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Ma,ali MICHELET: 217. Comme jadi''''
JeauDelte MORET: 331 }o$<lIe, daclylo.
Aune MOUANS: 250. La Temme dAlain. - 266. De/le .acr~e
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J.sé MYRE: 237. Sur l'honneur. - 335. L .. Fionçoill.. d. Ro.. II •.
Berth. NEULLlÈS : 264. Quand on al." ....
Claud. NISSON : ~7.
A la li"ère du bonheur.
O'NEVÈS : 291. La Br~che
dan> le mur.
Fl.rence O'NOLL : 323. La Dame d'A ,'ril,
CharI.. PAQUIER : 263. Comme le fltur ,. fane.
Marguerite PERROY: 285. Impo"ible Amitié.
Alite PUJO: 2. Pour lui 1
A. de ROUAND : 2ffl. Eni,. deux cœu".
Jean ROSMER : 290. Le Silence de la comfme.
SAINT.ctRÉ : 307. Sœur Aflne.
I.. bell. SANDY: 49. .\1 ary/a.
Pierre de SAXEL: 264. Une B.lIe·Mère ù fouf {aire. - 316. Pour.
elle 1
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No.b.rt SEVESTRE: Il . Cyranelle.
Gilbert. SOURY : 324. !If aryali'.
Jeu THlÉRY : 312. Nouvtaux tenu'.
Marie TIIIÉRY : 279. La Viuge dï lOlre
Léon de TI. SEAU: 117. Le F,nale de la S''71phcr,lt.
T. TRILBY : 21. Riv. d'amour.
29 Prinlemp. pudu - 36. Lu
Pel,ol •. - 61. L'inullle Sacrifice - 97 Arlttl" Jeun. j,l'e moderllc
1·14 L. Rou. du mou lm.
- 122 le Droll J'aimtr.
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C. d. VÉRINE 1 255. Telle que Je 'UII. 274. La Cha",on d,
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Vueo d. KEREVEN : 247. Sylda.
Max du VEUZIT: 256. l.a }.onn.lle.
J•• n d. VIDOUZE: 278. L .. Nou,'tau. M aÎ/m.
Adèle VICES : 3~6.
l.a Coupe orhE ••
Pabicia WENTWOR11I : 293. 1 a F uil. iptrdu •.
H. WlllF.TIE . 328 Claire Dot,i/
C.·N. WILLIAMSON : 227. Pri, de btaulE. - 251. L'ERlalllllle .0
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JeaD MAUClÈRE: 193. Le. Liens brin..
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Jeanette MORET: 331. Jo,.II •• dactylo.
266. D.lt•• acri• . ÂDDO MOUANS: 250. La Femme d'Alaln, - 337. Cisèle .xi/é•.
281. Plu. hautl- 314. La Bul"on/~re.
JOlé MYRE : 2F. Sur l'honneur. - 335. L.. Flançaille, de Ros.lle.
Berthe NiULLIES : 264. Quand on aim ....
Claud •• NISSON : 297. A la Ii'/'re du bonh.ur,
O'NEVES : 291. La Brèch. dan. 1. mur.
flore.ce O'NOU : 323 . La Dam. d'Auril.
Cbarl.. PAQUIER : 263. Comme la fleur .. fane.
Marau.rit. PERROY: 285. lmpo"ibl. Amillé.
Alice PUJO: 2. Pour lull
A. d. ROllAND: 269. Enlre d.u. cœurs.
Je.n POSMER : 290. Le Silence d. la coml."e.
SAlNT. CÉRÉ : 307. Sœur Ann..
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Vuc. d. KEREVEN : 247. SylVia.
Mu du VEUZIT: 256. La Jeannelle,
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Trop loin
de
•
mO l
l
Sur la grande enveloppe, qne tachent de
larges cachets rouges, le professl:ur :\Icrccy écrit
sans hâte ces mots : Il }'Ion testament)). Et,
lorsqu'il s'arrête, regardant sans la voir, audelà de la vaste baie ouverte ùevant lui, l'ombr<!
des arbres qui e détache sur le sable inondé
de soleil, ce n'est pas à ces pauvres lignes,
auxqndles il a confié la banale e. 'pre, sion de
se' volon tés dernière , que va sa pensée; un
homme de sa trempe a sou ven t t'lwisag'· h mort.
Mais il lui reste une tâche ù remplir, dont S011
cœur sent tonte la délicatesse, d sa mnill, !jui
a pansé tant de douleurs, tremhle pre 'qlle
lorsqu'il commence, de sa grandI:! écriture ndte :
11.\ l'ETlTE-FILlE cn?RTE,
Comme il voudrait trouver les mots <lui sau·
ront alléger, adoucir cette autre douleur qu'il
�6
TROP
LOl~
DE MOI
sent prochaine! Ce sera la première fois que
sa tel1drcs~
manquera à l'enfant dans la peine.
Il veut que son cœur soit encore près cl' elle
pour l'cntourer le jour où elle pleurera sur lui ...
Et dans ce cœur, qui a mesuré et sondé bien
de:> misères humaines, il trouve les mets (Jui
sauront apaiser et fortifier. Les pbrases s'alignent, pressées, Ull trait plus accusé rhèle de
loin en loin un instant de trouble, mais, lorsqu'il
~ terminé, dans ses yeux bleus fanés par l'âge
et qu'anime pourtant une flamme, on lit, à côté
d'une triste:::se poignante, la paix de l'ou,"rier
qui a bien rempli sa journée.
Ct:J)(,ndant, l'astre qui jusqu'ici dardait ses
fll·ches implacables sur la terre accablée scm!J'e
vouloir se faire plus indulgent; le jour se clore,
('11 cntend le glouglou d'une eau qui s'écoule.
L'est j'heure où l'on arrose le jardin.
D'llll mom"ement lent, le vieillarcl sc lève, t,
dEhout dans l'embrasure de la baie, il Hlmire.
nl' 'a tcrras::.e, qu'ornent dc rustiques "ases de
terre d'où s'échapp nt des gC:ranium exubéIr'llts, la \'ue descend sur le jardi 1, puis sur
la jigll\:! onduleu e des colline. qui 'écart nt
IlTl instalit, laissant au loin de\"iller la mer. Vile
<lo\1ce setlteur de t~re
mouilUc s'exhale du
jardi n, ct, dans ;cs partnres chargés de fleurs,
le. t1 cs c r drcss Ilt. l'oug,..., blanches ou
jaul1l.:S, 1 5 corolles semhlcllt revivre, et le soleil, avallt de di paraître, se jouc. comme J.
l"nisir, 5ur kurs coics polychro111 s, les )arant
(1(. pll1S ck bl'(lut6 encorc. C'!,: l partout un
cl(1,onll;1Iletlt cie fll;\II' : elles s'<'lal1cl'nl, j(\il110., l·tll, '~tal;1.
Ll' 'Ilceintes de huis ou dt!
111yrt Il: COl1tiCllll III il peillc, et ellcs sont
prête il lnv hir les bords de la large vasque,
�TROP LOIN DE MOI
7
au ras de terre, dont le jet d'eau dresse se;,
perles au milieu de toute cette splendeur.
- Grand-père, vous voilà en extase. Je vous
cherche partout et vous ne m'entend.:z pao;
venir.
La voix, où perce un léger reproche, est
jeune et vibrante, et clans l'embrasure de la
baie, sur le fonel obscur de la pièce, la silhouette
d'une jeune fille se débche. \ïgoureuse et
svdte dans sa robe clair~,
son chapeau à la
main, elle offre aux regards de l'aïeul, qui se
retourne à son appel, l'image même de la jeunesse saine et belle. Ses grands yeux de velour,;
brun, où passent des flèches d'or, disent le
bonheur de \·ivre. On y lit, ,avec la candenr
d'une âme forte, la dom:eur d'un cœur tendre,
et, au-dessous de son nez droit et fin. aux
narines frémissantes, cc un nez qui semble aspirer
la vie)), au dire de son grand-père, ses. lèvres
dfcouvrt::nt la ligne blanchc de dents éclatantes.
On dirait C]ue sa venue ajoute à la clarté clt'
l'astre déclinant et à la beauté de cette fin
d'après-midi. Et, dan;; les yeux de celui qui h
regarde, l'e."ta e continue ... Il oublie le poitl·
d'une pensée triste, la splendeur de la nature,
ricn n'e.·i5te plus pour lui C]tH! œtte enf.mt.
- Bonne journé', ma chérit,;?
- ExC]uise, grand-p':re. Des a1ï~
charmant
et gais, comme toujours. On a causé, on a n,
les petits 6taient plus drôles (lllt' jamais, et !lOll
avons fini par des parties de tennis épatante.,
Au~si,
je n'en peu." plus, ct j'ai demandé .1
Miette de 'ervir tOl1t de sl1it!;.!, si vous le \'0l11 '1.
Je montt!, et, dal1~
lin instant, je Vuus retrullV'
Mais vous, grand-père, cette journ~e?".
- Comme la til:!tllle, exquise, mon petit. l'LI
•
�8
TROP LOIN DE MOI
le dis toi-même, je la terminais dans l'extase.
Et il n'y il pas un tremblement dans la voix
grave.
Lor qu'un quart d'heure après, dans la salle
à manger trop \'aste, à la lueur du jour qui
finit, 1Iaryse songe aux ami nombreux autour
de la table de famille, c'est sans l'ombre d'un
regret qu'elle déclare :
- Grand-père, après tout ce mouvement et
ce brutt, CJue c'est bon de se retronver tons le,;
deux! J'aime ce qui, après l'action, permet de
se reprendre. J'aime le calme de notre chère
maison.
- Petite, petite, ne me flatte pas. La gaieté
de Beauval te convient mieux que l'atmosl hère
un p tt trop paisible de notre vieille demente.
Mais tu as raison, aime ce qui fait ta vie, c' st
ta l'art. Sache y prendre ce qui peut y rester
de bail.
Elle sai it sur la table des pétales de rosè qne
la brise a effeuil1' e, ct les yenx fixés sur la fleur
qu'elle froisse :
- Oui, grand-pere, j'y songeais tout à l'heure,
en V\.'11allt SOli notre beau ciel, en regardant le
soleil _' n aller; j'aime ma vie ...
Et, reJeTant sa jolie tête, lle ~ol1fit
tendre11Ient à Cdlli qui Ose croire à es parole
haque sai. on y ralllene de joi 5 non\elles dillS 11It cadre toujours égalel1lent bl'au.
Avec l'étl' , j'ai mes ~lIni
,le cali cries iwec 1113
(hère
11I1ie, le folll' randonnées. L rsqu
B u 'al
"HIe, je r rouve l\.' calme, je da c
mes ou nirs. h.: j;lI lin
t plu joli fille jamai ... ht 110S promenades, 610rs, grnnc -TJLre,
qunlld du pavs elltier montent, avec ulle donceur eo"quise, les senteur de l'automne, et que
�TROP LOIN DE MOI
9
vous marchez près de moi, en récitant les ver:;
que j'aime de notre cher Virgile ou des passages
de: Mireille! Vous avez oublié nos chères promenades?
- Oui, les chères promenades ...
- Et puis, l'hiver, c'e~t
la reprise plus régulière de nos lectures, de l't·tude. \'ous m'apprenez à aimer, à admirer tant de cboses, et, moi,
je vous fais goMer mes grands musiciens. Quand
le ~olei
se fait moins ardent, on allume les
bons feux qui dansent et vous suggèren t tant
d'idées folles ou douces. Et quand le printemps
revient, étonnée de son retour, je ne me lasse
pas de voir tout sc transformer ùans la campagne, dans le jardin, en moi-même .. ,
- !\Ia chérie, tu deviens lyrique!
- C'est que les étoiles s'allument ct m'inspircnt. Ten z, grand-pèrc, venez les voir et
dite. -moi s'il est possible de rester insensible
de a11t tant de heauté.
Et, pa sant t ·ndremcnt son bms "OlS celui
(lu vieillard, t:l1e l'entraîne dans les al1les sahlét:'s. Il pe11che sa haute stnture nrs le jeul1~
ttre qui, cl· lui, a appns à i bien parer c~
emhellir lt:'s heures. Longtemps 115 se prollIenellt, tandis que le jet d'eau, dans l'ombre,
égrelle .a chansOIl.
�ao
TROP LOIN DE MOI
II
Le tiède soleil de cette fin d'odobre, filtran!
à tra\'dS les persiennes closes, lai::.se à peine
d viner, dans l'ombre, la silhouette de ceux qui
prient auprès de l'être cher qui vient de les
quitter.
Depuis une heure, tout est fini : l'âme d u
professeur ~I ercey s'est envolée vers des régions
meilleures, laissant seule la pauvre enfant <lU!,
à genoux, fixe, cie ses yeux chargés (le larmes,
le visage de l'aïeul. Elle ne peut croire :\
son malheur. Il va se ré\'ciller et lui sourire,
tendre vers elle "es mains trop blanches que
Miette a croisées sur sa poitrine, ~e:;
doigts 4Ul
serrcn t le cntcifi,', elh: pourra encore les baiser
en lIll geste tendre, \;;t la vic rCl reJ1(lra plHlr
elle, ùouce et protég~e
par cette !ürcc (,:i ue
peut pas l'avoir abandon n~c.
Hier "oir, apr0 ' une longue C'auserie où il a
fail repasser les !:>ou\'Cl1irs de sa lointaine jeune~,
il lui ,\ c1e111:1n<l(' <le la musique, (>t la
Beelhovcn et 'dm soirée s'est .1C'hevée a\'l~C
m,WI1, Flic a fait \'ihrer etH.'ore" pour lui l'Amotian ch! 5'5 romances prUéré "
(( G rand-pèn: , !-o011 Yc-l-elle
se gra nd s yel ;:
al1.,jeu,' in terrogeant le vi-.oge e,'a ng u e, - vous
11 ' ét il: z pas malade hier , VOlt::. si gai, vous n e
sou ff riez pas) »
�TROP LOIN DE MOI
II
Elle repasse dans son esprit l'affreu se matiné e.
Quand Miette est entrée dans sa chamb le, elie
n'a pas d'abord compri s, son esprit se refusai t à
enregis trer les paroles alarma ntes.
« Son grand-p~e,
très ma1? .. l)
torsqu 'elle es: arrivée près du malade , c'est
à peine si elle y croyait encore. Elle s'est empressée , aidant la vieille bonne dans les soins
qu'elle avait coutum e de donner à son maîtn:
lors de ses crises et qui, cette fois, n'ont rieli
fait.
J\Iais ~I.
le curé cst entré. Il a oint le
front, puis les memhr es de celui qui ne pOtlVa: l
plus parler, et alors la vérité a pén6tré jusqu'à
elle. Une dé:tres e affrt!use s'est emparé e de tout
SOIl ~tre,
il sembla it qu'un gouffre s'ouvra it devant elle, et elle s'est effondr ée au pied du lit.
CelJen dant, au milieu de ses sanglot s, un espôir s'est levé: Celui qui, dan sa miséric orde,
"ient au seconrs du chrétie n qui s'e11 va, purifiant l)ar les mains de son prêtre les souillu res
de son rtlne, peut aussi rcn(he la vie au corp
qui s'ahand onne . Et sa priüe 'est élcv(c, inten. e. Tout son lotre t ndu clans une supp:.catiol1
arclellte, elle a prié- COIl1Il1c elle 11';1'nit j, mai.,
prié jusque- là. Et le ,eig'llc nr ~!:>t
venu Cl SOli
aide. Elle s'est redrLsséL" 11(' pen. ant plus (1U';t
l'être ch r (]ui souffra it, Elle a Jlri~
dHns seS
l1ai~
11.::; 1li~
déjà floid S Cjui e sont r\os~c
rées sur l !:> • iel1lJcs.
- (,rand- père, je ~nis
lù, c'e t \'otrc petit",
l\Iarysc . Cela va l,a. ~er,
\ ()U~
irez mien,-,
Quelqu e chose comme lin sounre a né SU!
les lèvres du moriho nd. ~
~ cux, ou TC ta:t
enCore une lueur de \'ie, Sl: !'.ont fait infinim ent
tendres . Toute la ùouceu r de sun amour a passé
�12
TROP LOIN DE MOI
sur son visage. Puis ses paupières se sont closes,
et, tandis que la pauvre enfant, penchée vers
lui, épiait les moindres signes sur ses traits
décomposés, elle a senti peu à peu se desserrer
son étreinte.
Son cœur brisé lui fait mal. Gn moment, elle
: ouffe. Elle sort. Ses vieux serviteurs veilleront
a c1~pouile
du maître.
Dalls le bureau, où elle pénètre comme une
utnmate, à la recherche d'une présence qu'elle
ne ,eut y trouver, elle s'approche de la grande
table, tend la main vers les livres qu'il feuillelnit chaque jour, ouvre un tiroir où il gardait
( lte' lue' souvenirs chers. Il lui semble qu'il lui
lrJl1tre encore ces photographies jaunies, qu'il
\. Ill! conter les mille riens charmants qui se
r~tachel
à toutes ces choses et les lui rendaient
précieLbes, et, lorsque sa main s'empare de l'envLlOllD..! où se détachent les tendres mots :
K Pour ma pdite-fille chérie, ::'Iaryse d' Astries )),
elle a comme un sursaut, on dirait qu'un étal!
lui !'err la gorge, et ce n'est qu'au bout d'un
tn01!le l qu'elle peut lire:
~rol.s(',
n'aie pas de chagrin. Je sllis pnrti. tllfl1S
lllon âm' flotte encore dans notre demellre où Je
t ... l, l'~e
>;l'Ide, mai,; pn,; si sLuk, cependant, que
t\l k crois. Je te confie à Celui qui ne manque à
l'-:r~()1
ne.
parti, mon enfant, c'était l'heme, et je
J s\li~
n'ai qu'un regret: celui de n'avoir pu remplir toute
1111 t"tt:ht:, cclle qlte je tenais ùe celV qui s'en sont
al1'·~
tro]> trît et qlti t'avl\~
donn":e à mOl, tOI,
la ltl1ui0rc de l11a vic fi Il iss,lllt '.
SOB, nu petite-fille, ce que tu as ":té jusqu'ici,
�TROP LOIN DE
~IO
I3
Que ta bonté rayonne sur tout ce qui t'entoure;
garde l'e:xqui~
fraîcheur de ton ~lm
; répands autour de toi la joie ct entraîne ceux qui te verront
vine \"er~
cet idéal de bien qui doit 0tre le tien,
comme il a été celui des femmes qui t'ont précédée
dans ma vie : ta grand 'mère et ta mère.
Il en est une autre .dont je t'ai parlé souvent et
que tu connais par mes récits de jeunesse : mil
soeur :\Iarie, ta grand'tante, un peu ta marraine.
pni-;que j'ai demandé que tu portes son nom. C'est
ta seule parente, va \'ers elle. Son âme saura comprendre la tienne. Dans cette lointaine Hongrie
où le sort l'a fi X l'e , va la rej01l1elre. St dur que
cela te paraisse d'abandonner notre l'ro\'euce et
uotre chère maison, tout ce qui, jusqu'ici, a fait
ta \"Îe, n'hésite pas. Un cœur fidèle emporte avec
lui hcaucoup de ce qu'il aime.
Et tu sauras faire re\'ivre le passé auprès de celle
qui t'attend et qui, peut-être, a souffert. Que ta
chaude tellClre'lse l'entoure. Quan(1 tu la connaîtras,
je sais que tu l'al111era..; <l\'ec tout t011 cœur qui
sait si bicn se douncr. SotS pour clIc ce quc tu
a~
{t~
pour moi, mon cni.ult chl·ric, J',l,;tre ta) 011naut qui a rl'chauffé ma \"iclk.;,~
l'rè,; dt: toi.
j' ... i nu p:ufois retrOU\'er tout cc que j'on'ai..; perdll,
et .i 'ai béni le Seigneur qui 111 'a\'ait hi..;,;( qU E.lqll 'un
à allll 'r.
Encore une fois, ne pleure pa.;, lll:1 ]Jetite-tilk
Je Wc repo~c
clan,; ln paix. Sois \"atll,lute ct \ h
cOlragCI~e1t,
continuant à aimer l~
que nous
a\;)1:s aimé 'l1s<::ll1ble.
Cltltive ton esprit. ouvre-le à tOl1t Cl' que l'
mpcle r~nfe1lc
de brlll. Cnlb\[:, nrtout ton ;1I11C' ,
fai'\-Illi dUllller sa ]JI '11le mesure. C'est L\ II t:I'~
la plll'; pr{'ciellse qui IlOUS soit confil-c par la l'r ..
vilh~nec.
Fai~
s'épanouir l 'S flellrs 111CI \eil]'lI cs
ql1e le divin Ouvrier a l1ise~
en germe tians le jal-
diu de tou âme.
�14
TROP LOIN DE MOI
Sous l'influence des paroles tendres et fortes,
on dirait qu'un peu de paix descend sur 1\1aryse. L'arc de la douleur amère se détend, ses
yeux semblent s'ouvrir à une lumière. L'homme
qui n'a faibli devant aucune douleur lui insuffle
la \'aillance. Elle a une tâche à remplir, dIe continuera en elle l'œuvre de grandeur morale
qu'el1e a toujours vue en lui et dont elle sent
aujourd'hui toute la beauté.
- Grand-père, je serai digne de vous. Je vivrai sous votre regard, dit-elle a\'ec ferveur.
Elle scnt comme une présence autour d' lie.
Ne lui dit-il pas: « :\Ion âme flotte dans notre
demeure »?
Ses yeux se Ihent vers le ciel où il est
allé, un sourire tout noyé de larmes passe sur
son dsage, et dl! ses lèues jaillissent les mols
familiers:
- Grand-père, je vous aime .. . et vous m'aimez encore.
Que: apaisement, quelle douceur à cette pensée! D, fortifiée, elle \'a \'Crs le jardin qui
sl.:mhle étranger au malheur de la maison.
1.a dOllceur de l'automne le par de plus cl::
magnificCllœ qlH! Jes saisons pas~é(:.
Le dahlia'
lllultico\ort:!s le di pntent 1.:11 beaut~
aux chrysanthèmes (:che\'·l~.
dont l ,,,leur pénétrante cm·
l,lit l'air, .c mêlant mlX :--enteur'-' de f<:1Iille
1111) t s. Quelqms ru èS attmdée
"emblc:nt frêles
"Il prt:s de leurs
rohuste" sa urs, les fleurs
cl'a" letC- 'tÏS0I1, t leur grflce fait ~ol1ger
à U11
"OPI'I <Ill; s' -ITalC 'l'ulItes Cl'S fleurs (;r)l]t 1~
vil'illaJ(l surveillait alllOtnl.:USClllcnt J'~c1()sion
S'li :tnoUI::;scnt Ü l'ellvi sous le tiu1c soleil.
,jlal ' ( Ol1gc qu'elles s'offr(\lt [ <.:llc IJour
par r la couchc de cLlui CJll1 les (limait tant,
�TROP
DE MOI
LOI~
I5
Et, rapide, elle fait une ample moisson. Les
fiers chrysantème~
et les dahlias chato\'ants
tombent et se pressent entre ses bras. Elle va,
vient, fauchant autour d'elle toute cette
splendeur.
Dans la chambre, quand elle entre, on dirait
qu'avec elle tout le jardin s'est transporté. Le
lit disparaît sous les pétales blancs, jaunes,
pourpres, ct leur~
couleurs rendent moins désoléé la chambre où la mort a passé.
III
Bien des jours se s0nt éC0\t!es depuis que
Maryse, pour la prt!mière fois, a f.lit la triste
expérience de la douleur. Jusqu'ici, le ~LCur
S1
doux ct attentif de son aïeul a ptt voiler l'am [tU111C: des séparations définitives à son âme ll'cnfant, trop jeune, d'ailleurs, pour en mc:-.urer
la profondeur. Chaque fois qu'une affectIOn S't'Il
est allée, il a su, pour la rl:!mplaccr, sc. f.lirc
encore I)!uS tendre. L'flme blessée du vieillard
a concentré tout son amour sur cette enfant qui,
seule, lui restait, et on grand cœur, à chaque
blessure, s\~t
élargi pour êtrc ù la tU sure de
tout Ct! qui lui malHluait.
Il a su si bien façonller son fune, il s'est si
merveilleusement appliqué ù diriger son esprit
et son ClCur que, mGme au-delà tic la vic, son
action bienfaisante se fait encore sentir. Après
�I6
TROP LOIN DE MOI
un premier moment d'angoisse indicible, Ma..
ryse a troU\'é, dans le souvenir de celui qu'elle
pleure, la directi\'e de sa vie. Chrétien, il a
imprimé en eile une foi profonde. Elle Slit que
Lieu ne lui manquera pas, qu'Il c t le {:ère et
l'ami lIe toutes les heures, et sa jeune âme, qui,
dans les jours de bonheur, se tournait vers Lui
pour lui offrir ses joies, s'ouvre tout (ntière,
à\ cc une confiance d'enfant, pour lui dire sa
trj"tlsse, La paix est descendue dans son cŒ\1r
et, m'ec la paix, la force de repl'\:ndre sa route
avec l'c"poir de la rendre ll:concle, dans le
simpL aco1lpi~sent
du c1e\'oir pn:<;ent. Ceux
(jUl J'ont précédée clans la vie la regardent du
haut dn Cid, elle le sait, lt cette séulc IJlnsée
la n;nd vaillante.
Dans le sentier en raccourci qui, du village,
escalade la colline, l\Iaryse monte \'er:-i la maison qu'e11t: abandonnera dans quelques hcures,
L'a\'er<:e de la \,e'l1e a purifié l'atmosphère, ct
un clair soleil de jall\';er l1lUlllin le paysage
familier, auquel "on cœ Ir tient, semble-t-il,
par tr\1t(s ses fibr :-.. Sa maison, son jardin, sa
PrO\U1Ce, <:011 r ays. i11\1i faut quitter toutes ces
cl se et partir \'ers l'inconnu, \'ers une tendre e ql1i ~'ofTre
à elle.
Flle vil'nt oe <:lire adieu à ses humh1es am;s
de Paillanc, Dec; larmes 011t cOlllé Ur le visage
<lt:' bonn s vieilles qu'clle vbitait souvent,
apport, nt dans le111 tri te vic de recluses Je
m.'on de soleil dea jeunesse. Les petits ont
t '1](1u
\' rs <:11e lC\11 s bras
t 1 ms frimOlls"cs harbouillée (lU' Il> a cmbra séc~
plus
tendrement que jamaL, IJour tant de mois o~
�TROP LOI
~
DE MOI
17
ils vont grandir sans elle. Tous la regrettent.
Ils le lui ont dit avec des mots maladroits quelquefois, mais si touchants; et son âme e:mportena au loin cette gerbe d'affections vraie:;. Elle
5'e:=t raidie contre l'attendrissement qui montait, menaçant d'emporter son courage . .:.\lais
devant la tombe où elle laisse ce qu'elle a rJe
plus cher, elle a faibli, et sa prière s'est mouillt:e
de larmes.
A la porte de la maison, :Miette et son mari
l'attendent. Les pauvres gens croient qu'a\~c
elle toute leur raison d'être va s'en aller. Tra"ailler, pour qui? Le jardin, la maison, les soigner, pourquoi? .. Leurs regards navrés disent
leur 1)eine. ?lIais pour eux, pour lui aussi, dont
l'fll1le peut-0tre viendra visiter la chère démeure,
la jeune fille veut que la maison reste vivante.
- Miette, je t'en prie, pas de houss(;s, pas
de poussière, rien de ce qui sent l'abs<:'l1ce. Je
reviendrai, tu sais, et sans te prévenir, peut-Ore.
Que les fenêtres s'ouvrent toutes granùes ad
soleil. Fermées, elles donneraient l'impression
que la maison est morte. Que rien n'y c: ang~
de place 1 Et, lorsque le::. fleur::. rcnaîtrollt, car
Paul a mission de les ::.oigner plus 'q ue jamais
pour en parL:r la tombe, au \ illage, tu ell mettras dans les vases, au saI 011 , sur le bUfeau de
grand-p~e,
(lans ma chambre. i "oublie pas le',
boutures, mon paune vien,-. BC:c1!e, arrose,
greffe, je veux que le jnrc1in soit be(lU en chaf]t1~
aison ct me fa e fête le jour où je viendrai
VOtl.; 5urprelltlre. ImagilJez toujours que je sui'!
ht, prête ù entrer, ct moi, de mon côté. lor 'qne
je Il n erai à La \'errH.:lle, je vous y vcnai, ",1clnnt le plate ·bandt:s, arrosnllt les fleurs, nllant
ct venant d'nue chambre à l'autre, et je vous
�18
TROP LOI~
DE :i\,fOI
sentirai moins loin. Et puis, n'oublie pas, ma
honne }Iiette, les l)etit::; plats que j'aime tant,
œux que préférait grand-père, surtout. Songe
que je suis gourmande et ne laisse pas se perdre
ton talent de cordon-bleu. Je veux un festin à
mon retour!
}'Iiette a toutes les peines du monde à retenir
ses larmes. Paul tourne d'un côté, de l'autre. Ils
écoutent, approm'ent de la tête, ne trouvent pas
un mot à répondre à cet aimable ba\'ardagt> fai,:,
ils le sentent bien, pour remplir le vide angoissant qui précède tout départ.
Touk la journée, ::'Iaryst! se line à ses préparatifs. Dans les mallt!s béantes, linge et bibelots, robes, cahier::" livres s't!ntassent. El1e veut
emporter tout ce qui lui permettra de refaire,
là-bas, un coin familier où eUt! retrouvera ses
chères habitudes oe travail.
- Miette, fais-moi pas~er
ce vase que grandpère m'a doan6 ]Jour mes seize ans et lu photo~rnphie
dt! maman. l\Ion panier à ouvrage, ce
naqud ...
- :\Iais qu'y a-t-il, Seigneur, là dc.:lans~
...
- DI.! la Jaine.
Et vons emportez ça la-bas? Ça encombre
tout ce cartol1!
- Je tricoterai d('s chandails ]lour lcs petits
ch! ]eanl1l.!, je te les enverrai ct tu les lui porteras de ma part.
- Eh! 111011 Dil.!u, que de complication,> 1 \'OU5
auriez JIU achder les chandails tout faits ou
trOl1Vl.!r dt! la laille daIls le pays de l\IlDe ;'[<lri~.
- Xc me parle pas (Ii.! ça. J'aurai tlu plai~;r
à travil~
pour l~s
marmots d'ici, et avec de
la laine d'ici, achetée dans la boutique de la
mère Rouzille.
�TROP
LOI~
DE MOI
19
Et le heures passent. ~Iiet
gronde un peu
Mademoiselle d'emporter tant de choses.
- Laisse-la faire, dit Paul, le soir, lorsqu ' elle
lui racon
tout ce qui s'est entassé dans les
malles en n terminées. Crois-tu qu'elle nt. \OUdrait pas emporter, si elle pouvait, la maison
ct le jardin, et nous avec, dans cc pays où Je~
gens parlent un patois extraordinaire et où elle
sem malheureuse, pour sûr!
~Iicte
approuve. Quelle idée aussi c1e s'en
aller si loin! ~'eCltpas été mieux ici, pn:s
d'eux qUI l'auraient servie, sOignée , c1 o rl ü té~,
leur petite demoiselle qu'ils ont vu naître, qu'ils
aiment comme ils ont aimé avant clic la bonne
dame et ~lonsieur,
et les jeunes flui sont partis?
- Quelle idée a eue notre pauvre ;'Ionsi<:ur
de lui dire d'aller là-bas!
1\1ais ils s'mrêtent ; on dirait qu'on entend le
piano du sa1011. A tra\"ers les portes clo~es,
1è
sail arrive jl1~q'à
cu.".
le
- C'e t comme lorsqu'il était encore l~,
1'at1\'re , pour l'écouter.
:\laryse a voulu, a\ ant de quitter cette chère
demeure, re\Î\"Te tous se 50\1\' nir , d, le dîner
fini, co'pédié :l la hâte dane; la sallt! à mrJllger,
si vitle à présent, elle e~t
ri llée cl 'une pil-cc à
l'autre .. on rl'grnc1 s'est arrêté snr chaqut! chose,
s..'s mains ont touché mille riens où s'attachent
COlllme des lambeau.' de sa \"ie. Elle {1 re\ 11 ks
hons jours, le~
doux momcnts cl'intimité hl:Un:t1Sl', ct elle s'est pri~c
,! cans r u\"cc celui
qu't:1Jc sent cncore 11rès d'e11l.:. Arrivée dane; le
salon, cette pré~elc
lui a paru pIns proche, et
dans un élan de tonte sa jcu1le âme vibrante:
- Grallcl-pLre, avant fIne je parle, \O\lS a'lez
m'écouter encore, Comme Je dernier ~ojr,
je vous
�20
TROP LOIX DE
~10I
douerai Beethoven, je chanlerai Schumann; ce
sera mon adieu . . ,
Cn rayon de lune glisse sur le parquet jus..
Qu'au piano, et longtemps :\Iaryse joue et chante
dans l'ombre pour l'âme de J'aïeul q aimait à
se laisser entraîner à sa suite dans les régions
lumineuses de la musique.
IV
Au-dessus du Danube majestueux et de la
1l1orl:::rne cite: qui lui fait face, étrangère au mou\èmCll et il l'agitation, Uude se dresse et s'isole
COl WH: une aristocrate que gêne la promiscuité
clU ':l(\'ld e des afbires . Dal1~
sc rues charmantes,
5 'i "i ei11 es cl ' Illeures seign unales Se recllt'illcnt,
... 'ég;igeant cie grimper :l la conquête du ciel,
C 'lll1l1e les caravansérails dl: l'autre rive, elle..;
{tah'nt, tont au long des trottrJirs, les grilles
r,' nnù:s de lptlrs fenêtres joliment décorées,
Ll'ms h;1!cOI1S on\T~gl:"
d les écussons qui sur1 1 1()!lt~·
lt:urs ]lortl.:s au, - ~()\tnl:;
battant::; attesl ' 'lt kur r,L\I1d ûge et la 1!oblesse de ceux qui
1 s 1 ahitenl. Et, si \<)I\S t:1l francbi"sez 1<: senil,
(le, 1\:ntI6e, Ulle conr ll1'>si large qu'llnl: cour
de ferme s'offre, [lCCll ilI.l1tte. C'est E, que les
pay 11s de jadis, en \ i... itc chez leur seigneur.
r 'misaient kil!'" cbarrelle,> au . hL.:uUX jours on,
l'hiver, lellrs lraÎnea11x.
'1'011 t c"L vuslL.: dan" ces l1oblt's ùemeures faites
�TROP
LOI~
DE
~IO
2{
•
pour héberger, auprès des maîtres, tout un
monde de serviteurs. Les escaliers aux noblps
proportions, les grandes salles somptueu"ement
meublées, y t:voquent le sOU\'enir dt!s fê te':> ~é
gendaires où magnats et grands seignc11rs dt::
,V ienne rivalisaient jadis de luxe et d't!lltr:li'l
Dans le grand salon de la comt~s
e Pbzknyi,
l'après-midi s'achève au milieu du brou h,liu Il, ;;
conversations. Après le brillge, les homll1O:::5 ::i;!
sont rapproché · ùes femmes jeunes on plus
mG.res, des jt!unes filles aussi, qu'attirent ~\1l'bilité et la bonté de la comtt!"sc. On jJ,lrlt! des
dernit!rs événements de la st!maine, lie Il \'t: /l ue
prochaine d'ulle granùe artiste de \ïenlle :\
l'Opt:ra, ch:5 fiançailles qui se prépan.:nt, des
mille cho.;e. CJUI font la vie de sociC:té d'une
grande illc et CJui, l't Budapest <lutant qU \ lilleurs, ont vite fait le tour de la cité . Quùllt aux
scandales, on les murmure à Illots couverts, car
la maîtn.:sse de mai"on, d'uil mut, toujours,
arrête It:s métlbants ou les ca1ol1111iatulr;i
- D'abord, qu'en savez-vou ' ? ..
Et lorsqu'il s'agit dt! ses ami" :
- Xt! m'abîmel. donc pas eeu.· q ue j'a ;ll'e!
Délicieusement femme dn monde, s<lc b.1I1t dire
à chacUlI ce qu'il attend d'ellt!, saell. 1t JI1iel:~
encore C:eouter, cette Française, étrangèn.! "ur
la terre lointaine, a réussi à crt:er autour d\.::lc
une atmosphère de sécuri t6 ct de !lai x où 1 ou
Sc meut à l'aise. On sent qu'une :'Ime \'it dand
cette maison, compatissante à ceux qui souffrt!tlt.
indulgente à ceux qui sont troublés, omcrte
tOllte grande aus·si à ceux qui s(,nt dans 1" joie.
Mais, ce soir, on lit une ÎnquiC:tmle sur 1,
visage de l'aimable femme, t!t il faut qlte ~oil
bien profonùe l'émotion qui l'agite pour qu'el!.:
�22
TROP LOIN DE MOI
se risque à dire à sa fille, la baronne Ranzi,
qu'entoure un groupe animé:
- Utzi, ma chérie, je crois qu'il est l'heure de
partir. Avec ce temps, la voiture n'ira pas vite,
et je ne voudrais pas que tu fusses en retard.
La jeune femme sourit, Indulgente à l'inquiétude maternelle :
- Soyez sans crainte, maman. Accordez-ma;
cinq minutes et je P'lrs. Andor, d'ailleurs,
m'accompagnera, et je vous assure que nous
attendrons encore sur le quai de la gare d~
Kelt:ti, ou le vent soufl1e à cette heure.
~a
\"oix est chantante, et, clans son accent,
quelque chose trahit l'habitude de la langue
m,lg) al C, Ull p~u
!cntc. La robe de soie grise qui
moule sa taille gracieuse fait ressortir ]'éc1at de
S011 teint de blonde. Grande dame c mme sa
mère, elle n'a cependant pas au même degré
la simplicité qui charme chez cette c1ernicre, et
1'011 :-e11t en elle plus de frivolité et plus de noncJwlance .
.\rj~tocae
jusqu'au bout des ongles, le baron
fait a\'l.~c
elle le plus joli ménage qui sc puisse
\ oir, et, lot que tous deux s'inclinent devant
lc:~
<1ounirh:res pour prendre congé, elles ne
pcm: ent manquer cl 'admirer la grâce souple e~
fUlc de la femme, J'élégance et la belle taille de
011 COIllt)agnon"
Cepl11dant, leur dépar a dislof]ué les groupes.
011 se (;pa1'c, et bientôt, clans l'antichambre,
ch,1 Ul! s'cmmitoufle et s'apprl-tc à affronter lé
vellt bu: qui oufi1c après la chute de neige de
l' dprl·5-midi.
C'e t ;1\((' un soupir de soulagemellt f]tH:' la
comte sc P sztel~
i voit s'éloigller ses derniers
h6te . P(JUI rÏt:1l au monde dIe]] '.aurait voulu
�TROP LOIN DE MOI
23
que celle qu'elle attend la trouvât entourée de
cette jeunesse bruyante et gaie. Elle devine quel
doit être l'émoi de l'enfant qui a tout quitté
pour venir jusqu'à une parente qu'elle ignore
IJr-.!sque, dans ce pays où tout doit lui paraître
hl ;tile, e.t elle veut faire l'impossible pour qne
son accueil rassure sa détresse.
Elle a décidé de la recevoir dans ce qu'eHe
appelle « son domaine particulier)), le salon
petit et bien clos que son mari lui a fait amél:~er
jadis au temps heureux où il l'a tranSlllantée, fleur un peu craintive, dans sa l10uvdle
patrie.
- J'ai froid dans vos pièces trop vas e' où
je me sens petite et seule, avait-dIe coutume
de dire.
Et, toujours attentif au moindre de ses (]('"irs,
il a vai t mis tous ses soins à meubler le charnJ:1nt
boudoir où se sont écoul0es les nl(.:llknrb d-.:~i
heures. C'est à Paris que le comte, amat0ur de
choses anciennes, a été chercher les trésors
~rtisque
qui seuls convenaient à son adorable
com pagne. Bergères et fauteuils, bonheur du
jour et guéridons ont apporté dans la somptueuse demeure tout le charme du dix-huitièll.!
siecle français, pour le bonheur de la f 1 Ille
qui retrouvait dans cette pièce « un cad'le j "'.l
mesure)l, disait-elle.
- La griÎce et le charme de tout ce qui \ 1 lit
de France, corrigeait son mari ~a\lt.
- Allumez toutes les lllll]le , dit la \ i .,
dame au domestiqÎlP Ciui \·ic.:nt de répollcln: ~l
appel. Et n'oublie pa le feu!
tes chelllin0es, 'est le grau 1 lu.-e de Co •• \!
~meur
dans un pays où 011 les ig IOre.
�24
TROP LOIN DE MOI
Et, passant dans sa chambre où l'attend ~a
vieille femme de chambre, venue avec elle de
France, au temps de sa jeunesse, elle s'informe:
- Jeanne, tout est-il prêt?
- Oui, Madame, depuis ce matin.
- La chambre est en ordre?
- J'y ai veillé moi-même.
- Les fleurs, en as-tu trom é?
- A Pest, chez le fleuriste; j'ai pris les plus
jolies. Et le feu brille clair dans la cheminée.
Elle aura froid, la petitè demoiselle, après avoir
traversé tous ces pays glacés.
- Oui, pauvre enfant, et froid au cœur aussi,
peut-être. Vois-tu, Jeanne, il Iaut que nous remplacions toutes les affections qui lui manquent ...
et son pay .
Il Y a comme une tristesse dans la voix de
la vieille dame. Et, di crète, ùevinant pom m'oir
vécu auprès d'elle quelque chose des !JensLCS de
sa maîtresse, la servante se tait.
Quelques instants plu tard, installée au coin
de SOI1 feu, mais négligeant la revue qu'clle tient
entre les mains, la comtesse' songe.. Elle suit
par la vensée ce qui se passe sur le quai lacé
de ln gare.
TrélJidantc, toute blallche de neige, la locomotive plnètre sous le hall qu'elle ébrnulc,·t
le lourt! convoi, a\'c elle, s'arrtte. Les portière,
des wagons claql1 11t SI,\1S les mains impatientes;
dans l'ellcadrement d~.
[':l1être5, d'où ll\:ndent
(les stalactites de glnce, rles \'isages apparais l'nt,
et, parmi eux, celni (l'\1l1e je\111e fille en deuil
que, tout en haut du vi t1.' Hudl', dans le palais
des Pesztcnyi, un tenùre cœur de femme
attend.
�TROP LOIN DE MOI
25
La comtesse fri sonne et puis sourit. Comme
elle l'aimera, cette enfant qui vient se réfugier
près d'elle!
v
M.~
CHÉRIE,
Je t'ai promis de te conter par le menu mon
yoyage et de te faire part, sans tarder, d mes
Impressiolls. Je m'cxécute.
Je nI! te cacbe pas que je suis un peu étourdie
de tant de choses vu 5, de tant d '{motions Hsscntics, et j'essaie, depuis un moment, de mettr ... uu
peu ù'orc1n' Ù:UlS ma cen'clle pour te prt'scnh:r tont
cela de façon à peu pr's compréhensible.
par,'iendrai-je? ...
D'abord, !)our que tu pUlsses mieux, Cl1 1 (HSt'e,
me "oir \'ivre, j te dirai que j'ni, dans Ulle \'ie111e
mai"oll cIe Huùe, grande COlllmc Ull châtlal1 , une
chambre délicieuse et U11 atno\U de 1 etit aloll. Ce,;
cl ux pilces sont spt"eialem Ilt pour 11101. Tc,ut cc
qui POl1\'ait me faire plaisir s'y t!OU\'C r{ulli : des
photographk , pareilks à cdle" qui sont à ln mai,
S011 ct ql1l' je 11 '<11 ]lU llllportel toutes: des hibllots,
des meuhles Char1ll<1llts ct un piano nt ~t(
réuni,;
1. pal l.1 p'US l 'quise de,; tallt 's. Car, A1I1Ii,·,
moi 'lU 1 ;1.\. i. si f mit! il l'ilm' dcpu is la mort de
eh·t glal1ll.pLr< , moi qui trou\'nl:; ~ \11 meLt
lOI lctte tcndte affection c]IInt 11.011 nua
n b. Oill, Je me lllS toute rl·(hnllfîl
dCJIui5
l'accueil (1~
ma Chl:Te tante :\1 a ri ...·. :, tu sa\'ab
avec qudlc bonté ... l\1ai'i n'unttClpoll pas, Tante
111011
p10:; cle
�TROP LOIN DE 1\101
Marie doit se placer à la fin et non au début du
récit de mon voyage!
A\'ec quel trouble je disais ac1ieu à Paris, si
joli sous le pâle soleil d'hiver, tandis que le taxi
nous emmenait toutes deux vers la gare de l'Est,
trop \'lte à mon gré, J'aurais voulu prolonger longtemp:-; encore les derniers moments passés près de
toi. Déjà, sur le quai, je me sentais llépavsée au
milieu de ces gens parlant toutes les bngues qne
l'Orient-Express devait emporter avec moi ,'ers
des contrées lointaines,
Lor 'que le train s'est ébranlé, j'ai senti qu'avec
lui je me lançais \'ers l'inconnu, vers l'incertain .. .
ectt\.! impression est étrange qui fait qu'on s'imagll1l! marchant sur un terrain mouvant, cnviroll11é
de puissa11ces hostlle:;. Il faut, crois-mol, une certaine dose d'énergIe pour secouer lcs pensée-; qUI
vous assaillent alors.
Je partageais ma cabine avec une vieille Anglaise
qui m'a laisséc parfaiteml!nt tranquille jusqu'à
Vienne où elle est de~cnu.
Je pouvais donc jouir en paix dc ce qui sc déroulait sous mes yeu. ". Le pays que l'on tr:n-crse
jusqu'à la frontii;re n'a rien de particulil:rement
beau, mais c'était encore la France, ct j'aurais
voulu emlJortcr avec moi ces champs, cc:; maisolls,
ccs clochers d.! chez llOUS!
Après le dîner, pns toujours en face rIe ma
partHcr, bien ~agemnt,
bai"sant souvent les yeux
sou.; les reg-arc1s curi 'lt." de 1e~
compagnon.; cl
voyagc et m'amusant cIes l ' otl\'ersain~
bigarrée,;
Ci u i m'entouraient (je t'assl11'e Il ue je 1Il\.! seraI ~
crue à la Tonr (le Bahel), j',1i trouvé que l,~ mieux
était tic IllC coucher. Et les yen" dos, (1:1115 un
demi-sommetl, Je sougeai à tant d'espa(e franchl,
ft chaque tour (h: rOIH.' qui m'l'loignait de cc que
j'aimais, pour allel OÙ?.,
Le jour filtrant à tra\'ers les ricleaux m'a fait
quitter ma couchette, et, apr':" UI1 bout de loi lette,
prenant soin dc nc pas réveillcr ma compagne,
�TROP
LOI~
DE MOI
27
je me uis gliss(e dans le couloir . Quel enchantement, ma chüie! Où étior s-nous? En Tvrol ou
en Suisse, peut-etre encore .. . J'ayais sous les yeux
un spcctack féerique, t j 'al dû, sans doute, dans
mon admiratio1l, • penser tout baut ) comme lor que je me cloi~
séulc, puisque un yoyageur, que je
1I'a\l~
pas aperçu à J'autre bout du couloir, s'est
retourné a\·t.'c un sourire qui m'a semblé quelque
peu moqueur. A<;sez honteuse de mon exub~ralc!
- mais le moyen de rester calme dn'ant tant de
beauté! - ) 'ai 1 el ris ma dignité ct me suis li \'rée
tout entihe à la contemplation.
Le train roulait dans lin pays de neigt? Tout
11 'était que blancheur. Sous Ull soleil ldatant,
la nature entière (tince1ait. En haut, les montagnes
se détachaient ~ur
le bleu profond du ciel. Pareils
à des Jouets d'enfant!';, des chalets adorables, des
châteaux de contes les parsemaient, m'ec, de-ci delà, (ks cnnitages minuscules ou des églises aux
clochers renflés, si drôles à ,·oir. En bas, lcs ri'\'ières bondissaie1lt, les sapins défilaient, beau:
arbres lle _'od tout saupoudn:s de ginc, et les
saules ployaient sous la neige. Parfois nou~
longions des lacs, 1es uns sht Tl s dan!' leur ceinture
de montagnes et dans knr ~oJitude,
d'antres ,,'1.
1011n(s lIe patincurs ct riant ~ O tl ... la lUU1illt' tlor(e.
Dans 1 ,; gar s, j'apl'rc vais des hOllSh01l1111eS, sac
au dos, coiff ' s de chapeau' à 1 hmcan t qlH: je
croyal 'chappts de qn lque liHe de Hansi, Tout
cela courait k long du train, trop \'Ite ponr me',
yeux a\'ide' qUI ne se .;ont pas lassis de r<"lndc~
'
durant cl s heures. Je croyais feuillcter uÏ1 (les
h aux lines tl'imaO' s d, qua1Jd j'étmg petite ...
'rout m'int'ressait, et j'cn vins à oublier 1111 peu
mon angois 'e .
• 'oue; franchissions des COl1IS (l'l'nu, lIOns glis·
sions sous de tunnels, nou lai"siol1s deni '1 e 11011';
des vilJ ,~t
quand je song fi tant de P<l)''' parCOUfU, j me !lens loin, AlIl1i , 10ill ...
Enfin. nous avions dépassé Vienne, nous 'tions
�TROP LOIN DE MOI
en Hongrie. La nuit tombait sur une immense
plaine blanche où, de loin en loin, des perches se
dressaient, menaç:mt le ciel, lugubres : les puits
de la campagne hongroise. A la pensée que j'a1Jai"s
arri ver au but, mon cœur se serrait, une crainte
affreuse, de nouveau, m'étreignait. Il faisait
sombre, je n'avais plus rien pour distraire mon
esprit qui vagabondait comme un fou.
Tu sais que je fui' cc qui m'en10\"e mon courage,
et, une fois de plus, secouant les lll(e,; noires, je
m'efiorçai de rdrouver ma sLrél1lté. Quelle est
l'existence, si dl:~oe
soit-dIe, où l'on ne trouve
de quoi intéresser son c~prit,
de quoi aCCUler sou
activité, de quoi remplir son cœur?
J'étais U11 peu ragatllardie, lorsqu'un petit événement a failli détruire le résultat de tous mc~
efforts. Un uranIe-bas de valises, des pas lourds,
des di,cuSSIOIlS, m'avaient a\'crtie de la vislte <les
douaniers, J'avais ou vert ma mallette, mon sac,
et j'attendais, la conscience tranquille, le résultat
de leurs investig-ations, lorsqu'un des homm s 'st
tomb(; cu arra de"ant une innocente bouteille d'cau,
de lavanùe faite cl'apr0s une recette dont :Miette s,..
montre fort jalou:=.e et gue j'aime parce qu'elle
s~mblc
porter en elle tous les parfums des Alpilles.
On 111'a\";lit llit qu'avec l'allemand on ~e
tire
sou ,'ent cl'utlall'c dam; cc pays, et, rassemblant
quelqucs paunes phrn~cs,
derni~
débns de ce gue
gra1ll1-p0re u"uit faiL pénétrer à grand 'peine dans
ma çcr\";~le
rétin' à lù langue de Gœthc, .Je t nt:l1
de m'explIquer. l'cllle perdue! !\Ion burag'ollin devait êtn: IllcoiI1pr'hensible, cc ùont je IlC 111'':'tonllill
g-uhe, tou t cn 111 'cn désolant. MOIl ltlkr Ioct! Leu r
pC'nlait patience, 11 commençait à élever la. VOl.", el
111011 cerveau S'oh.,tlnait à cl 'l/leurer « imperm \lble.
à tOl1t cc qu't! IlIlll\'ait me dIre. Notre converS:ltlOll menaçait lle ll1aI tourner! Attirés par le bruit,
des Toyagcur., ,; '~t.icn
approché,; et s' 'fTorçaient
charitable Ille nt de me ùouner des explications,
�TROP
LOI~
DE 110I
29
au~,;i
obscures pour moi que le jargon rIe mon
douanier.
Bref, je sentais mes yeux s'humidifier <1e façon
inqllilt.lllte. Allais-je pleurer comme une enfant? ...
Enllll une musiquc céleste est venue jusqu'à
ln..::; or..:illes, ou, du moins, dans ma <1l-tresse, c'est
ainsi que m'apparut cette phrase bien simple, cependant, mai" ... CLue je comprenais!
:\Iadel11oi 'elle, voulez-\'Ous me pemlcttre Je
"Ot1~
\"enir el1 nid,'?
Tu de\"Înes si j 'acceptat! C'0t tit, je crOI';, ]
Yoy.l~·eur
que mon enthousiasme exub(rallt avait
étollné le matill, 1ai~
c'était aussi le salut! Et,
avec UUe aisance qUI m'a stup0fi0c - son allemand
doit ~tre
plus lumineux que le mien, - il s'est
expliqué et a pu enlin 1I1e (IOllller la clef <.le
l'énigme.
- :\IaJcmoisdle, tenez-\'OUS beaucoup à Cé flacon
et à son contelllt)
Et, sur sou \'Isag-e, j'ai cru re\'oir l"~c1air
moqueur du matin.
- Mon Dieu .... oui. :\Ionsleur.
Je nc \"oul.ùs pas li\Ter ie parfum des Alpilles
à mou a<ln:I~,ir'!
C'c:-t qu'alors il \ ous fauùra payer une grosse
SOlll1lie pour le faîte entrer Dell.' Céllt:-. hancs, si
je calcule bldl .. Ccputdant, on vous autOriserait
à .t:'ankt 1111 quart de litre Olt C(uelqlte chose
li'.t1'prochant ...
;,Iah alors, je suis S;tu\'(e 1. .•
. Et, saisis :11\t la bouteille, \ï \T11Ient (1 ~hol1cJ\':e,
Je \'C't".li pl1~
de h moiti': de SOli contenu slIr le
p.lI Jllel, Sllr la h:lIIqll ·th', 1111 l'eu mt'Ille. pmlr
l'ap,l1 'r, slIr le dOIl<tllier ·tllpLfll1t. ('Il doux parf1l1l1 dl' 11\.!ll!k s'cst r~'p:tndl1
(lans l'ail, flch \:lnt
de 1Iit l'Illettre de IlJplI l \l10lI01l. l~t
j . ef"h 1I1('\11e
<Ille 1 Il 1 tlOn bl '111' 1I~:tlJe
.1 agi sllr 111011 l'I1IlC11I1,
Pillsqll', 'lprl:S,1I1l ll1"till1t d·hl'"il.1l1QIl, il.1 l:~<tusé
un ~le
cl "CII est atll\ cal 1110.
- Ol1f! ..
�3°
':'ROP LOIN DE MOI
J'a\-ais enfin le loisir d'exammer mon sauveut.
Dans cc brouhalln, son regard seul m'avait frappée,
de deux yeux gris bleu très bons, mais
le r~f'nd
m alielt ,1.' , j'eu a \-ais fait l'expérience! Encore
jeul1\.! - il ne doit pas avoir trente ans, - il est
tJlS grand, distingué, fort bien, en somme! S'il
a \ait été laid, j'en aurais {té désolée!
l:l1l1n, tout sc terminait à souhait, mais 11 me
r,:"tait un dc\'(\ir à rcmplir. Comment faire pour
le rem"rcier? .. Dcs phras<:s? Avec quelqu'un qu'on
ne connaît q lie depuis un instant, c'est diffiCIle 1
Un mouchoir tri:s chic laissait pointer le bout d~
SOIl oreill-' à la pochc de mon sam:cur. J'eus une
id e. Je telH\Îs encore lu bouteIlle, et, sans plus chercher, je \'er ai quelques gouttes de mon prfcÏeux
nectar sur la fine batJste en murmurant un merci
aCt-Olllpaglll' de mOIl rlns cllarmant sourire. A la
rU1exioll, je me demallde si ta chlre maman aurait
apl'1011\'': 111011 geste. Hah! avec quelqu'un qui vous
a tir': d'Ull si mauvais pas !.._
Les jd~cs
tnstcs u\'aÎcnt fui. D'ailleurs, nou,>
arridons. Le train s'arrêtait sous le ball briÙam·
nJUlt r:. lair(' de la gar , et, prenant juste le temps
dl r fUI1lLr mon ;;ac, je quittai ma petite boîte
capitonne\! d me trouvai ;;ur le quai. Au llIt:me
in-tant, l1ne jeune femme s'est pr~cjIJlt{e
,"ers
11101 - l11a cousine,
qui 111 'unbrassait a\"~c
ffu·
.lOtI eL Ille pr~scntai
à uu grand mOIl ieur Itlfi..
1l1l11Lnt (lhtlllg'U( :
- ~l 011 mari, le b;l ron Ral1zi,
Pli qua rt d 'hOll1C apTes, installée qans lIne
('onlnrtahk limol1sine, je r0I1a~
ycrs Ruile et
1111111 n,)11n'a11 logi:;, Pleins d'attentions, mes CO\1S11h Ille pcsaiellt mille que 11OI1S sur mon voyage,
111 'aSSllr:lIcnt d\! b0nheur IJI' ';Jllrait ma tante .'1
m'a\oir ptl_ d'dle, et, (]'UI1 mot n pa~nt,
1l1e
fai li~t
k. honneur de le ur ville, La cité {tait
blalll he .1)11. la llci e, le ciel ltoilC:'. P st brillait
SO'I" Jc:" ltt11lil Jl s,
t, t.mlll" que nous travcrSIOn4
un pout sur Ic Dallube 50mble, j'apercevais, ca-
�~adnt
TROP LOIN DE MOI
les collines, le fenêtres éc1aire~
des maisons du vieux Eude dont je distinguais 1 \ \ .\gu'!
silhauette. Ce blanc, ces ombres, ce IUIll iL'rc~,
il
me semblait que je rêvais.
Quand la voiture s'est arrêtée, j'dais (lInS ia
cour d'une ,'aste demeure que je connai" ;\ 1h:inc
e:lcore, mais qui me plaît. Ma cousine nl\:ntr.lîll:lit
à tru\"t!rs des salons solennels jllSqu'ù un autre,
1,lus petit, au seuil duquel, les bras t'lltIU,;,
m'atteudait ma tante ~Iarie.
Dès le premi.;:r instant, je 1'ai ai1l~e,
.:\ ullie,
cette SIcur de grand-père qui lui re,.;sem l ,1e. T.>
retrou\'c en elle la bonté, la te!1(lr~,.;
et l'indul
gence (lui me le faisaient tant chérir. Sa ~:1lt
délicate ne lui permet gtll're de sortir Cil hiver
dan:; ce climat rude, et, le croirais-tu, elle s'est
excllsl'e de m'a\'oir attt.:ndue cht.:z el!..:.
- J'aurais \"oulu 1110i m0me l·tre fi la gare, 1I10n
enfant, mais je ne sui,.; pl~
fi Il 'Ulll" pl.l1It" fragile,
et j'ai d(l laisser ce plai-;ir à rl'alltres. ]t.: mettrai
du moins tout mon cœur à es,;a \"ef de le rellrlre
heureus\:.
Je sentai" ql1e c'dait ·rai. Dan,; SQI1 rCg"a ,1 passait tlllt <le rlou(cur t (l'affection Cple' j' me sllis
abant1')11uée tont enlit:re à ";011 ttreinte .. i tell 1re,
et J'ai cru que. clan5 111011 cœur, se comblait an
peu du vide que j'y sens depuis mali deuil
C'~tai
hier, .\llIlIC, que tout cela se 1 1. ,ait.
Que veux-tu que je te dise de plu" ? ... J'ni l' \rt;J~é
le dîner (li! tante :.\Iarie que 1'011 sert, l 'hin'f,
dans son boudoir, tant près ou ['\1.
l: faisait bon . Quelques fleurs sur L\ table ü''';
petite, ùeux hOllgies voilées tle l'OS', <le la \".lI.;se'k
et rIe l'arg-enterie de choix, de 1'inlil1li h' • nn :;
parl!ons du pa,;,;é, de -ecu." qui sont jlari~.
T;l1ltc
Mane ln' l'nr].\It de l'avenir. Xous nou,; 'onriinn--,
je n'ébtis plus seule! Tl me semblait que 1\1011 {Ulle
s't~panoui.
sait aprè un lon<y hl\·er.
Et lor~que,
l'heure vcnue"'d'aller se repo~,
je
tne ~uis
pcncht'C vers ma tante pottr l'emhrasser,
T
��TROP LOIX DE MOI
33
fait, semble-t-il, connalssance avec l'hiver. On
nE! J~ rencontre guère sur les bords de la mer
latine!
Accompagnée de la fidèle Jeanne, elle a fait
quelqut:s incursions dans la ville, malgré le froid,
malgré le V~lt
<:t la ndge, malgré surtout le"
protestations de sa tante qui 11 peur de ce changement de climat pour eUe.
- Prends du moitiS la voiture, mon enfant,
lui dit SOl1\-ent la vleille dame.
- Tnlt~
~larie,
ce qui me plaît, c'e ·t de voir
les ens ct les choses de prè . Qne voulez-volt'>
que j'en connais e, i je pa sc ùans les rUt:S en
coup de vent? Ils m'amusent, les bon hommes
en bonnets et vestes fourrés, fumant leurs Ion·
gues pipes ~\1r
1 ur.., barrette cahotantes 0\1
leurs traineaux de fortune si drôlement atelé~.
J'aime le paysaulles botté:es ju qu'au gèI10U-,
a\ec leurs larges jupe qui ballonnent et leurs
fichus multicolores. Les prêtres en chapeaux
tllOU 'lu 'on soupçonne à pcÎne à leurs soutanes
lt les .oldats avec leurs coiffures ornée de
grande plume., je ne les connaîtrai 1 as . i je
les regardai derrière lc vitre (l'unC' voitl1r .
~Il\is,
chérie, tu auras le temp~
de' vOIr
toutes ces cho. es lorque les jour . eront
m
il:ur~,
rie, je
'est vrai, mais pardonnez-moi, tante. huis toujour pre, ée ùe connaîtr', de
"oir. 11 me
emhlcrait flue je perds mon t mIlS
ùevant le. cnseiglw'J
oll ont peints, gmnd ur nature, tou. 1es objets
qlle l'on v nel à l'intérieur de la boutique. Cela
donne :'\ la ftt(' c m~
un air de foire. Dama
!'Andra V, j'ai ,'u glisser'hier un traîneau élégant au tin<:l1~
dc es grelots; plus loin, j'ai
36z-n
. i j'attendais, .. J rn'amu.
�TROP LOI.' DE .:\101
ap 'rçu un Juif cn houppelande ct à cadenettes.
Mc~
\'1.:11,' <le illéridlO11alc s'étonncnt de tontes
ce:. cilOses, ct je crois dl:connir un monde nonW,Ill. Cda Ill! vaut-il pa~
d'avoir parfois le ne7.
ni Ige d
de glis:,<cl' sur la neige au risque dl:
tOII}x:r?
- Tu as raison. Je te parle en vieille person'~
Cl li n'ose plus exposer ses \'ieu,' os au froid ct
au \'",nt. Jouis de tes forces jeunes et reviensmoi :.l\'CC un bd allpétit.
ujourd'hui enfin, le soleil "eut bien se montrer . \:s rayons I.! jouent sur la blancheur de:
1 terre. P st étincelle, et le Parlement, sur !t'
Il r 1 du fleuve glac~,
prend des airs de pali~
ellch l!lll:, :\Iaryse a encore deux heures .want le
thé t'homme d'affaires de sa tante \ ient d'ani\ r ct l'occupera longtemps, Une envie folle la
prelill d'aller seule dans les rues de Bulle, Elle
le:> connaît assez pour ne pas s'égarer; elle n~
de:-'l Lllclra pas jusqu'à la grande ville bruyante
<:t rl:!stera dans la "ieille cité paisible.
C'cst un plaisir, lorsqu'on est équipé pour
hl' wer le froid, de quitter les maisons surc'1:l'lff(·cs IJour s'en aller, d'une allure vive,
dans 1'01.;1' qui cingle Sur le boulevard tout doré
de soleil, les promeneurs, qu'attire le beau
h:ll1ps, sont nombreux, Des vieillards esayn~
de dérouiller leurs membres engourdis; quelques
enfant·, dont les vêtements laissent apercevoir
à peine l~ frimousse rose, se glissent entre le;;
gens érieux qui vont et viennent en bavardant.
Des bandes de jeunes passent, qui rient el
s'am,usent de tout. Lorsque le soleil s'est absente, son retour semble ramener la joie sur 1::t
terre.
�TROP LOI ..
y
DE :-'101
35
FI aîch et colorée ou sa petite cloche de
f\:utlc lloir. ~lgate
et ,nIte malgré le m.\1lteau
-dl' fournllc qui l'cnn;]0lll C, :'Il ry e t tU,\1te
au bonheur de re~pic
ct de f:.l1rc de l'c,'erc1l't:'.
(lUX IItl1 ln cruis lit recol1nni sellt Cil dIe. d~s
Il' prelllÏl'l II Ul> d'œil, lme étranRerl' ct 1:1 c1(\i:; l'11t de 1 i\.:d II la tête. :'lIais elle va, dal1s ce
1~,
\1 III t Il d'hivel, admirant lc tUOllt; gnc':i Clui
~
prolongent d rriè e la ville haute ct (jU\.: :a
. putt.:tt! cl l'atmo,llh\.:re rapproche, sans sc souei r ùe l'effc:t qU'l'lie ))\.:l1t produire. Arri\'Lc au
bout de la promenade qu'dIe ,ient d' < rpenter
deux (lU tn i fois, elle se décide à ab4\tldonllCr
le oulcvard. lWe sc dirige vcrs le Palais Royal
à travers les ru s tranquilles où glissent seulemeut quelque" rae~
voitur 's et qui plaiscnt ~
sa 10vl!ril'. La neige augmente encore, en
étouffant tous les bruits, l'impression de ca!me
qu'elle aime :" v trom·er. Elle reste en arrêt
dC\'ant ulle vieille porte ou 1~ per pl'ctive d'une
cour dont l'architectnre la séduit. Sou espnt se
plaît à imagincr qnelle est la vic de ceux qu:
s'abrit nt derrière les fenêtres joliment grillée:;
qu'dIe frôle. L 'S poses maniérées d'une statue
de la \ï\::rgc l'amusent presque autant que les
e:-ote!:> s.: ccadés du factIOnnaire qni monte la
garde de\'ant un ministère.
::'lIais l'heure passe. La cloche de l'égli"c du
onronnement til te, apl)clant les âmes pieuse.;
à quelque cL'rémonie tardive; il est temps de
pr~lIdn.:
le chemin du retour. En passant, .Iarv~e
. 'arrête an Bastion des Pêcheurs qui 00minE' Pest d dre~:;L
l'architccture compliquée d:.;
.e tltU" ct de !:. S ter asses derrière 1'(·glise.
Dl' }.'. rit:n n'arrLtl' son rLgard qui s'étend sur
le la:- YI.: 11ctlv\.. que voile un brouillard l' g er.
�OP LOI
DB
01
��38
TROP LOIN DE MOI
Et ses 1 vres ont un aimable sourire. Décid~
ment, en est épatante! Mai, tandis qu'elle
tend la main à l'officier, Ile reproche:
- Tante Marie, vous ne me l'aviez pas dit ...
- e'e t que ce méchant garnement n'est pa5
venu me voir depuis plu icur s maines. Je l'e!!
oubliais presque 1
- Oh! nc dites pas ccla, chère Madame, je
vou en prie, ou je serai le plu malheureux
des hommes, s'écrie l'enseigne avec un geste
drôle. Vous le savez, l'hiver nous confine, pour
fuir les glaces, dans les bassins de Ujpest, et
le moyen de venir de là jusqu'à vous lorsqu'on
est aux prises av cc une épidémie de grippe et
qu'on est le patron 1 A présent, mes bonshommes
sont retapés, et j'ai la veine d'avoir un chef, et
un chef comme il n'yen a pas deux !... Aussi
me suis-je précipité chez vous, joyeux et confus.
Les deux dames rient de cet enthousiasme;
mai , la bouilloire qui commence à chanter rappelle l Iaryse à ses devoirs :
Je vais ôter mon chapeau et je reviens,
tante chérie. J'ai une faim de loup.
Lég re, elle s'éclipse et reJ)8;raît l'instant
d'après. Le jeune homme la trouve encore plus
charmante sans la coiffure qui voilait son front
clair, et, après qu'elle eut refusé son aide, il se
plaft à la voir aller et venir, se livrant au menu
service du thé avec toute la grâce que comporte
cet aunable rite. De ses mains adroites, elle
er le liquide fumant dans les tasses fines.
EUe 1 dispose joliment sur la petite table
qu'elle a approchée et où bientôt le sucrier,
a-yec les toasts chauds et les gâteaux dorés
v1ennent les rejoindre. Autour d'elle, Maryse
répand une impression de douceur et de calme
�TROP LOI~
DE .:\101
39
à laqudlt! n'échapPt! pas le jeune officier, et,
vient s\\sscoir prè~
dc la tau]..:, vei!lant, attt!ntiv\!, aux moindres désirs de sa tante
et de son hôte, il reste un i llstan t si 1t!11 il:lI -,
goüt.lnt profondément le bonheur dt! se trouver
dans l'intimité dt! ces deux fC1l111lt!s ég-alement
e.·qui"~,
au milieu d'un cadre tout cmpn:int dl"
confort d ü'él6gance.
\"ou.., voill muet, Henri. Vous t:tes malad\.!, Illon am i ) ...
,'01), nun, :.\ladame. Je :\\"oure seulement
la <1011CClir de l'heurt! .
nt, Ct!ttc foi', on croirait qu'il parle "6rieusemel)l. :.\Iais, son naturd reprt!nant bit!ntût le
dessu:-., il repart dans ses récits amusants, tout
an bonheur de distraire sa vieillt! amie et d'ame.
ner un ri re frais sur les lè\"rt!s de :.\Iarys\!. Une
heure passe vite cn un aimabll! ba"anlag-c, ct
il ]l(.! faut rien moins que le carillon de
l'église voisine pour ramener Il! conteur à la
réalité.
- Sapristi! Je vais être en rdard et je serai
attrapé. Je m'éclip e, chère :.\Iadame, car il ne
badine pas avec la consigne, lt! patron!
Sans pins s'attarder, il s'incline en baisant la
main de la comtesse toujours pleine d'indul.
gl;nce pour sa verve et sa gentillesse.
- Surtout, Henri, amenez-le moi, cet homme
extraordinaire. Je veux le voir.
- Si je le puis, très vololltier", bien qu'il ne
me paris~
!)as C:tre cc qui s'appelle un homme
de salon. C'est plutôt le genre sérieux. Mais
n'empt:che, c'est un type épatant! Ce que je
vais vous paraître moche à côté de lui! Eh!
diable! si vous alliez ne plus m'aimer! ..
- Allons, jeune fou, vous savez biell que ce
lor~qu'ct!
�40
l'e~t
TROP LOI.' DE Mor
pas possihle. :'lIais partez vite ou je vous
'ls à la pOl k COmm\! Ull l'oll( gien.
VOliS h: dit~s,
chcre :'la<lnmc, mai~
\'OUS
l·trl trop bOllne, \'OUS n'o~eri;
pas l~
fairè
nt
C\!lll' pt'inl~.
Et, apl~s
un s,I1ul à l\laryse, qui lui tend
conlinkmetlt la main, l'ainwl>lc garçon disparaît
Cil laissant tlerriè·re lui comIlle Ull sillage de
gaictl:.
'VH
Formé par un h omme d'ul1e intelligence upérieure, l'e prit de )'Iaty~e
s'oune plus lar.
gement que celui de beaucoup cl 'autres femmes
à tonks 1 s formes de l'octidté illtellcctuclle.
Cl savant, {;pris de la u1tl1re des lettres, lui
a uun:rt le domaine incomparable des ~tudes
c1us 'iCJues et lui a fait partager son enthousia me pour les :'Iaîtr s anciens et les moch:rm::,
aux pures formes. Aussi aime-t-el1e les longues
llIatinées que lui lail's('tlt les habitudes hongroise::. et qui lui permettent <le Sc consacrer
à des lectures sérieusls ct li foes chères études
in tnrompues par la mort du plus aimahle des
maîtres, tandis que sa tante est absorhée ;lar les
mille détails de J'administration d'une grande
maison et d'une énorme fortune.
D.ans son petit salon {lUX tentures de soie
vert pâle, qui s'éclaire de tout le reflet du ciel.
��42
TROP
LOI~
DE MOI
s'attache chaque jour davantage à l'enfant en qui
elle retrouve conuue un rdlet de sa jeunesse Et
j'aime à les entendre vanter les charmes de m.!
nièce.
- Que ne ferait-on pour vous plaire, tant:.!
Marie? rL:]Jond ,\Inryse, incrédule, avec nn sourire tendre.
- Tais-toi, mignonne, je sais fort hien "t!
que je dis. Tiens, pour te punir, rattrape clonc
cette maille qui file trop vite pour mes pau l're:.;
vieilles mains, gronde la comtesse qui a vonlu
vartici per à la confection des lainages gue ),1.\ryse destine à ses petits protégés de Raillane.
La maladresse est v'ite réparée par les mains
expertes, et les deux femmes reprennent leur
douce causerie, lorsque la baronne Ranzi fait
irruption dans le petit salon où elles devisent.
Aprè:, avoir baisé en s'inclinant la main de sa
mère qui tendrement l'embrasse, elle annonce
qu'elle vient enlever 1I1aryse :
- lIIaman chérie, vous allez nous la prêter
aujourd'hui. Il fait beau; nous allons patiner,
je l'emmène.
- Bien volontiers, mon cnfant ; mais pn:nez
g rcle, ne me la oassez pas.
- '"ous n'avez rien à craindre. Nos amis
l'attendent au Varosliget ; dix cavaliers seront
à ses ordres. Nous vons la renverrons à l'heurt!
dn thé, indemne ct ravie, j'en suis s11re.
En ltn clin d'œil, la jE'''ne fine est prête, et
lorsque la voiture la dépose avec sa coml>agn'~
à l'entrée du parc, les p .... tneurs sont déjà nombreux sur le lac. 11 glissent, virevoltent, se
croisent ou se poursuivent. Les couleurs vives de
leurs vêtements les font pareils, sous le soleil,
à d'immenses fleurs mouvantes. Certains pa-
�TROP LOI...
T
DE
101
43
rais<.ent voler, tou sembl nt n'avoir jamais faIt
autre cho~e
que de se déplacer ~ur
des lames
d'acier,
,lary~e
songe {1vec effroi qu'il \'a lui blloir
se Ja~rde
au milieu de tout ce monde, Elle
11t: l,onrm qu'v faire piètre figure.
au baron Ranzi qui
- :\Ildor, ~lécJare-t
s'
prochc, je n'oserai jamais faire mes preilliers eS~Hi
... ici. Je vais me donner en SI ectac1e.
J'aime miet].' y renoncer .
. lais h: IXtl rm Sl! tl:tou rne de\'ant tOll t un
e ... ailll dt: Jeunes gens qui, glIssant dan. "on
silla e, !.oont \ enus se grouper autour deo; nouvelk5 "cnues :
- 7Iles::,ienrs, voilà qui nous mettra d'accord.
Il Ilt! pourra y avoir de jaloux. Ma cousine ne
\'<.:\1t pa" patil1t:r aujourd'hl1i,
Tons protestent. Il n'y a qu'un cri:
Je nH1S en IJrie, :'Iadcllloiselle.
- .\ 'ec 11l0i, \Ol1S n'aYez rien à craindre,
- ' '''')1], je tomberais et je perdrais tout mon
pre tige, s'écrie Cil riunt ~lary:;e,
consciente dt!
l':ldllI1rJtioll qu'elle inspire à ces jeunes homme;
dé:;in:u.' de l'entraîner avec cu.' en folles gliss (1<: ....
. . ons nous engageons à vons sou ten ir.
- :-'lalbeur à celui qui oserait vous lai ser
faire un faux pas! Voulez-vous vous confier à
Alldor ct à moi? oyez sûre que vous ne Je
regrett rez pas.
Et le jeune comte Gyula Pesztcnyi pose un
regard suppliant sur le visage de ~Iaryse,
Grand, blonù, éIl'gant, il y a dans toute sa personne comme un parfum d'aristocratie, C'est le
llc\ eu préféré de la comtesse qui retrouve en
lui beaucoup des qualités aimables de son mari.
��TROP LOIN DE :'101
selti"~
45
J1~r
lIe.; r0u!1Illl1S l1 ' ;lpr:~'1it
chc/. ilia
tal1tl' 0\1 l'he/: sc~
al1i~
.
C 'c;;t surprcl1 ant, chérie, 'l! prestig-e ~lont,
à
l\,tr<ll1g'er, 1l0U~
jouisso ns, nous les Franç:U 'i6 ,. (~n
110US aC'corde çrratnitC1I1Cllt une foule
de qnalJtc"
ct il f nH1rait "qu'une femme tic France fût l)ll:n
In<le ou bIen stupide pour 111.: pas être ctlo~n'e
et même un peu aùulée , Je m'l'Il amuse, ct )'l!11
profite 1.:11 rapport ant tout cela à notre cher pays.
C01l11l1<.: i11l1carllC, dans le monde, l'esprit
, la gI ; n ~ c,
le charme , c'est lui qu'on admIre en nous!
Ll'O; neveux dIes JCUIH;S a1111"; de tante ;\Iant',
'lU! sont nomhre u.', sc montre nt pour moi pleins
d'atten tions ct "l11g0u ient à 111e distrair e. Tous, Je
ne ..;ai,.; si je te l'ai dit, parlent [ranç:1Ïs, ce qui
est iCI le sig-ne de l'éduca tion. Jamais devant 1110i
ils n'emplo ient d'autre languI.:, ct certain s, un
peu novices , y ont un vrai m0rite ùont jl! lcur
sais un gré infini.
En échang e de tant dE" eomp1.w.;ance, je leur
de\'ais d'appre ndre le hongrO Is. Aussi me suis-je
n11S-: à l'étude. :illai" quelle entrepr ise 1 Quand je
songe qne tante Marie, apr~,;
trente ans lie séjour
ici, peut à peine souteni r une (,ol\·ers~ti.
je
sui" tentée de tout ahanùo nner. ~las
11 'ai-je pa,>
lu q11elque part que tout idiome que l'on po..;s0de
à fond est comme une clef qm oune un tr('sor,
le trésor spiritue l de tout n11 peuple? Alor,; je
m'acha rne, et j 'o~.;rai
hientôt hasarde r quelql1cs
mots sans craindr e les moquer ies dc 110'; :\lms toujour,; charita bles.
Si tu say ais comme ils m'ont gentim ent inittée
aux secrets du patinag e! Presque cllaque JOur,
nous passons quelque s hcures sur la glace. Je commence à m'en tirer a!;$ez bien, et tu ne peux
t'imagi ner quel plaisir c'est lIe s'dance r ",ur le
beau miroir que le soleil fait étincele r! HIer, nouS
aW)t1S pris nos ébats aprè,; dîner, aux 111mii:!res, aux
;~ou,
d'ull orchest re, C"tait ag-réab1c, nouvea u
pour moi. Je regretta is cp~I1Jalt
un peu la cau-
����TROP
LOI~
DE :M or
49
dont le frac ou l'uniforme s'ornent le plus ~(u
wnt Ù.: décorations brillantes ct qui jettl!nt UII
te~al
d cl1rieu." sur chaque nouve11e venue? Ht:\11 Cl1semen t que sa cousine Litzi, si belle ce soir
dans sa toilette de velours rouge, accapare tous
les regards! C'est du moins ce que pense :'Iary~e,
sans ~e
douter de l'admiration CIu'clle l ) art~ge
ayec sa COl11pagne,
Aussi se ra slUe-t-clle peu Ù peu, ce qui lui
penm:t de jouir du spectacle qui s'offre à se.;
yeux, tandis qn'elle travere les vastes Sa~'efi
dont la déc0ration, un peu chargée pour ~ o n
goût habitué au." lignes délicates chères à nO$
artistes, encadre cependant, comme il convient,
la pompe d'une réception officielle.
Le ministre ct :'1"'0 Charbonel reçoivent leurs
hôtes entre les grands salous où 1'011 danse et
l~ salle il. manger, dans une pièce au." (limeligrand ~ei
S10ns plus rédUItes _ fantaisie ~e
gucl1I' - toute tapissée de glaces qui reflètent
g,l ment les couleurs cllatoyantes des toiletks
fém i ni 11 es,
Quand la' baronne Rami présente :\[aryse
à j'aimable lllLnage, le ministre a une excla"
mation joyeu~,
,ous sa moustache grise 1>[I';:=,e
un bon sourire, et serrant avec eftusioll la pdit~
main de la jeune fille qui s\.! sent \'ite Cil
confiance :
- C'est l111 grand plaisir pour nous, • Iademoisclle, 01.' compter parmi nos hôtes de ce soir
une petite fleur de France. J'espère qlle \ 'OUS
aimerez c<.:tte maison qui est la vôtre, puisque
vous y êtes en terre française, et que vous \'OUS
y sl'ntirez chez \'ous,
- Pour vous y aider, poursuit ~lm.
Charbonel
dont l'accueil se fait maternel, je demanrleral
�50
TROP LOIN DE 1101
au 1)1us aimable des jcunes hommes d~
notre
pdite colonie de vous en faire les honncurs.
_lonsieur de Civrac, venez ici que je vous pré:;en te ...
:\lai5, devant l'attitude des j~unes
gen::;, elle
s'arrNc
- Je vois que vous vous connaissez déjà.
C'est vrai! J'oubliais (lue vous avez une yiciHe
amie très chère en haut de Bude ... Eh bien 1
\"Cillez à ce que sa nièce s'amuse ce soir. J l:
\ ous la confie.
- Qnd honncur pour moi, Mademoiselle!
Mary c
s'écrie le jeunt:! enseigne en ~ntraî
loin de la cohue des arrivants, vers le seconrl
salon où quelques couples s'essaicnt à danser.
P.lr ici, nous trouverons, avec le secrétaire de
la légation, quclques-un de ceux qui vous onllaist:llt et VOI1S attendent. C'est le coin des
j'unes, de ceux qui osent s'amuser dans Ulh..
1'én11ion interÎ1ationale.
Des mains St.! tendent ver le couple qui arrive.
Gerty et Gyula Pcsztenyi sont là avec tout un
groupe ami, et, lorsque l'ofiicier a présenté à
. laryse ::-!. de Ri vcl, (( le st:!cond de notre mini·tre n, elle se trouve tout à fait à l'aise. Dans
l'intervalle des <lanses, on devise, dans le petit
(crde qu'ils forment, comme on devise entr.!
jeunes, s'amus.ant de tout et de rien. De temp:;
en temps, un propos joyeux du jeune marin ou
un trait ironique du diplomate fait fuser les
rires. :JIary-.e se lasse œpendant à la longue ne
cette cOIl\-ersation où ne passe rien qui arrête
1\'sprit, et, fa tiguée de voir tournoyer les t1ansems, prétextaut un léger mal de tête, elle
s'010igne en refusant qu'on l'accompagne.
Sur le large palier, en haut de l'escalier, de
�TROP LOL ~ DE .101
SI
vaste can p~
i I1vi tent {lU repos, à l'écart du
bruit l:t ùu mouyc ment. Comm e elle s ra hi n
1 ! tes i11\'ité· ont tolU; arrh,é , eHe ne ser::!
pas dér,mgél:, Elle aperço it un coin du 5310n
ùe glac 5 presqu e vide r.. cette heure. On v
entend si!ulement la \'01.' de deux homme s qui
cau"c;ut en circula n t. Et .1nrvse songe combie 1
il doit faire bOll dans 53 p~tie
chamb re au::tenture s fleuries qu'dIe ne regagn era pas avant
1011Rtl:1l11)S encnre l.itzi, trcs entouré e, 'amuse
et )X\rtira 1,\ tlernièr e ...
l'Il monh:l\t, l'He jouit de se sentir ignorée
dan cdte dl'mi.r ctraik. l.es sons 10int3ins dl!
l'orche stre la berCC11l, elle !'e repose. Si on pouvait l'oubli rI...
::\la1s les voÏ.· se rappro chent; deu.' silhoue tte
e détach ent sur le carré luminc u.· que la porte
du salon renvoie :ur le mur de l'escal ier: celles
de eux qui se promel lent dans le salon de~
glaces. ::\lary. e reconn aÎl le mimstr e et, prl:s de
lui, un homme qui doit être jeupe. Il e. t tri:s
grall(1. Ponn u qu'ib li\.! !'aperçoÎ\'cnt pas lorsqu'ils ·e retourn eront! Elle ==-aie de se faire
plus petit . Ils re\'ienn ent. Cette fois, el~
les
voit de face et .l tout le loi~r
de leS e. aminer
Le ompag non du mini -Ire l:>t en grand uniform e
cl 'officier d~
marine . Ce doit t:tre le f:1men~
chef d'Henr i de Civrac. l n ruban rouge se <16ta he ur le drap sombr e; ses cheveu .' chiHains
rejl:lé. en arrilrc découv rent un front haut
d'homm e qui pense, ct dans sa fil1:ure minCe!
brillen t des ,'eux où l'on ,,'oit ('omme le reil(:t
d'une vie intense , tandis qu'il discute avec son
inter locuteu r.
Ils ont passé. l\I3ryse rcsI,ire. C'est étrange , :J
lui semble qu'elle a di.jà rencon tré ce regar ...l
>
��TR OP LO IN DE },IOI
53
est bien imp orta nt pou r sa mod
este pers onn e.
Elle lève les yeu x vers lui au
mom ent où Il
s'in clin e en mu rmu ran t, con fus
:
- Je m'e xcu se, Mademoiselle, de
trou blcr une
soli tude qui para issa it vous plai
re.
La voi x gra ve et bien tim brée
réso nnc auX
orei lles de Mar yse en notc s sym
path iqu es. Où
l'a-t-cHe ente ndu e? .. Au mêm
e inst ant, ses
yeu x ren con tren t le reg ard de
l'officier qui
s'ab aiss e vers elle. Elle le sav
ait bien , c11e a
déjà vu ces yeu x gris bleu où elle
dés ir de se faire par don ner et qui lit com me un
s'éc lair ent de'Q'ant la flamme qui bru squ eme nt
pru nell es som bres de la jeun e fille trav erse les
. Lui aus si la
reco nna ît! Et, U\'ant mêm e d'at
ten dre une répouse, il mur mur e en sou rian t:
- Vot re flacon conserve-t-il enc
ore un peu dl.!
son préc ieux par fum , :\lad emo isel
le?
- Oui , )lon sieu r, mai s ... - dIe
rou git légèrem ent au sOll\"cnir de son ges
te ct c'es t son
tou r de s'cx cus er - com me j'ai
dû vous llaraîtr\!
mal (:lc\"\::c! Et puis , vou s déte
stez peut-êtr·"'!
le parf um de la lava nde ? ...
- Il m'a rapp elé la douce ode ur
d'u n jard in
tou t brû lant de soleil où j'en
cue illai s jadi s
pou r par fum er lc livr e de ma mèr
e ... Cela vou s
rass ure- t-il ? ..
- \'ou s êtes ind ulg ent pou r
la peti te filll.!
que je suis .
- Alo rs, Mad emo isel le, acc epte
z-vo us l'of fre
de Mo nsie ur le min istr e et vou
lez- von s faire
un tou r au buf fet?
La ~rande
salle à man ger boisée de som hre,
don t les mur aill es se déc oren t
de por cda ines
préc ieus es, éch app e à la bou scu
lade des salon,;.
Les inv ités s'y arrê tent un mom
ent, pub s'él oi-
��TROP LOIN DE MOI
55
cependant pour juger de la valeur d'un homme,
I)(.!n~e
qu'il n'est pa~
comme les autres, gentils,
Sans doute, aimables partenaires pour les jeux
0\1 la danse, mai~
chez qui elle trouve rarement
q\H:lque chose qui révèle de la grandeur 1:1ns les
~entims,
de la noblesse dan::; ]'.·lme.
dit-elle en ie •
( Grand-pl!re l'aimerait)l, ~e
quittant, lorsqul.! le comte Gyula, qUI déjà, par
tlClIX fois, est venu \'oir s'il pouvait se risquer
à enlever .illan-se II cette cOllversation qu'il juge
longue, Sl.! déCide à l'inviter pour la prochaine
danse.
x
Dans la brume violette que le crépuscule
étend sur la montagne, la silhouette du mont
des Roses Se détache sur le cid où quelques
légers nuages s'attardent, écharpes transparentes
que II:! soleil, en s'en allant, teinte d'or pâle.
Les eaux du Danube, dans leur course, sc moirent à leurs reflets. ln calme bienfaisant sembl<!
monter de la terre et descendre du ciel, en
cette veille de Pâques Ott tout chante le bonhl.!ur
de vivre.
La coque du chasseur de sous-marins 22, le
bateau du lieutenant de vaisseau Gérard, doucement glisse le long de l'île 1Iarguerite qui SOtumeille encore sur Il.! fleuve, attendant les beau'{
jour qui vont lui redonner la vie. Attentif aux
détails de la Illilnœuvre, l'officier cependant peut
��TROP LOIN DE MOI
57
bas in!'. C'e t l'h~urex
temps qui comme nce,
COlllI1KIlH1ant.
- Je doi~
avouer que j'ai rareme nt a~si"
e il
un aussi heau spectac le que Cl! ~oir.
Le Danube
était véritab lement splend ide.
Civnlc , qui ne !:i'atnl~
gl1l:re à admire r les
L au tés ùe la natUfl', songe déjà aux réuniùn>;
que faci1.t~r
le séjour au cœur de la grand·.!
ville. Dl.-s demain , il escalad era les rues dl Bucie
}Jour sonner à la porte de sa vieille amie, che7CJui il ;)ense trouve r nombre use socitté . l.lais, au
fait, la comtesSe csp~re
la visite de son chef.
Il a d{·jà tran!'m i sa n'quête , sans grand succès,
d'aillc'u rs. Ccpt:nd ant il annonc e son intenti on
d'aller chet elle et insiste pour que Gl-rard
l'accom pagne :
- Je nois, comtna ndnnt, <lue vous aurie7 du
plaisir à cOl1naitr~
cette charma nte femme . Cha• ('l111 trouve en dIe ce qu'il cherch e. Pour moi,
elle e~t
T>lI.::ine d'indul gence ...
te cOllllllal1(lan t rit de cet aveu naïf. Il sait
quelle r('putat ioll jouit la vieille dame et n'est
pas sans s'avoue t qu'il aurait du l>1aisir à la
connaî tre. l'liais son salon attire trop de monde
pour le solitair e qu'il e~t.
A quoi bon change r
ses habit1l<ks? Pl:rSOll llC n'a hc!'oin dl' In1 dans
ce milieu monda in.
- Je crois <1U~
vous lui feriez un réel plaisir.
insiste Ci\'fac . Pourqu oi lui refuser cette satisfaction ? ..
- Si je ne devais voir que la comks se mon
cher, je cédera is volonti ers, mais, chez ell", je'
trom'er ais trop de gens que j'ennui erais ... et qui,
peut-êt re aussi, m'ennu ieraien t ...
- Je sais qu'elle est heureu se de groupe r
auprès d'elle tout ce que Budap est compte de
oe
�TROP LOIN DE ilIOI
58
Français, surtout depuis que sa nièce esc avec
elle.
Sa nièce' ... C'est vrai, la comtesse est la tante
de lII llJ d' Astries ...
- EcoutE:!z, Civrac, j'irai peut-être un jonr,
mais pas demain; votre vieille amie aura trop
de monde. Je vais dn côté des machines, où le
maître mécanicien m'a signalé une avarie, et
puis je me couche. Bonsoir ...
L'instant d'après, le lieutenant de vaisseau,
r ls:mré sur l'avarie, revient s'accouder au bastingagE:!. Oui, la nuit est belle. La terre peu ;\
l'el! se tait. Du dél, où scintillE:!nt les étoile:>,
de'-'ct!nd une paix infinie. Le flot bruisse à peine
en coulant le long des navires. Comme on est
hien, sl:ul avec ses pensées, loin dn monde, libre
de :-;\::lcver jusqu'où. votre âme vous entraîne,
très haut parfois ... Très loin aussi : une nuit
s'éknd, douce comme celle-ci, sans doute, sur
le jclrdill parfumé qui entonre la maison où se
repose la veuve cln colonel Gérard. Ce serait
bon d'être auprès d'elle ce soir et de l'accom1>;\~ner
demain à la messe, dans la fraîcheur dtt
matin breton ... En traversant le jardin, il cueil1 ··'it )our elle une fleur ou un brin de lavande ...
Il
ude ... Et deux yeux bruns sc lèvent clanS
oire de l'officier. Ils sont très cloux ct
;cnt, craintifs :
ous rléteslez peut-être le parfum de III
, e? ..
fra!-
il est temps de l'l:mtrer, le vent
Cérard a l!nrrenr cIe ce CJui amollit
:."est l'ht!ure ch.: retrouver sa cabine nue
·re Comme la cellule d'llll moine. mai,
'\, plaît par son au~téri
lllC:mc. Et puis,
l lent, il n'ira pas ch~z
la comtesse!
)11'i,
�TROP LOIt\" DE MOI
59
Pr('cocement mÎiri par la guerre qui, k prenant à la sortie du collège, a fait de lui, comm.!
d.c be-D.ucol1p de ceux de sa génération, de l'éco11er d'hiel un chef; \'ivant des jou.s (]'L'p01'0e
sombre à l'heure où 1'011 se contente, d'oreHnaire, de préparer dans un travail et des rlaisir-j
facile,; l'exi lence de denJ:1in, Claude G~ratl
est, ;\ trente ans, clans le pll:in épanouissement
<k ~t:S
fOlces morales ct spirituelles. Yer~é
sn:sa demande dans l'aviation clnrdnt la dt' rnièr:.!
année de la lutte, il y a acq:lis, par ses c.'ploit ,
Unt' réputatioll d 'héroïsme qui a dépa!:'sé k3
~adr\:s
dl 50n arme (:t que sa modestie seu1~
19nore.
, ;\lais, d<!s la on des hostilités, il est re ' (,llU
la mer, PM vocatiol1 et il s'attache chaque
JOur davantage à la vie 'dure parfois, qu'dIe imj)OS(' à Ses liell'les.
'
Dans 1t.: réduit de l'officier presque rien
n' "t e .1e regard ,ur la paroi,' un portrn:t de
fane
emlne, Jeune encor
la reproduction d'Ull tableau de maître et, co~tran
au-dessus de l'étroite
COUchette, Une étagère. De:> livres s'y alillIl111t :
les ~ompagnO5
de Ses h\:ures de loisir. Pa. cal
et \ al~ry,
Frotnentimt!t Barrès, Racine d ClandeI" .. "
. '
, .) \Olsinellt avec Vogue et sa1l1t Al1g\~tIn,
sa;l':; ~ompter
tant d'autres. Avant de s'cndormlr
1 aime
.
, ' l
à causer un moment aver l' un •
cl (:tlx:.
:1
Ce. soir, c'est Pskhari qui a ses l1réîérences.
quolqUe dall<; des conditions différentes, l'offi·
Clt!r cl'.\ friql1c a mené comme lui une existence
d~ soldat; son rime, comme la sienne, a vécu
d UIle puis, ante vie intérieure. Il se !>ent avec
lui en amitié.
Et longtemps, dans la nuit que trouble seul
��1
TROP LOIN DE :JIOI
6r
~rais
l'heure Clui sonne à l'église dcs Capucin,;
brusquement la ramène à la rL~1ité,
d ce scralt
à regret qu'elle s'éloigncrait de la fl:llNre si
Une douce pcnsée ne traversait son c 'lI1' : sa
tante, dont la claustration s'achève avcc l'!ti\'cr,
a [)rOlllis de l'accompagner à la messe e11 C'e
jour de fête. Ce sera une joie pour :\lan'se Ü"
s'agenoui1!cr sous les voûtes enll1minées de
l'égi~e,
aupr~s
de la chère femme. Il lui sel dM
qUe sa prière s'élèvera plus fen'ente et plus
ch~l1de
dl: 5011 c ur qui jouit doubkment de
tout Ce qu'il partage.
. - C'cst vraiment un beau jour de Pilqnes,
déclare-t-e1!e quelques heures pIns tard, lorsqu'el1e s'assied en face de la vieille (hl11e dans
la glanùe salle à manger du palais Pcsztenyi.
,I.!'l hlT1i~re
d'avril, qui entre à flots par les fen.ctres, se Joue comme à plaisir sur les meuhles
ncl:es et Un peu lourds, sur les ' tapis, les soieries
anCIennes, Sur les cuivres oU\'ragés et la somptu~
e \'aisselle d'argent, prêtant sa note de
galcté ct de jeunesse à ces choses un peu figé('s
dans leur splcnch:ur et leur noblesse.
JusC[u'ici :'Iaryse est passée indifférente clans
les grands salons pompeux, et, chaque jour.
clle s'est réjonie des repas !lris dans l'intimitc
du petit salon. Mais aujourd'hui le soleil réchauffe et hit revivre la vieille demeurc.
Il n'<!st pas jlts(u'~
la comtc,>sc qui ne se
Sente rajeunir , comme les choses anciennes qui
l'entourent, à la vue (les rayon,> bienraisants. "Un
moment, elle rcste silencieuse. Dans sa m6moin:,
les jours hcureux repassent, avec 1ellr.., fe,tes,
leurs plaisirs. Elle revit se:: clou ce,., joie. d'énOllse
et de mère, sur lesqltclh.:s, ccp.:nc1ant, 1111 \' il~
�TROP
LOI~
DE MOI
a SOU\'ent J1a~sé
: le regret de la patrie lointaine.
Entol1n::e, adulée de tout un monde choisi, elle
st:' stl1tait parfois en proie à un sentiment de
solitude atfreuse que jamais elle n'osa confier
au tendre C'ompagnOI1 de sa \'ie ; sa dé:1icatessc
infinie, qui 1 lcttait tout en œuvre pour la rE.ndre
hUllLll!:it', en eût tr01) souffert. Aucun cœur
atljlr€:s d'elle pour l:panchcl SOIl cœur, jusqu'au
jour où sa roule se roi;:;a avec cdle d'une âme
raie, ulle de ces f llIllles exceptionnelles qu'on
s'ltonne (h: rencoutrlr snr la terre et à qui l'on
(J~L
(lin.: cc qUé, d'habitude, on ne confie qu'à
Dilll,
Et, tOllt à coup, un désir intense dl' re\'oir
cdk amie, de lUI fain: COli naître l'enfant charlllante dont la présence a embelli sa vie, s'empare de la comtesse 11arie. Chaque aIl Il Ct:' , le
lung hiver éloigne l'tille de l'autre les deux
fl: III III es , et Je re\ oir est ulle des joies que ra1l~Lit
les beaux jours.
- Si tu le veux, :\Inryse, nous irons tout à
l'i~tne
\'oir ensemble la .\Ière Sal\1l1el. 'ru as
elltt.:lldu parler d'elle <jl1c1Cjudoi", mai. il faut
la connaître. En dehors de mes tilles, de meS
petits-enfants et, j'ajouttrai à présent, <le toi,
chérie, personne ne me tient plus à cœur que la
ch€:n: religieuse à qui je doi:, tant.
- C'est la Supérieure des Rép:lI'atrices, n'estce pas, tante lIIarie? Cdle clOllt tout le monele
dit tallt de bicll? "c t II Il l' Fralçi~d
..
- :\lais oui, mon pdit, ct UllC Française {~
llohll· r,ace et de noble c ur. Je dirais qUl> c'est
la meilleure de mes amies si j'osais prét<.:ndre
être; L,mie d'une sainte, Elle sait dire Ils pa'
III '" qui rC:confortent, qui encouragent, qui couvertissent aussi. Vois-tu, 1105 religieuses, en se
�· TROP
LOr~
DE ?lIOI
faisant aimer, font plus pour notre p:lYS que
nos meilleu rs diplom ates.
- Il faut d'ahord se faire aimer, me disait
toujour s grand- père. Après, on fait des gens ce
que l'on veut. Je crois que cette parole est
vmil! dans tous les domain es.
- Et tu essaies de la mettre en pratiqu e? ..
dit en sourian t la comtes se, en songecltlt au je
ne sais quoi d'attira nt qui émane de cette nature
charma nte.
- Oh! mais vous le savez aussi bien que
moi, rien n'est plus facile! Il est bien peu d.:!
g\:!I1S chez qui il n 'y ait quelqu e chose à prendr e.
Il s'agit seulem ent de savoir le trouver . Grandpère ftait en cela passé maître. Le notaire ùe
Rail1ane lui-mêm e devena it presqu e intéres sant
avec lui!
- Tu as été à bonne école, chérie, dit la vieille
dame en se levant de table.
Et, passan t son bras sous celui de la jeune
fill!:!, elle l'entra îne vers la terrass e qui domine
les al1~es
sablées du jardin. Elle songe que chez
l'Ohe le terrain était prêt à recevoi r la bonnf!
semenc e. C'est pour cela qu'elle a germé.
XOllS prendr ons, si tu veux, la calèche .
Lajos, va dire qu'on attelle tout de suite. nIes
chevau x, comme leur maîtres se, seront bien aises
de sortir, et je n'aime rien tant qu'une promenade en voiture . Pour toi, tu trouver as peutêtre
mode de locomo tion un peu lent. mais
tu verras mon bel attelag e et le costum e pittoresque de nos cocher s.
Un quart d'heure plus tard, en effet, Maryse
s'arrête devant la livrée à brande bourgs et le
chapea u étrange de l'homm e qui, impert urbabl e
Sur son siège, oalme de la voix les chevau x
�TROP LOIN DE MOI
impatients, tandis que le valet de pied aide ces
dames à s'installer dans la voiture.
- Eh bien! nt: te l'avais-je pas dit? • TOS li.
vrées valent l~ peine d'être vues. )lais reg&d~
les bien, il n'y el} a plus gUl:rt!, et vo autos
modernes auront bientôt fait disparaître nos
beaux cochers. Le monde, vois-tu, dans qudqut!
cinquante ans, sera pareil d'un bout à j'autre.
Heureusement que je l'aurai quitté alors !•..
QUUllt li me!' chevaux, écoutl.!-Ies, leur trot berce
notre promenade.
C'cst cn effet Ull plaisir véritable de cirul~
au milieu de la foule endimanchée qui empht
les rues ct les pla es. Le pas mesuré des c1wyaux
permet de regarder tout à loisir les paysannes
en robes claires et fichus bigarrés, les citadines
pareilles, hélas, à celles de partout, les soldats
et les policiers en uniformes des grands jours.
Tout ce monde se promène paisiblement ou se
presse autour des boutiques en plein air où 1'011
vend, parmi tant d'autres friandises. des gâteaux
aux formes symboliques décorés de sucre blanc
ct rose. Les plaisirs sim pIcs de la foule réjouisse1lt le cœur des deu.- femmes jamais insensibles
à la joie des autres, et elles ont presque un regret quand la voiture s'arrête.
Cepcndant, avant de sonner à la porte du monastère, la comtesse veut entrer clans la cbapel1e
où les vêpres s'achèvent. Sous les hautes voo.te5
gothiques, devant l'autel scintillant de lu~ières.
les religieuses prient, toutes semblables. Rien
llt! les différencie, pas mlme leurs voix qui ne
sont plus qu'une seule voix. Et l\laryse pense
:\ l'abnégation de ces femmes vennes de touS
les points dn monde, chacllne avec SOI1 tempérament, ses tendances, son caractère, et qui
�TROP LOIN DE 1\101
65
vivent de la même vie, dans un effacem ent vo~
Ion taire de leur person nalité, ouvran t à toute
heure du jour leur porte, afin de panser les
blessur es des âmes et ùe soulag er les ,!uisère')
des corps.
M,ais l'office se termin e. Solenn elles dans leurs
mantea ux de chœur aux couleu rs de la Vierge ,
les Sœurs quitten t lems places. Sous leurs voiles
baissés , l\Iaryse essaie en vain de discern er leur')
visages . Ont-ell es ml:me un âge, celles qui se
ll'vent, s'inclin ent et glissen t toutes llJrci11es
vers b porte qui s'ouvre à l'intéri eur du doître?
Seules, deux d'entre elles restent en prière.
En face de la porte extCrie ure de la chape11e,
cdle du couven t se d~coupe
dans le vaste bâ~
timcnt .
- Sonne, chérie, dit la comtes se.
Le tintem ent clair de la cloche sc pro1ng~
à 1'intl>riclH, et Ull 1110m(:l1t s'écoul e a\'al1t que
les 1"as feutrés de la tourièr e se fassent entend re,
:'lli,·is du grincem ent lourd des clefs dans la
Serrnre . La petite Sœur qui s'encad re dans la
pnrtt: a une exclam ation de joie :
- La comtes se Marie! Comm e notre :\lère
sena heureu se!
Et son accueil se fait plus chaleu reux el1core
lorsque la comtt:s se présen te sa nièce. Elle entraîne les deux dames vers le parloir et les laisse
sur ceS mots :
- \'ite, vite, je vais préven ir notre ÎlIere.
Que ne surpris e et quel bon heur pour elle!
lI1aryse a une légère émotio n à la pensée de
se trouver devant cc:lle d~>nt
elle a toujou rs entendu parler avec vénéra tion. Elle sait que son
influen ce s'étend partou t, dans les hautes sphère s
.comm e chez les pauvre s; elle sait son attitud e
36 2-III
�66
TROP LOIN DE MOI
noble et ferme devant les commissaires communistes ; elle sait que, de près, elle a côtoyé le
martné. 1 Te lui a-t-on pas rapporté l'étonnement
du r-eprésentant de la révolution qui déclarait,
n'ayant pu obtenir d'elle ce qu'il voulait: « 1Iais
ce n'est pas une femme; c'est un homme
d'Etat! ))
Comme elle doit être imposante cl:lIe qui faisait reculer des hommes prêts à toutes les bes"ognes !
Mais justement la porte, sans bruit, s'est ouverte. Mince et frêle daus sa robe blanche, e
sounre aux lèvres, Jes mains tendues, la upérieure est là qui s'avance. Dans ses yeux où
l'âge et les soucis ont laissé une douce lumit:r~,
la bonté transparaît et la joie se devine. cette
joie intérieure qui surpasse toutes les joies d~
ce monde. A l'instant, l'appréhension de :\Iaryse
disparaît.
- Je vous attendais, chère amie, dit la .Ière
de sa voi.- claire. Pâques est un jour de bonhèur;
le bon Dieu me devait bien celui-là.
- :'lIa nièce, ma Mère.
- Cette petite 1Iaryse dont j'ai si souvent
entendu parler? Le bonheur est dOllC plu,; grand
cette année que les autres?
Et, prenant la main de la jeune fille, dIe la
fait asseoir sur le grand canapé rouge qui trône
au milieu du parloir.
- .\sseyez-vous là, mon enfant, près de la
honne tante qui vous chérit encore plus ~l1e
vous
Ile pouvez le croire. Cette maison sera la vôtre,
comme elle est la sienne, et, si ,"ous le permettez, nous vous aimerons comme nous
l'aimons.
La Mère s'est assise Sur une chaise devant les
�TROP LOIN DE i\101
n7
visiteus es. Ses mains diapha nes se croisen t sur
sa robe de laine: profon d et dou.', son regard
se pose sur sa jeulle interlo cutrice qui se sent
comme envelo ppée de sympat hie tendre. Comme
elle est ~imple,
tout occupé e seulem ent de son
amie r\!trouv ée et de cette enfant dont e11e veut
ga~nt:l
le cœur! 11aryse oublie tout : le granJ
nom ql1'e11e porte, les grande s choses qu'elle a
accoml11ies an péril de sa vie. Elle ne voit plus
(]t1~
cette e.'quis e bonté, faite de ch3rit(· , cl
nai amour, qui émane de la mince person ne
presqu e immaté rielle de la ~lère.
La ,isite se poursu it entre les propos échangés. La comtes se deman de des nou\'el1 es de toute
la commu nauté. Chaque fil1e de cette mère incompa rable n'e t-elle pas une amie pom el1e?
La Supéri eure s'enqu iert de ce C]ui intére~<:
ses
deux \'isitcus c5, mais plus spécial ement ::\Iaryse,
qu'el1e questio nne sur le pays lointai n, sur Ct!
qu'elle aime. Avec une affabili té charma nte, elle
parle de ce qui touche ces femme s du monde
dont la vie ressem ble si peu à la sienne. Pou,rait-on se douter, à la voir, à l'enten dre, que
cette religieu se au sourire i doux, à la parole
si f·amilière a vécu, en héroine , des heures tragiques?
l\Iais la comtes se Peszten yi n'est pas se\11ement l'8mie de la Supéri eure, c'est aussi la lnenfaitrice du couven t, et elle ramène la con\'er sation ~tr
les œu\'res des Sœurs.
- Pt'ut-ê tre allons- nous ennuye r cette enfant '1
dit la Mère a,'ec une nuance d'hésit ation dans
la voix.
Maryse , bien vite, la rassur e:
- Au contrai re, ma Mère, parlez- moi des
P.auvres. Je suis privée d'eux depuis mon arrivée
�68
TROP LOIN DE MOI
ici. Je vois bien des malheureux dans le~
rues,.
mais je ne puis rien leur dire, je ne sais rien
d'eux ...
- Je vois que vous êtes de leurs amis, alors
j'oserai vous raconter leurs misères.
Et longuement la Mère parle de ceux qui
souffrent, avec quelle indulgence pour les dé·
chéances morales, avec quelll:! pitié pour les dé.:·
tresses physiques. Sachant que la comtesse, avec
elle, s'ingéniera pour soulager les unes et le3
autres, elle devient éloquente. Et une demiheure se passe à combiner des plans; les deux
amies se font complices pour faire du bien .
•\lors, la Supérieure s'excuse. Elle a trop parlé
de c( ses enfants )) ; il faut lui pardonner.
- ~Ia
Mère, voudriez-vons me faIre lin grand,
grand plaisir? dit la jeune fille dont les yeux
son t brillants de larmes.
- en plaisir? ..
- Oui, ici, seule, je ne peux rien; mais si
vous me permettiez de vous aider auprès de:;
pauvres? Je les servirais, je les soignerai::>, je
ferais tout ce que vous me dirie:t.. Permettezmoi, Je serais si heureuse ...
- Comment, si je perlllt:ts? .. 'Venez, ma petIte )'Iar~se,
tant que VOltS voudrez. Tene7, • \l'ur
Simone a bc-oin de quelqu'un à la crèche. Voulez-\'ouS l'aider? Ses petits aimeront votre jeune
visage.
En remontant dans la voiture, Maryse exprime la joie que lui a faite cette visite et Id
perspective de servir les pauvres. La Mère ne
lui a·t-elle pas dit en la quittant:
- A demain, mon enfant, si cc n'est pas trop
vons demander. Et que Je bon Dieu vous béniss<:
pour tout ce que vous ferez à ses petits.
�TROP LOIN DE ?\IOI
69
Je crois bien qu'elle sera heureuse d'aidl!l'
la Sieur dès demain!
- Pensez donc, tante ::\Iuric, des [1on[10115,
des tout petits à Clui on peut dire de tendres
choses et qu'on peut embrasser tant qu'on
veut!
- Xc t'avais-je pas prévenue, chérie? On ne
revient jamais les mains vides de chez ma sainte
ami\:! ; dIe vous offre toujours quelque bien à
faire.
Mais la visite s'est [lrolongée chez la ::\Ière ;
la comtesse a hâte de ro=ntrcr avant l'arriv':.!
des hôt\:!s qui 11e manqueront pas de vcnir aLtjounl'hui cho=z elle. Arrivées snr les quais.
- Par le pont François-Joseph, Lajos, ditelle. Ce sera 11I0ins encombré.
Le:, Che\',1tlx, march:lnt bail train, ont vi!e
fait de traVl:rser le Il.un: que les bateaLlx sil101lnl:llt. Sih:ncieLlse, :\Iaryse r0ve II ceux qu'elle
appelle déjà cc Ses petits )). La comtesse sc lais e
aller à jouir du sJll:ctacle de la ville dont elle
a été pri \'ée si longtemps. :filais, tout à cou)'!.
elle se redresse :
- Tiens, mignonne, regarde, je ne me trompe
pas ... Ces gracieuses coques grises, ... "'e sont
nos bateaux. Ils reviennent, comme le:'> hirondelles, avec le printemps. Nous He tarderons pas
à ,'oir Henri.
Le cœnr de :\Iarysc hat plus "île ~l la "ue du
drapeau qui flotte à l'ari~e
des h:llimenls cl
qu'elle salue d'un sourire.
- Comme ils sont petits, tante :JIarie. L'italien ct l'anglais, là-bas, ont l'air immenses il
côt~
d'eux. l\Iais les nôtre') sont si jolis! Comme
je les -aime!
Volontiers, elle resterait à les conlelll11k'r un
�TROP LOIN DE MOI
70
moment, mais la voiture a tourné, et ils sont
bientût hors de nIe. Elle en emporte cepenelGnt
ln donce vision dans l'âme, et, tout le soir,
tan(li5 qn'ellc: se consacre, aimable et gracieuse.
mL' hôtes de sa tGnte, dans ce qu'elle apel~
S011 sanctuaire secret, elle voit flotter les c1rapeaux français à l'arrière d s petits bateaux
gris. Puis, quand vient l'heure du repos, d'une
plume. rapide, elle écrit sur le feuillet de ses
ll\:!1JsCl!S :
ncl1~
jonrnle de ftte aujourd'hui, grand-père ...
.le y,us sCn"Jr les pau\'l(S ct... les bateaux de
France sout
ri>VC11US
1
xn
- Sœur Simone, regardez-le dOI1C! Il me
tend les bras, le chéri ! ...
.:\Iaryse s'av,ance vers le petit berceau blett
où lUI poupon lui sourit.
- Viens ici, 111011 amour. C'est le moment de
la toilette. N'ous allons faire <.le toi un petit
homme bien propre.
Le fait est que le marmot en a besoin, mais
.:\Iaryse voit à peine ses vHements sales; c' (~t
la mignonne frimousse qui attire ses regards, d
elle sait y découvrir un coin rose où elle dépoSè
\111 baiser sonore lorsqu'elle le prend dans ses
bras pour le donner à la Sœur chargée de pro-
�TROP LOIN DE MOI
71
céder a.u bain des enfants dès leur arrivée à la
crèche .
. La salle blanch e, où s'align ent, pareill ement
jolis dans leur parure couleu r du ciel, les berceaux des tout petits, commu nique, par une
vaste porte, avec la pièce où les plus gmllds
prenne nt leurs ébats dans un joyeux ta-
pag-t:.
- Vous seriez gentill e de voir un peu ce qu'ils
font, ces diablot ins, deman de la Sœur en prenan t
l'enfan t des mains de sa jeune aide. Ils ne nous
laissero nt pas la paix ce matin.
Il cst certain qu ' un vent de dissipa tion agite
les hamhin s. Il suffit que Marysc paraiss e dans
sa blanch e livrée d'infirm ière pour que tous se
pr0cipi tent vers elle, Les petites mains se telldent, c'est un concer t de cris. Alors, elle essaie
de paraîtr e sévère. Les sOltrcils froncés , elle
porte 1111 doigt à ses lèvres :
- Chut ! ...
Et allssitô t, de toute la vitesse des petite:;
jambes , chacull va repren dre sa place sur le
banc <lui comt le long du mur. Ils la regard ent
tous si drôlem ent, les uns avec un air mutin,
d'autre s la mine si contrit e, qu'elle ne peut
réprim er lin sourire , et cc sourire sc rdlètc :\
l'instan t sur les gentils visages qui sc détend ent,
surtou t lorsqu' elle prend dans l'armoi re des pantins, des poupée s, des livres d'imag es qu'clic
distrih ue à tont ce petit monde , Ils pourro nt
ainsi se distrair e sans trop faire de bruit, et
puis elle revient près de la baigno ire où le bébc
s'agite avec des cris de l)laisir. Ses menott es
tapoten t J'eau qui rejailli t de tous côtés, jusque
Sur le. voile de la Sœur' qui, prestem ent, savonn e
le corps rose et potelé et bientô t l'ellve1 oppe
�7~
TROP LOIN DE Mor
d'un peignoir pour le confier à sa compagne
chargée dn séchage et de l'habillage.
Puis C'(;st le tour d'un autre. Tous y pas.c;ent,
en attendant le biberon que quelques-uns réclament avec des cris. Et ainsi, chaque matin,
pendant deux heures, Maryse se consacre toute
à ces petits qu'elle cMrit déjà ùe tout son ccenr
et qui la récompensent de ses peines en 1\li manifestant la tendresse dont le cœur des enfants
est si prodigue pour ceux qui les soignellt. Ils
ne la compre11nent guère, mais sa voL· est douce,
elle leur sourit, les caresse. Cela sufilt pour
qu'ils l'aiment, eux qui ne sont pas toujours
gâtés {lU logis où la vie est dure.
Aussi est-cc chaque fois av c regret qu'elle
entend sonner l'heure du départ. Aujourd'hui,
c'est la tourière ene-meme qui vient l'avertir :
- La comtesse Marie vous attend, mademOIselle :\IarY5e.
C'est "rai, 53 tante devait venir J{I hercher!
- J'ai promis de \·ous libérer à dix heures.
Mademoise1lL Ne m faites pas manquer à ma
prome::,se, insiste Sœur Simone. La comtesse ne
vous permettrait plus de revenir et, alors, que
deviendrais-je?
- Oui, oni, ma Sœur. Je pars. Mab cette
petite est l)aresseu. e. Si je la laisse, elle ne finira
pas son lait et elle m aIgrira.
- Allons, dOllne7.-1a-moi .. . A nons ùeu.', ma
mignonlle Il ne s'agit pas de contrarier notri!
jeune infirmière. Si elle constatait une diminution de T10ids jeudi, dIe ne s'en cOllsolérait pas.
C'est vrai; l\laryse s'est donnée "de plein
cœur à sa 1101lvelle tâche, comme à tout ce
qu'e11e fait.
- C'est si bon de faire un peu de bien! dit-
�TROP LOIN DE MOI
73
elle ù sa tante lorsque celle-ci, dans l'auto,
l'accueille avec un sourire et la félicite sur S'l
bOllne mine.
Et elle e met à raconter les menus fait~
de la
matilé~
comme elle a coutume de le faire , mêlant aillsi son aimahle compagne il son existence
charitable.
- Im aginez-vous que 110US avons eu Ull 1101Iveatt ce matin, tante chérie, et .. . devinez com111\.'l1t il s'appelle? .. Attila !... J'en suis r stée
stupéfaite un instant, et, ma parole, j'auri~
l'tt
peur s'il n'avait été joli comme un ange, le
paune amour! Quel nom pour UI1 bébé!
A l'entrée dtt Corso, ]a comtesse fait arrUer
la \'oitme :
- J'aurais du plaisir à me promener un peu
à c(' beau soleil. Veux-tu que nous flânions l~1
1111ant, chérie? L'auto nous attendra là-bas, devant le Ritz.
Il c;,;t certain que le temps convie à la promcnade, an bord du fleuve, devant Je grand-;
lItlt 'ls joliment décorés. Dans ce large espace
illtel dit aux voitnres, les citadins ont un véritahle salon en plein air qui attire chaque matin
lllll! société choisie. On \'0- et vient en CHusant,
011 sc salue, on s'aborde, certains paradent,
d'autres, assis en ct:'rc1c, devisent <:n regardant
)JaSSl'r leur:; s~1lbahe.
Des paysannes offrent
O\IX belles l)romencuses des fleurs ou encore des
étoffes brodées :'e couleurs éclatantes. Tout
hrille sous le gai soleil printanier.
- Si je m'écoutais, "olontiers j'oublierais
l'heure ici, déclare la comt(sse, arrivée près de
la place où ces dames doivent reprendre la voiture . II semble qu'on y retrouve comme un souvenir de la vie facile de jadis, où les jours cou-
�74
TROP LOIN DE MOI
laient moins lourùs de soucis pour le monùe
ct pour nous. Il est vrai que j'6tais jeune alors
et que la vieille Europe n'était pas blessée de
toutes parts! Qui n'a pas connu Budapest ;).
cette époque ne sait pas ce qu'est le luxe et
l'éll.-gance eIl Hongrie.
l\laryse, qui g6néralement prNe unc oreille
attcntive aux paroles de sa tante, est dt;:l.l1is Ull
moment distraite. En cherchant du n:gard l'alltOlllobile, elle a distingué sur un hall c de 1.1
place un jeune homme qui ne pOLl\"ait paS..ier
111 lperçu à ses yeux : il porte l'uniforme de no.,
matelots! Son col bleu, son béret couronné d'un
pOlllpon rouge sont choses qui sc remarquent
ici.
Au moment de monter en voiture, elle S~
retourne pour le revoir <:t s'arrête. Debout mailltc:nant, il semble souffrir, et, lorsqu'il veut
s' essayer il marcher, il retombe lonrdement sur
le banc. Avec une grimace significative, il porte
la main il. sa cheville. Impossible de laisser ce
garçon dans la pcine. Maryse le signale à Ll
COUl tc"Sse.
- Va donc voir ce qu'il a, mignonne, et si
nous pouvons quc!que chose pour lui.
En deux bonds, la jeune fille est auprès du
marin qui, tout rougissant à sa question, lui
explique sa. méSaVCl}ture :
- Cc n'est rien, une foulure, peut-être, M.1dellloiselle. Mais je ne suis pas il l'aise ponr '
n:ntrer à bord, surtout avec le paquet 'Ille j'al
là pour le commandant.
- Si ce n'est que ça, les choses vont s'arranger, dit l\Iaryse qui S'emparc aussitôt du fJaquet.
Et elle ajoute en sonriant :
- A présent, donnez-moi le bras pour mar-
�TROP LOIN DE MOI
75
cher jusqu'à cette auto là-bas. Nous allons "OUS
accompagner.
Le marin la regarde, hésit.ant. Une si hdlL· demoiselle, il n'osera jamais 1...
- Allons, du couragl'! ::'lIa tante nous aH lhl.
Et surtout n'ayez pas peur de vous al'puyc·r.
Je 'uis forte.
Encouragé par tant de bonne grâce, le jl me
homme a vite fait de reprendre SOli assura11t· .... ,
et, clopin-clopant, il s'ébranle. Il essaie d'ahord
de se soutenir à peine sm sa compagne, mais :1
lui faut hientôt s'appuyer plus fortement, et ::
s'excuse: :
- P3rc1011, :;\Iademoiselle, mais ce coquin de
J.ied mt! fait Ull fichu mul! Comme vous êtes
bonne 1 Ponr sûr, vous êt<:s de chez nous pour
être si gentille.
A ce moment, ils sont dC\'ant la voiture.
- Vons \'o)-ez, tante ~larie,
il a reconnu que
j'~·tais
Françaist!! dit en riullt :;\Iuryse à la yitille
dame qui se penche, inql1it:te. Ce n'e. t rit:J1, une
foulure seulement; mais nous le ramenons à
bord, n'est- l'pas?
- Bien Or. Ce sera un bonheur pour moi,
répond la comtesse qui · s'ingénie pour que Je
Pdit marin, tout étonné d'être l'objet de tant
de soins, puisse étendre sa jambe malade.
Elle l'installe uuprès d'(èJ1e :
- Comme cela, "ous ne souffrirez pas hop,
et nous serons vite arrivés. Lajos, arrêtez-nous
au bout du pont Elisabeth.
Aimah1e toujours, et pour tous, elle ne tank
pas ;l mettre le jeune garçon ;. l'aise. A ses
CJl1estio~
discrètement posées, il répond en parlant de ses vieux qu'il a laissés au pays, de 50'1
village qu'il n'oublie pas, de son existence
�76
TROP LOIN DE MOI
de marin. Et lorsque la voiture s'arrête :
- A présent, je voudrais savoir votre nom.
demande-t-elle en souriant.
- Yves Guirec, pour vous servir, Madame.
- Eh bien! mon petit Guirec, une vieille
Française ùe Bude a été heureuse de rendre
service à un brave gars comme vous. Vous le
direz à votre maman dans votre prochaine lettre,
accompagne-le, veux-tu ?...
n'est-ce pas? ~Iaryse,
Je t'attends ici.
D'être resté un moment étendu, le .natel ot
se sent mieux, et il voudrait refuser le seC 0 ~1rs
de ia jeune fille. Mais elle insiste :
Jusqu'à la pas~t!rel,
laissez-moi vuus
aider.
- Comme vous &tes bonne! Ce sont les camaracles qui vont être jaloux, s'ils voient que je
me promène au bras d'une belle demoiselle, di cil en riant.
~Lais,
au moment où elle le quitte, tout son
embarras revient. Elle lui tend une petik mai:-!
fll1e où il ose à peine mettre la sienne. Il ne
sait comment lui e. 'primer sa reconnaissance;
les mots lie viennent pas, et c'est seulement
qllunn elle lui a dit, souriante : cc Au revoir,
CllirL'c, je suis contente de vous connaître»,
qu'il hasarde un timide:
- :\Ierci, :\I,ademoisel1e.
Pllis il ajoute :
- C'est le bon Dieu qui vous a envoyée ...
Et, tenant dans ses hras le paquet qu'cllt!
\'ient ùe lui remettre, il la regarde s'éloigner
\'"rs la voiture qui l'attend.
�TROP LOIN DE Mor
77
XIII
Il semble parfois, dans la vie, que certaines
choses r}:le nous voulions éviter s'imposent à
nous comme par une sorte de fatalité. C'est un
nom que nous voudrions oublier et ql1i, à chaqt1~
instant, revient sur les lèvres de ceux qui nous
parlent, nous forçant à arrt:ter notre pensée sur
Un être dont le souvenir nous est trop cher Olt
trop pénible; ltne démarche à laquelle nous
avions formellement renoncé et qu'un concour'i
de circonstances nous oblige à accomplir, sans
que nous osions quelquefois examiner si celu
llous afflige ou nous réjouit.
Après avoir écouté Guirec lui faire le récit
de son aventure, un moen~
Gérard s'est demandé qui étaient les femmes dont la charitable
intervention avait si heureusement tiré le matelot d'embarras.
- Tu dis que l'une d'elles était âgée? .•
- Oui, commandant. Elle m'a même dit
« Je suis une vieille Française de Bude.»
L'autre, qui était jeune et si aimable, lui disait:
ma tan.te.
- Française aussi?
- Je crois bien, commandant! Et elle
a'appelle Maryse.
Ce nom, le lieutenant de vaisseau l'a déjà
entendu... La parenté des deux dames. tout
�78
TROP LOIN DE MOI
concorde pour laisser crOIre qu'il s'agit de la
comtesse Pesztenyi et de l\llle d' Astries.
Pourra-t-il, cette fois, sans manquer aux plus
strictes convenances, se dispenser d'aller jusqu'à
elles pour les remerCler du sen'icc rendu à l'un
de ses homme::; ?.. , ::-'1 ais, après tout,ïl se trompe
peut-être sur leur identité, lt cctte démarche,
si elle tombe à faux, paraîtra ridicule ... Ces
pensées se succ?:dent dans sa tête 5an5 qu'il
par\'Ïenne à prendre un parti. Il attendra avant
de se hasarder. Sa \'olonté, partagt:e entre un
vague désir de trom'er une ra1son de pénétrer
dans un intérieur dont il SOupçonne les charmes
et la crainte mal définie de perdre un peu de
cette indépendance que lui a acquise sa réputation de sauvagerie, reste flottante. Et lorsque
l'enseigne, venu lui parler pour un détail de
service, lui demande:
- Avez-vous su, commanclQnt. que Guirec
s'e.t fait voiturer par la comtesse Pesztenyi?
Il insiste:
- Vraiment? ... "ous en êtes sûr? ...
- Pas de doute. Je COI1ll<lJS tout ce CJue Budapest compte de Françaises, et je puis YOUS
affirmer <]ue, parmi elles, il n 'y a qu'une ::-'1aryse. J'ai, du reste, al>t:rçu la voiture de la
comtesse dans nos parages, ce matin.
Allons, décidément, cette \'isite s'impose Elle
pourra d'ailleurs être agré~ble,
et ce ne sera
jamais qu'un moment à passer, car Gérard est
bien résolu à se dtft:lldre et à n'accej)ter aucune
invitation qui ponrrait \'enir troubler sa chère
50litude.
Si Monsieur veut se donner la peine
�TROP LOIX DE 1101
ï9
d'attendre ici, je vais prévenir }'ladame la comtessl:!.,..
Dans le petit salon où l'on a introduit l'officier flotte comme un reflet de celll:!s qni aiment
à y passer des heurl:!s de douce intimité. Tout
y est reposant. On dt::\"ine qu'il y a quelque.;
instants à peine elles étaient encore là, lion loin
de la fenêtre (lui s'ouvre sur le jardin en fleurs.
Dans un grand vase de cristal, un bouquet de
lilas exhale son doux arome, à côté de la pendule
précil:!use qni chante le tic tac des heures, et sur
un guéridon ql1elques violettes achèvent de se
faner, tandis qu'un livre, encore ouvert, marque
la page où l'on s'est arrêté, auprès de la corbeille
d'où s'échappe un ouvrage de fine broderie. Sur
l'un des fauteuils recouverts de vieille soie aux
tons pCtlis. une écharpe blanche a été oubliée.
Lorsqu'un homme a grandi Jans un foyer où
une femme a su mettre la douceur de sa présemce, ce n'est jamais ans un sentiment d'émo·
tion att(·ndrie qu'il retrouve le::. menus objets
qui décèlent une existence féminine dans un
cadre intime. Et combien plus encore lorsque
sa vie est rnde et 1(' tient . éloigné des affections
de son enfance! Il savoure alors dans le présent
comme t1J1 souvenir <lu passé. Gérarù, en cet
instant, souhaiterait d'êtrc oublié pour mieux
jouir de cette impression heureuse.
?\[ais 011 marche <In ilS la pièc~
voisine don t b
porte est restée cntr'ouverte. Son désir ne sanrait être réalisé. Cependant personne ne paraît,
et sur un piano quelques S011S glissent d'abord;
\tlle voix fredonne une de ces brèves mélodies
de Schumann, toute de charme. Evidemment, la
musicienne feuillette SOI1 recueil, à la recherche
du morceau qu'elle souhaite, et bientôt les
J
�80
'tROP LOIN DE MOI
accords s'affirment. Dans le silence de la pICce,
une voix chaude commence l'admirable lied où
l'exilé rêve du pays lointain. Doux et calme,
le chant s'élève :
Ces nua.ges dans ln nuit sombre
Me parlent de nlOU pays .. .
Les mots s'échapPl:l1t des lèvres de la chanteuse, paisibles d'abord. Puis tout chargés de
souvenirs tristes, ib disent Il! regret des tendres
aff ections perdues
Que de <:Œurs y dormtnt dans l'ombre,
De; ceux qui m'OimaÏtut jadis .. .
Pour exprimer enfin, après la pensée poignante de la fin solitaire, celle plus apaisante
de l'oubli dans la mort :
Alors m on n om pass era ...
La \'oi. · 5\:st tue. Comme elle a su, dans ses
accent!> profonds ct tf:'l1dres, faire passer la pen.
s~e
du musicien :n'ec ('~le
du poète! Cne émotIon y vibre qui doit (;tre puissamlllent r ssentie
par J' tnne qui la guide pour se communiquer
a\'ec tant de chaleur à ceux qui l' ~COl1
tent. Le
silence a succédé à l'incolllparahl mélodie, et
l'officier voudrait que plu5 rien nc VleUlle rompre
le charmc où elle l'a plongé. C'est sans doute
aUS5i ce que pense la musiciennl!, car au bout
d'un moment le piano se ferme, et les pas se
rapprochent, juste au moment où, du côté du
jardin, des voix se font entendre.
A peine l\Iaryse a.-t-elle poussé la porte qu'elle
s'arrête, confuse. Elle croyait si bien thanter
�TROP
LOJ~
DE MOI
81
pour elle seule qu'elle s'est donllle toute à son
art, et quel(Jue chose en elle est comme bles3é
d'avoir été surprise li\runt l'intime de son âme:
- Vous étiez là, l\lonsieur? ..
- Excusez-moi, l\lademoisclle, de YOU'::i avoir
clltt!ndl1e sans y ovoir été cOl1vié, mais je viens
de goûter, grâce à 'vous, une impression d'art
si rare ct si profonde que je ne P(;UX me résigner
à le regretter ...
- Ce morceau vous plaît? Alors, tant mieux.
Je l'aJme tant! Mais je n'ose le chanter que
lorsque ma tante ne peut pas m'entendre. Il dit
trop bien, vous comprenez, ce que l'on resseut
au. - heures tristes quand on est loin de son
pays. l\lais chut !... La voilà.
De la meilleure grâce du monde, la comtesse
accueille l'officier en s'excusant de l'avoir faÎt
attendre:
- J'admirais le printemps dans mon jardin,
dit-eHe. On a eu de la peine à me trouver.
Et, lors('ju'il lui expose le but de sa dsite, elle
ne veu t pas ttre remerciée :
non, Croyez, commandant, que j'al
- :r- ~on,
Hé particulièrement heureuse d'avoir dém ma
voiture un de vos p lits marins. Tout le plaisir
(·tait Jlour moi. Et d'ailleurs, .ajonte-t-dle avec
5011 fin sourire, ne dois-je }Jas aussi toute ma
reconnaissance à eelui qui a si aimablement tiré
d'embarras ma niècc lors de ses d6mélés nvec \lll
douanier pointillelL"? De ce seul fait, ma sympathie vous était acquise, sans compter ce que
j'ai en tendu dire de vous par la suite ...
Ce que la vieille dame lit de droiture simple
ct d'énergie sur le \'isage intelligent de l'officier
achève de la conquéri r. l\Iarysc reste silencieuse.
Il lui faut un moment, prétend-elle, pour redes-
�TROP LOIN DE
~IO
cendre sur terre après une violente émotion artistique, ct, tout à l'heure, elle s'est donnée avec
tant d'intensité à ce qu'elle exprimait que
SOI1
6motion n'est pas encore passée. Sa
pâleur n'échappe pas à la comtesse qui la
gronde:
- Tu ne sors pas assez, chéne. Aussi, si vous
k ,'oulez, nous allons nous installer sur la terr,,; e. C'est faire injure au bon Dieu que ùe
pr'::f0rer l'intérieur de nos maisons aux beautés
(lU'I! nous offre dans la nature!
Le jardin, cn effet, a sa parnre de f&te. Les
arbllst\:s fleuris semblent de gros bouquets dè
mariées. On dirait que sur certains la neige de
l'hi,'cr est restée. Près d'un buisson, une aubépine rOse met sa note de gaiel6. ~Iaryse,
bientfJt,
reprend ses couleurs avec sa sérénité. Elle "intéresse au sort de son «( rescapé}), comme ell,.!
l'appelle, el demande en riant s'il peut se paser
de son aide. C'est à elle cette fois que l'officier
adresse des remdciements qu'elle refuse comme
sa L.1I1te.
- J'étais si fière d'êtr~
au bras d'un de 1105
marins cl\.! France, commandant, dit-elle. Il ne
faut pas me remercier de Cl.! qui m'a rendue
heu 'cus .
L,l comtesse se fait racollt l' par son visiteur
les d0lails de la vie du bonI. Elle sait trop bien
que, pour lui, une conVl!1'salion rOlllant sur UI1
banal sujt:t mondain serait sans intérN, ct lui, se
Sl!lltant compris d'elle, comme de la jeune fille
ft i déjà l'a écouté avec tant (l'attention, parI,'
],)[JgUl.!ment dl! cc qlli fait sa "ie. Son rIme arden t~ se dévoile à travers ses 1 aroles généralement mesurées où cependanl, de loin en loin,
transparaît une flamme d'enthousiasme. Il se
�TROP LOIN DE MOI
laisse emporter par son élan. Mais, tout à coup,
p1c1l1 de confusion, il s'arrête:
- Je ne devrais pas parll:r ainsi de mol, :\J<1damc. J'abuse cle votre complaisance.
Et, se k\'ant pour prendre congé, il ajoute:
- Il faut me pardonnc.r ...
COl1l11lLnt
pouveZ-\ ous penser 1)ureille
une
chost::, C'ollJmandan t? Songez que je sui~
exilée qui g.:mle au ca:ur un amour passionné
pour son pays et tout Ct! qui le touche. Am,si
faut-il ayoir pitié de moi et reveuir SOl1vult clans
cette maison où vous serez toujours Je.; biCJl\·ulU.
Et, les mains t nc1uE:s, cil insiste:
- Faitcs-k, YOHlez-vous? .. \'ous ferez plaisir
à une vieille f lIl111e qui vous a déjà donné un
peu de SOli amitié ...
Gü rd promet. Peut-il résister à une prière
si Mlicatement faite? Aussi, lorsque .;\ray~e
formule un ; « Au r(voir, n'est-ce pas, l\on~ieu?
))
intL'rrogatcur, il répond avec tant de chaleur
qu'il s'en étonne lui-m0me :
- .\u revoir, ccrtaitlt!ment, :Jlademoiscile.
Pourquoi se le <1is!"imuler? T0115 S S h at1x
projets de solituc1e e. sont enfub, ct 11 est trOi)
franc an:c lui-même pour \ ouloir e lrol1IlJl:!.
Depuis qu'il a pa..:sé le sc\:il de cette (kmeure.
il a éprouvl: utl Stntillll1lt de hiel-~tr
(Hi, ~an:
doute, à l'agrément du cadre, mais cOlllhien ]lu~
encore ù J'affabilité de celles (lui l'hahitl'llt,
cOlllme aux imprcssioll:i pro!ondes et charmant 5
tonr à tour que h=ur esprit ct 11'11r âme ()nt
fait passcr en lni. En ~t; rapprochant d'le~,
il
réponùra ,\ kurs désir l'.'prim '·s a\ cc tallt <le
simplicité aimahle et P 'llt- tre alt.i. ct ~,'ns
ql1'ille comprenlle CllCOrL', a' El.!crcl d(sir ~1è
011
cœUf.
�84
TROP LOIN DE MOI
XIV
Ainsi, peu à peu, et chaque fois avec plus de
plaisir, Il! lieutenant de \'aisseau a pris l'Iwbitude de souller à la lourde porte armoriée <ln
palais Pesztenvi dont il est devenu l'un de;:;
hôtes as idus, ·Seul, ou a\'ec le jeune enseigne
qui s'~mer\il
de le voir si sociable, il grimpe
les mes de l'antique cité, sG.r de trouver dans la
vieille demeurt:: seigneuriale l'accueil fait de
sympathie affectueuse de celle qui y règne avec
tant d'aimable souveraineté, heureux aussi
d'approchl:!r la simplicité charmante de :\Iarys'~
dont l'esprit, profond malgré son extrême jeunes 'e, le captive, Sur le visage de la jeune fille,
où passent toutes les impre SiOllS de son flme,
il sai t lire à présent, même lorsque ses lèvres
le tent closes, tour à tour l'admiration, l'~ton
ncmcnt ou une pensée triste <lai l'emeure.
Aux jours où, dans le saloll de la comtesse,
les visitel11'S affiuent, il regrette parfois de Il
\'oir l1ê~e
à un lllontll! charmant, sans don te,
mais trop frivole, oÙ"'les conversations ne laissent
[las de s'égarl!r de temps en temps sur des sujets
qui la blessent, il le sent bien, Xl! lui est-il pa,;
arrÎ\'é un jour, tandis qu'un peu à l'écart il
écoutait, silencieux, cC'::; propos 01\ les choses
les l11us sacrL'es, trop souvent, ne trouvent CJlI~
dédain ou douce raillerie, dl! rencontrer les yeux
�TROP LOIN DE MOI
85
sombres de Maryse brillants d'indignation? Il a
cru deviner qu'elle l'appelait au secours, comprenant qu'elle ne saurait découvrir les arguments capables de confondre les causeurs. Et
les hôtes de la comtesse Pesztenyi ont été surpri5
d'entendrl:! le jeune homme, dont le calme et
la froideur souvent les étonnent, attaquer
avec tant d'ardeur et d'à-propos les foll(;!s tbéories où le monde verse SOI1 poison subtil.
Depuis lors, il y a entre :'Iaryse et l'officier
comme un accord tacite qui les amène à éclHlIIgt:r souvent un regard où leurs pensées Se pénètrent, dans un senJiment commun d'indignation ou de pitié, et, après un débat où des
questions sérieuses se sont agitées, il leur arriv<:
de se rapprocher pour se com111Unir1Ul:r leur
manière tle penser ou de sentir. Il s'est établi
ainsi, de l'un à l'autre, un sentiment fait, d'lm
côté, de confiance simple, de l'autre de tendr\.!
protection.
A certains jours, le sort favorable éloigne les
visiteurs, et le lieutenant de vaisseau sc trouve
senl avec les dames du logis .•\lors, ùans l'intimité du salon ou dans les allées du jardin, la
cOllvecation sc déroule, lai sant de côté toutes
les 'ollventions mondaines. On aborde les sujets
k; plus divers. On canse littérature, art, voy<lges;
les ;,ott\'cnirs se mêlent aux projets, et, lorsque
Civrac est là pour animer de :Oa verve joyeuse
les propos qui se croisent, la gaieté s'ajoute fi.
la tloltceur de la causeriè. A le ' écouter, on ne
croirait pas CJue tant d'anlll:es les séparent. La
conltèsse, dont l'esprit restel:tonnamment jeune,
s'intéresse à tout cc qui est l1(,u\'eau. Ses audi• lenrs, sachant trouver ell elle des souvenirs "e
rapportant à tout ce qUe l'Europe a connu de
�86
TROP LOIN DE MOI
a
notoire pendant de longues années, se plaisent
l'interroger.
Souvent, comme ce soir, l'aimable femme retient les jeunes gens à dîner, et, après le repas
pris, tandi:, que le jour décline, dans la gra nde
salle à manger, à la pâle lumière des bougies ('(ue
la comtesse aime à voir scintiller près db cristao,' tailll s , le lieutenant de vaisscau réclame
dt: la llluslque. Il ne se las e pas d'entcllch la
voix "iLrullte qui sait si bicIl faire revivre le:;
srrall<le:, pemécs 011 les tendres émotions des
mnsiciens, <:t la jeulJe fille, qui sait faire plaisit
a eeu. " 'lui j'écoutcnt, se prête à tous leurs dé·
Slr~
. Les tristes cantilènes succèdent aux joyeuses
wllodi s, slli\'allt les demandes de l'un ou de
l'autre, jusqu'ù ce que la comtesse, qui cramt
ch: la fatiguer, proteste:
- . \'otr\! tour, à pré ent, Henri. Laissez-la
se reposer et charmez-nous ... à votre manière.
1\ lors, dans Ull entrain snperbe, les note~
s'~lhapeJt
de l'instrument qu'anime le talent
plein dl: fougue du jeune homme. D'autres fois,
il demande le concours de .laryse 1)()Ur J'aider
à rendre les puissantcs harmonies des grand ..
das iquC's cher:, à la comtesse, et les deu." artist s entrem &lc nt d'éclats ùe rire les accorùs qui
::>\'nvokllt \<.. 1., le jardin où des(end la grande
pai. de la !luit.
•
�TROP LOIN DE
~IO
87
xv
Posée comme une grande barquc fleurie ail
milieu du Danube, l'île ;\Iargncrite offre tOIl')
les plaisirs clc la Yie balnéaire atL' habit,lnts il:
Budapest, dont les après-midi s'achèvent a\1 '{
sons dcs orchestrcs tziganés sur les courts d-:
tennis ou cncore près les piscines qu'entourent
des parterres de flL'urs. De çôt6 et d'autre, disséminés clans la venlllre, dcs restaurr1nts, des
cluhs él6gants dressent leurs hfttimcnt - 1'1115
ou moins gracicux ; m.lis, \'cr l'amont, ils ':e
font plus rares, et l'on échappe Ull peu au bntil
ct à l'agitation qui règl1t:nt ù l'entrée de l'île
C'est de ce côté que M. ct ~wn"
Charbonel ont
fait choix d'un terrain de tennis olt il:; sc phis 'lIt
à r6unir la jdlllesse a\'l'C tous ceux de leurs
amis qu'attire le spectacle dcs joueurs en actioll,
1Iaryse ct (,yula Pesztenyi achèvent une partie, où le succès reste illcertain, contrc Cert) et
Henri de Civrac. Les halles volent, preskl11nt
renvoyées d'un camp ô l'autre. Civrac COllrt,
rapide, du [00(1 (ln terraill au filet, accahlant
ses adversaires de COUJlS r(·pétés. Calme SOllS
l'attaque, Il! comte répond sans se troubler. ~rl.
ryse, qui riposte avec plus d'ardenr, garde cependant soo sang-froid. Elle mesure sc COllpS
avec adresse et termine enfin sur l1ne balle
adroitement placée qui lui vaut la victoire.
�88
'tROP LOIN DE MOI
- Bravo, Mademoiselle!
- Eh bit!l1 ! ce n'est pas sans peine, s'écri~t-clle en se rapprochant du filet. Vous ~tes
étourdissant. A pr6sent, j'ai besoin de me reposer.
Je cèdt! ilia place ù d'autres.
Les joueurs se dirigent ver~
la table de bridge
instal16c dans un coin dll terrain ct près de
laquelle les spectateurs bavardent en attendant
leur tour de se mlSltrt!r au te1lnis. La on versation semble très animée. Le secr6taire de la légation, assis auprès de la blonde lrenka Zytski,
s'c:crie en se levant pour céder sa place à .Maryse :
- A eux maintenant de dire ce qu'ils en
pensent!
- De quoi? ..
- Du flirt. .. C'est un sujet palpitant, ne trouvez-vous pas? MOl, j'affirme que c'est un passetemps charmant. N'est-ce pas, comte? ..
Assurément! Comment vivrait-on sans
cela? ..
- C'est uu sport comme un autre et que
j'aime plus que les autres, déclare Gcrty cn
riant.
- Un sport, peut-être, souligne Irenku, sentimentale, mais qui fait souffrir parfois .
Ht son regard sc pose sur Gyula Pesztenyi f}t11
depuis quelque temps la délaisse Jlour s'occupel
trop, à S011 gr(', de Maryse.
- Moi, je n'ai jamnis pris ça au séricu.-,
aVOue Civmc.
- Et vous, laryse? interroge Certy qui
s'('lonne dn silellc-e de la jeune Frunçah;e.
- Oh , moi, c'e t bien simple. C't:st une ('hose
que je ne ('olllprcn(}s pas. Comment jll'ut-on
avoir du plaisir à jouer avec le cœur des autres
�TROP LOIN DE !II UT
89
et, quelquefois, avec son propre cœur' .. Jl:! ile
pourrais jamais, et je pen~,
comlJ1c lrLnÎ:a ',lle
quelqu'un finit touj.ours par en ~ol1firn,
~oi
même ou l'autre, et p l1t-êr~
les (h:11: .
; l'"e Cl!'·r- Tr(:s bien, :\laryse! aprOl1\"t~
bOllcl.
•
Tout Cil jouallt a\l bridge, elle écoute cl 'l1ne
oreille distraite et, de kmps en temps, aj nte
son mot, pour remettre les choses an IJoint.
- Je suis sûre que c'e~t
m1ssi votl e avis, Ci 111mandant, ùit-elle en s'aùressant au jeune homme
qui joue en face d'ell .
1'r(:s sérieux, l'oflicier rép 11<1 :
-- Je crois, Madame, que c'est uue con.l (Fe
dangercu!:ie entre toutes et indigne d'une flme
noble .
.i\1ary!:ie savait bien qu'il 11e pouvait jle~r
autrement, et, sourde à la pri~
de GYllla C]\1l
voudrait accorder la possibilité d'ulle revanche
:1 lc:nrs ad\'ersain.:s, eJle s',.sied il côtô cl" 11
femme dn ministre, dont elle aime le sen" dl Jit
et la bon té simple :
- Vous me pen lettez, :\!adame, de 1 rendre
une le',u11 Cil \'OUS regartlant jouer?
- Mais biell Slll, l1W J eti te .\laryse; pUIS to '1
à J'heure, car je sai fin \ (t1 niT lei. h:s vieill ,
pit-nt: , nous irons ellst:lJll>le voir les ruillt..'S lin
CO\!\ ent de ':aintt..'-:\IargllcritlC dont \'0\15 m'avez
par10 l'autre jour.
- C' 'si cela, ch~re
:\lnda1~,·et
J~-ba5,
5:
vons Je voulez, je nJUs raconttrai J'histoire, <ll1e
j'ai retrouvée dans un vieu.' livre.
- Je comptais vous le demander.
Un quart d'henre ne s'est pas lc()\\lé nue 11
partie de bridge s'achève, ct, Il: temps d'en
organiser une autre, de s'a~urc
Cjue tous ~es
in-
�TROP LOIN DE 1\101
vités sont occupés à leur convenance, M'ne Char.
bonc! fait un signe à ?Iarysc, sur qui elle reporte
un peu de l'affection qu'elle ne peut manifester
à ses filles dont la vie la tient éloignée.
- Venez-vous aussi, commandant? dit-elle en
passant près de l' !li.cier (jui, libéré du bridge,
attend pour jouer au tennis.
G·érard ne se fait pa!; prier. Les promeneurs
s'éloignent "nus les arbres aux frondaisons magnifiques qui [ont à l'île uue parure incomp.trable. La gamme des verts se marie en teintes
admirables, depuis le vert tendre des tilleul:;
argcnt6· jnsfju'au vert sombre des chênes séculaires fjui 6tendellt leur ramure sur les pelouses où un jet d'eau, en tournant, épaqliIIe ses
perles.
- A yan t d'aller aux ruines, nous nous arrêterons II la roseraie, voulez-vous? propose la
femme du ministre. Le:s premières fleurs ont
dO s'ouvrir depuis ces d\.!rniers jours.
Rien Ile saurait e. -primer la bcanlC dtt janlin
que les roses parent (lL· leur splendeur. Dans
l'ellcdnte d'arbustes, qui l'isok d\l reste <lu
parc, elles jaillissent cIe touks parts. Jaune".
pourpres, hlanches Olt ros\.!s, ell"s garnissen le';
{llakS-bandes, pendent \.!n guirlandes, s'610\ t'nt
et se courhent en arcs, se <lrL-ssent en pym11lide.
C'e~t
une fête de la couleur. l'air est sature
de lem parfum.
l\farvsc, d·ahord, reste (-hlottie, pl1is '11t' \-'l cIe
l'une ~ l'autre, les reganle salls se lasser Elle
s'avancc [lotir les admirer de plus près, ses mains
sc rapprochent comllle !lottr ks can: ser, clic se
penche vers elles afin de miell." 5:\\'0\11 rIeur
(1clenr. ~otS
son grand chapeau lair, clans S,\
r0bc blanche qui dessine sa taille souple, clle
�TROP
LOI~
DE MOI
91
évoque, aux yeux de Gérard qui l'admire,
l'image d'une gwnde fleur, aussi belle et plus
vivallte que les autres.
- On aimerait rEster ici des heures entiLrcs
à les contempler, à sc griser de leur parf1ll11,
dit-elle en se redressant.
Et, emhrasS{\I1t le jardin tout entier d'un regard émerveillé, elle sourit comllle pour n.:mercier les flems d'être si belles.
::'lIais ::'II"" Charbond songe à ses invités qu'c1.~
ne peut abandonner longtemps,
- ~ e nous attardons pas, dit-elle. Je \'(,U'
VOllS montrer les ruines, qui sont un peu j)lus
loin. En rallant, VO\1S nous conterez l'hi toire
que vou m'avez promi!'e.
~ TOUS vou. écouton', :'Iaclcllloisclle, insiste
le lietlten.lI1t dc vaisseau.
- Je vais vous la dire tdle que je l'ai trol\
' é~
dans un vieu,' tc,·te latin enfoui dans 1u biblio·
thèque de ma tante. 1: s'y mt'IL, je nUlS, un
peu d légcnde, ';\lais I}u'importe, elle est si
jolie!
Et, en cheminant sous les al~es
omhn:t1ses,
~Iar)
se, en CJU !CJut'!' mots, retrace l'histoire dt'
la sainte. Elle vÎ\'nit au tem1ls loi1ltaÎll, )JI • ql1è'
h,Hbare, ou le d 'sir de la perfection f1~lrisat
('11 c:nlHinls ftl1'~
pri\'il('gi0ls, j~s
(lous.uni au.'
plu~
h~roï<l1S
sacrifices. Elle était belle, et, un
jOl1r, d[l:Jis~unt
le pal,ais du roi ~on
j'l'rc et le
monde CJui lui promettait le sort le plus brillant,
ellt.' traversa le grand fleuve pour Sc r~fugie.
ovcc quelques compagnes, loin de - [urel1rs paternelles, clans l'île que le Danube sérarait du
reste <le la terre. Les saintes femmes (·tnicllt
l)aU\'re<;, aussi pannes que les rare' habitant
qui subsistaient péniblement ùaus l'île. Elks
��TROP
DE
Lor~
~IO
93
Puis, au bout cl' un moment, elle ajn\lte
- Il me semblc que je vai entenùre le chant
Iles nonnes, que le petit berger \ ' a 1l0\l::i 'lpparaître, suivi dc son troupeau. C'est lui ~\rtOl1
Que j'aime, C'est si beau, ce grand amol1\' sikncienx!
Un oieau commence à chanter sur l'ac:1cü
en fl eurs, d'autrcs lui répondent. Cér~lt<
Ile dit
rien. Il songe à la convcrsation de tout à l'heur::,
Comme elle est différente des autres !. ..
XVI
Dans les campagnes hongroises, COlllllH.! dans
les nôtres, les traditions ancÏl':lll1c:o, Îlhpirées
SOl\'(~t
par la sagesse et cl1lpr\.!intes, ' l'ordi·
naire, de pol·sie, sc sont éonservées ]Jl\15 Joug·
tem]!') que ,\ans les yilles cple transforme plus
vite l'apport de:> l:tnlngers. Et, uveC Cl::' tradltiOIl S, les costUl1les locaux re 'tent cn hOllneur,
POur le plaisir de ceux !]1H! lassent l'unir lrlllitc
et la banalité du monde. De tant de peuples «tH
Ollt l'assé sur la terre magyare, où s\.! croisrtÎent,
jadis, les routes qlli reliai\.!llt l'Orient ,\ l'Occi·
dent, l>eancou]l on1 laissé quelques familles,
ql1etc~
tribus. où se pel'jlaucllt dl! \'ICII.' ~Ol\'
venir', c]t!S noms ori!.dl1a~s
de Jl:tri~,
loin,
taines, des COSl\l!l1eS qUI, d,· nos Jours \:11(or ,
fOIl l'étonnement (h:~
citadlllS .
La pdit<.: villt! lIt! • [ezok\'~stl
est )l:1t-r
' ~,
�94
TROP LOIN DE
~10r
à cet égard, la plus céRbre. Rien . ne surpasse
l't'clat de ses costumes 7t , par Stllte, le i :tto.
resCjuc de (.s fê}~s.,
Aus;! 1\1. et M'lO. Char! ' 1 1,~
n'ont·ils pas heslte à s y rendre, par Ce hlat1
htndi de la Pentecôte qui met la ville cn lie~ , H.
A l'occasioll de la visite du régent de Hong-rie,
l'amiral Horty, les plus 1>ell<:5 parures \t:ITont
le jour, et tout fait prévoir que l'édat des céré.
monies sera incomparable. Toujours soucieux
de faire partager lems plaisirs, ils ont demandé
à la comtesse Pcsztellyi de leur confier .:\Iar\'se.
- Sa jt:unt:sse nous aidera a mieux jouit: dé
cette jourIlt:t: cie fête , a cléclnré le Illinistre.
Et l'aimahle h0I1~
est tout hCl1n:u , ' ùe purcourir, escort6 de sa Jeune COlllpagne, les ru s
nguirlund6cs par 1c5quC!lles le cnrtèg(.! officiel
doit défiler, Les cloches, Sonnant à toute '016"
1 emplissent l'air de leur jOyeu, ' carillon, Lc~
moc]cstes boutiques {taknt leurs I11arch ,lIlc1ises
les ,lus sédui:untes au ,', yeux d~s
ht,tes d( pas.
sag , t\ux felldres des riche maIson" de: tal i ,
des (-toIT\;') voyantes pendent: les ])1\15 pal1\'! S
cl 111 ur , s'ornent de drap hlancs qu Ù fl(urs
~1l
papi r piquent ch: ktH!" coul tH \'i"e . Tout
I~ monde (-:it dehors ct chacull re\'~t]
de s
pl11S bea tl . {ltour , ,
1.... garçon", petlt . (t g ands, les hOll1!m s,
jell11t:, li \ " C11.·, ont l'1CI~c
pantalon rl loil
pli:-. ée t broc1(-e, si partie ulier aux gells c1'ici,
qui fu'ait croire Cju'ib ont \111 ampl· Jupe à
\'e tcs et 1 urs tabliers
c haque jnIllhe. Lel1r~
hn ( 1 ~,
leurs petits Ch'llll: aux agrémentés de
fieur et <Il' brills d'Il l'be intt:re, sent au plu.
haut J)Oillt ;\Iarysl'. Les jeune fille portent <le
l'obe~
bal1o~es
à de,sills flc\lTis, des fichus ;\
frange , dc~
tabliers à fleurs multicolores, Des
�TROP LOIX DE :JIOI
.
9.'>
colliers entourent leur cou, et leurs cheveu,-,
qui pendent en deux longues tres~,
se terminellt par de be1!es coques de ruban. Aprè,;
leur;; noces, dIes les cacheront sous les coiffures
étonnHntes faites de gros::,e:. touffes de laine
aux couleurs éclatantes, qui parent la tC:te ·des
felllmes mariét:s et qui sont d'un effet si hizarre.
Celte foule bigarrée va et vient, s'empresse gaiement ]Jour se placer, afin de ne rien perdre du
spectacle. C'l"st un chatoiement de teinh:s q1\i
éclipse les toilettes banales des étrangers. :'1 raryse JI'en revient pas de tant d'étrangeté et ch:
couh:ur. es e,'c1amations font il: honheur de
ses ami~.
Ce rJu'il faut \'oir aus i, l ;1raÎt-il, dit
~['u
Charbonel, ce sont le::, iltér!~.
)'Iai::.
pourrons-nous: ...
Le bruit des acclamations lui coupe la parole,
Des vi \'ab et des cris éc1aten t {Ill bont de la
rue, .1I111llnçant l'upprocht! de la \"Jiture officielle,
rllt! harrÎ('re de curieux gênt! la \'ue, cl, ù.ll1S
SOli ,lé ir d
ne riell perdre du défilé, :'Ilary e
avise \Ille haute hornL' qui, à 1"1I1g1e <l'une
hU11l 1l1e ll1ai"OIl, marque le coin d'lIne rUe. De
1.\, l1e \,\,:l'ra ,\ la perfection. Elle vient de s'v
hausser d'un bond lor qu'die aperçoit :\ seS
pieds une jeune pal' 'anl1e qlli se lève, l\ssise à
C<i!l' d'un modeste éventaire, toute llH:lll1e et
fr01e, \'0lm~,
elle aussi, c1'étoffes voymltcs, dl~
se confondait avec !"a mnrchandiSt', Elle s'm'ane',
t!
:lie de voir en c dressnnt sur tl pointe des
pied', mais en vain ; ellt! est trop p<.:tite! Désappointée, elle se retourne, et, i\ Cet illstant.
son regard désolé rencontre les yellx compatissants de :\Iaryse qui comprend et, sal1~
plus
hl'siter, lui fait signe, Elle l'appelle; il y a
�TROP LOIN DE MOI
place pour deux sur !a J?ierre! La peti~
siste pas à. j'offre .SI almableme.nt, !alt~.
ne ré-
EJ1e
saisit la mmn de la Jeune fille, qUi 1 mde a monter et la maintient solidement. Il était temps!
Au 1t!m~
moment, voitures et cavalier passent
dans 1111 tourbillon de poussière, au.' cris de
la foule <]tli salue et applaudit.
C'est fini; Je brillant cortège est passé. D'u!1
saut, les deux jeunes filles descendent de leur
observatoire, et, quand :\Iary e se tourne \ ers
S[l c01111· 3 g l1 l::, celle-ci, d'un geste gracieux,
s'incline et lui baise la mail1. Elle e t charmfll1tC',
e yeu,' nous r t
e,'JI! i1ll3nt ainsi sa ~ratiude.
SOli :;ourire candide éclmn:l1t :-011 visage au"
fraÎchl:s couleurs Tout dans sa mince [l:r~J1nc
Il.;"pin: l'hollnêtdé. C'est Ce que penSt.!l1t ic
III llistre d sa fllllllle, à CJui Cl::tt(:' scène n'a pas
éch.tppL- <.:t qui s'approchent de l'éventaire que
la pdite a install( ur Il::' marches de 'a P,ll1\'H!
lJl,lÎSOtl. C'est 1'0cca. ion dl' faire quelquesachnts.
'5 coussins, (Il s tapis à fl(.;t1TS chatoyante voi.
silletll ;I\"\:C de Jolies brOderie
tout cda harl1oieu~cmt
dislo:;6 par la 'jeutle ounilre.
(', r .:\laryse, qui \"1ent d'échanger quelque. mots
n\ ~C
dIe, sait d j:\ que toutes cc" jolies choses
s 1 t l'ouvrage de' se~
lI1ains et ,'occupe à faire
(1
(!toi,' cntr\.' le pimpant objet
La \ en.
d U:-.<: f"elllp e<;~.
Elk ét~dc
le helle, 6lofc~,
tlL!,loil' le!j filles toiles. Se~
y \l." sc h:vent t1l1
l'tU clUi Il ti f. Vl:rs les ac1H:te\1. e, mais lems
L·. la11latiollS la ra S\Ht"llt, ct dl
n:clt rche sc:>
plu,> l, '<lU.' tranHl . pOur h: lenr mOntrl.l. Enfin,
U\ l' de s()in~
pieux, elle d(cou\'TC tille poupée
jolime1lt pmle.
TIIC Ill. ri{,~
<l!: chC'z non, c.'plique·t. Ile à'
Man'se (1\11 !jourit devant le jouet Cil tout sem-
n
��08
TROP LOIN DE MOI
Elle pose devant sa mère les billets qu'elle
vient de gagner. Le contentement qui se lit sur
le visage des deux femmes paie largement
Maryse de ce qu'elle a fait.
Elle le revoit encore au moment où, devant
la comtesse qui écoute le récit de la journée,
elle étale ses trésors. Gérard est là, venll pour
faire ses adieux, car les chasseurs partent demain en mission vers le haut du fleuve . Il ad.
mire les broderies originales de la petite ouvrière, s'amuse à la description des toilettes
multicolores.
- Vous allez voir comme je suis gentille,
dit Maryse cn riant. Je vais vous en montrer
un spécimen.
Et clIc déballe avec précaution la précieuse
poupée.
- Elle est bien jolie, approuve la comtesse
en retournant le jouet dans ses mains. Et si
soigneusement habillée! ElIe serait digne -le
figurer dans un musée d'ethnographie.
- VOllS jouez encore à la poupée, Mademoi.
selle? questionne l'officier, taquin. II est vrai
que celle-ci me paraît charmante, bien que je
sois mauvais juge en la matière.
- Ne vous moquez pas. Je ne suis plus une
petite fille. Mais elle me plait dans ses beaux
atours. Après tont, elle vaut bien des bibel t
modernes. Te trol1vez-vous pa ?
Elle disparaît, emporLtnt ses paquets, t.
lorsqu'elle revient, l'air préoccupé de Gér rd ne
lui échappe pas. Ses derniers mots l'inquièt nt
meiuc:
�TROP LOIN DE MOI
99
Je voudrais pouvoir différer notre départ,
Illais c'est impossible.
- Que se pas c-t-il? interroge-t-elle.
- GUIrec est malade, ré-pond la comtesse, et
le COl1lmalH1.1JJt craint que Ct;! III 50it sC ril:ux.
- Pauvre Guirec.
- 11 me supplie de l'emmener, mais cc serait
dangcretL" ; le docteur parle d'appendicite. Je
suis nan(: de It;! laisser, d'autant plus qu' je
connais depuis toujours sa famille, qui habite
un village voisin de celui où vit ma mlre. C'e.st
un br.1\'t:! garçon qui m' st très ~tachl
' et que
j'aime. Ses parents me l'ont confi0 quand Ils
ont su que je nnais ici. 'ils savaient, maintenant, que je vais l'abandonner malade et ~et1
L..
- Ce n'cst pas possible. Où (st-il? J'imi le
voir, pTl'ndre de ses nouv l1es. Ce doit être si
tri"te d souffrir an milieu d'(.tran~es!
- Il est ;'\ l'hôpital militaire, l\lademoiselle.
Ce n'c t guère là \'otre plaet'.
Oh 1 si Jeanne m'accompagne, je 1 eux
trt hiln v all r, ."est-cc pa, tante .:\Iarie?
i\ pH:S <juelqtH:s h~sitaon
et dt;!vant l'jsi~
tance cl· ::\Iary"e, la comte se se laisse fllChir.
Güard promct (l ' ailleurs de s'employer à ce
f1n'on m tte le matdot dans une chamhre i501((.'. De cette fa'Çon, le
visites seront fa ilit "l~,
- Je demanderai l\ !I[mo Charbonel (le venir
n\
moi, d:t la jeune fille. Elle t'st si LOln~
{Ill'ellc a(ceptcra, j'Cll snis sOre. Ce ne serait
pa.; IJl11lwin dl" lai,,,( r Cl' malheureux fOl1ffrir
S."ll1S l'entollTer un peu.
- E\Î<1ellll11(nt, approllve Cérard. Cependant,
nous avons ~Olvent
de c s bligatiolls eTll lIts,
ct c'e l parf i tn.:s dur pour un chef. Je \' m
�100
TROP LOIN DE MOI
remercie de m'évite r cette peine, Mademoiselle;
ajoute-t-il en se levant pou~
pren~
congé.
Et, lor~qu'i
serre la petite ma1l1 que lUI tend
~
ryse, ~on
sourire se fait très doux pour lui
dire ';
- Je vous confie mou petit gars.
XVII
Sur le petit lit blanc, dans la chamb re c1air~
'd'hôpital, Guirec se repose. La nuit a été mau.
vaise. En proie à des cauche mars, il s'est gîté
sur ~a couche. Person ne n'~tai
là pour rafraî ...
chir ses lèvres brü1antes dans les longs momen ts
d'insom nie qui coupai ent son sommeil fiévreux.
La menace d'appe ndicite que le médecin avait
diagnostiquée les premiers jours .'étant précisée,
on l'a op(:ré, mais depuis i.l. souffre davant age.
Dans sa pauvre tête, toutes sorte d'imag es pénibles se succéd aient, grossies par son im gination surexc itée, ct, de toutes ses forces, il
aspirai t à voir paraîtr e les premiè res lueurs du
jonr qui chasse nt les pensées sombres et ramènen t dans sa petite chamb re les infirmicres
chanta bles ~ui
.c relayen t auprès de lui. Maryse
et ]a fidt.:1c Jeanne , avec Mm. Charbonel qui.
de tout son cœur, les seconde, passen t de longu
heures i\ son chevet, toutes celles que l'autor ité
bienve illante leur accorde. Il est si dur d'être
cloué sur \ln lit d'htJpital. loin de son pays, loin
�TROP LOIN' DE MOI
lOI
<tes siens, surtout lorsque ceux qui vous soignent
ne voUs comprennent pas!
La première qui ouvre chaque matin la porte
grise, à droite du lit, c'est la jeune fille . Elle
a délaissé toute autre occupation et consacre
son temps à cc son petit malade», comme elle
]'appe1Je. Dans son empressement à vemr voir
comment s'est passée la nuit, elle se hâte \
revêtir sa blanche tenue Gl'infirmière et devance
toujours Jeanne de quelques minutes. Aussi,
dès que le jour dore le sommet du Janoshegy,
dont il aperçoit les pentes boisées par la fenêtr~
qui s'éclaire, dès que, dans le jour qui ~e lève.
les oIseaux commencent leur joyeux vacarme.
le petit marin se tourne vers la porte ct, clans
une anxiété grandissante, il attend.
- Il me semble que c'est le soleil qU] vient
dans ma chambre quand vous entrez, Mademolselle, lui a-t-il dit un jour.
II est sftr qu'on ne peut rêver pour un malade
plus douce apparition que celle de Maryse . Elle
se penche, attentive, et demande des nouvelles
de la nuit. Et comme c'est bon, alors, de lut
raconter es souffrances!
- A pré cnt, fini de idées noires! dit·el1~
gaiement On est content pour tonte la journée!
'es douces paroles calment les angoisses de
l'insomnie; SOI1 sourire, qui s'encadre SOli. le
léger voile de mousseline blanche, ramène la
confiance dans l'âme du malade. En un tonrnernaill, elle met de l'ordre, ramène les couver·
tures que, dans son agitation, il avait déplacées.
Televe le oreillers, lui tait boire quelque gorg é t:~
de ti ane . Alors il se ent mieux, presque bien, un sourire heureux éclaire son vi·
sage.
�102
TROP LOI.
DE MOI
Depuis dix Jours fJU 'il (st à l'hôpital, ils ont
cansé, le petit mann et son lllfirmière.
EIJ~,
pour le distraire III ultraîllant ses pensées
loin (le cette chambre où la gaie lumière qui
vient DU ciel ne 'uffit pas à chasser toutes les
tristesses; lui, dans cc besoin si naturel à ceux
qui souffrent de parler d'eu.', Elle connaît,
à prtc; nt, la famille qui se groupe autour du
cIo her breton, à Saint-Yves, TI lui a racontë
ses équiI)ées de gamin avide de s'en aller .ur
la grande 111er qui prend tous les hommes, làb~.s
Et pui~,
le sujet qu'il n'épui"e pas et qui
t ujours fCvient, c'est son commandant. Dans
SOI1 admiratiun naÏvC', il a voué un v(.]itable
culte il celui qui c"t a la fois Ull chef ct un ami
n'~J
tcté fJonr ~es
hommes. Il rcdit es bonté,:;
pO\1r \'11 " qui tC11IPÜClJt la forte discipline qu'il
e. j~c.
Il r('{ll-te ce (ju'il a entendu dire, ar es
call!. wdc;; ou par 1 soldats qui sont revenus
de 1 Grande C\1Crre, Sur les e."ploits qu'il a
accol1lpli
n plein ciel av c son grand oi. eau.
Sa hr.l\ ure, S011 c]Hlurance, SOli adresse, il
S 111], l: que, pUiSfJu'elles viennent de lui. elles
al)J artlCllllt:nt à cs hommes, tant ils l'ain cnL
Mar~
re écoute ~vc
complai~ne;
el] ilterog~,
cmiel! e ; elle apprend à mieu.· connaître el LIt
CJUl' dCjll, dans sou CŒur, ell
admire pour sa
loyautt', .:1 force morale, son intelligence. Comme
elle cst hellTeus de savoir Cj11'i1 a ~té
brave,
h6 ïCjll', eurore lus qlle les autres, (t aussi
{Ju'i1 e t bon de la honté véritahle qui nime lc~
humhl s, dcvine 1 5 rléliratc 'ses <lui
ca 11 nt
'ou 1 urs luc1-s envc10Pl , 0] pr 11<11 urs he.
soins et <;;:lit d0I111el' de . on tl Ill]. (t 1l1l0l1t (1'
5011 ('('(Ill pour lenr 1 ndr la tri 11 TlI0111S Jourùe,
] loutt, })lus fad1e
b('~t1coP
�TROP LOIN DE MOI
103
Ce matin, épuisé par les souffrances de la
nuit, le pauvre enfant s'est assoupi. Son ~om
meil est si profond qu'il ne se réveille pas lorsque
Mar}'se entre. Doucement, elle referme la porte,
et, sur la pointe dt:!s pieds, attentive à éviter le
moindre bruit, elle s'approche. C'est bon de le
voir un peu tranquille. Depuis üeux jours, il
n'a pas cessé de souffrir, et hier soir, ell le 'luit't ant, l\Iaryse Ile le trouvait pas bien. Serait-il
mit:!ll x?...
vec précaution, elle dépose sur la
petite table, à côté du lit, une lettre que le
vagncmestrt:! vil:llt de Ini remettre. IWe arrive du
village où l'on Ignore encore la maladie du matelot. D'tul pas légl:r, avec des gestes cloux, la jeune
infirmièr commence son office.
ujounl'ltlli,
Jeanne est empêchée clc venir, et Mme Charbonel ne sera pas là av,a nt une heure. Maryse.
qui veut faire une surprise à son petit malaù\!,
aura le temps de tout préparer. Elle a apporté
'd es napperons blancs finement brodés (lll'eHe
dispose sur k:i tablt:!s, dIe arrange dans Ull vase
les fleurs qu'elle a cueillies avant de partir, encore brillanks dt! rosél: . Elle VOudrait que la
pièce sen te lt! moins pOS ible la chambre cl 'hô[>itaI. C'est d(:jà llIÏt::ux Uln i, mais il manque
encore quelque chose. Dans le paquet qu'elle a
posé sur une chai'c cn entrant, il y a ce qu'il
faut pour achever son 'uvre: l1n simple cadre
de b:>is entoure jo!illl nt l'image <l'une f\!mnlc
qui rt:vc clans un jardin fleuri en contemplant
l'\!nfant qui jouc ct rit pres d'elle. L'ensemble
est <lou,', reposant, infiniment aimable. C'est
pour cela qu'clic a pensé à ce petit tableau qUI
est généralcmen t au-de sus de sa table de travail.
Elle le suspelld à un clou qui e trouv , très
à propos, fixé au mur juste en face du lit. Il
�TROP LOIN DE MOI
104
le \ erra ainsl tout à son aiSt! ; lt:s fraîches couleur, rl'jouiront son œur, lé rire de l'enfant
lui donnera confiance. nlle St! retourne 1) ur
jug r SI la place est bien choisie et, à l'instant.
s'étonne :
- Comment, vous ttlS révLÎllé t:t Vous ne
dites rien?
- Je vous regarùais faire, Mademoiselle. Oh 1
la Jolie image!
- C'est vrai, VOUs la trouvez joli ? Comme
je suis contelltt: ! ),!rlls je sais quelqu cho~e
qui
vous f ra plus (1.. plai 'ir encore,
Et, S' apl rochant du lit, elle met la Icttre
entre h' mains du Illalad :
- AlIOlb, ça va mieu.", aujourd'hui, puic;quc
VOllS dormiez Sl bien f1Ut:. vous ne m'a"ez pas
elltendue (ntrel Et le' bonnes nouvelles 'oiont
vou It.:l1lcttre tont fi fait.
(.l1lfl
tourne et rt:tournc l'humble missive
dall: "t" IlJall1S .lllta gnes. Il ne :-e décide pa
, j'OllVI ir Il fant que Maryse l'aide. Il e lais e
fail ~ (01Jll11l un enfant.
- U!:ez \lte. Je ai<: chercher <lu tilleul, et,
quand J r \ lCIHltni, vous m<. direz
mment
Oll \ U ù :aint- Y\'C ..
El le (h~pal
ait dan la ti anerie qui avoi!'il1e
la 11;1111 hr!:'. On l' 111 c. nd remuer (h:~
tas es, d<:c;
clitT~.
Lor~lJ1)e
revient et pos la 1i n
sur la ta 1>1<:>, 11e interroge:
-
EII bicn?
-
Je
Ile
p( I1X pas,
r(1)
nel·il avec un triste
omill' C't'st trop latigunl. Voule7.-VOllS me la
lit , Madt moi .. cll ?
Les PUtn'f(!i malll la 'C Hl'O nt lU la ('ou~
V(ltule, lln, nt le 1 al)Îu dont lary. s ml ar .
Elll' n ,I.de le \l~ag'
aux tr. its tirés, ct ~on
j
��r06
'fROP LOIN DE MOI
à lui cont~r
de ces riens qui distraie nt les êtres
sou Errants de leurs misères , elle s'ingén ie de
tOltl SO Il cœur et parvien t à ramene r un sourire
sur sc:; lèvres. Quand Mme Charbo nel arrive,
elle llellt même, sans trop d'invra isembl ance, lui
faire admire r la mine de. son malade . Cepend ant,
un CO\1P cl 'œil rapide suffit à la femme du ministre pour juger que la nuit a été mauvai se.
Le" pomme ttes rouges décèlen t la présen ce de
la fièvre; une légère excitat ion, succéd ant à la
lassitud e de tout à l'heure , ne lui fait pas bieu
augure r de l'état du petit marin . Elle n ' en laisse
rien paraîtr e, mais sa main qui se pose sur II!
front brCtlant confirm e ses crainte s.
- Allon , mainte nant, il nOliS faut du calme,
dit-elle avec sa ferme douceu r. Lai sez-le· moi,
Mary::;e. Je suis là jusqu'à deux heures. J'as isterai à la visite du major. Ne vous mquiét ez
pas ct revenez quand vous pourrez . Je vai
gard er ce grand garçon . Il préfère peut-êt re "a
petit\.! infirmi ère, mais nous faisons aussi bon
méllag e, n'est-c e pa ? dit-elle en s'assey ant tout
près du lit et en prenan t entre les siennes les
mains pftles qui s'agite nt trop.
Bien snr, Guirec aime mieux avoir al1prè " de
lui la fraîche ur et la grâce attentivl:! de Mary e,
mais comme c'est dOll .' aussi, la honté cle cette
1T\'l1l1:t11 qui sait si hi!!11 l'entou rer,
alm r 5
inCluiétlHles, ramene r la paIx dans !:;Oll âme! En
11.: soigna nt, d1c pen e à se. cnfcU1ts, et cela lui
sugp;c:re mille attenti ons qUI:! seuls conn is 'Cllt
k l' 'nr des mères. Le sent-il, le petit marin ? ..
Pl: lIt-êtn: , car, cn la regard ant, il songe :\ la
Brd onne aux 1l1:uns call1:!uscs, au visa~
brl1tl\
1"\\" le vent <le h côte, qui le s rrait si fort dans
~ lJra ~utrefois,
quand il était malade , et u'il
�(J'ROP LOIN DE MOI
107
voud.r3lÏt wnt avoir près de lui, à cette beure.
Alor
es mains s'abndol1~t
aux ruains qui
les pressent et, doucement, il s'endort.
XVIII
Les joUIs qui ont !'UI\"I n'ont pa. (té bons.
Malgré le~
~oils
lcl{lÏrü du major, malgré le
dévouen](;nt d s infirmières, le mal fai~t
~our
d ment 011 œuvre, t un matin, :\1"" Charbonel.
le
ur navré, a compri~.
En sortant de 1.1
chambre, le docteur a }lrOll01lcé le terrible mot
qui cristl111i:ait toutes les {lngois. cs de CClV qui
luttalent depnis une semaine pour éVIter la cuta trop1lc : péritonite! Et SOI! gc~te
compatissant
a lais é enteudr'e ce qui, à ses yeux, d venoit
inéluctable.
Alors il f. 11ait songer à la gra\'c que tion, celle
qui domille tout pour tin cœur chréti n, celle devant CJuoi tout disparaît, puisCJUoe c'est d' 11e que
d(.p~n
le .... rai bonheur. A Marysc, sortie un
instant pour avoir, elle GUS i, elle a dévoilé la
vlrité. Elle lui a confié son an.gOl se : commen.
dire ù un êtr~
jeunc qui aspire de tontes s s
forces 1\ IQ vie <)U 'il faut songer à la quitter'}
La jeune tille, un moment, ::;'cst recueillie. Ell'
a ~ ndé l'abimc qui allait s'ouvrir d vant le
JXluvr p;nrt;on confiant cn or dans a guéri on.
EH a prit· (ll' tout ~on
C'll:l!r. Le bon Dieu. nu-
rait bi n )' iùer, lui sugg( rer cc qu'il fallait dire.
�loS
TROP LOIN DE MOI
Il saurait aider, surt9ut, celui qui allait peut.
être comprendre. Et, malgré la tristesse affreuse
qui l'accablait, malgré le poids qui écrasait ses
épaules, elle a dit:
- Laissez-moi faire, Madame, voulez-vou ? ..
Elle est entrée dans la chambre blanche qui
lui a paru bien sombre. Elle s'est assise. Et les
cloches de l'Angélus se sont mises à chanter la
belle prière qui, depuis des siècles, célèbre la
déltvrance de Bude par les Turcs . Elle a pensé
qu'ainsi, de loin en loin, de clocher en clocher,
il ~'en
irait, le chant pieux, jusqu'à l'humble
sanctuaire breton où une petite fille se préparait
à sa Première Communion. Et, au même instant, répondant :\ sa prière de tout :\ l'heure,
les cloches lui ont dicté les paroles qu'elle devait dIre pour préparer le petit marin à la mort.
Comme elles chantent, les cloches, Guirec.,
Elles semblent bien joyeuses. Peut-être viennentelles nous rappeler que Marivonne fera s Première Communion dans trois jours? Nou devrions lui écrire aujourd·hui, .. .' tout :\ l'heure, ...
n'est-ce pas?
- Pour 50.r. Mademoiselle. Je vous dictemi.
Mais j'aurais voulu aussi lui envoyer quelque
cho:,e .... un souvenir. avec mes petite économi s .. .
- Si vous le voulez. je lui achcterai un chapelet en sortant. Et nous l'enverron , ce soir,
avec lu lcttr\:!.
- Je n'anis pas 0 '. vous le d mander. l is
pui que \'ous êtes si bonne ...
- cette lois ~larv
e entend son
ur
- l~t
'h,lttrc à grands coups dans sa poitrine, .. - savez-vous cc qui lui fer it platsir. à hrivonne? ...
Si vous rèccviez le bon Dieu. pour elle, d 11
�TROP LOIN DE MOI
109
trois jours? Il viendrait dans cette chambre où
nous mettrions des fleurs, et vous seriez heureux, comme elle sera heureuse dans la petite
église de Saint-Yves. Et ce serait un jour de
fête ici, comme là-bas.
Et, prenant la pauvre main maigre qui se
crispe sur la couverture blanche, elle a con.tinué:
- Je crois que Marivonne serait contente.
Guirec l'a regardée, essayant de lire sur son
visage. Elle s'est penchée, elle a souri, sa main
s'est posée sur le front moite:
- Dites, vous le voulez bien 7...
Alors il a fermé les yeux. Quelques minutes
ont passé, au bout desquelles, très pâle, il a
répondu:
- Bien so.r, Mademoiselle. Je serais content,
ruoi aussi. Il faudra l'écrire à Marivonne . .
Et, un moment, il lU paru dormir. ~rais
une
larme, doucement, a glissé de ses paupières
closes sur l'oreiller. Maryse ne l'a pas vue.
C'es~
ce matin que le Sdgneur I!st venu visiter le pauvre enfant qu'Il rappelle à Lui. Avec
toute la ferveur de son f\me croyante, Guirec l'a
reçu. Il a prié, il s'est soumi , et une p:\ix infinie est descendue en lui. La journéc a été meilleure, il a paru très calme, pre-,que joyeux. TI
semble qu'il y ait une h~gcre
déten te d~l1S
5011
mal. Maryse et Mm. Charhond, qui ne l'ont pa"
quitté, se sont appliquées ,\ faire, de ce jour,
un jour de fête. Dès le m:\tin, la jeune fille a
clteillt toutes les fleurs blanches du jardin du
palais Pe::.ztenyi pour en orner I~ ch mbr du
malade qui en est encore embJ.umée. Dt.!s 1 nuc,
�'I10
TROP LOI ~
T
DE MOI
coulaient de ses yeux tandis qu'elle faisait sa
trbte moisson, mais, lor qu'elle a paru à la
petite porte grise, ses 1 vrcs ont souri, et le
petit marin, en la voyant entrer toute blanche,
les bras chargés de blanches corolles, a cru voir
entrer un ange.
Elle en a mis sur la table, sur les étagères,
partout, ct la chambre en a été transformée.
Enfin, elle a étendu sur le ht une guipure an.
cienlle qui le couvre tout entier .
- Tante Marie vous ('nvoie sa plus belle
dentel le. Elle veut que VOllS oyez très beau,
aus~i
beau que ~larivone
clans sa jolie robe
de mousseline.
II a !'iouri ; il était heuretl.·, ct ce bonheur
dure encore. :\I me Charbonel vient de partir; le
sol ,il se couche derriere la montagn e. Debout
prts de la fenêtre, 1\larys le regarde 'en a 11er.
Comme tout e t pai. ibk dans la nature d aussi
d. J1~ e tt e chambre où la douleur, \111 mOIllent,
fait tr~\(!
Il va falloir songer à partir, cepen·
dant, c'e. t l'heure. Guirec l'appel1
Iadt.:Jl1oi. Ile, pC!1S z·vous que le comman·
dant tl:viendra bicnt(ît ')
- Je roi!> flU'il Ile tanh:m gucrc; il avait
dit qu'il partait pour nn dizaine de jours ...
- Je voudrais le voir .. .
Elle Se rapproche du lit, et, un instant, ils
('ausent. Dans les arbl es voisins, les oiseaux
<'omTlH.:nc nt leur rall1'lge avant) rep s oe la
Duit.
- Ils sont cont nts, dit l\laryc:e. Ils havardent
avant de s'endonnir. Bicnt()t, il e calm ront.
Et il faudra faire comme t:\1X : dormir ju qu'au
retour du ~olei.
-.L
�TROP LOIN DE MOI
III
Il a promis d'être raisonnable, de faire tout
son possible pour laisser venir le sommeil. Mais
cette nuit sera interminable, sans doute, comme
les autres. Il entend la jeune fille remuer dans
la pièce voisine, puis il écoute son pas léger
qui e perd en s'éloignant dans les couloirs. Le
voici seul pour de longues heures ...
Un quart d'heure ne s'est pas écoulé qu'on
marche de nouveau le long du corridor. Auraitelle oublié quelque chose?. . Non, le pas e -t
rapide, mais plus lourd que le sien ... L'infirmier
de service, peut-être? .. On s'arrête, on frappe
et, sans attendre la réponse, d'un mouvement
brusque, Gérard ouvre la porte. Cette fOI, le
matelot croit rêver; il soulève sa tête douloureuse qui retombe, ses mains se tendent, et
c'est à peine si, dans sa joie, il a la force de
murmurer:
- Vous, commandant? ..
L'officier est déjà près de lui; il se penche
sur le pauvre visage blême dont le changement
l'effraie, mai qui s'éclaire d'une joie immense
quand, doucement, il prend dans les ~iel1n'
les main li vides.
- Oui, c'est moi, mon petit Yves. Comment
vas-tu?
1.a voix est tout enveloppée d'affection, et
dans le yeux si bons on lit une pitié intense.
- Je vous attendais, commandant. Le temps a
été long sans vous.
- C'est vrai ? .. Mais je n'ai pas ce é de
pen er à toi, tu sais. Nous arrivons à l'in tant,
et, tu vois, je sub là, sans attendre. ~ruintel1,
j ne te CIuitte plus, ... j serai là toujours.
Comme ce sera doux de l'av ir prè de soi,
lUI si bon, lui si fort! Un sourire heureux trans-
��TROP
LOI~
DE MOI
II3
sib1es, d'encouragements trompeurs qui, s'j sne
parvienllent pas à ramener l'espérance dans le
cœur du pauvre enfant, lui apportent la con11an ce et 1a paix.
C pendant, la nuit vient avec son cortège
sombre. Tous les bruits s'éteign nt, au loin,
dans la ville qui s'cndort ; plus près, dans l'hôpital où tout 'emble rep o ~ . er.
Les oiseau. - même
se sont tus; ils sommeillent. :Mais le pdit ma~
rin, cette fois, ne ressEIlt pas l'angoi e qui
monte les autres soirs a\cc J'ombre en\'ahissante.
Jl ouffre, mais quelqu'un est Jà pour t:lltourer
sa souffrance. Il n'a plu:> peur de ce qui IOUrnl1t
alliHr .. . A on chevet, k CI 111ll1<lIHlnnt \'Cille. Il
lui ::t <M, et ]es mots reviennent, flpai anls, dans
son malheureux cerveau où trop de pensées
s'agit 11 t :
- Ne crains rien, mon petit, dors. J suis là,
comme SUT le 22 ...
Et, durant les longu . heures, chaque fois que
la cl uleuT ou l'insomnie le rapI 11ent à ]a cruelle
réalité, dans ]a chambre où flott une clarté qui
d "cend 0 s étoiles, le matdot di ·tingue le visage tre pâle de Gérard qui] regarde.
XIX
Dans les ru s en ore silencie\ls s, les passants
s nt rares quand Mary e, l 1 ~l(]cmain
1 d'un
Ipa pre sé, s dirige vers l'b Apital. La journée
�Il4
TROP LOIN DE MOI
s'annonce splendide. L'air pur, qu'apporte ia.
brise venant de la plaine, entraîne avec lui les
p lrfums de la campagne; le gai soleil de juin
répand sa lumière dorée sur la ville qui s'éveille
aux chants joyeux des oiseaux. Cependant, elle
va, indifférente à cette fHe du matin, tout entière à sa préoccupation d'arriver dès l'ouverture
des portes dans la grande maison qui abrite
beaucoup de souffrances et où elle se sait attendne avec tant d'anxiété . Le portier qui, à présent, la connaît, ne s'étonne pas de la voir
passer plus tôt qu'à l'ordinaire. Le petit Français est très mal, la nouvelle s'en est répandue
dans l'hôpital, ct l'aumônier, dès l'aube, a été
appelé dans sa chambre pOlu lui donner ]e
sacrement de ceux qui vont mourir.
I! eM prêt, le pauvre matelot. A bout de
forces, il s'ahandonne. I! ne soufTre presque
plu~
. Toute ::;a vil! est concentrée dans son regu'cl. Et clan::. sa tête, qui roulait cette nuit
trop d'images incohérentes, tout s'apaise à présent ct dt;!vit;!nt lucide.
Il appelle rér-ard plus près de lui et regarde
le ciel chargé de lumière :
- Elle va venir bientôt, la petite demoiselle . ...,
J \.! voudrais la revoi r .. . Elle est si bonne ...
- Oui, Yves, elle est très boune.
- Hcoutez, commandant. J'y ai pen é, et...
- on pt;!ut dire ce choses, n'cst-ce pas, quand
ou va mourir? - vou devriez cn faire votre
femme ... Je serais content, ... ,t vous serie? heul'Cil ' . Dit ':;, vous voulez? .. .
C,érard pftlit. POlUCJtloi cet enfant, au seuil de
]'l:krnité, l'ohlige-t-il a préciser cc qu'il Vl!t1t :.~
cacher;\ lui-même CkPlli: hiell des jours: l'am ur
grandissant qui, l1ell ! peu, a ellvahi son [une
�TROP LOI
~
DE MOl
Ils
et qui, il le sent bien à cette rnillUte, a pris
toute sa vie?
a gorge se serre. 1. n instant, il bésite. Mais
doucement, très calme, il répond au petit marin
qui le regarde avec tant d'intensité dans ses
yeux mourants:
- Elle est tres bonne, Yves, 'est vrai Mais,
vois-tu, ce que tu dis est impossiblt! ... E'le e~t
trop loin de moi.
CCflcndant 11aryse, qui a gravi pre ·tement
l'e.cnher, a changé de \ttements dans la. tisaneric. Elle a écouté d'abord, mai rien ne bougeait dans la chambre d'où nt' venait aucune
plainte, ct, rassurée, elle a rangé plu~ict1rs
choses. Elle e t partie si tard hier soir Clu'clle
n'a 1ia cu le temps de mettre en ordre. Lorsque
Cum:c s'est mis à parler, clle a cru <]u'il divagU~\1t,
eomme parfois dans son ommeil trouble.
rWe ,,'t"'t rapprochée de la porte pour él.:cuter ...
n diT.tÎt qu'il pmIe d'dIe, ... il rêve ... .Mais
non, qt1 'lqu'un lui répond, et cette fois Maryse
croit n:connaître la voi.·, ct, malgré elle qui
s'c·t (10ig116c, qui nc voudrait plus éCfluter,
elle comprend certaines phrases du mat lot, ...
e11 le croit, du moins, mais elle a pu se tr mper.·
Ce dont elle est s(\re, c'~st
qu le Ji utenant
de \'ais eau a répondu : (( Ene est trop loin de
moi. Il Que veut-il dire?... Elle ne sai it P.1S,
mais qu'importe!. .. Ce n'est pas l'heure dl: penser à le cho e'. on malade peut avoir b soin
d'elle. Il faut qu'elle entre dans la chambre
où le' voix se sont tues maintenant.
D'un coup dLcret, ell frappe à la porte, et
la voilà dans la pièce qui par aît si désolée, malgré le 501 il qui l'inonde de sa pure lumière.
�:n6
TROP LOIN DE MOI
Seul, l'enfant rit dans le cadre en face du lit,.
La jeune fille ne voit d'abord que le visage dé-t
compo:-.é qui repose sur l'oreiller. Quelle trans..
formation depuis si peu de temps! Elle posé
sa main sur la pauvre main blanche qui ne
bouge pas, et, à travers ses larmes, elle voit la
joie qui se reft te sur la figure exsangue qui
semble envahie par l'ombre des yeux noirs.
- Mademoiselle ... Je vous attendais .. . Je
~;ui
content...
Les yeux se ferment et le !>ouffie reprend,
oppressé, sur les lèvres sèches. Maryse regarde
Gérard. Sur ses traits, elle lit l'angoisse qui
i'étreillt; dans ses yeux, elle voit passer une
douleur immense et comprend. Il n'y a plus rien
à faire qu'à prier. Alors, très simplement, cne
s'agenouille, et essayant de raffermir sa voix
qui, par moment, s'étrangle dans sa gorge:
- Jc vais réciter notre prière, comme tous
le, matins, dit-elle.
Et elle commence. Elle prie de toute son
flme. de toutes ses forces tendues. Les pieuses
invocations s'envolent vers le Dieu qui, seul,
peut aider cenx qui meurent à franchir la dure
étape <Iu'est la dernière. A ses paroles, qui tr.l~
dUÎ:sent l'ardeur de ses supplications, la voix
grave de G6rard répond, calme et profonde, ct
1'011 voit remuer lc ' lèvres du moribond dont
les mains sc sont jointes. Puis les voix se tai.
sent, (·t la prière continuc dans l'intime des
('(CHr!>. Maryse et l'officier se tiennent de chaque
cflt(: dn lit. Leurs yeux ne quittcn pac; 1 vi age
hl011le où, seul, un souffie saccadé r6vèle la pré.
Sl'nce d ,1III reste de vie, et le~
heur s pas ent i
lourde:; d'anxiété.
Tout à coup, le~ grands yeux noirs s'ouvrent
�TROP LOIN' DE MOI
117
sur une vision d'effroi; le petit marin, dans llll
'dernier effort, lève ses mains convulsées, comme
pour appeler au secours :
- Commandant 1. .. gémit-il dans un souffle.
Gérard saisit de toutes ses forces les mains
qui se tendent. Comme il voudrait retenir cette
pauvre vie qui s'en va! Il se penche, et toute
son âme passe dans sa voix qui se brise et murmure :
- Mon l)auvre petit gars, je suis là . N'aie
t>as peur ...
Pui , avec une tendresse infinie, se lèvres
se posent sur le front du pauvre enfant qui le
voit et sourit, extasié, emportant dans la tombe
cette vision radieuse.
Une tourterelle, dans un arbre, roucoule son
triste chant. A genoux au pied du lit, Maryse
pleure.
Porté sur le épaules de ses camarades, le
petit marin s'en va, par cet apres-midi ensoleillé
de juin, vers l'humble tombe où désormais Il
reposera loin des siens CJui connattront bientôt
la triste nouvelle, loin du petit cimetière qui entoure l'église de s n village et qui l'attendra ell
vain. Derrière le cercueil que recouvre un drapeau de la France, ses officiers marchent, suivis
de leurs hommes, graves H recueil1is, et, aprè~
eux, le ministre avec celle qui ont entouré se."
sonffrances et adouci la tristesse de se derniers
jours . La comte sc Pesztenyi, e1le.même, c t venu c, malgré son grand âge, apporter ce suprême
hommage à l'enfant qui ne rev rra Jias on PW .
Un peu en dehor de la ville, dan l'en clos
OÙ ont le mort, le soleil darde se rayon qui
�Ils
TROP LOIN DE MOI
filtrent ~ ttavcrs les grands arbres en flèches
d'or, Tuut y semble simple et foamili r ; les monticuk; de h:rre qui marquent les tombes au
pied des croix de bois, au hasard de l'espace
libre, sc rccouvrt:nt de galOn ct de fleurs champêtres. sous les frondaisons qui les gardent, et
les oiseaux chantent, se croyant hez eux dans
('ette paix et ce silence.
Le pas lourd des marin' s'arrête de\'atlt la
place qui attend, et les dernièn:s !)riltcs de
l'Eglise descendent sur le corps de son cnf nt.
A lors, le cœur des assistants sc ~cre
en pensant
.\ kt müe qui ne sait jlaS encore ... l:t r..\t fils
qui ne reviendra pa!>. Ses rudes compagnons,
faits cq endant à bien des misères, sent<:nt pasSer ell Jurs âm<.s une pitié intense: ilg 11
dltreron 1 pa tous au pays, ... U11 ·'Ie~
leurs
t ra
ici, d, lorsque le commandant s'avance tO\lt prts
(le la tomlle à peine re ouverte, on voit biCIJ des
yeu.' se tllouilh:r. D'une voix gr av et sacc"dée,
s~c()t1ée
par l'émotion, n quelques mots, le
hd dit adieu au marin qui (10rt là son dernier
SOI\ mct1, .:0 douleur sc reflète sur on vi {Ige
( IItro t(·, sur s s lC\Tcs qUI tremblent. Il e
l'. idlt, et c pendant des larl1l s montent à es
) l t1
A lar • ~ la vue de (' s lalllles, s s hommes,
(JIll l'n<1mirtnt ct d011t beal1COll}J lui nt vou(' un
('\1lt~,
01l1prtll1lCnt la raison de j'ascendant qu'il
L \.:1('(' ~l1r
eux:
« C IIIllle il J'aimait! 1),nS nt·ils. Comm il
nOll
imc ! )1
El le lien qui <1éj.. les rnttn hait à leur offi·
ciet 11 ù vient plus grand ct 111u, fort.
�TROP LOIN DE MOI
IIO
xx
Au moment de quitter le cimetière, aprè - Utl
'dernier regard jeté sur la terre fraîchement remuée, Gérard s'est approché de Maryse qui,
une fois encore, priait près de « son petit malade )). Elle a levé vers lui ses yeux baignés de
larmes, et leurs âmes se sont unies dan la
même douleur.
- Il vons aimait beaucoup, Mademoiselle, at-i[ dit. Merci pour tout ce que vous avez fait
pour lni, merci aussi pour moi.
Et dans son accent passait une reconnaissance
infinie.
Depnis, ils se sont revus bien des fois, et
toujours le nom de leur humble ami est revenu
sur ll!llrS levrcs. N'ont-il pas beaucoup, par lui,
appris < se mieux connaître? Il a révélé à la jeune
fille la valeur de son commandant, comme chef
et comme homme. Durant se heures dernières,
il a dit à son officier le bonté qu'elle a eue
pour lui. Et ain i il a achevé l'œuvre cornmellcél!.
GC!ranl Ill! se le dissimule plus : il aime Marysc d'un amour qui a pris tout son cœur, toute
son âme, mais qu'il doit taire. Trop mode te
pour av oi r Ulle jl1 te idée d cc qu'il est, il se
juge indigne d'clle. Avec sa profonde délicate 'se, il trouve qu'il ne peut songer à faire
��.otr~
TROP LOIN DE MOI
121
pCuHnt penser d'elle. Elle ne soupçonne
pas les admirations qu'ene suscite, 11e nIe·
marque surtout pas les a siduités du comte
G) ula qui multiplie ses visites cu palais l' Jtenyi et s'ingélJie Jour êtr le jlartellalle ha1;·
tu el do la jeune fille, au tennis ou au bridg\>.
Sa grâce, S 11 charme, l'ont conquis ct scmhknt
a ir fixé un cœur jusqlle-1à som \:nt ta. é d lllconstance. 1\1ais, si l'attitude du jeune 11 11l11'ê!
pas~,e
lllaperçUt:: aux yeux de 11arY5e, e'le
n'('dlappc pas à la COl1h:s~e
Pcszt 'l1yi qui le
lais.e)la d'en ttre troubl(e. Peut-clic, doit- 'Je,
u tout, lais~er
cett e11fant qu'clle ch~rit
de
toute on llmc s'cngaglr, sans l'avertir, dm:;
une \oit: difficile, elle le sait par e,'p'riC11l.e.
D'aut 11t qu' lie ne peut se le dis'imu1t:r, <; n
nev li, s'il a beaucoup de l'aImable caractcre
dt COli mari, n'a pus, COlllllle lui, ce fond.., de
('0 Il \ i tl Il mofondes et de J Il ,( 5 séri u s
ql1 c(} (lt.'TlllCr :1\ait pui é dans on lllu tion
fmte l'Il p,uti~
11 Franc> lt Clui le raPT rndultt
d' 11<0 si ~ . cntie'}ell) nt ft'rançal e. La lég Icté
d (,\,u1u l'cffrai ; son c ur St bon, mais
saura:t-il s 1 0 't:r t cfltnprcndre la valetlt' d~
c<;]], qu'Il adllllr<:, san., doute, mais n ceia
la c mt . ce ~ait
C)ll' 11 > ne ~
trompe pas - T,our
es harmt.: C tLri~uS
et non pour 1.'5 qualité!
\'(1
itablcs.
Flle t ~ai('
dt· t!( \ int:t l·s s ntimcnt de la
j 1111 hile, nHllS ri Il ne It1i pal ait changé en
lle . S s rnpJ>orto.; :ncc "011 nevet1 Il cl1tluent
pas de ((;11X q11'clle p 11t avoir av
les (mtres
jcune" g 'ilS Cl1!i l'lTlt \lI( 111,
Sm lC\ t rras.: > oil, :1'.ial1t 1· clin r, elle attend
nlÎlllsh' t ~In.
11<1lho11Cl fllli ~ont
I\1jonrd'hui "CS hôt s, la chère f mme songe à c~s
�'tROP LOIN DE MOI
choses en regard ant Maryse qui va et vient ..
cueilla nt quelqu es roses pour garnir un vase du
salon. Comme il lui serait doux de la garder
toujou rs près d'dIe, d'être entouré e jusqu'à son
dernier jour par sa tendres se exquis e! Elle ne
saurait rien rêver de meille ur; pour elle, OU1,
mais pour cette enLin t? .. Et sa pensée va vers
le frère qui la lui a confiée, et elle lui deman de
de l'aider à être fidèle à sa tâche.
L'arriv ée de ses conviv es l'enlèv e à ses r~ve
ries Après le repas, tandis que Maryse , au
salon, se prépar e à servir le café, elle écout~
d'une oreille distrait e la conver sation qui st!
poursu it sur la terrasse que la lune éclaire de
sa blanch e lumière . Le ministr e s'appro che de
la fenêtre ouverte , et les mots pénètr ent ju que
dans la pièce.
- J'ai appris aujour d'hui une fâcheuse nou~
vel~,
chère Madam e, dit-il en s'adres sant à la
('omt(.'sse assise en face de lui. On a décidé de
rapp -1er les bateau x allib qui croisen t sur le
D,tilt t lit:.
- Alors, nos petits chasse urs vont s'en aller?
interro ge la vieille dame aveC un regret dans
II voi ,
_ HC:lus, oui. J'en ai été avisé ce matin, et
j',wouc Cjue, pOUl' ma part, j'en suis désolé,
- Quel dOlllmage! Je ne verrai plus flotter
nolre drapea u SUl' le D:1ll11be, lépond la cornl.ess(.' , rêveuse.
- Je regrett erai leurs charm: lnts officiers.
(;ér ml, surtout , nppuie sl)n i nt\!rloc uteur.
;\Iarys ', un inst Ittt, s'est arrêtée . II lui semble
qu'un voile noir S'l'tend sur tout c qui l'entoure. T,cs bate, lIX partiro nt ... el, vec eux,
le lieuten ant le vai se'llL?. . Elle ne pourra plus
�'TROP LOIN DE MOI
123
cchanger avec lui ses impressions fugitives ou
se pt:nsées profondes; <:lle ne le sentir:l pl\\s
prts d'elle pour lui demander con cil u 5e
savoir .approuvée par lui? Comme elle sera seule!
Son cœur se serre : on dirait qu'un vellt glacé
a pas é ur SOIl âme. Et alors, tout à coup, eJ1e
comprend : Gérard, peu à peu ct sans même
qu ' elle s'en . nit aperçu e , a pris p osst'ssioll <le son
cœur : dle l' ai me ! Elle se sent di laté e par cctte
pem(e ; tout son Ure {;st comme sou1cvé par t111
sentiment indicible . Elle n':1\:1it jamais cru qne
ce
ait si doux d'aimer, et un hymlle de joie
s'{l è\ c en SOli âme, ... majs pour bien vite se
(Il lIger en un chant de tri tesse. Elle l'aime,
ct 11e v le pcrdre, leurs routes vont sc séparer
JiOl11 t oujours . Comment pourra it.il, lui, penser
:\ eH '? Et les paroles reviennent ,\ ses oreilles;
I( I ~ lc
est trop loin de moi . )) C'e. t vrai; jamais
elle ne pourra monter jusqu', lui. Et ptli~,
n'e t,
elle pas une enfant à se" y tL"? ... « VOllS jOUl'l.
en or à la poupée, Mademoiselle? ... )) Flle VOll(11 ait I)Ouvoir s'é ~ hapl'r
clans. a chambre pOlir
mettr un peu d'orelre dans sa tête qui se
trouble, de calme dans "on ('('(·ur qui hat trop
fort. l'liais non, il faut r v nir pr 5 <le (' ux qui
l'att n<1 nt. Il faut que personne ne ache c<!
qu'dl ~oufrc.
C'est cela qui la fera s't! 'ver,
grandir n va1eur mor~le.
Elle a même la force, un mom nt aprts. lorsque, SOli office terminé, elle 'a ~ sied
sur un ta·
bouret élU • pieds de la comt"~e,
de elt'mander
3\e 1111' ~rél1itLaPI ar nt qui l'Hol111e :
ons di i 7. qu 1 <; l)'1t~nu.·
\'ont partir,
Mon ieur le mini<;tre? Hi ntM
11 partiront, oui, Mad mOI. Ile; mais
ra ur l.-VOU, pas en ore.
1 5 gardons
�TROP LOIN DE 'MOI
jusqu'à la fin de septem bre. Après, dame, il
faudra nouS résigne r à les voir s'en aller, et
vous les regrett erez comme nous, j'en SUIS l'l(h.
_ Certain ement oui, dit-elle calmem ent. NOliS
les aimons bien, n'est-c e pas, tante Marie?
Aucun de ceux qui l'écout ent ne devine ce
que renferm ent ces simple s mots.
XXI
A une heure matina le, inusité e pour elle, la
comtes se Peszten yi attend, dans le parloir aux
murs bl ' IlCS où la Sœur tourièr e l'a introdu ite,
l'amie aurrè de qui elle a toujour s trouvé le
réconfo rt dans les heures difficiles ou lourdes de
sa vie. Cette foi, ce n'est pas d'elle-m i!me
qu'clIc vient l'cutrc tenir, et c'cst ce qui fait
son trouhle si grand. Si elle ne savait l'exqu i'e
délicate sse de celle à qui elle va sc confier , aur::\1 t-elle le courag e de venir remuer tout ull'
p:l.S'i", afi n de préserv er un a venir cher? Elle
sc deman de si cette ami incomp arable, ab r·
bée par tant cIe soucis, se souvie nt encor des
nlage~
qui ont assomb ri sa vie de j~le
femme ,
SI elle. e rappell
les tourme nts qu'elle a enduré~
allX jour. sombre s de la guerrc ? Elle
n'ign J\'\.:: pas C'L'1)cnc1allt que, si dan lin c ur où
règlle lllll: amitié véritab lc, le souven ir ne reste
JI b des hh:ssllt cs faite à l'occas ion d'une mé·
Sent 'llti.: pas 'Igcre, la mémoi re des confiùe nces
�TROP LOIN DE MOI
125
reçues aux heures d'abandon est précieusemetlt
gardée comme un joyau d'une valeur lIlestimable.
Et puis, le péril qui l'amène est-il réel, véritable? N'est-ce pas un fantôme créé par son imagination? Pendant des semaines, elle s'est
torturée, essayant de deviner les pensées de
Maryse et les sentiments secrets de son cœur_
Mai, devant son ordinaire simplicité et sa gaieté
paisible, elle avait fini par se rassurer. Ct:pendant, depuis quelques jours, elle remarque plus
de rêverie dans le regard de la jeune fi Ile,
quelque chose que des yeux aimants, seuls,
peuvent percevoir a changé en elle. Et la ch rmante femme s'inquiète. Ses craintes seraientelles fondées? ...
C'e t pour cela qu'elle est venue, slÎre de
trouver, en même temps que la compréhension
d'une âme habituée à lire en d'autres âmes, le
conseil éclairé d'l1l1 cœur qui sait guider d'at~res
cœurs. La l\1ère ne la fait pas longtemps
attendre - il faut une raison sérieue pour
faire sortir la comtesse à cette heure, - et, dès
les premier mots, elle entraîne son amie vers
la modeste cellule qlti lui sert de parloir particulier et qui a été témoin de tant de confidence'.
En y entrant, la comtesse retrouve l'impres ion
apaisante qu'elle y a tOlljour ressentie. Une
tnhle de bois que recouvre un simple tapis :\
franges supporte l'encrier et les objet nécessaires à une correspondance (Ion t peu de personnes connaise; nt l'activité; un fauteuil pour
k visi teur ; deux chais!:s de paille et, au-de sus
cl'un prie-Dieu, sur le mur cklir, lIll rucifix.
C' 'st tont, et c'est l'i1l1ag-e dl! celle qui vit là,
cn Dieu, une vie de dépouillement ab olu .
��TROP LOIN DE MOI
127
qui m'est si chère, lui dire ce que je ne peux
pas dire?
- Je ferai tout ce que vous voudrez, dit ia
Supérieure avec une expression où tran parait
'toute la douceur de son âme, tout ce qu'il faudra
pour vous éviter une peine et pour préserver
le bonheur de l'enfant que vous aimez.. ~Iais
j'espère encore que vous vous trompez. ]'ni reVll
Maryse qui est revenue ces jours derniers GU
milieu de nos petits. Elle m'a semblé la m~e.
Cependant, je l'étudierai puisque vous me le
demandez, et, si je le juge utile, me permettez.vou de lui donner simplement à lire une lettre
que vous m'avez adressée au," premiers mois
<le la guerre? Je l'ai gardée. Elle ne lu' dira
rien que cc que vous voulez qu'elle sache. Tout
ce qu'elle contient est présent à ma mémoire.
Je crois que, mieux que toute autre chose, elle
peut l'éclairer. Vous allez d'ailleurs en juger
vous-mt:me, poursuit la religieuse qui s'est levée et prend dans le tiroir de sa table un papier
gris qu'elle tend à la comtesse .
Pauvre feuille pieusement conservée, parce
qu'die contient l'appel d'un cœur qui sonffre 1
L~
vieille dame lit, tandis que la Supérieure,
di crete, sort un instant, sous le prétexte de
donner un avis à une de se filles.
15
Octobre 1 14
dire l 'S sentim nts qui to turent
rIe tOl\rment ? Je l1'o,;e l'lull
p'n,;c r; je n'n,' pll\s reg'arder !l1~
motl (llllvre
C ur hri
~é ! Je 'lui" :ion 'cnl V'HUC à v u<; au){
Comm ent v
Il''
mon :1I11e c n n's
hcur'~
heur ' difficiles, mai!j qu' '·t,li 'nl les souffrances
�I:z8
TROP LOIN DE MOI
d'alors auprès des déchire ments d'aujou rd'hui?
Vous m'avez vue pleurer à la naissan ce de mOIl
petit Jean, parce qu'il n'était pas França is; vous
m'avez vue pleuru lorsqu'i l m'a Hé enlevé .... et
mainte nant, je remercie Dieu de me l'a\'oir pris.·
Vous comprenez pourqu oi, et c'est atroce! Je TemeTcie Dieu aussi, et c'est non moins atroce,
G'avoir rappelé à Lui, trop tôt, le cher compag non
de ma vie. S'il était là, nos cœurs ne pourrai ent
plus battre à l'unisso n. Une barrière qui, je le
eens bien, serait infranc hissabl e, s'élève rait entre
DOUS. Là où il est, du moins, toutes les frontièr
e.
sont abolies et les cœurs rapprochl:s.
Mes parents , mes amis, mes filles même ne
pensen t pas, ne sentent pas comme moi. Ils ne le
doivent pas. Je ne leur en veux pas. Mais je ne
peux confier à personn e les sentime nts qui m'agitent, et cet isoleme nt me tue 1 Qu'étai ent auprès de
cela les incomp réhensi ons de jadis?. .
Je souffre aussi de la grande souffrance de la
France. Je me sens malgré tout, malgré tous, plu,
Françai se que jamais!
Plaignez-moi et priez pour moi, mon amie, vous
qui êt s au-dess us des misères de la terre et dont
le cœur compat it à toutes les détrele es.
MA1U ••
Lorsque la Su~tier
rentre dans le parloir
où la comtesse, depuis un moment déjà, Q terminé sa lecture, celle-ci l'accueille par un reiard
mouillé de larmes.
- Je vous confie M6t'yse, ma Mère, dit-elle.
Vous avez raison, cette lettre ne lui dira que ce
qu'il faut qu'elle sache si elle avait le désir de
f~tire
ce que j'ai fQit. Montrez-la-lui de ma part.
Elle pourra juger. Malgré son jeune Ale, elle
est assez melre pour comprendre.
• • • •
��13°
TROP LOIN DE MOI
beaucoup de tendresse seulement pour celle
qui ltll manifestent tant de ollicitude.
- Merci, ma Mère, dit-elle. Pauvre tante
chérie' Je crois deviner ce qu'elle craint. Mais
ra::,::,ure7.-la Si je me marie, je n'épouserai jamais qu'un Français. De cela, elle peut être
5lhe Tl est c1t"s choses, je croi::" que l'on ne
sent que lorsqu'on a quitté la France, et je ne
sais comment vous dire ce que j'~prouve
auprès
ùes étrangers, charmant::, d'ailleurs, Cjui m'lmtoment , li me semble parfois que, i nou p,lrIon la même langue, nous ne « pensons)) pas
dans la même langue, et c'est ce (]m nous empêche de nous eompn:ndre ju qu'au fond , Ce
que je vous dis là est peut-être cnfantin, ... mais
je nt' Snl1lai5 l'exprimer autrement. Alors, tout
Il'lturcllemel1t, j'imagine que l'union de cœur
ct d' :Î me CJue je rêve de trouver dans le mariage
est presque impossible à réali er lorsqu'on n'est
pas dn même pays.
Après Ull instant de ilence, elle poursuit :
- J, mais je n'avais senti comme aujourd'hui
l'nffc tion que tante :-'Iarie Ille porte Comme il
faut qu'dle m'aimc pour 111',1\'oir permb de
COl1lllÎtn: ct.: qu'elle n'a jamais
onflé qu'à
VOl~
. lI1S doute,
llhl
M~re.
Remerclel-b,
voulez-volls, pour mOI qui IH: lui dirai
riell
Et . avec une spontanéité lh lrm'll1te, elle "Ji,,:t
les ttl tins de la Supérieure qUI l'attire Vers ell\!
et l' 'mbrasse en murmurant uvee un accent
d'lIl1e ineffable tennre se :
- Je \'OU aime, m fi tite l\t:U\' e, et je vrHI~
voudrais heureuse pOlir vou 1 pour Il chère t.IIl!C
qui vous a voue, tant d" IT ction. R 'stCI t IIjollr
Ce que vou
ête , vou' f 'rel (liu i l j ie dl!
�TROP LOIN DE MOI
I31
œux flui 'vous chérissent à présent et le bon heur
de ceux flt11 ,ous .a1l1leront plus tarù.
Une lmme glisse des longs jls bruns sm le
visage fané de la religieuse quie àem31lÙe ee
que cela veut dire.
~XI
A v{'c juillet fJui \ erse SUt' la gran( L' ville le;
traits de f<.:u de !-OJ1 soleil illlplacabl<.:, l'h\Tr~
de l'exolk 3 onné, entraînant les uns \l'l'S les
stations h,llnl-.lires où les distractiullS mondain s
S':ljOlltcllt all plai il' de rcspir<.:t' un ..lÎr pm dalls
lIlI . Île choisi, ramenant Ils nutre!:', pri\ ilLgi/s
de ln nni" :.111 <.: ct de la fOI tune, vers lt:s deIlIeur ~ {lIllcstlUks qni ont Hl lJaîtr~
ct gtall<lir
la li o. J!~t
Îté des yt.llId s falllillt.'s.
C' st ainsi ql1' ChafJlle almée la comte l' Ma·
rie l'<Isse hl "ni on dt UlHIL' :n11Hè' de "3 fi]}
(IÎtI'( qui, maliec à un d· !'cs cousin, hauite,
11011 11)JIl dl 1,\ frnlltllt c <.:rùe, le chf\t aU fJ-
IIltlial, huct.:all de la f,lIlIille P zt<':lIVi. Pom
s\ r ndle, 1.\ c1ll:re fCllll11 1 r'f<,1'<':, à tl)\lt ,mtre
lIlf)\'cn de IO((llllotiol!, k5 llate ux qni fOllt le
SClvicc ,Ians Il' ha <111 D.lInl>l:'.
- l\Jes \ j Il. mis, dit-ell " aimolt la dO\lceur
d'\111 vny<lgc 311 fil d~
J'ean. 'l':lI1di quc 1, fi. t
IIl'cm" rh', je 1 eux jmlir OIlS f. tigl1 d tOl1t
(l' ql1i m'l'Ilto\lr
I.'t rhcr il mon ai e iIlll'o. joie,:,
(lui m'ait ndcnt à l'arrivl-e.
�nct@l~
d~
r
dl1 bat~1
ncé l'heure
Dώla~e
av nt
�TROP LOIN DE 1\101
I33
bonheur l'attend encore. Elle n~
veut pas SOtlger à ce qui sera après, et c'est presque en
souriant qu'elle se rapproche de la viel~
dame
qui l'appelle :
- Viens t'asseoir ici, mignonne, et jouir,
comme moi, du spectacle de l'embarquement.
Je t'assure que cela ne manque pas de pittoresque.
I,e bateau doit emmener, en effet, tout un
monde varié qui :.e presse à l'entrée de la passerelle, :Ivec ce calme déjà quelque peu oriental,
propre aux habitants du pays. DeS paysans,
,'~nus
pour affaires dans la capitale, s'en re·
tournent cht:Q eux, fumant leun; longue::> llipC:;.
Chargées de paquet de dimensions illvraisem- bllhle. , <les familles entières ~'cn
vont \'crs la
c.nnpagne où lcs attire l'upproclie des mois~n.
~JIlt!que
tziganes, remarquables à ]\.!ur teint
!)'h:1I1é, st.: ticllnent à l'écart de la foule qUI
n '.1 illle 1laS leur \'oisi nage. Du côté des pre111lère , on voit venir de respectnul s ménuges
de fonctiollnaires et le groupe imposant des
tombles accourus <le tous le points du monde.
En fi Il la j oreuse hande des collégiens que le:.
\tlCanCb rl'llvoicnt chez eux circul partout,
sous l'œil protecteur des étudi.mts récemll1\;;nt
libér&, par l't nin:f'ité.
Ainsi, tout le jour, entre les deux rives Clui
étcnd~
1t à perte de vue lt:ur~
t rre· bas. t.!~,
le j2,T'llld bateau s'en va, entraînant ceux qU'II
l,on ver!'> des joie et de:> tristesscs, des labcur;
et cl 's plaisirs qu'ils attendent ou qu'il- ignorent! Le paysage sc d~rot1lc
de chaque cMé,
comme Ulle double toil , mon ton lUI peu, parfoi, mais pleine ùe charme avec e aspe ls <le
vic primitive. Durant ùes heure, on n'aperçoit,
�J34
TROP LOIN DE MOI
au-d là des rOSLaux flui ùordent le fieu" de
leur mOl1\3ntc chevdt.re, flue de vastt:S pl all ies
où dc!) troupeaux paissent ln lib<:rtt:. D'autrcs
fois, la plaine se dore ·ous la toison magnifique
des ùlC', mûrs qui t m heTont bi ntôt sous la
faux ùes moi""ünn urs. Peu u point d'habitatiolls; de grands espaces vid<:s d'où j'homme
~cmlJe
avoir fui et fini étonnent des yLn. habit nés à lH 5 campagnes de France si lleincs de
V1C humallles.
As i c allprè' d s.a tante, à J'abri des Tt:gards
et 'Il (khor du 1ll0l1\Cmlllt des "\oyagcurs, lar~ Sc go(tte • l1X C](lices du farniente.:. Le 11{1 ire,
tllajL<lllcUx, hat )1,; AUIVL d
L rou S l,ui~!;a1t
oS
(lui trouhlent un llH)ment les caux dans leur
C()lI~e
" rs la III r Jointa1l1e. TOllt (.'.;t aIme
d.lll la JI, tllll 1J1l1 ~f)l1Joe
m1 ~)"al<1
" kil <l'(t6.
TOlIl sc tait, mLTlll! parmi lcs pa""ag >)". que la
<ll.t1euT all.•l} k. :;yrais voici qm, daJl cette torpeu qm Il\oahit 1
hOHlllll'S ct J 5
h( "1:'';,
1l1\ i Ihk, 1111 {hant
t char-
�TROP LOIN DE MOI
135
Dès qu'elle a posé le pied sur le débarcadère
qui s'avance .au milieu du Danube, elle est rcIJric par l'intérêt de ce qui l'elH ure, La fille
aînée de la comtesse, sensiblement plus âgée
,que sa sœur, est là, venue uu-devant d s voyageuses, et, dès le premier instant, Mary::;e e
sent attirée vers clIe qui ressemble si parfaitement à sa mt:re. C'est la même l:X(luÎse bonté
qui .. \!ntoure du même charme, et, devant
l'accll il qu'elle lui fait, la jeune fille est vite
en c(Jldiance.
--; Excusez Lazlo s'il n'est pas là pour VOllS
recevoir, maman chérie, dit la jeune femme.
Il Il MI rester près de chevaux que cette C\t,lh!ur énerve, mais il vous attend avec I,resqllc
autant d'impatience que moi. Quant aux enfant·, depuis Ct! matin, ils portent dans votre
challlhre tou leurs trésors pour vous les faIr",
a<l11111' 'r dè votre arrivée.
La comte ·Se ~Iarie
s'uttt:ndrit à cette pcnOlée.
- r\llOIl'i vite les retrouver, dit-elle. Tu ver·
ras, :\Iary e, (juel:; amours de lJetib-enfunts !lion
HélelH! m"l don nés.
Type accompli <ln grand chef de famille terriellne, le comte La;do Pesztenyi comprend.
tidlC ,\ la façon des seignLtr~
ù'autrdois. TI
vit sur ses terres, runs,lcnnt tout son tenlps ;
l'adll1inistration d'un ùomaine d'une illll11ens!
étendue, sans négliger l'am61iurution du sort
dt: (t'UX qui l'aident .\ le mettre en vah~lIr,
ct
ln cOl1ltess', dont le p'lUvr~s
gens, seuls, COlllIaiss 'nt J'inlass.ablc ch,lrité, est en cela on
meill 'ur auxiliaire. Sa haut' taille, ses tr,\its
énergiques rr:vèlent l'homme <1"\etion en lutt<.:
avee la nature, mai' ['amabiitté et 1.\ parfil~
courtoisie avec lcqudks il S· lue ~
belle-mer\.!
�'TROP LOIN D"E MOI
13 6
C <;(1 jlt11lC T)ar€.nte laissent cntre\'oir les qua.
lt t(·!; tI son c((: ur.
1\13r\'se, un moment, reste en arrLt devant
les si: cllt:V3UX sp]elldide qu'un don'c:-:tique
nwintilOnt ù grand'peine pendant que ~on
m,dtre
est dLC, el1du de !;.On siège, ct, lorsque II cumte
reprend les rlnes en mains, elle admire la macstri" il le' laC]u<.:ll il les c nduit.
- A] )prêtcz-v us, .l\1ary~e,
à 1 ne fin de \cyage
moins e nfort<tble C]ue le début, dit la comtesse
l1(ltne en s'c ct1~an.
Nous n'ovo11S pas lei \ os
belle. routes de France. P ur circul r dan nos
am} agnes, il faut des attelages solides ct des
C'OIHll1ltctlTS émérites.
Dan
~cS
1 Tolcs tran~pi
l'admirati n
Cju \ lle (1 ])OUT son mari, mais il raut, en ffet,
n11e adr(;<; inCOll1])arable ponr III n r san dangel si
1 vau. de sang à tr:1\ ers les dilli \tHés
( \1'~
))J ("(:.l1t lit lLs rout S "CnJtf' li
fOlh11 ièrc .
Là 01'1 l'étonncment d Maryse c<t à "Oll Oll1hll' ,
("l'st 101 CJue la \OituH, d{jà "Ilffi"amment eC' \l(e, s\n rage I( ol1l1m:nt :1 tra\ lrs champs
1 ur atteindre: (: bllb 11l.lgniftq\1 s nu mih u
II quel
'ahl1t· le l h~lt
\1 l zte1l '1. A . r Il
'1 ',on
l1)lporte ni '~Il1Lnt
le eah t.
t le;
l11ltrt , (Il CI: (as in(dtahl(
En
rait
11ll11IL'!'i
Ile n
~ Il 'em! a "a
qui
mTll dl' l110ins bien, elela "c \oit, de cc
~Cl'
(l~
]llolJ1otioll.
Mo' s },I dll T f lllm!.! sllllhlt> n oh Il lit \1111 If)r 1111 , llll instant al rc", },\ \ ilur 'm Ittl!
(1 Il
l'itlllllen e h:r1fi
C <l1H "l1IIJlO'lte L
lInteall { nt \111 l, rtic,
111 <1tl l ,1 Il cl 1 1\ '(gnllll:
-' j'l
lJt~.
)), Il l'ChuI II· 1~\;'
l h:111J1f11l1
prlllpitcllt \ rs
nte dn
l
�TROP LOIN DE MOI
137
el1e. C'est à pdne s'ils lui lais ent le tem])!; de
d scend!e de voiture. L'a~n(e,
une gralHlc fillette ùe douze ans, lui baise tcndrelllt:nt les
mains; 1(5 J)etits, plus hard1s, ~e
Sl~
Imdent à on cou, lll\.:l1açant de l'étOllfftr, et
leur ln '.re se v it oblig(;e de les rap1 ch:r à
]'onlt e :
- • e fatiguez pas grand'mü , mes cht:Tls.
Vous l'ehra~
z .au salon.
- Lai~e-ls
faire, Hélène, gronùe 10 vieilk
dame. Ils n JJl' fatigueront jamais. N'oublIe
pa qu , tout II long de l'année, je rt\'e au motuent Oll je 1 rdr ln ('.
Ut 'est, entre llle et
s p tits qui conllal . ~ nt la tenùr sse Înt]IU1Sabl
de ~(,n
n.cu ,
Ull tdlangl.: de l art:SSLS ans fill.
Qucll
délidelL
graJ1d'lI~c
l' d( t
failt'! glisce 1\1aryse à l'oreille de la (om se
Hékn', tMHlis qu'elle a(l!nltl' le charmant ta·
bleau tfll'ofl,( ], \ÎLille llame mont, nt les dlJ::lés
dE' la t rras:>e, $C01 tée des trois Jolies tête"
blondes.
XXIII
�I~
TROP LOIN DE MOI
né~tique:;
ct à tous ccux qu'attire le plaisir de
sc rdrol1\'Cr en agr6able compagnic chez des
hôtes de choix.
Chaque année, ils viennent nombreux prendre
p~Ht
aux chasses dlt comte Lazlo Pesztenyi, et,
durant cluelque semaines, le vieux château
s'emplit de bruit et d'animation, comme au
tCIll[l:> olt 1'exist~nc
!Jlns facill:! {lcrmctt.lit les
lOisirs de longs séjours d~
voisinage.
Mar 'se, qui se plaît (!.tns II:! calme et la tranquillité, n:grette que ces fêtes mondaincs coïn·
<.'id 'nt, comme par un fuit eXllrès, avec le llaSS 1kt:! des batcau.· qui s'cn retoun~
en Fr' nce.
Elle :Jurait aimé jouir dans la paix, une dernière
fois, de la présence dc Gérard, et c'est à peine si,
nu milieu de l'agitation qui l'entoure, elle peut
trouver quelques instants trop courts 11 ur les
lllOn1l:llts de douce auserie .
. \uJourtl'hlli, cepcl1chnt, clic a pu e dispen.
ser d· suivre les chassenrs, ct ib Cil ont profité
l'Our faire t!l1semblc \1111: longue l'ronlf.alade à
c ' I~val
à travers les hrJi ' lJUC l'uutomne p~re
déjJ d· ses teint s d'or ct d· roudle. Sous le
l' IS des chevaux, les feuilles mortes bruissent.
'l'out ~(,; pr(:p'\re au rCI os dn~
la nature, belle
!.:l Illéhllcoliquc t'Ollllll pour \111 adit:!u, ct ils
!>t:l1tellt peSér sur eux 1.\ tri:-.tcsse de la sé[l~raJ
tioll prochain. Ccpcl1<hmt, ri'l1 daus lenrs P\l,leS ne trahit l'agoi~e
qui étreint lcurs t'œurs.
i\LlI~,
un long moment, il dlt:!\'<luch lit sane;
1I1 " t dire, et c't:st ~t:!l1en
lor:-(]u'ils st' rap·
prochent de la li. lCere dt! 1,\ forêt que Géra~!
(/!>. formuler unc alll1sion au dép'lrt.
- Deux jours encor, et nOl~
<Jl1ittcron. ce
p,ty , dit-il. Dans \Ill tIIoi::;, jl:! st:!rai 10111 <..l'ici, ....
l>r~s
d' Irr1\'er ;\ 'lo\llon
�TROP LOIN DE MOI
139
-
C'est vrei, approuve-t-elle, vous allez Tema douce Pro ence.
Un silence passe entre eux, chargé de regrets
et de Dlélancolie, mais Gérard ne veut pas
s'appesantir sur ces pensées, et il reprend:
- Si vous aviez quelque commission pour
chez vous, je s<:r081s trop heureux si vous vouliez
user de moi.
Des commis ions? .. Elle n'a laissé là-bas
qu'une tombe ... Mais oui, tt c'est vers cette
tombe qu'elle l'enverra. A lui, t:11e peut demander de prier ur ceux qu'elle a aimfs.
- Je vous remer ie, dit-elle avec un sourire
tnst . De très grand cœur, j'aa:epte. Je vous
dirai demain ce dont il s'agJt.
Pui ,mettant on h<:val au galop, elle p6rt
pour di simuler J'émotion qui m nte dans son
âme.
~rouve
la
la
à
mail;
à ta
n
ce
GUY
.t
aci de moisqu'à l'or<!inaire,
nt urs. hacun
histoire qui :!Iur-
��TROP LOIN DE MOI
141
qu'une Française n'aurait rien à craindre de
cet homme. C'est un Roumain, et vous savez
combien les Roumains sont amis de la France.
- N'importe, je ne tiens pas à faire l'épreuve
de son amitié
En sortant de la salle à manger, }'Iaryse est
happée au passage par les enfants. Ils ont priS
en affection cette grande cousine qui se plie à
tous leurs caprices, et il faut qu'elle monte avec
eux dans leur chambre pour présider à la cérémonie du coucher. Pendant ce temp , les dames
se dirigent du cÔté des salons, tandis que le
comte entraine les hommes vers le fumoir orientaI qui est sa pièce de prédilection et dont il se
montre, à juste titre, très .fier. Il a réuni l ,
avec des meubles de prix, une collection de tapis d'une beauté rare qui s'étendent sur le sol,
recouvrent les murs et font de cette salle ua
mcxlèle du genre.
La soirée est fratche. Le poêle ronfle dans UII
coill. L'impression de bien-être que lais e un
bon repas en aimable compagnie s'accentue
dans cette atmosphère tiède, favorisant la reprise
de conversations, et les récits s'envolent à nouveau au milieu de la fumée des cigares.
Quand Maryse redescend le grand escalier,
aprè avoir distribué force care se aux enfants,
elle s'étonne de voir un domestique qui, d'un
mouvement fébrile, frappe à la porte derrière 1a.
qu lle les rire des homm fu ent. Inqui te,
11 'arr te.
mettre ceci pou:
ft.
m e vient de m
Mon i ur l o t , dit 1 v let de chambr qui
ne di simule p son trouble, pendant que SOil
mattre fait sauter le cachet rouge de l'enve.
loppe.
�TROP LOIN DE MOI
142
Il COUJ) cl 'rLil suffi t à ce det1Jier pour prendre
C nnai sance du bj]Jet, et, le jetant sni' la teble,
dans le j)ence lourd qui, brusqulment, a succéd{' au hruit :
- Eh hit.ll ! ,; \lcssiturs, Adamiu a tenu parole,
dit -I) sans rien pndre de SOI1 calme, Il t:~
:\
ma porte. Je compte Stlr \:ous pour m'ailler à
tléft:ndre Ces dames et mes cnfants.
A J'in 'tallt, tous ks homme' sont th:b ut.
Ils se j>J(cir il lit vcrs le \'aste hall où (leux
heur s , I1para\ nllt ils ont déposé leurs fu~i's
en
tl'n'h. lit dt' la chao; e, Mais rien ne ~aurit
di e
la tlll'll1r qui e lit, tH lturs vis:lges lor:-;cju'ils
. e IIO\lVCllt dL\ :lllt le râtelier vide. Plu une
'Ir111f.: '
Profitant Ùl1 mom Ilt où tout le monde (ta;t
à Inl1e, l'c IIIcmi S't "t elllpar{' <lu sC'ul IllO\'cu
de dé fClI"c (les assi(g' s. Vont-ils êtl c obligé: de
ilpl(11) r sans ~e
battle ou tloh elit-ils, (;n ré istant, e 'J o~t:r
le fUl1111(S tl ltS l'nfant· (llll "ont
:\\ll l1l
.Hl.' Ines dangllS? D{j;'t, un coujJ de
l'u s't'it f, it t:lltellclre.
B,lrnl' <lez !l's 1 rk ...
mande le tomtt: lJui hl il
Jll ndl e, ct [.Iite
u c1clllH:r fta 'C
'(Ialle' v Ts 1 s.:tlOll pour ai(kr 5,1
qui est bou]c\ll ~c il LI Jll'lI lC d'tIlle: lutt
po still l't, la 1.l"sm ant, la ,oulcnallt, lle:a
';11 1111l1l111 nn 1l1ihet1 <le l':dTolclIl\;l1t de lous.
Qll \,-1 il .f.: 1 a Er? Le (c ur dt: IH jl'lllle
fil!
11( uhk C't;st 1:1 IlHmiC:r' fois qu'clIc
t tle\Hllt \111 d:mg T \érit,lble. f;i, <hl moin ,
élan! ~toi
1.1, dIe aurait confi n . J\.lai , elle
J
1.
T\'se
tallt
1
" Y
ul1g , ...
il
va rC\UIII,
il tombera,
f.:.tll.
'<:n
�TROP LorN DE :MOI
143
, :1 serd exposé
<Jouter, au mil!eu ùes .1~ùailts
à leurs coups. Elle a peur pour hu, et ct!pend.ltlt
sa fierté se révolte à la perspective cl'une c 11I1
tulalion presqul:! illévitable que Gérard, ell-! le
sait bien, n'cnvisagerdil ml'me pas. Quc 11l'Utelle, dans sa faible se, sll10n maintenir le c.1Jme
parmi celles qui J'entourent' ::\1aJs, toul à coup.
une idée, une idée folll:! prend corps dans son
cerveau. Elle sc rappelle les mots de Civrac:
« Le brigand gentilhomme ne fera aucun 111:\1 à
une Françai e. )1 Et ... 'il \oulait aussi cédt::r à la
prière d'une Française qui oserait al!t.:r l'implorer?..
,ans être aperçue, e1ll! redc,>celHl en h'Îte
l'c~aJier.
Elle croisl:! Civrac 1/111 remonte des
sou -sols où il a déniché i\ grand'peille le LI"il
d'un domestique .
- J'espère que nous Il'allons pas nous Inis,~r
faire Iflchellll!nt' dit-elle avant de (1!sp:1Hnr c
dans h: corridtJr qui mène aux Clllsilles.
En passant devant un pOrlel11Hnte, Il. dIe snisit 11 cape ù'unc servant\! et s'ell enveloppe. ~:l
rohe blnnclte, trop visible sur le fond sombre
de!> arbres, la d6~ignerat
,\ l'tlllle.:lIIÎ. E1~
trelllble tll 'ongeant au tlal1gt:r mu l'atknd, car
les coups de fcu St.! Jont plus nombreux. SOI1
C(L'ur hat, maiS clIc veut être Iml\ , être.: rli ne
d~
Gérard, lui prOlt\er qu'dl· n'est plus lllie
pdi tc fi lle c'tpable. tuut :lll plus, de Joucr il
hl potlp('e !. .. Sur le.: pas d 1.1 porte, un inst Int,
elle 6conte d'où vient le cr6pitelll.:nt des fusil ,
Près de::. grands arbre, un bli,~on
épais qu'elle
connaît hien semble UllC dt Idelle Ù'Oll les
coup. secs claquent d sc succ<:lt!nt de pl1~
':1\
plu pressés. C'est [lour les asslégc:lnh un .,hd
sOr. Elle sc dirige de ce côté. La lune, Cil
11
�144
'l'ROP LOIN DE MOI
plein, yer e sur la terre sa lumitre argentée
Le parc, à sa clarté, prend un aspect féelique.
On y voit comme en plein jour. El14i c urt entre
les arbres I]ui étendU1t sur le "01 Jeur~
taches
d'ombre, s'arrttant TJonr reprendre haleine derrièn: l s tr IICS qui la },rctc:gent, et bientôt, sans
savoir cOlllment, t<1nt il y a de trouhlt: (;n son
âme, dJQ (;l1t nd tot11 près d'elle une vai . lm'
fJéricllse qui commande : le chef, sans donte.
Dan un rayon qui fIltre à travers 1 s branches,
clle J'apen;oit. Hile Ile s'arrête (a à l'examiner,.
Elle. e pCcipite vers lui Ce qu ' cne dit, elll;' ne
le ~Iit
Jl<~,
mais l'l]omllle, stlljlfaJt, l'(coule.
Av!;:c une di~nté
simJlh.', cJ1e sll]lJllit., (t lOISqu'Ile tcrmil1l: :
trOtl\erait
On m'a (lit fltl'llllC Flaç!~c
gr;! l' dC\.l1lt \OU', elit·dle. J'ai llUl'6 que \011:3
VOUdlllZ ail si ~ outer ]a prÏLn' d'une l'r.IIH;a]!'>\!
ct V( u. rdir ] Sa1l5 1.lire de mal ~ dl l alellts
(Jl11 lui Ol)t 110:".
'J'D1l1 t1'
nra c t
grflce nt·ils (mu h:
Cf ur du 1 rigalld? {'Il IJlfllll:nt, il h(;~itc,
1111 011lit
ne III <;c Il 'Il .. Ellfln, 'Illlhnflnt dt\unt
1. ch. 1 mânt~
Il fant d nt lLs ) cu.'
llj)plianb
]'lIt~ug:n
Il Ole, il .e (!(co\1vrc .
- II ne cr. p.l dIt, M~lt1
llloi.elk, r~T)
nd:i1,
qU'\111 Rotll11'dll .ma r p n ~ê
ln plÎtr<; d'une
FI:l1~ni
l'.
\ tuilkz
s \11 ment demnnd r au
Cfll]]t· p~
ztt nyt de Ile pa ,un autre foi , c;c
IIltkr de 111 afhirc:-.
II (JI dl e bl d r tt:ntit, 1ran"lllis de br.lIche Il
1 fllWltc SOl s le louvert des rbn;', t 1 t:1I ;\ peu
lOllp de f"ll .' spa nt p ur l
r hi I1 t ôt.
oe
\.t .Iols sC·111t.:1llt'l1t fll1e J\larysc () e r gauler
elUl (Jl11 \Ï Ilt, av (' tant d
nn grA e, d
r à sa m nde. Plus grand flU la moyenne,
�TROP LOIN DE MOI
145
il e une lailh: {·1tgante tt jeune I.:IIL'Ote Une
grande lllou:;laLlle brune barre son \'i:;age où
deux yen_' non: bnJ1ent ùans l' lllbrc, ct UllC
eXJl! (,S~IOl\
d'lrol11L y
pas e
quand, s'incHIIH11t ùe nouveau l1lyoant lu jel1lle fille, Il lui
dit:
- Vous pOlltlCZ dire à ccs llH.S!'icurs qtl'=! leurs
fusil' ](Sllront ici, à lem dl~Oo.;it
Puis, sui\ i de ~t:S
hommes qui 11 'ont pas Ùlt
une parole, il dl~
.lrait un:; bruit .
Quand .\I:1rpc, lJui s'est attardée;) le rcgu!' ,
dél' s'(1oigner, Iq)I'cnd conscience cie cc qla
vient (le e pas"!::r, elle ~e dllllunde si clk 1)()\111.'
rncnir ju!'<]u'uu ch:îttatl. :1.:0.; jamb(..; '-C Il':ro
elle. Mais on mardI' 5ur lI.:' gr;l\ 1er.
bellt ~ous
devant 1.1 tcr.1S~\:,
C'e t le li 'llte11011t Il\. \ai!' c.:dU
flui se !Jùtc:, Ill! com])1 11,111 pns ce flui ~Hl1ve,
inf)ni·( des hruite; (]u'il a f:'ntC:l1dus. 11 L lt le
tO\11 dt: la \il.:'ille delllCtllc.: . l'1 )1llplètcmcnt balli
cut!{e, elle a \Ill a"pcct h tile, cc :;oir. 1\ s.a \ ue,
fOlccs. LtlI, .. d jà? Un
1Im 'ce ldrou c ~t:;
;n t.1I1t plu!' tilt, il amait )\\1 ~tl'
bles"é. Elle
telllel ie nkll (Jui lni a ]lIlJ1i (le IL
uver,
Twut l re , tt d'u1l hait se pr(dpite \ r ] pOlte
de S~I vI C 1 II Il nnh e n Jl1 Ille tl:JlI]>5 CJue
lUI.
D'abOld, JI ~'t()l1
de 1.1 lelollll.lÎtrc SOli sa
apc Oll1hl', mais ...1 surpIÎ e l:~t
à son l.'o1Jb~
1 J'squ'il l' llt(]]d dire dc !'tu jolie voÏ,' où perec
UI] ;!llellt tle filrt-':
- JI' !'>llIS U)1Jtt:l1te ... Nous n'::Ivol1' 1)::IS capit\lll' !
hl fJlwnd, 1111 11J01l1 nt '~pflS,
}Jt <:<e, :lccablL
cle (111l'stion , elle <lltit f III e Il ft it (Il: ~" folle
lfJlllp't, cil lit t;lllt d'<.1\l11JJlalioll <lan h yeux
gris 1 b liS 'lUI la r garùrnl (Ju'ellt! uublie tout:
�r46
TROP LOIN DE Mor
sa peur, les dangers qu'elle a courus, la fatigue
qu'clle éprouve.
« A-t-il enfin compris que je ne suis plus u u ~
en fant? )1 pense-t-clle.
XXIV
A l'aube de ce matin frais qui enveloppe la
terre dans la ouate grise d ' un épais brouillard,
~Iar's(!
a cueilli les plus belles roses du jardin
qui dormait encor\:!. Avec des précuutions infi·
nies, ellcs les couche au fond d ' lIn e b îk
hlanche tapi~sée
de mousse où elles re..,teront
blotties Cil attendant de revoir le jour sur la
tombe du cimetière cle Raillane où, à sa priere,
Gér,ml le déposera. Avant de remettre le cou·
vercle, longuement elle les regarde, pendant
(jll'llne larme coul Ile ses yeux sur les fleurs,
sc mêh\llt aux perles de rosée qui les parsèment.
t ne tristesse immense pèse sur son âme. Elle
n'os l'a ' envisager ce que seront les jours qui
sui\ ront ce départ CJui la brise.
Aprè .. k~
élllotion.; de la wille, la journée
d'hier s'est déroulée dans le calme Pour se
reposer, la comtesse Marie e t restée confiné'c
dans le boudoir que sa filte lui réserve, ct c'est
là <lUC le officiers sont venus passer les dernières heure de l'après.midi, revivant, auprè
des deux lemmes qu'il vont quitter, des heure
pareilles li celles qui les réuni ient da
1
�TROP LOIN DE MOI
147
vieille maison de Bude . Comme là-bas, l,a bouilloire a chanté à côté des tase~
dl ),orcelaine
fine, ils ont cau~é,
le piano a ré~on
aux 50115
oes mOrceaux favoris, lt, profitant d'un moment
où la !:omtc '~e
Q emmené Civrac dans sa chambre !Jour lui remettre un souvenir destin€> à sa
vi('i11(;' ami(;', G~rad
a demandé il Maryse de 1l1i
l<:di)(;' le chant qui, lors de leurs premièrf5 rencontres, lui a révélé la profondeur de :-011 5me.
A·t·t:l1c été, cette fois, plus éloquente Lncore:
que l'cutr!: ou tst-cc que leurs dl.:11. · cœurs. plus
plocht::s qt1 'alors, se sont mieux compris? l\la;.;"
lorslJu'elle a terminé, ] ur émotion 6tait?t on
c mble. Elit.! 5'1.:5t voilé le vi. age de SC5 mains,
c 1l1me pour se recueillir, pend.mt Clue GC'ran},
qui 0 ait à peine la regarder, IlltHl!lurait :
- ] 'emporterai ce s u cnir illoubliabll' {\\'ec
les JlCl1I''-; qne vous me <.:onfiercz dcmain, )"Iat1~·
moisdlc, ct il chant<:r<l cllcore dans mon CCl: Ln'
quand je 1r 5 <1(:J>o~etai
5tH la tombe où Vo\15 Ille
faites l'honneur dt:: m'cll\,oyt:r ...
C j)cll(lnnl, le temps } tcSS ; l'appoar il1ag~
doit , L failc de bonnl: hC\lTl'. Déjà, le petit Jan!).
est \ Jill fr.lppcr à ln porte de J\Iarys pOtll !t11
<1Il1l011(Cr qu'il (,,,t 1 !ê1. La
omt ,~l'
.lar' Ile
veut pli 1:1 lais-cr .1I~r
~eul
dan, la Cal 1ll·\gne
01it:iÎH' , l t l'Cillant, à n grande ~()ie,
a (té
l h. 1 .6 cl'.\{ (ClIl11HIgI1Lr
grande COt1~l.
Ivlmysc
se h~l.
Le Il mJls d'l,!dillr . a longue rcdillgQt
ql1i (;\lt rc""! tir ln "'\eltcs~
dl' ~a tnille, cle Jder
\111 1 ranl CU! la gla e }JOl1r arranger le !Jéret
qui i joliment la (oiff", elle t prête,
Lo!sql1'elle ott ur la tur; c, Il' hrol1illanl
t moills ") ni , m;li5 de n\1ng
1'( litent dans
le ' cid. La jourtlée SCt<1 Il i tl:, Elle prend la
,'1
�TROP LOIN DE 1101
1.18
main du petit garçon qui bavarde, tout au
honhenr de cette équipée matinale, mais elle nt'
l'écoute guère. Parvenue sous les hautes futaies
qui gardent encore la fraîcheur de la nuit, ell!!
frissonne. Le long dO:!s branches où le brouill rd
s'est déposé, des gouttes d'eau glissent ct tombent comme des pleurs. On dirait qu'un linceul
glacé (h:sccnd des arbe~
sur sc:, épaules, le froid
la péllètre. Elle serre plus fort la 111a111 de Jano.:;
qni s'étonl1e ct la regarde. Pourquoi lui réponddIe à peine' ... Elle ne rit pas comme toujours
lor:ifju'ils se promènent ensemble! Il se tuit.
Le vi liage (j ui se cache derrière la forêt
"'l:\'(;ille jllste quand ils le traversent av.1nt de
'engager dans le sentier qui serpente entre le:.
pr drie:, pour mener au Il u\'e où les b !teau .
•1 t tendcn t, prêts à s'échapper \'O:!rs les grand·;
horizons.
1),\I1S .3 joiO:! de Ics revoir, le petit garçon
fral'pe de:. mains, tandb que le c 'ur de . . 10n·"e
se met à battre follement. Sur le 15, Civrac
d ,nne ](0::. derniers ordre,>, mais, sur l, :u. eh.teUIl (;st tl
011 post·. Tout e::.1 l.dme. Cérlrd
Il rl!gan1l' vt.:nir. Il n'a qu'un instant li lui donIl r, mais c t instant, pOUf lui, \',\ut lIli s:ècl\!.
l' urt.1I1l, il 1.11:-.,>e l'~nsdRJe
aller vt.:rs elle, et
c'l' t ~e1
111 nt lor:.que Civru
l'a Cjuitt':e CJu'il
e dl: ide. Le tcmp' de fran hir l.t p sseIl: 1!t: , il est lJ, près d'clic, puur 1,1 dl!rIIiere
füÏ5.
-
':\Ierci, dit-il, d'être
VelllH!.
le yeU," si b ',llIX qui se lèv 'Ill vers lui.
il croit voir pa :.er lUI' douleur int Ihe. Ccpendctllt, n'est-il pas sl!ul à smdTrir de cc grand
"motlr qui rl!stera il tout jalll.lis nfoui d.lll:i son
n,111S
cœur? ..
�TROP LOIN DE :'IrOI
149
Elle l ni donne la boîte prép:trée avec tant de
soin.
- J'aimerais, dit-elle, que vous les portiez
sur la tGmbe le "Jo7 octobre; c'est l'anniversaire
du jour où grand-père m'a quittée. J'aurai tant
de peine de ne pas être près de lui! VOl! me
rellllllacerez. Et, avec ces fleurs, voulez-vous lui
porter mes prières?
Alors les yeux dt! Gérard, avec une ,1ouceur
infi1lie, se po.:;ent sur dle :
- Croyez que jamais mission ne m'a été plus
sacrée qlH.: celle (lue vous me contle7. aujourd'hui, :\ladcmoiselle, dit-il. Je prierai pour vos
morts, et je penserai à vous ce jour-1.i ... ct
toujuurs .. .
Tres bas, il s'incline pour déposer un baber
sur ln main glacée qui s'abandonlle ; [lui,;, sai·
sissant le petit garçon, il l'embras;,t: foll 'meut
ct s' échappe vers son bateau qui n'atklld plus
que lui .
Un illstant aprè:>, quanù le ' coques grises,
obéiss.lllt ,s'éùranl nt et glissent le 1 ng de la
ùl.!rge, ~rayse
.1 J'iml're io n que on cœur s'en
V,l :tVlC elles . Longtemps, ell ' ll.!'j regarde s'éloi~
l{ner. Leur::, contour::" {Jeu i\ peu, se voilent d,ms
le:> v.lpeurs hrumeuses qui l :> entourent, elles
devil!nIH:nt dL' plus Cil plus iITll'récisl.!s, et, enfin,·
cl!.:s disp'u,tisst!l1t nu détour du fleuve. Un moment encore, 'Ile reste là, croyant les apercevoir
avec, :\ l'arricre, la silhouette de Gér rd qUI se
découvre (Jour ln saluer.
Un IllOUVet11 'lit de Janos la rI lp Ile à la réa~
lIté Le petit g,m; Il la regarde. Pou rflllO i pleure.
t-ellc? ...
- Il sont p,nti . , dit-il, c'e:>t tri ,te.
�TROP LOIN DE MOI
150
- Oui, mon chéri, c'<:st triste . Tu 1es aimais
. bien, toi aU!:i~,
n' st-ce pa~?
...
El, tout JJlès d'éclater en sanglots, elle se
bai c et, à SOI1 tour, dépose un long bai!'lr sur
Je front de l'enfant (lui ne comprend la s
A peine s nt-ils n:venus (lU château (lue Je
vent se lève, ]llus lugubre encore que le hrouillaId fJl1'j) CJllllOrte. Il siffle dans les gral1d~
arbres
' inclimnt I:t sc tordent Ul gémi~!:alt
. MaI\' l \ : ~t 1I1fermée cJalL !:ia chambre. SLtllt a\CL:
_~s
J CilS l'S, cJlc H .ut 'c recutiJ1ir, sa\ouru son
iJl~c.:
l )wgrJ1J. Au bout d'ulJ momcnt, cIl.!
~'.I
i d à !id t,Il..>11.:. 11 lui faut ~(Jl1
I <1g
r SOll ((I.' ur
lro) lo ul (1 . Ul' les cller.., ft:uillcts qui, jOlll aillcs
jOl r, c1 j,ui dl. m oi , lt.:(,:oi\Cnt .es confidLIl (. ' .
• -' ,l la lll trullblc, Li ks l1lol ' COIU nt u : jlc'Hl:llIt,
dÎ'i, nt . a t1 n!l.:l1I ù le)ui (lui, jad
i ~,
:\\ a il si
hlCI
ln
ll)ll ') )
r :
11 iL; elle :':1I1tlc : ()JI [nl))w ; 1111 t [mp di. n 1 d'aborù l/ui devient plu fort nu)
) ctitc"
�TROP LorN DE ~10
. I51
mains impatientes. Cc sont les enfants qui la
réclament. Elle ne pourra donc pas être tratlquilll! un moment pour rl!poser son cœur qui lui
fait Unt de mal? ... Quand el1e entr'ouvre la
porte, le vent qui s'engouffre dans les corridors
veut aussi p(:nétrer en rafale dans sa chambre.
Les fenGtres claquent, ct brusquement, derrière
elle, la porte se referme.
Sou,> la poussée de l'ouragan, tout voltige
'dans la pièce. Le feuillet i nachcvé tournoie un
jU::itant comme un fou, ne sach,lnt quel [Hrti
prendrl!, et s'échappe {lar la fcnGtrc. Il se mêle
à b. d,lllSe des feuille:, morte qui montent et
retomhCll t, puis reparten t encore pour, en fin,
rOlllwt sur le gravier, \'tmir terminer leur ronde
dan' lin coin, près dt! la vieill' tour, oÎt la comtesse ~larie,
fuyant la bourrà que, s'est r(:fugiée.
Le papier hlanc qui court nttire son attl:ntion.
Di 'traite, elle y jette les yeux. Mais u'c:,t·ce pa;
l'écriture de Marvse)". Sans presque le vouloir,
elle lit. Pauvres paroles désolées qui révdent un
granll secret! ...
(d
tlHI-pdC,
UlIt p.1lti~,
t ...·\lt·
TI
l'UI
votre Il tltc-fille ~oufTre
... Les 1);1j' \llll .. ,
octobre, "ur 11 chère
Cll1111 'li Ult
tcr,t ùe, fleur, le ~7
(ellti
que
tOlllbe ...
Les Illats se slIccl'dl'nt et sc gravent <bn.'; l'e,,,prit d, h vieille d,tlllC pour qUl, pl:U peu, tout
s'écl.tirc. La "oil:!, l'exl'li "ltion dt! la tl'Ï:;te e
pl~
lourde, éVldcmment, ces derde l\r.y~·,
niers jours! IlV[ll1otis "t! par Sl: craInte vaine.
d ln . Oll dé:,ir d 'évit 'r II l'~nr
mt qu'dl aim\!
dc ... l'cines 'III 'clle conllaÎt trop bit!ll, C nllm!nt
.t-elle pu [lasser à côté de cette souffrance ans
�l
2
TROP LOIN DE MOI
la ompr ndr ? Comment, ~urto,
n'a-t-eJJe pas
pen (: flUé t ut 1 mal vc::nait de là? .. N'importe!
ElI\! c::st oulagé:e de ~aVOlf!
Elle 1> urra enfin
�TROP LOI
T
DE MOI
153
chelche (le la solution qui lui llCtlllcttra <l'assurer le bonlJeur de l\laryse.
ur le plattau d'argent où l'on cllpose chaque
jour le courrier de la maison, les lettr s, e matin, . 011t nombreuses. La comtesse, au pa~sge,
prend celles qni lui sont destinü , Il Y n a une
au si pour Marys ,,,, de sa chère Annie , La
vieille dame reconnaît l'écriture nette aux anrr.ctètes (hoî s que a nilcc lui a som ent montrée ."
A j'illstant, un l lair traverc;e son sprit. Al1,i~!
un l'omir
ffleUT
es lhres. Elle a 1 moyen
de "a\oir si cell1i qu'aime :l\l,arysc l'aim üussi!
xxv
An p ied 1 C la ollim ql11 ni plolllht le village,
le cilllttille ahlik c" tOlld c
Il l ouna it,
('OJl1llll t,llIt ,l'antTls, in"plIll dl:-; peJ1 é~s
rullell
(t péllibk' dl.' ~'pmatif)1I
ct d'ol1bll, C pend:lIIl, dtll d· lel Ill' dellt ÎI l'l' pdt Je CClIX
(lui le fll!)l1 1~lt,
SI liS !I.' cicl blt:ll qt1i 1e
CI)\1\ H ' , (hllls 1(' c;olLÏ] (ll1i lni Verel' ~Cs
J lus
Il 'lill 1:1\'011", l , r1ll! de flell s qlli '. ~I , alouis'Jlf Ù l'lin i. il Llit '011 cr ,\ 1111 jardin flc1l1'i où
ch,l( 1111 ( Tl pose dnlls ln pai. -, ,1\ Vl't 0\ tobrc
1 IIi ,1111. k J latnlH qUI c;l.' 110rcI1t aj nient à
.\ hoalil' 1,1 lIIagnifi( Illl.' d~
leur parme, tranchallt . 111 le fi 11<1 noir des C} I>ll qui l'~touren.
L'htt\!
1 mnlin:llt· ln nll' Jor"lj\1e AlIllie
De1a1l11 Te J OI1~,SC
la ](gtl"e b.milre blnl1 lJC C]Ut
�154
TROP LOIN DE MOI
sépare le champ des morts de la petite place,
derrière le presbytère. Levée tôt, après une nuit
blanche, elle a assisté à la messe. Elle a bt:!au·
coup prié. Elle a tant besoin que le Ciel J'aide
à bien remplir la tâche qui lui incombe aujourd'hui et dont elle seut toute la délicatesse!
Le train qui monte de Toulon n'est pas encore
llassé. Cependant, quelqu'un l'a déjà dev,.IIlcée
<1:111;:, l'enclos bénit. Une forme sombre est là,
a~enouiléc
près de la tombe de son vieil ami.
en instant, elle se demande si elle n'arrive pas
trop tard ct se hâte à travers les humbles tombes
tau tes fleuries dont beaucoup recouvrent cie
"ieux (Ju'elle a connus au village et des jeune:;
Hu,>:-.i qui sont trop tôt partis. Mais, lorsqu'elle
.Irri\"e au foud du cimetière, du côté où les [11.\t . \l1 e ~ rapprochés font comme un parc autonr
de~
dalleg blanches, die se rassure. Fi<IL!le,
.\1il:tte est venue apporter à son maître Sotl pieux
. ol1\·enir avec es prières. La tomue disparaît
sou., le~
Oeurs qu'il u tant aimées. On dirait un
jJartern: magnifique qui achève de d01l1l 'r à cc
lOill l'aspeel J'Ull jardin privilégié de h natnrc.
;1cule, la croi.· de pierre qui se dre::. • m-des!'>u3
{le,> corolles l1\ulticolores rappelle III R'nlvité {lu
1i 'Il.
1/1 jeulle fille s"lrrt·te, re pectant la prière de
la vi",ille qui Ill' l'a pa~
elltendue. Hile' lISSI
:,c recueille. A j'0glise, die a hL"lll 'oup prié h~
~\;iR'l1C:r
pour celui ql1i dort ici et pour :\ratysc.
:\railll Il Ilt, l'Ile prie le grand père de Mary l!
d~
l'aid r à :l-;:,urel le honheur de son :\lIlic.
Du h.lllt du CiL"!, il Il voit, unxieuse, mai:. dé.
l'idée à tout faire pOUf que S:1 pctite-fille SOIt
heur 'lISC. Elle compte :'lIr lui ; il :,:mra bicl
venir à on St!cour:. llU In ment décisif,
�TROP L01N DE MOI
155
Quand l\lit:'tte, en s retonrnant, aperçoit la
jeune li.lIe, eJ1e s'étonn<: et, (urtlvemuJt, t.sli~
1es laI mes qui couvrent son pauvre vj~ag{'
1 ide
V()US \oilà a115i, madcoi~el
AJJuie.
Vous le voyu, je JJ 'ai pas ublié. - Et ~e t urnant vus les fleurs. - J(; lui ai apporté l(S plus
be11es . 11 n'en a 1 as mar\(j\l(', non, lt:: vuuvre, d<!
toute l'ünnç!C . Mais, aujourd'hui, il (lJ f,llktÏt
rXll tout. Hegaràez.
- C' st vrai, Miette. J 11 'ai jamais riC11 \ u
de si 1. au. Je l'écrirai à Ma1y::e. Celn lui rela
plai ir.
La vieillt:ccoue la tête, et scs pleurs rce >m·
m IlC Ilt à l ouler .
P,ll1V 1 e petite dem :selle! Elle (tU:-rI du
dl~
tin, aujoUld'hui d'être ci 1 i ll .. . Je Tl' la
rc\enai plus, non, a'pré::<'11t. Je me f.lis \Îeille!
Et (l/)(ll!lmll ... je ]'aitultls toujours, ... l: Oll111.e
(,Ile
-
1))(
Et
1'<1 dit. ..
III ' . Qn i
0\1'
ave!. raison, l'I)lIJr<,t1\
Ile ne re\j~1Hl!a
11, MÏl:tt ,
bientôt ?
la j1.'·
QlIl h hon Dieu v us 11 tende, ),T Il
selle! 1\ltll jl! n' ~e plus ~plt
Ll".
T~l
l~1
I_Hlie,
(OtIThLl
"1
t1
~
pas
m i.
�J56
TROP LOIN DE M81
conlluÎt presque par cœur la lettre que la comtesse Pe",{.tenyi lui a écrite. Cevendant, elle tire
de .'on ~lC
la longue missivc soigneusement couservée où la vieille dame relate ce qui s'est passé.
Elle s'arrête aux dernières pages:
Je vous confie, ma chère enfant, le bonheur de
votre amie. De\"ant ltne tombe, url homme, facilem 'ut, ré\'t!le le (ond de son cœur. Ob5erv.:z celui
qui viendra, le 27, sur irl. tombe où Maryse l'envoie.
S'Il rcmplit avec seulement le re5pect qui couvient la mb;ion qu'elle lui a confiée, laissez-le
repurtir san,; vous lI1outrer ... Dan le cas, au COllt! lin;, où qud(!ue cbo,;e en lui vou lai""erait pellque son dtne est ~l1ue
et que sou cœur se
. ~r
trouble, allez. ver" lui et que votre amitié VOltS
i1\..;pire ce qu'i1 bu(1ra lui dire ...
]'.ltend~,
.1\'CC itnp ItlClh.e, des nou\·"lle". SI el~:
~onl
bonnes, cllvo\ez-1\1oi I1n téJégTlml11c. n ln t. :
u \ {,!l1CZ. ! ~ Swon,: .. unc lettre suffira, J' saurai touj. urs as <ez tôt!
chien, tout; l'heurc, aboyait nu viiI. ge.
6tr,lllger ,lU pay' qui vient. On enlC:llcl
l1lan:her sur hl route. LI! porlail de fer, qui, de
œ CÔll:, rernle le (imelièrc, grince, { Il Itollun.
J>.lr.IÎt dt!rriere le cyprè:; qui 1\1.trque l'entrée. Cl
sc découvre. l'II ill::il'llIl, il h6site, c1lt~ran
d
<Iucl cMé il doit porler ses pas. Annie Sent son
{ 'ur <lui se serre; le sang bat ft ~;e
terni' 'S, mai.;
pa lI/1 mouvement tH: lui"se deviner S'{ prés.!l1Cc.!
ft celui qui c:st 1;\ maintenant, tout près <1'el1e.
Elle l'aperçoit à tld\' '1'-. J. fellill.lge. Il .' t
ar~té
dC\":lnt la tombe, el longllelllen t il regard .
Se:. yeux semhlent voir ht;'>;lllcoltp plus l in que
le p~rte
fkllri qui s'ét '11e1 sur 1 dalle, plu
1 in que la croix où 1111 nom t gr vé, et on
vilge, peu à peu, c crell'iC. Se P,lU (lière s
{T n
C'C::it Ull
�TROP LOIN DE MOI
157
ferment, comme sou l'impression d'une douleur
profonde. Enfin, il s'agenouill...: et 1 ngtemps
semble prier. Mais, lorsqn'il sc relève pour
prendre la boîte blanche qU'\!H arrivant il a dél'osée près de lui, Annie croit voir fln'il a pleuré.
Quand Gérard il soulevé le Cou\'ercl\! qui les
caclLe, les fleurs apparaisscnt, L1Ilée5 et tristes
sous l\! grand soleil. en cloux parfulU, pourtant,
s'en exhale, venu de bien loin jusqu'ici. \vec
(lt:~
ge"tes pieux, craignant qu'elles ne s'effeuillcnt, J'officier les prend dans leur nid de mou ·S..!
encore verte. Mais, avant de les poser au milieu de leurs sœurs qui étalent insolemment leur
beauté, il les porte ù ses lèvre ct, douœmcnt,
c1ét.tc11C un T>étale prêt à s'envoler.
Tout occupé ft mettre en sûreté la précicll;,\!
feuille, il n'entend pas \nnie qui s'approche,
et c'est presqu\! avec un mouvement d'illlpa.
tience qu'il 1',ICClH::illt: lorsqu'elh.! s'avanc(' ,
La COlI tesse Pe:>zknr i m'a écrit, ~ronsielt,
<Iii cil·, t:t je SUIS embars,~'
1 our lui répondre.
COlllllle cctt\! lettre, en grande p Irtie, \'OUS conlerne, 'OIlS ml' rendriez s rvice si \'Ous vouliez
cil pr 'Ildn: conl1aissance pour, I.:n uite, me dire
le que je duis faire.
Elle II di parll avant même que l'officier SOit
rCVl.:llU de S,I surpris\.! Il croit être 1 jouet cl'ull
r0ve, ct Cl' te iJtlpn.:~so
\ a ";'.\CCl!l1tllUllt, tandis
qu'il nvaUCl! <Inn:- sa lecturc, Est-Cl: vr iment
de lui qu'il est qllc,.;tinll daus ces lif':tlcs? ... Doit.il ajollter foi ù l'ltisloirc ll1t'n'cil1c:use que ra·
lonlt:l1t ces page.,? .. Le 1)(\11 leur de ;\Iary e, dè
1.1 créature exquise qu'il chérit plu' que tout
Hl! lIw!Hle, dépend.il vrailllent de lui? de cc qu'il
va rl'poulre? .. . de cc qui, ù lui a\l.·. i, apI' rtera
le bonheur?
�158
,TROP LOIN DE MOI
Tout ce fJui l'<:ntoure tlisparaît à ses yeux. Il
la revoit, elle \ient de chanter, ses ma;ns cachent ~.on
\isage, pour dissimuler son émotion,
al1~
doute. Et cctte émoti n était faite de le.
doul ur ùe le voir partir! Pourquoi n'a-t-il pas
c nlJlI i' ? ..
C'est !;culement quand Annie vient 1 retrouver 'lu 'il prend c 1) ciencc <le la réalité. Dans
sa illlfJli it~
charmante, elle questionne:
- Alors, Monsieur, IJouvez-vous m'éclairer et
me dire le que je dois faire? ...
l Il sourire ébloui illumine le vi5age strÎ ux
clu jeullc hOlllme. C'est donc vrai, il n'a qu'un
mot il dire?
- 'rél~gafJhiez
à la comtesse Pc"ztellvi, Ma<km isclle, et soyc.:z bé1lie pour ...
l'rIais dejà elle ne 1'é ou te plus. L(g~n>,
(l1e
c t pal ti·, courant J)resquc 1 ;UltlÏ 1 s tOlllbcc;,
t le pOltail, derrière elk, retombe . Sur la r III C
pondl t;l1se qlli onduit.au hUHHll de postl . l lie:!
C hâtl J)our UlVO) el' 1'heureux mes"agc. Ik,llt<..Ot1Jl de joi
dl3l1tc Cil .011
ccllr. C'e t l!UC
1)JClltlÎt, ce
oir JKut·ltre , ~lar)
c aUlf! CJtI
dml la chüc tlclllt:\HC qui l'a \11l' ple\1rt.:l, Il y
• \11 .1 ~ }leil1
un gland bonI! 111 l'uttl'ld.
�TROP LOI N DE ~IO
159
X X VI
P ar la baie ouverte au soleil coucha n t, l'àstre
qui (lécline envoi\.! ses derniers rayons d.ms la
pièce dUX nll.!uble::. !:>ombres qui échapp ~\ l\ l ~p.
tatlon de la maison en fête. Du s,tlon <lui réUlllt
le amis intimes con dés à ce te oc asio!1, le
bruit (ks rires et des (,Ol1\er~ti):'
panit;!l1t.
étouffé par les tentures, mais tI n'.lrri\'t.! pa::. ~
trollbl\.!r l',tlmosphl.-rc <1'intimité dpai..,.lllte qui
pélll.-Itt; Maryst:! lorsqu't:!llc enue. Un instant,
Ile s'attrisle all souvcl1ir dc l'Nre ('!ter qUI
Llcc\lcillait si dOllCèIlU:l1t j:ldi~
chaque fois
qu'elle venait 1\ l\li. Au.de,;sl1:- d' la tdole de
travuil. SOli portrait s 'mhle encan: lui sonhaikr
la IJlel1Vellll , d\.! : n sourire 1 hon
AlIlirnblel11ent bd1e d,1l15 ~l toilette d'ép lISl'C,
soUs Je voile de tlllle qui nilllb1 tête ch,lr·
maille ·t elltoure sa t,tille ~r,lcieC
l11ouk\.! de
s;lllll b1.111C, clic s'avanc\.! Flle s'assi\.!d <lans 1v
grand inl1k u il, près de h tolile, SOIl r\.!gard <;'.
lcve vers les ~ 1!\1-" "i tt:ndres du gr.lIHl,pl-le <Jill
pl rai! !',l<lmirl'r CI1COrl', cl j01gnant k:- 1I,lt;~
\:OlllltlC pour I1ltt' pri:' c, l·lIl' (:111-( 19l! \.!11 $('11 :1111<!
UI1 d Ol!x l'1l11f1ql1 ~ '1\'<: lui
Pourquoi ..,a l'hc~
ét,lIt·clll!
,'i I~ ('. mati" ;\
)'égli (:, lorS/Ille, (levant l' llltd toul br:l"ill int de
lerge", ell' :\ mi" "', 1 petlk m.tin confi, lll t<: d,III S
III m ai ll du lit'ntcl1;l! l t de \'. i~Sl,(\
Géra rd qui
�160
TROP LOIN DE MOI
tremblait ? .. Que n'est-il là, tout prlCS d'elle,
témoin ùe son bonheur, de ee bonhetll ~i grand
que son ùme peut à peine le contellu?. Elle
~'lrait
aimé, c,_ soir, quand s nrJl:ra }'LtuH: ùu
départ, telHlrclllent aller vers iUl et, apuyé~
sur ,,011 ('((ur. lui ùire ...
;VI ai les chbes feuilles sont là, dan un tirOIr
où elle l~'
a déposées le oir de ·es nanç'a1llts.
C'est <1 elle' CJue ~laryse
confiera une foi~
ene le
ce qu'ell lui tuait <lit.
l'II instant. .. La porte 'ouvre. Qud c t j'indiser t ? .. Il ,'arttte tu le seuil, iJltngllé ùe ]a
"oir é-crire :
J la
hé rie, je vous cher h J art ut. Qu~
faiks-votJs?.. On v 11 r(c]arnc.
Alor. le \ 1:;:lgt de la J UIIC femme s'l Jaire
d'un l, dllu.' SOUTlrt.
- j'étais \l'J1~
Wt1-=Cl avec grantl-f,èlc t
lui éuill' Illlll1 tl li~r
feuillet, dit-elle. VCllez.
il peIJ 11
Et, ) CII,lant qu '.1\ t:l lin t;-=te t~lr
a h t1I t. Ille 011-(] li <1' 11, lande Gcr rd
lit ln ,1 'Tmllc cOIJfid~nl
de .. Iary e an profe :
5 tH 1\.1 Lrl':~
us
h u-
FI. ~
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DAMES
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MON OUVRAGE
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Collection Stella
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La collection Stella est lancée en 1919 par les éditions du Petit Echo de la Mode. Ses fascicules sont des suppléments mensuels...<br /><a href="https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/exhibits/show/fondbastaire/collection_stella">En savoir plus sur la collection Stella</a>
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Publisher
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Editions du "Petit Echo de la Mode"
Title
A name given to the resource
Trop loin de moi
roman inédit
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Gariel, Marie (18..-19..)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
[1935]
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
160 p.
18 cm
application/pdf
Description
An account of the resource
Collection Stella ; 362
Type
The nature or genre of the resource
text
Language
A language of the resource
fre
Rights
Information about rights held in and over the resource
Pas d’utilisation commerciale
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Bastaire_Stella_362_C92787_1111353
Source
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Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Relation
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