
du jeune garçon pour lequel son compagnon s'était
procuré un de ces couffins . faits de feuilles et de
libr' de palmiers tressées, dans lesquels les femmes
prennent généralement place, mais nul n'avait suppo s~
que le jeune malade pût apparteni r au sexe
faible.
Quand les préparatifs furent terminés, l'homme
sauta sur le cou de la monlure comme s'il avait
Cil de longue date l'habitude de ce genre de locomotIOn cl, d'une allure .rapide, le méhari s'était diIg~,
non vers la piste frayée - fréquentée par les
caravanes et les autos du service régulier, lesquclles, deux fois par mois, relient entre eux les
postes sahariens, sans compler les voitures de tourisme, rares à vrai dir', mais qui commencenl à
unpruntc.r ce hcmin désertique par goût de la.
nouveauté, mais vers les collines aux flancS
arides qui se dressent à l'horizon.
ur le sol de reg, parmi les galets ronds, où les
roues des voitures glissent aisément, le méhari aU
pi d Sûr disparut bientôt parmi l'indifférence deS
quelque cinquante personnes qui constituent la popul,llion de l'oasis .
.antis de ces renseignements, les spahis avaient
hi 'Il cherché à retrouver les traces du déserte ur,
�u:
MA~
QUE FIT UNE FEMME
125
mais ils avaient dû, à la tombée de la nuit, abandonner tou.t espoir de le rejoindre.
Maintena'nt c'était la tâche des avions de scruter
tous les coins de la montagne, d'observer ces gorges
abruptes et ces pans de rochers à l'ombre desquels
il est si facile de se dissimuler j Georges connaissait
bien la contrée: si l'ancien forçat atteignait le
Boggar, personne ne pourrait l'y retrouver; les
risques d'une poursuite étaient tels que, bientôt, les
autorités militaires y renoncerai.ent, craignant que
le fugitif ne se fût abouché avec les tribus rebelles
afin d'attirer dans une embuscade, si facile en ces
endroits chaotiques, les troupes envoyées à sa recherche.
Tout cela, le capitaine l'avait envisagé cependant
que le colonel pariait encore.
Il se leva, et son calme était plus impressionnant
que la plus pathétique obj urgation.
- Je vais partir, fit-il simplement. Mon colonel,
accordez-moi la permission de quitter Colomb à la
minute même.
- C'est impossible, vous le savez, de Brézières;
nous attendons d'un instant à l'autre votre nouvelle
affectation et la réponse à votre demande d'un
Congé exceptionnel CJue j'ai transmise au général
commandant notre corps d'armée, avec un avis ùes
plus favorables. J'ai pris sur moi de faire virtuellelllent commencer ce congé avant même d'avoir reçu
la réponse, mais je ne puis aller plus loin. Vous
~t s officier, mon ami, ne l'oubliez pas. N'oubliez
Jamais que pour un soldat les plus chers devoirs
Pi! 'sent après celui qu'il a accepté le jour où il a
Prêté serment sur le drapeau.
Les larmes aux yeux, G orges serra silencieuse.
ment la main que son chef lui tendait.
Cl" rut ncore une nuit d'angoi 'se, mais, le len·
demain, les renseignements se confirmaient. Le déSCrtl.:llr s'était bien enfoncé parmi les pa sses les
Plu~
sauvages de ceLLe région où de c1al1g-ercux no-
•
�126
LE MAL. QUE :F1T UNE FEMME
mades se cachent encore parmi les défilés, tirant
parfois sur les avions qui survolent ces derniers
contreforts de l'Atlas, ceci par simple haine du progrès et des hommes blancs qui ont conquis cette
terre ancestrale et pénètrent maintenant jusqu'aux
étendues, qu'ils croyaient inviolables, du bled aride,
des plaines de reg et du désert de sable.
Avant de communiquer à son malheureux ami
ces décevantes précisions, le colonel Darboises
avait demandé par téléphone l'autorisation de
donner à l'officier toute latitude afin qu'il pût surI '-champ se mettre à la recherche de la jeune fille
placée sous sa garde. En quelques mots, il expliquait au général la délicate situation et les exctlltntes rai ons que l'on avait de croire que le
dlscrteur était un forçat évadé.
r.a position du nouveau commandant ainsi réglée,
sùr (IL n'être point blâmé pour sa très grande sympathie envers son subordonné, le lieutenant-colonel
Darboises mIt le jeune homme au courant de tout
ce (!u'il savait 1 ti-même.
J\.luni de tout<.:S les autorisations, Georges n'avait
qu'à e mettre n campagne, non comme un isolé,
mais avec le puissant appui de l'escadrille et de
l'escadron motorisé.
Dès le lend main une véritable opération de
grand style aurait lieu, non slltlement dans les
oasis, mais dans les douars isolés où le fuyard aurait pu trouver asile; enfin, sur la frontière du
Maroc t les cont rcforts qui viennent mourir sur
la lisière du dé ert de sable .
........
•
L'aurore commençait à poindre, éclairant un ciel
tragique où couraient de gros nuages d'un noir
opaque. On était dans la saison des pluies ct le
changement inatl ndu, après 1 b au temps persist:tllt qUI avaIt fait de cette péri de un prolong e-
�LE MAL QUE FIT UNE FlZMME
12ï
ment de l'été, aussi sec et torride qu'il l'avait pu
être durant les mois caniculaires, était une menace
de plus pour l'expédition.
Une autochenille munie d'une mitrailleuse devait
contenir la petite troupe dont le li eutenant Sauvager avait le commandement, de Brézières ne comp·
tant plus au régiment de tirailleurs depuis sa nomination . Un lieutenant altaché au bureau arabe et
deux goumiers <.lont la mi ssio n était de ram ener,
m enottes aux poings, le légionnai re déserteur,
Complétaient ['effectif avec le conducteur et un soldat mitrailleur, tous deux appartenant au train des
équipages, ainsi que deux motocyclistes tenant
l'emploi d'éclaireurs.
Quand de Brézières s'approcha de la voiture, il
cu t un vif mouvement de surprise.
Parmi ces hommes au mille visage tanné par le
soleil d'Afrique, vêtue d'un costume kaki qui se
Confondait avec le s uniformes, une femme llli souriai t.
- Ma colonelle! s'éc ria-t-il décontcnancé.
- Mai · oui, mon cher de Brézièrcs. Je n'ai pas
oublié ce que, il ya quelques années, les camarades
de mon mari ont eu la gentillesse d'appeler mes
exploits. Donc, n'ayez aucune crainte, je Ile serai
Pour vous ni un embarras ni une cause de retard
ct, p 'ut-êt re, mes petits talents trouveront-ils à
S'employer.
D'un geste vif, elle li béra du feutre ses cheveux
Où quelques fils d'argent annonçaient l'approche de
la cillC[uantaine que démentaient ses beaux yeux au
;cgarcl clair cl le sourire d'une bouche demeurée si
Jcull e. En Ull tournemain, le voile blanc dl.:s infirtnières s'a tacha autour de son front et, désig'nant
au 11 uveau commandant la place à côté de la
sicnn e, elle donna le signa l du départ.
1 apide, la voiture filait, précédée par les (lL ux
tnOl os qui lai ssaIent sur la roule un doulJk 11llag-e
de poussière. Aux abords de l'aérodrom e, son pas-
�128
LE MAL QUE FIT UNt FE~
sage était attendu, car deux avions qui planaient
prirent immédiatement la même direction,
Sous les premiers rayons du soleil, filtrant à.
travers les lourds cumulus qui formaient, sur )'horizon, une ligne de hautes cimes et de fines dentelures, toute semblable d'aspect à quelque t itanique
chaîne de montagnes, la plaine, où courait le ruban
métallique de l'oued, s'étendait, solitaire et hostile,
La palmeraie n'était plus qu'une touffe de verdure
au lointain. A mesure que l'astre surgissait, sanglant, faisant toutes roses les arêtes des garahs et
teignant de pourpre et d'améthyste les pentes
abruptes des mont vers lesquels on marchait, de
profonds sillons marquaient dans le sable la trace
que les roues venaient de creuser. Parfois, des
roches millénaires, émergeant du sol, évoquaIent
quelque préhi torique cataclysme. Paysages hautains de contrées qui semblent toujours vierges, prestige d'une lumière habile à former les mirages,
Dans la voiture, ks passagers demeu raient silenrieux, les yeux levés vers les oiseaux d'acier qui
planaient au-des us d'eux, ou bien décrivaient
de larges cercles afin qu'aucun des replis de
terrall1 ne pût "chapper à leur observation
patiente.
Vers le milieu du jour, alors que la petite expédition, dont la colonelle s'avérait le véritable chef,
faisait halte afin de prendre un frugal rcpa , un
des avions muni d'un appareil de T. S. F., comme
l'était, d'ailleurs, l'autochenille, signala qu'on se
trouvait à peu de distance de l'oasis d'où étaient
partis les premiers renseignements. Il était peutêtre sage de sc hâter, car la pluie menaçait, une de
c s phlles diluviennes qui gonflent en quelques instants t font sortir de leur lit ces curieux fleuveS
sahariens qui, nés sur les pentes de JI Atlas ou les
plat aux: algériens du Tamlett, coulent, impélueuiC,
dévastant parfois les cultures, puis sc résorbent,
bus par le sable avide du Sahara,
�LE MAL QUE F1T UNE FEMM..<:
129
On repa rtit, le cœur battant d'angoisse qu'un peu
d'espé rance - cette espérance qui n'abandonne jamais l'être en désarroi - tempérait.
Au soir, on campait dans une oasis que des cases
de to rchis entouraient, où la datte formait la seule
richesse de gens qu'une ancestrale accou.tumance
enchaînait sur leur misérable sol.
Là s'était arrêté l'avion fugitif. La gorge serrée,
Georges put encore apercevoir, parmi les herbes
roussies et les touffes de palmiers nain, les débris
calcinés de l'oiseau mortellement blessé. Déjà les
goumiers avaient passé par là, recueillant les
pièces ncore utilisables de l'appareil. Il était donc
dvenu impossible de découvrir le plus petit indice
ni de juger que1Je avait été la cause de l'atterrissage; mais, privé de son avion, n'était-il pas certain que le déserteur ne pouvait spérer réussir la
traver ée du désert, atteindre les rives fertiles du
Niger, Gao, 'fomhouetou, ou même les possessions
portugaises cIe l'A frique Equatoriale?
D fait, un indigène qui avait servi de guide à
la petite expédition n'hésita pas à fournir cet indice pr"cicu.'.
- L'homme volant, fit-il gravement, monté sur
ho n méhari. L méhari a le pied solide. Bientôt
l'homme volant et le jeune garçon au vi 'age pàlc
S ront parv'!1lls au pay du Sultan.
- Tu veux dire le Maroc? Mais la frontière est
loin?
- Je le sais. Et les montagnes sont hautes.
N'importe, l'homme st courageux t le chameau
Patient, 11 m'a cl mandé le chemin t combien de
jOurnées de marche pour arriver à Tamgrout.
Georges avait poussé un cri de joie, Enfin une
lueur éclairait l 'S ténèbres. Si le fugitif pensait à
alt indrc Tamgrout, n'était-ce point qu'il nourrissait Je d sscin d'arriver, à travers le Sud marocain
ju qu'au plus proche port de mer: Agadir, ou }'Io~
gaùor, peut-être? Certes, l'entreprise était péril4 1çrv
�130
J<~
MAL QU~
FIT UNE F~M
leuse, toutes l es barrières ôu Haut Allas se ôressaient devant lui, mais il risquait, dans ees contrées
éloignées de toute colonisation, de passer inaperçu
et de conquérir une {ois encore la liberté que
son inconcevable audace manquait de lui arracher.
Comment sa malheureuse compagne supporteraitelle ce rude trajet? Gorges abruptes où les nuits
sont glaciales et les journées torrides, traversée du
désert cl'Iguid ... Dans la tête de l'infortuné, cent visions d'épouvante se formaient, les unes après les
autres, et, sans le réconfort arfectuellx que lui donnait la vaillante attitude d'Emilienne, le pauvre
homme se serait laissé terrasser par le dés es.poir.
�XI
L~
DOUAR
VID~
Les avions passèrent la nuit auprès du campement improvisé, afin de se concerter avec leurs
camarades de l'expédition terrienne, et reprirent, dès
l'aurore suivante, la grande route du ciel dans la
nouvelle direction que les paroles de l'Arabe
avaient fait adopter; l'auto, pcndant ce temps, se
trouvait n facc de nouvellcs difficultés. Durant
deux heures, l'orage avait grondé, déversant sur
le sable ses cndées furieuses. La piste détrempée
rendait l'avance difficile et lente. Peut-être aurait. il été d'une élémentaire prudence d ne point
quitter le précaire refuge de l'oasis ct des murs de
torchis qui cntouraicnt lc village, mai la fièvrc qui
soulevait Georges dc Brézière avait fini par se
communiqucr à ~cs
compagnons. Lc licutenant auvager, surtout, mû ccpendant par un autre mobile,
cclui de réparer par la capture du déserteur la
faute qu'il avait commise en mettant, grâce à son
cffective protection, le légionnaire dans les conùitions qui avaient facilité son audacieuse évaslOn,
n'aurait de r po et de trêve que lorsque Je faux
Michaël serait dûment arrêté.
On décida donc de r prendre la marche qui,
maintenant, se faisait en direction de l'ouest. On
avait abandonné le cours de l'oued dont le flots
roulai nt, chargés de limon et de sable, avec l'Jmpétuosité d'un torrent. Bientôt le sol s'élcva sensi-
�132
LE MAL QUE FIT UNE FEMMe
blcment. L'altitude de Colomb-Béchar, qui est cepcndant de 78.+ mètres, était de beaucoup dépassée.
La voiture commençait à gravir les âpres flancs
la montagne.
Malgré toute leur ardeur, les motocyclistes, après
de nombreux dérapages, durent renoncer à leur rôle
d'éclaireurs. Il s'avérait que l'autochcnille ellem~e
'arrêtcrait bientôt sur lcs as ises de roches
glissantcs que l'averse avait rendues aussi polies
Cjue des marchcs taillécs dans la glace.
En quatre hcures, on avait à peine couvert cent
kilomètres qui, à vol d'oi eau, en faisaient moins
encore, car il fallait suivre le sentier à peine frayé,
dan un défilé tournant à la façon d'un véritable
hhyrinthc. Si la voiture n'avait pas été reliée à son
point d'altacne par SOIl petit poste émetteur et récepteur, la ~ituaon
serait peut-être devenue trag-iql1e, car, ',Ollmant du désert, une tempête commençait à sc déchaîner. Des hurlements furieux,
<les si memenl 5 f ormidahles, dominaient le bruit du
moteur qui donnait tout c qu'il pouvait. A leurs
ang:oisses personnelles, les hardis poursuivants
ajoutaient ccli cs CJuc leur causaicnt les avions, en
péril, pcut-êt re, cux aussi, parmi ce déchaînement
des éléments implacablcs.
Souù<\in - il pouvait être dix heures ùu matin
- le chauffeur, qui mettait toute son application à
éviter un dérapage dont les suites auraient pu tre
flll1l'stes, sc scntit tOllché par l'un dcs gourmiers.
L'hol11111e, <lu doigt, lui désignait un point en contrebas. Le trainglot arrêta son mot ur. Il observa le
geste indicateur et aperçut, accroché sur un flanc
grallltiquc, parmi dcs touffes d'alfa, de thym et
quelque bui,sons épineux, tlne sorte {le douar dont
lcs lllurs, faits de terre battue, sc confldai~
prcsq ue avec l'uni forme couleur rou se de la roche
et du sol.
L'adj uclant se pcnc1ia vers les passagers de la
voilu re :
oe
A
�LE MAL QUE FIT UNit FEr.~
'133
- Ici, dit-il, un douar où l'on pourrait s'abriter
en attendant que le vent et la pl uie soient
~almés.
Georges allait protester, mais la colonelle Darbai cs, qui faisait office d'agent modérateur, lui rePrésenta l'immin ence d'un accident et le désastre
qui s'ensuivrait pour tous.
On abandonna donc la voiture, ~arée
clans une
SOrte cl'anfractuosité naturelle, au soin de sail conducteur et du soldat chargé de faire fonctionner la
mitrailleuse. Quant au reste de la troupe, déjà
trempée et grelotlante, après avoir cherché le
moyen de rejoindre la sauvage demeure autour
de laquelle on voyait paître quelques moutons
il la noire toison, il s'engagea bravement slIr
11n sentier que seules les chèvres avaient dCt
tracer.
.
La descente [ut d'autant plus difftcile que la
PlUie, par ondées ragellses, soumetait les malheureux. Enfin, ils parvinrent au pied de l'enceinte. A
l'intérieur, des chiens hurlaient, et leurs plaintes,
~arfois,
'lai nt aussi angoissante que si lIlle voix
umaine les avait proférées.
L'enceinte de torchis oll s'ouvraient d'étroites
meurtrières donnait à ce douar l'aspect peu rassurant d'un fortin où des rebelles avaient bien pu
trouver asile. Une porte massive, que de lourdes
Pièces de bois assuj eltissaien t, en dé f cndait
l'entrée.
I.e lieutenant avait heau frapper contre le battant av c la crosse de son revolver, rien ne lui réPondait que l'aboiement sinistre des chil!ns en~hail
;s.
Pourtant, le douar ne devait pas être inhahité :
ln présence sur la pente du troupeau annonçait
ql\'une famille indigène s'était fixée dans ce
cJé sc rt.
- Fais ns le tour de la muraille, s l ~' ~éra
�134
LI': MAL .Qm: 1"1'1' UNI:
n:MME
Georges, 'd ont le mystère de l'étrange demeure
éveillait la curiosité.
Le conseil fut aussitôt suivi; mais l'enceinte,
grossièrement bâtie de boue sèche et de débris de
roc, s'interrompait bientôt, ou, plutôt, c'était la paroi de la montagne qui la continuait. En somme, 011
se trouvait en face d'une forteresse appuyée aU
lIanc d'une pente vertigineuse et à laquelle un étroit
plateau servait de base.
Le lieutenant Sauvager s'était immobilisé à l'e"trême limite où la plate-forme, s'interrompant, faisait place à un précipice assez profond qu'hérissaiell t
des quartiers de basalte semblant provenir d'u~
éboulement ancien. C'est sur les flancs d ce pré e1:
pice que paissait le maigre troupeau aperçu tout il
l'heure par les voyageurs.
- Ces animaux, fit le lieutenant comme se parlant à lui-même, doivent cependant connaître le
moyen de rentrer dans leur étable.
.
Comme il prononçait ce mots, il se r(;nd~t
compte qu'une brebi uivie par son agneau venaIt
de s'engage r sur lin sentie r si étroit qu'il était irnpos ible de le distinguer parmi les pierres et leS
touff s épineuses qui emplissaient le ravin. Seule,
la blanche toison de l'agneau s rvait de point de
repère. Bientôt les bêtes, ayant desc ndu la pente,
remontaient du côté opposé ct, les uivant toujourS
de l'œil, le jeune homme s'aperçut qu'elles passaient par une espèce de poterne di simulée un peu
cn contr '-bas du plat au el conduisant à l'intérieur
de la rustique forteresse.
Saisi par le désir de l'aventure t n'écoulant q~te
sa curiosité, son nvie aus i de pénétr r dans cette
enceinte qui pouvait servir de r père à d'oclJt~s
ennemis, l'officier n'hésita plus. Il fallait à tout po"
aller au bout de l'entrepris' ct, pour cela, il ne reé
cula pas devant une attaque hru quée qui, rnalg r
les armes que cs compagnons ct lui pos édal clltj
pouvait ne pas être sans nSllues.
�L~
MAL
QU~
FIT UNE
FEM~
135
La petite troupe prit c10nc des positions de combat. Tandis que le lieutenant et les goumiers constituaient l'avant-garde - poste périlleux que le
commandant de Brézières aurait voulu occuper
Illais qui revenait en somme aux deux officiers mu~
nis d'une mission régulière, - le reste du l1ocest
effeetif formerait la seconde vague d'assaut, tandis
que, dans l'auto, le mitrailleur serait à même de
Protéger les troupes par un copieux tir de
barrage.
Ainsi Iut fait, et le premier groupe s'engagea
bravement sur la pente, presque abrupte à cet endroit. Les trois hommes parvinrent sans encombre
à la petite poterne. Un couloir taillé dans le
roc s'ouvrait devant eux. Résolument ils s'y
engagèrent. Un coup de revol ver devait annoncer à leurs camarades la réussite de la manœuvre.
l.e cœur battant à coups précipités, Georges,
del1leuré sur le bord de la piste, écoutait anxicuseIllcnl. Enfin, assourdie par la distance et l'épaisseur
des murs protégeant l'habitation, la détonation lui
Parvint. Sans balancer davantage, entraînant les
hc,l1ll11es qui l'entouraient, de Brézières dévala la
!lente raide et glissante. A son tou r, il se lança
ùans l'ombre, peut-être redoutable, mais une vague
lueur le guidait. Bientôt, il déboucha dans un grand
eSpace libre. Au-de 's us de sa tête, les nuées orageuses couraient vertigineusement, les aboiements
des chiens se faisaient plus menaçants; pourtant,
les constructions qui entouraient la cour semée d'un
Illaig-re gazon roussi, clans laquelle les deux groupes
S'étalent trouvés réunis, paraissait vide. Une
Porte que l'un des goumiers pOllssa, s'ouvrit sur
!tne s'aile obscure. Des moutons, paisiblement, broutaient dan un coin de l'aire.
Un des soldats indigènes revint vers le groupe
Qcs officiers:
.
- Mon lieutenant, ici, il y a eu ehameaux.
�13t>
U
MAL QUE FIT UNE FElD.Œ
Sauvager suivit du regard le geste qui indiquait
un emplacement où, très nettes dans la terre détrempée, des minces sabots avaient laissé leurs empreintes; et ces empreintes se continuaient jusqu'à
1'entrée principale, signe qu'une troupe assez nombreuse l'avait franchie peu d'hcures auparavant.
Un obscur pressentiment tenait le commandant
haletant. Au fur et à mesure qu'il examinait cette
étrange demeure qui avait plus l'apparence d'une
sorte de fort que d'une ferme isolée, la conviction
se faisait plus profonde en lui qu'on se trouvait sur
la trace du déscrteur. En effct, ce dernicr n'aurait
jamais eu l'audace d'entreprendre une évasion
vouée à l'échec s'il n'avait eu des a.ccointances et
des aides puis antes, parmi 1es indigènes d'abord,
et, presque certainement, auprès d'Européens ayant
intérêt à favoriser sa fuile.
La petite troupe allait s' n retourner, convaincue
que le douar était maintenant veuf de ses habitants,
quand un événement, dont les conséquences auraient pu être mortelles pour 1'un, au moins, deS
soldats, se produisit.
Depuis que les Français s'étaient introduits danS
1'intérieur du fortin, les chiens ne essaient de faire
ntendre leurs hurlements lugubres. Ces hurlementS
partaient d'une sorte d'étable dont la porte à clairevoie paraissait solidement verrouillée. Soudain,
cette porte s'ouvrit et deux chicns, les yeux flamboyants dc colère, la gueule béante sur leurs croCS
prêts à mordre, s'élancèrent et sautèrent à la gorge
du lieutenant Sauvager qui se trouvait à leur
portée.
Sous le féroce assaut, l'officier chancela, mais,
avec une promptitude qui dénotait son admirable
sang-froid et sa rnervcillcust.: bravoure devant le
danger, Georges s' tait interposé. Avant que lcs rct10utablcs mâchoir s se soient r fermées sur I~
chair, dcux coups de rcvolver, tirés à bout portant
�•
LE MAL QUE FIT UNE FEM1.Œ
137
et de façon à ne point atteindre le jeune officier aux
vêtements duquel les terribles molosses s accrochaient, frappèrent en plein crâne les animaux déchaînés dont les cadavres, presque sans agonie,
s'allongèrent au pied des hommes terrifiés. Mais,
ùurant la minute de confusion qu'avait provoquée
cette scène, un des goumiers, instinctivement, s'était
avancé vers l'issue dont les chiens étaient sortis.
Sans doute voulait-il fermer la porte afin d'être
bien sûr qu'une autre attaque ne se produirait pas
de ce côté. Comme il approchait de l'étable, il poussa une exclamation de surprise qui fit accourir le
commandant de Brézières :
- Une moukère, mon capitaine - de Brézièrcs
ne portait pas encore les insignes de son nouveau
grade. - 'l'oi, méfiance, y a pas bon; moi, voir la
moukère.
Et, résolument, il pénétra dans l'étable. Un instant après il en ressortait, traînant par les poignets
Une vieille femme qui lui opposait une résistance
désespéré . l\1ai , avant même que le lieutenant de
spahis, qui parlait parfaitcment l'arabe, se soit approché afin d'interroger la prisonnière dont la main
criminelle a vait évidemment détaché les molosses
ct ôté les verrous de la porte, un cri jaillit de l'inl'ri ur qui fit pâlir le visage de G orges comme si
lout le sang de ses artères avait brusquement affiué
il son cœur.
- Au secours 1 au secours 1 disait une voix
que le pauvre homme hésitait à reconnaître,
t llelTIent lui
emblait merveilleuse celte renCOntre que, pourtant, il appelait de toutes ses
forces.
Eperdu, il sc retourna, cherchant à déchiffrer
Sur le visage de ses compagnons la confirmatIOn
de cc CJu'il venait d'entendre, mais il ne douta
plus lorsque la colonelle Darboise, qui n'avait
DU tf'nir la promesse qu'elle avait faite de de-
�.
13
LE MAL QUE FI'!' UNE FElLM1I
lui saisit la
mcurcr sagement "dans la voiture~
m:un.
Très émue, elle aussi, Emilienne eut cependant
la présence d'esprit de répondre à l'appel ang issé :
- Chrisliane, nous sommes là!
Un inslant s'écoula encore, puis les cinq hommes
sc ruèrent, revolver au poing. Leurs yeIVC, d'abord,
ne dislinguèrent que des contours confus, mais une
voix les guidait.
Elendue sur un lit fail d'herbes sèches et de
g-rossières nattes, Christiane, trop faible pour sc
h:ver, tendait ses bras vers ceux qui venaient la
délivrer.
�!Jt MAL QUE FIT UNE FEMME
139
XII
CHAGRIN D'AMOUR
Le retour vers Colomb-Béchar s'était accompli
presque en silence. Une sorte de contrainte pesait
maintenant entre ceux qui avaient, si ardemment,
çouhaité d'être réunis. C'est qu'ils étaient bien péhibles, les souvenirs que la pauvrc enfant devait
évoquer, afin cl faire à ses compagnons le récit des
terribles journées qui avaient précédé c.ellc-ci. Matern Ile, Emilienne gardait entre ses bras Je
corps douloureux ct, sur son épaule, le pauvre
visage qu'une sorte de honte - la honte de cette
origine odieuse qui lui avait été si brutalement révélée - faisait se plaire dans ce réconfortant refuge. Elle avait seulement posé à la jeune fille la
question indispensable ct, encore, avait-elle mis à
l'énoncer une pudeur qui rassura un peu celle qui
sc savait, maintenant, la fille d'un forçat.
- Afin d'éviter toute rencontre qui pourrait vous
être pénible, avajt dit la colonelle Darboi e~,
il
faut me dire, ma chère enfant, ce qu'est devenu
celui avec lequel vous avez fui de ColombBéchar.
Sans même oser relever ses paupières qu'un
larg halo mauve cernait, Christiane répondit:
- Je suis seule depuis hier soir avec cette vilille
femme qui avait mission de me soigner et, surtout,
de m'empêcher de fuir. Assez tard dans la nuit, les
autres sont partis ...
�140
tE MAL QUE FIT UNE FEMME
Quels moyens de locomotion avaient-ils?
Des chameaux et des chevaux, je crois.
- Ils sont donc nombreux?
- Six ou sept, il me semble.
- Pourquoi ne vous ont-ils pas emmenée?
- Parce que j'étais à bout de forces. Je serais
morte, je crois, s'il m'avait fallu voyager encore_ à
dos de chameau et même sur un cheval. Et l'on
parlait de dures étapes.
Mais ... on ne vous avait pas abandonnée là
pour toujours?
Non, Il serait revenu me chercher dans quelqu s jours, avec une voiture, peut-être un avion;
j'avais ordre de me laisser conduire, même si c'était
un étranger qui vienne au-devant de moi.
Les officiers et la .lemme de leur supérieur
échang-èrent un regard d'inteIligence. Ainsi, toutes
les hypothèse se confirmaient: le légionnaire Michaël, le forçat Anceny avait, dans ces contrées,
des complices qui di 'posaient de moyens très modernes, semhlait-il. Il serait, dans ces conditions,
difficile de rejoindre le fugitif, à moins qu'il ne se
fasse prendre au gîte. D'eux-mêmes, corges de
Brézières t la col nelle se demandaient s'il ne valait pa mieux 'laisser le misérable à son destin,
éviter à a fille infortunée ce surcroît de douleu r et
de honte.
Un jour, la Providence se chargerait de
l'atteindre, ses fautes, immanquablement, seraient
expiées, et l'excellente femme e prenait à mur~
rel' une prière en faveur du scélérat qui, sans
doute, entendait se servir comme otage de la pauvre
petite, à moins que, seule, une affection jalouse et
égoïste ne l'ait poussé à arracher la jeune fil1e au
destin heureux qui lui était fait, afin de l'entraîner
à sa suite dans l'incertitude et l'ahjection.
Trop angoissantes étaient ces différentes posih~
lités pour que le retour s'effectuât dilns la joie. De
�LE MAL QUE FIT UNE a:tl1MB
LtI
plus, Georges se demanoait, non sans anxiété, comruent la pauvre Christiane supporterait la dé illusion que lui causerait la brusque rupture avee
André.
Pour l'instant, il s'agissait de gagner du temps,
de rassurer eelle âme en désarroi et, surtout, réAablir ulle santé gravement compromise.
Pourtant, quand, après avoir reçu les baisers
Presque maternels de la bonne colonelle qui aurait
Voulu garder près d'elle sa petite amie, Christiane
Sc retrouva seule dans la maison arabe où eHe avait
Coulé de si paisibles, <le si longues heures, un grand
apai ement se fit en elle.
Georges l'avait soutenue de son bras. A travers
le patio où s'erfeuillaient les derniers jasmins, il la
Conduisit jusqu'à son coin préféré, dans le salon où
1\ïssa avait allumé un grand feu de racines odoriférantes. E ll e se laissa installer parmi les coussins
Soyeux du divan ct, alors seulement, ell e leva vers
l'offici er son beau regard, plus pro fond et plus
depuis le rude apprentisPoignant peut-êtr
Sage de la souffrance par lequel elle venait de
Passer.
'I endant ses deux mains d'un geste fervent, elle
dit, tandis que Georges les pressait entre les
siennes:
- C' 'st vous qui m'avez sauvée. Vous seul, toujours vous. Oh 1 il n'y a que vous au monde qui
ll1'ai mez vraiment...
ne larme r ula, lentement, sur le visage émacié,
lnais
orges éperdu de joie, et n'osant même réde se trahir, constata, en son for in!>ondn: de pe~r
téri eur, qu'elle ne l'avait pas. appelé s?n père et
.qUe sa première gratitude allaIt vers lUI, non vers
le fiancé dont elle n'avait pas encore demandé des
nOuvelles.
Le lendemain, il s'étonna du silence que gardait
la jeune fille. Au cours de la visite que fit la colo-
�142
LE MAL Qut FI'!' UNE FEMME
nelle i sa petite protégée, le nom du lieutenant ne
fut pas davantage prononcé, et Georges Se demandait s'il devait se réjouir ou s'effrayer de ce
silence.
André Flassigny, il le savait, avait demandé à
permuter. Quelques jours encore et il quitterait
Colomb-Béchar, mais, dans quelques jours, lui auSsi recevrait sans doute son ordre de route, et aucune raison, si ce n'est l'amitié et la reconnaissance
qui l'attachaient au lieutenant-colonel et à sa charmante femme, ne l'obligerait à demeurer dans cette
ville perdue au fond de l'Oranie, aux confins du
désert. On lui faisait espérer une garnison telle
qu'Alger ou, à défaut, Constantine ou Blida. Le
mouvement d'une grande ville distrairait certaincment sa protégée.
A certaine heures, le commandant se demandait
pourtant avec angoisse quel accueil la petite société
militai re, taus i le monde qu'ils serai nt bien contraints de fréquenter, feraient à sa pupille; forcément, quelque chose du drame avait transpiré, ct
puis il n'aurait pas la bienveillante complicité de
son ch f.
Un jour qu'il confiait ses craintes à la colonelle,
celle-ci, qui les partagea il t, p ul-être, avec sa
finesse de femme, avait deviné bien des choses que
l'officier croyait avoir si rigoureusement cachées à
tOtlS, lui dit;
- Mon bon ami, la seule, la meilleure solution,
celle qui mettrait définitivement Christiane, I1Ûn
seulement à l'abri de la malignité du monde, mais
encore la préserverait d'un r tour de cc père dont
la déchéance sera facile à obtenir... .
Elle s'était arrêtée, désirant sans doute être queStionnée, mais Georges, n'osant comprendre, sc taisait.
- Oui, cOlltinua-t-elle enfin, lc moy n de trancher celte fausse situation scrait que votre protégée
devienne votre femme.
�LE MAL QUE FIT UNE FEMMI.<;
143
- Ma femme ... Mais clIc ne m'aime pas, el1e ne
m'aimera jamais 1
Qui sait?
Et j'ai vingt ans de plus CJu'elle !. ..
Regardez-vous, commandant, fit la colonelle
aVec un beau sourire, tout en désignant à son visiteur une grande glace placée non loin cie lui. Vos
quarante ans - qui ont l'air d"tre "1 peine trente
-- ont tant cie réelle jeunesse, tant cI'ardeur que
beaucoup de vos lieutenants vous Il'~
envient. La
femme qui se montrerait à votre bras serait enviée
de bi n d'autres. D'ailleurs, il ne s'agit, à vrai dire,
que d'un moyen d'achever votre belle œuvre. Quand
On Sc met sauveteur, mon cher, il faut l'être j usC[lt'au bout.
Elle mit un doigt sur ses lèvres en signe de discrétion. D'ailleurs un pas léger venait cie se [aire
cnte;nt!re tians Je vestibule. Une servante ouvrit la
parte du sa lon et Christiane entra. 'était une sur(lrise; qu'elle voulait faire à sa grande amie. Sc
Sentant plus forte, clic avait mis, aidée par Aïssa,
une toilette de ville ct, à petits pas, 'l1e s'était
rendue chez la colonelle.
Son ravissant visage, qu'une ombre de mélancolie
renclait plus tOllchant encor, marqua son étonncl1'lent quand elle r 'connut, auprès d'Fnliliennc, le
Commandant dc Rrézières; mais l'illumination de
~[)t1
regard fut la preuve que celle présencc ne lui
~lait
pas indifférente.
Depuis qn'il l'avait ramenée sous son toit,
Gcorges semblait éviter de se trouver 11 tête à
tête aveC la jeune fille. Il se donnait à lui-même,
COmme prétexte cie cette timidité, la crainte
qu'il avait de la [aire souffrir le jour où
il faudrait lui avoucr la décision du lieutcnant de
lô'lassigny.
l'll1sieurs fois gmilienne avait blâmé l'officier de
:tlc point encore avoir osé porter à la dl~aiséc
�144
Lt; MAL QUl'; FIT UNl';
IttMMlt
ce coup qui, un moment ou l'autre, devait
l'atteindre.
A vec un sourire à la fois tendre et malicieux, la
colonelle fit asseoir la jeune fille entre elle et le
commandant.
- Mettez-vous là, ma chérie. Nous parlions justement de vous, de votre avenir.
- De mon avenir, répondit Christiane en roU·
gissant un peu. Oh ! je ne désire pa le 1V0ir
changer; tant que mon tuteur me supportera auprès
de lui je me sentirai si heureuse...
- Vous songiez, cependant, ma petite, à un
autre bonheur?
De rouge, Christiane devint blême.
- Oui, j'avais tort ct je comprends pourquoi
mon tuteur - vous permettez encore que je vouS
nomme ainsi? fit-elle en tournant vers de Brézières
la douceur cie ses' iris couleur d'cau profonde m'avait mise en garde. Le mariage, un foyer, cela
n'est pas fait pour la fille ...
- Tais-toi, Christiane, tu me fais mal, protesta
l'homme douloureusement.
- Vous av z mal de ma souffrance, je le sais.
Vous -'les si bon ... ?lais rassurez-vous; j'ai deviné
bien d s choses depuis que vous m'avez si bravement sauvée, bien des chose que vous vous efforceZ
de me cacher. Vous avez tort, car je n'ai plus de
chagrin. C'est comme si 1110n cœur avait été balayé
par un orage qui a fait table rase de tout ce que
j'y avais enfermé. les rêves de petite fille, mon
amourette de pensionnaire ...
- Que dis-tu, Ch ri tiane? André ... ,
- André ne m'aimait pas beaucoup, puisqu'il Cl
pu se détacher de moi i vite, m'abandonner j uslem nt quand j'étais le plus à plaindre, ne pas se
sou i r de mes périls. Et moi, l'aimais-je véritablement romme je Je croyais?
on, sans doute. Làbas, au dlluar, où je d mandais à la Sainte Vierge
de Ille rappc:l<:r à Elle tant je me sentais aba n-
�LE MAL QUE FI'l' UNE FEMME
145
donnée, lorsque, pa rmi ceux qui risquaient leur vie
afin de me délivrer, je n'ai pas aperçu M. Flassigny, cela a été une brusque certitude qui m'a envahie : celle que je m'étais trompée et que nous
n'aurions pas été heureux ensemble si votre admirable subterfuge, mon cher tuteur, avait pu l'abuser
jusqu'au bout ou s'il avait con enti à passer outre
sur ce que le monde nomme, n'est-il pas vrai? mon
déshonneur ...
La voyant sou riante ct si raisonnable, ses del1x
interlocuteurs ne savaient que penser. La colondlc
reprit:
- Alors, petite amie, on peut vou dire la nouvelle? Le lieutenant quitte notre régimlnt. Il
rentre en France, dans un bataillon de chasseurs
alpins.
- Ah 1 fit la jeune fille avt"c indifférence; puis
elle ajouta, presque égayée par cette pensée: Estce que mon ex-fiancé craindrait de se retrouver en
face de moi?
- C la est pos ible, chérie. D'ailleurs vousmême allez nous quitter. Le commandant recevra
bientôt son affectation!
Le visage mobile se rembrunit:
- Oh! comme j'aurai du chagrin de m'éloign r
de vous, Madame!
Brusquement, elle s'arrêta. De nouveau, son
regard e fit douloureux. Elle joignit Sl.:S deux
mains fragiles:
- Que vais-je devenir?
Surpris, Georges se pencha vers elle:
- Ne voudraiS-lU pas me suivre?
Elle leva vers lui ses yeux que les larmes venaient d' mplir.
- Vous suivre, cela sera impossible, maint nant
que tout le monde sait. lei, on est bon pour moi, on
m pardonne ma naissance; mais, ailleurs, ql cl
accu 11 r ('evrais-je? Et à vou -même, ma présence
ne pourrait-elle nuire?
�tl~6
LE MAL QUE FIT UNE l'EMME
Pour la seconde fois, mais sous une 'forme ai f'f érente, une identique pensée était exposée à l'officier. Mm. Darboises n'avait-elle pas les mêmes
~préhensio
qu'exprimait Christiane d'une façon
plus passionnée?
1 Comme suggestionné par les mots qu'Emilienne
avait prononcé un instant auparavant, il dit, mais
sans oser poser son regard sur l'enfant dont les
yeux noyés de larmes livraient si bien la détresse
et le déchirement intérieurs contre lesquels elle
s'efforçait de lutter:
1 Il Y aurait bien un moyen, fit-il d'une voix
à peine ]?erceplible, un moyen ...
] 1 n'euL pas la force de continuer; un silence se
'fll, durant lequel on aurait pu entendre les battem ents précipités des cœurs anxieux et le soume un
peu rauCJue qui s'exhalait de la poitrine oppressée
de l'officier. Emilienn , émue jusqu'au fond d'ellemême par ces souffrances qu'e1le avait la première
devinées chez un homme pour lequel son mari et
elle ressentaient la plus profonde sympathie, aurait
voulu aider Georges il vaincre ses scrupules, à oser
ce qu'clIc considérait comme le bonheur de l'orpheline.
:Mais le commandant n'en était pas encore au
Jloint où l'amour, plu fort que la prudence, ne permet plus le sacrifice et le renoncement. D'ailleurs,
il était de l'es hommes habitués à se vaincre ,t à
s' dominer. Seule, 'hrisLiane aurait cu le pouvoir
de p('ser sur sa détermination, mais Ile était trop
en fant encore, trop inexpérimentée, pour lire en
elit-même ct déchiffrer certains sentiments complexes Cjui, depu.is son enfance, s' ;laient substitués
à ses véritables pensées.
Ccl cntraÎnement qu'elle avait subi toute petite
fill e pom le bel officier qu'on lui avait appris à
11('I11I11 C I' papa, au fur et à mesure que J·s années
faisaiel1t de l'cnfant une femme, ne se serait-il pas
�LE MAL QUE FIT UNE FEMM:e
147
changé en un amour profond et tendre, fait d'admiration et de reconnaissanc e?
Sans doute, Georges lui avait toujours paru le
plus beau, le plus noble des hommes, et même
André Flassigny, dont les hommages avaient g ri sé
cette tête et ce cœur de pensionnaire, elle s'était
plue à le parer des qualités éclata ntes de celui
qu'elle croyait être son parent. Une sorte de juxtaposition de deux images s'était faite. A telIes ensigne que, lorsqu'elle avait été déçue par André,
elle n'en avait pas éprouvé la douleur profonde que
l'on aurait pu redouter pour elle.
De cela, Emilienne, confidente de la jeune fille,
ne pouvait douter, ct c'est pourquoi elle avait imaginé cctte fin d'une situation dramatique et dangereuse où celui qui aimait passionnément comme
celle qui ignorait encore la vraie nature de sa prédilection trouveraient la sécurité ct le bonheur.
'ertes, elle connaissait trop la délicatesse rie
Georges pour espérer'le voir céder sans luttes, mais
1 grain était emé.
'est cc qu'elle se disait quand l'officier ct sa pupille prirent congé d'elle.
Tout en évitant soigneusement à Christiane
d'apprendre que le légionnaire était toujours l'objet
de poursuit s, le commandant de Brézières ne sc
désintéressait pas du sort de cet homme qui
avait, semblait-il, pour destin, de ravag-er son
exi tence.
Une enquête serrée conduite par le bureau
arab avait 'permis de retrouver la plupart des
fil s de la trame habilement ourdie par le misérable.
Gilb rt Anceny avait fui du bagne en compagnie
d'un Marocain.
C'est gràce aux indications de cet homme qu il
avait fini, après des aventures et des dangers connu s 'eul ment des deux évadés, par d "barque r à
Tang r. Les faux passeports dont ils avaient pu sc
�J 48
LE MAL QUE FIT UNE FEMME
munir durant un séjour en Amérique du Sud ne
pouvaient suffire à leur assurer, en cette terre de
colonisation française, la sécurité dont ils
rêvaient.
Anccny avait donc jugé qu'il n'était pour lui
qu'un re fuge : la Légion étrangère. Quant à BenSmaïl, il parvint à r prendre place parmi ceux de
sa race dont aucun état-civil n'enregistrait la date
de naissan e avant la conquête de ces territoires
où, hors des grandes villes, les indigènes contil1uent à vivre comme ont vécu leurs ancêtre, en
comptant leurs années d'apré l'abondance des récol les ou les événements notables qui sc sont déIoulés.
Il faut croire cependant que le forçat Anceny et
le rclég-ué Ben-Smaïl a vai nt convenu d'un moyen
de rOl'lesponclre. C'e t par Hen-Smaïl, mêlé
il. des caravane ' "enues clu Sud, que le légionnaire Jacques Michaël avait pu offrir son invention à des pays ri vaux de la France ct susceptihles de payer généreusement le procédé nou'Veau.
l 'ar faitemcnt au courant des affaires, l'ancien finLlnCILr escroc avait d'avance pesé le pour cl le
contre. 'il avait dCt livrer à ses ehcis une partie
de ses espoirs, c'est qu'il n'y avait pas, pour lui,
d'autre- moyen cie procéder aux expériences sans
l'appui desquelles son invention serait considérée
sans valeur. Mais il était bien décidé il ne point en
faire don à son pays, car il savait que cc don lui
serait à P il1e payé. Après un long sommeil, parmi
l'indifférence des hureaux, peut- ''lre une maigre
gratification parviendrait-elJe au 1~gionare.
Et ce
serait toul. Son avenir ne s'en trouverait point
amélioré, son désir de reprendre la vic de luxe,
dont il rêvait, ne se réaliserait jamais. Donc, sans
se sOllcier d'autre contingences, Gilbert laissa
l'Arabe négocier avec un de ces espions que l'on
trOll l ' l' partout où l'on peut ramasser des bénéfices
�..
.
LE MAL QUE 1I1'l' UNÈ ltÈMMË
tq9,
et des renseignements, même aans le sang et Ta:
razzia.
L'important pour lui était de pouvoir quitter son
régiment, emporter son appareil et se mellre luimême hors d'atteinte. Que1le idée folle avait poussé
le déserteur à a socier une femme à cette audacieuse tentative? Cela était ct demeurerait le secret de Gilbert Anceny.
Peut-être, quand un fatal hasard lui eut appris
que son ancien rival, Georges de Brézières, servait
à Colomb-Béchar, une sourde rancune prit-elle
naissance en cet esprit dévoyé, en ce cœur où nul
bon sentiment n'avait jamais neuri. Une rencontre
tout à fait fortuite, un soir où il avait sauté le mur
de la caserne afin de se concerter avec Dcn-Smaïl,
l'avait mis en présence de cclle en qui il n'cut aucune h' sitation à reconnaître sa fille.
De ce jour, une pensée tenace ct malsaine grandit en lui: c'est que la pauvre en [ant pourrait, <lU
besoin, Itü servir de rançon et d'otage. Oserait-on
employer contre lui certains moyens et le tir des
mitraill uses ne s'arrêterait-il pas quand l'innocente paraîtrait à côté du coupahle?
Malh llreusement pour lui, l'état d'extrême hiblesse de MilO de Brézières le força à l'ahanclollller
dans le fortin des montagnes où Ben-Smaïl ct une
escorte de Marocains dissidents étaient venus le
rejoindre.
on seu lement ils étaient attenclus, eux
t le préeieux appareil que le sergent avait sauvé
après avoir lui-même anéanti l'avion qui n pouvait
plus servir à sa fuite, mais chaque heure de J't'tard
avait pour les traîtres la plus redoutahle signification.
Laissée à la garde d'une vieille femme qui, seule,
dt'meurait entre deux razzias dans ce repaire de
hanclits, hristiane cl vait y ;tre recherchée cl \s que
le principal des négociations seratt accompl i, et
c'st sur ce retour que comptait l'autorité milltaire
pour arrêter le misérable.
�ISO
LE MAL QUE FIT UNE FEMMÉ
La vieille Fatma, conduite à la prison d'AïnSefra et questionnée par l'officier supérieur commandant ce territoire, n'avait pu, ou n'avait voulu
rien dire. A l'entendre, eHe vivait dans cette solitude depuis la mort de son fils, tué au Maroc en se
battant parmi les troupes françaises. EHe n'avait
affaire qu'à des caravaniers qui lui confiaient, nlre
ùc:ux éjours, 1 s brebis qu'ils n'avaient pu v\..ndrc
ou les agneaux trop faibles pour reprendre la piste
jusqu'à leur oa~is
natale. Que ces animaux aient
'té volés dans les douars voisins, Fatma l'ignorait,
ou se défendait de le savoir, et rien n'aurait pu
vaincre son obstination, On jugea donc préférable
de la renvoyer dans sa montagne, quitte à exercer
dans la contrée une incessante et occulte surveillance. Mais les explorateur l'ont remarqué avec
un 'tonnemt'nt toujours nouveau: c'est dans les
contrées sauvages, dans le bled inhabité et inculte,
parmi les étendues désertiques ou les savanes
vierges que les nouvelles se propagent avec le plus
de rapidité. Le tambourin, scandant une complainte
que le vent des vastes espaces véhicule jusqu'à
l'oasis la plus proche, une flamme qui brille la nuit
à la pointe d'un rocher ou, simplement, la fumée
'él vant d'un tas d'herbes que l'on brûle, el, à des
c ntaines de lieues, les indigènes savent qu'un des
leurs est tombé dans une embuscade ou qu'il est des
endroits où il serait téméraire de s'aventurer. Véritahle télégraphe optique fonctionnant, non s ulem 'nt dans les défilés abrupts d l'Atlas, dans le
'J'anezrouft, pays de la soif et des mirages, mais
parmi les forêts vierg s du Soudan ou sur les rives
du Nigu.
Les jours succédaient aux jours et nul visiteur
ne s'était présenté au douar que les Arabes, entre
eux, dés ',ynaient sous le nom suggestif du K ar de
la Peur. Prévenu par qu Ique complice, le désertenr, rcnr.nçant à xercer Ses cont stables droits
paternels, <lV;lIt dù se mettre en sûreté et, mainte-
�L~
MAL
QU~
FI'!.'
UN~
FEMME:
151
nant, seul un heureux hasa rd pourrait permettre a
la police internationale à laquelle il venait d'être
signalé de retrouver les traces de Gilbert Anceny.
Au fond de lui-même, le commandant de Brézières éprouvait un grand oulagement d'une solution qui éviterait à la petite bien-aimée les affres
par lesquelles e11e eüt passé s'il lui avait fallu comparaître devant la ju tice militaire, témoigner
contre ce misérable dont, malgré la répugnance
qu'il lui inspirait, le sang coulait dans ses veines et
auquel sa religion Jui avait appris qu'elle devait
le respect.
Certam qu'il pouvait sans crainte d'un brusque
rappel emmener Christiane loin de ce pays où dIe
avait subi de terribles épreuv\!s et ayant, d'autre
part, vu sa s.i tuation réglée par son affectation à.
un bataillo!! d
tirailleurs dont Alger était
le lieu d\! résidence, Georges avait obtenu de ne
prendre son commandement qu'à la fin de
l'année.
Ils avaient donc devant eux près de deux mois,
'deux mois qu'il voulait passer cn France, afin que
la jeune fille püt e rétablir plus complèt ment dans
la douc ambiance du pays natal.
Elle avait accueilli ce projet sans y faire la
moindre obj ction, mais aussi sans éprouver celle
joie d'en [ant qu'clIc manifestait si spontanément
lorsque Georges J'avait conduite sur la ôte d'Azur.
On aurait dit qu'une ombre de tristesse s'était étl'ndue sur elle et éteignait pour toujours le sourire
de c lle bouche et le rayonnement de ce charmant
visage.
Au jour dit, elle fit à la colonelle des adieux
~mu,
t comme Emilienne, lcs larmes aux yt.:ux,
lui disait, tout en la serrant sur sa poitrine:
TOUS nOLIs reverrons, ma chérie. D'abord je
vous promets, à notre prochain départ pou r la
Franct.:, u\! yenir vous voir, mOn cher mari et mOI.
�152
LE MAL QUE FIT UNE FEMMn
Vous vous plairez, j'en suis silre, à Alger. C'est
une si jolie ville, si moderne et si pittoresque à la
fois.
Sans répondre, Ch ristiane secoua la tête ct, dans
ses yeux qui semblaient suivre un rêve intérieur,
M'n. Darboises crut lire une détermination farouche
dont la jeune fille n'avait fait encore confidence à
per onne; mais, confiante malgré tout, l'excellente
femme se dit que la Providence ne pouvail se détourner de cette enfant malheureuse et touchante.
�LE MAL Qm; FIT UNE Ft.MMt
153
XIII
LE PASSÉ QUI N'EST PLUS
Même sur le bateau qui, d'Oran, allait transporter à Port-Vendres la jeune fille et son protecteur,
Christiane ne questionnait pas, indifférente à tout
ce qui se passait autour d'Ile. Elle n'avait point
paru surprise de ce chang-ement d'itinéraire et
n'avait pas demandé à Georges pourquoi ils ne passeraient pas par Marseille, comme la première
fois.
Avec la même tristesse muette, elle demeurait
sur le pont malgré la tempête de neig-e qui soufflait
d s côtes d'Espagne et soulevait autour du bateau
de courtes vagues aux reflets glauques et aux SOI11mets fleuris d'écume. On arriva en pleine nuit. Le
commandant, dès qu'il toucha la terre de son cher
pays, parut un autre homme. Ses yeux brillaient
d'une joie contenue et son visage avait une expression heureuse eomme s'il avait préparé pour sa
compagne quelque merveilleuse surprise.
Du bateau, un fiacre, e aladant la pente qui
mène du port à la ville, bâtie en amphithéâtre, conduisit les voyageurs jusqu'à la gare, où ils eurent
juste le temps de prendre Je train qui partait en
direction de Bordeaux. Ce ne fut que bien plus
tard lorsque, après une nuit ct une demi-journée
de ;oyage - on s'était arrêté à Toulouse à l'aube
et l'on avait attendu, dans un hôtel voi sin de la
station, un autre train qui, celui-ci, les emporta
�l S4
LE MAL QUE FIT UNE
l:'F.~
vers le Nord, - lorsque le commandant de Brézièe~
fit descendre sa compagne dans une station dont
elle n'avait même pas regardé le nom, que Christiane manifesta quelque surprise.
- Nous n'allons donc pas à Paris? questionnat-cllc de ce ton un peu craintif qu'elle avait maintenant en s'adressant à Georges qu'e ll e évitait de
nommer.
- Non. Serais-tu fâchée de faire connaissance
avec la maison où je suis né ?... Ce pays était aussi
celui de ta mère.
Christiane pâlit. Ses paupières battirent sur ses
yeux dont le regard se dérobait et, de nouveau en fermée dans son mutisme, elle se laissa
conduire.
ne auto louée par le commandant les amena en
moins d'une heure au château de Servanes. Malgré
l'hi ver qui avait accroché aux arbres une parure de
givre, brillante sous les dernières lueurs du soleil
couchant, et étendu entre les sillons de légères
traînées de neige, la jeune fille se sentait déjà
prise par le charme de cette contrée poitevine.
Aprè la mort de ses parents et malgré la carlïère qu'il a,-:ait embrassée, Georges de Brézièr s
n'avait jamais voulu se défaire de cette demeure
qui appartenait depuis plusieurs siècles à la lignée
dont il était sorti. Une parente éloignée, veuve et
sans fortune, avait consenti avec enthousiasme à
s'y installer. Elle considérait à la longue ce domaine comme sien eL le dirigeait à merveille; pourtant, elle accueillit avec bonne grâce la lettre où
son parent lui annonçait qu'il avait l'intention de
vcni r passer deux ou trois semaines au château de
Senanes. En quelques lignes, il lui expliquait la
mission qu'il avait acceptée, aus i lorsque Christiane, les joues animées par la bise piquante, les
yeux agr'lll(lis par une émotion neuve, descendIt
de l'auto, Marie-Rose de Verny savait qu'elle
acclll:illait la fille d'Eve et de ce Gilbert Anceny
�U: MAL Qm: FIT UNI:; FEMME
155
dont la faute é\vait 'failli rejaillir sur le nom de
Brézières.
Comme elle était bonne et tenait à satisfaire en
tous points son cousin, elle se garda bien de manifester à la jeune fille sa défiance secrète. D'ailleurs
la timidité, la tristesse même qui voilaient le visage
qu'un peu de bonheur aurait rendu éblouissant, disposèrent la veuve à plus de bienveillance.
Ce fut seulement le lendemain, après avoir laissé
sa petite protégée sc reposer d'un long et fatiguant
voyage, que Georges, sans se .rendre compte luimême du charme douloureux que ces évocations
avaient pour lui, commença pour elle une véritable
rétrospection vers ce passé dont rien n'avait pu lui
faire oublier l'attirance et aussi la désolation.
A chaque pas, dans le parc ou les différentes
pièces du château, le fantôme d'Eve se levait et
semblait cheminer à côté d'eux. Sans doute Christiane avait-elle conscience de cette présence occulte,
car elle ne questionnait plus Georges et, pou rtant,
parfois, elle avait l'impression dé savoir déjà cc
qu'il allait lui raconter.
Maintenant il ne sc contraignait plus et les mots
qu'il disait sortaient de son cœur, si sincères, si
déchirants qu'on croyait les voir saigner ainsi
qu'une fraîche blessure.
Un jour qu'ils étaient assis tOtiS les deux devant
la haute cheminée où bridait un feu clai r cie
grandes bûches amoncelées et que surmontaient les
armes et la couronne des anciens comtes de Brézières, Christiane osa interroger. Peu à peu le crépuscule envahissait la pièce aux angles éloignés
où l'ombre tissait ses lourdes toiles d'ari
,~ lée.
Seule, la lueur du foyer éclairait leurs deux visages
.e t illuminait tour à tour les prtl~es
grises du
~eun
homme et les larges iris glauques de sa compagne. D'une voix vibrante. une voix qu'il n'avait
pas entendue aussi chaude et passionnée depuis de
longs jours, clic demanda:
�156
U: lIlAL QUE FI'r UNE FEMME
Ne guenrez-vous jamais de celle blessure?
Ne pardonnerez-vous jamais le mal qu'elle vous a
fait?
- Est-il possible que vous m'ayez si mal compris, Christiane? J'ai pardonné le jour où jlJt consenti à vous consacrer ma vic ...
- Alors, pourquoi ne pas oublier ? ..
- C'est toi qui me demandes cela? ..
Il y eut entre eux un long silence, un silence
durant lequel il sembla à la jeune fille qu'elle pénétrait pour y lire dans le cerveau de son compagnon. Eloquente, la voix muette continuait:
« Toi que j'aime comme j'ai aimé ta mère, plus
encore, car dans celle première tendresse je n'avais
en fermé que mes premières émotions, mes rêves
puéril s. Eve s'était trouvée en face de moi, belle,
j cu ne, enviable, ct c'est à elle que j'avais dédié ces
prémices de mon pauvre cœur. Mais toi, tu es venue
alors que j'étais en pleine maturité, à l','ige des passions pro fondes, des passions dont on meurt. J'aurais, la première souf(rance de jalousie passée, oubl ié Eve, si Eve ne s'était imposée à moi en te
mettant dans mes bras.
« Qui sait si, à l'heure de la mort, alors qu'on voit
toutes choses avec d'autres yeux que Cell.' de la
chair, qui sait si elle n'a pas prévu ce qui allait advcnir, si Ile ne l'a pas désiré comme une réparation
et le meilleur des remèdes? Le mal qu'une femme
a causé, est-il écrit dans un livre, une femme seule
peut le guérir. Pourquoi ne veux-tu pas guérir ma
SOli ri rance? »
n:l1e allait ouvrir la bouche afin cie répondre ft
cdte supplication que, seul, SOI1 esprit avait pu ntendre, mais, bru squcment, ellc revint à la réait té.
Sa pudeur imposa silencc à son cœur. Elle roug"lt à
l'Idée qu'elle sc trompait peut-être ct que Georges
ill' l'avait jamai
aimée d'amour. Qucls sacrifices,
déjà, ne lui avait-il pas conscntis 1 Faudrait-il
QU'l'Ile lui cn imposât un plu grand encore en se
�LE MAL QUE FIT UNE l··EMMt;
157
'faisa nt épouser pa r pitié, car ce rtai n es insinuations de la bonne colonell e lui ava ien t la issé deviner ce que celte excellente femme désira it pour
elle. Ce mariage qui effacerait à jamais le pas é
maudit la ferait rentrer dans le monde, acceptée et
,fêtée, au bras d'un homme honorable entre tous. Et
·c'est depuis qu'elle avait pressenti ce tendre complot qu'ell e s'était plus douloureusement repl iée sur
elle-même, 1 ien décidée à ne point recevoir cette
dernière charité de celui que, pourtant, eUe adorait
clans le secret de son cœur.
E lle ne put plus supporter cc tête-à-tête qui, en
d'autre circonstances, lui aurait été si cher parmi
la douce pénombre qui descendait des grands arbres
défeuillés ct s'insinuait à travers la dentelle voilant
les vitres du salon.
Soudain, elle fut debout, cherchant une transition
afin de pouvoir prononcer les mots qu'elle s'était,
depuis plusieurs jours, promis de dire. Un peu
gauches, les phrases pourtant se formèrent, tandis
que Georges, stupéfait, l'écoutait, sans force pour
interrompre:
- 11 faut oublier, il faut vous refaire une vie,
vous marier. Vous êtes jeune, YOUS ne pouvez demeurer ainsi par n tn: faute. Oui, par notre faute,
cell e de ma pauvre maman, la mienne. :t'dais je vais
m'en alle r de votre existence. Je suis bien déci l~r.
à partir. Ce serait lâche de demeurer plus long-temps à votre charge. Je gagnerai ma yie. N'ai je
l'as l'instruction que vous m'avez fait donner, les
brevets que j'ai pris, sur volre conseil? La supér i 'ure, à laquelle j'ai écrit, m'a cordera certainement son appui. Alors vous serez libre et pourrez
être heureux.
ne teJ1e stupeur avait fondu sur le m:\lhellrclIX
que l:\ voix s'était lue aloI' que lui-mêmc dCl11 eurait atterré. Enfin, il lit un effort, sc dressa. II avait
t ourné le dos au foyer. Elle ne pouvait plus dist inguer même le contour de SOI1 visage, seulement
�ilS8
LE MAL QUE FIT UNE FEMME
elle crut s'apercevoir que ses épau.les s'étaient courbées comme si un poids s'y était abattu.
- Christiane, balbutia-t-il d'une voix étouffée,
j'ai bien entendu? Tu veux me quitter?
- Puis-je demeurer auprès de vous? J e ne vous
suis rien ...
- Tu ne m'cs rien. Cruelle fille. Tu ne veux
oonc pas comprendre que tu es tout pour
moi? )J'ai-je point assez fait pour que tu en sois
<:ertaine?
- Oui, je sais, vous avez fait pour moi plus
qu'aucull homme n'aurait accompli. Vous m'avez
aimée.. comme un père.
- Comme un père. Quand j'étais prêt...
- Je sais cela aussi: à me donner votre nom
afin de me rendre l'honneur que mon vrai père m'a
ôté. Mais puis-jc "tre assez lâche, assez vile pour
ace pter une telle union?
- Ch ristiane, tais-toi. Si tu savais combien tu
me tortures. Làche? Vile, de te donner à un homme
clue tu n'aimes pas, quc tu ne pourras jamais aimer ? .. Mais c'est moi qui serais un misérabJ si
j'imposais à ta jeunes e un tel sacrifice ... Ah 1 tu
n'as pas besoin de me le dire. Ton amour, mais
dan s mes rêves les plus amhitieux jamais je n'ai
espéré l'obtenir. Je t'aimais pourtant de tout mon
l ~ tre,
ct je consentais à ton mariage avec un autre.
Mes atermoiement, mes faibles défenses, hélas 1
c'était mon pauvre cœur meurtri, mon cœur qui se
révoltait et, comme un condamné à mort, suppliait ·
Monsieur le bourreau, quelques minutes encorc. Et
c'était toi le bourreau, toi, sur qui je n'osais 1 ver
les yeux, toi que j'adorais et qui attendais de moi
la permi ssion d'être la femme d'un atltre. Je suis
fou, je n'aurais pas dû t'avouer mes souffrances.
Maintenant rien, n'est-cc pas, ne pourrait te déci ..
der à r ster près de moi? Tu vas partir, n'est-ce
pas?
Il étendait vers elle oes mains o'ombre qu'cJl~
�L~
MAL QUE FIT UNE FEMMÊ
159
hésitait à saisi r. El1e eut pourtant un cri où elle se
livrait toute, mai
il n'osait comprendre la
signification de ce nom qu'elle lui j eta it d:ms un
soume:
- Georges! Georges!
Plus bas, il demanda encore :
- Tu veux parti r ?
Il la s ntit sur sa poitrine. Elle avait levé la
tête comme si ell e avait cru pouvoir, malgré la
nuit, déchiffrer ce que r évélait le visage bouleversé
de t'homme:
e n'est plus possible si vous avez dit vrai.
:!\1ais non, ce serait trop beau. J e ne peux pas y
croi re ...
- Tu ne peux pas croire r J e t'en supplie, explique-toi. Songe que ma vie dépend de ta [ranhis .
Elle cacba son [l'ont brûlant a u creux de l'épaule
qui l'avait rectlcillic.
- Georges... Serait-il possible que vous m'aimiez ... non eomme une enfant, mais comme tlne
femme, une femme CJui vous aime!
Eperdu, il ne trouvait pas les mots pour répondre,
mais 5 s lèvres s'étaient [losées parmi les houcles
où les lucurs du foyer allumaient de reflets d'o r
sombre ct ses deux hras s'étaient refermés autour
clu huste dont la chaleu r lc pénétrait jl! qu'au
cœur.
- Ma bien-aimée, ... ma ft:mmc ... , murmurait il
en resserrant son étreinte.
Alors, oqueLLe, elle dit doucement :
- J'avais tant prié pour votre bonheur otreDame de la Carde, mais je n'aurais jamais osé
espérer que cc fût à moi de réaliser cc beau souhait.
"
.. ..
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1
Deux mois après, dans l'humble chapelIe du chât eau de Servancs, le curé du village voisin célébrait
�] 60
LE MAL QUE FIT UNE FEMME
la très simple cérémonie qui faisait de Christiane
la femme du commandant de Brézières. Parmi les
intimes qui étaient présents dans le cortège,
Mm, Darboi es et le colonel, venus tout exprès pour
as i ter la mariéc et lui servir de famille, n'étaient
point les moins radieux. C'est qu'à tant de joie une
henreu e nouvelle s'ajoutait encore: le lie <enantcolonel venait, lui aussi, de monter en grade et
une même affectation allait réunir les de ux compagnons d'armes. Aussi, déjà, Emilienne formaitclle des projets de réceptions où la nouvelle commandante triompherait, non seulement par sa grtlce
souveraine, mais aussi par la réputation de noble
bravoure qui auréolait celui dont elle portait maintenant le nom.
FIN
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Title
A name given to the resource
Collection Stella
Relation
A related resource
https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/vignettes/BCU_Bastaire_Stella.jpg
Description
An account of the resource
La collection Stella est lancée en 1919 par les éditions du Petit Echo de la Mode. Ses fascicules sont des suppléments mensuels...<br /><a href="https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/exhibits/show/fondbastaire/collection_stella">En savoir plus sur la collection Stella</a>
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Dublin Core
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Publisher
An entity responsible for making the resource available
Editions du "Petit Echo de la Mode"
Title
A name given to the resource
Le mal que fit une femme
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Gestelys, Léo (1885-1973)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
[1937]
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
160 p.
18 cm
application/pdf
Description
An account of the resource
Collection Stella ; 419
Type
The nature or genre of the resource
text
Language
A language of the resource
fre
Rights
Information about rights held in and over the resource
Pas d’utilisation commerciale
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Bastaire_Stella_419_C92816_1111520
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Relation
A related resource
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/10/44949/BCU_Bastaire_Stella_419_C92816_1111520.jpg