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RÉPONSE
D E M. D E
FR O N D EV ILLE,
AU P R É C I S
DE
M. D E
B A T Z . (1)
M.
de Batz me provoque par un mémoire imprimé ; il a mon
argent, et il me dit des injures; M. de Batz prend à la fin trop
de libertés avec moi ; il faut l’arrêter.
J ’ai reçu , de la façon de M. de Batz, trente-neuf pages d’im
pression , dans lesquelles il parle beaucoup d’une affaire qui a
été jugée entre nous, et point du tout de celle qui est à juger.
Voici le fait.
N ous avions un procès au sujet d’un billet, dont je demandois
le paiement à M. de B a tz , qui me le refusoit.
( 1 ). Sans égard pour ce m ém oire, j ’avois é té à l'audience pour me faire
juger le lendemain du jour où je l’ai reçu ; mais les affaires qui précèdent
la m ienne, l'ayant fait renvoyer à quinze jours, je ne crois pas devoir
laisser le mémoire d e M. de Batz si long-tems sans répouse.
I
�Ce procès alloit être jugé par la Cour d’A p p e l, lorsque M. de
Bat/ me proposa des arbitres : j’aeceplai et nous signAmes un
compromis , qui donnoit pouvoir au tribunal arbitral «le nous
juger souverainement et sans recours possible à aucune au
torité (i).
Les arbitres ont jugé : le jugement porte que M. de Batz est
actuellement condamné à *ie payer cap ital, intérêts et frais ,
si , dans l’espace d’un m ois, il n'a pas fourni des bordereaux de
l’agent de change employé dans la spéculation que M. de Batz
prétend avoir absorbé le montant de sou billet.
Dans l’espace du mois , M. de Batz m’a signifié une pièce
qu’il prétend être un bordereau , et par conséquent l’exécution
du jugement.
J e prétends que la pièce de M. de Batz n’est point un bor
dereau.
Est-ce un bordereau ? n’est-ce pas un bordereau? Voilà ce
qui est à juger.
M. de Batz imprime trente-neuf pages , pour parler de toute
autre chose ; et au lieu de s’occuper du procès à juger , il dis
cute en totalité l’instruction du procès jugé : soit; je vais la
discuter aussi , non pour la soumettre h la Cour d’Appcl qui
ne peut plus s’en occuper , mais pour obliger M. de Batz qui
se c o m p l a î t dans le souvenir de cette instruction , au point de
lui faire un article nécrologique de trente-neuf pages, deux
m o i s après qu’il n’est plus question d’elle.
J ’ai au reste grand tort de me récrier sur les 59 pages , moi qui
( 1 ) Les arbitres sont M M . de la Croix F rainvillc et Bcllard j M . Dcsèze
a clé nomme ticrs-arbilre.
�vais peut-être en imprimer 60 sur le même sujet ; mais je suis
attaqué , et l’on sait qu’en pareil cas il faut souvent une page pour
répondre à une ligne , et un chapitre pour répondre à une page.
Cependant, commençons.
Voici le billet de M. de Batz , dont je lui ai demandé le paie
ment en vain , depuis 1790 jusqu’à présent.
« J e reconnois avoir reçu de M. de Frundeville , la somme de
» 1 5,ooo liv. , pour former un dépôt que je m’engage à lui reprér
» senter à sa réquisition et à toutes heures, et je lui réponds de
» ladite somme. P a ris, 3 i décembre 1789.
» S ig n é , le baron de
B atz. »
M . de Batz a pi-étendu acquitter ce billet de la manière sui
vante :
y o u s m’avez , m’ a-t-il d it , f o r c é , contre mon avis , de
diriger pour cous une opération de bourse qui a. absorbe le
montant de ce billet.
M. de Batz a appuyé ce dire d’une bonne quantité de preuves ,
dont voici rémunération et le texte : il a produit } i°. un acte de
dépôt d’un agent de change appelé C habaucl, qui dit avoir reçu
mon argent pour une spéculation ;
2°. Une lettre de moi qui prouve que j’ai eu le désir de
spéculer ;
3 \ Une lettre de l’agent de change, qui dit avoir terminé
mon opération , par ordre de M. de Batz , et que tout mon
argent est perdu ;
4°. Une convention faite par M. de Batz avec l’agent de change,
pour l’achat d’effets publics pour mon compte.
Les arbitres ont déclaré tontes ces preuves insuffisantes , ce qui
veut dire «pie les preuves de M. de Batz ont beioiu de preuves.
�On voit que toutes ces choses sont jugées; pourquoi rç.lonc y
revenir 7 c’est que M. de Batz espère y trouver son compte. N’y
trouverois-je pas aussi le mien ?
'
J e vais discuter les pièces de M. de Batz dkns leur ordre , et
pour n'épargner aucuns soins , je vais remonter , autant que
possible, à l’origine des choses : je commence par le billet.
J 'a i connu M. de Bal/, aux états-généraux, devenus l’assemblée
constituante, dont nous étions membres l’un et l’autre : des cir
constances politiques et particulières nous lièrent ( je c.royois
alors ) intimement ; j’ai changé d’avis.
M. de B atz, dont la fortune étoit engagée dans les affaires du
gouvernement , souffroit beaucoup de l’influence des premiers
mouvemens de la révolution sur le crédit public (r); il s’en plaiguoit souvent à moi , et u’avoit pas de peine à me persuader ; mais
il m’eu persuada plus encore , lorsque, comptant sur quelque
crédit qu’il crut que j’avois alors , il m’engagea à une démarche
assez délicate pour moi , laquelle a voit pour objet de le faire
payer d’une somme de 700,000 liv. environ, qu’il me dit lui être
due par le gouvernement (a).
J e fis celte déman he : son défaut de succès donna lieu à de
nouvelles plaintes sur la gêne qu’il éprouvoit.
Comme il m'entretenoit souvent à ce su je t, l’idée me vint qu’il
souhaitoit que je lui offrisse de l'argent : le 5 1 septembre 178g
je lui offris 1 5 ,ooo liv. ; il les pritet me fit le billet dont est question,
que je 11e lui demandois pas; ce billet n’est point dans le style
(1) Il en convient dans son interrogatoire et dans son mémoire.
( j ) M . de Dutz est convenu de cela devaul les arbitres.
�prdinàire ; la suite développera les raisons de M. de Batz pour !e
faire ainsi.
M. de Batz oppose h ce récit un rapport ofGciel fait par lui
à M. de Cazalès ( i ) , qui l’a émargé , dil-il , de plusieurs notes.
Paix soit aux morts qui ne peuvent être ici pour se défendre ;
je n’ai jamais discuté et ne discuterai point cette pièce qui e s t,
d’aJleurs , sans caractère et sans validité, puisqu’elle n’est signée
de personne.
J ’observerai seulement que nous avons été entendus une seule
fois et très-imparfaitement devant ces premiers arbitres , puisque
dès le début, M. de Batz annonça des lettres de m oi, et des pièces
de l’agent de change , qu’il dit devoir faire venir pour me les op
poser , et que je proposai d’attendre leur arrivée , ce qui fut convenu (a). Or, comment avons-nous pu être entendus assez pour
déterminer le jugement d’un homme sans prévention , dans une
conférence où l’on convient d’attendre des pièces pour juger ?
Cependant, dans les émargemens de M, de Cazalès (si toutefois
ils sont sou ouvrage ) , il tranche d’aulorité et décide , en quatre
lignes , que j’ai to rt, sans s’embarrasser des pièces qu’il vient de
convenir d’attendre pour juger : M. de Cazalès qui m’a d it, et à r
q u ia voulu l’entendre, sur le compte de M. de Batz, ce qu’on
peut dire de plus dur et de plus fâcheux sur le compte d’un
homme , éloil redevenu, Dieu sait comment et pourquoi, son
aveugle ami : cela est facile à voir.
(i)
M . de Cazalès et M. de lJelbeuf nie furent proposés pour arbitres , il y a
quatre ans , par M. de Batz ; je les acceptai ; il y eut une conférence devant
eux ; c’est cette conférence qui est l’objet du rapport singulier de M. de Batz
cl des ém arj'emens, plus singuliers encore , de INI. de Cazalès.
(a) M . de Batz convient de ces faits dans son m ém oire, page 12 .
�G
J'observerai encore que de deux arbitres qui nous ont entendus,
un seul a aidé M. de Batz de ses émargemens , ce qui prouveroit
que la mémoire de l’un n’a pas été conforme h la mémoire de
l'au tre, car M. de Batz a , sans doute, présenté son rapport à
M de Belbeuf avec lequel il est tout aussi lié que je le suis , et s’il
en avoit obtenu quelque chose , il ne me le cacheroit p as(i).
Mais puisque M. de Batz m’oppose des souvenirs de cette con
férence , je vais lui opposer à ce sujet quelque chose de plus
certain et de plus concluant que des souvenirs.
Comme on vient de le voir, M. de Batz allégua devant les pre
miers arbitres, qu’il avoit des papiers à H am bourg, qu’il alloit
faire venir pour me confondre ; il dit que ces papiers étoient ceux
qu’il avoit conservés de l’agent de change Chabanel, qu’il avait
employé dans la spéculation (2).
11 est donc bien établi que M. de Batz voüloit faire venir les pa
piers de Chabanel , pour suppléer à l’absence de Chabanel.
>
(1) M. de Batz glisse négligemment dans son mémoire , que M. île Cazalès
fut nommé pour lu i, et M. de Belbeuf pour moi : ctla n’est pas e x a c t; ce
fut M. de Batz qui me proposa deux de nos anciens collègues, et nie nomma
ces deux messieurs que j ’acceptai; mais pourquoi cette petite erreur? C’est que
M . do Batz n’ayant rien à montrer do M. «le B elbeu f, en fait tout de suite mon
a rb itre, pour donner uuc raison de son silence : chez M . de Batz 011 verra
que la ruse montre toujours le petit bout de l’oreille, quand elle no montre
pas toute la tête.
(2) M. de Batz a Iui-iricmc exposé ce fait devant MM. de la Croix I’ rainvüle et Beltord , lorsque je lui reprochois ses lenteurs à faire juger ce procès,
et scs réticences dans la production de scs pièces ; il m’a répondu que la
célérité de l'instruction 11c dépendoit pas de lui , parce que le» pièces de
Chabanel étoient à Hambourg , et qu’il avoit eu beaucoup de peine à les faire
venir.
�7
Qui le croiroit ? Chabanel étoit à P a ris, à coté Je M. de
Batz.
Si cet état choses n’avoit dure qu’un m om ent, on pourroit
croire qu’ il y a distraction cle la part de M. de Batz, niais j’ai per
siste, pendant neuf mois, à rester devant les arbitres choisis ( i ) ,
et pendmt ce long teins, j’ai écrit et récrit à M. de Batz,
pour le presser de faire arriver ses papiers , n’imaginant pas
qu'il y eût un autre moyen d ’éclaircir les faits entre nous.
Ce moyen pourtant exisloit dans la rue du M ail, où demeuroit Chabauel lui-même , qui valoit encore mieux que ses écrits,
et (jui étoit beaucoup plus près de nous que Hambourg.
M. de Batz paroît s’attacher à un principe q u i, au fond , {est
fortbun : le teins bonifie toujours les affaires de certaines gens ;
car , comme dil le fabuliste, dans dix ans d’i c i, le r o i, l’âne ou
moi , nous serons morts ; en efFet, en usant le tems , un té
moins m eurt, un papier se perd , c’est autant de gagné : C habanel est mort un an après , alors M. de Batz a produit les
écrits de Chabanel.
M aintenant, voyons les pièces de M. de Batz: si on ne
peut plus les confronter avec celui qui les a écrites , peut-être
parleront-elles d’elles-tnêmes.
(i) M. de Batz a imprimé que je m’étois ergpressé de récuser M M . de Belbeuf
et de Cazalès (vo y ez son mémoire page i 3 . ) On ne ment pas m ieux que
cela : j’appris , neuf mois après le commencement de l’arbitrage, qui d ’ailleurs
n’éloit point convenu par éc rit, que M . de Belbeuf partoit pour la Norm an
d ie , M . de Cazalès pour le Languedoc, et M . de Batz pour la Gascogne j
voyant mon arbitrage arrangé de la sorte, je compris «juc M. de Batz aimoit
m ieux n’en pas finir; je remerciai les a rb itres, et j’écrivis h M . de B atz , que
puisqu’il ne vouloit pas terminer devant des arbitres , j allois l’attaquer ju d i
ciairem ent.
�8
Les arbitres les onl déclarées insuffisantes; cepourroit bien être
une flatterie. Voici l’acte de dépôt de Chabanel.
»
»
»
»
« J ’ai reçu de M. le président de Frondeville , sur autre reçu
de M . le baron de Batz , G?.5 louis en o r, pour garantie de
négociations dont me suis chargé pour le compte du déposant,
dont 10,000 liv. en ia 5 millions} et 5 ,ooo liv, en actions des
Indes ou d’ assurance.
» Nous sommes convenus que j’r.ltendrois de nouveaux ordres
» de M. le baron de Batz, et que si M. de Frondeville chnngeoit
» d’avis, je rendrois aussitôt le kinême dépôt eu mêmes espèces.
» Ce 3 i décembre 1789.
Signé , C habanf.l .
Cet acte est la première pièce qu’a produit M. de Batz ; il
est aussi le sujet de sa première erreur un peu grossière ; il
lui a fourni l’occasion de nier sa propre écriture , il 11e l’a pas
mauquée*: cette erreur est constatée par sou interrogatoire,
ainsi qu’il suit :
Interrogé « pourquoi , s’il est vrai , comme le dit le répon» d a n t, qu’il ait indiqué le citoyen Chabanel au citoyen de
« Frondeville , il u’a pas parlé de cet agent de change dans sa rc» comioissance ?
A répondu « que par l’cifet de sa délicatesse , il s’étoit
» rendu personnel le dépôt de i 5 ,ooo liv. ; mais que M .
» de Frondeville sait bien (pie ce fut à l’agent de change même ,
» et non pas à lu i,s ie u r de B atz,q u e lui sieur de Frondeville,
)> remit la som m e, et que d éfait elle n’a jumais passé dans
» les mains de lui répondant..............
On 11c peut pas nier pbis pertinemment sa signature ; -voici
les icrnici du billet de RI. de Batz.
�9
J e reconnois avoir reçu de M . de F ro n deville , la somme
de 15^000 liv.
C’est avec un tel billet signé J e sa m ain , que M. de Batz,
nie avoir reçu mon argent! (i)
Cependant voyons la manière dont il explique le fait clans
son mémoire : elle est piquante.
» Au lieu donc de remettre au sieur Chabanel , un simple
» mandai sur M. de Frondeville, je lui remis le billet.
» A vue du billet, M. de Frondeville remit i 5 ,ooo liv. à
» M. de Chabanel qui en donna sa reconnoissance particu» lière dans les termes suivans. »
Suit la copie de l’acte de dépôt que M. de Batz appelle ici
la reconnoissance particulière de Chabanel.
acte de de'pôt.
J ’ai reçu en dépôt de M. le président de Frondeville, sur autre
reçu de M. lè baron de Batz, six cent vingt-cinq louis en or , pour
garantie de négociations dont je me suis chargé pour le compte du
déposant, dont 10,000 liv. en ia 5 millions et 5 ooo liv. en actions
des Indes ou d’assurances ; nous sommes convenus que j’attendrai
de nouveaux ordres de M. de Batz , et si M. de Frondeville
changeoit d ’a v is , je rendrai aussitôt le même dépôt en mêmes
espèces. Paris, 5 i décembre 1787.
Signe’ ü . ClUBANF.L.
J e voudrais bien que M. de Batz m’explique à qui Chabanel
remit sa reconnoissance particulière : ce n’est pas à moi qui
(1) J ’ai du moins eu le plaisir d’entendre M . B e lla rd , arbitre nomme par
M . de IJalz qu’il ti’a pas cessé de de’ lendre avec la chaleur et le talent dont
il est capable , lui dire à une de nos conférences : « Tour celui-là , M . de
» lîatz , je ne le crois pas ; le coutrairc est évident. »
�lO
recevois de lui celle de M. Batz ; ce n’est pas à M. de B atz,
puisque je p aye, dit-il, à vue de son billet, ce qui prouve
qu’ il étoit absent. A qui donc ? je ne sais , car je ne vois
plus personne pour la recevoir : cependant elle est entre les
mains de M, de Batz; comment y est-elle venue ?
Voici une autre dilliculté : la reconnoissance de Chabanel
porte ces mots : «' Nous sommes convenus que j’attendrois de
» nouveaux ordres de M. le baron de Batz , et que si M. de
» Frondeville cbangeoit d’avis, je rendrais aussitôt le même
» dépôt en mêmes espèces. »
Quoi ! jetois là , en présence de Chabanel, et j’ai laissé
Cbabanel écrire qu’il attendrait les ordres de M. de Batz, et
non pas les m iens, lorsqu’il ne s’ agissoit de rien de plus que
de retirer mon argent, si je cbangeois d’avis!
Mais passons : la ruse a niai fait ici son service; aussi c’étoit
-trop exiger d’elle que de vouloir lui faire prouver que j’ai
remis mon argent à un tiers , en face de la signature de M.
de Batz , qui atteste que je le lui ai remis à lui-même.
Mais quel intérêt avoit M. de Batz , pour se charger de
l'ignominie de ce mensonge ? Le voici.
M. de Batz a voulu , à quelque prix que ce so it, établir un
point de contact direct entre moi et l’agent de change; et
comme il n’a trouvé nulle part la plus petite occasion de me
placer en rapport personnel avec Chabanel que je n’ai connu
de ma v ie ; il a saisi celle-ci qui est mauvaise à la v é rité ,
mais qui est l'unique , et qui résulte de ces mots de l’acte de
dépôt , f o i reçu de M . de Frondevillc , sur autre reçu de
1\I.
de Batz. J e ne me charge point d’expliquer ce français ;
l’acte qui le contient se trouve entre les mains de M. de Batz;
il l’a fait faire par un tiers que je n’ai jamais vu ; c’est à lui de le
faire comprendre s’il le peut.
�11
L ’intérôt de M. de Batz à accréditer son mensonge , se déve
loppera à mesure de la discussion des pièces.
On. verra par.elles que M. de Batz s’est entièrement et exclu
sivement investi de ma propriété ; que c’est lui qui dépose ,
fait acheter, fait vendre , se fait rendre compte ; à la vérité on
verra mon nom partout , mais on ne me verra nulle part et
pas une seule fois agissant activement et en personne. Envoyant
tous ces actes, on jureroit que j’étois à ceut lieues de P aris;
cependant j’étois à côté de M . Batz; je le voyois tous les jours
tleux et trois fois , et pendant qu’il faisoit aiusi mes affaires ,
il ne me parloit que des affaires des autres ; il m’avoit donné ,
dit-il, un agent de change; mais il n’a pas plus existé pour
moi que s’il fut resté dans les espaces , car je n’ai jamais vu
son visage , et n’ai jamais connu son écriture. M. de Batz a
fait une spéculation pour moi , qui a duré depuis le 5 lévrier,
dit-il , jusqu’au 27 m ars; mon argent s’est écoulé goutte à goutte
pendant ces cinquante-deux jours , et M. (le Batz n'a pas imaginé
de me demander si je ne serais pas hieu aise d’arrêter ma perte,
ou de (aire quelque revirement pour la diminuer.
J e sais bien que M. de Batz me répond en peu de mots,
que tout étoit convenu avec m oi; mais je lui réponds par ses
propres pièces, qui prouvent que je n’ai jamais été qu’en nom , et
que partout il a été en personne. J e fais plus , je défie deM . Batz de
prouver, par le plus léger indice , que j aie jamais connu Chabanel
qu’ il appelle mon agent de change, et la spéculation qu’il appelle la
mienne.
M. de Balz a senti la force de ces circonstances , et dans le
danger, il a invoqué le mensonge.
lin effet, le sien remédioit à tout ; car si M. de Batz prouve que
j’ai vu l’age tilde change un moment., mes rapports avec lui sont
établis , et touL est expliqué.
�Mais je défie là-dessus M. de Batz , et il reste clans la positron
embarrassante de faire trouver légitime qu’il ait perdu 111011 argent
par le ministère d’un Innume (¡ne je n’ai jamais vu , et dans une
spéculation que je n’ai jamais connue.
M. de Ba.z n’ayant à me donner pour l’acquit de son billet que
le triste récit d’ une plus triste spéculation , a fait avec m o i , comme
font les gens q u i, de peur d'étre grondés , commencent par gronder
eux-mêmes ; il m’a dit que j’étois un obstiné ; que malgré lui j’avois
persisté dans le mauvais sens ; qu’enfin je l’avois forcé de me
rendre le service de perdre mon argent ; je crois même qu’il m’a
dit quelque part que je n'avois que ce que je meritois ( i ).
N ’es t-il pas drôle qu’en me mettant de mon plein gré sous la
direction de M. de Batz, j’aye débuté par diriger mon directeur ;
mais ce qui est plus drôle encore , c'est la bonhomie avec laquelle
il s’est laissé faire, et l’obligeance avec laquelle il a pris mou
argent ; cela sans doute annonce une grande facilité dans le com
merce de la vie j mais cependant M. de Batz ne pouvoit-il pas
imaginer quelque chose de mieux encore à faire là-dessus ? par
exemple , de ne pas prendre mes i 5 ,ooo liv. 7 il me semble que
c'est ce que j’aurois fait à sa place , si j’avois été persuadé comme
lui du mauvais sens de mon ami.
M. de Batz en a pensé autrement, il a vu de l’argent à prendre
et il l’a pris ; il a lait plus , du moins il le dit ;
11 prétend l’avoir été déposer le même jour chez l’agent de
change Chabauel.
(i) Voici les paroles de M. de Batz , page première et deuxième de son mé
moire : J ’avois tout fa it pour le détourner de cette dernière spéculation , et la
perte qu'il fît fu t le résultat, dç sa persévérance à rejeter mes conseils
M . B atz , dit page 3 : Lorsque M . de Frondeyille s’obtinoit à spéculer dans le
mauvais sens.
�J e me perds et ne vois plus que confusion : ici je vois M. de
Batz qui fait tous ses efforts pour nie détourner de mon projet
de spéculation , et qui m’assiste de ses conseils à ce sujet ; là je vois
M. de Batz qui , non content de prendre l’argent que je destinois ,
d it-il, à cette spéculation , s’empresse d’aller , le jour même où il
le re ç o it, le déposer chez un agent de change , et lui faire faire
ainsi le premier pas dans la route des spéculations. Tour ne
pas avoir trop d’idées à analyser à la fois , je m’arrête en ce
moment à celles-ci.
Pour agir aussi directement dans le même jour contre son
coeur, qui lui faisoit prendre en pitié mon obstination à ma
ruine , et contre sa pensée qui la lui faisoit v o ir , il a fallu à
M. de Batz de puissans motifs.
J e l’entends attester son b ille t, invoquer la religion de la fui
prom ise, et me demander si sa conscienee pouvoit différer le
dépôt au lendemain.
A cela je réponds oui : le billet a bien été fait pour lier au
besoin mon argent dans les liens d’une spéculation ; mais il
n’a voit pas tout prévu; et par exemple , il ne dit pas que le
dépôt auroit pour objet une opération de bourse; il ne dit pas
que le dépôt seroit fait entre les mains de Chabanel ni d’aucun
agent de change; ma lettre* qu’on verra bientôt, et que j’enlends
"M. de Batz appeler à grands cris à son secours, ne le dit pas
d’avantage.
Elle ne dit, pas plus que le b ille t, à quelle époque le dépôt
doit être fait ; en lin , le billet ne dit pas plus qu’elle, que le dépôt
doive être fait plu tôt dans les mains d’un tiers que dans celles
de M. de Bafz : au contraire, l’obligation exprimée dans le b ille t,
de nie représenter le dépôt; à ma .réquisition et à toutes heures ,
et celle de me répondre de la somme, annoncent que le dépôt
�¿levoit plutôt rester dans les mains de M. de Batz que passer dans
celles d'un tiers.
O u i, M. de Batz , avec un tel billet , cl votre conviction que j e
'volois à ma ruine , votre conscience pouvoit attendre au len
demain.
Mais , j’en conviens , votre intérêt ne le pouvoit pas aussi bien;
dès que vous m’avez vu vous demander mon argent , il vous a fallu
un plan de défense ; et pour établir une spéculation , il vous falloit
un acte de dépôt. Vous l’avez fuit faire ( i) , niais vous l’avez mal
adroitement fait dater du même jour où vous m’avez remis votre
billet, et c’est cette ponctualité m<Ve qui vous accuse. Mais pour
suivons.
M. de Batz après avoir pris mon argent le 3o décembre , à son
corps défendant , après l’avoir remis le mômç jo u r, contre son
opinion , à un agent de change, M. de Batz ce même jour encore,
fait les dispositions de son emploi; il désigne les offets publics sur
lesquels il doit être employé , et détermine la somme qu’il destine
6ur chacun d’eux ; à dire v r a i, je ne vois pas pourquoi cet em
pressement à disposer ainsi de mes fonds , car pour le coup le
billet ne parle pas de cela.
Voilà encore un excès de zèle à engager mes fonds dans les
griffes de l’agiotage , qui se trouve bien peu en harmonie avec
la répugnance que son amitié et sa prévoyance lui faisoient éprou
ver contre mon entêtement à spéculer (i).
( i ) Je déclare que je n'entends point inculper l'agent de change, qui ( si
les actes sont de l u i ) , a pu les faire tics-iiinocennncnt, comme je pou» rois
l'expliquer s'il cil étoit besoin.
( i j J/acte de dépôt porte ces mots : îS.ooo /jV. pour garantie de négntia-
fianç dont je me iu .s chargé pour le compte du déposant, dont «0,000 /jV.
�L ’amitié tic M. Batz a dû bien souffrir le 01 décembre 1780.
Que de sacrifices elle a vu faire ce jo u r - là à mon obstination!
D’abord elle a vu M. de Batz prendre mon argent ; ensuite elle l’a
vu le déposer chez Chnbanel, et , pour qu’il n'y manque rien ,
elle a vu M. de Batz déterminer exactement , et mot à m ot,
commeut mes i 5 ,000liv. seraient perclus trois mois après ; ca r,
et c’est ce qui a dû lui faire plus de mal, M. de Batz savoit que mon
argent serait perdu. J ’avois tout fa it pour l ’en détourner , et la
perte qu’ il fit fu t le résultat unique de sa persévérance à re
je te r tues conseils. Ces paroles sont de M. de Batz ( pages i ere. et
2 e. de sou mémoire ).
A la vérité, si l’amitié de M. de Batz avoit refusé mon argent,
plus de tribulations : cette idée me revient toujours ; mais vous
verrez que RI. de Batz la trouvera absurde.
J e vais examiner l’acte de dépôt sous un dernier point de vue :
est-il vraisemblable qu’il ait été fait pour garantie d’une mince
spéculation de i 5 ,ooo liv. ? Etoil-il nécessaire qu'il fût fait?.
Il faut se reporter aux tems où nous étions alors, lié avec
M. de Batz par des rapports politiques q u i, en tems de révolu
tion , doublent l’inlifailc des liaisons ; lié encore avec lui par
les rapports de société , est—il croyable que RI. de Batz eût exigé
«le moi le dépôt d’une somme aussi modique que celle de
1 5,ooo liv ,, en comparaison de mes moyens d’alors, pour ga
rantie d’ une spéculation que je l’aurois prié de diriger pour
en iî! j millions et 5ooo liv. en actions des Indes ou d ’assurances. Dans
la copie imprimée que M . de Batz donne de l’aclc du d é p ô t, il a supprimé
ce que je viens de copier , encore bien que cela se trouve au milieu de l’acte*
l ’ our tronquer ainsi pateinmcnt scs propres p ièces, il faut avoir de bonne»
raisons. Jo découvre bien encore dans ce procédé une ruse de M . de B a tz ;
mais je u’ai pus le tenu de les dire toutes.
�moi ? les procédés usités parmi les gens du monde , repoussent
l’idée de celle injurieuse précaution.
Mais en supposant à M. de Batz une aussi chétive manière
d’a g ir , et à moi la sottise de la souffrir ; M. de Batz avoit
toutes scs sûretés, puisqu’il avoit mon argent dans les mains ;
il n’avoit donc pas besoin de le déposer dans celles d’un agent
de change; car il 11e prétendra pas sans doute que lu i, M. de
Batz , un des plus renommés spéculateurs de P a ris, lui qui nous
annonce que l’agent de change Chabanel étoit un de ceux qu’il
honoroit de sa confiance dans les négociations qu’il faisoit pour
le trésor royal ( 1 ) , il ne prétendra p as, dis-je, que cet agent
de change a exigé de lui la mince somme de i5,ooo liv. pour
garantie d’une spéculation que M. de Batz lui faisoit l’honneur
de lui commander.
Le moyen donc d’expliquer pourquoi il se trouve un acte de
dépôt, pour garantie, fait par C habanel, dans une aussi médiocre
affaire ordonnée par M. de B a tz , dont la pratique seule auroit
suffi pour accréditer un agenl\le change. Qu’on juge si Chabanel,
employé habituellement par lui dans des reviremens de millions ,
en a exigé un dépôt de 1 5 ,000 liv. pour garantie.
L ’acte de dépôt est , sous quelque point de vue qu’on l’euvi-,
sage, invraisemblable à la date qu’il porte.
A une date plus reculée , c’est-à-dire , après que j’ai eu demandé
mon argent, il se conçoit; il est vraisemblable; il est môme
nécessaire : car sans lui les autres pièces qui prouvent une spé
culation , perdroient beaucoup de leur prix.
J ’ai encore une idée sur cet acte de dépôt , qui me tour
mente : comment se fait-il qu’il se trouve entre les mains de
(1) Mémoire de M . de Batz , ( page 5 . )
�l7
M. de Batz? La spéculation est finie; la somme est absorbée, et.
pourtant M. de Balz conserve le titre qui rend Chabanel comp
table de l.i somme. M. de Batz est-il resté , pour cet objet qui
n’étoit pas liquidé avec m oi, en compte courant avec lui ? Non ,
car M. de Batz m’a fait signifier q u e , le 5 juiu 1790 , il
avoit arrêté tous ses comptes avec C habanel, et il est dit dans
ce com pte,'que Chabanel a remisses pièces de comptabilité à
M. de Batz. Comment se fait-il que Chabanel remette ses pièces
<le comptabilité à M. de Batz, et qu’en meme-tems M. de Balz
conserve des pièces qui rendent Chabanel comptable envers lui i
Pour voir clair dans ces obscurités, il faudroit la lorgnette de
M , de Batz.
Pour me résumer sur l’acte de dépôt ; le projet mal déguisé
de M. de B alz, d’établir un point de contact direct entre moi
et l'agent de change que je n’ai jamais connu ; sa dénégation
d’avoir reçu mon argent , hasardée afin d’atteindre ce but; son
affectation de plaindre mon obstination à mal spéculer, et son
empressement à m’enchaîner dans une spéculation ; l’invraisem
blance, je pourrois dire l’impossibilité d’un dépôt pour garan
tie , de la part de M. de Batz, vis-à-vis de son propre agent de
change; enfin, l’existence singulière de l’acte de dépôt dans
ses m ains, après la clôture de scs comptes avec l’agent de
change; ces faits et ces circonstances forment un corps de
preuves qui portent jusqu’à l’évidence, (¡ne l’acte de dépôt a été
fait pour la circonstance, et pour faire croire à l’existence d’une
Spéculation qui n’a jamais eu de réalité pour mon compte.
Cependant, j'arrive à ma lettre du 5 février 17 9 0 , et à mon
interrogatoire. Voici ma lettre :
« V oire billet m’arrive , mou cher baron , dans le moment
» où je sors pour affaires; je ne puis aller chez vous et n’y
» suis pas nécessaire , puisque vous voulez bien vous charger de
�ï8
»
»
»
»
»
tout diriger; je suis plus décidé que jamais et je ne rois
plus que vous d’hcsitant sur le sort des effets de la bourse.
J ’espérois que votre homme aurait commencé hier ; il y a
plus d’un mois que le dépôt n’est absolument bon à rien. Ne
différez donc plus d'agir , mon cher ami. »
Ce 5 février.
Voici mon interrogatoire , ou du moins la portion de mon
interrogatoire, qui est en contradiction avec ma lettre.
»
»
»
»
« Interrogé s’il n’est pas vrai qu’à la lin de la même année
( 178g ) , lui répondant eut le désir de spéculer de nouveau sur
les fonds publics ; d’employer à cette spéculation une somme
de 1 5,ooo liv. ; si à cette occasion il u’a point consulté le sieur
de Balz et ne lui a point écrit ;
» A répondu qu’il affirme positivement que le sieur de Batz n’a
» jamais fait une spéculation pour lui répondant; il l’affirm e,
» parce qu’il ne peut pas craindre que sa mémoire le serve mal
» après seize ans sur cet objet ( 1 ) , puisque le titre fait et souscrit
n par M. de Iîatz, sa conduite , ses allégués et ses écrits au procès,
w portenteette vérité jusqu’à l ’évidence; le titre porte qu’il répond
» de la somme , sans réserve et sans exception d’aucun cas.
» 11 est évident que dans le cas de la soi-disante spéculation
n alléguée parM . de Balz, tous les profits auraient été pour lui ; car
» dès qu’il a répondu de la somme, il aurait dit à lui répondant;
»> vous n’avez aucune part dans les profits , puisque vous n’avez
3) coUru aucuns risques ; comment se fait-il donc que le sieur de
(1) Dan» la .copie de mon interrogatoire imprimée par M . de Batz , il arrête
ici ma réponse; ce qui fail qu il en dissimule la portion qui explique le
m otif de mon affirmation. M . de B alz est fidèle & ses habitudes; l a r u ie ;
toujours la xusc.
�19 •
» Batz prétende aujourd’hui que IuLrépondant a donné son argent
» pour courir risque de le perdre , sans avoir la chance de
» gagner ? »
Le raisonnement puisé dans le billet même de M, de Batz , et
que je donne pour motif de mon affirmation, est d’une justesse
palpable; mais j e ne m’y arrête poin t, e t je. conviens qu’il y a
contradiction réelle entre ma lettre du 5 février 1790 , et mou
interrogatoire du 3o novembre i 8o 5.
Cette contradiction est-elle volontaire? c’est sur quoi je demande
qu’on me juge avec rigueur.
II existe deux faits que M. de Batz lui-même ne contestera pas.
Yoici le premier :
,
Devant MM. de Bclbenf et de Cazalès, nos premiers arbitres ,
M. de Batz m’annonça qu’il a voit des lettres de m o i, qui fa ¡soient
partie de ses papiers qu’ il avoit envoyés à H am bourg, dans le
tems de la terreur, lesquelles lui fourniroient des preuves de ce
que je lui coritestois ; et je lui contcstois ce que je lui ai toujours
contesté , savoir t qu’il ait fait nne spéculation pour moi ; et malgré
ma lettre, j’afiirmerois encore , sans craindre de me d am u er,
qu’il 11’en a jamais fait. Il y en a> bien une écrite qu’il a mise
sous mon nom, ce qui lui donne un prétexte pour retenir mon
argent ; mais je soutiens qu’il a opéré pour lui , et que mon argent
n’est jamais sorti de ses mains ; j’espère le lui démoutrer bientôt,
à-peu-près mathématiquement.
M. de Batz demanda du tems pour faire venir ces lettres ; je lu i
proposai trois mois ; il consentit. J e sus donc à cette époque, c’est- ,
à-dire trois ans avant mon interrogatoire , que M. de Batz annon
çait des lettres de moi ( 1 ) ; et si je l’avois oublié, mon iuterroga(1) Voici ce que dit M. de Batz dans son mémoire "• « M . de Frondevillc
�*
30
toire me l'auroit rappelé , car M. de Balz m’a fait faire l’intorrogat
suivant : « Si à l’occasion (le la spéculation de i 5 ,ooo liv ., le
» sieur de Frondeville u a pas consulté le sieur de Batz, et ne lui a
» pas écrit ? »
Voici le second fait. A la fin de niai i 8 o5 , le procès actuel,
jugé en dernier ressort par les arbitres , fut plaidé et jugé
en première instance au tribunal civil : M. Tripier plaidant
pour M. de Batz , donna lecture à l’audience, de l’acte de
dépôt et de la lctlre de Chabanel ; il me les communiqua; je les-lus et en pris note r j’avois donc pleine connoissance de ces pièces
quand j’ai été interrogé.
J e viens d’établir par deux faits positifs , qu’avant d’être inter
rogé , je savois tout ce qu’il falloit pour ne pas répondre comme
je l’ai la it , si je n’avois pas cru dire la vérité : je savois que M. de
Batz faisoit venir de Hambourg des lettres de moi pour me les
opposer , et j’avois lu les pièces de l’agent de change , qui disent
que M. de Batz a dirigé une spéculation pour moi.
M aintenant, je me renferme dans ce dilème : ou j’ai voulu
en imposer pour m’exposer volontairement à la mésestime et à la
ccnsure publique, ou j’ai dit ce que je croyois fermement être
la vérité.
J e dis que le positif de mes réponses annonce leur since-
» me demanda avec une inquiétude mal de'guise'e, ce que c’étoit que des pas piers et des lettres de lui sur cette même a ffa ire , et qu’on diîoit que
» j ’avois dans mes mains.
» Ce que vous me demandez n’est pas dans mes mains , lui ripondis-je ;
» mais dans un dépôt de mes papiers actuellement entre les mains de M . de
» J . , îi H am b o u rg, et je vais les faire ven ir» . C etoit donc d e là bouch«
même de M . de Batz que je savois qu’il avoit des lettres de moi.
�rite , car elles pouvoicnt être évasives , elles dévoient même
l’ê tre , vu la connoissance que j’avois des pièces annoncées et
des pièces connues; mais ma conviction éloit si entière, que
j’ai méprisé le secours de l’évasion. Nier un fait qui existe , quand
on croit sincèrement qu’il n’existe p a s , c'est dire le contraire
de ce qui est, mais c’est dire la vérité par rapport à soi.
Mon interrogatoire contredit ma lettre, mais il n'a pas con
tredit ma pensée, et à présent même que je lis cette lettre , je ne
me souviens ni du m otif, ni de la circonstance qui me l’a
fait écrire : au reste , je ne m’en étonne p o in t, car il me semble
très-aisé de concevoir que j’aye entièrement oublié , le 5 o
novembre i 8o5 , ce qui s’est passé dans mon e sp rit, le 5 février
17 9 0 , au sujet d’une spéculation de bourse que je n’ai n’y com
binée ni su iv ie , dans la confidence de laquelle on ne m’a
jamais m is, quoique je fusse chaque jour à côté de M. de Batz,
qui prétend Tavoir dirigée , dont l’agent ne m’a jamais él6
connu, quoiqu’on me dise aujourd’hui qu’il étoit le mien j
d'une spéculation enfin qui a duré depuis le 5 février jusqu’au
27 mars , dans laquelle mon argent s’est écoulé chaque jour
goutte à goutte sans qu’on m’ait consulté, sans qu’on m’en ait
dit un m o t, sans que je m’en sois douté.
J e mets mon honneur , ma réputation , enfin tout ce qu’il y a
de plus cher au monde à un galant homme , à la discrétion de
M. de Batz, et l’on voit par son mémoire que c’est proposer de
les mettre en mauvaise mains , s’il peut fournir une adminiculc
de preuve que j’aye eu la moindre connoissance de la spéculation
qu’il dit avoir faite en conséquence de ma lettre , et si j'ai jamais
connu directement ou indirectement ragent dé change qu’il dit
aujourd’hui avoir été le mien.
Cependant, si ces faits sont v ra is,s’étonnera-t-on qu’ une opéra
�tion qui n’a jamais existé pour moi , n’ait laissé , après seize a n s ,
aucunes traces dans mon esprit ?
J e «rois bien que ma lettre en annonce le désir ; mais les désirs
sonl l’opération la plus transitoire de l’ame, et pour qu’ils prennent
place dans la mémoire , il faut du moins qu’ ils soient suivis de
de quelqu’accomplissement, et jamais celui-là u’a été accompli
pour moi.
Mais on me dira que si je n’ai pas connu l’opération qui a
eu lieu depuis le 5 février jusqu’au 27 mars ( 1 ) , la correspon
dance de ma lettre et du billet, qui parlent l’un ét l’autre d’un
dépôt, annonce que j’étois convenu précédemment de quelque
chose avec M. de Batz : la conséquence est juste ; ét quoique
je sois convaincu de n’avoir jamais (ait avec lui aucune conven
tion qui l’autorisât à spéculer pour m oi, je conviendrais que ma
lettre condamne 111011 souvenir ; mais il m’est impossible de faire
aucune concession sur cet objet, parce qu’il est démontré pour
moi qu'il y a eu machination dans l’acte de dépôt;
Or, dès qu’il est prouvé qu’il y a eu machination dans cet
acte , dont l’ unique objet est de donner de la réalité au projet de
spéculation , par cela môme il est prouvé que ce projet n’exisloit pas; c a r , pourquoi M. de B;itz auroit-i! eu besoin de cons
tater à mon insu un fait dont j’aurois été d’accord V J e ne puis
concevoir cela ; il m’est impossible de mettre ces deux idées en
harm onie, que réellement je voulois spéculer le 5 i décem
bre , et que M. de Batz ait été obligé de machiner un acte dató
de ce jo u r, pour constater que j’avois voulu spéculer et enta
it) On verra bientôt par la discusión d'nnc pièce produite par M . de I3a tz,
q u ’ il prétend avoir comnirucé le 5 février , la soi - disante opération 'en con
séquence de nia lettre , cl qu’il prétend l’avoir finie
le 37 m ars, en consé
quence de la fin de l’argent qui fut perdu en entier à cette époque.
�«
23
mer une spéculation, que'j’aurois été en effet impatient d'en
tamer.
La machination établie, et je crois qu’elle ne sera douteuse
pour personne : je ne puis plus comprendre ma lettre ; elle ne
prouve plus rien pour moi.
J ’ajoute à cela que l’examen des autres pièces et leur dis
cussion vient corroborer ces pensées ; c a r , elles établissent si
clairement le plan d’une spoliation m éditée , qu’il faudroit être
aveugle pour ne pas le voir.
J e ne pousserai pas plus loin l’examen des expressions de
ma lettre; je me borne à dire que la fraude étant certaine.
D’après les circonstances de l’acte de d épôt, ma lettre reste sans
objet et sans signification.
Pour terminer sur mon interrogatoire , je dirai qu’il est évi
dent que tous les actes produits par M. de Batz , sont disposés
de manière à faire croire à une spéculation ; mais la plupart
de ces actes dépendoient de lu i, puisqu’ils sont faits entre
lui et uu tiers que je n’ai jamais connu ; mon billet même a
dépendu de lui seul ; car n’ayant aucune intention de prendre
des sûretés , j’aurois pris sans les lire tous les billets qu’il
m’auroit donnés.
Aussi a-t-il usé de cette liberté ; car à voir l’entortillement du
sien , on juge tout de suite de l’intention de M. de Bat/. : il a
•voulu n’en pas trop d ire , de peur que si la fantaisie me prenoit
d’exominer , je ne visse qu’il s’agissoit d’une spéculation , et
pourtant en dire assez , pour qu’il la signifie au besoin.
Ma lettre seule a
voit, fort à la hâte :
M . de Batz m’avoit
quelques expressions
dépendu de moi ; je l’ai écrite , comme on
étoit-elle le résultat d’une disposition que
inspirée la veille i étoit-elle la répétition de
de sa lettre à laquelle je répondois ?
�C’est souvent ce qui arrive quand on est pressé. Pour avoir
plutôt fa it , pour avoir l’air de répondre pertinem m ent, on se
sert de l’expression qu’on voit dans la lettre qu'ou a sous les
y e u x ; mais au fa it, je n’en sais rien; ce que l’on voit claire
m ent, c’est que ma lettre a été provoquée par une lettre de
M. de Batz ; ce qui est certain aussi , c’cst que pendant trois
mois qu’a duré cette affaire , M. de Batz a été en correspon
dance avec l’agent de change et avec m oi, puisqu’il produit des
lettres de chacun de nous; et pourtant il ne peut justifier par
quoi que ce soit, au-delà de ma lettre, que j’aye eu la moindre
connoissance de cette spéculation que j’ai faite cependant, ditil , avec une ardeur et un intérêt remarquables , puisque je
me suis obstiné jusqu’au bout, à vouloir ce qu’il ne vouloit
p as, et que j’ai donné un exemple d'entêtement qui n’est pas
commun , celui de choisir un guide et de vouloir le guider.
Cependant, s’il est très-vraisemblable que le 5 février est le
seul jour où j’ai parlé et entendu parler de ma spéculation,
et s’il est constant que je n’ai jamais su qu’elle avoit lieu , on
ne peut s’étonner qu’après seize ans un désir aussi éphémère
ait été effacé de mon esprit.
A u reste, je me réfère à ce raisonnement qui me paroît
porter la conviction avec lui : mes lettres m’étoient annoncées
par M. de B alz; je connoissois les pièces de C habauel, qui
constatent une spéculation; il m’étoit donc bien facile de mo
difier mes réponses et de les rendre propres à tout événement ;
je ne l’ai pas fait. L’hommç qui néglige son bouclier en pré
sence de l’ennemi , ne passera jamais pour un lâche..
Ici , l’affaire a changé de face; M. de Batz ayant produit ma
lettre , et m’ayant mis par-là en contradiction avec mon interroçatoire, il a cru que je me retircrois heureux qu’il ne publiât pas
�55
ma honte ; il me l’a écrit en toutes lettres : il s'est trompé ; cette
circonstance a doublé mon ardeur à le poursuivre ; mais au lieu de
lui demander mes i 5 ,ooo I. , en conséquence de son billet, je lui ai
demandé compte de la spéculation dans laquelle il prétend m’avoir
rendu le service de perdre à bon droit mon argent.
I c i , ma lettre va jouer un rôle tout différent; M. de Batz me l’a
opposée ; je vais l’opposer à M. de Balz.
M. de Batz dit (page 6 de son mémoire ) , qu’en conséquence de
ma lettre , il donna des ordres à Chabanel : c’est donc dans ma
lettre que I\I. de Batz a trouvé mes intentions et la raison des
ordres qu’il a donnés à l’agent de change.
Voyons comment M. de Batz a exécuté mes intentions. 11 a donné
ordre d’acheter des effets publics pour mon compte ; par consé
quent , M. de Batz m’a fait spéculer à la hausse des effets.
J ’avoue que cel te manière de me diriger m’a confondu ; car en
me rappelant ma situation politique dans l’assemblée , mes opinions
que je retrouve dans les gazettes, enfin toute la composition de
mes idées de 179 0 , il m’est impossible de me reconnoltre spéculant
sur la prospérité des effets publics; et pourtant M. de Batz me
condamne impérieusement à cette dure obligation , car il m’assure
que j’étois , dans ce sens , d’une obstinai ion qui le désoloit.
Cependant , recourons à quelques indices ; voyons ce que
dit ma lettre , et ce qu’indique le cours des effets publics.
Le cours des effets publics coté dans les journaux , atteste
qu’ils n’ont pas cessé de baisser depuis le commencement de
l’assemblée, jusqu’au 27 m ars, époque à laquelle M. de Balz a
terminé mon opération , et (pie depuis cette époque ils o»t égale
ment baissé.
Maintenant , voyons ma lettre ; elle dit : I l y a plus d’ un mois
4
�que le dépôt n'est bon à rien. Si ma lettre signifie quelque chose ,
et si je parle ici du dépôt de mon argent, il est clair que ma volonté
étoit de jouera la baisse; car pendant ce mois d’inutilité dont je
me plains , les eflels avoient tellement baissé , que le dépôt
employé comme M. de Batz l’a fait le jour même de ma lettre ,
c’est-à-dire à la hausse , auroit été entièrement perdu et fort audelà. A moins que M. de Batz ne prétende que je me plaignois
de ne pas avoir déjà perdu mon argent, il (luit qu’il convienne que
nia lettre dit clairement que je voulois jouer à la baisse.
Cependant c’est dans ces circonstances , et autorisé , d it-il, par
cette lettre, que M. de Batz m’a fait spéculateur à la hausse : c’est
ainsi que mon ami a dirigé mon agent de change dans ma spé
culation.
B.
Frondcville.
5 février.
Nous allons voir à présent la plus curieuse des pièces de M. de
Batz : en voici la copie figurée :
B» Note générale (1).
I.
C.
Achats et
marchés (troncs
payables fin mais
prochain Gie.
» 11 est convenu avec M. Chabauel qu’aujourd’hui 5 février
» 1 790 , il achètera.
B.
« i°. Les 2/jo billets de m 5 millions , qui lui sont offerts à 10
» pour cent perte lin de mars ; 20. les 5 o actions des Indes , qu’il
j) croit avoir pour la môme époque, à io 3oliv.
I.
» Que le tout demeurera entre nous; qucM .de Frondcville sera
(1) Comme ccttc pièce est composée de trois ccritu rcs, savoir : d’ une
periture inconnue,
de l’écriture de M . de B a tz , et de celle de d ia b a tic i,
j ’ indiquerai par la lettre I , l’écriture inconnue, par la lettre B , récriture de
M. de B a tz , et par la lettre C , l ’écriture de Chabauel.
�27
» connu (le nom seulem ent, et que M. Chabancl sera seul en
» nom vu la garantie.
I.
» En cas de bénéfice , Chabanel ne revendra pas sans ordre ;
» en cas de perte approchant de i 5 ,ooo liv. il pourra vendre sans
» ordre , à moins de surcroît de garantie.
J e n’ai jamais pu obtenir de M . de Batz la communication de
cette pièce par la voiedu greffe, quoique jel’enaye sommé plusieurs
fois : il ne m’a permis de la voir que devant les arbitres où. il me
l’a mise sous la gorge ; ne l’ayant jamais vue , il m’a pris au
dépourvu , et je n’ai à peu - près su qu’y répondre ; au reste
M. de Batz avoit traité sou défenseur et son avoué avec la môme
réserve , car les arbitres ont pris la peine de constater que
M. Tripier et M. Elouiu n’avoient jamais vu la pièce à cette
époque ;
M. de Batz a produit cette pièce pour prouver qu’en consé
quence de ma lettre du 5 février , il avoit donné des ordres à
Chabancl , et qu’en conséquence des conventions faites dans
cette pièce avec Chabanel , il avoit donné ordre de terminer
l’opération le 27 mars , parce qu’à cette époque les i 5 }ooo liv.
étaient perdues ; M. de Batz ajoutait à cela une lettre de Chabanel ,
du 27 mars (1 ) , qui d it , en effet, que mon opération est terminée
(1) Voici cette lettre adressée à M. de Batz : # M . j ’ai fini d’après vos
» ordres et heureusement avant la bourse ; votre ami n’a au-delà des if»,ooo
» liv. rpie 47 liv. eu tout de perte , cpic je remets volontiers sur mon droit ;
» je regrette seulement qu’il se soit obstiné dans le mauvais sens.
» Tous les jo u rs, comme vous le désirez } je serai à ses ordres pour tous
» détails qu’il souhaitera.
» J ’ai l ' ho n n e u r , etc.
S ign e,
C ha b an e l .
» P a r is , 37 mars 1790.
» lin me donnant son jour et h eu re, M . de l'rondcville voudra bien nie
« prévenir la veille. »
C.
convenu D. C.
�I
38
et mon argent perdu ; il me renvoyoit , d’ailleurs , aux papiers
publics du teins , pour vérifier le cours des effets , et m’assurer de
l’exactitude de ses calculs , si j’en ëtois curieux ; c’est ainsi que
M. de Batz me donnoit mou compte.
Mais je ne l’acceptai point , et devant les arbitres , j’attaquai la
p ièce; je soutins qu’elle portoit les caractères d’une machination
préparée pour la circonstance.
J e soutins d’abord que le second émargement qui s’exprime au
pluriel en ces termes : achats et marchés ferm es, et la signature
abrégée de l’agent de change , et apposée eh marge de l’acte , fai
saient voir que c’étoient des papiers préparés d’avance par C habancl pour la plus prompte expédition des affaires de bourse ; qu’il
les donnoit en cet état à ses cliens pour les remplir des ordres
qu’ils vouloient lui donner; que M. de Batz, en sa qualité de
client de C habanel, en avoit à sa disposition, et qu’il avoit rempli
et fait remplir un de ces papiers de ce qu’il avoit' cru propre à me
convaincre d’une opération pour mon compte :
La différence des encres (i) étant visib le, elle ne fut point
contestée , et me fournit le raisonnement qui va suivre.
demandai à M. de Batz si la pièce composée de l’écriture de
trois personnes, avoit été écrite par chacune d’elles dans le même
lieu ou séparément ?
Je
M. de Batz répondit qu’il ne s’en souvenoit pas :
Je soutins alors que la pièce n’avoit pas été signée dans le même
lie il , parce qu’à moins de supposer deux sortes d’encres dans le
même bureau , et deux personnes trempant leur plume dans
( i) L Y crilu rc de l'inconnu qui a écrit le corps de l’acte est d’ une encic pâle
et vieillie ; l’écrilure de M . de Batz est d’une cncrc vive comme si elle sortoit
du coruct.
�29
deux cornets différons pour écrire un même acte , il falloit
tenir pour certain que l’acte avoit été é c rit, M. de Batz dans une
maison et Chabanel dans une autre.
Ce fait étant posé , et je puis dire convenu , j’en tirai la consé
quence que l’acte n’a pas pu être fait le 5 février, et qu'il porte
certainement une date fausse. J e le p rouvai, ainsi qu’il suit.
M. de Batz dit que c’est en conséquence de ma lettre du 5 fé
vrier , qu’il a donné ordre à Chabanel d’acheter le même jour des
effets pour moi.
Cet ordre écrit dans la pièce que je discute , contient plusieurs
conditions dont il a fallu convenir.
Etant demeuré constant que l’acte n’a pu avoir lieu qu’entre
M. de Batz et Chabanel séparés, il a fallu que les conditions ayent
été proposées et convenues par la voie de la correspondance ; par
exem ple, l’acte porte que les 240 billets des 1 25 militons sont'
offerts à 10 pour 100 perte ; pour que M. de Batz l’ait su, il a fallu
que Chabanel le lui écrive ; il en est de môme des autres conditions.
Maintenant, pour savoir si l’acte a pu ctre fait le 5 février, il
faut savoir tout ce qu’il y a eu h faire pour cela avant midi , car la
bourse commençoit à cette heure avant la révolution.
11 a fallu d’abord que M . de Batz m’écrivit, et que je lui
répondisse ; M. de Batz et m oi, nous étions gens du monde , et la
correspondance entre nous ne pouvoit guères être matinale ;
d’ailleurs , ina lettre porte que j e sortois déjà pour affaires :
j ’étois habillé , l’heure étoit donc avancée; il a fallu qu’après la
lecture de ma lettre , M. de Batz écrivît à Chabanel ; il a fallu
que Chabanel répondit et mandât à M. de Batz qu’on lui offrait
240 billets des 125 millions à 1 o pour 100 , perte, et qu 'il croyoit
pouvoir acheter 5 o actions des Indes à 1020 liv. 11 a fallu que
M. de Batz répondit que cela lui couvenoit, et qù’il ordonnât
�3o
d’écrire la convention , et de la lui envoyer pour la remplir de la
portion de son écriture qu’elle contient; il a fallu que M. de Batz ,
après avoir fait sa portion d’écrilure, renvoyât l’acte à Chabanel
pour le signer; il a fallu enfin que Chabanel renvoyât l’acte à
M. de Batz pour qu’il le garde.
11 y a sept courses à faire et sept fois à écrire dans cette négo
ciation pour la supposer ainsi ; les distances à Paris sont longues ;
M. de Batz deineuroit dans la rue de Ménars . et moi dans la rue
du Bacq ; la convention se faisoit entre RI. de Batz et un agent de
change qui sûrement avoit plus d’une affaire, et d’une autre
importance que celle-là; ce qui fait qu’il est diflicile de supposer
qu’il soit resté tout exprès chez lui pour recevoir les lettres de
M. de Batz et y répondre. Cependant il a fallu que tout cela ait
lieu avant midi : cela 11e sera cru par personne ; l’acte est faux dans
sa date. M. de Batz a fait pour celui-ci ce qu’il a fait pour l’acte de
dépôt ; il a voulu que toutes mes commissions fussent faites le jour
même où je les lui ai données. Que de religion !
L ’acte du 5 février , porte encore cette autre condition : M . de
Frondeville sera connu de nous seulement. Cela 11’est-il pas
visible 7 E t depuis quand met-on eu convention une loi expresse?
T,a loi de l’incognito des spéculateurs , est une loi nécessaire de
la bourse; car autrement, les trois-quarts du teins , il n’y auroit
qu’un avis sur la place, et les agens de change n’auroient pas
line opération à faire ; par exemple , qu’on se ligure le cas où
un agent de change diroit qu’il demande à acheter des effets ,
pour en qu’on appelle un liomine bien instruit ; aussitôt il
ij’y iuiroit plus que des acheteurs sur la place.
Cependant M. de Batz n’est pas absurde; ce n’est pas là sondéfaut,
et s’il a mis là celle cheville , c’est qu’il avoit un trou ¿1 boucher.
Une chose me frap pe; la convention du 5 février, dit bien
�3t
que Cliabanel achelera des effets; mais elle ne dit point pour
le compte de q u i, et cependant si ce devoit être pour le mien ,
il me semble que le bon sens v e u t, qu’à la suite de ces mots , il
est convenu que Cliabanel achètera, on ajoutât ceux-ci — pour
le compte de M. de Frondeville— mais on ne l’a pas fait, et il
est dit simplement : il est convenu que Cliabanel achètera .-en
suite vient l’écriture de M. de Batz , qui désigne les effets à
acheter; de sorte que , jusqu’à la curieuse convention de mon
incognito , mon nom n’a point encore paru dans l'acte , et il est
pour tout autre que pour moi. Ne semble-t-il pas que cette con
vention ridicule n’a été imaginée et placée là , que pour avoir
un prétexte de me nommer et m’approprier après coup ce qui
ne m’appartenoit pas d’abord ?
En examinant l’acte , il parolt visible qu’on avoil laissé en
l’écrivant, un intervalle en b la n c , où M. de Batz a mis la
portion d’écriture qui lui appartient dans le corps de l’acte.
C’est précisément à la suite de cette portion d’écriture de
M . de Batz, que vient la convention de mon incognito ; mais
pour peu qu’on eût laissé l’intervalle en blanc un peu large, il
s’y trouve tout de suite de la place pour bien des choses , et
avec un peu d’imagination on a bientôt fait tout ce qu’on veut
d’un acte , où on a fait laisser pour sa commodité un intervalle
en blanc.
Au reste, je suis dans cette affaire comme au spectacle
d’O livier; je sais bien que ce sont des tours, mais je ne les de
vine pas tous.
Cependant, je crois que ce que je viens de dire, fuit assez com
prendre la difficulté qui m’embarasse : je la propose à M, de
Batz.
�3a
La dernière convention de l’acte du 5 février , est celle qui
fait mieux valoir tout l’éclat dont il brille.
Mais de cette fois, je ne proposerai point la difficulté à ré
soudre à M. de Batz; je vais m’en charger moi-même.
Pour bien comprendre, il faut se rappeler qu’il est dit que
les 240 billets des 125 millions et les 5 o actions des Indes, se
ront achetés le 5 février, payables fin m a is , ce qui donne à
ma spéculation , une durée de deux mois.
M aintenant, voici la dernière
parler.
convention dont je
veux
E n cas de bénéfice, Chabanel ne vendra pas sans ordre;
en cas de p erte, approchant de i 5 ,ooo liv. , il pourra vendre
sans ordre, à moins d’un surcroit de garantie
J e dis qu’en supposant l’acte v r a i, en se persuadant qu’il a
été (ait le 5 février 17 9 0 , je dis qu’avec les conventions que
M . de Batz y a faites pour moi, pour son a m i , il y avoit au
moins mille à parier contre un , que mon argent scroit perdu.
S i cela est , dans quelle poche est mon argent? J e le demande;
mais cela s’apptlle-t-il de l’argent gagné ?
Chabanel est autorisé à revendre mes effets , dès que la perte
approchera de mes i 5 ,ooo liv.! Ainsi, pourvu que dans les cin
quante-six jours pendant lesquels ma spéculation devoit cou
rir ( 1) ; pourvu qu’un seul jour ( fùl-ce le lendemain de l'ouver
ture , c’est-à-dire le 6 février) mes effets obtinssent une perle
(1) Depuis le 5 février jusqu’à la fin de m a rs, car M . de Datz me donne
ainsi les époques de l’ouverture cl de la clôture.
�d’à-peu-près i 5 ,ooo 1Σ ., c’en étoit fait de mon argent, il étoit
perdu sans retour:
'
J e dis sans retour, et je le dis sans possibilité de contradic
tion , car mes effets ayant une seule fois perdu à-peu-près
i 5 ,ooo liv ., 011 auroit arrêté mou compte du jour où cette perle
auroit eu lieu ; et ils auroient eu beau regagner cent mille écus
jusqu’à la lin de m ars, ce n’étoit plus pour moi : et pourquoi?
C ’est que l’agent de change avoit , par les conventions faites , la
faculté de revendre dès que la perte approcheroit de i 5 ,ooo liv. ;
et si j’avois voulu nie plaindre, l’agent de change(3), couvert de sa
convention , m’auroit dit : J ’élois autorisé à revendre , si la perte
approchoit de i 5 ,ooo liv. ; le cas a eu lie u , voyez le cours des
effets dans les journaux : je suis en règle, et je ue vous dois rien.
Ainsi la longue durée donnée à la spéculation , qui est toujours
tin grand avantage pour les autres , ici étoit funeste pour m oi,
puisque plus on la prolongeoit et plus on avoit de chances pour ob
tenir le jour de la perte: enfin, sur les cinquante-six jours que
devoit durer mas peculation ^ il pouvoit arriver que je gagnasse
cinquante-cinq , et pourtant que je perdisse tout mon argent ; c a r,
qu’on place le jour qui reste , n’importe eu quel ordre , dans les
cinquante-cinq, et qu’on suppose que ce jour, la perte à appro
ché de i 5 ,ooo liv., j’avois p erdu, puisque , d’après la conven
tion, mon compte pouvoit toujours être arrêté et daté du
jour de li perte. Il résulte de ceci, que mon directeur, M. de
Batz , me faisoit parier cinquante-cinq contre un.
Mais la proportion étoit bien pire ; pour comprendre à quel
(a) Pour me p l a i n d r e , il a u r o i l fa llu s a v o i r quelque c h o s e ; et c o m m e je
n’ ai ja m a is stf un m o t <lc to u t C e la, ori v o it q a e M . de B a t z a v o it v o u l u s’ e v it c c
m ê m e ce tte i n c o m i n o J i l c.
�34
point ce jeu étoit sur pour M. de B atz, il faut savoir d’abord,
que le prix des effets qu’il avoit fait acheter, dit-il, pour moi ,
le 5 février, éloit de 267,000 liv. ; or en cinquante-six jours il
est assez commun , que 267000 liv. d’effets de bourse, subissent
une perte de i 5 ,ooo liv. Dans les terns ordinaires, M. de Batz
avoit déjà une belle chance.
Mais nous n’étions pas dans des tems ordinaires ; depuis le com
mencement de la révolution les effets se déprécioient sans in
t e r r u p t i o n et sans espoir de m ieux; c a r , les circonstances qui
influoient sur eux s’aggravoient au lieu de diminuer.
M. de Batz , en commençant ma spéculation le 5 février ,
avuit donc bien beau je u , et c’eût été bien le diable, si en se
donnant deux mois de marge , il n’eût pas trouvé un jour de
perte , approchant de 1 5 ,000 liv ., sur des effets qui se déprécioient
constamment, depuis neuf ou dix mois, par des motifs qui ne
faisoient que s’aggraver.
J ’ai montré (pie M. de Batz m’a voit fait jouer cinquante-cinq
contre un , d’après le calcul mathématique ; maintenant qu’on
multiplie ce calcul par les preuves morales de la dégradation iné
v i t a b l e des effets publics, et l'on verra que je n’ai pas eu tort de
dire qu’il 111’avoit fait jouer mille contre un.
Mais qu’elles éloient mes chances pour gagner ? J e dis un
conlre m ille, et je me trompe encore; car, si par un pro
dige, nies (jjets avoient gagné au lieu de perdre; comment et
à qui aurois-je demandé mon gain? J e n’avois ni l’acte de dé
pôt , ni la convention du 5 février; toutes ces pièces sont et ont
toujours été entre les mains de M. de Batz ; je lui ai demaudé
itérativement 111011 argent depuis J790 jusqu’à présent, et jamais
il ne m’a seulement laissé soupçonner l'existence de ces pièces,
dont il avoit les poches pleines.
�35
A présent je propose une question. M. de Batz a soutenu
dans sou interrogatoire, que tout étoil convenu avec moi j
Croit-on" que je sois convenu de spéculer ainsi ?
J ’ai dit partout que je n’avois rien su :
Croit-on que j’aye su que M. de Batz faisoit ainsi mes affaires?.
La convention du 5 février, m’a appris que M. de Batz avoit
fait acheter, dit-il , pour mon compte, des effets publics, pour
la somme de 267,000 liv.
J e voudrois bien savoir qui a autorisé M. de Batz à em
ployer pour moi cette somme : la phrase commune , tout a été
convenu avec M . de F ron deville, ne suffit pas ici ; il y a des
actes ; j’invoque à mon to u r, ceux de M. de Batz; tant pis pour
lui s’il les a mal faits.
L ’acte de dépôt de Chabanel, au moyen duquel M. de Batz a
construit sou ingénieux système de spécula loin , porte cette
clause.
Pour garantie de négociations dont je me suis chargé pour
/e compte du déposant, dont.................................. 10,000 liv. eu
125 millions,
E t................................................................................. 5 ,ooo liv. en
actions des Indes ou d’assurances.
16,000 liv.
Si j’entends bien le français , cela veut dire que Cliabanel
devoit acheter ou vendre pour m o i, des billets de l'emprunt de
125 millions, et des actions des Indes , jusqu’à la concurrence de
i 5, 000 liv. Cela , me semble , est clair pour tout le monde.
De quelle autorité M. de Batz a-t-il fait monter 1achat fait pour
mon compte , à 267,000 liv. Où est mon mandat ? où est lactc
�5G
de ma volonté qui détruit cette condition passée entre moi , ( je
■veux dire mon Sosie) , et mon agent de change.
Ce n’est pas ma lettre du 5 février ; M. de Batz y trouve to u t,
excepté cela.
J e cçuseille à RI. de Batz de rctournerses poches ; peut-être y
trouvera t-il quelque vieux papier bien loyal , comme les autres ,
qui levera cette difficulté; elle en vaut la p ein e, car lorsqu’on
perd largent des gens , il 11e faut pas grossir le mémoire , autre
ment cela 11e s’appelle plus de l’argent perdu (1) :
La différence eu vaut la peine aussi ; car si mon conseil avoit
fait ç-xécuter fidellement mon acte de dép ôt, par mon agent de
change , je n’aurais perdu à peu-prés que le dix-huitième de mes
1 5,000 liv.
On vient d’entendre les réflexions que chacune des pièces de
M. de Batz m’a fournies dans l’instruction de ce procès ; je vais eu
faire une dernière sur l’ensemble de ces pièces ; elle est frappante ,
et seule elle feroit tomber le masque de M. de Batz.
M. de RaU a fait , ¿1 P aris, avec un tiers, divers actes concernant
ma propriété ,au point qu’une perte totale s’en est suivie ; j’étois à
l ’aiis , vivant la moitié du jour sous le même toit que M. de Batz ,
'et l’on ne me voit pas une fois présent à ces actes ; 011 m’y nomme,
mais je suis absent ; 011 fait des couvenvçm tons pour.m oi, et je ne
les ratifie pas ; pourtant j’é.tois-là , je n’étois infirme ni de corps ,
ni d’esprit ; si j’avais besoin d’un directeur , je n’avais pas besoin
d’un curateur ; je ne vois pour M. de Batz qu’un bon moyen d’ex-
( 1 ) Cette objection n’a point etc proposée devant M M . les arbitres ; j ’avoue
que je ne m’élois jamais apperçu de cette licence de M . de Ilalz ; c’est en
rclléchissant sur le m otif qu’il avoit pu avoir de tronquer l’actc de dépôt i
l’en droit où. il porte cette clau se, que cela m’a sauté aux yeu x.
�plicjuer.ma nnlliité, c’est que sachant que l’opérération seroit dure
pour moi , il a voulu m’opérer sans mal ni douleur.
Pour compléter la mistifieation , M. de Batz s’est laisse' demander
par moi mon argent à différentes reprises , sans jamais tirer de
sa poche, et même sans me les faire soupçonner par un seul m o t,
toutes ces pièces précieuses (t).
Tout cela prouve que M. de Batz est un homme qui agit beau
coup et parle p eu , mais je défie que cela prouve qu’il garde à
bon droit mon argent.
Pour terminer sur le procès jugé par les arbitres ; il me reste à
( i ) M . de Batz d i t , dans son m ém oire, que je suis reste avec lui pendant
deux ans a l’assemblée constituante, sans lui demander mon argent; et il conclut»
d’après l’adage , qui ne dit mot consent, que j ’ai ratifié tout ce qu’il a fait ;
mais M . de Batz commet encore une faute d’attention ; d’a b o rd , depuis la
dernière demande que je lui ai faite de mon a rg e n t, en 1 79 0, je ne suis resté à
l ’assemblée avec l u i , qu’ un an à-peu-près et non deux. ; de plus , M . de Batz
i îe dit pas qu’il est convenu , devant les arbitres-, que je luiavois demandé mon
argent plusieurs fois en 1790 , que je lui ai écrit en l’an G , par M . D etreuil;
pour le lui faire dem ander, et qu’ il répondit ( m’a rapporte M. Detreuil ) que
s’ il ine devoit , c’étoit à la nation qu’ il devoit payer ; enfin , M . de Batz dis
simule , qu’à peine revenu îi P a r is , je lui ai demandé mon arg e n t , et me suis
occupé de me le faire restituer :
11 est vrai que je n’ai point attaqué M . de Batz pendant le tems de l’asscmb’ée
qtli s’est écoulé depuis la dernière demande, que je lui ai faite de mon argent ;
mais l’assembléee ût elle duré dix ans , je ne l’aurois point attaqué pendant sa
durée ; je pouvois alors faire le sacrifice de i 5,ooo liv. à ma situation politique,
et aimer m ieux les attendre que de donner le scandale d’une telle discussion
entre deux gens que les circonstances de la révolution avoient montres jusqucs-là étroitement unis ;
Mais j’ai conservé le billet de M . de Batz , et je ne connois ni lo i, ni principe
d ’ où il résulte que le créancier infirme son titre , parce qu’il diffère d ’attaquer
Bon débiteur.
�38
dire un mot des clameurs de M. de Batz à l’occasion de la ma
nière dont je l’ai traduit devant les tribunaux.
J e l’ai assigné à son dernier domicile connu ; c’est là ce qui le
fâche ; et il a raison de ne pas aimer qu’on aille-là savoir de ses
nouvelles , car on y parle de lui en fort mauvais termes.
J e l ai assigné là , parce qu’à cette époque , il avoit à ses ordres
une phantasmagorie de domiciles dont il jouoit à faire le plus
grand plaisir à ceux qui aiment les déceptions (i).
11 faut considérer deux hommes dans M. de Batz ; un homme
qui a de très belles propriétés au soleil, et un pauvre diable qui n’a
rien à lui sous le soleil ; un homme qui donne de très-bons dinés
à ses amis dans une très-bonne maison où il réside ,et un homme
qui n’est domicilié nulle part ; enfin M. de Batz a des résidences et
point de domicile , et M. de Batz a de très - belles terres qui sont
sous des prête-noms.
Un tel homme n’est pas du tout commode pour ses créanciers j
je l’éprouvai lorsque je voulus le traduire en justice : je l’ai éprouvé
même depuis ; car lui ayant fait signifier à personne la sentence
dont il se plaint si h a u t, mon huissier le trouva rue de Buffaut où
il résidoit alors ; et l’ayant sommé de déclarer son domicile , il
déclara qu’il étoit rue des Noyers ; d’où je conclus que si je Pavois
fait assigner rue des Noyers , il auroit répondu qu’il avoit sou
domicile rue de Buffaut.
( i ) Je crois que c’est moi qui ai eu l’Iionncur de fixer le premier un domicile
ù M. de Hatz ; je m’en flatte , parce que souvent on vient à moi pour savoir,
non son adresse, connue de tout le monde , niais son domicile ; car il y a bien
quelques gens
par
le monde à qui M. de Batz fait des comptes comme à moi»
mais q u i , comme m o i , ne s’gn contcuteut pas.
�5g
A u reste, mon défenseur fera voir à M. de Batz , que ce n’est
point pour le surprendre que je l’ai assigné rue des Filles SaintThomas ; je suis même persuadé qu’ il finira par me savoir gré de
lui avoir fixé un domicile , parce qu’enfin j’en ai fait un homme
comme tout le monde.
M. de Batz a voulu que je lui parle en détail de l’instruction
du procès jugé ; je viens de le satisfaire ;
J e vais à présent parler du procès à juger : voici la sentence
arbitrale ;
« Considérant premièrement, que le billet du sienr de Batz,
» dont le sieur de Frondeville est porteur, constitue ledit sieur
» de Batz responsable et comptable envers le sieur de Fronde» ville , de la somme de i 5 ,ooo liv. ;
»
»>
«
»
» Secondem ent, que les renseiguemens et documens , fournis
par le sieur de Batz , n’établissent pas suffisamment le compte
de cet em ploi, lequel ne peut résulter que des comptes d’achat et de revente de l’agent de change chargé de la négociation qui devoit faire l’objet de cet emploi ;
»
.
»
>■
»
» Nous disons que le sieur de Batz sera tenu , dans le délai
d’ un mois , de rapporter la preuve pa r bordereaux et comptes
de l ’agent de change, ou résultant des livres et registres
de Vagent de change qui a été chargé de la négociation, que
par le résultat de ladite négociation, ladite somme de i5,ooo
u liv. a été absorbée ; sinon etfa u te de ce Ja ir e dans ledit d élai,
» en vertu du présent jugement } et sans qu’ il en soit besoin
» d’ autre ,
» D ison s, dès-à-présent, que ledit s ie u r de Batz sera tenu
» de payer audit sieur de Frondeville , lad. somme de i 5 ,ooo liv.
» et les intérêts , à compter du jo u r de la dem ande, et qu’ à cet
�h effe t, le jugement dont est appel sera exécu té selon sa form e
» et teneur ; au premier c a s , dépens réservés ; au second cas ,
» le sieur de Batz condamné envers le sieur de Frondeville en
» tous les dépéris de la cause d ’appel et coût du présent
» jugement. »
Voilà ie jugement que M. de Batz qualifie de vicieux , en puni
tion de quoi , dans la signification qu’il m’a faite , il révoque les
arbitres et leur retire sa confiauce.
J e pense, au contraire, que le jugement est d’une grande
indulgence, car leplan de spoliation méditée est si bien établi par
les pièces même de M. de Batz, qu’il pou voit être condamné sans
scrupule et sans délai.
Ce n’est qu’à l’extrême délicatesse des arbitres , qu’il doit
d’avoir obtenu un ré p it, et la faculté de se défendre encore par des
pièces authentiques et légales.
. Les arbitres ont vu que toutes les pièces de M. de Batz témoignent
qu’il y a eu une spéculation sous mon nom ; mais ou examine
deux choses dans un témoin , ce qu’il dit et ce qu’il est; et lorsque
les arbitres ont examiné les témoins de M. de Batz, sous ces deux
rapports , ils n’ont pas trouvé tout à fait autant de perfection
dans leur moralité que dans leurs dépositions.
C’est vraisemblablement ce qui les a déterminés à condamner
M. de Batz à eu fournir de meilleur a lo i, s’il en a.
Les arbitres ont donc fait tout ce qu’on pouvoit attendre de la
plus saine équité , et tout ce que M. de Batz pouvoit espérer de leur
indulgence.
La stricte justice auroit peut être voulu que M. de Bat?., faute
de présenter les pièces de comptabité indispensables en matière
de spéculation , fût condamne sur-le-champ.
�4i
M. de Batz forcé <le sesonmetlre au jugem ent, m’a signifié une
pièce qu’il prétend satisfaire à la sentence arbitrale ;
Cette pièce est'intitulée comme il suit :
» B ref état des comptes du sieur Chabanel soussigné , re« connus par le sieur Devaux , pour M. le baron de Batz, avec
» les pièces justificatives remises sous la récépissé du sieur
» Devaux. »
Tiennent ensuite cinq diiférens articles de compte. Le sixième
est celui que M. de Batz me donne pour un bordereau de
l ’opération soi - disant faite pour moi j il est conçu comme il
suit :
G°. « Remis pareillement c i- jo in t , les achats faits le 5 fé» vrier dernier, de deux cent quarante billets de l’emprunt de
»3 cent vingt-cinq millions à dix pour cent perte et de cinquante
» actions des Indes à 1020 liv ., pour compte de M. de Fronde» ville, ordre de M . de B a tz , le tout payable fin mars dernier,
» liquidé ordre idem le 27 , savoir : les deux cent quarante
» billets à un quart un huitième p erte, et les cinquante idem
» à g 3 o liv . sans autre droit qu’un huitième sur ces 517,600 liv .,
» ce qui donne en sus des i 5 ,ooo l i v ., reçues par le soussigné,
» une perte de 47 liv. par lui remise sur son droit. "»
Pour qu’on puisse comparer la pièce que produit M. de Batz
avec celles qu’il est condamné à produire , je vais copier tout
de suite la partie du jugement qui désigne les pièces à la pro
duction desquelles il condamne M. de Batz : la voici :
« Que le sieur de Batz sera tenu de rapporter la preuve par
>1 bordereaux et comptes de l’agent de change, ou résultant des
» livres et registres dudit agent de change qui a été chargé de la
» négociation ».
G
/
�42
M. de Balz donne aussi copie de ce dispositif, mais il le déguise
et l’allère pour sa plus grande commodité. Dame nature est trèsopiniâtre chez M . de Batz.
Ceci va ressembler un peu à la dispute de Figaro. M. de Batz
copie — P a r bordereaux pu comptes,— E tle jugement dit — P ar
bordereaux et comptes. M. de Batz copie — Bordereaux et
comptes tout c o u rt, et le jugement dit — Bordereaux et comptes
de l ’agent de change ou résultant des livres et registres dudit
agent de change.
M. de Batz n’a point de Bordereaux , et il croit avoir des comp
tes ; il n’est pas étonnant qu’il copie de manière à laisser croire
que le jugement lui a laissé le choix.
A vant d’entrer dans la courte discussion qu’exige la question
simple et claire qui est soumise à la Cour d’app el, il faut que je
donne encore la copie d’un acte que les arbitres avoient sous les
yeux lorsqu’ils ont prononcé : c’est le certificat des sindics des
agens du change de Paris ; le voici :
<( Déclarons que notre avis est que Pierre ne peut exiger de
» Paul le paiement d’une perte sur les effets publics , sans justifier
« au moins des bordereaux d'achat et de 'vente de l’agent de
» change qui a opéré ».
M. de Batz m’a fait signifier, encore par surabondance , d it-il,
ie ne sais trop q u o i, car il est impossible de donner un nom à ce
qu’on n’a vu ni en original, ni en copie.
11 dit que c’cst un compte général qui paroil être signé de lui
et de Clmbanel ; je ne sais s’il y a quelque finesse la dessous ; je
n’en parlerai point p arla raison qu’on ne peut parler de ce qu’on
ne conuolt pas , et M. de Batz voudra bien n’en pas parler davan
tage , jusqu’à ce qu’il m’ait appris convenablement ce que c’est.
�43
J e n’ai donc à examiner que le compte s o i - disant rendu par
Chabancl à Devaux : je dis soi-disant , car je n’ai jamais plus
connu rccriturc que le visage de ces gens là ; ce que j’en sais , et ^
ce n’est pas rassurant, c’est que ce compte est de la même écriture
que l’aimable convention du 5 février , et ni la convention , ni le
compte ne sont de l’écriture que M. de Batz attribue à Chabanel : ils sont de la main d’un inconnu.
Maintenant posons la question.
M, de Bat* produit-il des bordereaux et comptes de l’ agent de
change , ou résultant des livres et registres de l’ agent de
change ?
Que produit M. de Batz? Un compte qu’il dit avoir été remis
par Chabanel à un sieur D evaux, qu’il dit avoir été son secrétaire.
Ce que M. de Batz appelle un com pte, n’en est pas même un ; ce
n’est qu’un projet de compte proposé par Chabanel j il n’est
arrêté ni par M. de Batz , ni par Devaux , et dans l’état où il e st,
il laisse à M. de Batz l’intégrité de ses actions contre Chabanel
pour chaque article qu’il renferme.
M . de Batz veut donc que j’accepte de lui en paiement un
compte qu’il n’a pas accepté lui-même ; cela est absurde.
Mais le compte seroit accepté par M. de Batz , qu’il ne seroit
pas acceptable pour moi.
M. de Batz, dans ce procès, a toujours voulu me faire dépendre
de scs actes privés avec un tiers , auxquels il ne m’a jamais appçlé
quoiqu’il y disposât de ma propriété ; il persiste dans ce systèm e,
mais il oublie que ce système est jugé et proscrit.
M. de Batz n’entend pas du tout sa position par rapport à m o i,
il faut la lui faire comprendre.
M. de Batz a fa it , dit-il , opérer Chabancl pour mon compte
�44
Jan s une opération déboursé ; Chabanel a donc opéi-é pour moi
en qualité d’homme public ; eu ce cas M. de Batz ne peut pas me
rendre un compte avec des actes privés ; il me faut les pièces de
comptabilité usitées en pareil cas ; l’avis des sindics des agens de
change de Paris , a décidé de quelle nature sont ces pièces : ce
sont des borderaux de vente et d’achat; c’est aussi ce que le juge
ment a littéralement prononcé.
M. de Batz traite avec uu satyrique mépris ces malheureux
bordereaux : le renard trouvoit aussi le raisin trop vert.
Le mépris de M. de Batz est injuste ; les bordereaux sont
très-utiles au public; et pourquoi? C’est que ce sont les seules
pièces de comptabilité susceptibles d’une vérification satisfai
s a n t e pour celui qui négocie sur la bourse, tandis qu’un compte
privé ne l’est pas.
Qu’on retranche des obligations des agens de chan ge, celle
de donner à leurs cliens des borderaux copiés de leurs registres,
c l qu’on suppose qu’ils seront crus sur un dire tiré d’une lettre
ou d’un espèce de compte particulier ; il en résultera que le
commerce sera à la merci de ces officiers publics ;
Mais il n’ en est pas ainsi avec des bordereaux : car, le bor
dereau est toujous énonciatif d’un fait qui exclut la fraude.
Le bordereau doit être énonciatif ; d’abord du prix , de la
q u a n t i t é de la somme employée et du terme du m arché; mais
cela ne suffit pas ; car à ces conditions seulem ent, la fraude
seroit encore très-facile ; en e ffe t, il y a quelquefois dix cours
dans uuc bourse , ce qui fait que l’agent de change, après avoir
acheté à un prix un effet, pourroit choisir un autre prix
pour le porter en compte à son client ; et dire à ce dernier cc
tjue me dit aujourd’hui M. de Batz : — Voilà le prix auquel j’ai
�45
*•
»
•
acheté et le prix auquel j’ai vendu ; allez voir les gazettes ott
les cours sont cotés , et si ceux-là n’y sont pas , c’est moi qui
ai tort.
Cette manière de compter est commode , mais la bourse seroit
un bois , si elle étoit admise.
11 n’en est pas ainsi avec des bordereaux. Les bordereaux portent
toujours le nom de l’agent de change avec lequel le marché a été
passé, ce qui fait qu’un client pdurroit , au besoin , non-seulement
vérifier les registres de son agent de change , mais aussi ceux de
l’agent de change avec lequel le bordereau énonce que le marché
a été fait.
Les bordereaux ont encore ce caractère qui leur est propre ;
qu’ils fixent tout ce qui s’est passé au moment de l’opération , parce
qu’ils sont le relevé du carnet ( i ) , qui est lui-même la base de la
composition des livres et registres de l’agent de change.
Les bordereaux sont donc la pièce de sûreté publique , et conséquemment la seule avec laquelle un agent de change doit et peut
compter avec son client.
Dès que les arbitres ont eu reconnu M . de Batz responsable et
comptable envers m o i, d’après son billet qui le constitue t e l, ils
se sont imposés a eux-mêmes l’obligation de le condamner à payer
ou à compter régulièrement avec moi j or , qu’est-ce que c’est que
de compter régulièrement d’une somme que l’on dit avoir employée
et perdue dans une opération de bourse pour le compte d’un tiers ?
C’est de fournir à ce tiers les pièces de comptabilité de cette opéra
tion. Ces pièces ne pouvant être que des bordereaux authentiques ,
(1) Carnet est le nom d’un petit journal sur lequel les agens de cliange'ecriYcnt leurs opérations sur le parquet de la bourse à l ’instaut qu’elles «ont faites.
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les arbitres ont condamné M. de Batz à représenter des bordereaux.
M. de Batz ne peut suppléer à ces pièces que le jugement exige ,
par des pièces privées.
L e compte de Devaux qu’il présente , est beaucoup moins que
ce que les arbitres avoient sous les yeux , lorsqu’ils ont prononcé ,
car ils avoient la lettre de Chabanel , adressée directement à M.
de Batz , le jour même ou ce dernier dit avoir terminé l’opération;
ils avoient sous les yeux ces mots écrits par l’agent de change luimême : J ’ ai fin i d’ après vos ordres et heureusement avant la
bourse , votre ami ría au-delà de ses i 5,ooo liv ., que 47 liv. en
tout de perle.
Malgré ce témoignage , les arbitres fidèles aux principes , et
a u ssi, peut-être , inquiets sur la moralité*des pièces de M. Batz »
l’ont condamné à compter avec les pièces de comptabilité admises
en matière de spéculation de bourse.
M. de Batz infatué de son compte de Devaux , comme il l’étoit
de ses autres pièces avant le jugem ent, croit pouvoir mettre ce
compte en place des bordereaux ; mais ce compte est remis à un
inconnu ; il n’est arrêté par personne , et c’est un misérable
chiffon en comparaison de la lettre de Chabanel qui n’a cepen
dant pu sauver M. de Batz d’une condamnation.
J ’ai enfin terminé ; il me reste à faire excuse à M. de B atz,
du désordre et de l’incorrection de ce mémoire ( 1 ) ; cependant
je vois que le fonds des choses y est.
J e suis empressé de faire au sien l’honneur qu’il mérite ; et j’ai
(1) É tan t oblige de donner à imprimer à mesure que j ’écrivois, j ’ai été privé
de revoir ce que j ’avois é c r it, ce qui est cause que j ’ai répété des choses , et
que j ’en ai oblié et transposé d’autres,
�47
pressé ma.réponse afin d’avoir pour lui le procédé qu’il n’a pas
en moi ; il m 'a signifié son mémoire vingt-quatre heures avant
l’audience , que malgré cela j’ai pourtant acceptée ; je veux qu’il
ait le mien plusieurs jours avant celle où nous serons jugés;
J ’espère qu’à force d’égards je déterminerai M. de Batz à me
rendre mon argent.
FR O N D EV 1L L E .
J e reçois à l’in slan t, enfin , la communication des pièces de
M. de Batz , moins ma lettre que je voudrois cependant .revoir ,
car elle est pour moi un objet de curiosité toujours nouveau. Cette
communication m’oblige à ajouter quelque chose à mon mémoire.
D ’abord elle m’oblige à placer encore ici la copie figurée de
la convention du 5 fé v rie r, que j’ai donnée très - imparfaite**
ment ; la voici :
�Frondeville, 5 février.
2"* R»
NOTE
GÉNÉRALE.
est convenu avec M. Chabanel qu’au
jourd’h u i, 5 février 1 7 9 0, il ach e te ra :
I
l
1 °. L e s 240 billets de 12 5 millions
qui lui sont offerts à 10 pour 100 de
perte, fin de m ars; — 2 °. les 5o ac
tions des Indes , qu il croit avoir pour
la même époque , a 1020 liv.
Que le tout demeurera entre nous; que
Achats et marchés fer- M . le président de Frondeville sera connu de
mes payables fin mars n o u s seulement, et que M . Chabanel sera seul
prochain fixe,
r
,
en nom , vu la garantie.
En cas de bénéfice, Chabanel ne revendra
pas sans ordre.
Term iné le 27 mars
perte au delà des 1 5, 000
En cas de perte approchant de 1 5 ,ooo 1.,
liv., est de 4
9 liv. et non i l pourra vendre sans ordre, à moins de surde 47 liv. comme le dit c r o i t d e g a r a n t i e
Chabanel qui en fa it
remise sur son droit.
Convenu D. C,
F in de tous comptes avec Frondeville.
1 . A lui r e m is » présence de Foucault,
.
.
. 2,600 liv.
2". Chez V e llo n i, 2 5 louis.............................................600
3 ”. S u r sa dem ande, 3 o louis........................................
7 20
4°. Id . à lui porté à l’assemblée solde de 2 5o louis. 6,000
9, 720
5"» P ayé pour lui à Dijoine , pour sa cotisation a
des frais à l’hôtel de Ju ig n es«
�
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Title
A name given to the resource
Factums Marie
Relation
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Description
An account of the resource
<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. Frondeville, de. 1808]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Frondeville
Subject
The topic of the resource
créances
Constituants
arbitrages
spéculation
diffusion du factum
Description
An account of the resource
Réponse de M. de Frondeville au précis de M. de Batz.
Publisher
An entity responsible for making the resource available
s.n.
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1808
Circa 1789-1808
1774-1789 : Règne de Louis XVI -Fin de l’Ancien Régime
1789-1799 : Révolution
1799-1804 : Consulat
1804-1814 : 1er Empire
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
48 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_M0602
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Marie
Language
A language of the resource
fre
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Authezat (63021)
Rouen (76540)
Chadieu (château de)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
Relation
A related resource
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arbitrages
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Créances
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